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Saint Augustin d'Hippone
Commentaire entier du Livre de la Genèse au sens littéral
livres 1 à 4


LIVRE PREMIER. CRÉATIONS PRIMITIVES I.
 

LIVRE PREMIER. CRÉATIONS PRIMITIVES I.

CHAPITRE PREMIER. DIVERS SENS DE L'ÉCRITURE. PREMIERS MOTS DE LA GENÈSE.

CHAPITRE II. Fiat lux : DIEU A-T-IL PRONONCÉ CETTE PAROLE PAR L'ENTREMISE D'UNE CRÉATURE OU PAR SON VERBE?

CHAPITRE III. QU'EST CE QUE LA LUMIÈRE? POURQUOI DIEU N'AT-IL PAS DIT: Fiat cœlum, COMME IL A DIT : Fiat lux?

CHAPITRE IV. AUTRE RÉPONSE A LA MÊME QUESTION.

CHAPITRE V . LA CRÉATURE INTELLIGENTE RESTE INFORME, SI ELLE NE SE PERFECTIONNE EN PRENANT POUR FIN LE VERBE DE DIEU. POURQUOI L'ESPRIT PORTÉ SUR LES EAUX AVANT LE Fiat lux?

CHAPITRE VI. LA TRINITÉ APPARAIT DANS LA CRÉATION PRIMITIVE COMME DANS LE DÉVELOPPEMENT DES ÊTRES.

CHAPITRE VII. POURQUOI DIT-ON.QUEL'ESPRIT DE DIEU ÉTAIT PORTÉ SUR LES EAUX.

CHAPITRE VIII. L'AMOUR DE DIEU EST LA CAUSE QUI FAIT NAITRE ET SUBSISTER LES CRÉATURES.

CHAPITRE IX. LA PAROLE DIVINE . « FIAT LUX » A-T-ELLE ÉTÉ PRONONCÉE DANS LE TEMPS OU EN DEHORS DU TEMPS?

CHAPITRE X. DIFFÉRENTES MANIÈRES D'EXPLIQUER LA DURÉE DU PREMIER JOUR CONTRADICTIONS OU DIFFICULTÉS QU'ELLES RENFERMENT.

CHAPITRE XI. ROLE DU SOLEIL. NOUVELLE DIFFICULTÉ DANS L'HYPOTHÈSE PRÉCÉDENTE.

CHAPITRE XII. NOUVELLE DIFFICULTÉ QUE PRÉSENTE LA SUCCESSION DES TROIS JOURS ET DES TROIS NUITS QUI PRÉCÉDÈRENT LA CRÉATION DU SOLEIL. COMMENT LES EAUX SE RASSEMBLÈRENT-ELLES?

CHAPITRE XIII. A QUEL MOMENT ONT ÉTÉ CRÉÉES L'EAU ET LA TERRE.

CHAPITRE XIV. CE QUI FAIT ENTENDRE, DANS LE PREMIER VERSET DE LA GENÈSE, QUE LA MATIÈRE ÉTAIT INFORME.

CHAPITRE XV. LA SUBSTANCE PRÉCÈDE LE MODE, NON EN DATE, MAIS EN PRINCIPE.

CHAPITRE XVI. NOUVELLE MANIÈRE D'EXPLIQUER LA SUCCESSION DES JOURS ET DES NUITS PAR L'ÉMISSION OU L'AFFAIBLISSEMENT DE LA LUMIÈRE : QUELLE EST PEU SATISFAISANTE.

CHAPITRE XVII. HYPOTHÈSE DE LA LUMIÈRE INTELLECTUELLE ; DIFFICULTÉS QU'ELLE ENTRAÎNE; COMMENT ELLE SERT A EXPLIQUER LE SOIR ET LE MATIN, LA SÉPARATION DE LA LUMIÈRE D'AVEC LES TÉNÈBRES.

CHAPITRE XVIII. DE L'ACTIVITÉ DIVINE.

CHAPITRE XIX. IL FAUT S'INTERDIRE TOUTE ASSERTION HASARDÉE. DANS LES PASSAGES OBSCURS DES SAINTS LIVRES.

CHAPITRE XX. BUT DE L'AUTEUR EN EXPLIQUANT LA GENÈSE A DIVERS POINTS DE VUE.

CHAPITRE XXI. AVANTAGE D'UN COMMENTAIRE QUI EXCLUT TOUTE PROPOSITION HASARDÉE.

 

 

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CHAPITRE PREMIER. DIVERS SENS DE L'ÉCRITURE. PREMIERS MOTS DE LA GENÈSE.
 

1. L'Ecriture se divise en deux parties, comme nous le fait entendre le Seigneur lui-même, quand il compare un docteur versé dans la science du royaume de Dieu à un père de famille « qui «tire de son trésor des choses anciennes et des choses nouvelles (2);» ces deux parties s'appellent aussi les deux Testaments. Dans les saints Livres, il faut toujours examiner la révélation des vérités éternelles, le récit des évènements, les prophéties, les préceptes et les avis moraux. A propos des évènements on se demande s'il suffit de prendre les faits au sens figuré, et s'il ne faut pas encore les accepter et en soutenir l'authenticité comme faits historiques. Qu'il y ait des allégories dans l'Ecriture, c'est ce qu'aucun chrétien n'oserait nier, pour peu qu'il songe aux paroles de l'Apôtre quand il dit: « Toutes ces choses leur arrivaient pour nous servir de figures (3) ; » ou quand il cite ces mots de la Genèse: « Ils seront deux en un même Corps (4), » pour exprimer le mystère auguste de l'union de Jésus-Christ avec son Eglise (5).

2. Puisque l'Ecriture admet cette double interprétation, cherchons, en dehors de toute allégorie, le sens attaché à ces mots : « Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. » Faut-il entendre par là l'origine du temps, les éléments primitifs de la création ou le principe suprême, je veux dire le Verbe, Fils unique de Dieu ? En outre, comment Dieu peut-il se manifester, et, sans cesser d'être immuable, créer des êtres soumis aux changements du temps ? Que signifient les mots ciel et terre? Représentent-ils les esprits

 

1. Gen. I, 1-5. — 2. Matt. XIII, 52. — 3. I Cor. X, 11. — 4. Gen. II, 24. — 5. Ephés. V, 31, 32.

 

et tes corps que renferment le ciel et la terre, ou seulement les corps ? En supposant qu'une soit point ici question des esprits, les termes de ciel et de terre ne servaient-ils qu'à désigner la matière dans les régions supérieures ou inférieures de l'espace ? Sous les mots de ciel et de terre faut-il voir la substance matérielle ou spirituelle en l'absence de toute forme : je veux dire la vie de l'esprit, tel qu'il peut exister en lui-même, avant de s'être uni au Créateur, union qui fait sa beauté et sa perfection, et sans laquelle il ne possède pas sa forme véritable; je veux dire aussi la vie du corps, tel qu'on peut le concevoir dépouillé de toutes les propriétés que révèle la matière, quand elle a atteint sa perfection et que les corps ont pris les formes susceptibles d'être perçues par la vue ou tout autre sens ?

3. Ou bien, faut-il entendre, par le mot ciel, la créature immatérielle, parfaite et bienheureuse du moment qu'elle reçut l'être ; par le mot terre, la matière imparfaite encore ? car, est-il dit,     « la terre était invisible, sans forme, et les ténèbres étaient sur l'abîme, » expressions qui semblent désigner dans la matière l'absence de toute forme. Faut-il voir dans ce passage l'imperfection naturelle aux deux substances; au corps, par ce que la terre était invisible et sans forme; » à l'esprit, parce que les ténèbres étaient sur l'abîme ? » L'abîme ténébreux serait dans ce cas une métaphore pour désigner l'état primitif de l'esprit, avant qu'il s'unisse à son Créateur; cette union étant l'unique moyen de mettre en lui l'ordre, pour faire disparaître l'abîme, et la lumière, polir chasser les ténèbres ? Dans quel sens devons-nous aussi entendre que « les « ténèbres étaient sur l'abîme ? » Serait-ce que la lumière n'existait pas encore ? Car si elle eût existé, elle serait élevée et comme répandue, dans les (146) régions supérieures : ce qui se fait dans les âmes lorsqu'elles s'attachent à la lumière immuable et toute spirituelle qui est Dieu.

 

 

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CHAPITRE II. Fiat lux : DIEU A-T-IL PRONONCÉ CETTE PAROLE PAR L'ENTREMISE D'UNE CRÉATURE OU PAR SON VERBE?
 

4. Comment Dieu a-t-il dit: « Que, la lumière « soit ? » Est-ce dans le temps ou dans l'éternité de son Verbe ? Or, le: temps implique le changement ; dès lors Dieu n'a pu prononcer cette parole que par l'entremise d'une créature, puisqu'il es en dehors de tout changement. Mais si Dieu s'est servi d'une créature pour dire : « que la lumière soit, » comment la lumière serait-elle le premier être créé, puisqu'il aurait existé antérieurement une créature qu'il aurait employée pour dire que la lumière soit? » Faudrait-il, en se fondant sur le passage, « au commencement Dieu créa le ciel et la terre, » admettre que la lumière n'a pas été créée au début, et que des lors une créature céleste a pu faire entendre dans la succession de la durée cette parole : « Que la lumière soit ? » S'il en était ainsi, ce serait à l'instant où fut créée la lumière visible aux yeux du corps, que Dieu aurait employé un pur esprit, créé antérieurement et au moment même qu'il fit le ciel et la terre, pour prononcer le Fiat lux, comme le pouvait prononcer par un mouvement intérieur et mystérieux, cette sorte de créature sous l'inspiration divine.

5. Ou bien encore, quand Dieu: dit : « que la lumière soit , » aurait-il fait entendre un son matériel semblable à celui qui éclata, quand il dit : « Vous êtes mon Fils bien-aimé (1) ? » et par le moyen de la créature à qui il donna l'être au moment qu'il fit le ciel et la terre; et avant la création de la lumière destinée à paraître au son de celle voix ? Et s'il en était ainsi, dans quelle langue aurait été prononcée là parole divine; « Que la lumière soit ?» Les langues ne se diversifièrent qu'après le déluge, lorsqu'on éleva la tour de Babel (2). Quelle serait donc cette langue simple, uniforme, dans laquelle Dieu aurait fait entendre : « Que la lumière soit? » Quel serait l'être qui dut entendre, comprendre cette parole et lui servir comme d'écho ? Mais n'est ce pas là un songe creux et une conjecture de la chair ?

 

1. Matt. III, 17. — 2. Gen. XI, 17.

 

6. Que faut-il donc dire ? L'idée cachée sous ces mots, «fiat lux, » n'est-elle pas, au lieu du son même des mots, la véritable voix de Dieu ? Et cette idée, n'est-elle pas de la nature même du Verbe dont il est dit : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu? » Car, si « tout a été fait par lui (1). » il est manifeste qu'il a fait également la lumière, au moment où Dieu a dit : « Que la lumière soit. » D'après ce principe, la parole divine : « Que la lumière soit, » est éternelle ; car le Verbe de bien, Dieu au sein de Dieu, Fils unique de bien, est coéternel à son Père. Toutefois, la parole divine émise dans le Verbe éternel, n'a produit les créatures que dans le temps. Bien qu'en effet les expressions humaines d'époque, de jour, aient rapport à la durée, la désignation de l'instant où un acte divin doit s'accomplir est éternelle dans le Verbe ; quant à l’acte, il s'accomplit au moment où doit se réaliser la conception du Verbe, qui reste en dehors de tonte époque, parce que tout en lui est éternel.

 

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CHAPITRE III. QU'EST CE QUE LA LUMIÈRE? POURQUOI DIEU N'AT-IL PAS DIT: Fiat cœlum, COMME IL A DIT : Fiat lux?
 

7. La lumière est créée ; mais quelle est son essence ? faut-il y voir une créature intelligente ou un agent physique ? Dans le premier cas, elle serait le premier être créé et arrivé à la perfection en vertu de la parole souveraine. Car nommée d'abord le ciel, selon le passage : « Au commencement Dieu créa le ciel et la terre,» elle aurait été rappelée au Créateur, par la parole : « Que la lumière soit, » et cette expression signifierait comment cette créature s'est attachée à Dieu .et a été éclairée par lui.

8. Pourquoi a-t-il été dit : « Au commencement Dieu créa le ciel et la terre, » et n'a-t-il pas été écrit : Au commencement Dieu dit : que le ciel et la terre soient, et le ciel et la terre furent, en racontant cette création sois la même forme que celle de la lumière ? L'Écriture veut-elle embrasser sous l'expression générale de ciel et de terre la création tout entière, puis exposer en détail comment Dieu a agi, en répétant à chaque création spéciale : « Dieu dit, » pour exprimer que Dieu a fait par son Verbe toutes ses œuvres?

 

1. Jean, I, 1, 3.

 

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CHAPITRE IV. AUTRE RÉPONSE A LA MÊME QUESTION.
 

9. Ne serait-ce pas qu'au moment où se produisait dans son imperfection la substance simple ou composée il n'y avait point lieu de prononcer le fiat de la puissance créatrice ? En effet le Verbe inséparable du Père, en qui Dieu prononce tout éternellement sans employer ni sons, ni langage successif, puisque c'est seulement à là lumière coéternelle de cette Sagesse qu'il a engendrée ; le Verbe, dis-je, n'est pas pris pour modèle par la; créature grossière au moment où elle n'a aucune ressemblance avec l'être premier, souverain, et que, par son imperfection même elle tend au néant. Elle imite au contraire la perfection de ce Verbe, intimement uni au Père dans l'immobile éternité, lorsqu'en s'attachant, à sa manière, à l'Etre absolu et éternel, c'est-à-dire à son Créateur, elle se façonne en quelque sorte et acquiert sa perfection. Dès lors, ne faut-il pas entendre par le flat de l'Écriture la parole toute spirituelle que Dieu prononce ou son Verbe coéternel, attirant à lui les créatures encore imparfaites, afin que, dépouillant leur grossièreté, elles arrivent au degré de perfection qu'il, veut donner à chacune d'elles? Comme elles imitent, dans cette période de leur développement, et selon leur capacité, Dieu le Verbe, je veux dire le Fils de Dieu coexistant avec son Père, ayant les mêmes attributs et la même essence, puisqu'ils ne sont qu'un (1), et comme elles ne prennent plus modèle sur le Verbe, lorsque, s'écartant du Créateur, elles se condamnent à l'imperfection et au néant, il n'est pas question du Fils en tant que Verbe, mais en tant que principe de la création, dans ce passage « Au commenceraient, Dieu fit le ciel et la terre, » passage qui fait entendre que la créature à son origine manquait de forme et de perfection. Mais il est question du Fils, qui est aussi le Verbe, dans ces mots : « Dieu dit: que la lumière soit. » Ainsi par le mot de commencement ou de principe on fait entendre l'origine de la créature tenant de Dieu une existence encore imparfaite; en nommant le Verbe, on révèle le perfectionnement de la créature qu'il s'est rattachée, afin qu'elle se formât en s'unissant au Créateur, et en imitant, à sa manière, l'original immuablement uni au Père, lequel l'engendre éternellement égal a lui-même.

 

1. Jean, X, 30.

 

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CHAPITRE V . LA CRÉATURE INTELLIGENTE RESTE INFORME, SI ELLE NE SE PERFECTIONNE EN PRENANT POUR FIN LE VERBE DE DIEU. POURQUOI L'ESPRIT PORTÉ SUR LES EAUX AVANT LE Fiat lux?
 

10. En  effet, la vie du Verbe, Fils de Dieu, n'admet aucune imperfection ; pour lui, l’existence n'est pas seulement la vie, c'est la vie unie à la sagesse et au bonheur absolus. Quant à la créature spirituelle, malgré les dons de l'intelligence et . de la raison qui semblent la rapprocher du Verbe, elle n'admet la vie qu'à un degré imparfait : car, si l'existence en elle implique la vie, elle n'implique pas les dons de la sagesse et du bonheur, et en s'écartant de la sagesse immuable elle vit dans l'aveuglement et le malheur, ce qui constitue son imperfection. Or, pour s'élever à la plénitude de son être, elle doit se diriger vers la lumière indéfectible de la Sagesse, le Verbe de Dieu. C'est en se tournant vers le principe auquel elle doit son existence telle quelle et sa vie, que commence pour elle une vie de sagesse et de bonheur. Car le principe de la créature raisonnable est la Sagesse éternelle ; et quoiqu'elle garde en elle-même sa pure et immuable essence, elle ne cesse jamais de parler par une inspiration mystérieuse à sa créature, pour la rappeler à son principe, en dehors duquel elle perd tout moyen de se développer et d'atteindre à la perfection. Aussi a-t-elle répondu, quand on lui a demandé qui elle était: « Je suis le principe, est c'est moi qui vous parle (1) . »

11. Or quand le Fils parle, c'est le Père qui parle, puisque la parole du Père est son Verbe ou son Fils, qu'il produit par un travail éternel, si l'on peut employer ce mot, quand il s'agit du Verbe coéternel à Dieu. Car, Dieu est animé d'une bonté infinie, pleine de sainteté et de justice; de plus la bienveillance et non le besoin est la source de l'amour qu'il éprouve pour ses œuvres. Aussi avant de rappeler ces paroles: « Dieu dit que la lumière soit;» l'Écriture rapporte que « l'Esprit de Dieu était porté sur les eaux.» Soit que Dieu ait voulu désigner par l'eau la nature physique, et indiquer le principe générateur des choses dont nous voyons maintenant les espèces, comme l'expérience nous montre en effet qu'ici bas les êtres, sous toutes les formes, naissent

 

1. Jean, VIII, 25.

 

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et se développent dans un milieu liquide; soit qu'il ait représenté par ce terme les fluctuations, pour ainsi dire, de la vie intellectuelle, avant qu'elle se fût attachée à sa fin; il est incontestable que l'Esprit de Dieu était répandu sur les choses, car les éléments que Dieu avait créés au début pour en faire des oeuvres parfaites, étaient comme sous la main de sa bienveillance, et, Dieu ayant dit par son Verbe: « Fiat lux, » tous les êtres devaient être maintenus, chacun selon son mode d'existence, dans sa faveur et dans ses généreux desseins aussi tout est bien dans ce qui a plu à Dieu, selon ce témoignage de l'Écriture : « Et la lumière fut, et Dieu vit que la lumière était bonne. »

 

 

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CHAPITRE VI. LA TRINITÉ APPARAIT DANS LA CRÉATION PRIMITIVE COMME DANS LE DÉVELOPPEMENT DES ÊTRES.
 

12. Au début même de cette création ébauchée qui, du nom des oeuvres destinées à en sortir, a été appelée ciel et terre, on voit apparaître la triple personne du Créateur. Dans les paroles de l'Ecriture : « Au commencement Dieu fit le ciel et la terre, » on reconnaît le Père dans le mot Dieu et le Fils dans le mot commencement ; le Fils en effet quoiqu'il n'ait pas produit le Père est le principe des êtres, surtout des êtres spirituels primitivement créés par sa puissance, et par conséquent de toute la nature. En ajoutant : « L'Esprit de Dieu était porté sur les eaux, » l'Écriture complète l'énumération des personnes divines. On reconnaît également la Trinité dans le mouvement qui perfectionne et ordonne la création, en y établissant les espèces; le Verbe de Dieu et son Père apparaissent dans les expressions: « Dieu dit; » la Bonté divine éclate dans la satisfaction que fait éprouver à Dieu la perfection relative des êtres selon leur nature « et Dieu vit que c'était bien. »

 

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CHAPITRE VII. POURQUOI DIT-ON.QUEL'ESPRIT DE DIEU ÉTAIT PORTÉ SUR LES EAUX.
 

13. Mais pourquoi parle-t-on de la création, quoique imparfaite, avant de citer l'intervention de l'Esprit de Dieu? L'Écriture en effet dit d'abord : « La terre était invisible et sans ordre, et les ténèbres étaient sur l'abîme, » puis elle ajoute . « Et l'Esprit de Dieu était porté sur les eaux. » Comme l'amour qui naît de la privation et du besoin s'attache avec tant de force à son objet qu'il lui est entièrement soumis, n'aurait-on pas dit du Saint-Esprit, expression de la bonté et de l'amour divins, qu'il était. porté sur les eaux, pour montrer que, si Dieu aime ses ouvrages, ce n'est point par besoin, mais par excès de bienveillance? Fidèle à cette pensée, l'Apôtre, avant de parler de la Charité, dit qu'il va nous montrer la voie la plus élevée; et ailleurs, il rappelle que l'amour de Jésus-Christ surpasse toute science (2). Avant donc que de montrer l'intervention souveraine de l'Esprit-Saint, il valait mieux parler de l'oeuvre primitive sur laquelle il devait être porté: il la dominait, en effet, non comme d'un lieu plus élevé, mais par l'effet de sa puissance souveraine et supérieure à tout.

 

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CHAPITRE VIII. L'AMOUR DE DIEU EST LA CAUSE QUI FAIT NAITRE ET SUBSISTER LES CRÉATURES.
 

14. Lorsque des éléments primitifs furent sortis les êtres accomplis et tout formés, « Dieu vit « que tout était bien; » son oeuvre lui plut en vertu de la bonté même qui l'avait engagé à la créer. Dieu en effet aime sa créature à deux titres : il veut qu'elle reçoive et qu'elle conserve l'existence. Ainsi, quand « l'Esprit de Dieu était porté sur les eaux, » c'était pour communiquer cette existence; et, quand « Dieu vit que tout était bien, » c'était pour en rendre le bienfait durable. Or, ce qui a été dit de la lumière, l'a été aussi du reste de la création. Parmi les êtres, en effet, il en est qui sont en dehors de toutes les révolutions de la durée et qui, sous la souveraineté de Dieu, conservent le privilège sublime de la plus haute sainteté. les autres vivent dans les limites assignées à leur existence, et leur durée, qui tour-à-tour s'épuise et se renouvelle, forme la trame des siècles.

 

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CHAPITRE IX. LA PAROLE DIVINE . « FIAT LUX » A-T-ELLE ÉTÉ PRONONCÉE DANS LE TEMPS OU EN DEHORS DU TEMPS?
 

15. Quant à la parole: « Que la lumière soit et la lumière fut, » est-ce un jour, est-ce avant la naissance des jours qu'elle fut prononcée? Si Dieu l'a fait entendre dans son Verbe coéternel, elle

 

1. I Cor. XII, 3l. — 2. Ephès. III, 19.

 

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est en dehors du temps; si au contraire il ne l'a prononcée qu'à une certaine époque, il a employé, non son Verbe, mais l'organe d'un être contingent, et dans cette hypothèse la lumière ne serait plus l'œuvre primitive de la création, puisqu'il aurait existé antérieurement un être pour faire éclater la parole: « Que la lumière soit. » Or, les êtres créés par Dieu avant la période des jours sont indiqués dans le passage : « Au commencement Dieu créa le ciel et la terre; » le ciel serait la création spirituelle déjà parfaite, car elle est comme le ciel de ce ciel, qui est la région la plus élevée du monde physique, et c'est seulement le second jour que fut créé le firmament, à qui Dieu donna encore le nom de ciel. La terre nue et invisible, l'abîme de ténèbres serviraient à désigner la matière imparfaite destinée à former dans le temps les diverses substances, et, au début, la lumière.

16. Comment l'être créé avant l'origine du temps a-t-il pu prononcer dans le temps : « Que « la lumière soit? » C'est un secret difficile à découvrir; car le sonde la voix n'a pu faire entendre cette parole; puisque tout son de ce genre est quelque chose de physique. Serait-ce donc que Dieu aurait formé de la matière encore imparfaite une voix pour exprimer : « Que la lumière soit? » Dès lors, il aurait existé une substance sonore, créée et façonnée avant la lumière. Mais, dans cette hypothèse, le temps devait déjà exister pour être parcouru par la voix et pour transmettre les intervalles successifs des sons. Or, si pour transmettre les vibrations de ces mots: « Que la lumière soit, » le temps précédait la création de la lumière, à quel jour doit-on le rattacher, puisqu'il n'a été parlé encore que du premier jour, où la lumière fut faite? Faut-il voir dans ce jour tout le temps employé soit à former la substance sonore, soit à créer la lumière? Mais un commandement pareil doit partir d'un être qui parle pour frapper l'ouïe : l'oreille, en effet, a besoin pour entendre que l'air soit mis en mouvement. Et comment attribuer un pareil sens à une matière invisible, inorganique, dont Dieu se serait fait un écho pour dire : « Que la lumière soit? » Il y a là une contradiction que doit repousser tout esprit sérieux.

17. Est-ce donc en vertu d'un mouvement spirituel, bien que temporel, que fut prononcé le « fiat lux, » mouvement parti du Dieu éternel et, grâce au Verbe coéternel, communiqué à l'être spirituel ou au ciel du ciel, déjà créé comme l'indiquent ces paroles: « Au commencement Dieu créa le ciel et la terre ? » Ou bien, faut-il penser que cette expression, sans impliquer ni un son ni même un mouvement intellectuel, aurait été fixée en quelque sorte par le Verbe coéternel à son Père, et gravée dans la raison de l'être immatériel pour communiquer la vie et l'ordre au chaos ténébreux, et pour produire la lumière? Mais si Dieu n'a point commandé dans le temps; si ce commandement n'a point été entendu.dans le temps par une créature appelée, en dehors du temps, à contempler la vérité; si le rôle de cette créature s'est borné à transmettre dans les régions inférieures du monde, par une activité toute spirituelle, les idées gravées en elle par l'immuable Sagesse et, pour ainsi dire, des paroles tout intellectuelles, il est fort difficile de concevoir comment il se produit des mouvements temporels pour former les êtres et pour les gouverner. Quant à la lumière, qui la première reçut l'ordre de se former et se forma, s'il faut admettre qu'elle tient le premier rang dans la création, elle se confond avec la vie de l'intelligence, de l'intelligence qui doit se tourner vers le Créateur pour en être éclairée, sous peine de flotter dans l'incertitude et le désordre. Or, l'instant où elle se tourna vers Dieu et fut éclairée, fut celui où s'accomplit la parole prononcée dans le Verbe de Dieu : « Que la lumière soit. »

 

 

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CHAPITRE X. DIFFÉRENTES MANIÈRES D'EXPLIQUER LA DURÉE DU PREMIER JOUR CONTRADICTIONS OU DIFFICULTÉS QU'ELLES RENFERMENT.
 

18. La parole qui créa la lumière ayant été éternelle, puisque le Verbe coéternel à son Père est en dehors du temps, on va peut être se demander si l'acte de la création a été également éternel. Mais peut-on s'arrêter à cette question, quand l'Ecriture, après la création de la lumière et sa séparation d'avec les ténèbres, donne à l'une le nom de jour, aux autres celui de nuit, et ajoute: « Et il y eut un soir et un matin, un jour accompli. » On voit par là que cette oeuvre de Dieu se fit en un jour, à la fin duquel eut lieu le soir ou le commencement de la nuit; la nuit achevée, la durée du jour fut complète, et le matin fut l'aurore d'un second jour où Dieu devait accomplir une oeuvre nouvelle.

19. La véritable énigme est de savoir comment Dieu prononçant le fiat lux dans l'intelligence (150) éternelle de son Verbe sans la moindre succession de syllabes, la lumière s'est laite si lentement, dans l'espace d'un jour jusqu'au soir. Serait-ce que la lumière se fit en un instant, et que la durée du jour fut consacrée à la séparer d'avec les ténèbres et à les nommer toutes deux? Mais il serait étrange que cet acte eût demandé à Dieu le temps que nous mettons à en parler. Car la séparation de la lumière et des ténèbres fut la conséquence immédiate de la création de la lumière, puisqu'elle ne pouvait se produire sans se distinguer des ténèbres.

20. « Dieu nomma la lumière jour, et les ténèbres, nuit; » mais en admettant même que cet acte eût été accompli avec des mots nettement articulés, aurait-il fallu plus de temps que nous n'en mettrions à dire: que la lumière s'appelle jour, et les ténèbres, nuit? On ne poussera pas sans doute l'extravagance jusqu'à s'imaginer que, Dieu surpassant tout par sa grandeur, les syllabes sorties de sa bouche, si peu nombreuses qu'elles aient été, aient pris un volume capable de remplir un jour entier. Ajoutons que Dieu a nommé la lumière jour, et les ténèbres nuit, dans son Verbe coéternel, je veux dire, dans la pensée tout intérieure de son immuable Sagesse, sans avoir recours à dessous matériels. On veut encore savoir dans quelle langue Dieu s'est exprimé, en supposant qu'il se soit servi d'une langue humaine; et on se demande s'il était nécessaire d'employer des sons fugitifs, dans l'absence de tout être capable de les entendre : à pareille question impossible de répondre.

21. Faut-il avancer que, l'oeuvre divine instantanément accomplie, la lumière brilla, avant l'arrivée de la nuit, tout le temps nécessaire pour former un jour, que les ténèbres succédèrent à la lumière aussi longtemps qu'il fallut pour former une nuit, et que, le premier jour écoulé, l'aurore du jour suivant se leva? En soutenant cette opinion, je craindrais fort de faire rire, soit ceux qui savent avec une pleine certitude, soit ceux qui peuvent remarquer qu'au moment même où la nuit règne dans notre pays, la lumière éclaire les contrées que traverse le soleil pour revenir de l'occident à l'orient, et que dès lors par conséquent, dans les vingt-quatre heures de la révolution diurne, il est impassible de ne pas voir régner ici la nuit, ailleurs le jour. Allons-nous donc placer Dieu à un point de l'espace où survenait le soir, au moment que la lumière quittait cette région pour en éclairer une autre ? Sans doute il est dit dans le livre de l'Ecclésiaste « Et le soleil se lève, et le soleil se cruche, et il revient à sa place, » c'est-à-dire, à son point de départ; on y lit encore: « En se lavant il va vers le midi et décrit un cercle vers l'aquilon. n Par conséquent, nous avons le jour, lorsque le soleil éclaire la partie méridionale du globe, et nous avons la nuit, lorsqu'il a décrit le cercle qui le ramène au nord. Mais il est impossible à ce moment que le jour ne brille pas dans une autre contrée où le soleil est sur l'horizon. Pour admettre cette hypothèse, il faudrait abandonner son imagination aux fictions des poètes, se figurer avec eux que le soleil se plonge dans la mer et, qu'après s'y être baigné, il en sort le matin du côté opposé. Encore, s'il en était ainsi, le fond de l’Océan serait-il éclairé par les rayons du soleil et le jour brillerait dans ses abîmes. Pourquoi en effet le soleil ne répandrait-il pas sa lumière dans l'eau, puisqu'elle n'aurait pas la propriété de l'éteindre! Mais on sent combien cette hypothèse est bizarre; d'ailleurs le soleil n'existait pas encore.

22. En résumé, est-ce une lumière spirituelle quia été créée le premier jour? Comment a-t-elle disparu pour faire place à la nuit? Est-ce une lumière matérielle? Qu'est-ce que la lumière qui devient invisible après le coucher du soleil, puisqu'il n'y avait alors ni lune ni constellation? Estelle toujours dans la même région du ciel que le soleil, de telle sorte que, sans être le rayonnement de cet astre, elle lui serve de compagne inséparable et reste confondue avec lui? Mais on ne fait que reproduire le problème avec toute sa difficulté. La lumière étant, dans cette hypothèse; intimement unie au soleil, exécute la même révolution de l'Occident à l'Orient : elle est donc dans l'autre hémisphère, quand le nôtre est enveloppé des ténèbres de la nuit; ce qui aboutit il cette conséquence impie, que Dieu était isolé dans une certaine région dont la lumière s'éloigne, pour produire le soir à ses yeux. Enfin, Dieu aurait-il créé la lumière au lieu même où il allait bientôt créer l'homme? Serait-ce au moment où la lumière quittait ce lieu que le soir serait survenu? Aurait-elle gagé une autre partie du monde, pour reparaître le matin, après avoir achevé sa révolution ?

 

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CHAPITRE XI. ROLE DU SOLEIL. NOUVELLE DIFFICULTÉ DANS L'HYPOTHÈSE PRÉCÉDENTE.
 

23. Dans quel but a donc été créé le soleil, le roi du jour (1), le flambeau de la terre, si, pour produire le jour, il suffit de la lumière, désignée aussi sous le nom de jour? Eclairait-elle d'abord les régions supérieures? La terre était-elle trop éloignée pour sentir ses effets, et le soleil devint-il nécessaire pour communiquer aux régions inférieures de l'univers le bienfait du jour ? On pourrait encore avancer que l'éclat du jour s'accrut par le rayonnement du soleil, et voir dans la lumière an jour moins vif que celui d’aujourd’hui sans qu'un auteur a prétendu que la lumière fut l'agent primitif, introduit par le Créateur dans son oeuvre, quand il fut dit: « Que la lumière soit et la lumière fut, » mais que l'emploi de la lumière ne fut réglé qu'au moment où apparurent les luminaires, dans l'ordre des jours qu'il plut à Dieu d'adopter pour composer ses oeuvres. Mais que devint la lumière, quand survint le soir, pour faire régner la nuit à son tour ? C'est ce qu'il ne dit pas, et c'est un secret, selon moi, difficile à pénétrer. On ne saurait croire, en effet, que la lumière s'éteignit, pour faire place aux ténèbres de la nuit, et qu'elle se raviva, pour donner naissance au matin, avant que le soleil servit à accomplir cette révolution car le rôle du soleil ne commence, selon l'Ecriture, qu'au quatrième jour.

 

 

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CHAPITRE XII. NOUVELLE DIFFICULTÉ QUE PRÉSENTE LA SUCCESSION DES TROIS JOURS ET DES TROIS NUITS QUI PRÉCÉDÈRENT LA CRÉATION DU SOLEIL. COMMENT LES EAUX SE RASSEMBLÈRENT-ELLES?
 

24. Mais en vertu de quelle révolution s'est effectué, avant la création du soleil, le retour alternatif de trois jours et de trois nuits, sans que la lumière, à ne voir dans ce mot qu'un phénomène physique, ait changé de nature? C'est un problème difficile à résoudre. On pourrait dire peut-être que Dieu nomma ténèbres la masse formée par la terre et les eaux, avant leur séparation, qui n'eut lieu que le troisième jour, soit

 

1. Ps. CXXXVI, 8.

 

que cette matière épaisse fût impénétrable à la lumière, soit qu'une masse aussi considérable, dut rester dans l'ombre, comme il arrive pour les corps dont une face seule est éclairée. Dans un corps quelconque, en effet, tout côté où la lumière ne peut pénétrer, reste dans l'ombre, puisqu'on appelle ombre, la face d'un corps inaccessible à la lumière qui s'y répandrait, si elle ne rencontrait pas une matière opaque. Admettons que cette ombre soit proportionnée à l'étendue de la terre et y couvre une surface égale à celle qu'éclaire le jour, la nuit s'explique. Les ténèbres en effet ne supposent pas toujours la nuit. Dans une immense caverne dont la lumière ne peut percer les profondeurs, à cause de la masse qui s'oppose à son passage, il y a assurément des ténèbres, car la lumière en est absente et n'en éclaire aucune partie; cependant les ténèbres de cette sorte n'ont jamais été appelées nuit: ce terme est réservé à l'obscurité qui se répand sur une partie du globe, quand le jour l'abandonne. De même toute espèce de lumière ne mérite pas le nom de jour, par exemple, celle que promettent la lune, les étoiles, les flambeaux, les éclairs, et en général tout corps brillant : elle ne s'appelle jour qu'autant qu'elle succède périodiquement à la nuit.

25. Cependant, si la lumière primitive, immobile ou animée d'un mouvement de rotation , enveloppait la terre de tous côtés, on ne voit plus en quel endroit elle pouvait admettre la nuit à sa place : car elle ne quittait jamais un lieu pour se retirer devant la nuit. N'avait-elle été créée que dans un hémisphère, et, en décrivant son tour, permettait-elle à la nuit de décrire le sien dans l'autre hémisphère? Dans ce cas, comme la terre était en ce moment couverte parles eaux, ce globe liquide pouvait sans obstacle produire, d'un côté, le jour, grâce à la présence de la lumière, de l'autre, la nuit, grâce à la disparition de la lumière : la nuit régnait depuis le soir dans un hémisphère, tandis que la lumière se dirigeait dans l'autre.

26. Maintenant, où se rassemblèrent les eaux, s'il est vrai qu'elles étaient auparavant répandues sur toute la, surface de la terre? En quel endroit, dis-je, se rassemblèrent les eaux qui furent écartées pour faire paraître la terre? S'il existait sur le globe quelque lieu sec où les eaux pussent s'amasser, le sol était déjà découvert et l'abîme n'en couvrait pas toute la surface. Si elles la couvraient tout entière, quel peut être (152) le lieu où elles se réunirent, afin de laisser la terre à sec? Furent-elles soulevées dans l'espace, à peu près comme une moisson qu'on bat dans l'aire et qui, portée sur le vent, s'amoncelle en un tas et laisse à découvert le sol qu'elle cachait auparavant? Mais comment ne pas renoncer à cette pensée, envoyant la mer former une vaste plaine et, après les tempêtes qui élèvent ses flots comme des montagnes, redevenir unie comme une glace? Il arrive que la mer découvre un peu au loin ses rivages; mais on ne saurait nier qu'en se retirant d'un côté, elle ne s'étende d'un autre et qu'elle ne revienne sur les bords qu'elle a quittés. Où donc la mer pouvait-elle se retirer, pour laisser apparaître les continents, puisque les flots couvraient toute la surface de la terre? L'eau qui couvrait le globe, aurait-elle été comme une légère vapeur, et, en se condensant pour former un amas, aurait-elle laissé en différents endroits le sol à découvert? On pourrait dire encore que la terre, s'abaissant en larges et profondes vallées, put offrir de vastes réservoirs où les flots amoncelés se précipitèrent, et qu'ainsi le sol apparut aux endroits abandonnés par les eaux.

 

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CHAPITRE XIII. A QUEL MOMENT ONT ÉTÉ CRÉÉES L'EAU ET LA TERRE.
 

27. La matière n'est pas absolument sans forme, lors même qu'elle s'offre sous l'apparence d'une masse sombre. Aussi peut-on se demander à quelle époque Dieu donna aux eaux et à la terre les formes qui les distinguent, création dont il n'est pas parlé dans la période des six jours. Supposons un moment que cette oeuvre ait précédé l'origine du jour, et que ce soit elle dont parle l'Ecriture quand elle dit avant les six premiers jours: « Au commencement Dieu fit le ciel et la terre; » que le mot terre désigne ici la terre même avec ses propriétés spécifiques, ensevelie encore sous les eaux qui déjà apparaissent avec leur forme déterminée; que, dans ces paroles : « La terre était invisible et sans ordre, et les ténèbres étaient sur l'abîme, et l'Esprit de Dieu était porté sur les eaux, » on doive voir, non la matière imparfaite, mais la terre et l'eau avec leurs propriétés les plus connues, au moment où elles n'étaient point encore éclairées par la lumière; que, par conséquent, la terre fut appelée invisible, parce qu'elle était ensevelie sous les eaux et qu'elle ne pouvait être aperçue, eût-il même existé alors un être capable de la voir; sans ordre, parce qu'elle n'était encore ni séparée de la mer, ni limitée par ses rivages, ni peuplée d'animaux; alors, pourquoi ces propriétés, qui sont physiques sans aucun doute, ont-elles été créées antérieurement aux jours? Pourquoi n'a-t-il pas été écrit : Dieu dit : que la terre soit, et la terre fut faite, que l'eau soit, et l'eau fut faite? ou bien, en embrassant dans une même parole deux éléments, placés sous une loi commune dans les régions inférieures,,de l'espace: que l'eau et la terre soient faites, et il en fut ainsi?

 

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CHAPITRE XIV. CE QUI FAIT ENTENDRE, DANS LE PREMIER VERSET DE LA GENÈSE, QUE LA MATIÈRE ÉTAIT INFORME.
 

28. Pourquoi enfin n'a-t-on pas ajouté immédiatement ces paroles : Dieu vit que cela était bien? Si l'on y réfléchit, on se convaincra que, pour tout être qui change, le progrès suppose l'imperfection ; que dès lors, comme l'enseigne la foi catholique unie à une logique invincible, aucun être n'aurait pu exister, si le Dieu qui créé et organise toute chose sous sa forme achevée, ou perfectible; qui comme dit l'Ecriture « a fait le monde d'une matière informe (1), » n'eût créé le fond même des êtres, tel que l'Écriture le définit en termes assez clairs pour être entendus des oreilles comme des intelligences les plus rebelles, lorsqu'elle nous représente qu'avant la période des six jours « Dieu fit au commencement le ciel et la terre » et le reste jusqu'au passage : « Dieu dit : que la lumière soit; » car c'est alors seulement qu'elle nous révèle dans quel ordre se formèrent successivement les choses.

 

 

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CHAPITRE XV. LA SUBSTANCE PRÉCÈDE LE MODE, NON EN DATE, MAIS EN PRINCIPE.
 

29. Je ne veux pas dire que la matière sans ses qualités existe antérieurement à l'être tout formé, puisque la substance et ses modes ont été créés simultanément. Par exemple, les sons constituent le fond des mots, les mots représentent

 

1. Sag. XI, 18.

 

153

 

les sons tout formés : or, celui qui parle ne fait pas d'abord entendre des sons confus, quitte à les rassembler pour en composer des mots. De même le Créateur n'a pas fait d'abord la matière, pour en tirer plus tard les différentes espèces d'êtres, comme s'il avait modifié son plan matière et forme, il a tout créé à la fois. Cependant comme le fond précède la forme, non en date, mais en principe, l'Écriture a légitimement établi dans son récit, des époques que Dieu n'a point mises dans l'acte créateur. Qu'on demande si dans le langage les mots se forment avec les sons ou les sons avec les mots; quoique en parlant on accomplisse cette double opération, on voit sans peine celle qui précède l'autre. Or, Dieu ayant créé simultanément et la matière et les formes qu'il lui a données, l'Écriture devait marquer cette double action; mais, comme elle ne pouvait la raconter que successivement, ne devait-elle pas parler de la substance avant d'en exposer les modifications? Comment en douter? En parlant du fond et de la forme, nous concevons ces deux idées à la fois, et nous les exprimons séparément. Or, si nous sommes incapables d'exprimer les deux mots à la fois dans un moment très-court, il fallait bien décrire successivement les deux actes dans un récit développe, quoique Dieu les ait accomplis en même temps. De la sorte, l'acte qui n'était le premier qu'en principe, s'est placé au début du récit. Si deux idées, sans être antérieures l'une à l'autre dans l'esprit, ne peuvent s'énoncer simultanément, à plus forte raison ne peuvent-elles s'exposer à la fois dans un récit. Il n'est donc pas douteux que la matière informe, presque voisine du néant, n'ait été créée par Dieu seul en même temps que les oeuvres dont elle était comme le fond.

30. Si donc on dit avec raison qu'il n'est question que de la matière dans ce passage : « La terre était invisible et sans ordre, et l'Esprit de Dieu était porté sur les eaux, » c'est pour faire comprendre, à part l'intervention du Saint-Esprit, et pour rendre sensible aux esprits les plus lourds l'imperfection de la matière, même dans les choses visibles qui vont être nommées : la terre et l'eau sont, en effet, les substances les plus faciles à mettre en oeuvre, et les mots de l'Écriture sont bien choisis pour indiquer leur imperfection originelle.

 

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CHAPITRE XVI. NOUVELLE MANIÈRE D'EXPLIQUER LA SUCCESSION DES JOURS ET DES NUITS PAR L'ÉMISSION OU L'AFFAIBLISSEMENT DE LA LUMIÈRE : QUELLE EST PEU SATISFAISANTE.
 

31. Mais, si cette opinion est vraisemblable, il faut renoncer à l'idée que la lumière éclairait un côté du globe, en laissant l'autre dans l'ombre ; on ne doit plus expliquer ainsi la succession du jour et de la nuit.

Veut-on concevoir le jour et la nuit en admettant que les rayons lumineux sont susceptibles de s'allonger ou de se raccourcir? Mais je ne vois pas dans quel but se serait produit ce phénomène. Il n'existait point alors d'animaux pour profiter du bienfait de ce mouvement alternatif; il s'établit après leur naissance, et fut réglé par le cours du soleil. D'ailleurs on ne saurait prouver par aucun exemple que la lumière, en se dilatant ou en se contractant, produit la succession du jour et de la nuit. Lorsque l'oeil étincelle, on voit comme un jet de lumière; ce jet peut se raccourcir, quand nous considérons un point dans l'air tout près de nos yeux ; il peut s'allonger, quand , sous le même angle, nous cherchons à fixer un point éloigné. Cependant, l'affaiblissement des rayons ne nous empêche pas absolument de distinguer les objets dans le lointain; ils sont seulement plus obscurs qu'au moment où les regards s'y concentraient. Mais d'ailleurs la lumière est en si petite quantité dans l'organe de la vue, que, sans la lumière du dehors, nous serions incapables de voir; et, comme elle ne peut guère se distinguer de celle qui nous environne, je ne vois pas par quel exemple on pourrait justifier l'hypothèse suivant laquelle la lumière se dilaterait, pour produire le jour, et se contracterait, pour produire la nuit.

 

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CHAPITRE XVII. HYPOTHÈSE DE LA LUMIÈRE INTELLECTUELLE ; DIFFICULTÉS QU'ELLE ENTRAÎNE; COMMENT ELLE SERT A EXPLIQUER LE SOIR ET LE MATIN, LA SÉPARATION DE LA LUMIÈRE D'AVEC LES TÉNÈBRES.
 

32. Est-ce une lumière intellectuelle qui fut créée au moment où Dieu dit : « Que la lumière soit » ? Je n'entends point par là cette lumière coéternelle au Père, par qui tout a été fait et qui (154) illumine tous les hommes, mais celle dont on a pu dire : « la sagesse est la première chose qui ait été créée (1). » En effet, quand la Sagesse engendrée, quoique incréée, éternelle, immuable, se répand dans les créatures intelligentes comme dans des âmes saintes (2), afin de les illuminer de ses rayons, il se produit en elles une clarté d'esprit qui pourrait bien ressembler à celle que Dieu créa, en disant: « Que la lumière soit. » Dans ce cas, il aurait alors existé une création spirituelle, que désignerait le mot ciel dans ce passage: « Au commencement Dieu fit le ciel et la terre, » non le ciel visible, mais le ciel immatériel qui s'élève au-dessus du ciel visible, je veux dire au-dessus de tous les corps, non par son élévation dans l'espace, mais par l'excellence de sa nature. Comment a pu être produite cette création en même temps que les clartés qui l'illuminent? et comment le récit a-t-il dû exposer séparément cet acte indivisible ? Nous venons de l'expliquer à propos de la matière (3).

33. Mais comment comprendre, dans cette hypothèse, que la nuit succéda à la lumière, pour amener le soir? Quelles sont les ténèbres dont Dieu sépara cette lumière immatérielle, puisque l'Écriture dit: « Et Dieu sépara la lumière d'avec les ténèbres? » Serait-ce qu'il existait déjà des pécheurs, des esprits insensés qui renonçaient aux clartés du vrai et que Dieu séparait des esprits fidèles, comme les ténèbres de la lumière? En donnant à la lainière lie nom de jour, aux ténèbres celui de nuit, voulait-il montrer qu'il n'est pas l'auteur des péchés, mais le juste rémunérateur des mérites ? Le jour désignerait-il ici la durée, en sorte que la suite des siècles serait tout entière renfermée dans ce mot? Aurait-il été appelé pour cette raison un jour et non le premier jour? « Et il y eut un soir, dit l'Écriture, puis un matin, un jour entier. » Le soir signifierait alors le péché de la créature raisonnable, le matin, sa rénovation.

34. Cette discussion repose sur une allégorie prophétique, et par conséquent est; étrangère au plan de cet ouvrage. Notre but, en effet, est d'y interpréter l'Écriture en nous attachant moins au symbole qu'à la lettre. Or, à ne considérer clans les êtres créés que leurs propriétés naturelles, comment découvrir dans une lumière immatérielle le soir et le matin? La séparation de la lumière d'avec les, ténèbres n'implique-t-elle

 

1. Eccli. I, 4. — 2. Sag. VII, 47. — 3. Ci-dessus, ch. XV.

 

qu'une distinction métaphysique entre la substance et le  mode ? La dénomination de jour et de nuit ne sert-elle qu'à exprimer la loi d'après laquelle Dieu ne laisse aucune de ses oeuvres en désordre, et règle jusqu'à l'état. imparfait d'où partent les êtres, pour accomplir la série de leurs transformations ? Signifie-t-elle que le mouvement qui tour-à-tour épuise et renouvelle les générations dans le temps, concourt à l'harmonie universelle ? La nuit n'est que l'ordre dans les ténèbres.

33. Voilà pourquoi on dit immédiatement après la création de la lumière : « Dieu vit que la lumière était bonne. » On aurait pu répéter ces paroles après chaque œuvre de ce jour; en d'autres termes : après avoir exposé comment Dieu fit la lumière, comment il sépara la lumière d'avec les ténèbres, comment il appela la lumière jour et les ténèbres nuit, on aurait pu ajouter successivement : « Dieu vit que cela était bien, » et terminer par ces mots : « Il y eut

un soir et matin, » comme on l'a fait pour toutes les oeuvres auxquelles Dieu a donné un nom. Si on n'a point suivi cette marche, c'est qu'on voulait distinguer de l'être formé la matière imparfaite, et révéler que, loin d'avoir acquis son, point de perfection, elle devait servir à façonner de nouveaux êtres dans l'ordre physique. Si. donc on eût ajouté, après avoir établi cette distinction et ces dénominations : « Dieu vit que cela était bon, » on nous aurait fait entendre que ces oeuvres étaient achevées et complètes dans leur genre. La lumière seule étant une oeuvre achevée : « Dieu, dit l'Écriture, vit que la lumière était bonne » et il la sépara de fait comme de nom d'avec les ténèbres. Cette opération ne fut point consacrée par l'approbation divine; la contusion en effet ne cessait qu'autant qu'il le fallait pour produire un nouvel ordre de choses. La nuit, que nous connaissons si bien maintenant, grâce à la révolution du soleil autour dé la terre, ne plait à Dieu qu'au moment où la disposition de luminaires dans le ciel la distingue du jour, la division du jour et de la nuit est en effet suivie alors de ces paroles: « Dieu vit que cela était bien. » La nuit n'était pas alors- une substance imparfaite destinée à en produire d'autres : c'était l'air dans l'espace, sans la lumière du jour, un phénomène complet dans son genre et qui ne pouvait devenir ni plus parfait ni mieux accusé. Quant au soir durant les trois jours qui ont (155) précédé l'apparition des astres, on peut sans invraisemblance y voir la fin d'une oeuvre accomplie le matin est le signal d'une Oeuvre nouvelle.

 

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CHAPITRE XVIII. DE L'ACTIVITÉ DIVINE.
 

36. Quoiqu'il en soit, n'oublions pas le principe établi précédemment: ce n'est point par des opérations successives de son intelligence ou par des mouvements physiques que Dieu agit, comme ferait un ange ou un homme; son activité s'exerce selon les idées éternelles, immuables, constantes, de son Verbe coéternel, et par la fécondité, si j'ose ainsi dire, du Saint-Esprit, qui lui est également coéternel. Il est dit, dans les traductions grecque et latine que « l'Esprit a de Dieu était porté sur les eaux; » mais d'après le syriaque, langue de la même famille que l’hébreu, on doit plutôt entendre qu'il les échauffait, fovebat : c'est l'interprétation d'un savant chrétien de la Syrie. Ce mot ne rappelle pas les fomentations à l'eau froide où chaude qu'on emploie pour guérir les fluxions ou les plaies (1) : il exprime une sorte d'incubation, qu'on pourrait comparer à celle des oiseaux fécondant leurs oeufs, quand la mère, obéissant à l'instinct de la tendresse, communique sa chaleur à ses petits pour les faire éclore. N'allons donc pas nous imaginer, par un grossier matérialisme, que Dieu ait prononcé des paroles humaines à chaque création des six jours. Ce n'est point dans ce huit que la Sagesse même de Dieu a revêtu nos faiblesses; si elle est venue rassembler les fils de Jérusalem, comme la poule réunit sa couvée sous les ailes (2), ce n'est pas pour nous laisser dans une éternelle enfance, mais pour empêcher d'être enfants par la malice et jeunes de discernement (3).

37. Si l'Écriture nous offre des vérités obscures, hors de notre portée, et qui, sans ébranler la fermeté de notre foi, prêtent à plusieurs interprétations, gardons-nous d'adopter une opinion et de nous y engager assez aveuglément pour succomber, quand un examen approfondi nous

 

 

1. Les topiques froids étaient d'un fréquent usage dans la médecine antique : Celse les décrit : Horace s'y condamna. Qu’on ne s'étonne pas voir saint Augustin en parler ici; il aime à prévenir les interprétations que des esprits illettrés ou grossiers.tels que les Manichéens pouvaient donner à sa pensée. Le métaphysicien qui s'adresse aux philosophes, est en même temps un évêque accoutumé à parler au peuple et à s’abaisser jusque dans son langage, pour s’élever à la grandeur des vérités chrétiennes : c'est un des traits de son génie. —  2. Matt. XXIII, 37. — 3. I Cor. XIV, 20.

 

en démontre la fausseté ; loin de soutenir la pensée de l'Écriture, nous ne ferions plus que soutenir une opinion personnelle, donnant notre sens particulier pour celui de l'Écriture, tandis que la pensée de l'Écriture doit devenir la nôtre.

 

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CHAPITRE XIX. IL FAUT S'INTERDIRE TOUTE ASSERTION HASARDÉE. DANS LES PASSAGES OBSCURS DES SAINTS LIVRES.
 

38. Admettons effectivement qu'à propos de ce passage, : «Dieu dit: que la lumière soit, » les uns voient dans la lumière une clarté intellectuelle, les autres, un phénomène physique. Qu'il y ait une lumière intellectuelle qui illumine les esprits, c'est un point admis dans notre foi; quant à l'hypothèse d'une lumière matérielle créée dans le ciel, ou au-dessus du ciel, ou même avant le ciel, et susceptible de faire place à la nuit, elle n'est point contraire à la foi, aussi longtemps qu'elle n'est pas renversée par une vérité incontestable. Est-elle reconnue fausse ? L'Écriture ne la contenait pas; ce n'était que le fruit de l'ignorance humaine. Est-elle au contraire démontrée par une preuve infaillible ? Même dans ce cas, on pourra se demander si l'Écrivain sacré a voulu dans ce passage révéler cette vérité ou exprimer une autre idée non moins certaine. Quand même on verrait par l'ensemble de ses paroles, qu'il n'a pas songé à cette idée, loin de conclure que tout autre idée qu'il a voulu exprimer soit fausse, il faudrait reconnaître qu'elle est vraie et plus avantageuse à connaître. Et quand l'ensemble n'empêcherait pas de croire qu'il ait eu cette intention, il resterait encore à examiner s'il n'a pu en avoir une autre. Cette possibilité reconnue, on ne pourrait décider quelle a été sa véritable pensée; on serait même fondé à croire qu'il a voulu exprimer une double pensée, si l'ensemble prêtait à une doublé interprétation.

39. Qu'arrive-t-il encore? Le ciel, la terre et les autres éléments, les révolutions, la grandeur et les distancés des astres, les éclipses du soleil et de la lune, le mouvement périodique de l'année et des saisons; les propriétés des animaux, des plantes et des minéraux, sont l'objet de connaissances précises, qu'on peut acquérir, sans être chrétien, par le raisonnement ou l'expérience. Or, rien ne serait plus honteux, plus déplorable et plus dangereux que la situation d'un chrétien, qui traitant de ces matières, devant les infidèles, comme s'il leur exposait les (156) vérités chrétiennes, débiterait tant d'absurdités, qu'en le voyant avancer des erreurs grosses comme des montagnes, ils pourraient à peine s'empêcher de rire. Qu'un homme provoque le rire par ses bévues, c'est un petit inconvénient; le mal est de faire croire aux infidèles que les écrivains sacrés en sont les auteurs, et de leur prêter, au préjudice des âmes dont le salut nous préoccupe, un air d'ignorance grossière et ridicule.Comment en effet, après avoir vu un chrétien se tromper sur des vérités qui leur sont familières, et attribuer à nos saints Livres ses fausses opinions, comment, dis-je, pourraient-ils embrasser, sur l'autorité de ces mêmes livres, les dogmes de la résurrection des corps, de la vie éternelle, du royaume des cieux, quand ils s'imaginent y découvir des erreurs sur des vérités démontrées par le raisonnement et l' expérience? On ne saurait dire l'embarras et le chagrin où ces téméraires ergoteurs jettent les chrétiens éclairés. Sont-ils accusés et presque convaincus de soutenir une opinion fausse, absurde, par des adversaires qui ne reconnaissent pas l'autorité de l'Écriture? on les voit chercher à s'appuyer sur l’Ècriture même, pour défendre leur assertion aussi présomptueuse que fausse, citer les passages les plus propres, selon eux, à prouver en leur faveur, et se perdre en de vains discours, sans savoir ni ce qu'ils avancent ni les arguments dont ils se servent pour l'établir (1).

 

 

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CHAPITRE XX. BUT DE L'AUTEUR EN EXPLIQUANT LA GENÈSE A DIVERS POINTS DE VUE.
 

40. Dans cette discussion, j'ai éclairci le texte de la Genèse, en multipliant les explications autant que je l'ai pu; j'ai proposé différents commentaires sur les passages obscurs où Dieu exerce notre intelligence. Je n'ai rien avancé avec une présomption qui condamne d'avance tout autre solution, quoiqu'elle puisse être meilleure; on peut, selon la portée de son esprit, admettre l'application qu'on trouve la plus satisfaisante,  à condition d'accueillir les passages difficiles avec autant de respect pour l'Écriture que de défiance pour soi-même. Que ces explications si diverses des paroles sacrées servent du moins à en imposer aux personnes qui, enflées de leur science mondaine, critiquent comme une oeuvre de barbarie et d'ignorance des paroles

 

1. I Tim. I, 7.

 

destinées à entretenir la piété dans les coeurs : elles n'ont pas d'ailes et rampent sur la terre, grenouilles boiteuses qui poursuivent de leurs coassements les oiseaux dans leur nid. Plus dangereuse encore est l'illusion de ces faibles chrétiens qui, en entendant les impies discuter sur le mouvement des corps célestes ou sur les phénomènes physiques avec autant de finesse que d'éloquence, se sentent anéantis : ils soupirent en se comparant à ces prétendus grands hommes; ils reviennent avec dégoût à l'Écriture, source de la plus pure piété, et se résignent à peine à effleurer ces livres qu'ils devraient dévorer avec délices ; le labeur de la moisson leur répugne et ils jettent un regard avide sur des épines fleuries. Ils ne s'appliquent plus à goûter combien le Seigneur est doux (1); ils n'ont pas faim le jour du sabbat; et telle est leur indolence que, malgré la permission du Seigneur, ils ne peuvent se résoudre à arracher les épines, à les retourner entre leurs mains et à les broyer, jusqu'à ce qu'enfin ils en extraient la nourriture (2).

 

 

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CHAPITRE XXI. AVANTAGE D'UN COMMENTAIRE QUI EXCLUT TOUTE PROPOSITION HASARDÉE.
 

41. On va me dire : Eh bien ! que résulte-t-il de ces discussions agitées avec tant de fracas? Où est le bon grain que tu as recueilli? Pourquoi la plupart de ces problèmes restent-ils aussi obscurs qu'auparavant? Affirme enfin quelques-unes de ces vérités dont la plupart, à t'entendre, sont accessibles à l'esprit. Ma réponse est facile ; J'ai trouvé un aliment délicieux; je me suis convaincu qu'en s'inspirant de la foi, on trouve toujours une réponse à faire aux spirituels qui se plaisent à attaquer les Livres de notre salut, . Ont-ils, sur la nature, des principes solidement établis ? Nous leur prouvons que l'Écriture n'y contredit pas. Tirent-ils dés ouvrages profanes quelque proposition contraire à l'Écriture, c'est-à-dire, à la foi catholique ? Nous avons la logique pour en démontrer la fausseté, ou la foi pour la rejeter s'ans l'ombre d'un doute. Ainsi demeurons attachés à notre Médiateur, en qui sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la science (3) ; et gardons-nous tout ensemble des sophismes d'une philosophie verbeuse, et des terreurs superstitieuses d'une fausse religion. Lisons-nous les livres saints? Dans cette multitude de pensées vraies, exprimées en quelques mots et protégées

 

1. Ps. XXXIII, 9. — 2. Matt. XII, 1. — 3. Colos. II, 3.

 

 

157

 

 

par la plus pure tradition de la foi, choisissons le sens qui s'accorde le mieux avec les intentions de l'Écrivain sacré. Cette intention n'est-elle pas marquée? Préférons, choisissons celui que le contexte permet d'adopter et qui est conforme à la foi. Si enfin le contexte ne souffre ni éclaircissement ni discussion, tenons-nous en aux prescriptions de la foi. Il est bien différent, en effet, d'être incapable de saisir la pensée véritable de l'écrivain sacré ou de s'écarter des principes de la religion. Si on réussit à éviter ces deux écueils, la lecture porte tous ses fruits : si on ne peut échapper à tous deux, on tire avec profit d'un passage obscur une maxime conforme à la foi.

LIVRE II. CRÉATION DU FIRMAMENT  (1).
 
 

CHAPITRE PREMIER. QUE SIGNIFIE LE FIRMAMENT AU MILIEU DES EAUX L'EAU PEUT-ELLE, D'APRÈS LES LOIS DE LA PHYSIQUE, SÉJOURNER AU-DESSUS DU CIEL ÉTOILÉ?

CHAPITRE II. L'AIR EST PLUS LÉGER QUE LA TERRE.

CHAPITRE III. LE FEU EST PLUS LÉGER QUE L'AIR.

CHAPITRE IV. DE L'OPINION SUIVANT LAQUELLE LE FIRMAMENT NE SERAIT QUE L'ATMOSPHÈRE

CHAPITRE V. L'EAU SUSPENDUE AU-DESSUS DU CIEL ÉTOILÉ.

CHAPITRE VI. FAUT-IL VOIR DANS LE PASSAGE : « ET DIEU FIT LE FIRMAMENT, » ETC. L'INTERVENTION DIRECTE  DU FILS?

CHAPITRE VII. CONTINUATION DU MÊME SUJET.

CHAPITRE VIII. POURQUOI L'EXPRESSION : « ET FECIT DEUS, » N'A-T-ELLE PAS ÉTÉ REPRODUITE APRÈS LA CRÉATION DE LA LUMIÈRE?

CHAPITRE IX. DE LA CONFIGURATION DU CIEL.

CHAPITRE X. DU MOUVEMENT DU CIEL.

CHAPITRE XI. QUE FAUT-IL ENTENDRE PAR L'ÉTAT INFORME DE LA TERRE (1)?

CHAPITRE XII. POURQUOI LA FORMULE « ET CELA SE FIT AINSI, » EST-ELLE EMPLOYÉE SPÉCIALEMENT POUR LES PLANTES ET LES ARBRES (1) ?

CHAPITRE XIII. POURQUOI LES LUMINAIRES N'ONT-ILS ÉTÉ FORMÉS QUE LE QUATRIÈME JOUR (1) ?

CHAPITRE XIV. COMMENT LES LUMINAIRES DU CIEL SERVENT-ILS A MARQUER LE TEMPS, LES JOURS, LES ANNÉES.

CHAPITRE XV. DE LA LUNE.

CHAPITRE XVI. DE LA LUMIÈRE RELATIVE DES ASTRES.

CHAPITRE XVII. RÉFUTATION DE L'ASTROLOGIE.

CHAPITRE XVIII. QU'IL EST DIFFICILE DE SAVOIR SI LES ASTRES SONT GOUVERNÉS ET ANIMÉS PAR DES ESPRITS.

 

 

 

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CHAPITRE PREMIER. QUE SIGNIFIE LE FIRMAMENT AU MILIEU DES EAUX L'EAU PEUT-ELLE, D'APRÈS LES LOIS DE LA PHYSIQUE, SÉJOURNER AU-DESSUS DU CIEL ÉTOILÉ?
 

1. « Dieu dit : que le firmament se fasse au milieu des eaux et qu'il sépare les eaux d'avec les eaux. Et cela se fit. Dieu fit donc le firmament et sépara les eaux qui sont au-dessous du firmament, d'avec les eaux qui étaient au-dessus. Et Dieu nomma le firmament ciel. Et Dieu vit que cette oeuvre était bonne. Et le soir arriva, et au matin se fit le second jour. » Il serait inutile de répéter ici le commentaire que j'ai fait tout à l'heure sur la parole créatrice, sur l'approbation donnée par Dieu à ses oeuvres, sur le matin et le soir : chaque fois que ces termes reparaissent, je prie le lecteur de se reporter aux explications précédentes. La question qui doit maintenant nous occuper est de savoir s'il s'agit ici du ciel, je veux dire de l'espace qui s'élève au-dessus de l'atmosphère, quelle qu'en soit la hauteur, et des régions où le soleil avec la lune et les étoiles furent placés le quatrième jour; ou si le firmament ne sert qu'à désigner l'atmosphère elle-même.

2. Plusieurs prétendent en effet que les eaux ne peuvent physiquement se tenir au-dessus du ciel étoilé, parce que selon les lois de la pesanteur, elles doivent couler sur la terre, ou s'élever sous forme de vapeur à quelque hauteur seulement dans l'atmosphère. Qu'on ne s'avise pas d'objecter à ces physiciens qu'en vertu de la puissance infinie de Dieu les eaux ont pu, malgré leur pesanteur, se répandre au-dessus des

 

1. Gen I, 6-19.

 

régions célestes où nous voyons maintenant les astres se mouvoir. Notre but est de chercher, d'après les livres saints, les lois.que Dieu a imposées à la nature, et non le miracle qu'il peut opérer par elle et en elle pour manifester sa puissance. Si par exception Dieu voulait que l'huile restât sous l'eau, le phénomène aurait lieu : nous n'en connaîtrions pas moins la propriété qui fait monter l'huile au-dessus de l'eau malgré l'obstacle qu'elle lui oppose. Examinons donc si le Créateur « qui a disposé tout avec nombre, poids et mesure (1), » loin d'assigner aux eaux un lit unique à la surface du globe, les a encore superposées à la voûte céleste, en dehors de notre atmosphère.

3. Ceux qui ne veulent pas admettre une pareille hypothèse, se fondent sur les lois de la pesanteur; à leurs yeux la voûte céleste n'est point une espèce de sol assez ferme pour soutenir le poids des eaux; une telle consistance n'appartient qu'à la terre et la distingue du ciel; les propriétés des éléments ne les distinguent pas moins que la place qu'ils occupent, ou plutôt, leur place est dans un juste rapport avec leurs propriétés : par exemple, l'eau ne peut être que sur la terre ; fût-elle sous terre, comme l'eau immobile ou courante des grottes et des cavernes, c'est encore le sol qui lui sert de base. Qu'un éboulement se produise, la terre ne reste pas à la surface de l'eau, mais descend jusqu'au fond et s'y fixe comme à sa place naturelle. Par conséquent, lorsqu'elle était au-dessus de l'eau, ce n'est pas l'eau qui la soutenait, mais la force de cohésion qui soutient aussi la voûte des cavernes.

4. On doit ici se garder d'une erreur que j'ai

 

1 Sag. XI, 21.

 

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recommandé d'éviter; elle consisterait à prendre le passage du Psalmiste : « Il a fondé la terre sur les eaux, » et à opposer, ce témoignage de l'Écriture aux théories des physiciens sur la pesanteur des corps. En effet comme ils n'admettent pas l'autorité des livres saints et qu'ils ignorent le véritable sens de ce passage, ils auraient plus de pente à s'en moquer qu'à renoncer aux vérités qu'ils tiennent du raisonnement on de l'expérience. Or, ce passage du Psalmiste peut fort bien s'entendre au sens figuré : le ciel et la terre sont souvent une métaphore dans le tangage de l’Église pour représenter l'état spirituel ou charnel des âmes. Par conséquent, le

Psalmiste, en parlant des cieux « que Dieu a créés dans l'intelligence (1), » aurait désigné la contemplation sans nuage de la vérité; la terre aurait été pour lui le symbole de la foi naïve des esprits simples, qui, sans se laisser égarer par de vaines théories, ont trouvé dans la prédication des prophètes et de l'Évangile un fondement devenu inébranlable par la grâce du Baptême : aussi ajoute-t-il : « il a fondé la terre sur l'eau. » Aime-t-on mieux expliquer ces paroles à la lettre? Elles rappellent naturellement les montagnes, les îles qui s'élèvent au-dessus du niveau de la mer, ou même les grottes dont la voûte est suspendue au-dessus des eaux. Ainsi d'après le sens littéral, ce passage ne peut signifier que l'eau, en vertu des lois de la nature, formait une base capable de porter la terre.

 

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CHAPITRE II. L'AIR EST PLUS LÉGER QUE LA TERRE.
 

5. L'air s'élève naturellement au-dessus de l'eau, quoiqu'il se répande à la surface de la terre par sa forcé d'expansion; c'est ce que l'expérience démontre. Enfoncez un vase dans l'eau, l'orifice renversé; il ne peut s'emplir, tant il est vrai que l'air a la propriété de se -tenir plus haut. Le vase semble vide, mais il est évidemment plein d'air : car, comme l'air ne peut plus s'échapper par l'orifice et que sa nature l'empêche de descendre sous la couche liquide, il se concentre, repousse l'eau et l'empêche de monter; mais si vous inclinez l'ouverture du vase, au lieu de l'enfoncer verticalement, l'air trouve une issue pour s'échapper et l'eau s'élève. Tenez le vase en l'air avec son entrée parfaitement libre, et versez-y de l'eau :l'air trouve un passage partout

 

1. Ps. CXXXV, 6, 5.

 

où vous ne versez pas et fait un vide où l'eau pénètre; mais si le vase, sous une pression violente, perd sa position, et que l'eau s'y précipite de toutes parts, de façon à obstruer l'ouverture, l'air la divise pour regagner sa hauteur naturelle et lui laisse une place au fond: le bruit intermittent qu'on entend alors, vient des efforts de l'air pour s'échapper successivement, l'ouverture trop étroite né lui permettant pas de sortir tout d'un coup. Ainsi, l'air est-il obligé de monter au-dessus de l'eau? Il en perce les couches, et la fait jaillir en bulles légères par son impétuosité; il s'évapore bruyamment pour reprendre sa position naturelle et laisser l'eau retomber à la place que lui assigne sa pesanteur. Veut-on au contraire le forcer à passer d'un vase sous l'eau, en tenant l'orifice renversé? On aura moins de peine à le renfermer sous- l'eau de tous côtés qu'à en faire entrer la moindre goutte par l'orifice.

 

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CHAPITRE III. LE FEU EST PLUS LÉGER QUE L'AIR.
 

6. Quant au feu, son mouvement ascensionnel n'indique-t-il pas qu'il tend à s'élever au-dessus de l'air ? Tenez un flambeau renversé, la pointe de la flamme ne s'en dirige pas moins vers le ciel. Cependant, comme le feu s'éteint dans l'air quand il devient trop épais, et qu'il perd ses propriétés pour se confondre avec lui, il ne pourrait atteindre ,jusqu'aux dernières limites de l'atmosphère. De là vient qu'on nomme ciel le feu pur répandu au-delà de l'atmosphère; c'est là, selon quelque physiciens, la matière première des astres, qui ne seraient qu'une inclinaison de cette lumière ardente transformée en sphères solides comme nous les voyons aujourd’hui dans le ciel dans le ciel. Ils ajoutent que si l'air et l'eau sont au-dessus de la terre, c'est que leur pesanteur est moindre : de même que si l'air est suspendu sur l'eau ou sur la terre, c'est qu'il pèse moins que l'eau. Ils soutiennent donc qu'un peu d'air, en supposant qu'on prit l'introduire dans les hautes régions du ciel, en retomberait par son propre poids, jusqu'à ce qu'il rencontrât notre atmosphère; et ils concluent que l'eau ne pourrait à plus forte raison séjourner au-dessus des régions où brille le feu pur, puisque l'air, spécifiquement plus léger, ne saurait y rester en équilibre.

 

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CHAPITRE IV. DE L'OPINION SUIVANT LAQUELLE LE FIRMAMENT NE SERAIT QUE L'ATMOSPHÈRE
 

7. Cette objection a frappé un auteur, et il a cherché un moyen de démontrer que l'eau était suspendue au-dessus des cieux, afin de concilier l’Ecriture avec les lois de la physique. Il prouve d'abord, ce qui était facile, que l'air et le ciel sont des expressions synonymes, non-seulement dans le langage ordinaire où l'on dit sans cesse un ciel pur, un ciel chargé de nuages; mais encore dans le style de l'Ecriture, par exemple : « Voyez les oiseaux du ciel (1); » or, le ciel où volent les oiseaux ne peut être que l'air. En parlant dies nuages, le Seigneur dit lui-même : « Vous savez juger l'aspect du ciel (2). » Quant aux nuages, nous les voyons se former dans l'air qui nous avoisine, retomber le long des montagnes et souvent même rester au-dessous de leurs cimes. Ce point établi, il prétend que le firmament a été ainsi appelé, parce qu'il met comme une ligne de démarcation entre les vapeurs légères, sorties du sein des eaux, et les eaux plus denses qui coulent sur la terre. Les nuages, en effet, comme l'ont vérifié tous ceux qui les ont traversés dans les montagnes; ressemblent à un amas de gouttelettes très-déliées. Ces molécules viennent-elles à se condenser et à se réunir en une grosse goutte? L'air ne pouvant plus la soutenir t'abandonne à son propre poids et elle tombe sur la terre. Tel est le phénomène de la pluie. Par conséquent, dans l'air, placé entre les vapeurs dont les nuages sont formés et les eaux répandues sur la terre, il retrouve le ciel qui divise les eaux d'avec les eaux. Cette explication si exacte mérite, à mon sens, les plus grands éloges : elle n'est point contraire à la            foi et s'accorde avec l'expérience la plus facile à réaliser. Toutefois on petit penser aussi que la pesanteur n'empêche point l'eau de rester au-dessus du ciel, sous forme de vapeurs, puisqu'elle ne l'empêche pas, sous la même forme, d'être suspendue en l'air. Quoique plus lourd et par conséquent moins haut que le ciel, l'air est sac, aucun doute plus léger que l'eau, ce qui n'empêche pas les vapeurs de monter au-dessus. Il est donc possible qu'une masse liquide, réduite en vapeurs infiniment plus subtiles, s'étende par de-là le ciel, sans être forcée d'en descendre par les lois de la pesanteur.

 

1. Matt. VI,26. — 2. Ibid. XVI, 4.

 

Les philosophes eux-mêmes nous démontrent par un raisonnement très-rigoureux, que la matière est divisible à l'infini et qu'un raccourci d’atôme est susceptible encore de se diviser: car toute partie d'un corps est corps elle même, et tout corps est nécessairement divisible en deux. Par conséquent, si l'eau peut se réduire, comme le démontre en effet l'expérience, en gouttelettes, assez ténues pour s'élever au-dessus de l'air, quoiqu'il soit naturellement plus léger; pourquoi ne pourrait-elle, marré sa pesanteur relative, se répandre par de-là le ciel en gouttelettes plus déliées, en vapeurs plus légères?

 

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CHAPITRE V. L'EAU SUSPENDUE AU-DESSUS DU CIEL ÉTOILÉ.
 

9. Quelques auteurs chrétiens, voulant réfuter ceux qui s'appuient sur les lois de la pesanteur pour soutenir que l'eau ne peut rester en équilibre au-dessus du ciel étoilé, ont essayé de les mettre en contradiction avec leur propre système sur la température et les révolutions des astres. D'après ce système, en effet, la planète de Saturne est glacée et met trente ans à accomplir sa révolution sidérale : son élévation dans l'espace l'oblige à décrire un plus grand tour. Le soleil, au contraire, achève la même révolution en un an, et la lune en un mois; moins l'astre est élevé, plus sa rotation est rapide, afin qu'il y ait un rapport exact entre la durée du mouvement et sa hauteur relative dans l'espace. Ils se demandent donc par quel mystère la planète de Saturne est si froide, quand sa température devrait être d'autant plus élevée que sa rotation s'accomplit du haut de la voûte céleste. Voyez une roue tourner : le mouvement est plus lent au centre, plus rapide à la circonférence, afin que, malgré la différence ces rayons, tous les mouvements se combinent pour former un même tour. Or, plus la rotation est rapide, plus il se dégage de chaleur: la température de Saturne devrait donc être plutôt brûlante que froide. Car bien que Saturne ayant un vaste cercle à décrire, mette trente ans à achever sa révolution par son mouvement propre, il est soumis chaque jour au mouvement général et en sens contraire du ciel, dont une conversion produit un jour, au dire de ces physiciens : par conséquent, la partie du ciel où il tourne, étant animée d'un mouvement plus rapide, il devrait dégager plus de chaleur. D'où vient donc ce (160) mystère ? Du voisinage même des eaux suspendues au-dessus du ciel étoilé et dont ces physiciens contestent l'existence. Voilà sur quelles conjectures s'appuient nos auteurs pour combattre les physiciens qui; sans vouloir entendre parler d'eaux au-dessus du ciel, soutiennent néanmoins que la planète placée au sommet de la voûte céleste est glacée : ils les forcent ainsi à conclure que ces eaux existent, non plus sous forme de vapeurs légères, mais à l'état de glace. Quelque système qu'on adopte, l'existence des eaux au-dessus du ciel, sous quelque forme que l'on voudra, est un fait indubitable : l'autorité de l'Ecriture doit prévaloir sur les plus ingénieuses théories de l’esprit humain.

 

 

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CHAPITRE VI. FAUT-IL VOIR DANS LE PASSAGE : « ET DIEU FIT LE FIRMAMENT, » ETC. L'INTERVENTION DIRECTE  DU FILS?
 

 

10. On a remarqué, et cette réflexion, mérite, selon moi, d'être approfondie, qu'après cette parole immédiatement accomplie: « Que le firmament se fasse au milieu des eaux et qu'il sépare les eaux d'avec les eaux, » l'Ecriture ne se contente pas de dire : « Cela se fit, » mais qu'elle ajoute : « Et Dieu fit le firmament, et il sépara les eaux qui étaient au-dessus du firmament, d'avec les eaux qui étaient au-dessous. » On croit donc que la personne du Père est marquée dans le passage : « Et Dieu dit : Que le firmament se fasse au milieu des eaux, et qu'il sépare les eaux d'avec les eaux; ce qui fut fait; » et l'on pense que l'Ecriture avait pour but de faire entendre que le Fils avait accompli la parole du Père quand elle ajoute : « Et Dieu fit le firmament, » etc.

11. Mais, puisqu'il a déjà été écrit : « Et cela fut fait, » je demande par qui cela fut fait, Etait-ce par le Fils? A quoi bon alors cette espèce de pléonasme : « Et Dieu fit le firmament, etc? » Si au contraire on voit dans le passage : « Et cela fut fait, » l'acte du Père, il ne faut plus admettre que le Père parle et que le Fils exécute; il faudrait même en conclure que le Père agit indépendamment du Fils, et que le Fils reproduit les actes du Père par imitation, ce qui est contraire à la foi catholique. Aime-t-on mieux ne voir qu'une répétition de la même idée dans les deux passages : « Et cela se fit, » et « Dieu fit ainsi ? » Pourquoi ne pas identifier celui qui commande et celui qui exécute . Veut-on aussi en laissant de côté : « Et il fut fait « ainsi, » se borner à rapporter les deux autres passages, celui où Dieu commande et celui où il agit (fiat-fecit), et retrouver ici l'intervention du Père, là celle du Fils?

12. On peut encore se demander s'il ne faudrait pas voir dans l'expression fiat un ordre, pour ainsi dire, donné au Fils par le Père. Dans ce cas, pourquoi l'Ecriture n'a-t-elle pas pris soin de désigner la personne du Saint-Esprit? Est-ce qu'il faut reconnaître la Trinité dans le commandement, dans l'acte créateur, et dans l'approbation donnée à l'oeuvre ? Mais la Trinité forme une unité trop absolue pour que le Fils reçoive en quelque façon l'ordre d'agir, tandis que le Saint-Esprit approuve de lui-même et sans y être invité l'oeuvre accomplie. Quel ordre, en effet, le Père pourrait-il donner au Fils, c’est-à-dire, à son Verbe éternel, le Verbe du Père, le Fils unique en qui existe tout ce qui a été créé, même avant la création, le principe de la vie, en ce sens que tout ce qu'il a fait est en lui vie et vie créatrice, et en dehors de lui, vie contingente et créée? Les êtres qu'il a créés sont donc . en lui puisqu'il les gouverne et les contient, mais à un tout autre titre que l'Etre qui constitue son essence. Car la vie qui est en lui n'est autre chose que lui-même, parce qu'en tant que vie il est la lumière des hommes (1). Ainsi donc, rien ne pouvait être créé, soit avant les temps sans toutefois être coéternel au Créateur, soit à l'origine des temps ou à un moment quelconque de la durée, sans que le type de cette création, si l'on peut parler ainsi, n'eût dans le Verbe coéternel à Dieu une existence également éternelle : voilà pourquoi l'Ecriture, avant de raconter chaque création dans son ordre, remonte au Verbe de Dieu et débute par ces mots : « Dieu dit; » en effet, elle n'explique la création d'aucun être, sans en découvrir la cause dans le Verbe de Dieu.

13. Dieu n'a pas répété le Fiat de la création aussi souvent que nous lisons dans la Genèse: « Dieu dit. » Car Dieu n'a engendré qu'un Verbe unique, en qui il a tout exprimé universellement avant que les choses sortissent.du néant selon leur ordre particulier. Mais l'Ecrivain sacré, abaissant son langage à la portée des esprits les plus humbles, énumère successivement les diverses espèces d'êtres, et considère, successivement

 

1. Jean, I, 3,4.

 

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dans le Verbe de Dieu la cause éternelle de chaque création. Voilà pourquoi il répète la parole, quoiqu’elle n'ait point été répétée : «Dieu dit. » Supposons qu'il ait d'abord songé à s'exprimer ainsi : « Le firmament se fit au milieu « des eaux afin que les eaux fussent séparées « des eaux; » si on lui avait demandé comment cette oeuvre s'était accomplie, il aurait répondu avec raison que Dieu avait dit : « Que le firmament se fasse, » en d'autres termes, que la création du firmament était arrêtée dans son Verbe éternel. Il a donc débuté dans son récit par l'explication même dont il aurait pu le faire suivre, si on lui avait demandé la manière dont la création s'était accomplie.

14. Ainsi donc les expressions : « Dieu dit que telle oeuvre se fasse, » nous font entendre l'idée créatrice arrêtée dans le Verbe de Dieu. Les mots : « Cela fut fait, » nous révèlent que l'être créé se forma dans les limites fixées à son espèce par le Verbe de Dieu. Enfin les mots « Dieu vit que cette oeuvre était bonne, » nous montrent que, grâce à là charité de son Esprit, l'être créé lui plaisait; cette approbation n'indique pas qu'il ne connût son oeuvre et ne la trouvât agréable qu'en la voyant accomplie, mais qu'il voulait lui conserver l'existence en vertu de la même bonté qui l'avait engagé à la lui donner.

 

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CHAPITRE VII. CONTINUATION DU MÊME SUJET.
 

15. La question n'est pas encore épuisée : on peut encore se demander pourquoi, aux expressions qui indiquent en elles-mêmes l'accomplissement de l'ordre divin : « Et cela ce fit, » on ajoute ces paroles : « et Dieu fit » telle ou telle chose. Les mots, en effet, qui marquent le commandement et son exécution immédiate (fiat,  — factum est) révèlent assez clairement que Dieu parlé dans son Verbe et que son Verbe a réalisé sa parole : ils suffisent pour montrer la double personne du Père et du Fils. Si cette répétition n'a pour objet que de faire apparaître la personne du Fils, il faudra donc admettre que Dieu ne s'est pas servi de son Fils, le troisième jour, pour rassembler les eaux et découvrir la surface de la terre : car, l'Ecriture n'ajoute pas ici : « et Dieu rassembla les eaux. » Toutefois, dans cet endroit même, après avoir montré l'oeuvre divine accomplie, l’Ecriture redouble l'expression et ajoute : « Et l'eau qui est (161) sous le ciel se rassembla. » Et la lumière ? Le Fils n'a-t-il point concouru à sa création, parce que l'Ecriture n'a point employé cette double formule ? Car, n'aurait-on pu adopter aussi la formule suivante : Et Dieu dit que la lumière soit faite, et cela se fit; et Dieu fit la lumière, ou dire, comme pour le rassemblement des eaux : Et Dieu dit : que la lumière soit faite, et cela se fit; et Dieu vit que la lumière était bonne? Mais non : après avoir exprimé l'ordre divin, l'Ecriture ajoute simplement. « Et la lumière fut faite ; » puis elle raconte, sans aucune répétition, que Dieu approuva la lumière, la sépara d'avec les ténèbres et leur donna un nom.

 

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CHAPITRE VIII. POURQUOI L'EXPRESSION : « ET FECIT DEUS, » N'A-T-ELLE PAS ÉTÉ REPRODUITE APRÈS LA CRÉATION DE LA LUMIÈRE?
 

16. Que signifie donc cette répétition qui se reproduit à chaque création sauf à celle de la lumière? Cette omission n'aurait-elle pas pour but de démontrer que le premier jour, date de l'apparition de la lumière, manifesta, sous le nom même de lumière, la nature des êtres spirituels et intelligents, parmi lesquels il faut ranger les saints Anges et les Vertus? Si, en effet, l'Ecriture n'ajoute rien aux expressions : « Et la lumière fut faite, » la raison n'en est-elle pas que la créature intelligente, loin de connaître d'abord son moyen de perfectionnement et de l'atteindre ensuite, n'en prit conscience qu'au moment où elle se perfectionnait, en d'autres termes, qu'au moment où rayonnait en elle la vérité à laquelle elle s'unit ; tandis que, pour les créatures d'un ordre inférieur, l'existence. était connue comme possible dans l'esprit de la création raisonnable, avant de se réaliser sous une forme déterminée ? Par conséquent, la lumière doit apparaître sous deux points de vue: d'abord, dans le Verbe de Dieu, si l'on considère la cause de son existence, en d'autres termes, dans la sagesse coéternelle au Père; puis; en elle-même, si l'on considère sous quelle forme elle s'est réalisée. Dans le Verbe, la lumière n'est pas faite, mais engendrée; dans la nature, elle est faite, parce quelle a été tirée des éléments grossiers et primitifs. On voit maintenant pourquoi Dieu dit : (162) « Que la lumière soit faite, et. la lumière fut faite : » il faisait passer l'idée de son Verbe dans la réalité. Au point de vue de la sagesse engendrée, le ciel existait comme type dans le Verbe de Dieu : ce type fut ensuite reproduit dans la raison des Anges, d'après la sagesse qui avait été créée en eux : enfin le ciel devint une réalité, afin qu'il existât sous sa forme spéciale. On expliquerait de la même manière la séparation des eaux d'avec les eaux, la formation des arbres et des plantes, la naissance des animaux dans les eaux et sur la terre.

17. Les anges, en effet, n'ont pas seulement des sens, comme l'animal, pour considérer la nature -visible: à supposer qu'ils aient des sens, ils connaissent mieux l'univers, d'après les idées qu'ils découvrent dans le sein du Verbe de Dieu, qui les éclaire et leur communique la sagesse. Donc, de même que le type de la créature réside dans le Verbe de Dieu avant qu'elle reçoive l'existence; de même ce type se découvre d'abord à la créature intelligente dont la raison n'a pas été obscurcie parle péché : enfin le type se réalise. Pour concevoir les vues de la Sagesse les anges n'avaient pas besoin de s'expliquer, comme nous, les desseins invisibles de Dieu parle spectacle de ses ouvrages (1) : depuis qu'ils sont créés, ils contemplent le Verbe et son éternelle sainteté dans une extase ineffable; c'est de cette hauteur qu'ils regardent le monde et qu'à la lumière des idées qu'ils trouvent dans leur intelligence, ils approuvent le bien, et condamnent le mal.

18. On ne doit pas être surpris que Dieu ait révélé à ses saints anges, les premiers-nés de la lumière, le type de ses créations futures. Ils ne pouvaient connaître ses desseins qu'autant qu'il lui plaisait de leur en découvrir les mystères. « Car, qui connaît les pensées de Dieu, ou qui l'a aidé de ses conseils? Qui lui a donné quelque chose le premier pour en recevoir une récompense? Car, c'est de lui, par lui, et en lui que sont toutes choses (2). » C'est donc lui qui révélait aux anges la nature des êtres avant comme pendant leur création.

19. En résumé, la lumière, c'est-à-dire la créature raisonnable formée parla lumière éternelle, avait été faite la première : donc, les paroles que Dieu fait entendre pour créer les autres êtres, « dixit Deus: fiat, » nous révèlent que la pensée de l'Ecriture remonte à la conception éternelle du Verbe; l’expression, sic est factum, nous

 

1. Rom, I, 20. —2. Ibid. XI, 34-36.

 

apprend que la créature raisonnable fut initiée au plan de cette création et le reproduisit, pour ainsi dire, par le privilège qui lui fut donné de le connaître la première au sein du Verbe de Dieu; enfin la formule fecit, qui est une répétition de la précédente, nous fait entendre que la créature elle-même passa à l'existence sous sa forme spéciale. Quant au passage : vidit Deus quia bonum est, il révèle que Dieu, dans sa bonté, approuva son œuvre, afin de lui conserver l'existence qu'il avait bien voulu lui donner au moment où « l'Esprit-Saint était porté sur les eaux. »

 

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CHAPITRE IX. DE LA CONFIGURATION DU CIEL.
 

20. On agite assez souvent la question de savoir quelle est la configuration du ciel d'après nos Saints Livres. C'est un sujet sur lequel les savants ont accumulé des volumes et que les écrivains sacrés ont sagement négligé; tous les systèmes sont inutiles au bonheur, et ce qui est pis, dérobent un temps précieux qui devrait être consacré au salut. Que m'importe que le ciel soit une sphère qui enveloppe de toutes parts la terre immobile au centre du monde, ou un disque immense quine la recouvre que d'un côté? Toutefois, comme l'autorité de l'Ecriture est en jeu, et qu'il est à craindre que les esprits étrangers à la parole divine, rencontrant dans nos saints livres ou entendant dire aux chrétiens des choses qui semblent contredire les vérités scientifiques, n'en profitent pour repousser l'histoire, les dogmes, la morale de la religion; il faut répondre en peu de mots que les écrivains sacrés savaient fort bien la véritable configuration du ciel, mais que l'Esprit-Saint, qui parlait parleur bouche, n'a pas voulu découvrir aux hommes des connaissances inutiles à leur salut.

21. Mais, dira-t on, l'expression du Psalmiste « Il a étendu le ciel comme une peau (1), » ne dément-elle pas le système de la sphéricité du ciel? Eh bien! qu'elle le démente, s'il est faux: la vérité est dans la parole infaillible de Dieu plutôt que dans toutes les conjectures de la faible raison. Le système repose-t-il sur des preuves incontestables? Démontrons que l'expression du Psalmiste ne le contredit pas. A ce titre, en effet, elle contredirait un autre passage de l'Ecriture elle-même, où le ciel est comparé à une voûte (2) car, qu'y a-t-il de plus différents qu'une peau

 

1. Ps. CIII, 2. — 2. Is. XL, 22, sel. LXX.

 

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étendue et une voûte arrondie? Or, il faut bien trouver une explication qui accorde entre eux ces deux passages, il faut également montrer que les deux passages réunis ne contredisent pas l'opinion de la sphéricité du ciel, à condition toutefois qu'elle soit établie sur des raisons solides.

22. La comparaison du ciel avec une voûte, même au pied de la lettre, ne présente aucune, difficulté. On peut fort bien croire que l'Ecriture n'a voulu parler que de la configuration du ciel suspendu au-dessus de nos têtes. Donc, si le ciel n'est pas sphérique, il s'arrondit en voûte, dans l'espace où il couvre la terre ; s'il est sphérique, il s'arrondit en voûte dans tout l'espace. Quant 1 la comparaison du ciel avec une peau, elle est plus embarrassante: il faut en effet la concilier, non avec la sphéricité du ciel, qui n'est peut-être qu'une imagination, mais avec la voûte dont parle l'Ecriture. On trouvera au XIII livre de mes Confessions (1) l'explication allégorique de ce passage. Qu'il faille voir tel ou tel symbole dans cette manière d'étendre le ciel comme une peau, je vais, pour contenter ceux qui pèsent scrupuleusement le sens littéral, donner une explication matérielle et, je l'espère, à la portée de tous : car, puisqu'il y a sans doute un lien entre ces deux expressions, au sens figuré ; il faut examiner si, au sens littéral, elles n'admettent pas une interprétation commune. Eh bien ! le mot camera (voûte, plafond) s'entend d'une surface plane on concave ; or, une peau peut aussi bien s'étendre sur un plan horizontal que s'arrondir en sphère, témoin une vessie, une outre.

 

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CHAPITRE X. DU MOUVEMENT DU CIEL.
 

23. Le ciel est-il en mouvement ou immobile? c'est une question quelquefois débattue parmi nos frères eux-mêmes. S'il est en mouvement, disent-ils, comment expliquer le firmament? S'il est immobile, comment les astres,. attachés, dit-on, à sa voûte, tournent-ils d'orient en occident, en décrivant près du pôle nord un cercle d'un moindre rayon, de sorte que la rotation du ciel est celle d'une sphère, s'il existe un pôle à l'extrémité opposée, celle d'un disque, s'il n'y en a pas? Je leur réponds que c'est par les raisonnements les plus subtils et les plus contournés qu'on recherche ce qu'il peut y avoir de vrai ou de faux dans ces systèmes; que le temps me manquerait, pour

 

1. Confess, liv. XIII, ch. XV.

 

développer ces théories, et qu'il doit manquer ceux que nous désirons former pour accomplir leur salut et pour rendre tous les services nécessaires à la sainte Eglise. Qu'ils sachent seulement que le terme de firmament ne nous oblige point à regarder le ciel comme immobile : car ce terme peut fort bien signifier, non l'immobilité du ciel, mais la barrière solide, infranchissable, placée entre les eaux supérieures elles eaux inférieures. Serait-il démontré que le ciel est immobile? la révolution des astres ne nous obligerait pas à repousser la vérité de ce système. En effet, des philosophes qui ont consacré tout leur temps et toute leur subtilité à résoudre ces problèmes, ont découvert que, dans l'hypothèse de l'immobilité du ciel, le mouvement propre des astres suffirait à .expliquer tous les phénomènes que l'expérience rattache à leurs révolutions périodiques.

 

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CHAPITRE XI. QUE FAUT-IL ENTENDRE PAR L'ÉTAT INFORME DE LA TERRE (1)?
 

24. « Puis Dieu dit: que les eaux qui sont au-dessous des cieux se rassemblent en un lieu et que l'aride paraisse. Et il en fut ainsi. L'eau qui est sous le ciel se rassembla en un seul lieu et l'aride parut. « Et Dieu nomma l'aride, terre, l'amas des eaux, mers. Et Dieu vit que cela était bon. » Nous nous sommes longuement étendus sur cet ouvrage de Dieu, à propos d'une question qui s'y rattache intimement ? Il suffira donc ici de rappeler sommairement aux esprits trop élevés pour se préoccuper de l'époque où furent créées les propriétés spécifiques de la terre et de l'eau, que l'ouvrage de ce jour consiste simplement à séparer ces deux éléments dans les régions inférieures de l'espace. Veut-on au contraire se demander pourquoi la création de la lumière et du ciel a une date, tandis que celle de la terre; et de l'eau s'est accomplie en dehors des jours ou les a même précédés ? Semble-t-il surprenant que le commandement fiat ait présidé à la création de la lumière, tandis qu'il s'est fait entendre pour séparer la terre avec les eaux sans avoir présidé à leur création? On trouvera une explication sans danger pour la foi dans le passage où l'Ecriture, après avoir établi que « Dieu créa au commencement le ciel et la terre » ajoute, pour représenter la terre en cet état : « La terre était invisible

 

1. Gen. I, 9, 10. — 2. Ci-dessus, liv. I, ch. XII, XIII.

 

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et sans ordre. » Ces paroles, en effet; ne désignent que l'état informe de la matière, et l'Écriture a choisi le mot de terre comme étant plus ordinaire et moins obscur. Si cette explication est trop difficile à saisir, qu'on s'efforce au moins de séparer dans le temps la matière et ses modifications, comme l'Écriture les distingue dans son récit : qu'on se figure que Dieu a créé d'abord la matière, et au bout d'un certain temps, l'a enrichie de ses propriétés. Il est clair cependant que Dieu a tout créé à la fois, et qu'il a façonné la matière déjà formée, le mot terre ou eau ne servant dans l'Écriture qu'à désigner l'imperfection de la matière, comme je l'ai déjà remarqué à cause de son emploi fréquent. En effet la terre et l'eau, même sous leur forme actuelle, ont une tendance à se corrompre qui les. rapproche bien mieux de l'imperfection primitive que les corps célestes. Or, dans la période des six jours, on énumère les ouvrages tirés de cette matière informe, dont était déjà sorti le ciel, si            diffèrent de la terre; l'écrivain sacré n'a donc pas voulu, en prononçant le fiat, ranger parmi ces autres oeuvres de Dieu l'oeuvre qui restait à faire dans la région la plus basse de la nature; les éléments y gardaient une imperfection trop grossière, pour se prêter à une œuvre aussi parfaite que le ciel : ils ne pouvaient que recevoir une forme inférieure, moins constante et plus voisine de l'imperfection primitive. Les paroles: « Que les eaux se ras« semblent, que l'aride paraisse, » indiqueraient donc que la terre et l'eau reçurent alors ces formes si connues et qui nous permettent de les plier à tant d'usages : l'eau, sa fluidité; la terre, sa consistance. Aussi est-il écrit des eaux : « quelles se rassemblent, » et de la terre : « qu'elle se montre » : l'une est courante et fugitive, l'autre compacte et immobile.

 

 

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CHAPITRE XII. POURQUOI LA FORMULE « ET CELA SE FIT AINSI, » EST-ELLE EMPLOYÉE SPÉCIALEMENT POUR LES PLANTES ET LES ARBRES (1) ?
 

25. « Dieu dit: que la terre produise des plantes avec leurs semences, chacune selon son espèce ; des arbres fruitiers, produisant des fruits selon leur espèce, et qui aient en eux-mêmes leur semence sur la terre. Et cela se fit ainsi. La terre produisit donc des plantes avec leurs semences, chacune selon son espèce; des arbres fruitiers,

 

1. Gen, I, 11, 12, 18.

 

qui avaient leur semence en eux-mêmes, selon leur espèce, sur la terre. Et Dieu vit que cela était bon. Et le soir se fit, et au matin fut accompli le troisième jour. »Il faut,ici remarquer la mesure que l'éternel Ordonnateur met dans ses oeuvres. Les plantes et les arbres, ayant des propriétés fort distinctes de la terre et des eaux, et ne pouvant se ranger parmi ces éléments, reçoivent l'ordre spécial de sortir du sein de la terre; spécialement encore il est dit de ces productions « Et il en fut ainsi; et la terre produisit » etc. ; et Dieu approuva spécialement leur formation. Cependant, comme ils se rattachent à la terre par leur racines, Dieu a compris toutes les phases de cette création dans un même jour.

 

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CHAPITRE XIII. POURQUOI LES LUMINAIRES N'ONT-ILS ÉTÉ FORMÉS QUE LE QUATRIÈME JOUR (1) ?
 

26. « Et Dieu dit : qu'il y ait des luminaires dans le firmament, afin qu'ils brillent sur la terre, marquent le commencement du jour et de la nuit, et séparent le jour d'avec la nuit ; qu'ils  servent de signes pour distinguer les saisons, les jours et les années; qu'ils brillent dans le firmament, afin de luire sur la terre. Et cela se fit. Dieu fit donc deux grands luminaires, le plus grand, pour marquer le commencement du jour, le plus petit, pour marquer le commencement de la nuit. Il fit aussi les étoiles. Et Dieu les mit dans le firmament pour luire sur la terre, pour marquer le commencement du jour et de la nuit et pour diviser là lumière d'avec les ténèbres. Et Dieu vit que cela était bon. Et le soir se fit, et au matin fut accompli le quatrième jour. » La première question qui se présente ici est de savoir quelle est la raison d'un ordre où la création de la terre et des eaux, leur séparation, les , productions du sol précèdent l'apparition des astres dans le ciel. On ne saurait dire en effet que la succession des jours corresponde à la dignité des objets, et que la fin et le milieu y soient mis en relief. Sur une période de, sept jours, le quatrième forme le milieu, et on sait que le: septième ne fut marqué, par aucune création. Dira-t-on que la lumière du premier jour soit dans un juste rapport avec le repos du septième, et qu'on puisse former ainsi une série harmonieuse, où le commencement réponde à la fin, où le milieu se dégage et reluit de fa clarté du ciel? Mais

 

1. Gen. I, 14, 16, etc.

 

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si le premier jour a une grandeur qui le rapproche du septième, il faut bien que le second corresponde au sixième. Or, quel rapport y a-t-il entre le firmament et l'homme fait à l'image de Dieu? Serait-ce que le ciel s'étend dans la région supérieure du monde et que l'homme a reçu le privilège de régner sur la région inférieure ? Mais que dire des animaux et des bêtes produits par la terre, selon leur espèce, le sixième jour? Peut-il y avoir quelque rapport entre les animaux et le ciel ?

27. Voici peut-être l'explication de cet ordre. La créature intelligente ayant été formée au début, sous le nom de lumière, il était naturel que la nature physique, en d'autres termes, le monde visible fut formé. Cette création se fit en deux jours qui correspondent aux deux parties principales dont se compose l'univers, je veux dire le ciel et la terre, d'après cette analogie qui fait souvent désigner sous le nom de ciel et de terre les esprits et les corps. Ce globe fut le domaine assigné à la partie la plus bruyante et la plus grossière de l'air : il se condense en effet par les émanations de la terre; au contraire, la partie de l'air la plus paisible, celle que n'agitent jamais les vents ni les tempêtes, eut le ciel pour séjour. La création du monde physique achevée, à la place qui lui avait été assignée dans l'étendue, il fallait le remplir d'êtres organisés, capables de se transporter d'un lieu dans un autre. Les plantes et les arbres ne rentrent pas dans cette catégorie : ils tiennent à la terre parleurs racines, et quoique le mouvement qui les fait croître se passe en eux, ils n'en sont pas moins incapables de se mouvoir par un effort qui leur soit propre : ils se nourrissent et se développent aux lieux où ils sont enchaînés. Par conséquent ils ont un rapport plus étroit avec la terre qu'avec les êtres qui se meuvent sur la terré ou dans les eaux. Deux jours ont été consacrés à organiser la nature matérielle, je veux dire le :ciel et la terre: il faut que les trois jours suivants soient consacrés aux êtres visibles et animés de mouvement, qui sont créés sur ce théâtre. Le ciel ayant été formé le premier, doit le premier recevoir les corps destinés à l'occuper. C'est donc le quatrième jour que sont formés les astres, qui luisent sur la terre, et qui en portant la lumière dans les plus basses régions de l'univers, permettent de ne pas introduire ses habitants futurs dans un séjour ténébreux. Comme les faibles organes des êtres d'ici-bas se renouvèlent par le  passage du mouvement au repos, la révolution du soleil a établi entre l'alternative du jour et de la nuit et le passage du repos à la veille, une juste correspondance; la nuit, loin d'être sans beautés, a offert, dans le doux éclat de la lune et des étoiles, une consolation aux hommes que la nécessité force souvent à travailler la nuit; cette paisible lumière convient d'ailleurs aux animaux quine peuvent soutenir l'éclat du soleil.

 

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CHAPITRE XIV. COMMENT LES LUMINAIRES DU CIEL SERVENT-ILS A MARQUER LE TEMPS, LES JOURS, LES ANNÉES.
 

28. Le passage où l'Écriture dit que « les luminaires du ciel servent à donner des signes, à marquer les temps, les jours, les années, » offre une grande difficulté. Si le cours du temps n'a commencé que le quatrième jour, les trois jours qui précèdent se sont donc passés en dehors du temps? Qui peut comprendre comment ces trois jours se sont écoulés avant le cours régulier du temps, puisqu'il ne date que du quatrième jour ? Se sont-ils même écoulés? Le jour et la nuit ne servent-ils ici qu'à désigner, l'un, la substance avec ses qualités distinctives, l'autre, la substance sans ses modifications? La nuit, dis-j e, ne représenterait-elle que la matière encore informe dont les êtres devaient sortir avec leurs propriétés spéciales ? Même chez un être formé, la possibilité de changer implique l'imperfection du fond; or, cette imperfection ne se mesure ni par l'espace ni par le temps : elle n'implique ni distance ni antériorité. Serait-ce cette possibilité de changer, qui suppose celle d'être défectible, qu'on a appelée nuit même chez les créatures toutes formées, le changement étant possible chez les êtres, même quand ils ne changent pas ? Le soir et le matin, au lieu d'indiquer un écoulement et un retour périodique dans la durée, ne désigneraient-ils qu'une limite, celle où s'arrête le développement d'une substance et où recommence le développement d'une autre? Ne faut-il pas plutôt chercher dans un autre ordre d'idées le sens exact de ces mots ?

29. Comment pénétrer ce secret et définir ce que l'Écriture appelle signes, lorsqu'elle dit des astres : « qu'ils servent de signes? » Elle entend par là, non les conjectures d'un art insensé, mais les pronostics si utiles dans la vie humaine, les observations qui guident le pilote sur les mers, les prédictions du temps selon les diverses (166) saisons. Elle appelle, temps, non une durée quelconque, mais celle qui se règle sur le cours des astres et les mouvements périodiques du ciel. Supposons en effet qu'il ait existé un mouvement, soit physique soit intellectuel, antérieur à la disposition des astres dans le ciel, et que, par la pensée, ce mouvement ait été transporté de l'avenir dans le passé à travers le présent cet acte est impossible en dehors du temps; et comment prouver qu'un tel acte ne se soit produit qu'à dater de la création des astres? Quant aux divisions si connues du temps en heures, jours, années, elles ont nécessairement pour origine les mouvements des astres. En effet qu'entendons-nous par temps, par jours et par années? Le temps n'est pour nous que certaines divisions dans l'espace, marquées sur les cadrans ou sur la voûte du ciel; où le soleil s'élève de l'orient, atteint le méridien et s'abaisse vers l'occident; où on observe ensuite soit la lune soit une étoile monter à l'horizon .après le coucher du soleil, au point culminant de son cours marquer minuit, et se coucher, avec le lever du soleil, pour marquer le matin. Le jour mesure la révolution totale du soleil d'orient en occident. Quant à l'année, elle comprend la révolution circulaire qui ramène le soleil, non à l'orient, comme chaque jour, mais au même point du ciel par rapport aux autres astres : cette révolution s'achève en 365 jours 6 heures ou le quart d'un jour, celui, au bout de quatre ans, produit un jour intercalaire, appelé bissextile dans l'année Romaine, afin de faire concorder le calendrier avec la marche du soleil. On nomme aussi années des cycles plus longs et moins connus : une grande année commence au retour de tous les astres au même point du ciel. Si donc nous entendons dans ce sens le temps, les jours et les années, il est incontestable qu'ils sont déterminés par les mouvements des astres et des grands luminaires, car on ne saurait trop décider si dans ces paroles de l'Ecriture. : « Qu'ils servent de signes et marquent les temps, les jours et les années, » les jours et les années ont rapport au soleil, les temps et les signes, au reste des astres.

 

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CHAPITRE XV. DE LA LUNE.
 

30. Sous quelle forme a été créée la lune? Voilà une question qui a provoqué un flux de questions intarissable, et plût au ciel qu'on se fut borné à examiner sans chercher à convaincre! Les uns veulent, en effet, que la lune ait été créée dans son plein, par la raison qu'un ouvrage inachevé aurait été indigne de Dieu, en ce jour où il fit les astres, selon les termes de l'Ecriture. A ce compte, répondent les autres, il aurait fallu dire la nouvelle luné, et non la lune âgée de quatorze jours. Qu'est-ce que ce calendrier à rebours? Pour, moi je reste neutre; tout ce que j'affirme, c'est que Dieu a créé la lune sous une forme achevée, quelle qu'en ait été alors la phase. En effet Dieu crée à la fois le fond et la forme. Or quel que soit le développement qu'un être acquiert successivement, il en contient le principe au moins dans l'activité de sa nature. Trouverait-on qu'un arbre est incomplet, parce qu'il n'a l'hiver ni feuillage ni fruits? Dirait-on qu'il lui manque les germes essentiels, parce qu'il n'a encore rien produit? Non assurément: l'arbre, les germes même recèlent d'une manière invisible ce que le temps doit développer en eux. Cependant, si l'on se bornait à dire que Dieu a laissé une couvre imparfaite pour l'achever ensuite, cette pensée ne serait pas condamnable; elle ne choquerait qu'autant que l'on voudrait soutenir qu'une couvre inachevée de Dieu a reçu d'ailleurs sa perfection définitive.

31. On ne s'étonne pas que la terre, invisible, sans ordre, quand Dieu créa au commencement le ciel et la terre, apparaisse et s'organise le troisième jour; pourquoi donc entasser sur la lune comme un nuage de questions? J'ai dit, à propos de la terre, qu'entre la création du fond et de la forme il n'y avait eu aucun intervalle, et que cette distinction était faite pour la commodité du récit. Approuve-t-on cette pensée? Pourquoi alors ne pas voir de ses propres yeux, comme il est si facile de le faire, que la lune est un globe complet, d'une parfaite rotondité, même sous la forme d'un croissant, au commencement comme à la fin de son cours? Sa lumière vient-elle d'un feu qui s'augmente, brille dans toute sa force et diminue ? Ce n'est pas le luminaire, mais le feu qui subit ces alternatives. Conserve-t-elle une faible portion de son disque perpétuellement éclairée? Pendant qu'elle présente cette face à la terre, jusqu'au moment où s'achève sa conversion totale, ce qui a lieu au bout de 14 jours, elle s'accroît en apparence, en réalité elle est toujours dans son plein; seulement sa grandeur, vue de la terre, n'est pas toujours égale. Emprunte-t-elle (167) sa lumière au soleil? L'explication reste la même. Quand elle est le plus rapprochée du soleil, elle n'est éclairée qu'à une extrémité : le reste du globe, qui est tout entier en pleine lumière, n'est visible de la terre qu'au moment où l'astre est opposé à la terre et lui offre sa face lumineuse.

32. Toutefois il ne manque pas de savants pour soutenir que ce n'est pas la pleine lune qui leur fait croire que cet astre a été créé dans la phase du quatorzième jour, mais ces termes de l'Ecriture : « La lune fut créée pour marquer le commencement de la nuit; » en effet la lune n'apparaît au commencement de la nuit que lorsqu'elle est dans son plein; autrement, elle apparaît dans le jour à l'horizon, ou se lève à une heure d'autant plus avancée de la nuit que son croissant est plus petit. Mais si l'on entend que la lune est le principe, c'est-à-dire, la dominatrice des nuits, comme l'indique le terme grec arke  et plus clairement encore le passage où le Psalmiste s'écrie : « Que le soleil commande au jour, et la lune, à la nuit (1); » on n'est plus obligé de calculer l'âge de la lune ni de croire que la formation de cet astre suppose la première phase.

 

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CHAPITRE XVI. DE LA LUMIÈRE RELATIVE DES ASTRES.
 

33. On agite encore la question de savoir si les luminaires visibles du ciel, c'est-à-dire, le soleil, la lune et les étoiles, projettent une même quantité de lumière, et si leur clarté de plus en plus faible n'est qu'une illusion qui s'explique par leur éloignement relatif de la terre. Pour la lune en particulier, on ne doute pas qu'elle ne jette une clarté moins vive que le soleil, on croit même qu'elle lui emprunte sa lumière. Quant aux étoiles, on ne craint pas de soutenir qu'un grand nombre égalent ou surpassent même le soleil en grosseur et que leur distance seule les fait paraître plus petites. Peut-être devrait-il nous suffire de savoir que ces astres, quelle que soit leur nature, ont eu Dieu pour créateur. Cependant, rappelons-nous ces paroles infaillibles de l'Apôtre : « L'éclat du soleil n'est pas le même que celui de la lune et des étoiles : une étoile diffère d'une autre en clarté (2). » Les partisans de ce système peuvent objecter, sans contredire l'Apôtre, que les astres ont un éclat différent sans doute, mais à condition d'être vus de la terre

 

1. Ps. CXXXV, 8, 9. — 2. I Cor. XV, 41.

 

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ils peuvent faire observer que l'Apôtre cherchait une analogie pour expliquer la résurrection des corps, qui n'auront pas sans doute telle qualité visible, telle autre qualité intrinsèque ; qu'à ce titre, puisque les astres ont en eux-mêmes un éclat différent, il peut y en avoir de plus gros que le soleil. Cependant, c'est à eux d'expliquer comment, dans leur propre système, le soleil exerce une influence si prépondérante, qu'il arrête avec ses rayons et force à rétrograder les, étoiles les plus considérables et jusqu'à celles qu'ils honorent davantage : car si elles égalent ou surpassent le soleil en grosseur, il n'est pas vraisemblable qu'elles cèdent à l'influences de ses rayons. S'ils attribuent la supériorité aux constellations du Zodiaque ou au Chariot, qui sont en dehors de l'action du soleil, pourquoi décernent-ils un culte particulier à ces constellations? pourquoi en font-ils les reines du !zodiaque? C'est une contradiction : en effet bien qu'on puisse soutenir que le mouvement rétrograde ou peut-être le retard de ces constellations ne dépende pas du soleil, mais dé causes moins connues, c'est au soleil qu'ils attribuent la principale influence dans les calculs insensés où ils s'égarent à la recherche des décrets du destin, comme on peut le vérifier dans leurs livres.

34. Mais qu'ils parlent du ciel comme il leur plaira : ils ne connaissent pas le Père qui règne dans les cieux. Pour nous, il n'y a ni utilité ni convenance à nous perdre dans des recherches profondes sur la distance ou la grandeur des astres, et à consacrer à de tels problèmes le temps que réclament des questions plus sérieuses et plus fécondes. Nous avons toute raison de croire, sur la foi de l'Ecriture, qu'il y a deux luminaires plus grands que les astres, sans qu'ils soient pourtant d'égale grandeur. Aussi 1'Ecriture, après leur avoir décerné la prééminence, ajoute-t-elle : « Il fit le plus grand luminaire pour marquer le commencement du jour, le plus petit, pour marquer le commencement de la nuit. » On nous accordera bien sans doute, pour ne pas contredire le témoignage de nos yeux, que ces deux astres éclairent notre globe plus que tout les autres ensemble, que l'éclat du jour n'est dû qu'à la lumière du soleil, et que la nuit, malgré toutes les étoiles, serait bien mois brillante sans les rayons de la lune.

 

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CHAPITRE XVII. RÉFUTATION DE L'ASTROLOGIE.
 

35. Quand à l'art chimérique qui fait dépendre le destin des astres, à ces prédictions faites sur les prétendues lois de l'astronomie qu'on appelle les arrêts de la fatalité, la saine doctrine de l'Église les repousse avec mépris : cette opinion, en effet, a pour conséquence de supprimer le principe même de la prière et d'attribuer à Dieu, le créateur des astres, plutôt qu'à l'homme, l'auteur des crimes, l'aveuglement dans les actions le plus clairement condamnées par la conscience. D'ailleurs, notre âme n'est sous la sujétion d'aucun corps, même des corps célestes, par le privilège de sa nature : sur ce point, les astrologues peuvent écouter les leçons même de leurs philosophes. En outre, les corps suspendus au-dessus de la terre, n'ont pas des vertus supérieures à celles de la matière que ces hommes ont entre les mains. En voici une preuve: une multitude infinie de germes destinés à produire des corps de toute espèce, animaux, plantes, arbustes, se disséminent en un clin-d'oeil et il en naît également en un clin-d'oeil une foule d'êtres innombrables. Quelle prodigieuse variété de développements, de propriétés actives, et cela non-seulement en différents pays, mais dans la même contrée! Ils réussiraient plus vite à compter les étoiles qu'à analyser ces merveilles.

36. Qu'y a-t-il de plus insensé, de plus extravagant que de soutenir, malgré ces raisons qui les confondent, que la situation relative des astres influe seulement sur la destinée des hommes dont l'existence s'y rapporte? Eh bien! sur ce point même, ils sont confondus par l'exemple de deux frères jumeaux qui, malgré l'identité la plus parfaite dans la conjonction des astres, ont un sort différent, mènent une vie où le bonheur et l’infortune sont inégalement repartis, et meurent d'une façon toute contraire. Quoique la naissance de l'un ait précédé celle de l'autre, l'intervalle fut assez court pour échapper à tous les calculs d'un astrologue. Jacob tenant de sa main le talon de son frère, sorti le premier du sein maternel; on aurait dit qu'il n'y avait qu'un seul enfant qui se dédoubla (1). Assurément, le rapport de position, pour employer leur langage, ne pouvait être différent. Or pourrait-on rien imaginer de plus chimérique qu'un astrologue

 

1. Gen. XXV. 2.

 

qui, 1'œil fixé sur cette position des astres, tirant le même horoscope, aurait prédit que l'un des deux frères serait chéri de sa mère, et l'autre, non? Sa prédiction en effet aural été fausse, si elle n'eût pas signalé cette antipathie ; et si elle l'eût signalée, quoique conforme à la vérité, elle n'aurait plus été faite selon les formules consacrées dans ces absurdes manuels. Si cette histoire les trouve incrédules, parce qu'elle est tirée de nos saints livres; peuvent-ils donc nier l'ordre naturel ? Puisqu'ils se prétendent infaillibles, une fois qu'ils ont trouvé l'heure précise de la conception, qu'ils ne dédaignent pas de jeter sur la conception de deux jumeaux ordinaires un regard tout humain.

34. Reconnaissons-le :s'ils rencontrent parfois la vérité, c'est par un impulsion mystérieuse que l'âme humaine reçoit à son insu. Et lorsque cette .connaissance doit séduire les hommes, elle est l'oeuvre des esprits tentateurs : car ils ont l'idée ce de qui arrive dans le monde, par l'effet de la pénétration d'une intelligence plus fine, d'une organisation plus subtile, d'une expérience consommée qu'ils doivent à une existence si longue, enfin par une révélation de l'avenir, que les saints anges leur font, sur l'ordre même de Dieu qui, dans les mystères de sa justice incorruptible, règle les destinées des hommes. Parfois ces esprits pervers font prédire, comme par une révélation surnaturelle, ce qu'ils ont dessein de faire. Tout bon chrétien doit donc se défier des astrologues, des devins, surtout quand ils disent vrai, de peur qu'ils ne séduisent l'âme et ne l'enveloppent dans le pacte impie que fait contracter tout commerce avec les démons.

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CHAPITRE XVIII. QU'IL EST DIFFICILE DE SAVOIR SI LES ASTRES SONT GOUVERNÉS ET ANIMÉS PAR DES ESPRITS.
 

38. On demande souvent si les luminaires du ciel ne sont que des corps, ou s'ils possèdent des esprits pour les diriger : dans ce dernier cas, on voudrait savoir si ces esprits leur communiquent la vie, comme le principe qui anime la matière dans les animaux, ou s'ils les gouvernent sans y être unis; par le seul fait de leur présence.

39. Au point oit nous sommes arrivés, cette question me semble insoluble : toutefois, j'espère que dans la suite fies explications que, je (169) donne sur l'Écriture, il se présentera quelque passage où je pourrai la traiter plus à propos, et, sans compromettre l’autorité des livres saints, arriver, non à une vérité invinciblement démontrée, mais à une hypothèse plausible. Gardons ici le juste tempérament que commande une piété sérieuse, et évitons d'admettre au hasard une opinion mal éclaircie, de peur qu'au moment où la vérité peut-être se montrera dans tout son jour, sans contredire toutefois les paroles de l'ancien ou du nouveau Testament, nous ne trouvions, dans l'attachement à notre erreur, un motif de la repousser. J'arrive donc au troisième livre de cet ouvrage.

LIVRE III. LES ÊTRES VIVANTS (1).
 

CHAPITRE PREMIER. POURQUOI LA CRÉATION DES POISSONS PRECÈDE-T-ELLE, DANS LE RÉCIT SACRÉ, CELLE DES OISEAUX? AFFINITÉ ENTRE L'EAU ET L'AIR, L'AIR ET LE CIEL.

CHAPITRE II. LES CIEUX PRIMITIFS ONT ÉTÉ ABÎMÉS DANS LES EAUX DU DÉLUGE ET L'AIR S'EST TRANSFORMÉ EN EAU.

CHAPITRE III. OPINIONS DES SAVANTS SUR LA TRANSFORMATION DES ÉLÉMENTS. L'AIR N'EST POINT OMIS DANS LA GENÈSE.

CHAPITRE IV. DES RAPPORTS QUI EXISTENT ENTRE LES QUATRE ÉLÉMENTS ET LES CINQ SENS.

LE CHAPITRE V. DE LA SENSIBILITÉ DE L’ÂME.

CHAPITRE VI. L'AIR N'A POINT ÉTÉ OMIS PAR L'AUTEUR DE LA GENÈSE.

CHAPITRE VII. IL EST PROBABLE QUE LES OISEAUX TIRENT LEUR ORIGINE DE L'EAU.

CHAPITRE VIII. POURQUOI LES POISSONS ONT-ILS ÉTÉ APPELÉS REPTILES A AMES VIVANTES?

CHAPITRE IX. DE LA CLASIFICATION DES ÊTRES SELON L'ÉLÉMENT OU ILS VIVENT.

CHAPITRE X. ON PEUT ACCORDER QUE LES DÉMONS HABITENT L'AIR, SANS CONTREDIRE LE RÉCIT OU L'ÉCRITURE NOUS RÉVÈLE QUE LES POISSONS SONT SORTIS DES EAUX. DES MÉTÉORES.

CHAPITRE XI. DES DIVERSES ESPÈCES D'ANIMAUX CRÉÉS DE LA TERRE (2).

CHAPITRE XII. LA FORMULE, «SELON LEUR ESPÈCE, » N'EST POINT EMPLOYÉE POUR L'HOMME.

CHAPITRE XIII. POURQUOI LA BÉNÉDICTION DIVINE N'A-T-ELLE ÉTÉ DONNÉE QU'AUX ANIMAUX TIRÉS DES EAUX ET A L'HOMME ?

CHAPITRE XIV. DE LA CRÉATION DES INSECTES.

CHAPITRE XV. DES ANIMAUX VENIMEUX.

CHAPITRE XVI. POURQUOI DES ESPÈCES SONT-ELLES ENNEMIES?

CHAPITRE XVII. POURQUOI CERTAINS ANIMAUX DÉVORENT-ILS LES CADAVRES?

CHAPITRE XVIII. A QUEL MOMENT ET DANS QUEL BUT ONT ÉTÉ CRÉÉS LES CHARDONS, LES ÉPINES, ET, EN GÉNÉRAL, LES PLANTES STÉRILES ?

CHAPITRE XIX. POURQUOI LE MOT « FAISONS » N'A-T-IL ÉTÉ PRONONCÉ QUE DANS LA CRÉATION DE L'HOMME.

CHAPITRE XX. EN QUOI L'HOMME EST-IL FAIT A L'IMAGE DE DIEU QUE LA  FORMULE « IL EN FUT AINSI » N'EST PAS EMPLOYÉE DANS LA CRÉATION DE L'HOMME; ET POURQUOI.

CHAPITRE XXI. DIFFICULTÉ DE CONCEVOIR L'IMMORTALITÉ JOINTE A LA NÉCCESSITÉ DE SE NOURRIR.

CHAPITRE XXII. DE L'OPINION QUI RAPPORTE LA CRÉATION DU CORPS ET DE L’AME A DEUX MOMENTS DISTINCTS.

CHAPITRE XXIII. DU SENS DE LA FORMULE : « CELA SE FIT (1). »

CHAPITRE XXIV. POURQUOI LA CRÉATION DE L'HOMME N'A-T-ELLE PAS ÉTÉ SPÉCIALEMENT APPROUVÉE?

 

 

 

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CHAPITRE PREMIER. POURQUOI LA CRÉATION DES POISSONS PRECÈDE-T-ELLE, DANS LE RÉCIT SACRÉ, CELLE DES OISEAUX? AFFINITÉ ENTRE L'EAU ET L'AIR, L'AIR ET LE CIEL.
 

1. « Et Dieu dit : Que les eaux produisent des animaux qui se meuvent et qui aient vie : que les oiseaux volent sur la terre, vers le firmament. Et il en fut ainsi. Dieu créa donc les grands poissons, les animaux vivants et qui se meuvent, que les eaux produisirent selon leur espèce ; il créa aussi les oiseaux ayant des ailes, selon leur espèce. Et Dieu vit que cela était bon, et il les bénit, disant : croissez et multipliez-vous; remplissez les eaux dans les mers et que les oiseaux se multiplient sur la terre. Et le soir se fit, et au matin s'accomplit le cinquième jour. » Ainsi, ce sont maintenant les êtres vivants qui se produisent dans la région inférieure du monde, et d'abord dans les eaux, l'élément qui a le plus d'affinité avec l'air : car, l'air est si voisin du ciel où brillent les luminaires, qu'on lui donne souvent le nom de ciel; je ne sais toutefois si on pourrait le nommer firmament. Quant au mot cieux, il désigne au pluriel la même chose que ciel au singulier : car, si le mot ciel, dans la Genèse, signifie l'espace qui sépare les eaux supérieures d'avec les eaux inférieures, le Psalmiste n'entend pas autre chose quand il dit : « Que les eaux suspendues au-dessus des cieux louent le nom du Seigneur. » Les cieux des cieux distinguent dans l'espace le ciel étoilé du ciel aérien, l'un au-dessus, l'autre au-dessous, et on retrouve ce sens dans le même Psaume: « Louez-le, cieux des cieux (2). » Il est donc évident que l'air est souvent synonyme

 

1. Gen,  I, 20-31. — 2. Ps. CXLVIII, 4, 5.

 

 

de ciel et de cieux. C'est ainsi qu'en latin le mot terra s'emploie dans le même sens au singulier et au pluriel et qu'on dit également orbem terrarum, orbem terrae.

 

 

 

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CHAPITRE II. LES CIEUX PRIMITIFS ONT ÉTÉ ABÎMÉS DANS LES EAUX DU DÉLUGE ET L'AIR S'EST TRANSFORMÉ EN EAU.
 

2. Nous lisons dans une des Epîtres appelées Canoniques, que les cieux aériens ont disparu dans le Déluge (1). En effet la masse d'eau qui, d'après la Genèse, dépassa de quinze coudées le sommet des plus hautes montagnes, ne put monter jusqu'aux astres. Au contraire, l'espace où l'air est plus dense et où volent les oiseaux, ayant été en toutou en partie envahi par les eaux, les cieux d'alors périrent, comme on le dit dans cette Epître. La seule manière, selon moi, d'entendre cette disparition des cieux, est d'admettre que l'air y changea de nature et se transforma en ces vapeurs qui ont tant d'affinité avec l'eau autrement, loin d'avoir disparu, ils auraient été transportés plus haut, lorsque les flots envahirent leur domaine. D'après cela nous pourrons, conformément à l'autorité de cette Epître, croire que les cieux d'alors ont péri, en se réduisant en subtiles vapeurs, et que d'autres les ont remplacés (2); plus aisément que d'admettre l'hypothèse où le ciel aérien aurait reculé, en empiétant sur l'espace assigné au ciel étoilé.

3. L'ordre exigeait donc que, dans la création des êtres destinés à peupler les régions inférieures de l'univers, si souvent comprises sous l'expression générale de terre, les animaux fussent tirés de l'eau, d'abord, de la terre, ensuite. L'air, en

 

1. II Pétr. III, 6. —2Ibid. V, 7

 

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effet, a tant d'affinité avec l'eau, qu'il s'épaissit avec les vapeurs, produit le vent et comme l'âme des tempêtes, rassemble les nuages, et est assez lourd pour porter les oiseaux. Un poète profane a dit peut-être avec vérité : « L'Olympe domine les nuages et sa cime est paisible (1); » on prétend en effet que l'air est si rare au sommet de l'Olympe, qu'il n'est jamais obscurci par les nuages ni agité par le vent : il est même trop léger pour porter les oiseaux ou suffire à la respiration de l'homme, accoutumé à une atmosphère moins subtile, si d'aventure il faisait l'ascension de la montagne. Cependant, l'air lui-même quitte ses hauteurs pour se mêler intimement avec l'eau, et on a raison de croire qu'il s'est fondu en eau à l'époque du déluge : car on ne saurait admettre qu'il ait envahi l'espace réservé au ciel étoilé, quand les flots dépassèrent les plus hautes montagnes.

 

 

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CHAPITRE III. OPINIONS DES SAVANTS SUR LA TRANSFORMATION DES ÉLÉMENTS. L'AIR N'EST POINT OMIS DANS LA GENÈSE.
 

4. La transformation des éléments, il est vrai, soulève bien des difficultés même parmi les savants qui consacrent à ces recherches tout leur temps et toute leur sagacité. D'après ceux-ci, il n'est aucun élément qui ne puisse se transformer et se changer en un autre : selon ceux-là, chaque élément aune propriété essentielle, irréductible, qui l'empêche de se fondre absolument avec un autre, Nous traiterons peut-être cette question, si Dieu le permet, avec le développement quelle comporte, quand l'ordre des idées l'appellera : pour le moment, ,j'ai jugé à propos d'en faire mention, afin de faire sentir avec quelle justesse on raconte la création des animaux aquatiques avant celle des animaux terrestres.

5. Il ne faut pas s'imaginer en effet que l'Écriture ait passé sous silence aucun des éléments (lui composent l'univers, et que, sur les quatre éléments si connus, il ne soit question que de trois, le ciel, l'eau, la terre, tandis que l'air serait omis. L'Écriture, pour désigner l'univers, emploie constamment les termes de ciel et de terre, en y ajoutant quelquefois celui de mer. Par conséquent, on peut confondre l'air, soit avec le ciel, soit avec la terre, selon que l'on en considère la paisible et tranquille élévation, ou la région voisine

 

1. Lucain, liv. 1.

 

de la terre, pleine de vapeurs et d'agitation. Voilà pourquoi, au lieu de dire : que les eaux produisent des animaux qui se meuvent et qui vivent et que l'air produise des oiseaux qui volent sur la terre; l'Écriture raconte que ces deux espèces ont été tirées des eaux. Ainsi on a résumé sous un même mot et les eaux condensées qui s'écoulent, séjour des poissons, et les eaux suspendues sous forme de vapeurs, séjour des oiseaux.

 

 

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CHAPITRE IV. DES RAPPORTS QUI EXISTENT ENTRE LES QUATRE ÉLÉMENTS ET LES CINQ SENS.
 

6. Certains philosophes ont poussé l'analyse jusqu'à distinguer les opérations des cinq sens d'après le rôle qu'y remplissent les quatre éléments : d'après eux la vue à rapport au feu, l'ouïe à l'air, l'odorat et le goût se rattachent à l'eau; l'odorat en effet, exige pour s'exercer les exhalaisons qui vont épaissir l'air où volent les oiseaux; le goût, la sécrétion d'une humeur grasse et visqueuse. La saveur des substances n'est perçue qu'à la condition qu'elles se mêlent à la salive, fussent-elles toutes sèches quand elles ont été introduites dans la bouche. Cependant le feu se mêle à tous les éléments pour y produire le mouvement.L'eau, en effet, se congèle par défaut de chaleur, et quoique les autres éléments puissent être portés à une haute température, le feu ne peut perdre la sienne : il s'éteint et cesse d'être, plutôt que de rester froid ou de s'attiédir au contact d'un corps froid. Quant au cinquième sens, le tact, il correspond à la terre : remarquez qu'il est répandu sur toute la surface du corps qui n'est qu'une argile transformée. On ajoute même que les corps cesseraient d'être visibles ou palpables, en l'absence du feu ou de la terre. Il faut donc conclure que tous les éléments se mêlent entre eux et que leur nom vient de la propriété maîtresse qui les distingue. Pourquoi les sens s'émoussent-ils, quand le corps éprouve un froid trop vif? Cela tient au ralentissement du mouvement naturel que le corps doit à la chaleur, et qui s'opère au moment que le feu se mêle à l'air, l'air à l'eau, l'eau à la masse argileuse du corps, les éléments les plus subtils pénétrant les plus épais.

Plus la matière est subtile, plus elle se rapproche sans doute de l'esprit : toutefois, il y a toujours un abîme entre ces deux substances, puisque l'une reste corps et que l'autre ne le devient jamais.

 

 

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LE CHAPITRE V. DE LA SENSIBILITÉ DE L’ÂME.
 

7. A ce titre la sensation n'est point un phénomène physique : c'est l'âme qui sent au moyen des organes. On a beau démontrer avec finesse que la division des sens correspond à la diversité même des éléments, l'âme immatérielle et seule douée de la facilité de sentir, est le principe secret qui met la sensibilité en jeu dans les organes. Son activité succède donc immédiatement au mouvement subtil du feu, mais elle n'obtient pas les mêmes effets dans tous les organes : dans l'opération de la vue, elle refoule la chaleur et atteint la lumière; dans celle de l'ouïe, elle pénètre avec la chaleur du feu jusqu'au fluide de l'air; dans l'acte de l'odorat, elle dépasse l'air pur et atteint ces émanations des eaux qui composent l'atmosphère; dans l'acte du goût, elle atteint les humeurs aqueuses et grasses du corps; enfin, elle dépasse ces humeurs et, rencontrant la masse argileuse du corps, elle exécute l'opération du toucher.

 

 

 

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CHAPITRE VI. L'AIR N'A POINT ÉTÉ OMIS PAR L'AUTEUR DE LA GENÈSE.
 

8. L'auteur de la Genèse n'ignorait donc ni les propriétés des éléments ni leur ordre, puisqu'en introduisant dans l'univers les êtres visibles, destinés à se mouvoir au sein des éléments, selon leur espèce, il a successivement parlé dans ses récits des luminaires du ciel, des animaux nés des eaux, enfin des animaux terrestres. S'il n'a pas nommé l'air, ce n'est point une omission : cela vient de ce que la région paisible et tranquille de l'air, où, dit-on, les oiseaux ne peuvent voler, touche au ciel étoilé et, d'après son élévation, prend dans l'Écriture le nom de ciel; tandis que sous le nom de terre, il faut comprendre tout l'espace qui s'étend depuis la région des météores, « flamme, grêle, neige, glace, tempêtes, abîmes de toute sorte (1), » jusqu'au globe solide qui est la terre proprement dite. Ainsi, l'air le plus élevé faisant partie de la plus haute région, ou ne renfermant aucune créature analogue à celles dont il est ici question, n'a été ni omis, puisque le ciel est nommé, ni cité, puisqu'il n'avait aucun rapport avec cet ordre de créatures; quant à l’air

 

1. Ps. CXLVIII, 8, 7.

 

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inférieur, comme il recueille les vapeurs qui s'élèvent de la terre et de la mer, et. qu'il se condense en quelque sorte pour être capable de porter les oiseaux, les seuls animaux qui y sont introduits viennent des eaux. L'atmosphère, en effet, porte les oiseaux, et ils s'y soutiennent avec leurs ailes, comme les poissons fendent les eaux avec leurs nageoires.

 

 

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CHAPITRE VII. IL EST PROBABLE QUE LES OISEAUX TIRENT LEUR ORIGINE DE L'EAU.
 

9. C'est donc avec une exactitude scientifique pour ainsi dire, que l'Esprit de Dieu qui inspirait 1'-auteur de la Genèse, nous apprend que tout ce qui vole a pris naissance dans les eaux. Ce domaine s'est divisé en deux, l'eau condensée en bas, l'atmosphère en haut, pour recevoir la double espèce de ces animaux, ceux qui nagent et ceux qui volent. Aussi ont ils été pourvus des deux sens qui ont le plus de rapport avec cet élément, l'odorat, pour apprécier les vapeurs, le goût, pour apprécier la pureté de l'eau. Le tact, sans doute, nous permet de sentir l’eau et le vent, grâce à la matière terreuse qui s'y mêle : mais pour ces éléments si condensés que l'on peut les manier, le tact est encore plus développé. On a donc eu raison de comprendre sous l'expression générale de terre tous les éléments distribués dans ces deux parties de l'univers ; cet ordre est clairement marqué dans le Psalmiste : « Louez le Seigneur dans les cieux, » voilà pour les sphères supérieures; « louez le Seigneur sur la terre; » voilà pour la région inférieure, qu’il assigne comme domaine aux tempêtes, aux abîmes, et à ce feu qui brûle celui qui le touche (1). En effet, le feu ne s'échappe de l’eau et de la terre en mouvement que pour se transformer immédiatement en un autre élément. Bien qu'il révèle sa tendance à s'élever en haut par son mouvement ascensionnel, il est cependant incapable de percer jusqu'à la hauteur paisible des cieux : l'atmosphère l'étouffe et l'absorbe. Aussi s'agite-t-il en mouvements bruyants au sein de cette masse impure et engourdie, afin d'en tempérer l'inertie, et de servir aux hommes d'auxiliaire ou d'épouvantail même.

10. Comme le toucher permet de percevoir l'agitation des eaux et le mouvement de l'air et qu'il est surtout relatif à l'élément de la terre,     les

 

1. Ps. CXLVIII, 1-6.

 

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poissons et surtout les oiseaux aiment à se nourrir de substances terrestres. Les oiseaux, en effet, se posent ou font leur nid sur la terre. C'est que les vapeurs sorties des eaux se répandent aussi à la surface du sol. Aussi l'Écriture après avoir dit : « Que les eaux produisent des animaux qui vivent et qui se meuvent et des animaux qui volent, » ajoute: « sur la terre, vers le firmament du ciel; » ces dernières expressions peuvent éclaircir un point jusque-là resté obscur. Elle ne dit pas, en effet, dans le firmament du ciel, comme elle a fait en parlant des luminaires, mais vers le firmament du ciel, en d'autres termes, dans la région voisine. En effet l'atmosphère où volent les oiseaux est voisine de l'espace où ils ne peuvent s'élever, lequel, par sa tranquillité, se confond avec le firmament. Les oiseaux volent donc dans la partie du ciel que le psalmiste désigne aussi sous le nom de terre : à ce titre, ils sont souvent appelés les oiseaux du ciel dans l'Écriture. Mais n'oublions pas que le ciel ici est toute l'étendue qui touche au firmament, et non le firmament lui-même.

 

 

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CHAPITRE VIII. POURQUOI LES POISSONS ONT-ILS ÉTÉ APPELÉS REPTILES A AMES VIVANTES?
 

11. On pense assez généralement que les poissons ont été appelés, non des animaux vivants, mais « reptiles à âmes vivantes, » parce que leurs sens sont peu développés. Si cette explication était exacte, les oiseaux auraient été expressément appelés animaux vivants. Mais puisqu'ils ont été appelés « ceux qui volent, volatilia, » comme les poissons ont été nommés « ceux qui rampent, « reptilia, » il faut bien admettre une ellipse et traduire : ceux d'entre les animaux vivants qui rampent et ceux qui volent. C'est par un tour analogue qu'on dit en latin ignobilia hominum, les hommes inconnus. Il y a sans doute d'autres animaux qui rampent sur la terre; cependant la plupart ont des pieds pour se mouvoir, et le nombre des animaux qui rampent sur la terre est peut-être aussi borné que celui des animaux qui marchent dans les eaux.

12. D'autres ont truque les poissons n'avaient été qualifiés ainsi que parce qu'ils n'ont ni mémoire ni vie qui dénote quelque intelligence. intelligence. Cette opinion vient d'un défaut d'expérience. Quelques savants racontent sur les poissons des choses surprenantes, et ils ont fort bien pu observer leurs moeurs dans des viviers. Je veux bien qu'ils se soient trompés, mais j'assure que les poissons ont le don de la mémoire; je le sais par expérience et on peut l'observer comme moi. Il y a à Bulle-Royale un bassin magnifique rempli de poissons. Les promeneurs ne manquent guère de leur jeter quelque chose, et poissons aussitôt de saisir la proie et de fuir ou de se la disputer. Accoutumés à recevoir ainsi la pâture, ils aperçoivent à peiné quelque personne circuler le long du bassin, qu'ils se rassemblent, vont et viennent à la nage, épiant l'endroit d'où on leur jette quelque chose. Je trouve donc que l'épithète de reptile caractérise aussi bien les poissons que celle de volatile les oiseaux : car, si le manque de mémoire ou le peu de développement des sens avaient été une raison suffisante pour leur ôter le nom d'animaux qui vivent, il faudrait aussi l'ôter aux oiseaux: pourtant l'existence de ceux-ci, qui se passe sous nos yeux, nous révèle leur mémoire, leurs chants variés, leur admirable industrie pour construire des nids et élever leur couvée.

 

 

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CHAPITRE IX. DE LA CLASIFICATION DES ÊTRES SELON L'ÉLÉMENT OU ILS VIVENT.
 

13. Je n'ignore pas que certains philosophes ont classé les êtres d'après les éléments qui leur sont propres : ils appellent terrestres, non-seulement les animaux qui rampent ou qui marchent sur la terre, mais encore les oiseaux parce qu'ils s'abattent sur la terre quand ils sont las de voler. Dans leur système, les démons habitent l'air, les Dieux, le ciel ou nous plaçons les luminaires et les anges. Ils assignent aussi aux poissons, aux monstres marins lés eaux pour séjour, afin que chaque élément ait son espèce propre. Mais la terre forme apparemment le fond des eaux, et ils auraient quelque peine à prouver que les poissons ne vont jamais s'y reposer et y reprendre des forces pour nager, comme font les oiseaux pour voler. Je veux bien que les poissons ne le fassent pas souvent : mais cela vient de ce que l'eau est plus capable que l'air de les soutenir; aussi porte-t-elle des animaux terrestres, soit qu'ils aient appris à nager, comme , l'homme, soit qu'ils nagent naturellement, comme les quadrupèdes. Se retranchent-ils sur ce fait, que les poissons sont dépourvus de pattes ?Mais alors les phoques ne sont plus des (173) animaux marins, les couleuvres, les colimaçons ne sont plus des animaux terrestres : car les premiers appartiennent à la classe des quadrupèdes, et les seconds, bien qu'ils n'aient pas de pattes, se reposent sur la terre, que dis-je ? ils la quittent peu ou jamais. Les dragons, quoique dépourvus de pieds, se reposent, dit-on, dans les cavernes, ou même s'élèvent dans l'air. Ce sont des animaux difficiles à observer, sans doute, mais ils ne sont inconnus ni dans les lettres profanes ni dans l'Écriture.

 

 

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CHAPITRE X. ON PEUT ACCORDER QUE LES DÉMONS HABITENT L'AIR, SANS CONTREDIRE LE RÉCIT OU L'ÉCRITURE NOUS RÉVÈLE QUE LES POISSONS SONT SORTIS DES EAUX. DES MÉTÉORES.
 

14. Les démons habitent l'air, dit-on, et sont doués d'un corps aérien; par conséquent, ils ne sont jamais décomposés parla mort; car l'élément qui domine dans leur organisation, est plus actif que passif. L'eau et la terre sont au-dessous d'eux, et le feu pur du ciel étoilé s'élève au-dessus de leur tête. J'entends par éléments passifs, ou susceptibles de subir des modifications, la terre et l'eau, par éléments actifs l'air et le feu. Cette opinion n'est point contraire au passage dans lequel l'Écriture révèle que les « animaux qui volent » sont tirés des eaux, sans qu'il soit question de l'air, puisque le domaine assigné aux oiseaux est formé d'eau à l'état de vapeurs légères et subtiles. Or, l'air s'étend des limites du ciel étoilé à la surface des eaux et de la terre ferme. Les vapeurs, loin de l'obscurcir dans toute son étendue, s'arrêtent aux limites où commence la terre, selon l'expression du Psalmiste : « Louez le Seigneur sur la terre (1) . » Quant à la région supérieure de l'air, le calme qui y règne la confond dans la même tranquilité avec le. ciel et lui vaut le même nom. Si donc les anges rebelles, avant leur .faute, occupaient ce séjour paisible avec l'Archange, leur chef, aujourd'hui Satan, et s'ils ne faisaient partie ni de la cour céleste ni des choeurs par de là les cieux, comme le prétendent certains docteurs, on ne doit pas s'étonner qu'ils aient été précipités dans cette atmosphère: car l'air y domine encore, puisqu'elle se compose d'un mélange de vapeurs et d'air qui, par son agitation, produit le vent, par ses ébranlements, les éclairs et le tonnerre, par sa

 

1. Ps. CXLVIII, 7.

 

condensation, les nuages et la pluie, par le refroidissement des nuages, la neige et la grêle, par son épanouissement, la sérénité, selon les ordres et la puissance de Dieu, lequel, après avoir créé le monde, le gouverne dans toute son étendue. Aussi le Psalmiste après avoir énuméré tous ces phénomènes, ajoute « qu'ils obéissent à la « parole de Dieu, » afin qu'on ne s'imagine pas que la providence divine est étrangère à leur production (1).

15. Si au contraire les anges rebelles avaient un corps céleste, avant leur péché, on ne sera pas surpris qu'ils l'aient échangé pour une enveloppe d'air, afin de pouvoir être tourmentés par le feu, l'élément de la région supérieure. Dieu leur a permis d'occuper, non la partie pure et élevée de l'air, mais l'atmosphère : c'est leur prison en attendant le jour du jugement. D'autres passages de l'Écriture nous donneront occasion de parler plus à fond des anges prévaricateurs. Bornons donc ici nos réflexions et concluons que, si l'atmosphère, grâce à l'air qui s'étend jusqu'à la surface de la terre et des eaux, est assez lourde pour porter les substances aérifomes, elle peut aussi soutenir les oiseaux sortis de l'eau, grâce aux vapeurs : on sait en effet que ces exhalaisons se mêlent à l'air le plus voisin de la terre et des eaux et composent ces nuages qui se distillent en douce rosée dans les nuits fraîches et tombent sous la forme de givres par un froid plus intense.

 

 

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CHAPITRE XI. DES DIVERSES ESPÈCES D'ANIMAUX CRÉÉS DE LA TERRE (2).
 

16. « Et Dieu dit: Que la terre produise des animaux vivants selon leur espèce, quadrupèdes, reptiles, bêtes de la terre selon leur espèce, animaux domestiques selon leur espèce. « Et cela se fit. Dieu fit donc les bêtes de la terre, selon leur espèce, les animaux domestiques selon leur espèce, et tous les reptiles de la terre selon leur espèce. Et Dieu vit que cela était bon. » Il était dans l'ordre de peupler à ce montent la seconde partie de cette basse région dans laquelle l'Ecriture comprend sous le nom de terre l'atmosphère et tous les abîmes, en d'autres termes, la terre proprement dite. On reconnaît bien les espèces d'animaux que la terre produisit par l'ordre de Dieu. Cependant, comme on désigne souvent les animaux sous le nom

 

1. Psal. CXLVIII, 8. — 2. Gen, I, 24, 25.

 

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générique d'êtres privés de la raison, il convient de distinguer ici leur caractère spécifique. Les animaux qui rampent ou reptiles sont les serpents ; bien que cette qualification s'applique aussi à d'autres bêtes. Le nom de bêtes. s'applique surtout aux animaux sauvages, lions, léopards, tigres, loups, renards: les chiens mêmes et les singes rentrent dans cette catégorie. Quant au mot pecora, bétail, il représente dans la langue ordinaire les animaux domestiques, soit qu'ils aident l'homme dans ses travaux, comme le boeuf et le cheval, soit qu'ils servent à le vêtir ou à le nourrir, comme les brebis et les porcs.

17. Quant au mot quadrupèdes, que signifie-il? Tous les animaux que je viens de nommer, si l'on en excepte quelques-uns, les serpents, ont quatre pattes pour marcher, cependant l'Ecriture n'a pas employé ce terme, quoiqu'elle le supprime dans le verset suivant, sans y attacher un sens particulier. A-t-elle donc entendu par là les cerfs, les daims, les onagres, les sangliers, animaux qui n'appartiennent pas à la classe des lions, et qui se rapprochent des bestiaux sans être domestiques ? Le nombre de leur pattes leur aurait-il valu ce nom générique devenu dès lors celui d'une espèce ? Serait-ce que l'expression selon leur espèce, répétée trois fois, nous avertirait de songer à trois espèces d'animaux? D'abord on nomme les quadrupèdes et les reptiles, selon leur espèce: à cette classe se rattachent, selon moi, tous les reptiles pourvus de pattes, comme les lézards, les stellions. Le mot quadrupède n'est donc pas répété dans le verset suivant, parce qu'il est compris dans celui de reptile : remarquez en effet qu'on n'y dit pas « les reptiles, » mais, «tous les reptiles de la terre: » de la terre, puisqu'ils appartiennent à la terre et aux eaux; tous, puisqu'on y rattache les quadrupèdes spécialement désignés plus haut. Quant à la seconde espèce, celle des bêtes; elle comprend tous les animaux armés de gueule et de griffes, à l'exclusion des serpents. La troisième espèce, celle des bestiaux, comprend les animaux qui ne sont pas carnassiers et qui n'ont pour défense que leurs cornes, quand encore ils en ont. J'ai prévenu que le mot quadrupède a un sens très-étendu, le nombre des pattes sert à caractériser toute cette classe; et que, sous le nom de bêtes ou de bétail, on comprend quelquefois tous les animaux sans raison. Le mot fera en latin a un sens analogue. Il était utile de faire remarquer que tous les termes employés par l'Ecriture n'ont point été jetés au hasard, mais sont pris dans leur acception précise, comme on peut aisément le remarquer dans le langage ordinaire.

 

 

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CHAPITRE XII. LA FORMULE, «SELON LEUR ESPÈCE, » N'EST POINT EMPLOYÉE POUR L'HOMME.
 

18. Une question doit encore préoccuper le lecteur: c'est de savoir si la formule, selon leur espèce, a été jetée ça et là au hasard, ou si elle a pour but d'indiquer que le règne animal avait été créé dès l'origine et ne s'est divisé en espèces qu'à cette époque; si, dis-je, il préexistait comme idéal dans les intelligences supérieures antérieurement créées. Dans cette hypothèse, l'Ecriture , aurait dû employer cette expression pour marquer la formation de la lumière, du ciel, des eaux et de la terre, des flambeaux du ciel. Car leur raison d'être n'a-t-elle pas préexisté éternellement et immuablement dans la sagesse de Dieu, « qui s'étend avec force d'une extrémité à l'autre, et qui dispose tout avec douceur (1) ? » Or, l'emploi de cette formule ne commence qu'avec la création des végétaux et cesse avec la création des animaux terrestres. L'expression en effet, bien qu'elle ne soit pas employée dans le verset où Dieu commande. au eaux de produire les êtres qui leur conviennent, se retrouve encore dans le verset suivant : « Et Dieu fit les gros poissons, tous les animaux qui vivent et rampent et que les eaux avaient produits selon leur espèce; puis, tous les oiseaux selon leur espèce. »

19. Comme les animaux sont destinés à se reproduire et à se transmettre leurs qualités originelles, faut-il voir dans l'expression sacrée la loi qui assure aux espèces la perpétuité ? Mais alors pourquoi est-il dit des arbres et des plantes que Dieu les fit, non-seulement selon leur espèce, mais encore, selon leur ressemblance? Les animaux terrestres ou aquatiques ne produisent-ils pas des êtres qui leur ressemblent ? Serait-ce que; l'analogie des termes espèce et ressemblance a empêché l'auteur sacré de répéter le second? Le mot semence n'est pas non plus répété partout; cependant il y a des germes déposés chez la plupart des animaux comme chez les plantes; je dis la plupart des animaux, parce qu'on a reconnu qu'il naissait des eaux ou de la terre des êtres sans organes de reproduction, ce qui indique que les germes ne sont pas déposés dans leur

 

1. Sag, VIII, 1.

 

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corps, mais dans tes éléments mêmes dont il proviennent. La formule: « selon l'espèce, » s'applique donc aux êtres qui se reproduisent avec les mêmes germes et les mêmes propriétés avant de disparaître à leur, tour : aucun d'eux, en effet, n'a été créé pour renfermer en lui-même toute son existence, ou pour la garder perpétuellement, ou enfin pour mourir avant de s'être reproduit.

20. S'il en est ainsi, pourquoi n'a-t-il pas été dit: « Faisons l'homme à notre image et à notre « ressemblance, » selon son espèce, bien que l'homme soit manifestement soumis à la même loi? Dira-t-on que Dieu avait créé l'homme immortel, à condition qu'il gardât son commandement ; mais qu'après le péché, l'homme « étant tombé au rang des animaux dépourvus de raison et leur ayant été assimilé (1), » les enfants de la terre furent condamnés à se reproduire, afin que le genre humain se perpétuât en se renouvelant? Mais que signifierait alors la bénédiction divine donnée à l'homme après sa création: « Croissez, multipliez-vous, remplissez la terre? » Aurait-elle pu s'accomplir par une autre voie que la génération ? Peut-être aussi serait-il à propos de ne hasarder aucune proposition, avant d'avoir rencontré dans l'Ecriture l'occasion d'approfondir cette question. Au point où nous en sommes, l'omission de la formule s'explique assez par le fait que l'homme était créé seul et que la femme devait en être tirée. L'espèce humaine d'ailleurs n'admet pas, comme les plantes, les arbres, les poissons, les oiseaux, les serpents, les animaux sauvages ou domestiques, une variété infinie; et dès lors la formulé, « selon les espèces, » excellente pour désigner les propriétés particulières d'êtres qui se ressemblent et ont une origine commune, ne s'applique plus à l'homme.

 

 

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CHAPITRE XIII. POURQUOI LA BÉNÉDICTION DIVINE N'A-T-ELLE ÉTÉ DONNÉE QU'AUX ANIMAUX TIRÉS DES EAUX ET A L'HOMME ?
 

21. On se demande aussi par quel privilège les animaux tirés des eaux partagent seuls avec l'homme le bienfait de la bénédiction du Créateur. Il est bien vrai, en effet, que Dieu les a expressément bénis, en disant : « Croissez et multipliez-vous, et remplissez les eaux de la

 

1. Ps. XLVIII, 13.

 

mer, et que les oiseaux se multiplient sur la terre. » Si on avance qu'il suffisait de prononcer ces paroles sur une seule espèce de créatures, et qu'il était naturel de les suppléer pour tous les autres êtres destinés à se reproduire, pourquoi cette bénédiction n'a-t-elle pas été adressée aux arbres et aux plantes, qui, dans cet ordre, furent créés les premiers ? Dieu aurait-il jugé les végétaux indignes de recevoir ces paroles de bénédiction, parce qu'ils n'ont ni sensibilité ni conscience de l'acte par lequel ils se reproduisent ? Aurait-il attendu, pour les prononcer, le moment où il créait les êtres sensibles, afin qu'on les appliquât ensuite à tous les animaux de la terre ? Un point incontestable, c'est que cette bénédiction devait se répéter pour l'homme, afin qu'on n'accusât pas de péché l'union conjugale, principe de la famille, et qu'on ne l'assimilât pas à la débauche à l'adultère et à l'abus même du mariage.

 

 

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CHAPITRE XIV. DE LA CRÉATION DES INSECTES.
 

22. Les insectes provoquent une question qui n'est pas sans importance. Ont-ils été produits au début de la création, ou sont-ils nés de la corruption des êtres périssables ? La plupart, en effet, doivent leur naissance aux maladies qui altèrent les corps vivants, aux immondices, aux émanations empestées des cadavres ; d'autres se forment dans les végétaux qui se détériorent ou dans les fruits qui se gâtent : cependant tous ces êtres ont nécessairement Dieu pour créateur. Chaque créature, en effet, a son genre de beauté, et, à bien examiner, les insectes ont une structure plus merveilleuse et prouvent plus pleinement la toute-puissance de l'ouvrier, qui « a tout fait dans sa « sagesse (1), » et qui « étendant son action d'un « bout à l'autre du mondé, y dispose tout avec « harmonie (2). » Loin d'abandonner à leur laideur les corps épuisés, quand ils se décomposent selon la loi de leur nature, et provoquent en nous l'horreur, parla dissolution qui nous rappelle la mortalité attachée au péché, il en fait sortir des êtres dont les organes presque imperceptibles recèlent les sens les plus vifs ; aussi voit-on avec une surprise plus profonde le vol agile d'une mouche que la marche pesante d'une bête de somme, et l'industrie des fourmis excite plus l'étonnement que la force du chameau.

23. Mais la question importante, comme je

 

1. Ps. CIII, 24. — 2. Sag. VIII, 1.

 

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l'ai dit, est de savoir si les insectes ont été formés comme les autres êtres dans la période des six jours, ou s'il sont nés dans la suite de la décomposition des corps. On peut soutenir que ceux qui naissent de la terre et des eaux furent créés dès l'abord; on peut même y ajouter les animalcules qui se forment avec la végétation dont la terre est le principe ; car cette végétation avait précédé la création des animaux et même celle des luminaires; en outre, elle fait presque partie de la terre où ses racines s'enfoncent et d'où elle sortit le jour même que parut le globe nu et aride, plutôt pour achever de le rendre habitable que pour le peupler. Quant aux vers qui se forment dans le corps des animaux et surtout dans les cadavres, il y aurait folie à prétendre qu'ils furent créés en même temps que les animaux, à mains qu'on ne veuille dire que dans l'organisme de ces animaux étaient déposés les principes, et pour ainsi dire, les germes enveloppés des insectes futurs, destinés à naître, selon leurs espèces, de leurs corps corrompus, d'après les lois mystérieuses du Créateur, qui donne à tout le mouvement sans cesser d'être immuable.

 

 

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CHAPITRE XV. DES ANIMAUX VENIMEUX.
 

24. On demande encore d'ordinaire si les animaux venimeux et malfaisants ont paru après la prévarication de l'homme pour le punir, ou s'ils ont été créés avec des moeurs inoffensives et n'ont attaqué pour la première fois que des coupables. Cette dernière opinion n'a rien qui doive surprendre: sans doute, les peines et les douleurs se multiplient pendant cette vie mortelle, puisque personne n'est assez juste pour oser se dire parfait et que l'Apôtre nous atteste avec tant d'autorité « qu'il n'a point atteint le but et n'est point arrivé au bout de la carrière (1) ; » sans doute, les épreuves et les souffrances physiques sont nécessaires pour exercer la vertu et l'achever, car l'Apôtre nous apprend encore que, « pour qu'il ne s'enflât pas. de la grandeur de ses révélations, un aiguillon a été mis dans sa chair, un ange de Satan, pour le frapper de la manière la plus ignominieuse; qu'il a prié trois fois le Seigneur de l'éloigner de lui et que trois fois il lui a répondu : ma grâce te suffit; car la vertu s'achève dans la faiblesse (3). » Cependant, le saint prophète Daniel est resté parmi les lions

 

1. Philip. III, 12. — 2. II Cor. XII, 7-9.

 

sans éprouver de mal ni de peur, après avoir reconnu par un aveu sincère. ses péchés et ceux de son peuple (1) ; l'Apôtre même vit une vipère s'élancer sur sa main et n'en reçut aucun mal (2). Ainsi donc ces animaux. pouvaient être créés sans être malfaisants, puisqu'il n'y avait alors ni vices à effrayer ou à punir, ni vertus à perfectionner par la souffrance. Aujourd'hui, les exemples de patience sont nécessaires pour l'édification des hommes; d'ailleurs, l'épreuve seule nous révèle à nous-mêmes, et l'énergie dans les souffrances est le seul moyen légitime de reconquérir le salut éternel, qu'une faiblesse honteuse pour le plaisir a fait perdre.

 

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CHAPITRE XVI. POURQUOI DES ESPÈCES SONT-ELLES ENNEMIES?
 

25. Je prévois une objection : Pourquoi les animaux s'attaquent-ils entre eux? Ils n'ont point de péché à expier ni de vertu à perfectionner dans les épreuves. Assurément; mais les espèces vivent les unes aux dépens des autres. Il serait peu juste de souhaiter une loi qui permit aux animaux de vivre sans se manger entre eux. Tant que durent les êtres, ils offrent proportion, symétrie, hiérarchie dans l'ensemble ; cet ordre est merveilleux, mais il y a une beauté mystérieuse et non moins réelle dans cette loi d'équilibre qui renouvelle les animaux en les transformant les uns parles autres. Inconnue aux ignorants, cette loi se découvre à mesure qu'on avance dans l'étude de la nature et devient évidente pour les savants accomplis. Le spectacle du mouvement qui anime les créatures moins parfaites, doit au moins offrir à l'homme d'utiles leçons, et lui apprendre à quelle activité l'oblige le salut éternel de son âme, ce magnifique privilège qui fait sa supériorité sur tous les êtres privés de raison. Depuis l'éléphant jusqu'au ciron, les animaux déploient pour sauver l'organisation éphémère qui forme leur lot dans l'ordre où ils ont été créés, tous leurs moyens de défense, toutes les ressources de la ruse ; cette activité            n'apparaît que dans le besoin, lorsqu'ils cherchent à réparer leurs organes aux dépens de la substance des autres ; et ceux-ci, pour se conserver, luttent, s'enfuient ou cherchent un refuge dans les cavernes. La sensibilité physique chez tous les êtres est un ressort d'une énergie merveilleuse : répandue dans tout l'organisme par une mystérieuse union,

 

1. Daniel, VI, 22; XIV, 38; IX, 4-19. — 2. Act. XXVIII, 5.

 

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elle en fait un système vivant, elle en maintient l'unité, et triomphe si bien de l'indifférence, qu'aucun être ne voit son corps s'altérer ou se dissoudre sans un mouvement intérieur de résistance.

 

 

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CHAPITRE XVII. POURQUOI CERTAINS ANIMAUX DÉVORENT-ILS LES CADAVRES?
 

26. On va peut-être se demander avec quelque inquiétude pourquoi ces animaux carnassiers qui, en attaquant l'homme vivant, ne sont que des instruments pour lui faire expier se faute, lui valoir des souffrances salutaires, des épreuves utiles, et enfin lui donner des leçons à leur insu, pourquoi, dis je, ces animaux déchirent les cadavres dans le but de se repaître?Eh ! qu'importe en vérité que cette chair inanimée retourne, par cette voie ou par une autre, dans les profondeurs de la nature dont le Créateur doit la retirer un jour, par un miracle de sa puissance, pour lui rendre sa forme première ? Cependant, une foi éclairée peut tirer de là une leçon salutaire : il faut se confier entièrement au Créateur qui, par des ressorts cachés, fait mouvoir lotis les êtres depuis le plus grand jusqu'au plus petit et pour qui nos cheveux mêmes sont comptés (1) ; et, loin de redouter certains genres de mort, parce qu'on n'a pu préserver ses proches du trépas, se préparer à les souffrir tous avec une pieuse énergie.

 

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CHAPITRE XVIII. A QUEL MOMENT ET DANS QUEL BUT ONT ÉTÉ CRÉÉS LES CHARDONS, LES ÉPINES, ET, EN GÉNÉRAL, LES PLANTES STÉRILES ?
 

27. Une question analogue à celles qui précèdent, consiste à savoir quand et pourquoi ont été créées certaines plantes stériles, puisque Dieu a dit: « Que la terre produise de l'herbe portant semence et des arbres fruitiers. » Ceux qu'un pareil problème occupe, ne songent pas. assez à ce qu'on appelle l'usufruit en terme de droit. Le mot fruit n'a rapport qu'à la jouissance du possesseur. Qu'ils examinent donc les avantages que . l'homme recueille ou petit recueillir des productions de la terre et qu'ils aillent pour le reste s'instruire auprès des personnes compétentes.

28. A propos des épines, et des chardons on pourrait répondre catégoriquement, en s'appuyant

 

1. Luc, XII, 7.

 

sur le passage où Dieu dit à l'homme : « La terre produira pour toi des épines et des chardons (1). » Cependant il est difficile de décider si la terre les produisit alors pour la première fois: car, les plantes et arbustes de cette espèce étant utiles à beaucoup de points du vue, pouvaient exister avec les autres, sans être pour l'homme un instrument de supplice. Leur naissance dans les champs que l'homme dut labourer en expiation de sa faute, eut sans doute pour but d'aggraver sa punition, puisque partout ailleurs ils pouvaient servir d'aliments aux oiseaux et. au bétail, ou répondre même à quelque besoin de l'homme. Une autre explication d'ailleurs ne contredit en rien le sens attaché à la parole divine: « La terre produira pour toi des épines et des chardons. » On pourrait dire que le sol produisait déjà cette végétation, mais qu'elle était destinée à fournir aux animaux une nourriture agréable, et non à devenir pour l'homme une source de peines: on sait que parmi ces plantes, les plus sèches et les plus tendres offrent à certains animaux une pâture délicieuse et substantielle. Ainsi la terre aurait commencé à produire ces espèces de plantes et d'arbustes, pour condamner l'homme à un pénible travail, à l'époque seulement où sa faute l'obligea à labourer le sol. Je ne veux pas dire qu'elles naissaient ailleurs auparavant et qu'elles apparurent alors dans les .champs qu'il travaillait pour y faire sa récolte ; non, elles se reproduisaient partout; seulement il y eut alors entre elles et l'homme un rapport jusque-là inconnu. Aussi l'Ecriture ne dit-elle pas : « La terre produira des ronces et des épines, » sans ajouter le mot significatif : « pour toi ; » en d'autres termes, tu verras naître désormais pour ta peine des plantes, qui jusque-là ne servaient qu'à nourrir d'autres animaux.

 

 

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CHAPITRE XIX. POURQUOI LE MOT « FAISONS » N'A-T-IL ÉTÉ PRONONCÉ QUE DANS LA CRÉATION DE L'HOMME.
 

29. « Et Dieu dit : Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance, et qu'il domine sur les poissons de la mer, sûr les oiseaux du ciel, sur les animaux domestiques, sur toute la terre et sur tout reptile qui rampe Sur la terre. Dieu créa donc l'homme à son image, il le créa à l'image de Dieu; il les créa mâle et femelle. Et Dieu les bénit et leur dit : Croissez

1. Gen, III, 18.

 

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et multipliez-vous, et remplissez la terre assujétissez-là, et dominez sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et toute bête qui se meut sur la terre. Et Dieu dit : Voici que je vous ai donné toute herbe ayant sa semence et tout arbre portant sa semence en soi : ce sera votre nourriture. Mais j'ai donné à toutes les bêtes de la terre, à tous les oiseaux du ciel, à tout animal qui se meut sur la terre et a la vie en soi, toute herbe verte pour leur servir de « nourriture. Et il en fat ainsi; et Dieu vit,tout ce qu'il avait fait : et voici que tout était très-bon.  Et le soir arriva et au matin s'accomplit le sixième jour (1). » La nature de l'homme offrira bientôt un vaste sujet à nos réflexions. Bornons-nous maintenant à remarquer, pour terminer nos considérations sur les oeuvres des six jours, que Dieu 'a employé jusqu'ici l'expression du commandement : « fiat, » et qu'il dit en parlant de l'homme : « Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance. » Ce tour n'est point indifférent : il marque la pluralité des. personnes divines, Père, Fils, Saint-Esprit. L'unité reparaît immédiatement dans l'expression : « Et Dieu fit l'homme à l'image de Dieu, » en d'autres termes, le Père ne le fit pas à l'image du Fils, ou le Fils à l'image du Père; autrement l'expression collective « à notre image, » n'aurait pas été exacte ; mais Dieu le fit à l'image de Dieu, c'est-à-dire, à sa propre image. Ainsi les deux expressions : « à l'image de Dieu » et « à notre image, » comparées entre elles, ne désignent pas l'intervention des trois Personnes comme si elles formaient plusieurs divinités: la première nous fait entendre un seul Dieu, la seconde, les trois Personnes.

 

 

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CHAPITRE XX. EN QUOI L'HOMME EST-IL FAIT A L'IMAGE DE DIEU QUE LA  FORMULE « IL EN FUT AINSI » N'EST PAS EMPLOYÉE DANS LA CRÉATION DE L'HOMME; ET POURQUOI.
 

30. Un point essentiel qu'il faut aussi remarquer, c'est qu'après avoir dit: « Faisons l'homme « à notre image, » Dieu ajoute immédiatement « Et qu'il commande aux poissons de la mer et « aux oiseaux du ciel, » en un mot, à tous les êtres privés de la raison. C'était nous montrer que le trait de ressemblance entre l'homme et Dieu consiste dans le privilège même qui l'élève au-dessus des animaux dépourvus de la raison. Ainsi cette ressemblance consiste dans le don de

 

1. Gen. I, 26-31.

 

la raison, de l'intelligence, peu importe le mot. Voilà pourquoi l'Apôtre dit: « Renouvelez-vous dans l'intérieur de votre âme et revêtez l’homme nouveau (1), qui, par la connaissance de la vérité, se renouvelle selon l'image de Celui qui l'a créé (2); » et par là, il indique nettement que, si l'homme a été fait à l'image de Dieu, le point de ressemblance n'est pas dans la forme du corps, mais dans l'essence immatérielle d'un esprit que la vérité éclaire.

31. Aussi l'Écriture n'a-t-elle point ici employé les formules habituelles : « Cela se fit, » et « Dieu fit; » elle les a supprimées comme elle l'avait déjà fait pour la lumière primitive, s'il est permis d'entendre par cette expression la lumière de l'intelligence, en communication avec la Sagesse éternelle et immuable de Dieu : c'est un point que j'ai déjà longuement développé. Alors, en effet, le Verbe ne se révélait à aucune créature primitive ; le type éternel ne se reflétait pas dans une intelligence pour se réaliser ensuite en un être d'un ordre inférieur : car, il s'agissait de créer la lumière ou l'intelligence première à qui devait se révéler l'idée de son Créateur, et cette révélation avait pour but de la soustraire à son imperfection pour la diriger vers Dieu, principe de son être et de son perfectionnement. Dans les créations subséquentes, l'Écriture emploie la formule : « cela se fit; » ce qui signifie que le dessein du Verbe se produisit d'abord dans la lumière ou l'intelligence primitive; puis elle ajoute : « Dieu fit donc » telle ou telle oeuvre, pour nous apprendre la réalisation sous une forme déterminée de l'être qui avait été appelé à l'existence dans le Verbe divin. Or, la création de l'homme est racontée comme celle de la lumière. « Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance, » dit Dieu; puis l'Écriture ajoute immédiatement: « Dieu fit donc l'homme à son image, » sans s'arrêter à la formule : « cela se fit. » C'est que l'homme est, comme la lumière primitive, une intelligence, et que, pour l'intelligence, exister, n'est au fond que prendre conscience du Verbe Créateur.

32. Si l'Écriture conservait ici cette double formule, on s'imaginerait que l'idéal de l'homme fut d'abord reflété dans l'intelligence d'une créature raisonnable, puis réalisée dans un être qui n'aurait pas eu le privilège de la raison : or, l'homme étant un être intelligent, avait besoin, pour être créé avec toute sa perfection, d'avoir

 

1. Ephés. IV, 13,24. — 2. Colos. III, 10.

 

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conscience de son Créateur. De même que l'homme après sa chute se renouvelle selon l'image de Celui qui l'a créé, par la connaissance de la vérité; de même il fut créé par la connaissance même qu'il eut de son Créateur, avant de tomber, par l'effet du péché, dans la dégradation d'où la même lumière devait le tirer en le renouvelant. Quant aux êtres à qui cette révélation a été refusée, parce qu'ils étaient tout matériels ou avaient la vie sans la raison, leur, existence a d'abord été révélée à la créature intelligente par le Verbe qui leur commandait de se produire, et c'est pour montrer que le dessein du Verbe était connu de cette créature, qui avait le privilège de le découvrir la première, qu'il a été dit: « Et cela fut fait; » puis les corps, les animaux dépourvus de raison, se formèrent : c'est dans ce sens qu'on ajoute les paroles : « Dieu fit donc » telle ou telle oeuvre.

 

 

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CHAPITRE XXI. DIFFICULTÉ DE CONCEVOIR L'IMMORTALITÉ JOINTE A LA NÉCCESSITÉ DE SE NOURRIR.
 

33. Par quel mystère l'homme a-t-il été créé immortel et tout ensemble a-t-il reçu l'ordre de se nourrir, comme les autres animaux, d'herbes portant semence, d'arbres fruitiers, de végétaux? Si le péché seul lui a enlevé sa prérogative, il n'avait pas besoin de pareils aliments dans l'état d'innocence, la faim était incapable d'épuiser ses organes. On pourrait encore remarquer que l'ordre de croître, de se multiplier et de remplir la terre, ne pouvait guère s'exécuter que par l'union de l'homme et de la femme, et que cette union supposait des corps mortels. Cependant il n'y aurait aucune invraisemblance à dire que des corps immortels pouvaient se reproduire par un pur sentiment de pieuse tendresse, en dehors de la corruption de la concupiscence, sans que les enfants dussent remplacer leur parents morts ou mourir eux-mêmes; qu'ainsi la terre se serait remplie d'hommes immortels, et qu'elle aurait vu naître un peuple de saints et de justes, semblable à celui qui, selon la foi, paraîtra après la résurrection. Cette opinion peut se soutenir, nous verrons,bientôt comment; mais il y aurait trop de hardiesse à prétendre qu'un organisme peut avoir besoin d'aliments pour se réparer sans être condamné à périr.

 

 

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CHAPITRE XXII. DE L'OPINION QUI RAPPORTE LA CRÉATION DU CORPS ET DE L’AME A DEUX MOMENTS DISTINCTS.
 

34. Quelques personnes ont pensé que l'homme intérieur pourrait bien avoir été créé d'abord et qu'il ne reçut un corps qu'au moment où, selon l'Ecriture, « Dieu façonna l'homme du limon de la terre. » De la sorte, le mot créer aurait rapport à l'âme, le mot façonner au corps. Mais on ne réfléchit pas que l'homme fut créé mâle et femelle, et que l'âme n'a pas de sexe. On a beau soutenir fort subtilement que l'intelligence, qui forme le trait de ressemblance entre Dieu et l'homme, est au fond la vie raisonnable, avec la double fonction de contempler l'éternelle vérité et de régler les choses temporelles, et qu'on retrouve ainsi l'homme dans la faculté maîtresse, la femme, dans la matière obéissante; cette distinction supprime la ressemblance de l'homme avec Dieu, ou ne la laisse subsister que dans la faculté de contempler la vérité. L'Apôtre a représenté ce rapport entre deux sexes : « L'homme, dit-il, est l'image et la gloire de Dieu, la femme est la gloire de l'homme (1). » Il est bien vrai que les facultés qui constituent l'homme intérieur ont pris au dehors la double forme qui caractérise l'homme d'après les sexes ; mais la femme n'est telle que par son organisation : elle se renouvelle dans l'intérieur de son âme, par la connaissance de Dieu, selon l'image de son Créateur, et le sexe n'a aucun rapport avec cette régénération. Par conséquent, de même que 1e femme est indistinctement appelée avec l'homme à la grâce de se régénérer et de reformer en elle l'image du Créateur, et que son organisation spéciale seule l'empêche d'être proclamée, comme l'homme, l'image et la gloire de Dieu; de même, aux premiers jours de la création, elle avait la prérogative de la nature humaine, l'intelligence, et, à ce titre, avait été faite à l'image de Dieu. C'est pour marquer le rapport qui unit les deux sexes que l'Ecriture dit : « Dieu fit l'homme à l'image de Dieu. » Et de peur qu'on ne vit dans cet acte que la création de l'intelligence, formée seule à l'image de Dieu, elle ajoute « Il le fit mâle et femelle, » ce qui implique

 

1. I Cor, XI, 7.

 

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la création du corps. L'Écriture sait également couper court à l'opinion qui ferait du premier homme un monstre réunissant les deux sexes, un hermaphrodite comme il s'en produit quelquefois: elle fait sentir, en employant le singulier, qu'elle désigne l'union des sexes, et la naissance de la femme tirée du corps de l'homme, comme elle l'expliquera bientôt; aussi ajoute-elle immédiatement au pluriel: « Et Dieu des créa et il des bénit. » Mais nous approfondirons ce sujet, quand nous traiterons de la création de l'homme dans la suite de la Genèse.

 

 

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CHAPITRE XXIII. DU SENS DE LA FORMULE : « CELA SE FIT (1). »
 

35. Il nous reste à examiner pourquoi l'Ecriture après avoir dit : « Cela se fit, » ajoute immédiatement : « Et Dieu vit tout ce qu'il avait fait: et ces oeuvres étaient excellentes. » Ce passage aurait au pouvoir abandonné à l'espèce humaine de faire usage pour sa nourriture des végétaux et des arbres fruitiers: l'expression : «cela se fit, » résume le récit sacré a partir des mots « Et Dieu dit : Voici que je vous ai donné l'herbe portant sa semence » etc. En effet, si cette formule avait une application plus étendue,il faudrait rigoureusement en conclure que, dans l'espace du sixième jour, l'espèce humaine s'était accrue, multipliée au point de peupler la terre, ce qui n'eut lieu, au témoignage de l'Écriture, que longtemps après. Par conséquent, cette expression signifie seulement que Dieu donna à l'homme la faculté de se nourrir, et que l'homme eut conscience de la parole divine : elle n'a pas d'autre sens. Supposons, en effet, que l'homme eût alors exécuté cet ordre et qu'il eût pris les aliments qu'on lui assignait, l'Écriture selon la forme habituelle de son récit, aurait ajouté à l'expression qui révèle que l'ordre est entendu, l'expression qui indique que l'ordre est accompli; la formule: « il en fut ainsi, » aurait été suivie des mots: Et ils en prirent, et ils en mangèrent. C'est le tour qu'elle emploie pour raconter l'oeuvre du second jour : « Que l'eau qui est sous le ciel se rassemble en un même lieu et que la terre nue se montre. Il en fut ainsi : l'eau se rassembla en un même lieu. »

 

1. Gen. I, 30.

 

 

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CHAPITRE XXIV. POURQUOI LA CRÉATION DE L'HOMME N'A-T-ELLE PAS ÉTÉ SPÉCIALEMENT APPROUVÉE?
 

36. On doit remarquer qu'il n'a pas été dit pour l'homme comme pour les autres créatures: «Dieu vit qu'il était bon. » Après avoir créé l'homme, lui avoir donné le droit de commander, de se nourrir, Dieu embrasse l'ensemble de son oeuvre « Dieu vit tout ce qu'il avait fait, et ces oeuvres étaient parfaitement bonnes. » C'est une question qui vaut la peine d'être discutée. On aurait pu, en effet, accorder expressément à l'homme la faveur accordée à chaque espèce d'êtres, puis donner à l'ensemble l'approbation marquée par ces paroles: « Dieu vit que tout ce qu'il avait fait et ces oeuvres étaient parfaitement bonnes. » Dira-t-on que l'oeuvre du Créateur s'étant achevée le sixième jour, l'approbation divine devait porter sur l'ensemble de la création et non sur la création spéciale accomplie ce jour-là ? Pourquoi alors qualifier de bons les animaux domestiques ou sauvages et les reptiles, dont l'Écriture fait l'énumération dans le passage relatif au sixième jour? Ces animaux auraient donc eu le privilège d'être approuvés à la fois en particulier et en général, et l'homme, créé à l'image de Dieu, n'aurait plu que dans l'ensemble de la nature? Serait-ce qu'il n'avait pas encore atteint sa perfection, parce qu'il n'était point placé encore dans le Paradis? Mais l'Écriture ne songe guère à réparer cette omission, quand l'homme est introduit dans ce séjour.

37. Comment donc expliquer cette exception? N'est-il pas vraisemblable que Dieu, prévoyant la chute de l'homme et sa dégradation, l'a jugé bon, non en lui-même, mais comme partie de la création, et a en quelque sorte révélé sa déchéance? Les êtres qui ont gardé la perfection relative où ils ont été créés, et qui n'ont point péché soit par choix soit par impuissance, sont parfaitement bons en eux-mêmes comme dans l'ensemble de la création. Remarquez ici la forme du superlatif. Les membres ont chacun leur beauté, et l'ensemble leur donne une beauté nouvelle. L'oeil, par exemple, est admirable et plait en lui-même; isolé du corps, il n'aurait plus la beauté que lui valait sa place dans l'ensemble, soif rôle dans le concert des organes. Mais en perdant sa dignité première par l'effet du péché, la créature (181) ne cesse pas d'être assujettie à l'ordre : elle est bonne, si on la considère dans l'ensemble des êtres. Ainsi l'homme avant sa faute, était bon en soi; mais l'Ecriture a passé sous silence cette bonté pour faire sentir sa déchéance future, elle l'a mis à sa placé: car, si un être est bon en lui-même, il est meilleur encore dans le tout dont il fait partie; mais, quoiqu'il soit bon dans le tout, il ne s'en suit pas qu'il soit bon en lui-même. Les expressions sacrées unissent donc, par un ,juste tempérament, la vérité actuelle avec la prescience de l'avenir. Dieu n'est pas seulement le Créateur excellent des êtres, il est aussi l'ordonnateur équitable qui règle le sort des pécheurs : par conséquent un être peut se dégrader par ses fautes, sans cesser d'être une beauté dans l'ordre universel. Mais poursuivons notre sujet et commençons un nouveau Livre.

LIVRE IV. LES JOURS DE LA CRÉATION.
 

CHAPITRE PREMIER. QUE FAUT-IL ENTENDRE PAR LES SIX JOURS?

CHAPITRE II. QUE LE NOMBRE 6 EST UN NOMBRE PARFAIT.

CHAPITRE III. EXPLICATION DU PASSAGE DE LA: SAGESSE: « DIEU A TOUT DISPOSÉ AVEC POIDS, NOMBRE ET MESURE. »

CHAPITRE IV. EN DIEU LA MESURE, LE NOMBRE, LE POIDS SUBSISTENT INDÉPENDAMENT DU NOMBRE, DU POIDS, DE LA MESURE.

CHAPITRE V. C'EST EN DIEU QU'EXISTE L'IDÉE DE MESURE, DE POIDS ET DE NOMBRE QUI PRÉSIDE A LA DISPOSITION DES OBJETS.

CHAPITRE VI. COMMENT DIEU VOYAIT-IL CES RAPPORTS?

CHAPITRE VII. COMMENT DÉCOUVRONS-NOUS LA PERFECTION DU NOMBRE

CHAPITRE VIII. DU REPOS DE DIEU LE SEPTIÈME JOUR : QUEL SENS FAUT-IL ATTACHER A CE MOT?

CHAPITRE IX. SUITE DU CHAPITRE PRÉCÉDENT. — LE PRINCIPE DE LA TRISTESSE EST QUELQUEFOIS EXCELLENT.

CHAPITRE X. PEUT-ON CONCEVOIR LE REPOS EN DIEU?

CHAPITRE XI. LE REPOS DE DIEU AU SEPTIÈME JOUR SE CONCILIE AVEC SAN ACTIVITÉ CONTINUE.

CHAPITRE XII. NOUVELLE EXPLICATION SUR LE MÊME SUJET.

CHAPITRE XIII. DE L'OBSERVATION DU SABBAT. —SABBAT CHRÉTIEN.

CHAPITRE XIV. POURQUOI DIEU A-T-IL SANCTIFIÉ LE JOUR DE SON REPOS?

CHAPITRE XV. RÉPONSE A LA QUESTION POSÉE CI-DESSUS.

CHAPITRE XVI. DU REPOS DE DIEU LE SEPTIÈME JOUR.

CHAPITRE XVII. DU REPOS DE L'HOMME EN DIEU.

CHAPITRE XVIII. POURQUOI LE SEPTIÈME JOUR S'OUVRE-T-IL PAR LE MATIN SANS FINIR PAR LE SOIR?

CHAPITRE XIX. NOUVELLE EXPLICATION DU MÊME SUJET.

CHAPITRE XX. LE SEPTIÈME JOUR EST-IL UNE CRÉATION SPÉCIALE?

CHAPITRE XXI. DE LA LUMIÈRE AVANT LA CRÉATION DES ASTRES.

CHAPITRE XXII. EXPLICATION DE LÀ SUCCESSION DU JOUR ET DE LA NUIT DANS L'HYPOTHÈSE OU LA LUMIÈRE SERAIT LA CRÉATION SPIRITUELLE.

CHAPITRE XXIII. DE LA CONNAISSANCE FORT DIFFÉRENTE QU'ON A DES CHOSES SELON QU'ON LES VOIT EN DIEU OU EN ELLES-MÊMES.

CHAPITRE XXIV. DU MODE DE LA PENSÉE CHEZ LES ANGES.

CHAPITRE XXV. POURQUOI LE MOT NUIT N'EST-IL PAS AJOUTÉ AUX SIX JOURS

CHAPITRE XXVI. COMMENT FAUT-IL COMPTER LES SIX JOURS?

CHAPITRE XXVII. LES JOURS DE LA SEMAINE NE RESSEMBLENT PAS AUX JOURS DE LA GENÈSE.

CHAPITRE XXVIII. CETTE EXPLICATION DE LA LUMIÈRE ET DU JOUR N'EST POINT UNE ALLÉGORIE.

CHAPITRE XXIX. DU JOUR , DU MATIN, DU SOIR, EN TANT QU'OPÉRATIONS INTELLECTUELLES DES ANGES..

CHAPITRE XXX. LA SCIENCE DES ANGES N'EST PAS RABAISSÉE PARCE QU'ELLE DEVIENT TOUR-A-TOUR PLUS OBSCURE OU PLUS VIVE.

CHAPITRE XXXI. AU DÉBUT DE LA CRÉATION, LE JOUR, LE SOIR ET LE MATIN , APPARURENT SUCCESSIVEMENT AUX ANGES.

CHAPITRE XXXII. LA SIMULTANÉITÉ DE CES IDÉES N'EN EXCLUERAIT PAS L'ORDRE SUCCESSIF.

CHAPITRE XXXIII. LA CRÉATION A-T-ELLE ÉTÉ SIMULTANÉE OU SUCCESSIVE

CHAPITRE XXXIV. LA CRÉATION EST SIMULTANÉE, SANS CESSER D'ÊTRE DIVISÉE EN SIX ÉPOQUES.

CHAPITRE XXXV. RÉSUMÉ DE LA THÉORIE DES SIX JOURS.

 

 

 

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CHAPITRE PREMIER. QUE FAUT-IL ENTENDRE PAR LES SIX JOURS?
 

1. « Les cieux donc et la terre furent achevés avec tout ce qui les embellit. Et Dieu acheva le sixième jour les oeuvres qu'il avait fanés. Et il se reposa le septième jour de toutes les oeuvres qu'il avait faites. Et Dieu bénit le septième jour et il le sanctifia, parce qu'en ce jour-là il s'était  reposé de toutes les oeuvres qu'il avait faites, dès le commencement. » Malgré tous les efforts de l'attention, il est difficile et presque impossible de découvrir par, la pensée quelle est l'idée de l'écrivain sacré dans cette énumération des six jours et de résoudre le problème que voici : Ces six jours avec le septième se sont-ils écoulés réellement et ressemblent-ils à ceux que la marche du temps ramène, puisque les jours se suivent et ne reviennent jamais ? Ou bien, loin de s'être écoulés, comme les jours dont ils portent le nom, dans un temps régulier, ne sont-ils qu'un idéal inhérent à l'essence même des choses ? Faut-il voir non-seulement dans les trois jours qui ont précédé la formation des luminaires, mais encore dans les trois suivants, les mouvements opérés dans les êtres, de telle sorte que le mot jour désigne leurs formes, la nuit, l'absence de ces formes ou leur caractère défectible ?Qu'on prenne tout autre expression, si l'on veut, pour exprimer le changement qui s'opère dans un être, lorsqu'il perd ses qualités par une dégradation insensible et qu'il se dépouille de ses formes; car toute créature est sujette à ce changement, lors même qu'elle n'y serait pas soumise effectivement, comme il arrive pour les êtres qui sont au ciel : et c'est la condition même de la beauté passagère des créatures d'un ordre inférieur, qui se succèdent en allant tour-à-tour de la naissance à la mort, phénomène journalier ici-bas. Le soir ne serait-il que la limite où s'arrête la perfection pour chaque être, le matin, la limite où elle commence? Car, tout être créé est renfermé entre un commencement et une fin. Voilà, dis-je, un problème difficile à résoudre. Quoiqu'il en soit de ces deux explications, qui n'en excluent pas une troisième, peut-être meilleure, comme nous pourrons le voir plus tard, nous allons examiner la perfection du nombre 6 d'après les propriétés des nombres qui nous permettent de compter les objets matériels et de leur donner une disposition harmonieuse. Cette question n'est point étrangère à notre sujet.

 

 

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CHAPITRE II. QUE LE NOMBRE 6 EST UN NOMBRE PARFAIT.
 

2. Le nombre 6 est le premier nombre parfait, en ce qu'il est égal à la somme de ses parties aliquotes: il y a en effet d'autre nombres parfaits, mais à d'autres titres. Le nombre 6 est donc parfait en ce qu'il est égal à la somme de ses parties aliquotes, telles, en d'autres termes, que leur produit soit égal au nombre qu'elles composent. Cette partie aliquote peut toujours être exprimée par une fraction : ainsi le nombre 3 est une fraction glu nombre 6 dont il forme la moitié, et de tous les nombres supérieurs à 3. Par exemple, il forme la patrie la plus considérable des nombres 4, 5,  puisque 4 se décompose en 3 et 1, 5 en 3 et 2. Quant aux nombres 7, 8, 9 etc, 3 y entre pour la plus petite part. En effet, 7 se décompose en (182) 3 et 4 ; 8, en 3 et 5 ; 9 en 3 et 6. Mais 3 ne forme la patrie aliquote d'aucun de ces nombres, à l'exception toutefois de 9 dont il est le tiers et de 6 dont, il est la moitié. Par conséquent, de tous les nombres cités, 9 et 6 sont les seuls dont 3 soit une partie aliquote, puisque 9 est égal à 3 multiplié par 3, et 6 à 3 multiplié par 2.

3. Le nombre 6 est donc égal, comme je t’ai dit au début, à la somme de ses parties aliquotes. Il existe d'autres nombres dont les parties multipliées entre elles forment un produit inférieur ou supérieur au nombre lui-même; mais il y en a peu qui se décomposent en parties dont la somme leur soit égale rigoureusement: parmi ces derniers le nombre 6 est le premier. En effet l'unité n'a pas de parties, car on entend ici par unité, le nombre qui n'a ni moitié ni partie quelconque, mais est rigoureusement un, sans aucun reste. Or le nombre 2 n'a qu'une partie qui en forme la moitié, je veux dire, l'unité. Le nombre 3 en a deux, l'une qui le divise exactement, c'est 1 ou le tiers, l'autre, irrationnelle, ou 2: il ne se compose donc pas de parties aliquotes. Le nombre 4 se décompose bien en deux parties dont chacune le divise, 1 ou le quart, 2 ou la moitié; mais la somme de ces parties est égale à 3 et non à 4, et par conséquent inférieure. Le nombre 5 n'a qu'une partie qui le divise, à savoir l'unité ou le cinquième; 2 est trop faible, 3 est trop fort et aucun de ces nombres ne le divise exactement. Quant au nombre 6, il se décompose en trois parties aliquotes, le sixième ou 1, le tiers ou 2, la moitié ou 3, et ces nombres ajoutés entre eux, c'est-à-dire, 1, 2, 3, forment une somme égale à 6.

4. Le nombre 7 n'a pas cette propriété: il n'est divisible que par 1. Le nombre 8 est divisible par 1, 2, 4: mais la somme de ses parties aliquotes donne 7 ; ce n'est donc pas un nombre parfait. Le nombre 9 est divisible par 1 et par 3 : mais ces nombres additionnés ne font que 4, nombre bien inférieur à 9. Le nombre 10 est divisible par 1, 2, 5: la somme de ces parties, ou 8, reste donc au-dessous de 10. Le nombre 11 est un nombre premier au même titre que 7, 5, 3, 2: il n'est divisible que par l'unité. La somme des parties du nombre 12 est plus forte que 12: elle va jusqu'à 16: car il est divisible par 1, 2, 3, 4, 6, dont la somme est 16.

5. Ainsi donc, pour ne pas pousser plus loin cette analyse, la série indéfinie des nombres nous en offre qui ne sont divisibles que par l'unité, comme 3, 5, ou dont les parties aliquotes additionnées font une somme tantôt plus faible que le nombre lui-même, comme 8, 9, tantôt plus forte, comme 12, 18. L'espèce de ces nombres est donc bien plus considérable que celle des nombres parfaits. Le premier que l'on trouve après 6, est 28 : car il est divisible par 1, 2, 4, 7,14 et la somme de ces parties est juste 28. Plus on s'élève dans l'échelle des nombres, moins on en trouve qui aient la propriété de se décomposer en parties aliquotes dont la somme les reproduise. On les appelle parfaits: ceux dont les parties additionnées forment une somme trop faible, se nomment imparfaits; si la somme est trop forte, on les nomme plus-que-parfaits.

6. Dieu a donc achevé la série de ses oeuvres dans un nombre de jours parfait. « Dieu, dit l'Ecriture, acheva toutes ses oeuvres le sixième jour. » Mon attention redouble pour le nombre 6, quand j e viens à considérer la suite des créations divines. Les parties aliquotes du nombre 6 forment une série qui se termine au triangle.: ce sont 1, 2, 3, en d'autres termes le sixième, le tiers, la moitié aucun autre nombre ne les sépare et n'interrompt leur suite. Eh bien ! la lumière a été faite en un jour; les deux suivants ont été consacrés à former l'immense machine de l'univers; l'un a été employé à créer la partie supérieure ou le firmament, l'autre, la partie inférieure, ou la terre et les eaux. La région supérieure n'étant pas destinée à se peupler d'êtres qui ont besoin d'aliments pour renouveler leurs forces, Dieu n'y a placé aucune substance nutritive : au contraire, il a enrichi la région inférieure, où il devait placer les animaux, de toutes les substances propres à réparer leurs organes. Les trois jours suivants, il a créé tous les êtres visibles qui devaient se mouvoir, selon les lois de leur nature, dans l'espace que renferme l'univers visible, avec tous les éléments; le premier jour, il a placé dans le firmament créé le premier, les luminaires; les deux jours suivants, il a créé les animaux, d'abord ceux des eaux, puis ceux de la terre, comme l'ordre le demandait. Est-ce à dire que Dieu, s'il l'avait voulu, aurait été incapable de créer le monde en un jour, ou d'employer deux jours, l'un à former les corps, l'autre à former les esprits, ou même de créer dans un jour le ciel avec les êtres qu'il contient, et dans l'autre, la terre avec les êtres qui lui sont propres? Qui serait assez insensé pour soutenir une telle opinion ? Qui oserait dire que la volonté de Dieu rencontre des obstacles ?

 

 

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CHAPITRE III. EXPLICATION DU PASSAGE DE LA: SAGESSE: « DIEU A TOUT DISPOSÉ AVEC POIDS, NOMBRE ET MESURE. »
 

7. En voyant donc que Dieu a employé six jours pour achever toutes ses oeuvres, et que la suite de ses créations répond à la série même des nombres dont la somme est égala au nombre parfait 6, songeons au passage où l'Ecriture dit de Dieu: « Vous avez tout disposé avec poids, nombre et mesure (1). » que notre âme, après avoir appelé Dieu à son aide et sous son inspiration, considère si ces trois idées de mesure, de nombre et de poids, d'après lesquelles Dieu a tout disposé, étaient quelque part avant la création de l'univers ou si elles-mêmes ont été créées. Si elles sont antérieures au monde, où étaient-elles? Avant la création, il n'y avait que le Créateur : elles étaient donc en lui, mais de quelle manière ? car, nous lisons dans l'Ecriture que les choses créées sont également en lui (2). Est-ce que les unes sont Dieu même, tandis que les autres y subsistent comme dans le principe qui les gouverne?, Mais comment peuvent-elles être Dieu même? Dieu n'est assurément ni mesure, ni nombre, ni poids, par plus qu'il n'est le monde. Faut-il dire que ces idées ne sont point Dieu, en tant qu'elles nous apparaissent dans les objets, dont nous apprécions les dimensions, la symétrie, la pesanteur; qu'au contraire, en tant qu'elles maintiennent en toute chose la juste mesure, l'harmonie, l'équilibre, elles sont primitivement et par essence Celui qui donne à tout ses limites, ses formes, ses lois ? Le passage de la Sagesse: « Vous avez tout disposé avec poids,.nombre et mesure,» n'est-il que l'expression, la plus vive de cette vérité vous avez tout disposé en vous?

C'est par un vigoureux effort et dont peu d'esprits sont capables, qu'on peut s'élever au-dessus de tous les objets qui se mesurent; se comptent et se pèsent, et atteindre la mesure en dehors de la mesure, le nombre en dehors du nombre, le poids en dehors du poids.

 

1. Sag, XI, 2 . — 2. Rom. XI, 36.

 

 

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CHAPITRE IV. EN DIEU LA MESURE, LE NOMBRE, LE POIDS SUBSISTENT INDÉPENDAMENT DU NOMBRE, DU POIDS, DE LA MESURE.
 

8. En effet, la mesure, le nombre, le poids ne sont pas seulement des propriétés inhérentes aux pierres, au bois, et en général aux corps que l'on peut observer ou concevoir sur la terre ou dans le ciel. Les actes moraux admettent une juste mesure, qui les empêche d'aboutir à des excès sans bornes et sans retour; les sentiments et les vertus sont susceptibles d'une harmonie ou d'un nombre, qui bannit de l'âme le désordre des passions et y fait régner la sagesse dans toute sa beauté; la volonté et l'amour ont comme une balance qui, par leurs désirs ou leurs répugnances, leur préférences ou leurs dégoûts, marque le prix des objets. Mais dans les âmes une mesure est remplacée par une autre, un nombre est limité par un autre, un poids a son contrepoids. Or, la mesure indépendante de toute mesure, est adéquate à elle-même et ne suppose qu'elle-même ; le nombre indépendant de tout nombre, forme tous les autres sans être formé par aucun; le poids absolu est le centre où tout aboutit pour y trouver l'équilibre, et ce repos est la joie inaltérable.

9. Si on ne voit ces idées que dans la nature physique, on les voit en esclave des sens. Qu'on s'élève donc au-dessus de ces perceptions sensibles, ou si on est encore incapable de ces efforts, qu'on ne s'attache plus à des mots qui n'inspirent que des idées grossières. Les vérités supérieures plaisent d'autant mieux qu'on considère moins les vérités subalternes avec les yeux du corps. Si on ne veut pas épurer les termes dont un usage vulgaire et grossier a fait connaître le sens et les appliquer aux vérités sublimes dont la contemplation élève l'âme, soit; toute exhortation serait inutile. Pourvu qu'on ait l'idée, peu importe le mot qui l'exprime. Il est bon toutefois de connaître les rapports qui lient les vérités contingentes aux vérités absolues: c'est la seule méthode qui permette à la raison de passer d'un sujet à un autre.

10. Veut-on regarder comme des choses contingentes la mesure, le nombre, le poids, qui ont servi à Dieu pour tout disposer, au témoignage de l'Écriture? Mais s'il s'en est servi pour disposer le monde, avec quoi a-t-il disposé ces (184) rapports eux-mêmes? Avec d'autres rapports Mais alors ils n'ont pas serti à tout disposer, puisqu'eux-mêmes ont été réglés suivant d'autres rapports. Il est donc hors de doute que les idées selon lesquelles le monde a été disposé sont en dehors du monde.

 

 

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CHAPITRE V. C'EST EN DIEU QU'EXISTE L'IDÉE DE MESURE, DE POIDS ET DE NOMBRE QUI PRÉSIDE A LA DISPOSITION DES OBJETS.
 

11. Ne vaut-il pas mieux croire que ce passage de l'Écriture revient à dire : Vous avez tout disposé de façon à établir partout la mesure, le nombre et le poids? Je suppose que l'Écriture eût dit : Dieu a disposé les corps avec leurs couleurs; il serait absurde d'en inférer que la Sagesse de Dieu, principe de la création, contenait en elle-même les couleurs pour les répandre sur les corps. On entendrait par là que Dieu a donné aux corps des formes susceptibles de se colorer. Mais comment comprendre que Dieu ait disposé les corps avec leurs couleurs ou qu'il leur ait donné des formes susceptibles de se colorer, à moins d'admettre qu'il y avait, dans la sagesse de l'ordonnateur, un plan selon lequel les couleurs devaient se distribuer sur les corps avec toutes leurs nuances? A coup sûr ce dessein conçu par l'intelligence divine ne peut s'appeler la couleur elle-même. Je le répète, pourvu qu'on conçoive bien l'idée, peu importe le mot.

12. Supposons donc que la pensée de l'Écriture peut se traduire ainsi : tout a été disposé de façon à renfermer en soi mesure, nombre et poids, et tel est le principe qui fait varier dans chaque être, selon sa nature, la grandeur, la quantité, la pesanteur; dira-t-on, parce que ces rapports varient sans cesse, que le plan selon lequel Dieu a tout combiné, varie avec eux? Que Dieu lui-même nous préserve d'un tel aveuglement !

 

 

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CHAPITRE VI. COMMENT DIEU VOYAIT-IL CES RAPPORTS?
 

Pendant que tout s'organisait selon ces rapports de nombre, de mesure et de pesanteur, où l'organisateur les voyait-il ? Il ne les distinguait pas sans doute hors de lui, comme nous voyons les corps : d'ailleurs les corps n'existaient pas encore, puisqu'ils se combinaient pour se former, Il ne les apercevait pas non plus en lui-même, comme nous faisons par l'imagination qui nous représente les objets en leur absence, ou à l'aide des formes que nous avons vues, nous en l'ait concevoir de nouvelles. Comment donc apercevait-il-les objets dont il réglait les proportions? Comment, dis-je, sinon de la manière dont seul il est capable de les voir ?

13. Pour nous, êtres bornés et esclaves du péché, dont l'âme gémit sous le poids d'un corps périssable et dont la raison, malgré toutes ses pensées, reste emprisonnée dans sa demeure terrestre (1), nous aurions beau avoir le coeur le plus pur et l'intelligence la plus dégagée des sens, nous aurions beau ressembler aux anges, l'essence divine ne saurait jamais se révéler à nous comme elle se manifeste à elle-même.

 

 

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CHAPITRE VII. COMMENT DÉCOUVRONS-NOUS LA PERFECTION DU NOMBRE
 

Cependant, quand nous découvrons la perfection du nombre 6, nous ne la voyons pas hors de nous, comme les corps par l’intermédiaire des yeux; ni en nous, comme les formes des objets absents ou les images du monde extérieur: nous les saisissons par une voie toute différente. En effet, bien que des images presque imperceptibles se présentent à l'esprit quand on considère les éléments dont se compose le nombre 6 et leur série, toutefois la raison, par son énergie souveraine, dissipe ces fantômes et contemple les propriétés absolues de ce nombre : cette perception lui fait reconnaître sans le plus léger doute que l'unité est simple et indivisible, tandis que la matière peut se diviser à l'infini, et que le ciel et la terre construits sur le type du nombre 6, passeront avant que la somme de ses parties aliquotes cesse de lui être égale. Que l'esprit de l'homme rende donc éternellement grâces au Créateur, qui lui a donné la faculté de voir des merveilles invisibles pour les oiseaux et les animaux, quoiqu'ils puissent apercevoir comme,nous le ciel, la terre, les luminaires du ciel, la mer et -tout ce qu'ils renferment.

14. Ainsi, nous ne devons pas dire que le nombre 6 est parfait, parce que Dieu a achevé tous ses ouvrages en six jours : loin de là, Dieu a achevé tous ses ouvrages en six jours parce que le nombre 6 est parfait; supprimez le monde, ce

 

1. Sag.IX,15.

 

nombre resterait également parfait; mais s'il n'était pas parfait, le monde, qui reproduit les mêmes rapports, n'aurait plus la même perfection.

 

 

 

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CHAPITRE VIII. DU REPOS DE DIEU LE SEPTIÈME JOUR : QUEL SENS FAUT-IL ATTACHER A CE MOT?
 

15. L'Écriture nous apprend que Dieu se reposa le septième jour de toutes ses oeuvres, et qu'à ce titre il le bénit et le sanctifia. Si nous voulons comprendre ce mystérieux repos, selon (a portée de notre intelligence soutenue par la grâce divine, commençons par bannir de notre esprit toute idée charnelle. Peut-on sans impiété se figurer et dire que la création a coûté quelque travail à Dieu, quand nous voyons les choses sortir du néant à sa parole ? Que l'exécution suive le commandement, ce n'est plus une fatigue, même pour l'homme. Sans doute, la parole exigeant qu'on frappe l'air, finit par devenir une fatigue : mais, quand il s'agit de prononcer quelques mots, comme ceux que Dieu fait entendre dans l'Écriture : fiat lux, fiat firmamentum, et ainsi de suite, jusqu'à l'achèvement de la création au septième jour, il y aurait une extravagance par trop ridicule a soutenir qu'elles lassent, je ne dis pas Dieu, mais un homme.

16. Dirait-on que la fatigue consistât pour Dieu, non à donner des ordres immédiatement exécutés, mais à méditer profondément les moyens de réaliser ses plans; que délivré de cette préoccupation à la vue de 1a perfection de ses oeuvres, il se reposa et voulut avec raison bénir, sanctifier le jour où, pour la première fois, il n'eut plus à déployer une si grande attention? Un pareil raisonnement serait le comble de la déraison. L'intelligence est en Dieu infinie, illimitée, comme la puissance elle-même.

 

 

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CHAPITRE IX. SUITE DU CHAPITRE PRÉCÉDENT. — LE PRINCIPE DE LA TRISTESSE EST QUELQUEFOIS EXCELLENT.
 

A quelle idée faut-il donc s'arrêter? Ne faudrait-il pas voir ici le repos que prennent en Dieu les créatures intelligentes dont l'homme fait partie, après avoir atteint leur développement, par le secours du Saint-Esprit qui répand la charité dans nos coeurs (1), et que nos désirs les plus ardents doivent nous porter au centre du repos heureux où nous n'aurons plus rien à désirer ? On dit avec raison que Dieu fait tout ce que nous faisons par son secours; de même, on se repose en lui, quand le repos est un de ses bienfaits.

17. Cette idée est facile à concevoir. S'il est une vérité aisée à comprendre, c'est que Dieu se repose, lorsqu'il nous accorde le repos, au même titre qu'il connaît, lorsqu'il éclaire notre intelligence. En effet Dieu ne prend pas connaissance avec le temps de ce qu'il ignorait auparavant; et pourtant il dit à Abraham : « Je sais maintenant que tu crains Dieu (2). » Or, que peuvent signifier ces paroles, sinon, j'ai fait connaître à quel point tu crains Dieu? Ces sortes d'expressions, où nous attribuons à Dieu des actes qui ne s'accomplissent pas en lui, ont pour but de nous apprendre qu'il en est le principe : j'entends des actes conformes au bien, sans dépasser la portée des termes de l'Écriture. Car nous ne devons hasarder sur Dieu aucune proposition de ce genre, sans l'avoir lue dans l'Écriture.

18. A ce genre d'expressions se rattache, selon moi, le passage où l'Apôtre nous dit : « Gardez-vous de contrister l'Esprit de Dieu, qui vous a marqué de son sceau, au jour de votre délivrance (3). » Assurément la tristesse ne peut atteindre la substance de l'Esprit-Saint ou l'Esprit-Saint lui-même, qui jouit d'un bonheur éternel, ou plutôt qui est la béatitude immuable et souveraine. Mais l'Esprit-Saint habite dans le coeur des justes, pour les remplir de la charité, qui seule ici-bas apprend aux hommes à voir avec joie les progrès des fidèles dans la vertu et leurs bonnes oeuvres ; aussi sont-ils attristés par les fautes ou la chute même des chrétiens dont ils considéraient avec bonheur la toi et la piété tristesse digne d'éloges, puisqu'elle à pour principe la charité que l'Esprit-Saint leur inspire. Si donc on dit que l'Esprit-Saint est contristé par les pécheurs, c'est uniquement en vue de faire entendre que les âmes saintes, ses hôtes, déplorent de pareils crimes, et qu'elles sont animées par une charité assez  vive pour s'affliger sur le sort de ces malheureux, surtout si elles les avaient connus ou crus vertueux. Cette tristesse, loin d'être une faiblesse, est une vertu qu'on ne saurait trop louer.

19. Le même Apôtre fait un admirable emploi de cette forme de langage, quand il s'écrie : « Maintenant que vous connaissez Dieu ou plutôt

 

1. Rom. V, 3. — 2. Gen. XXII. 12. — 3. Ephés. IV, 30.

 

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que vous en êtes connus (1). » Ce n'est pas Dieu qui les avait connus alors, puisqu'il les connaissait avant la création même du monde (2) ; mais comme eux l'avaient connu à ce moment par un bienfait de la grâce, et non par leurs mérites ou leurs propres forces, l'Apôtre a eu recours à une figure de langage, pour leur apprendre qu'ils connaissaient Dieu, en tant qu'il s'était fait connaître à eux; il a mieux aimé corriger l'expression vraie qu'il avait employée au propre, que de leur laisser croire qu'ils tenaient d'eux-mêmes le privilège qu'ils avaient reçu de Dieu.

 

 

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CHAPITRE X. PEUT-ON CONCEVOIR LE REPOS EN DIEU?
 

20. On trouvera peut-être satisfaisante l'explication que nous venons de donner, et d'après laquelle Dieu s'est reposé de toutes les oeuvres qu'il a faites avec tant de perfection, en tant qu'il nous fera goûter le repos à nous-mêmes, lorsque nous aurons fait nos bonnes oeuvres. Mais, puisque nous avons entrepris de discuter ce passage de l'Écriture, nous sommes tenus d'examiner si Dieu a pu se reposer en lui-même, tout en admettant que le repos est le gage du repos même que nous goûterons un jour en lui. Or, Dieu a fait lui-même le ciel et la terre et tout ce qu'ils renferment, et il a achevé ses oeuvres le sixième jour: loin de nous accorder le pouvoir de créer quoi que ce soit, c'est par nous qu'il a fini, puisqu'il acheva toutes ses oeuvres, comme dit l'Écriture, le sixième jour. De même, il ne faut pas voir le repos que Dieu nous fera goûter dans ce passage de l'Écriture : « Dieu se reposa le septième jour de toutes ses œuvres, » mais le repos auquel il se livra lui-même, après avoir achevé ses créations. Cette méthode nous révèlera que tout ce qui a été écrit s'est réalisé, et nous aidera ensuite à en saisir le sens métaphorique. Donc, la discussion qui a mis en pleine lumière que les oeuvres de Dieu n'appartenaient qu'à lui, exige pour pendant la démonstration que son repos lui est pour ainsi dire personnel.

 

1. Gal. IV, 9. — 2. I Pierre, I, 10.

 

 

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CHAPITRE XI. LE REPOS DE DIEU AU SEPTIÈME JOUR SE CONCILIE AVEC SAN ACTIVITÉ CONTINUE.
 

21. Ainsi le motif le plus légitime nous engage à examiner, dans la mesure de nos forces, et à prouver que le passage où Dieu se reposa de ses oeuvres, et ces paroles de l'Evangile prononcées par le Verbe créateur lui-même : « Mon Père ne cesse point d'agir, et j'agis aussi (1), » n'offrent aucune contradiction. Il fit cette réponse à ceux qui se plaignaient qu'il n'observât pas le sabbat, institué dès l'origine, selon l'Écriture, pour rappeler le repos de Dieu. II est vraisemblable que l'observation du sabbat fut prescrire aux Juifs comme un symbole du repos spirituel que Dieu promettait, sous la figure mystérieuse de son propre repos, aux fidèles qui accomplissaient leurs bonnes oeuvres. Jésus-Christ lui-même, qui n'a souffert qu'au moment où il lui a plu, a confirmé par sa sépulture le sens caché de ce repos. Car il se reposa dans son tombeau lé jour du sabbat et en fit une journée de sainte inactivité, après avoir accompli le sixième jour, c'est-à-dire le jour de la préparation et la veille du sabbat, toutes ses oeuvres sur le gibet même de la croix. « Tout est consommé, s'écria-t-il, et baissant la tête il rendit l'esprit (2). » Est-il donc étrange que Dieu se soit reposé le jour même où le Christ devait se reposer, pour figurer cet évènement d'avance? Est-il étrange qu'il se soit reposé un seul jour avant de développer Cette suite des siècles qui prouvent la vérité de cette parole : « Mon Père ne cesse point d'agir? »

 

 

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CHAPITRE XII. NOUVELLE EXPLICATION SUR LE MÊME SUJET.
 

22. On peut encore s'expliquer que Dieu se reposa d'avoir créé les espèces d'êtres qui remplissent l'univers, en ce sens qu'il ne créa désormais aucune espèce nouvelle, tout en continuant de gouverner celles qui furent alors établies. Il ne faudrait pas croire en effet que, même le septième jour, sa puissance abandonna le gouvernement du monde et des êtres qu'il y avait créés : cette inaction aurait entraîné un bouleversement universel. La puissance du Créateur, cette force infinie et qui embrasse tout., est la seule cause qui fait subsister les créatures : si cette force se retirait

 

1. Jean, V, 17. — 2. Ibid, XIX, 30.

 

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du monde et ne régissait plus les êtres, même un instant, le développement des espèces s'arrêterait et la nature entière s'affaisserait. Car il n'en est pas de l'univers comme d'un édifice, qui subsiste après que l'architecte l'a abandonné : il ne durerait pas un clin d'oeil, si Dieu cessait de le gouverner.

23. La parole du Seigneur : « Mon Père ne cesse pas d'agir, n nous révèle donc cette création continue par laquelle Dieu maintient et régit ses oeuvres. Le Seigneur ne se contente pas de dire que son Père agit maintenant, ce qui n'impliquerait pas une activité permanente; il dit qu'il agit encore aujourd'hui, depuis quand ? Evidemment depuis la création. L'Écriture dit de la Sagesse divine qu'elle étend sa puissance d'un bout du monde à l'autre, et dispose tout avec harmonie (1) ; et ailleurs, que son mouvement a une rapidité, une vitesse incomparable (2). Pour ceux qui ont l'esprit droit, il est clair que la Sagesse communique aux êtres qu'elle dispose avec tant d'harmonie son mouvement incomparable, au-dessus de toute expression, et si l'on peut ainsi parler, son immuable activité; et que, si ce mouvement cessait d'animer la nature, elle s'anéantirait aussitôt. La parole que l'Apôtre adresse aux Athéniens en leur prêchant le vrai Dieu : «C'est en lui que nous avons la vie, le mouvement et l'être, » cette parole d'une clarté que l'esprit humain ne saurait pousser plus loin, corrobore l'opinion qui nous fait croire et dire que Dieu ne cesse jamais d'agir dans ses créatures. En effet, nous ne faisons pas partie de la substance divine, et nous ne sommes pas en lui au même titre qu'il à la vie en lui-même (3) : or, du moment que nous sommes distincts de Dieu, nous ne pouvons avoir l'être en lui qu'autant qu'il agit en nous. Cette activité consiste à tout gouverner, à étendre sa puissance d'un bout à l'autre du monde, à tout disposer avec harmonie, et c'est grâce à cet ordre sans cesse maintenu que nous avons en lui l'être, le mouvement et la vie. Par conséquent, si Dieu cessait d'animer la créature, nous n'aurions plus l'être, le mouvement et la vie. Il est donc évident que Dieu n'a jamais cessé, même un jour, de gouverner les êtres créés, pour les empêcher de perdre ces mouvements qui les animent et les conservent avec les propriétés et selon les lois de leurs espèces; et qu'ils seraient immédiatement anéantis -sans cette activité de la Sagesse divine qui répand partout l'ordre et l'harmonie. Convenons donc bien que Dieu s'est reposé

 

1. Sag. VIII, 1. — 2. Ibid. VII, 24. — 3. Jean, V, 26.

 

de ses oeuvres, en tant qu'il n'a créé aucun être d'une espèce nouvelle et non en vue d'abandonner le gouvernement et le maintien de la création. Ainsi se concilie cette double vérité, que Dieu s'est reposé le septième jour et qu'il ne cesse pas d'agir.

 

 

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CHAPITRE XIII. DE L'OBSERVATION DU SABBAT. —SABBAT CHRÉTIEN.
 

24. Nous pouvons apprécier l'excellence des oeuvres de Dieu : quant aux joies de son repos, nous en jugerons après avoir accompli nos bonnes oeuvres. Le sabbat qu'il prescrivit aux Juifs d'observer (1) était le symbole de ce repos : mais tel était leur esprit charnel, qu'en voyant le Seigneur travailler ce jour-là à notre salut, ils lui en faisaient un crime, et dénaturaient la réponse où il leur parle de l'activité de son Père, avec lequel il gouvernait l'univers et opérait notre salut. Mais du moment que la grâce a été révélée; cette observation du sabbat, représenté par un jour de repos, n'a plus été une loi pour les fidèles. Sous le règne de la grâce, le sabbat est perpétuel pour celui qui opère toutes ses bonnes oeuvres en vue du repos à venir, 'et qui ne se glorifie pas de ses actions, comme s'il avait le don d'une vertu qu'il n'a peut-être pas reçu. Ne voyant dans le sabbat c'est-à-dire, le repos du Seigneur dans son tombeau, que le sacrement du Baptême, il se . repose de sa vie passée : marchant dans les voies d'une vie toute nouvelle (2), il reconnaît l'action qu'exerce en lui Dieu, qui tout ensemble agit et se repose, gouvernant la créature au sein d'une éternelle tranquillité.

 

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CHAPITRE XIV. POURQUOI DIEU A-T-IL SANCTIFIÉ LE JOUR DE SON REPOS?
 

25. Dieu a donc créé sans fatigue et n’a point trouvé dans le repos de nouvelles forces : ainsi a-t-il voulu nous inspirer le désir du repos, en nous révélant par son Écriture qu'il sanctifia le jour où. il cessa de créer. On ne lit jamais, en effet, qu'il ait rien sanctifié, soit dans la période des six jours, soit au commencement, lorsqu'il fit le ciel et la terre. Mais il voulut sanctifier le jour où il se reposa de toutes ses oeuvres, comme si le repos à ses yeux avait plus de prix que le travail, bien que son activité ne lui coûte aucune

 

1. Exod. XX, 8. — 2. Rom. VI, 4.

 

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peine. C'est ce qui doit être pour l'homme aussi, et nous en trouvons la preuve dans l'Évangile où le Sauveur y déclare que Marie,se tenant assise à ses pieds pour écouter sa parole, a choisi une meilleure part que Marthe, malgré son empressement à le servir et le pieux embarras qu'elle se donnait 1. Mais il est bien difficile de concevoir ceci quand il s'agit.de Dieu, lors même qu'on soupçonnerait à force de réfléchir pourquoi il a sanctifié le jour de son repos, lui qui n'a sanctifié aucun jour de la création, pas même celui où il fit l'homme et où il acheva toutes ses oeuvres. Et d'abord quelle idée l'esprit humain avec toutes ses lumières peut-il se former du repos de Dieu? Cependant, si la chose n'existait pas, l'Écriture n'en prononcerait pas le mot. Je vais dire ce que je pense, en faisant une double réserve :d'abord quë Dieu n a point goûté un repos pareil à celui qui succède agréablement à la fatigue ou qu'un long travail fait souhaiter; ensuite que les saints livres, dont l'autorité s'impose a l'esprit, n'ont pu avancer sans raison ou à tort que Dieu se reposa le septième jour de toutes les oeuvres qu'il avait faites et le sanctifia.

 

 

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CHAPITRE XV. RÉPONSE A LA QUESTION POSÉE CI-DESSUS.
 

26. Comme l'âme humaine a le défaut et la faiblesse de s'attacher si vivement à ses oeuvres, qu'elle y cherche le repos plutôt qu'en elle-même, quoique la cause soit nécessairement supérieure aux effets, Dieu nous apprend, par ce passage de l'Écriture, qu'il n'a composé aucun de ses ouvrages avec un plaisir capable de faire supposer que la création était pour lui une nécessité, ou que sans elle il aurait eu moins de grandeur et de félicité. En effet, toute créature lui doit son être, mais il ne doit sa félicité à aucune; il atout dirigé par un pur effet de sa bonté : aussi n'a-t-il sanctifié ni le jour où il commença ses ouvrages, ni celui où il les acheva, afin que sa félicité ne semblât pas s'accroître du plaisir de les former et de les voir dans leur perfection ; il n'a sanctifié que le jour où il s'est reposé de ses oeuvres en lui-même. Il n'a jamais eu besoin du repos, mais il nous en a révélé le bienfait dans le mystère du septième jour; il nous a encore enseigné qu'il tallait être parfaits pour le goûter, par le choix même qu'il a fait du jour qui suivit l'achèvement de la création universelle. L'être qui jouit

 

1. Luc, X, 39-42.

 

du repos absolu n'a pu se reposer que pour nous donner un enseignement.

 

 

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CHAPITRE XVI. DU REPOS DE DIEU LE SEPTIÈME JOUR.
 

27. Remarquons qu'en nous révélant le repos qui assure à Dieu sa félicité en lui-même, il fallait nous faire concevoir à quel titre on dit que Dieu se repose en nous-mêmes : cette parole signifie que Dieu nous assure le repos en lui-même. Pour en donner donc une juste définition, le repos de Dieu implique qu'il ne manque d'aucun bien : par conséquent nous sommes assurés de trouver le repos en lui, parce que le bien essentiel à Dieu fait notre bonheur et que sa félicité est indépendante du bien qui est en nous. Nous représentons en effet quelque bien, puisque nous sommes au nombre des oeuvres qu'il a faites excellentes. Or nul être n'est bon en dehors de lui, sans qu'il ne l'ait créé, et par suite, il n'a besoin en dehors de lui d'aucun bien, puisqu'il ne peut avoir besoin du bien même qu'il a créé. Voilà en quoi consiste le repos de Dieu après l'achèvement de ses oeuvres. N'eût-il rien créé, quel est le bien qui lui manquerait véritablement? Qu'il se repose de ses oeuvres en lui-même, ou qu'il ne crée rien, il n'en est pas moins le bien absolu. Mais s'il n'avait pu composer des ouvrages excellents, il aurait été impuissant; si malgré sa puissance il ne l'avait pas voulu, il aurait été jaloux de son être. Comme il joint la toute-puissance à la bonté infinie, il a fait toutes ses oeuvres excellentes ; et comme il trouve en lui le bien absolu et la félicité parfaite, il s'est reposé en lui-même de ce repos dont il n'est jamais sorti. Dites qu'il s'est reposé de ses oeuvres à faire, on comprendra qu'il n'a jamais rien fait. Dites qu'il ne s'est pas reposé de ses œuvres accomplies, on ne comprendra plus aussi clairement qu'il n'a aucun besoin de ses créatures.

28. Or quel jour pouvait mieux que le septième nous révéler cette vérité? C'est-ce qu'on voit aisément en se rappelant les propriétés du nombre 6, dont la perfection a servi de type à la perfection des ouvrages divins. Supposez que la création devait être, comme elle l'a été, modelée sur l'ordre même des éléments qui composent le Nombre 6, et qu'on voulait nous révéler le repos de Dieu, en vue de nous convaincre que la créature même parfaite n'ajoute rien à sa félicité : le jour qu'il fallait. sanctifier dans ce but devait nécessairement suivre le sixième afin de (189) nous arracher à la vie d'ici-bas, et de nous inspirer le désir d'atteindre au repos dans le sein de Dieu.

 

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CHAPITRE XVII. DU REPOS DE L'HOMME EN DIEU.
 

29. Il y aurait, en effet, une imitation sacrilège à vouloir se reposer en soi-même de ses propres oeuvres, comme Dieu l'a fait après les siennes nous ne devons nous reposer qu'au sein du bien immuable, et, par conséquent de notre Créateur. Quel sera donc pour nous le repos souverain, étranger à l'orgueil et conforme à la véritable piété? De prendre modèle sur le Dieu qui en se reposant de ses oeuvres, a cherché sa félicité, non dans ses ouvrages, mais dans lui-même ou le bien qui le rend heureux, et par conséquent, d'espérer que nous trouverons seulement en lui la paix à la suite de toutes nos bonnes œuvres qui sont aussi les siennes; ce sera d'aspirer à cette paix, comme à une conséquence des actes dont nous reconnaissons le principe en Dieu plus qu'en nous. De la sorte Dieu se reposera lui-même encore de ses oeuvres, puisqu'il nous accordera le repos dans son sein à la suite des bonnes oeuvres que nous aurons accomplies par sa grâce. C'est une noble prérogative que de tenir l'existence de Dieu : il y aura plus de gloire encore a se reposer en lui. Donc, comme la création n'ajoute rien à la félicité de Dieu et qu'il peut s'en passer,, il s'est reposé en lui-même plutôt qu'en ses. ouvrages ; voilà pourquoi il a choisi le jour du repos et non un des jours employés à créer, pour le sanctifier : il a révélé ainsi que sa félicité consistait non à faire le inonde, mais à n'avoir aucun besoin de ses créatures.

30. Qu'y a-t-il de plus simple à exprimer, de plus sublime et de plus difficile à concevoir que le repos de Dieu après l'achèvement de ses ouvrages? Pouvait-il trouver le repos ailleurs qu'en lui-même, puisqu'il n'est heureux qu'en lui-même? Quand pouvait-il le goûter, sinon toujours? Pour l'époque où se terminent ses ouvrages, dont il distingue son repos, comme un ordre de choses tout différent, quel jour pouvait-il choisir, sinon celui qui succède à l'entier achèvement de la création, et par conséquent le septième? La perfection des œuvres devait être en effet le signal du repos pour l'être qui ne trouve dans les créatures les plus parfaites aucun élément de félicité.

 

 

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CHAPITRE XVIII. POURQUOI LE SEPTIÈME JOUR S'OUVRE-T-IL PAR LE MATIN SANS FINIR PAR LE SOIR?
 

31. Le repos de Dieu considéré en lui-même ne compte ni matin ni soir, puisqu'il n'a ni commencement ni fin; quant à ses oeuvres arrivées à la perfection, le matin naît pour elles sans jamais être suivi du soir. En effet, la créature sous sa forme parfaite voit commencer le mouvement qui la porte à se reposer dans son Créateur; mais ce mouvement vers la perfection n'admet point de limites, comme celles qui renferment les ouvrages de la création. A ce titre, le repos divin commence, non pour Dieu, mais pour la créature, quand elle atteint sa perfection : c'est l'instant où elle commence à se reposer en celui qui l'a formée, c'est le matin. Sans doute, considérée en elle-même, elle est susceptible de rencontrer le soir, ou sa limite naturelle; mais, considérée dans ses rapports avec Dieu, elle ne connaît pas le soir, parce qu'elle ne peut dépasser le degré de perfection où elle est parvenue.

32. Dans la période des jours où les êtres se formaient, le soir a été pour nous la fin d'une création, et le matin, le signal d'une autre. Le soir du cinquième jour a clos la création du cinquième ,jour; le matin qui l'avait suivi a marqué le commencement des œuvres du sixième jour; le soir est encore survenu pour clore la création. Comme il ne restait plus rien à créer, le matin a paru pour servir de début, non à une création universelle dans son auteur, mais au repos de la création universelle dans son auteur. Car le ciel, la terre et tout ce qu'ils renferment, je veux dire-les corps est les esprits, ne subsistent pas en eux-mêmes- ils demeurent en Celui « qui donne la vie, le mouvement et l'être (1). » Quoique chaque partie :puisse subsister dans le tout qu'elle sert à former, le tout ne peut subsister que dans son principe. Il est donc naturel de croire que, si le soir du sixième jour a été suivi du matin, ce n'était plus pour ouvrir un nouvel ordre de créations, mais pour marquer que tous les êtres commentaient à s'établir dans un équilibre durable, grâce au repos de leur Créateur. Ce repos n'a ni commencement ni fin pour Dieu; pour la créature, il commence, mais n'admet aucun limite. Voilà comment le septième jour commence pour la

 

1. Act XVII, 28.

 

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créature par le matin, et ne finit point par le soir.

33. Veut-on que dans les six jours primitifs 1e matin et le soir représentent la même succession dans le temps qu'aujourd'hui? Je ne vois plus pourquoi le septième jour n'a pas de soir et la nuit suivante, de matin; ni pourquoi l'Écriture ne dit pas selon son usage: Et le soir survint, et au matin s'accomplit le septième jour. Car ce jour fait partie de cette période des sept jours, qui, en se renouvelant sans cesse, forment la durée des mois, des années, des siècles, et le matin succédant au soir du septième jour, aurait été le commencement du huitième, limite à laquelle on devait s'arrêter, puisque la série recommence pour former une nouvelle semaine. Il est donc plus probable que les sept jours primitifs, malgré l'analogie du nom et du nombre, représentent une révolution dans le temps, toute différente de la révolution actuelle; ils s'expliquent par une révolution intérieure des êtres dont nous ne voyons plus d'exemple, et dans laquelle les mots soir et matin, ténèbres et lumière, nuit et jour marquent une succession tout autre que celle qui se mesure par le cours du soleil c'est un point qu'il faut reconnaître, au moins pour les trois jours qui sont comptés avant la création des astres.

34. Aussi, quel que soit le matin ou le soir dans cette période, il y aurait contradiction à voir dans le matin qui succéda à la nuit du sixième jour, le commencement du repos divin : ce serait prêter au Dieu éternel et immuable, par une illusion impie, une félicité accidentelle. Le repos que Dieu goûte en lui-même, et qu'il trouve dans le bien absolu qui est son essence, ne peut avoir pour lui ni commencement ni fin mais il commence par la créature arrivée à sa perfection. Pour tout être, en effet, la perfection vient moins de l'ensemble dont il fait partie, que de l'auteur même de l'ensemble, le Créateur c'est à lui qu'il emprunte selon les convenances de sa nature, la stabilité et l'équilibre, en d'autres termes, l'ordre que lui assigne son rôle dans la création. Ainsi l'univers, tel qu'il fut achevé au bout des six jours, change d'aspect selon qu'on le considère en lui-même ou dans ses rapports avec Dieu. Sans trouver en lui-même, comme Dieu, son centre de repos, il n'a de stabilité et d'équilibre qu'autant qu'il se rattache à celui qui ne cherche point en dehors de son être un but à atteindre pour s'y reposer; car sans sortir de son être, Dieu ramène à lui-même tout ce qu'il en a tiré. La créature garde donc en soi la limite qui la sépare de son Créateur; mais c'est en lui qu'elle trouve son lieu de repos, et le principe qui lui conserve l'être. Le mot lieu que je viens d'employer est sans doute impropre, puisqu'il désigne l'espace occupé par un corps; mais comme les corps ne restent en repos dans nu lieu qu'autant qu'ils y ont été attirés par leur pesanteur, il m'a semblé naturel d'appliquer cette expression aux esprits, par métaphore, quoiqu'il y ait un abîme entre ces deux ordres d'idées.

35. Mon opinion est donc que le matin qui succéda à la nuit du sixième jour, représente le premier moment où la créature participe au repos du Créateur. Ce moment, en effet, ne peut exister pour elle qu'à la condition qu'elle ait atteint sa perfection : or, la création ayant été achevée le sixième jour, le soir s'accomplit; le matin parut ensuite, afin de marquer l'instant ou la créature atteint à sa perfection, et commence à se reposer au sein de son Créateur. Pour la première fois elle trouve dans le repos absolu de Dieu son repos relatif, d'autant plus assuré, d'autant plus durable, que si elle a besoin de Dieu comme d'un centre, Dieu n'a pas besoin d'elle, Et comme la création, malgré tous les changements qui s'opèrent en elle, ne sera jamais un pur néant, elle doit rester pour toujours rattachée à son Créateur : ce malin s'ouvrit donc pour toujours et ne fut pas suivi du soir.

Voilà, selon moi, comment le septième jour, où Dieu se reposa de toutes ses oeuvres, commença après le soir du sixième jour, par un matin auquel ne correspondit aucun soir.

 

 

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CHAPITRE XIX. NOUVELLE EXPLICATION DU MÊME SUJET.
 

36. Mais on peut donner sur le même sujet une explication plus littérale et, à mon sens, plus décisive, quoiqu'elle soit plus difficile à exposer; elle consisterait à dire que ce fut le repos de Dieu et non celui de la créature, qui eut pour signal ce matin auquel le soir ne devait jamais succéder, en d'autres termes, qui commença pour n'avoir jamais de fin. Si l'on se bornait à dire que Dieu se reposa le septième jour, sans ajouter que ce fut à la suite de ses oeuvres, nous serions incapables de voir où ce repos commence. Car le repos pour Dieu n'a point de date : sans commencement (191) comme sans fin, il est éternel; et puisqu'il s'est reposé de toutes ses œuvres en ce sens qu'il pouvait se passer d'elles, on conçoit que le repos n'admette en Dieu aucun terme où il commence et où il expire. On peut dire cependant que le repos pris par lui à la suite de ses œuvres coïncide avec l'achèvement même de la création; car Dieu ne se serait pas reposé, avant qu'elles fussent composées, de ces œuvres inutiles à sa félicité, et dont la perfection même lui était indifférente : de plus, comme il n'a jamais en besoin -de ces oeuvres, et que la félicité qui le rend indépendant de ses créatures ne peut croître, ni s'achever par conséquent, on comprend pourquoi le septième jour n'a point eu de soir qui en marquât la fin.

 

 

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CHAPITRE XX. LE SEPTIÈME JOUR EST-IL UNE CRÉATION SPÉCIALE?
 

37. Une question non moins haute, non moins digne d'attirer l'attention, est de savoir comment Dieu s'est reposé de toutes ses oeuvres en lui-même, puisque l'Ecriture dit : « Dieu se reposa dans le septième jour. » Elle ne dit point qu'il se reposa en lui-même, mais « dans le septième jour. » Comment définir ce septième jour Faut-il y voir une création spéciale ou un espace de temps? Mais la durée elle-même à été créée, avec les êtres qui durent : à ce titre, elle est une création elle-même. Il n'est aucun moment dans la durée, présent, passé, avenir, qui n'ait Dieu pour cause : si donc le septième jour est une période de temps, Dieu, le créateur du temps, peut seul l'avoir créé. Or, l'Ecriture nous a parlé précédemment de six jours, comme de créations avec ou pendant lesquelles d'autres créations s'accomplissent. Par conséquent, sur ces sept jours, si nous entendons par là ces jours bien connus qui s'écoulent sans retour et n'ont avec ceux qui les remplacent.que le nom de commun, les six premiers ont été créés à des moments que nous pouvons déterminer : quant au septième, appelé sabbat, nous ne pouvons distinguer l'époque de sa création. Loin de composer quelque ouvrage ce jour-là, Dieu s'y reposa de tous ceux qu'ils avait faits. Comment donc aurait-il choisi pour se reposer, un jour qu'il n'aurait pas créé? Et comment l'aurait-il créé immédiatement après les six premiers jours, puisqu'il acheva ses ouvrages au sixième jour, puisqu'il ne créa rien le septième et le consacra au repos? Se borna-t-il à créer un premier jour dont les autres ne fussent plus qu'une reproduction dans la durée, en sorte qu'il eût été inutile de créer le septième jour, puisqu'il n'était que le premier se renouvelant pour la septième fois ? Il sépara en effet la lumière d'avec les ténèbres, nommant l'une jour les autres nuit (1). Ainsi Dieu fit alors le jour, et c'est le renouvellement de la même durée que l'Ecriture nomme successivement second, troisième jour, jusqu'au sixième où Dieu achève ses œuvres : le septième n'est alors que la reproduction du premier jour pour la septième fois. De la sorte, le septième jour n'est point une création spéciale; c'est le renouvellement pour la septième fois du phénomène que Dieu produisit quand il appela la lumière jour et les ténèbres nuit.

 

 

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CHAPITRE XXI. DE LA LUMIÈRE AVANT LA CRÉATION DES ASTRES.
 

38. Nous retombons ainsi dans la question que nous semblions avoir résolue au début de cet ouvrage: il nous faut examiner encore comment la lumière a pu décrire un tour qui fit naître alternativement le jour et la nuit, avant la formation des astres, du firmament même, que dis-je? avant l'époque où le globe put offrir des régions assez distinctes pour que la lumière les éclairât successivement et laissât régner la nuit à mesure qu'elle se retirait? Frappés de cette difficulté, nous n'avons pas craint de conclure, après avoir pesé le pour et le contre, que la lumière primitive était le perfectionnement des esprits; et la nuit, la matière destinée à former les autres ouvrages de Dieu, laquelle avait été produite à l'époque où il fit le ciel et la terre, avant que le jour parût à sa parole. Un examen attentif de la formation du septième jour nous a éclairés sur la valeur de ces hypothèses, que l'expérience est incapable de contrôler. La lumière appelée jour était-elle un agent physique qui par sa révolution ou par sa propriété de se dilater et de se contracter, produisait la succession du jour et de la nuit? Est-ce la créature intelligente initiée aux diverses phases . de la création, qui représentait le jour et la nuit, en ce quelle participait ou ne participait pas aux idées divines ; le matin et le soir, en ce qu'elle voyait cette révélation naître et disparaître tour-à-tour ? Nous aimons mieux faire l'aveu de

 

1. Gen, I , 3.

 

192

 

notre ignorance que de forcer le sens de l'Ecriture dans un passage très-clair, et d'aller chercher dans le septième jour autre chose que la reproduction du premier. Hors delà, en effet, il faut admettre ou que Dieu n'a pas créé le septième jour, ou qu'il a créé quelque chose après les six jours, ce qui ne peut être que le septième jour lui-même : cette hypothèse contredit évidemment l'Ecriture, puisqu'elle dit que Dieu acheva toutes ses oeuvres le sixième jour et qu'il se reposa le septième de toutes ses oeuvres. Or, l'Ecriture ne pouvant se tromper, il faut reconnaître que l'apparition de la lumière, dont Dieu fit le jour, s'est renouvelée, pendant toute la durée de la création, autant de fois que le jour est expressément désigné, par conséquent le septième jour, où Dieu se reposa de toutes ses oeuvres.

 

 

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CHAPITRE XXII. EXPLICATION DE LÀ SUCCESSION DU JOUR ET DE LA NUIT DANS L'HYPOTHÈSE OU LA LUMIÈRE SERAIT LA CRÉATION SPIRITUELLE.
 

39. Toutefois, dans l'impuissance où nous sommes d'expliquer la succession du jour et de la nuit par un tour qu'aurait décrit la lumière physique, antérieurement à la formation du ciel et des astres, nous ne pouvons renoncer à cette question sans indiquer au moins notre pensée. Supposons donc que la lumière primitive n'est pas un agent physique mais, la création intelligente: elle se forme en se séparant des ténèbres, en d'autres termes, elle sort de son imperfection naturelle pour se rattacher à son Créateur, principe de la perfection. Au soir succède donc le matin, je veux dire l'instant où, après avoir reconnu sa propre nature et s'être distinguée de Dieu, elle remonte, pour la bénir, jusqu'à l'éternelle lumière dont la contemplation l'épure et la forme. Comme la création des êtres d'un ordre inférieur ne s'accomplit pas sans qu'elle ne la connaisse, l'apparition d'un jour tout semblable se produit autant de fois qu'il y a d'ordres distincts dans la création, laquelle se développe, sur le type parfait du nombre 6 : par conséquent le soir du premier jour est le moment où elle prend conscience d'elle-même et reconnaît qu'elle n'est pas Dieu ; le matin qui clôt le premier jour et tout ensemble ouvre le second, marque d'abord le mouvement qui la porte à rattacher son existence à Dieu et à lui en faire hommage, puis la connaissance qu'elle acquiert, au sein du Verbe, de la création qui va suivre la sienne, je veux dire celle du firmament. Cette révélation lui est faite au moment où s'accomplissent ces paroles: « Il en fut ainsi. » Ensuite elle voit le firmament en lui-même, lorsqu'il est créé selon cette seconde formule : « Et Dieu fit le firmament. » Le soir se produit dans la lumière, lorsqu'elle a vu le firmament dans la réalité et non plus dans l'intelligence divine : cette connaissance étant moins sublime que la première est exactement représentée par le soir. Survient alors le matin qui termine le second jour et commence le troisième: c'est l'instant où la lumière remonte à Dieu pour le bénir d'avoir fait le firmament et pour apprendre du Verbe la création qui va suivre. Quand Dieu dit : « Que les eaux qui sont sous le ciel se rassemblent et que la terre aride paraisse, » elle connaît cette oeuvre dans le sein du Verbe, selon le sens attaché à la formule : « cela se fit; » en d'autres termes, le plan divin se révèle à elle par l'entremise du Verbe ; puis elle le voit réalisé. L'instant où la lumière, aperçut sous ses formes distinctes l'ouvrage dont elle avait connu le dessein dans le Verbe, fut le troisième soir. Il en fut de mêmé jusqu'au matin qui finit et commença le sixième jour.

 

 

 

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CHAPITRE XXIII. DE LA CONNAISSANCE FORT DIFFÉRENTE QU'ON A DES CHOSES SELON QU'ON LES VOIT EN DIEU OU EN ELLES-MÊMES.
 

40. L'idée qu'on se forme des choses est en effet bien différente selon qu'on les voit en Dieu ou en elles-mêmes: la différence est aussi profonde qu'entre le jour et le soir. Comparée à la lumière contemplée au sein du Verbe, la notion qu'on se forme en considérant les choses elles-mêmes n'est qu'une nuit; en revanche cette notion comparée à l'ignorance et aux préjugés des esprits qui ne connaissent pas même les choses dans leurs propriétés naturelles, est un véritable jour. C'est à ce titre que la vie des fidèles ici bas, dans les liens de la chair et du monde, si on la compare à l'existence en dehors de la foi et de la piété, mérite le nom de lumière et de jour que lui donne l'Apôtre : « Vous étiez autrefois ténèbres : vous êtes maintenant lumière dans le Seigneur (1) ; » et ailleurs : « Renonçons aux oeuvres de ténèbres et revêtons-nous des armes

 

1. Eph. V, 8.

 

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de lumière; marchons noblement comme en plein jour (1). » Si toutefois, ce jour comparé à celui où devenus les égaux des anges nous verrons le Seigneur face à face, n'était pas une nuit, nous n'aurions pas ici besoin du flambeau des prophéties. Aussi l'Apôtre Pierre dit-il : « Nous avons la parole prophétique, à laquelle vous faites bien de vous arrêter, comme à une lampe qui luit dans un lieu obscur, jusqu'à ce que le jour commence à paraître et que l'étoile du matin se lève dans vos coeurs (2). »

 

 

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CHAPITRE XXIV. DU MODE DE LA PENSÉE CHEZ LES ANGES.
 

41. Ainsi les anges dont nous deviendrons les égaux après la résurrection (3), si nous marchons ,jusqu'à la fin dans la voie, ou dans le Christ, voient Dieu face à face, et jouissent du Verbe, du Fils unique de Dieu, égal à son Père : et c'est en eux que la sagesse a été créée avant tout (4). On ne peut donc mettre en doute qu'ils n'aient les premiers connu l'ordre de la création, dont ils occupent le rang le plus élevé, par l'entremise du Verbe de Dieu, l'auteur de toutes choses et qui renferme dans son intelligence Je dessein éternel, suivant lequel les êtres ont été créés dans le temps. Ils ont connu ensuite ce même ordre dans les créatures qui le réalisaient; quand ils les ont aperçues comme au-dessous d'eux et qu'ils en ont béni l'immuable vérité, au sein de laquelle surtout ils contemplent le plan de la création. De cette double intention, l'une est analogue à la clarté du jour ; et l'harmonie si parfaite qui s'établit entre eux par la participation à la même vérité, constitua le jour qui fut créé le premier l'autre ressemble à la clarté affaiblie du soir. Le matin succède au soir, et cet ordre est invariable pendant les six premiers jours : c'est que la pensée des anges, loin de rester attachée à la créature, s'en sert pour glorifier, et pour aimer plus vivement Celui qui lui avait révélé le type avant l'ouvrage même ; et le jour règne pendant qu'ils restent fixés dans cette contemplation de la vérité. Supposez en effet que l'ange se soit replié sur lui-même et y ait. cherché plus de plaisir que dans le principe même auquel il doit participer pour être heureux, il serait tombé sous le poids de son orgueil comme le démon, dont nous exposerons la chute, lorsqu'il sera question du serpent qui séduisit l'homme.

 

1. Rom. XIII, 12, 13. —2 II Petr,  I, 19. — 3. Matt. XXII, 30. — 4. Eccli. I, 4.

 

 

 

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CHAPITRE XXV. POURQUOI LE MOT NUIT N'EST-IL PAS AJOUTÉ AUX SIX JOURS
 

42. Les anges connaissent donc la créature telle qu'elle est en elle-même, tout en préférant à cette idée, par choix et par amour, la science que leur communique la Vérité, principe des choses; voilà pourquoi dans la période des six jours c'est le jour et non la nuit que l'on désigne. Après le soir le premier jour s'accomplit au matin ; il en est de même du second, du troisième et ainsi de suite ,jusqu'au matin du sixième, avec lequel commence le septième jour consacré au repos de Dieu. Chaque époque comprend sans doigte un jour et une nuit, mais il n'est question que du jour. En effet la nuit se confond avec le jour pour les saints anges dans les cieux,       pendant qu'ils rapportent la connaissance qu'ils ont prise des êtres créés, à la gloire et à l'amour du Dieu en qui ils contemplent les principes éternels de la création. Cette vision sublime où tous les esprits se confondent ensemble est le jour que le Seigneur a fait et auquel l'Eglise affranchie de son pèlerinage ici bas doit être associée, afin que nous soyons à notre tour remplis en lui de joie et d'allégresse (1).

 

 

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CHAPITRE XXVI. COMMENT FAUT-IL COMPTER LES SIX JOURS?
 

43. C'est donc à l'époque où se renouvela pour la sixième fois le jour, tel qu'il vient d'être expliqué avec ses alternatives du soir et du matin, que la création fut achevée dans son ensemble. Alors survint le matin, pour clore le sixième jour et tout ensemble ouvrir le septième; celui-ci devait n'avoir jamais de soir, parce que le repos divin n'appartient pas à la création. En effet, à mesure que la création se faisait, les êtres apparaissaient aux anges, tantôt au sein de la Vérité, avant leur formation, tantôt dans la réalité; la lumière allait ainsi s'affaiblissant et produisait le soir. Il ne faut pas, dans la suite ainsi comprise des œuvres divines, regarder un jour comme un cadre où vient se disposer un ouvrage qui se termine au soir, tandis que le matin inaugure une création nouvelle; on se condamnerait alors à soutenir, contre le témoignage de l'Ecriture, que le septième jour est une création en dehors des six premiers jours,

 

1. Ps. CXVII, 24.

 

 

194

 

ou qu'il n'est pas une création divine : non ; le jour, ouvrage du Seigneur, se reproduit à chaque création nouvelle, et se mesure, non au tour que décrit un astre, mais au mouvement qui s'opère dans la pensée des anges, quand ce chœur bienheureux contemple dans le Verbe, au commandement de la puissance créatrice: « fiat, » le type de la créature qui va se former ; ce type se réfléchit dans leur intelligence, selon les formules de l'Ecriture : « cela se fit; » puis la créature elle-même se découvre à leurs regards, et cette clarté ,plus obscure forme lé soir; enfin, cette connaissance qu'ils ont prise de l'être réalisé, ils la rapportent à la gloire de la vérité, où ils en ont contemplé le type ; c'est le matin. Les trois premiers jours de la création désignent donc un jour qui ne doit pas se mesurer comme le nôtre,     sur le cours du soleil : il est d'une nature bien différente, et,ces trois jours dont il est parlé avant la création des astres dans le ciel peuvent nous en donner quelque idée. Loin d'expirer au quatrième jour, ce jour spécial se continue jusqu'au sixième et au septième, comme pour nous empêcher de calculer des jours ordinaires avec la naissance des astres : le jour et la nuit représentent donc des idées fort différentes, selon que Dieu les forma lorsqu'il « sépara la lumière d'avec les ténèbres, » ou qu'il les établit, lorsqu'il assigna aux luminaires du ciel le rôle de séparer le jour d'avec la nuit (1). » Il créa le jour ordinaire, au moment qu'il créa le soleil dont la présence à l'horizon fait le jour actuel ; mais cet autre jour créé d'abord était déjà reproduit pour la troisième fois, lorsqu'à la quatrième aurore les luminaires furent crées.

 

 

 

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CHAPITRE XXVII. LES JOURS DE LA SEMAINE NE RESSEMBLENT PAS AUX JOURS DE LA GENÈSE.
 

44. Dans la condition où nous sommes placés ici-bas, il nous est impossible de vérifier par l'expérience, la durée du jour primitif ou des jours qui en furent la reproduction: nous ne pouvons que faire des hypothèses. On ne doit donc pas précipiter son jugement ni se figurer que son hypothèse est le dernier degré de la vraisemblance et de la probabilité. Toutefois, les sept jours de la semaine, de cette période qui laisse le temps s'enfuir et tour à tour le ramène, et dans laquelle chaque jour s'étend dû lever au coucher

 

1. Gen. 1, 14.

 

du soleil, ne sauraient représenter les sept jours primitifs : il est hors de doute qu'entre ces deux révolutions il y a peu de rapports et des différences profondes.

 

 

 

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CHAPITRE XXVIII. CETTE EXPLICATION DE LA LUMIÈRE ET DU JOUR N'EST POINT UNE ALLÉGORIE.
 

45. Qu'on ne s'imagine pas que cette lumière toute intellectuelle, cette création des anges et d'un jour qui ne brille que pour les esprits, cette vision en Dieu, cette perception des êtres créés, ce retour à l'immuable Vérité où le type des créatures s'est révélé aux anges avant de leur apparaître dans la réalité ; qu'on ne s'imagine pas, dis-je, que ces mouvements spirituels ne soient qu'une figure, nue allégorie pour représenter 1 e ,jour, le matin et le soir. Sans doute on ne retrouve pas ici les phénomènes produits chaque jour par la lumière physique :mais il ne faut pas croire que le symbole soit substitué à la réalité. Plus la lumière est pure, excellente, plus il règne un jour véritable. Pourquoi n'y aurait-il pas également un soir, un matin plus purs que les nôtres ? Si aujourd'hui la lumière s'affaiblit au coucher du soleil, et forme le soir par 'son déclin ; si elle reparaît à l'Orient et forme le matin, pourquoi n'appellerait-on pas soir le moment où l'intelligence s'abaisse du Créateur à la créature, et matin celui où elle s'élève du spectacle des créatures à la glorification du Créateur ? Jésus-Christ n'est pas appelé lumière (1) au même sens qu'il est appelé la principale pierre de l'angle (2) ! De ces deux expressions, l'une est prise au sens propre, l'autre n'est qu'une figure. Si donc on n'approuve pas cette manière de compter les six jours, telle que notre faiblesse nous a permis de la découvrir ou de l'imaginer et qu'on veuille en chercher une autre plus satisfaisante dans la nature même des êtres créés, en dehors de tout sens prophétique ou allégorique, qu'on cherche et qu'on réussisse à trouver avec l'aide du ciel. Je ne désespère pas de découvrir moi-même. une autre explication mieux appropriée encore aux paroles de l'Ecriture. En avançant cette opinion je ne prétends pas qu'il soit impossible d'en trouver une plus plausible; j'affirme, je l'avoue, avec plus de confiance que l'Ecriture sainte, en parlant du repos de Dieu, n'a voulu nous montrer en lui ni fatigue ni accablement.

 

1. Jean. VIII, 12. — 2. Act. IV, 11

 

 

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CHAPITRE XXIX. DU JOUR , DU MATIN, DU SOIR, EN TANT QU'OPÉRATIONS INTELLECTUELLES DES ANGES..
 

46. On sera peut-être.même tenté de provoquer une discussion avec moi, et de m'objecter que les anges au plus haut des cieux ne contemplent pas d'abord le type éternel des créatures au sein de la vérité immuable, puis les créatures en elles-mêmes, pour rapporter enfin cette connaissance à la gloire de Dieu; mais que leur intelligence exécute à la fois toutes ces opérations avec une aisance merveilleuse. Eh bien! Niera-t-on, ou méritera-t-on d'être écouté, si on le nie, que la cité céleste, formée de tant de milliers d'anges, voit l'éternité du Créateur, connaît l’existence éphémère des créatures, et de cette idée subalterne s'élève à la glorification de Dieu ? Qu'ils puissent accomplir cette triple opération et qu'ils l'accomplissement simultanément, il n'en est pas moins vrai qu'ils peuvent l'accomplir et qu'ils l'accomplissent. Donc pour eux jour, soir, matin, tout est simultané.

 

 

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CHAPITRE XXX. LA SCIENCE DES ANGES N'EST PAS RABAISSÉE PARCE QU'ELLE DEVIENT TOUR-A-TOUR PLUS OBSCURE OU PLUS VIVE.
 

47. Tout esprit capable de s'élever à ces considérations n'ira point sans doute s'imaginer que ces mouvements dans les intelligences célestes sont impossibles, parce que les phénomènes analogues dans l'ordre physique ne peuvent avoir lieu avec le jour, tel qu'on le mesure aujourd'hui sur le cours du soleil. Le phénomène ne se produit pas dans les mêmes contrées à la fois, je l'avoue: mais qui ne voit avec un peu d'attention que l'univers entier atout à la fois le jour et la nuit, le matin et le soir, à mesure que le soleil brille sur un pays et en disparaît, à mesure qu'il s'approche d'un lieu ou s'en éloigne ? Ces phénomènes ne sont point simultanés pour- nous sur ce globe; mais ce n'est point une raison pour assimiler l'ordre qui règne ici-bas et la révolution accomplie dans l'espace et dans le temps par la lumière physique, aux harmonies de la patrie céleste, où la contemplation de l'immuable vérité fait régner un jour éternel, où la connaissance de la création en elle-même suivie d'un élan pour bénir le Créateur produisent perpétuellement le soir et le matin. Le soir, loin d'y naître par le déclin du soleil, n'est qu'une vue jetée en bas sur la créature: le matin n'y succède pas à la nuit, comme une idée nouvelle à l'ignorance, c'est le moment où de la pénombre du soir l'intelligence s'élève pour louer Dieu. Le Psalmiste s'écrie, sans nommer la nuit : « Je louerai et je raconterai. vos merveilles le soir, le matin et à midi, et vous écouterez ma voix (1). » Tout en distinguant certains points dans la durée, le Psalmiste veut parler, à mon sens, d'actes indépendants de la succession des temps, au sein de la patrie, après laquelle son exil le faisait soupirer.

 

 

 

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CHAPITRE XXXI. AU DÉBUT DE LA CRÉATION, LE JOUR, LE SOIR ET LE MATIN , APPARURENT SUCCESSIVEMENT AUX ANGES.
 

48. Le choeur des anges possède à la fois toutes ces connaissances dans l'unité du jour créé primitivement par le Seigneur. En fut-il de même au début de la création ? N'est-il pas vrai, au contraire, que, dans les six jours où il plaisait à Dieu de composer successivement ses ouvrages, les anges voyaient d'abord dans le Verbe le type de l'oeuvre, qui prenait une première forme clans leur intelligence, selon la parole : « cela se fit; » qu'ensuite, ils connaissaient l'oeuvre réalisée dans sa nature, lorsque Dieu l'avait composée et en avait approuvé l'excellence ; et cette connaissance, reflet affaibli de la première formait le soir; qu'enfin le matin apparaissait, au moment où ils louaient Dieu en son oeuvre et qu'ils étaient initiés par le Verbe à la création qui allait s'accomplir? Par conséquent ces trois époques, jour, soif, matin, n'étaient pas, alors connues simultanément ; elles se succédaient dans l'ordre marqué par l'Écriture.

 

 

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CHAPITRE XXXII. LA SIMULTANÉITÉ DE CES IDÉES N'EN EXCLUERAIT PAS L'ORDRE SUCCESSIF.
 

49. Toutefois, comme ces opérations n'étaient pas subordonnées à la marche du temps et ne se produisaient pas avec la lenteur de la révolution du soleil, ne pourrait-on en concevoir la simultanéité en songeant à l'intelligence puissante qui aurait permis aux anges d'embrasser à la fois

 

1. Ps. LIV, 18.

 

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toutes ces idées ? S'il en est ainsi, la simultanéité ne saurait détruire l'ordre qui enchaîne les causes aux effets. Car la connaissance ne peut avoir lieu sans que l'objet à connaître ne préexiste : seulement,tout existe dans le Verbe, l'auteur de tout, avant d'exister en soi. Aussi l'esprit humain, part de la réalité que lui livrent les sens et en acquiert l'idée dans les limites de sa faiblesse : de là, il passe à la recherche des causes ; il essaie de rencontrer jusqu'aux principes éternels et absolus qui subsistent dans le Verbe de Dieu et d'apercevoir dans ses oeuvres ses attributs invisibles (1). Que de peines dans cette recherche, que de difficultés! ,que de temps fait perdre ce corps périssable qui alourdit l'âme (2), même chez ceux qu'un divin enthousiasme emporte sans trêve ni repos vers ces vérités sublimes! Personne ne l'ignore. Mais l'ange, attaché au Verbe de Dieu par l'amour le plus pur, ayant été créé le premier, vit les êtres dans le Verbe avant de les connaître dans la nature: les êtres apparurent dans son intelligence au commandement de Dieu, avant d'exister sous leurs formes réelles ; enfin, lorsqu'ils eurent été créés, il les vit en eux-mêmes, et cette notion d'un ordre inférieur s'appela le soir. Assurément les oeuvres se faisaient avant d'être connues : car un objet ne peut être connu s'il n'existe pas déjà. Ajoutez que si les anges se fussent complu en eux-mêmes, au lieu de trouver leur félicité dans le Créateur, le matin n'aurait pas eu lieu, puisqu'ils ne seraient pas sortis du théâtre de leur conscience pour s'élever jusqu'à louer Dieu. Mais le matin se leva, il y eut un ouvrage à composer et à connaître, quand se fit entendre le commandement du Créateur; cet ouvrage fut d'abord connu des anges et se réalisa dans leur intelligence, puisque l'Ecriture ajoute : « et cela se fit ; » il fallut enfin qu'il se réalisât en lui-même, pour être connu le soir qui suivit.

50. Lors même que le temps ne se succéderait pas avec ses diverses époques pour les anges, il n'en faut pas moins admettre la préexistence du type de la créature dans le Verbe de Dieu, quand se fit entendre le commandement : « Que la lumière soit. » Cette parole fut suivie de la lumière, dont, f esprit des anges fut formé : ils reçurent ainsi leur être, sans qu'il eût été reproduit dans ale autre intelligence; aussi l'Ecriture ne dit-elle point ici, comme ailleurs : et cela se fit, et Dieu fit la lumière. La. création de la lumière suivit immédiatement la parole du Verbe ;

 

1. Rom. I, 20. — 2. Sag. IX, 15.

 

la lumière créée s'attacha aussitôt à la lumière créatrice; elle la vit et s'y vit elle-même ,' en d'autres termes, elle vit le principe de son existence. Elle se vit aussi en elle-même, c'est-à-dire qu'elle reconnut la distance infranchissable qui séparait la créature du Créateur. Lors donc que Dieu eut approuvé son ouvrage et en eut vu l'excellence, qu'il eut séparé la lumière d'avec les ténèbres et nommé la lumière jour, les ténèbres nuit, le soir se fit: il fallait, en effet, que la créature se connût en elle-même et se distinguât d'avec son Créateur ; le matin apparut ensuite, pour révéler le second ouvrage du Verbe, le firmament : il fut connu des anges avant sa formation, puis il leur apparut dans sa réalité. Aussi est-il écrit : « Dieu dit, que le firmament se fasse ; et il fut fait, ». mais dans la connaissance que les anges eurent de sa création, avant qu'elle fût accomplie. Puis on ajouté : « Et Dieu fit le firmament, » en d'autres termes, le firmament sous sa forme actuelle, et la connaissance de ces ouvrages, inférieure à sa vision en Dieu, fut une sorte de crépuscule. Il en fut ainsi jusqu'au moment ou s'acheva la création et où commença le repos divin qui n'admet pas de soir, parce qu'il n'est point une création dont l'idée pouvait se dédoubler en quelque sorte, préexistante et plus pure dans le Verbe, où elle aurait eu l'éclat du jour, postérieure et plus obscure en elle même, où elle n'aurait plus eu que la pâle clarté du soir.

 

 

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CHAPITRE XXXIII. LA CRÉATION A-T-ELLE ÉTÉ SIMULTANÉE OU SUCCESSIVE
 

51. Mais si on admet que l'intelligence est assez puissante chez les anges pour embrasser à la fois la série des causes et des effets qu'analyse le langage humain, ne doit-on pas reconnaître que les oeuvres divines, le firmament, l'agglomération des eaux, la terre nue, le ;jet des arbres ,et des végétaux, la formation des luminaires et des étoiles, la création des êtres qui se meuvent sur la terre et dans les eaux, tout a été créé du même coup? Chaque ouvrage a-t-il une date marquée dans la période des six jours, ou plutôt, faudrait-il cesser de comparer aux mouvements de la nature, tels que les révèle l'expérience, les lois établies à l'origine du monde, et concevoir les révolutions primitives d'après la puissance infinie, ineffable de la Sagesse de Dieu, dont l'activité s'étend d'un bout du monde à l'autre et dispose (197)  tout avec harmonie (1) ? Si donc la Sagesse divine n'atteint pas son but par une suite de démarches et comme par degrés, Dieu a créé l'univers avec la même facilité que la Sagesse exécute les mouvements les plus puissants, puisqu'il a tout créé par elle; par conséquent, les mouvements que les créatures accomplissent aujourd'hui, pour remplir les fonctions qui leur sont assignées, sont la conséquence des principes et comme le développement des germes que Dieu a répandus en elles du même coup dont il créa l'univers : « Il parla, dit le Psalmiste, et les êtres furent créés; il commanda, et l'univers parut (2). »

52. Les êtres ne furent donc point créés avec cette lenteur qui caractérise aujourd'hui leur existence; les générations, au début, ne mirent point à se former tout le temps qu'elles durent maintenant. En effet, le temps accomplit aujourd'hui des révolutions qui, à l'origine, ne pouvaient être la conséquence de sa nature. Autrement, si nous voulions voir dans les mouvements naturels des êtres et dans les jours actuels la même durée que dans la création primitive, ce ne serait plus un jour, mais une foule de jours qu'aurait exigés pour se développer, dans l'intérieur de la terre, la végétation aux racines sans nombre qui tapisse le sol: il aurait encore fallu plusieurs jours pour lui permettre de se développer en plein air, selon la variété des espèces, et d'acquérir la perfection qu'elle atteignit en un jour, c'est-à-dire, le troisième, d'après le récit de l’Ecriture sainte. Combien de jours ne fallut-il pas aux oiseaux pour être capables de voler, s'ils furent créés petits encore et s'ils attendirent, pour avoir leurs plumes et leurs ailes, le temps qu’exige aujourd'hui la nature ? N'y avait-il que les oeufs de créés, quand, au cinquième jour, les eaux reçurent le commandement de laisser sortir de leur sein les oiseaux avec toutes leurs variétés? Si, pour appuyer cette assertion, on fait observer avec justesse que dans la partie liquide des oeufs étaient déjà renfermés tous les germes qui se fécondent et se développent en un temps déterminé, par la raison que les principes de la vie étaient déjà mêlés à la matière ; pourquoi ne pas admettre qu'antérieurement aux oeufs mêmes, l'eau contenait déjà les germes dont les oiseaux devaient sortir, en se développant dans la période de temps qu'exige leur espèce? La même Écriture qui raconte que Dieu acheva toutes ses oeuvres en six jours, dit ailleurs, sans

 

1. Sag. VIII, 1. — 2. Ps. XXXII, 9.

 

se contredire, que Dieu a créé tout ensemble (1). Par conséquent, Dieu ayant tout fait ensemble, a créé à la fois la période des six ou des sept jours, disons mieux, a créé un jour qui s'est renouvelé six ou sept fois. Pourquoi donc distinguer avec tant de rigueur et de précision six jours dans le récit sacré? La raison en est claire : les esprits qui ne sauraient comprendre « que Dieu ait tout créé ensemble, » ne peuvent atteindre le but où l'Ecriture les mène, qu'au moyen d'un récit aussi lent que leur intelligence.

 

 

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CHAPITRE XXXIV. LA CRÉATION EST SIMULTANÉE, SANS CESSER D'ÊTRE DIVISÉE EN SIX ÉPOQUES.
 

53. Comment soutenir a présent que les six jours n'ont été que la lumière se renouvelant à six reprises différentes dans l'intelligence des Andes, du soir au matin? Ne suffisait-il pas qu'ils vissent à la fois cette triple révolution du jour, du matin, du soir? Ne pouvaient-ils pas contempler la création comme elle a été faite, dans son ensemble, et, du même coup, connaître ses principes éternels et invariables, voir les êtres eux-mêmes, enfin s'élever de ces dotions plus grossières pour célébrer les louanges du Créateur, en d'autres termes, assister à la fois à l'apparition du jour, du soir et du matin? Comment le matin survenait-il d'abord, afin d'initier les anges à l'oeuvré que Dieu allait accomplir; comment le soir suivait-il, afin de leur montrer l'être réalisé, si les oeuvres ayant été faites toutes ensemble, il n'y avait plus ni antériorité ni postériorité? Loin de voir là une contradiction, il faut admettre avec l'Ecriture que les œuvres divines se sont faites successivement durant six jours et qu'elles se sont faites toutes en même temps : car l'Écriture est infaillible, soit qu'elle raconte la création du monde en six jours, soit qu'elle la proclame simultanée; elle est une dans ces deux passages, parce qu'elle est écrite partout sous l'inspiration du Saint-Esprit.

54. Toutefois, bien que dans cet ordre d'idées la différence des temps ne marque pas la suite des faits, et qu'on puisse y voir également Soit, la simultanéité, soit l'antériorité ou la postériorité, la simultanéité est plus facile à comprendre. Voici une comparaison. Quand nous regardons le soleil levant, il est clair que nos regards ne peuvent atteindre cet astre qu'à la condition de percer à

 

1, Eccli. XVIII, 1.

 

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A travers l'air et le ciel, jusqu'à lui; or, qui pourra calculer cette distance? Assurément, le regard, ou, si l'on veut, le jet de lumière sorti de nos yeux, ne peut traverser l'air au-dessus de la mer, qu'à la condition de traverser l'air qui s'étend du lieu où nous sommes dans l'intérieur des terres jus qu'aux rivages.       S'il y a des pays au delà de la mer, dans la direction- même du rayon visuel, le regard, pour traverser l'air qui enveloppe ces régions d'outre-mer, doit franchir encore l'air qui s'étend au-dessus des flots. Supposons enfin qu'il ne reste plus devant nous que la plage de l'Océan : le regard peut-il percer l'air qui s'étend au-dessus de l'Océan, sans traverser celui qui s'étend au-dessus du globe jusqu'à l'Océan lui-même ? La grandeur de l'Océan, dit-on, est incommensurable; quelle qu'elle soit, il faut d'abord que le regard perce l'atmosphère qui est au-dessus, puis tout l'espace au-dessus de l'atmosphère : alors enfin il atteint le corps du soleil. Eh bien! malgré cette série d'actes, qui se précèdent ou se suivent, le  regard ne franchit-il pas tous ces espaces à la fois? Qu'on se place en face du soleil les yeux fermés et qu'on les ouvre tout-à-coup : ne croirons-nous pas avoir découvert cet astre plutôt que d'y avoir dirigé nos yeux? N'est-il pas vrai que l'œil semble avoir atteint le but aussi vite qu'il s'est ouvert? Et cependant, ce regard, qui atteint un corps placé à une distance presque incalculable avec une vitesse prodigieuse, n'est qu'un' rayon de lumière naturelle, émis par nos yeux! Il est bien évident qu'il traverse du même coup ces espaces infinis, et il n'est pas moins certain qu'il les traverse successivement.

55. C'est avec raison que l'Apôtre, voulant exprimer avec quelle rapidité s'opérerait notre résurrection, a dit qu'elle aurait lieu en un clin d'oeil (1) : de tous les mouvements physiques, aucun n'est plus rapide. Riais si le regard lancé par des yeux de chair est doué d'une vitesse si prodigieuse, que sera-ce du regard de l'esprit humain, du regard des anges? Que sera-ce surtout de la Sagesse de Dieu, qui pénètre partout par sa pureté, que rien ne peut altérer (2)? Ainsi dans

 

1. Cor. XV, 52. — 2. Sag. VII, 24.

 

toutes les oeuvres créées en même temps, on ne peut voir celle qui a dû précéder ou suivre l'autre qu'à la lumière de la Sagesse même qui a tout créé en ordre et du même coup.

 

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CHAPITRE XXXV. RÉSUMÉ DE LA THÉORIE DES SIX JOURS.
 

56. En résumé, le jour primitif créé par le Seigneur, étant la lumière intellectuelle, celle qui éclaire les anges et les Vertus célestes, a accompagné toutes les oeuvres de Dieu, dans l'ordre même des connaissances que ces esprits ont acquises. Or, ils voyaient d'avance au sein du Verbe de Dieu l'œuvre qui allait s'accomplir et la découvraient ensuite dans sa réalité : cet ordre était indépendant de la succession du temps ; ce qui était antériorité et postériorité dans la série logique des créations, était simultanéité dans la puissance créatrice. Car, si Dieu a fait des ouvrages qui devaient durer, il n'a point créé dans le temps, mais il a fait le temps destiné à s'écouler. Par conséquent, cette période de jours que la lumière du soleil par sa révolution ramène sans cesse, n'est qu'une ombre qui nous invite à chercher ces jours plus vrais, durant lesquels la lumière intellectuelle a été associée à tous les ouvrages de Dieu, dans la période marquée par le premier des nombres parfaits. Le repos de Dieu, au septième jour, a commencé par un matin qui ne devait point être suivi du soir ; car, si Dieu s'est reposé le septième jour, ce n'est pas qu'il eût besoin du septième jour pour se délasser, mais il s'est reposé, aux yeux des anges, de tous les ouvrages qu'il avait faits, et ne s'est reposé qu'en lui-même, parce qu'il est l'être incréé : et par là, les anges, qui avaient connu ses ouvrages, soit en lui soit sous leurs formes, avec la clarté du jour et la faible lueur du soir, reconnurent que la création, malgré son excellence, était au-dessous du repos par lequel Dieu rentrait en lui-même et marquait qu'il n'avait besoin d'aucune de ses oeuvres pour être heureux.

 
 
 
 

source: http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin/index.htm

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