RÉFUTATION DE MAXIMIN, ÉVÊQUE ARIEN.
Traduction de M. l'abbé POGNON.
LIVRE PREMIER.
CHAPITRE PREMIER. DES DEUX DIEUX.
CHAPITRE II. DE LA CORRUPTION DE L'HOMME.
CHAPITRE III. DE L'INVISIBILITÉ DE DIEU.
CHAPITRE IV. DE L'IMMORTALITÉ DE DIEU.
CHAPITRE V. SOUS QUEL RAPPORT LE PÈRE EST-IL PLUS GRAND QUE LE FILS ?
CHAPITRE VI. DES PETITS DES ANIMAUX.
CHAPITRE VII. DE LA GRANDEUR DU FILS.
CHAPITRE VIII. DE LA SOUMISSION DU FILS.
CHAPITRE IX.LE SAINT-ESPRIT ADORE-T-IL LE PÈRE ?
CHAPITRE X. COMMENT LE PÈRE, ET LE FILS, ET LE SAINT-ESPRIT NE SONT QU'UN SEUL DIEU.
CHAPITRE XI. DU TEMPLE DE L'ESPRIT-SAINT.
CHAPITRE XII. COMMENT LE PÈRE ET LE FILS NE SONT QU'UNE MÊME CHOSE.
CHAPITRE XIII. DU TÉMOIGNAGE QUE LE PÈRE REND AU FILS.
CHAPITRE XIV. DE L'AMOUR DU PÈRE ET DU FILS.
CHAPITRE XV. DE L'INVISIBILITÉ DE LA TRINITÉ.
CHAPITRE XVI. QUE DIEU SEUL EST SAGE.
CHAPITRE XVII. QUE DIEU N'A PAS ÉTÉ FAIT.
CHAPITRE XVIII. QUE LE PÈRE N'EST POINT ENGENDRÉ.
CHAPITRE XIX. DE L'ÉGALITÉ DU SAINT-ESPRIT AVEC LE PÈRE.
CHAPITRE XX. QUOIQUE LE PÈRE NE SOIT PAS ENGENDRÉ, LE
FILS EST CEPENDANT SON ÉGAL.
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LIVRE PREMIER.
Augustin démontre que Maximin n'a pu réfuter ce qu'il
a dit dans la Conférence.
Le langage diffus de Maximin, évêque des Ariens, nous a
pris tout un jour dans la conférence, où nous discutâmes
ensemble; ayant maintenant à faire entendre ma réponse, c'est
à lui. évidemment que je dois m'adresser : soit qu'il juge
encore à propos de répliquer, lorsqu'il m'aura lu, soit que,
touché au coeur par l'action merveilleuse de la grâce, il
se rende à l'évidence de la vérité. Quelle
idée avez-vous eue, avocat des Ariens, de dire tant de choses, et
de ne rien dire qui ait rapport au sujet qui nous occupe, comme si c'était
répondre que. de ne pouvoir garder le silence? Je démontrerai
donc, en premier lieu, que vous n'avez pu réfuter ce que j'ai soutenu
; je ferai voir ensuite, autant que je le jugerai nécessaire, l'erreur
des doctrines que vous avez avancées.
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CHAPITRE PREMIER. DES DEUX DIEUX.
Après que vous eûtes parlé sur cette question des
deux dieux, répondant à votre affirmation, que vous n'adoriez
qu'un seul Dieu; « La logique », ai-je dit, « veut, ou
que vous n'adoriez pas le Christ, ou qu'au lieu d'un seul Dieu, vous en
adoriez deux ». Pressé de répondre sur ce point, vous
avez, il est vrai, parlé beaucoup, pour affirmer que vous reconnaissiez
aussi la divinité du Christ ; mais, quoique vous n'ayez pas nié
que vous adoriez deux dieux, vous n'avez pas cependant osé l'affirmer.
Vous avez compris en effet que les oreilles chrétiennes ne peuvent
supporter qu'on dise qu'il y a deux dieux à adorer. Oh ! que vous
seriez près de revenir de votre erreur, si vous craigniez de croire
ce que vous avez eu peur d'affirmer ! car l'Apôtre s'écrie
: « On croit de coeur pour être justifié, et on confesse
de bouche pour être sauvé (1) ». Si vous pensez que
votre croyance conduit à la justice, pourquoi donc ne la confessez-vous
pas aussi de bouche, pour arriver au salut? que si confesser qu'il y a
deux dieux à qui est due l'adoration, ne mène pas au salut,
il est hors de doute que le croire ne conduit pas non plus à la
justification. Pourquoi donc vous, qui ne voulez pas souiller votre bouche
par une pareille confession, ne purifiez-vous pas votre coeur d'une croyance
semblable ? Tenez-vous-en à la foi pure avec la doctrine catholique,
et ne rougissez pas de réformer votre erreur. Avec la foi catholique
tenez pour certain que le Père n'est pas le même que le Fils,
et que le Fils n'est pas le même que le Père ; et ensuite
que le Père est Dieu, que le Fils est Dieu, et que cependant ils
ne sont pas ensemble deux dieux, mais un seul. C'est de cette manière
seulement que vous adorerez et le Père et le Fils, reconnaissant
qu'il n'y a qu'un seul Dieu, et non deux à adorer; ainsi, vous mettrez
votre conscience à l'abri du reproche d'impiété, quand
retentiront à vos oreilles ces divers oracles : « Il n'y a
nul autre Dieu que le seul Dieu (2) »; et encore : « Ecoute,
Israël : le Seigneur ton Dieu est le seul et unique Seigneur »
; et quand vous entendrez ces paroles : « Tu adoreras le Seigneur
ton Dieu et tu ne serviras que lui (3) », vous pourrez en sécurité
rendre, non-seulement au Père, mais encore au Fils, le culte qui
n'est dû qu'à un seul Dieu. Souvenez-vous donc que vous n'avez
point répondu- à mon objection, savoir : que vous adorez,
non pas un seul Dieu, mais deux.
1. Rom. X, 10. 2. I Cor. VIII, 4. 3. Deut. VI, 4, 13.
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594
CHAPITRE II. DE LA CORRUPTION DE L'HOMME.
J'ai, en second lieu, discuté avec vous sur ces expressions dont
vous vous étiez servi que Dieu le Père n'était pas
descendu, lui, jusqu'aux contagions humaines, comme si le Christ les avait
éprouvées dans sa chair ; et je vous ai fait remarquer l'interprétation
qu'on donne ordinairement au mot.contagion ; il ne s'entend jamais que
dans un sens défavorable, et nous savons, ajoutais-je, que le Christ
a été innocent de toute souillure. Ici encore vous avez été
incapable de répondre quoi que ce soit. Car les divins oracles que
vous avez invoqués, n'ont pu vous être d'aucun secours ; vous
n'avez pu en tirer la preuve que le Christ avait participé à
la souillure de l'homme. En effet, vous rappelez ce texte de l'Apôtre
: « Comme le Christ n'était point pécheur, Dieu l'a
fait péché pour nous » ; mais lisez ce passage avec
attention, et de peur de tomber à un exemplaire fautif ou d'être
entraîné dans l'erreur par une version défectueuse,
recourez au grec ; et vous vous convaincrez que le Christ n'a point commis
le péché pour nous, mais que Dieu le Père l'a fait
péché, c'est-à-dire, victime pour le péché.
L'Apôtre dit en effet : « Nous vous conjurons, au nom de Jésus-Christ,
de vous réconcilier avec Dieu, qui, pour l'amour de nous, a fait
péché celui qui ne connaissait pas le péché
(1) ». Le Christ lui-même ne s'est donc point rendu coupable
de péché, mais, par amour pour nous, Dieu l'a fait péché,
en d'autres termes, comme je l'ai dit, il a fait de lui la victime pour
le péché. Si vous vous donnez la peine de colliger et de
relire les livres de l'Ancien Testament, vous trouverez en effet que les
sacrifices pour les péchés y sont appelés péchés.
Cette chair, semblable à la chair de péché, que le
Christ a prise en venant à nous, l'Apôtre l'appelle aussi
péché. « Dieu, dit-il, a envoyé son Fils revêtu
d'une chair semblable à la chair de péché, et par
le péché il a condamné le péché dans
la chair (2) » : c'est-à-dire, dans cette chair qu'il a prise,
semblable à la chair de péché, il a condamné
le péché inhérent à cette chair de péché,
qui est la nôtre. C'est pourquoi l'Ecriture dit encore de lui : «
Quant à ce qu'il est mort, il est mort seulement une fois pour le
péché;
1. II Cor. V, 20, 21. 2. Rom. VIII, 3.
mais, quant à la vie qu'il a maintenant, il vit pour Dieu (1)
». 11 est mort une fois seulement pour le péché, parce
qu'il est mort dans une chair semblable à la chair de péché,
quand il s'est dépouillé de sa chair en mourant : figure
mystérieuse de ceux qui, ayant été baptisés
dans sa mort, doivent mourir au péché, afin de vivre pour
Dieu. C'est ainsi encore qu'il est « devenu » par la croix
« malédiction pour nous (2) ». En effet, quand il fut
pendu au bois, il attacha à ce bois la mort qui était venue
par suite de la malédiction divine, et de cette manière «
notre vieil homme a été fixé à la croix avec
lui (3) », ce qui permet de donner une interprétation véritable
à cette parole inscrite dans la loi : « Maudit tout homme
qui est pendu au bois (4) ». Qu'est-ce à dire, « maudit
», si ce n'est : « Tu es terre, et tu iras dans la terre (5)?
» Et que veut dire: « Tout homme », sinon que le Christ
lui-même partagea notre humanité, et quoiqu'il fût la
vie, qu'il a cependant souffert, non par une mort fictive, mais par une
mort véritable ? Si vous avez l'intelligence de ces choses mystérieuses,
vous comprendrez alors qu'il n'a point participé à la contagion
du péché. Mais que nous importe, si dans votre langage, contagion
signifie la même chose que contact des choses mortelles, pourvu cependant
que vous admettiez avec nous que le Seigneur Jésus n'a commis aucun
péché, ni de lesprit, ni de la chair ?
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CHAPITRE III. DE L'INVISIBILITÉ DE DIEU.
En troisième lieu, traitant de Dieu, en tant qu'invisible, je
vous ai averti qu'il fallait croire que l'invisibilité est un attribut,
non pas seule. ment du Père, mais encore du Fils, considéré
comme. Dieu; je. n'ai pas dit, comme homme: car il n'est personne qui mette
en doute la réalité de son apparition parmi les hommes: dans
la suite, j'ai encore discuté ailleurs sur cette matière.
Or, contraint de vous rendre i l'évidence de la vérité,
vous avez admis que le. Fils est invisible, et par là même
vous avez détruit votre propre affirmation: que le Père seul
était invisible. Mais troublé de votre aveu, et craignant
de vous être trop avancé en reconnaissant que le Fils jouissait
également de
1. Rom. VI, 10. 2. Gal. III, 13. 3. Rom. VI, 6. 4. Deut.
XXI, 23. 5. Gen. III, 19.
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l'invisibilité, vous avez osé affirmer que ce qui est
plus petit peut être vu par ce qui est plus grand, mais que ce qui
est plus grand ne peut être vu par ce qui est plus petit; les anges,
disiez-vous, sont vus par les archanges, et les âmes par les anges,
mais par contre, les anges ne sont pas vus par les âmes. De cette
théorie vous déduisiez que, sous le rapport de la substance
de sa divinité, le Christ était invisible, non pas seulement
pour les hommes, mais encore pour les Vertus célestes, et que le
Père est seul invisible, parce qu'il n'a pas de supérieur
qui puisse le voir. Dites-nous, de grâce, quand est-ce que les archanges
vous ont révélé qu'ils voient eux-mêmes les
anges, et qu'ils n'en sont pas vus ? Quels sont les anges qui vous ont
fait connaître qu'ils voient les âmes, et que les âmes
ne les voient point? Qui vous a enseigné cela? Où l'avez-vous
appris ? Où l'avez-vous lu ? Ne vaudrait-il pas mieux que vous appliquiez
votre esprit à l'étude des saints livres, où nous
lisons que les anges apparurent même aux hommes, quand et comme il
leur plut de se faire voir à eux, suivant l'ordre ou la permission
du Créateur de toutes choses ? Toutefois, après avoir dit
que si le Père seul est invisible, c'est parce qu'il n'a pas de
supérieur qui le voie, vous avez ensuite accordé qu'il est
visible au Fils, en produisant contre vous-même le témoignage
de l'Evangile, où le Fils dit en propres termes : « Ce n'est
pas qu'aucun homme ait vu le Père, si ce n'est celui qui est né
de Dieu : car c'est celui-là qui a vu le Père (1) »
. La vérité a triomphé de vous, en cette circonstance,
d'une manière éclatante; mais persistant à vouloir
rester dans les liens de l'erreur, vous n'avez pas voulu que votre défaite
vous fût profitable. Car, après avoir invoqué contre
vous l'argument tiré de l'Evangile, d'où il résulte
clairement que le l'ère est vu par le Fils, puisque le Fils dit
lui-même : « Mais celui qui est né de Dieu, celui-là
voit le Père », vous avez ajouté de vous-même:
«Mais il le voit, sans pouvoir l'embrasser tout entier de son regard
». Vous avez oublié en chemin ce que vous aviez dit: que le
Père est seul invisible, parce qu'il n'a pas de supérieur;
vaincu par la force de la vérité, vous avez confessé
en effet qu'il est vu par un inférieur. Car vous lui donnez pour
inférieur le Fils, et cependant,
1. Jean, VI, 46.
sur le témoignage irrésistible du Fils, vous avez fait
l'aveu que le Père est vu de lui. Quant à cette dénomination
que vous donnez au Père, en disant qu'il ne peut être contenu,
nous y reviendrons plus tard, afin que la vérité ait encore
raison de vous sur ce terrain. Mais la question entre nous n'était
pas de savoir s'il peut être contenu ou non; il s'agissait du visible
et de l'invisible : or, sur ce point, si vous êtes visible vous-même
à vos propres yeux, vous voyez que vous êtes vaincu.
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CHAPITRE IV. DE L'IMMORTALITÉ DE DIEU.
En quatrième lieu, j'ai discuté avec vous la question
de savoir si le Fils possède aussi l'immortalité divine.
Quand l'Apôtre dit: « Lui seul a l'immortalité (1) »,
vous avez voulu entendre ce texte, en ce sens qu'il s'applique exclusivement
au Père; tandis qu'il a pour objet non pas le Père seulement,
mais Dieu, qui est le Père et le Fils et le Saint-Esprit. J'ai donc
démontré que le Fils possède l'immortalité
sous le rapport de la substance de sa divinité. Personne du reste
ne met en doute qu'il ait été mortel dans sa chair. Or, quand
vous vouliez me répondre en cet endroit, enfermé par la vérité
de toutes parts, vous avez reconnu que l'immortalité appartient
également à Dieu le Fils. Vous avez donc été
vaincu, lorsque vous prétendiez que, suivant l'Apôtre, l'immortalité
est un attribut exclusif du Père. Car vous n'échappez pas
aux étreintes de la vérité, parce que vous dites :
Il est vrai que le Fils possède l'immortalité, mais il la
tient du Père. Il n'est pas question de savoir d'où elle
lui vient, mais s'il l'a réellement. En effet,vous ne voulez entendre
que du Père ce passage : « Il possède seul l'immortalité
». Sans doute, le Père a l'immortalité sans la tenir
de personne, et le Fils la possède la tenant du Père : cependant
et le Père et le Fils la possèdent en même temps. Autrement,
si le Fils ne la possède pas, le Père ne l'a pas donnée
au Fils, ou le Fils l'a perdue après l'avoir reçue du Père.
Or, le Père l'a donnée au Fils, et le Fils ne l'a pas perdue,
et le Père, en donnant, n'a pas perdu ce qu'il a donné par
voie de génération. L'immortalité est donc commune
au Père et au Fils, et non l'attribut exclusif du Père. C'est
ainsi que
1. I Tim. VI, 16.
596
vous êtes contraint d'avouer que ces mots « Lui seul possède
l'immortalité », ne s'entendent pas seulement du Père
; car vous avez déjà été forcé de reconnaître
que le Fils, lui aussi, possède l'immortalité. Cette immortalité
est le privilège d'un seul ; mais elle appartient à Dieu.
Or, Dieu, ce n'est pas seulement le Père, c'est aussi le Fils, et
tous les deux, avec le Saint-Esprit, sont un seul Dieu. Mais comment est-il
dit que Dieu a seul l'immortalité en partage, tandis que l'âme
est également immortelle à sa manière, ainsi que d'autres
créatures spirituelles et célestes à la fois, nous
le verrons dans la suite ; quant à présent, il nous suffit
que vous n'ayez pu rien nous répondre, et que vous ayez été
contraint de reconnaître que l'immortalité n'appartient pas
seulement au Père, mais encore au Fils, quoiqu'il la tienne du Père.
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CHAPITRE V. SOUS QUEL RAPPORT LE PÈRE EST-IL PLUS GRAND QUE LE
FILS ?
J'ai démontré, en cinquième lieu, d'où vient que le Père est plus grand que le Fils qu'il n'est pas plus grand que lui sous le rapport de la divinité, le Fils lui étant coéternel à ce point de vue ; mais qu'il est plus grand que lui, sous le rapport de l'humanité, le Fils ayant été fait dans le temps. J'ai invoqué ace sujet le témoignage de l'Apôtre : «Ayant, dit-il, la forme de Dieu, il n'a point cru que ce fût une usurpation pour lui d'être égal à Dieu ». Par nature, il était égal à Dieu, il n'a rien usurpé. Voici ce que vous avez trouvé à répondre sur ce point . Qui donc dénie au Fils la nature divine ? Qu'il soit Dieu, et Seigneur, et Roi, je pense l'avoir longuement expliqué. Et « qu'il n'ait pas cru se faire usurpateur en s'égalant à Dieu », c'est ce dont le bienheureux apôtre Paul nous instruit; il n'a pas usurpé cet attribut, et nous ne le disons pas non plus. Non-seulement ces paroles, qui sont de vous, n'ont rien qui nous contredise ; mais encore elles paraissent plutôt nous être favorables. Car, si vous admettez la nature divine, pourquoi ne confessez-vous point franchement que le Fils de Dieu est égal à Dieu ? surtout, puisque sur ces expressions de l'Apôtre : « Il n'a pas cru que ce fût une usurpation de s'égaler à Dieu », vous n'avez pu trouver rien à dire en faveur de votre sentiment. Et parce que vous n'avez pu nier ce passage de l'Apôtre, vous avez dit : « Il n'a pas été usurpateur, et nous ne le disons pas non plus », comme si « il n'a pas usurpé » signifiait la même chose que « il n'a pas eu », sous-entendez, l'égalité avec Dieu; et que: « Il n'a point cru que ce fût pour lui une usurpation de s'égaler à Dieu », dût avoir le sens suivant : « Il n'a point cru que l'égalité avec Dieu dût être usurpée, parce qu'elle ne lui appartenait pas ». Car le ravisseur de la chose d'autrui est un usurpateur : il semblerait d'après vous, que le Fils n'a pas voulu ravir cet attribut, quand il pouvait le faire impunément. Vous voyez vous-même ce qu'il y a d'insensé dans une pareille interprétation, Comprenez donc que l'Apôtre a dit : « Il n'a point cru que ce fût pour lui une usurpation de s'égaler à Dieu », parce que le Fils n'a point considéré comme lui étant étrangère, une perfection qu'il avait par nature: cependant, quoiqu'il n'ait point cru que l'égalité avec Dieu lui fût étrangère, mais qu'elle lui appartenait en propre, « il s'est anéanti lui-même », ne recherchant point son intérêt, mais le nôtre. Afin que vous reconnaissiez qu'il en est ainsi, considérez comment l'Apôtre en vient à tenir ce langage. Enseignant aux chrétiens la charité basée sur l'humilité : «Que chacun », leur dit-il, « croie les autres au-dessus de soi, et n'ait point égard à ses propres intérêts, mais à ceux des autres ». Voulant ensuite appuyer cette doctrine sur l'exemple du Christ : « Soyez », ajoute-t-il, « dans le même sentiment et la même disposition où était Jésus-Christ, qui, ayant la forme de Dieu », dont il était en possession, « n'a point cru que ce fût pour lui une usurpation », c'est-à-dire, n'a pas cru faire un larcin « de s'égaler à Dieu » ; mais, recherchant nos intérêts, et non les siens, « s'est anéanti lui-même », non en dépouillant la forme de Dieu, mais « en prenant la forme de serviteur ». Car la première de ces natures n'est pas susceptible de changement; en s'anéantissant, il n'a pas perdu ce qu'il était, pour prendre ce qu'il n'était pas; il n'a pas non plus détruit ce qui est à lui, pour prendre ce qui est à nous et se rendre, comme homme, en prenant la forme de serviteur, « obéissant jusqu'à la mort de la croix. C'est pourquoi Dieu l'a élevé, et lui a donné un nom qui (597) est au-dessus de tout nom (1), etc. » Ces dons furent donc communiqués à son humanité, et non à sa divinité. Car, étant la forme de Dieu, il n'était pas susceptible d'élévation, et devant lui tout genou fléchissait au ciel, sur la terre et dans les enfers.
Mais quand il est dit : « C'est pourquoi Dieu l'a élevé
», on comprend sans peine la raison de cette élévation,
je veux dire, « son obéissance jusqu'à la mort de la
croix ». La nature qui a reçu en lui un surcroît d'élévation,
c'est donc celle qui a été mise en croix; c'est à
elle qu'a été donné « un nom au-dessus de tout
nom », afin que Jésus-Christ fût reconnu pour le Fils
unique de Dieu, même dans sa nature de serviteur. Ne considérez
donc point la forme de Dieu comme inégale avec Dieu : même
en parlant des hommes, un pareil langage serait intolérable. En
effet, quand on dit: Cet homme a la forme de cet autre homme, on n'a pas
d'autre idée que celle de l'égalité entre ces hommes.
Voudriez-vous par hasard vous refuser à entendre ce passage : «
Ayant la forme de Dieu », en ce sens que le Fils avait la forme de
Dieu le Père, ce qui ne fait penser à autre chose qu'à
l'égalité de ces deux personnes divines ; mais pensez-vous
que « la forme de Dieu » doive s'entendre de la forme propre
au Fils, attendu qu'il est Dieu lui-même? Je ne m'inquiète
pas si vous allez jusqu'à admettre cette dernière interprétation.
Car, du moment que la plénitude de la forme ne provient pas des
accroissements de l'âge, mais que le Fils est sorti parfait par voie
de génération divine, il est hors de doute que si la forme
du Fils n'est pas égale à celle du Père, il n'est
pas véritablement son Fils. Or, il est écrit : « Afin
que nous soyons en son vrai Fils, Jésus-Christ (2) ». La nature
du vrai Fils de Dieu ne peut donc être inégale à la
nature de Dieu le Père. Au reste, vous n'avez pu encore rien répondre
de satisfaisant sur ce point de ma discussion, où, m'appuyant sur
les paroles de l'Apôtre, j'ai prouvé que le Fils est égal
au Père.
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CHAPITRE VI. DES PETITS DES ANIMAUX.
En sixième lieu, pour démontrer que le Fils est de la
même nature que le Père, j'ai fait ressortir l'énormité
de votre erreur, en
1. Philipp. II, 6-9. 2. I Jean, V, 20.
lui opposant les petits des animaux destinés à mourir;
j'ai reproché à votre coeur de -nier que Dieu le Fils soit
de même nature que le Père, quoique vous ne niiez pas qu'il
soit son véritable Fils, tandis que Dieu lui-même donne aux
animaux d'engendrer des êtres qui sont de même nature qu'eux.
Je ne me suis pas contenté alors de dire que l'homme est le fils
de l'homme, mais j'ai osé dire que le chien est le fils du chien;
non pas que j'aie voulu par là établir une ressemblance avec
Dieu, mais confondre les détracteurs du Fils de Dieu insensés,
qui, voyant des êtres corruptibles et mortels avoir une seule et
même nature avec ceux qui leur ont donné la vie, se refusent
à accorder au Fils de Dieu l'unité de substance qu'il tient
du Père, dont il est inséparable et avec qui il possède
l'incorruptibilité et l'éternité. J'ai dit aussi,
au même endroit, que la condition des hommes est, selon vous, préférable
à celle du Fils de Dieu : car on peut y prendre de l'accroissement
et, en grandissant, les fils peuvent atteindre à la force des auteurs
de leurs jours; or, d'après vos affirmations et vos enseignements,
le Fils de Dieu, ayant été engendré par le Père
dans un état relatif d'infériorité, est resté
stationnaire et n'a pu, par un accroissement successif, parvenir jusqu'à
la nature du Père. Ici, ce qui fit bien voir que vous étiez
écrasé sous le poids de la vérité, vous ne
trouvâtes absolument rien à répondre; mais, comme si
le souffle allait vous manquer, vous jugeâtes que j'étais
répréhensible, et vous dîtes qu'une comparaison aussi
basse que celle du fils de l'homme ou du chien, ne devait pas être
proposée, quand il s'agissait d'une majesté aussi grande
et aussi respectable. Est-ce là répondre, où plutôt
n'est-ce pas montrer la pauvreté de sa réponse? Comme si
j'avais produit ces exemples tirés des natures terrestres, pour
égaler la corruption à l'incorruption, la mortalité
à l'immortalité,, les choses visibles aux choses invisibles,
les choses temporelles aux choses éternelles; et non pas plutôt
pour vous convaincre, par des comparaisons empruntées aux derniers
degrés des êtres, vous qui errez dans les choses les plus
grandes et les plus sublimes; et ne voyez pas ce que la bonté souveraine
du Créateur a accordé aux créatures les plus humbles
et les plus viles, d'engendrer des êtres d'une nature semblable à
la leur, quoiqu'elles soient bien loin d'être (598) ce qu'il est
lui-même. Vous ne comprenez pas encore le mal que vous dites, quand
vous affirmez que celui qui est la Vérité même, n'est
pas le vrai Fils de Dieu, tandis que les hommes, les chiens et les autres
animaux ont, en réalité, des fils véritables qu'ils
engendrent. Ou bien, si vous êtes contraint par la sainte Ecriture
d'admettre qu'il est le vrai Fils de Dieu, de grâce, accordez qu'il
ne soit pas un fils dégénéré. Comment cela
? Que les catholiques soient ici attentifs, et que les hérétiques
soient couverts de confusion. Si le fils d'un homme robuste n'a pas la
force en partage, on dit qu'il dégénère; cependant,
il est ce qu'est son père, un homme, et quoique différent
de lui, il n'a pas néanmoins une nature autre que la sienne. Pour
vous, vous voulez le Fils unique de Dieu tellement dégénéré,
que vous lui refusez la substance propre de son Père : vous prétendez
qu'il est né inférieur à son Père et qu'il
est demeuré dans cet état d'infériorité ; vous
n'admettez aucune époque où il ait pu s'accroître,
où il ait pu atteindre à la forme du Père. J'admire
de quel front vous déclarez qu'il est le vrai Fils de Dieu, quand
vous avez tant enlevé à sa nature à moins que, par
une erreur extrêmement déplorable, vous ne croyiez parvenir
à glorifier exclusivement le Père qu'en déversant
l'injure sur la personne du Fils unique(1).
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CHAPITRE VII. DE LA GRANDEUR DU FILS.
J'ai dit en septième lieu : Nous reconnaissons dans le Fils de
Dieu une grandeur si éminente, que nous le proclamons égal
au Père. C'est donc sans raison, ajoutais-je, que vous avez voulu
démontrer par des témoignages et de longs développements
ce que nous faisons profession ouverte de croire. A ces observations j'ai
ajouté un raisonnement, pour montrer comment le Fils, bien qu'il
soit égal au Père, l'appelle cependant son Dieu, quand il
dit . « Je monte vers mon Père, et votre Père; vers
mon Dieu, et votre Dieu (2) » . Car vous aviez vous-même invoqué
ce texte de l'Evangile, pensant en tirer la preuve que le Fils n'est pas
égal au Père. Répondant à cet argument, j'ai
donc affirmé que si le Père est aussi le Dieu de son Fils
unique, c'est parce qu'il s'est fait homme et est né d'une
1. Serm. CXXXIX, II. 4 et 5. 2. Jean, XX, 17.
femme; et que c'est ce qu'il dit au Psaume, en prévision de ce
qui devait arriver : « Vous êtes mon Dieu dès le sein
de ma mère (1) » ; faisant voir ainsi que le Père est
son Dieu, parce qu'il s'est fait homme. En effet, il a été
enfanté à la vie d'homme en quittant le sein maternel, et
Dieu est né du sein d'une vierge en venant parmi les hommes; en
sorte que celui qui l'a engendré de lui-même est non-seulement
son Père, mais encore son Dieu pour l'avoir créé au
sein de sa mère. Quand vous avez voulu répondre à
ces propositions, vous avez beaucoup parlé et produit un grand nombre
de témoignages qui ne vous sont d'aucune utilité. Vous n'avez
pu trouver absolument la raison de ces paroles de lEcriture: « Vous
êtes mon Dieu dès le sein de ma mère », quoique
vous les ayez rappelées vous-même. Du reste, je ne puis aucunement
comprendre à quel propos vous avez cité ici ce passage d'un
autre Psaume: « La principauté est avec vous au jour de votre
puissance, au milieu des splendeurs des saints; je vous ai engendré
de mon sein avant l'aurore (2) ». « Car la
personne du Fils n'a pas dit : Vous êtes mon Dieu dès votre
sein. Mais en admettant même qu'il s'agisse ici de cette ineffable
génération du sein du Père, voici le sens de ce passage
: Un Dieu a engendré de lui-même, c'est-à-dire de sa
propre substance un Dieu, comme, à sa naissance du sein maternel,
une créature humaine a engendré un homme : ce qui nous fait
entendre que dans l'une et l'autre génération, celui qui
est né, et ceux dont il est né, n'ont pas des substances
différentes. Sans doute Dieu le Père, et la créature
humaine qui est sa mère, sont de substances différentes;
mais Dieu le Père et Dieu le Fils ne diffèrent point par
la substance, de même que la mère selon la chair et l'homme
qui est son fils ne sont point de substance différente. Ainsi entendez
bien ce que dit ce même Fils en prophétie : « Vous êtes
mon Dieu dès le sein de ma mère » ; et n'allez point
obscurcir, sous des flots de paroles qui n'ont ici que faire, des choses
assez claires par elles-mêmes. Le Père qui engendre le Fils
de son sein, est son Dieu dès le sein de sa mère, et non
dès son sein propre, A cela donc vous n'avez pu encore absolument
rien répondre.
1. Ps. XXI, 11. 2. Ps. CIX, 3.
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599
CHAPITRE VIII. DE LA SOUMISSION DU FILS.
Je vous ai répondu, en huitième lieu, sur la question
de la soumission du Fils relativement au Père; vous aviez dit :
Sa soumission prouve qu'il n'y a qu'un Dieu. Je vous ai donc répondu
que la soumission du Fils à l'égard du Père s'entend
très-bien de son humanité. Il n'y a là rien d'étonnant,
puisque nous lisons que dans sa nature de serviteur il s'est soumis même
à ses parents (1), et qu'il est écrit de lui : « Vous
l'avez abaissé un peu au-dessous des anges (2) ». Par manière
de réponse, vous avez observé que j'avais fait une remarque
très-sage, en disant que dans sa nature de serviteur, il s'était
soumis même à ses parents. Puis, voulant faire croire que
la raison était de votre côté, tandis que vous la voyiez
se dresser contre vous, et donner le change aux esprits inconsidérés
et peu réfléchis, qui liraient ces choses, en leur donnant
lieu de penser que vous me répondiez, taudis que vous n'aviez que
dire, vous avez ajouté ces réflexions : « Si nous voyons
que le Fils s'est soumis à ses parents qu'il a créés
lui-même, car toutes choses ont été faites par lui,
nous savons aussi qu'il a été engendré par le Père,
non dans le cours des siècles, mais avant tous les siècles
: si donc, disiez-vous, il était soumis à ses parents, comme
l'Ecriture le démontre plus clair que le jour, à combien
plus forte raison est-il soumis à Celui qui l'a engendré
et si grand et si parfait, suivant cet oracle de Paul : Lorsque toutes
choses auront été assujetties au Fils, alors il sera aussi
lui-même assujetti à Celui qui lui aura assujetti toutes choses
(3) ». On pourrait croire que ces paroles, émanées
de vous, sont de moi et m'appartiennent entièrement, s'il n'était
évident pour ceux qui vous ont entendu les prononcer, et pour tous
ceux qui liront tout cela dans la suite, qu'elles ont été
prononcées par vous. Qui croirait en effet que vous pouvez comme
nous admettre que le Christ est inférieur quant à la forme
de serviteur qu'il a prise, sans en conclure qu'il ne l'est pas quant à
sa nature divine ?
1. Luc, II, 51. 2. Ps. VIII, 6. 3. I Cor. XV, 28.
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CHAPITRE IX. LE SAINT-ESPRIT ADORE-T-IL LE PÈRE ?
Nous vous avons prié, en neuvième lieu, de nous démontrer
par les divines Ecritures, si vous le pouviez, que le Saint-Esprit adore
le Père. Car c'est ce que vous aviez avancé; mais vous n'en
avez pas donné de preuve, comme le fait assez voir l'ensemble de
votre discussion, à laquelle j'ai répondu. Voyez donc maintenant
la réponse que vous avez faite dans là suite à ma
question. Après avoir parlé surabondamment du jugement du
Fils, que nous croyons nous aussi d'une foi absolue; et de la soumission
que le Fils rend à son Père, dans sa nature de serviteur,
objet également de notre foi; abordant enfin la question de l'adoration
du Père par le Saint-Esprit, vous en êtes revenu, quoique
je vous aie déjà répondu sur ce point, à ces
gémissements dont parlent les saintes Ecritures, quand elles disent
: « Cet Esprit lui-même demande pour nous par des gémissements
inénarrables (1) »; afin de nous faire croire que l'Esprit-Saint
ne peut jamais cesser de gémir, parce qu'il n'y a ni jour, ni heure,
ni moment, où des prières ne s'élèvent vers
Dieu, ici ou là, de la part des saints. Cependant, comme il n'y
a pas de temps où cessent les prières des saints, car, tandis
que les uns prennent leurs repas et que d'autres font autre chose, nuit
et jour il ne manque pas d'âmes que de saints désirs poussent
à la prière, il arrive de la sorte que l'Esprit-Saint, qui
est, présent à tous en tous lieux, ne peut cesser en aucune
manière ses gémissements, ce qui accuse une extrême
misère, puisqu'il est forcé de gémir pour tous ceux
qui prient : à moins qu'on n'entende ce texte dans le sens que j'ai
dit, c'est-à-dire, qu'il inspire aux saints de demander par les
gémissements de saints désirs, en répandant en eux
de pieuses affections, fruits de sa grâce spirituelle. Mais ces manières
de parler, où la cause est prise pour l'effet; comme quand nous
disons un froid engourdi, parce que le froid produit ce résultat,
et un jour triste ou joyeux, parce qu'il nous rend tels, j'en ai cité
des exemples empruntés même aux Ecritures, où Dieu,
par exemple, dit à Abraham : « Je sais maintenant (2) »,
ce qui ne signifie rien autre chose que : Maintenant je te fais connaître;
car on ne peut pas dire que Dieu ait
1. Rom. VIII, 26. 2. Gen. XXII, 12.
600
appris ce qu'il ne pouvait ignorer, avant qu'il se réalisât;
or, vous n'avez pas trouvé une autre interprétation qu'on
pût donner à ces manières de parler tirées des
divines pages force vous a été absolument de ne plus revenir
à ces gémissements. En effet, pour avoir de telles idées
sur l'Esprit-Saint, il faut s'inspirer, non de l'esprit, mais de la chair.
Mais, lors même qu'on vous accorderait que le Saint-Esprit demande
pour les saints, dans le sens que vous tenez, autre chose est demander
ou prier, autre chose, adorer. Quiconque prie, demande; mais quiconque
adore, ne prie pas pour cela, et quiconque demande, n'adore pas non plus
pour cela. Voyez ce qui se passe à l'égard des rois, qu'on
adore ordinairement, sans leur adresser de demandes, et qu'on sollicite
quelquefois, sans les adorer. Ainsi vous n'avez pu encore démontrer
en aucune manière que le Père soit adoré par le Saint-Esprit.
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CHAPITRE X. COMMENT LE PÈRE, ET LE FILS, ET LE SAINT-ESPRIT NE
SONT QU'UN SEUL DIEU.
J'ai voulu, en dixième lieu, vous amener à comprendre
par quelle union ineffable la Trinité elle-même, que nous
disons n'avoir qu'une seule substance, est un seul Dieu: ne voyons-nous
pas en effet que des substances même dissemblables, je veux dire,
l'esprit de l'homme et l'Esprit du Seigneur, grâce à l'union
qui s'établit entre le Seigneur et l'homme, sont appelées
un même esprit, dans ce passage de ]'Apôtre. « Celui
qui s'attache au Seigneur, est un même esprit avec lui (1)? »
Répondant sur cette question ou plutôt ne pouvant garder le
silence, vous avez été contraint d'opposer que le Père
et le Fils sont une même chose, non en unité de nature, mais
de volonté. C'est ce que vous avez coutume de répondre ;
mais vous le faites, quand on vous objecte cette parole du Seigneur : «
Mon Père et moi nous sommes une même chose (2) ». Je
n'ai pas voulu prouver en cet endroit que le Père, et le Fils, et
le Saint-Esprit sont une même chose, en unité de substance,
vérité que nous croyons d'une foi inébranlable ; mais
que cette même Trinité est un seul Dieu. Car autre chose est
de dire: ils sont une même chose; autre chose, elle est un seul Dieu.
Notez la différence, elle est, ils
1. I Cor. VI,17. 2. Jean, X, 30.
sont. L'Apôtre ne dit pas: Ceux qui s'attachent au Seigneur, sont
une même chose avec lui; parce qu'il y a diversité de nature
; mais il dit: « Celui qui s'attache au Seigneur, est un même
esprit avec lui ». Mais si, selon vous, affirmer de deux que c'est
un seul et quel est ce seul, savoir « un même esprit »,
comme dit l'Apôtre, revient à dire que deux sont une même
chose, sans désigner quelle est cette unique chose, comme dans ces
paroles du Sauveur: « Mon Père et moi nous sommes une même
chose », pourquoi ne déclarez-vous pas que le Père
et le Fils sont un seul Dieu ? Pourquoi voulez-vous entendre du Père
exclusivement ces paroles de l'Ecriture: « Ecoute, Israël :
le Seigneur ton Dieu est le seul et unique Seigneur (1)? » En effet,
le Père est le Seigneur Dieu, et le Fils est aussi le Seigneur Dieu:
pourquoi, selon vous, l'un et l'autre ne sont-ils pas ensemble le seul
Seigneur Dieu, de même que, suivant le bien. heureux Apôtre,
l'esprit de l'homme et l'Esprit du Seigneur « sont un même
esprit ? » Quel gain vous revient-il, pour votre cause, de soutenir
que cette unité repose sur l'accord de la volonté ? C'est
effectivement ce qui arrive, mais quand il y a diversité de nature,
comme entre celle de l'homme et celle du Seigneur : et cependant «
celui qui s'attache au Seigneur », par le consentement de la volonté,
je le veux, « est un même esprit avec lui ». Si donc
vous ne voulez pas admettre l'unité de substance entre le Père
et le Fils, convenez du moins sans hésitation qu'il y a unité
fondée sur le consentement de la volonté et dites, ne fût-ce
qu'une fois, et d'une manière quelconque, que le Père et
le Fils sont un seul Dieu. Mais vous ne le direz pas, de peur d'avoir à
convenir, contrairement à tous vos précédents, que
ces paroles: « Ecoute, Israël: le Seigneur ton Dieu est le seul
et unique Seigneur », ne s'entendent pas seulement du Père,
mais de l'un et de l'autre: parce que vous ne voulez pas reconnaître
le Saint-Esprit comme Seigneur et comme Dieu. Convenez, dis-je, peu importe
la manière dont vous l'entendrez, que le Père et le Fils
sont un seul Seigneur Dieu; afin qu'en servant le Père- et le Fils,
vous ne serviez pas deux dieux et deux seigneurs contrairement au précepte
divin, mais un seul Seigneur. Maintenant c'en est assez sur cette matière.
Quand
1. Deut. VI, 4.
601
vous aurez lu ces réflexions, je pense que vous n'aurez pu trouver
rien à répondre sur ce texte de l'Apôtre que j'ai rappelé
: « Celui qui s'attache au Seigneur, est un même esprit avec
lui » ; et si vous renoncez à l'esprit de contention, vous
ne nous contredirez pas.
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CHAPITRE XI. DU TEMPLE DE L'ESPRIT-SAINT.
J'ai fait voir, onzièmement, que le Saint-Esprit est Dieu, par
la raison que nous sommes nous-mêmes ses temples, comme l'atteste
l'Apôtre, quand il dit : « Ne savez-vous pas que vous êtes
le temple de Dieu, et que l'Esprit de Dieu habite en vous (1) ? »
et encore : « Ne savez-vous pas que votre corps est le temple du
Saint-Esprit, qui réside en vous, et que vous avez reçu de
Dieu (2) ? » Or, vous n'avez rien répondu à cela; car
vous avez dit: J'accepte ce que vous avancez : « Ne savez-vous pas
que vous êtes le temple de Dieu, et que l'Esprit de Dieu habite en
vous? » En effet, ajoutez-vous, Dieu n'habite point dans l'homme,
que l'Esprit ne l'ait auparavant purifié et sanctifié. Et
vous avez voulu de cette manière donner à entendre que l'Esprit-Saint
n'est pas appelé Dieu, et que nous ne sommes point son temple, mais
celui de Dieu ; que le texte est positif. « Vous êtes le temple
de Dieu ». Et si la suite porte : « L'Esprit de Dieu habite
en vous », c'est que l'Esprit-Saint purifie le temple de Dieu, ce
temple qui n'est pas le sien, afin que quand il l'aura purifié,
Dieu
établisse en lui sa demeure. Je ne veux pas faire ressortir maintenant
toute l'absurdité que renferme votre sens. Ce que je me propose
de montrer, c'est, en effet, qu'à travers beaucoup de verbiage,
vous n'avez rien dit qui ait rapport à la question. Vous avez déserté
la cause et vous vous êtes étendu en louanges à l'honneur
de l'Esprit-Saint, et vous avez abondé dans ce discours à
parler contre vous-même. Je dis : contre vous-même; car vous
ne voulez pas reconnaître pour Dieu celui dont vous êtes forcé
de proclamer tout haut la divinité, à tel point qu'il est,
vous l'avouez, unique de sa nature, présent partout, sanctifiant
les âmes, et partout où il y a des hommes qui veulent être
chrétiens et prier Dieu, se donnant à tous en même
temps, que
1. I Cor. III, 16. 2. Id. II, 19.
ceux qui sont baptisés en Jésus-Christ se trouvent à
l'orient ou à l'occident : or, c'est ce que nous proclamons nous-mêmes.
Mais celui à qui nous attribuons tant de grandeur et de perfections,
loin de nous de méconnaître qu'il est Dieu ! par cela même
que nous sommes son propre temple, sa divinité éclate et
se fait voir facilement. Il n'aurait pu en effet nous avoir pour temple,
s'il n'était notre Dieu : afin de voiler ce point de doctrine et
de détourner l'esprit des hommes de la lumière de la vérité,
dans tout ce que vous avez dit du temple de Dieu, vous n'avez pas voulu
qu'il fût question de l'Esprit-Saint; et du temple du Saint-Esprit,
où l'existence se démontre avec la dernière évidence,
vous n'avez absolument rien dit. Lorsque je vous ai objecté les
deux témoignages de l'apôtre Paul; l'un où il s'exprime
ainsi : « Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu,
et que l'Esprit de Dieu habite en vous ? » et l'autre où il
dit : « Ne savez-vous pas que vos corps sont le temple de l'Esprit-Saint?
» pourquoi avez-vous usé de subterfuge, au point de citer
celui des deux qui contient ces mots : « Vous êtes le temple
de Dieu », et de garder le silence sur l'autre, qui renferme ces
expressions : « Vos corps sont le temple de l'Esprit-Saint ? »
Pourquoi, je vous le demande, avez-vous eu recours à un tel procédé,
si ce n'est parce que vous n'auriez pu prouver d'aucune manière
que celui dont nous sommes nous-mêmes le temple, n'est point notre
Dieu? Et si les divines Ecritures nous ordonnaient de lui élever
un temple fait de bois et de pierres, n'est-il pas hors de doute que nous
le reconnaîtrions pour Dieu ?
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CHAPITRE XII. COMMENT LE PÈRE ET LE FILS NE SONT QU'UNE MÊME
CHOSE.
Je vous ai prié, en douzième lieu, de produire, si vous
le pouviez, des témoignages divins, affirmant qu'il y a identité
là où il y a diversité de substances. Voulant répondre
à cette question, vous n'avez pu articuler rien de pareil; mais,
serré de très-près, vous avez eu l'audace d'affirmer
que les Apôtres sont une même chose avec le Père et
le Fils. Jésus-Christ n'a jamais tenu ce langage ; il est de vous,
qui avez avancé que le Père et le Fils et les Apôtres
sont comme une même chose. Or, (602) Jésus-Christ n'a pas
dit : Afin qu'eux et nous, nous soyons un; mais : « Afin qu'ils soient
un comme nous ». Et pour nous en tenir aux termes propres de l'Evangile
: « Père saint, dit-il, conservez en votre nom ceux que vous
m'avez donnés, afin qu'ils soient un comme nous ». Est-ce
qu'il a dit : Afin qu'ils soient un avec nous? ou bien : Afin qu'eux et
nous soyons un? Puis un peu après : « Je ne prie pas, dit-il,
pour eux seulement; mais encore pour ceux qui croiront en moi par leur
parole, afin que tous ensemble ils ne soient qu'un ». Ici encore,
il n'a pas dit : Afin qu'ils soient un avec nous. Il ajoute : « Comme
vous, mon Père, vous êtes en moi, et moi en vous, qu'ils soient
de même un en nous ». Il ne dit pas non plus ici : Afin que
nous soyons un; ou : Afin qu'ils soient un avec nous; mais : « Afin
qu'ils soient un en nous » : afin qu'étant un par nature,
parce qu'ils sont hommes, ils soient un aussi dans le Père et dans
le Fils, ce qui ne veut pas dire un avec eux; en d'autres termes, les Apôtres
ne sont pas un avec le Père et le Fils. Jésus-Christ ajoute
encore ces paroles : « Afin que le monde croie que vous m'avez envoyé;
et je leur ai donné la gloire que vous m'avez donnée, afin
qu'ils soient un, comme nous ne sommes qu'une même chose; je suis
en eux, et vous en moi, afin qu'ils soient consommés en l'unité
(1) ». Quoiqu'il ait tant de fois répété: «
Afin qu'ils soient un », jamais cependant il n'a dit : Afin qu'eux
et nous, nous soyons un, c'est-à-dire, afin qu'ils soient un avec
nous; mais tantôt il a dit : « En nous » ; tantôt,
« comme nous », en d'autres termes, eux, suivant leur nature,
nous, suivant la nôtre. Ceux qui étaient un par leur nature,
il les voulait parfaits, par cela, même qu'ils ne faisaient qu'un.
Car, en leur faisant cette recommandation : « Soyez donc, vous aussi,
parfaits comme votre Père céleste est parfait (2)»,
son dessein n'est pas de les unir à Dieu en unité de nature,
comme si leur nature et celle de Dieu étaient identiquement la même;
mais il veut qu'ils soient parfaits dans leur nature, comme Dieu est parfait
dans la sienne, quoiqu'elle soit différente et non identique : si
nous ne sommes pas cela en lui, nous ne pouvons l'être nullement.
Il n'est pas question ici de la manière d'être de tous les
hommes en Dieu, en ce sens
1. Jean, XVIII, 11-23. 2. Matt. V, 48.
qu'il contient lui-même tout ce qu'il a créé; ce
qui a fait dire « qu'il n'est pas loin de chacun de nous »,
parce que « nous avons en lui la vie, le mouvement et l'être
(1) » ; mais de la manière d'être qui est mentionnée
dans les termes suivants : « Vous n'étiez autrefois que ténèbres,
mais maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur (2) ».
De là cette autre parole : « Qu'elle se marie à qui
elle veut, pourvu que ce soit dans le Seigneur (3) ». Vous n'avez
donc pu trouver de passage où il soit dit de ceux dont la nature
n'est pas identique, mais différente, qu'ils sont une même
chose; et cependant, vous avez voulu nous échapper dans l'ombre,
en disant que les Apôtres sont un avec le Père et le Fils,
comme si les Apôtres, et le Père et le Fils, n'étaient
qu'une même chose, tandis qu'il est évident que la substance
des Apôtres est différente de celle du Père et du Fils.
Mais parce qu'il est notoire que nulle part Jésus-Christ nia dit:
qu'eux et nous, nous soyons un; ou : qu'ils soient un avec nous; qu'il
soit notoire aussi que vous n'avez pu nous répondre et que vous
avez cherché à nous tromper.
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CHAPITRE XIII. DU TÉMOIGNAGE QUE LE PÈRE REND AU FILS.
En treizième lieu, je vous ai fait observer que le Père
n'est pas plus grand que le Fils, pour lui avoir rendu témoignage.
Car j'ai rappelé que les Prophètes, eux aussi, ont rendu
témoignage au Fils, et cependant, vous ne pouvez pas prétendre
qu'ils sont plus grands que lui. Vous aviez dit que le Père a rendu
témoignage au Fils; or, j'avais cru que vous vouliez prouver par
là qu'il est plus; grand que celui à qui il a rendu témoignage;
mais, comme dans la suite de la discussion, vous n'en avez plus dit mot,
j'ai pris votre silence pour un aveu; il peut se faire cependant que vous
ayez allégué que le Père a rendu témoignage
au Fils, non pas pour prouver qu'il est plus grand que lui, mais que, autre
est le Père, autre est le Fils. Or, ce dogme, nous le soutenons,
vous et nous, contre les Sabelliens, car le Père n'est pas le même
que le Fils. Ils disent que le Fils n'est pas autre, mais identiquement
le même que le Père : pour nous, nous croyons qu'autre
1 Act. XVII, 27, 28. 2. Ephés. V, 8. 3. I Cor. VII, 38.
603
est le Père, autre est le Fils, mais que le Fils est cependant
ce qu'est le Père.
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CHAPITRE XIV. DE L'AMOUR DU PÈRE ET DU FILS.
En quatorzième lieu, comme vous aviez dit : Je lis le mot aimé,
et je crois que c'est le Père qui aime, et que c'est le Fils qui
est aimé, voici comment je vous ai répondu Ainsi, vous prétendez
qu'il y a disparité entre le Père et le Fils, parce que le
Père aime, et que le Fils est aimé; comme si vous pouviez
nier que le Fils, lui aussi, aime le Père. Et j'ai ajouté
: S'ils s'aiment tous deux réciproquement, pourquoi niez-vous donc
qu'ils soient de même nature ? Je voulais, par cet argument, vous
amener à ne plus nier l'unité de leur nature, en vous fondant
sur cette raison, que l'un aime et que l'autre est aimé. Dans votre
réponse à mon observation, vous êtes convenu, il est
vrai, que le Fils, lui aussi, aime le Père, mais vous n'avez pas
voulu reconnaître qu'ils sont de même nature : ainsi, selon
vous, le Fils aurait pour le Père l'amour de la créature
à l'égard du Créateur, et non l'amour du Fils à
l'égard de celui qui l'a engendré, et vous voulez qu'il soit
un fils dégénéré, en lui attribuant une nature
différente de celle de son Père.
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CHAPITRE XV. DE L'INVISIBILITÉ DE LA TRINITÉ.
J'ai dit, en quinzième lieu, que l'invisibilité est un
attribut, non pas seulement du Père, mais encore de la Trinité;
et toutefois que le Fils a apparu visiblement dans la forme de serviteur,
et qu'il a, pour cette raison, parlé en ces termes : « Le
Père est plus grand que moi (1) ». Mais comme la divinité
se manifestait aux patriarches, j'ai dit que la Trinité s'abaissait
à prendre la forme de la créature, au lieu d'apparaître
dans sa nature propre, qui est invisible. Et en confirmation de ce que
j'avançais, j'ai invoqué ces paroles de Moïse à
celui à qui il parlait face à face : « Si j'ai a trouvé
grâce devant vous, montrez-vous à moi vous-même ouvertement
(2)», pour vous faire comprendre de quelle manière il voyait
celui qu'il conjurait de se manifester à lui car, s'il avait vu
Dieu dans sa substance
1. Jean, XIV, 28. 2. Exod. XXXIII, 11-13.
divine, il ne lui aurait pas demandé de se montrer à lui.
J'ai dit aussi que le Christ est le créateur des choses visibles
et des choses invisibles, afin de prouver que celui qui a pu créer,
non pas seulement les choses visibles, mais encore les choses invisibles,
n'est pas visible lui-même quant à sa substance. En essayant
de répondre, que de choses n'avez-vous pas dites qui n'ont point
de rapport à la question ! le lecteur pourra en être juge
; et cependant, en ce qui concerne Moïse, pourquoi celui-ci voulait-il
que Dieu, à qui il parlait, se montrât à lui, s'il
voyait sa nature et sa substance? Vous n'avez absolument rien osé
formuler sur ce point; et vous n'avez pas cessé d'affirmer que le
Fils de Dieu, le créateur des choses invisibles, a été
visible dans la forme de Dieu, avant même qu'il eût pris la
forme de serviteur : voilà votre langage, quoique auparavant vous
ayez fait l'aveu qu'il a pu se faire voir dans la forme de serviteur, mais
qu'il est invisible dans la substance de sa divinité.
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CHAPITRE XVI. QUE DIEU SEUL EST SAGE.
En seizième lieu, comme vous aviez appliqué au Père
exclusivement ces paroles de l'Apôtre : « A Dieu, qui est le
seul sage (1) », j'ai répondu : Le Père serait donc
le seul Dieu sage, et la sagesse de Dieu elle-même, qui est le Christ,
et que l'Apôtre appelle « la force de Dieu et la sagesse de
Dieu (2) », n'aurait point la sagesse en partage ! J'ai ajouté
: Il ne vous reste plus qu'à dire, car, jusqu'où ne va pas
votre audace ! que la sagesse de Dieu est insensée. Sur quoi vous
avez répondu : Le bienheureux apôtre Paul proclame que la
sagesse appartient exclusivement au Père, quand il dit : «
A Dieu, qui est le seul sage ». Mais, disiez-vous encore, il faut
voir de quelle manière il est le seul sage; on n'affirme point que
le Christ soit dépourvu de sagesse. Vous poursuivez sur ce thème,
et vous faites votre profession de foi sur la manière dont vous
entendez la sagesse du Christ; puis, après plusieurs considérations
hors de propos, que vous avez enfilées pour traîner le temps
et le discours en longueur, vous avez encore glissé ces mots : Mais
vraiment le Père est le seul sage ; comme si l'Apôtre avait
dit formellement : Au Père, qui est le seul sage. Mais il a
1. Rom. XVI, 27. 2. I Cor. I, 24.
604
dit : « A Dieu, qui est le seul sage » ; or, comme le Fils
est Dieu aussi, ce que vous admettez comme nous, et que le Saint-Esprit
est Dieu également, quoique vous le niiez; cette Trinité
est le Dieu seul sage, qui n'a pu et ne pourra jamais être privé
de sagesse en aucune manière; et la sagesse qu'elle possède,
elle ne la tient pas d'ailleurs comme une grâce, mais elle la possède
dans l'immobilité et l'immutabilité de sa nature. Maintenant
si je vous disais : O homme, qui vous glorifiez de votre nom de chrétien,
le Christ, pensez-vous, a-t-il une sagesse qui ne soit pas la véritable
sagesse ? Le Christ, qui est vraiment Dieu, ne serait-il donc pas véritablement
sage? Sous le coup de cette interrogation, ne vous troubleriez-vous pas,
au point de me répondre aussitôt, que le Christ est vraiment
sage? Que signifie donc cette parole que vous avez fait entendre : Mais
vraiment le Père est le seul sage? Vous voyez dès lors le
point où vous en êtes arrivé, et la grandeur du blasphème
qu'il est de votre devoir de rétracter.
CHAPITRE XVII. QUE DIEU N'A PAS ÉTÉ FAIT.
En dix-septième lieu, je vous ai fait voir que le Fils, aussi
bien que le Père, n'a pas été fait, n'a pas eu de
commencement. Vous.aviez dit que vous ne reconnaissiez que le Père
pour Dieu, parce que seul il n'a pas eu de naissance, il n'a pas été
fait. En réponse à cette affirmation audacieuse : En déclarant
que le Père n'a pas été fait, vous entendez donc,
ai-je dit, que le Fils l'a été, lui par qui toutes choses
ont été faites. Puis j'ai ajouté : Sachez que le Fils
a été fait, mais dans la forme de serviteur. Car il est si
loin d'avoir eu un commencement dans sa nature divine, qu'il a lui-même
créé toutes choses. Que si, insistais-je, il a été
fait, ce n'est point de lui, mais d'ailleurs, que toutes les créatures
tirent leur existence. Avec tout votre flux de paroles, vous vous êtes
trouvé si à court pour me répondre, que vous vous
êtes absolument tu; comme si vous n'aviez rien entendu de ce que
j'ai dit.
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CHAPITRE XVIII. QUE LE PÈRE N'EST POINT ENGENDRÉ.
Comme vous aviez dit du Père qu'il n'est pas né, en d'autres termes, qu'il n'a pas été
engendré, j'ai, en dix-huitième lieu, discuté avec
vous à ce propos, et voici mes propres paroles : Je ne dis donc
pas que le Fils n'a point été engendré, mais que le
Père a engendré, et que le Fils a été engendré.
Or, le Père a engendré ce qu'il est: car, si le Fils n'est
pas ce qu'est le Père, il n'est pas son Fils véritable, ainsi
que nous l'avons déjà observé en parlant des petits
des animaux. A cela encore vous n'avez pu répondre rien de vrai
ni de faux.
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CHAPITRE XIX. DE L'ÉGALITÉ DU SAINT-ESPRIT AVEC LE PÈRE.
En dix-neuvième lieu, comme vous m'aviez demandé de vous démontrer que le Saint-Esprit est égal au Père, je vous ai répondu de la manière suivante : Pourquoi me demandez-vous de vous démontrer que le Saint-Esprit est égal au Père, comme si vous aviez prouvé que le Père est plus grand que le Saint-Esprit, de même que vous avez pu le prouver en ce qui concerne le Fils, eu égard à la forme de serviteur qu'il a prise? Nous savons en effet, ajoutais-je, qu'on dit du Père qu'il est plus grand que le Fils, parce que le Fils a pris la forme de serviteur; et mainte nant encore le Fils cou serve cette forme humaine, qu'il a élevée jusqu'au ciel; c'est pourquoi il est dit de lui que maintenant encore « il intercède pour nous (1) ». Et cette forme immortelle ne cessera jamais d'être dans le royaume des cieux : de là ces mots de l'Ecriture : « Alors le Fils sera aussi lui-même assujetti à celui qui lui aura assujetti toutes
choses (2) ». Quant au Saint-Esprit, qui n'a pris aucune créature
pour l'identifier à sa personne, quoiqu'il ait daigné se
faire voir aussi lui-même par l'intermédiaire des créatures,
soit en forme de colombe, soit.en formé de langue de feu (3), jamais
on n'a dit que le Père fût plus grand que lui; jamais que
le Saint-Esprit ait adoré le Père; jamais enfin qu'il fût
moindre que le Père. Dans la réponse que vous avez semblé
faire à ce sujet, vous n'avez en réalité rien dit.
Vous n'avez pu en effet démontrer qu'on ait jamais affirmé
que le Père est plus grand que le Saint-Esprit, tandis que le Fils
dit expressément, en raison de la forme de serviteur qu'il a prise:
« Le Père est plus grand que moi (4) ». Et comme
1. Rom. VIII, 34. 2. I Cor. XV, 28. 3. Matt. III, 16; Act. 4.
Jean, XIV, 28.
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j'avais avancé que le Saint-Esprit n'a pris aucune créature
pour l'identifier à sa personne, alors vous répliquâtes
que l'Esprit-Saint est apparu dans la colombe et dans le feu, de la même
manière que le Christ est apparu dans l'homme : comme si la colombe
et l'Esprit ou le feu et l'Esprit formaient une seule personne, comme le
Verbe uni à l'homme n'est qu'une personne. Les créatures
dont le Saint- Esprit a fait choix, dans des vues mystérieuses,
pour apparaître visible, lui qui est invisible de sa nature; la colombe,
symbole du pur amour ; le feu, symbole de la charité ardente et
éclairée, ces créatures, dis-je, n'ont apparu qu'un
moment; et, leur rôle mystérieux accompli, ces formes sensibles
ont disparu pour ne plus se montrer, semblables en cela à la colonne
de nuée, qui était ténébreuse le jour, et lumineuse
la nuit (1). Enfin, de peur qu'on n'imaginât que la colombe ou la
flamme est unie à la substance de l'Esprit-Saint, ou que la nature
d'une majesté si grande s'est transformée en ces créatures
visibles, ou qu'elle les a prises pour les identifier à sa personne,
on ne voit pas que dans la suite l'Esprit-Saint ait jamais apparu de la
sorte. Il n'en est pas de même du Christ : il n'a pas pris la ressemblance
humaine pour un temps, afin de se montrer aux hommes revêtu de leur
nature, et de la déposer ensuite ; mais en gardant sa forme invisible
de Dieu, il â pris la forme visible de l'homme, pour l'unir à
sa personne; non-seulement il a pris cette forme au sein maternel, mais
il a grandi, il a mangé, il a bu et il a dormi dans cette même
forme; en elle il a été mis à mort, il est ressuscité,
il est monté au ciel et il est assis à la droite du Père;
en elle il viendra pour juger les vivants et les morts, et dans son royaume
il sera assujetti à celui qui lui a assujetti toutes choses. A ces
considérations, que j'ai abrégées dans ma réponse,
et que je viens de développer, pour que vous en saisissiez mieux
le sens, vous n'avez voulu prêter ni attention ni intérêt;
mais vous vous êtes précipité dans le blasphème
d'une manière si étrange, que vous avez été
jusqu'à dire que la nature divine de Dieu et de l'Esprit-Saint était,
ô horreur ! sujette à la mobilité et au changement.
Voici en effet vos propres expressions : Ce que j'ai dit de l'invisibilité
du Dieu tout-puissant, vous l'avez cependant affirmé vous-même,
1. Exod. XIII, 21-22.
quoique dans un dessein différent : que le Saint-Esprit s'est
fait voir en forme de colombe et en forme de langues de feu; que le Fils
s'est montré dans la forme de l'homme; mais que le Père n'a
apparu ni en forme de colombe, ni sous la forme de l'homme; qu'il ne s'est
jamais transformé et qu'il ne le fera jamais, et que c'est de lui
qu'il est écrit : « Je suis celui qui suis, et je ne change
pas ». Puis vous ajoutez ensuite : Le Fils, déjà établi
en la forme de Dieu, selon votre propre aveu, a pris la forme de serviteur,
ce que le Père n'a pas fait; le Saint-Esprit a également
pris la forme d'une colombe, tandis que le Père ne l'a pas fait.
Sachez donc, observiez-vous, qu'il n'y en a qu'un seul qui est à
la fois invisible, immense et au-dessus de toutes limites. Tiendriez-vous
un pareil langage, si, animé par l'esprit, au lieu de l'être
par la chair, vous pouviez penser à ce que vous dites? Car vous
lisez dans les saintes Ecritures : « Je suis celui qui suis, et je
ne change pas (1) ». Or, ces paroles ne s'appliquent pas seulement
au Père, mais à la Trinité elle-même, qui est
un seul Dieu ; et vous, les appliquant au Père exclusivement, vous
croyez que le Fils est sujet à changer! Le Fils unique par qui toutes
choses ont été faites, celui que l'Evangile proclame en ces
termes : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était
avec Dieu, et le Verbe était Dieu », et « toutes choses
ont été faites par lui (2) », vous le croyez susceptible
de changement ! Que dirai-je maintenant du Saint-Esprit, quand vous vous
formez des idées semblables de celui que vous reconnaissez être
vrai Dieu et vrai Fils de Dieu ? Cela n'arriverait certainement point,
si vous croyiez en fidèle catholique, que la forme de Dieu n'a pas
été changée en la forme de, serviteur, mais que la
forme de serviteur a été prise par la forme de Dieu ; inspiré
par l'esprit, au lieu de l'être par la chair, vous admettriez qu'après
avoir pris la forme visible de l'homme, la divinité du Fils est
demeurée invisible : alors vous ne vous jetteriez pas à l'écart
dans un esprit de contention, mais vous comprendriez et vous verriez; vous
pourriez considérer des yeux de la foi le Saint-Esprit, apparaissant
d'une manière sensible par l'intermédiaire de la créature,
suivant le choix de sa volonté, tout en conservant sa nature invisible,
et sans la changer ou la transformer
1. Exod. III, 14 ; Malach. III, 6. 2. Jean, I, 1, 3.
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aucunement en forme de feu ou de colombe (1). Souvenez-vous du moins
que vous n'avez pu démontrer, contrairement à ma proposition,
par aucun témoignage divin, que le Père est plus grand que
l'Esprit-Saint, et qu'il est adoré par lui.
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CHAPITRE XX. QUOIQUE LE PÈRE NE SOIT PAS ENGENDRÉ, LE
FILS EST CEPENDANT SON ÉGAL.
En vingtième lieu, comme vous aviez dit : S'il est égal
au Père, il lui est certainement semblable; et s'il lui est semblable,
il n'a pas certainement pris naissance; je vous ai répondu : Mais
vous dites du Fils : S'il est égal, il est certainement semblable;
cela signifie que, puisqu'il a été engendré, il semble
qu'il n'est pas semblable au Père. Vous pourriez dire à ce
prix que celui qu'Adam a engendré n'est pas homme, puisque lui,
Adam, n'a pas été engendré, mais fait par Dieu. Or,
si Adam, quoique non engendré, a pu cependant engendrer ce qu'il
était lui-même, vous ne voulez pas que Dieu ait engendré
un Dieu égal à lui ? Je ne m'étonne pas que vous n'ayez
point trouvé de réponse à cette objection; mais je
vous loue sans détour de n'avoir pas même tenté une
réponse. Et plût au ciel que vous eussiez toujours agi ainsi
! car, dans nos discussions, vous n'avez jamais pu trouver rien de judicieux
à répondre, et cependant presque toujours vous avez tenu
à prendre la parole. Mais comme, sur les autres points, vous avez
avancé tant de choses qui n'avaient pas de rapports nécessaires
avec le sujet de notre débat, et que vous avez passé le temps
à dire des mots, il faut vous rendre grâces de ce que parfois
vous avez tellement compris l'impossibilité d'une réfutation,
que vous avez mieux aimé garder alors le plus complet silence.
1. Act. II, 3 ; Matt. III, 16.
source: http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin/index.htm