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Saint Augustin d'Hippone
Réfutation d'un écrit de Parménien - Donatiste

RÉFUTATION D’un écrit de Parménien.
 

LIVRE PREMIER
 

Réponse aux accusations calomnieuses et injustes lancées par l'arménien contre les catholiques. —  Les princes chrétiens, en décernant des peines contre les hérétiques et les schismatiques, ne sortent ni de leur droit, ni de leur devoir.

 

I. Usant des forces que le Seigneur m'accorde, je n'ai jamais hésité, dans toutes les circonstances, soit par écrit, soit de vive voix, à engager contre les Donatistes une polémique de sérieuse réfutation. Or, voici que me tombe sous la main une lettre qu'un de leurs anciens évêques, Parménien, adresse à Tichonius, dont on admire la vive intelligence et la richesse du langage, tout en regrettant qu'il fût donatiste. Il est vrai qu'il protestait de toutes ses forces contre cette inculpation, mais son adversaire le contraignit, sur ce point, à un aveu complet. Quant à la lettre dont je parle, les catholiques me prièrent, m'enjoignirent en quelque serte d'en entreprendre la réfutation, surtout à cause des fausses interprétations que Parménien donnait à certains passages de l'Ecriture. Tichonius, accablé sous le poids de toutes ces citations des livres saints, ouvrit enfin les yeux, et reconnut que l'Eglise de Dieu était réellement répandue sur toute la terre, comme les Prophètes l'avaient unanimement annoncé. Fort de cette conviction, il entreprit de prouver, contre ses coréligionnaires, que les crimes les plus horribles, commis par un homme quel qu'il fût, ne sauraient prescrire contre les promesses divines. Il montra également que l'impiété de tels ou tels membres de l'Eglise ne peut ébranler la croyance surnaturelle et divine à la diffusion future de cette Eglise, dans toutes les parties de la terre, comme l'ont cru et annoncé nos pères. Cette thèse fut soutenue avec énergie et éloquence par Tichonius; et appuyé sur les passages de l’Ecriture les plus imposants et les plus manifestes, il réduisit ses contradicteurs à un honteux silence. Mais ce qu'il ne comprit pas et ce qu'il aurait dû comprendre, c'est que les chrétiens d'Afrique appartiennent à cette Eglise répandue sur toute la terre, car ils ne sont pas séparés de l'unité de communion avec l'univers tout entier, avec lequel ils ne forment, au contraire, qu'une seule et même société. De son côté, Parménien et les autres Donatistes comprirent que cette conséquence découlait rigoureusement des principes; mais ils prirent le parti de s'obstiner aveuglément contre l'évidence des principes de Tichonius, plutôt que de se reconnaître vaincus par les Eglises d'Afrique, trop heureuses de faire partie de cette unité que célébrait Tichonius et dont ils s'étaient honteusement séparés. Parménien crut d'abord qu'il lui suffirait d'une lettre pour corriger cet esprit rebelle; mais plus tard il le fit condamner par un de leurs conciles. C'est cette lettre de Parménien, dans laquelle il reproche à Tichonius de soutenir que l'Eglise est répandue sur toute la terre, et l'avertit d'avoir à changer de langage, c'est cette lettre, dis-je, que j'entreprends de réfuter dans le présent ouvrage.

II. Voyons d'abord de quel droit il affirme « que les Gaulois, les Espagnols, les Italiens et leurs alliés »,qu'il regarde comme formant l'univers tout entier, « doivent être assimilés aux traditeurs africains, comme leur étant unis par la communauté des crimes ». Son adversaire lui oppose des passages aussi nombreux que concluants, tirés de la sainte Ecriture; mais pour lui, négligeant ces moyens ordinaires, il ne présente aucun document et (9) prétend qu'on doit le croire sur parole sans exiger de lui aucune preuve. Il ose même en cela se proposer comme modèle à suivre, car il n'a pas hésité un instant à croire sur parole ceux de ses coévêques qui accusaient les différentes Eglises répandues sur toute la face de la terre. Une telle crédulité, n'est-ce pas ce que l'on peut imaginer de plus téméraire? Ecoutons-le : « Quelques-uns de mes collègues, témoins irréprochables, reçurent pour mission de visiter ces provinces; à leur arrivée, ces saints prêtres du Seigneur virent se dévoiler, dans toute leur réalité et leur évidence, « les crimes dont ils nous attestent l'authenticité ». N'en doutons plus, cet homme est persuadé qu'on doit croire à sa parole plutôt qu'à celle de Dieu. Tichonius déroule sous ses yeux les foudroyants oracles du Testament divin; il lui rappelle cette promesse faite à Abraham, à Isaac et à Jacob, dont le Seigneur se proclame le Dieu unique : « Je suis le Dieu a d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, c'est là mon nom pour l'éternité (1) ». Et Parménien lui oppose les récits de ses coévêques. Qu'a-t-il été dit à Abraham? « Toutes les nations seront bénies dans votre race (2) ». Qu'a-t-il été dit à Isaac? « Et toutes les nations de la terre seront bénies dans votre race, parce que Abraham, votre père, a écouté ma voix (3) ». Qu'a-t-il été dit à Jacob ? « Je suis le Dieu d'Abraham, votre père, et le Dieu d'Isaac, ne craignez point. Je vous donnerai, à vous et à votre race, la terre sur laquelle vous donnez; et votre race sera nombreuse comme les grains de poussière sur la terre, et elle couvrira l'univers du Nord au Midi, de l'Orient à l'Occident; et toutes les tribus de la terre seront bénies en vous et dans votre race (4) ». N'allez pas supposer qu'il s'agit ici des Juifs, car voici que l'Apôtre nous apprend quelle est cette race d'Abraham dans laquelle toutes les nations doivent être bénies. « Des promesses, dit-il, furent faites à Abraham et à sa race »; il n'est pas dit: à ses races, comme s'il dût y en avoir plusieurs; mais, «à votre race, à une seule, a qui est Jésus-Christ (5)». C'est donc en Jésus-Christ que, toutes les nations doivent être bénies: tel est le sens authentique de la promesse, telle est la seule interprétation fondée sur la vérité. Et des hommes qui veulent se dire chrétiens osent penser autrement? Quelle

 

1. Exod. III, 6, 15. — 2. Gen. XXII, 18. — 3. Id, XXVI, 4, 5. — 4. Id. XXVIII, 14. — 5. Galat. III, 16.

 

est donc leur réponse? « Quelques-uns de mes a collègues, témoins irréprochables, eurent  pour mission de visiter ces provinces; à leur arrivée, ces saints prêtres du Seigneur a virent se dévoiler, dans toute leur certitude et leur évidence, les crimes déjà connus par la renommée ». Et qu'est-ce donc qu'ont publié ces témoins dont la parole doit être acceptée, même avant celle de Dieu? Serait-ce que le crime des traditeurs africains n'a pas permis à la race d'Abraham, c'est-à-dire à Jésus-Christ, de se répandre dans toutes les nations, et qu'elle s'est éteinte dans les lieux où elle était parvenue? Dites alors qu'on doit croire à la parole de vos collègues plutôt qu'à celle du Testament; et vantez-vous encore d'avoir sauvé des flammes ce Testament que votre langage tend sans cesse à détruire.

III. Mais que chacun embrasse le parti qui lui plaît, et si les oracles du ciel doivent disparaître devant la fumée du mensonge des hommes, que cette fumée fasse bientôt place à la tempête. Si Parménien ne cherchait pas à conserver son siège, il n'hésiterait pas à croire à la parole de Dieu plutôt qu'à celle de ses collègues. En effet, le Seigneur dit à Jacob

a Je ne vous abandonnerai pas que je n'aie « réalisé les promesses que je vous ai faites (1) ». Je le dis sans hésiter, ce que je crois, c'est que nos adversaires, déjà frappés d'une condamnation trop méritée, ne purent se faire admettre en communion avec ces contrées où Dieu réalisait les promesses faites à nos pères; dès lors ils calomnièrent ainsi ces saints prêtres du Seigneur, afin de mieux tromper les faibles que retenait le prestige de leur nom, et de les arracher à la paix qu'ils goûtaient dans leur communion avec l'univers entier. Cette communion leur avait été refusée, ils devaient tenter de la détruire. Peut-on pousser plus loin la folie ou la démence ? C'est au sein de ces nations de l'univers que le Seigneur va sans cesse accomplissant la promesse qu'il a faite : « Je ne vous abandonnerai pas jusqu'à « ce que je réalise ma promesse ». Et sur la parole de leurs envoyés, nos adversaires soutiennent que Dieu n'accomplit pas ses promesses et que dans toutes les contrées où ces promesses étaient déjà accomplies, s'est éteinte la race d'Abraham, c'est-à-dire Jésus-Christ, et que toutes les promesses divines sont restées lettre morte, parce qu'ils n'ont pas été reçus

 

1. Gen. XXVIII, 15.

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dans la communion de ceux qui jouissaient de l'accomplissement des promesses. Et on ne leur répond pas: « Dieu seul est la vérité; tout homme est menteur (1) ». Vous parlez assurément de vous-mêmes ; or, « celui qui parle de lui-même est un menteur (2) » ; vous mentez donc comme des hommes, puisque vous vous irritez comme des hommes. Et loin de leur tenir ce langage, on croit, sur leur parole, que Jésus-Christ a disparu de l'univers qu'il commençait à posséder. Et ceux qui croient une pareille absurdité, auraient encore l'impudence de dire: Nous sommes chrétiens; et ils oseraient ajouter : Des chrétiens, il n'en est pas d'autres que nous !

IV. Ecoutons Parménien : « Il suit de là », dit-il, « que l'univers a été souillé par les crimes des traditeurs et des autres sacrilèges; car si dans les temps de persécution le monde fut témoin de beaucoup de crimes du même genre, cependant, en provinces les peuples ne se séparèrent jamais ». Ne dirait-on pas qu'il ne pouvait y avoir aucun pécheur secret, ou qu'on n'en accusa aucun de manière à pouvoir le condamner sans aucune témérité; ou bien encore que certains pécheurs furent livrés et condamnés , sans que pour cela ils aient troublé ou divisé les Eglises , par la raison que les crimes qu'on leur reprochait n'avaient aucune publicité? Il suivait delà que pour assurer la paix du Seigneur on fermait les yeux sur certains criminels, ou sur les crimes incertains, se contentant de frapper ceux qui étaient tellement publics et évidents que les condamnés se trouvaient dans l'impossibilité de feindre l'innocence pour tromper les peuples, et qu'ainsi jamais la paix ne pouvait être troublée. Enfin, quant à l'Afrique en particulier, comment le fléau du schisme aurait-il pu s'y abattre, si toujours l'évidence des preuves de conviction avait pu déjouer les fictions auxquelles la malveillance eut trop souvent recours?

V. Qu'ils lisent, s'ils le veulent, les récits d'Optat de Milève, évêque catholique, de sainte mémoire, et les documents si pleins d'intérêt qu'il nous a laissés. Il nous parle d'abord de Lucille, cette femme aussi factieuse que riche, et que Cécilianus, encore simple diacre, avait blessée dans son orgueil, en voulant sauvegarder la discipline de l'Eglise. Il nous dépeint également les divers partisans de cette faction

 

1. Rom, III, 4. — 2. Jean, VIII, 44.

 

dans laquelle ils étaient entrés, soit parce qu'ils avaient dilapidé les trésors de l'Eglise, soit parce qu'ils se plaignaient qu'on leur eût refusé l'épiscopat, soit parce qu'ils ne cessaient de tendre des embûches à Cécilianus qui leur avait été préféré. Il n'oublie pas davantage les évêques numides que cette faction avait convoqués pour perdre Cécilianus et lui choisir parmi eux un successeur immédiat. Ces Numides se présentèrent en effet, présidés par Sécundus de Tigisit, leur primat, et accompagnés de ceux que Sécundus avait absous du crime de tradition, tant était vif son désir de rétablir la paix. Or, en lisant les Actes ecclésiastiques, nous voyons que pendant l'absence de Cécilianus, sans tin plus profond examen et sans attendre aucune réplique contradictoire, ils le condamnèrent comme traditeur. Ainsi, tandis qu'ils pardonnaient ce crime à ceux de leurs sectaires qui étaient présents et s'avouaient coupables, ils ne craignaient pas de condamner un évêque pendant son absence et sur une simple accusation dénuée de preuves. De même, à cet évêque, mis en possession de son siège et qui était en communion avec toutes les Eglises de l'univers, avec les contrées d'outre-mer et les plus lointaines, et surtout avec les Eglises africaines qui avaient su résister aux séductions du schisme, ils opposèrent un autre évêque auquel ils conférèrent l'ordination, comme s'ils voulussent donner un démenti aux promesses divines, et empêcher que toutes les nations fussent bénies dans la race d'Abraham. Ils voulaient sans doute aussi se donner le droit de dire que toutes les contrées de la terre étaient souillées par les traditeurs africains, alors même qu'elles ne connaissaient ni leur nom ni celui de Cécilianus. Supposé que l'univers indigné réponde aux Donatistes : Ce que vous reprochez à vos concitoyens, je n'ai pu le connaître, et ne le connaissant pas, je n'ai pu le condamner, d'autant plus que vous-mêmes vous n'avez jamais pu prouver que celui-là fût réellement coupable, et qu'il peut se regarder comme innocent; ils répliquent aussitôt par ce passage de l'Apôtre: «Non-seulement ceux qui commettent ces crimes, mais encore ceux qui con« sentent à leur perpétration (1) ». Ce n'était donc pas assez pour eux de condamner, sans les entendre, tous les peuples chrétiens, il leur fallait encore citer les paroles de l'Apôtre

 

1. Rom. I, 32.

 

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contre l'Apôtre lui-même, en cherchant à en dénaturer le sens? En effet, si, pour se rendre complice des méchants, il suffit de rester avec eux dans l'Eglise, Paul se rendait donc complice des faux frères, puisqu'il attestait qu'il courait des dangers au milieu d'eux (1), et qu'il leur permettait de prêcher, quoique leur prédication fût inconvenante, et inspirée, non pas par la charité, mais par la jalousie (2). Si, au contraire, on ne doit regarder comme complices des méchants que ceux qui louent et approuvent leurs oeuvres ; à l'exemple de l'Apôtre, l'Eglise universelle ne serait pas complice des crimes des Africains, lors même qu'elle connaîtrait et tolérerait ces crimes pour le bien de la paix. Or, jamais les Donatistes ne prouveront que ces crimes fussent réels, à plus forte raison que l'Eglise universelle en ait eu connaissance.

VI. C'est donc en vain que Parménien s'écrie « que les traditeurs condamnés en Afrique ont fait rejaillir les éclats de cette condamnation sur tous ceux qui les ont accueillis dans les provinces d'outre-mer ». C'est là une absurdité que nous n'accepterons jamais, à moins d'assumer sur nous la témérité sacrilège de condamner, sur la foi de leur fausse accusation, l'univers tout entier fondé sur l'unité de Jésus-Christ, plutôt que de l'aimer sur la foi des promesses solennelles du Seigneur. A qui donc devons-nous croire de préférence, ou à Dieu qui déclare que « toutes les nations seront bénies dans votre race », ou bien aux Donatistes qui affirment que toutes les nations sont maudites dans la race des traditeurs africains? L'iniquité dans son crime sera donc plus puissante que la vérité dans ses promesses? Pourquoi donc n'admettrions-nous pas bien plutôt, que ceux qui ont été reçus dans la communion des contrées d'outre-mer, présentaient de tels caractères d'innocence, que toutes les calomnies n'ont pu les flétrir, et c'est là, en effet, ce qu'attestent les documents les plus dignes de foi; ou bien, supposé qu'ils eussent été coupables, toujours est-il qu'ils passaient pour innocents et qu'ils n'ont pu souiller ceux qui les acceptaient dans leurs rangs? Je vais plus loin encore et je suppose que ces chrétiens dont je parle, ressemblaient à ces mauvais frères que saint Paul toléra dans l'unité de l'Eglise, à ces malheureux dont la chute arracha des larmes si brûlantes

 

1. II Cor. XI, 26. — 2. Philipp. I, 15, 17, 18,

 

au glorieux martyr Cyprien ; je suppose encore qu'ils aient siégé au nombre des juges et qu'ainsi ils aient rendu impossible toute conviction et toute exclusion des traditeurs; dans ce cas, sans doute l'univers chrétien eût été indignement trompé sur le fait de leur innocence prétendue, mais encore il n'eût pas perdu par ce seul fait son innocence.

VII. Quant à Osius de Cordoue,ancien évêque catholique dont le nom revient sans cesse sur leurs lèvres , on peut les sommer de prouver, non-seulement qu'il fut tel qu'ils le disent, mais encore que ses crimes prétendus furent connus de ceux avec lesquels on nous dit qu'il resta en communion. S'ils ne peuvent fournir ces preuves, c'est en vain qu'ils se flattent de l'avoir connu tel qu'il était : Osius n'a pu nuire à des chrétiens qui ne le connaissaient pas; tandis que les Donatistes, en se séparant de ces mêmes chrétiens restés innocents, se sont évidemment rendus coupables, ne fût-ce que du crime d'une séparation sacrilège. En supposant qu'Osius ait été condamné par les Espagnols et absous par les Gaulois, on peut parfaitement admettre que les Espagnols, circonvenus par de fausses accusations, et trompés par de frauduleuses embûches, aient condamné un innocent, sauf plus tard à faire preuve d'humilité chrétienne et à revenir peu à peu et pacifiquement à l'avis de leurs collègues, aux yeux desquels l'innocence du condamné était revêtue de preuves irrésistibles ; ce parti , du reste , était le seul qu'ils eussent à prendre, s'ils ne voulaient pas s'obstiner injustement dans leur première décision , et s'exposer , par un déplorable aveuglement d'impiété, à tomber dans les horreurs du schisme, qui est le plus grand de tous les crimes. Pourquoi donc ce schisme n'a-t-il pas effrayé ces malheureux Donatistes qui, malgré leurs divisions, ne sentent pas encore le crime qu'ils ont commis?

VIII. Il est dès lors bien facile de comprendre pourquoi ils sont obstinément restés dans la voie mauvaise; pour en sortir, il leur aurait fallu condamner ouvertement la sentence qu'ils avaient témérairement portée contre Cécilianus absent, avant de pouvoir adhérer, par respect pour la vérité et par amour de la paix, au jugement rendu dans les provinces d'outre-mer, et qui n'avait pu justifier Cécilianus en sa présence, qu'en les condamnant (12) eux-mêmes. Il leur était difficile de se rétracter, et cependant il eût été de beaucoup plus glorieux pour eux, de se vaincre eux-mêmes en faisant taire leur ressentiment, que de triompher d'un ennemi devant un tribunal. Ne lisons-nous pas dans l'Écriture : « Il est plus glorieux de dompter sa colère que de s'emparer d'une ville (1)? » La plus belle victoire est donc celle que l'on remporte, non pas sur un ennemi, non pas sur une cité, mais sur soi-même. Quand ces Donatistes désiraient si vivement triompher de Cécilianus, comment ne sentaient-ils pas qu'ils étaient eux-mêmes vaincus par leur propre colère? Et puisqu'ils n'ont pu triompher de l'évêque de Carthage, on peut conclure qu'ils ont été vaincus et par leur adversaire et par leur propre colère; par leur adversaire, puisque le tribunal les a condamnés; par leur colère, puisque leur défaite n'a pu les calmer, et que, dans le dérèglement de leur coeur, ils ont osé dénaturer cette maxime de l'Apôtre : « Si je réédifie ce que j'ai détruit, je me constitue moi-même prévaricateur (2) ». Si l'Apôtre, en prononçant ces paroles, leur avait donné ce sens coupable, il n'aurait pu devenir ni chrétien, ni apôtre; il n'aurait pu surtout fonder, par sa prédication, des Églises dont il s'était fait auparavant le destructeur et le bourreau. Pour bien comprendre l'endurcissement des Donatistes dais leur honteuse défaite, il suffit de connaître la haine profonde qu'ils conçurent contre les Espagnols auxquels ils ne pardonnèrent jamais de s'être laissé éclairer par leurs collègues des Gaules, et d'avoir révoqué leur première décision. Autant la rétractation des uns fut inspirée par la mansuétude chrétienne, autant l'obstination des autres fut l'effet d'un orgueil satanique. S'étonnera-t-on, dès lors, que l'humilité des uns eût conservé la paix, tandis que l'orgueil des autres l'a rompue à tout jamais? Ne nous étonnons pas non plus qu'on leur rende aujourd'hui avec usure le fruit de leurs oeuvres; leurs enfants ne font en cela que profiter des leçons de leurs pères. En effet, si les Maximianistes n'ont pas voulu se soumettre au jugement par lequel trois cent dix évêques ont absous Primianus qu'ils avaient condamné, ne pouvaient-ils pas illusionner les simples et alléguer ces mêmes paroles de l'Apôtre : « Si je réédifie ce que

 

1. Prov. VI, 33. — 2. Gal. II, 18.

 

j'ai détruit, je me constitue prévaricateur ? » Cent évêques avaient condamné Primianus, pouvaient-ils l'absoudre après trois cents autres? C'est ainsi que, sous le vain prétexte de ne pas relever un homme qu'ils avaient renversé, ils se donnèrent la mort à eux-mêmes en se précipitant dans un schisme sacrilège.

IX. Si Parménien vivait encore, il n'oserait pas condamner les Espagnols et les flétrir du nom de prévaricateurs pour avoir embrassé la décision de leurs collègues. En agissant autrement, il craindrait de blesser ses collègues, dont plusieurs, après avoir condamné Primianus, se soumirent ensuite à la décision des trois cent dix, par la raison qu'ils aimaient mieux se rétracter que de troubler l'union et la paix, même dans la secte de Donat. Il pardonnerait surtout à Prétextat et à Félicianus qui, après avoir été condamnés par trois cent dix de leurs collègues, rentrèrent dans les rangs de leurs condamnateurs par amour de la concorde, et furent reçus par eux avec le même empressement, par le même motif, et sans que leur position en subît la plus légère atteinte. Bien plus, il ne vint même à la pensée de personne de réitérer le baptême à ceux qu'ils avaient baptisés pendant leur schisme. Dira-t-on que Parménien avait un tel mépris pour ceux qui rétractent leurs erreurs, et qu'il comprenait si peu ceux que l'Apôtre appelle prévaricateurs, qu'il aurait été saisi d'horreur contre ceux qui préféraient rentrer dans l'unité plutôt que de rester dans le schisme, et que, s'adjoignant tous ceux qui auraient partagé ses impressions, il aurait créé la secte des Parménianistes, comme tant d'autres sectes ont été créées pour le même motif dans ce petit coin de l'Afrique ? Sans trop nous en étonner, nous aurions vu là un fait de plus avec tous ceux qui prouvent déjà trop clairement que tous ceux qui préfèrent les satisfactions de leur orgueil au bien sacré de la paix catholique, doivent se diviser de plus en plus et marcher vers une ruine certaine. Du reste, nous avons moins à redouter les menaces de Parménien, qu'à recueillir précieusement ses propres aveux.

X. Voici ce qu'il écrivait : « Osius d'Espagne aida puissamment Cécilianus à accroître le nombre des saints de leur communion, mais la foi des serviteurs de Dieu résista dans toute son intégrité aux séductions de (13) cette impiété ». Puis il avoue aussitôt que ses coreligionnaires s'adressèrent directement à Constantin, et que, d'après ses ordres, la cause fut soumise au jugement de plusieurs évêques, présidés par Melchiade, évêque de Rome. Or, les Actes ecclésiastiques nous apprennent que, dans ce jugement où les Donatistes furent condamnés, et Cécilianus déclaré innocent, ils osèrent accuser Melchiade lui-même du crime de tradition. Comment donc ce crime était-il parvenu à leur connaissance? S'ils le connaissaient avant le jugement, comment s'expliquer qu'ils l'aient accepté pour juge, même après les ordres formels de l'empereur, qu'ils avaient invoqué comme arbitre? S'ils nous disent que ce n'est qu'après le jugement que la faute du Pontife leur a été révélée, supposeraient-ils que les hommes seraient assez insensés pour ajouter foi aux récriminations des vaincus quand ils accusent leur juge? Sans parler des Italiens, des Gaulois et des Espagnols, qu'ils accusent avec une incroyable témérité, je pourrais leur demander pour quel motif ils se sont séparés des autres provinces et des autres nations qui n'ont rien à voir dans les crimes, fussent-ils vrais, des Italiens, des Gaulois et des Espagnols. Mais voici que, cédant à leur habitude, ou plutôt à une aveugle fureur, ils s'irritent contre l'univers tout entier : « Car, disent-ils, tous ces peuples savaient que deux partis divisaient l'Afrique, le parti des traditeurs et le parti des innocents; et cependant c'est avec les traditeurs qu'ils se sont mis en communion, de préférence aux innocents ». Une telle accusation se réfute d'elle-même. En effet, puisqu'ils savaient que deux partis divisaient l'Afrique, celui des traditeurs et celui des innocents, n'était-il' pas naturel qu'ils regardassent comme innocents ceux qui avaient été proclamés tels par les juges ecclésiastiques des provinces limitrophes ? Comment donc ne pas proclamer la parfaite innocence de ces étrangers qui, ne sachant pas comment les choses se passaient en Afrique, crurent ce que l'amour de la paix et de la religion leur inspirait de croire? Mais dès là que leur innocence, est constatée, peut-on ne pas regarder comme criminels ceux qui ont osé se séparer de leur communion?

XI. Parménien avoue également que les évêques désignés comme juges, et les parties, c'est-à-dire Cécilianus et les Donatistes, sortirent de l'Afrique et se réunirent dans la ville d'Arles. Or, se confiant tout entier au témoignage de ses coreligionnaires, il déclare qu'ils ne subirent aucune défaite et qu'ils n'eurent pas à se plaindre des juges. Et cependant il ne nie pas qu'ils en appelèrent de nouveau à Constantin ; mais parce qu'ils furent déclarés coupables, il soutient que cet empereur s'était laissé séduire. Qu'on examine ces faits avec une attention scrupuleuse et sans aucun parti pris, et alors que l'on dise à qui l'on doit croire de préférence, ou bien à des juges proclamant leur sentence, ou bien à des plaideurs qui se voient condamnés et qui s'obstinent à continuer la lutte. Il est évident que l'univers a cru à la parole des juges. Quant à ceux qui prennent parti pour les Donatistes et les soutiennent, ils avouent qu'ils croient à la parole d'hommes qui n'ont pu terminer leur cause, quelle qu'elle fût, malgré les discussions sans nombre qui furent engagées en deçà et au-delà des mers; et par conséquent ils se font les échos fidèles de tous les murmures et de toutes les accusations que les Donatistes prodiguent à leurs juges. Or, s'ils regardent de tels hommes comme innocents, malgré toutes les condamnations dont ils furent frappés; de quelle innocence ne doivent pas briller à nos yeux ceux qui refusent d'accuser des juges, sans raison suffisante, et qui comprennent fort bien qu'il n'est que trop naturel à des condamnés de se plaindre de leurs juges? En effet, si celui qui a perdu une bonne cause, se plaint de l'iniquité, de la lenteur ou de là négligence du juge, il n'est pas jusqu'à celui qui a été très-légitimement condamné qui ne se croie le droit de murmurer contre le juge le plus intègre, par l'effet du même aveuglement qui lui faisait engager la lutte contre un innocent. Les coupables ne sont donc pas ceux qui refusent d'ajouter foi aux plaintes de tous les condamnés indistinctement, mais ceux qui, cédant aux accès de leur propre fureur, ont fait schisme avec ces innocents qui exigent des preuves convaincantes avant de croire à l'iniquité des juges.

XII. Parmi ces Eglises dont ils se sont indignement séparés, il en est une, elle est fort illustre et l'une des sept dont nous parle l'Apocalypse (1), l’Eglise de Philadelphie, dont le nom lui-même est le symbole de la charité

 

1. Apoc. III, 7.

 

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fraternelle. Écoutons sa voix; que la parole appartienne, non pas à la paille, mais au froment. Supposons-donc que cette Église tienne à nos adversaires à peu près ce langage : Que me reprochez-vous, mes frères? de quoi m'accusez-vous? Vous avez pu connaître ou apprendre par quelle distance terrestre je suis éloignée de l'Afrique; j'ignore donc entièrement ce qui s'est passé entre les traditeurs et leurs accusateurs et leurs juges, je ne sais si ces derniers n'ont été que les calomniateurs et les persécuteurs des innocents. Mais ce divin Sauveur qui a racheté le monde tout entier au prix de son sang, et dont les souffrances nous ont été dépeintes si longtemps d'avance, dans ces paroles du Prophète : « Ils ont percé mes mains et mes pieds, et ils ont compté tous mes os : ils m'ont regardé et considéré avec attention; ils se sont partagé mes vêtements, et ils ont tiré ma robe au sort », ce divin Sauveur, dis-je, en m'éloignant de vous à une aussi grande distance, n'a pas voulu que cette distance fût vide et privée de chrétiens; on y trouve partout ses enfants, pour la gloire de son nom. Lisez le psaume prophétique de sa passion, avec le prix du rachat, vous trouverez aussi.le nombre des captifs rendus à la liberté : « Tous les confins de la terre se souviendront et se convertiront au Seigneur; toutes les nations adoreront en sa présence, car l'empire universel lui appartient, et il régnera sur toutes les nations (1) ». Je serais obligée de m'occuper de votre cause, si j'étais près de vous, ou si, sans être près de vous, il n'y avait entre vous et moi aucun autre chrétien marqué du même sceau et participant à la même unité. Mais de nombreuses nations chrétiennes sont là, rachetées par le même sang que moi, et adorant avec moi la présence du même Dieu. Avant d'arriver jusqu'à moi, le bruit de vos malheurs a dû traverser ces régions ; en raison de leur proximité, elles ont pu examiner votre cause. Si cet examen n'est point encore fait, cette négligence ne doit être attribuée qu'à vous seuls, car si les autres en étaient coupables, vous ne seriez pas venus jusqu'à nous. Si quelque jugement a été rendu, excusez-moi, je vous prie, mais ne serait-ce pas me montrer téméraire que d'ajouter foi aux plaintes des vaincus et de condamner les juges? Et puis je me sens arrêtée

 

1. Ps. XXI, 17, 18, 19, 28, 20.

 

par un motif plus puissant encore; car, si vous n'étiez que des innocents opprimés, nous, vos frères qui ne vous avons jamais nui, vous nous aimeriez tendrement; et voici que nous reprochant, sans doute, de savoir que votre cause a été juridiquement soumise au jugement de vos voisins qui ont prononcé devant Dieu selon le droit ecclésiastique, vous nous couvrez de vos malédictions, vous nous poursuivez de votre haine la plus acerbe; et comme si, à cause de nous, Jésus-Christ eût perdu parmi vous son héritage, vous prétendez devoir nous réitérer le baptême. Dans de semblables conditions quelle sympathie pourrait nous inspirer votre cause ? Vous qui n'éprouvez aucune hésitation à couvrir des soupçons les plus téméraires vos frères les plus éloignés par la distance, ne prouvez-vous pas que ce n'est qu'avec justice que vous avez été condamnés par vos voisins? Comment me refuserais-je de croire qu'un juge voisin n'a été qu'équitable en condamnant, après l'avoir entendu, un homme qui sans m'entendre ne craint pas de me condamner, moi son frère, séparé de lui par une longue distance, sous prétexte que, n'ayant pu assister aux débats, j'ai commis l'horrible crime de croire à la parole des juges plutôt qu'à celle des plaideurs vaincus? Si j'avais refusé d'ajouter foi à la sentence des juges, lors même que les vaincus seraient innocents, je ne serais pas innocente moi-même. En effet, nous qui ne pouvons sonder le coeur humain, ne serions-nous pas coupables et rebelles contre la discipline ecclésiastique, si nous refusions de croire à la sentence des juges qui ont dû se prononcer en dernier ressort, et par l'unique organe desquels nous avons pu être instruits des débats engagés? Elles sont donc innocentes ces régions éloignées, et après vous être séparés de leur communion, vous osez encore vous proclamer innocents. Si vous l'étiez réellement, vous verriez dans les saintes Écritures que la moisson de votre Dieu ne peut être séparée de la zizanie et de la paille avant la purification et la séparation dernières (1), et dès lors vous n'hésiteriez pas à vous montrer forts pour tolérer les méchants, plutôt qu'impies jusqu'à vous séparer des bons. Or, ce langage que je viens de prêter à l'Église de Philadelphie, ne pouvons-nous pas le prêter, et avec autant de raison, à toutes ces Églises

 

1. Matt. III, 12; XIII, 27-13.

 

15

 

dispersées sur toute la face de l'univers ?

XIII. Parménien se plaint également a que a Constantin ait ordonné de les conduire en a plaine, c'est-à-dire au supplice », eux qui après avoir été condamnés par les juges ecclésiastiques, se virent refuser devant l'empereur le droit de prouver ce qu'ils avançaient, et pour cette raison se sentaient en proie à la fureur sacrilège de faire schisme dans la sainte Eglise. Or, « si l'empereur a formulé des ordres aussi cruels, ce n'est que sur les instances de l'espagnol Osius, habitué à condamner sans entendre, et sur ses propres soupçons ». Malgré ce langage de Parménien, ne serait-il pas plus charitable et plus sage de croire que si Osius avait pu user de quelque influence, c'eût été dans le but de fléchir l'empereur et d'atténuer la sentence, tout en reconnaissant qu'elle était proportionnée à la grandeur du crime? Quels châtiments, après tout, pourraient donc leur paraître injustes, quand nous savons qu'ils ne leur sont infligés, dans les desseins de Dieu, que pour les arracher aux tourments infiniment plus redoutables de l'enfer; qu'ils sont mérités par la gravité de leurs crimes et appliqués par la sagesse des puissances de la terre? Qu'ils prouvent d'abord qu'ils ne sont ni hérétiques ni schismatiques; alors du moins ils pourront crier à l'indignité des châtiments qui les frappent; alors si on les soumet à des persécutions iniques, ils pourront se dire les martyrs de la vérité. A les entendre, quiconque est puni par l'empereur ou par les juges qu'il délègue , reçoit aussitôt le brevet de martyr, toutes les prisons regorgent de martyrs, toutes les chaînes judiciaires traînent des martyrs, toutes les houillères sont pleines de malheureux martyrs, des martyrs sont déportés dans toutes les îles, des martyrs sont frappés du glaive juridique dans tous les lieux d'expiation, des martyrs sont jetés en pâture à toutes les bêtes du cirque, ou brûlés tout vivants sur les bûchers, par l'ordre des juges. Pourtant l'Apôtre a dit : « Toute puissance vient de Dieu, elle est le ministre de Dieu pour venger ses droits contre celui qui fait le mal, et ce n'est pas sans raison qu'elle porte le glaive. Voulez-vous n'avoir rien à craindre du pouvoir? Faites le bien et vous ne recevrez que des éloges (1) ». Or, tout homme de bien qui subit une épreuve mérite les éloges

 

1. Rom. XIII, 1-4.

 

du pouvoir qui la lui inflige; et si un méchant porte le châtiment de son iniquité, qu'il se garde bien de s'en prendre au pouvoir.

XIV. Du reste, tout ce bruit que l'on fait autour des châtiments qu'ils subissent, ne vient-il pas uniquement de ce que la multitude des hommes place son coeur, non pas dans son coeur, mais dans ses yeux? Que du sang humain vienne à couler, on frémit à cet aspect. Et si un hérétique ou un schismatique meurt dans le schisme et le sacrilège, privé de la paix de Jésus-Christ et séparé de sa communion, parce que rien ne frappe les yeux, personne ne pleure; il y a plus, car c'est à peine si, en vertu de l'habitude, on ne répond pas par un sourire à cette mort qui est de toutes la plus triste et la plus déplorable dans son horrible vérité. Et les auteurs de tant de morts de cette espèce nous insultent publiquement, sans daigner se réunir en conférence avec nous pour y mettre la vérité dans tout son jour. D'un autre côté, en admettant que des peines temporelles leur soient infligées par l'usage légitime que les princes de la terre font de leur puissance, que sont donc ces peines en comparaison des maux de toute sorte qu'ils sèment chaque jour de tous côtés contrairement à toutes les lois civiles et ecclésiastiques? Ils nous appellent les persécuteurs du corps : pourquoi ne s'appellent-ils pas les bourreaux des âmes, qu'ils immolent sans pour cela épargner davantage les corps? Mais tel est l'effet de la mansuétude chrétienne sur les mœurs, qu'on juge plus sévèrement un oeil arraché dans la lutte, qu'une intelligence aveuglée dans le schisme : voilà ce qui explique pourquoi ils parlent contre nous, et parlent avec nous; et quand la vérité les condamne au silence le plus absolu, l'iniquité ne leur permet pas de se taire.

XV. Quand il s'agit de religion, est-ce que ni l'empereur, ni ceux qu'il délègue à ce sujet n'ont rien à y voir ? Pourquoi donc vos députés se sont-ils adressés à l'empereur ? Pourquoi donc l'ont-ils établi le juge de leur cause, s'ils ne devaient pas se soumettre à sa décision? Mais pourquoi ces questions? En supposant qu'on leur accorde que l'empereur n'a nul pouvoir de statuer sur le sort de ceux qui sont engagés dans une fausse religion, tous ceux qu'il condamnerait à mort seraient-ils pour cela des martyrs? C'est là sans doute ce que voudraient tous les hérétiques contre (16) lesquels Dieu inspire souvent aux empereurs de prendre les mesures les plus sévères; aux hérétiques et à tous ceux qui ne présentent du chrétien que le nom, il faudrait joindre aussi, sans doute, les païens eux-mêmes. Ces derniers ne sont-ils pas engagés dans l'impiété d'une fausse religion, et des lois récentes n'ordonnent-elles pas de renverser et de briser leurs idoles? Quant à leurs sacrifices, ils sont défendus sous peine de mort. Supposé donc que tel païen soit surpris en un flagrant délit de ce genre, le regarderez-vous comme un martyr, parce qu'on lui aura fait l'application des châtiments que les lois infligent à cette superstition qu'il prenait pour un culte pieux? Un chrétien, quel qu'il soit, n'acceptera jamais une telle dénomination. Pour qu'on prenne le nom de martyr, il ne suffit donc pas d'être frappé par l'empereur dans une question de religion. Ceux qui ne reculeraient pas devant une telle absurdité, ne voient donc point qu'en vertu de leur principe les démons eux-mêmes pourraient revendiquer pour eux lé glorieux titre de martyrs, par la raison qu'ils souffrent persécution de la part des empereurs chrétiens qui ordonnent de renverser leurs temples, de briser leurs idoles, de détruire leurs sacrifices et de punir tous ceux qui seraient surpris leur rendant un culte. Ce serait là évidemment le comble de l'absurdité ; d'où je conclus que la justice d'une cause ne résulte pas de la persécution qu'elle subit, au contraire c'est la cause juste qui rend la persécution glorieuse pour celui qui la souffre. Afin de ne laisser aucun doute sur ce point, et pour empêcher qu'on ne s'attribuât la gloire du martyre quand on ne fait que subir le châtiment de son crime, le Sauveur voulant béatifier la vraie persécution, ne se contente pas de dire en général : Bienheureux ceux qui souffrent persécution, mais il en détermine l'espèce, pour bien distinguer la vraie piété du sacrilège : « Bienheureux, dit-il, ceux qui souffrent persécution pour la justice (1) ». Or, est-ce pour la justice que souffrent persécution ceux qui ont divisé l'Eglise de Dieu, qui sous prétexte d'une fausse justice veulent séparer avant le temps le froment de la paille, poursuivent le froment d'accusations calomnieuses, et se séparent eux-mêmes, emportés qu'ils sont comme la paille légère, par le souffle de l'orgueil? Mais, disent-ils,

 

1. Matt. V, 10.

 

cette conduite n'est pas la nôtre. Qu'ils cherchent donc à éclaircir cette question, et s'ils ont à subir de la part des empereurs quelques contrariétés ou quelques châtiments, qu'ils sachent enfin s'ils doivent s'en plaindre ou s'en faire un titre de gloire. Remarquons que ce qui précède constituerait à mes yeux une réfutation suffisante, si je n'avais à examiner la question même du schisme.

XVI. En supposant qu'on les ait convaincus de schisme et de sacrilége, et qu'ils comprennent parfaitement que toutes les persécutions subies pour cette démence ne sauraient leur conférer l'auréole du martyre ; diront-ils que les empereurs sortent des limites de leur pouvoir quand ils entreprennent de réprimer et de punir le schisme ou l'hérésie ? Qu'ils prouvent donc ce qu'ils avancent. Soutiendront-ils que les puissances humaines n'ont rien à voir à une religion vicieuse ou fausse? Mais nous venons déjà de constater que les empereurs punissent très-souvent les fauteurs du culte des idoles ou des démons. Est-ce que cette manière d'agir leur déplaît? D'où vient donc qu'ils s'attribuent à eux-mêmes le droit de renverser les temples, et qu'en cela ils sont puissamment aidés par les fureurs des Circoncellions? Est-ce que la violence privée serait plus juste que la sollicitude royale? Mais n'insistons pas sur ce point. Voici que l'Apôtre énumère en ces termes les couvres de la chair, savoir : « Les fornications, l'impureté, les disputes, la jalousie, les animosités, les dissensions, les hérésies, l'ivrognerie, l'intempérance, et autres choses semblables (1) ». Leur semble-t-il que le crime d'idolâtrie puisse ressortir au tribunal des empereurs ? S'ils s'y refusent, qu'ils nous disent comment ils avouent que les empoisonneurs sont justement soumis à la rigueur des lois. Et ce qu'ils admettent pour les empoisonneurs, ils ne l'admettront pas pour les hérétiques et pour les semeurs de dissensions impies que l'Apôtre range au nombre dés fruits de l'iniquité ? Diront-ils que sous le régime de notre constitution humaine les princes n'ont pas ce pouvoir? Alors pourquoi portent-ils le glaive, pourquoi sont-ils appelés les ministres de Dieu et de sa colère contre les méchants? Mais, répliquent certains imprudents d'une profonde ignorance, ce glaive ne s'entend que des puissances ecclésiastiques

 

1. Gal. V, 19.

 

17

 

et signifie une vengeance toute spirituelle, comme est l'excommunication. Ils ne voient donc pas que l'Apôtre, dans son extrême prudence, détermine clairement sa pensée dans le contexte. En effet, immédiatement il ajoute : « Voilà pourquoi vous payez le tribut », et ensuite : « Rendez à tous a ce qui leur est dû ; le tribut à qui il est dû; l'impôt, l'honneur, la crainte à qui sont dus l'impôt, l'honneur, la crainte (1) ». Après des paroles aussi claires, il rie reste plus à nos adversaires, par leurs disputes, que de défendre aux chrétiens de`payer le tribut. C'était déjà la doctrine des Pharisiens leurs modèles; mais le Sauveur, après avoir considéré une pièce de monnaie, leur pose ce précepte : « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu (2) ». Violant donc ce double précepte, les Donatistes ne rendent pas à Dieu l'amour chrétien, ni aux rois la crainte humaine. Eux qui dans leur aveuglement et leur folie eurent recours au bras séculier pour chasser de leurs basiliques les Maximianistes qu'ils regardaient comme schismatiques, font un crime à l'Eglise catholique de la protection que lui accordent les empereurs. Quant à ces Maximianistes eux-mêmes, qu'ils se souviennent qu'avant leur schisme, c'est-à-dire pendant qu'ils étaient encore en communion avec les Donatistes, ils provoquèrent contre Rogatus de Mauritanie les cruautés les plus inouïes qu'ait pu imaginer un tyran comme Firmus. Qu'ils se taisent donc et qu'ils ne se plaignent pas s'ils ont quelque chose de semblable à souffrir, soit de la part des Primianistes quand ils s'en furent séparés, soit avec ces derniers, de la part des Donatistes contre lesquels ils faisaient schisme; qu'ils sachent enfin que les persécutions qu'ils subissent ne sont pas inspirées par la religion, mais par une haine sacrilège.

XVII. Ils objecteront peut-être, que les souffrances qu'ils endurent de la part des empereurs catholiques, surpassent de beaucoup celles qu'ils ont infligées aux Rogatistes, par l'intermédiaire des rois barbares, ou bien aux Maximianistes, par les juges des empereurs catholiques; qu'elles surpassent même tous les excès auxquels les Circoncellions ont pu se livrer. Est-ce donc qu'il s'agit ici de savoir s'ils souffrent plus qu'ils ne font souffrir les autres? Je réponds négativement et sans

 

1. Rom. XIII, 1-7. — 2. Matt. XXII, 21.

 

aucune hésitation. En effet, c'est par milliers que l'on compte, ou plutôt, on ne saurait compter les cruautés qu'ils ont imaginées; en supposant qu'elles fussent moins nombreuses ou moins redoutables, elles le seraient toujours trop par cela seul qu'elles ne sont pas infligées par des puissances régulières, mais par les élans de la fureur la plus arbitraire. Les rigueurs exercées contre les Maximianistes par les juges ordinaires, n'ont rien qui approche de cette barbarie. C'est à peine s'ils pourraient leur comparer les persécutions soulevées contre Rogatus par le barbare Firmus, qu'ils regardent comme un prince légitime , quoiqu'il ait été l'ennemi toujours acharné des Romains. Mais enfin, quant au nombre, ces cruautés ne sont pas comparables à celles qui se font chaque jour par ces bandes furieuses de jeunes gens plongés dans l'ivresse, auxquels pourtant les Donatistes donnent des chefs, qu'ils arment maintenant de fer, après les avoir d'abord armés de bâtons, et qui, sous le nom trop connu de Circoncellions, parcourent toutes les contrées de l'Afrique et se livrent à des actes que réprouvent toutes les lois et toutes les puissances humaines. Maintenant, parlez aux Donatistes des crimes commis par ces bandes indisciplinées, ils vous répondent ou bien qu'ils ne savent pas de qui vous parlez, ou bien qu'ils n'ont pas à répondre de ce que font tous les hommes. Ils restent donc sourds à ce cri général de l'univers tout entier, qui déclare avec beaucoup plus de vérité qu'il ignore ce qui s'est passé en Afrique, soit du côté de la secte de Donat, soit contre elle. On comprend cette ignorance de la part de contrées lointaines, mais peut-on admettre que ; dans l'Afrique même , des évêques donatistes viennent nous dire ou qu'ils ignorent les faits et gestes des Circoncellions, ou qu'ils n'ont à répondre ni de ce qu'ils font, ni de ce qu'ils disent?

XVIII. Mais, comme je l'ai dit plus haut, que nous importe de préciser si les Donatistes souffrent plus qu'ils ne font souffrir? toute la question consiste à savoir si les puissances peuvent sévir corporellement contre les hérétiques et les schismatiques. Si ce pouvoir n'appartient à personne, pourquoi donc eu usent-ils eux-mêmes ? Si, au contraire, la coaction physique est permise, qu'ils nous prouvent, mais ils ne le pourront jamais, que les empereurs catholiques sévissent plus (18) cruellement contre eux, qu'ils ne sévissent eux-mêmes par leurs propres juges ou parles rois barbares contre ceux qu'ils regardent comme schismatiques, sans oublier enfin les horreurs de toute sorte dont les Circoncellions frappent indistinctement toutes les victimes qui tombent entre leurs mains. Du reste, on ne doit point s'étonner que les princes usent d'un pouvoir plus étendu que les juges qu'ils délèguent ; que les empereurs romains aient plus de pouvoir que les rois barbares; que les châtiments infligés par les lois à un voleur, soient plus que proportionnés à la faute qu'il a commise contre les lois. C'est là ce qui nous explique pourquoi les instigateurs et les maîtres des Circoncellions se voient très-justement soumis à des maux plus grands que n'en causent les Circoncellions eux-mêmes. Et cependant, tant est grande la mansuétude des chrétiens, les châtiments dont ces malheureux sont frappés, sont encore incomparablement inférieurs à leurs crimes. Mais n'oublions pas que, dans un concile, trois cent dix évêques donatistes ont solennellement condamné les Maximianistes; et ces derniers, poussés par toute l'obstination de leur perversité, osaient encore se refuser à quitter leurs basiliques. On fit appel au pouvoir judiciaire, et la sentence portée par le concile fut enregistrée dans les fastes consulaires. Ordre fut donc lancé à tous ceux qui avaient été condamnés par un nombre si imposant d'évêques, qu'ils eussent à quitter leurs sièges. Ceux qui cédèrent sans résistance n'eurent pas beaucoup à souffrir; mais ceux qui tentèrent quelque résistance furent écrasés par des traitements dont tout le monde connaît la barbarie. Cependant, si la résistance des condamnés eût été jusqu'à former un véritable outrage pour les juges, est-ce que les lois romaines n'auraient pas infligé des châtiments plus sévères ? Eh bien! quand, après la conclusion des débats, les Donatistes se déclarèrent ouvertement en schisme contre l'Église catholique, si l'on avait entrepris de les déposséder de leurs basiliques, ils auraient résisté à toutes les injonctions impériales. Mais aurait-on cédé aux violences trop connues des Circoncellions ?est-ce qu'on les aurait laissés s'emparer des offrandes faites à l'Église par l'empereur, parcourir en liberté toute l'Afrique et soulever partout les séditions et la violence ? Mais ne peut-on pas exhiber contre eux des lois qui les privent de toutes basiliques, même de celles qu'ils ont construites depuis leur séparation de l'unité et leur obstination dans le schisme? En portant ces lois, le pouvoir royal n'a fait que punir les outrages qui lui étaient prodigués. Est-ce donc que des ennemis de la justice pourraient posséder quelque chose justement?

XIX. D'ailleurs aucun décret, favorable à leur cause, ne fut jamais promulgué, si ce n'est par Julien l'apostat, qui avait juré haine à la paix et à l'unité chrétiennes, ainsi qu'à la religion qu'il avait indignement apostasiée. Toutefois, prenant en main les dépositions mêmes des juges qu'ils ont intéressés à leur demande, n'oublions pas de remarquer que, dans leur supplique à cet empereur, ils n'ont pas rougi de se servir d'expressions qui de leur part étaient une véritable idolâtrie arrachée par la crainte, plutôt qu'une louange exprimée par ces furieux. Comment osèrent-ils avancer « que la justice ne résidait qu'en lui ? » N'était-ce pas proclamer hautement, ou bien que la sainteté chrétienne, qui, certes, ne lui appartenait pas, n'avait aucun rapport avec la justice, ou bien que cette justice consistait à honorer les démons ? Quant aux lois, et des plus sévères, portées contre eux par les autres empereurs, de qui ne sont-elles pas connues ? Parmi ces lois il en est une qui regarde en général tous ceux qui veulent se dire chrétiens, quoiqu'ils ne soient pas en communion avec l'Église catholique et qu'ils se donnent le droit de se réunir dans des conventicules particuliers. Cette.loi porte une amende de dix livres d'or contre celui qui ordonne un clerc et contre celui qui est ordonné ; quant au domicile dans lequel se fait la réunion des schismatiques, il est confisqué par le fait en faveur du fisc. En vertu d'autres ordonnances générales, on les prive du droit de tester ou de percevoir quoi que ce soit en vertu d'un testament. Par exemple, il advint qu'un homme de haute distinction remit à l'empereur une supplique dans laquelle il déclarait que sa soeur, ancienne donatiste, avait, avant sa mort, disposé d'une grande partie de sa fortune en faveur de je ne sais quels membres de sa communion, et surtout en faveur de l'un de leurs évêques nommé Augustin. Or, il fut décidé qu'en vertu de la loi générale tous ces biens seraient restitués à son frère. Cette réponse faisait aussi (19) mention des Circoncellions, et on y déterminait les moyens de résistance que l'on opposerait à ces rebelles, s'ils venaient, selon leur habitude, à s'opposer par la violence. Ceci prouve qu'ils étaient tellement connus pour leurs combats multipliés, qu'on implorait contre eux l'assistance de l'empereur, et que l'empereur se croyait obligé de rompre le silence à leur égard.

XX. On comprend dès lors qu'ils sont condamnés tout à la fois par les lois divines et humaines; et cependant admirons la mansuétude chrétienne qui leur laisse occuper non-seulement les basiliques qu'ils ont construites depuis leur séparation, mais encore celles qui avant de passer entre leurs mains appartenaient à l'unité. Tandis qu'ils ont invoqué le bras des juges délégués par les empereurs catholiques pour chasser les Maximianistes de toutes les basiliques appartenant à la secte de Donat, on s'est refusé à invoquer les lois des empereurs catholiques pour les dépouiller des églises qui appartenaient auparavant à l'unité catholique. Enfin, si parfois on a dépassé à leur égard les règles d'une sage modération et de la douceur chrétienne, ces excès sont déplorés par tout ce qui est le froment dans la moisson du Seigneur, c'est-à-dire par tous les bons chrétiens qui, sur toute la face de l'univers, produisent dans l'Eglise catholique des fruits abondants de cent, de soixante ou de trente pour un.

XXI. Libre à eux de nous reprocher amèrement la zizanie ou la paille que renferme la moisson catholique; mais du moins qu'ils ne se refusent pas à montrer la même patience que nous pour en supporter la présence. En effet, le Sauveur n'a pas permis que l'on arrachât la zizanie avant le temps, et qu'on la séparât du froment. « Laissez-les, dit-il, croître l'un et l'autre jusqu'à la moisson ».

Comme ses Apôtres lui demandaient l'explication de cette parabole, il ne leur répondit pas: Le champ, c'est l'image de l'Afrique; mais: « Le champ, c'est la figure de ce monde ». La semence a donc été jetée sur toute la face de ce monde, et avec le bon grain la zizanie, et tous  deux doivent croître jusqu'à la moisson. Est-ce donc que Donat aurait été le grand moissonneur, ou bien l'époque de la moisson était-elle arrivée quand ils ont consommé leur séparation? Pourtant le Seigneur ne voulant laisser place à aucune interprétation arbitraire, a dit clairement: «La moisson, c'est la fin du monde; quant aux moissonneurs, ce sont les anges (1) ». De tels moissonneurs n'ont pu se tromper jusqu'à prendre le froment pour de la zizanie, et de la zizanie pour du froment. Or, en semblant fuir la zizanie, les Donatistes prouvent qu'ils sont eux-mêmes cette zizanie, puisqu'ils se placent dans un état évident de sacrilège en énonçant une doctrine directement apposée à celle du Sauveur. Jésus-Christ avait dit : « Laissez croître l'un et l'autre jusqu'à la moisson », et voici que les Donatistes soutiennent que le monde tout entier ne produit plus que de la zizanie, que le froment y a disparu pour ne plus croître que dans la seule province d'Afrique. N'est-ce pas faire à Jésus-Christ une injure des plus sacrilèges ? En effet, nous lisons dans l'Ecriture : « Le roi trouve sa gloire dans un peuple nombreux, et toute diminution de son peuple le plonge dans l'amertume (2) ». Mais il est temps, je crois, d'examiner les témoignages de l'Ecriture qu'ils semblent dénaturer à plaisir pour mieux tromper les simples; si Dieu veut bien nous en faire la grâce, nous en donnerons une interprétation fondée sur la foi catholique.

 

1. Matt. XIII, 23-30, 36-43. — 2. Prov. XIV, 28.

LIVRE SECOND. Examen des passages de l'Ecriture dénaturés par les Donatistes.
 

 

I. En dehors de l'aveuglement et de la vanité d'esprit, quelle puissance peut donc pousser un homme à lancer contre son frère, les yeux- fermés, un trait qui doit retomber sur lui, sans blesser aucunement celui auquel il était destiné? C'est là cependant ce que ne cessent de faire les Donatistes au sujet de presque toutes les saintes Ecritures. En voulant les alléguer contre nous, il semble qu'ils n'ont d'autre but que de nous forcer, par l'Ecriture même, à mieux connaître ce qu'ils sont. Je prends pour premier exemple les paroles suivantes, que Parménien fait sonner hautement pour sa défense et pour notre condamnation : « Malheur à ceux qui prennent le mal pour le bien et le bien pour le mal, la lumière pour les ténèbres et les ténèbres pour la lumière, ce qui est amer pour ce qui est doux, et ce qui est doux pour ce qui est amer (1) ! » O profond aveuglement ! qu'y a-t-il donc de mieux et de plus agréable que de voir des frères rester unis (2) ? Mais non, c'est là un mal, c'est là une amertume pour ceux qui se sont séparés de tous leurs frères, plutôt que de faire taire ou d'étouffer leurs vains soupçons, pour ne pas dire leurs factieuses calomnies. Admettons qu'ils aient abhorré la l'aille véritable, et qu'ils n'aient pas été eux-mêmes cette paille condamnée, ils n'auraient pas trouvé, dans la présence de cette paille, une raison de se séparer du bon grain qui a été semé, et qui croît dans le inonde tout entier.

II. Qu'ils s'écrient donc, ils le peuvent : « Malheur à ceux qui prennent le mal pour le bien et le bien pour le mal ». Nous sommes parfaitement de leur avis et nous ajoutons encore : « Malheur à ceux qui ont a perdu patience en prenant la lumière pour les ténèbres et les ténèbres pour la lumière (3) ». Qu'y a-t-il de plus évident que la promesse divine, réalisée de notre temps et promulguée depuis tant de siècles, annonçant que toutes les nations seraient bénies dans la race d'Abraham, c'est-à-dire en Jésus-Christ (4) ? Et, au contraire, quoi de plus

 

1. Isa. V, 20. — 2. Ps. CXXXII, 1. — 3. Eccli. II, 16. — 4. Gen. XXII, 18.

 

ténébreux que les présomptions de certains hommes, qui soutiennent que le nom chrétien a péri dans toutes les nations de la terre pour ne se conserver qu'en Afrique, et cela à cause de certains crimes témérairement objectés et jusque-là restés sans preuves, les crimes des traditeurs, et qui, fussent-ils vrais, ne sauraient empêcher la réalisation des promesses divines? Et ils prennent leur présomption pour la lumière, et ils s'efforcent d'étouffer sous les ténèbres de leurs mensonges, les promesses de Dieu, déjà tout éclairées des splendeurs de la réalité. Ils nous opposent également leurs propres actes et s'écrient « Malheur à ceux qui prennent la lumière pour les ténèbres, et les ténèbres pour la lumière ! » Etait-ce donc une lumière que cet Optat qui flétrissait du nom de ténèbres l'univers tout entier? L'Afrique tout entière ne lui renvoyait-elle pas cette flétrissure, tandis qu'il n'était regardé comme une lumière que par ceux « qui prennent la lumière pour les ténèbres, et les ténèbres pour la lumière? » Mais, disent-ils, « dans notre communion Optat, était à charge pour tous les hommes de  bien ». Vous ne le regardiez donc pas comme une lumière, et cependant vous restiez en communion avec lui. Vous avez donc le choix entre ces deux hypothèses : ou bien convenez que, dans une même communion, les ténèbres ne nuisent pas à la lumière, et qu'il suffit à la lumière de désapprouver les ténèbres, tout en les tolérant par amour pour l'unité, quand elle ne peut les dissiper. De cette première hypothèse vous conclurez que vous n'aviez aucune raison de vous séparer de vos frères innocents, dont vous connaissiez, disiez-vous, la culpabilité, mais sans pouvoir jamais en donner aucune preuve; votre schisme ténébreux n'est donc pour vous que le plus grand des crimes. Ou bien, s'il ne suffit pas à la lumière de désapprouver les ténèbres qu'elle ne peut dissiper, c'est-à-dire, s'il ne suffit pas aux bons de désapprouver les méchants qu'ils ne peuvent ni chasser ni corriger, vous devez conclure qu'il a été plus facile à Optat lui seul (21) de souiller, en Afrique où il était très-connu, toute la secte de Donat, qu'à tel traditeur africain de souiller l'univers entier dont il était absolument inconnu, lors même que les crimes dont on l'accuse auraient été véritables. Oser nier une telle conclusion, n'est-ce pas le comble de la folie ?

III. Quand donc ils pervertissent le sens naturel des Écritures, c'est à eux-mêmes qu'ils nuisent et non pas à nous. En effet, ces paroles: « Malheur à ceux qui prennent le mal pour le « bien et le bien pour le mal », s'ils veulent les interpréter en ce sens que le froment ne doit pas tolérer de rester mêlé à la paille jusqu'au jour de la purification dernière, ils se jettent complètement dans l'erreur et se font nécessairement à eux-mêmes l'application de ces autres paroles : « Malheur à ceux qui ont perdu la patience ». D'un autre côté, s'ils pensent que ces paroles s'appliquent à ceux qui, prenant le mal pour le bien, commettent le mal, ou à ceux qui s'associent aux méchants par les éloges ou les applaudissements qu'ils leur prodiguent; comme ces deux classes de personnes se trouvent désignées dans ce seul passage de l'Écriture: « Le pécheur est loué dans les désirs de son âme, et « celui qui commet l'iniquité est béni (1) », on peut affirmer qu'alors ils ne sont pas dans l'erreur et qu'ils ne se laisseront pas troubler par la présence des méchants au milieu d'eux. Mais alors ils vont donc tolérer en faveur de la secte de Donat, ceux qu'ils auraient dû tolérer pour l'unité de Jésus-Christ; et, se trouvant punis par l'obstination même de leur animosité, ils se voient contraints de tolérer dans leur schisme ceux dont ils connaissent la perversité, et d'accuser dans l’univers des chrétiens qu'ils ne connaissent d'aucune manière. Dès lors, quiconque corrige ce qu'il peut corriger, ou repousse, sans rompre la paix, ce qu'il ne peut corriger, ou désapprouve équitablement et supporte courageusement ce qu'il ne pourrait exclure sans compromettre la paix, celui-là est véritablement un homme pacifique, et doit se regarder comme parfaitement en sûreté et complètement étranger aux malédictions de l'Écriture : « Malheur à ceux qui appellent bien ce qui a est mal, et mal ce qui est bien ; qui prennent la lumière pour les ténèbres, et les ténèbres pour la lumière, ce qui est amer

 

1. Ps. IX, 3.

 

pour ce qui est doux, et ce qui est doux pour ce qui est amer ».

IV. Voici une autre objection qui prouve de leur part le même aveuglement : C'est de vous, disent-ils, que l'Écriture parle en ces termes: « Celui qui donne le nom de juste au  pécheur, et le nom de pécheur à celui qui est juste, celui-là est en exécration devant Dieu (1)». Pourquoi cette exécration ne tomberait-elle pas plutôt sur ceux qui ont osé condamner le monde tout entier sans l'entendre, quand il est hors de doute qu'une multitude de ceux qui l'habitent ont été et sont encore parfaitement innocents des crimes qu'on leur reproche ?

N'est-ce donc pas là appeler juste ce qui est injuste, tandis qu'ils conservent dans leur communion et qu'ils comblent de tous les honneurs du sacerdoce et de l'épiscopat ce Gildonien Optat, qui pendant dix ans a soulevé les gémissements de l'Afrique tout entière? Peut-être le désapprouvaient-ils intérieurement, toujours est-il qu'ils le toléraient dans l'intérêt de la paix. Qu'ils sachent donc qu'en dehors de tout consentement au mal, la conscience d'un homme qui aime la paix ne saurait être souillée par le contact des méchants, et qu'ils comprennent enfin qu'ils se sont jetés en pleine voie de perdition, quand, à l'occasion de certains crimes vrais ou faux, peu importe, commis par des Africains, ils ont brisé la paix et rompu toute unité avec le reste de l'univers. Diront-ils: Nous ne savons si parmi les nations d'outre-mer il y a de bons chrétiens ? ce serait faire preuve d'une audacieuse témérité, car Dieu rend témoignage au froment qu'il a semé à travers le monde, quoique le démon y ait aussi jeté la semence de la zizanie, et il n'hésite pas à déclarer, que l'un et l'autre doivent croître jusqu'à la moisson. Dès lors, quoique nous ne connaissions pas parfaitement tous ces hommes, nous devons savoir que parmi eux il en est de bons, car nous croyons d'une foi certaine que Dieu ne saurait mentir. Ainsi donc, en face de l'impudence sacrilège qui leur a fait dire : Nous ignorons s'il y a de bons chrétiens dans le reste de l'univers, il ne leur reste plus qu'à dire, poussant la folie jusqu'à sa dernière extrémité: Nous savons qu'il n'y en a point; et en effet, ils le disent chaque jour. Sans doute il y a une différence entre ces deux formules: Nous

 

1. Prov. XVII, 15.

 

22

 

ne savons s'il y en a ; nous savons qu'il n'y en a point; mais toutes deux sont impies et sacrilèges. Toutefois, si celui qui dit: Je ne sais si Dieu a dit la vérité, mérite la flétrissure de la réprobation, que mérite donc celui qui affirme: Je sais que Dieu n'a pas dit la vérité?

V. Il me semble que, sans m'exposer à offenser personne, je puis bien donner la préférence 'à Dieu sur Donat. Quelque amour qu'ils aient pour ce dernier, ils craignent encore davantage le Seigneur. Enfin, quelque tendre affection qu'ils éprouvent pour Donat, nous savons que Dieu seul est la souveraine vérité, et que tout homme est menteur (1). Or, Jésus-Christ, qui est pour nous le Dieu béni entre tous les siècles (2), et qui a pu dire de lui-même en toute vérité: « Je suis la voie, la vérité et la vie (3) », interrogé par ses serviteurs s'il leur permettait d'aller et d'arracher la zizanie: « Laissez, dit-il, roître l'une et l'autre jusqu'à la moisson ». D'un autre côté, Donat soutient que la zizanie a crû, tandis que le froment est diminué. Auquel des deux croiront-ils de préférence? Jésus-Christ, c'est-à-dire la souveraine Vérité, affirme que « le champ c'est ce monde » ; Donat soutient au contraire que ce champ n'existe plus qu'en Afrique. Auquel des deux croiront-ils? Jésus-Christ, la souveraine Vérité, affirme: « Les moissonneurs, ce sont les anges (4),»; de son côté, Donat soutient que l'opération que les anges doivent faire à la moisson, a été faite par lui et par ses collègues avant la moisson ; auquel des deux croiront-ils ? Ils se disent chrétiens, nous leur présentons à la fois le Christ et Donat; s'ils donnent leurs paroles à Jésus-Christ, et leur coeur à Donat, qu'ils nous disent ce qu'ils pensent d'eux-mêmes. Je suis très-modéré, sans invective et sans exagération : il m'est bien plus facile de comprimer ma douleur que de l'exprimer. S'ils se flattent de donner leur coeur à Jésus-Christ, qu'ils croient donc à la parole de Jésus-Christ quand il déclare que les enfants du royaume et les fils de perdition croîtront dans le monde tout entier, et qu'ils rejettent avec indignation la parole de Donat, quand il affirme qu'on ne trouve que des fils de perdition dans le monde tout entier, tandis que les enfants du royaume ne se trouvent plus qu'en Afrique. S'ils croient à la parole

 

1. Rom. III, 4. — 2. Id. IX, 5. — 3. Jean, XIV, 6. — 4. Matt. XIII, 21-30, 36-13.

 

de Jésus-Christ, qu'ils restent en paix et parfaitement unis, je ne dis pas avec les Eglises de l'univers, mais avec l'Evangile lui-même, qu'ils se vantent d'avoir sauvé des flammes, sans apporter toutefois aucune preuve de fait à l'appui de leur assertion

VI. Je ne sais vraiment dans quel but Parménien nous objecte les paroles suivantes du prophète Isaïe : « Est-ce que la main du Seigneur ne peut plus sauver, et son oreille s'est-elle  endurcie pour ne plus entendre? Mais ce sont vos iniquités qui ont établi une séparation entre vous et votre Dieu; et ce sont vos péchés qui lui ont fait cacher son visage, pour ne a plus avoir pitié de vous. Car vos mains sont souillées de sang, vos doigts sont pleins d'iniquité; vos lèvres ont prononcé le mensonge, et votre langue adit des paroles criminelles. Il n'est plus personne qui parle pour la justice, ni qui juge dans la vérité; ils mettent leur confiance dans le néant, et ils ne publient que des mensonges; ils conçoivent l'affliction, et ils enfantent l'iniquité. Ils ont fait éclore des oeufs d'aspics, et ils ont formé des toiles d'araignées; celui qui mangera de ces oeufs en mourra, et si on les fait éclore il en sortira un basilic. Leurs toiles ne leur serviront point à se couvrir, et ils ne se revêtiront point de leur travail; car leurs travaux sont des travaux inutiles, et l'ouvrage de leurs mains est un ouvrage d'iniquité. Leurs pieds courent pour faire le mal, et ils s'empressent de répandre le sang innocent; leurs pensées sont des pensées vaines; leur conduite ne tend qu'à perdre et à opprimer les autres, ils n'ont pas connu la voie de la paix (1) ». Or, ceux que l'Ecriture nous dépeint en ces termes, quelque part qu'ils soient mêlés avec les bons, ceux-là ne sont pour eux d'aucun obstacle, comme la paille ne nuit pas au froment jusqu'à ce que vienne le maître de la moisson, portant le van à sa main, pour purifier son aire, renfermer le froment sur son grenier et brûler la paille dans un feu inextinguible (2). Les bons n'eurent également rien à souffrir pour leur justice, dans cette multitude de criminels qui nous sont dépeints par le prophète Ezéchiel, et contre lesquels ils protestaient par les gémissements et les larmes qu'ils versaient sur les crimes qui se commettaient dans les rangs du peuple (3). Comme ils ne pouvaient y apporter

 

1.  Isa. LIX, 1-8. — 2. Matt. III, 12. — 3. Ezéch. IX, 4.

 

23

 

remède, et qu'ils ne devaient en aucune manière se séparer de l'unité du peuple de Dieu,

la sainte tolérance dont ils firent preuve leur mérita le sceau des élus et la gloire d'échapper à la dévastation et à la mort qui frappèrent les coupables. Dès lors, bien loin de citer ces passages comme une attaque aux catholiques, pourquoi donc les Donatistes ne jettent-ils pas les yeux sur eux-mêmes, pour y contempler ces bandes furieuses, toujours armées de fer et de bâtons, et portant le ravage de tous côtés? Ils verraient ces malheureux, gorgés de sang et de pillages, rendus insatiables par l'excès même de leur cruauté, se plonger dans l'ivresse de tous les crimes et, au mépris de toutes les lois divines et humaines, assouvir, nuit et jour, leur barbarie sur des cadavres, en compagnie de femmes avec lesquelles ils errent de tous côtés sans honte et sans pudeur. Telle est donc leur incessante folie que, non contents de persécuter les autres, ils n'hésitent pas à se précipiter eux-mêmes jusqu'aux dernières profondeurs de l'abîme. Est-ce que leurs pieds ne courent pas au mal, est-ce qu'ils ne se portent pas rapides à l'effusion du sang? En se donnant le droit de pousser une puissance usurpée jusqu'aux dernières licences, ne prouvent-ils pas qu'ils ont perdu tout jugement? Ne prennent-ils pas la lumière pour les ténèbres, eux quine peuvent supporter la lumière qui leur montrerait la fausseté de leur prétendu martyre? Malgré la clarté du jour, ne marchent-ils pas dans les ténèbres, selon cette parole de l'Apôtre : « L'ivresse plonge dans une nuit perpétuelle ceux qui s'y livrent (1)? » En plein midi ne marchent-ils pas à tâtons, comme on le fait dans la nuit la plus obscure (2) ? C'est là du reste le caractère propre à tous les hérétiques, puisque l'évidence de la vérité ne peut ouvrir leurs yeux à la lumière qui éclaire toutes les nations. Quoi qu'ils fassent en dehors de l'unité, quelles que soient leur prudence et leur habileté, rien ne saurait les abriter contre les éclats de la colère divine, pas plus que des toiles d'araignées ne peuvent les protéger contre les rigueurs du froid.

VII. On peut donc leur appliquer parfaitement tous les caractères énoncés dans ce chapitre prophétique. Devrait-on même excepter ce qui regarde les oeufs d'aspics, auxquels n'a pas craint de faire allusion l'auteur de cette fameuse sentence qu'ont ratifiée les trois cent

 

1. I Thess. V, 7. — 2. Job, V, 14.

 

dix évêques réunis en concile avec toutes les provinces de l'Afrique? Si Parménien vivait encore, il passerait ce détail sous silence et se garderait bien de citer contre nous cette parole d'Isaïe : « Ils ont fait éclore des neufs d'aspics ». Il lui suffirait pour cela de voir dans son collége, des évêques comme Félicianus et Prétextat, qu'ils avaient d'abord solennellement condamnés, et qu'ils ont ensuite réintégrés pour le bien de la paix, non pas de la paix de Jésus-Christ, mais de la paix de Donat. N'étaient-ce pas là des oeufs d'aspics, et parfaitement éclos? C'est du moins sous cet aspect flatteur qu'ils nous sont dépeints par « l'organe véridique » des trois cent dix évêques, comme l'attestent les Actes proconsulaires. Voici les.propres paroles du concile: « Quoique cette semence de vipère fût restée longtemps ensevelie dans ces entrailles venimeuses; quoique la chaleur vitale ne soit venue que lentement développer cette conception criminelle et en former des membres d'aspics, cependant les voiles ont fini par disparaître, et le poison s'est manifesté dans son horrible réalité; ce crime public, ce véritable parricide ne s'est fait jour que trop tard, mais enfin il n'a pu enfanter tous ses voeux criminels». Ces neufs sont donc éclos, après avoir été rejetés de la communion donatiste comme renfermant en germe toutes les horreurs et tous les crimes. Mais l'un de ces oeufs renfermait l'illustre basilic Optat, et celui-ci, usant d'une sorte de puissance royale qui faisait de lui comme le prince des serpents, rappela au bercail tous les aspics mis en fuite. Si de telles aventures ne peuvent nuire à la paix, comment donc reprochent-ils aux catholiques de rester en communion avec des hommes que leurs ennemis n'ont pu convaincre de crime, quand ces ennemis eux-mêmes reçoivent des évêques qu'ils avaient solennellement condamnés? Si ces événements ne peuvent nuire à la paix de Jésus-Christ, ils nuisent assurément à la paix de Donat, qui se fait un bonheur de tout ce qui peut troubler la paix de Jésus-Christ, et qui devrait comprendre, au contraire, que tous les châtiments qu'on inflige à ses adeptes pour leur faire expier leur sacrilège, ne sont qu'un moyen dont Dieu se sert pour les inviter à se soustraire à la damnation éternelle. Outre le sang qu'ils versent corporellement par la fureur des Circoncellions, combien de sang ne répandent-ils pas spirituellement quand ils (24) aspirent, s'ils le peuvent, à rebaptiser l'univers tout entier? D'un autre côté, s'il n'y a, pour verser le sang, que celui qui blesse une chair mortelle, ou la tue après l'avoir blessée, tandis qu'on ne devrait pas lui assimiler celui qui réduit les âmes et les tue par le schisme et le sacrilège; pourquoi, quand il s'est agi, toujours dans le même concile, de condamner les Maximianistes, secte détachée de la leur, vos évêques leur ont-ils appliqué ces paroles « Leurs pieds se portent rapides à l'effusion du « sang? » Il est certain, cependant, que les Maximianistes n'ont jamais corporellement ni versé le sang ni donné la mort. D'un autre côté, quand il s'agit de chasser ces malheureux de leurs basiliques, non-seulement on eut recours au bras des juges séculiers, mais on usa de toutes les violences déjà employées, avant la séparation des Maximianistes, contre ceux qui se séparaient de la secte de Donat. Out-ils épargné un seul schismatique, eux qui prétendent que l'univers, dont ils sont séparés par le schisme, doit les traiter avec toute l'indulgence possible; oubliant ainsi que s'il y a des schismes qui méritent d'être punis, ce sont ceux qui brisent la véritable unité catholique?

VIII. Quant à ces autres paroles : « Tel est le prince du peuple, tels sont ses ministres;  tel est le gouverneur de la cité, tels sont les habitants (1) » ; s'ils en comprenaient le sens, ils se garderaient bien d'en faire une objection contre nous, et de s'enfler d'une vaine jactance. Nous savons, en effet, que ce n'est qu'en Dieu que l'espérance trouve appui et sécurité; c'est donc en Dieu seul que nous plaçons la nôtre et non pas dans les hommes, car nous n'oublions pas cette parole : « Maudit soit celui qui place en l'homme son espérance (2) »; et dans le passage cité plus haut nous ne voyons pas que le prince du peuple et le gouverneur de la cité désignent nécessairement l'évêque. Non pas, sans doute, que parmi les évêques catholiques nous ne puissions pas en trouver un grand nombre qui sont véritablement des saints; néanmoins, comme je l'ai dit, nous n'admettons pas que l'on doive placer en l'homme son espérance. Supposé même que telle cité soit administrée par un mauvais évêque, les fidèles ne doivent pas, pour cette seule raison, se croire mauvais eux-mêmes, et pour se justifier à leurs

 

1. Eccli. X, 2. — 2. Jérém. XVII, l5.

 

propres yeux, qu'ils se gardent bien de donner à ce passage de l'Ecriture le sens pervers que lui donnent les Donatistes, quand ils soutiennent qu'avec un mauvais évêque, personne ne peut être bon, par la raison que : « Tel est le prince du peuple, tels sont ses ministres; tel est le gouverneur de la cité, tels sont les habitants ». Celui qui est la Vérité même a clairement réfuté cette erreur quand il a dit : « Faites ce qu'ils vous disent, mais ne faites pas ce qu'ils font ; car il disent bien, mais ils n'agissent pas de même (1) ». Quand donc les peuples ont des évêques qui du haut de la chaire de Moïse enseignent le bien, mais qui par la corruption de leur coeur ne font pas ce qu'ils disent, pourvu que ces peuples, fidèles au précepte de Jésus-Christ, fassent le bien qu'on leur enseigne et évitent les mauvais exemples qu'on leur donne, ne prouvent-ils pas évidemment que le texte cité doit s'entendre dans un autre sens que celui que les Donatistes veulent lui donner? En effet, là où les évêques sont mauvais, les peuples peuvent être bons, comme, de son côté, le peuple peut être mauvais avec de bons princes et des gouverneurs comme Moïse. J'en conclus que nos adversaires sont ici dans l'erreur, et que, selon la parole de l'Apôtre. « ils ne comprennent ni ce qu'ils disent, ni les choses sur lesquelles ils se prononcent (2) ». J'en conclus également qu'ils doivent éprouver de cruelles angoisses quand ils s'entendent dire : Tel fut Optat, tel fut le peuple de Thamugade. Et si, comme vous l'affirmez, la participation aux mêmes sacrements souille ceux-là mêmes qui désapprouvent le mal et le tolèrent cependant en faveur de l'unité; avouez que vous-mêmes vous êtes tous souillés, puisque vous avez été en communion avec cet évêque et avec son peuple, tandis que l'Afrique gémissait sur les scandales de ce satellite de Gildon. Je répète souvent le nom de ce dernier, parce qu'il est tellement connu, qu'il suffit de prononcer son nom pour réveiller tous les souvenirs qu'il a laissés derrière lui.

IX. Du reste, qu'ils ouvrent les yeux, et ils reconnaîtront que ce Gildon a parmi eux beaucoup d'imitateurs qui, sans être aussi connus, ne lui sont pas inférieurs en perversité. Peut-être qu'alors ils saisiront le véritable sens de ces paroles, et qu'ils comprendront

 

1. Matt. XXIII, 3. — 2. I Tim. I, 7.

 

que le seul prince du peuple, c'est Notre-Seigneur Jésus-Christ, dont les ministres sont bons, et qu'il est lui-même le gouverneur de cette cité, la nouvelle Jérusalem, qui est notre mère éternelle dans le ciel. La dignité de ce gouverneur se communique aux habitants, du moins dans une certaine mesure, selon cette parole : « Vous serez saints, parce que je suis saint (1)». Nous sommes donc refaits à son image et à sa ressemblance, en vertu de laquelle l'Esprit du Seigneur nous transforme de gloire en gloire (2), par la grâce de Celui qui nous a rendus conformes à l'image de son Fils (3). Quant au peuple mauvais, il a pour prince le démon qui est le gouverneur de la vaste cité de Babylone. Paul appelle le démon et ses anges le prince et le gouverneur des ténèbres (4). Ses ministres lui ressemblent, car ils se transforment en ministres de justice, comme il se transforme lui-même en ange de lumière (5); enfin les habitants sont eux-mêmes formés à l'image et à la ressemblance de leur gouverneur, et en reproduisent les œuvres. Jusque là confondus, ces peuples et ces cités se sépareront quand viendra la moisson suprême, et la. dernière purification. En attendant ce grand jour, la charité inspire aux froments la patience de tout tolérer, de crainte qu'en cherchant à échapper prématurément à la paille, ils ne se séparent criminellement des grains dont ils doivent partager la condition.

X. Que peuvent faire à la question qui nous occupe ces reproches adressés par Isaïe aux mauvais prédicateurs, et dont ils croient nous faire une objection formidable : « N'est-il pas a un prêtre criminel, celui qui, en m'offrant un veau, ressemble à celui qui assommerait un chien, celui qui m'offre de la fleur de la rive comme s'il m'offrait le sang d'un porc, et celui qui m'offre de l'encens comme s'il a m'offrait un blasphème (6)? » Ces reproches s'appliquent uniquement à ceux qui, se révoltant contre l'Eglise répandue, selon la promesse, sur toute la face de l'univers, ont osé arborer le schisme et ériger autel contre autel. Ils sont tous enveloppés dans ce sacrilège, et quel que soit celui d'entre eux qui offre le sacrifice, en quelque lieu qu'il l'offre, avec de telles oeuvres et dans de semblables dispositions du coeur, c'est sur lui qu'il attire

 

1. Lévit. XIX, 2. — 2. II Cor. III, 18. — 3. Rom. VIII, 29. — 4. Ephés. VI, 3. — 5. II Cor. XI, 15, 11. — 6. Isa. LXVI, 3.

 

toutes ces menaces, c'est à lui-même qu'il fait tort, et non pas aux bons chrétiens qui, tout en participant aux mêmes sacrements, gémissent et pleurent, selon la prophétie d'Ezéchiel, sur les péchés dont ils sont les témoins (1), quoiqu'ils refusent de se séparer des coupables. Car Dieu rend à chacun selon son coeur. En effet, si dans les premiers siècles il put y avoir de mauvais prêtres sans que les bons, comme Zacharie (2), sans que les simples fidèles, comme Nathanaël, l'homme loyal par excellence a, fussent souillés par leur présence, combien moins, dans l'unité chrétienne, un mauvais évêque doit-il nuire à ses collègues ou aux simples fidèles, puisque nous avons, pour s'interposer en notre faveur, le prêtre par excellence (3) selon l'ordre de Melchisédech, notre Pontife suprême assis à la droite de son Père (4), qui s'est livré pour nos péchés et qui est ressuscité pour notre justification (5) ? Ce n'est donc pas aux bons que nuit la présence du mal, mais aux méchants eux-mêmes, selon cette parole pleine de vérité

« Le Très-Haut n'approuve pas les dons des méchants (6) ». Remarquez qu'il n'est pas dit : Le Très-Haut n'approuve pas les dons de ceux qui tolèrent les méchants en faveur de la paix. Enfin n'oublions pas que nos adversaires n'auraient pu prouver leur objection au moment où ils se jetèrent dans le schisme, car, après avoir chassé les uns, l'Eglise répandue sur toute la terre retiendrait les autres dans la communion catholique.

XI. « Les sacrifices des impies », dit-il, « sont en exécration aux yeux du Seigneur, car ces sacrifices lui sont offerts d'une manière criminelle (7) ». Nous avons déjà répondu qu'il ne saurait y avoir l'ombre d'une iniquité en Jésus-Christ, qui s'est offert pour nous et qui est notre médiateur au ciel. Sous la puissante direction qu'il imprime à son Eglise, les bons ne reçoivent aucune souillure de la présence des méchants, qui ne sont pas connus comme tels, ou qui sont tolérés en faveur de la paix, jusqu'à ce que le souverain Juge descende sur la terre, qu'il ordonne à ses moissonneurs de séparer la zizanie de la moisson et la paille du froment. Répétons-le encore, nos adversaires ne nous opposent que des crimes imaginaires; mais, supposé même que ces crimes soient véritables, ils ne porteraient aucune

 

1. Ezéch. IX, 4. — 2. Luc, I, 5. — 3. Jean, I, 47. — 4. Héb. VII, 17. — 5. Rom. IV, 25. — 6. Eccli. XXXIV, 23. — 7. Prov. XXI, 17.

 

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atteinte à la charité qui inspire aux bons de tolérer la présence des méchants pour ne pas troubler l'unité (1) il en serait encore ainsi lors même que ces crimes seraient suffisamment connus, mais pas assez pour devenir matière d'un jugement ecclésiastique. C'est donc sur les impies eux-mêmes que retombe tout le poids de leurs coupables sacrifices. Quant au sacrifice unique offert à la gloire de Dieu, il est toujours saint, et ses effets particuliers sont toujours proportionnés aux dispositions du coeur qui le reçoit. « Car celui qui mange et boit indignement, mange et boit son jugement (2) ». Il ne mange pas son jugement pour les autres, mais pour « lui-même ». Dès lors, celui qui mange et boit dignement, mange et boit la grâce pour lui-même. J'invite donc les Donatistes à examiner s'ils reçoivent dignement l'Eucharistie, eux qui, protestant contre leurs ancêtres et leurs enfants, contre leurs maris et leurs épouses, contre l'immense multitude des héritiers de Dieu et des cohéritiers de Jésus-Christ répandus sur toute la face de l'univers, n'ont pas craint de se jeter dans un schisme sacrilège. Au contraire, s'ils avaient été réellement bons chrétiens et animés d'un véritable zèle pour la conversion des méchants, n'auraient-ils pas toléré fructueusement, pour la paix de Jésus-Christ, ce qu'ils tolèrent aujourd'hui pernicieusement pour la paix de Donat ?

XII. Parménien continue : « Il est écrit dans l'Exode : Que les prêtres qui approchent du Seigneur se sanctifient, dans la crainte que Dieu ne les abandonne (2) » ; et ailleurs: « Lorsque les ministres s'approchent de l'autel, qu'ils ne se rendent coupables d'aucun péché, dans la crainte qu'ils ne soient frappés de mort (3) » ; et au Lévitique : « Que l'homme qui se voit couvert d'une tache et d'un vice, ne s'approche pas pour faire son offrande au Seigneur (4) ». Et nos adversaires ont parfaitement raison de citer ces passages des saints livres. Voici un mauvais prêtre tout couvert de souillures; qu'ils me disent en quoi il pourra nuire, au point de vue du salut éternel, à un saint de la tribu sacerdotale ou des simples rangs du peuple ? Moïse et Aaron n'avaient-ils pas toujours à leur suite ces murmurateurs sacrilèges que Dieu menaçait sans cesse de punir et d'exterminer?

 

1. I Cor. XVIII, 29. — 2. Exod. XIX, 22. — 3. Id. XXX, 20, 21. — 4. Lévit. XXII, 21.

 

Là où se trouvaient Caïphe et autres semblables, là aussi l'on trouvait Zacharie, Siméon, les autres bons Israélites; là où se trouvait Saül, David y était également; là où se trouvaient Jérémie, Isaïe, Daniel, Ezéchiel, là se trouvaient également de mauvais prêtres et de mauvais peuples. Cependant chacun portera son propre fardeau.

XIII. J'allais omettre de signaler le coupable orgueil qui leur donne la témérité d'affirmer « que ni eux-mêmes ni leurs collègues ne sont atteints d'aucune tache ni d'aucun vice » ; s'ils parlaient de leurs membres, ce serait déjà fort, mais, qui le croirait? c'est de leurs moeurs qu'ils parlent. Si nous leur proposons de discuter avec eux cette question, ils nous répondent aussitôt qu'il faut distinguer de quelle tache et de quel vice il est parlé, comme si la sainte Écriture avait distingué quand elle a dit d'une manière générale et absolue : « Que celui qui est couvert d'une tache ou d'un vice ne s'approche point pour faire son offrande au Seigneur ». N'y avait-il donc aucune tache, aucun vice, je ne dis pas seulement dans Optat, mais dans Parménien, dans Donat lui-même ? Mais ces hommes sont tellement aveuglés par leur amour, l'adultère spirituel est tellement dans les habitudes de leur coeur impudique, que le seul Epoux légitime de nos âmes est placé sur le même niveau que beaucoup d'autres, et ce qui n'appartient qu'à Notre-Seigneur Jésus-Christ, ils ne craignent pas de l'attribuer à Donat, dans le même degré de perfection. Qui donnera à mes yeux une source abondante de larmes (1)? Qui arrachera de mon coeur meurtri des gémissements proportionnés à cet horrible attentat? Mais enfin, qu'ils daignent examiner si Optat du moins n'aurait pas été souillé de quelque tache ou de quelque vice ? Leur aveuglement, je l'espère, ne va pas jusqu'au point qu'ils osent me répondre que sa vie a été sans tache et sans souillure. Mais alors, pourquoi donc s'approchait-il pour faire son offrande au Seigneur? pourquoi les assistants recevaient-ils avec respect et les mains jointes le sacrifice qu'il avait offert malgré ses vices et ses souillures ? Qu'ils jettent ensuite les yeux sur leurs autres collègues, et qu'ils me disent si l'ivresse est une tache. Mais, auparavant, qu'ils lisent en compagnie de quels crimes l'Apôtre a énuméré

 

1. Jérém. IX, 1.

 

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l'ivresse. Diront-ils aussi que l'avarice n'est pas une tache, quand elle inspire tant d'horreur à l'Apôtre qu'il en fait une sorte d'idolâtrie (1) ?

XIV. Pour peu que l'on juge sainement les choses, on comprend que l'homme dont la vie, dans l'état actuel de la société, passe légitimement pour une vie de sainteté et de justice,n'est pas absolument sans défaut, puisque « la chair convoite contre l'esprit, et l'esprit contre la chair (2) ». D'ailleurs, « celui qui ne pèche pas, c'est celui qui est né de Dieu (3)» ; et puis, « si nous disons que nous sommes sans péché, nous nous trompons nous-mêmes, et la vérité n'est pas en nous (4) ». En effet, si, en tant que nous sommes nés de Dieu, nous ne péchons pas, il y a cependant toujours en nous quelque chose qui fait que nous sommes nés d'Adam, car « la mort n'est point encore anéantie dans la victoire (5) » ; ce bienfait ne nous est promis qu'à la résurrection des corps; à ce moment nous serons parfaitement heureux, parfaitement purs et incorruptibles. Par la foi, nous sommes déjà les enfants de Dieu, mais la vue claire et distincte de ce que nous serons ne nous a pas encore été donnée (6). Si nous sommes sauvés, a ce n'est encore a qu'en espérance a et non en réalité. « Or, l'espérance qui est vue n'est pas l'espérance; espère-t-on ce que l'on voit ? Si donc nous a espérons ce que nous ne voyons pas, nous l'attendons aussi par la patience ». Tant que nous attendons par la patience « la rédemption de notre corps (7)», n'ayons pas la témérité de dire que nous sommes sans défaut, car l'orgueil est le plus grand de tous les vices. Sortons donc enfin de notre sommeil, et dans ces prêtres des premiers temps; quand ils évitaient les vices corporels, voyons la figure de celui qui, tout Dieu qu'il est, s'est fait homme pour nous, Agneau véritable, immaculé, et Prêtre souverain sans aucune tache ni souillure. Sous l'ancienne loi encore, le prêtre seul pénétrait dans le Saint des saints, tandis que le peuple se tenait au dehors; de même, sous la loi nouvelle, le souverain Prêtre après sa résurrection, est entré dans le secret des cieux, afin qu'assis à la droite de son Père, il intercède pour nous. Quant au peuple, dont il est le prêtre, il gémit encore sur la terre de l'exil. Dans nos temples enfin, l'évêque pénètre seul dans le sanctuaire,

 

1. Eph. V, 5. — 2. Gal. , 17. — 3. I Jean, III, 9. — 4. Id. I, 8. — 5. I Cor. XV, 54. — 6. I Jean, III, 2. — 7. Rom. VIII, 23-25.

 

mais le peuple prie avec lui, et, comme pour souscrire à ses paroles, il répond Amen. Quand donc on exigeait des corps qu'ils fussent sans tache et sans souillure, parce qu'on savait .que les âmes ne pouvaient pas l'être, c'est Jésus-Christ que l'on préfigurait alors, et non pas ces orgueilleux et ces impies qui laissent les âmes se livrer à la fornication, sans s'occuper de les rendre fidèles à leur Epoux, ou plutôt ne craignant pas de s'offrir eux-mêmes comme époux.

XV. Parménien continue : « Il est écrit dans l'Evangile : Dieu n'écoute pas les pécheurs ; celui qu'il écoute c'est celui qui honore le Seigneur et accomplit sa volonté (1) ». Voilà toute sa réponse. Si deux hommes prient ensemble, l'un livré au péché, l'autre fidèle serviteur de Dieu et accomplissant sa volonté, exauce-t-il le pécheur, et reste-t-il sourd aux supplications du juste? Quel est donc le sens de ce passage, ou plutôt, dans quel but nous le proposent-ils, puisque ce sont ces mêmes paroles qui établissent la sécurité des bons au milieu des méchants, qui excluent toute cause de séparation corporelle, et qui condamnent le schisme sacrilège qu'ils ont formé en se séparant des bons, puisqu'en restant mêlés aux bons, les méchants eux-mêmes peuvent être exaucés à cause de leur foi? Dieu qui sonde les reins et les cœurs, ne se trompe pas et ne saurait exaucer pu repousser celui-ci à la place de celui-là. Voudraient-ils nous faire entendre que le mauvais évêque n'est pas exaucé quand il prie pour son peuple? Lors même qu'il en serait ainsi, le peuple, s'il est bon et fidèle, n'a pas lieu de s'en effrayer. N'est-ce pas pour sa sécurité que l'Ecriture a dit : « Mes frères, je vous écris ces paroles, afin que vous ne péchiez pas; et si quelqu'un pèche, nous avons pour avocat auprès du Père, Jésus-Christ, le Juste par excellence, qui est la propitiation universelle pour nos péchés (2)». Comprendront-ils l'humilité véritable et pieuse qui a inspiré ces paroles? ont-ils même des oreilles pour l'entendre? Ainsi s'exprime saint Jean : « Je vous a écris ces paroles, afin que vous ne péchiez pas ». S'il ajoutait : Et si quelqu'un vient à pécher, vous avez pour avocat auprès du Père, Jésus-Christ, le Juste par excellence, et qui s'est constitué propitiation pour vos péchés; si,

 

1. Jean, IX, 31. — 2. I Jean, II, 1, 2.

 

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dis-je, il parlait ainsi, il paraîtrait se séparer des pécheurs, et supposer qu'il n'a pas besoin de cette propitiation du souverain Médiateur assis à la droite du Père, et intercédant en notre faveur (1). Un tel langage serait, non seulement de l'orgueil, mais encore un mensonge. D'un autre côté, s'il eût dit : Je vous adresse ces paroles afin que vous ne péchiez pas, et si quelqu'un vient à pécher, vous m'avez pour médiateur auprès du Père, et je prie pour vos péchés (est-ce que Parménien ne nous présente pas l'évêque comme médiateur entre le peuple et Dieu?), est-ce qu'un pareil langage ne révolterait pas toutes les âmes droites et chrétiennes? Au lieu d'être vénéré comme un apôtre de Jésus-Christ, saint Jean ne passerait-il pas pour l'antéchrist? Et cependant les Donatistes, trop semblables à des vases usés, subissent humblement l'orgueil nébuleux de leurs évêques, tandis qu'ils ne présentent aucun accès à l'Esprit-Saint, dont le premier effet en eux serait de leur faire conserver l'unité de l'esprit dans le lien de la paix (2), et de donner comme garantie de sécurité à leurs prières, la puissance et la bonté de notre unique souverain médiateur.

XVI. Ne voyons-nous pas tous les chrétiens se demander réciproquement le secours de leurs prières? Mais il en est un pour lequel personne n'intercède, tandis qu'il intercède lui-même pour tous; celui-là est donc le seul et véritable médiateur. Comme il était préfiguré par le grand-prêtre de l'Ancien Testament, nous ne voyons pas que personne ait jamais prié pour ce dernier. Au contraire, parce que saint Paul, quoique doué de grands privilèges, n'était qu'un membre du corps de Jésus-Christ, parce qu'il savait que le souverain Prêtre était entré pour nous, non pas en figure, et dans l'intérieur du Saint des saints, mais en réalité, et dans la profondeur des cieux où l'appelait sa sainteté éternelle, saint Paul se recommandait aux prières de l'Église; loin de se poser comme médiateur entre le peuple et Dieu, il invite tous les membres de l'Église à prier réciproquement les uns pour les autres. Il en donne pour raison, que tous les membres d'un même corps ont entre eux une connexion naturelle, de sorte que si un membre souffre, tous les autres souffrent avec lui, et si un membre est glorifié, tous les autres prennent part à sa joie (3). De cette manière,

 

1. Rom. VIII, 34. — 2. Ephés, IV, 3. — 3. I Cor, XII, 25, 26.

 

la prière réciproque de tous les membres qui combattent sur la terre, doit monter d'elle-même vers celui qui, en sa qualité de Chef, nous a précédés dans le ciel, et en qui nous trouvons une propitiation assurée pour nos péchés. Si Paul était notre médiateur, les autres Apôtres le seraient au même titre, et ainsi nous en aurions un grand nombre, et alors on ne comprendrait plus ces paroles du même Apôtre : « Un seul Dieu et un seul médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ Dieu et homme (1) ». En lui nous ne sommes qu'un, pourvu que nous conservions l'unité d'esprit dans le lien de la paix, pourvu que nous ne quittions pas les bons à cause des méchants, mais plutôt que nous tolérions les méchants à cause des bons. De cette manière nous n'aurons pas à craindre qu'en cherchant à nous justifier d'avoir, par une présomption téméraire, abandonné des hommes qui nous étaient inconnus, nous ne soyons entraînés dans le crime plus grand encore de condamner nos frères sans les avoir entendus.

XVII. D'un autre côté, il est certain que Dieu écoute même les pécheurs; nous en trouvons des preuves dans l'Écriture. Ainsi le prophète Balaam, étranger par sa naissance au peuple d'Israël, et payé par un ennemi pour maudire le peuple de Dieu, se vit tout à coup converti par le Seigneur et inspiré de bénir le camp d'Israël (2). L'écrivain sacré nous a conservé ses paroles, nous les lisons encore dans le texte sacré. Il parlait évidemment contre sa première pensée et ses premiers désirs, et cependant sa prière est formulée dans des termes très-louables, et exaucée par le Seigneur en faveur de son peuple. Il n'est donc pas étonnant que des prières versées aux pieds de Dieu en faveur du peuple, fût-ce même par de mauvais évêques, soient réellement exaucées, non pas à raison de la perversité des supérieurs, mais à raison de la dévotion du peuple. Quant à ces paroles de l'Évangile : « Dieu n'écoute pas les pécheurs; celui que Dieu exauce c'est celui qui le sert et qui accomplit sa volonté »,  remarquons qu'elles n'ont pas été prononcées par le Seigneur, mais par celui -qui venait de recouvrer la vue du corps, et en qui les yeux du coeur n'étaient pas encore ouverts; la preuve en est qu'il regardait encore le Sauveur comme un simple Prophète. Peu de

 

1. I Tim. II, 5. — 2. Nomb. XXIV.

 

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temps après il le connut comme Fils de Dieu, et c'est alors qu'il l'adora. Si nous voulons connaître la pensée intime du Sauveur, rappelons-nous la parabole du pharisien et du publicain, priant l'un et l'autre dans le temple; celui qui est justifié, c'est le publicain confessant ses péchés, et non pas le pharisien occupé à exalter ses propres mérites (1); entre ce dernier et les Donatistes, la ressemblance n'est-elle pas des plus frappantes? II est certain que le publicain a cessé d'être pécheur au moment même où il recevait la grâce de la justification; mais il est certain aussi que c'était comme pécheur qu'il implorait sa justification; il s'avouait pécheur, et sa prière exaucée lui mérita la justification, et c'est alors qu'il cessa d'être pécheur. Il n'aurait pas cessé de l'être, si auparavant il n'avait été exaucé, quoique pécheur. Ainsi donc, l'infaillible vérité vous atteste d'abord que tout pécheur n'est pas exaucé, et ensuite que tout pécheur n'est pas rejeté.

XVIII. Nos adversaires nous opposent également ces paroles du psaume : « Dieu a dit au pécheur : Pourquoi expliquez-vous mes justices, et ne craignez-vous pas de proclamer mon alliance? Vous avez haï ma loi et vous avez rejeté loin de vous mes préceptes. Quand vous voyiez un voleur, vous vous mettiez à sa suite, et vous vous associez avec les adultères. Vos lèvres distillaient avec abondance l'iniquité, et votre langue articulait le mensonge et la ruse. Vous vous posiez comme faux témoin contre votre frère, et vous opposiez le scandale au fils de votre mère (2) ». Mais qu'ils ouvrent donc enfin les oreilles de leur coeur, et qu'ils cessent de ne plus comprendre ni ce qu'ils disent, ni ce qu'ils affirment (3). Ils paraissent frappés de cette parole dite au pécheur : « Pourquoi expliquez-vous mes justices et proclamez-vous mon testament? » et ils ne comprennent pas que, dans le texte sacré, ces paroles signifient que les paroles que l'on fait retentir au dehors ne sont d'aucune utilité, si on ne met pas en pratique ce que l'on enseigne. Quant à ceux qui les écoutent et les mettent en pratique, elles leur servent pour le salut éternel. C'est Jésus-Christ lui-même qui nous enseigne cette vérité, quand il dit des Pharisiens : « Ils sont assis sur la chaire de Moïse ; faites donc ce qu'ils vous disent, mais

 

1. Luc, XVIII, 10-14. — 2. Ps. XLIX, 16-20. — 3. I Tim. 1, 7.

 

ne faites pas comme ils font, car ils disent et ne font pas (1) ».

XIX. Plût à Dieu que ces paroles du psaume leur parussent un miroir fidèle, dans lequel ils pussent se contempler eux-mêmes. Dira-t-on qu'ils ne foulent pas aux pieds les oracles divins, eux qui annoncent la paix aux peuples et qui n'aiment pas la paix ? Dira-t-on qu'ils ne haïssent pas la discipline, eux qui osent condamner l'univers sans l'entendre ; et quand on leur inflige les peines temporelles disciplinaires inspirées par la miséricorde divine, et bien inférieures à celles que mériterait l'excès de leur audace, loin d'avouer qu'ils subissent le châtiment dû à leurs péchés, ils se font gloire de recevoir ainsi la couronne due à leurs mérites? Je ne dis pas qu'ils ont couru sur les traces d'un voleur ; un brigand est plus qu'un voleur, et de toute part on décerne à Optat ce glorieux titre. Dira-t-on qu'ils n'ont pas choisi leur destinée parmi les adultères, eux qui laissent errer à l'aventure, jour et nuit, des multitudes de religieuses plongées dans l'ivresse, mêlées à des multitudes de Circoncellions livrés aux mêmes excès. Dira-t-on qu'ils ne siègent pas pour déchirer leurs frères, eux qui, pour se venger de n'avoir pu convaincre de crime quelques-uns des nôtres, soutiennent que dans l'héritage du Christ, répandu sur toute la terre, il n'y a plus aucun chrétien ? Contre le fils de leur mère, c'est-à-dire contre l'enfant qui a besoin d'être nourri de la foi et du lait des sacrements, ils dressent le plus pernicieux des scandales, quand, abusant de l'impuissance où il est de suivre Dieu son Père, ils le réduisent à n'appuyer sa faiblesse que sur la faiblesse de l'homme, ils le trompent en le séduisant, parce qui n'a de la vérité que les simples apparences, et le condamnent tristement à vivre en dehors de la véritable unité. D'un autre côté, puisqu'ils admettent qu'ils sont innocents, qu'ils déplorent les crimes qui se commettent dans leurs rangs, et que les crimes commis par d'autres ne peuvent nuire à ceux qui en gémissent et qui les pleurent ; pourquoi donc tolèrent-ils pernicieusement, dans leur schisme sacrilège, ce qu'ils auraient pu tolérer utilement dans les liens de l'unité ? Que l'évidence des choses leur fasse enfin secouer leur sommeil, et ils pourront dire que les péchés des uns ne nuisent

 

1. Matt. XXIII, 2, 3.

 

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 jamais à ceux qui n'approuvent ni ne reproduisent ces crimes; et cependant, ce qui constitue le schisme sacrilège, ce n'est pas le crime de tel homme en particulier, mais le crime de tous ceux qui cessent d'être en communion avec l'unité catholique. En effet, la raison pour laquelle, dans leur communion, les innocents restent entièrement étrangers aux crimes des coupables, prouve que le crime du schisme leur est commun à tous ; car, puisqu'ils avouent qu'ils ne peuvent être souillés par les crimes des autres, ils doivent nécessairement avouer qu'ils n'ont eu aucune raison de se séparer de l'unité. Dans cette unité, pas plus que dans leur secte actuelle, ils restaient étrangers à tous les crimes commis autour d'eux; dès lors donc qu'ils s'en sont séparés, ils ont visiblement assumé sur eux la responsabilité d'un schisme homicide.

XX. « Mais Jérémie a prophétisé ». Et qu'a-t-il donc prophétisé ? « Que ceux qui abandonnent le Seigneur n'ont pas le vrai baptême». Car voici ses paroles: «Le ciel a contemplé ce forfait, et il en a été saisi d'une horreur profonde, dit le Seigneur. En effet, ce peuple a commis deux grands crimes: ils m'ont abandonné, moi la source de l'eau vive, et ils se sont creusé des citernes usées qui ne peuvent contenir leurs eaux (1) ». Et encore : « Elle est devenue pour moi une eau menteuse, n'ayant pas la foi (2)». Ailleurs : « Celui qui est lavé par un mort, à quoi lui sert sa purification (3) ? » Et ces paroles du psaume : « L'huile du pécheur n'oindra pas ma tête (4) ». Ailleurs encore: « Les mouches sur le point de mourir font disparaître l'huile de la suavité (5)». Et enfin : « L'Esprit-Saint dissipera tout ce qui est feint, et il s'arrachera aux pensées qui sont sans intelligence (6) ». Si toutes ces paroles doivent être entendues dans le sens qu'ils leur donnent, ni leur doctrine ni la nôtre ne cadrent plus avec la vérité. Mais s'ils me permettent de les rétablir dans leur signification naturelle, ils se sentent aussitôt troublés dans leur perversité. S'ils veulent échapper à ce trouble, qu'ils reviennent au sens catholique, car toute issue leur est fermée pour répondre, pendant qu'ils seront enlacés dans les filets du schisme. Quels hommes, en effet, ne trouvons-nous pas dans leurs rangs? je ne dirai pas

 

1. Jérém. II, 12,13. — 2. Id. XV, 18. — 3. Eccli. XXXIV, 30. — 4. Ps. CXL, 5. — 5. Ecclé. X, 1. — 6. Sag. I, 5.

 

quels sont-ils tous, car je ne veux alléguer que des faits dont ils soient obligés de convenir, ou qu'ils ne puissent nier sans folie. N'y a-t-il pas parmi eux beaucoup d'hommes qui ont abandonné Dieu, la source d'eau vive, c'est-à-dire qui mènent une vie criminelle? Tout le monde sait que ce n'est pas par les pieds, mais par le coeur que l'on s'éloigne de Dieu. Ils ont parmi eux des menteurs et des hypocrites dont les paroles et les oeuvres sont en perpétuelle contradiction. Ils ont parmi eux des morts; car si l'Apôtre condamne les délices dans le sexe le plus délicat et le plus faible; «La veuve», dit-il, « qui vit dans les délices, quoique pleine de vie est déjà morte (1) », qu'ils examinent si parmi eux il n'y a pas un grand nombre de fidèles, voire même de supérieurs et de ministres, qui vivent réellement dans les délices. Qu'ils l'osent alors, qu'ils affirment qu'ils n'ont pas de morts et qu'ils sont plus parfaits que cette Eglise, dont l'ange, c'est-à-dire l'évêque, et la figure des évêques et des âmes, est accusé d'être mort, ce qui n'empêche pas cette Eglise d'être comptée au nombre des sept Eglises apostoliques qui restèrent étroitement unies dans le corps de Jésus-Christ, et durent à leur persévérance de conserver intacts les préceptes de vie (2). J'allais oublier que dans un concile tenu contre les Maximianistes, les disciples de Donat s'écrièrent : « Les rivages sont aujourd'hui couverts de cadavres, comme ils l'étaient autrefois des débris des Egyptiens (3) ». Du nombre de ces cadavres se trouvait Félicianus, maintenant réintégré dans la secte, et baptisant quoique mort. Supposé qu'il soit ressuscité, il a toujours avec lui ceux qu'il a baptisés pendant qu'il était mort dans le schisme. Ils ont certainement parmi eux des pécheurs. En peut interroger ceux qui paraissent occuper le premier rang, et ils ne nieront pas qu'ils soient pécheurs. En effet, nous les voyons se frapper la poitrine: n'est-ce pas là un aveu, à moins que ce ne soit un acte d'hypocrisie ? Si c'est de l'hypocrisie, leur péché n'en est que plus criminel, puisque cette apparente humilité n'aurait pour but que de mieux tromper les peuples. Ou encore, s'ils sont tous sans péché, ils ne disent donc pas dans l'Oraison dominicale : « Pardonnez-nous nos offenses, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés (4) ». Remarquons que cette parole

 

1. I Tim. V, 6. — 2. Apoc. III, 1-6. — 3. Ex. XIV, 31. — 4. Matt. VI,12.

 

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ne s'applique pas aux péchés qui nous sont remis dans la régénération baptismale, mais à ceux que les fruits amers du siècle et la faiblesse de la vie humaine nous font commettre chaque jour, et contre lesquels nous appliquons le remède des aumônes, des jeûnes et de la prière, celle-ci formulant par les paroles ce que l'aumône produit par les actes. Pardonnez à votre frère la faute qu'il a commise contre vous, afin que Dieu vous pardonne à vous-même, c'est là assurément une grande oeuvre de miséricorde. Dira-t-on que cette prière est feinte et simulée sur les lèvres de nos adversaires, et qu'ils se flattent de n'avoir besoin d'aucun pardon de la part de Dieu ? mais alors ils se rendent coupables d'un horrible sacrilège, leur orgueil est marqué au coin de l'impiété la plus révoltante et résume en lui seul les caractères du péché le plus grave. Que dirai-je des mouches qui sont sur le point de mourir? ils ne sont plus eux-mêmes sur le point de mourir, car ils sont déjà morts sous beaucoup de points de vue ; c'est là un point dont peut-être nous ne les avons pas persuadés, mais dont nous les avons convaincus. Quant à ces hypocrites, dont l'Esprit-Saint s'éloigne et qui vivent criminellement et sans intelligence, ils peuvent voir, d'après ce qui précède, s'il n'en est pas un grand nombre parmi eux. En effet, combien de coupables, après s'être longtemps cachés parmi eux, quand on parvient à les découvrir, sont facilement convaincus et promptement condamnés, non pas seulement pour des crimes commis depuis peu, mais pour d'anciennes habitudes criminelles, qu'ils ont pu déguiser pendant longtemps, et qui les rendent d'autant plus coupables qu'ils aspiraient à passer pour bons, afin de mieux tromper les simples.

XXI. Si donc on doit interpréter ces passages de l'Ecriture comme ils les interprètent eux-mêmes, sur quoi pourront-ils encore s'appuyer pour nous faire croire que tous leurs malheureux sectaires qui abandonnent Dieu par leur vie criminelle, plus ou moins cachée,plus ou moins inconnue, ne sont pas des citernes percées qui ne peuvent plus contenir leurs eaux? Et si ce texte doit être entendu du saint baptême, pourquoi leurs ministres, menteurs et infidèles, voudraient-ils nous faire croire qu'ils donnent, non pas une eau menteuse, mais une eau véritable? Pourquoi ceux qui sont baptisés par leurs morts tireraient-ils quelque utilité de cette purification? Pourquoi des pécheurs oignent-ils la tête de leurs frères? Et ces mouches agonisantes ou déjà mortes, comment ont-elles pu vous mériter de ne pas faire disparaître l'huile de la suavité? De quel privilége jouissent donc, au milieu de vous tous, ces hypocrites qui couvrent le loup de la peau de la justice, et en qui l'Esprit-Saint continuerait à habiter? Ou bien, si l'Esprit-Saint les a quittés, comment peut-il être conféré à ceux qu'ils baptisent? Qu'ils ne me fassent pas ici l'impudente et inepte réponse qui revient sans cesse sur leurs lèvres

« Un pécheur peut conférer validement le baptême, pourvu que son crime ne soit pas connu ». Un hypocrite est d'autant plus hypocrite qu'il se déguise avec plus de soin. Si donc le Saint-Esprit abandonne le ministre dans de telles conditions, quelle espérance restera-t-il au néophyte si, pour obtenir la grâce de Dieu, il est obligé de compter avec les mérites du ministre? Que peuvent-ils répondre à cette argumentation, eux qui osent soutenir que leurs rangs ne renferment aucun pécheur public? Cette seule prétention suffit pour les confondre. Mais pour nous, que nous importe? Pour établir invinciblement notre thèse, il nous suffit qu'ils ne puissent nier qu'il se trouve au milieu d'eux des hommes qui simulent la vertu, c'est-à-dire des pécheurs occultes. En effet, ils se trouvent immédiatement réfutés par la multitude de ceux qui, après avoir mené une existence criminelle, habilement déguisée sous de faux dehors, se sont vus enfin dévoilés et honteusement expulsés. Admettons, s'ils le veulent, que de tels hommes ne se trouvent plus parmi eux, et revenons à ceux qui ont été chassés. Pendant qu'ils jouaient si bien leur rôle hypocrite, pendant qu'à ce titre ils étaient privés de la présence du Saint-Esprit, selon cette parole : « L'Esprit-Saint fuira la fiction (1) », comment donc ces hommes ont-ils pu baptiser? Pourquoi ne pas rappeler au moins ceux qui vivent encore, pour leur réitérer le baptême qu'ils n'ont pu recevoir de la main de ceux en qui n'habitait pas le Saint-Esprit? Diront-ils que le Saint-Esprit n'était pas dans les ministres, mais que, par l'ineffable efficacité de sa puissance, il descendait dans les sujets pour les justifier; qu'il pouvait fort bien tout à la fois

 

1. Sag. I, 5.

 

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fuir les uns et embraser les autres, condamner ceux-là et purifier ceux-ci? Qu'ils ne s'y trompent pas, cette solution, si elle leur est favorable, nous l'est encore beaucoup plus à nous-mêmes.

XXII. A l'occasion de cette maxime de la sainte Ecriture, qu'ils ne comprennent pas et qu'ils allèguent pour leur justification, quand, au contraire, elle n'est qu'une arme puissante remise entre nos mains pour les confondre, nous faisons remarquer que dans toutes ces questions il est un point hors de doute, c'est que tous les sacrements nuisent à ceux qui les confèrent indignement, tandis qu'ils profitent à ceux qui les reçoivent dignement. Il en est de même pour la parole de Dieu; de là cette observation du Sauveur : « Faites ce qu'ils vous disent, mais gardez-vous de faire ce qu'ils font (1) ». Ne suis je donc pas parfaitement autorisé à dire de ces hommes qu'ils creusent des citernes percées qui ne peuvent contenir leurs eaux ; c'est-à-dire que leur volonté devenant toute terrestre ne peut conserver en elle le Saint-Esprit qui, dans l'Evangile, nous est très-souvent symbolisé par l'eau? De même cette eau menteuse, qui n'a pas la foi, peut être entendue, non pas d'un faux baptême, niais d'un peuple menteur et infidèle composé uniquement d'hommes menteurs et infidèles, à l'exclusion des hommes véridiques et fidèles. Que les peuples soient quelquefois symbolisés par l'eau, ils peuvent, s'en convaincre enlisant l'Apocalypse, et ils resteront persuadés que leurs accusations retombent sur eux et non pas sur nous. Il est dit à saint Jean : « Les eaux que vous avez vues et sur lesquelles est assise cette prostituée, figurent les peuples et les foules, les nations et les langues (2) ». Quant à ces paroles : « Celui qui est baptisé par un mort, à quoi lui sert cette purification?» sans m'appliquer en ce moment à en donner la véritable signification, je puis affirmer en toute certitude qu'il est ici question des purifications païennes qui se font au nom des divinités qui ne sont que dés hommes morts depuis plus ou moins de temps, et dont la vie telle qu'elle nous est transmise par la tradition, n'est guère propre à inspirer l'amour de la justice et de la vertu. Je sais bien que dans les prêtres eux-mêmes l'impiété est regardée comme uni; mort véritable ; cependant la

 

1. Matt. XXIII, 3. — 2. Apoc. XVII, 15.

 

mort, dont les accuse le texte sacré, a surtout pour principe la mort même des dieux qu'ils adorent; et c'est dans ce sens que le Prophète leur oppose cette parole : « Notre Dieu à nous est un Dieu vivant (1)». Ainsi donc, quoiqu'il y ait parmi les chrétiens des évêques et des ministres qui sont morts spirituellement par leur impiété et leur iniquité, cependant nous pouvons toujours dire de « celui qui baptise (2) », qu'il est toujours vivant. En effet, dit l'Apôtre, « Jésus-Christ ressuscitant d'entre les « morts, ne meurt plus, la mort n'aura plus sur lui aucun empire (3) ». Quant à l'huile du pécheur, le Psalmiste nous en donne l'explication claire et précise : « Le juste me perfectionnera dans sa miséricorde et me corrigera; mais l'huile du pécheur n'oindra pas ma tète (4) ». Cette huile du pécheur figure donc les flatteries d'un adulateur, flatteries que l'on dédaigne et que l'on repousse pour chercher auprès du juste la correction et l'amélioration que l'on désire. Cette correction, le juste l'opère non pas par la flatterie et l'adulation, mais par la vérité de ses reproches, et en cela il use véritablement de miséricorde. De là cette parole de l'Apocalypse : « Ceux que j'aime je les reprends et les châtie (5) » ; et cette autre de Salomon : « Les blessures faites par un ami, sont préférables aux embrassements d'un ennemi (6) ». On pourrait citer un grand nombre de passages du même genre. Quant à l'huile de suavité, ne signifie-t-elle pas la bonne odeur, c'est-à-dire la bonne réputation des chrétiens? or, cette bonne réputation n'est-elle pas « exterminée » par tous ces hommes qui, malgré le ferme propos où ils sont de mener une vie coupable et de retomber dans leurs premières iniquités, viennent en foule demander la rémission de leurs péchés par le baptême, avec la résolution bien arrêtée de s'y livrer de nouveau? Ils sont tellement nombreux, que je ne m'étonne plus qu'on les compare à des mouches (7). C'est donc détruire entièrement l'huile de la suavité, que de chercher pour guide dans sa vie, non pas la grâce de Dieu, mais les oeuvres de l'homme. De même donc que les grains, tant qu'il sont mêlés à la paille, restent invisibles; de même, au milieu de la multitude des pécheurs, il est difficile de distinguer les justes; est-il étonnant, dès

 

1. Jérém. X, 10. — 2. Jean, I, 33. — 3. Rom. VI, 9. — 4. Ps. CXLV, 5. — 5. Apoc. III, 19. — 6. Prov. XXVII, 6. — 7. Ecclé. X, 1.

 

lors, qu'ils subissent tous les scandales extérieurs, qu'ils trouvent de plus en plus difficile l'acquisition du salut éternel, et que parfois même ils succombent? Nous disons que la bonne odeur signifie la bonne renommée acquise par la vie sainte des chrétiens ; c'est là du moins ce que nous enseignent clairement ces paroles de l'Apôtre : « Nous sommes en tous lieux la bonne odeur de Jésus-Christ pour la gloire de Dieu (1) ». Ces Apôtres menaient donc une conduite tout opposée à ceux auxquels ce même Apôtre disait : « Le nom du Seigneur est par vous blasphémé dans toutes les nations (2) ». N'est-ce pas de ceux-là qu'il est dit : « Ils exterminent l'huile de la suavité? » Concluons donc que les passages cités plus haut ont une signification tout autre que celle qu'ils prétendent leur donner; qu'ils admettent cette interprétation et toutes ces questions s'élucideront facilement à leurs yeux. Quant à celle qu'ils nous présentent, si elle ne trouve pas dans nos rangs d'application possible, c'est sur eux seuls qu'elle retombe; et en supposant que nous dussions y prendre une certaine part, la leur resterait tout entière.

XXIII. Est-il besoin de poursuivre cette discussion? Je ne le pense pas. Cependant quelque doute pourrait surgir encore, quand on voit Parménien, pour prouver que des hommes charnels ne peuvent créer des fils spirituels, citer ce passage de l'Évangile: « Ce qui est né de la chair, est chair, et ce qui est né de l'esprit, est esprit (3) ». Est-ce que nous avons jamais dit que l'homme, par lui-même, et en dehors de l'Évangile, peut engendrer des enfants spirituels? N'avons-nous pas soutenu précédemment que c'est par la prédication de l'Évangile que l'Esprit-Saint prépare les enfants spirituels qu'il doit engendrer dans le baptême, lors même que ce sacrement serait conféré par un indigne ministre? Parlant à ces enfants, si l'Apôtre leur eût dit : « C'est moi qui vous ai engendrés », sans ajouter immédiatement, « en Jésus-Christ par l'Évangile (4) » ; jamais aucun fidèle n'aurait avoué tenir de cet Apôtre sa naissance religieuse. Judas, quoique avare et voleur, a pu prêcher l'Évangile, sans aucun détriment pour les fidèles; et en parlant de leurs pécheurs occultes, dont l'âme est en horreur à l'Esprit-Saint, les Donatistes affirment sans

 

1. II Cor. II, 15. — 2. Rom. I, 24. — 3. Jean, III, 6. — 4. I Cor. IV, 15.

 

hésitation que des enfants spirituels sont engendrés par leur prédication et par les sacrements qu'ils confèrent. Par hasard, pousserai-t-on la folie jusqu'à soutenir que tout enfant né légitimement de l'homme et de la femme est charnel, tandis que de l'adultère sortirait un enfant spirituel ? Loin de moi une pareille absurdité ! Comment donc tel ministre, véritable adultère secret, pourrait-il engendrer des enfants spirituels, si l'on admet en principe que des hommes charnels ne peuvent enfanter des fils spirituels? Dira-t-on que c'est Jésus-Christ ou le Saint-Esprit, ou peut-être un ange, qui a baptisé par la main ou l'organe de ce ministre ? Mais si c'est l'homme qui baptise, quand le ministre est bon, tandis que quand il est secrètement mauvais, c'est Dieu ou un ange qui confère le baptême, d'où il, suit qu'on naît spirituel parce qu'on est engendré par un ministre spirituel; si c'est ainsi que les choses se passent et s'expliquent, j'en conclus rigoureusement que tout homme qui demande le baptême doit désirer que ce sacrement lui soit conféré, non pas par un ministre fidèle, mais par un pécheur occulte,' car alors il sera réellement baptisé par Dieu ou par un ange, ce qui lui procurera sans, doute une sainteté et des grâces plus abondantes. Pour échapper à cette absurdité, les Donatistes n'ont qu'un seul moyen possible, c'est d'avouer que toutes les fois que le baptême de Jésus-Christ est conféré, quel que soit le ministre, c'est toujours Jésus-Christ qui baptise, selon cette parole : « C'est lui qui a baptise dans le Saint-Esprit (1) ».

XXIV. Nous lisons également dans l'Evangile : « Comme mon Père m'a envoyé, je vous envoie. Après avoir prononcé ces paroles, il souffla sur ses disciples et leur dit :  Recevez le Saint-Esprit, les péchés seront remis à qui vous les remettrez, et ils seront retenus à qui vous les retiendrez (2) ». Or, ces paroles, prises à la lettre, seraient notre condamnation et nous forceraient d'avouer que cette rémission a l'homme, non pas seulement pour organe ou instrument, mais pour principe, si ces mots : « Comme mort Père m'a envoyé, je vous envoie », étaient  immédiatement suivis de ces autres : « Les péchés seront remis à qui vous les remettrez, et ils seront retenus à qui vous les retiendrez ». Mais il n'en         est pas,

 

1. Jean, I, 33. — 2. Id. XX, 21-23.

 

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ainsi, car, avant de conférer le pouvoir de remettre les péchés et après la mission donnée, nous lisons que le Sauveur « souffla sur eux et leur dit : Recevez le Saint-Esprit » ; c'est alors seulement qu'il leur confie le double pouvoir de remettre et de retenir les péchés. Pouvait-il leur prouver plus clairement que les ministres ne sont que les instruments dont le Saint-Esprit se sert dans l'œuvre étonnante de la rémission des péchés? C'est ainsi qu'il leur dit encore dans un autre endroit : « Ce n'est pas vous qui parlez, mais le Saint-Esprit qui parle en vous (1) ». Quand donc un évêque, ou un ministre de l'Eglise, ne déguise pas sous un extérieur régulier les dérèglements de son coeur, le Saint-Esprit habite en lui et y agit, tout à la fois, pour le conduire à la récompense et au salut éternels, et pour opérer lui-même la régénération ou l'édification de ceux qui reçoivent de cet évêque la consécration ou l'enseignement de la foi. Au contraire, si ce ministre n'est qu'un hypocrite, application lui est faite de ces paroles :«Le Saint-Esprit fuira l'hypocrite». En conséquence, son salut ne reçoit aucune impulsion du Saint-Esprit, et il est lui-même abandonné « à ces pensées qui sont sans intelligence ». Toutefois, dans l'exercice de son ministère, il peut encore servir d'instrument à Dieu pour opérer le salut des âmes. C'est là ce qui a fait dire à l'Apôtre : « Si c'est par l'effet de ma volonté que j'accomplis cette « oeuvre, j'ai droit à la récompense; mais si j'agis contre ma volonté, je ne suis plus qu'un dispensateur mercenaire de la mission qui m'est confiée (2) »; en d'autres termes, mon ministère profite aux autres, mais ne me profite pas à moi-même, qui ne suis qu'un hypocrite. En effet, agir malgré soi, pour des joies et des avantages temporels, avec la disposition bien arrêtée de s'abstenir, si l'on n'y trouvait pas son profit, n'est-ce pas de l'hypocrisie? Aussi remarquons que l'Apôtre ne dit pas : Si j'agis malgré moi, je ne suis d'aucune utilité pour ceux en faveur desquels je travaille; ce n'est que lui-même qu'il prive de la récompense, et non pas ceux auxquels il distribue, quoique indignement, la nourriture spirituelle. Cet indigne ministre, ce n'était point l'Apôtre; aussi, qui pourrait nous dire quel zèle il trouvait dans son chaste coeur, pour verser gratuitement dans l'âme de

 

1.Matt. X, 20. —  2. I Cor. IX, 17.

 

ses frères la grâce dans toute son abondance? la récompense ne devait pas lui faire défaut, elle lui était garantie par le Saint-Esprit, et il pouvait affirmer en toute assurance que Dieu, dans son équitable justice, la lui accorderait au dernier jour (1)'. Mais à côté de l'Apôtre se trouvaient d'autres prédicateurs trop justement flétris -du nom de mercenaires. Il est vrai qu'ils annonçaient Jésus-Christ et en Jésus-Christ la vérité évangélique, mais leur parole était inspirée, non pas par les élans d'un cceur généreux, mais par l'intérêt. Voilà pourquoi, parlant d'eux, l'Apôtre se contentait de dire : Laissez-les prêcher. Et s'il se réjouit, ce n'est pas pour eux, mais pour ceux dont la foi docile et la prompte obéissance méritaient qu'on leur dit : « Faites ce qu'ils disent et ne faites pas ce qu'ils font; car ils enseignent le bien et ne le mettent pas en pratique (2) ». C'est de ces mêmes hommes que l'Apôtre parlait aux Philippiens, quand il leur disait: «Les uns prêchent Jésus-Christ par un esprit d'envie et de contention, et d'autres  par une bonne volonté; les uns par charité, sachant que j'ai été établi pour la défense de l'Evangile, et les autres par un esprit de jalousie, avec une intention qui n'est pas pure, croyant me causer un surcroît d'affliction dans mes liens. Mais qu'importe ? pourvu que Jésus-Christ soit annoncé de quelque manière que ce soit, par occasion ou par un zèle véritable, je m'en réjouis et m'en réjouirai toujours (3) ». Leur permettrait-il de prêcher Jésus-Christ, quand ils souillent la prédication de l'Evangile par des intentions sordidement intéressées? se réjouirait-il d'une telle prédication, s'il ne savait pas qu'ils seront sévèrement châtiés pour avoir annoncé avec des intentions impures les vérités les plus pures, tandis que ceux qui auront profité de cette prédication pour croire la vérité et pratiquer la vertu, auront droit à l'éternelle récompense? Supposons, au contraire, que l'on prêche, non pas Jésus-Christ, mais la fausseté et le mensonge, l'Apôtre s'indigne et dit aux Galates : « Si quelqu'un vous prêche un autre évangile que celui que vous avez reçu, qu'il soit anathème (4) ». Il écrit également à Timothée : « Pendant que j'irai en Macédoine, je vous ai prié de rester à Ephèse et d'inviter certains prédicateurs à ne pas changer leur

 

1. II Tim. IV, 8. — 2. Matt. XXIII, 3. — 3. Phil. I, 15-15. — 4. Gal. I, 9.

 

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enseignement (1)». Quant à ces prédicateurs jaloux, disputeurs, orgueilleux, intéressés et habiles à saisir toutes les occasions de satisfaire leurs mauvais désirs, l'Esprit-Saint repoussait leur hypocrisie, et cependant il ne se séparait pas de leur ministère, tant qu'ils prêchaient Jésus-Christ; non-seulement il leur permet de le prêcher, mais il s'en réjouit.

XXV. J'ai cité ces passages de la sainte Ecriture, afin de montrer clairement qu'il ne saurait y avoir de crime plus grave que le sacrilège dont le schisme est la source. En effet, quand il s'agit de rompre l'unité, quelle juste nécessité peut-il y avoir? Quand les bons tolèrent les méchants au milieu d'eux, dans la crainte de se séparer spirituellement des bons, est-ce que ce contact des méchants peut les souiller spirituellement? Est-ce que la seule considération de conserver la paix n'est pas un motif suffisant de tempérer les rigueurs de la discipline? Toutefois, je le déclare hautement, toutes ces considérations doivent disparaître, quand les circonstances permettent de croire que les jugements ecclésiastiques produiront une répression salutaire, sans que l'on ait à redouter les déchirements du schisme. En effet, nous n'hésitons pas à affirmer que le nom du Seigneur abrite de préférence ceux qui le craignent, quoiqu'ils se trouvent mêlés à ceux qui le blasphèment; nous n'en voulons pour preuve que cette parole de l'Apôtre : « Le Seigneur connaît ceux qui sont à lui; quiconque invoque le nom du Seigneur, qu'il renonce à toute iniquité (2) ». Pour le bien de la paix, et dans la crainte que le froment ne soit arraché avant la moisson avec la zizanie, tout homme juste se voit forcé de subir le mélange des pécheurs; mais alors, qu'il renonce à toute iniquité, et il pourra en toute sécurité invoquer le nom du Seigneur. En renonçant à l'iniquité,, ne sort-il pas de la foule des pécheurs; n'établit-il pas entre eux et lui la plus importante séparation, celle du coeur, en attendant la séparation corporelle dont il jouira à la fin des siècles ?

XXVI. Nous trouvons également dans l'Ecriture cette parole : « Le louange est sans beauté sur les lèvres du pécheur (1) ». Au contraire, sur les lèvres des fidèles, elle rayonne de tout son éclat. Chaque chrétien n'a donc à répondre que de ses propres

 

1. I Tim. I, 3. — 2. II Tim. II, 19. — 3. Eccli, XV, 9.

 

lèvres, et pourvu que son coeur reste pur, il n'a pas à redouter le venin distillé par la langue de ses frères. Mais, comme la prédication du pécheur sort de sa bouche, il nous reste à savoir quel genre de pécheur est désigné dans ce passage de l'Ecriture. En effet, le publicain, qui a été justifié, tandis que le pharisien fut condamné, était réellement un pécheur (1). Car, si ses péchés n'étaient pas véritables, la confession qu'il en faisait était fausse ; au contraire, si la confession qui lui a mérité la justification était véritable, ses péchés n'étaient donc que trop réels. J'en dirai autant de la prière de Daniel, dont il nous parle en ces termes : « Pendant que je priais et que je confessais mes péchés et ceux de mon peuple (2) ». Si donc la louange est sans beauté sur les lèvres de quelque pécheur, n'est-ce pas sur celles du menteur et du fourbe dont l'Esprit-Saint se retire avec horreur? Lors même qu'il dirait la vérité, la louange n'en reste pas moins sans beauté sur ses lèvres, car il ne saurait la rapporter à celui dont il n'a pas l'esprit. C'est ainsi que la prophétie du grand prêtre Caïphe était sans beauté sur ses lèvres, puisqu'il ne comprenait pas ce qu'il disait, et que ce n'est qu'en sa qualité de pontife qu'il a prophétisé (3). Toutefois il fut l'instrument dont Dieu se servit pour proclamer une belle louange aux oreilles de ceux qui l'entendirent et ouvrirent leurs coeurs à la foi.

XXVII. En donnant à la parole de saint Paul une interprétation mensongère, Parménien ose y trouver une injure à l'adresse de ceux qu'il accuse de ne pas avoir le baptême, et, par conséquent, de ne pouvoir le conférer. « Que pouvez-vous donc avoir, dit-il, que vous n'ayez reçu (4) ? » Je ne m'attacherai pas à préciser le sens et la portée de cette parole de l'Apôtre, elle est suffisamment expliquée par le contexte. Je dis seulement que si elle s'applique au baptême, comme on ne peut pas donner une chose que l'on n'a pas, et comme dans cette matière, selon la parole citée : « Qu'avez-vous que vous n'ayez a reçu? » on ne peut avoir le baptême qu'autant qu'on l'a reçu, il reste à savoir s'il peut se faire qu'on n'ait pas le baptême, quoiqu'on l'ait reçu parmi eux. Diront-ils que quiconque l'a reçu le possède? Alors, je demande si on le perd en se séparant d'eux par le schisme.

 

1. Luc, XVIII, 14. — 2. Dan. IX, 20. — 3. Jean, XI, 51 . — 4. II Cor, IV, 7.

 

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Diront-ils qu'on le perd? Alors, quiconque rentre dans leurs rangs après s'en être séparé, doit de nouveau recevoir le baptême, pour qu'il puisse recouvrer ce qu'il a perdu. Au contraire, s'ils soutiennent que cette réitération ne doit pas avoir lieu, ils me forcent de conclure que ce schismatique n'avait pas perdu le baptême. Si donc il l'a reçu, et si après l'avoir reçu il ne l'a pas perdu, il est de toute évidence qu'il conserve ce qu'il a reçu ; et dès lors on ne peut plus lui appliquer, dans le sens qu'ils leur donnent, ces paroles de l'Apôtre : « Qu'avez-vous que vous n'ayez a reçu? »

Rappelez à vos souvenirs l'origine même du schisme. Quelque idée qu'ils se fassent de Cécilianus, que nous croyons innocent, il est certain qu'il a été baptisé dans l'unité; car, au moment de son baptême, il n'était pas encore question de cette funeste séparation. Admettons, puisqu'ils le veulent, qu'il se soit séparé de l'unité; toujours est il qu'il n'a pas perdu ce qu'il avait reçu; la preuve en est qu'ils n'oseraient pas lui réitérer le baptême, lors même qu'il rentrerait dans l'unité; et cependant, ne devrait-il pas recouvrer ce qu'il aurait perdu? Si donc il n'avait pas perdu ce qu'il avait reçu, il le posséderait encore ; et, dès lors, on ne saurait lui appliquer, dans la fausse interprétation qu'ils leur donnent, ces paroles de l'Apôtre : « Qu'avez-vous que vous n'ayez reçu? » Ainsi donc, lors même que les Donatistes, loin de se poser comme les calomniateurs de leurs frères, ne seraient que les juges impartiaux de leurs crimes, il serait toujours vrai de dire que l'Afrique a conservé la réalité du sacrement, que tous les traditeurs du monde n'auraient pu faire mentir cette promesse solennelle faite par le Seigneur à Abraham : « Toutes les nations seront bénies dans votre race ».

XXVIII. Vaincus par l'évidence, un certain nombre d'entre eux, prenant un moyen terme, se contentent de dire « que celui qui se sépare de l'Église perd, non pas le baptême, mais le droit de le conférer ». Or, cette affirmation, quoique assez atténuée, n'en est pas moins grosse d'absurdités et d'erreurs. D'abord, pourrait-on nous dire pourquoi celui qui ne pourrait perdre le baptême, pourrait perdre le droit de le conférer? En effet, le Baptême et l'Ordre sont l'un et l'autre un sacrement, et tous deux produisent une certaine consécration, soit dans la personne baptisée, soit dans la personne ordonnée; et c'est à cause de cette même consécration que l'Église catholique prohibe la réitération de ces deux sacrements. Que des pasteurs renoncent à leur schisme et rétractent leurs erreurs, on peut pour le bien de la paix les accueillir, et si l'on juge qu'il soit nécessaire de les rétablir dans leurs anciennes fonctions, on les y rétablit sans leur réitérer le sacrement de l'Ordre. Comme le baptême, l'ordination reste donc en eux dans toute son intégrité. En se séparant de l'Église ils avaient commis un crime dont leur retour à la paix les a justifiés, mais en aucun cas les sacrements eux-mêmes n'avaient été viciés; partout et dans tous ils restent ce qu'ils sont. Et quand l'Église juge utile de refuser aux pasteurs qui rentrent dans l'unité, le droit de remplir leurs fonctions précédentes, elle le peut légitimement, et cependant le sacrement de l'Ordre reste dans toute son intégrité. Si donc on ne leur impose pas les mains, c'est pour éviter de faire injure, non pas à l'homme, mais au sacrement. Et s'il arrive qu'on les leur impose par ignorance, pourvu qu'on ne mette pas d'animosité à la défendre et qu'on y apporte remède aussitôt qu'on la connaît, on en obtient très-facilement le pardon. En effet, notre Dieu n'est pas le Dieu de la dissension, mais de la paix (1), et il regarde comme ses ennemis, non pas ses sacrements dans la personne de ceux qui se séparent de son Église, mais la personne même de ceux qui s'en séparent. De même donc qu'ils ont dans le baptême ce qu'ils peuvent conférer, de même dans l'ordination ils ont le droit de conférer; mais, disons-le avec douleur, le sacrement qu'ils confèrent et celui qui leur donne le droit de le conférer sont pour eux une cause de ruine, tant qu'ils ne possèdent pas la charité dans l'unité. Ainsi donc, autre chose est de ne pas avoir le sacrement, autre chose d'avoir en lui un sujet de ruine, et autre chose d'y trouver un puissant moyen de salut.

XXIX. Supposé qu'un laïque, dans un cas de nécessité, ait conféré le baptême à un homme qui se mourait, et qu'il n'ait rien omis de ce qui est essentiel au sacrement, serait-ce faire acte de piété que de réitérer le baptême? Baptiser sans une nécessité pressante, ce serait usurper des fonctions qu'on n'a

 

1. I Cor. XIV, 33.

 

37

 

pas; mais baptiser dans le cas de nécessité, serait-ce un péché, et surtout un péché mor tel? Mais enfin, admettons que ce laïque ait baptisé sans aucune nécessité, dira-t-on qu'aucun sacrement n'a été donné, quoiqu'il l'ait été illicitement. Or, une usurpation illicite se corrige par le repentir et l'expiation. Si le coupable ne se corrige pas, le sacrement conféré dans ces conditions devient une occasion de ruine pour celui qui l'a illicitement conféré, ou illicitement reçu. Cependant on ne regardera pas ce sacrement comme n'étant pas conféré. Ne peut-il pas se faire qu'un brave militaire ait reçu le sceau royal d'une personne qui l'avait usurpé? mais, du moment qu'il l'a reçu il ne le violera pas. Des faussaires fabriquent de la fausse monnaie d'or, d'argent ou d'airain; si on les saisit, on les punit ou on leur pardonne; quant au poinçon lui-même, s'il est reconnu comme étant le poinçon royal, ne sera-t-il pas remis dans les trésors de l'Etat? Tel homme, qu'il soit déserteur ou qu'il n'ait jamais combattra, a imprimé le sceau de la milice à telle personne; si cette dernière vient à être reconnue, ne sera-t-elle pas punie comme déserteur, et punie d'autant plus sévèrement qu'il sera prouvé qu'elle n'a jamais combattu; et si elle dénonce le faussaire, celui-là ne subira-t-il pas le même châtiment? Ou bien encore, tel soldat agrégé dans la milice se laisse dompter par la frayeur, invoque la clémence de l'empereur et, après avoir obtenu sa grâce, se livre au combat vaillamment; quand il s'est ainsi repenti et qu'il a réparé sa faute, est-ce qu'on lui imprime de nouveau le sceau de la milice? ne confirme-t-on pas au contraire celui qu'il portait déjà? Est-ce donc que les sacrements chrétiens seraient moins inhérents à notre âme que ne l'est à notre corps ce sceau de la milice? Ne voyons-nous pas que les apostats ne sont point privés du baptême, puisque ce sacrement ne leur est pas réitéré quand ils reviennent à résipiscence, ce qui prouve qu'ils ne sauraient le perdre? Ai-je eu tort, enfin, de chercher un terme de comparaison dans la milice, quand j'entends l'Apôtre, parlant des grands combats, s'écrier : « Celui qui soutient les combats du Seigneur, ne s'embarrasse pas dans les affaires du siècle, et ne cherche qu'à plaire à celui à qui il appartient (1)? »

 

1. II Tim. II, 4.

 

XXX. Une autre question se présente, celle de savoir si le baptême peut être conféré par des hommes qui n'ont jamais été chrétiens. A moins de s'exposer sur ce point à des affirmations téméraires, on doit s'en rapporter uniquement à l'autorité des conciles. Quant à ceux qui sont séparés de l'unité de l'Eglise, on ne saurait douter qu'ils ont le baptême et qu'ils peuvent le conférer, sans oublier cependant que, soit qu'ils l'aient, soit qu'ils le confèrent en dehors de l'unité, ce sacrement est pour eux une cause de ruine et de châtiment; c'est là une vérité clairement énoncée, définie et arrêtée par la foi universelle de tous les siècles et de tous les peuples. Du reste, s'ils soutiennent que nous sommes dans l'erreur, qu'ils nous expliquent pourquoi le sacrement de l'ordre pourrait se perdre, tandis que le sacrement de baptême est inamissible. N'est-ce pas là cependant ce qu'ils entendent par ces paroles : « Celui qui se sépare de l'Eglise ne perd pas le baptême, mais il perd le droit de le conférer? » Puisque ce sont là deux sacrements véritables, pourquoi l'un peut-il se perdre, tandis que l'autre ne le peut pas? Ne faisons injure ni à l'un ni à l'autre. Si les choses saintes ne peuvent cohabiter avec les méchants, que ces deux sacrements prennent également la fuite; au contraire, si les choses saintes peuvent habiter une âme en même temps que le péché, que ces deux sacrements y habitent au même titre. S'ils disent : Le baptême ne saurait être validement conféré que dans l'Eglise véritable, je puis leur répondre que le baptême n'est donc validement possédé que dans l'Eglise véritable. Pourquoi ne pouvoir pas donner ce que l'on donne illicitement, puisque l'on peut posséder ce que l'on ne possède pas licitement? Dira-t-on qu'autre chose est de ne pas posséder, autre chose de posséder illicitement? Autre chose est également de ne pas donner, autre chose de ne pas donner licitement. Celui qui se sépare de l'Eglise ne possède plus qu'illicitement, et cependant il possède; car, quand il rentre dans l'unité, on ne lui rend pas ce qu'il a déjà reçu; de même celui qui est séparé de l'unité, ne confère pas licitement les sacrements, et cependant il les confère; la preuve en est que les sujets qu'il a baptisés ou ordonnés ne reçoivent pas de nouveau ces sacrements quand ils rentrent dans l'unité. Or, contrairement à ces principes, les (38) Donatistes soutiennent que ce qui n'est pas licitement donné, ne l'est en aucune manière. Qu'ils soient donc logiques et qu'ils disent que ce qui n'est pas possédé licitement ne l'est en aucune manière; mais alors nous protestons nous-mêmes en répondant que celui qui est séparé de l'unité ne possède pas licitement, mais qu'il possède réellement. De même nous affirmons que celui qui est séparé de l'unité ne donne pas licitement, mais qu'il donne réellement. De même donc qu'on ne rend pas au converti ce qu'il possédait pendant sa séparation, de même on ne lui rend pas ce qu'il avait reçu d'un ministre schismatique. Il suit de là que notre grande préoccupation doit être de corriger la perversité des hommes, et au contraire, de respecter la sainteté des sacrements, même dans les pécheurs. En effet, que ces pécheurs appartiennent à l’unité de l'Eglise, ou qu'ils en soient séparés, il est certain que cette sainteté des sacrements demeure en eux inviolable et sans tache. Quand donc on dit des méchants qu'ils souillent les sacrements, cette souillure tombe sur les méchants eux-mêmes et non pas sur les sacrements. Ces derniers restent ce qu'ils sont, mais comme un titre de récompense pour les bons, et un droit au châtiment pour les pécheurs. L'Esprit-Saint ne saurait être éteint, et cependant nous lisons : « Gardez-vous d'éteindre l'Esprit (1) ». C'est comme si l'écrivain sacré nous disait : Gardez-vous d'agir, comme si vous vous efforciez d'éteindre l'Esprit, ou comme si vous regardiez l'Esprit colonie éteint. De même, il est certain que rien ne peut souiller le nom du Seigneur, et cependant il est dit: « Le fils et le père s'attaquaient à une seule fille pour souiller le nom de leur Dieu (2) »..

XXXI. Mais l'embarras des Donatistes arrive à son comble quand on leur demande d'expliquer comment la sainteté du sacrement peut être possédée et conférée par tel ministre que Dieu a déjà condamné comme prévaricateur, taudis qu'elle ne saurait être conférée par celui qui a. été condamné par les hommes, quoique cependant, malgré cette condamnation, cette même sainteté ne puisse lui être ravie. Qu'ils nous disent encore pourquoi ni la possession du baptême ni le droit de le conférer n'ont été ravis à Félicien, quoique trois cent dix évêques l'aient solennellement

 

1. I Thess. IV, 19. — 2. Amos, II, 7.

 

condamné avec Maximien, et quoiqu'il ait persévéré longtemps dans le schisme et le sacrilège, comme ils l'ont eux-mêmes constaté, dans le décret de leur concile. Ce même Félicien fut réintégré dans tous les honneurs dont il jouissait avant son schisme, et le baptême ne fut réitéré à aucun de ceux qu'il avait baptisés. S'ils avaient réitéré le baptême, ils auraient prouvé qu'à leurs yeux Félicien avait perdu le droit de le conférer, par le fait même de sa séparation; et dès lors ils se mettaient dans la nécessité de lui réitérer l’ordination, par la même raison qu'ils réitéraient le baptême aux simples fidèles. Mais quand on les invite à rentrer dans la paix de Jésus-Christ, ils se font calomniateurs; s'agit-il au contraire de s'endormir dans la fausse paix de Donat, ils ont recours à toutes les dissimulations possibles. C'est ainsi qu'ils réalisent parfaitement cette parole de Tichonius, fun d'entre eux: « Ce que nous voulons est saint ».

XXXII. Comment donc s'expliquer la vaine jactance avec laquelle Parménien s'écriait Jamais la sainteté de la loi divine ne souffrira qu'un mort puisse donner la vie, qu'un blessé puisse guérir, qu'un aveugle donne la lumière, qu'un homme nu en vêtisse un autre, qu'un homme souillé puisse purifier? En effet, celui qui ressuscite les morts, qui guérit les blessés, qui rend la vue aux aveugles, qui revêt les hommes nus, qui purifie les hommes souillés, celui-là c'est uniquement le Seigneur. Pourquoi donc s'arroger un pouvoir qui n'appartient pas à l'homme? Parmi ceux mêmes qui ne pèchent pas, en est-il qui soient tellement vivants qu'ils puissent vivifier, quand ils sont même incapables de donner l'accroissement? « J'ai planté, dit saint Paul, Apollo a arrosé, mais c'est Dieu qui a donné l'accroissement. Celui qui est quelque chose, ce n'est ni celui qui plante, ni celui qui arrose, mais Dieu seul qui donne l'accroissement (1) ». Celui qui ne saurait donner l'accroissement à un homme vivant, pourra-t-il rendre la vie à un mort? « De même que le Père ressuscite les morts et les vivifie, de même le Fils vivifie ceux qu'il lui plaît (2) ». En est-il parmi eux dont la santé soit tellement brillante, qu'ils puissent guérir les malades ? Disons-le franchement, ils n'aspirent à rien moins qu'à supplanter Dieu et à lui ravir ses bénédictions. Mais que peuvent-ils contre des chrétiens qui,

 

1. I Cor. III, 6, 7. — 2. Jean, V, 21.

 

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plaçant leur espérance non pas dans l'homme mais en Dieu, chantent avec amour : « Mon

âme, bénissez le Seigneur, et n'oubliez point ses miséricordes; car il se montre propice sur toutes vos iniquités, et il guérit toutes vos langueurs (1) ?» S'il guérit toutes les langueurs, Parménien peut-il encore se flatter d'en guérir? Les Donatistes ont-ils donc des lumières si grandes, qu'ils se croient capables d'éclairer les hommes? Même quand il s'agit de Jean-Baptiste, le plus grand des enfants des hommes, l'évangéliste saint Jean lui refuse la puissance d'éclairer ses frères : « Il n'était pas la lumière, dit-il, mais il était venu pour rendre témoignage à la lumière. Le Verbe était la lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde ». Si c'est le Verbe qui éclaire tout homme, quels sont donc ceux que Parménien se flatte d'éclairer ? Il est vrai que sous certains rapports, les saints personnages sont appelés des lumières; mais il faut distinguer les lumières illuminées et la lumière qui illumine; celle-ci n'appartient qu'à celui dont Jean-Baptiste a dit : « Nous avons tous a reçu de sa plénitude (2) ». Celui qui revêt ceux qui sont nus, n'est-ce pas celui qui a dit : « Rendez-lui sa première robe (3) » ; celui qui revêtira d'incorruption notre corps corruptible, et d'immortalité notre corps mortel (4)? Et des hommes oseront se flatter de revêtir leurs frères de ce vêtement divin, quand ils doivent se trouver heureux de mériter d'en être eux-mêmes vêtus? Enfin, pour oser dire que l'on purifie celui qui est souillé, que l'on ait d'abord la hardiesse d'affirmer que l'on n'est pas souillé soi-même. En effet, c'est par la grâce de Dieu que nous sommes purifiés, et notre purification fût-elle aussi parfaite que possible, nous serions encore impuissants à purifier aucun de nos frères; or, ce qui nous serait impossible avec la purification parfaite, nous nous flatterions de le faire aujourd'hui que notre âme est encore écrasée sous le poids d'un corps qui se corrompt (5)? Et qui donc peut se flatter d'avoir le coeur pur? ou d'être exempt de tout péché (6)? £es mots: purifier, guérir, n'ont de valeur que dans les choses spirituelles. De même donc que nous sommes sauvés par l'espérance, de même nous sommes par l'espérance purifiés parfaitement, parfaitement justifiés. Comment donc

 

1. Ps. CII, 2, 3. —  2. Jean, I, 8, 9, 16. — 3. Luc, XV, 22. — 4. I Cor. IV, 53. — 5. Sag. IX, 15. — 6. Prov. XX, 9, selon les Sept.

 

pourrions-nous guérir et purifier, puisque nous ne le pourrions pas lors-même que nous jouirions d'une santé parfaite, d'une entière purification? «Mais, dit-il, Dieu se sert de l'homme a pour opérer ces prodiges ». Oui, sans doute, car il s'est servi de Judas, à qui il a donné comme aux autres la mission de prêcher l'Evangile (1); il s'est également servi des Pharisiens pour sanctifier ceux qui mettaient en pratique les saints enseignements dont ces Pharisiens se faisaient les oracles, quoiqu'ils se gardassent bien d'y conformer leur conduite. Enfin; je demande qu'on m'explique comment les pécheurs et les scélérats qui se trouvent dans leurs rangs, soit qu'ils se cachent, soit qu'on les tolère, pour ne pas troubler la paix du donatisme, peuvent vivifier, guérir, éclairer, purifier? Ne sont-ils pas morts eux-mêmes, blessés, aveuglés, souillés? Ce sont des aveugles qui conduisent des aveugles ; ne tomberont-ils pas dans la fosse (2), quoique en spéculation ce soit Dieu qu'ils prêchent, et à Dieu qu'ils s'attachent? .Oui, sans doute, c'est Dieu qu'ils prêchent, si c'est avec Jésus-Christ qu'ils recueillent; quant à ceux qui ne recueillent pas avec lui, ils dissipent (3); comme c'est Donat qu'ils prêchent et non pas Dieu, ce sont des aveugles qui suivent des aveugles et qui tombent dans la fosse. Je me propose, Dieu aidant, de traiter plus au long la question du baptême (4), et alors je répondrai à tous les passages de la sainte Ecriture, dont Parménien a essayé de faire autant d'objections contre nous. Ce qui l'inspirer c'est le désir d'entraîner à sa suite, dans l'abîme de l'iniquité, tous ceux qui l'écoutent et auxquels il distribue largement le poison de l'erreur; il veut corrompre, diviser et détruire; et pour cela, non-seulement il dépense toute sa fécondité, mais il veut forcer les livres saints à parler son propre langage.

XXXIII. Il veut prouver qu'.on ne peut avoir le baptême si on ne l'a pas reçu, et qu'on ne peut le recevoir qu'autant qu'un autre le confère. Admirons donc l'adresse étonnante avec laquelle il intercale ce passage de l'Evangile : « L'homme ne reçoit rien que ce qui lui, est donné du ciel ». Supposons un homme qui ne connaisse pas ce texte sacré; il s'entend dire : « L'homme ne peut recevoir que ce qui lui est donné » ; avant qu'on

 

1. Mat. X, 1-8. — 2. Id. XV, 14. — 3. Id. XII, 30. — 4. Livre Ier, du Baptême contre les Donatistes, ch. 1.

 

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ait ajouté : « Du ciel », n'aurait-il pas cru que ce don devait lui être fait par Donat, ou Parménien ou quelque donatiste, ou enfin par la secte de Donat? Mais je connais l'Evangile et je sais qu'il y est dit : « L'homme ne peut recevoir que ce qui lui est donné du ciel ». Donat est-il le ciel? Parménien est-il le ciel? la secte de Donat est-elle le ciel ? Non, loin d'être le ciel, cette secte n'est pas même dans le ciel. Celui qui a dit: « L'homme ne peut recevoir que ce qui lui est donné du ciel », n'aurait jamais dit : L'homme ne peut recevoir que ce qui lui est donné du soleil, de la lune ou des étoiles, quoique ces objets soient dans le ciel. Combien moins dirait-il L'homme ne peut recevoir que ce qui lui est donné par la secte de Donat qui, non-seulement n'est ni le ciel ni dans le ciel, mais qui ne veut pas même être dans le royaume du ciel. Il ne dirait pas non plus : L'homme ne peut recevoir que ce qui lui est donné par l'Eglise, car l'Eglise elle-même reçoit tout du ciel. S'il disait : L'homme ne peut recevoir que ce qui lui est donné par un juste ; nos adversaires tressailleraient de fureur et d'audace et se proclameraient justes, afin de forcer tous ceux qui veulent recevoir à s'adresser à eux. De notre côté, nous n'examinerions pas s'ils sont justes ou pécheurs; il nous suffirait de montrer qu'il y a parmi eux des pécheurs occultes, comme le prouvent tous ceux qui à la fin se sont trahis et ont été chassés. Et cependant nous ne les condamnerions pas, et surtout nous nous garderions bien de prétendre que ce qui a été donné ou reçu par ces hommes n'a été ni donné ni reçu. Toutefois ce serait une grande erreur de dire que l'homme ne peut recevoir que ce qui lui est donné par un juste. En effet, si ce juste donne, ne puis-je pas demander de qui il a reçu. Si c'est d'un juste, je fais la même question sur ce dernier, et ainsi de suite en remontant, s'il le faut, jusqu'au premier homme qui, lui du moins, n'a rien pu recevoir de l'homme. Ce simple raisonnement suffit pour prouver que c'est une fausseté de dire que l'homme ne peut recevoir que ce qui lui est donné par l'homme.

XXXIV. Sans le savoir, et en citant ce texte de l'Evangile, nos adversaires prouvent que les hommes doivent se tenir dans une vigilance continuelle, et ne pas compter sur les hommes quand ils veulent recevoir quelque bien surnaturel. Ils ne doivent compter que sur Celui qui donne à l'homme du haut du ciel, car « l'homme ne peut recevoir que ce qui lui est donné du ciel ». Diront-ils que si c'est du ciel et non pas de l'homme que l'on reçoit, c'est cependant par l'homme? Alors je demande par quel homme. Si c'est uniquement par l'homme juste, tous ceux qui ont reçu par les pécheurs occultes, n'ont donc rien reçu; et si l'on peut recevoir également par le pécheur, quel motif peuvent-ils avoir de réitérer le baptême? Diront-ils qu'il faut au moins que le pécheur soit occulte; alors tous ceux qu'Optat, satellite déclaré de Gildon, a baptisés, n'ont donc reçu aucun sacrement? Diront-ils que le ministre peut être connu comme pécheur pourvu qu'il n'ait été ni condamné ni chassé de la communion de l'Eglise ? Alors ils avoueront que ceux qui furent baptisés par Félicien de Musti n'ont rien reçu, puisqu'il était chassé de leur communion et qu'il baptisait dans le schisme de Maximien ; et cependant Félicien, et avec lui tous ceux qu'il avait baptisés, sont revenus au donatisme, et personne n'a jamais parlé de leur réitérer le baptême. Enfin, si l'homme, tout en recevant du ciel, ne reçoit jamais rien que par l'intermédiaire de son semblable, je demande par l'intermédiaire de quel homme Jean-Baptiste a reçu les bienfaits du ciel. On le chercherait en vain; n'est-ce pas une preuve évidente que la cause qu'ils soutiennent est condamnée par les témoignages mêmes sur lesquels ils veulent l'étayer? Quoique le Fils de Dieu proclame qu'il reçoit tout du Père, et que le Saint-Esprit tire de lui son abondance : « Parce que tout ce que mon Père possède m'appartient, voilà pourquoi j'ai dit qu'il recevra de moi (1) », cependant il est certain que, sans l'intermédiaire d'aucun de ses semblables, l'homme peut recevoir les dons du ciel, comme saint Jean l'atteste de sa propre personne, comme nous en trouvons des preuves fréquentes avant l'incarnation du Verbe, comme nous le voyons enfin dans la personne de ces cent vingt hommes qui, après la résurrection et l'ascension du Sauveur, ont reçu du ciel le Saint-Esprit dans toute sa plénitude, sans que personne leur imposât les mains (2). Même après l'établissement de

 

1. Jean, XVI, 15. — 2. Act. I, 15 ; II, 1-4.

 

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L’Eglise nous voyons que le centurion Corneille, encore païen et sans avoir reçu l'imposition des mains, fut tellement rempli du Saint-Esprit, lui et les siens, que saint Pierre en fut frappé d'admiration (1). C'est vrai: personne ne reçoit qu'autant que quelqu'un lui donne ; mais s'il s'agit de la sainteté du baptême, celui qui la donne, c'est Dieu, celui qui la reçoit, c'est l'homme, soit que Dieu donne par lui-même et directement, soit qu'il donne par ses anges, par des saints comme Pierre et Jean, par des pécheurs soit occultes soit publics, et dont Dieu permet la présence jusqu'à la moisson dernière. Jusque-là ces pécheurs sont la paille à laquelle le froment est mêlé corporellement, mais dont il est séparé par le coeur, et qu'il tolère spirituellement par respect pour les desseins de la divine Providence.

XXXV. « Celui, dit-il, dont la foi est imparfaite, ne peut recevoir le sacrement de baptême; car il est écrit : Vous ne pouvez pas orner celui qui est coupable (2) ». Voici un homme qui a été baptisé à une époque dans laquelle, par exemple, il croyait que Jésus-Christ n'existait que depuis qu'il a pris naissance selon la chair dans le sein de la Vierge Marie. Plus tard, instruit par la parole de vérité, il a compris que c'est de Jésus-Christ que saint Jean a dit: « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu » ; que c'est de lui par conséquent qu'il ajoute : « Et le Verbe s'est fait chair et il a habité parmi nous (3) ». Alors il confesse sa première erreur, et avoue qu'il en était la victime quand il a reçu le baptême; eh bien ! les Donatistes ordonneraient-ils de lui réitérer le baptême? Assurément non; ils le féliciteraient, au contraire, d'avoir dépouillé toutes ses idées charnelles, et d'avoir ouvert les yeux à la vérité. Supposé même que, s'obstinant dans sa perversité, il ait résisté à toutes les lumières et à toutes les observations, et qu'il ait dû être chassé de la communion de l’Eglise ; si plus tard il reconnaît la vérité, s'il revient à résipiscence, les Donatistes se contenteront de le soumettre à une pénitence salutaire, mais ils ne le condamneront pas à recevoir de nouveau le baptême, quoiqu'il avoue qu'au moment où il le recevait, il était dans ces dispositions malheureuses. Si donc « vous ne pouvez orner

 

1. Act. X, 44. — 2. Ecclé. I, 15, selon les Sept. — 3. Jean, I, 1, 14.

 

un pécheur », c'est parce que, recevant le baptême avec une foi criminelle, ce sacrement, loin de lui servir d'ornement, serait plutôt pour lui un gage de réprobation. Toutefois, même dans ce cas, le sacrement lui serait conféré et demeurerait en lui dans toute son intégrité; et dès lors on ne devrait en aucun cas en violer la sainteté, lors même qu'il s'agirait de mettre un terme à la perversité du coupable.

XXXVI. Parménien ne craint pas de chercher, dans la conduite même de Dieu, des exemples qui l'autorisent à conclure que c'est uniquement à de saints ministres que l'on doit demander le sacrement. « Le Fils de Dieu lui-même, dit-il, Notre-Seigneur Jésus-Christ,  l'auteur unique du baptême spirituel, se trouvant, par la volonté de son Père, dans l'obligation de recevoir le baptême, s'adressa-t-il aux pharisiens perfides et profanes? n'est-ce pas plutôt à saint Jean, dont il devait un jour proclamer la sainteté? » Remarquons d'abord que si cet exemple doit nous servir de règle quand nous voulons recevoir le baptême, c'est toujours un inférieur que nous devons choisir pour ministre. En effet, le Seigneur a demandé le baptême à un homme qui se reconnaissait indigne de délier les cordons de ses chaussures, et qui confessait hautement que c'était à lui à recevoir le baptême des mains du Seigneur (1). Je ne veux pas rechercher ici la raison pour laquelle notre Sauveur a voulu être baptisé, car il a eu quelque raison de le vouloir; qu'il nous suffise de savoir qu'en se faisant baptiser par son serviteur ou plutôt par sa créature, lui par qui tout a été fait, lui qui pouvait se baptiser lui-même, lui enfin qui pouvait baptiser celui à qui il demandait le baptême, c'est qu'il voulait nous enseigner l'humilité, et nous montrer que la personne du ministre dans le baptême est chose fort peu importante, pourvu qu'on reçoive le baptême véritable. Il n'aurait pas même dédaigné d'être baptisé par les pharisiens, s'ils avaient eu un baptême capable de conférer la grâce. Quand il voulut recevoir la circoncision, est-ce qu'il eut recours à saint Jean? Cette cérémonie était pratiquée par les Juifs. Et quand il s'est agi d'offrir pour lui le sacrifice légal, est-ce qu'il refusa de pénétrer dans ce temple qu'il devait appeler plus tard une caverne de voleurs (2)?

 

1. Matt. III, 11, 14. — 2. Id. XXI, 13.

 

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Ce temple était ouvert aux bons et aux méchants, et les bons n'y étaient aucunement souillés par la présence des méchants, car le Dieu qui a dit : « Soyez saints, parce que je suis saint (1) », donne à ses saints le pouvoir et la grâce de supporter sans souillure la présence des méchants, et de garder intacte la sainteté qui leur est conférée. Ils ne sont en cela que l'heureuse copie de Notre-Seigneur, qui a vécu parmi les Juifs sans subir la contagion de leur malice et de leur perversité, soit quand, par un excès d'humilité, il s'est volontairement soumis aux rites sacramentels de la loi, soit quand on le vit supporter parmi ses Apôtres la présence du traître, et y mettre le comble en acceptant son baiser déicide. A son exemple, le froment se trouve en pleine sécurité avec la paille, pourvu non-seulement qu'il ne fasse pas le mal, mais qu'il n'y donne aucun consentement. Tels sont les justes qui repoussent le mal et désapprouvent l'iniquité; lors même qu'ils resteraient dans la même récolte jusqu'à la moisson, dans la même aire jusqu'à la ventilation, dans les mêmes filets jusqu'à la séparation dernière, ils n'ont rien à craindre de tolérer parmi eux les méchants (2). Les véritables aveugles qui conduisent d'autres aveugles, ce sont donc ceux qui voient dans leurs propres rangs un si grand nombre de pécheurs et qui ne voient pas le chemin de la paix; ceux enfin qui entraînent les hommes à leur suite, non pas pour se soutenir réciproquement dans les liens de l'unité, mais pour fomenter de plus en plus les uns contre les autres le schisme et les divisions.

XXXVII. Mais voici ce que le Prophète dit au roi Josaphat : « O roi Josaphat, si vous prêtez secours au pécheur, ou si vous aimez celui que le Seigneur poursuit de sa haine, vous amoncelez sur vous les trésors de la colère divine ». Et qui donc d'entre nous soutient que l'on doit aider un pécheur, même quand il veut pécher? qui a jamais approuvé la conduite de ce Josaphat, quand, méprisant les oracles divins que faisait retentir le prophète Michée, il volait au secours de l'impie Achab? Et cependant l'innocence de Josaphat ne fut pas directement compromise par les crimes d'Achab, car à peine Josaphat eut-il crié vers Dieu, que le Seigneur l'arracha au danger de la guerre, tandis qu'Achab tomba entre les mains de ses ennemis (3). Quant au danger

 

1. Lévit. XI, 45. —  2. Matt. III,12; XIII, 37-43, 47-50. — 3. III Rois, XXII.

 

 

même que courut Josaphat et,que lui avait annoncé le Prophète, il se l'était attiré par son propre péché et non par le péché de son royal allié. En prêtant secours à un pécheur il se rendit coupable lui-même ; mais ce crime, devant Dieu, fut plus que contrebalancé par ses bonnes oeuvres précédentes. Voici en effet ce que lui dit le Prophète «Vous avez secouru un pécheur, vous êtes devenu son allié contre la volonté du Seigneur, et en cela vous vous êtes attiré le courroux du ciel. Cependant les promesses de Dieu sont toujours avec vous, parce que vous avez détruit les bois sacrés et que vous avez a préparé votre coeur à recourir au Seigneur (1) ». Rentrons maintenant dans l'Église de Dieu, dans laquelle on trouve des hommes qui cherchent leurs propres intérêts et non ceux de Jésus-Christ, des hommes qui annoncent Jésus-Christ, non pas avec une intention pure, niais par esprit de jalousie et de dissension. L'Apôtre le savait, et cependant il ne craint pas de dire : « Que Jésus-Christ soit annoncé, par occasion seulement ou en toute vérité, je m'en réjouis, je m'en réjouirai (2) ». Mêlé à ces faux prédicateurs, l'Apôtre restait pur et sans tache, parce que, loin de favoriser leur ambition, il la leur reprochait publiquement. S'il les aidait, ce n'était point à pécher, mais à prêcher Jésus-Christ et à persuader à tous ceux qui entendaient et mettaient en pratique les enseignements de ces nouveaux pharisiens, dont la conduite était en contradiction avec leur parole, à placer toute leur foi, toute leur espérance et tout leur amour en Jésus-Christ notre Sauveur. Écoutons ce que l'Apôtre disait aux fidèles : « Ne vous attachez point à un même joug avec les infidèles. Car, quelle union peut-il y avoir entre la justice et l'iniquité ? quel commerce entre la lumière et les ténèbre? quel accord entre Jésus« Christ et Bélial ? quelle société entre le fidèle et l'infidèle ? quel rapport entre le temple de Dieu et les idoles? Car vous êtes le temple du Dieu vivant. En effet, dit le Seigneur, j'habiterai en eux et je m'y promènerai, je serai leur Dieu et ils seront mon peuple. C'est pourquoi, sortez du milieu d'eux, dit le Seigneur, et ne touchez point à ce qui est impur, et je vous recevrai; je serai votre Père, et vous serez mes fils et mes filles, dit le Seigneur tout-puissant (3) ». Interprétant ces

 

1.  II Paral. XIX, 2,3. — 2. Phil. II, 21; I, 15-18. — 3. Cor. VI, 14-13.

 

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paroles dans le sens charnel, les Donatistes vont s'affaiblissant de plus en plus en multipliant en Afrique leurs schismes et leurs divisions. Ils ne comprennent pas que s'attacher à un même joug avec les infidèles, c'est commettre soi-même les péchés des idolâtres, ou du moins favoriser ceux qui les commettent; ils ne comprennent pas qu'on ne participe à l'iniquité qu'autant qu'on la commet soi-même, ou du moins qu'on y applaudit. Qui donc est en communion avec les ténèbres, si ce n'est celui qui par les ténèbres de son consentement quitte Jésus-Christ poursuivre Bélial? Qui donc place son héritage parmi les infidèles, si ce n'est celui qui participe à l'infidélité? Il cesse par là d'être le temple de Dieu, sans contracter d'union plus étroite avec les idoles. Quant à ceux qui restent le temple du Dieu vivant et qui, au sein d'une nation tortueuse et perverse, apparaissent au monde comme des flambeaux partant la parole de vie (1), qu'ils tolèrent les méchants par amour de l'unité et ils n'auront pas à en redouter le contact. Qu'ils ne craignent pas de se voir restreints, car Dieu habite en eux et s'y promène; ils sont réellement sortis du milieu des méchants, car ils en sont séparés par le coeur. Que cette séparation leur suffise, car en cherchant à s'en séparer par la sédition du schisme, ils s'éloigneraient spirituellement des bons, avant de se séparer corporellement des méchants.

XXXVIII. Quant à ces paroles prononcées par le Seigneur lui-même : « Ceux qui me glorifient je les glorifierai, et celui qui me méprise sera méprisé (2) », nos adversaires ne veulent point en entendre parler. En effet, comment donc glorifient-ils le Seigneur, ceux qui affirment que n'ont pu se réaliser dans l'univers les promesses faites à nos pères, à Abraham, à Isaac et à Jacob; les promesses promulguées si longtemps d'avance par les Prophètes, et personnifiées dans son Fils unique s'incarnant dans la famille de David (3), afin qu'en lui, c'est-à-dire dans la race d'Abraham, toutes les nations fussent bénies? Comment glorifient-ils le Seigneur, ceux qui soutiennent que c'est en vain que le Fils de Dieu a dit : « Laissez croître l'un et l'autre jusqu'à la moisson (4) », et qu'il a été ou trompé ou trompeur, puisqu'il n'y a plus que la zizanie qui croît dans

 

1. Philipp. II, 15. — 2. I Rois, II, 30. — 3. Rom. I, 2, 3. — 4. Matt. XIII, 30.

 

le monde, tandis que le froment en a disparu totalement, pour se renfermer uniquement dans la secte de Donat? Avec de telles opinions, comment peuvent-ils glorifier le Seigneur, quand il est écrit : «La diffusion d'un peuple fait la gloire de son roi, tandis que la diminution de ce peuple est pour le roi une cause de tristesse et de larmes (1) ? » Comment ne mépriseraient-ils pas Dieu, ceux qui par une téméraire impiété, osent invalider le baptême dans des chrétiens qu'ils n'ont pas entendus et dont ils ne sauraient juger la cause? Non contents de détruire un sacrement, pour la plus grande gloire et pour la paix de Donat, ils réintègrent dans leurs anciens honneurs ceux qu'ils avaient d'abord condamnés, et pour troubler la paix dans le camp du Seigneur, ils condamnent les fidèles sans les entendre. Ce baptême, conféré par les Apôtres sur toute la face de la terre, ne prétendent-ils pas qu'il a péri, tandis qu'ils reconnaissent comme valide celui que Félicien a conféré dans les rangs des Maximianistes? Comment, au contraire, Dieu ne serait-il pas glorifié par -les catholiques, qui professent hautement que les plus grands crimes des hommes ne sauraient empêcher ses promesses de se réaliser sur la terre; les catholiques qui entourent les sacrements d'une telle vénération que, lors même qu'ils les verraient administrés par des ministres indignes, ils en reconnaissent la sainteté et le caractère indélébile, tout en proclamant qu'ils sont pour ceux qui les confèrent et les reçoivent indignement une cause de châtiments éternels?

XXXIX. Il est également écrit, disent-ils : « Ne prenez aucune part aux oeuvres infructueuses des ténèbres; au contraire, condamnez-les ». Car la pudeur ne permet pas de « révéler ce qu'ils font en secret (2) ». Déjà nous avons exposé le sens de ces paroles, nous avons dit que ne pas communiquer, c'est ne pas consentir. Or, la discipline de l'Eglise nous enseigné que c'est trop peu de ne pas consentir, et que l'on doit, dans la mesure du possible, empêcher le mal et corriger les coupables. Mais ceci ne doit jamais se faire aux dépens de l'unité, dans la crainte qu'en cherchant à extraire l'ivraie, on n'arrache aussi le froment.

XL. Saint Paul dit également à Timothée : « N'ayez aucune communication avec les péchés

 

1. Prov. XIV, 28. — 2. Ephés. V, 11, 12.

 

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de vos frères, et gardez-vous dans une pureté parfaite (1) ». Ce qui suit ces paroles nous fait parfaitement comprendre ce qui précède. En effet, s'il communique, il consent; s'il consent, il se souille; s'il se souille, il perd sa pureté. Mais voici que Parménien semble secouer son sommeil et réfléchir aux leçons que lui donne Tichonius. C'est en vain, hélas! car aussitôt sa propre opinion l'emporte et ferme ses yeux aux lumières de la vérité. Voici ses paroles: « Frère bien-aimé, est-ce que les péchés des uns ne souillent pas les autres, et pour n'avoir aucun commerce avec des criminels, suffit-il de ne pas reproduire leurs œuvres, tout en restant au milieu d'eux?» La question n'est pas complète. En effet, ce serait peu de ne pas reproduire leurs oeuvres, si ces oeuvres ne déplaisaient pas; ce serait peu qu'elles déplussent, si on ne les condamnait pas. Autre chose est de ne pas faire telle action, autre chose de n'y prendre aucune part, c'est-à-dire ne pas consentir avec ceux qui la font, autre chose enfin de la condamner. Puisque Parménien commençait à entrevoir la vérité, pourquoi donc se détourne-t-il aussitôt? pourquoi ne pas aller jusqu'au bout, au lieu de se contenter du tiers? Croit-il que l'on peut diviser la vérité comme ils ont divisé le peuple? Nous disons, nous, que celui qui ne fait pas le mal, et n'est point d'accord avec celui qui le fait, et enfin condamne le pécheur, que celui-là reste ferme et pur au milieu des méchants, comme le froment au milieu de là paille. Pourquoi donc se contenter d'une seule condition : ne pas commettre les œuvres mauvaises? Toutefois, voyons comment il réfute la troisième partie de la vérité.

XLI. « Celui, dit-il, qui vénère la loi, connaît ce qui est contraire à la loi divine ». Prise dans un sens général, cette proposition peut être acceptée. En effet, on peut dire également que celui qui vénère la loi ne saurait ignorer ce qui est selon la loi divine. Mais il ne suffit pas d'affirmer, il faut prouver. Voyons donc comment il prouve ce qu'il avance. « A quoi sert-il à un homme d'avoir gardé son innocence, dit-il, s'il se trouve mêlé avec des coupables et des criminels? » J'avoue que dans ce cas il ne sert de rien d'avoir gardé son innocence, car en réalité elle ne l'a pas été. En effet, dire de quelqu'un qu'il est confondu avec les méchants et les

 

1. I Tim. V, 22.

 

criminels, c'est dire qu'il a consenti à leurs crimes, et dès lors souillé sa conscience. Or, celui qui met en pratique cette parole : « Le juste ne se complaît jamais dans l'iniquité (1) », quelles que soient les circonstances dans lesquelles il est forcé de se trouver, ne saurait être mêlé à l'iniquité. « Comment », dit-il encore, « pourrez-vous rester pur, si vous formez société avec des coupables? » S'il forme réellement société, c'est-à-dire, s'il commet le mal avec eux, ou s'il applaudit au mal qu'ils commettent, il ne reste pas pur; mais s'il ne remplit aucune de ces deux conditions, on ne saurait dire qu'il a formé société avec les méchants. Supposez ensuite qu'il remplisse le troisième devoir, c'est-à-dire qu'il se montre zélé pour réprimer les méchants, soit qu'il les reprenne en secret et avec miséricorde, soit que, dans l'intérêt de la paix, il les réprimande en public, afin d'effrayer les autres; qu'il prive les coupables de tous les honneurs, qu'il les prive même des sacrements, non pas par des sentiments de haine, mais dans le seul désir de les corriger, n'a-t-il pas parfaitement rempli le devoir, non-seulement d'une innocence sans tache, mais aussi d'une vigilante sévérité? Il est toutefois des circonstances dans lesquelles l'accomplissement de ce troisième devoir n'est pas possible; alors pour garder son incorruption et son innocence, il suffit et il est toujours possible de remplir les deux premières conditions : ne pas faire le mal et ne pas approuver ceux qui le font.

XLII. Cependant, voyons sur quel principe Parménien appuie son enseignement. Il est écrit, dit-il : « Un peu de levain corrompt toute la masse (2) ». Aussitôt ce principe énoncé, il croit avoir tout dit et n'insiste pas. Ne pourrait-on pas lui montrer, dans la secte de Donat, non-seulement un peu de levain, mais une grande quantité de poison, distillé par les oeufs éclos des aspics, par ces vigoureux serpents, précédemment condamnés comme fauteurs de Primien, et rappelés de nouveau dans le parti de Primien? Mais ils se sont corrigés, dit-il. Alors, rendons-en grâces à Dieu. Si cette conversion est véritable, j'en suis heureux et je désire qu'elle soit parfaite. Si c'est un premier pas dans la conversion que de quitter les Maximianistes pour rentrer dans la secte de Donat, le degré

 

1. Prov. XII, 21, selon les Sept. — 2. I Cor. V, 6.

 

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le plus réel et le plus parfait ne serait-il pas de quitter la secte de Donat pour rentrer dans l'unité catholique? Tichonius lui-même, formulant sa conviction la plus intime, a longuement prouvé à ceux qui ne voulaient pas que leur secte fût corrompue, que les péchés des Africains avaient été le levain, non pas modique mais abondant, à l'aide duquel le monde tout entier avait subi la fermentation du crime. Mais je serais fort étonné de les voir interpréter dans ce sens les paroles de l'Apôtre, quand je sais d'ailleurs qu'ils s'obstinent à justifier Optat de Cildon, et qu'ils ne sauraient accepter qu'il fût assimilé au levain le plus léger. Supposons qu'à la rigueur ils concèdent quelque chose sur ce point, que leur masse doit donc être grande si elle n'a pas été corrompue tout entière 1 Ou bien, si la fermentation n'a eu lieu que pour les partisans d'Optat, qu'ils s'appliquent donc d'abord à comprendre ce qu'ils lisent; qu'ils sachent que la masse désigne la totalité, bonne ou mauvaise, et qu'elle ne s'applique qu'à ceux qui consentent. Quant à ceux qui ne consentent pas, ils sont entièrement étrangers à la masse. Le premier devoir de la discipline ecclésiastique est donc d'empêcher que la corruption ne gagne de proche en proche. Omettre de remplir ce devoir quand le bien de la paix n'y met aucun obstacle, c'est une négligence réellement coupable, car la faiblesse à corriger le mal expose toujours au danger d'y consentir.

XLIII. C'est d'après cette règle que l'on peut juger l'objection que Parménien nous oppose en citant les paroles suivantes : « Que ce soit pour votre postérité un droit éternellement légitime d'établir une séparation entre les saints et les impies, entre les justes et les pécheurs (1) ». Mieux cette règle est observée, plus on fait de progrès dans l'Église. En effet, « c'est quand l'herbe eut grandi et qu'elle eut porté des fruits, que la zizanie apparut dans toute sa laideur ». Les serviteurs du père de famille pouvaient parfaitement distinguer le bon grain d'avec la zizanie, et cependant ordre leur fut donné de laisser croître l'un et l'autre, et cela « jusqu'à la moisson (2) ». Mais ces observations nous suffisent pour le moment. Quant à celles qu'il nous reste à faire, nous les envisagerons d'après un autre principe et nous les exposerons avec tout le soin possible.

 

1. Lévit, X, 9, 10. — 2. Matt. XIII, 26; 30.

LIVRE TROISIÈME. Examen des autres passages de l'Ecriture, cités par Parménien.
 

I. L'unité d'esprit dans les liens de la paix, tel est le but que se proposent sans cesse la raison inspirée par la foi,la discipline ecclésiastique, dirigée par la sagesse; telle est la grande loi dont l'Apôtre fait reposer l'observation sur la charité réciproque. Dès que.cette loi est violée, la répression du mal devient non-seulement superflue, mais encore pernicieuse; elle cesse d'être un remède pour devenir un poison. Or, ces enfants d'iniquité, mus non pas par la haine du péché, mais par le besoin de troubles et de divisions, font grand bruit de leur nom pour soulever les populations toujours très-mobiles, et les entraînent à leur suite ou du moins jettent dans leur sein des germes de discorde qui ne tardent pas à croître et à grandir. Tous les désordres s'ensuivent et ne sont que la conséquence nécessaire de l'orgueil dont ils se gonflent, de l'obstination qui les aveugle, des calomnies qu'ils enfantent, des séditions qu'ils attisent. Pour empêcher qu'on ne les accuse d'aveuglement et d'erreur, ils affectent la sévérité extérieure la plus rigide ; tous les passages de la sainte Ecriture, dans lesquels l'Esprit-Saint commande de réprimer les vices et de faire la guerre aux passions, tout en restant dans les limites de la charité et dans les bornes de l'unité, ils s'en font une arme pour asseoir le schisme et le sacrilège et faire régner la division, ils triomphent surtout de ces paroles de l'Apôtre « Enlevez le mal de vous-mêmes ». Or, ajoutent-ils, si le mal ne nuisait point aux justes eux-mêmes, l'Apôtre nous ordonnerait-il de le faire disparaître?

II. Examinons si ce n'est pas à dessein que saint Paul, pesant la portée de ses paroles, et pouvant dire : Chassez les méchants de votre société, a cru devoir prendre cette forme de langage : « Chassez le mal de vous-mêmes ». En effet, du moment que l'on ne peut séparer les méchants de la société de l'Eglise, pour s'en séparer de coeur il suffit de chasser le mal de soi-même, et par ce moyen, non-seulement on est spirituellement uni aux bons, mais on se trouve séparé des méchants. S'adressant à Timothée, l'Apôtre avait dit également: « N'ayez aucune part aux péchés de vos frères » ; c'était affirmer clairement qu'il n'est pas toujours possible de chasser de l'Eglise certains pécheurs, que l'on est ainsi forcé de tolérer. Puis, voulant lui faire comprendre dans quel sens il ne devait avoir aucune part aux péchés de ses frères, il ajoute : « Gardez« vous pur vous-même (1) ». Un méchant peut se mêler aux méchants, mais le juste ne saurait leur être mêlé quoique membre extérieur de la même société. Quant aux Corinthiens, il leur avait dit : «Ai-je à juger ceux qui sont au dehors? Et ne jugez-vous pas vous-mêmes ceux qui vous sont unis intérieurement ? » Mais, craignant aussitôt qu'ils ne se laissassent effrayer par la multitude des pécheurs auxquels ils sont mêlés comme le froment à la paille; et dont ils ne, peuvent se séparer pour se soustraire à leurs vexations, l'Apôtre ajoute : « Arrachez le mal de vous-mêmes (2) ». En admettant donc qu'ils ne peuvent chasser les méchants de leur société ; en arrachant le mal de leur propre coeur, c'est-à-dire en évitant de pécher avec eux, de consentir ou d'applaudir à leurs péchés, ils peuvent conserver au milieu des méchants leur sainteté et leur innocence. En effet, c'est en péchant soi-même que l'on s'unit aux pécheurs. Qu'on arrache le péché de son cœur, et le péché des autres sera pour nous sans atteinte. Supposons encore que, méprisant la discipline de l'Eglise de Dieu, tel chrétien et surtout tel ministre contemple sans chagrin les pécheurs avec lesquels il ne pèche pas, et auxquels il n'applaudit pas, qu'il cesse de les avertir, de les reprendre, de les corriger, pourvu que cette abstention lui soit inspirée par la crainte exagérée de troubler la paix de l'Eglise, s'il venait seulement à refuser la participation aux sacrements, ce chrétien, ce ministre se rendrait coupable, mais d'un péché purement personnel, et non des péchés qu'il tolère dans les autres. Dans une matière d'aussi grande importance, la négligence est une faute

 

1. I Tim. V, 22. — 2. I Cor. V, 12, 13.

 

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très-grave ; dès lors, selon le conseil de l'Apôtre, s'il arrache le mal de son coeur, non-seulement il ne s'expose ni à. commettre le péché ni à y applaudir, mais il éloigne toute paresse dans la correction et toute négligence dans la punition du mal, tout en usant, conformément au précepte du Sauveur, de toute la prudence possible pour ne porter aucune atteinte au, froment (1). A ces conditions, quiconque, arrachant le mal de son coeur, tolère la zizanie au milieu du bon grain, n'a pas à craindre d'en être souillé; il distingue cette zizanie et la juge transitoirement, car il ne sait pas ce qui peut arriver le lendemain. Dès lors, sans blesser en quoi que ce soit la charité, et avec l'espérance plus ou moins fondée d'assurer la conversion, il frappe tout ce qu'une sévérité nécessaire lui ordonne de frapper. Mais les observations précédentes nous paraîtront encore mieux fondées quand nous aurons apporté à ce passage de l'Apôtre un examen plus approfondi.

III. « Que voulez-vous, dit-il? Me présenterai-je devant vous la verge à la main, ou « bien dans la charité et l'esprit de mansuétude? » Il est clair qu'il parle de châtiment, puisqu'il s'annonce la verge à la main. Eu conclura-t-on que la verge peut marcher sans la charité, parce que se servant d'une forme disjonctive, il s'écrie : « Me présenterai-je la verge à la main, on dans la charité? » Tout doute disparaît à l'instant; car ces mots. « L'esprit de mansuétude », annoncent assez clairement que la verge ne peut marcher sans la charité. Toutefois, autre est la charité de la sévérité, autre la charité de la mansuétude. C'est une seule et même charité, mais elle se diversifie dans ses opérations. « On parle parmi vous de fornication et d'une fornication telle qu'on ne la trouve pas même parmi les Gentils, un fils ayant commerce avec l'épouse de son père ». Le crime est horrible; voyons de quel châtiment il va le juger digne. « Et cependant vous vous gonflez, plutôt que de vous jeter dans les pleurs pour faire retrancher du milieu de vous celui qui s'est rendu coupable de cette action honteuse ». Pourquoi des larmes, plutôt que de la colère? N'est-ce point parce qu'il dit ailleurs : « Quand un membre souffre, tous les autres membres souffrent avec lui (2)? » Il demande des larmes, non point parce qu'on

 

1. Matt. XIII, 29. — 1. I Cor. XII, 26.

 

le séparait, mais afin qu'on le séparât; c'est-à-dire, afin que la douleur de ces coeurs attristés montât jusqu'à Dieu, et obtînt de lui qu'il fît disparaître du milieu d'eux cette grande iniquité, dans la crainte qu'en voulant l'arracher eux-mêmes, ils arrachassent en même temps le bon grain. Quand donc il est besoin de recourir à ce mode de châtiment, l'humilité de la prière et des larmes doit implorer la miséricorde que repousse toujours l'orgueil dans ceux qui sévissent; le salut de celui-là même que l'on sépare ne doit pas être négligé. Dès lors on doit faire en sorte que le châtiment lui soit utile; on doit recourir aux voeux et aux prières, si les reproches sont menacés d'impuissance. C'est pourquoi l'Apôtre ajoute : « Pour moi, à la vérité absent de corps, mais présent en esprit, j'ai déjà prononcé ce jugement comme si j'étais présent; vous et mon esprit étant donc assemblés au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ, que celui qui est coupable de ce crime, soit, par la puissance de Notre-Seigneur Jésus-Christ, livré à Satan pour mortifier sa chair, afin que son âme soit sauvée au jour de Notre-Seigneur Jésus-Christ (1) ». L'Apôtre faisait-il autre chose que de pourvoir au salut spirituel par la mort de la chair ? Faisant appel ou bien à la peine ou à la mort corporelle, comme on avait vu Ananie et sa femme tomber aux pieds de l'apôtre saint Pierre, ou bien à la pénitence, comme il le fit en livrant ce malheureux à Satan, saint Paul ne voulait qu'une seule chose, tuer en lui la concupiscence scélérate de la chair. Le même Apôtre dit ailleurs : « Mortifiez vos membres qui sont sur la terre, et parmi ces membres il énumère la fornication (2) ». Ailleurs il dit également : « Si vous vivez selon la chair, vous mourrez; mais si vous mortifiez les oeuvres de la chair par l'esprit, vous vivrez (3) ». Toutefois il ne retranche pas de la charité fraternelle celai qu'il ordonne de séparer de la société fraternelle. Il s'en explique clairement avec les Thessaloniciens, quand il leur dit : « Si quelqu'un n'obéit pas à ce que nous ordonnons par notre lettre, notez-le et n'ayez point de commerce avec lui, afin qu'il en ait de la confusion. Ne le considérez pas néanmoins comme votre ennemi, mais avertissez-le comme votre

frère ». Que nos adversaires prêtent donc

 

1. I Cor. IV, 21; V, 5. — 2. Coloss. III, 5. — 3. Rom. VIII, 13.

 

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l'oreille et comprennent que la charité apostolique nous ordonne de nous supporter réciproquement et de conserver l'unité dé l'esprit dans le lien de la paix (1). Ces belles paroles

« Ne le considérez pas comme votre ennemi, mais avertissez-le comme un frère », nous sont expliquées par ce qui suit immédiatement : « Que le Dieu de la paix vous donne la paix en tout lieu et en tout temps (2) ». Quand donc il s'agit de l'incestueux de Corinthe, ne nous étonnons pas que l'Apôtre prescrive avant tout les pleurs et recommande la paix et la charité. Aussi, parlant de lui-même il s'exprime en ces termes : « De crainte que Dieu ne m'humilie lorsque je reviendrai vous voir, et que je ne sois obligé d'en pleurer plusieurs de ceux qui, étant déjà a tombés dans des impuretés, des fornications et des dérèglements infâmes, n'en ont point fait pénitence »; il ajoute aussitôt: « Je vous l'ai dit précédemment lorsque j'étais présent parmi vous, et maintenant que je suis absent, je vous dis encore que si je viens une seconde fois, je ne pardonnerai ni à ceux qui avaient péché auparavant, ni à tous les autres (3) ». Baigné dans ses larmes, il jugeait donc que, pour humilier et corriger les pécheurs, il devait s'armer de la miséricorde de Dieu, sans porter aucune atteinte au lien de la paix, dans lequel réside notre salut; et nous voyons que c'est là ce qu'il fit à l'égard de l'incestueux dont nous avons parlé. Nous ne voyons pas en effet à quel autre qu'à lui on pourrait appliquer ces paroles que nous lisons dans la seconde épître aux Corinthiens : « Il est vrai que je vous écrivais alors dans une extrême affliction, dans un serrement de coeur et avec une grande abondance de larmes, non dans le dessein de vous attrister, mais pour vous faire connaître la charité toute particulière que j'ai pour vous. Que si l'un d'entre vous m'a attristé, il ne m'a pas attristé moi seul, mais vous tous aussi, au moins dans une certaine mesure, et je le dis pour ne point l'opprimer dans son affliction. Quant à celui qui a commis ce crime, c'est assez pour lui qu'il ait subi la correction et la peine qui lui a été imposée par votre assemblée. Maintenant vous devez le traiter avec indulgence et le consoler, de crainte qu'il ne soit accablé par un excès de tristesse. C'est

 

1. Eph. IV, 2, 3. — 2. II Thess. III, 14-16. — 3. II Cor. XII, 21; XIII, 2.

 

pourquoi je vous prie de lui donner des preuves effectives de charité. Et c'est pour cela même que je vous en écris, afin de vous éprouver et de reconnaître si vous êtes obéissants en toutes choses. Ce que vous accordez à quelqu'un par indulgence; je l'accorde aussi; et si j'use moi-même d'indulgence, j'en use à cause de vous, au nom et en la personne de Jésus-Christ, afin que Satan n'ait aucun empire sur nous, car nous connaissons ses desseins (1) ». Se pourrait-il plus de modération, plus de charité, une sollicitude plus affectueuse, plus pieuse, plus paternelle et maternelle? De même qu'il applique la correction au pécheur, de même il ordonne de prodiguer les consolations à celui qui est converti, qui a broyé et humilié son cœur dans la pénitence, « dans la crainte, dit-il, qu'il ne soit accablé sous le poids de sa tristesse ». Mais quel est le sens de cette conclusion : « Afin que Satan n'ait aucun empire sur vous, car nous connaissons ses desseins? » N'est-ce pas Satan qui, sous prétexte d'une juste sévérité, inspire une rigueur cruelle, ne donnant d'autre but à son astuce infernale que de corrompre et de briser le lien de la paix et de la charité? Que ce lien se conserve parmi les chrétiens, et toutes les forces du démon deviennent impuissantes à nous nuire, ses trames et ses embûches se brisent, et tous ses projets de destruction s'évanouissent.

IV. Lors même que dans sa seconde épître aux Corinthiens l'Apôtre parlerait d'un autre que l'incestueux, ses paroles resteraient toujours pour nous prouver avec quelle charité la discipline ecclésiastique doit procéder à l'égard de tous les coupables. Mais aveuglés par leurs préventions, nos adversaires, pour enrichir le trésor de leurs calomnies, citent de préférence ces paroles : « Le juste m'avertira dans la miséricorde et me reprochera mes fautes, mais l'huile du pécheur ne sera a pas versée sur ma tête (2) ». Or, comme ils ne savent pas s'armer de la miséricorde pour corriger, ils ont noirci de cruels soupçons l'innocence de Cécilien, et oint de l'huile d'une fausse adulation la puissance d'Optat de Gildon. Si c'eût été par respect pour le lien de la paix qu'ils toléraient dans les gémissements et dans les larmes l'iniquité d'Optat, on ne les verrait pas troubler la paix

 

1. II Cor. II, 4-11. — 2. Ps. CXL, 5.

 

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chrétienne et catholique dans l'univers, et briser les liens de la paix; du moins, saisis d'une sainte douleur au souvenir du criminel aveuglement qui a poussé leurs ancêtres à briser cette paix, se trouvant eux-mêmes obligés, pour la paix du donatisme, de tolérer parmi eux un si grand nombre de pécheurs, ne devraient-ils pas étouffer leurs calomnies et chercher la paix dans une conversion véritable ?

V. Mais revenons aux conséquences de cette première épître aux Corinthiens. L'Apôtre avait dit: « Qu'il soit livré à Satan, pour mortifier sa chair, afin que son âme soit sauvée au jour de Notre-Seigneur Jésus-Christ ». Insistant de nouveau et de toutes ses forces, pour leur prouver que ce résultat devait s'obtenir par l'humilité et les larmes, et non par l'orgueil et la cruauté, il ajoute aussitôt : « Vous n'avez point sujet de vous tant glorifier » ; ou, si l'on veut, mais sous la forme d'une sanglante ironie : « Vous avez bien sujet de vous glorifier ». Ces deux versions se rencontrent également, mais le sens est toujours le même. Comment supposer, en effet, qu'il ait pu les louer jusqu'à leur dire sérieusement: « Vous avez bien sujet de vous glorifier », quand il venait de leur dire : « Vous vous enflez d'orgueil pendant que vous devriez être plongés dans les larmes », ajoutant aussitôt : « Ne savez-vous pas qu'il suffit d'un peu de levain pour corrompre toute la masse (1) ? » Cette dernière parole peut parfaitement se rapporter à la corruption même de la vaine gloire. En effet, c'est l'orgueil qui a fait tomber le premier homme; depuis lors il est comme le levain antique qui fermente dans les esprits et réunit dans les mêmes aspirations tous ceux qui consentent aux entraînements d'une vaine jactance. Se glorifier, non pas de ses propres péchés, mais à l'occasion des péchés des autres, comme si ces péchés rehaussaient notre innocence, n'est-ce pas encore là le petit levain dont parle l'Apôtre? Il serait grand, si l'on allait jusqu'à se glorifier de ses propres iniquités ; mais l'autre, quoique petit, suffit pour corrompre ta masse tout entière. L'orgueilleux tombe par le poids même de son orgueil, et en cherchant à justifier ses péchés il commence à vouloir se glorifier. L'Apôtre prévoyait cet abus, quand il s'écriait: « C'est pourquoi, que

 

1. I Cor. V, 6.

 

celui qui se croit debout prenne garde de tomber (1) ». Ailleurs : « Si quelqu'un est tombé par surprise dans quelque péché, vous qui êtes spirituels, ayez soin de le relever dans un esprit de douceur, chacun de vous rentrant en soi-même et craignant d'être soumis à la même tentation. Portez les fardeaux les ans des autres, et vous accomplirez ainsi la loi de Jésus-Christ (2) ». Quelle est cette loi de Jésus-Christ, sinon celle-ci : «Je vous donne un commandement nouveau, celui de vous aimer réciproquement (3) ? » Quelle est cette loi de Jésus-Christ, sinon celle-ci : « Je vous donne ma paix, je vous laisse ma paix (4) ? » Quand donc l'Apôtre s'écrie « Portez les fardeaux les uns des autres, et vous accomplirez ainsi la loi de Jésus« Christ u, il ne fait qu'annoncer ce qu'il répète ailleurs : « Vous supportant réciproquement dans la charité, vous appliquant à conserver l'unité d'esprit dans le lien de la paix (5) ». Dans le Pharisien de l'Evangile, le Sauveur nous montre les suites du levain de l'orgueil; car, loin de gémir sur sa condition de pécheur, il se faisait un point d'orgueil de ses mérites en les rapprochant des péchés du publicain. Celui-ci cependant descendit en confessant ses péchés et fut justifié, tandis que le Pharisien fut condamné malgré les mérites qu'il proclamait avec tant d'emphase: « Car celui qui s'exalte sera humilié, et celui qui s'humilie sera exalté (6) ». L'Apôtre continue donc en ces termes : « Purifiez le vieux levain, afin que vous deveniez une nouvelle pâte comme vous êtes des azymes ». Remarquons ces mots : « Afin que vous deveniez », et ceux-ci : « Comme vous êtes ». Ces paroles n'expriment-elles pas ce qu'ils étaient et ce qu'ils n'étaient pas, en leur prouvant par des modèles ce qu'ils doivent devenir? Toutefois, en s'adressant à tous il se sert du singulier, afin de ne pas donner occasion à ceux qui étaient bons, de désespérer de ceux qui n'en étaient pas encore à ce degré de perfection, et de croire qu'ils n'appartenaient pas à l'union de son corps ; c'est là le sens de ces paroles

« Afin que vous deveniez comme vous êtes ». Après ces avertissements réitérés de l'Apôtre, ceux qui étaient déjà parfaits savaient et devaient savoir de plus en plus supporter les imparfaits, afin qu'en se supportant ainsi réciproquement

 

1. I Cor. X, 12. — 2. Gal. VI, I, 2. — 3. Jean, XIII, 34. — 4. Id. XIV, 2. — 5. Ephés. IV, 2. — 6. Luc, XVIII, 10-14.

 

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dans la charité, ils conservassent l'unité d'esprit dans le lien de la paix, et qu'en portant les fardeaux les uns des autres ils accomplissent la loi de Jésus-Christ. Cette loi, le Sauveur ne l'a-t-il pas accomplie lui-même, quand, pour nous apprendre le chemin de l'humilité, il a daigné s'humilier jusqu'à la mort de la croix (1), et quand, se faisant le médecin des malades il supporta avec une charité sans borne les pécheurs dont il avait dit : « Le médecin est nécessaire, non pas à ceux qui se portent bien, mais à ceux qui sont malades (2)? » Aussi c'est Jésus-Christ que l'Apôtre nous propose immédiatement comme modèle « Car Jésus-Christ notre Pâque a été immolé», afin qu'à cet exemple de profonde humilité, les fidèles apprissent à purifier le vieux levain, c'est-à-dire tout ce qui pouvait rester en eux de l'orgueil du premier homme. « Célébrons donc, dit-il, ce jour de fête » ; ce jour, c'est toute notre vie, « non pas dans le vieux levain, ni dans le levain de la malice et de la méchanceté, mais dans les azymes de la sincérité et de la vérité ». Cette malice, cette méchanceté paraissait signifier l'orgueil que l'on éprouverait à la vue des péchés des autres, comme si l'on devait se glorifier de sa propre justice, quand on a sous les yeux un pécheur. Au contraire, la sincérité et la vérité font une obligation à celui qui est parfait de se souvenir de ce qu'il était précédemment, et de s'éprendre d'une immense pitié pour ceux qui tombent. En effet, s'il est juste aujourd'hui, n'est-ce pas parce qu'il a été relevé de sa chute par la miséricorde de Jésus-Christ qui, sans avoir commis aucun péché, s'est profondément humilié pour les pécheurs?

VI. Suit-il de là que l'on peut rester entièrement indifférent et insensible à l'égard des péchés d'autrui? Ce serait une cruauté non moins grande contre laquelle l'Apôtre veut nous mettre en garde par ces paroles : « Je vous ai écrit dans une lettre, que vous n'eussiez aucun commerce avec les fornicateurs; ce que je n'entends pas des fornicateurs de ce monde, non plus que des avares, des ravisseurs ou des idolâtres, autrement il vous faudrait sortir de ce monde ». En effet, la grande couvre que vous avez à accomplir en ce monde, c'est de sauver les pécheurs en les gagnant à Jésus-Christ. Or, cette oeuvre ne pourrait s'accomplir

 

1. Philipp. II, 8. — 2. Matt. IX, 12.

 

si vous refusiez obstinément de converser et de vivre avec eux. « Quand donc je vous ai écrit de n'avoir aucun commerce avec ces sortes de personnes, j'ai entendu que si celui qui est du nombre de vos frères est fornicateur, ou avare, ou idolâtre, ou médisant, ou ivrogne, ou ravisseur du bien d'autrui, vous ne mangiez pas même avec lui. Aussi, pourquoi entreprendrais je de juger ceux qui sont dehors? N'est-ce pas ceux qui sont dans l'Eglise que vous avez droit de juger? Quant à ceux qui sont dehors, Dieu ne les jugera-t-il pas? Retranchez ce méchant du milieu de vous (1)».

VII. Voilà comment l'Apôtre a été amené à prononcer cette sentence dont Parménien à cru ne devoir citer que la dernière partie « Arrachez ce méchant du milieu de vous». « Or, dit-il, si la présence de ce méchant ne nuisait pas aux bons, il n'ordonnerait pas de le séparer». Quant aux prémisses qui ont amené cette conclusion, il les passe sous silence. Cependant, puisqu'il voulait prouver que l'on doit établir contre les pécheurs la séparation corporelle, il aurait pu invoquer en sa faveur ces paroles de l'Apôtre : « Vous ne devez pas même manger avec lui ». Pourquoi donc ce silence sur un passage qui lui était fourni si à propos? Puisqu'il met tant d'instances à soutenir que l'on doit se séparer, même corporellement, des pécheurs, pourquoi ne pas citer ces paroles de l'Apôtre « Si celui qui est du nombre de vos frères est fornicateur, ou idolâtre, ou avare, ou médisant, ou ivrogne, ou ravisseur, vous ne devez pas même manger avec lui ? » N'a-t-il pas compris que s'il invoquait ce passage, on pourrait lui répondre : N'avez-vous donc parmi vos frères aucun fornicateur, ou aucun idolâtre, ou bien ne les connaissez-vous pas? Vous ne voyez parmi vous, vous ne connaissez aucun avare, aucun médisant, aucun ivrogne, aucun voleur? Et s'il y en a, comment donc méprisez-vous le précepte de l'Apôtre, jusqu'à manger avec eux, c'est peu, jusqu'à participer avec eux à la cène du Seigneur? C'est cette réplique que Parménien a voulu s'épargner, quand il a passé sous silence un texte qui semblait si bien justifier sa thèse. Si ce chapitre de la lettre apostolique lui avait échappé, en aurait-il cité les dernières paroles: « Arrachez ce méchant du milieu de vous? »

 

1. I Cor. V, 7-12.

 

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VIII. Parce que je viens d'établir ces raisonnements, peut-être auront-ils l'audace de nier qu'il y ait parmi eux des avares, des médisants, des ivrognes, des voleurs; n'iront-ils pas même jusqu'à prendre la défense d'Optat, qui est connu de toute l'Afrique, et qu'ils ont toléré aussi longtemps qu'ils ont eu à le craindre? S'ils le peuvent, qu'ils nous disent si leur église est aujourd'hui plus belle et plus pure que ne l'était l'unité, du temps du bienheureux Cyprien. Ce glorieux martyr, sans se séparer corporellement de ses collègues, sans en désigner aucun nominativement, mais leur appliquant un remède aussi sévère que prudent et salutaire, leur reprocha vertement d'aspirer à d'abondantes richesses, quand leurs frères étaient poursuivis par la faim, de recourir à des fraudes insidieuses pour s'emparer des propriétés, et à des usures sans nombre pour accroître leurs trésors. Enfin, pour prouver jusqu'à la dernière évidence que ces reproches s'adressaient à des collègues avec lesquels il était en communion dans l'Eglise, il termine en ces termes : « A quels châtiments ne devons-nous pas nous attendre, pour expier de tels crimes (1)? » Il ne dit pas : A quels châtiments doivent-ils s'attendre ; mais : « Ne devons-nous pas nous attendre ? » Lui qui certainement n'était point coupable, aurait-il ainsi parlé, s'il n'avait pas voulu montrer qu'il versait des gémissements et des larmes sur les crimes de ceux qui lui étaient unis, non-seulement comme membres de la même Eglise, mais comme membres du même épiscopat, quoiqu'il y eût entre eux et lui une grande différence de vie, de moeurs, de coeur et de résolutions? Que nos adversaires nous disent donc que leur église est aujourd'hui plus belle et plus pure, et que dans leurs rangs ils n'ont pas de collègues, comme Cyprien en avait autrefois dans l'unité. On est libre de les croire si l'on veut, et de fermer les yeux sur les maux sans nombre que leurs moeurs ont engendrés, et que n'ont pu cacher les ressources abondantes de leur dissimulation. De mon côté, je les rappellerai à ces premiers temps de l'unité, et je leur demanderai si l'Eglise était ou n'était pas l'Eglise du Christ, même à l'époque où le grand évêque de Carthage exhalait ses gémissements sur les désordres de ses collègues, et les consignait librement

 

1. Cyp. Discours pour les Tombés.

 

dans des livres qui devaient passer à la postérité. Si c'était bien la véritable Eglise de Jésus-Christ, je demande comment Cyprien et d'autres que lui, animés du même zèle, accomplissaient ce précepte de l'Apôtre : « Si celui qui est du nombre de vos frères est fornicateur, ou avare, ou idolâtre, ou médisant, ou ivrogne, ou voleur, vous ne devez même pas manger avec lui? » Est-ce qu'ils ne mangeaient pas le pain du Seigneur, et ne buvaient pas le calice avec ces avares et ces voleurs, qui n'aspiraient qu'à augmenter leurs richesses, pendant que leurs frères étaient réduits à mendier pour vivre, et qui usaient de toutes les fraudes pour s'emparer du bien d'autrui?

IX. Dira-t-on que ces crimes sont légers et de peu d'importance? C'est là, en effet, la réponse qu'ils font d'ordinaire ; au lieu de jeter ces crimes dans la balance équitable des divines Ecritures, ils les pèsent dans la balance frauduleuse de leurs habitudes. Crimes et iniquités, tout ce qui enivre la multitude ne peut être la règle du jugement. Mais les oracles divins, tel est le miroir impartial offert aux hommes; c'est là que chacun doit apprécier la gravité du péché, s'il ne veut pas imiter ces pécheurs qui, dans leur aveuglement, éprouvent à peine du mépris pour le péché le plus grave. Or, les oracles divins pouvaient-ils lancer contre l'avarice une accusation plus grave que de la comparer à l'idolâtrie et de lui en infliger le nom, comme le fait l'Apôtre « Et l'avarice, qui est une véritable idolâtrie (1) ? » Pouvait-on la frapper d'un châtiment plus terrible que de la ranger au nombre des crimes qui excluent du royaume des cieux? Qu'ils ouvrent les yeux de leur coeur, s'ils ne veulent pas ouvrir en vain les yeux de leur corps, et qu'ils lisent le libre prédicateur de la vérité, écrivant dans sa première épître aux Corinthiens : « Ne vous y trompez pas : ni les fornicateurs, ni les idolâtres, ni les adultères, ni les impudiques, ni les abominables, ni les voleurs, ni les avares, ni les ivrognes, ni les médisants, ni les ravisseurs ne seront héritiers du royaume de Dieu (2) ». Comment donc Cyprien et avec lui les justes, mangeaient-ils le pain et buvaient-ils le calice du Seigneur, dans l'Eglise de l'unité, avec avares et des voleurs, avec ceux qui ne seront pas héritiers du royaume

 

1. Coloss. III, 5. — 2. I Cor. VI, 9, 10.

 

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de Dieu, quand ces malheureux n'étaient pas seulement des laïques et des clercs, mais même des évêques? L'Apôtre ne défend-il pas « de se mêler avec eux » et « de manger avec un tel frère? » Parce qu'ils ne pouvaient se séparer d'eux corporellement, dans la crainte d'arracher en même temps le bon grain, ne leur suffisait-il pas de s'en séparer par le coeur, de s'en distinguer par la vie et par les moeurs, pour conserver la paix et l'unité, pour assurer le salut de ces froments encore faibles et jusque-là nourris de lait, enfin, pour épargner aux membres du corps de Jésus-Christ les déchirements d'un schisme sacrilège ?

X. Toutefois, je ne veux imposer à aucun d'eux cette manière d'interpréter le texte. Qu'ils nous expliquent du moins comment cette Eglise pouvait être alors glorieuse, sans tache et sans ride (1), quand à côté de pauvres faméliques on voyait des évêques aspirer à de grandes richesses, enlever le bien d'autrui par la ruse et la fraude, accroître leurs trésors par des usures sans nombre, et enfin se souiller de toutes ces iniquités qui excluent du bonheur du ciel. D'un autre côté, si l'Église sans tache et sans ride se composait exclusivement de ceux qui gémissaient et. pleuraient sur ces iniquités dont ils étaient les témoins attristés; si c'est en protestant par leurs gémissements et leurs larmes qu'ils ont mérité, selon la prophétie d'Ezéchiel, d'être marqués du signe salutaire qui les a soustraits à la destruction et à la perdition des coupables ; que nos adversaires cessent donc enfin de calomnier les bons qui résistent au mal et tolèrent les méchants, afin de mieux pratiquer cette charité pacifique dont il a été dit: « Bienheureux les pacifiques, parce qu'ils seront appelés les enfants de Dieu (2) ». Quand le Saint-Esprit, par l'organe du prophète Ezéchiel, veut désigner les méchants, que les bons tolèrent dans l'unité, il se sert d'une expression qui indique que les méchants se trouvent placés au milieu des bons. Au contraire, s'il disait que les bons sont placés au milieu des méchants, ces bons sembleraient être au dehors, à l'extérieur. « Ils gémissent, dit-il, et pleurent sur les iniquités de mon peuple, sur les crimes qui se commettent au milieu d'eux (3) ». De cette manière, les méchants nous sont présentés tout à la fois

 

1. Ephés. V, 27. — 2. Matt. V, 9. — 3. Ezéch. IX, 4.

 

comme étant du dehors et renfermés dans l'intérieur.

XI. Si donc l'Église avait cessé d'exister, parce qu'après avoir entendu Cyprien, et tous les justes avec lui, pousser de longs gémissements et des plaintes amères, sur les avares et les voleurs qu'ils connaissaient, d'un autre côté, nous les voyons se réunir ensemble à l'Église, participer ensemble aux mêmes sacrements, et par un commerce aussi intime partager infailliblement leur sort et se souiller à leur contact, au lieu d'obéir au précepte de l'Apôtre, qui leur défend même de manger avec les pécheurs, et leur ordonne de les chasser du milieu d'eux; si, dis-je, l'Église avait nécessairement péri, pourquoi discuter plus longtemps? Comment se vantent-ils d'avoir encore une église, si toute Eglise avait disparu depuis cette époque? Qu'ils nous disent dans quelle société sont nés Majorin et Donat, ces glorieux pères de Parménien et de Primien. A quoi peut-il leur servir de soutenir mensongèrement qu'ils n'ont parmi eux, ou du moins qu'ils ne connaissent dans leurs rangs aucun de ces avares ou de ces voleurs avec lesquels l'Apôtre puisse leur défendre de manger? Ne suffit-il pas que des pécheurs de ce genre se soient trouvés dans cette Église de l'unité, Eglise qu'ils regardent tellement comme leur mère, qu'ils osent soutenir qu'elle ne s'est conservée que parmi eux, c'est-à-dire dans la communion de Donat? Puisqu'ils prétendent que l'Église périt en restant en communion avec ces pécheurs, comment donc n'affirment-ils pas qu'elle avait déjà succombé à l'époque de saint Cyprien? Mais alors, ils ne pourront plus ni nous expliquer leur origine, ni soutenir que la véritable Eglise s'est conservée parmi eux, puisque toute Église avait cessé depuis cette époque reculée. D'un autre côté, si l'Église s'est conservée, se conserve, et se conservera toujours parmi les bons qui ont horreur de tous ces crimes dont nous avons parlé, qu'ils comprennent donc enfin le sens véritable de ces paroles de l'Apôtre : « Arrachez ce méchant du milieu de vous » ; qu'ils sachent qu'il ne s'agit nullement de faire schisme, sous prétexte d'arracher la zizanie, en arrachant en même temps le bon grain. Si nous insistons sur tous ces détails, c'est afin de rappeler à nos lecteurs ou à nos auditeurs que jamais ils n'ont pu prouver que Cécilien, ou les fidèles (53) qui lui étaient indissolublement attachés, eussent été de la zizanie; ils ne l'ont pu du vivant de Cécilien, alors que l'hérésie était encore toute récente, ils ne le peuvent pas, maintenant que la conviction de l'innocence des accusés s'affermit de plus en plus dans l'univers entier, et que la paix règne dans l'Eglise chrétienne. Nous faisons ces remarques, afin que chaque fidèle persévère en toute sécurité dans l'unité de l'Eglise, et qu'il n'imite point ceux qui se sont séparés de l'unité, s'il ne veut pas périr avec eux. En effet, lors même que Cécilien et ses partisans auraient été la zizanie, on aurait dû les tolérer jusqu'à la moisson, plutôt que d'arracher le froment dans les commotions du schisme.

XII. Mais, dira quelqu'un, « comment pourrons-nous accomplir le précepte de l'Apôtre, quand il nous défend même de manger avec le pécheur, tel qu'il nous le dépeint? En effet, s'il n'entendait prescrire que la séparation du coeur, il ne dirait pas : « Je vous ai averti dans ma lettre de n'avoir aucun a commerce avec les fornicateurs, ce que je a n'entends pas des fornicateurs de ce monde», c'est-à-dire de ceux qui ne sont pas chrétiens et dont il dit plus loin : « Pourquoi entreprendrais-je de juger ceux qui sont dehors? Ne jugez-vous pas ceux qui sont dans l'Église? Quant à ceux qui sont dehors, Dieu les jugera ». La séparation qu'il prescrit, n'a donc pas pour objet les méchants qui ne sont pas chrétiens, mais ceux qui sont chrétiens, tandis que la séparation du coeur s'applique sans distinction à tous les méchants. Si donc nous devons nous séparer de coeur de ces méchants qui ne sont pas chrétiens, comment ne pas comprendre que l'Apôtre nous défend d'avoir avec les mauvais chrétiens qu'il nous désigne certaines relations que nous pouvons avoir avec les païens dans les usages ordinaires de la société humaine? De là ce conseil qu'il nous donne dans un autre passage : « Si un infidèle vous invite et que vous vouliez accepter, mangez de ce qui vous est présenté, sans faire aucune question (1) ». S'agit-il du pécheur dont il vient de parler, il ne permet pas même de manger avec lui. Quand il s'agit des infidèles, c'est-il dire de ceux qui n'ont pas cru en Jésus-Christ, et que « Dieu jugera », parce

 

1. I Cor. X, 27.

 

qu'ils sont dehors, il autorise à manger avec eux ce qui est présenté; s'agit-il, au contraire, de ceux qui sont dans l'Eglise, c'est-à-dire de celui qui, étant du nombre de vos frères, est fornicateur, idolâtre, ou avare, ou médisant, ou ivrogne, ou voleur, l'Apôtre défend même de manger avec lui. Il invite donc à séparer, avant la moisson, la zizanie d'avec le froment. Si nous refusons de le faire, parce que Dieu le défend, alors nous n'avons plus qu'à tolérer la zizanie et à ne nous séparer d'elle que d'une séparation de coeur et de volonté; conséquemment nous mangerons avec eux, malgré la défense que nous en fait l'Apôtre ».

XIII. Sur une question aussi délicate, je ne dirai rien qui sente la nouveauté ou l'excentricité. Me bornant donc à ce que réclame la santé de l'Eglise, je déclare que si l'un de nos frères, c'est-à-dire un membre intérieur de l'Eglise, est surpris en délit assez flagrant de péché pour mériter qu'on le frappe d'anathème, on doit l'en frapper réellement, pourvu qu'il n'y ait aucun danger de schisme et qu'on pratique cette charité, dont le précepte nous est imposé en ces termes : « Ne le traitez pas comme un ennemi, mais corrigez-le comme un frère (1) ». Ce n'est pas pour l'arracher qu'on le frappe, mais pour le corriger. S'il ne rentre pas en lui-même, s'il refuse de faire une pénitence salutaire, il sortira lui-même de l'Église, et sera, par sa propre volonté, retranché de la communion de l'Église. A ses serviteurs qui voulaient arracher la zizanie, le Seigneur parle en ces termes : « Laissez croître l'un et l'autre jusqu'à la moisson » ; il en donne la raison : « De crainte qu'en voulant arracher la zizanie vous n'arrachiez en même temps le bon grain (2)». Il suit de là que si ce danger n’existe pas, que si la stabilité du froment est telle qu'on n'ait rien à craindre pour sa sécurité, c'est-à-dire, que si le crime est tellement connu, et s'il apparaît tellement exécrable à tous que personne ne soit tenté de le justifier, ni de s'obstiner dans cette justification jusqu'à faire schisme, on ne doit point laisser dormir la sévérité de la discipline, mais se souvenir que la répression est d'autant plus efficace, qu'on respecte avec plus de soin les droits de la charité. Or, sans porter aucune atteinte à la paix et à l'unité, sans compromettre en aucune manière la sécurité du froment, on peut toujours frapper quand la multitude des

 

1. II Thess. III, 15. — 2. Matt. XIII, 30.

 

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fidèles n'éprouve que de l'horreur contre le crime que l'on frappe d'anathème. Car alors la multitude vient en aide au supérieur qui punit, plutôt que de favoriser la résistance du

coupable; elle s'abstient salutairement de tout commerce avec lui et refusera même de manger avec lui, non point par sentiment de haine, mais pour aider à la correction fraternelle. Quant au coupable lui-même, il est saisi de crainte et trouve sa guérison dans sa propre honte, lorsque, se voyant anathématisé par l'Eglise universelle, il ne peut trouver autour de lui personne qui se réjouisse de son crime et insulte les bons.

XIV. N'est-ce pas pour énoncer cette pensée que l'Apôtre s'exprime en ces termes : « Si l'on nomme parmi vous quelque frère? » « Quelque frère », dit l'Apôtre, c'est-à-dire tel ou tel membre isolé, dont la correction est d'autant plus facile qu'il est à peu près seul pour se livrer au péché, au milieu de ses frères qui résistent obstinément à l'entraînement du mal. « Si l'on nomme », dit-il encore; il ne suffit pas que tel ou tel soit réellement coupable; on doit le nommer, le bruit public doit s'en occuper, afin que tous puissent connaître qu'il a réellement mérité la sentence qui le frappe. Dans de telles conditions, le coupable est corrigé sans que la paix en souffre; s'il est frappé, ce n'est point pour lui ôter la vie.; s'il est brûlé spirituellement, c'est pour le guérir. Voilà pourquoi, parlant de celui qu'il voulait guérir par ce remède, il avait dit : « Il lui suffit de la correction qui lui est faite par la multitude ». Or, cette correction parla multitude ne peut être salutaire, qu'autant que le coupable n'a pas pour complice la multitude elle-même. Mais quand la même maladie sévit contre le plus grand nombre, il ne reste plus aux bons que la douleur et les gémissements pour échapper intacts à la dévastation générale, portant sur leur front le signe révélé au prophète Ezéchiel (1). S'adressant donc à Celui qui ne peut errer, ils s'écrient : « Seigneur, ne perdez pas mon âme avec les « impies, et ma vie avec les hommes de sang (2) ». En voulant arracher la zizanie, ils craignent d'arracher en même temps le bon grain; le zèle les porterait bien à purifier la moisson du Seigneur, mais ils craignent qu'un peu de témérité ne jette au nombre des balayures.

 

1. Ezéch. IX, 4. — 2. Ps. XXV, 9.

 

Revenons à l'Apôtre. Quand il eut appris qu'à Corinthe un grand nombre de chrétiens s'étaient souillés par la luxure et la fornication, il adressa aux Corinthiens une seconde épître, dans laquelle, cette fois, il ne leur défend plus de manger avec ces pécheurs. Parce qu'ils étaient trop nombreux, il ne pouvait plus dire, comme il avait dit du premier : « Si l'on vient à nommer l'un de vos frères, comme fornicateur, ou idolâtre, ou avare, refusez même de manger avec lui »; il dit au contraire: « Quand je retournerai vous voir, je tremble que Dieu ne m'humilie, que je n'aie à pleurer un grand nombre de ceux qui ont péché précédemment et n'ont pas fait pénitence sur leur impureté, leur luxure et leurs fornications ». En leur annonçant ses larmes il les menace des châtiments du ciel, comme devant remplacer toute autre correction qui consisterait à se priver de toute relation avec eux. Voilà pourquoi il ajoute

« Voici la troisième fois que je me dispose à aller vous voir, et alors tout se jugera sur le témoignage de deux ou trois témoins. Je vous l'ai dit, quand j'étais au milieu de vous, et je vous le dis encore maintenant, étant absent : si je viens encore une fois, je ne pardonnerai ni à ceux qui avaient péché auparavant, ni à tous les autres, puisque vous voulez éprouver la puissance de Jésus-Christ qui parle par ma bouche (1) ». Cette parole sévère: « Je ne pardonnerai pas », n'est que la reproduction, sous une autre forme, de ces autres paroles précédentes : « Que je sois obligé d'en pleurer plusieurs ». Par ces larmes il devait demander à Dieu de châtier ceux qui, à raison même de leur grand nombre, ne pouvaient plus être corrigés, lors même que les justes eussent rompu toute relation avec eux, pour les couvrir de honte; cette mesure en elle-même, très-efficace n'était possible que quand le coupable était seul et voyait la foule protester contre lui. Par le fait, quand la contagion du péché a gagné la multitude, il n'y a plus d'autre ressource que la sévère miséricorde de la divine discipline. Tous les projets de séparation sont alors vains, pernicieux et sacrilèges, car ils ne peuvent plus être inspirés que par l'impiété et l'orgueil, et ils troublent plutôt les bons dans leur faiblesse, qu'ils ne corrigent les méchants de leurs mauvaises dispositions.

 

1. II Cor. XII, 21; XIII, 1-3.

 

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Nous en avons une preuve dans le bienheureux Cyprien. Témoin attristé de l'avarice de

ses collègues, il voyait dans les maux qui, de son temps, troublaient l'Église, les effets de la censure et de la vengeance divines. Puis déroulant sous ses yeux les moeurs dépravées de ces évêques qui n'aspiraient qu'à accroître leurs richesses et usurpaient le bien d'autrui par la ruse, la fraude et l'usure, pendant que leurs frères subissaient les horreurs de la faim, il s'écriait : « Quels châtiments ne doivent pas attirer sur nous des crimes de cette espèce? » Rappelant donc que ces maux dont souffre l'Église sont l'effet indubitable de la vengeance divine, il cite ce passage du psaume : « Si ses enfants abandonnent ma loi, et ne marchent pas dans mes justices; s'ils profanent mes jugements et n'observent pas mes préceptes, la verge en main je visiterai leurs iniquités, et je lancerai tous les fléaux sur leurs crimes, sans néanmoins les rendre étrangers à ma miséricorde (1) ».

XV. Que l'homme s'inspire donc de la miséricorde pour corriger ce qu'il peut; ce qu'il ne peut pas corriger, qu'il le tolère patiemment; que sa charité alors lui arrache des gémissements et des larmes, jusqu'à la conversion des coupables, mais qu'il attende la moisson pour arracher la zizanie et vanner la paille. Quant aux bons chrétiens qui peuvent s'appuyer sur l'espérance de leur salut, tandis qu'ils désespèrent de ceux qu'ils ne peuvent corriger, qu'ils resserrent de plus en plus les liens de la plus étroite unité, qu'ils rejettent le mal du milieu d'eux, c'est-à-dire qu'ils ne reproduisent dans leur vie aucune des taches qui leur déplaisent dans la conduite des pécheurs. L'Apôtre avait dit : « M'appartient-il de juger a ceux qui sont dehors? Ne jugez-vous pas ceux qui sont dans l'Église? Quant à ceux qui sont dehors, Dieu les jugera. (2) » Supposant alors que les chrétiens lui répondent : Que faisons-nous quand, accablés par la multitude des pécheurs, toute mesure nous est impossible pour exercer quelque correction? Alors, réplique l'Apôtre, « rejetez le méchant du milieu de vous ». En d'autres termes, si vous ne pouvez pas rejeter les méchants de votre société, rejetez le méchant lui-même. Si on entend par là que l'on doit chasser de la

 

1. Ps. LXXXVIII, 31-34 ; — Cyprien, Discours sur les Tombés. — 2. I Cor. V,12.

 

société des frères celui qui s'obstine dans le péché, pourvu qu'on le fasse dans le seul motif de le guérir, et non par haine et en vue de sa perte, une telle interprétation ne peut être rejetée par personne. Quant aux précautions à prendre, et aux circonstances à observer pour ne pas troubler la paix de l'Église, pour épargner le bon grain et ne pas l'arracher avec la zizanie, nous en avons suffisamment parlé. Celui qui fait de cette oeuvre importante l'objet d'une étude particulière, se garde bien, pour conserver l'unité, de négliger la sévérité de la discipline, et de rompre le lien de l'unité par une répression immodérée.

XVI. « Ne mangez même pas avec un pécheur de cette sorte ». Cette parole de l'Apôtre n'est-elle pas fidèlement accomplie par un grand nombre de bons chrétiens, à l'égard de ceux qu'ils traitent plus familièrement, avec lesquels ils peuvent rompre toute relation dans l'espérance de les corriger par cette mesure, ou s'ils désespèrent de les corriger, dans le but très-louable de les empêcher de semer parmi les autres la contagion du mal? Or, cette conduite, ainsi dictée par une humble charité et par une sévérité bienveillante, ne sied mieux à personne qu'à celui qui est placé pour conduire ses frères, et qui doit s'en regarder comme le très-humble serviteur, comme Jésus-Christ le lui enseigne par ses leçons et par ses exemples (1). Ainsi agit-il sans aucun orgueil contre l'homme, mais avec toutes les larmes d'une fervente prière présentée à Dieu. Un évêque peut facilement user de cette sévérité à l'égard de l'un de ses clercs ; un évêque, un clerc, ou un supérieur à l'égard des pauvres que l'Église nourrit; ou à l'égard des laïques ; dans ce cas ils peuvent refuser de manger avec tel pécheur, selon le précepte de l'Apôtre. Mais s'il s'agit de la multitude des pécheurs, on ne peut pas la séparer ni la retrancher du milieu des bons. Dans leurs maisons particulières, les chrétiens fidèles, quand il s'agit de leurs enfants ou de leurs serviteurs, établissent toujours leur administration de manière à faire respecter ce précepte : « Ne mangez même pas avec un pécheur de cette sorte » ; si donc, dans leur famille, ils voient quelqu'un mériter cette répression, la charité elle-même leur fait un devoir d'en user. Quant à la foule des pécheurs, si l'occasion se présente de parler au peuple, on doit

 

1. Matt. XX, 26-28.

 

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lui faire entendre des reproches généraux, surtout quand quelque fléau, s'abattant du ciel, vient fournir l'occasion opportune de leur faire comprendre que ce sont leurs péchés qui sont pour eux la cause de ces malheurs. En face de ces fléaux, les auditeurs prêtent plus sûrement l'oreille à la parole qui vient les guérir, leurs coeurs affligés se ferment à la résistance et au murmure pour se répandre dans les larmes et la confession de leurs fautes. N'est-il pas probable que le bienheureux Cyprien lui-même n'aurait pas tenu un tel langage sur ses collègues, si la sévérité divine ne lui en avait pas fourni l'occasion ? L'époque dans laquelle il parlait, était tellement triste, cruelle et déplorable, que non-seulement ses adversaires n'osèrent s'irriter, mais qu'ils comprirent que l'irritation soulevée contre eux était telle qu'ils pourraient à peine implorer leur pardon. En dehors de toute calamité extérieure, quand on le peut, c'est une mesure très-utile de reprendre la multitude devant la multitude même; séparez-la, elle s'irrite; réunissez-la, vos reproches lui arracheront des gémissements et des larmes. Ainsi donc le précepte de l'Apôtre doit être suivi avec soin, quand on le peut sans danger de troubler la paix de l'Église ; ce n'est qu'à cette condition, du reste, que le précepte a été formulé, de séparer le méchant de l'assemblée des bons ; la condition principale à observer c'est, en nous supportant réciproquement, de nous appliquer à conserver l'unité d'esprit dans le lien de la paix (1). Mettons également en pratique le commandement du Sauveur dans l'Évangile: « S'il n'écoute pas l'Église, qu'il soit pour vous comme un païen et un publicain (2) », sans négliger celui qui nous défend d'arracher la zizanie, dans la crainte d'arracher en même temps le bon grain (3). Ce double précepte, dans son accomplissement, n'a rien d'impossible pour ceux à qui il a été dit : « Bienheureux les pacifiques, parce qu'ils seront appelés les enfants de Dieu (4) ».

XVII. Passons à l'examen des autres passages cités par Parménien. II en est un entre tous, dans la citation duquel se.dévoile pleinement son orgueil sacrilège. Il est tiré du prophète Jérémie, et notre adversaire a osé le citer pour prouver au genre humain tout entier que non-seulement la secte des Donatistes

 

1. Eph. IV, 2, 3. — 2. Matt. XVIII, 17. — 3. Id. XIII, 29. — 4. Id. V, 9.

 

est la véritable Eglise, mais qu'elle est aujourd'hui même dans une pureté telle que la purification dernière n'aura plus rien à y ajouter. Je ne sais si l'on peut pousser plus loin la présomption sacrilège, et l'orgueil le plus insensé. On sait que la présomption déborde de tous leurs discours ; cependant quelquefois la honte les saisit, quand la vérité les pousse de trop près, quand, par exemple, on les presse de dire s'ils ont parmi eux des pécheurs; ou s'ils ne sont pas pécheurs eux-mêmes. Mais quand ils ressaisissent le passage de Jérémie, leur impie vanité et leur perversité ne connaissent plus ni bornes ni mesures. Or, Jérémie, tout en supposant que les bons et les méchants peuvent, pour un temps, ne former qu'une seule société, voulant montrer quelle distance les sépare au point de vue de leurs moeurs et de leurs mérites respectifs, s'écrie: « Qu'y a-t-il de commun entre la paille et le froment (1) ? » De son côté, Tichonius, en cela fidèle à la doctrine de l'Église, avait enseigné que, pour le bien de la paix, lés bons doivent tolérer les méchants jusqu'à la séparation suprême du jugement dernier. Or, pour le confondre, Parménien lui oppose ce passage de Jérémie, prouvant ainsi que sa perversité et son erreur ne sont satisfaites qu'autant qu'il peut jeter le feu criminel de la discorde et de la sédition dans l'âme de tous ceux qui partagent son erreur et sa perversité; Qu1conque dès lors, dans le gonflement de son orgueil, se croit quelque chose, quoiqu'il ne soit rien (2), se flattant aussitôt que lui et ses semblables sont des grains d'une pureté parfaite, ne se croit plus obligé d'entrer dans l'unité de l'Église, parce que tous les membres de cette Eglise, qui appartiennent à la vie éternelle, se croient obligés de tolérer ceux qui appartiennent au feu éternel, comme le froment doit rester mêlé à la paille jusqu'à la purification dernière. Aucun autre souffle n'a chassé de l'aire du Christ la paille légère avant le temps de la ventilation; aucune autre présomption n'a produit ces schismes sacrilèges, quelque part qu'on les rencontre.

XVIII. Voici donc comment s'exprime Parménien : « Jérémie nous avertit de séparer la foule infructueuse et stérile des pécheurs, de l'honorable fécondité des justes, quand il a dit: Qu'y a-t-il de commun entre la paille et le froment ? » Trompette de fureur !

 

1. Jérém. XXIII, 28. — 2. Gal. VI, 3.

 

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Exécrable voix de pestilence l Le genre humain est-il donc si profondément enseveli dans l'erreur, qu'il ne puisse plus saisir les aspirations de Parménien à se poser comme le purificateur suprême? Où Parménien cède-t-il cet honneur à Donat, sauf à se glorifier d'être entré dans la masse par lui purifiée? Je ne sais s'il daigne reconnaître la prééminence de Majorin. Mais enfin ces trois apostats ont-ils donc été, dans la main de Dieu, les trois soufflets d'un van mystérieux, à l'aide duquel toute la moisson de l'univers aurait été purifiée ? L'Afrique est-elle la contrée choisie pour contenir toute la masse élue, tandis que la paille rejetée couvrirait le reste de la terre? D'où vient donc tout ce troupeau de Circoncellions? D'où viennent ces multitudes de convives pris de vin, de filles non mariées et qui exhalent la corruption ? D'où vient cette foule de voleurs, d'avares, d'usuriers? D'où viennent ces hommes parfaitement connus dans les contrées qu'ils habitent, pleins de prétentions, mais impuissants à les réaliser, et si bien nommés les Optats? A ces questions que peuvent-ils répondre? Rien de tout cela n'existe-t-il? Ou bien tous ces malheureux sont-ils le froment? S'ils nient que tous ces crimes soient réels parmi eux, je réponds : Malheur à une négation aussi impudente ! malheur également à leur perversité scélérate, si dans tout cela ils ne voient que du froment ! D'ailleurs cette masse de froment, déjà purifiée par une autorité aussi imposante que celle de Majorin, de Donat et de Parménien, celui-ci ose encore la cribler de nouveau, afin dé pouvoir séparer de sa communion les Maxilllianistes. Aurait-il par hasard rejeté le froment? Mais alors, pourquoi reste-t-il avec ceux qui ont rejeté ce froment ? Ou bien ce froment a-t-il subi une purification telle que les grains ne puissent pas se reconnaître les uns les autres, et sont-ils nécessités à se purifier de plus en plus en se condamnant réciproquement? La paille a-t-elle pu baptiser le froment? Si elle l'a pu, pourquoi disent-ils : « Qu'y a-t-il de commun entre la paille et le froment ? » Si elle ne l'a pas pu, pourquoi Félicien, qui avait volé au dehors avec les pailles Maximianistes, a-t-il pu, lui et ceux qu'il avait baptisés, rentrer dans cette masse d'une pureté parfaite ? Quand enfile nos adversaires ont dans leurs rangs des hommes de cette classe, comment ne se disent-ils pas : « Qu'y a-t-il de commun entre la paille et le froment ? »

XIX. Qu'ils secouent donc enfin leur sommeil et qu'ils comprennent cette parole du Prophète : « Qu'y a-t-il de commun entre la paille et le froment ? » Pour peu que le sens humain leur reste, qu'ils se demandent où cette parole peut être prononcée. Dans un champ, peut-on dire : « Qu'y a-t-il de commun entre la paille et le froment, puisque tous deux sont entés sur la même racine ? » Peut-on le dire également dans l'aire, puisqu'ils p sont battus en même temps ? Mais, sur le grenier, ne peut-on pas dire : « Qu'y a-t-il de commun entre la paille et le froment? » En effet, le père de famille viendra « le van à la main, et il purifiera son aire ; quant au froment, il l'entassera sur le grenier, et il brûlera la paille dans un feu inextinguible (1) ». Dans une autre parabole, le froment est désigné sous le nom des brebis, et la paille sous le nom des boucs, deux classes diverses de troupeaux mêlés temporairement l'un avec l'autre et conduits par le même pasteur. « Le Fils de l'homme viendra avec ses anges,  tontes les nations seront réunies en sa présente, et il les séparera les unes des autres comme le berger sépare les brebis d'avec les boucs; il placera les brebis à sa droite, et les boucs à sa gauche. Il dira à ceux qui seront à sa droite : Venez, bénis, de mon Père, possédez le royaume qui vous a  été préparé depuis le commencement du monde. A ceux qui seront à sa gauche il  dira : Allez, maudits, au feu éternel, qui a été préparé au démon et à ses anges (2) ». Ne sera-ce pas l'accomplissement de la prophétie : « Qu'y a-t-il de commun entre la paille et le froment? » puisque le même pâturage ne saurait être commun entre les brebis et les boucs. Si les bons poissons, mêlés avec les mauvais dans ce filet dont le Seigneur a dit : « Le royaume des cieux est semblable à un filet jeté dans la mer», peuvent dire à ces derniers : Séparez-vous de nous, ou nous nous séparerons de vous, jusqu'à ce que tous soient conduits au rivage, que les bons soient placés par les ange dans des vases réservés, et que les mauvais soient jetés dehors (3); ne peut-on voir alors l'accomplissement de cette prophétie : « Qu'y a-t-il de commun entre la paille et le froment ? » Quant à ceux qui regardent leur

 

1. Matt. III, 12. — 2. Id. XXV, 31-41. — 3. Id. XIII, 47, 48.

 

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secte comme formée exclusivement du froment le plus pur, ils se sont envolés comme des pailles desséchées,loin du mélange du froment et de la paille. Ceux qui ne se sentent plus conduits avec les boucs par un seul pasteur, se sont laissé prendre aux embûches des loups, et se sont séparés du troupeau du Seigneur. Ceux qui ne se croient pas mêlés aux mauvais poissons, non-seulement sont des poissons mauvais, mais ils ont encore rompu les filets de l'unité. Que si, dès ce monde, nous croyons entrevoir la réalisation de cette parole de Jérémie : « Qu'y a-t-il de et commun entre la paille et le froment? » n'oublions pas que cette prophétie ne recevra son parfait accomplissement qu'à la fin du monde, quand se fera la ventilation suprême, quand les bons jusque-là mêlés seront séparés, même corporellement. Toutefois, en attendant ce grand jour, le coeur, pour le froment, tend sans cesse vers les choses célestes, tandis que pour la paille, il tend vers la terre. En effet, la paille cherche son avantage et non la gloire de Jésus-Christ (1): le froment, au contraire, amasse des trésors pour le ciel; or, là où est son trésor, là est son coeur (2).

XX. C'est dans ce sens aussi que l'on doit interpréter certaines paroles d'Isaïe, que notre adversaire affecte de ne pas comprendre et qu'il voudrait dénaturer pour y trouver un appui à ses erreurs. Voici ces paroles : « Retirez-vous, retirez-vous ; sortez d'ici et gardez-vous de toucher à ce qui est immonde : sortez du milieu de ce peuple et séparez-vous, vous qui portez les vases du Seigneur (3) ». Est-ce que ces paroles ne peuvent pas être invoquées toutes les fois qu'il s'agit de se séparer des méchants par le coeur? En effet, il ne touche pas à ce qui est immonde, celui qui ne se lie à personne pour commettre le péché. Il sort pour rendre sa cause agréable au Seigneur, celui qui, tout en respectant les droits de la paix, ne néglige pas la difficile obligation de reprendre et de corriger. D'un autre côté, celui qui veut se séparer corporellement des pécheurs, comme s'ils étaient tous publics, se sépare spirituellement des bons occultes, et quoiqu'il ne les connaisse pas, il se voit dans la nécessité de les accuser pour justifier sa séparation.

XXI. Mais enfin, nous posons cette question

 

1. Philipp. II, 21. — 2. Matt. VI, 20, 21. — 3. Isa. LII, 11.

 

à nos adversaires : Si Félicien est pur, pourquoi est-il sorti du milieu d'eux? S'il n'est pas pur, pourquoi lui est-il donné de toucher à ce qui est pur? S'il était impur quand il a consommé sa séparation, ceux qu'il a baptisés dans ces conditions sont impurs, puisqu'ils ont touché à ce qui était impur. En revenant avec lui ont-ils été purifiés? Des hommes baptisés hors de leur secte, des hommes qu'ils n'ont pas baptisés dans leur communion, peuvent donc être purifiés? Mais alors pourquoi rebaptiser les autres ? Est-ce que des hommes condamnés par un concile de trois cent dix évêques à Bagaïum peuvent encore mériter quelque considération ? et s'ils soutiennent que tout chrétien du monde entier, avant d'entrer dans leur secte, doit être rebaptisé, serait-ce parce que le monde entier n'a pas mérité l'insigne distinction d'être condamné parle concile de Bagaïum? Quoi donc ! Tous ceux qui ont été baptisés par Maximien et par ceux de ses sectaires qui ne sont pas rentrés dans la communion de Primien, sont baptisés de nouveau? Est-ce une grâce qu'on leur fait? Si on leur réitère le baptême, on viole la considération dont les a entourés le concile de Bagaïum, puisque dans ce concile tous ceux qui les ont baptisés ont été solennellement condamnés. Si c'est une grâce qu'on leur fait, ils doivent conjurer le concile de Bagaïum de se réunir de nouveau; et si le nombre de trois cent dix est un nombre consacré, que trois cent dix évêques se rassemblent de nouveau, et qu'ils portent une sentence de condamnation contre l'univers entier, sommeils en ont porté une contre les Maximianistes, afin que celui qu'ils voudraient rebaptiser, de quelque coin du monde qu'il se présentât, pût alléguer en sa faveur le même privilège, et soutenir qu'on doit lui accorder le privilège qu'on accorde à celui qui a été baptisé par un Maximianiste. En effet, ce ne sont pas seulement les Maximianistes, mais l'univers tout entier qui a mérité d'être condamné par le concile de Bagaïum. Enfin ils échapperont à cette haine immense soulevée contre eux, en cessant de réitérer le baptême à ceux qui l'ont déjà reçu dans cette Eglise établie sur toute la terre ; et si quelqu'un leur demande pourquoi ils n'agissent plus comme auparavant, qu'ils répondent : Quand nous agissions ainsi, nous n'avions pas encore tenu le concile de Bagaïum pour condamner le (59) monde entier. Aujourd'hui, cédant à d'instantes prières, et pressés par un sentiment de miséricorde, nous avons accordé à tous les chrétiens la faveur de les condamner, comme nous avions condamné les Maximianistes, auxquels nous ne réitérons pas le baptême. Qu'y a-t-il donc de si grand, de si difficile à accorder à toutes les nations la faveur d'une condamnation? Est-il permis de réitérer le baptême à tout l'univers, tandis qu'il ne serait pas permis de lui réitérer une condamnation? Lors même qu'ils seraient sans inquiétude sur ce point, nous ne trouverions pas dans quel concile ils ont condamné tant de nations et de provinces. Ils ont condamné certains individus en Afrique, mais, au jugement de l'univers entier, ils ont été vaincus par leurs victimes, et plus tard ils n'ont pas eu la hardiesse de condamner les juges qui les avaient frappés d'une aussi honteuse défaite; et en effet, n'eût-ce pas été la plus horrible impudence, la plus grande folie? Bien moins encore ont-ils pu condamner les chrétiens disséminés sur toute la face du monde, surtout quand ils les ont vus croire à la parole des juges ecclésiastiques, plutôt qu'à celle d'argumentateurs vaincus. Et cependant, malgré la condamnation portée par trois cent dix évêques contre les Maximianistes, leur baptême est approuvé, reçu, accepté, tandis qu'ils désapprouvent, annulent et réitèrent le baptême de l'univers entier, par lequel l'héritage de Jésus-Christ s'est établi conformément à la promesse dont ils faisaient partie peu d'années auparavant, qu'ils n'ont pu condamner à aucun titre, et devant lequel la perversité même de leur concile a dû s'incliner. O sainte condamnation, que celle qu'ont méritée les Maximianistes ! ô douloureuse innocence des nations, parce.qu'elle n'a pas donné prise à une condamnation, elle leur a fait perdre le nom même de chrétiens aux yeux des Donatistes !

XXII. Diront-ils que s'ils ne réitèrent pas le baptême aux Maximianistes, ce n'est qu'à aux qui reviennent avec les ministres qui le leur ont conféré; que c'est ainsi, du reste, qu'ils agissent à l'égard de Prétextat et de Félicien? Mais comment donc ne voient-ils pas qu'à l'égard du même baptême conféré dans le même schisme, ils ont une conduite contradictoire, puisqu'ils le ratifient dans les uns et l'annulent dans les autres, puisqu'ils l'honorent d'un côté et le violent de l'autre? En le violant, ils se rendent coupables, et en le ratifiant, ils se rendent les propres témoins de leur crime. S'ils le ratifiaient de manière à ne plus le violer, on verrait là, non pas une contradiction, mais un rappel à la discipline. Mais non, ils approuvent dans les uns ce qu'ils condamnent dans les autres; ils s'exposent tout à la fois à se voir accusés dans ceux-ci, et à l'égard de ceux-là à rendre témoignage contre eux-mêmes. Dites-moi pourquoi vous ne réitérez pas le baptême à ceux que Félicien a baptisés dans le schisme de Maximien; est-ce parce qu'ils ont reçu le baptême de Jésus-Christ, ou celui de Félicien? Dans ce dernier cas, je dis que Félicien était déjà frappé de condamnation avec les Maximianistes et qu'il a conféré le baptême hors de votre communion; c'est donc le même baptême que celui de Salvius de Membrésite et autres semblables. Si c'est le baptême de Jésus-Christ, Félicien a donc plus de pouvoir sur le baptême de Jésus-Christ parmi les Mustitains, que Jésus-Christ lui-même n'en a sur toute la terre. Le baptême de Jésus-Christ est conféré plus validement par celui qui est séparé de vous et condamné par vous, qu'il ne l'est par celui qui est assis à la droite de son Père et qui pour vous a été crucifié? Pour ne pas déplaire à Félicien, on approuve le baptême de Jésus-Christ dans un très-petit nombre de chrétiens, mais on se garde bien de l'approuver, pour empêcher que Jésus-Christ ne soit chassé d'une multitude innombrable de peuples.

XXIII. On ne croirait jamais à quel degré d'aveuglement et de perversité des hommes peuvent arriver, si leurs oeuvres et leurs actions n'étaient là pour le prouver. Jugeons en par un seul fait. Quand ils citent les passages de la sainte Ecriture, ne dirait-on pas que leur grande préoccupation, c'est de mettre la conduite des Prophètes en contradiction avec le sens qu'ils prétendent donner à leur parole? En s'écriant : « Qu'y a-t-il de commun entre la paille et le froment? » Jérémie ne croyait nullement s'obliger à se séparer de la paille de son peuple auquel il faisait entendre de si grandes vérités. Isaïe dit également : « Retirez-vous, retirez-vous, sortez, et gardez-vous de toucher à ce qui est impur ». Lui qui poursuivait l'iniquité par des paroles aussi sévères, pourquoi donc se mettait-il en contact avec elle en restant au (60) milieu de son peuple? Qu'ils lisent les reproches véhéments et trop vrais qu'il adressait aux pécheurs, sans opérer entre eux et lui aucune séparation corporelle. David dit aussi : « Je ne me suis point assis dans l'assemblée des insensés, et je n'entrerai point dans la maison des pécheurs ; j'ai haï la présence des coupables, et je ne siégerai point avec les impies (1) ». Qu'ils lisent tout ce qu'à cette époque il a toléré dans ce peuple; plein de respect pour le sacrement mystique de l'onction, il n'en méprisa jamais le caractère, même dans la personne de Saül devenu le plus grand des criminels, et lui prodigua sans cesse les plus grands honneurs. Si nous opposions leurs paroles à leurs actions, ces Prophètes ne pourraient-ils pas nous répondre : Entre eux et nous il y a toujours eu une véritable séparation de coeur, et nous ne touchions jamais à ce qui était impur, quand le contact aurait pu nous souiller. En d'autres termes, par la volonté et les dispositions de notre conscience, nous nous retirions, nous sortions de la compagnie de ces pécheurs; non-seulement nous ne marchions pas sur leurs traces, mais nous condamnions leurs oeuvres. Quant à ces hommes séditieux et insensés qui cherchent la justification de leur schisme dans les oracles des Prophètes, il ne leur reste qu'un seul parti à prendre, et que peut seul leur inspirer l'impiété la plus audacieuse : mettre en contradiction les paroles avec la conduite des Prophètes. Diront-ils qu'à cette époque les justes n'avaient pas, comme aujourd'hui, le pouvoir de se séparer des pécheurs? Ce serait le comble de la perversité. Quoi donc ! les bons ne pouvaient se séparer corporellement des pécheurs, à une époque où toutes les observances avaient, avant tout, un caractère purement corporel; et maintenant il ne faudrait rien moins qu'une séparation corporelle, quand nos observances ont avant tout un caractère spirituel ?

XXIV. Malheur aux aveugles qui se donnent pour guides, et aux aveugles qui se font esclaves des premiers ! Les Donatistes. dans leur orgueilleux langage, ne craignent donc pas que sur cette immense étendue de l'univers, tout imprégné du parfum de la foi et du nom de Jésus-Christ, il ne se soit trouvé, dans une contrée très-éloignée de l'Afrique, des justes qui

 

1. Ps. XXV, 4, 5.

 

auraient rompu toute relation avec les autres peuples pour se soustraire au contact du mal? Et alors les Donatistes, se trouvant devancés, ne pourraient-ils pas se demander s'ils ne vivent pas aujourd'hui au sein même de la contagion de l'iniquité? Si l'on doit se séparer des pécheurs, qui peut leur garantir qu'avant d'être faite par eux, cette séparation n'avait pas été accomplie sur quelque plage assez lointaine, pour que l'Afrique n'en eût aucune connaissance, pas plus que dans ces contrées reculées du monde on ne connaît la secte de Donat? Diront-ils que ce qu'ils ne connaissaient pas ne saurait leur nuire ? Soit, mais alors qu'ils avouent donc aussi que ces contrées lointaines n'ont pu souffrir de ce qui s'est passé en Afrique, puisqu'ils ne le connaissaient pas, lors même que les crimes dont ils chargent calomnieusement certains évêques d'Afrique seraient véritables et prouvés. Diront-ils qu'un tel événement, s'il s'accomplissait, ne pourrait rester inconnu? Alors qu'ils nous disent quel schisme s'est produit dans l'univers. Mais c'est trop exiger de leur part. Sans sortir de l'Afrique, que les Donatistes Carthaginois, ou les habitants de Carthage, quels qu'ils soient, nous disent combien de sectes particulières sont sorties de la secte de Donat, dans la Numidie et la Mauritanie ; ils doivent assurément connaître les causes de toutes ces divisions. Supposé que dans ces régions, quelques justes se soient crus obligés de se séparer et de sortir de la société et de l'assemblée des méchants, de se soustraire à tout contact impur et de ne jamais siéger avec les pécheurs, ne pourrait-on pas conclure qu'en se séparant depuis déjà plusieurs années pour se retirer dans quelque coin de la Numidie ou de la Mauritanie, ces froments ont laissé la paille à elle-même, sans même savoir que ce ne fût que de la aille? D'où vient donc la sécurité des Donatistes ? Serait-ce de l'intime conviction qu'on ne saurait regarder comme justes des hommes qui se sont séparés de l'unité de communion de Donat, dont les partisans sont répandus dans toute l'Afrique ? En effet, s'ils avaient à souffrir autour d'eux quelques méchants dont ils ne pouvaient prouver publiquement la culpabilité, ils devaient les tolérer plutôt que de se séparer de tant d'innocents auxquels ils n'ont pu prouver la culpabilité de quelques-uns de leurs frères, quoiqu'ils en fussent eux-mêmes parfaitement convaincus. Mais alors pourquoi (61) ne pas attribuer cette innocence à l'univers entier, à cette multitude de nations qui constituent l'héritage du Christ, et qui connaîtraient ainsi ce que peuvent être ces hommes qui se disent bons et qui se séparent de l'unité catholique? Ils se croient justes et ils méprisent les autres; comment donc pourraient-ils chanter le cantique nouveau, puisqu'ils sont tout remplis de l'orgueil du vieil homme? Ne sont-ils pas séparés de la communion à laquelle il a été dit : « Chante au Seigneur un cantique nouveau; toute la terre, chantez au Seigneur (1) ? » S'ils étaient justes, ils seraient humbles; s'ils étaient humbles, lors même qu'ils auraient à souffrir autour d'eux de la présence des méchants qu'ils ne peuvent chasser de l'unité du Christ, ils les toléreraient avec charité, par amour pour Jésus-Christ. Mais comment pourraient-ils se montrer justes dans le jugement qu'ils portent sur les méchants qui les entourent, quand on les voit accuser indignement et avec un aveuglement des plus téméraires des chrétiens qu'ils ne connaissent aucunement et dont ils sont séparés par de vastes contrées? Quant à ceux de leurs concitoyens ou de leurs voisins qu'ils accusent, qu'ils aient l'intime conviction de leur culpabilité, c'est possible, mais l'univers n'en sait rien. S'agit-il, au contraire, de ceux dont ils sont séparés par une grande distance, et dont ils ne peuvent connaître la vie, l'univers sait parfaitement qu'ils s'en sont séparés par le schisme, fruit d'un aveuglement téméraire; l'univers sait également que la patience chrétienne ordonne de tolérer les méchants, dans la crainte de condamner les bons sans les connaître. Dès lors l'univers conclut en toute certitude, qu'on ne saurait regarder comme bons ceux qui se séparent du monde catholique, en quelque lieu qu'ils habitent.

XXV. Enfin, si les Prophètes ont averti les générations futures de ne point attendre la ventilation suprême pour se séparer corporellement des pécheurs, et par cette séparation, de ne point toucher à ce qui est impur et de ne point s'allier avec les méchants, pourquoi donc l'apôtre saint Paul a-t-il désobéi à ces prescriptions prophétiques ? Est-ce qu'ils n'étaient pas de la paille, ceux qui annonçaient Jésus-Christ, non par amour pour la vérité, mais par jalousie ? N'étaient-ils pas impurs ceux qui souillaient la prédication de l'Evangile ?

 

1. Ps. XCV, 1

 

l'Apôtre nous apprend qu'il y avait de ces hommes à son époque (1), et la patience avec laquelle il les a tolérés est encore le plus beau modèle de charité que l'on puisse proposer aux générations futures. N'est-ce pas quelque alose d'impur que l'avarice, contre laquelle Cyprien protesta toujours de tout son coeur, tout en ayant des relations pacifiques avec les avares qu'il rencontrait parmi ses collègues ? Il foulait donc aux pieds les paroles du Sauveur jusqu'à s'asseoir dans le couventicule de la vanité, jusqu'à pénétrer parmi les pécheurs, jusqu'à aimer l'assemblée des méchants et siéger avec les impies ? Ne formaient-ils pas un conventicule de vanité, ces évêques qui n'aspiraient qu'à briller de l'éclat des richesses, pendant que dans l'Église leurs frères étaient poursuivis par la faim? N'étaient-ils pas criminels, ceux qui usaient de fraudes et de ruses pour s'emparer du bien d'autrui, et augmentaient leur fortune par des usures sans nombre? De son côté, Cyprien lavait ses mains avec les innocents et entourait l'autel du Seigneur. Si donc il tolérait les méchants, c'était pour ne point se séparer des justes avec lesquels il lavait ses mains, parce qu'il aimait la beauté de la maison de Dieu, beauté dont les vases d'honneur sont le principal rayon. « Or, dans une grande maison il.n'y a pas seulement des vases d'or et d'argent, on y en trouve aussi de bois et d'argile. Les uns sont des vases d'honneur, et les autres d'ignominie ». Cyprien se purifiait donc de tout contact avec ces derniers, afin de devenir « un vase d'honneur, utile à Dieu et préparé pour toute espèce de bonnes oeuvres (2) ». Toutefois, dans la présence des vases d'ignominie il ne trouvait pas une raison de se séparer de la grande maison; il les y tolérait en leur reprochant leur ignominie, et il se purifiait en refusant de les imiter.

XXVI. Parménien n'hésite pas à citer ces paroles du Prophète : « Je ne suis point assis dans le conventicule de la vanité, je n'entrerai point chez les méchants et je haïrai l'assemblée des pécheurs. Je laverai mes mains avec les pécheurs et j'entourerai l'autel du Seigneur, afin, d'entendre les chants de la louange et de raconter vos merveilles. Seigneur, j'ai aimé la beauté de votre maison, et le tabernacle de votre splendeur. Ne perdez pas mon âme avec les pécheurs,

 

1. Philipp. I, 15-17. — 2. II Tim. II, 20, 21.

 

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« et ma vie avec les hommes de sang ; leurs mains ne sont pleines que de crimes, et leur droite est remplie de présents (1) ». Parménien ose citer ces paroles, et il ne voit pas qu'elles sont la condamnation solennelle de toute division sacrilège. Ce qui fait la beauté de la maison et du tabernacle du Seigneur, c'est, comme je l'ai dit, l'éclat des vases, quoique parmi ces vases il 9 en ait d'ignominie; tout dépend donc des vases d'honneur, utiles au Seigneur, et préparés pour toutes sortes de bonnes oeuvres.Quiconque aime dans ces vases la beauté de la maison de Dieu et l'éclat de son tabernacle, tolère les vases d'ignominie, et se garde bien de trouver dans leur présence un motif de sortir de la maison, dans la crainte de devenir lui-même, non pas un vase d'ignominie, même toléré dans cette demeure, mais une sorte d'ordure qu'on en expulse avec horreur. Se voyant donc obligé temporairement de vivre avec les méchants dans la même maison, il adresse à Dieu cette prière : « Ne perdez pas mon âme avec les pécheurs, et ma vie avec les hommes de sang, car leurs mains sont pleines de péchés et leur droite est remplie de présents ». Il fait cette prière, dans la crainte de périr avec ceux que la charité lui commande de tolérer, et c'est en vue de ce sacrifice qu'il a dit précédemment: « Seigneur, j'ai aimé la beauté de votre maison et l'éclat de votre tabernacle ». Parce que j'ai aimé la beauté de votre maison, en raison même de cet amour, je tolère les vases d'ignominie, parce que la charité tolère tout et que je ne veux pas perdre mon âme avec eux. Dans ces paroles, ne croit-on pas entendre la voix de ceux qu'Ezéchiel nous montrait par avance gémissant et pleurant sur les iniquités dont le peuple se rendait coupable au milieu d'eux ? Et parce qu'ils étaient des vases d'honneur, ils ont mérité de recevoir le sceau particulier des élus, de telle sorte qu'au sein de la dévastation et de la ruine générales, leur âme a été par Dieu soustraite à la perte des pécheurs (2) ? Ceux dont on doit plaindre l'infortune, ce sont ceux qui se flattent de se soustraire à tout mélange avec les méchants, comme le bon grain à celui de la paille. Sous le coup de ce fâcheux orgueil, ils prennent le parti de trembler à la pensée seule de reprendre et de corriger ces foules coupables et criminelles, car

 

1. Ps. XXV, 4-10. — 2. Ezéch. IX, 4.

 

ils se verraient forcés d'avouer qu'ils sont eux-mêmes mauvais, et bientôt s'entendraient dire: Vous vous adressez au pur froment, pourquoi donc ces expressions qui sentent le mélange? Ainsi donc, précisément parce qu'ils ne sont pas justes, ils ne reprennent ni ne corrigent dans la miséricorde; au contraire ils oignent avec l'huile de l'adulation (1) la tête de ceux dont ils veulent être les chefs. Tout cela pour eux est la conséquence nécessaire du refus qu'ils opposent de faire partie sur la terre de cette unité catholique, dont la tête est au ciel. C'est en toute vérité que l'on peut dire à leurs peuples : « Ceux qui vous proclament a heureux, vous précipitent dans l'erreur et troublent les sentiers que vous parcourez (2) ».

XXVII. Que celui donc qui ne veut pas s'asseoir dans le conventicule de la vanité, ne se laisse pas enivrer par le poison de l'orgueil, car c'est en vain qu'il cherchera des conventicules de justes séparés de l'unité catholique, il n'en trouvera pas. Quant aux justes, ils se trouvent dans cette cité universelle, qui ne saurait être cachée parce qu'elle est établie sur la montagne (3). Je parle de cette montagne de Daniel sur laquelle « la pierre détachée sans aucune main d'homme, a grandi et rempli toute la terre (4) ». Dans cette cité qui couvre toute la terre, les justes gémissent et pleurent sur les iniquités qui se commettent au milieu d'eux. Ne cherchez donc pas les justes séparés, mais pleurez avec eux dans ce mélange temporel qui les rapproche des pécheurs. Celui qui agira de cette manière ne siégera pas dans le conventicule de la vanité, il siégera là où il converse: or, il entendra cette parole de l'Apôtre : « Notre conversation est dans le ciel (5) ». Là il ne sera pas mêlé à s criminels, là il n'aura pas à souffrir l'assemblée des pécheurs, là il ne siégera pas avec les impies. Qu'il habite dans cette espérance, afin qu'il mérite de parvenir un jour à ce qui fait l'objet de son espérance. Quant à notre condition présente, nous ne sommes pas encore ressuscités comme Jésus-Christ, nous ne siégeons pas encore avec lui dans le ciel ; et cependant, comme il a déposé dans nos coeurs cette glorieuse espérance, comme cette espérance transporte pour ainsi dire notre conversation avec lui dans le ciel, l'Apôtre a pu dire : « Si vous êtes ressuscités avec Jésus-Christ, cher

 

1. Ps. CLX, 5. — 2. Isa. III, 12. — 3. Matt. V, 14. — 4. Dan. II, 34, 35. — 5. Philipp. III, 20.

 

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chez les choses du ciel, où Jésus-Christ est assis à la droite de Dieu; cherchez les choses

du ciel et non celles de la terre. Car vous êtes morts, et votre vie est cachée avec Jésus-Christ en Dieu (1) ». En vivant de cette vie qui est cachée avec Jésus-Christ en Dieu, nous ne siégeons pas dans le conventicule de la vanité; car, comme l'a dit l'Apôtre : « Il vous a ressuscités avec lui, et il vous a fait asseoir avec lui dans le ciel (2) ». Ceci toutefois n'est encore qu'une espérance et non une réalité. « Or, l'espérance qui se voit n'est point une espérance; est-ce que nous espérons ce que nous voyons? Si donc nous espérons ce que nous ne voyons pas, nous en attendons la réalisation par la patience (3) ». Nos malheureux adversaires ont perdu cette patience; de là cet empressement prématuré à se séparer de la paille et à prouver qu'ils n'étaient eux-mêmes qu'une paille légère que le vent a chassée de l'aire. Recueillons cette parole du Sage : « Celui qui m'écoute habitera dans l'espérance; sans crainte et sans faiblesse il gardera le silence au milieu des méchants (4) ». Puisque nous ne sommes encore que dans le séjour de l'espérance, pensons, non pas à ce que nous sommes, mais à ce que nous serons. « Nous sommes, il est vrai, les enfants de Dieu, mais nous n'avons pas encore vu ce que nous serons; quand nous l'aurons vu, nous lui serons semblables, parce que nous le contemplerons comme il est en lui-même (5) ». Habitons dans cette espérance, et comme les méchants en sont exclus, nous n'aurons à souffrir ni les conventicules de la vanité, ni les méchants, ni les pécheurs, ni les impies. Il n'en est pas de même dans notre condition présente; membres de l'Eglise catholique répandue sur toute la terre, nous aurons toujours à souffrir de notre mélange avec les pécheurs, jusqu'à ce.que toute iniquité disparaisse, jusqu'à ce que vienne le temps de la moisson pour arracher la zizanie (6), jusqu'à ce que la purification suprême sépare la paille du froment (7), jusqu'à ce que, sur le rivage, les bons poissons soient séparés de tous les mauvais et délivrés des filets qui les enveloppaient tous indistinctement (8), jusqu'à ce que les boucs soient séparés des brebis avec lesquelles ils paissaient sous la conduite d'un même

 

1. Coloss. III, 1-3. — 2. Ephés. II, 6. — 3. Rom. VIII, 24, 25. — 4. Prov. I, 33. — 5. I Jean, III, 12. — 6. Matt. XIII, 30. — 7. Id. III, 12. — 8. Id. XIII, 48.

 

pasteur, et rejetés à la gauche du souverain Juge (1).

XXVIII. L'unité ne peut donc jouir de la sécurité qu'eu se fondant sur les promesses de Dieu à son Eglise qu'il a fondée sur la montagne afin qu'elle fût visible pour tous. II faut donc que cette Eglise soit connue de toutes les parties de la terre. Dès lors, s'il est pour nous une vérité nécessaire et infaillible, c'est que les bons ne doivent jamais se séparer de cette Eglise; dussent-ils supporter la présence de pécheurs qui leur sont connus comme tels, et quelque part qu'ils habitent, jamais la présence de ces pécheurs ne justifierait le schisme sacrilège qu'ils consommeraient en se séparant témérairement des bons qu'ils ne connaissent pas et que l'on rencontre partout. Dès lors, toutes les fois qu'il est question d'un schisme présent, passé ou futur, lors même que toutes les contrées lointaines en ignoreraient l'existence ou la cause, pourvu qu'elles demeurent dans les liens de l'unité universelle, on peut être assuré que les auteurs de ce schisme n'ont pu accomplir leur oeuvre sacrilège que sous le coup des fureurs de l'orgueil, ou des ravages cruels de l'envie, ou de la corruption du siècle, ou de la perversité de la chair et des sens. Telles sont les causes ordinaires qui expliquent pourquoi trop souvent les bons sont calomnieusement accusés de crimes infâmes, pourquoi- le mal dont on les accuse est l'objet d'une crédulité si facile, pourquoi les méchants dont la présence tolérée dans un esprit de paix ne cause aucune souillure aux justes, troublent eux-mêmes la paix des bons, s'en séparent criminellement, et persécutent sans relâche le froment. Voilà enfin ce qui nous explique pourquoi des hommes osent usurper avant la moisson le rôle que doivent à la moisson remplir les anges.

XXIX. Dans un tel état de choses, si l'on invite ces schismes impies, ces hérésies sacrilèges à profiter des fléaux dont Dieu les frappe pour rentrer dans le bon chemin, on les voit aussitôt se faire des châtiments dus à leur fureur comme autant de titres, au martyre. Telle est aussi la pensée de Parménien, car vers la fin de sa lettre, il exhorte Tichonius à persévérer dans le donatisme et à souffrir la persécution. Voici ses paroles : « Ils ne doivent pas s'unir de volonté à ceux dont ils sont restés

 

1. Matt. XXV, 33.

 

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séparés, malgré la violence de la persécution ». Il invoque, à l'appui, ce passage de l'Ecriture : « Malheur à ceux qui ont perdu patience et se sont jetés dans des chemins pervers ! Que feront-ils, quand le Seigneur examinera leurs voies (1) ? » C'est là une preuve nouvelle du besoin qui le presse de citer l'Ecriture, quoique chacun de ses oracles soit pour eux une condamnation. Si quelqu'un a perdu patience, ne sont-ce pas ceux qui, après avoir chargé de crimes, qu'ils n'ont pu prouver, certains de leurs frères, n'ont pu les tolérer dans la paix de Jésus-Christ; ceux qui, réfléchissant plus tard que leur secte ne devait pas se dissoudre dans de nombreuses ramifications, se sont crus obligés de recevoir parmi eux et de tolérer, pour la paix de Donat, des hommes qu'ils avaient solennellement condamnés pour crime manifeste de sacrilège? Ce qu'ils ont eu à souffrir, de la part de Maximien, les a convaincus de l'impiété de leur conduite; qu'ils le sachent donc pour ne l'oublier jamais. Mais les raisons qui les pressent de se convertir sont d'une telle évidence, qu'ils n'ont plus qu'à en rougir ; d'ailleurs, après avoir refusé de se soumettre aux ordres des empereurs, ne craignent-ils pas, en se convertissant, de paraître renoncer aux mérites qu'ils se flattent d'avoir acquis par les souffrances auxquelles ils ont été soumis ? Mais en vérité, ne serait-il pas plus sage de renoncer à ces prétendus mérites que de s'exposer eux-mêmes à une perte certaine? Que dans la résistance aux ordres d'un empereur, ils croient voir une certaine force d'âme, c'est possible, quoique cependant il y ait là plutôt un vain simulacre de force qu'une réalité; mais à qui pourra-t-on persuader que l'on s'acquiert un titre à la gloire humaine en se mettant en contradiction avec l'évidence même de la vérité ?

Pourquoi citer, les yeux fermés, un si grand nombre de témoignages de l'Ecriture, sauf à les rejeter quand on leur a prouvé que, bien compris, ils se retournent contre eux? Dût-on même accepter l'interprétation qu'ils en donnent, ces passages suffiraient encore pour constater la perversité de leur coeur. N'est-il pas écrit : « N'opposez de contradiction d'aucune sorte à la vérité (2) ? » Or, n'est-ce pas contredire la vérité que de résister aux ordres légitimes d'un chef? D'un autre

 

1. Eccli. II, 16, 17. — 2. Id. IV, 30.

 

côté, un roi qui menace ou qui punit, ne laisse pas que d'être un fardeau pour un temps; il n'en est pas de même de ce roi qui se proclame la vérité même et leur crie par son prophète : « J'ai frappé vos fils en vain, ils n'ont pas reçu la discipline (1) ». Si donc, dans sa miséricorde, Dieu nous avertit maintenant par l'organe des puissances humaines, c'est afin de n'avoir pas à nous frapper au dernier jour, et de ne pas laisser aux orgueilleux la triste ressource de se vanter de leur condamnation. Sous les coups de la vengeance des rois, l'obstination des hommes peut vouloir se donner le nom de force; mais il n'y aura jamais de force à brûler dans les flammes éternelles. En enfer, il ne sera plus possible de oindre sa tête de l'huile de l'adulation, il n'y aura plus personne pour couronner de fleurs les damnés et les endormir en leur disant : C'est bien, c'est parfait ; jureront-ils par leurs cheveux blancs, ceux qui n'ont jamais eu la tête saine; jureront-ils par leurs coassociés, ceux qui n'ont jamais connu les voies de la paix? On aura vu sur la terre de ces multitudes se séparer de l'unité de Jésus-Christ, pour ne plus s'abriter que sous leur propre nom; puis, quand elles ont à subir les, châtiments mérités par leur schisme, elles se décernent la palme des martyrs, et célèbrent pompeusement le jour de leur mort, au milieu d'une foule de furieux. Dans ce nombre, il faut ranger tous ceux qui, sans être poursuivis par personne, se précipitent du h ut des montagnes dans la profondeur des abîmes, afin de terminer une vie mauvaise par un mort encore plus criminelle. Mais, au dernier jour, ils ne trouveront plus de ces multitudes insensées auxquelles ils puissent dire : Nous sommes justes, puisque nous souffrons persécution; on ne trouvera plus de ces aveugles auxquels on puisse vendre une pierre pour une.perle précieuse, c'est-à-dire la dureté charnelle pour la patience spirituelle. On n'en trouvera plus qui récitent le nom des princes de leur fureur, à des autels qu'ils ont soustraits à l'unité du Christ, ou qu'ils ont érigés sous le nom du Christ et contre le Christ lui-même. Et c'est pour mériter ces récompenses que, voulant avoir ce qu'ils désirent vendre, ils soulèvent contre eux, par la perversité de leur coeur, la sévérité des puissances humaines, pour empêcher que ceux qu'ils

 

1. Jérém. II, 30.

 

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séduisent et qui se croient justes, ne rentrent sérieusement en eux-mêmes et ne se demandent ce qui peut leur attirer ces souffrances, dont ils se glorifient comme d'un titre de justice. Le langage que tient Parménien à Tichonius, au sujet des persécutions à subir et de la gloire qu'on s'acquiert par la patience, s'ils y avaient quelque peu réfléchi, ils auraient compris que ç'est le même langage qui est tenu par les hérétiques contre lesquels les rois ont également à sévir. C'est aussi le langage qu'adressait à ses fidèles de Membrésitanum l'évêque Salvius, que les Abitiniens avaient couvert d'affronts et d'outrages et chassé de son siége. Ces malheureux n'étaientils pas allés jusqu'à suspendre à son cou des cadavres de chiens crevés, et ne se livrèrent-ils pas avec lui à des chants honteux et à des danses profanes? Avec quelle éloquence ne dut-il pas leur dépeindre les souffrances dont il avait été la victime, puisque, malgré leur pauvreté, il sut obtenir d'eux les fonds nécessaires pour se construire une nouvelle basilique? Quels éloges ne fit-il pas de la justice, pour laquelle il avait mérité de subir toutes ces tortures? Il se décernait la couronne des saints, parce qu'il avait souffert; et il flétrissait de la plus criante iniquité ceux qui l'avaient persécuté. On cite la cruauté inouïe de certains tyrans de la Toscane qui attachaient des hommes vivants sur des cadavres en putréfaction, en ordonnant toutefois que ce fussent des cadavres humains; quant à lier des hommes et surtout des évêques à des chiens crevés, je ne sais si pareil fait a été accompli ou seulement raconté. Personne n'ignore que les évêques prohibent les danses honteuses; a-t-il jamais été dit que des hommes appelés comme auxiliaires par des évêques, aient dansé avec eux? Peut-être Salvius n'était-il pas alors évêque, parce que sa condamnation est prononcée dans le concile de Bagaïum? Que ne s'est-il donc, par la suite, réconcilié avec Primianus, comme l'a fait Félicianus; car après avoir été condamné « par sentence véridique du Concile (1)», il aurait été reconnu comme évêque? Ou bien refuserait-on de le reconnaître, parce que si fon peut être purifié, comme Félicianus, des souillures d'un schisme sacrilège, on ne saurait l'être de celles qu'on a contractées en portant des chiens suspendus à son cou? Je voudrais savoir ce qu'ils peuvent répondre

 

1. Virg., Enéide, liv. VIII, V. 484-487.

 

à ces faits certains, publics et tout récents, eux qui nous attaquent sans cesse de leurs anciennes calomnies. Si quelqu'un d'entre eux me soupçonne de fausseté, il lui est bien facile de se transporter à Membrésitanum, de s'y enquérir de ces faits et de les justifier, s'il le peut. S'il répond que ces traitements n'étaient que justice à l'égard de ceux que trois cent dix évêques Donatistes avaient condamnés, qu'ils ne s'étonnent pas que certains châtiments pèsent parfois sur des hommes condamnés comme schismatiques, non pas seulement par trois cent dix évêques, mais par l'univers tout entier. S'il répond que Salvius n'eut à subir que des peines très-légères, je demande à faire une supposition. Si l'empereur avait condamné, un évêque donatiste à danser, en menaçant, s'il refusait, de le jeter aux bêtes ou au feu, et que l'évêque, plutôt que de danser, préférât subir tous les châtiments possibles, est-ce que les Donatistes n'élèveraient pas au rang des martyrs un évêque qui aurait subi ces affreux traitements? Salvius a donc plus souffert, parce qu'on a dansé avec lui, qu'il n'aurait souffert, s'il eût été brûlé vif. Qu'on propose à un homme le choix, non pas de danser lui-même, mais de danser avec lui, ou d'être brûlé vif, quel, pensent-ils, serait son choix? Mais ne me répondra-t-il pas que les Primianistes n'ont obtenu du proconsul d'autre faveur que celle qui autorisait les Abitiniens à chasser Salvius de sa basilique, et qu'ils portent seuls la responsabilité des cruautés et des turpitudes qu'ils lui ont fait subir? Alors qu'il se dise à lui-même que les catholiques n'ont pu obtenir des empereurs d'autre pouvoir que celui de chasser les hérétiques des basiliques qu'ils occupaient dans un schisme sacrilège; que, du reste, même en écartant toute complicité de la part de la puissance royale, les abus auxquels ils ont pu se livrer ne sont que douceur et aménité en comparaison des traitements indignes que les Abitiniens, sans aucune délégation royale, ont fait subir à Salvius de Menlbrésitanum. Qu'ils pèsent bien toutes ces considérations et qu'ils sachent d'abord ce qu'ils doivent faire, et ensuite 'quels châtiments ils méritent. En s'obstinant à fermer les yeux sur leurs actes, pour ne les ouvrir que sur les peines qui leur sont infligées, ils s'exposent à subir, sans aucun fruit, ces maux temporels et à se voir frappés des supplices éternels, au (66) suprême jugement de Dieu qui ne les infligeait temporellement que pour opérer leur salut et leur conversion. Je néglige le passé et les séductions de toute sorte employées par eux pour tromper les faibles : je me contente du présent que je veux faire toucher du doigt. Après avoir été solennellement condamnés, les Maximianistes sont parfaitement réintégrés, et des nations tout entières sont accusées sans être ni connues ni entendues. On confirme le baptême des Maximianistes, et celui des nations est annulé. Voici les Assuritains, voici les Mustitains, voici Prétextat mort depuis peu, voici Félicianus encore plein de vie, voici le nom de ceux dont la condamnation, au concile de Bagaïum, nous est attestée par les actes proconsulaires, voici ces actes eux-mêmes encore tout récents et enregistrés en leur présence; est-ce que ces témoins et ces actes ne nous disent pas clairement ce qu'a été le Donatisme depuis son origine ? Tant de crimes et de perversité devaient-ils rester impunis? Libre à eux de ne pas profiter de ces châtiments pour se convertir, mais du moins, qu'ils ne s'en glorifient pas !

 

Traduction de M. l'abbé BURLERAUX
 
 

source: http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin/index.htm

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