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Saint Augustin d'Hippone
Discours sur les Psaumes 126 à 130


DISCOURS SUR LE PSAUME CXXVI.
SERMON AU PEUPLE.
LA CITÉ DE DIEU.
 

Ce psaume convient à ceux qui marchent dans la vertu par la charité. Il est attribué par le titre à Salomon, qui fut Prophète et tomba néanmoins dans l’idolâtrie, parce que Salomon, qui signifie pacifique et qui bâtit un temple au Seigneur, est la figure du Christ qui est notre paix. et qui a réuni en lui-même, pierre angulaire, les deux murailles venant, l’une de la circoncision, l’autre de la gentilité; il forme ainsi la cité de Dieu ou l’Eglise, que nul autre que Dieu ne saurait bâtir ; qui a des gardiens dans les évêques, et qui est surtout gardée par Dieu, gardien d’Israël. Si nous voulons qu’il nous garde, comptons sur lui et non sur nous-mêmes, ce serait nous lever avant la lumière. Or, comme le disciple est moindre que le Maître, et que le Maître s’est assis ou abaissé, nous ne pouvons nous élever avec lui qu’après nous être assis dans la douleur, l’humilité par la mort, comme le Sauveur. Il dormit sur la croix, et de son côté entr’ouvert fut tirée l’Eglise, comme Eve du côté d’Adam. Nous ressusciterons tous, mais ceux-là ressusciteront avec lui qui sont ses amis, qui sont enfantés par l’Eglise au nombre des saints ; car il y a deux peuples dans l’Eglise, comme il y avait dans le sein de Rébecca deux jumeaux, dont l’un seulement était aimé de Dieu. Les fils de ceux qu’on a secoués sont ou les fils des Apôtres qui ont secoué leurs pareils, ou les Apôtres eux-mêmes issus des Prophètes que l’on a secoués pour en montrer les enseignements. Ils sont allés comme des flèches lancées par le Seigneur. L’homme qui les aime parlera sur la porte qui est Jésus-Christ, dont il cherche la gloire.

 

1. Parmi tous les psaumes qui ont pour titre : Cantique des degrés, celui-ci porte en plus : « de Salomon ». Il est en effet intitulé « Cantique des degrés de Salomon ». Ce titre, moins commun que les autres doit nous exciter à chercher pourquoi l’on ajoute « de Salomon ». Il n’est point nécessaire de répéter ce que signifie « cantique des degrés », nous l’avons dit plusieurs fois. C’est un homme qui monte, et dont la voix sur les ailes de la piété et de l’amour, s’élève à cette Jérusalem d’en haut, vers laquelle nous soupirons dans notre exil, et où nous retrouverons la joie quand, après cet exil, nous y serons retournés. C’est là que s’élève quiconque fait des progrès dans la vertu, de là que descendent ceux qui s’attiédissent. Renonce donc à y monter, à en descendre avec tes pieds; aimer Dieu, c’est monter; aimer le monde, c’est descendre. Ce sont donc là les chants de ceux qu’embrase l’amour, qu’embrasent les saints désirs. Ils brûlent d’amour ceux qui les chantent du coeur, et l’on retrouve cette flamme du coeur dans leurs moeurs, dans la sainteté de leur vie, dans leurs oeuvres conformes aux préceptes du Seigneur, dans le mépris des biens temporels, dans l’amour des biens éternels. Mais pourquoi ajouter « de Salomon? » c’est ce que je dois dire à votre charité, autant que le Seigneur m’en donnera la grâce.

2. Salomon était, selon le temps, fils de David : c’était un grand roi, et le Saint-Esprit se servit de lui pour donner de saints préceptes, de salutaires conseils, et beaucoup de ces figures mystérieuses, que renferment les saintes Ecritures. Car, ce même Salomon eut pour les femmes une passion déréglée, et fut réprouvé de Dieu; et il fut tellement victime de cette passion, que ces femmes l’amenèrent à sacrifier aux idoles, comme nous l’atteste l’Ecriture 1. Mais si sa chute effaçait tout ce qui a été dit par lui, on croirait que c’est lui qui l’a dit, et non point que Dieu l’a dicté par sa bouche. C’est donc par une sage inspiration de la divine miséricorde et de l’Esprit-Saint, que l’on attribue à Dieu tout ce qui a été dit de bien par Salomon, et à l’homme, le péché de l’homme. Pourquoi s’étonner que Salomon soit tombé au sein du peuple de Dieu? Adam n’est-il point tombé dans le paradis? L’ange qui s’est fait diable n’est-il point tombé du ciel? Ces exemples nous apprennent à ne mettre en aucun homme notre espérance, puisque ce même Salomon avait bâti au Seigneur un temple 2, qui nous montrait par avance, comme dans

 

1. III Rois, XI, 1.— 2. Id. VI, 1.

 

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un type, la figure de l’Eglise et le corps de Jésus-Christ. De là cette parole de l’Evangile : « Détruisez ce temple de Dieu, et je le rebâtirai en trois jours 1». Comme donc Salomon avait bâti un temple, voilà que se bâtit à lui-même un temple ce même Jésus-Christ, véritable Salomon, véritable roi de paix. Le nom de Salomon signifie en effet pacifique : or, celui-là est véritablement pacifique, dont l’Apôtre a dit : « C’est lui qui est notre paix, qui de deux peuples en a fait un ». Il est le véritable pacifique, celui qui a réuni en lui-même, comme en une pierre angulaire, les deux murailles venant de côté opposé, et le Peuple croyant qui venait de la circoncision, et le peuple croyant aussi qui venait des hommes incirconcis: c’est de ces deux peuples qu’il a fait une seule Eglise, dont il est la pierre angulaire 2, et dès lors le véritable pacifique. C’est lui qui est le vrai Salomon; et cet autre Salomon, fils de David et de Bethsabée 3, ce roi d’Israël, n’était que la figure du véritable pacifique, lorsqu’il bâtissait un temple au Seigneur. Et pour que ta pensée ne s’arrête point sur le Salomon qui éleva un temple, voilà que l’Ecriture te désigne un autre Salomon en commençant ainsi notre psaume : « Si le Seigneur ne bâtit lui-même une maison, c’est en vain que travaillent ceux qui la bâtissent ». C’est donc le Seigneur qui élève la maison, c’est Jésus-Christ Notre-Seigneur qui construit lui-même son temple. Beaucoup se fatiguent à bâtir, mais si le Seigneur ne construit, c’est en vain que travaillent ceux qui construisent. Quels sont ces travailleurs? Ceux qui prêchent dans l’Eglise la parole de Dieu, qui administrent les sacrements. Nous courons tous maintenant, nous travaillons tous, nous édifions tous : d’autres, avant nous, ont couru, ont travaillé, ont édifié ; mais, « si le Seigneur n’élève une maison, c’est en vain que travaillent ceux qui la construisent ». C’est pourquoi, à la vue des fidèles qui tombent, les Apôtres leur disent et surtout saint Paul e Vous observez les jours et les années, les mois et les temps ; je crains fort que je « n’aie travaillé en vain parmi vous 4». Comme il savait par expérience que c’est le Seigneur qui édifie à l’intérieur, il pleurait ces fidèles parce qu’il avait en vain travaillé

 

1. Jean, II, 19. — 2. Ephés. II, 14 - 22. — 3. II Rois, XII, 21. — 4. Gal. IV, 10, 11.

 

parmi eux. C’est donc nous qui parlons au dehors, c’est Dieu qui édifie au dedans. Nous voyons comme vous écoutez, mais Dieu qui seul voit les coeurs, connaît vos pensées. C’est lui qui édifie, lui qui avertit, lui qui effraie lui qui ouvre l’intelligence, lui qui applique notre esprit aux vérités de la foi ; et toutefois nous travaillons comme ouvriers; mais « si le Seigneurs, ne construit une maison, c’est en vain que travaillent ceux qui la bâtissent».

3. Cette maison de Dieu est aussi sa cité, car la maison de Dieu, c’est le peuple de Dieu ; la maison de Dieu, c’est le temple de Dieu, Et que dit l’Apôtre? « Le temple de Dieu est saint, et vous êtes ce temple 1 ». Tous les fidèles composent donc cette maison de Dieu, et non-seulement ceux qui sont aujourd’hui, mais ceux qui ont existé avant nous et qui sont morts, ceux qui viendront après nous, et qui doivent naître parmi les hommes jusqu’à la fin du monde: tous ces fidèles qui forment une multitude innombrable, et que Dieu seul peut compter, selon cette parole de l’Apôtre : « Le Seigneur connaît ceux qui lui appartiennent 2 » ; tous ces grains qui gémissent parmi la paille, et qui ne formeront qu’une seule masse, quand l’aire sera vannée 3; tous ces fidèles sanctifiés qui doivent échanger leur humanité pour devenir les égaux des anges, avec ces anges eux-mêmes, qui ne sont point exilés maintenant, mais qui attendent que nous revenions de notre exil, tous ensemble composent une seule maison de Dieu, une seule cité qui est Jérusalem. Elle a des gardiens: de même qu’elle a des hommes qui la bâtissent, qui s’efforcent de la construire, elle en a pour la garder. C’est en veillant sur elle que l’Apôtre a dit : « Je crains que, comme Eve fut séduite par les artifices du serpent, vos esprits de même ne se corrompent et ne dégénèrent de la chasteté qui est dans le Christ  4». Voilà un gardien qui veillait ; il veillait de tout son pouvoir sur ceux qui lui étaient confiés. Voilà ce que font les évêques, et c’est pour cela qu’ils occupent un lieu plus élevé, afin qu’ils aient l’intendance et comme la garde de leur peuple. Car ce que l’on appelle évêque, en grec, se traduit en latin par sentinelle, parce qu’il veille d’en haut. Il voit d’un

 

1. I Cor. III, 17. —  2.  II Tim. II, 19. — 3. Matth. III, 12. — 4. II Cor. XI, 3.

 

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lieu élevé. De même que le vigneron se bâtit un lieu élevé pour garder sa vigne, ainsi en est-il des évêques. Ils ont un lieu plus élevé, et c’est de cette élévation que nous aurons àrendre un compte sévère, si nous n’y sommes dans la disposition de nous abaisser à vos pieds par l’humilité, et de prier pour vous, afin que Dieu qui connaît vos esprits veuille bien vous garder lui-même. Car nous pouvons bien vous voir entrer et vous voir sortir, mais voir vos pensées nous est si peu possible que nous ne pouvons pas même voir ce que vous faites en vos maisons. Comment dônc sommes-nous vos gardiens? Autant que le peuvent être des hommes, autant que Dieu nous en a rendus capables. Mais parce que l’humaine faiblesse nous empêche de vous garder complètement, serez-vous donc sans gardiens? Loin de là ; car où est Celui dont il est dit : « Si le Seigneur ne garde la cité, inutilement veille celui qui la garde? » Nous nous fatiguons à veiller, et notre travail est vain, si celui qui voit vos pensées ne vous gerde lui-même. C’est lui qui vous garde pendant votre veille, lui qui vous garde encore pendant votre sommeil; lui qui dormit une fois sur la croix, et qui est ressuscité pour ne plus dormir. Soyez donc Israël ; puisqu’il ne dort point, qu’il ne sommeille point, celui qui garde Israël 1, Allons, mes frères! soyons Israël si nous voulons être gardés à l’ombre des ailes de Dieu. Nous vous gardons par le devoir de notre charge, mais nous voulons être gardés avec vous. Nous sommes pasteurs à votre égard, mais brebis avec vous sous le Pasteur suprême. De ce lieu élevé, nous sommes des maîtres à votre égard, mais des disciples avec vous à l’école de ce Maître unique et suprême.

4. Si nous voulons être sous la protection de celui qui s’est humilié pour nous, et qui a été élevé afin de veiller sur nous, soyons humbles à notre tour. Que nul n’ait de présomption, car nul n’a rien de bon qu’il ne l’ait reçu de celui qui seul est bon. Quiconque s’attribue à soi-même la sagesse, est un insensé. Qu’il s’humilie, afin que la sagesse vienne en lui et l’éclaire. Mais s’il se croit sage avant que la sagesse vienne en lui, il se lève avant la lumière et marche dans les ténèbres. Or, que lui dit-on dans notre psaume? « En vain vous vous levez avant l’aurore 2 ».

 

1. Ps. CXX, 4. — 2. Id. CXXV, 2.

 

Qu’est-ce à dire : « C’est chose vaine pour vous que vous lever avant l’aurore? » Vous lever avant que la lumière soit levée, c’est vous mettre dans la nécessité de demeurer dans la vanité, puisque vous serez dans les ténèbres. Voilà que s’est levé le Christ notre lumière et il vous est bon de vous lever avec le Christ, mais non avant le Christ. Quand se lève-t-on avant le Christ, sinon quand on veut se préférer au Christ? Et qui veut se préférer au Christ, sinon l’homme qui veut s’élever quand le Christ s’est humilié ? Qu’ils s’humilient donc maintenant, s’ils veulent s’élever où le Christ s’est élevé ? Car c’est ainsi qu’il parle à propos de ceux qui se sont attachés à lui par la foi, et dès lors à propos de nous, si nous croyons en lui avec un coeur pur : « Mon Père, je veux que ceux que vous m’avez donnés, soient avec moi où je suis moi-même 1 ». O don prodigieux ! grâce admirable ! inestimable promesse, mes frères ! Qui donc ne voudrait être avec le Christ, où est le Christ? Mais il est dans la gloire, et veux-tu donc être dans la gloire avec lui? Sois humble où il fut humble lui-même. C’est pour cela que la Lumière dit à ses disciples : « Le disciple n’est pas au-dessus du maître, ni le serviteur au-dessus de son seigneur 2». Ceux de ses disciples qui voulaient être plus que le maître des serviteurs, qui voulaient être plus que le seigneur, voulaient alors se lever avant la lumière. C’est pour eux que notre psaume a dit : « En vain vous lèverez-vous avant la lumière ». Tels étaient les fils de Zébédée qui, avant de s’humilier comme le Seigneur dans sa passion, choisissaient des places pour s’asseoir l’un à droite, l’autre à gauche. Ils voulaient s’élever avant la lumière, aussi marchaient-ils en vain. Le Seigneur, en les entendant, les rappela dans la voie de l’humilité, et leur dit : « Pouvez-vous boire le calice que je boirai 3? » Je suis venu pour m’humilier, voulez-vous être élevés avant moi? Suivez-moi par où je marche le premier. Car, si vous voulez marcher par une autre voie que la mienne, « c’est en vain que vous vous levez avant la lumière ». Pierre aussi se levait avant la lumière quand il voulait dissuader le Sauveur de souffrir pour nous. Il avait parlé de sa passion qui devait nous sauver, de son humiliation ; car c’est dans son humilité qu’il souffrit ; lorsqu’il

 

1. Jean, XVII, 24. —  2. Matth. X, 24. —  3. Id. XX, 21, 22.

 

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annonça ce qui allait arriver dans sa passion, Pierre tout effrayé, lui qui venait de l’appeler Fils de Dieu, craignit qu’il ne mourût et lui dit: « A Dieu ne plaise, Seigneur, il ne vous arrivera rien de semblable 1». Il voulait se lever avant la lumière, et donner des conseils à la lumière. Mais que fit le Seigneur ? Il le  contraignit à ne se lever qu’après la lumière : « Retire-toi ; arrière, Satan 2». Tu es Satan, parce que tu veux marcher devant moi; « retourne; arrière», c’est à moi de marcher le premier, et à toi de suivre. A toi d’aller où je vais, et non pas à toi de me faire aller où tu voudrais.

5. C’est donc à ceux qui voulaient se lever avant la lumière que notre psaume dit: « Inutile de vous lever avant la lumière ». Quand nous lèverons-nous? Quand vous aurez été humiliés. « Levez-vous après avoir été assis ». Se lever marque l’élévation, s’asseoir l’abaissement. Quelquefois s’asseoir signifie prendre une place d’honneur pour juger, et quelquefois s’humilier. Comment désigne-t-il une place d’honneur pour juger? « Vous serez assis sur douze trônes », dit le Sauveur, « pour juger les douze tribus d’Israël 3 ». Comment s’asseoir est-il un signe d’humilité? « A la sixième heure le Seigneur s’assit sur le puits 4». La fatigue chez le Seigneur était une faiblesse, la faiblesse de la force, la faiblesse de la sagesse; mais la faiblesse est l’humilité. Donc s’asseoir par faiblesse est pour lui un signe d’humilité. C’est parce qu’il s’est assis qu’il a été humble et qu’il nous a sauvés. Car « ce qui est faible en Dieu est plus fort que les hommes 5 ». De là cette parole d’un psaume: « Seigneur, vous savez quand je me suis assis et me suis relevé 6» C’est-à-dire, vous connaissez mon abaissement et mon exaltation. Pourquoi donc, ô fils de Zébédée, vouloir vous lever avant la lumière? Parlons ainsi et appelons-les par leur nom, ils ne s’en offenseront point. Car cette particularité de leur vie a été marquée, afin que les autres évitassent l’orgueil qui les gagnait quelque peu. Pourquoi donc vouloir vous lever avant la lumière? « C’est chose vaine pour vous ». Vous voulez être élevés avant d’avoir été humiliés? Mais votre Seigneur lui-même, qui est votre lumière, ne s’est élevé à la gloire que par les abaissements,

 

1. Matth. XV, 22.— 2. Id. XV, 23.—  3. Id. XIX, 28.— 4. Jean, IV ,6.— 5.  I Cor. I, 25.— 6. Ps. CXXXVIII, 2.

 

Ecoutez saint Paul qui nous dit : « Etant dans la nature de Dieu, il n’a pas cru qu’il y avait usurpation à se dire égal à Dieu ».

Pourquoi n’y avait-il point usurpation pour lui? Parce qu’il l’était par nature, et que sa naissance le faisait égal à celui qui l’engendrait. Mais qu’a-t-il fait? « Il s’est anéanti lui-même à cause de nous, prenant la forme de l’esclave, se rendant semblable aux hommes, et reconnu homme par tout ce qui a paru de lui». Il s’est donc humilié en se rendant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix. Voilà comme il s’est assis. Ecoute comme il s’élève : « C’est pourquoi Dieu l’a élevé, et lui a donné un nom au-dessus de tout nom ». Déjà vous vous hâtez d’accourir à ce nom glorieux. « Levez-vous » donc, mais

« quand vous vous serez assis ». Vous voulez vous lever, commencez par vous asseoir; et c’est en vous relevant de votre humiliation que vous arriverez au royaume. Ravir tout d’abord le royaume, c’est tomber avant le lever. « Pouvez vous boire le calice que je boirai moi-même », dit le Sauveur? « Nous le pouvons », répondent les disciples. Et le Sauveur : «Vous boirez à la vérité mon calice, mais une place à ma droite ou à ma gauche, il n’est pas en mon pouvoir de vous la donner, elle appartient à ceux à qui mon Père l’a préparée 2 ». Qu’est-ce à dire: « Il n’est pas en mon pouvoir de vous la donner ? » Il ne m’appartient pas de la donner à des orgueilleux; car voilà ce qu’ils étaient encore. Mais si vous voulez recevoir, ne soyez plus ce que vous êtes. « Elle est préparée pour d’autres »; soyez autres, et elle sera préparée pour vous. Comment: Soyez

autres ? Commencez par vous humilier, vous qui voulez être élevés. Ils comprirent que l’humilité leur serait avantageuse, et ils se corrigèrent. Ecoutons donc à notre tour ce que nous dit le psaume : « Levez-vous après vous être assis ».

6. Pour nous empêcher de croire que « s’asseoir » est pris ici dans un sens d’honneur, et nous persuader que cette expression n’a ici d’autre signification que l’abaissement; pour nous convaincre que ce n’est péint là une injonction de s’asseoir pour juger, ou pour être à table et se réjouir, ce qui fournirait une occasion d’orgueil, le Prophète nous montre qu’il s’agit d’humilité, quand il dit:

 

1. Philipp. II, 8-9. — 2. Matth. XX, 22, 23.

 

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 « Vous qui mangez un pain de douleur». Mais ceux-là mangent un pain de douleur, qui gémissent dans cet exil, qui sont dans la vallée des pleurs. Or, Dieu a fait des ascensions dans notre coeur. Où a-t-il disposé ses ascensions? « Dans notre cœur1 », dit le Psalmiste? Qui les a disposées? Dieu. C’est pourquoi ceux-là chantent les cantiques des degrés, qui ont des ascensions dans le coeur. Humilions-nous en cette vie et montons. Comment monter? Par le coeur. C’est le coeur qui monte, qui s’élève de la vallée des larmes. Oui, de la vallée des larmes, est-il dit. De même que les montagnes s’élèvent, les vallées s’abaissent; car ou appelle vallées les lieux bas de la terre, les collines sont des lieux plus élevés, moins toutefois que les montagnes, car on appelle ainsi les points les plus élevés de la terre. C’est peu encore ; le Prophète ne dit point: Elevez-vous d’une colline; ni : Elevez-vous d’une campagne; mais bien, du fond d’une vallée, pour exprimer quelque chose de plus bas encore qu’une campagne, Si donc c’est dans la vallée des larmes que tu manges un pain de douleur en disant : « Mes larmes sont pour moi un pain le jour et la nuit, pendant qu’on me dit tous les jours : Où est ton Dieu 2? » tu as raison de te lever, puisque tu as été assis.

7. Et comme si nous demandions : Quand nous lèverons nous? on nous commande maintenant de nous asseoir; car la résurrection sera pour nous comme elle a été pour le Seigneur. Quand vint celle du Seigneur? Regarde bien celui qui t’a précédé. Car si tu n’as les yeux sur lui ,c’est en vainque tu te lèves avant la lumière. Quand donc a-t-il été élevé? Après sa mort. De même donc, n’espère ton élévation qu’après ta mort, ne mets ton espérance qu’après la résurrection des morts, puisque le Christ est ressuscité et monté au ciel. Mais où donc a-t-il dormi? Sur la croix. Quand il dormait sur la croix, il était une figure, ou plutôt il accomplissait ce qui avait été figuré en Adam. Car ce fut quand Adam dormait que Dieu lui tira une côte dont il fit Eve 3 de même, pendant que le Seigneur dormait sur la croix, une lance lui ouvrit le côté 4, et il en découla les sacrements dont l‘Eglise est formée, Car l’Eglise est pour le Seigneur une épouse tirée de son côté, comme Eve fut tirée du côté d’Adam. Mais de même que la première ne

 

1. Ps. LXXXIII, 6,7.— 2. Id. XLI, 4. — 3. Gen. II, 21,22.— 4. Jean, XIX, 31.

 

fut tirée d’Adam que pendant son sommeil, la seconde ne fut tirée du flanc du Christ qu’après sa mort. Si donc il ne peut ressusciter sans avoir passé par la mort, voudrais-tu donc être élevé en gloire sinon après cette vie? Que ce psaume donc te donne une leçon, et comme si tu demandais: Quand ressusciterai-je? Sera ce avant de m’être assis? « Ce sera», nous dit-il, «quand il aura envoyé le sommeil â ses bien-aimés ». Dieu nous fera donc cette faveur quand ses bien-aimés, ou ceux du Christ, ressusciteront. Tous se lèveront en effet, mais tous ne se lèveront pas comme ses bien-aimés. Tous doivent ressusciter; maisque vous dit l’Apôtre? « Nous ressusciterons tous à la vérité, mais nous ne serons pas tous changés 1 ». Les uns ressuscitent pour le supplice , tandis que nous ressuscitons comme Notre-Seigneur est ressuscité, afin de suivre notre chef si nous sommes véritablement ses membres. Mais si nous sommes ses membres,nous sommes alors ses bien aimés, et alors nous aurons part à cette résurrection qui a d’abord paru dans le Fils de Dieu. La lumière s’est levée avant nous, et nous nous lèverons après elle ; car c’est vainement que nous nous lèverions avant le jour, que nous chercherions la grandeur avant la mort. puisque le Christ, notre lumière, n’a été qu’après sa mort glorifié dans sa chair. Etant donc devenus ses membres, et parmi ses membres, ceux qu’il aime, quand nous aurons pris notre sommeil, alors nous nous lèverons par la résurrection des morts. Lui seul est ressuscité pour ne plus mourir. Lazare ressuscita 2, mais pour mourir de nouveau ; la fille du chef de la synagogue ressuscita 3, mais pour mourir ; le fils de la veuve ressuscita 4, mais Polir mourir ; le Christ est ressuscité pour ne plus mourir. Ecoute l’Apôtre : « Jésus-Christ ressuscitant d’entre les morts ne meurt plus, la mort n’a plus d’empire sur lui 5». Espère une semblable résurrection, et sois chrétien dans ce seul but, mais non pour le bonheur de cette vie. Car si tu es chrétien seulement pour le bonheur de cette vie, tandis que delui qui est ta lumière n’a point cherché ce bonheur, tu prétends te lever avant la lumière, et tu demeureras nécessairement dans les ténèbres. Change donc tes pensées, suis ta lumière; lève-toi, parce qu’elle s’est levée;

 

1. I Cor. XV, 51.— 2. Jean, XI, 41 . — 3. Matth. IX, 25.  — 4. Luc, VII, 15. — 5. Rom. VI, 19.

 

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mais assieds-toi d’abord, tu te lèveras ensuite, « quand le Seigneur aura donné le sommeil à ses bien-aimés ».

8. Comme si tu demandais à quel bien-aimé? « voilà », dit le Prophète, « que des enfants sont l’héritage du Seigneur, le fruit des entrailles aura sa récompense 1 ». Quand il dit « Le fruit des entrailles », il entend des fils enfantés avec douleur. Il est une femme en qui s’accomplit spirituellement ce qui est dit à Eve : « Tu enfanteras dans les gémissements 2 ». L’Eglise, qui est l’épouse du Christ, lui donne des enfants, et pour elle, enfanter, c’est enfanter dans la douleur. C’est pour cela que Eve a reçu le nom figuratif de « mère des vivants 3», Il était parmi les membres de celle qui enfante, celui qui disait « Mes petits enfants, que je mets au monde une seconde fois, jusqu’à ce que le Christ soit formé en vous 4 ». Mais ce n’est point en vain qu’elle enfante et qu’elle souffre, elle verra la lignée des saints à la résurrection, elle verra les justes répandus aujourd’hui dans l’univers entier. Elle les forme par ces gémissements, les enfante par ses douleurs; mais à la résurrection des morts on verra ces enfantements de l’Eglise, et il n’y aura plus ni douleurs ni gémissements. Et que dira-t-on alors? « Des enfants, tel est l’héritage du Seigneur, et la récompense sera pour le fruit des entrailles ». C’est le fruit qui aura la récompense, et non pas qui sera la récompense 5. Quelle est cette récompense? De ressusciter d’entre les morts. Quelle est cette récompense? De se lever après s’être assis. Quelle est cette récompense ? De goûter la joie après avoir mangé le pain de la douleur. Le fruit de quelles entrailles? De l’Eglise; c’est dans ces entrailles de l’Eglise que l’on voit ce qui arriva jadis en figure à Rébecca, deux jumeaux ou deux peuples en lutte 6. Le sein d’une seule mère renfermait deux frères qui se faisaient la guerre avant de naître : ils agitaient par leurs discordes imitestines les entrailles maternelles ; et leur mère gémissait et souffrait violence; mais en les mettant au monde, elle fit un discernement entre les jumeaux qu’elle avait portés. Ainsi, mes frères, en est-il aujourd’hui de l’Eglise qui est dans les gémissements pendant qu’elle enfante; elle porte dans son sein les bons et

 

1. Ps. CXXVI, 3.— 2. Gen. III, 16.— 3. Id. 20. — 4. Gal. IV, 19.— 5. Grec, tou karpou . — 6. Gen, XXV, 22, 23.

 

les méchants. Le fruit des entrailles, pour Rébecca, fut Jacob qu’elle aima. « J’ai aimé Jacob », dit le Seigneur, « et haï Esaü 1»

Tous deux étaient sortis du même sein : l’un mérite d’être aimé, l’autre d’être rejeté. C’est ainsi que le fruit sera pour les bien-aimés; que la récompense sera pour le fruit des entrailles.

9. « Comme les flèches dans la main d’un homme puissant, ainsi seront les enfants de Dieu qu’on aura secoués 2 ». D’où est venu en effet, mes frères, ce grand héritage? D’où est venue cette postérité si nombreuse, dont le psaume vient de nous dire : « Des enfants, c’est un héritage qui vient du Seigneur; la récompense sera pour le fruit des entrailles? »

Comme on lance des flèches, le Seigneur a lancé quelques hommes de sa main puissante, et ils sont allés au loin, et ont rempli toute la terre, où germent les saints en grand nombre. Tel est en effet l’héritage dont il est dit : « Demande-moi, et je te donnerai les nations de la terre pour ton héritage, et les confins de la terre pour ton empire 3 ».

Comment cette possession peut-elle s’étendre et s’accroître jusqu’aux confins de la terre? C’est que, « comme sont les flèches dans la main d’un puissant, tels sont les fils de ceux qu’on a lancés ». On lance des flèches avec un arc; plus est grande la force qui lance, et plus la flèche va loin. Or, quelle force est plus grande que celle de Dieu, lequel lance les flèches? C’est de son arc qu’il lance les Apôtres et il n’est pas demeuré un coin de terre où n’ait pénétré la flèche lancée par un tel bras, elle est arrivée aux derniers confins du monde. Elle n’a pas été plus avant, parce que l’homme n’était point au delà. Telle est en effet la force de Dieu, que s’il y avait au-delà du monde quelque endroit où sa flèche pût pénétrer, il y jetterait une flèche. Or, les fils de ceux qu’il a lancés ressemblent à leurs pères. Quelques auteurs qui ont expliqué les psaumes avant nous, se sont demandé, à propos de cette expression : Pourquoi dire les fils de ceux qu’on a lancés, ou que doit-on entendre par ces fils de ceux qu’on a lancés ; et plusieurs ont vu dans les fils de ceux qu’on a lances les fils des Apôtres, comme je viens de le dire.

10. Que votre charité veuille bien m’écouter encore un peu. On a demandé comment

 

1. Malach. I, 2, 3; Rom. IX, 13.— 2. Ps. CXXVI, 4.—. 3. Id. II, 8.

 

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les Apôtres sont des hommes secoués , et quelques-uns répondent qu’ils sont ainsi appelés, parce que le Seigneur leur fit cette injonction : « Si vous sortez d’une ville qui ne vous aura point écoutés, secouez la poussière de vos pieds 1 ». Mais, dit un autre, on aurait dû les appeler fils de ceux qui secouent, et non fils de ceux qui sont secoués. Car en leur disant: Secouez la poussière de vos pieds, le Seigneur nous montre que les Apôtres secouaient plus qu’ils n’étaient secoués. Celui qui a traité ce passage et parlé de la sorte, a mis trop de subtilité à le mettre en contradiction avec le mot de l’Evangile. Pour nous, en examinant, autant que le Seigneur nous en a donné la force, comment l’on peut dire qu’ils sont secoués ces hommes à qui le Seigneur a dit: « Secouez la poussière de vos pieds » ; nous croyons qu’on peut le faire sans absurdité. Bien qu’ils secouassent leurs pieds, ils se secouaient eux-mêmes. Voyez en effet : celui qui secoue, se secoue lui-même, ou bien secoue autre chose; s’il secoue autre chose, il fait l’action de secouer sans être lui-même secoué; qu’un autre le secoue, il est secoué sans secouer; mais qu’il vienne à se secouer lui-même, il secoue, puisqu’il en fait l’action sur lui-même; il est secoué, puisque lui-même se secoue. Mais qui donc, dira-t-on, a été secoué par les Apôtres? Eux-mêmes; puisqu’ils ont secoué la poussière de leurs pieds. Mais ce n’est point eux-mêmes qu’ils ont secoués, c’est la poussière, dira-t-on. C’est là une supercherie, Secouer quelque chose se dit en effet de deux manières: ou de l’objet secoué, ou de ce que l’on en a fait sortir. On dit en effet, secouer la poussière, et secouer un manteau. Voilà un homme qui tient son manteau, qui le secoue, et il en sort une poussière qu’il contenait. Que diras-tu de cette poussière? qu’on l’a secouée. Que diras-tu du manteau? qu’on l’a secoué. Si donc l’on désigne par l’expression secoué, et ce que l’on fait sortir d’un manteau en le secouant, et ce manteau d’où on le fait sortir, alors la poussière a été secouée, et les Apôtres ont été secoués. Pourquoi donc les fils des Apôtres ne s’appelleraient ils pas les fils de ceux qu’on a secoués?

11. Mais il est un autre sens que je ne dois point passer sous silence. Dieu a permis des passages obscurs, afin qu’ils donnent lieu à

 

1. Matth. X, 14.

 

plusieurs explications, afin que les hommes en soient plus instruits, puisqu’ils trouvent expliqué en plusieurs manières un passage obscur, qui ne l’eût été que d’une seule, s’il eût été clair. Nous disons que l’on secoue une chose pour en faire sortir ce qui

pourrait y être caché. Il y a une différence entre secouer une robe, afin d’en faire sortir la poussière, et secouer un sac pour en faire sortir ce qu’il renferme. Autant que je le puis, j’entends donc par les fils de ceux qui ont été secoués, les Apôtres eux-mêmes, qui sont les fils des Prophètes. Car les Prophètes tenaient renfermés bien des mystères, et ils ont été secoués, afin que tout ce qui était caché dans leurs écrits fût mis au grand jour. Ainsi, par exemple, voilà un Prophète qui a dit : « Le boeuf connaît son maître, l’âne l’étable de son Seigneur, et Israël ne m’a point connu 1 ». Je cite cette parole du Prophète, parce qu’elle me vient maintenant à l’esprit; il m’en viendrait une autre, que je la citerais également. Qu’un homme, entendant cette parole, arrête sa pensée sur l’âne, sur le boeuf, sur les animaux qu’il a sous les yeux; le voilà qui touche au dehors une écorce renfermant quelque mystère, tuais il ne sait ce qu’elle contient. L’âne et le boeuf ont un sens caché. Que dit-on à celui qui se prononcerait d’une manière trop hâtive? Attends, il y a là quelque mystère, secoue l’enveloppe; le Prophète s’en est servi pour voiler sa pensée; et il veut parler de tout autre âne, de tout autre boeuf. En effet, l’âne est ici la figure du peuple de Dieu, de la monture du Seigneur, portant ce Dieu qui le guide, afin qu’il ne s’égare pas en chemin; et le boeuf est celui dont l’Apôtre a dit : « Tu ne lieras point la bouche au boeuf qui foule le grain ». Dieu se met-il en peine des boeufs 2? a dit le même Apôtre. C’est pour nous que l’Ecriture parle ainsi. Quiconque, en effet, prêche la parole de Dieu, avertit, effraie, stimule; c’est là fouler le grain, faire dans l’Eglise comme le boeuf dans l’aire. Le boeuf venait du peuple juif, d’où sont sortis les Apôtres qui ont prêché l’Evangile : l’âne, du peuple incirconcis, ou des Gentils. Car il est venu pour porter le Seigneur; et si le Seigneur a voulu s’asseoir sur un âne qui n’avait porté nul autre homme, c’est parce que ni la loi ni les Prophètes n’avaient été envoyés aux Gentils. Donc parce

 

1. Isa, I, 3. — 2. I Cor. IX, 9, 10.

 

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que Notre-Seigneur Jésus-Christ a voulu être pour nous une nourriture, et qu’à sa naissance il fut mis dans une crèche : « Le boeuf connaît son maître, et l’âne l’étable de son possesseur ». Mais comment trouver un tel sens, sinon en secouant l’enveloppe? Si l’on n’agitait avec soin ces prophéties, pourrait-on en découvrir les mystères? Le Seigneur est donc venu pour secouer ces énigmes, pour nous en montrer le sens; il a secoué les Prophètes qui ont engendré les Apôtres; et parce que les Apôtres sont issus des Prophètes qui étaient secoués, oit les appelle fils de ceux que l’on a secoués. Placés comme des flèches dans la main d’un homme puissant, ils sont arrivés jusqu’aux confins de la terre. De là cette Parole à la fin des temps : « Des enfants, voilà l’héritage du Seigneur, la récompense sera pour le fruit des entrailles». Et comme cet héritage est recueilli de tous les confins de la terre, comme les enfants de ceux que l’on a secoués ressemblent à des flèches dans la main d’un homme puissant, les fils des Prophètes, ou les Apôtres, ont été comme des flèches dans la main de Dieu. S’il est puissant, il secoue avec force; s’il secoue avec force, il envoie jusqu’aux confins de la terre ceux qu’il lui plaît de lancer.

12. « Bienheureux l’homme qui, par eux, remplit ses désirs 1 ». Quel est, mes frères, cet homme qui remplit ainsi ses désirs ? Celui qui n’alune point le monde. Quiconque est absorbé par l’amour du monde, ne trouve aucune place pour la parole de ces prédicateurs. Répands ce qui t’absorbe, et tu deviendras capable de recevoir ce qui te manque. C’est-à-dire, est-ce la richesse que tu convoites? Tu ne pourras, par eux, remplir tes désirs. Tu veux les honneurs sur la terre, tu veux même ce que Dieu a donné aux bestiaux, c’est-à-dire le plaisir qui passe, la santé du corps, et autres biens semblables; par eux tu ne combleras point tes désirs. Mais situ as des désirs, comme ceux du cerf altéré qui brame après l’eau des fontaines 2; si tu dis, toi aussi: « Mon âme aspire après les parvis du Seigneur, elle languit de désir 3»; ton désir sera comblé, non que ces mêmes saints puissent dès aujourd’hui rassasier ta soif, mais en suivant leurs traces, tu arriveras à celui qui a comblé leurs désirs.

13. « Il ne sera point confondu quand il

 

1. Ps. CXXVI, 5. — 2. Id. LI, 2. — 3. Id. LXXXIII, 3.

 

parlera à ses ennemis à la porte 1 ». Mes frères, parlons à la porte, c’est-à-dire, que tous comprennent nos paroles. Quiconque ne veut point parler à la porte, veut cacher sa parole, et souvent la veut cacher parce qu’elle est mauvaise. S’il a confiance dans ce qu’il dit, qu’il le dise à la porte; ainsi qu’il est écrit de la Sagesse : « Elle parle hardiment aux portes de la cité 2». Tant que des hommes innocents conservent la justice, ils ne craignent point de parler; c’est là parler à la porte, publiquement. Or, qui est-ce qui prêche à la porte? Celui qui prêche en Jésus-Christ, puisque le Christ est la porte par laquelle nous entrons dans la cité. Qu’on m’accuse de mensonge, s’il n’a pas dit : « Je suis l’entrée 3 ». Si donc il est l’entrée, il est la porte. Car l’entrée se dit d’une maison, et l’entrée d’une cité en est la porte, comme l’entrée d’une maison en est la porte. A moins peut-être que le mot porte ne soit impropre, et que l’on ne puisse pas appeler ville ce qui est appelé aussi une maison. Mais nous avons employé ces deux termes tout à l’heure : « Si le Seigneur ne construit une maison, c’est en vain que travaillent ceux qui la construisent » ; et pour que tu ne regardes pas cette maison comme peu importante, le Prophète ajoute: « Si le Seigneur ne garde une cité, c’est en vain que veilleront ses gardiens ». Donc la maison est encore la cité. Comme maison elle a donc une entrée; et une porte comme cité. Celui-là dès lors est la porte de la cité, qui est l’entrée de la maison. Donc, si le Christ est la porte de la cité, celui qui demeure ferme en Jésus-Christ, et qui ensuite parle aux hommes, n’a point à rougir; quant à l’homme qui parle contre le Christ, la porte lui est fermée. Quels sont les hommes qui prêchent contre le Christ? Ceux qui nient que le Tout-Puissant ait lancé ses flèches, et qu’elles soient arrivées jusqu’aux confins de la terre; et que l’héritage du Seigneur soit celui dont il est dit : « Demande-moi et je te donnerai les nations pour héritage, et les confins de la terre pour ta possession 4 ». Voilà ce qui a été prêché, entendu avant l’événement, et quand il est accompli on ne veut point le reconnaître. Ceux qui disputent contre le Christ sont hors de la porte, parce qu’ils recherchent les honneurs pour eux, non pour le Christ. Mais l’homme qui prêche à la porte

 

1. Ps. CXXVI, 5. — 2. Prov. VIII, 3. — 3. Jean, X, 9. —  4. Ps. II,  8.

 

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cherche la gloire du Christ, et non sa propre gloire ; aussi celui qui prêche à la porte dit-il : Gardez-vous de compter sur moi, car ce n’est point par moi, mais par la porte qu’il vous faut entrer. Quant à ceux qui veulent s’attirer la confiance des hommes, ils ne veulent point entrer par la porte, et rien d’étonnant dès lors que cette porte leur soit fermée, et qu’ils frappent en vain pour se la faire ouvrir. Renouvelez donc votre ferveur, mes frères, pour entendre demain le discours que je vous ai promis avec le secours de Dieu au sujet de l’Evangile qui parle de la colombe. Celui au nom duquel je vous l’ai promis, m’assistera de sa grâce, afin que je puisse m’acquitter. Mais. pour que je dégage ma parole d’une manière utile, et que je n’aie pas été téméraire, priez pour moi.

DISCOURS SUR LE PSAUME CXXVII.
SERMON AU PEUPLE, PRÊCHÉ LE JOUR DE SAINT FÉLIX, MARTYRISÉ A TUNIS, NON LOIN D’HIPPONE.
LES BIENS SPIRITUELS.
 

Les biens que promet notre psaume paraissent des biens temporels, et sont souvent le partage des impies. Toutefois, si ces biens étaient véritablement temporels et qu’on les prêchât comme la récompense du fidèle, ils nous feraient perdre l’amour des biens éternels. Ce psaume est donc une allégorie. L’homme béni, c’est le Christ dont nous sommes les membres ; ces biens sont ceux de la Jérusalem céleste, réservés à ceux qui sont au Christ. Le bonheur de cette vie n’est donc point un bonheur véritable, de même que les douleurs des martyrs n’étaient point sans espérance, et ils ne méprisaient le présent qu’en vue de l’avenir.

Ecoutons donc le psaume avec une crainte chaste, c’est-à-dire avec cette crainte peu soucieuse du mal temporel, mais qui commence par redouter les châtiments éternels, s’habitue à éviter le péché et à pratiquer le bien par amour pour l’éternité ; c’est la crainte de l’épouse chaste qui craint que l’époux ne vienne point, opposée à la crainte de l’épouse adultère qui craint d’être surprise. Or l’époux, qui est beau seulement aux yeux du coeur, est absent, et si nous désirons qu’il vienne pour nous juger, notre crainte est chaste. Que Dieu nous assure le bonheur temporel à condition que nous ne verrons point sa face, si nous tremblons, notre crainte est déjà chaste.

Bienheureux ceux qui craignent le Seigneur, ou le Christ dont nous sommes les membres. Nous mangerons les travaux de nos fruits ; c’est-à-dire, en travaillant pour recueillir le fruit qui est la vie éternelle, nous trouverons une nourriture dans l’espérance. C’est un pain de douleur, mais qui n’est pas sans délices. L’épouse féconde c’est l’Eglise, et les parois de la maison ceux qui s’attachent au Christ. Ce fut du côté d’Adam, que fut tirée Eve, comme l’Eglise du côté du Christ. Elle est féconde dans ceux qui s’attachent au Christ, et qui sont comme sou épouse, comme sa mère, tandis qu’il a, dans ceux que l’Eglise enfante, comme des frères et des soeurs Ces fils seront comme des oliviers, ou pacifiques. Voilà les bénédictions, mais de Sion; quant aux biens temporels, Dieu les donne aussi aux animaux ces biens ne sont pas en quelque sorte, puisqu’ils ne demeurent point. Nous les verrons de l’oeil de l’âme, qui voit même séparée du corps. Ces biens s’acquièrent par la patience dans la persécution, et se résument dans la paix de la véritable Jérusalem.

 

1. Voici, mes bien-aimés, une parole de l’Apôtre : « Nous communiquons les biens spirituels aux hommes qui vivent selon  l’Esprit; mais l’homme animal ne comprend point les choses qui sont selon l’esprit de Dieu 1 » ; cette parole nous fait craindre que ceux qu’il appelle ainsi, et qui ne comprennent point ce qui vient de l’esprit de Dieu, ne soient scandalisés plutôt qu’édifiés par notre psaume. Quoique nous l’ayons déjà entendu quand on le chantait, je veux néanmoins, comme il est court, le lire en courant et sans

 

1. I Cor. II, 13, 14.

 

m’y arrêter pour l’expliquer. Voyez bien ce qu’il contient. Si un homme souhaitait comme un grand bonheur les biens dont il est parlé dans ce psaume, et que le Seigneur les lui refusât, non par abandon, mais par un plus grand amour pour lui; et ces mérites biens que notre psaume promet comme la récompense de ceux qui aiment le Seigneur, s’il les voyait en abondance entre les mains de ceux qui ne le craignent pas, ses pieds alors chancelleraient, sa marche serait peu assurée, et il dirait dans son âme qu’en vain il a craint le Seigneur, puisqu’il n’a pas mérité d’obtenir (69) ces biens promis à ceux qui le craignent; tandis que ceux-là les obtiennent, qui non-seulement ne le craignent point, mais le déshonorent par leurs blasphèmes. Ecoutez ce que dit le psaume « Bienheureux ceux qui craignent le Seigneur, qui marchent dans sa voie : tu mangeras les travaux de tes fruits, tu seras heureux et comblé de tous biens 1 ». Quoique nous soyons charnels, nous pouvons encore ne voir dans ces paroles que des biens célestes; mais voyons la suite : « Ta femme sera dans ta maison comme une vigne féconde, tes enfants comme de jeunes oliviers environnant ta table. Ainsi sera béni l’homme qui craint le Seigneur 2 ». Comment sera-t-il béni? Parce que sa femme sera dans sa maison comme une vigne féconde, et que ses enfants seront autour de sa table comme des oliviers nouvellement plantés. Mais perdront-ils donc leur récompense, ceux qui ont renoncé aux épousailles à cause de Dieu? Un homme qui a renoncé au mariage s’est dit : Dieu aura pour moi d’autres bénédictions. Point du tout, ou bien il le bénira comme le dit notre psaume, ou ne te bénira aucunement; car la décision est formelle : « C’est ainsi que sera béni l’homme qui craint le Seigneur ».

2. Quel est donc, mes frères, le sens de ces promesses? de peur qu’en recherchant un bonheur temporel et terrestre, nous ne perdions celui du ciel. Le Prophète recouvre sa pensée d’un voile, et ce voile renferme je ne sais quoi. Or, votre charité se souvient qu’en exposant le psaume qui précède immédiatement celui-ci, nous avons rencontré un verset où il est dit : « Comme des flèches dans la main d’un puissant, ainsi les enfants de ceux qu’on a secoués 3»,et qu’en cherchant quels pouvaient être ces enfants des secoués, il nous a paru, d’après l’inspiration de Dieu, je le crois, que ces fils des secoués étaient les Apôtres fils des Prophètes. Ces prophètes en effet nous ont parlé en énigmes, et ont voilé leurs pensées de figures mystérieuses, qui en sont comme l’enveloppe; et les hommes n’en peuvent pénétrer le sens à moins de secouer ces voiles ; de là vient que ce nom « fils des secoués », a été donné aux Apôtres, qui ont tiré leur avantage des Prophètes qu’ils secouaient. Donc nous aussi, secouons notre psaume, de peur que, trompés par les

 

1. Ps. CXXVII, 1, 2.—  2. Id. 3, 4.— 3. Id. CXXVI, 4.

 

apparences, et en touchant sans le voir ce qu’elles recouvrent, nous ne prenions du bois pour de l’or, ou un vase de terre pnur de l’argent. Secouons donc, s’il plaît à votre charité; Dieu nous viendra en aide, nous découvrira ce qui est à l’intérieur; faisons-le d’atitant plus, mes frères, que nous célébrons une fête des martyrs. Quelles n’ont pas été les douleurs des martyrs, leurs tourments, leurs afflictions; quelles prisons infectes, quelles chaînes pesantes; combien de bêtes féroces, de flammes ardentes, d’atroces injures! Eussent-ils enduré tout cela, s’ils n’eussent vu ce je ne sais quel but où ils tendaient, et qui n’a rien de commun avec la félicité d’ici-bas? Or, il serait honteux pour nous de célébrer la fête des martyrs, de ces serviteurs de Dieu qui ont méprisé ce bas monde pour le bonheur éternel, et de prendre dans le sens d’une félicité temporelle ce que dit notre psaume, et de dire en voyant un fidèle serviteur de Dieu, un citoyen de la Jérusalem céleste engagé dans le mariage, mais sans avoir d’enfants: C’est là un homme qui ne craint pas le Seigneur, car s’il craignait Dieu, son épouse serait dans sa maison comme une vigne féconde, elle ne serait point stérile au point de n’en avoir aucun ; si cet homme craignait Dieu, ses enfants environneraient sa table comme de jeunes oliviers. Tenir ce langage, ce serait être charnel, et ne pas comprendre ce qui vient de l’Esprit de Dieu; secouons donc à notre tour, afin de devenir les enfants de ceux que l’en a secoués. Si nous y arrivons, nous serons comme des flèches dans la main d’un puissant ; et par ses préceptes il nous lancera dans le coeur des hommes qui ne l’aiment point encore, afin que, blessés de la parole de Dieu, ils commencent à l’aimer. Car si nous en venions àleur prêcher : Mes frères, mes enfants, craignez le Seigneur, afin d’avoir des fils et des petits-fils, et de mettre ainsi la joie dans vos maisons, nos flèches ne les blesseraient point de l’amour de la Jérusalem éternelle; ils demeureraient dans l’attachement aux biens terrestres, et à la vue de l’abondance des impies, ils nous diraient, sinon ouvertement, du moins dans leur intérieur : Pourquoi donc la maison de l’homme qui ne craint pas le Seigneur, est-elle pleine d’enfants? Quelqu’un lui dira peut-être : Tu ne sais pas encore ce qui peut lui arriver; que dirais-tu,

 

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s’il les perdait l’un après l’autre, parce qu’il ne craint pas le Seigneur, et s’il n’avait un si grand nombre d’enfants que pour ressentir de leur perte une douleur plus vive? Mais à ce propos, il pourrait répliquer : Je connais un homme impie, un païen, un sacrilège, un idolâtre (et peut-être qu’il dirait vrai, qu’il n’en connaît pas un, mais deux, mais trois), et cet homme est mort dans une grande vieillesse, dans la décrépitude, et dans son lit, et une foule d’enfants et de petits-enfants le conduisaient au tombeau. Voilà un homme qui ne craignait point le Seigneur, et une postérité nombreuse lui fermait les yeux. Que répondre à cela? Il ne peut plus arriver aucun malheur à cet homme, il ne saurait vivre et conduire ses enfants au tombeau, puisqu’il est mort, et que ses enfants lui ont fait de glorieuses funérailles.

3. Secouons donc, secouons encore, si nous voulons être les fils de ceux qu’on a secoués. Qu’il sorte quelque chose de ces voiles. Il est en effet un homme béni, comme le dit le Prophète; et nul ne craint le Seigneur s’il n’est membre de cet homme; et ce sont plusieurs hommes qui n’en forment qu’un seul, comme il y a plusieurs chrétiens en un seul Christ. Or, les chrétiens avec leur chef qui est monté aux cieux, ne forment qu’un seul Christ. Il n’est point seul, et nous plusieurs; mais quoique plusieurs, nous sommes un en lui seul. Jésus-Christ donc n’est qu’un seul homme comprenant la tête et les membres. Qu’est-ce que son corps? Son Eglise, d’après cette parole de l’Apôtre « Nous sommes les membres de son corps 1»; et aussi : « Vous êtes le corps de Jésus Christ, ainsi que ses membres 2 ». Comprenons donc ici la voix de cet homme, dans le corps duquel nous sommes un seul homme, et nous y verrons les biens de la Jérusalem céleste, comme il est dit à ta fin du psaume « Puisses-tu voir les biens de Jérusalem ! » Car si nous regardons ces biens d’un oeil terrestre, comme le grand nombre des enfants et des petits-enfants, la fécondité d’une épouse, tels ne sont pas les biens de cette Jérusalem; ces biens sont dans la terre des mourants, tandis que l’autre terre est celte des vivants. Ce n’est donc pas un bien pour toi, d’avoir des fils qui doivent mourir, sinon avant toi, certainement après toi. Veux-tu avoir des

 

1. Ephés. V, 30. — 2. I Cor. XII, 27.

 

enfants qui ne mourront point, qui vivront toujours avec toi? Sois dans le corps de celui dont il est dit : « Vous êtes le corps du Christ et ses propres membres.

4. C’est pour cela que notre psaume, d’ailleurs si obscur qu’il faut heurter à la porte, si voilé qu’il faut le secouer, commence au pluriel: « Bienheureux ceux qui craignent le Seigneur, qui marchent dans ses voies 1 ». Il parle tout d’abord à plusieurs; mais parce qu’ils ne sont qu’un en Jésus-Christ, il continue au singulier : « Tu mangeras les travaux de tes fruits ». Il avait dit plus haut: « Bienheureux ceux qui craignent le Seigneur, qui marchent dans ses voies » ; maintenant, pourquoi dit-il :  « Tu mangeras les travaux de tes fruits », et non, vous mangerez ? Et pourquoi « les travaux de tes fruits », et non, les travaux de vos fruits?A-t-il donc sitôt oublié qu’il vient de parler au pluriel? Mais si tu as secoué celte écorce, que répond le Prophète? Quand je nomme plusieurs chrétiens, je n’entends qu’un seul homme en Jésus-Christ. Vous êtes donc plusieurs, et vous n’êtes qu’un seul. Comment sommes-nous plusieurs, et néanmoins un seul? Parce que nous sommes unis à Celui dont nous sommes les membres, et que notre tête est dans le ciel, afin que ses membres suivent.

5. Que le Prophète nous décrive donc maintenant, puisque nous connaissons celui qu’il va décrire. Tout le reste s’éclaircira : seulement craignez le Seigneur et marchez dans ses voies ; ne soyez point jaloux de tout homme qui, sans marcher dans les mêmes voies, jouit d’une félicité malheureuse. Car les hommes du monde sont heureux pour leur malheur ; tandis que les martyrs souffraient pour leur bonheur. Leur douleur n’était que pour un temps, leur bonheur pour l’éternité, et lors même qu’ils étaient malheureux pour un temps, on les croyait plus malheureux encore qu’ils ne l’étaient réellement. Que dit en effet l’Apôtre? « Nous paraissons tristes, et nous sommes toujours dans la joie 2 ». Pourquoi « toujours? » En cette vie et en l’autre; oui, en cette vie et eu l’autre. D’où vient en effet notre joie ici-bas? de l’espérance. D’où nous viendra-t-elle en l’autre vie? de la réalité. C’est une grande joie que l’espérance d’un homme qui est dans la joie. Mais si e nous nous réjouissons dans

 

1. Ps. CXXVII, 1. — 2. II Cor, VI, 10.

 

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la joie », voyez ce qui suit : « Patients dans la tribulation 1 ». Les martyrs étaient donc dans la tribulation, parce qu’ils se réjouissaient dans l’espérance. Mais parce que la promesse n’était lias encore réalisée, que dit l’Apôtre? «L’espérance que l’on voit, n’est pas une espérance : si donc nous espérons ce que nous ne voyons pas, nous l’attendons par la patience 2 ». Voilà ce qui a aidé les martyrs à endurer tant de maux, c’est qu’ils attendaient par la patience ce qu’ils ne voyaient pas encore. Pour leurs bourreaux, ils aimaient ce qu’ils voyaient; mais les victimes aspiraient à ce qu’elles ne voyaient point encore, elles se hâtaient d’atteindre les biens invisibles. Le retard de la mort était à leurs yeux un délai préjudiciable.

6. Il a donc méprisé le monde, ce Félix dont nous célébrons la fête aujourd’hui, qui a dans son nom et dans sa couronne la véritable félicité. Mais cette félicité lui vint-elle de sa crainte pour Dieu, et fut-il heureux, parce que son épouse fut ici-bas comme une vigne féconde, parce que ses enfants environnaient sa table? Sans doute il a tous ces biens, mais dans le corps mystique de Celui qui est décrit en notre psaume. Et comme il l’a compris de la sorte, il méprise le présent, afin de posséder l’avenir. Mais vous devez savoir qu’il ne souffrit point la mort comme les autres martyrs. Car, après qu’il eut confessé Jésus-Christ, on différa son supplice, et le lendemain on le trouva mort. On avait fermé la porte sur lui, mais pour son corps seulement, non pour son âme. Quand ils se préparaient à le tourmenter, les bourreaux ne le trouvèrent plus, et perdirent toute occasion de sévir. Il était sans vie, privé de sentiment pour toute douleur, mais non point devant Dieu qui le couronnait. Mais s’il aima les biens de cette vie, comment donc, rues frères, est-il feux, ou a-t-il la félicité dans son nom et dans la récompense de la vie éternelle?

7. Ecoutons donc ce psaume, en l’appliquant au Christ, et nous tous qui sommes unis au corps du Christ, et devenus ses membres, marchons dans les voies du Seigneur; ayons pour le Seigneur une crainte chaste, une crainte qui demeure dans le siècle des siècles. Car il y a une autre crainte que bannit la charité, comme le dit saint Jean: « La crainte n’est pas dans la charité, mais la

 

1. Rom. XII, 12 — 2. Id. VIII, 21, 25.

 

charité qui est parfaite, bannit la crainte 1». Il ne dit pas que la charité bannit toute crainte, puisque nous lisons dans un psaume:

« La crainte du Seigneur, quand elle est chaste,subsiste dans les siècles des siècles 2». Donc il est une crainte qui subsiste, et une crainte qui est bannie. Celle qui est bannie n’est point chaste, celle qui demeure est chaste. Quelle est la crainte qui est bannie? Daignez écouter. Les uns craignent uniquement de souffrir quelqu’accident en cette vie, de tomber malades, de subir quelque dommage, de voir mourir un enfant ou un ami, d’encourir l’exil, la condamnation, la prison ou toute autre peine. Voilà ce qui les fait craindre et trembler; mais cette crainte n’est point encore chaste. Allons plus loin. Un autre ne redoute point les maux d’ici-bas, mais il craint cet enfer dont le Seigneur nous menace, comme vous l’avez entendu dans l’Evangile; et « où le ver qui les ronge ne meurt point, où la flamme qui les brûle, ne s’éteindra point 3 ».. Voilà ce qu’entendent les hommes; et comme ces maux arriveront véritablement aux impies, ils craignent, ils s’abstiennent du péché. Ils ont donc la crainte, et cette crainte leur fait évite, le péché. Et cette crainte néanmoins ne leur donne point l’amour de la justice. Toutefois, cette crainte qui les détourne du péché,les habitue û la justice, ils commencent à aimer ce qu’ils trouvaient dur, et Dieu devient doux pour eux : et dès lors l’homme commence à vivre dans la justice, non parce qu’il craint la peine, mais parce qu’il aime l’éternité. La charité donc a banni cette crainte, qui a fait place à une crainte chaste.

8. Quelle est cette crainte chaste ? C’est, mes frères, la crainte que l’on nous désigne dans ces paroles: «Bienheureux ceux qui craignent le Seigneur, qui marchent dans ses voies ». Si le Seigneur me fait la grâce de parler dignement de cette crainte chaste, plusieurs d’entre vous pourront bien passer de la crainte chaste aux flammes du chaste amour; et peut-être ne saurais-je me faire comprendre sans une comparaison. Voilà une épouse chaste qui craint son mari, et une épouse adultère qui craint son mari également. L’épouse chaste craint que son mari ne s’éloigne; l’épouse adultère craint qu’il ne vienne. Que le mari de l’une et de l’autre soit absent : l’une craint qu’il ne vienne, l’autre qu’il ne tarde à venir. Or,

 

1. I Jean, IV, 18. — 2. Ps. XVIII, 10. — 3. Marc, IX, 43.

 

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Epoux auquel nous avons été fiancés, est ahmt en quelque sorte, il est absent Celui qui eus a donné l’Esprit-Saint pour gage de sa fidélité, absent Celui qui nous a rachetés au prix de son sang ; cet Epoux que rien n’égale en beauté, et qui a néanmoins paru souillé entre les mains des persécuteurs, comme le disait tout à l’heure Isaïe : «Nous l’avons vu, et il n’avait ni apparence ni beauté 1». Est-il donc difforme cet Epoux? Point du tout. Comment alors pourraient l’aimer ces vierges qui ont renoncé à tout autre époux sur la terre? Il ne fut donc difforme que pour ses persécuteurs, et s’ils ne l’eussent en effet trouvé difforme, il ne l’eussent point assailli, ni flagellé, ni couronné d’épines, ni déshonoré de crachats; mais comme il avait de la laideur à leurs yeux, ils le traitèrent de la sorte, car leurs yeux n’étaient point capables de voir la beauté du Christ. Pour quels yeux le Christ a-t-il donc une beauté? Quels yeux lui-même recherchait-il, quand il disait à Philippe « Voilà si longtemps que je suis avec vous, et vous ne m’avez point encore vu 2? » Ces yeux doivent être purifiés, afin de voir cette lumière : qu’un faible rayon les touche quelque peu, et pris d’amour pour cette lumière, ils veulent être guéris afin de pouvoir la contempler. Et pour vous montrer qu’il y a une beauté qui nous fait aimer le Christ, le Prophète a dit : « Il surpasse en beauté les enfants des hommes 3 ». Sa beauté éclipse toute beauté humaine. Qu’est-ce que nous aimons dans le Christ? Ses membres cloués à la croix, son côté entr’ouvert, ou son amour pour nous? Quand on nous dit qu’il est mort pour nous, qu’est-ce que nous aimons? Son amour. Il nous a aimés afin que nous lui rendions son amour; et afin que nous puissions le lui rendre, il nous a visités par son Esprit-Saint, Il est donc beau, mais il est absent. Que l’épouse s’interroge et voie si elle est chaste. Nous sommes tous dans son corps, mes frères, tous nous sommes ses membres, et dès lors nous ne formons qu’un seul homme. Que chacun voie de quelle crainte il est animé; de la crainte que bannit l’amour, ou de la crainte chaste qui demeure dans le siècle des siècles. Il l’a vu déjà, et j’ajoute qu’il va le voir encore. L’époux donc est absent, interroge ta conscience. Veux-tu qu’il vienne, ou veux-tu qu’il retarde? Voyez, mes frères, voilà que je

 

1. Isa. LIII, 2. — 2. Jean, XIV, 9. — 3. Ps. XLIV, 3.

 

frappe à la porte de vos coeurs; mais c’est lui qui entend votre réponse. Quelle que soit en chacun de vous la réponse de votre conscience, elle ne peut arriver jusqu’à moi, car je suis un homme; mais il l’a entendue, celui qui est absent, il est vrai, puisque nOUS ne le voyons point corporellement, et qui est présent néanmoins par la puissance de sa majesté. Que l’on dise : Voici le Christ, à demain le jugement; hélas! combien peu diraient: Qu’il vienne au plus vite! C’est le langage des coeurs pleins d’amour. Qu’on leur dise au contraire: Il est loin encore, ilt craignent tout délai, parce que leur crainte est chaste. Comme ils craignent maintenant qu’ils ne tarde trop, dès qu’il seravenu, ils craindront qu’il ne s’éloigne. Mais cette crainte sera chaste encore, parce qu’elle sera tranquille et pleine de confiance. Car cet Epoux ne nous abandonne pas aussitôt après nous avoir trouvés, lui qui nous cherchait, avant que nous eussions la pensée de le chercher. Voilà donc, mes frères, le propre de la crainte chaste, elle vient de l’amour. Mais la crainte qui n’est point encore chaste, redoute la présence et les peines. Celui qui en est là, fait par crainte le bien qu’il fait; sans redouter de perdre le souverain bien, il craint de subir le souverain mal. li ne craint point de perdre les saints embrassements de l’Epoux le plus beau, mais il craint d’être jeté dans l’enter. Cette crainte est bonne, sans doute, elle est utile, mais elle ne subsistera point dans les siècles des siècles; elle n’est point encore la crainte chaste qui doit subsister toujours.

9. En quoi donc est-elle chaste? Je vous fais une question qui vous donnera le moyen de vous interroger vous-mêmes. Si Dieu venait nous interroger de sa propre bouche, quoiqu’il ne cesse de nous parler dans les saintes Ecritures, s’il disait à l’homme : Tu veux pécher, pèche à ton gré, fais ce qu’il te plaît; que tout ce que tu aimes sur la terre soit à toi; que l’ennemi que tu veux perdre soit exterminé; que ceux que tu voudras dépouiller soient dépouillés; qu’ils soient frappés ceux que tu voudras frapper, condamnés ceux que tu voudras condamner; à toi, ceux que tu veux avoir; que nul ne te résiste et ne te dise: Que fais-tu? nul: Pourquoi agir de la sorte? nul : Pourquoi as-tu fait cela? Que tous les biens terrestres tarit désirés soient en abondance chez toi, vis paisiblement au (73) milieu d’eux, non pour un temps, mais pour toujours; seulement tu ne verras jamais nia face. D’où vient, mes frères, que cette parole vous fait gémir, sinon parce que vous avez déjà cette crainte qui subsiste éternellement? D’où vint que votre coeur a été frappé à cette parole : Tu ne verras point ma face ; voilà que tu posséderas toute félicité terrestre louis les biens; tu seras comblé de toutes les prospérités, sans rien perdre, sans que rien t’échappe; que veux-tu de plus? La crainte chaste répandrait des larmes, et gémirait en disant : Plutôt perdre tous ces biens et voir votre face. La crainte chaste s’écrierait avec le psaume : « Dieu des vertus, tournez-vous vers nous, montrez-nous votre face et nous serons sauvé 1». La crainte chaste dirait encore avec un autre psaume : « Je n’ai fait au Seigneur qu’une seule demande ». Vois quels sont les transports de cet amour chaste, amour véritable, amour sincère : « Je n’ai fait qu’une demande au Seigneur 2». Qu’ai-je demandé? «D’habiter dans la maison du Seigneur, tous les jours de ma vie ». Mais serait-ce en vue d’un bonheur temporel? Ecoute ce qui suit : « Afin de contempler les délices du Seigneur, et d’être protégé comme son temple divin 3 » ; c’est-à-dire d’être son temple et d’être protégé par lui. C’est l’unique demande que j’ai faite au Seigneur. Si vous n’exercez votre coeur qu’à cette unique demande , si vous ne craignez de perdre que ce seul bien, vous ne porterez point envie aux prospérités d’ici-bas et vous mettrez votre espérance dans ce bonheur qui est le véritable, et vous serez membres de celui à qui l’on chante : « Bienheureux ceux qui craignent le Seigneur, qui marchent dans ses voies ».

10. « Tu mangeras les travaux de tes fruits ». O vous, ô toi, ô vous tous qui n’êtes qu’un seul, tu mangeras les travaux de tes « fruits ». Les ignorants sont tentés ici d’accuser le Prophète, qui aurait dû dire, selon eux: « Tu mangeras le fruit de tes travaux ». Beaucoup en effet mangent le fruit de leurs travaux. Qu’ils travaillent à la vigne, ils ne m:ngent point leur travail, mais ils mangent ce que leur travail produit. Qu’ils travaillent à des arbres fruitiers, qui mange leurs travaux? Mais le fruit que ces arbres ont produit, voilà ce qui réjouit le vigneron. Que

 

1. Ps. LXXIX, 8. — 2.Id. XXVI, 4. — 3. Ibid.

 

signifie donc: « Vous mangerez les travaux de vos fruits? » C’est maintenant le temps du travail, celui des fruits ne vient qu’après. Mais c’est que le travail n’est pas sans joie à cause de l’espérance dont nous avons dit tout à l’heure : « Pleins de joie dans l’espérance, patients dans la tribulation 1 » ; et que maintenant ce travail nous console et nous réjouit par l’espérance. Que sera-ce que manger le fruit de ce travail? C’étaient leurs travaux que mangeaient  « ceux qui marchaient en pleurant et en répandant sur la terre leurs semences 2 ». Avec combien plus de joie mangeront le fruit de leurs travaux « ceux qui viendront en portant leurs gerbes avec allégresse? » Et pour mieux voir que l’on mange ce travail, mes frères, vous avez entendu qu’à ces hommes du psaume précédent qui voulaient, dans leur orgueil, se lever avant la lumière ou avant le Christ, mais non passer par cette humilité qui le fit ressusciter, il a été dit : « Levez-vous après vous être assis 3 » ; c’est-à-dire , abaissez-vous d’abord, et ensuite vous vous élèverez, puisque celui qui est venu pour s’humilier a été élevé à cause de vous. Et que dit notre psaume? « Vous qui mangez le pain de la douleur ». Ce pain de douleur est le travail de vos fruits. Si l’on ne le mangeait, on ne l’appellerait pas du nom de pain; et toutefois si ce pain n’avait quelque saveur, nul ne le mangerait. Avec quelle douceur pleure et gémit celui qui prie ! Les larmes de la prière sont plus délicieuses que les joies du théâtre. Ecoute jusqu’où va l’ardeur du désir avec lequel on mange ce pain dont il est dit : « Vous qui mangez un pain de douleur »cet amour, dont nous entendons souvent la voix dans les psaumes, nous dit ailleurs « Mes larmes sont devenues pour moi un pain, le jour et la nuit ». Pourquoi ses larmes sont-elles un pain pour lui ? C’est qu’on me dit chaque jour : « Où est ton Dieu? » Avant que nous puissions voir celui qui nous a aimés, qui nous a donné des gages de son amour, et à qui nous avons été fiancés, les païens nous disent avec ironie : Où est le Dieu des chrétiens? Qu’ils nous montrent ce Dieu qu’ils adorent. Nous leur montrons nos divinités; qu’ils nous montrent leur Dieu. Quand un païen te parle ainsi, tu n’as rien à lui montrer, parce qu’il ne peut

 

1. Rom. XII, 12.—  2. Ps CXXV, 6.— 3. Id. CXXVI, 2— 4. Id XLI, 4.

 

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rien voir. Tu te replies sur toi-même et tu pleures devant Dieu; tu soupires vers lui, avant de le voir, et tu gémis dans tes désirs; et comiule ce désir t’arrache des larmes, tés larmes te sont douces, elles sont ta nourriture, parce qu’elles sont devenues ton pain le jour et la nuit, quand chaque jour on te dit : « Où est ton Dieu? » Mais ton Dieu viendra, ce Dieu dont il est dit: Où est-il? et il essuiera tes larmes, et au lieu de ce pain des larmes, il sera lui-même ton pain, et il te rassasiera éternellement, parce que nous aurons avec nous ce Verbe de Dieu qui est le pain des anges. Nous n’avons donc ici-bas que les travaux de nos fruits, nous aurons ensuite le fruit de nos travaux. « Tu mangeras les travaux de tes fruits; tu es heureux et tu seras comblé de biens ». Tu es heureux, voilà pour le présent; tu seras comblé de biens, c’est l’avenir. Tu es heureux en mangeant les travaux de tes fruits, mais tu seras comblé de biens, quand tu mangeras les fruits de tes travaux; Que veut dire le Prophète ? Car si tu es comblé de biens, tu seras heureux assurément; etsi tues heureux, tu seras comblé de biens. Mais il y a une différence entre l’espérance et la réalité; si l’espérance est si douce, combien plus douce encore sera la réalité!

11. Arrivons maintenant à ce verset : « Votre épouse ». C’est au Christ que s’adresse cette parole. Donc cette épouse du Christ est son Eglise, et cette Eglise qui est son épouse, c’est nous-mêmes. « Votre épouse sera comme une vigne féconde». Mais en qui cette vigne est-elle féconde? Nous voyons entrer dans ces murailles de nos temples bien des hommes stériles; car nous y voyons entrer beaucoup d’ivrognes, d’usuriers, de marchands d’esclaves, d’hommes qui cherchent des sortilèges, qui ont recours à des magiciens et à des magiciennes pour un mal de tête. Est-ce là cette fécondité de la vigne? Cette fécondité de l’épouse? Nullement. Ce sont là des épines, mais la vigne n’est pas épineuse partout. Elle a une certaine fécondité, c’est une vigne fertile; mais en qui est cette fertilité? « Dans les flancs de votre maison ». Or, tous ne sont point les parois de cette maison. Je cherche quelles en sont les parois, et que dirai-je? Que ce sont les murailles du bâtiment, les pierres qui le soutiennent? Si je parlais de ce bâtiment matériel, peut-être en appellerais-je ainsi les parois. Mais nous appelons les côtés de la maison spirituelle, ceux qui demeurent étroitement attachés au Christ. Car ce n’est- pas sans raison que, dans le discours familier, nous disons de quelqu’un qui agit mal d’après le conseil de perfides amis Ses côtes sont mauvais. Qu’est-ce à dire, ses côtés sont mauvais? Les gens qui l’assiègent sont pervers. Dès lors, celui dont les côtés sont bons vit de bons conseils. Qu’est-ce àdire? Il est dirigé par des conseils salutaires. Les côtés de la maison sont donc les hommes attachés au Christ, et ce n’est pas sans raison que l’épouse a été formée du côté de l’époux. Adam dormait quand Eve fut formée 1, comme l’Eglise fut formée à la mort du Christ: la première prit naissance du flanc de son époux, à qui Dieu avait enlevé une côte, et la seconde du flanc de son époux, ouvert par un coup de lance, et d’où coulèrent les sacrements 2. Donc ton épouse est comme une vigne féconde; mais dans qui? « Dans les parois de ta maison ». Elle est stérile dans ceux qui ne s’attachent point au Christ. Aussi ne les compterai-je point dans cette vigne.

12. « Vos fils ». L’épouse et les fils ne sont qu’un. Dans les épousailles charnelles, autre est l’épouse et autres sont les enfants. Dans l’Eglise les enfants ne diffèrent point de l’épouse, Car les Apôtres appartenaient à l’Eglise, ils en étaient les membres. Donc ils étaient dans l’Epouse du Christ, et ils étaient cette même épouse selon la place qu’ils avaient parmi ses membres. Pourquoi donc le Sauveur dit-il à leur occasion : « Quand l’Epoux les aura quittés, alors les fils de l’Epoux jeûneront 3? » L’Eglise est donc l’Epouse, et eux sont les enfants. Chose étonnante, lues frères! Dans les paroles du Sauveur, nous voyons que l’Eglise est en même temps les frères du Seigneur, et ses soeurs, et sa mère. Ou vient en effet lui dire que sa mère et ses frères sont dehors 4. Comme ils étaient au dehors, il y avait là une figure. Que figurait sa mère? La synagogue. Et que figuraient ses frères, selon la chair? Les Juifs qui étaient dehors. La synagogue aussi se tenait dehors. Car en ce qui regarde Marie, elle est dans les parois de la maison; de même que ses proches du côté de la Vierge Marie , et qui croyaient en lui, étaient aussi dans l’intérieur,

 

1. Gen. II. 21, 22. — 2. Jean, XIX, 31. — 3. Matth. IX, 15. — 4. Id. XII, 46.

 

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non point à cause des liens du sang, mais parce qu’ils écoutaient la parole de Dieu et la mettaient en pratique. Telle fut en effet la réponse du Sauveur : « Quelle est ma mère », dit-il, « et qui sont mes frères 1? »C’est ce passage qui a fait dire à quelques-uns que le Christ n’avait point de mère, puisqu’il dit : « Quelle est rua mère? » Pourquoi cette conclusion? Donc, ni Pierre, ni Jean, ni Jacques, ni les autres Apôtres n’ont point eu de père ici-bas? Il leur dit en effet : « N’appelez personne votre père sur la terre, car vous n’avez qu’un seul Père qui est dans les cieux 2 », Il nous montrait donc à l’égard de sa mère ce qu’il apprenait à ses disciples à dire à l’égard du père. Il veut que nous préférions Dieu à toutes les parentés charnelles. Honneur à ton père, parce qu’il est ton père; honneur à Dieu, parce qu’il est Dieu. Ton père dans la génération n’a été qu’un instrument charnel, c’est Dieu qui t’a créé par l’effet de sa puissance. Que le père ne se blesse point quand on lui préfère Dieu; qu’il se réjouisse au contraire, qu’on l’honore au point de ne lui préférer que Dieu seul. Que dirai-je donc? Que dit le Seigneur? « Quelle est ma mère, et quels sont mes frères? Et, étendant la main sur les disciples, voilà », dit-il, « ma mère et mes frères 3 ». Ils étaient ses frères, mais comment étaient-ils sa mère? Le Sauveur ajoute : « Et quiconque fait la volonté de mon Père, celui-là est mon frère, et ma soeur et ma mère ». Il est son frère à cause des hommes qui sont dans l’Eglise, sa soeur à cause des saintes femmes qui sont membres du Christ. Et comment sa mère, sinon parce que le Christ est dans les chrétiens que l’Eglise engendre chaque jour par le baptême? Ceux donc qui forment l’Epouse du Christ sont aussi sa mère et ses fils.

13. Disons maintenant ce que doivent être ces fils, Oui, que seront-ils? Pacifiques. Pourquoi pacifiques? Parce que, « Bienheureux les pacifiques, puisqu’ils seront appelés enfants de Dieu 4 ». Comme donc l’olive est le fruit de la paix, car l’huile, symbole de charité, est aussi symbole de paix; il n’y a aucune paix sans la charité. Or, ils n’ont évidemment pas la charité, ceux qui ont rompu la paix. Aussi ai-je expliqué déjà à votre charité pourquoi la colombe apporta dans l’arche des feuilles

 

1. Matth, XII, 48.—  2. Id. XXIII, 9.— 3. Id. XIII, 48, 49.— 4. Id. V, 19.

 

avec du fruit de l’olivier 1. Elle enseignait ainsi que ceux qui ont été baptisés au dehors, comme ces branches avaient été baptisées hors de l’arche, s’ils ne se contentent pas des feuilles ou des paroles, et qu’ils aient encore le fruit qui est la charité, sont ramenés dans l’arche par la colombe, et reviennent ainsi à l’unité. Tels doivent être les enfants autour de la table du Seigneur, comme des Plans d’olivier. Tel est donc le grand bonheur, le bonheur parfait; qui voudrait n’y avoir aucune part? Si donc tu vois un blasphémateur ayant une épouse, des fils, des petits-fils, pendant que toi-même tu n’auras aucun de ces biens, n’en sois point jaloux; vois que tu as tous ces biens, mais d’une manière spirituelle. Ne serais-tu point parmi les membres du Christ? Si tu n’en es pas, pleure d’être dénué ici et là. Mais situ en es, demeure en sûreté: riche avec lui et non ici-bas, il est mieux pour toi de l’être avec lui que selon le monde.

14. Si donc nous avons ces biens, pourquoi les avons-nous? Parce que nous craignons le Seigneur. « Telle est la bénédiction réservée à l’homme qui craint Dieu 2 ». Cet homme signifie tous les hommes, et tous les hommes ne sont qu’un seul  homme, car plusieurs ne font qu’un et il n’y a qu’un seul Jésus-Christ.

15. « Que le Seigneur te bénisse de Sion 3». Tu viens d’entendre : « Telle est la bénédiction réservée à l’homme qui craint le Seigneur ». Déjà tes yeux se tournaient vers ceux qui ne craignent point le Seigneur, et tu leur voyais des épouses fécondes, des enfants nombreux environnant la table de leur père. Tu te laissais emporter à je ne sais quelles pensées. « Que le Seigneur te bénisse », dit le psaume; mais « de Sion ». Ne cherche point de ces bénédictions qui ne viennent point de Sion. Mais le Seigneur n’a-t-il point réellement béni ces hommes, mes frères? Il est vrai que cette bénédiction vient du Seigneur; si elle n’était point du Seigneur, qui pourrait épouser une femme contre la volonté de Dieu? Qui peut avoir la santé contre la volonté de Dieu, la richesse contre la volonté de Dieu? C’est Dieu qui donne ces biens. Mais ne vois-tu pas qu’il les donne aussi aux animaux? Cette bénédiction n’est donc point de Sion. « Que le Seigneur » te bénisse de Sion,et puisses-tu voir les biens

 

1. Gen. VIII, 11. — 2. Ps. CXXVII, 4 — 3. Id. 5.

 

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« de Jérusalem ». Car ces biens en question ne sont pas ceux de Jérusalem; veux-tu le comprendre? Il a été dit, même aux oiseaux : « Croissez et multipliez 1». Serait-ce donc un grand bonheur pour toi qu’un bonheur donné aux oiseaux? C’est la voix de Dieu qui le leur a donné, qui en doute? Use de ces biens, si Dieu te les donne; et pense à bien élever ceux qui sont nés plus encore que ceux qui doivent naître. Le vrai bonheur n’est pas d’avoir des enfants, mais d’en avoir de bons. Si donc tu en as. aie soin dé les bien élever; si tu n’en as point, bénis le Seigneur. Tes inquiétudes en seront moindres,et toi, fils d’une telle mère, tu ne seras point stérile. Peut-être donneras-tu à cette mère des enfants spirituels qui seront comme de jeunes oliviers autour de la table du Seigneur. Que le Seigneur donc te console et te montre les biens de Jérusalem. On peut dire en effet de ces biens qu’ils sont. Pourquoi sont-ils? parce qu’ils sont éternels. Pourquoi sont-ils? parce que voici le Roi. « Je suis celui qui suis 2». Quant aux biens de la terre, ils sont, et ne sont point; car ils ne demeurent point, ils passent et s’écoulent. Tu as des petits enfants, tu leur fais des caresses qu’ils te rendent bientôt; or, demeurent-ils en cet état? Mais tu veux les voir grandir et avancer en âge. Mais qu’un nouvel âge arrive, et le précédent n’existe plus. L’enfance disparaît quand vient la jeunesse; la jeunesse disparaît quand vient l’âge viril ; l’âge viril disparaît quand arrive la vieillesse, et tout âge disparaît quand vient la mort. Autant d’âges tu souhaiteras dans tes enfants, et autant de morts tu appelles pour les âges qui suivront. Tout cela n’existe donc point. De plus, tes enfants sont-ils nés pour vivre avec toi sur la terre, et non pas plutôt pour prendre ta place et te succéder? Et tu te réjouis de voir naître ceux qui te chasseront bientôt? Dès qu’ils sont nés, ces enfants semblent dire à leurs parents : Songez à vous retirer, c’est à nous maintenant de jouer notre rôle. Car cette vie humaine, pleine de tentations, n’est qu’un rôle, puisque « tout homme vivant sur la terre n’est que vanité 3 ». Si l’on se réjouit d’avoir des enfants qui nous succéderont, combien plus faudra-t-il nous réjouir de ces enfants avec qui nous devons demeurer toujours, et de ce Père dont nous sommes

 

1. Gen. X, 22, — 2.Exod. III, 14. — 3. Ps. XXXVIII, 6.

 

les enfants, et qui ne doit point mourir, mais avec qui nous vivrons à jamais! Voilà les biens de Jérusalem, qui sont réellement. « Que le Seigneur donc te bénisse de Sion, et puisses-tu voir les biens de Jérusalem ». Car ces biens sensibles, tu ne les vois pas quand tu es aveugle. Puisses-tu voir les biens que voit le coeur! Et combien de temps verrai-je les biens de Jérusalem? « Tous les jours de ta vie ». Donc si ta vie est éternelle, tu verras éternellement les biens de Jérusalem. Quant aux biens d’ici-bas, mes frères, s’ils sont réellement des biens, vous ne sauriez les voir toute votre vie, car vous ne mourez point, lorsque l’âme se retire du corps. Vous vivez encore, et si le corps est mort, l’âme ne cesse de vivre. Les yeux ne voient plus, parce que l’âme qui voyait par ces yeux s’est retirée; mais quelque part que soit cette âme qui voyait par les yeux, elle voit quelque chose. Cet homme riche, qui se revêtait en cette vie de pourpre et de fin lin, n’était point mort au-delà de cette vie, autrement il n’eût pas été tourmenté dans l’enfer 1. Peut-être la mort eût-elle été à désirer pour lui, mais il vivait dans l’enfer pour son propre malheur. Car il était tourmenté et ne voyait pas les biens qu’il avait quittés sur la terre; telle était alors sa vie qu’il ne les voyait plus. Toi donc, désire des biens que tu puisses voir « tous les jours de ta vie », c’est-à-dire avec lesquels tu puisses vivre éternellement.

16. Ecoutez donc, mes frères, quels sont ces véritables biens, Peut-on dire de ces biens: C’est de l’or, c’est de l’argent, c’est une campagne agréable, ce sont des murailles de marbre, des lambris dorés? Point du tout. Les pauvres ont mieux que cela en cette vie. Car le ciel semé d’étoiles est plus beau pour le pauvre, que pour le riche son toit doré. Quel est donc, mes frères, ce bien qui embrase nos désirs, après lequel nous soupirons avec tant d’ardeur; pour la vue, pour la jouissance duquel nous endurons tant de travaux? car vous venez d’entendre de saint Paul, que, « tous ceux qui veulent vivre pieusement en Jésus-Christ souffriront persécution 2 » Si le diable ne sévit plus contre nous au moyen des rois, les chrétiens n’en sont pas moins persécutés. Les persécutions ne doivent cesser qu’à la condition que le diable cessera lui-

 

1.  Luc, XVI, 19, 23. — 2.II Tim. III, 12.

 

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même : si donc cet infatigable ennemi est immortel, d’où ne prendrait-il pas occasion de nous tenter, de nous torturer, de nous exposer aux menaces et aux scandales? Oh! si tu commençais à vivre dans la piété de Jésus-Christ, tu comprendrais quelles persécutions doit endurer celui qui vit de la sorte. Pourquoi donc souffrons-nous de si grandes persécutions? « Si nous bornons à cette vie nos espérances », nous dit l’Apôtre, « nous sommes les plus malheureux des hommes 1». Pour quel bien les martyrs furent-ils condamnés aux bêtes? Quel est ce bien, et peut-on le nommer? Quelle langue pourrait le dire, quelles oreilles pourraient l’entendre? « L’oreille de l’homme, en effet, ne l’a pas entendu, et son coeur n’a pu le comprendre 2». Aimons un si grand bien, avançons dans La vertu pour l’acquérir. Vous voyez que les combats ne nous manquent point, et nous avons à combattre nos convoitises. Nous combattons au dehors les hommes infidèles et rebelles à Dieu, au dedans nos tentations et les troubles de la chair. Partout des combats, « parce que le corps qui se corrompt appesantit  l’âme 3 ». Nous combattons encore, parce que si l’esprit est vie, le corps néanmoins est mort à cause du péché. Mais qu’arrivera-t-il? «Si l’esprit de Jésus-Christ habite en vous, celui qui a ressuscité Jésus-Christ d’entre les morts vivifiera vos corps mortels, à cause de l’esprit qui habite en vous 4». Ainsi donc, quand les membres de notre corps auront reçu la vie, rien ne résistera à notre esprit. La faim ne sera plus, la soif ne sera plus, parce que tout cela vient de la corruption du corps. Tu as besoin de réparer, parce qu’il y a en toi dépérissement. Or, les convoitises charnelles et les plaisirs combattent contre nous; et nous portons la mort dans l’infirmité de notre corps; mais quand la mort elle-même sera changée en ce qui est immuable, quand ce qui est corruptible sera revêtu d’incorruption, et ce qui est mortel revêtu d’immortalité, que dirons-nous à cette mort? : « O mort, où est ta victoire? O mort, où est  ton aiguillon 5? » Mais peut-être qu’après la mort on nous dira : Il reste encore des ennemis? Non, mes frères, la mort sera le « dernier ennemi à détruire », nous dit saint

 

1. I Cor. XV, 19. — 2. Id. II,9. — 3. Sag. IX,15. — 4. Rom. VIII, 10, 11. — 5. I Cor. XV, 53, 54, 55. — 4. Id. 26.

 

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Paul. Et quand la mort sera détruite, nous jouirons de l’immortalité. S’il n’y a plus aucun ennemi à détruire, la mort sera donc la dernière et ce bien après lequel nous soupirons sera la paix. Le bien , mes frères, est donc la paix, bien d’un grand prix. Vous vous demandiez si ce bien s’appelait de l’or, de l’argent, une belle terre, un riche manteau. Non, c’est la paix. Non point la paix comme elle existe entre les hommes, paix infidèle, incertaine, changeante; non point la paix telle qu’un homme peut l’avoir avec lui-même. Car, nous l’avons dit, l’homme est en guerre contre son propre coeur; il a toujours à se combattre, toujours à vaincre ses passions. Quelle est donc cette paix? « Celle que l’oeil n’a point vue, que l’oreille na pas entendue 1».Quelle est cette paix? Celle qui vient de Jérusalem. Car Jérusalem signifie vision de la paix. « Que le Seigneur donc te bénisse de Sion, en sorte que tu voies les biens de Jérusalem » et que tu les voies tous les jours de ta vie. « Et que tu voies », non seulement tes enfants, « mais les enfants de tes enfants 2». Qu’est-ce à dire, tes enfants? Les bonnes oeuvres que tu fais. Et les enfants de tes enfants? Les fruits de tes oeuvres. Tu fais des aumônes, voilà tes enfants; et par tes aumônes tu acquiers la vie éternelle, voilà les enfants de tes enfants. « Puisses-tu donc voir les enfants de tes enfants », et alors s’accomplira cette parole qui termine le psaume : « Paix sur Israël ! » Telle est la paix que nous prêchons, la paix que nous aimons, la paix que nous cherchons à vous faire aimer. C’est là que parviennent ceux qui ont été pacifiques ici bas. Et ceux qui aiment la paix ici-bas l’aiment aussi dans le ciel, et ils entourent la table du Seigneur comme une plantation de jeunes oliviers, en sorte qu’il n’est aucun arbre stérile, coin me ce figuier où le Sauveur ayant faim ne trouva aucun fruit. Voyez ce qui lui arriva. Il n’avait que des feuilles ; mais de fruits, aucun 3. C’est l’état des hommes qui n’ont que des paroles, et non des oeuvres. Le Seigneur n’y trouva rien qu’il pût manger dans sa faim; car le Seigneur a faim de notre foi. il a faim de nos bonnes oeuvres. Donnons-lui pour nourriture une vie sainte, et il nous donnera pour aliment la vie éternelle.

 

1. I Cor, II, 9. — 2. Ps. CXXVII, 6. — 3. Matth. XXI, 18, 19.

DISCOURS SUR LE PSAUME CXXVIII.
SERMON AU PEUPLE.
LES TOLÉRANCES DE L’ÉGLISE.
 

Dans l’Eglise de Dieu on trouve des hommes qui reçoivent la parole de Dieu, comme le grand chemin, ou comme les terrains pierreux, ou même comme les terrains épineux ; mais d’autres, semblables à la bonne terre, produisent du fruit et font leurs oeuvres à l’unisson de la parole divine. Ainsi en a-t-il été toujours ; l’Eglise a été attaquée dès sa jeunesse elle existait en Abel, tué par Caïn, en Enoch, en Noé, en Abraham, en Loth à Sodome, en Israël dans l’Egypte, en Moïse et dans les saints, en Israël. — Le psalmiste semble répondre à ceux qui méditent sur les douleurs de l’Eglise. Ils m’ont attaquée souvent depuis ma jeunesse, et néanmoins je suis arrivée à la vieillesse. Les attaques ne l’ont point mise en connivence avec le mal. Toutefois l’homme résiste souvent à la parole évangélique, il obéit à l’avancé, plus exigeante que le Seigneur, il s’en prend à ceux qui prêchent et calomnie leurs moeurs ; il s’en prend même à Dieu, créateur de tout bien, et que les créatures bénissent. Quel que soit l’homme qui nous parle, obéissons, entrons dans l’Eglise de Dieu. Elle supporte ces plaintes, ces murmures qui ne doivent point durer, et qui n’existent que jusqu’à la moisson. Il y a donc mélange, mais le juste si près qu’il soit de l’impie, en est éloigné, l’assentiment seul fait le rapprochement. Un jour le Seigneur brisera le con des méchants, frappons alors notre poitrine. Tout orgueilleux qui commet le mal, et, au lieu de le reconnaître, se retranche dans son orgueil, comme sous un bouclier, sera frappé. Il hait l’Eglise et ressemble à l’herbe des toits qui se fane avant la récolte, et n’entre point dans le grenier céleste. Les passants qui nous bénissent sont les Prophètes, les Apôtres nos ancêtres dans la foi.

 

1. Le psaume que nous venons de chanter est court; mais l’Evangile nous dit de Zachée qu’il était court de taille et grand en oeuvres 1; ainsi encore la veuve ne mit dans le trésor du temple que deux pièces de monnaie 2, c’était peu d’argent et beaucoup de charité 3. De même, si l’on compte les paroles de notre psaume, il est court; mais il est grand si l’on en pèse le sens. Il ne pourra donc nous causer aucun ennui par sa longueur. Pourquoi? Que votre charité veuille bien écouter, et nous prêter une attention religieuse. Que la parole de Dieu se fasse entendre, bon gré, mal gré, à temps et à contre-temps. Cette parole se fait faire une place, elle a trouvé des coeurs où elle se peut reposer, une terre où elle peut germer et porter du fruit. Sans doute il est évident que jusqu’à la fin il y aura dans le giron de l’Eglise beaucoup de méchants et d’injustes; c’est pour ces hommes que la parole de Dieu est superflue, et dès lors elle tombe sur eux, ou comme le bon grain sur le grand chemin, et qui est mangé par les oiseaux du ciel 4 ; ou comme celui qui tombe dans les endroits pierreux, et qui n’ayant pas beaucoup de terre , germe d’abord, puis se dessèche sous les rayons du soleil, parce qu’il n’a point de racine; ou comme celui qui tombe parmi les épines, qui germe et fait des efforts pour

 

1. Luc, XIV, 2-9.— 2. Marc, XII, 12-41.— 3. Luc, XI, 2.— 4. Matth. XIII, 4.

 

s’élever en haut, mais qui est étouffé par le grand nombre d’épines. Ceux qui méprisent la parole de Dieu ressemblent donc, ou bien au grand chemin; ou bien à ceux qui se réjouissent d’abord, pour se dessécher bientôt quand vient la persécution comme les feux du soleil; ou bien à ceux dont les pensées, les soins, les inquiétudes de cette vie, semblables aux épines de l’avarice, étouffent la bonne semence qui avait commencé à germer en eux. Mais il y a aussi la bonne terre, qui reçoit la semence et rapporte du fruit, chacun des grains produisant trente, ou soixante, ou même cent autres ­1. Or, soit peu, soit beau. coup, tous sont dans le grenier céleste. Il est en effet de ces âmes, et c’est pour elles que nous parlons maintenant. C’est pour elles que l’Ecriture a parlé, pour elles que l’Evangile se fait entendre. Qu’elles écoutent néanmoins, afin de n’être point telles aujourd’hui et autres demain; et de peur qu’elles ne dégénèrent en écoutant, qu’elles labourent le chemin, qu’elles ôtent les pierres, qu’elles arrachent les épines. Que l’Esprit de Dieu nous parle, qu’il prêche pour nous, qu’il nous fasse entendre ses chants; soit que nous voulions ou non danser avec David, qu’il soit lui. même notre musicien. Un danseur, en effet, donne à ses membres un mouvement cadencé

 

1. Matth. XIII, 3-23.

 

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selon le chant du musicien, de même ceux qui dansent sur le précepte de Dieu adaptent leurs oeuvres à ses paroles. Quel reproche en effet le Sauveur adresse-t-il, dans l’Evangile, à ceux qui n’ont point voulu le faire? « Nous avons chanté pour vous, et vous n’avez point dansé; nous avons pleuré, et vous n’avez point gémi 1 ». Que le Seigneur veuille donc chanter pour nous; nous croyons que par la divine miséricorde il yen aura qui voudront bien nous consoler. Quant aux obstinés qui persévèrent dans leur malice, bien qu’ils entendent la parole de Dieu, ils troublent néanmoins l’Egiise par leurs scandales. C’est de ces hommes que le psaume nous dit:

2. «Ils m’ont souvent attaquée dès ma jeunesse 2». L’Eglise parle ici de ceux qu’elle tolère, et comme si l’on demandait : Est-ce maintenant seulement ? Depuis longtemps l’Eglise existe, elle est sur la terre depuis qu’il a plu à Dieu d’appeler des saints. Jadis l’Eglise n’existait que dans le seul Abel, qui fut attaqué par son frère impie, Caïn, l’homme de perdition 3. Jadis l’Eglise ne compta que le seul Enoch, qui fut enlevé du milieu des méchants 4. Jadis l’Eglise encore ne compta que la seule famille de Noé, et eut à supporter tous ceux qui périrent par le déluge, et l’arche seule s’éleva au-dessus des flots et se reposa sur un lieu sec 5. Jadis l’Eglise ne comptait que le seul Abraham, et nous savons ce qu’il souffrit de la part des impies. A Sodome, l’Eglise ne comptait que Luth, fils de son frère, qui endura les injures et l’abomination de Sodome 6, jusqu’à ce que Dieu le délivra du milieu d’eux. L’Eglise fut ensuite en Israël, et souffrit de la part des Egyptiens et de Pharaon. Alors dans cette Eglise, ou dans ce peuple d’Israël, s’élevèrent des saints, tels que Moïse et les autres saints personnages , qui souffrirent persécution de la part des Juifs pervers et du peuple d’Israël. Nous arrivons à Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui prêche son Evangile, et qui a dit dans le psaume : « J’ai annoncé, j’ai parlé; ils se sont multipliés au-delà du nombre 7». Qu’est-ce à dire, « au-delà du nombre? » Non seulement ceux que l’on met au nombre des saints ont embrassé la foi, mais il en est entré dans l’Eglise bien au-delà du nombre; il y a beaucoup de justes, tuais plus encore de pécheurs, et ces

 

1. Matth. XI, 17.— 2. Ps. CXXVII, 1.— 3. Gen. IV, 8.— 4. Id. V, 21. — 5. Id. VI-VIII. — 6. Id. XII, 20. — 7. Ps. XXXIX, 6.

 

pécheurs, les justes ont dû les supporter. Quand? Dans l’Eglise. Mais est-ce maintenant seulement, depuis qu’elle compte ses persécutions et qu’elle s’en plaint? De peur que l’Eglise ne s’étonne aujourd’hui, ou pour éviter toute surprise à quiconque veut devenir un véritable membre de l’Eglise, qu’il entende l’Eglise elle-même, l’Eglise sa mère, qui s’écrie: Mon fils, ne soyez pas effrayé de ces maux; « ils m’ont souvent attaquée depuis ma jeunesse».

3. Il y a une grande amertume dans ce commencement du psaume : « Ils m’ont souvent attaquée depuis ma jeunesse ». On dirait que le Psalmiste a déjà parlé, qu’il ne commence point, mais qu’il répond. Sans doute, il répond ; mais à qui? A ceux qui pensent en eux-mêmes, et qui disent: Combien sont grandes nos douleurs, combien les scandales se multiplient chaque jour, parce que les méchants entrent dans l’Eglise, et qu’il nous faut les supporter! Que l’Eglise alors, par la bouche de quelques-uns, c’est-à-dire par la bouche des plus forts, réponde aux plaintes des faibles, que les forts soutiennent les infirmes, que les grands raffermissent les petits, et que l’Eglise répète : « Ils m’ont souvent attaquée depuis ma jeunesse ». Qu’Israël dise maintenant : « Ils m’ont souvent attaqué depuis ma jeunesse ». Qu’Israël parle de ces attaques et ne les redoute point. Dans quel but, après avoir dit : « Leurs attaques se sont multipliées » , le Prophète a-t-il ajouté : « Depuis ma jeunesse? » On attaque aujourd’hui l’Eglise dans sa vieillesse, mais qu’elle ne craigne point et qu’elle dise : « Bien souvent ils m’ont attaquée dans ma jeunesse». Parce qu’ils n’ont cessé de l’attaquer, en est-elle donc moins parvenue à la vieillesse ? Ont-ils pu la détruire? Qu’Israël donc chante aujourd’hui, qu’Israël se console; que l’Eglise elle-même se console en jetant un regard sur le passé, et qu’elle dise : « Ils m’ont attaquée bien souvent depuis ma jeunesse ».

4. A quoi bon m’attaquer? « Car ils n’ont rien pu contre moi. Voilà que les pécheurs ont forgé sur mon dos, ils ont éloigné leurs iniquités 1». Pourquoi ces fréquentes attaques? « Parce qu’ils n’ont rien pu contre moi ». Qu’est-ce à dire qu’ « ils n’ont rien pu? » Rien pu forger. Qu’est-ce à dire encore qu’ils n’ont rien pu contre moi? Que je n’ai point consenti à

 

1. Ps. CXXVIII, 3.

 

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leur iniquité. Car tout méchant persécute l’homme de bien, par impuissance de l’amener au mal. Qu’un homme commette le mal, et que son évêque ne l’en reprenne point, c’est le meilleur évêque; s’il l’en reprend, c’est un évêque méchant. Qu’un homme à qui l’on enlève son bien garde le silence, il est honnête homme; qu’il parle, qu’il blâme, c’est un méchant homme, quand même il ne revendiquerait pas ce qui lui est pris. Un homme qui réprime un voleur est donc un scélérat, le voleur est honnête homme! Qu’on chante le refrain : « Mangeons et buvons, car nous mourrons demain 1» ; refrain que réfute saint Paul : « Ne vous laissez pas séduire, les mauvais entretiens corrompent les bonnes moeurs 2. Soyez donc sobres, ô justes, et ne péchez point ». La parole sainte retentit on entend cette parole qui proscrit la passion; mais épris de son intempérance, et haïssant tout ce qui peut contredire cette bien-aimée, l’homme déteste et combat la parole de Dieu. C’est l’avarice que l’on aime, et Dieu que l’on hait. Dieu proscrit l’avarice, il nous défend de rien posséder par avarice. C’est moi que tu dois posséder, nous dit-il, pourquoi veux-tu être possédé par l’avarice? Ses exigences sont dures, les miennes sont douces ; son fardeau est lourd, le mien est léger; son joug est pénible et le mien attrayant 3. Ne te laisse point absorber par l’avarice. L’avarice t’ordonne de passer les mers et tu obéis; elle t’ordonne d’affronter les vents et les tempêtes, et moi je t’ordonne de donner au pauvre qui est à ta porte quelque peu de ce que tu possèdes, et tu ne fais que lentement une bonne oeuvre qui est devant toi, tandis que tu es infatigable pour passer la mer. L’avarice commande et tu obéis; Dieu commande et tu hais ses préceptes. Quoi encore? Dès qu’un homme cède à la haine, il cherche à incriminer ceux qui lui irêchent les préceptes du bien ; il se met à soupçonner des crimes chez les serviteurs de Dieu. Ils nous donnent ces préceptes, dit-on, mais ne les pratiquent point eux-mêmes. Qu’ils fassent le mal ou ne le fassent point, on les accuse, on jette le blâme sur le bien qu’ils font, et nos souffrances mêmes donnent lieu à la calomnie. Que pouvons-nous répondre? Ecoutez, non pas moi, mais la parole de Dieu; c’est lui qui vous parle par toutes sortes de personnes, et c’est à lui que s’attaque votre

 

1. Isa. XII, 13. — 2. I Cor. XV, 32 - 34, — 3. Matth. XI, 30.

 

haine. Soyez d’accord avec votre adversaire pendant que vous êtes en chemin avec lui 1; et vous avez pris pour adversaire la parole de Dieu. Ne considérez point si c’est tel ou tel qui vous parle : c’est un méchant peut-être qui vous parle au nom du Seigneur; mais la parole que Dieu vous adresse par cet homme n’est point mauvaise. Accusez le Seigneur, accusez-le si vous le pouvez.

5. Croiriez-vous, mes frères, que ceux dont il est dit: « Souvent ils m’ont attaquée depuis  ma jeunesse », ont eu l’audace d’accuser Dieu lui-même ? Blâme un avare, et à son tour il blâme Dieu qui a fait l’or. Ne sois point avare, lui dit-on, et il répond : Que Dieu ne fasse point d’or. Parce que tu ne saurais mettre un frein à tes oeuvres perverses, tu accuseras les oeuvres de Dieu qui sont excellentes? Tu prends à partie Celui qui a créé et formé le monde? Il n’aurait lias dû créer le soleil, parce que des hommes se traînent devant les tribunaux, pour des fenêtres, des vues de leurs appartements ? Oh ! si nous pouvions réprimer nos vices ! nous verrions que les oeuvres de Dieu sont bonnes, que Dieu créateur de toutes choses est bon, que ses oeuvres le louent, parce qu’en les considérant on voit qu’elles sont bonnes, dès qu’on les considère avec un esprit de sagesse, un esprit de piété. De toutes parts Dieu est loué dans ses oeuvres. Comme ses oeuvres chantent ses louanges dans la bouche des trois enfants ! Qu’y a-t-il d’oublié? Bénédiction des cieux, bénédiction des anges, bénédiction des astres, bénédiction du soleil et de la lune, bénédiction du jour et de la nuit, bénédiction de tout ce qui germe sur la terre, bénédiction de tout ce qui nage dans les mers, bénédiction de tout ce qui voltige dans les airs, bénédiction des montagnes et des collines, bénédiction de la chaleur et du froid, bénédiction de tout ce qu’a fait le Seigneur 2. Vous le voyez, toutes les oeuvres de Dieu le bénissent; mais avez-vous entendu que Dieu soit béni par l’avarice ou par la luxure? Tout cela ne bénit point Dieu, parce que Dieu ne l’a point fait. Les hommes le bénissent dans ce même cantique, parce que Dieu a fait l’homme. L’avarice est l’oeuvre de l’homme devenu méchant, mais l’homme est l’oeuvre de Dieu. Or, que veut le Seigneur? Détruire en toi ce qui est ton oeuvre, sauver ce qui est la sienne.

 

1. Matth. V, 25.—  2. Dan. III, 57-90.

 

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6. Ne prête point à usure. Tu incrimines l’Ecriture qui dit, à propos du juste, qu’ « il n’a point donné son argent à usure 1 ». Ce n’est point moi qui ai écrit cette parole, ni qui l’ai dite le premier. Ecoute le Seigneur. Mais alors, me dis-tu, que les clercs rie soient point usuriers. Peut-être celui qui te parle ne l’est-il point ; mais s’il l’est, oui, admettons qu’il le soit, le Dieu qui te parle par sa bouche l’est-il? Si ce prêtre pratique ce qu’il te prêche, et toi non, tu vas donc au feu éternel, et lui au royaume sans fin. S’il ne fait point ce qu’il dit, s’il fait le mal que tu fais toi-même, s’il prêche le bien saris le pratiquer, il va comme toi au feu éternel. « Toute la paille brûlera, mais la parole de Dieu demeurera éternellement 2 ». Brûlera-t-elle donc cette Parole qui s’est adressée à toi par sa bouche? Ou bien c’est Moïse qui te parle, c’est-à-dire un juste et fidèle serviteur de Dieu ; ou même un Pharisien assis dans la chaire de Moïse. Tu as entendu à ce propos cette parole : « Faites ce qu’ils disent, ne faites point ce qu’ils font 3». Tu n’as plus d’excuses, puisque c’est la parole de Dieu que tu entends. Mais comme tu ne saurais tuer la parole de Dieu, tu cherches à incriminer ceux qui te l’annoncent. Cherche à ton gré, parle à ton gré, blasphème à ton gré. « Bien des fois ils m’ont attaquée depuis ma jeunesse; qu’Israël dise maintenant : Bien des fois ils m’ont attaqué dès nia jeunesse». Les usuriers osent bien dire : Je n’ai pas d’autre moyen de vivre. Ainsi dirait un voleur pris sur le fait; ainsi le brigand que l’on saisirait près du mur d’autrui; ainsi le corrupteur qui achète les jeunes filles pour la prostitution ainsi le magicien qui fait du mal un trafic, de l’iniquité un commerce. Quelle que soit la profession infamante que nous cherchions à réprimer, on nous répondra toujours que l’on n’a pas d’autre nioyen de vivre, pas d’autre gagne-pain ; comme si l’on n’était pas d’autant plus coupable, par cela même que l’on a choisi pour vivre un métier criminel, et que l’on veut tirer sa subsistance de ce qui outrage celui qui fait subsister toutes les créatures.

7. Mais que l’on prêche de la sorte, que l’on tienne ce langage, les voilà qui répondent : S’il en est ainsi, nous ne marchons point; s’il en est ainsi, nous n’entrons point dans l’Eglise. Qu’ils viennent donc, qu’ils

 

1. Ps. XIV, 3. — 2. Isa. XL, 8. —  3. Luc, VIII, 15.

 

entrent, qu’ils entendent: « Bien des fois ils m’ont attaquée dès ma jeunesse. Mais ils n’ont rien pu contre moi; les pécheurs ont  forgé sur mon dos» ; c’est-à-dire, ils n’ont pu m’amener à leurs desseins; ils ont pesé sur moi, C’est là, mes frères, une parole admirable, et très significative : « Ils n’ont rien pu contre moi, les pécheurs ont forgé sur mon dos ». Ils essaient d’abord de nous amener à leurs desseins pervers ; et s’ils ne peuvent nous y amener, supportez-nous du moins, nous disent-ils. Ainsi donc, parce que tu n’as rien pu sur moi, monte sur mon dos, je dois te supporter jusqu’à ce que vienne la fin. Tel est le précepte, afin que je produise du fruit par la patience. Si je ne puis te corriger, du moins je te supporte, peut-être que si je te supporte, toi-même tu te corrigeras. Si tu es incorrigible jusqu’à la fin, je te supporterai jusqu’à la fin : jusqu’à la fin tu seras sur mon dos, mais pour un temps. Car pèseras-tu sur moi éternellement ?Non, il viendra Celui qui doit te secouer. Viendra le temps de la moisson, la fin du siècle, et Dieu enverra ses moissonneurs; et ces moissonneurs sont les anges qui sépareront les bons du milieu des méchants, comme on sépare l’ivraie du milieu du bon grain; qui mettront le bon grain dans les greniers, et jetteront la paille au feu qui ne s’éteindra jamais 1.Je vous ai porté autant que je l’ai pu, je passe maintenant avec joie dans les greniers de Dieu, et je chante avec assurance : « Bien des fois ils m’ont attaquée dès ma jeunesse ».

8. Qu’ont-ils pu me faire en m’attaquant dès ma jeunesse ? Ils m’ont éprouvé, mais sans m’accabler. ils ont été pour moi comme le feu pour l’or, mais non comme le feu pour la paille. Mettez l’or au feu, il en sort des scories; mettez-y la paille, elle est réduite en cendres. « Ils n’ont rien pu sur moi»; parce qu’ils n’ont pu m’amener à leurs desseins, ni me faire ce qu’ils sont eux-mêmes. « Les pécheurs ont forgé sur mon dos, ils ont éloigné leur injustice ». Ils ont fait ce que j’ai dû supporter, et non ce qui eût mérité mon assentiment. Ainsi leur injustice est déjà loin de moi. Les méchants sont mêlés aux bons, non-seulement dans ce monde, mais jusque dans l’Eglise, ils sont mêlés aux bons. Vous le savez, et vous en faites l’expérience ; et vous en ferez encore plus l’expérience à

 

1. Matth. XIII, 27-43.

 

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mesure que vous deviendrez bons. Car ce fut quand l’herbe eut grandi et produit du fruit que l’ivraie se montra aussi 1. Dans l’Eglise, il n’y a que l’homme juste qui découvre les méchants. Il y a donc un mélange, vous le savez, et l’Ecriture nous dit à chaque page que la séparation n’aura lieu qu’à la fin des siècles. Mais nonobstant ce mélange, il y a néanmoins une distinction, De peur toutefois que ce mélange des bons et des méchants ne donne lieu de croire que la justice touche de près à l’injustice: a Ils n’ont rien pu sur u moi s, dit le Psalmiste; c’est-à-dire, ils ont dit, mais dit en insensés: « Mangeons et buvons, nous mourrons demain 2 ». Leurs discours pervers n’ont point corrompu en moi les moeurs pures ; je n’ai point écouté, d’une part, la parole de Dieu, pour céder d’autre part aux discours des méchants. Les oeuvres des méchants, je les ai supportées sans y consentir, et leur iniquité est loin de moi. Quoi de plus rapproché que deux bornoies dans l’Eglise ? Quoi de plus éloigné que la justice et l’injustice ? Mais l’assentiment fait le rapprochement. On lie ensemble deux hommes, que l’on mène devant le juge. L’un est un voleur, un scélérat, l’autre un innocent : une même chaîne les retient, et néanmoins ils sont éloignés l’un de l’autre. De quelle distance sont-ils éloignés? de toute la distance qui sépare le crime de l’innocence. Ils sont donc fort éloignés l’un de l’autre. Mais ce voleur qui fait le mal en Espagne, est tout près de celui qui le fait en Afrique. De combien en est-il proche ? Comme le crime l’est du crime, le brigandage du brigandage. Que nul dès lors ne redoute le mélange corporel des méchants. Qu’il s’en éloigne de coeur; et il supporte avec assurance ce qu’il n’a point à craindre: « Leur injustice est loin de moi ».

9. Mais qu’arrive-t-il? Voilà que ceux qui règnent dans l’injustice sont florissants dans le inonde : et pour parler comme le vulgaire, voilà que les méchants tonnent, qu’ils s’élèvent avec orgueil, qu’ils répandent la calomnie. Est-ce donc là ce qui durera toujours? Nullement; écoute la suite: « Le Seigneur qui est juste brisera la tête des pécheurs ». Que votre charité soit attentive. « Le Seigneur dans sa justice brisera la tête des pécheurs ». Qui ne tremblerait à cette parole ? Car où est

 

1. Matth. XIII, 26. — 2. Isa. XXIII, 13 ; I Cor. XV, 32.

 

l’homme sans péché? « Le Seigneur dans sa justice brisera la tête des pécheurs ». Quiconque entend ces paroles est saisi de crainte, s’il croit aux divines Ecritures. Si, en effet, l’on n’a aucun motif de se frapper la poitrine et qu’on le fasse quand on est juste, c’est mentir; mais mentir à Dieu c’est devenir pécheur. Si donc on a raison de se frapper la poitrine, on est pécheur. Et qui d’entre nous ne se frappe la poitrine? Qui d’entre nous ne tient ses regards fixés à terre comme le publicain, pour dire: « Seigneur, ayez pitié de moi qui suis pécheur 1? » Si donc tous sont pécheurs, et si nul n’est sans péché, tous doivent craindre ce glaive qui menace leur tête : car « le Seigneur dans sa justice brisera les têtes des pécheurs ». Toutefois, mes frères, je ne crois point qu’il s’agisse ici de tous les pécheurs; mais l’endroit qu’il frappe nous désigne quels pécheurs seront frappés. Car il n’est point dit : Le Seigneur qui est juste brisera la main des pécheurs, ou même leur brisera les pieds; mais le Prophète voulait désigner entre les pécheurs ceux qui sont orgueilleux, et les pécheurs orgueilleux lèvent la tête, non-seulement parce qu’ils commettent le mal, mais parce qu’ils ne veulent point le reconnaître, et qu’ils se justifient dès qu’on le leur reproche. Voilà, leur dit-on, que tu es coupable, reconnais ta faute ; le Seigneur hait le pécheur, hais-le à ton tour; sois uni au Seigneur, afin de poursuivre ton péché avec lui. Point du tout, répond-il, j’ai fait le bien, c’est Dieu qui a fait le mal. Je m’explique, mes frères. Je n’ai fait aucun mal, nous dit ce pécheur. C’est Saturne qui l’a fait, c’est Mars, c’est Vénus: pour moi, je n’ai rien fait, mon étoile a tout fait. Tu le justifies, en accusant le Seigneur qui a fait les étoiles pour en orner les cieux. Tu excuses donc ton péché, en t’élevant contre Je Seigneur ; car tu te dis innocent et Dieu coupable, et tu lèves dès lors un cou inflexible pour t’élancer contre Dieu, ainsi qu’il est dit au livre de Job à propos du pécheur obstiné: « Il s’est élancé contre Dieu, élevant comme un bouclier son cou gonflé d’orgueil 2 ».

Comme le Psalmiste, Job a nommé le cou. Tu t’élèves donc au lieu de fixer tes regards sur la terre, de frapper ta poitrine, et de dire au Seigneur: « Ayez pitié de moi qui suis un pécheur » ; te voilà vantant tes mérites,

 

1. Luc, XVIII, 13. — 2. Job, XV, 26.

 

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et même, dit le Seigneur, disputant avec moi, entrant en jugement avec moi 1, au lieu de chercher à satisfaire à Dieu pour tes

fautes, et de pousser vers lui ces cris d’un autre psaume: « Si vous vous souvenez des iniquités, Seigneur, qui pourra subsister  devant vous, ô mon Dieu 2? » Et ces autres cris d’un autre psaume encore : «  Je l’ai dit, ô mon Dieu, ayez pitié de moi, guérissez mon âme , parce que j’ai péché contre vous 3 ». Parce que tu rejettes ces prières, prétendant te justifier contre la parole du Seigneur lui-même, voilà que retombe sur toi cette parole de l’Ecriture : « Le Seigneur brise le cou des pécheurs4 ».

10. « Qu’ils soient confondus et rejetés en arrière, tous ceux qui détestent Sion ». Haïr Sion, c’est haïr l’Eglise; car Sion c’est l’Eglise; et c’est haïr l’Eglise que d’y entrer avec dissimulation. C’est haïr l’Eglise encore que ne point pratiquer la parole de Dieu. « Les pécheurs ont pesé sur mon dos ». Que fera l’Eglise, sinon de les tolérer jusqu’à la fin ?

11. Mais que dit le Prophète? « Qu’ils soient», dit-il, « comme l’herbe des toits, qui se dessèche avant qu’on l’arrache ». Cette herbe des toits est une herbe qui croit sur les toits, sur les plates-formes. Elle s’élève bien haut, mais n’a point de racines. Quel avantage n’aurait-elle point de naître en des lieux plus bas, et de demeurer verte plus longtemps? Mais ce n’est que pour sécher bientôt qu’elle vient sur les hauteurs. On ne l’arrache point encore et la voilà desséchée : et nos impies, avant d’être frappés au jugement de Dieu, n’ont déjà plus de sève. Examinez leurs oeuvres, et voyez qu’ils sont vraiment desséchés. Ils vivent néanmoins, ils sont ici-bas, ils ne sont point arrachés, et avant d’être arrachés les voilà desséchés. Ils sont devenus « comme l’herbe des toits qui se fane même avant qu’on l’arrache ».

12. Les moissonneurs viendront, mais n’en recueilleront pas les gerbes. Ils viendront en effet, ils ramasseront le froment pour les greniers célestes , et lieront l’ivraie en gerbes qu’ils jetteront au feu. Ainsi est traitée l’herbe des toits, on jette au feu ce qu’on en arrache, parce qu’elle est desséchée même sur pied. Le moissonneur n’en remplit pas sa main, comme le dit le psaume : « Elle ne remplit

 

1. Jérém. II, 29. — 2. Ps. CXXIX, 3.— 3. Id. XII 5.— 4. Id. CXXVIII, 5.— 5. Id. 6.

 

pas la main du moissonneur, ni le sein de celui qui récolte les gerbes 1. Or, ces moissonneurs ce sont les anges 2 », dit le Seigneur.

13. « Et les passants n’ont point dit : Que le Seigneur vous bénisse; nous vous bénissons au nom du Seigneur 3». Vous le savez, mes frères, lorsqu’on passe devant les travailleurs, c’est la coutume de leur dire: « Que Dieu vous bénisse! » Et cette coutume se pratiquait avec plus de soin encore parmi les Juifs. Nul ne passait auprès d’un travailleur dans les champs, dans la vigne, à la moisson, ou quelque part, sans appeler la bénédiction de Dieu sur lui. Autre est celui qui récolte ses gerbes, et autre celui qui passe par la voie. Ceux qui récoltent les gerbes ne remplissent pas leurs mains de cette herbe des toits, que l’on ne récolte pas pour le grenier céleste. Qui donc recueille des gerbes? Le moissonneur. Quels sont les moissonneurs? Le Seigneur l’a dit : « Ces moissonneurs ce sont les anges ».Quels sont les passants? Ceux qui ont déjà passé par cette voie, c’est-à-dire, ceux qui par une vie sainte ont passé de ce monde à la céleste patrie. C’est par cette même voie qu’ont passé les Apôtres, qu’ont passé les Prophètes. Quels travailleurs les Apôtres et les Prophètes ont-ils bénis? Ceux en qui ils voyaient la racine de la charité. Quant à ceux qu’ils ont trouvés sur leurs toits, relevant leur cou gonflé d’orgueil, comme un bouclier, ils leur ont prédit ce qu’ils deviendraient, mais sans les bénir. Ainsi donc tous ces méchants que supporte l’Eglise, vous qui lisez les saintes Ecritures , vous les voyez maudits, mis à part comme l’héritage de l’Antéchrist, ou dit diable, ils sont la paille, ils sont l’ivraie. Ils sont désignés par des comparaisons sans nombre. « Tous ceux qui me disent : Seigneur , Seigneur, n’entreront point pour cela dans le royaume des cieux 4 ». Tu ne trouveras aucun endroit de l’Ecriture pour en parler favorablement, parce que ceux qui passaient sur la voie ne les omit point bénis, David que nous avons en nos mains, a passé de même sur la voie; et vous avez entendu ses paroles : « Le Seigneur dans sa justice brisera le cou des pécheurs. Qu’ils soient confondus, refoulés en arrière , ceux qui haïssent Sion. Qu’ils soient comme l’herbe des toits, qui se fane avant qu’on l’arrache.

 

1. Ps CXXVIII, 7. — 2. Matth. XIII, 39. — 3. Ps. CXXVIII, 8. — 4. Matth. VII, 21.

 

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Elle n’emplit pas la main du moissonneur, ni le sein de celui qui récolte ses gerbes ». C’est ainsi qu’il en parle. Ainsi David, passant auprès de ces hommes, ne les a point bénis, accomplissant lui-même sa prophétie : « Et ceux qui passeront par la voie, n’ont point dit: Nous vous bénissons au nom du Seigneur ». Et toutefois ces passants, Prophètes, Patriarches, Apôtres, tous ceux qui ont passé, nous ont bénis, mes frères, « au nom du Seigneur », si nous vivons saintement. Comment, diras-tu, Paul m’a-t-il béni ? Comment Pierre m’a-t-il béni ? Ecoute les saintes Ecritures, vois si tu vis saintement, et tu verras qu’ils t’ont béni. Ils ont béni tous ceux qui ont vécu saintement. Et comment nous ont-ils bénis? « Au nom du Seigneur », et non pas en leur propre nom, comme les hérétiques. Ceux qui sien viennent dire : Ce que nous donnons, voilà ce qui est saint, prétendent bénir en leur propre nom, et pas au nom du Seigneur. Mais ceux qui disent que nul ne peut rendre saint, sinon le Seigneur, que nul n’est bon que par la grâce de Dieu, ceux-là bénissent au nom du Seigneur, et pas en leur propre nom ; ils sont les amis de l’Epoux, et répudient tout adultère avec l’Epouse 1.

 

1. Jean, III, 19.

DISCOURS SUR LE PSAUME CXXIX.
SERMON AU PEUPLE.
L’ESPÉRANCE DU PÉCHEUR.
 

Du fond de l’abîme le Prophète a crié vers le Seigneur. Cet abîme est celui du péché, et l’homme qui a pu y tomber ne saurait s’en relever par lui-même. Crier c’est déjà en sortir ; compter sur soi-même, ou s’abandonner au mal par désespoir, c’est dédaigner le secours divin, et Jésus-Christ est venu nous soulever afin de nous faire crier. C’est donc le pécheur qui crie, et il crie par espérance, et cette espérance lui vient de Jésus-Christ, dont la loi nous apprend à supporter les pécheurs sans donner à leurs fautes aucun assentiment. Comme nos fautes, quoique légères, sont nombreuses néanmoins, crions vers le Seigneur, et attendons de lui la vie éternelle qui commencera par notre résurrection, basée sur celle de Jésus-Christ qui a pris notre chair, pour mourir et ressusciter à la vigile du matin; espérons jusqu’à la nuit, ou jusqu’à la mort. Lui seul est ressuscité pour ne plus mourir, et nous faire espérer une semblable résurrection. L’espérance est la garantie de la vertu, mais n’espérons pas les biens de cette vie, que n’ont recherchés ni les martyrs ni le Divin Maître. En résumé, espérons dans la miséricorde de celui qui veut nous racheter, qui le peut seul parce que seul il est sans péché.

 

 

1. Nous présumons, mes frères, que vous veillez non-seulement des yeux du corps, mais aussi des yeux de l’âme, et dès lors nous devons chanter avec intelligence : « Du fond de l’abîme, Seigneur, j’ai crié vers vous; Seigneur, exaucez ma voix 1 ». Ces paroles sont d’une âme qui s’élève, et dès lors appartiennent aux cantiques des degrés. Chacun de nous doit donc examiner dans quel abîme il est descendu, et d’où il doit crier vers le Seigneur. Jonas cria du fond de l’abîme, du sein de la baleine 2. Non-seulement il était sous les flots, mais dans les entrailles d’un monstre marin : et ni ces abîmes, ni ces entrailles, n’empêchèrent sa prière de s’élever jusqu’à Dieu, et le ventre de la baleine ne ferma point le passage à sa voix suppliante. Sa prière pénétra tout, brisa tout, et arriva aux oreilles de Dieu, si l’on peut dire, néanmoins, qu’elle brisa tout pour arriver aux oreilles de Dieu, quand le Seigneur avait les oreilles dans le coeur du Prophète suppliant. Où, en effet, Dieu n’est-il point présent pour le fidèle qui l’invoque? Toutefois considérons aussi de quel abîme nous crions vers le Seigneur. L’abîme pour nous est cette vie mortelle. Tout homme qui comprend cet abîme, crie, gémit, soupire, jusqu’à ce qu’il sorte des profondeurs, et s’élève jusqu’à Celui qui est assis au-dessus des

 

1. Ps. CXXIX, 1, 2.— 2. Jonas, II, 2.

 

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abîmes et des Chérubins, au-dessus de toutes les créatures, et corporelles et spirituelles, qui sont ses oeuvres; jusqu’à ce que l’âme arrive à lui, et que soit délivrée par lui son image qui est l’homme, et qui, à force d’être tourmentée dans ce gouffre et agitée par les flots, a été défigurée; image toujours dans l’abîme si elle n’est renouvelée et restaurée par le même Dieu qui l’a imprimée en l’homme; car l’homme qui a bien pu tomber par lui-même, est impuissant à se relever; oui, dis-je, image qui demeure dans l’abîme, si Dieu ne l’en retire. Mais crier du fond de l’abîme, c’est sortir de l’abîme, et ce cri même empêche qu’on soit longtemps dans ces profondeurs. Ils sont bien dans les derniers abîmes, ceux qui ne crient pas même vers le Seigneur. « Quand le pécheur est descendu dans les profondeurs du mal, il méprise 1». Voyez, mes frères, s’il est un abîme plus profond que le mépris de Dieu. Quand un homme se voit chaque jour accablé de péchés, brisé en quelque sorte sous le poids, sous la Montagne de ses iniquités ; dites-lui de prier Dieu, il vous oppose le sarcasme. Comment cela? Si mes péchés déplaisaient à Dieu, serais-je encore en vie? Si Dieu prenait soin des choses d’ici-bas, après tant de crimes que j’ai commis, non-seulement serais-je en vie, mais se pourrait-il que je fusse heureux? Voilà en det ce qui arrive d’ordinaire à ceux qui s’engloutissent dans l’abîme, et qui sont heureux dans leur désordre; plus ils semblent heureux, plus profond est leur abîme. Car un faux bonheur n’est qu’un surcroît de malheur. On dit encore: Puisque j’ai commis tant de fautes, et que ma damnation est proche, c’est perdre pour moi que ne point faire ce que je puis;dès lors que je suis toujours perdu, pourquoi ne pas agir à mon gré? C’est le langage des brigands les plus désespérés : Si le juge doit m’envoyer à la mort pour dix homicides, comme pour quinze, comme pour un seul, pourquoi ne point faire tout ce qu’il me vient à la pensée? Tel est le sens de cette parois: « Quand le pécheur est arrivé au fond de l’abîme, il dédaigne ». Mais Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui n’a point méprisé nos abîmes, qui a daigné descendre jusqu’à cette misérable vie, en nous promettant la rémission de nos péchés, a soulevé l’homme du fond de cet abîme, l’a forcé de crier sous le poids de

 

1. Prov. XVIII, 3.

 

ses fautes, afin que la voix de ce pécheur pût arriver jusqu’à Dieu. D’où pouvait-il crier, si ce n’est du fond des malheurs?

2. Or, voyez que c’est de l’abîme que s’élève cette voix du pécheur: « Du fond de l’abîme, Seigneur, je crie vers vous; Seigneur,exaucez ma prière. Que vos oreilles soient attentives à la voix de mes supplications ». D’où vient ce cri? du fond des abîmes. Quel est l’homme qui crie? le pécheur. Quelle espérance le fait crier ? l’espérance qu’a donnée au pécheur descendu dans l’abîme Celui qui est venu nous délivrer de nos péchés. Aussi qu’est-il dit après ces paroles ? « Seigneur, si vous examinez nos péchés, qui pourra subsister, ô mon Dieu? » Voilà que le Prophète nous montre de quel abîme il pousse des cris. Il s’écrie sous les montagnes, sous les flots de ses péchés. Il s’est regardé, il a regardé sa vie, il n’a vu de toutes parts que les souillures des vices et du crime : nulle part il n’a vu le bien, ni pu découvrir un rayon de justice. A la vue de ses péchés si graves et si nombreux, à la vue de tant de crimes, il s’écrie dans sa stupeur: « Hélas! Seigneur, si vous examinez les iniquités, qui pourra subsister devant vous, ô mon Dieu? » Il ne dit point : Je ne pourrai soutenir votre présence; mais : « Qui pourra la soutenir ? » Il voit que la vie humaine est un long aboiement du péché, que toutes les, consciences sont condamnées par leurs propres pensées, et qu’il n’est pas un coeur assez chaste pour présumer de sa justice. Si donc il n’est pas un coeur assez chaste pour avoir confiance en sa propre justice, que le coeur de tous les hommes se confie en la divine miséricorde, et s’écrie : « Seigneur, si vous examinez les iniquités, qui pourra subsister, ô mon Dieu? »

3. Or, d’où vient l’espérance? « Mais en vous il y a propitiation 1 ». Qu’est-ce que la propitiation, sinon le sacrifice? Qu’est-ce que le sacrifice, sinon l’offrande que l’on a faite pour nous? Un sang innocent a été répandu pour laver les péchés des coupables; et une telle rançon a racheté tous les captifs de la puissance de l’ennemi qui s’en était rendu maître. Il y a donc en vous propitiation. Si vous n’étiez enclin à pardonner, si vous ne vouliez être qu’un juge sans miséricorde, examiner, rechercher toutes les iniquités, qui pourrait subsister? qui pourrait se tenir en

 

1. Ps. CXXIX, 4.

 

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votre présence, et vous dire : Je suis innocent? Qui pourrait soutenir l’éclat de votre jugement? Il ne nous reste donc pour unique espérance « que la propitiation qui est en vous. Et je vous ai attendu, Seigneur, à cause de votre loi ». Quelle loi? Celle qui fait les coupables? Or, Dieu a donné aux Juifs une loi sainte, juste 1, bonne, mais qui n’a pu que faire des pécheurs. Elle n’était point de nature à donner la vie 2, mais à montrer au pécheur ses fautes. Le pécheur en effet s’était oublié, il ne se voyait point, et la loi lui fut donnée afin qu’il se vît. La loi donc a rendu l’homme coupable, mais le législateur l’a délivré : ce législateur est le souverain Maître. La loi donc a été donnée pour effrayer, pour tenir le pécheur dans des liens; elle ne délivre donc pas des péchés, mais elle montre le péché. Peut-être que l‘interlocuteur, placé sous la loi, a reconnu dans l’abîme tous les crimes qu’il a commis contre la loi, et alors il s’est écrié : « Si vous examinez les iniquités, qui donc pourra subsister, ô mon Dieu? » Il y a donc en Dieu une loi de propitiation, une loi de miséricorde. Celle qui fut donnée était une loi de crainte, mais il est une autre loi d’amour. Cette loi d’amour donne le pardon des péchés, elle efface les fautes passées, avertit au sujet de l’avenir: elle n’abandonne pas en chemin celui qu’elle accompagne, elle est elle-même la compagne de celui qu’elle guide en chemin. Mais il faut t’accorder avec ton adversaire 3, pendant que tu es en route avec lui. Et cet adversaire pour toi, c’est la parole de Dieu, si tu n’es pas en harmonie avec elle. Cette harmonie s’établit dès lors que tu trouves ton plaisir à faire ce que t’ordonne la parole de Dieu. L’adversaire devient ami, et au bout de la route il n’y aura personne pour te livrer au juge. Donc «je vous ai attendu, Seigneur, à cause de votre loi ». Parce que vous avez daigné m’apporter une loi de miséricorde, me pardonner toutes mes fautes et me donner de sages conseils pour l’avenir, afin que je ne vous offense plus et quand mes pieds chancelleront en suivant vos conseils, vous m’avez donné un remède, en mettant dans ma bouche cette prière : « Remettez-nous nos dettes, comme nous remettons à ceux qui nous doivent 4». Telle est votre loi, qu’il me sera remis comme j’aurai remis à mon frère. « J’ai attendu,

 

1. Rom. VII, 12.— 2. Gal. III, 21.— 3. Matth. V, 25.— 4. Id. VI, 12.

 

« Seigneur, à cause de votre loi ». J’ai attendu quand il vous plairait de venir et de me délivrer de toutes mes misères, parce que dans ces misères vous n’avez point délaissé la loi de la miséricorde.

4. Ecoute de quelle loi il s’agit, situ n’as compris encore qu’il est question de la loi de charité: «Portez mutuellement vos fardeaux », dit l’Apôtre, « et de la sorte vous accomplirez la loi du Christ 1». Quels hommes portent mutuellement leurs fardeaux, sinon ceux qui ont la charité? Ceux qui n’ont point la charité sont à charge à eux-mêmes, tandis que les hommes charitables se supportent mutuellement. Un homme te blesse et te demande pardon; lui refuser ce pardon, c’est ne point porter le fardeau de ton frère ; lui pardonner, c’est le porter dans son infirmité. Et toi, qui es homme, situ viens à tomber dans quelque faiblesse, il doit à son tour te supporter comme tu l’as supporté. Ecoute ce qu’avait dit saint Paul auparavant: « Mes frères», dit-il, « si un homme est surpris dans quelque péché, vous qui êtes spirituels, instruisez-le dans l’esprit de douceur 2». Et de peur qu’ils ne se crussent en sûreté parce qu’il lés avait appelés spirituels, il ajoute aussitôt : « En réfléchissant sur toi-même, et craignant d’être tenté aussi ». Puis il ajoute ce que je viens de citer: « Portez mutuellement vos fardeaux et vous accomplirez ainsi la loi du Christ » ; ce qui a fait dire an Prophète « J’ai attendu, Seigneur, à cause de votre loi ». On dit que les cerfs, quand ils passent quelque détroit pour aller chercher des pâturages dans les îles voisines, posent la tête l’un sur l’autre ; le premier seulement soutient sa tête sans l’appuyer sur aucun. Mais quand il est fatigué, il quitte la tête de colonne pour revenir en arrière et se reposer sur un autre. C’est ainsi que tous portent mutuellement leurs fardeaux, et arrivent au lieu recherché; ils ne font pas naufrage, la charité est pour eux comme un vaisseau, C’est donc la charité qui porte les fardeaux, mais qu’elle ne craigne point de succomber sous leur poids ; chacun ne doit redouter que le poids de ses propres fautes. Supporter la faiblesse de son frère, ce n’est point te charger de ses péchés; mais y consentir, c’est te charger des tiens, et non des siens : quiconque en effet adhère aux désirs du pécheur, n’est point chargé par les fautes

 

1. Gal. VI, 2. — 2. Id. 1.

 

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d’autrui, mais bien par les siennes. Consentir en effet au péché d’un autre, c’est pécher toi-même; et dès lors tu n’as plus àte plaindre d’être accablé par les péchés d’autrui. On te répondra qu’en effet tu es accablé, mais par les tiens. Tu as vu un voleur et tu as couru avec lui 1, dit l’Ecriture. Qu’est-ce à dire ? Que tes pieds ont marché pour commettre le vol ? Point du tout; niais que ton intention était unie à celle du voleur. Ce qui n’était une faute que pour lui, est devenu faute pour toi, par ton assentiment. Mais au contraire, si son péché t’a déplu, et que tu aies prié pour lui, situ lui as pardonné sur ses instances, de sorte que tu puisses prononcer sans trembler cette parole enseignée par le Souverain Législateur : « Remettez-nous nos dettes comme nous remettons à ceux qui nous doivent 2 », tu as appris à porter les fardeaux de ton frère, afin qu’un autre porte aussi ceux que tu pourras avoir, et que s’accomplisse entre vous ce mot de l’Apôtre : « Portez mutuellement vos fardeaux et vous accomplirez ainsi la loi du Christ 3 ». Ainsi tu chanteras avec assurance : « Seigneur, je vous ai attendu à cause de votre loi ».

5. Quiconque n’observe point cette loi, n’attend point le Seigneur; et quand même il l’attendrait, s’il ne l’attend à cause de cette loi, son attente est vaine; le Seigneur viendra sans doute, et trouvera tes péchés. Tu crois avoir vécu dans une justice parfaite, et dès lors il ne trouvera point l’homicide en toi. C’est un grand crime, en effet, un crime énorme. Il ne trouvera point l’adultère; il ne trouvera point le vol, il ne trouvera point la rapine, il ne trouvera point l’idolâtrie ; voilà ce qu’il ne trouvera point : n’est-il donc rien qu’il puisse trouver? Ecoute la parole de l’Evangile: «Quiconque dira à son frère: Tu es un fou ». Qui donc est exempt de ces fautes légères de la langue? Elles sont légères, diras-tu. « Celui-là », dit le Sauveur, « sera condamné au feu de l’enfer 4 ». Si, dire àton frère: Tu es un fou, te paraissait une faute légère, que du moins le feu de l’enfer soit pour toi quelque chose dc grand. Si tu dédaignais une faute légère, que la gravité du châtiment t’effraie du moins. Mais, diras-tu encore, ce sont là des fautes légères, des minuties dont la vie ne saurait être exempte. Réunis ces minuties, elles seront des montagnes.

 

1. Ps. XLIX, 18.— 2. Matth. VI, 12.— 3.Gal. VI, 2.— 4. Matth. V, 22.

 

Des grains de blé sont petits, et forment néanmoins une grande masse; des gouttes d’eau sont petites, et néanmoins elles formeDt des fleuves qui entraînent les chaussées. L’interlocuteur, considérant combien sont nombreuses les fautes légères que l’homme commet chaque jour, sinon autrement, dii moins par la pensée et par la langue, considérant que si elles ne sont point graves séparément, du moins, réunies, elles forment une grande masse, effrayé plus encore de la fragilité humaine que de ses fautes passées, «Seigneur», dit-il, « du fond de l’abîme j’ai crié vers vous ; Seigneur, écoutez ma voix. Que vos oreilles soient attentives à la voix de ma « prière, Si vous tenez un compte exact des iniquités , qui pourra subsister, ô mon Dieu ? » Je puis éviter les homicides, les adultères, les rapines, les parjures, les maléfices, l’idolâtrie. Mais les péchés de la langue? Mais les péchés du coeur? Il est écrit que « le péché c’est l’iniquité 1; qui donc pourra subsister, si vous tenez un compte exact des iniquités ? » Si vous voulez être pour nous un juge sévère, non un père miséricordieux, qui pourra soutenir votre présence? mais « en vous il y a propitiation, et je vous ai attendu à cause de votre loi ». Quelle est cette loi? « Portez mutuellement vos fardeaux, et ainsi vous accomplirez la loi du Christ 2 ». Quels hommes portent mutuellement leurs fardeaux? Ceux qui disent à Dieu en toute fidélité : « Remettez-nous nos dettes, comme « nous remettons à ceux qui nous doivent 3».

6. « Mon âme a attendu à cause de votre parole ». Nul n’attend, sinon celui qui n’a point reçu encore ce qu’on lui avait promis. Qu’attendrait celui qui a déjà reçu? Nous avons reçu la rémission des péchés, mais Dieu nous a promis en outre le royaume des cieux. Nos péchés sont effacés, mais la récompense est encore à venir le pardon est accordé, mais nous ne possédons point encore la vie éternelle. Or, celui qui nous a pardonné est le même qui nous a promis la vie sans fin. Si c’était une promesse humaine, il y aurait à craindre; mais c’est la promesse de Dieu qui est infaillible. Nous attendons dès lors en toute sécurité sa parole qui ne saurait nous tromper. « Mon âme a espéré dans le Seigneur, depuis la veille du matin jusqu’à la nuit ». Que signifie cette parole?

 

1. I Jean, III, 4.— 2. Gal. VI, 2.— 3. Matth. VI, 12.— 4. Ps. CXXIX, 5,6.

 

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Le Prophète a-t-il espéré un jour seulement dans le Seigneur, et son espérance a-t-elle cessé? Il a espéré dans le Seigneur depuis la vigile du matin jusqu’à la nuit. La vigile du matin, c’est la fin de la nuit ; de là jusqu’à l’autre nuit, il a espéré dans le Seigneur. Entendons bien ces paroles, et n’allons pas croire que nous ne devons espérer dans le Seigneur que pendant un jour seulement. « Depuis la vigile du matin jusqu’à la nuit ». Que pensez-vous donc, mes frères? Il est dit : « Depuis la vigile du matin jusqu’à la nuit, mon âme a espéré dans le Seigneur »: parce que le Seigneur, par qui nos péchés nous sont pardonnés, est ressuscité d’entre les morts à la vigile du matin, afin que nous concevions pour nous l’espérance de ce qui a été d’abord accompli en Notre-Seigneur. Nos péchés sont remis à la vérité, niais nous ne sommes point ressuscités encore. Si donc nous ne sommes point ressuscités encore, ce qui s’est accompli en notre chef n’est point accompli en nous. Qu’a-t-il paru d’abord dans notre chef? Que la chair de ce chef est ressuscitée; niais l’esprit de ce chef était-il donc mort? Ce qui était donc mort en lui est ressuscité, et il est ressuscité le troisième jour ; et le Seigneur nous a dit en quelque sorte : Espérez pour vous ce qui s’est accompli en moi, c’est-à-dire que vous ressusciterez parce que moi-même je suis ressuscité.

7. Mais il en est qui disent : Voilà que le Seigneur est ressuscité ; puis-je donc espérer que je ressusciterai de même ? Oui, par la même raison. Car le Seigneur est ressuscité dans ce qu’il avait pris de toi. Il ne serait point ressuscité en effet, s’il n’eût passé par la mort, et il n’eût point passé par la mort s’il n’eût porté une chair. Qu’a reçu de toi le Seigneur? La chair. Qu’était-il quand il est venu? Le Verbe de Dieu, lequel était avant toutes choses, et par qui tout a été fait. Mais parce qu’il voulait prendre quelque chose de toi, « le Verbe a été fait chair et a demeuré parmi nous 1». Il a donc reçu de toi ce qu’il devait offrir pour toi; de même que le prêtre reçoit de tes mains ce qu’il doit offrir pour toi, quand tu veux apaiser Dieu sur tes péchés. Voilà ce qui s’est tait, et cela s’est fait ainsi. Notre souverain Prêtre a reçu de nous ce qu’il devait offrir pour nous. Il a pris de nous une chair, et dans cette chair il est devenu notre

 

1.  Jean, I, 1, 3, 14.

 

victime, notre holocauste, notre sacrifice. Il est devenu notre sacrifice dans sa passion; dans sa résurrection, il a renouvelé ce qui en lui avait reçu la mort, et l’a offert à Dieu comme prémices, et il t’a dit : Tout ce que j’avais de toi est maintenant consacré à Dieu; j’ai offert à Dieu des prémices qui viennent de toi : espère dès lors qu’en toi s’accomplira ce qui s’est accompli tout d’abord dans ces mêmes prémices.

8. Comme donc c’est à la vigile du matin que le Christ a commencé à ressusciter; c’est alors que notre âme a commencé à espérer. Et jusqu’à quel moment? « Jusqu’à la nuit », jusqu’à notre mort ; puisque la mort de notre chair n’est en quelque sorte qu’un sommeil. C’est à la résurrection du Sauveur qu’a commencé ton espérance, qu’elle ne finisse qu’à ta sortie de ce monde. Si tu n’espères en effet jusqu’à la nuit, ton espérance passée est perdue. Il est en effet des hommes qui commencent à espérer, mais qui ne persévèrent pas jusqu’à la nuit. Les voilà dans les afflictions, les voilà dans la tentation, ils voient les méchants, les impies dans une félicité temporelle ; et comme ils attendaient de Dieu quelque bonheur ici-bas, ils voient que ce bonheur qu’ils convoitent est le partage d’hommes criminels : et les voilà chancelants, perdant toute espérance. Pourquoi? parce que leur espérance n’a point commencé à la vigile du matin. Qu’est-ce à dire? Parce qu’ils n’ont point commencé par espérer du Seigneur, ce qu’ils ont vu tout d’abord dans ce même Seigneur, à la vigile du matin ; mais ils espéraient qu’en devenant chrétiens, ils auraient des maisons regorgeant de froment, de vin, d’huile, d’argent, d’or; que nul d’entre eux ne mourrait prématurément ; s’ils n’avaient point d’enfants, qu’ils en auraient en devenant chrétiens; s’ils n’étaient mariés, qu’ils trouveraient une épouse; que leurs épouses, non-seulement, mais leurs bestiaux, ne seraient point stériles ; que leurs vins ne s’aigriraient Plus ; que la grêle n’atteindrait point leurs vignes. Après avoir espéré ces biens de la part du Seigneur, on voit que ceux qui ne servent point Dieu, possèdent cependant toutes ces richesses, et l’on chancelle, et l’on n’espère plus jusqu’à la nuit, parce que l’on n’a point commencé à espérer à la vigile du matin.

9. Quel est donc l’homme qui commence à (89) espérer à la vigile du matin ? Celui qui attend du Seigneur ce que le Seigneur nous a montré à la vigile du matin, c’est-à-dire la résurrection. Avant lui nul n’était ressuscité pour ne plus mourir. Que votre charité veuille bien m’écouter, Quelques morts sont ressuscités avant Jésus-Christ; car Elie ressuscita un mort, Elisée également 1; mais ces morts ne ressuscitèrent que pour mourir de nouveau. Ceux mêmes que le Christ ressuscita, ne ressuscitèrent que pour mourir encore, soit le fils de la veuve, soit cette enfant de douze ans, fille du chef de la synagogue, roit Lazare 2 ; ils ressuscitèrent de différentes manières, mais pour mourir une seconde fois pour eux une seule naissance et une double mort. Nul autre que le Seigneur n’était ressuscité pour ne plus mourir. Mais quand est-il ressuscité pour ne plus mourir? « A la vigile du matin ». Espère donc du Seigneur que tu ressusciteras, non comme Lazare est ressuscité, non comme le fils de la veuve, ou la fille du chef de la synagogue, non comme ceux que ressuscitèrent les anciens Prophètes; mais espère que tu ressusciteras comme le Seigneur lui-même, en sorte qu’après cette résurrection tu n’auras plus à craindre la mort; voilà espérer dès la vigile du matin.

10. Espère jusqu’à la nuit, jusqu’à la fin de cette vie, jusqu’à ce qu’une nuit générale enveloppe le genre humain à la fin du monde. Pourquoi jusque-là? C’est qu’après cette nuit, il n’y aura plus d’espérance, mais bien la réalité. L’espérance en effet n’est plus une espérance dès qu’on la voit; et l’Apôtre a dit : « Comment espérer ce que l’on voit? Or, si nous espérons ce que nous ne voyons pas, nous l’attendons par la patience 3 ». Si donc nous devons attendre patiemment ce que nous ne voyons point, espérons jusqu’à la nuit, c’est-à-dire jusqu’à la fin de notre vie, ou du monde. Mais quand cette vie sera écoulée, alors viendra ce que nous avons espéré, et alors sans être dans le désespoir, nous n’aurons plus d’espérance. Le désespoir en effet est blâmable, et dans nos imprécations contre un homme, nous disons: Il n’a aucune espérance. Et toutefois, être sans espérance n’est pas toujours un mal. C’est un mal, sans doute, de n’en point avoir en cette vie; car celui qui n’a point l’espérance en cette vie, n’aura

 

1. III Rois, XVII, 22 ; IV Rois, IV, 35. — 2. Luc; VII, 15; VIII, 55; Jean, XI, 44. — 3. Rom. VIII, 24, 25.

 

point la réalité dans l’autre vie. Donc il nous faut espérer maintenant; mais, quand nous posséderons la réalité, que deviendra l’espérance? Comment espérer ce que l’on voit? Le Seigneur notre Dieu viendra et montrera au genre humain cette bruie dans laquelle il a été crucifié et il est ressuscité, et s’y fera voir aux bons et aux méchants; les uns le verront pour se féliciter de trouver en lui ce qu’ils avaient cru avant de voir; les autres le verront afin de rougir de n’avoir point cru ce qu’ils verront alors. Ceux qui rougiront seront condamnés, ceux qui se féliciteront seront couronnés. A ceux qui seront confus on dira: « Allez au feu éternel, qui a été préparé au diable et à ses anges »; et à ceux qui seront dans la joie on dira : « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé dès l’origine du monde 1». Lorsqu’ils le posséderont, il n’y aura plus d’espérance, mais bien la réalité. L’espérance finissant, la nuit finira aussi; mais jusqu’à ce moment, que notre âme espère dans le Seigneur, depuis la vigile du matin.

14. Le Prophète revient sur cette même parole : « Qu’Israël espère dans le Seigneur depuis la vigile du matin. Depuis la vigile du matin jusqu’à la nuit, mon âme a espéré dans le Seigneur ». Mais qu’a-t-il espéré? « Qu’Israël espère dans le Seigneur, depuis la vigile du matin ». Non seulement qu’Israël espère dans le Seigneur, mais qu’il espère depuis la vigile du matin. Donc je condamne l’espérance des biens de ce inonde, quand on les attend de Dieu? Point du tout; mais il est une autre espérance propre à Israël. Qu’il n’espère, comme le bien suprême pour lui, ni les richesses, ni la santé du corps, ni l’abondance des biens terrestres. Il trouvera même l’affliction ici-bas, et peut-être sera-il engagé dans quelques persécutions pour la vérité. Les martyrs n’espéraient-ils pas en Dieu? Et néanmoins ils ont souffert comme auraient pu souffrir des voleurs, des hommes d’iniquité : condamnés aux bêtes, exposés au feu, frappés du glaive, déchirés par des crocs, chargés de chaînes, étouffés dans les prisons, n’espéraient-ils donc pas en Dieu pour souffrir tant de maux? Ou le but de leur espérance était-il d’échapper à ces tourments pour jouir de la vie? Nullement, ils espéraient dès la vigile du matin. Qu’est-ce

 

1. Matth. XXV, 11, 31.

 

à dire? Ils considéraient dans cette vigile du matin la résurrection de leur Maître, qui a dû souffrir ce qu’ils souffraient eux-mêmes, avant de ressusciter, et ils ne perdaient point la confiance de passer de ces tourments à la résurrection pour la vie bienheureuse. « Israël a espéré dans le Seigneur depuis la vigile « du matin jusqu’à la nuit ».

12. « Car dans le Seigneur est la miséricorde, et une abondante rédemption 1». Sublime expression ! On ne pouvait rien dire de plus juste après ces paroles : « Dès la vigile du matin qu’Israël espère dans le Seigneur ». Pourquoi? Parce que c’est à la vigile du matin que le Seigneur est ressuscité, et que le corps doit espérer ce qui s’est réalisé dans la tête. Mais tu pourrais avoir cette pensée: Si le chef est ressuscité parce qu’il n’était point chargé d’iniquités, et parce qu’il n’avait en lui aucun péché, nous autres que pourrons-nous devenir? Pouvons-nous espérer une résurrection semblable à celle de Notre-Seigneur, accablés de péchés comme nous le sommes? Pour l’écarter, vois ce qui suit : « Car dans le Seigneur est la miséricorde et une abondante rédemption. Et il rachètera Israël de toutes ses iniquités ». Si donc Israël se trouvait accablé , voici la divine miséricorde. Celui qui était sans péché a marché le premier, afin d’effacer les péchés de ceux qui le suivraient. N’ayez en vous aucune présomption, et n’espérez que dès la vigile du matin. Voyez notre Seigneur qui ressuscite et qui monte au ciel, Il n’y avait en lui aucun péché, mais en lui vos fautes seront effacées. « Il rachètera Israël de toutes ses iniquités ». Israël a bien pu se vendre, et de la sorte être

 

1. Ps. CXXLX, 7.

 

vendu par le péché, mais il ne pouvait se racheter de ses iniquités. Celui-là seul peut le racheter, qui n’a point pu se vendre. Celui qui n’a point commis le péché peut nous racheter du péché. « C’est lui qui rachètera Israël ». De quoi le rachètera-t-il? De telle iniquité ou de telle autre? « De toutes ses iniquités». Qu’il ne craigne dès lors aucune de ces iniquités, celui qui veut approcher de Dieu; qu’il s’en approche seulement dans toute ha plénitude de son coeur, qu’il cesse de faire ce qu’il faisait auparavant, et qu’il ne dise point : C’est là une iniquité qui ne sera jamais remise. Tenir ce langage c’est ne point se convertir, du moins quant à cette iniquité dont il n’espère point le pardon, et dès lors qu’il en commet d’autres, il ne recevra pas même he pardon de celui dont il ne craignait rien. J’ai commis un grand crime, dit-il, et Dieu ne saurait me le pardonner : j’en commettrai d’autres, et m’abstenir serait temps perdu pour moi. Ne crains rien tu es au fond de l’abîme, ne dédaigne pas du fond de cet abîme de crier vers le Seigneur et de dire: « Si vous examinez les iniquités, qui pourra subsister, ô mon Dieu? » Observe le Seigneur, arrête sur lui tes regards, et attends-le à cause de sa loi. Quelle prescription t’a-t-il faite? « Remettez-nous nos dettes, comme nous remettons à ceux qui nous doivent ». Espère que tu ressusciteras, et qu’alors tu seras sans péché, puisque le premier qui a été sans péché est ressuscité. Espère depuis la vigile du matin. Ne va point dire: J’en suis indigne à cause de mes péchés. Tu n’en es pas digne, à la vérité; mais « il est en lui une abondante miséricorde, et c’est lui qui rachètera Israël de toutes ses iniquités ».

DISCOURS SUR LE PSAUME CXXX.
SERMON AU PEUPLE.
L’HUMILITÉ CHRÉTIENNE.
 

La foi unit en Jésus-Christ tous les fidèles qui sont les pierres vivantes de son temple ; et c’est dans ce temple seulement que nous sommes exaucés quant à la vie éternelle. Quand Jésus chassait les vendeurs du temple, il faisait un acte symbolique. Ce temple est la figure de l’Eglise, dans laquelle nous voyons des acheteurs et des vendeurs, ou des chrétiens qui cherchent leurs intérêts ; ils en seront chassés avec un fouet de cordes, ou le fouet de leurs péchés. Les vendeurs ne renversèrent point le temple, ni les pécheurs ne renverseront l’Eglise, maison de notre prière. C’est donc l’Eglise qui chante ce psaume, et sous pouvons juger que nous sommes de l’Eglise, si nous le chantons en vérité. L’interlocuteur ne s’est point enorgueilli, et dès lors il a offert le sacrifice qui plaît à Dieu, celui de l’humilité. Mais Simon le magicien, sans vouloir de l’humilité comme les Apôtres, voulait faire descendre l’Esprit-Saint, trafiquer de la colombe, et Pierre le chassa. Si tous ne font pas des miracles, ils n’en sont pas moins à Dieu ; l’oeil n’est pas la main, et tous les membres cependant se prêtent un mutuel secours ; de même dans l’Eglise ceux qui font des miracles prêtent leur autorité aux autres. Les dons de Dieu pourraient nous enorgueillir ; saint Paul, qui avait d’abord été persécuteur, a plus travaillé que les antres, mais pour contre-poids il fut souffleté par Satan, qui sévit aussi contre Job, contre Jésus-Christ, et qui perdit ainsi ceux que le sang du Calvaire a rachetés. Ne cherchons dans l’Eglise que l’inscription de notre nom au ciel.

Le Prophète, s’il n’est humble, fait des imprécations contre lui-même, et veut être comme l’enfant que l’on sèvre dans les bras de sa mère. A sa naissance, il lui faut le lait de sa mère, et non du pain. De même le chrétien peu instruit ne saurait contempler le Verbe qui est le pain des auges il doit grandir par la foi au Verbe fait homme, crucifié, ressuscité, monté an cieL C’est le lait que Dieu nous a préparé. Prétendre raisonner, c’est imiter les hérétiques qui ont vu l’inégalité dans les personnes, et ont été sevrés die lait de 1’Eglise leur mère. — D’autres ont dit que tout orgueil déplaît à Dieu sans doute, mais que l’homme néanmoins doit s’élever par la méditation, afin de passer du lait de l’enfance ta la nourriture de l’homme fait. Cette explication a l’inconvénient de ne point rendre l’imprécation du Prophète qui ne voit dans le sevrage de l’enfant trop jeune qu’un châtiment de son orgueil : car le sevrer quand il est trop jeune ou faible encore, c’est lui donner la mort. Qu’il grandisse donc par le lait de sa mère, par l’humilité de la foi ; qu’il cherche, et vous aussi, ce qui est devant nous, en se reposant sur le Seigneur.

 

1. Ce psaume nous recommande l’humilité du fidèle serviteur de Dieu, qui le chante, et qui est le corps entier du Christ. Souvent, en effet, j’ai fait remarquer à votre charité que ce n’est point un seul homme qui parle, mais tous ceux qui forment le corps du Christ. Et comme ils sont tous réunis dans ce même corps, ce n’est en quelque sorte qu’un seul homme qui parle, et ce seul homme est en même temps plusieurs; car, quoique plusieurs en eux-mêmes, ils sont un en celui qui est un. Or, c’est lui qui est ce temple de Dieu, dont l’Apôtre a dit : « Le temple de Dieu est saint, et vous êtes ce temple 1 » c’est-à-dire tous ceux qui croient en Jésus-Christ, et qui croient en lui de manière à l’aimer. Car croire au Christ, c’est aimer le Christ : non comme les démons croyaient 2, mais sans l’aimer; et cette foi néanmoins ne les empêchait point de dire « Qu’y a-t-il entre « vous et nous, ô Fils de Dieu 3? » Pour nous, que notre foi soit de nature à croire en lui, à l’aimer, sans dire « Qu’y a-t-il entre vous et

 

1. I Cor. III, 17. — 2. Jacques, II, 19. — 3. Matth. VIII 29.

 

« nous, ô Fils de Dieu? » mais de manière à dire : Nous sommes à vous, qui nous avez rachetés. Tous ceux qui ont cette foi sont comme des pierres vivantes, qui forment le temple de Dieu 1 ; comme ces bois incorruptibles dont fut façonnée cette arche que ne purent submerger les eaux du déluge 2. C’est dans ce temple, c’est-à-dire dans ces hommes, que l’on offre à Dieu des prières qu’il exauce. Quiconque prie le Seigneur hors de son temple, n’est point exaucé en ce qui regarde la paix de la Jérusalem d’en haut, bien qu’il soit exaucé quelquefois quant aux biens temporels, que Dieu donne même aux païens. Les dénions aussi furent exaucés, et purent entrer dans les pourceaux 3. Mais être exaucé quant à la vie éternelle est bien différent, et Dieu n’accorde cette faveur qu’à ceux qui prient dans le temple de Dieu. Or, celui-là prie dans le temple de Dieu, qui prie dans la paix de l’Eglise, dans l’unité du corps du Christ, et ce corps du Christ est formé de tous ceux qui ont la foi sur toute la surface de la terre; et

1. I Pierre, II, 5. — 2. Gen. VI, 11. — 3. Matth. VIII, 31, 32.

 

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il est exaucé précisément parce qu’il prie dans son temple. Car il prie en esprit et en vérité, puisqu’il prie dans la paix de l’Eglise 1, et non dans un temple matériel qui n’en est que la figure.

2. Il y avait une figure, en effet, quand le Seigneur chassa du temple ces hommes qui cherchaient leurs intérêts, et n’y entraient que pour vendre et acheter 2. Or, si ce temple était une figure, il devient évident que le corps de Jésus-Christ, qui est le véritable temple, et dont cet autre n’était que la figure, renferme aussi des vendeurs et des acheteurs, ou des hommes qui recherchent leurs intérêts, et non pas ceux de Jésus-Christ 3. Mais un fouet de cordes va les en chasser. La corde en effet signifie les péchés, comme il est dit par un Prophète : « Malheur à ceux qui traînent leurs péchés, comme une longue chaîne 4 ». Or, c’est traîner ses péchés comme une longue chaîne qu’ajouter péchés sur péchés; que recouvrir un péché que l’on vient de commettre par un autre que l’on commet ensuite. De même en effet, que pour faire une corde on joint filasse à filasse, et qu’on la tord au lieu de la tirer en droite ligne, de même, ajouter l’une à l’autre des actions perverses et qui sont des péchés, aller de faute en faute et enrouler péché sur péché, c’est en composer une longue chaîne. « Leurs voies sont contournées, leurs démarches tortueuses 5». Mais à quoi servira cette corde, sinon à leur lier les pieds et les mains pour les jeter dans les ténèbres extérieures? Vous savez ce que dit l’Evangile à propos de certain pécheur : « Liez-lui les pieds et les mains, et jetez-le dans les ténèbres extérieures; c’est là qu’il y aura pleur et grincement de dents 6 ». Il n’y aurait pas moyen de lui lier les pieds et les mains, si lui-même ne s’était fait une corde. De là ce mot si clair d’un autre endroit : « Chacun est garrotté par les liens de ses péchés 7 ». C’est donc parce que les hommes sont frappés par les cordes de leurs péchés que le Seigneur se fit un fouet avec des cordes, et qu’il chassa du temple ceux qui cherchaient leurs intérêts, et non ceux du Christ 8.

3. Tel est donc le temple qui parle dans notre psaume. C’est dans ce temple, ai-je dit,

 

1. Jean, IV, 21-24.— 2. Id. II, 15.— 3. Philipp. II, 21. — 4. Isa. V, 18. — 5. Job, VI, 18. — 6. Matth. XXII, 13. — 7.  Prov. V, 22. — 8. Jean, II, 15; Philipp. II, 21.

 

que l’on prie le Seigneur; c’est là, et non dans le temple matériel, qu’il nous exauce en esprit et en vérité. Car le temple de Jérusalem n’était qu’une figure qui annonçait l’avenir; et voilà pourquoi il est tombé; mais la maison de notre prière est-elle tombée ? Loin de là; car ce n’est point ce temple qui est tombé que l’on pouvait appeler maison du Seigneur, et dont il est dit « Ma maison sera appelée chez tous les peuples une maison de prière ». Vous entendez en effet cette parole de Notre-Seigneur Jésus-Christ : « Il est écrit », nous dit-il, « que ma maison sera appelée chez tous les peuples une maison de prière, et vous en avez fait une caverne de voleurs  1». Mais ceux qui ont pu faire de la maison de Dieu une caverne de voleurs, ont-ils bien pu détruire ce même temple 2 7 De même ceux qui dans l’Eglise catholique ont unie vie déréglée, font de la maison de Dieu une caverne de voleurs, autant qu’il est en eux; mais ils n’en renversent point le temple. Un temps viendra qu’ils en seront chassés par le fouet de leurs iniquités. Or, ce temple de Dieu, ce corps du Christ, cette assemblée des fidèles n’a qu’une même voix, et chante notre psaume comme un seul homme. Déjà nous avons entendu sa voix dans bien des psaumes, écoutons-la encore dans celui-ci. C’est notre voix, si nous le voulons; si nous le voulons encore, écoutons de l’oreille et chantons du coeur, Si nous refusons, au contraire, nous serons dans ce temple comme des vendeurs et des acheteurs, c’est-à-dire, cherchant nos propres intérêts. Nous entrerons dans l’Eglise, non pour y chercher ce qui est agréable aux yeux de Dieu. Que chacun de vous, dès lors, examine sa manière d’écouter, s’il écoute pour tourner en dérision, s’il écoute pour négliger ce qu’il entend, s’il écoute pour correspondre, c’est-à-dire, s’il reconnaît sa propre voix et s’il joint la voix de son coeur à la voix qu’il entend. Notre psaume néanmoins ne laisse point de chanter: que ceux-là s’en instruisent qui le peuvent, et même qui le veulent; pour ceux qui ne le veulent point, qu’ils ne soient un obstacle pour personne. Que l’on nous prêche l’humilité; c’est ainsi qu’il commence

4. « Seigneur, mon coeur ne s’est point élevé ». L’interlocuteur a offert un sacrifice. Comment prouver qu’il a offert un sacrifice? C’est qu’il y a sacrifice dans l’humilité du

 

1. Matth. XXI, 12, 13. — 2. Jean, II, 19.

 

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coeur. Il est dit dans un autre psaume: « Si vous eussiez voulu un sacrifice, je vous l’eusse offert 1». Le Prophète voulait alors satisfaire à Dieu pour ses péchés, l’apaiser et en recevoir le pardon de ses fautes. Et comme s’il se fût demandé comment il l’apaiserait : «Si vous eussiez voulu un sacrifice», dit-il, «je vous l’eusse offert; mais les holocaustes ne vous seront point agréables ». C’est donc en vain qu’il cherchait, pour apaiser le Seigneur, des béliers, des taureaux, ou toute antre victime. Quoi donc! parce que le Seigneur n’agrée pas les holocaustes, ne recevra-t-il point le sacrifice, et sans sacrifice pourra-t-on l’apaiser? S’il n’y avait aucun sacrifice, il n’y aurait aucun prêtre. Et toutefois, nous avons un prêtre qui intercède pour nous auprès de son Père 2. Car il est entré dans le Saint des Saints, dans l’intérieur du voile, où le grand prêtre entrait en figure une fois l’année seulement, comme Notre-Seigneur n’a été offert qu’une fois dans le cours des temps. C’est lui-même qui s’est offert, lui le prêtre, lui la victime, qui est entré une fois dans le Saint des Saints, qui ne meurt plus; la mort n’aura plus d’empire sur lui 3. Nous sommes donc en sûreté, puisque nous avons ce grand prêtre dans le ciel; offrons aussi une victime. Et toutefois, voyons quel sacrifice nous devons offrir : car notre Dieu n’aime point les holocaustes, comme il est dit dans le psaume, lequel néanmoins nous désigne aussitôt le sacrifice que nous devons offrir : « Le sacrifice agréable à Dieu est une âme brisée de douleur; vous ne rejetterez pas, ô Dieu, un coeur contrit et humilié 4 ». Si donc le coeur humilié est un sacrifice à Dieu, il a offert ce sacrifice celui qui a dit : « Seigneur, mon coeur ne s’est point élevé » .Vois encore ailleurs qu’il offre un sacrifice, quand il dit à Dieu : « Voyez mon humiliation et mon labeur, et pardonnez-moi tous mes péchés 5».

5. « Seigneur, mon coeur ne s’est point enorgueilli, mes yeux ne se sont point élevés en haut, je n’ai point marché sur les hauteurs, ni sondé les merveilles qui me surpassent ». Expliquons plus clairement, et que l’on comprenne. Je n’ai pas été superbe, ni cherché à me faire connaître des hommes par des merveilles, ni rien affecté qui surpassait mes forces pour me faire valoir auprès

 

1. Jean, L, 18.— 2. Hébr. IX, 12. — 3. Rom. VI, 9. — 4. Ps. L, 19. — 5. Id. XXIV, 18.

 

des ignorants. Que votre charité redouble d’attention, la question est importante. Vous savez comment Simon le Magicien voulait marcher dans des merveilles bien supérieures à lui 1: ce qui le flattait, c’était la puissance des Apôtres, bien plus que la justice des chrétiens. Mais il dit que par l’imposition des mains des Apôtres, et à leurs prières, Dieu envoyait l’Esprit-Saint sur les fidèles, et que cet avènement de l’Esprit-Saint se manifestait par des merveilles, comme de parler des langues que n’avaient nullement apprises ceux en qui l’Esprit-Saint était descendu. N’en concluons pas toutefois que l’on ne reçoit pas l’Esprit-Saint aujourd’hui, parce que les fidèles ne parlent plus diverses langues. Ils devaient alors parler diverses langues, afin de montrer que toutes les langues devaient croire au Christ. Or, à cette vue, Simon voulut faire de semblables merveilles, mais non ressembler aux Apôtres 2. Il voulut même, comme vous savez, acheter l’Esprit-Saint à prix d’argent. Il était donc du nombre de ces hommes qui entraient dans le temple pour vendre et acheter; il voulut acheter ce qu’il pensait revendre. Simon donc était réellement dans ces dispositions, et il les apportait en se joignant aux Apôtres. Or, le Seigneur chassa du temple ceux qui vendaient des colombes 3, et la colombe est le symbole de l’Esprit-Saint; Simon donc voulut acheter la colombe, et revendre ensuite la colombe et Jésus, qui habitait en Pierre, vint, le fouet à la main, et chassa de son temple ce vendeur impie 4.

6. Il est donc des hommes qui veulent faire des miracles, et qui exigent des miracles de ceux qui se perfectionnent dans l’Eglise; et ceux qui s’imaginent avoir fait quelques progrès, prétendent faire des miracles semblables et ne croient appartenir à Dieu qu’à la condition d’en faire. Or, le Seigneur notre Dieu, qui sait donner à chacun ce qu’il doit, afin de conserver la paix et l’union dans son Eglise, leur tient ce langage par son Apôtre: « L’oeil ne saurait dire à la main: Je n’ai pas besoin de vous; non plus que la tête aux  pieds Vous ne m’êtes point nécessaires; si tout le corps était oeil, où serait l’ouïe? et s’il était tout ouïe, où serait l’odorat 6 ?» Il est donc visible que dans le corps humain chaque membre a sa fonction particulière.

 

1. Act. VIII, 18.— 2. Ibid. — 3. Matth. XXI, 12. — 4. Act. VIII, 18.— 5. Jean, II, 15, 16.— 6. I Cor. XII, 17 - 21.

 

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L’oeil voit, mais n’entend point, l’oreille entend et ne voit point; la main agit, sans voir ni entendre; le pied marche, sans entendre, sans voir, sans agir comme la main. Mais quand le corps est en santé, les membres n’ont aucun litige l’un contre l’autre: l’oreille voit au moyen de l’oeil, et l’oeil entend au moyen de l’oreille: et l’on ne saurait reprocher à l’oreille de ne point voir, ni lui dire Tu n’as rien, tu es en défaut : pourrais-tu voir et discerner les couleurs comme le fait l’oeil? Pour se maintenir en paix dans le corps, l’oreille doit répondre et dire : Je suis où est l’oeil, dans le même corps. Par moi je ne vois point, niais je vois par celui qui m’accompagne. De même que l’oreille dit : L’oeil voit pour moi, l’oeil peut dire: L’oreille entend pour moi, et tous deux, l’oeil et l’oreille, diront: La main agit pour nous; et les mains diront : Les yeux et les oreilles entendent et voient pour nous; et les yeux, les oreilles, et les mains diront : Les pieds marchent pour nous; et lorsque tout agit dans le corps, s’il y a dans les membres union et santé, tous se réjouissent et se communiquent leur joie1. Et si quelque membre vient à souffrir, les autres, loin de l’abandonner, souffrent avec lui. Bien que dans le corps le pied soit très-éloigné de l’oeil (car l’un est tout en haut, et l’autre tout en bas), l’oeil abandonne-t-il le pied? quand on marche sur une épine, ne voyons-nous pas tout le corps se courber, l’homme s’asseoir, et s’incliner afin de chercher cette épine, qui s’est enfoncée à la plante du pied? Tous les membres s’efforcent de tirer cette épine du lieu le plus bas et le moindre de tout le corps. Ainsi donc, mes frères, quiconque, dans le corps mystique du Christ, ne peut ressusciter un mort, ne doit point chercher à le faire, mais seulement à se mettre en harmonie avec tout le corps. Ainsi l’oreille qui voudrait voir, serait un désaccord. Car elle ne saurait faire ce qui n’est point dans ses fonctions. Mais que l’on vienne vous dire : Si vous étiez juste, vous ressusciteriez les morts, comme l’a fait saint Pierre; répondez que les Apôtres paraissent avoir fait au nom du Christ des miracles Plus grands que ceux de Jésus-Christ lui-même 2. Mais dans quel but? Etait-ce donc pour donner aux branches la prépondérance sur la racine? Comment donc Paraissent-ils avoir fait

 

1. I Cor. XII, 26. — 2. Jean, XIV, 12.

 

des miracles supérieurs à ceux du Christ lui. même? Ce fut la voix du maître qui ressuscita les morts, tandis que Pierre ressuscita les morts de son ombre seulement 1. L’un semble plus grand que l’autre. Seulement le Christ pouvait opérer sans Pierre, mais non Pierre sans Jésus-Christ : « Car sans moi vous ne pouvez rien faire 2 ». Aussi, qu’un homme qui avance dans la piété entende cette abjecte calomnie dans la bouche de quelques païens, d’hommes qui ne savent ce qu’ils disent; qu’il réponde, en se tenant dans l’union du Christ :  Toi, qui me dis : Tu n’es pas juste, puisque tu ne fais aucun miracle; pourrais-tu dire à l’oreille: Tu n’es pas dans le corps humain; puisque tu ne vois pas? Fais des miracles, me dis-tu, comme saint Pierre en faisait; mais c’est pour moi que Pierre opérait ces miracles, puisque je suis dans ce même corps d’où Pierre les faisait. Je puis en lui ce qu’il pouvait, puisque je ne suis point séparé de lui : si je puis moins, il compatit à ma faiblesse; s’il peut davantage, j’en partage la joie 3. Le Christ au nom de tout son corps n’a-t-il pas crié du haut des cieux : « Saul, Saul, pourquoi me persécuter 4? » Et pourtant, nul ne le touchait; mais la tête criait d’en haut pour le corps qui souffrait sur la terre.

7. Si donc, mes frères, chacun fait avec justice tout ce qu’il peut, s’il ne porte aucune envie à celui qui peut davantage, s’il lui en témoigne de la joie, parce qu’il est avec lui dans un même corps ; il chante avec le psaume: « Seigneur, mon coeur ne s’est point enorgueilli, mes yeux ne se sont point élevés, je n’ai point marché sur les hauteurs, ni sondé les merveilles qui me surpassent ». Ce qui est au-dessus de mes forces, dit le Prophète, je ne l’ai point cherché : je ne m’y suis point avancé, je n’y ai point cherché nia gloire. Rien, en effet, n’est à craindre comme cette élévation du coeur, qui provient des dons de la grâce : que nul donc ne s’enorgueillisse des dons du Seigneur, mais que chacun se maintienne dans l’humilité, qu’il suive ce précepte de l’Ecriture : « Plus tu es grand, plus il faut t’humilier en tout, afin de trouver grâce devant le Seigneur 5 ». Il faut donc de plus en plus insister auprès de votre charité , pour lui montrer combien est à craindre l’orgueil qui vient des dons du

 

1. Act. V, 15.— 2. Jean, XV, 5.— 3. I Cor. XII, 15, 16.— 4. Act. IX, 4. — 5. Eccli. III, 20.

 

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Seigneur; je le fais d’autant plus volontiers que ce psaume très-court nous permet de nous étendre. Bien que l’apôtre saint Paul ait été persécuteur avant d’être prédicateur, Dieu bénit ses travaux apostoliques beaucoup plus que ceux des autres Apôtres; afin de montrer que ce don vient de Dieu, et non de l’homme. De même que c’est sur des malades désespérés que les médecins peuvent montrer la puissance de leur art; de même Notre-Seigneur Jésus-Christ, notre Sauveur et Médecin, fit éclater dans un homme désespéré, dans un persécuteur de son Eglise, la puissance de son art, puisqu’il en fit non-seulement un chrétien, mais un Apôtre, et non-seulement un Apôtre, nnais un Apôtre qui a travaillé plus que tous les autres, comme il l’a consigné lui-même. Il avait donc reçu une grâce par excellence. Aussi vous voyez, mis frères, la faveur dont jouissent dans l’Eglise les Epîtres de saint Paul 1, bien plus que celles des autres Apôtres. Les uns n’ont point écrit, mais seulement prêché dans 1’Eglise. Car les écrits que les hérétiques publient sous leur nom, ne sont point à eux; l’Eglise les désapprouve et les rejette. Pour les autres qui ont écrit,ils ne l’ont fait ni autant, ni avec tant de grâce. Comme donc il avait reçu une telle grâce, et mérité de Dieu des dons si extraordinaires, que dit-il dans un certain endroit? « De peur que la grandeur de mes révélations une m’élève ». Ecoutes, mes frères, voici de quoi nous faire trembler. « De peur que la grandeur de mes révélations ne me donne de l’orgueil, nous dit-il, il m’a été donné un aiguillon de la chair, un ange de Satan, pour me souffleter 2 ». Qu’est-ce à dire, mes frères? De peur que cet Apôtre ne s’élève comme un jeune homme, on le soufflette comme un enfant. Qui le soufflette? Un ange de Satan. Qu’est-ce à dire? Que l’Apôtre sentait en son corps une douleur violente; or, les douleurs corporelles nous viennent presque toujours par les anges de Satan ; mais ils ne peuvent rien sans la permission de Dieu. C’est à cette épreuve que fut mis Job, tout saint qu’il était 3. Il fut permis à Satan de l’éprouver; et il le frappa d’une telle plaie que son corps s’en allait en pourriture avec les vers. L’esprit impur avait ce pouvoir afin d’éprouver cette âme sainte. Le diable ne sait point quels grands biens il fait, même dans ses fureurs.

 

1. I Cor. XV, 10. — 2. II Cor. XII, 7. — 3. Job, II, 6, 7.

 

Ce fut dans sa fureur qu’il pénétra dans le coeur de Judas, dans sa fureur qu’il livra le Christ 1, dans sa fureur qu’il le mit en croix; et ce fut par la croix que Jésus racheta le monde. C’est ainsi que la fureur du démon nuisit au démon et devint utile pour nous. Et cette fureur lui a fait perdre ceux qu’il tenait sous sa puissance, et qui ont été rachetés par ce sang du Seigneur, que sa rage lui a fait répandre. S’il eût connu la perte qu’il allait faire, il n’eût point répandu sur la terre ce prix infini qui a racheté le monde. C’est ainsi encore qu’il fut permis à l’ange de Satan de souffleter saint Paul. Mais comme ce remède appliqué parle Médecin, était insupportable au malade, celui-ci pria le Médecin de l’enlever. Quelquefois un médecin applique., sur les entrailles d’un malade, un remède cuisant et insupportable, et qui doit cependant guérir ces entrailles gonflées : brûlé bientôt par ce remède, le malade prie le médecin de l’enlever; mais voilà que le médecin console son malade, l’encourage à la patience parce qu’il connaît l’utilité de son remède. C’est ce que saint Paul nous fait voir dans la suite. Après avoir dit : « Il m’a été donné un aiguillon de la chair, un ange de Satan pour me souffleter » ;  il en montre la cause : « De peur », dit-il, « que la grandeur des révélations ne vînt à m’enorgueillir, il m’a été donné un aiguillon de la chair, un ange de Satan pour me souffleter. Trois fois», dit-il encore, «j’ai prié le Seigneur de m’en délivrer 2 ». C’est bien là dire : J’ai prié le médecin de me délivrer de

ce remède fâcheux qu’il m’avait appliqué. Mais écoute la réponse du médecin : « Et le Seigneur m’a dit : Ma grâce te suffit; car la vertu se perfectionne dans l’infirmité ». Je connais le remède appliqué, je connais la cause du mal, je sais ce qui te guérira.

8. Ainsi, mes bien-aimés, la grandeur des révélations eût pu enorgueillir saint Paul, s’il n’eût eu un ange de Satan pour lui donner des soufflets; dès lors, qui peut être en sûreté sur son propre compte? Il semble que celui qui a moins reçu marche avec plus d’assurance, pourvu que, dans sa folie, il ne cherche point ce que Dieu lui a refusé dans sa sagesse. Qu’il cherche ce qui lui est nécessaire pour être dans le corps du Christ, et sans quoi il ne saurait y être que mal. Un doigt qui est sain est Plus en sûreté dans le corps de

 

1. Jean, XIII, 27. — 2. II Cor. XII, 7 et seq.

 

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l’homme, que ne pourrait être un oeil malade. Un doigt n’est qu’une faible partie, mais l’oeil est bien plus considérable : et pourtant, il vaut mieux n’être qu’un doigt dans le corps, et en santé, que d’être l’oeil, mais malade, chassieux, ténébreux. Nous n’avons donc à rechercher dans le corps du Christ que la santé; qu’à proportion de la santé vienne la foi, que la foi purifie le coeur, et le coeur une fois purifié verra cette face dont il est dit : « Bienheureux ceux dont le coeur est. pur, parce qu’ils verront Dieu 1». Et celui qui a fait des miracles dans le corps du Christ, comme celui qui n’en a pas fait, ne doit se réjouir que de la face de Dieu. Envoyés par le Seigneur, les Apôtres revenaient en lui disant « Voilà qu’en vôtre nom les démons eux-mêmes nous sont soumis 2 ». Le Seigneur vit que la puissance d’opérer des miracles leur donnait une tentation d’orgueil, et ce médecin qui était venu pour guérir nos enflures, et porter nos infirmités, répondit aussitôt : « Ne vous réjouissez point de ce que les démons vous soient soumis, mais réjouissez vous de ce que vos noms sont écrits dans le ciel 3 ». Tous les fidèles qui sont saints, ne chassent point pour cela les démons : et leurs noms toutefois sont écrits dans les cieux. Il voulut qu’ils missent leur joie, non dans ce qui leur était propre, mais dans le salut qui leur était commun avec les autres ; et dès lors il ne voulut chez les Apôtres d’autre joie que la sienne. Que votre charité veuille bien écouter. Aucun fidèle n’espère, si son nom n’est écrit dans le ciel. Les noms de lobs les fidèles qui aiment le Christ, qui marchent humblement dans les voies de l’humilité que lui-même nous a enseignées, sont écrits dans le ciel. Quelque méprisable que soit un homme dans l’Eglise, dès lors qu’il croit au Christ, qu’il aime le Christ, qu’il aime la paix du Christ, son nom est écrit dans le ciel, quel que soit ton mépris pour lui. Et néanmoins qu’a-t-il de comparable avec les Apôtres, qui ont opéré tant de miracles? Et toutefois les Apôtres sont réprimandés de ce qu’ils se réjouissent d’un bien qui leur esi propre, et le Seigneur leur enjoint de n’avoir d’autre joie que la joie de cet homme que tu méprises.

9. Le Psalmiste, mes frères, a donc raison de dire avec cette humilité : « Seigneur, moi

 

1. Matth. V, 8. — 2. Luc, X, 17. — 3. Id. 20.

 

coeur ne s’est point enorgueilli, mes yeux ne se sont point élevés, je n’ai point marché dans les hauteurs, ni dans ces merveilles  qui me surpassent. Si je n’ai point eu des sentiments d’humilité, si j’ai laissé mon âme s’enorgueillir, que mon âme soit traitée comme l’enfant que l’on sèvre dans les bras de sa mère 1». Il semble se lier par des imprécations. De même qu’il est dit dans

un autre psaume : « Seigneur mon Dieu, si j’ai agi de la sorte, si l’iniquité est dans mes mains, si j’ai rendu le mal pour le mal, que je succombe avec justice devant mes ennemis 2»,et le reste;ainsi semble-t-il dire maintenant : « Si je n’ai point eu de sentiments d’humilité, et si j’ai laissé mon âme s’enorgueillir » ; comme s’il devait ajouter : Que tel châtiment tombe sur moi.

Là il est dit encore : « Si j’ai rendu le mal pour le mal », que ce malheur m’arrive. Quel malheur? « Que je succombe en face de  mes ennemis » ; ainsi est-il dit dans notre psaume : « Si je n’ai point eu des sentiments d’humilité, si j’ai au contraire élevé mon  âme, que celte âme soit châtiée, comme l’enfant que l’on sèvre dans les bras de sa mère ». Ecoutez ceci, mes frères. Vous savez à quels infirmes s’adresse la parole de l’Apôtre. « Je vous ai donné du lait, et non une nourriture solide; car vous ne pouviez la supporter, et maintenant même, vous ne le pouvez pas 3 ». II y a des faibles, qui ne sont point capables d’une solide nourriture, et qui néanmoins veulent arriver à ce qui dépasse leurs forces. S’ils parviennent à saisir quelque chose, ou même s’ils se persuadent qu’ils ont saisi ce qu’ils n’ont pu atteindre, les voilà qui s’élèvent, qui s’enorgueillissent, qui se croient pleins de sagesse. C’est là ce qui est arrivé à tous les hérétiques; en eux l’homme animal et charnel a défendu des opinions perverses dont ils ne pouvaient voir la fausseté; et ils ont été chassés de l’Eglise catholique. Je m’en expliquerai autant que possible avec votre charité. Vous savez que Notre-Seigneur Jésus-Christ est le Verbe de Dieu, selon cette parole de saint Jean : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu. Voilà ce qui était en Dieu au commencement. Tout a été fait par lui, et rien n’a été fait sans lui 4 ». C’est donc là le

 

1. Ps. CXXX, 1, 2.— 2. Id. VII, 4,5.— 3. 1 Cor. III, 2.— 4. Jean, I, 1-3.

 

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pain solide, le pain des anges. Voilà le pair préparé pour toi; mais prends de l’accroisse ment avec du lait, afin d’arriver à ce pair solide. Et comment, diras-tu, le lait va-t-il me donner de l’accroissement? Commence par croire ce que Jésus-Christ s’est fait afin de s’accommoder à ta faiblesse, et tiens-y fermement. Considère une mère voyant son fils peu capable d’une nourriture solide, elle lui donne cette nourriture à la vérité, mais en la faisant passer par sa propre chair: car le pain qui nourrit l’enfant est celui-là même qui a nourri la mère; mais l’enfant, incapable de manger à table, peut se nourrir à la mamelle; le pain donc passe par les mamelles de la mère, et devient ainsi l’alimentation de l’enfant. Ainsi a fait Notre-Seigneur Jésus-Christ, Verbe en son Père, lui par qui tout n été fait, lui qui, ayant la nature de Dieu, n’a point cru que ce fût pour lui une usurpation de se dire égal à Dieu 1 , et, comme tel, nourriture des anges, autant qu’ils en sont capables, aliment des Vertus, des Puissances, des Esprits bienheureux. Mais l’homme était infirme, enveloppé dans la chair et gisant sur la terre, et la nourriture céleste ne pouvait descendre jusqu’à lui. Dès lors, afin que l’homme pût manger le pain des anges, et que la manne descendît chez un peuple qui est véritablement Israël 2, voilà que, « le Verbe s’est fait chair et a habité parmi nous 3 ».

10. C’est pourquoi, voici le langage de l’apôtre saint Paul aux faibles, dont il est dit qu’ils vivent de la vie charnelle et animale : « Ai-je donc fait profession de savoir parmi vous autre chose que Jésus, et Jésus crucifié 4? » Car c’était le Christ, mais non crucifié, qui « au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ». Et comme ce Verbe a été fait chair, ce Verbe aussi a été crucifié, mais sans être changé en homme; c’est l’homme au contraire qui a été changé dans lui. L’homme donc aété changé en lui, afin dc devenir meilleur qu’il n’était, et non pour être changé dans la substance même du Verbe. Dieu est donc mort en ce qu’il y avait d’humain en lui; et l’homme est ressuscité dans ce qu’il tenait de Dieu, il est ressuscité et monté au ciel. Tout ce qu’a souffert l’homme, on ne saurait dire que Dieu ne l’ait pas souffert, parce qu’il était Dieu en prenant la nature humaine ; de même

 

1. Philipp. II, 6.— 2. Exod. XVI, 14.— 3. Jean, I, 14.—  4. I Cor. II, 2.

 

que tu ne saurais dire que tu n’as pas souffert un outrage, dès qu’on déchire ton manteau. Et quand tu t’en plains à tes amis ou devant un juge, tu dis : il m’a déchiré. Tu ne dis point: Il a déchiré mon manteau ; mais : Il m’a déchiré. Si donc on peut appeler toi, ce qui n’est que ton vêtement, combien n’est-il pas plus juste de dire, à propos de la chair du Christ, de ce temple du Verbe uni au Verbe, que tout ce qu’il souffrait en sa chair, c’était Dieu qui le souffrait? Et toutefois le Verbe ne pouvait passer ni par la mort, ni par la corruption, ni par le changement, ni même être tué; mais tout ce qu’il a souffert de semblable, il l’a souffert en sa chair. Et ne vous étonnez pas que le Verbe n’ait rien souffert; car si vous tuez la chair, l’âme dès lors ne saurait rien souffrir, ainsi que l’a dit le Sauveur : « Ne craignez point ceux qui tuent le corps, et qui ne sauraient tuer l’âme 1 ». Si donc on ne saurait tuer l’âme, comment tuer le Verbe de Dieu? Et pourtant, que dit cette âme? Il m’a flagellée, souffletée, frappée, déchirée; rien de cela ne se fait dans l’âme; et néanmoins elle dit toujours moi, à cause de son union avec le corps.

11. Notre-Seigneur Jésus-Christ donc, qui est notre pain, s’est fait un lait pour nous en s’incarnant et en se montrant mortel, afin que la mort finît en lui, et que nous pussions, sans nous éloigner du Verbe, croire en cette chair que le Verbe a prise. C’est en cela qu’il nous faut croître, c’est ce lait qui doit être notre nourriture; et avant que nous soyons capables de nous alimenter du Verbe lui-même, ne nous séparons point de cette foi qui est notre lait. Quant aux hérétiques, en voulant disputer au sujet de ce qu’ils ne pouvaient comprendre, ils ont dit que le Fils est inférieur au Père, et que le Saint-Esprit est inférieur au Fils; et en graduant ainsi, ils ont introduit trois dieux dans l’Eglise. Ils ne peuvent nier en effet ni que le Père soit Dieu, ni que le Fils soit Dieu, ni que le Saint-Esprit soit Dieu. Mais si le Père qui est Dieu, le le Fils qui est Dieu, le Saint-Esprit qui est Dieu, sont inégaux, ils ne sont point de même substance, et dès lors il n’y a point un seul Dieu, mais trois dieux. En raisonnant sur ce qu’ils ne pouvaient saisir, ils se sont élevés dans leur orgueil, et il est arrivé pour eux ce qui est dit dans notre psaume: « Si je n’ai

 

1. Matth. X, 28.

 

point eu des sentiments d’humilité, et si j’ai élevé mon âme; que cette âme soit châtiée comme l’enfant que l’on sèvre dans  les bras de sa mère ». Notre mère, c’est l’Eglise dont ils se sont séparés : c’est là qu’ils devaient être nourris et allaités, afin

qu’ils pussent croître et comprendre ce Verbe de Dieu qui est en Dieu, et qui dans sa nature est égal au Père.

12. Ceux qui ont expliqué ce psaume avant nous ont donné un autre sens à ces paroles et ont émis une pensée que je ne veux point soustraire à votre charité. Tout orgueil déplaît à Dieu, ont-ils dit, et l’âme humaine se doit humilier pour ne point déplaire à Dieu, et s’appliquer à considérer cette parole : « Plus tu es élevé, plus tu dois t’humilier en tout, et tu trouveras grâce devant Dieu 1 ». Mais il est aussi des hommes qui, entendant qu’ils doivent être humbles, se découragent, ne veulent rien savoir, se persuadent qu’ils ne peuvent apprendre sans être orgueilleux; ils demeurent toujours au lait de l’enfance. L’Ecriture les réprimande en disant: « Vous  voilà tels que vous avez encore besoin de lait, et non d’une solide nourriture 2». Dieu veut donc que nous prenions du lait, non pas afin de demeurer toujours en cet état, mais afin que nous prenions de l’accroissement pour arriver à la solide nourriture. L’homme donc, sans élever son âme jusqu’à l’orgueil, doit l’élever dans la connaissance de la parole de Dieu. Si son âme ne devait point s’élever, le Prophète ne dirait point dans un autre psaume : « Seigneur, j’ai élevé mon âme vers vous 3 ». Et si son âme ne se répandait point au-dessus d’elle-même, elle n’arriverait point à la vision de Dieu, à la connaissance de son immuable substance. Maintenant qu’il est encore dans la chair, on lui dit : « Où est ton Dieu 4? » Mais Dieu est à l’intérieur, et cet intérieur est spirituel, comme son élévation est spirituelle; on ne la mesure point par la distance des lieux, comme cette distance mesure les élévations terrestres. S’il était question d’une telle hauteur, les oiseaux seraient plus près de Dieu que nous autres. Dieu donc est élevé, mais cette élévation est spirituelle; et l’âme ne saurait l’atteindre qu’en s’élevant au-dessus d’elle-même. L’idée que vous donneraient de Dieu les sens ne serait qu’une erreur. Tu n’es

 

1. Eccli. III, 20.—  2. Hébr. V, 12.— 3. Ps. XXIV, 1.—  4. Id. XLI, 4.

 

qu’un enfant, si tu attribues à Dieu ce qui tient à l’âme de l’homme, comme l’oubli, le goût ou le dégoût, le repentir de ses actions; car si l’Ecriture emploie ces locutions, c’est pour nous parler de Dieu comme à des enfants qu’on allaite, et non pour nous faire prendre à la lettre que Dieu a du repentir, qu’il apprend ce qu’il ne connaissait pas encore, qu’il comprend ce qu’il n’avait pas compris, qu’il se ressouvient de ce qu’il avait oublié. Tout cela est propre à l’âme, et non à Dieu. Si donc l’homme ne s’élève au-dessus de son âme, il ne verra pas que Dieu est ce qu’il est; comme il l’a dit : « Je suis celui qui suis 1 ». Que répond dès lors celui à qui l’on disait : « Où est ton Dieu ? » « Mes larmes ont été mon pain le jour et la nuit, pendant «qu’on me dit tous les jours : Où est ton Dieu?» Qu’a-t-il fait pour retrouver son Dieu? « Voilà », dit-il, « ce que j’ai médité; j’ai répandu mon âme au-dessus de moi 2 ». Afin de trouver Dieu, il a répandu son âme au-dessus de lui-même. Te dire : Sois humble, ce n’est donc point t’interdire la science. Sois humble à cause de l’orgueil, mais sois élevé en sagesse. Ecoute une parole bien claire à ce sujet : « Ne soyez point enfants selon l’esprit, mais soyez enfants par la malice, afin d’être parfaits selon l’esprit 3». Il ne pouvait mieux nous expliquer en quoi Dieu veut que nous soyons humbles, et en quoi il nous veut élevés; humbles, afin d’éviter l’orgueil; élevés, afin d’atteindre la sagesse. Prends donc du lait pour te nourrir; nourris-toi afin de croître, et crois afin d’arriver à une solide nourriture. Dès que tu commenceras à manger du pain, tu seras sevré, c’est-à-dire que tu n’auras plus besoin de lait, mais d’une forte nourriture. Voilà ce que paraît dire le Prophète: « Si je n’ai pas eu des sentiments  humbles, et si j’ai élevé mon âme » ; c’est-à-dire, si j’ai été un enfant, non par l’esprit, mais par la malice. Et pour le marquer plus clairement, il avait dit: « Seigneur, mon coeur ne s’est pas enorgueilli, mes yeux ne se sont point élevés, je n’ai point marché sur les hauteurs, ni prétendu aux merveilles qui  me surpassent ». Me voilà un enfant par la malice. Mais parce que je n’ai pas été un enfant par l’esprit, j’ajoute : « Si je n’ai point eu des sentiments d’humilité, et si j’ai élevé mon âme au-dessus de moi », qu’il me soit

 

1. Exod. III, 14. — 2. Ps. XLI, 4, 5. — 3. I Cor. XIV, 20.

 

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fait comme à l’enfant qu’on sèvre entre les bras de sa mère, afin que je puisse manger du pain.

13. C’est là, mes frères, un sens que je ne désapprouve point, car il n’est pas contre la foi. Un point cependant me tourmente, c’est qu’il n’est pas seulement dit : « Que mon âme soit traitée comme l’enfant que l’on sèvre » ; mais le Prophète ajoute: « Que l’on sèvre entre les bras de sa mère ». Et je ne sais pourquoi je vois là une malédiction. Car ce n’est pas le petit enfant que l’on sèvre, mais un enfant déjà grandelet. Quant à l’enfant qui est faible en naissant, ce qui est la véritable enfance, il est dans les bras de sa mère, et, le sevrer, c’est lui donner la mort. Ce n’est donc pas sans raison que le Prophète ajoute: « Dans les bras de sa mère n. A la rigueur, on sèvre tout enfant qui grandit. C’est un bien pour celui qui a pris de l’accroissement, mais un danger pour celui qui est dans les bras de sa mère. Il faut donc éviter, mes frères, il faut craindre de sevrer personne avant le temps; car on sèvre tout enfant qui est déjà fort. Mais qu’on ne le sèvre point tandis qu’il est encore dans les bras de sa mère. Cet enfant, qu’une mère porte dans ses bras, elle l’a porté d’abord dans ses entrailles (car elle l’a porté dans son sein pour le faire naître, et le porte dans ses bras pour le faire grandir); le voilà qui a besoin de lait, et il est « sur sa mère », comme dit le Prophète. Qu’il ne cherche donc point à élever son âme, puisqu’il n’est point capable d’une solide nourriture, mais qu’il accomplisse les préceptes de l’humilité. Il a de quoi s’exercer. Qu’il croie d’abord au Christ, afin de pouvoir comprendre le Christ. Il ne saurait voir le Verbe, ni comprendre que le Verbe est égal au Père, que le Saint-Esprit est égal au Père et au Fils; qu’il le croie donc et suce la mamelle. Il n’a rien à craindre; quand il aura grandi, il mangera ce qui lui était impossible avant qu’il se fût fortifié par le lait : et alors il pourra prendre ses ébats. « Ne cherche u point ce qui est au-dessus de toi, ne sonde point ce qui dépasse tes forces » ; c’est-à-dire, ce que tu es incapable de comprendre. Mais que ferai-je, diras-tu? Faudra-t-il demeurer en cet état ? « Repasse toujours ce que Dieu t’a commandé 1». Qu’est-ce que Dieu t’a commandé? Fais miséricorde, ne te

 

1. Eccli. III, 22.

 

sépare point de la paix de l’Eglise, ne mets point ton espérance dans un homme, et garde-toi de tenter Dieu en désirant des miracles. Si déjà tu as produit quelques fruits, tu sais que tu dois tolérer l’ivraie avec le bon grain jusqu’à la moisson 1, car tu peux être un temps avec les méchants, mais non pendant l’éternité. Tu es avec la paille dans l’aire en cette vie, mais elle ne sera point avec toi dans le grenier céleste. « Voilà ce que t’a commandé le Seigneur, et qu’il faut toujours avoir à la pensée ». Tu ne seras point sevré, tant que tu seras sur les bras de ta mère de peur que tu ne meures de faim, avant de pouvoir manger. Prends de l’accroissement, tes forces grandiront; et tu verras ce que tu ne pouvais voir, tu comprendras ce que tu ne pouvais comprendre.

14. Quoi donc? serai-je en sûreté, quand je verrai ce que je ne pouvais voir? Serai-je parfait? Non, tant que durera cette vie. Notre perfection ici-bas, c’est l’humilité. Vous avez entendu la fin de la lecture de l’Apôtre, si vous l’avez imprimée dans votre mémoire; et comment il recevait des soufflets, de peur que ses révélations ne lui donnassent de l’orgueil (et quelles révélations !); l’importance même de ces révélations pouvait lui donner de l’orgueil, si l’ange de Satan ne l’eût souffleté; et pourtant, que nous dit cet homme à qui Dieu révélait de si grandes choses? « Mes frères, je ne crois pas avoir atteint le but de ma course ». Voilà saint Paul qui nous dit qu’il ne croit point être arrivé au but, lui qui est souffleté par l’ange de Satan de peur que l’importance de ses révélations ne lui donne de l’orgueil. Qui osera dire qu’il est parvenu à son but? Voilà que Paul n’y est point arrivé, et qu’il s’écrie « Je ne crois pas avoir atteint le but de ma course ». Que dites-vous, ô bienheureux Paul? «Je cours», nous répond-il, « afin d’arriver ». Voilà que Paul est encore en chemin, et tu prétends être dans la patrie? « Tout ce que je sais », dit-il, « c’est que j’oublie ce qui est en arrière ». Fais de même et oublie ta vie passée qui était mauvaise. Si la vanité a eu pour toi des charmes, qu’elle te déplaise maintenant. « J’oublie ce qui est en arrière pour m’avancer vers ce qui est en avant; je m’efforce de remporter le prix, auquel Dieu m’a appelé d’en haut par Jésus-Christ 2 ». J’entends d’en haut

 

1. Matth. XIII, 30. — 2. Philipp. III, 12 - 15.

 

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l’appel de Dieu et je cours pour y arriver. Car ce n’est point pour que j’y demeure qu’il m’a laissé en chemin, et il ne cesse de me stimuler. Donc, mes frères, Dieu ne cesse de nous parler. S’il cessait de le faire, que deviendrions-nous? Que feraient les divines 1cc turcs, les saints cantiques? Oubliez donc ce qui est en arrière, et avancez-vous vers ce qui est en avant. Sucez le lait afin de croître et de devenir capables d’ une solide nourriture. Vous goûterez la joie, quand vous serez dans la patrie. Ecoutez encore l’Apôtre, qui s’avance vers la palme d’en haut. « Nous qui voulons être parfaits », nous dit-il, « soyons dans ce sentiment ». Je ne parle pas aux imparfaits, je ne pourrais leur parler de la sagesse; ils ont encore besoin de lait, et ne peuvent prendre une forte nourriture; mais je m’adresse à vous, qui vous nourrissez plus solidement. Ils semblent parfaits parce qu’ils connaissent l’égalité du Père avec le Verbe mais ils ne voient pas encore face à face, comme ils verront un jour; ils ne voient qu’en partie et en énigme 2. Qu’ils courent dès lors, puisqu’à la fin de notre carrière nous retournons dans la patrie. Qu’ils courent; qu’ils s’avancent. « Nous qui voulons être parfaits, soyons dans ce sentiment; et si vous avez d’autres pensées, Dieu vous éclairera ». Si vous êtes dans l’erreur en quelque point de foi, pourquoi ne point retourner au lait de votre mère? Car si vous ne vous élevez point, si votre coeur ne cède point à l’orgueil, si vous

 

1. Philipp. III, 15. — 2. I Cor. XIII, 12.

 

ne prétendez point aux merveilles qui vous surpassent, si vous gardez l’humilité, Dieu vous révélera ce que vous croyez de contraire à la vérité. Mais si vous voulez défendre ce qui est peu con forme à la foi, si, dans votre obstination, vous prétendez l’établir contre la paix de l’Eglise; alors vous tombez sous la malédiction du Prophète, vous êtes sur les bras de votre mère, et, déjà sevrés et en dehors de ses entrailles, vous mourrez de faim. Mais si vous persévérez dans la paix de l’Eglise catholique, Dieu vous instruira à cause de votre humilité, quand vous auriez des sentiments contraires à la vérité de la foi. Pourquoi? « Parce que Dieu résiste aux superbes et accorde sa faveur aux humbles 1 ».

15. C’est pourquoi notre psaume finit ainsi: « Qu’Israël espère dans le Seigneur, dès maintenant, et jusque dans les siècles ». Cette expression du grec: apo tou nun kai eos tou aionos , est traduite par : Ex hoc nunc et usque in saeculum : Dès maintenant et dans la suite des siècles. Mais ce mot de siècle ne veut pas toujours dire ce siècle; quelquefois il signifie l’éternité; car éternel s’entend de deux manières. Jusque dans l’éternité signifie, ou bien sans fin, ou bien jusqu’à ce que nous arrivions à l’éternité. Comment faut-il l’entendre ici? Espérons dans le Seigneur notre Dieu,jusqu’à ce que nous arrivions à l’éternité ; car, aussitôt que nous y serons arrivés, il n’y aura plus pour nous d’espérance, mais la réalité.

 

1. Jacques, IV, 6 ; I Pierre, V, 5.
 
 
 

source: http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin/index.htm

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