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Saint Augustin d'Hippone
Discours sur les Psaumes 131 à 135

DISCOURS SUR LE PSAUME CXXXI.
SERMON AU PEUPLE, EN PRÉSENCE DE SÉVÈRE, ÉVÊQUE DE MILÈVE.
L’ESPÉRANCE EN DIEU.
 

David porta ta douceur au point d’épargner Saül qui cherchait à le tuer. Ce nom, qui signifie la main forte, fut porté par un guerrier qui détruisit ses ennemis, et qui fut la figure du Christ vajnqueur du diable et de ses anges. L’Eglise qui est le corps, le temple du Christ, combat pour lui ; elle a fait voeu d’être sa cité, d’être habitée par lui. Comme David ne voulait aucun repos avant d’avoir trouvé un lieu pour le Seigneur, et comme s’il cherchait ce lieu en lui-même, ainsi fait tout homme qui enseigne le bien et le pratique. Ainsi en fait-il de tous ceux qui embrassèrent la foi et n’eurent plus qu’un coeur et qu’une âme, tandis que ceux qui cherchent leurs propres intérêts, rencontrent souvent le trouble et les procès. Abstenons-nous donc, sinon de toute possession, du moins de tout attachement aux possessions, de l’amour de nous-mêmes. Tous les biens de cette vie ne sont que te rêve d’un homme qui ne trouve plus rien à sou réveil. Le Prophète appelle tabernacle dia Seigneur l’Eglise militante, et sa maison la Jérusalem du ciel. Cette maison ou l’Eglise est en Ephrata on prophétisée, et drus les lieux incultes, chez les Gentils. Nous entrerons chez le Dieu de Jacob afin qu’il nous possède, et non afin de posséder notre héritage que nous dissiperions comme le prodigue. Nous adorerons le lieu où il a reposé ses pieds, c’est-à-dire dans l’humilité, sans croire qu’il nous suffise d’être enfants d’Abraham selon la chair ; car il faut en faire les oeuvres, oeuvres surtout de charité ; que nos pieds soient affermie par l’humilité.

C’est au Christ de s’élever le premier, et à prendre son repos ; l’Eglise viendra ensuite, elle qui est l’arche de sa sanctification. Que les prêtres aient la justice, les saints la joie, mais ne détournez pas la face de vôtre Christ, c’est-à-dire ne laissez psiut périr tout Israël, prière qui fut exaucée dans les apôtres, et dans les juifs qui se convertirent à la Pentecôte. Dieu change parfois ses oeuvres extérieures, mais jamais ses desseins. Or, son dessein est de mettre sûr le trône de David le Christ qui sortira de lui sans la participation d’aucun homme. Par les enfants des enfants de David, il faut entendre les bennes oeuvres de ces enfants, et s’ils sont réellement des hommes, ils ne pourront siéger sur te trône qu’à la condition de garder t’alliance de Dieu. Ce trône sera le nôtre, à la même condition. C’est en Sion que nous reposerons avec Dieu. Les vesves qu’il veut bénir sont les âmes qui ne comptent que sur lui, et t’Egtise est une veuve que Dieu écoute, mieux que le juge inique de l’Evangile ; les pauvres cernant rassasiés, s’ils ont faim et soif de ta justice ; les riches également, s’ils sont panures dans le même sens. Les prêtres seront revêtus du Christ, tes saints revêtus de joie, tous affermis dans le Christ qui sens sauve et nous gouverne.

 

1. Il eût été juste, mes bien-aimés, que notre frère, notre collègue dans l’épiscopat, lui que nous voyons au milieu de nous tous, nous fil entendre sa parole. C’est une faveur qu’il ne nous a point refusée cependant, et qu’il n’a fait que différer. J’en donne avis à votre charité, afin que vous soyez avec moi témoins de sa promesse. Mais il n’était point hors de propos que je me soumisse le premier à son injonction. Il m’a arraché, en effet, mon consentement, et a voulu être aujourd’hui mon auditeur, à la condition que je serais ensuite le sien ; car unis par les lirns de la charité, nous sommes tous les auditeurs du Maître unique, dont la chaire est dans les cieux 1. Ecoutez donc avec attention le psaume que nous apporte aujourd’hui l’ordre suivi dans nos explications. Il a aussi pour titre « Cantique des degrés », et il est un peu plus long que les autres. Nous nous arrêterons donc seulement quand nous y serons forcé, afin que, si Dieu nous en fait la grâce, nous

 

1. Matth, XXIII, 10.

 

puissions l’expliquer tout entier. Or, comme vous n’êtes plus ignorants au point que nous devions tout éclaircir, c’est à vous de nous aider, en vous rappelant nos entretiens passés, afin que je ne sois pas forcé de vous expliquer tout, comme si vous l’ignoriez encore. Sans doute, nous devons être toujours nouveaux, parce que le vieil homme ne doit point se glisser en nous ; mais il faut croître, il faut progresser. A propos du progrès, l’Apôtre nous dit: « Bien que l’homme extérieur se détériore en nous, l’homme intérieur se renouvelle de jour en jour 1». Que le progrès en nous ne consiste pas à passer de l’homme nouveau au vieil homme, que la nouveauté, au contraire, aille en croissant.

2. « Seigneur, souvenez-vous de David et de toute sa douceur, souvenez-vous du serment qu’il fit au Seigneur, du voeu qu’il fit au Dieu de Jacob 2 ». David, ainsi que nous l’apprend l’histoire, était homme, roi d’Israël, fils de Jessé. Il était doux, selon la remarque

 

1. II Cor. IV, 16. — 2. Ps. CXXXI, I, 2.

 

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de l’Ecriture qui relève en lui cette vertu, et sa douceur fut portée au point qu’il rendit le bien pour le mal à Saül qui le persécutait 1. Il pratiqua envers lui l’humilité, jusqu’à l’appeler roi, et se dire lui-même un chien. Et quoique devant Dieu il fût plus grand que ce roi, il n’eut pour lui ni fierté, ni hauteur; mais il cherchait plutôt à l’apaiser par son humilité, qu’à l’irriter par son orgueil. Il eut même Saül en sa disposition, et Dieu le lui livra, afin qu’il en fît ce qu’il voulait. Mais parce qu’il n’avait point reçu l’ordre de le faire mourir, que Saül était seulement en son pouvoir, et un homme cependant peut user de sa puissance, il aima mieux user en douceur du pouvoir que Dieu lui avait donné. En lui donnant la mort, il se serait délivré d’un violent ennemi, mais eût-il pu dire : « Remettez-nous nos dettes, comme nous remettons à ceux qui nous doivent 2 ?» Saül entra dans une caverne où était David, sans savoir que David y fût 3; il y venait pour se reposer. Or, David se leva doucement derrière lui et sans être aperçu, puis il coupa un morceau de son vêtement, afin de le lui montrer ensuite, et de lui faire comprendre que, l’ayant eu entre les mains, c’était volontairement et non par nécessité qu’il l’avait épargné et ne lui avait point donné la mort. C’est peut-être cet acte de douceur qu’il fait valoir maintenant quand il dit : « Seigneur, souvenez-vous de David et de toute sa mansuétude ». Ce que je vous en dis, mes frères, c’est ce qui est consigné dans les saintes Ecritures. Toutefois, dans les psaumes comme dans toute prophétie, il est de coutume de ne point s’arrêter à la lettre, mais de chercher les figures, au moyen du sens littéral. Et votre charité sait bien que dans tous les psaumes, c’est un homme que nous entendons parler, et que cet homme unique a une tête et un corps la tête est dans les cieux, le corps est sur la terre ; mais où est la tête, le corps doit aller à son tour. Je n’indique point ici quelle est la tête, ou quel est le corps, je parle à des chrétiens instruits.

3. C’est donc l’humilité de David, la douceur de David que notre psaume chante ici

en disant à Dieu : «Seigneur, souvenez-vous de David et de toute sa mansuétude ». Dans

quelle fin, « Seigneur, vous souviendrez-vous de David ? Souvenez-vous qu’il jura devant

 

1. I Rois, XIV, 4, etc. — 2. Matth. VI, 12. — I Rois, XXIV, 4.

 

le Seigneur, qu’il fit un voeu, au Dieu de Jacob ». Souvenez-vous-en, Seigneur, afin qu’il accomplisse la promesse qu’il à faite. David fait une promesse qu’il peut accomplir, et néanmoins il supplie le Seigneur d’accomplir le voeu qu’il a fait. Il y a de la ferveur dans son voeu, mais de l’humilité dans sa prière. Que nul ne compte sur ses forces pour accomplir ce qu’il a promis. Dieu qui l’engage à faire des voeux, l’aide aussi à les accomplir. Voyons donc ce qu’il a promis par son voeu, et nous comprendrons comment nous devons voir en David une figure. Le nom de David signifie, qui est fort de la main. Or, David était un grand guerrier. Plein de confiance dans le Seigneur son Dieu, il termina heureusement toutes ses guerres, et détruisit tous ses ennemis. Dieu le protégea selon qu’il était nécessaire pour le bien de ses Etats; et nous montrait, sous la figure de ce roi, celui dont la main forte devait terrasser dans ses ennemis, le diable et ses anges. Car tels sont les ennemis que renverse l’Eglise. Et par quel moyen? Par sa douceur; et ce fut par sa douceur que notre roi put vaincre le diable. Celui-ci s’emportait, celui-là supportait. Celui qui s’emportait fut vaincu, celui qui supportait fut vainqueur. C’est par la même douceur que l’Eglise , qui est le corps du Christ, triomphe de ses ennemis. Que sa main soit forte, qu’elle triomphe en agissant. Mais comme elle est le corps du Christ, elle est aussi un temple, une maison, une cité et celui qui est la tête de ce corps, habite aussi cette maison, sanctifie ce temple, règne dans la cité. Voilà tout ce qu’est l’Eglise, et ce qu’est aussi le Christ. Quel voeu donc avons-nous fait à Dieu, sinon d’être son temple ? Nous ne pouvons rien lui offrir de plus agréable, que de dire avec le prophète Isaïe 1 : « Possédez-nous ». En fait de biens terrestres, c’est faire une faveur à un père de famille que lui donner quelques terres à posséder : il n’en est pas de même dans l’Eglise : c’est à l’héritage même qu’il est avantageux d’être possédé par Dieu.

4. Que signifie donc cette parole : « Il a juré devant le Seigneur, il a fait un voeu au Dieu de Jacob? » Voyons quel est ce voeu. Jurer, c’est donner plus de force à une promesse. Considérez le voeu de David, avec quelle ardeur, quel transport d’amour, quel

 

1. Isa. XXVI, 13.

 

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brûlant désir, il l’avait fait, et cependant il implore le secours du Seigneur afin de l’accomplir: « Seigneur, souvenez-vous de David et de toute sa douceur ». C’est dans cette mansuétude qu’il a fait un voeu à Dieu, afin d’être son temple. « Je n’entrerai pas dans mon palais, je ne monterai point sur mon lit de repos ; je ne donnerai pas le sommeil à mes yeux». C’est peu selon lui de refuser le sommeil à ses yeux, et il ajoute : «Ni l’assoupissement à mes paupières, ni le repos à mes tempes, jusqu’à ce que j’aie trouvé une demeure au Seigneur, un tabernacle au Dieu de Jacob 1 ». Où cherchait-il un lieu pour le Seigneur? S’il avait la douceur, c’était en lui qu’il le cherchait. Comment pouvait-il être un lieu pour le Seigneur ? Ecoute le Prophète : « Sur qui reposera mon Esprit? Sur celui qui est humble et tranquille, et redoutant ma parole 2». Veux-tu être une demeure pour le Seigneur? Sois humble, calme, redoutant sa parole, et tu seras ce que tu cherches, Si ce que tu cherches ne s’effectue en toi-même, de quoi te servira qu’il s’effectue en un autre? Quelquefois, il est vrai, Dieu se sert d’un prédicateur pour opérer le salut d’un autre, et de cet autre seulement , si ce prédicateur se contente de dire sans pratiquer ; et ainsi sa langue prépare à Dieu une demeure chez un autre, mais lui-même n’est point cette demeure. Mais l’homme qui pratique le bien qu’il enseigne, et qui l’enseigne en le pratiquant, devient lui-même la demeure de Dieu, de même que l’homme qu’il enseigne; car tous ceux qui croient ne font qu’une seule demeure pour Dieu. Car Dieu habite le coeur, et tous ceux qui sont unis par la charité n’ont qu’un même coeur.

5. Combien de milliers d’hommes embrassèrent la foi, mes frères, quand ils apportaient aux pieds des Apôtres les biens qu’ils avaient vendus 3! Mais que dit l’Ecriture à leur sujet? Ils devinrent sans aucun doute le temple de Dieu; et non-seulement chacun d’eux était le temple du Seigneur, mais ils l’étaient tous ensemble. Ils étaient donc la demeure du Seigneur. Et pour vous montrer qu’ils ne formaient tous ensemble qu’un seul temple de Dieu, voilà que l’Ecriture nous dit: « Ils n’avaient tous en Dieu qu’un seul « coeur et qu’une seule âme 4». Mais

 

1. Ps. CXXXI, 3-5.— 2. Isa. LXVI, 2.— 3. Act. IV, 35.— Id. 13. 32.

 

plusieurs ne préparent point en eux une demeure pour Dieu, parce qu’ils recherchent leurs propres intérêts, aiment ce qui leur appartient, se réjouissent d’être puissants, n’aspirent qu’à leur bien propre. Mais l’homme qui veut préparer en lui une demeure à Dieu, doit se réjouir du bien de tous, et non de son propre bien. C’est ce que firent les premiers fidèles à l’égard de leurs biens, ils en firent les biens de tous. Mais était-ce là perdre ce qui était à eux? S’ils eussent possédé seuls, et que chacun eût possédé son bien propre, il n’eût possédé que sa seule propriété; mais en rendant commun ce qui lui appartenait en propre, il faisait que tout ce qui appartenait aux autres était aussi à lui. Que votre charité veuille bien écouter. C’est des biens que nous possédons en propre que naissent les procès, les inimitiés, les discordes, les guerres entre les hommes, les tumultes, les dissensions, les scandales, les injustices, les homicides. De quels biens? Des biens que nous possédons en propre. Est-ce pour les biens que nous avons en commun qu’il y a des procès? L’air, nous le possédons en commun; le soleil, nous le voyons en commun. Bienheureux ceux qui préparent une demeure à Dieu, de manière à ne point jouir de leur bien propre. Tel est donc l’état que décrivait le Prophète en disant: « Je n’entrerai point dans le tabernacle de ma maison ». C’était là un bien particulier, et il savait que ce bien particulier l’empêchait de préparer en lui-même une demeure à Dieu, et il énumère tout ce qui lui est propre : « Je n’entrerai point dans le tabernacle de ma maison jusqu’à ce que j’aie trouvé ». Et quand vous aurez trouvé une demeure pour Dieu, ô Prophète, entrerez-vous donc dans votre maison? Ou bien ne ferez-vous pas votre maison de ce lieu où vous aurez trouvé une demeure pour Dieu? Pourquoi? Parce que vous serez vous-même la demeure du Seigneur, et que vous serez dans l’unité avec ceux qui sont sa demeure.

6. Abstenons-nous donc, mes frères, de toute possession privée, ou du moins de tout attachement, sinon de toute possession, et nous préparons une demeure à Dieu. C’est beaucoup pour moi, dit quelqu’un. Or, vois qui tu es pour préparer une demeure à Dieu. Mais si quelque sénateur, ou même, sans être sénateur, si l’intendant de quelque puissant du siècle voulait demeurer chez toi et te (104) disait: Voilà tel objet qui me blesse; quand même cet objet te plairait, tu l’enlèverais afin de ne point blesser un homme dont tu brigues l’amitié. Or, de quoi peut te servir l’amitié d’un homme? Peut-être n’y a-t-il aucune protection à espérer, et qu’un danger à courir. Plusieurs en effet ne couraient aucun danger avant d’être liés avec des grands, et n’ont trouvé que de plus grands périls dans ces liaisons tant ambitionnées, Mais désire en toute sécurité l’amitié du Christ. Il veut loger chez toi; fais-lui une place. Qu’est-ce à dire : Fais-lui une place? Aime-le sans t’aimer toi-même. T’aimer toi-même, c’est lui fermer la porte. L’aimer, c’est au contraire la lui ouvrir. Si tu lui ouvres, et qu’il entre, tu ne périras pas en t’aimant, puisque tu seras avec celui qui t’aime.

7. « Je n’entrerai point dans ma maison, je ne monterai point sur mon lit de repos». Un bien privé, quand un homme y trouve son repos, donne de l’orgueil; aussi le Prophète nous dit-il : « Je ne monterai point ». Qu’un homme, en effet, possède un bien propre, il en devient nécessairement orgueilleux. Il veut s’en prévaloir contre un autre, et tous deux ne sont que chair. Hélas ! mes frères, qu’est-ce que l’homme? Un peu de chair, Et qu’est-ce que l’autre homme? Encore un peu de chair. Et toutefois la chair d’un riche s’élève contre la chair d’un pauvre, comme si cette chair avait apporté quelque chose en naissant, ou devait emporter quelque chose à la mort. Tout son avantage n’est qu’une plus grande enflure. Mais celui qui veut trouver une demeure pour le Seigneur lui dit : « Je ne monterai point sur la couche de mon repos».

8. « Je ne donnerai point de sommeil à mes yeux». Il en est beaucoup qui dorment sans

préparer un lieu au Seigneur. Et voilà que l’Apôtre les réveille : « Levez-vous, ô vous qui dormez, sortez d’entre les morts, et le Christ vous illuminera 1 ». Et dans un autre endroit : « Nous qui sommes enfants de la lumière, veillons et soyons sobres : car ceux qui dorment, dorment la nuit, et ceux qui s’enivrent, s’enivrent la nuit 2 ».  Il entend par la nuit, l’iniquité dans laquelle s’endorment ceux qui désirent les biens terrestres. Or, toutes ces félicités qui brillent en ce monde ressemblent aux songes d’hommes

 

1. Ephés. V, 1.4. — 2. I Thess. V, 5.7

 

endormis. Et de même qui voit en songe un trésor, est riche durant son sommeil; mais à peine est-il éveillé qu’il redevient pauvre: de même toute la joie que donnent les biens de ce monde n’est que la joie d’un songe; ces hommes endormis s’éveilleront contre leur gré s’ils ne savent point s’éveiller quand il en est temps, et ils verront que tout cela n’était qu’un songe qui s’est évanoui, selon le mot de l’Ecriture : « Comme le songe d’un homme qui s’éveille 1 ». Et ailleurs : « Ces hommes ont dormi leur sommeil, et n’ont o plus rien trouvé dans leurs mains de toutes leurs richesses 2. Ils ont dormi leur sommeil», le sommeil est passé, «et ils n’ont plus rien trouvé dans leurs mains », parce que dans leur sommeil ils ne voyaient que des richesses passagères. Ainsi donc doit parler celui qui veut trouver en lui une place pour le Seigneur: « Je ne donnerai aucun sommeil à mes yeux ». Or, il en est qui ne dorment pas, mais qui sommeillent. Ils se désaffectionnent quelque peu des choses temporelles, puis s’en rapprochent bientôt; ils laissent aller leur tête comme dans l’assoupissement. Eveille-toi, dissipe ton sommeil; car ce sommeil amènera ta chute. Le Psalmiste veut refuser le sommeil à ses yeux, l’assoupissement à ses paupières, afin de trouver une place au Seigneur.

9. « Ni repos à mes tempes », dit encore le psaume. C’est du repos. des tempes que le sommeil vient aux yeux; car les tempes environnent les yeux. Quand le sommeil arrive, il appesantit les tempes; et c’est dans les tempes que l’on sent une pesanteur quand l’on va dormir; et quand cette pesanteur devient sensible, le sommeil est bien proche; et y laisser aller ses yeux, c’est donner du repos aux tempes, et le sommeil vient; tandis que refuser aux tempes ce même repos, c’est chasser le sommeil. Dès lors qu’un objet temporel te devient agréable et te porte au péché, voilà que tes tempes s’alourdissent. Veux-tu t’éveiller, ne point dormir, pas même sommeiller? Ne te livre point à ce plaisir, car tu y trouveras plus d’amertume que de charmes. Avec ces pensées, tu frottes pour ainsi dire ton front, dissipant ton sommeil et préparant une place au Seigneur.

10. « Jusqu’à ce que je trouve un lieu au Seigneur, un tabernacle au Dieu de Jacob».

 

1. Ps. LXX, I, 20. — 2. Id. LXXV, 6.

 

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Il est vrai qu’on appelle quelquefois tabernacle de Dieu la maison de Dieu, et maison de Dieu le tabernacle de Dieu ; cependant, mes frères, à proprement parler, le tabernacle de Dieu serait l’Eglise en cette vie, et la maison de Dieu la céleste Jérusalem, où nous irons un jour. Car, le mot de tabernacle ou de tente rappelle des soldats en campagne, en guerre; les soldats ont des tentes quand ils font des sièges, des expéditions; de là ce mot de contubernales, donné aux soldats qui habitent sous la même tente. Tant que nous avons un ennemi à combattre, nous sommes sous la tente avec Dieu. Mais quand le temps du combat sera passé, quand sera venue cette paix qui est au-dessus de tout ce que nous pouvons comprendre, selon le mot de saint Paul : « La paix de Dieu qui est au-dessus de toute intelligence 1» ; quelque effort, en effet, que fasse notre pensée, elle ne saurait comprendre cette paix, tant que notre esprit est sous le poids de notre corps: quand donc sera venue cette paix, nous serons alors dans la maison, et comme nul adversaire ne nous attaquera, nous n’aurons plus besoin de tente. Nous ne marcherons plus au combat, nous demeurerons pour louer Dieu. Qu’est-il dit, en effet, à propos de cette maison ? « Bienheureux ceux qui habitent votre maison, ils vous loueront dans les siècles des siècles 2 ». Nous gémissons sous la tente, nous bénirons Dieu dans la maison. Pourquoi? Parce que c’est le propre des exilés de gémir, le propre de ceux qui sont dans la patrie de louer Dieu. liais d’abord, cherchons ici-bas une tente au Dieu de Jacob.

11. «On nous a dit qu’elle était en Ephrata». Qui « Elle ? » La demeure de Dieu. « On nous a dit qu’elle était en Ephrata; nous l’avons trouvée dans les campagnes boisées 3 ». L’a-t-il trouvée à l’endroit qu’on lui avait indiqué; ou bien a-t-il entendu un endroit, et l’a-t-il trouvée dans un autre? D’abord, cherchons ce que signifie Ephrata qu’on lui a indiqué, puis nous chercherons ces campagnes des forêts où il a trouvé la demeure de Dieu. Ephrata est un mot hébreu qui signifie miroir, si nous en croyons à ceux qui nous ont laissé l’interprétation des mots hébreux pour nous en donner l’intelligence; car ils ont d’abord traduit l’hébreu en grec, puis le grec a été traduit en latin. Plusieurs,

 

1. Philipp. IV, 7. — 2. Ps. LXXXIII, 5. — 3. Id. CXXXI, 6.

 

en effet, se sont appliqués à l’étude approfondie des Ecritures. Si donc Ephrata signifie miroir, c’est dans un miroir que l’on a entendu parler de cette habitation trouvée dans les campagnes boisées. Or, le miroir reflète une image. Et toute prophétie est une image de l’avenir. Cette maison future de Dieu nous a donc été prédite sous une image prophétique. Car, on nous en a parlé dans un miroir, c’est-à-dire, « nous en avons ouï parler en Ephrata. Nous l’avons trouvée dans les campagnes boisées ». Quelles sont ces campagnes boisées? des champs pleins de bois; non point de ces bois dont on dit: cette forêt a tant d’arpents. Mais un lieu boisé est un lieu inculte et sauvage. On trouve, dans certains exemplaires, des lieux sauvages. Quelles étaient donc ces campagnes boisées, sinon les nations incultes? Quelles étaient ces campagnes boisées, sinon ces campagnes couvertes des broussailles de l’idolâtrie? Et néanmoins, dans ces broussailles de l’idolâtrie, nous avons trouvé un lieu pour le Seigneur, une tente pour le Dieu de Jacob. « Ce que nous avons entendu dans Ephrata, nous l’avons trouvé dans les campagnes boisées » ; ce qui a été prêché en figure aux Juifs a été manifesté aux Gentils par la foi.

12. « Nous entrerons dans ses tabernacles 1 ». Dans les tabernacles du Dieu de Jacob. Ceux qui entrent pour habiter sont aussi ceux qui entrent pour être habités eux-mêmes. Tu entres dans ta maison pour l’habiter, dans celle de Dieu pour être habité. Dieu vaut mieux qu’une maison, et quand il aura commencé à habiter en toi, il te donnera le bonheur. Et s’il n’habite en toi, tu seras malheureux. Il voulut s’appartenir, ce fils qui dit dans l’Evangile : « Donnez-moi la portion de l’héritage qui doit m’échoir 2». Cette part se pouvait conserver entre les mains de son père, et n’eût pas été dissipée avec les femmes de mauvaise vie. Il reçut donc cette part qui fut mise en son pouvoir ; et il s’en alla dans un pays lointain la dissiper avec des prostituées. Puis il souffrit la faim, se souvint de son père, retourna vers lui afin de se rassasier de son pain. Entre donc dans cette maison afin d’être habité, de n’être point à toi, mais à Dieu. « Nous entrerons dans ses tabernacles».

13. «Nous adorerons dans le lieu où ses pieds

 

1. Ps. CXXXI, 7.— 2. Luc, XV 12.

 

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se sont reposés ». Les pieds de qui? Du Seigneur, ou de la maison du Seigneur? Car le lieu où le Prophète nous dit qu’il faut l’adorer, c’est la maison du Seigneur. « Nous adorerons dans le lieu où ses pieds se sont reposés ». Ce n’est que dans sa maison que le Seigneur nous exauce pour la vie éternelle. Or, celui-là fait partie de la maison du Seigneur, qui est lié par la charité aux pierres vivantes qui la composent. Mais celui-là tombe, qui n’a point la charité, et la maison n’en demeure pas moins après sa chute. Que nul n’ose menacer cette maison, quand il commence à en devenir une pierre en quelque sorte, et qu’il veut tomber, comme si l’on pouvait nuire à cette maison. Tel fut l’orgueil qui s’empara du premier peuple juif, et lui fit dire que le Seigneur, qui avait fait à Abraham son père de si magnifiques promesses relativement à sa postérité, ne saurait y manquer; et tranquilles sur cette promesse de Dieu, ils commettaient toutes sortes de désordres, dans la persuasion qu’il leur pardonnerait leurs péchés, non point en considération des mérites de ces criminels, mais en considération des mérites d’Abraham, dont tous les enfants, quelle que soit leur dépravation, seraient néanmoins rassemblés pour lui former une maison d’éternelle durée. Mais que dit Jean? « Race de vipères 1 ». Ces enfants d’Abraham venaient à lui pour recevoir le baptême de la pénitence, et il ne leur dit point : race d’Abraham, mais race de vipères. Car ils ressemblaient à ceux qu’ils imitaient. Dès lors, ils n’étaient plus enfants d’Abraham, mais enfants des Amorrhéens, des Chananéens, des Gergéséens, dès Jébuséens,. et de tous ceux qui péchaient contre Dieu. Ils en étaient les fils, puisqu’ils en imitaient les actions. « Race de vipères donc, qui vous a enseigné à fuir la colère à venir ? Faites de dignes fruits de pénitence, et ne dites point: Nous avons Abraham pour père ; car Dieu peut, de ces pierres, susciter des enfants d’Abraham 2». En parlant de la sorte, Jean voyait sans doute quelques pierres dans les campagnes boisées, et desquelles surgirent des enfants d’Abraham. Car ces fils d’Abraham sont bien plus ceux qui ont imité ses vertus, que ceux qui sont nés de sa chair. Que personne dès lors ne menace la maison de Dieu, en disant: Je me retire et la maison tombera.

 

1. Matth. III, 7. — 2. Id. 8, 9.

 

Il lui est avantageux d’entrer dans le, corps de l’édifice et d’avoir la charité ; car s’il tombe, la maison n’en subsistera pas moins. C’est pourquoi, mes frères, la maison de Dieu subsiste dans ceux qu’il a prédestinés, et dont il a prévu la persévérance. C’est d’eux qu’il est dit: « Où ses pieds se sont reposés ». Il en est, en effet, qui ne persévèrent point, et en qui ne reposent point ses pieds. Ils ne sont donc point de l’Eglise, et n’appartiennent point à ce qui est aujourd’hui le tabernacle, et plus tard le palais. Mais où se sont reposés les pieds du Seigneur? « Parce que l’iniquité abonde », nous dit le Sauveur, « la charité de plusieurs se refroidira1». Or, ses pieds ne se reposent point en ceux dont la charité se refroidit. Mais que dit ensuite le Sauveur? « Celui qui persévérera jusqu’à la fin sera sauvé 2 ». C’est en ceux-là que se reposent ses pieds : c’est là que tu dois adorer, c’est-à-dire, sois de ceux en qui se reposent les pieds du Seigneur.

14. Mais si dans cette parole : « Où se sont arrêtés ses pieds », tu veux voir les pieds de la maison elle-même : que tes pieds demeurent fermes dans le Christ; et tes pieds seront

fermes dans le Christ, si tu persévères en lui. Qu’est-il dit, en effet, du diable ? « Celui-là est homicide dès le commencement, et il n’est point demeuré ferme dans la vérité 3». Ses pieds donc ne se sont point arrêtés. De même il est dit des orgueilleux : « Que le pied de l’orgueil ne me heurte point, que la main des pécheurs ne m’ébranle point. Là sont tombés ceux qui commettent l’iniquité, ils ont été repoussés, et n’ont pu demeurer fermes 4 ». Ils forment donc la maison de Dieu, ceux dont les pieds sont fermes. Aussi, que dit Jean dans ses transports de

joie: « L’époux est celui à qui est l’épouse; mais l’ami de l’époux est celui qui se tient debout et qui écoute ». S’il ne demeure ferme, il ne l’écoute pas. « Cet ami est plein de joie à la voix de l’époux 5». C’est avec raison qu’il demeure ferme, puisqu’il se réjouit à la voix de l’époux ; car il tomberait bientôt s’il se réjouissait de sa propre voix. Vous comprenez dès lors pourquoi sont tombés ceux qui ont mis leur joie dans leur propre parole.

Cet ami de l’époux disait: « C’est là celui qui baptise ». Il en est qui disent : C’est nous

 

1. Matth. XXIV, 12. — 2. Id. 13. — 3. Jean, VIII, 44. — 4. Ps. XXXV, 12, 13 — 5. Jean, III, 29. — 6. Id. I, 33.

 

qui baptisons. Mais dans l’enivrement de leur parole ils n’ont pu tenir fermes; et dès lors ils n’appartiennent pas à cette maison dont il est dit : « Là se sont reposés ses pieds ».

15. « Levez-vous, Seigneur, entrez dans votre repos 1 ». C’est au Christ endormi que l’on dit: « Levez-vous ». Car vous savez qui n dormi, et qui s’est levé ensuite. C’est lui qui dit en certain endroit des psaumes : « J’ai dormi tout agité 2 ». C’est donc avec raison qu’on lui dit : « Levez-vous, Seigneur, pour votre repos ». Vous ne serez plus agité : « Car le Christ ressuscitant d’entre les morts, ne meurt plus, la mort n’aura plus aucune puissance sur lui 3 ». C’est lui qui dit encore dans un autre psaume : « J’ai dormi, j’ai sommeillé, et je me suis levé, parce que le Seigneur m’a pris sous sa garde 4 ». C’est donc à celui qui a dormi, que l’on dit ici : « Levez-vous, Seigneur, entrez dans votre repos, vous et l’arche de votre sainteté ». C’est-à-dire : Levez-vous afin que se lève aussi l’arche de sainteté, que vous avez sanctifiée. Il est notre chef, son arche est son Eglise : il s’est levé le premier, et l’Eglise se lèvera ensuite. Or, le corps n’oserait se promettre de ressusciter si la tête ne l’avait fait la première. « Levez-vous, Seigneur, pour votre repos, vous et l’arche de votre sanctification ». Quelques-uns ont prétendu que cette arche de la sanctification désignait le corps du Christ né de la Vierge Marie; en sorte que cette invitation : « Levez-vous, Seigneur, vous et l’arche que vous avez sanctifiée », signifierait: Levez-vous avec votre corps, afin que les incrédules puissent le toucher. « Levez-vous, Seigneur, pour votre repos, vous et l’arche de votre sainteté ».

16. « Que vos prêtres soient revêtus de justice, et vos saints dans la joie 5 » . Quand vous vous lèverez d’entre les morts, pour aller à votre Père, que ce sacerdoce royal soit revêtu de foi, car « c’est de la foi que vit le juste 6»; et qu’après avoir reçu le gage de l’Esprit-Saint, les membres se réjouissent dans l’espérance de la résurrection, qui a précédé dans le chef; puisque c’est à eux que l’Apôtre a dit : « Réjouissez-vous dans l’espérance ».

17. « A cause de David votre serviteur, ne détournez point les regards de votre

 

1. Ps. CXXXI, 8.— 2. Id. LVI, 5. — 3. Rom. VII, 9. — 4. Ps. III, 6. — 5. Id. CXXXI, 9. — 6. Rom. I, 17. —  7. Id. XII, 12,

 

 Christ 1». C’est au Père que l’on dit : « Ne détournez point la face de votre Christ, en considération de David votre serviteur ». Car le Seigneur a été crucifié en Judée, et crucifié par les Juifs; c’est pendant qu’ils le troublaient qu’il a dormi. Après avoir dormi entre les mains de ces furieux, il s’est levé pour les juger; et il a dit en quelque endroit:

« Ressuscitez-moi, et je me vengerai d’eux 2 ». Il s’est vengé déjà, et doit se venger encore. Les Juifs savent bien ce qu’ils ont souffert après avoir fait mourir le Seigneur. lis ont été bannis complètement de cette ville où ils l’avaient mis à mort. Mais quoi! tous ceux de la race de David, de la tribu de Juda, ont-ils donc péri? Non, car plusieurs d’entre eux embrassèrent la foi, c’est de là que sortirent ces milliers d’hommes qui crurent en Jésus-Christ après sa résurrection. Ils s’emportèrent jusqu’à le crucifier, et quand ils virent les miracles qui s’opéraient au nom du crucifié, ils n’en furent saisis que d’une plus grande. frayeur, en voyant éclater la puissance de celui qui avait paru si faible entre leurs mains : et alors touchés de componction, ils crurent que la divinité était vraiment cachée dans cet homme 3 qu’ils avaient regardé comme un autre homme, puis ils demandèrent conseil aux Apôtres. « Faites pénitence, leur fut-il répondu, et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus-Christ notre Seigneur 4 ». C’est donc parce que le Christ est ressuscité pour juger ceux qui l’ont crucifié, et qu’il a détourné son visage des Juifs, pour le tourner vers les Gentils, que le Prophète paraît le supplier en faveur des restes d’Israël, en disant: « A cause de David votre serviteur, ne détournez point la face de votre Christ ». Si la paille est condamnée, que le bon grain soit recueilli. Que les restes soient sauvés 5, comme le dit Isaïe. Or, ces restes ont été sauvés, puisque c’est de là que vinrent les douze Apôtres, et ces frères au nombre de plus de cinq cents à qui le Seigneur se montra après sa résurrection 6; de là ces milliers d’hommes qui se firent baptiser et apportèrent aux pieds des Apôtres le prix de leurs biens 7. Ainsi donc fut accomplie cette prière que le Prophète adresse au Seigneur : « A cause de David votre serviteur ne détournez point la face de votre Christ ».

 

1. Ps. CXXXI, 10. — 2. Id. XI, 11. — 3. Act. II, 37. — 4. Id. 38. — 5. Isa. X, 21.— 6. Rom. IX, 27 ; I Cor. XV, 6.— 7. Act. II, 41; XV, 34.

 

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18. « Le Seigneur a juré à David dans sa vérité, et il ne s’en repentira point 1 ». Qu’est-ce à dire : « Il a juré? » Il a confirmé sa promesse par lui-même. Qu’est-ce à dire: « Il ne s’en repentira point? » Il ne changera point. Car Dieu n’est touché d’aucune douleur de repentir, et il ne se trompe en rien, pour avoir besoin de corriger ses actes. Mais de même que chez l’homme le repentir lui fait changer ses actes, de même quand on dit que Dieu se repent, on doit attendre quelque changement. Mais ce changement se fait autrement en Dieu, bien qu’il conserve le nom de repentir, et autrement en toi. Tu le fais, toi, parce que tu t’es trompé; mais Dieu le fait, parce qu’il veut châtier ou délivrer. Quand il se repentit d’avoir élevé Saül à la royauté, il le changea, ainsi, qu’il est écrit. Et dans le même endroit l’Ecriture dit: « Il se repentit » ; et néanmoins un peu après elle ajoute que « Dieu n’est point semblable à l’homme pour se repentir 2 ». Dès lors quand, par le conseil de son immuable sagesse, il vient à changer ses oeuvres, ce changement non dans ses desseins, mais dans ses oeuvres, se nomme repentir. Mais la promesse faite à David ne doit point être changée. De même qu’il est dit encore : « Le Seigneur l’a juré, et ne s’en repentira point : tu es prêtre pour l’éternité selon l’ordre de Meichisédech 3 ». De même, comme la promesse qu’il a faite est sans changement, et doit nécessairement subsister à jamais, le Prophète a dit : « Le Seigneur a juré à David dans sa vérité et il ne s’en repentira point; je mettrai sur ton trône le fruit de tes entrailles 4 ». Le Prophète pouvait dire tout aussi bien: Le fruit de tes reins; pourquoi dès lors a-t-il voulu dire, « le fruit de tes entrailles? ». En parlant ainsi il eût dit vrai; mais il a préféré dire « le fruit de vos entrailles », afin de nous mieux préciser que le Christ est né d’une femme sans la participation d’aucun homme.

19. Pourquoi donc? « Le Seigneur a juré à David dans sa vérité: Je placerai sur ton trône le fruit de tes entrailles; si tes enfants gardent mon alliance, et mes témoignages que je leur enseignerai, leurs enfants seront à jamais assis sur ton trône ». Si tes enfants sont fidèles à mon alliance, leurs enfants seront osais à jamais. Les pères méritent pour

 

1. Ps. CXXXI, 11. — 2. I Rois, XV, 11, 29. — 3. Ps. CLX, 4. — Id. CXXXI, 12.

 

les enfants. Mais qu’arriverait-il, si les fils de David gardaient l’alliance, et non les petits-fils? Pourquoi le bonheur des enfants est-il dû aux mérites des pères? Que dit en effet le Prophète? « Si tes enfants gardent mes témoignages, leurs enfants seront assis pour l’éternité ». Il ne dit point : Si tes enfants gardent mon alliance, ils s’assiéront sur ton trône; et si leurs enfants la gardent à leur tour, ils seront de même assis sur ton trône; mais il dit: « Si tes enfants gardent mon alliance, leurs enfants seront assis sur ton trône ». A moins que le Prophète, par leurs enfants, n’entende leurs oeuvres. « Si tes enfants », est-il dit, « gardent ma loi, et les préceptes que je leur enseignerai, leurs enfants seront assis sur ton trône » ; c’est-à-dire, le fruit de leurs oeuvres sera de s’asseoir sur ton trône. Maintenant, en effet, mes frères, nous tous qui travaillons dans le Christ, nous tous qui tremblons à sa parole, qui nous efforçons par tous les moyens d’accomplir sa volonté, qui gémissons en lui demandant de nous aider à pratiquer ce qu’il commande, sommes-nous donc assis déjà sur ces trônes de félicité qui nous sont promis? Nullement; mais dans l’espérance de cet avenir nous observons les préceptes. C’est à cette espérance que l’on donne le nom de fils, puisque pour l’homme qui vit ici-bas, l’espérance est dans les enfants, le fruit dans les enfants encore. Aussi pour abriter leur avarice, les hommes disent-ils qu’ils font des économies pour leurs enfants : leur refus à quelque pauvre est couvert du voile de la piété, car leurs enfants sont leur espérance. Car tous les hommes qui vivent selon l’esprit du monde, ont l’espoir, disent-ils, d’avoir des enfants, de les laisser après eux. C’est dans ce sens que le Prophète donnerait le nom de fils à leur espérance, quand il dit : « Si vos enfants gardent mon alliance et les préceptes que je leur enseignerai, leurs fils seront assis éternellement sur votre trône »; c’est-à-dire que leur fidélité portera des fruits tels que leur espérance ne sera point illusoire, et qu’ils arriveront où ils espèrent arriver. Donc ici-bas les hommes qui ont de l’espérance dans l’avenir, sont en quelque sorte des pères; et ils sont comme des enfants quand ils ont acquis ce qu’ils espéraient, et ont en quelque sorte enfanté, engendré par leurs oeuvres ce qu’ils possèdent. C’est là ce qui (109) leur est réservé pour après eux, puisque le nom de postérité, ou ceux d’après, désigne ordinairement les enfants.

20. Mais si par enfants vous voulez entendre des hommes, il faut leur appliquer aussi ces paroles : « Si tes enfants gardent mon alliance et les préceptes que je leur enseignerai », en sorte que tel serait le sens : « Si tes enfants gardent mon alliance et les préceptes que je leur enseignerai, ainsi que leurs enfants», s’ils les gardent également; en sorte qu’il y aurait une distinction, et que la promesse de s’asseoir sur le trône serait pour les enfants de David, et les enfants de ces enfants, mais à la condition que tous garderont ces préceptes. Qu’arrivera-t-il donc, s’ils ne les gardent point? La promesse de Dieu sera-t-elle donc nulle? Point du tout. Le Prophète n’a parlé de la sorte, n’a fait cette promesse, que dans la prévision de Dieu; et qu’est-ce qu’a prévu Dieu, sinon qu’ils croiront ? Et afin que nul ne crût qu’il pouvait se soulever contre les promesses de Dieu, comme s’il dépendait de lui que cette promesse divine fût accomplie ou non, voilà que le Prophète nous dit que Dieu a promis avec serment, ce qui montre que l’accomplissement est infaillible. Pourquoi néanmoins dire : « S’ils gardent? » Afin que la promesse de Dieu ne te donne aucune présomption, et ne te porte à négliger son alliance. La garder, c’est être fils de David; la négliger, c’est n’être plus fils de David ; et Dieu n’a rien promis qu’aux fils de David. Tu ne saurais dire : Je suis fils de David, situ es dégénéré. Les Juifs ne sauraient s’appeler ainsi, quoique nés de sa race. Ils le font, il est vrai, mais c’est une folie. Car le Seigneur leur a porté ce défi: « Si vous êtes les enfants d’Abraham, faites les oeuvres d’Abraham 1 ». Il leur en refusait le nom, parce qu’ils n’en imitaient pas les oeuvres. Comment nous appeler fils de David, nous qui ne sommes point de sa lignée selon la chair? Nous ne pouvons être ses fils qu’en imitant sa foi, qu’en servant Dieu comme il l’a servi. Si donc tu ne veux acquérir par de saintes actions ce que tu ne saurais espérer par la naissance, comment s’accomplira pour toi la promesse de t’asseoir sur le trône de David? Et si elle n’est accomplie en toi, crois-tu qu’elle sera sans effet? Comment Dieu trouvera-t-il sa demeure

 

1. Jean, VIII, 39.

 

dans les campagnes boisées? Comment ses pieds pourront-ils demeurer fermes? Quel que tu sois, cette maison subsistera.

21. « Car le Seigneur a choisi Sion, il l’a choisie pour en faire son habitation 1 ». Sion, c’est l’Eglise, c’est la Jérusalem d’en haut, la cité de la paix, à laquelle nous nous hâtons d’arriver, qui est encore dans l’exil, non pas dans les anges, mais en nous, et dont la partie meilleure attend l’arrivée de l’autre, De là nous sont venues les saintes lettres qu’on lit chaque jour. Telle est la cité, telle est Sion que le Seigneur a choisie.

22. « C’est le lieu de mon repos dans les siècles des siècles2 ». C’est Dieu qui parle et qui dit : C’est mon repos, c’est là que je me repose. Quel amour de Dieu pour nous, mes frères lit repose, dit-il, quand nous reposons. Dieu n’est jamais dans l’agitation, et n’a pas besoin de reposer comme nous, mais il dit qu’il se repose, parce que nous trouvons en lui notre repos. « C’est là que j’habiterai, parce que je l’ai choisie ».

23. « Je comblerai ses veuves de bénédictions, et ses pauvres je les rassasierai de pain 3 ». Toute âme est veuve dès qu’elle se voit dénuée de tout secours autre que celui de Dieu. Quelle peinture, en effet, l’Apôtre nous fait-il de la veuve? « Celle qui est vraiment veuve et désolée», nous dit-il, « a mis sa confiance dans le Seigneur ». Or, il parlait de ces veuves que nous appelons tous ainsi dans l’Eglise. Car il avait dit : « Celle qui vit dans les délices est morte, quelque vivante qu’elle soit », et il ne la compte pas au nombre des veuves. Mais que dit-il à propos des veuves saintes? « Celle qui est vraiment veuve et désolée a mis son espérance dans le Seigneur, et persévère nuit et jour dans les prières et les saintes supplications ». Puis il ajoute « Pour celle qui vit dans les délices, elle est morte , quelque vivante qu’elle soit 4 ». Pourquoi donc l’autre est-elle veuve? Parce qu’elle n’a d’autre secours que celui de Dieu. Des femmes qui ont leurs maris, tirent des secours de ces maris une certaine vanité; une femme veuve paraît abandonnée, et son appui n’en est que plus solide. Toute l’Eglise n’est donc qu’une seule veuve. Elle est veuve dans les hommes, veuve dans les femmes, veuve dans les personnes mariées, veuve dans les femmes qui ont un

 

1. Ps. CXXXI, 13, — 2. Id. 14. — 3. Id. 13, — 4. I Tim. V, 5, 6.

 

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époux, veuve dans les jeunes gens, veuve dans les vieillards, veuve dans les vierges. Toute l’Eglise ne forme qu’une seule veuve, et une veuve abandonnée en ce monde; si elle comprend son état, si elle est persuadée de sa viduité, elle trouve près d’elle un fort appui. Ne reconnaissez-vous pas, mes frères, cette veuve dans l’Evangile, quand le Seigneur nous dit qu’il faut toujours prier, et ne jamais cesser de prier? « Il y avait », dit-il, « dans une ville, un juge qui ne craignait pas Dieu, et ne s’inquiétait point des hommes; et chaque jour une veuve s’en venait le trouver en disant : Faites-moi justice de mon adversaire ». Or, à force de l’importuner, elle le fatigua enfin. « Car ce juge qui ne craignait pas Dieu, et qui n’avait aucun souci des hommes, se dit en lui-même : Quoique je n’aie nulle crainte de Dieu, nul souci des hommes, je lui rendrai néanmoins justice, à cause de son importunité 1 ». Si ce juge corrompu entendit cette veuve, de peur qu’elle ne l’importunât davantage, Dieu pourrait-il ne pas exaucer son Eglise, qu’il exhorte lui-même à la prière?

24. De même : « Ses pauvres, je les rassasierai de pains». Qu’est-ce à dire, mes frères? Soyons pauvres, et nous serons rassasiés. Il est des hommes enflés des honneurs du monde, des hommes orgueilleux, qui sont chrétiens; ils adorent Jésus-Christ, mais ne sont pas rassasiés; ils ne sont rassasiés que de leur orgueil, qu’ils ont en abondance. C’est d’eux que le psaume a dit : « Nous sommes un sujet d’opprobre pour ceux qui sont dans l’abondance, et de mépris pour les superbes 2 ». ils sont dans l’abondance, et mangent sans être rassasiés. Or, qu’a dit le Psalmiste à leur sujet? « Tous les riches de la terre ont mangé 3 ». Ils adorent le Christ, ils ont pour le Christ de la vénération, ils invoquent le Christ, mais ils ne sont point rassasiés de sa sagesse et de sa justice. Pourquoi? Parce qu’ils ne sont point pauvres. Quant aux pauvres, c’est-à-dire aux humbles de coeur, plus ils ont faim et plus ils mangent, et ils ont d’autant plus faim qu’ils sont plus détachés du monde. Un homme rassasié dédaigne tout ce que tu peux lui offrir; il n’a pas faim. Mais donne-moi un affamé, donne-moi ceux dont il est dit: « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu’ils seront

 

1. Luc, XVIII, 1-8. — 2. Ps. CXXII, 4. — 3. Id. XXI, 30.

 

rassasiés 1 », et ils seront ces pauvres dont il est dit ici : « Quant à ses pauvres, je les rassasierai de pains ». Aussi dans ce même psaume où il est dit : « Tous les riches de la terre ont mangé et ont adoré », il est dit encore, à propos des pauvres et dans le sens de notre psaume: « Que les pauvres mangent, et ils seront rassasiés, et ils loueront le Seigneur, ceux qui le recherchent ». Au même endroit où l’on dit que « les riches ont mangé et ont adoré», on dit encore, à propos des pauvres: «Qu’ils mangent et ils seront rassasiés». Pourquoi, en parlant des riches qui ont adoré, n’est-il pas dit qu’ils sont rassasiés, et pourquoi, en parlant des pauvres, est-il dit qu’ils sont rassasiés? De quoi sont-ils rassasiés? Quelle est, mes frères, cette satiété? C’est Dieu lui-même qui est leur pain. Or, afin que ce pain fut un lait pour nous, il est descendu sur la terre, et il a dit à ses disciples : « Je suis le pain vivant descendu du ciel 3 ». Aussi le psaume que je viens de citer a-t-il dit : « Que les pauvres mangent, et ils seront rassasiés ». De quoi seront-ils rassasiés? Ecoute la suite : « Et ceux qui recherchent le Seigneur le loueront ».

25. Soyez donc pauvres, soyez parmi les membres de cette veuve, n’ayez de secours qu’en Dieu seul. Votre argent n’est rien, il ne vous sera d’aucun secours. Beaucoup sont tombés à cause de leur argent, l’argent a causé leur perte: beaucoup ont été recherchés des voleurs à cause de leur argent; ils eussent été en sûreté, s’ils n’eussent possédé ce qui les a fait rechercher. Beaucoup ont compté sur la puissance de leurs amis : ces puissants sur lesquels ils comptaient sont tombés et ont entraîné dans leur chute ceux qui comptaient sur eux. Voyez ce que le genre humain nous offre chaque jour. Que voyez-vous d’extraordinaire dans mes paroles? Ce n’est pas seulement l’Ecriture qui nous l’apprend, vous le pouvez lire dans toute la terre. Apprenez donc à ne point compter ni sur l’argent, ni sur l’amitié des hommes, ni sur les honneurs et les vanités du siècle. Méprise tout cela, et si tu le possèdes et que tu le méprises, remercie Dieu. Mais situ en es enflé, ne considère pas quand est-ce que tu deviendras la proie des hommes, tu es déjà la proie du diable. Or, si tout cela ne te donne point de présomption, tu seras parmi les

 

1. Matth. V, 6. — 2. Ps. XXI, 27. — 3. Jean, VI, 41.

 

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membres de cette veuve qui est 1’Eglise, et dont il est dit: « Je comblerai sa veuve de mes bénédictions » ; tu seras ce pauvre dont il est dit: « Quant à ses pauvres, je les rassasierai de pains ».

26. Toutefois, mes frères, il est bon de vous le dire, on rencontre l’orgueil chez un pauvre, et l’humilité chez un riche: nous en voyons chaque jour. Quelquefois tu entends un pauvre qui gémit sous l’oppression d’un riche, et quand ce riche puissant l’opprime, le pauvre est humble; quelquefois il ne l’est pas même à ce moment, il est encore orgueilleux; ce qui nous montre comme il serait, s’il avait quelque bien. C’est donc par le coeur, et non par la bourse qu’on est pauvre selon Dieu. On rencontre parfois un homme dont la maison est bien remplie, qui a de vastes domaines, de riches maisons de campagne, beaucoup d’or et d’argent, et qui sait qu’il n’y doit point mettre sa confiance, qui s’humilie devant Dieu, et emploie ses richesses en bonnes oeuvres ; son coeur s’élève tellement en Dieu, qu’il comprend, non-seulement que ses richesses ne servent de rien, mais qu’elles entravent sa marche, si Dieu ne le conduit, et ne vient à son secours; et le voilà au nombre des pauvres qui sont rassasiés de pains. On en voit un autre qui mendie et qui est orgueilleux, ou s’il n’est orgueilleux, c’est qu’il n’a rien, mais qui voudrait avoir de quoi s’enorgueillir. Or, Dieu n’a aucun égard au bien que l’on possède, mais au bien que l’on voudrait posséder;et il juge selon ce désir, qui nous fait aspirer aux biens temporels, mais non sur ces biens que nous n’avons pu acquérir. De là cette parole de l’Apôtre à l’égard des riches: « Ordonnez aux riches de ce monde de n’être point orgueilleux, de ne point mettre leur confiance dans des richesses incertaines, mais dans le Dieu vivant, qui nous donne en abondance tout ce qui est nécessaire à la vie ». Que feront-ils donc de leurs richesses? Le même Apôtre continue en disant: « Qu’ils soient riches en bonnes oeuvres; qu’ils donnent facilement, et fassent part de leurs biens». Et vois que dans ce cas ils sont pauvres en cette vie : « Qu’ils se fassent un trésor et un fondement solide pour l’avenir, afin qu’ils embrassent la vie éternelle 1 ». Quand ils la posséderont, c’est alors seulement

 

1. I Tim. VI, 17-19.

 

qu’ils seront riches; mais, qu’ils se reconnaissent pauvres, jusqu’à ce qu’ils la possèdent. C’est ainsi que Dieu compte parmi ses pauvres qu’il rassasie de pains, ceux qui sont humbles de coeur, qui sont affermis dans la double charité, quels que soient d’ailleurs les biens qu’ils possèdent.

27. « Je revêtirai ses prêtres du salut, et ses saints tressailliront d’allégresse 1 ». Nous voici à la fin du psaume, que votre charité veuille bien écouter quelque peu: « Je revêtirai ses prêtres du salut, et ses saints tressailliront d’allégresse ». Quel est notre salut, sinon le Christ Notre-Seigneur? Qu’est-ce à dire dès lors: « Je revêtirai ses prêtres du salut? Vous tous», dit saint Paul, « qui êtes baptisés en Jésus-Christ, vous avez revêtu le Christ 2. Et ses saints tressailliront d’allégresse ». D’où leur viendra cette allégresse ? De ce qu’ils sont revêtus du salut, non par eux-mêmes ; car « ils sont lumière », il est vrai, mais « dans le Seigneur 3 » ; auparavant ils étaient ténèbres. De là vient que le psaume ajoute : « C’est là que j’établirai la force de David 4»; afin que l’on se confie dans le Christ qui sera la grandeur de David. Le mot corne, du Prophète, signifie grandeur. Or, quelle sera cette grandeur? Non pas une grandeur charnelle, car tous les os sont enveloppés de chair, mais la corne s’élève au-dessus de la chair. Cette corne est donc une grandeur spirituelle. Or, en quoi consiste l’élévation spirituelle, sinon à mettre sa confiance dans le Christ ; à ne pas dire: C’est moi qui agis, moi qui baptise; mais bien: « C’est le Christ qui baptise? » C’est là qu’est la grandeur de David. Et afin que vous sachiez que telle est la grandeur de David, écoutez ce que dit ensuite le Prophète: « J’ai  préparé une lampe à mon Christ». Quelle est cette lampe ? Vous le savez déjà par les paroles de Jean: « Il était une lampe ardente et brûlante 5 ». Et que dit encore Jean? « C’est lui qui baptise ». C’est donc en lui que tressailliront les saints, que tressailliront les prêtres:

car tout le bien qui est en eux, ne vient point d’eux, mais de Celui qui a le pouvoir de baptiser. Quiconque dès lors est baptisé vient en son temple avec sécurité; parce que le baptême ne vient point d’un homme, mais de celui en qui Dieu a établi la puissance de David.

 

1. Ps. CXXXI, 16. —  2. Gal. III, 27. — 3. Eph. V, 8.— 4. Ps. CXXXI, 17 — 5. Jean, V, 35.

 

28. « En lui fleurira ma sainteté 1» En qui? En mon Christ. Car cette expression : A mon Christ, est la parole du Père, qui dit: « Je comblerai sa veuve de bénédiction, et ses pauvres, je les rassasierai de pains. Ses prêtres, je les revêtirai du salut, et ses saints tressailliront d’allégresse ». Celui qui a dit: « C’est là que j’établirai la force de David »,

c’est Dieu le Père; lui qui dit encore: « J’ai préparé une lampe à mon Christ », car le Christ est tout à la fois notre Christ, et le Christ du Père. Il est notre Christ, puisqu’il nous sauve et nous gouverne, de même qu’il est notre Seigneur, et le Fils du Père; mais il est Christ, et pour nous et pour son Père. S’il n’était point le Christ, du Père, il ne serait point dit plus haut: « A cause de David votre serviteur, ne détournez point la face de votre Christ, Sur lui s’épanouira la fleur de ma sainteté ». C’est dans le Christ qu’elle

 

1. Ps. CXXXI, 18.

 

fleurit. Que nul d’entre les hommes n’ose se l’attribuer, puisque c’est le Christ qui sanctifie ; autrement cette parole ne serait point vraie: « C’est en lui que s’épanouira la fleur de ma sanctification ». La gloire de ma sanctification s’épanouira. La sanctification du Christ est donc dans le Christ, et c’est dans le Christ que réside le pouvoir de Dieu dans la sanctification. « Elle fleurira », dit le Prophète, ce qui signifie la gloire. C’est quand les arbres fleurissent qu’ils sont dans leur beauté. Donc la sanctification est dans le baptême, qui lui donne sa fleur et sa gloire. Comment le monde entier s’est-il incliné devant cette beauté? Parce que c’est la beauté du Christ, Mettez-la au pouvoir des hommes, comment fleurira-t-elle, puisque toute chair n’est que du foin, et toute la beauté de la chair n’est que la beauté d’une herbe 1?

 

1. Isa. XL, 6.

DISCOURS SUR LE PSAUME CXXXII.
SERMON AU PEUPLE, EN FAVEUR DES MOINES ET CONTRE LES DONATISTES.
LE MOINE, OU L’UNITÉ DE COEUR.
 

C’est le bonheur pour des frères de demeurer dans l’unité qui a enfanté leu monastères. Ceux qui le comprirent les premiers furent les Apôtres, puis les disciples qui n’avaient qu’un seul coeur. Comparez le moine catholique, humble et sobre, avec le Circoncellion ivrogne et furieux. Qu’il y ait de faux moines, cela tient à l’humanité, puisque ni parmi ceux qui gouvernent l’Eglise, ni parmi ceux qui servent Dieu dans le calme, ni parmi les gens du monde, tous ne seront point sauvés. Les hérétiques donnent à leurs solitaires le nom d’Agonistiques, du mot agon, combat; puissent-ils justifier ce nom en combattant pour le Seigneur! Les catholiques les appellent moines, de monos, seul, ou plusieurs en un seul par l’âme. Ils peuvent bien nous reprocher le nom de moines, eux qui ne reconnaissent l’unité ni dans l’Eglise ni dans les âmes.

Cette unité ressemble au parfum sur la tète d’Aaron, on du souverain prêtre, lequel descend sur sa barbe, ou sur le signe de sa force, comme les Apôtres, comme Etienne le premier martyr, qui triomphe par la charité. Le parfum descend sur le bord du vêtement ou sur l’Eglise, qui est sans tache, puisqu’elle est purifiée dans le sang du Christ, sans ride puisqu’elle est étendue sur la croix. Ce bord est celui d’en haut qui donne passage à la tête, parce que le Christ entre chez nous par la charité fraternelle. Comme la rosée d’Hermon ; c’est-à-dire que tout cela s’accomplit en nous par la grâce de Dieu. Hermon signifie lumière d’eu haut, et désigne le Christ, qui donne le calme et la paix, et dès lors l’unité des âmes. C’est dans celte paix que nous devons louer le Seigneur; et si nous ne pouvons le trouver sur la terre, habitons dans le ciel par l’âme.

 

1. Notre psaume est court, mais célèbre et fort connu. « Qu’il est bon, qu’il est agréable pour des frères d’habiter ensemble 1 ». Il y a tant de douceur dans ce verset qu’on le

chante quand même on ne connaîtrait point le Psautier. Il est doux comme est douce la charité qui réunit les frères dans une même demeure. Qu’il soit bon, qu’il soit agréable pour des frères d’habiter ensemble, c’est là ce qui n’a besoin ni d’explication ni de commentaire. Mais dans a suite il faut frapper, afin que la porte s’ouvre. Néanmoins, afin que ce premier verset nous donne

 

1. Ps. CXXXII, 1.

 

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le sens de tout le psaume, considérons si ce n’est point de tous les chrétiens qu’il est dit : « Combien il est bon, combien il est agréable pour des frères d’habiter ensemble », ou s’il n’y en a pas quelques-uns des plus parfaits qui demeurent ensemble, et sur qui tomberait cette bénédiction qui ne serait point dès lors pour tous, mais pour quelques-uns seulement, d’où elle se répandrait sur les autres.

2. Cette parole du psaume, ce chant suave, cette ravissante mélodie que l’on trouve dans le cantique même et dans le sens a enfanté les monastères. Tel est le chant qui a excité les frères à demeurer ensemble; ce verset a été pour eux une trompette éclatante: elle a retenti dans l’univers entier, et ceux qui étaient divisés se sont réunis. Ce cri de Dieu, ce cri du Saint-Esprit, ce cri prophétique n’était pas entendu dans la Judée, et toutes les contrées de la terre l’ont entendu. Ceux qui l’entendaient chanter demeuraient sourds à cette parole du psaume, et il s’est trouvé que ceux-là ont prêté l’oreille dont il est dit : « Voilà qu’ils le verront, ceux qui  n’ont pas entendu parler de lui, et ceux qui une l’ont pas entendu comprendront 1 ». Toutefois, mes bien-aimés, à bien considérer, c’est dans la muraille de la circoncision que cette bénédiction a pris sa source. Tous les Juifs, en effet, ont-ils péri? Et d’où viennent les Apôtres, fils des Prophètes, fils de ceux que l’on a secoués 2? expression que vous comprenez. D’où viennent encore ces cinq cents disciples, qui virent le Seigneur après sa résurrection , et que mentionne saint Paul 3? D’où encore ces cent vingt qui étaient réunis dans un même lieu, après la résurrection et l’ascension du Seigneur, et sur lesquels descendit en ce lieu le Saint-Esprit, le jour de la Pentecôte, envoyé selon la promesse du Sauveur? Tous venaient du peuple juif, et ont les premiers habité ensemble ; ils vendaient leurs biens, et en apportaient le prix aux pieds des Apôtres, comme nous lisons dans les Actes des Apôtres; « et on le distribuait à ceux qui avaient besoin, et nul ne revendiquait rien en propre, mais toutes choses leur étaient communes ». Que signifie « ensemble », ou « en un », in unum? L’Ecriture nous répond : « Ils n’avaient qu’une même âme, et un même coeur en

 

1. Isa. LII, 15. —  2. Ps. CXXVI, 4. — 3. I Cor. XV, 6.

 

 Dieu 1». Voilà ceux qui ont compris les premiers : « Combien il est bon, combien il est agréable pour des frères d’habiter dans l’unité», Ils sont les premiers pour l’avoir entendu, mais ne sont point les seuls, car cet amour, cette union des frères ne s’est point arrêté en eux. Cette allégresse de la charité, ce voeu que l’on fait à Dieu, ont passé à ceux qui les suivaient. Il y a là, en effet, un voeu fait à Dieu, et il est dit « Promettez à votre Dieu, et tenez à votre promesse ». Toutefois, il est mieux de ne faire aucun voeu, que d’en faire un sans le tenir 3. Mais notre âme doit être fervente à faire des voeux et à les acquitter, de peur qu’en se croyant trop faible pour les acquitter, elle ne soit tiède à les faire. Mais jamais elle ne s’acquittera si elle compte le faire par elle-même.

3. C’est d’un mot de notre psaume qu’est venu le nom de moines, et je vous en fais la remarque afin qu’on ne prenne pas un tel nom pour une injure aux catholiques. Quand vous reprochez aux hérétiques les désordres des Circoncellions, afin qu’ils en rougissent pour leur salut, ils vous objectent les moines. Voyez d’abord s’il est possible de les comparer; vous seriez embarrassés d’exprimer votre pensée. Mais vous n’avez besoin que d’inviter chacun à regarder les uns et les autres; oui, qu’on regarde seulement et qu’on compare. Qu’avez-vous besoin de parler? Que l’on compare des ivrognes avec des hommes sobres, des hommes sans frein avec des hommes mesurés, des furieux avec des hommes simples, des vagabonds avec des hommes qui vivent enfermés ensemble. Mais, nous disent-ils, que signifie ce nom de moines? Avec combien plus de raison leur dirons-nous : Que signifie le nom de Circellions? Mais, disent-ils, Circellions n’est point leur nom. Peut-être les appelons-nous d’un nom qui est altéré. Vous dirons-nous leur nom tout entier? On les nomme peut-être Circoncellions, et non Circellions. Si tel est leur nom, qu’ils nous en donnent le sens. Car on les nomme Circoncellions parce qu’ils errent en vagabonds autour des cellules. Ils vont çàet là, sans avoir de demeures fixes; ils font ce que vous savez, ce que les hérétiques, bon gré, mal gré, ne peuvent ignorer.

4. Toutefois, mes bien-aimés, il y a aussi de faux moines et nous en connaissons ; mais

 

1. Act. I, II, IV. — 2. Ps. LXXV, 12. — 3. Eccl. V, 4.

 

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la sainte fraternité n’a point péri, parce que des hommes se donnent pour ce qu’ils ne sont point. Il y a de faux moines, comme il y a de faux clercs et de faux fidèles. Tous les états de vie, mes frères, les trois dont je vous ai quelquefois parlé, et même souvent, si je ne me trompe, renferment des bons et des méchants. C’est de ces trois genres de vie qu’il est dit « Deux hommes seront dans les champs, l’un sera pris, l’autre sera laissé 1; «deux seront dans un lit, l’un sera pris, l’autre laissé; deux femmes à la meule, l’une sera prise, l’autre laissée 2 ». Ceux-là sont dans un champ, qui gouvernent l’Eglise. De là ce mot de l’Apôtre, et voyez s’il n’était pas dans un champ : « J’ai planté, Apollo a arrosé , mais Dieu a donné l’accroissement 3 ». Par ceux qui sont dans un lit, l’Evangile entend ceux qui aiment le repos, car le symbole du repos c’est un lit; ceux qui ne se mêlent point à la foule ni au tumulte du monde, qui servent Dieu dans la tranquillité : et pourtant l’un sera pris et l’autre sera laissé. Il y a des bons comme il y a là des méchants. Ne vous étonnez pas que l’on trouve là des réprouvés, il y en a quelquefois de cachés qu’on ne découvrira qu’à la fin. Deux sont à la meule, et il désigne ici des femmes, parce qu’il a voulu indiquer les gens du monde. Pourquoi à la meule ? Parce qu’ils sont dans le monde comme dans un moulin. Le monde, en effet, tourne comme une meule; malheur à ceux qu’elle brise. Les bons d’entre les fidèles y sont de telle sorte, que l’un périt et l’autre se sauve. Il en est qui imitent le monde par amour pour le monde, et deviennent trompeurs et dissimulés. D’autres y sont, comme le dit l’Apôtre : « Usant du monde comme s’ils n’en usaient pas, car la figure du monde passe, et je veux que vous soyez sans inquiétude 4 ». Tu entends celle qui sera prise à la meule. Il est constant que les riches sont exposés à un plus grand nombre de péchés. Engagés dans plus d’affaires, administrant de plus grands biens, ayant de plus hauts emplois, il est difficile pour eux de ne point commettre plus de fautes; et c’est d’eux qu’il est dit « Qu’un chameau passera plus facilement dans le trou d’une aiguille qu’un riche n’entrera dans le royaume des cieux 5 ». Et comme

 

1. Matth. XXIV, 40.— 2. Luc, XVII, 34, 35. — 3. I Cor. III, 6. — Id. VII, 31, 32. — Matth. XIX, 24.

 

les Apôtres s’affligeaient au sujet de ceux dont ils désespéraient, le Seigneur leur dit pour les consoler : « Ce qui est impossible à l’homme est facile à Dieu 1». Comment Dieu nous rend-il cela facile? Ecoute l’Apôtre, et ne néglige pas ses préceptes: « Ordonnez aux riches du siècle », dit-il, « de n’être point orgueilleux  2 ».Car on trouve souvent un pauvre qui est orgueilleux, un riche qui est humble, un chrétien qui considère avec raison que toutes les choses d’ici-bas passent et s’écoulent, qu’il n’a rien apporté en ce monde, qu’il n’en saurait rien emporter; qui médite sur le riche de l’Evangile, brûlant dans les flammes de l’enfer, et demandant qu’une goutte d’eau tombât du doigt de celui qui désirait autrefois les miettes qui tombaient de sa table 3. Ceux qui méditent ces vérités suivent l’avis de l’Apôtre : « De ne mettre point leur espérance dans les richesses qui u sont incertaines, mais dans le Dieu vivant qui nous donne avec abondance ce qui est nécessaire à la vie. Qu’ils soient riches en bonnes oeuvres, qu’ils donnent facilement, et s’amassent ainsi un trésor ». Et quel bien leur en reviendra-t-il? « Qu’ils s’amassent un trésor et un bon fondement pour l’avenir, afin d’embrasser la vie véritable 4 ». Voilà celle qui sera prise à la meule. Mais tout homme qui sera semblable à ce riche qui était revêtu de pourpre et de du lin, qui faisait chaque jour bonne chère et qui méprisait le pauvre couché à sa porte, celui-là sera laissé. Car l’une sera prise à la meule et l’autre sera laissée.

5. Ezéchiel, à son tour, parle de trois personnes qui désignent bien ces trois catégories : « Quand le Seigneur jettera son glaive sur la terre, dût-on trouver parmi eux Noé, Daniel et Job, ils ne délivreront pas leurs fils et leurs filles, mais ils seront seuls sauvés 5». Ces justes étaient déjà délivrés, mais ces trois noms étaient trois types. Noé désigne ceux qui gouvernent l’Eglise, parce qu’il gouverna l’arche au temps du déluge 6. Daniel choisit la vie paisible, et servit Dieu dans le célibat, c’est-à-dire sans rechercher le mariage. C’était un homme saint, dont la vie s’écoulait en de saints désirs 7, qui passa par beaucoup d’épreuves, et qui fut trouvé comme l’or le plus pur. Quel n’était pas son calme,

 

1. Matth. XXX, 26. — 2. I Tim. VI, 17.— 3. Luc, XVI, 24.— 4. I Tim XV, 19. — 5. Ezéch. XIV, 13-16. —  6. Gen. VII, 14. — 7. Dan. X, 11.

 

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puisqu’il fut trouvé tranquille au milieu des lions? Dès lors, le nom de Daniel, qui fut appelé un homme de désirs 1, mais des chastes et saints désirs, indique les serviteurs de Dieu dont il est dit: «Combien il est bon, combien il est agréable, pour des frères, d’habiter ensemble ». Job désigne cette femme qui sera prise à la meule. Il avait une épouse, il avait des enfants, il avait de grandes richesses 2, et tels étaient ses grands biens en cette vie, que le diable lui reprochait de ne point servir Dieu gratuitement, mais pour les biens qu’il avait reçus de lui. Tel fut le reproche de l’ennemi à ce saint homme, et dans ses épreuves Job montra qu’il servait Dieu gratuitement, non pour ce qu’il avait reçu, niais bien pour celui qui avait donné. Quand une ruine soudaine, une triste épreuve lui eut tout enlevé, enlevé son héritage, enlevé ses héritiers, pour ne lui laisser que sa femme, encore n’était-ce point pour consolation, mais pour le comble de l’épreuve, il dit ces paroles que vous connaissez : « Le Seigneur a donné, le Seigneur a ôté; il est arrivé ce qu’il a plu au Seigneur, que le nom du Seigneur soit béni ». Alors s’accomplit en lui ce que nous chantons, si tant est que nous le chantions par nos mœurs : «Je bénirai le Seigneur en tout temps sa louange sera toujours en ma bouche ». Ces trois hommes sont donc trois types humains, que nous avons retrouvés dans les trois états de l’Evangile.

6. Que nous disent maintenant ceux qui nous reprochent avec insolence le nom de moines? Ils diront peut-être: Nous n’appelons point les nôtres Circoncellions; c’est vous autres qui leur donnez ce nom par mépris, car nous ne les appelons pas ainsi. Qu’ils nous disent alors comment ils les nomment, et vous entendrez. Ils les appellent Agonistiques. C’est là un beau nom, il faut l’avouer, si la réalité y répondait. Mais que votre charité voie avec nous; que ceux qui nous disent : Montrez-nous où est écrit ce nom de moines, veuillent bien nous montrer où est écrit celui d’Agonistiques. Nous les appelons ainsi, disent-ils, à cause de leurs combats. Car ils combattent, et saint Paul dit de lui-même « qu’il a bien combattu 4 ». Il en est qui combattent contre le démon, et qui remportent la victoire ; soldats de Jésus-Christ, ils se nomment

 

1. Dan X, 11.— 2. Job, I, 23.— 3. Ps. XXXIII, 2.— 4. II Tim. IV, 7

 

Agonistiques ou combattants. Plût à Dieu qu’ils fussent les soldats du Christ, et non les soldats du diable, eux dont le mot, louange de Dieu 1, est plus à craindre que le rugissement du lion, ils osent bien nous reprocher que nos frères saluent les hommes qu’ils rencontrent par cette parole : Grâces à Dieu 2. Que signifie, nous disent-ils : Grâces à Dieu? Es-tu donc sourd au point de ne pas comprendre ce que signifie : Grâces à Dieu? Parler ainsi, c’est remercier Dieu. Or, vois si un frère ne doit pas rendre grâce à Dieu quand il rencontre un frère. Quand ceux qui demeurent en Jésus-Christ se voient mutuellement, n’y a-t-il pas lieu de se féliciter? Et pourtant vous riez de notre grâce à Dieu, tandis que les hommes pleurent votre louange à Dieu. Mais puisque vous nous avez expliqué votre nom d’Agonistiques, puissent-ils justifier cette appellation, puissent-ils être combattants, nous y applaudissons. Que Dieu leur donne de combattre le diable, et non le Christ dont ils persécutent l’Eglise. Puisque vous les appelez Agonistiques ou combattants, et que vous trouvez une raison de ce nom dans le mot dc saint Paul: « J’ai combattu un bon combat 3 »; pourquoi ne pourrions-nous pas nous servir du nom de moines, quand le psaume nous dit : « Combien il est bon, combien il est agréable pour des frères d’habiter ensemble » ou en un. Or, monos signifie un, et non pas un indifféremment : en effet, un se trouve dans une foule, mais une foule composée de plusieurs ne saurait se dire un, monos, c’est-à-dire seul : car monos signifie un seul. Donc ceux qui vivent en commun, de manière à ne former qu’un seul homme, et à réaliser en eux cette parole de l’Ecriture, « un coeur et une âme 4 », peuvent être plusieurs corporellement, mais non plusieurs âmes ; plusieurs corps, niais non plusieurs coeurs. Voilà bien monos, c’est-à-dire un seul. De là ce seul malade qui était guéri à la piscine. Qu’ils nous répondent ceux qui nous rejettent le nom de moines comme une insulte; qu’ils nous disent pourquoi cet homme paralytique depuis trente- huit années répondit au Seigneur: « Aussitôt que l’eau est troublée, je n’ai personne pour m’y jeter, et un autre descend avant moi 5 ». Un malade était descendu, un autre n’y descendait plus:

 

1. Salut des Circoncellions — 2. Salut des Moines. — 3. II Tim. IV, 7. — 4. Act. IV, 32.— 5. Jean, V, 5, 7.

 

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un seul était guéri, et nous figurait l’unité de l’Eglise. Il est vrai qu’ils ont raison d’insulter à l’unité, ceux qui se sont séparés de l’unité. C’est justement que le nom de moines leur déplaît, eux qui ne veulent pas demeurer dans l’unité avec leurs frères, qui ont abandonné le Christ afin de suivre Donat. Votre charité vient d’entendre la recommandation de l’unité d’un seul ; réjouissons-nous donc avec le Psalmiste et voyons ce qui suit. Le psaume est court, nous pouvons avec la grâce de Dieu le parcourir rapidement. Ce que nous avons dit déjà, nous éclairera sans doute pour la suite, bien qu’on y trouve des obscurités.

7. « Voilà combien il est bon, combien il est agréable pour des frères d’habiter ensemble ». Dire voilà, c’est montrer. Pour nous, mes frères, nous le voyons et nous en bénissons le Seigneur ; nous le prions de pouvoir dire à notre tour: Voilà. Mais à quoi va-t-il comparer ces frères? Que le Prophète nous le dise : « Comme un parfum répandu sur la tête d’Aaron, qui descend le long de sa barbe, et jusque sur le bord de son vêtement 1 ». Qu’était-ce que Aaron ? Le grand prêtre. Quel est le véritable prêtre, sinon celui qui est entré seul dans le Saint des saints ? Quel est ce prêtre, sinon celui qui a été victime et prêtre ? sinon celui qui, ne trouvant dans le monde rien que d’immonde à offrir à Dieu, s’offrit lui-même? Sur sa tête est le parfum, parce que le Christ tout entier comprend l’Eglise. Mais c’est de la tête que descend le parfum. Notre tête, c’est le Christ crucifié et enseveli, et qui est ressuscité pour monter au ciel. Telle est la tête qui a envoyé l’Esprit-Saint ; où? Sur sa barbe. Car la barbe est le symbole de la force, elle est le propre d’une jeunesse vigoureuse, alerte et robuste. De là vient qu’en parlant de ces sortes d’hommes, nous disons : c’est un barbu. Ce fut donc sur les Apôtres que ce parfum descendit tout d’abord; il descendit sut ceux qui soutinrent les premiers chocs du inonde ce fut sur eux que descendit l’Esprit-Saint. Et eux aussi qui avaient commencé à demeurer ensemble, in unum, souffrirent persécution ; mais comme le parfum était descendu sur la barbe, ils la souffrirent sans être vaincus. Déjà la tête avait précédé, et avait fait couler le parfum, et après un si grand exemple, qui

 

1. Ps. CXXXIX, 2.

 

eût pu vaincre la barbe qui en était pénétrée?

8. C’est dans cette barbe qu’était le bienheureux Etienne. Et n’être pas vaincu, cela consiste à ne pas laisser vaincre notre charité par nos ennemis. Ceux qui ont persécuté les saints ont cru avoir vaincu; les premiers frappaient, les seconds étaient frappés ; les premiers égorgeaient, les seconds étaient égorgés. Qui n’aurait cru que les uns étaient vainqueurs, les autres vaincus? Mais parce que la charité n’a pas été vaincue, voilà que le parfum est descendu sut sa barbe. Ecoutez Etienne. La charité fut violente en lui ; il était violent pour eux quand ils l’écoutaient, et il pria pour eux quand ils le lapidaient. Quel était son langage quand ils l’écoutaient? « Têtes dures, hommes incirconcis du coeur et des oreilles, vous avez toujours résisté à l’Esprit-Saint 1 ». Voilà la barbe. Est-il flatteur? Est-il timide ? En entendant ces reproches qui les flétrissaient (car l’emportement d’Etienne n’était que l’emportement des paroles, mais son coeur était plein de charité pour eux, et en lui la charité ne fut pas vaincue) ; ceux-ci donc n’eurent que de la haine contre ses paroles , ils étaient ténèbres et fuyaient la lumière, elles voilà qui prennent des pierres pour lapider Etienne. Les paroles d’Etienne les avaient frappés comme des pierres, et leurs pierres frappèrent Etienne Est-ce pendant qu’on le lapidait, ou pendant qu’on l’écoutait que notre Saint avait plus raison de s’emporter? Toutefois il était doux quand on le lapidait, emporté quand on l’écoulait. Pourquoi ce transport quand on l’écoulait? Parce qu’il voulait changer ses auditeurs. Mais les pierres qui tombaient sur lui ne purent vaincre sa charité : parce que le parfum divin était descendu de la tête sur la barbe, et la tête lui avait dit : « Aimez vos ennemis, priez pour ceux qui vous persécutent 2». Il avait ouï de cette tête clouée à la croix cette parole: « Mon Père, pardonnez-leur, parce qu’ils ne savent ce qu’ils font 3 ». C’est ainsi que de la tête le parfum était descendu sur la barbe, et quand on lapidait ce fervent disciple, il mit le genou en terre en s’écriant : « Seigneur, ne leur imputez pas ce péché 4».

9. Ces saints étaient commue la barbe. Car beaucoup étaient courageux et enduraient de

 

1. Act. VI, 51. —  2. Matth. V, 41. — 3. Luc, XXIII, 34. — 4. Act. VII, 59.

 

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grandes persécutions. Mais si de la barbe ce parfum n’était descendu plus bas encore, nous n’aurions point aujourd’hui de monastères, Nous en avons, parce qu’il est descendu sur le bord du vêtement : car c’est ainsi que dit le psaume : « Qui est descendu sur le bord de son vêtement ». Voilà que l’Eglise a suivi, et du vêtement du Seigneur a fait éclore des monastères. Car le vêtement sacerdotal est le symbole de l’Eglise. Telle est la robe dont l’Apôtre a dit que le Christ a voulu « faire paraître devant lui une Eglise pleine de gloire, sans tache et sans ride 1». Elle est purifiée, afin de n’avoir aucune tache; elle est étendue, afin de n’avoir aucune ride. Où donc ce divin foulon l’a-t-il étendue, sinon sur la croix? Nous voyons chaque jour les foulons qui mettent les manteaux en croix, en quelque sorte, afin qu’étendus sur des croix, ils n’aient aucune ride, Qu’est-ce donc que le bord du vêtement ? Oui mes frères, que faut-il comprendre par les bords du vêtement? Le bord, c’est la fin du vêtement. Or, que faut-il comprendre par cette fin ? Que l’Eglise, à la fin des temps, aura des frères qui habiteront ensemble ou en un? Ou bien ce bord ne désignerait-il pas la perfection, car c’est le bord qui achève le vêtement , et alors ceux-là seraient parfaits parce qu’ils sauraient habiter en un? Mais ceux-là sont parfaits qui accomplissent la loi. Or, comment la loi du Christ est-elle accomplie en ces frères qui demeurent ensemble ? Ecoute l’Apôtre : « Portez mutuellement vos fardeaux, et ainsi vous accomplirez la loi du Christ 2 ». Tel est le bord du vêtement. Toutefois, mes frères, comment pouvons-nous comprendre que tel est le bord du vêtement, dont parle notre psaume, et où descend le parfum ? Je ne crois pas qu’il soit ici question des bords qui forment les côtés du vêtement. Il y a des bords en effet sur les côtés. Mais de la barbe, le par. fum a pu descendre sur le bord qui est près de la tête, et où s’ouvre le passage de la tête. C’est l’état de ceux qui demeurent ensemble: en sorte que de même que c’est par ces bords que passe la tête de l’homme qui veut se vêtit, de même le Christ qui est notre tête, entre chez nous par la concorde fraternelle, afin que nous nous revêtions de lui, et que son Eglise lui demeure unie.

 

1. Ephés. V, 27. — 2. Gal. VI, 2.

 

10. Que dit encore le Prophète? « Comme la rosée d’Hermon qui descend sur les montagnes de Sion 1 ». Dans ces paroles, mes frères, le Prophète veut nous marquer que la grâce de Dieu est parmi les frères qui demeurent en un : que ce n’est point un effet de leurs forces, ni de leurs mérites, niais que c’est par un don de Dieu, une de ses grâces, comme la rosée qui nous vient du ciel. Car ce n’est point la terre qui peut se la donner, et tout ce qu’elle produit sécherait bientôt, si la pluie ne venait d’en haut. Il est dit quelque part dans un psaume: « Vous ménagez, ô Dieu, une pluie volontaire à votre héritage 2». Pourquoi dire volontaire? C’est qu’elle n’est point due à nos mérites, et qu’elle nous vient de sa bienveillance. Quel bien avons-nous pu mériter, nous qui sommes pécheurs? Quel bien avons-nous pu mériter, au milieu de nos iniquités? Adam vient d’Adam, et sur cet Adam beaucoup de péchés. Qu’un homme vienne au monde, c’est Adam qui vient au monde, un damné qui vient d’un damné, et qui surcharge Adam par les péchés de sa vie. Or, quel bien a mérité Adam ? Et toutefois Dieu dans sa miséricorde a aimé, 1’Epoux a aimé cette épouse, qui n’était point belle, mais qu’il voulait embellir. C’est donc la grâce de Dieu que le Prophète appelle la rosée d’Hermon,

11. Mais vous devez savoir ce qu’est Hermon. C’est une montagne assez éloignée de Jérusalem ou de Sion. Dès lors il y a de quoi nous surprendre dans cette parole du Prophète: «  Comme la rosée d’Hermon qui descend sur les montagnes de Sion », puisque la montagne d’Hermon est éloignée de Jérusalem, et qu’elle est, dit-on, au-delà du Jourdain. Cherchons donc un sens dans la signification d’Hermon. C’est un nom hébreu, dont le sens nous est donné par ceux qui savent cette langue. Or, Hermon signifie lumière élevée. Du Christ nous vient la rosée, puisque nul autre que le Christ n’est une lumière élevée. Comment dès lors est-il- une lumière élevée ? D’abord sur la croix, ensuite dans le ciel. Il a été élevé sur la croix quand il s’est humilié; mais son humiliation n’a pu être que relevée. Ce qu’il y avait de l’homme diminuait de plus en plus, comme il est arrivé à Jean; mais ce qui était de Dieu devait croître eu Jésus-Christ Notre-Seigneur : c’est encore

 

1. Ps. CXXXII, 3. — 2. Id. LXVII, 10.

 

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ce qui est marqué par leur naissance. Car selon la tradition de l’Eglise, Jean est né le huit des kalendes de juillet, quand les jours commencent à diminuer, et Notre-Seigneur, le huit des kalendes de janvier, quand les jours commencent à croître. Ecoute Jean qui nous dit : « Quant à lui, il doit croître, et moi diminuer 1 ». Or, voilà ce que marque leur genre de mort. Le Seigneur fut élevé en croix, et Jean diminué de la tête. Le Christ est donc une lumière élevée; et de là vient la rosée d’Hermon. Mais vous qui voulez habiter ensemble, soupirez après cette rosée, soyez-en trempés. Sans cela vous ne pourrez posséder ce dont vous faites profession, comme vous ne pourrez avoir le courage de le professer, si le Christ ne vous fait entendre son tonnerre dans votre coeur. Vous ne pourrez persévérer, s’il cesse de rassasier vos âmes, parce que cet aliment sacré descend sur les montagnes de Sion.

12. Déjà, nous le savons, « les montagnes de Sion » sont grandes en Sion. Qu’est-ce que Sion ? L’Eglise. Et quelles sont les montagnes dans l’Eglise? Les grands. Ceux qui sont les montagnes sont aussi désignés par la barbe, et par le bord du vêtement. Car la barbe n’a d’autre sens que la perfection. Il n’y a donc pour habiter ensemble que ceux qui ont la charité parfaite. Car ceux qui n’ont point la charité parfaite en Jésus-Christ, lors même qu’ils demeurent ensemble deviennent odieux, imposteurs, troublent les autres par leur turbulence, et cherchent à les critiquer; de même que dans un attelage, un cheval fougueux non-seulement ne tire point, mais par ses ruades brise tout l’attelage. Mais quiconque a reçu cette rosée d’Hermon, qui descend sur les montagnes de Sion, il est tranquille, calme, humble, tolérant, et la prière coule sur ses lèvres au lieu du murmure. Dans un endroit dc l’Ecriture on lit cette belle description des murmurateurs : « Le coeur u de l’insensé est comme la roue d’un chariot 2 ». Pourquoi comparer au chariot le coeur de l’insensé? Il porte du foin et crie. Car la roue d’un char ne peut qu’elle ne crie. Ainsi en est-il de beaucoup de frères; ils demeurent ensemble, mais de corps seulement. Quels sont donc ceux qui habitent véritable-

 

1. Jean, III, 30. —  2. Eccl. XXXIII, 5.

 

ment ensemble? Ceux dont il est dit : « Ils n’avaient tous qu’un même coeur et une même âme en Dieu : nul ne considérait comme à lui lien de ce qu’il possédait, mais tous leurs biens étaient en commun 1». Les voilà donc désignés et caractérisés ceux qui sont figurés par la barbe, figurés par le bord du vêtement, et qui sont au nombre des montagnes de Sion. S’il y a parmi eux des murmurateurs, qu’ils se souviennent de cette parole du Seigneur : « L’un sera pris, l’autre laissé 2 ».

13. « Car c’est là que le Seigneur veut qu’on le bénisse 3 ». Où veut-il qu’on le bénisse ? Parmi les frères qui demeurent en un. C’est là qu’il veut être béni, là que bénissent ceux qui demeurent ensemble dans la concorde. Car on ne saurait le bénir dans la division: et c’est en vain que tu diras que ta langue bénit le Seigneur , si ton coeur est muet; car alors la bouche bénit et le coeur maudit. « Ils bénissaient de la bouche et maudissaient dans le coeur 4 ». Est-ce moi qui tiens ce langage ? Le Prophète a voulu désigner quelqu’un par ces paroles. C’est bénir Dieu que prier, et en continuant ta prière, tu maudis ton ennemi. Est-ce là ce que tu as appris du Seigneur, qui dit « Aimez vos ennemis 5? » Si tu pratiques ce commandement, si tu pries pour ton ennemi, c’est « là que le Seigneur a commandé qu’on « le bénisse » ; c’est là que tu auras « la vie dans le siècle », c’est-à-dire dans l’éternité. Chez beaucoup l’amour de cette vie leur fit maudire leurs ennemis: et pourquoi, sinon à cause de cette vie et de certains avantages mondains? Où donc ton ennemi t’a-t-il fait souffrir pour te forcer à le maudire de la sorte? Est-ce sur la terre que tu as souffert? Abandonne la terre et monte au ciel. Mais, diras-tu, comment puis-je habiter le ciel, moi qui suis revêtu de chair, absorbé par la chair? Elève ton coeur, où ton corps doit aller ensuite. Ne ferme pas l’oreille quand on dit: Les coeurs en haut. Oui, que ton coeur soit en haut, et nul ne l’y fera souffrir. C’est ce que nous voyons très-bien dans le psaume suivant.

 

1. Act. IV, 32. — 2. Matth XXIV, 40. — 3. Ps. CXXXII, 3. — 4. Id. LXI, 5 — 5. Matth V, 44.

DISCOURS SUR LE PSAUME CXXXIII.
CONTINUATION DU SERMON PRÉCÉDENT.
 

Bénir le Seigneur dans ses parvis, c’est se mettre au large par la charité ; le bénir pendant la nuit, c’est le bénir pendant la tribulation ; se tenir debout, c’est persévérer : bénissons-le de la voix, et surtout des oeuvres. Ainsi Job le bénit dans la nuit de ses épreuves, et fut victorieux sur son fumier. Il était trempé de la grâce d’Hermon. Le Prophète, après avoir exhorté au pluriel, appelle la bénédiction sur un seul, parce que plusieurs ne font qu’un par la charité : et la charité seule mérite la bénédiction.

 

1. « Voici le moment, bénissez le Seigneur, ô vous tous qui servez le Seigneur, vous qui vous tenez dans la maison du Seigneur, dans le parvis de la maison de notre Dieu 1 ». Pourquoi ajouter « dans le parvis? » Le parvis, c’est l’endroit le plus vaste de la maison. Se tenir dans le parvis, c’est n’être point à l’étroit, mais au large en quelque sorte. Demeure au large, et tu pourras aimer ton ennemi, car tu n’aimeras plus ces biens dans lesquels ton ennemi peut te resserrer. Comment sauras-tu que tu es dans le parvis ? Demeure dans la charité et tu es dans le parvis. La charité est toujours au large, la haine toujours à l’étroit. Ecoute l’Apôtre : « Haine et indignation, tribulation et détresse dans toute âme de l’homme qui fait le mal 2». Que dit-il au contraire de l’ampleur de la charité? « La charité de Dieu est répandue dans vos coeurs par le Saint-Esprit, qui nous a été donné 3». Quand vous écoutez l’effusion, comprenez l’ampleur ; et quand vous entendez l’ampleur, comprenez les parvis du Seigneur et vous aurez une véritable bénédiction du Seigneur, si vous ne maudissez point vos ennemis. Car l’Esprit de Dieu s’adresse à ceux qui souffrent la tribulation, afin qu’ils se glorifient dans ces mêmes tribulations, et leur dit: « Voici le moment, bénissez le Seigneur, vous tous qui servez le Seigneur ». Qu’est-ce à dire, « voici le moment ? » En cette vie. Dès que les tribulations seront passées, il est évident que nous n’aurons qu’à bénir Dieu, comme il est dit: « Bienheureux ceux qui habitent dans votre maison, ils vous loueront dans les siècles des siècles 4 ». Ceux qui doivent bénir Dieu incessamment,

 

1. Ps. CXXXIII, 1. — 2. Rom. II,8, 9. — 3. Id. V, 3. — 4. Ps. LXXXIII, 5.

 

commencent ici-bas à bénir le Seigneur; ils commencent au milieu des tribulations, des épreuves, des angoisses, au milieu des adversités du monde, au milieu des embûches de l’ennemi, des fraudes et des assauts du diable. Voilà ce que signifie : « Dès maintenant bénissez le Seigneur, vous qui êtes serviteurs du Seigneur, qui vous tenez debout dans les parvis de la maison du Seigneur ». Qu’est-ce à dire « qui vous tenez debout? » Qui persévérez. Car il est dit de celui qui fut Archange, qu’ « il ne se tint pas debout dans la vérité 1 ». Il est dit au contraire de l’ami de l’Epoux: « Cet ami de l’Epoux se tient debout et l’écoute, et il tressaille de joie à la voix de l’épouse 2. »

2. Donc « ô vous, qui vous tenez dans la maison du Seigneur, dans les parvis de la maison du Seigneur, pendant la nuit élevez vos mains vers son sanctuaire, et bénissez le Seigneur 3 ». Il est facile de bénir Dieu pendant le jour, c’est-à-dire, dans la prospérité ; mais la nuit est triste, et le jour est joyeux. Quand tout est bien pour toi, tu bénis le Seigneur. Quand vient au monde le fils que tu as désiré, tu bénis le Seigneur. Quand ton épouse est délivrée du danger de l’enfantement, tu bénis le Seigneur. Quand ton fils qui était malade est guéri, tu bénis le Seigneur. Mais si la maladie de ton fils t’a fait recourir aux devins et aux sortilèges, alors si ce n’est de la langue, c’est du moins par tes moeurs que tu as maudit le Seigneur, tu l’as maudit par tes moeurs et par ta vie. Ne le glorifie pas de bénir Dieu de la langue, si ta vie est une malédiction contre lui. Comment, diras-tu, ma vie est-elle une malédiction? Parce que l’on jette les yeux sur ta vie, et

 

1. Jean, VIII, 44. — 2. Id. III, 29. — 3.Ps. CXXXIII, 2.

 

l’on dit : Voilà un chrétien, voilà ce que sont les chrétiens. C’est à cause de toi qu’on blasphème le Christ. Et lorsque ta vie est une malédiction, à quoi reviennent les bénédictions de ta langue? Bénissez donc le Seigneur, quand ? Pendant la nuit. Quand Job l’a-t-il béni? Dans la nuit la plus triste. Il avait perdu tous ses biens, perdu ses enfants, à qui il les réservait. Quelle triste nuit, mes frères ! Mais voyons s’il ne bénit pas Dieu pendant cette nuit: « Le Seigneur a donné, le Seigneur a ôté, comme il a plu au Seigneur il a été fait, que le nom du Seigneur soit béni 1». Qu’elle était noire, cette nuit! Frappé d’un ulcère de la tête aux pieds, il se dissolvait et s’en allait en pourriture. C’est alors qu’Eve osa bien le tenter : « Parle contre ton Dieu et meurs ». Ecoute comme il bénit Dieu pendant la nuit : « Vous avez parlé», lui dit-il, « comme une femme insensée. Si nous avons reçu les biens de la main de Dieu, pourquoi n’en pas recevoir les maux 2? » Voilà ce que dit le psaume: « Pendant les nuits, élevez vos mains vers le sanctuaire, et bénissez le Seigneur ». Que dit Job? « Vous avez parlé comme une femme insensée ». Adam est en pourriture et il

 

1. Job, I, 14 -21.— 2. Id. II, 7 - 10.

 

repousse Eve comme pour lui dire: Qu’il te suffise d’avoir fait de moi un mortel; tu as prévalu dans le paradis, tu seras vaincue sur le fumier. C’est là, mes frères, le don précieux de Dieu. Mais d’où nous vient cette grâce, sinon de ce que la rosée de 1’Hermon avait trempé cette âme, de ce que le Seigneur avait donné la suavité afin que la terre produisît son fruit 1? « Pendant la nuit élevez vos mains vers le sanctuaire, et bénissez le Seigneur».

3. « Que le Seigneur vous bénisse de Sion, lui qui a fait le ciel et la terre 2». C’est au pluriel que le Prophète exhorte d’abord à bénir le Seigneur, puis-il n’en bénit qu’un seul parce qu’il a réuni plusieurs en un seul, et qu’ « il est bon que les frères demeurent ensemble 3», Les frères sont au pluriel; mais demeurer en un, c’est là le singulier. « Que le Seigneur donc vous bénisse de u Sion, lui qui a fait le ciel et la terre s. Que nul d’entre vous ne dise : Cette bénédiction n’est point venue sur moi. De qui penses-tu qu’il soit dit : « Que le Seigneur te bénisse de Sion ?» Il bénit l’unité: sois donc l’unité, et tu auras part à cette bénédiction.

 

1. Ps. LXXXIV, 13. — 2. Id. CXXXIII, 3. — 3. Id. CXXXII, 1.

DISCOURS SUR LE PSAUME CXXXIV.
SERMON AU PEUPLE.
LES OEUVRES DU SEIGNEUR.
 

Bénir ou blasphémer le Seigneur, ce n’est point l’agrandir, ni l’amoindrir, c’est pour nous que nous faisons l’un ou l’autre. Mais pour le bénir, il faut avoir le coeur pur, être debout dans sa maison, et non tombé dans le péché. Nous ne pouvons de nous-mêmes que le bénir. Le Seigneur est bon, non comme les créatures qui tirent de lui leur bonté ; il est la bonté même, et en comparaison de lui, nulle créature ne saurait dire complètement : Je suis. Impuissants à le contempler en lui-même, bénissons-le dans ses oeuvres. Il nous a donné le pain des anges, en se faisant homme, afin que l’homme pût manger ce pain dès cette vie, et s’élever jusqu’à lui. Son nom : Je suis celui qui suis, paraît trop relevé, et il se proportionne à notre faiblesse, en prenant celui de Dieu d’Abraham, d’Isaac, de Jacob. Il est tel, non-seulement pour les Juifs, mais aussi pour les Gentils qui ont part à l’héritage par la foi, tandis que les enfants du royaume sont bannis. Tandis qu’il a livré aux anges les autres nations, il a choisi spécialement Jacob, non par son propre mérite, mais bien par sa grâce. Ainsi a-t-il greffé l’olivier sauvage sur l’olivier franc. Le Prophète qui est entré dans le sanctuaire de Dieu, nous dit du Seigneur qu’il surpasse tous les dieux, qu’il fait sa volonté, et que louer le Seigneur est le seul acte que nous ne fassions point par quelque contrainte, et que Dieu plaît au juste même dans l’épreuve, et non par l’appât de la récompense. Tel est le sacrifice de louanges, toujours agréable à Dieu, toujours en notre pouvoir. Quant à nous, la loi du péché est un obstacle à notre volonté, en nous-mêmes. Mais Dieu fait sa volonté : dans son Eglise, c’est-à-dire dans le ciel, symbole des hommes spirituels; sur terre, symbole des hommes charnels qui doivent obéir ; dans la mer ou chez les infidèles, dans les abîmes ou dans le secret des coeurs. Il fait venir les nuées ou les prédicateurs, des confins de la terre où ils prêchent l’Evangile, et résout les tonnerres en pluie, changeant sa colère en miséricorde, il tire de ses trésors es vente, ou les prédicateurs de sa grâce.

Les châtiments des princes et des pays sont des symboles. Tuer les premiers-nés de l’Egypte, c’est donner la mort à la foi, dans l’Egypte ou dans la persécution, chez les hommes ou chez les hérésiarques, et chez les bêtes, ou le vulgaire qui les imite. Pharaon ou dispersion est le symbole du schisme, Selon la tentation des yeux, les Amorrhéens ceux qui ont le coeur plein de fiel. Og est la fermeture, barre le chemin qui conduit à Dieu, de là Basan ou confusion. Chanaan est celui qui sera humilié par le jugement.— Dieu exerce encore ces châtiments d’une manière spirituelle. Il a jugé son peuple en séparant les bons des méchants ; en délaissant les Juifs, il s’est fait une maison d’Israël dans les Gentils qui fléchissent le genou et méprisent leurs idoles. Les obstinés d’entre les idolâtres ont égorgé les chrétiens, mais Dieu prévaut coutre eux par sa grâce, et chaque jour ils embrassent la foi.

 

1. C’est un devoir bien doux, mes frères, que le devoir auquel nous exhorte ce psaume, et nous devons nous réjouir d’y trouver tant de douceur. « Louez le nom du Seigneur 1 », nous dit-il. Et aussitôt il ajoute, pour nous montrer combien il est juste de louer le Seigneur : « Louez-le, vous qui êtes ses serviteurs ». Quoi de plus juste? Quoi de plus digne? Quoi de plus agréable? Ne pas louer Dieu, c’est pour ses serviteurs l’orgueil, l’ingratitude, l’impiété. Et ne pas louer Dieu, qu’est-ce autre chose qu’éprouver sa sévérité? Quelle que soit l’ingratitude chez un serviteur, et quoiqu’il s’abstienne de louer son maître, il n’en est pas moins son serviteur. Loue, ne loue pas, tu es toujours serviteur : louer le Seigneur, c’est le rendre propice; ne point le louer, c’est l’offenser. L’exhortation du psaume est donc bonne, elle est utile, et dès lors il vaut mieux chercher le vrai moyen de louer Dieu, que mettre en doute s’il faut

 

1. Ps. CXXXIV, 1.

 

le louer. « Louez donc le nom du Seigneur ». C’est le psaume qui nous engage, le Prophète qui nous engage, l’Esprit de Dieu qui nous engage, le Seigneur lui-même qui nous engage à louer le Seigneur. Ce n’est point lui, mais nous que grandissent les louanges que nous lui donnons; tes louanges n’élèvent point le Seigneur, tes blasphèmes ne l’abaissent point. Mais toi, en louant sa bonté, tu en deviens meilleur, et pire en le blasphémant. Pour lui, il demeure ce qu’il est dans sa bonté. Si Dieu lui-même apprend à ceux qui ont bien mérité de lui, précisé sa parole, gouverné son Eglise, béni son nom, obéi à ses préceptes, s’il leur apprend à garder dans le secret d’une bonne conscience la joie d’une sainte vie, à ne pas se laisser corrompre par les louanges, ni abattre par les outrages des hommes; à combien plus forte raison Dieu lui-même qui nous donne ces leçons, qui est essentiellement immuable, ne sera ni agrandi par tes louanges, ni amoindri par tes outrages! (122) Mais comme c’est à nous que revient l’avantage de louer le Seigneur, c’est par un effet de ses miséricordes, et non de ses exigences qu’il nons ordonne de le faire. Ecoutons donc ce qu’il nous dit : « Louez le nom du Seigneur, louez-le, vous qui le servez ». Rien n’est plus juste pour des serviteurs que de louer leur maître. Quand vous seriez destinés à servir à jamais, vous devriez toujours bénir Je souverain maître; à combien plus forte raison devez-vous le bénir tant que vous êtes serviteurs, afin de mériter d’être ses enfants!

2. Mais il est écrit dans un autre psaume : « C’est aux coeurs droits que convient la louange 1 »; puis dans un autre endroit: « Ce n’est point à la bouche du pécheur qu’il sied de louer Dieu 2 »; et ailleurs encore: « Je trouve mon honneur dans le sacrifice de louange, et telle est la voie dans laquelle je lui montrerai le salut de Dieu 3 » Et un peu après : « Dieu a dit au pécheur : Pourquoi raconter mes justices, et faire passer mon alliance par ta bouche? Toi qui as pris en haine mes lois, et rejeté loin de toi mes discours 4 ». Or, de peur que cette parole: « Louez le Seigneur, vous qui le servez », ne fasse croire à quelque mauvais serviteur qui pourrait se trouver dans cette grande famille, qu’il lui est avantageux de louer le Seigneur, voilà que le Psalmiste ajoute pour caractériser ceux qui doivent louer le Seigneur : « Vous tous qui vous tenez debout dans la maison du Seigneur, dans le parvis de la maison de notre Dieu 5 ». « Qui vous tenez debout», non pas qui tombez. Or, on dit de

ceux-là qu’ils se tiennent debout qui persévèrent dans la pratique des commandements, qui servent Dieu avec une foi sans déguisement, une espérance ferme, une charité sincère, qui honorent l’Eglise, sans donner par une vie honteuse aucun scandale à ceux qui veulent y venir et qui se heurtent souvent en chemin contre la pierre d’achoppement. Donc, « ô vous qui vous tenez debout dans la maison du Seigneur, louez le nom du Seigneur ». Témoignez votre reconnaissance, car vous étiez dehors, vous voilà debout dans l’intérieur. Donc, puisque vous voilà debout, est-ce peu pour vous que l’objet de vos louanges vous ait relevés quand vous étiez couchés, vous ait fait tenir debout dans sa

 

1. Ps. XXXII, 1.— 2.  Eccli. XV, 9.— 3. Ps. XLIX, 23.— 4. LI. 16, 17.— 5. Id. CXXXIV, 2.

 

maison, qu’il vous alt donné de le connaître, de le louer? Est-ce donc pour nous un chétif bienfait que d’être fermes dans la maison du Seigneur? Ne devons-nous pas reconnaître la bonté de Dieu qui nous a placés ici pendant notre exil, dans cette maison qui est le tabernacle de l’exil, et où nous sommes debout? Ne devons-nous point penser d’où nous vient cette fermeté? Ne faut-il point comprendre que tous les impies ne cherchent point le Seigneur, et qu’il a trouvé lui-même ceux qui ne le cherchaient point, qu’en les trouvant il les a relevés, qu’en les relevant il les a appelés, qu’en les appelant il les a introduits, et les a fait tenir fermes dans sa maison ? Quiconque médite ces pensées, et n’est point ingrat, se méprise par amour pour Dieu qui lui a fait tant de grâces. Et comme il n’a rien à rendre au Seigneur pour de tels bienfaits, que lui reste-t-il, sinon de rendre grâces, sans pouvoir s’acquitter? Or, l’action de grâce consiste à prendre le calice du Seigneur et à bénir son nom. Que peut donner un serviteur à son maître en échange des biens qu’il en a reçus 1? Donc, « ô vous qui êtes fermes dans la maison du Seigneur, dans les parvis de la maison de notre Dieu, bénissez le Seigneur 2 ».

3. Mais que vous dirai-je pour vous inviter à louer le Seigneur? « Que le Seigneur est bon ». Un seul mot renferme toute la louange du Seigneur : « Le Seigneur est bon ». Mais bon, non point de cette bonté que l’on retrouve dans ses créatures. Car le Seigneur a fait très-bonnes toutes ses oeuvres 3 ; non-seulement bonnes, mais très-bonnes. Le ciel, la terre et tout ce qu’ils renferment, voilà des oeuvres bonnes, et même très-bonnes. Mais si toutes ces oeuvres de Dieu sont bonnes, quelle doit être la bonté de celui qui les a faites? Et toutefois, quelle que soit la bonté des créatures, bien que la bonté du Créateur soit incomparablement plus grande, on ne trouve à dire de lui rien de mieux, sinon que « le Seigneur est bon », pourvu que l’on comprenne que de cette bonté vient tout ce qui est bon. Car c’est lui qui a lait tout ce qui est bon; tandis que sa bonté ne lui vient de personne. Il est bon par sa bonté même, et n’emprunte nullement la bonté d’ailleurs; il est bon par lui-même, et non en demeurant attaché à quelque autre bien. « Pour moi, il

 

1. Ps. CXV, 12, 13.— 2. Id. CXXXIV, 3. — 3. Gen. I, 31.

 

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m’est bon de m’attacher à Dieu 1» qui, pour être bon, n’a pas besoin d’un autre, tandis que toutes les créatures ont besoin de lui pour être bonnes. Voulez-vous entendre comment sa bonté lui est propre? Comme on interrogeait le Seigneur, il répondit:

« Nul n’est bon si ce n’est Dieu seul 2 ». Telle est cette bonté particulière à Dieu, sur laquelle je ne veux point passer légèrement, et que je ne puis néanmoins suffisamment vous expliquer. Je crains d’être condamné comme ingrat, si je ne fais que l’effleurer: et je crains aussi de succomber sous le poids des louanges de Dieu, si j’entreprends de l’expliquer. Ecoutez néanmoins, mes frères, et les louanges que je lui donne, et l’aveu de mon insuffisance, de sorte que mes louanges, fussent-elles incomplètes, ma bonne volonté du moins lui soit agréable. Qu’il accepte ma bonne volonté, et pardonne à mon impuissance.

4. Je me sens pénétré d’une indicible douceur quand j’entends dire : « Le Seigneur est bon » ; et après avoir considéré et parcouru des yeux toutes les créatures extérieures, après avoir compris que toutes viennent de Dieu, quelque plaisir qu’elles me causent, je reviens à Dieu qui en est l’auteur, afin de comprendre « combien le Seigneur est bon ». Mais dès que je pénètre en lui-même, autant qu’il m’est possible, je trouve qu’il m’est plus intérieur que moi-même, et bien supérieur à moi-même, puisqu’il est tellement bon qu’il n’a besoin de rien pour être bon. Sans lui, je ne saurais louer les créatures ; mais sans les créatures, je trouve qu’il est parfait, qu’il n’a besoin de rien, qu’il est immuable, qu’il n’a recours au bien de personne pour devenir meilleur, qu’il rie redoute aucun mal qui pourrait l’amoindrir. Et que dirai-je encore ? Parmi les créatures, je trouve que le ciel est bon, que le soleil est bon, que la lune est bonne, que les étoiles sont bonnes, que la terre est bonne, que tout ce qu’elle produit et soutient par les racines est bon ; que tout ce qui marche et se meut est bon, que tout ce qui vole dans les airs, ou nage dans les eaux est bon. J’ajoute même que l’homme est bon: car «du bon trésor de son coeur, l’homme bon tire de bonnes choses 3 ». Je dis que l’ange est bon, non point cet ange qui est tombé par orgueil, et qui s’est fait diable; mais celui qui

 

1. Ps. LXXII, 28. — 2. Matth. XIX, 17. — 3. Id. XII, 35.

 

adhère à son Créateur par l’obéissance. Je dis que toutes ces créatures sont bonnes, mais j’y joins en même temps leurs noms; le ciel est bon, l’ange est bon, l’homme est bon: quant à Dieu, je ne saurais mieux l’appeler que le bien. Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même a dit : « L’homme est bon 1»; et aussi : «Nul  n’est bon, si ce n’est Dieu seul 2». N’était-ce point nous stimuler à chercher et à distinguer entre le bien qui est tel par un autre bien, et le bien par lui-même? Combien donc est bon celui qui donne la bonté à tout ce qui est bon ! Tu ne saurais trouver aucun bien qui ne tire de lui sa bonté. Comme ce bien qui donne la bonté, existe par lui-même, il a aussi sa bonté par lui-même. On ne saurait dire des oeuvres qu’il a faites, qu’elles n’existent point; et on ne lui ,fait pas injure en disant des oeuvres qu’il a faites qu’elles ne sont point. Pourquoi les eût-il faites si elles n’existent point ? ou qu’aurait-il fait, si ce qu’il a fait n’est point? Tout ce qu’il a fait existe donc; mais comparant à Dieu même ce qui est son oeuvre, Dieu a dit de lui comme si lui seul existait : « Je suis celui qui suis» ; et encore: «Tu diras aux enfants d’Israël: Celui « qui est m’a envoyé vers vous 3 ». Il ne dit point: C’est le Seigneur tout-puissant, miséricordieux, juste. En le disant, il dirait vrai mais il retranche tous ces attributs par lesquels on pourrait le désigner et le dire Dieu, pour affirmer qu’il s’appelle celui qui est; et comme si tel était son nom, « voici », dit-il, « ce que tu diras aux enfants d’Israël : Celui qui est m’a envoyé vers vous ». Dieu est, en effet, de telle sorte que toutes ses créatures comparées à lui ne sont point. hors de là, elles sont, puisqu’il les a faites. Mais comparées à lui, elles ne sont point : car être véritablement, être sans changement, il n’y a que Dieu qui soit ainsi. Il est, en effet, celui qui est, comme le bien des biens est le bien. Considérez et voyez que dans tout ce que vous louez en dehors de lui, c’est la bonté que vous louez. Louer ce qui n’est pas bon est une folie. Louer unhomme injuste à cause de son injustice, n’est-ce pas être injuste ? Louer un voleur à cause de ses larcins, n’est-ce pas y prendre part? De même que louer un juste à cause de sa justice, c’est s’associer à lui, du moins par la louange? Car tu ne louerais pas l’homme juste, si tu ne l’aimais;

 

1. Matth. XIX, 35. — 2. Marc, X, 18. — 3. Exod. III, 14.

 

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et tu ne l’aimerais pas, si tu n’avais en toi quelque justice. Si donc tout ce que nous louons n’obtient nos éloges que par la bonté, tu ne saurais avoir pour louer Dieu un motif plus grand et plus solide que sa bonté. Donc, « louez le Seigneur parce qu’il est bon ».

5. Jusques à quand parlerons-nous de sa bonté? Qui peut concevoir en son coeur, ou mesurer combien le Seigneur est bon ? Mais rentrons en nous- mêmes, reconnaissons Dieu en nous , et bénissons l’ouvrier dans ses oeuvres, puisque nous sommes impuissants à le contempler en lui-même. Il est vrai que nous le pourrons un jour, quand notre coeur sera purifié par la foi, de manière à trouver sa joie dans la vérité : mais maintenant, comme nous ne saurions le voir, considérons ses oeuvres, afin de ne point demeurer sans le bénir. « Louez donc le Seigneur», ai-je dit, « parce qu’il est bon; chantez son nom parce qu’il est doux ». Dieu pourrait être bon, sans être doux, s’il ne te donnait à goûter cette douceur; mais il s’est montré bon pour les hommes, au point de leur envoyer un pain du ciel, de livrer pour qu’il devînt un homme et mourût pour les hommes, son propre Fils qui est égal à lui-même, qui est tout ce qu’il est; et ainsi ce que tu es peut te faire goûter ce qui n’est pas encore. Goûter la douceur de Dieu surpassait tes forces; d’une part elle était trop éloignée, trop relevée, et d’autre part, tu étais trop abaissé, trop plongé dans la boue. A cette effroyable distance , il t’a envoyé un médiateur. Homme, tu ne pouvais aller à Dieu, et Dieu s’est fait homme, afin que toi qui es homme, et qui ne saurais t’approcher de Dieu, mais de l’homme, tu pusses par l’homme arriver à Dieu ; et que Jésus-Christ homme fût médiateur entre Dieu et les hommes 1. S’il n’eût été qu’un homme, en suivant ce que tu es toi-même, tu n’aurais pas poussé plus avant; s’il n’eût été qu’un Dieu, impuissant à comprendre Dieu, tu n’eusses pu arriver jusqu’à lui or, Dieu s’est fait homme, afin qu’en suivant cet homme, ce qui est possible pour toi, tu pusses parvenir à Dieu, ce que tu ne pouvais faire. C’est donc lui qui est médiateur, et qui est ainsi devenu doux pour nous. Quoi de plus suave que le pain des anges? Comment Dieu aie serait-il pas doux, quand l’homme a mangé le pain des anges 2? Car l’ange n’a point une

 

1. I Tim. II, 5. — 2. Ps. LXXVII, 25.

 

nourriture, et l’homme une nourriture. Cette nourriture, c’est la vérité, c’est la sagesse, c’est la force de Dieu ; mais tu ne saurais en jouir, à la manière des anges. Comment les anges peuvent-ils jouir de lui? Tel qu’il est : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu;  c’est par lui que tout a été fait 1». Mais toi, comment peux-tu l’atteindre? Parce que «le Verbe s’est fait chair et a habité parmi nous 2». Afin que l’homme pût manger le pain des anges, le Créateur des anges s’est fait homme: « Chantez donc son nom parce qu’il est doux ». Si vous l’avez goûté, chantez-le ; chantez le Seigneur, si vous avez goûté combien il est doux ; si vous goûtez quelque part une douceur, bénissez-le. Quel est l’homme si ingrat envers son cuisinier ou son panetier, qui ne le remercie point par une louange, quand il a trouvé quelques délices dans un ragoût? Si nous ne gardons point le silence dans ces sortes de bien, le garderons-nous pour l’auteur de tous ces biens? « Chantez son nom parce qu’il est doux ».

6. Et maintenant voyez ses oeuvres. Il vous fallait peut-être des efforts pour voir le bien de tous les biens, le bien sans lequel rien n’est bien, le bien qui, sans tout le reste, est le souverain bien ; vous faisiez des efforts pour le voir, et peut-être qu’une telle tension d’esprit demeurait sans succès. Je juge de vous par moi-même, c’est là que j’en suis. Mais s’il est un homme, comme cela est fort possible, qui ait l’esprit plus pénétrant que moi, et qui tienne le regard de son âme longtemps fixé sur ce qui est; que cet homme loue Dieu comme il le peut, et beaucoup mieux que nous ne pouvons nous-mêmes. Toutefois remercions le Seigneur qui, dans notre psaume, a tellement conditionné sa louange, que les forts et les faibles puissent la chanter. Quand il envoyait son serviteur Moïse et lui disait: « Je suis celui qui suis »; et encore : « Tu diras aux enfants d’Israël : Celui qui est m’a envoyé vers vous 3» ; comme cet Etre par soi-même était difficile à saisir pour l’esprit humain, et comme c’était un homme envoyé vers des hommes, quoiqu’il ne fût point envoyé par un homme, le Seigneur tempéra sa louange, et dit de lui-même ce que l’on pouvait comprendre, même avec douceur, et sans s’arrêter à un honneur auquel ne pouvait

 

1. Jean, I, 1. — 2. Ibid. 14. — 3. Exod. III, 14.

 

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atteindre celui qui l’honorait. « Va », dit-il, « et dis aux enfants d’Israël : Le Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac et Dieu de Jacob m’a envoyé vers vous ; c’est là mon nom pour l’éternité 1 ». Assurément, Seigneur, votre nom est bien tel que vous l’avez dit : « Je suis : Celui qui est m’a envoyé vers vous ». Pourquoi changer votre nom, et vous appeler, « Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, et Dieu de Jacob? » Ne te semble-t-il pas que sa raison suprême te répond : dire: « Je suis celui qui suis», est vrai, mais tu ne saurais comprendre. Dire: «Je suis le Dieu d’Abraham,le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob », c’est vrai aussi, et tu comprends? « Je suis celui qui suis », c’est un langage qui m’est propre; dire: « Je « suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’isaac, le « Dieu de Jacob », c’est un langage à ta portée. Et situ te perds dans ce que je suis en moi-même, comprends ce que je suis pour toi. Mais de peur qu’on ne vînt à croire que ce nom u Je suis celui qui suis o; et encore : « Celui qui est m’a envoyé vers vous», c’est là son seul nom dans l’éternité ; tandis que: « Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob », serait un nom temporel : le Seigneur après avoir dit: «Je suis celui qui suis»; et encore: « Celui qui est m’a envoyé vers vous», n’a pris aucun soin de dire que ce nom lui fût éternel ; car on le comprend, bien qu’il ne le dise point. Il est en effet, et il est véritablement, et dès lors qu’il est dans la force du terme, il n’a ni commencement ni fin. Quant à ce qu’il est à cause des hommes: « Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob », de peur qu’il ne s’élève, dans notre âme certaine inquiétude, parce que c’est là un nom temporel et non pas un nom éternel, Dieu nous rassure, et nous fait passer du temps à la vie éternelle. « C’est là », dit-il, « mon nom pour l’éternité », non pas qu’Abraham soit éternel, ni Isaac éternel, ou Jacob éternel, mais parce que Dieu les rend éternels ensuite et sans fin. Ils n’auront pas de fin, bien qu’ils aient eu un commencement.

7. Dans Abraham, Isaac et Jacob, voyez, mes frères, toute l’Eglise, voyez toute la postérité d’Israël, et non-seulement la postérité selon la chair, mais aussi la postérité selon la foi. C’est aux Gentils que s’adressait l’Apôtre quand il disait : « Si donc vous êtes du Christ, vous êtes la postérité d’Abraham,

 

1. Exod. III, 15.

 

les héritiers selon la promesse 1 ». Nous avons donc reçu tous la bénédiction de Dieu en Abraham, en Isaac, et en Jacob. Car Dieu a béni un certain arbre, il en a fait un olivier, comme l’a dit l’Apôtre, cet arbre des saints Patriarches, dont la fleur a été le peuple de Dieu. Or, cet olivier a été taillé et non arraché, les branches orgueilleuses en ont été retranchées ; c’est-à-dire les blasphémateurs, les impies du peuple Juif. Il est resté des branches bonnes et utiles; puisque c’est de là que sont venus les Apôtres; et comme ces branches utiles étaient demeurées, la divine miséricorde y a greffé cet olivier sauvage des Gentils à qui l’Apôtre a dit: « Pour toi qui u n’étais qu’un olivier sauvage, tu as été inséré sur l’olivier franc, et tu as part à la séve de l’olive. Ne t’élève point contre les branches. Si tu te glorifies, ce n’est point toi qui portes la racine, mais la racine qui te porte 2 ». Tel est l’arbre unique appartenant à Abraham, à Isaac, à Jacob, et je dirai même que l’olivier sauvage qui a été greffé, tient plus d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, que les branches retranchées. Une fois rompues, ces branches ne sont plus de l’arbre, tandis que l’olivier sauvage, qui n’en était pas, en est maintenant; les unes, par leur orgueil, ont mérité d’être retranchées, tandis que l’autre par son humilité a mérité d’être inséré : les unes sont séparées de la racine, l’autre s’y tient attaché. Dès lors, quand vous entendez nommer l’Israël de Dieu, Israël qui appartient à Dieu, ne vous regardez point comme étrangers. Vous étiez, il est vrai, l’olivier sauvage, maintenant vous êtes l’olivier franc, ayant part à la sève de l’olivier. Voulez-vous voir comment l’olivier sauvage a été inséré en Abraham, en Isaac, et en Jacob, afin de ne point croire que vous n’appartenez point à cet arbre, parce que vous n’êtes point de la postérité d’Abraham selon la chair? Quand le Sauveur admira la foi de ce Centenier, qui n’appartenait point au peuple d’Israël, mais au peuple des Gentils, il s’écria: « C’est pourquoi, je vous le dis, beaucoup viendront de l’Orient et de l’Occident ». Voilà bien le sauvageon dans la main de celui qui va le greffer : « Beaucoup viendront de l’Orient et de l’Occident ». Nous voyons ce qu’il va greffer, mais voyons où il va le greffer: « Et ils reposeront», dit-il, « avec Abraham, Isaac

 

1. Gal. III, 29. — 2. Rom. XX, 17, 18.

 

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et Jacob, dans le royaume des cieux ». Voilà donc ce qu’il doit greffer, et où il doit l’insérer. Que dit-il à propos des branches naturelles? « Quant aux enfants du royaume, ils seront jetés dans les ténèbres extérieures; c’est là qu’il y aura des pleurs et des grincements de dents 1». Voilà ce qui est prédit, ce qui est accompli.

8. Donc « chantez au Seigneur, parce qu’il est doux ». Et voyez ce qu’il fait pour nous. « Parce que le Seigneur a choisi Jacob, il s’est fait d’Israël un héritage 2». Louez-le, bénissez-le puisqu’il nous a fait une telle grâce. Je ne vous énumère que des bienfaits que vous ne puissiez comprendre. Il a subordonné aux anges les autres nations ; quant à Jacob, il l’a choisi pour lui, il s’est fait un héritage d’Israël. Il s’est fait de son peuple un champ qu’il cultive, qu’il ensemence lui-même. Bien qu’il ait créé toutes les nations, il a subordonné les autres aux anges, il s’est réservé celle-ci pour la posséder, la conserver; c’est ce peuple de Jacob qu’il a choisi. Est-ce à cause de son mérite ou bien par sa grâce ? Avant qu’ils fussent nés, dit l’Apôtre, Dieu avait prononcé que « l’aîné servirait le plus jeune ». Or, quel mérite pouvaient-ils avoir avant leur naissance, avant de pouvoir penser au bien ou au mal? Que Jacob ne s’élève donc point, qu’il ne se glorifie point, qu’il n’attribue rien à ses mérites; car avant tout mérite, il a été connu, prédestiné, choisi; il ne doit donc point son élection à ses mérites, mais à la grâce de Dieu qui l’a choisi et vivifié 3. Il en est de même de toutes les nations; pour être greffé sur l’olivier franc, qu’avait mérité l’olivier sauvage, avec ses fruits amers, et sa stérilité ? C’était un arbre des forêts, et non du champ du Seigneur; et toutefois, le Seigneur par sa miséricorde l’a inséré sur l’olivier franc. Mais il n’était pas encore inséré quand le Seigneur « se choisit Jacob, et fit d’Israël sa possession ».

9. Que dit ensuite le Prophète? « Parce que je connais moi-même combien le Seigneur est grand ». Son âme s’est élevée dans les régions supérieures, au-dessus de la chair et des créatures, et a reconnu que le Seigneur est grand. Tous ne peuvent le voir et le connaître; qu’ils bénissent ses oeuvres : « Il est doux; le Seigneur a choisi pour lui Jacob,

 

1. Matth. VIII, 11, 12.— 2. Ps. CXXXIV, 4.— 3. Rom., IX, 11-13.— 4. Ps. CXXXIV, 5.

 

il a fait d’Israël son héritage ». Bénis-le de cette grâce. Car « pour moi, j’ai connu que le Seigneur est grand ». C’est le Prophète qui nous parle ainsi ; lui qui est entré dans le sanctuaire du Seigneur, et qui a peut-être « entendu de ces choses ineffables, qu’il n’est point au pouvoir de l’homme de redire 1 »; qui a dit aux hommes ce qu’il pouvait en dire, et retenu pour lui ce qu’il y avait d’indicible. Ecoutons-le donc en ce que nous pouvons comprendre, et croyons-le dans ce qui est incompréhensible. Ecoutons cette parole facile pour tous : « Le Seigneur a choisi Jacob, il s’est fait d’Israël un héritage » ; croyons ce que nous ne pouvons comprendre, car il a connu que le Seigneur est grand ». Si nous lui disions : Expliquez-

nous sa grandeur, nous vous en supplions; ne nous répondrait-il pas : Celui dont je vois la grandeur ne serait pas grand, si je la pouvais expliquer? Qu’il en revienne donc aux ouvrages de Dieu, pour nous en parler. Qu’il ait dans sa conscience cette grandeur de Dieu, qu’il a vue, qu’il propose à notre foi, et où il ne saurait diriger nos regards ; mais qu’il nous énumère quelques-unes des oeuvres de Dieu. Si nous ne pouvons en voir, comme lui, la grandeur, que du moins sa bonté nous

apparaisse dans des oeuvres que nous puissions comprendre. « Pour moi», nous dit-il, « j’ai compris combien le Seigneur est grand, et de combien notre Dieu surpasse tous les autres dieux ». Quels dieux? « Bien qu’il y en ait», nous dit l’Apôtre, « qui soient appelés dieux dans le ciel et sur la terre, et qu’il y ait ainsi plusieurs dieux et plusieurs seigneurs, il n’y a néanmoins qu’un seul Dieu, qui est le Père, d’où procèdent toutes choses, et qui nous a faits pour lui, et un seul Seigneur Jésus-Christ par qui toutes choses ont été faites, et nous sommes par lui 2 ». Que les hommes soient donc appelés dieux ; puisqu’il est dit: « Le Seigneur s’est assis dans la synagogue des dieux »; et encore : « J’ai dit: Vous êtes des dieux, vous êtes tous les fils du Très-Haut 3 », Dieu n’est-il point au-dessus des hommes? Mais est-ce beaucoup que Dieu soit élevé au-dessus des hommes ? Dieu est supérieur aux anges, puisque les anges n’ont pas créé Dieu, mais Dieu a créé les anges; et le Créateur est nécessairement supérieur à ses

 

1. II Cor. XIX, 4. — 2. I Cor. VIII, 5, 6. — 3. Ps. LXXXI, I, 6.

 

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oeuvres. Or, le Prophète connaissant la grandeur de Dieu, et voyant sa supériorité sur toute créature, non-seulement corporelle, niais spirituelle, s’écrie qu’il est « le grand roi, sur tous les dieux ». C’est lui le Dieu souverain, qui n’a aucun Dieu au-dessus de lui-même. Qu’il nous raconte ses oeuvres, qui sont à notre portée.

10. « Le Seigneur a fait selon sa volonté, dans le ciel, sur la terre, dans la mer et dans tous les abîmes 1 » Qui peut comprendre ces choses ? qui peut énumérer les oeuvres du Seigneur dans le ciel, sur la terre, dans la mer et dans tous les abîmes? Et toutefois si nous ne pouvions tout comprendre, au moins devons-nous croire fermement que dans le ciel, sur la terre, dans la mer et dans tous les abîmes, tout ce qu’il y a de créatures vient de Dieu : parce que c’est lui qui a tout fait dans le ciel et sur la terre, dans la mer et dans tous les abîmes, ainsi que nous l’avons dit. Il n’a fait par contrainte aucune de ses oeuvres, mais « il a fait tout ce qu’il lui a plu de faire ». Sa volonté seule a été la cause de toutes ses oeuvres. Voilà que tu bâtis une maison; mais si tu n’en voulais point bâtir, tu demeurerais sans abri; c’est donc la nécessité qui te force de bâtir cette maison, et non pas une volonté libre. Tu fais un vêtement; mais si tu ne le faisais, tu marcherais tout nu. C’est donc la nécessité, et non pas une volonté libre, qui t’amène à faire ce vêtement. Il en est de même quand nous plantons une vigne sur des coteaux, quand nous jetons une semence en terre ; si nous ne le faisions, nous manquerions de nourriture : tout cela est l’oeuvre de la nécessité. Dieu agit par bonté et n’a besoin d’aucune de ses oeuvres. « Il a donc fait ce qu’il a voulu ».

11. Est-il une oeuvre que nous fassions par une volonté libre? Car tout ce que nous avons énuméré est l’oeuvre de la nécessité si nous ne l’eussions fait, il nous eût fallu demeurer dans la pauvreté, dans l’indigence. Trouverons-nous quelque chose qui soit l’oeuvre de notre volonté libre ? Oui, assurément, c’est quand nous louons Dieu par amour. Car tu fais cela d’une volonté libre, quand tu aimes ce que tu loues; ce n’est point l’effet de la nécessité, mais du plaisir que tu y trouves. De là vient que les justes et les saints ont trouvé de la douceur en Dieu, même

 

1. Ps. CXXXIV, 8.

 

quand il les châtiait ; il leur plaisait même dans ce qui inspire à l’injuste de la répulsion et sous le fléau de Dieu, dans l’affliction, dans les peines, dans les plaies, dans la pauvreté, ils bénissaient Dieu ; sa conduite même sévère ne leur a point déplu. C’est là aimer gratuitement, et non par l’appât d’une récompense; car Dieu que nous aimons gratuitement sera lui-même notre suprême récompense : et tu dois l’aimer de manière à ne pas cesser de le désirer pour récompense, puisque lui seul peut te rassasier; c’est ce que Philippe désirait quand il disait : « Montrez-nous le Père et cela nous suffit 1 ». Et c’est avec raison, puisque nous le faisons par une volonté libre, et que nous devons le faire librement; puisque nous le faisons par attrait, nous le faisons avec amour : et quand même il nous châtierait, il ne doit pas nous déplaire, puisqu’il est toujours juste. C’est là ce que nous dit le Prophète en chantant ses louanges : « Seigneur, les voeux que je vous offrirai sont dans mon coeur, et les louanges que je dois vous rendre 2 ». Et ailleurs : « Je vous offrirai des sacrifices volontaires 3 ». Qu’est-ce à dire, « je vous offrirai des sacrifices volontaires ? » Je vous bénirai de bonne volonté. Car « c’est le sacrifice de louanges, dit le Seigneur, qui me glorifiera ». Si l’on te forçait d’offrir à ton Dieu un sacrifice qui lui fût agréable et selon la loi, comme l’on offrait autrefois des sacrifices qui figuraient l’avenir, tu ne saurais peut-être trouver dans tes troupeaux un taureau convenable, et parmi tes chèvres un bouc qui fût digne de l’autel du Seigneur, ni dans tes étables un bélier qui pût être offert en sacrifice; et dans ton impuissance à trouver ce que tu dois faire, tu dirais peut-être à Dieu : J’ai voulu, mais je n’ai pu. Mais en fait de louanges, oseras-tu dire: J’ai voulu, et je n’ai pu ? Vouloir, c’est une louange. Car Dieu ne demande point tes paroles, mais ton coeur. Car enfin, tu pourrais dire : Je n’ai point de langue. Qu’un homme devienne muet par quelque maladie, il n’a point de langue et n’en loue pas moins le Seigneur. Si le Seigneur avait des oreilles de chair, s’il avait besoin que la voix résonnât pour l’entendre, n’avoir plus de langue, ce serait n’avoir plus de louanges à lui offrir ; mais comme c’est le coeur qu’il cherche et le coeur qu’il regarde,

 

1. Jean, XXV, 8.— 2. Ps. LV, 12.— 3. Id. LIII, 8.—  4. Id. XLIX, 23.

 

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il est témoin de ce qui se lasse à l’intérieur, il est juge, il t’approuve, il t’aide, il te couronne 1 ; il lui suffit de ta volonté. Si tu le peux, confesse-le de bouche pour être sauvé ; si tu ne saurais, crois dans ton coeur pour être juste. C’est ton coeur qui loue, ton coeur qui bénit, ton coeur qui offre de saintes victimes sur l’autel de ta conscience; et l’on te répond: « Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté 2 ».

12. Dieu donc, dans sa toute-puissance, « a fait selon sa volonté toutes ses oeuvres dans le ciel et sur la terre » ; mais toi, dans ta maison, tu ne fais point ce que tu voudrais. Pour lui, u il a fait tout ce qu’il a voulu, dans « le ciel et sur la terre » ; toi, fais ce que tu voudras, même dans ton champ. Tu veux bien souvent, et tu ne saurais faire ta volonté dans ta maison. Une épouse te contredit, des enfants te contredisent, un domestique a souvent l’audace de te contredire, et tu ne fais point ce que tu voudrais. Mais, diras-tu, je fais ma volonté, et je sais châtier quiconque ose désobéir ou contredire. Tu ne fais pas même cela toutes les fois que tu le voudrais souvent tu veux châtier sans le pouvoir faire; tu menaces quelquefois, et tu es surpris par la mort avant d’avoir mis tes menaces à exécution. Et jusque dans toi-même, fais-tu ce que tu veux? Mets-tu un frein à tes passions? Admettons ce frein, empêche-t-il tes liassions de se soulever ? Tu voudrais, je le crois, ne ressentir aucun chatouillement de tes passions; et néanmoins : « La chair se soulève contre l’esprit, et l’esprit contre la chair, de manière que vous ne faites point ce que vous voulez  3». Tu me fais donc pas en toi-même ce que tu voudrais: « Mais Dieu a fait tout ce qu’il a voulu dans le ciel et sur la terre». Puisse-t-il te donner la grâce de faire en toi-même ce que tu voudras! si lui-même ne te soutient, tu ne feras pas en toi-même ta volonté. Il ne faisait point en lui-même sa volonté non plus, celui qui disait: « La chair se soulève contre l’esprit, et l’esprit se soulève contre la chair, en sorte que vous ne faites point votre volonté » : et en gémissant sur lui-même, il ajoute: « Selon l’homme intérieur, je trouve du plaisir dans la loi de Dieu, muais je sens dans mes membres une autre loi qui combat contre la loi de mon esprit, et qui me tient captif sous la loi du

 

1. Rom. I, 10.— 2. Luc, II, 14.— 3. Gal. V, 27.

 

péché qui est dans mes membres 1 » ; et comme, non-seulement dans sa maison, non-seulement dans son champ, mais pas même dans sa chair et dans son esprit, il n’accomplissait sa volonté, il poussait des cris vers Dieu qui « a fait tout ce qu’il a voulu dans le ciel et sur la terre » ; qui a dit : « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera e du corps de cette mort 2 ? » et à qui Dieu dans sa bonté, dans sa douceur, suggéra comme une réponse: « La grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur  3 ». Telle est, mes frères, la douceur qu’il faut aimer, la douceur qu’il faut louer. Comprenez que Dieu qui « a fait tout ce qu’il a voulu , dans le ciel et sur la terre », fera aussi en vous ce que vous voulez, et qu’avec son secours vous accomplirez votre volonté. Mais, tant que vous êtes impuissants, confessez votre faiblesse, et quand vous pourrez, criez vers lui; de la terre où vous êtes abattus, rendez-lui grâces; une fois debout, nie vous enorgueillissez point. C’est donc le Seigneur qui « a fait sa volonté dans le ciel, sur la terre, dans la mer et dans tous les abîmes ».

13. « Lui qui fait venir les nuées des extrémités de la terre 4 ». Nous voyons ces oeuvres du Seigneur dans ce qu’il a créé. Des extrémités de la terre , les nuées viennent au milieu, et répandent la pluie: tu ne sais d’où elles sont venues. Donc ce mot du Prophète, « des extrémités de la terre », ou du fond de la terre, ou des alentours de la terre, nous indique de quel endroit Dieu tire les nuées, mais toujours de la terre. « Il résout les tonnerres en pluie ». Sans pluie les tonnerres seraient effrayants , mais ne donneraient rien. « Dieu résout les tonnerres en pluie ». Il tonne et tu trembles; il pleut, et tu te réjouis. « Dieu donc résout les tonnerres en pluie » : celui qui t’a effrayé, te donne de la joie. « C’est lui qui tire les vents de ses trésors» : c’est-à-dire d’une cause que tu ignores : et toutefois tu dois à Dieu d’être assez pieux pour croire que le vent mie soufflerait point si celui qui l’a fait ne lui en avait donné l’ordre, si le Créateur ne l’avait produit.

14. Voilà donc ce que nous voyons dans la création, et nous en louons Dieu, maous l’ad. mirons, nous le bénissons: voyons ce qu’il fait parmi les hommes en faveur de son

 

1. Rom. VII, 22, 23.— 2. Id. 24.—  3. Id. 25.— 4. Ps. CXXIV, 7.

 

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peuple. « C’est lui qui a frappé les premiers-nés de l’Egypte 1». Tout cela est écrit de Dieu afin de te le faire aimer, et non écrit pour te le faire craindre. Mais vois que dans sa colère il fait aussi sa volonté. « Il a frappé  les premiers-nés de l’Egypte, depuis l’homme jusqu’à la bête. Il a envoyé ses signes et ses prodiges au milieu de toi, ô Egypte 2 ». Vous connaissez tout cela ; vous avez lu tout ce que la puissance du Seigneur a opéré en Egypte par Moïse, pour effrayer, pour frapper, pour humilier les Egyptiens orgueilleux. « Contre Pharaon, et contre tous ses serviteurs». C’est peu de ce qui arriva en Egypte; qu’a-t-il fait pour son peuple après l’en avoir tiré ? « Il a frappé plusieurs nations », qui possédaient cette terre que Dieu voulait donner à son peuple. « Il a tué de puissants rois: Seon, roi des Amorrhéens, et Og, roi de Basan, et tous les royaumes de Chanaan 3». Tous ces faits que le Psalmiste, ne fait qu’effleurer sont racontés dans les autres livres sacrés, et le Seigneur signala sa puissance. A la vue de ses vengeances contre les impies, crains pour toi-même. Car Dieu ne les a exercées que pour te les faire éviter, te détourner de leurs voies, et t’exempter de sa colère. Considère néanmoins que la vengeance du Seigneur est sur toute chair. Ne t’imagine point qu’il ne voie point tes fautes, ou qu’il te méprise, ou qu’il dorme : vois dans tes lectures les preuves de ses bienfaits, et crains à la lecture de ses vengeances. Il est tout-puissant, et pour consoler, et pour châtier. De là vient l’utilité de ces lectures. Or, quand un homme de bien voit ce qu’a souffert un méchant, il se purifie de toute malice, de peur de tomber dans une telle épreuve, un tel châtiment. Ces lectures donc vous sont très-utiles. Qu’a fait ensuite le Seigneur ? Il a chassé les impies, « et a donné leur terre en héritage, pour être l’héritage d’Israël son serviteur 4 ».

15. Voici maintenant les transports de la louange : « Seigneur, votre nom subsistera éternellement 5» après tout ce que vous avez fait. Que vois-je en effet dans vos oeuvres? J’élève mes regards sur votre création dans le ciel, je considère cette partie la plus basse que nous habitons, et j’y vois vos bienfaits dans les nuées, dans les vents, et dans les pluies. Je considère votre peuple: vous l’avez

 

1. Ps. CXXXIV, 8.— 2. Id. 9.—  3. Id. 10, 11. —  4. Id. 12. — 5. Id. 17.

 

tiré de la maison de la servitude, vous avez fait éclater vos merveilles au milieu de ses ennemis, vous l’avez vengé de ceux qui le persécutaient, vous avez chassé les impies de leur terre, vous avez tué leurs rois et donné leur terre à votre peuple:voilà ce que j’ai vu, et, plein de vos louanges, j’ai dit: « Seigneur, votre nom subsistera éternellement».

16. Nous voyons à la lettre ce que le Prophète vient de marquer, nous le savons, nous en louons Dieu. Mais s’il y a dans tout cela des symboles, ne vous impatientez point quand je vous les explique de mon mieux. Voilà que l’on peut appliquer aux hommes ce que le Prophète a dit de Dieu qu’ « il a fait dans le ciel: et la terre tout ce qu’il a voulu ». La voûte céleste désigne les hommes spirituels, et la terre les hommes charnels: ces deux catégories forment l’Eglise de Dieu, comme le ciel et la terre, et aux spirituels appartient la prédication , comme l’obéissance aux hommes charnels. Car « les cieux aussi annoncent la gloire de Dieu, et le firmament publie l’oeuvre de ses mains 1 ».Car si la terre de Dieu ne désignait pas son peuple, l’Apôtre ne dirait point: « Vous êtes l’édifice de Dieu, vous êtes le champ qu’il cultive; comme un sage architecte, j’ai posé le fondement, mais un autre bâtit dessus 2 ». Nous sommes donc l’édifice du Seigneur, le champ du Seigneur. « Quel est l’homme», dit-il, « qui plante une vigne, et qui n’en récolte pas le fruit? Moi j’ai planté, Apollo a arrosé, mais c’est Dieu qui donne l’accroissement 3». Doive, aussi bien que dans le ciel et sur la terre, le Seigneur a fait tout ce qu’il a voulu dans son Eglise, et dans ses prédicateurs, et dans ses peuples. C’est peu que Dieu l’ait fait dans ceux-là, « il a fait dans la mer et dans tous les abîmes, selon ses volontés ». La mer désigne tous les infidèles qui n’ont pas encore la foi; et Dieu a fait en eux selon sa volonté. Les infidèles ne sévissent que par la permission de Dieu, et quand ils sont dépravés, on ne tiré d’eux aucune vengeance que ne la permette celui qui a fait toutes les nations. Parce que la nier est la mer, et non la terre, peut-elle donc pour cela se soustraire à la puissance de Dieu? « Il a fait selon sa volonté et dans la mer et dans tous les abîmes». Quels sont les abîmes? Le secret des coeurs chez les mortels, les profondes

 

1. Ps. XVIII, 2.— 2. I Cor III, 9,10. — 3. Id, IX,7; III, 6.

 

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pensées des hommes. Comment Dieu y agit-il selon sa volonté? « Parce que le Seigneur interroge le juste et l’impie; mais celui qui aime l’iniquité hait son âme 1 » Où le Seigneur peut-il le sonder? Il est écrit ailleurs : « C’est dans les pensées de l’impie que Dieu l’interroge 2. Le Seigneur fait donc selon sa volonté dans tous les abîmes ». Le coeur qui est bon est caché, le coeur qui est méchant nous est caché aussi, le coeur qui est bon est un abîme, comme le méchant est un abîme; mais tout cela est à découvert pour Dieu à qui

rien n’échappe. Il est la consolation du coeur qui est bon, le tourment d’un coeur pervers.

Donc « il a fait selon sa volonté dans le ciel, sur la terre, dans la mer, et dans tous les abîmes».

17. « Il fait venir les nuées des extrémités de la terre 3 ». Quelles nuées? Les prédicateurs de sa vérité: c’est à propos de ces nuées que dans sa colère contre sa vigne il a dit « Je donnerai ordre à mes nuées de ne répandre aucune pluie sur elle 4 ». C’est peu d’avoir fait venir de Jérusalem ou d’Israël ces nuées qu’il envoya prêcher son Evangile dans l’univers entier, selon ce qui est prédit de ces nuées : « Leur voix a retenti sur toute la terre, et le bruit de leurs paroles jusqu’aux confins du monde 5». Cela est peu; mais comme le Seigneur a dit lui-même: « Cet Evangile du royaume sera prêché dans tout le monde pour servir de témoignage à toutes les nations 6 », il fait venir les nuées des confins de la terre. Car à mesure que s’étendra la prédication de l’Evangile, comment les prédicateurs de cet Evangile seraient-ils des confins de la terre, si le Seigneur n’y suscitait des nuées? Or, que fait-il au sujet de ces nuages? « Il résout les tonnerres en pluie». Ses menaces se changent en miséricorde, ses tonnerres deviennent la pluie. Comment ses terreurs se changent-elles en rosée? Quand le Seigneur te menace par ses Prophètes, ou par ses Apôtres,et que tu es dans la crainte, n’est-ce pas un tonnerre qui t’effraie? Mais quand la pénitence te corrige, que tu vois en cela un acte de miséricorde, l’éclat du tonnerre se change en pluie. « C’est lui qui tire les vents de ses trésors ». Je crois que ces mêmes prédicateurs sont tout à la fois des vents et des nuées; nuées à cause de la chair, vents à

 

1. Ps. X, 6. — 2. Sag. I, 9. — 3. Ps. CXXXIV, 7. —  4. Isa. V, 6. — 5. Ps. XVIII, 5. — 6. Matth XXIV, 14

 

cause de l’esprit. On voit les nuées, on sent les vents qu’on ne voit point. Enfin, parce que nous voyons que la chair vient de la terre, le Prophète nous dit que Dieu « les fait sortir des extrémités de la terre ». Il nous avait marqué d’où le Seigneur fait venir les nuées: et quant aux vents, comme on ne sait d’où vient l’esprit de l’homme 1, il nous dit que « Dieu tire les vents de ses trésors ». Un peu d’attention, mes frères, et voyons le reste.

18. « C’est lui qui a frappé les premiers-nés de l’Egypte, depuis les hommes jusqu’aux bêtes 2 ». Que Dieu par sa miséricorde conserve nos premiers-nés, puisqu’ils nous viennent de sa faveur. C’est un pénible châtiment, c’est une plaie bien cruelle que la mort des premiers-nés. Quels sont les premiers-nés pour nous? Nos premiers-nés sont les oeuvres par lesquelles nous servons Dieu. Car nous avons pour prémices la foi; c’est par là que nous commençons. Il a été dit à l’Eglise: «Tu viendras et tu passeras outre, en commençant par la foi 3 ». Or, nul ne commence une vie sainte, sinon par la foi. C’est donc la foi qui est notre premier-né. Conservons bien la foi, et le reste Peut suivre. Ce qui fait que les hommes deviennent de plus en plus purs, qu’ils font des progrès dans la vertu, qu’ils mènent une vie plus sainte, et que l’homme intérieur se renouvelle de jour en jour, selon cette parole de l’Apôtre « Bien que l’homme extérieur s’en aille en corruption, l’homme intérieur néanmoins se renouvelle de jour en jour 4 » ; c’est la foi qui vit en nous dans sa pureté primitive; et c’est de cette foi première que l’Apôtre a dit : « Non-seulement les autres créatures, mais nous-mêmes qui avons les prémices de l’Esprit»; c’est-à-dire, nous qui donnons à Dieu les prémices de notre esprit, ou notre foi qui est comme notre premier-né; « néanmoins nous gémissons en nous-mêmes, dans l’attente de l’adoption, qui sera la délivrance de notre corps 5 ». Si donc c’est une grande faveur de Dieu que la conservation de notre foi, c’est un grand châtiment que la mort de nos premiers-nés, lorsque les hommes en viennent à perdre la foi dans les persécutions de l’Eglise. Car on n’afflige l’Eglise que pour détruire la foi, et l’Egypte signifie affliction. Quiconque dès lors afflige l’Eglise, quiconque

 

1. Jean, III,8. — 2. Ps. CXXXIV, 8. — 3. Cant. IV, 8, suiv. les Sept. — 4. II Cor. IV, 16. — 5. Rom. VIII, 23. 1

 

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jette le scandale dans l’Eglise, eût-il le nom de chrétien, celui-là perd son premier-né. Il ne sera plus qu’un infidèle, un homme vide, n’ayant que le nom et le signe; mais son premier-né est enseveli dans son coeur. C’est au point que si vous lui parlez d’une vie sainte, des espérances de la vie éternelle, de la crainte des flammes inextinguibles, il ricane en lui-même, et, s’il en a l’audace en votre présence, il vous dira d’une lèvre grimaçante : Quel est celui qui en est revenu ? Les hommes parlent comme il leur plaît. Et pourtant il est chrétien; mais comme il afflige l’Eglise, son premier-né est mort, sa foi est morte: et cela « depuis l’homme jusqu’à la bête ». Je vous dirai toute ma pensée, mes frères. Le mot d’homme signifie pour moi, dans le sens spirituel, les savants, à cause de l’âme qui est raisonnable, et qui fait l’homme proprement dit ; par la bête, j’entends les ignorants, et qui ont la foi néanmoins, autrement ils n’auraient pas de premiers-nés. Il y a des savants qui affligent l’Eglise, en faisant des schismes et des hérésies. On ne saurait dès lors trouver en eux la foi, puisqu’ils sont devenus l’Egypte, ou l’affliction pour le peuple de Dieu. Leurs Premiers-nés sont frappés de mort : ils entraînent après eux des troupes ignorantes, et telle est la bête du psaunïe. C’est donc par l’effort de leur persécution contre l’Eglise que meurt la foi chez les persécuteurs. Les premiers-nés meurent donc et chez les savants et chez les ignorants; parce que Dieu a frappé de mort les premiers-nés des Egyptiens, « depuis l’homme jusqu’à la bête».

19. « Il a envoyé des signes et des prodiges contre toi, ô Egypte, contre Pharaon, et contre tous ses serviteurs 1 ». Ce Pharaon était roi d’Egypte. Ecoutez ce nom, et voyez comment le Seigneur en agit ainsi. Dans toute nation le roi est le premier; or, l’Egypte signifie l’affliction, et Pharaon, la dispersion. L’affliction a donc pour roi la dispersion; parce que tout homme qui afflige l’Eglise ne le fait qu’en se dispersant. lis sont dispersés afin de l’affliger; car le roi ouvre la marche, elle peuple suit; la dispersion d’abord, l’affliction ensuite, Ecoutez, écoutez bien ces noms, qui sont mystérieux et pleins de sagesse. Pas un seul de ces noms qui ont servi aux vengeances du Seigneur, ne saurait s’entendre en bien.

 

1. Ps. CXXXIV, 9.

 

20. « Il a frappé plusieurs nations, il a tué des rois puissants ». Quels rois et quelles nations ? « Seon, roi des Amorrhéens 1 ». Ecoutez ces noms pleins de mystères. Le Seigneur, est-il dit, tua Seon, roi des Amorrhéens. Il le tua sans aucun doute, et puisse-t-il le tuer dans le coeur de tous ses serviteurs, dans toutes les épreuves de l’Eglise ! Puisse sa main ne cesser de donner la mort à de tels rois et à de tels peuples ! car Seon signifie tentation des yeux, et ces Amorrhéens signifient les coeurs pleins d’amertume. Voyez maintenant si nous pouvons comprendre que les coeurs pleins d’amertume aient pour roi la tentation des yeux. La tentation des yeux n’est autre que le mensonge, qui a une couleur, mais nulle solidité. Mais comment s’étonner que les gens pleins d’amertume aient un roi, et pour roi le mensonge? Si tout d’abord il y avait dans l’Eglise du mensonge et de la dissimulation, il n’y aurait point de coeurs amers. Il y a de l’amertume parce qu’il y a de l’hypocrisie. La tentation des yeux vient tout d’abord, l’amertume ensuite; et c’est dans le démon qu’elle a marché tout d’abord. Car n’est-ce point déjà une tentation des yeux « qu’il se transforme en ange de lumière 2 ? » Que la main du Seigneur tue l’un et les autres; l’un, afin qu’il ne séduise plus; les autres, afin qu’ils se corrigent. Car ce roi est mis à mort chez tout homme qui condamne l’hypocrisie, et qui aime la vérité. La main de Dieu ne cesse de faire ces sortes de meurtres. Il le fit à la lettre contre ce prince; il le fait d’une manière spirituelle et accomplit ce qu’il ne montrait alors qu’en figure. Il mit aussi à mort un autre roi et un autre peuple: « Et Og, roi de Basan ». Quelle impiété chez celui-ci ! Og désigne la fermeture, et Basan la confusion. Un roi qui ferme le chemin vers Dieu est un roi méchant. Voilà ce que fait le diable, qui nous oppose toujours ses inventions, ses idoles, qui se pose lui-même comme nécessaire, au moyen de ses magiciens sacrilèges, de ses augures, de ses aruspices, de ses devins, de son culte démoniaque, et ferme le chemin qui conduit à Dieu. De même que le Christ nous ouvre la voie qui avait été fermée, selon cette parole d’un de ceux qu’il a rachetés : « Grâce à mon Dieu, je traverserai la muraille 3 » ; de même le diable

 

1. Ps. CXXXIV, 10, 11. — 2. I Cor. XI, 14. — 3. Ps. XVII, 30.

 

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ne cherche qu’à fermer la voie, pour nous empêcher de croire en Dieu. C’est en effet la croyance en Dieu qui nous ouvre le chemin 1. Mais si la voie nous est fermée par l’incrédulité, que reste-t-il aux incrédules, sinon la confusion, quand viendra celui qu’a repoussé leur incrédulité ? Pourquoi? Parce que la fermeture vient d’abord, et ensuite la confusion. La fermeture marche en avant comme roi, la confusion vient ensuite comme peuple. Ceux que le démon enferme afin qu’ils ne croient point au Christ, seront confondus quand le Christ apparaîtra, et leurs iniquités s’élèveront contre eux-mêmes. Alors les impies diront dans leur confusion: De quoi nous a servi notre orgueil 2? Voilà, mes frères, de grands mystères. La dispersion est le roi de l’affliction, et les peuples ne sont désunis que pour être affligés. Oui, voilà de grands mystères. La tentation des yeux, ou la fausseté, est le roi des coeurs amers; ils trompent afin de répandre leur amertume. La fermeture est le roi de la confusion; car on ferme d’abord tout chemin à la foi, et il ne reste que la confusion pour le moment où viendra celui en qui l’on n’a point voulu croire. Dieu tua aussi tous les « royaumes de Chanaan ». Ce nom de Chanaan signifie prêt à l’humiliation. Or, l’humiliation désignerait un certain bien, pourvu qu’elle fût utile; mais quand elle est dure pour l’homme humilié, elle devient une peine. S’il n’y avait une peine dans l’humiliation, l’Evangile ne dirait point : « Quiconque s’élève sera humilié 3». Un châtiment qui doit mous humilier n’est donc pas un bienfait. Chanaan dès lors est ici un orgueilleux. Tout impie, tout infidèle élève son coeur; il refuse de croire en Dieu. Mais cet orgueil est destiné à l’humiliation pour le jour du jugement : c’est alors qu’il sera humilié contre son gré. Car il y a des vases de colère, qui ne sont faits que pour la perdition 4. ici-bas qu’ils s’élèvent, qu’ils raillent, qu’ils prennent le pas sur les fidèles, décochent sur eux leurs sarcasmes , et leurs blasphèmes sur les chrétiens. Qu’ils traitent de fable ce que nous disons du jugement; cet échafaudage d’orgueil est destiné à l’humiliation. Quand viendra ce juge dont l’annonce provoque leur dérision, alors sera humilié

 

1. Jean, XIV, 6. — 2. Sag. V, 8. — 3. Luc, XIV, 11; XVIII, 14. — 4. Rom. IX, 22.

 

non pour son salut, mais pour son supplice, celui qui s’élève maintenant avec orgueil. Maintenant il n’est pas humilié; niais il est destiné à l’humiliation, c’est-à-dire destiné à la damnation, destiné à l’expiation.

21. Voilà donc tout ce que Dieu détruit; il le détruisit autrefois visiblement, quand nos pères sortirent de la terre d’Egypte; aujourd’hui il le détruit d’une manière spirituelle, et sa main ne cessera de le faire jusqu’à la fin des siècles. Et pour nous empêcher de croire que Dieu ait alors épuisé sa puissance, le Prophète ajoute : « Votre nom, Seigneur, est pour toujours » ; c’est-à-dire, voire miséricorde, votre main puissante ne cesse, dans le cours des siècles, de faire ce que vous faisiez alors en figure : « Car tout ce qui arrivait alors aux Juifs était figuratif; on l’a consigné, afin de nous en instruire, nous qui venons à la fin des temps. Seigneur, votre mémoire s’étend de génération en génération 1». Or, il y a génération et génération; il est une génération qui nous met au nombre des fidèles, en nous faisant renaître par le baptême, et une génération qui nous fait ressusciter d’entre les morts, et nous met au nombre des anges pour la vie éternelle. Mais votre mémoire, ô mon Dieu, est au-dessus de l’une et de l’autre de ces générations, parce que le Seigneur n’a point oublié de nous appeler dès aujourd’hui, et qu’il n’oubliera point alors de nous couronner. « Votre mémoire, Seigneur, passera de génération en génération ».

22. « Car le Seigneur a jugé son peuple 2». Tout cela s’est accompli dans le peuple juif. Mais a-t-il cessé d’agir, après avoir introduit son peuple dans la terre promise? Il le jugera sans doute: «Le Seigneur a jugé son peuple, et il se laissera fléchir par ses serviteurs . » Déjà il a jugé son peuple, et sans parler du jugement à venir, il a fait éclater ses jugements sur le peuple juif. Qu’est-ce à dire que ce peuple est jugé? Que les justes en sont séparés, qu’il n’y demeure que les injustes. Si je nie trompe, ou si l’on m’accuse d’erreur, parce que j’ai dit que ce peuple a déjà subi son jugement, écoutons cette parole du Seigneur: « Je suis venu dans ce monde pour juger, afin que ceux qui ne voient pas voient, et que ceux qui voient deviennent aveugles 3 ». Les orgueilleux sont devenus

 

1. I Cor. X, 11. —  2. Ps. CXXXIV, 14. — 3. Jean, IX, 39.

 

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aveugles, et les humbles ont été éclairés. « Le Seigneur a donc jugé son peuple ». Isaïe a parlé de ce jugement: « Et maintenant, ô toi, maison de Jacob, marchons dans la lumière du Seigneur ». C’est peu encore, qu’est-il dit ensuite? Car Dieu a abandonné son peuple, la maison d’Israël. La maison de Jacob est en effet la maison d’Israël, et dire Jacob c’est dire Israël. Vous connaissez les saintes Ecritures, et il me semble qu’il vous revient à l’esprit que Jaeob, voyant un ange qui luttait contre lui, reçut alors le nom d’Israël 2. Jacob est donc le même homme, la même personne qu’Israël; et dès lors la maison de Jacob ou la maison d’Israël, c’est une même nation, un même peuple. Et voilà que Dieu appelle l’un et rejette l’autre. Et maintenant tu ne saurais le désavouer, ô maison de Jacob, tu as tué le Christ, tu as branlé la tête devant la croix, tu as raillé celui qui y était pendu, tu as dit: « S’il est le Fils de Dieu, qu’il descende de la croix 3 ». Le Médecin a prié pour ces frénétiques: « Mon Père, pardonnez-leur, ils ne savent ce qu’ils font ». Voilà tout ce que tu as fait. Et maintenant, crois en celui que tu as mis à mort, et bois le sang que tu as répandu. Toi donc, ô maison de Jacob, je veux t’exposer par le témoignage d’Isaïe ces paroles du Psalmiste : « Le Seigneur a jugé son peuple, et il se laissera fléchir par ses serviteurs ». Il faut comprendre que Dieu a jugé son peuple, lorsque dans ce même peuple il a séparé les bons des méchants, les fidèles des infidèles, les Apôtres des Juifs menteurs. Voilà, comme j’avais commencé à vous le dire, ce que le Seigneur nous annonçait par son Prophète : « Après ces malheurs que tu as endurés, ô maison de Jacob, venez, marchons à la lumière du Seigneur». Pourquoi, vous dis-je, « venez et « marchons à la lumière du Seigneur ? » De peur qu’en demeurant dans le judaïsme, vous n’arriviez pas au Christ. Pourquoi en effet? Le Christ n’a-t-il pas été toujours prophétisé dans ce même peuple? Il est vrai; mais maintenant il a délaissé son peuple, qui est la maison d’Israël. Viens donc, ô maison de Jacob, puisque le Seigneur a délaissé son peuple qui est la maison de Jacob; viens, ô maison d’Israël, puisque le Seigneur a délaissé son peuple la maison d’Israël. Pourquoi celle-ci

 

1. Isa, II, 5, 6. — 2. Gen. XXXII, 28. — 3. Matth. XXVII, 39-13. — 4. Luc, XXIII, 34, 35.

 

vient-elle et l’autre est-elle délaissée, sinon parce que tel est le jugement du Seigneur « Que ceux qui ne voient point verront, et que ceux qui voient seront aveugles 1? » Et le Seigneur l’a exercé sur son peuple. Il a donc fait la séparation; mais n’y trouvera-t-il personne à rétablir dans son royaume? Assurément il trouvera quelqu’un. « Mais il se laissera fléchir par ses serviteurs. Il n’a point repoussé », dit l’Apôtre, « ce peuple qu’il s’était choisi 2». Et quelle preuve en donne-t-il? « Car, moi aussi, je suis Israélite ». Donc le Seigneur a jugé son peuple, « en séparant les bons des méchants » ; c’est-à-dire « en se laissant fléchir par ses serviteurs ». Par qui? Par les Gentils. Combien de Gentils sont venus à lui par la foi ! Combien de campagnes, combien de déserts viennent à lui maintenant ! Ils viennent de là en troupes sans nombre, ils veulent croire et nous leur disons: Que voulez-vous? Connaître la gloire de Dieu. Croyez, mes frères, que cette réponse dans les campagnes nous jette dans l’admiration et dans la joie. Ils viennent je ne sais d’où, stimulés par je ne sais qui. Que dis-je, je ne sais par qui? Je le sais bien au contraire; puisque « personne», dit le Seigneur, « ne vient à moi, si mon Père ne l’attire 3 ». Ils viennent à l’Eglise, et des forêts, et du désert, et des montagnes les plus éloignées et les plus abruptes, et tous ou presque tous nous tiennent le même langage, én sorte que nous reconnaissons que c’est Dieu qui les instruit. Ainsi s’accomplit celle parole prophétique : «Ils seront tous instruits par Dieu  4». Nous leur demandons: Que désirez-vous? Et ils nous répondent : Voir la gloire de Dieu. « Car tous ont péché, et tous ont besoin de la gloire du Seigneur  5». Ils croient, ils sont consacrés à Dieu, ils veulent qu’on leur donne un clergé. N’est-ce point ainsi que s’accomplit cette parole : « II se laissera fléchir par ses serviteurs? »

23. Après avoir ainsi tout disposé dans un ordre sacré, l’Esprit de Dieu jette aux idoles des nations que méprisent leurs adorateurs, cette suprême ironie : « Les idoles des nations ne sont que de l’or et de l’argent ». Lorsque Dieu fait ainsi sa volonté dans le ciel et sur la terre, quand il a jugé son peuple, et s’est laissé fléchir par les supplications

 

1. Jean, IX, 39.— 2. Rom. XI, I, 2.— 3. Jean, VI, 1, 2. — 4. Isa. LIV, 13; Jean, VI, 45. —  5. Rom. III, 23.

 

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de ses serviteurs, que peut-on dire d’une idole, sinon qu’elle est méprisable et non adorable? Pour nous porter à couvrir d’un souverain mépris toutes ces idoles des nations, peut-être croirons-nous que le Prophète aurait dû dire : Les idoles des nations sont du bois et de la terre, du gypse? Je ne parle point ainsi, nous dit le Prophète, ces matières sont trop viles; mais je désigne ce qui est pour les hommes un objet d’amour, ce qu’ils regardent comme précieux, et je dis: « Les idoles des nations sont de l’or et de l’argent 1». C’est bien de l’or, c’est bien de l’argent. Mais parce qu’il y a du brillant dans l’argent, du brillant dans l’or, ont-ils vraiment des yeux pour voir? Comme c’est de l’or, comme c’est de l’argent, cela peut être utile à un avare, mais non à l’homme religieux, ou plutôt cela n’est pas utile même à l’avare, seulement à l’homme qui sait s’en servir, qui sait le donner pour acquérir le trésor du ciel; mais enfin, puisque l’or et l’argent sont inanimés, pourquoi donc, ô hommes, en faire des dieux? Ne voyez-vous pas que ces dieux que vous fabriquez ne voient point? « Ils ont des yeux et ne verront pas; ils ont des oreilles, et n’entendront pas; ils ont des narines, et ne sentiront pas; ils ont une bouche, et ne parleront point; ils ont des mains, et n’en feront rien; ils ont des pieds, et ne marcheront point 2 ». Un artisan peut faire tout cela, un argentier, un orfèvre a pu faire des yeux, des oreilles, des narines, une bouche, des mains et des pieds ; mais ce qu’il n’a pu donner, c’est la lumière aux yeux, ni l’ouïe aux oreilles, ni la voix à la bouche, ni l’odorat aux narines, ni la marche aux pieds.

24. O homme, tu ris de ton ouvrage, situ connais celui qui t’a fait, Mais qu’est-il dit de ceux qui ne le connaissent pas? « Que tous ceux qui les font leur deviennent semblables, et tous ceux qui y mettent leur confiance 3». On croirait, mes frères, qu’il se forme dans ces hommes une certaine ressemblance avec les idoles, non point dans leur chair, sans doute, mais dans l’homme intérieur. Car ils ont des oreilles et n’entendent point, car c’est pour eux que Dieu crie: « Que celui-là entende, qui a des oreilles pour entendre 4 . Ils ont des yeux et ne voient point » ; car ils ont assurément les yeux du corps, mais non les yeux de la foi.

 

1. Ps. CXXXIV, 15.— 2. Id. 16, 17.— 3. Id. 18.— 4. Matth. XI, 15.

 

Enfin on voit celte prophétie accomplie dans toute la terre. Voyez en effet ce qu’a dit le Prophète; il n’y a rien d’allégorique, rien de figuratif. Ecoutez une prophétie dans le sens propre, très-simple et très-clair, et voyez comme elle s’est accomplie. « Le Seigneur », dit le Prophète, « a prévalu contre eux 1» ; ainsi dit Sophonias. C’est contre ceux qui lui résistaient, qui s’obstinaient, qui égorgeaient les fidèles, et faisaient des martyrs sans le savoir, que « le Seigneur a prévalu ». Et comment a-t-il prévalu? C’est dans son Eglise que nous voyons à quel point il a prévalu contre eux. Ils voulaient faire disparaître les chrétiens peu nombreux, les tuer ; ils ont répandu leur sang, et le sang de ces hommes égorgés a produit une telle moisson de chrétiens, que les martyrs sont devenus supérieurs à leurs bourreaux. Ils ont d’abord tué les chrétiens pour soutenir leurs idoles, et ces idoles, ils cherchent maintenant un lieu pour les abriter. Le Seigneur n’a-t-il donc point prévalu contre eux ? Vois si Dieu ne fait point ce qui vient après cette parole : « Le Seigneur a prévalu contre eux? » Qu’a-t-il fait selon le Prophète? « Il a exterminé tous les dieux des nations de la terre; chacun l’adorera dans les lieux où il se trouve, toutes les îles des nations l’adoreront 2 ». Qu’est-ce que tout cela, mes frères? Cela n’est-il pas prédit ? Cela n’est-il pas accompli? Nos yeux ne le voient-ils pas comme ils le lisent? Quant à ceux qui sont demeurés dans l’idolâtrie, ils ont des yeux pour ne point voir, des oreilles pour ne pas entendre. Ils ne sentent point cette odeur dont l’Apôtre a dit: « Nous sommes en tout lieu la bonne odeur du Christ 3 ». Que leur sert d’avoir des narines, et de ne point sentir l’odeur du Christ, odeur si suave? C’est bien en eux que s’accomplit, et pour eux qu’est dite cette parole : «Que tous ceux qui les font leur deviennent semblables, et u tous ceux qui y mettent leur confiance ».

25. Mais chaque jour les miracles de Notre-Seigneur Jésus-Christ leur font embrasser la foi; chaque jour s’ouvrent les yeux des aveugles et les oreilles des sourds ; chaque jour revient l’odorat à ceux qui n’en avaient point, la langue des muets se délie, les mamns des paralytiques reprennent le mouvement, les pieds des boiteux se redressent, et de ces pierres sortent les enfants d’Abraham, à qui

 

1. Sophon. II, 11. — 2. Ibid. — 3. II Cor. II, 15.

 

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l’on dit maintenant: « Bénissez le Seigneur, maison de Jacob », vous tous qui êtes les enfants d’Abraham. Bien que les enfants d’Abraham soient venus de la pierre 1, il est évident qu’ils sont plutôt la maison d’Israël, qu’ils appartiennent à la maison d’Israël, puisqu’ils sont la postérité d’Abraham, non point selon la chair, mais selon la foi. « Maison d’Israël, bénissez le Seigneur». Mais prenons l’expression à la lettre en l’appliquant au peuple d’Israël; c’est de là que vinrent les Apôtres qui embrassèrent la foi, avec des milliers de circoncis. « Maison d’Israël, bénissez le Seigneur; maison d’Aaron, bénissez le Seigneur; maison de Lévi,  bénissez le Seigneur 2 ». Peuples, bénissez le Seigneur, c’est-à-dire, en général, « maison d’Israël » : bénissez-le, vous qui êtes les chefs, c’est-à-dire « maison d’Aaron » ; bénissez-le, vous qui êtes ses ministres, c’est-à-dire « maison de Lévi ». Qu’est-il dit des autres nations ? « Bénissez le Seigneur, vous tous qui craignez le Seigneur ».

26. Chantons donc tous d’une voix unanime les paroles suivantes : « Bénissez le

 

1. Matth. III, 9. — 2. Ps. CXXXIV, 20.

 

Seigneur en Sion, lui qui demeure en Jérusalem 1». Donc Sion est dans Jérusalem. Sion signifie regard, et Jérusalem vision de la paix. Dans quelle Jérusalem dois-tu habiter ? Dans celle qui est tombée ? Non, mais dans celle qui est notre mère, qui vient du ciel et dont il est dit : « Celle qui était délaissée a plus d’enfants que celle qui a un époux 2 ». Maintenant donc le Seigneur est en Sion, puisque nous sommes en sentinelle jusqu’à ce qu’il vienne. Dès maintenant toutefois nous sommes en Sion, tant que nous vivons d’espérance. Une lois notre course achevée, nous habiterons cette cité qui ne sera jamais en ruine, puisque le Seigneur habite en elle et s’en est constitué le gardien; c’est l’éternelle Jérusalem, la vision de la paix; de cette paix, mes frères, que nulle bouche ne saurait assez louer, de cette paix où nous n’aurons aucun ennemi ni dans l’Eglise, ni au dehors de l’Eglise ni dans notre chair, ni dans notre pensée. La mort sera absorbée dans sa victoire 3, et, devenus citoyens de Jérusalem, de la cité de Dieu, nous verrons Dieu dans la joie d’une paix éternelle.

 

1. Ps. CXXXIV, 21.— 2. Isa, LIV, 1 ; Galat., IV, 26,27.— 3. I Cor. XV, 51.

DISCOURS SUR LE PSAUME CXXXV.
LES DIVINES MISÉRICORDES.
 

Dieu exerce envers ceux qu’il a délivrés une miséricorde éternelle, non qu’il reste quelque misère dont il les délivre continuellement, mais la félicité, dont il les a mis en possession, sera sans fin. Bénissons le Seigneur sans attendre de lui rien de temporel, puisque les bienfaits de sa miséricorde sont sans fin. Ces dieux et ces seigneurs que surpasse le véritable Dieu sont les hommes à qui la parole de Dieu a été adressée, et les démons qui sont les dieux des nations. Les anges ne sont point appelés dieux, afin de nous détourner de leur rendre un culte. — Parmi les oeuvres de Dieu, ce qui appartient à sa miséricorde, c’est notre délivrance ; les autres oeuvres de la création appartiennent à sa bonté. Seul il fait les oeuvres merveilleuses, comme les astres et les cieux, avec intelligence, c’est-à-dire avec son Verbe. Il affermit la terre au-dessus des eaux qui l’environnent. Ces cieux avec l’intelligence peuvent désigner les saints qui s’élèvent bien haut par la spiritualité, les astres marqueraient les différents dons chez les saints, et la terre, la foi solide. Il a détruit Pharaon, ou nos péchés, en nous faisant traverser ta mer Rouge du baptême ; pour nous encore il renverse les puissances diaboliques, Seon, roi des Amorrhéens, ou la tentation et le murmure; Og, roi de Basan, ou la confusion des damnés ; il nous introduit dans l’héritage du Christ, qui nous donne sa chair comme une nourriture.

 

1. « Rendez grâces au Seigneur , parce qu’il est bon, parce que sa miséricorde est éternelle 1». Ce psaume est une hymne de louanges, et un même refrain termine chaque

verset. Quoique l’on accumule tous les motifs de bénédictions, c’est toujours la miséricorde de Dieu qui est relevée particulièrement, et à laquelle a voulu rendre un solennel hommage en terminant chaque verset, celui qui a

 

1. Ps. CXXXV, 1.

 

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été l’organe de l’Esprit-Saint, dans la composition du psaume. Or, il me souvient que dans le psaume cent quinzième,, qui commence comme celui-ci, comme l’exemplaire que j’avais sous les veux ne porte pas que sa miséricorde est éternelle, mais qu’elle est dans les siècles, j’ai demandé ce qu’il nous fallait entendre de préférence. Le grec pprte en effet eis ton aiona, que l’on peut traduire par dans le siècle, ou par éternellement. Mais il serait long de répéter ici ce que je vous ai dit alors selon mon pouvoir. Dans ce psaume, au contraire, au lieu de porter dans le siècle, comme beaucoup d’autres, mon manuscrit porte, sa miséricorde est dans l’éternité. Sans doute après le jugement que Dieu exercera à la fin des siècles suries vivants et sur les morts, qui mettra les justes en possession de la vie éternelle et assignera la flamme éternelle aux méchants, il n’y aura plus personne à qui Dieu fasse: miséricorde; et néanmoins on peut comprendre comme éternelle celte miséricorde que Dieu fait à ses saints et à ses fidèles: non point qu’ils soient ta proie d’une misère éternelle, et qu’ils aient éternellement besoin de miséricorde, mais parce que la félicité que Dieu dans sa miséricorde départit aux malheureux, afin de mettre un terme à leur misère,et commencer ainsi leur bonheur, sera sans fin; et dès lors sa miséricorde sera éternelle. Qu’en nous la justice vienne succéder à l’iniquité, la santé à la maladie, le bonheur à la misère, la vie à la mon, l’immortalité à la mortalité, c’est là un effet de sa miséricorde. Or, comme l’état où nous devons arriver sera éternel, sa miséricorde sera donc éternelle aussi. Dès lors, « confessez au Seigneur», c’est-à-dire, louez le Seigneur en confessant « qu’il est bon ». Et de cette confession n’attendez rien de temporel ; car « sa miséricorde est éternelle », c’est-à-dire que le bienfait qu’il vous accordera dans sa miséricorde sera sans fin. Quant à cette bonté dont parle notre psaume: Quoniam bonus, on lit agathos dans le grec, au lieu que dans le psaume cent quinzième, ce qui est exprimé par bonus, l’est en grec par Xrestos. C’est pourquoi quelques-uns l’ont traduit, parce qu’il est doux. Toutefois agathos ne veut pas dire une bonté quelconque, mais la bonté par excellence.

2. Le Psalmiste continue: « Confessez au Dieu des dieux que sa miséricorde est éternelle. Confessez au Seigneur des seigneurs que sa miséricorde est éternelle 1 ». Quels

sont ces dieux et ces seigneurs, qui ont pour Dieu et pour Seigneur celui qui est le vrai

Dieu, voilà ce qu’il convient de rechercher. L’Ecriture nous montre dans un autre psaume

que des hommes sont appelés dieux, ainsi: « Dieu s’est assis dans l’assemblée des dieux, et du milieu il juge les dieux » ; et un peu après: « J’ai dit : Vous êtes des dieux, vous êtes tous les fils du Très-Haut, et toutefois vous mourrez de même que les hommes, vous tomberez comme un des princes 2 » .Tel est,le passage que le Seigneur nous cite dans l’Evangile quand il dit : « N’est-il pas écrit dans votre loi: J’ai dit, vous êtes des dieux? Si elle a nommé dieux ceux à qui la parole du Seigneur fut adressée, et l’Ecriture ne saurait être vaine, comment moi que le  Père a sanctifié, et envoyé au monde, m’accusez-vous de blasphème, parce que j ‘ai dit : Je suis le Fils de Dieu 3? » Si donc ils sont appelés des dieux, ce n’est point que tous soient bons, c’est que la parole de Dieu leur a été adressée. S’ils étaient ainsi nommés à cause de leur bonté, Dieu ne les jugerait pas ainsi. Car aussitôt qu’il a dit : « Dieu a pris séance dans l’assemblée des dieux », le Psalmiste ne dit point : Du milieu d’eux il discerne les hommes des dieux, comme pour assigner une différence entre Dieu et l’ homme; mais il dit : « Au milieu il juge les dieux ». Puis il ajoute : « Jusques à quand vos jugements seront-ils injustes 4 ? » et le reste: ce qui évidemment, ne s’adresse pas à tous, mais à quelques-uns, puisqu’il ne parle que d’après son discernement; et pourtant c’est au milieu des dieux qu’il fait ce discernement.

3. Mais, dira-t-on, si l’on appelle dieux ces hommes à qui la parole de Dieu a été adressée, faut-il appeler de ce même nom les anges, puisque l’égalité avec les anges est la plus grande récompense que l’on ait promise aux justes et aux saints? Je ne sais pas si dans toutes les Ecritures on pourrait trouver ou du moins trouver facilement un passage qui nomme clairement dieux les anges; mais quand il est dit du Seigneur Dieu, qu’il est «terrible sur tous les autres dieux  5», le Psalmiste semble vouloir justifier cette expression

 

1. Ps. CXXXV, 2, 3. — 2. Id. LXXXI, 1, 6, 7.— 3. Jean, X, 31-36.— 4. Ps. LXXXI, 12.— 5. Id. XCV, 4.

 

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en ajoutant : « C’est que les dieux des nations sont des démons ». C’est à propos de ces dieux que le Psalmiste a dit que Dieu est terrible dans ses saints, dont il a fait des dieux, et qui doivent effrayer les démons. C’est en effet ce qu’on lit ensuite: « Quant au Seigneur, il a fait les cieux ». Ils ne sont donc point appelés des dieux, sans aucune addition ; mais les dieux des nations : toutefois le Prophète a dit plus haut: « Il est terrible par-dessus tous les dieux », et non par-dessus tous les dieux des nations, bien qu’il l’ait voulu faire entendre, en, disant aussitôt : « Car tous les dieux des nations ». On dit, il est vrai, que l’hébreu ne l’exprime point ainsi, mais qu’il est dit : « Les dieux des nations sont des simulacres ». En ce cas, mieux vaut en croire les Septante, qui ont traduit avec l’assistance de ce même Esprit qui avait dit d’abord ce qui est dans le texte hébreu. C’est en effet sous l’action du même Esprit-Saint qu’il a fallu traduire ainsi cette parole : « Les dieux des nations sont des démons », afin de nous faire mieux comprendre ce qui est dans l’hébreu : « Les dieux des nations sont des simulacres», et de nous montrer qu’il n’y a dans les idoles rien que des démons. Le simulacre, en effet, qui s’appelle en grec, idole, et dont le nom a passé dans le latin, a des yeux, mais ne voit point, et tout ce qu’énumère le psaume au sujet de ces idoles privées, de tout sens ; d’où vient, qu’on ne saurait les effrayer, puisque l’effroi n’est que pour les êtres sensibles. Comment donc est-il dit à propos du Seigneur: « Il est terrible sur tous les autres dieux, car les dieux des nations sont des idoles » ; si ce n’est que, par idoles, il faut comprendre les démons que l’on peut effrayer? De là cette parole de saint Paul : « Nous savons que l’idole n’est rien 1» : restreignant l’idole à la matière qui est privée de sens. Et comme on aurait pu se persuader que nulle nature vivante et sensible ne fait ses délices des sacrifices des païens, l’Apôtre ajoute : «Mais les sacrifices des païens sont offerts aux démons et non à Dieu. Or, je ne veux point que vous ayez part aux sacrifices des démons ». Si donc nul endroit des saintes Ecritures ne nous prouve que les anges ont été appelés des dieux, la raison qui m’en vient présentement à l’esprit, c’est afin que

 

1. I Cor. VIII, 4. — 2. Id. X, 20.

 

ce nom ne puisse porter les hommes à rendre aux anges te culte souverain, qu’on nomme en grec liturgie ou latrie. Aussi eux-mêmes ont-ils soin d’en détourner les hommes, puisque cet honneur n’est dû qu’à celui qui est leur Dieu et le Dieu des hommes. Le nom d’anges, en latin messagers, leur convient donc beaucoup mieux, ce nom qui a plus d’analogie à leur emploi qu’à leur nature, et nous fait comprendre qu’ils dirigent notre culte vers le Dieu dont ils sont les ambassadeurs. Ainsi l’Apôtre a tranché en, quelques mots la question qui nous occupe, quand il a dit : « S’il est en effet des êtres appelés dieux dans le ciel et sur la terre, de manière à constituer plusieurs dieux et plusieurs seigneurs, pour nous néanmoins il n’est qu’un seul Dieu, Père d’où procèdent toutes choses, qui nous a faits pour lui, et un seul Seigneur Jésus-Christ, par qui tout a été fait, et nous sommes par lui 1».

4. Confessons donc au Dieu des dieux, et au Seigneur des seigneurs, que sa miséricorde est éternelle; « à lui seul qui fait les grands miracles 2». De même que tout verset se clôt par ces mots : « Parce que sa miséricorde est éternelle », de même à la tête de chacun, bien qu’on ne l’ait point mis, il faut sous-entendre: «Confessez au Seigneur»; ce que le texte grec nous fait voir clairement, Le latin nous le montrerait également si nos traducteurs avaient pu rendre la même expression. Ils l’auraient fait dans ce verset, en disant : « A celui qui fait des miracles 3». Car si nous disons : « Celui qui fait des miracles », on lit dans le grec : « A celui qui fait des miracles» ; ce qui nous force à sous-entendre : « Confessez ». S’ils ajoutaient seulement le pronom et nous disaient : « A celui qui fait des miracles », ou « qui a fait», ou qui a « affermi » , on comprendrait facilement qu’il faut sous-entendre : « Confessez ». Mais le texte est devenu tellement obscur que celui qui ne saurait examiner le texte grec, ou qui néglige de te faire, est porté à penser, qu’il y a dans le texte : « Qui a fait les cieux, qui a affermi la terre, qui a fait les grands flambeaux, parce que sa miséricorde est éternelle » ; en ce sens que Dieu aurait fait ces oeuvres précisément par un effet de cette éternelle miséricorde, tandis qu’il n’y a pour appartenir à sa miséricorde que ceux qu’il

 

1. I Cor. VIII, 4-6 . — 2. Ps. CXXXV, 4 . — 3. To poiesanti.

 

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délivre de la misère; et que la création du ciel, de la terre, et des astres 1, loin d’être une oeuvre de miséricorde, est une oeuvre de bonté pour celui dont toutes les créatures sont excellentes. Créer, en effet, c’était donner la vie à toutes choses; mais l’oeuvre de sa miséricorde est de nous purifier de nos péchés, et de nous délivrer d’une misère éternelle. C’est donc à nous que s’adresse le Psalmiste quand il dit: « Confessez au Dieu des dieux, confessez au Seigneur des seigneurs ». Confessez « à celui qui seul fait de grandes merveilles »; confessez « à celui qui a fait le ciel par son intelligence »; confessez « à celui qui a affermi la terre sur les eaux » ; confessez « à celui qui seul fait les grands flambeaux » ; et à la fin de chaque verset, il nous dit pourquoi nous devons le confesser, « c’est que sa miséricorde est éternelle ».

5. Mais pourquoi dire qu’ « il a fait seul de grandes merveilles ? » Est-ce parce qu’il a fait de nombreux prodiges par le moyen des hommes et des anges? Il y a certaines merveilles que Dieu fait lui seul, et que nous énumère le Psalmiste en disant: « Qui a fait le ciel par son intelligence, qui a affermi la terre sur les eaux, qui a fait seul de grands corps de lumière 2». Le Psalmiste a mis ici le mot seul, parce que Dieu a fait les autres oeuvres par l’intermédiaire des hommes. Après avoir dit que Dieu a fait seul les grands corps de lumière, il nous les énumère en disant : « Le soleil pour présider au jour, la lune et les étoiles pour présider à la nuit». Ensuite il commence l’énumération des oeuvres que Dieu a faites par les anges, ou par les hommes. « Il a frappé l’Egypte avec ses premiers-nés 3 », et le reste. Dieu donc a fait toutes les créatures, non par l’intermédiaire d’une autre créature ; mais lui seul. Le Prophète rapporte seulement ici quelques-unes des créatures les plus excellentes, les cieux spirituels, la terre visible, pour nous faire juger du reste. Or, comme il y a aussi des cieux visibles, après avoir spécifié les flambeaux, il nous avertit de regarder comme l’oeuvre de Dieu tout ce qu’il y a de corporel dans le ciel.

6. Toutefois cette expression : « Il a fait les cieux dans la raison », ou comme d’autres ont traduit, «dans l’intelligence », a fait

 

1. Ps. CXXXV, 5. — 2. Id. 3-7. —  3. Id. 8-10.

 

demander si le Prophète voulait dire que Dieu a fait les cieux intelligibles, ou s’il les a faits dans sa raison ou son intelligence, c’est-à-dire dans sa sagesse, ainsi qu’il est dit ailleurs : « Vous avez tout fait dans votre sagesse 1», nous insinuant que c’est par le Verbe, son fils unique. Mais s’il en est ainsi, s’il nous faut comprendre que Dieu a tout fait dans son intelligence, pourquoi le Prophète ne parle-t-il ainsi que du ciel, taudis que Dieu a tout fait dans sa sagesse? Ou bien le Prophète ne voulait-il l’exprimer ici seulement, que pour nous faire comprendre qu’il est sous-entendu ailleurs; en sorte que le sens serait : « Il a fait les cieux avec intelligence, il a affermi la terre sur les eaux », en sous-entendant aussi, «avec intelligence». « Lui qui a fait seul les grands corps de lumière, le soleil pour présider au jour, la lune et les étoiles pour présider à la nuit » ; encore « avec intelligence », Mais alors pourquoi dire seul, si c’est avec la raison ou l’intelligence, c’est-à-dire dans la sagesse qui est le Verbe unique? Ne serait-ce point parce que la Trinité, au lieu d’être trois dieux, n’est qu’un seul Dieu, et qu’alors, dire que Dieu a fait seul toutes ces choses, signifierait que Dieu les a faites sans le secours d’aucune créature?

7. Mais que signifie : « Il a affermi la terre sur les eaux? » Voilà qui est obscur; car la terre a plus de poids que l’eau, en sorte que l’on peut croire qu’au lieu d’être portée par les eaux, c’est elle au contraire qui les porte. Mais, sans vouloir minutieusement défendre nos Saintes Ecritures contre ceux qui s’imaginent avoir trouvé sur ce point des raisons péremptoires, quoi qu’il en soit, nous avons toujours sous la main ce sens facile à comprendre, que la terre habitée par les hommes, qui contient les animaux terrestres, et que l’Ecriture appelle aussi l’aride, ainsi qu’il est écrit : « Que l’aride paraisse, et Dieu appela l’aride du nom de terre 2 », que cette terre est fondée sur les eaux, en ce sens qu’elle domine les eaux qui lui forment une ceinture . Quand on dit, en effet, d’une ville maritime, qu’elle est bâtie sur la mer, on n’entend point dire par là qu’elle est sur la mer comme la voûte d’un pont est au-dessus des eaux, ou comme le vaisseau qui court sur les flots ; mais on dit qu’elle est sur la mer,

 

1. Ps. CIII, 24. — 2. Gen. I,  9, 10.

 

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parce qu’elle domine la mer qui est moins élevée. C’est ainsi qu’il est dit que Pharaon s’élança « sur les eaux 1 » ; tel est le texte grec traduit par les latins, « vers les eaux » ; ainsi encore il est dit que le Seigneur « était assis sur le puits 2», parce que l’un et l’autre dominaient le puits et le fleuve, l’un près du fleuve, l’autre près du puits.

8. Si cette expression du Prophète : « Dieu fit les cieux par son intelligence », peut avoir un sens qui nous regarde plus spécialement, comme si les cieux étaient les saints de Dieu, parvenus à cette spiritualité qui n’est plus seulement la foi aux choses divines, mais l’intelligence même; ceux qui ne peuvent s’élever jusque-là, et qui s’en tiennent lune foi très-ferme, auraient pour symbole cette terre qui est inférieure aux cieux. Et comme ils demeurent inébranlables dans cette foi qu’ils ont reçue au baptême, il est dit : « Il a affermi la terre sur les eaux». De même il est écrit qu’en Jésus-Christ Notre-Seigneur sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la science 3. Or, qu’il y ait une différence entre la sagesse et la science, nous en avons d’autres preuves dans les saintes Ecritures, et surtout dans les saintes paroles de Job, qui nous définit en quelque sorte l’une et l’autre: voici en effet ces paroles : « Il dit à l’homme : La sagesse consiste dans la piété, et la science à s’abstenir du mal 4 ». Nous sommes autorisés, dès lors, à faire consister la sagesse dans la connaissance et dans l’amour de celui qui subsiste toujours, qui est toujours immuable, c’est-à-dire Dieu, Cette piété, en effet, en laquelle consiste la sagesse, se nomme en grec Theosebeia, que l’on pourrait traduire en latin par culte de Dieu. Et cette science qui consiste à s’abstenir du mal 5, qu’est-ce autre chose que vivre avec précaution et prudence, au milieu d’une nation dépravée et corrompue, et comme dans les ténèbres de ce monde, afin que tout fidèle, s’abstenant de l’iniquité, ne soit point confondu dans les ténèbres, mais qu’il s’en éloigne par sa propre lumière ? Saint Paul, afin de faire ressortir quelque part l’harmonie qui se trouve entre les différents dons que Dieu fait aux hommes, met ceux-ci en avant: « L’un reçoit de l’Esprit-Saint le discours de la sagesse »; c’est là, je crois, « Le soleil pour présider  au jour :

 

1. Exod. VIII, 15.— 2. Jean, IV, 6.— 3. Colos, II, 3.— 4. Job, XXVIII, 28 .— 5. Philipp. II, 15.

 

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« l’autre, du même Esprit, le discours de la science», ce qui marque la lune. Les étoiles

aussi pourraient être désignées dans ces paroles: « Un autre reçoit le don de foi, par le même Esprit, un autre reçoit le don de guérir les malades, un autre le don des miracles, un autre le don de prophétie, un autre le don de parler diverses langues, un autre le don de les interpréter, un autre le discernement des esprits 1 ». Il n’y a en effet aucun de ces dons qui ne soit nécessaire, dans cette nuit du monde; une fois qu’elle sera écoulée, ils ne seront d’aucune utilité ; de là vient l’expression « pour éclairer la nuit ». Le texte porte in potestatem, et dit « au pouvoir de la nuit », ou « du jour », c’est-à-dire la puissance d’éclairer le jour ou la nuit ; ce qui convient parfaitement aux dons spirituels, puisque Dieu a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu 2. « Il a frappé l’Egypte avec ses premiers-nés»; il a frappé le monde avec tout ce qui paraît éclatant dans le monde.

9. « Il a tiré Israël du milieu de I’Egypte ». Il a tiré du milieu des méchants ses saints et ses fidèles. « Avec une main puissante, et un bras élevé 3 ». Quel bras plus puissant et plus élevé que celui dont il est dit: « A qui le bras du Seigneur a-t-il été montré 4 ? Lui qui a séparé la mer Rouge en deux parts ». Il fait encore aujourd’hui cette division, puisque le même baptême donne aux uns la vie, aux autres la mort. « Il a conduit Israël par le milieu de cette mer». Il conduit aussi à travers le bain de la régénération son peuple renouvelé. « Il a renversé Pharaon et toute sa puissance dans la mer Rouge ». Par le baptême, il donne la mort au péché de ses serviteurs, et à toutes ses traces. « Il a conduit  son peuple par le désert ». Il nous fait aussi traverser le désert et les aridités de cette vie, de peur que nous n’y périssions, « Il a frappé de grands rois et mis à mort des rois puissants ». Il frappe, il met à mort par nous les puissances diaboliques, les esprits de malice. « Seon, roi des Amorrhéens »; c’est-à-dire, ce germe inutile, ce foyer de tentation, que signifie Seon, le roi des Amorrhéens ou de l’amertume « Et Og, roi de Basan ». Og, ou celui qui amasse, roi de Basan ou de la confusion. Que peut amasser le diable, sinon la

 

1. I Cor. XII, 8-l0. — 2. Jean, I, 12. — 3. Ps. CXXXV, 11-12. — 4. Isa. LIII, 1.

 

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confusion? « Il a donné leur terre en héritage, en héritage à Israël son serviteur ». Ceux que le démon possédait, Dieu les donne en héritage à la race d’Abraham qui est le Christ. « Il s’est souvenu de nous dans notre humiliation, et nous a rachetés de nos ennemis 1 », par le sang de son Fils unique. « Il donne la nourriture à toute chair » ; c’est-à-dire à tout le genre humain, non-seulement aux Israélites, mais encore aux Gentils ; et c’est de cet aliment qu’il est dit : « Ma chair est vraiment une nourriture 2. Confessez au Dieu du ciel que sa miséricorde est éternelle. Confessez au Seigneur des seigneurs que sa miséricorde est éternelle 2». Cette

expression, « ami Dieu du ciel », me paraît en

 

1. Ps. CXXXV, 13-24—24. —  2. Jean, VI, 56. — 3. Ps. CXXXV, 26.

 

d’autres termes la répétition de cette autre, « au Dieu des dieux », car le Prophète ajoute ici précisément ce que déjà il avait ajouté plus haut: «Confessez au Seigneur des seigneurs ».

Quels que soient ceux que l’on nomme « dieux », confessez au Seigneur des seigneurs; car «s’il est des êtres appelés dieux, soit dans le ciel, soit sur la terre, et qu’ainsi il y ait plusieurs dieux et plusieurs seigneurs, néanmoins il n’y a pour nous qu’un seul Dieu, le Père d’où procèdent toutes choses, et qui nous a faits pour lui; et un seul Seigneur Jésus-Christ, par qui toutes choses ont été faites, et nous sommes par lui » : et auquel nous confessons que « sa miséricorde est éternelle ».

 

1. I Cor. VIII, 5, 6.
 
 
 
 

source: http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin/index.htm

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