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Saint Augustin d'Hippone
Discours sur les Psaumes 141_à 145


DISCOURS SUR LE PSAUME CXLI.
SERMON AU PEUPLE.
CHANT DES MARTYRS.
 

Méditer, c’est imiter l’animal qui rumine, et qui pour cela est nommé pur. Crier vers le Seigneur, c’est l’invoquer, et crier de sa voix, c’est parler du coeur répandre sa prière devant Dieu, c’est prier où lui seul peut voir, et dans le coeur encore, et la porte close, de peur que le tentateur n’y puisse entrer. Cette porte a deux battants : le désir et la crainte ; c’est ouvrir la porte au démon que désirer ou craindre quelque chose de terrestre ; c’est l’ouvrir è Dieu que désirer le ciel et craindre l’enfer. Les martyrs ont fermé la porte au diable en méprisant les promesses du monde et ses menaces, et ouvert au Christ qui promettait la vie éternelle, qui menaçait de jeter le corps et l’âme dans le feu éternel. Ils prient, dans la crainte de s’attribuer l’honneur de la résistance, et quand on le croit accablé, il marche dans les sentiers de la justice inconnus au pécheur, connus de Dieu qui nous sauve ; car connaître, pour lui, c’est sauver; méconnaître, c’est damner. Ces sentiers ou voies étroites sont au pluriel à cause de la pluralité des commandements, qui se réduisent à la charité, ou à la voie par excellence. Le Seigneur connaît donc nos voies, et nous conduit si nous sommes doux et humbles. Les persécuteurs ont voulu nous tendre un piège dans notre voie, ou dans le Christ ; mais comme ils sont hors du Christ, ils ont tendu le piège le long de la voie; n’en sortons point et nous l’évitons qu’on nous reproche le Crucifié, nous nous en glorifions. Le Prophète voit, parce qu’il regarde à droite, où sont les élus, et nul ne les connaissait, c’est-à-dire ne connaissait le prix de ses souffrances. La fuite lui est fermée, quand son âme ne connais point la fuite. Le corps veut fuir, mais l’âme ne saurait fuis, à moins d’imiter le mercenaire qui abandonne les brebis au danger. Le Seigneur le relève, le délivre des persécuteurs c’est-à-dire du diable dont les persécuteurs sont les instruments, de ces princes ou amateurs du monde, appelés aussi ténèbres. On distingue le monde fait par Dieu, en qui était le Verbe, et le monde qui ne l’a point connu ; les justes sont dans le monde, mais non du inonde. Le Prophète veut être délivré de la prison, ou de la caverne du titre, ou du monde, ou du corps en ce sens qu’il est corruptible, ou bien encore de ce lieu étroit, c’est-à-dire triste, et mon âme chantera vos louanges.

 

1. C’est à la solennité des martyrs que vous êtes redevables de ce surcroît de dévotion, M nous redevable de cet entretien. Toutefois votre charité doit se souvenir du long discours d’hier. Bien que nous ayons remarqué pendant tout ce discours une avidité spirituelle qui se renouvelait sans cesse, nous ne saurions oublier notre commune fragilité, d’autant plus qu’il nous faut rendre aux paroles admirables du Seigneur, l’honneur qui leur est dû, ainsi qu’il est écrit : Les paroles du Seigneur sont admirables de sagesse. Elles ne vous arrivent, il est vrai, que dans des vases bien chétifs; mais si les vases sont d’argile, le pain est du ciel. L’Apôtre nous dit en effet: « Nous portons ce trésor dans des vases fragiles, afin que la perfection de la vertu vienne de Dieu 1 ». Or, ce trésor et ce pain sont une même chose ; s’il n’en était pas ainsi, l’Ecriture ne nous dirait pas à propos du trésor « C’est dans la bouche de l’homme sage que repose le trésor désirable, tandis que l’insensé le dissipe ». Aussi, mes frères, avertissons-nous votre charité de retourner, de ramener eu quelque sorte dans votre pensée

 

1. II Cor. IV, 7.

 

le pain que l’oreille dépose dans l’estomac de votre mémoire. C’est ainsi « qu’un trésor précieux repose dans la bouche du sage, tandis que l’insensé le digère aussitôt 1»; en un mot, que le sage rumine et que l’insensé ne rumine pas. Qu’est - ce à dire, en termes plus clairs et en latin ? Le sage réfléchit sur ce qu’il a entendu, l’insensé l’oublie aussitôt. Car ce n’est point pour un autre motif que la loi appelle animaux purs ceux qui ruminent et impurs ceux qui ne ruminent point 2, puisque toute créature de Dieu est pure. Devant Dieu qui les a créés, le porc est aussi pur que l’agneau; car tout ce qu’il fit était éminemment bien 3, et « toute créature de Dieu est  bonne 4», a dit l’Apôtre, comme « tout est pur pour ceux qui sont purs ». Tout est donc pur, dans sa nature même, et néanmoins l’agneau est le symbole de ce qui est pur, comme le pourceau est le symbole de ce qui est impur; l’agneau marque l’innocence du sage qui rumine, qui réfléchit; le pourceau, l’impureté d’une folie oublieuse. Nous avons chanté un psaume analogue à la fête. Il est

 

1. Prov. XXI, 20. — 2. Lévit. XII, 2-8. — 3. Gen. I, 31. — 4. I Tim. IV, 4. — 5. Tit. I, 15.

 

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court, voyons si nous pourrons aussi l’exposer brièvement.

2. «De ma voix, j’ai crié vers le Seigneur». Il me suffirait de dire : « J’ai crié de la voix vers le Seigneur », et néanmoins il n’est peut-être pas inutile d’ajouter : ma voix. Plusieurs, en effet, crient vers le Seigneur, non de leur voix, mais de la voix de leur corps. Quant, à l’homme intérieur en qui le Christ a commencé d’habiter par la foi 1, il crie vers Dieu, non par le bruit des lèvres, mais par l’élan du coeur. Car l’oreille de Dieu diffère bien de l’oreille de l’homme, qui n’entend qu’à la condition que les poumons, la poitrine et la langue formeront un son; tandis que pour Dieu notre cri c’est notre pensée. « De ma voix j’ai crié vers Dieu, de ma voix j’ai invoqué le Seigneurs 2». Le Prophète nous explique le mot crier, en ajoutant : j’ai invoqué. Blasphémer, c’est, en effet, crier aussi vers le Seigneur. Dans la première partie du verset il pousse un cri, et dans la seconde partie il donne l’explication de son cri, comme si on lui demandait quel cri il a poussé vers le Seigneur: « J’ai poussé vers le Seigneur un cri de prière ». Mon cri est une invocation, et non un outrage, ni un murmure, ni un blasphème.

3. «  Je répandrai ma prière devant lui 3». Qu’est-ce à dire «devant lui?» En sa présence. Qu’est-ce à dire, en sa présence ? Où ses yeux voient. Mais où ne voient-ils point ? Dire en effet où Dieu voit, laisserait entendre qu’il est des lieux où ut ne voit point. Mais en fait d’objets corporels, les hommes voient comme les animaux voient, tandis que Dieu voit où nos regards ne sauraient pénétrer. Car nul homme ne saurait voir tes pensées que Dieu pénètre néanmoins. Répands donc ta prière où seul peut voir Celui qui peut seul te récompenser. Car le Seigneur Jésus-Christ l’ordonne de prier dans le secret ; mais si tu comprends l’endroit secret pour toi, situ te purifies, c’est là que tu pries Dieu. « Quand vous priez », dit le Sauveur, « n’imitez point les hypocrites qui aiment à prier debout, dans les synagogues et sur les places publiques, pour être vus des hommes. Mais vous, quand vous priez, entrez dans votre chambre, et, la porte close, priez votre Père dans le secret; et votre Père,qui voit dans le secret, vous le rendra 4 ». Si tu attends des hommes

 

1. Ephés. III, 17.— 2. Ps. CXLI, 2.— 3. Id. 3.— 4. Matth. VI, 5, 6.

 

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ta récompense, prie devant les hommes; si Dieu seul doit te la rendre, répands ta prière en sa présence, et la porte close, de peur que le tentateur n’y puisse entrer. Car le tentateur ne cesse de frapper pour entrer, et si la porte est close, il passe outre. Comme donc il est en notre pouvoir de clore la porte, j’entends la porte de notre coeur, et non celle de nos maisons ; car c’est dans le coeur aussi qu’est la chambre secrète; comme il est en notre pouvoir de clore cette porte: « Ne donnez aucune entrée au diable 1 », nous dit l’Apôtre. S’il vient à pénétrer dans ton coeur, à s’en rendre maître, tu dois reconnaître que tu as fermé la porte négligemment, ou négligé complètement de la fermer.

4. Mais qu’est-ce à dire, fermer la porte? Cette porte a comme deux battants : celui de la convoitise, et celui de la crainte. Ou tu convoites quelque chose de terrestre, et le diable entre par là; ou tu crains quelque chose de terrestre, et il entre encore. Ferme donc au diable cette double porte de la crainte et de la convoitise, et ouvre-la au Christ. Comment ouvrir au Christ ces deux battants? En désirant le royaume des cieux, en craignant le feu de l’enfer. L’amour du monde ouvre l’entrée au diable, et l’amour de la vie éternelle l’ouvre au Christ; la crainte des maux temporels est une porte ouverte au démon, tandis que le Christ entre chez nous par la crainte des maux éternels. Les martyrs ont fermé la porte au diable, en l’ouvrant au Christ. Le monde leur a promis beaucoup, ils ont ri de ses promesses et ont fermé au diable la porte de la convoitise. Voyons s’ils l’ont ouverte au Christ : « Quiconque me confessera devant les hommes, moi aussi je le confesserai devant mon Père qui est dans le ciel 2».Comment les confessera-t-il? « Venez », dira-t-il, « bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé dès l’origine du monde 3». Il les confessera en les plaçant à sa droite. Voyons s’ils ont ouvert au Christ la porte de la crainte, qu’ils avaient fermée au diable. Dans le même endroit, le Seigneur nous avertit de la fermer au démon et de la lui ouvrir. « Ne craignez point», dit-il, « ceux qui tuent le corps et qui ne peuvent tuer l’âme ». Il nous avertit par là de fermer au démon la porte de la crainte. N’avons-nous donc rien à craindre?

 

1. Ephés. IV, 27. — 2. Matth. X, 32. — 3. Id. XXV, 34.

 

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et ne faut-il pas ouvrir au Christ cette porte de la crainte fermée au diable?Aussi, comme pour nous dire: fermez au démon, mais ouvrez pour moi, le Sauveur a-t-il ajouté : « Craignez au contraire Celui qui a le pouvoir de jeter l’âme et le corps au feu éternel  1». Si donc, sur la foi en ces paroles, tu ouvres la porte au Christ, ferme-la au démon. Le Christ est à l’intérieur, c’est là qu’il habite; répands ta prière devant lui, ne cherche pas à te faire entendre de loin. Car elle n’est pas loin de vous cette sagesse de Dieu, « qui atteint d’une extrémité à l’autre avec force, et dispose de tout avec douceur 2 ». C’est donc dans ton âme qu’il te faut répandre ta prière devant Dieu, c’est là que sont ses oreilles. Ce n’est, en effet, « ni de l’Orient, ni de l’Occident, ni des lieux déserts, que le Seigneur vous écoute; car il est juge 3 ». Or, s’il est juge, vois dans ton coeur quelle est ta propre cause.

5. « Je répandrai ma prière devant lui, j’annoncerai en sa présence toutes mes affiictions 4 ». Ces deux versets ne font que répéter les deux premiers. Il y a deux pensées dont chacune est répétée deux fois. La première est celle-ci : « De ma voix j’ai crié vers Dieu, j’ai imploré le Seigneur de mes cris » ; l’autre : « Je répandrai ma prière devant lui, j’annoncerai en sa présence toutes mes afflictions ». Devant lui est identique à sa présence, et répandre ma prière, est identique à proclamer toutes mes afflictions. Quand agiras-tu ainsi ? L’interlocuteur est alors dans la tribulation : « Quand mon âme tombe en défaillance », nous dit-il. Pourquoi donc ton âme est-elle en défaillance, ô martyr que l’on persécute ? C’est de peur que je ne fasse à moi-même l’honneur de mes forces, et afin que je sache bien qu’un autre les produit en moi. C’est d’ailleurs l’avertissement que donne le Seigneur à ceux dont il voulait faire ses témoins : « Quand ils, vous traîneront devant les juges, ne vous inquiétez point de ce que vous direz; car ce n’est point vous qui parlez, mais l’Esprit de votre Père qui parle en vous 5». Arrière donc ton esprit, et que l’Esprit de Dieu parle en toi. C’est donc avec raison qu’il voulait en faire des pauvres d’esprit : « Bienheureux les  pauvres en esprit, car le royaume des cieux

 

1. Matth. X, 28-32. — 2. Sag. VIII, 1. — 3. Ps. LXXIV, 7. — 4. Id. CXLI, 4. — 5. Matth. X, 19, 20.

 

leur appartient ». Donc bienheureux ceux qui sont pauvres de leur esprit, et riches de l’Esprit de Dieu; car tout homme qui suit son esprit est un orgueilleux; qu’il soumette son esprit, et reçoive l’Esprit de Dieu. Il cherchait les hauts lieux, qu’il reste dans la vallée. S’il s’élève en haut, les eaux s’écouleront loin de lui; s’il demeure dans la vallée, il en sera rempli, et il lui arrivera comme au sein dont il est dit: « Des fleuves d’eau vive couleront de son sein 2 ». Donc « pendant la défaillance de mon âme, j’ai annoncé en votre présence ma tribulation » , j’étais humble, et je confessais devant vous la défaillance de mon esprit, étant comblé de votre Esprit-Saint.

6. Quant aux hommes, en apprenant la défaillance de mon esprit, ils ont désespéré de moi, et ils ont dit : Nous l’avons pris, nous l’avons accablé : « Mais vous, Seigneur, vous avez connu mes sentiers ». Ils me croyaient abattu, vous saviez que j’étais debout. Ceux qui me persécutaient, qui s’étaient emparés de moi, croyaient que mes pieds étaient embarrassés; mais ce sont leurs pieds au contraire qui sont embarrassés, et ils sont tombés: « Mais nous nous sommes levés et redressés 3. Car mes yeux sont toujours fixés sur le Seigneur, parce que c’est lui qui dégagera mes pieds du filet 4 ». J’ai continué ma course; « et celui-là sera sauvé qui aura persévéré jusqu’à la fin 5 ». Ils me croyaient accablé, et moi je marchais. Où est-ce que je marchais ? Dans les sentiers que ne voyaient pas ceux qui croyaient m’avoir pris; dans les sentiers de votre justice, dans les sentiers de vos préceptes. « Vous connaissiez en effet mes sentiers », que ne connaissait pas le persécuteur; autrement il ne me porterait point envie, mais il y marcherait avec moi. Quels sont donc ces sentiers, sinon les voies dont il est dit ailleurs : « Le Seigneur connaît la voie  des justes, mais la voie des impies périra 6? » Il ne dit point que le Seigneur ne connaît pas la voie des impies; mais bien : « Dieu connaît la voie des justes, celle des impies périra ». Car tout ce que Dieu ne connaît pas doit périr. Dans beaucoup d’endroits de l’Ecriture, connaître, pour Dieu, c’est sauver. Connaître, c’est garder, comme ne pas connaître, c’est damner. Comment, en effet, celui qui

 

1. Matth. V, 3. — 2. Jean, VII, 38.— 3. Ps. XIX, 9.— 4. Id. XXIV, 15. —   5. Matth. X, 12. — 6. Ps. 1, 6.

 

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connaît tout pourrait-il dire à la fin du monde: « Je ne vous connais pas 1? » Qu’ils ne s’applaudissent point dès lors en disant que le juge ne les connaît point. C’est déjà un châtiment que n’être point connu du juge. Ces voies dès lors, dont il est dit que le Seigneur les connaît, le Prophète les appelle ici des sentiers, quand il dit : « Vous connaissez mes sentiers ». Tout sentier, en effet, est une voie, mais toute voie n’est pas un sentier. Pourquoi donc ces voies sont-elles appelées des sentiers, sinon parce qu’elles sont des voies étroites ? La voie large est celle des impies, la voie étroite celle des justes.

7. Dire la voie et les voies, c’est tout un, de même que dire l’Eglise ou les Eglises, le ciel ou les cieux. L’un est au pluriel, l’autre au singulier. L’Eglise, à cause de son unité, n’est qu’une Eglise: « Ma colombe est unique, l’unique de sa mère 2». Mais il ya plusieurs Eglises, si l’on envisage les diverses assemblées des fidèles en divers endroits : « Les Eglises de la Judée se réjouissaient dans le Christ, parce que celui qui naguère nous persécutait, annonce maintenant la foi qu’il  voulait détruire ; et ils glorifiaient Dieu à mon sujet 3». Il dit ici les Eglises, et ailleurs il parle d’une seule Eglise : « Ne donnez aucun scandale aux Juifs, ni aux Grecs, ni à l’Eglise de Dieu 4 ». Il en est donc de même de la voie et des voies, du sentier et des sentiers. Pourquoi les sentiers, et pourquoi le sentier? De même que maous avons donné la raison de l’Eglise et des Eglises, nous devons rendre compte du sentier et des sentiers. On dit les sentiers de Dieu, à cause de la pluralité des préceptes, et comme tous les préceptes peuvent se réduire à un seul, comme « la plénitude de la loi est la charité 5», toutes ces voies divisées en plusieurs préceptes peuvent se réduire à une seule, puisque notre voie c’est la charité. Voyons si la charité est une voie. Ecoutons l’Apôtre : « Je vous enseigne une voie bien supérieure encore 6 ». Quelle est cette voie, ô saint Apôtre? Ecoute bien cette voie : « Quand je parlerais toutes les langues des hommes et des anges mêmes, si je n’ai point la charité, je suis comme un airain sonnant et une cymbale retentissante, Quand j’aurais le don de prophétie,

 

1. Matth. VII, 23. — 2. Cant. VI, 8. — 3. Gal. I, 22, 24. — 4. I Cor. 32. — 5. Rom. XIII, 10. — 6. I Cor. XIII, 31.

 

que je pénétrerais tous les mystères et us toutes les sciences, et quand j’aurais toute la foi possible, jusqu’à transporter les montagnes, si je n’ai point la charité, je ne suis rien. Et quand je distribuerais toutes mes richesses aux pauvres, et que je livrerais mon corps pour être brûlé, si je n’ai point la charité, tout cela ne sert de rien 1 ». C’est donc la charité qu’il appelle une voie suréminente. Cette voie si relevée, mes frères, est une voie merveilleuse. Et parce qu’elle est très-relevée, elle est aussi de beaucoup la meilleure; car ce qui est éminent, est élevé; or, rien de plus relevé que la voie de la charité, et il n’y a que les humbles pour y marcher. Ces sentiers donc, la charité les appelle des préceptes. « Vous connaissez mes sentiers », dit le Prophète; vous savez que tout ce que j’endure, est par amour pour vous, vous savez qu’en moi la charité souffre tout; vous savez que si je livre mon corps pour être brûlé, j’ai cette charité sans laquelle rien ne me servirait.

8. Qui, mes frères, connaît véritablement ces voies de l’homme, sinon celui à qui le Prophète a dit: « Vous connaissez mes voies ? » Quelles que soient les actions des hommes sous nos yeux, nous ne savons quelle intention les a dictées. Combien est-il d’impies, qui, mesurant les autres sur eux-mêmes, disent de nous que nous cherchons dauis 1’Eglise des honneurs, des applaudissements, des avantages temporels ? Combien m’accusent de ne vous parler que pour me faire acclamer et applaudir par vous, et de n’avoir d’autre but, d’autre intention dans mes discours ? Comment leur montrer que telle n’est point mon intention ? Je n’ai plus qu’à dire : « Vous connaissez mes sentiers ». Comment ces accusateurs savent-ils ce que vous-mêmes ne savez point? Comment savent-ils ce qu’à peine je connais moi-même ? Car ce n’est point à moi de me juger : celui qui me juge, c’est le Seigneur 2, Je ne sais ce que, dans son ignorance, Pierre présumait de lui-même, quand le médecin ne présumait point de ses forces autant que lui. Crions donc vers Dieu avec un coeur pur et plein de piété, car c’est un véritable cri : « Seigneur, vous conus naissez mes voies ». Mais veux-tu que le Seigneur te conduise par ses voies ? Sois doux, sois calme, loin de toi toute obstination,

 

1. I Cor. XIII, I-3. — 2. Id. IV, 3, 4.

 

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tout orgueil, garde-toi d’élever et de secouer la tête comme le cheval et le mulet qui n’ont point d’intelligence 1 ». Si tu es doux, si tu es calme, tu seras une monture pour Dieu qui te conduira par ses voies. Car il conduira les humbles dans la justice, et enseignera ses voies aux hommes doux 2 . « C’est donc vous, ô mon Dieu, qui connaissez mes voies ».

9. « Dans cette voie où je marchais, ils m’ont caché un piège ». Cette voie par où il marchait, c’est le Christ; et c’est là que lui ont tendu des pièges ceux qui persécutent les chrétiens, et au nom du Christ. « C’est donc là qu’ils m’ont caché un piège ». Pourquoi me porter envie, pourquoi me persécuter? Parce que je suis chrétien. Si donc c’est parce que je suis chrétien qu’ils me persécutent, « ils m’ont caché un piège dans la voie où je marchais». Autant qu’il est en eux, ils m’ont tendu des pièges dans la voie où je marche ; autant que le peuvent leurs désirs, que le peuvent leurs efforts, que le peuvent leurs voeux, ils ont voulu me prendre au piège dans la voie où je marchais. « Mais le Seigneur connaît la voie des justes 3 », et, « vous, Seigneur, connaissez mes sentiers ». Voilà ce qu’ils ont désiré; mais comme c’est vous qui êtes ma voie, vous ne leur permettrez point de me tendre des pièges en vous-même. C’est au nom du Christ en effet que les hérétiques veulent nous préparer des embûches, et ils se trompent eux-mêmes. Ce qu’ils croient mettre dans la voie, ils le placent en dehors, car eux-mêmes sont en dehors; et ils ne peuvent tendre des pièges où ils ne sont point. Mais le Prophète parle dans le sens de leurs désirs, de leurs voeux, de leur intention; car il est dit formellement ailleurs: « Ils m’ont tendu un piège près de la route 4 ». Dire « dans la voie », c’est parler dans le sens de leurs désirs, de leurs voeux; dire « près de la route », ou « près des sentiers », c’est parler selon la vérité. Car le piège n’est point dans le sentier, n’est point dans la voie elle-même, qui est le Christ; mais bien près des sentiers. Le Christ ne leur permet pas de le placer dans la voie, de peur que nous ne puissions la suivre; il permet seulement qu’on le tende le long de la voie, afin de nous prémunir contre tout écart. Un païen s’imagine me tendre un piège dans la voie, quand il me

 

1. Ps. XXX, 9.— 2. Id. XXIV, 9.— 3. Id. I, 6.— 4. Id. CXXXIX, 6.

 

dit: Tu adores un Dieu crucifié. Il s’en prend à la croix de Jésus-Christ qu’il ne comprend point. Il croit mettre dans le Christ ce qu’il ne met que le long du chemin. Mais que je ne sorte point du Christ, et je ne quitterai point la voie pour tomber dans le piége. Qu’il insulte au crucifié, comme il lui plaira, je n’en verrai pas moins la croix de Jésus sur le front des rois. Ce qu’il raille, c’est mon salut. Rien de plus orgueilleux que le malade qui a des sarcasmes pour le remède qui le guérit; s’il n’en riait point, il le prendrait et serait sauvé. Cette croix est le symbole de l’humilité, et un excès d’orgueil ne laisse point connaître à ce malade ce qui guérirait la tumeur de son âme. Et moi, si je connais ce remède, je marche dans la voie. Loin de rougir de la croix, je la porte non plus d’une manière invisible, mais sur mon front. Il y a beaucoup de sacrements que nous recevons de manières différentes:les uns, comme vous le savez, c’est notre bouche qui les reçoit; d’autres, c’est tout notre corps; mais comme c’est notre front qui rougit, celui qui a dit: « Si quelqu’un rougit de moi devant les us hommes, je rougirai de lui devant mon Père qui est dans les cieux 1 », a voulu établir sur le siège même de la pudeur ce que les païens appellent une ignominie. Ecoute les reproches que l’on fait à un impudent: c’est un effronté, dit-on. Qu’est-ce à dire: il n’a pas de front? C’est un impudent. Que mon front ne soit donc point nu, qu’il soit couvert par la croix de mon Seigneur. Donc, « ils m’ont tendu des pièges dans cette voie où je marchais » : autant qu’il était en eux, car ils ne les ont placés en réalité que le long de la voie, et moi je serai en sûreté, si je ne sors point de cette voie sacrée. « Tu ne, sais point», dit l’Ecriture, « que tu marches parmi les pièges 2 ». Qu’est-ce à dire, parmi les pièges? Dans la voie du Christ bordée de pièges de part et d’autre : pièges à droite, et pièges à gauche; pièges de la prospérité à droite, et pièges de l’adversité à gauche; pièges à droite, ou promesses du monde; pièges à gauche, ou menaces du monde. Pour toi, marche au milieu des piéges, sans t’éloigner de la voie, sans te laisser prendre aux promesses, ni abattre par les menaces. « Dans le chemin où je marchais, ils m’ont caché leurs embûches ».

 

1. Luc, IX, 26 — 2. Eccli. IX, 20.

 

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10. « Je considérais à droite, et je voyais 1». Il voyait, parce qu’il regardait à droite; c’est s’aveugler, que regarder à gauche. Qu’est-ce à dire: considérer à droite ? Où seront ceux à qui l’on dira : « Venez, bénis de mon Père, et possédez le royaume 2? » Mais ils seront à gauche, ceux à qui l’ami dira: « Allez au feu éternel, préparé au diable et à ses anges 3 ». Au milieu du monde menaçant et frémissant de rage, au milieu des persécutions, des outrages se multipliant à chaque pas, au milieu des terreurs, le Prophète méprisait le présent, envisageait l’avenir, et considérait à droite où il doit être un jour; c’est là qu’il était par la pensée, là qu’il regardait, là qu’il voyait, et dès lors, tout lui était supportable; mais ses persécuteurs ne voyaient point. Aussi, après avoir dit: « Je considérais à droite, et je voyais », il ajoute aussitôt : « Et nul ne me connaissait ». Quand nous endurons tout, qui connaît notre dessein, et si nous regardons à droite ou à gauche? Chercher dans tes souffrances l’applaudissement des hommes, c’est regarder à gauche; mais dans tes souffrances, chercher les promesses de Dieu, c’est regarder à droite; mais regarder à droite, c’est voir, comme regarder à gauche, c’est demeurer aveugle ; et encore, regarder à droite, c’est n’être connu de personne. Qui te consolera en effet, sinon ce Seigneur à qui tu as dit: « Et vous avez connu mes sentiers! Mais nul ne me connaissait?»

11. « La fuite m’est fermée ». Il se regarde comme environné de toutes parts. « La fuite m’est fermée ». Que ses persécuteurs disent avec outrage: Le voilà accablé, le voilà pris, enfermé, vaincu, sa fuite n’est plus possible. La fuite est fermée à l’homme qui ne fuit point. Mais celui qui ne fuit point, endure tout ce qu’il peut pour le Christ: c’est-à-dire que son âme ne connaît point la fuite; car le corps peut fuir; on nous l’accorde, on nous le permet, d’après cette parole du Sauveur : «S’ils vous poursuivent dans une ville, fuyez dans une autre 4 ». Mais la fuite est fermée à l’homme dont le coeur ne fuit pas. Or, il importe de savoir pourquoi il ne fuit pas, si c’est parce qu’il est environné, ou parce qu’il est pris, ou parce qu’il est courageux; car la fuite est fermée au captif, comme elle est fermée à l’homme vaillant. Quelle fuite alors nous faut-il éviter? Quelle fuite nous est

 

1. Ps. CXLI, 5.— 2. Matth. XXV, 34. — 3. Id. 41.— 4. Id. X, 23.

 

fermée? Celle dont le Seigneur a dit dans l’Evangile: « Que le bon pasteur donne sa vie us pour ses brebis; mais que le mercenaire et celui qui n’est point pasteur s’enfuit quand il voit venir le loup ? » Pourquoi fuir quand vient le voleur? « Parce qu’il se met peu en peine des brebis 1». Cette fuite était fermée à notre interlocuteur, soit que nous l’entendions de Jésus-Christ Notre-Seigneur, notre chef qui est mort pour tous, soit de nos martyrs qui sont ses membres, et qui, eux aussi, sont morts pour leurs frères. Ecoutez ce mot de saint Jean: « De même qu’il a donné sa vie pour nous, et nous aussi, nous devons donner notre vie pour nos frères 2 ». Mais quand ils donnent leur vie, le Christ la donne aussi, puisqu’il s’écrie quand on les persécute: «Saul, Saul, pourquoi me persécuter 3 ? » « La fuite m’est fermée, et nul ne recherche mon âme ». Il n’est donc personne pour en vouloir à sa vie? Comment, il voit les hommes qui ont conjuré sa mort, qui veulent répandre son sang, et il n’est personne qui recherche son âme? Cette parole peut avoir deux sens; de même que la fuite est fermée en deux manières, puisque ni le captif, ni l’homme vaillant ne fuient point; de même des persécuteurs ou des amis peuvent chercher la vie d’un homme. Ainsi donc « nul ne recherche son âme », signifie ici ils persécutent mon âme, mais ils ne la recherchent point. S’ils cherchaient mon âme, ils la trouveraient attachée à vous; et s’ils savaient la chercher, ils sauraient l’imiter; et pour que vous sachiez encore que des persécuteurs peuvent chercher l’âme d’un homme, il est dit ailleurs: « Qu’ils soient couverts de honte et d’ignominie, ceux qui recherchent mon âme 4 ».

12. « J’ai crié vers vous, Seigneur; j’ai dit: Vous êtes mon espérance 5». Au milieu de mes douleurs et de mes tribulations, j’ai dit: « Vous êtes mon espérance ». Ici-bas vous êtes mon espérance, et c’est ce qui me donne la patience. « Vous êtes mon partage », non point ici-bas; mais « dans la terre des vivants ». Dieu donne une portion dans la terre des vivants; mais cette portion n’est point en dehors de lui. Que donnerait-il à celui qui l’aime, si ce n’est lui ?

13. « Soyez attentif à ma prière, parce que

 

1. Jean, X, 11-13.— 2. I Jean, III, 16 — 3. Act. IX,4.— 4. Ps. XXXIX, 15. — 5. Id. CXLI, 6.

 

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je suis humilié à l’excès 1». Humilié par les persécuteurs, humilié par l’aveu. Il s’humilie d’une manière invisible, quand ses ennemis l’humilient visiblement. Dieu donc le relève, et d’une manière visible, et d’une manière invisible. Ce fut invisiblement qu’il releva les martyrs; mais ils le seront d’une manière visible, quand ce corps corruptible sera revêtu d’incorruption à la résurrection des morts, quand cette chair contre laquelle seule pouvaient sévir les méchants, sera renouvelée. « Ne craignez point ceux qui tuent le corps, mais qui ne peuvent tuer l’âme 1». Or, qu’est-ce qui a péri ? qu’ont-ils tué ? Peuvent-ils même faire périr ce qu’ils tuent? Non pas, Ecoute la promesse du Seigneur : « En vérité, je vous le déclare, pas un cheveu de votre tête ne périra 3 ». A quoi bon t’inquiéter des autres membres, quand un seul cheveu ne doit pas périr?

14. « Délivrez-moi de mes persécuteurs ». De qui pensez-vous qu’il veuille être délivré? Des hommes qui le persécutaient ? Sont-ce bien les hommes qui sont nos ennemis? Nous avons des ennemis invisibles qui nous persécutent bien autrement. L’homme nous poursuit pour tuer notre corps, l’autre ennemi pour enlever notre âme. Il a donc des instruments ; car il est dit qu’ « il exerce maintenant son pouvoir sur les enfants de rébellion 4 ». Au moyen de ses instruments, c’est-à-dire au moyen des hommes dont il se sert, il persécute le corps à l’extérieur, afin de ruiner l’âme à l’intérieur; car si l’âme demeure ferme quand le corps succombe, le piège est détruit et nous sommes délivrés. Nous avons donc d’autres ennemis; demandons à Dieu qu’il nous en délivre, de peur qu’ils ne nous séduisent, ou en nous accablant par les maux de cette vie, ou en nous corrompant par ses attraits. Quels sont ces ennemis? Voyons si quelque serviteur de Dieu, quelque soldat vaillant qui a lutté contre eux n’en a point parlé ouvertement. Ecoute ce mot de l’Apôtre: « Vous n’avez point à lutter contre le sang et la chair 5 ». N’allez donc point haïr les hommes, les regarder comme vos ennemis, et croire que leurs inimitiés pourront vous accabler : ces hommes que vous craignez ne sont que chair et que sang; « et nous n’avons pas à combattre

 

1. Ps. CXLI, 7. — 2. Matth. X, 28. — 3. Luc, XXI, 18. — 4. Ephés. II, 2. — 5. Id. VI, 12.

 

contre le sang et la chair», dit l’Apôtre, voulant nous montrer son mépris pour des hommes assujétis à la mort. Contre qui donc nous faut-il combattre? « Contre les princes, contre les puissances, contre ceux qui dirigent ce monde ténébreux 1 ». Tu es effrayé à ce mot, de «directeur du monde » ; car s’ils sont les princes de ce monde, iras-tu donc au-delà du monde pour en être délivré? iras-tu au-delà du monde pour échapper à leur puissance? Par ceux qui dirigent ce monde ténébreux, tu ne dois donc pas comprendre ceux qui dirigent le ciel et la terre, lesquels sont les ouvrages de Dieu. Mais si l’on appelle monde le ciel et la terre, les méchants s’appellent aussi le monde. Pourquoi le monde? parce qu’ils aiment le monde; et dès lors ils sont ténèbres parce qu’ils sont impies. Aussi, que dit saint Paul à plusieurs d’entre eux qui avaient embrassé la foi? « Vous étiez autrefois ténèbres, vous êtes maintenant lumière dans le Seigneur 2 ». Voyez donc par qui vous étiez gouvernés avant d’être lumière, et quand vous étiez ténèbres. Par qui sont dirigés les impies, sinon par le diable, comme les hommes de foi et de piété sont dirigés par Jésus-Christ? C’est donc au diable et à ses anges que saint Paul donne le nom de princes du monde, c’est-à-dire princes de ceux qui aiment le monde, princes des pécheurs, ou des ténèbres de cette vie ;tels sont les ennemis dont nous devons prier Dieu qu’il veuille bien nous délivrer.

15. Voyez aussi deux mondes, clairement précisés dans un endroit de l’Ecriture, dans l’Evangile; le monde que Dieu a fait, et le monde que dirige le diable, c’est-à-dire les amis du monde. Car Dieu qui a fait les hommes, ne les a point faits amis du monde. Aimer le monde est un péché, et Dieu n’a point fait le péché. Ecoutez donc ce double monde que je vous annonçais. « Il était dans ce monde », est-il dit. Mais de qui est-il dit qu’il était dans ce monde, sinon de Jésus-Christ qui est la sagesse de Dieu, et dont je vous ai dit tout à l’heure : « Elle atteint avec force d’une extrémité à l’autre, et dispose tout avec douceur 4? Elle atteint partout us à cause de sa pureté, et rien de souillé n’est en elle 5». Donc « il était dans le monde, et le monde a été fait par lui, et le monde ne l’a

 

1. Ephés. VI, 12. — 2. Id. V, 8. — 3. Jean, I, 10.— 4. Sag. VIII, 1.— 5. Id. VII, 24, 25.

 

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point connu ». Ce n’est donc point le monde fait par Jésus qui est régi par les princes et par les puissances des ténèbres 1; mais le monde qui n’a point connu Jésus-Christ, c’est-à-dire les amis du monde, les pécheurs, les injustes, les orgueilleux et les infidèles. Comment les pécheurs sont-ils le monde? Parce qu’ils aiment le monde, et qu’en l’aimant ils habitent le monde; comme on appelle maison et la bâtisse et ceux qui l’habitent. Dire d’une maison qu’elle est bonne, s’entend souvent de la bâtisse, comme une bonne maison s’entend aussi de ceux qui y demeurent. Mais on dit encore en deux manières : Gare à cette maison ! elle est mauvaise; tantôt c’est parce qu’elle menace ruine, et que tu pourrais y être écrasé; tantôt: Prends garde à cette maison, signifie: gare au lac des chasseurs, crains, ô pauvre, d’y être opprimé par le riche, ou victime de quelque fraude. Comme donc il y a maison et maison, de même il y a monde et monde. Mais pourquoi les justes, qui sont aussi dans le monde, ne sont-ils point appelés le monde? L’Apôtre l’a dit : « Etant dans la chair, nous ne combattons pas selon la chair 2; mais notre conversation est dans le ciel  3». Le juste habite dans la chair; mais son coeur est en Dieu. Lui-même est appelé monde, si c’est en vain qu’il entend : En haut les coeurs; mais s’il ne l’entend pas en vain, qu’il habite en haut. «Vous êtes morts », dit l’Apôtre, « et votre vie est cachée en Dieu avec le Christ 4 ». Mais ceux dont la vie est ici-bas, c’est-à-dire ceux dont les affections et les désirs se traînent sur la terre, rétrécis et embarrassés, sont justement appelés mondains. Car il est aussi naturel d’appeler monde ceux qui habitent le monde, que d’appeler maison ceux qui demeurent dans une maison. Il y a donc monde et monde; « le monde a été fait par lui, et le monde ne l’a point connu ». Voilà donc un monde fait par le Seigneur, et un monde qui n’a point connu le Seigneur. Chante l’édifice, aime l’architecte, et sans désirer d’habiter dans l’édifice, habite dans l’architecte lui-même.

16. « Délivrez-moi de ceux qui me poursuivent; car ils se sont fortifiés contre moi ». De qui cette parole: « Ils se sont fortifiés coutre moi ? » C’est la plainte du corps du Christ, la plainte de l’Eglise, la plainte des membres du Christ, qui s’écrient : Voilà que

 

1. Ephés. VI, 12.— 2. II Cor. X, 3.— 3. Philip. III, 20.— 4. Colos. III, 3.

 

s’accroît le nombre des pécheurs. « Or, à mesure que se multiplie l’iniquité, la charité se refroidit chez plusieurs 1. Délivrez-moi de ceux qui me persécutent, parce qu’ils se sont fortifiés contre moi ».

17. « Délivrez mon âme de son cachot, afin qu’elle confesse votre nom ». Nos devanciers ont entendu ce cachot de différentes manières, et peut-être est-ce bien ce cachot qui est désigné dans la « caverne » du titre. Voici en effet le titre du psaume : « Prière intelligente pour David lui-même, quand il était dans la caverne ».Cette caverne serait alors le cachot dont nous parlons. Voici deux points à expliquer; comprendre l’un, c’est aussi comprendre l’autre. Les mérites font le cachot; car une même demeure peut être une prison pour l’un, une habitation pour l’autre, Celui qui garde un captif, le gardât-il dans sa propre maison, et celui qui est gardé, voilà deux hommes qui sont dans la prison; mais dira-t-on du premier qu’il est en prison ? C’est une même demeure pour l’un et pour l’autre; mais la liberté en fait pour l’un une maison, la captivité une prison pour l’autre. Quelques-uns donc ont pensé que cette caverne, ce cachot c’est le monde, et que l’Eglise demande à Dieu d’être délivrée de cette prison, c’est-à-dire de ce monde qui est sous le soleil, où tout est vanité, Car il est dit : « Tout est vanité et présomption d’esprit dans toute entreprise et tout labeur de l’homme sous le soleil 2 ». Dieu donc nous promet que hors de ce monde nous serons dans je ne sais quel repos; et c’est peut-être ce qui nous fait dire à propos de cette terre : « Délivrez mon âme de sa prison ». Par la foi et par l’espérance, notre âme est en Jésus-Christ, comme nous l’avons dit tout à l’heure : « Votre vie us est cachée en Dieu avec le Christ 3». C’est notre corps qui est dans la prison, qui est dans le monde. Si le Prophète disait: Tirez mon corps de la prison, nous comprendrions que la prison c’est le monde. Et néanmoins, peut-être à cause de tout ce qui nous retient dans le monde, de ces convoitises terrestres contre lesquelles nous avons à lutter et à combattre; car « nous sentons dans nos membres une loi qui est contraire à la loi de l’esprit 4», avons-nous raison de dire: Délivrez mon âme de ce monde, c’est-à-dire des fatigues et des tribulations de cette vie.

 

1. Matth. XXIV, 12.— 2. Eccles. I,2, 3.— 3. Coloss. III, 3.— 4. Rom. VII, 23.

 

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Car ce n’est point cette chair que vous avez faite, niais bien la corruption de la chair, les peines et les tribulations qui sont une prison pour moi.

18. D’autres ont soutenu que cette prison, cette caverne , c’est notre corps, et que tel est le sens de «tirez mon âme de la prison ». Mais ce sens n’est point très-solide. Que voudrait dire, en effet: « Tirez mon âme de la prison », ou tirez mon âme de mon corps? Est-ce que les âmes des scélérats ne quittent point le corps pour aller dans des supplices plus cruels qu’ils n’en ont endurés sur la terre ? Quelle est donc l’importance de cette prière: « Délivrez mon âme de la prison », puisque tôt ou tard elle doit en sortir? Serait-ce un juste qui dirait : Que je meure maintenant; délivrez mon âme de cette prison du corps? Trop d’empressement serait un défaut de charité. Il doit sans doute en avoir le désir, il doit y aspirer et dire avec l’Apôtre : « J’ai un ardent désir d’être délivré des liens du corps, et d’être avec Jésus-Christ, ce qui est sans comparaison le meilleur 1 ». Mais où serait la charité? Aussi dit-il ensuite: « Mais demeurer dans la chair est pour moi une nécessité à cause de vous 2 ». Que le Seigneur dès lors nous délivre du corps quand il lui plaira. On pourrait appeler aussi notre corps une prison, non que Dieu ait fait cette prison, mais parce qu’il est un supplice et qu’il est mortel. Il faut, en effet, considérer dans notre corps, et l’oeuvre de Dieu et la peine du péché. Cette forme, ce port, cette démarche, la disposition des membres, l’action des sens, la vue, l’ouïe, l’odorat, le goût, le toucher, toute cette construction, cette admirable architecture ne peut être que l’oeuvre de Dieu qui a tout fait et dans le ciel et sur la terre, et ce qu’il y a de plus élevé comme ce qui est plus infime, et ce qui est visible comme ce qui est invisible. Où est donc le châtiment dans notre corps? C’est que la chair est corruptible, qu’elle est fragile, qu’elle est mortelle, qu’elle est dans l’indigence; il n’en sera plus ainsi au moment de la récompense. Nous aurons en effet notre corps, puisque c’est le corps qui ressuscitera. Qu’est-ce donc que nous n’aurons plus? La corruption ; puisque ce corps corruptible sera devenu incorruptible 3. Si donc la chair est une prison pour toi, ce n’est point le corps qui est cette prison, mais

 

1. Philipp. I, 23. — 2. Id. 24. — 3. I Cor. XV, 53.

 

la corruption du corps. Votre corps a été fait bon par Dieu qui est bon; mais, comme il est juge et juste, il l’a condamné à la corruption. Le corps est donc un bienfait, la corruption un châtiment. Alors « délivrez mon âme de sa prison » pourrait bien signifier: Tirez mon âme de la corruption. Ce sens n’est plus un blasphème, on le comprend.

19. Mais enfin, selon moi, « délivrez mon âme de sa prison » voudrait dire, délivrez-la de ce lieu étroit. Un homme qui a de la joie est au large même dans sa prison; un homme qui est triste est à l’étroit dans une vaste plaine. Donc il supplie Dieu de le délivrer de l’angoisse; bien qu’il soit en effet au large par l’espérance, le présent le tient néanmoins à l’étroit. Ecoute les angoisses de l’Apôtre: « Je n’ai point eu l’esprit en repos, parce que je n’ai point trouvé mon frère Tite 1». Ailleurs: « Qui est faible sans que je sois faible avec lui? qui est scandalisé sans que je brûle 2?» Etre faible, et brûler, n’est-ce donc pas être dans les peines, dans la prison ? Mais à ces peines la charité fait produire des couronnes. De là cette autre parole : « Il me reste à recevoir la couronne de justice que me rendra en ce jour le Seigneur qui est un juste juge 3». Tel est le sens de ces paroles:

« Tirez mon âme de son cachot, afin qu’elle confesse votre nom ». Une fois délivrée de la corruption, qu’aura-t-elle à confesser ? Il n’y a là aucun péché, mais des louanges ; or, la confession s’entend de deux manières: ou de l’aveu des péchés, ou des louanges de Dieu, Quant à la confession des péchés, chacun la connaît, elle est tellement connue du peuple, que si l’on vient, dans une lecture, à prononcer le nom de confession, qu’il soit pris dans le sens d’une confession des péchés, ou dans le sens d’une confession de louanges, chacun se frappe aussitôt la poitrine. On connaît donc la confession des péchés, voyons maintenant si l’on connaît la confession de louanges. Où le trouver ? On lit dans les saintes Ecritures : « Voici ce que vous direz dans votre confession: C’est que toutes les oeuvres du Seigneur sont parfaitement bonnes 4 ». C’est donc là une confession de louanges. Ailleurs le Seigneur s’écrie : « Je vous confesserai, ô mon Père, Seigneur du ciel et de la terre 5 ». Que confessait-il ? Ses péchés?

 

1. II Cor. II, 13. — 2. Id. XI, 29.— 3. II Tim. IV,8. — 4. Eccli., XXXIX, 20, 21. — 5. Matth. XI, 25.

 

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Non; la confession du Christ était donc une louange. Ecoute cette louange adressée à son Père : « C’est », dit-il, « parce que vous avez dérobé ces mystères aux sages et aux savants et que vous les avez révélés aux petits 1 ». Ainsi donc, mes frères, parce que nous habiterons dans la maison du Seigneur, après ces angoisses de la corruption, toute notre vie ne sera qu’une louange en l’honneur de Dieu. Plusieurs fois déjà nous l’avons dit : quand il n’y aura plus de nécessité, tout ce qui tient à la nécessité cessera aussi. Là nous n’aurons plus rien à faire, je ne dirai pas ni le jour, ni la nuit, puisqu’il n’y aura pas de nuit, mais un jour et un jour unique, nous n’aurons d’autre tâche que de louer Dieu que nous aimons; car alors nous le verrons. Maintenant nous le désirons, nous le, bénissons sans le voir; quel amour, quels chants d’allégresse quand nous le verrons ! Ce sera la louange continuelle d’un amour sans fin.

 

1. Matth. XI, 25.

 

Ainsi vivrons-nous alors; « délivrez donc notre âme de ce cachot, afin qu’elle confesse votre saint nom » . « Bienheureux ceux qui habitent dans votre maison, ils vous béniront de siècle en siècle 1 ». La prison nous retient maintenant, parce que « la chair qui se corrompt appesantit l’âme 2 ». Ce n’est point la chair qui appesantit l’âme, car nous aurons alors une chair; mais « la chair qui se corrompt». Notre prison n’est donc point notre corps, mais la corruption. «Délivrez mon âme de son cachot, afin qu’elle confesse votre nom, ô mon Dieu ». Ce qui va suivre maintenant est dit au nom de Jésus-Christ, notre chef, et cette parole est semblable à celle qui terminait hier. Voici cette parole d’hier, s’il vous en souvient: « Je suis seul jusqu’à ce que j’aie passé  3». Quelle est la dernière ici ? « Les justes m’attendent jusqu’à ce que vous m’ayez donné ma récompense ».

 

1. Ps. LXXXIII, 5. — 2. Sag. IX, 15. — 3. Ps. CXL; 10.

DISCOURS SUR LE PSAUME CXLII.
SERMON AU PEUPLE.
LA PASSION DE JÉSUS-CHRIST DANS L’ÉGLISE.
 

David est ici la figure du Christ, et Absalon, la figure de Judas. Le Christ est né de la sainte Vierge ou de cette cité de Dieu que lui-même a fondée : de là cette femme vêtue du soleil, foulant aux pieds la lune ou la mortalité. C’est le Christ qui souffre en nous qui sommes ses membres, lui qui est un avec son Père, et un avec nous, qui l’avons revêtu. Judas, fils de l’Epoux, persécutait donc l’Epoux, ce qui existe encore aujourd’hui ; de là ces plaintes du Christ contre ses ennemis intérieurs. Souvenez-vous de moi dans votre justice, et non dans celle qui me viendrait de la toi, mais dans celle de la foi ; et n’entrez pas en jugement avec votre serviteur, qui se défie de ses oeuvres, puisque devant vous nul fils d’Adam n’est juste. Quiconque vous sert est votre ami, et vos amis, comprenant qu’ils avaient besoin de miséricorde, disaient tomme nous : « Remettez-nous nos dettes ». L’ennemi nous persécute, en nous détournant du ciel, en nous jetant dans les ténèbres, comme ceux qui sont justement condamnés à mourir ; mais comme le Christ n’avait rien en lui de répréhensible, il se plaint ici comme au jardin des Oliviers. Le Prophète médite les oeuvres de Dieu, afin d’en admirer plus parfaitement l’ouvrier, de qui nous vient tout bien qui est en nous ; car de nous-mêmes nous n’avons que la malice, et c’est Dieu qui opère en nous le vouloir et le faire. En voyant que tout bien me vient de Dieu, j’ai tendu mes mains vers vous ; car mon Orne a soif de vous, hâtez-vous de me donner le bonheur, car mon esprit s’est affaissé en moi. Ne détournez pas de moi votre face, comme vous l’avez fait quand l’étais orgueilleux, autrement je tomberais dans ces ténèbres où l’on n’a plus que le mépris. Je veux espérer en vous par la patience, vous chercher par de bonnes oeuvres et dans le secret. C’est dans les ténèbres que le pécheur cherche un refuge, l’homme contrit cherche en Dieu un refuge contre les princes du monde, qni entreraient en nous comme en Judas, recevant indignement le morceau de pain. Apprenez-moi à faire votre volonté, parce que vous êtes mon Dieu, mon héritage; c’est à vous de nous prescrire ce que nous devons faire, c’est vous qui nous sauverez à cause de votre saint nom.

 

1. Je dirai ce que Dieu voudra bien m’inspirer, sur le psaume que l’on vient de chanter. Hier notre psaume était court, et le temps nous permettait de parler longuement sur quelques versets; aujourd’hui que le psaume est plus long, nous ne pouvons  nous arrêter (210) aussi longtemps à chaque parole, de peur que Dieu ne nous permette point de l’achever.

2. Voici le titre du psaume. « Pour David, quand son fils le poursuivait 1 ». Or, le livre des Rois nous apprend que cela s’est fait, qu’Absalon se déclara l’ennemi de son père 2, qu’il souleva contre lui non-seulement une guerre civile, mais une guerre domestique. Quant à David, loin de succomber sous le poids de cette injustice, il s’humilia profondément, accepta ce châtiment de Dieu, supporta ce remède amer, sans rendre injustice pour injustice, mais avec un coeur toujours prêt à suivre Ja volonté de Dieu. Ce David fut donc louable. Mais il nous faut reconnaître un autre David, qui eut vraiment la main puissante, comme l’exprime ce mot David, et qui est Notre-Seigneur Jésus-Christ. Ces faits anciens étaient des figures de l’avenir; et je ne veux point m’arrêter à vous expliquer ce que vous avez entendu sauvent, et fort bien retenu. Cherchons donc dans ce psaume notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ, qui s’annonce lui-même dans cette prophétie, et nous prêche dans les faits passés ce qui doit arriver de nos jours. Car c’est lui-même qui s’annonçait par les Prophètes, puisqu’il est le Verbe de Dieu, et que les Prophètes ne parlaient que pleins de ce Verbe divin. Ils étaient donc pleins du Christ pour annoncer le Christ; ils marchaient devant leur prince qui devait venir après eux et n’abandonnaient pas ceux qui le précédaient. Reconnaissons donc comment le Christ était poursuivi par son fils; car il avait des fils, dont il est dit: « Les fils de l’Epoux ne jeûnent point tandis que l’Epoux est avec eux; mais quand l’Epoux leur sera enlevé, ils jeûneront 3». Donc les fils de l’Epoux sont les Apôtres, et parmi eux Judas le persécuteur, qui fut un démon. C’est donc sa passion que le Christ va nous annoncer dans ce psaume. Ecoutons.

3. J’appelle aussi votre attention sur ce point, mes frères, non pour vous apprendre ce que vous ignorez, mais pour vous rappeler ce que vous savez déjà, c’est que notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ est la tête de son corps c’est que l’unique médiateur de Dieu et des hommes, c’est Jésus-Christ homme 4, né de h Vierge, comme dans une solitude, ainsi qm

 

1. Ps. CXLII, 1.— 2. II Rois, XV, 14 et seq. — 3. Matth. IX, 15 — 4. I Tim. II, 5.

 

nous l’apprenons de l’Apocalypse. Et par cette solitude, nous devons entendre, je crois, que seul il est né de la sorte. Cette femme a enfanté celui qui doit conduire les hommes avec une verge de fer 1 ; et cette femme est la cité de Dieu dont il est dit dans un psaume : « O cité de Dieu, on dit de vous des choses merveilleuses 2»; cette cité qui eut son commencement en Abel, comme la cité du mal en Caïn 3, l’antique cité de Dieu, toujours tourmentée sur la terre, espérant le ciel, et dont le nom est Jérusalem et Sion. C’est assurément d’un homme né en Sion, et fondateur de Sion, qu’un psaume nous a dit: « Un homme dira: Sion est ma mère ». Quel est cet homme? « Un homme qui a été fait en elle, et c’est le Très-haut qui l’a fondée 4». C’est donc en Sion qu’il a été fait homme, mais homme humble, et lui-même qui est le Très-Haut a fondé cette cité en laquelle il a été fait homme. C’est pourquoi celte femme était revêtue du soleil 5 , et du soleil de justice lui-même, que les impies ne connaissent point, eux qui diront au dernier jour: « Nous avons donc erré hors de la voie de la vérité, et la lumière de la justice n’a pas lui à nos yeux, le soleil ne s’est point levé pour nous 6 ». Il est donc un soleil de justice qui ne se lève point pour les impies. Du reste, il fait lever ce soleil sur les bons et sur les méchants 7 . Cette femme était donc revêtue du soleil, et portait dans ses entrailles un fou qu’elle devait enfanter. Le même était donc fondateur en Sion, et naissait en Sion; et cette femme, cité de Dieu, était protégée par la lumière de celui qu’elle portait dans ses entrailles. C’est avec raison dès lors quels lune était sous ses pieds, parce que dansa force elle foulait aux pieds la mortalité de cette chair qui croît et décroît. Donc notre Seigneur Jésus-Christ est tout à la fois la tête et le corps. Lui qui a voulu mourir pour nous a daigné parler en notre nom et faire du nous ses membres. Aussi parla-t-il quelque. fois au nom de ses membres, et quelquefois en son propre nom, comme chef. Il peut parler en dehors de nous, et nous jamais sans lui. L’Apôtre a dit : « Afin de suppléer en sa chair aux douleurs du Christ 8 » . Ce qui manque, non pas à mes douleurs, mais aux douleurs du Christ, non plus en la chair du

 

1. Apoc. XII, 5, 6. — 2. Ps. LXXXVI, 3. — 3. Gen. IV, 8, 17. — 4. Ps. LXXXVI, 5 —  5. Apoc. XII, I. — 6. Sag. V, 6. — 7. Matth. V, 45 — 8. Coloss. I, 21.

 

211

 

Christ, mais en la mienne. Le Christ, en effet, souffre non pas en sa chair, puisque c’est en elle qu’il est monté au ciel, mais en ma chair qui souffre encore sur la terre. C’est en ma chair que Jésus-Christ souffre : « Je vis, non pas moi, mais c’est le Christ qui vit en moi 1». Et si le Christ ne souffrait point dans ses membres, c’est-à-dire dans les fidèles, Saul ne persécuterait point sur la terre le Christ qui est assis dans les cieux. Enfin, dans un endroit de ses Epîtres il nous dit clairement : « Et comme notre corps, qui est un, est néanmoins composé de plusieurs membres, et que tous ces membres, quoique nombreux, ne sont néanmoins qu’un seul corps; ainsi en est-il du Christ 2 ». Il ne dit point: Ainsi en est-il du Christ et de son corps ; mais bien:

« Le corps est un avec plusieurs membres; de même en est-il du Christ ».Tout donc n’est qu’un seul Christ. Et comme tout ne forme qu’un seul Christ , la tête s’écriait du haut du ciel: « Saul, Saul, pourquoi me persécuter 3? » Retenez bien cela, mes frères, et qu’il demeure dans votre mémoire, puisque vous êtes les enfants instruits de la doctrine et de la foi catholique. Reconnaissez dans Jésus-Christ ta tête et le corps, et dans ce même Christ le Verbe de Dieu, unique et égal au Père. Voyez de là par quelle admirable grâce vous touchez à Dieu, au point qu’il a voulu être un avec nous, lui qui est un avec son Père. Comment un avec son Père? « Mon Père et moi sommes un 4 ». Comment un avec nous? « L’Ecriture ne dit point: Et ceux qui naîtront », comme pour en marquer plusieurs; mais elle dit, comme parlant d’un seul: « Celui qui naîtra de vous et qui est le Christ ». Mais, dira-t-on, si le Christ est de la race d’Abraham, en sommes-nous? Souvenez-vous que le Christ est la race d’Abraham, et que dès lors si nous sommes la race d’Abraham, nous sommes aussi le Christ. Or, « le corps dans son unité a néanmoins plusieurs membres, il en est de même du Christ. Et vous tous qui êtes baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ». Toutefois le Christ est la race d’Abraham, et l’on ne saurait contredire les paroles si claires de l’Apôtre: « Et dans ta race, qui est le Christ ». Voyez encore ce qu’il nous dit: « Si donc vous êtes au Christ, vous êtes de la race

 

1. Gal, II, 20. — 2. I Cor. XII, 12. — 3. Act. IX, 4.— 4. Jean, X, 30. — 5. Gal. III, 16.

 

d’Abraham 1». De là ce grand sacrement « Ils seront deux dans une même chair ». L’Apôtre l’a dit: « Ce sacrement est grand, je l’entends de Jésus-Christ et de l’Eglise 3». Le Christ et l’Eglise sont deux dans une seule chair. Deux à cause de la distance qui nous sépare de la majesté divine, deux certainement; car nous ne sommes point le Verbe, puisque nous n’étions au commencement ni Dieu, ni en Dieu; nous ne sommes point celui par qui tout a été fait 4. Mais au point de vue de la chair, on trouve le Christ, et l’on nous trouve avec lui. Ne nous étonnons donc plus du langage des psaumes; le Prophète parle souvent au nom du chef, et souvent au nom des membres, et il en parle comme s’ils n’étaient qu’une même personne; et il n’est pas étonnant que deux dans une même chair n’aient qu’une même voix.

4. Judas, fils de l’Époux, persécutait donc l’Époux. C’est ce q ni est arrivé; mais n’y avait-il point là une figure de l’avenir? L’Église, en effet, devait avoir bien des faux frères,et maintenant encore le fils de l’Epoux persécute l’Epoux, et le persécutera jusqu’à la fin. «Qu’un ennemi m’ait outragé, je l’aurais supporté », dit-il ailleurs, « et si celui qui me hait s’élevait contre moi, je me déroberais à ses poursuites 5 ». Quel est l’ennemi? Quel est celui qui me hait? Celui-là même qui dit : Qui est le Christ? Le Christ est un homme qui n’a pu vivre quand il voulait vivre: il est mort malgré lui, disent-ils, mort convaincu, mort sur une croix, mort d’après une sentence. Voilà ce que disent les ennemis. Celui-là, dit le Christ, est un ennemi déclaré, il me hait, il me fait ouvertement la guerre: on peut facilement le, supporter ou l’éviter. Mais que faire avec Absalon? Que faire avec Judas?que faire avec de faux frères? que faire avec de mauvais fils, mais fils néanmoins, qui ne se soulèvent point contre nous pour blasphémer le Christ, mais qui adorent le Christ avec nous, et qui persécutent le Christ en nous? C’est d’eux que le même psaume nous dit ensuite qu’il eût été facile de tolérer un ennemi déclaré, ou de se dérober à ses embûches. C’est, en effet, se dérober au païen que d’entrer dans l’Eglise. Mais quand c’est dans l’Eglise que l’on trouve ce que l’on redoutait ailleurs, où chercher un refuge? Aussi le même Apôtre, qui gémit des

 

1. Gal. III, 16, 27,29. — 2. Gen. II, 24. — 3. Ephés. V, 32. — 4. Jean, I, 1, 3.— 5. Ps. LIV, 13.

 

 

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périls qu’il trouve chez les faux frères, nous dit-il que ce sont « des combats au dehors, et des craintes à l’intérieur 1. Si l’homme qui « me haïssait se fût élevé contre moi, je me serais dérobé à ses poursuites; mais toi qui n’avais avec moi qu’une même âme». Il y a ici unité d’âme, comme unité dans le Christ. L’Eglise a donc à souffrir au dehors et à gémir

à l’intérieur; et toutefois, qu’elle croie à des ennemis au dehors et au dedans; ceux du

dehors plus faciles à éviter, ceux de l’intérieur plus difficiles à tolérer.

5. Que notre Sauveur donc, que le Christ avec nous, le Christ tout entier s’écrie : « Seigneur, exaucez ma prière, prêtez l’oreille à mes supplications 2 ». « Exaucez » a le même sens que « prêtez l’oreille ». C’est une répétition qui a pour but de corroborer. « Exaucez-moi dans votre vérité, dans votre justice ». Ne passons pas légèrement sur cette expression : « dans votre justice ». Elle nous prêche la grâce de Dieu, afin que nul d’entre nous ne s’imagine que sa justice vient de lui-même. Car cette justice vient bien de Dieu, et si tu l’as, c’est qu’il te l’a donnée. Que dit, en effet, l’Apôtre de ceux qui ont voulu se glorifier de leur propre justice? « Je leur rendrai», dit-il, « ce témoignage qu’ils ont le zèle de Dieu ». Il parlait alors des Juifs. « Ils ont à la vérité le zèle de Dieu», nous dit-il; « mais non selon la science 3». Qu’est-ce à dire: « non point selon la science? »Quelle science, ô saint Apôtre, nous donnez-vous comme utile? Est-ce la science qui enfle dès qu’elle est seule, qui n’édifie que quand elle est unie à la charité 4? Ce n’est point cette science, assurément, mais la science qui est la compagne de la charité, la maîtresse de l’humilité,Vois si telle est la science dont il est dit: «Ils ont à la vérité le zèle de Dieu,mais non selon la science » .Qu’il nous dise lui-même de quelle science il parle : «Ignorant la justice qui vient de Dieu», nous dit-il, « et voulant établir leur propre justice, ils n’ont pas été soumis à la justice de Dieu 5 ». Quels sont donc les hommes qui veulent établir leur propre justice? Ceux qui s’attribuent à eux-mêmes le bien, et à Dieu le mal qu’ils font. C’est le comble de la perversité: ils ne seront droits qu’à la condition de se corriger. Il y a donc perversité à rejeter sur Dieu le mal que l’on

 

1. II Cor. VII, 5; Ps. LIV, 13, 14. — 2. Ps. CXLII, 1. — 3. Rom. X, 2. — 4. I Cor, VIII, 1. — 5. Rom. X, 3.

 

commet, à s’arroger le bien : il n’y a de droiture qu’à s’attribuer le mal, et à Dieu le bien que l’on fait. Car tu ne passerais pas d’une vie impie à la vie des justes, si tu n’étais devenu juste par celui qui justifie l’impie 1. Donc, dit le Prophète : « Exaucez-moi dans votre justice », et non dans la mienne: afin que «je sois trouvé en Dieu, non point avec ma propre justice qui vient de la loi, mais avec celle qui vient de la foi 2 ». Voilà ce que signifie: « Exaucez-moi dans votre justice». Quand en effet je me considère, je ne trouve de nioi que le péché.

6. « Et n’entrez point en jugement avec votre serviteur 3». Quels hommes veulent entrer en jugement avec Dieu, sinon ceux qui ignorent sa justice, et veulent établir celle qui leur est propre? Que signifie : « Nous avons jeûné et vous ne l’avez point vu; nous nous sommes humiliés, et vous ne l’avez point su ?» C’est comme si ces interlocuteurs disaient : Nous avons accompli vos préceptes, pourquoi ne pas accomplir vos promesses envers nous? Et Dieu te répondra : Recevoir ce que j’ai promis, c’est un don de ma grâce, et faire ce qui mérite cette récompense est encore un don de cette même grâce. Enfin, voici ce que dit le Prophète à ces superbes : « Pourquoi vouloir entrer en jugement avec moi? Vous m’avez tous abandonné, dit le Seigneur 5». Pourquoi vouloir entrer en jugement avec moi et faire mention de vos actes de justice ? Comment approuver la justice dans un coeur où je condamne l’orgueil? C’est donc avec raison qus notre interlocuteur, qui est humble dans le corps du Christ, apprenant de ce chef auguste à être doux et humble de coeur 6’, s’écrie ici: « N’entrez point en jugement avec votre serviteur ». Ne disputons point, je ne veux aucun différend avec vous, ô mon Dieu, ni faire valoir ma justice, pour être, par vous, convaincu d’humilité. « N’entrez point eu jugement avec votre serviteur ». Pourquoi? Que craint-il? « C’est que nul homme vivant ne sera trouvé juste devant vous ». Nul homme vivant,est-il dit, nul homme vivant ici-bas, vivant dans la chair, vivant pour mourir, nul homme né des hommes, vivant pour les hommes, né d’Adam, ou plutôt Adam vivant; tout homme vivant de la sorte pourra sans doute paraître juste à ses propres yeux, mais

 

1. Rom. IV, 5. — 2. Philipp. III, 9. — 3. Ps. CXLII, 2. — 4. Isa. LVIII, 3. — 5. Jérém. II, 29. —  6. Matth. XI, 29.

 

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non à vos yeux. Comment à ses propres yeux? Ayant pour lui-même des complaisances, et dès lors il vous déplaira : « Car devant vous nul homme vivant ne paraîtra juste ». N’entrez donc point en jugement avec moi, je vous en supplie, ô mon Dieu. Quelle que soit ma justice à mes propres yeux, vous tirez de vos trésors la règle infaillible, vous l’appliquez surmoi, et vous nue trouvez tortueux. «N’entrez point en jugement avec votre serviteur». Oui, « avec votre serviteur». Il est indigne de vous, ô Dieu, d’entrer en jugement avec celui qui vous sert, non plus qu’avec votre ami. Autrement vous ne diriez point: « Je vous le déclare, à vous qui êtes mes amis 1», si de vos serviteurs vous ne les aviez faits vos amis. Bien que vous me donniez le nom d’ami, je confesse que je ne suis qu’un serviteur. J’ai besoin de miséricorde, je reviens de mes égarements, implorant mon pardon, et indigne d’être appelé votre fils 2. « N’entrez donc pas en jugement avec votre serviteur ; car nul homme vivant ne sera juste à vos yeux. Ne louez personne avant sa mort 3 ». Nul homme donc absolument. Que dirons-nous de ces chefs du troupeau, de ces apôtres dont il est dit : « Offrez au Seigneur les fils des béliers 4». L’un d’eux, saint Paul, sait bien, nous dit-il, qu’il n’est point parfait : «Non pas que j’aie déjà reçu, ou que je sois parfait 5 ». En un mot, mes frères, ils ont appris à faire la même prière que nous, le divin Jurisconsulte leur a prescrit la même règle de supplications. « C’est ainsi que vous prierez 6 », leur dit-il, et après quelques articles qui précèdent il prescrivit ce que devaient dire ces béliers, ces chefs du troupeau, c’es principaux membres du Pasteur suprême, de celui qui rassemble toutes les brebis en un seul troupeau; ils apprirent à dire ; « Remettez-nous nos dettes, comme nous remettons à ceux qui nous doivent 7 ».  Ils ne dirent point: Nous vous rendons grâces parce que vous nous avez remis nos dettes, comme nous remettons, nous aussi, à ceux qui nous doivent; mais bien : remettez-nous comme nous remettons. Déjà, sans doute, les Apôtres priaient, les fidèles priaient; car cette prière est enseignée par le Sauveur principalement à ceux qui lui sont fidèles; si l’on entendait par ces dettes celles qui sont remises

 

1. Luc, XII, 4. — 2. Id. XV, 21.— 3. Eccli. XI, 30.— 4. Ps. XXVIII, 1. — 5. Philipp. III, 12. — 6. Matth. VI, 9. — 7. Id. 12.

 

au baptême, les catéchumènes principalement devraient dire: « Remettez-nous nos dettes». Que les Apôtres donc disent eux-mêmes : «Remettez-nous nos dettes, comme nous remettons à ceux qui nous doivent ». Et quand on leur dira: Pourquoi ce langage? quelles sont vos dettes? qu’ils répondent: « Nul homme vivant ne sera justifié en votre présence ».

7. « Car l’ennemi a persécuté mon âme, il a humilié ma vie sur la terre 1 ». Voyez-nous, Seigneur, voyez notre chef pour nous: « C’est que l’ennemi a persécuté mon âme». Le diable, en effet, a persécuté l’âme du Christ, Judas l’âme de son maître; et maintenant encore le même diable continue à persécuter le corps du Christ ; à Judas succède un autre Judas. Le corps du Christ ne manque pas d’ennemi, et dès lors il peut dire : « Voilà que l’ennemi a persécuté mon âme, il a humilié ma vie sur la terre ». Au lieu de cette parole : « Il a humilié ma vie sur la terre », nous lisons ailleurs : « Ils ont courbé mon âme 2 ». Quel est en effet le but que se propose à notre égard son persécuteur, sinon de nous détourner de toute espérance du ciel, et de nous inspirer le goût de la terre? C’est là ce qu’ils font eux-mêmes autant qu’il est en eux; mais Dieu nous préserve d’un tel malheur, nous à qui il est dit : « Si vous êtes ressuscités avec le Christ, ayez du goût pour les choses du ciel où le Christ est assis à la droite de Dieu; cherchez ce qui est du ciel, et non ce qui tient à la terre; car vous êtes morts 3». Nul homme vivant, en effet, ne sera justifié devant Dieu. Ces persécuteurs donc, soit à force ouverte, soit par de secrètes embûches, s’efforcent de nous amener à la vie terrestre. Soyons en garde contre eux, afin de pouvoir dire : « Toute notre conversation est dans le ciel 4. L’ennemi», dit le Prophète, «a humilié ma vie sur la terre ».

8. « Ils m’ont placé dans les ténèbres, comme les morts du siècle ». Ces paroles conviennent mieux à notre chef, et se comprennent mieux en lui. Il est mort en effet pour nous, mais il n’est pas un mort du siècle. Quels sont, en effet, les morts du siècle? et comment notre chef n’est•il pas un mort du siècle? Ceux-là sont les morts du siècle, qui sont morts justement, qui ont reçu le châtiment

 

1. Ps. CXLII, 7. — 2. Id. LVI, 7.— 3. Coloss. III, 1-3. — 4. Philipp. III, 20.

 

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de l’iniquité, qui ont dû mourir à cause de la transmission du péché, selon cette parole « Voilà que je suis conçu dans l’iniquité, et ma mère m’a nourri avec le péché dans ses entrailles 1» ; tandis que le Christ est venu au sein d’une Vierge prendre une chair, mais non l’iniquité de la chair, prendre une chair pure et purifiante. Or, ceux qui le croyaient pécheur, le regardaient comme un mort du siècle. Mais celui qui a dit dans un autre psaume : « Je payais ce que je n’avais point ravi 2 » qui a dit encore dans l’Evangile : « Voici le Prince du monde », le préposé de la mort, l’instigateur de toute oeuvre mauvaise, qui en exige le châtiment ; « le voici, mais il ne trouvera rien en moi 3 ». Qu’est-ce à dire, qu’ « il ne trouvera rien en moi? » Aucune faute, rien qui mérite la mort. « Mais afin », dit-il, « que tous connaissent que je fais la volonté de mon Père,  levez-vous, sortons d’ici 4 ». Mourir, nous dit-il , c’est accomplir la volonté de mon Père; mais je n’ai rien fait qui soit digne de mort. Je n’ai rien fait qui mérite la mort, seulement je veux mourir, afin de délivrer, par la mort d’un innocent, tous ceux qui ont mérité de mourir. « Ils m’ont placé dans les ténèbres », comme dans les enfers, comme dans le sépulcre , comme dans la passion même; ils ont traité comme les morts du siècle celui qui a dit : « Je suis devenu comme un homme sans secours, libre entre les morts  5». Qu’est-ce à dire libre? Pourquoi libre ? Parce que tout homme qui commet le péché est esclave du péché 6. Ensuite ii ne nous délivrerait point de nos chaînes, s’il n’était lui-même libre de toute entrave. Celui-là donc qui était libre a tué la mort, enchaîné les chaînes, captivé la captivité, et ils l’ont placé dans les ténèbres comme un mort du siècle.

9. « Et voilà qu’en moi l’esprit a été accablé d’ennui 7 ». Reportez-vous à cette autre parole: « Mon âme est triste jusqu’à la mort 8». Voyez que c’est bien la même plainte. Le passage du chef aux membres et des membres au chef n’est-il pas visible? « En moi l’esprit a été accablé d’ennui »; parole qui nous m’appelle : « Mon âme est triste jusqu’à la mort ». Mais nous étions là nous-mêmes.

 

1. Ps. L, 7. — 2. Id. LXVIII, 5. — 3. Jean, XIV, 30. — 4. Id. 31. — 5. Ps. LXXXVII, 5, 6. — 6. Jean, VIII, 34. — 7. Ps. CXLII, 4. — 8. Matth. XXVI, 38.

 

 « Car il a transfiguré en lui notre corps misérable, en le rendant conforme à son corps glorieux 1» ; et notre vieil homme a été attaché avec lui à la croix 2. s Mon coeur s’est troublé  au dedans de moi». «Au dedans de moi», dit le Prophète, et non dans les autres. Les autres, en effet, m’ont abandonné, et ceux qui s’étaient attachés à moi se sont retirés; en me voyant  mourir, ils m’ont cru tout autre, cédant ainsi le pas à un voleur qui croyait en moi 3, quand eux-mêmes s’esquivaient.

10. Le Prophète passe ensuite aux membres: « Je me suis souvenu des jours d’autrefois ». A-t-il pu se souvenir des jours anciens, Celui pour qui tout jour a été fait? Mais c’est le corps qui parle ici, l’interlocuteur est tout homme justifié par la grâce et attaché au chef par les liens de la charité et d’une humble piété; c’est lui qui dit : «Je me suis souvenu des jours anciens, j’ai médité sur toutes vos oeuvres 4». Car toutes vos oeuvres sont parfaites, et rien n’eût été affermi, si vous ne l’eussiez affermi vous-même. Toutes vos créatures sont pour moi un grand spectacle : je cherche l’ouvrier dans son ouvrage, et le créateur dans la créature. Pourquoi cela? pourquoi cette recherche, sinon afin de comprendre que tout ce qu’il y a de bon en lui vient de Dieu, de peur que dans son ignorance de la justice de Dieu il ne pré. tendît établir la sienne, et ne fût plus dès lors soumis à la justice de Dieu 5? Dès lors cette parole du commencement lui est applicable : « Dans votre vérité et dans votre justice ». Ainsi donc, dès qu’il médite les oeuvres de Dieu, qu’il s’applique à les considérer, l’interlocuteur nous insinue la grâce de Dieu, nous en établit l’importance, et s’applaudit d’avoir trouvé cette grâce qui nous sauve gratuitement. Pourquoi te glorifier dans ta justice? Pourquoi t’élever, ô toi qui ignores la justice de Dieu? Il t’en a coûté, diras-tu, pour être sauvé; mais qu’as-tu donné pour être homme? Considère dès lors l’auteur de ta vie, de ta substance, de ta justice, l’auteur de ton salut. « Médite les oeuvres de ses mains », et tu comprendras que la justice qui est en toi est une oeuvre de la main de Dieu. Ecoute une leçon de l’Apôtre : « Cela ne vient point des oeuvres, de peur qu’on ne vienne à s’enorgueillir 6 ». Sommes-nous donc sans bonnes

 

1. Philipp. III, 21. — 2. Rom. VI, 6.— 3. Luc, XXIII, 40-42.— 4. Ps. CXLII, 5. — 5. Rom. X, 3. — 6. Ephés. II, 9.

 

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oeuvres? Nous en avons assurément; mais vois ce qui suit : « Nous sommes l’ouvrage de Dieu », nous dit le même Apôtre. Or, en disant que nous sommes l’ouvrage de Dieu, l’Apôtre a-t-il voulu, par ce mot d’ouvrage, désigner cette nature qui fait de nous des hommes? Nullement; il est question de nos oeuvres. « Cela ne vient pas de nos oeuvres», dit-il, « afin que nul ne s’élève». Mais, sans nous en tenir à des conjectures, écoutons-le : « Nous sommes son ouvrage, créés en Jésus-Christ par les bonnes oeuvres ». Ne t’imagine pas faire quelque chose, si ce n’est dans ta malice. Laisse ton oeuvre pour n’envisager que l’oeuvre de ton créateur : c’est lui qui t’a formé d’abord, qu’il te u’établisse dans ce qu’il t’avait fait, et que lu as détruit. Il a fait que tu sois; et si tu es bon, c’est lui qui te fait bon. « Opérez votre salut », nous dit-il, « avec crainte et tremblement  2». Mais si notre salut est une oeuvre qui nous soit propre, pourquoi le faire avec crainte et tremblement, puisque notre oeuvre dépend de nous? Ecoute bien cette crainte et ce tremblement. « C’est Dieu qui, dans sa bonté, opère en nous le vouloir et le faire 3 ». Donc avec crainte et tremblement, afin que ce divin ouvrier se plaise à opérer dans les vallées; car celui qui juge les nations, qui les couvre de ruines, agit en nous comme en s’abaissant. « J’ai médité sur l’oeuvre de vos mains». J’ai donc vu, « j’ai considéré vos ouvrages » ; car il n’est en nous rien de bon qui ne vienne de tous qui nous avez faits.

11. Qu’ai-je fait après avoir vu que toute grâce excellente vient de vous, que tout don partait noué vient d’en haut, descend du Père des lumières, en qui il n’y a ni changement, ni ombre de vicissitude 4? A cette vue je me suis détourné du mal que j’avais fait en moi: «Et j’ai tendu mes mains vers vous » . « J’ai étendu», dit le Prophète, « mes mains vers vous, et mon âme, devant vous, est une terre sans eau 5 ». Répandez sur moi votre rosée, afin que je porte de bons fruits. « Car c’est le Seigneur qui répandra la douceur afin que la terre porte son fruit 6 » . « J’ai étendu mes mains vers vous, mon âme est une terre sans eau devant vous », et non devant moi. Je puis en effet vous témoigner ma

 

1. Ephés. II, 10. — 2. Philipp. II, 12. — 3. Id. 13. — 4. Jacques, I, 17. — 5. Ps. CXLII, 6. — 6. Id. LXXXIV, 13.

 

soif, mais non m’abreuver moi-même. « Mon âme est devant vous comme une terre sans eau »; car mon âme a soif du bien vivant 1. Quand viendrai-je,sinon quand Dieu lui-même viendra? Mon âme a soif du Dieu vivant, parce que « mon âme est devant vous comme une terre sans eau ». Je vois la mer qui regorge, elle a de grandes eaux qui s’élèvent avec fracas, mais des eaux amères. Voilà que l’eau est séparée, et l’aride paraît  2; c’est mon âme, arrosez-la, « car elle est devant vous comme une terre sans eau ».

11. « Hâtez-vous, Seigneur, de m’exaucer 3». Pourquoi différer quand je suis altéré, et attiser ainsi ma soif? Mais si vous retenez vos eaux sacrées, c’est afin que j’y puise plus avidement, que je ne les dédaigne point quand vous les répandez. Si vous ne les retenez que dans ce dessein, donnez-les-moi maintenant; car « mon âme est devant vous comme une terre sans eau ; hâtez-vous, Seigneur, de m’exaucer, mon esprit est en défaillance ». Puisque mon esprit tombe en défaillance, comblez-moi de votre esprit. Cette défaillance de mon esprit est un motif de m’exaucer plus promptement. Me voilà pauvre d’esprit, donnez-moi le bonheur du ciel 4. Que l’esprit vive dans l’homme, il y a orgueil, c’est par l’esprit qu’il s’élève contre Dieu. Puisse-t-il être assez heureux pour que cette parole s’accomplisse en lui : « Vous leur ôterez leur esprit, et ils tomberont, et ils rentreront dans leur poussière 5 », afin qu’un humble aveu leur fasse dire : « Souvenez-vous que nous sommes poussière 6 ». Mais après avoir dit . « Souvenez-vous que nous sommes poussière »; qu’ils disent encore : « Mon âme est devant vous comme une terre sans eau». Quelle terre est sans eau plus que la poussière ? Mais « hâlez-vous de m’exaucer, ô mon Dieu o, répandez sur moi votre rosée et votre force, afin que je ne sois plus comme une poussière que le vent soulève de la surface de la terre 7. « Hâtez-vous de me secourir, ô mon Dieu, mon esprit a défailli ». Ne mettez aucun retard à secourir mon indigence. Vous m’avez ôté mon esprit, afin que dans ma défaillance et en restant dans ma poussière, je puisse dire: « Mon âme est devant vous comme une terre sans eau » : accomplissez en moi cette autre parole du psaume : « Vous enverrez votre

 

1. Ps. XLI, 3.—  2. Gen. I, 9— 3. Id. CXLII, 7.— 4. Matth. V, 3.— 5. Ps. CIII, 29. — 6. Id. CII, 14. — 7. Id. 1, 4.

 

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esprit, et ils seront créés; vous renouvellerez la face de la terre 1 », Si donc quelqu’un est à Jésus-Christ, c’est une nouvelle créature : le passé n’est plus 2. C’est leur esprit vieilli qui n’est plus, et c’est votre esprit qui a tout renouvelé.

13. « Ne détournez point de moi votre face». Vous l’avez détournée de mon orgueil, car autrefois j’étais dans l’abondance et je m’élevais. « Pour moi », j’ai dit un jour, dans mon abondance: « Je ne serai jamais ébranlé ». Je disais donc : Jamais je ne serai ébranlé, j’ignorais votre justice , et j’établissais la mienne; mais « c’est votre bonté, Seigneur, qui m’a consolidé dans mon état florissant». J’ai dit, dans mon abondance : « Jamais je ne serai ébranlé » ; mais c’est de vous que me venait toute cette abondance, et pour me montrer qu’elle me venait de votre bonté, « vous avez détourné de moi votre face, et je suis tombé dans le trouble 3 ». Après ce trouble où je suis tombé quand vous avez détourné votre face, après cet ennui de l’esprit, ce trouble du coeur que j’ai ressenti parce que vous avez détourné de moi votre face, voilà que j’ai été devant vous comme une terre sans eau : « Ne détournez point de moi votre face ». Vous l’avez détournée de mon orgueil, daignez la rendre à mon humilité. « Ne détournez pas de moi votre face » , si vous la détournez « je serai semblable à ceux qui descendent dans l’abîme. Qu’est-ce à dire, ceux qui descendent dans l’abîme ? Quand l’impie est descendu dans les profondeurs du mal, il méprise 4. Ceux-là descendent dans l’abîme, qui perdent tout aveu ; c’est contre ce malheur que le Prophète dit au Seigneur : « Que le gouffre ne referme pas sa bouche sur moi 5 ». Telles sont les profondeurs que l’Ecriture appelle souvent l’abîme, et quand le pécheur y est tombé, il n’a plus que le mépris. Qu’est-ce à dire, le mépris? Il ne reconnaît plus aucune Providence, ou s’il en reconnaît une, il ne croit point en être l’objet. Sans espérance de pardon, il donne libre carrière à ses passions coupables et ne recule devant aucun péché. Il ne dit point : Je retournerai à Dieu, afin qu’il revienne à moi ; il ne comprend point cette parole : « Convertissez-vous à moi et je reviendrai à vous 6», parce que dans ces profondeurs il

 

1. Ps. CIII, 30. — 2. I Cor. V, 17. — 3. Ps. XXIX, 7, 8. — 4. Prov. XVIII, 3. — 5. Ps. LXVIII, 16. — 6. Malach. III, 7.

 

n’a plus que le dédain. « Car », dit le sage, « un mort ne confesse pas le Seigneur non plus que s’il n’était pas 1 ». Ne détournez donc point de moi votre face, autrement je serai semblable à ceux qui descendent dans l’abîme».

14. « Faites-moi entendre dès le matin votre miséricorde, parce que j’ai espéré en vous 2 ». Je sais que je suis dans la nuit, mais j’espère en vous jusqu’à ce que l’iniquité des ténèbres soit passée 3. « Nous avons en effet », comme le dit saint Pierre, « une preuve plus certaine chez les Prophètes, sur qui vous ferez bien d’arrêter les yeux comme sur un flambeau qui luit dans un lieu obscur, jusqu’à ce que le jour commence à paraître et que l’étoile du matin se lève dans vos coeurs 4 ». Il donne alors le nom de matin à ce jour qui doit suivre la fin du monde, et qui nous montrera ce que nous aurons cru en cette vie. « Au matin vous entendrez ma voix, au matin je me tiendrai devant vous pour vous contempler 5». Faites-moi comprendre au matin votre miséricorde, parce que j’ai espéré en vous. Car « si nous ne voyons point ce que nous espérons, nous l’attendons par la patience ». La nuit a besoin de patience, le jour nous donnera la joie. « Faites-moi entendre au matin votre miséricorde, parce  que mon espoir est en vous ».

15. Mais que faire ici-bas, en attendant que le matin vienne? Il ne suffit pas,en effet,d’espérer, nous avons une oeuvre à faire. Pourquoi une oeuvre à faire ? C’est qu’il est dit dans un autre psaume : « J’ai recherché Dieu au jour de ma tribulation 7»; comme j’ai recherché Dieu dans le temps de ma nuit. Comment l’avez-vous cherché, ô Prophète? « De mes mains, la nuit, en sa présence, et je n’ai pas été trompé » . Qu’est-ce à dire de mes « mains?» Par de bonnes oeuvres. «En sa présence » : « En faisant l’aumône, garde-toi de sonner de la trompette, et ton Père qui voit dans le secret, te récompensera 8 ». Comme donc il nous faut espérer le matin, et supporter ainsi la nuit d’ici-bas, et persévérer dans la patience jusqu’à l’arrivée du jour, que devons. nous faire jusque-là? Ne feras-tu point quelque chose sur toi-même, pour mériter d’arriver au matin? « Seigneur, faites-moi connaître

 

1. Eccli. XVII, 26. — 2. Ps. CXLII, 8. — 3. Id LVI, 2. — 4. II Pierre, I, 19.— 5. Ps. V, 4, 5. — 6. Rom. VIII, 25. — 7. Ps. LXXVI, 3.— 8. Matth. VI, 2, 4.

 

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la voie par laquelle j’entrerai ». C’es pour cela que le Seigneur a fait briller ce flambeau prophétique, c’est pour cela qu’il nous a envoyé son Fils dans la chair comme dans un vase d’argile, lui qui a dit : « Ma face est desséchée comme l’argile 1 ». Marche donc à la lumière des -Prophètes, marche au flambeau de ces prédictions de l’avenir marche à la parole de Dieu, Tu ne vois pas encore ce Verbe qui était au commencement, ce Dieu en Dieu 2 ; marche à cette lumière de la forme de l’esclave, et tu arriveras à la forme de Dieu. « Faites-moi connaître, ô mon Dieu, par quelle voie j’entrerai ; parce que j’ai élevé mon âme vers vous ». Oui, vers vous, mais non contre vous. C’est en vous qu’est la source de vie 3; «j’ai élevé mon âme vers vous», comme un vase que l’on apporte à la source. Remplissez-moi,Seigneur, « puisque c’est vers vous que j’ai élevé mon âme ».

16. « Délivrez-moi de mes ennemis, ô mon Dieu, je me réfugie en vous 4 ». Jadis je vous ai fui, maintenant je me réfugie en vous. Adam s’enfuit de devant la face du Seigneur, et se cacha dans les bosquets du paradis 5, en sorte qu’on peut lui appliquer cette parole de Job « Comme le serviteur qui fuit son maître, et qui recherche les ombres 6 ». Il s’enfuit donc de devant la face du Seigneur, et chercha les ombres puisqu’il s’enfuit dans les obscurs bosquets du paradis. Malheur à lui s’il demeure dans cette ombre et s’il fait dire un jour « Tout a passé comme une ombre 7. Délivrez-moi de mes «ennemis ». Dans ces ennemis je ne vois point des hommes. « Car nous n’avons pas à combattre contre la chair et le sang ». Contre qui dès lors? « Contre les princes et les puissances qui dirigent ce monde ». Quel monde? Non point les cieux et la terre, puisqu’ils ne sauraient gouverner ce qu’ils n’ont point fait. « Qui gouvernent le monde ». Quel monde alors? « Ces ténèbres 8 ». Quelles ténèbres? Les méchants. « Vous étiez autrefois ténèbres, vous êtes maintenant lumière dans le Seigneur 9 ». C’est donc contre les princes du monde, de ces ténèbres, contre les princes des méchants, que vous avez à combattre; guerre bien nouvelle 10, d’avoir à vaincre un ennemi qu’on ne voit point !

 

1. Ps. XXI, 16. — 2. Jean, I, 1.— 3. Ps. XXIV, 10.— 4. Id. CXLII, 9. — 5. Gen. III, 8. — 6. Job, VII, 2, suiv. les Septante. — 7. Sag. V, 9. — 8. Ephés. VI, 12.—  9. Id. V, 8.— 10. Id. VI, 14.

 

contre les princes du monde, les princes de ces ténèbres, c’est-à-dire contre le diable et

ses anges, et non contre les princes de ce monde dont il est dit: « Et le monde a été fait par lui 1»; mais de cet autre dont il est écrit: « Et le monde ne l’a point connu. Délivrez-moi de mes ennemis, ô mon Dieu, parce que j’ai cherché en vous un refuge». «De mes ennemis», non de Judas, mais de celui qui remplit le coeur de Judas. Je vois l’un et je le souffre , j’attaque l’autre sans le voir. Judas prit le morceau de pain, et Satan entra dans son coeur 2, afin que cet autre David souffrît persécution de la part de son fils. Combien n’est-il pas de Judas que remplit Satan, et qui dès lors ne reçoivent le pain sacré que pour leur condamnation? « Quiconque en effet mange et boit indignement, mange et boit sa propre condamnation 3 ». Ce que l’on offre n’est point mauvais, mais on offre au méchant un bien qui fera sa condamnation. Le bien suprême ne saurait profiter à quiconque le reçoit mal. Donc, «délivrez-moi de mes ennemis, parce que j’ai cherché un refuge vers vous ». Où fuir en effet? « Comment éviter votre esprit? Si je monte vers le ciel, vous y êtes; si je descends dans l’abîme, vous y êtes aussi». Quelle ressource encore? « Si je prends des ailes comme la colombe, et que je m’envole jusqu’aux confins des mers »; pour habiter par l’espérance à la fin des siècles : « c’est là que me conduit votre main, là que me fait arriver votre droite 4. Délivrez-moi de mes ennemis, Seigneur, parce que c’est en vous que je cherche un asile ».

17. « Apprenez-moi à faire votre volonté; « parce que c’est vous qui êtes mon Dieu 5 ». Humble confession, saint engagement! « Parce que c’est vous qui êtes mon Dieu ». J’aurais recours à un autre, pour nie refaire, si un autre m’avait fait. Mais vous êtes mon tout, « parce que vous êtes mon Dieu ». Chercherai-je un père pour avoir son héritage? « Vous êtes mon Dieu »; non-seulement vous me donnez un héritage, mais vous êtes cet héritage même. « Le Seigneur est la portion de mon héritage 6 ». Chercherai-je un Seigneur pour me racheter? « Vous êtes mon Dieu ». Chercherai-je un homme puissant pour me délivrer? « Vous êtes mon Dieu ». Humble

 

1. Jean, I, 10 — 2. Id. XIII, 27.— 3. I Cor. XI, 29.— 4. Ps. CXXXVIII, 7-10. —  5. Id. CXLII, 10. — 6. Id. XV, 5.

 

218

 

créature, souhaiterai-je d’être créée de nouveau? « Vous êtes mon Dieu », vous êtes mon Créateur; c’est vous qui m’avez créé par votre Verbe, et créé de nouveau parce même Verbe. Vous m’avez créé par le Verbe-Dieu qui demeure en vous, et créé de nouveau par le Verbe fait chair pour nous. « Apprenez-moi donc à faire votre volonté, parce que vous êtes mon Dieu ». Si vous ne m’instruisez, je ferai ma volonté, et mon Dieu m’abandonnera. « Apprenez-moi à faire votre volonté, parce que vous êtes mon Dieu » . « Enseignez- moi », car vous ne serez pas mon Dieu pour que je sois mon maître. Voyez comme notre psaume prêche la grâce de Dieu. Retenez ces instructions, abreuvez-en votre âme, et que nul ne les  arrache de vos coeurs; de peur que vous n’ayez le zèle de Dieu, mais non selon la science; de peur que dans votre ignorance de la justice de Dieu, vous ne prétendiez établir la vôtre 1, et que dès lors vous ne soyez plus soumis à la justice de Dieu. Vous savez que ces paroles sont de l’Apôtre; répétez dès lors avec le Prophète : « Enseignez-moi à faire votre volonté, parce que vous êtes mon Dieu ».

18. « Votre Esprit plein de bonté », non le mien qui est méchant: « Votre Esprit plein de bonté me conduira dans la terre de

 

1. Rom. X, 2, 3.

 

Droiture », parce que mon esprit pervers m’a conduit dans la terre de perversion. Qu’ai-je donc mérité, Seigneur? Quelles bonnes oeuvres ai-je pu faire sans votre secours, pour obtenir, pour me rendre digne d’être conduit par votre Esprit dans la terre de la justice? Quelles sont mes oeuvres, ou mes mérites? « C’est à cause de votre nom, ô mon Dieu, que vous me donnerez la vie ». Comprenez autant qu’il est en vous cette prédication de la grâce qui vous a sauvés gratuitement. C’est, à cause de votre nom, Seigneur, que vous me donnerez la vie. « Ce n’est point à nous, Seigneur, qu’il faut donner la gloire, ce n’est point à nous, mais à votre nom ». Car c’est à cause de votre nom que vous nous donnerez la vie « dans votre justice », et non point dans la mienne; non point à cause de mes mérites, mais à cause de votre miséricorde. Si je prétendais m’appuyer sur mes mérites, je ne mériterais que l’enfer. Vous avez donc détruit en moi tout mérite, pour y insérer vos dons. « C’est à cause de votre nom, Seigneur, que vous me donnerez la vie, et dans votre justice vous délivrez mon âme de la tribulation; et dans votre miséricorde vous perdrez mes ennemis vous perdrez tous ceux qui affligent mon âme, parce que je suis votre serviteur »

 

1. Ps. CXII, 1.

DISCOURS SUR LE PSAUME CXLIII.
SERMON AU PEUPLE
VICTOIRE DE DAVID SUR GOLIATH.
 

Ce géant, c’est le démon qu’il nous faut combattre, et David, c’est le chrétien aimé de sa foi, ou même le Christ. Les cérémonies symboliques de la loi sont les armes qui embarrassent David. Il les quitte pour prendre cinq pierres, qui figurent la loi de Moïse en cinq livres ; pierres du torrent ou du peuple qui passe, et que la charité fait découvrir. Or, la charité, c’est l’effet de la grâce, qui se donne gratuitement c’est pourquoi David mit ces pierres dans son vase de berger destiné à recueillir le lait du troupeau. Armé de ces pierres ou de la charité, il renverse Goliath et lui tranche la tête avec sa propre épée, comme le Christ tourne contre Satan les hommes dont il se servait. Nos mains dressées au combat et nos doigts à la guerre, n’ont qu’un même sens ; mais les doigts marquent la division de l’action divine qui a divers dons pour les hommes. La guerre pour nous, c’est le combat contre ce monde qui n’a pas connu le Sauveur ; contre la chair qui a des aspirations contraires à celles de l’esprit. Cette chair sera rebelle jusqu’à sa transformation, mais il nous faut la soumettre en nous soumettant nous-mêmes à Dieu, autrement nous combattrons en vain. Disons pendant le combat : Vous êtes ma miséricorde, ou plutôt vous m’accordez d’user de miséricorde en me remettant mes dettes à condition que je remettrai, en me donnant à la condition que je donnerai. Or, la miséricorde éteint les feux du jugement. Le Seigneur est mon soutien, dit l’Eglise qui jouit par avance d’une certaine paix, parce qu’elle a mis sa confiance dans le Seigneur.

Qu’est-ce que l’homme pour que Dieu le rachète par son Fils unique ? s’il l’estime à ce point pendant qu’il combat, que sera-ce après la victoire ? Quant à l’homme pécheur, il n’est qu’un néant : qu’il fasse des oeuvres dignes de la lumière, et recherche Dieu en sa présence, ou Dieu qui veille sur nous. L’Eglise dit à Dieu : Inclinez vos cieux et descendez. Ces cieux sont les Apôtres qui ont converti le monde. Faites briller vos éclairs contre les conspirateurs. Tendez-nous la main, afin que nous puissions surmonter les grandes eaux de la contradiction. Le cantique nouveau du Prophète, n’est le Nouveau Testament, celui de la grâce qui nous fait accomplir la loi par les oeuvres de la charité Dieu a sauvé son Christ du glaive des méchants, glaive qui désigne ce que le Prophète appelait tout à l’heure les grandes eaux, c’est-à-dire les hommes frivoles, et la main des fils de l’étranger qui ont parlé la vanité, c’est-à-dire ambitionné le bien terrestre. Abraham, Isaac et Jacob furent riches, à la vérité ; mais ils ne regardaient les biens de la terre que comme des biens de la gauche, ou biens périssables, leur préférant les biens de la droite, ou Dieu avec l’éternité. C’est là ce que signifie : Sa gauche est sous ma tête, et sa droite m’embrasse ; c’est-à-dire, il ne m’abandonne point en cette vie, et me réserve les biens de l’avenir. Le langage de ces hommes est donc vain, parce qu’ils ont appelé heureux celui qui possède ces biens, tandis que celui-là seul est heureux qui a pour Dieu le Seigneur.

 

1. Le titre de ce psaume ne renferme que peu de paroles, mais beaucoup de mystères. « A David pour Goliath 1». Votre charité se souvient que l’Ecriture nous parle de ce combat qui eut lieu au temps de nos pères. Un peuple étranger faisait la guerre au peuple de Dieu, et Goliath provoqua David à un combat singulier, afin que la victoire de l’un ou de l’autre champion fit voir la décision de Dieu. Mais à quoi bon parler de la victoire quand nous connaissons celui qui provoque et celui qui est provoqué? C’est l’impiété qui provoque la piété, l’orgueil qui s’attaque à l’humilité, le diable qui s’attaque au Christ. Faut-il s’étonner que le diable soit vaincu? Le premier était d’une stature gigantesque, l’autre petit de taille, mais grand par la foi. David, qui était saint, prit des armes guerrières pour marcher contre Goliath. Mais son âge et sa taille trop petite l’empêchèrent de les porter. Il jeta donc ces armes qui le

 

1. Ps. CXLIII, 1.

 

chargeaient sans l’aider, et prit au torrent cinq pierres qu’il mit dans son vase de berger. Ainsi armé à l’extérieur, mais armé intérieurement du nom de son Dieu, il marcha contre le géant et le vainquit 1. Voilà ce que fit David ; mais développons ces figures mystérieuses. Le titre est court, avons-nous dit, à n’en considérer que les paroles ; mais il est très-important à cause des mystères qu’il renferme. Rappelons à notre mémoire cette parole de saint Paul: « Tout cela se passait « pour eux en figure 2» ; afin que l’on ne nous accuse pas de témérité en cherchant des mystères dans des passages sans mystères et écrits très-simplement. Nous avons donc une autorité qui stimule notre attention à rechercher ces mystères, notre vigilance à les développer, notre dévotion à les écouter, notre fidélité à les croire, notre diligence à les pratiquer. En David nous trouvons le Christ; mais comme vous ne sauriez l’ignorer, vous

 

1. I Rois, XVII. — 2. I Cor, X, 11.

 

220

 

tous qui êtes instruits à son école, dans le Christ il y a la tête et le corps ; n’appliquez donc pas ces paroles au Christ de telle manière qu’il n’y ait rien pour vous qui êtes ses membres. Après avoir posé cette base, voyons ce qui suit.

2. Vous savez que le premier peuple fut chargé de nombreux sacrements visibles et corporels, d’une circoncision, d’un sacerdoce laborieux, d’un temple plein de figures, d’un grand nombre d’holocaustes et de sacrifices. Telles sont les armes plus embarrassantes que utiles qu’a dû déposer notre David. « Car si la loi qui a été donnée avait pu donner la vie, il serait vrai de dire que la justice vient de la loi ». A quoi donc a servi la loi? L’Apôtre continue: « Mais l’Ecriture a tout renfermé sous le péché, afin que la promesse de Dieu s’accomplît par la foi en Jésus-Christ, en ceux qui croiraient 1 ». Aussi qu’a fait ce David, c’est-à-dire Jésus-Christ, la tête et le corps, qu’a-t-il fait quand la nouvelle alliance a été dévoilée, quand la grâce de Dieu a dû être enseignée et appréciée ? Il a quitté les armes et a pris cinq pierres 2 : ces armes qui l’embarrassaient, il les a mises de côté ; il a donc rejeté les sacrements de la loi, sacrements qu’il n’a point imposés aux Gentils, et que nous n’observons point. Vous savez en effet combien sont nombreux ces préceptes de la loi que nous ne pratiquons point, et qui sont néanmoins établis et mis sous nos yeux, pour en figurer d’autres; non que nous devions rejeter la loi de Dieu, mais depuis l’accomplissement des promesses nous n’avons plus à nous arrêter aux symboles qui les annonçaient. Ce qu’ils nous promettaient est arrivé. La grâce du Nouveau Testament, voilée dans la loi, nous est dévoilée dans l’Evangile. Nous avons écarté le voile et reconnu ce qu’il nous dérobait; nous l’avons reconnu dans la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ, notre chef et Sauveur, qui a été crucifié pour nous, et à la mort de qui le voile du temple se déchira 3. Enfin ce David quitta ces armes, ce fardeau de l’ancienne loi, pour prendre la loi même. Car ces cinq pierres sont la figure des cinq livres de Moïse. Il prit ces cinq pierres dans le torrent, et vous savez ce que signifie ce torrent ; car cette vie mortelle s’écoule, et tout ce qui vient au monde ne fait que passer. Ces pierres étaient donc dans le

 

1. Gal. III, 21, 22.—  2. I Rois, XVII, 39, 40.— 3. Matth. XXVII, 51.

 

torrent, ou dans ce peuple primitif, pierres inutiles, ne rapportant rien, ne produisant rien ; le torrent passait dessus. Que fit David pour que la loi devînt utile? Il prit la grâce. Car on ne saurait accomplir la loi sans la grâce ; puisque « la plénitude de la loi c’est la charité 1». Mais cette charité, d’où vient-elle? Vois si elle ne vient pas de la grâce. « L’amour de Dieu», dit l’Apôtre, «est répandu dans nos coeurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné 2 », C’est donc la grâce qui nous fait accomplir la loi, et la grâce est figurée par le lait. Rien dans la chair ne se donne plus gratuitement que le lait, puisque la mère, loin d’attendre du retour, ne cherche qu’à le donner ; elle le donne gratuitement, elle s’attriste quand elle ne peut le donner. Comment donc David a-t-il montré que la loi ne peut agir sans la grâce, si ce n’est qu’en voulant joindre avec la grâce ces cinq pierres qui désignaient la loi renfermée dans les cinq livres, il les mit dans son vase de berger destiné à garder le lait du troupeau ? Armé de ces pierres, c’est-à-dire armé de la grâce, et dès lors loin de présumer de lui-même, plein de confiance en Dieu, il s’avança contre l’orgueilleux Goliath, plein de jactance et de confiance en lui-même. Il prit une de ces pierres, la lança, en frappa le front de son adversaire, qui tomba blessé dans cette partie du corps où n’était pas le signe du Christ, Remarquez aussi que David prit cinq pierres et n’en jeta qu’une seule ; les livres sont au nombre de cinq et n’ont qu’un même objet: car « la plénitude de la loi c’est la charité », comme nous l’avons dit tout à l’heure. Et l’Apôtre a dit : « Supportez-vous les uns les autres dans la charité, vous appliquant à conserver l’unité de l’esprit dans le lieu de la paix 3». Après avoir blessé et renversé Goliath, David lui prit son épée et lui trancha la tête. C’est ce que fit aussi notre David, qui chassa le démon de ceux qui lui appartenaient. C’est ce qui arrive quand les principaux de ceux qui lui appartiennent, et qui étaient au pouvoir du diable qui s’en servait pour lacérer d’autres âmes, quand ces hommes viennent à tourner leurs âmes contre le diable ; alors l’épée de Goliath sert à lui trancher la tête. Voilà, en peu de mots, autant que le temps nous le permet, les figures du titre; voyons ce que renferme le psaume.

 

1. Rom. XIII, 10. — 2. Id. V, 5. — 3. Ephés. IV, 2, 8.

 

221

 

3. « Béni soit le Seigneur mon Dieu, qui as instruit mes mains au combat, et mes doigts à la guerre 1». Ce cri vient de nous, si nous appartenons au Christ. Bénissons le Seigneur notre Dieu, qui instruit nos mains au combat, et nos doigts à la guerre. Il semble qu’il y ait ici une répétition, et que nos mains au combat n’aient d’autre sens que mes doigts à la guerre. Est-il une différence entre la main et les doigts? Car la main n’agit que par les doigts. On pourrait donc sans absurdité prendre les doigts pour la main. Et toutefois, dans les doigts nous trouvons la division de l’action et la racine de l’unité. Vois cet effet de la grâce dans cette parole de l’Apôtre: « L’un reçoit du Saint-Esprit le don de parler avec sagesse, l’autre reçoit du même Esprit le don de parler selon la science; un autre reçoit le don de la foi fans le même Esprit, un autre reçoit du même Esprit le don de guérir les malades, un autre le don de parler diverses langues, un autre le don de prophéties, un autre les discernement des esprits. Or, c’est un seul et même Esprit qui opère toutes ces choses, distribuant à chacun ses propres dons, comme il lui plaît 2». Mais faire ce don à l’un, cet autre don à l’autre , c’est là une diversité d’opérations. Toutefois, comme « c’est un seul et même esprit qui opère toutes ces choses », nous trouvons ici la racine de l’unité. C’est donc par ces doigts que le Christ combat, qu’il marche à l’ennemi, qu’il s’avance en bataille.

4. Pour ce qui est de ces guerres et de ces combats, il serait long de les exposer, et il est plus facile de les soutenir que de les expliquer. Mais nous avons une guerre dont l’Apôtre nous dit : « Ce n’est plus contre la chair et le sang qu’il nous faut combattre 3», c’est-à-dire contre les hommes qui semblent vous persécuter; ce n’est point contre eux que vous combattez, « mais contre les princes et les puissances, contre les directeurs du monde ». Et de peur que par le monde vous n’entendiez le ciel et la terre, il vous montre ce qu’il entend par là : « De ces ténèbres », nous dit-il. Ce monde n’est donc point celui qu’il a fait et dont l’Evangile nous dit: « Et le monde a été fait par lui » ; mais c’est le monde qui ne l’a point connu, car il est dit aussi: « Et le monde ne l’a point

 

1. Ps. CXLIII, I. — 2. I Cor. XII, 8. — 3. Ephés. VI, 12.

 

connu ». Ces ténèbres aie sont point telles par nature, mais par volonté. L’âme ne s’éclaire point par elle-même. Quand elle est humble, elle chante avec humilité et avec vérité : « C’est vous, Seigneur, qui faites luire mon flambeau; ô Dieu, éclairez nies ténèbres 1». Et encore : « C’est en vous qu’est la source de la vie; et c’est en votre lumière que nous verrons la lumière 2». Non point cri la nôtre, niais en votre lumière. Car on donne aux yeux le nom de lumière, et toutefois, que la lumière extérieure vienne à manquer, fussent-ils sains et ouverts, ils demeureront dans les ténèbres. Donc nous faisons la guerre aux princes de ces ténèbres, c’est-à-dire aux princes des infidèles, au diable et à ses anges, qui dirigent ce glaive dont le diable frappe les fidèles. Mais de même qu’une fois que Goliath est renversé, on lui prend son glaive pour lui en couper la tête 3; de même quand les fidèles embrassent la foi, on leur dit : « Vous étiez autrefois ténèbres, et maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur  4 ». Vous avez combattu avec la main de Goliath, maintenant avec la main du Christ, coupez la tête à Goliath.

5. Voilà une guerre. Il en est une autre que chacun soutient au dedans de lui-même. Tout à l’heure on nous parlait de cette guerre dans l’Epître de saint Paul : « La chair conspire contre l’esprit, et l’esprit contre la chair, au point que vous ne faites point ce que vous voulez 5 ». C’est là une guerre pénible, d’autant plus pénible qu’elle est intérieure. Quiconque triomphe dans cette guerre, surmonte des ennemis qu’il ne voit pas. Car le démon et ses anges n’attaquent chez toi que la chair qui domine. Comment pourrions-nous, en effet, vaincre des ennemis que nous ne voyons pas, sinon parce que nous ressentons intérieurement des mouvements charnels? Combattre ces mouvements, c’est ruiner l’empire du diable. Dans l’amour de l’argent, c’est l’avarice qui domine, et comme l’avarice domine en toi, le diable te propose un gain au moyen de la fraude. Car souvent on ne saurait que par la fraude parvenir au gain. Il propose donc au dehors à cette avarice, que tu n’as pas vaincue intérieurement, dont tu n’es pas maître, que tu n’as pas domptée; ce perfide juge des combats

 

1. Ps. XVII, 29. — 2. Id. XXXV, 10. — 3. I Rois, XVII, 51.— 4. Ephés. V, 8. — 5. Gal. V, 17.

 

 

te propose donc, comme à son athlète, la fraude et 1e gain, l’oeuvre et la récompense

Agis et reçois le prix. Mais sj tu es parvenu à fouler aux pieds l’avarice, tu n’es pas intérieurement dominé par cet ennemi que tu sens et peux vaincre; car tu ne sens point le diable qui te tend cette embûche. Si donc tu as dompté l’avarice, tu feras attention à celui qui te propose l’oeuvre et le prix. Qu’est-ce qu’il te propose? L’injustice et le gain. Qu’est-ce que Dieu propose au contraire? L’innocence et la couronne. Agis et prends, te dit l’un aussi bien que l’autre. Toi donc, athlète intérieur, si, loin d’être vaincu par l’avarice, tu en es vainqueur, tu tiens tes regards fixés en Dieu et tu surmontes le démon. Tu fais le discernement de l’un et de l’autre, et tu dis : Je vois ici l’oeuvre et le prix, mais là au contraire l’appât et l’hameçon. Car tu ne dis rien intérieurement, qui ne regarde ton salut. Par le pécha tu es divisé contre toi-même. Tu traînes après toi une source de concupiscence qui va te conduire à la mort; tu as devant toi un ennemi à combattre, et en toi un ennemi à vaincre; mais tu peux recourir à celui qui t’aidera dans le combat, qui te couronnera après la victoire , et qui t’a fait quand tu n’étais l’as encore.

6. Comment pourrai-je vaincre, diras-tu? Voilà que l’Apôtre me propose un combat très-difficile, et lui-même prend soin de nie montrer combien il est difficile, sinon impossible, de vaincre, si je n’en comprends l’importance. « La chair »,dit-il, as conspire contre

l’esprit, et l’esprit contre la chair, en sorte « que vous ne faites point ce que vous voulez1». Comment me commander de vaincre, quand lui-même nous dit : as En sorte que vous ne u faites point ce que vous voulez? e Veux-tu savoir comment? Jette les yeux sur la grâce de ce vase pastoral, mets dans ce vase de lait la pierre du fleuve, Eh bien ! je vous le dis, ou plutôt c’est la Vérité qui vous le dit : Tu ne fais point ce que tu veux, parce que la chair combat contre l’esprit. Dans ce combat, si tu présumes de tes forces, je t’en avertis, ne fais pas bon marché de cette parole : « Réjouissez-vous en Dieu notre soutien o. Si tu pouvais tout par toi-même, tu n’aurais pas besoin de soutien; et si tu ne faisais rien par ta propre volonté, II pue te faudrait aucun aide, car on n’a besoin d’aide que quand on

 

1. Gal. V, 17.— 2. Ps. LXXX, 2.

 

agit. Aussi, après avoir dit : « La chair conspire contre l’esprit, l’esprit contre la chair, en sorte que vous ne faites point ce que vous voulez », et après t’avoir mis toi-même sous tes propres yeux, comme dépourvu de force contre toi-même, l’Apôtre te renvoie tout d’un coup à celui qui peut t’aider: «Si vous êtes conduits par l’esprit, vous n’êtes as plus sous la loi ». Celui qui est sous la loi, au lieu d’accomplir la loi, se trouve sous le fardeau de la loi, comme David sous le poids de ses armes. Si donc tu es conduit par l’esprit, vois qui est celui qui t’aidera pour accomplir ce que tu veux; ton aide est pour toi un sauveur, une espérance, c’est lui qui dresse tes mains au combat, tes doigts à la lutte. « Les oeuvres de la chair sont faciles à reconnaître; ce sont la fornication, l’impureté, le luxure, l’idolâtrie, les empoisonnements, les dissensions, les inimitiés, les ivrogneries, les débauches, et autres crimes semblables; car je déclare, et je l’ai déjà dit, que ceux qui les commettent ne posséderont point le royaume de Dieu 1». Non point ceux qui combattent ces crimes, mais ceux qui les commettent. Il est une différence, en effet, entre combattre, vaincre, et jouir de la paix et du repos. Je vais le montrer par quelques exemples : Ecoutez. On te propose un gain à faire, et cela te plaît; il faut user de fraude, mais le gain est considérable; cela te plaît, et toutefois tu résistes : c’est là le combat; niais on te persuade, on fait des instances, on délibère. Combattre, c’est donc être en danger. Après avoir vu le combat, voyons le reste. Au mépris de la justice, tel a commis la fraude : le voilà vaincu; mais il rejette le gain pour demeurer juste, le voilà vainqueur Dans ces trois états je plains le vaincu, je crains pour celui qui combat, j’applaudis au vainqueur. Mais celui là même qui a vaincs a-t-il pu gagner sur lui de n’être point tenté par l’argent, de n’y point goûter un certain attrait, quoiqu’il l’ait surmonté et méprisé, quoique, loin d’y consentir, il n’ait point daigné même le combattre ? Il a ressenti néanmoins quelque vibration de plaisir, et cette vibration, cet ennemi qui déjà ne combat plus, qui ne règne plus, persiste néanmoins en nous: il y a dans cette chair mortelle quelque chose qui n’y sera plus un jour. Tout sera absorbé dans une pleine victoire, mais à l’avenir ;

 

1. Gal V, 17-19.

 

223

 

quant à cette vie, « le corps est mort à cause du péché », et de là vient que le péché subsiste dans notre corps sans toutefois y régner : « Mais l’esprit est vivant à cause de la justice. Si donc l’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus-Christ habite en vous, celui qui a ressuscité Jésus-Christ rendra aussi la vie à vos corps mortels, à cause de son Esprit qui habite en vous 1 ». C’est là qu’il n’y aura plus de combat, plus même de vibration; tout sera dans une paix profonde. Ce n’est point une nature contraire qui combattra une autre nature, mais c’est comme deux époux sous un même toit. Qu’ils viennent à se quereller, c’est un séjour fatigant et plein de périls; que le mari ait le dessous, la femme l’avantage, c’est une paix contre tout ordre; que le mari domine au contraire, que la femme lui soit soumise, la paix est dans l’ordre ; et toutefois ce ne sont point deux natures différentes, puisque la femme a été tirée de l’homme. Ta chair est pour toi une épouse, une servante; donne-lui tel nom qu’il te plaira, il te faut la soumettre; et s’il y a combat, que la victoire te reste. Tel est l’ordre, en effet, que l’inférieur soit soumis au supérieur; afin que celui-là même qui veut s’assujettir ce qui lui est inférieur soit soumis à son tour à celui qui est au-dessus de lui. Reconnais donc l’ordre et cherche la paix toi à Dieu, et la chair à toi. Y a-t-il rien de plus juste, rien de plus beau? Toi soumis au supérieur, l’inférieur à toi. Sois serviteur ,e celui qui t’a créé, afin d’avoir pour serviteur ce qui a été créé pour toi. L’ordre que nous traçons et que nous prêchons n’est point A toi la chair, et toi à Dieu; aimais bien : Toi à Dieu, et la chair à toi ; si tu dédaignes « toi à Dieu », tu n’obtiendras jamais la chair à toi. Rebelle envers ton Seigneur, tu seras sous l’esclave de l’esclave. Si tu n’es d’abord soumis à Dieu, et ensuite la chair soumise à toi-même, pourras-tu dire ces paroles : « Béni soit le Seigneur mon Dieu, qui dresse mes mains au combat et mes doigts à la guerre? » Tu veux combattre sans savoir, tu seras vaincu et condamné. Soumets-toi donc à Dieu tout d’abord, puis avec ses leçons et son secours tu combattras en disant : « C’est lui qui dresse mes mains au combat, mes doigts à la guerre ».

7. Et pendant ce combat, comme il n’est

 

1. Rom, VIII, 10 et seq.

 

pas sans danger, dis alors ce qui suit dans cette lutte périlleuse: « Vous êtes ma miséricorde 1 » Je ne serai pas vaincu dès lors. Que veut dire « ma miséricorde? » Que vous me faites miséricorde, que vous l’exercez envers moi, ou bien que vous m’accordez d’user de miséricorde? Car il n’y a rien pour vaincre plus complètement notre ennemi que la miséricorde que nous avons pour tous. Il se prépare à nous calomnier au jugement de Dieu, mais il ne peut rien objecter de faux, il n’est point devant celui qui écoute la fausseté. S’il plaidait contre nous au tribunal d’un homme, il pourrait alléguer le mensonge, nous accabler de fausses récriminations; mais comme notre procès se plaide au tribunal de ce juge que l’on ne saurait tromper, notre ennemi cherche à nous séduire par le péché, pour avoir de véritables crimes à nous reprocher. Et quand la fragilité humaine vient à succomber sous ses artifices, qu’elle s’humilie par un aveu, et s’exerce par des oeuvres de miséricorde et de piété. Tout s’efface quand, avec sincérité et une pleine confiance, nous disons à celui qui nous voit: «  Remettez-nous, comme as nous remettons à notre tour  2 ». Dis alors de tout ton coeur, dis en toute confiance et en toute sécurité: « Remettez-nous, comme nous remettons nous-mêmes »; ou ne nous pardonnez point, si nous ne savons pardonner. Quand même tu ne dirais pas: Ne nous remettez point si nous ne remettons point nous-mêmes, le Seigneur ne nous pardonne qu’à la condition que nous pardonnions aussi. Pour te laisser impuni dans tes crimes, il ne sera point menteur dans ses promesses. Veux-tu ton pardon, dit-il ? Pardonne toi-même. il est une autre oeuvre de miséricorde, Veux-tu obtenir? donne toi-même. C’est ce qui est marqué au même endroit de l’Evangile: « Remettez et il vous sera remis, donnez et l’on vous donnera  3 ». J’ai sur toi une créance, et loi une créance sur un autre; remets-lui sa dette, et je te remets la tienne. Tu me demandes, celui-là te demande aussi. Donne-lui, et je te donnerai. Or, qui est-ce qui remet? Qui est-ce qui donne? N’est-ce pas la charité? « Et d’où vient la charité, sinon par cet Esprit-Saint qui nous a été donné 4?» Si donc c’est par les oeuvres de miséricorde que notre ennemi peut être vaincu, si nous ne pouvons faire des oeuvres de miséricorde

 

1. Ps. CXLIII, 2.— 2. Matth. VI, 12. — 3. Luc, VI, 37,38. — 4. Rom. V, 5.

 

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sans avoir la charité, et si nous n’avons la charité que par le Saint-Esprit: c’est lui qui dresse nos mains au combat et nos doigts à la guerre: c’est à lui que nous disons avec justice: «ma miséricorde », puisque c’est par lui que nous devenons miséricordieux. « Quiconque n’aura point fait miséricorde sera jugé as sans miséricorde 1».

8. Pensez-vous que des oeuvres de miséricorde soient peu importantes? Il est bon d’en dire quelques mots. Ecoutez d’abord cette sentence tirée des livres saints et que j’ai citée tout à l’heure: « Quiconque n’aura pas fait miséricorde subira un jugement sans miséricorde » ; il sera donc jugé sans miséricorde, celui qui n’aura pas fait miséricorde avant d’être jugé. Qu’est-il dit ensuite? Que dit l’Apôtre? « La miséricorde s’élèvera au-dessus du jugement 2 ». Qu’est-ce à dire, qu’« elle s’élèvera au-dessus du jugement? » C’est-à-dire que Dieu lui donne la préférence sur le jugement, et que, chez l’homme qui aura fait des oeuvres de miséricorde, l’eau de cette miséricorde éteindra le feu du péché, quand même il aurait au jugement des fautes à punir. « La miséricorde est au-dessus du jugement ». Quoi donc? Dieu sera-t-il injuste à nos yeux, en venant au secours de ces âmes, en les délivrant, en leur pardonnant? Nullement, il est juste au contraire: la miséricorde n’efface point en lui la justice, non plus que la justice n’efface la miséricorde. Vois si Dieu n’est point juste: Remets, et je te remettrai; donne et je te donnerai. Vois s’il n’est point juste: « On se servira pour toi de la mesure dont  tu te seras servi 3 ». C’est la mesure elle-même, non point une mesure du même genre, mais la même mesure; pardonne, et je te pardonne. Tu as en toi pour mesure le pardon que tu accorderas, tu trouveras en moi cette même mesure dans le pardon que tu recevras. Tu as en toi la mesure; c’est de donner ce que tu as, et tu trouveras en moi cette mesure; c’est de recevoir ce que tu n’as pas encore.

9. « Vous êtes ma miséricorde, mon refuge, mon soutien, mon libérateur ». Voilà un athlète fort à la peine, parce que sachair conspire contre l’esprit. Tiens ferme néanmoins, tes vœux seront comblés quand la mort sera absorbée dans une entière victoire, quand ce corps mortel sera ressuscité et doué de la vie

 

1. Jacques, II, 13. — 2. Luc, VI, 37. — 3. Matth. VII, 2.

 

des anges et de qualités célestes. « Ceux qui sont morts dans le Christ ressusciteront les premiers, ensuite nous qui vivons, qui sommes demeurés jusqu’alors, nous serons enlevés avec eux dans les airs au-devant du Christ, et ainsi nous serons éternellement avec le Seigneur 1». C’est là que la mort sera absorbée dans sa victoire. C’est là que l’on dira: «O mort, où est ton combat; ô mort, où est ton aiguillon 2? » Il n’y aura en effet de rébellion contre Dieu, ni dans notre corps, ni dans notre âme. La victoire sera complète, la paix complète. Telle est cette paix dont on nous dit ici-bas, au milieu de nos combats: « Venez, mes enfants, écoutez-moi, je vous enseignerai la crainte de Dieu 3 ». Vous êtes dans le combat, engagés au fort de la mêlée, et néanmoins vous désirez un certain repos. « Quel est l’homme qui aime la vie, qui souhaite de voir des jours heureux 4 ? » Qui ne répondra aussitôt: C’est moi? La vie, les jours heureux sont dans ces lieux où la chair ne conspire plus contre l’esprit, et où l’on ne dit plus : Combattez, mais: Réjouissez-vous. Or, quel est l’homme qui désire ces jours? Tout homme dira certainement: C’est moi. Ecoute ce qui suit: Je vois que tues dans la peine, dans le combat, dans les périls, écoute ce que le psaume ajoute pour dresser tes mains au combat, tes doigts à la guerre: « Détourne ta langue du mal, et que tes lèvres n’usent point de fourberie; détourne-toi du mal et fais le bien 5». Comment pourrais-tu faire le bien, sans te détourner du mal? Comment t’engager à vêtir l’homme nu, si tu es encore spoliateur? Comment t’engager à donner, si tu es ravisseur? « Détourne-toi donc du mal, d’abord, et fais le bien ». Que le pauvre d’abord ne pleure point à ton sujet, si tu veux qu’un pauvre se réjouisse. « Détourne-toi du mal et fais le bien ». Quelle sera ta récompense? Car maintenant tu es encore dans le combat : « Cherche la paix, et poursuis-la ». Apprends à dire: « Vous êtes ma miséricorde et mon refuge, mon soutien, mou libérateur, mon protecteur ». « Mon appui », de peur que je ne tombe; « mon libérateur», de peur que je ne reste dans le piège; « mon protecteur», de peur que je ne sois blessé. « Oui, mon protecteur, en qui j’ai mis mon espoir ». Dans tous

 

1. I Thess. IV, 15, 16.— 2. I Cor. XV, 51, 53.— 3. Ps. XXXIII, 12.— 4. Id. 13.— 5. Id. 14, 15.

 

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ces embarras, dans mes fatigues, dans mes combats, dans toutes ces difficultés, j’ai mis en lui mon espoir. « C’est lui qui m’assujettit mon peuple ». Ce langage est de notre chef.

10. « Seigneur qu’est-ce que l’homme, pour vous faire connaître à lui 1? » Il est

tout ce qu’il est, précisément parce que vous « vous êtes fait connaître à lui » . « Qu’est-ce que l’homme, pour vous révéler à lui, ou le fils de l’homme, pour que vous songiez à lui?» Vous songez à lui,vous l’aimez, vous lui assignez son prix, vous le mettez en son rang, vous savez au-dessous de qui vous le placez, au-dessus de qui vous l’élevez. Car estimer c’est assigner un prix. Quel prix a donc assigné à l’homme Celui qui a donné pour l’homme le sang de son Fils unique? « Qu’est-ce que l’homme, pour vous révéler à lui ?» A qui vous faire connaître, et qui êtes-vous ? « Qu’est-ce que le fils de l’homme, pour l’estimer à ce prix? » Vous l’estimez, vous en faites cas, comme s’il était d’un grand prix. Car aux yeux de Dieu l’homme n’est point tel qu’aux yeux d’un autre homme; qu’il trouve un esclave à acheter, et il mettra plus de prix à un cheval qu’à un homme. Vois, au contraire, combien un Dieu t’a estimé, dès lors que tu peux dire: « Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? » A quel prix t’a évalué « Celui qui n’a pas épargné son propre Fils, mais qui l’a livré pour nous tous? Comment ne nous a-t-il pas tout donné avec lui 2? » S’il nourrit ainsi les combattants, quel sera le prix du vainqueur? Je suis», dit-il, «le pain vivant descendu du ciel 3 ». C’est là le pain qu’il donne aux combattants, pain qu’il fait venir des greniers célestes, et dont il nourrit les anges; « car l’homme a mangé le pain des anges 4». Mais après les combats et après ce pain que donnera-t-il? Quel prix réserve-t-il aux vainqueurs, sinon ce qui est marqué dans un autre psaume : « J’ai fait une demande au Seigneur, et je la ferai encore: c’est d’habiter dans la maison du Seigneur tous les jours de ma vie, afin de contempler ses délices et d’être à l’abri dans son temple 5? Qu’est-ce que l’homme pour vous révéler à lui, ou le fils de l’homme pour l’estimer à ce point? »

11. « L’homme est semblable au néant 6», et néanmoins vous vous révélez à lui, vous

 

1. Ps. CXLIII, 3. — 2. Rom. VIII, 31, 32. — 3. Jean, VI, 41.— 4. Ps. LXXVII, 25. — 5. Id. XXVI, 4. — 6. Id. CXLIII, 4.

 

l’appréciez. « L’homme est devenu semblable au néant ». A quel néant ? Au temps qui passe et qui s’écoule. Voilà ce que l’on appelle vanité dès qu’on le compare à la vérité, qui demeure toujours, qui est toujours stable. Toute créature visible n’est bonne qu’en son lieu. « Car c’est Dieu », dit l’Ecriture, «qui a as rempli la terre de ses biens 1 ». Qu’est-ce à dire de ses biens? De ceux qui lui conviennent. Mais tous ces biens terrestres, volages, passagers, comparés à cette vérité dont il est dit : « Je suis celui qui suis 2», tout ce bien qui passe est appelé vanité. Car il s’évanouit avec le temps, comme la fumée dans les airs. Que dirai-je de plus fort que l’Apôtre saint Jacques, lorsqu’il veut contraindre les superbes à s’humilier? « Qu’est-ce que notre vie », dit-il? « Une vapeur qui apparaît un instant pour se dissiper ensuite 3 ». Donc l’homme est semblable au néant. Le péché l’a rendu semblable au néant, car au moment de sa création il était semblable à la vérité; mais le péché qu’il a commis, le châtiment qui lui a été infligé, l’ont rendu semblable au néant. « Vous avez châtié l’homme à cause de son iniquité », dit un autre psaume, « et vous avez fait sécher son âme comme l’araignée 4». De là aussi : « L’homme est devenu semblable à la vanité ». Qu’ajoute le Prophète dans l’autre psaume? « Vous avez as fait vieillir mes jours 5 ». Et ici : « Ses jours passent comme l’ombre ». Que l’homme donc veille sur lui-même dans ces jours qui passent comme l’ombre, afin qu’en soupirant après sa lumière, il fasse des oeuvres qui en soient dignes ; et s’il est dans l’ombre de la nuit, qu’il cherche le jour. Pour l’homme qui comprend son état, les jours de cette vanité sont des jours de tribulation. Soit que les misères et les chagrins nous viennent accabler, soit que les prospérités du monde nous sourient, nous n’en devons pas moins craindre et gémir : « Parce que la vie de l’homme sur la terre est une tentation 6». De là cette parole : « Tout le jour je marchais dans l’affliction 7 ». Nous avons besoin de consolations, et tout ce que Dieu nous montre en fait de prospérités n’est point pour réjouir les heureux du monde, suais bien pour soulager les malheureux. Que l’homme donc, je le répète, dans ces jours qui sont une ombre,

 

1. Eccli. XVI, 30.— 2. Exod. III, 14.— 3. Jacques, IV, 15.— 4. Ps. XXXVIII, 12. — 5. Id. 6. — 6. Job, VII, 1 — 7. Ps. XXXVII, 7.

 

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fasse des oeuvres dignes de cette lumière qu’il désire, et dans cette nuit qu’il cherche Dieu, ainsi qu’il est écrit : « Pendant la nuit mes mains ont cherché Dieu en sa présence, et je n’ai pas été déçu 1 ». Quel est ce jour qu’il appelle un jour de tribulation, sinon celui qu’il appelle encore la nuit? « Je l’ai as cherché de mes mains pendant la nuit en sa présence ». Nous sommes encore dans la nuit, et nous veillons à la lumière de cette prophétie. Ce que l’on nous a promis, nous l’attendons encore ; mais que dit l’apôtre saint Pierre? « Nous avons d’ailleurs une preuve as plus frappante encore dans les oracles des Prophètes, sur lesquels vous faites bien d’arrêter vos regards comme sur un flambeau qui luit dans un lieu obscur, jusqu’à ce que le jour commence à paraître et que l’étoile du matin se lève dans nos cœurs 2 ». C’est là le jour, c’est là notre jour. « Au matin vous entendrez ma voix, au matin je me tiendrai debout et je vous contemplerai ». Donc, travaille, bien que ce soit la nuit, et cherche Dieu de tes mains, ou par de bonnes oeuvres, avant que ce jour vienne combler ta joie, de peur qu’il n’en vienne un autre pour t’affliger. Vois quelle sécurité dans ton labeur; vois comment ne t’abandonne pas celui que tu cherches : « De mes mains j’ai cherché le Seigneur pendant la nuit en sa présence ». « Afin que ton Père qui voit dans le secret te donne ta récompense 3».De là cette expression « en sa présence ». Que la miséricorde et la charité soient dans ton coeur, de peur que tu n’agisses dans l’intention de plaire aux hommes. J’ai cherché Dieu de mes mains, dit le Prophète, par mes oeuvres; le chercher dans l’ombre, ou dans cette vie; où lui-même voit, et non où je chercherais à plaire aux hommes. Qu’ajoute le Prophète ? « Et je n’ai pas été déçu. L’homme est semblable à la vanité, ses jours ont passé comme une ombre», et pourtant vous vous êtes fait connaître à lui, et vous l’estimez.

12. « Seigneur, inclinez vos cieux et descendez : touchez les montagnes, elles seront embrasées. Faites briller vos éclairs, et dispersez-les; lancez vos flèches, et ils seront dans l’effroi. Tendez la main d’en haut, et délivrez-moi, sauvez-moi des grandes eaux 4». Le corps en Christ, l’humble David,

 

1. Ps. LXXVII, 6. — 2. II Pierre, I, 19. — 3. Matth. VI , 4. — 4. Ps. CXLIII, 5-7.

 

plein de grâce et de confiance en Dieu, et combattant ici-bas, implore le secours de Dieu. « Inclinez vos cieux et descendez. » Quels sont les cieux à incliner ? Les Apôtres dans leur humilité. Tels sont en effet «les cieux qui annoncent la gloire de Dieu»; et de ces cieux qui racontent la gloire de Dieu, le Prophète va nous dire : « Il n’est as point de discours, point de langage dans lequel on n’entende cette voix; leur parole a retenti dans toute la terre, et leur voix jusqu’aux extrémités du monde 1». Quand la voix de ces cieux retentissait dans le monde entier, alors qu’ils opéraient des merveilles, et que le Seigneur faisait briller en eux les éclairs de ses miracles, et retentir le tonnerre de ses préceptes, on crut que des dieux étaient venus du ciel vers les hommes. Quelques païens dans cette pensée leur voulurent offrir des sacrifices. A la vue de ces honneurs qui ne leur étaient point dus, ces hommes saisis d’effroi et d’une vive horreur, afin de ramener ceux qui s’égaraient de la sorte, et leur montrer ce qu’ils ressentaient intérieurement, déchirèrent leurs vêtements et s’écrièrent: « Que faites-vous? nous sommes des mortels comme vous 2». Et ils prirent de là occasion de leur prêcher la divinité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, s’humiliant ainsi pour relever la gloire de Dieu : parce que les cieux s’inclinaient pour que Dieu descendît. « Inclinez donc vos cieux, et descendez, Seigneur », dit le Prophète ; et cela s’est fait. « Touchez les montagnes, elles s’embraseront » ; les montagnes orgueilleuses, les sommités de la terre, les grandeurs qui s’enflent; touchez-les, dit le Prophète, touchez ces montagnes, donnez-leur de votre grâce; « elles seront embrasées» parce qu’elles confesseront leurs fautes. La fumée de ces pécheurs avouant leurs péchés arrachera les larmes de ces superbes humiliés. « Touchez les montagnes,et elles s’évanouiront en fumée ». Tant que vous ne les toucherez point, elles croiront à leur grandeur. Une fois touchées, elles diront : « Vous seul êtes grand, ô mon Dieu 3 ». Voilà ce que diront les montagnes, et encore: « Vous êtes le Très-Haut, au-dessus de toute la terre  4».

13. Mais il est des conspirateurs; il en est qui s’unissent contre le Seigneur et contre son Christ  5. Ils s’unissent et ils conspirent.

 

1. Ps. XVIII, 2,4, 5 — 2. Act. IV, 13.— 3. Ps. XLVII, 2.— 4. Id. LXXXII, 19.—        5. Id. II, 2; Act. IV, 26, 27.

 

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« Faites briller vos éclairs, et dispersez-les ». Multipliez vos miracles et leur conspiration se dissipera comme la fumée. « Lancez vos éclairs et dispersez-les 1». Une fois effrayés par vos miracles, ils n’oseront rien contre vous, l’effroi de vos prodiges les arrêtera. Quel est ce Dieu dont le pouvoir est si grand? Quel est ce Dieu qui s’élève, et dont le nom a tant de puissance ? Mais dire quel il est, c’est pour eux déjà croire; vos miracles ont brillé et dissipé leur funeste coalition. « Lancez vos flèches, et vous les troublerez. Que les flèches acérées du puissant 2 », que vos préceptes frappent leurs cœurs. « Lancez vos flèches, et vous les troublerez ». Ruinez leur fausse santé, afin que de bienheureuses plaies les guérissent; et qu’ayant place dans l’Eglise et dans le corps du Christ, ils disent enfin avec l’Eglise ; « Je suis blessée par d’amour 3. Lancez vos flèches et vous les troublerez ».

14. « Tendez la main d’en haut 4 ». Qu’en résultera-t-il? Quelle en sera la fin? Comment le corps du Christ pourra-t-il vaincre, sinon par le secours du ciel ? « Car le Seigneur viendra lui-même, à la voix de l’archange, descendra du ciel au son de la trompette

de Dieu 5 », lui qui est le Sauveur de son corps et la main de Dieu. « Tendez votre main d’en haut, et délivrez-moi, sauvez,moi des grandes eaux ». Qu’est-ce à dire, «des grandes eaux ? » Des peuples nombreux. De quels peuples? Des étrangers, des infidèles, soit qu’ils m’attaquent au dehors, soit qu’ils me tendent des embûches à l’intérieur. « Délivrez-moi de ces grandes eaux, dans lesquelles vous m’exerciez, et dans lesquelles vous me plongiez pour me laver de mes souillures ». C’est encore l’eau de la contradiction 6. « Délivrez-moi, et sauvez-moi des  grandes eaux ».

15. Ecoutons encore de quelles grandes eaux Dieu délivrera le corps du Christ, Dieu délivrera l’humilité de David. Qu’est-ce à dire, « des grandes eaux ? » Qu’avez-vous dit, ô Prophète, afin qu’on ne leur donnât pas un autre sens, qu’avez-vous dit de ces grandes eaux? Ecoute ce que j’en ai dit: « De la main des enfants étrangers » Ecoutez, mes frères, au milieu de quel peuple nous vivons, et dont nous voulons être délivrés. « Leur bouche parle la

 

1. Ps. CXLIII, 6.— 2. Id. CXIX, 4.— 3. Cant. II, 5, suiv. les Sept. — 4. Ps, CXLIII, 7.— 5. I Thess. IV, 15. — 6. Nombres, XX, 13.

 

vanité ». Combien de vanités n’entendriez-vous pas aujourd’hui même, si vous n’étiez point rassemblés pour ces divines pompes. de la parole de Dieu ? « Leur bouche parle la vanité ». Comment ces diseurs de vanités pourraient-ils vous entendre dire la vérité? « Leur bouche parle la vanité, leur droite est  la droite de l’iniquité 1».

16. Que ferais-tu parmi eux, avec ton vase pastoral et tes cinq pierres ? Dis-le-moi autrement, ô Prophète, et montre-moi d’une autre manière la loi que tu as figurée dans tes cinq pierres. « Seigneur, je vous as chanterai un cantique nouveau ». Ce cantique nouveau, c’est le chant de l’action de grâces ; le cantique nouveau est celui de l’homme nouveau ; le cantique nouveau, c’est le cantique du Nouveau Testament. « Je vous chanterai », dit le Prophète, « un cantique nouveau ». Et de peur qu’on ne croie que la grâce diffère de la loi, tandis au contraire que c’est par la grâce que la loi s’accomplit : « Je vous chanterai », dit-il, « sur le psaltérion à dix cordes 2». «Sur le psaltérion à dix cordes », ou par les dix préceptes de la loi. C’est ainsi que je vous chanterai: puissé-je trouver en vous ma joie, puissé-je vous chanter dans la loi, ce nouveau cantique; « parce que la charité est la plénitude de la loi 3 ». Du reste, quiconque n’a point la charité, peut porter le psaltérion; mais il ne saurait chanter. Pour moi donc, dit l’interlocuteur, au milieu des eaux de la contradiction, je vous chanterai un cantique nouveau : et jamais le bruit des eaux de la contradiction ne fera taire mon psaltérion : « Je vous chanterai sur le psaltérion à dix cordes ».

17. «C’est lui qui donne le salut aux rois»; aux montagnes s’évanouissant en fumée, «  Qui délivre David son serviteur ». Ce David, vous le connaissez, soyez donc David. De quoi Dieu a-t-il délivré David son serviteur? De quoi a-t-il délivré le Christ? De quoi le corps du Christ ? « Délivrez-moi du glaive des méchants 4 ». « Du glaive » ne suffirait pas ; il ajoute : « du méchant ». Assurément il est un glaive de faveur. Quel est ce glaive de faveur? Celui dont le Seigneur a dit : « Je ne suis point venu apporter la paix sur la terre, mais le glaive 5 ». Il devait alors séparer les fidèles des infidèles, les fils des pères, il devait

 

1. Ps. CXLIII, 8.— 2. Id. 9.— 3. Rom. XIII, 10.— 4. Ps. CXLIII, 10, 11. — 5. Matth. X, 31

 

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trancher de ce même glaive d’autres engagements, enlever toute chair corrompue, et guérir en tranchant ainsi les membres du Christ. Il est donc un glaive de bonté, ce glaive à deux tranchants, puissant de part et d’autre, par l’Ancien et par le Nouveau Testament, par le récit du passé et par les promesses de l’avenir. Tel est donc le glaive de la bonté; l’autre est celui des méchants, et leur fait parler vanité, comme c’est par le glaive de la faveur que Dieu nous dit la vérité. Donc « délivrez-moi du glaive des méchants. Quant aux enfants des hommes, leurs dents sont pour eux des armes et des flèches, leur langue est un glaive tranchant 1 ». Délivrez-moi de ce glaive des méchants. Ce que le Prophète vient d’appeler « glaive », il l’appelait tout à l’heure « grandes eaux ». « Délivrez-moi des grandes eaux ». Ce que j’ai nommé grandes eaux, je l’appelle maintenant glaive des méchants. Enfin, après avoir parlé des grandes eaux, il continue : « De la main des étrangers, dont la bouche parle la vanité ».Et pour nous faire comprendre qu’il parle d’eux encore, quand il dit ici : « Du glaive des méchants délivrez-moi », il ajoute : « Délivrez-moi de la main des fils de l’étranger, dont la bouche parle la vanité », comme il l’avait dit plus haut. Et quand il nous dit que leur droite est la droite de l’iniquité , il avait déjà exprimé cette pensée, en nous parlant des grandes eaux. Et de peur que tu ne prennes ces grandes eaux dans un sens favorable, il nous l’exprime de nouveau dans le glaive des méchants. Qu’il vous explique maintenant cette expression : « Leur bouche parle la vanité, leur droite est la droite de l’iniquité ». De quelle vanité a parlé leur bouche? et comment leur droite peut-elle être la droite de l’iniquité?

18. « Leurs enfants sont dans leur jeunesse, comme des plants nouveaux 2». Il veut montrer ici leur félicité. Ecoutez donc, enfants de la lumière, enfants de la paix, écoutez, enfants de l’Eglise, membres du Christ; écoutez ce que le Prophète nomme étrangers, fils de l’étranger, eaux de contradiction, glaive du méchant. Ecoutez, je vous en supplie vous qui, chaque jour, courez des dangers au milieu d’eux; qui, au milieu de leurs discours, combattez contre les désirs de votre chair, qui avez à lutter au milieu de ces langues, de

 

1. Ps. LVI, 5. — 2. Id. CXLIII, 12.

 

ces suppôts de Satan, et dont il se sert contre vous. « Car vous ne combattez plus contre la chair et le sang, mais contre les princes et les puissances, contre ceux qui gouvernent ce monde de ténèbres 1 », c’est-à-dire des méchants, Ecoutez, afin de vous en séparer; écoutez, afin de ne point regarder comme la vraie félicité celle que convoitent les hommes faibles ou corrompus. Ce sont bien là, mes frères, les fils de l’étranger, ce sont bien les grandes eaux, c’est bien là le glaive des méchants. Voyez quelle est cette vanité dont ils parlent, et gardez-vous de tenir leur langage, gardez-vous de parler comme eux, de peur de vivre comme eux. « Leur bouche parle la vanité, leur droite est la droite de l’iniquité ». De quelle vanité a donc parlé leur bouche, et comment leur droite peut-elle être la droite de l’iniquité? Ecoute : « Leurs enfants sont dans la jeunesse, comme des plants nouveaux; leurs filles sont parées, elles sont ornées comme des temples; leurs celliers sont pleins, et regorgent deçà et delà; leurs brebis sont fécondes, on les voit sortir en foule de leurs étables; leurs boeufs sont gras; il n’y a ni ruine ni ouverture dans leurs clôtures, ni cri dans leurs places publiques 2 ». N’est-ce donc point là le bonheur? J’interroge les enfants du royaume des cieux, j’interroge cette race de ceux que Dieu ressuscités pour l’éternité, j’interroge le corps du Christ, les membres du Christ, le temple de Dieu, N’est-ce donc point une félicité que d’avoir des enfants en santé, des filles bien parées, des celliers bien remplis, de nombreux troupeaux, de n’avoir aucune ruine non-seulement dans ses maisons, mais jusque dans ses clôtures, de n’entendre dans les places publiques aucun bruit, aucune clameur, mais le repos, la paix, l’abondance, la richesse dans les maisons et dans lés villes? N’est-ce donc point là le bonheur? Les justes doivent-ils le fuir? Aucun juste n’a-t-il donc possédé une maison regorgeant de biens, comblée d’un semblable bonheur? La maison d’Abraham n’était-elle donc point riche en or, en argent, en enfants, en domestiques, en troupeaux 1? Jacob, ce saint Patriarche fuyant la face d’Esaü son frère, en Mésopotamie, ne s’enrichit-il point par ses services, et en retournant dans son pays ne rendit-il point grâces à Dieu, parce qu’ayant passé le fleuve avec son bâton,

 

1. Ephés. VI, 12.— 2. Ps. CXLIII, 12-14.— 3. Gen. XII, 5; XIII, 2-6.

 

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il revenait avec tant d’enfants, et des troupeaux si nombreux 1? Que dirai-je encore ? N’est-ce donc point là le bonheur? Soit; mais le bonheur de la gauche. Qu’est-ce que la gauche? Ce qui est du temps, périssable, corporel. Sans vous dire de le fuir, gardez-vous de le regarder comme de la droite. Car les hommes du Psalmiste n’étaient point vains et méchants, parce qu’ils les possédaient, mais parce qu’ils prenaient pour biens de la droite, ce qui ne devait être que de la gauche. Que devaient-ils mettre à droite ? Dieu, l’éternité, les années de Dieu qui ne finiront point et dont il est dit : « Et vos années ne passeront point 2 ». Telle est la droite où doivent tendre nos désirs. Servons-nous de la gauche pour un temps, mais soupirons après la droite pour l’éternité. Si les richesses coulent chiez vous en abondance, n’y attachez point votre coeur 3. Car si vous attachez vos coeurs aux richesses qui coulent, de -votre gauche vous ferez votre droite. Corrigez-vous, admirez ces chastes baisers que vous donne la Sagesse

«Sa gauche est sous ma tête, et il m’embrasse de sa droite 4 ». Voyez ces admirables chants d’amour, ces Cantiques des cantiques, ce chant des saintes épousailles du Christ et de l’Eglise. Que dit l’Epouse à propos de l’Epoux? « Sa gauche est sous ma tête, et il m’embrasse de sa droite ». La gauche est sous la tête, la droite sur la tête. C’est ce que l’on fait quand on embrasse, on met la droite sur la tête, et la gauche au-dessous. as Sa gauche; dit l’Epouse, «est sous ma tête».Car il ne m’abandonnera point en ce qui est nécessaire à la vie; et toutefois cette main gauche sera sous ma tête; non point sur ma tête, mais au dessous, ahi qu’il m’embrasse de cette même droite qui promet la vie éternelle. Car sa gauchie ne sera sous ma tête que quand il m’embrassera de sa droite; et ainsi s’accomplira ce que saint Paul écrit à Timothée : « Il a les promesses de la vie présente et de la vie future  5». Qu’avons-nous dans cette vie? La gauche sous notre tête. Qu’avons-nous pour l’avenir? Sa droite m’embrasse. Cherchez-vous ce qui est nécessaire en cette vie? « Cherchez d’abord le royaume de Dieu», c’est-à-dire sa droite, et tout cela vous sera donné par surcroît 6 ». Vous aurez ici-bas les richesses et la gloire, et dans le siècle à venir la vie éternelle; ma

 

1. Gen. XXXI, 18; XXXII, 7- 10. — 2. Ps. CI, 28. — 3. Id. LXI, 11.—  4. Cant. II, 6. — 5. I Tim. IV, 8. — 6. Matth. VI, 33.

 

gauche soutiendra votre faiblesse, et ma droite couronnera vos vertus. Mais les Apôtres, qui avaient tout quitté et distribué leurs biens aux pauvres, ont-ils vécu ici-bas sans aucune richesse? Que serait alors devenue cette promesse relative à la gauche : « Il recevra sept fois autant dans ce monde ? » Le Sauveur nous promet la multiplication des biens. Et, en effet, qu’est-ce qui manque au serviteur de Dieu? Un infidèle a une maison, quelques maisons peut-être ; « mais le fidèle a pour richesses le monde entier 2 ». Vois comme elle est sous la tête, cette gauche pleine de tous ces biens : « Il recevra en ce monde sept fois autant ». Vois la droite qui nous embrasse : « Et dans le siècle à venir la vie éternelle ». C’est bien avec raison que la Sagesse a dit ailleurs : « Les années de la vie sont dans sa droite, et dans sa gauche les richesses et les honneurs 3 ».

19. Comment donc ces hommes disent-ils des choses vaines? comment leur bouche a-t-elle dit la vanité? Parce que « leur droite est celle de l’iniquité ». Je ne leur fais pas un crime d’avoir des enfants qui sont dans leur jeunesse comme des jeunes plants, ni des filles ornées comme des temples, ni des biens en abondance et une félicité terrestre. Où est donc leur crime ? « D’avoir appelé heureux le peuple qui a de tels biens 4». O futiles discoureurs ! Appeler bienheureux un peuple qui a de tels biens! Ils ont perdu la véritable droite, et se sont vêtus au rebours des dons de Dieu. Hommes pervers, hommes futiles, fils de l’étranger, ils ont appelé heureux le peuple qui possède ces biens. « Ils ont mis à droite ce qui était à gauche, et ont appelé heureux le peuple qui possède ces biens ». Mais vous, ô David? Mais vous, ô corps du Christ? Mais vous, ô membres du Christ? Mais vous, fils de Dieu, et non fils de l’étranger, que dites-vous? Les hommes vains dans leurs paroles, les fils de l’étranger ont appelé heureux le peuple qui possède ces biens. Mais vous, que dites-vous? « Bienheureux le peuple qui a pour Dieu le Seigneur 5 ». Ayez donc la gauche, si vous le voulez, mais dans votre main gauche; ambitionnez la droite, afin d’être placés à la droite. C’est ainsi qu’ils ont placé à gauche la gauche elle-même, auprès de qui le Christ a eu faim,

 

1. Matth. XIX, 29— 2. Prov. XVII, 6, suiv. les Sept. — 3. Id. III, 16. — 4. Ps. CXLIII, 15. — 5. Ibid.

 

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et ils lui ont donné à manger; a eu soif, et ils lui ont donné à boire; a été étranger, et ils l’ont reçu ; a été nu, et ils l’ont revêtu 1. Ce sont des avantages qu’ils ont tirés de la gauche, dont ils ont fait des oeuvres de la droite, afin d’être eux-mêmes placés à la droite. Donc ces hommes vains, ces fils de l’étranger ont dit: « Bienheureux le peuple qui a de tels biens »; mais vous, dites avec nous : « Bienheureux le peuple qui a pour Dieu le Seigneur ».

 

1.Matth., XXV, 35, 36,

DISCOURS SUR LE PSAUME CXLIV.
SERMON AU PEUPLE, PRÊCHÉ A UTIQUE, DANS LA BASILIQUE DE LA MASSE-BLANCHE 1.
L’ŒUVRE DE LA RÉGÉNÉRATION.
 

Dieu s’est loué pour nous apprendre à le louer. Ce David à qui s’adressent les louanges du psaume est le Christ issu du peuple juif d’où sont venus les Apôtres, et fils de David. — Bénissons Dieu toujours, dans la prospérité comme dans le malheur; mais nulle prospérité n’est comparable à celle de posséder Dieu, que nul ne saurait nous ravir, que le malheur n’enleva point à Job. Croyons dès lors qu’il agit toujours avec miséricorde ; louons sans fin sa grandeur sans borne. Ainsi font cens qui ne passent par la mort que pour arriver à la terre des vivants. Bénissons-le dans ses oeuvres, surtout dans celles qui nous connaissons. Toute génération le bénira. Elles annonceront la puissance de Dieu, en laquelle se résument toutes ses oeuvres ; et tout ce que l’on peut louer vient de celui qui a tout fait, qui gouverne tout. Louer les oeuvres de Dieu, cet nous louer nous-mêmes, et nous louer sans orgueil. Ces oeuvres sont pour nous des degrés pour nous élever jusqu’à lai; ses faveurs sont accompagnées de menaces afin de nous encourager et de nous contenir. Ils raconteront ce mémorial du Seigneur qui n’a point oublié l’homme, quand l’homme l’oubliait. Ils tressailliront dans cette justice de Dieu qui nous refaits par sa grâce, et sans que nous ayons rien mérité par aucune oeuvre, puisque toute bonne oeuvre vient de lui. Il est miséricordieux envers les pécheurs, qu’il encourage contre le désespoir, qu’il détourne d’une folle espérance. Sa bonté s’étend sur toutes ses oeuvres, puisqu’il fait luire son soleil sur les bons et sur les méchants, et néanmoins il donne, c’est-à-dire qu’il est sévère pour nos oeuvres, et nous force à retrancher les mauvaises, ou les retranche lui-même.

Les créatures intelligentes loueront le Seigneur, puisqu’elles révèlent sa grandeur, sa puissance ; elles le loueront sans voix, car on ne saurait en considérer la beauté sans louer Dieu.

Les saints feront connaître la beauté de Dieu, beauté supérieure à toutes les beautés visibles, et que nous découvre la foi; sa fidélité dans ses promesses, dont plusieurs qui sont accomplies nous font croire au reste ; sa bonté à soutenir cens qui tombent, c’est-à-dire ou ceux qui se séparent du mal, ou ceux qui tombent de leur prospérité comme Job ; sa miséricorde qui donne en temps opportun, mais non tout ce que nous demandons, et quand nous le demandons. Souvent il diffère, ou nous accorde ce que nous ne demandons point, mais ce qui nous convient le mieux. Qu’il frappe ou qu’il guérisse il est toujours juste ; il est proche de ceux qui l’invoquent, mais en vérité, c’est-à-dire qui méprisent le reste pour ne désirer que lui-même, qui ne l’en aiment pas moins quand ii nous ôte les biens terrestres. Il fera la volonté de ceux qui le craignent en leur accordant le salut, en perdant les pécheurs obstinés et murmurateurs.

 

 

1. Mon désir était de louer le Seigneur avec vous; et puisqu’il a daigné m’accorder cette faveur, je veux mettre une certaine règle dans nos louanges en son honneur,afin de n’offenser par aucun excès celui que nous voulons louer; nous ferons donc mieux de chercher dans l’Ecriture un moyen plus assuré de le bénir, de peur de nous écarter un peu à droite ou à gauche. J’ose bien le dire à votre charité, mes frères: afin que Dieu pût être loué par l’homme, Dieu s’est loué lui-même; et parce qu’il a daigné se louer lui-même, l’homme a trouvé moyen de le faire à son tour. On ne saurait, en effet, dire à Dieu ce que l’on dit à l’homme : « Que votre bouche ne se loue point  2». Se louer, de la part de l’homme c’est arrogance, de la part de Dieu c’est miséricorde. Il nous est bon d’aimer celui que nous louons, et aimer le bien c’est devenir meilleur. Le Seigneur donc, parce qu’il nous est avantageux de l’aimer, nous montre en se louant combien il est aimable, et se montrer aimable, c’est subvenir à notre faiblesse. Il engage donc notre coeur à le louer, et c’est pour être loué par ses serviteurs qu’il les a rem plis de son esprit ; et comme c’est son esprit qui le loue dans ses serviteurs, n’est-ce

 

1. Voir ci-dessus, Ps. XLIX, XLIX, n° 9. — 2. Prov. XXVII, 2.

 

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pas lui-même qui chante ses propres louanges? Voici donc de quelle manière commence notre psaume. « Je vous chanterai, ô mon Dieu, ô mon Roi; je bénirai votre nom dans le siècle, et dans le siècle des siècles ». Vous le voyez: le commencement est une louange, et cette

louange se continue jusqu’à la fin du psaume. Enfin le titre du psaume est: « Louange à David lui-même ». Or, comme on appelle David, celui qui est venu dans la race de David 1, qui est notre roi, qui nous conduit èt nous introduit dans son royaume, louange à David signifie : « louange au Christ lui-même » qui s’appelle David selon la chair, parce qu’il est fils de David; mais comme Dieu il est le créateur de David, et le Seigneur de David. C’est par là que saint Paul, faisant l’éloge du premier peuple de Dieu, d’où sont venus les Apôtres qui ont cru en Jésus-Christ, et tant d’églises primitives qui ont réalisé dans tant de milliers d’hommes ce que vous venez d’entendre dans l’Evangile à propos de ce riche qui s’en alla tout chagrin; puisqu’ils vendaient leurs biens et en distribuaient le prix aux pauvres, cherchant ainsi la perfection dans le Seigneur; pour relever donc la gloire du premier peuple, l’Apôtre parlait ainsi : « Ils ont pour pères les Patriarches, et c’est d’eux qu’est venu le Christ, qui est par-dessus tout le Dieu béni dans tous les siècles 2 ». C’est donc parce que le Christ est né d’eux selon la chair qu’il est appelé David; mais comme il est aussi par excellence le Dieu béni dans tous les siècles, voilà que « je vous louerai, ô mon Dieu, ô mon Roi; je bénirai votre nom », dit le Prophète, « et dans le siècle, et dans les siècles des siècles». Dans le « siècle », signifie peut-être dans le temps, et dans le siècle des siècles, signifie « l’éternité ». Commence donc à louer Dieu dès maintenant, si tu dois le louer dans tous les siècles. Quiconque ne veut point le louer dans ce siècle qui passe, demeurera silencieux dans le siècle à venir. Il est ce qu’il semble nous dire dans les versets suivants.

3. De peur, en effet, que l’on ne comprît autrement cette parole : « Je louerai votre  nom dans le siècle 3 », et qu’on ne l’entendît d’un autre siècle : « Je vous bénirai chaque  jour », dit le Prophète. Loue donc le

 

1. Rom. I, 3 — 2. Id. IX, 5. — 3. Ps. CXLIV, 2.

 

Seigneur ton Dieu, et bénis le chaque jour, et quand chacun de tes jours sera écoulé, quand sera venu le jour sans fin, passe de la louange à la louange, comme on va de vertus en vertus 1. « Chaque jour », dit-il, « je vous bénirai »; il n’y aura pas un jour que je ne vous bénisse. Louer Dieu dans vos jours de félicité n’a rien de bien admirable. Mais qu’il arrive des jours tristes, comme c’est l’ordinaire dans les vicissi tudes humaines, dans ces scandales sans nombre, dans ces épreuves si multipliées, qu’il arrive quelque chose de fâcheux, cesseras-tu de bénir Dieu? Cesseras-tu de bénir ton Créateur? Si tu cesses, tu ne saurais dire sans mensonge: « Je vous bénirai chaque jour, ô mon Dieu ». Si tu ne dois point cesser, quelque chagrin qui puisse t’arriver, tu trouveras alors ton bonheur en Dieu. Car au plus fort de ton malheur, tu pourrais être heureux; quel que soit en effet le malheur qui t’afflige, il se trouvera aussi un bien qui te réjouira. Or, quel plus grand bien que ton Dieu dont il estdit: « Nul n’est bon que Dieu seul 2 ». Vois, en effet, et comprends à propos de ce bien suprême, combien on peut le louer sûrement, combien il est stable. Qu’il t’arrive en effet quelque bien qui te réjouisse, cela dure un jour, mais le lendemain ce bien qui faisait ta joie est passé. Je suis heureux, dis-tu, voilà une bonne journée; tu as réalisé quelque profit, tu as été invité ou tu as assisté à quelque festin qui a duré longtemps : un long festin fait ton bonheur, et un autre te plaint de n’en pas rougir. Mais enfin, quel que puisse être ce bien qui fait ta joie, c’est un bien qui passe. Si, au contraire, tu mets en Dieu ta joie, tu entendras l’Ecriture qui te dit « Que Dieu soit tes délices 3 ».Ta joie sera d’autant plus solide que celui qui fait ta joie est immuable. Mets ta joie dans l’argent, tu crains le voleur; mais que. Dieu soit ton bonheur, qu’as-tu à craindre? Que Dieu ne te soit enlevé? Nul ne saurait te l’enlever, si tu ne l’abandonnes le premier. Dieu, en effet, n’est point comme cette lumière qui luit dans le ciel. Nous n’en approchons pas quand nous voulons, parce qu’elle rie luit point partout. Notre infirmité nous fait quelquefois goûter un certain plaisir à être en pleine lumière; tandis que maintenant, pendant l’été, vous nous voyez chercher quelque place où il y ait moins de soleil. Mais

 

1. Ps. LXXXIII, 8. — 2. Luc, XVIII, 19. — 3. Ps. XXXIV, 4.

 

si tu t’affermis en Dieu,si tu trouves quelque bonheur dans la lumière de la vérité, tu ne chercheras pas un lieu pour t’approcher de lui; c’est ta conscience qui s’en approche, et la conscience qui s’en éloigne. Ce qu’a dit le Prophète : « Approchez, et soyez éclairés 1 », s’entend de l’esprit, et non de quelque véhicule; des affections, et non de nos pieds. Affermi en lui, tu ne craindras aucun souffle brûlant; son Esprit aura des souffles pour toi, et tu espéreras à l’abri de ses ailes 2.

4. Tu le vois donc ; tu peux chaque jour goûter des délices; car Dieu ne t’abandonnera point, quelque malheur qui puisse t’arriver. Combien était accablant le malheur de Job! Quelle soudaineté, combien de malheurs à la fois ! Comme Satan lui enlève tout ce qui semblait faire sa joie, sans la faire néanmoins ! Comme la mort fauche ses enfants ! Et les biens qu’il garde et ceux pour qui il les garde, tout lui est ravi; mais on ne lui ravit point celui qui avait donné les uns et les autres. Ses enfants ne lui furent enlevés, en ce monde, que pour être, dans l’autre monde, rendus à son amour. Job, toutefois, avait eu lui une autre source de joie, qui lui faisait dire en vérité ce que nous disions tout à l’heure : « Je vous bénirai chaque jour ». Quoique ce jour, où tout avait péri, parut un jour triste, la lumière intérieure en fut-elle obscurcie pour lui? Il demeura ferme dans cette lumière, et s’écria : « Le Seigneur a donné, le Seigneur a ôté : comme il a plu au Seigneur, il a été fait; que le nom du Seigneur soit béni 3 ». Donc il bénit Dieu tous les jours, lui qui le bénit même en des jours si tristes. Le plus court moyen de louer Dieu toujours, de dire en toute vérité et sans déguisement : « Je bénirai le Seigneur en tous temps; sa louange sera toujours dans ma bouche » ; le meilleur moyen, dis-je, c’est de reconnaître que s’il donne, c’est par miséricorde, que s’il retire, c’est par miséricorde; c’est de ne point croire que sa miséricorde nous délaisse, ou quand il prévient notre désespoir en nous caressant par ses dons, ou notre mort en nous corrigeant de nos fautes. Bénis-le donc, soit dans ses dons, soit dans ses châtiments. Louer celui qui nous frappe, c’est nous guérir de nos plaies. « Chaque jour », dit le Prophète, «je vous bénirai». Chaque jour donc, mes frères, bénissez Dieu ; oui, bénissez Dieu

 

1. Ps. XXXIII, 6. — 2. Id. XC, 4. — 3. Job, I, 21.

 

quoi qu’il puisse vous arriver. C’est lui qui détournera de vous tout ce que vous ne sauriez supporter. Si tu es heureux, tremble, et ne t’imagine pas que tu ne rencontreras plus de tentation; sans la tentation il n’y a point d’épreuve; or, ne vaut-il pas mieux être tenté et approuvé de Dieu que réprouvé sans tentation? « Et je louerai votre nom dans le siècle, et dans le siècle des siècles».

5. « Le Seigneur est grand, infiniment louable 1». Que pouvait-il dire, en quels termes s’exprimer? Que n’a-t-il pas renfermé dans cette parole infiniment? Cherche dans ta pensée. Quelle idée te faire de celui qu’on ne saurait comprendre ? « Il est infiniment louable, et sa grandeur est sans borne ».Le Prophète nous dit infiniment, et sa grandeur, en effet, n’a point de borne : de peur qu’en cherchant à le louer, tu ne sois tenté de croire que l’on puisse donner une louange achevée à celui dont la grandeur est sans fin. Loin de toi de te persuader que tu puisses louer suffisamment son infinie grandeur. Puisqu’il n’a point de fin, n’est-il pas mieux de n’en donner aucune à sa louange ? Qu’est-il dit de sa grandeur? Qu’elle est infinie. Que dit le Prophète, à propos de votre louange, ô mon Dieu? « Je louerai votre nom dans le siècle, et dans le siècle des siècles». Comme donc sa grandeur est sans fin, la louange que vous lui décernerez sera aussi sans fin. Car ce n’est point en mourant dans cette chair que tu cesseras de louer le Seigneur. Il est dit, il est vrai : « Les morts ne vous loueront point, ô mon Dieu 2 » ; mais il s’agit de ceux dont il est dit : « Un mort ne confesse point le Seigneur, c’est comme s’il n’était plus 3»; et non des morts dont il est dit: « Celui qui croit en moi vivra, bien qu’il ait passé par la mort 4». Car « le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob, n’est point le Dieu des morts, mais des vivants 5 ». Et si tu n’appartiens jamais qu’à lui, tu ne cesseras de le louer. Pourrais-tu craindre qu’après n’avoir vécu que pour lui ici-bas, tu puisses ne point lui appartenir après la mort ? Ecoute l’Apôtre qui te donne cette assurance : « Si nous vivons, c’est pour le Seigneur; si nous mourons, c’est pour le Seigneur; soit donc que nous vivions, soit que nous mourions, nous sommes au Seigneur 6». Comment se fait-il que tu sois à

 

1. Ps. CXLIV, 3. — 2. Id. CXIII, 17. — 3. Eccli. XVII, 26, — 4. Jean, XI, 25. — 5. Matth. XXII, 32. — 6. Rom. XIV, 8.

 

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lui, même après ta mort? C’est qu’il est mort pour te racheter au prix de son sang. Celui dont la mort est ta rançon, peut-il te perdre, toi son serviteur, bien que lu sois mort ? Aussi, après avoir dit : « Soit que nous vivions, soit que nous mourions, nous sommes au Seigneur » ; l’Apôtre a-t-il ajouté, pour nous montrer ce prix inestimable : « Si donc le Christ est mort et ressuscité, c’est afin d’avoir l’empire sur les vivants et sur les morts 1».

6. Néanmoins, comme sa grandeur est sans borne, et que nous devons louer celui que nous ne pouvons comprendre (si nous le comprenions, en effet, sa grandeur ne serait pas sans borne ; mais si cette grandeur est sans borne, nous pouvons la comprendre quelque peu, et non dans son immensité), que sa bonté nous soutienne puisque sa grandeur nous dépasse; jetons les yeux sur ses oeuvres, et bénissons l’ouvrier dans ses oeuvres, l’auteur dans l’ouvrage, le créateur dans ses créatures. Voyons ce qu’il a fait ici-bas, ce qui nous est connu, ce qui est visible pour nous. Combien d’autres, que nous ne saurions connaître, sont le produit de son immense bonté, de son infinie grandeur ! Quand notre vue pourrait pénétrer jusqu’au ciel, et que du soleil, de la lune et des étoiles, nous la ramènerions sur la terre, car c’est dans cet espace que nos yeux se promènent, pourrions-nous jeter au-delà des cieux, je ne dis pas les yeux du corps, mais les yeux de l’âme ? Louons donc le Seigneur dans ses oeuvres, autant que ses oeuvres nous sont connues. « Car les perfections invisibles de Dieu sont devenues visibles depuis la création du monde par tout ce qui a été fait 2. Une «génération et une génération bénira vos oeuvres 3 ». Toute génération chantera vos oeuvres. Pour marquer toute génération, le Prophète se sert de cette manière de parler: « Une génération et une génération ». Il ne pouvait marquer en détail toute génération, jusqu’à l’épuisement de toutes les générations ; mais cette répétition du langage reporte la pensée dans l’infini. Cette génération, qui est maintenant dans la chair, qui passera comme elle est venue, bénit les oeuvres de Dieu ; après cette génération une autre viendra louer les oeuvres de Dieu, et après cette autre, une autre encore, et ainsi

 

1. Rom. XIV, 9. — 2. Id. I, 20. — 3. Ps. CXLIV, 4.

 

combien de générations jusqu’à la fin des siècles. Voilà ce que veut dire le Prophète « Une génération et une génération bénira  vos ouvrages ». Ou aurait-il voulu, peut-être, dans cette répétition, préciser deux générations spéciales ? Dans cette génération présente nous sommes en effet les fils de Dieu, et dans l’autre génération nous serons les enfants de la résurrection; et l’Ecriture, qui donne le nom de régénération à la résurrection, nous appelle enfants de la résurrection. « A la régénération », est-il dit, « lorsque le Fils de l’homme s’assiéra dans sa majesté 1». De même ailleurs : « Les femmes ne prendront point d’époux, ni les hommes d’épouses, puisqu’ils seront les fils de la résurrection 2 ». Donc « une génération et une génération louera vos oeuvres». Maintenant dans cette vie mortelle nous louons les oeuvres du Seigneur; et si nous les bénissons chargés de chaînes, une fois couronnés, comment les bénirons-nous? Considérons donc les oeuvres de Dieu, dans cette génération présente puisque c’est en son honneur que le Prophète a dit : « Une génération et une génération bénira vos oeuvres, parce que sa grandeur est sans borne ». Il est bien de considérer vos oeuvres, afin de vous bénir, vous qui en êtes l’auteur.

7. « Et ils annonceront votre puissance ». Car ils ne béniront vos oeuvres qu’en publiant votre puissance. On propose à des enfants, clans une école, un thème de louanges, et on ne leur propose de louer que les oeuvres de Dieu : leur proposer de louer le soleil, de louer la lune, la terre, et, pour descendre à de moindres objets, la rose, le laurier; tout cela c’est l’oeuvre de Dieu que l’on donne à louer, que l’on entreprend de louer, qu’on loue enfin; on chante les oeuvres, on ne dit rien de l’ouvrier. C’est donc dans ses ouvrages que je veux louer le Créateur; et je n’aime point ces ingrats panégyristes. Comment bénir les oeuvres que Dieu a faites, et ne rien dire de celui qui a tout fait? Eh ! pourrais-tu avoir quelque chose à louer, si Dieu n’était si grand? Que peux-tu louer dans ces créatures visibles? Leur beauté, leur utilité, quelque force, quelque puissance que tu y découvres. Mais si leur beauté a pour toi des attraits, quoi de plus beau que celui qui les a faites? Si c’est leur utilité, quoi de plus utile que l’auteur

 

1. Matth. XIX, 28. — 2. Luc, XX, 35, 36.

 

234

 

de tant de choses? Si c’est leur puissance, quoi de plus puissant que celui qui a tout créé, et qui, loin d’abandonner ses créatures, les dirige toutes et les gouverne? Ce n’est donc ainsi, ô mon Dieu, qu’une génération qui vous bénit dans vos serviteurs, en louant vos oeuvres; elle ne ressemble point à ces parleurs muets, qui oublient le Créateur en louant la créature. Comment donc vous bénit cette génération? « Ils annonceront votre puissance ». C’est votre puissance qu’ils chanteront en chantant vos oeuvres. Quand vos saints, vos fidèles serviteurs, ceux qui vous offrent une véritable louange, ceux qui n’oublient point vos grâces, quand ceux-là chantent les ouvrages de Dieu, quels qu’ils soient, dans ce qu’il y a de plus élevé, comme dans ce qu’il y a de Plus bas, dans le ciel et sur la terre, ils se trouvent eux-mêmes parmi les oeuvres qu’ils chantent, puisqu’ils sont au nombre des créatures de Dieu. Car celui qui a tout fait, nous a faits nous-mêmes parmi ses oeuvres. Si donc tu viens à louer les oeuvres de Dieu, tu te loueras toi-même, puisque tu es l’oeuvre de Dieu; et dès lors, que devient cette parole : « Que ta bouche ne te loue point 1?» Voilà donc une manière de te louer sans être orgueilleux : c’est de bénir en toi Dieu, et non pas toi : non parce que tu es tel, mais parce que c’est lui qui t’a fait ; non parce que tu as de la puissance, mais parce que Dieu peut agir en toi et par toi. C’est ainsi qu’ « ils vous loueront, Seigneur, et qu’ils annonceront votre puissance », la vôtre et non la leur. Apprenez donc à louer Dieu, mes frères, et en considérant les oeuvres admirez l’ouvrier, en lui rendant grâces, et non en vous arrogeant sa gloire. Louez Dieu de toutes ses oeuvres, de l’ordre qu’il a établi, des dons qu’il nous a faits.

8. Enfin vois ce qui suit : « Ils chanteront votre puissance, ils parleront de la magnificence éclatante de votre sainteté, ils raconteront vos merveilles. Ils chanteront la terreur de vos prodiges, feront connaître votre grandeur. Ils répandront le souvenir de votre bonté 2 », et de la vôtre seulement. Vois si le panégyriste des oeuvres de Dieu détourne sa vue du Créateur ROUF sa créature; vois s’il délaisse l’ouvrier pour s’arrêter à l’ouvrage. Il se fait des oeuvres comme des degrés pour s’élever jusqu’à lui, et non pour en descendre.

 

1. Prov. XXVI, 2.— 2. Ps. CXLIV, 5-7.

 

Tu ne posséderas jamais l’ouvrier, si tu lui préfères ses oeuvres. De quoi te servira d’avoir les oeuvres en abondance, si l’ouvrier t’abandonne? Aime les oeuvres, à la bonne heure, mais aime l’ouvrier plus encore; aime-les à cause de lui. Publie sa puissance, chante l’éclat glorieux de sa sainteté, raconte ses merveilles, publie la terreur de ses prodiges; car il est tout à la fois aimable et terrible. Ses faveurs ne sont point sans menaces. Sans faveurs, il ne nous encouragerait point, et sans menaces il ne nous redresserait point. Ceux qui vous chantent raconteront donc votre puissance terrible; vos créatures publieront votre force qui les châtie, qui les re• dresse par la discipline; elles la publieront et ne se tairont point. Car elles ne parieront point du royaume éternel, sans parler du feu également sans fin. Car la louange de Dieu te met sur le bon chemin, et doit montrer ce qu’il faut aimer, ce qu’il faut craindre; ce qu’il faut désirer et ce qu’il faut fuir, ce qu’il faut choisir, et ce qu’il faut rejeter. C’est maintenant le temps de choisir, plus tard celui de recevoir. Chantons donc la puissance de ce qu’il faut craindre. « Et ils raconteront votre grandeur », dit le Prophète. Bien qu’elle soit infinie, bien que cette grandeur ne connaisse point de borne, ils en parleront, ils ne s’en tairont point. Ils raconteront, dis-je, cette grandeur dont nous disions tout à l’heure: « Et votre grandeur qui est sans fin, « ils la raconteront». Mais comment la ra. conter si elle est sans borne? Ils la raconteront, en la louant; et comme cette grandeur n’a point de fin, sa louange sera également sans fin. Montrons qu’il n’y aura point de fin à sa louange : « Bienheureux », dit le Prophète, « ceux qui habitent votre maison, ils vous béniront dans les siècles des siècles 1 . Et ils raconteront votre gloire »; cette gloire infinie, « ils la raconteront ».

9. « De leur bouche jaillira le souvenir de vos infinies bontés 2 ». Bienheureux festin! Que mangeront-ils pour que leur bouche fasse de telles éruptions? « La mémoire de vos infinies bontés ». Qu’est-ce donc que cette mémoire de vos infinies bontés? C’est que vous ne nous avez point oubliés, Seigneur, alors que nous-mêmes ne pensions plus à vous. Toute chair avait oublié Dieu; mais lui n’avait pas oublié son ouvrage. Tel

 

1. Ps. LXXXIII, 5. — 2. Id. CXLIV, 7.

 

est ce souvenir de nous, qui l’a empêché de nous oublier, ce souvenir qu’il nous faut redire, qu’il nous faut chanter; et comme il est doux, il faut t’en nourrir, puis en faire éruption. Mange-le au point de le répandre au dehors. Reçois, afin de donner. C’est manger que s’apprendre, c’est faire éruption qu’instruire; c’est manger que d’écouter, c’est répandre que prêcher; et toutefois tu répands ce que tu as mangé. Enfin cet avide mangeur, ce bienheureux Jean, qui ne se contentait point de la table du Seigneur, s’il ne reposait sur la poitrine de son maître 1, pour y puiser les secrets divins, que répand-il ensuite? « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était Dieu, et le Verbe était en Dieu 2 . Ils répandront la mémoire de votre inépuisable bonté ». Comment ne suffit-il pas au Prophète de dire: votre mémoire, ni la mémoire de votre abondance, ni la mémoire de votre bonté; mais il dit: « La mémoire de l’abondance de votre bonté ? » A quoi servirait cette abondance, si elle n’était douceur; et ne serait-il pas fâcheux que cette bonté ne fût pas abondante?

10. Donc, ils répandront au dehors la «mémoire de votre inépuisable bonté » parce que vous ne nous avez point oubliés, et que vous souvenant de nous, vous nous avez avertis et fait souvenir de vous. « Tous les confins de la terre se souviendront du Seigneur, et se tourneront vers lui 3 ». Donc parce qu’ils répandront au dehors la mémoire de votre inépuisable bonté, qu’il n’y a rien de bien qui ne vienne de vous, et qu’ils n’ont pu se tourner vers vous sans être avertis par vous-même, qu’ils n’auraient pu se souvenir de vous, si vous les eussiez oubliés; parce qu’ils ont considéré ces effets de votre grâce, « ils tressailliront dans votre justice ». Oui, c’est à la vue des effets de votre grâce qu’ils tressailliront dans votre justice, et non dans la leur. Buvez donc la grâce, mes frères, si vous voulez répandre la grâce. Qu’est-ce à dire: Buvez la grâce ? Apprenez la grâce, comprenez la grâce. Avant de naître, nous n’étions rien, et nous sommes devenus des hommes quand nous étions dans le néant. Mais nous ne pouvons être hommes qu’en tirant notre origine de l’homme pécheur et méchant; et par nature nous sommes enfants de colère comme tous les autres 4. Reconnaissons donc

 

1. Jean, XIII, 23.— 2. Id. I, 1.— 3. Ps. XXI, 28.— 4. Ephés. II,3.

 

la grâce de Dieu qui, non-seulement nous a faits, mais nous a refaits; c’est à elle que nous devons d’exister, que nous devons d’être justifiés. Que nul n’attribue à Dieu son existence, et à soi-même sa justification; ce serait s’attribuer une prérogative supérieure à celle de Dieu. Car être juste est beaucoup plus que d’être homme. Ce serait donc attribuer à Dieu ce qui est moindre, à toi ce qui est supérieur. Donne-lui tout, bénis-le de tout garde-toi d’échapper à la main de ton auteur. Quel est donc l’auteur de ton être? N’est-il pas écrit que Dieu prit du limon dans la terre, et en forma l’homme 1 ? Avant d’être homme, tu étais un limon ; et avant d’être limon tu n’étais rien. Mais ne remercie point ton créateur de cet ouvrage de boue, écoute une oeuvre bien autre que ce divin potier a faite en toi. « Cela ne vient point des oeuvres», dit saint Paul, « de peur que nul ne s’élève ». Mais pourquoi dire : « Ce n’est point par les oeuvres, de peur que nul ne s’élève?» Qu’avait-il dit plus haut? «C’est la grâce qui vous a sauvés par la foi: et cela ne vient point de vous ». Ce sont les paroles de l’Apôtre et non les miennes. « C’est la grâce qui vous a sauvés par la foi; et cela (ce salut par la foi) ne vient pas de vous ». Il avait déjà dit la grâce, et dès lors ce n’est point de vous mais de peur qu’on ne donnât un autre sens à ses paroles, il s’explique d’une manière très-claire. Pour peu que l’on ait d’intelligence, on dira : « C’est la grâce qui nous a sauvés ». Mais dire grâce, c’est dire gratuitement. Si donc c’est gratuitement il n’y a rien de toi, aucun mérite. Car ce que l’on donne au mérite est une récompense et non une grâce. « Vous êtes sauvés par la foi au moyen de la grâce ». Parlez-nous plus clairement, ô glorieux Apôtre, à cause de ces orgueilleux qui se complaisent en eux-mêmes, et qui dans leur ignorance de la justice de Dieu veulent établir leur propre justice 2. Ecoutez donc cette même pensée plus clairement: « Que vous soyez sauvés par la grâce, cela ne vient point de vous, c’est un don de Dieu 3 ». Mais peut-être avons-nous fait quelques oeuvres pour mériter les dons de Dieu. « Cela ne vient point de nos œuvres », dit l’Apôtre, « de peur que nul ne s’élève ». Quoi donc! ne faisons-nous aucun bien? Nous en faisons, mais comment? En ce que Dieu

 

1. Gen II, 7. — 2. Rom. X, 3.— 3. Tit. III, 5.

 

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opère en nous; et que la foi lui donne entrée dans notre coeur, en sorte qu’en nous et par nous il y opère le bien. Vois d’où vient le bien que tu fais : « Nous sommes son ouvrage, créés en Jésus-Christ par les bonnes oeuvres, afin de marcher dans ces œuvres 1». Telle est la douceur de son souvenir envers nous, C’est en la répandant que les prédicateurs tressailliront dans sa justice, et non dans leur propre justice. Mais pour être ce que nous sommes, pour vous louer, pour tressaillir dans votre justice, pour répandre le mémorial de votre inépuisable bonté, qu’avons-nous reçu de vous, ô Seigneur que nous bénissons? Publions-le, et en le publiant chantons ses louanges.

11. « Le Seigneur est clément, miséricordieux, il est riche de patience et de compassion. Le Seigneur est bon pour tous, sa commisération s’étend sur toutes ses oeuvres 2 ». S’il n’en était pas ainsi de Dieu, nous n’aurions rien à demander pour nous. Rentre dans toi-même; que méritais-tu après le péché? Que méritait ton mépris pour Dieu? Cherche si tu trouves autre chose que la peine, autre chose que le supplice. Vois donc, d’une part ce que l’on te devait, et d’autre part, ce que t’a donné celui qui t’a fait ces dons gratuitement. A toi pécheur il a donné le pardon, l’esprit de justification, la charité, l’amour qui est la source de tout le bien que tu fais, et par-dessus tout, il te donnera la vie éternelle, la société des anges. Tout cela vient de sa miséricorde. Cesse de parler de tes mérites : tes mérites eux-mêmes sont les dons de Dieu. « Ils tressailliront dans votre justice . Vous êtes, Seigneur, clément et miséricordieux », vous qui nous avez fait tous ces dons. Vous êtes « patient » : combien de pécheurs ne supportez-vous pas? « Le Seigneur est clément et compatissant », en accordant la rémission des fautes ; « il est patient », pour ceux qui n’ont point reçu le pardon; loin de les condamner, il les attend, et dans sa patience il leur crie : « Convertissez-vous, revenez à moi afin que je revienne à vous 3»; et dans un excès de patience : « Je ne veux pas la mort de l’impie », dit-il, « seulement qu’il revienne et qu’il vive 4 ». Dieu donc est patient, mais toi, « dans la dureté, dans l’impénitence de ton coeur, tu t’amasses un

 

1. Ephés. II, 8-10. — 2. Ps. CXLIV, 8, 9. — 3. Zach. I, 3; Malach. III, 7, — 3. Ezéch. XXXIII, 11.

 

trésor de colère, pour le jour de la colère et de la manifestation du juste jugement de Dieu, qui rendra à chacun selon ses oeuvres 1 ». Car Dieu n’est point patient à supporter le pécheur, au point de ne le frapper jamais dans sa justice. Il a ses temps : aujourd’hui il t’appelle, aujourd’hui il t’exhorte, il attend ton repentir, et tu diffères? Sa miséricorde est grande, nième en ce qu’il a laissé incertain le jour de ta mort, en te laissant ignorer quand tu sortiras de ce monde, afin qu’en pensant chaque jour que tu dois mourir, tu t’empresses de revenir à lui; c’est là une grande miséricorde. S’il avait marqué à chacun le jour de sa mort, cette assurance aurait multiplié les péchés des hommes. Il nous a donc fait espérer le pardon, de peur que le désespoir ne nous rendît plus pécheurs; or, dans le péché, nous devons redouter et l’espérance et le désespoir. Voyez d’une part ce que le désespoir fait dire à l’homme sur des fautes à commettre, et ce que l’espérance lui fait dire dans le même sens, et comme Dieu répond à l’un ou à l’autre dans sa sagesse ou sa miséricorde. Ecoute le langage du désespoir Puisque je dois être damné, pourquoi ne point faire ce qu’il me plaît? Ecoute le langage de l’espérance. La divine miséricorde est grande; quand je me convertirai, Dieu me pardonnera mes fautes : pourquoi ne point faire ce qu’il me plaît? L’un désespère et pèche; l’autre espère et pèche encore. Ces deux excès sont à craindre, tous deux sont dangereux. Malheur à l’homme qui désespère! malheur à l’homme qui n’a qu’une fausse espérance ! Quel remède apporte donc la divine miséricorde à ce double péril, à ce double mal? Que dis-tu, ô toi que le désespoir excite au péché? Puisque je dois être damné, pourquoi ne pas faire comme il use plaît? Ecoute l’Ecriture : « Je ne veux pas la mort de l’impie, seulement qu’il revienne et qu’il vive ». Cette parole de Dieu nous ramène à l’espérance; mais il faut craindre un autre piége qui est de trop espérer. Quel était donc ton langage, quand l’espérance te poussait au péché? Au jour de ma conversion Dieu me remettra tous nies péchés, je ferai donc tout ce qui me plaira. Ecoute encore la sainte Ecriture : « Ne tarde point de te retourner vers le Seigneur, ne diffère pas de

 

1. Rom. II, 5, 6.

 

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jour en jour; car la colère de Dieu éclatera subitement, et il te perdra au jour des vengeances 1 ». Ne dis donc plus: Demain je me convertirai, demain je chercherai à plaire à Dieu; et tous mes péchés d’hier et d’aujourd’hui me seront pardonnés. Il est vrai que Dieu t’a promis le pardon au jour où tu te convertiras; mais il n’a promis aucun lendemain à tes retards.

11. « Le Seigneur est bon pour tous, et sa bonté s’étend sur toutes ses oeuvres 2». Pourquoi donc une damnation? Pourquoi des châtiments ? Ceux qu’il damne, ceux qu’il châtie, ne sont-ils pas son ouvrage? Ils le sont sans doute. Veux-tu comprendre que « sa bonté s’étend sur toutes ses oeuvres ? » Elle est la source de cette clémence « qui fait luire son soleil sur les bons et sur les méchants 3». N’est-ce pas épancher sa miséricorde sur ses créatures, que faire pleuvoir sur les justes et sur les injustes? N’est-ce point là épancher sa miséricorde sur toutes ses oeuvres? Attendre avec longanimité le pécheur, en disant: «Convertissez-vous à moi, et je me retournerai vers vous 4 », n’est-ce pas épancher sa miséricorde sur toutes ses oeuvres? Mais dire : « Allez, maudits, au feu éternel, préparé pour de diable et pour ses anges 5», ce n’est plus la miséricorde, c’est la sévérité, Il y a donc miséricorde pour ses oeuvres, et sévérité, non plus pour ses oeuvres, mais pour les tiennes. Enfin si tu viens à retrancher tes oeuvres mauvaises, de manière qu’il n’y ait en toi que son oeuvre, sa miséricorde ne t’abandonnera point; mais si tu ne quittes point tes oeuvres mauvaises, Dieu déploiera sa sévérité contre tes oeuvres, non contre les siennes.

13. «Que toutes vos oeuvres vous confessent, ô mon Dieu, et que vos saints vous bénissent 6 ». Que toutes vos oeuvres vous bénissent. Quoi donc ! la terre n’est-elle pas son oeuvre? Le bois n’est-il pas son oeuvre? Les troupeaux, les bestiaux, les poissons, les oiseaux, ne sont-ils pas ses oeuvres? Assurément ce sont là ses oeuvres ; mais comment toutes ses oeuvres pourront-elles confesser le Seigneur ? Je comprends que, à l’égard des anges, les oeuvres de Dieu le confessent, car les anges sont ses oeuvres; les hommes aussi sont ses oeuvres, et quand les hommes le confessent, ses oeuvres le confessent ; mais les bois et les

 

1. Eccli. V, 8, 9.— 2. Ps. CXLIV, 9. — 3. Matth. V, 45 . — 4. Malach. III, 7 ; Zach. I, 3. — 5. Matth. XXV, 41. — 6. Ps. CXLIV, 10.

 

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pierres ont-ils une voix pour le confesser? Et, toutefois, que toutes ses oeuvres le confessent, dit le psalmiste. Comment ? Et la terre et le bois ? Oui, toutes ses oeuvres; si toutes révèlent sa gloire, pourquoi toutes ne le confesseraient-elles point? Car la confession ne s’entend pas seulement de l’aveu des fautes, elle s’entend aussi de la louange; et ne croyez pas que partout le mot de confession ne signifie que l’aveu du péché. On s’est tellement pénétré de cette idée, que si l’on entend ce mot dans les saintes Ecritures, on se frappe aussitôt la poitrine. Comprends alors qu’il y a aussi une confession de louanges: Notre-Seigneur Jésus-Christ avait-il donc des péchés à confesser? Et cependant il dit : « Je vous confesserai, mon Père, Dieu du ciel et de la terre 1 ». La louange est donc une confession. Dès lors, comment faut-il entendre: « Que tous vos ouvrages vous confessent », sinon, que tous vos ouvrages vous louent? Mais, diras-tu, la difficulté revient pour la louange, comme pour la confession. Si la terre, les bois, les créatures sans raison, ne sauraient confesser le Seigneur, parce qu’ils n’ont point de voix pour faire cette confession, ils ne pourront non plus le louer, puisqu’ils n’ont point de voix pour parler. Et toutefois ces créatures ne sont-elles point citées par les trois enfants qui se promènent dans les flammes, assez libres non-seulement pour ne pas brûler, mais encore pour louer Dieu ? A toutes les créatures, depuis la terre jusqu’au ciel, ils disent: «Bénissez le Seigneur, chantez-lui des hymnes, louez-le à jamais 2». Les voilà qui chantent des hymnes. Que nul ne s’imagine, toutefois, qu’une pierre muette, qu’un animal sans parole ait assez de raison pour connaître Dieu. C’est une grave erreur pour ceux qui l’ont cru. Dieu a tout réglé, tout créé : à quelques créatures il a donné le sens, l’intelligence et l’immortalité comme aux anges; à d’autres, qui sont mortels, il a donné le sens et l’intelligence comme aux hommes : à ceux-ci il a donné le sens corporel, mais sans intelligence et sans immortalité, comme aux animaux; à ceux-là, il n’a donné ni le sens, ni l’intelligence, ni l’immortalité, comme aux herbes, aux bois, aux pierres : et toutefois nulle de ces créatures ne saurait manquer dans son genre. Dieu les a réglées comme par degrés depuis la terre jusqu’au ciel, depuis

 

1. Matth, XI, 25. — 2. Dan. III, 20, 90.

 

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les choses visibles jusqu’aux choses invisibles, et ce qui est mortel, et ce qui est immortel. Cet enchaînement des créatures, cet ordre admirable qui s’élève du plus bas au plus haut, pour redescendre d’en haut jusqu’en bas, qui n’est interrompu nulle part, admirablement pondéré par les contraires, tout cet enchaînement bénit le Seigneur. Comment toutes ces créatures bénissent-elles le Seigneur? En ce que tu ne saurais en considérer la beauté sans louer Dieu qui en est l’auteur. La terre n’a qu’une voix muette, sa beauté; mais quand l’on considère sa beauté, sa fécondité, sa vertu surprenante, cette germination des semences que l’on y répand, et même de celle que l’on ne sème point, cette considération est une manière de questionner, tes recherches sont des interrogations. Admirer cette beauté, en rechercher les causes, sonder cette force, cette fécondité surprenante, c’est comprendre bientôt que cette puissance ne lui vient point d’elle-même; et il te vient en pensée qu’elle n’a pu exister par elle-même sans le Créateur. Mais cette conclusion que tu as trouvée, est une confession de la terre, une hymne en l’honneur du Créateur. Aussi, quand nous admirons en général cette beauté du monde, n’y a-t-il pas dans cette beauté comme une voix qui vous crie : C’est Dieu qui m’a faite, et non pas moi?

14. Donc, « que toutes vos oeuvres vous confessent, ô mon Dieu, et que vos saints  vous bénissent ». Et pour que vos saints vous bénissent dans la confession de vos oeuvres, que ces mêmes saints considèrent toute créature confessant vos grandeurs. Ecoute leur voix qui bénit Dieu, et que disent les saints en vous bénissant, ô mon Dieu? « Ils publieront la gloire de votre royaume, et chanteront votre puissance 1». Combien est puissant le Dieu qui a fait la terre ! Combien est puissant le Dieu qui a comblé la terre de ses biens ! Combien est puissant le Dieu qui a donné aux animaux une vie qui leur est propre ! Combien est puissant le Dieu qui a jeté dans les entrailles de la terre tant de semences diverses, pour donner des fruits si variés et si beaux, des arbres si majestueux! Qu’il est grand! qu’il est puissant ! Interroge la créature, et la créature te répond; et cette réponse de la créature, qui est comme une

 

1. Ps. CXLIV, II.

 

confession de louanges, te porte, toi, le saint de Dieu, à bénir le Seigneur, à publier sa puissance.

15. « Afin qu’ils fassent connaître aux fils des hommes voire puissance, et la gloire  éclatante de votre royaume 1 ». L’oeuvre de vos saints, ô Seigneur, c’est de chanter la gloire de cette grande beauté de votre royaume, la gloire de la grandeur de la beauté. Il est en effet dans votre royaume une certaine grandeur de beauté ; c’est-à-dire que votre royaume a de la beauté, et une grande beauté. Quelle est cette beauté de votre royaume? Que ce royaume ne nous effraie point, sa beauté nous ravira de joie. Quelle est cette beauté qui fera les délices des saints? Ces bienheureux à qui l’on dira : « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume 2 ». D’où viendront-ils ? Où iront-ils? Voyez, mes frères, et si vous le pouvez, représentez-vous, autant que possible, cette beauté du royaume à venir, dont nous disons dans notre prière : « Que votre règne arrive 3». Ce règne dont nous souhaitons l’avènement, c’est ce règne à venir que chantent les saints. Voyez ce monde, il a de la beauté. Quelle beauté dans la terre, dans la mer, dans l’air, dans le ciel et dans les astres! Toutes ces beautés ne sont-elles pas de nature à effrayer un observateur? Cette beauté n’est-elle pas supérieure, au point que nulle autre ne la surpasse? Toutefois, dans cette beauté, dans cette splendeur en quelque sorte inexprimable, il y a près de toi des vermisseaux, de vils animaux, tout ce qui rampe sur la terre; tout cela vit dans cette splendeur. Quelle ne sera point la beauté de cet autre royaume où tu n’auras que les anges pour vivre avec toi? C’était donc peu pour le Prophète de nous dire la gloire de la beauté; ce qui pouvait se dire de toute beauté de ce monde, beauté verdoyante sur la terre,beauté resplendissante au ciel; mais en disant : « De la grandeur de la beauté de votre royaume », le Prophète nous révèle ce que nous ne voyons pas encore, ce que nous croyons sans le voir, ce que nous désirons en le croyant, désir qui nous fait supporter tous nos maux. Il y a donc une grandeur d’une certaine beauté: puissions-nous l’aimer avant de la voir, afin d’en jouir quand nous la verrons.

16. « Votre royaume ». Qu’est-ce que votre

 

1. Ps. CXLIV, 12. — 2. Matth. XXV, 34. — 3. Id. VI, 10.

 

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royaume? « Le royaume de tous les siècles 1 ». Car le royaume de ce monde a aussi sa beauté ; mais il n’a pas cette grandeur de beauté que nous verrons dans le royaume de tous les siècles. « Et votre domination s’étend de race en race ». C’est une répétition qui comprend en général toutes les générations, ou la génération qui doit venir après cette génération.

17. « Dieu est fidèle dans ses paroles, et saint dans toutes ses œuvres 2». Qu’a promis ce Dieu fidèle dans ses paroles, qu’il n’ait point tenu? « Le Seigneur est fidèle dans ses paroles ». Il est encore des promesses qui ne sont point accomplies, mais croyons en lui d’après ce qu’il nous a déjà donné. « Le Seigneur est fidèle dans ses paroles ». Nous pourrions en croire simplement à sa parole; il ne l’a pas voulu néanmoins, et nous a donné son Ecriture comme une promesse; comme si tu disais à un homme, en lui faisant une promesse: tu n’en crois point à ma parole, je te fais un écrit. Comme cette génération s’en va et qu’une autre lui succède, et que les siècles voient les hommes paraître et disparaître, l’Ecriture de Dieu, sa cédule a dû demeurer, afin que tous les hommes la pussent lire et tenir le chemin de la promesse. Et par quels biens Dieu n’a-t-il point dégagé sa signature? Les hommes n’osent l’en croire à propos de la résurrection des morts et du siècle à venir, seul point de ses promesses qui ne soit pas accompli; s’il entrait en raisonnement avec les infidèles, quel infidèle n’aurait pas à rougir? Que Dieu te dise : Tu as mon billet, j’ai promis qu’il y aurait un jugement, une séparation des bons et des méchants, un règne sans fin pour les fidèles, et tu ne veux pas m’en croire? Vois dans mon billet tout ce que j’ai écrit, entrons en compte; certes, en voyant ce que j’ai accompli de mes promesses, tu peux croire que je tiendrai à ce que je dois encore. Dans cet écrit j’ai promis mon Fils, et je ne l’ai point épargné, puisque je l’ai livré pour vous 3 ; il faut donc compter cela comme accompli. Lis encore mon billet: J’ai promis de donner le Saint-Esprit par l’entremise de mon Fils. Encore accompli. J’y ai promis que les martyrs répandraient leur sang et recevraient une couronne de gloire. Encore accompli ; cette masse blanche te prouve que j’ai tenu parole.

 

1. Ps. CXLIV, 13.—  2. Ibid .— 3. Rom. VIII, 32.

 

Mais pour que les martyrs fussent glorifiés comme je l’avais promis dans mon billet, qui porte : « Nous sommes, à cause de vous, livrés à la mort pendant tout le jour 1 » ; pour accomplir cette parole : « Voilà que les nations ont frémi, les peuples ont médité de vains complots, les rois de la terre se sont levés, les princes se sont rassemblés contre le Seigneur et contre son Christ 2 ». Les princes ont uni leurs efforts et conspiré contre les chrétiens. Et même dans mon billet, n’ai-je point promis que ces princes embrasseraient la foi, et n’est-ce point ce qui est arrivé? Ecoute en quel endroit je l’ai promis « Tous les rois de la terre l’adoreront, tous les peuples le serviront 3 ». Ingrat! Tu lis ce que je dois, tu le vois accompli, et tu ne crois point au reste de la promesse? Lis encore dans mon billet. « Que les nations ont frémi de colère, que mes ennemis ont parlé contre moi », c’est-à-dire contre mon Christ. « Quand mourra-t-il, quand son nom disparaîtra-t-il 4 ? » Voilà ce qu’ils ont fait, ce qu’ils ont dit ; lis maintenant ce que j’ai promis, à quoi je me suis engagé: « Le Seigneur l’emportera sur eux, il exterminera tous les dieux des nations de la terre, et chacun l’adorera dans sa terre natale 5 ». Maintenant il a prévalu, il a réduit au néant tous les dieux des nations de la terre. N’est-ce point ce qui est accompli? sa parole n’est-elle pas dégagée? Sous les yeux de tous il nous montre sa dette acquittée : une partie de ses promesses a été exécutée sous les yeux de nos pères, et nous ne l’avons point vu; une autre partie sous nos yeux, et eux ne l’ont point vu; de siècle en siècle, il tient ses promesses. Que reste-t-il encore? Ne peut-on le croire après tout ce qui est accompli? Que reste-t-il? Le voilà qui entre en compte ; après avoir tenu tant de promesses, pourrait-il être infidèle pour ce qui reste? Point du tout. Pourquoi? Parce que le Seigneur est fidèle en toutes ses paroles, et saint dans toutes ses oeuvres.

18. « Le Seigneur soutient tous ceux qui chancellent 6 ». Mais quels sont tous ceux qui chancellent et qu’il soutient? Il soutient tous ceux qui tombent, mais ceux qui tombent d’une certaine manière. Il en est, en effet, beaucoup qui tombent en se séparant

 

1. Ps. XLIII, 22. — 2. Id. II, 1, 2. — 3. Id. LXXI, 11.— 4. Id. XL, 6.— 5. Soph. II, 11. — 6. Ps. CXLIV, 14.

 

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de Dieu ; « beaucoup qui tombent en se séparant de leurs pensées 1 ». Avoir une pensée funeste, et s’en séparer, c’est tomber, et le Seigneur soutient ceux qui tombent de la sorte. Les saints qui essuient quelques pertes ici-bas, sont en quelque sorte déshonorés en cette vie; de riches ils deviennent pauvres, aux honneurs qu’ils recevaient, succède le mépris ; ils sont toutefois les saints de Dieu, mais les voilà comme tombés. Or, « Dieu soutient tous ceux qui tombent. Le juste tombe sept fois et se relève, les impies s’affaibliront dans les maux 2 ». Qu’il arrive donc à l’impie quelque chose de fâcheux, il en est affaibli ; qu’il arrive quelque malheur au juste, « le Seigneur affermit tous ceux qui tombent ». Job était tombé de cette ancienne splendeur où l’avaient élevé pour un temps ses grandes possessions terrestres, il était déchu de la magnificence de sa maison. Voulez-vous mesurer sa chute ? Il était assis sur le fumier, et le Seigneur le soutint dans sa chute. A quel point voulut-il bien le fortifier ? Au point que, malgré cette effroyable plaie qui couvrait tout son corps, il put répondre à sa femme qui le tentait, et que le démon lui avait laissée pour unique soutien : « Vous avec parlé comme une femme insensée : si nous avons reçu des biens de la main de Dieu, pourquoi n’en pas supporter les maux 3 ? » Jusqu’à quel point Dieu l’avait-il soutenu dans sa chute? « Le Seigneur soutient tous ceux qui tombent. Que le juste vienne à tomber », est-il dit, «il n’en  sera point troublé, parce que le Seigneur soutient sa main 4. Il relève ceux qui sont brisés », du moins ceux qui sont à lui; car Dieu résiste aux superbes 5.

19. « Les yeux de toutes les créatures sont fixés sur vous, Seigneur, et vous leur donnez la nourriture au temps opportun 6 ». Vous traitez donc l’homme comme un malade, ô mon Dieu? Vous lui donnez à temps opportun, quand il a besoin; et vous lui donnez ce qui convient. Aussi désire-t-il quelquefois sans rién recevoir de Dieu, qui connaît l’heure de donner, et qui prend soin de lui. Pourquoi vous parler de ces choses, mes frères, sinon de peur que vous n’ayez pas été exaucés, en demandant à Dieu ce qui était juste? Quand on demande ce qui est

 

1. Ps. V, 11.— 2. Prov. XXIV, 16.— 3. Job, II, 7-10.— 4. Ps. XXXVI, 24. — 5. Jacques, IV, 6. — 6. Ps. CXLIV, 15.

 

injuste, Dieu nous châtie quelquefois en nous exauçant; mais après avoir demandé ce qui est juste, ne nous décourageons point, ne nous rebutons point, si nous ne sommes point exaucés ; que nos yeux tournés vers le Seigneur attendent la nourriture qu’il donne à temps opportun. S’il nous refuse parfois, c’est de peur que ses dons ne soient préjudiciables. L’Apôtre ne faisait point une demande injuste, quand il priait Dieu de lui ôter cet aiguillon de la chair, cet ange de Satan qui le souffletait ; et pourtant il n’obtint pas ce qu’il demandait, parce que c’était le temps d’exercer sa faiblesse, et non de lui donner la nourriture. « Ma grâce te suffit », lui répondit le Seigneur, « car c’est dans la faiblesse que la vertu se fortifie 1 ». Le diable demanda de mettre Job à l’épreuve, et l’obtint 2. Remarquez bien ceci, mes frères, c’est un mystère profond, qu’il nous faut étudier, reprendre souvent, retenir de manière à ne jamais l’oublier, à cause des épreuves en si grand nombre de cette vie. Que dirai-je? Faut-il mettre saint Paul en parallèle avec Satan ? Saint Paul prie et n’est point exaucé; le diable prie, et reçoit ce qu’il demande. Mais saint Paul ne fut point exaucé, afin qu’il en devînt plus parfait; le diable fut exaucé pour sa propre damnation. Job lui-même enfin recouvra la santé en temps opportun. Dieu différa néanmoins pour le mettre à l’épreuve: il fut longtemps affligé de sa plaie, parla beaucoup, supplia le Seigneur de le délivrer de tant de maux, et le Seigneur ne le délivrait point. Il accorda plus promptement au diable le pouvoir de tenter Job, qu’à Job la délivrance qu’il sollicitait. Apprenez donc â ne point murmurer contre Dieu, et quand vous n’êtes point exaucés, ne cessez de répéter ce que nous avons dit plus haut: « Tous les jours je vous bénirai ». Le Fils unique de Dieu lui-même était venu pour souffrir , pour payer ce qu’il ne devait point, pour mourir entre les mains des pécheurs, pour effacer de son sang l’arrêt de notre mort ; c’est pour cela qu’il était venu ; et néanmoins afin de te donner l’exemple de la patience, il a pris le corps de notre faiblesse pour le transfigurer, en le rendant conforme à son corps glorieux 3. « Mon Père », dit-il, « que ce calice s’éloigne de moi, s’il est possible 4». Et bien qu’il ne

 

1. II Cor. XII, 7-9 — 2. Job, I, 9-12; II, 4-6. — 3. Philipp. III, 21. — 4. Matth. XXVI, 39.

 

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reçut point ce qu’il semblait demander, afin d’accomplir cette parole du psaume : « Je vous bénirai chaque jour » ; toutefois a-t-il ajouté: « Que votre volonté s’accomplisse et non pas la mienne, ô mon Père. Les yeux de tous espèrent en vous, et vous leur donnez la nourriture en temps opportun».

20. « Vous ouvrez la main et vous comblez de vos bontés tout ce qui respire 1». Si quelquefois vous ne donnez point, vous donnez toutefois en temps opportun ; vous différez sans refuser, et cela en temps opportun.

21. «Le Seigneur est juste dans toutes ses voies 2». Qu’il nous frappe ou qu’il nous guérisse, il n’en est pas moins juste; il n’y a point d’injustice en lui. Aussi tomas les saints, dans l’affliction, ont chanté sa justice et sollicité ses bienfaits. Ils ont dit tout d’abord :  Ce que vous faites est juste, Seigneur. Ainsi pria Daniel, ainsi tous les autres saints : Vos jugements sont justes, il est bien pour nous, il est juste de souffrir 3. Ils n’ont point cru que Dieu iût manquer de justice, ou d’équité, ou de sagesse. Ils l’ont béni quand il les frappait, béni encore quand il les nourrissait. «Le Seigneur est juste dans toutes ses voies». Que nul ne regarde ses douleurs comme une injustice de la part de Dieu, qu’il chante la justice de Dieu et n’accuse que sa propre injustice. « Le Seigneur est juste dans toutes ses voies, il est saint dans toutes ses oeuvres ».

22. « Le Seigneur est proche de ceux qui l’invoquent 4 ». Mais que devient cette parole : « Voilà qu’ils m’invoqueront, et je ne les exaucerai point  5 ? » Vois d’abord ce qui suit: « De tous ceux qui l’invoquent en vérité ». Car beaucoup l’invoquent, mais non point dans la vérité; ils désirent quelque chose de lui, mais sans le chercher lui-même. Pourquoi aimer Dieu? Parce qu’il m’a donné la santé. J’en conviens, c’est lui qui te l’a donnée. Nul autre que lui ne saurait donner la santé. Je l’aime, dit celui-ci, parce qu’il m’a donné une femme riche, à moi qui étais dans l’indigence, une femme soumise. Tu as raison, c’est Dieu qui te l’a donnée. Il m’a donné, dit celui-là, des enfants nombreux et sages, une grande famille, de grands biens. Est-ce pour cela que tu l’aimes ? Pour cela que tu n’attends plus rien de lui? Sois encore

 

1. Ps. CXLIV, 16.— 2. Id. 17. — 3. Dan, III, 27-31; IX, 5-19. — 4. Ps. CXLIV, 18. — 5. Prov. I, 28.

 

affamé, frappe encore à la porte du Père de famille, il a d’autres biens à te donner. Avec tout ce que tu as reçu, tu es pauvre encore et tu ne le sais pas. Tu es encore vêtu d’une chair misérable et mortelle, tu n’as pas reçu ce vêtement de gloire et d’immortalité, et tu es déjà las de prier? « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu’ils seront rassasiés 1». Donc, si Dieu est bon pour t’avoir donné ces biens, quel ne sera point ton bonheur, quand il se sera lui-même donné? Tu as tant désiré de lui; je t’en prie, désire qu’il te fasse don de lui-même. Il n’y a pas dans ces biens plus de délices que dans lui-même, et l’on ne saurait aucunement les lui comparer. Donc celui qui préfère Dieu lui-même, dont il a reçu tous ces biens, à ces mêmes biens qui font sa joie, invoque Dieu en vérité. Pour vous faire mieux comprendre mes paroles, faisons à ces hommes cette proposition : S’il plaisait à Dieu de vous ôter tous ces biens qui font votre joie, qu’arriverait-il ? Qu’on l’aimerait moins, et que nul ne dirait : « Le Seigneur a donné, le Seigneur a ôté ; ainsi qu’il a plu au Seigneur il a été fait; que le nom du Seigneur soit béni 2 ». Mais que dit cet homme à qui Dieu a enlevé ses biens? O Dieu! que vous ai-je fait? Pourquoi m’ôter mes biens pour les donner à d’autres? Vous les donnez à des méchants, et les enlevez à vos serviteurs, C’est accuser Dieu d’injustice et faire valoir votre justice. Au contraire, accuse-toi, et bénis Dieu. Tu auras le coeur droit quand tu béniras Dieu des biens qu’il t’aura faits, sans l’aimer moins dans les maux qu’il faut supporter. C’est là invoquer Dieu en vérité. Dieu exauce tous ceux qui l’invoquent de la sorte:

«Il est proche», c’est-à-dire qu’il est là, bien qu’il ne t’ait pas donné encore ce que tu désires. Un médecin met quelquefois sur les yeux ou sur les entrailles, tel emplâtre qui ne guérit qu’en brûlant. Que le malade le supplie de l’enlever, le médecin attendra le moment, loin de se plier à la volonté du malade; et toutefois il ne l’abandonne point. Il est près de lui sans lui complaire, et lui complaît d’autant moins qu’il est plus près de le guérir. C’est pour le guérir qu’il a mis l’emplâtre, pour le guérir encore qu’il ne fait point ce que voudrait ce malade. Dieu ne t’exauce point dans ton désir actuel, afin de

 

1. Matth. V, 6. — 2. Job, I, 21.

 

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te donner la santé pour l’avenir; et en cela il     fait aussi ta volonté. Car un malade qui ne veut rien de brûlant, veut néanmoins la santé. « Le Seigneur est donc près de tous ceux qui l’invoquent». Mais comment de tous? « De tous ceux qui l’invoquent dans la vérité ». Il soutient, quand ils chancellent, « ceux qui l’invoquent dans la vérité ».

23. « Il fera la volonté de ceux qui le craignent ». Il fera leur volonté; oui, il la fera; s’il ne la fait pas maintenant, il la fera un jour. Si tu crains Dieu au point de faire sa volonté, voilà qu’à son tour il devient ton serviteur, et fait ta volonté. « Il exaucera  leurs prières, et les sauvera 1». Ainsi en est-il du médecin qui exauce, puisqu’il sauve. Quand le Seigneur en agira-t-il ainsi? Ecoute un mot de l’Apôtre : « C’est l’espérance qui nous sauve; or, l’espérance que l’on voit n’est plus une espérance; et si nous ne voyons point ce que nous espérons, nous l’attendons par la patience 2 » ; et ce que nous attendons, c’est le salut, qui est sur le point d’être révélé au dernier jour, comme nous l’apprend saint Pierre 3.

24. « Le Seigneur garde tous ceux qui l’aiment, et il perdra les pécheurs ». Vous voyez en Dieu et une sévérité et une douceur inexprimables. Il sauve tous ceux qui espèrent

 

1. Ps. CXLIV, 19. — 2. Rom. VIII, 24, 25. — 3. I Pierre, I, 5.

 

en lui, tous ceux qui le craignent, tous ceux qui l’invoquent dans la vérité: « Et il perdra les pécheurs 1». Quels sont tous ces pécheurs, sinon tous ceux qui persévèrent dans le péché, qui osent bien s’en prendre, non point à eux-mêmes, mais à Dieu, qui disputent continuellement contre lui; qui désespèrent du pardon de leurs fautes, qui les accumulent encore dans ce désespoir, ou bien qui se flattent faussement dû pardon, et qui, dans cette espérance funeste, ne quittent jamais, ni leurs péchés, ni leur impiété ? Un temps viendra où Dieu fera le discernement, où il en fera deux parts, une à sa droite, et l’autre à sa gauche ; où les justes recevront le royaume éternel, et les méchants le feu éternel 2. « Il perdra tous les pécheurs ».

25. Puisqu’il en èst ainsi, mes frères, et que nous venons d’entendre la bénédiction du Seigneur, les oeuvres du Seigneur, les merveilles du Seigneur, les miséricordes du Seigneur, les sévérités du Seigneur, sa providence dans toutes ses oeuvres, la confession glorieuse qui monte vers lui de toutes parts; écoutez comment le Psalmiste conclut à la g1oire de Dieu: « Ma bouche publiera les louanges du Seigneur; que toute chair bénisse son saint nom dans les siècles, et dans les siècles des siècles 3 ».

 

1. Ps. CXLIV, 20. — 2. Matth. XXV, 32, 33, 46. — 3. Ps. CXLIV, 21.

DISCOURS SUR LE PSAUME CXLV.
SERMON AU PEUPLE.
CHANT DE L’ÂME EXILÉE.
 

    Ici-bas notre âme s’efforce de s’élever à Dieu qui est descendu jusqu’à elle. — Bénis le Seigneur, ô mon âme. La joie est proposée ainsi à l’âme dans le trouble ; et l’interlocuteur n’est pas le corps, qui ne saurait donner un conseil, et qui est corruptible et inférieur à l’âme, celle-ci fût-elle souillée, comme le plomb le plus net est inférieur à l’or le plus maculé. C’est donc la partie supérieure, qui s’adresse à la partie inférieure, troublée par son attachement aux créatures, tandis que l’âme a besoin de s’attacher à Dieu afin qu’il la dirige, comme elle-même dirige le corps.

Je bénirai le Seigneur pendant ma vie, ou dans la terre des vivants, alors que le Seigneur sera notre héritage. Ici-bas nous passons, allant à une destination bien différente, comme le riche et Lazare ; mais dans la maison du Seigneur, nous le bénirons éternellement. Dieu seul doit être notre appui, et non les hommes qui ne sauraient sauver, encore moins les hérétiques se vantant de donner le salut. L’esprit s’en ira, et ils retourneront dans la terre avec leurs pensées. Bienheureux celui qui a pour appui le Dieu de Jacob, qui le fait Israël ; il est à nous par le culte que nous lui rendons et par te soin qu’il prend de nous sans l’un ou sans l’autre l’homme est stérile. Mais Dieu prend-il soin des hommes ? Oui, parce qu’il est le créateur de tout, et même du moindre insecte, et de plus qu’il sauvera les hommes et les animaux. Toutefois, selon l’Apôtre, il n’a aucun soin des boeufs ; mais c’est en ce sens qu’il ne donne pas des préceptes qui les concernent. L’Evangile nous dit que Dieu pourvoit à la subsistance des animaux. Nulle part on ne voit qu’il leur ait donné des préceptes, tandis que l’on voit que le moindre passereau ne tombera pas sans la volonté de Dieu, pas plus qu’un cheveu de notre tête.

C’est Dieu qui garde la vérité, qui rend justice à ceux que l’on opprime, c’est-à-dire à ceux qui souffrent pour la justice, et non à cause du mat qu’ils ont fait. Ainsi les hérétiques se plaignent des lois portées contre eux ; qu’ils considèrent leurs oeuvres qu’ils voient si elles sont justes. L’Evangile n’assigne pas le bonheur à ceux qui souffrent, mais à ceux qui souffrent pour la justice. Or, l’Eglise souffre pour la justice, elle qui doit vivre parmi ces scandales ; mais il n’en est pas ainsi des hérétiques persuadant aux hommes de nier qu’ils soient chrétiens, les conduisant à l’apostasie, et se prétendant justes.

Dans les ministres de l’Eglise, ne nous inquiétons pas de la sainteté de l’homme ; c’est Dieu qui donne la nourriture, et à tous ceux qui ont faim et soif de la justice. C’est lui qui délie les captifs et non les hérétiques, lui qui donne la sagesse aux aveugles. Cette captivité est celle du corps, dont Dieu nous délivrera en le rendant immortel. C’est pour ceux que le péché fait tomber que le Christ est descendu, lui qui aime les justes, les étrangers qui viennent dans le giron de l’Eglise il soutient la veuve ou l’Eglise sans époux en cette vie, et l’orphelin on le chrétien détaché de tout ce qui est ici-bas ; il confond la voie des impies, ou la voie large de ceux qui ne connaissent que les jouissances terrestres, et donne aux justes le royaume éternel.

 

1. Les divins cantiques font les délices de notre esprit; les larmes qu’ils font couler ne sont pas sans joie. Un chrétien fidèle, étranger au monde, n’a pas de plus agréable souvenir quecelui de cette cité dont il est banni; mais ce n’est ni sans douleur, ni sans soupir, que dans l’exil on se souvient de la patrie. Toutefois, l’espoir d’y retourner nous encourage et adoucit la douleur du bannissement. Que ces paroles divines s’emparent de votre coeur; que celui qui vous possède s’empare de son héritage ou de vos âmes, de peur qu’elles ne se détournent vers d’autres objets. Que chacun de vous soit ici tout entier, et non là; c’est-à-dire tout entier dans cette parole, qui retentit sur la terre, afin que cette parole élève notre coeur, et qu’il ne soit plus ici-bas. Car Dieu est avec nous, afin que nous soyons avec lui. Celui, en effet, qui est descendu jusqu’à nous, pour être avec nous, nous élève, afin que nous demeurions avec lui. C’est pour cela qu’il n’a point dédaigné notre exil, parce que Celui qui a tout créé n’est nulle part étranger.

2. Vous venez d’entendre un psaume; c’est la voix de quelqu’un, la vôtre si vous le voulez, une voix qui exhorte l’âme à louer Dieu, et qui se dit : « Bénis le Seigneur, ô mon âme ». Souvent, en effet, dans les peines de cette vie, dans les épreuves, votre âme se trouble en dépit de vos efforts; et c’est à cause de ce trouble que nous lisons dans un autre psaume « Pourquoi tant de tristesse, ô mon âme, et pourquoi me troubler? » Or, afin de calmer ce trouble, voilà que le Prophète lui propose une joie non point encore en réalité, mais en espérance; et à cette âme pleine de trouble, d’anxiété, de tristesse, de chagrin, il dit: « Espérez dans le Seigneur, car je le confesserai encore 2 ». II place dans la confession cette espérance qui le

 

1. Ps. CXLV, 2. — 2. Id. XLII, 5.

 

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relève, comme si cette âme qui le troublait par sa tristesse lui disait : Pourquoi me faire espérer dans le Seigneur? la conscience que j’ai de mes fautes m’en détourne ; je sais le mal que j’ai fait, et tu me dis: «Espère dans le Seigneur». Tu as péché, il est vrai ; sur quoi néanmoins baser ton espérance? C’est que je « le confesserai ». De même que Dieu hait le pécheur qui défend ses péchés, de même il aide celui qui les confesse. C’est donc cette espérance, et elle ne saurait être sans joie, bien que dans les difficultés de cette vie pleine d’orages et de tempêtes; c’est, dis-je, cette espérance qui relève notre âme, et qui lui donne la joie, comme l’a dit l’Apôtre: « Soyez pleins de joie dans l’espérance, et patients dans vos maux ». Elle se relève donc pour louer le Seigneur, et on lui dit : « Bénis le Seigneur, ô mon âme ».

3. Mais quel est l’interlocuteur, et à qui s’adresse-t-il ? Que dirons-nous, mes frères? Est-ce la chair qui dit: « Bénis le Seigneur, « Ô mon âme? » La chair peut-elle donner à l’âme un conseil aussi salutaire? Quelque soumise qu’elle soit, à quelque servitude que nous l’ayons réduite par les forces qui nous viennent de Dieu; dût-elle nous obéir comme l’esclave le plus docile; c’est beaucoup déjà qu’elle ne nous soit point un obstacle. Ensuite, mes frères, on ne demande conseil qu’aux plus parfaits. Notre âme est bonne sans doute, notre chair est bonne, puisque l’une et l’autre sont l’ouvrage de celui qui a bien t’ait toutes choses 2. Quoique ces deux substances soient bonnes chacune en son genre, l’Apôtre a dit néanmoins : « Le corps est mort à cause du péché 3 ». Sans doute ce corps sera tel un jour que Dieu nous l’a promis; mais il ne l’est pas encore, et nous nous réjouissons dans l’espérance qu’un jour il sera racheté, selon cette parole de l’Apôtre: « Nous gémissons en nous-mêmes, dans l’attente de l’adoption, qui sera la délivrance de notre corps. Car nous sommes sauvés par l’espérance. Mais l’espérance qui verrait ne serait plus l’espérance; comment espérer ce que l’on voit? Si nous espérons ce que nous ne voyons pas, nous l’attendons par la patience 4». Bien que notre corps soit bon en lui-même ; néanmoins, tant qu’il est mortel à cause du péché, tant qu’il est dans l’indigence, tant qu’il est assujetti à la corruption et au

 

1. Rom. XIII, 12.— 2. Gen. I,31.—  3. Rom. VIII, 10.— 4. Id. 23-25.

 

changement, de manière à n’avoir en lui-même aucune consistance, assurément nous avons lieu d’en désirer la rédemption, qui le tirera de cette misère. Mais comment doit-il être un jour? Tel que l’Apôtre nous l’adit quelque part : « Il faut que ce corps corruptible soit revêtu d’incorruption, et que ce corps mortel soit revêtu d’immortalité 1». Mais notre corps fût-il déjà un corps céleste et spirituel, un corps angélique et dans la société des anges, il ne pourrait même, en cet état, donner des avis à notre âme. Car le corps, dès lors qu’il est corps, est inférieur à l’âme, et l’âme la plus vile est toujours supérieure au corps le plus excellent.

4. Ne vous étonnez point qu’une âme vile et pécheresse soit toujours préférable au corps le plus parfait, le plus accompli; non point par son mérite, maïs par sa nature. Sans doute l’âme pécheresse a toujours quelque souillure par ses désirs déréglés; et néanmoins l’or, fût-il souillé, est toujours plus précieux que le plomb le plus pur. Que votre esprit passe en revue toutes les créatures, et vous ne trouverez pas incroyable que l’âme la plus vile soit plus précieuse que le corps le plus excellent. L’âme et le corps sont bien différents; j’ai un reproche pour l’âme, un éloge pour le corps; un reproche pour l’âme qui est dans l’injustice, un éloge pour le corps qui est vigoureux. Et toutefois, dans son genre, je puis louer ou blâmer l’âme, comme je puis blâmer ou louer le corps. Si vous me demandez quel est le meilleur, ou ce que j’ai blâmé, ou ce que j’ai loué, ma réponse vous étonnera. Assurément j’ai blâmé l’un, j’ai loué l’autre; et quand on me demande quel est le meilleur, je réponds: Ce que j’ai blâmé est préférable à ce que j’ai loué. Si ma réponse te surprend, souviens-toi de ce que j’ai dit à propos du plomb et de l’or. J’ai blâmé l’or il n’est pas bon, il est souillé, il n’est ni brillant ni épuré ; ce plomb est très-bon, rien de plus net. J’ai blâmé l’un, j’ai loué l’autre; je les mets sous tes yeux, blâmant l’un et louant l’autre. Mais après ce reproche et cette louange, situ me demandes quel est le meilleur, je répondrai l’or le moins pur est préférable au ploiaib le plus net. Comment préférable? Pourquoi le blâmer dès lors? Pourquoi l’ai-je blâmé? Parce que cet or n’est point ce qu’il peut être. Que peut-il

 

1. I Cor. XV, 53.

 

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être? Epuré, bien supérieur. Je l’ai blâmé parce qu’il n’est point encore épuré. Pourquoi ai-je loué le plomb? Parce qu’il est épuré au point de ne pouvoir devenir meilleur. Tu dis de même d’un cheval, qu’il est excellent, d’un homme qu’il est très-mauvais; et néanmoins tu préfères l’homme que tu méprises au cheval que tu estimes. Qu’on vienne à te demander quel est le meilleur des deux, tu répondras: L’homme, non par ses mérites, mais par sa nature. Il en est de même des professions. Tu diras : un excellent savetier, par exemple, et tu blâmeras un jurisconsulte, parce que beaucoup de lois lui échappent; te voilà donc louant un savetier, blâmant un légiste, et néanmoins, qu’on te demande celui qui est supérieur, tu préféreras le légiste, tout imparfait qu’il soit, au plus habile savetier. Que votre charité veuille bien m’écouter. Très-souvent, après avoir beaucoup Joué d’une part, et beaucoup blâmé d’autre part, nous préférons encore ce que nous avons blâmé à ce que nous avons loué. La nature de l’âme est bien supérieure à la nature du corps, elle est plus excellente, elle est spirituelle, incorporelle; elle touche à la substance de Dieu. C’est quelque chose d’invisible, qui régit notre corps, met les membres en mouvement, applique les sens, forme les pensées, produit les actions, reçoit une infinité d’images; et qui pourrait, mes frères bien-aimés, louer l’âme suffisamment? Et si l’on se trouve lourd en faisant l’éloge de l’âme, qui pourra suffire à louer l’auteur de l’âme? Telle est néanmoins la grâce de Dieu, que notre interlocuteur s’écrie : « Bénis le Seigneur, ô mon âme ». Qui pourrait louer Dieu? S’il disait : Chante, ô mon âme, tes propres louanges; peut-être ne trouverait-elle pas assez de paroles. « Bénis Dieu », lui dit-il. Cherche dans la ferveur de ta piété; lu n’auras point assez de louanges. Mieux vaut succomber en louant Dieu, que te louer avec avantage. Dès qu’on loue Dieu, sans expliquer ce que l’on voudrait, la pensée s’avance toujours dans les régions intérieures, et cette ampleur de pensée te rend plus capable de recevoir celui que tu bénis.

5. Qui donc, ainsi que j’avais commencé à le dire, quel interlocuteur vient nous dire s Bénis le Seigneur, ô mon âme? » Ce n’est point la chair. Car un corps, fût-il angélique, est inférieur à l’âme et ne saurait donner des conseils à ce qui est supérieur. L’âme serait bien malheureuse, si elle attendait un conseil du corps. La chair a raison d’obéir, elle est pour l’âme une servante : c’est l’âme qui commande, la chair qui obéit, l’âme qui conduit, la chair qui se laisse conduire ; comment la chair pourrait-elle donner à l’âme un conseil? Qui donc nous dit ici : « Bénis le Seigneur, ô mon âme? » Après la chair et l’âme nous ne trouvons plus rien dans l’homme : tout homme n’est que cela, une âme et un corps. Serait-ce l’âme qui se tiendrait ce langage, qui se parlerait à elle-même, qui s’exhorterait et s’exciterait de la sorte? Une partie d’elle-même était dans le trouble et dans la fluctuation; mais l’autre partie, que l’on nomme l’âme raisonnable, qui s’occupe de la sagesse, qui s’attache à Dieu, soupire vers lui, voyant que dans sa partie inférieure elle est troublée par des mouvements charnels, et forcée par les désirs terrestres de se répandre à l’extérieur, et d’abandonner Dieu intérieurement, elle revient d’elle-même du dehors au dedans, de ce qui est moindre à ce qui est supérieur, de ce qui est bas à ce qui est plus relevé, et elle s’écrie : « Bénis le Seigneur, ô mon âme ». Quelles délices trouverais-tu dans ce monde? Qu’y vois-tu de louable ou d’aimable? Que pourrais-tu y aimer? Quelque part que se tournent les sens de ton corps, tu vois le ciel, tu vois la terre; ce que tu aimes sur la terre est terrestre, ce que tu aimes dans le ciel est céleste. Partout quelque chose à aimer, partout quelque chose à louer; mais combien est plus louable encore celui qui a fait tout ce que relèvent tes louanges! Il y a longtemps déjà que tu vis dans ces préoccupations, que ces désirs si variés t’ont blessée, t’ont meurtrie; partagée entre lant d’amours, tu es partout inquiète, jamais en assurance : recueille-toi en toi-même, et si quelque chose te plaît au dehors, cherche quel en est l’auteur. Rien ne te paraît plus beau sur la terre que l’or et l’argent, par exemple, que les animaux, que les arbres, que les campagnes; parcours ainsi toute la terre. Mais dans le ciel, quoi de plus beau que le soleil, la Lune, les astres? Parcours ainsi tout le ciel : assurément tout cela est d’une beauté supérieure, car tout ce que Dieu a fait est très-bon 1. Partout la beauté de l’oeuvre te prêche la beauté de l’ouvrier. Tu

 

1. Gen. I, 31.

 

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admires l’édifice, aimes-en l’architecte. Ne te laisse pas absorber par l’oeuvre, au point d’en oublier l’auteur. Ce qui t’absorbe à ce point, il l’a mis au-dessous de toi, parce que c’est

-toi qu’il a fait au-dessous de lui-même. Nous attacher à ce qui est en liant, c’est fouler aux pieds ce qui est inférieur; te séparer de ce qui est en haut, c’est faire de tout le reste un supplice tour toi. C’est ce qui est arrivé, mes frères. L’homme a reçu un corps qui devait le servir: il devait avoir Dieu pour maître, le corps pour serviteur; au-dessus de lui le Créateur, au-dessous ce qu’il a créé; l’âme raisonnable placée au milieu reçut pour loi de s’attacher à ce qui est en haut, de régir ce qui est en bas. Mais elle ne saurait conduire ce qui est au-dessous d’elle, si elle-même n’est dirigée par ce qui lui est supérieur. Qu’elle abandonne ce qui est meilleur, et l’inférieur l’entraîne. Elle ne peut gouverner ce qu’elle gouvernait, parce qu’elle n’a point voulu se laisser conduire par son véritable guide. Qu’elle revienne donc et le bénisse. Eclairée par la lumière de Dieu, dans cette partie d’elle-même qui est raisonnable, et par où lui vient le conseil, l’âme se donne un conseil appuyé sur l’éternité de son auteur. Elle lit en Dieu quelque chose que l’on doit et craindre, et louer, et aimer, et désirer, et saisir, sans le tenir encore, sans l’avoir saisi; elle est enchaînée sous le coup d’un éclair, et n’est point assez forte pour y demeurer. Elle se recueille donc comme pour recouvrer la santé, et s’écrie : « Bénis le Seigneur, ô mon âme».

6. Quoi donc, mes frères? ne louons-nous pas le Seigneur? Ne lui chantons-nous pas chaque jour des hymnes? Chaque jour, autant qu’il est en nous, les louanges de Dieu ne s’échappent-elles point de nos bouches et de nos coeurs? Et qu’est-ce que nous louons? Ce qui est infiniment grand, comme est bien faible tout moyen de le louer. Comment le panégyriste peut-il atteindre dans sa hauteur celui qu’il veut chanter? Un homme s’en vient devant Dieu, il chante longtemps, le mouvement est sur ses lèvres, mais ses pensées voltigent de désirs en désirs Notre esprit est donc là pour louer Dieu à sa façon, tandis que l’âme, tiraillée par une foute de désirs, de soins et d’affaires, est dans l’agitation. L’esprit ou cette partie supérieure de l’âme, la voit dans cette fluctuation, et pour la détourner de ces inquiétudes fâcheuses, lui dit: « Bénis le Seigneur, ô mon âme». A quoi bon ces autres sollicitudes ? Pourquoi te laisser absorber par le soin de ces choses terrestres? Debout avec moi, et bénis le Seigneur. Mais l’âme appesantie , incapable d’une attitude ferme et digne, répond à l’esprit « Je louerai le Seigneur pendant ma vie ». Qu’est-ce à dire, pendant ma vie? C’est parce que je suis dans une véritable mort. Commence donc par exhorter ton âme : « Bénis le Seigneur, ô mon âme ». Et ton âme te répondra : Je le fais autant que je puis, mais faiblement, mais avec langueur, avec inconstance. Pourquoi? C’est que « nous sommes loin du Seigneur, tant que nous sommes en cette vie 1». Pourquoi louer ainsi Dieu, d’une manière si imparfaite, si inconstante? Interroge l’Ecriture : « C’est que le corps corruptible appesantit l’âme, et que cette habitation terrestre abat l’esprit capable des plus hautes pensées 2 ». Délivrez-moi de ce corps qui appesantit l’âme, et je louerai le Seigneur ; délivrez-moi de cette habitation terrestre qui abat l’esprit capable des plus hautes pensées, afin que de cette multitude je passe à une seule, qui sera de louer Dieu; mais dans l’état où je suis , ma langueur m’en empêche. Quoi donc ? Te faudra-t-il garder le silence, et ne jamais louer le Seigneur parfaitement ? « Je louerai le Seigneur pendant ma vie».

7. Qu’est-ce à dire, « pendant ma vie ? ».Vous êtes ici-bas mon espérance. C’est ici que vous êtes mon espérance, disons-nous à Dieu; quant à devenir mon héritage, ce n’est point ici-bas, mais dans la terre des vivants; et la terre que nous habitons est la terre des mourants 3. Nous sommes ici-bas de passage, l’in. portant c’est le terme où nous allons. Ici-bas, en effet, le méchant est un passager, comme le juste est un passager. Car nous ne voyons point que le juste passe, tandis que le méchant demeure, ou que le méchant passe, tandis que le juste demeure ; ils passent tous deux, mais non pour la même destination. Ils étaient bien deux, ce pauvre, couvert d’ulcères, couché à la porte du riche, et ce riche vêtu de pourpre et de fin lin, qui faisait chaque jour bonne chère. Ils étaient ici-bas tous deux, passaient tous deux par ici-bas, mais n’allaient point au même lieu; ils ont une destination différente, où les conduisent des

 

1. II Cor. V, 6. — 2. Sag. IX, 15 — 3. Ps. CXLI, 6.

 

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mérites bien différents. Le pauvre passa de la terre au sein d’Abraham, et le riche dans les tourments de l’enfer. Ils sont rapprochés sur la terre, l’un dans sa maison, l’autre devant sa porte, et la mort les a tellement séparés, qu’Abraham dit au riche: « Entre vous et nous, un immense abîme est éternel  1». Donc, mes frères, puisque c’est l’espérance qui est ici-bas notre nourriture, et que nous n’avons de vie parfaite que celle qui nous est promise ; ici-bas, les gémissements; ici-bas, les épreuves et les angoisses; ici-bas, les chagrins et les dangers ; notre âme louera le Seigneur comme il doit être loué quand s’accomplira celte parole d’un autre psaume: « Bienheureux ceux qui habitent votre mai son, ils vous loueront dans les siècles des siècles 2 » ; lorsque tout consistera pour nous à louer Dieu. Mais quand cela s’accomplira-t-il ? « Dans ma vie ». Qu’avons-nous, en effet, maintenant? Le Prophète pourrait l’appeler ma mort. Pourquoi ta mort? Parce que je suis éloigné du Seigneur. Si ma vie consiste à m’attacher à lui, m’en séparer c’est la mort. Mais d’où te vient ta consolation? De l’espérance. C’est donc l’espérance qui fait ta vie ; que l’espérance te porte à louer Dieu, te porte à le chanter. Ne chante point ce qui te fait mourir, chante ce qui te fait vivre. La mort te vient des afflictions de ce monde, et la vie de l’espérance du siècle futur. « Je louerai le Seigneur pendant ma vie », est-il dit.

8. Et comment loueras-tu ton Seigneur? « Je chanterai des psaumes à Dieu, tant que je suis ». Quelle est cette louange : « Tant que je suis je chanterai au Seigneur ? »Voyez, mes frères, ce que nous serons alors c’est être toujours, que louer toujours. Voilà que tu es aujourd’hui; est-ce ton Dieu que tu bénis tant que tu es?Voilà que tu chantais; mais une affaire t’a détourné, tu ne chantes plus, et tu es néanmoins ; tu es donc, mais sans chanter. Peut-être même la convoitise a-t-elle incliné ton coeur vers quelque objet, et tu offenses l’oreille de ton Dieu, loin de chanter ses louanges: et tu es cependant. Quelle sera donc cette louange que tu offriras à Dieu, dès lors que tu le béniras tant que tu seras? Mais qu’est-ce à dire: « Tant que je suis? » Est-ce qu’un jour le Prophète ne sera plus? Point du tout; il sera dans une

 

1. Luc, XVI, 19-26. — 2. Ps. LXXIII, 5.

 

éternelle durée, et dès lors dans une durée véritable. Une durée qui finit dans le temps, tant qu’on la prolonge, n’est pas une longue durée. « Je chanterai mon Dieu, tant que je suis».

9. Jusque-là, c’est bien. Tu béniras le Seigneur pendant ta vie ; tant que tu es ici-bas, tu chanteras ton avenir en Dieu. C’est bien attends de lui ce qui peut donner la confiance. Que l’espérance ne vous abandonne point dans ce lieu d’exil et d’épreuves, dans ces pièges et ces perfidies de notre ennemi, dans ces épreuves que le monde soulève comme des orages, dans ces labeurs et ces amertumes qui nous environnent de toutes parts. Que ferons-nous donc? Ecoute ce qui suit : « Ne mettez point votre confiance dans les princes ». Voilà, mes frères, une parole importante, c’est une parole divine, et qui vient d’en haut. Ici-bas, en effet, a’i milieu de nos faiblesses, l’âme, en butte à la tribulation, en vient à désespérer de Dieu et cherche à s’appuyer sur les hommes. Disons à l’homme que poursuit le malheur : Il est un homme puissant qui pourrait vous délivrer ; le voilà qui sourit, qui tressaille, qui se. redresse. Dites-lui : Voilà que Dieu va vous délivrer; et le voilà glacé par le désespoir. Le secours d’un mortel que l’on te promet te fait tressaillir de joie, et le secours de l’immortel t’attristera ? On te promet la délivrance par celui qui a besoin d’être délivré, et lu en ressens de la joie comme d’un grand secours; on te promet le secours de Celui qui est le libérateur, qui n’a aucun besoin de délivrance, et cette promesse te parait une fable. Malheur à ces pensées injustes, qui nous éloignent de Dieu, pensées qui sont la désolation, la mort la plus épouvantable. Approche donc, ô mon frère, commence à désirer, commence à chercher, commence à connaître celui qui t’a fait. Il n’abandonnera point son oeuvre, si son oeuvre ne l’abandonne point. Tourne- toi donc vers ce Dieu à qui tu as dit: « Je louerai le Seigneur pendant ma vie, je chanterai le Seigneur tant que je suis». Plein de l’esprit d’en haut, le Prophète nous avertit; et comme on ferait à des hommes éloignés, à des hommes égarés, et qui, loin de vouloir bénir le Seigneur, ne veulent même point espérer en lui, le Prophète nous crie : « Ne mettez point votre confiance dans les princes, dans les enfants des hommes, en qui n’est point le (248) salut 1». Le salut n’est que dans le Fils de l’homme , et non parce qu’il est fils de l’homme, mais parce qu’il est le Fils de Dieu; non parce qu’il a pris de toi, mais parce qu’il a conservé en lui-même. Nul homme donc n’a le salut, puisque le salut est dans le fils de l’homme précisément parce qu’il est « Dieu, et Dieu béni dans tous les siècles ».Il est dit du Christ qu’il est né d’eux selon la chair 2. De qui ? Des Juifs; c’est de nos pères que le Christ est né selon la chair. Mais cequi est né selon la chair, est-ce là tout le Christ? Non, car ce n’est point selon la chair qu’il est par-dessus tout le Dieu béni dans tous les siècles. C’est pour cela qu’il est le salut, puisque le salut appartient au Seigneur. Nous lisons, en effet, dans un autre psaume: « Le salut vient du Seigneur, et votre bénédiction sera sur votre peuple 3 ». C’est donc vainement que les hommes s’attribuent le pouvoir de sauver. Qu’ils se sauvent, s’ils le peuvent. Réponds à cet orgueilleux: Dire que tu me donneras le salut, c’est te glorifier; commence par te sauver, et vois si le salut est en toi. En considérant avec attention ta propre faiblesse, tu vois que tu ne l’as pas encore. Ne dis donc plus que j’aie à l’attendre de loi, mais, plutôt, attends avec moi ce salut. « Ne mettez point votre confiance dans les princes, et dans les fils des hommes, en qui n’est pas le salut». Voici venir, je ne sais d’où, certains princes qui nous disent: Moi je baptise, et tout ce que je donnerai, c’est ce qui est saint ; ce que vous avez reçu d’un autre n’est rien, ce qui vient de moi, au contraire, est quelque chose. O homme, ô prince, veux-tu être de ces enfants des hommes, de ces princes en qui n’est pas le salut? J’ai donc le salut, précisément parce que c’est toi qui me le donnes? Ce que tu donnes est-il à toi? Et même est-ce bien toi qui le donnes? Peut-on même dire que tu le donnes ? Que le canal dise alors que c’est lui qui donne l’eau; que le tuyau dise que c’est lui-même qui coule; que le héraut dise que c’est lui qui fait grâce. Pour moi, dans l’eau j’envisage la source, et dans la voix du héraut je reconnais le juge. Tu ne seras donc point l’auteur de mon salut. Il le sera, celui qui me donne pleine assurance; et je ne suis point sûr de toi. Et si tu n’es orgueilleux, je ne suis point seul pour douter de toi, tu en doutes avec moi.

 

1. Ps. CXLV, 3. — 2. Rom. IX, 5. — 3. Ps. III, 9.

 

Donc le salut me vient de celui qui est pardessus tout, puisque le salut vient du Seigneur. Toi, je te rencontre parmi les enfants des hommes, parmi les princes, et j’entends la voix du psaume: « Ne mettez point votre confiance dans les princes, dans les fils des hommes, en qui n’est point le salut ».

10. Qu’appelle-t-on vulgairement les enfants des hommes? Veux-tu le savoir? « Son esprit s’en ira, et la chair retournera dans sa terre 1 ». Voilà tout ce que dit la chair, sans savoir combien de temps elle parlera: elle menace et ne sait combien elle vivra. Son esprit s’en ira subitement, et élle retournera dans sa terre. Mais son esprit s’en ira-t-il comme il le voudra? Il s’en ira, et même s’en ira quand il ne le voudra point, et dans un temps qu’il ignore retournera dans sa terre. Quand l’âme s’en ira, la chair retournera dans la terre. Mais parce que c’était la chair qui parlait de la sorte (Pour dire en effet: Comptez sur moi, c’est moi qui vous donne, il n’y a que des hommes dont il est dit: « Ils sont chair »), « voilà que l’esprit sortira, et « elle retournera dans la poussière; en ce « jour périront toutes ses pensées o. Qu’est devenue cette enflure? Qu’est devenu cet orgueil? Où est cette jactance? Peut-être cet homme est-il au lieu du bonheur, avec les justes, si tant est qu’il soit passé. Car je ne sais où sera passé celui qui parle de la sorte. C’est l’orgueil qui parle de la sorte, et je ne sais où vont ces hommes, à moins qu’en jetant les yeux sur un autre psaume je ne voie pour eux un passage funeste. « J’ai vu « l’impie élevé plus haut que les cèdres du Liban, et j’ai passé, et voilà qu’il n’était plus, et je l’ai cherché, et sa place ne s’est e plus trouvée 2 ». Cet homme juste qui a passé, sans trouver l’impie, est donc arrivé où l’impie n’était point. Ecoutons donc tous, mes frères, écoutons, mes bien-aimés en Dieu. Quelles que soient nos tribulations, quel que soit notre désir de la grâce divine, gardons-nous de mettre notre confiance dans les princes, ou dans les fils des hommes, en qui n’est pas le salut. Tout cela est mortel, tout cela passe et doit finir, « Son esprit s’en ira, et il retournera dans sa terre : en ce jour périront toute ses pensées ».

11. Que faire donc, si nous ne devons espérer ni dans les fils des hommes, ni dans

 

1. Ps. CXLV, 4. — 2. Id. XXXVI, 35, 36.

 

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les princes? Que faire? « Bienheureux celui dont le Dieu de Jacob est le soutien 1». Heureux donc, non pas tel ou tel homme, non pas tel ou tel ange, mais celui qui a pour soutien le Dieu de Jacob : parce qu’il soutint Jacob au point d’en faire Israël. Secours éclatant! car Israël voit Dieu. Donc au milieu du pèlerinage de cette vie, si tu as pour soutien le Dieu de Jacob, tu deviendras Israël et tu seras le voyant de Dieu ; alors il n’aura plus ni labeur, ni gémissement, aux cuisantes inquiétudes succéderont les saintes louanges. « Bienheureux celui qui a pour soutien le Dieu de Jacob », et de ce même Jacob. Pourquoi ce bonheur? Il gémit quelque temps encore ici-bas ; mais « son espérance est dans le Seigneur son Dieu ». Celui en qui est maintenant son espérance, sera un jour pour lui son bien. Est-ce me tromper, mes frères, que dire que Dieu sera un jour notre bien? Ne pourrais-je pas dire qu’il sera notre héritage? « Vous êtes mon espérance, ma portion dans la terre des vivants 2 ». Vous serez donc mon partage, Seigneur; vous serez ma possession, et vous ne posséderez. Tu seras, ô mon frère, la possession de Dieu, et Dieu sera la tienne. Tu semas sa portion, afin qu’il te cultive, et il sera la portion pour le cultiver. Tu cultives le Seigneur en effet, et il daigne te cultiver. Je rends mon culte à Dieu, disons-nous, et l’on nous comprend. Mais comment Dieu peut-il ne cultiver? Nous lisons dans l’Apôtre : « Vous êtes le champ que Dieu cultive, l’édifice qu’il bâtit 3 ». Et le Seigneur : « Je suis la vigne, vous êtes les sarments, et mon Père est le vigneron 4 ». Le Seigneur donc te cultive pour te faire porter du fruit, et tu offres ton culte à Dieu, pour porter aussi du fruit. Que Dieu te cultive, c’est un avantage pour toi, et que tu offres ton culte à Dieu, c’est encore un avantage. Que Dieu cesse de cultiver l’homme, et l’homme est un champ stérile; que l’homme cesse de cultiver Dieu, c’est encore l’homme qui est désert. Dieu ne tire aucun accroissement de ton culte, ne perd rien de ton abandon. Il sera donc notre possession, afin de nous alimenter; et nous serons son héritage, afin qu’il nous gouverne.

12. « Son espérance est dans le Seigneur son Dieu ». Qu’est-ce que ce Seigneur son

 

1. Ps. CXLV, 5. — 2. Id. CXLI , 6. — 3. I Cor. III, 9. — 4. Jean, XV, I, 5

 

Dieu? Ecoutez, mes frères. Il en est beaucoup qui ont plusieurs dieux, et qu’ils appellent leurs maîtres, leurs dieux. Mais, dit l’Apôtre, « Bien qu’il y en ait beaucoup que l’on nomme dieux, soit dans le ciel, soit sur la terre, et qu’il y ait ainsi plusieurs dieux et plusieurs seigneurs, néanmoins il n’y a pour nous qu’un seul Dieu, le Père, d’où procèdent toutes choses, et un seul Seigneur, qui est Jésus-Christ, par qui tout a été fait 1 ». Que Dieu donc soit ton espérance, qu’il soit ton Dieu, que ton espoir soit en lui. Il a mis également sa confiance dans son Seigneur et son Dieu, celui qui adore Saturne; il a mis son espoir dans son Seigneur et son Dieu, celui qui adore Mars, ou Neptune, ou Mercure; que dis-je? qui adore son ventre, et dont il est dit : « Leur dieu c’est le ventre 2 ». Tel est donc le dieu de l’un et tel le dieu de l’autre. Mais quel est le Dieu de celui que le Prophète appelle heureux? « Celui qui a fait le ciel et la terre et e tout ce qui est en eux 3 ». Notre Dieu est grand, mes frères! Gloire à son saint nom, puisqu’il a daigné faire de nous son héritage. Tu ne vois pas encore le Seigneur, et tu ne saurais aimer pleinement ce que tu ne saurais voir encore. Tout ce que tu vois est son ouvrage. Tu admires le monde, et pourquoi point le Créateur du monde? Tu vois le ciel, et tu es dans l’effroi; tu considères la terre, et tu es dans la stupeur; comment embrasser par la pensée l’étendue des mers? Considère ces étoiles innombrables; considère ces germes si nombreux, ces animaux si divers, et ceux qui nagent dans les eaux et ceux qui rampent sur la terre, et ceux qui volent dans les airs, et ceux qui marquent leur passage dans les cieux, combien tout cela est grand, est admirable, est surprenant de beauté! Et voilà qu’il est ton Dieu, celui qui a fait tout cela. Mets en lui ton espérance, afin d’être heureux. « Son espérance est dans le Seigneur son Dieu ». Quel Dieu? « Celui qui a fait le ciel et la terre, et tout ce qu’ils renferment». Combien notre Dieu est grand!

13. Voyez, mes frères, combien est grand, combien est bon le Dieu qui fait de si grandes choses. Quelle a donc été la pensée de Dieu, (si toutefois l’on peut dire de Dieu qu’il a pensé) quand « il a fait le ciel et la terre, et tout ce. qui est en eux? » Tout cela est grand

 

1. I Cor. VIII, 5, 6. — 2. Philipp. III, 19 — 3. Ps. CXLV, 6.

 

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sans doute, me dira l’homme, je le vois: Dieu a fait le ciel, et la terre, et les mers. Mais quand est-ce que Dieu me compte parmi ses oeuvres? Est-il vrai qu’il prenne soin de moi, que je sois l’objet de ses pensées, qu’il sache même que je suis en vie? Que dis-tu, ô mon frère? ferme ton coeur à ces funestes pensées; prends place parmi ceux dont nous disions tout à l’heure : « Je louerai le Seigneur dans ma vie, je chanterai mon Dieu tant que je suis ». Mais c’est à des hommes tièdes que notre interlocuteur tient ce langage, il les stimule, il semble craindre qu’ils ne désespèrent d’eux-mêmes, dès lors que peut-être ils ne sont point dans la pensée de Dieu. Ils sont nombreux, en effet, ceux qui pensent de la sortent. Mais ils ne quittent le Seigneur, ils ne s’abandonnent au courant de toutes sortes de péchés, que par cette pensée que Dieu ne prend d’eux aucun souci. Ecoute les saintes Ecritures, et ne désespère plus de toi-même. Celui qui a pris soin de te faire n’aura-t-il donc plus soin de te refaire? Ton Dieu n’est-il pas celui qui a fait le ciel et la terre? Si le Prophète n’avait rien ajouté, peut-être pourrais-tu dire : Le Dieu qui a fait le ciel et la terre est grand sans doute; mais sa pensée descend-elle jusqu’à moi? On te répondrait : C’est lui qui t’a fait. Comment? Est-ce donc moi qui suis le ciel, ou moi la terre, ou moi la mer? Il est évident que je ne suis ni le ciel, ni la terre, ni la mer; mais je suis sur la terre. Tu es donc sur la terre, tu l’accordes du moins. Ecoute maintenant que Dieu n’a pas fait seulement le ciel, et la terre et les mers; car « il a fait le ciel, et la terre, et la mer, et tout ce qui les occupe ». Si donc tout ce qui les occupe est son ouvrage, toi aussi. Dire toi, ce n’est point assez : il a fait le passereau, la sauterelle, un vermisseau ; il n’est rien de tout cela qu’il n’ait fait, rien dont il ne prenne soin. Et ce soin n’est point éveillé par ses lois seulement, puisqu’il n’a donné des préceptes qu’à l’homme seul. Le Psalmiste a dit en effet : « Vous sauverez, Seigneur mon Dieu, les hommes et les animaux, selon votre grande miséricorde 1 ». C’est donc selon votre infinie miséricorde que vous sauverez les hommes et les bêtes. Mais l’Apôtre ajoute : « Est-ce que Dieu prend soin des  boeufs 2 ? ». D’une part nous lisons donc :

 

1. Ps. XXXV, 7. — 2. I Cor. IX, 9.

 

Dieu ne prend aucun soin des boeufs; d’autre part : « Seigneur, vous sauverez les hommes et les animaux ». Est-ce là une contradiction? Que veut dire l’Apôtre dans cette question : « Dieu prend-il soin des boeufs? » Quand le Seigneur a dit : « Vous ne lierez point la bouche au boeuf qui foule le grain 1 », avait-il donc en vue les boeufs? Il voulait spécifier certains boeufs en particulier. Car le Seigneur n’entend pas t’apprendre à soigner des boeufs; l’homme fait ici naturellement ce qu’il doit faire. Il est ainsi fait qu’il doit prendre soin des animaux qui lui appartiennent, Dieu ne lui a fait aucun précepte à cet égard, il lui a seulement donné la tendance qui l’a rendu propre à le faire: voilà ce qu’a fait Dieu. Mais un autre doit le conduire, comme lui-même conduit son bétail; et celui qui le dirige, lui a donné des préceptes. C’est donc dans le sens d’un précepte que Dieu se met peu en peine des boeufs; mais dans le sens de cette providence universelle par laquelle il a créé tout, et gouverne tout, nous devons dire : « C’est vous, Seigneur,qui « sauverez les hommes et les animaux ».

14. Que votre charité redouble d’attention. Quelqu’un m’objectera peut-être : C’est le Nouveau Testament qui dit que Dieu ne prend pas soin des boeufs ; tandis que l’Ancien Testament nous dit: « Seigneur, vous sauverez les hommes et les animaux ». On calomnie parfois les deux Testaments, en disant qu’il ne sont point d’accord. Qu’un homme s’en vienne me dire qu’il y a contradiction entre l’Ancien et le Nouveau, et me demander dans le Nouveau un passage qui ressemble à celui-ci : « Seigneur, vous sauverez les hommes et les animaux»; que répondrai-je?Rien de plus sommaire dans le Nouveau Testament, que l’Evangile. Or, je trouve dans cet Evangile que Dieu prend soin de tous les animaux, et dès lors nul ne saurait me contredire. L’Apôtre serait-il donc en contradiction ave l’Evangile? Ecoutons le Seigneur lui-même prince et maître des Apôtres : «Considérez », nous dit-il, « les oiseaux du ciel, qui ne sèment point, qui ne moissonnent point, qui n’amassent point dans les greniers, et votre Père céleste les nourrit 2 ». Donc, en dehors de l’homme, Dieu prend soin des animaux, seulement pour les nourrir, non pour leur donner des lois. Donc, s’il s’agit des préceptes,

 

1. Deut. XXV, 4. — 2. Matth. VI, 26.

 

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Dieu n’a aucun soin des boeufs ; mais quand il s’agit de créer, de paître, de gouverner, de conduire, tout appartient à Dieu. « Deux passereaux ne se vendent-ils pas une obole », dit Notre-Seigneur Jésus-Christ , « et l’un d’eux ne tombera pas sur la terre sans la volonté de votre Père? N’êtes-vous pas beaucoup plus qu’eux? » Garde-toi donc de dire: Dieu n’a de moi nul souci. Dieu prend soin de ton âme, Dieu prend soin de ton corps, parce que Dieu a fait ton âme et a fait ton corps. Mais Dieu, diras-tu, ne me discerne point dans une si grande foule. Voici dans l’Evangile un texte bien surprenant: « Tous les cheveux de votre tête sont comptés » 1.

15. « Dieu donc est mon Dieu, en lui est mon espérance ; c’est lui qui a fait le ciel et la terre, la mer et tout ce qui les occupe». Mais en ce qui me concerne, que fait-il pour moi? « Il conserve la vérité pour jamais 2 ». Le Prophète nous apprend à aimer Dieu et à le craindre. « Il garde pour toujours la vérité ». Quelle est la vérité qu’il garde pour jamais, quelle vérité et comment la conserver? « Il rend justice à ceux que l’on opprime». Il prend en main la défense de ceux que l’on opprime, et il leur rend justice, mes frères. A qui? A ceux que l’on opprime, en châtiant les oppresseurs. Si donc il favorise les opprimés et châtie les oppresseurs, vois parmi lesquels tu veux être compté. Vois et considère si tu veux être parmi les opprimés, ou parmi les oppresseurs. Voici une parole de saint Paul, qui s’adresse à toi : « C’est être déjà criminel », te dit-il, «que d’avoir des procès. Pourquoi ne pas souffrir qu’on vous fasse tort 3 ? » Le voilà qui blâme les hommes de ne vouloir endurer aucun tort. Il ne l’engage pas à souffrir la peine, mais l’injure; car toute peine n’est pas pour cela une injure. Il n’y a d’injure qu’à souffrir contre le droit. te dis pas : Je suis au nombre de ceux qui souffrent l’injure, car j’ai souffert à telle ou elle occasion. Vois si c’est injustement que tu as souffert. Les voleurs souffrent souvent, nais non l’injustice. Les hommes coupables le crimes, de maléfices, d’effractions, d’adultères, de corruption, souffrent tous de grands maux, mais ne souffrent pas l’injustice. Autre est endurer l’injustice, et autre subir une affliction, une peine, une douleur, un châtiment. Considère où tu es, vois ce que tu as

 

1. Matth. X, 29-31. — 2. Ps. CXLV, 7. — 3. I Cor. XI, 7.

 

fait, la cause de ta souffrance, et tu comprendras par là ce que tu endures; car le droit et l’injustice sont contradictoires , puisque le droit c’est tout ce qui est juste. Mais tout ce qu’on appelle droit, n’est pas le droit pour cela. Que sera-ce si l’on se fait un droit injuste? On ne saurait donc appeler droit ce qui est inique. Le véritable droit est donc bût ce qui est juste. Examine dès lors ce que lu as fait, et non ce que tu souffres. Si tu as fait ce qui est juste, ta douleur est injuste; mais si tu as commis l’injustice, tu souffres justement.

16. Pourquoi parler ainsi, mes frères ? Afin que les hérétiques 1 ne s’applaudissent point quand ils ont à souffrir de la part des édits des princes d’ici-bas, afin qu’ils ne se mettent pas au nombre de ceux qui souffrent injustement, et qu’ils ne disent point : Voici un psaume consolant pour moi, puisque j’adore le Dieu « qui rendra justice à tous ceux que l’on opprime ». J’ai des raisons pour te demander si c’est injustement que tu souffres. Si tu as pratiqué ce qui est juste, on est injuste en te châtiant. Mais est-ce une justice de se soulever contre le Christ? Est-ce une justice d’élever autel contre autel, par une orgueilleuse rébellion? Est-ce justice de déchirer l’Eglise, quand les bourreaux ne déchirent point la tunique du Christ 2? Si tout cela n’est point le droit, tout ce que tu endures pour l’avoir fait est donc juste. Tu n’es donc pas au nombre de ceux qui souffrent injustement. Je lis dans l’Evangile un passage plus clair encore : « Bienheureux » , est-il dit « ceux qui souffrent persécution ». Attends:

pourquoi te hâter? Pourquoi dire: c’est moi? Attends, dis-je, et je te lirai tout. Tu as entendu : « Bienheureux ceux qui souffrent u persécution » ; et déjà tu commences à t’adjuger ce bonheur. Voici tout le passage, situ le permets; vois ce qui suit : « Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice 3 ». Dis maintenant : C’est moi. Dis: C’est moi, si tu l’oses. Reprenons alors ce que nous avons dit plus haut , et pour abréger, faisons une seule question : Si tu condamnais un homme sans connaître bien sa cause, aurais-tu l’audace de prétendre garder la justice ? Appellerais-tu injustice le mal qui pourrait t’en revenir ? Tu t’ériges donc insolemment sur le tribunal de ton coeur, pour

 

1. Les Donatistes. — 2. Jean, XIX, 24. — 3.Matth. V, 10.

 

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en être précipité bientôt, et tu oses bien juger un homme dont tu ignores la cause? Traiter ainsi un seul homme, c’est injustice, et tu te croiras juste en traitant de la sorte le monde entier? Et qui donc, mes frères bien-aimés, qui donc endure l’injustice, sinon l’Eglise catholique qui souffre tous ces maux ? Elle gémit au milieu de tant de scandales des hérétiques, elle voit les artifices, les insinuations perfides arracher les faibles de son giron; elle voit les petits enfants que l’on traîne je ne sais par quels détours, comme par autant de cavernes détestables, et que l’on rebaptise, pour anéantir en eux Jésus-Christ, pour tuer en eux, non plus cette chair mortelle qui en fait des hommes, mais ce qui doit les faire vivre éternellement. On fait dire à un homme: Je ne suis point chrétien, et l’on appelle cela juste. Tu te présenteras à l’évêque, lui dit-on, garde-toi de lui dire que tu es chrétien. Te dire chrétien, c’est t’exposer à n’en rien recevoir; dis que tu ne l’es pas, et tu recevras. Quel est cet avis, ô chrétien? Que nous enseignes-tu? Tu souffres persécution, j’en conviens; mais n’es-tu pas plus réellement un persécuteur? Quand les empereurs persécutaient les chrétiens, ils les contraignaient par la menace, comme toi par la persuasion. Tu fais dire à un chrétien qu’il ne l’est pas, obtenant ainsi par la persuasion ce que les bourreaux n’obtenaient point par la mort. Tu laisses vivre un homme qui nie être chrétien. Il est renégat, et il vit ? Non, il ne vit plus. C’est un cadavre qui te répond. Frappé par le glaive du persécuteur, le martyr est tombé, mais il vit; celui à qui tu parles est debout, mais il est tombé. Souffrir pour de tels crimes, est-ce donc une injustice? Point d’illusion; si tes actes sont injustes , c’est justement que tu souffres. A qui donc fait justice « Celui qui garde la vérité éternellement? » A ceux qui subissent l’injustice.

17. Viens donc, et avec tes raisonnements si sages, si ingénieux, si subtils, viens nous dire que c’est là une véritable nourriture, dis-nous: Un affamé peut-il en nourrir un autre, c’est-à-dire un pécheur donner la sainteté? Un homme qui meurt de faim peut-il donner à manger? un malade peut-il guérir ? un homme garrotté en délier un autre? Grandes et subtiles raisons, dont on veut séduire les impies ! Que notre psaume leur ferme la bouche : « Dieu qui donne la nourriture à ceux qui ont faim ». Je n’attends rien de toi, « c’est Dieu qui donne la nourriture aux affamés ». A quels affamés? à tous. Qu’est. ce à dire, à tous? C’est-à-dire qu’il donne la nourriture à tous les animaux, à tous les hommes, et il ne réserverait aucune nourriture à ses bien-aimés ? S’ils ont une autre faim , ils ont aussi une autre nourriture. Cherchons d’abord de quoi ils ont faim, et nous verrons ensuite quelle est leur nourriture. « Bienheureux ceux qui ont faim et soit de la justice , parce qu’ils seront rassasiés 1 ». Nous devons avoir faim de Dieu. Présentons-nous devant sa porte, en sa présence, prions-le comme des mendiants; « c’est lui qui donne la nourriture à ceux qui ont faim ». Pourquoi, hérétique, le vanter de délier, de relever, d’éclairer? Diras-tu que tu es délivré, que tu es debout, que tu es lumière? loin de là. Ecoute ce qui vient d’être dit: « Ne mettez point votre confiance dans les princes, dans les fils des hommes, en qui n’est point le salut ». Ils ne donnent point le salut. Arrière donc tous les hérétiques. « C’est le Seigneur qui délie les captifs, le Seigneur qui relève ceux qui sont tombés , le Seigneur qui donne la sagesse aux aveugles 2 », c’est-à-dire qu’il rend sages ceux qui sont aveugles. Cette pensée nous explique parfaitement les précédentes; cette parole : « Il délie ceux que l’on enchaîne », aurait pu nous faire croire qu’il s’agit ici de ces serviteurs qu’un maître a mis aux fers pour quelque faute; et celle-ci:

« Il relève ceux qui tombent », reporte notre pensée sur l’homme qui trébuche et tombe,ou que son cheval renverse. Il est d’autres chutes, comme il est d’autres chaînes, comme il est d’autres ténèbres et une autre lumière. Le Prophète nous dit que le Seigneur « donne la sagesse aux aveugles », et non qu’il éclaire les aveugles, de peur qu’on ne le comprenne à la lettre, comme on le fait de cet aveugle à qui le Seigneur ouvrit les yeux et qu’il sauva, en faisant de la boue avec sa salive 3. Afin que nous n’attendions aucune de ces faveurs temporelles, le Prophète nous parle de cette lumière de la sagesse qui éclaire les aveugles. Les captifs donc sont déliés, les hommes tombés sont relevés, dans le même sens que les aveugles arrivent à la lumière de la sagesse. D’où vient que nous sommes enchaînés?

 

1. Matth. — 2. Ps. CXLV, 8.— 3. Jean, IX, 6, 7.

 

quelle chute nous a brisés ? Notre corps fut d’abord pour nous un ornement; le péché en fait une lourde chaîne. Quelle est cette chaîne que nous portons? Notre mortalité. Ecoute l’apôtre saint Paul, encore enchaîné dans ce lieu d’exil. Quelles contrées n’a point parcourues cet enchaîné? ses chaînes lui furent peu lourdes, puisque, nonobstant leur poids, il prêcha l’Evangile à l’univers entier: l’esprit de charité souleva ses chaînes, et il parcourut une infinité de régions. Que nous dit-il néanmoins? « Mon désir est d’être délié, afin d’aller avec le Christ ». Et toutefois, sa compassion pour les autres captifs lui fait désirer d’être lié, afin de les servir encore: « Mais demeurer en la chair», nous dit-il, « m’est nécessaire à cause de vous ». C’est donc « le Seigneur qui délie les captifs », c’est-à-dire qui, de mortels, nous rend immortels. « C’est le Seigneur qui relève ceux qui tombent ». Pourquoi tomber? parce qu’ils se sont élevés. Pourquoi sont-ils relevés? parce qu’ils se sont humiliés, Adam tomba et fut brisé 2 ; il tomba, tandis que le Christ descendit. Pourquoi descendre, lui qui n’avait fait aucune chute, sinon afin de relever celui qui était tombé? « Le Seigneur donne aux aveugles la sagesse ; le Seigneur aime les justes ». Aussi rend-il justice à ceux qui souffrent injustement,

18. Et quels sont ces justes? jusqu’où va maintenant leur justice? Voilà que le Prophète ajoute: « Le Seigneur garde les prosélytes 3 ». Ces prosélytes sont les étrangers or, toute l’Eglise de la Gentilité est prosélyte. Etrangère, elle s’est unie à nos pères, devenant ainsi leur fille, non par la naissance charnelle, mais par l’imitation de leur foi. Toutefois, c’est le Seigneur, et non plus un homme qui la protège. « Il soutiendra la meuve et l’orphelin ». Ne croyons pas qu’il doive soutenir l’orphelin dans son héritage, ou la veuve dans je ne sais quel procès. Sans doute le Seigneur nous soutient dans ces sortes d’affaires ; c’est lui qui fait le bien dans tous les services que les hommes se rendent mutuellement; lui qui soutient l’orphelin, n’abandonne point la veuve; mais en un sens, nous sommes tous orphelins, parce que notre père, sans être mort, est cependant absent. Sans doute les hommes appellent orphelin celui dont le père est mort, et à vrai

 

1. Philipp. I, 23, 24. — 2. Gen. III, 6. — 3. Ps. CXLV, 9.

 

dire, nos pères sont vivants, puisque l’âme ne meurt point. Ils vivent dans les supplices s’ils ont été méchants, et dans le repos, s’ils ont fait le bien: rien n’est perdu aux yeux du Créateur. Toutefois, aussi longtemps que nous sommes dans ce corps mortel, et que nous habitons un lieu d’exil, nous sommes loin de notre Père, à qui nous crions: « Notre Père qui êtes aux cieux 1». L’Eglise est donc veuve, puisqu’elle n’a point d’époux ici-bas, puisque son époux est absent. Il viendra, cet Epoux invisible qui la protége, cet Epoux désiré. Nous avons pour lui de violents désirs, nous aspirons à lui sans le voir. Un jour nous le verrons, nous jouirons de ses embrassements, sila foi nous tient attachés à lui, maintenant qu’il est invisible. Que veut donc nous montrer le Prophète dans cet orphelin et cette veuve, sinon ceux que l’on abandonne sans secours? Que l’âme délaissée ici-bas se promette le secours du Seigneur. Quelles que soient tes richesses, ton or, y mets-tu ta confiance? Tu n’es plus un prosélyte, un orplielin, tu n’es point compté avec les veuves, tu as un ami ; si tu t’appuies sur lui, délaissant le Seigneur, tu n’es pas sans secours. As-tu tous ces biens, sans t’en prévaloir, sans y mettre ta confiance? Tu as pour Dieu un orphelin, pour Dieu une veuve. Il soutient donc ceux que l’on abandonne, c’est là ce que dit le Prophète: « il soutient la veuve, il soutient l’orphelin ».

19. « Il confondra la voie des impies ». Quelle est cette voie des pécheurs? De rire de ce que nous disons ici. Quel est l’orphelin, nous disent-ils? quelle est la veuve? qu’est-ce que ce royaume des cieux, ce châtiment de l’enfer? Tout cela, fables chrétiennes! Je tiens àce que je vois: « Mangeons et buvons, car nous mourrons demain ». Prends garde aux paroles insidieuses de ces hommes; qu’elles ne descendent point de l’oreille dans le coeur; qu’elles rencontrent des épines dans ton oreille, et qu’il se retire devant leur aiguillon, celui qui essaierait d’y entrer. « Les mauvais discours corrompent les bonnes moeurs 2 », Mais pourquoi donc ces impies sont-ils heureux, me dira-t-on? Ils n’adorent point Dieu, ils commettent chaque jour de grands péchés, et cependant ils ont tous ces biens que je n’ai point. Loin de toi de rien envier aux pécheurs. Tu vois ce qu’ils reçoivent,

 

1. Matth. VI, 9.— 2. I Cor. XV, 32, 33.

 

mais ne vois-tu pas ce que Dieu leur réserve? Et comment voir ce qui est invisible, me diras-tu? La foi a des yeux, mes frères, et des yeux plus grands, plus perçants, plus durables que les yeux du corps. Ces yeux n’ont trompé personne; ah ! que ces yeux soient toujours vers le Seigneur, afin qu’il dégage tes pieds de toute embûche 1. La voie des pécheurs te plaît, parce qu’elle est large, et que beaucoup y sont entrés; tu en vois la largeur, mais non la fin. Cette fin, c’est un précipice; cette fin est un gouffre sans fond; et ceux qui marchent à l’aise et avec allégresse dans cette voie large sont plongés dans l’abîme. Mais tes yeux ne sont point assez perçants pour voir cette fin malheureuse : crois-en dès lors celui qui la voit. Et quel homme la voit donc? Nul homme, sans doute; mais le Seigneur est descendu pour te faire croire à Dieu. Or, voudrais-tu n’en pas croire le Seigneur ton Dieu, qui te dit : « Elle est large et spacieuse, la voie qui conduit à la perdition, et beaucoup y entrent par elle 2? » Telle est la voie que doit confondre le Seigneur, parce qu’elle est la voie des impies.

20. Et quand cette voie sera à sa fin que nous restera-t-il? « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé dès l’origine du monde 3 ». C’est

 

1.  Ps, XXIV, 15. — 2.  Matth. VII, 13. — 3. Id.XXV, 31.

 

par là que termine le Psalmiste : « Il confondra la voie des pécheurs ». Et toi? « Le Seigneur régnera éternellement 1 » ; réjouis-toi, parce qu’il régnera pour toi. Réjouis-toi, parce que tu seras son royaume. Vois en effet ce qui suit. Tu es certainement citoyen de Sion, et non de Babylone, ou de la cité de ce monde qui doit périr; mais tu appartiens à cette Sion affligée, étrangère pour un temps, et qui doit régner dans l’éternité. C’est donc de toi qu’il est question dans cette fin. « Le Seigneur régnera éternellement, ce Seigneur qui est ton Dieu, ô Sion ». Ton Dieu donc, ô Sion, doit régner éternellement; mais ton Dieu régnerait-il sans toi? « Et de génération en génération ». Le Prophète nomme deux générations, parce qu’il ne pouvait les nommer toutes. Mais la fin des paroles ne peut mettre la fin de l’éternité. L’éternité n’a que quatre syllabes, mais en soi-même elle est sans fin. On ne saurait t’en parler qu’en disant : « Ton Dieu régnera de génération en génération ». C’est dire peu; et si on le disait tout un jour, ce serait peu encore; et si on le répétait toute sa vie, ne cesserait-on pas enfin de le dire? Aime l’éternité, ô mon frère : tu régneras sans fin, si tu n’as d’autre fin que le Christ; avec lui tu régneras dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il!

 

1. Ps. CXLV, 10.
 
 
 

source: http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin/index.htm

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