www.JesusMarie.com
Saint Augustin d'Hippone
Lettres 179 à 190
LETTRE CLXXIX. (Année 416.)
 

Jean était évêque de Jérusalem; nous avons dit dans l'Histoire de saint Augustin (2) quelle fut son attitude en face de Pélage à l'assemblée de Diospolis. Saint Augustin , profitant d'une occasion pour Jérusalem, écrit à Jean pour l'avertir et l'instruire. Toutes ces lettres; à la naissance d'une grande hérésie, sont très-intéressantes, et nous font assister à l'impression même des contemporains.
 
 

AUGUSTIN, A SON BIENHEUREUX SEIGNEUR ET VÉNÉRABLE FRÈRE ET COLLÈGUE JEAN, SALUT DANS LE SEIGNEUR.
 

1. Je n'ose pas me plaindre de n'avoir reçu aucune lettre de votre sainteté; j'aime mieux croire qu'une occasion vous a manqué que de croire à un dédaigneux oubli de votre part, bienheureux seigneur et vénérable frère. Maintenant voici un serviteur de Dieu , Luc , à qui je confie cette lettre, et qui se propose de bientôt revenir; je rendrai d'abondantes actions de grâces à Dieu et à votre bonté, si vous daignez lui confier quelque chose pour moi. J'entends dire que vous aimez beaucoup notre frère Pélage, votre fils : mais les hommes qui le connaissent le mieux par ses discours, craignent que votre sainteté ne se méprenne sur son compte; accordez-lui la grâce de les détromper.
 
 

2. Histoire de saint Augustin, chap. XXXVI.
 
 

470
 
 

2. Parmi ses disciples, il en est deux, de noble naissance et versés dans les belles-lettres, qui , d'après ses exhortations ont renoncé aux espérances du siècle et se sont dévoués au service de Dieu. En eux pourtant avaient apparu certaines choses contraires à la saine doctrine renfermée dans l'Evangile du Sauveur et annoncée par les apôtres; on trouvait qu'ils attaquaient la grâce de Dieu par laquelle nous sommes chrétiens et dans laquelle « nous attendons la justice par l'esprit et en vertu de la foi (1). » C'est par nos avis qu'ils ont commencé à revenir à la vérité, et ils m'ont donné un livre qu'ils ont dit être de Pélage, me priant d'y répondre. Ayant vu que je devais faire cela pour mieux ôter de leur âme cette erreur criminelle, j'ai lu et j'ai répondu.

3. Dans ce livre, Pélage n'entend par la grâce de Dieu que la nature par laquelle nous sommes formés avec le libre arbitre. Quant à la grâce que la sainte Ecriture nous marque en d'innombrables endroits, nous apprenant que c'est elle qui nous justifie, c'est-à-dire qui fait qu'on devient juste et que la miséricorde de Dieu nous aide à accomplir, et à accomplir parfaitement toute bonne oeuvre (et les prières des saints nous le montrent clairement aussi, car les saints demandent au Seigneur de pouvoir observer ce que le Seigneur commande) quant à cette grâce, dis-je, non-seulement Pélage n'en parle pas, mais il avance beaucoup de choses contraires. Il affirme en effet et soutient fortement que la nature humaine, par le seul libre arbitre, suffit à l'accomplissement des oeuvres de justice et à l'observance de tous les commandements de Dieu. En lisant ce livre, qui donc ne voit pas combien la grâce de Dieu y est combattue, cette grâce dont l'Apôtre dit : « Malheureux homme que je suis ! qui me délivrera du corps de cette mort? La grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur (2)? » Il ne s'y trouve plus de place pour le secours divin en vue duquel nous devons dire en priant : « Ne nous induisez pas en tentation (3) ? » Si tout peut s'accomplir sans l'aide de Dieu avec le seul pouvoir de la volonté, c'est sans raison que le Seigneur aura dit à l'apôtre Pierre : « J'ai prié pour toi de peur que ta foi ne défaille (4). »

4. Ces discours pervers et impies ne sont pas seulement en contradiction avec nos prières,
 
 

1. Galat. V, 5. — 2. Rom. VII, 24, 25. — 3. Matth. VI, 13. — 4. Luc, XXII, 32.
 
 

par lesquelles nous demandons au Seigneur tout ce que nous croyons que les saints ont de. mandé; ils le sont aussi avec les bénédictions que nous implorons sur le peuple quand nous souhaitons et que nous demandons pour lui au Seigneur qu'il fasse croître de plus en plus la charité au milieu de lui (1), qu'il donne à tous de s'affermir dans la vertu par son Esprit selon les richesses de sa gloire (2) , qu'il les remplisse de toute joie et de paix dans la foi et qu'ils abondent dans l'espérance et dans la puissance du Saint-Esprit (3). Pourquoi demander pour eux ces choses, comme faisait l'Apôtre, si déjà notre nature , créée avec le libre arbitre, peut se les attribuer de sa propre volonté? Pourquoi le même Apôtre dit-il encore : « Car tous ceux qui sont conduits par l'Esprit de Dieu sont enfants de Dieu (4) , si c'est notre propre nature qui nous conduit pour devenir enfants de Dieu ? Pourquoi saint Paul dit-il : « Que l’Espprit aide notre faiblesse (5), » si notre nature est telle qu'elle n'ait pas besoin du secours de l'Esprit pour les oeuvres de justice? Pourquoi est-il écrit que « Dieu est fidèle, qu'il ne permettra pas que nous soyons tentés au-dessus de nos forces et qu'il nous fera profiter de la tentation elle-même, afin de pouvoir persévérer (6), » si nous trouvons dans les forces du libre arbitre de quoi surmonter toutes les tentations ?

5. Que dirai-je de plus à votre sainteté ? Je sens que je vous fatigue , d'autant plus que vous avez besoin qu'on vous traduise ma lettre. Si vous aimez Pélage, qu'il vous aime lui aussi, ou, plutôt, qu'il s'aime lui-même, et qu'il ne vous trompe pas. Lorsque vous l'entendez reconnaître la grâce de Dieu et le secours de Dieu , vous croyez qu'il entend ce que vous entendez vous-même d'après l'enseignement catholique; car vous ne savez pas ce qu'il a écrit dans son livre. C'est pour cela que je vous envoie ce livre et ce que j'y ai répondu; votre grandeur verra de quelle grâce et de quel secours il entend parler, quand on lui fait remarquer que son sentiment est en opposition avec la grâce de Dieu et le secours de Dieu. Montrez-lui donc , par vos instructions, vos exhortations, vos prières pour son salut qui doit être dans le Christ, qu'il faut qu'il reconnaisse cette même grâce de Dieu , reconnue par les saints , quand ils demandaient au
 
 

1. I Thess. III, 12. — 2. Ephés. III, 16. — 3. Rom. XV, 13. — 4. Rom. XIII, 44. — 5. Ibid. 26. — 6. I Cor. X, 13.
 
 

471
 
 

Seigneur de pouvoir exécuter ses commandements : les prescriptions imposées prouvent notre volonté , et les prières des saints prouvent le besoin d'être aidé dans la faiblesse de la volonté humaine.

6. Demandez nettement à Pélage s'il veut qu'on prie pour ne pas tomber dans le péché. S'il ne le veut pas , qu'on lui lise ce passage de l'Apôtre : « Mais nous prions Dieu pour que vous ne fassiez rien de mal (1). » S'il y consent, qu'il prêche ouvertement la grâce par laquelle nous sommes secourus, de peur qu'il ne fasse lui-même beaucoup de mal. Car cette grâce de Dieu, par Jésus-Christ Notre-Seigneur, sauve tous ceux qui sont sauvés : personne , sans elle , ne peut l'être en aucune manière. « De même que tous meurent en Adam , dit l'Apôtre, de même tous seront vivifiés en Jésus-Christ (2) ; » cela ne signifie pas que nul ne sera condamné, mais que nul ne sera sauvé autrement. Comme il n'est point de fils de l'homme qui ne le soit par Adam, ainsi il n'y a d'enfants de Dieu que ceux qui le sont par le Christ. Par Adam seul on peut devenir fils de l'homme, et aucun fils de l'homme ne peut que par le Christ devenir fils de Dieu. Que Pélage nous dise ici franchement sa pensée ; veut-il qu'on sauve par la grâce du Christ les enfants qui ne peuvent pas encore vouloir ni connaître la justice ? Croit-il que le péché soit entré dans le monde par un seul homme et par le péché la mort, et que la mort ait passé à tous les hommes par ce seul homme en qui tous ont péché (3) ? Croit-il que ce soit aussi pour les enfants, à cause du péché originel , qu'ait été répandu le sang du Christ, qui l'a été pour la rémission des péchés (4) ? Voilà principalement les points sur lesquels nous voulons savoir ce qu'il croit , ce qu'il soutient, ce qu'il reconnaît et prêche. Quant aux autres reproches qu'on lui adresse, lors même qu'il serait convaincu d'erreur, qu'on le supporte plus patiemment jusqu'à ce qu'il se corrige.

7. Je vous demande aussi de vouloir bien nous transmettre les actes ecclésiastiques par lesquels on dit qu'il s'est justifié. Je le demande au nom de beaucoup d'évêques qui partagent à cet égard mes doutes inquiets. Si je suis seul à vous écrire , c'est que je n'ai pas voulu perdre l'occasion de ce porteur pressé de s'embarquer et qui se propose, dit-on , de revenir
 
 

1. II Cor. XIII, 7. —              2. I Cor. XV, 22. — 3. Rom. XV, 12. — 4. Matth. XXVI, 28.
 
 

bientôt de son voyage. Au lieu de ces actes ou d'une partie de ces actes, Pélage nous a envoyé une sorte de mémoire pour sa défense et comme le résumé des réponses qu'il aurait faites aux objections des évêques des Gaules (1). Dans ce mémoire, répondant au reproche d'avoir dit que l'homme peut vivre sans péché et garder, s'il le veut, les commandements de Dieu : « Je l'ai dit, a-t-il répondu ; car Dieu a  donné à l'homme ce pouvoir. Je n'ai pas dit qu'il se trouve quelqu'un qui n'ait pas péché depuis son enfance jusqu'à sa vieillesse, mais qu'un homme converti par son propre effort, peut-être sans péché, avec le secours de la grâce de Dieu, et que le péché ne le rend pas inconvertissable pour l'avenir. »

8. Pélage, dans cette réponse, votre sainteté le voit , reconnaît que le premier temps de la vie de l'homme depuis l'enfance n'est pas sans péché, mais qu'il peut, par son propre effort et avec la grâce de Dieu, s'élever à une vie qui soit sans péché. Pourquoi donc, dans le livre auquel j'ai répondu, dit-il qu'il y a des hommes dont toute la vie a été exempte de tout péché ? Car voici à cet égard ses propres paroles : « Cela peut très-bien se dire de ceux dont l'Ecriture ne rappelle ni les bonnes ni les mauvaises oeuvres ; mais pour ceux dont elle dit qu'ils ont été justes, elle aurait certainement fait mention de leurs péchés si elle avait su qu'ils en eussent commis. J'admets, ajoute-t-il, que l'Ecriture n'ait pas dévoilé les péchés de tout le monde aux époques où la foule humaine était grande ; mais au commencement du monde, lorsqu'il y avait sur la terre quatre hommes seulement, pourquoi n'aurait-elle pas marqué les péchés de chacun ? S'est-elle arrêtée devant le trop grand nombre d'hommes, puisqu'il n'y avait pas foule alors ? N'est-il pas plus vrai de dire qu'elle n'a parlé que des péchés commis, et n'a pas pu marquer des fautes qui n'existaient pas ? Au commencement des temps il y avait quatre hommes, Adam et Eve et leurs deux fils, Caïn et Abel. Eve a péché; l'Ecriture le raconte; Adam a péché; la même Ecriture le dit , et dit également que Caïn a péché ; elle ne marque pas seulement leurs péchés , elle en marque la qualité. Si Abel eût aussi péché, l'Ecriture l'aurait rapporté sans doute; si elle n'en a pas fait mention, c'est donc qu'il n'a pas péché. »
 
 

1. Héros et Lazare.
 
 

472
 
 

9. Ces paroles sont textuellement extraites du livre de Pélage, et votre sainteté pourra les trouver. Vous verrez le cas que vous devez faire de ses dénégations. Il dira peut-être  qu'Abel lui-même n'a commis aucun péché , mais qu'il n'a pas été pour cela sans péché, et qu'on ne saurait le comparer au Seigneur, qui seul a vécu sans péché dans une chair mortelle; il dira qu'Abel avait le péché originel qu'il tirait d'Adam et n'avait pas commis en lui-même. Plût à Dieu qu'il tint ce langage ! Nous pourrions alors avoir avec certitude son sentiment sur le baptême des enfants. Il ajoutera peut-être que personne, il est vrai, ne demeure sans péché depuis l'enfance jusqu'à la vieillesse, et que s'il dit qu'Abel a été sans péché, c'est qu'il n'est pas devenu vieux. Mais tel n'est pas le sens de ses paroles; il prétend qu'on pèche au premier temps de la vie et que dans la suite on peut ne plus pécher. Il se défend d'avoir dit « qu'il se trouve quelqu'un qui depuis l'enfance jusqu'à la vieillesse n'ait pas péché, » mais il convient seulement d'avoir dit que « l'homme converti par son propre effort peut, avec le secours de la grâce de Dieu, ne plus pécher. » Car le mot de « conversion » indique une première vie coupable. Qu'il avoue donc qu'Abel a péché dans ce premier temps de la vie qu'il déclare ne pouvoir être sans souillure, et qu'il relise son livre , où il a dit certainement ce que dans sa défense il déclare n'avoir pas dit.

10. S'il répond que ce livre ou que cet endroit de son livre n'est pas de lui, j'invoquerai le témoignage compétent de nobles et pieux hommes qui sont assurément de ses amis; leur témoignage sera ma justification : ils diront qu'ils m'ont eux-mêmes donné ce livre, que cet endroit s'y trouve, que l'ouvrage est de Pélage ; il me suffira que Pélage ne puisse pas dire que j'aie moi-même écrit ou falsifié le livre. Chacun est libre de croire celui d'entre eux qu'il voudra; il ne m'appartient pas de m'arrêter plus longtemps là-dessus. Nous vous prions de faire passer à Pélage le livre même, s'il nie ce qu'on lui reproche de soutenir contre la grâce du Christ. Le mémoire qu'il nous a envoyé pour sa défense est si obscur que si, par aucune ambiguïté de paroles, il ne trompe votre sainte prudence qui ne connaît pas ses autres écrits, nous en éprouverons une grande joie, et nous nous occuperons peu de savoir s'il a jamais soutenu des doctrines perverses et impies, ou s'il les a quittées pour rentrer dans la vérité.

LETTRE CLXXX. (Année 416.)
 

On connaît Océanus qui fut l'ami, le correspondant de saint Jérôme. C'est dans cette lettre que saint augustin nous apprend que le grand solitaire de Bethléem avait fini par se ranger à son sentiment sur la célèbre question du mensonge officieux; on remarquera l'humilité de l'évêque d'Hippone qui se borne à dire que saint Jérôme avait adopté en cela l'opinion de saint Cyprien.
 
 

AUGUSTIN A SON TRÈS-CHER SEIGNEUR ET VÉNÉRABLE FRÈRE, PARMI LES MEMBRES DU CHRIST, OCÉANUS, SALUT.
 

1. J'ai reçu deux lettres de votre charité; dans l'une vous en mentionnez une troisième que vous dites m'avoir précédemment envoyée; je ne me rappelle pas l'avoir reçue, ou plutôt je crois bien me rappeler qu'elle ne m'est pas parvenue. Je rends grâces à votre bonté de celles que j'ai reçues. Si je n'y ai pas répondu tout de suite, c'est qu'un ouragan d'affaires m'en a empêché. Maintenant qu'un peu de loisir m'est donné, j'aime mieux vous répondre quelque chose que de garder envers votre charité si pure un plus long silence et vous déplaire par un excès de parole bien plus que par nia taciturnité.

2. Je savais déjà le sentiment de saint Jérôme sur l'origine des âmes, et j'avais lu ce que vous citez de son livre dans votre lettre. Ce qui embarrasse la question, ce n'est pas ce qui préoccupe quelques esprits qui demandent comment Dieu pourrait accorder des âmes aux unions adultères; car si ces âmes vivent bien et s'attachent à Dieu par la foi et la piété, elles ne peuvent éprouver aucun dommage ni de leurs propres péchés, ni, à plus forte raison, des péchés de leurs parents. Mais je me demande avec raison, s'il est vrai que de nouvelles âmes soient créées de rien pour chacun de ceux qui naissent, comment celui « en qui l'iniquité n'est pas (1) » pourrait damner avec justice d'innombrables enfants qu'il sait devoir sortir de ce monde sans le baptême, avant les années de raison, avant qu'ils puissent comprendre ou faire rien de bien ou de mal. Il n'est pas besoin de s'étendre là-dessus, parce que vous savez ce que je veux ou plutôt ce que je ne veux pas dire; je crois m'être assez
 
 

1. Rom. IX, 14.
 
 

473
 
 

expliqué avec un homme tel que vous. Toutefois si vous lisez, ou si vous entendez de la bouche de saint Jérôme, ou si Dieu vous inspire à vous-même quelque chose qui puisse résoudre la question, je vous conjure de me le communiquer, et je vous en rendrai de plus amples actions de grâces.

3. Quant au mensonge officieux et utile pour lequel vous avez cru pouvoir indiquer l'exemple de Notre-Seigneur, qui dit que le Fils ignore le jour et l'heure de la fin du monde (1) , je prenais plaisir,, en vous lisant, aux efforts de votre esprit, mais il ne me paraît pas du tout qu'une locution figurée puisse s'appeler un mensonge. Ce n'est pas mentir que de dire qu'un jour est joyeux parce qu'il nous rend joyeux, ou que le lupin est triste parce que son amertume donne une expression de tristesse au visage de celui qui en goûte; ou de dire que Dieu sait quand il permet que l'homme connaisse; vous avez rappelé vous-même que cela a été dit à Abraham (2). Ce ne sont pas là des mensonges; vous le voyez aisément. C'est pourquoi le bienheureux Hilaire, expliquant ce passage obscur, y a reconnu un langage figuré; il nous fait entendre que le Seigneur n'a pas dit qu'il ignorât en lui-même « le jour et « l'heure, » mais qu'il l'ignorait en ceux à qui il voulait le cacher (3) ; et par là saint Hilaire n'a pas excusé un mensonge, il a montré qu'il n'y en avait pas, non-seulement dans ces tropes moins en usage, mais même dans la métaphore qui est une manière de parler connue de tous (4). Quelqu'un prétendra-t-il que c'est mentir que de dire que les vignes sont perlées, les moissons ondoyantes , les jeunes gens fleuris, par la raison qu'on ne voit ici ni perles ni ondes ni fleurs proprement dites?

4. Avec votre esprit et votre instruction vous comprenez facilement combien il y a loin de là à ces paroles de l'Apôtre : « Comme je vis qu'ils ne marchaient pas droit selon la vérité de l'Évangile, je dis à Pierre devant tous: Si vous qui êtes Juif, vous vivez comme les gentils et non comme les Juifs, pourquoi forcez-vous les gentils à judaïser (5) ? » Il n'y a ici aucune obscurité qui tienne à des figures, ce sont les termes propres d'un langage très
 
 

1. Marc. XIII, 32. — 2. Gen.               XXII, 12. — 3. Bossuet a admirablement développé cette pensée dans les Méditations sur l'Évangile, 77e jour et suivants. — 4. Saint Hilaire sur la Trinité, livre 9e. — 5.Galat. II, 14.
 
 

clair, Le docteur des nations a dit ici vrai ou a dit faux à ceux qu'il enfantait jusqu'à ce que le Christ se formât en eux (1) ; et à qui il avait déclaré, en prenant Dieu à témoin : « En vous écrivant ceci, me voici devant Dieu! je ne ments pas (2). » S'il a dit faux (ce qu'à Dieu ne plaise !), vous voyez les conséquences : la vérité invoquée et l'admirable exemple de l'humilité de Pierre doivent vous éloigner en même temps de l'une et de l'autre faute.

5. Mais pourquoi s'arrêter plus longtemps ici ? Cette question a été suffisamment traitée par lettrés entre le vénérable frère Jérôme et moi. Dans son récent ouvrage publié sous le nom de Clitobule contre Pélage, il a suivi là-dessus le sentiment du bienheureux Cyprien que nous suivions nous aussi (3). Mieux vaudrait s'occuper de la question de l'origine des âmes, non point pour résoudre les objections tirées des unions adultères, mais pour ne pas laisser croire que des innocents puissent être damnés, ce qui ne saurait être. Si vous apprenez d'un aussi grand homme quelque chose qui soit capable de dissiper les doutes, ne nous le refusez pas, je vous en prie. Vous m'apparaissez dans vos lettres si instruit et si aimable que j'attacherais beaucoup de prix à correspondre avec voles. Ne tardez pas à nous envoyer je ne sais quel ouvrage de cet homme de Dieu, que le prêtre Orose a apporté et qu'il vous a donné à copier, et où l'on dit que saint Jérôme a si admirablement parlé de la résurrection de la chair. Si nous ne vous l'avons pas demandé plus tôt, c'est que nous pensions que vous étiez occupé de le copier et de le corriger : mais nous croyons que maintenant vous avez eu amplement tout le temps pour cela. Vivez pour Dieu en vous souvenant de nous.
 
 
 
 

1. Gal. IV, 29.— 2. Ibid, I, 20. — 3. S. Jérôme, liv. I. cont. Pélag. Lett. 71, à Quintus.
 
 

LETTRE CLXXXI. (Année 416.)
 

Cette lettre du pape Innocent est belle, éloquente, rapide; on aime à entendre le chef de l'Église déclarer sa conformité de sentiments avec la vieille Afrique chrétienne sur les grands points de la foi.
 
 

INNOCENT A AURÈLE, NUMIDE, RUSTICIEN, AURÈLE, NUMIDIUS, RUSTICIEN , FIDENTIEN , EVAGRE , ANTOINE, PALATIN, ADEODAT, VINCENT, PUBLIEN, THÉASE, TUTUS, PANNONIEN, VICTOR, RESTITUT, RUSTICUS , FORTUNATIEN , UN AUTRE RESTITUT, (474 ) AMPÉLIEN, AMBIVIEN, FÉLIX, DONATIEN, ADÉODAT, OCTAVIEN, SÉROTIN, MAJORIN, POSTHUMIEN, CRISPULE, UN AUTRE VICTOR, LEUCIEN, MARIANUS, FRUCTUOSUS, FAUSTINIEN, QUODVULTDEUS, CANDORIEN, MAXIME, MÉGASE, RUSTICUS, RUFINIEN , PROCULE, SÉVÈRE, THOMAS, JANVIER, OCTAVIEN, PRÉTEXTAT, SIXTE, QUODVULTDEUS, PENTHADIUS, QUODVULTDEUS, CYPRIEN, SERVILIEN,PÉLAGIEN, MARCELLUS , VENANTIUS , DIDYME , SATURNIN , BYZACENUS, GERMAIN, GERMANIEN , INVENTIUS, MAJORIN, INVENTIUS, CANDIDE , CYPRIEN, ÉMILIEN, ROMAIN, AFRICAIN, MARCELLIN, ET AUX AUTRES BIEN-AIMÉS FRÈRES DU CONCILE DE CARTHAGE, SALUT DANS LE SEIGNEUR.
 

1. Quand vous vous êtes occupés des questions les plus clignes de la sollicitude sacerdotale, les plus dignes surtout de l'examen d'un concile véritable, légitime et catholique, vous avez aussi efficacement servi la cause de notre religion en nous consultant et en vous référant à notre jugement qu'en prononçant vos décrets; vous vous montriez en cela fidèles à l'antique tradition et à la discipline ecclésiastique; vous saviez ce qui est dû au Siège apostolique, où nous tous qui y sommes assis n'avons d'autre désir que de suivre l'Apôtre lui-même, et d'où découlent tout l'épiscopat et toute l'autorité de ce nom. Aussi, à l'exemple de l'Apôtre, nous condamnons ce qui est mal et nous louons ce qui est bien; nous louons surtout la docilité sacerdotale que vous témoignez aujourd'hui. Persuadés qu'il ne faut pas dédaigner les lois de nos pères, puisqu'ils les ont établies en vertu d'une autorité non pas humaine mais divine, vous pensez que toute décision prise dans les pays les plus éloignés ne doit pas être considérée comme définitive avant qu'elle soit portée à la connaissance de ce siège; afin qu'une sentence justement prononcée se trouve ainsi confirmée par toute son autorité; afin que toutes les eaux partent comme de leur source première, qu'elles coulent pures à travers les diverses régions du inonde entier, et que les autres Eglises apprennent ce qu'elles ont à prescrire, qui sont ceux qu'elles peuvent purifier et ceux dont l'eau sainte ne pouvait plus laver les souillures indélébiles.

2. C'est pourquoi je vous félicite, très-chers frères, de nous avoir écrit par notre frère et collègue Jules ; en même temps que vous veillez au salut de vos Eglises, vous montrez votre sollicitude pour toutes les Eglises du monde et vous nous demandez un décret qui puisse leur profiter à toutes; vous désirez ainsi que l'Église, affermie dans ses propres règles et appuyée sur une juste sentence, soit mise en garde contre ces hommes pervers, armés ou. plutôt renversés par des subtilités coupables, qu'ils répandent sous ombre de foi catholique. Ils vomissent un poison mortel, et cherchent à détruire toutes les règles du vrai dogme pour corrompre là foi des coeurs pieux.

3. Il faut donc s'occuper de guérir promptement, de peur que ce mal exécrable ne fasse dans les esprits une plus profonde invasion. Lorsqu'un médecin se trouve en face de quelque maladie de ce corps de terre, il croit avoir donné une grande preuve de l'excellence de son art si ses soins rendent promptement la santé à un malade dont on désespérait. Découvre-t-il une plaie avec de la pourriture ? il emploie les fomentations ou tout autre remède pour la cicatriser; s'il ne lui est pas possible de guérir le membre atteint, il le retranche pour préserver le reste du corps. Il faut donc porter le fer là où la plaie menace d'envahir les parties pures et saines du corps, de peur. que, par un trop long retard, le mat ne s'attache aux entrailles et ne devienne incurable.

4.Que pouvons-nous penser de bon de ceux qui s'attribuent à eux-mêmes ce qu'ils valent et ne rapportent rien à celui dont chaque jour ils obtiennent la grâce? Mais que dis-je ? de tels hommes n'obtiennent aucune grâce de Dieu; ils prétendent obtenir sans lui ce que méritent à peine de recevoir ceux qui s'adressent à lui. Quoi de plus inique, de plus grossier, de plus étranger à la religion, de plus ennemi des esprits chrétiens que de refuser d'attribuer ce que tu reçois chaque jour de la grâce, à Celui à qui tu reconnais devoir le bienfait de l'existence? Tu vaudras donc mieux pour te conduire que Celui qui t'a fait! Et tandis que tu crois lui devoir de vivre, comment ne crois-tu pas lui devoir de vivre pieusement en obtenant tous les jours sa grâce? Et toi qui ne conviens pas que nous ayons besoin du secours de Dieu, comme si nous ne devions notre perfection qu'à nous-mêmes, comment ne vois-tu pas que, lors même que nous pourrions devenir tels par nous-mêmes,, il nous faudrait demander encore son secours?

5. Je voudrais savoir ce que répondra celui qui nie ce secours de Dieu. Est-ce nous qui ne le méritons pas? est-ce Dieu qui ne peut pas l'accorder,. ou n'y a-t-il rien qui doive déterminer chacun de nous à le demander? Que Dieu le puisse, ses oeuvres même l'attestent; que nous ayons besoin de son aide tous les jours, nous ne pouvons pas le nier. Nous l'implorons si nous vivons sagement, pour une meilleure et plus sainte vie; et si des sentiments pervers nous éloignent du bien, nous en avons plus besoin encore pour rentrer dans la droite voie. Quoi de plus mortel, de plus menaçant, de plus périlleux que de se croire suffisamment pourvu avec le libre arbitre et de ne plus rien demander au Seigneur! C'est oublier notre Créateur, et faire étalage de notre liberté aux dépens de sa puissance, comme si, après nous avoir créés libres, Dieu n'avait plus rien à nous donner! C'est ne pas savoir que si, à force de grandes prières, la grâce de Dieu ne descend pas en nous, nous chercherons bien en vain à triompher de notre corruption et des entraînements de nos sens : la puissance de résister ne peut nous venir du libre arbitre, mais uniquement du secours de Dieu.

6. Il est un homme bienheureux et déjà élu qui (475) n'aurait eu besoin de rien et aurait eu raison de ne rien demander, si le libre arbitre eût mieux valu que le secours divin, et cependant il crie qu'il a besoin de l'aide de Dieu et il le prie : « Soyez mon appui, dit-il au Seigneur, ne m'abandonnez pas, ne me rejetez pas, Dieu mon Sauveur (1). » David appelle Dieu à son secours, et nous le libre arbitre! Nous disons qu'il peut nous suffire d'être nés, et David supplie Dieu qu'il ne le délaisse pas ! N'apprenons-nous pas clairement ce que nous devons demander à Dieu, quand un si saint homme, conjure le Seigneur de ne pas le rejeter? Ceux qui professent des sentiments pareils doivent condamner ces endroits du Psalmiste. Il faudra dire que David ne savait pas prier et ne connaissait pas sa nature, puisque, sachant tout ce qu'il y a de force en elle, il demande, dans ses oraisons, que Dieu soit son aide et son aide continuel! Il ne lui suffit pas de demander son assistance continuelle, il lui demande avec instance de ne l'abandonner jamais, il le dit et le crie dans tout le psautier. Si donc un aussi grand homme, en implorant sans cesse le Seigneur, nous a enseigné la nécessité du secours divin, comment Pélage et Célestius, mettant de côté les psaumes et les enseignements qu'on y trouve, espèrent-ils persuader à quelques-uns que nous ne devons pas chercher le secours de Dieu et que nous n'en avons pas besoin, pendant que tous les saints nous attestent qu'ils ne peuvent rien sans lui?

7. Cet homme éprouva ce que vaut tout seul le libre arbitre, lorsque, usant imprudemment de ses forces, il plongea dans les profondeurs de la prévarication et ne trouva rien pour en sortir; victime de sa liberté, il serait resté éternellement sous le coup de cette ruine, si le Christ à son avènement, ne l'en eût relevé par sa grâce. Le Christ, en effet, dans une régénération nouvelle, efface parle baptême tous ses péchés passés; il affermit ses pas dans une voie plus droite et ne refuse pas sa grâce pour l'avenir. Quoiqu'il ait racheté l'homme des fautes anciennes, cependant, sachant que l'homme pouvait pécher de nouveau, le Sauveur a mis pour lui en réserve de nombreux moyens de s'amender encore. Il a des remèdes quotidiens, et si nous ne nous appuyons pas sur eus avec confiance, nous ne pourrons surmonter les erreurs humaines : il faut vaincre avec son secours ou être vaincu sans lui. J'insisterais davantage si vous n'aviez pas tout dit.

8. Quiconque donc soutient que nous n'avons pas besoin du secours divin, se déclare ennemi de la foi catholique et se montre ingrat envers les bienfaits de Dieu. Ils ne sont plus dignes de notre communion ceux qui l'ont souillée en prêchant une telle doctrine. En pratiquant ce qu'ils disent, ils se sont grandement écartés de la vraie religion. Toute notre religion, nos prières de chaque jour ont pour but unique d'obtenir la miséricorde de Dieu ; comment pourrions-nous supporter des discours pareils? Quel est l'aveuglement de ces âmes pour ne pas voire que si, par
 
 

1. Ps. XXVI, 9.
 
 

leur indignité, elles ne sentent aucune grâce de Dieu, il en est d'autres que la grâce divine comble chaque jour de ses dons? Il n'est pas d'aveuglement que ne méritent ceux qui ne se sont pas même laissé la ressource de revenir de leurs erreurs avec le secours divin. En niant ce secours, ils ne l'ont point ôté aux autres, mais ils l'ont ôté entièrement à eux-mêmes. Il importe de les repousser, de les rejeter bien loin du sein de l'Eglise, de peur que l'impunité de l'erreur ne la fasse croître et devenir inguérissable. Une plus longue condescendance exposerait beaucoup de fidèles, beaucoup d'imprudents à tomber dans les pièges de la perversité : s'ils voyaient qu'on laissât ces gens-là en paix dans l'Eglise, ils pourraient croire que leur doctrine est bonne.

9. Qu'elle soit donc séparée d'un corps sain la partie qui ne l'est pas; que ce qui est en bon état soit préservé soigneusement de la contagion; que les brebis malades soient enlevées du milieu du troupeau ; que dans le corps tout entier éclate cette pureté de doctrine qui est la vôtre et dont votre jugement en cette occasion est pour nous le témoignage; il y a entre nous communauté de sentiments. Si cependant ces hommes-là venaient à invoquer le secours de Dieu qu'ils ont nié jusqu'à présent, et à reconnaître qu'ils en ont besoin ; si, guéris de la maladie produite en eux par les inclinations corrompues de leur coeur, si, délivrés de tout ce qui obscurcit leur âme et les empêche de voir la vérité, ils passaient de l'épaisseur de leurs ténèbres à la lumière, et qu'ils condamnassent ce qu'ils ont soutenu jusqu'ici ; enfin si dociles à de bons enseignements et déjà quelque peu amendés, ils se montraient disposés à se laisser désabuser par les conseils de la vérité; les évêques pourraient leur prêter assistance jusqu'à un certain point et donner à leurs blessures les soins que l'Eglise ne refuse pas aux pécheurs lorsqu'ils viennent à résipiscence. Ainsi ramenés des précipices, ils rentreraient dans le bercail du Seigneur : laissés dehors et n'étant plus protégés par les remparts de la foi, ils demeureraient exposés à tous les périls et à la fureur des loups ; ils seraient d'autant moins en état de leur résister que la perversité de leur doctrine les aurait déjà excités contre eux. Mais vos instructions et l'abondance des témoignages de notre loi ont déjà suffisamment répondu aux novateurs; il ne nous reste plus rien à dire parce que vous n'avez rien omis, rien supprimé de ce qui est de nature à les réfuter et à les convaincre. C'est pourquoi nous n'avons cité aucun passage de l'Ecriture ; votre relation est remplie de ces saintes autorités ; on voit assez que tant de doctes évêques n'ont rien oublié : il ne conviendrait pas de croire que vous eussiez   passé quelque chose d'important pour la cause.

Et d'une autre main. Portez-vous bien, frères. Et à côté. Donné le sixième des calendes de février (1) après le vifs consulat de Théodose et le Ve de Junius Quartus.
 
 

1. Le 26 Janvier.

476

LETTRE CLXXXII. (Année 416.)
 

Le pape Innocent répond aux pères du concile de Milève sur les erreurs de Pélage et de Célestius.
 
 

INNOCENT A SILVAIN L'ANCIEN, A VALENTIN ET A SES AUTRES BIEN-AIMÉS FRÈRES QUI ONT ASSISTÉ AU CONCILE DE MILÉVE, SALUT DANS LE SEIGNEUR.
 

1. Au milieu des soins de l'Église romaine et des occupations du Siège apostolique, où il nous faut répondre brièvement et exactement aux questions qui nous arrivent de toutes parts, notre frère et collègue Jules nous a remis inopinément la lettre que vous nous avez adressée du concile de Milève dans votre intérêt pour la foi, en y joignant la lettre du concile de Carthage exprimant les mêmes plaintes. L'Église se réjouit beaucoup fille les pasteurs montrent une si grande sollicitude pour les troupeaux qui leur sont confiés ; ils ne se bornent pas à empêcher leurs brebis d'errer, mais s'ils apprennent que d'autres brebis sont séduites par l'attrait cruel de pâturages dangereux et qu'elles persistent dans l'égarement, ces pasteurs veulent les séparer complètement du troupeau ou bien les rappeler de leurs longs désordres et les soumettre à la vigilance d'autrefois. Toujours prudents dans le parti qu'ils prennent, ils redoutent la contagion des mauvais exemples par de faciles admissions et prennent garde aussi de ne pas exposer des brebis aux loups en les repoussant dans leur . sincère retour. Votre consultation à cet égard est pleine de sagesse et de foi catholique. Qui peut supporter l'erreur ou ne pas accueillir le repentir? De même que je trouverais mauvais d'agir de connivence avec les pécheurs, ainsi je trouverais impie de ne pas tendre la main à ceux qui se convertissent.

2. Vous consultez donc avec empressement et convenance, sur le parti à prendre dans les choses difficiles, les oracles du Siège apostolique, de ce siège, dis-je, qui demeure chargé de la sollicitude de toutes les Eglises, sans compter les affaires du dehors; vous ne faites que suivre en cela D'ancienne règle qui, vous le savez comme moi, s'est toujours pratiquée dans tout l'univers. Mais je laisse cela, car je ne crois pas que votre sagesse l'ignore : que prouve en effet votre démarche si ce n'est que vous savez bien que de la source apostolique coulent sans cesse à travers tous les pays des réponses aux questions adressées? C'est surtout quand on agite les matières de foi que tous nos frères et collègues doivent, je le crois, comme le fait maintenant votre charité, s'en référer uniquement à Pierre, c'est-à-dire à l'auteur même de leur nom et de leur dignité, à cause du profit commun que peuvent en tirer toutes les Églises du monde entier. Car nécessairement elles y prendront garde davantage, lorsqu'elles verront que, sur le rapport de deux conciles, notre sentence a retranché de la communion catholique les inventeurs de cette détestable doctrine.

3. Votre charité accomplit donc un double bien: vous avez le mérite de suivre les canons, et tout l'univers y trouve son profit. Quel catholique voudrait désormais communiquer avec des ennemis du Christ? qui voudrait même partager avec eux la même lumière par la communauté de vie? Qu'on fuie donc les auteurs de la nouvelle hérésie. Que pouvaient-ils faire de pis contre Dieu que d'anéantir la prière de tous les jours en niant les secours divins? C'est comme si on disait : qu'ai-je besoin de Dieu? — C'est bien contre eux que le Psalmiste peut dire : « Voilà des hommes qui n'ont pas pris Dieu pour leur appui (1). » En niant le secours de Dieu, ils disent que l'homme peut se suffire, qu'il n'a pas besoin de la grâce divine sans laquelle il tombe dans les pièges du démon, pendant qu'il prétend qu'avec sa seule liberté il accomplira parfaitement tous les commandements. O mauvaise doctrine d'intelligences dépravées ! Qu'on se     rappelle comment cette même liberté trompa le premier homme; en la gouvernant mollement, il tomba par orgueil dans la prévarication, et il n'en serait jamais sorti si, par une régénération providentielle, l'avènement de Jésus-Christ Notre Seigneur n'avait rétabli la liberté humaine dans son ancien état. Qu'on écoute David lorsqu'il dit : « Notre secours est dans le nom du Seigneur (2); soyez mon appui, ne m'abandonnez pas, ne me

rejetez pas, Dieu mon Sauveur (3) ! » A quoi bon ces paroles si ce que David demande au Seigneur en gémissant dépend de sa seule volonté ?

4. Cela étant ainsi et toutes les pages nous montrant que la volonté libre doit s'appuyer sur l'as. sistance de Dieu, et qu'elle ne peut rien sans elle, comment Pélage et Célestins, d'après ce que vous nous dites, se persuadent-ils à eux-mêmes que la volonté suffit, et, ce qui est plus douloureux, comment l'ont-ils déjà persuadé à beaucoup d'autres? Les témoignages des Écritures ne nous manque. raient point pour renverser un pareil enseignement, si nous ne savions pas que votre sainteté possède à fond les Livres Saints; les autorités,et en si grand nombre, que renferme votre lettre suffisent bien pour faire justice de cette doctrine; il n'est pas besoin de ce qui reste caché, puisqu'ils n'osent, ni ne peuvent répondre aux témoignages qui se sont présentés sans peine à vous. Ils s'efforcent donc de détruire la grâce de Dieu qu'il est nécessaire que clous demandions, même après le rétablissement de notre ancienne liberté; ah! sans cette grâce il ne nous est pas possible d'échapper aux artifices du démon.

5. Quant à ce que votre fraternité nous rapporte de leur opinion, que les enfants peuvent, sans la grâce du baptême, obtenir la vie éternelle, c'est là vraiment une doctrine insensée. Car s'ils n'ont pas mangé la chair du Fils de l'homme, ni bu sou sang, ils n'auront pas la vie en eux (4). Or, ceux qui soutiennent que les enfants parviennent à la vie éternelle sans la régénération, me paraissent vouloir
 
 

1. Ps. LI, 7. — 2. Ps. CXXIII, 7. — 3. Ibid. XXVI, 9. — 4. Jean, VI, 54
 
 

477
 
 

anéantir le baptême même, puisque les enfants auraient ainsi ce que nous croyons que le

baptême seul leur confère. Si, pour les partisans de cette doctrine , il n'y a pas de mal à n'être pas régénéré, il faut qu'ils avouent que les eaux de la régénération ne servent de rien. Le Seigneur dans l'Évangile a, d'un mot, coupé court à l'erreur de ces esprits légers : « Laissez venir à moi les enfants, a-t-il dit, et ne les empêchez, pas; car à de tels est le royaume des cieux. (1)»

6. C'est pourquoi, armé de toute l'autorité apostolique, nous croyons devoir retrancher de la communion de l'Église Pélage et Célestius, c'est-à-dire les inventeurs « de ces nouveautés profanes de paroles (2) » qui, comme dit l'Apôtre, n'édifient pas, mais ont coutume d'engendrer les vaines disputes; nous les retranchons de l'Église jusqu'à ce qu'ils sortent des piéges du démon « qui les tient captifs pour en faire ce qu'il lui plaît (3); » ils ne doivent plus faire partie de la bergerie du Seigneur qu'ils ont voulu eux-mêmes abandonner en s'enfonçant dans une voie perverse : il faut qu'ils soient retranchés « ceux qui mettent le trouble parmi vous et qui veulent changer l’ Évangile du Christ (4). » Nous ordonnons en même temps que ceux qui s'efforcent de défendre cette doctrine avec une opiniâtreté pareille soient frappés du même châtiment. « Ce ne sont pas seulement ceux qui font le mal qui sont dignes de mort, mais encore ceux qui approuvent ceux qui le font (5); » et je ne vois pas grande différence entre faire le mal et y acquiescer. Je dis plus : souvent or, ne reste pas dans son erreur lorsqu'on s'y voit tout seul. Que cette sentence, très-chers frères, demeure donc contre les susdits ; qu'ils n'entrent pas dans les demeures du Seigneur, qu'ils ne soient plus sous la garde pastorale, de peur que la funeste contagion de deux brebis ne gagne le peuple imprudent, et que le loup ne mette cruellement sa joie à faire un vaste carnage dans la bergerie du Seigneur, tandis que les gardiens négligent de découvrir la blessure des deux brebis. Il ne faut pas que des complaisances pour des loups fassent croire que nous sommes des mercenaires plutôt que des pasteurs.

7. Notre-Seigneur Jésus-Christ ayant déclaré lui-même qu'il ne veut pas la mort du pécheur, mais sa conversion et sa vie « , nous ordonnons que s'ils reviennent de leur erreur et s'ils condamnent ce qui les a fait condamner, on ne leur refuse pas le remède accoutumé, c'est-à-dire le refuge dans l'Église: il ne faudrait pas qu'au moment peut-être où nous les empêcherions de revenir, et où ils resteraient et attendraient, hors de la bergerie, l'ennemi qu'ils ont excité contre eux par l'aiguillon de leur doctrine impie , vint les engloutir. Portez-vous bien, frères. Donné le sixième des calendes de février, sous le consulat des illustres Honorius et Constance.
 
 

1. Luc, XXIII, 16. — 2. I Tim. VI, 20. — 2. II Tim. II, 26. — 3. Galat., I,  7. —  4. Rom. I, 32. — 5. Matth. IX, 13.

LETTRE CLXXXIII. (Au commencement de l'année 417.)
 

Le pape Innocent répond aux cinq évêques sur Pélage et ses erreurs.
 
 

INNOCENT A SES BIEN-AIMÉS FRÈRES AURÈLE, ALYPE, AUGUSTIN, ÉVODE ET POSSIDIUS, ÉVÉQUES, SALUT DANS LE SEIGNEUR.
 

1. Nous avons reçu par notre frère et collègue Jules les lettres de votre fraternité, envoyées de deux conciles, pleines de foi et appuyées de toute la force de la religion catholique ; elles nous ont été d'autant plus agréables que dans toute leur teneur elles expriment fidèlement la vérité sur la grâce de Dieu, dont nous avons besoin tous les jours, et qu'elles s'appliquent à ramener les hommes d'un sentiment contraire; elles sont de nature à détruire en eux toute erreur, et les autorités de notre religion que vous citez leur montrent  quel docteur ils ont à suivre. Mais nous croyons en avoir dit assez là-dessus dans notre réponse à vos deux rapports ; nous avons suffisamment exprimé notre sentiment sur le crime des novateurs et sur votre sagesse. Quoi dire encore contre eux ? Rien ne manque pour achever leur défaite : quoi de plus misérable et de plus impie que cette doctrine dont nous triomphons plus complètement par la vertu et par la vérité même de notre foi? car celui-là rejette et méprise toute espérance de la vie en portant le désordre dans son coeur par des raisonnements mauvais et condamnables lorsqu'il pense n'avoir rien à recevoir de Dieu, rien à lui demander polir sa guérison : après cela que lui reste-t-il ?

2. Si donc il en est qui prennent à coeur la défense de cette affreuse doctrine, qui s'y donnent et s'y attachent, parce qu'ils attribuent à la religion catholique ce qu'elle repousse avec horreur et condamne absolument, et parce qu'ils ont été séduits par les conseils et les discours des novateurs, ils se hâteront de rentrer dans la voie droite, de peur que l'invasion de l'erreur ne devienne complète dans leur intelligence. Si Pélage, en quelque lieu qu'il s'est arrêté, a trompé la simplicité et la crédulité de quelques-uns, flous croyons que, par la miséricorde et la grâce de notre Dieu, on les ramènera aisément dès qu'ils auront appris la condamnation du propagateur opiniâtre de cet enseignement; ils reviendront en quelque lieu qu'ils soient dans l'univers, et peut-être s'en rencontre-t-il à Rome même; mais nous l'ignorons et ne pouvons ni l'affirmer ni le nier. S'il en est, ils se cachent et n'osent défendre devant aucun des nôtres ni Pélage ni sa doctrine; d'ailleurs il ne serait pas aisé de saisir ou de reconnaître un de ses partisans au milieu d'une si grande multitude de peuple. Mais peu importe où ils soient, pourvu qu'ils soient guérissables partout où on les trouvera.

3. Cependant nous ne pouvons pas nous persuader que Pélage se soit justifié, malgré des actes (478) apportés par je ne sais quels laïcs, et dans lesquels il prétend avoir été entendu et absous. Nous doutons que cela soit vrai; ce n'est pas le concile même (1) qui nous a envoyé ces actes, et flous n'avons reçu aucune lettre de ceux par qui la cause a été examinée. Si Pélage avait été sûr de sa justification, il aurait certainement demandé à ses juges de nous écrire pour nous l'apprendre. C'eût été un meilleur moyen de nous persuader. Mais ces actes portent la trace d'objections qui lui ont été faites; il en est auxquelles il évite de répondre, et d'antres qu'il n'essaie de rétorquer qu'en embrouillant et en répandant la plus profonde obscurité; il s'est justifié sur certains points par de faux raisonnements bien plus que par des raisons vraies; il allait, selon les besoins du moment, tantôt par des dénégations , tantôt par d'inexactes interprétations.

4. Mais (ce qui est plus souhaitable), plût à Dieu qu'il revint de son erreur à la vérité de la foi catholique ! plût à Dieu qu'il désirât et voulût se justifier en considérant et en reconnaissant cette grâce et ce secours de Dieu dont nous avons besoin tous les jours! plût à Dieu qu'il vit la vérité et que, rentré de coeur et non d'après je ne sais quels actes, dans la voie catholique, il méritât l'approbation de tous ! Nous ne pouvons ni blâmer ni approuver le jugement porté sur lui, parce que nous ne savons pas si les actes sont véritables; et s'ils le sont, il parait évident qu'il s'est bien plus attaché à éluder les questions qu'à se justifier pleinement. S'il a confiance, s'il croit que nous ne devons pas le condamner par la raison qu'il aurait désavoué ce qu'il a dit précédemment, ce n'est point à nous à le mander, c'est à lui à venir vers nous au plus vite pour qu'il puisse être absous. Car s'il pense encore de la même manière, quelque lettre de nous qu'il reçoive, comment se présentera-t-il, sachant d'avance qu'il sera condamné? Si on avait à le mander, il vaudrait mieux qu'il le fût par ceux qui sont plus près de lui, au lieu d'en être, comme nous, séparés par de longues distances. Mais les soins ne lui manqueront pas s'il veut bien se laisser guérir; il peut condamner ce qu'il a pensé, et demander pardon de son erreur dans une lettre, comme il convient de le faire lorsqu'on revient vers nous, très-chers frères.

5. Nous avons parcouru le livre qu'on dit être de lui et que votre charité nous a fait parvenir; nous y avons trouvé beaucoup de choses contre la grâce de Dieu, beaucoup de blasphèmes, rien qui ne déplaise tout à fait et qu'il ne faille condamner et rejeter : de pareilles idées ne pouvaient venir qu'à l'auteur de ce livre. Nous ne croyons pas nécessaire de disputer longuement ici sur la loi, comme si Pélage était devant nous avec ses résistances; c'est à vous que nous nous adressons, à vous qui connaissez cette loi tout entière et qui vous en réjouissez, d'accord avec nous. Les preuves de notre foi sont mieux placées, quand nous traitons avec ceux qui ne savent pas les choses. Lorsqu'il s'agit des forces naturelles, du libre arbitre, de
 
 

1. Le concile de Diospolis.
 
 

toute grâce de Dieu et de la grâce quotidienne, quel catholique, fidèle à la vérité, ne trouverait beaucoup à dire? Que Pélage anathématise donc ce qu'il a pensé, afin que ceux qui ont été trompés par ses enseignements connaissent sur ces matières la vraie foi devenue enfin la sienne. Ils reviendront plus facilement s'ils apprennent que l'auteur même de cette erreur l'a condamnée. S'il persiste opiniâtrement dans cette impiété, il importe d'aller au secours des chrétiens induits dans une erreur qui n'est pas la leur, mais bien plus la sienne : il ne faudrait pas que les remèdes et les soins qu'il s'obstinerait à repousser fussent à jamais inutiles aux hommes trompés par ses discours.

Et d'une autre main. Que Dieu vous garde en bonne santé, très-chers frères ! Donné le sixième jour des calendes de février, après le VIIe consulat du très-glorieux Théodose et le Ve de Junius Quartus Palladius.
 

LETTRE CLXXXIV. (Année 417.)
 

Un billet du pape Innocent pour Aurèle et Augustin.
 
 

INNOCENT A AURÈLE ET A AUGUSTIN, ÉVÊQUES.
 

Germain, mon collègue dans le sacerdoce, et qui a été le bienvenu auprès de moi, n'a pas dit s'en retourner vers vous sans vous porter mon souvenir. Il me paraît naturel et tout simple de saluer ceux que l'on aime par ceux qui nous sont chers. Nous souhaitons tendrement que votre fraternité (1) se réjouisse dans le Seigneur, et nous vous demandons d'adresser pour nous à Dieu les mêmes voeux; nous faisons bien plus, vous le savez, par des prières communes et réciproques que par des oraisons particulières et séparées.
 
 

LETTRE CLXXXIV bis (2). (Année 417.)
 

La plus grande partie de cette lettre si forte de doctrine, roule sur le péché originel et l'état des enfants qui meurent sans le baptême; saint Augustin parle ensuite des questions qu'il traite et des adversaires qu'il combat dans la Cité de Dieu.
 
 

AUGUSTIN A SES BIEN-AIMÉS SEIGNEURS ET SAINTS FILS PIERRE ET ABRAHAM, SALUT DANS LE SEIGNEUR.
 

1. La justice ne doit pas, la charité ne peut pas dédaigner le saint zèle qui vous pousse à
 
 

1. Vestram Germanitatem. Le pape joue avec le nom de Germain, le porteur de sa lettre.

2. Voici la première des deux lettres de saint Augustin découvertes en 1732 dans un manuscrit du mie siècle à l'abbaye de Gottwe, aux environs de Vienne, en Autriche, par don Geoffroi Besselius, abbé de ce monastère, et don Bernard Paz, savants bénédictins de l'Allemagne, Les deux lettres furent publiées à Vienne en 1732 et à Paris en 1734. Les numéros que les lettres de saint Augustin ont reçus de la classification des bénédictins, sont devenus une sorte d'indication classique pour l'érudition religieuse ; nous les respectons, et, gardant seulement l'ordre des dates, nous répétons le chiffre de la précédente lettre pour marquer celle-ci qui ne se trouve pas dans l'édition des bénédictins. On ne verra qu'un peu plus loin la seconde lettre découverte dans le monastère de Gottwic, parce quelle est d'une date postérieure.
 
 
 
 

479
 
 

m'adresser beaucoup de questions, pour que vous soyez armés et en mesure de lutter contre des agressions impies. Mais quelque étendue que soit une lettre, elle ne répond jamais à tout. Apprenez cependant que, dans plusieurs de mes ouvrages, j'ai déjà, selon la mesure de mes forces, répondu à tout ou à presque tout ce que vous me demandez. Si vous les lisez, et j'apprends que la vie que vous avez embrassée et dans laquelle vous servez Dieu, vous laisse des loisirs pour lire, vous y trouverez, ou peu s'en faut, vos doutes entièrement éclaircis, surtout parce qu'il y a au dedans de vous le Docteur intérieur, celui dont la grâce vous a fait ce que vous êtes. Car en quoi un homme peut-il aider un autre homme à apprendre quelque chose, si le Seigneur lui-même ne nous instruit pas (1)? Toutefois je ne tromperai pas votre attente et vous adresserai au moins une courte réponse, avec le secours de Dieu.

2. Le Seigneur a dit: Celui qui croira et sera a baptisé, sera sauvé ; celui qui ne croira pas « sera condamné (2). » Si donc, quand les enfants sont baptisés, ce n'est pas en vain, mais c'est véritablement qu'on les tient pour croyants (et voilà pourquoi toute bouche chrétienne les appelle alors de nouvelles créatures), il s'ensuit que s'ils ne croient pas, ils seront condamnés: et comme n'ayant rien fait de mal pendant leur vie, ils n'ont rien ajouté au péché originel, on peut dire que la peine à laquelle ils seront justement condamnés sera la moindre de toutes, mais que cependant il y aura une peine. Que celui qui pense qu'il n'y a pas de différence dans les peines futures, lise les paroles suivantes : « Au jour du jugement, Sodome sera traitée moins rigoureusement que a cette ville (3). » Que les séducteurs cessent donc de chercher pour les enfants un état mitoyen (4) entre le royaume du ciel et le supplice; mais qu'ils passent du démon au Christ, c'est-à-dire de la mort à la vie, de peur que la colère de Dieu ne demeure sur eux : on ne se sauve de cette colère de Dieu que par la grâce de Dieu.
 
 

1. Jean, VI, 45. — 2. Marc. XVI, 16. — 3. Matth. V, 15.

4. Cet état mitoyen imaginé par les Pélagiens, saint Augustin l'appelle ailleurs un lieu de seconde félicité, un troisième lieu. Ouvrage imparfait, livre Ier, chap. CXXX et I.
 
 

Et qu'est-ce que la colère de Dieu , si ce n'est la peine prononcée par un Dieu juste et la vengeance qui lui appartient? Il n'en est pas de Dieu comme d'un esprit changeant et irritable : rien ne le trouble; ce qu'on appelle la colère de Dieu n'est rien autre que la juste peine du péché : il n'y a pas à s'étonner qu'elle passe aux descendants.

3. En effet la concupiscence dans laquelle les enfants sont conçus, n'existait pas avant le péché : elle n'aurait jamais existé si la révolte de la chair n'avait pas suivi, comme un châtiment réciproque, la désobéissance de l'homme. Ce mal dont le mariage fait un bon usage, accompagne nécessairement la conception honnête et légitime des enfants; mais le mariage aurait accompli ses fins sans ce mal, si la nature humaine, n'ayant pas péché, était restée dans le même état où elle a été créée :  tous nos membres auraient alors obéi également à notre volonté, et nulle partie de notre corps n'aurait été excitée par le feu du désir. Car qui niera que ces paroles de Dieu : « Croissez et multipliez (1) » ne furent point la malédiction du pécheur, mais la bénédiction du mariage? cette concupiscence n'a été pour rien dans la naissance du Christ (car il n'en a pas été de l'enfantement de la Vierge comme de tout autre enfantement) ; mais comme c'est par cette concupiscence que toute créature humaine vient au monde, elle doit renaître pour n'être pas punie. Quoique l'enfant naisse de parents régénérés, la génération charnelle ne peut lui donner ce que ceux-ci n'ont reçu que de la régénération spirituelle. C'est ainsi que de l'olivier sauvage comme de l'olivier franc il ne sort qu'un olivier sauvage, quoique l'un ne soit pas l'autre. Mais nous avons amplement traité cette matière en d'autres écrits (2) ; j'aime mieux que vous les lisiez que de nous obliger à répéter les mêmes choses.

4. Il est plus difficile de répondre aux infidèles qui ne reconnaissent en aucune manière l'autorité des livres saints. Le poids de la divine Ecriture ne peut servir à corriger leurs moeurs, car ils attaquent plus ouvertement l'Ecriture, et elle a besoin de se défendre contre eux. Mais si, avec l'aide du Seigneur, vous pouviez les corriger, vous auriez pourtant peu fait pour ceux
 
 

1. Gen. I, 22.

2. Des Noces et de la Concupiscence, livre I, chap. XIX, livre II , chap. XXXIV. Contre les Deux lettres de Pélage, livre Ier, chap. VI. On retrouvera la belle comparaison de l'olivier sauvage et de l'olivier franc dans la lettre CXCV.
 
 

480
 
 

que vous désirez rendre chrétiens, après les avoir vaincus par de bons raisonnements : il faudrait encore demander pour eux la foi dans de suppliantes oraisons. Elle est comme vous savez, un don de Dieu, qui le mesure à chacun; et elle doit nécessairement précéder l'intelligence ; car le prophète ne s'est pas trompé en disant : « Si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez pas (1). » Et n'était-ce pas afin de leur obtenir la foi que l'Apôtre priait, non pour les Juifs fidèles, mais pour les Juifs encore infidèles lorsqu'il disait: « Frères, la volonté de mon coeur et ma prière à Dieu sont pour leur salut (2); » pour le salut de ceux qui avaient tué le Christ et qui auraient tué l'Apôtre lui-même s'ils l'avaient pu? C'est pour ceux-là aussi qu'ont prié, et le Seigneur, lorsque, suspendu à la croix, il était livré aux moqueries : et le bienheureux Etienne, lorsqu'on le lapidait (3).

5. Les infidèles que nous appelons gentils ou auxquels nous donnons plus communément le nom de païens sont de deux sortes; les uns préfèrent à la religion chrétienne leurs superstitions dont ils font grand cas; les autres ne s'astreignent à aucune religion. Dans quelques livres que j'ai intitulés : De la Cité de Dieu, dont vous avez , je crois, connaissance , et que je travaille à achever avec la volonté de Dieu, malgré tout le poids de mes occupations, j'attaque cette première sorte de païens ; c'est d'eux que l'Apôtre a dit : « Ce que les gentils immolent, ils l'immolent aux démons et non pas à Dieu (4) ; » et encore : « Ils ont honoré et servi la créature plutôt que le Créateur (5) ; » j'ai achevé dix gros volumes. Les cinq premiers répondent à ceux qui, pour acquérir ou conserver les félicités humaines de la terre et du temps, soutiennent qu'il est nécessaire d'adorer plusieurs dieux et non pas le seul Dieu souverain et véritable. Les cinq autres sont dirigés contre ceux qui, mettant plus d'arrogance encore et plus d'orgueil à combattre la salutaire doctrine de l'Evangile, pensent arriver, par le culte des démons et de plusieurs dieux, à la béatitude de la vie future : nous réfutons leurs plus illustres philosophes dans les trois derniers de ces cinq livres. Les autres livres depuis le onzième, quel qu'en soit le nombre (j'en ai déjà achevé trois et je m'occupe du
 
 

1. Isaïe, VII, 9. selon les sept. — 2. Rom. X,1. — 3. Luc, XXIII, 34 ; Act. VII, 59.— 4. Cor. X, 20. — 5 Rom. I, 25.
 
 

quatrième ) , renfermeront nos idées et notre foi sur la cité de Dieu; car nous ne voulons pas seulement réfuter dans cet ouvrage les sentiments des autres, nous voulons y mettre nos propres croyances. Ce quatrième livre après le dixième , c'est-à-dire le quatorzième de tout l'ouvrage , contiendra, si Dieu le veut, la réponse à tous les doutes que vous me proposez dans votre lettre.

6. Quant à l'autre sorte d'infidèles qui ne croient pas en Dieu ou qui le croient étranger aux choses humaines, je ne sais s'il faut parler avec eux de quoi que ce soit qui regarde la religion. Il ne se rencontrerait peut-être pas, de notre temps, quelqu'un d'assez insensé pour oser dire au fond de son coeur : Il n'y a point de Dieu (1) ; mais il ne manque pas d'insensés qui disent : Le Seigneur ne le verra pas (2), c'est-à-dire il n'étend pas sa providence sur les choses de la terre. Toutefois, s'il plaît à Dieu, ces livres que je prie votre charité de lire, montreront, comme l'enseigne la cité de Dieu, et à ceux que Dieu voudra éclairer, non-seulement qu'il y a un Dieu (ce que la nature a gravé si fortement en nous que nulle impiété ne saurait qu'à peine l'en effacer), mais que Dieu s'occupe des hommes depuis leur création jusqu'à la béatitude qu'il donne aux justes avec les saints anges, et à la condamnation des impies avec les anges mauvais.

7. Voilà pourquoi , mes bien-aimés, cette lettre ne doit pas être chargée de plus d'explication. Nous vous avons assez dit où vous pourrez trouver ce que vous attendez de notre ministère. Dans le cas où vous n'auriez pas encore ces livres, nous y avons pourvu, selon la faible mesure de nos ressources, parle saint frère Firmus, notre collègue dans le sacerdoce ; il vous aime beaucoup et il a eu grand soin de nous faire savoir combien il vous rend grâce de l'affection que vous lui rendez.
 
 

1 Ps. XIII, 1. — 2. Ps. XCIII, 7.

DU CHATIMENT DES DONATISTES.
 

LIVRE ou LETTRE CLXXXV (1). (Année 415.)
 

Cette lettre que saint Augustin mentionne dans la Revue de ses ouvrages (liv. II, chap. XLVIII), forme comme un livre elle fut adressée au comte Boniface dont le nom se mêle aux événements de cette époque. L'évêque d'Hippone l'instruit de ce qui fait l'hérésie des donatistes, en retrace l'histoire, et raconte comment il est arrivé que des lois impériales aient été portées contre eux. Cette lettre est célèbre et d'un grand intérêt religieux et historique ; il faut la lire avec attention et ne pas perdre de vue la société et les temps au milieu desquels écrivait saint Augustin.
 
 

1. Je vous loue, vous félicite et vous admire, mon bien-aimé fils Boniface, de ce qu'au milieu des soucis de la guerre vous désirez ardemment connaître les choses de Dieu. Par là vous mettez, on le voit bien, votre valeur militaire elle-même au service de la foi que vous avez en Jésus-Christ. Je vous dirai brièvement quelle différence il y a entre l'erreur des ariens et celle des donatistes. Les ariens disent que le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont de diverses substances ; les donatistes ne disent pas cela, mais ils reconnaissent l'unité de substance de la Trinité. Et si quelques-uns d'entre eux ont dit que le Fils est moindre que le Père, ils n'ont pas nié que le Fils et le Père fussent de la même substance; la plupart d'entre eux déclarent que leur foi sur le Père, le Fils et le Saint-Esprit est la même que celle de l'Eglise catholique. Là n'est donc point ce qui nous sépare d'eux; ils disputent misérablement touchant la communion seulement, et c'est contre l'unité du Christ qu'ils dirigent leurs haines rebelles parla perversité de leur erreur. Parfois, diton, il en est parmi eux qui , voulant se mettre bien avec les Goths parce qu'ils croient que ceux-ci peuvent quelque chose , s'en vont répétant qu'ils croient ce que croient les Goths. Mais le contraire est prouvé par l'autorité de leurs pères; Donat, au parti duquel ils se font gloire de rester fidèles , n'avait pas la foi des Goths.

2. Que ces choses ne vous troublent point , mon bien-aimé fils ; car il est prédit qu'il y
 
 

1. Voir Rétr. liv. III, chap. 48.
 
 

aura des hérésies et des scandales , afin que nous nous instruisions au milieu même de nos ennemis. C'est ainsi que s'éprouvent notre foi et notre amour; notre foi pour que nous ne nous laissions pas tromper, notre amour pour que nous mettions tous nos soins à ramener ceux qui s'égarent; nous ne devons pas nous borner à préserver les faibles de leurs atteintes et à chercher à les délivrer eux-mêmes d'une erreur criminelle , mais nous devons prier pour eux, afin que Dieu leur ouvre l'esprit et qu'ils comprennent les Ecritures. Dans les saints Livres où se manifeste Notre-Seigneur Jésus-Christ , son Eglise elle-même se révèle ; mais, par un prodigieux aveuglement , ces hommes qui ne savent rien du Christ en dehors des Ecritures, ne veulent pas apprendre à connaître son Eglise d'après l'autorité de ces mêmes divins Livres : ils en imaginent une autre d'après le néant des calomnies humaines.

3. Ils reconnaissent avec nous le Christ dans ce passage : « Ils ont percé mes mains et mes pieds; ils ont compté tous mes os. Ils m'ont regardé et considéré; ils se sont partagé mes  vêtements, ils ont tiré ma robe au sort (1); » et ne veulent pas voir l'Eglise dans ce qui suit du même psaume : « Les peuples de tous les pays de la terre se souviendront du Seigneur et se tourneront vers lui, et toutes les nations se prosterneront en sa présence , parce que l'empire est au Seigneur et qu'il régnera sur tous les peuples (2). » Ils reconnaissent avec nous le Christ dans ce passage : « Le Seigneur m'a dit : Vous êtes mon Fils, je vous ai engendré aujourd'hui; » et ne veulent pas reconnaître l'Eglise dans ce qui suit : « Demandez-moi, et je vous donnerai les nations pour votre héritage et la terre pour empire (3). » Ils reconnaissent avec nous le Christ dans ces paroles du Seigneur dans l'Evangile : « Il fallait que le Christ souffrit , et ressuscitât d'entre les morts le troisième jour; » et ne veulent pas reconnaître l'Eglise dans ce qui suit : « Il fallait que la pénitence et la rémission des péchés fussent prêchées en son nom au milieu de toutes les nations, en commençant par Jérusalem (4). » Ils sont sans nombre les témoignages des saints livres qu'il est inutile de rapporter ici. On y voit apparaître Notre-Seigneur Jésus-Christ, soit selon sa divinité par laquelle il est égal au Père, « car au commencement
 
 

1. Ps. XXI, 18-19. — 2. Ibid. XXI, 29. 30, 31. — 3. Ibid. II, 7, 8. — 3. Luc, XXIV, 46, 47.
 
 

482
 
 

était le Verbe , et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu; » soit selon l'abaissement de son incarnation par laquelle « le Verbe est fait chair et a habité parmi nous (1) ; » on y voit apparaître aussi son Eglise, non pas seulement établie en Afrique, comme ces insensés le prétendent impudemment; mais répandue dans le monde entier.

4. Ils préfèrent en effet leurs chicanes aux témoignages divins; des crimes qui n'ont jamais pu et ne peuvent être prouvés , ayant été reprochés à Cécilien , autrefois évêque de Carthage, ils se sont séparés de l'Église catholique, c'est-à-dire de l'unité de toutes les nations. Si ces prétendus crimes se trouvaient véritables et qu'on vînt à nous le montrer, nous anathématiserions Cécilien quoique mort; mais, pour un homme quel qu'il soit, nous ne devons pas quitter l'Église du Christ qui n'a pas pour fondements des opinions litigieuses, mais les paroles d'un Dieu : car il est bon de se confier dans le Seigneur, plutôt que de se confier dans l'homme (2). Cécilien fût-il coupable, et je ne dis rien ici au préjudice de son innocence, le Christ n'aurait pas pour cela perdu son héritage. Il est aisé à un homme de croire d'un autre homme le vrai ou le faux; mais il y a une audace impie à vouloir condamner la communion de toute la terre à cause de prétendus crimes qu'il est impossible de prouver.

5. J'ignore si Cécilien a été ordonné par des traditeurs des livres divins; je n'en ai rien vu, je l'ai entendu dire à ses ennemis, et cela n'a pas été tiré de la loi de Dieu, ni des prophètes, ni des psaumes, ni de l'Apôtre du Christ, ni du langage du Christ. Mais les témoignages unanimes des Écritures déclarent que l'Église est répandue par toute la terre, cette Eglise avec laquelle le parti de Donat ne communique point. « Toutes les nations seront bénies en ta race (3), » a dit la loi de Dieu. « Du levant au couchant un sacrifice pur est offert à mon nom, parce que mon nom est glorifié parmi les nations, » a dit le Seigneur par le Prophète (4). « Son empire s'étendra d'une mer à l'autre et depuis le fleuve jusqu'aux extrémités de la terre, » a dit le Seigneur par le Psalmiste (5). « L'Évangile fructifie et croît dans le monde entier, » a dit le Seigneur par l'Apôtre (6): « Vous serez mes témoins à Jérusalem et dans toute la Judée et dans la Samarie et
 
 

1. I Jean, I, 14. — 2. Ps. CXVII, 8. — 3. Gen. XXVI, 4. — 4. Malach., I, 11. — 5. Ps. XI, 8. — 6. Coloss. I, 6.
 
 

jusqu'aux extrémités de la terre (1), » a dit le Fils de Dieu de sa propre bouche. Cécilien, évêque de Carthage, est accusé par des voix humaines dans un débat ouvert; l'Église du Christ, établie au milieu de toutes les nations, est dé. fendue par la voix de Dieu. La piété, la vérité, la charité ne nous permettent pas d'accepter contre Cécilien le témoignage de gens que nous ne voyons pas dans cette Eglise à laquelle Dieu rend témoignage : on ne mérite pas d'être cru comme homme, lorsque soi-même on ne croit plus à la parole de Dieu.

6. J'ajoute qu'ils ont déféré, comme accusateurs , l'affaire de Cécilien au jugement de l'empereur Constantin. Que dis-je? après une sentence rendue par des tribunaux d'évêques, où ils ne purent pas l'opprimer, leur acharnement poussa Cécilien en présence du susdit empereur. Ils ont ainsi fait les premiers ce que maintenant ils nous reprochent lorsque, pour tromper les ignorants, ils disent que les chrétiens ne doivent pas demander quoique ce soit à des empereurs chrétiens contre les ennemi du Christ. Ils n'ont pas osé nier cela dans la conférence que nous avons eue ensemble à Carthage ; ils se sont vantés au contraire que leurs pères aient criminellement poursuivi Cécilien devant l'empereur, ajoutant menteuse ment que Cécilien y a été vaincu et condamné. Comment donc ne sont-ils pas eux-mêmes persécuteurs, puisque leurs accusations ont pour suivi Cécilien, et que, vaincus par lui, ils se sont menteusement et impudemment donnés pour des triomphateurs? Ils De se seraient pas excusés mais vantés si leurs pères étaient par. venus à faire condamner Cécilien. Dans lacon. férence de Carthage ils ont été également bat. tus sur tous les points; mais la longueur des actes de cette conférence ne permet pas qu'on les lise à un homme comme vous, occupé d'au. tres affaires pour le maintien de la paix dé l'empire; on pourrait vous en lire un abrégé, qui est, je crois, entre les mains de mon frère et collègue Optat : s'il n'a pas cet abrégé, il n'a qu'à le demander à l'église de Sétif. Et d'ail leurs ce livre même est peut- être déjà trop long pour le peu de loisirs que vous avez.

7. Il est arrivé aux donatistes comme aux accusateurs de Daniel. Les lois par lesquelles ils ont voulu opprimer un innocent se sont tournées contre eux comme les lions contre les accusateurs du prophète (2); seulement, grâce à
 
 

1. Actes des Apôtres, I, 8. — 2. Dan. VI, 24.
 
 

483
 
 

la miséricorde du Christ, ces lois sont plutôt pour les donatistes qu'elles ne leur paraissent contre eux. Chaque jour elles servent à ramener beaucoup d'entre eux, et ils remercient Dieu de les avoir délivrés d'une fureur si pernicieuse. Dans leur coeur l'amour a pris la place de la haine; autant ils détestaient auparavant ces lois, autant ils les bénissent maintenant qu'ils sont guéris ; et quant aux autres avec qui ils étaient près de périr, il les aiment comme nous, et nous demandent avec instance de ne pas laisser leur ruine s'achever. Un malade frénétique se plaint du médecin qui le lie, un fils indiscipliné se plaint du père qui le châtie, mais tous les deux sont aimés. Les laisser faire, les laisser périr, ce serait une fausse et cruelle bonté. Quand le cheval et le mulet, qui n'ont pas l'intelligence , résistent par des morsures et des coups de pied aux hommes qui s'occupent de guérir leurs plaies, et résistent au point de mettre parfois des hommes en péril, on ne laisse pas pour cela ces animaux, on les soigne jusqu'à ce que l'énergie douloureuse des remèdes leur ait rendu la santé : combien plus encore un homme ne doit pas être abandonné par un homme, un frère par son fière, de peur qu'il ne périsse ! Une fois ramené, il peut comprendre que ce qu'il appelait une persécution n'était qu'un grand bienfait.

8. « Pendant que nous en avons le temps, « dit l'Apôtre, faisons du bien à tous sans nous lasser jamais (1). » Le bien peut se faire de deux manières avec nos frères égarés : par les discours des prédicateurs catholiques, par les lois des princes catholiques; que tous aillent au salut, que tous soient retirés de la perdition, les uns par le ministère de ceux qui obéissent aux préceptes divins, les autres par le ministère de ceux qui obéissent aux ordres impériaux. Quand les empereurs font de mauvaises lois pour le mensonge, la vraie foi est éprouvée et la persévérance couronnée ; quand ce sont des lois pour la vérité contre le mensonge, les méchants tremblent et ceux qui comprennent se corrigent. Quiconque donc refuse d'obéir aux lois des empereurs, portées contre la vérité de Dieu, acquiert une grande récompense; mais quiconque refuse d'obéir aux lois des empereurs portées pour la vérité de Dieu, s'expose à un grand supplice. Aux temps des prophètes tous les rois qui n'avaient ni empêché ni aboli
 
 

1. Gal. VI, 10.
 
 

ce qui était contre les commandements de Dieu, sont blâmés; les rois qui ont tenu une autre conduite sont comblés de louanges. Nabuchodonosor, lorsqu'il était serviteur des idoles, fit une loi sacrilège pour qu'on adorât une statue; ceux qui ne voulurent pas lui obéir agirent pieusement et fidèlement : et le même roi, ramené par un miracle de Dieu, fit une loi pieuse et louable qui condamnait à mort quiconque aurait blasphémé le vrai Dieu de Sidrach, de Misach et d'Abdénago (1). S'il y eut des violateurs de cette loi, ils purent dire, en subissant leur peine, ce que disent les donatistes : nous sommes justes parce que nous sommes persécutés. Ils auraient tenu ce langage s'ils avaient été insensés comme le sont les donatistes qui divisent les membres du Christ, anéantissent ses sacrements et se glorifient de souffrir persécution, parce qu'ils sont arrêtés par les lois impériales établies au profit de l'unité du Christ, et, ne pouvant recevoir du Seigneur la gloire des martyrs, ils la demandent aux hommes.

9. Mais les vrais martyrs sont ceux dont il a été dit : « Heureux ceux qui souffrent persécution pour la justice (2).» Ce sont de vrais martyrs parce qu'ils souffrent persécution pour la justice et non point pour l'iniquité et le déchirement impie de l'unité chrétienne. Agar aussi fut persécutée par Sara (3) ; celle-ci partant était sainte, l'autre ne l'était pas. Peut-on comparer Agar persécutée par Sara au saint roi David persécuté par l'inique Saül (4)? Grande est la différence ; tous les deux ont souffert , mais David a souffert pour la justice. Le Seigneur lui-même a été crucifié avec des voleurs (5); mais la cause séparait ceux que la passion rapprochait. Aussi ce mot du Psalmiste doit être entendu des vrais martyrs qui ne veulent pas être confondus avec les faux martyrs : «Jugez-moi, Seigneur, et séparez ma cause de celle d'une nation qui n'est point sainte (6); » le Psalmiste n'a pas dit : séparez ma peine, mais «séparez ma cause. » Car la peine des impies peut être semblable à celle des martyrs, mais la cause des martyrs est différente ; ce sont eux qui disent à Dieu : « Ils me persécutent injustement, venez à mon aide (7). » C'est parce que David est injustement persécuté qu'il ne se croit pas indigne du secours divin ; autrement
 
 

1. Dan. III, 5, 96. — 2. Matth. V, 10. — 3. Gen. XVI. 6. — 4. Rois. XVIII, XIX, etc. — 5. Luc, XXIII, 33. — 6.  Ps. XLII, 1. — 7.  Ibid. CXVIII, 86.
 
 

484
 
 

il n'aurait pas eu besoin d'être ;secouru, mais ramené.

10. Si les donatistes croient que nul ne saurait persécuter justement, comme ils l'ont dit à la conférence de Carthage, et que la véritable Eglise est celle qui souffre persécution et non pas celle qui fait souffrir, je me dispense de rappeler que, dans ce cas, Cécilien appartenait à la véritable Eglise quand leurs ancêtres le persécutaient jusqu'à le traduire devant l'empereur. Nous disons, nous, que Cécilien a appartenu à la véritable Eglise, non parce qu'il souffrait persécution, mais parce qu'il souffrait pour la justice, et que les donatistes sont séparés de l'Église, non pas pour avoir persécuté, mais pour l'avoir fait injustement : voilà ce que nous disons. S'ils s'inquiètent peu de savoir pourquoi on persécute et pourquoi on souffre, et s'ils pensent que par cela seul qu'on souffre on est vrai chrétien, il s'ensuit évidemment que Cécilien l'était, puisqu'il ne persécutait pas, mais souffrait; et que leurs ancêtres ne l'étaient pas, puisqu'ils persécutaient et ne souffraient pas.

11. Mais encore une fois, je ne m'arrête pas à cela. Voici ce que je dis : Si la véritable Eglise est celle qui souffre persécution et non pas celle qui fait souffrir, que les donatistes demandent à l'Apôtre de quelle Eglise Sara était la figure lorsqu'elle persécutait sa servante. II répondra que cette femme qui affligeait sa servante représentait notre mère qui est libre, la Jérusalem céleste, c'est-à-dire la Jérusalem de Dieu (1). Si nous allons plus avant, nous trouverons qu'Agar persécutait bien plus Sara par son orgueil que celle-ci ne persécutait l'autre par ses sévérités: Agar faisait injure à sa maîtresse, Sara réprimait une orgueilleuse. Ensuite si ceux qui sont bons et saints ne persécutent personne mais se résignent seulement à la souffrance, pourquoi, je vous prie, ces paroles du Psalmiste: «Je poursuivrai mes ennemis, je les atteindrai et je ne reviendrai qu'après les avoir vus défaillir (2)? » Si nous voulons nous en tenir à la vérité, nous reconnaîtrons que la persécution injuste est celle des impies contre l'Église du Christ, et que la persécution juste est celle de l'Église du Christ contre les impies. Elle est donc bienheureuse de souffrir persécution pour la justice, et ceux-ci sont misérables de souffrir persécution pour l'iniquité. L'Église persécute par l'amour, les autres par la haine;
 
 

1. Galat. IV, 22-31. — 2. Ps. XVII, 38.
 
 

elle veut ramener, les autres veulent détruire; elle veut tirer de l'erreur, et les autres y précipitent. L'Église poursuit ses ennemis et ne les lâche pas jusqu'à ce que le mensonge périsse en eux et que la vérité y triomphe; quant aux donatistes, ils rendent le mal pour le bien; pendant que nous travaillons à leur procurer le salut éternel, ils s'efforcent de nous ôter le salut même temporel; ils ont un si grand goût pour les homicides, qu'ils se tuent eux-mêmes lorsqu'ils ne peuvent tuer les autres. Tandis que la charité de l'Église met tout en oeuvre pour les délivrer de cette perdition afin que nul d'entre eux ne périsse, leur fureur cherche à nous tuer pour assouvir leur passion de meurtre, ou à se tuer eux-mêmes, de peur de paraître se dessaisir du droit qu'ils s'arrogent de tuer des hommes.

12. Ceux qui ne sont pas au courant de leurs habitudes croient que leurs violences contre, eux-mêmes datent du moment où des lois établies pour l'unité, délivrent des peuples entiers de leur brutale domination. Ceux qui les connaissent mieux et savent ce qu'ils faisaient avant ces lois, ne s'étonnent pas de les voir se donner la mort, mais se rappellent leurs coutumes : surtout l'époque où le culte des idoles subsistait encore, ils allaient en grandes troupes au milieu des fêtes païennes, non point pour renverser les idoles, mais pour se faire tuer par leurs adorateurs. S'ils s'étaient présentés là avec un pouvoir légitime d'empêcher le culte païen, ils auraient eu, en cas de mort, une apparence quelconque de martyre; mais ils venaient seulement pour se faire tuer sans toucher aux idoles : les plus vigoureux d'entre les jeunes idolâtres avaient coutume de vouer à leurs dieux tous ceux qu'ils pourraient tuer, Quelques-uns de ces furieux se jetaient même sur des voyageurs armés, les menaçant de les tuer si ces voyageurs ne les tuaient pas. Parfois encore ils demandaient violemment à des juges qui passaient qu'ils les livrassent aux bourreaux; on rapporte qu'un de ces juges, ne voulant ni les faire mourir ni s'exposer à leur rage, ordonna qu'on les liât comme pour donner satisfaction à leur frénésie, et puis les renvoya. Et même aussi c'était pour eux un jeu de tous les jours de se jeter dans des précipices, dans l'eau et le feu pour y trouver la mort. Se précipiter sur des rocs, dans des flammes ou dans des gouffres, voilà les trois genres de mort que le démon leur avait enseignés pour (485) leur propre compte, lorsqu'ils ne rencontraient personne qu'ils pussent contraindre par menaces à les frapper du glaive. Et quel autre aurait pu les leur apprendre, si ce n'est celui qui se servit même de la loi pour persuader à notre Sauveur de se précipiter du haut du pinacle du temple (1)? Ils n'auraient pas cédé à cette suggestion s'ils avaient porté dans leur coeur le Christ notre Maître. Mais parce qu'ils ont plutôt donné entrée au démon dans leur âme, ils périssent comme ce troupeau, de pourceaux précipité du haut d'une montagne dans la mer (2): lorsqu'on les arrache à ce délire homicide et qu'on les recueille pieusement dans le sein maternel de l'Eglise, ils sont délivrés comme le fut le démoniaque que son père présenta au Sauveur pour être guéri, et qui tombait tantôt dans le feu et tantôt dans l'eau (3).

13. Il leur est donc fait une grande miséricorde lorsqu'à l'aide des lois impériales on les tire de cette secte où les démons menteurs leur ont enseigné tant de mal, pour les faire passer dans l'Eglise catholique où ils sont guéris par de bonnes prescriptions et de bonnes moeurs. Plusieurs d'entre eux, dont nous admirons à présent la ferveur et la charité dans l'unité du Christ, rendent à Dieu de grandes actions de grâce d'avoir échappé à une erreur qui leur faisait croire que tous ces égarements étaient des vertus : leur reconnaissance envers Dieu ne s'exprimerait pas ainsi dans la plénitude d'une volonté libre, si auparavant ils ne s'étaient pas retirés malgré eux d'une communion criminelle. Que dirons-nous de ceux qui chaque jour nous avouent que depuis longtemps ils voulaient être catholiques, mais qu'ils vivaient au milieu de gens qui les faisaient trembler et qui les menaçaient de leur vengeance eux et leur maison, au premier mot en faveur de l'Eglise catholique. Qui aurait assez peu de       sens pour refuser de croire que ces faibles donatistes avaient besoin de la protection des lois impériales pour sortir d'un si grand mal, tandis que, grâce à ces lois, ceux dont ils avaient peur ont peur à leur tour, sont ramenés par la crainte ou feignent de l'être, et du moins laissent en paix les convertis dont auparavant leurs menaces empêchaient le retour?

14. Mais s'ils veulent se tuer eux-mêmes, afin que ceux qui devaient être délivrés ne le soient pas; s'ils veulent effrayer de la sorte la piété des libérateurs pour que la peur de

laisser
 
 

1. Luc, IV, 9. — 2. Marc. V, 13. — 3. Matth, XVII, 14.
 
 

périr des gens perdus fasse négliger le salut des chrétiens qui sont décidés à se sauver ou que la répression pouvait y déterminer; quelle doit être la conduite de la charité , surtout lorsque l'on comparera à la multitude de peuples à délivrer le petit nombre de furieux qui menacent de se donner la mort? Que doit donc faire l'amour fraternel? Faut-il que pour préserver un petit nombre de gens des flammes passagères nous laissions tomber tous les autres dans les feux éternels? Faut-il livrer à la mort éternelle tant d'hommes qui maintenant veulent obtenir l'éternelle vie et plus tard ne le pourront plus, et cela dans le but d'empêcher que quelques-uns ne périssent d'une mort volontaire? Et ceux-ci, qui sont-ils? Ils vivent pour s'opposer au salut des autres en ne leur permettant pas de suivre la doctrine du Christ et en les instruisant de façon à les amener tôt ou tard à suivre les enseignements du démon et à courir volontairement à la mort que l'on redoute maintenant pour ces corrupteurs. La charité ne doit-elle pas sauver qui elle peut, quand même périraient de leur plein gré ceux pour qui, elle ne peut rien? Elle souhaite ardemment que tous vivent; mais elle travaille encore plus pour empêcher que tous ne périssent. Remercions le Seigneur d'avoir permis que chez nous, non pas il est vrai partout, mais en beaucoup d'endroits et aussi en d'autres lieux de l'Afrique, la paix catholique se soit faite et se fasse sans aucune de ces morts violentes et insensées ! Ces malheurs arrivent là où . se rencontre cette race d'hommes furieuse et inutile qui déjà, à d'autres époques, avait accoutumé. le monde au spectacle de ses sinistres folies.

15. Avant l'établissement de ces lois par les empereurs catholiques, la doctrine de la paix et de l'unité du Christ se répandait peu à peu , et l'on y passait comme on l'entendait, comme on le voulait, et comme on pouvait, du parti même de Donat ; et toutefois ces bandes d'hommes perdus ne manquaient pas de troubler parmi eux et pour divers motifs le repos des innocents. Quel maître n'était forcé de craindre son serviteur, quand celui-ci se mettait sous la protection de ces forcenés ? Qui eût osé parler trop haut à un pillard, contraindre un voleur ou un débiteur qui les auraient appelés à leur secours? De méchants esclaves, qui voulaient devenir libres, menaçaient leurs maîtres du bâton , de l'incendie et de mort, (486) et obtenaient la destruction des titres de leur servitude. On arrachait aux créanciers leurs titres pour les rendre aux débiteurs. Quiconque méprisait les dures paroles de ces furieux était forcé par des coups plus cruels à faire ce qu'ils ordonnaient. Des innocents qui avaient eu le malheur de leur déplaire voyaient leurs maisons jetées bas ou dévorées par les flammes. Des pères de famille de bonne naissance et de noble éducation ont été emportés à peine vivants après les violences exercées sur eux; ou bien attachés à la meule ils ont été forcés, à coups de fouet, de la tourner comme de vils animaux. De quel secours ont jamais été contre eux les lois et les puissances civiles? Quel officier a jamais soufflé en leur présence? Quel collecteur a jamais exigé d'eux ce qu'ils refusaient de donner? Qui jamais essaya de venger ceux qui étaient tombés sous leurs coups ? Ils ont trouvé leur châtiment dans leur propre fureur, tantôt en demandant aux passants qu'ils les tuassent sous peine de les tuer eux-mêmes, tantôt en se jetant dans des précipices, dans l'eau ou le feu : ils s'arrachaient ainsi leurs âmes malheureuses par des supplices volontaires.

16. Plusieurs de ceux qui appartenaient à cette hérésie avaient horreur de pareilles violences; et comme ils jugeaient qu'il suffisait à leur innocence de désapprouver de tels excès, les catholiques leur disaient : Si ces mauvaises choses ne souillent pas votre innocence, comment prétendez-vous que le monde chrétien ait été souillé par les péchés de Cécilien, péchés faux ou assurément inconnus? Comment, par un horrible crime , vous êtes-vous séparés de l'unité catholique comme de l'aire du Seigneur qui doit, jusqu'au temps où le vanneur commencera son oeuvre, conserver le froment pour être enfermé dans le grenier et la paille pour être jetée au feu (1) ? Ces raisons en ramenaient quelques-uns à l'unité catholique, au prix même des violences que pouvait leur réserver la haine de ces hommes perdus; mais plusieurs n'osaient pas s'exposer à leurs inimitiés qui se donnaient un si libre cours : que de souffrances endurées par quelques-uns des donatistes rentrés au sein de l'Église !

17. A Carthage, il arriva qu'un diacre donatiste, nommé Maximien, -ayant orgueilleusement résisté à son évêque, des évêques de ce
 
 

1. Matth. III, 12,   .
 
 

parti, se rangeant du côté du diacre et faisant un schisme dans le schisme, l'ordonnèrent évêque contre évêque. Cela déplut à la plupart de leurs collègues, qui condamnèrent Maxi. mien avec les douze qui avaient assisté à son ordination, et marquèrent aux autres de celle communion nouvelle une époque pour revenir. Quelques-uns des douze qui avaient été condamnés et ceux auxquels avait été accordé un délai, revenant après le délai expiré, furent rétablis dans leurs dignités par égard pour la paix, et ceux qu'ils avaient baptisés après leur condamnation ne furent pas soumis à un nouveau baptême. C'était là quelque chose de très-concluant pour les catholiques, et qui suffisait à fermer la bouche des donatistes. Nos frères le publiaient de toutes parts, comme ils le devaient, pour ouvrir les yeux et ramener à la vérité; ils ne cessaient de répéter que les donatistes , pour maintenir la paix dans le parti de Donat, avaient rétabli dans leurs dignités ceux qu'ils avaient précédemment condamnés, qu'ils n'avaient pas osé annuler le baptême donné hors de leur Eglise par des gens condamnés , ou soumis à des dé. lais; et que ces mêmes donatistes, objectant contre la paix du Christ on ne sait quelles fautes particulières qui auraient souillé toute la terre, anéantissaient le baptême donné dans les Eglises même d'où l'Evangile est venu en Afrique. Plusieurs étaient confondus, et, rougissant de honte, cédaient à l'évidence de la vérité; les retours étaient alors beaucoup plus fréquents, là surtout où quelque liberté met. tait à couvert de leur fureur.

18. Mais ce fut pour ces furieux un nouveau prétexte de rage; il n'y avait presque aucune de nos églises qui se trouvât à l'abri de leurs insultes, de leurs agressions et de leurs brigandages ; tout chemin avait perdu sa sécurité pour ceux qui prêchaient, contre leurs violences, la paix catholique et opposaient à tant de folies les lumières de la vérité. Une dure situation était faite non-seulement aux laïques et aux clercs, mais encore aux évêques catholiques : ils étaient placés dans l'alternative de taire la vérité ou d'éprouver tout ce que petit la barbarie. Mais le silence de la vérité n'avait pas seulement pour effet de ne délivrer personne de l'erreur; il pouvait faire périr plusieurs des nôtres. D'un autre côté, en prêchant la vérité, on excitait de nouvelles fureurs, et si quelques-uns se convertissaient, si les catholiques (487) étaient affermis, la crainte empêchait les faibles d'entrer dans la bonne voie. Qui conque pense qu'en de telles extrémités l'Eglise aurait dû tout souffrir plutôt que de demander le secours de Dieu par les empereurs chrétiens, réfléchit peu à l'impossibilité de donner de bonnes raisons pour justifier une semblable négligence.

19. Ceux qui ne veulent pas que des lois justes soient établies contre leurs impiétés, nous disent que les apôtres ne demandèrent rien de pareil aux rois de la terre ; ils ne font pas attention que c'était alors un autre temps que celui où nous sommes, et que tout vient en son temps. Quel empereur croyait alors en Jésus-Christ et aurait servi sa cause en faisant des lois pour la piété contre l'impiété ? Alors s'accomplissait cette parole du prophète : « Pourquoi les nations ont-elles frémi ? pourquoi les peuples ont-ils médité des choses vaines ? Les rois de la terre se sont levés, et les princes se sont réunis contre le Seigneur et contre son Christ : » le temps n'était pas encore venu où devait s'accomplir ce qui est dit un peu plus loin dans le même psaume : « Et «maintenant, ô rois, comprenez : instruisez-vous, juges de la terre. Servez le Seigneur a avec crainte, et réjouissez-vous en lui avec tremblement (1). » Comment donc les rois servent-ils le Seigneur avec crainte, si ce n'est en empêchant ou en punissant, par une sévérité religieuse, ce qui se fait contre les commandements du Seigneur? On ne sert pas Dieu de la même manière comme homme, et de la même manière comme roi; comme homme, on sert Dieu par une vie fidèle; mais, comme roi, on le sert en faisant des lois, avec une vigueur convenable, pour ordonner ce qui est juste et empêcher ce qui ne l'est pas. Ce fut ainsi qu'Ezéchias servit Dieu en détruisant les bois sacrés, les temples des idoles et les hauts lieux (2); Josias, en faisant ainsi lui-même (3) ; le roi des Ninivites, en forçant toute la ville à apaiser le Seigneur (4); Darius, en donnant à Daniel l'idole à briser et en livrant aux lions les ennemis de ce prophète (5) ; Nabuchodonosor, dont nous avons déjà parlé, en défendant, sous des peines terribles, dans tout son royaume, de blasphémer Dieu (6). Les rois servent donc le Seigneur, en tant que rois, lorsqu'ils font pour
 
 

1. Ps. II, 1, 2, 10, 11.

2. IV Rois XVIII, 4. — 3. Ibid. XXIII, 4, 5. — 4. Jonas, III, 6-9. — 5. Dan. XIV, 21. 41. — 6. Ibid. III, 96.
 
 

son service ce qu'ils ne pourraient pas faire s'ils n'étaient rois.

20. Comme au temps des Apôtres, les rois ne servaient pas le Seigneur, mais au contraire, selon. les prophéties, méditaient des choses vaines contre le Seigneur et contre son Christ, les lois ne pouvaient pas empêcher les impiétés : bien plus, les impiétés étaient leur oeuvre. Il était dans l'ordre des temps que les Juifs, d'après la prédiction du Sauveur, tuassent les prédicateurs du Christ, croyant remplir un devoir envers Dieu (1), et que les nations frémissent contre les chrétiens, et que la patience des martyrs triomphât de tous. Mais lorsqu'ensuite on a commencé à voir s'accomplir la parole qui annonçait que tous les rois de la terre adoreraient Dieu et que toutes les nations le serviraient (2), quel homme sensé dirait aux rois . Ne vous occupez pas de savoir, dans votre royaume, qui défend ou qui attaque l'Eglise de votre Seigneur; qu'on veuille être religieux ou sacrilège dans votre royaume, cela ne vous regarde pas? Mais nul n'oserait leur dire : Que vous importe qu'on veuille être pudique ou impudique? Et puisque Dieu ayant donné à l'homme le libre arbitre, pourquoi la loi permettra-t-elle le sacrilège et punira-t-elle l'adultère ? Est-ce une moindre faute pour une âme de ne pas rester fidèle à Dieu que pour une femme de ne pas rester fidèle à son mari? Ou bien si les péchés commis, non point par le mépris mais par l'ignorance de la religion, doivent être punis moins sévèrement, faut-il pour cela ne pas du tout s'en mettre en peine ?

21. Il vaut mieux (qui en doute?) amener par l'instruction les hommes au culte de Dieu que de les y pousser par la crainte de la punition ou par la douleur; mais, parce qu'il y a des hommes plus accessibles à la vérité, il ne faut pas négliger ceux .qui ne sont pas tels. L'expérience nous a prouvé, nous prouve encore que la crainte et la douleur ont été profitables à plusieurs pour se faire instruire ou pour pratiquer ce qu'ils avaient appris déjà. On nous objecte cette sentence d'un auteur profane : « Il vaut mieux, je crois, retenir les enfants par la honte et l'honnêteté que par la crainte (3). » Cela est vrai; les meilleurs sont ceux qu'on mène avec le sentiment, mais c'est la crainte qui corrige le plus grand nombre.
 
 

1. Jean, XVI, 2. — 2. Ps. LXXI, 11.

3. Térence, Adelph., acte I, scène 1.
 
 

488
 
 

Car, pour répondre par le même auteur, c'est lui aussi qui a dit : « Tu ne sais rien faire de bien si on ne t'y force. » L'Ecriture divine dit à cause des meilleurs : « La crainte n'est pas dans la charité; mais la charité parfaite met la crainte dehors (1); » et, à cause de ceux qui valent moins et sont en plus grand nombre : « Ce n'est pas avec des paroles que le mauvais serviteur sera corrigé; car lorsqu'il comprendra, il n'obéira point (2). » En disant que des paroles ne le corrigeront point, l'Ecriture n'ordonne pas qu'on le délaisse, mais nous fait entendre ce qu'il faut faire : autrement elle ne dirait pas : « des paroles ne le corrigeront point, » mais seulement : « il ne se corrigera pas. » Aussi elle nous apprend, dans un autre endroit, que non-seulement le serviteur, mais encore le mauvais fils, doit être châtié et avec grand profit; car, dit-elle, « tu le frappes de la verge, mais tu délivres son âme de la mort (3), » et ailleurs : « Epargner le châtiment, c'est haïr son fils (4). » Donnez-moi quelqu'un qui, avec foi et intelligence, dise de toutes ses forces : « Mon âme a soif du Dieu vivant; quand irai-je et paraîtrai-je devant la face de Dieu (5) ? » Celui pour qui l'union avec Dieu est un bien si désirable n'a pas besoin d'être poussé par la crainte des peines temporelles ou des luis impériales, ni même par la crainte de l'enfer; il regarderait comme un grand supplice d'être privé de cette félicité, et s'afflige même du retard qui l'en sépare. Mais cependant, avant de devenir de bons fils et de désirer d'être dégagés des liens du corps pour être avec le Christ (6), plusieurs, comme de mauvais serviteurs et en quelque sorte de méchants fugitifs, sont ramenés à leur Seigneur par le fouet des douleurs temporelles.

22. Qui peut nous aimer plus que le Christ qui a donné sa vie pour ses brebis (7) ? Et cependant, après avoir appelé de sa parole seule Pierre et les autres apôtres, il ne se borna pas à arrêter de la voix, il renversa par terre Paul, auparavant Saul, qui devait être un grand édificateur de son Eglise, mais qui jusque-là en avait été un affreux ravageur, et pour forcer cet ennemi à désirer la lumière du coeur au milieu des ténèbres de son infidélité, le Christ le frappa d'abord de cécité corporelle. Si ce n'eût pas été une punition, Paul n'eût pas été
 
 

1. I Jean, IV, 18. — 2. Prov. XXIX, 19. — 3. Ibid. XXIII,14. — 4. Ibid. XIII, 24. — 5. Ps. XLI, 3. — 6. Philip. I, 23. — 7. Jean, X, 15.
 
 

ensuite guéri; et quand les yeux ouverts, il ne voyait rien, s'il les avait eus sains, l'Ecriture ne dirait pas que, pour que ses yeux s'ouvrissent, il en tomba , par l'imposition de la main d'Avanie, comme des écailles par lesquelles ils étaient fermés (1). Que devient donc la plainte accoutumée de ces gens-là qui crient : On est libre de croire ou de ne pas croire ? A qui le Christ a-t-il fait violence ? qui a-t-il forcé ? Qu'ils considèrent l'apôtre Paul : le Christ le force, puis l'instruit, il le frappe, et puis le console. Mais il faut admirer comment celui qu'une punition corporelle a contraint d'entrer dans l'Evangile a fait plus pour l'Evangile que tous ceux qui ont été appelés par la parole seule du Sauveur (2) : celui qu'une crainte plus grande pousse vers la charité met dehors toute crainte pour la perfection même de cette charité.

23. Pourquoi l'Eglise ne forcerait-elle pas au retour les enfants qu'elle a perdus, puisque ces enfants perdus forcent les autres à périr? Si, au moyen de lois terribles, mais salutaires, elle retrouve ceux qui n'ont été que séduits, cette pieuse mère leur réserve de plus doux embrassements et se réjouit de ceux-ci beaucoup plus que de ceux qu'elle n'avait jamais perdus. Le devoir du pasteur n'est-il pas de ramener à la bergerie du maître, non-seulemen les brebis violemment arrachées, mais même celles que des mains douces et caressantes ont enlevées au troupeau, et, si elles viennent â résister, ne doit-il pas employer les coups et même les douleurs? Car si ces brebis se multiplient auprès des serviteurs fugitifs et des larrons, le pasteur a plus de droit sur elles, car il y trouve la marque du maître ; cette marque nous la respectons, c'est pourquoi nous ne rebaptisons pas ceux qui nous reviennent. Dans la correction de l'erreur et le retour de la brebis, nous ne devons pas toucher au sceau du Rédempteur. Si quelqu'un recevait d'un déserteur le signe royal, et que tous deux reçussent leur pardon, de façon que l'un revînt à la milice et que l'autre y entrât, on n'effacerait pas ce signe chez les deux soldats, mais on l'y reconnaîtrait et on l'y honorerait parce que c'est la marque du roi. Ces gens-là, ne pouvant donc montrer que c'est au mal que nous les contraignons, disent qu'on ne doit pas même être forcé au bien. Mais nous venons de voir Paul forcé parle Christ: c est pourquoi l'Eglise
 
 

1. Actes des Apôtres, IX, 1-48. — 2. I Cor. XV, 10.
 
 

489
 
 

imite son Seigneur; elle avait d'abord attendu et n'avait contraint personne pour que les paroles du prophète sur la foi des rois et des nations s'accomplissent.

24. C'est ainsi qu'on peut avec raison entendre ce passage du bienheureux Paul «Résolus à châtier toute désobéissance quand votre obéissance sera complète (1). » Le Seigneur lui-même commence par ordonner que les conviés soient amenés à son grand festin, ensuite il ordonne qu'ils soient forcés; après que ses serviteurs lui ont répondu: « Seigneur vos ordres sont exécutés et il reste encore de la place ; allez, dit-il, allez le long des chemins et des haies, et forcez d'entrer tous ceux que vous trouverez (2). » Ceux qui d'abord sont doucement amenés nous représentent donc la première obéissance dont parle l'Apôtre; mais ceux qui arrivent forcés nous représentent la désobéissance châtiée : voilà ce que signifient ces mots: « Forcez-les d'entrer, » après qu'il a été dit : « Amenez, » et qu'il a été répondu : « Ce que vous avez commandé a été fait, et il reste encore de la place. » Si on prétend que cette contrainte ne doit s'entendre que des épouvantements causés par les miracles, nous répondrons que les miracles de Dieu ont été opérés en plus grand nombre sous les yeux des premiers qui ont été appelés, surtout sous les yeux des juifs, dont on a dit « qu'ils demandent des prodiges (3) ; » et devant même les gentils, au temps des apôtres, la divinité de l'Evangile a été prouvée par des miracles tels que ce serait plutôt les premiers convives qui auraient été forcés de croire. C'est pourquoi si, par la puissance qu'elle a reçue de la faveur divine et au temps voulu, au moyen de la piété et de la foi des rois, l'Eglise force d'entrer ceux que l'on rencontre le long des chemins et des haies, c'est-à-dire dans les hérésies et les schismes, ceux-ci ne doivent pas se plaindre d'être contraints, mais ils doivent faire attention à quoi on les contraint. Le festin du Seigneur c'est l'unité du corps du Christ, non-seulement dans le sacrement de l'autel, mais encore dans le lien de la paix. Nous pouvons assurément dire des donatistes en toute vérité qu'ils ne forcent personne au bien, car lorsqu'ils forcent c'est toujours au mal.

25. Avant la publication en Afrique de ces lois par lesquelles on force les donatistes d'entrer dans le festin sacré, plusieurs de mes frères
 
 

1. I Cor. X, 6. — 2. Luc, XIV, 22, 23. — 3. I Cor. I, 22.
 
 

et moi-même nous pensions que, malgré la rage de ce parti, il ne fallait pas demander aux empereurs la destruction de l'hérésie en prononçant des peines contre les adhérents; il nous semblait qu'il suffisait de protéger contre ses violences ceux qui annonceraient la vérité catholique par des discours ou des lectures. Nous étions d'avis que cela pouvait se faire à l'aide de la loi de Théodose, de très-pieuse mémoire, contre tous les hérétiques; cette loi condamne tout évêque ou clerc non catholique, en quelque lieu qu'on le trouve, à une amende de dix livres d'or ; nous désirions qu'on l'appliquât plus expressément aux donatistes qui prétendaient n'être pas hérétiques ; et toutefois nous ne voulions pas les soumettre tous à cette peine; seulement dans chaque pays où l'Eglise catholique aurait eu à souffrir de la part de leurs clercs, de leurs circoncellions ou de leurs peuples, les évêques ou d'autres ministres de ce parti, sur la plainte des catholiques, auraient été condamnés par les magistrats au paiement de l'amende. Cette menace les aurait empêchés de rien entreprendre; il nous paraissait qu'on pourrait ainsi prêcher et pratiquer librement la vérité catholique; chacun aurait été libre de la suivre sans obéir à aucun sentiment de crainte et nous n'aurions pas eu des catholiques faux et simulés. D'autres de mes frères, avancés en âge, pensaient autrement; ils voyaient beaucoup de villes et de lieux où la bonté de Dieu avait solidement établi notre foi par le moyen des précédentes lois impériales qui forçaient à rentrer dans l'unité; nous obtînmes cependant qu'on ne demanderait aux empereurs que ce que j'ai dit tout à l'heure ; ce fut décrété dans notre concile (1), et des députés furent envoyés à la cour.

26. Mais la miséricorde de Dieu qui savait que la crainte et le poids de ces lois étaient nécessaires à beaucoup d'âmes perverses et froides, cette miséricorde qui savait qu'un peu de sévérité triomphe de ce qui résiste à la parole toute seule, permit que nos députés ne réussissent point dans leur mission. Nous avions été devancés par des plaintes graves de quelques évêques d'autres contrées de l'Afrique, qui avaient eu beaucoup à souffrir de la part des donatistes et avaient été même expulsés de leurs sièges; l'horrible et incroyable meurtre de Maximien, évêque catholique de Bagaïe, rendit surtout impossible le succès de notre
 
 

1. Concile de Carthage, le 26 juin 404.
 
 

490
 
 

députation. Car déjà une loi avait été publiée, ne se bornant pas à réprimer les horribles violences de l'hérésie donatiste, mais ne la laissant pas subsister impunément; on se serait cru bien plus cruel en l'épargnant qu'elle n'était cruelle elle-même. Toutefois, pour garder même vis-à-vis d'indignes gens la mansuétude chrétienne, on ne les punissait pas du dernier supplice ; on prononçait seulement des amendes, et leurs évêques et leurs ministres étaient punis de l'exil.

27. Le susdit évêque de Bagaïe ayant en effet obtenu par jugement une basilique catholique dont les donatistes s'étaient emparés, ceux-ci l'attaquèrent à l'autel avec une impétuosité et une fureur horribles; ils l'accablèrent inhumainement de coups de bâton et s'armèrent contre lui de tout ce qu'ils rencontrèrent et même des morceaux de bois de l'autel brisé ; ils lui donnèrent aussi un coup de poignard dans l'aine; il serait mort à cause de tout le sang qu'il perdait, si la cruauté même de ses bourreaux n'avait profité à sa vie. Tandis qu'ils le traînaient par terre, la poussière s'amassa sur sa blessure et arrêta l'écoulement du sang. Ils le laissèrent enfin, et les nôtres s'avancèrent pour l'emporter en chantant des psaumes; niais les misérables revinrent avec une rage nouvelle, l'arrachèrent aux mains des catholiques qu'ils maltraitèrent et mirent en fuite : ils étaient en grande multitude, et la terreur qu'inspiraient leurs cruautés ajoutait à la force de leur nombre. Les bourreaux portèrent au sommet d'une tour l'évêque qu'ils croyaient mort, mais qui vivait encore; et le précipitèrent de cette hauteur. Il tomba sur je ne sais quel monceau qui était mou ; des passants, pendant la nuit, l'ayant aperçu et reconnu à la lueur d'une lanterne, le ramassèrent et le transportèrent dans une pieuse maison; son état paraissait désespéré, mais il fut sauvé par les grands soins qui lui furent prodigués durant plusieurs jours. Cependant le bruit s'était répandu jusqu'au delà des mers qu'il avait été tué par le crime des donatistes. Lorsqu'il y alla lui-même et qu'il se montra vivant aux yeux étonnés, on comprit, en voyant le nombre et la gravité de ses récentes blessures, que la renommée eût pu le faire passer pour mort.

28. Maximien demanda donc du secours à l'empereur chrétien, moins pour venger sa cause que pour défendre l'Église confiée à ses soins. S'il n'eût pas fait cela, il n'eût pas mérité des éloges pour sa patience, mais il eût mérité le blâme pour sa négligence. L'apôtre Paul ne se mettait pas en peine d'une vie passagère, mais s'occupait des intérêts de l'Église de Dieu lorsqu'il révéla au tribun le dessein qu'on avait de le tuer : ce qui fit qu'une escorte lui fut donnée, afin de pouvoir se rendre en sûreté où il devait aller (1). II ne craignit point d'invoquer les lois romaines et de se déclarer citoyen romain pour échapper aux coups de fouet (2); une autre fois encore, pour ne pas tomber aux mains des juifs qui désiraient le faire mourir, il demanda le secours de César (3), prince romain et non chrétien. Par là saint Paul montra ce que devaient faire dans la suite les dispensateurs du Christ, lorsque les périls de l'Église les obligeraient à recourir aux empereurs chrétiens. C'est ainsi, qu'il est arrivé qu'un religieux et pieux empereur, ayant pris connaissance de tant d'actes détestables , a mieux aimé attaquer une erreur impie par des lois et ramener à l'unité catholique par la crainte et la force ceux qui portaient contre le Christ l'étendard du Christ, que de se borner à réprimer des violences et de laisser à chacun la liberté d'errer et de périr.

29. Dès que ces lois furent connues en Afrique, ceux qui cherchaient à revenir, mais qui redoutaient les entreprises des furieux de leur parti ou qui n'osaient pas offenser leurs proches , passèrent aussitôt au sein de l'Église. Beaucoup d'autres qui ne tenaient à l'hérésie que par des habitudes de famille, sans avoir jamais songé à la cause de cette séparation religieuse, sans avoir jamais voulu s'en enquérir, commencèrent à se demander ce qu'était le donatisme, et ne trouvant rien qui valût la peine qu'on souffrît persécution, se firent catholiques sans aucune difficulté : la sécurité les avait rendus négligents, l'inquiétude les détermina à s'instruire. Ce -mouvement de retour fut un grand exemple, un exemple persuasif pour beaucoup de gens, peu capables de comprendre par eux-mêmes la différence qu'il y avait entre l'erreur des donatistes et la vérité catholique.

30. Pendant que des peuples nombreux revenaient auprès de leur véritable mère qui les recevait avec tant de joie, des multitudes grossières et haineuses demeurèrent dans cette malheureuse erreur. Il y en eut qui firent semblant de rentrer dans l'unité, d'autres sont restés
 
 

1. Act. XXIII, 17-32. — 2. Ibid. XXII, 25. — 3. Ibid. XXV, 11.
 
 

491
 
 

inconnus par leur petit nombre. Mais parmi ceux dont la conversion n'était que simulée, il s'en rencontra un grand nombre qui, à force d'entendre prêcher la vérité, surtout après la conférence de Carthage, revinrent sincèrement. En certains endroits l'oeuvre a été plus difficile et plus longue; ceux qui se trouvaient bien disposés étaient tenus en échec par les dissidents beaucoup plus nombreux et plus, opiniâtres, ou bien l'autorité de quelques hommes puissants retenait dans le mauvais parti une foule craintive et soumise. Nos soins et nos sollicitudes vont encore de ce côté là; beaucoup de catholiques et surtout des évêques et des clercs y ont enduré des maux horribles et cruels dont l'énumération serait trop longue. Quelques-uns ont eu les yeux crevés; un évêque a eu les mains et la langue coupées; plusieurs même ont été massacrés. Je ne parle pas de ces meurtres commis avec des raffinements de cruautés, de ces maisons pillées dans des attaques de nuit, de ces habitations particulières incendiées et aussi de ces églises livrées aux flammes; pendant que le feu dévorait les sanctuaires, il s'est rencontré des gens pour y jeter les livres saints.

31. Mais des consolations nous attendaient là où tant de maux nous avaient atteints. Partout où de telles horreurs ont été commises, l'unité chrétienne s'est refaite avec plus de ferveur et de perfection ; c'est là surtout. qu'on loue le Seigneur d'avoir permis que ses serviteurs gagnassent leurs frères par leurs souffrances, et qu'au prix de leur sang ils ramenassent dans la paix du salut éternel ses brebis égarées par une erreur mortelle. Le Seigneur est puissant et miséricordieux; chaque jour nous le prions d'inspirer aux autres le repentir, afin qu'ils sortent des piéges du démon qui les retient captifs pour en faire ce qu'il veut (1) : ils ne cherchent qu'à nous calomnier et à nous rendre le mal pour le bien; ils n'ont pas su comprendre quel amour nous leur gardons, et comment nous voulons, selon le précepte du Seigneur donné aux pasteurs par le prophète Ezéchiel, ramener ceux qui errent et retrouver ceux qui sont perdus (2).

32. Ainsi que nous l'avons dit ailleurs, ils ne s'imputent pas le mal qu'ils nous font; et le mal qu'ils se font, ils nous l'imputent. Qui de nous veut qu'un seul d'entre eux périsse ou même qu'il perde quoi que ce soit? Mais si la
 
 

1. II Tim. II, 26. — 2. Ezéch. XXXIV, 4.
 
 

maison de David ne put pas avoir la paix sans la mort d'Absalon qui avait déclaré la guerre à son père, malgré tout le soin du roi à ordonner qu'on lui rendit, autant que possible, vivant et sauf ce fils à qui son paternel amour réservait le pardon, que fit David? il ne lui resta plus qu'à pleurer le fils qu'il avait perdu, et à chercher dans le rétablissement de la paix de son royaume une consolation à sa douleur (1). Ainsi l'Eglise catholique notre mère a eu des enfants qui se sont tournés contre elle; car cette petite branche en Afrique a été séparée du grand arbre qui couvre de ses rameaux la terre entière ! L'Eglise les enfante par sa charité et veut les ramener à la racine sans laquelle ils ne peuvent avoir une véritable vie; si elle en retrouve un grand nombre en en perdant quelques-uns, et ce n'est pas dans une guerre qu'elle les perd, comme David perdit Absalon, c'est d'une mort volontaire que ceux-ci périssent, elle adoucit ou guérit la douleur de son coeur maternel, par la pensée que tant de peuples sont délivrés. Que n'êtes-vous témoins de leur allégresse dans la paix du Christ, de leur grand nombre et de leur empressement à se réunir pour entendre et pour chanter les hymnes, de leurs heureuses et nombreuses réunions pour écouter la parole de Dieu 1 Que ne voyez-vous la douleur de la plupart d'entre eux au souvenir de leur erreur passée et leur bonheur de connaître la vérité ! J'aimerais à vous montrer avec quelle indignation et quelle horreur ils repassent les mensonges de ceux qui furent leurs maîtres et qui leur débitaient tant de faussetés sur nos sacrements. Combien avouent que depuis longtemps ils auraient voulu être catholiques, mais qu'ils ne l'osaient pas au milieu de gens dont ils redoutaient la fureur ! Si donc vous pouviez avoir sous les yeux comme en un seul tableau tous ces peuples délivrés au milieu des diverses régions de l'Afrique, alors vous diriez que ç'eût été trop cruel d'abandonner à une perte irrémédiable et d'exposer aux flammes éternelles une innombrable multitude d'hommes , sous prétexte d'empêcher une poignée de misérables de se brûler volontairement.

33. Si deux hommes étaient dans une maison que nous sussions avec certitude devoir bientôt tomber en ruines et d'où ils ne voulussent pas sortir malgré nos avertissements; s'ils nous était possible de les tirer de là malgré
 
 

1. II Rois, XVIII, XXII.
 
 

492
 
 

eux, pour les convaincre ensuite de la ruine imminente de la maison, et leur ôter la volonté d'y rentrer, ne mériterions-nous point le reproche de cruauté en ne le faisant pas? Or, si l'un d'eux nous disait : Quand vous entrerez pour nous arracher de la maison, je me tuerai, et si l'autre ne voulait ni sortir, ni être emporté de là, mais qu'il n'osât pas se tuer, que devrions-nous faire? Faudrait-il les laisser périr tous deux, ou bien en sauver au moins un par notre oeuvre de miséricorde en laissant mourir l'autre, non par notre faute, mais par la sienne? Personne n'est assez malheureux pour ne pas comprendre aisément ce qu'il faut faire. en des cas pareils. Je me suis servi de la comparaison de deux hommes, dont l'un est perdu, l'autre sauvé; que sera-ce quand il s'agit de la perte de quelques-uns et de la délivrance d'une multitude innombrable de peuples? Il n'y a pas autant d'hommes périssant de leur propre volonté, qu'il y a de bourgades, de villages, de bourgs, de municipes et de cités délivrés de ce cruel et éternel malheur par les lois impériales.

34. En allant plus loin dans notre comparaison, je crois que si plusieurs se trouvaient dans une maison menacée de ruine, où un seul pourrait être délivré; et si pendant que nous ferions effort pour le sauver, les autres cherchaient volontairement le trépas dans un précipice, la douleur que nous causerait leur mort serait consolée par la vue de celui qu'il nous eût été donné de sauver : nous ne les laisserions pas tous périr, en cherchant inutilement à retenir ceux qui voudraient mettre fin à leurs jours. Si la raison et la bonté nous obligent à secourir ainsi les hommes pour leur salut en ce monde et pour une courte vie, que ne doit donc pas faire pour eux la charité miséricordieuse, lorsqu'il s'agit de leur faire obtenir la vie éternelle et éviter une éternité de malheurs?

35. Ils nous disent que nous en voulons à leurs biens; ah ! qu'ils se fassent catholiques, et qu'ils possèdent, dans la paix et la charité, non-seulement ce qu'ils appellent leurs biens, mais même les nôtres. Leur rage de nous calomnier les aveugle au point de ne pas s'apercevoir de la contradiction de leurs paroles. Ils disent et leur haine ne cesse de répéter que nous les forçons à rentrer dans notre communion par la puissance violente des lois; nous nous en garderions bien, si nous en voulions à ce qui leur appartient. Quel est l'avare qui cherche à posséder avec un autre? Quel est celui qui, dans sa passion pour dominer et dans sa soif des honneurs, désire partager le pouvoir et les dignités? Qu'ils voient ceux qui furent autrefois de leur parti , et qui maintenant sont nos compagnons, unis à nous par un amour fraternel : ils ont ce qui est à eux, et non-seulement ce qu'ils possédaient auparavant, mais même ce qui est à nous et ce qu'ils n'avaient pas, ces biens sont à eux comme à nous, si nous sommes pauvres ensemble; mais si nous possédons, par nous-mêmes, de quoi suffire à nos besoins, ces biens ne sont pas à nous, mais aux pauvres, dont nous sommes en quelque sorte les administrateurs : nous ne pourrions pas, sans une usurpation condamnable, nous en attribuer la propriété.

36. Tout ce que possédaient les églises du parti de Donat, a passé avec elles aux mains des catholiques par les lois des empereurs chrétiens. Comme les pauvres qui vivaient des petits biens de ces mêmes églises, sont avec nous, ceux qui sont restés dehors doivent cesser de désirer ce qui ne leur appartient pas:qu'ils rentrent dans l'unité, et nous gouvernerons ensemble non-seulement ce qu'ils appellent leurs biens, mais même ce qu'on appelle les nôtres; car il est écrit : « Tout est à vous; mais vous êtes à Jésus-Christ, et Jésus-Christ est à Dieu (1). » Sous ce chef ne soyons qu'un dans l'unité de son corps, et, pour ces choses, faisons ce qui est écrit dans les Actes des Apôtres : « Ils n'avaient qu'une âme et qu'un coeur; et personne ne devait posséder quoique ce fût en propre , mais toutes choses leur étaient communes (2). » Ce que nous chantons, chantons-le avec amour : « Qu'il est bon, qu'il est doux que les frères habitent ensemble (3) ! » Qu'ils sachent avec quelle sincérité l'Eglise catholique , leur mère, leur crie, comme le bienheureux Apôtre aux Corinthiens : « Ce que je cherche ce ne sont pas vos biens, c'est vous (4). »

37. Si nous considérons ce qui est dit dans le Livre de la Sagesse, « que les justes ont emporté les dépouilles des impies (5); » et dans les Proverbes, « que les impies thésaurisent pour les justes; » alors nous verrons qu'il ne s'agit pas de chercher qui possède les biens des hérétiques, mais qui est dans la société des justes. Nous savons qu'ils s'arrogent la justice,
 
 

1. Cor. III, 22, 23. — 2. Actes des Apôtres, IV, 32. — 3. Ps. CXXXII,1. — 4. II Cor. XII, 14. — 5. Sag. X, 19.
 
 

493
 
 

de façon à ne pas se vanter seulement de l'avoir, mais aussi de la donner aux autres hommes. Car ils prétendent communiquer la justice à ceux qu'ils baptisent, et il ne leur reste plus qu'à dire à celui qu'ils baptisent de croire en celui qui les a baptisés. Pourquoi ne le feraient-ils pas, après que l'Apôtre a dit : « La foi en celui qui justifie l'impie, est imputée à justice (1)? » Que le baptisé croie donc en celui qui le baptise, si c'est lui qui le justifie, afin que sa foi lui soit imputée à justice. Mais je crois qu'ils auraient horreur d'eux-mêmes, s'ils daignaient réfléchir à tout cela. Il n'y a que Dieu qui soit juste et qui justifie; et on peut dire d'eux ce que l'Apôtre dit des Juifs, que, « ne connaissant pas la justice de Dieu et voulant établir la leur propre, ils ne se sont point soumis à la justice de Dieu (2). »

38. A Dieu ne plaise que quelqu'un d'entre nous se déclare juste au point de vouloir établir lui-même (2) sa propre justice, c'est-à-dire une justice qu'il se serait donnée à lui-même, après ces paroles de l'Apôtre: « Qu'as-tu que tu n'aies reçu? » ou qu'il ose se vanter d'être sans péché dans cette vie, comme les donatistes, à notre conférence, ont prétendu être dans l'Église qui n'a ni tache, ni ride, ni quoi que ce soit de ce genre (3) ! Ils ne savent pas que cela n'est vrai que pour ceux qui meurent aussitôt après le baptême ou après le pardon que nous demandons pour nos fautes dans l'oraison dominicale; mais quant à l'Église entière, pour qu'elle n'ait ni tache, ni ride ou quoi que ce soit de ce genre, il faut qu'on arrive à ce temps où on pourra dire . « O mort, où est ta victoire? O mort, où est ton aiguillon? Car l'aiguillon de la mort c'est le péché (4). »

39. Dans cette vie où le corps qui se corrompt appesantit l'âme (5), si telle est déjà l'Église des donatistes, qu'ils cessent de dire à Dieu, comme l'a commandé le Seigneur

« Pardonnez-nous nos offenses (6). » Toute faute ayant été effacée par le baptême, que peut demander leur Eglise, si déjà dans cette vie elle n'a ni tache, ni ride, ni quoi que ce soit de ce genre? Qu'ils ne tiennent aucun compte non plus de l'apôtre Jean qui s'écrie dans son Épître : « Si nous disons que nous n'avons pas de péché, nous nous trompons nous-mêmes, et la vérité n'est
 
 

1. Rom. IV, 5. — 2. Rom. X, 3. — 3. Eph. V, 27. — 4. I Cor. XV, 55, 56. — 5. I Sag. IX, 15. — 6. Matth. VI, 12.
 
 

pas en nous. Mais si nous confessons nos péchés, il est fidèle et juste pour nous les remettre et pour nous purifier de toute iniquité (1). » C'est dans cette espérance que toute l'Église dit : « Pardonnez-nous nos offenses, » afin que Dieu, voyant votre humble confession et non pas notre orgueil, nous purifie de toute iniquité, et que par là Notre-Seigneur Jésus-Christ prépare la gloire future de son Eglise pour le jour où elle n'aura plus ni tache, ni ride, ni quoi que ce soit de ce genre. Maintenant, il la purifie par « le baptême de l'eau dans la parole, » car après le baptême il ne reste rien des péchés passés, pourvu toutefois que ce baptême même ne se porte pas inutilement hors de l'Église mais dans l'Église, ou, s'il a été reçu hors de l'unité, qu'on n'en demeure pas séparé; et c'est à cause de ce baptême que nous pouvons obtenir la rémission de toutes les fautes commises par la faiblesse humaine depuis notre régénération. Il ne sert à rien à qui n'est pas baptisé de dire à Dieu : « Pardonnez-nous nos offenses. »

40. C'est donc ainsi que le Seigneur purifie son Eglise par le baptême de l'eau dans la parole, pour la faire paraître un jour devant lui sans tache et sans ride, entièrement belle et parfaite, après que la mort aura été absorbée par la victoire (2). Maintenant tant que nous gardons en nous la génération divine, et que nous vivons de la foi, nous sommes justes; mais en tant que nous traînons les restes de la mortalité d'Adam, nous ne sommes pas sans péché. Car il a été dit avec vérité « que celui qui est né de Dieu ne pèche pas (3), » et il est également vrai que « si nous disons que nous sommes sans péché, nous nous trompons nous-mêmes, et la vérité n'est point en nous (4). » C'est donc Notre-Seigneur Jésus-Christ qui est juste et qui justifie; et nous, c'est gratuitement que nous sommes justifiés par sa grâce (5). Mais il ne justifie que son corps qui est l'Église. C'est pourquoi, si le corps du Christ emporte les dépouilles des impies et que les richesses des impies s'amassent pour le corps du Christ, les impies ne doivent pas demeurer dehors pour calomnier l'Église, mais plutôt y entrer pour être justifiés.

41. Il est écrit qu'au jour du jugement « les justes se lèveront avec une grande fermeté
 
 

1. I Jean, I, 8, 9. — 2. I Cor. XV. 54. — 3. I Jean, III, 9. — 4. Ibid. I, 8. — 5. Rom. III, 24.
 
 

494
 
 

contre ceux qui les auront opprimés ou qui eur auront enlevé le fruit de leurs travaux (1); » cela ne veut pas dire que le Chananéen se lèvera contre Israël, parce que Israël a enlevé au Chananéen le fruit de ses travaux; mais Naboth se lèvera contre Achab parce que Achab a enlevé à Naboth le fruit de ses travaux, car le Chananéen est impie et Naboth juste. Ainsi, le païen ne se lèvera pas contre le chrétien qui lui a enlevé le fruit de ses travaux, en dépouillant ou en renversant les temples des idoles; mais le chrétien se lèvera contre le païen qui lui a enlevé le fruit de ses travaux quand les martyrs sont tombés sous le fer. De même aussi l'hérétique ne se lèvera pas contre le catholique qui lui a enlevé le fruit de ses travaux quand les lois des empereurs catholiques ont été en vigueur; mais le catholique se lèvera contre l'hérétique qui lui a enlevé le fruit de ses travaux, lorsque la fureur et l'impiété des circoncellions répandaient partout l'épouvante. La sainte Ecriture elle-même a résolu la question; elle n'a pas dit : Alors les hommes se lèveront; mais : Alors les justes se lèveront; et ce sera avec une grande fermeté, parce que ce sera avec une bonne conscience.

42. Personne ici-bas n'est juste par sa propre justice, c'est-à-dire par une justice qu'il se serait donnée lui-même, mais, comme dit l'Apôtre, « selon la mesure du don de la foi dont Dieu a fait part à chacun. » Il continue ainsi : « De même que nous avons plusieurs membres en un seul corps, mais que tous les membres n'accomplissent pas le même acte, ainsi nous sommes plusieurs ne formant qu'un seul corps en Jésus-Christ (2). » Et c'est pourquoi nul ne saurait être juste tant qu'il demeure séparé de l'unité de ce corps. Un membre retranché du corps d'un homme vivant ne garde plus de vie; ainsi un homme retranché du corps du Christ le juste ne garde plus de justice, même en conservant la forme du membre qu'il a pris du corps. Qu'ils viennent donc se rattacher à ce corps, et qu'ils possèdent le fruit de leurs travaux, non dans un ardent esprit de domination, mais avec la pensée d'en faire un pieux usage. Quant à nous, nous nous justifions, aux yeux même d'un ennemi que nous prendrions pour juge, du honteux reproche de cupidité, quand nous faisons tous nos efforts pour ramener les
 
 

1. Sag. V, 1. — 2. Rom. XII, 8, 5.
 
 

prétendus possesseurs de ces biens, dans la société catholique où ils pourraient user avec nous et des leurs et des nôtres.

43. Mais voici, disent-ils, ce qui nous émeut: si nous sommes injustes, pourquoi nous cherchez-vous? Nous leur répondons : Nous vous cherchons, injustes, pour que vous ne le soyez plus; nous vous cherchons, perdus, pour que nous puissions nous réjouir de vous avoir trouvés et dire : Notre frère était mort et il est ressuscité; il était perdu, et il est retrouvé (1). Pourquoi donc, dit le donatiste, ne me baptisez-vous pas, pour effacer mes péchés? Je lui réponds : Parce que, quand je ramène un déserteur, je ne veux pas manquer de respect à la marque du souverain. Pourquoi, dit-il, ne ferais-je pas au moins pénitence une fois rentré clans vos rangs? — Il y a plus, si tu ne fais pénitence tu ne pourras être sauvé : comment te réjouiras-tu de ton amendement si tu ne sens aucune douleur de tes égarements? — Que recevons-nous donc, dit encore le donatiste, lorsque nous allons vers vous? Je réponds : Vous ne recevrez pas le baptême qu'on vous a déjà conféré, inutilement il est vrai, en dehors du corps du Christ; mais vous recevez l'unité de l'esprit dans le lien de la paix (2), sans laquelle personne ne peut voir Dieu; et la charité qui, selon l'Ecriture, « couvre la « multitude des péchés (3). » Sans ce grand bien de la charité, dit l'Apôtre, il ne servirait de rien de parler les langues des hommes et des anges, d'avoir l'intelligence de tous les mystères, le don de prophétie, la foi qui transporte les montagnes, de donner aux pauvres tout ce qu'on possède et de livrer son corps aux flammes (4). Si donc vous estimez peu ou vous n'estimez pas un bien si grand, vous méritez de vous égarer misérablement; vous méritez de périr si vous ne rentrez dans l'unité catholique.

44. Si donc, disent-ils pour être sauvés, nous devons faire pénitence d'avoir été hors de l'Eglise et contre l'Eglise, comment pouvons-nous ensuite demeurer clercs ou évêques dans vos rangs? — Ah ! cela n'arriverait pas, il faut l'avouer, et ne devrait pas arriver si nous n'y trouvions pas une compensation dans le grand intérêt de la paix. Qu'ils se le disent à eux-mêmes, en toute humilité et avec douleur, eux qui, par leur séparation, sont
 
 

1. Luc, XV, 32. — 2. Eph. IV. — 3. I Pierre, IV, 8. — 4. I Cor. XIII, 1-3.
 
 

495
 
 

couchés dans un tel état de mort, que leur retour à la vie ne peut s'accomplir sans que l'Eglise catholique notre mère reçoive une certaine blessure. Quand la branche coupée est remise au tronc, l'arbre ne la reçoit pas sans souffrir une blessure; c'est une condition de vie pour le rameau qui, séparé dé la racine, ne vivait plus; mais la force ne tarde pas à y revenir et le fruit aussi: si l'union de la branche au tronc ne se faisait pas, la branche sécherait, sans toutefois que l'arbre perdît de sa vie. Car il y a aussi une manière de greffer où l'on ente un rameau sans en couper aucun, et où l'on ne fait à l'arbre qu'une incision légère. Il en est ainsi de ceux qui reviennent à la racine catholique et qui gardent, après leur pénitence, les dignités de la cléricature ou de l'épiscopat. Il y a là quelque chose de contraire à la sévérité chrétienne, quelque chose comme la blessure faite à l'écorce. de l'arbre; cependant comme celui qui plante n'est rien ni celui qui arrose, l'union pacifique des rameaux greffés s'accomplissant pour l'effusion des prières devant la miséricorde de Dieu, « la charité couvre la multitude de péchés. »

45. Si l'Eglise a établi que personne, après avoir fait pénitence de quelque crime, ne serait ni reçu, ni rétabli, ni maintenu dans la cléricature, ce n'était point qu'elle désespérât du pardon, c'est qu'elle cherchait la rigueur de la discipline; autrement, on contesterait la puissance des clefs qu'elle a reçues et dont il a été dit: « Ce que vous aurez délié sur la terre sera délié dans le ciel (1) ? » Mais dans la crainte que peut-être après des crimes connus l'espérance des honneurs ecclésiastiques ne mêlât un sentiment d'orgueil aux actes du repentir, la sévérité de l'Eglise a voulu que personne ne fût clerc après avoir fait pénitence de quelque grand crime; en ôtant tout espoir d'élévation temporelle, une humilité plus profonde ajoutait à l'efficacité de la pénitence. Ainsi David fit pénitence de ses crimes, et cependant demeura roi. Le bienheureux Pierre, après avoir versé des larmes amères et s'être repenti d'avoir renié son Maître, demeura apôtre. Il ne faut pas pour cela regarder comme inutile la précaution de ceux qui, plus tard, sans faire tort au salut, y ont au contraire ajouté plus d'humilité afin de l'assurer davantage : Cette détermination fut prise, je crois, parce qu'on avait vu certaines fausses pénitences dont le fond
 
 

1. Matth.XVI, 19.
 
 

véritable n'était qu'un ardent désir de retrouver des dignités. La diversité des maladies oblige de chercher des remèdes différents. Mais dans ces graves divisions où le péril ne menace pas seulement un homme mais des peuples entiers, il faut relâcher quelque chose de la sévérité, afin qu'il y ait redoublement de charité pour la guérison de maux plus grands.

46. Qu'ils détestent donc leur erreur passée avec une aussi amère douleur que Pierre détesta son lâche mensonge, et qu'ils reviennent à la véritable Eglise du Christ, c'est-à-dire à l'Eglise catholique leur mère; qu'ils y soient clercs, qu'ils y soient de bons évêques, ceux qui auparavant s'étaient si cruellement armés contre elle. Nous n'en sommes point jaloux, mais plutôt nous les embrassons, nous les souhaitons, nous les, exhortons, et ceux que nous trouvons le long des chemins et des haies, nous les forçons d'entrer, quoiqu'il s'en rencontre parmi eux à qui nous ne puissions pas persuader que ce n'est pas leurs biens que nous cherchons, mais eux-mêmes. Quand l'apôtre Pierre renia son Maître, pleura et demeura apôtre, il n'avait pas encore reçu le Saint-Esprit; mais les donatistes l'ont bien moins reçu, eux qui, s'étant séparés du corps du Christ, le seul dont le Saint-Esprit est la vie, ont regardé hors de l'Eglise et contre l'Eglise, les sacrements de l'Eglise ; et par une sorte de guerre civile, ont combattu contre nous avec nos armes et nos drapeaux. Qu'ils viennent; que la paix se fasse dans la forteresse de Jérusalem, c'est-à-dire dans la charité; il a été dit à la cité sainte : « Que la paix règne dans ta forteresse et l'abondance dans tes tours (1). » Qu'ils ne s'élèvent pas contre la sollicitude maternelle de l'Eglise pour leur réunion et celle de tant de peuples qu'ils trompent ou qu'ils trompaient; qu'ils ne s'enorgueillissent point de la manière dont l'Eglise les reçoit qu'ils ne rapportent pas au mal de leur orgueil ce qu'elle ne fait elle-même que pour le bien de la paix.

47. C'est son habitude de secourir ainsi les multitudes qui périssent par les schismes et les hérésies. Ses soins maternels déplurent à Lucifer (2), lorsqu'il fût question de recevoir et
 
 

1. Ps. CXXI, 7.

2. Lucifer, évêque de Cagliari, en Sardaigne , après avoir défendu avec un zèle courageux la doctrine catholique contre les ariens , se sépara de l'Eglise et de ses efforts de modération miséricordieuse pour ramener les dissidents. Il manquait de prudence et de mesure; il était violent et l'Église ne l'a jamais été. Lucifer mourut à Cagliari en 570. Il mourut schismatique. Voyez saint Augustin, Du combat chrétien, chap. XXX.
 
 

496
 
 

de guérir ceux que la doctrine empoisonnée d'Arius menait à la mort; il tomba dans les ténèbres du schisme, après avoir perdu la lumière de la charité. Dès le commencement, l'Église catholique d'Afrique garda ces ménagements envers les donatistes, de l'avis des évêques qui jugèrent, à Rome, entre Cécilien et le parti de Donat. Après avoir condamné l'auteur même du schisme, ils crurent devoir rétablir dans leurs dignités les autres qui s'étaient amendés, quoiqu'ils eussent été ordonnés hors de l'Église. Ce n'est pas que ceux-ci pussent avoir l'Esprit saint en dehors de l'unité du corps du Christ; mais l'on adopta cette conduite surtout à cause de ceux que les évêques donatistes en restant hérétiques auraient pu séduire et détourner de recevoir la grâce qu'on leur offrait. Ils espéraient aussi que tant de condescendance, à l'égard de ces frères égarés, rendrait leur infirmité intérieure plus guérissable, parce que l'opiniâtreté ne fermerait plus les yeux de leur coeur à l'évidence de la vérité. Les donatistes eux-mêmes avaient-ils d'autres pensées lorsque, voyant les peuples rester avec les maximianistes et craignant de les perdre tous, ils rétablirent dans leurs dignités ces évêques maximianistes qu'ils avaient condamnés comme coupables d'un schisme sacrilège, selon le mot de leur concile (1), et auxquels ils avaient déjà donné des successeurs? ils ne firent pas même difficulté de reconnaître le baptême qu'ils avaient donné après leur scission et leur condamnation. Pourquoi donc s'étonnent-ils et se plaignent-ils calomnieusement que nous les recevions ainsi pour la véritable paix du Christ, et ne se rappellent-ils pas ce qu'ils ont fait eux-mêmes pour la fausse paix de Donat, qui est contre le Christ? Si on s'empare contre eux, avec intelligence, de cette conduite de leur part, ils n'auront absolument rien à répondre.

48. Mais ils disent : si nous avons péché contre le Saint-Esprit en effaçant votre baptême, pourquoi nous recherchez-vous, puisque ce péché ne peut pas être remis d'après ces paroles du Seigneur : « Celui qui aura péché coutre le Saint-Esprit n'obtiendra de pardon ni dans ce monde ni dans l'autre (2)? » Ils ne font pas attention qu'en suivant ce sens il n'y aurait de
 
 

1. Le concile de Bagaïe.

2. Matth. XII, 32.
 
 

délivrance pour personne. Qui donc ne parle pas contre le Saint-Esprit et ne pèche pas contre lui, soit celui qui n'est pas encore chrétien, soit l'hérétique arien ou l'eunomien ou le macédonien, qui prétendent que le Saint-Esprit est une créature, soit le photinien (1) qui nie la personnalité du Saint-Esprit, et prétend qu'il n'est que Dieu le Père, soit les autres hérétiques qu'il serait trop long de rappeler? Est-ce que nul d'entre eux ne peut être délivré de ses erreurs? Est-ce que les Juifs contre qui le Seigneur a prononcé cette parole, s'ils croyaient en lui, ne pourraient être baptisés? Car le Sauveur ne dit point que ce péché ne sera pas remis par le baptême, mais « qu'il ne sera remis ni dans ce monde ni dans l'autre. »

49. Qu'ils comprennent donc que ce qu'il y a d'irrémissible ce n'est pas tout péché contre le Saint-Esprit, mais un certain péché contre le Saint-Esprit. Lorsque le Seigneur a dit que s'il n'était pas venu, les Juifs n'auraient pas eu de péché (2), il n'a pas voulu faire entendre qu'ils n'auraient commis aucune faute, eux qui en avaient tant commis et de si graves; mais il a voulu parler d'un certain péché particulier sans lequel tous les autres péchés auraient pu leur être pardonnés : c'était de n'avoir pas cru en lui; c'est un péché dans lequel ils ne seraient pas tombés si le Christ n'était point venu sur la terre. De même quand il a dit : « Celui qui aura péché contre le Saint-Esprit » ou bien : « Celui qui aura parlé contre le Saint-Esprit, » il n'a pas eu en vue tout péché qui peut se commettre contre le Saint-Esprit par action ou par parole, mais un péché particulier. Ce péché c'est une dureté de coeur jusqu'à la fin de cette vie, et par cette dureté l'homme refuse de recevoir la rémission de ses péchés dans l'unité du corps du Christ, dont le Saint-Esprit est la vie. Car après avoir dit à ses disciples : « Recevez le Saint-Esprit, » le Seigneur ajoute aussitôt : « Les péchés seront remis à qui vous les remettrez; ils seront retenus à qui vous les retiendrez (3). » C'est donc celui qui aura résisté et se sera opposé à ce don de la grâce de Dieu ou en restera séparé en quelque manière jusqu'à la fin de cette vie, qui n'obtiendra de pardon ni dans ce monde ni dans l'autre; c'est un si grand péché qu'il empêche que tous les autres ne soient remis, et il n'est prouvé qu'un homme en a été coupable
 
 

1. Nous avons déjà eu occasion de parler de ces divers hérétiques.— 2. Jean, XV, 22. — 3. Jean, XX, 22,     23.
 
 

qu'après sa mort. Tant qu'il vit, « la patience de Dieu, comme dit l'Apôtre, l'invite à la pénitence; » mais s'il persévère dans son iniquité, si, ainsi que le dit encore l'Apôtre, «par la dureté et l'impénitence de son coeur il amasse un trésor de colère pour le jour de la colère et de la manifestation du juste jugement de Dieu (1), » il ne lui sera pardonné ni en ce monde ni en l'autre.

50. Or ceux avec qui nous traitons ou dont nous nous occupons ne sont pas dans un état qui ne nous permette plus d'espérer pour eux; car ils vivent encore. Mais qu'ils ne cherchent pas le Saint-Esprit ailleurs que dans le corps du Christ : ils ont en dehors le sacrement, sans avoir intérieurement la chose même dont ce sacrement est le signe ; et c'est pourquoi ils mangent et boivent leur condamnation (2). Ce pain qui est un est le sacrement de l'unité; l'Apôtre a dit : « Nous sommes tous ensemble un même pain, un même corps (3). » Aussi l'Église catholique seule est le corps du Christ, dont le chef et le Sauveur est le Christ lui-même (4). Le Saint-Esprit ne donne à personne la vie en dehors de ce corps, parce que, selon les paroles de l'Apôtre, « la charité de Dieu « s'est répandue dans nos coeurs par le Saint« Esprit qui nous a été donné (5) : » on ne participe point à la charité divine lorsqu'on est ennemi de l'unité. C'est pourquoi ceux qui sont hors de l'Église n'ont pas le Saint-Esprit; c'est d'eux qu'il est écrit : « Hommes qui se séparent eux-mêmes, hommes grossiers qui n'ont pas l'Esprit (6). » Celui qui n'est pas sincèrement dans l'Église n'a pas non plus l'Esprit; il est écrit que « le Saint-Esprit fuit le déguisement (7). » Celui donc qui veut avoir le Saint-Esprit, qu'il prenne garde à ne pas demeurer hors de l'Église, à ne pas y entrer avec une foi simulée : s'il y est entré tel, qu'il prenne garde à ne pas persister dans ce déguisement, pour qu'il s'unisse véritablement à l’arbre de vie.

51. Je vous envoie un livre bien long, trop long peut-être pour le peu de loisir que vous avez. Si on peut vous le lire, ne fût-ce que par parties, Dieu vous donnera l'intelligence et vous serez en mesure de répondre aux donatistes pour les ramener et les guérir : c'est à vous aussi, comme à un fils fidèle, que l'Église notre mère recommande leur retour et
 
 

1. Rom. II, 4, 5. — 2. I Cor. XI, 29. — 3. Ibid. X, 17. — 4. Eph. V, 23. — 5. Rom. V, 5. — 6. Jude, 19. — 7. Sag. I, 5.
 
 

leur guérison, avec le secours du Seigneur aidez-les où vous pourrez, comme vous pourrez, soit par vos discours et vos réponses, soit en les amenant auprès de ceux qui enseignent dans l'Église.

LETTRE CLXXXVI. (Année 417.)
 

Saint Paulin avait connu et aimé Pélage ; il est à craindre qu'il ne fût point assez en garde contre ses erreurs, ou plutôt contre ses artifices ; saint Augustin lui écrit pour l'instruire de tout ce qui s'est passé , pour lui marquer les points condamnables de la doctrine de Pélage et pour établir l'enseignement de l'Église catholique sur la grâce. Cette matière si difficile et si délicate est traitée avec beaucoup de force et d'autorité ; l'évêque d'Hippone use de ménagements admirables envers saint Pantin. C'est polir mieux arriver à son cœur qu'il associe à sa démarche Alype qui était particulièrement cher à l'évêque de Nole.
 
 

ALYPE ET AUGUSTIN A LEUR BIENHEUREUX SEIGNEUR ET FRÈRE ET COLLÈGUE PAULIN, QU'ILS EMBRASSENT ET QU'ILS AIMENT AU-DELÀ DE TOUTE EXPRESSION DANS LES ENTRAILLES DU CHRIST, SALUT DANS LE SEIGNEUR.
 

1. Voici enfin pour nos lettres, grâce à la providence de Dieu , un porteur très-fidèle , notre frère Janvier, qui nous est, avec raison, bien cher à tous; quand même nous ne vous écririons pas, il serait comme une lettre vivante et intelligente, par laquelle votre Sincérité pourrait apprendre tout ce qui se passe autour de nous. On nous a dit que vous avez aimé, comme un serviteur de Dieu, Pélage qu'on avait, croyons-nous, surnommé le Breton, pour le distinguer de celui qu'on appelle Pélage de Tarente; nous ignorons où vous en êtes maintenant avec lui. Pour nous, nous l'avons aimé et nous l'aimons encore; c'était alors d'une manière, c'est à présent d'une autre : nous l'aimions alors, parce que sa foi nous semblait droite; nous l'aimons aujourd'hui pour que la miséricorde de Dieu le délivre des sentiments contraires à la grâce, qu'on dit être les siens. Tant que nous n'avons eu que des bruits à cet égard, nous n'avons pas cru devoir aisément y ajouter foi, car la renommée a coutume de mentir; mais nous avons vu les choses de plus près. Nous avons lu un livre de Pélage où il s'efforce d'effacer du coeur des fidèles la croyance à la grâce de Dieu accordée au genre humain par Jésus-Christ homme, médiateur unique entre Dieu et les hommes; ce livre nous a été remis par  (498) des serviteurs du Christ, qui avaient été disciples assidus et sectateurs de Pélage. A leurs prières, et parce que cela nous paraissait nécessaire, l'un de nous y a répondu, sans toutefois désigner l'auteur, de peur qu'en le blessant nous ne le rendissions plus inguérissable. Ce qui est renfermé dans ce livre et avec de grands développements, c'est ce qui se trouve dans quelques lettres qu'il a écrites à votre Révérence, et où il dit qu'on ne doit pas croire qu'il défende le libre arbitre sans la grâce de Dieu, puisqu'il soutient que le Créateur nous a donné la puissance de vouloir et de faire , sans laquelle nous ne pourrions ni vouloir ni faire rien de bien : la grâce de Dieu qu'il enseigne serait donc commune aux païens et aux chrétiens, aux impies et aux saints, aux fidèles et aux infidèles.

2. Avec ces détestables doctrines, l'avènement du Sauveur n'aurait plus de sens, et nous pourrions dire comme l'Apôtre en parlant de la loi : « Si c'est par » la nature « qu'on obtient la justice, c'est donc pour rien que le Christ est mort (1). » Aussi nous les avons combattues, selon nos forces, dans le coeur de ceux qui les professaient, afin que Pélage lui-même, si c'était possible, instruit de la vérité, se corrigeât sans être blessé, et que l'on détruisît son erreur en lui épargnant toute honte. Mais après que nous eûmes reçu de l'Orient des lettres qui très-ouvertement agitaient la même affaire, notre devoir était de prêter à la cause de l'Eglise tout l'appui de l'autorité épiscopale. Deux rapports ont été envoyés au Saint-Siège par les deux conciles de Carthage et de Milève, avant que les actes ecclésiastiques, par lesquels Pélage prétend s'être justifié auprès des évêques de la province de Palestine, fussent parvenus entre nos mains et fussent arrivés en Afrique. Outre les rapports des conciles, nous avons adressé au pape Innocent, de bienheureuse mémoire (2), des lettres particulières où nous avons, un peu plus à fond, traité cette question. Il a répondu à tout comme on devait l'attendre d'un pontife du Siège apostolique (3).

3. Vous pourrez lire toutes ces choses, si vous n'en connaissez rien encore, ou si vous ne connaissez pas tout. Vous y verrez que, toute modération gardée envers Pélage, dans
 
 

1. Gal. II, 21.

2. Le pape Innocent Ier mourut le 12 mars 417.

3. Voir ci-dessus, lett. 175, 176, 177, 181, 182, 183.
 
 

le but de lui épargner une condamnation s'il condamnait lui-même ce qui est mauvais, l'autorité de l'Eglise a vigoureusement frappé cette nouvelle et pernicieuse erreur; si bien que nous nous étonnerions qu'il restât encore des gens qui allassent contre la grâce de Dieu après avoir lu ces pièces. Ils peuvent y apprendre ce qui a toujours été la foi de l'Eglise catholique, savoir que la grâce de Dieu, par notre Seigneur Jésus-Christ, fait passer les petits et les grands de la mort du premier Adam à la vie du nouvel Adam, et que cette régénération ne s'accomplit pas seulement par la rémission des péchés, mais encore parle secours continuel de la miséricorde de Dieu; il aide à ne pas pécher et à bien vivre ceux qui peuvent user de leur libre volonté; et sans son assistance nous ne pouvons avoir ni piété, ni justice, soit dans l'action, soit même dans la volonté ; car Dieu opère en nous le vouloir et le faire selon qu'il lui plaît (1).

4. Qui nous sépare de cette masse de perdition , si ce n'est Celui qui est venu chercher et sauver ce qui était perdu? Aussi l'Apôtre demande-t-il à l'homme : « Qui te discerne? » et si l'homme répond : « C'est ma foi, ma volonté, mes bonnes oeuvres , » l'Apôtre lui dit

Qu'as-tu que tu n'aies reçu? et si tu l'as reçu, pourquoi t'en glorifier comme si tu ne « l'avais pas reçu (2) ? » Tout ceci n'est point pour défendre à l'homme de se glorifier, mais pour que l'homme ne se glorifie que dans le Seigneur (3), et non pas à cause de ses propres oeuvres, de peur qu'on ne s'enorgueillisse (4), On ne frustre pas les bonnes oeuvres de ce qui leur est dû, puisque Dieu rend à chacun selon ses oeuvres et que la gloire, l'honneur et la paix sont polir tout homme qui fait le bien (5); mais les oeuvres viennent de la grâce, et la grâce ne vient pas des oeuvres; la foi qui opère par l'amour (6) n'opère rien si cet amour de Dieu ne se répand dans nos coeurs parle Saint-Esprit qui nous est donné (7). La foi elle-même ne serait point en nous si Dieu ne la mesurait à chacun (8).

5. C'est pourquoi il est bon pour l'homme de dire avec toutes les forces de son libre arbitre: « En vous je conserverai ma force, ô mon Dieu (9) ! » L'homme qui pense pouvoir, sans le secours de Dieu, garder ce qu'il lui adonné,
 
 

1. Philip. II,            13. — 2. I Cor. IV, 7. — 3. Ibid. I, 31. — 4. Eph, II, 9. — 5. Rome. II, 6, 10. — 6. Gal. V, 6. — 7. Rom. V, 5. — 8. Ibid. XII, 3. — 9. Ps. LVIII, 10.
 
 

499
 
 

est semblable à celui qui, parti pour un pays lointain, vécut en prodigue, dissipa tout, et, tombé à la fin dans les dernières misères de la servitude, rentra en lui-même et dit : « Je me lèverai, et j'irai à mon père (1). » Aurait-il eu cette bonne pensée si le Père de miséricorde ne la lui avait secrètement inspirée ? Le ministre de la nouvelle alliance a bien compris : « Non que nous soyons capables d'avoir aucune abonne pensée comme de nous-mêmes, dit-il,mais c'est Dieu qui nous en rend capables (2).» Aussi après avoir dit que c'est en Dieu qu'il conserve sa force, de peur qu'il n'y eût, même ici, quelque apparence de présomption , et comme s'il se fût souvenu que si le Seigneur regarde pas la cité, ceux qui la gardent veillent en vain (3), et que celui qui garde Israël ne dort pas, ne s'assoupit pas (4) ; le Psalmiste ajoute un mot pour exprimer comment il peut conserver, ou plutôt qui conserve sa force «Parce que, dit-il, vous êtes mon appui, ô mon Dieu ! »

6. Que Pélage repasse donc, s'il le peut, les mérites par suite desquels Dieu a daigné le prendre sous sa protection et si c'est parce que lui-même avait pris Dieu pour son partage. Qu'il nous dise s'il a cherché le premier ou s'il a été cherché par Celui qui est venu sauver ce qui était perdu (5) . Car si l'homme veut chercher en quoi, avant la grâce , il a mérité de la recevoir, il découvrira en lui du mal , et non du bien, quand même sa vie n'eût été que d'un jour sur la terre , lorsque la grâce du Sauveur l'a trouvé. Si l'homme faisait quelque bien pour mériter la grâce , la récompense ne lui serait plus imputée comme grâce, mais comme une dette. Mais s'il croit en Celui qui justifie le pécheur, pour que sa foi lui soit imputée à justice (6) (car le juste vit de la foi (7) ), qu'est-il, le pécheur, avant d'être justifié par la grâce, qu'est-il sinon un pécheur? Si on lui avait rendu ce qu'il méritait, qu'aurait-il eu pour sa part sinon le supplice? Si c'est donc une grâce, les oeuvres de l'homme n'y sont pour rien. Autrement la grâce ne serait plus grâces. Ce qu'on donne pour des oeuvres est le paiement d'une dette; mais la grâce est donnée gratuitement, et c'est de là qu'elle est ainsi nommée.

7. Si quelqu'un dit qu'on mérite par la foi
 
 

1. Luc, XV , 12-18. — 2. II Cor. III. 5. — 3. Ps. CXXVI, 1. — 4. Ps. CII, 4. — 5. Luc, XIX, 10. — 6. Rom. IV, 4, 5. — 7. Habac. II, 4. — 8. Rom. XI, 6.
 
 

la grâce de bien faire, nous ne pouvons pas le nier, nous le reconnaîtrons même avec plaisir. Car nous voulons que ces frères qui se glorifient beaucoup de leurs propres oeuvres aient cette foi par laquelle ils puissent obtenir la charité qui seule fait véritablement le biens; mais la charité est tellement un don de Dieu que Dieu s'appelle charité (1). Ceux donc qui ont la foi par laquelle ils obtiennent la justification parviennent à la loi de justice par la grâce de Dieu; c'est pourquoi il est dit : « Je t'ai exaucé au temps favorable, et je t'ai secouru au jour du salut (2). » C'est pourquoi dans ceux qui se sauvent par une élection de grâce, c'est le Dieu secourable qui, selon sa volonté, opère le vouloir et le faire, parce que « tout contribue au bien de ceux qui aiment Dieu (3). » Tout, par conséquent, l'amour même que nous obtenons par la foi nous vient de Dieu, et c'est par sa grâce que nous aimons Celui qui nous a aimés le premier pour que nous crussions en lui, et que nous fussions aimés sans avoir rien fait.

8. Quant à ceux qui attendent la récompense comme le prix de leurs bonnes oeuvres, et qui n'attribuent pas leurs mérites à la grâce de Dieu mais aux forces de leur propre volonté, ils sont comme les israélites charnels : recherchant la loi de la justice, ils ne sont pas parvenus à la loi de la justice. Pourquoi? Parce qu'ils ne l'ont point recherchée par la foi, ruais comme par les œuvres. C'est cette justice qui vient de la foi qu'ont obtenue les gentils dont parle ainsi l'Apôtre : « Que dirons-nous donc? que les gentils qui ne connaissaient pas la justice, ont obtenu la justice, mais la justice qui vient de la foi; qu'Israël, au contraire, qui recherchait la loi de la justice, n'est point parvenu à la loi de la justice; pourquoi? Parce que Israël n'y aspirait point par la foi, mais comme par les oeuvres; car ils ont heurté contre la pierre d'achoppement, comme il est écrit : Voici que je mets en Sion une pierre d’achoppement et une pierre de scandale; et qui croit en lui ne sera point confondu (4). » Cette justice est celle qui vient de la foi, par laquelle nous croyons que nous sommes justifiés, c'est-à-dire par laquelle nous croyons devenir justes par la grâce de Dieu au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ, afin que nous soyons trouvés en lui, non pas avec notre
 
 

1. I Jean, IV, 8. — 2. Is. XLIX, 8. — 3. Rom. VIII, 28. —  4. Rom. IX, 30-33.
 
 

500
 
 

propre justice qui vient de la loi, mais avec celle qui vient de la foi en Jésus-Christ (1). Cette justice qui vient de Dieu consiste dans la foi, oui, dans la foi par laquelle nous croyons que la justice nous est donnée en haut et qu'elle n'est pas en nous l'oeuvre dé nos propres forces.

9. Pourquoi l'Apôtre dit-il que cette justice qui vient de la loi est la justice de l'homme et non point celle de Dieu ? Est-ce que la loi ne vient pas de Dieu? Il faudrait être impie pour ne pas le croire; mais c'est que la loi ordonne par la lettre et n'aide point par l'Esprit. Quiconque entend la lettre de la loi de façon à croire qu'il lui suffit de connaître ce qu'elle prescrit ou défend , et qu'il est assez fort, avec son libre arbitre, pour l'accomplir sans recourir à l'Esprit qui donne la vie, pour être préservé par lui de la mort que donne la lettre au coupable qu'elle fait; celui-là assurément du zèle pour Dieu, mais non pas selon la science. Ne connaissant pas en effet la justice de Dieu, c'est-à-dire celle que Dieu donne, et voulant établir sa propre justice afin qu'elle ne vienne que de la loi, il ne s'est point soumis à la justice de Dieu. « Car le Christ est la fin de la loi pour la justification de tous ceux qui croient en lui (2), » comme dit le même « Apôtre, afin que nous soyons en lui par la justice de Dieu (3). » Ainsi justifiés par la foi, nous avons la paix en Dieu par Notre-Seigneur Jésus-Christ (4); mais c'est gratuitement que sa grâce nous justifier; de peur que notre foi elle-même ne s'enorgueillisse.

10. Qu'on ne dise pas : si c'est par la foi que nous sommes justifiés, comment le sommes-nous gratuitement? Si la foi l'a mérité, est-ce un don, n'est-ce pas plutôt une dette? Qu'un homme fidèle ne tienne pas ce langage; s'il dit qu'il a la foi pour mériter la justification, on lui répondra : « Qu'as-tu que tu n'aies reçu (5) ? » La foi qui obtient la justification, c'est Dieu lui-même qui la donne; aucun mérite humain ne précède donc la grâce de Dieu; mais la grâce elle-même mérite d'être accrue pour mériter ensuite d'être perfectionnée : la bonne volonté lui sert de compagne et non de guide, elle la suit, ne la précède pas. C'est pourquoi celui qui a dit : « Je conserverai ma force en vous, » et qui en a donné la raison par ces mots : « Vous êtes mon appui, ô mon Dieu (6) » après avoir comme cherché par quels mérites
 
 

1. Philip. III, 9. — 2. Rom. X, 2-4. — 3. II Cor. V, 21. — 4. Rom. V, 1. — 5. Ibid. III, 24. — 6. I Cor. IV, 7.
 
 

il aurait pu prétendre à cela, et n'ayant rien trouvé en lui avant la grâce de Dieu : « Mon Dieu, dit-il, sa miséricorde me préviendra (1). » Il semble dire : quelque effort que je fasse pour découvrir en moi des mérites antérieurs, c'est toujours la miséricorde de Dieu qui nie préviendra. Aussi en conservant en lui la force qu'il a reçue de lui, il la sauve par la bonté même de celui de qui il la tient; et il ne se rend digne de plus grands dons qu'en sachant pieusement et fidèlement que tous les biens lui viennent de Dieu, et cette connaissance même, en sorte qu'il n'y a absolument rien en lui qui ne vienne de Dieu. « Pour nous, dit très-bien l'Apôtre, nous n'avons pas reçu l'esprit de ce monde, mais l'Esprit de Dieu, afin que nous connaissions les dons que Dieu nous a faits (2). » C'est pourquoi le mérite même de l'homme est un don gratuit, et personne ne mérite de recevoir quelque bien du Père des lumières, de qui descend tout don parfait (3), qu'en recevant ce qu'il ne mérite pas.

11. La bonté gratuite éclate surtout dans ce que la grâce de Dieu accorde aux enfants par Jésus-Christ Notre-Seigneur : il fait que la des. tendance d'Adam ne leur soit pas funeste et que la régénération en Jésus-Christ leur soit profitable; sa miséricorde devance même beaucoup le moment où ils pourront comprendre; et s'ils meurent dans ce premier âge, ils possèdent avec connaissance la vie éternelle et le royaume des cieux, en vertu d'un don qui leur a profité ici-bas sans qu'ils s'en soient doutés. D'après la doctrine de ceux qui nous ont précédés, ces bienfaits sont absolument antérieurs à tout mérite ; et telle est ici l'opération de la grâce divine qu'elle n'est ni précédée ni accompagnée, ni suivie de. la volonté de ceux qui la reçoivent: ce n'est pas seulement sans le consentement des enfants qu'un si grand bienfait leur est accordé, mais quelquefois même ils y opposent de la résistance : ce qui serait de leur part un grand sacrilège si leur volonté à cet âge était comptée pour quelque chose.

12. Nous disons cela pour ceux qui, dans la question de la grâce, ne pouvant sonder les insondables jugements de Dieu, ne pouvant comprendre comment de cette masse d'Adam tombée tout entière dans la condamnation par la faute d'un seul, l'un devient vase d'honneur, l'autre vase d'ignominie, osent cependant attribuer aux petits enfants des péchés personnels :
 
 

1. Ps. LVIII, 11. — 2. I Cor. II, 12. — 3. Jacq. I, 17.
 
 

ils croient que ces enfants, qui ne peuvent avoir ni bonne ni mauvaise pensée, peu vent par leur libre arbitre mériter une peine ou une grâce : mais l'Apôtre, en nous disant que « tous sont tombés dans la condamnation a par la faute d'un seul (1), » nous montre assez que les enfants naissent punissables et qu'ils renaissent dans la grâce non par leur mérite, mais par la miséricorde de Dieu. La grâce n'est plus grâce si l'oeuvre divine ne la donne pas gratuitement, et si elle est comme le prix de mérites humains. Seule elle nous affranchit de la peine; cette peine, tous la doivent comme issus d'Adam, tandis que la grâce obtenue par le seul Jésus-Christ n'est due à personne; elle est gratuite pour qu'elle soit véritablement une grâce. Aussi les jugements de Dieu sont insondables comme Dieu même: puisqu'il distingue entre les petits enfants que nul mérite ne distingue entre eux; mais ces jugements divins ne peuvent pas être injustes, parce que toutes les voies du Seigneur sont miséricorde et vérité (2). Si donc l'un reçoit la grâce miséricordieuse de Dieu, il n'a pas à se glorifier de son mérite : les œuvres n'y étant pour rien , nul ne doit en avoir de l'orgueil; et si un autre est justement puni, il n'est pas fondé à se plaindre, parce qu'il paye la dette du péché : le premier homme en qui tous ont péché est puni en la personne de chacun de ses enfants. La peine de ceux-ci fait mieux voir tout ce qu'il y a de grâce véritable, c'est-à-dire de grâce gratuite dans ce que Dieu accorde aux vases de miséricorde.

13. Quoi que ce soit avec ennui et regret, il nous faut dire pourtant comment on argumente contre le passage où l'Apôtre déclare très-clairement que « le péché est entré dans le monde par un seul homme et par le péché la mort, et qu'ainsi la mort a passé dans tous les hommes par ce seul homme en qui tous ont péché (3); » on soutient aussi que les petits enfants, par leur libre arbitre, ont des péchés qui leur sont propres. Ce qu'ont pli penser de grands et perçants génies mérite qu'on y réponde; fuir la discussion ce serait comme une défaite, dédaigner d'y entrer ce serait de l'orgueil. « Voilà, disent-ils, Esaü et Jacob qui luttent dans le sein de leur mère; à leur naissance, l'un est supplanté par l'autre, et le dernier venu tient d'une main le pied de son frère, montrant en quelque façon que la
 
 

1. Rom. V, 16. — 2. Ps. XXIV, 10. — 3. Rom. V, 12.
 
 

lutte dure encore. Comment des enfants qui font ces choses n'auraient-ils pas l'usage de leur volonté pour le bien ou pour le mal, de manière à mériter des récompenses ou des châtiments? »

14. A cela nous répondons que ces mouvements et cette sorte de combat entre deux enfants signifiaient de grandes choses; le libre arbitre n'y fut pour rien, ce fut un prodige. Nous ne donnerons pas le libre arbitre aux ânes, parce qu'une bête de cette espèce, comme il est écrit, « un animal muet, prenant tout à coup une voix d'homme, réprima la folie d'un prophète (1). » Ceux qui veulent que ces mouvements ne soient pas miraculeux mais volontaires, et que ces enfants en aient été non les instruments mais les auteurs, que répondront-ils à l'Apôtre précisément au sujet de ces deux jumeaux cités comme une preuve de la gratuité de la grâce? « Avant qu'ils fussent nés, dit-il, et qu'ils n'eussent fait ni bien ni mal, afin que le décret de Dieu demeurât ferme selon son élection, non à cause de leurs oeuvres, mais par la volonté de celui qui appelle, il fut dit: L'aîné sera assujéti au plus jeune (2). » L'Apôtre ajoute le témoignage du Prophète déclarant longtemps après leur naissance, l'antique conseil de Dieu sur ces deux jumeaux : « Il est écrit, dit saint Paul : j'ai aimé Jacob; mais j'ai haï Esaü (3). »

15. Ainsi le docteur des nations dans la foi et la vérité, pour nous faire comprendre tout ce que vaut la grâce, nous atteste que ces deux jumeaux, n'étant pas encore nés, n'avaient fait ni bien ni mal : l'assujétissement de l'aîné au plus jeune ne provenait pas des œuvres mais de la pure vocation de Dieu; il n'y avait point dans l'homme de mérite antérieur, il n'y avait que le dessein de Dieu selon son élection. Car l'Apôtre ne dit pas une élection de volonté humaine ou de nature, puisque la condition de la mort et de la damnation était la même dans les deux jumeaux; mais il entend une élection de grâce qui ne trouve pas les hommes dignes d'être choisis, mais les rend tels; il en parle dans la suite de la même épître : « De même donc en ce temps-ci, quelques-uns que Dieu s'est réservés par un choix de sa grâce ont été sauvés. Si c'est par la grâce ce n'est donc pas à cause de leurs œuvres ; autrement la grâce n'est plus grâce (4). » Ce passage s'accorde
 
 

1. II ép. de s. Pierre. II, 16.

2. Rom. IX, 11, 13. — 3. Malach. I, 2, 3. — 4. Rom. XI, 5, 6.

502
 
 

évidemment avec l'autre passage où il est dit que l'assujétissement de l'aîné au plus jeune ne provenait pas des oeuvres, mais de la pure vocation de Dieu. Comment donc a-t-on l'audace de résister à ce glorieux défenseur de la grâce au sujet du libre arbitre des enfants et de leurs actes avant leur naissance? Pourquoi dire que les mérites préviennent la grâce, puisqu'elle ne serait plus grâce si Dieu l'accordait selon les mérites de l'homme? Pourquoi tant d'efforts, riches et éloquents si on veut, mais bien peu chrétiens, pour combattre le secours divin envoyé à ceux qui étaient perdus, accordé aux indignes?

16. « Mais, disent-ils, Dieu est-il juste si son amour fait une distinction entre ceux que «nul mérite ne distingue? » On nous dit cela comme si l'Apôtre ne l'avait pas vu et n'y avait pas répondu. Il a bien vu ce que pourraient penser à cet égard l'infirmité et l'ignorance humaines, et se mettant en face de cette difficulté, il s'écrie : « Que dirons-nous donc? Y a-t-il de l'injustice en Dieu ? » et il se hâte de répondre : « loin de là ! » et pour rendre raison de cette réponse, c'est-à-dire pourquoi il n'y a pas en Dieu d'iniquité, il ne dit pas que Dieu juge les mérites et les couvres des enfants lorsqu'ils sont encore dans le sein maternel; et comment aurait-il pu dire cela, lui qui précédemment a établi que la subordination de l'aîné au plus jeune ne provenait pas des oeuvres, mais de la pure vocation de Dieu? Et, voulant montrer qu'il n'y a pas d'injustice dans la conduite de Dieu envers ces enfants : « C'est, dit-il, qu'il a dit à Moïse : je ferai miséricorde à qui il me plaira de faire miséricorde, et j'aurai pitié de qui il me plaira d'avoir pitié (1). » Que nous apprend ici l'Apôtre, sinon que la délivrance du milieu de cette masse du premier homme, qui ne mérite que la mort, est un pur bienfait de la miséricorde de Dieu, et non point, à aucun degré, le prix des bonnes couvres de l'homme; et qu'ainsi il n'y a pas d'injustice en Dieu, parce qu'il n'est injuste ni en remettant ni en exigeant ce qui est une dette? Le pardon est une grâce, là où la punition pourrait n'être qu'une justice. On voit mieux toute la grandeur du bienfait accordé à celui à qui Dieu fait remise de la peine due et qu'il justifie gratuitement, lorsqu'on reconnaît qu'un autre, également coupable, peut, sans injustice, être puni.
 
 

1. Rom. IX, 15.
 
 

17. « C'est pourquoi, dit l'Apôtre, cela ne dépend ni de celui qui veut, ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde : » voilà pour ceux qui sont délivrés et justifiés par la grâce. Quant à ceux sur lesquels la colère de Dieu demeure, comme Dieu se sert d'eux pour instruire les autres qu'il daigne délivrer, l'Apôtre ajoute: « Dieu a dit à Pharaon dans l'Ecriture : Je t'ai suscité moi-même pour faire éclater en toi ma puissance, et pour que mon nom soit annoncé par toute la terre (1). Et l'Apôtre conclut ensuite par ces mots ce qu'il dit des uns et lies autres: «Il fait donc miséricorde à qui il veut et endurcit qui il veut : » nulle part il n'y a injustice dans sa conduite, mais partout miséricorde et vérité. Et cependant l'audacieuse faiblesse humaine se remue encore; j'entends la faiblesse de ceux qui, selon les conjectures de leur coeur, s'efforcent de pénétrer l'insondable profondeur des jugements de Dieu !

18. L'Apôtre se propose à lui-même celte difficulté dans ces termes : « Tu me dis: pourquoi se plaindre encore? qui donc résiste à sa volonté? » Supposons que c'est à nous qu'on dise cela. Pourrons-nous y répondre autrement que l'Apôtre ? et si de telles objections nous préoccupent, car enfin nous sommes des hommes, il faut que nous l'écoutions tous quand il dit : « O homme, qui es-tu pour répondre à Dieu ? Le vase d'argile dit-il à celui qui l'a formé: pourquoi m'as-tu fait ainsi? Le potier n'a-t-il pas le pouvoir de faire de la même masse d'argile un vase d'honneur et un vase d'ignominie (2) ? » Si cette masse se trouvait dans une sorte de milieu de façon à ne mériter rien de bon ni rien de mauvais, il pourrait paraître injuste d'en tirer des vases d'ignominie; mais comme elle est tombée tout entière dans la condamnation par le libre arbitre du premier homme, ce n'est pas la justice de Dieu, c'est sa miséricorde qui en tire des vases d'honneur, et pour ce qui est des vases d'ignominie, il faut les imputer à la justice et non point à fin justice qui ne saurait être en Dieu. Quiconque pense ainsi avec l'Eglise catholique, ne dispute pas contre la grâce pour les mérites des hommes, mais il chante la miséricorde et la justice du Seigneur, pour n'être ni ingrat en ne reconnaissant pas sa miséricorde, ni injuste en accusant ses jugements.
 
 

1. Rom. IX, 17. — 2. Rom. IX, 14, 21.
 
 

503
 
 

19. Il est une autre masse dont parle l'Apôtre: « Si, dit-il, les prémices sont saintes, la masse l'est aussi ; et si la racine est sainte, les branches le sont aussi (1). » Cette masse vient d'Abraham et non point d'Adam, c'est-à-dire de la communion du sacrement et de la similitude de la foi et non pas d'une propagation mortelle ; mais la première masse ou la première pâte , comme portent beaucoup d'exemplaires, étant tout entière vouée à la mort, puisque le péché est entré dans le monde par un seul homme et par le péché la mort, et que la mort a passé ainsi dans tous les hommes par ce seul homme en qui tous ont péché; c'est la miséricorde qui en tire des vases d'honneur, et la justice des vases d'ignominie. Là , les mérites ne précèdent point la grâce du Libérateur, et ici les péchés n'échappent pas à la justice de celui qui punit. Ceci est moins évident lorsqu'il ne s'agit point du premier âge et qu'on a affaire à des disputeurs opiniâtres ; car pour soutenir les mérites des hommes ils se réfugient dans une sotte d'obscurité où il n'est pas aisé de les atteindre mais l'Apôtre oppose à leur résistance le saisissant exemple de ces enfants qui n'étaient, pas encore nés et qui n'avaient fait ni bien ni mal lorsqu'il frit dit : « non à cause des oeuvres, mais par la volonté de celui qui appelle : « L'aîné sera assujéti au plus jeune. »

20. Comme en tout ceci nous nous trouvons en présence des profonds et insondables jugements de Dieu et de ses voies incompréhensibles, il faut que toujours l'homme sache bien qu'en Dieu il n'y a pas d'injustice. Par quelle équité Dieu fait-il miséricorde à qui il veut et endurcit-il qui il veut? Que l'homme avoue l'ignorer comme homme , mais à cause de ce principe incontestable qu'il n'y a pas d'injustice en Dieu, il doit savoir que si personne n'est justifié à cause de ses propres mérites, nul n'est endurci sans l'avoir mérité. Il est de foi pieuse et véritable que Dieu, en justifiant les coupables et les pécheurs, les délivre des peines méritées; mais ce serait accuser Dieu d'injustice que de croire qu'il puisse damner quelqu'un qui ne l'aurait pas mérité et ne serait souillé d'aucun péché. Celui donc que Dieu délivre sans qu'il l'ait mérité , lui doit des actions de grâces d'autant plus grandes que sa punition eût été plus juste; mais , dans une condamnation imméritée ,
 
 

1. Rom. XI,16.
 
 

il n'y aurait plus ni miséricorde ni vérité.

21. « Comment, disent-ils, la condamnation d'Esaü n'a-t-elle pas été imméritée, puisque ce n'est pas à cause de ses oeuvres, mais à cause de la pitre vocation de Dieu qu'il a été dit que l'aîné serait assujéti au plus jeune ? » De même que Jacob n'avait rien fait de bien qui méritât la grâce, ainsi Esaü n'avait rien fait de mal qui méritât le châtiment. Assurément, il n'y avait dans l'un ni dans l'autre aucune oeuvre bonne ou mauvaise qui leur fût propre; mais tous deux étaient coupables par le premier homme, en qui tous ont péché, et par lequel tous sont devenus sujets à la mort; car tous ceux qui dans l'avenir devaient sortir de lui, ne faisaient qu'un alors avec lui. Le péché d'Adam eût été le péché d'un seul s'il n'avait pas eu de race: mais nul n'est exempt de sa faute, parce que la nature de tous était en lui. Si les deux jumeaux, sans oeuvre bonne ou mauvaise qui leur fût personnelle, sont cependant nés coupables tous les deux, qu'on loue la miséricorde qui délivre l'un, qu'on n'accuse pas la justice qui punit l'autre.

22. Si nous objectons ici qu'il eût mieux valu que tous les deux fussent délivrés , on n'aura rien de mieux à faire que de nous dire: « O homme, qui es-tu, pour répondre à Dieu?» Car Dieu sait ce qu'il fait; il sait quel doit être d'abord le nombre des hommes, puis des saints, comme dés astres, comme des anges; et, pour parler des choses de la terre, comme le nombre des bêtes, des poissons, des oiseaux, des arbres, des herbes, des feuilles et de nos cheveux. Avec nos pensées humaines, nous pourrions dire : Puisque tout ce que Dieu a fait est bon, il eût mieux valu qu'il en eût fait le double et au delà pour multiplier davantage ce qui est bon; et si le monde ne peut pas contenir plus de choses qu'il n'en contient, est-ce que Dieu ne pourrait pas y ajouter autant qu'il voudrait? — Mais quelque fût le nombre des nouvelles créatures que Dieu produirait, et quand même il créerait un monde beaucoup plus grand que le monde où nous sommés, nous pourrions toujours désirer des accroissements, et il n'y aurait pas de raison pour s'arrêter.

23. Car; soit que les pécheurs reçoivent leur justification de la grâce (et le doute n'est pas permis à cet égard), soit, comme le veulent quelques-uns, que la grâce ne vienne qu'après le libre arbitre, dont le mérite ou le démérite (504) attire la récompense ou la peine, on peut toujours demander pourquoi Dieu a créé ceux qu'il sait d'avance, avec certitude, devoir pécher et être condamnés au feu éternel. Sans doute il n'a pas créé le mal; mais qui donc, si ce n'est lui, a créé les natures elles-mêmes, bonnes sans doute, mais qui, à cause du mauvais usage de la volonté, devaient commettre le péché, et, pour un grand nombre d'hommes, des péchés dont la gravité mériterait les peines éternelles? Pourquoi cela, si ce n'est parce qu'il l'a voulu? Et pourquoi l'a-t-il voulu? « O homme, qui es-tu pour répondre à Dieu? Le vase d'argile dit-il à celui qui l'a formé : « Pourquoi m'as-tu fait ainsi ? Le potier n'a-t-il pas le pouvoir de faire, avec la même masse d'argile, un vase d'honneur et un vase d'ignominie? »

24. Et plût à Dieu que nous comprissions bien ce qui suit : « Qui peut se plaindre de Dieu si, voulant montrer sa colère et faire éclater sa puissance, il supporte avec grande patience les vases de colère, préparés pour la perdition, afin de faire d'autant mieux connaître les richesses de sa gloire sur les vases de miséricorde (1)? » Il est ainsi rendu raison à l'homme autant qu'il le fallait, si toutefois cette raison peut être entendue de l'homme qui défend son libre arbitre, sous l'esclavage d'une si grande infirmité. Voilà donc les motifs : Et toi, qui es-tu pour répondre à Dieu? Si Dieu, voulant montrer sa colère et faire éclater sa puissance ; car il sait faire un bon usage des méchants qui ne sont pas sortis tels de ses mains divines, mais qui le sont devenus par une volonté dépravée; si Dieu, dis je, supporte avec beaucoup de patience les vases de colère préparés pour la mort; ce n'est pas que les péchés des anges ni des hommes lui soient nécessaires, à lui qui n'a pas même besoin de la justice d'aucune créature; il agit ainsi pour faire mieux connaître les richesses de sa gloire sur les vases de miséricorde, de peur qu'ils ne s'enorgueillissent de leurs bonnes oeuvres comme s'ils les accomplissaient par leurs propres forces, et afin qu'ils comprennent humblement que, sans le secours de la grâce de Dieu et de la grâce gratuite, ils n'auraient pas été traités autrement que ceux qui font partie de la masse réprouvée.

25. Dieu voit donc par sa prescience et avec certitude le nombre déterminé et la multitude
 
 

1. Rom. IX, 22, 23.                .
 
 

des saints; comme « ils aiment Dieu, » ce qui est un don de l'Esprit-Saint répandu dans leurs cœurs, « tout contribue à leur bien, et il les a appelés selon son décret. Car ceux qu'il a connus dans sa prescience, il les a aussi prédestinés pour être conformes à l'image de son Fils, afin qu'il soit lui-même le premier-né entre plusieurs frères. Et ceux qu'il a prédestinés, il les a appelés : » nous devons ici sous-entendre : « Selon son décret. » Car d'autres sont appelés, mais ne sont pas élus; et c'est pourquoi ils ne sont pas appelés selon le décret. « Mais ceux qu'il a appelés (c'est-à-dire « selon son décret), il les a justifiés; et ceux qu'il a justifiés, il les a glorifiés (1). » Ce sont les enfants de la promesse, les élus, qui sont sauvés par une élection de grâce. « Si c'est par grâce, dit l'Apôtre, ce n'est point à cause des oeuvres; autrement la grâce n'est plus grâce.» Ce sont les. vases de miséricorde en qui Dieu fait connaître les richesses de sa gloire même par les vases de colère. Le Saint-Esprit ne fait d'eux qu'un coeur et qu'une âme (2); cette âme bénit Dieu et n'oublie pas tous ses bienfaits; car c'est lui qui pardonne toutes ses iniquités, guérit toutes ses langueurs, la rachète de la corruption, la couronne dans la miséricorde (3), parce que la grâce ne dépend ni de celui qui veut, ni de celui qui court, mais de la miséricorde de Dieu.

26. Les autres hommes qui n'appartiennent pas à cette société des élus sont aussi des créatures de Dieu; car il a fait leur âme et leur corps et tout ce qu'il y a dans leur nature, sauf le vice, qui est l'oeuvre de la volonté orgueilleuse. or, Dieu, dans sa prescience, les a créés pour montrer en eux ce que vaut sans sa grâce le libre arbitre de celui qui l'abandonne, et pour que les justes châtiments des coupables apprennent aux vases de miséricorde, qui n'ont point été tirés par leurs propres couvres de la masse condamnée, mais par une grâce gratuite de Dieu, combien ils lui sont redevables, afin que toute bouche soit fermée (4), et que celui qui se glorifie se glorifie dans le Seigneur (5).

27. Celui qui enseigne autrement et ne s'en tient pas aux saines paroles de Notre-Seigneur Jésus-Christ qui a dit que « le Fils de l'homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu (6) » (car il n'a pas dit : Ce qui devait se perdre, mais, « ce qui était perdu, » montrant
 
 

1. Rom, VIII, 28.30. — 2. Act. IV, 32. — 3. Ps. CII, 2-4. — 4. Rom. III, 19. — 5. I Cor. I, 31. — 6. Luc, XIX. 10.
 
 

505
 
 

ainsi la perdition de tout le genre humain par le péché du premier homme); celui, dis-je, qui enseigne autrement et ne s'en tient pas à la doctrine qui est selon la piété (1), et défend contre la grâce du Sauveur et contre le sang du Rédempteur l'intégrité et la liberté de la nature humaine et cependant veut encore porter le nom de chrétien: que dira-t-il des enfants, les uns régénérés dans la vie du second Adam, les autres laissés dans la mort du premier Adam? S'il prétend que les mérites du libre arbitre ont précédé leur libre arbitre, l'Apôtre lui répondra comme on l'a vu plus haut au sujet de ceux qui ne sont point encore nés et ne font ni bien ni mal. Si on reproduit ce que Pélage a soutenu dans ses plus récents ouvrages, quoiqu'il paraisse l'avoir anathématisé devant les évêques de la Palestine, savoir que le péché d'Adam n'a fait du tort qu'à lui-même et pas du tout au genre humain ; si on dit que les deux enfants entre lesquels le choix de Dieu fait une différence, ne sont pas condamnés en naissant et demeurent étrangers au péché du premier homme, certainement on n'osera pas nier que l'enfant régénéré dans le Christ soit admis dans le royaume des cieux; mais qu'on nous dise ce que deviendra l'autre qui, n’ayant pas été baptisé sans que ce soit de sa faute, viendra à mourir. Nous ne pensons pas qu'on dise que Dieu puisse condamner à la mort éternelle un innocent ou quelqu'un qui n'est pas souillé du péché originel, et qui n'est point encore à l'âge de commettre des fautes qui lui soient propres; on sera donc forcé de répondre ce que Pélage fut contraint d'anathématiser devant ses juges de la Palestine pour demeurer de quelque façon catholique, savoir que les enfants, même sans avoir reçu le baptême, ont la vie éternelle : car ôtez celle-ci, que restera-t-il, si ce n'est la mort éternelle ?

28. On se trouvera ainsi en contradiction avec cette parole du Sauveur : « Vos pères ont mangé la manne dans le désert, et ils sont morts : voici le pain qui est descendu du ciel, afin que celui qui en mangera ne meure point. » Il ne parlait pas de cette mort à laquelle ne sauraient échapper ceux même qui mangent de ce pain de vie. « En vérité, en vérité, je vous le dis, ajoute-t-il, si vous ne mangez la chair du Fils de l'homme et si vous ne buvez son sang, nous n'aurez pas la vie en vous (2), » sans aucun doute celle aussi
 
 

1. II Tim. VI, 3. — 2. Jean, VI, 49, 50, 54.
 
 

qui doit venir après cette mort. On est en contradiction avec l'autorité du siège apostolique qui invoque le témoignage évangélique, de peur qu'on ne croie que les enfants non baptisés puissent avoir la vie éternelle (1) . On est enfin en contradiction avec Pélage lui-même, car en présente des évêques, il a anathématisé ceux qui soutiendraient que les enfants sans baptême ont la vie éternelle.

29. Nous avons insisté sur ce point, parce que, si ce que nous avons entendu est vrai, il y a auprès de vous, ou plutôt dans votre ville, des gens qui défendent cette erreur avec tant d'opiniâtreté qu'il leur serait, disent-ils, plus facile de quitter et de mépriser Pélage qui l'a anathématisé, que de se séparer de son sentiment sur ce point qu'ils croient être la vérité. S'ils se rendent à l'autorité du siège apostolique, ou plutôt au Maître et Seigneur des Apôtres qui dit qu'ils n'auront pas la vie en eux s'ils ne mangent la chair du Fils de l'homme et ne boivent son sang, ce qu'ils ne peuvent faire sans avoir été baptisés, ils reconnaîtront enfin que les petits enfants non baptisés ne peuvent pas avoir la vie éternelle, et que, par conséquent, quoi qu'ils doivent endurer moins de tourments que ceux qui sont damnés pour des péchés personnels, ils sont néanmoins punis de la mort éternelle.

30. Cela étant, qu'on ose dire et faire croire, si on peut, qu'un Dieu juste, en qui l'injustice n'est pas, damnera éternellement des enfants innocents de tout péché, s'ils ne sont point liés et enchaînés au péché d'Adam. Rien de plus absurde et de plus, contraire à la justice de Dieu. Cependant quiconque se souvient qu'il est chrétien de la foi catholique ne nie pas et ne doute pas que les enfants qui n'ont pas reçu la grâce de la régénération en Jésus-Christ, qui n'ont pas mangé sa chair ni bu son sang, n'ont pas la vie en eux et demeurent à cause de cela sujets à la peine éternelle; comme ils n'ont fait ni bien, ni mal, il faut donc, pour que leur punition soit juste , qu'ils meurent en celui par lequel tous ont péché. Aussi ne sont-ils justifiés qu'en celui qui n'a pu ni être atteint par le péché originel, ni commettre de péché qui lui fût propre.

31. C'est lui qui nous a appelés non-seulement d'entre les Juifs, mais même d'entre les gentils; malgré Jérusalem elle-même, cette Jérusalem qui tue les prophètes et lapide ceux
 
 

1. Ci-dessus, lett. 182, n. 5.
 
 

506
 
 

qui lui sont envoyés, il a rassemblé ceux de ses enfants qu'il a voulu (1); il en a rassemblé, avant même son incarnation, comme les prophètes, et, après que le Verbe s'est fait chair, comme les apôtres et ces milliers d'hommes qui mirent aux pieds des apôtres le prix de tous leurs biens (2). Car tous ceux-là sont enfants de Jérusalem qui ne voulait pas qu'ils fussent rassemblés; ils l'ont été malgré elle cependant. C'est d'eux que le Sauveur disait : « Si moi je chasse les démons par Béelzébub, vos enfants, par qui les chassent-ils? C'est pourquoi ils seront eux-mêmes vos juges (3). » C'est d'eux qu'il avait été prédit : « Quand le nombre des enfants d'Israël serait égal à celui des grains de sable de la mer, les restes seulement seraient sauvés (4). » La parole de Dieu ne peut pas périr; il ne rejette pas son peuple qu'il a connu dans sa prescience (5); ces restes sont sauvés par élection de grâce. « Si c'est par grâce, comme il faut souvent le répéter, ce n'est point à cause des oeuvres : autrement la grâce n'est plus grâce. » Ce ne sont pas nos paroles, mais celles de l'Apôtre (6). Ce que le Sauveur criait à cette Jérusalem qui ne voulait pas que ses enfants fussent rassemblés, nous le crions contre ceux qui s'opposent à la réunion des enfants de l'Eglise, qui veulent être réunis. Ces novateurs ne sont pas corrigés , même après le jugement porté en Palestine sur Pélage; celui-ci ne serait pas sorti de l'assemblée épiscopale sans être condamné, si lui-même n'eût condamné sans pouvoir le sauver à la faveur de l'obscurité du langage, ce qu'on lui reprochait d'avoir dit contre la grâce de Dieu.

32. Car sans compter les points qu'il osa défendre comme il put, on lui en objecta pour lesquels il aurait été anathématisé, s'il ne les avait anathématisés lui-même. On l'accusa d'avoir dit : « Qu'Adam , soit qu'il eût péché, soit qu'il n'eût pas péché, devait mourir; que son péché n'avait fait du tort qu'à lui et pas du tout au genre humain ; que les enfants nouveaux-nés sont dans le même état où fut Adam avant la prévarication; que ce n'est ni à cause de la mort, ni à cause de la prévarication d'Adam que meurt le genre humain, et que ce n'est point à cause de la résurrection du Christ que tout le genre humain
 
 

1. Matth. XXIII, 37. — 2. Act. III, 41; IV, 4, 34, 35. — 3. Matth. XII, 27. — 4. Is. X, 22; Osée, I, 10; Rom. IX, 24-27. — 5. Rom, XI, 2. — 6. Rom. XI, 2, 5, 6.
 
 

ressuscite ; que les enfants, même sans être baptisés, ont la vie éternelle; que si les riches, après leur baptême, ne renoncent pas à tous leurs biens, ce qu'ils peuvent faire de bon né leur sera pas compté, et ils ne peu. vent pas avoir le royaume de Dieu; que la grâce et le secours de Dieu ne sont pas donnés pour chacune de nos actions, mais que la grâce consiste dans le libre arbitre ou dans la loi et la doctrine; que la grâce de Dieu nous est donnée selon nos mérites; qu'on ne peut pas être appelé enfant de Dieu, si on n'est pas tolet à fait sans péché; qu'il n'y a pas de libre arbitre si on a besoin du secours de Dieu, parce que chacun, par sa propre volonté, peut faire ou ne pas faire quelque chose; que notre victoire vient du libre arbitre et non du secours de Dieu; que le pardon n'est point donné au repentir selon la grâce et la miséricorde de Dieu, mais selon le mérite et le travail de ceux qui, par leur pénitence, se rendent dignes de miséricorde. »

33. Pélage a anathématisé tous ces points (les actes en font foi), et sans prononcer un mot pour les défendre. D'où il résulte que qui. conque accepte le jugement des évêques et la confession de Pélage lui-même doit s'attacher à ces vérités toujours enseignées par l'Eglise catholique : Adam, s'il n'eût pas péché, ne serait pas mort ; son péché n'a pas seulement fait du tort à lui-même mais à tout le genre humain ; les enfants nouveaux-nés ne sont pas clans l'état où fut Adam avant la prévarication: ils se trouvent compris dans ces paroles de l'Apôtre : « La mort est entrée par un seul homme, et par un seul homme les morts ressuscitent. Comme tous seront vivifiés en Adam; de même tous meurent en Jésus-Christ (1).» D'où il suit que les enfants qui n'ont pas reçu le baptême ne peuvent point, non-seulement posséder le royaume des cieux, mais même la vie éternelle. Les riches, après leur baptême, quoique n'ayant pas renoncé à leurs biens, ne sont pas exclus du royaume de Dieu, pourvu qu'ils soient tels que l'Apôtre le demande quand il dit à Timothée : « Ordonne aux riches de ce monde de n'être point orgueilleux, de ne point mettre leur confiance dans l'incertitude des richesses, mais dans le Dieu vivant qui donne avec abondance tout ce qui est nécessaire à la vie. Qu'ils soient riches en bonnes
 
 

1. I Cor. XV, 21, 22.
 
 

507
 
 

oeuvres, qu'ils donnent de bon coeur, qu'ils fassent part de leurs biens aux pauvres, qu'ils se fassent un trésor qui soit un fondement solide pour l'avenir, afin qu'ils obtiennent la véritable vie (1). » La grâce et le secours de Dieu sont donnés pour chacune de nos actions; la grâce ne nous est pas donnée selon nos mérites, afin qu'elle soit une grâce véritable, c’est-à-dire gratuitement donnée parla miséricorde de celui qui a dit: «J'aurai pitié de qui je voudrai, et je ferai miséricorde à qui il me plaira (2). » Ils peuvent être appelés enfants de Dieu ceux qui disent chaque jour : « Pardonnez-nous nos offenses : » ils ne le diraient pas en toute vérité s'ils étaient entièrement exempts de péché. Nous avons un libre arbitre quoiqu'il ait besoin du secours divin. Quand nous combattons contre les tentations et les concupiscences illicites, quoique ce soit avec notre propre volonté, ce n'est pas de nous, c'est du secours divin que nous vient la victoire. Autrement ces paroles de l'Apôtre ne seraient pas vraies: « La grâce ne dépend pas de celui qui veut ni de celui qui court, mais de la miséricorde de Dieu. » Le pardon est donné à ceux qui se repentent, non point selon leurs mérites, mais selon la grâce et la miséricorde de Dieu, car la pénitence elle-même est un don de Dieu, d'après ces paroles de l'Apôtre : « Dans l'espoir que Dieu a leur donnera peut-être l'esprit de pénitence (3). » Il faut reconnaître toutes ces vérités simplement et sans équivoque, si on veut se mettre d'accord avec l'autorité catholique et aussi avec les paroles de Pélage rapportées dans les actes ecclésiastiques. On n'a point anathématisé sérieusement la doctrine contraire à ces vérités, si on ne tient à ces vérités avec un coeur fidèle et si on ne les professe ouvertement.

31. On ne voit pas assez clairement quels sont à cet égard les sentiments de Pélage dans les derniers livres qui lui sont attribués depuis le jugement des évêques de la Palestine, quoiqu'il semble admettre le secours de fa grâce divine. Parfois il y tient la balance si égale qu'il suppose que la volonté ait autant de force pour ne pas pécher que pour pécher : s'il en est ainsi, il n'y a plus de place pour le secours de la grâce, sans laquelle, selon nous, la volonté ne peut rien pour ne pas pécher. Quelquefois Pélage avoue que nous avons tous les jours le secours de la grâce de Dieu, quoiqu'il suppose que nous ayons assez de force dans le libre
 
 

1. I Tim. VI, 17-19. — 2. Exode. XXXIII, 19. — 3. II Tim. II, 25.
 
 

arbitre pour ne pas pécher; mais il aurait dû reconnaître due ce libre arbitre est faible et sans force jusqu'à ce que toutes les langueurs de notre âme soient guéries. Ce n'est pas pour son corps que David priait lorsqu'il disait à Dieu : « Ayez pitié de moi, Seigneur, parce que je suis infirme; guérissez-moi, Seigneur, parce que mes os se sont ébranlés : » et pour montrer que c'est pour son âme, il ajoute : « et mon âme en a été profondément troublée (1). »

35. Pélage semble donc croire que le secours de la grâce nous soit donné comme par surabondance, de façon que, quand même ce secours ne nous serait pas accordé, nous aurions encore dans notre libre arbitre assez de force pour ne pas pécher. On pourrait nous accuser ici d'une insinuation téméraire, et prétendre que la volonté humaine lui paraît suffisante pour ne pas pécher (quoiqu'elle ne le puisse sans la grâce de Dieu), comme nous disons qu'on a de bons yeux pour voir sans toutefois qu'ils le puissent si le secours de la lumière leur manque. Mais voici un endroit où il montré sa pensée : « Dieu accorde sa grâce aux hommes, afin qu'ils puissent accomplir plus facilement par la grâce ce qu'il leur est ordonné de faire par le libre arbitre.» Ces mots : « plus facilement, » que veulent-ils dire, sinon que, même sans la grâce, on peut aisément ou même difficilement accomplir par le libre arbitre ce que Dieu prescrit?

36. Que deviennent donc ces paroles du Psalmiste : « Qu'est-ce que l'homme, si vous ne « vous souvenez de lui (2)? » Que deviennent les témoignages opposés à Pélage par l'évêque de l'Eglise de Jérusalem, comme on le voit dans les actes, lorsqu'on reprochait au novateur d'avoir dit que, sans la grâce de Dieu, l'homme peut être exempt de péché? L'évêque en effet combattit cette présomption impie par ces trois grands témoignages ; le premier est de l'Apôtre quand il dit : « J'ai travaillé plus qu'eux tous, pas moi cependant, mais la grâce de Dieu avec moi (3); » le second passage est encore de saint Paul : « La grâce ne dépend pas de celui qui veut ni de celui qui court, mais de la miséricorde de Dieu (4); » le troisième est tiré du Psalmiste : « Si Dieu n'édifie la maison, ceux qui l'édifient travaillent en vain (5).» Comment donc ce que Dieu
 
 

1. Ps. VI, 3, 4.

2. Ps. VIII, 5. — 3. I Cor. XV, 10. — 4. Rom. IX, 10. — 5. Ps. CXXVI, 1.
 
 

508
 
 

ordonne peut-il être accompli, même difficilement, sans son secours, puisque si Dieu n'édifie pas, ceux qui édifient travaillent en vain; puisqu'il n'a pas été écrit que la grâce dépend de celui qui veut et de celui qui court, que le bien se fait plus aisément avec la miséricorde de Dieu, et qu'au contraire il est dit que la grâce ne dépend « ni de celui qui veut ni de celui qui court, mais de la miséricorde de Dieu?» ce qui ne signifie point que la volonté et la course de l'homme sont comptés pour rien, mais que l'homme ne peut rien sans la miséricorde de Dieu; puisqu'enfin l'Apôtre n'a pas dit : Et moi; mais : « Ce n'est pas moi, c'est la grâce de Dieu avec moi ? » ce n'est pas qu'il ne fît rien de bien, mais il n'eût rien fait de bien sans la grâce de Dieu. L'égal pouvoir de la volonté humaine de pécher ou de ne pas pécher, dont parle Pélage, ne laisserait même aucune place à cette facilité qu'il semble avoir reconnue en disant: « Ils peuvent par la grâce accomplir plus facilement; avec la grâce on fait le bien plus facilement, et sans la grâce on fait très-facilement le mal.» Non, ce pouvoir n'est pas égal pour le bien ou pour le mal.

37. Mais quoi de plus ? Non-seulement nous devons prendre garde à leurs erreurs, nous ne devons pas négliger de les instruire ou de les avertir, s'ils le permettent. Il n'est pas douteux cependant que nous pouvons mieux obtenir leur retour par nos prières, afin qu'ils ne se perdent pas avec tout leur génie et qu'ils ne perdent pas les autres par une damnable présomption : « Ils ont du zèle pour Dieu, mais non point selon la science; ne connaissant pas la justice de Dieu et s'efforçant d'établir la leur propre, ils ne se sont pas soumis à la justice de Dieu (1). » Comme ils s'appellent des chrétiens, ils doivent plus s'observer que les juifs dont parle l'Apôtre dans ce passage, de peur qu'ils ne heurtent contre la pierre d'achoppement, (2) en défendant par des subtilités la nature et le libre arbitre, à la façon des philosophes de ce monde qui se sont beaucoup tourmentés pour laisser croire ou pour croire qu'ils ce faisaient une vie heureuse parla seule force de leur volonté (3). Qu'ils prennent donc garde « d'anéantir la croix du Christ par une « sagesse de parole (4), » et que ce soit pour eux heurter contre la pierre d'achoppement. Car la nature humaine, quand même elle serait restée
 
 

1. Rom. X, 2, 3. — 2. Rom. IX, 32. — 3. Voir ci-dessus, lett. 155, n. 2. — 4. I Cor. I, 17.
 
 

comme Dieu l'a faite, ne se serait pas conservée telle sans le secours de son Créateur; et puisque, sans l'aide de Dieu, elle ne peut pas garder le salut qu'elle a reçu, comment, sans l'assistance divine, pourrait-elle retrouver ce qu'elle a perdu ?

38. Nous ne devons pas leur refuser nos prières, en alléguant que s'ils ne se corrigent point c'est la faute de leur volonté, car ils ne veulent pas croire que la grâce du Sauveur leur soit nécessaire même pour cela, et croient pouvoir tout attendre de leurs propres forces. Ils sont tout à fait semblables à ceux dont parle l'Apôtre à ceux qui,  « ne connaissant pas la justice de Dieu et voulant établir la leur propre, ne se sont point soumis à la justice de Dieu, » ne croyant pas à la corruption de leur volonté. Ils n'étaient pas contraints au vice pour qu'ils fussent infidèles ; mais en ne voulant pas croire, ils se rendaient coupables du crime d'infidélité. Et cependant, parce que la volonté ne se suffit pas à elle-même pour monter vers la vérité, et qu'elle a besoin de la grâce de Dieu qui lui-même a dit de ceux qui ne croient pas : « Personne ne vient à moi s'il ne lui a été donné par mon Père (1), » l'Apôtre, quoiqu'il leur prêchât l'Evangile avec instance , eût compté cela pour peu s'il n'eût prié pour leur obtenir la foi : « Pour moi, mes frères, dit-il, je sens dans mon coeur un bon vouloir pour eux, et je demande à Dieu leur salut dans mes prières. » Et il ajoute ce que nous avons dit

« Je leur rends ce témoignage qu'ils ont du zèle pour Dieu , mais non pas selon la science. » Donc, notre saint frère, prions pour ces chrétiens égarés.

39. Vous voyez avec nous quelle est leur erreur. Vos lettres sont remplies de la meilleure odeur du Christ, et vous vous y montrez l'ami véritable et le confesseur de sa grâce. Si, avec vous, nous notes sommes étendus longuement sur cette matière, c'est d'abord que nous y trouvions de la douceur : quoi de plus doux en effet, pour les infirmes, que la grâce qui guérit; pour les tièdes, que la grâce qui ranime; pour les hommes de bonne volonté, que la grâce qui vient en aide? Ensuite nous avons voulu par ces développements, avec le secours de Dieu, non point fortifier votre foi, mais l'affirmation de votre foi contre les novateurs, comme nous trouvons nous-mêmes du secours dans les lettres de votre fraternité.
 
 

1. Jean, VI, 66.
 
 

59
 
 

40. En effet, quoi de meilleur et de plus partait que ce passage d'une de vos lettres où vous déplorez humblement que notre nature ne soit pas restée comme Dieu l'a faite, mais qu'elle ait été corrompue par le père du genre humain « Pauvre et malheureux que je suis, tout chargé de l'immonde grossièreté de l'homme terrestre, plus près du premier Adam que du second par mes sens et mes actions, comment oserai-je me peindre à vous, tandis que la «profondeur de ma corruption ne me laisse a plus rien de l'image céleste ! La honte m'enferme de tous côtés. Je rougis de me représenter tel que je suis, je n'ose pas me représenter autrement que je ne suis : je hais ce que je suis, et ne suis pas ce que j'aime. Mais que servira-t-il à ma misère de haïr l'iniquité cet d'aimer la vertu, lorsque je fais plutôt ce que je hais, au lieu de redoubler vigoureusement d'effort pour faire ce que j'aime? En désaccord avec moi-même, je suis déchiré par une guerre intestine : l'esprit combat contre la chair, la chair contre l'esprit, et la loi du corps attaque la loi de l'esprit par la loi du péché. Malheureux que je suis ! le bois de la croix ne m'a pas fait perdre le goût empoisonné de l'arbre ennemi ! Le poison par a lequel Adam a tué toute sa race, ce poison paternel subsiste dans mes entrailles (1) ; » et le reste que vous ajoutez en gémissant, attendant au milieu de cette misère la rédemption de votre corps , connaissant que vous êtes sauvé, non en réalité, mais en espérance (2).

41. Peut-être qu'en disant ces choses, vous avez tracé un autre portrait que le vôtre, et que vous n'avez pas à souffrir, sans même y consentir, ces odieuses importunités de la concupiscence de la chair. Mais que ce soit vous ou un autre qui soyiez en butte à ces révoltes en attendant que la grâce du Christ vous délivre du corps de cette mort, vous étiez dans le premier homme, non pas d'une manière distincte, mais d'une manière cachée, lorsqu'il touchait au fruit défendu et que se formait cette perdition qui devait atteindre le genre humain tout entier. Quant à la prière, quant aux gémissements par lesquels nous devons demander à Dieu d'avancer et de bien vivre, que ne trouvons-nous pas dans votre lettre ! Quelles sont les paroles de vous où ne se rencontre pas avec
 
 

1. Ce passage , d'une forte expression , est tiré d'une lettre de saint Paulin à Sévère. Lettre. 8.

2. Rom. VIII, 23, 24.
 
 

une piété gémissante cette supplication de l'oraison dominicale : « Ne nous induisez pas en tentation (1)? » Consolons-nous donc les uns les autres dans toutes ces choses, excitons-nous mutuellement, et, autant que Dieu le permet, aidons-nous. Nous sommes affligés d'entendre dire certaines choses et d'entendre accuser certaines personnes (2); mais nous ne voulons pas y croire facilement ; votre sainteté apprendra tout de notre ami commun, s'il plaît à la miséricorde de Dieu de nous le ramener en bonne santé, nous pourrons savoir la vérité entière à son retour.
 
 

1. Matth. VI, 13.

2. Nous ignorons de quelles affaires particulières veut ici parler saint Augustin.
 
 

LETTRE CLXXXVII. (Année 417.)
 

Saint Augustin, dans la Revue de ses ouvrages (3), mentionne cette lettre qu'il appelle un livre Sur la présence de Dieu; elle est adressée à Dardanus (4), préfet des Gaules , qui lui avait demandé l'explication de ces paroles du Christ mourant au bon larron : « Tu seras aujourd'hui avec moi en paradis. » Dardanus mêlait à cette question d'autres questions sur le Christ, sur le ciel , sur Dieu. Comme saint Jean tressaillit de joie dans le sein d'Elisabeth aux approches de Marie , le préfet des Gaules demande à l'évêque d'Hippone si les enfants ne peuvent pas connaître Dieu , même lorsqu'ils sont encore dans le sein maternel. Saint Augustin répond à tout avec une grande abondance de détails, de témoignages et d'idées ; il montre comment Dieu est présent partout tout entier, comment il habite en ceux qu'il aime, comment les saints forment son temple. La question de Dardanus sur saint Jean et les enfants amène l'évêque d'Hippone à attaquer à fond le pélagianisme sans parler de Pélage. II importait de prémunir les Gaules contre les ravages de l'erreur naissante, et saint Augustin démontre tout ce que la doctrine nouvelle a de faux et de contraire au christianisme.
 
 

1. Bien-aimé frère Dardanus, plus illustre pour moi dans la charité du Christ que dans les dignités de ce siècle, j'avoue que j'ai répondu à votre lettre plus tard que je n'aurais dû. Je ne voudrais pas que vous en demandassiez les causes, de peur que vous ne supportassiez plus difficilement mes longues excuses que vous n'avez supporté mes longs retards. J'aime mieux que vous me pardonniez aisément mes torts que si vous aviez à juger ma défense. Quels qu'aient pu être mes motifs, croyez qu'il n'a pu entrer en moi aucun dédain de ce qui vous touche. Au contraire, je vous aurais répondu promptement si je vous avais compté pour peu. Ce n'est pas qu'en vous répondant si tard je sois enfin parvenu à composer
 
 

3. Liv. II, chap. XLIX.

4. Voyez dans notre Histoire de saint Augustin, chap. XXXVII, ce que nous avoue dit de Dardanus.
 
 

510
 
 

poser quelque chose de digne d'être lu par vous et de vous être adressé; mais j'ai mieux aimé vous écrire d'une manière quelconque, que de passer encore cet été sans payer ma dette. Je n'ai ni tremblé ni hésité en présence de votre rang si haut ; votre bienveillance m'est plus douce que votre dignité ne m'est redoutable. Mais ce qui fait que je vous aime fait aussi que je trouve plus difficilement de quoi suffire à l'avidité de votre religieux amour.

2. Sans compter ici cette ardeur de charité mutuelle qui nous fait aimer ceux que nous n'avons jamais vus quand nous croyons qu'ils ont ce que nous aimons, et qui vous a porté à me prévenir de façon à me faire craindre que vous ne soyez trompé dans votre opinion et dans votre attente; sans compter cela, dis-je, vous me proposez dans votre lettre des questions si difficiles que, de quelque part qu'elles me vinssent, elles ne seraient pas pour moi une petite affaire à cause de mon peu de loisir. Mais lorsque ces questions partent d'un homme qui ne se contente pas de solutions superficielles, d'un homme aussi accoutumé que vous l'êtes à la méditation et à la profondeur, et qu'elles s'adressent à un homme aussi occupé des intérêts d'autrui, et aussi chargé, aussi accablé de soins que moi ; je m'en rapporte à votre sagesse et à votre bonté pour me faire pardonner le retard de ma réponse ou ce qu'elle pourrait avoir de trop au-dessous de la grandeur de votre espérance.

3. Vous demandez « comment on doit croire que se trouve maintenant dans le ciel Jésus-Christ homme, médiateur entre Dieu et les hommes, lui qui, près de mourir, attaché à  la croix, dit au bon laron : Tu seras aujourd’hui avec moi en paradis. » Et vous dites que peut-être il faut entendre que le paradis est placé dans quelque partie du ciel, ou que, de même que Dieu est partout, l'homme-Dieu est aussi partout, et qu'en conséquence, il a pu être également dans le paradis.

4. Ici je vous demande ou plutôt je vois comment vous comprenez l'humanité du Christ. Vous ne la comprenez pas comme certains hérétiques qui prétendent que le Christ est le Verbe de Dieu uni à un corps sans âme humaine, en sorte que le Verbe soit dans ce corps à la place de l'âme, ou que le Verbe de Dieu soit uni à une âme et à un corps, mais sans intelligence humaine, en sorte que le Verbe de Dieu soit l'intelligence de cette âme (1). Ce n'est pas ainsi que vous comprenez l'humanité du Christ, mais, selon vos paroles, vous croyez que le Christ est le Dieu tout-puissant, et vous ne le croiriez pas Dieu si vous ne le croyiez homme parfait. En le disant homme parfait, vous entendez assurément qu'il s'est revêtu de la nature humaine tout entière; or, il ne serait pas homme parfait si l'âme manquait à son corps ou l'intelligence à son âme.

5. Si donc nous pensions que ce fût en tant qu'homme que le Christ eût dit au bon larron: « Tu seras aujourd'hui avec moi en paradis, » non ne pourrait pas conclure de ces paroles que le paradis fût dans le ciel; car, le jour de sa mort, Jésus-Christ ne devait pas se trouver au ciel comme homme; son âme devait être dans les enfers, et son corps dans le tombeau. Cette sépulture de son corps est très-évidemment rapportée dans l'Evangile ; pour ce qui est de i la descente de son âme dans les enfers, nous avons l'enseignement apostolique. Le bienheureux Pierre, en effet, cite en faveur de cet événement ce témoignage des psaumes, qu'il démontre en avoir été la prédiction : « Vous ne laisserez pas mon âme dans les enfers, et  vous ne permettrez point que votre saint « éprouve la corruption (2). » Ce passage s'applique à la fois à l'âme qui n'a pas été laissée dans les enfers puisqu'elle en est sitôt revenue, et au corps qu'une résurrection prompte a dérobé aux atteintes de la corruption. Mais personne n'imagine que le mot de paradis signifie ici le sépulcre. Et si quelqu'un poussait l'absurdité jusqu'à soutenir ce sentiment par la raison que le tombeau du Christ était dans un jardin, on lui ferait changer d'avis en lui rappelant que le larron à qui il fut dit : « Aujourd'hui tu seras avec moi dans le paradis, » ne fut pas déposé dans le même sépulcre que ; le Christ. D'ailleurs, ce n'eût pas été une grande récompense à promettre au larron converti que de lui annoncer le repos de la tombe sans joie ni douleur, quand il souhaitait un repos dont il pût ressentir l'ineffable bonheur.

6. Si donc c'est en tant qu'homme que le Christ a dit : « Tu seras aujourd'hui avec moi en paradis, » il n'est pas possible d'entendre que ce paradis soit ailleurs que dans les enfers où devait descendre le même jour l'âme
 
 

1. Saint Augustin veut parler des ariens, et aussi des appollinaristes qui furent condamnés à Alexandrie en 362, à Rome en 377, à Antioche en 378, et, dans le second concile oecuménique, en 381.

2. Ps. XV, 10 ; Act. II, 27.
 
 

511
 
 

humaine du Sauveur. Mais il n'est pas aisé de décider si le sein d'Abraham où le mauvais

riche, du milieu de ses tourments de damné, vit le pauvre dans un heureux repos est ce paradis, ou s'il appartient aux enfers. Car il a été dit de ce riche : « Il mourut aussi et fut  enseveli dans les enfers, » et encore : « Lorsqu'il était dans les enfers, au milieu des tourments. » Mais il n'est pas question des enfers dans la mort ou l'heureux repos du pauvre : « Il arriva que le pauvre mourut, dit l'Ecriture, et fut porté par les anges dans le sein d'Abraham. » Abraham dit ensuite au riche qui brûle : « Un grand abîme s'est fait pour toujours entre vous et nous (1), » comme entre les enfers et les demeures des bienheureux. Il n'est pas facile de trouver dans l'Ecriture que le nom des enfers soit pris en bonne part; et si ce nom ne se mêle qu'à l'idée de châtiment, on demande souvent comment la piété peut croire que l'âme du Christ Notre-Seigneur soit allée dans les enfers. Mais on répond très-bien qu'il y est descendu pour secourir ceux qu'il fallait secourir; et c'est pourquoi le bienheureux Pierre dit qu'il a fait cesser les douleurs de l'enfer, dans lesquelles il n'était pas possible qu'il fût retenu. Or, s'il faut croire que la région des douleurs et celle du repos, c'est-à-dire le lieu où souffrait le mauvais riche et le lieu où le pauvre était dans la joie se trouvent dans les enfers; qui osera dire que le Seigneur Jésus visita seulement le séjour des peines éternelles et n'alla pas auprès de ceux qui se reposent dans le sein d'Abraham? S'il y alla, c'est là qu'on doit placer le paradis qu'il daigna promettre ce jour-là à l'âme du bon larron. S'il en est ainsi, le paradis est le nom général du séjour où l'on vit heureux. Aussi quoique le lieu où Adam a été placé avant son péché s'appelât le paradis, les Livres saints n'ont pas craint d'appeler l'Église un paradis avec des fruits.

7. Le sens du passage deviendra plus facile et plus simple si on comprend que ce n'est pas comme homme, mais comme Dieu que le Christ dit au bon larron : « Tu seras aujourd'hui avec moi en paradis. » Car, ce jour-là, le Christ, en tant qu'homme, devait être dans le sépulcre quant à son corps, dans les enfers quant à son âme ; mais, en tant que Dieu, le Christ est toujours partout. Il est la lumière qui luit dans les ténèbres, quoique les
 
 

1. Luc, XVI, 22-26.
 
 

ténèbres ne l'aient pas comprise (1). Il est la vertu et la sagesse de Dieu dont il est écrit qu'elle atteint avec force d'une extrémité à l'autre et dispose tout avec douceur (2) ; qu'elle atteint partout à cause de sa pureté, et que rien de souillé n'est en elle (3). En quelque lieu que soit donc le paradis, les bienheureux y sont avec Celui qui est partout.

8. En effet, le Christ est Dieu et homme; comme Dieu, il dit: « Mon Père et moi nous ne sommes qu'un (4), » comme homme, il dit « Mon Père est plus grand que moi (5); » il est en même temps le Fils unique de Dieu le Père et le fils de l'homme né de la race de David selon la chair : ces deux côtés du Christ sont à considérer lorsqu'il parle ou que l'Ecriture parle de lui : il faut voir si c'est le Dieu ou l'homme que cela regarde. De même qu'une âme raisonnable et un corps ne font qu'un même homme, ainsi le Verbe et l'homme ne sont qu'un même Christ. En tant qu'il est le Verbe, le Christ est créateur, « car tout a été fait par lui (6) ; » en tant qu'il est homme , le Christ a été créé ; « il est né de la race de David selon la chair (7); » « il a été fait semblable aux hommes (8). » Et comme dans l'homme il y a l'âme et la chair, le Christ fut triste jusqu'à la mort (9), selon l'âme, et souffrit la mort (10) selon la chair.

9. Toutefois quand nous disons que le Christ est le Fils de Dieu, nous ne le séparons pas de son humanité ; et quand nous disons que le Christ est fils de l'homme, nous ne le séparons pas de sa divinité. En tant qu'homme, il était sur la terre et non dans le ciel où il est maintenant, lorsqu'il disait: « Personne n'est monté au ciel excepté celui qui est descendu du ciel, le Fils de l'homme qui est dans le ciel (11).» Il parlait ainsi quoiqu'il fût dans le ciel comme Fils de Dieu, et que, comme fils de l'homme, il fût encore sur la terre et ne fût pas monté au ciel. En tant que Fils de Dieu, il était le Seigneur de gloire; mais en tant que le fils de l'homme, il a été crucifié ; et cependant l'Apôtre dit que « s'ils l'eussent connu , ils n'auraient jamais crucifié le roi de gloire (12). » Ainsi le fils de l'homme, en tant que Dieu, était au ciel, et le Fils de Dieu, en tant qu'homme, était crucifié sur la terre. Comme donc on peut dire avec raison que le Seigneur de gloire a été crucifié,

1. Jean, I, 5. — 2. Sag. VIII, 1. — 3. Ibid. VII , 24. —  4. Jean, X, 30. — 5. Ibid. XIV, 28. — 6. Ibid. I, 3. — 7. Rom., I, 3. — 8. Philip. II, 7. — 9. Matth. XXVI, 38. — 10. Act. III, 18. — 11. Jean, III, 13. — 12. I Cor. II. 8.
 
 

512
 
 

quoique sa passion n'ait concerné que sols corps ; ainsi le Sauveur a pu dire : « Tu seras aujourd'hui avec moi en paradis ; » car, quoique selon les abaissements de son humanité son corps dût être ce jour-là dans un sépulcre et que son âme dût descendre dans les enfers; comme Dieu et dans l'immutabilité de sa nature, il n'était jamais sorti du paradis parce qu'il est partout.

10. Ne mettez donc point en doute que Jésus-Christ homme soit maintenant là d'où il doit venir; n'oubliez pas et gardez fidèlement ce que la foi chrétienne nous enseigne , savoir que le Christ est ressuscité d'entre les morts , qu'il est monté au ciel, qu'il est assis à la droite du Père, et que c'est de là qu'il viendra juger les vivants et les morts. Il doit venir, d'après le témoignage des deux anges (1), de la même manière qu'il a été vu montant au ciel, c'est-à-dire avec la même forme et le même corps, à qui il a donné l'immortalité sans lui rien ôter de sa nature. Ce n'est point selon cette forme corporelle que le Christ est présent partout; il ne faut pas établir sa divinité aux dépens de la vérité même de son corps. De ce qu'une chose est en Dieu, il ne s'en suit pas nécessairement qu'elle soit partout où Dieu est. L'Ecriture, où tout est vérité, dit que nous avons en Dieu la vie, le mouvement et l'être (2); nous ne sommes pas pour cela partout comme Dieu; mais Jésus-Christ homme est en Dieu d'une autre façon, parce que Dieu est en lui d'une autre manière, par un mode unique et qui lui est propre. Car en Jésus-Christ, Dieu et l'homme ne font qu'une seule personne et un seul Jésus-Christ : comme Dieu, il est partout; il est au ciel comme homme.

11. Lorsqu'on dit que Dieu est répandu partout , il faut se défendre contre toute pensée corporelle et se dérober à l'impression des sens , de peur que Dieu ne nous apparaisse dans une grande étendue comme celle de la terre, de l'eau, de l'air ou de la lumière, car toute grandeur de ce genre est moindre dans sa partie que dans son tout. Nous devons plutôt nous le représenter comme une grande sagesse, même dans un homme d'un petit corps. Supposez deux hommes sages et d'une égale sagesse, mais dont l'un soit d'une plus haute taille que l'autre; il n'y aura pas plus de sagesse dans le plus grand des deux ni moins dans le plus petit, ou moins dans l'un que dans
 
 

1. Act. I, 10-11. — 2. Ibid. XVII, 28.
 
 

tous les deux ;  mais il y en aura autant dans l'un que dans l'autre , et autant dans chacun que dans tous les deux. Car s'ils sont tout à fait également sages, ils ne le sont pas plus tous les deux que chacun en particulier; de même que s'ils sont également immortels, ils n'ont pas plus de vie tous les deux que séparé ment.

12. L'immortalité même dont le corps du Christ a déjà été revêtu et qui est promise i nos corps à la fin des temps, est une grande chose mais non pas une grandeur de masse; toute corporelle qu'elle soit, son prix est incorporel. Quoique un corps immortel soit moindre dans une partie que dans le tout, son immortalité est aussi parfaite dans la partie que dans le tout ; et malgré l'inégalité des membres, leur immortalité est égale. Ainsi, dans cette vie , lorsque nous nous portons bien de tout point, nous ne disons pas qu'il y ait plus de santé dans une main que dans un doigt, quoique la main soit plus grande que le doigt; la santé est la même dans ces parties inégales, et ce qui ne peut pas être aussi grand qu'autre chose peut être aussi sain. Il y aurait plus de santé dans les membres les plus grands si les plus grands étaient les plus sains; mais comme il n'en est pas ainsi et que les grands comme les moindres sont aussi sains les uns que les autres, la santé s'y trouve égale malgré l'inégalité des membres.

13. Le corps étant donc une substance, sa quantité est dans sa grandeur ; mais la santé n'est pas une quantité, c'est une qualité. Ce que peut la qualité, la quantité ne le peut donc pas. Car les parties du corps ne peuvent pas être ensemble parce qu'elles occupent chacune un espace , les plus petites un plus petit, les plus grandes un plus grand; aussi la quantité ne peut pas être entière dans chacune de ces parties; mais elle est plus grande dans les plus grandes parties, plus petite dans les plus petites, et nulle part aussi grande que dans le tout. Au contraire, la qualité du corps qui se nomme la santé, quand le corps tout entier est sain, est la même dans les grandes que dans les petites parties; car les unes, pour être moindres, ne sont pas les moins saines ni les autres, pour être plus grandes, les plus saines. Pourquoi la substance du Créateur ne pourrait-elle pas en elle-même ce que peut dans un corps la qualité d'un corps créé ?

14. Dieu est donc répandu partout. Il dit par (513) le Prophète : « Je remplis le ciel et la terre (1);» sa sagesse, comme je l'ai rappelé plus haut, atteint avec force d'une extrémité à l'autre et dispose tout avec douceur (2) ; » il est aussi écrit que « l'Esprit du Seigneur a rempli l'univers (3); » et le Psalmiste a dit : « Où irai-je devant votre esprit ? Où fuir devant votre face? Si je monte au ciel, vous y êtes; si je descends dans les enfers, vous voilà (4). » Dieu. n'est pas répandu partout comme une qualité du monde, mais comme la substance créatrice du monde qu'il gouverne sans travail et maintient sans effort. Il n'est pas répandu comme une masse à travers l'étendue, de manière à se trouver moitié dans une moitié du monde, et moitié dans l'autre moitié, et tout entier dans le tout; mais il est tout entier dans le ciel, tout entier sur la terre, tout entier dans le ciel et sur la terre : aucun espace ne le contient, mais il est dans lui-même tout entier partout.

15. Il en est ainsi du Père, du Fils, du Saint-Esprit, de la Trinité qui forme un seul Dieu. Les trois personnes divines n'ont pas partagé le monde en trois parties pour être remplies de chacune d'elles , comme si le Fils et le Saint-Esprit n'eussent plus trouvé de place si le Père eût occupé l'espace tout entier. Il n'en va pas ainsi de la divinité véritable, incorporelle et immuable. Ce ne sont pas des corps, plus grands tous trois ensemble que pris séparément, et occupant chacun un espace différent de façon à ne pouvoir occuper le même. L'âme ne se sent pas à l'étroit dans le corps, mais y trouve une certaine largeur qui tient non pas aux lieux mais aux joies spirituelles lorsque s'accomplissent ces paroles de l'Apôtre « Ne savez-vous pas que votre corps est le temple du Saint-Esprit qui réside en vous et que vous avez reçu de Dieu (5) ? » et il y aurait de la folie à dire que, notre âme remplissant notre corps tout entier, le Saint-Esprit ne saurait y trouver place : mais il y aurait plus de folie encore à soutenir que les trois personnes divines fussent gênées et serrées quelque part, et que le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne pussent pas être ensemble partout.

16. Mais ce qu'il y à de bien plus étonnant, c'est que Dieu étant tout entier partout, n'habite pas cependant dans tous les hommes. Ce n'est pas à tous les hommes que s'adressent les paroles de l'Apôtre que j'ai déjà citées, ni
 
 

1. Jérém. XXIII, 24. — 2. Sag. VIII, 1. — 3. Ibid. I, 7. — 4. Ps. CXXXVIII, 7. — 5. I Cor. VI, 19.
 
 

ces autres : « Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu et que l'Esprit de Dieu  habite en vous (1)? » Au contraire, c'est de quelques-uns que l'Apôtre dit : « Quiconque n'a pas l'Esprit du Christ ne lui appartient pas (2). » Or, qui oserait penser, à moins d'ignorer complètement l'inséparabilité de la Trinité, que le Père ou le Fils puissent habiter où  n'habiterait pas le Saint-Esprit, ou que le Saint-Esprit puisse habiter où n'habiteraient pas le 'Père et le Fils ? Il faut donc reconnaître que Dieu est partout par la présence de sa divinité, mais non point partout par sa grâce. Pour obtenir que Dieu habite en nous, ce qui est l'effet non douteux de la grâce de son amour, nous ne lui disons pas Notre Père qui êtes partout, quoique cela soit vrai, mais « Notre Père qui êtes au ciel (3) ; » de cette manière nous ne faisons mention que de son temple dans la prière, et c'est nous qui devons être ce temple; plus nous le sommes, plus nous appartenons à la société de Dieu et à sa famille d'adoption: Car si le peuple de Dieu, sans être encore devenu égal à ses anges, est appelé son temple dans ce pèlerinage; combien plus son temple est-il au ciel, où se trouve un peuple d'anges dont nous serons un jour les compagnons et les égaux, lorsque, après le pèlerinage, nous recevrons ce qui nous a été promis!

17. Dieu donc qui est partout, n'habite pas dans tous les hommes; il n'habite pas non plus d'une égale manière dans tous ceux qu'il visite par sa grâce. D'où vient en effet qu'Elisée demanda que l'Esprit de Dieu fût deux fois plus en lui qu'il n'était dans Elie ; et d'où vient que, parmi les saints, il en est qui le sont plus ou moins les uns que les autres? c'est qu'ils possèdent plus ou moins Dieu qui habite en eux. Comment donc avons-nous eu raison de dire plus haut que Dieu est tout entier partout, puisqu'il est dans les uns plus, dans les autres moins ? Mais il faut remarquer que nous avons dit que Dieu est tout entier partout en lui-même. Ce n'est donc point dans les hommes qui le reçoivent, les, uns plus, les autres moins. Il est partout parce qu'il n'est absent de rien; il est tout entier partout, parce qu'il ne rend pas diverses parties de lui-même présentes aux diverses parties de l'univers, proportionnant son degré de présence aux inégales grandeurs des choses; mais il est tout
 
 

1. I Cor. III, 16. — 2. Rom. VIII, 9. — 3. Matth. VI, 9.
 
 

514
 
 

entier et également présent, non-seulement à l'universalité de ce qui est, mais même à chacune de ses parties. On dit que ceux-là sont loin de lui, qui, en péchant, lui sont devenus très-dissemblables, et que ceux-là sont près de lui, qui, en vivant pieusement, se rapprochent de son image. On dit de même avec raison que les yeux sont d'autant plus loin de la lumière qu'on est plus aveugle. Quoi en effet de plus éloigné de la lumière que la cécité, lors même que la lumière est là et qu'elle inonde des yeux éteints? Mais on dit avec vérité que des yeux se rapprochent de la lumière lorsqu'en guérissant ils se fortifient.

18. Pour nous bien faire comprendre quand nous avens dit que Dieu est tout entier partout, nous avons ajouté que c'est en lui-même; mais ceci encore demande plus d'explication. — Comment Dieu est-il partout s'il est en lui-même? — Il est partout parce qu'il n'est absent de rien. Il est dans lui-même parce qu'il n'est pas contenu par les lieux et les choses où il est présent, comme s'il ne pouvait pas être sans cela. Otez aux corps l'espace, ils ne seront nulle part, et parce qu'ils ne seront nulle part, ils n'existeront plus. Otez aux qualités des corps ces corps mêmes, il n'y aura plus de place pour elles, et dès lors nécessairement elles ne sont plus. Lorsqu'un corps, dans toute son étendue, est également sain ou également blanc, il n'y a pas plus de santé ou plus de blancheur dans une partie que dans une autre, et il n'y en a pas plus dans son tout que dans sa partie, parce qu'il est certain que la partie est aussi saine et aussi blanche que le tout. Mais si un corps est inégalement sain ou inégalement blanc, il peut se faire qu'il y ait plus de santé ou de blancheur dans une moindre partie, si les plus petits membres sont plus sains ou plus blancs que les plus grands: quand il s'agit de qualité, le grand ou le petit ne consiste pas dans l'étendue. Cependant si on ôte tout à fait le corps, qu'il soit grand ou petit, ses qualités n'ont plus leurs moyens d'être, quoiqu'elles ne se mesurent pas au volume. Mais Dieu n'est pas moindre si celui à qui il est présent est moins capable de le recevoir; car il est tout entier en lui-même, et n'a pas besoin de ce qu'il habite pour exister. De la même manière qu'il n'est point absent de celui en qui il n'habite pas, et il y est même tout entier présent quoiqu'il n'habite point en lui; ainsi il est tout entier présent à ceux en qui il habite quoiqu'ils ne puissent pas le contenir tout entier.

19. Dieu en effet ne se partage pas dans les coeurs ou les corps des hommes, donnant à celui-ci une part, à celui-là une autre part de lui-même, comme la lumière, par les entrées et les fenêtres des maisons: il est plutôt comme le son. Un son, qui est quelque chose de corporel et de passager, n'est pas entendu d'un sourd; il ne l'est pas tout entier de celui quia l'oreille dure; parmi ceux qui ont l'ouïe bonne et à distance égale du son, les uns l'entendent mieux, les autres moins, selon le plus ou moins de finesse de leur oreille, quoique le son ne varie pas en intensité et qu'il arrive également à tous là où ils se trouvent: combien plus excellemment Dieu, dans sa nature incorporelle et immuablement vivante, n'étant ni sujet au temps ni divisible comme le son, et n'ayant pas besoin de l'air pour arriver jusqu'à nous, mais demeurant en lui-même par une stabilité éternelle, peut se rendre présent tout entier à toutes choses et tout entier à chacune, quoique ceux en qui il habite et dont sa grâce fait un temple qu'il aime, le possèdent selon la différence de leur capacité, les uns plus, les autres moins !

20. L'Apôtre a parlé de la diversité des dons (1) départis aux membres d'un seul corps, où nous formons un même temple tous ensemble, et où chacun de nous est un temple; car Dieu n'est pas plus grand dans tous que dans chacun; et souvent il arrive qu'un seul le possède bien plus que plusieurs. Mais après avoir dit: « Les dons sont différents, » saint Paul ajoute aussitôt : « Il n'y a qu'un seul et même Esprit; » et aussi, quand il a énuméré les dons divers, « c'est un seul et même Esprit, dit-il, qui opère toutes ces choses, distribuant à chacun ces dons comme il-lui plaît (2).» Le Saint-Esprit partage donc ses dons sans se partager lui-même, parce qu'il est un et toujours le même. Cette diversité est comme la diversité des membres du corps; les oreilles ne servent point au même usage que les yeux; il en est de même des autres membres du corps qui remplissent dans un parfait accord des fonctions différentes. Mais lorsque nous nous portons bien, la diversité de nos organes ne les empêche pas de jouir d'une égale santé, sans qu'il y en ait plus ou moins dans tel membre plutôt que dans tel autre. Le Christ est le chef de ce corps dont l'unité est marquée par notre
 
 

1. I Cor. XII, 4. — 2. Ibid. XII, 4, 11.
 
 

515
 
 

sacrifice; l'Apôtre l'a exprimé brièvement en ces mots: «Nous ne sommes tous qu'un seul  pain et qu'un seul corps (1).» Par ce chef, nous sommes réconciliés à Dieu parce qu'en lui la divinité du Fils unique a participé à notre mortalité, afin que nous-mêmes nous participions à son immortalité.

21. Ce mystère est loin du coeur des sages orgueilleux : à cause de cela ils ne sont pas chrétiens, et dès lors ils ne sont pas véritablement sages. J'entends même les sages qui ont connu Dieu, « parce que connaissant Dieu, selon les paroles de l'Apôtre, ils ne font pas glorifié comme Dieu et ne lui ont point rendu grâces (2). » Vous connaissez dans quel sacrifice on dit: « Rendons grâces au Seigneur notre Dieu; » qu'il y a loin de l'humilité de ce sacrifice à leur orgueil et à leur fausse élévation ! C'est donc une chose admirable que Dieu habite en plusieurs qui ne le connaissent pas encore et n'habite pas en plusieurs qui le connaissent. Ceux-ci n'appartiennent point au temple de Dieu, parce que, connaissant Dieu, ils ne l'ont point glorifié comme Dieu, et ne lui ont pas rendu grâces ; et les enfants sanctifiés par le sacrement du Christ, régénérés par le Saint-Esprit, sans être arrivés à l'âge où ils peuvent connaître Dieu, appartiennent à son temple; ainsi les uns n'ont pas eu. ce Dieu qu'ils ont pu connaître, et les autres ont pu l'avoir avant qu'ils laient connu. Les bienheureux sont ceux pour qui posséder Dieu c'est le connaître : cette connaissance est la plus parfaite, la plus véritable, la plus heureuse.

22. Ici se présente la question que vous avez ajoutée à la fin de votre lettre, après même votre signature : « Si, dites-vous, les enfants ne connaissent pas encore Dieu, comment Jean, avant sa naissance, a-t-il pu tressaillir dans le sein de sa mère, aux approches et en présence de la Mère du Seigneur? » Après avoir dit que vous avez lu mon livre sur le Baptême des Enfants, vous ajoutez : « Je désire savoir ce que vous pensez des enfants encore  enfermés dans le sein maternel, à l'occasion. a du témoignage que la mère de Jean-Baptiste rendit à la foi de son fils. »

23. Voici les vraies paroles d'Elisabeth, mère de Jean : « Vous êtes heureuse entre toutes les femmes, et le fruit de vos entrailles est heureux. Et d'où me vient que la Mère de mon
 
 

1. I Cor. X, 17. — 2. Rom. I, 21.
 
 
 
 

515
 
 

« Seigneur s'approche de moi ? Car voici que, dès que la voix de votre salutation est arrivée à mes oreilles, l'enfant a tressailli de joie dans mon sein (1). » Pour dire ces choses, Elisabeth fut remplie du Saint-Esprit, comme l'a précédemment marqué l'Evangéliste, et le Saint-Esprit lui apprit, sans doute, ce que signifiait ce tressaillement de l'enfant; c'est-à-dire qu'elle connut que celle qui était venue était la mère de celui que son fils devait précéder et montrer. Cette signification d'une grande chose a pu être réservée à la connaissance des grands et n'être pas connue de l'enfant; car l'Evangile en rapportant le fait, ne dit pas que l'enfant ait cru dans le sein de sa mère, mais seulement qu'il « tressaillit; » Elisabeth ne dit pas non plus : l'enfant a tressailli dans mon sein par un mouvement de foi, mais : « Il a tressailli de joie. » Nous voyons tressaillir ainsi, non-seulement des enfants, mais encore des bêtes; sans que cela vienne de la foi ou de la religion, ou de quoique ce soit de raisonnable. Mais ce mouvement fut inaccoutumé et nouveau, parce qu'il eut lieu dans le sein maternel et à l'arrivée de celle qui devait enfanter le Sauveur des hommes. C'est ce qui en fait la merveille, c'est ce qui doit la faire compter au nombre des grands signés; ainsi ce tressaillement, cette sorte de salut rendu à la Mère du Seigneur, n'a pas été un acte humain accompli par un enfant, mais un prodige opéré par la volonté de Dieu.

24. Lors même que l'usage de la raison et de la volonté eût été avancé dans cet enfant, de manière à pouvoir, dès le sein maternel, connaître, croire et vouloir, ce qui chez d'autres enfants n'arrive qu'avec l'âge; il faudrait également n'y voir qu'un miracle de la puissance de Dieu, et non un exemple ordinaire de la nature humaine. Quand Dieu l'a voulu, il a fait parler raisonnablement même un animal muet (2); il ne nous exhorte pas pour cela à prendre conseil des ânes dans nos délibérations. C'est pourquoi je tiens compte de ce qui est arrivé à saint Jean, mais je ne le prends pas pour règle de ce qu'il faut penser des enfants; et c'est précisément parce que je ne rencontre rien de pareil chez d'autres que l'exemple de saint Jean me paraît miraculeux. La lutte des deux jumeaux dans le sein de Rébecca, offrirait quelque chose de semblable; mais cela aussi fut un prodige, si bien que Rébecca en
 
 

1. Luc,  I, 42, 44. — 2. Nomb. XXII, 28.
 
 

516
 
 

demanda à Dieu l'explication, et qu'elle apprit que ces enfants étaient la figure de deux peuples (1).

25. Si je voulais montrer, par des paroles, que les enfants, qui ne savent encore rien des choses humaines, ne connaissent pas les choses divines, je craindrais de faire injure même à nos sens, car l'évidence de la vérité est ici plus forte que tous les discours. Quand les enfants commencent à bégayer quelques mots et qu'un langage naissant les sépare du premier âge, ne les voyons-nous pas, si bornés dans ce qu'ils pensent et ce qu'ils disent, que, s'ils ne sortaient pas de cet état avec les années, il n'y a personne qui ne les déclarerait imbéciles, à moins d'être plus imbécile qu'eux ? Dirons-nous que ces enfants savaient beaucoup au berceau et même dans le silence du sein maternel, mais que du moment qu'ils ont commencé à parler avec nous, ils se sont enfoncés dans l'ignorance où nous les voyons? Vous comprenez tout ce qu'il y aurait d'absurde dans cette opinion ; les idées que les enfants expriment, tant bien que mal, au premier âge, ne sont presque rien assurément à côté du langage des hommes faits; pourtant c'est dé l'intelligence, si on compare cet état à celui où ils naissent. D'où vient qu'au moment du baptême, lorsqu'il s'agit d'un si grand bienfait de la grâce chrétienne, on ne leur impute pas les cris et les mouvements par lesquels ils se défendent? D'où vient que l'on compte pour rien toute leur résistance et qu'on ne laisse pas d'achever le sacrement qui doit effacer en eux le péché originel? N'est-ce point parce qu'ils ne savent pas ce qu'ils font, et qu'ils sont censés ne pas le faire ? Quel chrétien ignore que, si ces enfants étaient capables de raison -et de volonté et, par conséquent, obligés de consentir à leur sanctification par le baptême, leur résistance à une aussi grande grâce serait coupable, et que le baptême ne leur serait pas seulement inutile, mais encore aggraverait leur état de péché ?

26. Nous disons donc que le Saint-Esprit habite dans lés enfants baptisés, quoiqu'ils ne le sachent pas. lis ignorent qu'il est en eux comme ils ignorent leur propre intelligence ; la raison dont ils ne peuvent se servir encore est en eux comme une étincelle endormie elle attend que l'âge la réveille. Cela ne doit pas paraître étonnant dans les enfants, puisque
 
 

1. Gen, XXV, 22, 23.
 
 

l'Apôtre dit à ceux qui sont hommes «Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de « Dieu et que l'Esprit de Dieu habite en vous (1) ? » Il avait dit d'eux, peu auparavant: « L'homme animal ne comprend pas les choses qui sont de l'Esprit de Dieu ; » il les appelle aussi des enfants, non par l'âge, mais par l'esprit (2). Ils n'avaient donc pas connaissance du Saint-Esprit qui habitait avec eux; malgré même la présence du Saint-Esprit, ils restaient grossiers et n'étaient pas encore spirituels, parce qu'ils ne pouvaient encore connaître le céleste habitant de leur âme.

27. Il est dit que l'Esprit-Saint habite en de tels hommes parce qu'il agit secrètement en eux pour qu'ils deviennent son temple; c'est ce qu'il achève en ceux qui profitent et persévèrent dans de nouveaux progrès. « Car nous sommes sauvés en espérance, » selon les paroles de l'Apôtre, qui dit ailleurs : « Nous avons été sauvés par le bain de la régénération (3). » Ayant parlé ici de notre salut comme d'une chose accomplie, saint Paul s'explique dans le passage suivant : « Car nous sommes sauvés en espérance. Mais l'espérance qui se voit n'est pas une espérance; qui donc espère ce qu'il voit? Et si nous espérons ce que nous ne voyons pas, nous l'attendons avec patience (4). » Dans l'Ecriture il est parlé de beaucoup de choses comme faites et qu'il faut n'entendre qu'en espérance. C'est ainsi que le Seigneur dit à ses disciples : « Je vous ai fait connaître tout ce j'ai appris de mon Père (5); » ce n'était qu'une espérance qu'il leur donnait, puisqu'il ajoute ensuite: « J'aurais beaucoup d'autres choses à vous dire, « mais maintenant vous ne pourriez pas les porter (6). » L'action de l'Esprit-Saint dans les mortels en qui il habite, c'est donc d'y édifier sa demeure qui ne sera achevée que par delà cette vie, quand la mort sera absorbée dans sa victoire et qu'il lui sera dit : « O mort, où est ta victoire ? O mort, où est ton aiguillon? » Qu'est-ce donc que l'aiguillon de la mort si ce n'est le péché (7) ?

28. C'est pourquoi, maintenant même que nous sommes régénérés par l'eau et l'Esprit, que toutes nos fautes sont effacées dans ce bain qui purifie, soit le péché originel commun à tous, soit les péchés qui nous sont propres,
 
 

1. I Cor. III, 16. — 2. I Ibid. II, 14;  III, 1, 2. — 3. Tite, III, 5. — 4. Rom. VIII, 24, 25. — 5. Jean, XV, 15. — 6. Ibid. XVI, 12. — 7. I Cor. XV, 54-56.
 
 

517
 
 

par action, par parole, par pensée ;cependant, tant que nous sommes dans cette vie humaine, qui est la tentation sur la terre, nous avons raison de dire : « Pardonnez-nous nos offenses (1). » Et cette parole est répétée de toute l'Eglise, que le Sauveur purifie dans le baptême de l'eau par la parole, pour qu'elle devienne à ses yeux pleine de gloire, n'ayant ni tache, ni ride, ni rien de pareil (2) : car elle sera tout cela en réalité alors qu'elle possédera la perfection vers laquelle elle marche maintenant en espérance. Comment serait-elle sans tache, ni ride, sans rien de pareil, puisqu'elle est chaque jour obligée de demander à Dieu pardon de ses offenses? Elle le demande avec vérité soit pour tous les hommes qui lui appartiennent, qui font usage de leur raison et de leur volonté et portent laborieusement le poids d'une chair mortelle, soit bien certainement pour beaucoup de ses membres, comme nos adversaires (3) sont contraints de l'avouer.

29. Puisque le Saint-Esprit justifie de plus en plus les mortels en qui il habite et qui font des progrès en se renouvelant de jour en jour; puisqu'il exauce leurs prières, pardonne à l'aveu de leurs fautes, pour se préparer à lui-même un temple sans souillure pour l'éternité ; c'est bien avec raison qu'il est dit qu'il n'habite pas en ceux qui, connaissant Dieu, ne l'ont pas glorifié comme Dieu et ne lui ont pas rendu grâces. En honorant et en servant la créature plutôt que le Créateur (4), ils n'ont pas voulu être le temple du seul Dieu véritable. Tandis qu'ils voulaient l'avoir avec beaucoup d'autres, ils ont mieux réussi à ne plus l'avoir du tout qu'à le mêler à la foule de leurs faux dieux. Il est dit aussi avec raison que l'Esprit-Saint habite en ceux qu'il a. appelés selon son décret pour les justifier et les glorifier, avant même qu'ils connaissent l'incorporéité de sa nature, qui est tout entière partout, autant qu'on puisse la connaître en cette vie où l'homme même le plus avancé ne voit qu'en énigme et, dans un miroir (5). Car parmi ceux en qui l'Esprit-Saint habite, il en est plusieurs de semblables à ceux à qui l'Apôtre dit : « Je n'ai pas pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais comme à des hommes encore charnels, et comme à des enfants en Jésus« Christ; je ne vous ai donné que du lait, pas
 
 

1. Matth, VI, 12. — 2. Ephés. V, 26, 27. — 3. Les partisans de Pélage et de Célestins.— 4. Rom. I, 21, 25. — 2. I Cor. XIII, 12.
 
 

547
 
 

encore de nourriture solide; vous n'auriez pas pu la porter; maintenant même, vous ne le pourriez pas (1). » L'Apôtre leur dit ensuite : « Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu et que l'Esprit de Dieu habite en vous (2)? » Si le dernier jour de la vie arrive pour cette sorte de chrétiens avant de parvenir à l'âge spirituel de l'intelligence, où ils, eussent été nourris de viandes solides et non plus seulement de lait, l'Esprit-Saint qui habite en eux leur donnera ce qui leur aura manqué d'intelligence, parce qu'ils ne se seront pas séparés de l'unité du corps du Christ qui est devenue notre vole, ni de la société du temple de Dieu. Aussi pour ne pas s'écarter de cette unité religieuse, ils suivent avec persévérance dans l'Eglise la règle de la foi, règle commune des petits comme des grands esprits ; ils marchent dans ce qu'ils savent jusqu'à ce que Dieu les instruise sur ce qui fait leur erreur, et n'érigent pas en dogmes leurs pensées charnelles ; car ils ne s'y affermissent point en restant sur la défense de ces fausses idées, mais ils s'en délivrent par l'activité, par le progrès, et obtiennent la lumière de l'Esprit par la piété de la foi.

30. Ainsi donc ces deux choses qui s'accomplissent dans le même homme : naître et renaître, appartiennent à deux hommes, l'une au premier Adam, l'autre au second Adam qui est le Christ. « Ce qui est spirituel n'a pas été formé le premier, dit l'Apôtre, mais ce qui est animal, et ensuite le spirituel. Le premier homme est le terrestre, formé de la terre; le second est le céleste , qui vient du ciel : le premier homme étant de la terre, ses enfants le sont aussi; le second étant céleste, ses enfants le sont également. Comme nous avons porté l'image de l'homme terrestre, portons l'image de celui qui est du ciel (3). » Saint Paul avait déjà dit : « C'est par un seul homme que la mort est venue, et par un seul homme la résurrection des morts. Et comme tous meurent en Adam, tous seront vivifiés en Jésus-Christ (4). » Saint Paul dit deux fois tous, » parce que nul ne meurt que par Adam et nul ne reçoit la vie que par le Christ. Dans le premier, on a vu ce que vaut le libre arbitre de l'homme pour la mort; dans le second, ce que vaut le secours de Dieu pour la vie. Le premier homme n'est qu'un homme;
 
 

1. I Cor. III, 1, 2. — 2. I Cor. VI, 19. — 3. I Cor. XVI, 36-49. — 4. I Cor, XV, 46-49, 21, 22.
 
 

518
 
 

le second est un Dieu et un homme. car le péché s'est fait par l'abandon de Dieu; la justice ne se fait pas sans Dieu. C'est pourquoi nous ne mourrions pas si nous ne descendions d'Adam par la génération charnelle; et nous ne vivrions pas si nous n'étions pas membres du Christ par une union spirituelle. Il nous a donc fallu naître et renaître, le Christ n'a eu besoin que de naître pour nous. En renaissant nous passons du péché à la justice; mais le Christ n'a passé d'aucun péché à la justice; s'il a voulu être baptisé, c'était pour que son humilité recommandât de plus haut le sacrement de notre régénération, figurant toutefois le vieil homme par sa passion, et par sa résurrection le nouveau.

31. En effet, la révolte de la concupiscence par laquelle la chair a ses mouvements sans notre volonté, est réduite par la légitimité du mariage; mais quelque licite que soit l'union conjugale, il est nécessaire que les enfants soient régénérés. Ce n'est point par cette union de l'homme et de la femme que le Christ a voulu naître; il a pris d'une vierge exempte de tout désir charnel, la ressemblance de la chair du péché, par laquelle la chair de péché devait être purifiée en nous (1). « Comme c'est par le péché d'un seul, dit l'Apôtre, que tous les hommes sont tombés dans la condamnation, ainsi c'est par la justice d'un seul que tous les hommes reçoivent la justification qui donne la vie (2). » Car personne ne naît que par un acte de la concupiscence charnelle, tirée du premier homme; et personne ne renaît que par l'action de la grâce spirituelle, donnée par le second Adam qui est le Christ. C'est pourquoi si nous appartenons à Adam par notre naissance, au Christ par notre renaissance, et si nul ne peut renaître avant d'être né, sans aucun doute le Christ est né par une voie extraordinaire puisqu'il n'a pas eu besoin de renaître. Il n'a pas passé du péché à la justice; il n'a jamais été dans le péché et n'y a, pas été conçu, et c'est en restant pure que sa mère l'a porté dans son sein : l'Esprit de Dieu est survenu en elle, et la vertu du Très-Haut l'a couverte de son ombre; de là vient que ce qui est né d'elle a été saint et a été appels; le Fils de Dieu. Le mariage n'éteint pas, mais modère l'ardeur mauvaise de la chair insoumise, afin que la limite imposée à la concupiscence devienne au moins la pudeur conjugale.
 
 

1. Rom, VIII, 3-4. — 2. Rom. V, 18.
 
 

Mais la Vierge Marie à qui il fut dit que la vertu du Très-Haut la couvrirait de son ombre (1), n'a senti, à la faveur de cette ombre, aucune ardeur de concupiscence lorsqu'elle a conçu le Saint des saints. Sauf donc celui-là qui est la pierre angulaire, je ne vois pas com. ment les hommes peuvent devenir le temple de Dieu sans avoir été régénérés, et pour cela d'abord il faut naître.

32. C'est pourquoi, quelque opinion que nous ayons sur l'état de l'homme encore enfermé dans te sein maternel, que nous le croyons capable ou incapable de quelque degré de sanctification, soit à cause, de saint Jean qui, avant de voir le jour, tressaillit de joie (ce qui n'a pu se faire assurément sans l'opération du Saint-Esprit) ; soit à cause de Jérémie « sanctifié avant de sortir du sein de sa mère, » selon les paroles que le Seigneur lui adresse (2), toujours est-il que cette sanctification par laquelle chacun de nous est le temple de Dieu, et par laquelle nous formons tous ensemble le temple de Dieu, ne saurait être que le partage des régénérés. Car la naissance précède nécessairement la régénération, et nul ne finira bien la vie où il est né, s'il ne renaît pas avant de la finir.

33. Si on dit que l'homme est né lors même qu'il est encore dans le sein de sa mère, et si on s'appuye sur le passage de l'Evangile où l'ange annonce à Joseph que ce qui est né en Marie est du Saint-Esprit (3), l'enfantement sera donc une seconde naissance? et notre naissance en Jésus-Christ sera donc la troisième? Mais quand le Seigneur en a parlé, il a dit « qu'il faut naître de nouveau (4), » regardant ainsi comme une première naissance l'enfantement et non point la conception. Lorsqu'un homme est mis au monde, nous ne disons pas qu'il vient de renaître comme s'il était déjà né une fois dans le sein maternel; mais seulement qu'il est né, et c'est alors qu'il peut renaître par l'eau et l'Esprit. On veut parler de cette naissance quand on dit que le Seigneur est né à Bethléem de Juda (5). Si l'homme pouvait être régénéré par la grâce de l'Esprit dans le sein de sa mère, comme il lui resterait encore à voir le jour, il renaîtrait donc avant de naître, ce qui ne peut se faire en aucune manière. Ainsi ce sont les hommes qui sont nés qui peuvent s'unir au corps du Christ comme pour
 
 

1. Luc, 1, 35. — 2. Jérém. I, 5. — 3. Matth. I, 20. — 4. Jean, III, 3. — 5.  Matth. II, l.
 
 

519
 
 

entrer dans la construction vivante du temple de Dieu qui est son Eglise; ils n'y sont point admis en vue de leurs propres oeuvres de justice; mais en renaissant par la grâce, ils sont comme tirés d'une masse de ruines pour faire partie d'un édifice qui ne doit pas périr. En dehors de cet édifice de bonheur qui se construit pour être l'éternelle habitation de Dieu, la vie de l'homme n'est toute que misère, et mérite qu'on l'appelle plutôt une mort qu'une vie. Tous ceux donc en qui Dieu habitera échapperont à sa colère et ne resteront pas éloignés de ce corps, de ce temple, de cette cité. Mais quiconque ne renaît pas, en demeure séparé.

34. Le Médiateur, en se montrant au monde, a voulu que le sacrement de notre régénération fût visible. C'était pour les anciens justes quelque chose de caché, quoiqu'une même foi les sauvât; et cette foi devait se révéler en son temps. Car nous n'osons pas préférer les fidèles de notre temps aux amis de Dieu qui nous ont prophétisé ces choses mêmes, et pour la gloire desquels Dieu a voulu s'appeler éternellement le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac, le Dieu de Jacob (1). Si on croit que la circoncision ait tenu lieu de baptême aux anciens justes, que répondra-t-on au sujet de ceux qui ont plu à Dieu, avant ce précepte de la circoncision, mais non sans la foi cependant? L'Apôtre écrit aux Hébreux que « sans la foi il est impossible de plaire à Dieu (2). » Saint Paul dit encore : « Parce que nous avons un même esprit de foi, selon qu'il est écrit : J'ai cru, c'est pourquoi j'ai parlé; nous croyons aussi, et c'est  pour cela que nous parlons (3). » L'Apôtre ne parlerait pas de ce « même esprit de foi, » si la foi des anciens justes n'avait pas été la même que la nôtre. Comme ils ont cru à l'incarnation future du Christ, quand le sacrement de notre régénération était quelque chose de caché, ainsi nous croyons à cette incarnation après qu'elle s'est accomplie; mais eux comme nous, nous attendons le second avènement du Christ pour juger les hommes. Car le mystère de Dieu n'est autre que le Christ, dans lequel il faut que les morts en Adam soient vivifiés; parce que « de même que tous meurent en «Adam, ainsi tous seront vivifiés dans le Christ (4), » comme nous l'avons rappelé plus haut.
 
 

1. Exod. III, 15. — 2. Héb. XI, 6. — 3. II Cor. IV, 13. — 4. I Cor. XV, 22.
 
 
 
 

35. C'est pourquoi Dieu, présent partout et tout entier partout, n'habite pas en tous, mais seulement en ceux dont il fait son bienheureux temple ou ses bienheureux temples, lorsqu'il les délivre de la puissance des ténèbres pour les placer dans le royaume du Fils de son amour (1), ce qu'il commence par la régénération. Autre chose est le temple de Dieu en figure lorsqu'il se construit de main d'homme avec des choses, inanimées, comme le tabernacle fait de bois, de voiles, de peaux ou d'autres matières de ce genre, ou comme le temple bâti par le roi Salomon avec des pierres, du bois et des métaux; autre chose est la réalité même dont tout ceci n'est que la figure. Voilà pourquoi il est dit : « Et vous-mêmes, comme des pierres vivantes, formez un édifice spirituel (2), » voilà pourquoi il est encore écrit : « Car nous sommes les temples du Dieu vivant, selon ce que Dieu dit lui-même : J'habiterai en eux, et je marcherai au milieu d'eux; je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple (3). »

36. Nous ne devons pas nous étonner que quelque chose de la vertu de Dieu éclate par le ministère même de ceux qui n'appartiennent pas ou pas encore à ce temple, c'est-à-dire en qui Dieu n'habite pas ou n'habite pas encore; comme il arriva à l'homme qui chassait les démons au nom du Christ quoiqu'il ne le suivît point, et que le Christ commanda de laisser faire, comme un témoignage de sa puissance, utile à plusieurs (4). Le Seigneur aussi nous déclare qu'au dernier jour plusieurs diront : « Nous avons fait en votre nom beaucoup de prodiges; » et il ne leur dirait pas : « Je ne vous ai pas connus (5), » s'ils appartenaient au temple de Dieu qu'il béatifie par sa présence. Et le centurion Corneille, avant que la régénération l'incorporât à ce temple, vit l'ange qui lui était envoyé; il l'entendit lui dire que ses prières avaient été exaucées et ses aumônes agréées (6). Dieu fait par lui-même ces choses comme étant présent partout, ou par ses saints anges.

37. Pour ce qui est de la sanctification de Jérémie avant qu'il fût sorti du sein maternel, quelques-uns y voient une figure du Sauveur qui n'a pas eu besoin de régénération; mais, si on l'entend du Prophète lui-même, on peut y trouver un témoignage de sa prédestination. Ainsi l'Evangile appelle enfants de Dieu des hommes qui n'ont pas encore été régénérés.
 
 

1. Colos. I, 13. — 2. I Pierre, II, 5. — 3. II Cor. VI, 16. — 4. Marc, IX, 37, 39. — 5. Matth. VII, 22, 23. — 6. Act. X, 4.
 
 

520
 
 

Après que Caïphe a dit du Seigneur : « Il est bon qu'un seul homme meure pour le peuple et non pas que toute la nation périsse, » l'Evangile ajoute : « Or, il ne dit point cela de lui-même; mais, étant grand-prêtre de cette année, il prophétisa que Jésus devait mourir pour la nation; et non-seulement pour la nation, mais aussi pour qu'il rassemblât les enfants de Dieu qui étaient dispersés (1). » Les enfants de Dieu sont ici des hommes qui n'appartenaient même pas à la nation juive, des hommes établis au milieu d'autres peuples et qui n'étaient ni fidèles, ni baptisés. Comment étaient-ils enfants de Dieu si ce n'est par la prédestination selon laquelle l'Apôtre dit que Dieu nous a choisis en Jésus-Christ avant la création du monde (2)? Or cette réunion. devait rendre ces hommes les enfants de Dieu. L'unité dont il est ici question n'est pas une unité de lieu, puisque le Prophète, prédisant la vocation des gentils, dit : « Toutes les îles des nations « l'adoreront, et chacun dans son pays (3); » mais il s'agit de l'unité de l'esprit et de l'unité du corps, dont le Christ est le chef unique. C'est cette réunion qui est l'édification du temple de Dieu; elle est l'oeuvre, non pas de la génération charnelle, mais de la régénération spirituelle.

38. Chaque enfant de Dieu est donc comme un temple où Dieu habite, et tous forment ensemble un temple où il fait aussi sa demeure. Tant que ce temple flotte sur la mer de ce monde comme l'arche de Noé, nous voyons s'accomplir cette parole du Psalmiste : « Le Seigneur demeure sur les eaux du déluge; » ces mots toutefois peuvent aussi, d'après l'Apocalypse (4), s'entendre des peuples nombreux de fidèles répandus parmi toutes les -nations, en qui Dieu habite. Le Psalmiste ajoute : « Le Seigneur s'assiera roi pour l'éternité (5) ; » c'est-à-dire dans son temple après que les agitations de la vie où nous sommes auront fait place à la vie éternelle. Dieu est donc présent partout et tout entier partout; il n'habite pas partout, mais dans ceux qui forment son temple et pour lesquels il est bon et miséricordieux par sa grâce; et il n'habite qu'autant qu'on le possède, les uns plus, les autres moins.

39. Quant à notre chef, l'Apôtre a dit de lui « que toute la plénitude de la divinité habite corporellement en lui. » « Corporellement » ne
 
 

1. Jean, XI, 50-52. — 2. Eph. I, 4. — 3. Sophonie , II, 11. — 4. Apoc. XVII, 15. — 5. Ps. XXVIII, 10.
 
 

veut pas dire que Dieu soit corporel. En effet, ou bien saint Paul, usant d'une métaphore, a voulu nous faire entendre que l'ombre seule du Seigneur habite dans un temple fait de main d'homme, au milieu des signes figuratifs, car il nomme toutes les observances de l'ancienne loi « des ombres des choses futures (1), » ce qui est aussi une métaphore; car le Dieu suprême, est-il écrit, « n'habite point dans les temples bâtis par les hommes (2). » Ou bien l'Apôtre s'est servi du mot « corporellement, » parce que le corps du Christ, né d'une vierge, est comme un temple où Dieu habite. « Détruisez ce temple et je le ressusciterai dans trois jours, » disait le Sauveur aux Juifs qui demandaient un miracle; l'Evangéliste ne manque pas d'ajouter que c'est de son corps que le Christ voulait parler (3).

40. Quoi donc? Pensons-nous que l'unique différence entre le chef et les autres membres, c'est que la divinité n’habite pas dans les membres les plus considérables, grand prophète ou grand apôtre, comme elle habite dans le chef qui est le Christ et qui la possède selon toute sa plénitude? Il y a du sentiment dans toutes les parties de notre corps, mais c'est dans la tête qu'il y en a le plus, parce que les cinq sens s'y trouvent : la vue, l'ouïe, l'odorat, le goût et le toucher ; les autres parties du corps n'ont que le toucher. Outre cette plénitude de la divinité qui habite dans le corps du Christ comme dans un temple, n'y a-t-il pas encore quelque chose qui distingue le chef du membre même le plus excellent? Oui, sans doute, c'est l'union de l'humanité du Christ avec le Verbe et qui fait de l'homme et de Dieu une seule et même personne. Il n'y a aucun saint dont on ait pu, dont on peut ou dont on pourra dire : « Le Verbe s'est fait chair (4); » il n'y a aucun saint, quelque grâce qu'il ait reçue, qui ait été appelé le Fils unique de Dieu, et qui, ayant participé à la nature humaine, ait été le Verbe même de Dieu avant les siècles. Cette incarnation est donc unique; elle ne s'est rencontrée pour aucun saint, à quelque degré de sagesse et de sainteté qu'il soit monté. C'est ici un manifeste et grand exemple de la grâce divine. Qui serait assez sacrilège pour oser affirmer qu'on puisse, par le mérite du libre arbitre, devenir un nouveau Christ? Comment une âme toute seule aurait-elle pu, par le libre arbitre donné
 
 

1. Coloss. II, 9, 16, 17. — 2. Act. XVII, 24. — 3. Jean, II, 19, 21. — 4. Ibid. I, 14.
 
 

naturellement à chacun, appartenir à la personne du Verbe sans un bienfait singulier de la grâce, cette grâce qu'il faut prêcher et dont il ne faut pas vouloir juger ?

41. Si, selon la mesure de nos forces et avec l'aide de Dieu, nous venons de traiter ces questions avec vérité; quand vous entreprenez de vous représenter Dieu présent partout, non pas occupant des points dans l'étendue à -la manière des corps, mais tout entier partout, détournez votre esprit de toutes ces images sensibles que la pensée humaine a coutume de rouler. Car ce n'est pas ainsi qu'on doit se représenter la sagesse, la justice, la charité, dont il est écrit : « Dieu est charité (1). » Et lorsque vous voulez vous retracer l'habitation de Dieu dans les âmes; pensez à l'unité et à la réunion des saints, d'abord au ciel où il est dit que surtout il habite, parce que là s'accomplit sa volonté par la parfaite obéissance des saints ; ensuite sur la terre, où Dieu habite une demeure qu'il bâtit, pour en faire la dédicace à la fin des siècles. Mais pour Notre-Seigneur Jésus-Christ, Fils unique de Dieu, égâl à son Père, et en même temps fils de l'homme, ce qui rend son Père plus grand que lui, croyez qu'en tant que Dieu, il est tout entier présent partout, qu'il habite dans ceux en qui Dieu habite comme dans son temple; croyez aussi que son corps, un corps véritable est dans quelque endroit du ciel.

Mais, cédant au plaisir de parler avec vous, j'ignore si je n'ai pas passé les bornes, comme pour compenser mon long silence par l'extrême étendue du discours. Votre piété et votre bonté vous ont mis si avant dans mon âme, que véritablement je crois m'entretenir avec un ami. Si vous trouvez dans mon oeuvre quelque chose de bon, rendez-en grâces à Dieu; si vous y voyez des défauts, pardonnez-les comme pardonne un ami; souhaitez que je m'en corrige, souhaitez-le avec autant de sincérité que vous en aurez mis à m'accorder mon pardon.
 
 

1. I Jean, IV, 8.

524
 
 

LETTRE CLXXXVIII. (Année 418.)
 

Démétrias, l'illustre vierge, romaine dont les veaux sacrés furent un si grand événement, avait reçu de Pélage une lettre qui inquiétait saint Augustin; elle formait comme un livre. L'évêque d'Hippone crut devoir s'adresser à la mère de Démétrias, pour la mettre en garde , elle et sa fille,, contre l'erreur. Alype se trouvait alors à Hippone ; Julienne lui avait écrit en même temps qu'à saint Augustin et voilà pourquoi la lettre qu'on va lire porte les noms des deus saints amis.
 
 

ALYPE ET AUGUSTIN A LA VÉNÉRABLE DAME EN JÉSUS-CHRIST, A JULIENNE LEUR ILLUSTRE FILLE, SALUT DANS LE SEIGNEUR.
 

1. Il a été doux et charmant pour nous que votre lettre nous ait trouvés tous les deux à Hippone; nous pouvons ainsi vous répondre ensemble. Nous nous réjouissons d'apprendre que votre santé soit bonne, et comme nous savons que vous prenez intérêt à la nôtre, nous vous apprendrons avec la même affection qu'elle est bonne aussi, vénérable dame en Jésus-Christ et illustre fille. Vous n'ignorez pas quel religieux attachement nous vous portons, et combien nous nous occupons de vous devant Dieu et devant les hommes. Nous ne vous avions d'abord connue que par lettres; c'est plus tard que nous vous avons vue pieuse et catholique, comme le sont les véritables membres du Christ. Vous avez même entendu, par notre ministère, la parole de Dieu, et comme dit l'Apôtre : « Vous ne l'avez pas reçue comme la parole des hommes, mais, ainsi qu'elle l'est véritablement, comme la parole de Dieu (1). » Par notre ministère, à l'aide de la grâce et de la miséricorde du Sauveur, la parole de Dieu a porté dans votre maison un si grand fruit, que la pieuse Démétrias a préféré à un mariage déjà tout prêt, l'embrassement spirituel de l'Epoux qui est le plus beau des enfants des hommes : les vierges qui s'unissent à lui obtiennent une fécondité spirituelle plus abondante, sans rien perdre de leur pureté corporelle. Nous n'aurions pas su comment cette fidèle et noble vierge avait reçu nos exhortations, si la nouvelle ne nous en était parvenue par le joyeux et véridique témoignage de vos lettres; nous apprîmes ainsi que, peu de temps après notre départ, Démétrias s'était engagée dans la vie religieuse. C'est une grâce ineffable de Dieu, qui plante
 
 

1. I  Thess. II, 13.
 
 

522
 
 

et qui arrose par ses serviteurs, mais qui donne l'accroissement par lui-même.

2. Cela étant, personne né reprochera à notre affection et à notre pressante sollicitude de vous avertir qu'il faut prendre garde aux doctrines contraires à la grâce de Dieu. L'Apôtre nous ordonne d'annoncer la parole à temps et à contre-temps (1); mais nous ne vous mettons pas au nombre de ceux que nos discours ou nos écrits peuvent importuner, quand nous vous engageons à éviter soigneusement ce qui n'appartient point à la saine doctrine. Voilà pourquoi vous avez reçu avec tant de reconnaissance nos avis. « Je vous rends grâces, nous

dites-vous dans la lettre à laquelle nous répondons, je vous rends grâces de m'avertir si pieusement de ne pas prêter l'oreille à ces hommes qui corrompent la pureté de notre foi par la fausseté de leurs doctrines. »

3. Et vous ajoutez : « Vous saurez que moi et ma maison nous sommes bien éloignés de ces gens-là. Tel est l'attachement de toute notre famille à la foi catholique qu'elle ne s'est jamais égarée dans aucune hérésie et n'y est jamais tombée; je ne parle pas de ces hérésies qui peuvent à peine s'expier, mais j'entends même celles qui semblent ne renfermer que de petites erreurs. » Voilà ce qui nous pousse davantage à vous entretenir de ceux qui s'efforcent de corrompre ce qu'il y a de plus sain. Car nous ne comptons pas votre maison pour une petite église du Christ; et ce n'est pas une petite erreur que celle de ces hommes qui croient que nous avons de nous-mêmes ce qui peut se trouver en nous de justice, de modération, de piété, de chasteté, et que notre Créateur, après nous avoir révélé ce que nous devons faire, ne nous est d'aucun secours pour remplir avec amour les devoirs qu'il nous a prescrits; nos forces naturelles et la connaissance de nos devoirs, voilà, selon eux, à quoi se réduisent la grâce et le secours de Dieu pour bien vivre. Ils nient que nous ayons besoin de l'assistance divine pour avoir une bonne -volonté; c'est en elle pourtant qu'est le bien vivre, et la charité elle-même, si supérieure à tous les dons de Dieu, que Dieu s'est appelé de son nom (2); par la charité seule s'accomplit en nous ce que nous accomplissons de la loi et des commandements de Dieu; les novateurs prétendent que, pour tout cela, notre
 
 

1. I Tim. IV, 2. — 2. Jean, IV, 8.
 
 

libre arbitre nous suffit. Ne regardez pas comme une erreur légère de vouloir se dire chrétien et de ne pas vouloir entendre l'Apôtre qui, après avoir dit que « la charité de Dieu s'est répandue dans nos coeurs, » ajoute « par le Saint-Esprit qui nous a été donné (1) : » il parlait ainsi pour que nul ne prétendît avoir la charité par son libre arbitre. Vous voyez combien on se trompe gravement et pernicieusement en ne reconnaissant pas que c'est ici la grande grâce du Sauveur qui, montant au haut des cieux, a fait de la captivité elle-même une captive, et a distribué ses dons aux hommes (2).

4. Comment pourrions-nous donc nous en taire auprès de vous et ne pas vous recommander de vous tenir sur vos gardes, vous que nous devons tant aimer, après avoir lu un certain livre adressé à la pieuse Démétrias vous nous direz quel en est l'auteur et si le livre est arrivé jusqu'à vous (3). Qu'une vierge du Christ, si c'est permis, y lise que le trésor de sa virginité et toutes ses richesses spirituelles ne lui viennent que d'elle-même; qu'elle y apprenne (ce qu'à Dieu ne plaise !) à être ingrate envers le Seigneur, avant d'être arrivée à la plénitude de son bonheur. Voici ce qu'on trouve dans ce livre : « Vous avez donc quelque chose qui vous rend préférable aux autres; et c'est ici toute votre grandeur. La noblesse de la naissance et l'opulence ne viennent pas de vous, vous les avez reçues; quant à vos richesses spirituelles, vous ne les tenez de personne. C'est ici que vous méritez qu'on vous loue, c'est ici qu'on doit vous préférer aux autres, car ces trésors spirituels ne peuvent être que de vous et en vous. »

5. Vous reconnaissez tout ce qu'il y a de dangereux dans ces paroles. Il est très-vrai de dire: « Ces biens ne peuvent être qu'en vous;» c'est ici comme la nourriture : « ces biens ne peuvent venir que de vous; »voilà le poison. A Dieu ne plaise que ces paroles puissent charmer l'oreille d'une vierge du Christ qui comprend pieusement toute la pauvreté du coeur humain et qui, à cause de cela, ne sait se parer que des dons de son Epoux ! Qu'elle
 
 

1. Rom. V, 5. — 2. Ps. LXVII; Eph. IV, 7. — 3. Saint Augustin semble n'être pas sûr ici que le livre soit de Pélage, mais c'est pour obtenir de plus amples informations, car, à la fin de sa lettre, il laisse voir ce qu'il croit à cet égard. Plus tard, dans son livre de la Grâce de Jésus-Christ, l'évêque d'Hippone cite positivement Pélage comme auteur du Livre à Démétrias.
 
 

523
 
 

écoute plutôt l'Apôtre lorsqu'il dit: « Je vous ai fiancée à cet unique Epoux pour vous présenter au Christ comme une vierge pure. Mais je crains que, comme Ève fut séduite par les artifices du serpent, vos esprits de même ne se corrompent et ne déchoient de la chasteté qui est en Jésus-Christ (1). » Qu'une cierge n'écoute pas celui qui lui dit qu'elle ne tient de personne que d'elle-même ses richesses spirituelles, mais celui qui dit : « Nous portons ce trésor dans des vases de terre, afin que l'excellence de la vertu soit attribuée à Dieu et non point à nous (2). »

6. Quant à la sainte continence virginale, que Démétrias apprenne de ce véridique et pieux docteur qu'elle ne l'a pas d'elle-même, mais qu'elle est un don de Dieu, quoique ce don soit accordé à la foi et à la bonne volonté; « Je voudrais, dit l'Apôtre, que tous fussent nomme. moi ; mais chacun reçoit de Dieu un don qui lui est propre, l'un d'une manière, d'autre de l'autre (3). » Que la vierge écoute aussi celui qui est son époux et l'unique époux de toute l'Eglise, lorsqu'il dit en parlant de la chasteté: « Tous n'entendent pas cette parole, ornais ceux à qui il est donné (4). » Elle comprendra que si elle possède un bien si grand et si excellent, elle doit en rendre grâces à Dieu et à Notre-Seigneur plutôt que de prêter l'oreille aux fausses louanges qui le lui représentent comme venant d'elle-même : nous ne disons pas des flatteries de peur de paraître juger témérairement les secrètes pensées des hommes. Car « toute grâce excellente et tout don parfait; dit l'apôtre saint Jacques, vient d'en-haut et descend du Père des lumières (5). » Delà donc vient la sainte virginité par où votre fille l'emporte sur vous qui l'applaudissez et qui vous en réjouissez; elle est après vous par la naissance, avant vous par les oeuvres ; vous êtes sa mère, et, son rang est au-dessus du vôtre; elle vous suit par l'âge et vous devance par la sainteté : en elle commence pour vous ce qui n'a pas pu être en vous. En ne point se mariant, elle ne s'est pas seulement enrichie de biens spirituels, elle a aussi accru les vôtres. Vous vous dédommagez d'être moins qu'elle devant Dieu, par la pensée qu'il a fallu vous marier pour qu'elle naquit. Ces dons de Dieu sont à vous, mais ne viennent pas de vous : car vous portez ce trésor dans des corps
 
 

1. II Cor. XI, 2, 3. — 2. Ibid.               IV, 7. — 3. I Cor. VII, 7. — 4. Matth. III,11. — 5. Jacq. I, 17.
 
 

terrestres et comme dans des vases fragiles, afin que l'excellence de la vertu soit attribuée à Dieu et non pas à vous. Ne soyez pas étonnées que nous disions que ces dons soient à vous sans venir de vous; nous disons « notre « pain quotidien, » mais nous ajoutons : « donnez-nous (1), » de peur qu'on ne croie que nous l'ayons de nous-mêmes.

7. C'est pourquoi comme .il est écrit, « priez sans cesse, rendez grâces à Dieu en toutes choses (2), » vous priez pour persévérer et avancer ; vous rendez grâces parce que vous n'avez rien de vous-mêmes. Qui donc vous a séparées de cette masse de mort et de perdition condamnée depuis Adam? N'est-ce pas celui qui est venu chercher et sauver ce qui avait péri (3)? Lorsque l'homme entend l'Apôtre lui dire : « Qui te distingue? » doit-il répondre : ma bonne volonté, ma foi , ma justice, sans que ces paroles retentissent aussitôt à ses oreilles : « Qu'as-tu que tu n'aies reçu? Or, si tu l'as reçu, pourquoi t'en glorifier comme si tu ne l'avais pas reçu (4) ? » Nous ne voulons donc pas qu'une vierge sacrée, lorsqu'on lui dit ou qu'elle lit : « Vous ne tenez de personne vos richesses spirituelles; c'est en ceci que vous méritez d'être louée; c'est en ceci que vous devez être préférée aux autres parce que ces richesses-là ne peuvent être que de vous et en vous : » nous ne voulons pas, disons-nous, qu'elle s'en glorifie comme si elle n'avait pas tout reçu. Qu'elle dise : « Ce que je vous ai voué est en moi, ô mon Dieu ! je l'accomplirai à votre louange (5) ; » mais comme c'est en elle et non point d'elle, qu'elle se souvienne de dire aussi : « Seigneur, c'est votre volonté qui a donné la force à ma vertu (6) : » le bien vient d'elle, sans doute, en ce sens que sans le libre arbitre il n'y a pas de bonne oeuvre possible, mais le bien ne vient pas « que d'elle, » comme il est dit dans ce livre. Si la grâce de Dieu ne vient pas en aide au libre arbitre, il ne peut pas y avoir même une bonne volonté dans l'homme. « Car c'est Dieu, dit l'Apôtre, qui opère en vous le vouloir et le faire, comme il lui plaît (7), » non pas seulement comme les novateurs le soutiennent, en nous apprenant ce que nous avons à faire; mais en nous inspirant aussi la charité, afin que nous fassions avec amour ce qui nous est prescrit.
 
 

1. Luc, XI, 3. — 2. I Thess. V, 17, 18. — 3. Luc, XIX, 10. — 4. I Cor. IV, 7. — 5. Ps. LV, 12. — 6. Ps. XXIX, 8. — 7. Philip. II. 13.
 
 

524
 
 

8. Il savait quel grand bien est la continence, celui qui déclarait que « personne ne peut être continent sans un don de Dieu. » Non-seulement il savait la grandeur de ce bien et combien il est digne de nos désirs, mais il n'ignorait pas aussi qu'il ne peut pas y avoir de continence sans une grâce de Dieu. La Sagesse le lui avait appris; car il dit : « Et cela même était de la sagesse de savoir de qui venait ce don. » Cependant il ne lui a. pas suffi de le savoir : « J'allai au Seigneur, dit-il, et je le priai (1). » Le secours de Dieu ne consiste donc pas uniquement à savoir ce qu'on doit faire, mais encore à faire avec amour ce qui nous est prescrit; et personne. ne peut, sans la grâce de Dieu, ni savoir qui donne la continence ni l'obtenir. Voilà pourquoi le Sage, sans se contenter de savoir d'où part ce don, prie pour l'obtenir : il veut avoir en lui ce qu'il sait ne pas venir de lui; et si, à cause de son libre arbitre, ce bien vient quelque peu de lui-même, il ne vient pas que de lui, parce que nul ne peut être continent sans une grâce de Dieu. L'auteur du livre, au contraire, en parlant des richesses spirituelles, parmi lesquelles la continence brille de tant de beauté, ne dit pas ces richesses peuvent être en vous et de vous, mais : « elles ne peuvent être que de vous et « en vous : » faisant ainsi croire à une vierge du Christ que de même que ces richesses spirituelles ne sont pas autre part qu'en elle, ainsi elles ne peuvent lui venir d'ailleurs que d'elle-même, et la poussant de cette manière (ce dont Dieu la garde !) à s'en glorifier comme si elle ne les avait pas reçues.

9. Et nous qui savons dans quel esprit et quels sentiments d'humilité chrétienne a été nourrie cette vierge sacrée, nous pensons qu'en lisant de telles paroles, si toutefois elle les a lues, elle aura gémi, frappé humblement sa poitrine et peut-être versé dés larmes ; elle aura prié avec confiance le Seigneur à qui elle s'est consacrée et par qui elle a été sanctifiée, lui demandant que de même que ces paroles ne sont pas les siennes mais celles d'un autre, ainsi une foi pareille ne sait jamais sa foi, et que jamais il ne lui arrive de croire qu'elle ait quelque chose dont elle puisse se glorifier en elle-même et non pas dans le Seigneur. Car sa gloire est en elle-même et non point dans les paroles d'autrui, comme dit l'Apôtre . « Que chacun examine donc ses propres actions, et
 
 

1. Sag. VIII, 21.
 
 
 
 

alors seulement il aura de quoi se glorifier en lui-même et non dans un autre (1). » Mais à Dieu ne plaise qu'elle soit elle-même sa propre gloire, et non pas celui à qui le Psalmiste disait : « Vous êtes ma gloire, et c'est vous qui élevez ma tête (2). » Sa gloire est en elle d'une façon profitable à son salut, lorsque Dieu qui est en elle est lui-même sa gloire, ce Dieu dont elle reçoit tous lesbiens par lesquels elle est bonne; elle aura tous les biens par lesquels elle deviendra meilleure, autant qu'elle pourra le devenir en cette vie, et tous ceux par lesquels elle sera parfaite, lorsqu'elle le sera parla grâce divine et non point par des louanges humaines. Car son âme sera louée dans le Seigneur (3) qui aura rassasié de bonheur ses désirs (4); c'est le Seigneur lui-même qui lui aura inspiré jusqu'à ces désirs des biens éternels, dé peur qu'il ne reste à la vierge quelque chose en quoi elle se glorifie comme si elle ne l'avait pas reçu.

10. Nous sommes sûrs de ne pas nous tromper lorsque nous croyons que tels sont les sentiments de votre fille; mais faites que nous en soyons plus sûrs en nous répondant. Nous avons appris que vous étiez restée, avec tous les vôtres, fidèle à la croyance de l'indivisible Trinité. Mais l'erreur humaine ne se glisse pas seulement autour de la vérité des trois personnes divines; il est d'autres points où l'on se trompe très-pernicieusement, comme celui par exemple que nous avons traité dans cette lettre, plus longuement peut-être qu'il n'eût fallu avec une personne d'un piété et d'une foi si pures. Toutefois nier que ce soit de Dieu que viennent les biens qui ne viennent que de lui, c'est faire injure à Dieu et par là même à cette sainte Trinité : qu'un pareil mal soit loin de vous comme nous croyons que vous en êtes bien loin ! A Dieu ne plaise que ce livre, d'où nous avons cru devoir extraire quelques mots d'un sens très-clair, ait rien produit de semblable, nous ne disons pas dans votre coeur ni dans celui de la pieuse vierge votre fille, mais même dans le coeur du moindre serviteur et de la moindre servante de votre maison !

11. Si vous voulez examiner plus attentivement ce que l'auteur semble dire pour la grâce ou le secours de Dieu, vous y trouverez des paroles si ambiguës qu'elles peuvent se rapporter soit à la nature, soit à la connaissance de la loi, soit à la rémission des péchés.
 
 

1. Gal. VI, 4. — 2. Ps. III, 4. — 3. Ibid. XXXIII, 2. — 4. Ps. CII, 5.
 
 

525
 
 

Comme les novateurs sont forcés d'avouer que nous devons prier de peur que nous n'entrions en tentation, ils peuvent entendre que nous sommes secourus en ce sens que nos oraisons et nos instances nous ouvrent l'intelligence de la vérité, et que nous apprenons nos devoirs, sans que notre volonté reçoive des forces pour leur accomplissement. Ils rapportent aussi à la connaissance des prescriptions établies ce qu'ils disent de Notre-Seigneur Jésus-Christ comme modèle d'une bonne vie dans la grâce et le secours de Dieu; ils y trouvent un exemple qui nous apprend à bien vivre; mais ils ne veulent pas y voir un secours pour que nous fassions avec amour ce qui nous a été prescrit.

12. Trouvez dans ce livre, si vous le pouvez, quelque chose où, en dehors de la nature et de ce qui lui appartient par le libre arbitre, en dehors de la rémission des péchés et de la révélation de la doctrine, l'auteur reconnaisse un secours de Dieu comme le reconnaît celui qui a dit : « Et quand je vois que personne ne peut avoir la continence si Dieu ne la lui donne, et que cela même était de la sagesse de savoir d'où venait ce don, j'allai au Seigneur et je le priai (1). » Ce Sage, en priant, ne voulait l;as recevoir la nature dans laquelle il avait été créé; il ne s'occupait pas du libre arbitre avec lequel il était né; il ne demandait pas la rémission des péchés puisqu'il demandait la continence de peur de pécher; il ne désirait pas connaître ce qu'il devait faire puisqu'il avouait qu'il savait d'où vient le don. de la continence ; mais il voulait recevoir de l'Esprit de sagesse assez de force de volonté et assez d'amour pour accomplir toute la grandeur de cette vertu. Si donc vous trouvez dans ce livre quelque chose de semblable , daignez nous l'apprendre, et nous aurons beaucoup de grâces à vous rendre.

13. Car nous né salarions assez dire combien nous désirons trouver une franche déclaration de la grâce de Dieu dans les écrits de ces hommes qui se font lire par leur vivacité et leur éloquence; nous souhaitons ardemment y découvrir des passages qui reconnaissent clairement cette grâce que saint Paul prêche avec tant de force ; car l'Apôtre nous dit même que la foi nous est donnée selon la mesure qu'il plaît à Dieu (2), la foi sans laquelle il est impossible de lui plaire (3), la foi dont le juste
 
 

1. Sag. VIII, 21. — 2. Rom. XII, 3. — 3. Héb. XI, 6.
 
 

vit (1), qui opère par amour (2), avant laquelle et sans laquelle il n'y a pas de bonnes oeuvres, parce que, dit l'Apôtre, « tout ce qui ne vient pas de la foi est péché (3). » Nous voudrions que ces hommes reconnussent que nous ne sommes pas seulement aidés d'en-haut, pour bien vivre, par la révélation de la science qui enfle sans la charité (4), mais encore par l'inspiration de la charité elle-même, qui est la plénitude de la loi (5), et qui édifie notre coeur pour que la science ne l'enfle point. Jusqu'ici nous n'avons pu trouver rien de pareil dans leurs écrits.

14. Nous voudrions surtout que ces sentiments de foi se rencontrassent dans le livre d'où nous avons extrait un passage où l'auteur, en louant la vierge du Christ comme ne tenant de personne ses richesses spirituelles qu'il prétend ne venir que d'elle-même, ne veut pas qu'elle se glorifie dans le Seigneur, mais qu'elle se glorifie comme si elle n'avait rien reçu. L'auteur de ce livre, sans. y mettre ni son nom ni le nom de votre Révérence, déclare cependant qu'il écrit à Démétrias sur la demande de sa mère. Mais le même Pélage, dans une de ses lettres où il se nomme ouvertement et prononce aussi le nom de cette vierge sacrée, dit qu'il lui a écrit, et s'efforce de prouver, par son ouvrage même, qu'il reconnaît très-clairement la grâce de Dieu qu'on lui reproche de taire ou de nier. Mais est-ce le même livre où se rencontrent les paroles sur les richesses spirituelles, et ce livre est-il parvenu à votre sainteté? C'est ce que nous vous prions de vouloir bien nous apprendre.
 
 
 
 

1. Rom. I, 17. — 2. Galat. V, 6. — 3. Rom. XIV, 23. — 4. I Cor. VIII, 1. — 5. Rom. XIII,10.

LETTRE CLXXXIX. (Année 418.)
 

Cette lettre au comte Boniface, écrite fort à la hâte parce que le porteur pressait l'évêque d'Hippone, renferme d'éloquentes et belles exhortations dont peuvent profiter les gens de guerre.
 
 

AUGUSTIN A SON EXCELLENT SEIGNEUR, A SON ILLUSTRE ET HONORABLE FILS BONIFACE, SALUT DANS LE SEIGNEUR.
 

4. J'avais déjà répondu à votre Charité, et comme je cherchais une occasion pour vous faire parvenir ma lettre, Fauste, mon bien-aimé fils, est venu ici, s'en allant vers votre (526) Excellence. Je la lui avais remise, lorsqu'il m'a exprimé votre désir de recevoir de moi quelque chose qui vous édifiât pour votre salut éternel que vous espérez dans Notre-Seigneur Jésus-Christ. Malgré le poids de mes occupations, il m'a demandé de le faire sans retard, et a mis dans ses instances toute l'affection que vous savez qu'il à pour vous. Ayant à faire à yin homme aussi pressé, j'ai mieux aimé écrire quelque chose à la hâte que de vous laisser longtemps dans votre religieux désir, ô mon excellent seigneur, illustre et honorable fils !

2. Je vous dirai donc en peu de mots « Aimez le Seigneur votre Dieu de tout votre  coeur, de toute votre âme, de toute votre force; et aimez le prochain comme vous-même : » car c'est la parole que le Seigneur a abrégée sur la terre en disant dans l'Evangile : « Toute la loi et les prophètes sont dans ces deux commandements (1). » Avancez chaque jour dans cet amour par la prière et les bonnes oeuvres, afin qu'à l'aide même de ce Dieu qui vous le prescrit et vous en fait don, cet amour s'entretienne et croisse jusqu'à ce que devenu parfait il vous rende parfait. Car c'est la charité, cette charité qui, selon l'Apôtre, s'est « répandue dans nos coeurs par le « Saint-Esprit qui nous a été donné (2); » c'est d'elle que l'Apôtre dit aussi « qu'elle est la plénitude de la loi (3); » c'est par elle que la foi opère; c'est pourquoi le même dit encore : « Ce n'est pas la circoncision qui fait quelque chose, ni l'incirconcision, c'est la foi qui opère par l'amour (4). »

3. C'est donc en elle que tous nos saints pères, les patriarches, les prophètes et les apôtres ont été agréables à Dieu; c'est en elle que tous les véritables martyrs ont combattu contre le démon jusqu'à répandre leur sang ; et parce qu'elle n'a ni langui ni péri dans leurs âmes, ils ont vaincu. C'est en elle que tous les fidèles avancent chaque jour, désireux d'arriver, non point au royaume des mortels, mais au royaume des cieux; non point à un héritage temporel, mais à un héritage éternel; non point à l'or et à l'argent, mais aux richesses incorruptibles des anges; non pas à quelques biens de ce monde avec lesquels on vit en tremblant et qu'on n'emporte pas avec soi quand on meurt, mais à voir Dieu, dont
 
 

1. Matth. XXII, 37, 39, 40. — 2. Rom. V, 5. — 3. Ibid. XIII, 10. — 4. Gal. V, 6.
 
 

l'ineffable douceur surpasse toute beauté de la terre, toute beauté des cieux, toute beauté des âmes les plus justes et les plus saintes, toute beauté des anges et des Vertus : elle est au-dessus de toute parole et de toute pensée. Ne perdons pas l'espoir d'arriver à cette grande promesse parce qu'elle est bien grande, mais plutôt espérons que nous y atteindrons, parce que celui qui a promis est très-grand; « nous sommes les enfants de Dieu, dit le bienheureux apôtre Jean, et ce que nous serons ne nous est point encore apparu; nous savons que quand il viendra dans sa gloire, nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu'il est (1). »

4. Gardez-vous de croire qu'on ne puisse plaire à Dieu dans la profession des armes, David était un guerrier, lui à qui le Seigneur a rendu un si grand témoignage; beaucoup de justes de ce temps-là furent aussi des hommes de guerre, Il en était un, ce centurion qui dit au Seigneur : « Je ne suis pas digne que vous entriez dans ma maison; mais dites seulement une parole, et mon serviteur sera guéri. Tout soumis que je sois à l'autorité d'un autre, j'ai sous moi des soldats; je dis à celui-ci: « Va, et il va : et à un autre : Viens, et il vient; et à mon serviteur : Fais cela, et il le fait. » Et le Seigneur dit de ce centurion : « Je vous le dis en vérité, je n'ai pas trouvé une si grande foi dans Israël (2): » C'était un homme de guerre que ce Corneille, à qui l'ange adressa ces paroles : « Corneille, tes aumônes ont été agréées, et tes prières ont été exaucées; » l'ange lui dit alors d'envoyer chercher le bienheureux apôtre Pierre pour apprendre de lui ce qu'il avait à faire; et Corneille envoya aussi auprès de Pierre un soldat qui craignait Dieu (3). C'étaient des gens de guerre ceux qui, voulant se faire baptiser, allaient auprès de Jean, le saint précurseur du Seigneur et l'ami de l'Epoux, lui dont le Seigneur a dit que « parmi les enfants des femmes il n'y en a pas eu de plus grand (4); » ils lui demandèrent ce qu'ils devaient faire, et Jean leur répondit : « N'usez de violence ni de fraude contre personne; contentez-vous de votre paie (5). » Il ne leur défendit pas de porter les armes, puisqu'il leur prescrivit de se contenter de leur paie.

5. Il est vrai que ceux-là sont plus élevés au
 
 

1. I Jean, III, 2. — 2. Matth. VII, 8-10. — 3. Act. X, 48. — 4. Matth. XI, 11. — 5. Luc, III, 14.
 
 

527
 
 

près de Dieu,qui,ayant renoncé à toutes ces fonctions du siècle, servent Dieu dans une parfaite continence. Mais, comme dit l'Apôtre : « Chacun a un don de Dieu qui lui est propre, l'un d'une manière, l'autre d'une autre (1). » Il en est donc qui, en priant pour vous, combattent contre d'invisibles ennemis; vous, en combattant pour eux, vous travaillez contre les barbares trop visibles. Plût à Dieu que la foi fût la même en tous ! On se donnerait moins de peine, et le diable avec ses anges serait plus aisément vaincu. Mais parce qu'en ce monde il est nécessaire que les citoyens du royaume des cieux soient soumis à de pénibles tentations au milieu des errants et des impies pour y être exercés et éprouvés comme l'or dans la fournaise (2), nous ne devons pas vouloir avant le temps vivre uniquement avec les saints et les justes, afin que nous le méritions en son temps.

6. Lors donc que vous vous armez pour le combat, songez d'abord que votre force corporelle est aussi un don de Dieu,; cette pensée vous empêchera de tourner le don de Dieu contre Dieu lui-même. Car si la foi promise doit être gardée à l'ennemi même à qui on fait la guerre , combien plus encore elle doit l'être à l'ami pour lequel on combat ! On doit vouloir la paix et ne faire la guerre que par nécessité, pour que Dieu vous délivre de la nécessité de tirer l'épée et vous conserve dans la paix. On ne cherche pas la paix pour exciter la guerre, mais on fait la guerre pour obtenir la paix. Restez donc ami de la paix, même en combattant, afin que la victoire vous serve à ramener l'ennemi aux avantages de la paix. « Bienheureux les pacifiques, dit le Seigneur, parce qu'ils seront appelés enfants de Dieu (3). » Si la paix de ce monde est si douce pour le salut temporel des mortels, combien est plus douce encore la paix de Dieu pour le salut éternel des anges ! Que ce soit donc la nécessite et non pas la volonté qui ôte la vie à l'ennemi dans les combats. De même qu'on répond par la violence à la rébellion et à la résistance, ainsi on doit la miséricorde au vaincu et au captif s, surtout quand les intérêts de la paix ne sauraient en être compromis.

7. Que la pudeur conjugale soit l'ornement de vos moeurs, que la sobriété et la frugalité le soient aussi. Lorsqu'on ne s'est pas laissé vaincre
 
 

1. I Cor. VII, 7. — 2. Sag. III, 6. — 3. Matth. V, 9. — 4. Il y a loin de là au vae victis des païens.
 
 

par l'homme, il est honteux de se laisser vaincre par la- débauche ; il est honteux qua celui qui n'a pas succombé sous le fer succombe sous le vin. Si on ne possède point les richesses du siècle, qu'on ne les cherche point dans le monde par des actions mauvaises; si on les possède, qu'on les mette en dépôt dans le ciel par les bonnes oeuvres. Quand les richesses arrivent, elles ne doivent pas enfler un coeur d'homme, un coeur de chrétien; elles ne doivent pas le briser si elles s'en, vont. Songeons plutôt à ce qu'a dit le Seigneur : « Où est ton trésor, là sera ton coeur  (1) ! » En effet, lorsque,. dans l'assemblée des fidèles, nous entendons qu'il faut tenir « les coeurs en haut , » la réponse que nous faisons et que vous savez ne doit pas être un mensonge.

8. Je connais votre pieuse application à toutes ces choses; je prends plaisir à votre bonne renommée, et je vous en félicite beaucoup dans le Seigneur; aussi ma lettre est plutôt un miroir où vous pouvez vous voir tel que vous êtes qu'une leçon où vous ayez à apprendre vos devoirs. Toutefois, si cette lettre ou les livres saints vous faisaient apercevoir qu'il manquât encore quelque chose à votre vie, travaillez à l'acquérir par la prière et les bonnes oeuvres. Rendez grâces à Dieu de ce que vous avez , parce qu'il est la source de tout bien; et dans tout ce que vous ferez de bon, donnez-lui la gloire, gardez pour vous l'humilité. Il est écrit : « Toute grâce excellente , tout don parfait vient d'en-haut et descend du Père des lumières (2). » Quelques progrès que vous ayez faits dans l'amour de Dieu et du prochain, et dans la vraie piété, tant que vous serez en cette vie, gardez-vous de croire que vous soyiez sans péché. « La vie humaine sur la terre n'est-elle pas une tentation? » nous disent les Saintes Lettres (3). Tant que vous êtes dans ce corps, il est nécessaire que vous disiez ce que le Seigneur vous a enseigné lui-même : « Pardonnez-nous nos offenses, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés (4); » vous vous souviendrez donc de pardonner si quelqu'un, vous ayant offensé, vous demande pardon, afin que vous puissiez prier en toute vérité et obtenir la rémission de vos péchés.

Voilà ce que j'écris en toute hâte à votre Charité, parce que le porteur me presse. Mais je rends grâces à Dieu de n'avoir pas manqué
 
 

1. Matth. VI, 21. — 2. Jacq. I, 17. — 3. Job, VII, 1. — 4. Matth. VI, 12.
 
 

528
 
 

à votre désir de quelque façon que ce soit. Que la miséricorde de Dieu vous protège toujours, ô mon excellent seigneur, illustre et honorable fils !

LETTRE CXC. (Année 418.)
 

L'évêque Optat dont il s'agit ici et qu'il ne faut pas confondre avec Optat (de Milève), avait écrit un livre sur l'origine de l'âme ; il désirait savoir l'opinion de saint Augustin sur cette question. L'évêque d'Hippone l'avertit de ce à quoi il faut prendre garde et semble craindre qu'Optat ne se laisse entraîner peut-être vers l'erreur pélagienne. Il tient avant tout à établir et à sauvegarder la doctrine du péché originel.
 
 

AUGUSTIN A SON BIENHEUREUX SEIGNEUR , A SON CHER FRÈRE ET COLLÈGUE OPTAT1 SALUT DANS LE SEIGNEUR.
 

1. Je n'ai reçu de votre sainteté aucune lettre particulière ; mais j'étais à Césarée (1) , où nous avaient conduits les ordres du vénérable pape Zozime pour une affaire ecclésiastique, lorsqu' y est arrivée la lettre que vous avez adressée à nos collègues de la Mauritanie Césarienne (2) ; c'est ainsi que j'ai lu ce que vous avez écrit. Votre lettre m'a été remise par le saint serviteur de Dieu, Réné, notre cher frère en Jésus-Christ; quoique je sois extrêmement occupé, il a voulu que je vous répondisse. Un autre de nos saints frères qui mérite d'être nommé avec honneur, et qui, d'après ce qu'il m'a dit, est votre parent, Muresse (3), est aussi arrivé pendant que nous étions dans la même ville. Il m'a raconté que votre Révérence lui avait écrit sur le même sujet; il m'a consulté et m'a prié de vous faire savoir, par lui ou par moi-même, ce que je pensé sur la question suivante : Les âmes naissent-elles comme les corps, par voie de propagation, et proviennent-elles de. l'âme du premier homme; ou bien le Créateur tout-puissant, qui agit sans cesse, crée-t-il immédiatement de nouvelles âmes pour tout homme venant au monde ?

2. Avant tout, je veux que vous sachiez que, dans mes ouvrages en si grand nombre, je n'ai jamais osé me prononcer sur cette question, ni enseigner impudemment aux autres ce qui pour moi restait encore inexpliqué. Il serait
 
 

1. Aujourd'hui Cherchell. — 2. L'ancienne Mauritanie césarienne est représentée par notre province d'Alger. — 3. Ce nom, évidemment défiguré, est écrit de diverses manières dans les anciens manuscrits des Lettres de saint Augustin. Il en est ainsi de beaucoup d'autres noms propres que nous rencontrons dans ce travail.
 
 

trop long de vous dire dans une lettre les raisons qui m'empêchent de prendre un parti et qui me tiennent indécis entre l'une et l'autre opinion. Il n'est pas besoin, d'ailleurs, d'aller au fond de ces motifs pour examiner la question elle-même et se mettre en mesure, non pas d'écarter le doute, mais d'éviter toute témérité.

3. La foi chrétienne est surtout dans ces paroles : « C'est par un homme que la mort est venue, c'est par un homme que vient la résurrection : de même que tous meurent en Adam, ainsi tous seront vivifiés dans le Christ (1).» « Comme le péché est entré dans le monde par un seul homme et la mort par le péché, ainsi la mort a passé à tous les hommes par ce seul homme en qui tous ont péché.» « Nous avons été condamnés par le jugement de Dieu pour un seul péché, au lieu que nous sommes justifiés par la grâce après plusieurs péchés.» Et encore: « Tous les hommes sont tombés dans la condamnation par le péché d'un seul, et, par la justice d'un seul, tous les hommes reçoivent la justification qui donne la vie (2). » Ces paroles et d'autres peut-être déclarent que personne ne naît d'Adam sans être lié par le péché et la condamnation, et que personne n'est délivré qu'en renaissant par le Christ. C'est à quoi nous devons rester fortement attachés, et nous devons croire que celui qui le nie n'appartient en aucune manière ni à la foi du Christ ni à cette grâce de Dieu qui est donnée par le Christ aux petits et aux grands. Ainsi, on peut sans danger ignorer l'origine de l'âme, pourvu que l'on connaisse la rédemption ce n'est pas pour naître que nous croyons en Jésus-Christ, c'est pour renaître, de quelque manière que nous soyons nés.

4. Nous disons qu'on peut sans danger ignorer l'origine de l'âme ; il ne faut pas croire pourtant qu'elle soit une portion de Dieu: c'est une créature. Elle n'est pas née de Dieu, mais faite par lui, pour être adoptée par un miracle de bonté et de grâce, et non point par égale dignité de nature. Nous disons que l'âme n'est pas un corps, mais un esprit, qu'elle n'est pas un esprit créateur, mais créé. Elle n'est pas venue en ce corps corruptible qui l'appesantit, en expiation de fautes qu'elle aurait commises dans une vie précédente, dans je ne sais quelles parties du ciel ou du inonde; car l'Apôtre, lorsqu'il parle des deux enfants jumeaux de Rébecca, dit qu'avant de naître ils n'avaient
 
 

1. I Cor. XV, 21, 22. — 2. Rom. V, 12, 16, 18.
 
 
 
 
 
 

fait ni bien ni mal, afin que l'on sût que la subordination de l'aîné au plus jeune venait d'une vocation et non pas d'oeuvres antérieures (1).

5. Ceci étant fortement établi, si l'origine de l'âme est cachée dans les profondeurs obscures des œuvres de Dieu au point que nous ne trouvions rien dans les saintes Ecritures qui nous explique pourquoi ceux qui ne sont pas encore nés n'ont fait ni bien ni mal, si c'est parce que chacun d'eux reçoit une âme créée de rien et non point formée par voie de propagation, ou parce que, tout en étant originairement dans les parents, ils ne vivaient pas encore d'une oie qui leur fût propre, toujours est-il que nous devons croire d'une foi inébranlable que nul homme, n'importe son âge, ne saurait être délivré de la contagion originelle de l'ancienne mort et des chaînes du péché contracté par la première naissance, que par le Médiateur unique entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ homme (2).

6. C'est par la foi en cet homme-Dieu qu'ont été sauvés les anciens justes eux-mêmes: longtemps avant qu'il vînt sous le voile d'une chair mortelle, ils ont cru qu'il viendrait. Leur foi et la nôtre, c'est une même foi; ce qu'ils ont cru comme devant être, nous le croyons comme fait. De là ces paroles de l'Apôtre : « Nous avons le même Esprit de foi selon ce qui est écrit : j’ai cru, c'est pourquoi j'ai parlé; nous croyons aussi, c'est pourquoi nous parlons (3). » Si donc l'Esprit de la foi est le même et pour ceux qui ont prophétisé le futur avènement du Christ et pour ceux qui l'ont prêché comme un événement accompli, les sacrements ont pu être différents à cause de la différence des temps, mais cependant ils concourent à l'unité de la même foi. Il est écrit dans les Actes des Apôtres (c'est l'apôtre Pierre qui parle) : « Maintenant pourquoi tentez-vous Dieu en imposant aux disciples un joug que ni nos pères ni nous n'avons pu porter? Mais nous croyons que c'est par la grâce du Seigneur Jésus que nous sommes sauvés, comme eux aussi (4). » Si donc eux aussi, c'est-à-dire les pères, ne pouvant porter le joug de l'ancienne loi, ont cru qu'ils étaient sauvés par la grâce du Seigneur Jésus, il est manifeste que cette grâce a fait vivre de la foi les anciens justes eux-mêmes : car le juste vit de la foi (5).
 
 

1. Rom. IX, 11-13. — 2. Tim. II, 5. — 3. II Cor. IV, 13. — 4. Act. XV, 10, 11. — 5. Habac. II, 4.
 
 

7. Mais la loi est venue pour que le péché abondât, pour que surabondât la grâce par laquelle serait guérie l'abondance du péché (1). Car si la loi qui a été donnée avait pu vivifier, la justice viendrait de la loi (2). Quel a donc été le bienfait de la loi? C'est ce que l'Apôtre nous apprend par ces mots : « L'écriture a tout renfermé dans le péché, afin que la promesse fût donnée par la foi en Jésus-Christ à ceux qui croiraient (3). » Ainsi la loi devait être donnée pour mieux montrer l'homme à lui-même, de peur que l'esprit humain, dans son orgueil, ne pensât qu'il pouvait être juste de son propre fonds, et que, ignorant la justice de Dieu, c'est-à-dire celle qui est à l'homme par Dieu même, et voulant établir la sienne propre, c'est-à-dire voulant faire croire à une justice produite par ses propres forces, il ne se soumit pas à la justice de Dieu (4). Il fallait donc que cette prescription divine : « Tu ne convoiteras pas (5), » si elle était violée, mît l'orgueil du pécheur sous le coup du crime de prévarication, et que l'homme, convaincu d'une infirmité que la loi était impuissante à guérir, cherchât le remède de la grâce.

8. Ainsi donc tous les justes, c'est-à-dire les véritables adorateurs de Dieu, avant l'incarnation du Christ ou depuis, n'ont vécu et ne vivent que de la foi en l'incarnation du Sauveur, en qui est la plénitude de la grâce; et ces paroles « qu'il n'y a pas d'autre nom que le sien, dans lequel il nous faille être sauvé (6), » ont pu s'accomplir, pour le salut du genre humain, depuis que le genre humain a été corrompu par le péché d'Adam. « Car de même que tous meurent en Adam, ainsi tous seront vivifiés en Jésus-Christ. » Comme personne n'est dans le royaume de la mort que par Adam, ainsi personne n'est dans le royaume de la vie sans le Christ. C'est par Adam que tous sont pécheurs; il n'y a de justes que par le Christ. Comme c'est par Adam que tous ceux qui sont mortels en punition de la faute originelle, deviennent enfants du siècle, ainsi c'est par le Christ que tous les immortels deviennent par la grâce enfants de Dieu.

9. Pourquoi Dieu crée-t-il ceux qu'il sait d'avance appartenir à la condamnation et non pas à la grâce? Le bienheureux Apôtre répond à cette question avec d'autant plus de brièveté qu'il a plus d'autorité. Il dit que Dieu, voulant
 
 

1. Rom. V, 20. — 2. Gal. III, 21. — 3. Ibid. 22. — 4. Rom. X, 3. — 5. Exod. XX, 17. — 6. Act, IV, 12.
 
 

530
 
 

« montrer sa colère et faire éclater sa puissance, a supporté avec grande patience les vases de colère formés pour la perdition afin de faire paraître les richesses de sa gloire sur les vases de miséricorde. » L'Apôtre avait dit plus haut que Dieu est comme un potier qui « de la même masse tire un vase d'honneur et un vase d'ignominie (1). » Il semblerait qu'il y eût de l'injustice dans la formation des vases de colère pour la perdition, si toute cette masse d'Adam n'était condamnée Si donc ils naissent vases de colère, c'est u châtiment mérité ; et s'ils renaissent vases de miséricorde , c'est une grâce pleinement gratuite.

10. Dieu montre donc sa colère; ce n'est point un trouble d'esprit comme celui qui accompagne la colère de l'homme; c'est une punition juste et invariablement résolue, parce que le péché et la peine proviennent d'une racine de désobéissance. Il est écrit dans le livre de Job : « L'homme né de la femme a une vie courte et il est plein de colère (2). » Il est un vase de colère, parce qu'il en est plein; telle est l'origine des vases de colère. Dieu montre aussi sa puissance, par laquelle il fait un bon usage des méchants; même il leur donne en abondance les biens naturels et temporels, et se sert de leur malice pour éprouver et instruire les bons; il apprend à ceux-ci à rendre grâces à Dieu d'avoir été tirés, non par leurs mérites, mais par la miséricorde de Dieu, de la masse condamnée, où leur état était le même que celui des autres. Cette miséricorde apparaît surtout dans les petits enfants; lorsqu'ils renaissent par la grâce du Christ, et que, sortant de la vie à ce premier âge, ils passent à une heureuse éternité, on ne peut pas dire que ce soit à cause de leur libre arbitre que Dieu les sépare des autres enfants qui meurent sans cette grâce dans la masse réprouvée.

11. Si ceux-là seuls naissaient d'Adam qui doivent renaître par la grâce , et s'il n'en naissait pas d'autres que ceux qui sont adoptés comme enfants de Dieu, on ne verrait pas le bienfait accordé à des indignes, car alors aucun de ces rejetons d'une racine condamnée ne subirait une peine méritée. Mais comme Dieu supporte avec beaucoup de patience les vases de colère, formés pour la perdition, non-seulement il montre sa colère et laisse éclater
 
 

1. Nom. IX, 22, 21. — 2. Job, XIV, I, selon les Septante.
 
 
 
 

sa puissance en punissant, en faisant un bon usage de ceux qui ne sont pas bons; mais même il fait voir les richesses de sa gloire sur les vases de miséricorde. Celui qui a été justifié reconnaît alors qu'il l'a été gratuitement et qu'il a été discerné, non pas à cause de son propre mérite, mais par un pur effet de la grande miséricorde de Dieu , lorsqu'il se compare au damné dont le malheur aurait pu très-justement devenir le sien.

12. Dieu a voulu la naissance de tant d'hommes qu'il savait d'avance ne pas appartenir à sa grâce, pour qu'ils fussent incomparablement plus nombreux que les enfants de la promesse qu'il a daignés prédestiner à la gloire de son royaume; cette multitude de réprouvés devait montrer que le nombre des damnés, quel qu'il soit, lorsqu'ils le son! justement, ne fait rien à là justice de Dieu, Par là aussi, ceux qui sont délivrés de cette damnation comprennent que tous ont mérité ce qui en frappe une grande partie, non-seulement parmi ceux qui ajoutent volontaire ment beaucoup d'actions mauvaises au péché originel, mais même parmi les enfants qui, coupables seulement de la faute du premier homme, sont enlevés à la terre sans la grâce du Médiateur. Toute cette masse aurait subi la peine d'une juste condamnation, si le potier, à la foi juste et miséricordieux, n'en avait tiré des vases d'honneur selon la grâce, non selon ce qu'il leur devait : car il vient au secours des enfants dont on ne peut pas dire qu'ils aient des mérites, et prévient ceux qui ne sont plus enfants, afin qu'ils puissent accomplir des oeuvres méritoires.

13. Cela étant, si votre sentiment ne va pas jusqu'à supposer que des âmes nouvelles ne puissent pas, à cause de l'innocence de leur création récente, être soumises à la condamnation originelle jusqu'à ce qu'elles fassent un libre usage de leur volonté pour pécher; mais si, vous tenant à la foi catholique, vous reconnaissez que, sorties de ce monde au premier âge, elles iraient à la perdition, à moins qu'elles ne fussent délivrées par le sacrement du Médiateur , qui est venu chercher et sauver ce qui était perdu (1) : cherchez où , d'où et quand ces âmes, si elles sont nouvelles, auront commencé à mériter la damnation, et gardez vous de faire de Dieu, ou de quelque nature non créée par lui, l'auteur de leur péché et de
 
 

1. Luc. XIX, 10.
 
 

la condamnation de leur innocence. Et si vous trouvez ce que je vous invite à chercher, ce que j'avoue n'avoir pas encore trouvé moi-même, alors soutenez, autant que vous le pourrez, et maintenez que les âmes des enfants qui naissent sont des âmes nouvelles qui ne viennent point par voie de propagation ; communiquez-nous avec un fraternel amour ce que vous aurez découvert.

14. Mais si, dans l'opinion qu'elles ne proviennent point de l'âme coupable du premier homme et qu'elles sont enfermées, nouvelles et innocentes, dans la chair du péché, vous ne découvrez pourquoi ni comment les âmes des enfants deviennent pécheresses, et participent à la condamnation d'Adam sans porter en elles-mêmes rien de mauvais ; ne passez pas légèrement à une autre opinion et ne croyez pas qu'elles tirent leur origine de la première âme humaine. Car un autre trouvera peut-être ce qui maintenant échappe aux recherches de votre esprit, et peut-être même trouverez-vous un jour ce qu'aujourd'hui vous cherchez en vain. Ceux qui soutiennent que les âmes proviennent, par voie de propagation, de l'âme que Dieu donna au premier homme, s'attachent au sentiment de Tertullien, iront jusqu'à prétendre que les âmes ne sont pas des esprits mais des corps, et qu'elles naissent des corps : quoi de plus mauvais qu'une opinion pareille ! Il n'est pas étonnant que Tertullien ait rêvé cela, lui qui croit que le Dieu créateur lui-même n'est rien autre qu'un corps (1).

15. Une fois cette démence écartée du coeur et de la bouche d'un chrétien, quiconque reconnaît, comme il est vrai, que l'âme n'est pas un corps mais un esprit, et que cependant elle passe des pères dans les enfants , ne rencontre aucune difficulté dans cette vérité de la foi catholique, que toutes les âmes, même celles des enfants que l'Eglise baptise pour les laver réellement de leurs péchés, sont coupables de la faute originelle commise par la volonté du premier homme, transmise par la génération à toute sa postérité et ineffaçable autrement que par la régénération. Mais lorsqu'on essayera d'aller au fond de cette.
 
 

1. Tertullien a parlé de l'âme dans son Traité de l’âme et dans son Traité contre Praxéas. Il a eu des commentateurs qui ont voulu le laver du reproche que lui adresse saint Augustin et que d'autres défenseurs de la vérité religieuse lui ont adressé. On justifie Tertullien en disant qu'il s'est servi du mot corps dans le sens de substance. Il est difficile d'admettre qu'un aussi pénétrant génie que l'évêque d'Hippone ait été trompé par les obscurités du style de Tertullien.
 
 

opinion, ce sera une merveille qu'une intelligence d'homme comprenne comment une âme est formée par celle du père, ainsi qu'un flambeau s'allume à un autre flambeau sans que celui qui communique la lumière perde rien de la sienne. Au moment de l'acte de la génération, y a-t-il une voie secrète et invisible par où le germe incorporel d'une âme passe du père dans la mère? et, ce qui est plus incroyable, ce germe incorporel de l'âme est-il caché dans le germe du corps? Quand la matière séminale coule inutilement, que devient le germe de l'âme? ne sort-il pas en même temps que le reste? rentre-t-il aussitôt dans ce qui est son principe? ou bien périt-il? et s'il périt, comment d'un germé mortel peut-il sortir une âme immortelle? L'âme ne recevrait-elle l'immortalité que lorsqu'elle est formée pour vivre, comme elle ne reçoit la justice que lorsqu'elle est formée pour comprendre? Et de quelle manière Dieu crée-t-il l'âme dans l'homme, si une âme tire son origine d'une autre? En serait-il de l'âme comme du corps qui est l'oeuvre de Dieu, quoique le corps soit produit par un autre corps par voie

de propagation ? Si la créature spirituelle n'était point l'oeuvre de Dieu, l'Ecriture ne dirait pas que « Dieu forme l'esprit de l'homme en lui-même (1), » et « qu'il forme les coeurs des hommes chacun en particulier (2). » Si les coeurs signifient les âmes, qui peut douter que ce soit Dieu qui les forme? Mais nous cherchons à savoir si toutes les âmes proviennent de celle d'Adam, de même que c'est du corps du premier homme que Dieu crée le corps de tous ceux qui naissent.

16. Quand on vient à se poser ces difficultés que les sens ne peuvent aider à résoudre et pour lesquelles. l'expérience n'a aucune lumière, parce que ce sont des choses cachées dans les plus secrètes profondeurs de la nature, il n'y a pas de honte pour l'homme à avouer son ignorance : lorsqu'on dit faussement que l'on sait, on s'expose à mériter de ne savoir jamais. A moins de contredire ouvertement les paroles de Dieu, qui peut nier que Dieu soit, non-seulement le créateur de l'âme du premier homme mais même de toutes les âmes? Car il dit par le Prophète sans aucune ambiguïté : « C'est moi qui ai fait tout souffle (3); » et par là l'Ecriture entend les âmes, pomme la suite du passage le fait voir.
 
 

1. Zach, XII, 1. — 2. Ps. XXXII, 15. — 3. Is. LVII, 16.
 
 

532
 
 

Dieu n'a donc pas seulement répandu son souffle sur le premier homme fait de la terre, mais tout souffle a été, est encore son oeuvre. Mais on demande s'il crée tout souffle du premier souffle comme tout corps du premier corps; ou si, faisant des corps nouveaux avec celui du premier homme, il fait de nouvelles âmes de rien. Car qui produira avec des semences, chaque chose selon son espèce, si ce n'est celui qui a créé ces semences, même sans semences? Mais du moment qu'une chose naturellement obscure passe notre mesure et qu'un passage clair des divines Ecritures ne nous aide pas à la comprendre, le jugement humain ne pourrait rien affirmer sans présomption et témérité. Quoi qu'il en soit, lorsque nous disons que de nouveaux hommes naissent soit par l'âme, soit par le corps, c'est selon la vie propre que chacun d'eux commence à mener. Car l'homme naît vieil homme sous le coup du péché originel; c'est pourquoi le baptême le renouvelle.

17. Je n'ai donc rien trouvé encore de certain sur l'origine de l'âme dans les Ecritures canoniques. Ceux qui soutiennent que de nouvelles âmes sont créées en dehors de la voie de la propagation, invoquent entre autres témoignages les deux passages que j'ai cités plus haut : « Celui qui forme l'esprit de l'homme en lui-même, » et « Celui qui a formé les coeurs des hommes chacun en particulier. » Vous voyez ce que pourraient ici répondre ceux qui sont d'un avis contraire; ils demanderaient si c'est d'une autre âme ou si c'est de rien que Dieu forme les nouvelles âmes. Le principal témoignage sur lequel s'appuie cette opinion est tiré de l'Ecclésiaste de Salomon : « La poussière retournera à la terre d'où elle est sortie, et l'esprit retournera à Dieu qui l'a donné (1). » Mais il est aisé de répondre que ce corps retourne à la terre d'où a été tiré celui du premier homme et que l'esprit retourne à Dieu qui a fait l'âme du premier homme. De même que notre corps, disent les partisans de la propagation des âmes, quoique issu du corps du premier homme retourne là d'où ce premier corps est sorti; ainsi notre âme, quoiqu'elle provienne de celle d'Adam, au lieu de tomber dans le néant puisqu'elle est immortelle, retourne à celui par qui la première âme a été créée. Ce passage de l'Ecriture sur
 
 

1. Ecclés. XII, 7.
 
 

l'esprit de l'homme qui retourne à Dieu qui l'a donné, ne résout donc pas l'obscure question : que l'esprit vienne de celui du premier homme ou de nul autre, c'est toujours Dieu qui le donne.

18. A leur tour, les partisans téméraires de la propagation des âmes ne peuvent avoir rien de plus concluant à nous citer que ce passage de la Genèse : « Toutes les âmes qui vinrent  avec Jacob en Egypte et qui étaient sorties de lui (1). » On peut voir dans ces paroles la preuve évidente que les âmes passent des pères dans les enfants, et que non-seulement les corps mais les âmes étaient sorties de Jacob. Ils veulent aussi que la partie soit prise pour le tout dans ces paroles d'Adam, quand sa femme lui fut montrée : « Voilà maintenant l'os de mes os et la chair de ma chair (2): » Adam ne dit pas : l'âme de mon âme, mais il peut se faire qu'en nommant la chair, le premier homme ait voulu nommer le corps et l'âme, comme, dans le passage cité plus haut, il n'est question que « des âmes, » quoique l'Ecriture ait voulu aussi parler des corps.

19. Mais ce témoignage qui leur paraît si manifeste et si positif ne suffirait pas pour résoudre la question, lors même qu'on suppose. rait les mots au féminin et qu'on lirait : Quae exierunt de femoribus ejus, ce qui devrait faire entendre que les âmes sortirent de Jacob. Cela ne suffirait pas, parce que sous le nom d'âme on peut désigner 'ici le corps seule. ment, d'après une forme de locution qui désigne le contenant par le nom du contenu, Ainsi il est dit dans Virgile qu'ils « couronnent « les vins (3), » pour signifier que les coupes sont couronnées : le vin est contenu, et la coupe contient. De même aussi que nous appelons église la basilique qui contient le peuple qui est appelé véritablement l'église; et ici on désigne sous le nom de l'église, c'est-à-dire du peuple qui est contenu, le lieu qui le contient; ainsi les âmes étant contenues dans les corps, on peut n'entendre par ce mot que les corps des enfants de Jacob. C'est le sens qu'il faut donner à l'endroit du livre des Nombres où il est dit que « celui-là est souillé qui a touché « une âme morte (4) ; » l'Ecriture ne veut parler ici que du cadavre d'un mort; ces mots: « âme morte » désignent le corps qui contenait l'âme. Ainsi, quoique le peuple, c'est-à-dire
 
 

1. Gen. XLVI, 26. — 2. Gen., II, 23. — 3. Enéide, 7. — 4. Nomb. IX, 10.
 
 

533
 
 

église, ne soit plus dans la basilique où il s’assemble, la basilique ne s'appelle pas moins une église. Voilà ce qu'on répondrait si les expressions dont il s'agit étaient au féminin et qu’on lût: quae exierunt de femoribus Jacob; quae ne pourrait se rapporter qu'à animae. Mais l'endroit est au masculin; il y est dit: qui exierunt de femoribus Jacob. Il vaut donc mieux entendre toutes les âmes de ceux, c'est-à-dire des hommes qui sortirent de Jacob; et par là on comprend qu'il n'est question ici que des corps auxquels appartenaient ces âmes dont le nombre exprime le nombre d'hommes.

20. Je voudrais lire votre livre, dont vous parlez dans votre lettre, pour voir s'il s'y trouve des témoignages positifs. Un ami (1) qui m'est cher et qui est fort appliqué à l'étude des divins livres, m'avait demandé mon sentiment sur cette question; je lui avouai sans honte l'inutilité de mes recherches et mon ignorance (2). Il en écrivit alors au delà des mers à un très savant homme (3). Celui-ci, dans sa réponse (4) l'engagea à me consulter, ne sachant pas qu'il l'avait déjà fait et qu'il n'avait pu obtenir de moi rien de certain et de définitif. Il fit voir cependant dans cette courte réponse, qu'il croyait plutôt à la création qu'à la propagation des âmes :  il ajoutait en même temps (car lui-même est en Orient), que le sentiment contraire au sien était le sentiment commun de l'Eglise d'Occident. Je profitai de cette occasion pour lui écrire longuement (5) et le consulter : je lui demandai de m'instruire avant de m'adresser des gens que je dusse instruire moi-même.

21. Ce livre où je ne prends pas le ton d'un homme qui enseigne, mais d'un homme qui cherche et qui désire apprendre, peut se lire chez moi ; il ne doit être envoyé nulle part ni donné à personne hors de ma demeure, avant que j'aie reçu la réponse avec l'aide de Dieu. Je suis tout prêt à adopter l'opinion de ce saint homme s'il peut m'expliquer comment les âmes ne venant pas d'Adam, seraient justement condamnées à cause de son péché, à moins d'en obtenir la rémission par la régénération. A Dieu ne plaise que nous croyons jamais que les âmes des enfants reçoivent une fausse purification dans le baptême, ou que Dieu ou qu'une nature non créée par lui soit
 
 

1. Marcellin.

2. C'esti. 143e lettre. — 3. Saint Jérôme. — 4. Cette réponse de saint Jérôme est la 165e lettre de ce recueil. — 5.On a vu cette lettre de saint Augustin qui est la 266e.
 
 

l'auteur du péché dont ces enfants sont purifiés ! Donc, jusqu'à ce que Jérôme m'explique ou que moi-même, si Dieu veut, j'apprenne comment des âmes, ne tirant pas leur origine de celle d'Adam, deviennent coupables du péché originel, qui nécessairement doit se trouver dans tous les enfants et où une âme innocente n'est poussée ni par Dieu, qui n'est pas l'auteur du péché, ni par aucun principe du mal, parce que ce principe n'existe pas; je n'ose rien soutenir de semblable.

22. Pour vous, mon très-cher frère, permettez-moi de vous avertir de ne pas tomber dans une hérésie nouvelle qui s'efforce de renverser les solides fondements de notre antique foi, en attaquant la grâce de Dieu, que le Seigneur Jésus-Christ accorde avec une bonté ineffable aux petits et aux grands. Pélage et Célestius en sont les auteurs ou du moins les défenseurs les plus ardents et les plus connus ; avec le secours du Sauveur, qui protège son Eglise, la vigilance des conciles ainsi que deux vénérables pontifes du siège apostolique, le pape Innocent et le pape Zozime, les ont condamnés dans tout l'univers, sauf leur retour à la vérité et leur réconciliation avec l'Eglise par la pénitence. Des lettres de ces pontifes ont été adressées, touchant ces novateurs, les unes particulièrement aux évêques d'Afrique, les autres à tous les évêques du monde chrétien; dans la crainte qu'elles ne soient point encore parvenues à votre sainteté, je vous en fais envoyer des copies par les frères même à qui je remets cette lettre pour votre Révérence. Pélage et Célestius ne sont pas hérétiques pour avoir dit que les âmes ne tirent par leur origine de la première âme qui a péché; il est possible que cela soit vrai par quelque raison et on peut l'ignorer sans que la foi en souffre ; mais ils soutiennent (et c'est par là qu'ils sont ouvertement hérétiques), que les âmes des enfants ne reçoivent d'Adam rien de mauvais qui doive être purifié par les eaux de la régénération. Car voici sur ce point le raisonnement de Pélage tel qu'il est rapporté, entre autres choses condamnables, dans les lettres du Siège Apostolique : « Si l'âme ne tire pas son origine de celle d'Adam et que ce soit seulement le corps, il n'y a donc que le corps qui mérite la peine. Car il n'est pas juste que l'âme née aujourd'hui et née autrement que par voie de propagation, supporte les effets d'un si ancien péché commis par un autre : il n'y a (534)  aucune raison pour que Dieu, qui nous pardonne nos propres péchés, nous impute un péché d'autrui. »

23. Si donc vous pouvez défendre votre sentiment sur la formation d'âmes nouvelles sans propagation, de manière à montrer qu'elles restent coupables du péché du premier homme par des raisons justes et non contraires à la foi catholique, soutenez ce que vous pensez autant que vous le pourrez. Mais s'il vous est impossible de rejeter l'opinion de la propagation sans affranchir les âmes du péché originel, abstenez-vous entièrement d'une discussion de ce genre. Car elle n'est pas fausse la rémission des péchés dans le baptême des enfants; ce n'est pas une affaire de mots, c'est un acte véritable. Et je citerai ici les termes mêmes du bienheureux pape Zozime dans sa lettre : « Le Seigneur est fidèle dans ses paroles; et son baptême, par l'effet et les paroles, c'est-à-dire par l'oeuvre, la confession et la rémission véritable des péchés, a la même plénitude pour tout sexe, tout âge, toute condition du genre humain. Il n'y a que celui qui a été l'esclave du péché qui devienne libre; il ne peut y avoir de racheté que celui qui a été véritablement captif par le péché , comme il est écrit : Si le Fils vous a délivrés, vous serez véritablement libres (1). Par lui nous renaissons spirituellement , par lui nous sommes crucifiés au monde. Sa mort nous a délivrés de cette dette de mort que le péché d'Adam fait peser sur toute âme humaine : tous ceux qui naissent y sont soumis jusqu'à ce que la grâce libératrice du baptême leur soit accordée. » La foi catholique , renfermée dans ces paroles du Siège Apostolique; est si ancienne et si fortement établie , si certaine et si claire , qu'il n'est pas permis à un chrétien d'en douter.

24. Puisque donc la mort du Christ a délivré de la dette héréditaire de la mort, non pas une ou quelques âmes , mais toutes les âmes ; si vous pouvez défendre le sentiment de la création journalière des âmes, de manière à démontrer, par de bonnes raisons, qu'elles naissent engagées dans cette dette d'où la mort seule du Christ peut les délivrer, et qu'elles y sont justement engagées quoique la chair à laquelle elles se trouvent unies provienne seule d'Adam par voie de propagation , défendez votre sentiment ; non-seulement personne ne vous en empêchera, mais nous vous demanderons
 
 

1. Jean, VIII, 36.
 
 

à nous montrer comment nous pourrons le soutenir avec vous. Si au contraire vous ne pouvez le faire sans affranchir les âmes du péché du premier homme , ou sans prétendre qu'elles cessent d'être innocentes par la seule propagation de la chair , et qu'ainsi le veut Dieu ou je ne sais quelle nature de mal, mieux vaut laisser l'origine de l'âme dans l'obscure profondeur de son secret, tout en ne pas doutant qu'elle soit une créature de Dieu, que de faire de Dieu l'auteur du péché, ou d'introduire contre Dieu une nature étrangère et ennemie , ou de déclarer inutile le baptême des enfants.

25. Pour que vous receviez de moi quelque chose de positif et de grande importance, quel. que chose qu'il est nécessaire de ne pas oublier, soit que les âmes tirent leur origine de celle du premier homme, soit que Dieu forme des âmes nouvelles pour chacun de ceux qui naissent, je vous dirai que l'âme du Médiateur n'a pas contracté la souillure originelle: c'est un point qu'il n'est pas permis de mettre en doute. Car s'il n'y a pas propagation des âmes là où toutes demeurent liées par la propagation de la chair de péché ; combien moins doit-on attribuer une origine de péché à l'âme de celui dont la chair est venue d'une vierge qui l'a conçue par sa seule foi, afin que cette âme fût unie, non à une chair de péché, mais à une chair qui n'eût que la ressemblance de la chair de péché (1). Et si les âmes naissent coupables parce qu'elles proviennent d'une première âme qui a péché; assurément celle que le Fils unique de Dieu a prise, ou bien a été exempte de la tache originelle, ou ne vient pas de l'âme du premier homme. Il a bien pu tirer pour lui, de cette source commune, une âme sans péché, celui qui nous délivre de nos péchés; celui qui a créé l'âme d'Adam pour un corps qu'il a fait d'un peu de terre, a bien pu créer une âme pour un corps qu'il a pris dans le sein d'une vierge.

26. Voilà ma réponse à la lettre adressée par votre sainteté, non pas à moi, mais à des collègues qui me sont chers; vous n'y aurez pas trouvé la science que vous attendiez, mais une affection pleine de sollicitude. Si vous recevez bien mes conseils fraternels , et qu'en vous préservant de l'erreur, vous restiez en paix avec l'Eglise, j'en rendrai grâces à Dieu. 1e le remercierai plus encore, si, étonné ou non que
 
 

1. Rom. VIII, 3.
 
 

535
 
 

je ne sache rien sur l'origine de l'âme, vous voulez bien m'en apprendre quelque chose de certain, sans préjudice de ce que la foi catholique nous enseigne avec tant d'évidence. Souvenez-vous de nous et vivez toujours dans le Seigneur, ô mon bienheureux Seigneur et très-cher frère !
 

source: http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin/index.htm

www.JesusMarie.com