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Saint Augustin d'Hippone
Discours sur les Psaumes 111 à 115

DISCOURS SUR LE PSAUME CXI.
SERMON AU PEUPLE.
LE TEMPLE SPIRITUEL.
 

L‘inscription du titre porte : Conversion d’Aggée et de Zacharie. Ces prophètes, bien postérieurs à l’époque des Psaumes, ont prédit la reconstruction du Temple après les soixante-dix années de captivité. Mais ce temple est l’Eglise, par qui l’homme est renouvelé et entre comme pierre vivante dans sa construction. Tel est le temple que prophétisaient Aggée et Zacharie, et dont le couronnement sera la sagesse qui commence par la crainte du Seigneur. C’est au Seigneur qu’il appartient de juger l’homme qui se fait un bonheur d’accomplir sa loi, dont la postérité sera puissante sur la terre , puisqu’elle pourra, par de bonnes oeuvres, acquérir la vie éternelle. Loin de nous d’agir pour un motif humain, et de perdre la gloire qui demeure de siècle en siècle. Dieu nous a tirés de la vie ténébreuse pour nous apprendre à mériter le ciel par le pardon et le bienfait. L’homme doux, du Psaume, pardonne et prête; et il y a dans le pardon une gloire plus pure que dans la vengeance, dans le bienfait une richesse plus solide que celle de la terre. La gloire donc et les richesses sont pour le coeur juste. Régler nos paroles pour le jugement, c’est aussi régler nos oeuvres qui nous défendront alors ; de là cette bénédiction pour la race des justes, tandis que leurs ennemis n’ont voulu que les biens périssables, et seront loin du Verbe de Dieu.

 

1. Je pense, mes frères, que vous avez en tendu et fixé dans votre mémoire le titre de ce psaume: « Conversion d’Aggée et de Zacharie », est-il dit. Or, ces Prophètes n’étaient point encore, quand ce cantique fut chanté. Car, entre l’époque de David et la transmigration du (616) peuple d’Israël à Babylone, on compte quatorze générations, au témoignage des saintes Ecritures, et surtout de l’Evangéliste saint Matthieu 1. Or, selon la parole du saint prophète Jérémie, on espérait que le temple sortirait de ses ruines soixante et dix ans après celte transmigration 2. Or, à l’accomplissement de ces soixante et dix ans, sous Darius, roi de Babylone 3, ces deux saints prophètes, Aggée et Zacharie, furent aussi remplis de l’Esprit-Saint  4 ; et tous deux, dans l’espace d’une année, commencèrent à prédire ce qui concernait la reconstruction du temple, déjà prédite si longtemps auparavant. Mais arrêter les yeux du coeur sur des faits complètement corporels, et ne pas élever son âme jusqu’aux actes spirituels de la grâce, c’est circonscrire sa pensée dans les pierres d’un temple dont la structure visible s’élève par la main des hommes, c’est ne pas devenir soi-même une pierre vivante qui se taille et se prépare à faire partie de ce temple auquel Jésus-Christ compara son corps en disant : « Détruisez ce temple, et je le rebâtirai en trois jours 5 ». L’Eglise est d’une manière bien plus parfaite le corps de Jésus-Christ, dont la tête s’élève au ciel, et qui est par excellence la pierre vivante, la pierre angulaire dont saint Pierre a dit: « Approchez-vous de lui comme de la pierre vivante », rejetée par les hommes, choisie et honorée par Dieu; et vous-mêmes, soyez établis sur lui, comme des pierres vivantes, pour former un édifice spirituel, un sacerdoce saint, afin d’offrir à Dieu des hosties spirituelles « qui lui soient agréables par Jésus-Christ 6». L’Ecriture dit en effet: « Voici que je place en Sion une pierre angulaire, choisie, précieuse, et quiconque croira en elle ne sera point confondu 7 ». Celui donc qui veut devenir une pierre vivante, propre à entrer dans cet édifice, doit comprendre d’une manière spirituelle comment le temple se relève de cette ruine antique faite en Adam, comment se régénère le peuple nouveau, selon l’homme nouveau, l’homme céleste; afin qu’après avoir porté l’image de l’homme terrestre, nous portions aussi l’image de Celui qui est dans le ciel 8, et qu’en lui, après tous les âges de cette vie, comme après ces septante années qui figuraient mystérieusement

 

1. Matth. I, 17.— 2. Jérém. XXV, 12; XXIX, 10.— 3. I Esdr. I, 1.— 4. Agg. I, 1; Zach. I, 1, 26.— 5. Jean, II, 19.— 6. I Pierre, 11, 4-6. — 7. Isa. XXVIII, 16. — 8. I Cor. XV, 49.

 

 

la perfection, comme après la captivité de ce long exil, nous puissions non plus être construits en un édifice qui doit crouler un jour, mais être solidement établis dans une immortalité sans fin. Ne croyez pas en effet que la Jérusalem spirituelle soit plus aux Juifs qu’à vous-mêmes. Comme l’a dit en effet l’Apôtre: « Vous n’êtes plus désormais des étrangers, des exilés; mais vous êtes les concitoyens des saints, habitants de la cité de Dieu, construits sur le fondement des Apôtres et des Prophètes, édifice dont Jésus-Christ est lui-même la principale pierre angulaire; c’est sur lui que tout l’édifice construit s’élève jusqu’à devenir un temple consacré au Seigneur; et c’est par lui que vous faites partie de la construction de cet édifice, devenant la maison de Dieu par l’Esprit-Saint ».Voilà le temple que prophétisaient en figure Aggée et Zacharié, auquel saint Paul dit encore: « Le temple de Dieu est saint, et vous êtes ce temple 2 ». Quiconque dès lors veut sortir de ce monde qui tombe en ruines, pour entrer comme pierre vivante dans la construction de cet édifice, et pour espérer une part dans cette union sainte et solide, comprend le titre du psaume, il comprend la conversion d’Aggée et dé Zacharie. Qu’il chante notre psaume, non plus par la voix, mais par les oeuvres. Et le couronnement de cet édifice sera l’ineffable paix dans la sagesse, dont le commencement est la crainte du Seigneur 3 : qu’il commence par cette crainte, celui qui veut par sa conversion entrer dans l’édifice spirituel.

2. « Bienheureux l’homme qui craint le Seigneur, qui se tait un bonheur d’accomplir sa loi 4 ». C’est à Dieu, qui seul juge avec miséricorde et vérité, de voir combien notre interlocuteur a marché dans ses commandements : « Car la vie de l’homme sur la terre est une épreuve sans fin 5 », a dit Job. Et il est dit encore que le corps corruptible appesantit l’âme, et que cette habitation terrestre abat l’esprit capable des plus hautes pensées 6. Or, celui qui nous juge, c’est le Seigneur, et nous ne devons pas juger avant le temps, «jusqu’à ce que le Seigneur vienne et qu’il éclaire ce qui est caché dans les ténèbres, qu’il manifeste les pensées des coeurs; et alors chacun recevra sa louange de Dieu 7 ».

 

1. Ephés. II, 19-22.— 2. I Cor. III, 17.— 3. Prov. I, 7.— 4. Ps. CXI, 1. — 5. Job, VII, 1. — 6. Sag. IX, 15. — 7. I Cor. IV, 4, 5.

 

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Que le Seigneur voie donc les progrès de chacun dans la voie de ses commandements; et toutefois il sera plein d’ardeur, celui qui aimera la paix de ce saint édifice; et il ne doit point désespérer, puisque sa volonté est pleinement dans la loi du Seigneur, et qu’il y a paix sur la terre pour les hommes de bonne volonté 1.

3. C’est pourquoi « sa postérité sera puissante sur la terre 2 ». Cette race ou semence, qui nous prépare une moisson pour l’avenir, consiste dans les oeuvres de miséricorde, selon l’Apôtre, qui nous dit: « Ne nous lassons pas de faire le bien, puisque nous moissonnerons dans la saison 3» ; et encore: « Je vous le dis, quiconque sème peu, moissonnera peu 4 ». Quelle plus grande puissance, mes frères, que celle d’acheter le royaume des cieux, non-seulement avec la moitié de nos biens, comme Zachée 5 mais encore avec les deux deniers de la veuve 6, et d’y posséder tous un héritage égal? Quelle plus grande puissance que d’acquérir un royaume, et le riche par ses trésors, et le pauvre par un verre d’eau froide? Or, plusieurs font ces oeuvres, pour acquérir les biens de la terre, ou dans l’espérance d’une récompense de ha part du Seigneur, ou dans le désir de plaire aux hommes; mais le Prophète ajoute que « la race des justes sera bénie », c’est-à-dire leurs oeuvres; car « le Seigneur est bon pour ceux « qui ont le coeur droit », et la droiture du coeur consiste à ne point résister au Père qui nous châtie, et à croire à ses promesses: et nulle bénédiction pour la race de ceux dont les pieds chancellent, dont la démarche est mal assurée et finit par la chute, comme un autre psaume l’a chanté, parce qu’ils ressentent de l’envie contre les pécheurs, en voyant la paix dont ils jouissent, et qu’ils s’imaginent que leurs oeuvres ont péri, dès lors qu’ils n’en reçoivent pas une récompense périssable 7. Mais pour cet homme qui craint le Seigneur, et qui en redressant son coeur le façonne pour le royaume de Dieu, il ne cherche point la gloire humaine et ne convoite pas les richesses terrestres, et pourtant: « La gloire et la richesse sont dans sa maison ». Car sa maison, c’est son coeur, et là, fortifié par la faveur de Dieu, il est plus riche par l’espérance de la vie éternelle, qu’il ne le

 

1. Luc, IX, 14. — 2. Ps, CXI, 2. — 3. Gal. VI, 9. — 4. II Cor. IX, 6. — 5. Luc, XIX, 8. — 6. Marc, XII, 42. — 7. Ps. LXXII, 1-14.

 

serait, avec les flatteries des hommes, dans des palais de marbre et d’azur, avec la crainte de la mort éternelle. « Car la justice de Dieu demeure cia siècle en siècle 1 ». Telle est la vraie gloire, telles sont les véritables richesses. Quant à cet autre, sa pourpre, son fin lin, ses festins splendides 2, tout cela s’en va, même quand il en jouit; et quand tout cela sera passé, sa langue desséchée demandera à grands cris qu’une goutte d’eau tombe du doigt de Lazare.

4. «Du sein des ténèbres la lumière s’est levée pour les coeurs droits 3 ». C’est avec raison qu’ils redressent leur coeur vers Dieu, avec raison qu’ils marchent dans le chemin droit, en présence de leur Dieu, préférant toujours sa volonté, et ne présumant point de la leur. Ils se souviennent, en effet, qu’autrefois ils étaient ténèbres, et qu’ils sont maintenant lumière dans le Seigneur 4. « Car le Seigneur Dieu est clément, juste et miséricordieux ». Sa clémence et sa miséricorde nous réjouissent, mais sa justice nous effraie peut-être. Loin de toi tout désespoir et toute crainte, ô toi, homme bienheureux, qui crains le- Seigneur,qui mets ta joie dans l’accomplissement de sa volonté: sois doux, miséricordieux, et bienfaisant. Car c’est ainsi que le Seigneur Dieu est juste, au point d’exercer un jugement sans miséricorde contre celui qui n’a point fait miséricorde 5. Or, « celui-là est doux, qui fait miséricorde et qui prête 6 » ; Dieu ne le rejettera point de sa bouche comme celui qui serait fade. « Remettez -les dettes » ,vous est-il dit, « et l’on vous remettra ; donnez, et l’on vous donnera 7». C’est faire miséricorde, que remettre les dettes, afin que les nôtres nous soient remises; c’est prêter, que donner pour que l’on nous donne. Bien qu’en général on appelle miséricorde le soulagement que l’on procure à la misère; il y a néanmoins une différence entre donner, et ces occasions où l’on ne fait aucune dépense, ni en argent, ni en assistance par un travail corporel, et où nous acquérons gratuitement le pardon de nos péchés, en pardonnant aux autres leurs offenses envers nous. Ces deux effets de la charité, de pardonner les offenses et de procurer des bienfaits, comme nous l’avons remarqué dans l’Evangile : « Remettez, et il vous sera remis; donnez, et l’on vous donnera »,

 

1. Ps. CXI, 5.— 2.Luc, XVI, 19.— 3. Ps. CI , 4.— 4. Ephés. V, 8.— . Jacob, II, 13. — Ps. CXI, 5. — 3. Luc, XI, 37, 38.

 

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sont ainsi résumés dans notre verset: «Celui-là est l’homme doux, qui pardonne et qui  prête ». Ne négligeons rien ici, mes frères; c’est chercher la gloire, que vouloir se venger; mais écoutez ce qui est écrit: « L’homme qui dompte sa colère est plus fort que celui qui prend une ville 1». C’est vouloir s’enrichir que ne rien donner aux pauvres; mais

écoutez ce qui est écrit: « Vous aurez un trésor dans le ciel 2 ». Donc, pardonner n’est

point sans gloire; car il est plus grand de triompher de sa colère: on ne s’appauvrit point en donnant, parce que le trésor du ciel est bien plus sûr. Tout cela nous était annoncé par ce verset précédent : « La gloire et les richesses sont dans sa maison ».

5. Observer ces préceptes, c’est « régler ses paroles pour le jugement ». Les actes sont des paroles qui nous défendront au jugement, et ce jugement ne sera point sans miséricorde pour l’homme qui aura lui-même fait miséricorde. « Car il ne sera point ébranlé éternellement 4 » celui qui, placé à droite, entendra ces paroles : « Venez, ô bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé dès l’origine du monde 5 ». Et dans ce jugement il ne sera question que de leurs oeuvres de miséricorde. Il entendra donc : Venez, ô bénis de mon Père; parce que « la race des justes sera bénie », de même aussi « la mémoire du juste sera éternelle « et il ne craindra point cette parole sévère 6», qu’il doit entendre prononcer contre ceux qui seront à gauche : « Allez au feu éternel, préparé à Satan et à ses anges 7 ».

6. Celui donc qui n’aura point cherché ses propres intérêts, mais ceux de Jésus-Christ 8, supporte le labeur avec une grande patience, et attend avec confiance les promesses divines:

« Son coeur est tout prêt à espérer dans le Seigneur » ; et nulle épreuve ne saurait le briser. « Son coeur est fortifié et ne sera point ébranlé, jusqu’à ce qu’il voie le sort de ses ennemis 9». Ses ennemis n’ont voulu voir en cette vie que des biens, et quand on leur en promettait d’invisibles, ils disaient : « Qui nous fera voir les biens 10? » Que notre coeur donc s’affermisse, et ne soyons pas ébranlés jusqu’à ce que nous voyions le sort de nos ennemis. Pour eux, ils ont voulu voir les biens

 

1. Pro. XVI, 32. — 2. Matth. XIX, 21. — 3. Ps. CXI, 5. — 4. Id. 6.— 5. Matth. XXV, 34. — 6. Ps. CXI, 7. — 7. Matth. XXV, 41. — 8. Philipp. II, 21. — 9. Ps. CXI, 7, 8.— 10. Id. IV, 6.

 

des hommes dans la terre des mourants; et nous, nous espérons « voir les biens du Seigneur sur la terre des vivants 1 ».

7. Mais c’est un grand point, d’avoir le coeur affermi, de n’être point ébranlé, quand on voit dans la joie ceux qui aiment ce qu’ils voient, et qui prodiguent l’insulte à celui qui espère ce qu’il ne voit pas. Toutefois, celui-là ne sera point ébranlé, dit le Prophète, jusqu’à ce qu’il voie, non les choses de la terre comme ses ennemis, mais les choses d’en haut au-dessus de ses ennemis, « celles que l’oeil n’a point vues, que l’oreille n’a point entendues, qui ne sont point montées au coeur de l’homme,et que Dieu néanmoins a préparées à ceux qui le craignent ». Quel n’est point le prix de ce bien invisible, et que l’on n’acquiert qu’au prix de ce que chacun peut avoir? Aussi le Prophète a-t-il ajouté: « Il a répandu ses biens, les a donnés aux pauvres ». Il ne voyait pas, et pourtant il achetait; mais Celui qui ne dédaignait point d’avoir faim et soif dans les pauvres, lui réservait un trésor dans le ciel. Il n’est donc pas étonnant que « sa justice demeure dans les siècles des siècles », puisqu’elle est gardée par Celui qui a fondé les siècles, « Sa force sera élevée en gloire », lui dont les superbes méprisaient les saints abaissements.

8. « Le pécheur verra et frémira de colère »: donc une pénitence tardive et sans huit. Contre qui sa colère, sinon contre lui-même, quand il dira: « De quoi nous a servi notre orgueil, et que nous revient-il de l’ostentation de nos richesses ? » En voyant donc la force du juste s’élever en gloire, parce qu’il a répandu ses biens en les donnant aux pauvres, « il grincera les dents et séchera de dépit »; car il y aura des pleurs et des grincements de dents. Il ne ressemblera point à cet arbre qui reverdit et se couvre de feuilles, comme il serait devenu par un repentir à temps opportun; mais son repentir viendra quand « le désir des pécheurs s’évanouira » sans être adouci par aucune consolation. Car ce désir du pécheur doit s’évanouir, lorsque tout passera comme l’ombre, et quand la fleur tombera du foin desséché. « Mais le Verbe du Seigneur, qui demeure éternellement », se rira de leur perte et de leur véritable malheur, comme on l’a tourné lui-même en dérision, dans l’enivrement d’un bonheur passager.

 

1. Ps. XXVI, 13.

DISCOURS SUR LE PSAUME CXII.
SERMON AU PEUPLE.
L’HUMILITÉ.
 

C’est l’enfance que le Prophète invite à louer le Seigneur, ou plutôt c’est nous qui sommes invilés à redevenir enfants, alors que, notre âme étant sans orgueil, notre louange soit plus pure. Les enfants n’ont point cet orgueil qui cherche sa propre gloire et non celle de Dieu. Louons-le dès cette vie quand on nous le prêche, et toujours, parce qu’il est toujours et que son nom est grand partout. C’est lui qui domine les cieux, qui regarde ce qu’il y a d’humble dans le ciel , c’est-à-dire les âmes humbles qui lui forment un trône sublime, et qu’il a grandies , et les humbles de la terre ou ceux qui, vivant ici-bas, conversent dans le ciel. Ou bien encore les cieux seraient les saints qui siégeront sur des trônes pour juger avec le Christ, et la terre désignerait ces élus qui seront à droite ; car les uns et les autres ont compris qu’ils doivent tout à la grâce, et telle est l’humilité. Leur grandeur et leur justice leur viennent de ce qu’ils ont reconnu que Dieu les a tirés de la poussière et du fumier des convoitises charnelles. Mais ils sont nombreux aussi ces enfants de l’épouse jadis stérile, et qui se sont fait des amis avec la monnaie de l’iniquité. Ainsi se réalise la promesse que les enfants d’Abraham seront nombreux comme les étoiles du ciel, dans ceux qui jugeront sur les trônes, et comme le sable de la mer, dans ceux qui seront à droite.

 

1. Vous savez, mes frères, et vous avez entendu souvent cette parole de Notre-Seigneur dans l’Evangile : « Laissez venir à moi les petits enfants, car le royaume des cieux est à ceux qui leur ressemblent  1»; et encore: « Quiconque ne recevra point le royaume de Dieu comme un enfant, n’y entrera 2 ». Et dans plusieurs endroits, le Seigneur, pour nous rappeler à l’humilité d’une manière plus particulière, condamne l’orgueil du vieil homme et lui propose la vie de l’enfant comme un modèle d’humilité. Aussi, mes frères, quand vous entendez chanter dans les psaumes : « Enfants, louez le Seigneur », n’allez point croire que cette exhortation, n’est point pour vous, parce que vous avez dépassé l’âge de l’enfance, parce que vous avez la beauté d’une florissante jeunesse ou l’honorable blancheur du vieillard; c’est à vous que l’Apôtre a dit: « Ne soyez point sans discernement comme les enfants, mais soyez comme eux, sans malice, à la condition d’avoir la prudence des hommes faits 3». Quelle est cette malice, sinon l’orgueil? C’est lui qui s’élève dans une fausse grandeur, empêche l’homme de marcher dans la voie étroite, et d’entrer par la porte étroite. Pour l’enfant, il entre facilement par la porte étroite; et c’est pourquoi nul ne peut entrer dans le royaume des cieux, s’il ne devient semblable à l’enfant. Quoi de pire que l’orgueil ,

 

1. Matth. XIX, 14 — 2. Marc, X, 15. — 3. I Cor. XIV, 20.

 

qui ne veut personne pour supérieur, pas même Dieu? Car il est écrit que « le commencement de l’orgueil, c’est de se séparer de Dieu  1». Loin de vous donc cet orgueil, qui ose bien lever la tête, se dresser à l’encontre des préceptes divins et secouer le joug si doux du Seigneur. Domptez-le, brisez-le, anéantissez-le; puis : « Louez le Seigneur, ô enfants, louez le nom du Seigneur 2 ». Quand l’orgueil sera détruit, et complètement anéanti, alors Dieu tirera de la bouche des nouveau-nés et des enfants à la mamelle, une louange parfaite 3; quand il sera étouffé, détruit complètement, que nul ne se glorifiera, sinon dans le Seigneur 4. Ils ne chantent point ainsi, ces hommes qui se croient de grands personnages; ils ne chantent point de la sorte, ceux qui, ayant connu Dieu, ne l’ont point glorifié comme Dieu, ou ne lui ont point rendu grâces, qui se louent sans louer Dieu, parce qu’ils ne sont point enfants, qu’ils veulent toute la gloire pour leur nom, et non point pour le nom du Seigneur. Aussi se sont-ils évanouis dans leurs pensées, et leur coeur s’est-il obscurci dans sa folie; et en se disant sages, ils sont devenus fous 5. Ils ont voulu pour leur nom un retentissement vaste et durable, eux qui doivent être si vite mis à l’étroit, tandis que c’est Dieu seul, le Seigneur seul,

 

1. Eccli. XX, 1. — 2. Ps. CXII, 1. — 3. Id. VIII, 3.— 4. I Cor. I, 31.— 5. Rom, I, 21-22.

 

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qui doit être prêché éternellement et partout. Qu’il soit donc éternellement prêché « que le nom du Seigneur soit béni et maintenant et jusque dans les siècles». Qu’on le prêche : « Depuis l’Orient jusqu’à l’Occident, que le nom du Seigneur soit loué 1 ».

2. Qu’un de ces saints enfants qui bénissent le Seigneur, vienne me questionner et me dire: Cette expression « jusque dans les siècles » , je l’entends de l’éternité; mais pourquoi : « dès maintenant », et non point avant ce temps et avant tous les siècles, « que le nom du Seigneur soit béni? » Je répondrai à l’enfant qui ne fait point cette question par obstination : C’est à vous, seigneurs et enfants, c’est à vous qu’il est dit : « Louez le nom du Seigneur: que le nom du Seigneur soit béni »; qu’il soit béni par vous, ce nom du Seigneur, dès maintenant qu’on vous en avertit. Vous commencez à louer Dieu; louez-le pour jamais. « Dès maintenant» donc, et jusque dans les siècles, louez-le sans fin. Ne dites point : Nous avons commencé à louer le Seigneur, parce que nous étions enfants; maintenant, que l’âge est venu et que nous avons grandi, c’est nous-mêmes que nous bénissons. Non, mes enfants, non; et Dieu nous dit par Isaïe : « Je suis; et quand vous aurez vieilli, je suis encore 2 ». Il est donc toujours louable, Celui qui est toujours. « Louez-le donc dès aujourd’hui, ô enfants»; louez-le quand vous aurez vieilli « et jusqu’à la fin des siècles » ; et la vieillesse aura pour vous la couronne des cheveux blancs de la sagesse, et non les rides flétries de la chair. Ou plutôt, comme l’enfance désigne principalement ici l’humilité, contraire à cette vaine et fausse grandeur de l’orgueil, et dès lors, comme il n’y a que les enfants pour louer le Seigneur, puisque les superbes ne savent point le louer, ayez une vieillesse enfantine et une enfance déjà mûre; c’est-à-dire que votre sagesse ne soit point orgueilleuse, non plus que votre humilité sans sagesse : afin que vous puissiez louer le Seigneur, « dès maintenant et jusque dans les siècles ». De quelque côté que l’Eglise du Christ soit répandue dans les petits qui sont saints, «louez le nom du Seigneur » ; c’est-à-dire : « De l’Orient jusqu’au Couchant, louez le nom « du Seigneur ».

3. « Le Seigneur est élevé au-dessus de

 

1. Ps. CXII, 2, 3. — 2. Isa. XLVI, 4.

 

toutes les nations 1 ». Ces nations sont des hommes, et qu’y a-t-il d’étonnant que le Seigneur soit élevé au-dessus des hommes? Ces idolâtres, qui abandonnent le Créateur pour adorer la créature, voient de leurs yeux briller dans le ciel ce soleil, cette lune et ces étoiles qu’ils adorent. Mais non-seulement le Seigneur est élevé au-dessus des nations, « sa gloire domine aussi tous les cieux ». Les cieux voient donc le Seigneur bien au-dessus d’eux; et les humbles, quoique constitués dans la chair au-dessous du ciel, ont avec eux ce même Dieu qu’ils adorent sans adorer le ciel.

4. « Qui est semblable à Dieu Notre-Seigneur, lequel habite les lieux élevés, et regarde ce qui est humble 2? » On pourrait croire que, d’un point élevé des cieux, le Seigneur regarde ce qu’il y a de plus bas sur la terre; mais il regarde « ce qu’il y a de plus bas dans le ciel et sur la terre ». Quel est donc ce lieu élevé qu’habite le Seigneur pour voir ce qui est abaissé dans le ciel et sur la terre? Dans ces lieux élevés qu’il habite, verrait-il aussi les humbles qu’il regarde? Car, élever les humbles, ce n’est point les rendre orgueilleux. Il habite alors les âmes humbles qu’il a élevées ; il s’en fait un ciel ou un trône : et toutefois, comme ces âmes n’ont aucun orgueil, comme elles sont soumises à Dieu, il voit dans le ciel même ce qu’il y a de plus humble, ce qui lui forme un trône élevé. L’Esprit.Saint, en effet, s’exprime ainsi par la bouche d’Isaïe: «Voici ce que dit le Très-Haut, qui habite au plus haut des cieux, dont le nom est l’Eternel: Le Seigneur Très-Haut a son repos dans les saints 3 ». Il explique lui-même cette expression, qu’il habite au plus haut des cieux, en ajoutant, d’une manière plus claire, qu’il a son repos dans les saints. Mais quels sont les saints, sinon les humbles, sinon les enfants -qui louent le Seigneur ? Aussi le Prophète nous dit-il qu’il grandit les âmes pusillanimes, et qu’il donne la vie aux humbles de coeur. Ces âmes timides qu’il grandit sont donc les saints, en qui il repose; car, en leur donnant la grandeur, il les élève; puis, reposant en eux il habite les hauteurs. Et en retour, comme il donne la grandeur aux humbles, il voit l’humilité dans ces mêmes hauteurs qu’il habite. Mais, dit le Prophète, « Dieu regarde les humbles dans le ciel et sur la terre».

 

1. Ps. CXII, 4. — 2. Id. 5, 6. — 3. Ibid.

 

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5. Il nous engage ainsi à examiner si les humbles du ciel sont les humbles de la terre, ou bien s’il y a humilité dans le ciel et humilité sur la terre, pour fixer les regards du Seigneur notre Dieu. Si ces humbles sont les mêmes, je vois comment je dois les entendre d’après ces paroles de saint Paul : « Quoique nous vivions dans la chair, nous ne combattons pas selon la chair; les armes de notre milice ne sont point charnelles, mais puissantes en Dieu 1». D’où leur vient la puissance, sinon de ce qu’elles sont spirituelles ? Dès lors que saint Paul, tout en vivant dans sa chair, combat d’une manière spirituelle, ne nous étonnons pas que Dieu regarde son humilité, et dans le ciel à cause de la liberté de son esprit, et sur la terre à cause de sa servitude corporelle. Car le même Apôtre dit ailleurs : « Notre conversation est dans le ciel 2» ; lui qui dit encore : « Il me serait très-avantageux d’être délié pour être avec le Christ, mais il est nécessaire pour vous que je demeure en la chair 3 ». Quiconque dès lors comprend et que la conversation de l’Apôtre soit dans le ciel, et qu’il demeure néanmoins ici-bas, doit comprendre aussi que Dieu habitant dans les saints les plus élevés, voit dans ces mêmes saints des esprits qui s’humilient devant lui, et dans le ciel, puisque, ressuscités par l’espérance en Jésus-Christ’, ils goûtent les choses du ciel; et sur la terre, puisqu’ils ne sont pas délivrés des liens de la chair, et ne peuvent être complètement à Jésus-Christ. Mais si le Seigneur notre Dieu voit une autre humilité dans le ciel, et une autre humilité sur la terre, je crois alors qu’il voit dans le ciel ceux qu’il a appelés, et en qui il habite, et sur la terre ceux qu’il appelle afin d’habiter en eux. Il possède les premiers tout absorbés dans les biens célestes, et il stimule les seconds qui rêvent encore les biens de la terre.

6. Mais comme il est difficile que l’on puisse appeler humbles ceux qui n’ont point encore pieusement courbé leurs épaules sous le joug suave du Seigneur, et que dans tout le psaume les saintes lettres nous avertissent d’appliquer aux saints cette expression d’humbles, on pourrait donner un autre sens que votre charité voudra bien examiner avec moi. Il me semble que les cieux signifient ici ceux

 

1. II Cor. X, 3, 4. — 2. Philipp. III, 20. — 3. Id. I, 23, 24. —4. Coloss. III, 1.

 

qui seront assis sur des trônes pour juger avec le Seigneur 1, et que le nom de terre désigne

ce grand nombre d’élus qui seront à droite, et applaudis à cause de leurs oeuvres de charité, et reçus dans les tabernacles éternels par les amis qu’ils se sont faits eu cette vie mortelle, avec la monnaie de l’iniquité 2. C’est à eux que l’Apôtre a dit: « Si nous avons semé parmi vous des biens spirituels, est-ce donc beaucoup de recueillir de vos biens terrestres 3 ? » Dieu donc regarde dans le ciel ceux qui sèment des biens spirituels, et sur la terre ceux qui rétribuent avec les biens du temps ; mais c’est l’humilité chez les uns, et l’humilité chez les autres. « Dans le ciel et sur la terre il regarde les humbles » car les uns et les autres ont compris ce qu’ils étaient par leur propre malice, et ce que Dieu les a faits par sa grâce. Car ce n’est pas seulement aux fidèles que le vase d’élection a dit : « Vous étiez autrefois ténèbres, maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur 4 »; et encore : « C’est la grâce qui vous a sauvés par la foi, et cela ne vient pas de vous, c’est un don de Dieu, et qui ne vient pas des oeuvres, afin que nul ne se glorifie » ; puis, s’unissant lui-même au commun des fidèles, il ajoute : « Nous sommes l’ouvrage de Dieu, créés dans les bonnes oeuvres ». Il dit encore de lui en particulier, comme des autres que Dieu regarde du haut du ciel: « Nous étions, nous aussi, par nature enfants de colère comme les autres 5 ». Et ensuite : « Nous aussi, en effet, nous étions insensés et incrédules, égarés, asservis à toutes sortes de passions et de voluptés, agissant avec malignité et envie, digues d’être haïs et nous haïssant les uns les autres. Mais depuis que la bénignité et la tendresse de Dieu notre Sauveur a paru, il nous a sauvés, non à cause des oeuvres de justice que nous avons faites, mais par sa miséricorde, en nous faisant renaître, par le baptême 6 ». Voilà ces actes d’humilité que Dieu voit du haut du ciel. Tels sont les hommes spirituels qui jugent de toutes choses 7, mais humbles toutefois, de peur que Dieu ne les abaisse et ne les

juge. Et en parlant particulièrement de lui-même, l’Apôtre ne tient-il pas le même langage? « Je ne suis pas digne d’être appelé apôtre, nous dit-il, parce que j’ai persécuté

 

1. Matth. XIX, 28. — 2. Luc, XVI, 9.— 3. I Cor. IX, 11.— 4. Ephés. V, 8.— 5. Id. II, 3-10. — 6. Tit. III, 3-5. — 7. I Cor, II, 19.

 

l’Eglise de Dieu 1 ; mais j’ai obtenu miséricorde, parce que je l’ai fait dans l’ignorance et dans l’incrédulité 2».

7. Après nous avoir dit dans les versets précédents: « Qui est semblable au Seigneur notre Dieu, lequel habite les hauteurs et jette les yeux sur les humbles au ciel et en la terre? » le Saint-Esprit, voulant nous montrer pourquoi ce nom d’humble dans le ciel, tandis que les hommes ainsi désignés sont grands, sont justes et dignes de s’asseoir sur des trônes pour juger, ajoute aussitôt: « C’est lui qui relève le pauvre de sa poussière, et l’indigent de son fumier, afin de le placer avec les princes, les princes de son peuple 3». Ainsi élevés en honneur, qu’ils ne dédaignent plus d’humilier leurs têtes sous la main de Dieu. Si d’une part, en effet, le dispensateur fidèle de l’argent de son maître est placé avec les princes du peuple de Dieu, s’il doit avoir place sur les douze trônes et juger les anges mêmes 4 ; d’autre part, néanmoins, le pauvre est relevé de la poussière, et l’indigent de son fumier. N’a-t-il pas été relevé de son fumier, cet homme asservi aux convoitises et aux voluptés de toutes sortes ? Mais peut-être qu’en parlant de la sorte, le Prophète n’était plus pauvre, n’était plus indigent. Pourquoi donc gémit-il sous son fardeau, aspirant à se revêtir de cette gloire qui est dans le ciel ? Pourquoi est-il souffleté de peur qu’il ne s’élève, et soumis à l’ange de Satan par l’aiguillon de sa chair 5.  Il est grand, sans doute, puisque le Seigneur habite en lui, puisqu’il possède ce même esprit qui pénètre tout, même les profondeurs de Dieu 6 : il est donc dans le ciel, mais c’est dans le ciel aussi que Dieu regarde ce qui est humble,

8. Quoi donc I mes frères, si déjà nous avons entendu que ce qui est humble dans le ciel a été tiré du fumier, pour être placé avec les princes du peuple, n’est-il fait aucune mention de tout ce qui est humble, et que Dieu regarde sur la terre? Ces amis, qui doivent juger avec le Seigneur, sont moins nombreux, en effet, que ceux qu’ils recevront dans les tabernacles éternels. Quoique la masse du bon grain soit petite, en

 

1. I Cor. XV, 9.— 2. I Tim. I, 13.— 3. Ps. CXII, 7, 8.— 4. Matth. XIX, 28. — 5. I Cor. XI, 7. — 6. Id. II, 10.

 

comparaison de la paille qui en est séparée; considérée en elle-même , elle est néanmoins abondante. « Les enfants de l’épouse abandonnée sont plus nombreux que ceux de l’épouse qui a un mari 1». Les enfants de celle qui a enfanté par la grâce et dans sa vieillesse sont plus nombreux que les enfants de celle qui, dès son jeune âge, s’est unie à un époux par le lien de la loi. Je dis qu’elle a conçu dans sa vieillesse; puisque Sara, notre mère, est devenue, à cause du seul Isaac, mère de tous les fidèles répandus par toutes les nations. Or, voyez la femme dont parle Isaïe : on dirait qu’elle n’est point mère et qu’elle n’a point d’enfants. Et pourtant, que va-t-on lui dire : « Les enfants que tu avais perdus te diront à l’oreille: La demeure est trop étroite, faites-nous une enceinte plus vaste et que nous puissions habiter. Et toi, tu diras dans ton coeur: Qui m’a donné ces enfants, car je sais que j’étais veuve et sans enfants? Qui me les a nourris? J’étais seule, j’étais abandonnée. D’où me sont-ils venus? » Tel est en partie le langage de l’Eglise, qui paraît stérile aussi, dans ces mêmes foules qui n’ont pas encore tout abandonné pour suivre le Seigneur, et s’asseoir sur douze trônes. Mais dans ces mêmes foules, combien n’est-il pas de ces hommes qui se sont fait des amis avec la monnaie de l’iniquité, et qui siégeront à la droite à cause des oeuvres de miséricorde? Non-seulement, donc, le Seigneur élève de son fumier le pauvre qui doit être placé avec les princes de son peuple; mais encore : « Il fait habiter dans la maison la femme stérile, et lui donne la joie des mères. Ce même Dieu qui habite les hauteurs, et regarde ce qu’il y a d’humble dans le ciel et sur la terre »; c’est-à-dire cette race d’Abraham, nombreuse comme les étoiles du ciel, dans ces mêmes saints qui siégent sur les trônes les plus sublimes; et comme le sable des bords de la mer, dans cette multitude sans nombre d’hommes au coeur miséricordieux, et qui doivent être séparés des flots de la gauche, flots d’amertume et d’impiété.

 

1. Isa. LIV, 1.

PREMIER DISCOURS SUR LE PSAUME CXIII.
PREMIÈRE PARTIE DU PSAUME.
LE BAPTÊME DANS LA MER ROUGE.
 

Le but du Psaume est moins de raconter le passé que d’annoncer l’avenir. Les faits étaient prophétiques, le Psaume l’est aussi. Voilà pourquoi sa narration diffère quelque peu de l’histoire qui ne dit rien de ces tressaillements des montagnes et des collines. Par la foi nous sommes enfants d’Abraham, père de toutes les nations qui seront bénies dans le Christ. Or, l’Egypte d’où sortit Israël est la maison de l’affliction, la figure du monde oppresseur dont il faut nous séparer, et toutefois avec le secours de Dieu. Le prophète Michée nous montre aussi qu’il s’agit de nous, en nous parlant de péchés à submerger, et ces péchés sont les ennemis qui nous poursuivent quand nous abjurons le monde, La mer qui s’enfuit quand nous nous consacrons à Dieu, ce sont les obstacles qui s’aplanissent. Ce Jourdain qui retourne en arrière figure l’homme qui tournait le dos à Dieu, et qui retourne par la conversion à son créateur. Les montagnes et les collines qui bondissent sont les Apôtres et les prédicateurs qui s’applaudissent de nous avoir engendrés à Jésus-Christ ; parce qu’alors la terre s’est ébranlée , en présence du Seigneur, qui nous a ouvert, dans la pierre ou dans le Christ, les sources de la grâce.

 

1. Nous avons lu, mes frères, et nous avons tort bien retenu, ce que nous raconte le livre de l’Exode, que le peuple d’Israël fut délivré de l’injuste domination des Egyptiens, passa la mer à pied sec 1, entre les deux murailles que formaient les flots; que le fleuve du Jourdain 2, par où il devait entrer dans la terre des promesses, s’arrêta, quand les pieds des prêtres qui portaient l’arche du Seigneur Vinrent à le toucher ; que les eaux d’en haut retinrent leur cours, au lieu que celles d’en bas s’écoulèrent à la mer, tant que les prêtres se tinrent debout au milieu du fleuve desséché, et que le peuple passa. Voilà ce que nous savons; et, toutefois, ne nous imaginons pas que dans le psaume que nous chantons, en le faisant précéder et suivre de l’Alleluia, l’Esprit-Saint ne veuille que nous rappeler le passé, sans nous reporter vers l’avenir. « Toutes ces choses, nous dit l’Apôtre, n’arrivaient aux Juifs qu’en figures, et elles ont été écrites pour nous instruire, nous qui venons à la fin des siècles 3 ». Ainsi donc, lorsque nous entendons le psaume nous dire: « Quand Israël sortit de l’Egypte, et la famille de Jacob du milieu d’un peuple barbare, Judas devint pour le Seigneur un peuple saint, et Israël le siége de sa puissance; la mer le vit et s’enfuit, le Jourdain rebroussa vers sa source » ; ne nous imaginons point qu’on veuille raconter le passé, c’est plutôt

 

1. Exod. XIV, 22. — 2. Josué, III, 15-17. — 3. I Cor. X, 11.— 4. Ps. CXIII, 2, 3.

 

l’avenir que prédit le Psalmiste; quand ces miracles s’accomplissaient chez ce même peuple, ils étaient dans le présent, mais ne laissaient pas d’avoir une signification pour l’avenir. Le Prophète, qui chantait ces merveilles prophétiques, nous montre dès lors qu’il donne à ses paroles le même sens qu’avaient les faits, puisqu’un seul et même Esprit a dirigé les faits et dicté les paroles, afin que ces actions et ces paroles fussent des avant-coureurs de ce qu’il se réservait de nous montrer à la fin des siècles. Le Prophète ne raconte point les faits tels qu’ils se sont passés, mais d’une manière quelque peu différente de celle que nous lisons, de peur qu’on ne crût qu’il racontait le passé plutôt qu’il ne prédisait l’avenir. Tout d’abord, nous ne lisons point que le Jourdain remonta vers sa source, mais qu’il s’arrêta du côté que les eaux descendaient de la source, pendant que le peuple passait. Ensuite nous ne lisons pas que les collines et les montagnes bondirent, ce que le Prophète ajoute, et qu’il répète même deux fois. Après avoir dit : « La mer le vit et s’enfuit, le Jourdain rebroussa en arrière », il ajoute: « Les montagnes bondirent comme des béliers et les collines comme des agneaux ». Puis, dans une apostrophe: « Pourquoi, mer, as-tu fui, et toi, Jourdain, pourquoi rebrousser en arrière? Pourquoi, montagnes, tressaillir comme le bélier; et vous, collines, comme des agneaux 1? »

 

1. Ps. CXIII, 3 - 6.

 

624

 

2. Voyons donc la leçon que nous donne le Prophète; car, et ces actions étaient des symboles qui nous concernaient, et ces paroles nous engagent à nous reconnaître nous-mêmes. Si nous conservons fermement la grâce de Dieu qui nous a été donnée, nous sommes Israël et postérité d’Abraham; et c’est à nous que l’Apôtre a dit: « Vous êtes donc la postérité d’Abraham 1» ; comme il le dit en effet à un autre endroit: « Ce n’est point après la circoncision, mais avant, que la foi d’Abraham lui fut imputée à justice, et ainsi il reçut la marque de la circoncision, comme le sceau de la justice qu’il avait mérité par la foi, lorsqu’il était encore incirconcis, pour être le père de ceux qui croient sans être circoncis, afin que leur foi leur soit également imputée à justice ; et pour être le père des circoncis, qui non-seulement ont reçu la circoncision, mais qui suivent les traces de la foi de notre père Abraham, lorsqu’il était encore incirconcis 2 ». Car il n’est pas seulement père, et selon la chair, du peu. pie circoncis, lui à qui il fut dit : « Je t’ai établi père de beaucoup de nations ». Or, de beaucoup ne signifie pas de quelques-unes, mais bien de foules, ainsi qu’il est indiqué clairement dans ces paroles: « En loi seront bénies toutes les nations 3». Que nul chrétien donc ne se croie étranger au nom d’Israël. Car nous sommes unis, par la pierre angulaire, à ceux des enfants d’Israël qui embrassèrent la foi, et dont les principaux sont les Apôtres. De là cette parole du Seigneur : « J’ai encore u d’autres brebis, qui ne sont pas de ce bercail ; il me faut les amener, afin qu’il n’y ait plus qu’un seul troupeau et qu’un seul pasteur 4». C’est donc plutôt le peuple chrétien qui est Israël, c’est lui qui est principalement la maison de Jacob, car Jacob et Israël ne sont qu’un même homme. Or, cette foule de Juifs, à qui leur perfidie a valu la réprobation, qui a vendu son droit d’aînesse pour un plaisir charnel, appartient plutôt à Esaü et non à Jacob. Car, vous le savez, tel est le sens de cette parole mystérieuse : « L’aîné servira le plus jeune 5».

3. Quant à l’Egypte, qui signifie affliction, ou celui qui afflige, qui opprime, elle est souvent la figure de ce siècle, dont il faut nous séparer en esprit, pour ne point porter

 

1. Gal. III, 29. — 2. Rom. IV, 10.12. — 3. Gen. XXII, 18. — 4. Jean, X, 16.— 5. Gen. XXV, 23, 33; Rom. IX, 13.

 

le joug avec les infidèles 1. Car on ne devient citoyen de la Jérusalem céleste qu’en renonçant tout d’abord au monde; de même que le peuple d’Israël ne put être conduit dans la terre des promesses, qu’en sortant d’abord de l’Egypte. Mais, de même qu’il n’en sortit que par le secours de Dieu, qui le délivra; de même nul coeur humain ne renonce au monde que par le secours de la divine miséricorde. Car ce qui arriva une fois en figure, arrive en cette dernière heure 2, comme l’a dit saint Jean, en chacun de ceux qui croient, et que l’Eglise enfante chaque jour. Ecoutez en effet ce que nous apprend, au sujet de ce mystère, le docteur des nations: « Je ne veux pas vous laisser ignorer, mes frères, que nos pères ont tous été sous la nuée, qu’ils ont tous passé la mer Rouge et qu’ils ont tous été baptisés sous la conduite de Moïse, dans la nuée et dans la mer; qu’ils ont tous mangé la même viande mystérieuse, et qu’ils ont tous bu le même breuvage mystérieux; car ils buvaient de la pierre mystérieuse qui les suivait ; et cette pierre était le Christ. Mais la plupart d’entre eux ne furent point agréables au Seigneur, et ils périrent au désert. Or, toutes ces choses étaient des figures qui nous concernent 3 ». Que voulez-vous de plus, mes frères bien-aimés ? Ce n’est point là un enseignement basé sur l’opinion humaine, mais bien sur le témoignage de l’Apôtre, c’est-à-dire sur le témoignage de Dieu même; car c’est Dieu qui parlait dans les Apôtres, lui qui faisait retentir son tonnerre par ces nuées, bien qu’elles fussent de chair. Telle est donc la grande autorité qui nous assure que toutes ces choses figuratives du passé s’accomplissent maintenant dans l’affaire de notre salut; elles étaient donc prédites avant d’être accomplies, et aujourd’hui, lire le passé, c’est connaître le présent.

4. Ecoutez quelque chose de plus admirable encore, des mystères cachés sous un

voile dans les livres anciens, et en partie révélés par ces mêmes livres. Le prophète Michée parle ainsi : « Je vous montrerai les merveilles comme au jour de votre sortie d’Egypte. Les nations verront et seront confondues de sa force ; elles mettront leurs mains sur leurs bouches, et leurs oreilles

 

1. II Cor. VI, 14.— 2. I Jean, II, 18.— 3. I Cor. X, 1-8.

 

625

 

seront assourdies; elles lécheront la poussière comme les serpents qui rampent sur la terre; elles seront troublées dans leurs demeures, et dans la stupeur en présence du Seigneur Dieu, et vous les jetterez, Seigneur, dans l’épouvante. Qui est semblable à ton Dieu, pour ôter l’iniquité, et oublier les péchés du reste de ton héritage? Il n’a point répandu sa colère comme un témoignage, parce qu’il fait ses délices de la miséricorde ; mais il reviendra et aura pitié de nous, il déposera nos iniquités, il précipitera toutes vos fautes au fond de l’abîme 1 ». Vous le voyez, mes frères, Dieu nous révèle ici les mystères les plus saints. Dans ce psaume, dès lors, bien que l’Esprit-Saint nous découvre les merveilles de l’avenir, il semble néanmoins nous entretenir du passé. « Le peuple Juif», dit-il, « fut son peuple saint: la mer le vit et s’enfuit». Fut, vit, et s’enfuit, sont les expressions du passé. Le Jourdain rebroussa, les montagnes bondirent , la terre fut ébranlée, tout cela est au passé, et néanmoins nous devons l’entendre de l’avenir. Autrement, nonobstant la vérité de l’Evangile, il nous faudrait aussi voir un fait accompli, et non une prophétie de l’avenir, dans cette parole: « Ils ont partagé mes vêtements, et tiré ma robe au sort  2 ». Bien que ces paroles soient au passé, elles étaient néanmoins une prophétie de ce qui devait arriver si longtemps après, à la passion du Sauveur. Et toutefois, mes frères bien-aimés, le Prophète, que je viens de citer, a voulu ouvrir les yeux les moins clairvoyants pour les faire passer instantanément des choses passées à l’intelligence des choses futures, afin non-seulement de nous faire croire, sur l’autorité des Apôtres, que nous étions figurés dans ces actes, mais de nous le montrer par les Prophètes eux-mêmes, en sorte que, après le témoignage de leurs écrits, la vérité que nous découvrons avec certitude nous remplisse de sécurité et de joie, en tirant ainsi du trésor des saintes Ecritures des choses nouvelles et anciennes, qui ont un si parfait accord. Bien que le Prophète que je viens de citer n’ait ainsi parlé que fort longtemps après la sortie de l’Egypte, et fort longtemps aussi avant les jours de l’Eglise, il assure néanmoins, à n’en pas douter, qu’il prédit l’avenir. « Je ferai des prodiges », nous dit-il,

 

1. Mich. VII, 15 -19. — 2. Ps. XXI, 19.

 

« comme à leur sortie de l’Egypte. Les nations le verront et seront confondues ». C’est-à-dire, comme l’a précisé le psaume:  « La mer le vit, et s’enfuit ». Or, si ces expressions « vit » et « s’enfuit », qui marquent le temps passé, en figurent un autre qui est à venir, devant ces autres expressions: « Ils verront et seront confondus », qui sont bien au futur, quel homme pourrait penser au passé? Un peu après le même Prophète nous montre, avec la clarté du jour, que ces ennemis, qui nous poursuivaient pour nous donner la mort, sont bien nos péchés, que le baptême efface et submerge comme la mer engloutit les Egyptiens : « Dieu », nous dit-il, « se plaît à faire miséricorde ; il reviendra, et nous prendra en pitié ; il submergera nos iniquités, et précipitera nos péchés dans la mer ».

5. Qu’est-ce à dire, mes chers frères? vous, qui vous reconnaissez pour les véritables enfants d’Abraham, qui êtes la maison de Jacob, les héritiers de la promesse, comprenez que vous êtes sortis de l’Egypte, puisque vous avez renoncé au monde, que vous êtes séparés du milieu d’un peuple barbare, eu abjurant par un humble aveu, les blasphèmes des nations. Ce n’est point en effet votre langue, mais la langue barbare, qui ne sait point louer ce Dieu à qui vous chantez l’Alleluia; c’est en vous que la nation juive a été consacrée à Dieu : « Car le juif n’est point celui qui l’est au dehors, et la circoncision n’est pas celle qui se faisait sur la chair ; mais le juif est celui qui l’est intérieurement, et la circoncision se fait dans le coeur 1 ». Interrogez donc vos coeurs; voyez si la foi les a circoncis, et si la confession les a purifiés, alors c’est en vous que le peuple Juif est consacré à Dieu, en vous que réside son pouvoir sur Israël. Car il vous a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu 2.

6. Que chacun de vous se souvienne maintenant du moment où il a résolu d’appliquer son coeur à Dieu, de s’humilier sous son joug qui est si doux, d’abjurer toutes les convoitises du vieil homme et de l’ignorance, de soumettre à Dieu son esprit, en renonçant avec mépris à ce qu’il y a de charnel en ce monde (ce qui était pour lui un labeur sans fruit, comme s’il eût fabriqué sous le joug du démon, des briques en Egypte), alors que la voix de Dieu lui disait: « Venez à moi, vous

 

1. Rom. II, 28, 29. — 2. Jean, I, 12.

 

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tous qui souffrez, et qui êtes chargés, et je vous soulagerai 1 » ; et en vous chargeant du fardeau du Christ, que chacun de vous se souvienne comment tous les obstacles du monde s’aplanirent; les voix, qui eussent voulu le dissuader, n’osèrent se faire entendre, ou rentrèrent dans le silence, en considérant le nom du Christ honoré et chanté dans toute la terre. Donc, « la mer a vu et a pris la fuite », afin de t’ouvrir un passage sans obstacle à la liberté de l’esprit.

7. Pour savoir comment rebroussa le Jourdain,je ne veux point que vous cherchiez hors de vous-mêmes, ou que vous soupçonniez quelque chose de mauvais. Le Seigneur reproche à quelques-uns de lui tourner le dos et non la face 2. Or, quiconque abandonne son principe, et se détourne de son Créateur, tombe dans les eaux amères de ce monde, comme le fleuve dans la mer. Il est donc bon pour lui qu’il remonte vers sa source; qu’il se trouve face à face avec ce Dieu, auquel il avait tourné le dos; qu’il laisse bien derrière lui cette mer de ce monde, qu’il avait placée devant lui, et où il précipitait sa chute; qu’il oublie ainsi tout ce qui est derrière lui pour s’avancer vers ce qui est devant lui 3: tel est le bien pour tout homme déjà converti. Oublier ce qui est derrière lui, avant d’être converti, ce serait oublier Dieu, puisqu’il l’a mis derrière et lui a tourné le dos; et s’avancer vers ce qui est devant lui, ce serait s’avancer vers le siècle, car c’est au siècle qu’il a tourné la face pour s’y précipiter avidement. Le Jourdain est donc la figure de ceux qui ont reçu la grâce du baptême ; et le Jourdain remonte vers sa source, quand ces hommes se tournent vers Dieu, afin de ne plus l’avoir derrière eux, mais de contempler la gloire du Seigneur à visage découvert, et d’être transformés en sa ressemblance de clarté en clarté 4.

8. « Les montagnes bondirent comme des béliers » ; c’est-à-dire les saints Apôtres,

fidèles dispensateurs de la parole de vérité, les saints prédicateurs de l’Evangile. « Et les  collines comme des agneaux 5 » c’est-à-dire les néophytes à qui l’Apôtre a dit: « Je vous ai engendrés par l’Evangile à Jésus-Christ » ; et encore: « Ce n’est point pour donner de la confusion que je vous écris,

 

1. Matth. XI, 28.— 2. Jérém. II, 27.— 3. Philipp. III, 13.— 4. II Cor. III, 18. — 5. Ps. CXIII, 4.

 

mais pour vous avertir, comme des enfants bien-aimés 1 » ; et encore : « Offrez au Seigneur les petits des béliers 2 ». Jetez les yeux sur la terre, vous qui savez admirer ces merveilles, qui en ressentez de l’allégresse et chantez des cantiques d’actions de grâces au Seigneur votre Dieu : jetez les yeux, et voyez comment s’accomplissent, parmi les nations, ces prophéties et ces actions figuratives, qui ont devancé de tant de siècles.

9. Voyez et chantez avec le Prophète : « Pourquoi t’enfuir, ô mer; et toi, Jourdain, pourquoi rebrousser en arrière ; montagnes, pourquoi bondir comme des béliers; et vous, collines, comme des agneaux 3 ? » D’où vient, ô monde, que tes obstacles sont impuissants? et vous, fidèles, répandus par myriades sur la terre entière, comment avez-vous renoncé au monde, pour vous tourner vers Dieu ? D’où vous viennent ces transports de joie, vous à qui l’on dira : « Courage, bon serviteur, parce que tu as été fidèle en peu de choses, je t’établirai sur beaucoup 4? » D’où vous vient votre joie, vous à qui l’on dira au dernier jour : « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé dès l’origine du monde 5 ».

10. Tout vous répondra, et vous vous répondrez à vous-mêmes: «La terre s’est ébranlée devant la face du Dieu de Jacob 6 ». Qu’est-ce à dire : « Devant la face du Seigneur », sinon en présence de Celui qui a dit : « Voici que je suis avec vous jusqu’à la consommation des siècles 7? » Car la terre s’est. ébranlée, en effet, elle qui était demeurée dans une langueur coupable, s’est ébranlée pour être solidement affermie devant la face du Seigneur.

11. « C’est lui qui a changé la pierre en un torrent, et les rochers en une source d’eau 8 ». Lui-même s’est changé en eau, et ce qui en lui était en quelque sorte solide, s’est liquéfié, afin d’arroser ses fidèles, et d’être en eux une source d’eau vive, jaillissant jusqu’à la vie éternelle 9, parce qu’il se montra, surtout d’abord, à ceux qui ne le connaissaient point. De là ce trouble de quelques-uns qui n’attendirent point que le Christ leur ouvrit les saintes eaux de l’Ecriture qui les eussent

 

1. I Cor. IV, 14, 15. — 2. Ps. XXVIII, 1. — 3. Id. CXIII, 5, 8. — 4. Matth. XXV, 21.— 5. Id. 34. — 6. Ps. CXXII, 7.— 7. Matth. XXVII, 20. — 8. Ps. CXIII, 8. — 9. Jean, IV, 14.

 

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inondés, et qui s’écrièrent : « Ce discours est dur, et qui peut l’entendre 1?» Telle est la pierre, telle est la dureté convertie en étang d’eau, et ce rocher devint une source d’eau vive, quand,après sa résurrection, il leur montra par tous les Prophètes, à commencer par Moise, que le Christ devait souffrir de la sorte 2, et qu’il leur envoya l’Esprit-Saint, dont il est dit: « Que celui qui a soif vienne à moi, et qu’il boive 3 ».

12. « Ce n’est point à nous, Seigneur, ce n’est point à nous, mais à votre nom qu’il faut donner la gloire 4». Cette grâce, ou cette eau vive, qui s’échappe de la pierre (et la pierre était le Christ 5), n’a pas été donnée en vertu des mérites qui l’auraient précédée; nais celui qui justifie l’impie 6 l’a donnée par un acte de miséricorde. Car c’est pour les impies que le Christ est mort 7, afin que les hommes ne cherchassent point leur gloire, mais celle de Dieu.

13. « A cause de votre miséricorde et de votre vérité », ajoute le Prophète. Voyez combien souvent sont unies dans l’Ecriture, ces deux vertus, la miséricorde et la vérité. C’est dans sa miséricorde que Dieu appelle à lui les impies, et c’est dans sa vérité qu’il juge ceux qui ont refusé de venir. « Afin que les nations ne disent jamais : Où est leur Dieu 8 ? » Au dernier jour apparaîtront sa miséricorde et sa vérité, quand le signe du Fils de l’homme se montrera dans le ciel, et alors toutes les tribus de la terre seront dans les larmes, et ne diront point: « Où est leur Dieu? » car alors on ne leur prêchera plus

 

1. Jean, VI, 61. — 2. Luc, XXIV, 26, 27. — 3. Jean, VII, 37. — 4. Ps. CXIII, 1.— 5. I Cor. X, 4.—  6. Rom, IV, 5.—  7. Id. V, 6.— 8. Ps. CXIII, 2.

 

la foi en lui, mais elles le verront dans sa majesté.

14. « Notre Dieu est au plus haut des cieux ». Non point dans ces mêmes cieux où les nations voient le soleil, la lune, ces oeuvres de Dieu, qui sont leurs divinités; mais notre Dieu est par-dessus les cieux, c’est-à-dire au-dessus de tous les corps, et célestes et terrestres. Il n’habite point le ciel, de manière à craindre que le ciel se retire, et qu’il se trouve ainsi sans aucun siège. « C’est lui qui a fait tout ce qu’il lui a plu dans les cieux et sur la terre 1». Il n’a aucun besoin des ouvrages qu’il a créés, comme pour s’en faire un siége ou une demeure. Mais il subsiste dans son éternité, il y demeure pour faire ce qu’il lui plaît dans le ciel et sur la terre, Les cieux en effet ne le portaient point afin d’être faits par lui, puisque s’ils n’étaient déjà faits, ils ne pourraient le porter. C’est donc lui qui maintient comme ayant besoin de lui ces créatures dans lesquelles il est présent, et non lui qui a besoin d’être contenu en elles. Ces paroles: « Il a fait ce qu’il lui a plu dans le ciel et sur la terre », peuvent encore s’entendre en ce sens que volontairement il répand sa grâce sur ceux de son peuple qui sont élevés, et sur ceux qui sont dans les basses conditions, afin que nul ne se glorifie du mérite de ses oeuvres. Que les montagnes en effet bondissent comme des béliers, que les collines tressaillent comme des agneaux, la terre s’est ébranlée devant la face du Seigneur, afin que nul ne demeure éternellement dans les souillures d’ici-bas.

 

1. Ps. CXXIX, 3.

 

 

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SECOND DISCOURS SUR LE PSAUME CXIII.
SECOND SERMON. — SECONDE PARTIE DU PSAUME.
 

Ces grâces du Seigneur par lesquelles finit le psaume précédent, nous viennent de la miséricorde et de la vérité que les nations verront au dernier jour, alors que Dieu fera éclater la gloire de son noix, et qu’elles ne diront plus: Oh est leur Dieu? Quant aux dieux des nations, ce sont des simulacres fabriqués par les hommes et inférieurs même aux bêtes, puisque du moins celles-ci ont un cri, inférieurs au cadavre, qui du moins a vécu. L’Ecriture en réprouvant fréquemment les idoles, combat le penchant des hommes à se laisser séduire par la forme attrayante, et à lui attribuer quelque puissance. Mais si quelque puissance habite l’idole, c’est une puissance démoniaque; et si l’on prétend adorer les mêmes éléments dans ces mêmes idoles, c’est mettre la créature à la place du Créateur; souvent encore la statue nous fait illusion au point que pour adorer la statue du soleil nous tournons souvent le dos au soleil. Pour nous, si nous avons des vases sacrés, ce sont des instruments et non les objets d’un culte. Quant à la maison d’Israël, et à la maison d’Aaron , ou des saints grands et petits; ils ont mis leur espérance dans le Créateur du ciel et de ta terre, qui a béni les uns et les autres, et à leur tour ils le béniront dans l’éternité.

 

1. Pour tout homme, qui examine avec attention, il y a dans tous les psaumes une liaison telle que le suivant pourrait toujours se joindre au précédent; ici, néanmoins, nous

devons envisager celui-ci comme n’en formant qu’un seul avec le précédent. C’est en effet dans ce précédent que le Prophète a dit: « Ce n’est point sur nous, Seigneur, ce n’est point sur nous, mais bien sur votre nom qu’il faut faire éclater votre gloire, à cause de votre miséricorde et de votre vérité afin que les nations ne disent plus : Où est leur Dieu 1? » Car nous adorons un Dieu invisible, que ne peut voir l’oeil du corps, et que n’aperçoit que le petit nombre dont le coeur est très-pur. Or, comme si les nations pouvaient dès lors nous dire: Où donc est leur Dieu? car elles peuvent mettre sous nos yeux leurs divinités : voilà que le Prophète nous avertit que la présence de Dieu se fait sentir par ses oeuvres, « puisqu’il est au-dessus des cieux, et qu’il fait ce qu’il lui plaît dans le ciel et sur la terre ». Et comme s’il nous disait: Que les Gentils nous montrent leurs dieux, « Les idoles des nations », s’écrie le Prophète, « sont de l’or et de l’argent, oeuvres de la main des hommes 2 ». C’est-à-dire, quoique nous ne puissions mettre sous vos yeux charnels ce Dieu que nous adorons, et que vous devez comprendre par ses oeuvres, ne vous laissez pas néanmoins séduire par la vanité des idoles, sous le prétexte que vous pouvez montrer du doigt ce que vous adorez.

 

1. Ps. CXIII, 1, 2. — 2. Id. 4.

 

Il serait plus honorable pour vous de n’avoir aucune divinité à montrer, que de montrer par ces idoles, que vous étalez à nos yeux, jusqu’où va l’aveuglement de votre coeur. Que nous montrez-vous en effet, sinon de l’or et de l’argent? Ils en ont même d’airain, de bois, de terre cuite, et de telle ou telle autre matière. Mais l’Esprit-Saint a préféré mentionner ce qu’ils ont de plus précieux, parce que l’homme, qui aura rougi d’adorer ce qu’il y a de précieux, renoncera d’autant plus facilement au culte de ce qu’il y a de plus vil. On lit en effet dans un autre endroit des saintes Ecritures, à propos des idolâtres: « Ils disent au bois: Tu es mon père, et à la  pierre : Tu m’as engendré 1 ». Mais que celui qui se croit plus sage, parce qu’il a tenu ce langage à l’or et à l’argent, non plus au bois et à la pierre, jette ici les yeux et y apporte l’oreille de son coeur : « Les simulacres des nations sont de l’or et de l’argent». Le Prophète ne désigne ici rien de vil et de méprisable; et pour l’homme, dont le coeur n’est point encore devenu terre, l’or et l’argent ne sont qu’une terre, mais plus belle, plus brillante, plus ferme, plus solide. Ne va donc point chercher la main des hommes pour faire une fausse divinité avec le métal qu’a créé le vrai Dieu, ou même pour faire un faux homme, que tu vas adorer à la place du vrai Dieu, un homme que personne, sans folie, ne voudrait pour ami. Cette ressemblance qu’on lui a formée, cette harmonie que l’on

 

1. Jérém. XI, 27.

 

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a gardée dans les membres, lui donne un certain attrait pour le coeur des hommes grossiers. Mais, de ces membres dont la beauté est si ravissante pour toi, ô vanité de l’homme, viens nous montrer les mouvements, comme tu nous en montres les proportions.

2. « Elles ont une bouche et ne parlent point; elles ont des yeux et ne voient point; elles ont des oreilles et n’entendent point; elles ont des narines et ne flairent point; elles ont des mains et ne touchent point; elles ont des pieds et ne marchent point; et leur gosier ne rend aucun son 1». Il leur est donc bien supérieur, cet ouvrier qui a pu les fabriquer par le mouvement et l’adresse de ses mains : et pourtant tu rougirais d’adorer cet ouvrier. Toi-même, qui ne les as point faites, tu es bien supérieur, puisque tu fais ce qu’elles ne font point. La bête même leur est supérieure, et c’est pourquoi le Psalmiste ajoute: « Leur gosier ne rend aucun son ». Car après avoir dit tout à l’heure : « Elles ont une bouche et ne parlent point », à quoi bon, après avoir fait l’énumération des pieds à la tête, nous parler du cri du gosier, sinon, je crois, parce que nous comprenons que tout ce qu’il avait dit des autres nombres, était commun aux bêtes et aux hommes? Car les bêtes voient, entendent, sentent, marchent, et même quelques-unes, comme les singes, se servent dès mains. Ce que le Prophète avait dit à propos de la bouche, est particulier à l’homme, puisque les bêtes ne parlent point. Mais afin qu’on ne puisse rapporter tout ce qui est dit, à l’oeuvre des membres humains , ni préférer seulement les hommes aux dieux des nations, il ajoute après tout cela: « Leur gosier ne rend aucun son »; ce qui est commun aux hommes et aux bêtes. Si, tout d’abord, quand il a énuméré les membres humains, à commencer par la bouche, il eût dit : « Elles ont une bouche, et ne crieront point », tout cela pourrait encore se rapporter à la nature humaine, et l’auditeur n’y trouverait pas aussi facilement quelque chose qui tînt de la bête. Mais quand, à propos de la bouche, il a dit ce qui est propre à l’homme, et qu’après l’énumération des différents membres du corps, qu’il semblait terminer aux pieds, le Prophète ajoute: « Leur gosier ne donne aucun cri », il stimule ainsi l’attention de l’auditeur ou du lecteur,

 

1. Ps. CXIII, 5-7.

 

afin qu’en cherchant l’à-propos de cette parole, il comprenne que, non-seulement les hommes, mais aussi les bêtes, sont préférables aux dieux des nations; et que s’il répugne à ces nations d’adorer une bête, à qui néanmoins Dieu a donné l’oeil, l’ouïe, l’odorat, le toucher, la marche, et le cri du gosier, on comprenne combien il est honteux d’adorer un simulacre muet, qui n’a ni vie, ni sentiment, et dont les membres, semblables aux nôtres, sont une amorce pour l’âme adonnée aux sens charnels, et qui s’éprend d’une idole comme si elle était vivante et animée, dès qu’elle voit en elle ces membres , qu’elle trouve animés et vivants dans le corps qu’elle habite. Combien les rats, les serpents, et autres animaux semblables, jugent-ils mieux, en quelque sorte, les idoles des nations, si l’osa peut s’exprimer ainsi, puisque, ne trouvant point en elles la vie humaine, ils se mettent peu en peine de leur ressemblance avec l’homme? Aussi l’on voit souvent qu’ils y font leur nid, et sans le bruit des hommes qui vient les effrayer, ils n’auraient point d’asile plus sûr. C’est donc l’homme qui se remue, pour effrayer une bête vivante et l’éloigner de son Dieu; et il adore comme une puissance ce Dieu sans mouvement, dont il a éloigné l’animal qui lui était supérieur! Car il a éloigné une bête qui voyait, d’un Dieu qui ne voyait pas; une bête qui entendait, d’un Dieu qui était sourd; une bête qui criait, d’un Dieu muet; une bête qui marchait, d’un Dieu un mobile; une bête qui sentait, d’un Dieu insensible; une bête vivante, d’un Dieu mort, et même pire que s’il était mort. Car, s’il est évident qu’un mort ne vit plus, il est aussi évident qu’il a vécu. Un mort est donc bien préférable à un dieu qui n’a aucune vie, qui n’a jamais vécu.

3. Qu’y a-t-il de plus évident que tout cela, mes frères bien-aimés? quoi de plus évident? Quel enfant, si on l’interroge, qui ne réponde que e les idoles des nations ont des yeux et « ne voient point, une bouche et ne parlent point », et tout le reste qu’ajoute le Psalmiste? Pourquoi donc ce soin que prend l’Esprit-Saint de nous enseigner tout cela en plusieurs endroits de l’Ecriture, comme si nous ne le savions point; sinon parce que cette figure extérieure des membres que nous sommes accoutumés de voir vivante chez les êtres animés, et de sentir vivante en nous, (630) quoique faite, comme ils l’avouent, pour servir d’idole, et posée à ce sujet avec éclat dans un lieu élevé, ne laisse pas, lorsque nous la voyons adorée avec un profond respect par la foule, de faire naître en chacun de nous une affection vile et erronée, qui nous fait croire qu’il y a là une puissance cachée, puisque l’on ne voit dans cette idole aucun signe de vie? Alors la forme séduisante, l’impression produite par l’autorité de quelques faux sages qui les ont établies, des foutes qui les ont adorées, nous fait croire qu’une statue qui ressemble si bien au corps vivant, n’est point sans un être vivant qui l’habite. C’est ce penchant des hommes qui porte les démons à s’emparer des idoles des Gentils, et sous leur influence l’erreur se multiplie à l’infini avec ses poisons mortels. C’est contre ces erreurs que les saintes lettres nous prémunissent en tant d’endroits, de peur qu’en face de ce culte dérisoire, quelqu’un ne vienne dire : Ce n’est point l’idole visible que j’adore, mais la puissance invisible qui l’habite. L’Ecriture, dans un autre endroit, condamne ainsi ces mêmes puissances : « Les dieux des nations sont des démons, mais le Seigneur a créé les cieux 1». Et l’Apôtre nous dit aussi : « Non que l’idole soit quelque chose, mais comme les sacrifices des nations s’offrent aux démons et non à Dieu, je ne veux point que vous ayez part avec les démons 2 ».

4. D’autres croient avoir un culte pins pur, parce qu’ils disent : Ce n’est ni la statue, ni le démon que j’adore, mais je vois dans cette forme corporelle le signe de l’objet que je dois adorer. Ils assignent donc une signification à chacune de leurs statues, en sorte que l’une est le symbole de la terre, de là le nom de temple de la terre, templum telluris; l’autre de la mer, comme la statue de Neptune; celle-ci de l’air, comme celle de Junon; celle-là du feu, comme celle de Vulcain; une autre de Lucifer, comme celle de Vénus; une autre du soleil, une autre de la lune, dont les statues portent les mêmes noms, comme celle de la terre; une autre de tel ou tel astre, telle ou telle créature, car nous ne pouvons tout énumérer. Mais pressez-les de nouveau, et reprochez leur d’adorer des corps, et principalement la terre, la mer, l’air, le feu, dont l’usage nous est ordinaire (car en ce qui regarde les corps célestes, comme ils sont hors de notre portée,

 

1. Ps. XCV, 5.— 2. I Cor. X,19, 20.

 

et que nous ne pouvons les atteindre que par le rayon visuel, ils n’en rougissent pas tant), ils oseront bien vous répondre qu’ils n’adorent point des corps, mais bien les divinités qui y président. Un seul arrêt de l’Apôtre nous montre quelle sera la peine et la condamnation de tous ces hommes : « Ils ont changé », dit-il, « la vérité de Dieu en mensonge, ils ont honoré et servi la créature plutôt que le Créateur, qui est béni dans les siècles 1». Dans la première partie de cet arrêt, en effet, l’Apôtre condamne les idoles, et dans la seconde le sens qu’on leur attribue. Donner à des ouvrages qu’a travaillés l’ouvrier, les noms des choses que Dieu a faites, c’est changer en mensonge la vérité de Dieu; mais regarder ces choses comme divines et les adorer, c’est servir la créature plutôt que le Créateur qui est béni dans les siècles.

5. Mais où est l’homme qui adore ou qui invoque une idole, et qui n’est point disposé à croire qu’il en est écouté, à espérer que cette idole lui accordera ce qu’il désire? Des hommes donc, engagés dans ces sortes de superstitions, tournent souvent le dos au soleil pour prier devant une statue qu’ils appellent soleil; et quand ils entendent derrière eux le mugissement de lamer, ils s’imaginent que la statue de Neptune, qu’ils prennent pour la mer, entend leurs sanglots. Tel est l’effet produit, ou plutôt extorqué en quelque sorte par cette conformation des membres. L’esprit qui vit dans les sens du corps est plus porté à croire qu’il y a du sentiment dans un corps semblable au corps qu’il habite, que dans le soleil dont la forme est ronde, et que dans l’étendue des eaux, et dans ce qui n’est pas circonscrit dans ces lignes qu’il a coutume de voir chez les êtres vivants. C’est pour détruire ce penchant, auquel tout homme charnel se laisse prendre si facilement, que la sainte Ecriture nous dit dans ses cantiques des choses très-connues, afin de nous les rappeler et de stimuler nos esprits qui s’endorment si facilement dans la routine des corps visibles. « Les idoles des nations », dit-elle, « sont de l’argent et de l’or ». Mais c’est Dieu qui a créé l’argent et l’or. « Ce sont là des oeuvres faites de mains d’hommes ». Car ils adorent ce qu’ils ont fait eux-mêmes avec de l’or et de l’argent.

6. Il est vrai que nous-mêmes, nous avons

 

1. Rom. I, 25.

 

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des instruments, des vases du même métal qui nous servent à la célébration de nos mystères, et que l’on appelle sacrés, parce qu’ils sont employés en l’honneur de celui que nous servons dans l’intérêt de notre salut. Or, ces instruments, ces vases, que sent-ils autre chose que l’oeuvre de la main des hommes? Et toutefois ont-ils une bouche pour ne point parler? Ont-ils des yeux pour ne point voir? Leur adressons-nous des prières parce qu’ils nous servent à prier Dieu? La principale cause de cette impiété folle et sacrilège, vient de ce que la forme d’un corps, qui est semblable à un homme vivant, et qui attire les idolâtres à lui adresser des prières, a plus d’effet sur l’esprit de ces malheureux, que l’assurance que cette idole est sans vie, et n’est digue que du mépris des hommes. Ces idoles, parce qu’elles ont mine bouche, qu’elles ont des yeux, qu’elles ont des oreilles, min nez, des mains et des pieds, ont plus de force pour courber une âme vers la terre, que pour la redresser, par cela même qu’elles ne parlent point, qu’elles ne voient point, qu’elles n’entendent point, ne sentent point, ne touchent point, ne marchent point.

7. Il faut dès lors que s’accomplisse la sentence qu’ajoute le Psalmiste ; c’est-à-dire, « Que ceux qui les font leur deviennent semblables, et tous ceux qui se confient en elles 1». Avec leurs yeux ouverts et impressionnés, que ces malheureux voient; et que le coeur fermé et insensible ils adorent des idoles qui ne voient point et qui ne vivent point.

8. « C’est dans le Seigneur qu’a espéré la maison d’Israël 2 ». Or, l’espérance qui voit n’est plus une espérance. Comment, en effet, espérer ce que l’on voit? Si donc nous espérons ce que nous ne voyons point, nous l’attendons par la patience 3 ». Mais afin que notre patience dure jusqu’à la fin, « le Seigneur est leur protecteur et leur appui ».Les hommes spirituels, toutefois, ceux qui instruisent les hommes charnels avec un esprit de douceur, qui prient comme des supérieurs pour des inférieurs, ne voient-ils pas déjà, et n’ont-ils pas en réalité ce que les inférieurs n’ont qu’en espérance ? Nullement; car « la maison d’Aaron, elle aussi, a espéré dans le Seigneur 4 ». Donc, pour avancer avec persévérance vers ce qui est devant

 

1. Ps. CXIII, 8.— 2. Id. 9.— 3. Rom. VIII, 24, 25 — 4. Ps. CXIII, 10.

 

eux, pour courir jusqu’à ce qu’ils aient atteint celui qui les appelle 1, et pour le connaître comme ils en sont connus 2, il faut que « Dieu soit leur aide et leur protecteur ». Les uns et les autres « craignent le Seigneur, e espèrent dans le Seigneur, et il est pour eux un aide et un appui 3».

9. Ce n’est point nous en effet, qui, par nos mérites, avons prévenu la divine miséricorde, mais bien « le Seigneur qui s’est souvenu de nous et nous a bénis : il a béni la maison d’Israël, il a béni la maison d’Aaron ». Et en bénissant les uns et les autres, « il a béni tous ceux qui craignent le Seigneur 4 ». Quels sont, me diras-tu, ces uns et ces autres? Le Psalmiste répond : « Les petits et les grands» ; c’est-à-dire la maison d’Israël et la maison d’Aaron, ceux-là mêmes qui, dans cette nation, crurent au Sauveur Jésus : « puisque tous ne furent pas agréables au Seigneur 5. Mais si quelques-uns n’ont pas cru en lui, leur infidélité anéantira-t-elle donc la fidélité de Dieu? Loin de là 6 ; car tous ceux qui sont d’Israël ne sont point pour cela israélites; non plus que tous ceux qui sont de la race d’Abraham, ne sont fils d’Abraham » ; mais selon qu’il est écrit : « les restes seront sauvés ». Car c’est au nom de ceux du peuple qui ont cru qu’il est dit: «Si le Seigneur des armées n’avait réservé quelqu’un de notre race, nous serions devenus semblables à Sodome et à Gomorrhe 7 ». Ce reste est donc appelé semence, parce qu’il a été répandu et s’est multiplié dans toute la terre.

10. Or, dans la maison d’Aaron, les grands ont dit: « Que le Seigneur vous multiplie, qu’il ajoute à vous et à vos enfants 8». C’est ce qui est arrivé. Voilà que des enfants d’Abraham, suscités d’entre les pierres 9, sont venus se joindre à eux; voilà que sont venues aussi des brebis qui n’étaient point de ce bercail, en sorte qu’il n’y a plus qu’un seul troupeau et qu’un seul pasteur 10: voilà que pour venir à eux les nations ont embrassé la foi, et que s’est accru le nombre , non-seulement de sages évêques, mais aussi de peuples soumis; le Seigneur multipliant ainsi non-seulement les pères qui doivent aller à lui dans le Christ, et y conduire ceux qui

 

1. Philipp. III, 12 -14.— 2. I Cor. XXXI, 12.— 3. Ps. CXIII, 11.— 4. Id. 12, 13.— 5. I Cor. X, 5.— 6. Rom. III, 3.— 7. Id. XX, 27, 29.— 8. Ps. CXIII, 14. — 9. Matth. III, 9. — 10. Jean, X, 16.

 

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voudront les imiter, mais encore les fils qui marcheront sur les traces des pères. Voici, en effet, comment leur parle Celui qui les a engendrés à Jésus-Christ par l’Evangile: « Soyez mes imitateurs comme je le suis du Christ ». Dieu a donc multiplié, non-seulement les montagnes qui bondissent comme des béliers, mais aussi les collines qui bondissent comme des agneaux.

11. C’est donc à tous ceux-là, aux grands et aux petits, aux montagnes et aux collines, que le Prophète s’adresse quand il dit: « Soyez les bénis du Seigneur, qui a fait le ciel et la terre 2 ». Comme s’il disait: soyez les bénis du Seigneur qui a fait de vous les cieux et la terre, le ciel dans les grands, la terre dans les petits; mais non ce ciel visible, parsemé d’astres lumineux que nous voyons. « Le ciel du ciel est au Seigneur », qui a élevé l’esprit de quelques saints à de telles hauteurs que nul d’entre les hommes, mais Dieu seul, peut les instruire. Or, en comparaison de ce ciel, tout ce que l’on voit des yeux du corps ne mérite que le nom de terre, et « Dieu l’a donnée aux enfants des hommes 3 », afin qu’en la considérant, ils comprennent autant qu’ils pourront le Créateur, qu’ils ne peuvent découvrir encore que par le moyen de la créature, à cause de l’infirmité de leur coeur.

12. Ces mêmes paroles : « Le ciel des cieux est au Seigneur, et il a donné la terre aux enfants des hommes », peuvent avoir un autre sens que je ne dois point vous dissimuler. Toutefois ne perdons point de vue ce que nous avons dit. Or, les grands et les petits,

avons-nous dit, sont désignés dans ces paroles: « Soyez les bénis du Seigneur, qui a fait le

 

1. I Cor. IV, 15, 16.— 2. Ps. CXIII, 15. — 3. Id. 16.

 

ciel et la terre ». Si donc nous désignons les grands par les cieux, et les petits par la terre, comme les petits en grandissant deviendront des cieux, et qu’on les nourrit de lait dans cette espérance; ainsi ces mêmes grands, quand ils nourrissent les petits, sont le ciel pour la terre, de manière néanmoins à comprendre qu’ils sont aussi les cieux des cieux quand ils méditent sur l’espérance dont ils nourrissent les enfants. Et toutefois, parce que ces saints personnages ne puisent plus dans un homme ni au moyen d’un homme, mais bien en Dieu, les eaux abondantes et pures de la sagesse, ils ont donné leurs soins à des enfants qui seront un jour des cieux, puisqu’ils sont eux-mêmes les cieux des cieux, et qui sont maintenant la terre à qui ils peuvent dire: « J’ai planté, Apollo a arrosé, c’est Dieu qui a donné l’accroissement 1 ». A ces enfants des hommes dont il a fait des cieux, il a donné la terre pour y travailler, ce même Dieu qui sait pourvoir à la terre au moyen du ciel. Que le ciel et la terre demeurent donc au Dieu qui les a faits; qu’ils vivent de lui, en le confessant et en le bénissant; car s’ils veulent vivre d’eux-mêmes, ils trouveront la mort ainsi qu’il est dit : « Un mort, comme ce qui n’est plus, ne confesse point le Seigneur 2 ». Mais « les morts ne vous loueront point, Seigneur », dit le Prophète, « non plus que ceux qui descendent dans l’enfer ». Et dans un autre endroit l’Ecriture vous crie: « Une fois au fond de l’abîme du mal, le pécheur n’a plus que le dédain 3; mais nous qui avons la vie, nous bénissons le Seigneur dès maintenant et jusque dans les siècles ».

 

1. I Cor. III, 6. — 2. Eccli. XVII, 26. — 3. Prov. XVIII, 3.

DISCOURS SUR LE PSAUME CXIV.
SERMON AU PEUPLE.
LA DÉLIVRANCE.
 

L’espérance que le Seigneur nous exaucera attise notre amour pour lui; et cette espérance est fondée sur la foi, car tout ce qu’il fait pour nous allume le flambeau de notre croyance en sa bonté. Les jours dans lesquels nous invoquons le Seigneur, sont les jours du vieil homme, et de l’éloignement du Seigneur. Mais ayant rencontré cette affliction qui vient de la considération de nos misères spirituelles, et qui est un gage de salut, j’ai invoqué le Seigneur qui est miséricordieux, puisqu’il nous appelle au salut, et qu’il ne nous châtie que pour nous pardonner si nous nous redressons. Reposons-nous dans celui qui nous a délivrés de cette mort de l’impie qui est un labeur sans fin, pour nous donner un repos accompagné de vigilance. Le Seigneur nous a donc délivrés de la mort des impies ou de la mort éternelle quand il nous a délivrés du péché; c’est au péché que notre corps doit mourir pour que nous plaisions au Seigneur.

 

1. « J’ai aimé le Seigneur, parce qu’il écoutera la voix de ma prière 1». Que tel soit le chant de toute âme éloignée du Seigneur, le chant de toute brebis qui s’était égarée, le chant de tout enfant qui était mort et qui est ressuscité, qui était perdu et qui est retrouvé 2; le chant de notre âme, ô frères et enfants bien-aimés. Instruisons-nous de nos devoirs avec une ferme constance et chantons avec les saints : « J’ai aimé le Seigneur, parce qu’il écoutera la voix de ma prière ». La cause de notre amour pour Dieu est-elle bien, « parce qu’il exaucera la voix de ma prière ? » Ne l’aimons-nous pas plutôt parce qu’il nous a exaucés? ou l’aimons-nous afin qu’il nous exauce? Que signifie donc: « J’ai aimé parce qu’il exaucera ? » Serait-ce parce que, d’ordinaire, l’amour s’enflammant par l’espérance, le Prophète nous dirait alors qu’il a aimé, parce qu’il a espéré que le Seigneur exaucerait la voix de sa prière?

2. Mais d’où lui est venue cette espérance? C’est, nous répond-il, « parce qu’il a incliné son oreille vers moi, et que je l’ai invoqué pendant les jours de ma vie 3 ». Je l’ai donc aimé parce qu’il m’exaucera, et il m’exaucera parce qu’il a incliné son oreille vers moi. Mais, ô âme de l’homme, comment sais-tu que Dieu a incliné son oreille vers toi, si tu n’as dit : J’ai cru ? Voilà donc les trois vertus qui demeurent ici-bas, la foi, l’espérance et la charité 4. Parce que tu as cru, tu as espéré, et parce que tu as espéré, tu as aimé; maintenant

 

1. Ps. CXXV, 1. — 2. Luc, XV, 6, 24. — 3. Ps. CXIV, 2. — 4. I Cor. XIII, 13.

 

si je demande comment l’âme a cru que Dieu inclinait son oreille pour l’écouter, ne peut-elle point me répondre : « C’est lui qui nous a aimés le premier, au point de ne pas épargner son propre Fils, et de le livrer pour nous tous ? Comment pourront-ils l’invoquer s’ils ne croient en lui? » dit le Docteur des nations, « et comment croire en lui, s’ils n’en ont entendu parler? et comment en entendre parler, si on ne le leur prêche ? et comment y aura-t-il des prédicateurs si on ne les envoie 2 ? » Or, à la vue de tout ce que Dieu a fait pour moi, comment ne croirais-je pas qu’il a incliné son oreille vers moi ? Et il a tellement signalé son amour pour nous, que le Christ est mort pour les impies 3 . C’est donc parce qu’ils m’ont apporté tant de grâces, ces hommes dont les pieds sont beaux, qui ont annoncé la paix, annoncé les biens 4, et prêché que tout homme qui aura invoqué le nom du Seigneur sera sauvé 5, c’est pour cela que j’ai cru que Dieu inclinait son oreille vers moi, et que je l’ai invoqué en mes jours.

3. Et quels sont ces jours dont tu nous dis : « En mes jours j’ai invoqué le Seigneur? » Ces jours peut-être qui ont fermé la plénitude du temps, alors que Dieu a envoyé son Fils 6, lui qui avait déjà dit : « Je t’ai exaucé au temps marqué, je t’ai aidé au jour du salut 7? » Tu as entendu de la bouche d’un prédicateur, dont les pieds étaient beaux : « Voici maintenant le temps favorable, voici les

 

1. Rom. VIII, 32.— 2. Id. X, 14, 15. — 3. Id. V, 8, 9.— 4. Isa. LII, 7. — 5. Joel, II, 32. — 4. Gal. IV, 4. — 5. Isa. XLIX, 8.

 

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jours du salut 1»; et alors tu as cru, et dans ces jours tu as invoqué, et tu as dit : « Seigneur, mon Dieu, délivrez mon âme 2». Cela est vrai, et pourtant je puis appeler plus justement mes jours, les jours de ma misère, les jours de ma mortalité, les jours qui me viennent d’Adam, jours pleins de labeur et de fatigue, jours du vieil homme et de la corruption. Car je suis à terre, « et plongé dans la vase de l’abîme 3»; et dans un autre Psaume je me suis écrié : « Voilà que vous avez lait vieillir mes jours 4. C’est pendant ces jours que je vous ai invoqué ». Mes jours sont donc bien différents des jours de mon Dieu. J’appelle mes jours ceux que je me suis faits à moi-même, par cette audace qui m’a porté à me séparer de lui. Et comme il règne partout, comme il est tout-puissant, tenant tout dans ses mains, j’ai mérité la prison, c’est-à-dire que j’ai dû subir les ténèbres de l’ignorance et les entraves de la mortalité. « Je vous ai donc invoqué en mes jours », parce que c’est moi qui crie dans un autre Psaume : « Délivrez mon âme de la prison 5», Et comme le Seigneur m’a secouru au jour de ce même salut qu’il m’a procuré, voilà que le gémissement des captifs a monté en sa présence 6. C’est en effet dans ces jours qui sont les miens que «les douleurs de la mort « m’ont environné, que les périls de l’enfer m’ont saisi 7 »; et ils ne me trouveraient point si je n’étais loin de vous. Ils me tiennent donc maintenant en leur pouvoir, et moi je ne les trouvais point, moi qui mettais ma joie dans les prospérités de ce monde, où les périls de l’enfer sont plus trompeurs encore.

4. Mais quand, à mon tour, « j’ai rencontré la tribulation et la douleur, j’ai invoqué le nom de mon Dieu 8 ». Je ne connaissais point cette affliction, cette douleur très-utile, affliction dont vient nous décharger celui auquel il est dit: «Donnez-nous votre secours dans l’affliction, car le salut qui vient de l’homme est trompeur 9 ». Pour moi, je croyais que ce vain salut de l’homme pourrait me procurer de la joie et de l’allégresse; mais quand j’ai entendu cette parole du Seigneur : « Bienheureux ceux qui pleurent parce qu’ils seront consolés 10 », je n’ai pas

 

1. II Cor. VI, 2. — 2. Ps. CXLV, 5.— 3. Id. LVIII, 3.— 4. Id. XXXVIII, 6.— 5. Id. CXLI, 8. — 6. Id. LXXVIII, 11. — 7. Id. CXIV, 3.— 8. Id. 4. — 9. Id. LIX, 13. — 10. Matth. V, 5.

 

attendu pour pleurer, la perte de ces biens temporels qui me procuraient un funeste plaisir, mais j’ai considéré cette misère qui est en moi, et qui me fait trouver la joie dans ces biens que je crains de perdre, et que je ne puis néanmoins retenir; je l’ai considérée avec attention et avec courage, et j’ai vu que non-seulement j’étais tourmenté par les revers de cette vie, mais que ses prospérités elles-mêmes étaient un lourd fardeau; et ainsi : « J’ai trouvé la tribulation et la douleur » que je ne connaissais pas, « et j’ai invoqué le nom du Seigneur. O Dieu, délivrez mon âme 1. Malheureux homme que je suis, qui me délivrera du corps de cette mort, sinon la grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur 2? » Que le peuple de Dieu s’écrie dès lors : « J’ai rencontré la tribulation et la douleur, et j’ai invoqué le nom de mon Dieu ».  Qu’elles nous entendent, ces nations qui sont en arrière, et qui n’invoquent point encore le nom du Seigneur; qu’elles nous entendent, qu’elles cherchent afin de rencontrer la douleur et la tribulation , et d’invoquer aussi le nom du Seigneur, et d’être sauvées. Nous ne leur parlons point de la sorte, afin qu’elles cherchent une misère qu’elles n’auraient point, ruais afin qu’elles trouvent cette misère qu’elles ont sans la connaître. Ce que nous leur souhaitons, ce n’est point qu’elles manquent de ces biens terrestres qui leur sont nécessaires pendant cette vie mortelle; mais qu’elles pleurent de ce qu’ayant perdu les biens du ciel qui les rassasiaient, elles aient mérité d’avoir besoin de ces biens de la terre qui ne procurent aucune jouissance durable, et qui n’ont d’utilité qu’en cette vie temporelle. Telle est la misère qu’ils doivent reconnaître et pleurer; et leurs larmes deviendront bienheureuses en celui qui n’a point voulu pour ces peuples un malheur éternel.

5. « Le Seigneur est plein de clémence et de justice, notre Dieu se plaît à faire miséricorde 3 ». Dieu donc est miséricordieux, il est juste, il pardonne : miséricordieux d’abord, parce qu’il a incliné son oreille vers moi; et j’ignorerais que Dieu se fût approché de moi pour entendre mes paroles, si je n’avais été excité à l’invoquer par ceux dont les pieds sont beaux. Qui donc a fait appel au Seigneur, sinon celui que le Seigneur a tout

 

1. Ps. CXIV, 4.— 2. Rom. VII, 24, 25. — 3. Ps. CXIV, 5.

 

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d’abord appelé? Voilà donc tout d’abord sa miséricorde. Il est juste, parce qu’il châtie, et il est encore miséricordieux, parce qu’il reçoit celui qu’il a châtié. « Car le Seigneur flagelle celui qu’il reçoit au nombre de ses enfants 1». Et ma douleur dans le châtiment doit être moins vive pour moi que la joie de mon adoption. Commuent « le Seigneur qui garde les petits enfants 2», ne châtierait-il pas ceux qu’il fera grandir pour être ses héritiers? Quel est l’enfant que son père n’assujettit pas à la discipline 3? « Je me suis humilié, et il m’a sauvé». C’est donc à l’humilité que je dois mon salut. Que le médecin fasse une incision, ce n’est point là un châtiment, mais une douleur salutaire.

6. « O mon âme, rentre donc dans ton repos, u puisque le Seigneur t’a comblée de biens». Repose-toi, non à cause de tes mérites ou de tes propres forces; mais parce que le Seigneur t’a comblée de ses biens; car, ajoute le Prophète, « il a délivré mon âme de la mort 4 ». Il est étonnant, mes frères bien-aimés, qu’après avoir invité son âme à goûter le repos, parce qu’elle est comblée des biens du Seigneur, le Prophète ajoute : « Parce qu’il a délivré mon âme de la mort ». Son âme serait-elle donc en repos, parce qu’elle est délivrée de la mort? N’est-ce pas plutôt dans la mort que l’on croit trouver le repos? Quelle est enfin l’action de celui dont la vie est un repos, et dont la mort est un labeur? Telle doit être l’action de l’âme, qu’elle tende à une paisible sécurité, et non à l’accroissement d’un labeur incessant. Elle est en effet délivrée de la mort par la grâce de celui qui l’a prise en pitié, et qui a dit : «Venez à moi, vous tous qui êtes chargés, et je vous soulagerai. Prenez mon joug sur vous, et apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur, et vous trouverez le repos de vos âmes; car mon joug est doux et mon fardeau léger 5». L’action de l’âme qui cherche le repos doit dorme être douce et humble, puisqu’elle suit le Christ qui est sa voie; et toutefois, elle ne doit pas être lente et paresseuse, afin qu’elle puisse achever sa course, ainsi qu’il est écrit: « Achevez vos oeuvres avec douceur 6». Achevez vos oeuvres, est-il dit, afin que la douceur ne dégénère pas en négligence. Car il n’en est pas alors comme

 

1. Hébr. XII, 6. — 2. Ps. CXIV, 6. — 3. Hébr. XII, 7 — 4. Ps. CXIV, 7, 8. — 5. Matth. XI, 28-30  — 6. Eccli. III, 19.

 

en cette vie, où le repos du sommeil répare nos forces pour un nouveau travail; mais la bonne action nous conduit à un repos accompagné de vigilance.

7. Or, tout cela est l’oeuvre, est le bienfait de ce Dieu dont il est dit : « Puisque le Seigneur m’a comblé de biens, puisqu’il a délivré mon âme de la mort, mes yeux des larmes, et mes pieds de la chute 1». Voilà ce que le Seigneur accomplit eu espérance dans celui qui ressent les liens de la chair, et celui-ci le chante avec joie. Car il est vrai de dire: « Je me suis humilié, et le Seigneur m’a sauvé ». Mais elle est vraie aussi cette autre parole de l’Apôtre: « Que nous sommes sauvés par l’espérance 2». Quant à cette mort dont nous sommes délivrés, il est juste de dire que cela s’est accompli, si nous l’entendons de la mort des incrédules, dont le Seigneur a dit: « Laissez les morts ensevelir leurs morts 3 »; et le Prophète dans un autre psaume: « Les morts ne vous loueront point, Seigneur, non plus que tous ceux qui descendent dans l’enfer, mais nous qui vivons, nous bénissons le Seigneur 4 ». Telle est donc la mort dont tout fidèle a raison de croire que son âme est exempte par cela même qu’elle a passé de l’incrédulité à la foi. De là cette parole du Sauveur: « Celui qui croit en moi passe de la mort à la vie 5». Le reste ne s’accomplit que par l’espérance dans ceux qui n’ont pas encore quitté cette vie. Maintenant, en effet, quand nous pensons à nos chutes si périlleuses, nos yeux ne cessent de verser des larmes; mais il éloignera les larmes de nos yeux, quand il préservera nos pieds de tout faux pas. Car nos pieds ne seront plus exposés à la chute, quand il n’y aura plus rien de glissant dans notre faible chair. Maintenant, quoique notre voie soit ferme, puisque c’est le Christ lui-même; néanmoins, parce que nous soumettons notre chair, qu’il nous est ordonné de dompter; dans ces mêmes oeuvres par lesquelles nous la châtions pour l’assujettir, c’est un bonheur de ne pas succomber; quant à ne pas glisser, qui en est capable?

8. Aussi, parce que nous sommes dans la chair, sans être néanmoins dans la chair, (nous sommes dans la chair à cause de ce lien qui n’est pas encore brisé : « qu’il serait plus

 

1. Ps CXIV, 8. — 2. Rom. VIII, 21. — 3. Matth. VIII, 22. — 4. Ps. CXIII, 17, 18. — 5. Jean, V, 24.

 

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avantageux de rompre pour être avec le Christ 1 »; mais nous ne sommes pas dans la chair en ce sens que nous avons donné à Dieu les prémices de l’esprit, si toutefois nous pouvons dire que « notre conversation est dans le ciel 2» et que nous sommes agréables à Dieu par la tête, tandis que nous sentons glisser nos pieds, qui paraissent l’extrémité de notre âme), écoute comment il y a une espérance dans ce même psaume qui paraît chanter ce qui est accompli déjà : « Il a délivré, dit le Prophète, et mes yeux de leurs larmes, et mes pieds de toute chute»; et toutefois il n’ajoute point : Je plais; mais bien : « Je plairai au Seigneur, dans la terre des vivants 3 »; montrant assez par là qu’il n’est point encore agréable au Seigneur dans cette partie de lui-même, qui est la région des morts, c’est-à-dire en sa chair mortelle. « Ceux qui sont dans la chair ne sauraient plaire à Dieu ». C’est pourquoi cette parole que l’Apôtre ajoute : « Quant à vous, vous n’êtes point dans la chair », doit s’entendre en ce sens, que « le corps est véritablement mort au péché, tandis que l’esprit est vivant à cause de la justice »; or, c’est par cet esprit qu’ils plaisaient à Dieu, puisque c’est par lui qu’ils n’étaient pas dans la chair. Qui pourrait plaire au Dieu vivant, tandis qu’il est dans un corps mort? Que dit l’Apôtre? « Si l’esprit de celui qui a ressuscité Jésus-Christ d’entre

 

1. Philipp. I, 23.— 2. Id. III, 20. — 3. Ps. CXIV, 9.

 

les morts habite en vous; celui qui a ressuscité le Christ d’entre les morts donnera aussi la vie à vos corps mortels à cause de l’esprit qui habite en vous 1 ». C’est alors que nous serons dans la terre des vivants, que nous plairons complètement au Seigneur, et que rien de nous-mêmes ne nous tiendra éloignés. « Tant que nous sommes dans un corps, nous sommes éloignés du Seigneur 2»; et plus nous en sommes éloignés, plus nous sommes éloignés aussi de la région des vivants. « Mais nous avons la confiance, et nous pensons qu’il est avantageux pour nous d’être séparés de ce corps, afin de demeurer dans le Seigneur; c’est pourquoi nous nous efforçons de lui être agréables, soit que nous soyons éloignés, soit que nous soyons en sa présence 3 ». C’est là notre ambition pendant cette vie, parce que nous attendons la délivrance de notre corps 4; mais quand la mort aura été absorbée dans la victoire, quand ce corps corruptible aura revêtu l’incorruptibilité, quand ce corps mortel aura revêtu l’immortalité 5, alors il n’y aura ni pleurs, ni chute, et il n’y aura aucune chute, parce qu’il n’y aura aucune corruption. Dès lors nous ne chercherons plus à plaire à Dieu, mais nous lui plairons d’une manière absolue, dans la région des vivants.

 

1. Rom. VIII, 8 -11. — 2. II Cor, V, 6. — 3. Id. 8, 9. — 4. Rom. VIII, 23. — 5. I Cor. XV, 53, 54.

DISCOURS SUR LE PSAUME CXV.
SERMON AU PEUPLE.
CHANT DES MARTYRS.
 

Prêcher le Christ, c’est conformer ses moeurs à la foi, autrement on aurait la vérité à la bouche, le mensonge dans le coeur; c’est encourir la réprobation. D’autres croient sans prêcher, retiennent le talent sans le faire fructifier, et sont aussi réprouvés. Le fidèle serviteur croit et prêche; sa parole lui vaut de nombreuses persécutions sans que la vérité en souffre aucune atteinte. Dans son extase il a compris qu’il ne pouvait compter sur lui-même, parce que l’homme est menteur et que Dieu seul peut donner la vérité. Mais que rendra-t-il au Seigneur en échange de cette vérité? Ce qui vient de lui, le calice du salut, ou la force de souffrir. De lui-même il n’est que l’esclave, mais en servant de bonne volonté, il devient le fils de la Jérusalem libre, ou de l’Eglise. Alors il se glorifie en Dieu qui a brisé ses tiens ; il s’offre lui-même au milieu de cette Jérusalem ou de l’Eglise répandue par toute la terre, comme le prouve le psaume suivant: Peuples, célébrez tous les louanges du Seigneur, qui demeure ferme dans ses promesses comme dans ses menaces.

 

1. Votre sainteté, mes frères, connaît sans doute ce mot de l’Apôtre: « La foi n’est point l’apanage de tous 1 » . Et vous n’ignorez pas que le nombre des infidèles est le plus grand ; aussi le Prophète s’est-il écrié « Seigneur, qui a cru à notre parole 2? » C’est parmi ces incrédules que l’on peut ranger ceux dont l’Apôtre a dit: « Tous cherchent leurs intérêts et non ceux du Christ 3 ». Et ailleurs il dit que ces hommes annoncent la parole de Dieu non par un vrai zèle, mais par occasion; non pas d’une manière chaste 4, c’est-à-dire qu’ils n’ont ni intention pure, ni charité sincère. Autres, en effet, étaient leurs sentiments, que laissaient voir leurs moeurs, et autre leur prédication, qui leur attirait l’estime des hommes par les saintes vérités qu’ils prêchaient. Aussi l’Apôtre a-t-il encore dit de ces hommes qu’ « ils ne servent point le Dieu qu’ils prêchent, mais leur ventre 5 ». Et toutefois, il leur permet de prêcher le Christ. Bien que leur foi, en effet, non plus que leurs actions, ne pût aboutir qu’à la mort, toutefois ils prêchaient des vérités qui eussent pu sauver ceux qui les eussent embrassées par la foi ; car ils ne prêchaient rien qui fût en dehors des règles de la foi. Autrement ils fussent tombés sous cet anathème de l’Apôtre « Si quelqu’un », nous dit-il, « vous annonce d’autres vérités que celles que vous avez reçues, qu’il soit anathème 6 ». Or, ce n’est pas prêcher le Christ, que prêcher la fausseté,

 

1. II Thess. III, 2.— 2. Isa. LIII, 1, ; Rom. X, 16.— 3. Philipp. II, 21. — 4. Id. I, 27.— 5. Rom. XVI, 18.— 6. Gal. I, 9.

 

puisque le Christ est vérité 1. Et toutefois, l’Apôtre dit de ces derniers qu’ils annoncent le Christ, bien qu’ils ne le fassent point d’une manière pure, c’est-à-dire bien qu’ils n’agissent point avec un esprit simple et pur, et avec la foi sincère qui agit par la charité 2. Pleins des terrestres convoitises, ils annonçaient le royaume des cieux, et avaient ainsi la fausseté dans le coeur, la vérité sur la langue. Or, l’Apôtre, sachant bien que ceux qui avaient cru à l’Evangile, sur la prédication de Judas, étaient sauvés, donne à ceux-ci cette liberté de prêcher : « Pourvu que le Christ soit annoncé, peu importe que ce soit par occasion ou par un vrai zèle 3 ». Ils n’annoncent pas moins la vérité, bien que ce ne soit point dans la vérité, c’est-à-dire avec une intention pure. Ils prêchent ce qu’ils ne croient point, et c’est pour cela qu’ils sont réprouvés; bien qu’ils soient utiles à ceux que le Seigneur daigne avertir ainsi: « Faites ce qu’ils vous disent et non ce qu’ils font, car ce qu’ils disent, ils sont loin de le faire 4». Pourquoi, sinon parce qu’ils ne croient point l’utilité de ce qu’ils prêchent ? Il en est d’autres qui croient, sans prêcher ce qu’ils croient, retenus par la tiédeur ou par la crainte. Et ce serviteur qui avait reçu un talent, ne s’entendit pas moins appeler : Méchant et lâche serviteur 5, parce qu’il ne l’avait point mis à profit. Dans un autre endroit de l’Evangile, il est dit que beaucoup

 

1. Jean, XIV, 6. — 2. Gal, V, 6. — 3. Philipp. I, 18. — 4. Matth. XXIII, 3. — 4. Id. XXV, 26.

 

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de princes des Juifs crurent en Jésus, mais qu’ils ne professaient point leur foi au dehors, de peur d’être chassés de la synagogue : ils ne laissent pas d’être désapprouvés et condamnés. Car l’Evangéliste ajoute : « Ils préféraient la gloire des hommes à la gloire de Dieu 1». Si donc une juste réprobation flétrit et ceux qui ne croient pas à la vérité qu’ils prêchent, et ceux qui ne prêchent pas la vérité qu’ils croient, à qui donnerons-nous le nom de serviteur fidèle, sinon à celui à qui le Christ adresse ces paroles: « Courage, bon serviteur, parce que tu as été fidèle en peu de choses, je t’établirai sur beaucoup, entre dans la  joie de ton Seigneur 2? » Un tel serviteur ne parle donc point avant de croire, et ne se tait point dès qu’il croit, de peur, ou qu’en faisant valoir pour les autres ce qui lui est confié, il n’en garde rien pour lui, ou qu’il n’en retire aucun profit, parce qu’il ne l’aura point fait valoir. Voici, en effet, ce qui est dit : « Celui qui possède, on lui donnera; mais à celui qui n’a pas, on ôtera même ce qu’il a 3 .»

2. Qu’il dise alors, ce bon serviteur qui chante Alleluia, c’est-à-dire qui offre un sacrifice de louanges à ce même Dieu qui doit lui dire un jour : « Entre dans la joie de ton Seigneur » ; qu’il tressaille et qu’il chante : « J’ai cru, et c’est pourquoi j’ai parlé 4» .C’est-à-dire, j’ai cru d’une manière parfaite. Refuser de prêcher ce que l’on croit, ce n’est point avoir une foi parfaite. Car une des obligations de la foi, c’est de croire aussi cette parole « Celui qui me confessera devant tes hommes, « moi aussi je le confesserai devant les anges de Dieu 5». Ce fidèle serviteur n’est pas ainsi appelé, en effet, parce qu’il a reçu de son maître, mais parce qu’il a dépensé et gagné. De même dans notre psaume, il n’est pas dit : J’ai cru et j’ai parlé; mais le Prophète confesse qu’il a parlé parce qu’il a cru. Car il a cru en même temps que parler lui donnait une récompense à espérer, et que se taire lui laissait craindre un châtiment. « J’ai cru », dit-il, « et c’est pourquoi j’ai parlé pour moi , j’ai subi des humiliations à l’excès ». Il a passé par des tribulations nombreuses à cause de la parole qu’il gardait fidèlement, qu’il annonçait fidèlement; il a subi des humiliations excessives, et

 

1. Jean, XII, 42, 43.— 2. Matth. XXV, 23.— 3. Id. XIII, 12 ; XXV, 29. — 4. Ps. CV, 1 .— 5.  Matth. X, 32.

 

c’est là ce qu’ont redouté « ceux qui ont préféré la gloire des hommes à la gloire de Dieu ». Mais pourquoi cette expression : « Quant à moi ? » Il devrait dire tout simplement : j’ai cru , c’est pourquoi j’ai parlé, et j’ai subi des humiliations à l’excès. Pourquoi ajouter « quant à moi », sinon pour nous montrer que l’homme peut bien subir des humiliations de la part de ceux qui contredisent la vérité, mais que cette vérité qu’il croit et qu’il prêche n’en souffre aucune atteinte? De là vient que l’Apôtre disait en parlant de ses chaînes : « Mais la parole de  Dieu n’est point enchaînée 1 ». De même le Psalmiste, ou plutôt en sa personne les saints témoins de Dieu, c’est-à-dire les martyrs: « J’ai cru, et c’est pourquoi j’ai parlé, quant à moi », non point la vérité que j’ai embrassée, non point la parole que j’ai portée ; mais, « moi j’ai été humilié à l’excès ».

3. « J’ai dit dans mon extase: Tout homme est menteur 2 ». Le Prophète par extase entend cette frayeur qui s’empare de la faiblesse humaine, sous la menace des persécutions, ou bien en face des tourments ou de la mort. Tel est le sens que nous donnons à cette expression, parce qu’on retrouve dans le psaume le cri des martyrs. Ce mot d’extase, il est vrai, peut s’entendre aussi de cet état de l’âme hors d’elle-même, non plus sous l’impression de la peur, mais par l’effet d’une révélation sur naturelle. « Pour moi, j’ai dit dans mon extase: Tout homme est menteur ». Dans son effroi il a considéré sa faiblesse, et a vu qu’il ne devait point compter sur lui-même. Car en ce qui regarde l’homme, il est menteur; mais la grâce de Dieu l’a rétabli dans la vérité, de peur que, cédant aux persécutions de ses ennemis, il ne tût ou même n’abjurât la vérité qu’il avait embrassée; ainsi qu’il en fut de saint Pierre, qui comptait sur lui-même, et qui avait besoin d’apprendre à n’y point compter à l’avenir. Et si nul ne doit mettre sa confiance dans un homme, il ne saurait compter sur lui-même, puisqu’il est homme. Dans la crainte qui l’a saisi, le prophète a donc vu avec raison que tout homme est menteur; car ceux que la peur n’affole point de manière à céder aux persécutions par le mensonge, agissent non par leurs propres forces, mais par la grâce de Dieu. Il est donc bien vrai de dire que « tout homme est

 

1. II Tim. II, 9.— 2. Ps. CXV, 11.

 

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menteur» ; mais que Dieu est véridique, lui qui a dit: « Je l’ai dit : vous êtes tous des dieux, tous, les enfants du Très-Haut ; et néanmoins, vous mourrez comme des hommes, vous tomberez comme un des princes 1». Dieu console ici les humbles, il les remplit non-seulement de cette foi qui leur fait croire la vérité, mais de cette confiance qui la tait prêcher, s’ils persévèrent dans la soumission au Seigneur, s’ils n’imitent point l’un des princes ou le diable qui ne s’est point maintenu dans la vérité et qui est tombé. Car si tout homme est menteur, moins ils seront hommes, et moins ils seront menteurs ; et alors ils seront des dieux, les fils du Très-Haut.

4. Le peuple si dévoué des martyrs considère comment le Seigneur dans sa miséricorde n’abandonne point l’infirmité humaine, dont la vue a fait dire en tremblant: « Tout homme est menteur »; comment il daigne consoler les humbles, remplir de confiance ceux qui tremblaient, en sorte que leur coeur déjà presque mort reprend une vie naturelle, et qu’ils ne mettent plus leur confiance en eux-mêmes, mais en celui qui ressuscite les morts 2, qui rend éloquentes les langues des enfants 3, qui nous dit : « Quand ils vous traduiront, ne vous mettez point en peine de ce que vous devez dire; ce qu’il vous faudra dire vous sera inspiré à l’heure même; car ce n’est point vous qui parlez, mais l’Esprit de votre Père qui parle en vous 4 ». Voilà ce que considère celui qui avait dit : « Dans mon extase, je l’ai dit : tout homme est menteur »; et voyant que, par la grâce de Dieu, lui-même est devenu véridique : « Que rendrai-je au Seigneur, s’écrie-t-il, pour tous les biens qu’il m’a rendus 5? » Il ne dit point, pour tous les biens qu’il m’a accordés, mais: « pour tout ce qu’il m’a rendu». Qu’avait donc fait l’homme auparavant, pour que les dons de Dieu ne fussent point une simple faveur, mais une rétribution ? Qu’avait fait l’homme, sinon des fautes? Dieu a donc rendu le bien pour le mal; lui à qui les hommes rendent le mal pour le bien. Voilà en effet ce que lui ont rendu ceux qui ont dit : « C’est là l’héritier, venez et tuons-le 6. »

5. Mais l’interlocuteur cherche ce qu’il doit rendre au Seigneur, et il ne trouve rien,

 

1. Ps. LXXXI, 6,7. — 2. II Cor. I, 9. — 3. Sag. X, 21.— 4. Matth. X, 19, 20. — 5. Ps. CXV, 12.— 6. Matth. XXI, 38.

 

sinon les biens que le Seigneur lui a rendus. « Je prendrai », dit-il, « le calice du salut, et j’invoquerai le nom du Seigneur 1». O homme, que ton péché a fait menteur, que la grâce de Dieu a rendu véridique, et qui n’es plus homme dès lors, qui t’a donné ce calice du salut, que tu prendras pour invoquer le nom du Seigneur, et le remercier de tous les biens qu’il t’a rendus? Qui, sinon celui qui a dit : « Pouvez-vous boire le calice que je boirai moi-même 2? » Qui t’a donné la force de souffrir comme lui, sinon celui qui a, le premier, souffert pour toi? De là vient que « la mort de ses saints est précieuse aux yeux du Seigneur 3 ». Il l’a achetée de ce même sang qu’il avait répandu pour le salut de ses serviteurs, afin que ces serviteurs n’hésitassent point à répandre leur sang pour lui; ce qui néanmoins serait un avantage pour eux, et non pour le Seigneur.

6. Que l’esclave acheté à un si grand prix reconnaisse donc sa condition d’esclave, et qu’il dise : « Je suis votre serviteur, ô mon Dieu, et le fils de votre servante 4». Il est donc tout à la fois esclave acheté, et fils de la servante. A-t-il été aussi acheté avec sa mère? Ou bien, parce qu’il est né dans la maison de son maître, et dès lors dépouillé à cause du péché de sa fuite, est-il esclave acheté, parce qu’il a été racheté? Il est en effet le fils de la servante, en ce sens que toute créature est soumise au Créateur, et doit au véritable maître un véritable service, qui lui vaut la liberté quand elle le fait pleinement; et voilà que lui vient du Seigneur la grâce de le servir de gré et non par nécessité. Le Prophète est donc fils de cette Jérusalem céleste, qui est notre mère d’en haut, notre mère à tous, et notre mère libre 5. Libre du péché, mais esclave quant à la justice; et c’est à ses fils, pèlerins en cette vie, que l’on dit: « Vous êtes appelés à la liberté 6». Puis le même Apôtre les réduit ensuite à l’esclavage : « Assujettissez-vous les uns aux autres par la charité 7 ». Puis il leur dit encore: « Lorsque vous étiez esclaves du péché, vous vous affranchissiez de la justice; maintenant que vous êtes affranchis du péché et devenus esclaves de Dieu, le fruit que vous en tirez est votre sanctification, et la fin sera la vie éternelle 8 ». Qu’il dise donc à Dieu, cet

 

1. Isa. CXV, 13. — 2. Matth. XX, 22. — 3. Ps. CXV, 15. — 4. Id. 16. — 5. Gal. XV, 26. — 6. Id. V, 13. — 7. Ibid. — 8. Rom. VI, 20, 22.

 

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esclave : Il en est beaucoup, Seigneur, qui se disent martyrs, beaucoup qui se disent serviteurs, parce qu’ils en appellent à votre nom, sous le voile de telle hérésie, de telle erreur; mais comme ils sont en dehors de votre Eglise, ils ne sont point les fils de votre servante : « Pour moi, je suis votre serviteur et fils de votre servante ».

7. « Vous avez brisé mes liens, et je vous offrirai un sacrifice de louanges 1». Je n’ai trouvé en moi aucun mérite lorsque vous avez brisé mes liens ; aussi vous dois-je un sacrifice de louanges: bien que je me glorifie d’être votre serviteur et le fils de votre servante, ce n’est point en moi, mais bien en vous, Seigneur, mon Dieu, que je me glorifie, puisque vous avez rompu mes liens, afin qu’en revenant de mes erreurs, je vous fusse attaché.

8. « J’accomplirai mes voeux au Seigneur 2». Quels voeux accompliras-tu? Quelles victimes as-tu promises? Quel encens? Quels holocaustes? N’as-tu pas en vue ce que tu disais tout à l’heure: « Je prendrai le calice du salut, et j’invoquerai le nom du Seigneur, et je « vous offrirai un sacrifice de louanges ? » Et en effet, celui qui réfléchit à ce qu’il doit promettre au Seigneur, aux voeux qu’il doit lui rendre, qu’il se voue lui-même, et qu’il s’offre à Dieu. Voilà ce que le Seigneur exige, et ce qui lui est dû. « Rendez à César ce qui est à

 

1. Ps. CXV, 17.— 2. Id. 18.

 

César, et à Dieu ce qui est à Dieu 1 », disait le Seigneur en regardant une pièce de monnaie. On rend à César l’argent frappé à son effigie : que l’on rende à Dieu son image.

9. Mais quiconque se souvient qu’il n’est pas seulement serviteur de Dieu, qu’il est encore le fils de sa servante, comprend où il doit rendre ses voeux au Seigneur, en se conformant au Christ et en prenant le calice du salut. « A l’entrée de la maison du Seigneur», dit le Prophète. Cette maison de Dieu est aussi la servante de Dieu, et quelle est la maison de Dieu, sinon son peuple? Aussi le Prophète a-t-il ajouté : « En présence de tout son peuple ». Déjà il nomme plus clairement sa mère. Qu’est-ce, en effet, que son peuple, sinon, comme il le dit ensuite : « Au milieu de vous, ô Jérusalem 3 ». C’est alors que l’offrande est agréable au Seigneur, quand elle est faite en paix et avec un esprit de paix. Or, ceux qui ne sont point fils de cette servante, ont préféré la guerre à la paix. Mais, de peur qu’on ne s’imagine que cette entrée de la maison du Seigneur et tout ce peuple désignent le peuple juif, parce que le Prophète a terminé le psaume en disant : « Au milieu de vous, ô Jérusalem », nom qui fait l’orgueil des Israélites selon la chair, écoutez le psaume suivant, composé de quatre versets.

 

1. Matth. XXII, 21. — 2. Ps. CXV, 19.
 
 
 
 

source: http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin/index.htm

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