DISCOURS SUR LE PSAUME CVI.
LES ÉTAPES DE L’ÂME CHRÉTIENNE.
Le titre du psaume Alleluia doit être toujours soit en notre bouche
soit en notre coeur, et la confession qui en est le refrain doit avoir
pour objet la divine miséricorde qui nous donne la vie durable des
anges. Le peuple d’Israël ne doit point seul chanter ce cantique;
il est le chant de tous ceux que Dieu a rachetés de la puissance
de leurs ennemis, et qu’il a rassemblés de toutes les nations en
les faisant passer par la mer Rouge du baptême, qui engloutit nos
péchés. Quatre fois en effet nous y trouvons la recommandation
de confesser la louange de Dieu , ce qui désigne les quatre étapes
de l’âme se dirigeant vers le Seigneur, et dès lors les quatre
épreuves. La première est celle de l’erreur et de la faim;
l’homme ne sait où il doit aller, et il est affamé de vérité.
La seconde est la difficulté de faire le bien, et Dieu nous en délivre
en brisant les chaînes de nos passions. La troisième est celle
de l’ennui ou du dégoût de la parole de Dieu. La quatrième
est celle du gouvernement des âmes; épreuve des princes de
l’Eglise, tandis que les autres Sont communes aux fidèles. — Ainsi,
dans la première épreuve, les Hébreux, qui figuraient
les chrétiens, furent affamés, errants dans le désert;
ils invoquèrent le Seigneur qui les délivra, les mit sur
le chemin droit. Mais sur ce chemin du bien l’âme éprouve
la difficulté de le faire, car la connaissance du précepte
multiplie le péché; qu’elle crie vers le Seigneur qui brisera
ses fers. Vient alors le dégoût dont le Seigneur guérit
son peuple en lui envoyant son Verbe, et ils publièrent ses oeuvres
dans une sainte joie. La quatrième est un danger pour ceux qui sont
dans la barque, trafiquant sur les grandes eaux, et pour ceux qui la conduisent.
Tous doivent en appeler au Seigneur. Mais la tempête durera
jusqu’à la fin des siècles. Combats au dehors, craintes an
dedans, voilà le chrétien. Le Seigneur seul peut commander
à l’orage; et dès lors ne mettons point notre confiance eu
nous-mêmes. Le peuple Juif fut arrogant et Dieu lui retira la prophétie
, le sacerdoce , etc. Ainsi en est-il des hérétiques se séparant
de l’unité ; leurs princes sont frappés d’anathème,
tandis que leurs questions insidieuses servent à manifester la vérité.
Le vrai sage comprendra tout cela, mettra sa confiance dans le Seigneur
et non dans ses propres mérites.
1. Ce psaume nous met en relief les divines miséricordes que
nous avons éprouvées, et que dès lors cette expérience
nous a rendues plus chères. Je m’étonnerais même, s’il
pouvait plaire à d’autres qu’à ceux qui ont éprouvé
ce que le Prophète y raconte. Toutefois, il n’est écrit ni
pour un homme, ni pour deux hommes, mais pour tout le peuple de Dieu, qui
doit s’y contempler comme dans un miroir. Nous n’avons pas à traiter
ici du titre qui est Alleluia, et encore une fois Alleluia. C’est notre
cantique habituel, en certains jours de nos solennités, selon l’antique
usage de l’Eglise, et ce n’est pas sans mystère que nous le chantons
en certaines occasions. Il est en effet des jours où nous chantons
Alleluia, mais nous y pensons tous les jours de notre vie. Ce mot veut
dire, en effet, louange à Dieu, et s’il n’est toujours dans la bouche
du corps, il est au moins dans la bouche du coeur : « Toujours sa
louange est en ma bouche 1 ». La répétition de
l’Alleluia, dans le titre, n’est point particulière à ce
psaume; nous la trouvons aussi dans le psaume précédent.
Et autant que l’on peut en juger par le texte, l’un est le chant du peuple
d’Israël, et l’autre est le chant de
1. Ps. XXXIII, 2.
toute l’Eglise de Dieu répandue dans toute la terre. Car ce n’est
probablement pas sans raison qu’il y a ici un double Alleluia, de même
que nous disons: «Abba, Pater», quand Abba n’a d’autre sens
que Pater, et pourtant ce n’est pas en vain que l’Apôtre a dit :
« C’est en lui que nous crions : Abba, Pater; Père, «
Père 1 »; c’est peut-être parce que l’une des murailles
qui vient à la pierre angulaire crie : Abba, et que l’autre, qui
vient d’une direction différente, crie : Pater, et c’est en cette
pierre angulaire, qui est notre paix, que Dieu n’a fait qu’un seul peuple
2. Voyons donc les avis que l’on nous donne ici, et nos motifs de joie,
et nos motifs de gémissements, et nos motifs d’implorer du secours,
ce qui porte Dieu à nous abandonner, et ce qui le porte à
nous secourir, ce que nous sommes par nous-mêmes, ce que nous sommes
par la divine miséricorde , et comment notre orgueil peut être
dompté, afin qu’ensuite la grâce nous glorifie. Que chacun
cherche en lui-même, s’il est possible, ce que je vais dire, car
je parle à des hommes qui marchent dans la voie de Dieu, et qui
sont avancés dans la voie spirituelle. Si donc il en est qui, pour
ce motif, comprennent peu mes paroles,
1. Rom. VIII, 5. — Ephés. II, 14, 20.
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qu’ils reconnaissent leur faiblesse , et se hâtent d’arriver à me comprendre. J’espère néanmoins que Dieu soutiendra mes efforts, de manière que mes paroles deviennent intelligibles pour tous, tant pour ceux qui ont l’expérience que pour ceux qui ne l’ont point, de sorte que je stimulerai l’approbation des premiers, le désir des seconds, et que tous suivront avec intérêt mon discours. Tout d’abord, si je suis dans le vrai, ce discours sera agréable au Seigneur; et je dirai vrai, si je parle de lui-même, et non de moi. Ainsi commence le psaume.
2. « Confessez au Seigneur qu’il est doux, et que sa miséricorde est éternelle 1 ». Voilà ce qu’il faut confesser, c’est que le Seigneur est doux : confessez-le, si vous l’avez goûté. Mais quiconque n’a point voulu l’éprouver ne saurait le confesser. Comment appeler doux ce que l’on ne connaît pas? Mais vous, si vous avez goûté combien le Seigneur est doux 2, « Confessez au Seigneur qu’il est doux ». Si vous l’avez goûté avidement, que cette confession soit comme une exhalaison dans votre bouche. « Sa miséricorde est pour le siècle », c’est-à-dire éternelle. Cette expression, en effet: In saeculum, est mise ici, parce que dans l’Ecriture: In saeculum, en grec eis aiona, signifie éternellement. Car la divine miséricorde n’est pas pour un temps, mais pour l’éternité; cette miséricorde ne se répand sur les hommes qu’afin de leur donner la vie éternelle des anges.
3. « Qu’ils parlent, ceux qu’a rachetés le Seigneur 3 ».
On peut croire, il est vrai, que le peuple d’Israël a été
racheté de l’Egypte, de la puissance de l’esclavage, des travaux
inutiles pour lui, travaux de briques; voyons néanmoins si c’est
l’Israël délivré de l’Egypte par le Seigneur, qui doit
chanter ce cantique. Il n’en est pas ainsi. Qui donc doit le chanter? «
ceux que Dieu a rachetés de la main des ennemis ». A la rigueur
on pourrait encore les considérer comme rachetés de la puissance
de leurs ennemis, ou des Egyptiens. Que le psaume nous marque lui-même
avec précision à qui appartient ce cantique. « Il les
a rassemblés de toutes les régions ». On peut encore
dire des régions de l’Egypte, car il y avait plusieurs régions
dans une seule province. Que le Psalmiste nous dise alors plus clairement:
« De l’Orient et de l’Occident, de
1. Ps. CVI, 1. — 2. I Pierre, II, 3.— 3. Ps. CVI, 2.
l’Aquilon et de la mer 1». Nous comprenons déjà que ces peuples délivrés subsistent dans l’univers entier. Tel est vraiment le peuple de Dieu délivré des vastes régions de l’Egypte, et conduit comme à travers la mer Rouge 2, pour mettre fin à ses ennemis dans le baptême. Car la mer Rouge n’est qu’une figure, et nos péchés, qui nous poursuivent comme les Egyptiens, sont noyés dans le baptême que consacre le sang du Christ; et au sortir de ces eaux nul des ennemis qui t’opprimaient ne demeure en vie. Que ceux-là donc chantent notre psaume : et pour nous, mes frères, puisque tel est le peuple de Dieu que l’on conduit, écoutons ce que l’on fait dans cette assemblée rachetée par le Christ. Toutefois ce que l’on chante ici n’arrive pas en même temps dans tous ceux qui croient, mais simplement dans chaque particulier: mais il en était autrement du peuple d’autrefois. Ce peuple, en effet, cette nation tout entière, issue d’Abraham selon la chair, toute cette nombreuse maison d’Israël fut tirée de l’Egypte une fois, conduite une fois à travers la mer Rouge, et mise une fois en possession de la terre promise; car ils étaient tous ensemble au milieu de ces événements : « Or, ces événements étaient pour eux des figures, ils ont été consignés pour nous servir d’instructions à nous qui vivons à la fin des temps 3». Pour nous, ce n’est point tous ensemble, mais peu à peu et chacun en particulier, que la foi nous réunit en une même cité, en un même peuple de Dieu. Et toutefois ce qui est marqué dans ce psaume arrive en chacun de nous, et en même temps dans le peuple, car le peuple est composé des particuliers, et non les particuliers formés du peuple. Un homme est-il, en effet, composé d’un peuple? tandis qu’un peuple se compose d’hommes en particulier. O toi donc, qui que tu sois, qui reconnais en toi ce que je vais dire, qui l’as éprouvé, ne demeure pas en toi-même et ne t’imagine pas être le seul pour éprouver tout cela, mais sois convaincu qu’il en est de même pour tous, ou du moins peu s’en faut, pour tous ceux qui viennent s’unir à ce peuple, et qui sont rachetés des mains de leurs ennemis, par le sang précieux du Christ.
4. Ce psaume en effet va répéter continuellement ce que
nous avons chanté tout à l’heure: « Qu’ils confessent
au Seigneur ses
1. Ps. CVI, 3. — 2. Exod. XIV, 12.— 3. I Cor. X, 11.
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miséricordes, et ses merveilles pour les enfants des hommes». Autant que j’ai pu le voir, et que vous le pouvez vous-mêmes, ces versets sont répétés quatre fois, et ce nombre, autant que Dieu me l’a fait comprendre, désigne quatre tentations, dont nous sommes délivrés par celui que chantent ses miséricordes. Donnez-moi, en effet, un homme tout d’abord peu soucieux de rien, vivant selon le vieil homme dans une sécurité trompeuse, persuadé qu’il n’y a plus rien après cette vie qui doit finir, un homme négligent et paresseux, dont le coeur est absorbé dans les délices du monde et dans l’assoupissement, dans les plaisirs empoisonnés : pour que cet houa me se réveille et devienne soucieux de la grâce de Dieu, afin qu’il sorte de son assoupissement, ne faut-il pas que la main de Dieu vienne le secouer? Toutefois il ne sait encore qui l’a réveillé. Mais il commence à être à Dieu, dès qu’il connaît la foi véritable. Néanmoins, avant de la connaître, il déplore son erreur. Il reconnaît ses égarements, il veut connaître la vérité, il frappe où il peut, tente ce qu’il peut, erre où il peut, pressé qu’il est par la faim de la vérité. La première épreuve de l’homme est donc celle de l’erreur et de la faim. Lorsque fatigué de cette épreuve il crie vers Dieu, il est conduit à la voie de la vérité, d’où il peut arriver à la cité du repos, il est donc amené au Christ, qui a dit: « Je suis la voie 1 ».
5. Quand l’homme en est là, quand il sait déjà
ce qu’il doit observer dans sa conduite, parfois il compte beaucoup sur
lui-même, et, présumant de ses forces, il se prend à
vouloir combattre ses péchés, et son orgueil entraîne
sa défaite. Il se trouve donc lié par les chaînes de
ses passions, qui entravent sa marche et l’arrêtent dans la voie:
il se sent resserré par ses propres vices; l’impossibilité
le retient comme une muraille dont toute issue est close, et d’où
il ne peut s’échapper pour vivre saintement. Il sait comment il
doit vivre : car il était naguère dans l’erreur ayant faim
de la vérité : le pain de la vérité il l’a
reçu, et il a été placé sur la voie; il entend:
Vis bien à l’avenir, comme tu le fais, car auparavant tu ne
connaissais pas la vie sainte; agis maintenant que lu l’as apprise. Il
essaie, niais vains efforts ! Il se sent garrotté, et pousse des
cris vers le Seigneur. La seconde épreuve lui vient
1. Jean, XIV, 6.
donc de la difficulté de faire le bien, comme la première est celle de l’erreur et de la faim. Ici encore l’âme pousse des cris vers le Seigneur, et le Seigneur la délivre de ses entraves; il brise les liens qui la retiennent, il la met en état de faire le bien. Ce qui lui était difficile auparavant, lui devient facile: s’abstenir du mal, éviter l’adultère, ne commettre ni vol, ni homicide, ni sacrilège, ne désirer plus le bien d’autrui, toutes choses autrefois difficiles, sont faciles aujourd’hui. Dieu pouvait nous faire arriver là sans peine, mais si nous y étions arrivés sans peine, nous n’aurions point de reconnaissance pour l’auteur d’un si grand don. Si l’homme se trouvait en cet état dès son premier désir, s’il ne sentait la révolte des passions, si l’âme n’était brisée sous le poids de ses chaînes; il en viendrait à n’attribuer qu’à ses propres forces le bien dont il se croirait capable, et ne confesserait point devant le Seigneur ses miséricordes.
6. Après ces deux épreuves, l’une de l’erreur et de la
disette de la vérité, l’autre de la difficulté de
faire le bien, il en survient pour l’homme une troisième: je m’adresse
à celui qui a déjà surmonté les deux premières,
lesquelles sont,je l’avoue ,communes à beaucoup. Qui ne sait qu’il
a passé de l’ignorance à la connaissance de la vérité,
de l’erreur à la bonne voie, de la faim de la sagesse à la
parole de la foi? De même, il en est beaucoup qui sont aux prises
avec les difficultés de leurs vices, qui sont garrottés par
les habitudes, et gémissent dans leurs entraves comme dans les fers.
Ils connaissent donc cette épreuve, bien qu’ils disent déjà,
si tant est qu’ils le disent : « Malheureux homme que je suis, qui
me délivrera du corps de cette mort 1 ? » Vois en effet ces
liens si resserrés : « La chair », dit l’Apôtre,
« conspire contre l’esprit, et l’esprit contre la chair, de sorte
que vous ne faites point ce que vous voulez 2». Celui-là
dès lors qui est soutenu par l’esprit ail point de n’être
plus adultère parce, qu’il n’a point voulu l’être, ni voleur,
parce qu’il n’a point voulu l’être, et ainsi des autres vices que
les hommes voudraient surmonter, et qui les surmontent bien souvent, de
manière que les hommes crient vers le Seigneur, le supplient de
les délivrer des angoisses où ils se trouvent, en sorte qu’une
fois délivrés, ils confessent au Seigneur ses miséricordes;
quiconque, dis-je,
1. Rom. VII, 24. — 2. Gal. V, 17.
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est parvenu à vaincre ces difficultés, et à vivre parmi les hommes d’une manière irréprochable, celui-là arrive à la troisième épreuve, qui est l’ennui de demeurer longtemps en cette vie, de manière à ne goûter aucun plaisir, pas même dans la prière. Cette troisième épreuve est donc contraire à la première: dans l’une, c’était la faim ; dans l’autre, c’est le dégoût. D’où vient ce dégoût, sinon d’une certaine langueur de l’âme? Sans avoir de l’inclination pour l’adultère, on ne trouve aucun goût dans la parole de Dieu. Après avoir échappé au danger de l’ignorance et de la convoitise, garde-toi de la plaie de l’ennui et du dégoût. Ce n’est point là une légère épreuve: sache te reconnaître dans ce danger, et crier vers le Seigneur, afin qu’il te délivre de tous tes dangers;et une fois que tu seras sorti de ces entraves, que ses miséricordes le confessent à jamais.
7. Une fois délivré de l’erreur, délivré de la difficulté de faire le bien, délivré de l’ennui et du dégoût de la parole de Dieu, peut-être alors seras-tu digne aux yeux de Dieu, qui voudra bien te confier son peuple, te placer au gouvernail de sa barque, et te donner la conduite d’une Eglise. Telle est la quatrième épreuve. Les flots de la mer, qui viennent battre l’Eglise, bouleversent le pilote. Tout homme pieux dans le peuple de Dieu peut subir les trois autres épreuves : la quatrième est plus spécialement la nôtre, Plus nous sommes en honneur, plus nous sommes en péril, On peut craindre pour chacun de vous que l’erreur ne le détourne de la vérité; on peut craindre qu’il ne succombe à ses passions, et qu’il ne préfère leur obéir plulôt que d’en appeler au Seigneur dans ses dangers; on peut craindre qu’il ne prenne à dégoût la parole de Dieu, et que ce dégoût ne lui donne la mort: mais l’épreuve du gouvernement est une épreuve dangereuse dans la direction d’une Eglise, et qui nous regarde principalement. Et vous, comment seriez-vous étrangers au péril qui menacerait l’Eglise ? Je fais cette question afin que dans cette quatrième tentation, qui semble nous être plus particulière, et qui demande néanmoins de continuelles prières de votre part, puisque vous seriez les premiers exposés au naufrage, vous ne soyez point sans inquiétudes, et que vous ne ralentissiez point vos prières pour nous. Pour n’être point assis avec nous au gouvernail, en êtes-vous moins dans le même navire?
8. Après ces quatre épreuves, après ces quatre cris vers Dieu, après ces quatre délivrances, après ces quatre confessions des divines miséricordes, le psaume traite en général de l’Eglise dans la suite des siècles, afin de vous faire comprendre de quelle Eglise il parlait au commencement. Le Prophète en parle de manière à nous révéler partout la miséricorde de Dieu, « qui résiste aux superbes et donne la grâce aux humbles 1»; parce qu’il est venu précisément « afin que ceux qui ne voient point voient, et que ceux qui voient deviennent aveugles 2; car tonte vallée sera comblée, toute montagne et toute colline sera abaissée 3 ». Après avoir parlé de l’Eglise, le Prophète nous tient un langage que l’on peut appliquer même aux hérétiques, qui font à cette Eglise comme une guerre civile, Ainsi finit le psaume que j’ai exposé d’une manière plus courte sars doute que vous ne l’attendiez. Et il me semble que je l’ai tellement expliqué, nonobstant sa longueur, que si vous retenez ce que j’ai dit, mon rôle sera plutôt celui de lecteur que celui de commentateur. Vous avez sans doute mes paroles devant les yeux, mais reprenons-les succinctement afin de les mieux graver. La première épreuve est celle de l’erreur, d,e la faim de la vérité; la seconde est la difficulté de vaincre ses passions; la troisième celle de l’ennui et du dégoût; la quatrième est la tempête qui menace du périt ceux qu gouvernent l’Eglise : et dans toutes ces épreuves, on crie vers Dieu, Dieu délivre, et l’on chante ses miséricordes. A la fin, le Prophète nous parle de l’Eglise, qui est sauvée par la grâce de notre Dieu, et non par ses propres mérites; il nous montre ses ennemis châtiés de leur orgueil, et l’Eglise s’élevant sur leurs ruines; il signale chez les hérétiques les piéges qui nous enlèvent quelques fidèles, et nous font essuyer des pertes en quelque sorte domestiques, les biens que Dieu en a tirés en faveur de son Eglise; puis vient la conclusion du psaume. Ecoutez-en la lecture plutôt que l’explication.
9. « Qu’ils parlent, ceux que le Seigneur a rachetés, qu’il
a délivrés de la puissance de leurs ennemis, qu’il a rassemblés
des pays lointains, de l’Orient et de l’Occident, de
1. Jacques, IV, 6. — 2. Jean, IX, 32. — 3. Isa. XL, 4.
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l’Aquilon et de la mer ». Que tel soit donc le cantique des chrétiens, rassemblés de l’univers entier, « Ils ont erré dans le désert, dans les lieux arides, sans trouver le chemin d’une habitation ». Telle est l’épreuve d’un douloureux égarement: que va-t-il dire de l’indigence? « Ils souffrirent de la faim et de la soif, leur âme est tombée en défaillance 1». Mais d’où vient cette défaillance? Quel bien Dieu voulait-il en tirer? Car Dieu n’est point cruel; mais il se montre, ce qui est un bien pour nous, afin que nous l’invoquions dans nos défaillances, et que nous l’aimions quand il nous soutient. De là vient, qu’après ces égarements, après cette faim et cette soif, « les Hébreux crièrent vers le Seigneur dans leurs tribulations, et il les délivra de leurs misères ». Que fit-il en faveur de ceux qui étaient égarés? « Il les conduisit dans la voie droite ». Ils ne trouvaient le chemin d’aucune ville qu’ils pussent habiter, haletants de faim et de soif, ils tombaient en défaillance alors « il les conduisit dans la voie droite, afin qu’ils arrivassent à la ville qu’ils devaient habiter ». Le Prophète ne dit pas encore comment Dieu subvint à leur faim et à leur soif, mais attendez quelque peu. «Qu’ils confessent au Seigneur ses miséricordes, et ses merveilles envers les enfants des hommes ». Vous qui avez éprouvé ses bontés, dites-les à ceux qui ne les ont pas éprouvées. Vous qui êtes sur la voie, qui vous dirigez vers la cité que vous devez habiter, vous qui avez échappé à la faim et à la soif, confessez « que le Seigneur a rassasié l’âme affaiblie, qu’il e a rempli de biens l’âme affamée 2 ».
10. Que ta vie soit donc sainte, maintenant que tu es sur la voie, que
tu as entendu ce qu’il te faut faire et espérer. Où peuvent
aboutir vos efforts toujours vaincus ? « Ils étaient assis
dans les ténèbres et à l’ombre de la mort, accablés
de chaînes et de misères 3 ». Pourquoi cette misère,
sinon parce que tu t’attribuais tes mérites sans reconnaître
la grâce de Dieu, parce que tu rejetais ses desseins sur toi? Vois
en effet ce qu’ajoute le Prophète: « Parce qu’ils aigrirent
la parole du Seigneur ». Parce que, dans leur orgueil et dans leur
ignorance de la justice de Dieu., ils s’efforcèrent d’établir
la leur 4; « Ils méprisèrent le conseil du Tout-Puissant,
et leur coeur fut abattu dans leurs travaux 5 ». Et
1. Ps. CIV, 4, 5.— 2. Id. 6-9.— 3. Id. 10.— 4. Rom. X, 3.— 5. Ps. CVI,
11, 12.
maintenant livre bataille à tes convoitises. Sans le secours de Dieu, tu pourras faire des efforts, tu ne saurais vaincre. Et quand tu gémiras sous le poids de tes habitudes dépravées, ton coeur sera humilié dans le labeur; en sorte que dans cette humiliation de coeur tu apprendras à crier: « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera du corps de cette mort 1? Leur coeur dès lors a été humilié dans les travaux; ils se sont affaiblis et nul ne les secourait ». Que faire alors, sinon ce qui eut lieu? « Si la loi, qui fut donnée, eût pu nous communiquer la vie, assurément la justice viendrait de la loi. Mais l’Ecriture a tout renfermé sous le péché, afin que la promesse du Seigneur s’accomplît par la foi en Jésus-Christ, à l’égard de ceux qui croiront 2. Mais « la loi est entrée, en sorte que le péché s’est multiplié 3». Tu as donc reçu la parole divine, tu as reçu le précepte, et tu ne cesses point de commettre le mai que tu faisais auparavant ; la connaissance du précepte multiplie chez toi le péché par la prévarication. Orgueilleux, si tu t’ignorais alors, maintenant que tu es humilié, apprends à te connaître; tu crieras vers Dieu, et il te délivrera de ta détresse, et une fois délivré, tu confesseras ses miséricordes. « Au fort de leur affliction, ils crièrent vers le Seigneur, qui les délivra de leurs peines 4 ». Les voilà donc délivrés de la seconde épreuve, et il reste celle de l’ennui et du dégoût. Mais d’abord, voyons ce qu’il fit pour ces âmes qu’il avait délivrées : « Il les fit sortir des ténèbres et de l’ombre de la mort, et brisa leurs chaînes. Qu’ils confessent au Seigneur ses miséricordes,et ses merveilles envers les enfants des hommes». Pourquoi ? Quelles difficultés a-t-il surmontées ? « Il a rompu les portes d’airain, il a brisé les barres de fer. Il les a recueillis de la voie de leurs iniquités, car leurs iniquités les ont fait humilier 5 ». Ils s’attribuaient leurs bonnes oeuvres, et non à Dieu ; dans leur ignorance de la justice de Dieu, ils établissaient leur propre justice 6, et ils furent humiliés. Après avoir présumé de
leurs propres forces, ils comprirent qu’ils ne pouvaient rien sans le secours du Seigneur.
11. Mais quelle autre épreuve nous reste? « Leur âme
eut horreur de toute nourriture ». Voilà maintenant le dégoût;
dégoût
1. Rom. VII, 24.— 2. Gal. III, 21, 22.— 3. Rom. V, 20.— 4. Ps. CVI,
13. — 5. Id. 14 - 17. — 6. Rom. X, 3.
579
qui les fait languir, dégoût qui les met en danger, à moins d’imaginer que la faim peut faire mourir, et non le dégoût. Ecoute ce qu’ajoute le Prophète après qu’il a dit: « Leur âme eut horreur de toute nourriture » ; de peur qu’on ne vienne à croire qu’une fois rassasiés ils étaient clans la sécurité, au lieu de voir que le dégoût les conduisait à la mort: « Et ils arrivèrent aux portes de la mort 1 », dit le Prophète. Que reste-t-il donc à faire? A ne pas t’attribuer à toi-même le goût que tu peux avoir pour la parole de Dieu, à n’en concevoir aucune arrogance, et dans ton avidité pour la sainte nourriture, ne va point t’élancer au-dessus de quiconque est mis en danger par le dégoût. Comprends bien aussi que cette disposition est un don, et qu’elle ne vient pas de toi. « Qu’as-tu, que tu n’aies point reçu 2 ? » Comprends donc ceci, et quand cette faiblesse, cette langueur te mettra en péril, accomplis ce qui suit : « Dans leur tribulation ils en appelèrent au Seigneur, qui les délivra de leurs misères ». Et comme l’effet de cette langueur était de ne goûter aucune joie: « Dieu envoya son Verbe qui les guérit 3 ». Mesure le mal causé par le dégoût; vois de quel abîme les délivre Celui que l’on invoque dans cet ennui. «Il envoya son Verbe qui les guérit, qui les délivra ». De quoi? non plus de l’erreur, non plus de la faim, non plus de la difficulté de vaincre leurs péchés, mais « de leur corruption ». I! y a corruption de l’âme, à repousser ce qui est doux. Donc, à propos de ce bienfait,comme à propos des autres: « Qu’ils confessent au Seigneur ses miséricordes et ses merveilles envers les enfants des hommes. Qu’ils offrent un sacrifice de louanges 4 ». Déjà le Seigneur leur paraît doux et louable. « Qu’ils publient ses oeuvres avec joie e: non point avec ennui, non point avec chagrin, non plus avec inquiétude, non plus avec dégoût, mais avec joie».
12. Il reste la quatrième épreuve qui nous met tous en
péril. Car nous sommes tous dans le vaisseau, les uns pour y travailler,
les autres pour y être portés; et tous néanmoins trouvent
un danger dans la tempête, et le salut au port. Voici en effet ce
que dit le Prophète après tout cela : « Ceux qui descendent
la mer sur des navires, qui trafiquent sur les grandes eaux 5 »:
c’est-à-dire, parmi les
1. Ps. CVI, 18. — 2. I Cor. IV, 7. — 3. Ps. CVI, 19, 20. — 4.
Id. 21-22. — 5 Ps. CVI, 23.
peuples nombreux. Car les eaux se prennent souvent pour les peuples
: ainsi dans l’Apocalypse, quand saint Jean demande ce que signifient ces
eaux, il lui est répondu : « Ce sont les peuples 1 ».
Ceux donc qui font le trafic sur les grandes eaux, « ont vu les oeuvres
du Seigneur, et ses prodiges au fond des abîmes 2 ». Quel abîme
plus profond que le coeur humain? De là s’échappent incessamment
des souffles violents, des tempêtes séditieuses qui agitent
le vaisseau. Et quel est le dessein de Dieu ? Dieu veut que tous crient
vers lui, et ceux qui gouvernent le vaisseau, et ceux qui y trouvent un
abri, « Il dit, et alors se maintint l’esprit des tempêtes
». Qu’est-ce à dire, « se maintint? » Il
demeura, il dura; aujourd’hui encore il sévit, il soulève
la tempête; il n’a point cessé de battre le navire. «
Car Dieu a parlé, et l’esprit des tempêtes s’est maintenu
». Et où donc aboutissent tous ses efforts ? « Alors
les flots se soulevèrent, ils s’élevèrent jusqu’au
ciel », par leur audace : « ils descendirent jusque dans les
abîmes », par la crainte. « Ils s’élèvent
jusqu’au ciel, ils descendent jusque dans l’abîme » . Au dehors
le combat, au dedans la crainte. « Le coeur des nautoniers a défailli
devant le danger. Ils se troublent, ils chancellent comme un homme «
ivre ». Ceux qui sont assis au gouvernail, ceux qui ont un amour
fidèle pour le navire, comprennent mes paroles : « Ils se
troublent, ils chancellent comme un homme ivre 3 ». Qu’ils prennent
la parole, qu’ils lisent, qu’ils discutent, on les croira sages ; mais
malheur à cause de la tempête. « Et toute leur sagesse
», dit le Prophète, « s’est évanouie ».
Parfois, tout conseil humain vient à manquer : quelque part que
l’on se réfugie, les flots sont écumeux, la tempête
grondante, les bras défaillants; le pilote ne voit plus où
la proue va se heurter, par quel flanc du navire pénètrent
les eaux, ni sur quel rivage le pousse la tempête, ni de quels récifs
il faut l’arracher. Que faire alors, sinon ce que dit le Prophète?
« Dans leurs tribulations, ils en appelèrent au Seigneur qui
les sauva de leur misère. Et il commanda à l’orage, qui se
maintint comme un veut léger 4 ». Non plus comme une tempête,
mais « comme un vent léger. Et ses flots s’apaisèrent
». Ecoutez, à
1. Apoc. XVII, 15. — 2. Ps. CVI, 24. — 3. Id. 25-27. — 4. Id. 28, 29.
580
cette occasion, la voix d’un pilote en danger , puis humilié, puis délivré : « Je ne veux point, mes frères, que vous ignoriez l’affliction que nous avons dû subir en Asie, parce qu’elle a dépassé nos forces, dépassé toute borne » (sa sagesse même était absorbée,on le voit), « au point que la vie m’était à charge 1 ». Quoi donc, Dieu abandonnerait-il ainsi l’homme en danger ? Cette défaillance, au contraire, ne devait-elle pas faire éclater en lui sa propre gloire? Que dit ensuite l’Apôtre? « Mais nous avons reçu en nous une réponse de mort, afin que nous ne missions pas notre confiance en nous, mais en Dieu qui ressuscite les morts 2. Et il commanda à l’orage, qui devint un vent léger ». Déjà, ils avaient reçu eu eux une réponse de mort, ces hommes dont toute la sagesse était absorbée. « Et les flots de la mer devinrent calmes; et ils se réjouirent de ce calme, et il les conduisit au port selon leur volonté. Qu’ils confessent au Seigneur ses miséricordes 3». Oui, qu’ils annoncent partout, qu’ils publient de toutes parts, qu’ils publient à la gloire du Seigneur, non point nos mérites, non point notre puissance, non point notre sagesse, mais les divines miséricordes, Que notre délivrance nous fasse aimer celui que nous avons invoqué dans toutes nos afflictions. « Qu’ils confessent au Seigneur ses miséricordes, et ses merveilles envers les enfants des hommes ».
13. Voyez ce qui fait parler le Prophète, pourquoi ce prélude,
pourquoi cette énumération, et où s’accomplit tout
ce qu’il a dit . « Qu’ils chantent le Seigneur dans l’assemblée
du peuple, qu’ils le bénissent dans la chaire des vieillards 4».
Chanter le Seigneur, c’est publier ses louanges, comme publier ses louanges,
c’est le chanter. Qu’il soit béni par les peuples, par les vieillards,
iar ceux qui trafiquent, par ceux qui gouvernent le navire. Qu’a tait Dieu
pour cette assemblée ? Qu’a-t-i1 établi? D’où l’a-t-il
délivrée? Quel don lui a-t-il fait? De même qu’il a
résisté aux superbes, il a donné la grâce aux
humbles 5; et ces superbes étaient tout d’abord le peuple juif,
peuple arrogant, qui se glorifiait d’être de la race d’Abraham, et
de ce que les oracles du Seigneur avaient été confiés
à cette nation 6 ; faveurs qui ne servaient point à la
1. II Cor. I, 8. — 2. II Cor. I, 9. — 3. Ps. CVI, 30, 31. — 4. Id. 32.
— 5. Jacques, IV, 6. — 7. Rom. III, 2.
guérison, mais seulement à l’enflure de leurs coeurs,
à les enorgueillir plutôt qu’à les grandir. Que fit
donc le Seigneur, pour résister aux orgueilleux et donner la grâce
aux humbles, en retranchant les branches naturelles à cause de leur
orgueil, et en insérant l’olivier sauvage à cause de son
humilité 1 ? Que fit Dieu ? Ecoutez ces deux faits, et comment Dieu
résiste aux superbes, et comment il favorise les humbles : «
Il changea les fleuves en désert ». Les eaux couraient chez
les Juifs, les paroles prophétiques y coulaient. Cherche maintenant
un seul prophète chez les Juifs, et tu n’en trouveras point: «
Car il a changé les fleuves en désert, et les courants d’eau
en une terre altérée. Les fleuves sont changés en
désert 2 ». Qu’ils le disent: « Déjà il
n’est plus de prophète, et Dieu ne nous connaît plus 3. Il
a changé les fleuves en désert, les courants d’eau en une
terre altérée, un champ fertile en une saline 4 ».
Cherche parmi eux la foi au Christ, et tu ne la trouves point; un prophète,
ils n’en ont plus; un prêtre, ils n’en ont plus ; un sacrifice, ils
n’en ont plus ; un temple, et ils n’en ont plus. Pourquoi? « Parce
que Dieu a changé les fleuves en désert, les courants d’eau
en une terre sèche, et le champ fertile en saline ». D’où
vient ce châtiment? Quel crime l’a mérité? «
La malice des habitants de cette malheureuse terre ». C’est ainsi
que Dieu résiste aux superbes. Ecoute comme il donne la grâce
aux humbles : « Il a fait du désert un étang plein
d’eau, et des sables du désert des fontaines jaillissantes. Là
il a fait habiter ceux qui avaient faim 5 ». Car c’est au Christ
qu’il a été dit : « Tu es prêtre pour l’éternité
selon l’ordre de Melchisédech. 6» Tu cherches un sacrifice
chez les Juifs, tu n’en trouves pas même selon l’ordre d’Aaron, parce
que Dieu a fait son désert à la place des fleuves. Tu le
cherches selon l’ordre de Melchisédech, et tu ne le trouves point
chez eux, tandis que l’Eglise l’offre solennellement dans l’univers entier.
« Depuis l’Orient jusqu’au Couchant, le nom du Seigneur est béni
7 ». Et le Seigneur dit à ceux dont il a changé les
fleuves en un désert: « Ma volonté n’est plus en vous,
dit le Seigneur, et je ne recevrai aucun sacrifice de vos mains, car de
l’Orient jusqu’au couchant on offre un sacrifice en
1. Rom. XI, 17-24. — 2. Ps. CVI, 33.— 3. Id. LXXIII,9. — 4. Id.
CVI, 34.— 5. Id.35, 36.— 6. Id. CIX, 4.— 7. Id. CXII, 3.
581
mon honneur 1». Où l’on ne voyait jadis que d’immondes sacrifices, quand les nations n’étaient qu’un désert, quand elles étaient souillées, quand partout ce n’était qu’une terre déserte, là aujourd’hui coulent des fontaines, des fleuves; là sont des réservoirs, là sont les eaux courantes, « Dieu a donc résisté aux superbes, et accordé aux humbles ses faveurs. C’est là qu’il a fait habiter ceux qui avaient faim », parce que: « Les pauvres mangeront et seront rassasiés 2 ».— « Et ils ont construit une ville pour y habiter » ; y habiter d’abord en espérance, car: « Celui qui m’écoute habitera dans l’espérance 3 », est-il dit. « Et ils ont construit une ville pour y habiter; et ils ont semé leurs champs, planté leurs vignes, et récolté le fruit de leur froment 4 »; fruit dont se réjouit cet ouvrier qui a dit : « Ce n’est point que je désire vos dons, mais je désire le fruit que vous en retirez 5. Et Dieu les bénit et ils se multiplièrent, et leurs troupeaux ne diminuèrent point 6». Voilà ce qui dure encore. « Le solide fondement de Dieu demeure ferme, car Dieu connaît ceux qui sont à lui 7». On donne le nom de troupeau, de bercail, à ceux qui vivent simplement dans l’Eglise, mais qui sont utiles, qui sont peu savants, mais pleins de foi. Donc, et les hommes spirituels, et ceux qui étaient charnels encore, « Dieu les bénit et ils se multiplièrent, et leurs troupeaux ne diminuèrent point».
14. « Les voilà réduits à un petit nombre,
accablés de maux 8 »• D’où ces maux? du dehors? Non,
mais de l’intérieur. Pour les réduire à un petit nombre,
cette parole s’accomplit alors : « Ils sont sortis de nous, mais
ils n’étaient pas des nôtres 9 ». Si le Prophète
parle encore de ceux-ci comme il en parlait auparavant, c’est afin que
nous les distinguions seulement par la pensée; puisqu’il parle d’eux
comme s’ils étaient les mêmes, à cause des sacrements
qui leur sont communs avec nous. Ces hommes, en effet, appartiennent au
peuple de Dieu, sinon par la vertu, du moins par les dehors de la piété.
C’est d’eux que nous avons entendu dire à saint Paul : « Dans
les derniers temps, il viendra des jours fâcheux, et les hommes s’aimeront
eux-mêmes ». Premier malheur ;
1. Malach. I, 10, 11.— 2. Ps. XXI, 27.— 3. Prov. I, 33, suiv. les Septante.
— 4. Ps. CVI, 37. — 5. Phi1ipp. IV, 17.— 6. Ps. CVI, 38. — 7. II Tim. II,
19.— 8. Ps. CVI, 39.— 9. II Tim. III, 2.
« ils s’aimeront eux-mêmes », et mettront en eux-mêmes
leur propre complaisance. Puissent-ils se déplaire, car alors ils
plairaient à Dieu ! puissent-ils en appeler à lui dans leurs
difficultés, car alors ils seraient délivrés! Mais
leur confiance en eux-mêmes « les a réduits à
un petit nombre ». Cela est évident, mes frères; tous
ceux qui se séparent de l’unité deviennent le petit nombre.
Ils sont en grand nombre, mais dans l’unité, et tant qu’ils ne se
séparent point de l’unité. Dès lors, en effet, qu’ils
n’appartiennent plus à l’unité qui est nombreuse, le schisme
et l’hérésie les réduisent au petit nombre. «
Et ils devinrent peu nombreux et furent accablés du poids des maux
et de la douleur. Le mépris se répandit sur leurs princes
». Ils furent rejetés de l’Eglise de Dieu; et plus ils ont
voulu être princes, plus ils sont couverts de mépris, et deviennent
un sel affadi que l’on jette dehors, et que les hommes foulent aux pieds
1. « Le mépris se répandit donc sur les princes; ils
furent séduits dans la voie de l’erreur, et non dans la bonne
voie 2 ». Tout à l’heure, ils étaient dans la voie,
ils étaient conduits à la cité, ils étaient
conduits, et non séduits; ceux-ci, les voilà séduits
hors de la voie. Qu’est-ce à dire, « séduits ? ».
« Dieu les a livrés aux convoitises de leurs coeurs 3 ».
Tel est, en effet, le sens de séduire, se conduire soi-même.
Car, à proprement parler, ce sont eux qui se séduisent. «
Quiconque se croit quelque chose, se trompe u lui-même , attendu
qu’il n’est rien 4 ». Qu’est-ce à dire, dès lors que
Dieu les séduisit? Il les laissa aller « dans une terre sans
chemin, et non dans la voie ». Comment, en effet, seraient-ils dans
la voie, ces hommes qui s’attachent à une partie et qui laissent
le tout? Comment seraient-ils dans la voie? Qu’est-ce donc que la voie,
et où peut-on reconnaître la voie? « Que Dieu »,
dit le Prophète, « nous prenne en pitié, qu’il nous
bénisse, qu’il fasse rejaillir sur nous la lumière de sa
face, afin que nous connaissions votre voie sur la terre ». Sur quelle
terre? « Votre salut est dans tous les peuples 5». C’est de
là que sortent ces hommes qui sont ensuite réduits en petit
nombre, et diminués en quelque sorte; ils sont sortis de cette multitude
qui forme l’unité, selon cette
1. Matth. V, 13. — 2. Ps, CVI, 40.— 3. Rom. I, 21. — 4. Gal, VI, 3.—
5. Ps. LXVI, 2, 3.
582
parole que je viens de rapporter à leur sujet: « Ils sont
sortis d’entre nous, mais ils n’étaient point des nôtres ;
s’ils eussent été des nôtres, ils fussent assurément
demeurés avec nous 1». Mais s’ils sont des nôtres dans
le secret de la prescience divine, il faudra qu’ils reviennent. Combien
qui ne sont point des nôtres, et qui paraissent en être, et
combien des nôtres, qui semblent néanmoins être dehors!
« Le Seigneur connaît ceux qui lui appartiennent 2 ».
Ceux qui ne sont point des nôtres, bien qu’ils soient avec nous,
s’en vont à la première occasion, et les nôtres qui
sont dehors, reviennent quand l’occasion se présente. Ecoutez donc
ce que voulait alors le Seigneur dans le sens de ces paroles : «
Il les a séduits dans une terre sans chemin, et non dans la voie
». Qu’en a fait le Seigneur? Ce que j’avais dit tout d’abord, ce
que vous devez écouter avec attention. Il pouvait les laisser avec
nous jusqu’à la fin, mais alors ils n’eussent été
pour nous d’aucun profit : or, dès qu’ils sont séparés
de nous, et qu’ils nous troublent par des questions artificieuses, alors
ils deviennent pour nous un aiguillon dans la recherche de la vérité,
et un exemple de ce qu’il nous faut craindre. Chacun tremble quand il voit
un homme tomber dans le schisme, car une telle chute semble lui dire: «
Que celui qui se croit debout prenne garde à sa chute 3 ».
Ceux qui se séparent dc nous ont donc leur utilité; car s’ils
demeuraient avec nous, et avec cette malice, ils ne nous serviraient de
rien. Aussi, qu’est-il dit à leur sujet dans un autre psaume? «
C’est une assemblée de taureaux», ou d’hommes à la
tête haute , d’hommes orgueilleux ; « une assemblée
de taureaux parmi les vaches des peuples ». Par ces vaches des peuples,
il faut entendre des âmes faciles à séduire, qui se
laissent gagner par la séduction des taureaux. Mais pourquoi en
est-il ainsi? « Afin que l’on sépare ceux qui ont été
éprouvés par l’argent ». Qu’est-ce .à dite «
que l’on sépare? » Afin qu’ils apparaissent, qu’ils soient
en relief, ceux qui sont à l’épreuve de la parole de Dieu.
Quand, en effet, la nécessité force de répondre aux
hérétiques, il en résulte une utilité pour
l’édification des catholiques. Telle est la pensée exprimée
par saint Paul: « Il faute, dit-il, « des hérésies,
afin que les hommes d’une vertu
1. I Jean, II, 19,— 2. II Tim. II, 19.— 3. I Cor. X ,12.— 4. Ps. LXVII,
31.
éprouvée soient mis en évidence 1 ». Il faut
donc qu’il y ait des taureaux séducteurs, « afin que ceux
qui sont éprouvés par l’argent » soient mis en évidence,
c’est-à-dire, « soient exclus», ou hors ligne. Qu’est-ce
à dire, «ceux qui sont éprouvés par l’argent?»
« Les paroles du Seigneur sont des paroles chastes; c’est un argent
que le feu a séparé de la terre, a purifié sept fois
2». Quiconque dès lors est éprouvé par
cet argent, c’est-à-dire par cette parole du Seigneur, ne peut briller
de l’éclat de cet argent, qu’à la condition d’être
harcelé par les questions des hérétiques. Et ici,
redoublez d’attention, car le Prophète ne l’a point omis. «
Voilà que la honte se répandit sur les princes », ou
sur ces taureaux. D’où leur venait cette honte? De ce qu’ils annonçaient
un autre évangile. Qu’est-ce à dire, couverts de honte ?
Frappés d’anathème. « Quiconque vous annoncera un évangile
autre que celui que nous avons annoncé, qu’il soit anathème
3 ». Quoi de plus méprisé qu’un sel affadi 4, que l’on
jette au dehors et que l’on foule aux pieds? Et voyez s’ils ne sont pas
réellement des princes, écoutez l’Apôtre lui-même.
« Quand nous vous annoncerions, ou qu’un ange venu du ciel vous annoncerait
un évangile autre que celui que vous avez reçu, qu’il soit
anathème ». Ce sont des princes, diras-tu, des savants, des
grands, des pierres précieuses. Que vas-tu ajouter encore? Sont-ils
des anges? Et pourtant, « quand même un ange vous annoncerait
un évangile autre que celui que vous avez reçu, qu’il soit
anathème ». Car le diable est tombé du ciel, tout ange
qu’il était. « Le mépris s’est répandu sur les
princes, et Dieu a secouru le pauvre dans son indigence 5». Qu’est-ce
à dire, mes frères, que les princes ont été
couverts de mépris et les pauvres secourus? Les orgueilleux sont
tombés dans l’abjection et les humbles élevés en gloire.
Telle est l’oeuvre de Dieu ; et, en agissant ainsi, « il a secouru
le pauvre dans son indigence ». Car celui-ci est un mendiant qui
ne s’attribue rien à lui-même, qui espère tout de la
miséricorde divine, qui crie devant la porte de son Seigneur, qui
est nu et tremblant, demandant à être vêtu, qui tient
les yeux baissés vers la terre, battant sa poitrine. C’est ce
1. I Cor. XI,19.— 2. Ps. XI, 7.— 3. Gal. 1,9. — 4. Matth. V,13.
— 5. Ps. CVI, 41.
mendiant, ce pauvre, cet homme humble, que Dieu a principalement soutenu, même par la séparation des hérétiques, lesquels ont été diminués, accablés de vexations, séduits dans des terres sans chemin, et non dans la bonne voie. Mais après que ces hommes ont été retranchés, séduits, amoindris, qu’est-il arrivé au pauvre que Dieu secourait? « Il a multiplié leurs familles comme des troupeaux ». Parce que le Psalmiste disait : « Il a secouru le pauvre dans son indigence » ; tu comprenais qu’il n’y avait qu’un seul pauvre, qu’un seul mendiant; et voilà que ce pauvre devient plusieurs familles, devient plusieurs peuples; et toutefois , plusieurs églises ne forment qu’une Eglise, qu’un seul peuple, qu’une seule famille, qu’un seul bercail. « Il a multiplié leurs familles comme des troupeaux ». Ces mystères sont grands, mes frères , ces sacrements sont grands quelle profondeur, quelles vérités cachées! Quelle joie de les découvrir, parce qu’elles ont été longtemps cachées! Donc : « Les hommes droits verront et seront dans la joie, et toute iniquité fermera la bouche 1 ». Cette iniquité qui ose railler l’unité, qui nous contraint à publier la vérité, sera enfin convaincue et réduite au silence.
15. « Quel est l’homme sage, qui observera ces merveilles, et
qui comprendra les miséricordes du Seigneur 2? » Voyez cette
fin du psaume : « Où est le sage? Il observera ces merveilles
». Et qu’observera cet homme
1. Ps. CVI, 42. — 2. Id. 43.
sage? C’est-à-dire qu’il l’observe, s’il est vraiment pauvre;
oui, s’il n’est point riche, ou plutôt s’il n’est point orgueilleux-,
s’il n’est point enflé de vanité, il observe ces merveilles.
Pourquoi les observera-t-il ? « Parce qu’il u comprendra les divines
miséricordes » ; non point ses propres mérites, non
point ses propres forces, non point sa propre puissance; mais « les
miséricordes du Seigneur », qui a remis dans la voie droite
et nourri celui qui errait, et qui avait faim; qui a délié
et délivré celui qui luttait contre les assauts du péché,
et qu’enchaînaient les liens de ses habitudes; qui a envoyé
son Verbe comme un remède salutaire pour guérir celui à
qui le Verbe de Dieu n’inspirait que du dégoût, et qui mourait
en quelque sorte d’ennui; qui a calmé le flot et conduit au port
celui que menaçaient les tempêtes et les coups des orages;
qui l’a établi au milieu de son peuple, où il donne la grâce
aux humbles, et non point où il résiste aux superbes; qui
a fait qu’il fût à lui, afin qu’il se multipliât cri
demeurant à l’intérieur, et non point qu’il sortît
dehors pour être réduit à rien. Voilà ce que
découvrent les justes , et ce qui les comble de joie. « Toute
iniquité fermera la bouche », et tout homme « sage observera
ces merveilles ». Comment les observer? Par l’humilité qui
fera comprendre les merveilles du Seigneur : partout, en effets nous avons
répété: « Qu’ils confessent au Seigneur ses
miséricordes, et ses merveilles envers les enfants des hommes ».
DISCOURS SUR LE PSAUME CVII.
POURQUOI CE PSAUME N’EST POINT EXPLIQUÉ ICI.
Ce psaume a été expliqué dans les psaumes cinquante-sixième
et cinquante-neuvième, qui lui fournissent chacun sa dernière
partie. Les titres sont bien différents, et tous deux néanmoins
célèbrent David, ou plutôt le Christ dans son humilité,
qui est la base de sa vaillance.
1. Je n’ai point cru, mes frères, qu’il fallût vous expliquer
le psaume cent septième, car nous l’avons fait déjà
dans le psaume cinquante-sixième et dans le psaume cinquante-neuvième,
dont les dernières parties forment celui-ci. En effet, la dernière
partie du cinquante-sixième 1 fournit à celui-ci sa première
1. Ps, LVI, 12.
584
partie, jusqu’au verset où il est dit: « Et que votre gloire
soit étendue sur toute la terre 1»; depuis là
jusqu’à la fin, c’est la seconde partie du cinquante-neuvième;
de même que la dernière partie du cent trente-quatrième
est la même que celle du cent treizième, depuis le verset
où il est dit: « Les idoles des nations sont de l’or et de
l’argent 2 »; de même encore que le treizème et le cinquante-deuxième,
sauf quelques médiantes changées, ont les mêmes paroles
depuis le commencement jusqu’à la fin. Dès lors, tout ce
qui, dans le psaume cent septième, paraît quelque peu différer
de ces deux autres psaumes, dont il est composé, n’est point difficile
à comprendre. Ainsi dans le psaume cinquante-sixième, il
est dit : « Je chanterai, je jouerai de la harpe; lève-toi,
ô ma gloire 3»; et dans celui-ci: « Je chanterai , je
jouerai de la harpe dans ma gloire 4 »; car le met « lève-toi»
ne s’adresse à sa gloire qu’afin que l’on chante, et que l’on joue
de la harpe à cette même gloire. De même encore: «
Parce que votre miséricorde s’est agrandie jusqu’aux cieux 5 »,
ou comme d’autres ont traduit : « s’est élevée »;
et ici : « Parce que votre miséricorde est grande par-dessus
les cieux ». Or, elle n’a grandi jusqu’aux cieux que pour être
grande dans les cieux. Voilà le sens de cette expression : Super
caelos, par-dessus les cieux. De même dans le cinquante-neuvième
: « Je serai dans la joie, et je partagerai Sichem 7»; et ici
: « Je serai élevé, et je partagerai Sichem 8».
D’où l’on peut voir que ce partage de Sichem est une figure prophétique
de ce qui doit s’accomplir après que le Seigneur aura été
élevé en gloire, et la joie dont il est parlé tient
à cette élévation; en sorte qu’il y a joie parce qu’il
y a gloire. Aussi est-il dit ailleurs: « Vous avez converti mon deuil
en joie, vous avez brisé mon cilice, et m’avez fait une ceinture
de joie 9». De même encore : « Ephraïm est la force
de mon chef 10»; et ici : « Ephraïm est celui qui reçoit
mon chef 11». Car nous prendre sous sa garde, c’est nous fortifier;
c’est-à-dire qu’en nous adoptant il nous rend forts, parce qu’il
1. Ps. CVII, 6. — 2. Id. CXIII, CXXXIV, 15.— 3. Id. LVI, 8. — 4. Id.
CVII, 2.— 5. Id. LVI, 11. — 6. Id. CVII, 5. — 7. Id. LIX, 8. — 8.
Id. CVII, 8. — 9. Id. XXIX, 12. — 10. Id. LIX, 9.— 11. Id. CVII, 9.
fructifie en nous. Ephraïm en effet signifie fructifier. Quant à suscipere, recevoir, il peut se rapporter à l’un ou à l’autre, soit que nous recevions le Christ, soit que lui-même nous reçoive, lui qui est le chef de l’Eglise. Ceux qui sont appelés dans un psaume, « nos persécuteurs 1», sont appelés dans l’autre, « nos ennemis 2 », et sont dès lors les mêmes individus.
2. Ce psaume nous montre que les titres empruntés à l’histoire
peuvent très-bien s’entendre dans le sens prophétique, selon
le motif que nous découvrons dans la composition du psaume. Quoi
de plus opposé, d’après l’histoire, que ce titre du psaume
cinquante-sixième : « Pour la fin, n’altérez rien;
à David, pour l’inscription du titre, alors qu’il fuyait devant
Saül dans la caverne »; et ce titre du cinquante-neuvième
: « Pour la fin, à ceux qui seront changés, pour l’inscription
du titre, à David, pour être une leçon, alors qu’il
incendia la Mésopotamie, la Syrie, la Syrie Sobal, et que Jacob
se retourna, et frappa douze mille hommes dans la vallée des salines
». A l’exception de ces mots : « Pour l’inscription du titre,
à David lui-même, et pour la fin », tout le reste est
bien différent, puisque l’un chante l’humilité de David,
l’autre sa vaillance; l’un sa fuite, l’autre ses victoires. Et toutefois
les deux dernières parties de ces psaumes, dont les titres sont
si différents, ont servi à composer celui-ci, ce qui prouve
que les deux psaumes n’ont qu’un même but, non pas à s’en
tenir à la superficie de l’histoire, mais en s’élevant à
la hauteur de la prophétie, en faisant converger la fin de l’un
et la fin de l’autre vers un seul chant, dont le titre serait: «Chant
du psaume, pour David lui-même 3 », titre qui n’a rien de semblable
aux deux autres, sauf ce seul mot : « A David lui-même ».
Car Dieu a parlé jadis à nos pères, par le moyen des
Prophètes, en beaucoup de manières et en beaucoup de circonstances
4, ainsi que l’a dit l’Epître aux Hébreux. Et toutefois il
a toujours annoncé Celui qu’il a envoyé depuis afin d’accomplir
les oracles des Prophètes: «Toutes les promesses de Dieu ont
en lui leur vérité 5 ».
1. Ps. LIX, 14. — 2. Id. CVII, 14. — 3. Id. 7. — 4. Hébr. I, 1. — 5. II Cor. I, 20.
DISCOURS SUR LE PSAUME CVIII.
LE CHRIST ET JUDAS.
Prêcher le Christ tel qu’il est, c’est publier sa louange; or, on ne le regardait point comme Fils de Dieu quand la langue des méchants parla contre lui et lui rendit la calomnie au lieu de l’amour. A ce sujet distinguons six degrés différents. D’abord rendre le bien pour le mal, puis s’abstenir de rendre le mal pour le mal , c’est l’apanage des bons, et le Sauveur prie pour ses bourreaux ainsi que saint Etienne; et l’Evangile nous défend de rendre le mal pour le niai. Ensuite ne pas rendre le bien pour le bien comme les neuf lépreux qui ne remercient point le Sauveur, puis rendre le mal pour le bien comme il est dit dans notre psaume. Enfin rendre le bien pour le bien ne suffit point selon l’Evangile ; et rendre le mal pour le mal , ce peut être une justice qui était dans les permissions de la loi, mais qui pouvait engendrer te désir de la vengeance. Donc le Christ a reçu la calomnie en échange de ses bienfaits, et il priait pour ses calomniateurs, comme pour ses disciples, nous donnant l’exemple du pardon. Il était descendu pour les Juifs qui ont opposé la haine à son amour. Le Prophète, en forme de souhaits, prononce ici la sentence des coupables. — 1. Le diable est à la droite de Judas, qui en a fait le choix. — 2. Il sera condamné parce qu’il ne prie pas avec le Christ, et ne se repent point. — 3. Son épiscopat passa à un autre. — 4. Ses enfants orphelins, sa femme veuve, tous bannis et mendiants. — 5. L’iniquité de ses pères qu’il a imités retombe sur lui. Ces maux furent un châtiment pour Judas, même après sa mort, si les morts voient les choses de cette vie.
On peut appliquer ces châtiments au peuple Juif qui a repoussé le Christ pour être assujetti à Satan, peuple dont le royaume a perduré, dont l’épiscopat ou le Christ a passé aux nations, dont le royaume perdu devient comme un veuvage , dont les enfants sont bannis, dont les fautes ne sont point remises, dont les travaux sont dissipés parce qu’il ne travaille point pour le Christ, qui périt dans nue seule génération parce qu’il ne connaît point la régénération, dont la mémoire disparaît de là terre du Seigneur, qui oublie la miséricorde eu persécutant les membres du Christ, qui a choisi la malédiction en appelant sur lui et sur ses enfants le sang du Christ, et cette malédiction l’environne de toutes parts.
Le Prophète alors ou le Christ eu appelle à son Père
pour les oeuvres de sa puissance, et alors lui tout à l’heure troublé,
mis à mort, persécuté dans ses membres, insulté
dans sa mort, se raffermit sous la main de Dieu qui le bénit, et
chante sa résurrection dans cette Eglise qui bénit Dieu parmi
les peuples.
1. Que ce psaume contienne une prophétie du Christ, c’est ce
que reconnaît facilement tout homme qui lit avec foi les Actes des
Apôtres; car en voyant Matthias ordonné à la place
de Judas qui trahit le Christ, et incorporé au collège apostolique
1, il devient évident que c’est Judas que désignait le Prophète,
quand il disait : « Que ses jours soient s abrégés,
et qu’un autre reçoive son épiscopat 2». Mais si nous
ne faisons retomber que sur un seul homme les malédictions contenues
dans ce cantique, l’application pourra bien manquer de justesse, ou du
moins paraître forcée; tandis que tout devient clair, si ces
anathèmes sont dirigés contre toute une race d’hommes, c’est-à-dire
contre les Juifs ingrats et ennemis du Christ. Et de même que plusieurs
passages à l’adresse de l’apôtre saint Pierre ne reçoivent
leur force et leur éclat, que quand nous les entendons de l’Eglise,
dont Pierre était la personnification à cause de la primauté
qu’il eut sur les disciples, en vertu de ces paroles : « Je te
donnerai les clés du royaume des cieux 3 », et autres semblables:
ainsi Judas est en-
1. Act. I, 15-26. — 2. Ps. CVIII, 8.— 3. Matth. XVI, 19.
quelque sorte la personnification des Juifs, qui haïssaient le Christ, et qui par une succession d’impiété qui se perpétue dans leur race, le haïssent encore aujourd’hui. C’est à ces hommes et à ce peuple que nous pouvons, sans aucune erreur, appliquer non-seulement les passages du psaume qui les concernent indubitablement, mais encore ce qui est dit expressément de Judas lui-même : comme le verset que j’ai rapporté : « Que ses jours e soient abrégés, qu’un autre reçoive son épiscopat ». C’est ce qui s’aplanira avec le secours de Dieu, lorsque nous exposerons par ordre chacun des versets.
2. Le psaume commence donc ainsi : « O Dieu, ne taisez point ma
louange parce que la bouche du pécheur, et la bouche de l’homme
fourbe se sont ouvertes contre moi 1 ». Ce qui nous montre qu’il
y a mensonge dans tout blâme que ne taisent point le pécheur
et l’homme fourbe, comme il y a vérité dans toute louange
que ne tait point le Seigneur. Car « Dieu est véritable, et
tout homme est menteur 2 » : puisque nul homme ne dit la vérité,
si Dieu ne parle en lui. Or, la
1. Ps. CVIII, 2. — 2. Rom, III, 4.
586
plus grande gloire du Fils unique de Dieu, c’est qu’on le prêche tel qu’il est, Fils unique de Dieu. C’est ce qu’on ne voyait point quand il était caché par nos infirmités apparentes, alors que s’ouvrit contre lui la bouche du pécheur, la bouche de l’homme fourbe. Aussi est-il dit: « La bouche de l’imposteur s’est ouverte », parce qu’il a fait éclater au dehors cette haine qu’il cachait frauduleusement. Voilà ce qui deviendra plus clair dans les versets qui suivront.
3. « Ils ont parlé contre moi avec une langue trompeuse 1» : surtout quand sous le voile d’une captieuse adulation ils l’appelaient bon maître. De là vient qu’il est dit ailleurs « Et ceux qui me louaient faisaient serment contre moi 2 ». Et comme leur haine s’échappait par ces cris: « Crucifiez-le, crucifiez-le 3 », notre psaume ajoute : « Ils m’ont poursuivi avec des paroles de haine » ; ceux dont la langue trompeuse versait, non plus des paroles de haine en apparence, mais des paroles d’autour; aussi le Prophète a-t-il dit: « Contre moi », parce qu’ils en agissaient ainsi pour tendre des pièges; ensuite : « ils m’ont environné de paroles haineuses », non plus d’un amour faux et trompeur, mais « d’une haine » ouverte, « et m’ont attaqué sans sujet». De même que l’amour des bons pour le Christ est gratuit, de même est gratuite la haine des méchants; les bons en effet cherchent la vérité sans autre avantage qu’elle-même, et de même les méchants à l‘égard de l’iniquité. De là vient que des auteurs profanes ont dit, d’un homme très-méchant : « Sa malice et sa cruauté étaient absolument gratuites 4 ».
4. « Au lieu de m’aimer », dit le Prophète, ils me
déchiraient 5 ». Il y a dans l’amour et la haine six degrés
qu’il suffit d’énoncer pour les Faire comprendre facilement: rendre
le bien pour le mal, ne point rendre le mal pour le mal; rendre le bien
pour le bien, rendre le mal pour le mal; ne point rendre le bien pour le
bien, et rendre le mal pour le bien. Les deux premiers sont l’apanage des
bons, et de ces deux le premier est préférable; les deux
derniers sont l’apanage des méchants, et le dernier est le pire
des deux. Les deux autres tiennent en quelque sorte le milieu, mais le
premier touche aux bons, le second touche aux méchants. Voilà
ce qu’il nous fait
1. Ps. CVIII, 3.— 2. Id. CI, 9.— 3. Jean, IX, 6 — 4. Sallust. de bello
Catil. — 5. Ps. CVIII, 4.
voir dans les saintes Ecritures. Dieu rend le bien pour le mal, quand
« il justifie l’impie 1», et quand il était suspendu
à la croix, il dit: « Mon Père, pardonnez-leur, car
ils ne savent ce qu’ils font 2 ». A son exemple, saint Etienne mit
le genou en terre et pria pour ceux qui le lapidaient, en s’écriant
: « Seigneur, ne leur imputez pas ce péché 3».
C’est à quoi nous oblige le précepte: « Aimez vos ennemis,
faites du bien à ceux qui vous haïssent, et priez pour ceux
qui vous persécutent 4». L’apôtre saint Paul nous engage
à ne point rendre le mal pour le mal: « Ne rendez à
personne le mal pour le mal 5», nous dit-il. Et saint Pierre: «
Ne rendez point le mal pour le mal, ni la malédiction pour la malédiction
6 ». De là cette parole qu’on lit dans les psaumes : «
Si j’ai rendu le mal à ceux qui me maltraitaient 7 »; vous
le savez. Quant aux deux derniers degrés, celui qui est le moins
coupable se voit chez les neuf lépreux que guérit le Seigneur,
et qui ne l’en remercièrent point 8, Et le dernier, qui est le pire
de tous, est le propre de ceux dont le psaume a dit: « Au lieu de
m’aimer, ils me déchiraient ». Tant de bienfaits du Seigneur
sollicitaient leur amour, et non-seulement ils étaient loin de le
lui rendre, mais au lieu du bien ils rendirent le mal. Les deux degrés
intermédiaires, que nous avons assignés aussi à des
hommes pour ainsi dire du milieu, sont de telle nature que le premier,
qui consiste à rendre le bien pour le bien, soit le propre des bons,
et de ceux qui n’ont qu’une bonté médiocre, et de ceux qui
n’ont qu’une médiocre méchanceté. De là vient
que Jésus-Christ, sans les blâmer, ne veut point que ses disciples
s’en tiennent a ces venus médiocres, mais il veut les élever
plus haut, quand il leur dit: « Si vous aimez ceux qui vous aiment
», c’est-à-dire, si vous rendez le bien pour le bien, «
quelle récompense méritez-vous », c’est-à-dire,
quel grand bien faites-vous? « Les Publicains ne le font-ils pas
aussi 9? » Ce qu’il désire, c’est que ses disciples en agissent
ainsi tout d’abord, et même beaucoup mieux, c’est-à-dire qu’ils
ai ment non seulement leurs amis, mais aussi leurs ennemis. Pour l’autre
degré, qui consiste à rendre le mal pour le mal, qu’il soit
la part des méchants, de ceux
1. Rom. IV, 5. — 2. Luc, XXIII, 34. — 3. Act. VII, 59. — 4. Math. V,
44. — 5. Rom. XII, 17. — 6. I Pierre, III, 9. — 7. Ps. VII, 5.—
8. Luc, XVII, 12, 18.— 9. Matth. V, 46.
587
qui n’ont qu’une méchanceté médiocre, ou qu’une médiocre bonté ; car la loi leur prescrit la manière de se venger: « Oeil pour oeil, et dent pour dent 1 » : on pourrait appeler cela justice des injustes. Non qu’il soit injuste qu’un homme soit traité comme il a traité les autres; car alors la loi ne l’aurait point statué; mais parce que le désir de se venger est un vice, et qu’il est mieux pour un juge de l’ordonner à l’égard des autres, que pour un homme de bien de le désirer pour lui-même. Aussi une fois tombé de cette hauteur de la vertu, où l’on rend le bien pour le mal, à quel profond abîme de malice n’arrive point l’impie, qui rend le mal pour le bien? Quelle chute lui a fait parcourir tous les degrés ? Et nous ne devons pas regarder comme sans importance, que le Prophète ne dit point t Au lieu de l’amour ils me donnaient la mort; mais, « ils me calomniaient». Car ils ne l’ont mis à mort que par leurs calomnies, en niant qu’il fût Fils de Dieu, et en l’accusant « de chasser les démons au nom du prince des démons 2 », et en disant : « C’est un possédé du démon, c’est un fou, pourquoi l’écouter 3? » et autres blasphèmes. Or, ces calomnies détournaient de lui ceux qu’il cherchait à convertir. Il a donc choisi ce langage pour montrer que ceux-là qui calomnient le Christ, et tuent ainsi les âmes, sont plus coupables que ceux qui ont tué dans leur fureur sa chair mortelle, surtout qu’elle devait ressusciter bientôt.
5. Mais après avoir dit: « Au lieu de m’aimer, ils me calomniaient
», qu’est-ce que le Prophète ajoute ? « Et moi, je priais
4». Il n’indique point l’objet de sa prière; mais quel objet
plus digne pouvons-nous assigner, sinon qu’il priait pour eux? Ils calomniaient
surtout le crucifié, quand ils l’accablaient d’outrages comme un
homme qu’ils eussent vaincu; et c’est du haut de cette croix qu’il dit:
« Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font
5», En sorte que, des profondeurs de la malice, ils lui rendaient
le mal pour le bien; et lui, au comble de la bonté, leur rendait
le bien pour le mal. On pourrait entendre aussi qu’il priait pour ses disciples,
ce qu’il dit avoir fait avant sa passion, afin que leur foi ne vînt
pas à défaillir 6, quand, sur la croix, il nous donnait un
modèle de patience,
1. Deut. XIX, 21. — 2. Luc, XI, 15. — 3. Jean, X, 20. — 4. Ps. CVIII,
15. — 6. Luc, XXIII, 34.— 7. Id. XXII, 32.
et ne montrait point son pouvoir au milieu des outrages de ceux qu’il pouvait anéantir dans sa souveraine puissance. Mais, nous donner l’exemple de la patience, était plus utile pour nous, que de perdre à l’instant ces ennemis, et nous porter à nous venger sans délai le ceux qui nous nuisent; car il est écrit: « L’homme patient est préférable à l’homme courageux 1». L’Ecriture donc, et l’exemple de Jésus-Christ qui nous dit : « Au lieu de m’aimer, ils me calomniaient; et moi, je priais », nous enseignent à prier, quand nous rencontrons des ingrats, non-seulement qui ne rendent pas le bien, mais qui rendent le mal pour le bien. Car il a lui-même prié pour ceux qui le tourmentaient, pour ceux qui pleuraient sur lui, et qui chancelaient dans la foi ; mais nous, prions d’abord pour nous, afin que par la miséricorde et le secours de Dieu, nous puissions vaincre notre caractère qui nous porte au désir de la vengeance, quand on nous calomnie, soit devant nous, soit en notre absence. Dès que la patience du Christ nous revient en mémoire, on dirait que c’est lui qui s’éveille, comme il arriva quand il dormait dans le vaisseau 2; qui apaise le trouble et l’orage de notre coeur, afin que notre âme étant rétablie dans le calme et dans la paix, nous puissions prier pour nos détracteurs, et dire en toute sécurité: u Pardonnez-nous comme nous pardonnons 3 ». Mais lui, qui pardonnait, n’avait aucune faute, dont il dût obtenir le pardon.
6. Le Prophète ajoute: « Ils m’ont rendu le mal pour le
bien 4 ». Et comme si nous demandions quel mal, pour quel bien? le
Prophète répond : « Et la haine au lieu de l’amour
». Voilà tout leur crime, leur grand crime. Quel mal
ces persécuteurs pouvaient-ils faire à Celui qui mourait,
non par nécessité, mais volontairement? Mais la haine était
un grand crime pour les persécuteurs, quoique la peine de la victime
fût pleinement volontaire. C’est expliquer suffisamment dans quel
sens il disait plus haut: « Au lieu de m’aimer »; car ils devaient
l’aimer, non point comme tout autre, mais à cause de son amour;
car il ajoute : « A cause de mon amour pour eux ». C’est de
cet amour qu’il est fait mention dans l’Evangile, quand le
1. Prov. XVI, 32. — 2. Matth. VIII, 24, 25. — 3. Id. VI, 12. — 4. Ps.
CVIII, 5.
588
Sauveur s’écrie : « Jérusalem, Jérusalem, combien de fois j’ai voulu rassembler tes enfants, comme une poule rassemble ses poussins sous ses ailes, et tu ne l’as pas voulu 1».
7. Le Prophète nous prédit ensuite quel sera le salaire de cette impiété; et il l’annonce comme si la soif de la vengeance le portait à souhaiter ces malheurs, tandis qu’il les prédit avec la plus grande certitude et comme l’effet bien mérité de la justice de Dieu. Quelques-uns, néanmoins, ne comprenant pas cette manière de prédire, se sont imaginé que le Prophète souhaitait ces malheurs, et appelait la haine contre la haine, le mal contre le mal. Il est vrai qu’il n’appartient qu’au petit nombre de faire la différence entre la satisfaction que le châtiment d’un coupable procure ou bien à un accusateur qui veut assouvir sa haine, ou bien à un juge qui ne punit la faute qu’avec une volonté droite. Le premier rend le mal pour le mal; mais le second, dans la vengeance qu’il poursuit, ne rend point le mal pour le mal, en infligeant un châtiment juste à l’homme injuste. Tout ce qui est juste est bien assurément. Il châtie donc, non pour le plaisir que lui procure le malheur des autres, ce qui est rendre le mal pour le mal; niais par amour de la justice, ce qui est le bien pour le mal. Que les aveugles ne calomnient donc point la sainte lumière des Ecritures, en s’imaginant que Dieu ne punit point les fautes; et que les injustes ne se flattent point, en l’accusant de rendre le mal pour le mal. Ecoutons donc ce que nous enseigne cette parole divine ; et dans ces paroles qui semblent souhaiter le mal, ne voyons que la prédiction du Prophète : élevons nos âmes jusqu’à la loi éternelle, et voyons comment Dieu accomplit toute justice.
8. «Etablissez contre lui le pécheur, et que Satan marche
à sa droite 2 ». Tout à l’heure la plainte était
au pluriel, maintenant le Prophète ne parle que d’un seul. Tout
à l’heure il disait: « Ils ont parlé de moi, avec des
langues menteuses, ils m’ont environné de paroles de haine, et m’ont
attaqué gratuitement; au lieu de m’aimer, ils me calomniaient, et
moi je priais : ils m’ont rendu le mal pour le bien, et la haine en échange
de mon amour ». Tout cela est au
1. Matth. XXIII, 27. — 2. Ps. CVIII, 6.
pluriel. Maintenant que le Prophète annonce les châtiments que méritent leurs iniquités, et ce que la divine justice leur tient en réserve, il s’écrie : « Etablissez sur lui le pécheur », comme s’il n’avait en vue que celui qui s’est livré à ces ennemis qu’il vient de nous dépeindre. L’Ecriture, nous faisant donc voir par les Actes des Apôtres que c’est le juste châtiment de Judas 1 que nous annonce ici le Prophète, que signifie: « Etablissez le pécheur contre lui », sinon ce qu’indique le verset suivant: « Et que le diable se tienne à sa droite ? » Il a donc mérité d’avoir au-dessus de lui le diable, c’est-à-dire d’être soumis au diable, lui qui n’a pas voulu être soumis au Christ. « Qu’il se tienne à sa droite », est-il dit, parce qu’il a préféré les oeuvres du diable aux oeuvres de Dieu, Car ce n’est pas sans raison qu’on assigne la droite à ce que l’on préfère, puisque la droite a la préférence sur la gauche. C’est pourquoi, à propos de ceux qui ont préféré à Dieu les joies du monde, et ont appelé heureux le peuple qui les possède, l’Ecriture dit avec raison que : « Leur droite est la droite de l’iniquité 2 ». Aussi en appelant bienheureux le peuple qui possède ces biens, leur bouche a parlé vainement, ainsi que l’a dit le Prophète. Mais au contraire, l’homme dont la bouche dit la vérité, qui ne veut point que l’on appelle heureux, comme le font ceux-ci, le peuple qui possède ces biens, doit à son tour répéter cette parole du même psaume: « Bienheureux le peuple dont le Seigneur est le Dieu 3 ». Ce n’est point Satan qui est à sa droite, mais bien le Seigneur, ainsi qu’il est dit ailleurs : « J’avais toujours le Seigneur en ma présence, parce qu’il est toujours à ma droite, pour m’empêcher de chanceler 4 ». Donc le diable se tint à la droite de Judas, quand il préféra l’avarice à la sagesse, l’argent à son salut, au point de livrer celui qui devait le posséder, de peur qu’il ne tombât au pouvoir de celui dont le Christ a détruit les ouvrages, ce Christ qu’il renia pour maître.
9. « Quand il sera mis en jugement, qu’il en sorte condamné
5». Car il n’a point voulu être de ceux à qui l’on dit:
« Entrez dans la joie de votre maître » ; mais bien de
ceux qui entendent : « Jetez-le dans les
1. Act. I, 20. — 2. Ps. CXLIII, 11. — 3. Id. 15. — 4. Id. XV, 8. — 5.
Id. CVIII, 7.
589
ténèbres extérieures 1. » « Et que sa prière lui devienne un crime». Nulle prière, en effet, n’est juste que dans le Christ qu’il vendit par le plus grand des crimes. Or, la prière qu’on ne fait point au nom du Christ, non-seulement ne peut effacer le péché, mais devient elle-même un péché. On peut demander : Quand Judas a-t-il pu prier de telle manière que sa prière devint un péché? C’est, je pense, avant de livrer le Seigneur, alors qu’il pensait à le trahir; car il ne pouvait déjà plus prier au nom du Christ. Car après l’avoir trahi, quand il se repentit de son crime, s’il eût prié au nom de Jésus-Christ, il eût demandé son pardon : or, demander son pardon, c’est avoir l’espérance ; avoir l’espérance, c’est croire en la miséricorde; et s’il eût cru à la miséricorde, le désespoir ne lui eût point mis la corde au cou. Aussi, quand le Prophète a dit : « Lorsqu’il sera mis en jugement, qu’il en sorte condamné »; de peur qu’on ne vienne à croire qu’il eût pu se délivrer par cette prière qu’il avait apprise de son maître avec les autres disciples, et où l’on trouve cette parole : « Remettez-nous nos dettes, comme nous remettons à nos débiteurs 2 ; que sa prière », dit le Prophète, « lui devienne un crime »; parce qu’elle n’est point faite au nom du Christ, qu’il n’a pas voulu suivre, mais poursuivre.
10. « Que ses jours soient peu nombreux 3». «Ses jours », dit le Prophète, les jours de son apostolat, qui furent peu nombreux, puisque, même avant la mort du Sauveur, ils se terminèrent par son crime et par sa mort. Et comme si l’on demandait ce que va devenir alors le nombre douze, qui est sacré, et que le Seigneur n’avait pas adopté sans raison pour ses premiers Apôtres, le Prophète ajoute aussitôt : « Qu’un autre prenne sa place dans l’épiscopat ». Comme s’il disait: Qu’il soit puni comme il le mérite, et que ce nombre demeure parfait. Quiconque désire connaître comment cela s’accomplit, peut lire les Actes des Apôtres.
11. « Que ses fils soient orphelins, et sa femme veuve 4 ». Assurément, sa mort fait de ses enfants des orphelins, de sa femme une veuve.
12. « Que ses enfants soient chancelants et « emmenés,
qu’ils soient mendiants 5 », Le
1. Matth. XXV, 21, 30. — 2. Id. VI, 12.— 3. Ps. CVIII, 8. — 4.
Id. 9. — 5. Id. 10.
mot chancelants, mutantes, signifie incertains de la route, privés de tout secours. « Qu’ils soient chassés de leurs habitations ». Le Prophète explique cette autre expression : « Qu’ils soient emmenés ». Les versets suivants nous disent comment ces malédictions sont tombées sur les fils et sur l’épouse de Judas.
13. « Que l’usurier dévore toute sa substance, et que son travail soit la proie de l’étranger. Que nul ne lui soit en aide », pour conserver sa postérité; car le Prophète ajoute: « Que nul n’ait pitié de ses enfants orphelins 1 ».
14. Mais comme ses enfants sans secours et sans tuteur pourraient encore grandir au milieu de la misère et de l’indigence, et conserver ainsi leur race, le Psalmiste continue en disant : « Que sa lignée soit dévouée à la mort, et que son nom s’éteigne dans une seule génération 2 »; c’est-à-dire, que tout ce qui est né de lui ne se régénère pas, et périsse rapidement.
15. Mais quel est le sens des paroles suivantes: « Que l’iniquité
de ses pères revienne continuellement à la mémoire
du Seigneur, et que le péché de sa mère ne soit point
effacé 3?» Faut-il comprendre que les péchés
de ses pères doivent retomber sur sa tête? Ce qui n’arrive
point à celui qui a été changé en Jésus-Christ,
et qui commence à n’être plus le fils des pécheurs,
en n’imitant plus leurs moeurs; car cette parole est très-véritable
: « Je ferai retomber sur les fils les péchés des pères
4»; et cette autre, par l’organe du Prophète: « L’âme
du père m’appartient, l’âme du fils m’appartient, l’âme
qui aura péché mourra 5». Cela est dit de ceux qui
se tournent vers Dieu, sans imiter les désordres de leurs pères
; c’est ce que le Prophète nous montre avec évidence, car
il dit que les iniquités des pères ne nuisent pas à
ceux qui accomplissent la justice, et ne leur ressemblent point 6. Mais
quand on lit : « Je ferai retomber les péchés des pères
sur les fils », il faut ajouter « qui me haïssent 7 »
c’est-à-dire, comme leurs pères me haïssaient; de même
qu’en imitant les hommes de bien, on obtient la rémission de ses
propres péchés, de même, en imitant les méchants,
on devient coupable, non-seulement
1. Ps. CVIII, 11,12.— 2. Id. 13.— 3. Id. 14,— 4. Exod. XX, 5.—
5. Ezéch. XVIII, 4 — 6. Id. 20.— 7. Exod. XX, 5.
590
de ses propres fautes, mais de celles qu’ont pu commettre ceux dont on suit les traces. Si donc Judas eût persévéré dans sa vocation, ni ses propres fautes, ni celles de ses pères n’eussent pu lui nuire en aucune sorte; mais comme il a renoncé à son adoption dans la famille de Dieu, et qu’il lui a préféré l’iniquité du vieil homme, alors l’iniquité de ses pères est revenue sous les yeux de Dieu, qui a dû la punir en lui-même, et le péché de sa mère n’a pas été effacé en lui.
16. « Qu’ils soient toujours en face du Seigneur 1 ». C’est-à-dire, que son père et sa mère « soient toujours à l’encontre du Seigneur », non pour résister à ses ordres, mais en ce sens que Dieu n’oublie jamais en Judas les maux qu’ils ont faits, et qu’il s’en venge sur lui. « En face du Seigneur », dit le Prophète, c’est-à-dire sous les yeux du Seigneur. Car certains interprètes ont traduit: « Qu’ils soient toujours en face du Seigneur » ; d’autres: « Qu’ils soient continuellement sous les yeux du Seigneur »; de même qu’il est dit ailleurs: « Vous avez placé mes iniquités en votre présence 2 ». Le Prophète a dit « toujours», car ce crime est tel qu’il ne sera remis ni en ce monde, ni en l’autre. « Que leur mémoire s’efface de la terre » : la mémoire de son père et de sa mère. Cette mémoire est celle qui se conserve par la succession de la race. Le Prophète annonce qu’elle sera effacée de la terre, parce que Judas lui-même, et ses fils qui étaient comme la mémoire de son père et de sa mère, doivent périr dans le court espace d’une seule génération, et sans postérité, ainsi qu’il est dit plus haut.
17. Mais, dira-t-on, faut-il croire que ce fut un châtiment pour
Judas, quand sa femme et ses enfants durent mendier après sa mort,
qu’ils furent emmenés, chassés de leur habitation, parce
que l’usurier dissipa toute la substance, que les étrangers pillèrent
tous ses biens, que nul ne leur vint en aide, et n’eut pitié de
ses orphelins, qui moururent bientôt sans postérité?
Les morts sont-ils attristés, après le trépas, de
ce qui arrive aux leurs? Faut-il croire qu’ils connaissent seulement ce
qui peut les affecter ailleurs, soit en bien, soit en mal, selon leurs
mérites ? Il y a là, je l’avoue, une grave question, qu’on
ne peut résoudre aujourd’hui. Nous serions
1. Ps. CVIII, 15.— 2. Id. XXIX, 8.
trop longtemps à dire, si vraiment les morts connaissent ce qui
se passe ici-bas, ou jusqu’à quel point, et de quelle manière.
Toutefois l’on peut dire en un mot, que s’ils n’avaient aucun soin de nous,
le Seigneur ne ferait pas dire à ce riche, qui était tourmenté
dans l’enfer: « J’ai là-haut cinq frères, qu’ils ne
viennent point à leur tour dans ce lieu de tourments 1 ».
Quelque sens que donnent à ces paroles ceux qui les veulent interpréter
autrement, il nous faut avouer que si les morts savent bien que les leurs
sont en vie, puisqu’ils ne les voient ni dans le lieu de tourments, où
se trouvait le mauvais riche, ni dans le repos des bienheureux, où
ce riche, quoique de loin, reconnut Lazare au sein d’Abraham, ce n’est
pas une raison pour qu’ils sachent ce qui arrive ici-bas de joyeux ou de
triste à ceux qui leur sont chers. On peut dire néanmoins
qu’il y a peu d’hommes qui soient de caractère, du moins pendant
leur vie, ou à négliger ce qui peut arriver après
leur mort, en bien ou en mal, à ceux qui leur sont chers, ou à
le mépriser entièrement ; qu’il en est beaucoup qui s’efforcent
de procurer aux leurs le bien-être, après leur mort, et c’est
ce que nous atteste le soin de prescrire leur dernière volonté,
en des testaments de toutes sortes. Quant à la perpétuité
de leur race, par la succession des générations, il n’y a
pour en avoir une louable insouciance, que ceux qui se font eunuques en
vue du royaume des cieux, qui désirent que leurs enfants le fassent
aussi, qui aspirent après la couronne du martyre, en sorte que nul
d’entre eux ne demeure sur la terre. Tous les autres, ou à peu près,
désirent qu’après leur mort leur famille soit heureuse sur
la terre, et que leur maison ne périsse point. Aussi, qu’après
la funeste mort de Judas, sa femme soit demeurée veuve, ses enfants
orphelins, que l’usurier ait grugé sa substance, que les étrangers
aient dissipé ses biens, que ses enfants aient été
chassés de leur demeure, que ces orphelins n’aient trouvé
personne qui les prît en pitié, et qu’ils soient morts dans
une seule génération, sans aucune postérité
; si les morts voient tout cela, c’est le comble du malheur ; s’ils ne
le voient point, c’est là l’effroi des vivants. Si l’on s’étonne
que Judas ait pu avoir une fortune que l’usurier pût lui enlever,
des biens
1. Luc, XVI, 22, 28.
591
que les étrangers pussent dissiper, quand il suivait déjà le Sauveur avec les onze autres; on peut croire qu’il avait abandonné ses biens à sa femme et à ses enfants , sans néanmoins avoir détaché son coeur de tout lien de cupidité, ni sincèrement, ni avec persévérance; et bien qu’il eût paru le vendre pour en distribuer le prix aux pauvres, il agissait néanmoins comme Ananie après l’ascension du Seigneur 1. Il ne pouvait craindre que le Seigneur découvrît cette fourberie par sa divinité, lui qui croyait le tromper, quand il enlevait du trésor ce qu’on y mettait 2.
18. Mais voyons, s’il nous est possible, et autant que Dieu nous en
fera la grâce, comment tout cela peut convenir au peuple Juif, qui
est demeuré obstiné dans sa haine contre le Christ, et dont
nous avons dit que Judas étai t la figure, comme l’apôtre
saint Pierre figurait l’Eglise : « Etablissez le pécheur
au-dessus de lui, et que le diable se tienne à sa droite ».
Ceci doit s’entendre du peuple aussi bien que de Judas ; car ayant repoussé
le Christ, il a été assujetti au diable, dont il a préféré
les suggestions à son propre salut, afin de jouir de ses convoitises
dépravées et terrestres. «Quand il sera mis en jugement,
qu’il en sorte condamné » ; parce qu’en demeurant dans son
impiété , dans son infidélité , il s’amasse
un trésor de colère pour le jour de la colère et de
la manifestation du juste jugement de Dieu, qui rendra à chacun
selon ses oeuvres 3. « Et que sa prière devienne un péché
», parce qu’elle n’est point faite au nom du médiateur de
Dieu et des hommes, de Jésus-Christ, homme 4 et prêtre pour
l’éternité selon l’ordre de Melchisédech 5 . «
Que ses jours soient peu nombreux ». Ceci doit s’entendre du royaume
des Juifs, qui n’a pas duré bien longtemps. « Et qu’un autre
soit mis en son épiscopat ». Cet épiscopat des Juifs
peut fort bien s’entendre de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui est
né, selon la chair, de la tribu de Juda; et l’Apôtre a dit
: « Je soutiens que le Christ a été ministre
de la circoncision, pour vérifier la parole de Dieu, et confirmer
les promesses faites à nos pères 6». Lui-même
a dit: « Je ne suis envoyé que vers les brebis perdues de
la maison d’Israël 7 »; parce que c’est à eux seuls qu’il
s’est montré dans sa chair. Et les Mages
1. Act. V, 1, 2.— 2. Jean, XII, 6.— 3. Rom. II, 5, 6.— 4. I Tim. II,
5 — 5. Ps. CIX, 4. — 6. Rom. XV, 8. — 7. Matth. XV, 24.
de l’Orient firent cette question : « Où est le roi
des Juifs qui vient de naître 1 ? » C’est encore ce que portait
le titre apposé à la croix; et ce n’est pas sans raison que
Pilate répondit à ceux qui voulaient le changer : «
Ce que j’ai écrit, je l’ai écrit 2 ». Donc, cet épiscopat
du peuple Juif, ou plutôt le Christ Notre-Seigneur, c’est un autre
peuple qui le reçoit en apanage, c’est-à-dire le peuple des
Gentils. « Que ses fils deviennent orphelins», eux dont il
est dit : « Quant aux enfants du royaume, ils iront dans les ténèbres
extérieures 3 ». Ils sont devenus orphelins, parce qu’ils
ont perdu le royaume, comme s’ils eussent perdu leur parenté, bien
qu’on puisse fort bien comprendre qu’ils ont perdu Dieu qui est leur père.
« Car», la Vérité l’a dit: « quiconque
n’a point le Fils n’a point le Père non plus 4 ». Que sa femme
devienne « veuve ». Par cette épouse du royaume, on
peut comprendre le peuple, sur qui les rois ont la domination, et la perte
du royaume a été pour lui un veuvage. « Que ses enfants
soient errants et mendiants ». Ils ont erré pour fuir le péril,
ces enfants du royaume des Juifs; leurs ennemis les ont emmenés
et vaincus. Qu’est-ce que mendier, sinon vivre de la pitié des hommes,
comme ils vivent sous les rois de ces nations où ils sont dispersés?
« Qu’ils soient chassés de leurs habitations ». C’est
là ce qui est arrivé. « Que l’usurier dévore
sa substance »; c’est-à-dire de ce peuple. Le sens le plus
plausible à donner à ces paroles, c’est que leurs fautes
ne leur soient point remises, puisqu’elles ne sont remises que dans le
Christ qu’ils ont rejeté; c’est de lui que nous avons appris à
dire : « Remettez-nous nos dettes, comme nous remettons à
nos débiteurs 5 ». « Toute sa substance », est-il
dit, ou toute sa vie, en sorte que nulle dette, ou plutôt nulle faute,
ne lui soit remise. « Et que les étrangers dissipent ses travaux»;
c’est-à-dire le diable et ses anges; car ils ne thésaurisent
point pour le ciel, ceux qui ne possèdent point le Christ, «
Que « nul ne lui soit en aide ». Qui vient en aide à
celui que n’aide pas le Christ? « Que nul ne prenne en pitié
ses petits enfants » qui, après avoir perdu leur père
, ou le royaume, sont demeurés orphelins, ou qui, après avoir
perdu Dieu, dont ils ont haï et
1. Matth. II, 1, 2. — 2. Jean, XIX, 19-22. — 3. Matth. VIII, 12. — 4.
1 Jean, II, 24.— 5. Matth. VI, 12.
persécuté le Fils, ne trouvent personne qui les prenne en pitié, non-seulement pour leur donner la vie temporelle, ou pour les soutenir, mais pour leur donner la véritable vie, ou la vie éternelle. « Que ses enfants soient a dévoués à la mort »; oui, à la mort éternelle. « Que son nom disparaisse dans une seule génération »; car il n’y a pour eux que génération, et non pas régénération de là vient qu’ils s’éteignent dans une seule génération. Quant à l’autre, ou à la régénération, s’ils la connaissaient, ils ne disparaîtraient point. « Que l’iniquité de leurs pères revienne à la mémoire en la présence du Seigneur »; afin que le Seigneur fasse retomber sur ce peuple, qui s’obstine dans sa malice, l’iniquité de ses pères. Voici en effet ce qu’il leur dit: « Vous portez contre vous-mêmes ce témoignage que vous êtes les fils de ceux qui ont tué les Prophètes ». Et un peu après : « Voilà que va retomber sur vous le sang des justes répandu sur la terre, depuis le sang du juste Abel jusqu’au sang de Zacharie 1. Et que le péché de sa mère ne soit point effacé »; c’est-à-dire le péché de Jérusalem, qui est dans la servitude avec ses enfants, qui tue les Prophètes, et qui lapide ceux qui lui sont envoyés. « Qu’ils soient tou«jours sous les yeux du Seigneur », leurs crimes, leurs iniquités; c’est-à-dire, qu’ils ne s’effacent point de la présence du Seigneur, qu’il en tire une vengeance éternelle : « Que leur mémoire s’efface de la terre ». Cette terre de Dieu est le champ de Dieu; et le champ de Dieu, c’est l’Eglise de Dieu, et leur mémoire a disparu de cette terre, car ils étaient les rameaux naturels, et Dieu les a brisés à cause de leur infidélité 2.
19 « Parce qu’il ne s’est point souvenu de faire miséricorde
», ce qui peut s’entendre de Judas, ou du peuple Juif; mais il est
mieux d’appliquer au peuple Juif cette expression: « Il ne s’est
pas souvenu ». Car si ce peuple a tué le Christ, il devrait
en avoir un souvenir de repentir, et faire miséricorde à
ses membres, qu’il a au contraire persécutés avec une persévérance
obstinée. Aussi le Prophète nous dit-il : « Qu’il a
persécuté l’homme pauvre et mendiant ». Cela
peut s’entendre de Judas, puisque le Seigneur n’a pas dédaigné
de se faire pauvre, lui qui était riche, afin de nous enrichir de
sa pauvreté 3. Comment dire que
1. Matth. XXIII, 31- 37. — 2. Rom, II, 20, 21. — 3. II Cor. VIII.
le Christ fut mendiant, sinon quand il dit à la Samaritaine:
« Donnez-moi à boire 1 »; et sur la croix : «
J’ai soi 2 ? » Mais la suite, je ne vois point comment on peut l’appliquer
à notre Chef, c’est-à-dire au Sauveur de son corps, à
Celui qu’a persécuté Judas. Après avoir dit en effet:
« Il a persécuté l’homme pauvre et mendiant »,
le Prophète ajoute : « Et mis à mort l’homme
touché de componction ». C’est-à-dire qu’il l’a fait
mourir, car c’est ainsi que plusieurs ont traduit. Or, ce mot de componction
ne s’emploie d’ordinaire que pour exprimer la douleur du repentir sous
l’aiguillon des péchés. Ainsi il est dit des Juifs qui écoutèrent
les Apôtres après l’ascension de ce même Sauveur qu’ils
avaient nus à mort, qu’ils furent touchés de componction.
Ce fut à eux que le bienheureux Pierre adressa la parole, leur disant
entre autres: « Faites pénitence, et que chacun de vous soit
baptisé au nom du Seigneur Jésus-Christ, et vos péchés
vous seront remis 3 ». Mais comme ceux-ci devinrent à leur
tour membres de Celui dont ils avaient cloué les membres à
la croix, le peuple Juif ne s’est point souvenu de faire miséricorde;
il a persécuté l’homme pauvre et mendiant, mais dans ses
membres: c’est d’eux, qu’en parlant des oeuvres de miséricorde,
le Seigneur dira: « Ce que vous n’avez point fait au moindre des
miens, vous ne me l’avez point fait à moi-même 4. Ils ont
mis à mort l’homme touché de componction»; oui, vraiment
touché de componction, mais dans ses membres. Parmi ces persécuteurs
qui voulaient donner la mort à l’homme touché de componction,
se trouvait Saul, consentant à la mort d’Etienne qui était
bien touché de componction 5: car Etienne était de ceux dont
le coeur avait été touché. Mais Saul se souvint de
faire miséricorde; et lui qui au matin enlevait les dépouilles,
pour partager au soir la nourriture 6, fut aussi touché de componction,
en sorte qu’en lui aussi les Juifs persécutèrent le pauvre,
et voulurent donner la mort à l’homme touché de componction.
Ce qu’ils haïssaient en Paul, c’était cette componction qui
lui faisait prêcher Celui qu’il avait persécuté. Car,
en persécutant dans ses membres le pauvre, le mendiant, l’homme
au coeur contrit, il entendit cette voix du ciel: « Saul,
1. Jean, IV, 7. — 2. Id. XIX, 26. — 3. Act. II, 37, 38. — 4. Matth.
XXV, 45. — 5. Act. Vii, 59 . — 6. Gen. XLIX, 27.
593
«Saul, pourquoi me persécutes-tu 1?» Et tout à coup touché de componction, il endura lui-même ce qu’il faisait endurer aux coeurs contrits.
20. Le psaume continue: « Il a aimé la malédiction, elle viendra sur lui 2». Bien que Judas ait aussi choisi la malédiction, en volant les deniers, puis en vendant et en livrant son maître, néanmoins il est plus visible que t’est le peuple qui choisit la malédiction quand Il s’écria: «Que son sang retombe sur nous, et sur nos enfants 3. II n’a point la bénédiction, et voilà qu’elle s’éloignera de lui ». Judas, il est vrai, ne voulut point du Christ, en qui est la bénédiction éternelle; mais il est plus clair que le peuple Juif refusa la bénédiction quand cet homme éclairé par le Christ lui dit: « Voulez-vous donc, vous aussi, devenir ses disciples ? » Il refusa la bénédiction, la regardant comme un anathème: «Toi, sois son disciple 4» Alors la bénédiction s’éloigna de lui et passa aux Gentils. « Il a revêtu la malédiction comme un manteau », soit Judas, soit le peuple Juif. « Elle est entrée comme l’eau dans ses entrailles ». C’est donc à l’extérieur, et à l’intérieur; à l’extérieur comme un vêtement, à l’intérieur comme l’eau : car il tombe sous le jugement de Celui qui peut précipiter l’âme et le corps dans l’enfer 5; le corps pour l’extérieur, l’âme pour l’intérieur. « Et comme l’huile dans ses os ». Cette expression désigne le plaisir de faire le mal, et de s’amasser la malédiction, c’est-à-dire la peine éternelle, puisque la bénédiction est l’éternelle vie. Ici-bas, en effet, le mal fait ressentir une joie, comme l’eau dans nos entrailles, comme l’huile dans les os : on l’appelle néanmoins malédiction parce que Dieu menace de tourments ceux qui goûtent cette joie. Or, la malédiction est comme une huile dans les os, parce que les hommes prennent pour une force la licence de commettre le mal, comme s’il devait être impuni.
21. «Qu’elle soit pour lui comme le vêtement dont il se
couvre 6 ». Déjà il a été parlé
du vêtement, pourquoi cette répétition? Est-ce que
cette expression : « Il s’est couvert de la malédiction comme
d’un vêtement », est bien différente de celle-ci, où
l’on ne dit plus se revêtir, mais se couvrir? On se revêt d’une
1. Act. IX, 4.— 2. Ps. CVIII, 18.— 3. Matth. XXVII, 25.— 4. Jean, IX,
27, 28. — 5. Matth. X, 28. — 6. Ps. CVIII, 19.
tunique, on se couvre d’un manteau. Que signifie cette expression, sinon que l’on se glorifie de son iniquité en présence des hommes? « Et comme la ceinture», dit le Prophète, « qu’il a toujours sur les reins ». Or, la ceinture donne plus de liberté, pour le travail, à l’ouvrier, qu’elle ne laisse point embarrassé dans les plis de ses vêtements. Il se fait donc de la malédiction une ceinture, celui qui commet le mal, non par surprise, mais avec préméditation, et qui s’accoutume tellement au mal, qu’il y est toujours disposé. Aussi le Prophète a-t-il dit: « Comme la ceinture qu’il a toujours sur les reins ».
22. « Telle est, devant le Seigneur, l’oeuvre de ceux qui me calomnient 1 ». Le Prophète ne dit point la récompense, mais à l’oeuvre». Il est clair que par ce vêtement, ce manteau, cette eau, cette huile, cette ceinture, il marquait les oeuvres qui appellent sur nous l’éternelle malédiction. Ce n’est point de Judas seulement, mais de beaucoup d’autres qu’il est dit: « Telle est, devant le Seigneur, l’oeuvre de ceux qui me calomnient». Toutefois, on a pu mettre le pluriel pour le singulier, comme après la mort d’Hérode, l’ange dit : « Ceux qui cherchaient la vie de l’enfant sont morts 2 ». Mais quels hommes, principalement, accusent le Christ devant le Seigneur, sinon ceux qui démentent les paroles du Seigneur, en affirmant que ce n’est point lui qu’ont annoncé la loi et les Prophètes? « Ils tiennent des discours méchants contre ma vie », en niant que le Christ pût ressusciter à son gré, quand il dit lui-même : « J’ai le pouvoir de donner ma vie, et le pouvoir aussi de la reprendre 3 ».
23. « Pour vous, Seigneur, ô Seigneur, faites avec
moi ». Quelques-uns ont voulu sous-entendre « miséricorde»;
d’autres même l’ont ajouté : mais les exemplaires les plus
corrects portent : « Et vous, Seigneur, Seigneur, faites avec moi,
à cause de votre nom 4 ». Aussi ne faut-il pas oublier un
sens plus relevé, dans lequel le Fils dirait à son Père
: « Faites avec moi », parce que les oeuvres du Père
et du Fils sont les mêmes. Quand nous comprenons encore : Faites
miséricorde , (car on lit ensuite : « Parce que votre miséricorde
est pleine de douceur »), comme l’interlocuteur ne dit pas:
1. Ps. CVIII, 20. — 2. Matth, II, 20. — 3. Jean, X, 18. — 4. Ps. CVIII,
21.
595
Faites en moi, ou faites sur moi, ou toute autre expression; mais bien
: « Faites avec moi », nous avons raison de comprendre que
le Père et le Fils font ensemble miséricorde aux vases de
miséricorde 1. On peut aussi comprendre: « Faites avec moi
», dans le sens de aidez-moi. C’est l’expression ordinaire dont nous
nous servons, à propos de quelqu’un qui est de notre parti; il fait
d’avec nous. Or, le Père aide le Fils, en tant que Dieu aide l’homme,
à cause de la forme de l’esclave; or, Dieu est père de cet
homme, et père aussi de celui qui a la forme de l’esclave. Au point
de vue de la nature divine, le Fils n’a pas besoin d’être aidé
par le Père; il est tout-puissant comme le Père avec lequel
il assiste l’homme. « De même que le Père ressuscite
les morts et donne la vie, ainsi le Fils vivifie ceux qu’il lui plaît
2 ». Le Père ne donne point la vie aux uns, et le Fils aux
autres; ni le Père autrement que le Fils: les oeuvres sont les mêmes,
et de la même manière. Ainsi, dans sa nature humaine, le Fils
de Dieu a été ressuscité par Dieu d’entre les morts,
c’est-à-dire par son Père, à qui il s’adresse dans
le psaume : « Ressuscitez-moi, et je me vengerai d’eux 3».
En tant qu’il est Dieu, il s’est ressuscité lui-même ; aussi
a-t-il dit : « Détruisez ce temple, et je le rebâtirai
en trois jours 4». Nous retrouvons ici le même sens, quand
on l’examine avec soin. Il nous ordonne de sonder les Ecritures, qui rendent
témoignage à son sujet 5, et de ne point passer légèrement.
Or, il ne dit pas seulement : « Vous, Seigneur, ô Seigneur,
faites avec moi » ; mais : « Vous aussi »; et qu’est-ce
à dire: « Vous aussi », sinon moi déjà?
Qu’il ne dise pas Seigneur une seule fois, mais qu’il le répète
: « Seigneur, Seigneur »; c’est l’effet d’une ardente prière,
comme: « O Dieu, mon Dieu 6 ». Après avoir dit: «
Faites avec moi », qu’il ajoute : « A cause de votre nom »:
c’est pour nous signaler la grâce de Dieu. Car la nature humaine
n’avait dans ses oeuvres aucun mérite qui pût l’élever
à ce comble de gloire, que le Verbe uni à la chair c’est-à-dire
Dieu et l’homme, fût appelé Fils de Dieu. Or, voilà
ce qui s’est fait, en sorte que Celui qui avait créé l’homme
est venu le rechercher; ce qui n’avait point péri de l’humanité
a recueilli
1. Rom. IX, 23.— 2. Jean, V, 21. — 3. Ps. XL, 11.—
4. Jean, II, 19. — 5. Id. V, 39. — 6. Ps. XXI,
2.
ce qui avait péri. De là cette parole qui suit: « Parce que votre miséricorde est pleine de douceur ».
24. «Délivrez-moi, parce que je suis pauvre et indigent 1». Dans cette indigence et cette pauvreté, nous trouvons la faiblesse qui l’a fait clouer à la croix. « Et mon coeur s’est troublé en moi-même » .On peut rapporter ces paroles à ce que dit le Fils de Dieu aux approches de la passion : « Mon âme est triste jusqu’à la mort 2 ».
25. « J’ai passé comme l’ombre qui décline 3». Voilà ce qui indique la mort. De même que l’ombre qui s’abaisse amène la nuit, ainsi une chair mortelle arrive à la mort. « J’ai été secoué comme les sauterelles ». Il me semble que cette parole convient mieux à ses membres, c’est-à-dire aux fidèles. Et c’est pour s’exprimer avec plus de justesse que le Prophète a préféré dire « Comme les sauterelles », et non comme la sauterelle; et toutefois, avec le nombre singulier, on eût encore pu l’entendre du pluriel, comme il est dit ailleurs : « Il dit, et vint la sauterelle 4 » ; mais c’eût été plus obscur. Donc ses fidèles ont été secoués, mis en fuite par les persécuteurs, dont les sauterelles nous expriment ici ou le grand nombre, ou le passage d’un lieu à un autre.
26. « Mes genoux se sont affaiblis par le jeûne 5
». Nous lisons que : « Le Seigneur jeûna pendant
quarante jours 6 » ; mais ce long jeûne put-il bien affaiblir
ses genoux? Ceci ne s’appliquerait-il pas mieux à ses membres, c’est-à-dire
à ses saints? « Et ma chair a été changée
à cause de l’huile», ou à cause de la grâce spirituelle.
C’est du chrême qu’est venu le nom de Christ, et chrême signifie
onction. Or, ce changement que l’huile a opéré dans ma chair
ne l’a point détériorée, mais c’était une amélioration,
puisque des ignominies de la mort elle s’élevait à l’immortalité
glorieuse. Dès lors, après avoir dit: « Mes genoux
se sont affaiblis par le jeûne », ce qui signifie que ceux
de ses membres qui paraissaient forts, s’affaissèrent une fois que
disparut, à la passion, ce pain qui les soutenait, ainsi qu’on le
vit dans le reniement de Pierre: comme pour les fortifier contre la chute,
le Prophète ajoute : « Et ma chair a été
changée à cause de l’huile»,
1. Ps. CVIII, 22.— 2. Matth. XXVI, 38. — 3. Ps. CVIII, 23. — 4. Id.
CIV, 34. — 5. Id. CVIII, 24. — 6. Matth. IV, 2.
595
afin que ma résurrection vînt soutenir ceux que ma mort avait ébranlés, et qu’ils reçussent l’onction de l’Esprit-Saint, qui ne serait point descendu sur eux, si je ne les avais quittés. Car il avait dit : « Cet Esprit ne peut avenir, si je ne m’en vais d’abord 1 ». Et l’Evangéliste a dit : « Le Saint-Esprit n’avait pas été envoyé, parce que Jésus n’était pas encore glorifié 2 ». La chair n’était point changée alors. Mais soit que l’on désigne l’Esprit-Saint par l’eau qui arrose, ou par l’huile qui donne la joie, ou par le feu de la charité, il n’est point différent en lui-même, quelque différents que soient les signes. La différence est grande entre le lion et l’agneau, et néanmoins l’un et l’autre figurent le Christ: le lion a certaines qualités, l’agneau d’autres qualités. Cependant le Christ est le même, bien que l’agneau n’ait pas la force, ni le lion l’innocence ; mais le Christ est fort comme le lion, innocent comme l’agneau. Jésus-Christ, en effet, dit lui-même en lsaïe : « L’Esprit de Dieu est sur moi, aussi m’a-t-il oint 3 ».
27. « Je suis devenu pour eux un opprobre 4 », à cause de ma mort sur une croix. Le Christ, en effet, nous a rachetés de la malédiction de la loi, en se faisant malédiction pour nous 5. Ils m’ont vu, et ont branlé la tête». Parce qu’ils ne l’ont vu que suspendu à la croix, et non ressuscité : ils l’ont vu quand ses genoux étaient affaiblis, et ne l’ont point vu quand sa chair était changée.
28. « Secourez-moi, Seigneur mon Dieu, sauvez-moi selon votre miséricorde 6 ». Ceci peut s’appliquer au Christ tout entier, c’est-à-dire et à la tête et au corps; à la tête, à cause de la forme de l’esclave; au corps, à cause des esclaves eux-mêmes. Car c’est en eux qu’il a pu dire à Dieu: « Secourez-moi, et sauvez-moi», lui qui disait en eux aussi : « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu 7? » S’il ajoute : « Selon votre miséricorde », c’est pour nous montrer que la grâce est gratuite, et non point la récompense des oeuvres.
29. «Qu’ils sachent que c’est là votre main, et que c’est
vous qui l’avez faite 8 ». Le Christ dit: « Qu’ils sachent
», c’est-à-dire les bourreaux pour qui il a prié, car
ceux qui n’ont vu en lui qu’un objet d’opprobre, qui ont
1. Jean, XVI, 7. — 2. Id. VII, 39. — 3. Isa. LXI, 1. — 4. Ps. CVIII,
25. — 5. Galat. III, 13. —6. Ps. CVIII, 26. — 7. Act. IX, 4. — 8. Ps. CVIII,
27.
branlé la tête par dérision, étaient ceux-là mêmes qui plus tard crurent en lui. Mais que ceux-là qui attribuent à Dieu la forme d’un corps humain, sachent bien comment Dieu peut avoir une main. Si ses oeuvres sont les oeuvres de sa main, est-ce encore avec la main qu’il a fait sa main? En quel sens donc est-il dit ici : « Qu’ils reconnaissent ici votre main, et que c’est vous, ô mon Dieu, qui l’avez faite? » Comprenons bien que la main de Dieu, c’est le Christ; aussi est-il dit ailleurs « A qui le bras du Seigneur a-t-il été révélé 1?» Cette main était donc, et néanmoins Dieu l’a faite ; et en effet : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe s’est fait chair 2». Dans sa divinité, il est en dehors du temps; mais il lui a été fait, dans la race de David, selon la chair 3.
30. « Ils me maudiront, mais vous me bénirez 4 ». Elle est donc vaine, elle est donc fausse, la malédiction des hommes, qui aiment la vanité, qui recherchent le mensonge 5:
mais Dieu, quand il bénit, fait ce qu’il dit. « Qu’ils soient confondus, ceux qui s’élèvent contre moi ». Ils ne s’élèvent ainsi que par l’espérance d’un avantage sur moi ; mais quand j’aurai été élevé par-dessus les cieux, et que ma gloire sera étendue par toute la terre, alors ils seront confondus. « Mais pour votre serviteur, il sera dans la joie » : soit à la droite du Père, soit dans ses membres qui se réjouiront eux-mêmes, et dans les tentations par l’espérance, et après les tentations, par la vie éternelle.
31. « Qu’ils soient revêtus de honte, ceux qui me calomnient ». C’est-à-dire, qu’ils rougissent de leurs calomnies contre moi. Cette parole peut aussi se prendre en bonne part, en ce sens que les calomniateurs se corrigent. « Que la confusion leur soit un double manteau 6 ». Il y a dans le latin diplois, ce qui a donné lieu à cette autre traduction: « Que la confession soit pour eux duplex pallium, un manteau double». C’est-à-dire, qu’ils soient confondus au dedans et au dehors, ou devant Dieu et devant les hommes.
32. «Ma bouche confessera le Seigneur avec excès 7 ». Il y a en latin nimis, expression que l’on emploie d’après le génie de cette langue, pour désigner un excédant; elle est contraire
à peu, parum, qui signifie moins qu’il ne
1. Isa. LIII, 1.— 2. Jean, I, 1, 14. — 3. Rom. I, 3.— 4. Ps. CVIII,
28. — 5. Id. IV, 3.— 6. Id. CVIII, 29.— 7. Id. 30.
596
faut. Mais en grec, nimis, se dit agan: or, ce n’est pas agan que l’on
lit dans ce verset, mais sphodra. Nos traducteurs lui ont donné
un sens qu’ils expriment tantôt par nimis, tantôt par valde,
extrêmement. Mais si nimis peut avoir le sens de valde, on peut mettre
nimis à propos de la louange, car cette confession du Psalmiste
est une louange véritable. Le Psalmiste en effet continue ainsi
: « Ma bouche le bénira au milieu d’hommes nombreux ».
Dans un autre psaume, il est dit : « Je vous chanterai au milieu
de l’Eglise 1 ». Mais quand c’est l’Eglise qui chante, elle qui est
le corps du Christ, comment l’Eglise peut-elle chanter au milieu de l’Eglise?
De même, quant à ces hommes nombreux de notre psaume, dès
lors qu’ils sont les membres du Christ, si le Christ bénit le Seigneur
quand ils le bénissent, comment dire qu’il le bénit au milieu
d’hommes nombreux, puisque c’est lui qui bénit Dieu, quand ils bénissent
Dieu? Ou bien bénit-il Dieu au milieu de beaucoup, parce qu’il est
avec son Eglise jusqu’à la consommation des siècles 2 ; en
ce sens que: « Au milieu de beaucoup », s’entendrait des honneurs
qu’il reçoit de la multitude? Car on assigne la place du milieu
à celui qui reçoit les principaux honneurs. Et si le coeur
est comme le milieu de l’homme, on ne saurait donner à
1. Ps. XXI, 23. — 2. Matth. XXVIII, 20.
ces paroles un sens plus plausible que celui-ci: Je le bénirai dans les coeurs de la multitude, car le Christ habite par la foi dans nos coeurs 1. Le Prophète a dit: « Ma bouche », c’est-à-dire la bouche de mon corps, qui est I’Eglise. C’est le coeur, en effet, qui croit pour être justifié, c’est la bouche qui confesse pour obtenir le salut 2.
33. « Car il s’est tenu à la droite du pauvre 3 ».
Il est dit de Judas : « Que le diable se tienne à sa droite
»: parce qu’il a voulu augmenter ses richesses, en vendant le Christ.
Mais ici c’est le Seigneur qui « s’est tenu à la droite
du pauvre », afin d’être lui-même la richesse du pauvre.
« Il s’est tenu à la droite du pauvre », non point pour
multiplier les années d’une vie qui doit finir un jour, non pour
augmenter ses richesses, non pour lui donner la force corporelle, ou la
santé pour un temps; mais afin, dit le Prophète, «de
délivrer son âme des persécuteurs ». Or, l’âme
est délivrée des persécuteurs, quand leurs suggestions
ne la font point consentir au mal; et elle n’y consent point, quand le
Seigneur se tient à la droite du pauvre, pour le soutenir contre
sa pauvreté, c’est-à-dire sa faiblesse. Tel est le secours
que Dieu a prêté au corps du Christ dans tous ses saints martyrs.
1. Ephés. III, 17. — 2. Rom. X, 10.— 3. Ps. CVIII, 1.
DISCOURS SUR LE PSAUME CIX.
SERMON AU PEUPLE.
LES PROMESSES DU SEIGNEUR.
L’Ancien Testament était le temps des promesses, le Nouveau est celui de l’accomplissement. Ces promesses toutefois ne sont point pour l’homme qui reste dans le péché, s’imaginant que Dieu ise prend aucun soin de nos actions, lui qui a compté nos cheveux. Le garant de ces promesses, c’est le Christ prophétisé dans notre psaume, comme Seigneur de David. Il est fils de David selon l’Evangile et selon saint Paul ; et quand il passait sur le grand chemin, les aveugles, comprenant que ses actes comme fils de David sont transitoires, l’invoquèrent sous ce nom et virent la lumière. Il est Seigneur de David comme Verbe de Dieu, et Verbe fait chair pour nous donner l’espérance. Les Juifs pouvaient répondre que la Vierge doit mettre au monde Emmanuel, que cet Emmanuel est Seigneur de David, mais le fils de la vierge, fils de David. Ce Christ fils de David ayant été élevé en gloire, est devenu par là même Seigneur de David; et Dieu lui a donné nia nom au-dessus de tout nom. Voilà ce qu’il nous faut croire sans le comprendre, autrement notre foi n’aurait pas de mérite. Le principal péché des Juifs est de n’avoir point cru en lui; de là vient que leurs péchés subsistent, puisque nulle faute ne peut être effacée que par la foi au Christ; et comme l’objet de la foi doit être invisible, voilà que le Fils de Dieu s’est dérobé à nos regards par l’ascension, afin de former en nous la justice par la foi. Si nous ne voyons pas le Christ assis à la droite de son Père, nous voyons ses ennemis sous ses pieds, soit par le coup de sa justice, soit par le coup de sa miséricorde. En dépit des nations révoltées, le Seigneur les donnera à son Christ. C’est à partir de Sion que le Seigneur a commencé son règne par la prédication de l’Evangile. Il règne au milieu de ses ennemis, Juifs, infidèles, hérétiques, à qui l’on prêche la rémission des péchés, jusqu’à ce que toutes les nations soient entrées dans I’Eglise. Les disciples ont vu le Christ montant au ciel, nous le voyons régnant ssr tous les peuples. Quant à la forme de l’esclave, l’impie l’a vue, et il verra aussi celui qu’il a percé, mais non la forme divine. Alors nouas comprendrons que le principe est avec lui, Ou plutôt qu’il est en son Père, et sua Père en lui, quand les saints apparaîtront dans leur gloire pour la vie éternelle. Aujourd’hui nous croyons au Christ que Dieu engendre dans le secret de sa gloire, et avant le temps. David pouvait dire aussi: je vous ai engendré du sein de la vierge, et pendant la nuit que bénirent les bergers. Le Christ ne peut être prêtre que selon l’ordre de Melchisédech, puisque le sacerdoce d’Aaron a cessé avec le temple et l’holocauste. Le Seigneur à votre droite, et le prêtre à la droite de son Père; il doit briser sur la terre les têtes rebelles et orgueilleuses , car il est la pierre de Sion écrasant tout incrédule. Maintenant il juge, mais sans éclat; au dernier jour, il jugera ostensiblement; il ruine aujourd’hui ce qui est du vieil homme, pour le réédifier dans la gloire; et lui qui a bu l’eau du torrent par une vie rapide, relèvera la tête dans sa splendeur.
l. Autant que nous le permettra le Seigneur, qui nous a établi ministre de sa parole et de ses sacrements pour vous servir dans l’effusion de sa miséricorde; avec le secours de ce même Dieu, qui vous rend si attentifs et qui voudra bien nous en rendre capable, nous entreprenons de sonder et de vous exposer le psaume que nous venons de chanter. li contient peu de paroles, mais on y trouve de grandes pensées. Que votre âme soit donc toujours fervente et en éveil devant Dieu, qui a ses temps pour faire des promesses, et ses temps aussi pour les accomplir. Le temps des promesses était celui des Prophètes jusqu’à Jean-Baptiste; depuis Jean-Baptiste jusqu’à la fin, c’est le temps de les accomplir. C’est un Dieu fidèle qui veut bien se constituer notre débiteur, non point qu’il reçoive quelque chose de nous, mais bien parce qu’il nous tait de si grandes promesses. C’était peu pour lui que la promesse, il a voulu la faire écrire; il nous a fait en quelque sorte le billet de ses
promesses, afin que quand il viendrait à les accomplir, nous pussions voir dans ces mêmes écrits l’ordre qu’il devait garder. Le temps de la prophétie était donc, nous l’avons dit souvent, le temps des promesses. Dieu nous a promis la vie éternelle, la vie bienheureuse et sans fin avec les anges, l’héritage incorruptible, la gloire toujours durable, la douce contemplation de sa face, la demeure dans les tabernacles célestes, la résurrection d’entre les morts, sans craindre la mort désormais. Telle est, en quelque sorte, la promesse finale, où tendent nos désirs ; et quand nous y serons arrivés, nous n’aurons plus rien à demander, plus rien à désirer. Mais Dieu, en faisant ces promesses, a daigné nous préciser dans quel ordre nous pourrons y arriver. Il a promis aux hommes la divinité, à de simples mortels l’immortalité, à des pécheurs la justification, et aux humiliés la gloire. Toutes ces promesses, il les a faites àdes indignes, afin ne ses promesses ne
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parussent point la récompense des oeuvres, mais bien une grâce accordée gratuitement, comme l’indique son nom. Vivre en effet dans la justice, autant qu’un homme peut vivre de la sorte, ce n’est point l’effet de son mérite, mais d’un bienfait de Dieu. Car nul ne mène une vie juste, s’il n’a été justifié, c’est-à-dire fait juste; et l’homme ne peut devenir juste que par Celui qui ne peut être injuste. De même qu’une lampe ne saurait s’allumer elle-même, ainsi l’âme de l’homme ne saurait se donner la lumière ; mais elle crie au Seigneur : « C’est vous, ô Dieu, qui ferez luire ma lampe 1 ».
2. Lorsqu’on promet donc le royaume des cieux aux pécheurs, ce n’est point à ceux qui demeurent dans le péché, mais à ceux qui sont délivrés du péché, pour servir dans la justice; et, pour cela, il leur faut, avons-nous dit, le secours de la grâce c’est celui qui est toujours juste qui les justifie. Il semblait néanmoins incroyable que Dieu eût tant de bonté pour les hommes, et aujourd’hui, ceux qui désespèrent de la grâce divine, ceux qui ne veulent point quitter leur vie dépravée et se tourner vers Dieu, et recevoir de lui la justification, afin que, leurs péchés une fois couverts du pardon, ils puissent commencer une vie juste en Celui qui n’a jamais vécu dans l’injustice; ceux-là, dis-je, s’entretiennent dans la corruption par cette funeste pensée qui leur fait dire que Dieu n’a aucun souci des choses humaines, et que Celui qui a créé le monde, qui le dirige, ne peut considérer quelle est ici-bas la vie d’un mortel. Ainsi l’homme fait par Dieu, s’imagine qu’il échappe à l’oeil de Dieu. S’il nous était permis de nous adresser à cet. homme; si notre parole pouvait atteindre son oreille d’abord et ensuite son coeur; si son obstination ne décourageait point celui qui le cherche, tout perdu qu’il est; s’il se laissait retrouver, nous pourrions lui dire : O homme, comment Dieu te négligerait-il, maintenant que tu es créé, lui qui a pris soin de te créer? Pourquoi t’imaginer que tu n’es point au rang des créatures? Loin de toi toute séduction t Tes cheveux sont comptés par le Créateur 2. Telle est, en effet, la parole que Jésus donnait à ses Apôtres, dans l’Evangile, les rassurant contre la crainte de la mort, et leur ôtant la pensée que rien d’eux pût périr par la mort. Ils redoutaient la
2. Ps. XVII, 29.— 3. Matth. X, 30.
mort pour leur âme, et il les rassure à propos du moindre de leurs cheveux. L’âme, en effet, peut-elle périr, quand un cheveu ne périt point? Toutefois, mes frères, comme il paraissait incroyable que Dieu pût accomplir ce qu’il promettait aux hommes, de les tirer de cette mortalité, de cette abjecte corruption, de cette faiblesse, de la cendre et de la poussière, pour les égaler aux anges de Dieu, non-seulement le Seigneur leur a donné en garantie les saintes Ecritures, mais il leur a donné, pour médiateur de sa promesse, non plus un prince quelconque, non plus un ange, ou un archange, mais son Fils unique, afin de nous montrer et de nous donner, en la personne de ce même Fils, cette voie par laquelle il doit nous conduire à la fin qu’il nous promet. C’était peu, en effet, pour Dieu, de nous donner son Fils pour guide ; il en a fait la voie elle-même, afin que nous puissions aller à Celui qui nous conduit, et marcher en lui.
3. Il nous adonc promis que nous arriverions à lui, c’est-à-dire à cette ineffable immortalité, à l’égalité avec les anges: combien nous en étions éloignés! Quelle élévation en lui! quelle bassesse en nous! Quelle supériorité en lui! et, en nous, quelle abjection profonde et désespérante! Nous étions dans une langueur mortelle, sans pouvoir guérir: Dieu nous a envoyé un médecin que le malade ne connaissait point: « Car s’ils l’eussent connu, ils n’eussent jamais crucifié le Seigneur de la gloire 1». Mais ce qui a servi à la guérison, c’est que le malade ait tué son médecin. Il était venu pour visiter ce malade, on l’a fait mourir, afin qu’il donnât la guérison. Il fit comprendre à ses fidèles qu’il était Dieu et homme; Dieu par qui nous avons été formés, homme par qui nous sommes reformés. Autre était ce qui paraissait en lui, et autre ce qui était caché; et ce qui était caché était bien supérieur à ce que l’on voyait; mais ce qui était supérieur demeurait invisible. Le malade était guéri par ce qu’ily avait de visible, afin qu’il devînt capable de voir celui qui se dérobait un instant, mais qui ne devait point se refuser à jamais. Que le Fils unique de Dieu viendrait chez les hommes, qu’il prendrait notre chair, qu’il deviendrait homme par cette chair qu’il aurait prise, qu’il mourrait, qu’il ressusciterait,
1. I Cor, II, 8.
qu’il monterait au ciel pour s’asseoir à la droite de son Père, accomplissant ainsi ses promesses à l’égard des Gentils, et qu’après l’accomplissement de ses promesses à l’égard des Gentils, il exécuterait encore ce qu’il avait dit; qu’il viendrait, et se ferait rendre compte de ses grâces, afin de faire le discernement des vases de colère, et des vases de miséricorde, pour accomplir ses menaces à l’égard de l’un pie, ses promesses à l’égard du juste voilà ce qu’il fallait prophétiser, ce qu’il fallait annoncer, l’avènement qu’on devait prêcher, afin qu’il ne causât aux hommes ni frayeur ni surprise, mais qu’il fût attendu avec foi. Parmi ces promesses, il faut compter notre psaume, qui annonce Jésus-Christ Notre-Seigneur d’une manière claire et évidente; en sorte qu’il est indubitable pour nous que ce psaume est une prophétie du Christ, car nous sommes chrétiens, et nous en croyons à l’Evangile. Un jour que le Seigneur et Sauveur Jésus-Christ demandait aux Juifs de qui, selon eux, le Christ était fils, et qu’ils répondaient de David; il leur répliqua aussitôt « Comment donc David nous dit-il par l’Esprit-Saint: Le Seigneur a dit à mon Seigneur: Asseyez-vous à ma droite, jusqu’à s ce que je réduise vos ennemis à vous servir de marchepied? Si donc David, parlant par e l’Esprit-Saint, l’appelle son Seigneur, comment est-il son Fils 1?» C’est par ce verset même que commence le psaume.
4. « Le Seigneur a dit à mon Seigneur: « Asseyez-vous à ma droite, jusqu’à ce que je réduise vos ennemis à vous servir de marchepied 2 ». C’est donc par cette question que pose aux Juifs Notre-Seigneur, qu’il nous faut commencer l’explication du psaume. Que l’on nous demande en effet si nous confirmons, ou si nous contredisons la réponse des Juifs ; loin de nous de la contredire. Si l’on nous demande : Le Christ est-il filé de David, ou ne l’est-il point? Répondre non, c’est contredire l’Evangile; car saint Matthieu commence de cette manière le récit évangélique : « Livre de la génération de Jésus-Christ, fils de David 3 ». L’Evangéliste proclame donc qu’il écrit le livre de la génération de Jésus-Christ, fils de David, Les Juifs eurent donc raison de répondre au Christ, qui leur demandait de qui ils croyaient que le Christ était fils, que c’était de David. Cette
1. Matth. XXII, 42-45. — 2. Ps. CIX, 1 — 3. Matth. I, 1.
réponse est d’accord avec l’Evangile. C’est ce qu’établit non-seulement l’opinion des Juifs, mais la foi des chrétiens. Je trouve aussi d’autres preuves. L’Apôtre dit de Jésus-Christ qu’ « il est né, selon la chair, de la race de David 1 »; et, s’adressant à Timothée : «Souvenez-vous »,lui dit-il, « que Jésus-Christ de la race de David est ressuscité des morts, selon l’Evangile que je prêche ». Et que dit-il à propos de cet Evangile? « Pour lequel je souffre jusqu’à être chargé de chaînes, comme un malfaiteur; mais la parole de Dieu n’est point enchaînée 2 », L’Apôtre souffrait donc jusqu’à être chargé de chaînes pour son Evangile, c’est-à-dire pour la dispensation de cet Evangile qu’il prêchait aux peuples, qu’il répandait parmi les nations. Lui qui le matin avait enlevé les dépouilles, et le soir partagé le butin 3, souffrait donc jusqu’à être enchaîné pour la bonne nouvelle. Quelle bonne nouvelle? « Que le Christ, fils de « David, est ressuscité d’entre les morts » .C’est pour cette nouvelle que souffrait l’Apôtre, et néanmoins c’est à ce sujet que le Sauveur interrogeait les Juifs; et quand ils répondaient ce que prêchait l’Apôtre, il releva cette réponse comme pour la contredire: « Comment donc David, parlant dans l’Esprit de Dieu, l’appelle-t-il son Seigneur? » Et il cita en preuve cet endroit du psaume : « Le Seigneur a dit à mon Seigneur. Si donc, dans l’Esprit de Dieu, il l’appelle son Seigneur, comment est-il son fils? » Cette question imposa silence aux Juifs : ils ne trouvèrent aucune réponse, mais ils ne cherchèrent point à l’avoir pour Seigneur, parce qu’ils ne le reconnaissaient point pour le fils de David. Pour nous, mes frères, croyons et parlons: « Car c’est dans le coeur qu’est la foi qui justifie, et dans la bouche la confession qui sauve 4 ». Croyons, dis-je, et proclamons que le Christ est fils de David et Seigneur de David. N’allons point rougir du fils de David, afin de n’irriter point le Seigneur de David.
5. C’est de ce nom que l’appelèrent, quand il passait, ces aveugles qui méritèrent de recouvrer la vue. Jésus passait, et ces aveugles qui entendaient passer une troupe, connurent de l’oreille Celui qu’ils ne pouvaient voir des yeux, et poussèrent de grands cris en disant:
« Ayez pitié de nous, fils de David 5». Or, la
1. Rom. I, 3.— 2. II Tim. II, 8 , 9.— 3. Gen, XLIX, 27.— 4. Rom, X, 10. — 5. Matth. XX, 29-34.
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foule les menaçait pour les fajre taire; et eux, néanmoins, dans leur désir de voir le jour, surmontant les contradictions de la foule, continuaient de crier; ils retinrent celui qui passait, et méritèrent qu’il les touchât et leur rendît la vue. « Ayez pitié de nous, fils de David », criaient-ils à celui qui passait, et il s’arrêta ; et comme ils dominaient l’opposition du peuple : « Que voulez-vous que je vous fasse?» leur dit-il. Et eux: « Seigneur, faites que nous voyions ». Il toucha leurs yeux qu’il ouvrit, et ils virent présent celui qu’ils avaient entendu passer. Il y a donc des oeuvres que le Seigneur fait en passant, d’autres qui sont plus stables. Oui , dis-je, parmi les oeuvres du Seigneur, les unes sont transitoires, les autres stables. L’oeuvre passagère du Seigneur, est l’enfantement de la Vierge, l’incarnation du Verbe, l’accroissement des années, les miracles visibles, les souffrances de sa passion, sa mort, sa résurrection, son ascension au ciel; tout cela fut transitoire. Car aujourd’hui il n’y a plus pour le Christ, ni naissance, ni mort, ni résurrection, ni ascension au ciel. Ne comprenez-vous pas que tous ces faits sont accomplis, ont eu leur temps, et ont montré à ceux qui voyagent ici-bas, quelque chose qui s’en va, afin qu’ils ne demeurassent point en chemin, mais qu’ils courussent vers la patrie? Enfin ces aveugles étaient assis près du chemin, c’est là qu’ils entendirent le passant divin, et l’arrêtèrent par leurs cris. C’est donc dans la voie de ce siècle que le Seigneur a fait quelque chose de passager, et cet acte passager est l’oeuvre du Fils de David. De là vient qu’à son passage, ils s’écrièrent : « Ayez pitié de nous, Fils de David». Comme s’ils disaient: Nous reconnaissons dans celui qui passe le Fils de David; ce passage nous fait comprendre qu’il a été Fils de David. Reconnaissons donc, nous aussi, et proclamons qu’il est Fils de David, afin de mériter qu’il nous éclaire. Nous sentons dans Celui qui passe le Fils de David: puisse le Seigneur de David nous éclairer!
6. Voilà donc le divin Maître qui interroge les Juifs, et ils ne répondent point, parce qu’ils ne veulent pas être ses disciples; si maintenant il nous interrogeait, que répondrions-nous? Cette interrogation mit les Juifs en défaut, qu’elle profite aux chrétiens; loin de se troubler, qu’ils s’instruisent. Ce n’est point pour s’instruire que le Seigneur nous interroge, mais il interroge en docteur. Ces malheureux Juifs devaient lui répondre, c’est à vous de nous l’apprendre. Ils aimèrent mieux se taire dans un dépit orgueilleux, que s’instruire par une humble confession. Que le Maître nous parle donc, et voyons ce que nous répondrons à cette question. « Que vous semble-t-il du Christ? De qui est-il Fils? » Répondons ce que répondirent les Juifs, mais sans nous arrêter où ils s’arrêtèrent. Rappelons-nous cet Evangile que nous croyons. « Livre de la génération de Jésus-Christ, Fils de David 1 ». Que la question que l’on nous adresse ne nous fasse point oublier que le Christ est Fils de David, ainsi que nous le rappelle saint Paul. Courage donc, ô chrétien; « souviens-toi que le Christ Jésus, Fils de David, est ressuscité d’entre les morts 2 ». Que l’on nous interroge donc, et répondons. « Que vous semble-t-il du Christ? De qui est-il Fils?» Que toutes les bouches chrétiennes redisent eu plein accord: « De David ». Que le Maître continue, et nous dise: « Comment donc David, parlant par l’Esprit-Saint, l’appelle-t-il son Seigneur? Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Asseyez-vous à ma droite jusqu’à ce que je réduise vos ennemis à vous servir de marchepied » .Comment pourrons-nous répondre, si vous ne nous l’apprenez? Maintenant que nous l’avons appris, nous disons: « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu; toutes choses ont été faites par vous ». Voilà le Seigneur de David. Mais à cause de l’infirmité de notre chair, parce que nous n’étions qu’une chair sans espoir: «Le Verbe s’est fait chair et a demeuré parmi nous»; voilà le Fils de David. Assurément, Seigneur, ayant la nature divine, vous n’avez pas cru qu’il y eût usurpation à vous dire semblable à Dieu; aussi êtes-vous le Seigneur de David; mais, vous vous êtes abaissé jusqu’à prendre la forme de l’esclave 3: voilà le Fils de David. Aussi, dans votre question, quand vous demandez: « Comment est-il son Fils? » vous n’avez point nié que vous fussiez son Fils, mais seulement demandé comment cela pouvait se faire. David l’appelle son Seigneur,dites-vous; de quelle manière donc est il son Fils? Sans le nier, je vous demande comment, pour eux, avec cette Ecriture qu’ils lisaient sans la comprendre, s’ils eussent voulu à cette
1. Math. I, 1. — 2. II Tim. II, 8.— 3. Philipp. II, 7.
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demande se rappeler cette manière, ils eussent répondu: Pourquoi nous interroger? « Voilà que la Vierge concevra et mettra au monde un fils, et on lui donnera le nom d’Emmanuel, ce qui signifie : Dieu avec nous 1 ». Donc, la Vierge concevra, et cette Vierge, de la race de David, mettra au monde un fils, qui sera Fils de David. Car Joseph et Marie étaient de la maison, et de la famille de David 2. Donc, cette Vierge enfanta, en sorte que son Fils est le Fils de David. Mais au Fils qu’elle a mis au monde, « on donnera le nom d’Emmanuel, ou Dieu avec nous ». Voilà comment nous avons le Seigneur de David.
7. Peut-être ce psaume lui-même nous dira-t-il en quelque manière comment le Christ est fils de David, et Seigneur de David. Ecoutons-le donc et développons-en les mystères; frappons avec piété, arrachons par la charité, David lui-même nous le dit donc, et il ne lui était pas permis de contredire son Seigneur : « David, parlant par l’Esprit-Saint, nous dit qu’il est son Seigneur ». Que dit David à propos du Christ? Car le psaume est à David lui-même. C’est là tout le titre, sans embarras de figure, sans aucune difficulté. Que dit donc David? « Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Asseyez-vous à ma droite, jusqu’à ce que j’aie fait de vos ennemis l’escabeau de vos pieds». Qu’est-ce à dire : «L’escabeau de vos pieds?» C’est-à-dire qu’ils seront sous vos pieds, car c’est sous les pieds que l’on met l’escabeau des pieds. « Le Seigneur », dit le Prophète, « a dit à mon Seigneur ». Voilà ce que David a entendu, et il l’a entendu en esprit. Où et quand l’a-t-il entendu, c’est ce que nous ne savons pas; mais nous le croyons quand il dit et écrit qu’il a entendu. Il l’a donc entendu certainement, il l’a entendu dans quelque sanctuaire de la vérité, dans quelque figure mystérieuse, où tous les Prophètes ont ouï dans le secret ce qu’ils ont divulgué au grand jour; c’est là que David a entendu ce qu’il proclame avec une grande confiance : « Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Asseyez- vous à ma droite jusqu’à ce que je vous fasse un marchepied de vos ennemis ». Nous savons que, après la résurrection, le Christ monta au ciel pour s’asseoir à la droite de Dieu. C’est là un fait; nous ne l’avons pas
1. Ps. VII, 14; Matth. I, 23.— 2. Luc, II, 27, 32; II,4,5.
vu, mais nous le croyons: nous l’avons lu dans les Livres saints, nous l’avons entendu prêcher, nous y adhérons par la foi. Mais dès lors que le Christ était fils de David, il était aussi Seigneur de David. Car ce qui est né de la race de David, a été élevé en gloire au point d’être Seigneur de David. Mes paroles vous étonnent, comme si cela était sans exemple parmi les hommes. S’il arrivait que le fils d’un particulier devînt un roi, ne serait-il pas le Seigneur de son père? Chose plus étonnante encore! ne peut-il pas se faire non seulement que le fils d’un particulier devienne roi, et ainsi seigneur de son père; mais que le fils d’un laïque devienne évêque, et alors père de son père? Donc le Christ, en prenant une chair, en mourant dans cette chair, pour ressusciter également avec cette chair, puis monter aux cieux, et s’asseoir à la droite de son Père, est devenu dans cette même chair, ainsi élevée, ainsi glorifiée, ainsi transformée dans une splendeur toute céleste, et fils de David, et Seigneur de David. C’est au point de vue de ces transfigurations du Christ, que l’Apôtre a dit aussi : « C’est pourquoi Dieu l’a ressuscité des morts, et lui a donné un nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse dans le ciel,sur la terre et dans les enfers 1». « Dieu », dit l’écrivain sacré, « lui a donné un nom qui est au-dessus de tout nom », c’est-à-dire au Christ devenu homme, au Christ qui est mort selon la chair, qui est ressuscité, monté aux cieux. « Dieu lui a donné un nom supérieur à tout nom, en sorte qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse dans le ciel, sur la terre et dans les enfers ». Où donc sera David, pour que le Christ ne soit point son Seigneur? Qu’il soit dans le ciel, qu’il soit sur la terre, qu’il soit dans les enfers, il aura toujours pour Seigneur celui qui est Seigneur du ciel, de la terre et des enfers. Que David se réjouisse donc avec nous, lui que relève la naissance d’un tel fils, et qui est délivré par un tel Seigneur; qu’il dise dans sa joie, et qu’on écoute avec les mêmes ravissements: « Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Asseyez-vous à ma droite, jusqu’à ce que je vous fasse de vos ennemis un marche pied».
8. « Asseyez-vous », non-seulement sur une éminence, mais aussi dans le secret: en haut
1. Philipp. II, 9, 10.
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pour la domination, dans le secret pour stimuler la foi. Quelle récompense mériterait la foi, si l’objet de la foi n’était caché? Or, la récompense de la foi sera de voir celui en qui nous avons cru avant de le voir. Mais, comme l’a dit l’Ecriture : « Le juste vit de la foi 1». Il n’y aurait donc aucune justice dans la foi, si l’objet que l’on nous prêche et que nous croyons n’était invisible, et si la foi ne nous méritait de le voir. « Quelle ineffable douceur, ô mon Dieu, vous avez cachée pour « ceux qui vous craignent! » Donc vous l’avez cachée, en sont-ils demeurés privés? Loin de là, « elle est parfaite pour ceux qui espèrent en vous 2 ». Ce mystère admirable du Christ, assis à la droite de Dieu, a donc été caché afin d’être l’objet de la foi; il nous a été dérobé afin de stimuler notre espérance. « Nous sommes, en effet, sauvés par l’espérance. Or, l’espérance que l’on voit n’est pas une espérance ; comment espérer ce que l’on voit? » Ainsi, dit l’Apôtre, vous le connaissez, je vous le rappelle seulement. Que dit donc l’Apôtre? « C’est l’espérance qui nous sauve »,dit-il; «or, l’espérance qu’on verrait ne serait pas une espérance. Comment espérer ce que l’on voit déjà? Si nous espérons ce que nous n’avons pas encore, nous l’attendons par la patience 3 ». Comme donc l’espérance qu’on verrait ne serait plus espérance, «Vous avez caché votre douceur à ceux qui vous craignent. Car nous espérons ce que nous ne voyons pas, et nous l’attendons par la patience: vous l’avez rendue parfaite pour ceux qui vous craignent». Enfin, mes frères, écoutez attentivement ce que je vais vous dire : c’est que notre justice nous vient de la foi, que la foi purifie nos coeurs, afin que nous puissions voir ce que nous aurons cru. L’un et l’autre nous est enseigné : « Bienheureux les coeurs purs, parce qu’ils verront Dieu 4 » ; et encore: « C’est par la foi qu’il purifie leurs coeurs 5 ». Comme donc la justice de la foi consiste à croire ce que l’on ne voit pas, afin que le mérite de la foi nous conduise à la claire vue quand le temps sera venu : le Seigneur, en promettant l’Esprit-Saint, nous dit dans l’Evangile : « Il convaincra le monde de péché, de justice et de jugement 6». De quel péché? de quelle justice? de quel jugement?
1. Rom. II, 17. — 2. Ps. XXX, 20. — 3. Rom. VII, 24,25.— 4. Matth. V, 8.— 5. Act. XV, 9.— 6. Jean, XVI, 9.
Le Seigneur nous l’explique aussitôt, et n’admet point les conjectures des hommes. « Du péché», dit-il, « parce qu’ils n’ont point cru en moi 1 ». Combien d’autres péchés avaient encore les Juifs? Et néanmoins, comme s’ils n’avaient que celui-là, le Seigneur dit qu’«il les convaincra de péché, parce qu’ils n’ont pas cru en lui ». Tel est le péché dont il a dit ailleurs : « Si je n’étais pas venu, ils n’auraient aucune faute 2».Qu’est-ce à dire : « Si je n’étais pas venu, ils n’auraient aucune faute?» En venant donc vers les justes, ô Dieu, en avez-vous fait des pécheurs? Le Seigneur semble ici omettre tous les péchés dont on peut obtenir la rémission par la foi, et ne désigne que ce péché, sans lequel tous les autres seraient remis. «De péché », nous dit-il, « parce qu’ils n’ont pas cru en moi ». Et ailleurs: « Si je n’étais pas venu, ils n’auraient aucun péché ». Par cela même qu’il est venu, en effet, et qu’ils n’ont point cru en lui, ils sont tombés dans le péché; et s’ils n’étaient tombés dans ce péché, tous les autres eussent pu leur être pardonnés, effacés par ce pardon que leur eût obtenu la foi. « De péché donc, parce qu’ils n’ont pas cru en moi; de la justice, parce que je vais à mon Père, et que désormais vous ne me verrez plus 3 ». Telle est donc la justice, ô Dieu, que vous alliez à votre Père , et que désormais vos disciples ne vous verront plus. Telle est la justice qui vient de la foi. « Car c’est de la foi que vit le juste 4 »; et il vit de la foi, précisément quand il ne voit point ce qu’il croit. Comme donc c’est la vie de la foi qui nous justifie, et que nul ne vit de la foi que quand il ne voit point ce qu’il croit; afin de former cette justice parmi les hommes, c’est-à-dire de les porter à croire ce qu’ils ne voient point, le Saint-Esprit, dit le Sauveur, convaincra les hotu mes de la justice, « parce que je vais à mon Père, et que désormais vous ne me verrez plus ». Comme s’il disait: La justice pour vous consistera à croire en Celui que vous ne voyez point, afin que, purifiés par la foi, vous puissiez voir au jour de la résurrection celui en qui vous croyez.
9. Donc le Christ est assis à la droite de Dieu, le Fils est invisible à la droite du Père. Croyons en lui. Le Prophète nous annonce en effet deux choses, et que Dieu a dit : « Asseyez-vous à ma droite »; et qu’il ajoute : «Jusqu’à ce que
1. Jean, XVI, 9.— 2. Id. XV, 22.— 3. Id. XVI, 8-10.— 4. Rom. I, 17.
je fasse de vos ennemis l’escabeau de vos pieds », c’est-à-dire qu’ils soient sous vos pieds. Tu ne vois pas le Christ assis à la droite du Père, mais tu peux déjà voir comment ses ennemis lui sont un marchepied. Quand un point est si visiblement accompli , crois à celui qui demeure caché. Quels ennemis sont mis sous ses pieds? Ceux qui méditaient des choses vaines, et à qui il est dit : « Pourquoi ces frémissements des nations, et ces vains complots des peuples? Les rois de la terre sont debout, les princes se sont rassemblés comme un seul homme contre le Seigneur et contre son Christ. Ils ont dit : brisons leurs chaînes et rejetons leur joug bien loin de nous 1». Qu’ils ne dominent point sur nous, qu’ils ne nous assujettissent point au joug. « Celui qui habite les cieux se rira d’eux ». Tu étais son ennemi, tu seras sous ses pieds, ou adopté, ou vaincu par lui. Vois comment tu veux être sous les pieds du Seigneur ton Dieu, car tu y seras nécessairement, soit par le coup de sa grâce, soit par le coup de sa justice. Il est donc assis à la droite de Dieu, jusqu’à ce que ses ennemis soient placés sous ses pieds comme un escabeau. Voilà ce qui se fait, ce qui s’accomplit, peu à peu à la vérité, mais sans interruption. Que les nations frémissent, que les peuples tiennent de vains complots, que les rois de la terre se soulèvent, que les chefs des nations se rassemblent contre le Seigneur et contre son Christ; est-ce donc par ces frémissements, par ces vains complots, par ces soulèvements contre le Christ qu’ils empêcheront cette parole de s’accomplir : « Je vous donnerai les nations en héritage, et pour domaine les confins de la terre ? » Cette parole s’accomplira donc en dépit de leur fureur, de leurs projets impuissants: « Je vous donnerai les nations en héritage, et votre domaine embrassera les confins de la terre ». Ils sont donc vains, tous leurs complots. Quant à l’accomplissement de celte promesse : « Je vous donnerai toutes les nations en héritage, et la terre entière pour domaine » ; ce n’est point un homme sans portée, mais bien le Seigneur qui me l’a faite. De même, dans notre psaume, nous pouvons raisonner ainsi : « Il a dit », non point un homme quelconque, mais « c’est le Seigneur qui a dit à mon Seigneur: Asseyez-vous à ma droite, jusqu’à ce que je fasse de vos ennemis
1. Ps. II, 1-8.
un escabeau sous vos pieds ». Qu’ils frémissent, qu’ils trament de vains complots, qu’ils se soulèvent en tumulte , empêcheront-ils cette parole de s’accomplir? « Leur mémoire a péri avec le bruit». C’est un autre psaume qui l’a dit, mais non pas un autre esprit: « Leur mémoire périt avec le bruit, et le Seigneur demeure éternellement 1 ». Celui-là donc qui demeure éternellement, quand leur mémoire périt avec le bruit, celui-là « a dit à mon Seigneur: Asseyez-vous à ma droite ». Et voilà qu’il est assis à la droite de son Père, jusqu’à ce qu’il mette ses ennemis comme escabeau sous ses pieds.
10. Que dit ensuite le Prophète? « Le Seigneur fera sortir de Sion le sceptre de votre puissance 2 ». Il est de toute évidence, mes frères, que le Prophète ne parle point de ce règne que le Christ partage avec son Père, Seigneur de toutes choses qu’il a créées par lui. Quand n’a-t-il point régné, ce Verbe qui est Dieu et en Dieu dès le commencement ? Il est dit en effet: « Au roi des siècles, au Dieu qui est l’immortel, l’invisible, l’unique, honneur et gloire dans les siècles des siècles 4. Au roi des siècles, honneur et gloire dans tous les siècles ». Quel est « ce roi des siècles, invisible, incorruptible? » Le Christ, parce qu’il est avec son Père, invisible, incorruptible; parce qu’il est Verbe de Dieu, Vertu de Dieu, Sagesse de Dieu, parce qu’il est Dieu et en Dieu, par qui tout a été fait, est le roi des siècles : mais, à le considérer dans cette oeuvre transitoire par laquelle il a bien voulu, au moyen de sa chair, nous appeler à l’éternité, son règne commence par les chrétiens, et ce règne sera sans fin. Ses ennemis sont donc l’escabeau de ses pieds, tandis qu’il est assis à la droite de son Père; ils y sont placés comme il est dit, cela se fait et s’accomplira absolument jusqu’à la fin. Qu’on ne vienne point nous dire qu’on ne mènera point à bonne fin ce qui est commencé. Pourquoi désespérer de cet accomplissement? C’est le Tout-Puissant qui a commencé, et le Tout-Puissant a promis d’accomplir ce qu’il a commencé. Par où a-t-il commencé? «Le Seigneur fera sortir de Sion le sceptre de votre puissance ». Cette Sion, c’est Jérusalem. Ecoute le Seigneur lui-même. «Il fallait que le Christ souffrît et ressuscitât le troisième jour 5 ».
1. Ps. IX, 7, 8,— 2. Id. CIX, 2.— 3. Jean, I, 3.— 4. I Tim. I, 17.— 5. Luc, XXIV, 46.
604
C’est de là, qu’après sa résurrection, il s’est assis à la droite de son Père, où il était auparavant. Mais qu’arriva-t-il depuis qu’il est assis à la droite de Dieu ? Par quel moyen ses ennemis sont-ils réduits à lui servir de marchepied? Ecoutez ce qu’il nous enseigne lui-même en nous l’exposant: « On prêchera en son nom la pénitence et la rémission des péchés dans toutes les nations, en commençant par Jérusalem 1» : car « le Seigneur fera sortir de Sion le sceptre de votre puissance ». « Le sceptre de votre puissance », c’est-à-dire le règne de votre force; « car vous les gouvernerez avec un sceptre de fer 2 : le Seigneur le fera sortir de Sion », car « on commencera par Jérusalem ».
11. Qu’arrivera-t-il, quand le Seigneur aura fait sortir de Sion le sceptre de votre vertu ? « Vous dominerez au milieu de vos ennemis 2». Tout d’abord « vous régnerez au milieu de vos ennemis », au milieu des nations frémissantes. Quand en effet les saints seront eu possession de leur gloire,et les méchants sous le coup de leur condamnation, est-ce encore au milieu de ses ennemis que régnera le Christ? Qu’y a-t-il d’étonnant qu’il domine alors, puisque les justes régneront avec lui, et que les impies seront dans les flammes éternelles? Commuent s’étonner qu’il règne alors? Maintenant donc c’est au milieu de vos ennemis, maintenant dans le cours des siècles qui passent, dans la reproduction et la succession de l’humaine mortalité, pendant que le temps s’écoule comme un torrent, votre sceptre est sorti de Sion pour établir votre domination sur vos ennemis. Régnez donc, oui régnez sur les païens, sur les Juifs, sur les hérétiques, sur les faux frères. Régnez, régnez, fils de David, Seigneur de David, régnez au milieu des païens, au milieu des Juifs, au milieu des faux frères. « Règnez au milieu de vos ennemis ». Nous ne comprenons ce verset qu’en le voyant s’accomplir dès maintenant. Asseyez-vous donc à la droite de Dieu, tenez-vous caché, afin que l’on croie en vous, jusqu’à ce que le temps des nations soit accompli. Car voici ce qui est écrit: « Le ciel devait le recevoir jusqu’à ce que fût accompli le temps des nations 4». Vous n’êtes mort que pour ressusciter, ressuscité que pour monter au ciel, monté au ciel que pour vous asseoir à la droite de Dieu ; c’est donc pour vous asseoir à la droite de
1. Luc, XXIV, 47.— 2. Ps. II, 9.— 3. Id. CIX, 2.— 4. Act. III, 21.
votre Père que vous êtes mort. La mort amène ainsi la résurrection, le résurrection l’ascension, et l’ascension vous fait asseoir à la droite de Dieu. Tout cela commence à la mort. Cette ineffable splendeur a pour base l’humilité. C’est donc pendant que vous siégez à la droite de votre Père, que s’accomplissent les temps des nations, et que vos ennemis sont l’escabeau de vos pieds : afin qu’un si grand ouvrage s’achève, dominez d’abord au milieu de vos ennemis. C’est pour cela en effet que « le Seigneur fera sortir de Sion le sceptre de votre puissance » ; puisque c’est pour amener votre mort, et par votre mort effacer la cédule de nos péchés 1, afin que la pénitence et la rémission des fautes soit prêchée dans toutes les nations 2 à partir de Jérusalem; c’est pour cela que les Juifs sont tombés dans l’aveuglement. L’aveuglement des uns devient la lumière des autres. « L’aveuglement donc est tombé sur une partie d’Israël, afin que la plénitude des nations entrât, et qu’ainsi tout Israël fût sauvé 3 » . « Cet aveuglement sur une partie d’Israël » a causé votre mort ; une fois mort vous êtes ressuscité, pour laver dans votre sang les péchés des nations; assis à la droite de votre Père, vous avez recueilli de toutes parts ceux qui souffraient et cherchaient en vous un refuge. « Donc l’aveuglement est tombé sur une partie d’Israël, jusqu’à ce que la plénitude des nations entrât, et qu’ainsi tout Israël fût sauvé », et que tous vos ennemis fussent l’escabeau de vos pieds. Voilà ce qui s’accomplit aujourd’hui, que sera-ce plus tard?
12. « Avec vous est le commencement au jour de votre puissance 4 ». Quel est pour le Christ ce jour de sa puissance? Quand le commencement sera-t-il avec lui ? Quel commencement, ou de quelle manière le commencement sera-t-il avec lui, puisqu’il est lui-même le commencement? Que Dieu me soit en aide, afin qu’il n’y ait rien d’obscur ni pour moi qui explique, ni pour vous qui écoutez. Je vois ce qui est déjà fait, je le vois avec vous des yeux de la foi : les yeux du corps me montrent ce qui se fait maintenant, et les yeux de la foi me font espérer dans l’avenir. Qu’est-ce donc qui est déjà fait? qu’est-ce qui s’accomplit maintenant? que doit-il arriver un jour? Le Christ a souffert, il est
1. Coloss. II, 14. — 2. Luc, XXIV, 47. — 3. Rom. XI, 25. — 4. Ps. CIX, 3.
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mort, il est ressuscité le troisième jour, il est monté aux cieux, quarante jours après, comme nous savons, et il est assis à la droite de son Père. Voilà ce qui est accompli, ce que nous n’avons pas vu, mais ce que nous croyons. Qu’est-ce qui s’accomplit aujourd’hui ? II domine au milieu de ses ennemis, depuis que le sceptre de sa puissance est sorti de Sion:
voilà pour le présent. Les serviteurs du Christ qui l’ont vu présent, ont vu la forme de l’esclave ; les serviteurs y croient aujourd’hui qu’elle nous est dérobée. Au sujet de cette forme de l’esclave, nous croyons ce que nous en pouvons comprendre, tant que nous sommes serviteurs nous-mêmes. C’est le lait des petits enfants, qu’il proportionne à notre faiblesse, nous faisant passer le pain solide au moyen de la chair, Car ce pain des anges était au commencement le Verbe 1 ; et pour que l’homme pût manger le pain des anges 2, le Créateur s’est fait homme. C’est ainsi que le Verbe incarné s’est proportionné à notre faiblesse; car nous n’aurions pu le recevoir si le Fils égal à Dieu ne se fût humilié en prenant la forme de l’esclave, pour devenir semblable aux hommes, et être reconnu homme par tout ce qui paraissait de lui 3. Afin donc que nous pussions comprendre en quelque manière Celui que des mortels ne pouvaient comprendre, l’immortel est devenu mortel; afin que par sa mort il nous rendit immortels, et nous donnât ainsi quelque chose à considérer, quelque chose à croire, quelque chose à voir un jour. Il offre à nos regards la forme de l’esclave que nous pouvons non-seulement voir des yeux, mais encore toucher de nos mains. Et quand cette forme s’éleva au ciel, il nous ordonna de croire ce qu’il avait fait voir aux disciples. Mais nous aussi nous avons de quoi voir. Pour eux ils ont vu le sceptre de la puissance qui sortait de Sion, et à nous il est accordé de le voir dominer au milieu de ses ennemis. Tout cela, mes frères, tient à l’économie de la forme d’esclave, que les esclaves tolèrent aujourd’hui, et qui aiguillonne l’amour de ceux qui seront un jour délivrés. Car c’est l’immuable vérité, qui est le Verbe de Dieu, Dieu en Dieu, par qui tout a été fait, qui renouvelle toutes choses en demeurant en elle-même 4. Pour voir cette Vérité, il nous faut une grande, une parfaite pureté
1. Jean, I, 1.— 2. Ps. LXXVII, 25.— 3. Philipp. III, 6, 7. — 4. Sag. VII, 27.
de coeur, qui nous vient parla foi. Après nous avoir montré la forme de l’esclave, le Christ a différé de nous montrer la forme divine. Car en disant, dans cette même forme d’esclave, à ses serviteurs : « Celui qui m’aime, garde mes commandements, et celui qui m’aime, sera aimé de mon Père, et moi je l’aimerai, et me montrerai à lui 1», il leur promettait de se manifester à eux. Que voyaient-ils donc? Et lui, que promettait-il? Eux voyaient la forme de l’esclave, et lui, leur promettait de leur montrer la forme de Dieu. « Je me montrerai à lui », dit-il. Telle est la lumière à laquelle doit arriver ce royaume, qui se rassemble dans le cours des siècles il aboutit à cette ineffable vision que les impies ne mériteront point de partager. Du reste, quand la forme de l’esclave était ici-bas, elle fut vue des impies: les uns la virent pour croire au Christ, les autres la virent pour le mettre à mort. La voir n’était donc point un privilège, puisque ses amis et ses ennemis la voyaient également, quelques-uns qui la voyaient l’omit fait mourir, quelques autres qui ne la voyaient pas ont cru en lui. Cette forme donc de l’esclave qu’ont vue ici-bas dans son humilité les hommes pieux et les impies, les pieux et les impies la verront au jour du jugement. En effet, comme il montait au ciel en présence de ses disciples, la voix des anges se fit entendre, et leur dit: « Hommes de Galilée, pourquoi vous tenir là debout, en regardant le ciel? Ce même Jésus viendra un jour de la même manière que vous l’avez vu montant au ciel 2 ». Il viendra donc, il viendra dans cette même forme, dont il est dit que les impies «verront Celui qu’ils auront percé 3 ». Ils verront comme juge Celui qu’ils insultèrent quand il fut jugé. Cette forme donc de l’esclave sera au jugement visible pour le juste et pour l’injuste, pour le bon et pour le méchant, pour les fidèles et pour les incrédules. Qu’est-ce donc que ne verront pas les impies? Car ceux dont il est dit : « Ils verront Celui qu’ils ont percé », sont les mêmes dont il est dit aussi : « Qu’on bannisse l’impie, et qu’il ne voie point la clarté du Seigneur 4». Qu’est-ce que tout cela, mes frères ? Examinons, discutons. Voilà qu’on aiguillonne l’impie afin qu’il voie ; et qu’on bannit l’impie afin qu’il ne voie point. Ce qu’il doit voir, nous l’avons
1. Jean, XIV, 21.— 2. Act. I, 11.— 3. Zach. XII, 10. — 4. Isa. XXVI, 10.
600
montré dans cette forme dont il est dit : « C’est ainsi qu’il viendra 1 ». Qu’est-ce donc qu’il ne doit point voir? « C’est moi-même que je lui montrerai 2 ». Qu’est-ce à dire, « moi-même?» Non plus la forme de l’esclave. Qu’est-ce donc « moi -même ? » Cette forme de Dieu, dans laquelle j’ai cru, sans usurpation, être égal à Dieu 3. Qu’est-ce que « moi-même?» « Nous sommes les enfants de Dieu, mes bien-aimés, et ce que nous serons un jour ne paraît point encore: nous savons que quand il apparaîtra, nous serons semblables à lui, puisque nous le verrons tel qu’il est 4 ». C’est là cette clarté de Dieu, lumière ineffable, source de lumière qui est sans changement, vérité sans défaut, sagesse demeurant en elle-même, quand elle renouvelle toutes choses 5. Telle est la substance de Dieu. L’impie sera donc banni afin qu’il ne voie pas la gloire du Seigneur. « Bienheureux les coeurs purs, parce qu’ils verront Dieu 6 ».
13. Il me semble donc, mes frères, autant que Dieu m’a fait capable de comprendre cette expression, qu’il s’agit ici du temps, si toutefois on peut l’appeler un temps, et néanmoins c’est dans le temps que nous devons arriver à ce point que le temps ne mesure plus; c’est de ce temps, me semble-t-il, qu’il est question ici, et toutefois, je parle sans préjudice de ce qu’un autre pourra dire de mieux, de plus clair, de plus probable: voilà, ce me semble, ce que signifie « Avec vous est le commencement, au jour de votre puissance ». Il me semble enfin que le verset suivant nous donne une clarté suffisante. Il est question en effet de cette puissance, qui a imposé le joug du Christ aux nations, qui les a mises sous ses pieds, non avec le fer, mais avec le bois; et bien que cela ait lieu dans sa chair, ait lieu dans son humilité, ait lieu même dans la forme de l’esclave; on comprend néanmoins quelle était l’étendue de cette force, car ce qui est faible en Dieu, est plus fort que tous les hommes 7. Comme il est donc ici question de cette force qui nous est signaléd par ces paroles : « Le Seigneur fera sortir de Sion le sceptre de votre puissance ; dominez au milieu de vos ennemis » : et quelle force en effet que celle qui domine au milieu de ces ennemis frémissants contre lui d’une
1. Act, I, 11. — 2. Jean, XIV, 25.— 3. Philipp. III, 6, 7.— 4. I Jean, III, 2. — 5. Sag. VII, 27. — 6. Matth. V, 8. — 7. I Cor, II, 25.
rage impuissante, et disant chaque jour: « Quand son nom périra-t-il 1? » tandis que sa gloire s’étend sur tous les peuples, que toutes les nations sont soumises à son nom, qu’à cette vue le pécheur frémit, grince les dents et sèche de dépit 2, comme c’est là, dis-je, l’effet de sa puissance, et que le Prophète veut nous signaler un autre effet de sa force, et envisager le Christ comme vertu de Dieu, comme sagesse de Dieu dans les rayons de celte lumière éternelle, de cette immuable vérité; vision a laquelle nous sommes réservés, vision maintenant différée, vision pour laquelle nous sommes purifiés par la foi, vision dont l’impie est exclu, parce qu’il ne verra point la splendeur du Seigneur; voilà pour quel motif le Prophète s’écrie: « Avec vous est le commencement au jour de votre puissance ». Qu’est-ce à dire : « Avec vous est le commencement ? » Entendez par là ce qu’il vous plaira. Si vous entendez le Christ, il vaudrait mieux dire C’est vous qui êtes le commencement; et non: «Avec vous est le commencement ». Répondant aux Juifs, qui lui demandaient : « Qui êtes-vous? » « Je suis », dit-il, « le commencement, et c’est pour cela que je vous parle 3 ». Car le Père, de qui est engendré le Fils unique, est aussi le commencement, et c’est dans ce commencement qu’était le Verbe, parce que le Verbe était en Dieu 4. Quoi donc! si le Père est le commencement, si le Fils est le commencement, y a-t-il deux commencements? Loin de là. Si le Père est Dieu en effet, le Fils est Dieu aussi, et le Père et le Fils ne sont point deux dieux, mais un seul Dieu : de même le Père est commencement, le Fils est commencement, et le Père et le Fils ne sont point deux commencements, mais un seul principe. « Avec vous est le commencement ». Alors on verra de quelle manière le commencement est avec vous. Ce n’est pas que le commencement ne soit point avec vous ici-bas. N’avez-vous pas dit en effet: « Voilà que vous allez chacun de votre côté, et me laissez seul; mais je ne suis point seul, car mon Père est avec moi 5? » Ici-bas, donc, « avec vous est le principe ». Vous avez dit ailleurs aussi « C’est mon Père qui demeure en moi, fait ces oeuvres qui sont les siennes 6 ». Avec
1. Ps. XL, 3.— 2. Id. CXI, 10.— 3. Jean, VIII, 25.— 4. Id. I, 1.— 5. Id. XVI, 32. — 6. Id. XIV, 10
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vous est le principe, et le Père n’a jamais été séparé de vous. Mais quand il apparaîtra que le principe est avec vous, il se manifestera à tous ceux qui seront devenus semblables à vous, puisqu’ils vous verront tel que vous êtes 1. Philippe vous voyait réellement ici-bas, et néanmoins il voulait voir le Père 2. Alors on verra ce que l’on croit maintenant. Alors le commencement sera avec vous, sous les yeux des saints,sous les yeux des justes, et les impies seront bannis, afin qu’ils ne voient point la gloire du Seigneur.
14. Croyons donc maintenant, mes frères, ce que nous verrons alors. Car il fit un reproche à Philippe, de demander à voir le Père, et de ne point reconnaître le Père dans le Fils : « Depuis si longtemps que je suis avec vous, ne me reconnaissez-vous pas encore? Philippe, quiconque m’a vu a vu aussi mon Père 3 ». Mais seulement « celui qui me voit », non celui qui voit en moi la forme de l’esclave. « Quiconque dès lors m’a vu » , tel que je me suis réservé pour ceux qui nie craignent, tel que je me dois montrer à ceux qui espèrent en moi 4, « a vu mon Père ». Mais comme cette vision est pour l’avenir, que devons-nous avoir en attendant? Voyons ce qu’il dit à Philippe. Après lui avoir dit « Celui qui me voit, voit aussi mon Père », comme si Philippe eût répondu en lui-même: Comment vous verrai-je, si l’on doit vous voir autrement que dans la forme de l’esclave? ou comment verrai-je le Père, moi, homme faible, cendre et poussière? se tournant alors vers lui, différant de se montrer à lui, et lui commandant la foi , après lui avoir dit : « Quiconque me voit, voit aussi mon Père »; parce que c’était là beaucoup pour Philippe, et qu’il était loin encore de voir le Père; « Ne croyez-vous pas», lui dit Jésus, « que je suis dans mon Père, et que mon Père est en moi 5? » Ce que tu ne saurais voir encore, crois-le, et mérite ainsi de le voir. Quand donc sera venu pour nous le temps de voir, alors nous verrons que « le commencement est avec vous, au jour de votre puissance » . « De votre puissance », et non de cette puissance qui a éclaté dans votre faiblesse, car il y avait là aussi une puissance, mais « au jour de votre vertu » ; les hommes ont aussi leurs vertus dans la foi, l’espérance, la charité, les
1. 1 Jean, III, 2. — 2. Id. XIV, 8. — 3. Id. 9. — 4. Ps. XXX, 20.— 5. Jean, XIV, 10.
bonnes oeuvres; mais ils doivent aller de vertu en vertu 1. « Avec vous est le principe», on vous verra avec le Père, dans le Père, comme le Père. « Avec vous est le principe au jour de votre vertu », de cette vertu que l’impie ne saurait voir. Car ce qui est faible en vous, est plus fort que tous les hommes 2; puisqu’en vous « est le principe au jour de votre force ».
15. Marquez-nous maintenant quelle est cette force; car ici, nous l’avons déjà vu, il a été question de cette puissance, quand sortait de Sion le sceptre de votre force, pour dominer au milieu de vos ennemis. De quelle vertu parlez-vous? « Dans la splendeur des saints ». Oui, dit-il, « dans la splendeur des saints». Il parle donc de sa vertu, quand les saints seront dans la splendeur, et non point tandis qu’ils traînent encore une chair terrestre dans un corps mortel, tandis qu’ils gémissent dans une corruption qui appesantit l’âme, et que cette habitation terrestre abaisse l’esprit malgré le nombre de ses pensées 3 ; comme les pensées nous sont invisibles, ce n’est point encore « dans la splendeur des saints».Qu’est-ce à dire, « dans la splendeur des saints?» « Jusqu’à ce que vienne le Seigneur qui doit éclairer les ténèbres les plus cachées, mettre à nu les pensées des coeurs, et alors chacun recevra de Dieu la louange qui lui est due 4 ». Telle est « la splendeur des saints », car « alors les justes brilleront comme le soleil dans le royaume de leur Père ». Ecoutez donc ce que signifie «dans la splendeur des saints» .«Viendra la moisson», dit le Sauveur, « viendra la fin du siècle; et le Père de famille enverra ses anges, et ils arracheront de son royaume tous les scandales qu’ils jetteront dans la fournaise du feu ; alors les justes resplendiront comme le soleil dans le royaume de leur Père 5 ». Dans quel royaume? Voyez s’il nous est réservé une autre vision que celle dont il est
dit: « Avec vous est le principe ». Dans quel royaume ? Assurément dans la vie éternelle. Car voici ce qu’il doit dire à ceux qui seront à sa droite : « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé dès le commencement du monde 6 ». Puis, quand les impies seront damnés, séparés de ces justes qui auront reçu des louanges,
1. Ps. LXXXIII, 8.— 2. I Cor. II, 25.— 3. Sag. IX, 15.— 4. I Cor. IV, 5. — 6. Matth. XIII, 39-43. — 7. Id. XXV, 34.
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comment nomme-t-il ensuite ce qu’il avait appelé un royaume à recevoir ? « Alors les impies iront dans les flammes éternelles, et les justes dans la vie éternelle 1». Ce qui est donc appelé « royaume », se nomme ici « vie éternelle » dont ne jouiront pas les impies. Voyez encore si cette vie éternelle ne consisterait pas dans une vision. « Or, la vie éternelle est de vous connaître, vous, le seul vrai Dieu, et Jésus-Christ que vous avez envoyé 2 ». Dès lors que « le commencement est avec vous au jour de votre puissance ; le commencement sera donc avec vous au jour de votre puissance dans les splendeurs des saints ».
16. Mais ce bonheur est différé, cette gloire est pour l’avenir: qu’est-ce donc maintenant? « Je vous ai engendré de mes entrailles avant l’aurore ». Qu’est-ce à dire? Si Dieu a un Fils, a-t-il encore un sein ? Il n’a ni sein ni corps charnels ; et toutefois il est dit : « Celui qui est dans le sein du Père nous l’a raconté lui-même 3 ». Ces entrailles ont la même signification que le sein, et sein et entrailles désignent ici un lieu secret. Qu’est-ce à dire dès lors « de mon sein? » Du secret, du mystérieux, de ma substance, de moi-même: voilà ce que signifie « de mon sein »; « qui en effet racontera sa génération 4?» C’est donc ici le Père qui ditau Fils: « Je t’ai engendré de mon sein avant l’étoile du matin ». Qu’est-ce donc « avant l’étoile du matin? » Cette étoile est prise ici pour tous les astres, comme la partie se prend, dans l’Ecriture, pour le tout, et toutes les étoiles par la plus brillante. Mais pourquoi ces astres sont-ils créés ? « Pour servir de signes, pour marquer les temps, les jours, les années 5». Si donc les astres sont des signes qui marquent les temps, et si l’étoile du matin désigne ici les astres, ce qui est avant cette étoile précède aussi les astres, et ce qui est avant les astres est encore avant les temps ; et ce qui est avant les temps est donc de toute éternité: ne demandez plus quand; il n’y a point de quand dans l’éternité. Quand et quelquefois sont des expressions qui désignent le temps. Or, le Père n’est point né dans le temps, lui par qui les temps ont été faits. Le Prophète, comme il y était contraint, a donc eu recours à des expressions figuratives, prophétiques, a dit le sein pour désigner une substance mystérieuse, et
1. Matth. XXV, 46.— 2. Jean, XVII, 3.— 3. Id. I, 18.— 4. Isa. LIII, 8. — 5. Gen. X, 14.
Lucifer au lieu des temps. Voulez-vous recourir à David lui-même, qui appelle son fils son Seigneur? Pour parler ainsi, il a entendu son Seigneur même, il a entendu Celui qui ne saurait le tromper, et il l’a appelé son Seigneur, car « c’est le Seigneur », dit-il, « qui a dit à mon Seigneur: Asseyez-vous à ma droite ». C’est le Prophète qui parle, c’est en quelque sorte sa parole qui est écrite. Si donc c’est lui qui parle, il a pu dire sans doute: « Je t’ai engendré de mon sein avant l’étoile du matin ». Le sein de la Vierge, « tel est le sein d’où je t’ai tiré avant l’aurore ». Si cette Vierge en effet est issue de la race de David, sortir du sein de cette Vierge, c’est en quelque sorte sortir du sein de David. « Du sein » dont nul homme n’a jamais approché ; « du sein », à proprement parler, puisque le Christ est seul, pour être né uniquement du sein d’une vierge. Aussi David, qui l’appelle son Seigneur, nous dit-il: « C’est du sein que je t’ai engendré avant l’étoile du matin ». Et cette expression, « avant Lucifer », nous est donnée comme un signe, comme une expression accomplie à la lettre. Car ce fut la nuit que le Seigneur sortit du chaste sein de la Vierge Marie 1, comme on le voit par le témoignage des bergers qui veillaient sur leurs troupeaux. « Je t’ai engendré du sein avant l’étoile du matin ». O vous, Seigneur mon Dieu, qui êtes assis à la droite de mon Seigneur, comment seriez-vous mon fils, si je ne vous avais engendré du « sein avant l’étoile du matin ? »
17. Mais pourquoi est-il né? « Le Seigneur l’a juré, et ne s’en repentira point : Tu es prêtre pour l’éternité, selon l’ordre de Melchisédech 2 ». C’est pour être prêtre pour l’éternité, selon l’ordre de Melchisédech, que vous êtes sorti du sein avant l’étoile du matin. Naître du sein, c’est naître de la Vierge; avant l’étoile du matin, la nuit, comme l’atteste l’Evangile; c’est là sans aucun doute qu’il est sorti du sein, avant l’étoile du matin, pour être dans l’éternité prêtre, selon l’ordre de Melchisédech. Car, en le considérant comme engendré du Père, Dieu en Dieu, coéternel à celui qui l’engendre, il n’est point prêtre; mais il est prêtre à cause de cette chair qu’il s’est appropriée, de la mort qu’il a dû subir, et qu’il a acceptée afin de l’offrir pour nous. « Le Seigneur l’a donc juré». Quel est ce serment
1. Luc, II, 7, 8. — 2. Ps. CIX, 4.
du Seigneur? Il jure donc, lui qui défend à l’homme de jurer 1 ? Ou peut-être n’a-t-il défendu à l’homme de jurer que pour lui éviter le parjure. tandis que Dieu peut jurer, lui qui ne saurait être parjure ? Il est bon en effet d’interdire le serment à l’homme, que l’habitude du serment peut conduire au parjure; car l’homme est d’autant plus éloigné du parjure qu’il l’est du serment. L’homme qui jure, en effet, peut assurer le faux et le vrai; mais, celui qui ne jure point du tout, n’affirme rien de faux, puisqu’il ne fait aucun serment. Pourquoi donc le Seigneur ne jurerait-il point, puisque son serment ne saurait être que l’attestation de sa promesse? Qu’il jure, alors. Et toi, homme, que fais-tu dans ton serment? Tu prends Dieu à témoin; car c’est dans l’appel au témoignage de Dieu que consiste le serment, et le fâcheux serait d’appeler Dieu en témoignage d’une fausseté. Si donc jurer, pour toi, c’est en appeler au témoignage de Dieu, pourquoi Dieu, en jurant, n’en appellerait-il pas à lui-même ? « Vive moi, dit le Seigneur», tel est le serment de Dieu. Ainsi jura-t-il quant à la postérité d’Abraham. « Vive moi, dit le Seigneur, parce que tu as entendu ma parole, et que tu n’as point épargné ton fils unique à cause de moi, je te bénirai et je multiplierai ta postérité comme les étoiles du ciel et comme le sable qui est au bord de la mer, et en ta race seront bénies toutes les nations 2». Or, la postérité d’Abraham c’est le Christ, et ce rejeton d’Abraham, prenant une chair dans la lignée d’Abraham, sera prêtre pour l’éternité, selon l’ordre de Melchisédech. C’est donc à propos de ce sacerdoce selon l’ordre de Melchisédech que le Seigneur a fait un serment dont il ne se repentira point. Qu’adviendra-t-il du sacerdoce selon l’ordre d’Aaron ? Dieu a-t-il donc du repentir à la manière des hommes? lui arrive-t-il d’agir malgré lui, ou de tomber par surprise, et d’avoir ensuite àse repentir de sa faute? Dieu connaît ce qu’il fait, il sait jusqu’à quel point il s’avance; et comme il dirige souverainement, tout changement est en son pouvoir. Mais le repentir est un signe de changement; et de même qu’en toi le repentir est la douleur d’avoir agi comme tu l’as fait, de même Dieu du qu’il se repent quand il agit contre l’attente des hommes, c’est-à-dire quand il
1. Matth. V, 34. — 2. Gen. XXII, 16-18.
change les événements d’une autre manière qu’ils ne se promettaient. C’est ainsi qu’il se repent de nos souffrances quand nous nous repentons de notre vie désordonnée. « Le Seigneur l’a donc juré », oui juré, assuré par serment ; « et il ne s’en repentira point », son dessein ne changera point. Qu’a-t-il juré? « Vous êtes prêtre pour l’éternité ». Et pour l’éternité, parce qu’il ne se repentira point. Mais prêtre en quel sens? Est-ce pour offrir ces hosties, ces victimes qu’offraient les patriarches sur des autels ensanglantés? Est-ce encore le tabernacle, et tous ces rites de l’Ancien Testament? Loin de là. Rien de tout cela n’est plus, le temple est renversé, le sacerdoce détruit, il n’y a plus pour eux ni victimes ni sacrifice. Tout a cessé chez les Juifs. ils voient que le sacerdoce, selon l’ordre d’Aaron, n’est plus, et ils ne reconnaissent point le sacerdoce selon l’ordre de Melchisédech. « Vous êtes prêtre pour l’éternité selon l’ordre de Melchisédech ». C’est aux fidèles que je m’adresse. Si mes paroles sont intelligibles pour les catéchumènes, qu’ils sortent de leur négligence, et se hâtent de connaître. Il n’est donc pas besoin d’exposer nos mystères ; c’est à l’Ecriture de vous dire ce qu’est le sacerdoce selon l’ordre de Melchisédech.
18. « Le Seigneur est à votre droite ». Le Seigneur avait dit : « Asseyez-vous à ma droite », et maintenant ce Seigneur est à la droite, comme si les places étaient changées. Ou plutôt ces paroles: « Le Seigneur l’a juré, et il ne s’en repentira point : Vous êtes prêtre pour l’éternité, selon l’ordre de Melchisédech » , ne s’adresseraient-elles point au Christ? « Vous êtes prêtre pour l’éternité, le Seigneur l’a juré ». Quel Seigneur? Celui qui « a dit à mon Seigneur : Asseyez-vous à ma droite; celui-là en a fait serment : Vous êtes pour l’éternité prêtre selon l’ordre de Melchisédech »; et à ce même Seigneur qui a juré, s’adresserait alors cette parole: « Le Seigneur est à votre droite». O Seigneur, qui avez juré et qui avez dit : Vous êtes pour l’éternité prêtre selon l’ordre de Melchisédech; ce prêtre pour l’éternité, c’est le Seigneur qui est à votre droite; oui; ce même prêtre au sujet duquel vous avez fait serment,
« est le Seigneur à votre droite »; car c’est à ce même Seigneur que vous avez dit: « Asseyez-vous à ma droite, jusqu’à ce que je
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fasse de vos ennemis l’escabeau de vos pieds ». C’est ce même Seigneur qui est à votre droite, et au sujet duquel vous avez juré, et à qui vous avez juré en disant: «Vous êtes pour l’éternité prêtre selon l’ordre de Melchisédech » ; c’est lui qui « brisera les rois au jour de sa colère». Ce Christ donc, ce Seigneur qui est à votre droite, à qui vous avez fait un serment sans repentir, que fait-il comme prêtre éternel? Que fait-il, lui qui est à la droite de Dieu, et qui intercède pour nous 1, qui entre comme prêtre dans l’intérieur, ou dans le Saint des saints, dans le secret des cieux, lui seul qui est sans péché, et qui dès lors nous purifie facilement de nos péchés 2? Ce Christ, à votre droite, « brisera les rois au jour de sa colère ». Quels rois, me diras-tu? As-tu donc oublié que: « Les rois de la terre se sont levés, que les princes se sont rassemblés contre le Seigneur et contre son Christ 3?» Tels sont les rois qu’il a brisés sous le poids de sa gloire, que le poids de son nom a réduits à la faiblesse, en sorte qu’ils ont échoué dans leur entreprise, ils ont tenté de gigantesques efforts pour effacer de la terre le nom chrétien, sans pouvoir y parvenir: « Quiconque, en effet, heurtera cette pierre, en sera brisé 4». C’est donc en se heurtant contre cette pierre de scandale, qu’ils se sont brisés, ces rois qui disent: Qui est le Christ? Je ne sais quel juif, ou quel galiléen, un supplicié, un homme mort sur la croix. Telle est la pierre, jetée devant tes pieds, comme un objet méprisable; tu viens t’y heurter avec dédain, et ce choc te renverse, et tu es brisé dans ta chute. Si donc telle est la colère du Christ, qui se tient caché, que sera-ce quand il se manifestera pour juger? Vous avez entendu sa colère, quand il se cache, car un psaume a pour titre: « Pour les secrets du Fils »; c’est le neuvième psaume, s’il m’en souvient bien, qui est intitulé : « Pour les secrets du Fils», et qui nous montre les effets secrets d’une colère qui se dérobe. Ils ont allumé la colère de Dieu, ceux qui viennent se heurter contre cette pierre, et s’y briser. Et à quoi viennent aboutir leurs meurtrissures? Ecoutez l’Evangile sur le jugement à venir : « Celui qui se heurtera contre la pierre, en sera brisé, elle écrasera celui sur qui elle tombera 5 ». Quand on heurte cette
1. Rom. VIII, 34. — 2. Hébr. IX, 12. — 3. Ps, II, 2. — 4. Matth. XXI, 44. — 5. Luc, XX, 18.
pierre, elle est en quelque sorte couchée à terre, et c’est alors qu’elle meurtrit; mais quand elle écrasera, elle tombera d’en haut. Voyez comme ces deux paroles, meurtrir et écraser, distinguent bien les temps, l’un de l’humilité, l’autre de la splendeur du Christ, l’un d’une peine secrète, l’autre du jugement à venir; on se meurtrit d’abord, puis la pierre écrase. Elle n’écrasera point à son avènement celui qu’elle n’aura point meurtri quand elle était couchée. Et cette expression couchée, signifie ici méprisable en apparence. Car le Christ est à la droite de Dieu, et du haut du ciel il poussa ce grand cri: « Saul, Saul, pourquoi me persécutez-vous 1? » Et toutefois il ne dirait pas du haut du ciel, où l’on ne saurait l’atteindre: « Pourquoi me persécuter? » s’il n’était assis dans le ciel, à la droite de son Père, de manière néanmoins à être encore en quelque sorte caché sur la terre. « Le Seigneur à votre droite brisera les rois au jour de sa colère ».
19. « Il jugera parmi les nations ». Maintenant il juge « dans le secret », alors son jugement se fera dans l’éclat. « Il jugera parmi les nations ». Maintenant s’accomplit cette parole : « Leur mémoire périt avec le bruit 2». Ainsi dit ce psaume « pour les secrets. Leur mémoire s’est éteinte avec le bruit, et le Seigneur demeure éternellement; il a préparé son trône pour le jugement , et il jugera l’univers entier dans l’équité ». C’est encore là qu’il est dit : « Vous avez menacé les nations, et l’impie a péri, et vous avez effacé son nom pour jamais » : voilà ce qui s’accomplit secrètement. « Au jour de sa vengeance il brisera les rois, quand il jugera parmi les nations ». Comment? Ecoute ce qui suit: « Il multipliera les ruines ». Maintenant son jugement chez les nations, par les ruines; mais quand il jugera au dernier jour, il condamnera les ruines. Aujourd’hui donc « il multiplie les ruines ». Quelles ruines? Celui qui craint au sujet de son nom tombera; et quand il sera tombé, il sera détruit dans ce qu’il était, afin d’être édifié en ce qu’il n’était point. « Il jugera parmi les nations, et multipliera les ruines ». O toi, qui t’élèves contre le Christ, tu as élevé dans les airs une tour qui tombera. Il te conviendrait mieux de t’abaisser, de devenir humble, de te prosterner aux pieds de
1. Act. IX, 4. — 2. Ps. IX, 6-9.
celui qui est assis à la droite de son Père, d’être en ruine, afin que Dieu te relève. Car en persistant dans cette élévation criminelle, tu seras jeté à terre, et l’on ne bâtira rien en toi. C’est en effet de ces hommes que l’Ecriture dit ailleurs : « Détruisez-les, et vous ne les reconstruirez plus ». Assurément le Prophète ne dirait point de quelques-uns: « Détruisez-les, et vous ne les reconstruirez plus 1» ; si Dieu n’en détruisait d’autres pour les reconstruire. C’est ce qui a lieu maintenant, que le Christ juge parmi les nations, de manière à multiplier les ruines. « Il brisera sur la terre les têtes de plusieurs ». C’est ici, « sur la terre», en cette vie, qu’il brisera bien des têtes. Les orgueilleux,il les rend humbles; et j’ose le dire, mes frères, il est mieux de marcher ici-bas, humblement et la tête brisée, que de lever fièrement la tête pour tomber au jugement dans la mort éternelle. Il brisera bien des têtes, en faisant des ruines, mais il comblera ces ruines en réédifiant.
20. « Il boira en chemin l’eau du torrent, et pour cela relèvera la tête 2 ». Voyons comme il boit en chemin l’eau du torrent. D’abord qu’est-ce que le torrent ? L’écoulement de la mortalité humaine. Un torrent se forme par les eaux des pluies, se gonfle, mugit, se précipite, et dans son impétuosité cesse de courir, c’est-à-dire achève sa course; tel est le cours de tout ce qui est mortel. L’homme naît, vit, et meurt, et quand celui-ci meurt, celui-là vient au monde; et après celui-là
1. Ps. XXVII, 5.— 2. Id. CIX, 7.
d’autres viendront encore. Les hommes donc se succèdent, viennent, s’en vont, et ne demeurent point. Qu’est-ce qui demeure ici-bas? Qu’est-ce qui ne s’en va point? Qu’est-ce qui ne s’en va point dans l’abîme comme l’eau des pluies? Comme le fleuve, en effet, que forment tout à coup les pluies, les gouttes de rosée, se jette dans la mer et ne reparaît plus, et ne paraissait même point avant que la pluie l’eût formé; ainsi le genre humain se forme dans le secret de Dieu, puis s’écoule, puis rentre par la mort dans l’invisible ; entre ces deux invisibles, il fait quelque bruit et passe. C’est donc à ce torrent qu’a bu le Christ, à ce torrent qu’il n’a pas dédaigné de boire. Boire à ce torrent, c’était pour lui, naître et mourir. La naissance et la mort, voilà tout ce torrent. Le Christ s’y est assujetti; il est né, et il est mort; c’est ainsi qu’il a bu en chemin l’eau du torrent. Il a bondi comme le géant, pour fournir sa carrière 1. Il a donc bu en chemin l’eau du torrent, parce qu’il ne s’est pas arrêté dans le chemin des pécheurs 2. Donc parce qu’il a bu l’eau du torrent il a élevé la tête: c’est-à-dire, parce qu’il a été humilié, parce qu’ « il a été soumis jusqu’à la mort, et la mort de la croix, voilà que Dieu l’a ressuscité d’entre les morts, et lui a donné un nom au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse dans le ciel, sur la terre et dans les enfers, et que toute langue confesse que Notre-Seigneur Jésus-Christ est dans la gloire de Dieu son Père 3 ».
1. Ps. XVIII, 6. — 2. Id. I,1.— 3. Philipp. II, 8-11.
DISCOURS SUR LE PSAUME CX.
SERMON AU PEUPLE POUR LE JOUR DE PÂQUES.
LES MERVEILLES DU SEIGNEUR.
L’Alleluia de la terre est l’image de l’Alleluia du ciel ; et si les jours du Carême sont l’image des misères de la vie, auxquelles viennent succéder les jours de joie, ainsi en sera-t-il de la joie éternelle, succédant aux douleurs de la vie présente. Tant que l’on prêche les dix préceptes dans les quatre parties du monde, ce qui par la multiplication nous donne le nombre quarante, nous devons nous priver des plaisirs mondains, et si au nombre quarante on ajoute le dernier au nombre dix, nous obtenons cinquante, image de la récompense. — La confession par laquelle commence notre Psaume est une confession de louange, et le Prophète la fait dans l’assemblée des saints, alors que l’iniquité a disparu. Telle est la grande oeuvre du Seigneur, et nul ne va contre sa volonté, pas même l’impie qui doit revenir à lui ou subir le châtiment ; cette grande maure est donc la justification de l’impie ; oeuvre de véritable grâce, puisqu’elle ne vient point de nos mérites. Le Seigneur se réserve des temps pour ses prodiges et nous a dès ici-bas donné pour nourriture ce Verbe que nous posséderons éternellement. Il montrera aux saints la puissance de ses oeuvres ou la prédication de l’Evangile; lui seul peut nous juger, et non les hommes qui ont jugé les martyrs; lui seul donne le rédempteur qu’il a promis. Ce testament éternel est bien le Nouveau, puisque l’Ancien n’est plus. Loin de nous la Jérusalem terrestre avec ses promesses charnelles ; ne cherchons que la sagesse dont le commencement est la crainte de Dieu; celui-là a l’intelligence, qui fait le bien, et sa récompense sera de siècle en siècle.
1. Voici les jours de chanter Alleluia: réveillez donc votre attention, mes frères, pour accueillir ce que Dieu nous suggère, afin de vous encourager et de nourrir cette charité qui nous fait adhérer au Seigneur pour notre bien. Réveillez votre attention, vous qui chantez si bien le Seigneur, vous enfants de la louange, et de la gloire éternelle de Dieu toujours vrai, toujours incorruptible. Soyez attentifs, ô vous, qui savez au fond de vos coeurs, et chanter au Seigneur, et jouer de la harpe: rendez-lui grâces en toutes choses 1, et louez Dieu, tel est l’Alleluia. Ces jours qui viennent passeront, il est vrai, et ils passeront pour revenir encore; mais ils nous désignent ce jour par excellence, qui ne vient point, qui ne passe point, qui n’est point annoncé par le jour d’hier, ni chassé par un lendemain. Et quand nous serons arrivés à ce jour, nous nous y attacherons pour no plus passer. Et comme en certain endroit nous chantons à Dieu: « Bienheureux ceux qui habitent votre maison, ils vous loueront dans les siècles des siècles 2» ; telle sera notre oeuvre dans le repos, notre travail dans l’inaction, notre occupation dans la quiétude, notre soin dans la tranquillité. De même qu’aux jours de carême, qui marquaient les afflictions de cette vie avant la résurrection du Sauveur, viennent succéder ces jours
1. Ephés. V, 19, 20. — 2. Ps. LXXXIII, 5.
d’une joie solennelle, ainsi ce jour unique, qui sera donné après la résurrection au corps entier du Christ, c’est-à-dire à la sainte Eglise, viendra dans une joie sainte pour succéder à toutes les douleurs et à toutes les misères de cette vie. Quant à la vie présente, nous devons la passer dans la modération, en gémissant sous le poids du labeur, et dans les combats, en désirant nous revêtir de la gloire de cette maison céleste 1, et en nous abstenant des plaisirs du siècle: aussi est-elle figurée par ce nombre de quarante, qui détermine les jours de jeûne pour Moïse, pour Elie, pour le Seigneur 2. Ainsi la loi et les Prophètes, et l‘Evangile, auquel viennent rendre témoignage la loi et les Prophètes, puisque sur la montagne le Sauveur montra sa gloire au milieu de Moïse et d’Elie 3; la loi et les Prophètes, et l’Evangile nous ordonnent d’imposer en quelque sorte le jeûne de la tempérance à cette avidité pour des plaisirs mondains qui nous captivent jusqu’à nous faire oublier Dieu; et cela tout le temps que l’on prêche cette loi du décalogue dans les quatre parties du monde; en sorte que dix, multiplié par quatre, donne le nombre quarante. Quant à ces cinquante jours pendant lesquels nous chantons Alleluia, après la résurrection du
1. II Cor. V, 2.— 2. Exod. XXXIV, 28; III Rois, XIX, 8; Matth, IV, 2. — 3. Matth. XVII, 3.
613
Seigneur, ils ne marquent pas un temps qui finit et qui passe, mais bien l’éternité bienheureuse; car le denier, ou nombre dix, ajouté à quarante, nous rappelle cette récompense accordée àux fidèles ouvriers pendant cette vie, et que le Père de famille octroie aux derniers comme aux premiers. Ecoutons donc ce peuple de Dieu, qui chante les louanges débordant de son coeur. Ce psaume, en effet, nous montre un homme qui bondit dans les tressaillements de sa joie; il nous montre en figure ce peuple de Dieu dont le coeur exhale des flots d’amour , ou plutôt le corps du Christ, délivré de tous maux.
2. « Seigneur, je vous confesserai dans toute l’étendue de mon coeur 1». Ce mot de confession ne marque pas toujours l’aveu des péchés, il exprime aussi la louange de Dieu confessée avec piété. L’une de ces confessions est donc dans les pleurs, l’autre dans la joie: l’une montre au médecin sa blessure, l’autre rend grâces de sa guérison. Cette confession de notre psaume nous montre un homme, non-seulement délivré de tous maux, mais encore séparé de tous les méchants. Voyons dès lors en quel lieu il rend à Dieu cette confession dans toute l’étendue de son coeur. C’est, dit-il, dans le conseil, dans l’assemblée des justes; de ces justes, je crois, qui seront assis sur douze trônes pour juger les douze tribus d’Israël 2. Là, il n’y aura plus d’hommes d’iniquité : plus de Judas dont on doive tolérer les vols; plus de Simon Magicien, qui veuille être baptisé, et acheter l’Esprit-Saint dans la pensée de le revendre 3; plus d’Alexandre Chaudronnier, pour faire beaucoup de mal 4, plus de faux frère, se glissant à la faveur d’une peau de brebis, tous pécheurs que l’Eglise doit supporter en cette vie , mais qu’elle bannira de l’assemblée de tous les justes. Voilà « ces grandes oeuvres du Seigneur,accomplies selon toutes ses volontés 5», qui ne laissent sans miséricorde aucun aveu des fautes, non plus que l’iniquité sans châtiment; puisque « Le Seigneur châtie ceux qu’il reçoit au nombre de ses enfants 6 ». Et si le juste n’est sauvé qu’à peine, que deviendront le juste et l’impie 7? Que l’homme fasse donc son choix. Les ouvrages de Dieu ne sont point réglés de telle sorte que la créature, dans son libre arbitre, puisse dominer
1. Ps. CX, 1.— 2. Matth. XIX, 28.— 3. Act. VIII, 13, 18, 19.— 4. II Tim. IV, 14.— 5. Ps. CX, 2.— 6. Hébr. XII, 6.— 7. Pier. IV, 18.
la volonté du Créateur, bien qu’elle agisse contrairement à cette volonté. Dieu ne veut point le péché en toi; il le défend; mais si tu pèches, ne va point t’imaginer que l’homme ait fait sa volonté, et qu’il soit arrivé à Dieu ce que Dieu ne voulait pas ; de même que Dieu veut que l’homme ne pèche point, il veut aussi pardonner au pécheur, afin que celui-ci revienne et qu’il vive; de même il veut punir celui qui persévère finalement dans le péché, afin que nul opiniâtre n’échappe à la puissance de sa justice. Quelque soit donc ton choix, tu ne saurais éluder la volonté du Tout-Puissant, qui s’accomplira sur toi. «Les oeuvres du Seigneur sont grandes, accomplies selon toutes ses volontés ».
3. « Ses oeuvres sont la confession et la magnificence 1». Quelle oeuvre plus admirable que la justification de l’impie? Mais on dira peut-être que l’oeuvre de l’homme est antérieure à cette magnificence de Dieu, et qu’il mérite d’être justifié quand il a confessé ses fautes : «Le publicain, en effet, sortit du temple justifié, beaucoup plus que le pharisien; car il n’osait point lever les yeux au ciel, mais il battait sa poitrine en disant : « O Dieu, ayez pitié de moi, qui suis un pécheur ». C’est donc dans la justification du pécheur que resplendit la magnificence de Dieu, dans l’élévation de quiconque s’humilie, et l’abaissement de celui qui s’élève 2. Telle est la magnificence du Seigneur, que celui à qui l’on a beaucoup remis, aime davantage 3. Telle est enfin la magnificence du Seigneur, « qu’il y ait surabondance de grâce où il y avait abondance de péché 4 ». Mais cela vient peut-être des oeuvres de l’homme. « Non, cela ne vient point des oeuvres, est-il dit, de peur qu’on ne s’enorgueillisse. Car nous sommes l’ouvrage de Dieu, créés en Jésus-Christ, par les bonnes œuvres 5 ». Or, l’homme ne saurait faire une oeuvre de justice, s’il n’est d’abord justifié. « Croire en eu celui qui justifie l’impie 6 », c’est commencer par la foi, en sorte que ses bonnes oeuvres ne démontrent point ce qu’il a mérité auparavant, mais bien ce qu’il a reçu ensuite. D’où vient donc alors cette confession? Elle n’est point encore une oeuvre de justice, mais la réprobation du mal. Quoi qu’il en soit, néanmoins, ô homme, ne te glorifie pas de cette confession ;
1. Ps. CI, 3. — 2. Luc, XVIII, 13, 14. — 3. Id. VII, 42 - 48. — 4. Rom. V, 20. — 5. Ephés. II, 9, 10. — 6. Rom. IV, 5.
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quiconque, en effet, « se glorifie, doit se glorifier dans le Seigneur 1. Qu’avez-vous que vous ne l’ayez reçu 2? » Ce n’est donc pas seulement la magnificence qui justifie l’impie, mais la magnificence et la confession sont l’oeuvre du Seigneur Pourquoi dire, en effet, que Dieu fait miséricorde à qui lui plaît, et qu’il laisse endurcir qui lui plaît? Y a-t-il néanmoins injustice en Dieu? Loin de là. « Sa justice demeure de siècle en siècle ». Mais toi, ô homme de ce siècle, qui es-tu pour répondre à Dieu 3?
4. « Le Seigneur a consacré la mémoire de ses merveilles » , en humiliant l’un , en exaltant l’autre. « Il a consacré la mémoire de ses merveilles 4 », en se réservant pour le temps opportun des prodiges extraordinaires, dont la faiblesse humaine, éprise des nouveautés, pût conserver le souvenir, bien que ses miracles de chaque jour soient plus grands. Il crée dans toute la terre une infinité d’arbres, et nul n’y prend garde; qu’il en dessèche un seul de sa parole, voilà le coeur des hommes dans l’admiration 5; mais : « Il a consacré la mémoire de ses merveilles », et ces miracles, que l’habitude n’aura point en quelque sorte avilis à nos yeux, se graveront principalement dans les âmes attentives.
5. Mais à quoi ont servi les miracles, sinon à faire craindre le Seigneur ? Et à quoi servirait la crainte, « si le Seigneur, dans sa miséricorde et dans sa bonté, ne donnait la nourriture à ceux qui le craignent 6? » Nourriture incorruptible, pain descendu du ciel 7, qu’il nous a donné sans que nous l’eussions mérité. Car le Christ est mort pour les impies 8; et nul autre que le Seigneur ne pouvait donner une semblable nourriture avec une miséricordieuse bonté. Si donc il nous a fait un tel don pour cette vie; si le pécheur, pour être justifié, a reçu le Verbe fait chair, que ne recevra-t-il point quand il sera glorifié dans le ciel? « Car il se souviendra dans tous les siècles de son alliance », et n’ayant donné qu’un gage, il n’a point tout donné.
6. « Il fera voir à son peuple la puissance de ses œuvres 9 ». Qu’ils ne s’affligent point, ces saints d’Israël, qui ont tout quitté pour le
1. I Cor. I, 31. — 2. Id. IV, 7. — 3. Rom. IX, 14, 18, 20. — 4. Ps. CX, 4.— 5. Matth. XXI, 29, 20. — 6. Ps. CX, 5.— 7. Jean, VI, 27. — 8. Rom, V, 6. — 9. Ps. CX, 6.
suivre; qu’ils ne s’affligent point, en disant: « Qui donc pourra être sauvé? puisqu’il sera plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume des cieux 1». Il leur montrera la puissance de ses oeuvres; car ce « qui est difficile aux hommes, devient facile à Dieu. Il leur donnera l’héritage des nations 2 ». L’Evangile a passé aux nations, et l’on a enjoint aux riches de ce siècle de n’être point orgueilleux, de ne mettre point leur espérance dans les richesses incertaines, mais dans le Dieu vivant 3, à qui devient facile ce qui est difficile aux hommes. C’est ainsi que plusieurs ont été appelés, ainsi qu’on s’est emparé de l’héritage des nations, ainsi que plusieurs, qui n’avaient pas renoncé aux biens de cette vie pour suivre Jésus-Christ, ont bien osé mépriser la vie même pour confesser son nom, et s’étant humiliés comme des chameaux sous le fardeau des afflictions, sont entrés par la voie étroite des piquantes douleurs, comme par le trou de l’aiguille. Ainsi agit celui à qui tout est possible.
7. « L’oeuvre de ses mains, c’est la vérité et le jugement». Que ceux que l’on juge en ce monde gardent bien cette vérité. On juge ici-bas les martyrs, on les conduit à ces tribunaux où non-seulement ils jugeront leurs juges, mais ces anges mêmes 4 avec lesquels ils étaient en lutte, quand les hommes paraissaient les juger. Ne soyons séparés du Christ ni par la tribulation, ni par l’angoisse, ni par la faim, ni par la nudité, ni par le glaive 5, « car tous ses oracles sont fidèles ». Il ne trompe point, mais tient ce qu’il a promis. Et toutefois, ce n’est point ici-bas qu’il faut attendre ce qu’il a promis, ici-bas qu’il faut l’espérer; mais eu ses oracles sont affermis à jamais, ils sont dictés dans la justice et dans « la vérité 6». Le vrai, le juste, c’est le travail ici-bas, le repos en l’autre vie. « Parce qu’il a envoyé à son peuple un Rédempteur 7 ». Et d’où ce peuple est-il racheté, sinon de la captivité de son exil? Ne recherchons donc le repos que dans la céleste patrie.
8. Dieu a donné aux Israélites charnels, cette Jérusalem terrestre « qui est esclave avec ses enfants 8 » ; mais tel est le vieux Testament, concernant le vieil homme. Or,
1. Matth. XIX, 24-26.— 2. Ps. CX, 7.— 3. I Tim. VI, 17.— 4. I Cor. VI, 3.— 5. Rom. VIII, 35.— 6. Ps. CX, 8.— 7. Id. 9.— 8. Gal. IV, 25.
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ceux qui ont vu en cela des figures, sont devenus héritiers du Nouveau Testament : « Parce que la Jérusalem qui est en haut est libre, et c’est elle qui est notre Mère pour l’éternité dans les cieux 1 ». Or, il est prouvé que cet Ancien Testament n’avait que des promesses transitoires : « Il a établi son Testament pour jamais ». Or, quel Testament, sinon le Nouveau? O toi, qui veux en être l’héritier, point d’illusion, ne va point te figurer une terre où coulent le lait et le miel, ni d’agréables maisons de campagne, ni des jardins avec des fruits et des massifs; loin de toi de désirer ce que peut convoiter l’oeil des avares. Comme l’avarice est la source de tous maux 2, il faut l’étouffer en ce monde, afin qu’elle y meure, et non la réserver pour l’autre vie, pour y chercher satisfaction. Commence par fuir les peines de l’autre vie, par éviter l’enfer : avant de convoiter les promesses de Dieu, garde-toi de ses menaces, « Car son nom est saint et terrible ».
9. Au lieu de toutes les délices de ce monde que vous avez goûtées, ou que votre imagination peut grossir et multiplier, ne désirez plus que la sagesse, mère des impérissables délices; et « le commencement de cette sagesse,
1. Gal. IV, 26.— 2. I Tim. VI, 10.
c’est la crainte du Seigneur ». C’est elle qui fera vos délices, qui vous fera goûter d’ineffables joies dans les chastes et éternels embrassements de la vérité : mais avant de chercher une récompense, il faut tout d’abord que tes péchés soient remis. « Le commencement de la sagesse est donc la crainte du Seigneur 1 ». L’intelligence est bonne, qui oserait le nier? Mais il est dangereux de comprendre et de ne point agir. Alors « l’intelligence est bonne pour ceux qui agissent ». Que notre esprit ne s’enfle point d’orgueil. Car celui dont la crainte est le commencement de la sagesse, est aussi celui « dont la eu louange demeure de siècle en siècle». Telle sera la récompense et la fin ; et la station, le repos éternel. C’est là qu’on trouve les oracles fidèles, confirmés de siècle en siècle; tel est l’héritage du Nouveau Testament, héritage affermi pour l’éternité. « J’ai fait au Seigneur une prière unique, et j’insisterai, c’est d’habiter dans la maison du Seigneur tous les jours de ma vie 2. Bienheureux ceux qui habitent la maison du Seigneur; ils le béniront dans les siècles des siècles 3, parce que sa gloire demeure dans le siècle des siècles ».
1. Ps. CX, 10. — 2. Id. XVI, 4. — 3. Id. LXXXIII, 5.
source: http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin/index.htm