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Saint Augustin d'Hippone
Discours sur les Psaumes 146 à 150

DISCOURS SUR LE PSAUME CXLVI.
SERMON AU PEUPLE, PRÊCHÉ PROBABLEMENT A CARTHAGE.
LA VIE DU JUSTE.
 

Il est bon de chanter des psaumes au Seigneur, qui peut nous récompenser, et s’il n’accorde pas toujours ce qu’on lui demande, c’est qu’il est père et connaît ce qui doit nous être utile. Louer Dieu, ce n’est point simplement chanter en son honneur: le Prophète veut ici un psaume, et le psaume s’exécute sur un instrument de musique, ce qui exige l’action des doigts, et nous figure les oeuvres. Une oeuvre bonne est donc une louange, et le péché devient un silence ; le tort que l’on inédite, un silence aussi. Toute action faite pour obéir à Dieu est donc une louange; elle est un blasphème dès qu’elle est eu dehors des bornes prescrites ; car la louange n’est pas bonne dans la bouche du pécheur, la licence est un un faux, et Dieu est attentif aux oeuvres plus qu’à la voix. L’Apôtre nous dit que nous devons louer Dieu, parce que le Christ est mort pour tous, et le Psalmiste, parce que Dieu bâtit Jérusalem, nous rassemble à la voix des Apôtres, guérit les coeurs brisés par le repentir ; or, ces coeurs brisés qui. sont un sacrifice agréable à Dieu, sont les coeurs humbles, qui confessent leurs péchés, les châtient sur eux-mêmes. C’est l’oeuvre de la rédemption. Mais la guérison ne sera parfaite que dans l’autre vie. En attendant le Seigneur bande nos plaies, quand il nous redresse par ses préceptes, et- nous aide par ses sacrements, qui sont comme des appareils et qu’il lèvera dans l’autre vie. — C’est Dieu qui compte les étoiles ou les flambeaux qui nous éclairent pour la vie éternelle ; tous ces flambeaux ne sont point marqués cependant pour la vie éternelle, et Dieu appelle par leurs noms ceux qui auront la charité et se tiendront unis à lui.

Dieu est grand, on ne saurait mesurer sa sagesse, qui est le nombre même, la mesure. Nous aurons part à cette mesure immuable, quand nous habiterons Jérusalem. Demandons à Dieu qu’il bande nos plaies, et dans les difficultés de l’Ecriture, frappons à la porte avec humilité. Dieu renverse tous ceux que leur orgueil fait regimber. Les Manichéens ont regimbé contre les Ecritures, et Dieu les a jetés à terre. Or, la terre pour eux, c’est la chair, et ils n’ont eu sur Dieu que des pensées grossières. Pour arriver au Seigneur, accusons-nous tout d’abord, puis faisons de bonnes oeuvres, et nous nous rapprocherons de Dieu en reformant en nous son image que le méchant a effacée ; de là. cette expression, qu’il est loin de Dieu. C’est ce même Dieu qui couvre le ciel de nuages, ou ses Ecritures de mystères, et prépare à la terre, les pluies de l’intelligence et de la grâce ; qui fait croître l’herbe sur les montagnes, c’est-à-dire qui amène les grands du monde, comme Zachée, à la pratique des bonnes oeuvres, qui prépare l’herbe pour les hommes en servitude, ou pour les ministres de l’Eglise qui ont droit à leur nourriture. Dépensons en bonnes oeuvres, au moins la dîme de nos revenus, car nous devons être plus parfaits que les Pharisiens.

Ces petits des corbeaux qui invoquent le Seigneur, c’est nous les fils des Gentils, convertis à la foi. Dieu ne met point ses complaisances dans la puissance du cheval ou dans l’orgueilleux qui lève la tête, ni dans les tabernacles de l’homme, c’est-à-dire dans l’hérésie, mais dans son Eglise. Espérons en lui, non comme Judas qui douta de sa miséricorde.

 

1. Nous avons écouté avec attention chanter notre psaume ; mais l’entendre tous, n’était pas le comprendre bus. Quelle attention ne devons-nous pas y apporter maintenant, si, comme je l’espère et le désire, Dieu touché des prières de tous ces auditeurs, nous dévoile ce qu’il y a d’obscur, de manière que votre attention à m’écouter vous soit profitable, et que nul ne s’en retourne sans fruit? Que dit le psaume en commençant? « Louez le Seigneur ». Voilà ce qui nous est dit, et non seu1ement à nous, mais encore à toutes nations. Cette voix que des lecteurs font entendre çà et là, est recueillie par des Eglises particulières ; mais la grande voix de Dieu qui domine toutes les autres, ne cesse de nous exhorter à le louer. Or, comme si nous demandions au Seigneur pourquoi nous devons louer Dieu, voyez quelle raison il nous donne: « Louez le Seigneur » , nous dit-il, « parce qu’il est bon de lui chanter des psaumes ». Est-ce donc là tout ce qui nous en reviendra? Louons le Seigneur. Pourquoi? « Parce qu’il est bon de lui chanter des psaumes ». Je voudrais bien, dira-t-on, louer le Seigneur, mais s’il payait ma louange de quelque récompense. Comment louer gratuitement, ne serait-ce qu’un homme? On ne loue donc les hommes que dans l’espoir d’une récompense; mais quiconque loue Dieu, ne saurait-il en attendre aucune récompense, ni demander, ni espérer? On loue un homme faible et avec espérance; on loue le Tout-Puissant et il n’aurait rien à donner? Serait-il impuissant à donner ce qu’on lui demande? Que peut désirer l’homme, qui ne soit sous la main de Dieu ? Quand on loue un homme, il arrive que l’on désire ce qu’il ne saurait donner. Mais pour Dieu, tu peux le louer en toute sécurité ; nul ne saurait dire qu’il est (256) impuissant à donner ce que l’on attend de lui. Nous devons donc louer le Seigneur en nous proposant quelque récompense, bien qu’il ne nous accorde pas toujours ce que nous désirons. Il est père, en effet, et ne donne point à des méchants fils ce q u’ils désirent. Bénissons-le donc, avec espérance et même avec désir, non point de telle ou telle faveur, mais de celle que juge à propos de nous accorder Celui que nous louons. Et il sait ce qui nous convient, c’est à nous d’attendre ce qui nous est utile. L’Apôtre l’a dit : « Nous ne savons ce qu’il convient de demander 1 ». Et le même saint Paul croyait qu’il lui serait avantageux d’être délivré de l’aiguillon de la chair, de cet ange de Satan qui le souffletait, selon ses aveux, et il dit : « Trois fois j’ai prié le Seigneur de m’en délivrer, et il m’a dit : « Ma grâce te suffit, car la vertu se perfectionne dans la faiblesse 2». Il désirait donc une faveur, que Dieu ne lui accorda point àsa volonté, afin de lui procurer la sainteté. Qu’est-ce donc que l’on nous propose ici? « Louez le Seigneur », dit le Prophète. Pourquoi louer le Seigneur? Parce qu’il est bon de lui chanter des hymnes. Ces hymnes sont la louange du Seigneur. C’est dire alors : Louez le Seigneur, parce qu’il est bon de le louer. Ne passons point légèrement sur cette parole : Louez le Seigneur. Elle est dite, et la voilà passée ; c’est fini , et nous rentrons dans le silence ; après avoir loué Dieu, nous nous sommes tus ; après le chant, le repos. Nous passons à ce qui nous reste à faire, et quand il se présente une autre occupation, cesserons-nous pour cela de louer Dieu ? Point du tout ; si la louange n’est qu’un moment sur ta langue, elle doit être continuellement dans ta vie. De là cette excellence du psaume.

2. Le psaume est un chant, non pas un chant quelconque, tuais un chant sur le psaltérion. Or, le psaltérion est un instrument de musique, du genre de la lyre, de la harpe et d’autres semblables. Chanter le psaume n’est donc pas seulement chanter de la voix, mais unir la main à la voix sur l’instrument que l’on appelle psaltérion. Veux-tu donc chanter un psaume? Non-seulement que ta voix fasse retentir les louanges de Dieu mais que tes oeuvres soient d’accord avec ta voix. Si tu ne chantes que de la voix, il y aura

 

1. Rom. VIII, 26. — 2. II Cor. XII, 7-9.

 

des silences, mais que ta vie soit une mélodie sans silences Tu es en affaires, et tu médites la ruse ; voilà un silence dans la louange de Dieu : et ce qui est plus grave, non-seulement tu cesses de louer Dieu, mais tu tombes dans le blasphème. Quand on loue Dieu à cause du bien que tu fais, c’est ta bonne oeuvre qui est une louange pour Dieu ; mais quand on blasphème Dieu à cause de tes oeuvres, tes oeuvres sont un blasphème. Que ta voix dès lors se fasse entendre pour stimuler l’oreille, mais que ton cœur ne se taise point, que ta voix ne soit jamais silencieuse. Ne méditer aucun tort dans les affaires, c’est chanter à Dieu. Quand tu manges, quand tu bois, chante, non point en flattant les oreilles par de suaves mélodies, mais en buvant, en mangeant avec sobriété, avec tempérance. Car voici ce que dit l’Apôtre : « Soit que vous buviez, soit que vous mangiez, soit que vous fassiez toute autre chose; faites tout pour la gloire de Dieu 1 ». Si donc tu fais bien de manger et de boire, pour soutenir ton corps et réparer tes forces, en rendant grâces à celui qui soutient ainsi la faiblesse d’un mortel ; boire et manger sont pour toi louer Dieu. Mais si une avide intempérance te pousse au-delà des bornes prescrites par la nature, situ vas jus. qu’à te gorger de vin, boire et manger sont pour toi un blasphème. Après avoir bu et mangé, tu cherches le repos et le sommeil; que ta couche n’accuse rien de honteux, rien de ce qui dépasse les bornes tracées par Dieu; sois chaste même avec ton épouse, et situ veux en avoir des enfants, n’obéis point à une luxure effrénée. Jusque dans ton lit, respecte une épouse ; puisque tous deux vous êtes membres du Christ, tous deux créés parle Christ, et rachetés par le sang du Christ. Agir ainsi, c’est louer Dieu, et rien dès lors n’interrompt ta louange. Mais quand viendra le sommeil ? Même pendant le sommeil, qu’une -conscience coupable ne te réveille point ; un sommeil innocent loue aussi le Seigneur Si donc tu bénis Dieu, chante non-seulement de la langue, mais prends aussi le psaltérion des bonnes oeuvres; parce que ce psaltérion est bon. C’est donc louer Dieu que travailler à ses affaires, louer Dieu que boire et manger, louer Dieu que prendre son repas, louer Dieu que dormir; quand cesse-t-on de louer Dieu? Cette louange sera parfaite quand nous

 

1.  I Cor. X, 31.

 

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arriverons à la cité des saints, quand nous seront semblables aux anges de Dieu 1 ; quand il n’y  aura plus à subir de nécessité corporelle, quand nous ne sentirons ni la faim, ni la soif, ni le poids de la chaleur, ni l’engourdissement du froid, ni les tourments de la fièvre, ni la destruction de la mort. Exerçons-nous par avance à cette louange parfaite, en louant Dieu par nos bonnes oeuvres.

3. Aussi, après avoir dit: « Louez le Seigneur, parce qu’il est bon de le louer sur le psaltérion » , le Prophète ajoute : « Que votre louange soit agréable à notre Dieu ». Comment cette louange sera-t-elle agréable à notre Dieu, sinon quand nous le bénirons par une vie pure? Ecoute bien comment cette louange peut lui être agréable. Il est dit ailleurs : « La louange n’est point belle dans la bouche du pécheur 2 ». Si donc la louange n’est point belle dans la bouche du pécheur, elle n’est point agréable ; car il n’y a d’agréable que le beau. Veux-tu que ta louange soit agréable à Dieu? Ne gâte point tes chants mélodieux parles tons faux d’une vie licencieuse. « Que votre louange soit agréable à Dieu ». Qu’est-ce à dire ? Menez une vie pure, ô vous qui louez Dieu. La louange des méchants ne peut que le blesser. Dieu s’arrête plus à considérer ta vie, qu’à écouter le son de ta voix. Assurément tu veux avoir la paix avec ce Dieu que tu chantes, niais comment l’avoir avec lui quand tu es en désaccord avec, toi-même? Quel désaccord avec moi-même , diras-tu? C’est que ta langue rend un son, ta vie un autre son. « Que votre louange soit agréable à Dieu». Un homme peut s’éprendre d’une louange, quand il entend louer avec une voix mélodieuse, des périodes arrondies et de fines pensées; mais «que votre louange soit agréable à Dieu », qui a l’oreille non plus à notre voix, mais à notre coeur, qui n’écoute point l’harmonie des paroles, mais celle de nos bonnes oeuvres.

4. Qui est notre Dieu, pour que notre louange lui soit agréable ? Il veut être doux pour nous, il veut se faire aimer de nous; rendons grâces à sa miséricorde. Il daigne s’offrir à notre amour, non qu’il puisse recevoir quelque chose de nous, mais bien plus pour nous donner lui-même. Comment donc Dieu veut-il se poser devant nous ? Ecoutez l’apôtre saint Paul : « Dieu fait éclater son

 

1. Matth. XXII, 30. — 2. Eccli. XV, 9.

 

amour envers vous ». Comment Dieu fait-il éclater cet amour ? Que l’Apôtre nous le dise, afin qu’on le compare avec notre psaume « Dieu», dit-il, « fait éclater son amour envers nous ». Comment le fait-il éclater? « C’est que nous étions pécheurs, et alors le Christ est mort pour nous 1 ». Que réserve donc à ceux qui le bénissent un Dieu qui signale ainsi son amour envers des pécheurs? Ainsi, voilà l’Apôtre qui nous dit que Dieu fait éclater son amour envers nous, au point que le Christ est mort pour les pécheurs ; non pour les laisser dans leur impiété, mais afin que la mort du juste les guérît de leur injustice; maintenant écoute notre psaume, que dit-il après ces paroles « Que notre louange soit agréable à Dieu ? » Voyons s’il nous en donne une raison qui s’accorde avec celle de l’Apôtre : « Que le Christ est mort pour les impies ». C’est, dit le Psalmiste, « qu’il bâtit Jérusalem et qu’il rassemble ceux d’Israël qui sont dispersés 2 ». Voilà que le Seigneur bâtit Jérusalem et qu’il rassemble son peuple épars. Le peuple d’Israël est, en effet, le peuple de Jérusalem, et il y a une Jérusalem éternelle, dont les citoyens sont les anges mêmes. Que signifie donc ici Israël ? Si par Israël nous entendons ce petit-fils d’Abraham, appelé aussi Jacob, comment ce nom d’Israël conviendra-t-il aux anges? Mais si nous examinons le sens de ce nom, car à Jacob le nom fut échangé contre celui d’Israël 6, ce nom d’Israël convient mieux à cette cité bienheureuse, et puissions-nous à notre tour être ensuite Israël. Que veut dire. Israël, en effet? Qui voit Dieu. Donc, les habitants de cette cité des cieux voient Dieu, et ce spectacle de Dieu même fait leur joie dans cette ville si grande et si auguste. Quant à nous, le péché nous a bannis de cette heureuse patrie, il nous a empêchés d’y demeurer, et le poids de notre mortalité nous empêche d’y retourner. Dieu a regardé notre exil, et lui qui rebâtit Jérusalem, en relève la partie tombée. Comment relever cette partie tombée ? « En rassemblant ce qui est dispersé d’Israël ». Une partie d’Israël est tombée, en effet, devenue étrangère; et cette étrangère, Dieu l’a regardée avec miséricorde, et a recherché ceux qui ne le cherchaient point. Comment les a-t-il cherchés ? Qui a-t-il envoyé dans notre captivité ? Il a envoyé un rédempteur selon cette

 

1. Rom. V, 8, 9. — 2. Ps. CXLVI, 2. — 3. Gen. XXXII, 28.

 

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Parole de l’Apôtre : « Dieu a signalé son amour envers nous, et quand nous étions encore dans le péché, le Christ est mort pour nous 1 ». C’est donc son Fils qu’il a envoyé pour nous racheter de notre captivité. Porte un sac avec toi, lui a-t-il dit, et mets-y le prix des captifs. Il a donc revêtu notre chair mortelle, où était le sang qu’il devait répandre pour nous racheter. Tel est le sang qui rassemble les enfants d’Israël qui sont dispersés. Or, si jadis il rassembla ceux qui étaient dispersés, combien faut-il s’appliquer à rassembler ceux qui le sont aujourd’hui? Si les dispersés d~autrefois furent rassemblés afin que la main de l’Architecte les taillât de manière à les faire entrer dans l’édifice, comment aujourd’hui faut-il rassembler ceux que leur agitation a fait tomber des mains de l’architecte? « C’est le Seigneur qui bâtit Jérusalem». Tel est le Dieu que nous louons, et que nous devons louer pendant toute notre vie : « Le Seigneur qui bâtit Jérusalem, et qui rassemble ceux d’Israël qui sont dispersés ».

5. Comment les rassembler? Que fait- il pour cela? « C’est lui qui guérit ceux dont le coeur est brisé 2 ». C’est ainsi que l’on rassemble ceux d’Israël qui sont dispersés, afin de guérir ceux dont le coeur est brisé. Ceux dont le coeur n’est point brisé, ne sont point guéris. Qu’est-ce alors que briser son coeur ? Je vous le dirai, mes frères, afin que vous puissiez être guéris. Cette expression se trouve en beaucoup d’endroits dans l’Ecriture, et principalement dans celui où le Psalmiste disait en notre nom: « Si vous aviez voulu un sacrifice, je vous l’eusse donné assurément mais les holocaustes ne vous sont point agréables». Quoi donc? Nous faudra-t-il demeurer sans sacrifice? Entends celui que Dieu veut qu’on lui offre. Le Prophète continue en disant : « Le sacrifice agréable à Dieu est une âme affligée, le Seigneur ne dédaignera point un coeur brisé et humilié 3. Il guérit donc les coeurs brisés» : parce qu’il s’approche d’eux pour les guérir; comme il est dit ailleurs: «Le Seigneur est proche de ceux qui ont brisé leur coeur 4 ». Quels coeurs sont brisés? Les coeurs humbles, Quels coeurs ne le sont point? Les orgueilleux. Uni coeur brisé sera guéri, un coeur élevé sera brisé. Car il n’est brisé sans doute, que pour être guéri ensuite.

 

1. Rom. V, 8. — 2. Ps. CXLVI, 3. — 3. Id. L. 18, 19. — Id. XXXIII, 19.

 

Que notre coeur donc, mes frères, ne s’élève point avant d’être droit. On s’élève pour sa perte, quand on ne s’est point redressé tout d’abord.

6. « Il guérit ceux dont le coeur est brisé, il bande leurs plaies ». Dieu donc guérit ceux dont le coeur est brisé, et dès lors il guérit ceux qui s’humilient, ceux qui confessent leurs fautes, ceux qui se punissent eux-mêmes, ceux qui exercent contre eux-mêmes un jugement sévère, afin de sentir ensuite sa miséricorde. Voilà ceux que Dieu guérit, mais leur guérison sera parfaite seulement quand cette mortalité sera passée, quand ce corps corruptible sera revêtu d’incorruption, ce corps mortel, d’immortalité 1; quand la chair souillée n’aura plus pour nous aucune sollicitation, non-seulement quand nous n’y succomberons plus, mais quand elle n’aura pires même aucune suggestion. Mainte. nant en effet, mes frères, combien d’attraits coupables pour notre âme ! Sans doute nous y résistons, et nos membres obéissent à la justice et non à l’iniquité; et toutefois le plaisir que nous causent ces sollicitations, bien qu’il n’y ait aucun consentement, est loin de la santé parfaite. Tu seras donc guéri, oui, tu seras guéri si ton coeur est brisé. Ne rougis plus de briser ton coeur; ceux-là, Dieu les guérit. Mais que puis-je faire maintenant, diras-tu? « Selon l’homme intérieur, en effet, je trouve du plaisir dans la loi de Dieu; mais je sens dans mes membres une autre loi qui combat contre la loi de mon esprit, et qui me tient captif sous la loi du péché ». Que faire? dis-tu. Brise ton coeur, confesse tes fautes, et dis avec l’Apôtre: « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera du corps de cette mort? » afin qu’il te soit répondu: « La grâce de Dieu, par Jésus-Christ Notre-Seigneur 2 ». Comment nous délivrera cette grâce dont nous avons reçu maintenant les arrhes? Ecoute le même Apôtre : « Le corps est mort sans doute à cause du péché, mais l’esprit est vie à cause de la justice. Si donc l’esprit de celui qui a ressuscité Jésus-Christ d’entre les morts habite en vous, celui qui a ressuscité Jésus-Christ d’entre les morts rendra aussi la vie à vos corps mortels, à cause de sou esprit qui habite en vous  3». Telles sont donc les arrhes qu’a reçues notre esprit, afin que nous commencions par la foi à servir

 

1. I Cor. XV, 53, 51. — 2. Rom, VII, 22 - 25. — 3. Id. VIII, 10, 11.

 

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Dieu, à être appelés justes par la foi, « puisque c’est de la foi que vit le juste 1 ». Tout ce qui nous résiste encore, tout ce qui nous est contraire vient de la mortalité de notre chair, et sera guéri. « Car Dieu rendra la vie à vos corps mortels, par l’esprit qui habite en vous ». C’est pour cela qu’il nous témoigne, par un gage, qu’il veut accomplir ce qu’il nous a promis. Mais maintenant dans cette vie, où nous confessons nos fautes, sans rien posséder encore, dans cette vie qu’arrivera-t-il? Comment être guéri? « Le Seigneur guérit ceux dont le coeur est brisé » ; mais la guérison parfaite arrivera quand nous l’avons dit; toutefois, en cette vie qu’arrive-t-il? « Il bande leurs plaies ». Celui-là, dit le Prophète, qui guérit ceux dont le coeur est brisé, et dont la santé parfaite n’arrivera qu’à la résurrection des morts, celui-là bande aujourd’hui leurs plaies.

7. Comment bander ces plaies? Comme les médecins bandent les fractures. Souvent, en effet, que votre charité veuille bien comprendre ce que comprennent ceux qui l’ont remarqué, ou l’ont appris des médecins: souvent les médecins brisent de nouveau afin de mieux redresser un membre mal replacé, ou mal affermi; ils font une blessure nouvelle, parce qu’une guérison défectueuse devient nuisible. «Les voies du Seigneur sont droites», a dit l’Ecriture, « mais l’homme au coeur dépravé y trouve des scandales 2 ». Qu’est-ce que l’homme au coeur dépravé? L’homme qui a le coeur tortueux. Un tel homme ne voit que du louche dans les paroles de Dieu, que des défauts dans ses actes; tous les jugements de Dieu lui déplaisent, surtout ceux qui doivent le châtier. Le voilà qui s’assied, qui montre que Dieu est en défaut parce qu’il n’agit point selon la corruption de son mur. C’est donc peu pour un coeur dépravé            de ne point se redresser selon Dieu; il prête à Dieu sa difformité. Que dit le Seigneur du haut du ciel ? C’est toi qui es tortueux, moi qui suis droit; si tu étais droit, tu reconnaîtrais que je le suis. Posez un bois tortueux sur un pavé bien uni, il ne saurait s’y appliquer : il branle, il est peu solide ; et cela ne vient pas de l’inégalité du pavé, mais de la difformité du bois. C’est ce qu’a dit l’Ecriture : « Que le Dieu d’Israël est bon à ceux dont le coeur est droit  3! » Mais cet autre coeur est tortueux,

 

1. Rom. I, 17. — 2. Osée, XXV, 10. — 3. Ps. LXXII, 1.

 

comment le redresser? Il est tortueux et endurci; qu’on brise alors ce coeur tortueux et endurci, qu’on le brise et qu’on le redresse. Tu ne saurais redresser ton coeur mais c’est à toi de le briser, Dieu le redressera. Comment le briser, le rendre contrit? En confessant tes péchés, en les châtiant toi-même. Que veut-on dire autre chose, en se frappant la poitrine? A moins peut-être de croire que nous frappons nos poitrines parce que toutes sont coupables. Mais non, c’est dire par là que nous brisons nos coeurs afin que Dieu les redresse.

8. « Dieu donc guérit ceux dont le coeur est brisé », contrit. Et cette guérison du coeur sera parfaite, quand notre corps sera complètement réparé, selon la promesse que nous en avons. Que fait cependant le médecin? Il bande tes blessures, afin que tu puisses arriver à la santé pleine et entière, et que tout ce qui a été brisé et bandé redevienne solide. Quelles bandes nous seront appliquées? Les sacrements de cette vie. Ces sacrements qui nous consolent, sont autant de bandages qui guérissent nos meurtrissures; ce que nous disons en vous parlant, ces exhortations qui frappent vos oreilles et qui passent, tout ce que l’on fait ici-bas dans l’Eglise, tout cela est appareil pour vos plaies. De même qu’après la parfaite guérison le médecin enlève tout appareil, de même dans la cité de Jérusalem, quand nous serons semblables aux anges, pensez-vous que nous recevrons encore ce que nous recevons ici? Aurons-nous besoin de lire l’Evangile pour affermir notre foi? Les pasteurs nous imposeront-ils les mains? Tous ces appareils de nos meurtrissures disparaîtront, quand la santé sera parfaite ; mais il n’y aurait point de guérison sans ces appareils. « Il guérit ceux dont le coeur est brisé, il bande leurs meurtrissures ».

9. « Il compte la multitude des étoiles, et les appelle par leurs noms 1 ». Qu’y a-t-il de grand pour Dieu à compter les étoiles? Les hommes ont essayé de les compter ; à eux de voir s’ils ont réussi; et toutefois ils n’en feraient point l’essai, s’ils n’espéraient y parvenir. Laissons-les, avec tout ce qu’ils ont pu faire, et au point qu’ils ont pu atteindre; niais pour Dieu, rien de grand à compter toutes les étoiles. Repassera-t-il ce nombre dans sa

 

1. Ps. CXLVI, 4.

 

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mémoire, de peur de l’oublier? Est-il bien étonnant que Dieu compte les étoiles quand il compte les cheveux de notre tête 1?  Il est évident, mes frères, que Dieu veut nous montrer un sens caché dans ces paroles: « Il compte la multitude des étoiles, et les appelle par leurs noms ». Ces étoiles sont les flambeaux de l’Eglise, qui nous consolent dans cette nuit terrestre, et dont l’Apôtre a dit : « C’est au milieu d’eux que vous apparaissez, comme des flambeaux dans ce monde ». . « Dans cette nation tortueuse et perverse », nous dit-il, « vous apparaissez au milieu d’eux comme des flambeaux dans le monde, portant en vous la parole de vie 2». Telles sont les étoiles comptées par le Seigneur; il connaît et il compte ceux qui doivent régner avec lui, être unis au corps de son Fils unique. Il ne compte point celui qui en est indigne. Beaucoup ont embrassé la foi, ou plutôt beaucoup se sont unis à son peuple avec une ombre, une apparence de foi; mais il sait ce qu’il doit compter et ce qu’il doit vanner. L’Evangile est parvenu à un point qui justifie cette parole : « J’ai annoncé et parlé : et ils se sont multipliés au-delà du nombre 3 ». Il y a donc parmi les peuples, des surnuméraires en quelque sorte. Comment surnuméraires? C’est-à-dire plus nombreux ici-bas que dans le ciel. Le peuple qui est dans cette enceinte est plus nombreux qu’il ne sera dans le royaume de Dieu, dans la Jérusalem du ciel; voilà les surnuméraires. Que chacun examine s’il brille dans les ténèbres, s’il est insensible aux séductions des ténèbres et des iniquités de ce monde : s’il n’est ni séduit ni vaincu, il sera comme une étoile que compte le Seigneur.

10. « Il appelle toutes les étoiles par leurs noms » ; c’est là toute notre récompense. Nous avons des noms devant Dieu, et qu Dieu connaisse ces noms, c’est ce qu’il nous faut désirer; c’est là que doivent tendre nos actiens et nos efforts, autant qu’il nous est possible : n’ayons de joie pour rien autre chose, pas même pour un don spirituel. Qu votre charité veuille bien m’écouter : les dons sont nombreux dans l’Eglise, comme l’a dit l’Apôtre: « L’un reçoit du Saint-Esprit le don de parler avec sagesse; l’autre reçoit du même Esprit le don de parler avec science ;

 

1. Matth. X, 30. — 2. Philipp, II, 15, 16. — 3. Ps. XXXIX, 6.

 

un autre le don de la foi par le même Esprit; un autre le don de guérir les maladies; un autre le don de discerner les esprits », c’est-à-dire de juger entre les bons esprits et les méchants; « un autre le don des langues, un autre le don de prophétie 1 ! » Que n’a-t-il pas énuméré ! Combien ces dons sont nombreux! Et pourtant beaucoup qui auront fait de ces dons un mauvais usage entendront à la fin : « Je ne vous connais pas ». Et que répondront à la fin ceux à qui l’on dira: « Je ne vous connais pas? — Seigneur, n’avons-nous pas prophétisé en votre nom, et en votre nom chassé les démons, et en votre nom encore opéré de grands prodiges ? »

Tout cela en votre nom. Et que leur dira le Seigneur? « En vérité, je ne vous connais point, retirez-vous de moi, ouvriers d’iniquité 2 ». Quel avantage donc à être une lumière du ciel, éclairant les autres sans se laisser vaincre par la nuit? « Je vous enseigne une voie bien supérieure encore » ,dit l’Apôtre 3. « Quand je parlerais toutes les langues des hommes et des anges, si je n’ai point la charité, je suis un airain sonnant, une cymbale retentissante ». Quel don de parler les langues des anges et des hommes! « Et pourtant si je n’ai pas la charité, je ne suis qu’un airain sonore, qu’une bruyante cymbale. Quand je pénétrerais tous les mystères, toute la science, quand j’aurais le don de prophétie et une foi capable de transporter les montagnes » (quels dons éminents, mes frères !), « si je n’ai la charité, je ne suis rien ». Combien grand encore le don du martyre, et de donner son bien aux pauvres! Et toutefois « quand même», poursuit l’Apôtre, « quand même je distribuerais mon bien aux pauvres, quand je livrerais mon corps pour être brûlé, si je n’ai la charité, tout cela ne me sert de rien 4 ». Quiconque, dès lors, n’a point la charité, peut bien posséder ces dons pour un temps, mais ils lui seront ôtés; on lui ôtera ce qu’il a parce qu’il lui manque quelque chose; et ce qui lui manque est précisément ce qui lui assurerait la possession du reste, et l’empêcherait de périr lui-même. Que nous dit maintenant le Seigneur? « A celui qui possède, on donnera encore; et à celui qui n’a point, on ôtera même ce qu’il a 5». Donc, pour celui qui n’a pas, on lui

 

1. I Cor. XII, 8-10. — 2. Matth. VII, 22, 23. — 3. I Cor. XII, 31, — 4. Id. XIII, 1-3. — 5. Matth. XIII, 12.

 

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ôtera même ce qu’il possède. Il a la grâce de posséder quelque don, mais il n’a pas la charité qui en use. Aussi voulut-il inculquer cette charité à ses disciples, afin de les faire marcher dans le ciel comme des étoiles dans la voie suréminente, celui qui compte les étoiles et les appelle par leurs noms. En effet, un jour ces disciples revinrent de la mission qu’il leur avait confiée, et dans leur joie ils s’écriaient : « Seigneur, voilà que les esprits immondes nous sont soumis à cause de votre nom » . « Mais celui qui compte les étoiles, et les appelle par leurs noms », sachant bien que plusieurs diront : N’avons-nous pas chassé les démons en votre nom? et qu’on leur répondra au dernier jour: « Je ne vous connais point », parce qu’il ne les avait point comptés parmi les étoiles, ni appelés par leurs noms, celui-là, dis-je, leur répondit: « Ne vous réjouissez point de ce que les esprits vous sont soumis, mais réjouissez-vous de ce que vos noms sont écrits dans le ciel 1. C’est lui qui compte les étoiles si e nombreuses et les appelle par leurs noms.»

11. « Notre Dieu est grand ». Le Prophète est plein de joie, il la répand d’une manière ineffable. Impuissant à parler, il avait du moins la pensée autant qu’il en était capable. « Notre Seigneur est grand, grande est sa puissance, et sa sagesse n’a point de nombre 2 ». On ne saurait compter celui qui suppute le grand nombre des étoiles. «Grand est notre Dieu, grande sa puissance, et osa sagesse n’a point de nombre ». Qui pourrait exposer le sens de ces paroles? Qui pourrait même comprendre d’une manière convenable cette parole .: « Et sa sagesse n’a point de nombre? » Dieu veuille se répandre lui-même dans vos âmes, et suppléer dans sa puissance à notre faiblesse, éclairant lui-même vos esprits, afin que vous compreniez ce que signifie « La sagesse n’a point de nombre ». Peut-on, mes frères, compter les grains de sable? Impossible à nous, Dieu seul le peut. Lui qui a compté les cheveux de notre tête 3, peut aussi compter les grains de sable. Tout ce qu’il y a d’infini dans ce monde, peut bien être infini pour les hommes, et non toutefois pour Dieu; c’est peu dire, pour Dieu, les anges  peuvent le compter : «Son intelligence n’a point de nombre ». Au-dessus de tous les calcule

est son intelligence, et nous ne saurions la

 

1. Luc, X, 17,20. — 2. Ps. CXLVI, 5. — 3. Matth. X, 30.

 

compter. Qui peut compter le nombre même? C’est du nombre que l’on se sert pour compter, et quel que soit votre calcul vous prenez le nombre; mais qui comptera le nombre même? il est tout à fait innombrable. Qu’est-ce donc en Dieu que ce nombre, par lequel il a tout fait, et où il a tout fait, pour qu’on lui dise : « Vous avez réglé toutes choses avec mesure, avec nombre et avec poids 1 ? » Qui pourrait évaluer le nombre, supputer la mesure, peser la pesanteur où Dieu a tout réglé? « Son intelligence donc n’a point de nombre ». Que la voix de l’homme se taise, que sa pensée devienne muette; que les hommes ne s’efforcent peint de comprendre ce qui est incompréhensible; qu’ils tâchent seulement d’y avoir une part, puisque nous y aurons part un jour. Nous ne serons point ce que nous comprenons, et nous ne pourrons le comprendre entièrement, mais nous en ferons partie; car il est dit de Jérusalem, dont Dieu rassemble les débris dispersés, il est dit une parole d’un grand sens: « Jérusalem qui est construite comme une cité, et dont les habitants participent à ce qui est le même 2 ». Or, qu’est-ce à dire, ce qui est le même, sinon ce qui ne change point? Tout ce qui est créé peut être d’une manière ou d’une autre; mais celui qui a tout créé ne saurait être de telle ou telle manière. Celui-là est donc le même; aussi est-il dit : « Vous les changerez, et ils seront changés; mais vous êtes toujours le même, et vos années ne finiront point 3 ». Si donc Dieu est toujours le même, s’il ne peut changer; en participant à sa divinité, nous deviendrons immortels à notre tour, et pour la vie éternelle. Et tel est le gage qu’il nous a donné en son Fils, comme je le disais tout à l’heure à votre sainteté, qu’avant de nous donner part à son immortalité, il a voulu prendre part à notre mortalité. Et comme il était mortel, non par sa propre substance, mais par la nôtre; de même nous serons immortels, non par notre substance, ruais par la sienne. Nous aurons donc part en Dieu; que nul n’en doute; l’Ecriture nous l’affirme. Et quelle part aurons-nous en Dieu, comme si Dieu était en plusieurs parts indivisibles? Qui pourra m’expliquer comment plusieurs pourront avoir part en celui qui est un, qui est simple? N’exigez pas de moi que je vous

 

1 Sag. XI, 21, — 2. Ps. CXXI, 3. — 3. Id. CI, 27, 28.

 

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explique ce qui est inexplicable, vous le voyez; mais revenez au remède que vous offre le Sauveur; brisez vos coeurs, brisez la dureté de l’âme, domptez ce qu’elle a d’inflexible, qu’elle confesse le mal qu’elle a fait, et renaisse dans le bien. Lui-même nous redressera, bandera nos blessures, affermira notre santé, et alors nous ne rencontrerons plus  d’impossibilité dans ce qui nous est impossible aujourd’hui. Il est bon, en effet, de confesser sa faiblesse, quand on veut parvenir à la divinité. « Et son intelligence n’a point de nombre ».

12. Aussi dans cette impossibilité de comprendre, le Prophète vient te montrer ce que tu dois faire, et te dit : « Le Seigneur reçoit ceux qui sont doux ». Tu ne comprends rien par exemple aux choses de Dieu, ou tu les comprends peu, ou tu ne saurais les pénétrer ; rends honneur à son Ecriture, honneur à sa parole, fût-elle voilée ; attends pieusement que tu puisses comprendre. Loin de toi la témérité d’accuser l’Ecriture ou d’obscurité ou de perversité. Il n’y a rien de mauvais, mais il y a de l’obscur, non que Dieu te veuille rien refuser, mais il veut te stimuler avant de te le donner. Si donc il y a de l’obscurité, c’est le médecin qui l’a voulu, afin de te forcer à frapper à la porte; il l’a voulu afin de t’exercer quand tu frappes, il l’a voulu, afin de n’ouvrir qu’à tes efforts 1. Frapper sera pour toi un exercice, et cet exercice dilatera ton coeur, et ton coeur dilaté sera plus capable de recevoir ses dons. Loin donc de t’irriter de ces obscurités, sois doux, plein de mansuétude. Garde-toi de regimber contre, ces obscurités, et de dire : Il ferait mieux de s’exprimer de la sorte. Depuis quand peux-tu dire ou juger de quelle manière on eût dû s’exprimer? Dieu a parlé comme il convenait de parler. Ce n’est point au malade à réformer les remèdes qu’on lui donne, le médecin sait les tempérer; crois en à celui qui travaille à te guérir. Aussi, que dit le Prophète? « Le Seigneur reçoit ceux qui sont doux ». Garde-toi donc de résister aux secrets de Dieu, afin qu’il te reçoive. Si tu veux résister, écoute ce qui suit : « Il abat les pécheurs jusqu’à terre ». Il y a des pécheurs de beaucoup de sortes; mais quels sont ces pécheurs qu’il humilie jusqu’à terre, sinon ceux qui sont opposés aux hommes doux? Dire en effet du

 

1. Matth. VII, 7.

 

Seigneur : « Qu’il reçoit les hommes doux et qu’il abat jusqu’à terre les pécheurs », c’est désigner par cette douceur, de quels pécheurs il est question. Ici nous entendons par pécheurs ceux qui manquent de douceur et de mansuétude. Pourquoi les humilier jusqu’à terre, sinon parce qu’en regimbant contre les choses spirituelles, ils n’auront plus que des sentiments terrestres?

13. C’est ainsi qu’il a traité les hommes qui voulaient se rire de la loi avant de la connaître, et qui ont manqué de docilité. Que votre charité comprenne bien ceci. Il s’est élevé une secte dépravée, celle des Manichéens, qui a tourné en dérision les Ecritures qu’on lit dans l’Eglise, et dont on respecte l’autorité; qui a osé condamner ce qu’elle n’entendait pas, et en jetant le blâme sur des questions qu’elle soulevait sans les comprendre, elle en a pris beaucoup dans ses filets. Pour les châtier de cette audace, Dieu les humilia jusqu’à terre ; il ne leur permit pas de comprendre les choses d’en haut, et dès lors ils n’eurent du goût que pour les choses terrestres. On n’entend dans leurs fables que des blasphèmes, que des imaginations de fantômes corporels : ils ont voulu connaître Dieu, et une fois arrivés à la pensée de cette lumière visible, ils n’ont pu aller au delà. Alors ils ont imaginé, dans le royaume de Dieu, de vastes plaines d’une lumière semblable à celle du soleil visible, dont ils ont fait un fruit de

cette lumière. Or, tout ce que l’on touche par la terre de cette chair, est terre aux yeux de Dieu. Nous avons des moyens de voir, d’entendre, de flairer, de goûter, de toucher. C’est par ces messagers appelés nos cinq sens, que cette chair peut connaître seulement ce qui est corporel ; quant aux choses intelligibles et spirituelles, nous les connaissons par l’esprit. Comme donc ces orgueilleux ont tourné en dérision les obscurités des saintes Ecritures, qui n’étaient pour eux une porte close qu’afin de les exercer en frappant à cette porte, et non pour en refuser l’entrée aux humbles, voilà qu’ils sont abattus sur la terre, au point de ne pouvoir élever leurs pensées au-delà de ce que la terre nous fait connaître. Et que faut-il entendre par cette terre? La chair. Pour eux, en effet, la terre est cette chair faite de la terre. Tout ce que l’on connaît par les yeux est terrestre ; tout ce que nous rapportent les oreilles, l’odorat, le goût, le toucher, (263) tout cela est terrestre, parce que nous ne le connaissons que par la terre. Ils n’ont donc pu comprendre cette intelligence qui est sans nombre. C’est pourquoi ils ont condamné les saintes Ecritures qui couvrent les vérités de certains voiles, afin d’exercer utilement les humbles, et ce blâme les a jetés dans une indocilité opposée à la douceur, et ils ont été humiliés jusqu’à terre, en sorte qu’ils n’ont pu comprendre Dieu qui est incorporel, et que leurs pensées sur Dieu n’étaient rien moins que corporelles et grossières.

14. « Dieu donc abat les pécheurs jusqu’à terre ». Que nous faut-il faire dès lors, si nous ne voulons être humiliés jusqu’à terre? li est difficile de s’élever aux choses qui sont purement d’intelligence, difficile d’arriver à ce qui est spirituel, difficile d’élever son coeur de manière à comprendre qu’il y a quelque chose qui ne s’étend point selon les lieux, ne varie point avec le temps. Quelle idée, en effet, se fera-t-on de la sagesse? Quelle forme lui donner? Une forme longue? une forme carrée? une forme ronde? Est-elle tantôt ici, et tantôt là ? Un homme réfléchit sur la sagesse dans l’Orient, un autre dans l’Occident; à un tel intervalle, elle est présente à chacun d’eux, s’ils se la représentent convenablement. Que dis-je ici ? Qui peut le comprendre ? Qui peut se faire une idée de cette nature immuable et en quelque sorte divine? Ne te hâte point trop, tu pourras la comprendre. Ecoute ce qui suit: « Commencez devant le Seigneur par la confession 1 ». C’est par là qu’il te faut commencer, si tu veux arriver à connaître parfaitement la vérité ; si tu veux arriver,par la foi à la claire vue, commence par la confession. Accuse-toi tout d’abord, et après cette accusation bénis le Seigneur. Invoque celui que tu ne connais point encore, qu’il vienne et se fasse connaître ; non point qu’il vienne lui-même sans doute, mais qu’il te conduise jusqu’à lui. Comment vient-il là d’où il ne se retire jamais ? Telle est, en effet, la sagesse parfaite, qu’elle est partout et loin des méchants. Oui, dis-je, elle est par         tout, et néanmoins elle est loin des méchants qui sont partout. Mais je vous le demande, comment être éloignée de quelques-uns et néanmoins être partout? Qu’est-ce que cet éloignement, sinon que les méchants ne ressemblent point à Dieu, et qu’ils effacent en

 

1. Ps. CXLVI, 7.

 

eux-mêmes son image ? Ils se sont retirés de Dieu parce qu’ils ont perdu la ressemblance avec lui; qu’ils se réforment afin de se rapprocher de lui. Comment nous réformer, diront-ils, et quand nous réformer? «Commencez devant Dieu par la confession ». Et après cette confession ? Faites des bonnes oeuvres. « Chantez à notre Dieu sur la harpe ». Qu’est-ce à dire, sur la harpe ? Je vous l’ai dit déjà chanter sur la harpe a le même sens que chanter un psaume sur le psaltérion; c’est bénir le Seigneur non-seulement de la voix, mais aussi par les œuvres. « Chantez à notre Dieu sur la harpe ».

15. Ainsi donc confessez vos fautes, faites des oeuvres de miséricorde, voilà ce que veut dire : « Chantez des psaumes à notre Dieu ». Quel est votre Dieu? « Celui qui couvre le ciel de nuages 1 ». Qu’est-ce à dire qu’il couvre le ciel de nuées ? Qui couvre ses Ecritures de figures et de mystères. Celui qui abat les pécheurs jusqu’à terre, qui adopte les humbles, « couvre aussi le ciel de nuages ». Et comment voir le ciel que des nuages nous dérobent? Loin de toi toute crainte, écoute ce qui suit: « Celui qui couvre le ciel de nuages, et qui prépare des pluies à la terre ». A cette parole : « Qui couvre le ciel de nuages », tu as été dans la stupeur, tu as craint de ne point voir le ciel; mais quand la pluie sera venue, tu produiras des fruits, et tu verras le ciel serein. « C’est lui qui couvre le ciel de nuages, qui prépare à la terre des pluies ». Voilà ce qu’a fait le Seigneur notre Dieu. Si l’obscurité des saintes Ecritures ne nous en fournissait l’occasion, nous ne vous dirions pas ces vérités qui vous réjouissent. C’est peut-être cette pluie qui vous réjouit. Notre langue n’aurait pu la répandre sur vous, si Dieu n’avait couvert le ciel des saintes Ecritures de nuages figuratifs. Il couvre donc le ciel de nuages, afin de préparer la pluie à la terre. Il a voulu que les prophéties fussent obscures, afin qu’en les expliquant les serviteurs de Dieu eussent ainsi le moyen de les verser dans l’oreille et dans le coeur des hommes qui peuvent recevoir de ces nuées la surabondance des joies spirituelles, « C’est lui qui couvre le ciel de nuages, qui prépare à la terre des pluies».

16. « C’est lui qui fait croître le foin sur les montagnes, et l’herbe pour l’usage des

 

1. Ps. CXLVI, 8.

 

264

 

hommes ». C’est là le produit de la pluie. « Il fait croître le foin sur les montagnes ». Ne croît-il pas aussi dans les vallées? Mais ce qui est plus à remarquer, c’est sur les montages. Le Prophète appelle montagnes les grands du monde; il te faut donc entendre par ces montagnes ceux qui sont élevés en dignité. Et il n’y a ici rien d’étonnant. Une veuve déposa dans le trésor deux pièces de monnaie 1; c’est la terre basse, la terre humble qui produit du fruit; mais une montagne en produisit aussi, ce fut Zachée, le chef des publicains 2. C’est ce qui était plus admirable, qu’une montagne produisît du foin. Plus les hommes sont élevés en dignité, plus leur avarice est grande, et plus ils sont grands en ce monde, plus ils aiment les richesses. De là vient qu’il s’en alla triste, ce jeune homme qui demandait à Jésus-Christ ce qu’il devait faire pour gagner la vie éternelle, en l’appelant bon Maître, et en disant : « Pour  avoir la vie éternelle, que ferai-je? » Et le Sauveur : « Observe les commandements ». « Quels commandements? » Et le Sauveur: Les commandements de la loi. « Je les ai observés dès ma jeunesse. Il te manque un point cependant : veux-tu être parfait? Va, vends tout ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres , et tu auras un trésor dans le ciel; puis viens et suis-moi ». Que dit ainsi le Sauveur? Tu es une montagne, reçois la pluie, et produis du foin. Que pourrais-tu produire, sinon du foin? Qu’est-ce, en effet, que du foin, que tous ces dons que font les riches aux Eglises, pour subvenir aux besoins de ceux qui servent Dieu? Tout cela est charnel et n’apparaît que pour un temps ; mais la récompense que l’on gagne ainsi n’est point charnelle. Vois en effet ce que tu peux acheter au prix de biens si méprisables. L’Apôtre nous l’indique en nous montrant que tout cela n’est que du foin : « Si nous avons semé parmi vous les biens spirituels, est-ce une grande chose « que nous récoltions quelque peu de vos biens temporels 3? » Or, comprends que les biens charnels ne sont que du foin. « Toute chair n’est que du foin, et toute sa gloire tombera comme la fleur du foin 4 ». Ce jeune homme donc s’en alla triste, et le Sauveur de s’écrier : « Combien difficilement un

 

1. Marc, XII, 42. — 2. Luc, XIX, 2-8. — 3. I Cor. IX, 11. — 4. Isaïe, XL, 6.

 

riche entrera dans le royaume des cieux! » Ce qui est donc admirable, c’est que Dieu fasse croître le foin sur les montagnes. Et comment le fait-il croître, si ce riche s’en va triste, dès qu’il entend qu’il doit donner son bien aux pauvres? Que répond le Sauveur aux Apôtres contristés? « Ce qui est difficile pour l’homme est facile à Dieu 1 ». C’est donc celui à qui tout est facile qui fait croître le foin sur les montagnes. Rien n’est plus stérile, en effet, que les roches des montagnes. Mais Dieu les arrose, lui qui « fait croître le foin sur les montagnes, et l’herbe pour les hommes tenus à la servitude». Quelle servitude? Ecoutez saint Paul. « Nous sommes», dit-il, « vos serviteurs à cause de Jésus-Christ 2». Voilà qu’il s’appelle serviteur, celui qui disait : « Est-ce une grande chose, qu’après avoir semé parmi vous les biens spirituels, nous récoltions quelque peu de vos biens charnels? » Nous sommes en effet des serviteurs pour vous, mes frères. Que nul d’entre nous ne se dise plus grand que vous. Nous serons plus grands si nous sommes plus humbles. « Quiconque d’entre vous veut être le plus grand, sera votre serviteur 3 », c’est la sentence du divin Maître. Donc, « il fait croître le foin sur les montagnes, et l’herbe pour les hommes de service ». L’apôtre saint Paul vivait du travail de ses mains, préférant l’indigence au foin des montagnes; et toutefois les montagnes produisaient du foin. Mais parce qu’il n’en voulait point recevoir, les montagnes devaient-elles n’en point donner et demeurer stériles? Le fruit est dû après la pluie; on doit la nourriture au serviteur, comme l’a dit le divin Maître : « Mangez de ce qui est à eux ». Et de peur que ceux-ci ne crussent donner du leur : « Tout ouvrier », ajoute le Sauveur, « est digne de sa récompense

17. C’est pourquoi, mes frères, de même que déjà nous avons saisi l’occasion de vous parler à ce sujet, nous vous en parlons encore aujourd’hui, et d’autant plus librement, que nous ne vous demandons rien de ce genre. Et si nous vous demandions, nous chercherions en cela plutôt votre avantage, plutôt votre sanctification que vos richesses. Toutefois, encore un mot, mais bien court, j’ai déjà été bien long, et il est temps de finir;

 

1. Matth. XLX, 16-26. — 2. II Cor. IV, 5. — 3. Matth. XI, 26 — 4. Luc, X, 7, 8.

 

Si vous ne voulez être stériles, si la pluie a produit en vous la fécondité, si vous craignez que Dieu ne condamne en vous la stérilité, (car Dieu menace du feu la terre stérile qui ne produit que des épines 1, comme il prépare ses greniers pour celle qui est féconde) efforcez-vous d’exiger de vous-mêmes ce qui est dû à Dieu; soyez pour vous de sévères exacteurs. Le Christ l’exige en silence, et cette voix peu bruyante n’en est que plus grande, puisqu’il nous parle dans son Evangile. Ce n’est point se taire complètement que dire : « Faites-vous des amis avec la monnaie de l’iniquité, afin qu’ils vous reçoivent dans les tabernacles éternels 2». Il ne garde point le silence, écoutez sa voix. Nul ne saurait vous presser à ce sujet, à moins peut-être que ceux qui vous servent dans le ministère de l’Evangile n’en soient réduits à vous demander, Mais si vous les forcez à vous demander, prenez garde que vous n’obteniez point ce que vous-mêmes demandez à Dieu. Soyez donc vos propres exacteurs, de peur que ceux qui vous servent dans l’Evangile n’en soient réduits, je ne dis pas à demander, car ils ne demandent point , quelque besoin qu’ils éprouvent; mais de peur que leur silence ne soit pour vous une condamnation. De là cette parole du Prophète : « Heureux celui qui comprend le pauvre et l’indigent 3 ». Dire qu’il comprend le pauvre et l’indigent, c’est dire qu’il n’attend point qu’on lui demande. L’un te cherche parce qu’il n’a rien; mais toi, tu dois chercher un autre pauvre. L’Ecriture nous recommande l’un et l’autre, mes frères; ici : « Donne à quiconque te demande 4 », nous l’avons lu tout à l’heure; et dans un autre endroit: « Que l’aumône sue dans ta main, jusqu’à ce que tu trouves un juste à qui la donner ». Celui-ci te demande, mais pour l’autre tu dois le chercher. Ne renvoie pas les mains vides celui qui te cherche : « Donne à quiconque te demande » ; mais il en est un autre que tu dois toi-même chercher : « Que ton aumône sue dans ta main, jusqu’à ce que tu rencontres un juste, à qui tu la donneras». C’est ce que vous ne pourrez pratiquer, si vous ne mettez en réserve quelque peu de vos revenus, ce que chacun voudra, et selon que lui permet sa fortune, comme il ferait d’un argent dont il serait débiteur envers le fisc. Car le Christ a aussi son

 

1. Héb. VI, 7, 8.— 2. Luc, XVI, 9. — 3. Ps. XL, 2. — 4. Luc, VI, 30.

 

fisc, à moins qu’il n’ait point son gouvernement. Vous savez en effet ce qu’est le fisc, ou fiscus: c’est un grand panier; de là viennent fiscella, petit panier, et fiscina, corbeille. Ne vous imaginez pas que ce mot fiscus soit quelque dragon, parce qu’on n’entend parler qu’avec terreur d’un collecteur du fisc. Le Seigneur avait aussi son fisc ou sa cassette, quand sur la terre il portait ses deniers, et ces deniers étaient confiés à Judas 1. Le Sauveur souffrait avec lui ce traître, ce voleur, pour nous donner en cela un modèle de patience. Toutefois, ceux qui donnaient cet argent le donnaient pour le Sauveur; car ne croyez pas que le Sauveur ait couru çà et là, ait mendié, ou ait été dans le besoin, lui que servaient les anges, et qui avec cinq pains rassasia tant de milliers d’hommes. Pourquoi donc voulut-il éprouver le besoin, sinon pour donner l’exemple aux montagnes, qui ont dû produire du foin, et non demeurer stériles sous l’action de la pluie? Retranchez quelque peu, jetez dans les coffres de Jésus-Christ une somme déterminée que vous déduirez des revenus de chaque année, ou du gain de chaque jour. Car on dirait que tu donnes de ton fonds, et dès lors ta main tremble nécessairement quand elle s’étend à ce que tu n’as point résolu de donner. Retranche donc une partie de tes revenus. Est-ce la dîme? Eh bien ! donne la dîme, quoique ce soit bien peu. Car il est marqué dans l’Evangile que les Pharisiens donnaient la dîme. « Je jeûne deux fois la semaine »,disait l’un deux, « je donne la dîme de tout ce que je possède 2 ». Et que dit le Seigneur : « Si votre justice ne surpasse de beaucoup celle des Scribes et des Pharisiens, vous n’entrerez point dans le royaume des cieux 3 ». Et pourtant, cet homme que tu dois surpasser en justice donne la dîme; et toi tu n’en donnes pas la millième partie. Comment le surpasser, quand tu ne saurais même l’égaler? « C’est Dieu qui couvre le ciel de nuages, qui prépare des pluies à la terre, qui fait croître le foin sur les montagnes, et l’herbe pour ceux des hommes qui servent les autres ».

18. « Il donne aux troupeaux leur nourriture 4 ». Ces troupeaux sont les troupeaux du Seigneur, qui ne prive point son bercail de cette nourriture que lui servent les hommes,

 

1. Jean, XII, 6.— 2. Luc, XVIII, 12. — 3. Matth. V, 20. — 4. Ps. CXLVI, 9.

 

266

 

et à ces hommes qui servent les autres il fait croître l’herbe. De là cette parole de l’Apôtre:

« Celui qui fait paître le troupeau, ne mangera-t-il pas de son lait 1? C’est lui qui donne leur nourriture aux troupeaux et aux petits des corbeaux qui l’invoquent». Allons-nous croire que les corbeaux invoquent le Seigneur pour recevoir de lui leur nourriture? Gardez-vous de croire qu’un animal sans raison invoque le Seigneur, il n’y a pour l’invoquer que l’âme raisonnable. Il y a donc ici une figure, et ne croyez pas, comme l’ont dit certains impies, que l’âme de l’homme retourne après la mort dans les bestiaux, dans les chiens, les porcs, les corbeaux. Loin de vous, loin de votre foi ces pensées. L’âme de l’homme est faite à l’image de Dieu 2, et Dieu ne donnera point son image à un chien, à un pourceau. Que signifie donc: « Et aux petits des corbeaux qui lui demandent leur nourriture? » Quels sont ces petits des corbeaux? Les Israélites se vantaient d’être les seuls justes, parce qu’ils avaient reçu la loi, et ils regardaient comme pécheurs les hommes des autres nations. Et en effet toutes les autres nations étaient plongées daims le péché, dans l’idolâtrie, dans le culte de la pierre et du bois ; mais y sont-ils demeurés? Et si nos pères, qui étaient des corbeaux, n’invoquaient pas Dieu, nous, les fils de ces corbeaux, ne l’invoquons-nous point? « Il donne aux troupeaux leur nourriture, et aux petits des corbeaux qui l’invoquent ». C’est bien aux petits des corbeaux que saint Pierre a dit: « Ce n’est point par des objets corruptibles, comme l’or et l’argent, que vous avez été rachetés de la vie pleine de vanité que vous suiviez à l’exemple de vos pères 3». Car ces petits des corbeaux qui semblaient adorer les idoles de leurs pères se sont convertis à Dieu ; et aujourd’hui le petit du corbeau n’invoque et n’adore qu’un seul Dieu. Quoi donc? diras-tu à ce petit du corbeau : As-tu bien pu quitter ton père? Oui, tout à fait ; car le corbeau n’invoquait pas Dieu, et moi, le petit du corbeau, j’invoque le Seigneur. « Et aux petits des corbeaux qui l’invoquent ».

19. « Il ne met pas sa complaisance dans la puissance du cheval 4 ». Cette puissance du cavalier, c’est l’orgueil. On dirait que le cheval est né afin de porter l’homme et de l’élever plus haut ; de là cette encolure qui, chez

 

1. I Cor. IX, 7. — 2. Gen. I, 26. — 3. I Pierre, I, 18.— 4. Ps. CXLVI, 10.

 

cet animal, témoigne de sa fierté, Que les hommes ne se glorifient point de leurs dignités, qu’ils ne se croient point élevés par les honneurs qu’ils reçoivent, qu’ils prennent garde qu’ils n’en soient précipités comme d’un cheval fougueux. Vois en effet ce que dit un autre psaume: « Ceux-ci se glorifient de leurs chariots, ceux-là de leurs chevaux; mais nous, c’est dans te nom du Seigneur notre Dieu ». C’est-à-dire, les uns se glorifient de leurs honneurs temporels, mais nous du nom du Seigneur que nous adorons. Aussi, que leur est-il arrivé ? Voyez ce qui suit: « Leurs pieds se sont embarrassés, et ils sont tombés ; mais nous nous sommes relevés et tenus debout 1. Car le Seigneur ne met point sa complaisance, et ne met point ses délices dans les tabernacles de l’homme». « Dans les tentes de l’homme », dit le Psalmiste; car la tente de Dieu c’est l’Eglise répandue par toute la terre. Les hérétiques, en se séparant des tabernacles de l’Eglise, ont élevé des tentes pour eux-mêmes, et c’est dans ces tabernacles de l’homme que Dieu ne met point ses complaisances. Mais écoute le petit du corbeau qui dit : « J’ai choisi l’abjection dans la maison du Seigneur, plutôt que d’habiter dans les tentes des pécheurs » Qu’un homme de bien, qu’un homme pieux qui connaît sa faiblesse, que ce petit du corbeau qui invoque le Seigneur, vienne à être sans dignité temporelle dans l’Eglise, il ne s’en sépare point pour cela, il ne se fait point en dehors de l’Eglise une tente en laquelle Dieu ne mettrait point ses complaisances. Mais que dit-il ? « J’ai choisi l’abjection dans la maison  du Seigneur, plutôt que d’habiter dans les tabernacles des pécheurs; et Dieu ne fera point ses délices des tabernacles de l’homme».

20. Que dit encore le Prophète ? « Il mettra ses complaisances dans ceux qui le craignent, et dans ceux qui espèrent en sa miséricorde 3 ». Dieu se plaît dans ceux qui

le craignent. Mais craint-on Dieu comme on craindrait un voleur? On craint en effet le voleur, on craint la bête féroce, on craint beaucoup l’homme injuste et puissant. « Le Seigneur mettra ses complaisances dans ceux qui le craignent ». Mais comment le craignent-ils? « En mettant leur espérance dans sa miséricorde ». Judas qui trahit le Christ

 

1. Ps. XLX, 8.9. — 2. Id. LXXXIII, 11. — 3. Id. CXLVI, 11.

 

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craignait Dieu, mais sans espérer dans sa miséricorde. Il se repentit d’avoir livré le Seigneur et s’écria : « J’ai péché en livrant le sang du juste. Craindre Dieu était bien, mais il fallait espérer dans la miséricorde de ce Dieu que tu craignais. Le désespoir l’emporta et il alla se pendre 1. Crains donc le Seigneur, mais en espérant dans sa miséricorde. Si tu crains un voleur, tu attends aussi du secours, mais non de l’homme que tu crains. C’est à l’homme que tu ne crains pas que tu demandes protection contre celui que tu crains. Si tu crains Dieu, et si tu le crains parce que tu es pécheur, qui te protégera contre Dieu? Où aller? Que faire ? Veux-tu échapper à Dieu? Cherche en lui un refuge. Veux-tu fuir sa colère? Cherche un refuge dans sa clémence. Tu le rendras clément si tu espères dans sa miséricorde. Du reste, évite le péché à l’avenir, et quant aux fautes passées, supplie le Seigneur de te les pardonner. A lui sont l’honneur et la puissance, en union avec le Père et le Saint-Esprit dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il !

 

1. Matth. XXVII, 4, 5.

DISCOURS SUR LE PSAUME CXLVII
SERMON AU PEUPLE.
LA VOCATION A LA JÉRUSALEM DU CIEL.
 

Dimanche dernier, le passage relatif au jugement dernier nous a empêché de nous occuper de ce psaume, en nous jetant dans la crainte, et toutefois que pouvons-nous craindre, puisque notre juge nous aime et sera juste ? Il y a dans notre psaume un passage relatif à la neige, au brouillard, au cristal, qui a besoin d’être bien compris ; et néanmoins, entre le psaume et l’Evangile de dimanche, une certaine analogie ; car le jugement annoncé par cet Evangile nous ouvrira la Jérusalem du ciel dont nous parle notre psaume. La crainte que nous inspire le jugement est salutaire, puisqu’elle nous prémunit contre l’amour de la vie et tient en éveil la foi dans nos coeurs.

Ce psaume fut composé pendant la captivité de Jérusalem, qui était une figure de notre captivité, car tel est notre état ici-bas, et le nombre de 70 années, un nombre septénaire, est la figure du temps qui s’écoule, sept jours par sept jours. Que tous les élus bénissent donc le Seigneur, car telle sera leur occupation, puisqu’il n’y aura plus alors besoin des oeuvres extérieures le miséricorde ; et les hommes de Jérusalem sont ceux qui ne mettent point leur bonheur ici-bas, ou rougissent et se repentent d’avoir pris part à ses pompes. Sion et Jérusalem signifient vision, ce qui nous montre que si les mondains ont leurs spectacles ici-bas, nous aurons les nôtres dans les cieux. Nous louons Dieu ici-bas au milieu des défections, là haut il n’y en aura plus, on ne pourra sortir, Dieu a consolidé les serrures. Cherchons à y entrer comme les vierges qui ont de l’huile dans leurs lampes. Elles sont vierges et au nombre de cinq, symbole des cinq sens qui sont vierges s’ils sont exempts de corruption ; il en est de môme des autres qui sont vierges aussi, ou sans corruption, mais aussi sans huile, au sans piété intérieure, et cherchant les applaudissements du dehors. Elles allument leurs lampes, ou fout éclater lus oeuvres, s’endorment parce que tous doivent passer par la mort. Les vierges sages sont humbles, et craignent de n’avoir pas en suffisance l’huile de la piété intérieure. Faisons toujours des oeuvres de miséricorde, et remettons pour qu’il nous soit remis ; la veuve achète le ciel avec deux deniers ; et l’on se servira à notre égard de la mesure que nous aurons employée. C’est Dieu qui nous tend la main, et Dieu qui nous a donné.

C’est Dieu qui a béni en Sion les enfants qui y demeurent dans le giron de la charité ; qui établit la paix sur ses confins, Or, cette paix n’est point pour l’hérésie, qui condamne sans connaître, qui ne croit ni à Moïse, ni aux Prophètes, ni ai Christ ; puisqu’elle se prétend la véritable Eglise, tandis que cette Eglise doit être universelle. La voilà incrédule couse les frères du mauvais riche, qui n’en eussent pas cru même à celui qui serait ressuscité d’entre les morts, puisqu’elle n’es croit point au Christ ressuscité, qui dit que la pénitence et la rémission des péchés seront prêchées en son nom, c’est bien là l’Epouse ou l’Eglise, et prêchées par toute la terre, c’est bien là sa catholicité, et à partir de Jérusalem, ou de cette ville de la terre, image de la Jérusalem du ciel. De là encore le don des largues après la descente du Saint-Esprit, parce que l’Eglise devait être prêchée en toutes les langues ; ce don n’existe plus parce que la prophétie est réalisée, et que l’Eglise parle toutes les langues des peuples.

Remercions Dieu d’avoir part un jour à cette Jérusalem, où nous aurons la moelle du froment, Dieu nous aidant à nous élever à lui en nous envoyant son Verbe qui est rapide, qui se revêt, comme d’une laine, de cette neige qui est froide,au de ces hommes froids d’abord et qui se convertissent, qui appellent ces hommes à la pénitence symbolisée par la cendre en les faisant passer par le brouillard, symbole de nos ténèbres, qui fait fondre Saul, cristal si dur, et par lui donne aux fidèles, le lait et le pain de la doctrine. Ce Verbe de Dieu peut donc dissoudre la glace la plus dure, son souffle en fait couler ces eaux de la vie éternelle.

Il enseigne sa parole à Jacob, ou ses desseins de miséricorde, en lui montrant par la lutte que le ciel souffre violence. Il n’y a que Jacob à qui tout cela ait été annoncé d’une manière efficace, car ceux qui le comprennent sont Jacob et Israël, par Isaac, et par Abraham.

 

1. Votre charité s’en souvient, nous avons remis à vous parler aujourd’hui du psaume que l’on vient de chanter. C’est lui, en effet, qu’on vous a lu dimanche, et que j’avais même entrepris de vous exposer. Mais la lecture de l’Evangile nous effraya, et cette crainte ainsi que le bien que nous en espérions pour vous, nous forcèrent de nous arrêter sur les paroles du Seigneur à propos du dernier jour, et sur la vigilance, sur les précautions avec lesquelles nous devons attendre son arrivée. Il nous effrayait par des exemples, pour ne point nous condamner en son jugement, nous disait qu’il en serait à l’avènement du Fils de l’homme, de même  qu’aux jours de Noé: « Les hommes alors mangeaient et buvaient, ils achetaient, ils vendaient, ils mariaient leurs filles, épousaient des femmes, jusqu’ à ce que Noé entra dans l’arche, et que le déluge vint les perdre tous 1 » . Pris d’inquiétude et frappé de crainte (qui peut en effet croire à ces choses sans trembler?) nous avons appuyé sur ce sujet, autant que possible, nous avons parlé sur la pureté de vos moeurs, sur la vie régulière, qui doit être la

 

1. Matth. XXIV, 37, 42,

 

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nôtre à tous, afin que nous puissions non-seulement voir arriver sans crainte, mais encore désirer ce jour si terrible. Car si nous aimons le Christ, nous devons appeler de nos voeux son avènement. Craindre l’avènement de celui que nous aimons, et néanmoins lui dire dans nos prières « Que votre règne arrive 1 », quand nous redoutons d’être exaucés, c’est un contre-sens tel que je ne saurais y croire. Pourquoi craindre, en effet? Parce que notre juge viendra? Mais est-il donc injuste? Est-il malveillant? Est-il jaloux? Est-ce par autrui qu’il doit connaître ta cause, et peux-tu redouter que celui que tu as chargé de ce soin, ou ne te trahisse dans sa duplicité, ou ne manque d’éloquence et d’habileté pour démontrer ton innocence? Rien de cela n’est à redouter. Qui donc viendra? Pourquoi ne point te réjouir? Qui doit venir te juger, si mon celui qui est venu pour être jugé à cause de toi? Ne crains pas pour accusateur celui dont le Sauveur lui-même a dit : « Le prince de ce monde a été chassé dehors 2 ». Ne redoute pas un avocat peu habile tu as pour avocat celui qui sera ion juge. Il n’y aura que lui, et toi, et ta cause; le plaidoyer de ta cause sera le témoignage de ta conscience. Si donc tu crains le juge à venir, redresse dès aujourd’hui ta conscience. Est-ce peu pour toi qu’il ne recherche point dans le passé? Il te jugera sans plus te laisser de temps; mais maintenant qu’il commande, quel espace de temps ne laisse-t-il pas écouler? Alors il ne te sera plus possible de te corriger. Mais qui t’en empêche maintenant? Toute ce que nous représentions avec tant de terce dimanche dernier, parce que c’est une mérité, parce qu’il n’y a que cela en quelque manière à vous représenter, un temps bien long s’écoula, et nous dûmes remettre pour aujourd’hui le psaume que nous avions entrepris d’expliquer. Le voici maintenant; qu’il fixe notre attention, ou plutôt écoutons le Seigneur qui, dans sa miséricorde, a bien moulu nous faire dicter par son Esprit ces paroles saintes, selon le besoin qu’il nous connaît dans notre faiblesse. Quel malade, en effet, voudrait donner des conseils au médecin ?

2. A la lecture du psaume, vous avez remarqué, je pense, que tous les versets, ou du moins un grand nombre, veulent, pour être

 

1. Matth. VI, 10. — 2. Jean, XII, 31.

 

compris, que l’on frappe à la porte ; surtout quand il est dit que « Dieu donne la neige comme la laine, qu’il répand les frimas comme la poussière, qu’il jette son cristal comme des morceaux de pain. Qui pourra résister à la rigueur de son froid 1? » A ces paroles, quiconque les entend à la lettre, porte sa pensée sur les oeuvres de Dieu. Qui donne la neige, sice n’est Dieu? Qui répand les frimas, si ce n’est Dieu? Qui durcit le cristal, si ce n’est lui encore? Or, ces trois phénomènes ont avec des objets bien différents de frappantes analogies. La neige, en effet, ressemble quelque peu à la laine, comme la poussière au frimas, comme un morceau de pain blanc à la blancheur et à l’éclat du cristal. Car on appelle cristal une espèce de verre, mais blanc. Ceux qui savent ces choses et du témoignage desquels nous pouvons douter d’autant moins que l’Ecriture, qui est très-certaine, les vient appuyer, ceux, dis-je, qui savent ces choses, nous disent que le cristal vient d’une neige durcie pendant de longues années sans se fondre, et qui se congèle au point qu’elle ne saurait plus se résoudre. L’été qui arrive dissout facilement les neiges d’un hiver qui s’écoulent, parce qu’elles n’ont pas eu le temps de se durcir. Mais que des neiges viennent s’amonceler pendant beaucoup d’années, et que cet amas vienne à résister aux chaleurs de l’été, et non d’un seul été, mais d’étés nombreux, surtout dans cette partie de la terre qui forme la plage du nord, et où le soleil, même en été, n’est pas très-brûlant, cette dureté que le temps a fortifiée produit ce que l’on appelle cristal. Que votre charité soit attentive. Qu’est-ce donc que le cristal? Une neige que la glace a durcie durant de longues années, de sorte que le soleil ni le feu ne peuvent la dissoudre facilement. Nous donnons cette explication un peu longue, parce que beaucoup l’ignorent; quant à ceux qui la savent, qu’ils écoutent sans peine ce que l’on dit, non pour eux, mais pour ceux qui pourraient ignorer ce que nous disons. Lors donc que le lecteur récitait ce passage, je ne doute pas que vous vous soyez laissés aller à bien des pensées, que quelques-uns aient dit, et avec vérité : Que les oeuvres du Seigneur sont grandes, quoique l’on n’en rapporte ici qu’une partie, encore est-ce une partie terrestre, et que tout le monde connaît

 

1. Ps. CXLVII, 16, 17.

 

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comme la neige que Dieu fait descendre, le frimas qu’il répand, le cristal qu’il durcit. D’autres se sont dit: Est-ce bien sans raison que cela se trouve dans les saintes Ecritures, et le sens littéral de ces paroles est-il bien le véritable sens? N’y a-t-il pas un sens caché sous cette neige que l’on compare à la laine, sous ce frimas comparé à la poussière, sous ce cristal comparé au pain? Mais pourquoi l’Ecriture a-t-elle voulu employer ces voiles et ces comparaisons? Ne vaudrait-il pas mieux s’exprimer plus clairement? Pourquoi faut-il chercher le sens de ces paroles, et le chercher en hésitant? Pourquoi ne puis-je les écouter sans heurter contre des difficultés? Pourquoi même, après avoir entendu le psaume, n’en savoir pas davantage le puis souvent? C’est là ce que je vous disais tout à l’heure : Laisse-toi guérir, c’est ainsi qu’il faut te soigner. Un malade est bien orgueilleux, bien impatient quand il donne des avis au médecin, ce médecin ne fût-il qu’un homme. Où est donc ce malade assez téméraire pour conseiller son médecin? Quand le malade est l’homme, et Dieu le médecin, c’est une grande disposition à la guérison, que cette piété qui nous fait croire que Dieu a dû parler de la sorte, avant même que nous sachions ce qui est dit. Car cette piété te rendra capable de chercher le sens des paroles, de le trouver après l’avoir cherché, et de te réjouir de l’avoir trouvé. Que vos prières aient donc devant le Seigneur notre Dieu ce degré de ferveur, et si ce n’est pour nous, que du moins, en votre considération, il daigne nous découvrir ce qu’il y a de caché sous ces voiles. Supposez donc que je vous ai assigné un jour pour vous donner un spectacle tout divin, et qu’en prononçant ces versets sans les expliquer, je vous ai fait entrevoir seulement quelques richesses de celui qui nous donnera ces divins spectacles. Ces richesses nous sont montrées sous une enveloppe, afin de nous en faire désirer la découverte; pour vous, tenez-vous prêts, non-seulement à les regarder, mais encore à vous en revêtir.

3. Nous disions dimanche, et il doit vous en souvenir, vous qui étiez présents, que la lecture de l’Evangile, qui nous arrêta si longtemps, au point qu’il nous fallut remettre l’explication de notre psaume, avait beaucoup d’analogie avec le psaume lui-même. Nous l’avons dit alors, mais sans pouvoir le démontrer, puisqu’il fallut différer l’exposition du psaume. C’est aujourd’hui qu’il nous faut établir cette analogie. La lecture de l’Evangile nous effraya au sujet du dernier jour; mais cette frayeur est la mère de la sécurité, car cette frayeur nous met sur nos gardes, et la sécurité vient de la vigilance. De même qu’une sécurité mal fondée nous jette en un plus grand effroi, de même une crainte sage amène la sécurité. La crainte qui nous saisit alors nous détourne de nous attacher à cette vie qui nous échappe, qui passe et s’évanouit, de l’aimer comme s’il n’y en avait point d’autre pour nous; car s’il n’y en a point d’autre, aimons celle-ci. S’il n’est point d’autre vie, ceux qui ont passé la nuit à l’amphithéâtre sont plus heureux que nous. Que dit en effet l’Apôtre : « Si notre espérance dans le Christ n’est que pour cette vie, nous sommes les plus misérables de tous les hommes ». Il est donc une autre vie, Que chacun dans sa foi interroge le Christ; mais la foi est endormie. Te voilà donc justement agité par les flots, parce que le Christ est endormi dans la barque. Car Jésus dormait dans la barque, et cette barque était battue par les flots, et par toutes sortes de tempêtes. Notre coeur est dans l’agitation quand le Christ dort. Et néanmoins le Christ veille toujours. Que signifie donc le sommeil du Christ? Le sommeil de la foi. Pourquoi te laisser encore agiter par les flots du doute? Eveille donc le Christ, éveille ta foi : envisage des yeux de la foi cette vie future pour la. quelle tu as cru, pour laquelle tu as été marqué du signe de celui qui est venu en cette vie tout exprès, afin de te montrer combien est méprisable cette vie que tu aimes, combien il faut espérer l’autre vie en laquelle tu ne croyais point. Si donc tu éveilles ta foi, pour diriger ton regard sur tes fins dernières, sur ce siècle futur qui doit faire notre joie après l’autre avènement du Seigneur, après l’arrêt du jugement, après que les saints seront mis en possession du royaume des cieux; si, dis-je, ta pensée s’arrête sur cette vie, sur le repos toujours agissant dont nous jouirons alors, et dont nous vous avons parlé souvent, mes bien-aimés, notre action ne sera plus agitée; ce sera une et action dans un repos plein de douceur, une in action que ne troublera aucune peine, que n’interrompra aucune fatigue, ni aucun (271) nuage d’ennui. Quelle sera donc alors toute notre oeuvre? De louer Dieu, de l’aimer et de le louer; de le louer en l’aimant, de l’aimer en le louant. « Bienheureux ceux qui habitent votre maison, ils vous loueront dans e les siècles des siècles 1». Pourquoi, sinon parce qu’ils vous aimeront aussi dans les siècles des siècles? Pourquoi, sinon parce qu’ils vous verront dans les siècles des siècles? Quel spectacle pour nous, mes frères, quel spectacle de voir Dieu! Que les hommes voient un chasseur dans l’amphithéâtre, ils en tressaillent de joie. Malheur à ces misérables, s’ils ne se corrigent! Ces mêmes hommes qui tressaillent de joie à la vue d’un chasseur, pâliront de tristesse à la vue du Sauveur. Quoi de plus misérable que ces hommes que le Sauveur ne sauvera point? Rien donc d’étonnant qu’ils ne trouvent point leur salut dans un Dieu qui délivre, ceux qui mettent leurs délices dans un homme qui combat. Quant à nous, mes frères, s’il nous souvient que nous sommes ses membres, si nous l’aimions, si nous persévérons en lui, nous le verrons et il sera notre joie. Sa cité sera pure, et dans ses citoyens purifiés on ne trouvera mi séditieux, ni turbulent ; cet ennemi qui mous porte envie et nous barre le passage vers cette patrie bienheureuse, ne pourra plus nous y tendre des embûches; on ne lui en permet pas même l’entrée. Si dès ici-bas il est banni du coeur des fidèles, comment ne serait-il point exclu de la terre des vivants? Que sera-ce, mes frères, je vous le demande, que sera-ce d’habiter cette ville, quand en parler nous cause tant de joie? Préparons nos coeurs pour cette vie future, et quiconque lui réserve son coeur, dédaigne tout ce qui est ici-bas; et ce mépris lui fait attendre avec sécurité ce grand jour, dont l’expectative nous a effrayés dans la bouche du Seigneur.

4. Dès lors que notre psaume chante cette vie future dont il noué entretient, et que l’Evangile nous effraie au sujet de celle-ci, le psaume nous fait aimer l’avenir et l’Evangile haïr le présent. Le Nouveau Testament ne garde point le silence au sujet du bonheur à venir, et nous en parle d’autant mieux qu’il nous expose sans voile ce que nous devons comprendre; mais il nous en parle clairement, afin de nous faire comprendre ce qui est dit ici en figures. L’Evangile donc nous disait :

 

1. Ps. LXXXIII, 5.

 

Prenez garde au dernier jour qui viendra, au jour de l’avènement du Fils de l’Homme 1 : parce qu’il surprendra dans leur malheur ceux qui sont aujourd’hui en sécurité, et précisément parce que c’est là une fausse sécurité , puisqu’ils se croient en sécurité dans les voluptés du siècle, tandis que leur sécurité devrait naître du silence de leurs convoitises du siècle. C’est à cette vie que nous prépare l’Apôtre dans ces paroles que j’ai citées alors : « Du reste, mes frères, le temps est court, il reste donc à ceux qui ont des femmes d’être comme s’ils n’en avaient point; à ceux qui achètent, comme s’ils n’achetaient point; à ceux qui se réjouissent, comme s’ils ne se réjouissaient point; à ceux qui pleurent, comme s’ils ne pleuraient point; à ceux qui usent des choses de ce monde, comme s’ils n’en usaient point; car la figure du monde passe, et je désire que vous soyez sans inquiétudes 1». Quiconque a mis toute sa joie, toute sa félicité à manger, à boire, à se marier, à acheter, à vendre, à jouir du monde, est aussi sans inquiétude; mais, comme tel, il est hors de l’arche, et malheur à lui, à cause du déluge. Quant à l’homme, qui mange, qui boit, qui fait toutes ses actions pour la gloire de Dieu 3, s’il est triste pour quelque sujet du temps, il pleure, mais conserve au dedans la joie de l’espérance; si les affaires du temps lui causent de la joie, il se réjouit, mais son coeur nourrit une crainte spirituelle, en sorte qu’il ne se laisse ni corrompre par la prospérité ni abattre par le malheur. C’est là, en effet, pleurer comme si l’on ne pleurait point, et se réjouir comme si l’on ne se réjouissait point. Quiconque a une femme, et, par compassion pour sa faiblesse, rend le devoir sans l’exiger, ou ne cherche dans le mariage qu’un remède à sa propre faiblesse, et pleure de n’avoir pu se passer d’une femme, plutôt qu’il ne met en elle sa complaisance; quiconque vend son bien, parce qu’il sait que ce bien, même en lui demeurant, ne le rendrait pas heureux; quiconque achète et sait bien que cela passera, qui ne met point sa confiance dans ses biens, quelle qu’en soit l’abondance, et même la surabondance, qui du bien qu’il a, fait l’aumône à ,celui qui n’a pas, afin de recevoir ce qu’il n’a pas de celui à qui tout appartient;

 

1. Matth. XIV, 41. — 2. I Cor. VII, 29-32. — 3. Id. X, 31.

 

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quiconque en est là peut attendre avec sécurité le dernier jour, parce qu’il n’est point hors de l’arche; mais il fait partie de ces bois incorruptibles dont l’arche est construite 1. Qu’il ne craigne donc point l’avènement du Sauveur, mais plutôt qu’il l’espère et le désire; car il ne viendra point pour lui infliger un châtiment , mais pour mettre fin à ses misères. Or, tout cela se fait par le désir que nous avons de cette cité sainte. Les avertissements de l’Evangile se réalisent dès lors dans nos soupirs vers cette Jérusalem que chante notre psaume, et de là vient l’accord de l’Evangile avec ce chant du Prophète.

5. Ecoutons quelle est la cité que chante le psaume. Ecoulons et chantons; notre joie, en l’écoutant, est elle-même un cantique en l’honneur de notre Dieu. Car chanter n’est pas seulement répéter un cantique avec le bruit de la voix et des lèvres; il est aussi un chant intérieur, parce qu’un autre a l’oreille dans notre intérieur. Chantons de la voix pour nous stimuler, chantons du coeur afin de lui plaire. Ce psaume est intitulé : « Psaume d’Aggée et de Zacharie 2». Or, Aggée et Zacharie furent des Prophètes, et ces Prophètes vivaient au temps de la captivité de cette Jérusalem qui était la figure de la Jérusalem du ciel. Or, pendant la captivité de cette ville, comme ils étaient à Babylone, ils prophétisèrent au sujet de Jérusalem, annonçant que le peuple sortirait de la captivité 3, que sur les ruines de l’ancienne serait bâtie une cité nouvelle. Or, nous connaissons cette captivité, si nous connaissons véritablement la nôtre. Dans ce inonde, en effet, dans ces tribulations du siècle, au milieu de ces scandales sans nombre, nous sommes dans une sorte de captivité, mais nous en serons délivrés; on nous prédit une vie nouvelle semblable à celle-ci. Après la promesse des Prophètes s’accomplit d’une manière visible tout ce qui devait faire de cette cité une image de la cité invisible. Jérusalem fut rebâtie après soixante et dix ans de captivité. Ce nombre de soixante et dix était précisé par Jérémie, qui nous montre, sous la figure du nombre septénaire, le temps présent qui s’écoule; puisque nos jours, vous le savez, s’écoulent sept par sept, nombre qui passe pour revenir invariablement. Or, Jérémie, en

 

1. Gen. VI, 14. — 2. Ps. CXLVII, 1. — 3. Esdras, V, 1; VI, 14.

 

prophétisant que Jérusalem serait rebâtie après soixante et dix ans, couvrait sous cette image une prophétie de l’avenir ; car il veut nous faire entendre qu’après l’écoulement de ces jours qui se comptent par sept, notre ville sera construite pour l’éternité, qui n’est qu’un aujourd’hui, puisque dans cette de. meure le temps ne passe plus, parce que ses citoyens ne meurent point. Telle est la cité que les Prophètes voyaient en esprit; c’est elle qu’ils voyaient quand ils parlaient de la cité d’ici-bas. Mais ils disaient au sujet de celle d’ici-bas ce qu’ils rapportaient à celle d’en haut: et tout ce qui se faisait dans le temps par le mouvement des corps et par les actions des hommes, devenait autant de signes et de prédictions pour l’avenir.

6. Ecoutons donc ce que l’on dit de cette ville ; élevons-nous jusqu’à elle. C’est elle que nous fait estimer l’Esprit-Saint, en répandant l’amour de cette cité dans nos coeurs, afin d’y faire monter nos soupirs, et que gémissant dans cet exil, nous ayons hâte d’arriver en la ville sainte. Aimons-la, mes frères, l’aimer c’est y aller. Aimons-la d’après cette bouche sacrée, cette bouche prophétique de l’Esprit de Dieu qui nous dit : « Jérusalem loue le Seigneur 2 ». Dans cette captivité les Prophètes voient ces troupeaux ou plutôt l’unique troupeau de tous les citoyens rassemblés de toutes les contrées, pour former la cité sainte. Ils voient la joie de cette masse qui ne craint plus rien, qui n’a rien à souffrir, puisqu’elle est dans le grenier céleste après avoir été foulée et vannée; et comme ils sont encore sur cette terre au milieu de tant d’afflictions, ils se font précéder par la joie de l’espérance, ils soupirent après cette patrie, s’unissant ainsi de coeur aux anges de Dieu, et à ce peuple qui doit demeurer avec eux dans une sainte joie : « Loue le Seigneur, Jérusalem ». Quelle sera ton occupation,ô Jérusalem? Car tout labeur, tout gémissement passera. Quelle sera donc ton occupation ? De labourer, de semer, de planter, de naviguer, de faire le négoce? Quelle sera ton occupation? Te faudra-t-il encore t’exercer dans ces oeuvres, quelque bonnes qu’elles soient, et qui viennent de la miséricorde? Considère le nombre de tes enfants, vois de toutes parts ceux qui forment la société : vois s’il en est un homme qui ait faim et à qui tu

 

1. Jérém. XXV, 12; XXIX, 10. — 2. Ps. CXLVII, 2.

 

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donnes du pain, qui ait soif et à qui tu puisses donner un verre d’eau froide; vois s’il est un étranger à qui tu puisses donner l’hospitalité, s’il est un malade à visiter, s’il y a des plaideurs que tu puisses concilier 1; s’il est un moribond que tu puisses ensevelir. Que feras-tu donc? « Jérusalem, loue le Seigneur ». Voilà quelle sera ton occupation. De même que l’on écrit sur un titre : Fais-en bon profit, je te répéterai « Jérusalem, loue le Seigneur ».

7. Soyez tous Jérusalem; souvenez-vous de ce qu’il est dit: « Seigneur, vous réduirez leur image au néant dans votre ville 2 ». Ce sont les hommes qui maintenant font leurs délices de ces vaines pompes, ceux qui ne sont point venus aujourd’hui parce qu’on leur fait une largesse. A qui profite cette largesse? Qui en supporte le contre-coup ? D’où vient la libéralité? D’où vient le dommage? Ce n’est point seulement à ceux qui donnent ces spectacles, qu’ils sont coûteux, mais ils le sont bien plus à ceux qui y mettent leur joie. lux uns ils coûtent l’or de leurs coffres, aux autres les richesses de justice qui ornaient leurs coeurs. Ceux qui donnent ces spectacles pleurent bien souvent quand il faut vendre leurs terres, et combien doivent pleurer des pécheurs qui perdent leurs âmes? Quand le Seigneur nous criait dimanche : « Veillez », était-ce donc pour que l’on veillât ainsi aujourd’hui? Je vous en supplie, ô vous citoyens de Jérusalem, je vous en conjure par la voix de Jérusalem, par celui qui est le Rédempteur, l’architecte, le directeur de Jérusalem, offrez à Dieu pour eux vos supplications. Qu’ils voient, qu’ils comprennent la futilité de ces divertissements, et qu’après avoir été attentifs à ces sortes de spectacles qui font leurs délices, ils soient à eux-mêmes leurs spectacles, et spectacles de tristesse. C’est ce qui est arrivé pour beaucoup, à notre grande joie; nous-mêmes avons jadis pris part à ces assemblées, à ces folies, Et combien de ceux qu’on voit maintenant, seront un jour chrétiens, et même évêques? Le passé nous est une garantie de l’avenir: et ce que Dieu a déjà fait nous dit ce qu’il doit faire encore. Que vos prières veillent donc, mes frères, ce n’est pas inutilement que vous gémissez. Ils sont exaucés ceux qui, ayant échappé au péril, implorent le Seigneur en laveur de ceux qui y sont encore

 

1. Matth. XXV, 35, 36. — 2. Ps. LXXII, 20.

 

engagés, parce qu’ils ont couru les mêmes dangers, et Dieu tirera son peuple de la captivité de Babylone, et il le rachètera, le sauvera, et alors sera parfait le nombre des élus qui portent son image. Mais ils n’y seront point ceux dont le Seigneur doit mépriser et anéantir l’image dans sa ville sainte, parce qu’eux-mêmes ont anéanti son image dans leur cité, c’est-à-dire dans Babylone. Tel est le peuple qui louera Dieu, le peuple qu’annonce par avance son esprit prophétique; il nous dit de tressaillir dans l’espérance, d’aspirer à la réalité. « Loue de concert le Seigneur, ô Jérusalem; Sion, bénis ton Dieu » . « Loue de concert», parce que tu es formée d’un grand nombre de citoyens; « bénis », parce que tu n’es qu’une seule ville. « Nous sommes plusieurs », dit l’Apôtre, « et néanmoins nous sommes un en Jésus-Christ 1 ». Louons donc de concert, parce que nous sommes plusieurs, et louons parce que nous ne sommes qu’un. Nous sommes à la fois, et plusieurs et un seul, parce que celui en qui nous avons l’unité, est toujours un.

8. Pourquoi, dira cette Jérusalem, louer de concert le Seigneur, et moi Sion, pourquoi louer mon Dieu? Sion n’est qu’une avec Jérusalem. Ces deux noms tiennent à deux causes différentes : Jérusalem signifie vision de la paix, et Sion contemplation. Voyez si ces deux noms désignent autre chose que des spectacles; que les païens ne s’applaudissent point alors de leurs spectacles, comme si nous n’avions point les nôtres. Quelquefois, quand on ferme le théâtre ou l’amphithéâtre, et qu’il sort de ces gouffres une foule d’hommes corrompus qui ont l’esprit tout occupé de vains fantômes, repaissant leur mémoire de souvenirs non-seulement inutiles, mais pernicieux, s’applaudissant de ces plaisirs qui ont une douceur, mais douceur empoisonnée ; ils voient, et même souvent, passer les serviteurs de Dieu qu’ils reconnaissent ou bien à leurs vêtements, ou bien à leur maintien, ou même à leur figure, et ils disent en eux-mêmes : Combien ces gens sont malheureux ! que n’ont-ils pas perdu aujourd’hui! Prions Dieu, mes frères, de récompenser leur bienveillance; car ils prennent cela pour un bien. C’est par bonté qu’ils nous plaignent; mais celui qui  aime l’iniquité, hait son âme 2. Et s’il hait

 

1. I Cor. X, 17. — 2. Ps. X, 6.

 

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son âme, comment pourrait-il aimer la mienne? Toutefois, c’est par une bienveillance et perverse, et vaine, et futile, si l’on peut appeler cela bienveillance, qu’ils nous plaignent de perdre ce qu’ils aiment. Prions à notre tour, afin qu’ils ne perdent point ce que nous aimons. Voyez quelle est cette Jérusalem que le Prophète exhorte à louer Dieu, ou plutôt dont il prédit la louange. Ce ne sera point quand nous verrons Dieu, et quand nous l’aimerons, quand nous le louerons, que le Prophète aura besoin d’en gager, de stimuler cette ville à louer le Seigneur; mais les Prophètes nous parlent de la sorte, afin de nous porter à goûter, autant que possible, en cette chair fragile, ces joies futures des bienheureux, et en jetant dans nos oreilles le trop plein de leur âme, d’allumer en nous l’amour de cette cité divine. Que nos désirs soient donc fervents; loin de nous tout coeur tiède.

9. Mais voyez quelle est cette Jérusalem que le Prophète invite à louer Dieu, et pourquoi elle doit le louer. C’est parce que son bonheur sera parfait. « Loue de concert le Seigneur, ô Jérusalem; ô Sion, loue ton Dieu ».Et comme si Jérusalem demandait:

Comment louer Dieu avec une telle sécurité? « C’est », dit le Prophète, « parce qu’il a fortifié  les barrières de tes portes 1 ». Redoublez d’attention, mes frères. « Il a fortifié les barrières de tes portes». On affermit les barrières non des portes ouvertes, mais des portes closes. De là vient qu’on lit dans plusieurs exemplaires : « Il a fortifié les serrures de tes portes ». Que votre charité comprenne ceci. Le Prophète dit que c’est une Jérusalem bien fermée qui loue le Seigneur. « Loue de concert le Seigneur, Ô Jérusalem ; Sion, loue ton Dieu ». Nous louons maintenant le Seigneur, nous le louons de concert, mais au milieu des scandales. Beaucoup entrent parmi nous contre notre volonté, beaucoup s’en vont, en dépit de nos efforts; de là tant de scandales. « Et comme l’iniquité abonde », a dit la Vérité, « la charité refroidit chez plusieurs 2 », à cause de ceux qui entrent et que nous ne saurions juger, et de ceux qui sortent sans que nous puissions les retenir. Pourquoi? parce que la perfection n’est point d’ici-bas, ni le bonheur d’ici-bas. Pourquoi encore ? Parce que nous sommes dans l’aire et non dans le grenier. Que

 

1. Ps. CXLVII, 13. — 2. Matth. XXIV, 12.

 

faire alors, sinon d’être sans crainte pour l’avenir? « Loue de concert le Seigneur, ô  Jérusalem ;  loue ton Dieu, ô Sion: parce qu’il a fortifié les barrières de tes portes ».

« Il a fortifié », dit le Prophète, et non-seulement il a mis des barrières. Que nul ne sorte plus, que nul n’entre plus. Que nul ne sorte, c’est ce qui nous réjouit ; que nul n’entre plus, c’est ce qu’il nous faut craindre. Mais sois sans crainte, on ne parlera de la sorte que quand tu seras entré. Sois seulement au nombre de ces vierges qui prirent avec elles de l’huile ­1.

10. Ces vierges, en effet, désignent les âmes. Elles n’étaient pas seulement au nombre de cinq, mais ces cinq marquent des milliers. Dans ce nombre cinq sont donc renfermés des milliers non de femmes seulement, mais d’hommes aussi ; car ce mot de femme désigne les deux sexes à cause de, l’Eglise ; puisque l’Eglise, qui renferme les deux sexes, est appelée vierge. « Je vous ai fiancée à l’unique Epoux, pour vous présenter à Jésus-Christ comme une épouse chaste 2 ». Peu sont vierges de corps, mais tous doivent l’être de coeur. La virginité du corps consiste dans une chair intacte, la virginité du coeur, dans une foi pure. On dit de toute l’Eglise qu’elle est vierge, et au masculin on la nomme peuple de Dieu : or, les deux sexes forment le peuple de Dieu, un seul peuple, un peuple unique; de même qu’il n’y a qu’une seule Eglise, une seule colombe ; et dans cette virginité, des saints par milliers. Ces cinq vierges dès lors désignent toutes les âmes qui doivent entrer dans le ciel : et le nombre cinq n’est point employé sans raison, puisque le corps est doué de cinq sens, comme chacun sait. Rien ne passe du corps dans l’âme que par ces cinq portes, car toute convoitise mauvaise nous vient sôit des yeux, soit de l’odorat, soit du goût, soit des oreilles, soit du tact. Quiconque n’a point laissé entrer la corruption par ces cinq portes, est mis au nombre des cinq vierges. Or, la corruption est la fille des dé. sirs illicites ; et l’Ecriture nous fait voir de toutes parts ce qui est permis ou ce qui ne l’est point. Il est donc nécessaire que tu sois au nombre de ces cinq vierges, et tu n’auras pas à craindre cette parole : Que nul n’ose entrer. C’est en effet ce qui est écrit et ce qui sera exécuté ; à ton entrée, toutefois, nul ne

 

1. Matth. XXV, 4. — 2. II Cor. XI, 2.

 

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viendra te barrer le passage; mais quand tt seras entré, on fermera les portes de Jérusalem, et l’on en fortifiera les barrières, si tu ne veux pas être vierge de coeur, ou si, quoique vierge, tu prends place parmi les vierges folles, pour demeurer au dehors et frapper vainement à la porte.

14. Quelles sont ces vierges folles? Elles aussi sont au nombre de cinq; et quelles sont ces vierges, sinon les âmes qui gardent la continence de la chair, afin d’éviter la corruption qui nous vient par tous les sens que nous énumérions tout à l’heure? Elles évitent la corruption, n’importe d’où elle vienne, sans porter dans leur conscience et sous les yeux de Dieu seul, le bien qu’elles font; elles veulent plaire aux hommes et s’arrêter à leur jugement. En quête des faveurs vulgaires, elles s’avilissent en voulant plaire à ceux qui les voient; leur conscience ne leur suffit point. C’est donc avec raison que, selon l’Evangile, elles ne portent pas d’huile avec elles; car l’huile, à cause de son éclat, de sa netteté, signifie la gloire. Mais que dit l’Apôtre? Vois dons sa parole ces vierges sages qui portent l’huile avec elles. « Que chacun éprouve son oeuvre, et il aura de quoi se glorifier en lui même et non dans un autre 1 ». Voilà les vierges sages. Quant aux vierges folles, elles allument leurs lampes à la vérité, leurs oeuvres paraissent avec éclat ; mais elles doivent mourir et s’éteindre, parce qu’elles ion! point d’huile intérieure. Les voilà qui s’endorment toutes parce que l’Epoux tarde à venir; quelle que soit en effet celle de ces deux catégories que choisissent les hommes, ils s’endorment du sommeil de la mort ; et les vierges sages et les vierges folles, en attentant l’avènement du Seigneur, passent par cette mort du corps, mort visible, que l’Ecriture appelle un sommeil, comme tout chrétien le sait. L’Apôtre dit en effet : « C’est pourquoi, parmi vous, beaucoup sont infirmes, languissants, et beaucoup sont endormis 2 » ; endormis, dit-il, ou plutôt morts. Mais voilà que l’Epoux va venir, et tous vont se lever, mais non tous entrer. Voilà que s’évanouiront les oeuvres de ces vierges folles, qui n’ont point l’huile de la bonne conscience. Elles ne trouveront plus, pour leur en acheter, ces flatteurs qui leur vendaient la louange. Car il y a de l’ironie

 

1. Gal. VI, 4. — 2. I Cor. XI, 30.

 

plutôt que de la jalousie dans cette parole « Allez en acheter ». Ces vierges folles en avaient demandé aux vierges sages, et leur avaient dit: « Donnez-nous de votre huile, parce que nos lampes s’éteignent ». Que répondent les vierges sages? « Non, de peur que nous n’en ayons pas suffisamment pour vous et pour nous ; allez plutôt à ceux qui en vendent, et achetez-en pour vous ». C’était leur dire sous la forme d’un avis : De quoi vous servent maintenant ceux dont vous achetez la louange ? « Et pendant qu’elles y allaient »,dit l’Evangile, « voilà que les autres « entrèrent, et la porte fut close 1 ». Pendant qu’elles y vont de coeur, pendant qu’elles s’occupent de ces pensées, qu’elles s’éloignent dans ce dessein, qu’elles se ressouviennent de leur vie passée, elles vont en quelque sorte vers ceux qui vendent l’huile , et ne les trouvent plus favorables; elles ne trouvent plus d’applaudissements chéz ceux qui les flattaient , elles qui s’excitaient au bien, non par le mouvement d’une bonne conscience, mais par le stimulant des langues étrangères.

12. Cette réponse des vierges sages: « De peur qu’il n’y en ait pas suffisamment pour  nous», témoigne aussi d’un grand sentiment d’humilité. Car l’huile que nous portons dans notre conscience, c’est le jugement que nous portons sur nous-mêmes, et qui nous fait voir tels que nous sommes; or, il est difficile de se juger, de juger parfaitement de son état. Mes frères, quels que soient les progrès d’un homme dans la vertu ; tant qu’il se jette en avant et oublie ce qui est derrière 2; s’il se dit : c’est bien ; Dieu aussitôt tire de ses trésors la règle inflexible, et procède à un sévère examen. Or, qui se glorifiera d’avoir un coeur pur ?Qui osera dire qu’il est sans péché 3? Mais que dit l’Ecriture? « Il y aura un jugement sans miséricorde pour celui qui n’a pas fait miséricorde 4». Quels que soient tes progrès, tu espéreras donc dans la miséricorde. Car si la miséricorde ne vient tempérer la justice , tout homme se trouvera condamnable en quelque point. Or, quel passage de l’Ecriture va nous consoler? Celui-là même qui nous exhorte à la miséricorde, afin que nous nous appliquions à donner notre superflu. Car nous avons beaucoup de

 

1. Matth. XXV, 1-13. — 2. Philipp. III, 13. — 3. Prov. XX, 9, — 4. Jacques, II, 13.

 

superflu, si nous nous en tenons au strict nécessaire ; mais rien ne nons suffira, si nous recherchons ce qui est futile. Cherchez donc, mes frères, ce qui suffit à l’oeuvre de Dieu, et non ce qui suffit à vos désirs ; car votre désir n’est point l’oeuvre de Dieu; mais votre forme, votre âme, votre corps, voilà toute l’oeuvre de Dieu. Cherche donc ce qui suffit pour cela, et tu verras qu’il faut peu de chose. Il ne fallut à la veuve de l’Evangile que deux deniers, pour faire une oeuvre de miséricorde 1, deux deniers pour acheter le royaume de Dieu. Pour habiller des acteurs, quelle dépense ne fait point un donneur de spectacles? Voyez non-seulement qu’il faut peu pour vous suffire, mais aussi combien peu vous demande le Seigneur. Cherche avec soin ce qu’il t’a donné, prends-en ce qui te suffit; quant au reste, qui est superflu pour toi, c’est le nécessaire des autres; le superflu du riche est le nécessaire du pauvre. C’est posséder le bien d’autrui que posséder du superflu.

13. C’est quand tu feras miséricorde, et particulièrement celle ci que l’on fait gratuitement : « Remettez-nous, comme nous remettons 2» ; et où l’on ne fait d’autre dépense que celle de la charité, laquelle s’accroît à proportion qu’on la dépense; c’est, dis-je, quand tu feras avec ferveur des oeuvres de miséricorde, bonnes oeuvres, avons-nous dit, qui ne seront plus nécessaires dans l’autre vie, puisqu’il n’y aura plus aucun malheureux à qui l’on puisse faire miséricorde 3, c’est alors que tu attendras en toute sécurité le jugement, non pas dans la sécurité de la justice, mais dans la sécurité de la divine miséricorde, puisque toi-même auras été miséricordieux. « Le jugement sera sans miséricorde pour celui qui n’aura point fait miséricorde. Et la miséricorde», ajoute le même Apôtre, «l’emporte sur le jugement 4 ». Gardez-vous de croire, mes frères, que le Seigneur n’est point juste, ou qu’il s’écarte de la justice, quand il n’a point pitié de nous. Il est juste quand il nous damne, et juste encore quand il nous prend en pitié. Quoi de plus juste de faire miséricorde à celui qui l’implore ? Quoi de plus juste aussi, que d’user envers nous de la mesure dont nous nous serons servis 5? Donne à ton frère qui a faim. A quel frère? Au Christ. Si donc faire la charité à ton frère c’est

 

1. Marc, III, 42.— 2. Luc, VI, 37; Matth. VI, 12. — 3. Voir Discours sur le Ps. LXXXIII, n.8, 11.— 4. Jacques, II, 13. — 5. Matth. VII, 2.

 

la faire au Christ, et si le Christ est Dieu béni par-dessus tout dans les siècles 1, c’est un Dieu qui a voulu avoir besoin de toi, et ta main se retire ? Tu tends la main à Dieu pour lui demander: écoute l’Ecriture : « Que ta main ne soit point ouverte pour recevoir, et fermée pour donner 2 ». Dieu veut qu’on lui donne de ce qu’il a donné. Que pourrais-tu donner, en effet, qu’il ne t’aie point donné? « Qu’as-tu, que tu n’aies point reçu 3 ? » Et même, sans parler de Dieu, à qui pourrais-tu donner de ce qui est à toi? Tu donnes de ce qui appartient à celui qui te commande de donner. Sois donc véritablement dispensateur, et non usurpateur. C’est en agissant de la sorte, et en disant avec humilité de cette huile: « De peur qu’il n’y en ait pas suffisamment pour nous 4 », que tu entreras, et que la porte ne te sera point fermée. Ecoute ce mot de l’Apôtre : « Peu m’importe d’être jugé par vous 5». Comment pourriez-vous, en effet, juger ma conscience? Comment verriez-vous l’intention qui me dirige dans toutes mes actions? Quel jugement les hommes peuvent-ils porter sur un autre homme? L’homme peut beaucoup mieux se juger, mais Dieu peut mieux encore juger l’homme, que l’homme ne peut se juger lui-même. Si donc tu es tel que nous disons, tu entreras, tu seras au nombre de ces cinq vierges, et les vierges folles seront exclues. C’est ce que nous dit l’Evangile ; la porte sera fermée, elles seront là, heurtant à cette porte et criant: « Ouvre-nous 6 »; et on ne leur ouvrira point, parce « que le Seigneur a fortifié les barres de vos portes». Oui, dit le Prophète, il a fortifié les barres de tes portes, sois en toute sécurité, chante avec assurance, et chante sans fin. Tes portes sont solidement closes, nul ami ne sort, nul ennemi ne peut entrer. « Il a consolidé les barrières de tes portes».

14. « Il a béni tes enfants en toi ». Ils ne sont ni vagabonds au dehors, ni exilés; il s’applaudissent dans ton enceinte, c’est là qu’ils chantent le Seigneur, là qu’ils sont bénis. ils n’endurent plus les douleurs de l’enfantement, parce qu’ils n’ont plus à enfanter. Ils sont vos enfants, vos saints; et ces enfants, ces saints, sont dans l’allégresse, dans la louange; la charité à ressenti pour eux les douleurs de l’enfantement, et les a enfantés;

 

1. Rom. IX, 5. — 2. Eccli. IV, 36. — 3. I Cor. IV, 7. — 4. Matth. XXV, 9. — 5. I Cor. IV, 2. — 6. Matth. XXV, 11.

 

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la charité les renferme dans son giron. Ecoute la charité qui les enfante: c’est elle qui donnait à Paul non-seulement un coeur de père, nais un coeur de mère, pour ses enfants: « Mes petits enfants», dit-il, «que j’enfante une seconde fois 1». Or, Paul qui enfante, c’est la charité qui enfante; et la charité qui enfante, c’est l’Esprit de Dieu qui enfante. « La charité, en effet, est répandue dans nos coeurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné 2 ». Qu’elle rassemble donc ceux qu’elle a enfantés avec douleur, ceux qu’elle a mis au monde. Ils sont déjà dans l’intérieur, ils sont en sûreté. Ils ont pris leur essor du nid de la crainte, ils ont pris leur essor pour les cieux, pour les tabernacles éternels ; rien de temporel n’est à redouter pour eux.

15. « Il a béni tes fils en toi ». Qui a béni? « Celui qui a mis la paix sur tes frontières 3». Quelle n’est point la joie universelle à cette parole ? Aimez-la, mes frères. Nous éprouvons une grande joie quand l’amour de la paix éclate ainsi du fond de vos coeurs. Quelle joie cette parole a suscitée ! Je n’avais rien dit encore, je n’avais rien expliqué, je prononce le verset et vos cris partent. Qu’est-ce qui a crié en vous? L’amour de la paix. Qu’ai-je mis sous vos yeux ? Pourquoi ces cris, si vous ne ressentez cet amour ? D’où vient cet amour, si vous ne voyez rien ? La paix est invisible. Où est l’oeil qui l’a vue pour l’aimer ? Et toutefois, on ne pousserait aucun cri si on ne l’aimait. Ce sont là, mes frères, les spectacles invisibles que Dieu nous présente. De quelle beauté l’idée seule de la paix n’ai-elle point frappé vos coeurs? Que dire encore dola paix, et comment la louer? Votre allégresse a dépassé toutes mes paroles. Je n’achève point, je ne saurais, je suis trop faible. Remettons donc l’éloge de la paix, jusqu’à ce que nous soyons dans la patrie de la paix. C’est là que nous pourrons la louer plus pleinement, en jouir plus pleinement. Si nous l’aurions ainsi quand elle commence, quelles louanges lui donner quand elle sera parfaite? Jugez-en vous-mêmes, ô fils bien-aimés, fils de la paix, citoyens de Jérusalem, car Jérusalem est la vision de la paix ; et tous ceux qui aiment la paix sont bénis dans son enceinte, ils peuvent y entrer et les portes se ferment, et les barrières sont consolidées. Cette paix dont le nom seul fait éclater votre amour, cultivez-la,

 

1. Gal. IV, 19. — 2. Rom. V, 6. — 3. Ps. CXLVII, 14.

 

recherchez-la sincèrement; aimez-la dans vos maisons, aimez-la dans vos affaires, aimez-la dans vos épouses, aimez-la dans vos enfants, aimez-la dans vos serviteurs, aimez-la dans vos amis, aimez-la dans vos ennemis.

16. Telle est la paix que n’ont point les hérétiques. Quelle est l’oeuvre de cette paix, dans les perplexités de ce monde, dans l’exil de notre mortalité, où nul n’est connu d’un autre, ou nul ne connaît le coeur de son voisin ? Que fait la paix ? Elle ne juge pas de ce qui est incertain, et n’affirme rien d’inconnu. Elle est plus inclinée à croire le bien d’un homme, qu’à en soupçonner le niai. Elle ne s’afflige point de s’être trompée en croyant bon l’homme qui est méchant ; mais elle se croit coupable d’avoir cru au mal chez l’homme de bien. Je ne le connais point, dit-elle, que perdrai-je à croire qu’il est bon ? Si cela est incertain, il est permis d’agir avec précaution, car peut-être n’est-ce pas vrai ; mais garde-toi de condamner comme si tu étais certain. C’est le précepte de la paix. « Cherche la paix», dit le Prophète, «et poursuis-la 1 ». Que dit l’hérésie au contraire ? Elle condamne sans connaître, et condamne le monde entier ; tout le monde a péri, il n’y a plus un seul chrétien, l’Afrique seule est demeurée. Bien jugé. Mais de quel tribunal peux-tu condamner le monde entier? Sur quel forum le monde a-t-il comparu devant toi ? Que l’on aie s’en rapporte pas à moi, j’y consens; mais pas à toi non plus. Qu’on en croie au Christ, à l’Esprit de Dieu, qui a parlé par les Prophètes, qu’on en croie à la loi de Moïse. Qu’a dit Moïse des temps futurs qui sont les nôtres? « En ta postérité », fut-il dit à Abraham, « toutes les nations seront bénies 2 ». As-tu des doutes sur cette race d’Abraham? Il n’y a plus de doute à conserver quand l’Apôtre a parlé ; ou si tu n’en crois point à l’Apôtre, pourquoi dire : La paix, la paix, quand il n’y a point de paix 3? Que dit l’Apôtre ? « Les promesses de Dieu sont faites à Abraham et à sa postérité. L’Ecriture ne dit point : « Et à ceux qui naîtront de lui, comme s’ils eussent dû être plusieurs; mais comme en parlant d’un seul, elle dit : Et à celui qui naîtra de toi, qui est le Christ 4 ». Il y a des milliers d’années qu’il fut dit à Abraham: « Les nations seront bénies en ta postérité » .Or,

 

1. Ps. XXXIII, 12. — 2. Gen. XXII, 18 — 3. Jérém. VI, 14. — 4. Gal. III, 16.

 

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ce qui a été prédit il y a tant de siècles, et ce qu’un seul a cru, nous le voyons accompli aujourd’hui. D’un côté nous lisons la promesse, de l’autre nous voyons l’accomplissement, et tu viens à la traverse résister à la vérité ? Que vas-tu dire ? Garde-toi de croire. De croire à qui ? A l’esprit de Dieu? A Dieu qui parle à Abraham ? A qui croirai-je alors? A toi ? Ce n’est point là ce que je dis, répondras-tu. Tu ne le dis point? Comment, tu ne dis pas : Crois-en plutôt à moi qu’à l’Esprit. Saint, qu’à Dieu qui s’adresse à Abraham? Que viens-tu me dire alors? Tel a livré les livres saints, tel autre encore les a livrés. Est-ce un passage de l’Evangile que tu rapportes là, ou des Apôtres, ou des Prophètes? Examine toutes les Ecritures, et lis-moi cette parole, dans ceux en qui repose ma foi ; car je ne crois pas en toi. Où donc liras-tu cela? C’est ce que m’a dit mon père, me répond-il, ce que m’a dit mon aïeul, mon frère, mon évêque. Mais voici la parole du Seigneur à Abraham: « Les nations seront bénies en celui qui naîtra de toi ». Un seul homme entendit cette parole et y crut, et après de longs siècles, elle s’accomplit dans des millions d’hommes. On croit à cette promesse, quand elle se fait, et on en doute quand elle s’accomplit? Voilà donc ce qu’a dit Moïse; donnons maintenant la parole aux Prophètes. Vois le prix de notre rédemption : le Christ suspendu à la croix. Considère le prix qu’il donne, et tu comprendras ce qu’il achète. Il veut faire un achat, et tu ne sais encore quel achat; vois alors, vois la grandeur du prix, et tu comprendras l’importance de l’achat. Il répand tout son sang, c’est au prix de son sang qu’il achète, du sang de l’Agneau sans tache, du sang du Fils unique de Dieu. Que petit-on donc acheter au prix du sang du Fils unique de Dieu ? Encore une fois, considère à quel prix. Longtemps avant l’accomplissement, le Prophète a dit : « Ils ont percé mes « mains et mes pieds, ils ont compté tous mes os ». Je vois la grandeur du prix, ô Christ, faites que je voie aussi ce que vous avez acheté : « Toutes les extrémités de la terre s’en souviendront, et se tourneront vers le Seigneur ». Dans le même psaume, je vois tout ensemble et l’acheteur, et le prix, et la possession. Cet acheteur c’est le Christ, le prix est son Sang, et la possession, l’univers entier. Ecoutons les paroles du Prophète, qui contredisent les chicanes des hérétiques. Voilà ce que possède mon Dieu. Je lis son droit dans le psaume: « Ils en garderont la mémoire, et tous les confins de la terre se tourneront vers le Seigneur, toutes les familles de la terre se prosterneront en sa présence 1 ».

L’Acheteur est donc le Christ, et non l’apostat Donat. « Ils l’adoreront ». Très-bien: « Toutes  les familles de la terre se prosterneront en sa présence ». Pourquoi très-bien? « Parce que l’empire est au Seigneur, et il dominera sur toutes les nations ».Voilà ce qu’on lit dans Moïse, dans les Prophètes, et mille autres témoignages semblables. Qui pourrait compter les passages de l’Ecriture au sujet de l’Eglise qui sera répandue dans toute la terre? Qui les comptera? Il y a moins d’hérésies contre l’Eglise, que la loi n’a de témoignages en sa faveur. Quelle page ne dit point son triomphe? Quel verset ne l’a point consigné? Tout parle de concert en faveur de cette unité, qui est au Seigneur, parce qu’il a mis la pain dans les confins de Jérusalem. Et c’est contre tout cela que tu viens aboyer, ô hérétique? C’est avec raison que l’on applique à cette cité sainte ce mot consigné dans l’Apocalypse : « Loin d’ici les chiens 2». C’est contre tout cela que tu viens aboyer. Comme je le disais tout à l’heure, oses-tu bien condamner le monde entier? Quel est ton tribunal, sinon la présomption de ton coeur? Tribunal bien haut sans doute, mais ruineux. Voilà ce qu’a dit Moïse, ce qu’ont dit les Prophètes ; et des hommes qui veulent passer pour chrétiens ne le croient pas encore.

17. Le mauvais riche était dans les tourments de l’enfer, et l’ardeur des flammes lui

fit désirer qu’une goutte d’eau tombât du doigt du pauvre qu’il avait autrefois méprisé

à sa porte. Comme ce rafraîchissement lui était refusé, puisqu’on doit « juger sans miséricorde celui qui n’aura point fait miséricorde 3 », comme donc on le lui refusait « Père Abraham », s’écrie-t-il, « envoyez Lazare dans la maison de mon père, où j’ai cinq autres frères; qu’il leur dise combien je souffre, afin qu’ils ne viennent point aussi dans ce lieu de tourments ». Que répond Abraham? « Ils ont Moïse et les Prophètes ». Et celui-ci : « Mon père Abraham, mais si quelqu’un ressuscitait d’entre les morts, ils le croiraient ». Et Abraham:

 

1. Ps. XXI, 17,18, et 28,19.— 2. Apoc. XXII, 15.— 3. Jacques, II, 13.

 

279

 

 « S’ils n’écoutent ni Moïse, ni les Prophètes ils ne croiront pas quand même quelqu’un ressusciterait d’entre les morts 1 ». De qui dit-il, qu’ « ils ont Moïse et les Prophètes ? » De ces frères assurément qui vivaient encore, qui avaient pour se corriger un long espace de temps, qui n’étaient point encore dans ces lieux de tourments. « Ils ont Moïse et les Prophètes, qu’ils les écoutent », dit Abraham. Ils ne croient point en eux, « mais ils croiraient si quelqu’un ressuscitait d’entre les morts. S’ils n’écoutent ni Moïse, mi les Prophètes, ils ne croiront pas même mi celui qui ressusciterait d’entre les morts». C’est la décision d’Abraham. En quel endroit et de quel endroit Abraham l’a-t-il prononcée? D’un certain lieu élevé, d’un lieu plein de repos et de joie. Que voyait en élevant les yeux cet infortuné qui souffrait dans l’enfer? Il voyait aussi dans son sein,c’est-à-dire dans son secret, le pauvre qui tressaillait de joie. Voilà quel est ce tribunal. C’est là qu’habite le Seigneur, puisque Dieu habite dans les saints. Delà vient ce désir que l’Apôtre nous exprime ainsi : « Mourir pour être avec le Christ serait de beaucoup préférable 2 ». Il fut dit aussi au bon larron : « Aujourd’hui tu seras .avec moi dans le paradis 3 ». C’est le Seigneur qui est avec Abraham et en Abraham qui a porté cette sentence : « Ils ont Moïse et es Prophètes; s’ils ne les écoutent point, ils n’écouteraient point non plus celui qui ressusciterait d’entre les morts». O hérétiques, vous avez ici Moïse et les Prophètes, et vous vivez encore, et vous pouvez encore écouter, et vous pouvez encore vous corriger, dompter votre fureur, et embrasser la vérité : examinez avec vous-mêmes s’il faut en croire Moïse et les Prophètes, qui ont rendu à leur foi de si grands témoignages, quand nous voyons les événements du monde arriver selon leurs prédictions. Pourquoi hésiter encore à en croire à Moïse et aux Prophètes? Pourquoi cette hésitation? Attendriez-vous par hasard qu’un homme ressuscité d’entre les morts s’en vienne vous parler de son Eglise? C’est ce que voulait le mauvais riche dans l’enfer; il voulait que l’on envoyât vers ses frères 4 quelqu’un d’entre les morts; on le reprend de cette exigence parce que Moïse et les Prophètes devaient suffire à ses frères. Sa prière

 

1. Luc, XVI, 19,31. — 2. Philipp. I, 23. — 3. Luc, XXXII, 43.— 4. Id. XVI, 27.

 

fut vaine, afin que cet exemple vous profitât, et que vous ne fussiez point tourmenté comme lui, pour avoir fait trop tard de vaines prières. Ecoutez Moïse et les Prophètes. Que dit Moïse? « Dans ta postérité seront bénies toutes les nations 1 ». Qu’ont dit les Prophètes? « Tous les confins de la terre se souviendront, et se tourneront vers le Seigneur 2». Et tu viendras me dire encore qu’un homme se lève d’entre les morts, je ne croirai que quand on viendra de là me parler ! Bénie soit votre miséricorde, ô mon Dieu! vous avez voulu mourir, afin qu’un homme se levât des morts, et cet homme n’est point un homme quelconque, mais c’est la Vérité qui est sortie des enfers. Il pourrait dire la vérité sur les effets, sans être sorti des enfers; et néanmoins, à cause de ces voix méchantes et ignorantes, il a voulu mourir et se lever d’entre les morts. Que dis-tu, ô hérétique, que dis-tu? J’écouterai tes raisons, tu n’a plus d’excuses ; quand tu aurais les exigences du riche dans les enfers, voilà que le Christ est ressuscité d’entre les morts; daigneras-tu l’écouter lui-même? Tu as conçu en ta vie le désir de ce riche après sa mort, et voilà que le Christ est revenu des enfers; ce n’est ni ton père, ni ton aïeul, ils ne sont point ressuscités des morts, ceux qui ont accusé je ne sais qui d’entre nous d’avoir livré les saints livres. Mais accordons qu’ils n’aient point calomnié, qu’ils aient dit vrai. Veux-tu savoir combien cela m’importe peu? Ecoutons ensemble ce qu’a dit celui qui est ressuscité d’entre les morts. A quoi bon tant discourir? Ecoutons, ouvrons l’Evangile, lisons ce qui s’est fait comme s’il s’accomplissait maintenant : remettons sous nos yeux le passé afin de nous mettre en mesure contre l’avenir. Voilà que le Christ ressuscité d’entre les morts se montre à ses disciples. Voici ses noces, il est l’Epoux, l’Eglise et l’Epouse. Cet Epoux que l’on disait mort, exterminé, anéanti, est ressuscité plein de vie, le voilà qui se montre aux yeux des disciples, qui se laisse toucher de leurs mains, ils touchent en effet ses plaies, ses meurtrissures qui leur avaient fait perdre l’espérance. Il se fait voir à leurs yeux, et en le touchant des mains ils le prennent pour un esprit car ils ont perdu tout espoir qu’il pût être sauvé. Il les exhorte, les affermit dans la foi « Touchez et voyez, car un esprit n’a ni chair,

 

1. Gen. XXII, 18. — 2. Ps. XXI, 28.

 

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ni os, comme vous voyez que j’en ai 1 ».  Ils le touchent, ils sont dans la joie, dans l’étonnement. « Comme ils étaient encore dans le trouble de la joie », est-il écrit dans l’Evangile. Quelquefois on ne croit que difficilement ce qui donne de la joie, quelle qu’en soit la certitude. Un certain doute qui nous rend tardifs à croire assaisonne le bonheur qui nous vient alors. Plus nous avons désespéré de ce qui nous arrive, plus notre bonheur est grand; et ce fut pour rendre leur bonheur plus doux et plus grand que le Sauveur ne voulut pas être connu tout d’abord. Il ferma les yeux de ces deux disciples qu’il rencontra parlant ensemble de leur peu d’espérance et se disant : « Nous espérions qu’il serait le Rédempteur d’Israël ». Ils l’avaient pensé, et ne le pensaient déjà plus. L’espérance n’était plus en eux, et le Christ était avec eux; mais pour se rendre à eux, et leur ramener l’espérance. Ce fut donc seulement après, et quand ils l’eurent reconnu à la fraction du pain, qu’il se montra aux autres disciples qui le prenaient pour un esprit, qu’il leur dit : « Touchez et voyez, car un esprit n’a pas de chair et d’os, comme vous voyez que j’en ai ». Et comme la joie les troublait: « Avez-vous, ajouta-t-il, quelque chose à manger? Il prit ce qu’ils présentèrent, le bénit, en mangea, et leur en donna ». Il parut alors qu’il avait réellement un corps, et toute crainte d’erreur disparut aussitôt. Que fit-il ensuite? « Ne saviez-vous donc pas qu’il fallait que s’accomplît en moi tout ce qui est écrit à mon sujet dans la loi de Moïse, dans les Prophètes et dans les Psaumes?» Or, comme ils croyaient aux Prophètes et à Moïse; car il est vrai de dire avec Abraham : « S’ils n’en croient point à Moïse et aux Prophètes, ils n’en croiront point à celui qui  ressusciterait d’entre les morts »; comme ils en croyaient à Moïse et aux Prophètes, et n’étaient point de ceux que reprend Abraham, ils écoutèrent ce que dit le Seigneur: «Ne saviez-vous pas qu’il fallait que s’accomplît en moi ce qui est écrit à mon sujet dans la loi de Moïse, dans les Prophètes et dans les Psaumes? » Les voilà qui en croient à Moïse et aux Prophètes, voyez comment sur leur témoignage ils croient à celui qui est ressuscité d’entre les morts. « Alors il leur ouvrit l’intelligence, afin qu’ils comprissent les Ecritures, et il leur dit : Il fallait,

 

1. Luc, XXIV, 19.

 

selon qu’il est écrit, que le Christ souffrit et qu’il ressuscitât d’entre les morts le troisième jour ».

18. Tu vois déjà l’Epoux de l’Eglise. Ni Moïse, ni les Prophètes, n’ont gardé le silence à propos du Christ qui devait ressusciter le troisième jour, qui devait souffrir. On nous a décrit l’Epoux afin de nous faire éviter toute erreur. Mais parce que nous n’avons aucune erreur à propos de l’Epoux, il s’est trouvé certains hommes qui semblent croire ce que nous croyons au sujet de l’Epoux, et qui nous viennent dire, pour nous séparer de ses membres : Sans doute, le même Epoux que vous croyez est le même que nous croyons; mais l’Epouse n’est point cette Eglise dont vous êtes les membres. Quelle est donc cette Epouse? C’est le parti de Donat. Voilà ton affirmation, mais est-ce bien toi qui parles, ou bien est-ce 1’Epoux? Est-ce toi qui le dis, ou Dieu qui l’a dit par Moïse ? Moïse me montre l’Eglise; car Moïse a dit : « Toutes les nations seront bénies en ta postérité ». Est-ce toi qui le dis, ou l’Esprit de Dieu par les Prophètes? Les Prophètes me montrent l’Eglise, car un Prophète m’a dit : « Toutes les nations de la terre se souviendront du Seigneur, et se tourneront vers lui ». J’ai donc pour moi le témoignage de la loi et des Prophètes; écoutons encore celui qui est ressuscité d’entre les morts. Il montre qu’il est l’Epoux, nous en avons la certitude. Il nous en a convaincus par des témoignages visibles. Car Moïse et les Prophètes avaient dit que de « Christ devait souffrir, et se lever d’entre les morts ».Ces paroles nous indiquent l’Epoux à vous et à moi; et dès lors ces paroles t’amèneront à croire à Moïse et aux Prophètes: croyons de même en celui qui est ressuscité d’entre les morts. Qu’il continue donc et dise: Seigneur, c’en est fait, je crois que le Christ est l’Epoux. Que nul ne me sépare des membres de votre Epouse, car si je ne faisais partie de ses membres vous ne seriez point ma tête, Parlez-moi aussi de votre Epouse; car je ne doute plus de l’Epoux. Ecoute ce qui est dit de l’Eglise ; voilà que 1’Epoux continue en disant que l’on doit « prêcher en son nom la pénitence et la rémission des péchés ». Rien de plus vrai; la pénitence et la rémission des péchés sont prêchées en son nom. Mais où? Ici, disent les uns; là, disent les autres. Mais lui, que dit-il? « Ne les croyez (281) point: il s’élèvera de faux Christs et de faux Prophètes, qui diront : C’est ici, c’est là  1» . Ce n’est point du chef qu’ils disent: « c’est ici, c’est là »; on sait que le Christ est dans le ciel, mais c’est de l’Eglise en laquelle est le Christ qui a dit: « Voilà, je suis avec vous jus-« qu’à la consommation des siècles 2 ». Or, le Seigneur a dit: « Ne les croyez point». Dire en effet : « C’est ici, c’est là », c’est vous montrer des parties; or, j’ai acheté le tout. Que l’Evangile me tienne encore ce langage: Dites cela vous-mêmes dans l’Evangile, vous Seigneur, qui êtes ressuscité d’entre les morts, afin qu’ils croient aussi en vous, ceux qui croient à Moïse et aux Prophètes; dites-moi cela vous-même. Je vous écoute. « Il fallait que le Christ souffrît et ressuscitât le troisième jour, et qu’en son nom la pénitence et la rémission des péchés fussent prêchées parmi toutes les nations, en commençant par Jérusalem 3 ». Que vas-tu répondre, ô hérétique? Quand je citais Moïse, quand je citais les Prophètes, tu en appelais à celui qui devait ressusciter d’entre les morts. Voilà qu’il est ressuscité, qu’il a parlé; l’Eglise du Christ, l’Epouse du Christ n’est pas plus douteuse que n’est douteux le corps du Christ que voyaient, que touchaient ses disciples. Celui qui est ressuscité d’entre les morts nous a montré l’un et l’autre; il nous a montré la tête, montré les membres, montré l’Epoux et montré l’Epouse. Ou crois ces deux articles avec moi, ou n’en crois qu’un seul, mais pour ta damnation. Crois-tu, en effet, qu’il se soit levé d’entre les morts, et levé dans le même corps? C’est bien; puisqu’il a montré ses meurtrissures , puisqu’il s’est montré tel qu’il a été à la croix, et au sépulcre, tu as raison de croire; écoute la parole de celui en qui tu as mis ta foi: « Il faut que la pénitence et la rémission des péchés soient prêchées en son nom ». Où prêchées? Dans l’étendue des terres. Si je parlais ainsi moi-même, dans ma polémique, dans ma lutte contre les hérétiques, dans nies conflits sur une telle question, je ne pourrais parler contre les hérétiques d’aujourd’hui avec autant de précision que le Christ contre ceux de l’avenir. Que veux-tu de plus? Où prêche-t-on la rémission des péchés au nom du Christ? Où? « Dans toutes les nations». A Partir d’où? « A partir de Jérusalem ». Entre dans la

 

1. Matth. XXIV, 27, 24. — 2. Id. XXVIII, 20. — 3. Luc, XXIV, 13-47.

 

communion de cette Eglise. Pourquoi disputer encore? C’est dans la Jérusalem de la terre que l’Eglise a pris naissance, afin de se réjouir en Dieu dans la Jérusalem céleste. Elle commence à l’une pour se terminer à l’autre. Elle sera tout entière dans la Jérusalem du ciel, mais c’est dans celle de la terre qu’elle a commencé à croire.

19. Vois dans les Actes des Apôtres, si je ne me trompe, comment les disciples étaient assemblés à Jérusalem, quand le Saint-Esprit descendit. Tu comprendras alors le sens de cette parole : « A partir de Jérusalem », quand tu verras ces mêmes hommes sur qui le Saint-Esprit est descendu 1 parlant toutes les langues. Pourquoi ne veux-tu point parler la langue de tous les peuples? Voilà bien que toutes les langues se font entendre, ô Jérusalem. Pourquoi celui qui reçoit maintenant le Saint-Esprit ne parle-t-il point toutes les langues? C’était alors le signe que le Saint-Esprit descendrait sur les hommes, et qu’ils parleraient la langue de tous. Que vas-tu répondre, ô hérétique? Que l’on ne donne plus l’Esprit-Saint. Je ne demande pas où on le donne, mais le donne-t-on? Si on ne le donne point, que prétendez-vous faire, en parlant, en baptisant, en bénissant? Que faites-vous? d’inutiles cérémonies? Diras-tu qu’on le donne? Alors pourquoi ceux qui le reçoivent ne parlent-ils point toutes les langues? Le don de Dieu est-il en défaut, son fruit a-t-il diminué? L’ivraie a poussé sans doute, mais aussi le froment. « Laissez croître l’une et l’autre jusqu’à la moisson 2». Le Sauveur n’a point dit : Que l’ivraie croisse, et que le froment diminue; ils croissent l’un et l’autre. Pourquoi le Saint-Esprit ne se fait-il point voir dans le don des langues? Que dis-je? il se montre maintenant dans toutes les langues; l’Eglise alors n’était point répandue par toute la terre, de manière que ses membres pussent parler chez tous les peuples. Dieu alors accomplissait dans un seul homme ce qui était annoncé pour tous. Aujourd’hui le corps du Christ parle toutes les langues, et il parlera celles qu’il ne pante pas encore; car l’Eglise croîtra jusqu’à ce qu’elle occupe toutes les langues du monde. Quel n’est point l’accroissement de cette Eglise que vous avez abandonnée! Possédez avec nous ce qu’elle possède, afin d’arriver avec nous jusqu’où

 

1. Act. I, 4-14, et II, 1-12. — 2. Matth. XIII, 30.

 

282

 

elle doit s’étendre. Je parle toutes les langues, et j’ose bien vous dire : Je suis parmi les membres du Christ, dans l’Eglise du Christ; si le corps de Jésus-Christ parle toutes les langues, je suis aussi dans toutes les langues; je parle grec, je parle syriaque, je parle hébreux, je parle la langue de tous les peuples, parce que je suis dans l’unité de tous les peuples. -

20. L’Eglise donc, mes frères, a commencé par Jérusalem, pour se répandre dans toutes les contrées. Qu’y a-t-il de plus clair que ces témoignages de la loi, des Prophètes, et du Seigneur lui-même? Partout retentissent les voix des Apôtres qui rendent témoignage à notre espérance dans l’unité du corps de Jésus-Christ. Tressaillez d’être parmi le froment, supportez l’ivraie, gémissez sous le fléau, aspirez au grenier. Viendra le temps où nous nous réjouirons dans Jérusalem, dont Dieu aura fortifié les barrières. Qu’il entre, celui qui doit y entrer. Quiconque doit y entrer au grand jour, n’entre point ici sous un déguisement. Celui qui entre ici à la dérobée, demeure au dehors; le voilà dehors, sans le savoir : le van le lui montrera, les serrures le lui apprendront. Quiconque est maintenant à l’intérieur, vraiment à l’intérieur, y sera là d’une manière inébranlable; celui qui est ici-bas à l’intérieur, et en souffrance, y sera là dans la joie. Car les confins de Jérusalem sont la paix, puisque Dieu u a établi la paix « sur ses frontières ». Nous aspirons maintenant à la paix que nous ne possédons qu’en espérance. Qu’est-ce, en effet, que cette paix que nous avons en nous-mêmes? « La chair conspire contre l’esprit, et l’esprit contre la chair 1 ». Est-il un seul homme pour jouir d’une paix parfaite? Or, quand un seul homme aura la paix parfaite, elle sera parfaite aussi pour tous les citoyens de Jérusalem. Or, quand sera-t-elle parfaite? Quand ce corps corruptible sera revêtu d’incorruption, ce corps mortel, revêtu d’immortalité 2 ; nous aurons alors une paix entière, une paix parfaite; rien dans l’homme ne se soulèvera contre l’âme, ni elle-même contre elle-même, puisqu’elle ne sera plus meurtrie; elle ne souffrira ni de la fragilité de la chair, ni des nécessités du corps, ni de la faim, ni de la soif, ni du froid, ni de la chaleur, ni de la fatigue, ni de l’indigence, ni d’aucune querelle,

 

1. Gal. V, 17. — 2. I Cor. XV, 53.

 

ni même des soucieuses précautions d’éviter un ennemi et de l’aimer. Tout cela, en effet, mes frères, conspire contre nous-mêmes; la paix est loin d’être entière, d’être parfaite. Ces cris que vous poussiez tout à l’heure, au nom de la paix, viennent du désir que vous en avez: c’est le cri d’une âme qui a besoin, mais non qui est satisfaite; car la justice ne sera parfaite qu’avec la  paix parfaite. Maintenant nous avons faim et soif de la justice « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu’ils seront rassasiés 1». Comment seront-ils rassasiés? Quand nous jouirons de la paix. C’est pourquoi, après ces paroles : « Il a établi la paix dans tes confins » ; le Prophète ajoute : « Et il te rassasie de froment », parce que nous serons rassasiés sans éprouver aucun besoin.

21. Comme cette paix dont nous parlons, mes frères, n’est pas complètement en nous,c’est-à-dire n’est point parfaite en chacun de nous, peut-être votre âme se plaît-elle à nous écouter encore; et pourtant, bien que le corps ne s’y refuse point, nous finirons le psaume. Je ne vous vois jamais fatigués, et néanmoins, Dieu le sait, je crains de vous être à charge ou à quelques-uns de nos frères : j’en vois plusieurs d’entre vous qui exigent de moi ce travail, et j’ai cette confiance dans le Seigneur, que nies sueurs ne seront point sans fruit. J’éprouve une grande joie, en vous voyant goûter dans la parole de Dieu un tel plaisir, que cette ardeur louable du bien, et qu’enfante le bien, l’emporte sur l’ardeur des insensés qui sont dans- l’amphithéâtre. Y pourraient-ils demeurer debout aussi longtemps? Ecoutons donc le reste, mes frères, puisque tel est votre désir. Que le Seigneur me vienne en aide, qu’il soutienne mon esprit et mes forces. Le Prophète, s’adressant à la Jérusalem du ciel, lui dit: « Il a établi la paix dans tes confins, et il te rassasie de la moelle du froment». La faim et la soif de la justice passeront, et nous serons rassasiés. Quelle sera en effet la moelle du froment, sinon le pain qui est descendu du ciel vers nous 2? Comment nous rassasiera-t-il dans la patrie, celui qui nous a ainsi nourris dans notre exil?

22. Le Prophète va nous entretenir de cet exil, d’où nous passons à cette Jérusalem, où nous chanterons le Seigneur tous ensemble, où nous bénirons le Seigneur notre Dieu,

 

1. Matth. V, 6. — 2. Jean, VI, 51.

 

283

 

nous qui serons Jérusalem et Sion, quand les serrures de nos portes seront consolidées. Que fait pour nous, dans cet exil, celui qui nous rassasiera de la moelle du froment? Il fait ce qui suit : « Il envoie son Verbe à la terre». Nous sommes ici-bas dans le labeur, en butte à la fatigue, à la langueur, à la mollesse, à la tiédeur : quand nous serait-il possible de nous élever, jusqu’à nous rassasier de la moelle du froment, si Dieu n’envoyait son Verbe à cette terre,dont le poids nous accable, à cette terre qui nous empêche de retourner à la patrie? Loin de nous abandonner au désert, il nous a envoyé son Verbe, il a fait pleuvoir la manne du ciel. « C’est lui qui a envoyé son Verbe à la terre ». Comment l’a-t-il envoyé? quel est ce Verbe? « Son Verbe court jusqu’à la rapidité ». Il ne dit point que ce Verbe est rapide, mais « qu’il court jusqu’à la vitesse même ». Comprenons, mes frères; le Prophète ne pouvait choisir un terme plus propre. Avoir chaud, c’est l’effet de la chaleur; avoir froid, l’effet du froid, et marcher rapidement, un effet de la rapidité. Mais qu’y a-t-il de plus chaud que la chaleur, qui échauffe tout ce qui est chaud, de plus froid que ce même froid que subit tout ce qui se refroidit, de plus rapide que cette rapidité que subit tout ce qui va rapidement? On peut dire de beaucoup de choses qu’elles vont rapidement, les unes plus, les autres moins; et une chose est plus rapide à mesure qu’elle participe plus à la rapidité. Plus sa part est grande, plus grande est sa rapidité; moins sa part est grande, moins grande est sa rapidité. Dès lors, quoi de plus rapide que la rapidité elle-même? Comment donc se répand cette parole: « Jusqu’à la rapidité ? » Renchéris autant qu’il te plaira sur la rapidité du Verbe; dis, si tu le veux, qu’il est plus rapide que tel ou tel objet, plus rapide que les oiseaux, que les vents, que les anges. Y a-t-il rien qui s’élance avec rapidité, comme la rapidité elle-même? « Jusqu’à la rapidité », dit le Prophète. Qu’est-ce, mes frères, que la vitesse? Elle est partout, et n’est point dans quelque partie séparée. Or, c’est le propre du Verbe de Dieu, de n’être point dans quelque partie séparée, d’être partout le Verbe et par lui-même, d’être le vertu de Dieu et la sagesse de Dieu avant d’avoir pris notre chair. Si nous nous représentons Dieu dans la forme

 

1. I Cor. I, 24.

 

de Dieu, le Verbe est égal au Père; il est cette sagesse dont il est dit : « La sagesse atteint d’une extrémité à l’autre avec force 1 ». Quelle vitesse ! « Elle atteint d’une extrémité à l’autre avec force ». Mais c’est peut-être sans se mouvoir qu’elle y atteint. Si elle ressemblait à un vaste bloc dc pierre qui occupe un espace, on dirait qu’elle atteint d’une extrémité à l’autre de cet espace, et sans mouvement. Que disons-nous donc? Ce Verbe est-il sans mouvement , et cette sagesse est-elle stupide ? Que devient alors ce qui est dit de l’Esprit de sagesse? Car au nombre des qualités qu’on lui donne, il est écrit qu’il est « délié,mobile, certain, incorruptible 2 ». Donc la sagesse de Dieu est mobile. Si donc elle a de la mobilité, quand elle touche un objet, n’en touche-t-elle pas un autre? ou abandonne-t-elle celui-là pour toucher celui-ci? Où serait alors la vitesse? Car telle est la vitesse, qu’elle est partout en tout lieu, et renfermée nulle part. Mais pour élever jusque-là nos pensées, nous avons trop de lenteur dans l’esprit. Qui peut concevoir ces choses? J’en ai dit, mes frères, ce que j’ai pu, si tant est que j’y ai pu comprendre quelque chose, et vous avez compris comme vous l’avez pu. Mais que dit l’Apôtre? « Gloire à celui qui peut faire au-delà de ce que nous demandons, ou de ce que nous pouvons comprendre 3 ». Que veut-il nous montrer par là? Que toutes les fois que nous comprenons une chose, nous ne la comprenons pas telle qu’elle est. Pourquoi? C’est que « le corps corruptible appesantit l’âme 4 ». Donc sur la terre nous demeurons froids, tandis que la vitesse n’est que chaleur; que tout ce qui a plus de chaleur a plus de vitesse, comme tout ce qui est plus froid est aussi plus pesant. Nous sommes lents, donc nous sommes froids. Quant à la sagesse, elle court jusqu’à la rapidité. Elle est donc toute de feu, et « nul ne se dérobe à sa chaleur 5».

23. Pour nous que le froid du corps a ralentis, qui ployons sous la chaîne de cette vie corruptible, n’avons-nous donc nulle espérance d’avoir notre part à ce Verbe qui court jusqu’à la vitesse ? Ou même nous aurait-il délaissés, quand le poids du corps nous entraîne si bas? N’est-ce point ce même Verbe qui nous a prédestinés avant notre naissance en un corps lourd et mortel? C’est donc celui

 

1. Sag. VIII, 1. — 2. Id. VII, 22.— 3. Ephés. III, 20.— 4. Sag. IX, 15. — 5. Ps. XVIII, 7.

 

qui nous a prédestinés qui a donné à la terre la neige, ou nous-mêmes. Arrivons à ces versets obscurs du psaume; déroulons ces voiles qui les couvrent, puisque votre avidité pour la parole de Dieu s’accroît à mesure que nous vous parlons. Nous voici donc lents sur la terre, et en quelque sorte gelés ici-bas. Il en est de nous comme de la neige, qui gèle dans les hauteurs et descend en bas ; de même, à mesure que la charité se refroidit 1, la nature humaine descend sur cette terre, et sous l’enveloppe d’un corps tardif devient semblable à la neige. Mais dans cette neige il y a des fils prédestinés de Dieu. Car Dieu « donne la neige comme la laine». Qu’est-ce à dire: comme la laine? C’est-à-dire qu’il doit tirer parti de cette neige qu’il a donnée, de ces hommes froids et lents d’esprit qu’il a prédestinés. La laine est la matière d’un vêtement; en voyant la laine on comprend qu’elle est destinée à vêtir. Donc parce que Dieu a prédestiné ceux qui pour un temps sont froids et rampent sur la terre, qui n’ont point encore la ferveur de l’esprit de charité (car le Prophète encore ici parle de prédestination), Dieu a fait de ces hommes une laine dont il se fera un vêtement C’est donc avec raison que, sur la montagne, les vêtements du Christ brillèrent comme la neige 2. La robe du Christ devint blanche comme la neige, comme si déjà il se fût fait une robe de cette neige qu’il a donnée comme la laine, ou de ceux qui languissaient encore, quoique prédestinés. Mais attendez quelque peu; vois ce qui suit: Parce qu’il les a donnés comme la laine, il s’en fait un vêtement. On dit en effet de l’Eglise qu’elle est la robe du Christ, comme on dit qu’elle est le corps du Christ; de là cette parole de l’Apôtre: « Afin de faire paraître devant lui une Eglise pleine de gloire, sans tache et sans ride 3». Oui, qu’il montre devant lui une Eglise pleine de gloire, sans tache et sans ride; qu’il se fasse une robe de cette laine, qu’il a prédestinée quand elle était neige encore. De ces hommes encore incrédules, froids et pesants, qu’il se fasse un vêtement, un vêtement de cette laine; afin qu’il en lave les taches et la purifie par la foi; et pour en effacer les rides, qu’il l’étende sur la croix. « Il donne la neige comme la laine ».

24. S’ils sont prédestinés, il faut qu’ils soient appelés. « Car il a appelé ceux qu’il a

 

1. Matth. XXIV, 12.— 2. Id. XVII, 2. — 3. Ephés. V, 27.

 

prédestinés 1». Comment sont-ils appelés, et tirés de la langueur de ce corps dont ils font partie, pour recouvrer la santé? Comment sont-ils appelés? Ecoute l’Evangile: « Ce ne sont point « les justes, mais les pécheurs, que je suis venu appeler à la pénitence 2». Cette prédestina. lion, quand il est neige encore, porte l’homme à connaître sa torpeur, à confesser son péché; cette vocation l’amène à la pénitence. Dieu dès lors, « qui donne la laine comme la neige », pour s’en faire un vêtement, appelle aussi à la pénitence, et « répand les frimas comme la cendre». Qui donc répand les frimas comme la cendre? Celui qui donne la neige comme la laine. Il appelle à la pénitence les prédestinés, car ceux qu’il a prédestinés, dit l’Apôtre, il les a aussi appelés. Or, la cendre est le symbole de la pénitence. Ecoute celui qui appelle à la pénitence, dans les, reproches qu’il fait à quelques villes : « Malheur à toi, Corozaïn ! « Malheur à toi, Bethsaïda! Car si les prodiges accomplis au milieu de vous avaient été accomplis autrefois dans Tyr et dans Sidon, elles auraient fait pénitence dans le cilice et dans la cendre 3». C’est donc lui qui répand les frimas comme la cendre. Qu’est-ce à dire, qu’il répand les frimas comme la cendre? Quand on appelle un homme à connaître Dieu , et qu’on lui dit : Goûte la vérité, il commence à vouloir goûter cette vérité, mais il n’y suffit point, il se voit dans une obscurité qu’il ne remarquait point auparavant. Ce frimas ou brouillard t’apprend d’abord que tu ne sais rien, afin de t’apprendre ce qu’il faut savoir, et de te montrer que tu es trop faible pour comprendre ce qu’il est nécessaire de. connaître. Car si, nonobstant ce brouillard, tu as la présomption de croire que tu sois quelque chose, l’Apôtre te dira: « Quiconque se flatte de savoir quelque chose, ne sait pas même comment il doit savoir 4» Tu n’as donc rien compris encore, tu es encore dans le brouillard. Mais il ne t’abandonne pas, celui qui allume pour toi le flambeau de sa chair. Pour ne pas errer dans le brouillard, suis-le par la foi. Mais parce que tu essaies de voir sans en être capable encore, repens-toi de tes péchés ; voilà que le brouillard est répandu comme la cendre. Conçois enfin un repentir de ton obstination coutre Dieu, conçois un vif regret d’avoir suivi tes voies dépravées. Tu sens combien il est

 

1. Rom. VIII, 30.— 2. Matth. IX, 13.— 3. Id. XI, 21.— 4. I Cor. VIII,2.

 

difficile d’arriver à la vision bienheureuse; et il te deviendra salutaire, ce brouillard que Dieu répand comme la cendre. Tu es encore un brouillard, mais comme la cendre; car les pénitents se roulent dans la cendre, témoignant ainsi, mes frères, qu’ils ressemblent à cette poussière, et disant à leur Dieu: « Je ne suis que cendre ». On lit en effet quelque part dans l’Ecriture: « Je me suis méprisé, et j’ai rougi de moi, en me comparant à la boue et à la cendre 1 ». Telle est l’humilité du pénitent. Quand Abraham parle à son Dieu, et qu’il veut qu’on lui découvre l’embrasement de Sodome: « Je ne suis », dit-il, « que terre et que cendre 2 ». N’est-ce point toujours cette humilité que l’on retrouve dans les grandes âmes et dans les saints? Donc le Seigneur répand le brouillard comme la cendre; pourquoi? « Parce qu’il appelle ceux qu’il a prédestinés 3, lui qui n’est point « venu pour appeler à la pénitence les justes, mais les pécheurs 4 ».

25. « Il envoie son cristal comme des morceaux de pain ». Il n’est pas besoin de nous fatiguer encore à expliquer ce qu’est le cristal. Nous en avons dit un mot, que sans doute votre charité n’a point oublié. Que signifie donc: « Il envoie son cristal comme des morceaux de pain 5? » De même que la neige vient de lui parce qu’elle désigne les prédestinés; de même que le brouillard vient de lui, parce qu’il désigne ceux qu’il appelle à la pénitence après les avoir prédestinés; ainsi le cristal lui appartient en quelque sorte. Qu’est-ce que le cristal? Un corps très-dur, fortement congelé, et qu’on ne saurait dissoudre facilement comme la neige. Cette neige de plusieurs années, durcie pendant de longs siècles, prend le nom de cristal; et voilà ce que Dieu envoie comme des morceaux de pain. Que veut dire tout ceci? Des pécheurs très-endurcis ne sauraient plus être comparés à la neige, mais bien au cristal ; et toutefois ils sont prédestinés et appelés, quelques-uns même l’ont été de, manière à nourrir les autres, à leur être utiles. Et qu’est-il besoin de vous citer ici tel ou tel que nous connaissons? Chacun de vous peut se rappeler combien étaient endurcis, et se roidissaient contre la vérité quelques hommes qu’il a connus, et qui prêchent aujourd’hui

 

1. Job, XXX, 19.— 2. Gen. XVIII, 27.—  3. Rom. VIII, 30. — 4. Matth. IX, 13. — 5. Ps. CXLVIII, 17.

 

cette même vérité ; les voilà devenus des morceaux de pain. Quel est ce pain unique? « Quoique nous soyons plusieurs », dit l’Apôtre, « nous ne sommes qu’un en Jésus-Christ 1. Nous ne sommes tous qu’un seul pain, un seul corps 2 ». Si donc le corps du Christ est un seul pain, ses membres sont des morceaux de pain. Il change en ses membres quelques coeurs endurcis, qu’il fait servir à la nourriture des autres. Pourquoi chercher si loin des exemples? Il en est un bien connu, celui de l’apôtre saint Paul. Rien n’est plus connu que ce grand homme, rien de plus doux, rien de plus familier dans les saintes Ecritures. S’il en est d’autres qui soient devenus du pain après avoir été endurcis comme lui, qu’au nom de saint Paul ils vous reviennent à la mémoire comme des exemples, afin d’expliquer le sens de cette parole : « Il envoie son cristal comme des morceaux de pain ». L’apôtre saint Paul était donc un cristal, un cristal dur, rebelle à la vérité, déclamant contre l’Evangile, comme pour s’endurcir contre le soleil. Il était dur ce nourrisson de la loi, disciple du docteur de la loi Gamaliel 3. Il n’écoutait ni Moïse, ni les Prophètes, qui annonçaient le Christ. Quelle dureté! Les nations, il est vrai, n’écoutaient point les Prophètes, n’écoutaient point Moïse, elles étaient froides, mais n’étaient pas un cristal. Il était bien plus endurci, cet homme croyant aux paroles qui annoncent le Christ, et ne croyant point au Christ qu’il avait devant lui. Donc, parce qu’il était un cristal, il paraissait net et brillant, mais il était dur et fortement congelé. Comment paraissait-il net et brillant? « Hébreu, et fils d’Hébreux, et Pharisien en ce qui regarde la loi ». C’est l’éclat du cristal. Vois maintenant combien il est dur « Quant au zèle pour le judaïsme, persécuteur de l’Eglise du Christ 4 ». Il était, cet homme endurci, et plus endurci peut-être que tous les autres, il était parmi ceux qui lapidaient le martyr saint Etienne. Il gardait les habits de ceux qui le lapidaient, le lapidant ainsi par les mains de tous.

26. Nous comprenons donc, et la neige, et le brouillard, et le cristal: Dieu veuille souffler et les dissoudre. S’il ne le fait, s’il ne dissout lui-même une glace si dure, « qui pourra  subsister sous la rigueur de son froid? » En face de son froid; du froid de qui? de Dieu.

 

1. Rom. XII, 5 — 2. I Cor. X, 17.— 3. Act. XXII, 3. — 4. Philipp. III, 5.

 

286

 

D’où vient qu’il est le froid de Dieu? Qu’il abandonne le pécheur, qu’il ne l’appelle point, qu’il ne lui ouvre point l’esprit, qu’il ne répande pas en lui sa grâce, que l’homme dissolve, s’il le peut, les glaces de sa folie. Il ne le peut. Pourquoi ne le peut-il? « Qui pourra se maintenir en présence de son  froid? » Vois-le se durcir comme une glace, et dire: « Je sens dans mes membres une autre loi qui est contraire à la loi de l’esprit, et qui me retient captif sous la loi des péchés qui est dans mes membres. Malheureux homme que je suis, qui me délivrera du corps de cette mort? » Voilà que le froid me saisit et me glace; quelle chaleur viendra me délier, afin de prendre ma cause? « Qui me délivrera du corps de cette mort? Qui pourra se maintenir en présence de son froid? » Qui pourra se délivrer si Dieu ne le délivre? D’où vient la délivrance? « De la grâce de Dieu par Notre-Seigneur Jésus-Christ 1». Ecoute la grâce de Dieu, dans notre psaume : « Il envoie son cristal comme des morceaux de  pain: qui pourra se maintenir en présence de son froid? » Faut-il donc désespérer? Loin de là. Car le Prophète continue: « Il enverra son Verbe, qui va les dissoudre 2». Arrière donc tout désespoir, et pour la neige, et pour le brouillard, et pour le cristal. La neige est en effet comme la laine dont on fait un vêtement. Le brouillard trouve le salut dans la pénitence; puisque « Dieu appelle ceux qu’il a prédestinés  3 ». Quel que soit l’endurcissement des prédestinés, bien que le temps ait endurci leur glace, et les ait changés en cristal, ils ne seront point trop durs pour la divine miséricorde. « Dieu enverra son Verbe, qui va les dissoudre ». Qu’est-ce à dire, « les dissoudre? » Ne donnons pas à cette expression une interprétation défavorable, elle signifie que Dieu les fondra, les rendra liquides. C’est en effet l’orgueil qui les endurcit; et l’on donne avec raison à l’orgueil le nom d’engourdissement; car tout ce qui est engourdi est froid. Or, les hommes qui ont ressenti un froid vif nous disent tous les jours: Je suis engourdi. Donc l’orgueil est un engourdissement. « Dieu enverra son Verbe et les fera couler ». Et de fait, des amas de neige se liquéfient et s’abaissent sous l’action de la chaleur. Le froid donc élève un monceau de neige, et l’orgueil élève les insensés. « Dieu

 

1. Rom. VII, 23-25. — 2. Ps. LXLVII, 18. — 3. Rom. VIII, 30.

 

enverra son Verbe, et les rendra liquides ». Voilà donc Saul qui est un cristal endurci après la mort et la lapidation d’Etienne; son endurcissement le rendit insensible contre le Christ, et il vient demander aux prêtres des lettres contre les chrétiens, ne respirant que le meurtre. Le voilà endurci, c’est un glaçon en face du feu de Dieu. Quels que soient néanmoins son endurcissement et sa glace, voilà que celui qui envoie son Verbe, et qui les rend liquides, s’écrie avec feu du haut du ciel: « Saul, Saul, pourquoi me persécuter 1?» Parole unique, et néanmoins ce cristal si dur est dissous. « Il enverra son Verbe, et les rendra liquides ». Ne désespérons pas du cristal, encore moins de la neige, ou du brouillard, Non, que le cristal ne nous désespère point. Ecoutez une parole de ce même cristal: « J’ai été d’abord blasphémateur, persécuteur, insulteur ».Mais pourquoi Dieu a-t-il liquéfié ce cristal? Pour que la neige ne désespère point d’elle-même. Car le même cristal ajoute: « J’ai obtenu miséricorde, afin que le Christ fît éclater en moi toute sa patience, et que je servisse d’exemple à ceux qui doivent croire en lui pour la vie éternelle 2». Tel est donc le cri de Dieu aux nations: J’ai fondu le cristal, venez, ô vous qui êtes la neige. «Il enverra son Verbe, et les rendra liquides, son esprit soufflera, et les eaux couleront ». Voilà que le cristal et les neiges se dissolvent, et s’en vont en eaux; qu’ils viennent, ceux qui ont soif, et qu’ils boivent. Saul était dur comme le cristal, et il persécuta Etienne jusqu’à la mort; et voilà que Paul, devenu eau vive, invite les nations aux véritables sources. « Son esprit soufflera, elles eaux couleront. C’est un esprit de chaleur, et de là vient cette parole d’un autre psaume: « Seigneur, changez notre captivité, comme les torrents au souffle du Midi 3 ». Jérusalem captive à Babylone était gelée en quelque sorte au souffle du Midi; cette glace de la captivité s’est fondue, et la ferveur de la charité s’est élancée vers Dieu. « Son esprit soufflera et les eaux couleront. Il se formera en eux une source d’eau qui jaillira jusqu’à la vie éternelle 4».

27. « Il annonce sa parole à Jacob, ses décrets et ses jugements à Israël 5». Quels décrets et quels jugements? Il déclare que toutes les douleurs endurées par les hommes,

 

1. Art. IX, 1- 4. — 2. I Tim. I, 13, 16. —  3. Ps. CXXV, 4. — 4. Jean, IV, 14. —  5. Ps. CXLVII, 19.

 

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quand ils n’étaient que neige, ou frimas, ou cristal, est le juste châtiment de leur orgueil et de leur révolte contre Dieu, Remontons à l’origine de notre chute, et voyons combien le psaume a dit vrai quand il chante : « J’ai péché avant d’être humilié 1 ». Mais celui qui dit : « J’ai péché avant d’être humilié », dit aussi « C’est pour mon bien que vous m’avez humilié, afin que j’apprenne les moyens de votre justice 2». Ces moyens de justice, Dieu les a enseignés à Jacob, en mettant Jacob en lutte avec un ange; et dans la personne de cet ange le Seigneur luttait lui-même. Jacob le retint, lui fit violence pour le retenir, et parvint à le retenir en effet. Dieu se laissa retenir par miséricorde, et non par faiblesse. Jacob lutta donc, et prévalut, et retint le Seigneur : et il pria celui qu’il semblait avoir vaincu, de le bénir  3. Quelle idée se faisait-il de cet adversaire contre qui il luttait, et qu’il retenait? Pourquoi le retenir, et user ainsi de violence? « C’est que le royaume des cieux souffre violence, et que les violents seuls peuvent le ravir 4 ». Pourquoi donc lutter, sinon parce qu’il faut de grands efforts? Pourquoi ne recouvrons-nous qu’avec peine ce que nous perdons si facilement? C’est afin que cette peine à le recouvrer nous apprenne à ne point le perdre. Que l’homme donc s’efforce de conserver; et il sera plus ferme à conserver ce qu’il n’aura recouvré qu’avec peine. Donc le Seigneur manifesta ses desseins à Jacob, à Israël ; et pour parler plus clairement, c’est par un juste décret du Seigneur que les justes doivent subir ici-bas les fatigues, les dangers, les chagrins et les douleurs. Celui-là seul peut dire qu’il a souffert sans sujet, bien que ce ne soit pas absolument sans sujet, puisque c’était pour nous, qui seul peut dire aussi : « Je payais ce que je n’avais point enlevé 5», qui seul peut dire : «Voici venir le prince de ce monde, et il ne trouvera rien en moi ». Comme si quelqu’un lui disait: Pourquoi donc souffrez-vous? il ajoute: «Mais afin que tous comprennent que j’accomplis là volonté de mon Père, levez-vous, sortons d’ici 6». Quant aux autres, qui souffrent tous pour leurs péchés, par un juste jugement de Dieu, et quand même ils souffriraient pour la justice, qu’ils ne s’arrogent pas l’honneur de souffrir innocemment

 

1. Ps. CXVIII, 67. — 2. Id. 71. — 3. Gen. XXXII, 24-26. — 4. Matth. XI, 12. — 5. Ps. LXVIII, 5. — 6. Jean, XIV, 30, 31.

 

comme le Christ. Ecoute l’apôtre saint Pierre « Il est temps que le jugement commence par la maison du Seigneur ». Quand il exhorte les martyrs, les témoins de Dieu, à supporter avec patience les menaces et les fureurs du monde, il leur dit : « Il est temps que le jugement commence par la maison du Seigneur; si donc il commence par nous.; quelle sera la fin de ceux qui ne croient point à l’Evangile? Si le juste est à peine sauvé, où paraîtront le pécheur et l’impie 1? Le Seigneur annonce à Jacob sa parole, ses décrets et ses justices à Israël ».

28. « Il n’a point traité ainsi toutes les nations ». Que nul ne vienne vous tromper; on n’a prêché à aucun peuple ce secret de Dieu’ qui condamne à la douleur le juste et l’injuste, ni comment tous l’ont mérité, ni comment la grâce de Dieu délivre le juste, et non pas ses mérites. Que faisons-nous donc, si ce décret n’a été prêché à aucun peuple, mais seulement à Jacob, seulement à Israël? Où serons-nous? Dans Jacob, dans Israël. « Il ne leur a point manifesté ses jugements ». A qui? A tous les peuples. Pourquoi toutes les neiges ont-elles été appelées après que le cristal a été fondu? Comment toutes les nations ont-elles été appelées après que Paul a été justifié? Comment, sinon afin qu’elles fussent dans Jacob? On a coupé l’olivier sauvage pour le greffer sur l’olivier franc 2. Ils appartiennent maintenant à l’olivier; on ne doit plus les nommer les nations, mais une seule nation en Jésus-Christ, la nation de Jacob, le peuple d’Israël. Pourquoi la nation de Jacob, la nation d’Israël? Parce que Jacob est issu d’Isaac, et Isaac d’Abraham. Or, que fui-il dit à Abraham? « En ta postérité seront bénies toutes les nations 3 ». Cette même parole a été répétée à Isaac et à Jacob. Nous appartenons donc à Jacob, puisque nous appartenons à Isaac, nous appartenons à Abraham. Car la postérité d’Abraham, ce n’est ni moi qui le dis, ni aucun autre homme, c’est saint Paul qui le dit, cette postérité c’est le Christ. Et il ajoute : « L’Ecriture ne dit point : Et dans ceux qui naîtront de vous, comme  s’il y avait plusieurs; mais elle dit, comme en parlant d’un seul: En celui qui naîtra de vous, et c’est le Christ 4 ». Si donc il n’y a qu’une seule postérité, qu’un seul Jacob,

 

1. I Pierre, IV, 4, 17, 18. — 2. Rom. XI, 17, — 3. Gen. XXII, 18; XXVI, 4; XXVIII, 14. — 4.  Gal. III, 16.

 

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qu’un seul Israël, tous les peuples ne sont qu’un seul peuple en Jésus-Christ. Ce que Dieu a révélé à Jacob et à Israël appartient donc aux nations : et l’on doit regarder comme appartenant aux autres peuples ceux-là seulement qui refusent de croire au Christ, refusent d’abandonner l’olivier sauvage et d’être entés sur l’olivier franc. Elles demeureront dans les forêts, ces branches amères et stériles. Mais que Jacob soit dans la joie. Qu’est-ce que Jacob? Le supplantateur, car Jacob supplanta son frère 1. « Une partie d’Israël est tombée dans l’aveuglement, jusqu’à ce que soit entrée la plénitude des nations 2 ». Jacob est donc devenu Israël. Qu’est-ce à dire Israël? Ecoutons ceci, nous tous qui sommes Israël, écoutons; soit vous qui êtes ici parmi les membres du Christ, soit ceux qui sont au dehors, sans être dehors néanmoins, soit ceux qui sont parmi les peuples, partout au dehors et partout à l’intérieur. Qu’Israël écoute lui-même ce Jacob devenu Israël, Que signifie Israël? Qui voit Dieu. Où verra-t-il Dieu? Dans la paix. Dans quelle paix? La paix de Jérusalem; car c’est Dieu qui a établi tes confins dans la paix. C’est là que nous louerons le Seigneur, nous tous qui ne serons qu’un seul dans un seul et pour un seul, puisque désormais nous ne serons plus dispersés.

 

1. Gen. XXVII, 36. — 2. Rom. XI, 25.

DISCOURS SUR LE PSAUME CXLVIII.
SERMON AU PEUPLE.
L’ESPÉRANCE DANS L’EXIL.
 

Le temps, qui précède Pâques, temps de pénitence, est le symbole de la vie terrestre, vie pénible, comme le temps qui suit Pâques, temps de joie, est le symbole de la vie du ciel; de même qu’il y a en Jésus-Christ le temps de la passion et celui de la gloire. Cette vie future a pour refrain l’Alléluia que les méchants peuvent bien chanter avec nous en cette vie, mais non dans l’autre.

Louer Dieu ne se dit pas seulement de la parole, mais aussi de l’action ; et comme un mot du Maître met en moi tout un empire, ainsi le maître qui est en nous fait agir nos membres si c’est Dieu, l’action est bonne ; elle est mauvaise, si c’est le diable.

 Tout d’abord, le Prophète invite les créatures du ciel. Or, parmi les créatures, les unes connaissent et aiment Dieu; d’autres, qui sont sans intelligence, contribuent néanmoins à l’harmonie de l’univers ; et comme elles font louer Dieu, elles-mêmes louent Dieu en quelque manière. Ainsi donc, dans le ciel les esprits, sur la terre les hommes louent Dieu directement; tandis que les animaux et les plantes sont seulement pour nous une occasion de le louer.

Ce psaume est d’Aggée et de Zacharie qui, pendant la captivité, annonçaient la fin des malheurs et prophétisaient en figure la Jérusalem d’en haut, après la captivité de cette vie pleine de misères. Qu’elles bénissent Dieu, ces créatures du ciel où règne la paix, qui sont l’oeuvre de Dieu, qu’a faites le Verbe, qui sont établies pour l’éternité, et qui ont pour précepte de louer Dieu. Nous aussi nous bénirons Dieu nous en avons pour gage son amour qui l’a conduit à la mort, sa chair qui est une portion de nous-mêmes, et qui est glorifiée au ciel. Descendant sur la terre, le Prophète invite à louer Dieu les abîmes ou tout ce qui fournit des eaux dans les airs, et les contient sur la terre, ainsi que les dragons et les éléments inférieurs qui obéissent à la parole de Dieu. Arrière celui qui attribue au hasard tous les phénomènes Dieu, qui a créé l’homme, prend soin d’un faible insecte et donne à chaque contrée ce qui lui convient, le chaque demeure ses habitants. De là ces harmonies qui nous élèvent jusqu’à leur auteur.

Mais pourquoi la foudre va-t-elle frapper les montagnes, et non les voleurs? Dieu, qui veut la conversion de tous, peut en agir ainsi pour nous ramener par la crainte. Qu’il frappe l’innocent, peu importe, puisque la mort est un bien pour l’innocent. Comment sont morts les martyrs que Dieu aimait? Ne blâmons rien; croyons que tout est bien, quoique nous n’en comprenions pas la raison.

Tout ce qui est dans le ciel confesse Dieu, comme tout ce qui est sur la terre ; c’est-à-dire qu’à la vue des créatures ou pro. clame la gloire de Dieu qui élève la force de son peuple, et cette force est le Christ qui n paru mortel ici-bas, mais qui est ressuscité pour nous ressusciter avec lui. Que tous les saints bénissent Dieu, c’est-à-dire ceux qui s’approchent de Dieu par la foi d’Abraham.

 

1. Notre occupation en cette vie, mes frères, doit être de louer Dieu car cette louange du Seigneur constituera le bonheur de notre vie à venir; et nul ne peut avoir part à cette vie future, s’il ne s’y exerce dès celle-ci. Maintenant donc nous prions Dieu, mais nous (289) prions aussi. Louer Dieu est une joie, le prier c’est gémir. De grands biens nous sont promis, et nous ne les possédons point encore; nais comme celui qui nous les a promis est véridique, nous nous réjouissons dans l’espérance, et comme nous ne les possédons point, nous aspirons, nous gémissons. Il nous est avantageux de persévérer dans ce désir, jusqu’à ce que les promesses que nous attendons soient accomplies, que notre gémissement soit passé, pour faire place uniquement à la louange. C’est pour désigner ces deux époques, dont l’une se passe dans les amertumes et les tribulations de cette vie, l’autre dans la sécurité, dans l’allégresse éternelle; que nous célébrons deux temps bien différents, l’un qui précède, l’autre qui suit la fête de Pâques. Le temps qui précède Pâques est le symbole des tribulations actuelles; le temps où nous sommes, et qui suit Pâques, est le symbole de cette félicité dont nous jouirons plus tard. Nous célébrons dès lors avant Pâques notre nie actuelle; et après Pâques, nos fêtes sont le symbole de ce bonheur qui n’est point encore le nôtre. Aussi l’un de ces temps est-il passé dans le jeûne et la prière, et dans l’autre, nous nous relâchons de nos jeûnes, pour chanter les louanges de Dieu; c’est ce que nous marque le cantique Alleluia, qui en latin signifie « louez Dieu », comme vous le savez. tun de ces temps précède la résurrection du Seigneur; l’autre la suit et nous marque la vie future que nous ne possédons pas encore : ce n’est en effet qu’après notre résurrection que nous jouirons des biens figurés par le temps qui suit la résurrection du Christ. Nous avons dans notre chef la figure de ces deux états; et la passion du Seigneur nous montre ce qu’est pour nous la vie présente, le labeur, la peine, et à la fin la mort; mais sa résurrection et sa gloire nous désignent celte vie qui doit être la nôtre quand il viendra pour rendre à chacun selon ses mérites, des biens aux bons, des châtiments aux méchants. Aujourd’hui, sans doute, tous les méchants peuvent chanter avec nous l’Alleluia; toutefois, s’ils persévèrent dans leur malice, le cantique de l’Alleluia pourra bien être sur leurs lèvres, mais ils ne pourront obtenir cette vie future qui accomplira en réalité ce que nous n’avons aujourd’hui qu’en figures, parce qu’ils n’auront pas voulu méditer avant son avènement, et posséder par avance ce qui était à venir.

2. Maintenant donc, mes frères, nous vous exhortons à louer Dieu, et c’est ce que nous nous disons mutuellement dans ce seul mot Alleluia. Louez le Seigneur, dis-tu à l’un. Louez le Seigneur, te répondra l’autre; et s’exhorter mutuellement, c’est faire dès lors ce que l’on s’exhorte à faire. Mais louez-le de tout vous-mêmes ; c’est-à-dire, non-seulement de la langue, mais de la voix, mais aussi de toute votre conscience, dans toute votre vie, dans tous vos actes. Nous louons Dieu dans l’Eglise, maintenant que nous y sommes assemblés; et que chacun se retire chez soi, il semble dès lors interrompre cette louange. Mais qu’il ne cesse de bien vivre, et il ne cesse de louer Dieu. Cesser de louer Dieu, c’est t’écarter de la justice, et de tout ce qui lui plaît. Si jamais tu ne t’éloignes du bien, ta tangue peut bien se taire, mais ta vie est un chant, et Dieu a l’oreille sur ton coeur, De même, en effet, que notre oreille entend notre voix, l’oreille de Dieu entend nos pensées. Or, il est impossible que les actes d’un homme soient mauvais quand il a de saintes pensées. Car l’action vient de la pensée, et nul ne peut rien faire au dehors ni mouvoir les membres de son corps, si la pensée ne l’a ordonné tout d’abord. Ainsi en est-il des ordres que donne l’empereur dans l’intérieur de son palais, et qui se répandent par tout l’empire romain, et s’accomplissent visiblement dans les provinces. Quel mouvement ne soulève pas la seule parole du maître assis dans son palais? Un mouvement de tes lèvres quand il parle, met en émoi toute une province pour exécuter l’ordre donné. Ainsi chaque homme a dans soi-même un empereur qui siège dans son coeur. S’il est bon, il ordonne le bien, et le bien se fait; s’il est mauvais, il ordonne le mal, et c’est le mal qui se fait. Que le Christ y siége, et alors que pourra-t-il ordonner, sinon le bien? Quand le diable en est en possession, que peut-il commander autre que le mat? Or, Dieu a voulu laisser à ton choix auquel des deux tu veux préparer une place dans ton coeur, à Dieu ou au diable. Quand tu l’auras préparée, celui qui possédera ton coeur y commandera. Donc, mes frères, ne vous en tenez pas seulement au bruit; quand vous louez Dieu louez-le pleinement. Chantez de la voix, chantez par une vie sainte, chantez par vos (290) actions. Et s’il est encore pour vous des gémissements, des tribulations, des épreuves, ayez l’espérance que ces maux passeront et que viendra le jour où nous bénirons tous le Seigneur. Ce psaume, qui est clair et qu’il nous faut seulement parcourir, assigne un rang à toutes les créatures qui louent le Seigneur, et les engage à le louer comme s’il les eût trouvées muettes.

3. « Louez le Seigneur du haut des cieux 1». Il semble que le Prophète a trouvé dans le ciel des créatures qui ne chantent point le Seigneur, et qu’il les engage à se lever pour le bénir. Et toutefois, le ciel n’a jamais interrompu ses louanges en l’honneur du Créateur, la terre n’a jamais cessé de le bénir. Il est néanmoins des créatures qui ont un esprit capable de louer Dieu, et le louent dans cet amour qui fait que Dieu leur plaît. Car nul n’a de louanges que pour l’objet de ses complaisances. Il en est aussi d’autres qui n’ont point cet esprit dc vie, cette intelligence capable de louer Dieu, mais qui sont bonnes en elles-mêmes, parfaitement placées à leur rang, et contribuent ainsi à la beauté de cet univers que le Seigneur a créé. Sans doute par elles-mêmes elles n’ont pour louer Dieu ni la voix, ni le coeur; mais pour l’homme intelligent qui les considère, elles deviennent un sujet de louer Dieu, et par cela même qu’elles sont un sujet de louanges en l’honneur de Dieu, elles-mêmes louent Dieu en quelque manière. Ainsi, par exemple, au ciel tout ce qui a l’esprit de vie, tout ce qui jouit d’une pure intelligence, pour contempler le Seigneur, et l’aimer sans fatigue, tous ces esprits louent le Seigneur. Sur la terre, les hommes louent le Seigneur, eux qui ont reçu de lui l’intelligence pour discerner le bien et le mal, pour connaître la créature et le Créateur, la pensée pour méditer ses oeuvres, les discerner, s’y complaire et les chanter. Telle est la puissance des hommes; mais les animaux peuvent-ils rien de semblable? S’ils avaient une intelligence comme la nôtre, Dieu ne nous dirait point : « Gardez-vous de ressembler au cheval et au mulet qui n’ont point d’intelligence 2 ». Or, nous exhorter à n’être point sans intelligence comme les animaux, c’est nous montrer qu’il en a pourvu l’homme, afin que celui-ci loue le Seigneur. Les arbres ont-ils cette vie sensitive que nous voyons

 

1. Ps. CXLVII, 1. — 2. Ps. XXXI, 9.

 

chez les animaux? Car les bêtes, quoique dépourvues de ce discernement intérieur, de cette âme intelligente et raisonnable, et dès lors impuissantes à louer Dieu à la manière de l’homme, ont néanmoins cette vie extérieure que nous connaissons tous, et qui leur fait désirer la nourriture, choisir ce qui heur est utile, repousser ce qui leur est nuisible. ils ont les sens pour discerner ce qui est corporel, la vue pour les couleurs, l’ouïe pour la voix, le nez pour l’odeur, le goût pour les saveurs, le mouvement pour ce qui leur plaît ou leur déplaît. Voilà ce que nous comprenons, ce que nous avons sous les yeux. Elles n’ont ni la raison, ni l’intelligence ; mais elles ont un corps animé, une vie visible, vie que n’ont point les arbres, et néanmoins toutes les créatures louent le Seigneur. Comment louent-elles le Seigneur? C’est qu’en les voyant, nous nous reportons au suprême ouvrier qui les a créées, et de là vient en nous la louange de Dieu; or, quand on loue Dieu en considérant toutes les créatures, toutes les créatures louent Dieu. C’est donc par le ciel que commence le Prophète; toutes les créatures louent Dieu, et il leur dit : « Louez Dieu». Pourquoi dire « louez Dieu », puisque toutes le louent en effet? Parce qu’il prend plaisir à ces louanges, et qu’il fait ses délices d’y joindre en quelque sorte son encouragement. De même lorsque tu arrives près de gens qui travaillent avec allégresse, soit à la vigne, soit à la moisson, ou à d’autres travaux des champs, leur travail a pour toi des charmes, et tu leur dis : Courage ! travaillez ! non pour les engager à commencer dans ce moment, mais parce que c’est pour toi un plaisir de les trouver au travail, tu y joins tes félicitations, ton encouragement. Dire, en effet: travaillez, encourager un travailleur, c’est en quelque sorte travailler avec lui. C’est donc pour nous exhorter que le Prophète, rempli de l’Esprit-Saint, nous dit ce qui suit.

4. Psaume d’Aggée et de Zacharie 1 : tel est le titre du psaume. Ces deux Prophètes, pendant la captivité du peuple juif à Babylone, annonçaient la fin de la captivité, et la reconstruction de Jérusalem 2, détruite par la guerre. Ils nous donnaient ainsi un symbole de la vie future où nous louerons Dieu après la captivité de la vie présente, quand s’effectuera le renouvellement de cette grande

 

1. Ps. CXLIII, L — 2. Esdr. V, 1, 2 ; VI, 14.

 

291

 

cité d’où nous sommes bannis, maintenant que nous soupirons dans la servitude, sous le poids et dans l’embarras d’un corps mortel; mais ce qui nous fait soupirer dans l’exil, fera notre joie dans la patrie. Quiconque ne gémit point dans l’exil, ne goûtera point la joie du citoyen, parce qu’il n’en éprouve aucun désir. Ces deux saints Prophètes apportaient donc un grand soulagement à ce peuple captif selon la chair, c’est-à-dire tombé à Babylone sous le pouvoir de rois étrangers; car ils annonçaient que la captivité n’aurait qu’un temps et que Jérusalem serait reconstruite. Mais tout cela se passait pour eux en figure 1 ; et pour nous, c’est une réalité : ce qui était une ombre pour les Juifs est devenu une vérité pour nous. Maintenant donc, que nous dit l’Apôtre? « Tant que nous u sommes dans un corps, nous sommes exilés loin du Seigneur 2 ». Nous ne sommes point encore dans la patrie. Quand y serons-nous? Quand nous aurons remporté sur le diable un triomphe complet; quand la mort, notre dernière ennemie, sera détruite; alors s’accomplira cette parole des Ecritures : « La mort a été absorbée dans sa victoire. O mort ! où est ton combat? ô mort! où est ton aiguillon 3? » Quand donc cessera-t-elle cette guerre que nous fait la mort maintenant, qui provoque vos gémissements sur la défaillance et l’instabilité des choses humaines, sur la fragilité de notre chair? Chaque jour il nous faut lutter contre les tentations, et lutter contre nos plaisirs; et s’il n’y a consentement, il y a du moins peine et lutte; et il est à craindre que celui qui lutte ne soit vaincu; mais si nous triomphons par le refus de consentement, il nous en coûte néanmoins de résister à ces attraits. Or,. notre ennemi ne meurt point et ne cessera de nous faire la guerre qu’à la résurrection des morts. Mais reprenons courage, ayons confiance, voilà qu’Aggée et Zacharie nous relèvent en chantant notre délivrance future. Si leur prophétie au peuple juif est accoua plie, pourquoi ce que l’on chante aujourd’hui pour le peuple chrétien ne s’accomplirait-il point? Soyez donc pleins d’assurance; seulement dans cette vie d’exil voyez comment vous agissez. Loin de vous tout amour de Babylone, de peur d’oublier jamais Jérusalem. Si votre corps est retenu à Babylone, que

 

1. I Cor. X, 6. — 2. II Cor. V, 6. — 3. I Cor. XV, 26, 54, 55.

 

Jérusalem possède votre coeur par avance. Que toute créature loue donc le Seigneur, puisque nous ferons alors ce que nous préméditons ici-bas.

5. « Louez le Seigneur, vous qui habitez les cieux, louez-le dans les hauteurs ». Le Prophète s’adresse aux cieux, puis il en vient à la terre, parce qu’il bénit ce Dieu qui a créé le ciel et la terre. Ce qui est du ciel est dans le calme, dans la paix; là règne une joie sans fin; on n’y redoute ni la mort, ni la maladie, ni le chagrin ; les bienheureux louent Dieu sans cesse. Pour nous, à la vérité, nous sommes encore sur la terre; niais quand nous pensons de quelle manière on loue Dieu dans le ciel, élevons-y notre coeur, et qu’on ne nous dise point en vain : Les coeurs en haut. Levons en haut notre coeur, de peur qu’il ne se corrompe sur la terre, puisque notre joie est dans ce que les anges font au ciel. Soyons-y par l’espérance dès aujourd’hui, afin d’y être un jour en réalité. « Louez donc le Seigneur, vous qui êtes des « cieux».

6. « Louez-le tous, vous qui êtes ses anges; chantez-le, vous qui êtes ses vertus; soleil et lune, chantez ses louanges; vous toutes, étoiles et lumière, publiez sa gloire. « Annoncez-le, ô cieux des cieux, et que toutes les eaux qui sont au-dessus des cieux chantent le nom du Seigneur 1». Comment le Prophète pourrait-il inviter chacune des créatures? Il le fait néanmoins sommairement et renferme en quelques mots toutes les créatures du ciel qui louent leur Créateur.

7. Puis, comme si on lui demandait: Pourquoi ces créatures bénissent-elles le Seigneur, que lui doivent-elles, que leur a-t-il donné, pour le louer ainsi? il ajoute : « Car il a parlé, et voilà qu’elles ont été faites ; il a commandé, et elles ont été créées ». Rien d’étonnant que l’oeuvre chante la gloire de l’ouvrier, que la créature loue le Créateur. On vient de nommer le Christ, et il semble que nous n’ayons pas entendu son nom. Qui est le Christ? « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe u était Dieu : voilà ce qui était en Dieu au u commencement. Tout a été fait par lui, et rien n’a été fait sans lui 2». Par qui toutes choses ont-elles été faites? Par le Verbe. Comment le Prophète nous fait-il voir que

 

1. Ps. CXLVIII, 2-5. — 2. Jean, I, 1-3.

 

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tout a été fait par le Verbe? « Il a dit, et tout a été fait; il a commandé, et tout a été créé ». Nul ne parle, nul ne commande que par le Verbe.

8. « Il les a établis pour toujours, et pour les siècles des siècles 1 ». Tout ce qui est céleste, tout ce qui est d’en haut, toutes les vertus et tous les anges, et cette cité supérieure, bonne, sainte et heureuse d’où nous sommes bannis, ce qui fait notre malheur, où nous devons retourner, ce qui nous fait heureux en espérance, et où nous aurons le bonheur en réalité, après notre retour: « voilà ce que Dieu a établi dans le siècle, et dans le siècle des siècles; il en a porté le décret, et sa paro1e  ne passera joint ». Quel est, pensez-vous, le précepte porté aux créatures célestes et aux anges? Quel précepte le Seigneur a-t-il pu leur enjoindre? Quel précepte, sinon de le louer? Bienheureux esprits dont toute la tâche est de louer le Seigneur! Ils ne labourent point, ne sèment point, n’ont aucun souci de moudre ou de faire cuire la nourriture: ce sont là des oeuvres de nécessité, et la nécessité n’est point du ciel. Ils ne commettent ni vol, ni rapine, ni adultère : ce sont là des oeuvres d’iniquité, et l’iniquité n’est point du ciel. Ils ne donnent point le pain à celui qui a fainn, ni le vêtement à celui qui est nu, ne visitent point le malade, ne reçoivent point l’étranger, ne réconcilient point les ennemis, n’ensevelissent point les morts : ce sont là des oeuvres de miséricorde, et là, il n’y a point de misère qui ait besoin de miséricorde. Bienheureux esprits, serons-nous donc ainsi un jour? Soupirons, mes frères, et que nos soupirs deviennent des gémissements. Qui sommes-nous, pour être un jour au ciel? Des mortels, abattus, humiliés, de la terre et de la cendre. Mais il est tout-puissant, celui qui vous a fait une promesse. A nous considérer, qui sommes-nous? Mais à considérer l’auteur de nos promesses, il est Dieu, il est tout-puissant. Ne pourra-t-il de l’homme faire un ange, lui qui a fait l’homme de rien? Ou bien pourrait-il mépriser l’homme, ce même Dieu qui a voulu que son Fils unique mourût pour l’homme? Jetons, les yeux sur les signes de son amour. Tels sont les gages qu’il nous a donnés de sa promesse: c’est la mort du Christ, le sang du Christ que nous possédons. Qui donc est

 

1. Ps. CXLVIII, 6.

 

mort? Le Fils unique de Dieu. Pour qui est-il mort? Plût à Dieu qu’il fût mort pour les bons, pour les justes. Mais quoi? « Le Christ est mort pour les impies 1 », nous dit saint Paul. Lui qui a donné sa mort pour les impies, que peut-il réserver aux justes, sinon sa vie? Que l’homme donc se relève dans sa faiblesse, qu’il ne se détourne point de Dieu, ne se roule point dans son désespoir et ne dise point Le bonheur n’est pas pour moi, C’est Dieu lui-même qui lui a promis ce bonheur; il est venu afin de promettre ce bonheur; il s’est montré aux hommes, il est venu se revêtir de notre mort et nous promettre sa vie, Il est venu dans le lieu de notre exil prendre ici-bas ce que l’on trouve si abondamnient ici-bas, les opprobres, les fouets, les soufflets, les crachats, les affronts, la couronne d’épines, la suspension sur le bois, la croix, la mort. Voilà ce qui abonde en cette vie, et tel est le commerce qu’il est venu y faire. Qu’a-t-il donné ici-bas et qu’y a-t-il reçu ? Il a donné l’encouragement, donné la doctrine, donné la rémission des péchés; ila reçu les outrages, la mort, la croix. Les biens, voilà ce qu’il nous apportait du ciel; les maux, voilà ce qu’il a enduré sur la terre, Et toutefois il nous a promis que nous serons un jour dans ce même ciel d’où il est venu, et il a dit : « Mon Père, je veux qu’ils soient avec moi, où je suis moi-même 2 ». Tel est l’amour dont il nous a prévenus, et parce qu’il a voulu être avec nous où nous sommes, nous serons avec lui où il est. O homme, chétif mortel, que t’a donc promis Dieu? Que tu vivras éternellement. Ne le peux-tu croire? Oh ! crois hardiment. Ce qu’il a fait dépasse de beaucoup ce qu’il a promis. Qu’a-t-il fait? Il est naort pour toi. Qu’a-t-il promis? Que tu vivras avec lui. Que l’Eternel soit mort, c’est plus difficile à croire qu’un mortel qui vit éternellement. Or, ce qui est le plus difficile à croire , nous en sommes en possession, Quand un Dieu meurt pour l’homme, pourquoi l’homme ne vivrait-il pas avec Dieu? Pourquoi ne vivrait-il pas éternellement, ce mortel pour qui est mort celui qui vit éternellement? Mais comment Dieu est-il mort, et d’où lui est venue la mort? Un Dieu peut-il mourir? Il a pris de toi cette chair qui lui permettait de mourir pour toi. Il n’eût pu mourir sans cette chair, il n’eût pu mourir

 

1. Rom. V, 6. — 2. Jean, XVII, 24.

 

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sans un corps mortel, il s’est revêtu de ce qui lui permettait de mourir pour toi, il te revêtira de ce qui te fera vivre avec lui. Où s’est-il revêtu de la mort? Dans la virginité de sa mère. Où te revêtira-t-il de la vie? Dans son égalité avec le Père. C’est là qu’il s’est choisi dans la chasteté le lit nuptial où l’Epoux devait s’unir à l’Epouse. Le Verbe s’est fait chair 1, afin d’être le chef de l’Eglise. Car le Verbe ne fait point partie de l’Eglise; mais pour en devenir le chef, il s’est revêtu d’une chair. Déjà est dans le ciel cette partie de nous-mêmes, ce corps qu’il a pris ici-bas, et dans lequel il est mort, dans lequel il a été crucifié. Tes prémices t’ont déjà devancé au ciel, et tu n’oses croire que tu suivras?

9. Que le Prophète maintenant descende vers les créatures terrestres, après avoir invité celles du ciel. « Louez le Seigneur, créatures de la terre 2». Où avait-il commencé plus haut? Louez le Seigneur du haut des cieux, et alors il énumère les créatures célestes. Ecoute maintenant celles de la terre : « Dragons et tous les abîmes ». Les abîmes sont de grandes profondeurs d’eau: on nomme abîmes toutes les mers, et cet air où se forment les nuages. Ce vaste champ des nuages, des vents, des tempêtes, des pluies, des éclairs, du tonnerre, de la grêle, des neiges, et tout ce qu’il plaît à Dieu d’envoyer sur la terre du haut de cet air ténébreux et humide, tout cela s’appelle terre, parce qu’il est changeant et périssable. A moins que vous ne pensiez que la pluie se forme au-dessus des étoiles. Tout cela néanmoins se produit tout près de la terre. Il arrive quelquefois que des hommes s’élèvent sur de hautes montagnes, et voient les nues au-dessous d’eux et la pluie se former à leurs pieds; et quand on considère attentivement tous ces phénomènes que produit le trouble des airs, on reconnaît que tout cela se forme dans cette basse région du monde. Aussi ce fut à ces ténèbres, ou à ces régions de l’air comme àune prison, que fut condamné le diable précipité des hautes régions des anges avec tous ses complices. Voici ce que dit l’Apôtre à son sujet : « Selon le prince des puissances de d’air, qui exerce maintenant son pouvoir sur les enfants de rébellion 3 ». Un autre Apôtre a dit: « Si Dieu n’a point pardonné aux anges qui ont péché, s’il les a précipités

 

1. Jean, I, 14. — P5, CXLVIII, 7. — Ephés. II, 2.

 

dans les prisons d’un enfer ténébreux, se réservant de les punir au dernier jugement 1 » ; il nomme alors enfer la partie inférieure de la terre. Sans nous arrêter en effet à ce qu’a reçu le diable, voyons ce qui l’a perdu. Toutes ces choses donc que vous voyez telles qu’elles, troublées, inconstantes, effrayantes, corruptibles, ont cependant leur place, leur ordre dans cet univers, contribuent pour leur part à sa beauté, et dès lors bénissent le Seigneur. C’est pourquoi le Prophète les prend à parti et les exhorte à louer Dieu, ou plutôt c’est nous-mêmes qu’il exhorte à le bénir par la considération de ces choses; car elles louent le Seigneur en portant à le louer ceux qui les considèrent. « Louez Dieu, créatures de la terre », dit le Prophète, « dragons et tous les abîmes ». Les dragons se tiennent le long des eaux, s’élancent de leurs cavernes, rôdent dans les airs qu’agitent leurs mouvements. Ce sont d’effroyables bêtes, la terre n’en a pas de plus grandes. Aussi le Prophète commence par ces créatures: « Dragons et tous les abîmes ». Il y a comme des cavernes ou amas d’eaux cachées, d’où s’élancent les fontaines et les fleuves; les uns sortent pour couler sur terre, et d’autres coulent invisiblement sous terre. Toutes ces eaux, tous ces éléments humides, avec les mers et les couches inférieures de l’air , prennent le nom d’abîmes ; c’est là qu’habitent les dragons qui louent le Seigneur. Croirons-nous cependant qu’ils forment des concerts pour louer Dieu ? Loin de là. Mais vous qui considérez les dragons et vous reportez à Celui qui les a formés, au créateur des dragons, vous vous écriez en admirant leurs vastes proportions : Combien est grand le Dieu qui a fait ces choses; et les dragons empruntent vos voix pour louer le Seigneur. « Dragons et tous les abîmes ».

10. « Feu, grêle, neige, tourbillons et tempêtes, qui obéissent à sa parole 2». Pourquoi ajouter: « qui obéissent à sa parole? » Des hommes légers, incapables de méditer et de coniprendre que toute créature, en son lieu et en son rang, ne peut agir que sous la dépendance et par l’ordre de Dieu qui règle ses mouvements, se sont imaginé que Dieu gouverne seulement les créatures célestes, abandonnant avec dédain les créatures inférieures,

 

1. II Pierre, II, 4. — 2. Ps. CXLVIII, 8.

 

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qu’il laisse aller au hasard comme elles peuvent et où elles peuvent. Ils se tiennent un langage qui les persuade; mais pour toi, ferme tes oreilles, c’est-à-dire ne te laisse point persuader par des paroles qui sont des blasphèmes et des outrages envers Dieu. Si la pluie venait de Dieu, nous disent-ils, tomberait-elle sur la mer? Où serait sa Providence, de faire pleuvoir sur la mer, quand la Gétulie est desséchée ? Ils se croient habiles en parlant ainsi; et nous pouvons leur répondre: Que la Gétulie ait soif, toi du moins tu n’as pas soif. Et néanmoins il serait bon pour toi de dire: « Mon âme sans vous est comme une terre sans eau », ou comme il est dit plus clairement ailleurs: « Mon âme a soif de vous, et ma chair se dessèche dans ce désir 2 ». Et le Seigneur dans l’Evangile: « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu’ils seront rassasiés 3 ». Or, celui qui nous tient ce langage impie est déjà rassasié; il se croit savant, ne veut rien apprendre et montre qu’il n’a point soif. S’il avait une véritable soif, il chercherait à s’instruire, et comprendrait que rien ne se fait sur la terre sans la providence de Dieu; il admirerait jusqu’à l’économie des membres d’un puceron. Que votre charité veuille bien écouter. Qui a disposé les membres d’un insecte et d’un moucheron, de manière à leur assigner une place, à leur donner une vie et un mouvement propres? Prends et considère le plus chétif insecte, aussi petit que tu le voudras; vois, situ peux le comprendre, et l’ordre qui règne dans ses membres, et cette vie qui l’anime et le fait mouvoir; de lui-même il évite la mort, il aime la vie, il recherche le plaisir, évite la douleur, s’agite en différentes manières et déploie de la vigueur dans le mouvement qui lui est propre. Qui a donné au cousin la trompe par où il suce notre sang? Qui comprendra la délicatesse de ce canal qui le nourrit? Qui a disposé tout cela? Qui l’a créé? Tu es effrayé de ces frêles ouvrages; loue celui qui est grand. Demeurez donc fermes dans ces principes, mes frères: que nul ne vous fasse dévier de la foi, de la saine doctrine. Celui qui a fait l’ange dans le ciel, a fait aussi le vermisseau sur la terre; mais l’ange dans le ciel pour habiter les régions célestes, et le vermisseau sur la terre pour demeurer dans ces terrestres régions.

 

1. Ps. CXLII, 6. — 2. Id. LXII, 2. — 3. Matth. V, 6.

 

A-t-il fait l’ange pour ramper sur la terre, et le vermisseau pour planer dans les cieux ? A chaque demeure il a assigné ses habitants, aux créatures incorruptibles une demeure incorruptible, et aux créatures corruptibles un lieu sujet à la corruption. Considère toutes choses, et loue le monde• entier. Et celui qui a mis en ordre les membres d’un vermisseau, ne gouverne point les nuées? Et pourquoi, nous dit-on, pleut-il dans la mer? comme s’il n’y avait pas dans la mer des créatures que nourrit la pluie, comme si Dieu n’y avait point mis des poissons, n’y avait point mis des animaux. Voyez comme les poissons accourent à l’eau douce, Et pourquoi, diras-tu encore, pleut-il pour le poisson, quand il ne pleut jamais pour moi? Afin que tu comprennes que tu es dans une terre déserte, dans l’exil : afin que l’amertume de la vie présente te fasse désirer la vie à venir ou plutôt afin que tu sois de la sorte et flagellé, et châtié, et redressé. Comme Dieu a assigné à chaque région des biens spéciaux! Nous avons parlé de la Gétulie; eh bien! il pleut ici à peu près chaque année, et chaque année aussi nous avons du blé que l’on ne saurait conserver et qui se corrompt très-rapidement , parce qu’il en vient chaque année; tandis que là où il vient rarement, il vient en abondance et se conserve longtemps, Mais croiras-tu que Dieu ait abandonné ces contrées, qu’il n’y ait pas mis des joies, de manière que les habitants ne puissent et louer et bénir le Seigneur? Va chercher un Gétule, amène-le dans nos riants bosquets, il voudra s’enfuir et retourner dans son aride Gétule. Ainsi Dieu a distribué dans chaque pays, dans chaque région, et dans chaque saison, ses dons particuliers. Il serait long de considérer plus attentivement chacune des créatures. Qui pourrait en donner le détail ? Celui dont Dieu a éclairé les yeux y découvrent des beautés dont l’aspect les ravit, et ce ravissement les porte non point à chanter ces beautés, mais celui qui en est l’auteur; et ainsi toutes les créatures chantent les louanges de Dieu.

11. C’est dans cette vue que, après avoir invité à bénir le Seigneur, et le feu et la neige, et la glace, et l’esprit des tempêtes, phénomènes qui sont aux yeux des insensés le résultat d’un trouble, et amenés par le hasard, le Prophète ajoute : « Qui obéissent à sa (295) parole ». Loin de toi donc de croire que soient nues par le hasard ces créatures qui obéissent à la parole de Dieu dans tous leurs mouvements. Où il plaît à Dieu, c’est là que le feu luit, que se portent les nuées, que tombent la pluie, la neige et la grêle. Pourquoi la foudre s’en va-t-elle frapper les sommets des montagnes sans frapper un voleur? Je ne puis répondre à cela que selon mes faibles lumières, et autant que Dieu me le permettra. Que de plus éclairés en comprennent davantage, en disent davantage, et fasse le Seigneur que vous en compreniez plus que je n’en dirai, sans orgueil toutefois et avec modération ! Tout ce que je puis dire à propos de cette difficulté, pourquoi Dieu frappe les montagnes sans frapper les voleurs, c’est qu’il attend peut-être la conversion de ces voleurs, et il frappe la montagne qui est sans crainte, afin de changer l’homme par la crainte. Toi-même, quelquefois pour corriger un enfant, tu frappes la terre pour l’épouvanter. Quelquefois néanmoins Dieu frappe l’homme quand il le juge convenable. Mais, me diras-tu, il frappe l’innocent et épargne le coupable. Ne t’en trouble point. Peu importe d’où vienne la mort, elle est bonne pour l’homme juste. Mais d’où saurais-tu ce que Dieu prépare de peines à ce scélérat, s’il ne se convertit? N’aimeraient-ils pas mieux périr d’un coup de tonnerre, ces hommes qui s’entendront dire au dernier jour : « Allez au feu éternel 1? » L’important pour toi, c’est l’innocence. Est-ce un mal de mourir dans un naufrage, un bien de mourir de la fièvre? De quelque manière que meure un homme, vois dans quel état il meurt, où il doit aller en mourant, et non par quelle porte il sort de la vie. Peu importe de quelle façon il nous faudra sortir du monde. Par quelle fin les martyrs ont-ils mérité de s’en aller? Sont-ils morts de la fièvre, comme tant d’autres voudraient mourir? Pour les uns c’est te glaive, pour d’autres c’est le feu, pour d’autres encore c’est la dent des bêtes qui leur a donné ta mort. Les bêtes ont dévoré les corps de ces martyrs, qui n’ont pas craint néanmoins que leurs corps périssent. Dieu, qui a compté les cheveux de notre tête 2, saura bien un jour réunir les corps de ses saints, quelque part qu’ils soient. Selon sa volonté, il délivra les trois enfants de la fournaise 3.

 

1. Matth. XXV, 41. — 2. Id. X, 30. — 3. Dan. III,  24, 93.

 

Abandonna-t-il pour cela les Macchabées dans les flammes 1? Il délivra les uns avec éclat, et couronna les autres en secret. Dieu sait donc ce qu’il fait. Pour toi, crains et sois bon. De quelque manière qu’il te veuille tirer d’ici-bas, qu’il te trouve prêt. Car tu n’es ici qu’un étranger 2, et non le possesseur de la maison. Cette maison t’a été louée; oui, elle t’a été louée et non donnée, tu en sortiras en dépit de tes efforts : elle ne t’est point concédée avec cette condition que tu auras un temps assuré pour l’habiter. Que t’a dit le Seigneur? Sois prêt, quand il me plaira de te dire Va-t’en; je te fais sortir du logement temporaire de l’étranger, mais c’est pour t’assurer une demeure; tu es un hôte sur la terre, sois en possession du ciel.

12. Sachons-le donc bien, tout ce qui nous arrive contre notre volonté, ne nous arrive que par la volonté de Dieu, par la sage disposition de la providence, par ses décrets, par ses lois; et quand même nous ne pourrions comprendre pourquoi telle chose arrive, rendons au moins cet hommage à la providence, que rien n’arrive sans cause, et alors nous serons loin de tout blasphème. Quand nous commençons à raisonner sur les oeuvres de Dieu, à dire: Pourquoi ceci? pourquoi cela? voici qui ne devrait pas être, voilà qui est mal ordonné; où est donc la louange de Dieu? Tu as perdu l’Alleluia. Considère toutes les créatures de manière à plaire à Dieu, et à louer le Créateur. Si tu entrais dans l’atelier d’un forgeron, tu n’oserais blâmer, ni soufflets, ni marteaux, ni enclumes ; mais un ignorant qui n’en connaît pas l’usage blâme tout ce qu’il rencontre. Qu’il ait, au contraire, non pas sans doute la science de l’ouvrier, mais le bon sens ordinaire, que dira-t-il en lui-même? Ce n’est point sans motif que les soufflets sont placés ici, le forgeron en connaît la cause, bien que je l’ignore. Il n’osera donc rien blâmer dans l’échoppe d’un artisan, et il ose blâmer Dieu dans la création du monde. De même alors que « le feu, la grêle, la neige, la glace et l’esprit des tempêtes suivent la parole de Dieu »; ainsi tout ce que de vains esprits attribueront au hasard dans la création, ne fait que la parole de Dieu, parce que rien n’existe que d’après son précepte,

13. Le Prophète exhorte ensuite à louer le Seigneur, « les montagnes et les collines, les

 

1. II Macchab. VII, et suiv. — 2. Ps. CXVIII, 19.

 

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arbres à fruits et les cèdres, les bêtes sauvages et les troupeaux, les reptiles et les oiseaux », Puis il en vient aux hommes: « Que les rois de la terre, que tous les peuples et tous les juges de la terre, que les adolescents et les vierges, et les enfants et les vieillards, bénissent le nom du Seigneur 1» Il a donc chanté la gloire de Dieu dans le ciel, la gloire de Dieu sur la terre.

14. « Parce qu’il n’y a que son nom qui soit grand 2». Que l’homme ne cherche point à grandir son nom. Veux-tu être élevé? Soumets-toi à celui qui ne saurait être abaissé. Il est le seul dont le nom soit grand.

15. « Sa confession subsiste sur la terre et dans le ciel 3». Qu’est-ce à dire que « sa confession subsiste sur la terre et dans le ciel ? » Que lui-même se confesse? Point du tout, mais que toutes les créatures le confessent, que toutes le proclament; que leur beauté devient chez elles une sorte de concert à la louange du Seigneur. Le ciel crie à Dieu C’est vous qui m’avez fait, et non moi. La terre crie à Dieu : C’est vous qui m’avez faite, et non moi. Comment ces créatures peuvent-elles crier? Lorsqu’on les considère, et qu’on trouve qu’il en est ainsi, elles crient dans ta considération, elles crient par ta voix. « La confession est sur la terre et dans le ciel ». Considère le ciel, il est beau; considère la terre, elle est belle; l’un et l’autre ont une admirable beauté. C’est lui qui lesa faits, lui qui les conduit, qui les gouverne par sa sagesse; c’est lui qui fait que le temps passe, que les moments se succèdent; c’est par lui que tout se répare. Toutes les créatures le louent, soit dans le repos, soit dans le mouvement, soit ici-bas sur la terre, soit dans les hauteurs des cieux, soit qu’elles vieillissent ou qu’elles se renouvellent. A la vue de ces créatures, tu es ravi, tu t’élèves jusqu’au Créateur, la vue des créatures visibles t’élève jusqu’aux créatures invisibles 4. Alors « sa  confession est sur la terre et aussi dans le ciel », c’est-à-dire que tu chantes sa gloire dans les choses de la terre, sa gloire encore dans les choses du ciel. Or, comme il a fait toutes choses, et que rien ne lui est supérieur, toutes ses créatures sont au-dessous de lui; et tout ce qui pourrait te plaire en elles est bien inférieur à lui-même. Que ses oeuvres te plaisent donc, mais sans te séparer de lui-

 

1. Ps. CXLVIII, 9-12. — 2. Id. 13. — 3. Id. 14. — 4. Rom. I, 20.

 

même, et si tu aimes l’oeuvre, aime bien plus celui qui l’a faite. Si ses oeuvres sont belles, combien est plus grande la beauté du Créateur? « On proclame sa gloire sur la terre et dans le ciel».

16. « Et il élèvera la force de son peuple». Voilà ce que prédisaient Aggée et Zacharie. Cette force de son peuple est maintenant abaissée par les persécutions, par les épreuves, par la componction des coeurs ; mais quand élèvera-t-il la force de son peuple? Quand viendra le Seigneur lui-même, quand se lèvera le soleil de justice ; non point ce soleil qui apparaît à nos yeux, qui se lève sur les bons et sur les méchants 1; mais ce soleil dont il est dit : « Pour vous qui craignez Dieu, se lèvera le soleil de justice, et le salut sera sous ses ailes 2». C’est de lui que les orgueilleux et les impies diront un jour: « La lumière de la justice n’a point lui pour nous, et le soleil ne s’est point levé à nos yeux  3 ». Cette lumière sera l’été pour nous, Maintenant, pendant l’hiver, les fruits n’apparaissent point dans la racine, l’hiver nous fait paraître les arbres comme stériles. Quiconque ne sait pas voir les choses pourrait croire que la vigne est morte ; qu’un cep soit réellement desséché, il ressemble en hiver absolument à son voisin ; et pourtant l’un est mort, l’autre en vie ; mais la vie de l’un comme la mort de l’autre demeurent cachées. Or, voici l’été, qui fait ressortir dans l’un, une vie luxuriante, et dans l’autre une mort indubitable: l’un se couvre fièrement de feuilles et de fruits abondants, il se pare au dehors de ce qui était caché dans sa racine. Nous ressemblons donc, mes frères, au reste des hommes qui naissent, qui mangent, qui boivent, qui se couvrent de vêtements, qui passent ainsi cette vie ; il en est de même des saints. Voilà ce qui jette souvent dans l’erreur des hommes qui disent: Depuis qu’il s’est fait chrétien, est-il délivré de sa migraine? Ou bien, quel avantage a-t-il sur moi depuis qu’il est chrétien? O vigne desséchée! tu ne vois qu’avec dédain cette autre vigne que l’hiver a dépouillée, mais non desséchée. L’été viendra, le Seigneur viendra, lui qui est notre gloire et qui était caché dans la racine; et alors «il élèvera la puissance de son peuple » après cette captivité, dans laquelle nous vivons pour mourir. De là cette parole de l’Apôtre : « Ne

 

1. Matth. V, 45. — 2. Malach. IV, 2. — 3. Sag. V, 6.

 

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jugez point avant le temps, jusqu’à ce que vienne le Seigneur, qui éclairera ce qui est caché dans les ténèbres ; et alors chacun recevra de Dieu sa louange 1». Mais, diras-tu, où donc est ma racine?où est mon fruit? Si tu as la foi, tu sais où est la racine ; car elle est où est ta foi, où est ton espérance, où est ta charité. Ecoute l’Apôtre : « Vous êtes morts 2 », disait-il à ceux qui paraissaient morts pendant l’hiver ; apprends néanmoins qu’ils vivent: « Et votre vie est cachée en Dieu avec le Christ ». C’est là que j’ai ma racine. Quand donc seras-tu paré de tes ornements, enrichi de tes fruits? Ecoute saint Paul qui le dit dans la suite: « Quand apparaîtra le Christ qui est votre vie, alors vous apparaîtrez avec lui dans la gloire 3; et il élèvera la puissance de son peuple ».

17. « Que tous ses saints le chantent dans leurs hymnes ». Connaissez-vous l’hymne? C’est un cantique en l’honneur de Dieu. Louer Dieu, sans aucun chant, ce n’est point une hymne : chanter sans louer Dieu, n’est point une hymne ; louer quelque chose autre que Dieu, de quelque chant que l’on puisse accompagner cette louange, ce n’est point une hymne encore. Une hymne a donc ces trois conditions, qu’elle est un chant, une louange, et louange en l’honneur de Dieu, Un cantique en l’honneur de Dieu est donc une hymne. Or, que signifie cette parole : « Hymne à tous les saints? » Que tous les saints du Seigneur lui chantent des hymnes, qu’ils fassent retentir ses louanges. C’est là ce qu’ils recevront de Dieu au dernier jour, une hymne éternelle. De là cette autre parole du psaume: « Le sacrifice de louanges est le culte qui m’honore, telle est la voie où je lui montrerai mon salut 4 ». Et encore « Bienheureux ceux qui habitent votre maison, ils vous loueront dans les siècles des siècles 5». Telle est l’hymne pour tous les saints. Quels sont les saints de Dieu? « Les fils d’Israël, le peuple qui s’approche de lui ». Que nul ne dise : Je ne suis point entant d’Israël. Ne vous imaginez point que les Juifs seront enfants d’Israël, et non point nous. J’ose vous dire au contraire, que nous sommes les enfants d’Israël, et non les Juifs. Ecoutez pourquoi : c’est que l’enfant né selon l’esprit est plus grand que l’enfant né selon la chair.

 

1. I Cor. IV, 5. — 2. Coloss. III, 3. — 3. Ibid. 4. — 4. Ps. XLII, 23. — 5. Id. LXXIII, 5.

 

Or, d’où est issu Israël ? D’Abraham. Car Isaac est né d’Abraham, et Israël d’Isaac. Comment Abraham se rendit-il agréable à Dieu? « Abraham crut à Dieu, et cela lui fut imputé à justice 1». Quiconque dès lors imite Abraham dans sa foi, devient fils d’Abraham; quiconque dégénère de la foi d’Abraham, est déchu de sa postérité. Les Juifs qui ont dégénéré de sa foi, ont perdu le droit d’être ses enfants , et nous en imitant sa foi , nous avons acquis ce même droit. Sache bien qu’ils l’ont perdu. Que leur répond le Sauveur quand ils disent: « Nous sommes fils d’Abraham  2? » Ils osent bien se vanter et lever la tête à propos de cette noble descendance d’un juste ; mais que leur dit le Seigneur : « Si vous étiez fils d’Abraham, vous en feriez les oeuvres 3». Si donc ils ont perdu l’honneur d’être enfants d’Abraham, nous avons acquis ce même honneur; et nous avons acquis par notre foi ce que leur incrédulité leur a fait perdre. Parce qu’Abraham crut à Dieu, sa foi lui fut imputée à justice. Or, la postérité d’Abraham c’est le Christ 4,et nous sommes dans le Christ ; d’Israël naquit un peuple, d’où est venue Marie, et de Marie est né le Christ, et nous qui sommes dans le Christ, nous sommes donc fils d’Israël. Qu’ajoute le Prophète pour nous distinguer des Juifs? « Aux fils d’Israël, au peuple qui s’approche de Dieu ». Voyez les Juifs : s’ils s’approchent de Dieu, c’est d’eux qu’il est question. Mais peut-être s’en approchent-ils, me dira quelqu’un ; car eux aussi chantent des psaumes, ils chantent des hymnes à Dieu. N’entendez-vous point ce que dit le Prophète: « Voilà un peuple qui m’honore des lèvres, mais leur coeur est loin de moi 5?» Si donc leur coeur est loin de Dieu, et si notre coeur est près de Dieu, parce que nous croyons, parce que nous espérons, parce que nous aimons, parce que nous sommes unis au Christ, parce que nous sommes devenus ses membres ; est-ce que les membres sont séparés du chef? S’ils étaient éloignés, ils seraient divisés, et cette parole ne serait plus vraie : « Voilà que je suis avec vous jusqu’à la consommation des siècles 6 ». S’ils étaient séparés du chef, il ne dirait point du haut du ciel : «Saul, Saul, pourquoi me persécuter 7?» S’il n’était point en nous, il ne dirait point :

 

1. Rom. IV, 3.— 2. Jean, VIII, 33. — 3. Ibid. 39. — 4. Gal. III, 16. — 5. Isaï. XXIX, 13. —  6. Matth. XXVIII, 20. — 6. Act. IX, 4.

 

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« J’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger ». Et quand on lui dit: « Où donc vous avons-nous rencontré ayant faim? » il ne répondrait pas : Quand vous l’avez fait au moindre des miens, c’est à moi que vous l’avez fait 1». Voilà Israël, voilà le peuple qui s’approche de Dieu, qui s’unit à lui maintenant dans l’espérance, et plus tard en réalité.

 

1. Matth. XXIV, 35, 37, 40.

DISCOURS SUR LE PSAUME CXLIX.
SERMON AU PEUPLE.
LE NOUVEAU CANTIQUE OU L’ÉVANGILE.
 

Ce cantique nouveau du psaume est le Nouveau Testament avec ses promesses spirituelles, comme le vieux cantique est l’Ancien Testament avec ses promesses temporelles. L’amour seul est toujours nouveau et toujours ancien, parce qu’il est le Verbe de Dieu, qui ne vieillit point. L’homme vieillit par le pêché, la grâce le rajeunit. Chantons ce cantique, mais par Ioule la terre; chantons, non-seulement de la voix, mais de la pensée qui se manifeste par toutes les oeuvres, comme celle des loups revêtus de la peau des brebis. Chantons ce cantique par tonte la terre, dont nul ne doit se séparer, autrement il ne serait pas le froment ; sortir de l’aire est le fait de la paille. C’est te Seigneur qui sème le bon grain, l’ennemi l’ivraie; car ils doivent croître jusqu’à la moisson. Le champ du Seigneur c’est le monde, c’est l’assemblée des saints, autrefois prophétisée, maintenant accomplie. Israël, ou celui qui voit Dieu, doit tressaillir dans le Seigneur, et, comme Dieu est charité, aimer Dieu c’est le voir, c’est être Israël. Nous devons nous réjouir en Dieu, et non dans tel ou tel homme; en notre roi qui est le Cnrist, parce qu’il a vaincu le diable; qui est notre prêtre, puisqu’il s’est offert pour nous, qui n’avions aucune hostie pure.

Chantons et chantons en choeur, c’est-à-dire eu accord, et sur les tambours et sur le psaltérion, en accompagnant la voix de la main, ou plutôt des oeuvres. Le tambour est une peau tendue; le. psaltérion est fait de cordes tendues aussi, ce qui désigne la mortification de la chair. Le Seigneur nous a comblés de faveurs en nous appelant à la gloire, en nous soutenant dans le combat. Les saints tressailliront dans leur gloire, parce qu’ils recherchent les applaudissements de Dieu seul, et non ceux des hommes, comme ces fous qui revêtirent un comédien et non tes pauvres de Jésus-Christ; ils tressailliront dans leur lit de repos ou dans leur conscience, mais avec l’humilité de la crainte. Cette framée à deux tranchants est ta parole de Dieu qui règle les intérêts des temps et ceux de l’éternité, qui sépare te saint de l’impie, établissant aussi deux Testaments; elle est aux mains des saints qui peuvent la prêcher, ou la prêcher et l’écrire. Avec ce glaive les saints tuent dans l’homme le païen pour faire le chrétien, comme Saut mourut pour foire place à Paul. Les rois, en devenant chrétiens, on tmis leurs pieds dans les entraves des préceptes de l’Evangile, ils se sont imposé des chaînes qui leur défendaient de faire ce qu’ils pouvaient; chaînes de fer qui commencent par la crainte pour nous conduire au collier d’or de la sagesse; chaînes de fer dans l’inviolabilité du mariage. Tel est le jugement que les saints accomplissent par leurs prédications.

 

1. Louons Dieu, mes frères, et par la voix, et par l’intelligence, et par les bonnes actions; et d’après l’exhortation du psaume, chantons-lui un cantique nouveau. Car c’est ainsi qu’il commence: « Chantez au Seigneur un nouveau cantique 1». Le vieux cantique est celui du vieil homme, le nouveau cantique, celui de l’homme nouveau. Au vieux Testament le vieux cantique; au nouveau Testament le nouveau cantique; comme au vieux Testament les promesses temporelles et terrestres. Quiconque aime les choses d’ici-bas, aime le vieux cantique; pour chanter le cantique nouveau, il faut aimer les choses de l’éternité. Quant à l’amour lui-même, il est

 

1. Ps. CXLIX, 1.

 

nouveau et néanmoins éternel; dès lors qu’il ne vieillit point, il est toujours nouveau. A le bien considérer, il est ancien, et dès lors comment peut-il être nouveau ? Quoi donc, mes frères, la vie éternelle a-t-elle commencé tout récemment? La vie éternelle, c’est le Christ, et, comme Dieu, le Christ n’a point commencé; car, « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu; voilà ce qui était en Dieu au commencement. Tout a été fait par lui, et sans lui rien n’a été fait 1 ». Si les choses faites var lui sont anciennes, que peut être celui qui les a faites ? Que peut-il être, sinon éternel et coéternel au Père ? Mais nous qui

 

1. Jean, 1, 1-3.

 

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sommes tombés dans le péché, nous tombons aussi dans la vieillesse. Car c’est nous qui parlons dans ce même psaume, où il est dit avec gémissement : « J’ai vieilli au milieu de mes ennemis 1 ». L’homme est vieilli par le péché, il est rajeuni par la grâce. Qu’ils chantent dès lors un cantique nouveau, ceux qui sont renouvelés dans le Christ, commençant ainsi d’appartenir à la vie éternelle.

2. Et ce cantique est celui de la paix, le cantique de l’amour. Quiconque se sépare de l’assemblée des saints, ne chante pas le cantique nouveau. Il s’attache en effet à la haine qui est antique, et non à l’amour qui est nouveau. Que trouvons-nous dans l’amour nouveau, sinon la paix, le lien d’une société sainte, une union spirituelle, un édifice de pierres vivantes? Où rencontrer cela ? Non point dans un seul endroit, mais dans l’univers entier. Ecoute à ce sujet un autre psaume : « Chantez au Seigneur un cantique nouveau; toute la terre, chantez au Seigneur 2 ». De là nous pouvons comprendre que celui qui ne chante pas avec toute la terre, ne chante point un cantique nouveau, quelles que soient les paroles qui sortent de sa bouche. A quoi bon écouter le son de la voix, quand je connais la pensée ? Mais vous, dira-t-on, connaissez-vous la pensée ? Les actes me l’apprennent. Qu’un homme soit surpris en flagrant délit de vol, d’homicide, d’adultère, sans voir ses pensées dans son coeur, on les connaît par ses actes. Il est beaucoup de pensées qui demeurent dans notre intérieur; mais il en est beaucoup qui passent dans nos oeuvres, et qui deviennent évidentes pour les hommes. Pour ces hommes qui ont brisé avec le Christ les liens de la charité, quand ils n’étaient corrompus qu’à l’intérieur, Dieu seul les connaissait. Mais l’épreuve est survenue, les a séparés et a montré aux hommes ce qui n’était connu que de Dieu. Ou ne juge du fruit que par les oeuvres. De là cette parole de l’Evangile «Vous les connaîtrez à leurs fruits 3». Ainsi disait le Seigneur, à propos de ceux qui revêtent la peau des brebis, et qui ne sont à l’intérieur que des loups ravissants; et de peur que l’humaine fragilité ne nous empêche de reconnaître le loup sous la peau d’une brebis, le Sauveur ajoute : « Vous les « connaîtrez à leurs fruits ». Nous cherchons

 

1. Ps. VI, 8. — 2. Id. XCV, 1. — 3. Matth. VII, 16.

 

le fruit de la charité, et nous trouvons les épines de la division. « Vous les connaîtrez à leurs fruits ». Leur cantique est donc l’ancien, chantons le cantique nouveau. Nous vous l’avons dit déjà, mes frères, toute la terre chante le nouveau cantique. Quiconque ne chante point le nouveau cantique avec toute la terre, pourra chanter ce qu’il voudra, sa langue pourra proférer l’Alleluia; qu’il le chante, et le jour et la nuit, mes oreilles ne s’arrêteront point au bruit de ses chants, je m’arrêterai à ses oeuvres. Que j’interroge l’un d’eux, que je lui dise : Quel est ton chant ? Alleluia, me répond-il. Que signifie Alleluia ? Louez le Seigneur. Viens, louons le Seigneur ensemble. Si tu loues le Seigneur, moi aussi je loue le Seigneur; pourquoi serions-nous en désaccord ? La charité loue le Seigneur, la discorde lui jette le blasphème.

3. Et voulez-vous savoir où vous devez chanter ce nouveau cantique ? Voyez où s’accomplit et comment s’accomplit ce que va dire le Psalmiste; voyez si c’est dans toute la terre, ou seulement dans une partie du monde, et vous jugerez mieux ensuite à  qui appartient le nouveau cantique. Vous savez déjà ce que je viens de citer d’un autre psaume: « Chantez au Seigneur un cantique nouveau ». Et pour vous montrer qu’il y a dans ce cantique nouveau un fruit de la charité et de l’unité, le Prophète ajoute : « Que toute la terre chante au Seigneur». Que nul ne se sépare, que nul ne se divise; situ es froment, supporte la paille jusqu’à ce qtl’elle soit vannée. Pourquoi veux-tu sortir de l’aire? Fusses-tu le plus noble froment, si tu es en dehors de l’aire, les oiseaux te trouveront et t’amasseront 1. Ajoute à cela que sortir de l’aire et t’envoler prouve que tu n’es que paille, et à cause de cette légèreté, le vent est venu t’enlever de dessous les pieds des boeufs. Ceux, au contraire, qui sont le bon grain, souffrent qu’on les foule: ils se réjouis. sent d’être le froment, gémissent parmi la paille, attendent celui qui doit vanner, qu’ils regardent comme le Rédempteur. « Chantez au Seigneur un nouveau cantique; sa louange est dans l’Eglise des saints ». Or, cette Eglise des saints est l’Eglise du froment répandu dans le monde entier, et semé dans le champ du Seigneur qui est le monde

 

1. Matth. III, 12.

 

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comme nous l’expose Jésus-Christ, quand il nous dit, à propos du semeur, « qu’un homme sema du bon grain dans son champ, et que l’ennemi vint et y sema de l’ivraie; et les serviteurs dirent au père de famille: N’avez-vous pas semé de bon grain dans votre champ? d’où vient donc qu’il y a de l’ivraie? Il répondit: C’est l’ennemi qui a fait cela ». Ils voulaient cueillir l’ivraie, mais il les en empêcha en disant: « Laissez croître l’un et l’autre jusqu’à la moisson, et au temps de la moisson je dirai aux moissonneurs : « Cueillez tout d’abord l’ivraie, et liez-la en bottes, pour la brûler; quant au froment, mettez-le en réserve sur mon grenier ». Les disciples lui demandèrent ensuite : « Exposez -nous le sens de cette parabole de l’ivraie». Il leur en expliqua toutes les parties, afin que nul n’attribue à ses propres lumières l’intelligence qu’il en peut avoir, mais bien à ce Maître céleste qui l’a exposée. Que nul ne vienne dire qu’il l’a expliquée comme il l’a voulu. Si le Seigneur eût expliqué la parabole d’un Prophète, quand lui-même disait par leur bouche tout ce qu’ils disaient, qui oserait dire qu’il ne devait point donner lui-même cette explication? A plus forte raison, quand il donne le sens d’une parabole que lui-même a proposée, qui oserait contredire une vérité aussi évidente? En expliquant cette parabole, le Sauveur nous dit donc : « Celui qui sème le bon grain, c’est le Fils de l’Homme », se désignant ainsi lui-même. « Le bon grain, ce sont les fils du royaume », c’est-à-dire l’assemblée des saints; « l’ivraie, ce sont les fils de l’iniquité. Le champ, c’est le monde 1 ». Or, voyez, mes frères, que le bon grain est semé dans le monde entier, et que dans le monde entier il y a de l’ivraie. N’y a-t-il dans une partie que le bon grain, et que l’ivraie dans l’autre partie? Nullement; partout est le bon grain, et partout est le froment. Le champ du Seigneur c’est le monde, et non l’Afrique seulement. Il n’en est point de ce champ du Seigneur comme des autres terres, dont les unes, comme la Gétulie, rapportent soixante et cent pour un; les autres, comme la Numidie, seulement dix pour un. Partout Dieu récolte cent pour un , ou soixante, ou trente ; vois seulement ce que tu veux être, situ prétends être ce grain que récolte le Seigneur. Cette Assemblée des saints

 

1. Matth. XIII, 21-38.

 

est donc I’Eglise catholique; et l’Assemblée des saints ne saurait être l’Eglise des hérétiques. Cette Eglise des saints est celle que Dieu a prédite avant qu’elle fût visible, et qu’il veut rendre visible en la mettant sous nos yeux. L’Eglise des saints était jadis dans les livres, aujourd’hui elle est dans les nations : jadis on lisait seulement que l’Eglise des saints existerait, aujourd’hui on le lit encore, et, de plus, on voit qu’elle existe. On croyait en elle quand elle n’existait que dans les livres, aujourd’hui qu’on la voit, on lui résiste. « Sa louange est dans l’assemblée des saints».

4. « Qu’Israël tressaille dans celui qui l’a fait 1». Que veut dire Israël? Celui qui voit Dieu, c’est le sens que l’on donne à Israël. Que celui qui voit Dieu tressaille donc dans ce Dieu qui l’a fait. Pourquoi donc, mes frères, disons-nous que nous appartenons à l’Eglise des saints? est-ce que nous voyons Dieu dès cette vie? Et si nous ne le voyons pas, comment sommes-nous Israël? Il est une vue de Dieu propre à cette vie, et une autre vue pour la vie à venir. Ici-bas nous voyons par la foi ; dans la vie future nous verrons face à face. Croire c’est voir, aimer c’est voir. Que voyons-nous? Dieu. Où est Dieu? Interroge saint Jean: « Dieu est charités », nous dit-il. Bénissons dès lors son saint nom, et réjouissons-nous en Dieu, si nous nous réjouissons dans la charité. Qu’un homme ait la charité, et dès lors l’enverrons-nous bien loin pourvoir Dieu? Qu’il entre seulement dans sa conscience, et il y trouve Dieu. Mais si la charité n’est point dans son coeur, Dieu non plus n’y est pas, tandis qu’il y est si la charité s’y rencontre. Un homme voudrait peut-être voir Dieu assis dans le ciel; qu’il ait la charité et Dieu habitera en lui comme dans le ciel. Soyons donc Israël, et réjouissons-nous en celui qui nous a faits. « Qu’Israël tressaille en celui qui l’a fait ». Oui, qu’il se réjouisse dans celui qui l’a fait, et non point dans Anus, non point dans Donat, non point dans Cécilien, non point dans Proculien, non point dans Augustin. Qu’il tressaille dans celui qui l’a fait. Loin de nous, mes frères, de nous faire valoir auprès de vous; c’est Dieu que nous vous recommandons, parce que nous vous recommandons à Dieu. Comment faire valoir Dieu auprès de vous? En vous

 

1. Ps. CXLIX, 2. — 3. I Jean, IV, 16.

 

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recommandant de l’aimer pour votre propre avantage, et non pour le sien; car ne point l’aimer serait nuisible pour vous et non pour lui. Dieu, en effet, n’en aura pas moins la divinité, quand l’homme n’aurait point pour lui la charité. C’est toi qui trouves ton avantage en Dieu, et non Dieu en toi; et néanmoins le premier 1, et avant que nous l’eussions aimé, il nous a aimés jusqu’à envoyer son Fils unique à la mort pour nous 2. Celui qui nous a faits a voulu être fait parmi nous. Comment nous a-t-il faits ? « Tout a été fait par lui, et sans lui rien n’a été fait 3 ». Comment a-t-il été fait parmi nous? « Et le Verbe s’est fait chair, et a demeuré parmi nous 4 ». C’est donc en lui que nous devons nous réjouir. Que nul ne s’arroge ce qui vient de Dieu seul; c’est de lui que nous vient la joie qui fait notre bonheur. « Qu’Israël se réjouisse en celui qui l’a fait ».

5. « Et que les fils de Sion tressaillent dans leur roi». Cet Israël, ce sont les enfants de l’Eglise. Car Sion fut en effet une ville qui tomba: et dans ses restes habitaient quelques saints pour un temps; mais il est une véritable Sion, une véritable Jérusalem, car Sion est la même que cette Jérusalem qui subsistera éternellement dans le ciel, et qui est notre mère 5. C’est elle qui nous a engendrés, elle qui est l’Eglise des saints, en partie dans l’exil, mais en bien plus grande partie dans le ciel. Cette partie qui est dans le ciel fait le bonheur des anges, et la partie qui est exilée en ce bas inonde, fait l’espérance des justes. C’est de l’une qu’il a été dit « Gloire à Dieu au plus haut des cieux» ; et de l’autre: « Et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté 6 ». Que ceux donc qui gémissent en cette vie, qui aspirent à cette patrie céleste, s’élancent par l’amour, et non des pieds du corps, sans chercher des vaisseaux, qu’ils se pourvoient d’ailes, des deux ailes de la charité. Quelles sont les deux ailes de la charité? L’amour de Dieu et l’amour du prochain 7. Nous sommes en effet dans l’exil,dans les soupirs, dans les gémissements. Voilà qu’il nous est venu des lettres de la patrie, et nous vous en donnons lecture.

6. « Qu’Israël se réjouisse dans Celui qui l’a fait, que les fils de Sion tressaillent dans leur Roi». Dire « qui l’a fait» revient à dire leur

 

1. I Jean, IV, 19. — 2. Id. III,16.— 3. Id. I, 3.— 4. Id. 14.— 5. Gal. IV, 26. — 6. Luc, II, 14. — 7. Matth. XXII, 40.

 

« roi »; de même que « Israël » ne dit autre chose que « fils de Sion ». Se réjouir en celui qui l’a fait, c’est se réjouir en son roi. C’est le Fils de Dieu qui vous a faits et qui a été fait parmi nous. Il est le roi qui nous gouverne, parce qu’il est le créateur qui nous a faits. Et celui par qui nous avons été faits, est aussi celui par qui nous sommes conduits; et nous sommes chrétiens parce qu’il est Christ; or, il est appelé Christ à cause du chrême ou de l’onction. Les rois 1 recevaient l’onction aussi bien que les prêtres 2; et celui-ci a reçu l’onction de roi, de prêtre; roi, il a combattu pour nous, et prêtre, il s’est offert pour nous. Eu combattant pour nous, il a paru vaincu, bien qu’il fût vainqueur en réalité. Car il a été cloué à la croix et de cette croix qui était son gibet, il a vaincu le diable, et est devenu notre roi. Comment donc est-il prêtre? Parce qu’il s’est offert pour nous. Donnez au prêtre de quoi offrir. Mais, hélas! où l’homme trouvera-t-il une victime pure qu’il puisse offrir? Quelle victime? Que peut offrir de pur un pécheur? Homme d’iniquité, impie, tout ce que tu offres est impur, et il faut offrir pour toi une hostie sans tache. Cherche en toi de quoi offrir, tu ne trouveras rien. Cherche ce que tu offrirais de toi-même : ni béliers, ni boucs, ni taureaux ne sont agréables à Dieu. Tout lui appartient quand même tu n’offrirais rien. Offre-lui donc une hostie pure. Mais tu es pécheur, tu es impie, ta conscience est souillée, Peut-être qu’une fois purifié, tu pourras offrir à Dieu une hostie pure; mais pour devenir pur, il faut offrir une victime pour toi. Que vas-tu donc offrir, afin d’être pur? Et situ es pur, tu pourras offrir une hostie pure. Que le prêtre sans tache s’offre donc lui-même afin de te purifier. C’est là ce qu’a fait le Christ. Il n’a trouvé dans les hommes rien de pur qu’il pût offrir pour les hommes, et il s’est offert comme une victime sans tache. Bienheureuse victime, véritable victime, victime sans tache. Ce n’est donc point ce qu’il a pris en nous qu’il a offert, ou plutôt il a offert ce qu’il tenait de nous, mais il l’a offert purifié. Car c’est cette même chair qu’il tenait de nous qu’il a bien voulu offrir. Mais où l’avait-il prise? Dans le sein de la Vierge Marie, afin d’offrir cette chair pure, pour ceux qui étaient impurs. IL est donc roi, il est prêtre, mettons en lui notre joie.

 

1. I Rois, X, 1; XVI, 13. — 2. Exod. XXX, 30.

 

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7. « Qu’ils chantent son nom en choeur 1 ». Que signifient ces choeurs? Il en est beaucoup pour connaître ces choeurs, et comme nous parlons dans une ville, tous les connaissent. On appelle choeur l’accord de plusieurs voix. Si nous chantons en choeur, chantons en accord. Dans un concert, toute voix discordante blesse l’oreille et trouble le choeur. Mais si un ton de voix en désaccord trouble ainsi un concert, que fera l’hérésie discordante au milieu de ceux qui louent le Seigneur? Or, le concert du Christ, c’est le monde entier, et ce concert du Christ résonne de l’Orient et de l’Occident. Voyons si le choeur du Christ a une telle étendue. Il est dit dans un autre psaume: « Du lever du soleil à son coucher, louez le nom du Seigneur 2. Qu’ils chantent son nom en chœur ».

8. « Qu’ils chantent ses louanges au son du tambour et du psaltérion ». Pourquoi choisir ici le tambour et le psaltérion? Afin qu’on ne loue pas Dieu de la voix seulement, mais aussi par les oeuvres. Chanter sur le tambour ou sur le psaltérion, c’est joindre la main àla voix. De même pour toi, lorsque tu chantes l’Alleluia, si ta main donne le pain à celui qui a faim, revêt celui qui est nu, donne l’hospitalité à l’étranger, alors ta voix n’est point seule pour chanter, ta main chante aussi, l’action est en accord avec les paroles. Tu as pris la harpe en main, et les doigts et la langue sont en harmonie. Ne passons pas sous silence la signification mystérieuse du tambour et du psaltérion. Le tambour est formé d’une peau tendue, le psaltérion de cordes tendues aussi. L’un et l’autre de ces instruments désignent la chair crucifiée. Il chantait admirablement sur le tambour et sur le psaltérion, celui qui disait: « Le monde est crucifié pour moi, et moi pour le monde 3 ». Or, il l’engage à prendre le psaltérion et le tambour, celui qui aime le cantique nouveau, et qui te donne cette leçon: « Si quelqu’un veut être mon disciple, qu’il renonce à soi-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive 4 ». Qu’il ne quitte point le psaltérion, ne quitte point le tambour, qu’il s’étende sur le bois et dessèche la convoitise de la chair. Plus les cordes sont tendues, plus le son en est aigu. Que dit saint Paul, afin de

 

1. Ps. CXLIX, 3. — 2. Id. CXII, 3. — 3. Gal. VI, 14. — 4. Matth. XVI, 24.

 

rendre un son plus aigu sur le psaltérion? « J’oublie ce qui est en arrière, je m’étends vers ce qui est devant moi, poursuivant la palme de la vocation éternelle 1 ». L’Apôtre s’étendait pour ainsi dire, et sous le doigt du Christ il rendait le son harmonieux de la vérité. « Chantez ses louanges sur le psaltérion et sur le tambour ».

9. « Parce que le Seigneur a traité son peuple favorablement ».Quel!e plus grande faveur que de mourir pour les impies? Quelle plus grande faveur que d’effacer par un sang juste l’arrêt qui condamne le pécheur? Quelle plus grande faveur que de dire : je ne considère plus ce que vous avez été, soyez ce que vous n’étiez pas? « Le Seigneur a comblé de faveurs son peuple », par la rémission des péchés, par la promesse de la vie éternelle : il le comble de faveurs en rappelant celui qui s’éloigne, en soutenant celui qui combat, en couronnant celui qui triomphe. « Il  a comblé son peuple de faveurs, et il glorifiera les humbles par le salut ». Il est vrai que les orgueilleux se glorifient aussi, mais ce n’est point par le salut. Les humbles s’élèvent donc pour le salut, les orgueilleux pour la mort, c’est-à-dire que les orgueilleux s’élèvent et que le Seigneur les humilie, que les humbles s’humilient et que Dieu les élève. « Il glorifie les humbles pour leur salut ».

10. « Les saints tressailliront dans la gloire 2». Je voudrais vous dire un mot de la gloire des saints, redoublez d’attention. Il n’est personne, en effet, qui n’aime la gloire. Cette gloire mène des insensés, qu’on appelle gloire populaire, a ses charmes qui nous trompent; chacun s’éprend de ces louanges futiles des hommes au point de vouloir vivre de manière à mériter les applaudissements, peu importe d’où ils lui viennent et de quelle manière. De là ces hommes pris de vertige, enflés d’orgueil, vides à l’intérieur, bouffis extérieurement, qui perdent volontairement ce qu’ils possèdent, en le donnant à des comédiens, à des histrions, à des chasseurs, à des cochers. Quels dons! quelles dépenses! Consumer ainsi non seulement les richesses du patrimoine, mais les richesses de l’âme! Mais ils n’ont que du mépris pour le pauvre, parce que le peuple n’applaudit point quand il reçoit l’aumône; tandis qu’il applaudit quand on donne à un

 

1. Philipp. III, 13, 14. — 2. Ps. CXLIX, 5.

 

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chasseur. Ils ne donneront donc rien s’ils ne sont applaudis; que les fous applaudissent, et les voilà fous eux-mêmes; oui, tous également fous, et celui qui se donne en spectacle, et celui qui regarde, et celui qui donne. C’est bien cette gloire folle que condamne le Seigneur, qui est odieuse aux yeux du Tout-Puissant. Et toutefois, mes frères, le Christ ne laisse pas de faire aux siens ce reproche : J’ai moins reçu de vous que n’ont reçu des chasseurs, et pour leur donner, vous avez pris ce qui m’appartenait : « Pour moi, j’étais nu, et vous ne na’avez point revêtu ». Mais eux: « Quand, Seigneur, vous avons nous vu sans habits, et ne vous avons-nous point revêtu 1? » Mais lui : « Quand vous l’avez refusé au moindre des miens, c’est à moi que vous l’avez refusé». Mais tu n’as voulu revêtir que celui qui te plaît. En quoi donc le Christ a-t-il pu te déplaire? Tu veux revêtir un athlète, qui te fera rougir s’il est vaincu; tandis que le Christ n’est jamais vaincu; c’est lui qui a vaincu le diable, vaincu à la place, vaincu pour toi, vaincu en toi. Voilà le vainqueur que tu ne veux point revêtir. Pourquoi? Parce qu’on t’applaudit moins, parce qu’il y a moins de folles clameurs. De là vient, mes frères, que ceux qui se repaissent d’une telle joie n’ont rien dans la conscience. Comme ils épuisent leurs coffres, en donnant des vêtements, ils épuisent leur conscience, de manière à n’y rien conserver de précieux.

11. Quant aux saints qui tressaillent dans la gloire, il n’est point nécessaire que nous parlions de leur joie : écoutez seulement le verset qui suit : « Les saints tressailliront dans la gloire, leur allégresse éclatera dans le lieu du repos » ; non point dans les théâtres ou dans les amphithéâtres, non point dans les cirques, non point dans les folies, non point hors d’eux-mêmes; mais dans le lieu de leur repos. Qu’est-ce à dire, « dans le lieu de leur repos? » dans leurs coeurs. Ecoutez comme l’Apôtre se réjouit dans le lieu de son repos : « Toute notre gloire, la voici, le témoignage de notre conscience 2 ». Il est à craindre néanmoins que tel homme ne muette sa confiance en lui-même, et ne s’élève avec orgueil dans sa propre confiance. Chacun doit tressaillir avec crainte 3, parce que le don de Dieu qui fait sa joie ne  vient point de ses propres mérites. Il en est beaucoup qui se

 

1. Matth. XXIV, 43-45. — 2. II Cor. I, 12. — 3. Ps. II, 11.

 

complaisent en eux-mêmes, et se croient justes; or, voici contre eux une autre page des Ecritures: « Qui peut se glorifier de posséder la pureté du coeur; ou qui osera se vanter d’être exempt de péchés 1 ? » Il est donc une certaine manière de nous applaudir dans notre conscience, c’est quand tu reconnaîtras que ta joie est pure, que ton espérance est certaine, que ta charité est sans dissimulation. Mais comme il est en nous bien d’autres points capables d’offenser Dieu, bénis le Dieu qui t’a gratifié de ces vertus, et qui alors perfectionnera ce qu’il a commencé. Aussi, après avoir dit: « Ils tressailliront dans le lieu de leur repos », le Prophète semble craindre qu’ils ne mettent leur complaisance en eux-mêmes, et il ajoute aussitôt : « Les jubilations de Dieu seront dans leur bouche 2 ». Ils tressailliront dès lors dans leurs lits de repos, non point de manière à s’arroger le bien qui est en eux, mais de manière à louer celui de qui ils ont reçu d’être ce qu’ils sont, qui les appelle à être ce qu’ils ne sont point encore, de qui seul ils attendent la perfection, qu’ils remercient de ce qu’il a commencé en eux. « Les jubilations de Dieu seront dans leur bouche ». Voyez maintenant les saints, voyez leur gloire, voyez dans le monde entier, voyez que les jubilations de Dieu sont dans leur bouche.

12. « Et dans leurs mains des framées à deux tranchants ». On appelle framée ce que nous appelons vulgairement spatule. Il y a, en effet, des glaives qui n’ont qu’un tranchant : tels sont les sabres. Mais la framée, qui se nomme aussi espadon et spatule, est une épée à double tranchant et renferme un grand mystère. « Les framées qui sont dans leurs mains sont aiguisées des deux parts ».  Par ces framées à deux tranchants nous entendons la parole de Dieu; or, cette framée est unique, mais on la met ici au pluriel, parce qu’il y a plusieurs langues et plusieurs bouches des saints. La parole de Dieu est donc un glaive à deux tranchants 3. Pourquoi deux tranchants? Parce qu’elle se prononce et sur les choses temporelles, et sur les choses éternelles parce qu’elle montre dans les unes et dans les autres qu’elle dit la vérité et qu’elle sépare du monde celui qu’elle frappe. N’est-ce point là ce glaive dont le Seigneur a dit : « Je ne suis point venu apporter la paix, mais

 

1. Prov. XX. 9. — 2. Ps. CXLIX, 6. — 3. Hébr. IV, 12.

 

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le glaive 1». Considère comme il est venu disjoindre , comme il est venu séparer. Il sépare les saints, il sépare les impies, il sépare de toi tout ce qui est un obstacle. Tel fils veut servir Dieu, son père l’en empêche vient le glaive de Dieu, vient la parole de Dieu, qui sépare le fils du père. Telle fille veut, sa mère ne veut point, le glaive les sépare mutuellement. Telle bru veut, sa belle-mère ne veut point, apportez le glaive à deux tranchants, qu’il vous donne des promesses pour la vie présente, et des promesses pour la vie éternelle, le soulagement par les biens de la terre, la jouissance des biens de l’éternité. Voilà le glaive tranchant des deux côtés, promettant les biens du temps elles biens de l’éternité. En quoi nous a-t-il trompés? L’Eglise de Dieu n’était-elle point jadis dans le monde entier ? Elle y est maintenant. Autrefois on la lisait dans les livres, on ne la voyait pas : on la voit aujourd’hui, comme on la lit dans les promesses. Tout ce qui nous est promis selon le temps regarde l’un des tranchants du glaive ; tout ce qui est de l’éternité regarde l’autre tranchant. Tu as donc l’espérance des biens futurs, comme tu as la consolation dans les biens présents, ne te laisse point aller à celui qui veut te retirer de Dieu; ni père, ni mère, ni soeur, ni épouse, ni ami, que nul ne te retire de Dieu ; et alors le glaive à deux tranchants te sera avantageux. C’est pour ton bien qu’il te sépare, et t’attacher trop serait ton mal. Notre-Seigneur est donc venu avec un glaive à double tranchant, promettant les biens éternels, accomplissant les promesses temporelles. De là viennent en effet, ce que nous appelons les deux Testaments. Qu’étaient donc « ces framées à deux tranchants, dans leurs mains? » Les deux Testaments sont un glaive à double tranchant. L’Ancien promet des biens terrestres, le Nouveau des biens éternels. Dans l’un et dans l’autre s’est vérifiée cette parole de Dieu : « comme un glaive à double tranchant ». Pourquoi est-il entre les mains, et non sur la langue? « Entre leurs mains », est-il dit, « sont des framées à double tranchant ». Entre leurs «nains signifie en leur puissance. Ils ont donc reçu la parole de Dieu, afin de la prêcher, et où ils voulaient, et à qui ils voulaient, sans craindre aucune puissance, et sans mépriser la pauvreté. Ils avaient en main

 

1. Matth. X, 31.

 

ce glaive dont ils frappaient, et qu’ils tournaient, qu’ils faisaient vibrer où ils voulaient; tout cela était au pouvoir des prédicateurs. Si cette parole n’était en leur pouvoir, on pourrait dire : Comment cette parole est-elle un glaive à deux tranchants, et comment se trouve-t-il entre leurs mains? Si donc cette parole n’est point entre leurs mains, comment est-il écrit : « Voilà que la parole de Dieu fut entre les mains du prophète Aggée 1? »Est-ce à dire, mes frères, que Dieu écrivit sa parole sur les doigts de ce Prophète? Que signifie dès lors entre ses mains? C’est-à-dire que la puissance lui fut donnée de prêcher la parole de Dieu. Enfin nous pourrions entendre encore d’une autre façon entre ses mains; car prêcher la parole de Dieu c’est l’avoir sur la langue, et l’écrire c’est l’avoir dans ses mains. « Et des glaives à double tranchant dans leurs mains ».

13. Vous voyez dès à présent, mes frères, comment les saints sont armés ; considérez aussi leurs exploits sacrés, leurs glorieux combats. Car s’il y a un général, il y a des soldats; s’il y a des soldats, il y a des ennemis ; s’il y a une guerre, il faut une victoire. Or, qu’ont fait ceux-ci avec les glaives à deux tranchants entre leurs mains ? C’était « pour tirer vengeance des nations 2 ». Voyez si les nations n’ont pas subi cette vengeance. Elle s’exerce chaque jour ; et c’est ce que nous faisons maintenant en vous parlant. Voyez comment nous taillons en pièces les nations de Babylone. On lui rend au double ce qu’elle a fait, selon cette parole : « Rendez-lui le double de ses victoires 3». Comment lui rendre au double, sinon parce que les saints tirent ces glaives à deux tranchants, et en foot des massacres, des meurtres, des séparations, et le paganisme s’éteint, et les idoles se brisent. Comment lui rendre au double? Pour elle, quand elle persécutait les chrétiens, elle tuait le corps, mais ne brisait pas Dieu ; maintenant on lui rend au double, puisque les païens s’éteignent et que les idoles sont brisées. Mais, diras-tu, comment sont tués les païens? Comment, sinon en devenant chrétiens? Je cherche le païen, et je ne le trouve plus, il est chrétien: donc le païen est mort en lui. S’ils ne sont tués de la sorte, comment fut-il dit à Pierre: « Tue et mange 4?» Comment donc mourut Saul le persécuteur, et comment se leva Paul

 

1. Aggée, I, 1. — 2. Ps. CXLIX, 7. — 3. Apoc. XVIII, 6.— 4. Act. X, 13.

 

305

 

le prédicateur. Je cherche Saul persécuteur, et ne le trouve plus, il est tué 1. Par quoi ? Par le glaive à deux tranchants. Mais parce qu’il a été tué en lui-même, il a été vivifié dans le Christ ; aussi dit-il avec confiance : « Je vis, non pas moi, mais c’est le Christ qui vit en moi 2». Ce qui lui est arrivé, Dieu le fait aux autres par lui ; car devenu prédicateur, lui-même prit en main le glaive à deux tranchants pour « tirer vengeance des nations ». Et de peur qu’on ne représente des hommes frappés par le fer, du sang répandu, des chairs meurtries, le Prophète continue on disant : « Et réprimer les peuples ». Qu’est-ce que réprimer ? C’est corriger. Usez donc, mes frères, de ce glaive à deux tranchants, qu’il ne demeure point oisif, Dieu vous l’a donné pour en user à votre manière. Un homme tel que toi adore encore les idoles ? Parle ainsi à ton ami, si toutefois il en reste encore quelqu’un à qui tu puisses adresser ce langage: Un homme tel que toi, peux-tu abandonner Dieu qui t’a fait pour adorer une idole que tu as construite? L’ouvrier n’est-il point préférable à son ouvrage? Or, tu rougirais d’adorer l’ouvrier, et tu ne rougis point d’adorer ce qu’il fait? Que tôn ami rougisse, qu’il soit touché de componction, c’est une blessure que ton glaive a faite ; tu as frappé au coeur; il mourra pour revivre. Entre leurs mains, des glaives à double tranchant, pour se venger des nations, et «redresser les peuples».

14. « Afin de mettre leurs rois dans les chaînes, et leurs princes dans des liens de fer, pour exercer contre eux le jugement prescrit 3 ». Nous avons exposé sans peine commuent la framée nous fait tomber pour nous relever, nous sépare pour nous rassembler, nous blesse pour nous guérir, nous tue pour nous faire vivre. Mais que faire maintenant? Comment expliquer : « Pour mettre leurs rois dans les chaînes ?» Il faut donner des entraves aux rois des nations, et des chaînes à leurs princes et même des liens de fer. Redoublez d’attention pour savoir ce que vous savez déjà, car ces paroles que nous expliquons sont obscures à la vérité, mais ce que nous devons en dire n’est pas nouveau. Vous le savez déjà, et sans rien apprendre de nouveau, vous n’avez qu’à vous souvenir. Le dessein de Dieu en rendant obscurs quelques

 

1. Act. IX, 4. — 2. Gal. II, 20. — 3. Ps. CXLIX, 8, 9.

 

versets, est moins dé nous en faire tirer une leçon nouvelle, que de nous rappeler par ces obscurités ce que nous savons déjà. Nous savons que les rois sont devenus chrétiens, que les princes des peuples ont embrasé la foi. Il y en a aujourd’hui, il y en eut autrefois, il y en aura encore, et les glaives à deux tranchants sont toujours dans les mains des saints. Comment donc entendre que les rois sont chargés de chaînes, et de liens de fer? Votre charité sait déjà, et les leçons fréquentes de l’Eglise dont vous êtes nourris vous omit appris que « Dieu a choisi dans le monde ce qui est faible pour confondre ce qui est fort ; il a choisi ce qui est fou selon le monde pou r confondre ce qui est fort, et ce qui n’est rien comme ce qui est quelque chose, pour détruire ce qui est ». Voici cri effet ce que dit l’Apôtre : « Voyez, mes frères, ceux d’entre vous qui sont appelés; il en est peu de sages selon la chair, peu de puissants, peu de nobles ; mais Dieu a choisi ce qui est fou selon le monde, ce qui est infirme selon le monde, pour confondre ce qui est fort; Dieu a choisi ce qui est vil et méprisable, et ce qui n’est rien comme ce qui est quelque chose, pour détruire ce qui est 1». Jésus-Christ notre Dieu est venu pour le bien de tous ; mais il s’est servi d’un pêcheur pour le bien des empereurs, et non d’un empereur pour le bien d’un pêcheur ; et il a choisi des hommes sans aucune importance dans le monde. Il les a remplis de l’Esprit-Saint, leur a donné le glaive à double tranchant et leur a commandé de parcourir l’univers entier en prêchant l’Evangile 2. A l’instant le monde frémit de rage, le lion se leva contre l’agneau, et l’agneau fut plus fort que le lion. Le lion sévit et fut vaincu, l’agneau souffrit et fut vainqueur. Pénétrés de crainte, les hommes se convertirent au Christ, et les rois et les grands du monde s’étonnèrent à la vue des miracles, se troublèrent à l’accomplissement des prophéties, et virent avec stupeur le genre humain accourir au seul nom du Christ. Que faire alors? Beaucoup renoncèrent à toute grandeur, laissèrent leurs palais, et distribuèrent leurs biens aux pauvres pour courir à la perfection. Car le Seigneur disait à l’un de ces imparfaits: « Si vous voulez être parfait, allez vendre ce que vous possédez et en donnez le bien aux pauvres, puis venez

 

1. I Cor. I, 26-28. — 2. Matth. XXVIII, 19.

 

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et suivez-moi, et vous aurez un trésor dans le ciel 1 ». Voilà ce qu’ont fait plusieurs grands du monde; mais ils n’ont abjuré toute grandeur mondaine, que pour embrasser la pauvreté d’ici-bas et la noblesse du Christ. D’autres, et en grand nombre, conservent leur noblesse, conservent la puissance royale, et n’en sont pas moins chrétiens. Ils sont alors comme dans les entraves, et dans les chaînes de fer. Comment cela ? Ils se sont imposé des liens, liens de la sagesse, liens de la parole de Dieu, jour s’interdire tout ce qui est illicite.

15. Pourquoi donc des liens de fer, non des chaînes d’or? Tant qu’il y a crainte, ils sont de fer ; qu’il y ait amour et ils seront d’or. Que votre charité veuille bien m’écouter. Vous venez d’entendre ces paroles de saint Jean: « La crainte n’est point dans la charité, mais la charité parfaite bannit toute crainte, parce que la crainte contient une peine  2». Voilà le lien de fer. Et néanmoins, si l’homme ne commence à servir Dieu par crainte, il n’arrive pas à l’amour. « Craindre Dieu est le commencement de la sagesse 3 ». La sagesse commence donc par les liens de fer pour arriver au collier d’or; car il est dit : « Mets ton cou dans son collier d’or 4 ». Mais tu n’arriveras point à ce collier d’or, si tout d’abord tu ne mets tes pieds dans ses chaînes de fer. A commencer par la crainte, on finit par la sagesse. Combien en est-il qui n’osent faire le mal, parce qu’ils craignent l’enfer, parce qu’ils redoutent les tourments, et non parce qu’ils aiment la justice? Qu’on leur promette l’impunité, qu’on leur dise: Faites en pleine sécurité ce qu’il vous plaira; et alors ils se jetteront avec frénésie dans tous les crimes. Ce qui serait plus vrai des rois et des princes, à qui l’on ne saurait dire facilement:

Qu’avez-vous fait ? Pour l’homme pauvre, en effet, quand même il ne craindrait pas Dieu, comme il n’a nulle force, nulle puissance pour échapper au supplice qu’il a pu mériter, il s’abstient par la crainte des hommes, sinon par la crainte de Dieu. Quant aux puissants du monde, aux rois, aux grands, qu’ont-ils à craindre, s’ils ne craignent Dieu ? Mais on leur prêche, on les frappe du glaive à double tranchant ; on leur dit qu’il est un Dieu, pour mettre les uns à sa droite, les autres à sa gauche, pour dire à ceux de gauche : « Allez

 

1. Matth. XIX, 21. — 2. I Jean, IV, 18. — 3. Ps. CX, 10. — 4. Eccli. VI, 25.

 

au feu éternel, qui a été préparé au diable et à ses anges 1 ». Sans aimer encore la justice, ils redoutent le châtiment, et la crainte du châtiment devient une entrave, et ces liens de fer les redressent. Voilà que vient à nous quelque grand du monde, qui aura reçu quel. ques outrages de sa femme, ou qui en aura convoité une plus belle, une plus riche; il voudrait se séparer de sa femme et n’ose le faire. Il entend un serviteur de Dieu, il entend le Prophète, il entend l’Apôtre, et il s’abstient: il entend celui qui tient en main le glaive à deux tranchants, qui lui dit : Arrête, cela n’est point permis, Dieu ne te permet point de quitter ta femme, si ce n’est pour cause d’adultère 2. Voilà ce qu’il entend, et la crainte le retient. Son pied trop léger chancelait déjà, il est retenu par les entraves. « Voilà une chaîne de fer, la crainte de Dieu ». On lui dit : Dieu te damnera, si tu le fais; il est souverain juge de tous, il entend les gémissements de ton épouse, et tu seras coupable à ses yeux. Le voilà entre l’amorce de la convoitise, et la crainte du châtiment. Il eût -cédé à ses coupables désirs, s’il n’eût été retenu par sa chaîne de fer. Mais plus encore, Voilà cet homme qui nous dit: Je veux vivre dans la continence, je ne veux plus d’épouse. Impossible. Que faire, situ le veux, quand ta femme ne le veut point? Ta continence doit-elle donc la jeter dans l’adultère? Car elle est adultère, si de ton vivant elle passe à un autre. Or, Dieu vomis empêche de compenser un si grand mal par un lei gain. Rends le devoir, et si tu ne l’exiges point, tu n’es pas moins tenu de le rendre. Dieu te tiendra compte comme d’un acte de sainteté parfaite, situ rends à ton épouse le devoir sans l’exiger d’elle. Tu crains et tu ne le fais pas, tu secoues tes chaînes ; mais elles sont des chaînes de fer, écoute bien : « Es-tu lié à une femme? ne cherche pas à te délier 3 ». Voilà une chaîne dure, une chaîne de fer. Une parole du Seigneur va nous montrer aussi que c’est un lien de fer. Ecoutez cette parole, ô jeunes gens, oui ce- sont des liens de fer, n’y engagez pas vos pieds; si vous les y engagez, vous vous trouverez à l’étroit dans ces entraves. Le mains de l’évêque viennent encore les resserrer davantage. N’est-ce pas l’Eglise que fuient les prisonniers, et dans l’Eglise ils recouvrent la liberté? On y voit venir des maris

 

1.Matth. XXV, 41. — 2. Id. V, 22. — 3. I Cor. VII, 3, 27, 39.

 

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qui voudraient laisser leurs épouses; mais on resserre leurs chaînes, on ne les brise jamais:

« Que l’homme ne sépare pas ce que Dieu a joint 1 ». Mais ces chaînes sont dures. Qui l’ignore? Les Apôtres ont déploré cette dureté en s’écriant : « Si telle est la condition de l’homme avec sa femme, il n’est pas avantageux de se marier 2 ». Si ces chaînes sont de fer, il n’est pas besoin d’y engager ses pieds. Et le Seigneur : « Tous n’entendent pas cette parole; que celui qui peut entendre, entende 3». Es-tu lié à une femme? ne cherche pas à te délier, parce que ces liens sont de fer. N’es-tu pas lié à une femme? ne cherche pas d’épouse 4; ne t’engage pas dans des entraves de fer.

16. « Afin d’accomplir sur eux le jugement

 

1. Matth. XIX, 6. —  2. Id. 10. — 3. Id. 11. — 4. I Cor, VII, 27.

 

prescrit». C’est là le jugement que les saints accomplissent dans toutes les nations. Pourquoi « prescrit?» Parce que tout cela fut prédit autrefois, et s’accomplit maintenant. On fait maintenant ce qu’on lisait jadis, et qu’on ne sait pas. Le Prophète conclut aussi : « Telle est la gloire que Dieu destine à tous les saints ». C’est ainsi que les saints agissent dans le monde entier, parmi les nations, ainsi qu’ils sont élevés en gloire, ainsi qu’ils chantent le Seigneur par leurs voix, ainsi qu’ils tressaillent dans leurs lits de repos, ainsi qu’ils tressaillent dans leur gloire, ainsi qu’ils sont élevés dans leur salut, ainsi qu’ils chantent le cantique nouveau, ainsi qu’ils chantent l’alleluia, de la voix, du coeur et par leur vie. Ainsi-soit-il

DISCOURS SUR LE PSAUME CL.
LA LOUANGE DE DIEU DANS SES SAINTS.
 

Les psaumes sont au nombre de cent-cinquante; or, ce chiffre, dans l’ordre des unités, donne quinze formé de sept et de huit. Sept nous rappelle la semaine sabbatique de l’Ancien Testament, et le huitième jour est celui de la résurrection, ou du Nouveau Testament. Cinquante se compose d’une semaine de semaines, plus l’unité, et ce fut le cinquantième jour après la résurrection que descendit l’Esprit-Saint, désigné par le nombre sept. Les cent cinquante-trois poissons nous montreraient dans trois le diviseur de cinquante. En décomposant dix-sept en autant de nombres que l’on additionne ensemble on arrive à cent cinquante-trois. Or, dix-sept est composé de dix, le décalogue, et de sept, la figure du Saint-Esprit. La division en cinq livres est peu fondée. Cette parole : « Il est écrit au commencement du livre », désignerait ou le livre des Ecritures, au commencement duquel nous lisons : « Ils seront deux dans une même chair », mystère du Christ et de l’Eglise ; ou le livre des Psaumes, dont le premier regarde le Christ. La division en trois livres de cinquante psaumes chacun, nous montre la pénitence dans le cinquantième psaume, la miséricorde et la justice dans le centième, et la louange de Dieu dans ses saints, c’est le psaume cent cinquantième. C’est la voie du ciel, puisque Dieu nous appelle par la pénitence, nous justifie par la miséricorde, puis nous admet dans la vie éternelle pour chanter ses louanges.

Les saints en qui Dieu est glorifié, sont la justice, la puissance, et la grandeur de Dieu, en ce sens qu’ils font connaître ces divins attributs. Louer Dieu avec la flûte, c’est le louer d’une manière éclatante; sur les instruments à cordes, par les bouses oeuvres; sur le tambour, dans la mortification de la chair; sur les cymbales, dans les louanges des saints qui rejaillissent sur Dieu. Les trois genres de musique se retrouvent dans les saints.

 

1. Bien que Dieu ne m’ait point encore fait la grâce de me révéler tous les grands mystères que me paraît contenir l’ordre des psaumes; bien que la faiblesse de mon esprit n’en ait point pénétré toute la profondeur; néanmoins, comme ils sont renfermés dans le nombre de cent cinquante, ce nombre nous insinue quelque mystère que je voudrais vous exposer sans témérité et selon qu’il plaira à Dieu de me secourir. D’abord le nombre quinze est multiple de cent cinquante (car dans l’ordre des unités, il est le même que cent cinquante dans l’ordre des dizaines, puisque quinze multiplié par dix donne cent cinquante : le même que mille cinq cents dans l’ordre des centaines, ou quinze (308) multiplié par cent; le même que quinze mille dans l’ordre des mille, ou quinze multiplié par mille), le nombre de quinze nous marque donc l’accord des deux Testaments. Dans l’un, en effet, l’on observe le sabbat au jour du repos 1; dans l’autre, le dimanche, qui signifie jour de résurrection. Or, le sabbat est le septième jour; le dimanche qui vient après le septième jour, que peut-il être sinon le huitième, et en même temps le premier? On l’appelle aussi le premier jour du sabbat 2, de manière à compter ensuite le second, le troisième, et ainsi de suite jusqu’au septième qui est le sabbat. Mais à partir du dimanche, jusqu’au dimanche, nous nous trouvons au huitième jour, auquel fut révélé ce Nouveau Testament qui était caché dans l‘Ancien, sous les promesses terrestres. Or, sept et huit font quinze. Tel est le nombre des psaumes appelés Cantiques des degrés, parce que tel était le nombre des degrés du temple. Le nombre de cinquante renferme aussi en lui-même un grand mystère, puisqu’il se compose d’une semaine de semaines, auxquelles on ajoute l’unité qui serait comme le huitième et formerait cinquante; sept fois sept font en effet quarante-neuf, et nous avons cinquante en y ajoutant l’unité. Or, ce nombre de cinquante a une signification tellement mystérieuse, q ne ce fut le cinquantième jour après la résurrection du Christ, que le Saint-Esprit descendit sur les disciples assemblés en son nom 3. De plus, l’Esprit- Saint est désigné par le nombre sept dans les Ecritures, soit dans Isaïe, soit dans l’Apocalypse, où nous trouvons clairement les sept esprits de Dieu, à cause des sept opérations de ce même Esprit. Le prophète lsaïe nous parle ainsi de ces sept opérations « L’Esprit de Dieu se reposera sur lui; Esprit de sagesse et d’intelligence, Esprit de conseil et de force, Esprit de science et de piété, Esprit de crainte du Seigneur 4 ». Et pat cette crainte, il faut entendre la crainte chaste, qui demeure dans le siècle des siècles 5, Quant à la crainte servile, elle est bannie par la charité parfaite 6 : celle-ci nous affranchit de manière que nous ne fassions point de ces oeuvres serviles que proscrit le sabbat. Or, la charité est répandue dans nos coeurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné 7 . C’est donc l’Esprit-Saint que désigne le nombre sept.

 

1. Exod. XX, 10. — 2. Marc, XVI, 2. — 3. Act, II, 1 4. — 4. Isaï. XI, 2,3. — 5. Ps. XVII, 10. — 6. I  Jean, IV, 18.— 7. Rom. V, 5.

 

Mais le Seigneur a lui-même divisé le nombre cinquante en quarante et en dix i; puisque c’est le quarantième jour après sa résurrection qu’il monta au ciel 2, puis dix jours après qu’il envoya le Saint-Esprit, désignant ainsi par le nombre quarante son passage en cette vie temporelle. Le nombre quatre est en effet le nombre qui prévaut dans quarante; or, il y a quatre parties dans le monde comme dans l’année, et en y ajoutant dix comme le denier qui doit récompenser les oeuvres de la loi, nous trouvons la figure de l’éternité. En multipliant cinquante par trois, et pour ainsi dire par la trinité, nous arrivons à cent cinquante, nombre qui n’est point sans raison celui de nos psaumes. Dans ce nombre de poissons pris dans les filets des Apôtres après la résurrection, l’Evangile ajoute le nombre de trois à celui de cent cinquante 3, pour nous montrer, ce semble, en combien de portions nous devons partager ce nombre de manière à trouver trois fois cinquante. On pourrait néanmoins trouver dans ce nombre une raison plus subtile et plus agréable, c’est-à-dire que si nous décomposons dix-sept, de manière que tom les nombres depuis un jusqu’à dix-sept soient additionnés ensemble, nous arrivons encore à ce nombre de cent cinquante trois. Or, le nombre dix désigne la loi, et celui de sept désigne la grâce; puisque la loi n’est accomplie que par la charité répandue dans nos coeurs par ce même Esprit que représente le nombre sept.

2. Quant à ceux qui ont divisé les psaumes en cinq livres, ils ont suivi en cela l’indication des psaumes qui finissent par ces mots: Fiat, fiat 4. Mais quand j’ai voulu pénétrer les raisons de cette division, je n’ai pu y par. venir; parce que ces cinq parties ne sont point égales entre elles, ni par la quantité de la matière, ni même par le nombre des psaumes, qui serait alors de trente. Et si chacun de ces cinq livres doit se terminer par fiat, fiat, on pourrait avec raison demander pourquoi le dernier de tous ne finit pas de même. Pour nous, conformément à l’autorité canonique des saintes Ecritures, où nous lisons: « Il est écrit dans le livre des Psaumes 3 », nous ne reconnaissons qu’un livre des psaumes. Je comprends que ce sentiment soit le

 

1. Act. II, 3. — 2. Id. 1. — 3. Jean, XXI, 11. — 4. Ps. XL, LXXI, LXXXVIII et CV. — 5. Act. I, 20.

 

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véritable, et comment l’autre pourrait l’être aussi, sans qu’il y eût contradiction. D’après la coutume des Ecritures des Hébreux, il est possible, en effet, qu’un livre divisé en plusieurs autres, ne soit regardé que comme un seul; ainsi on ne parle que d’une Eglise, bien qu’elle soit divisée en plusieurs Eglises, et d’un ciel unique, bien qu’il soit composé de plusieurs. Il n’est pas à croire qu’en disant : « Mon secours vient du Seigneur qui a fait le ciel et la terre 1», le Prophète ait voulu omettre un des cieux. Et quand l’Ecriture nous dit: « Dieu donna au firmament le nom de ciel 2 »; quand elle assure qu’il y a des eaux au-dessus du firmament, c’est-à-dire du ciel, elle ne ment point, bien qu’elle dise ailleurs: « Et que toutes les eaux qui sont par-dessus les cieux louent le Seigneur 3»,  sans dire au-dessus du ciel. On dit aussi: la terre, bien qu’elle soit composée de plusieurs, et chaque jour nous disons indifféremment orbis terrae, ou orbis terrarum, le globe de la terre, ou le globe des terres. Quoique, dans le langage ordinaire, cette expression : « Il est écrit dans le livre des Psaumes », semble dire qu’il n’y a qu’un seul livre, néanmoins on peut répondre que cette manière de parler:

« dans le livre des Psaumes », signifie dans l‘un des cinq livres. Mais cette manière de parler est tellement inusitée, ou du moins tellement rare, que ce texte : « Comme il est écrit dans le livre des Prophètes 4 », a fait croire que les douze Prophètes ne forment qu’un seul livre. Il en est encore qui ne regardent que comme un livre unique tous les livres de l’Ecriture, parce qu’ils forment une admirable et divine unité, et. que cette parole : « Il est écrit, au commencement du u livre, que je dois faire votre volonté », doit nous faire comprendre que le Père a créé le monde par le Fils, puisque cette création est placée au commencement de toute Ecriture dans le livre de la Genèse. Ou plutôt parce que cette parole paraît une prophétie, rapportant moins les faits que prédisant l’avenir, puisqu’il n’est pas dit « que j’aie fait », mais « afin que je fasse », ou que je fisse votre volonté »; et dès lors cette parole devrait se rapporter à une autre parole consignée aussi dans les premières lignes du même livre: « Ils seront deux dans la même

 

1. Ps. CXX, 2.— 2. Gen. I, 7, 8. — 3. Ps. CXLVIII, 4, 5. — 4. Act. VII, 42. — 5. Ps. XXXIX, 8.

 

chair 1» ; profond mystère, selon l’Apôtre, dans le Christ et dans l’Eglise 2. On pourrait

voir encore le livre des Psaumes désigné dans cette parole : « Au commencement du livre,  il est écrit de moi que je fasse votre volonté ». Car on lit ensuite : « Mon Dieu, je l’ai voulu, votre loi est dans le milieu de mon coeur 3 ». Or, on voit une prophétie de Jésus-Christ dans le premier psaume placé à la tête du livre : « Bienheureux l’homme qui ne s’est point laissé aller au conseil des impies, qui ne s’est point arrêté dans le sentier des pécheurs, ni assis dans la chair de pestilence, mais dont la volonté s’affermit dans la loi du Seigneur, et qui méditera cette loi le jour et la nuit 4 ». Ce qui reviendrait à cette parole : « Mon Dieu, je l’ai voulu, et  votre loi est au milieu de mon cœur ». Quant à cette autre parole : « J’ai annoncé votre justice dans une grande assemblée 5», elle se rapporte naturellement à celle-ci : « Ils seront deux dans une même chair 6».

3. Que l’on prenne dans l’un ou dans l’autre sens cette expression: « Au commencement du livre », ce livre des psaumes, divisé en trois parties, de cinquante chacune, me paraît marquer de grands mystères, si l’on consulte bien chaque psaume cinquantième. Je ne saurais croire, en effet, que ce soit sans raison que le cinquantième soit tira psaume de pénitence; le centième, de la miséricorde et de la justice; le cent cinquantième, de la louange de Dieu dans ses saints. Tulle est ers effet la voie que nous suivons, pour arriver à la vie éternelle et bienheureuse : d’abord la condamnation de nos péchés, ensuite la vie pure, en sorte que nous méritions par cette vie pure, et par la condamnation de nos fautes, la vie éternelle. C’est en effet d’après un arrêt profond de sa justice et de sa bonté, que Dieu a appelé ceux qu’il avait prédestinés, que ceux qu’il a appelés, il les a justifiés, et que ceux qu’il a justifiés, il les a glorifiés 7. Il est vrai, ce n’est point en nous-mêmes que s’est faite notre prédestination, mais eu lui-même et dans le secret de sa prescience. Pourtant, les trois autres faveurs, la vocation, la justification, et la vocation se font en nous. C’est la prédication de la pénitence qui nous appelle; car c’est ainsi que le Sauveur commence à prêcher son Evangile : « Faites

 

1. Gen II, 24. — 2. Ephés. V, 31, 32. — 3.  Ps. XXXIX, 8-10. — 4. Id. I, I, 2.— 5. Id. XXXIX, 8-10.— 6. Gen. II, 25.— 7. Rom. VIII, 30.

 

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pénitence, car le royaume des cieux est proche 1 ». Nous sommes justifiés en invoquant la miséricorde, et en craignant le jugement; de là cette parole : « Seigneur, sauvez-moi en votre nom, et jugez-moi dans votre puissance 2 ». Or, il ne craint point d’être jugé, celui qui a tout d’abord obtenu d’être sauvé. Notre vocation nous fait renoncer au diable par la pénitence, afin de ne plus demeurer sous son joug; après la justification, nous sommes guéris par la miséricorde, afin de ne plus craindre le jugement; et une fois glorifiés, nous passons àla vie éternelle, pour louer Dieu sans fin. C’est là ce que signifie, je crois, cette parole du Sauveur: « Voilà que je chasse les démons, et fais des guérisons aujourd’hui et demain, et au troisième jour je serai mis à mort 3»; ce qu’il figura aussi dans les trois jours de sa passion, de son sommeil, et de son réveil. Car il fut crucifié, il fut enseveli, il ressuscita. Il triompha sur la croix des princes et des puissances, se reposa dans le sépulcre et s’élança à sa résurrection. De même la pénitence nous met à la croix, la justice au repos, la vie éternelle dans la gloire. La pénitence dit : « Ayez pitié de moi, mon Dieu, selon la grandeur de votre miséricorde, et selon la multitude de vos bontés, effacez mes iniquités 4 ». Elle offre pour sacrifice à Dieu une âme brisée de douleur, un coeur contrit et humilié. C’est le Christ qui dit dans ses élus : « Seigneur, je chanterai votre miséricorde et votre jugement, je connaîtrai les voies de l’innocence quand vous viendrez  à moi 5 ». C’est la miséricorde, en effet, qui nous aide à faire les oeuvres de justice, afin d’arriver en toute sécurité au jugement, dans lequel seront bannis de la cité de Dieu ceux qui commettent l’iniquité 6. Le verset qui termine le psaume que nous allons expliquer est le cri de la vie éternelle.

4. « Louez le Seigneur dans ses saints»; dans ceux qu’il a glorifiés. « Louez-le dans le  firmament de sa puissance »; ou, comme d’autres ont traduit, « dans ses puissances ». « Louez-le selon ses infinies grandeurs 7 ». Toutes ces dénominations désignent les saints

de Dieu, selon cette parole de l’Apôtre : « Afin que nous devinssions en lui la justice de Dieu 8». Si donc ils sont la justice que

 

1. Matth. III, 2; IV, 17. — 2. Ps. LIII, 3.— 3. Luc, XIII, 32 — 4. Ps. L, 3.— 5. Id. C, 1; 2.—  6. Id. 8.— 7. Id. CL, 1, 2.— 8. II Cor. V, 21.

 

Dieu a opérée en eux, pourquoi ne seraient-ils pas aussi cette puissance que Dieu a exercée en eux, pour les ressusciter d’entre les morts? Car c’est dans la résurrection du Christ que sa puissance paraît avec le plus d’éclat; comme sa faiblesse parut en sa passion, ainsi que l’a dit l’Apôtre : « S’il a été crucifié selon la faiblesse de la chair, il est néanmoins vivant par la force de Dieu 1 ». Et ailleurs : « Afin » , dit-il, « que je connaisse Jésus-Christ, et la vertu de sa résurrection 2 ». Le Prophète a dit admirablement : « Dans le firmament de sa puissance ». C’est en effet le firmament de sa puissance de ne plus mourir, de n’être plus assujetti à la mort 3. Pourquoi ne pourrait-on appeler puissance de Dieu celle qu’il a déployée dans ses saints? Et même ce sont eux qui sont les puissances de Dieu, ainsi qu’il est écrit : « Nous sommes en lui la justice de Dieu 4». Quelle plus grande puissance que de régner éternellement, après avoir mis sous ses pieds tous ses ennemis? Pourquoi ses saints ne seraient-ils point aussi son infinie grandeur? Non point la grandeur qui le fait grand en lui-même, mais cette grandeur qui a fait la grandeur de tant de milliers de ses élus? De même, en effet, que l’on se fait une idée particulière de la justice 5, par laquelle Dieu est juste, on se fait une autre idée de celle qu’il forme en nous, afin que nous soyons sa justice.

5. Ces mêmes saints sont encore désignés dans tous ces instruments qui servent à la louange de Dieu. Ce que le Prophète a dit tout d’abord : « Louez le Seigneur dans ses saints », il le continue, en marquant les saints par différentes expressions.

6. « Louez-le au son de la flûte»; ce qui marque une louange éclatante. « Louez-le sur le psaltérion et sur la harpe 6». Le psaltérion fait résonner la louange de Dieu, par le haut de l’instrument, et la harpe le fait par le bas; c’est comme la louange dans les choses célestes, la louange dans les choses terrestres, comme le Dieu qui a fait le ciel et la terre. Déjà, en effet, dans un autre psaume, nous avons dit que le psaltérion a par le haut cette concavité sur laquelle on ajuste les cordes afin d’en tirer un son plus retentissant, tandis que dans la guitare cette concavité est en bas.

 

1. II Cor. XIII, 4. — 2. Philipp. III, 10. — 3. Rom. VI, 9, — 4. II Cor. V,      21.— 5.  Dan. VII, 10.— 6. Ps. CL, 3.

 

311

 

7. « Louez-le sur le tambour et au son des chœurs 1 ». Nous louons Dieu sur le tambour quand notre chair heureusement changée ne ressent plus rien de la faiblesse et de la corruption de la terre. On prend en effet pour le tambour une peau desséchée et durcie. Louer Dieu en choeur, c’est le bénir dans une société paisible. « Louez-le sur les cordes et sur l’orgue ». Comme nous l’avons dit plus haut, le psaltérion et la harpe sont des instruments à cordes. Quant à l’orgue, c’est le nom générique de tous les instruments de musique; bien que d’ordinaire on désigne plus particulièrement ainsi des instruments à soufflets, ce que je ne crois pas que l’on ait voulu indiquer ici. Car le mot organum désignant en général tous les instruments à soufflets, est un mot grec, et les Grecs avaient un autre nom pour ces instruments. Les appeler du nom d’orgues est donc une exigence latine, une exigence de la coutume. Cette expression dès lors : « sur les cordes et sur l’orgue», semble désigner un instrument pourvu de cordes. Or, ce n’est pas seulement le psaltérion et la harpe qui sont pourvus de cordes; nais de même que le psaltérion et ta harpe, qui résonnent soit d’en haut soit d’en bas, nous ont fait découvrir quelque mystère analogue à cette différence, de même nous devons chercher quelque analogie dans ces cordes qui nous désignent la chair, et la chair délivrée de la corruption. Peut-être le Prophète y joint-il ce mot d’orgue, non pour que chacune des cordes rende un son particulier, mais pour que la diversité des sons y produise la plus suave harmonie, comme il arrive dans l’orgue. Car les saints de Dieu auront même alors des différences entre eux, nais des différences harmonieuses, et non discordantes, c’est-à-dire des différences qui s’accordent sans se heurter aucunement; de même que des sons différents, mais non discordants, forment une heureuse harmonie. « Une étoile diffère en clarté d’une autre étoile; ainsi en sera-t-il à la résurrection des morts 2 ».

8. « Louez-le sur des cymbales retentissantes,

 

1. Ps. CL, 4.— 2. I Cor. XV, 41, 42.

 

louez-te sur les cymbales de la joie 1 ». Ce n’est qu’en frappant les cymbales que l’on produit des sons ; de là vient qu’on les a parfois comparées à nos lèvres. Mais il me semble qu’on leur donne un sens bien préférable en disant qu’on loue Dieu sur des cymbales, quand chaque fidèle est honoré par ses frères et non par lui-même, et que cet honneur mutuel devient pour Dieu une louange. Aussi, de peur, je crois, que la pensée ne s’arrête sur des cymbales qui résonnent sans âme, le Prophète ajoute : « cymbales de la jubilation » ; car la jubilation ou l’ineffable louange ne saurait venir que de l’âme. N’oublions pas toutefois que, au dire des musiciens et comme l’expérience le démontre, il y a trois sortes de sons, que produisent la voix, le souffle, l’impulsion; la voix, quand un homme chante sans le secours d’aucun instrument; le souffle, qui donne les sons de la flûte ou de quelque instrument semblable; et l’impulsion, comme dans la harpe ou tout ce qui lui ressemble. Le Prophète n’a donc oublié aucun son; il nous marque la voix dans les choeurs, le souffle dans la flûte, l’impulsion dans la harpe. Ce qui nous montrerait par comparaison et non par propriété, l’esprit, l’âme et le corps. Quand donc le Seigneur nous dit : « Louez le Seigneur dans ses saints », à qui s’adresse-t-il, sinon à eux-mêmes? Et en qui doivent-ils louer Dieu, sinon en eux-mêmes encore ? Car vous qui êtes ses saints, comme le dit le Prophète, vous êtes aussi sa vertu, mais la vertu qu’il a opérée en vous; vous êtes sa puissance, comme la multitude de sa grandeur, mais qu’il a opérée et fait paraître en vous vous êtes la trompette, le psaltérion, la harpe, le tambour, le choeur, les cordes, l’orgue et les cymbales de la jubilation, qui donnent des sons mélodieux ou des sons en accord. Vous êtes tout cela; que la pensée ne s’arrête à rien de vil, à rien de passager, à rien de futile. Et comme la sagesse de la chair est mortelle, « que tout esprit loue le Seigneur 2».

 

1. Ps. CL, 5. — 2. Ps. CL, 6.

PRIÈRE QUE SAINT AUGUSTIN AVAIT COUTUME DE FAIRE
APRÈS CHAQUE SERMON ET APRÈS CHAQUE TRAITÉ.
 

 

Adressons-nous au Père tout-puissant, à Dieu notre Seigneur, et d’un coeur pur autant que le permet notre faiblesse, rendons-lui les plus grandes et les plus sincères actions de grâces. Supplions de toute notre âme son infinie bonté de daigner écouter favorablement nos prières, d’éloigner par sa puissance notre ennemi de nos actions et de nos pensées, d’augmenter notre foi, de diriger notre esprit, d’y mettre des pensées spirituelles, et de nous conduire au bonheur qui est lui-même; par Jésus-Christ, son Fils, Notre-Seigneur, qui vit et règne comme Dieu, dans l’unité du Saint-Esprit, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il !

 

FIN DES DISCOURS DE SAINT AUGUSTIN SUR LES PSAUMES.
 
 
 
 

source: http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin/index.htm

www.JesusMarie.com oui ce- sont des liens de fer, n’y engagez pas vos pieds; si vous les y engagez, vous vous trouverez à l’étroit dans ces entraves. Le mains de l’évêque viennent encore les resserrer davantage. N’est-ce pas l’Eglise que fuient les prisonniers, et dans l’Eglise ils recouvrent la liberté? On y voit venir des maris

 

1.Matth. XXV, 41. — 2. Id. V, 22. — 3. I Cor. VII, 3, 27, 39.

 

307

 

qui voudraient laisser leurs épouses; mais on resserre leurs chaînes, on ne les brise jamais:

« Que l’homme ne sépare pas ce que Dieu a joint 1 ». Mais ces chaînes sont dures. Qui l’ignore? Les Apôtres ont déploré cette dureté en s’écriant : « Si telle est la condition de l’homme avec sa femme, il n’est pas avantageux de se marier 2 ». Si ces chaînes sont de fer, il n’est pas besoin d’y engager ses pieds. Et le Seigneur : « Tous n’entendent pas cette parole; que celui qui peut entendre, entende 3». Es-tu lié à une femme? ne cherche pas à te délier, parce que ces liens sont de fer. N’es-tu pas lié à une femme? ne cherche pas d’épouse 4; ne t’engage pas dans des entraves de fer.

16. « Afin d’accomplir sur eux le jugement

 

1. Matth. XIX, 6. —  2. Id. 10. — 3. Id. 11. — 4. I Cor, VII, 27.

 

prescrit». C’est là le jugement que les saints accomplissent dans toutes les nations. Pourquoi « prescrit?» Parce que tout cela fut prédit autrefois, et s’accomplit maintenant. On fait maintenant ce qu’on lisait jadis, et qu’on ne sait pas. Le Prophète conclut aussi : « Telle est la gloire que Dieu destine à tous les saints ». C’est ainsi que les saints agissent dans le monde entier, parmi les nations, ainsi qu’ils sont élevés en gloire, ainsi qu’ils chantent le Seigneur par leurs voix, ainsi qu’ils tressaillent dans leurs lits de repos, ainsi qu’ils tressaillent dans leur gloire, ainsi qu’ils sont élevés dans leur salut, ainsi qu’ils chantent le cantique nouveau, ainsi qu’ils chantent l’alleluia, de la voix, du coeur et par leur vie. Ainsi-soit-il

DISCOURS SUR LE PSAUME CL.
LA LOUANGE DE DIEU DANS SES SAINTS.
 

Les psaumes sont au nombre de cent-cinquante; or, ce chiffre, dans l’ordre des unités, donne quinze formé de sept et de huit. Sept nous rappelle la semaine sabbatique de l’Ancien Testament, et le huitième jour est celui de la résurrection, ou du Nouveau Testament. Cinquante se compose d’une semaine de semaines, plus l’unité, et ce fut le cinquantième jour après la résurrection que descendit l’Esprit-Saint, désigné par le nombre sept. Les cent cinquante-trois poissons nous montreraient dans trois le diviseur de cinquante. En décomposant dix-sept en autant de nombres que l’on additionne ensemble on arrive à cent cinquante-trois. Or, dix-sept est composé de dix, le décalogue, et de sept, la figure du Saint-Esprit. La division en cinq livres est peu fondée. Cette parole : « Il est écrit au commencement du livre », désignerait ou le livre des Ecritures, au commencement duquel nous lisons : « Ils seront deux dans une même chair », mystère du Christ et de l’Eglise ; ou le livre des Psaumes, dont le premier regarde le Christ. La division en trois livres de cinquante psaumes chacun, nous montre la pénitence dans le cinquantième psaume, la miséricorde et la justice dans le centième, et la louange de Dieu dans ses saints, c’est le psaume cent cinquantième. C’est la voie du ciel, puisque Dieu nous appelle par la pénitence, nous justifie par la miséricorde, puis nous admet dans la vie éternelle pour chanter ses louanges.

Les saints en qui Dieu est glorifié, sont la justice, la puissance, et la grandeur de Dieu, en ce sens qu’ils font connaître ces divins attributs. Louer Dieu avec la flûte, c’est le louer d’une manière éclatante; sur les instruments à cordes, par les bouses oeuvres; sur le tambour, dans la mortification de la chair; sur les cymbales, dans les louanges des saints qui rejaillissent sur Dieu. Les trois genres de musique se retrouvent dans les saints.

 

1. Bien que Dieu ne m’ait point encore fait la grâce de me révéler tous les grands mystères que me paraît contenir l’ordre des psaumes; bien que la faiblesse de mon esprit n’en ait point pénétré toute la profondeur; néanmoins, comme ils sont renfermés dans le nombre de cent cinquante, ce nombre nous insinue quelque mystère que je voudrais vous exposer sans témérité et selon qu’il plaira à Dieu de me secourir. D’abord le nombre quinze est multiple de cent cinquante (car dans l’ordre des unités, il est le même que cent cinquante dans l’ordre des dizaines, puisque quinze multiplié par dix donne cent cinquante : le même que mille cinq cents dans l’ordre des centaines, ou quinze (308) multiplié par cent; le même que quinze mille dans l’ordre des mille, ou quinze multiplié par mille), le nombre de quinze nous marque donc l’accord des deux Testaments. Dans l’un, en effet, l’on observe le sabbat au jour du repos 1; dans l’autre, le dimanche, qui signifie jour de résurrection. Or, le sabbat est le septième jour; le dimanche qui vient après le septième jour, que peut-il être sinon le huitième, et en même temps le premier? On l’appelle aussi le premier jour du sabbat 2, de manière à compter ensuite le second, le troisième, et ainsi de suite jusqu’au septième qui est le sabbat. Mais à partir du dimanche, jusqu’au dimanche, nous nous trouvons au huitième jour, auquel fut révélé ce Nouveau Testament qui était caché dans l‘Ancien, sous les promesses terrestres. Or, sept et huit font quinze. Tel est le nombre des psaumes appelés Cantiques des degrés, parce que tel était le nombre des degrés du temple. Le nombre de cinquante renferme aussi en lui-même un grand mystère, puisqu’il se compose d’une semaine de semaines, auxquelles on ajoute l’unité qui serait comme le huitième et formerait cinquante; sept fois sept font en effet quarante-neuf, et nous avons cinquante en y ajoutant l’unité. Or, ce nombre de cinquante a une signification tellement mystérieuse, q ne ce fut le cinquantième jour après la résurrection du Christ, que le Saint-Esprit descendit sur les disciples assemblés en son nom 3. De plus, l’Esprit- Saint est désigné par le nombre sept dans les Ecritures, soit dans Isaïe, soit dans l’Apocalypse, où nous trouvons clairement les sept esprits de Dieu, à cause des sept opérations de ce même Esprit. Le prophète lsaïe nous parle ainsi de ces sept opérations « L’Esprit de Dieu se reposera sur lui; Esprit de sagesse et d’intelligence, Esprit de conseil et de force, Esprit de science et de piété, Esprit de crainte du Seigneur 4 ». Et pat cette crainte, il faut entendre la crainte chaste, qui demeure dans le siècle des siècles 5, Quant à la crainte servile, elle est bannie par la charité parfaite 6 : celle-ci nous affranchit de manière que nous ne fassions point de ces oeuvres serviles que proscrit le sabbat. Or, la charité est répandue dans nos coeurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné 7 . C’est donc l’Esprit-Saint que désigne le nombre sept.

 

1. Exod. XX, 10. — 2. Marc, XVI, 2. — 3. Act, II, 1 4. — 4. Isaï. XI, 2,3. — 5. Ps. XVII, 10. — 6. I  Jean, IV, 18.— 7. Rom. V, 5.

 

Mais le Seigneur a lui-même divisé le nombre cinquante en quarante et en dix i; puisque c’est le quarantième jour après sa résurrection qu’il monta au ciel 2, puis dix jours après qu’il envoya le Saint-Esprit, désignant ainsi par le nombre quarante son passage en cette vie temporelle. Le nombre quatre est en effet le nombre qui prévaut dans quarante; or, il y a quatre parties dans le monde comme dans l’année, et en y ajoutant dix comme le denier qui doit récompenser les oeuvres de la loi, nous trouvons la figure de l’éternité. En multipliant cinquante par trois, et pour ainsi dire par la trinité, nous arrivons à cent cinquante, nombre qui n’est point sans raison celui de nos psaumes. Dans ce nombre de poissons pris dans les filets des Apôtres après la résurrection, l’Evangile ajoute le nombre de trois à celui de cent cinquante 3, pour nous montrer, ce semble, en combien de portions nous devons partager ce nombre de manière à trouver trois fois cinquante. On pourrait néanmoins trouver dans ce nombre une raison plus subtile et plus agréable, c’est-à-dire que si nous décomposons dix-sept, de manière que tom les nombres depuis un jusqu’à dix-sept soient additionnés ensemble, nous arrivons encore à ce nombre de cent cinquante trois. Or, le nombre dix désigne la loi, et celui de sept désigne la grâce; puisque la loi n’est accomplie que par la charité répandue dans nos coeurs par ce même Esprit que représente le nombre sept.

2. Quant à ceux qui ont divisé les psaumes en cinq livres, ils ont suivi en cela l’indication des psaumes qui finissent par ces mots: Fiat, fiat 4. Mais quand j’ai voulu pénétrer les raisons de cette division, je n’ai pu y par. venir; parce que ces cinq parties ne sont point égales entre elles, ni par la quantité de la matière, ni même par le nombre des psaumes, qui serait alors de trente. Et si chacun de ces cinq livres doit se terminer par fiat, fiat, on pourrait avec raison demander pourquoi le dernier de tous ne finit pas de même. Pour nous, conformément à l’autorité canonique des saintes Ecritures, où nous lisons: « Il est écrit dans le livre des Psaumes 3 », nous ne reconnaissons qu’un livre des psaumes. Je comprends que ce sentiment soit le

 

1. Act. II, 3. — 2. Id. 1. — 3. Jean, XXI, 11. — 4. Ps. XL, LXXI, LXXXVIII et CV. — 5. Act. I, 20.

 

309

 

véritable, et comment l’autre pourrait l’être aussi, sans qu’il y eût contradiction. D’après la coutume des Ecritures des Hébreux, il est possible, en effet, qu’un livre divisé en plusieurs autres, ne soit regardé que comme un seul; ainsi on ne parle que d’une Eglise, bien qu’elle soit divisée en plusieurs Eglises, et d’un ciel unique, bien qu’il soit composé de plusieurs. Il n’est pas à croire qu’en disant : « Mon secours vient du Seigneur qui a fait le ciel et la terre 1», le Prophète ait voulu omettre un des cieux. Et quand l’Ecriture nous dit: « Dieu donna au firmament le nom de ciel 2 »; quand elle assure qu’il y a des eaux au-dessus du firmament, c’est-à-dire du ciel, elle ne ment point, bien qu’elle dise ailleurs: « Et que toutes les eaux qui sont par-dessus les cieux louent le Seigneur 3»,  sans dire au-dessus du ciel. On dit aussi: la terre, bien qu’elle soit composée de plusieurs, et chaque jour nous disons indifféremment orbis terrae, ou orbis terrarum, le globe de la terre, ou le globe des terres. Quoique, dans le langage ordinaire, cette expression : « Il est écrit dans le livre des Psaumes », semble dire qu’il n’y a qu’un seul livre, néanmoins on peut répondre que cette manière de parler:

« dans le livre des Psaumes », signifie dans l‘un des cinq livres. Mais cette manière de parler est tellement inusitée, ou du moins tellement rare, que ce texte : « Comme il est écrit dans le livre des Prophètes 4 », a fait croire que les douze Prophètes ne forment qu’un seul livre. Il en est encore qui ne regardent que comme un livre unique tous les livres de l’Ecriture, parce qu’ils forment une admirable et divine unité, et. que cette parole : « Il est écrit, au commencement du u livre, que je dois faire votre volonté », doit nous faire comprendre que le Père a créé le monde par le Fils, puisque cette création est placée au commencement de toute Ecriture dans le livre de la Genèse. Ou plutôt parce que cette parole paraît une prophétie, rapportant moins les faits que prédisant l’avenir, puisqu’il n’est pas dit « que j’aie fait », mais « afin que je fasse », ou que je fisse votre volonté »; et dès lors cette parole devrait se rapporter à une autre parole consignée aussi dans les premières lignes du même livre: « Ils seront deux dans la même

 

1. Ps. CXX, 2.— 2. Gen. I, 7, 8. — 3. Ps. CXLVIII, 4, 5. — 4. Act. VII, 42. — 5. Ps. XXXIX, 8.

 

chair 1» ; profond mystère, selon l’Apôtre, dans le Christ et dans l’Eglise 2. On pourrait

voir encore le livre des Psaumes désigné dans cette parole : « Au commencement du livre,  il est écrit de moi que je fasse votre volonté ». Car on lit ensuite : « Mon Dieu, je l’ai voulu, votre loi est dans le milieu de mon coeur 3 ». Or, on voit une prophétie de Jésus-Christ dans le premier psaume placé à la tête du livre : « Bienheureux l’homme qui ne s’est point laissé aller au conseil des impies, qui ne s’est point arrêté dans le sentier des pécheurs, ni assis dans la chair de pestilence, mais dont la volonté s’affermit dans la loi du Seigneur, et qui méditera cette loi le jour et la nuit 4 ». Ce qui reviendrait à cette parole : « Mon Dieu, je l’ai voulu, et  votre loi est au milieu de mon cœur ». Quant à cette autre parole : « J’ai annoncé votre justice dans une grande assemblée 5», elle se rapporte naturellement à celle-ci : « Ils seront deux dans une même chair 6».

3. Que l’on prenne dans l’un ou dans l’autre sens cette expression: « Au commencement du livre », ce livre des psaumes, divisé en trois parties, de cinquante chacune, me paraît marquer de grands mystères, si l’on consulte bien chaque psaume cinquantième. Je ne saurais croire, en effet, que ce soit sans raison que le cinquantième soit tira psaume de pénitence; le centième, de la miséricorde et de la justice; le cent cinquantième, de la louange de Dieu dans ses saints. Tulle est ers effet la voie que nous suivons, pour arriver à la vie éternelle et bienheureuse : d’abord la condamnation de nos péchés, ensuite la vie pure, en sorte que nous méritions par cette vie pure, et par la condamnation de nos fautes, la vie éternelle. C’est en effet d’après un arrêt profond de sa justice et de sa bonté, que Dieu a appelé ceux qu’il avait prédestinés, que ceux qu’il a appelés, il les a justifiés, et que ceux qu’il a justifiés, il les a glorifiés 7. Il est vrai, ce n’est point en nous-mêmes que s’est faite notre prédestination, mais eu lui-même et dans le secret de sa prescience. Pourtant, les trois autres faveurs, la vocation, la justification, et la vocation se font en nous. C’est la prédication de la pénitence qui nous appelle; car c’est ainsi que le Sauveur commence à prêcher son Evangile : « Faites

 

1. Gen II, 24. — 2. Ephés. V, 31, 32. — 3.  Ps. XXXIX, 8-10. — 4. Id. I, I, 2.— 5. Id. XXXIX, 8-10.— 6. Gen. II, 25.— 7. Rom. VIII, 30.

 

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pénitence, car le royaume des cieux est proche 1 ». Nous sommes justifiés en invoquant la miséricorde, et en craignant le jugement; de là cette parole : « Seigneur, sauvez-moi en votre nom, et jugez-moi dans votre puissance 2 ». Or, il ne craint point d’être jugé, celui qui a tout d’abord obtenu d’être sauvé. Notre vocation nous fait renoncer au diable par la pénitence, afin de ne plus demeurer sous son joug; après la justification, nous sommes guéris par la miséricorde, afin de ne plus craindre le jugement; et une fois glorifiés, nous passons àla vie éternelle, pour louer Dieu sans fin. C’est là ce que signifie, je crois, cette parole du Sauveur: « Voilà que je chasse les démons, et fais des guérisons aujourd’hui et demain, et au troisième jour je serai mis à mort 3»; ce qu’il figura aussi dans les trois jours de sa passion, de son sommeil, et de son réveil. Car il fut crucifié, il fut enseveli, il ressuscita. Il triompha sur la croix des princes et des puissances, se reposa dans le sépulcre et s’élança à sa résurrection. De même la pénitence nous met à la croix, la justice au repos, la vie éternelle dans la gloire. La pénitence dit : « Ayez pitié de moi, mon Dieu, selon la grandeur de votre miséricorde, et selon la multitude de vos bontés, effacez mes iniquités 4 ». Elle offre pour sacrifice à Dieu une âme brisée de douleur, un coeur contrit et humilié. C’est le Christ qui dit dans ses élus : « Seigneur, je chanterai votre miséricorde et votre jugement, je connaîtrai les voies de l’innocence quand vous viendrez  à moi 5 ». C’est la miséricorde, en effet, qui nous aide à faire les oeuvres de justice, afin d’arriver en toute sécurité au jugement, dans lequel seront bannis de la cité de Dieu ceux qui commettent l’iniquité 6. Le verset qui termine le psaume que nous allons expliquer est le cri de la vie éternelle.

4. « Louez le Seigneur dans ses saints»; dans ceux qu’il a glorifiés. « Louez-le dans le  firmament de sa puissance »; ou, comme d’autres ont traduit, « dans ses puissances ». « Louez-le selon ses infinies grandeurs 7 ». Toutes ces dénominations désignent les saints

de Dieu, selon cette parole de l’Apôtre : « Afin que nous devinssions en lui la justice de Dieu 8». Si donc ils sont la justice que

 

1. Matth. III, 2; IV, 17. — 2. Ps. LIII, 3.— 3. Luc, XIII, 32 — 4. Ps. L, 3.— 5. Id. C, 1; 2.—  6. Id. 8.— 7. Id. CL, 1, 2.— 8. II Cor. V, 21.

 

Dieu a opérée en eux, pourquoi ne seraient-ils pas aussi cette puissance que Dieu a exercée en eux, pour les ressusciter d’entre les morts? Car c’est dans la résurrection du Christ que sa puissance paraît avec le plus d’éclat; comme sa faiblesse parut en sa passion, ainsi que l’a dit l’Apôtre : « S’il a été crucifié selon la faiblesse de la chair, il est néanmoins vivant par la force de Dieu 1 ». Et ailleurs : « Afin » , dit-il, « que je connaisse Jésus-Christ, et la vertu de sa résurrection 2 ». Le Prophète a dit admirablement : « Dans le firmament de sa puissance ». C’est en effet le firmament de sa puissance de ne plus mourir, de n’être plus assujetti à la mort 3. Pourquoi ne pourrait-on appeler puissance de Dieu celle qu’il a déployée dans ses saints? Et même ce sont eux qui sont les puissances de Dieu, ainsi qu’il est écrit : « Nous sommes en lui la justice de Dieu 4». Quelle plus grande puissance que de régner éternellement, après avoir mis sous ses pieds tous ses ennemis? Pourquoi ses saints ne seraient-ils point aussi son infinie grandeur? Non point la grandeur qui le fait grand en lui-même, mais cette grandeur qui a fait la grandeur de tant de milliers de ses élus? De même, en effet, que l’on se fait une idée particulière de la justice 5, par laquelle Dieu est juste, on se fait une autre idée de celle qu’il forme en nous, afin que nous soyons sa justice.

5. Ces mêmes saints sont encore désignés dans tous ces instruments qui servent à la louange de Dieu. Ce que le Prophète a dit tout d’abord : « Louez le Seigneur dans ses saints », il le continue, en marquant les saints par différentes expressions.

6. « Louez-le au son de la flûte»; ce qui marque une louange éclatante. « Louez-le sur le psaltérion et sur la harpe 6». Le psaltérion fait résonner la louange de Dieu, par le haut de l’instrument, et la harpe le fait par le bas; c’est comme la louange dans les choses célestes, la louange dans les choses terrestres, comme le Dieu qui a fait le ciel et la terre. Déjà, en effet, dans un autre psaume, nous avons dit que le psaltérion a par le haut cette concavité sur laquelle on ajuste les cordes afin d’en tirer un son plus retentissant, tandis que dans la guitare cette concavité est en bas.

 

1. II Cor. XIII, 4. — 2. Philipp. III, 10. — 3. Rom. VI, 9, — 4. II Cor. V,      21.— 5.  Dan. VII, 10.— 6. Ps. CL, 3.

 

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7. « Louez-le sur le tambour et au son des chœurs 1 ». Nous louons Dieu sur le tambour quand notre chair heureusement changée ne ressent plus rien de la faiblesse et de la corruption de la terre. On prend en effet pour le tambour une peau desséchée et durcie. Louer Dieu en choeur, c’est le bénir dans une société paisible. « Louez-le sur les cordes et sur l’orgue ». Comme nous l’avons dit plus haut, le psaltérion et la harpe sont des instruments à cordes. Quant à l’orgue, c’est le nom générique de tous les instruments de musique; bien que d’ordinaire on désigne plus particulièrement ainsi des instruments à soufflets, ce que je ne crois pas que l’on ait voulu indiquer ici. Car le mot organum désignant en général tous les instruments à soufflets, est un mot grec, et les Grecs avaient un autre nom pour ces instruments. Les appeler du nom d’orgues est donc une exigence latine, une exigence de la coutume. Cette expression dès lors : « sur les cordes et sur l’orgue», semble désigner un instrument pourvu de cordes. Or, ce n’est pas seulement le psaltérion et la harpe qui sont pourvus de cordes; nais de même que le psaltérion et ta harpe, qui résonnent soit d’en haut soit d’en bas, nous ont fait découvrir quelque mystère analogue à cette différence, de même nous devons chercher quelque analogie dans ces cordes qui nous désignent la chair, et la chair délivrée de la corruption. Peut-être le Prophète y joint-il ce mot d’orgue, non pour que chacune des cordes rende un son particulier, mais pour que la diversité des sons y produise la plus suave harmonie, comme il arrive dans l’orgue. Car les saints de Dieu auront même alors des différences entre eux, nais des différences harmonieuses, et non discordantes, c’est-à-dire des différences qui s’accordent sans se heurter aucunement; de même que des sons différents, mais non discordants, forment une heureuse harmonie. « Une étoile diffère en clarté d’une autre étoile; ainsi en sera-t-il à la résurrection des morts 2 ».

8. « Louez-le sur des cymbales retentissantes,

 

1. Ps. CL, 4.— 2. I Cor. XV, 41, 42.

 

louez-te sur les cymbales de la joie 1 ». Ce n’est qu’en frappant les cymbales que l’on produit des sons ; de là vient qu’on les a parfois comparées à nos lèvres. Mais il me semble qu’on leur donne un sens bien préférable en disant qu’on loue Dieu sur des cymbales, quand chaque fidèle est honoré par ses frères et non par lui-même, et que cet honneur mutuel devient pour Dieu une louange. Aussi, de peur, je crois, que la pensée ne s’arrête sur des cymbales qui résonnent sans âme, le Prophète ajoute : « cymbales de la jubilation » ; car la jubilation ou l’ineffable louange ne saurait venir que de l’âme. N’oublions pas toutefois que, au dire des musiciens et comme l’expérience le démontre, il y a trois sortes de sons, que produisent la voix, le souffle, l’impulsion; la voix, quand un homme chante sans le secours d’aucun instrument; le souffle, qui donne les sons de la flûte ou de quelque instrument semblable; et l’impulsion, comme dans la harpe ou tout ce qui lui ressemble. Le Prophète n’a donc oublié aucun son; il nous marque la voix dans les choeurs, le souffle dans la flûte, l’impulsion dans la harpe. Ce qui nous montrerait par comparaison et non par propriété, l’esprit, l’âme et le corps. Quand donc le Seigneur nous dit : « Louez le Seigneur dans ses saints », à qui s’adresse-t-il, sinon à eux-mêmes? Et en qui doivent-ils louer Dieu, sinon en eux-mêmes encore ? Car vous qui êtes ses saints, comme le dit le Prophète, vous êtes aussi sa vertu, mais la vertu qu’il a opérée en vous; vous êtes sa puissance, comme la multitude de sa grandeur, mais qu’il a opérée et fait paraître en vous vous êtes la trompette, le psaltérion, la harpe, le tambour, le choeur, les cordes, l’orgue et les cymbales de la jubilation, qui donnent des sons mélodieux ou des sons en accord. Vous êtes tout cela; que la pensée ne s’arrête à rien de vil, à rien de passager, à rien de futile. Et comme la sagesse de la chair est mortelle, « que tout esprit loue le Seigneur 2».

 

1. Ps. CL, 5. — 2. Ps. CL, 6.

PRIÈRE QUE SAINT AUGUSTIN AVAIT COUTUME DE FAIRE
APRÈS CHAQUE SERMON ET APRÈS CHAQUE TRAITÉ.
 

 

Adressons-nous au Père tout-puissant, à Dieu notre Seigneur, et d’un coeur pur autant que le permet notre faiblesse, rendons-lui les plus grandes et les plus sincères actions de grâces. Supplions de toute notre âme son infinie bonté de daigner écouter favorablement nos prières, d’éloigner par sa puissance notre ennemi de nos actions et de nos pensées, d’augmenter notre foi, de diriger notre esprit, d’y mettre des pensées spirituelles, et de nous conduire au bonheur qui est lui-même; par Jésus-Christ, son Fils, Notre-Seigneur, qui vit et règne comme Dieu, dans l’unité du Saint-Esprit, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il !

 

FIN DES DISCOURS DE SAINT AUGUSTIN SUR LES PSAUMES.
 
 
 
 

source: http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin/index.htm

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