www.JesusMarie.com
Saint Augustin d'Hippone
Discours sur les Psaumes 31 à 35




PREMIER DISCOURS SUR LE PSAUME XXXI.
LE VÉRITABLE JUSTE.
Nous sommes tous conçus dans l’iniquité, donc nous ne devons notre justice qu’à la grâce qui nous prévient par cette clarté d’intelligence, par cette force de volonté, qui nous fait croire à la parole de Dieu et proclame hautement notre foi. Or, notre foi consiste principalement à croire et à confesser que nous sommes pécheurs et que c’est Dieu qui nous sauve.

A DAVID POUR L’INTELLIGENCE (1).
 1. A David, pour ce don de l’Esprit qui nous fait comprendre que la confession de nos fautes nous mène au salut, non par les mérites de nos oeuvres, mais par la grâce de Dieu.

2. « Bienheureux ceux dont les fautes sont s remises, et dont les péchés ont été couverts 2»; dont les péchés sont mis en oubli. « Bienheureux l’homme à qui le Seigneur n’a point imputé son crime, et dont la bouche ne distille point la fraude»; dont les paroles ne font pas ostentation de justice, quand sa conscience est pleine d’iniquités.

3. « Mes os ont vieilli parce que je gardais le silence 3». Ma force est devenue une vieillesse infirme, parce que ma bouche n’a point fait cette confession, qui obtient le salut 4. « Néanmoins je criais tout le jour.» Dans mon impiété, je proférais contre Dieu des cris de blasphème, comme pour défendre mes fautes et les excuser.

4. « Parce que votre main s’est appesantie sur moi le jour et la nuit ». Parce que, sous la douleur incessante de vos vengeances, « je me suis retourné dans ma souffrance, dont d’aiguillon me déchirait 5 ». A la vue de ma misère, l’aiguillon de ma conscience m’a rendu malheureux.

5. «Diapsalma. J’ai connu mon péché et t n’ai point voilé mon injustice». C’est-à-dire,

1. Ps. XXXI, 1. — 2. Id. 1 — 3. Id. 3. — 4. Rom. X, 10. — 5. Ps. XXXI, 4.

je n’ai point caché cette injustice. « J’ai dit: J’attribuerai cette injustice, qui est bien la mienne, non point à Dieu, comme je le faisais quand je me taisais dans mon impiété, mais bien à moi-même ». « Et vous m’avez pardonné l’impiété de mon cœur 1». Quand vous avez vu l’aveu de mon coeur, avant l’aveu de mes lèvres.

6. « C’est pour cela que tout homme saint vous invoquera en temps opportun 2». Cette impiété du coeur fera monter vers vous la prière des saints. Car ils ne deviendront pas saints à cause de leurs propres mérites, mais à cause du temps favorable, ou de l’avènement de celui qui nous a rachetés de nos fautes. « Et toutefois au cataclysme des grandes eaux, ils ne s’approcheront point de lui ». Que nul ne s’y trompe, et ne s’imagine que quand le dernier jour nous surprendra, comme au temps de Noé, il pourra faire cet aveu des fautes qui nous rapproche de Dieu.

7. « Vous êtes mon refuge contre l’affliction qui m’environne 3». C’est en vous que je

trouve un asile contre la douleur de mes fautes qui serre mon coeur. « Vous êtes ma joie, délivrez-moi de ceux qui m’investissent ». C’est en vous qu’est toute ma joie, délivrez-moi de la tristesse que me causent mes péchés.

8. « Diapsalma ». Réponse de Dieu. « Je te donnerai l’intelligence, et t’affermirai dans  la voie où tu auras marché 4 ». En échange de ton aveu je te donnerai l’intelligence, afin

1. Ps. XXXI, 5. — 2. Id. 6. — 3.  Id. 7. — 4. Id. 8.

 (279)

que tu n’abandonnes plus la voie que tu auras choisie, et ne recherches plus l’indépendance. « Mes regards se fixeront sur toi ». Je te confirmerai dans mon amour.

9. « Loin de vous de ressembler au cheval et au mulet, qui n’ont point d’entendement ». De là vient qu’ils se veulent conduire eux-mêmes. Et le Prophète répond : « Assujettissez leurs mâchoires au mors et au frein 1». Faites pour eux, ô mon Dieu, comme l’on fait pour le cheval et le mulet, contraignez-les par la douleur à subir votre direction. « Eux qui refusent de s’approcher de vous ».

10. « ils sont nombreux, les châtiments des pécheurs 2 ». Il a de rudes châtiments à

1. Ps. XXX, 9, — 2. Id. 10.

subir celui qui refuse d’avouer ses fautes à Dieu, et qui prétend se conduire lui-même. « Pour  celui qui espère en vous, il sera investi de vos miséricordes ». Mais le Seigneur réserve ses faveurs à celui qui l’a pris pour guide et a mis en lui son espoir.

11. « O vous qui êtes justes, réjouissez-vous dans le Seigneur, livrez-vous à l’allégresse Réjouissez-vous, non plus en vous, mais bien dans le Seigneur, ô vous qui êtes justes! «Et vous tous qui avez le coeur droit, glorifiez. vous en lui 2 ». Glorifiez-vous tous en Dieu, vous qui comprenez que nous devons lui être soumis, afin qu’un jour vous ayez ses préférences.

1. Ps. XXXI, 10. — 2. Id. 11.
 
 

DEUXIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME XXXI.
LA FOI ET LES OEUVRES.
 

Le salut nous vient de la foi et des bonnes oeuvres qui suivent la foi. —  Doctrine de saint Paul et de saint Jacques est en harmonie. — Foi d’Abraham. — Toute oeuvre qui précède la foi est sans valeur. — Accord de saint Paul avec lui-même. —L’homme heureux est celui dont les péchés sont remis. — Nathanaël sous le figuier. — Confessons nos fautes comme le publicain. — Les eaux des doctrines. — La droiture du cœur.
 
 

1. J’ai entrepris, nonobstant ma faiblesse, d’exposer à votre charité, mes frères, le psaume que me signale principalement saint Paul, ainsi qu’a pu vous en convaincre la lecture que l’on vient de vous en faire, pour relever la grâce de Dieu et le mystère de notre justification qui s’opère sans que nulle de nos oeuvres l’ait provoqué, mais par la bonté de Dieu notre Seigneur qui nous prévient. Soutenez donc tout d’abord ma faiblesse par vos prières, comme l’a dit l’Apôtre, « afin que Dieu m’ouvre la bouche et me donne de vous parler  (Eph. VI,19 ) », d’une manière qui soit sans péril pour moi et salutaire pour vous. Car ici l’esprit humain, naturellement inquiet et en suspens entre l’aveu de son infirmité et la présomption de ses forces, est souvent poussé deçà et delà avec un égal danger de tomber dans un précipice. En effet, s’il s’abandonne entièrement à sa propre faiblesse, dominé par cette pensée, il se dit que telle est la divine miséricorde pour tous les pécheurs, quels que soient leurs désordres et leur obstination, qu’à la fin ils recevront leur pardon, pourvu qu’ils croient que Dieu les délivrera, et leur pardonnera, en sorte que nul chrétien pécheur ne périsse , c’est-à-dire que nul ne puisse périr de tous ceux qui se disent en eux-mêmes: Quoi que je fasse, de quelque abomination., de quelque infamie que je sois souillé, quelque, nombreux que soient mes péchés, le Seigneur me délivrera dans sa miséricorde parce que j’ai cru en lui : si, dis-je, il en vient à croire que nul de ces coupables ne périt, il tombe dans une fausse croyance, sur l’impunité des crimes. Alors Dieu qui est juste, et dont le psaume chante la miséricorde et le jugement, non-seulement la miséricorde mais aussi le jugement 1, trouve cet homme dans une fausse présomption de la bonté divine, abusant de la divine miséricorde pour sa propre perte, et ne peut que le damner. Une telle pensée est donc pour l’homme un dangereux précipice. Mais s’il redoute ce danger, au point de se confier en lui-même, et que par une téméraire présomption de sa justice et de ses forces, il se propose d’accomplir toute justice et d’observer exactement ce qu’ordonne la loi de Dieu, au point de ne pécher aucunement; s’il se regarde comme tellement maître de sa vie qu’il puisse ne jamais tomber, ne jamais faiblir, ne jamais chanceler, ne jamais s’aveugler, et qu’il attribue ce résultat à la puissance de sa volonté; quand même il accomplirait tout ce qui paraît juste aux yeux des hommes, sans qu’il parût rien de répréhensible dans sa vie, Dieu devrait encore punir cette présomption, cette vaine ostentation d’orgueil. Qu’est-ce donc? si l’homme prétend se justifier lui-même, s’il présume de sa justice, il tombe: s’il considère attentivement sa faiblesse, et que se confiant en la divine miséricorde, il néglige de se purifier de ses taules, il se plonge dans l’abîme du vice, il tombe encore. Péril à droite en présumant de sa justice, péril à gauche en espérant l’impunité. Ecoutons la voix de Dieu qui nous crie: « Ne vous détournez ni à droite ni à gauche 2». vous appuyez point sur votre justice pour

espérer le ciel, ni sur la divine miséricorde pour pécher. Précepte divin qui vous détourne de ce double écueil, et de l’exaltation de l’orgueil et de la profondeur du crime. Vous élever jusqu’à l’une, c’est appeler votre chute; descendre jusqu’à l’autre, c’est vous engloutir. N’allez donc, dit le Sage, ni à droite ni à gauche. Je vous le répète en un mot, afin de le graver dans votre esprit: Ne vous appuyez point sur votre justice pour espérer le ciel, ni sur la divine miséricorde pour pécher. Que faire alors, me répondrez-vous? Notre psaume nous l’enseigne : et j’espère, Dieu aidant, qu’après en avoir écouté la lecture et l’explication, nous connaîtrons la voie que nous devons prendre, ou dans laquelle nous devons nous tenir avec courage. Que chacun nous écoute selon ses facultés, et qu’il s’afflige ou se réjouisse selon que sa conscience va lui suggérer un vice à corriger,

1. Ps. C, 1. — Prov. IV, 27.

une vertu à applaudir. S’il s’aperçoit qu’il ait fait fausse route, qu’il revienne dans le bon chemin; s’il se trouve dans la bonne voie, qu’il y marche afin d’arriver au but. Nul orgueil, hors du bon chemin; nulle paresse en chemin.

2. Saint Paul nous affirme que ce psaume traite de la grâce qui nous fait chrétiens: c’est pourquoi j’ai voulu qu’on vous en fît la lecture. Afin d’établir la justice par la foi contre ceux qui vantaient la justice par les oeuvres, l’Apôtre parle ainsi: « Quel avantage, dirons-nous, revint à Abraham, notre père selon la chair? Car si Abraham a été justifié par ses oeuvres, il a du mérite, mais non devant Dieu 1 ». Dieu nous préserve d’un semblable mérite; écoutons plutôt cette parole: « Que celui qui se glorifie ne se glorifie que dans le Seigneur 2 ». Beaucoup d’hommes peuvent se glorifier de leurs oeuvres, et vous trouvez bon nombre de païens qui refusent de se faire chrétiens, parce que leur vie leur paraît suffisante en bonnes oeuvres. Bien vivre nous suffit, dit ce païen; que pourra m’enseigner le Christ? A régler ma vie? Elle est réglée, qu’ai-je besoin du Christ?Je ne commets ni homicide, ni vol, ni rapine, je ne désire point le bien d’autrui, je ne me souille d’aucun adultère. Que l’on trouve à reprendre dans ma vie, et quand on le fera, je me fais chrétien. Cet homme peut se glorifier, mais non devant Dieu. Il n’en est pas ainsi d’Abraham notre père. Tel est le point que l’Ecriture signale à notre attention. Car il faut l’avouer, nous croyons tous que ce saint patriarche fut agréable à Dieu, nous reconnaissons et proclamons qu’Abraham a de la gloire devant Dieu, dit l’Apôtre : certes, nous le savons, et il est évident pour nous qu’Abraham est glorieux aux yeux de Dieu: mais s’il fut justifié par ses oeuvres, il est glorieux devant les hommes et non devant Dieu. Or, il est glorieux devant Dieu, donc sa justification ne vient point de ses oeuvres. Mais si la justification ne lui vient point de ses oeuvres, d’où lui vient-elle? L’Apôtre nous l’explique ensuite : « Que dit l’Ecriture 3? n c’est-à-dire: A quoi l’Ecriture a-t-elle attribué la justification d’Abraham? « Abraham crut à Dieu, et cela lui fut imputé à justice 4 ». Donc ce fut à la foi qu’Abraham dut sa justification.

3. Mais lorsqu’on croit à la justification par

1. Rom. IV, 1, 2.— 2. I Cor. I, 31.— 3. Rom. IV, 3.—. 4. Gen. XV, 6.

la foi et non par les oeuvres, il faut éviter un autre abîme que j’ai signalé. Voyez, me dira-t-on, que c’est par la foi, et non par les oeuvres, qu’Abraham a été justifié, je puis donc vivre à mon gré, n’eussé-je en effet aucune oeuvre sainte, pourvu que je croie en Dieu, cette foi me sera imputée à justice. L’homme qui a tenu ce langage, et a pris cette résolution, est tombé dans l’abîme; s’il n’en a que la pensée, et qu’il soit dans l’incertitude, c’est déjà un danger. Mais la parole de Dieu, bien comprise, peut non-seulement retenir celui qui est près du gouffre, mais en retirer celui qui y est plongé. Je réponds donc pour ainsi dire, à l’encontre de l’Apôtre, et je rapporte d’Abraham, ce que nous lisons dans l’épître d’un Apôtre aussi, qui voulait redresser le sens déplorable que l’on donnait aux paroles de saint Paul. Dans cette lettre, en effet, saint Jacques, voulant réfuter les adversaires des bonnes oeuvres, qui s’appuyaient uniquement sur la foi (Jacques, II, 1), relève les oeuvres d’Abraham, dont saint Paul avait relevé la foi; mais les deux Apôtres ne sont point en contradiction. Saint Jacques rapporte d’Abraham ce que tout le monde connaît, l’immolation d’Isaac; oeuvre sublime, il est vrai, mais oeuvre de foi. J’admire la construction de l’édifice, mais je vois que la foi en est la base. Je loue ce fruit parfait d’une bonne oeuvre, mais je le vois croître sur l’arbre de la foi. Si Abraham faisait cette oeuvre en dehors de la foi, quelle qu’en fût l’excellence, elle lui serait inutile. Si au contraire la foi d’Abraham lui eût fait répondre en lui-même, quand le Seigneur lui commandait le sacrifice de son fils: Je n’obéis point, et néanmoins je crois que Dieu me délivrera en dépit de ses ordres méprisés; sa foi sans les oeuvres n’eût été qu’une foi morte, qu’un arbre stérile et desséché.

4. Que faut-il donc ? et aucune bonne oeuvre ne peut-elle exister avant la foi, c’est-à-dire qu’on ne puisse dire qu’un homme avant la foi ait fait aucun bien? Car tous ces actes de renom que l’on fait avant la foi, quelque louables qu’ils paraissent aux hommes, sont des actes sans valeur. Telles seraient, selon moi, de grandes forces déployées et une course rapide en dehors du bon chemin. Ne comptons donc pour rien les bonnes oeuvres faites avant la foi; car il n’y arien de vraiment bon, où la foi n’existe pas. Ce qui fait le prix de l’oeuvre, c’est l’intention, et l’intention doit être réglée par la foi. Ne vous arrêtez dont pas à l’acte que fait un homme, mais au but qu’il se propose, et qu’il veut atteindre en dirigeant son gouvernail avec force et adresse, Supposez qu’un pilote gouverne habilement son navire, mais ne sache plus où il va, de quoi lui servira de bien tenir le gouvernail, de le mouvoir avec adresse, de fendre les flots avec la rame, d’épargner quelque choc à ses flancs? Supposons même qu’il soit d’une habileté à tourner et à retourner son vaisseau à sa guise, et qu’on lui demande: Où vas-tu? et qu’il réponde: Je n’en sais rien, ou même que sans dire: Je n’en sais rien, il réponde: Je vais à tel port, et qu’il s’en aille sur les rochers; n’est-il pas évident que plus cet homme se croit habile et capable de diriger un vaisseau, plus ses manoeuvres sont dangereuses, et vont bâter le naufrage? Tel est l’homme qui précipite sa course en dehors de la bonne voie. N’eût-il pas été de beaucoup préférable, que ce pilote eût un peu moins de vigueur, un peu moins d’habileté à manier le gouvernail, et qu’il suivit exactement le bon chemin;que cet autre dirigeât son navire avec plus de lenteur et plus de peine, mais dans la bonne voie, au lieu de courir avec tant de vitesse en dehors de la route? Le plus heureux de tops est donc celui qui est dans le vrai chemin, et y marche sagement ; au second rang est l’espérance, qui chancelle tant soit peu, sans néanmoins s’arrêter, qui s’attarde parfois, mais qui avance peu à peu. Car on peut espérer que malgré ses lenteurs il touchera au but.

5. Donc, mes frères, Abraham fut justifié par la foi; mais cette foi, si elle n’a été précédée, a été suivie de bonnes oeuvres. Car ta foi doit-elle être stérile? Elle ne le sera point situ ne l’es toi-même. Si tu mêles à ta foi quelque élément mauvais, c’est un feu qui consume la racine de la foi. Tiens donc ferme dans ta foi, situ veux agir. Mais, diras-tu, tel n’est point le langage de saint Paul. Au contraire, voici ce que saint Paul enseigne: « C’est la foi », dit-il, « qui agit par la charité 1 ». Et ailleurs: « La plénitude de la loi, c’est la charité 2 ». Et ailleurs encore: « Toute la loi est renfermée dans une seule parole, ainsi formulée: Tu aimeras ton prochain  comme toi-même 3 ». Vois s’il ne veut dota part aucune oeuvre, celui qui a dit: « Tu ne

1. Gal. V, 6.— 2. Rom. XIII, 10.— 3.Gal. V, 4

commettras point l’adultère; tu ne tueras point, tu n’auras aucun mauvais désir, et tout autre précepte est résumé dans cette parole : Tu aimeras le prochain comme toi-même. L’amour du prochain n’opère pas le mal. L’amour est donc l’accomplissement de la loi 1 ». Est-ce que la charité te permet de nuire d’aucune sorte à celui que tu aimes? Mais peut-être, sans lui faire aucun mal, ne lui fais-tu aucun bien. La charité, je te le demande, peut-elle te permettre de ne pas faire tout le bien possible à celui que tu aimes? N’est-ce point cette charité qui prie même pour les ennemis? Pourrait-on, en cherchent le bien d’un ennemi, abandonner un ami? La foi donc sera sans oeuvres, si elle est sans charité. Mais afin de ne point surcharger ton esprit de ces oeuvres de foi, joins à la foi l’espérance et la charité, et mets-toi peu en peine des oeuvres. La charité ne saurait être oisive. Qu’est-ce en effet qui nous stimule même à faire le mal, sinon l’amour? Cherche-moi un amour stérile, un amour sans action. Les crimes, les adultères, les forfaits, les homicides, les débauches, tout cela n’est-il pas l’oeuvre de l’amour? Purifie donc ton amour ; amène dans ton jardin ce ruisseau qui va se perdre à l’égout; qu’il ait pour le Créateur du monde cette pente qu’il avait pour le monde lui-même. Vous a-t-on dit : N’aimez rien? Jamais. Ne rien aimer, c’est le propre des âmes lâches, sans vie, fades et misérables. Aimez donc, mais voyez ce qu’il faut aimer. On appelle charité l’amour de Dieu, l’amour du prochain. L’amour du monde, l’amour du siècle, se nomme passion. Réprimez la passion, exercez la charité. Car la charité même de celui qui fait le bien, lui donne l’espoir d’une conscience pure. La bonne conscience renferme en effet l’espérance ; et comme la mauvaise est tout à fait dans le désespoir, la bonne s’alimente d’espérance. Vous posséderez ainsi les trois vertus dont parle saint Paul: La foi, l’espérance et la charité 2 . Ailleurs encore, il nomme ces trois vertus, mais au lieu de l’espérance, il met la bonne conscience : « Telle est la fin des commandements », dit-il. Mais qu’est-ce que la fin d’un précepte? Ce qui lui donne sa perfection, et non ce qui l’abroge. Dire en effet: Je suis à la fin de mon pain, c’est autre chose que

 1. Rom. XII, 9, 10. — I Cor. XII, 13.

dire: Je suis à la fin de la robe que je tissais. La fin de mon pain, signifie qu’il n’en reste plus; la fin de ma robe, signifie qu’elle est achevée. Et néanmoins ce mot de fin se dit dans l’un et dans l’autre cas. L’Apôtre n’appelle donc pas fin de la loi, ce qui tendrait à la détruire, mais plutôt ce qui la perfectionne, ce qui est pour elle non point la consomption, mais la consommation. Donc la fin de la loi consiste en ces trois vertus: « La fin de la loi», dit-il, « consiste dans la charité qui émane d’un coeur pur, d’une bonne conscience, et d’une foi sans dissimulation». La bonne conscience rem place ici l’espérance, car celui-là espère, qui a la conscience pure. Mais l’homme rongé par une conscience coupable, répudie l’espérance et n’en a plus que pour la damnation. Afin donc d’espérer le ciel, qu’il ait une bonne conscience, et pour avoir une bonne conscience, qu’il croie et qu’il agisse. Ce qui fait qu’il croit, c’est la foi, et qu’il agit, c’est la charité. Saint Paul, dans un endroit, nomme donc en premier lieu la foi. « La foi, l’espérance, et la charité 1 »; ailleurs il commence par la charité : « La charité qui émane d’un coeur pur, de la bonne conscience, et de la foi sans dissimulation 2 ». Nous autres, nous commençons quelquefois par le milieu, par la conscience pure, ou l’espérance. Qu’il ait donc, je le répète, la conscience pure, celui qui veut avoir une sainte espérance; et pour avoir une bonne conscience, qu’il croie et qu’il agisse. Du milieu, nous allons au commencement et à la fin: Qu’il croie et qu’il agisse. Ce qui fait qu’il croit, c’est la foi; ce qui fait qu’il agit, c’est la charité.

6. Comment donc l’Apôtre a-t-il dit que l’homme est justifié sans les oeuvres, et par la foi, tandis qu’ailleurs il dit: « La foi qui agit par la charité 3? » N’opposons donc plus saint Jacques à saint Paul, mais bien saint Paul à lui-même, et disons-lui : D’une part, vous nous permettez de pécher impunément, par ces paroles: « Nous croyons que l’homme est justifié par la foi sans les œuvres 4 ». Et d’autre part, vous nous dites que « la foi agit par la charité ». Comment se fait-il que, selon vous, je me crois en sûreté sans faire aucune bonne oeuvre, et selon vous encore, il me semble que je ne puis avoir ni la foi, ni l’espérance, si je n’agis par la charité? Car je

1. II Cor. XIII, 13.— 2. I Tim. I, 5 — 3. Gal. V, 6.— 4. Rom. III, 28.

(283)

tiens vos paroles, ô grand Apôtre. Assurément votre dessein est de prêcher ici la foi sans les oeuvres: mais l’oeuvre de la foi est la charité: et la charité ne peut demeurer oisive: elle s’abstient du mal, elle fait tout le bien possible. Quelle est en effet l’oeuvre de la charité? « Fuis le mal, et opère le bien 1 ». Telle est donc la foi sans les oeuvres, que vous prêchez, quand vous dites ailleurs: « En vain j’aurais la foi jusqu’à transporter les montagnes, si je n’ai la charité, cela ne me sert de rien 2». Donc la foi n’est rien sans la charité, et si la charité, partout où elle existe, ne peut demeurer inactive, c’est la foi qui agit par la charité. Comment donc l’homme sera-t-il justifié par la foi sans les oeuvres? L’Apôtre nous répond: O homme, si je t’ai parlé de la sorte, c’est afin que tu ne présumes pas témérairement de tes oeuvres, et que tu n’attribues pas à leur mérite le don de la foi que tu as reçu. Loin de toi de compter sur tes oeuvres qui ont précédé la foi ; sache bien que la foi a trouvé en toi un pécheur; et si le don de cette foi t’a justifié, c’est qu’elle a trouvé en toi un impie à justifier. « A l’homme qui croit en celui qui justifie l’impie, la foi est imputée à justice 3 ». Mais pour l’impie, être justifié, c’est d’impie devenir juste; et s’il devient juste, d’impie qu’il était, quelles sont les oeuvres des impies? Que l’impie nous vante ses oeuvres, et nous dise: Je donne aux pauvres, je ne dérobe rien à personne, je ne désire point l’épouse d’autrui, je ne tue personne, je ne fais tort à qui que ce soit, je rends les dépôts que l’on m’a confiés même sans témoins : qu’il nous tienne ce langage, et je demande s’il est juste ou impie. Comment puis-je être impie, me dira-t-il, avec de telles oeuvres? Comme étaient ceux dont il est dit: « Ils ont servi la créature plutôt que le Créateur, qui est béni dans tous les siècles4 ». Comment serais-tu impie? Comment? si dans ces bonnes oeuvres, tu espères ce qu’il faut espérer en effet, mais non de celui en qui doit être notre espérance; ou situ espères ce que tu ne dois pas espérer, même de celui qui doit nous donner la vie éternelle, n’est-ce pas. être impie? Tu es impie d’attendre la félicité temporelle pour prix de tes bonnes oeuvres. Telle n’est point la récompense de la foi. La foi est précieuse, tu l’estimes trop peu. Tu es donc impie, et

1. Ps. XXXVI, 37.— 2. I Cor. XII, 2.— 3. Rom. IV, 5.— 4. Id. I, 25.

tes oeuvres ne sont rien. En vain dans tes bonnes oeuvres, tu déploies de grandes forces, et tu parais gouverner habilement ton vaisseau, tu vas heurter un écueil. Qu’est-ce encore? situ espères ce qu’il faut espérer en effet, c’est-à-dire la vie éternelle, mais que tu ne l’espères pas du Seigneur notre Dieu, par Jésus-Christ, de qui seul on peut l’obtenir, si tu crois que cette vie éternelle te viendra par la milice du ciel, par le soleil, par la lune, par les puissances de l’air, de la mer, des terres , des astres, tu es impie. Crois en Celui qui donne la justice à l’impie, afin que tes bonnes oeuvres aient la bonté réelle; puis. qu’on ne peut les appeler bonnes, que quand elles sortent d’une bonne racine. Comment cela? Ou tu attends, du Dieu éternel, la vie du temps, ou des démons la vie éternelle: dans l’un et l’autre cas tu es un impie. Corrige ta foi, redresse ta foi, et surtout redresse ta route :.et alors avec des pieds agiles, marche en toute sécurité, cours, tu es dans le bon chemin : plus sera prompte ta course, et plus sera heureuse ton arrivée. Mais peut-être chancelles-tu- quelque peu ; du moins n’abandonne pas la route: tu arriveras, quoique plus tard: loin de toi de t’arrêter, de retourner en arrière, de t’égarer.

7. Qu’est-ce donc, mes frères? Quels sont les hommes heureux? Ce ne sont point les hommes en qui Dieu ne trouve aucun péché; car il en trouve chez tous les hommes:

« Puisque tous ni péché, tous ont besoin de la « gloire de Dieu 2 ». Si donc on trouve des fautes chez tous les hommes, il ne reste d’heureux, que ceux dont les péchés sont pardonnés. C’est ce que nous insinue l’Apôtre en ces termes: « Abraham crut à Dieu, et sa foi lui fut imputée à justice 2 ». Mais la récompense que l’on donne à celui qui travaille, qui compte sur ses oeuvres, qui attribue à leur mérite la foi qui lui a été donnée, cette récompense ne lui est pas imputée comme une grâce, mais comme une dette. Qu’est-ce à dire, sinon que notre récompense prend le nom de grâce? Si c’est une grâce, elle est donnée gratuitement. Qu’est-ce à dire qu’elle est donnée gratuitement? Qu’elle ne coûte rien. Tu n’as fait aucun bien, et tes péchés te sont remis. On cherche tes oeuvres, et l’on n’en trouve que de mauvaises. Si Dieu rendait à ces oeuvres selon leur valeur, il te damnerait: « Car la

1. Rom. III, 23. — 2. Id. IV, 3.

(284)

mort est la solde du péché 1 » Que doit-on aux oeuvres mauvaises ? la damnation ; et aux bonnes oeuvres ? le ciel. Mais toi que l’on trouve dans les oeuvres mauvaises, pour te rendre ce qui t’est dû, il faudrait te punir. Qu’arrive-t-il donc? Sans t’infliger la peine que ta mérites, le Seigneur t’accorde la grâce que tu ne mérites point. Il te devait le châtiment, il t’accorde le pardon. Ainsi c’est parle pardon que tu commences à être dans la foi; et cette foi, s’unissant à l’espérance et à la charité, commence à faire le bien : et néanmoins, garde-toi de te glorifier, de t’élever en toi-même; souviens-toi de celui qui t’a mis dans le bon chemin; souviens-toi qu’avec des pieds forts et agiles tu n’en étais pas moins égaré : n’oublie jamais que, languissant, et laissé à demi mort sur la voie, tu as été mis sur le cheval du samaritain, pour être conduit à l’hôtellerie 2 . « La récompense que l’on donne à celui qui travaille»,dit saint Paul, « ne lui est pas imputée comme une grâce, mais comme une dette3 ». Si donc tu ne veux aucune part à la grâce, fais valoir tes mérites. quant à Dieu, il voit ce qui est en toi, il sait ce qui est dû à chacun. « Pour l’homme qui ne fait aucune oeuvre4», poursuit saint Paul, prends donc un impie, un pécheur; celui-là ne fait aucune oeuvre. Que fait-il? « Mais qui croit en celui qui justifie l’impie». Dès lors qu’il ne fait aucune bonne oeuvre, il est un impie; et quand même il paraîtrait faire le bien, comme il est sans la foi, ses oeuvres ne peuvent s’appeler bonnes. « Mais il croit en celui qui justifie l’impie, sa foi lui est imputée à justice. C’est ainsi que David a chanté le bonheur de celui à qui le Seigneur impute la justice sans les œuvres 5». Mais quelle est cette justice? Celle de la foi que n’ont point précédée, mais que vont suivre les bonnes oeuvres.

8. Soyez donc attentifs , mes frères; car t’entendre mal, c’est vous exposer à tomber dans ce gouffre de l’impunité qu’on se promet en péchant : et moi, non plus que l’Apôtre, je ne suis point responsable de tous ceux qui peuvent mal interpréter mes paroles. Ceux qui le comprirent mal, agissaient à dessein; ils redoutaient les bonnes oeuvres qui devaient suivre. Ne faites point cause commune avec eux, mes frères. Un autre psaume a dit à propos d’un

1. Rom. VI, 23.— 2. Luc, X, 30— 3. Rom. IV, 4.— 4. Ibid. 5.—  5. Ibid. 5,6.

tel homme, et ce seul homme renferme toute une catégorie: « Il n’a pas voulu comprendre, de peur de faire le bien 1 ». Il n’est pas dit: Il n’a pu comprendre. Pour vous, mes frères, ayez la volonté de comprendre, afin que vous fassiez le bien. L’intelligence ne vous manquera point, et même elle arrivera jusqu’à l’évidence. Qu’y a-t-il d’évident pour celui qui a compris? Que nul ne doit vanter les bonnes oeuvres qui ont précédé la foi, et après la foi n’en négliger aucune. Dieu fait donc miséricorde à tous les impies, et les sauve par la foi.

9. « Bienheureux ceux dont les fautes sont remises, et dont les péchés ont été couverts.   Bienheureux l’homme à qui Dieu n’a point imputé son crime, et dont la bouche ne distille point la fraude 2 ». Dès le commence-ment du psaume, nous en avons l’intelligence, et cette intelligence consiste à bien savoir que nous ne devons ni nous vanter de nos mérites, ni espérer témérairement l’impunité de nos fautes. Car voici le titre du psaume: « A David, intelligence ». C’est donc un psaume d’intelligence; et le premier effet de cette intelligence, c’est de te reconnaître pécheur. Le second effet, c’est de n’attribuer point à tes forces, mais à la grâce de Dieu, les bonnes oeuvres qui seront les premiers fruits de ta foi dans la charité 3. C’est ainsi qu’il n’y aura aucun déguisement dans ton coeur, c’est-à-dire dans la bouche de l’homme intérieur, et tu n’auras point des paroles pour les lèvres, et des paroles pour le coeur. Tu ne ressembleras point aux Pharisiens dont il est dit « Vous êtes comme des sépulcres blanchis; au dehors, vous avez pour les hommes des apparences de justice; au dedans, vous êtes pleins de déguisement et de ruses 4 ». Et en effet, le pécheur qui veut qu’on le regarde comme un juste, n’est-il pas un fourbe? Tel n’était pas Nathanaël dont le Sauveur a dit « Voilà un véritable Israélite, qui est sans déguisement 5 ». Mais pourquoi n’y avait-il aucun déguisement dans Nathanaël? « Quand tu étais sous le figuier je te voyais 6 ». Il était sous le figuier, c’est-à-dire sous la condition de la chair; et il était sous les conditions de la chair parce qu’il était dans l’impiété native. Il était sous ce figuier qui arrache au psalmiste ce gémissement : « Voilà que

1. Ps. XXXV, 3. — 2. Id. XXXI, 1,2. — 3. Galat. V, 6. — 4. Matt. XXIII, 27. — 5. Jean, I, 47. — 6. Ibid. 48.

(285)

j’ai été conçu dans l’iniquité 1 ». Mais il le vit Celui qui vint avec la grâce. Que dis-je, il le vit? il en eut pitié. Le Sauveur donc relève cet homme sans artifice, pour nous relever le prix de la grâce qui est en lui. « Je te voyais, quand tu étais sous le figuier ». Je t’ai vu, qu’y a-t-il là de si grand, si l’on n’y découvre quelque mystère? Qu’y a-t-il de si grand en effet à voir un homme sous un arbre? Si le Christ n’avait vu le genre humain sous ce figuier, ou bien nous serions entièrement desséchés, ou bien, non plus que chez ces Pharisiens, qui étaient fourbes, c’est-à-dire dont les paroles étaient justes et dont les actes étaient pervers, on ne trouverait chez nous que des feuilles et non des fruits. Le Christ en effet maudit et fit sécher le figuier qu’il trouva en cet état. Je ne vois, dit-il, que des feuilles, ou plutôt des paroles et aucun fruit: « Qu’il se dessèche donc entièrement et ne porte pas même de feuilles 2 ». Pourquoi des paroles encore? Un arbre sec n’a même plus aucune feuille. Tels étaient les Juifs; cet arbre était les Pharisiens, qui avaient des paroles et non point des actes; l’arrêt du Seigneur les condamne à se dessécher. Que le Seigneur nous aperçoive donc sous le figuier : tant que nous sommes en cette vie, qu’il voie en nous le fruit des bonnes oeuvres, afin que sa malédiction ne nous fasse point dessécher. Et comme tout nous vient de sa grâce et non point de nos mérites

« Bienheureux ceux dont les iniquités sont remises, et dont les péchés sont couverts ». Non ceux chez qui l’on trouve des péchés, mais ceux dont les péchés sont couverts, dont les fautes sont cachées, effacées, anises en oubli. Si Dieu a effacé leurs péchés, il ne veut plus les voir; s’il ne veut plus les voir, il ne veut point les punir; s’il ne veut point les punir, il ne veut point les connaître, mais plutôt fermer les yeux sur eux. « Bienheureux ceux dont les fautes sont remises, dont les péchés sont couverts ». Si le Prophète a dit que ces péchés sont couverts, gardez-vous de croire que ces péchés soient encore existants et vivants. Pourquoi dit-il qu’ils sont couverts? parce qu’ils ne sont plus visibles. Car, en Dieu, voir le péché, n’est-ce point le punir? Et afin de nous faire comprendre que, pour Dieu, voie le péché c’est le punir que, lui dit le Prophète? «Détournez vos yeux de mon péché 3 ». Qu’il

1. Ps. L, 7.— 2. Matt. XXI, 19.— 3. Ps. L, II.

 ne voie donc plus tes péchés, afin de te voir toi-même. Comment te verra-t-il? Comme il vit Nathanaël : « Je t’ai vu, quand tu étais sous le figuier 1 ». L’ombre du figuier n’est point impénétrable aux yeux de la divine miséricorde.

10. « Et dont la bouche ne recèle aucun déguisement 2 ». Mais ceux qui reculent devant l’aveu de leurs fautes, font d’inutiles efforts pour les cacher. Plus ils s’efforcent de se défendre du péché, en faisant valoir leurs mérites, et en s’aveuglant sur leurs iniquités, plus s’énerve leur force et leur courage. Celui-là est véritablement fort qui a mis sa force en Dieu et non point en lui-même. Aussi saint Paul disait-il: « Trois fois j’ai prié le Seigneur d’éloigner de moi (cet ange de Satan); et il m’a répondu: Ma grâce te suffit. Ma grâce», a-t-il dit, et non point ta force. « Ma grâce te suffit », dit-il, « car c’est dans la faiblesse que se perfectionne la force ». De là vient que l’Apôtre, à son tour, nous dit plus loin:

« Quand je suis faible, c’est alors que je deviens fort 3 ». Donc celui qui se prétend fort, qui se relève à ses yeux, qui vante ses mérites, quelque grands qu’ils puissent être, est semblable au pharisien, qui se vantait avec faste des dons qu’il reconnaissait avoir reçus de Dieu: « Je vous rends grâces 4 », dit-il, Voyez, mes frères, quel orgueil Dieu nous met sous les yeux : il est tel, qu’un homme juste pourrait y tomber, tel, qu’il peut se glisser chez l’homme dont on a la meilleure espérance. « Je vous rends grâces », disait-il. Donc en disant : « Je vous rends grâces n, il avouait qu’il avait reçu de Dieu ce qui était en luit « Qu’avez-vous, que vous n’ayez pas reçu 5?» Donc « je vous rends grâces», dit-il; « je vous rends grâces, de ce que je ne suis point comme les autres hommes, qui sont voleurs, injustes et adultères, ni même comme ce publicain 6 ». En quoi consiste donc l’orgueil de cet homme? Non pas à rendre grâces à Dieu du bien qu’il trouve en lui, mais à abuser de ces mêmes biens pour se préférer aux autres.

11. Prenons bien garde à ceci, mes frères; car l’Evangéliste a soin de préciser à quel propos le Seigneur a fait cette parabole. Le Christ avait dit : « Pensez-vous que le Fils de l’homme, venant sur la terre, y trouvera de

1. Jean, I, 48. — 2. Ps. XXXI, 2.— 3. II Cor XII, 8-10, — 4. Luc, XVIII, LI.— 5. I Cor. IV, 7.— 6. Luc, XVIII, 11.

(286)

la foi 1?» Et de peur qu’il ne se trouvât certains hérétiques, pour croire que l’univers dans sa totalité a perdu la foi (car les hérétiques forment tous des sectes, et sont confinés dans certaines localités), et pour se vanter d’avoir conservé ce qui a disparu du reste du inonde, aussitôt que le Seigneur a dit: «Pensez-vous que le Fils de l’homme, revenant au monde, y trouvera de la foi? » l’Evangéliste ajoute : « S’adressant à quelques-uns qui se confiaient en eux-mêmes et en leur justice, et qui méprisaient les autres, il proposa cette parabole : Un pharisien et un publicain vinrent au temple pour y prier 2 »; et le reste que vous savez. Ce Pharisien disait donc: « Je vous rends grâces ». Mais où est son orgueil? Dans son mépris pour les autres. Quelle preuve en avez-vous? Dans ses paroles. Comment? Ce pharisien, est-il dit, méprisait le publicain, qui se tenait éloigné, et que son aveu rapprochait de Dieu. « Le publicain n, dit encore l’Evangile, se tenait éloigné 3 ». Mais Dieu n’était pas éloigné de lui. Et pourquoi Dieu n’était-il pas éloigné de lui? Parce qu’il est dit ailleurs : « Que le Seigneur est tout près de ceux qui ont le coeur brisé 4 ». Voyez si ce publicain n’avait pas le coeur brisé, et vous comprendrez que Dieu s’approche de ceux dont le coeur est contrit. « Le publicain se tenait éloigné, et n’osait lever des yeux vers le ciel, mais il frappait sa poitrine 5 !  » Frapper sa poitrine, n’est-ce pas un signe que l’on a le coeur contrit? Que disait-il en frappant sa poitrine? « Mon Dieu, ayez pitié de moi qui suis un pécheur». Et quel fut l’arrêt du Sauveur? « En vérité, je vous le déclare, le publicain revint du temple en sa maison, plus justifié que le pharisien ». Pourquoi? Telle est la sentence du Seigneur. « Je ne suis point comme ce publicain, ni comme les autres hommes, qui sont injustes, voleurs et adultères: je jeûne deux fois la semaine, je donne la dîme de tout ce que je possède», dit le pharisien; tandis que le publicain n’ose lever les yeux au ciel, qu’il n’a d’attention que pour sa conscience, qu’il se tient debout, et qu’il est plus justifié que le pharisien. Mais pourquoi? Expliquez-nous, Seigneur, je vous en supplie, expliquez-nous les mystères de votre justice, l’équité de votre sentence. C’est ce qu’il fait en nous

1. Luc, XVIII, 8. — 2. Ibid. 9 — 3. Ibid. 13. — 4. Ps. XXXI, 19, — 5. Luc, XVIII, 13. — 6.  Ibid. 14.

exposant les règles de sa loi. Voulez-vous les entendre? « C’est que tout homme qui s’élève sera abaissé, et que tout homme qui s’abaisse sera élevé (Luc, XVIII, 14 ) ! »

12. Redoublez, mes frères, votre attention, Nous avons dit que le publicain n’osait lever les yeux au ciel. Pourquoi ne pas regarder le ciel? parce qu’il se considérait lui-même. Et il se considérait afin de se prendre en horreur et par là de plaire à Dieu. Pour toi, tu as la tête levée dans ton orgueil. Mais le Seigneur dit au superbe : Tu ne veux point te considérer! Et moi-je te considère. Veux-tu que je te perde de vue? jette les yeux sur toi-même, Le publicain donc n’osait lever les yeux au ciel, parce qu’il considérait sa conscience et se châtiait lui-même, il devenait son propre juge, afin que Dieu le prît en pitié; il se châtiait, afin que Dieu le délivrât; il s’accusait, afin que Dieu fût son défenseur. Et il se défendit en effet, puisqu’il prononça eu sa faveur: « Le publicain descendit chez lui, plus juste que le pharisien, parce que tout homme qui s’élève sera abaissé, et tout homme qui s’abaisse sera élevé ». Il s’est considéré lui-même, dit le Seigneur, et je n’ai point voulu le considérer: j’ai entendu sa prière : « Détournez vos yeux de mes iniquités ». Quel est celui qui a parlé de la sorte, sinon celui qui a dit aussi: « Je connais l’étendue de mon iniquité ». Le pharisien donc, mes frères, était aussi un pécheur. Bien qu’il ait dit: « Je ne suis point comme les autres hommes qui sont injustes, voleurs « et adultères n; bien qu’il ait jeûné deux fois la semaine, qu’il ait payé la dîme, il n’en était pas moins un pécheur. A défaut de tout autre péché, son orgueil en était un très-grand; et toutefois il tenait ce langage fastueux. Car enfin quel homme est sans péché, et qui pourra se glorifier d’avoir un coeur pur, ou se vanter d’être exempt de toute faute? Le pharisien avait donc des péchés; mais dans son aveuglement, il oubliait qu’il était venu dans le temple; il était là comme ce malade qui, dans le cabinet du médecin, cache ses blessures, et n’étale que des membres en bon état. Que Dieu cache tes blessures; ne le fais point toi-même; si la honte que tu as te les fait cacher, le médecin ne les guérira point. Que le médecin les recouvre et les panse : car il les couvre d’un

(287)

appareil salutaire. L’appareil du médecin guérit les blessures , l’appareil du blessé n’aboutit qu’à les dérober. Pourquoi les cacher à Celui qui voit tout?

13. Reportons-nous donc, mes frères, à ce que dit le Prophète: « Mes os ont vieilli, parce que je gardais le silence, et néanmoins je criais tout le jour ». Quel sens donner à ces paroles qui paraissent contradictoires « Parce que je me suis tu, mes os ont vieilli à cause de mes cris? » Si c’est parce qu’il a crié, comment a-t-il gardé le silence? Il s’est tu en certaines occasions, il ne s’est point tu en d’autres; il a tu ce qui l’aurait fait avancer dans le bien, il n’a point tu ce qui l’a fait déchoir; il a tu l’aveu de ses fautes, il a crié tout haut sa confiance en lui-même. « Je me suis tu »,dit-il, « et dès lors je n’ai fait aucun   aveu».C’était là pourtant qu’il fallait parler, taire ses mérites, crier ses péchés : et dans sa démence il a tu ses péchés, pour crier ses mérites. Alors qu’est-il arrivé? Ses os ont vieilli. Remarquons-le bien: s’il avait crié ses péchés et tu ses mérites, ses os se fussent renouvelés, ou plutôt ses vertus : il serait devenu fort devant le Seigneur, parce qu’il aurait compris sa faiblesse. Maintenant qu’il a mis sa force en lui-même, il est devenu faible et ses os ont vieilli. Il est demeuré dans la faiblesse du vieillard, parce qu’il n’a point voulu rajeunir par l’aveu. Vous savez en effet, mes frères, comment l’homme se renouvelle : car « Bienheureux ceux dont les iniquités sont remises, et dont les péchés sont couverts ». Celui-ci au contraire, loin d’accepter la rémission de ses fautes, en a grossi le nombre, les a défendues, et a vanté ses mérites. Donc, parce qu’il s’est tu, en ne confessant point ses péchés, ses os ont vieilli, u Pendant que je criais durant « tout le jour n. Qu’est-ce à dire qu’il criait tout le jour? Qu’il persistait à défendre ses péchés. Et voyez néanmoins quel est cet homme, car il se connaît. Bientôt lui viendra l’intelligence; il n’apercevra que lui-même, et se prendra en pitié, car il se connaît. Bientôt vous l’entendrez, afin de vous guérir vous-mêmes.

14. « Bienheureux l’homme à qui le Seigneur n’a point imputé son péché, et dont la bouche ne recèle point la fraude. Car  moi, je me suis tu et mes os ont vieilli, pendant que je criais tout le jour. Le jour et la nuit, en effet, votre main s’est appesantie sur moi 1. »Que signifie cette parole: « Votre main s’est appesantie sur moi ? » Il y a là, mes frères, un sens profond. Rappelez-vous le juste arrêt que Dieu a prononcé à l’égard de ces deux hommes, du pharisien et du publicain. Qu’est-il dit du pharisien? Qu’il est humilié; et du publicain? qu’il est élevé. Pourquoi l’un est-il abaissé? parce qu’il s’est élevé ; et l’autre élevé ? parce qu’il s’est abaissé. Mais Dieu, pour abaisser l’homme qui s’élève, appesantit sa main sur lui. Il refuse de s’humilier par l’aveu, et il est humilié sous le poids de la main de Dieu. Autant cette main est dure pour nous humilier, autant elle est caressante pour nous relever. Elle a de la force pour l’un, et de la force encore pour l’autre : elle se montre forte en nous humiliant, comme elle est forte en nous relevant.

15. « Le jour et la nuit, votre main s’est appesantie sur moi, je me suis retourné dans ma douleur dont l’aiguillon me déchirait 2». Le poids de votre main, l’humiliation qui m’accable m’ont amené à la conversion, dans mon chagrin: la misère me saisit, l’aiguillon me déchire, et ma conscience en est meurtrie. Que lui est-il arrivé sous l’aiguillon de ces épines? Il a ressenti sa douleur et reconnu sa faiblesse. Et lui qui n’avait point fait l’aveu de ses fautes, mais qui avait crié pour la défendre, au point d’émousser sa vertu, c’est-à-dire de hâter la vieillesse de ses os, qu’a-t-il fait sous la douleur de l’aiguillon? « J’ai connu avion péché». Donc il reconnaît ses fautes, et s’il les considère, Dieu en détourne les yeux. Ecoutez la suite et voyez s’il ne dit point: «J’ai « reconnu mon péché, et je n’ai point caché mon injustice 3 ». Je disais tout à l’heure: Ne couvre point tes fautes, et Dieu les couvrira lui-même. «Bienheureux ceux dont les iniquités sont remises, dont les péchés sont couverts ». Couvrir ses fautes, c’est se découvrir soi-même. Le psalmiste les découvre, afin de n’être pas découvert lui-même. « Je n’ai point couvert mon iniquité ». Qu’est-ce à dire: « Je n’ai point couvert ? » Jusque-là je me taisais : maintenant que fait-il? « J’ai dit», ce qui est contraire au silence. « J’ai dit», mais qu’as-tu dit? « Je confesserai contre moi mes prévarications au Seigneur, et vous m’avez remis l’impiété de mon âme 5 », « J’ai dit». Qu’as-tu dit? Il ne déclare pas encore, mais

1. Ps. XXXI, 4.— 2. IbId. — 3. Id. 5.— 4. Ibid.

(288)

il promet de déclarer ses fautes, et déjà Dieu les lui pardonne. Considérez bien, mes frères, cette grande miséricorde: le psalmiste dit seulement: «Je confesserai »; il ne dit point: J’ai déclaré mon péché, et vous, Seigneur, vous l’avez remis, mais simplement : « Je le déclarerai, et vous me l’avez pardonné». Dire en effet: « Je déclarerai », c’est dire par là même, que cette déclaration n’est pas encore sortie de sa bouche, mais faite seulement dans son coeur. Dire : « Je déclarerai», c’est déjà faire cette déclaration. Aussi « vous m’avez pardonné l’impiété de mon cœur ». Ma confession n’était pas encore sur mes lèvres ; j’avais dit seulement : « Je confesserai contre moi-même » ; et néanmoins le Seigneur a entendu ce cri de mon âme. Ma parole n’était pas encore dans ma bouche; que déjà l’oreille de Dieu était dans mon coeur. « Vous m’avez remis l’impiété de mon âme », parce que j’ai dit: « Je confesserai».

16. Mais cela était insuffisant, Le Prophète ne dit point Je confesserai mon injustice au Seigneur ; ce n’est pas sans raison qu’il ajoute: «Je confesserai contre moi » ; ce qui est important. Beaucoup en effet déclarent leurs injustices, mais les déclarent contre Dieu; et quand ils sont surpris dans l’iniquité, ils répondent: C’est Dieu qui l’a voulu. Qu’un homme en effet dise: Je n’ai point fait cela, ou, ce que vous me reprochez n’est pas une faute ; il n’accuse ni lui-même. ni Dieu. Qu’il dise au contraire: J’ai fait cela, c’est une faute, mais Dieu l’a voulu ainsi, en quoi suis-je coupable? alors c’est Dieu qu’il accuse. Mais, direz-vous, il n’est personne qui parle ainsi; qui oserait dire : C’est Dieu qui l’a voulu? D’abord il y en a beaucoup pour le dire; mais ceux qui ne le disent point formellement, que font-ils autre chose, en s’excusant ainsi : C’est le destin qui l’a voulu, c’est mon étoile qui en est cause ? Ils prennent un détour, mais pour arriver à Dieu. Par ces détours, ils veulent eu venir jusqu’à inculper Dieu, au lieu de prendre le chemin plus court de l’apaiser. Le destin m’a poussé, disent-ils. Qu’est-ce que le destin? Ma mauvaise étoile en est cause. Qu’est-ce que ces étoiles? Assurément celles que nous voyons à la voûte des cieux. Qui les a créées? Dieu ; qui les a placées ? Dieu encore. Ainsi, tu le vois, tu as voulu dire que c’est Dieu qui t’a poussé au péché. L’injuste c’est lui, le juste c’est toi; s’il n’avait ainsi disposé les choses, tu n’aurais point péché. Arrière toutes ces excuses du péché; souviens-toi de ces paroles du psaume:

« Ne laissez point aller mon coeur à ces paroles mensongères que l’on allègue pour excuser des péchés, parmi ces hommes qui commettent l’iniquité ». Toutefois ce sont des hommes importants, ceux qui atténuent ainsi leurs fautes ; ils sont importants ceux qui peuvent compter les étoiles, qui peuvent dire quand est-ce qu’un homme fera un acte coupable ou un acte de vertu, quand Mars commettra un homicide et, Vénus un adultère ; ce sont des hommes importants, des hommes savants, des hommes distingués dans le monde. Mais que nous dit le Psalmiste? « Ne laissez point aller mon coeur à ces paroles mensongères, avec les hommes criminels; je n’aurai point de part avec les plus habiles d’entre eux » . Que d’autres appellent savants et distingués ceux qui peuvent compter les étoiles; que l’on accorde la sagesse à ceux qui règlent comme sur les doigts les destinées des hommes qui lisent nos moeurs dans les étoiles ; pour moi, je sais que Dieu m’a doué du libre arbitre, que si j’ai péché, c’est bien moi qui ai péché; non-seulement je confesserai mon péché au Seigneur, mais je le confesserai contre moi, et non contre lui. « Pour moi, j’ai dit: Seigneur, ayez pitié de  moi », c’est le malade qui appelle un médecin. « Pour moi, j’ai dit ».A quoi bon mettre: « Moi j’ai dit », quand il suffisait de dire simplement: J’ai dit? Le moi est ici emphatique; c’est bien moi, ce n’est ni le destin, ni la fortune, ni le diable ; ce dernier ne m’a point forcé, mais moi j’ai consenti à ses instigations: « Pour moi, j’ai dit au Seigneur: Ayez pitié de  moi, guérissez mon âme , parce que j’ai péché contre vous 1 ». C’est aussi la résolution qu’il arrête ici : « J’ai dit : Je confesserai contre moi mon iniquité au Seigneur, et vous m’avez pardonné l’impiété de mon cœur ».

17. « C’est pour cela que tout homme saint vous invoquera au temps favorable2 ». Quel est ce temps opportun? Et qu’est-ce à dire, pour cela? » A cause de leur impiété. Laquelle? Celle qu’a dû couvrir le pardon de leur péché. «C’est pour cela que tout homme  saint vous invoquera, parce que vous lui avez remis ses fautes ». Sans ce pardon des fautes

1. Ps. XL, 5.—  2. Id. XXXI, 6.

(289)

il n’y aurait pas un saint pour vous invoquer. « C’est pour cela que tout homme saint vous invoquera en temps opportun : ou quand vous manifesterez votre alliance nouvelle ; car la manifestation de la grâce du Christ, c’est là le temps opportun. «Quand les temps furent accomplis», dit saint Paul, « Dieu envoya son Fils, formé de la femme», c’est-à-dire d’une vierge que les anciens désignaient aussi sous le nom générique de femme, mulier, « assujettie à la loi, afin de racheter ceux qui étaient sous la loi ». De quelles mains les racheter? des mains du diable, de la perdition, du péché, des mains de celui auquel ils s’étaient vendus. « Afin de racheter ceux qui étaient sous la loi ». Ils étaient sous la loi, en ce sens que la loi les accablait. Et les accabler, c’était les convaincre de péché sans les sauver. Sans doute, elle défendait le mal; mais parce qu’ils n’avaient point la force de se justifier par eux-mêmes, il fallait crier vers Dieu, comme celui qui se sentait captif sous la loi du péché, et qui s’écriait: « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort 2?» Tous les hommes étaient donc sous la loi, et non dans la loi qui pesait sur eux et les convainquait de péché. Car c’est la loi qui a montré le péché, elle qui en a enfoncé l’aiguillon, elle qui a meurtri notre coeur, elle qui a averti chacun de nous de se reconnaître coupable et d’implorer du Seigneur notre pardon. « C’est pour cela que tout homme saint doit crier vers vous, au temps favorable ». J’ai expliqué donc ce temps favorable par ce mot de saint Paul : « Quand les temps furent accomplis,   Dieu nous envoya son Fils 3 ». L’Apôtre dit encore: «Je vous ai exaucé au temps favorable, je vous ai secouru au jour du salut 4 ». Et comme le Prophète parlait ainsi de tous les chrétiens, l’Apôtre ajoute: « Voici maintenant le temps favorable, voici maintenant les jours du salut 5. C’est pour cela que tout homme saint doit vous invoquer au temps favorable ».

18. « Et toutefois au cataclysme des grandes eaux, ils ne s’approcheront point de lui 5 » . « De lui » , de qui? de Dieu. Le Prophète, parlant de Dieu, change souvent de personne ; ainsi : « Le salut vient du Seigneur, et votre bénédiction se répand

1. Gal. IV, 4, 5.— 2. Rom. VII, 23, 24.— 3. Galat. IV, 4.— 4. II Cor. VI, 2.— 5. Ibid — 6. Ps, XXXI, 6.

sur votre peuple », c’est-à-dire, c’est de vous, Seigneur, que vient le salut, et votre bénédiction se répand sur votre peuple. Mais comme il avait dit d’abord : « Le salut vient du Seigneur », non point en s’adressant au Seigneur, mais en parlant de lui; il se retourne du côté de Dieu pour lui dire: «Et votre bénédiction se répand sur votre peuple ». Il en est de même ici : nous entendons d’abord « vers vous, Seigneur », puis « de lui »,  mais ne croyons pas qu’il parle d’un autre que de Dieu: «C’est pour cela que tout homme saint vous invoquera au temps favorable : et toutefois au cataclysme des grandes eaux, ils ne s’approcheront point de lui 2 ». Qu’est-ce à dire, « dans le cataclysme des grandes eaux ? » c’est-à-dire, ceux qui nagent dans les flots sans digue des grandes eaux, n’approchent point du Seigneur. Qu’est. ce que le Prophète entend par ces grandes eaux? c’est la nombreuse variété des doctrines. La doctrine de Dieu est unique, les eaux n’en sont point-nombreuses, il n’y en a qu’une, soit l’eau du sacrement de baptême, soit l’eau de la doctrine du salut. C’est de la doctrine que le Saint-Esprit répand sur- nous, qu’il est dit : «Bois l’eau de tes vases et des sources de tes puits 3 ». Or, ce ne sont point les impies qui approchent de ces sources; mais ceux qui croient en celui qui justifie l’impie 4, et qui sont déjà justifiés, ceux-là s’en approchent. Les autres eaux si nombreuses, les autres doctrines multipliées n’aboutissent qu’à la corruption des âmes, ainsi que je le disais tout à l’heure, Une doctrine vous fait dire : C’est le destin qui m’a poussé; une autre : C’est le hasard, c’est la fortune qui m’a fait cela. Si le hasard gouverne les hommes, il n’y a plus de Providence pour gouverner le monde; voilà encore une de ces doctrines, une autre vient me dire: Il y a une race d’esprits de ténèbres contraires à Dieu, qui s’est révoltée contre lui, et qui fait pécher les hommes. Alors, dans ce débordement des grandes eaux, ils ne s’approcheront point de Dieu. Quelle est donc cette eau, cette eau vraie qui coule des plus profondes sources de la vérité la plus pure? Quelle est cette eau, mes frères, sinon l’eau qui nous apprend à bénir le Seigneur? Quelle est cette eau, sinon l’eau qui nous apprend à dire : « Il est bon de bénir Dieu 5?» Quelle est cette eau enfin,

1. Ps. III, 9. — 2. Ps. XXXI, 7. — 3. Prov. V, 15.— 4. Rom. IV,5.— 5. Ps. XCI, 2.

(290)

sinon l’eau qui nous fait dire avec le Psalmiste : « Je l’ai dit: Je confesserai contre moi mon injustice au Seigneur » ; et encore: «Pour moi, j’ai dit: Seigneur, ayez pitié de moi, guérissez mon âme, parce que j’ai péché contre vous 1 ». Or, cette eau de la confession des péchés, cette eau qui apprend au coeur à s’humilier, cette eau de la vie et du salut, cette eau qui porte l’homme à se mépriser, à ne point trop présumer de lui-même, à ne rien s’attribuer dans son orgueil; cette eau donc de la pure doctrine, on ne la trouve dans aucun livre des païens, ni chez les Epicuriens, ni chez les Stoïciens, ni chez les Manichéens, ni chez les Platoniciens; et même partout où l’on rencontre d’excellents préceptes de morale et de conduite, on ne trouve pas pour cela cette humilité divine. L’humilité pour nous émane d’une autre source elle nous vient du Christ. Quelle autre leçon pouvait-il nous donner en s’humiliant lui-même, en devenant obéissant jusqu’à la mort, et même jusqu’à la mort de la croix 2 ? Quel autre enseignement nous donnait-il en payant la dette qu’il n’avait pas contractée, afin de nous libérer de notre dette? Quel autre enseignement nous donnait-il en recevant le baptême, lui qui n’a commis aucun péché 3, en se faisant clouer à la croix, lui qui n’était point coupable? Que nous enseignait-il, sinon cette humilité ? Ce n’est pas sans raison qu’il adit: «Je suis la voie, la vérité et la vie 4 ». Telle est donc l’humilité, qu’elle nous rapproche de Dieu, parce que le Seigneur se tient près de ceux qui ont le coeur contrit 5 » Or, dans le débordement de ces grandes eaux qui s’élèvent contre Dieu, qui enseignent l’orgueil et l’impiété, nul ne saurait approcher de Dieu.

19. Mais toi qui es déjà justifié, es-tu encore au milieu de ces grandes eaux? Oui, mes frères, même quand nous confessons nos fautes, nous entendons le bruit des grandes eaux qui nous environnent de toutes parts. Nous ne sommes point dans le déluge même, et ce déluge néanmoins nous environne. Les eaux nous serrent de près, mais sans nous accabler ; elles nous agitent, mais sans nous submerger. Que feras-tu donc, ô mon frère, toi qui es au milieu du déluge, et qui vis dans ce monde pervers? Se peut-il que tu n’y

1. Ps. XI., 5. — 2.  Phil. II, 8 — 3. Matt. III, 13. — 4. Jean , XIV, 6. — 5. Ps. XXIII, 19.

entendes point ces docteurs, que leurs doctrines d’orgueil n’arrive pas à tes oreilles, et que chaque jour leurs maximes ne mettent point ton coeur à la torture? Que dira donc au milieu de ce déluge le chrétien déjà justifié et qui se confie en Dieu? « Seigneur, vous êtes mon refuge, dans la persécution qui m’environne 1 ». Que les autres cherchent un abri chez leurs idoles, ou chez heurs démons, ou dans leurs forces, ou dans la défense de leurs péchés: pour moi, dans ce déluge, il n’y a que vous, Seigneur, qui puissiez me mettre à l’abri de la persécution qui m’environne.

20. «Délivrez-moi, ô vous qui êtes ma joie 2 ». Pourquoi vouloir qu’on te rachète, si tu es dans la joie? « Rachetez-moi, ô vous qui êtes ma joie ». J’entends à la fois, et le cri de l’allégresse: « Vous êtes ma joie», et la voix du gémissement : « Rachetez-moi ». Tu tressailles et tu gémis. C’est vrai, me répond le Prophète, je tressaille et je gémis : je tressaille dans l’espérance, je gémis encore dans la réalité. « Rachetez-moi, ô vous qui êtes ma joie ». Réjouissez-vous dans l’espérance, nous dit l’Apôtre; ce qui rend bien cette parole : « O vous qui êtes ma joie ». Mais pourquoi : « Délivrez-moi? » Saint Paul nous le dit ensuite : « Soyez patients dans la tribulation 3 ». L’Apôtre lui-même était déjà justifié, et que dit-il néanmoins? « Nous-mêmes aussi, qui possédons les prémices de l’Esprit, nous gémissons intérieurement». Pourquoi donc, « rachetez-moi? C’est que nous-mêmes nous gémissons dans l’attente de  l’adoption, qui sera la délivrance de nos corps4 ». Ainsi « rachetez-moi » signifie que nous gémissons en nous-mêmes, attendant que nos corps soient rachetés. Pourquoi cette expression : « Vous êtes ma joie? » L’Apôtre l’explique peu après en disant: « C’est par l’espérance que nous sommes sauvés; mais l’espérance qui verrait ne serait plus une espérance. Comment espérer ce que l’on voit déjà? Si nous espérons ce que nous ne voyons pas encore, nous l’attendons par la patience ». Espérer, c’est jouir; attendre avec patience, c’est gémir encore : car on n’a que faire de patience, quand on ne souffre point. Ce que l’on appelle tolérance, patience, souffrance, longanimité, tout cela ne se dit que des peines que l’on endure. Si vous êtes

1. Ps. XXXI, 7. — 2. Ibid. — 3. Rom. XII, 12. — 4. Id. VIII, 23—25.

(291)

accablé, vous êtes dans l’angoisse. Donc si nous attendons par la patience, nous disons encore: Rachetez-moi de l’affliction qui m’environne; mais comme l’espérance nous sauvera, nous disons l’un et l’autre « Délivrez-moi, ô vous qui êtes ma joie».

21. Voici la réponse : « Je te donnerai l’intelligence ». Le psaume lui-même est un psaume d’intelligence. « Je te donnerai l’intelligence et t’affermirai dans la voie où tu auras marché 1 ». Qu’est-ce à dire : « Je t’affermirai dans la voie où tu auras marché 2 ? » Non plus afin que tu y demeures , mais afin que tu ne t’en écartes pas. Je te donnerai l’intelligence, afin que tu te comprennes toujours, que tu tressailles toujours dans l’espérance en Dieu : jusqu’à ce qu’enfin tu arrives dans la patrie, où il n’y a plus d’espérance, mais où tout sera réalité.« J’affermirai mon regard sur vous ». Je ne détournerai point de vous les yeux, parce que jamais vous ne les détournerez de moi.

            Bien que tu sois justifié et après la rémission de tes fautes, lève les yeux vers ton Dieu. Sur la terre, ton coeur s’en allait en pourriture. Ce n’est pas sans raison que l’on te crie: Elève ton coeur en haut, de peur qu’il ne se corrompe. Toi donc aussi lève les yeux en haut; tiens-les fixés sur le Seigneur, afin qu’il arrête ses regards sur toi. Mais pourquoi redouter qu’en élevant tes yeux en haut, tu ne voies pas devant toi, et que ton pied ne tombe dans quelque piége? Sois sans crainte, là aussi sont arrêtés ces regards de Dieu qu’il tenait fixés sur toi. « Soyez », nous dit le Seigneur, « soyez sans sollicitudes ». L’apôtre saint Pierre a dit : « Rejetez dans le sein de Dieu toute votre sollicitude, parce que lui-même prend soin de vous 3 » . Donc « mes yeux seront fixés sur toi ». Quant à toi, fixe à ton tour tes regards sur le Seigneur, et tu ne craindras pas, ai-je dit, de tomber dans le piége. Ecoute ce mot du psalmiste : « Mes yeux seront toujours fixés en Dieu ». Et comme si on lui disait: Que deviendront tes pieds, si tu ne regardes point à ta marche? il répond : « Ce sera lui qui dégagera mes pieds des embûches 4. » J’affermirai donc sur toi  « mes regards 5 ».

22. Ainsi Dieu a promis le secours et l’intelligence au prophète qui se tourne alors vers

1. Ps. XXXI, 8. — 2. Mat. VI, 31. — 3. I Pierre, V, 7. —  4. Ps. XXIV, 15.

les orgueilleux qui défendent leurs péchés: « Gardez-vous », leur dit-il, « de ressembler au cheval et au mulet, qui n’ont point d’intelligence 1 ». Le cheval et le mulet marchent la tête levée; ils ne ressemblent point à ce boeuf qui connaît son maître, et à l’âne qui connaît l’étable de celui qu’il sert 2. « Gardez-vous de ressembler au cheval et au mulet, qui n’ont point d’intelligence ». Qu’arrive-t-il pour eux? « C’est par la bride et par le mors que vous assujettirez les mâchoires de ceux qui ne s’approchent point de vous 3 ». Veux-tu être cheval ou mulet? Veux-tu ne souffrir aucun cavalier? Ta bouche et tes mâchoires seront assujetties par la bride et le mors : on assujettira cette bouche qui relève tes mérites et garde le secret de  tes fautes. « Maîtrisez donc les mâchoires de ceux qui ne s’approchent point de vous » par humilité.

23. « Ils sont nombreux, les châtiments des pécheurs 4 ». Il n’est pas étonnant que le fouet vienne après le mors. li voulait être un animal indomptable, et on l’assouplit avec le mors et le fouet: et plaise à Dieu qu’on l’assouplisse! Car il est à craindre que par son opiniâtreté; il ne mérite de rester indompté, et de s’en aller sauvage et vagabond, où le portera sa fougue, en sorte que l’on dise de lui comme de ceux dont les péchés demeurent impunis ici-bas, que «leur iniquité vient de leur abondance 5 ». Que le fouet donc serve à le corriger et à le dompter, comme l’interlocuteur avoue qu’il a été lui-même dompté. Il se comparaît au cheval et au mulet à cause de son silence : mais qu’est-ce qui l’a dompté? le fouet du châtiment. «Je me suis converti », dit-il, « dans ma douleur et déchiré par l’aiguillon ». Soit donc parle fouet, soit par l’aiguillon, Dieu assouplit le cheval qu’il monte, et c’est l’avantage du cheval d’avoir un tel cavalier. Et si le Seigneur monte à cheval, ce n’est point qu’il soit fatigué de marcher à pied. Car ce n’est pas sans quelque mystère que l’on amena autrefois linon au Sauveur 6. Le peuple qui porte Jésus-Christ avec la bonne volonté de la douceur et de la paix, est figuré par cet ânon, et il se dirige vers Jérusalem. « Car Dieu dirige les hommes doux dans l’équité », comme le dit un-autre psaume, « il enseignera ses voies aux hommes pacifiques 7 ». Quels sont ces

1. Ps. XXXI, 9.— 2. Isa. I, 3.— 3. Ps. XXXI, 9.— 4.   Id. 10. —  5. Id. LXXI, 7.— 6. Matt. XXI, 7.— 7. Ps. XXIV, 9.

(292)

hommes doux? ceux qui ne relèvent point arrogamment la tête contre leur maître, qui endurent le fouet et le frein; qui deviennent si souples qu’ils marchent sans le fouet, et que sans frein et sans bride ils suivent le bon chemin. Si tu n’as le Seigneur pour cavalier, c’est toi qui tomberas et non lui. « Ils sont nombreux les châtiments du pécheur; mais celui qui espère dans le Seigneur, sera environné par sa miséricorde ». Quel refuge pourrons-nous trouver dans le malheur? Celui qui est d’abord dans l’affliction trouvera ensuite la miséricorde; car cette miséricorde nous viendra de celui qui nous a donné la loi 1 ; la loi comme un châtiment, là miséricorde comme une consolation. « Celui qui espère dans le Seigneur trouvera ensuite la miséricorde ».

24. Quelle est donc la conclusion du psaume? « Réjouissez-vous dans le Seigneur, ô vous qui êtes justes, et tressaillez de joie 2 ». Et vous, impies, qui vous réjouissez en vous-mêmes, vous, orgueilleux, qui n’avez de joie qu’en vous : maintenant que vous croyez en celui qui justifie l’impie, que votre foi vous sait imputée à justice 3. « Réjouissez-vous dans le Seigneur, ô vous qui êtes justes, et tressaillez de joie » dans le Seigneur encore. Pourquoi cette joie? parce que déjà vous êtes justes; et d’où vous vient la justice? non pas de vos mérites, mais de la grâce de Dieu. Pourquoi êtes-vous justes? parce que vous avez été justifiés.

25. « Glorifiez-vous, ô vous qui avez le coeur droit 4 ». Comment votre coeur est-il droit? C’est que vous ne résistez point à Dieu. Que votre charité redouble d’attention, et cous-prenez ce qu’est un coeur droit. Je le dis en peu de mots, mais qu’il faut bien retenir. Je bénis Dieu que ce soit en finissant, afin que cela demeure mieux gravé dans votre mémoire. Voici donc la différence qui existe entre le coeur droit et le coeur pervers. Qu’un homme qui se trouve; sans le vouloir, dans les afflictions, dans les chagrins, dans les fatigues, dans les humiliations, ne voie eu tout cela que la juste volonté de Dieu, sans l’accuser de folie, comme s’il agissait en aveugle, en frappant celui-ci pour épargner celui-là, cet homme a le coeur droit : ceux-là au contraire ont le coeur mauvais,

1. Ps. LIXXIIl, 8.—  2. Id. XXXI, 11. — 3. Rom. IV, 5.— 4. Ps. XXXI, 11.

le coeur dépravé, le coeur perverti, qui taxent toujours d’injustice les tourments qu’ils endurent, et qui attribuent cette injustice à celui qui les permet; ou bien qui lui enlèvent le gouvernement du monde, parce qu’ils l’incriminent. Dieu ne peut rien faire d’injuste, nous disent-ils; or, il est injuste que la douleur soit pour moi et non pour cet autre: que je sois pécheur, je l’accorde; mais il en est de plus coupables que moi, qui sont dans l’allégresse, et moi dans la douleur: comme donc il est injuste que de plus méchants que moi soient dans la joie quand je gémis dans la peine, moi qui suis juste, ou moins pécheur que ceux-là; comme il y a là une injustice, j’en ai la conviction, et que j’ai aussi cette conviction que Dieu ne saurait faire le mal, j’en conclus que Dieu ne dirige point les choses du monde, et ne prend de nous aucun souci. Donc, l’égarement de ces hommes au coeur méchant et perverti, peut se réduire à trois points : ou qu’il n’y a pas de Dieu: « L’insensé dit dans son cœur : Dieu n’est pas 1». C’est là une des eaux de ce déluge dont nous avons parlé. Il s’est trouvé des philosophes pour soutenir cette doctrine, et pour dire que ce n’est point un Dieu qui gouverne et qui a créé toutes choses, mais qu’il y a plusieurs dieux s’occupant d’eux-mêmes en dehors du monde, et n’ayant aucun soin de cet univers. Donc, ou bien il n’y « a pas de Dieu », et c’est le langage de l’impie, qui désapprouve tout ce qui lui arrive en dehors de sa volonté, sans arriver à tel autre auquel il se préfère; ou bien: Dieu est injuste, puisqu’il commet et approuve tout cela

ou bien: Dieu ne gouverne point les choses d’ici-bas, et n’a pas soin de nous tous. Il y a dans chacun de ces trois points une grande impiété, puisque c’est nier Dieu, ou l’accuser d’injustice, ou lui enlever la direction des événements. D’où vient cette impiété? de la dépravation du coeur. Dieu est la rectitude même , et un coeur qui n’est point droit ne s’accorde point avec lui. C’est ce que le psalmiste a dit ailleurs: « Combien est bon le Dieu d’Israël, pour ceux qui ont le coeur droit 2 ». Et parce qu’il touchait lui-même à l’un de ces points, et se demandait: « Comment Dieu sait-il ces choses, et comment le Très-Haut en a-t-il connaissance 3 »; aussi a-t-il dit au même endroit : « Peu s’en est fallu

1. Ps. XIII, 1.—  2. Id. LXXII, 1.— 3. Id. 11.

(293)

que mes pieds ne fussent ébranlés 1 ». De même qu’en posant un bois tortueux sur une surface plane, vous ne pouvez le ranger, ni le consolider, ni le faire joindre : mais il est toujours branlant et sans solidité; non point que la surface soit inégale, mais parce que le bois que vous y voulez appliquer est tortueux; de même votre coeur, s’il est dépravé, s’il est tortueux, ne peut s’unir à Dieu qui est la rectitude même; il ne peut s’unir à Dieu par une véritable adhésion, ainsi qu’il est dit: « Celui qui adhère au Seigneur, devient un même esprit avec lui 2 » . Donc, « glorifiez-vous, ô vous qui avez le coeur droit », dit le Prophète. Comment peuvent se glorifier ceux qui ont le coeur droit? Ecoutez de quelle manière ils se glorifieront : « Non-seulement, dit l’Apôtre, nous nous glorifions dans l’espérance, mais nous nous glorifions dans nos afflictions 3 ». Tressaillir dans les biens et dans les délices, c’est chose facile ; mais l’homme au coeur droit tressaille même dans la tribulation. Or, vois ce qu’est sa joie, quand on l’afflige, car ce n’est pas en vain, ce n’est pas sans raisons qu’il tressaille, Vois l’homme au coeur droit: « Nous savons n, dit saint Paul, que la tribulation produit la patience, la patience la pureté, et la pureté l’espérance; or, cette espérance n’est point vaine, car l’amour de Dieu a été répandu dans nos coeurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné 4 ».

26. C’est là, mes frères, la droiture du coeur. Quel que soit l’homme à qui il arrive quelque chose, qu’il s’écrie: « Le Seigneur l’a donné, le Seigneur l’a ôté » .Telle est la droiture du coeur: « Comme il a plu au Seigneur, ainsi il a été fait: que le nom du Seigneur soit béni 5 ». Quel est celui qui a ôté? Qu’a-t-il ôté? A qui a-t-il ôté? Quand l’a-t-il ôté? Que le nom du Seigneur soit béni. Il ne dit point: Le Seigneur l’a donné, le diable l’a ôté. Que votre charité le remarque bien, afin de ne dire jamais: C’est le diable qui m’a fait cela. C’est à Dieu qu’il faut rapporter le châtiment que tu subis, car le diable n’a aucun pouvoir sur toi, que par la permission de Celui qui use de son souverain pouvoir, ou pour châtier ou pour corriger; pour châtier l’impie, pour corriger ses enfants. « Le Seigneur happe celui qu’il reçoit au nombre de ses

1. Ps. LXXII, 2.— 2. I Cor. VI, 17. — 3. Rom. V, 3   — 4. Id. 3, 4, 5. —  5. Job, I, 21.

enfants 1 ». Ne prétends donc point échapper au fouet, à moins que tu ne veuilles renoncer à l’héritage, Le Seigneur châtie tout enfant qu’il adopte. Est-ce tous, sans exception? Où donc te cacher? C’est tout enfant; il n’a point d’exception; nul n’est adopté sans passer par le fouet. Comment? pas un seul? Veux-tu comprendre qu’il n’y en aura pas un seul ? Son Fils unique était sans péché, il n’a pas été admis sans châtiment. C’est pourquoi son Fils unique, chargé de tes infirmités, se personnifiant avec toi, comme le chef, qui représente le corps, aux approches de la passion, fut saisi de tristesse 2, afin de te procurer la joie ; il fut plongé dans l’affliction, pour te consoler, et pouvoir, dans sa divinité, affronter les souffrances sans aucune tristesse. Le général ne pouvait-il pas ce qu’a pu le soldat? Et comment le soldat l’a-t-il pu? Ecoute Paul qui tressaille quand la passion approche. «Pour moi »,dit-il, « je vais être immolé, et le temps de ma mort approche. J’ai bien combattu; j’ai achevé ma course, j’ai gardé la foi: il ne me reste qu’à attendre la couronne de justice qui m’est réservée, et que le  Seigneur, comme un juste juge, m’accordera dans ce grand jour, non seulement à moi, mais encore à tous ceux qui désirent son avènement 3». Voyez comme il tressaille quand il va souffrir. Il tressaille donc celui qui va recevoir la couronne, et celui qui va la donner est dans la tristesse. Que figurait donc le Fils de Dieu, sinon l’infirmité de quelques-uns qui s’attristent en face de la douleur ou de la mort? Mais voyez encore, comme il les amène à la droiture du coeur. Tu voulais vivre, et te mettre à l’abri de tout accident; mais Dieu en a décidé autrement: voilà deux volontés ; que la tien ne se conforme donc à celle de Dieu, et non pas que celle de Dieu s’assouplisse à ta tienne; car la tienne est dépravée, celle de Dieu est la règle même: que la règle subsiste, afin qu’elle serve à redresser tout ce qui est tortueux, Voyez comme cet enseignement est bien celui de Jésus-Christ. « Mon âme»,dit-il, « est triste jusqu’à la mort » ; puis: « Mon Père, s’il est possible, que ce calice s’éloigne de moi ». C’est là que perce la volonté humaine. Mais écoutez le coeur droit: « Et pourtant, non comme je veux, mais comme vous voulez, ô mon Père ». C’est là ton modèle,

1. Héb. XII, 6. — 2. Matt. XXVI, 38. — 3. II Tim. IV, 6-8. — 4. Matt. XXVI. 38, 39.

(294)

dans la joie de tout ce qui peut t’arriver: et même réjouis-toi, si ta dernière heure vient à sonner. Et si tu ressens -quelque faiblesse qui appartienne à l’humaine volonté, dirige la du côté de Dieu, afin que tu fasses nombre avec ceux à qui il est dit: « Glorifiez-vous, ô vous dont le coeur est droit».

PREMIER DISCOURS SUR LE PSAUME XXXII.
LA CONFIANCE DU JUSTE.

 Le juste doit se réjouir et mettre sa confiance dans le Seigneur, dans les promesses qu’il nous a faites, dans sa miséricorde et sa justice, dans le soin qu’il prend de chacun de nous. Lui seul pourra nous sauver, pourvu que notre âme l’attende avec patience et que notre coeur ne mette qu’en nui seul sa félicité.

           1. « Tressaillez dans le Seigneur, ô vous qui êtes justes ». Tressaillez, ô justes, mais non point en vous-mêmes, cela ne serait point sûr, mais tressaillez dans le Seigneur. « C’est aux coeurs droits que sied bien la louange 1 ». Ce sont ceux qui louent le Seigneur, en se soumettant à lui : il n’en est pas ainsi des coeurs tortueux et dépravés.

2. « Chantez le Seigneur sur vos harpes 2 ». Chantez le Seigneur, en lui faisant de vos corps une hostie vivante 3. « Bénissez-le sur de psaltérion à dix cordes ». Que tous vos membres servent à l’amour de Dieu et du prochain, ou à l’accomplissement des trois préceptes de la première table, et des sept préceptes de la seconde.

3. « Chantez au Seigneur un cantique nouveau 4 ». Chantez un cantique de grâces cl de loi. « Chantez sagement dans vos cris d’allégresse ». Chantez- avec une joie que mesure la sagesse.

4. « Car la parole du Seigneur est pleine d’équité 5». La parole du Seigneur est droite pour vous rendre ce que vous ne pouvez devenir par vous-mêmes, « Et toutes ses œuvres sont dans la foi ». Nul dès lors ne doit se croire parvenu à la foi par ses mérites, puisque c’est de la foi même que viennent les oeuvres agréables à Dieu.

5. « Il aime la miséricorde et le jugement ». Il aime la miséricorde qu’il répand

1. Ps, XXXII, 1.— 2. Id. 2.— 3.Rom. XII, 1.— 4. Ps. XXXII, 3.—  5. ibid. 4.

maintenant et par avance sur les hommes; et le jugement qui lui fait exiger le produit de ses dons. « La terre est remplie de la miséricorde du Seigneur 1 ». Dans tout l’univers les hommes reçoivent le pardon de leur péché, par la divine miséricorde.

6. « C’est la parole du Seigneur qui consolide les cieux ». Car ce n’est point d’eux-mêmes que les justes se sont affermis, mais par la parole du Seigneur. « Et c’est du souffle de sa bouche que vient leur force 2 ». Et leur foi vient de l’Esprit-Saint.

7. « C’est lui qui rassemble comme dans une outre les eaux de la mer3». Il rassemble tous les peuples d’ici-bas pour la confession de leurs péchés qui sont condamnés, de peur que l’orgueil ne les fasse déborder dans la licence. « Dans ses trésors il place des abîmes ». Il garde pour eux des secrets cachés, afin de les enrichir.

8. « Que toute la terre craigne le Seigneur 4 ». Que le pécheur craigne, afin de s’abstenir du péché. « Qu’ils tremblent devant lui», non point parla peur des hommes, ou de toute autre créature, mais que Dieu fasse s trembler « tous ceux qui habitent l’univers » .

9. « Car il a parlé et tout a été fait », nul autre n’a fait ces créatures que peuvent redouter les hommes; mais c’est bien lui qui a dit, et les voilà faites. « Il a commandé, et tout a été créé ». Il a commandé par son Verbe, et la création s’est opérée.

1. Ps. XXXII, 5. — 2. Id. 6. — 3. Id. 7. — 4. Id. 8. —  5. Id. 9.

(295)

10. « Le Seigneur a renversé les conseils des nations 1 », qui recherchaient leur domination et non la sienne. « Il réprouve la pensée des peuples », qui désirent le bonheur de ce monde. «Il réprouve aussi les desseins des princes», qui cherchent à dominer sur ces peuples.

11. «Mais le dessein du Seigneur demeure  éternellement 2 ». Il est immuable pour l’éternité ce dessein du Seigneur, qui n’accorde la félicité qu’à ceux qui lui sont soumis. « Les   pensées de son coeur subsistent dans les siècles des siècles ». Les desseins de sa sagesse ne sont point assujettis au changement, mais ils demeurent dans le cours des siècles.

12. « Bienheureux le peuple qui a le Seigneur pour son Dieu 3». Il n’y a qu’un seul peuple, celui de la cité céleste, qui ne se choisit point d’autre Dieu que le Seigneur. «Heureux le peuple que le Seigneur s’est choisi pour héritage ». Ce peuple ne s’est point élu, mais Dieu l’a choisi dans sa miséricorde, afin de le posséder, et de n’y rien souffrir d’inculte ou de misérable.

13. « Du haut des cieux le Seigneur a regardé, et il a vu tous les enfants des hommes 4 ». A travers l’âme juste, Je Seigneur a vu dans sa bonté, tous ceux qui veulent renaître à une vie nouvelle.

14. « Du haut de la tente qu’il s’est préparée ». De ce tabernacle de chair qu’il s’est fait en s’incarnant. « Il a regardé ceux qui habitent la terre 5 ». Il a vu dans sa bonté ceux qui habitent la terre, afin de les gouverner en pasteur.

15. « C’est lui qui a formé le coeur de chacun d’eux 6 ». Il a mis dans le coeur des dons qui leur sont propres, afin que le corps ne soit point tout oeil, ni tout oreille 7; mais il est pour celui-ci une manière de s’unir au corps de Jésus-Christ, polir celui-là une autre manière. « C’est lui qui connaît toutes leurs actions ». Devant lui rien n’est incompris des actions des hommes.

16. « Ce ne sont point ses forces nombreuses qui sauveront le roi 8 ». « Celui qui est le roi de sa chair, ne sera point sauvé, s’il met sa confiance dans sa propre vertu » . «Et  le géant ne trouvera point son salut dans ses grandes

1. Ps. XXXII. 10.—  2. Id. 11.— 3. Id. 12.—  3. Id. 13.— 4. Id. 14 — 5. Id. 15. — 6. I Cor. XII, 17. — 7. Ps. XXXII, 16.

forces ». Tous ceux qui combattent les vieilles habitudes de la convoitise, ou le diable et ses anges, ne seront pas néanmoins sauvés, s’ils présument trop de leur propre valeur.

17. « Un coursier ! vain espoir de salut 1 ». On se trompe, si l’on croit pouvoir, avec le secours des hommes, acquérir le salut que l’on a reçu parmi les hommes, ou échapper à la perdition par l’obstination du caractère. « Il ne sera point sauvé par l’ardeur de son courage ».

18. « Voilà que les yeux du Seigneur s’arrêtent sur ceux qui le craignent 2 ». Si tu cherches le salut, Dieu incline son amour sur ceux qui le craignent. « Et qui espèrent en sa miséricorde ». Qui espèrent, non dans leur propre vertu, mais dans la divine miséricorde.

19. « Afin d’arracher leurs âmes à la mort, et de les nourrir pendant la famine 3 ». Afin de les nourrir de son Verbe et de l’éternelle vérité, qu’ils avaient perdue en présumant de leurs forces, et voilà que la faim de la justice a épuisé ces mêmes forces.

20. « Notre âme attendra patiemment le Seigneur 4 ». Afin de s’engraisser un jour de viandes incorruptibles, pendant qu’elle est en cette vie, notre âme attendra patiemment le Seigneur. « Car il est notre secours et notre protecteur ». Il nous aide quand nous nous dirigeons vers lui ; il nous protége quand nous résistons à l’ennemi.

21. « C’est en lui que s’épanouira notre cœur 5 ». Ce n’est pas en nous, puisque nous n’y trouvons que misère quand Dieu n’y est point, mais en Dieu que notre coeur s’épanouira. «Nous avons mis notre espoir dans « la sainteté de son nom ». Et si nous espérons arriver un jour à Dieu, c’est qu’il nous a fait connaître son nom par la foi, quand nous étions éloignés de lui.

22. « Que votre miséricorde, ô Dieu, descende sur nous, selon que nous avons espéré en vous 6 ». Oui, Seigneur, que votre miséricorde s’épanche sur nous, car nous avons mis notre espérance en vous, et cette espérance est infaillible.
 
 

1. Ps. XXXII, 17. — 2. Id. 18. — 3. Id. 19. — 4. Id. 20. — 5. Id. 21. — 6. Ibid. 22.
 
 

(296)
 
 

DEUXIEME DISCOURS SUR LE PSAUME XXXII.
PREMIER SERMON. — CONFIANCE EN DIEU.

 Ce sermon embrasse la première partie du psaume XXXII. Il nous apprend que nous devons bénir Dieu dans le malheur aussi bien que dans la prospérité; — que l’amour de la justice est l’accomplissement de la loi ; — et que la miséricorde ne vient bien qu’avec la justice.

1. Ce psaume nous invite à nous épanouir dans le Seigneur. Il a pour titre : A David. Ecoutez donc votre cantique, ô vous qui appartenez à la sainte lignée de David; soyez les échos de votre cantique et tressaillez dans le Seigneur. Voici comme il commence : « Réjouissez-vous dans le Seigneur, ô vous qui êtes justes ». Que l’impie trouve sa joie dons le siècle ; le siècle finira, et avec lui la joie de l’impie. Mais que les justes tressaillent dans le Seigneur, car le Seigneur est éternel, et leur joie le sera aussi. Mais pour tressaillir en Dieu d’une manière convenable, il nous faut le louer de ce qu’il est seul pour ne nous inspirer aucun dégoût, et pour en inspirer autant à l’infidèle. Et l’on peut dire en un seul mot:

Celui-là plaît à Dieu, qui se plaît en Dieu. Et gardez-vous de croire, mes frères, que ce soit chose facile. Voyez combien sont nombreux, ceux qui murmurent contre Dieu, combien trouvent à redire dans ses oeuvres. Quand il lui plaît d’agir contrairement à la volonté des hommes, parce qu’il est le maître, qu’il connaît ce qu’il fait, et qu’il s’arrête moins à considérer nos désirs que notre avantage, ces hommes alors, subornant à leur volonté, la volonté de Dieu, loin de redresser leur volonté sur celle de Dieu, prétendent que la volonté de Dieu voudra bien s’adapter à la leur. Ces hommes infidèles, impies, pervers, trouvent plus à leur guise, je rougis de parler ainsi, et je le dirai néanmoins, parce que vous savez que c’est la vérité, trouvent plus à leur guise un comédien que Dieu lui-même.

2. Aussi après avoir dit : « Justes, tressaillez de joie dans le Seigneur », comme nous ne pouvons tressaillir en lui qu’en chantant ses louanges, et que ces louanges lui sont d’autant plus agréables que nous mettons en lui notre bonheur, le prophète ajoute : « C’est aux coeurs droits qu’il convient de louer Dieu ». Quels sont les hommes au coeur droit? ceux qui l’assouplissent selon la volonté de Dieu ; qui se consolent dans la justice divine des troubles que leur cause l’humaine fragilité, quoique la faiblesse humaine leur fasse désirer de temps à autre ce qui pourrait leur convenir en particulier, ce qui serait en harmonie avec l’état actuel de leurs affaires, ou avec une nécessité qui se déclare, néanmoins lorsqu’ils reconnaissent et qu’ils savent que Dieu désire autre chose, ils préfèrent à leur volonté, la volonté du plus sage, à la volonté de l’infirme, la volonté du Tout-Puissant, à la volonté de l’homme, la volonté de Dieu. Car autant Dieu est au-dessus de l’homme, autant la volonté divine est au-dessus de la volonté humaine. C’est pourquoi le Christ s’étant fait homme, nous donne sa vie comme un modèle, et voulant tout à la fois nous apprendre à vivre et nous en mériter la grâce, nous fait voir en lui une certaine volonté humaine et privée, qui figurait à la fois la sienne et la nôtre, car il est notre chef, et vous le savez, nous lui appartenons comme ses membres: « Mon Père »,dit-il, «s’il est possible, que ce calice s’éloigne de moi ». Voilà une volonté humaine, qui s’arrêtait sur un objet propre et particulier. Mais comme il voulait que l’homme eût le coeur droit, afin de le porter à redresser sur le modèle qui est toujours droit, ce qu’il pouvait avoir de tortueux, quelque peu que ce fût, il ajoute : «Et pourtant, non point ce que je veux, mais ce que vous voulez, ô mon Père» Or, quelle volonté perverse pouvait avoir le Christ? Que pouvait-il vouloir, que ne voudrait point son Père? Ils n’ont qu’une même divinité, et ne peuvent avoir une volonté différente. Mais il

1. Matt. XXVI, 39. — 2. Ibid.

(297)

voulait personnifier dans cette humanité tous les siens, comme il les personnifiait en lui-même, quand il dit : « J’ai eu faim et vous m’avez donné à manger 1 » : comme il les personnifiait, quand lui, que nul ne blessait, cria du haut du ciel à Saul qui frémissait de rage, et persécutait les saints: « Saul, Saul, pourquoi me persécuter 2? » Il voulait donc te montrer en lui une volonté qui est propre à l’homme. Il t’a mis sous les yeux ta propre image afin de te corriger. Reconnais-toi en moi-même, te dit-il; tu peux, il est vrai, avoir ta volonté propre, autre que la volonté de Dieu, on le pardonne à ta fragilité, on le pardonne à l’infirmité humaine; il est difficile pour toi de n’avoir aucune volonté propre: mais à l’instant souviens-toi qu’il est quelqu’un au-dessus de toi; qu’il est supérieur, et toi inférieur, qu’il est créateur et toi créature, qu’il est maître et toi serviteur, qu’il est tout-puissant et toi bien faible ; et afin de te corriger, soumets ta volonté à sa volonté, en disant: « Toutefois, ô mon Père, non point ce que je veux, mais ce que vous voulez ». Alors comment pourrais-tu être séparé de Dieu; quand tu veux ce qu’il veut? C’est alors que tu seras droit, et qu’il te siéra de bénir Dieu : « Car c’est aux coeurs droits de le loue ».

3. Mais si ton coeur est tortueux, tu béniras Dieu dans la prospérité, pour le blasphémer dans le malheur; et toutefois le mal n’est plus un mal quand il est juste; et il est juste quand il vient de la part d’un Dieu qui ne peut rien faire d’injuste. Tu seras donc dans la maison paternelle comme l’enfant ingrat, tu aimeras ton père quand tu en recevras des caresses, et tu le haïras s’il vient à te châtier : comme si ses châtiments aussi bien que ses caresses ne te préparaient pas à devenir son héritier. Vois maintenant comme la louange sied bien aux coeurs droits, écoute ce que chante un coeur droit dans un autre psaume : « Je bénirai en tout temps le Seigneur, sa louange sera toujours dans ma bouche » . « En tout temps », a le même sens que «toujours »; comme «je bénirai » et « sa louange sera dans ma bouche » sont identiques. Le louer donc en tout temps et toujours, c’est le louer dans le malheur, comme dans la prospérité. Car si tu ne bénis Dieu que dans la prospérité et non dans le malheur, comment sera-

1. Matt. XXV, 35. — 2. Act. IX, 4. — 3. Ps. XXXIII, 2.

ce en tout temps, comment toujours? Et toutefois chaque jour n’entendons-nous pas le grand nombre qui eut agit ainsi? Leur arrive-t-il quelque bonheur, ils s’épanouissent, ils tressaillent de joie, ils bénissent Dieu, ils chantent ses louanges; loin de les désapprouver, je les en félicite, car il y en a beaucoup qui ne le font pas même alors. Mais il faut apprendre à ceux qui déjà bénissent Dieu dans la prospérité, à reconnaître qu’il est père encore quand il châtie, à ne point murmurer contre sa main qui les afflige, de peur qu’ils ne demeurent dans la dépravation, qu’ils ne déméritent et ne soient justement privés de l’héritage éternel; il le faut, afin qu’ils deviennent droits, et ils seront droits quand rien dans les actes de Dieu ne leur déplaira; et qu’ils puissent bénir Dieu jusque dans le malheur, et dire : « Le Seigneur l’a dominé, le Seigneur l’a ôté, comme il a plu au Seigneur, ainsi il a été fait; que le nom du Seigneur soit béni 1 » : c’est à ces coeurs droits qu’appartient la louange, eux qui ne béniront pas d’abord, pour blâmer ensuite.

4. Donc, ô vous qui êtes justes, qui avez le coeur droit, tressaillez dans le Seigneur, car c’est à vous qu’il appartient de le bénir. Que nul ne dise : Qui suis-je pour être juste? Ou :

Quand pourrai-je être juste? Ne vous méprisez point, ne désespérez point de vous-mêmes. Vous êtes hommes; vous êtes créés à l’image de Dieu 2: celui qui a fait de vous des hommes, s’est lui-même fait homme polar vous : et afin que vous fussiez adoptés en plus grand nombre pour l’éternel héritage, pour vous le sang de son Fils unique a été répandu. Si la faiblesse d’une chair terrestre vous rend méprisables à vos yeux, estimez-vous dû moins au prix que vous avez coûté. Pensez mûrement à votre nourriture, à votre breuvage, et à quoi vous souscrivez en disant : Amen. Toutefois est-ce l’orgueil que nous vous prêchons ici, et vous engageons-nous à vous attribuer quelque perfection? Encore une fois, n’allez pas vous croire étrangers à toute justice. Je ne veux pas vous questionner au sujet de votre justice; car nul d’entre vous sans doute n’oserait me répondre : Je suis juste: mais je vous interroge au sujet de votre foi; et de même que nul n’oserait me répondre : Je suis juste; nul aussi n’oserait me dire : Je n’ai pas la foi. Je ne cherche donc point quelle est ta vie,

1. Job, I, 21.—  2. Gen. I, 27.

(298)

je demande ce que tu crois. Tu me répondras que tu crois en Jésus-Christ. N’entends-tu point l’Apôtre qui te dit : « Le juste vit de la foi 1? » Ta foi, c’est là ta justice : car, si tu crois, tu es sur tes gardes ; si tu es sur tes gardes, tu fais des efforts, et tes efforts sont connus de Dieu, qui voit ta volonté, qui considère ta lutte contre la chair, qui t’exhorte à combattre, qui t’aide à remporter la victoire, qui t’observe pendant le combat, qui le soutient situ faiblis, qui te couronne si tu triomphes. Donc, « justes, tressaillez dans le Seigneur », signifie, tressaillez dans le Seigneur, ô vous qui avez la foi, car la foi est l’aliment du juste. « C’est aux coeurs droits que sied bien la louange 2 ». Apprenez à remercier Dieu dans les biens et dans les maux. Apprenez à mettre dans votre coeur nique chacun a sur la langue: A la volonté de Dieu. Ce langage du peuple a souvent de salutaires instructions. Qui ne dit point chaque jour : Que Dieu agisse comme il lui plaît? Qu’il ait le coeur droit, et il aura sa place parmi ceux qui tressaillent dans le Seigneur, et à qui sied la louange : c’est à eux que le psaume s’adresse dans la suite, en disant: « Louez le Seigneur sur la harpe, chantez-lui des hymnes sur le psaltérion à dix cordes 3 ». C’est ce que nous chantions tout à l’heure, c’est la leçon que nous donnions à vos coeurs en unissant nos voix.

5. Mais en établissant ces saintes veilles au nom du Christ, n’a-t-on point banni les harpes de ce lieu? Et voici qu’on leur enjoint de se faire entendre : « Chantez », nous dit-on, « chantez au Seigneur sur la harpe, et sur le psaltérion à dix cordes». N’arrêtez point vos pensées sur les musiques de théâtre. Vous avez en vous-mêmes cette harpe dont il est question, comme il est dit ailleurs « J’ai dans mon coeur, ô mon Dieu, ces voeux de louanges que je vous rendrai 4 ». Ceux qui étaient présents naguère quand j’expliquai la différence qui sépare le psaltérion de la harpe, et que je m’efforçai de la faire saisir à tous, peuvent s’en souvenir 5: c’est aux auditeurs à juger si nous avons réussi. Il n’est pas inutile pourtant de le répéter, afin de trouver dans la différence de ces deux instruments de musique, la différence des actions humaines, différence dont ils sont la figure, et dont notre vie deviendra

1. Rom. I, 17.— 2. Ps. XXXII, 1.— 3. Id. 2 — 4. Id. LV, 12. — 5. Voir Disc. sur le Ps. XLII ; Ps. LXX, serm. 2, vers, 11.

 la réalité. On appelle harpe ce bois concave à la manière des tambours, dont le bas est arrondi comme une tortue, et auquel on ajoute les cordes qui résonnent quand on les touche: je ne parle pas de l’archet qui sert à les toucher, mais bien de ce bois concave, sur lequel on étend des cordes, afin qu’il les répercute quand on les touchera, et que frémissant sur cette concavité, elles en deviennent plus sonores. Ce bois concave est donc en bas dans la harpe, et en haut dans le psaltérion. Telle est la différence. Or, il nous est ordonné de louer Dieu sur la harpe, de chanter sa louange sur le psaltérion à dix cordes. Il n’est point parlé de harpe à dix cordes, ni dans ce psaume, ni je crois dans aucun autre. Nos chers fils les lecteurs peuvent lire et chercher avec plus de loisir que nous toutefois, autant que je puisse me souvenir, j’ai souvent rencontré le psaltérion à dix cordes, et nulle part la harpe à dix cordes. Retenez donc bien que c’est par la partie inférieure que la harpe rend des sons, et que pour le psaltérion c’est dans la partie supérieure. Or, c’est dans notre vie inférieure ou terrestre que nous rencontrons la prospérité ou le malheur, qui nous donnent lieu de bénir Dieu dans l’une et dans l’autre, afin que sa louange soit toujours dans notre bouche et que nous le bénissions en tout temps 1. Comme il y a une félicité terrestre, il y a aussi une adversité qui est d’ici-bas ; nous devons remercier Dieu de l’une et de l’autre, afin que notre harpe résonne toujours. Qu’est-ce qu’une prospérité terrestre ? C’est la santé du corps, c’est l’abondance de tout ce qui nous est nécessaire en cette vie, c’est la sécurité contre tout danger, ce sont des récoltes abondantes, « c’est le soleil que Dieu fait luire sur les méchants comme sur les bons, et la pluie qui descend  sur les justes comme sur les impies 2 ». Voilà tout ce qui tient à la vie temporelle. Quiconque n’en bénit point Dieu, se flétrit par l’ingratitude. Ces dons, pour être terrestres, en sont-ils moins les dons de Dieu ? Ou faut-il penser qu’ils nous viennent d’un autre, parce qu’ils échoient aussi aux méchants ? La divine miséricorde se diversifie à l’infini: Dieu a de la patience, de la longanimité. Les biens dont il gratifie les méchants ne nous montrent que mieux ceux qu’il réserve aux bons. L’adversité nous vient au contraire de tout ce qui

1. Ps. XXXIII, 2. — 2. Matt. V, 45.

est inférieur, de la fragilité humaine, dans la douleur , dans les langueurs , dans les afflictions, dans les souffrances, dans les tentations. C’est alors, et toujours alors, que doit louer Dieu celui qui tient la harpe. Que lui importe que tout cela tienne à la vie inférieure, puisque tout cela n’est conduit et réglé que par cette sagesse, qui atteint d’une extrémité à l’autre avec force et dispose toutes choses avec douceur 1? Si Dieu gouverne les cieux, néanmoins il ne néglige point la terre: n’est-ce pas à lui qu’il est dit : « Où irai-je devant votre esprit, où fuirai-je devant votre face? Si je monte au ciel, vous y êtes; si je descends dans les enfers, vous y êtes encore 2 ». D’où peut être absent celui qui n’est absent d’aucun lieu? Donc, chantez le Seigneur sur la harpe. Dans l’abondance des biens terrestres, remerciez celui qui vous en a fait don ; dans la disette, ou dans les pertes, chantez sans rien craindre. Car vous n’avez point perdu celui qui vous adonné ces biens, quand même on vous enlèverait ses dons. Louez Dieu, vous dis-je, même dans cette condition; ayez confiance dans votre Dieu, touchez les cordes de votre coeur, et dites comme sur une harpe qui échappe dans sa partie inférieure des sons harmonieux: « Le Seigneur l’a donné, le Seigneur l’a ôté, comme il a plu au Seigneur, ainsi il a été fait; que le nom du Seigneur soit béni 3 ».

6. Mais si tu arrêtes ton attention sur les dons supérieurs que le Seigneur t’a faits, sur les préceptes qu’il t’a donnés, sur la céleste doctrine dont il a éclairé ton âme, sur la vérité qui t’arrive de la source la plus pure, prends alors ton psaltérion, bénis le Seigneur sur le psaltérion à dix cordes. Les préceptes de la loi sont en effet au nombre de dix, et ces dix préceptes vous forment une lyre à dix cordes. L’harmonie est complète. Trois préceptes regardent l’amour de Dieu, et les sept autres, l’amour du prochain. Or, toutefois, le Seigneur l’a déclaré: « Ces deux commandements renferment toute ta loi et les prophètes 4 ». C’est d’en haut que le Seigneur t’a dit: « Le Seigneur ton Dieu est le seul Dieu » : c’est pour ta lyre la première corde. « Tu ne prendras point en vain le nom du Seigneur ton Dieu » : c’en est la seconde. « Observe le jour du sabbat , non point d’une manière

1. Sag. VIII, 1.— 2. Ps. CXXXVIII, 7,8.— 3. Job, I, 21. — 4.  Matt. XXII, 40

charnelle, non dans les plaisirs, comme les Juifs qui abusent du repos pour commettre l’iniquité; le mal serait moins grand de passer le jour entier à cultiver la terre qu’à danser; mais toi qui ambitionnes le repos en Dieu, et qui ne fais rien qu’en vue de l’obtenir, abstiens-toi de toute oeuvre servile : «Car tout homme qui fait le péché devient est esclave du péché 1 ». Et plût à Dieu qu’il ne le fût que d’un homme et non du péché. Ces trois préceptes embrassent l’amour de Dieu, dont tu dois méditer la vérité, l’unité, les délices. Car il y a certaines délices en Dieu, où nous trouverons le véritable sabbat, le vrai repos. Aussi est-il dit : « Mets en Dieu tes délices , et il comblera les désirs de ton coeur 2».Quel autre en effet peut nous procurer plus de chastes délices que le Créateur de tout ce qui nous apporte les délices? Dans ces trois préceptes se résume l’amour de Dieu; dans les sept autres l’amour du prochain : « Ne fais point à un autre ce que tu ne veux pas qu’il te fasse. Honore ton père et ta mère », parce que tu veux être honoré par tes enfants. « Ne commets pas l’adultère», parce que tu ne veux pas que ta femme s’y livre en ton absence. « Tu ne tueras point », car tu ne veux pas être tué. « Tu ne voleras point », parce que tu ne veux pas que l’on te vole. « Tu ne feras point de faux témoignage », parce que tu hais celui qui fait un faux témoignage contre toi. « Ne désire  pas la femme de ton prochain », parce que tu ne veux pas qu’un autre pense à la tienne. « Ne désire pas ce qui appartient à un autre 3», puisqu’on te déplaît quand on désire ce qui est à toi. Interroge donc tes propres sentiments, puisqu’on ne peut te nuire sans te déplaire. Tous ces préceptes nous viennent de Dieu : c’est un don de la suprême Sagesse; c’est d’en haut qu’ils ont retenti. Touche donc le psaltérion, accomplis la loi que le Seigneur ton Dieu est venu, non pas détruire, mais accomplir lui-même 4. Car tu accompliras par amour ce que tu ne pouvais accomplir par la crainte. Celui qui n’évite le mal que par la crainte, le ferait volontiers, sans la défense. Je ne le commets point, dira-t-il. Pourquoi? parce que je crains. Tu n’aimes pas encore la justice, tu es encore dans l’esclavage : sois donc un fils, car un bon esclave

1. Jean, VIII, 34. — 2. Ps. XXXVI, 4. — 3. Exod. XX, 1-17; Deut. V, 6-21. — Matt. V, 17.

peut devenir un bon fils. Jusque-là évite le mal par crainte, et tu apprendras à l’éviter par amour. Car la justice a ses charmes. Que le châtiment t’arrête. Là justice a sa beauté, elle cherche les regards, elle attise l’amour en ceux qui l’aiment. C’est pour elle que les martyrs ont foulé aux pieds le monde, et répandu leur sang. Qu’aimaient-ils en renonçant à tous ces biens? Car n’aimaient-ils rien? et vous parlons-nous ainsi pour éteindre l’amour en vos coeurs? Il est froid, il est glacé le coeur qui n’aime point. Aimez donc; seulement aimez cette beauté qui charme les yeux du coeur. Aimez, seulement aimez cette beauté qui enflamme les coeurs quand on chante la justice. Voilà des hommes qui parlent, qui se récrient, qui disent partout : C’est bien; c’est très bien. Qu’ont-ils vu ? lis ont vu la justice qui donne la beauté au vieillard , fût-il courbé. Qu’on voie marcher ce vieillard doué de justice, il n’y a rien en lui de corporel que l’on puisse aimer, et néanmoins il est aimé de tous. On aime en lui ce qui est invisible, ou plutôt on aime en lui ce qu’il y a de visible pour le coeur. Que le vrai bien fasse donc vos délices, demandez à Dieu qu’il ait pour tous des attraits. « Car le Seigneur épanchera sur nous ses délices, et la terre produira son fruit (Ps. LXXXIV, 13) ». Afin que vous accomplissiez par la charité ce qu’il est difficile d’accomplir par la crainte. Que dis-je, difficile? L’esprit ne le peut encore : il aimerait mieux qu’il n’y eût aucun précepte, quand c’est la sainte qui le fait obéir, et non l’amour qui l’y détermine. Retiens-toi de tout larcin et redoute l’enfer, lai est-il dit : il aimerait mieux qu’il n’y eût point d’enfer pour l’engloutir. Mais quand est-ce qu’il commence à aimer la justice, sinon quand il s’abstient de tout vol, dût-il n’y avoir point d’enfer pour engloutir les voleurs? C’est là aimer la justice.

7. Mais cette justice, qu’est-elle donc ? qui pourra la peindre? Quelle beauté reluit dans la sagesse de Dieu? C’est elle qui donne le charme à tout ce qui a de l’attrait pour nos yeux: pour la voir, pour l’embrasser, il faut purifier nos coeurs. C’est elle que nous faisons profession d’aimer ; et c’est elle qui compose tout en nous, afin que rien ne lui déplaise. Et quand les hommes blâment en nous ce que nous faisons pour plaire à cette sagesse que nous aimons, combien peu nous estimons de tels censeurs, quel peu de souci, et même quel mépris ils nous inspirent? Voilà des hommes qui ont pour des femmes un amour condamnable; que ces amantes les ajustent selon leur goût, et ils s’inquiètent peu de déplaire aux autres quand ils plaisent à ces femmes, et il leur suffit d’être au goût de celles dont ils recherchent les faveurs : et souvent, ou plutôt toujours, ils déplaisent aux hommes plus mûrs, et trouvent leur condamnation chez les hommes judicieux. Votre chevelure est mal arrangée, dit un homme austère à un jeune impudique, ces frisures sont indécentes. Mais cet amant sait bien que ses cheveux ainsi bouclés plaisent à je ne sais quelle créature, et alors il te hait pour ta juste réprimande, et il conserve cet ajustement qui ne plaît qu’au goût dépravé, lite prend pour un ennemi, parce que tu le rappelles à la décence. Il se dérobe à tes regards, et s’inquiète peu si ta réprimande est juste. Si donc ils méprisent les blâmes de la vérité, pour affecter une beauté fictive ; pour nous, dans ce que nous faisons pour plaire à la divine sagesse, quel cas nous faudra-t-il faire de ces railleurs injustes, qui n’ont pas les yeux pour voir ce que nous aimons? Pensez-y, ô vous qui avez le coeur droit, « et bénissez Dieu sur la harpe, et chantez-le sur le psaltérion à dix cordes».

8. « Chantez-lui un cantique nouveau (Ps. XXXII, 3 ) ». Dépouillez-vous du vieil homme: vous connaissez le cantique nouveau. Le nouvel homme, la nouvelle alliance, voilà le cantique nouveau. Le cantique nouveau n’est point l’héritage du vieil homme: il n’y a pour l’apprendre que les hommes nouveaux, qui ont rajeuni le vieil homme dans la grâce, et qui appartiennent au Nouveau Testament, c’est- à-dire au royaume des cieux. C’est vers lui que notre amour exhale ses soupirs, à lui qu’il chante ses cantiques. Qu’il chante ce cantique, non de la voix, mais par les actions de la vie. « Chantez-lui un cantique nouveau, chantez-le sagement ». Chacun se demande : comment chanter à Dieu ? Oui, chantez, mais qu’il n’y ait aucun désaccord; Dieu ne peut souffrir que l’on blesse ses oreilles. Chante sagement, ô mon frère. Devant un habile musicien qui doit t’écouter; que l’on te dise Chante pour lui plaire, situ crains de chanter parce que tut es dépourvu de science musicale, et qu’un (301) artiste peut trouver en toi des défauts inaperçus pour un ignorant: qui se flattera de chanter avec harmonie, pour Dieu, qui juge du chantre avec tant de sagacité, qui pénètre dans tous les détails, qui écoute si attentivement? Quand votre chant sera-t-il assez harmonieux, pour n’offenser en rien des oreilles si délicates ? Voici qu’il vous prescrit lui-même la manière de chanter; ne cherchez point les paroles comme si vous pouviez en trouver pour expliquer ce qui plaît à Dieu. Chantez « par vos transports ». Pour Dieu, bien chanter, c’est chanter dans la joie. Mais qu’est-ce que chanter avec transport? C’est comprendre que des paroles sont impuissantes à rendre le chant du coeur. Voyez ces travailleurs qui chantent soit dans les moissons, soit dans les vendanges, soit dans tout autre labeur pénible : ils témoignent d’abord leur joie par des paroles qu’ils chantent; puis, comme sous le poids d’une grande joie que des paroles ne sauraient exprimer, ils négligent toute parole articulée et prennent la marche plus libre de sons confus. Cette jubilation est donc pour le coeur un son qui signifie qu’il ne peut dire ce qu’il conçoit et enfante. Or, à qui convient cette jubilation, sinon à Dieu qui est ineffable? Car on appelle ineffable ce qui est au-dessus de toute expression. Mais si, ne pouvant l’exprimer, vous- devez néanmoins parler de lui, quelle ressource avez-vous autre que la jubilation, autre que cette joie inexprimable du coeur, cette joie sans mesure, qui franchit les bornes de toutes les syllabes?  « Chantez harmonieusement, chantez dans votre jubilation ».

9. « Car la parole du Seigneur est droite, e et toutes ses oeuvres sont dans la foi ». Et c’est même par sa droiture qu’il déplaît à ceux dont le coeur n’est pas droit. « Toutes ses oeuvres sont dans la foi » ; que les tiennes aussi soient dans la foi, « car le juste vit de la foi 1», et c’est « la foi qui agit par la charité 2 ». Que tes oeuvres soient dans la foi, parce que c’est en croyant en Dieu que tu deviens fidèle. Mais comment les oeuvres de Dieu peuvent-elles être dans la foi, comme s’il vivait aussi de la foi? Cependant nous trouvons que Dieu est fidèle, et ce n’est point moi qui tiens ce langage, écoutez l’Apôtre: « Dieu est fidèle » ,dit-il, « et ne souffrira point que vous soyez tentés au-dessus de vos forces, mais il

1. Rom. I, 17. —  2. Gal. V, 6.

vous fera profiter de la tentation afin que vous puissiez persévérer 1 ». Dieu est fidèle, vous l’entendez; écoutez ce qu’il dit ailleurs : « Si nous souffrons avec lui, nous régnerons aussi avec lui; si nous le renonçons, il nous renoncera aussi; si nous lui sommes  fidèles, il demeurera fidèle, car il ne peut être contraire à lui-même 2 ». Nous avons donc aussi un Dieu qui est fidèle. Distinguons toutefois la fidélité de Dieu de la fidélité de l’homme. L’homme est fidèle quand il croit aux promesses que Dieu lui fait ; Dieu est fidèle quand il donne à l’homme ce qu’il lui a promis. Sa grande miséricorde à nous promettre, nous garantit sa fidélité à tenir sa promesse. Nous ne lui avons rien prêté pour faire de lui notre débiteur; c’est de lui que nous vient tout ce que nous pouvons lui offrir, et si nous avons quelque valeur, nous la tenons de lui. Tous les biens qui font notre joie viennent de lui. « Qui connaît en effet les desseins de Dieu ? ou qui est entré dans ses conseils? ou qui lui a donné le premier, pour en attendre une récompense? Tout est de lui, tout est par lui, tout est en lui 2 ». Donc nous ne bai avons rien donné, et néanmoins il est notre débiteur. Pourquoi débiteur? parce qu’il a fait des promesses. Nous ne lui disons point: Seigneur, rendez ce que vous avez reçu; mais bien: « Donnez ce que vous avez promis » . « Car la parole du Seigneur est droite » . Qu’est-ce à dire, que « la parole du Seigneur est droite? » Qu’elle ne vous trompe jamais, et que vous ne devez point la tromper, ou mieux, vous tromper vous-mêmes. Comment tromper en effet celui qui connaît tout? « Mais l’iniquité ment contre elle-même 4 . Car le discours du Seigneur est droit, et toutes ses oeuvres sont dans la foi ».

10. « Il aime la miséricorde et le jugement 5 ». Aimez-les, puisque Dieu les aime. Appliquez-vous, mes frères. C’est maintenant le temps de la miséricorde, ensuite viendra celui du jugement. Pourquoi est-ce aujourd’hui celui de la miséricorde? C’est que maintenant il appelle ceux qui se détournent de lui, et qu’il pardonne à ceux qui se tournent vers lui ; c’est qu’il attend avec patience que les pécheurs se convertissent; c’est qu’après leur conversion il oublie le passé, il promet l’avenir, il stimule la lenteur, il console dans

1. I Cor. x, 13. — 2. II Tim. 11,12, 13. — 3. Rom. XI, 34-36. — 4. Ps. XXVI, 12. —  5. Id. XXII, 5.

(302)

l’affliction, il enseigne ceux qui sont studieux, il vient en aide à ceux qui combattent: il n’abandonne aucun de ceux qui sont dans la peine et qui crient vers lui; il nous donne ce que nous devons lui offrir en sacrifice, et nous met en main de quoi l’apaiser. Qu’un temps si précieux de miséricorde ne passe point pour nous, ô mes frères, qu’il ne s’écoule point inutilement pour nous. Toutefois viendra le jugement avec son repentir, et repentir sans fruit. « Ils diront en eux-mêmes dans le repentir, et gémissant dans l’angoisse de leur esprit »; c’est là ce qui est écrit au livre de la Sagesse : « De quoi nous a servi l’orgueil, et que nous a procuré l’ostentation des richesses? Toutes ces choses ont passé comme l’ombre 1 ». Disons maintenant : « Tout passe comme l’ombre ». Disons utilement: « Tout passe», de peur qu’un jour nous ne disions sans profit : « Tout est passé ». C’est donc maintenant le temps de la miséricorde que doit suivre le temps du jugement.

11. Toutefois, mes frères, gardez-vous de croire que ces deux attributs puissent être séparés en Dieu. Il semble, en effet, qu’ils soient contradictoires, et que la miséricorde ne devrait point se réserver le jugement, comme le jugement devrait se faire sans miséricorde. Lis Dieu est tout-puissant, et dans sa miséricorde il exerce la justice, comme dans ses jugements il n’oublie point la miséricorde. Car il nous prend en pitié, il considère en nous son image, notre fragilité, nos erreurs, antre aveuglement, et il nous appelle, et il pardonne les fautes à ceux qui se tournent vers lui, mais il les retient à ceux qui ne se convertissent point. Est-il miséricordieux pour ceux qui sont injustes? Abandonne-t-il pour cela sa justice, et doit-il confondre le juste avec l’injuste? Vous paraîtrait-il juste de traiter de la même manière le pécheur qui se convertit et celui qui ne se convertit point, de faire le même accueil à celui qui avoue ses fautes et à celui qui les déguise, à l’homme humble et à l’homme superbe? Dieu donc exerce la justice, tout en faisant miséricorde, et dans cette justice, il exercera sa miséricorde à l’égard de ceux à qui il dira : « J’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger 2 ». Car il est dit quelque part dans une lettre apostolique: « Dieu exercera un jugement sans miséricorde envers celui qui n’aura pas fait

1. Sag. V, 3, 8, 9. —   2. Matt. XXV, 25.

miséricorde 1». « Bienheureux les miséricordieux », est-il dit encore, « parce qu’ils obtiendront miséricorde 2 ». Donc en les jugeant, Dieu usera de miséricorde, mais non sans discernement. Car s’il n’use pas de miséricorde envers tous, mais seulement envers celui qui aura été miséricordieux, sa miséricorde sera juste, puisqu’il n’y aura point de confusion. C’est évidemment par un effet de sa miséricorde qu’il nous remet nos péchés; c’est par miséricorde qu’il nous accorde la vie éternelle ; mais voyez en même temps l’équité: « Pardonnez, et l’on vous pardonnera; donnez, et il vous sera donné 3 ». Assurément, « vous donner, vous pardonner », telle est bien la miséricorde. Mais si la miséricorde était séparée de la justice, le Sauveur ne dirait point: « On se servira pour vous de la même mesure dont vous vous serez servis 4 »

12. Tu as entendu, ô mon frère, comment Dieu exerce la miséricorde et le jugement, et toi aussi, sois juste et miséricordieux. Ces deux attributs sont-ils exclusivement ceux de Dieu et non des hommes? S’ils ne regardaient point les hommes, Dieu ne dirait pas aux Pharisiens: « Vous omettez ce qu’il y a de plus important dans la loi: la justice et la miséricorde 5 ». Garde-toi de croire que tu ne doives exercer que la miséricorde et non le jugement. Tu es quelquefois arbitre dans un différend entre deux hommes, dont l’un est riche et l’autre pauvre ; et il arrive que la mauvaise cause est celle du pauvre, tandis que le riche soutient la vérité ; si tu es ignorant dans les choses de Dieu, tu croiras bien faire de prendre le pauvre en pitié, d’atténuer, de cacher son tort, de vouloir le justifier, afin qu’il paraisse avoir pour lui le bon droit: et si l’on te reproche l’injustice de ta sentence, tu prends pour excuse une fausse miséricorde, en disant : Je sais tout cela, j’ai compris l’affaire, mais c’était un pauvre, il fallait en avoir pitié. N’est-ce point là faire miséricorde au détriment de la justice? Mais comment, diras-tu, pouvoir être juste sans oublier la miséricorde? J’aurais prononcé contre un pauvre qui n’avait pas de quoi payer, ou s’il avait pu payer, il n’aurait plus rien eu pour vivre? Voici la réponse de Dieu: « Tu ne feras pas acception du pauvre dans tes jugements 6».

1. Jacques, II 13.— 2. Matt. V, 7.— 3. Luc, VI, 37, 38. — 4. Matt. VII, 2.— 5. Id. XXIII, 23. — 6. Exod. XXXIII, 3.

(303)

Quant au riche, il est aisé de comprendre qu’on ne doit point faire acception en sa faveur. Tout homme le voit, et plaise à Dieu que tout homme le pratique ; l’erreur la plus facile consiste donc à chercher à plaire à Dieu, en jugeant en faveur du pauvre, comme si l’on voulait dire à Dieu : J’ai fait grâce au pauvre. Mais il fallait être à la fois juste et miséricordieux. Quelle est d’abord cette miséricorde qui consiste à favoriser l’injustice? Tu as ménagé sa bourse, mais percé son cœur : ce pauvre est demeuré dans l’injustice, et dans une injustice d’autant plus funeste qu’il te voit favoriser son injustice, toi qu’il croyait un homme juste. Il t’a quitté couvert de ton injuste protection, pour tomber sous la juste condamnation du Seigneur. Quelle miséricorde lui as-tu faite en le rendant injuste? Il y a plus de cruauté que de miséricorde. Mais, diras-tu, que fallait-il faire? Il fallait parler selon la justice, reprendre le pauvre, fléchir le riche. Il y a un temps pour juger et un temps pour demander. Quand le riche t’aurait vu garder les règles de l’équité, ne point favoriser dans le pauvre son arrogante injustice, n’aurait-il pas été incliné à lui faire grâce sur ta demande, dans la joie que lui aurait causé ta sentence?

Il nous reste, mes frères, une grande partie du psaume, et il faut consulter les forces de l’âme et du corps chez mes auditeurs si divers; car si le froment nous donne à tous une même nourriture, il semble néanmoins s’accommoder aux goûts différents, et ainsi échapper au dégoût. Que ce soit donc assez pour aujourd’hui.
 
 

TROISIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME XXXII.
DEUXIÈME SERMON. —  CRAINTE ET AMOUR DE DIEU.

Ce discours embrasse la seconde partie du psaume. Le saint docteur, après avoir fait quelques allusions aux Ariens et aux Donatistes, établit que nous ne devons craindre que le Seigneur qui a envoyé des brebis au milieu des loups, et ces loups sont devenus brebis, qui peut seul donner aux créatures la puissance de nous nuire ; n’aimer que le Seigneur afin de le posséder, parce qu’il est seul capable de nous rendre meilleurs, et d’être son héritage, ce qui est le bonheur parfait. Prier pour les hérétiques.

1. Prêcher la parole de vérité aussi bien que l’écouter, c’est un labeur. Mais c’est un labeur que nous endurons volontiers quand nous pensons à l’arrêt du Seigneur et à notre condition. Car, dès le berceau du genre humain, l’homme a entendu cette parole, non point d’un homme qui pût le tromper, ni du diable qui est séducteur, mais de la vérité même qui émanait de la bouche de Dieu: « Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front (Gen. III, 19)».Donc si notre pain est la parole de Dieu, il nous faut suer pour l’entendre, plutôt que de mourir de faim. Dans la solennité de nos dernières vigiles, nous avons expliqué les premiers versets du psaume; expliquons le reste aujourd’hui.

2. Voici où commence la partie qui nous reste et que nous venons de chanter : « La  terre est pleine de la miséricorde du Seigneur. C’est la parole de Dieu qui affermit les cieux 1 ». C’est-à-dire que cette parole donne aux cieux leur solidité. Le Prophète avait dit plus haut : « Chantez avec sagesse et dans vos transports », c’est-à-dire chantez d’une manière ineffable : « Parce que la parole du Seigneur est droite et que ses œuvres sont dans la fidélité 2 ». Il ne promet rien qu’il ne tienne : il est un débiteur fidèle, et toi, sois exigeant comme l’avare. Après avoir dit : « Toutes ses oeuvres sont dans la foi », le Prophète ajoute : « Il aime la miséricorde  et le jugement 3 ». Mais celui qui aime la miséricorde a de la compassion. Or, celui qui a de la compassion peut-il promettre sans

1. Ps. XXXII, 5, 6. —  2. Id. 3, 4. — 3. Id. 5.

donner, lui qui pourrait donner sans avoir promis? Donc celui qui aime la miséricorde doit donner ce qu’il a promis; mais comme il aime aussi le jugement, il doit exiger le fruit de ses dons. Aussi le Seigneur dit-il à un certain serviteur: « Que ne mettais-tu mon argent à la banque, afin qu’à mon retour j’en retirasse le fruit 1? » Je vous rappelle tout ceci, mes frères, afin que nous comprenions ce que nous venons d’entendre. Car il dit dans un autre endroit de l’Evangile: « Pour moi, je ne juge personne, mais la parole que je nous ai annoncée vous jugera au dernier jour 2 ». Et que celui qui ne veut point entendre ne dise point pour excuse qu’il ne lui sera rien demandé au dernier jour. Car c’est de son refus de recevoir ce qu’on lui donnait qu’on lui demandera compte. N’avoir pu recevoir et n’avoir pas voulu sont bien différents : on peut, dans un cas, faire valoir son impuissance; mais dans l’autre, c’est la volonté qui est coupable. Donc « toutes les œuvres de Dieu sont dans la foi; il aime la miséricorde et le jugement». Recevez la miséricorde, mais craignez la justice. De peur que, quand il viendra nous redemander ce qu’il nous aura donné, il ne le fasse de manière à nous renvoyer les mains vides. Car il nous demande compte, et après le compte rendu, il nous donne l’éternité. Recevez donc la miséricorde, ô mes frères, recevons-la tous. Que nul d’entre vous ne s’endorme pour la recevoir, de peur qu’on ne le réveille pour son malheur au moment d’en rendre compte. Recevez la miséricorde; voilà ce que Dieu nous dit, comme si , en un temps de famine, on criait : Recevez des vivres. Et si tu en trouvais en semblable occasion, quelle serait ta conduite? Quel retard mettrais-tu à venir? Eh bien! aujourd’hui on te tient ce langage Recevez la miséricorde, « car Dieu aime la miséricorde et le jugement». Après l’avoir reçue, fais-en un saint usage, afin d’en rendre un compte facile, quand viendra pour juger celui-là même qui te prête sa miséricorde en ces temps de famine.

3. Garde-toi donc de me dire : D’où me viendra cette miséricorde? et où me faut-il aller? Souviens-toi de ces paroles que tu viens de chanter: « La terre est pleine des miséricordes du Seigneur 3 ». Où donc l’Evangile n’est-il pas prêché? Où cette parole de Dieu

1. Luc, XIX, 23.— 2. Jean, VIII, 15, XII, 48.— 3. Ps. XXXII, 5.

 ne se fait-elle pas entendre? Où n’offre-t-on pas le salut? Il n’est besoin pour toi que de vouloir : les greniers sont pleins. Cette plénitude, cette abondance n’a pas attendu que tu vinsses la chercher, elle est allée te trouver dans ton sommeil. Il n’est pas dit: Que les nations se lèvent, et qu’elles aillent à tel endroit; mais ces mystères ont été annoncés à chaque peuple dans la contrée qu’il habitait, afin que cette prophétie fût accomplie : « Les hommes l’adoreront chacun dans sa patrie 1 ».

4. « La terre est pleine des miséricordes du Seigneur ». Que dire des cieux? Ecoute ce qu’il en est des cieux. La miséricorde y est inutile, puisqu’il n’y a aucune misère. Sur la terre, la misère abonde, mais il y a une surabondance de miséricordes. La terre est pleine des misères de l’homme, « et la terre est pleine des miséricordes du Seigneur ». Et toutefois, dans le ciel où il n’y a point de misère, et où l’on n’a pas besoin de miséricorde, n’a-t-on pas besoin du Seigneur? Heureux ou malheureux, tout a besoin de Dieu. Sans lui, le malheur n’a plus de soulagement, comme sans lui, le bonheur n’a plus de règle. Si donc, après avoir entendu : « La terre est pleine des miséricordes du Seigneur », tu t’informais des cieux, écoute combien les cieux ont besoin de lui. « C’est la parole du Seigneur qui affermit les cieux». Ils ne s’affermissent donc point d’eux-mêmes, et leur solidité n’est point leur ouvrage. « C’est la parole du Seigneur qui affermit les cieux, et toute leur force vient du souffle de sa bouche 2 » . Ils n’avaient donc rien par eux-mêmes, et ce qui leur vient du Seigneur n’était pas un supplément. « C’est du souffle du Seigneur que leur vient », non en partie, mais totalement « leur solidité ».

5. Voyez, mes frères, que les oeuvres du Fils et du Saint-Esprit sont les mêmes. Nous ne devons point négliger de le dire en passant, à propos de certaines distinctions injustes, et de quelques confusions trop profondes. Il y a fausseté dans l’un et dans l’autre système. Par défaut de distinction, ceux-ci confondent la créature avec le Créateur, et comptent parmi les créatures l’Esprit de Dieu, Esprit qui est créateur : ceux-ci discernent pour confondre; et puissent-ils être confondus et se convertir, comprendre ici que le

1. Soph. II, 11.— 2. Ps. XXII, 6.

(305)

Fils et l’Esprit-Saint n’ont qu’une même oeuvre ! La parole de Dieu est assurément le Fils de Dieu, comme le souffle de sa bouche est l’Esprit-Saint; or, « c’est la parole de Dieu qui affermit les cieux » .Qu’est-ce, pour eux, qu’être affermis, sinon avoir la solidité, être inébranlables? «C’est du souffle de sa bouche que leur vient la solidité ». On pourrait aussi bien dire : C’est le souffle de sa bouche qui affermit les cieux, et de son Verbe que leur vient la solidité. Car la solidité ale même sens que l’affermissement. L’oeuvre du Fils est donc aussi l’oeuvre du Saint-Esprit. Mais agissent-ils séparément du Père? Qui est-ce qui agit par son Verbe et par l’Esprit-Saint, sinon celui à qui appartiennent le Verbe et le Saint-Esprit? Donc la Trinité est un seul Dieu. C’est lui qu’adorent tous ceux qui savent ce qu’ils doivent adorer; c’est lui que rencontre partout celui qui veut se convertir. Ceux qui s’éloignent de lui ne le recherchent point; mais il les rappelle de leur éloignement, afin de les remplir après leur conversion.

6. Je laisse de côté, mes frères, ces cieux qui nous dominent, qui nous sont inconnus, pendant que nous sommes sur la terre, et que nous ne pouvons connaître que par d’humaines conjectures; je ne m’occuperai donc point des cieux, pour en expliquer la hiérarchie, le nombre, la différence des uns aux autres, les bienheureux habitants, et cet hymne harmonieux et sans fin qui s’élève de toutes parts à la gloire de Dieu ; c’est là une tâche difficile; toutefois efforçons-nous d’y arriver un jour. Car là est notre patrie, qu’un long exil nous fait trop oublier. C’est nous en effet qui disons clans un psaume: « Malheur à moi, dont l’exil se prolonge 1 ». Il est donc difficile, sinon impossible, et pour moi de vous parler du ciel, et pour vous de me comprendre. Si quelqu’un m’a devancé dans l’intelligence de ces choses divines, qu’il jouisse de son avance, et qu’il prie pour moi afin que je puisse le suivre. Sans parler donc des cieux, nous avons une ample matière de discours, dans ces autres cieux plus rapprochés de nous, qui sont les saints Apôtres de Dieu, les prédicateurs de la parole de vérité, qui ont fait pleuvoir sur nous une douce rosée, afin que le champ de l’Eglise produisît cette fertile moisson, qui boit, à la vérité, la même pluie que l’ivraie, mais qui n’est pas destinée au même grenier.

1. Ps. CXIX, 5. — 2. Matt. XII, 30.

7. Donc après nous avoir dit que « la terre est pleine de la miséricorde du Seigneur », le Prophète, comme si vous demandiez: D’où vient sur la terre cette abondante miséricorde? met d’abord en avant, les cieux qui ont fait pleuvoir la divine miséricorde sur la terre, et sur toute la terre. Car voyez ce qui est dit ailleurs à propos des cieux: « Les cieux racontent la gloire de Dieu, et le firmament publie l’oeuvre de ses mains 1 ». Les cieux et le firmament sont identiques. « Le jour parle au jour, et la nuit donne la science à la nuit ». Jamais d’interruption, jamais de silence. Mais où donc ont-ils prêché, et jusqu’où sont-ils parvenus? « Il n’est point de discours, point de langage dans lequel on n’entende point cette voix 2 ». Mais, diras-tu, cette prédiction regarde ce qui arriva quand les Apôtres, assemblés en un même lieu, parlèrent la langue de fous. Or, « ayant parlé toutes les langues 3 », ils accomplirent ce qui était prédit : « Il n’est point de discours, point de langage, dans lequel on n’entende point cette voix ». Mais je demande: Cette voix qui parlait toutes les langues, jusqu’où est-elle arrivée, quelle contrée a-t-elle remplie ? Ecoute ce qui suit : « Leur voix a éclaté par toute la terre, et leurs paroles ont retenti jusqu’aux confins du monde 4». De qui ces paroles, sinon des cieux qui racontent la gloire de Dieu? Donc si leur voix a éclaté par toute la terre, si leurs paroles ont retenti jusqu’aux confins du monde, que celui qui les a envoyés, nous dise ce qu’ils nous ont annoncé. Il nous le dit nettement, il nous le dit avec fidélité ; car il nous a prédit tout cela, même avant l’accomplissement, celui dont toutes les oeuvres sont dans la foi. Car il est ressuscité d’entre les morts, et comme ses disciples le reconnaissaient en le touchant, il leur dit : « Il fallait que le Christ souffrît, qu’il ressuscitât des morts, et que l’on prêchât en son nom la pénitence et la rémission des péchés 5 ». Depuis où et jusqu’où? « Par toutes les nations », leur dit-il, « en commençant par Jérusalem ». Or, quel plus grand acte de miséricorde pouvons-nous espérer tous, nies frères, sinon que le Seigneur nous remette nos péchés? Si donc la rémission des péchés est la plus grande miséricorde pour nous, et

1. Ps. XVIII, 2 — 2. Ibid 4. — 3. Act. II, 4. — 4. Ps. XVIII,5, — 5. Luc, XXIV, 46, 47.

(306)

s’il a prédit que ce pardon des péchés serait annoncé chez toutes les nations, « la terre test pleine de la miséricorde du Seigneur». De quoi la terre est-elle pleine ? de la divine miséricorde. Pourquoi? parce que le Seigneur remet partout les péchés, parce qu’il a envoyé les cieux pour pleuvoir sur la terre.

8. Et comment ces cieux ont-ils osé s’en aller avec tant d’assurance; et, d’hommes faibles qu’ils étaient, sont-ils devenus des cieux, sinon parce que « le Verbe de Dieu leur a donné la foi?» D’où serait venu à ces brebis tant de courage parmi les loups, si « l’Esprit de sa bouche n’eût été leur force? Voilà », dit le Sauveur, « que je vous envoie comme des brebis au milieu des loups  1 ». O Seigneur, Dieu de miséricorde ! vous en agissez de la sorte, afin que vos miséricordes se répandent par toute la terre. Si donc telle est votre miséricorde que la terre en soit comblée, considérez ceux que vous envoyez, et où vous les envoyez. Où les envoyez-vous, dis-je, et quels hommes envoyez-vous? Vous envoyez des brebis au milieu des loups. Mais envoyez un loup, un seul, au milieu d’un troupeau innombrable de brebis, qui lui résistera ? Quel carnage n’en fera-t-il pas, s’il n’est bientôt rassasié ? Autrement il dévorera tout. Vous envoyez donc des hommes faibles parmi des hommes sanguinaires? Je les envoie, dit-il, parce qu’ils deviendront des cieux pour arroser la terre. Comment des hommes infirmes sont-ils des cieux? c’est que « le souffle de sa bouche fait toute leur force ».  Voilà que bientôt les loups vous saisiront, vous traîneront en jugement, vous feront paraître devant les puissances, à cause de mon nom. Quant à vous, revêtez-vous de vos propres armes. Sera-ce de votre vertu? Non. « Ne pensez point à ce que vous répondrez : car ce n’est point vous qui parlerez, mais l’esprit de votre Père qui parlera en vous 2; car c’est dans le souffle de sa bouche qu’est toute leur force ».

9. C’est là ce qui est arrivé; les Apôtres sont allés dans le monde, ils ont souffert de grands maux. Car souffrons-nous autant pour entendre ces vérités, qu’ils ont souffert pour les annoncer? Non assurément. Notre labeur sera-t-il pour cela sans fruit? Non encore. Je vous vois en foule compacte ; mais vous, voyez la sueur de mon front. Si nous souffrons

1. Matt, X, 16. — 2. Id. 19, 20.

avec le Christ, nous régnerons aussi avec lui 1. Cela s’est donc fait. Et aujourd’hui nous célébrons la mémoire des martyrs, ou de ces brebis envoyées au milieu des loups 2. Ce lieu où nous parlons était infesté de loups, quand fut égorgé le bienheureux martyr Cyprien: une seule brebis que l’on saisit fut plus forte que tous les loups ensemble, une seule brebis égorgée a peuplé de brebis cette contrée. Alors la mer en courroux soulevait le flot des persécutions, et couvrait la terre sèche, qui avait soif du ciel de Dieu. Aujourd’hui le nom de Jésus-Christ est glorifié par les douleurs qu’ont endurées ceux qui ont brisé les persécuteurs dans leur choc : et il s’est assujetti toutes ces puissances, en foulant aux pieds ce flot de l’abîme. Or, quand tout cela s’est accompli, pensez-vous qu’ils voient d’un oeil calme et sans frémir de colère, et nos assemblées, et nos fêtes, et nos solennités, et ces manifestations publiques de notre culte, ceux qui en sont les témoins, sans partager notre foi ? C’est alors que s’accomplit sur eux cette prophétie : « Le pécheur verra, et il frémira de colère ». Mais qu’arrivera-t-il de cette colère? O brebis, ne craignez plus ce loup féroce. Ne redoutez maintenant, ni sa rage, ni ses impuissantes menaces. Il s’irrite : mais après? « Il grincera des dents, il séchera de dépit 3 ».

10. Mais comme cette eau salée de la mer, qui demeure encore parmi nous, n’ose plus s’élever contre les chrétiens, et qu’elle dévore en elle-même son propre courroux; parce que cette eau frémit de se trouver renfermée dans un corps mortel, écoutez ce qui suit: « Il rassemble comme dans une outre les eaux de la mer 4 ». Donc cette mer, qui soulevait librement contre nous ses flots tumultueux , n’est plus qu’une amertume renfermée dans quelques poitrines mortelles, et telle est l’oeuvre de celui qui a vaincu dans les siens, qui a posé des digues à la mer a, afin que ses flots refoulés en son sein, brisassent contre eux-mêmes leur propre fureur. C’est lui qui a rassemblé comme dans une outre les eaux de la mer : et toute pensée d’amertume dans un corps humain. Or, ces hommes hostiles, craignant pour leur vie, retiennent à l’intérieur, ce qu’ils n’osent montrer au dehors. C’est toujours pour nous la même amertume, la même haine, la même fureur ; fureur autrefois à ciel ouvert, et

1. II Tim. II,12 — 2. Matt. X, 15.— 3. Ps. CXI, 10. — 4. Ps. XXXII, 7 — 5. Prov. VIII, 29.

(307)

maintenant occulte, que vous dirai-je, sinon ces paroles du Prophète: « Il frémira, et il séchera de dépit ? ». Allez donc à l’église, et marchez: la voie est facile, elle est ouverte, battue par notre chef illustre qui veille à sa sûreté. Courons dans le chemin des bonnes oeuvres, car c’est là qu’il nous faut marcher. Et si parfois il nous arrive des persécutions d’où nous étions loin de les attendre, dès lors que les eaux sont renfermées comme dans une outre, comprenons que Dieu n’en agit ainsi que pour notre bien spirituel, pour nous éloigner d’une confiance téméraire dans les choses du temps, et pour régler nos désirs de manière à nous conduire dans son royaume. Tel est le désir qui éclate çà et là quand nous sommes sous le coup de la persécution, et alors nous rendons un son agréable à Dieu, comme ces trompettes en fer qu’a battues le marteau. Car le psalmiste nous invite à louer le Seigneur avec des trompettes martelées1. Ces trompettes s’étendent sous le marteau, comme le coeur du chrétien s’étend vers Dieu sous les coups de la persécution.

11. Et maintenant que l’eau de la mer est rassemblée comme dans une outre, n’oublions pas, mes frères, que Dieu ne manque pas de moyens de nous châtier quand il est nécessaire. Aussi le Prophète a-t-il ajouté : « Il y a des abîmes dans ses trésors ». Il appelle trésors les secrets de Dieu. Or, Dieu connaît les coeurs des hommes, ce qu’il doit faire en temps opportun, les moyens qu’il doit employer, le pouvoir qu’il doit donner aux méchants contre les bons, afin de condamner les méchants et de corriger les justes. Voilà ce que connaît celui qui met des abîmes dans ses trésors. Suivons donc le conseil suivant : « Que toute la terre craigne le Seigneur 2 ». Qu’elle ne s’élève point d’une joie téméraire et orgueilleuse, en disant : Voilà que les eaux de la mer sont rassemblées comme dans une outre; qui s’élèvera contre moi? qui osera me nuire? Imprudent! ne sais-tu pas que ton père a mis des abîmes dans ses trésors? Ignores-tu qu’il sait qu’il a de quoi te châtier quand il lui plaît? Il a dans sa main les trésors de l’abîme, afin de t’instruire et de te diriger vers les trésors du ciel. Retourne donc à la crainte, ô toi qui déjà te croyais en sûreté! Que la terre tressaille donc, mais aussi qu’elle craigne. Qu’elle tressaille, et pourquoi? Parce

1. Ps.  XCVII, 6. — 2. Id. XXXII, 8

que la terre est pleine de la miséricorde du Seigneur. Qu’elle craigne, et pourquoi? Parce qu’il a renfermé comme dans une outre les eaux de la mer, de manière néanmoins à mettre des abîmes dans ses trésors. Mais il lui arrive ce qui est dit en deux mots dans un autre psaume : « Servez le Seigneur avec crainte, tressaillez en lui avec tremblement 1 ».

12. « Que la terre craigne le Seigneur; qu’ils tremblent devant lui, tous ceux qui habitent l’univers ». Qu’ils n’en craignent point un autre, au lieu de le craindre: «Que ce soit devant lui que tremblent tous ceux qui habitent la terre ». Une bête féroce te menace? Crains le Seigneur. Un serpent se glisse? Crains le Seigneur. Un homme te hait? Crains le Seigneur. Le démon te livre un assaut? Crains encore le Seigneur. Car celui que tu dois craindre est le maître de toute créature. «C’est lui qui a dit, et tout a été fait; il a commandé, et tout a été créé 2 ».C’est là ce que nous dit ensuite le psalmiste. Après avoir dit : « Qu’ils tremblent devant lui, tous ceux qui habitent la terre », afin d’ôter à l’homme toute autre crainte que celle de Dieu, de peur que l’homme, ne craignant plus Dieu, n’en vînt à craindre les créatures, et ne nué-prisât l’ouvrier pour adorer l’oeuvre; le Prophète nous affermit dans la crainte de Dieu seul, et s’adressant à nous : Que pouvez-vous craindre, dit-il, dans le ciel, ou dans la terre, ou dans la mer? « Dieu a parlé, et tout a été fait; il a ordonné, et tout a été créé ». Or, celui dont la parole a tout fait, dont la volonté a tout créé, ordonne, et tout se met en mouvement; il ordonne encore, et tout demeure en repos. Un homme, dans sa malice, peut bien avoir un désir de nuire qui lui soit propre; mais il n’en a le pouvoir que si Dieu le lui donne. « Car il n’y a point de puissance qui ne soit de Dieu 3 ». C’est une maxime décisive de l’Apôtre. Il n’a point dit qu’il n’y a point de désir qui ne soit de Dieu, car il y a certains désirs mauvais qui ne viennent point de Dieu; mais cette volonté perverse ne peut nuire à personne sans la permission du Seigneur, puisqu’il n’y a de puissance que celle qui vient de Dieu. De là vient que l’Homme-Dieu, au tribunal d’un homme, lui disait: « Tu n’aurais aucun pouvoir sur moi, s’il ne t’était donné d’en haut 4 ». Cet homme

1. Ps. II, 11.— 2. Ps. XXXII, 9.— 3. Rom. XIII, 1.— 4. Jean, XIX, 11.

(308)

jugeait, l’Homme-Dieu instruisait; il nous instruisait quand on le jugeait, afin de juger ensuite ceux qu’il aurait instruits. « Tu n’aurais aucun pouvoir sur moi, s’il ne t’était donné «d’en haut ».Qu’est-ce à dire? Est-ce l’homme seulement qui n’a de pouvoir qu’autant qu’il en reçoit d’en haut? Le diable lui-même a-t-il osé enlever au saint homme Job la moindre brebis avant d’avoir dit à Dieu: «Etendez votre main», c’est-à-dire, donnez-moi le pouvoir? Le diable voulait, Dieu ne le permettait point; quand Dieu le permit, le diable eut le pouvoir; le pouvoir n’est donc pas en lui, mais en Dieu qui a permis. Aussi Job, qui était bien instruit, ne dit pas, ainsi que je vous l’ai fait remarquer si souvent : Le Seigneur l’a donné, le diable l’a ôté mais bien : « Le Seigneur l’a donné, le Seigneur l’a ôté comme il a plu au Seigneur, ainsi il a été fait 1 » ; et non, comme il a plu au diable. Vous donc, mes frères, qui ne pouvez qu’avec tant de peine goûter le pain salutaire de la parole, gardez-vous bien d’avoir d’autre crainte que celle de Dieu. L’Ecriture nous avertit de ne craindre que lui seul. Que la terre entière craigne donc le Seigneur qui met des abîmes dans ses trésors. Qu’ils tremblent devant lui, tous ceux qui habitent la surface de la terre : « Car c’est lui qui a dit et tout a été fait; il a commandé et tout a été créé ».

13. Mais aujourd’hui les princes, de méchants qu’ils étaient, sont devenus bons: ils ont eux-mêmes accepté la foi, et sur leur front resplendit le signe du Christ, signe plus précieux que toute perle de leur diadème les persécuteurs ont disparu. Qui a fait cela? Toi, peut-être, afin de t’en glorifier? « Le Seigneur dissipe «les desseins des nations, il réprouve les pensées des peuples, et renverse les conseils des princes 2 ». Quand ils ont dit: Exterminons les sur la terre; si nous le faisons, je nom de chrétien disparaîtra : qu’ils subissent telle mort, tel genre de torture, qu’on leur inflige tel supplice. Ainsi disaient les princes, et l’Eglise grandissait au milieu de ces complots. « Le Seigneur confond les pensées des peuples, il renverse les conseils des princes ».

14. « Quant au dessein du Seigneur, il demeure éternellement, et les pensées de son coeur subsistent dans les siècles des siècles 3 ». Il y a ici répétition, car « le

1. Job, I, 11, 21. — 2. Ps. XXXII, 10. — 3. Ibid. 11.

 dessein » a la même signification que « les pensées du cœur », et ce qui est dit plus haut : « Demeure éternellement », est ici répété : « dans les siècles des siècles ». Ces répétitions sont une manière d’affirmer. Toutefois, quand le Prophète parle « des pensées de son cœur », gardez-vous de croire que Dieu s’assied pour méditer ce qu’il veut faire, et qu’il délibère en lui-même sur l’opportunité d’agir, ou de ne point agir. Ces lenteurs sont bien dans ta nature, ô homme, mais son Verbe court avec une extrême vitesse. Quelle lenteur de pensée peut-il y avoir chez ce Verbe qui est unique, et qui renferme tout 1 ? On emploie donc ce mot de pensées de Dieu, afin de se mettre au niveau de ton intelligence, afin encore que tu oses bien, autant qu’il est en toi, élever ton coeur, pour comprendre des paroles proportionnées à ta faiblesse : ce qu’elles désignent, en effet, est fort au-dessus de toi. « Les pensées de son coeur subsistent dans les siècles des siècles ». Quelles sont les pensées de son coeur, et quel est le dessein de Dieu qui demeure éternellement? Pourquoi les nations ont-elles frémi contre ce dessein, et les peuples ont-ils tramé de vains complots 2? puisque le Seigneur confond les pensées des peuples, et renverse les desseins des princes. Où le dessein de Dieu peut-il subsister éternellement, si ce n’est en nous qu’il a vus dès longtemps, et qu’il a prédestinés 3? Qui peut effacer cette prédestination de Dieu? Il nous a vus avant la création du monde, il nous a faits, il nous a envoyé son Fils, il nous a rachetés: voilà son dessein qui demeure éternellement, sa pensée qui subsiste dans les siècles des siècles. Les nations frémirent alors, leurs flots irrités se soulevèrent au grand jour; qu’elles sèchent de dépit, maintenant qu’elles sont rassemblées e. enfermées dans une outre. Elles ont fait librement éclater leur audace, qu’elles dévorent leurs pensées amères et déchirantes. Comment pourraient-elles détruire le dessein de Dieu qui demeure éternellement?

15. Quel est ce dessein? « Heureux le peuple 4 » Qui ne se réveille point à cette parole? Car chacun aime le bonheur: et tel est la dépravation des hommes qu’ils veulent être méchants et non malheureux; et quoique le malheur soit l’inséparable compagnon de la méchanceté, ces hommes dépravés, non seulement veulent le mal sans le malheur,

1. Ps. CXLVII, 15.— 2. Ps. II, 1.— 3. Eph. I, IV.— 4. Ps. XXXII, 12.

(309)

ce qui est impossible, mais ils ne recherchent le mal, qu’afin d’éviter le malheur. Que dis-je? ils ne recherchent le mal qu’afin d’éviter le malheur. Considérez en effet, mes frères, que tout homme qui fait le mal, cherche toujours à être heureux. Il commet un larcin et vous en demandez la cause? Mais c’est la faim, c’est la nécessité. Il est donc méchant pour éviter le malheur; et il est d’autant plus malheureux, qu’il est encore méchant C’est donc pour écarter la misère, et pour acquérir la félicité, que les hommes agissent en bien ou en mal, ils recherchent incessamment le bonheur. Que leur vie soit criminelle ou coupable , c’est le bonheur qu’ils cherchent; mais tous n’atteignent pas le but de leurs recherches, et il n’y aura d’heureux que ceux qui auront voulu être justes. Et pourtant voilà je ne sais quel homme qui, pour faire le mal, voudrait être heureux. Par quels moyens? Par ses richesses, son or et son argent, ses domaines, ses terres, ses palais, ses esclaves, par une pompe toute mondaine, un honneur frivole et qui s’évapore. ils veulent posséder pour être heureux; mais toi, cherche ce qui te donnera le bonheur. Dans la félicité, tu seras sans doute meilleur que dans l’adversité. Mais il est impossible que tu deviennes meilleur, en possédant ce qui vaut bien moins que toi. Tu es homme, et tout ce que tu désires pour être heureux, est bien au-dessous de toi. L’or, l’argent, tout ce qui est corporel, dont tu convoites si avidement l’acquisition, la possession, la jouissance, tout cela est bien inférieur à toi. Tu es plus que tout cela, tu as une valeur bien supérieure; et pour toi qui es misérable, désirer le bonheur, c’est désirer d’être meilleur que tu n’es. Il est mieux assurément d’être heureux que d’être malheureux. Donc tu veux être supérieur à toi-même; et tu demandes cette supériorité à des choses qui te sont bien inférieures; car tout ce que tu peux rechercher sur la terre, est bien au-dessous de toi. C’est là ce que tout homme souhaite à son ami, dans ses protestations d’attachement Puisses-tu aller mieux; puissions-nous te voir en meilleur état; puissions-nous nous réjouir de ton amélioration. Or, il veut pour lui-même, ce qu’il souhaite à son ami. Reçois donc un avis infaillible; tu veux être mieux que tu n’es, je le sais, nous le savons tous, et même nous le désirons tous; eh bien! cherche ce qui est au-dessus de toi, afin d’être ainsi plus que tu n’es.

16. Regarde maintenant le ciel et la terre: que ces créatures douées de beauté n’aient point pour toi des charmes tels que tu cherches en elles son bonheur. Tu trouveras dans ton âme ce que tu désires. Tu veux le bonheur, cherche dans ton esprit ce qui lui est supérieur. Nous sommes formés d’une double substance, de l’âme et du corps, et comme de ces deux, celle qui est supérieure, est celle qu’on appelle âme, ton corps peut devenir meilleur par cette substance, qui a la supériorité, car le corps est soumis à l’âme. Donc ton âme peut améliorer ton corps, eu sorte que ce corps devienne immortel quand l’âne sera juste. Car c’est par l’illumination de l’âme que le corps mérite d’être immortel, en sorte que c’est la substance supérieure, qui répare la substance inférieure. Si donc ton âme est pour ton corps le bien, à cause des a supériorité, quand tu cherches ton bien, il faut le chercher dans ce qui est supérieur à ton âme. Or, qu’est-ce que ton âme? Considère-le, de peur que, méprisant cette âme, et la prenant pour quelque chose de vil et d’abject, tu n’ailles chercher pour cette âme un bonheur trop bas. C’est dans ton âme qu’est l’image de Dieu 1, et l’esprit de l’homme est capable de cette image; il l’a donc reçue mais il la défigure en s’inclinant vers le péché. Voilà que vient, pour la réformer, celui qui l’avait d’abord formée; car c’est par le Verbe que tout a été fait, et par le Verbe que cette image avait été empreinte en nous. Le Verbe est donc venu, afin de nous dire parla bouche de l’Apôtre : « Transformez-vous par le renouvellement de votre esprit 2 ». Il nous reste donc à chercher ce qui est supérieur à ton âme. Qui sera-ce, je te le demande, si ce n’est Dieu? Tu ne trouveras pas une autre supériorité pour ton âme; car ta nature une fois perfectionnée sera égale ana anges. Il n’y a donc au-dessus de nous que le Créateur. C’est vers lui qu’il faut t’élever, sans découragement, sans dire : C’est bien difficile. Il est plus difficile pour toi peut-être de posséder cet or que tu convoites. Malgré tes désirs, il est bien possible que tu n’en puisses avoir; mais Dieu, tu l’auras si tu le veux; car il a prévenu ta volonté en venant

1. Gen. I, 27. — 2. Rom. XI, 2.

à toi, et quand cette volonté s’éloignait, il l’appelait; et quand tu revenais, il t’effrayait; et quand, sous le poids de la crainte, tu confessais tes fautes, il te consolait. C’est de lui que tu tiens tout; c’est lui qui t’a donné l’existence, qui te donne le soleil, ainsi qu’aux méchants qui sont avec toi, qui donne la pluie 1, qui donne les fruits, qui ouvre les sources, qui donne la vie et le salut, et tant de consolations, lui qui te réserve ce qu’il ne donnera qu’à toi seul. Et qu’est-ce qu’il te réserve, si ce n’est lui-même ? Cherche dans tes désirs, situ peux trouver mieux. C’est lui-même que Dieu te réserve. O avare ! à quoi bon aspirer au ciel ou à la terre? Celui-là est bien supérieur, qui a fait le ciel et la terre:  c’est lui que tu verras, lui que tu posséderas. Pourquoi souhaiter que ce domaine t’appartienne, et pourquoi dire en le traversant heureux le maître de ces biens? C’est là ce que disent tous ceux qui le traversent. Mais le dire, mais le traverser, mais secouer la tête et soupirer, est-ce là le posséder? La voix de la cupidité, c’est la voix de l’iniquité; mais «Ne désirez point le bien du prochain 2 ». Bienheureux le maître de ce domaine, le maître de ce palais, le maître de cette campagne. Réprimez l’iniquité pour écouter la vérité. « Bienheureux le peuple dont.... » Qu’est-ce? Vous savez comment je dois achever. Désirez-le donc, afin de le posséder et d’être heureux enfin. Lui seul fera votre bonheur; ce qui vous est supérieur, vous élèvera au-dessus de vous. C’est Dieu, dis-je, qui vous est supérieur, et c’est lui qui vous a faits. «Bienheureux le peuple dont Dieu est le Seigneur ». C’est ce qu’il faut aimer, ce qu’il faut posséder, ce que tu auras à ta volonté, ce que tu auras gratuitement.

17. « Bienheureux le peuple dont le Seigneur est Dieu ». Est-ce notre Dieu? de quel peuple n’est-il pas Dieu? Ce n’est point de la même manière qu’il est le Dieu de tous. Il est plus spécialement notre Dieu, pour nous, qui vivons de lui comme du pain de chaque jour. Qu’il soit aussi notre héritage, notre possession. N’étions-nous pas téméraires en faisant de Dieu notre héritage, de lui qui est Dieu, de lui qui est Créateur ? Ce n’est point de la témérité, c’est un transport d’amour, c’est l’élan de notre espérance. Que notre âme dise dans l’abandon de la sécurité: « C’est vous qui êtes

1. Matt. V, 45. — Deut. V, 21.

mon Dieu », puisqu’il dit à notre âme: « C’est moi qui suis ton salut 1 ». Qu’elle le dise, et avec sécurité; elle ne fera point injure à Dieu par ce langage, elle en ferait en ne le tenant point, lite fallait des arbres pour devenir heureux? Ecoute l’Ecriture, qui dit de la Sagesse : « C’est l’arbre de vie pour ceux qui la possèdent 2 ». Vous le voyez, elle nous donne la sagesse pour héritage: mais de peur que vous ne croyiez que cette sagesse que l’Ecriture vous assigne pour héritage, est inférieure à vous, elle ajoute : « Elle est stable pour ceux qui s’appuient sur elle comme sur le Seigneur ». Voilà que le Seigneur devient un bâton pour nous appuyer : l’homme peut s’y appuyer en toute sûreté, parce que cet appui ne manque jamais. Dites donc avec sécurité qu’elle est notre héritage ; c’est l’Ecriture qui le dit à ceux qui la possèdent, et dans votre doute elle vous donne la confiance. Parlez donc avec assurance, aimez avec assurance, espérez avec assurance. Que le psalmiste vous suggère ces paroles: « Le Seigneur  est la part de mon héritage 3 ».

18. Donc, mes frères, nous serons heureux, si nous possédons le Seigneur. Mais quoi? Le posséderons-nous sans qu’il nous possède lui même? Pourquoi donc Isaïe a-t-il dit: « Seigneur, possédez-nous 4 ? » Dieu donc nous possède en même temps que nous le possédons; et tout cela est pour notre bien. Toutefois il n’en est pas de lui comme de nous. Si nous le possédons, c’est pour notre bonheur, mais il ne trouve pas son bonheur à nous posséder, Il ne nous possède et ne se fait notre possession qu’afin de nous rendre heureux. Nous le possédons et il nous possède, parce que nous l’honorons, et qu’il nous cultive. Nous l’honorons comme un Dieu, il nous exploite comme sa terre. Que nous l’adorions, nul n’en doute; mais qui nous assure qu’il nous cultive? Lui-même, quand il dit : « Je suis la vigne, vous « en êtes le sarment, et mon Père est le vigneron 5 ». Nous trouvons l’un et l’autre dans ce psaume, l’un et l’autre y est indiqué. Déjà il nous a dit que nous possédons Dieu: «Bienheureux le peuple dont le Seigneur est Dieu ». De qui est ce champ? disons-nous. D’un tel. Et celui-ci? de tel autre. Et celui-là? Faisons à propos de Dieu la même question. De même qu’à propos de tel domaine,

1. Ps. XXXIV, 3.— 2. Prov. III, 13.— 3. Ps. XV, 5.— 4. Isa. XXVI, 13. — 5. Jean, XV, 1, 5.

 (311)

de telle propriété vaste et agréable, on nous répond: C’est un certain sénateur, c’est un tel, qui a tel nom, qui possède ces domaines; ce qui nions fait dire : Bienheureux cet homme-là! De même si mous demandons: De qui le Seigneur est-il Dieu? li est un peuple assez heureux pour l’avoir, nous dira-t-on, car le Seigneur est leur Dieu. Mais il n’en est pas du Dieu de cette nation comme du sénateur qui possède ce domaine, et qui n’est pas à son tour la possession du domaine. Il faut donc nous efforcer d’être son domaine ; car il y a une possession réciproque. Vous avez, entendu comment cette nation possède son Dieu : « Bienheureux le peuple dont le Seigneur est Dieu ». Ecoutez maintenant, comment il possède la nation : « Heureux le peuple que le Seigneur a choisi pour son héritage ! »Heureuse la nation à cause de l’héritage qu’elle possède ! Heureux l’héritage à cause du maître dont il est la possession! « Heureux le peuple que le Seigneur s’est choisi pour héritage ! »

19. « Dieu a regardé du haut du ciel, il a vu tous les enfants des hommes 1 ». Par cette expression tous, il faut entendre tous ceux de cette nation qui appartiennent à l’héritage, ou même qui forment cet héritage. Car ils sont tous l’héritage du Seigneur, et il les a tous regardés du haut des cieux; il les a vus, celui qui adit: « Je t’ai vu quand tu étais sous le figuier 2 ». Je t’ai vu et t’ai pris en pitié. C’est ainsi qu’en implorant la pitié d’un homme, nous lui disons : Voyez-moi. Et que dites-vous de l’homme qui vous méprise? Il ne me regarde pas. Il y a donc un regard de compassion, et non un regard de punition. Ce dernier regard sur nos péchés serait un châtiment: et il ne veut point que ses péchés soient vus, celui qui s’écrie : « Détournez les yeux de mes péchés 3 ». Il veut qu’on les lui pardonne, et non qu’on les connaisse. « Détournez », dit-il, u détournez vos yeux de mes péchés ». Mais s’il détourne ses regards de vos péchés, il ne vous verra plus? Pourquoi alors est-il dit ailleurs: « Ne détournez point de moi votre face 4? » Que le Seigneur donc détourne les yeux de tes péchés, et nom de toi-même; qu’il te voie, qu’il te prenne en pitié, qu’ il vienne à ton aide. « Le Seigneur a regardé du haut des cieux, il a vu les enfants des hommes» qui appartiennent au Fils de l’homme.

1. Ps XXXI, 13. —  2. Jean, I, 48. — 3. Ps. L, 11. — 4. Id. XXV, 9.

20. « Il les a regardés de sa tente 1 », qu’il s’était préparée. Il nous a vus par ses Apôtres, par ses prédicateurs de la vérité, par les messagers qu’il nous a envoyés. Tout cela forme sa maison, tout cela c’est sa tente, tout cela c’est le ciel qui raconte la gloire de Dieu 2. « Il a vu tous les enfants des hommes du haut de la tente qu’il s’est préparée; il a regardé tous ceux qui habitent la terre 3 ». Ce sont ceux-là qu’il ,a regardés, ceux qui sont à lui, cette nation bienheureuse, celle dont le Seigneur est Dieu; c’est ce peuple que le Seigneur s’est choisi pour son héritage, parce qu’il est répandu par toute la terre, et non point sur une partie. « Il a jeté les yeux sur tous ceux qui habitent la terre ».

21. « C’est lui qui a formé le coeur de chacun d’eux ». Par la main de sa grâce, par la  main de sa miséricorde, il a formé nos coeurs, il les a formés séparément, nous donnant à chacun le coeur qui nous est propre, sans déroger à l’unité. De même que nos membres sont formés à part, qu’ils ont chacun leur fonction séparée, et qu’ils vivent néanmoins en harmonie; que la main a d’autres fonctions que les yeux, que l’oreille peut faire ce que ne tout ni les yeux ni la main, et que tous ces membres néanmoins agissent dans l’unité, que la main, les yeux et l’oreille, malgré la diversité de leurs fonctions, ne sont point en opposition; de même dans le corps de Jésus-Christ, tous les hommes sont comme des membres qui s’applaudissent de leur aptitude particulière, parce que celui qui s’est choisi le peuple en héritage, a formé leurs coeurs en particulier. « Tous sont-ils apôtres? tous sont-ils prophètes? tous sont-ils docteurs? tous ont-ils le don de guérir les maladies? tous parlent-ils diverses langues? Tous ont-ils le don d’interpréter? L’un reçoit du Saint. Esprit le don de parler avec sagesse; l’autre reçoit du même Esprit le don de parler avec science, un autre reçoit le don de la foi par le même Esprit; un autre reçoit du même Esprit, le don de guérir les malades 4 ». Pourquoi? Parce qu’il a formé à part le coeur de chacun. De même que, dans nos membres, il y a des fonctions diverses, et une même santé, de même parmi les membres du Christ, les dons sont divers, mais tout se résume en la charité qui est une. « Il a formé à part le coeur de chacun ».

1. Ps. XXXII, 14.— 2. Id. XVIII, 2.— 3. Id. XXXI, 15.— 4. ICor. XII, 8, 9, 29,30.

(312)

22. « C’est lui qui connaît toutes leurs oeuvres 1 ». Qu’est-ce à dire, qu’il les connaît? qu’il pénètre les secrets de notre intérieur. il est dit dans un autre psaume: « Comprenez le cri de ma douleur 2 ». Car il n’est pas besoin de hauts cris pour que notre prière arrive aux oreilles de Dieu. La vue secrète se nomme intelligence. Le Prophète a parlé avec plus de précision que s’il eût dit: Il voit toutes leurs oeuvres; tu aurais pu croire que l’on toit ces mêmes oeuvres, comme tu vois un tomme travailler. L’homme voit l’oeuvre matérielle d’un autre homme; c’est Dieu qui voit dans son coeur. C’est donc parce qu’il pénètre à l’intérieur qu’il est dit : « Il comprend toutes leurs œuvres ». Deux hommes font l’aumône à un pauvre, l’un se propose une récompense céleste, et l’autre la louangé humaine: pour toi, tu ne vois qu’un seul acte, tandis que Dieu en voit deux; car il comprend l’intérieur; il connaît leurs coeurs, il y voit le but qu’ils se proposent, il y découvre leurs intentions, lui « qui comprend toutes leurs oeuvres».

23. «Ce ne sont point les forces nombreuses qui sauveront le roi 3 ». Elevons-nous tous vers Dieu, soyons tous en Dieu. Que Dieu soit ton espoir, que Dieu soit ta force, ton soutien, qu’il soit ta prière et ta louange; qu’il soit la fin où tu trouves ton repos, ton encouragement dans le travail. Ecoute bien cette vérité: «Ce ne sont point les forces nombreuses qui sauveront le roi, et le géant ne trouvera point son salut dans sa grande puissance ». Ce géant, c’est l’orgueilleux qui s’élève contre Dieu, comme si en lui-même et par lui-même litait quelque chose. Ce n’est point dans sa grande puissance qu’il trouvera le salut.

24. Mais il a un cheval tout à la fois grand, tact, vigoureux et léger, qui pourra au besoin le délivrer promptement du péril? Illusion ! qu’il écoute ce qui suit « Un coursier! vain espoir de salut 4 ». Comprenez-vous bien cette parole, qu’un coursier vous trompe quand il s’agit de salut? Que ce cheval ne vous promette point de vous sauver; et s’il vous le promet, il trahira sa promesse. Vous serez délivré si Dieu veut bien vous délivrer et si Dieu ne le veut point, votre cheval s’abattra, et vous n’en tomberez que de plus haut. N’allez donc pas croire que cette expression « dans l’affaire du salut, un cheval est

1. Ps. XXXII, 15.— 2.  Id. V, 2. — 3. Ps. XXXII, 16. — 4. Ibid. 17.

trompeur », mendax equus, signifie que le juste se trompe dans le salut, et que les justes sont menteurs en se promettant le salut: on n’a point écrit aequus, qui dérive d’équité ou de justice, mais bien equus, l’animal quadrupède. C’est ce que nous voyons dans le grec, ipos : et dans ces animaux vicieux, le Prophète réprimande ces hommes qui cherchent les occasions de mentir; bien que l’Ecriture dise: « La bouche qui ment tue l’âme 1 »; et encore: « Vous perdrez ceux qui profèrent le mensonge 2 ». Qu’est-ce donc que «ce cheval qui ment pour le salut?» C’est-à-dire qu’il vous trompe quand il promet de vous sauver. Or, un cheval peut-il parler et promettre le salut? Mais toi, quand tu vois un cheval bien conformé, vigoureux, bon coursier, tout cela te promet en lui le salut au besoin ; c’est là une erreur, si Dieu lui-même ne te sauve, car « un cheval est un vain espoir de salut ». Prends encore le cheval au figuré, pour toute grandeur humaine, ou pour quelque degré d’honneur auquel tu montes avec faste: plus ton élévation est grande, plus aussi tu te crois, non-seulement honorable, mais en sûreté. Mais illusion encore ! car tu ne sais de quelle manière ce coursier te renversera, d’une manière d’autant plus désastreuse que tu étais plus élevé. « Un cheval est trompeur, quant au salut, et on ne sera point sauvé dans la surabondance de ses forces ». Par quel moyen sera-t-on sauvé? Ce ne sera ni par sa vertu, ni par ses forces, ni par ses honneurs, ni par sa gloire, ni par son cheval. Mais par quel moyen, et où irai-je pour trouver un moyen de salut? Ne cherche ni longtemps, ni au loin. « Voilà que les yeux du Seigneur s’arrêtent sur ceux qui le craignent u. Vous voyez que ce sont bien ceux qu’il a regardés du haut de son tabernacle. « Voilà que les yeux du Seigneur s’arrêtent sur ceux qui le craignent, et qui espèrent en sa miséricorde » : non point dans leurs propres mérites, non point dans leur vertu, ni dans leur force, ni dans un cheval, mais bien dans sa miséricorde.

25. « Afin de dérober leurs âmes à la mort 3». Voilà qu’il promet la vie éternelle. Mais pendant le pèlerinage de cette vie, les va-t-il abandonner? «Afin de les nourrir pendant la  famine ». Nous sommes au temps de la famine, celui de l’abondance viendra plus tard.

1. Sag. I, 11 —  2. Ps., V, 7. — 3. Id. XXXII, 19.

(313)

Si donc il ne nous abandonne pas dans la disette de notre corruption, de quelles délices nous rassasiera-t-il quand nous serons devenus immortels? Mais tant que doit durer la disette, il faut souffrir, il faut endurer, il faut persévérer jusqu’à la fin. Parcourons maintenant tout le psaume, car la voie est aplanie, et il faut avoir égard à ce corps fragile que nous portons. Il y a peut-être encore dans l’amphithéâtre des hommes fous d’enthousiasme et assis au soleil; nous du moins si nous sommes debout, nous sommes à l’ombre, et ce que nous voyons ici est incomparablement plus beau et plus utile. Voyons donc ce qui est beau, afin que la beauté par excellence arrête les yeux sur nous. Voyons en esprit ce qui est renfermé dans le sens des divines Ecritures, et jouissons d’un tel spectacle. Mais à notre tour, qui nous verra? « Voilà que les yeux du Seigneur s’arrêtent sur ceux qui le craignent, et qui espèrent en sa miséricorde : afin d’arracher leurs âmes à la mort et de les nourrir dans la disette ».

26. Mais pour supporter cet exil, pendant lequel nous souffrons la faim et nous attendons que Dieu nous rassasie, de peur que nous ne tombions en défaillance, que nous est-il ordonné, et quelle résolution faut-il prendre? « Notre âme attendra le Seigneur 1 ». Elle attendra en toute sûreté celui qui a fait de si miséricordieuses promesses, et qui les tiendra avec tant de miséricorde et de vérité. Mais que faire jusqu’à ce qu’il les accomplisse? « Mon âme attendra le Seigneur avec patience ». Mais qu’arrivera-t-il si la patience vient à lui manquer? Jamais cette patience ne nous fera défaut : « Car Dieu vient à notre aide, il est notre protecteur ». Il nous soutient dans le combat, il nous abrite contre la chaleur, il ne nous abandonne point: souffrez donc, souffrez longtemps. « Celui-là sera sauvé qui aura persévéré jusqu’à la fin 2 ».

27. Et lorsque tu auras attendu longtemps, souffert avec patience, persévéré jusqu’à la fin, que t’arrivera-t-il? Quelle sera ta récompense, qu’auras-tu gagné à tant souffrir? « Alors notre coeur s’épanouira en lui, parce que nous avons espéré en son nom3 ». Espère donc en cette vie afin de t’épanouir alors; endure ici-bas la faim et la soif, afin d’être rassasié là-haut.

28. Le Prophète nous a exhortés à tout

1. Ps. XXXII, 20. — 2. Matt. XXIV, 18. — 3. Ps. XXXII, 21.

 endurer, il nous a comblés des joies de l’espérance, il nous a proposé ce que nous devons aimer, ou celui en qui et de qui nous devons tout attendre : il termine par une invocation courte et salutaire : « Seigneur, que votre miséricorde descende sur nous ». Et par quel mérite? « En proportion de notre espoir en vous 1». J’ai été bien long pour quelques-uns, je le sens; mais je sens encore que pour d’autres mon homélie est bien courte; que les faibles soient indulgents pour les forts, et que les forts prient pour les faibles. Soyons tous les. membres d’un même corps, et que la sève nous vienne de notre chef divin : c’est en lui qu’est notre espérance, en lui encore qu’est notre force. Ne craignons point d’exiger de Dieu sa miséricorde; il veut absolument qu’on la lui demande. Nos pressantes exigences ne le jetteront ni dans le trouble ni dans l’angoisse, comme le malheureux qui n’a pas ce qu’on lui demande, ou qui en a peu, ou qui craint d’en donner, de peur d’en manquer ensuite. Veux-tu savoir comment Dieu répandra sur toi sa miséricorde? Toi-même, répands la charité, et vois si tu peux t’épuiser en la répandant. Quelle richesse alors dans la charité suprême, s’il en est tant dans son image!

29. C’est donc à cette charité que nous vous engageons principalement, mes frères, non seulement entre vous, mais à l’égard de ceux qui sont dehors, soit des païens , qui ne croient pas encore au Christ, soit de nos frères séparés, qui confessent avec nous le même chef, mais qui se divisent de corps. Plaignons, mes bien-aimés, plaignons ces derniers comme des frères; car ils sont vraiment nos frères, qu’ils le veulent ou non. Ils ne cesseront d’être nos frères qu’en cessant de dire à Dieu : « Notre Père 2 ». Le Prophète n dit de quelques-uns : « A ceux qui vous disent : Vous n’êtes point nos frères, répondez : Et vous, vous êtes nos frères 3 ». Voyez de qui il pouvait parler ainsi : était-ce des païens? non, car nous ne les appelons pas nos frères selon les Ecritures et dans le langage de l’Eglise. Etait-ce des Juifs qui ne croient pas en Jésus-Christ? Lisez saint Paul, et vous verrez que quand il emploie le mot frères sans y rien ajouter, il veut désigner les chrétiens. « Un frère ou une sœur », dit-il en parlant du mariage, « n’ont plus d’engagement

1. Ps. XXXII,, 22 — 2. Matt. VI, 9 — 3. Isa. LXVI, 5, juxta LXX.

(314)

en pareil cas 1 ». Ceux qu’il appelle frère et soeur, sont un chrétien et une chrétienne. Il dit encore: « Quant à toi, pourquoi juger un frère, et toi , pourquoi condamner un frère 2 ?»Et ailleurs : « C’est vous qui faites le tort, vous qui causez la perte, et cela à l’égard de vos frères 3 ». Donc ceux qui nous disent: Vous n’êtes pas nos frères, nous traitent comme des païens. C’est pour cela aussi qu’ils veulent nous baptiser, en alléguant que nous n’avons pas ce qu’ils donnent. Ils sont donc conséquents dans leur erreur en nous reniant pour leurs frères. Mais pourquoi le Prophète nous dit-il: « Quant à vous, dites-leur : Vous êtes nos frères », sinon parce que nous reconnaissons en eux ce que nous ne donnons pas de nouveau? Pour eux donc, ne point reconnaître notre baptême, c’est nier que nous soyons leurs frères; et nous, en ne réitérant point leur baptême et en y reconnaissant le nôtre, nous leur disons: Vous êtes nos frères. Qu’ils nous disent: Pourquoi nous cherchez-vous et que voulez-vous de nous?Répondons: Vous êtes nos frères. Qu’ils nous disent : Retirez-vous de nous;nous n’avons rien de commun avec vous. Mais nous, au contraire, nous avons avec vous ceci de commun: que nous confessons un même Christ, et que sous un nième chef nous devons être un même corps. Mais, dit cet infortuné, pourquoi me chercher si je suis perdu? Quelle absurdité! quelle extravagance! pourquoi me chercher si je suis perdu! Mais, au contraire, pourquoi te

1. I Cor. VII, 15 .— 2. Rom. XIV, 10.— 3. I Cor. VI, 8.

chercherais-je si tu n’étais perdu? Si je suis perdu, me dit-il encore, de quelle sorte suis-je ton frère? De sorte que l’on me dise de toi: « Ton frère était mort, il est ressuscité; il était perdu et le voilà retrouvé (Luc, XV, 32 ) ». Nous vous conjurons donc, ô mes frères, par les entrailles de la charité, dont le lait nous alimente, dont le pain nous fortifie, je vous en conjure par Jésus-Christ Notre-Seigneur et par sa divine bonté! Il est temps d’avoir pour ces infortunés une charité sans bornes, une miséricorde surabondante, et de prier Dieu pour eux; afin qu’il mette la sagesse dans leur esprit, et le repentir dans leur coeur, et que ces malheureux voient enfin qu’ils n’ont rien à opposer à la vérité : il ne leur reste que la faiblesse de la rancune, faiblesse d’autant plus grande qu’elle se croit de plus grandes forces. Je vous conjure de répandre ce qu’il y a de plus exquis dans votre charité, sur ces infirmes, sur ces hommes d’une sagesse charnelle, d’un sens brut et sans culture, qui célèbrent les mêmes mystères, non point avec nous sans doute, mais enfin les mêmes, qui répondent amen comme nous, non point avec nous, mais comme nous. Dans votre charité priez Dieu pour eux. Dans notre concile, nous avons fait pour eux ce que le temps ne me permet pas de vous exposer aujourd’hui. Nous vous invitons à vous trouver, et plus fervents et en plus grand nombre, demain dans l’église de Tricliarum; nos frères absents apprendront de vous qu’ils doivent s’y trouver.

PREMIER DISCOURS SUR LE PSAUME XXXIII.
PREMIER SERMON. — L’EUCHARISTIE.

David, qui chez Achis affecte la folie et contrefait son visage, est la figure de Jésus-Christ qui change de sacrifice, en répudiant les offrandes figuratives selon l’ordre d’Aaron, pour établir l’offrande de .son corps et de son sang selon l’ordre de Melchisédech. Sa folie simulée est la figure de cette folie que les incrédules doivent voir dans l’Eucharistie

1. Ce psaume ne paraît avoir dans le texte aucune obscurité qui mérite une explication mais le titre excite notre attention et demande que l’on frappe. De même qu’il est   (315) dit que bienheureux est l’homme qui a mis sa confiance en Dieu; espérons aussi que Dieu nous ouvrira, si nous frappons à la porte. Il ne nous engagerait point à frapper, s’il ne voulait point ouvrir à ceux qui frappent 1. S’il arrive quelquefois que celui-là même qui était résolu de tenir sa porte continuellement fermée, se lève néanmoins importuné, et ouvre malgré sa résolution, afin de n’entendre plus frapper 2 : comment ne pas espérer qu’il mettra plus d’empressement encore à nous ouvrir, celui qui a dit: « Frappez et l’on vous ouvrira? » Je frappe donc de toute l’intention de mon coeur à la porte du Seigneur Dieu, afin qu’il daigne me découvrir ce mystère. Frappez, vous aussi, mes frères, par la bonne volonté de m’écouter, et par l’humilité avec laquelle vous prierez pour moi. Il y a là, il faut l’avouer, un grand mystère, difficile à pénétrer.

2. Voici le titre du psaume : « Psaume de David lorsqu’il changea son visage devant Abimélech qui le renvoya, et il s’en alla 3 ». Cherchons l’époque de ce fait dans les saintes Ecritures où sont consignées les actions de David. Quand nous avons trouvé ce titre : « Psaume de David, quand il fuyait devant la face de son fils Absalon 4 »; nous avons lu et nous avons rencontré dans les livres des Rois, à quelle époque David avait fui devant son fils Absalon 5; c’est un fait qui a réellement eu lieu, et qui est consigné parce qu’il est arrivé; et, quoique ce titre cache quelque mystère, il est néanmoins tiré de l’événement qui est réel. Je crois aussi que ce titre: « Lorsque David changea sa face devant Abimélech, qui le chassa, et il s’en alla », doit être aussi consigné dans les livres des Rois, qui ont recueilli tout ce qui tient aux actions de David 6. Nous ne l’y trouvons pas néanmoins, mais nous y trouvons quelque histoire d’où il semble tiré 7. II est écrit, en effet, que David, fuyant les persécutions de Saül, se retira chez Achis, roi de Geth, c’est-à-dire chez le roi d’une nation limitrophe du royaume des Juifs. Il s’y tenait caché pour échapper à Saül son persécuteur. La mort de Goliath 8, qui, d’un seul coup, donna au roi et au peuple la gloire et la tranquillité dans le royaume, était récente encore, et avait valu à

1. Matt. VII, 7. — 2.Luc, XI, 8. — 3. Ps. XXXIII, 1. — 4. Id. III, 1. — 5. II Rois, XV, 14.— 6. I Rois, XXI, 13. — 7. Id. 10.— 8. Id. XVII, 50.

 David la jalousie en échange d’un bienfait. Les défis de Goliath avaient exaspéré Saut; la mort du géant le rendit ennemi de celui qui l’avait tué; et il envia la gloire du jeune héros, surtout quand le peuple, dans son allégresse, et quand les femmes chantèrent en choeur la gloire de David, en disant: Saut en a tué mille et David dix mille 1. Saül fut ému de voir qu’un seul combat acquérait à un enfant une gloire qui éclipsait la sienne, d’en. tendre surtout que toutes les bouches mettaient David au-dessus du roi, et, comme c’est l’ordinaire, le venin de l’envie, l’orgueil mondain le rendit jaloux et persécuteur, Ce fut alors, comme je l’ai dit, que David s’enfuit chez le roi de Geth nommé Achis 2. Mais on fit connaître à ce roi qu’il tenait sous sa main ce même soldat qui s’était fait chez les Juifs un nom si grand et si populaire: «N’est. « ce point là», lui dit-on, « ce David que chutent les femmes d’Israël, en disant: Saül en a tué mille et David dix mille 3? » Mais si cette gloire naissante avait été pour Saül un sujet de jalousie, il était à craindre aussi, pour David, que ce roi qui lui donnait asile, ne conçût le projet de se défaire de lui, comme d’un voisin qui pouvait devenir un ennemi, s’il le laissait échapper. David « craignit donc, au sujet d’Achis, et, comme il est écrit, il changea son visage devant ses serviteurs, il simulait la folie, il frappait sur un tambour à la porte de la ville, il se portait de ses mains, il heurtait du front le seuil de la porte, et l’écume de sa bouche coulait sur sa barbe 4 ». Le roi chez qui il se cachait, le vit en cet état, et il dit à ses gens : « Pourquoi  m’avoir amené ce furieux? entrera-t-il ainsi dans ma maison 5 ? » Ainsi il le renvoya eu le chassant ; et, sous le voile de cette folie, David s’échappa sain et sauf. Tel est le point d’histoire que paraît nous rappeler le titre du psaume : « Chant de David, quand il changea son visage en présence d’Abimélech, qui le chassa, et il s’en alla ». Mais ce roi était Achis et non Abimélech 6. Le nom seul parait peu d’accord, car l’action est désignée en termes semblables dams les psaumes et dans le livre des Rois. Ce changement de nom doit nous stimuler à chercher un mystère. Car c’est un fait, à la vérité, mais qui n’est point arrivé sans cause : il y a donc là une figure,

1. I Rois, XVIII,7. — 2. Id. XXI, 10. — 3. Id. 11. — 4. Id.13. — 5. Id. 14, 15. — 6. Id. 12.

(316)

et voilà pourquoi cette histoire est écrite avec un changement de noms.

3. Vous comprenez, mes frères, la profondeur des figures mystérieuses. S’il n’y a point de figure dans la mort de Goliath 1, renversé par un enfant, il n’y en a point non plus pour David à changer son visage, à contrefaire la folie, à frapper sur un tambour 2, à heurter la porte de la ville et le seuil de la porte, à laisser couler sa salive sur sa barbe. Comment serait-il possible qu’il n’y eût point là quelque figure, quand l’Apôtre nous dit clairement: « Que toutes ces choses qui arrivaient (à nos pères), étaient des figures, et qu’elles sont été écrites pour nous instruire, nous qui nous trouvons à la fin des temps 3?» S’il n’y a point de figure dans la manne, dont l’Apôtre a dit « qu’ils mangèrent un pain spirituel 4»; s’il n’y a nulle figure dans la mer qui se divisa pour laisser passage aux enfants d’Israël, et les délivrer des poursuites de Pharaon, quand l’Apôtre nous dit : « Je ne s veux point, mes frères, vous laisser ignorer que nos pères ont tous été sous la nuée, qu’ils ont tous été baptisés sous la conduite de Moïse, dans la nuée et dans la mer » ; si elle n’était point figurative, cette pierre que frappa Moïse, et qui donna de l’eau; bien que « cette pierre soit le Christ 6», selon saint Paul; si donc ces faits, quoique réels, n’avaient aucune signification, s’il n’y avait aucune figure dans les deux fils d’Abraham qui lui sont nés selon l’ordre commun des hommes, bien que l’Apôtre appelle ces deux enfants les deux Testaments, l’Ancien et le Nouveau, et qu’il dise: « Ce sont là les deux testaments sous une allégorie 7 »; si donc il n’y a aucune figure dans tous ces actes qui nous sont donnés ranime des symboles de l’avenir, par une autorité apostolique, nous devons croire qu’il n’ya rien non plus de significatif dans cette histoire du livre des Rois, que je viens de vous raconter au sujet de David. Mais ce n’est pas sans mystère que le nom est changé, et que l’on a écrit, « en présence d’Abimélech ».

4. Examinez donc avec moi. Tout ce que je viens de vous dire, est pour vous engager à frapper à ta porte, qui n’est point encore ouverte. Vous le dire, c’était frapper, et, pour nous encore, l’écouter, c’était frapper. Frappons aussi par la prière, afin que le

1. I Rois, XVII, 50.— 2. Id. XVIII.— 3. I Cor. X, 11 —  4. Id. 3.—   5.  Id. 1- 4.— 6. Id. 4.— 7. GaI. IV, 24.

Seigneur nous ouvre enfin. Nous avons le sens des noms hébreux; il n’a pas manqué d’hommes savants pour les traduire de l’hébreu en grec, et du grec en latin. Si donc nous examinons de près ces noms, nous trouvons que Abimélech signifie le royaume de mon Père; et Achis, comment cela est-il? Expliquons ces noms, et la porte va s’ouvrir sous nos coups. Si tu demandes: Que signifie Achis? on te répond qu’il signifie : Comment cela est-il? Mais comment, c’est le mot d’un homme qui admire sans comprendre encore. Abimélech, le royaume de mon Père : David, la main puissante. Or, David était la figure du Christ, comme Goliath était la figure du diable : et David qui renverse Goliath, est la figure du Christ qui renverse le démon. Mais qu’est-ce que le Christ qui donne la mort au démon ? C’est l’humilité qui tue l’orgueil. Ainsi, mes frères, nommer le Christ, c’est principalement nous prêcher l’humilité. C’est par l’humilité qu’il nous a ouvert le chemin du ciel : l’orgueil nous avait séparés de Dieu, nous ne pouvions retourner à lui que par l’humilité, et nous n’avions aucun modèle que nous pussions suivre. Les hommes, ces chétifs mortels, étaient pleins d’orgueil, et si quelques-uns avaient l’esprit d’humilité comme les Prophètes, les patriarches, la race humaine dédaignait de les suivre dans leur humilité. Mais afin que l’homme ne refusât plus d’imiter l’humilité d’un autre homme, voilà que Dieu s’est fait humble, afin que l’homme dans son orgueil ne dédaignât plus de suivre les pas d’un Dieu.

5. Vous le savez, il y avait jadis, chez les Juifs, un sacrifice selon l’ordre d’Aaron, et dont les victimes étaient des animaux : tout cela était figuratif : alors n’existait point ce sacrifice du corps et du sang du Seigneur, que connaissent les fidèles et ceux qui ont lu l’Evangile, et qui est aujourd’hui répandu sur toute la terre. Représentez-vous donc deux sacrifices, l’un selon l’ordre d’Aaron, l’autre selon l’ordre de Melchisédech, dont il est écrit:

« Le Seigneur l’a juré, et sa parole est sans repentir: Vous êtes prêtre pour l’éternité, selon l’ordre de Melchisédech (Ps. CIX, 4 ) ». De qui le Psalmiste dit-il: « Vous êtes prêtre pour l’éternité, selon l’ordre de Melchisédech? » De Notre-Seigneur Jésus-Christ. Qu’était Melchisédech? Roi de Salem. Or, Salem fut autrefois  (317) une ville que l’on appela dans la suite Jérusalem, au dire des savants. Donc, avant que les Juifs en fussent maîtres, il y avait là le prêtre Melchisédech, appelé, dans la Genèse, prêtre du Très-Haut 1, Ce fut lui qui vint au-devant d’Abraham, quand ce patriarche délivra Loth des mains de ses persécuteurs, et que pour délivrer ce frère, il tua ceux qui l’emmenaient en captivité. Après cette délivrance, Melchisédech vint au-devant de- lui; et telle était la grandeur de Melchisédech, que ce fut lui qui bénit Abraham. Il prit du pain et du vin, puis-bénit Abraham, et Abraham lui donna la dîme. Voyez donc ce qu’il offrit, et l’homme qu’il bénit. Longtemps après David s’écrie: « Vous êtes prêtre pour l’éternité , selon l’ordre de Melchisédech ». C’était longtemps après Abraham, que l’Esprit de Dieu faisait ainsi parler David; et c’était au temps d’Abraham que vivait Melchisédech. De quel autre David a-t-il pu dire : « Vous êtes prêtre pour l’éternité, selon l’ordre de Melchisédech », sinon de celui dont vous connaissez le sacrifice ?

6. Donc, le sacrifice d’Aaron- est aboli, et alors a commencé le sacrifice selon l’ordre de Melchisédech. Un visage, et je ne sais lequel, est donc changé. Quel est-il, celui-là que j’ignore ? Qu’il ne nous soit plus inconnu, car c’est Notre-Seigneur Jésus-Christ, que nous connaissons. Il a voulu établir notre salut dans l’institution de son corps et de son sang. Par quel moyen ce corps et ce sang sont-ils venus en notre puissance 2 ? Par son humilité. S’il ne se fût fait humble, il ne serait point notre nourriture et notre breuvage. Voyez de quelle hauteur il est descendu : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu et le Verbe était Dieu 3 ». Voilà l’éternelle nourriture, la nourriture des Anges, la nourriture des Vertus d’en haut, la nourriture des Esprits célestes; ils mangent et ils sont rassasiés, et ce qui fait leur aliment et leur bonheur, n’en demeure pas moins tout-entier. Mais quel homme pourrait toucher à cette nourriture? Quel coeur d’homme serait assez préparé? Cette viande spirituelle devait donc être changée en lait, afin d’arriver aux enfants. Mais, comment une viande devient-elle du lait? Comment peut-elle subir ce changement, si ce n’est en passant par la chair? C’est là ce que fait la mère. Ce qu’a

1. Gen XIV, 18.— 2. Matt. XXVI, 26. — 3. Jean, I, 1.

mangé la mère, l’enfant le mange aussi; mais comme l’enfant est incapable de manger du pain, la mère doit faire passer ce pain par sa chair, et le rendre à son enfant dans le suc du lait, et par l’humilité des mamelles. Comment donc la divine Sagesse nous a-t-elle nourris du pain des Anges? C’est que « le Verbe s’est fait chair, et a demeuré parmi nous 1». Voilà le fruit de l’humilité, qui donne à l’homme le pain des Anges, ainsi qu’il est écrit : « Il leur a donné le pain du ciel, l’homme a mangé le pain des Anges 2. » C’est-à-dire, l’homme a mangé le Verbe, cette nourriture éternelle des Anges, et qui est égal à son Père; car, « ayant la nature de Dieu, il n’a pas cru que ce fût pour lui une usurpation de s’égaler à Dieu ». Telle est la nourriture des Anges: « Mais il s’est anéanti lui-même en prenant la forme de l’esclave, et en se rendant semblable aux autres hommes, et reconnu pour homme par tout ce qui a paru de lui; il s’est humilié, se rendant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix 3 », afin que par la croix il rendît auguste pour nous le sacrifice du corps et du sang du Seigneur. Il a donc changé son visage devant Abimélech , ou devant le royaume de son père. Car le royaume de son père était le royaume des Juifs. Comment était-ce le royaume de son père? Le royaume de David, le royaume d’Abraham. Car le royaume de Dieu son Père est plutôt l’Eglise que le peuple juif: mais Israël est le royaume de son père selon la chair. Il est dit en effet : « Dieu lui donnera le trône de David son père 4». On le voit donc; David est selon la chair le père du Seigneur; mais selon la divinité le Christ est Seigneur de David, et non son fils. Quant aux Juifs, ils ont connu le Christ selon la chair, mais non selon la divinité. C’est pourquoi il leur fit cette question : « De qui dites-vous que le Christ soit fils? Fils de David », répondirent-ils. « Mais lui : Comment donc David, inspiré, l’appelle-t-il le Seigneur, en disant: Le Seigneur a dit à mon Seigneur: Assieds-toi à ma droite, jusqu’à ce que j’aie fait de tes ennemis l’escalier de tes pieds? Si donc David, au souffle de l’Esprit-Saint, l’appelle son Seigneur, comment est-il son fils? Et ils ne pouvaient lui répondre 5 ». parce qu’ils ne connaissaient le Christ que des

1. Jean, 1,14. — 2. Ps. LXXVII, 24,25.— 3. Philipp. II, 6-8.— 4. Luc, I, 32. — 5. Matt. XXII, 42-46.

(318)

yeux, et que leur coeur ne le comprenait point. liais s’ils eussent eu la lumière intérieure de l’âme, aussi bien que celle du jour, les oeuvres extérieures leur eussent montré dans Jésus le fils de David, et le mouvement de leur coeur leur eût fait connaître en lui le Seigneur de David.

7. « Il changea donc son visage en présence d’Abimélech 1». Qu’est-ce à dire devant Abimélech? Devant le royaume de son père. Quel royaume de son père? Devant les Juifs. «Et il le laissa, et il s’en alla». Qui laissa-t-il? Ce peuple Juif qui s’en est allé. Cherche maintenant le Christ chez les Juifs, tu ne l’y trouveras point, Comment les a-t-il laissés, et sont-ils partis? Parce qu’il a changé son visage. Ils se sont obstinés dans le sacrifice selon l’ordre d’Aaron, et n’ont point accepté le sacrifice selon l’ordre de Melchisédech 2, et ils ont perdu le Christ, qui est devenu l’héritage des nations , auxquelles cependant il n’avait pas envoyé ses Prophètes. Car il avait envoyé aux Juifs , et David et Isaac, et Jacob, et Isaïe, et Jérémie, et les autres Prophètes ; mais peu d’entre les toits les ont compris : je dis peu, en comparaison de ceux qui ont voulu périr; car ils étaient assez nombreux en eux-mêmes, et nous lisons qu’il y en avait des milliers. Il est écrit en effet: « Les restes seront sauvés 3 ». Mais aujourd’hui vous chercherez vainement des chrétiens circoncis, vous n’en trouverez point. Néanmoins, dans les premiers temps de ta foi, la circoncision fournit des milliers de chrétiens. Vous en chercherez maintenant, s’il n’y en a plus, Mais c’est avec raison que vous n’en trouvez point. « Car il a changé son visage devant Abimélech, et il l’a quitté et s’en est allé ». Il contrefit encore son visage devant Achis et il le laissa, et s’en alla. Ici les noms sont changés, afin que ce changement dans les noms, nous engageât à en chercher la raison mystérieuse ; de peur que nous n’en vinssions à croire qu’il n’y a de raconté et de mentionné dans les psaumes, que les histoires contenues dans les livres des Rois, sans nous mettre en peine d’en chercher les symboles, mais en regardant ces faits comme de simples histoires. Quel est donc le dessein de Dieu sur vous dans ces changements de noms? Il y a ici un mystère caché; frappez sans vous en tenir à la lettre, car la

1. I Rois, XXI, 13.— 2. Hébr. VII, 11.— 3. Rom. IX, 27.

lettre tue ; cherchez l’Esprit, parce que l’Esprit vivifie 1. La connaissance de l’Esprit sauve le vrai fidèle.

8. Voyons maintenant, mes frères, comment il quitta le roi Achis. Achis, avons-nous dit, signifie: Comment cela est-il? Car, souvenez-vous de ce que rapporte l’Evangile. Quand Notre-Seigneur Jésus-Christ parla de son corps, il dit aux Juifs: « Si quelqu’un ne mange ma chair et ne boit mon sang, il n’aura pas la vie en lui-même ; car ma chair est une véritable nourriture, et mon sang un véritable breuvage 2». Les disciples qui le suivaient furent saisis d’étonnement, ils eurent horreur de cette parole, et sans la comprendre, ils s’imaginèrent qu’il leur tenait je ne sais quel langage trop dur, comme s’ils devaient manger cette chair telle qu’ils la voyaient, et boire son sang: ils ne purent supporter ce discours, disant en quelque sorte : Comment cela est-il? Le roi Achis est ici la figure de l’erreur, de l’ignorance, de la folie. Quiconque dit : Comment, ne comprend pas; et ne pas comprendre est le propre des ténèbres de l’ignorance. Donc ils étaient -sous l’empire de l’ignorance, ou du roi Achis; c’est-à-dire que la puissance de l’erreur les dominait. Jésus disait : « Si quelqu’un ne mange ma chair, et ne boit mon sang ». Mais il avait changé son visage, et l’on ne voyait qu’une exaltation, une folie à donner à des hommes sa chair à manger, son sang à boire. Ainsi David passa pour un fou devant Achis, qui s’écria: « Pourquoi m’amener ce furieux 3? » Mais ne voit-on pas de la folie dans ces paroles : « Mangez ma chair, et buvez mon sang?» Et en disant: « Si quelqu’un ne mange ma chair et ne boit mon sang, il n’aura pas en lui-même la vie 4 ». Jésus est pris pour un insensé. Mais c’est le roi Achis, qui le prend pour un insensé, ou plutôt les vrais fous, les ignorants. Il les laisse donc et s’en va : leur coeur demeure sans intelligence, afin qu’ils ne le comprennent point. Comment lui ont-ils parlé? en disant en quelque sorte : Comment cela est-il? ce qui est la signification d’Achis. Ils dirent en effet: « Comment celui-ci pourra-t-il nous donner sa chair à manger 5 ? » Ils regardaient le Seigneur comme un insensé, un homme en détire, ne sachant ce qu’il

1. II Cor. III, 6.— 2. Jean, VI, 54-56.— 3. I Rois, XXI, 14.— 4. Jean, VI, 54. — 5. Id. 53 -

(319)

 disait. Mais lui qui savait ce qu’il disait, prêchait par avance ses mystères, en contrefaisant son visage, en affectant la folie et le délire; et il était dans des transports, et il frappait du tambour à la porte de la ville.

9. Mais voyons ce qu’il marquait en simulant sa folie, en frappant du tambour à la porte de la cité. Ce n’est pas sans raison qu’il est dit: « Il se heurtait contre le seuil de la  porte » ; ni sans raison qu’il est écrit: « Sa salive découlait sur sa barbe 1 ». Rien de tout cela n’est dit sans raison; et ce que l’on gagne à le comprendre doit nous faire supporter un discours un peu long. Vous savez, mes frères, que les Juifs, en présence de qui le Christ contrefit son visage, qu’il laissa aller, dont il se sépara, gardent aujourd’hui le repos. Si donc ceux qui ont perdu le Christ, qui les a quittés en se séparant d’eux, gardent sans profit ce repos du sabbat, pour nous, ce repos aura l’avantage de nous faire comprendre le Christ qui les a quittés pour venir à nous. Ce n’est donc point sans raison que tout cela est arrivé dans le délire de David, ni que l’on nous raconte qu’il avait des transports, qu’il frappait du tambour à la porte de la cité, qu’il se portait sur ses mains, qu’il heurtait contre le seuil de la porte, et que la salive coulait sur sa barbe. Affectabat, il avait des transports. Qu’est-ce qu’avoir des transports? C’est être sous le poids d’un vif amour. Et pourquoi ce vif amour? C’est pour compatir à nos infirmités; aussi a-t-il voulu prendre notre chair, et en elle tuer la mort. Donc, nous prendre en pitié, c’est là ce que l’on peut appeler un transport d’amour. Aussi l’Apôtre a-t-il jeté le blâme sur ceux qui sont durs et sans affection,. Car il reproche à quelques-uns d’être sans affection, sans miséricorde 2. Donc, où il y a de l’affection, il y a de la miséricorde. Où est la miséricorde? C’est que le Fils de Dieu nous a pris en pitié du haut du ciel ; et s’il n’eût point voulu s’anéantir, s’il fût demeuré dans cette forme divine qui le rend égal à son Père, nous serions demeurés éternellement sous l’empire de la mort: mais afin de nous délivrer de cette mort éternelle où l’orgueil nous avait conduits , il s’est humilié , il est devenu obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix. Il a donc eu des transports pour arriver jusqu’à la mort de la croix. Mais

1. I Rois, XXI, 13.— 2.Rom. 31.

on étend sur le bois celui que l’on crucifie; et pour avoir un tambour on fait subir sur le bois une tension violente à la chair, c’est-à-dire à la peau; et il est dit qu’il frappait sur un tambour, c’est-à-dire qu’il était cloué à la croix, horriblement étendu sur le bois. « Il avait des transports », oui, des transports d’amour pour nous, il voulait donner sa vie pour ses brebis 1. « Il frappait du tambour ». Comment? A la porte de la ville. C’est la porte que l’on nous ouvre pour notas faire croire en Dieu. Nous avions fermé ces portes au Christ, pour les ouvrir au diable, notre coeur était fermé à la vie éternelle : et parce que nous autres hommes, nous avions fermé notre coeur à la vie éternelle, et que nous ne pouvions voir le Verbe que voient les anges, le Seigneur notre Dieu s’ouvrait, par la croix, les coeurs des mortels, c’est ainsi qu’il frappait du tambour aux portes de la ville.

10. « Il se portait dans ses mains 2». Qui donc, mes frères, pourra comprendre que cela soit possible pour un homme? Qui se porte dans ses mains? Un homme peut être porté dans les mains d’un autre, jamais dans les siennes. Nous ne voyons donc pas que notas puissions l’entendre de David, dans te sens littéral; mais nous le voyons pour le Christ. Car il se portait dans ses propres mains quand il nous présentait son corps en disant: « Ceci est mon corps 3 ». Il portait alors ne corps dans ses mains. C’est la profonde humilité de Notre-Seigneur qui est recommandée aux hommes. C’est elle qu’il nous exhorte à imiter et à faire paraître en notre vie, afin que nous renversions Goliath 4, et que, nous alla. chant à Jésus-Christ, nous puissions vaincra l’orgueil. « Il tombait contre les poteaux de la porte 5». Que signifie, il se laissait tomber? Il s’abaissait jusqu’à la plus profonde humilité. Que sont « ces poteaux de la porte? » C’est le commencement de cette foi qui doit nous sauver. Nul ne peut se sauver s’il ne commence par croire, ainsi qu’il est dit dans le Cantique des cantiques : « Tu viendras, et tu en passeras par le commencement de la foi 6 ». Nous devons aller-jusqu’à voir Dieu face à face, ainsi qu’il est écrit : « Mes bien-aimés, nous sommes les enfants de Dieu; mais ce, que nous devons être un jour ne

1. Jean, x, 15.— 2. I Rois, XXI, 13.— 3. Matt. XXVI, 26.— 4. I Rois XVII, 49. — 5. Id. XXI, 13. — 6. Cant. IV, 8, selon les LXX.

(320)

 paraît pas encore. Nous savons que quand il viendra dans sa gloire, nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu’il est 1 ». Nous le verrons donc, mais quand? Lorsque cette vie sera passée. Ecoute l’apôtre saint Paul: « Nous ne voyons Dieu s maintenant que comme dans un miroir et sous des images, mais alors nous le verrons face à face 2 ». Donc, avant de voir le Verbe face à face, comme le voient les anges, il faut encore nous tenir à ces portes, auxquelles heurta le Seigneur, en s’humiliant jusqu’à la mort 3.

11. Que signifie encore « sa salive qui découlait sur sa barbe? » Ce fut principalement en ce point « qu’il changea son visage devant Abimélech, ou Achis, qu’il quitta, et s’en alla 4 ». Car il quitta ceux qui ne le comprenaient point. Chez qui s’en alla-t-il? Chez les Gentils. Pour nous, comprenons donc ce qu’ils ne purent comprendre. La salive

1. I Jean, III,2. — 2. I Cor. XIII, 12. — 3. Philipp. II,8. — 4. I Rois, XXI, 13

découlait sur la barbe de David. Que désigne cette salive? Des discours puérils, car les enfants laissent ainsi couler leur salive. Ces paroles :  « Mangez ma chair, et buvez mon sang (Matt. XXVI, 26 ) », n’étaient-elles point des puérilités pour les Juifs ?Et néanmoins, ces puérilités cachaient sa force; car la barbe est le symbole de la force; et cette salive qui découlait sur sa barbe, que désignait-elle, sinon les paroles de faiblesse qui servent à voiler une grandeur infinie? Votre sainteté , je le présume, a compris le titre du psaume; et si nous entrons dans l’explication du texte, ii est à craindre que vos coeurs ne laissent échapper ce que vous avez entendu. Qu’il nous suffise d’avoir exposé ce titre au nom de Jésus-Christ Notre-Seigneur ; comme c’est demain jour de dimanche, et que nous devons parler, réservons-nous pour demain, afin que vous écoutiez plus volontiers le texte du psaume.
 
 

DEUXIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME XXXIII.
DEUXIÈME SERMON. — DISPOSITIONS A L’EUCHARISTIE.

Bénir le Seigneur en tout temps, c’est le porter par l’humilité, c’est s’approcher de la vraie sagesse sans jalousie, parce qu’elle peut être aimée de tous; les schismatiques ne la veulent que pour eux. Purifions notre intérieur, afin que Dieu nous éclaire et nous comble de ses bénédictions intérieures.

1. Je ne doute nullement que ceux d’entre vous qui nous ont écouté hier, ne se souviennent de notre promesse. Il est temps d’acquitter notre dette avec le secours de Dieu. C’est lui qui nous a inspiré la promesse, lui aussi qui nous donnera de l’accomplir, mais nous vous serons toujours redevable de la charité. C’est la dette toujours acquittée et qui demeure toujours, selon cette parole de l’Apôtre: «Ne demeurez redevables de rien à personne, sinon de la charité mutuelle (Rom. XIII, 8 )». Nous avons exposé hier le titre du psaume, et comme l’explication du texte nous eût retenus trop longtemps, nous avons ajourné cette explication. Ecoutons donc ce que le Saint-Esprit nous dit par la bouche de son Prophète, et qui, dans le cours du psaume, a rapport au titre que nous expliquions hier. Ceux qui n’y étaient pas, me le réclament comme une dette; mais de peur que si je m’y étendais encore comme hier, je ne trompasse l’attente de ceux envers qui je dois m’acquitter de ma promesse, que ceux qui sont présents aujourd’hui, et qui étaient hier absents, comprennent mon résumé autant qu’ils pourront. Ah! s’ils veulent me (321) questionner sur quelques points, mes oreilles seront prêtes à les écouter au nom du Christ, mais en d’autres moments, afin de ne pas employer à cela celui-ci.

2. Il est écrit au livre des Rois, disions-nous hier, que David, fuyant Saül, voulut s’abriter chez un roi de Geth, nommé Achis 1. Mais comme ses exploits y furent connus, craignant que la jalousie ne portât ce roi, chez qui il s’était réfugié, à tramer contre lui quelque mauvais dessein, il contrefit l’insensé, et comme saisi de fureur, « il changea son visage » ; et, comme il est écrit, « il était transporté, il battait du tambour à la porte de la ville, il était porté sur ses mains, il heurtait contre le seuil de la porte. Et le roi Achis dit: Pourquoi m’amener ce. fou? ai-je besoin d’un furieux? » Et il le laissa aller, accomplissant ce qui est écrit : « Il contrefit son visage, et il le laissa, et il s’en alla ». Mais ce roi que David laissa, était Achis; tandis que le titre du psaume porte: « Il contrefit son visage en présence d’Abimélech, et il le quitta et s’en alla ». Nous avons dit que ces changements de noms étaient symboliques, et que si le psaume répétait le même nom que l’histoire, nous aurions pu croire que le prophète racontait un fait, sans nous donner aucune prophétie figurative. Il y a donc une figure dans chacun des noms: car Achis veut dire: Comment est-ce? et Abimélech: Le royaume de mon Père, il y a de l’ignorance à dire: Comment est-ce? c’est le mot d’un homme qui admire et qui ne sait pas. Quant au nom d’Abimélech, il désigne le royaume des Juifs, que le Christ peut appeler royaume de mon père, parce que David est son père selon la chair, et que David régnait sur le peuple Juif. C’est donc devant le royaume de son père, qu’il «changea son visage, et il le quitta et s’en alla», parce que c’était là que l’on sacrifiait selon l’ordre d’Aaron, et qu’il a établi depuis le sacrifice de son corps et de son sang, qu’il a quitté la nation juive, et qu’il s’en est allé chez les Gentils, Que signifie: « Il avait des transports 2 ?» Il était transporté d’amour. Quel amour est comparable à la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ qui, voyant notre infirmité, afin d. nous délivrer de la mort éternelle, à subi lui-même la mort temporelle avec tant d’outrages et tant d’injures? « Il frappait du tambour. »

1. I Rois, XXI, 10, etc. — 2. Id. 13.

On ne fait un tambour qu’en étendant une peau sur du bois, et quand David frappait du tambour il figurait le Christ à la croix. « Il frappait du tambour à la porte de la cité ». Que seraient ces portes de la cité, sinon ces coeurs que nous avions fermés au Christ, et qu’il s’est ouverts par les coups de la croix? « Il se portait sur ses mains». Comment se portait-il sur ses mains? Quand il nous donnait son corps même et son sang, il tenait en ses mains ce que savent les fidèles; il se portait lui-même en quelque sorte, quand il disait: « Ceci est mon corps 1 » . « Il heurtait contre le seuil de la porte 2 », c’est-à-dire, il s’humiliait. Car c’est là s’abaisser jusqu’au seuil de notre foi. Le seuil de la porte est le commencement de cette foi, qui a été le commencement de l’Eglise, pour arriver à la claire vue de Dieu : croire ce que l’on ne voit pas, c’est mériter de jouir de Dieu face à face. Tel est -en peu de mots le titre du psaume. Ecoutons maintenant les paroles de cet insensé qui frappe du tambour aux portes de la ville.

3. « Je bénirai le Seigneur en tout temps, sa louange sera toujours en ma bouche 3 ». Ainsi dit le Christ, ainsi doit dire le chrétien ; puisque le chrétien est incorporé au Christ, et que le Christ ne s’est fait honnie qu’afin que l’homme pût devenir un ange. C’est lui, qui dit : « Je bénirai le Seigneur ». Quand le bénirai-je? Quand il t’aura fait du bien. Sera-ce dans l’abondance terrestre? Quand il y a profusion de froment, de vin, d’huile, d’or, d’argent, d’esclaves, de troupeaux; lorsque cette santé mortelle demeure inaltérable et incorruptible, que tout ce qui naît dans tes domaines croît à souhait, qu’une mort prématurée n’enlève rien, que tout prospère dans ta maison, que tout tient de toutes parts, est-ce alors que tu béniras le Seigneur? Non: mais en tout temps; c’est-à-dire et dans ce moment, et lorsque cette prospérité, soit pour un temps, soit par l’ordre du Seigneur, sera troublée, que ces biens te seront enlevés qu’ils écloront plus rarement, qu’à peine éclos ils disparaîtront. Car voilà ce qui arrive, et ce qui amène la pauvreté, la disette, le labeur, la souffrance et la tentation. Mais toi, ô mon frère, qui as chanté : « Je bénirai le Seigneur en tout temps, sa louange sera toujours en ma bouche », bénis Dieu quand il te donne ces biens , bénis-le quand il te les enlève

1. Matt. XXVI, 26. — 2. I Rois, XXI, 13. — 3. Ps. XXXIII, 2.

(322)

C’est lui qui les donne, c’est lui qui les retire; mais il ne se retire point de celui qui le bénit.

4. Quel est toutefois l’homme qui bénit le Seigneur en tout temps, sinon l’homme qui est humble de coeur? Car c’est l’humilité que le Seigneur nous a enseignée dans son corps et dans son sang : s’il nous donne en effet son corps et son sang, il-nous prêche l’humilité, ainsi qu’il est écrit dans cette histoire, et dans cette espèce de fureur de David, dont nous avons parlé. « Et la salive coulait sur sa barbe 1 ». La lecture de [‘Apôtre vous a expliqué la salive, mais elle coulait sur la barbe, Quelqu’un me dira: De quelle salive avons-nous entendu parler? L’Apôtre qu’on vient de lire ne disait-il pas : « Les Juifs réclament des miracles, et les Grecs cherchent la sagesse? »Voilà ce qu’on a lu: « Pour nous, nous prêchons Jésus-Christ crucifié, (le voilà qui frappe du tambour), scandale pour les Juifs, folie pour les Gentils; mais pour ceux qui sont appelés, Juifs ou Gentils, le Christ est la force ide Dieu, la sagesse de Dieu, car ce qui paraît folie en Dieu est plus sage que les hommes, et ce qui paraît faiblesse en Dieu, est plus fort que les hommes 2 ». La salive était le symbole de la folie comme le symbole de la faiblesse. Mais la folie en Dieu est plus sage que la sagesse des hommes, et la faiblesse en Dieu plus forte que la force des hommes : que cette salive ne vous offusque point, mais faites attention qu’elle coule sur la barbe; et si la salive est une marque d’infirmité, la barbe est un symbole de force. Le Christ a donc voilé sa force sous la faiblesse de la chair, et ce qui paraissait faiblesse en lui, était comme une salive, mais sa force était cachée à l’intérieur, comme sa barbe était souillée. Tout ceci nous prêche l’humilité. Sois donc humble, ô mon frère, si tu veux bénir le Seigneur en tout temps; et que sa louange soit toujours en ta bouche. Car Job n’a pas seulement béni le Seigneur quand il regorgeait de ces biens, qui le rendaient, au dire de l’histoire, si heureux et si riche ; riche en troupeaux, en serviteurs, en palais, riche en postérité et en fautes choses. En un clin d’oeil tout lui fut enlevé, et il vit ce que dit notre psaume, en s’écriant: « Le Seigneur l’a donné, le Seigneur l’a ôté, comme il a plu au Seigneur, ainsi il a été fait; que le nom du Seigneur

1. I Rois, XXI, 13.— 2.I Cor. I, 22-26.

soit béni 1 ». Voilà un homme qui vous donne l’exemple et qui bénit le Seigneur en tout temps.

5. Mais pourquoi l’homme bénit-il le Seigneur en tout temps? Parce qu’il est humble. Mais être humble, qu’est-ce donc? C’est ne point rechercher la louange pour soi-même. Quiconque veut être loué pour lui-même, est orgueilleux. Mais où n’est point l’orgueil, là est l’humilité. Veux-tu donc n’être pas orgueilleux ? Afin de pouvoir être humble, dis ce qui suit : « Mon âme sera louée dans le Seigneur ; que ceux qui sont doux l’entendent, qu’ils partagent ma joie 2 ». Celui-là donc n’est pas doux, qui ne veut point être loué dans le Seigneur, mais il est opiniâtre, arrogant, enflé, superbe. Il faut au Seigneur une monture paisible, sois la monture du Seigneur, c’est-à-dire sois doux. Il s’assiéra sur toi, c’est lui qui veut te conduire ; ne crains pas de heurter ton pied ni de tomber dans l’abîme. Tu es infirme à la vérité, mais considère celui qui te dirige. Tu peux être le fils de l’ânesse, mais tu portes le Christ. Car ce fut sur le poulain de l’ânesse qu’il entra dans Jérusalem, et cet animal était doux. Or, était-ce l’animal que l’on chantait alors ? Etait-ce à lui que l’on chantait : « Hosanna, fils de David , béni soit celui qui vient au nom du Seigneur 3 ? » C’était l’ânon qui portait, mais c’était au Christ, qu’il portait, que s’adressaient les acclamations de ceux qui précédaient et de ceux qui suivaient. Cet animal disait peut-être : « Mon âme sera louée dans le Seigneur; que les hommes doux l’entendent, et en soient dans l’allégresse ». Non, mes frères, cet ânon n’a jamais parlé de la sorte, mais que tel soit le langage du peuple dont il est la figure, si ce peuple veut porter le Seigneur. Ce peuple s’irritera-t-il d’être comparé à l’ânon qui est la monture du Seigneur Jésus ? et quelques hommes pleins d’enflure et d’orgueil, s’en viendront dire: Voilà qu’il fait de nous des ânes. Eh bien qu’il devienne l’âne du Seigneur celui qui me parlera de la sorte, mais qu’il ne soit ni le cheval ni le mulet qui n’ont point d’intelligence. Vous connaissez le psaume qui dit : « Ne ressemblez ni au cheval ni au mulet, sans entendement 4 ». Le cheval et le mulet lèvent parfois la tête, et dans leur indocilité renversent leur cavalier. On les dompte avec le frein et

1. Job, I, 21.— 2. Ps. XXXIII, 3.— 3. Matt. XXI, 9.— 4. Ps. XXXI, 9.

(323)

le mors, avec le fouet, jusqu’à ce qu’ils s’assouplissent, et portent leur maître; mais toi, avant même que ta bouche soit meurtrie par le mors, sois doux et porte ton Dieu : ne recherche point la louange pour toi-même, cherche-la pour celui que tu portes, et chante alors : « Mon âme sera louée devant le Seigneur; que les hommes doux l’entendent, et qu’ils s’en réjouissent » ; car si ce n’est point un homme doux et humble qui l’entend, loin de s’en réjouir, il s’en irrite : et tels sont ceux qui nous reprochent de les comparer à des ânes. Quant aux coeurs doux, puissent-ils écouter, et devenir ce qu’ils entendent!

6. Voyons la suite: « Louez le Seigneur avec moi (Ps. XXXIII, 4 ) ». Quel est celui qui nous engage à bénir le Seigneur avec lui? Quiconque, mes frères, appartient au corps de Jésus-Christ ne doit pas avoir de plus grand soin que de faire bénir le Seigneur avec lui. Quel que soit cet homme, il aime le Seigneur. Et une manière de lui témoigner son amour, c’est de ne point porter envie à ceux qui l’aiment aussi bien que lui. Celui qui est épris d’un amour charnel, ressent nécessairement dans cet amour le poison amer de la jalousie; et s’il tient à voir dans une hideuse nudité, la créature qu’il poursuit d’un amour criminel, voudrait-il qu’un autre la vît aussi ? Il serait nécessairement dévoré de jalousie contre celui qui l’aurait vue également. Pour une femme, un préservatif de la chasteté, c’est de n’être vue que par celui qui en a le droit, mais par aucun autre, ou même par celui-là non plus. Mais II n’en est pas ainsi de la sagesse divine: nous la verrons face à face, nous la verrons tous, et sans jalousie. Elle se montre à tous, et pour tous elle demeure toujours pure et toujours chaste. Ceux qui la voient se changent en elle, et jamais elle ne se change en eux. C’est elle qui est la vérité, elle qui est Dieu. Or, avez-vous jamais ouï dire, mes frères, que Dieu subisse des changements? La vérité s’élève par-dessus tout, c’est le Verbe de Dieu, la sagesse de Dieu par qui tout a été fait ; elle a des coeurs qui sont épris d’elle. Mais que dit celui qui l’aime avec transport? « Bénissez avec moi le Seigneur ». Que je ne sois point le seul à bénir Dieu, le seul à l’aimer, le seul à l’étreindre dans ma joie ; et si je veux l’étreindre, je n’ai point à redouter qu’un autre ne trouve plus où poser sa main. Telle est l’ampleur de cette sagesse, que toutes les âmes peuvent s’y attacher et en jouir. Que dirai-je encore, mes frères ? Honte à ceux qui aimeraient Dieu de manière à l’envier aux autres ! Des hommes sans moeurs se passionnent pour un cocher, et quiconque aime un cocher ou un chasseur, voudrait que chacun l’aimât avec lui ; il presse, il engage : Aimez donc avec moi ce comédien, aimez avec moi telle ou telle infamie. Il crie au milieu du peuple, il veut que l’on partage son amour pour la honte; et un chrétien ne crierait point dans l’Eglise pour inviter à aimer avec lui la divine vérité? Stimulez donc parmi vous l’amour, mes frères, et criez à chacun des vôtres: « Bénissez avec moi le Seigneur ». Soyez tous dans cette émulation, autrement à quoi bon chanter des psaumes, et vous les expliquer? Si vous aimez Dieu, entraînez à l’amour de Dieu tous ceux qui vous sont unis, tous ceux qui partagent votre demeure : si vous aimez le corps de Jésus-Christ ou l’unité de l’Eglise, entraînez-les à jouir de Dieu, et dites avec allégresse : « Bénissez avec moi le Seigneur ».

7. « Et louons ensemble la sainteté de son nom (Ps. XXXIII, 4 ). Qu’est-ce à dire : « Louons ensemble? » Louons d’un commun accord, ainsi qu’on lit dans beaucoup d’exemplaires. « Bénissez avec moi le Seigneur, chantons la sainteté de son nom à l’unanimité ». Mais dire « ensemble », ou dire « d’un commun accord », c’est toujours le même sens. Entraînez donc dans cet amour tous ceux que vous pourrez ; exhortez, portez, suppliez, instruisez, rendez raison, avec douceur et bonté, entraînez-les à l’amour, afin que s’ils bénissent le Seigneur, ils le bénissent de concert. Les gens de Donat s’imaginent bénir le Seigneur; mais que leur a fait le reste du monde? Disons-leur donc, mes frères: « Bénissez le  Seigneur avec nous, chantez ses louanges d’un commun accord ». Pourquoi vous séparer pour bénir le Seigneur? Il est le seul Dieu, pourquoi voulez-vous lui faire deux peuples? pourquoi séparer le corps du Christ? Nous savons tous qu’il fut attaché à la croix  alors qu’il frappait du tambour, et que sur la croix il rendit l’esprit; et quand vinrent ceux qui l’y avaient suspendu, ils trouvèrent qu’il était déjà mort, et ils ne lui brisèrent point les jambes ; mais ils les rompirent aux larrons (324) qui vivaient encore sur la croix 1 , afin de hâter leur mort par cette nouvelle douleur, et de les descendre de la croix, comme c’était l’ordinaire pour les crucifiés. Le persécuteur vint donc et trouva que le Seigneur avait paisiblement rendu l’esprit, selon sa propre parole: « J’ai le pouvoir de livrer ma vie 2 ». Pour qui donc a-t-il donné sa vie ? Pour tout le peuple , pour son corps entier. Ainsi voici un bourreau, qui ne brise point les jambes à Jésus: mais Donat vient et fait une rupture dans l’Eglise du Christ. Sur la croix, entre les mains des bourreaux, le corps de Jésus-Christ demeure dans son intégrité, et le corps de l’Eglise ne demeure pas dans son intégrité entre les mains des chrétiens. Faisons donc entendre nos cris, mes frères, et des gémissements aussi profonds qu’il nous sera possible, et disons : « Bénissez avec moi le Seigneur, et chantons de concert son saint nom ». C’est là ce que leur crie l’Eglise : c’est la voix de l’Eglise appelant ainsi les dissidents. D’où vient leur séparation? de l’orgueil. Mais Jésus-Christ nous enseigne l’humilité par l’institution de son corps et de son sang: c’est là, comme nous l’avons dit à votre sainteté, le sujet que célèbre ce psaume, où il s’agit du corps et du sang du Christ, et où l’on nous représente cette humilité profonde à laquelle le Christ a bien voulu s’abaisser pour nous.

8. « J’ai cherché le Seigneur, et il m’a exaucé 3 ». Où a-t-il exaucé? à l’intérieur. Où donne-t-il sa grâce? à l’intérieur, C’est là que tu pries, là que tu es exaucé, là que tu obtiens le bonheur. Tu as prié, tu as été exaucé, tu es heureux; et celui qui est près de toi ne le sait point. Tout s’est fait dans le secret, selon cette parole du Seigneur dans l’Evangile : « Entrez dans votre chambre, fermez-en la porte, priez en secret, et votre Père, qui voit dans le secret, vous le rendra 4 ». Mais entrer dans votre chambre, c‘est entrer dans votre coeur. Bienheureux ceux qui rentrent avec joie dans leur coeur, et qui n’y trouvent rien de mauvais. Que sotte sainteté considère bien ceci : voyez qu’ils ne rentrent qu’à regret dans leur maison, ceux qui ont une épouse méchante, mais qu’ils s’en vont sur la place publique prendre leurs ébats, et qu’ils s’attristent quand l’heure

1. Jean, XIX, 32, 33. — 2. Jean, X, 18. — 3. Ps. XXXIII, 5. — 4. Matt VI, 6.

est venue pour eux de rentrer au logis; car ils n’y peuvent rentrer que pour y trouver l’ennui, les murmures, l’amertume et le trouble; puisqu’une maison ne peut être bien réglée, quand il n’y a point de paix entre le mari et ha femme, et que l’on est mieux à se promener au dehors. Si donc il est triste en rentrant à son logis d’avoir toujours à redouter de la part des siens le trouble et le bouleversement; combien plus encore sont malheureux ceux qui n’osent rentrer dans leur conscience, de peur d’y rencontrer le trouble et les remords du péché! Purifiez donc votre coeur, afin de pouvoir y rentrer volontiers. « Bienheureux ceux dont le coeur est pur, car  ils verront Dieu 1 ». Otez-en les souillures des désirs mauvais, ôtez-en la tache de l’avarice, l’infection des pratiques superstitieuses. ôtez- en les sacrilèges et les pensées honteuses; ôtez-en la haine, je ne dis pas contre vos amis, mais encore contre vos ennemis; ôtez-en tout cela, et alors vous pourrez rentrer dans votre coeur et y trouver de la joie. Quand vous commencerez à goûter cette joie, vous trouverez aussi dans la pureté du coeur un parfum délicieux, et l’excitation à la prière; de même qu’en arrivant dans un lieu où règne le silence, où tout est calme et respire la propreté, vous dites aussitôt: Prions ici; la décence du lieu vous porte à croire que Dieu y exaucera vos prières. Si donc la propreté d’un lieu visible a pour vous tant d’attraits, comment n’êtes-vous point révolté des immondices de votre coeur? Entrez-y donc, purifiez-le complètement, levez les yeux vers Dieu, et aussitôt il vous exaucera. Crie donc, ô mon frère, et dis en ton coeur: « J’ai cherché le Seigneur, et il m’a exaucé, et il m’a délivré de toutes mes tribulations ». Pourquoi? Une fois que tu seras éclairé, et que ta conscience commencera par s’améliorer ici-bas, des tribulations te sont réservées, parce qu’il restera toujours en toi quelque faiblesse, jusqu’à ce que la mort soit absorbée par sa victoire, et que ce corps mortel soit revêtu d’immortalité 2 : il est donc nécessaire que tu sois châtié en cette vie, il est nécessaire que tu aies toujours quelques tentations à vaincre, Mais un jour Dieu purifiera tout, et te délivrera de tes afflictions. Cherche-le seulement.

9. « J’ai cherché le Seigneur et il m’a exaucé». Donc ceux qui ne sont point exaucés,

1. Matt, V, 8. — 2. I Cor XV, 54.

(325)

n’ont point cherché le Seigneur. Que votre sainteté veuille m’écouter, Le Prophète ne dit point : J’ai cherché de l’or chez le Seigneur, et il m’a écouté; j’ai cherché une longue vieillesse dans le Seigneur, et il m’a exaucé; j’ai cherché tel ou tel objet dans le Seigneur, et il m’a exaucé. Autre chose est de chercher quelque chose dans le Seigneur, et autre de chercher le Seigneur lui-même. « J’ai cherché le Seigneur », dit-il, « et il m’a exaucé». Mais lorsque dans tes prières tu dis à Dieu : Envoyez la mort à celui-là, qui est mon ennemi ; ce n’est point là chercher le Seigneur, c’est là t’établir en juge de ton ennemi, et faire de Dieu un bourreau à tes ordres. Que sais-tu, si l’homme dont tu demandes la mort n’est pas meilleur que toi, par cela même qu’il ne demande pas la tienne? Ne va donc demander à Dieu rien qui ne soit Dieu, mais cherche Dieu lui-même, et il t’exaucera, et tu parleras encore, qu’il te dira : « Me voici 1 » Qu’est-ce à dire : Me voici? Voici que je suis présent, que veux-tu? quelle est ta demande ? Toute autre chose que je puisse te donner, est moins que moi; mais possède-moi, jouis de moi, étreins-moi de ton amour, tu ne le peux encore dans tout ce que tu es; touche-moi du moins par la foi, et tu t’attacheras à moi, dit le Seigneur, et je te déchargerai de tes autres fardeaux; afin que tu sois entièrement uni à moi, quand ce qu’il y a de mortel en toi sera devenu immortel 2 ; afin que tu sois égal à mes anges 3, et que tu voies toujours ma face, et que tu sois dans la joie, et que nul ne t’enlève ta joie 4; car tu as cherché le Seigneur, et il t’a exaucé, et t’a délivré de toutes tes afflictions.

10. Nous avons déjà dit quel est celui qui nous exhorte, cet amant qui ne veut pas seul étreindre l’objet de son amour, et qui dit «Approchez de lui, et vous serez éclairés ». Il dit ce qu’il a éprouvé lui-même. Que dit l’homme spirituel qui appartient au corps de Jésus-Christ, ou bien Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même dans son humanité, ce chef qui exhorte les autres membres? « Approchez de lui et vous serez illuminés 5 ». Ou plutôt, c’est un chrétien qui vit de l’esprit, qui nous invite à nous approcher de Jésus-Christ Notre-Seigneur. Du moins approchons de lui, afin d’être éclairés, et non comme les Juifs,

1. Isa. LXV, 24. — 2. I Cor. XV, 51. — 3. Matt. XXII, 30. — 4. Jean, XVI, 22. — 5. Ps. XXXIII, 6.

pour être plongés dans les ténèbres. Ils l’ont donc approché pour le crucifier, mais nous, approchons-nous de lui, pour recevoir son corps et son sang. Le crucifié les a couverts de ténèbres; et nous, en mangeant la chair et en buvant le sang du crucifié, soyons dans la lumière. « Approchez-vous de lui, et vous serez illuminés ». C’est aux Gentils que s’adressent ces paroles. Le Christ à la croix était au milieu des Juifs, qui le voyaient et le traitaient cruellement; les Gentils n’étaient point là, et voilà que ceux qui étaient dans les ténèbres se sont approchés, et ceux qui ne voyaient pas ont été remplis de lumière. Comment s’approchent les Gentils? En le suivant parla foi, en exhalant les désirs de leurs coeurs, eu le poursuivant par l’amour. Tes pieds sont ton amour. Marche sur deux pieds, ne sois point boiteux. Quels sont ces deux pieds? les deux préceptes de l’amour de Dieu et du prochain. Sur ces deux pieds, coure à Dieu, approche-toi de lui, car lui-même t’engage à courir, et il ne t’a donné sa lumière, que pour te donner le moyen de le suivre d’une manière admirable et divine! « Car vos visages ne rougiront point. Approchez de lui », dit le Prophète, « et vous serez éclairés; et vos sages n’auront point à rougir 1 ». Il n’aura pour rougir, que le visage de l’orgueilleux. Pourquoi? parce qu’il veut être élevé, et qu’il rougit quand il doit dévorer un affront, subir quelque humiliation, quelque disgrâce du monde, ou quelque affliction. Mais ne craignez pas, approchez-vous de lui, et vous ne rougirez point. Qu’un ennemi vous nuise, il paraît avoir la supériorité sur vous, aux yeux des hommes; et néanmoins vous lui êtes supérieur devant Dieu. Je l’ai fait prendre, je l’ai enchaîné, je l’ai fait mourir. Quelle supériorité ne se donnent point ceux qui tiennent ce langage! Quelle supériorité ne se croyaient point les Juifs, quand ils souffletaient le Seigneur, quand ils lui crachaient au visage, quand ils frappaient sa tête d’un roseau, quand ils le revêtaient d’une tunique dérisoire! Comme ils se croyaient forts! Il paraissait faible au contraire; celui qui heurtait contre le seuil de la porte 2, mais il ne rougissait point. Il était la lumière véritable, qui éclaire tout homme venant en ce monde 3. Comme il n’y a point de confusion pour celle lumière, de même ceux qu’elle éclaire ne

1. Ps. XXXIII, 6. — 2. I Rois, XXI, 13.— 3.   Jean, I, 9.

(326)

seront point confondus. « Approchiez donc de s lui, et soyez éclairés, et vos visages n’auront point à rougir ».

11. Mais, dira quelqu’un, commuent s’approcher de Dieu ? Tant de maux, tant de fautes pèsent sur moi, tant de crimes rugissent dans ma conscience, comment oserai-je approcher de Dieu? Comment? En t’humiliant par la pénitence. Mais, dis-tu, je rougis de faire pénitence. Approche donc du -Seigneur, et tu seras éclairé, et ton front ne rougira point. Si la crainte de rougir te détourne de la pénitence, et que la pénitence te rapproche de Dieu; ne vois-tu pas que tu portes sur ton visage la peine de ton péché, puisque ton front a rougi, précisément parce qu’il n’approche pas de Dieu : et qu’il n’en approche point, parce qu’il ne veut point faire pénitence? C’est là ce qu’affirme le Prophète : « Le pauvre a crié, et le Seigneur l’a exaucé 1 ». Il t’enseigne la manière d’être exaucé. C’est parce que tu es riche que Dieu ne t’exauce pas. Peut-être as-tu crié sans être exaucé, écoute pourquoi. « Ce pauvre a crié, et Dieu l’a exaucé ». Sois donc pauvre, afin de crier, et le Seigneur t’exaucera. Comment crier dans ma pauvreté? diras-tu. Ne présume point de tes propres forces, quelles que soient tes richesses ; comprends enfin que tu es dans l’indigence, et que cette indigence doit durer tant que tu ne posséderas pas celui qui doit l’enrichir. Comment le Seigneur l’a-t-il exaucé? « En le sauvant », dit le Prophète, « de toutes les tribulations ». Comment l’a-t-il sauvé de toutes les tribulations? « L’ange du Seigneur se placera autour de ceux qui le craignent, et il les délivrera 2 ». Voilà ce qui est écrit, mes frères, et non point comme portent certains exemplaires peu exacts: « Le Seigneur placera son ange autour de ceux qui le craignent »; mais bien: « L’ange du Seigneur campera autour de ceux qui le craignent, et les délivrera». Quel est celui qu’il appelle l’ange du Seigneur, et qui doit camper autour de ceux qui le craignent pour les délivrer? Jésus-Christ Notre-Seigneur est appelé dans les prophéties, l’ange du grand conseil, le messager du grand conseil, ainsi le désignent les Prophètes 3. C’est donc l’ange du grand conseil, ou ce messager, qui campera autour de ceux qui le craignent, afin de les délivrer. Ne craignez point d’échapper à

1. Ps, XXXIII, 7.— 2. Id. 8.— 3. Isa. IX, 6, selon les LXX.

sa vigilance; partout où vous craindrez le Seigneur, cet ange vous découvrira, et campera autour de vous afin de vous délivrer.

12. Voilà que le Prophète parle maintenant avec clarté de ce sacrement dans lequel il se portait dans ses mains. « Goûtez et voyez combien le Seigneur est doux 1 ». Le psaume ne commence-t-il pas à s’expliquer, et à te montrer cette espèce de folie et de fureur calme, cette folie sage, cette sobre ivresse de ce David, qui désignait en figure je ne sais quel mystère, lorsque dans la personne d’Achis, les Juifs lui dirent : « Comment cela se peut-il 2 ? » Rappelle-toi que le Seigneur disait: « Celui qui ne mange point ma chair et ne boit point mon sang, n’aura pas en soi la vie 3 ». Et ceux qui appartenaient au royaume d’Achis, ou à l’erreur et à l’ignorance, que répondirent-ils? « Comment celui-ci pourra-t-il nous donner sa chair à manger 4? » Si tu l’ignores, goûte, et vois combien le Seigneur est doux : si tu ne le comprends point, tu es le roi Achis. David changera sa face, et il te quittera, il se retirera de toi pour s’en aller.

13. « Bienheureux l’homme qui espère en lui 5 ! » Est-il besoin d’expliquer longuement cette phrase ? Quiconque n’espère pas dans le Seigneur, est misérable. Et qui n’espère point dans le Seigneur? Celui qui espère en lui-même. Souvent même, ce qui est pire, mes frères , ne l’oubliez point, c’est que les hommes ne veulent point espérer en eux-mêmes, mais dans d’autres hommes. Tant que vivra Gaius Séius, disent-ils, on ne peut rien me faire. Souvent on parle ainsi d’un homme déjà mort. On dit dans cette ville : Tant que cet homme vivra, je n’ai rien à craindre, et souvent alors cet homme est mort dans une autre ville. Cependant il n’y a rien de plus commun que ce langage, et les hommes ne disent point:

Je crois en Dieu, qui ne te permettra point de me nuire. Ils ne disent point: Je me confie en Dieu, parce que s’il te donne quelque pouvoir sur moi, il ne t’en donnera point sur mon âme. Mais quand ils disent : J’en jure par le salut de cet homme, d’abord ils ne veulent pas le salut véritable, et de plus ils font tort à ceux dont ils espèrent le salut pour eux-mêmes.

11. « Craignez le Seigneur, vous tous qui êtes ses saints, parce que rien ne manque

1. Ps. XXXIII, 9.— 2. I Rois, XXI, 11. — 3. Jean, VI, 54. — 4. Id. 53. —  5. Ps. XXXIII, 9.

(327)

à ceux qui le craignent 1 ». La crainte de souffrir la disette, c’est là ce qui en détourne beaucoup de la crainte de Dieu. On leur dit: Ne fraudez personne ; et ils répondent: Comment vivrai-je ? Ma profession ne se peut exercer sans quelque fraude, il faut tromper quelque peu dans le négoce. Mais Dieu punit la fraude : crains donc le Seigneur. Mais si je crains le Seigneur, je ne pourrai vivre. «Craignez le Seigneur, ô vous qui êtes ses saints, car rien ne manque à ceux qui le craignent ». Il promet l’abondance à celui qui le craint, et qui hésite à le servir, dans l’appréhension d’être privé du superflu. Eh quoi! le Seigneur qui t’alimente lorsque tu le négliges, t’abandonnera quand tu le crains? Sois donc sage, et garde-toi de dire: Un tel est riche et moi je suis pauvre; je crains le Seigneur, et celui-là qui ne le craint pas, quels biens n’a-t-il pas amassés, tandis que ma crainte m’a laissé dans l’indigence ! Ecoute bien ce qui suit: « Les riches ont éprouvé l’indigence et la faim, mais ceux qui cherchent le Seigneur, auront tous les biens en abondance 2 ». Ces paroles te paraissent trompeuses en les prenant à la lettre ; car tu vois beaucoup de riches impies mourir au milieu de leurs richesses, et n’éprouver point la pauvreté pendant leur vie; tu les vois vieillir et arriver à la fin de leur vie, parmi leurs grandes richesses ; on leur fait des pompes funèbres avec une grande magnificence; au milieu des pleurs de leur famille on les conduit dans un riche tombeau, eux qui sont morts sur un lit d’ivoire; et toi, qui connais peut-être les dérèglements et les crimes d’un tel homme, tu dis en ton âme : Je sais ce qu’il a fait ; et néanmoins il a vieilli, il est mort dans son lit, les siens le conduisent à la tombe, et on lui fait de si grandes funérailles : et moi, je connais ce qu’il a fait, et l’Ecriture m’en impose, elle me trompe, quand j’entends et quand je chante: « Les riches ont éprouvé l’indigence et la faim ». Quand cet homme a-t-il été pauvre, et quand dans l’indigence ? « Mais ceux qui cherchent le Seigneur, auront tous les biens en abondance». Chaque matin je me rends à l’Eglise, chaque jour je fléchis le genou, chaque jour je cherche le Seigneur, et pourtant je ne possède aucun bien: tel autre s’est peu soucié du Seigneur, et il est mort dans de grandes richesses. C’est là le

1. Ps. XXXIII, 10.— 2. Id. 11

noeud du scandale qui étouffe celui qui pense de la sorte. Il cherche sur la terre un aliment périssable, et ne cherche point dans le ciel une véritable récompense ; il donne tête baissée dans le filet du diable, qui lui presse la gorge, le pousse au mal, et lui fait imiter ce riche qu’il voit mourir parmi tant de richesses.

15. Loin de toi donc d’entendre ainsi ces paroles. Comment les entendrai-je? des biens spirituels. Où sont-ils ? C’est le coeur qui les voit et non les yeux. Mais je ne vois pas ces biens? Quiconque les aime, les voit. Je ne vois point la justice? Elle n’est pas de l’or, elle n’est pas de l’argent. Si elle était de l’or, tu la verrais; mais parce qu’elle est la foi, tu ne la vois point. Et situ ne vois point la foi, pourquoi donc aimes-tu un serviteur fidèle? Interroge tes sentiments, et vois quel est le serviteur que tu aimes. Tu as peut-être un serviteur d’une belle figure, d’une haute stature, d’un port élégant; mais il est fripon, méchant et fourbe:

tu en as un autre, qui est peut-être petit de taille, désagréable de visage, et au teint basané, mais fidèle, économe et sobre ; examine bien, je t’en prie, celui que tu préfères. Les yeux du corps donneront la préférence au serviteur fourbe, mais bien fait ; mais les yeux du coeur au serviteur fidèle, niais dis. gracié. Tu vois donc ce que tu désires qu’un autre te rende, c’est-à-dire la bonne foi, c’est à toi à la lui rendre aussi. Pourquoi ressens~tu de l’affection pour celui qui se montre fidèle, et as-tu des éloges pour des qualités que voient seulement les yeux du coeur ? Seras-lu donc pauvre, quand tu seras comblé de ces richesses spirituelles? Etait-ce donc pour tel autre une grande richesse, qu’un lit d’ivoire? et tu te crois pauvre, quand le ht de ton coeur étale comme des perles ces vertus de justice, de vérité, de charité, de foi, de patience, de mansuétude ! Examine tes richesses, situ possèdes ces vertus, et compare-les aux grands biens des riches. Mais celui-ci, dans son négoce, trouve des mules de grand prix elles achète; si la foi pouvait se vendre, à quel prix n’en achèterais-tu pas? Et cependant Dieu u voulu te la donner gratuitement, et tu ne l’en remercies pas. Le s riches sont donc dans la disette, ils sont dans la pauvreté ; et ce qui est pire encore, ils n’ont pas un morceau de pain. Je ne veux pas dire qu’ils n’ont ni or ni argent, quoique souvent même ils en (328) manquent. Combien cet autre n’en avait-il pas? et en a-t-ii été rassasié ?-Il est donc mort pauvre, puisqu’il voulait encore acquérir plus qu’il n’avait. Mais ils n’ont pas un morceau de pain. Comment n’ont-ils pas de pain? Si tu ne connais pas le vrai pain, le pain te dit lui-même : « Je suis le pain vivant, descendu du ciel 1 » ; et encore: « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu’ils seront rassasiés 2 » . « Mais ceux qui cherchent le Seigneur auront les biens en abondance ». Oui, les biens dont nous avons parlé.

16. « Venez, mes enfants, écoutez-moi, je vous enseignerai la crainte de Dieu 3 ».Vous pensez, mes frères, que c’est moi qui vous parle : croyez que c’est David qui vous parle de la sorte, croyez que c’est l’Apôtre qui vous parle, ou plutôt croyez que c’est Jésus-Christ qui vous dit: « Venez, mes enfants, écoutez-moi ». Ecoutons-le donc ensemble, écoutez-le par ma bouche: il veut nous enseigner dans son humilité, ce fou divin, qui frappait du tambour, il veut nous enseigner. Et que dit-il? « Venez, mes enfants, écoutez-moi, je vous enseignerai la crainte de Dieu». qu’il nous enseigne donc, prêtons-lui l’oreille, ouvrons surtout notre coeur. N’ouvrons pas des oreilles de chair, pour lui fermer nos coeurs, mais, comme le dit l’Evangile: « Que celui-là entende qui a des oreilles pour entendre 4»   Qui refuserait d’entendre le Christ qui nous instruit par son Prophète ?

17. « Quel est l’homme qui souhaite la vie, met qui soupire après des jours heureux 5? » Voilà ce qu’il demande. Chacun d’entre vous ne répond-il pas : C’est moi ? En est-il un  seul d’entre vous pour ne souhaiter pas la vie, c’est-à-dire, qui ne veuille vivre, et ne soupire après des jours heureux? N’est-ce point là ce que vous dites chaque jour dans vos murmures : Combien dureront ces misères? Chaque jour va de mal en pire. Nos ancêtres avaient des jours plus beaux, des jours plus heureux. Si tu pouvais interroger tes pères, tu les entendrais se plaindre aussi de leur temps; ils te diraient dans leurs murmures : Nos pères étaient heureux, nous voilà misérables, nous avons des jours mauvais : le règne d’un tel était déplorable, nous avions cru qu’à sa mort nous aurions un peu de relâche, et

1. Jean, VI, 41 . — 2. Matt. V, 6. — 3. Ps. XXXIII, 12. —  4. Matt. XI, 15 — 5. Ps. XXXIII, 13.

nous sommes plus mal encore. O Dieu, faites luire pour nous d’heureux jours! « Quel est l’homme qui souhaite la vie, et qui soupire après des jours heureux? » Qu’il ne cherche point le bonheur ici-bas. Ce qu’il cherche est bien, mais il ne le cherche pas où il réside. Si vous cherchez un homme dans un pays qu’il n’habite pas, on vous dira : Vous cherchez un homme de bien, vous cherchez un grand homme, cherchez-le, mais pas ici, vous le chercherez vainement en ces contrées, vous ne l’y trouverez jamais. Vous cherchez des jours heureux, cherchons-les ensemble, mais non pas ici-bas. Et pourtant nos pères en avaient. Vous vous trompez, tous ont souffert en cette vie. Lisez les Ecritures; Dieu les a fait écrire afin qu’elles fussent pour nous une consultation. Au temps d’Elie, il y eut une grande famine, et nos pères en souffrirent cruellement. Des têtes d’ânes morts se vendaient à prix d’or, on tuait ses propres enfants pour les manger; deux femmes résolurent ensemble de tuer leurs fils et de les manger: l’une tua son fils et toutes deux le mangèrent; l’autre ensuite ne voulut plus tuer son enfant, et celle qui la première avait-tué le sien, l’exigeait pourtant; ce procès fut porté devant le roi, elles comparurent devant lui, plaidant le meurtre de leurs enfants 1. Que Dieu éloigne de nous ce que nous lisons de ces mets horribles. Mais dans le monde il y aura toujours des moments malheureux, et tous les jours seront heureux en Dieu. Abraham eut des jours heureux, mais dans l’intérieur de son coeur. Il eut des jours mauvais, quand la famine l’obligea de changer de pays pour chercher des vivres 2. Tous ont cherché comme lui, Paul avait-il des jours heureux, lui qui souffrait « la faim, la soif, le froid, la nudité 3?» Mais que les serviteurs s’apaisent : le Seigneur lui-même n’eut point des jours heureux en ce monde, lui qui dut passer par les affronts, par les injures, par la croix, et par tant d’autres maux.

18. Que le chrétien ne murmure donc point, qu’il considère celui dont il suit les traces. Mais s’il veut des jours heureux, qu’il entende le divin docteur qui lui dit: « Venez, mes enfants, écoutez-moi, je vous enseignerai la crainte de Dieu ». Que veux-tu, ô chrétien? La vie et des jours heureux. Ecoute

1. IV Rois, VI, 26-30. —   2. Gen. XII, 10, XXVI, 1. — 3. II Cor. XI, 27.

(329)

et agis : «Préserve ta langue du mal 1». Oui, fais cela. Je ne veux point, dit l’homme du fond de sa misère, je ne veux point interdire le mal à ma langue, et pourtant je veux la vie et des jours heureux. Si un homme de peine te disait :Je ravage ta vigne, et je veux encore un salaire ; tu m’as amené à ta vigne afin de la tailler, de l’ébourgeonner, j’en coupe tous les bois fruitiers, j’énerve les branches vigoureuses, afin que tu n’y puisses rien recueillir, et quand j’aurai fait cela, tu me paieras mon travail. Ne dirais-tu point que cet homme est insensé? Ne le chasserais-tu pas de chez toi, avant qu’il prenne la serpe en main? Tels sont les hommes qui veulent faire le mal, commettre le parjure, blasphémer Dieu, murmurer, s’adonner à la fraude, à l’intempérance, aux procès, à l’adultère,  user d’amulettes, consulter les devins, et avoir des jours heureux. On lui dit : Tu ne peux, en commettant le mal, revendiquer la récompense du bien. Si tu es injuste, le Seigneur le sera-t-il aussi? Que ferai-je donc? Et que veux-tu? Je veux la vie, je veux des jours heureux, « Préserve donc ta langue du mal, et que tes lèvres ne distillent point la fraude » ; c’est-à-dire, que nul ne soit victime de ta fraude, nul de tes mensonges.

19. Mais que signifie : « Détourne-toi du  mal 2? » C’est peu de ne nuire à personne, de ne tuer personne, de ne commettre ni vol, ni fraude, ni adultère, et de ne faire aucun faux témoignage. « Détourne-toi du mal » ; mais à peine en es-tu détourné que tu dis : Je suis en sûreté, j’ai tout fait, j’aurai la vie , je verrai des jours heureux. Non-seulement « détourne-toi du mal»; mais,  « fais le bien ». C’est peu de ne dépouiller personne, il faut vêtir le pauvre. Ne pas dépouiller, c’est éviter le mal; mais tu ne feras le bien qu’à la condition de recevoir l’étranger dans ta demeure. Donc, évite le mal, afin de faire le bien. « Cherche la paix, et suis-la». Il ne te dit point: Tu auras la paix ici-bas, mais : Cherche-la et poursuis-la. Où la chercher? Où elle s’est retirée. Notre paix, c’est le Seigneur qui est ressuscité, qui est monté aux cieux. « Cherche donc là paix et poursuis-la » : car à la résurrection, ce qu’il y a de mortel en toi sera changé, et tu embrasseras cette paix que nul ne pourra troubler. La Paix sera parfaite pour toi,

1. Ps. XXXIII, 14. —  2. Id. 15.

puisque tu ne souffriras plus la faim. C’est le pain qui fait la paix ici-bas ; ôte le pain, et vois quelle guerre tu ressentiras en tes entrailles. Pourquoi donc les justes ont-ils à gémir ici-bas, mes frères? C’est afin de vous apprendre qu’en cette vie nous cherchons la paix, et que nous l’obtiendrons à la fin seulement. Mais essayons de l’avoir en partie en cette vie, afin de l’avoir entièrement dans l’autre. Qu’est-ce à dire en partie? Soyons en bonne harmonie, aimons notre prochain comme nous-mêmes. Aie donc pour ton frère le même amour que pour toi-même, sois en paix avec lui. Mais il est impossible de bannir toute espèce de rixe, comme on en voit s’élever entre des frères, et même entre des saints, comme il s’en éleva entre Barnabas et Paul 1, mais qui n’allaient point jusqu’à éteindre la charité, jusqu’à étouffer la concorde. Car tu es souvent en désaccord avec toi-même, et néanmoins tu n’as pas de haine pour toi. Quiconque a du repentir est en désaccord avec lui-même, Il a péché, il rentre en lui-même, il se fâche d’avoir agi de la sorte, d’avoir fait cette faute. Il est donc en désaccord avec lui-même, mais ce désaccord doit rétablir l’harmonie. Vois de quelle manière un juste se querelle, et se dit : «Pourquoi cette tristesse, ô mon âme, et pourquoi me troubler? Espère dans le Seigneur, parce que je le confesserai encore 2 ». Si donc il dit à son âme : « Pourquoi me troubler? » c’est qu’elle lui causait du trouble. Il voulait peut-être souffrir pour le Christ, et son âme s’en affligeait. Et lui qui le savait, et qui disait : « Pourquoi donc, ô mon âme, t’attrister et me troubler? » n’était pas en paix avec lui-même; mais il était uni d’esprit au Christ, afin que son âme le suivît, et qu’elle ne le troublât plus. Donc, mes frères, cherchez la paix. « Je vous parle de la sorte», dit le Seigneur, «afin que vous ayez la paix en moi; je ne vous promets point la paix sur la terre 3».  Il n’y a en cette vie ni paix véritab1e, ni tranquillité. On nous promet la joie de l’immortalité, et la société des anges. Mais quiconque ne l’aura point cherchée pendant cette vie, ne la possédera point, quand elle doit nous échoir.

20. « Les yeux du Seigneur sont sur les justes 4 ». Bannis donc toute crainte, et  travaille; les yeux du Seigneur sont sur toi,

1. Act. XV, 39,— 2. Ps. LXII, 5.— 3. Jean, XVI, 33.— 4. Ps. XXXIII, 16.

(330)

« Et ses oreilles attentives à. tes prières ». Que veux-tu de plus? Si le père de famille n’entendait point dans une maison nombreuse les murmures d’un serviteur, celui-ci pourrait se plaindre et dire: Quelles sont nos douleurs! et nul ne nous entend. Mais peux-tu dire en parlant de Dieu : Quelles sont mes douleurs, et nul ne m’entend? Mais, diras-tu, s’il m’entendait, il me délivrerait de cette affliction: je crie, et néanmoins je suis dans la douleur. Tiens ferme seulement dans tes voies, et dans ta douleur il t’écoutera. Mais il est médecin, et il reste en toi je ne sais quelle gangrène; tu cries, mais il tranche encore; et sa main ne s’arrêtera point qu’il n’ait fait les incisions qu’il sait nécessaires. C’est en effet une cruauté pour un médecin, d’écouter les cris d’un malade, de ménager la blessure la gangrène. Comment une mère frictionne-t-elle ses enfants dans les bains? Les enfants ne poussent-ils point des cris entre ses mains? cependant elle est assez cruelle, pour ne point cesser et n’écouter point leurs larmes. les aime-t-elle point de toute sa tendresse? pourtant ces enfants poussent des cris, et mères ne les épargnent point. Ainsi en est-il de Dieu qui est plein de tendresse pour nous: et s’il paraît ne point nous écouter, c’est afin de nous guérir, et de nous épargner dans l’éternité.

21. « Les yeux du Seigneur sont sur les justes, et ses oreilles sont attentives à leurs prières », Mais, pourra dire le méchant, je tais donc le mal en toute sécurité, puisque les yeux du Seigneur ne sont pas sur moi : si une Dieu ne regarde que les justes, il ne me voit point; et je suis en sûreté dans toutes mes actions. Or, l’Esprit-Saint, voyant ces pensées hommes, ajoute aussitôt: « Les yeux du Seigneur sont sur les justes, et ses oreilles attentives à leurs prières: mais le regard de sa colère est sur ceux qui font le mal, afin d’effacer leur mémoire de la terre 1 ».

22. « Les justes ont crié, et le Seigneur les a exaucés et les a délivrés de tous leurs maux 2». Les trois enfants de la fournaise étaient justes: et ils crièrent vers le Seigneur, et à leurs chants les flammes devinrent une douce rosée. Ces flammes ne purent approcher ni meurtrir ces trois enfants, justes et innocents, et le Seigneur arracha aux flammes 3. Mais, dira quelqu’un, à la vérité, voilà trois justes qui ont

1. Ps. XXXIII, 16, 17. — 2. Id. 18. — 3. Dan. III, 49.

été exaucés, selon cette parole: « Les justes ont crié, et le Seigneur les a exaucés et les a délivrés de leurs tribulations » ; mais moi j’ai crié, et il ne m’a point délivré : donc ou bien je ne suis pas juste, ou je ne fais point ce que Dieu ordonne, ou peut-être que Dieu ne me voit point. Sois sans crainte, et fais ce que Dieu ordonne; et s’il ne te délivre point d’une manière corporelle, il délivrera ton âme. Lui qui délivra les trois enfants des flammes, en délivra-t-il les Macchabées ? Si les uns chantaient au milieu des flammes, les autres n’y expiraient-ils pas 1 ? Le Dieu des trois enfants n’était-il pas le Dieu des Macchabées ? Il a délivré les uns sans délivrer les autres; au contraire, il les a tous délivrés; il a délivré les trois enfants, afin de confondre les hommes charnels; il n’a pas délivré les Macchabées de la même manière, afin que leurs persécuteurs fussent plus sévèrement condamnés, parce qu’ils avaient cru opprimer les martyrs de Dieu. Il délivra Pierre quand l’Ange vint trouver cet Apôtre dans les chaînes et lui dit: « Lève-toi, et va-t’en » : et alors ses chaînes furent déliées, et il suivit l’ange qui le délivra 2. Pierre avait-il cessé d’être juste, quand le Seigneur ne le délivra point de la croix? Mais ne le délivra-t-il pas alors? Il le délivra certainement. N’a-t-il vécu plus longtemps que pour devenir injuste ? Dieu en ce moment le délivra, plus qu’auparavant, puisqu’il l’arracha véritablement à toutes les misères. Après que Dieu l’eût délivré une première fois, combien cet Apôtre n’eût-il pas à souffrir dans la suite? au lieu que Dieu le fit passer de la croix à ce lieu où l’on ne doit plus souffrir.

23. « Le Seigneur est près de ceux qui ont le coeur brisé, et il doit sauver les hommes  humbles d’esprit 3 ». Dieu est élevé; que le chrétien s’abaisse, qu’il pratique l’humilité s’il veut que Dieu s’approche de lui. Ce sont là de grands mystères, mes frères. Dieu est au-dessus de tous; élève-toi, tu ne l’atteindras point; humilie-toi, et il descendra jusqu’à ton niveau. « De grandes tribulations sont réservées aux justes ». Dieu nous dit-il: Que les chrétiens soient justes, qu’ils écoutent ma parole, afin de n’avoir aucune affliction à souffrir? Telles ne sont point ses promesses; mais il dit: « De grandes tribulations sont réservées aux justes ».   Donc, s’ils ne sont point justes, ils

1. II Macch. VI, 3.—  2. Act. XII, 7. — 3. Ps. XXXIII, 19.

(331)

en auront moins à en endurer, et parce qu’ils sont justes, ils en auront beaucoup. Mais après des souffrances ou légères ou nulles, les injustes arriveront à la douleur éternelle, dont ils ne seront point délivrés; tandis que les justes, après les grandes douleurs de cette vie, arriveront à l’éternel repos, où ils n’auront aucun mal à souffrir. « De grandes tribulations sont réservées aux justes; mais le Seigneur les délivrera de tous les maux 1 ».

24. « Il garde tous leurs os, pas un ne sera brisé 2 ». Ceci, mes frères, ne doit point s’entendre d’une manière charnelle. Les ossements dont la force des fidèles. De même que, dans le corps humain, les os donnent la solidité, de même, dans le coeur du chrétien, c’est la foi qui en fait la force. La patience qui vient de la foi nous constitue une ossification intérieure. C’est là ce qu’on ne peut briser. « Le Seigneur garde tous leurs os, pas un ne sera brisé ». Si le Prophète, en partant de Notre-Seigneur Jésus-Christ, eût dit Le Seigneur garde tous les ossements de son Fils, nul ne sera brisé : selon la figure qui nous en est donnée dans un autre endroit, quand il fut prescrit d’immoler un agneau et que Moïse ajouta: « Garde-toi d’en briser les « os 3 » ; assurément cette prédiction s’est accomplie en Jésus-Christ. Quand il pendait à la croix, il expira avant que les soldats vinssent à lui, et comme ils trouvèrent son corps inanimé, ils ne voulurent point lui briser les jambes, et ainsi s’accomplit la prédiction 4. Mais le Seigneur fait encore cette promesse aux autres chrétiens : « Le Seigneur garde leurs os, et pas un ne sera brisé ». Si donc, mes frères, nous voyons quelque juste endurer quelque souffrance, telle amputation que lui fait un médecin, telle meurtrissure que lui fait un ennemi, au point que ses os soient brisés, ne disons pas : Cet homme n’était pas juste, puisque Dieu a fait à ses justes cette promesse : « Le Seigneur garde leurs os, pas un ne sera brisé ». Voulez-vous voir qu’il parle d’autres os, de ceux que nous appelons la force de la foi, c’est-à-dire de la patience à endurer la douleur? Car tels sont les os que l’on ne brise point. Ecoutez et voyez ce que je vais dire de la passion du Sauveur. Le Seigneur était crucifié au milieu de deux voleurs : l’un d’eux lui insulta, l’autre crut en lui ; l’un fut damné, l’autre justifié; l’un

1. Ps. XXXIII, 20.— 2. Id. 21.— 3. Exod. XII, 46.—  4. Jean, XIX, 33.

subit son châtiment ici-bas et dans l’éternité, et le Seigneur dit à l’autre : « En vérité, je vous le dis, vous serez aujourd’hui avec moi dans le paradis 1 » : et pourtant, ceux qui étaient venus et qui ne brisèrent point les ossements du Seigneur, brisèrent ceux des deux larrons 2 ; en sorte que ceux du larron blasphémateur furent brisés comme les os de celui qui crut en Jésus-Christ. Où est donc la vérité de cette parole: « Le Seigneur garde leurs os, et pas un ne sera rompu? » N’a-t-il donc pu garder tous les os de ce voleur à qui il disait: « Aujourd’hui , tu seras avec moi dans le paradis? » Le Seigneur te répond : Au contraire, je les ai gardés, puisque les coups des bourreaux qui lui brisaient les jambes n’ont pu ébranler la solidité de sa foi.

25. « La mort des pécheurs est très funeste 3 ». Ecoutez ceci, mes frères, après ce que nous venons de dire. Assurément Dieu est grand, sa miséricorde est grande; il est grand, celui qui nous a donné à manger son corps tout meurtri, et son sang à boire. Comprenez comment il voit les pensées corrompues des hommes qui disent : Cet homme est mort, les bêtes l’ont dévoré ; il n’était pas juste, puisqu’il a péri si misérablement; autrement, eût-il péri de la sorte? Donc celui-li est juste qui meurt chez lui et dans son lit ? C’est encore là ce qui m’étonne, diras-tu, car je connais ses péchés et ses crimes, et toute fois, il est mort paisiblement dans sa maison, dans sa chambre, sans avoir souffert dans ses voyages nullement, pas même dans un âge avancé. Ecoute bien, ô mon frère. « La mort des pécheurs est très funeste ». Cette mort que tu crois heureuse est très mauvaise, au point de vue intérieur. Tu vois extérieurement un homme étendu sur un lit funèbre; mais le vois-tu, des yeux de la foi, entraîné dans l’enfer? Ecoutez, mes frères, et voyez d’après l’Evangile ce qu’il y a de funeste dans la mort des pécheurs. N’y voyez-vous pas deux hommes qui vivaient ici-bas, l’un riche, vêtu de pourpre et de fin lin, et qui faisait chaque jour bonne chère 4; l’autre pauvre, étendu à la porte du riche et couvert d’ulcères, et les chiens venaient et léchaient ses ulcères, et il désirait se rassasier des miettes qui tombaient de la table du riche? Il arriva que le pauvre mourut, et ce pauvre qui était juste fut porté

1. Luc, XXIII, 43. — 2. Jean, XIX, 32. — 3. Ps. XXXIII, 22, — Luc XVI, 19-25.

 (332)

par les anges dans le sein d’Abraham. Que ne pouvait dire quiconque avait vu son corps étendu à la porte du riche, sans que personne se mît en peine de l’ensevelir? Ainsi puisse mourir mon ennemi, celui qui m’a persécuté, puisse-je le voir en cet état! On crache sur ce cadavre, la puanteur s’exhale des plaies, mais l’âne repose au sein d’Abraham. Croyons cela, si nous sommes chrétiens; mais si nous ne le croyons, mes frères, ne nous imaginons pas que nous sommes chrétiens. C’est la foi qui nous conduit. Comme le dit le Seigneur, ainsi en est-il. La vérité serait-elle dans les paroles d’un astrologue, et la fausseté dans celles de Jésus-Christ? Mais quelle fut la mort du riche? Comment put-il mourir dans la pourpre et dans le fin lin? Avec quelle pompe et quelle magnificence? Quelles n’étaient pas ses funérailles? Dans quels parfums n’ensevelit-on pas son cadavre? Et pourtant quand il était dans les tourments de l’enter, il désirait ardemment qu’une goutte d’eau tombât, du doigt de ce pauvre jadis méprisé, sur sa lingue desséchée, et il ne l’obtint pas. Apprenez donc ce que signifie: « La mort des pécheurs est très funeste », et ne jetez pas les yeux sur ses lits aux tentures somptueuses, sûr ce cadavre environné de riches broderies, sur uns pompeuses lamentations, sur cette famille en deuil, sur cette foule qui précède et qui suit le corps que l’on porte en terre, sur des cénotaphes d’or et de marbre. Si vous interrogez tout cela, vous n’aurez  qu’une réponse mensongère, tout cela vous dira qu’il est beau de mourir, non-seulement pour des hommes légèrement pécheurs, mais pour de grands criminels, quand on a mérité cette pompe des larmes, cette pompe des parfums, cette pompe de parure, cette pompe de cortège, cette pompe de sépulture. Mais interrogez l’Evangile, et aux yeux de votre foi, il découvrira l’âme du riche qui brûle dans les flammes, et que ne peuvent nullement soulager tous ces honneurs, tout ce cortège, dont la vanité des vivants environnait son cadavre.

26. Mais parce qu’il y a différentes sortes de pécheurs, et qu’il est difficile, peut-être même impossible en cette vie de n’être point pécheur, le Prophète nous dit aussitôt de quels pécheurs la mort est si funeste: « Et ceux qui haïssent le juste, périront 1 », nous dit-il. Quel est ce juste, sinon celui qui juge l’impie 2? Quel est ce juste, sinon Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui est aussi l’hostie de propitiation pour nos péchés 3? Ceux donc qui le haïssent ont une mort très-funeste, puisqu’ils meurent dans leurs péchés et qu’ils ne sont point par lui réconciliés à notre Dieu. « Le Seigneur, en effet, rachètera les âmes de ses serviteurs 4». C’est au point de vue de l’âme que l’on doit envisager la mort comme très- funeste, ou comme très-désirable; et non au point de vue des affronts que l’on peut faire à nos corps, ou des honneurs qu’on peut leur rendre aux yeux des hommes. « Et ceux qui « espèrent en lui ne seront point délaissés 5 ». Telle est, en effet, la règle de la justice humaine. Quels que soient nos efforts, il est impossible que la vie humaine soit sans péché, du moins ne péchons point sous le rapport de l’espérance en celui qui nous remet nos péchés. Ainsi soit-il.

1. Ps. XXXIII, 22. — 2. Rom. XV, 5. —  3. I Jean, II, 2. —  4. Ps. XXXIII, 23. — 5. Ibid.

 Ces trente-trois premiers Psaumes ont été traduits par M. l’abbé MORISOT.

DISCOURS SUR LE PSAUME XXXIV.
CONFIANCE EN DIEU.
 

DISCOURS SUR LE PSAUME XXXIV.

CONFIANCE EN DIEU.

PREMIER SERMON

DEUXIÈME SERMON

DEUXIÈME PARTIE DU PSAUME.

Le titre de ce psaume est : A David. Le double sens, attaché au nom de David, désigne deux qualités du Christ, et montre, comme le texte, que ce psaume s’applique au Christ, considéré en lui-même et dans ses membres. Sous ce double rapport, il souffre et cherche son secours en Dieu. Nous, qui souffrons, mettons aussi en Dieu notre confiance : 1° parce qu’il est notre salut. Pour venir à notre aide, il se sert de nous-mêmes, et des vertus qu’il nous inspire, comme d’une armure : notre âme, voilà son épée, son casque, sa cuirasse; nos vices, nos semblables, le démon, voilà nos ennemis ; pour leur résister, il faut être juste, et c’est Dieu qui donne la justice. Quoi qu’en disent nos ennemis, quel que soit notre sort ici-bas, Dieu seul est notre salut et ce qu’il a fait dans tous les temps, et surtout à l’égard de Job, en est la preuve. Il triomphe de nos ennemis en les convertissant ou en les condamnant; il punit les méchants par leur propre méchanceté Quant aux justes, il est leur unique souverain bien; ils doivent donc chercher en lui le sujet de joies et de leurs espérances. 2° Parce que le Christ est notre Chef, que nous sommes ses membres, et que comme il a été glorifié après avoir souffert , nous le serons nous-mêmes, si nous l’imitons. Environné d’ennemis acharnés à sa perte, il vécut dans l’innocence, la mortification, le jeûne, la prière et l’union avec Dieu, et triompha ainsi de leur malice. Imitons ce parfait modèle, et, puisque nous sommes condamnés à souffrir, souffrons, comme lui, pour la justice, Dieu nous sauvera, et, alors, la tranquillité et la joie seront notre partage.
 
 
 
 

PREMIER SERMON
 
 
 

1. Votre charité ne l’ignore pas: la volonté de nos frères et coévêques nous a imposé l’obligation d’expliquer ce psaume de manière à ce que nous en tirions tous une instruction, car nous sommes tous les auditeurs de celui qui nous instruit les uns et les autres, et dont nous recevons les enseignements en qualité de condisciples.

Le titre de ce psaume ne peut nous arrêter longtemps, car il est court, et pour les enfants, de l’Eglise de Dieu surtout, il n’est pas difficile à comprendre. Le voici : « A David ». Louange donc à David. David signifie: Homme d’un bras vigoureux, homme désirable. Louange donc à cet homme fort et désirable, qui a vaincu notre mort et nous a promis la vie. Car, pour vaincre notre mort, il s’est montré vigoureux il est désirable, puisqu’il nous a promis la vie éternelle. Et, de fait, qu’y a-t-il de plus fort que cette main, dont le contact a ressuscité un mort et l’a fait sortir vivant du cercueil? Qu’y a-t-il de plus fort que cette main, qui a vaincu le monde, sans porter le glaive, après avoir été clouée à la croix? Qu’y a-t-il de plus désirable que cet homme? Les martyrs ne l’avaient pas vu, et pourtant, ils ont voulu mourir pour mérite d’arriver jusqu’à lui. Louange donc à lui; à lui notre coeur; à lui notre langue: puise t-elle chanter des louanges dignes de lui! Puisse-t-il inspirer lui-même nos chants! Nulle louange n’est digne de sa majesté, s’il te daigne en accorder la grâce à celui qui entreprend de la lui offrir. Enfin, ce que note chantons maintenant, son esprit nous l’a enseigné par la bouche du Prophète, et de ces paroles où nous nous reconnaissons nous-mêmes, et lui avec nous. En nous exprimai! ainsi, nous ne lui faisons point injure, car du haut du ciel, quand personne ne le touchait et que nous luttions sur la terre, il a dit « Pourquoi me persécutes-tu ? » Il nous faut donc. entendre sa parole, tantôt de no mêmes qui sommes son corps, tantôt de lui-même qui en est le Chef. Car, dans ce psaume on invoque Dieu contre ses ennemis, au milieu des tribulations de cette vie, et celui qui adresse cette invocation au Seigneur, est indubitablement le Christ, qui a souffert autrefois comme chef, et qui souffre aujourd’hui  (334) dans son corps, se servant néanmoins de ses tribulations pour communiquer à  tous ses membres la vie éternelle, et méritant, par ses immortelles promesses, le titre de désirable.

2. « Seigneur», dit-il, « jugez ceux qui me dont du mal: domptez mes persécuteurs 1 ». Si Dieu est pour nous, qui est-ce qui sera contre nous 2? Et comment Dieu nous procure-t-il son secours? Il ajoute : « Prenez vos n armes et votre bouclier : levez-vous pour me secourir ». Admirable spectacle! Un Dieu armé pour ta défense! Quel est son bouclier? quelles sont ses armes? « Seigneur », dit encore ailleurs cet homme qui parle ici, « votre bonne volonté m’a couvert comme un bouclier 3 ». Si nous profitons bien de son aide, nous deviendrons nous-mêmes les armes avec lesquelles il nous protégera et frappera nos ennemis: car, si nos armes viennent de lui, flous lui servons nous-mêmes d’armure: tandis qu’il est armé de ceux qu’il a créés, ses créatures puisent en lui leurs moyens de défense. L’Apôtre nomme, quelque part, ces armes divines mises à notre portée : c’est le bouclier de la foi, le casque du salut, le glaive spirituel de la parole de Dieu 4. Le Seigneur nous a munis, comme vous l’avez entendu, d’armes admirables et indestructibles, invincibles et brillantes, vraiment spirituelles et invisibles, parce que nous ne voyons pas les ennemis que nous combattons. Si tu aperçois ton ennemi, il te faut des armes qu’on puisse voir: la toi en des choses que mous ne voyous pas, voilà notre force pour terrasser des adversaires invisibles.

Toutefois, mes très-chers, n’allez pas croire que, parmi nos armes, celles qui nous tiennent lieu de bouclier doivent toujours être considérées comme telles ; que celles qui tiennent la place du casque, soient toujours un casque, et que la cuirasse soit toujours une cuirasse. Les armes matérielles restent les mêmes, quoiqu’on puisse donner une autre destination, au fer qui a servi à les fabriquer, et changer ainsi une épée en une hache; mais nous voyons l’Apôtre lui-même parler, tantôt de la cuirasse de la foi, et, tantôt, du bouclier de la foi. La foi peut donc être, eu même temps, et bouclier et cuirasse : bouclier, parce qu’elle reçoit et repousse les traits de l’ennemi; cuirasse, parce qu’elle les
 
 

1. Ps. XXXIV, 1, 2. — 2. Rom. VIII, 31.— 3. Ps. V, 13. — 4. Eph. VI, 16, 17.
 
 
 
 

331
 
 

empêche de transpercer ta poitrine. Voilà nos armes ; mais celles de Dieu?

Nous lisons en quelque endroit: « Arrachez mon âme aux impies : retirez votre framée aux ennemis de votre bras 1 ». Ceux qu’il désigne d’abord sous le nom « d’impies», il les appelle dans le verset suivant : « Les ennemis de votre bras »; et ce qu’il entend en premier lieu, par « mon âme», il en parle ensuite sous le nom de « votre framée », c’est-à-dire, votre épée. Dans son langage, la framée de Dieu et son âme avaient donc le même sens. « Arrachez », dit-il, « mon âme aux « impies », c’est-à-dire, « retirez votre framée aux ennemis de votre bras ». Car vous prenez mon âme en vos mains, et vous mettez -mes ennemis hors de combat. Mais qu’est-ce que notre âme, si brillante, si grande, si pénétrante, si polie, si flamboyante, si étincelante des feux de la sagesse, que vous la supposiez? Qu’est-ce que notre âme? De quoi est-elle capable, si Dieu lui-même ne la tient et ne s’en sert pour combattre? La meilleure framée, quand elle n’est pas aux mains d’un guerrier, gît inutile. Nous avons dit qu’à nos armes on ne peut donner un nom unique et constamment le même, parce que les unes et les autres sont susceptibles d’un autre emploi: ainsi en est-il des armes de Dieu, puisque, à l’entendre, l’âme du juste est la framée de Dieu, ou bien le trône de Dieu, ou bien encore le temple de la sagesse. Il fait donc de notre âme tout ce qu’il veut; puisqu’elle est entre ses mains, qu’il s’en serve selon son bon plaisir.

3. Qu’il se lève donc, selon l’expression de celui qui l’invoque, qu’il prenne ses armes, qu’il se lève pour nous secourir ! D’où peut-il se lever? La même voix le lui dit ailleurs « Levez-vous : pourquoi dormez-vous, Seigneur 2? » Quan,d on dit que Dieu dort, c’est que nous dormons : si l’on dit qu’il se lève, c’est que nous sortons nous-mêmes des bras du sommeil. Car le Seigneur dormait dans la barque, et parce que Jésus dormait, la barque était battue par les flots : il n’en eût pas été de même, si Jésus avait, veillé. Ta barque, c’est ton coeur: Jésus dans ta barque, c’est la foi dans ton coeur. Si ta foi occupe tes pensées, ton coeur est tranquille à l’abri des tempêtes; mais si tu as perdu le souvenir de ta foi, le Christ dort, prends garde de faire naufrage, emploie ta dernière ressource, éveille
 
 

1. Ps. XXI, 21. — 2. Id. XLIII, 23. -
 
 

336
 
 
 
 

le, dis-lui : Seigneur, levez-vous, nous périssons, afin qu’il commande à la tempête et que le calme se fasse dans ton cœur 1. Toutes les tentations s’éloigneront, ou seront, du moins, impuissantes contre toi, quand le Christ, comme la foi te l’enseigne, veillera dans ton coeur : « Levez-vous»; qu’est-ce donc à dire? Manifestez-vous, apparaissez, faites sentir votre présence. «Levez-vous » donc « pour me secourir».

4. « Tirez votre épée et fermez tout passage à ceux qui nie persécutent 2». Quels sont tes persécuteurs? Peut-être ce voisin que tu as offensé; celui dont tu as blessé les intérêts, ou celui qui veut s’emparer de ton bien, ou celui à l’encontre duquel tu prêches la vérité, ou encore, celui dont tu blâmes les vices, ou enfin, celui dont tu condamnes la mauvaise vie par ta bonne conduite. Tels sont déjà nos ennemis et nos persécuteurs : mais nous devons savoir qu’il nous faut combattre d’autres adversaires, des ennemis invisibles : l’Apôtre nous en avertit par ces paroles: « Ce n’est pas contre la chair et le sang», c’est-à-dire, contre des hommes, « que nous avons à combattre » ; ce n’est point contre des ennemis que nous apercevons, mais contre des adversaires que nous ne voyons pas : « c’est contre les princes, les puissances et les maîtres du monde de ces ténèbres 3». Par maîtres du monde, il entendait le diable et ses anges; mais il était à craindre que ses paroles fussent mal comprises, et que le monde parût être gouverné par le diable et ses anges; et, comme on donne le nom de monde à l’ensemble des choses créées dont le tableau se déroule sous nos yeux, et aussi, à la multitude des pécheurs et de ceux qui aiment le monde, en un mot, à ceux dont il a été dit: « Et le monde ne l’a point connu 4»; et encore : « Le monde tout entier est sous « l’empire de l’esprit malin 5 », l’Apôtre a clairement fait connaître de quel inonde il désignait les maîtres : «Du monde de ces ténèbres». Maîtres du monde, dis-je, maîtres de ces ténèbres. L’expression « de ces ténèbres » ne peut donc, non plus, nous laisser aucun doute sur le sens de ces paroles. De quelles ténèbres le diable et ses anges sont-ils les maîtres? De tous les infidèles, de tous les pécheurs, dont il a été dit : « La
 
 

1. Matt. VIII, 24. — 2. Ps. XXXIV, 3. — 3. Ephés. VI, 12. — 4. Jean, I, 10. — 5. I Jean, V, 19.
 
 

lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres «ne l’ont point comprise». Enfin, comme beaucoup d’entre eux ont reçu le don de la foi, que leur dit le même apôtre? « Car, autrefois, vous étiez ténèbres; mais, maintenant, vous êtes lumière dans le Seigneur 1». Tu ne veux pas que le diable te gouverne? Passe à la lumière. Mais comment passeras-tu à la lumière, si Dieu ne tire son épée, s’il ne t’arrache des mains de tes ennemis et de tes persécuteurs? Et comment tire-t-il son épée? Nous avons déjà vu quelle est cette épée de Dieu : c’est l’âme du juste. Que les justes abondent, et le Seigneur tire son épée, et tout passage est fermé aux ennemis; car, en nous parlant de cette épée et de sa sortie du fourreau, l’Apôtre nous avertit de vivre avec justice, et il dit ensuite : « Afin que, n’ayant rien de mauvais à dire contre nous, notre adversaire soit saisi d’une crainte respectueuse 2». Tout passage lui est fermé parce qu’il ne peut rien trouver à dire contre les saints.

5. Qui est-ce qui peut former les justes? Ou plutôt, quel langage tiennent les adversaires qui nous persécutent? Que disent les ennemis invisibles dont nous avons parlé? Les saint sont-ils condamnés au silence? Les ennemis invisibles, qui s’acharnent à la perte de l’homme, suggèrent à son coeur cette pensée surtout, que Dieu ne nous aide pas: par là, ils nous portent à chercher du secours ailleurs, afin de nous trouver incapables de leur résister et de s’emparer de nous. Voilà ce qu’ils nous suggèrent. Nous devons nous mettre particulièrement en garde contre ces perfides conseils, dont il est question dans un autre psaume: « Une multitude d’ennemis s’élèvent contre moi; plusieurs disent à mon âme : Elle n’a point de salut à espérer de son Dieu 3». A l’encontre d’un tel langage, que lisons-nous ici? « Dites à mon âme : C’est moi qui suis ton salut». Lorsque vous aurez dit à mon âme : « Je suis ton salut», elle vivra dans la justice, et je n’appellerai à mon secours personne autre qui vous.

6. Que lisons-nous ensuite? « Que ceux qui cherchent mon âme soient couverts de confusion et de honte 4». Car ils ne la cherchent que pour la perdre. Puissent-ils la bien chercher; car, dans un autre psaume, il
 
 

1. Eph.V, 8.— 2. Tite, II, 8. — 3. Ps. III, 2, 3.— 4. Id. XXXIV,4.
 
 

(336)
 
 

adresse aux hommes ce reproche, qu’aucun d’eux ne cherche son âme: « Il ne me reste«aucun moyen de fuir, et nul ne cherche mon âme 1 ». Quel est celui qui dit : « Nul ne cherche mon âme? » Ne serait-ce point peut-être celui de qui le Prophète a dit si longtemps d’avance : « Ils ont percé de clous mes mains et mes pieds; ils ont compté tous mes os; ils ont pris plaisir à me regarder et à me considérer; ils ont partagé mes vêtements et jeté le sort sur ma robe 2? » Tout cela se passait sous leurs yeux, et, parmi eux, personne qui cherchât son âme! Frères, invoquons-le donc, et prions-le de dire à notre âme : « Je suis ton salut», et d’ouvrir ses oreilles pour qu’elle l’entende dire : « Je suis ton salut».

Il le dit, en effet, mais il s’en trouve qui restent sourds à sa voix; c’est pourquoi, lorsqu’ils sont plongés dans la tribulation, ils entendent plutôt la voix des ennemis qui les poursuivent. S’il leur manque quelque chose, si l’angoisse les oppresse, si les biens temporels leur font défaut, ils ont, d’ordinaire, recours aux démons, ils veulent consulter les suppôts des démons, et vont trouver les démons; et, ainsi, les ennemis invisibles qui poursuivaient leur âme, s’en sont approchés, y sont entrés, l’ont combattue, en sont devenus les maîtres, l’ont vaincue et ont dit : «Elle n’a point de salut à espérer de son Dieu ». Elle est restée sourde à ces paroles: « Je suis ton salut. — Dites à mon âme: Je suis ton salut, afin que ceux qui la cherchent soient couverts de confusion et de honte ». Oui, vous lui dites : « Je suis ton salut». J’écouterai le Seigneur qui me dit : « Je suis ton salut»; je ne chercherai mon salut que dans le Seigneur, mon Dieu.

Le salut me vient du côté de la créature, mais c’est lui qui en est la source; et quand je porte mes regards vers les montagnes d’où j’attends mon secours, ce ne sont point les montagnes qui me l’envoient, mais le Seigneur, Créateur du ciel et de la terre 3. Dans les nécessités temporelles, Dieu se sert de l’homme pour venir à ton aide, mais lui-même est ton Sauveur. L’ange est, entre ses mains, un instrument pour te secourir, mais c’est toujours lui qui te sauve. Toutes choses dépendent de lui : pour cette vie terrestre, il vient en aide, aux uns d’ici, aux autres de là:
 
 

1. Ps. CXLI, 5. — 2. Ps. XXI, 17-19. — 3. Ps. CXX, 1, 2.
 
 

la vie éternelle est un don qui ne vient que de lui. Lorsque tu éprouves les nécessités de I la vie, tu ne possèdes pas ce que tu cherches, mais tu as près de toi celui que tu cherches cherche donc celui qui ne peut jamais te manquer. Que ses dons te soient ravis : est-ce que tu perds, en même temps, celui qui t’en a comblé? Qu’on te rende ces preuves de sa munificence : o~i sera ta fortune? Sera-t-elle dans les biens que tu auras récupérés? Ne sera-t-elle pas )Plutôt en celui qui te les avait ravis pour t’éprouver, et qui te les a rendus pour te consoler? Car il nous console, lorsqu’il nous accorde ces dons; mais il nous console, comme si nous étions des voyageurs: -comprenons donc bien ce que c’est que voyager. Cette vie tout entière, et tout ce qui sert à ton usage pendant sa durée, tu dois les considérer comme le voyageur considère une hôtellerie, et non comme le propriétaire considère sa maison; ne l’oublie pas: si tu as déjà fait du chemin, il t’en reste encore à faire; si tu as suspendu ta marche, c’est pour prendre de nouvelles forces, et non pour t’arrêter.

7. Il y en a qui disent: Dieu, qui est bon et magnifique, qui règne au plus haut des cieux, qui est invisible, éternel et incorruptible, nous donnera la vie éternelle; il nous communiquera cette incorruptibilité qu’il nous a promise en nous promettant la résurrection; mais, pour les choses du temps, pour les biens de cette vie terrestre, ils sont du domaine des démons; ils appartiennent aux puissances de ces ténèbres. Par de telles paroles, lorsqu’ils sont possédés de l’amour des choses du monde, ils en écartent Dieu, comme si elles ne le concernaient en rien; et, par d’abominables sacrifices, par je ne sais quels moyens ou quels perfides conseils venant des hommes, ils cherchent à se procurer des avantages temporels, tels que de l’argent, une lemme, des enfants et tout ce qui peut charmer le cours de la vie humaine, ou en retarder la marche trop rapide.

La divine Providence a pris soin de démontrer la fausseté de cette opinion: Dieu a voulu nous convaincre qu’il n’est pas étranger aux affaires du temps, et qu’il tient toutes choses sous sa dépendance; d’abord les biens éternels qu’il nous a promis pour l’avenir, et aussi les biens temporels qu’il donne à qui bon lui semble et quand il le juge opportun;
 
 

337
 
 

car il sait à qui il doit les accorder, à qui il doit les refuser, de la même manière que le médecin sait distribuer ses remèdes, parce qu’il connaît mieux les besoins d’un malade que le malade lui-même. Pour nous donner cette conviction, le Seigneur a partagé les siècles entre l’Ancien et le Nouveau Testament. Dans l’Ancien Testament, ses promesses ont pour objet les biens de cette vie; dans le Nouveau, elles ont trait au royaume des cieux. Dans l’un et dans l’autre, le culte de Dieu et les moeurs sont réglés par des prescriptions presque semblables, mais les promesses y paraissent différentes; la puissance prescriptive du supérieur, l’obligation d’obéir chez l’inférieur y sont les mêmes, mais la récompense ne l’est pas. Il a été dit, en effet, aux anciens : Vous entrerez en possession de la terre promise; vous y régnerez; vous y triompherez de vos ennemis; vous ne leur serez point soumis dans ce pays; vous y jouirez d’une complète abondance; vous y engendrerez des enfants 1. Ces avantages temporels furent promis; mais ils l’étaient en figure. Tu peux supposer que quelques-uns ont vu, pour eux, l’accomplissement de telles promesses; et, de fait, il en a été ainsi pour plusieurs. Une contrée a été donnée aux enfants d’Israël; ils reçurent des richesses en partage; des femmes stériles et presque parvenues à la vieillesse ont prié Dieu; elles ont mis en lui leur espérance; elles n’ont cherché d’autre secours que le sien même pour devenir mères, et elles ont mis au monde des enfants. Leur coeur n’est point resté sourd à cette parole du Seigneur: «Je suis ton salut». Si cette parole est vraie pour les choses de l’éternité, pourquoi ne le serait-elle pas dans les affaires du temps?

Dieu en a donné la preuve dans la cause du saint homme Job. Le diable n’est à même de ravir les biens de ce monde qu’autant qu’il en a reçu le pouvoir de la part du souverain Maître. Il a pu porter envie au saint; a-t-il été capable de lui nuire? Il a pu l’accuser; a-t-il été capable de le condamner? A-t-il pu lui ôter quoi que ce fût, même un ongle, même un cheveu, avant d’avoir dit à Dieu « Laissez aller votre main 2?» Qu’est-ce à dire:

«Laissez aller votre main? o Donnez-moi le pouvoir. 111e reçut; il tenta Job; Job fut tenté; néanmoins, le tenté demeura
 
 

1. Exod. XXIII, 25-31. — 2.  Job, I, 11.
 
 

victorieux, et le tentateur fut vaincu; car Dieu, qui avait permis au diable de dépouiller de tout son serviteur, n’avait point abandonné celui-ci intérieurement, et il s’était fait de l’âme de Job un glaive pour vaincre l’esprit malin. Combien vaut cela? Je parle de l’homme. Vaincu au paradis 1; victorieux sur un fumier; au paradis, le diable s’est servi de la femme pour en triompher; sur le fumier, il a triomphé du diable et de la femme. «Tu « as», dit-il, « parlé comme une d’entre les femmes insensées. Si nous avons reçu des biens de la main de Dieu, pourquoi ne supporterions-nous pas les maux qu’elle nous envoie 2? » Comme il avait bien entendu ces paroles : « Je suis ton salut! »

8. « Que ceux qui cherchent mon âme soient couverts de confusion et de honte ».Vois de quels hommes il s’agit: « Priez», dit-il, « pour vos ennemis 3». Mais il y a ici une prophétie ce qui se dit sous forme de désir, s’explique dans le sens d’une prophétie. Que ceci et que cela se fasse, ne veut rien dire autre chose que : ceci et cela se fera. Comprenez donc ainsi la prophétie : «Que ceux qui recherchent mon âme soient couverts de confusion et de honte». Quel sens donner à ces mots : « Qu’ils soient couverts de confusion et de honte? » Ils seront couverts de confusion et de honte. L’événement a justifié la prophétie. Plusieurs, en effet, ont été couverts d’une salutaire confusion; plusieurs, devenus honteux et animés d’une piété sincère, ont quitte les rangs des persécuteurs du Christ pour entrer en société avec ses membres. N’en cherchez pas la cause ailleurs que dans leur confusion et leur honte. Il a donc désiré leur bien.

Les vaincus sont de deux sortes; on est vaincu en deux manières; car la défaite doit~ aboutir à un retour vers le Christ, ou à une condamnation par le Christ. Il est fait ici une allusion à ces deux sortes de vaincus; mais cette allusion est obscure, et elle a besoin d’être expliquée. Il faut entendre, de ceux qui se convertissent, ces paroles : « Que ceux qui cherchent mon âme, soient couverts de confusion et de honte; qu’ils passent en arrière! » Qu’ils ne marchent pas les premiers, mais qu’ils viennent à la suite; qu’ils ne donnent pas de conseils, mais qu’ils es reçoivent. Car Pierre a voulu prendre le pas sur le Seigneur, quand le Seigneur parlait
 
 

1. Gen. III, 6. — 2. Job, II, 10. —  3. Matt., V, 44
 
 
 
 

par avance, de sa passion; il voulut, en quelque sorte, lui donner un conseil salutaire, comme si un malade pouvait en donner à son médecin. Et que dit-il au Seigneur, malgré les assurances que ce Lui-ci lui donnait de ses souffrances à venir? « Seigneur, n’y pensez pas»; prenez pitié de vous : « Il n’en sera pas ainsi». Il a voulu primer et laisser le second rang au-Seigneur. Que lui dit celui-ci? «Satan, retourne en arrière 1». Tu es un démon en marchant devant moi; en me suivant, tu seras mon disciple. A ceux dont nous parlons s’applique donc ceci : « Qu’ils passent en arrière et qu’ils soient confondus, ceux qui ont de mauvais desseins «contre moi». En effet, dès qu’ils auront commencé à ne plus occuper que le second rang, ils ne penseront plus au mal et ils désireront le bien.

9. Et les autres? Car tous ne sont pas vaincus pour convertir et pour croire. Plusieurs persistent dans leur entêtement; beaucoup conservent, dans leur coeur, la volonté de marcher les premiers; et, s’ils ne la manifestent pas au grand jour, ils la nourrissent pourtant en eux-mêmes, et la mettent en oeuvre, lorsque l’occasion s’en présente. Touchant de tels hommes, que lisons-nous ensuite? «Qu’ils deviennent comme de la poussière en face du vent 2». Il n’en est pas ainsi des impies, il n’en est pas ainsi : mais ils sont comme la poussière que le vent disperse de dessus la face de la terre 3. Le vent, c’est la tentation, la poussière, c’est le pécheur Quand vient la tentation, la poussière s’enlève; elle ne demeure point en place, elle ne peut résister. «Qu’ils deviennent comme de la poussière en face du vent, et que l’ange du Seigneur les tourmente, que leur chemin soit obscur et glissant». Chemin bien capable d’épouvanter ! Où est celui que n’effraie pas la seule vue des ténèbres? A quel homme n’inspire pas de crainte la seule-perspective d’un chemin gus-mut? Au milieu de la nuit, dans un sentier dangereux, comment diriger tes pas? Où placeras-tu sûrement ton pied? Ces deux maux, telles sont les grandes punitions des hommes. Les ténèbres, c’est l’ignorance; le chemin glissant, c’est la luxure. « Que leur chemin soit obscur et glissant, et que l’ange du Seigneur les poursuive ». Lorsque, environné de ténèbres et engagé dans un sentier dan-
 
 

1. Matt. XVI, 22, 23. — 2. Ps. XXXIV, 5. — 3. Ps. I, 4.
 
 

gereux, un homme s’aperçoit qu’il va tomber s’il remue seulement le pied, il se résigne peut-être à attendre la lumière du jour; mais ici se trouve l’ange du Seigneur, qui les poursuit. Le prophète leur a bien moins désiré qu’il ne leur a prédit un pareil avenir. Animé de l’Esprit de Dieu, il décrit leur punition telle que Dieu la leur inflige par un jugeaient infaillible, plein de bonté, juste, saint, tranquille, sans être troublé par la co1ère ou par un zèle chagrin, ou par la volonté d’exercer une vengeance, mais par sa justice, qui doit punir les vices; néanmoins, c’est une prophétie.

10. D’où proviennent de si grands maux? Quelle en est là cause? Ecoute, la voici

« Parce que sans aucun sujet ils ont voulu me « faire périr dans le piége qu’ils m’ont tendu en secret ». Il est ici question de notre Chef: les Juifs ont fait cela; ils ont caché leurs piéges scélérats. A qui ont-ils caché leurs -piéges? A celui qui voyait le coeur de ces traîtres. Il était au milieu d’eux comme un ignorant; on eût dit qu’il était leur dupe; et, pendant qu’ils croyaient le tromper, ils étaient eux-mêmes pris dans leur propre piège. Il vivait au milieu d’eux avec toutes les apparences d’un dupe, parce que nous devions nous-mêmes vivre au milieu de pareils hommes, et devenir infailliblement victimes de leur fourberie. Il connaissait, à n’en pas douter, celui qui devait le trahir, et cet instrument, le plus nécessaire à l’accomplissement de leur oeuvre, il le choisit entre ses douze apôtres, afin que même un si petit nombre de personnes ne fût point sans renfermer un méchant. Il voulait par là nous donner un exemple de patience, parce que nous devions vivre nous-mêmes parmi les méchants, soit que nous les connussions, soit que nous ne les connussions pas : il nous fallait les supporter: il est donc devenu un modèle de patience pour te soutenir au moment où tu commenceras à vivre au milieu des mécréants. L’école du Christ, composée de douze disciples, n’a pas pris fin avec eux; c’est pourquoi nous devons être d’autant plus fermes, lorsque nous voyons s’accomplir dans l’Eglise ce qui a été prédit sur le mélange des hommes mauvais. Dans cette école, on ne voyait pas encore la réalisation des promesses faites à la race d’Abraham : on n’y apercevait point non plus l’aire du sein de laquelle (339) devait sortir la multitude des grains destinés à remplir les celliers du père de famille. Pourquoi donc, lorsqu’on bat le blé, n’y laisse-t-on pas la paille, comme en un lieu convenable, jusqu’à ce qu’on vannera le grain pour la dernière fois, puisque ce que vous avez entendu doit s’accomplir à l’égard des méchants?

11. Mais enfin, qu’arrivera-t-il? « Sans sujet ils m’ont caché la scélératesse de leur piége ». Qu’est-ce à dire: « Sans sujet? » Je ne leur ai fait aucun mal: je ne leur ai nui en rien: « Ils m’ont injustement couvert d’outrages». Qu’est-ce à dire : « Injustement ? » Ils ont dit des faussetés; il n’ont apporté aucune preuve. « Qu’un piège dont ils ne se doutent pas vienne les surprendre». Magnifique récompense ! Rien de plus juste. Ils m’ont tendu un piége, et ils l’ont caché pour m’empêcher de l’apercevoir : qu’un piége leur soit tendu, et qu’ils ne le voient pas. Je connais leur piége: quel est celui qui leur sera tendu? Celui qu’ils ne voient pas. Voyons s’il ne le nomme pas? « Qu’un piége dont ils ne se doutent pas vienne les surprendre». Ils lui en ont tendu un ; un autre leur est-il réservé? Non. Mais alors? Chacun d’eux est enlacé dans ses propres péchés comme dans l’inextricable infinité des petits cheveux : ils sont trompés par cela même dont ils se sont servis pour tromper les autres : les moyens qu’ils ont employés pour nuire à autrui, tourneront à leur propre détriment: car il est dit ensuite : « Qu’ils soient eux-mêmes pris dans le piège qu’ils ont tendu en secret». Comme si quelqu’un oubliait qu’il a préparé pour un autre un breuvage empoisonné, et qu’il le boive lui-même; ou, comme si on creusait une fosse pour y faire tomber ses ennemis pendant la nuit, et que, ne se souvenant plus de ce qu’on a fait, on y tombe le premier en se promenant en ces parages. Il en est ainsi, mes frères; croyez-moi donc sans hésiter, soyez-en sûrs ; et, si une raison élevée et éclairée par la prudence vous le permet, voyez, examinez la vérité de mes paroles.

Les méchants ne nuisent à personne avant de se nuire à eux-mêmes ; il en est de la méchanceté comme du feu. Tu veux mettre le feu quelque part? Il faut que l’instrument dont tu te sers, brûle le premier; s’il ne brûle pas, il est incapable de porter le feu ailleurs. C’est une torche : tu l’approches de l’objet que tu prétends incendier : n’est-il pas indispensable que cette torche, placée entre tes mains, soit enflammée la première, pour qu’elle puisse communiquer la flamme à d’autres objets? La méchanceté vient de toi ; ne seras-tu pas le premier sur lequel elle exercera ses ravages ? Si l’on blesse un arbre là où il s’enfonce enterre, est-ce qu’on n’endommage pas aussi ses racines ? Je te le dis : il peut se faire que ta malice ne nuise à personne autre, mais il est impossible qu’elle ne te nuise pas. Car, en quoi le saint homme Job, dont nous avons parlé tout à l’heure, a-t-il souffert du dommage? Il est dit dans un autre psaume: « Comme un rasoir affilé, vous avez fait votre tromperie». Que fait-on avec un rasoir affilé? On fait tomber des cheveux, chose inutile. A quoi donc réussis-tu vis-à-vis de celui à qui tu prétends causer du dommage? Si le méchant, auquel tu veux nuire, se met d’accord avec toi pour opérer le mai, c’est sa malice, et non la tienne, qui lui devient nuisible. Si, au contraire, la malice est étrangère à son âme, et que, dans la pureté de son cœur, il soit soumis à la voix qui lui dit: « Je suis moi-même ton salut», l’homme intérieur reste, chez lui, à l’abri de tes attaques extérieures; mais la malice, qui vient du fond de ton coeur, t’enlève d’abord tes propres forces Tu as le coeur gâté; c’est de là que ce ver rongeur est sorti, ne laissant dans ton âme rien de sain. « Qu’ils soient pris dans le piège qu’ils ont caché, et qu’ils tombent eux-mêmes dans le filet qu’ils ont tendu».

En entendant tout à l’heure ces paroles: « Qu’un piége, dont ils ne se doutent pas, vienne les surprendre», tu croyais peut-être autre chose. Dans ta pensée il s’agissait peut. être d’un malheur inévitable, résultat d’une cause cachée. Dans quel piège sont-ils donc tombés? dans celui de leur propre méchanceté, qu’ils ont dérobée à mes regards. N’est-ce pas ce qui est advenu aux Juifs? Dieu triomphé de leur malice, et leur malice les a vaincus. Il est ressuscité pour nous: ils ont trouvé la mort en eux-mêmes.

12. Voilà le sort réservé aux méchants qui veulent me nuire. Pour moi, que deviendrai-je? Quel sera mon partage? « Mon âme se réjouira dans le Seigneur», comme dans celui qui lui aura dit: « Je suis moi-même ton salut ». Ne recherchant, à vrai dire, aucune richesse eu dehors de lui, ne désirant avoir en abondance
 
 

1. Ps. LI, 4.
 
 

340
 
 

ni les plaisirs ni les biens de la terre, aimant Dieu comme son véritable Epoux, sans espoir de récompense, sans demander à recevoir de lui ce qui pourrait la charmer, mais en se proposant comme l’unique objet de son bonheur. Car, pourrai-je entrer en possession d’un objet meilleur que Dieu? Je suis aimé de Dieu : il t’aime aussi ; voici ses propositions : demande ce que tu veux. Si l’empereur te disait : Demande ce que tu veux comme tu te hâterais de demander la dignité de tribun ou de comte ! Que de choses tu désirerais recevoir pour toi et pour les autres ! Dieu te dit: Demande ce que tu veux ; que lui demanderas-tu donc? Elargis le cercle de tes pensées; donne toute leur ampleur à tes désirs de posséder; écarte autant que possible les limites de ton ambition; dilate tes convoitises. Ce n’est pas le premier venu qui te dit: Demande ce que tu veux; c’est le Dieu tout-puissant. Si tu es amateur de domaines, tu voudras posséder toute la terre tu désireras que tous ceux qui viennent au monde soient tes fermiers ou tes serviteurs et quand tu aurais toute la terre, que posséderais-tu? Si tu demandes la mer, tu ne pourras vivre dans son sein : les poissons qu’elle renferme seront au-dessus des atteintes de ton avarice. Mais, peut-être, posséderas-tu les îles? Elève-toi au-dessus de ce monde ; et, quoique des ailes te manquent pour voler dans les airs, demandes-en l’immensité; porte ton ambition jusque dans le ciel; demande à devenir le maître du soleil, de la lune et des étoiles, car celui qui les a créés, t’a dit : Demande ce que tu veux. Et, cependant, tu ne trouveras rien de plus précieux ni de meilleur que celui qui -a fait toutes choses. Demande à posséder le Créateur lui-même, et en lui, et par lui tu posséderas tout ce qu’il a fait. Tout est digne d’être aimé, parce que tout est beau; mais, qu’y a-t-il de-plus beau que lui? En tout, il y a de la puissance; mais qu’y a-t-il de plus puissant que lui ? Et il ne veut plus rien ardemment que se donner lui-même à toi. Si tu trouves mieux, demande-le; nais si tu demandes autre chose, tu lui fais injure, et tu te portes du dommage, parce que tu lui préfères ses créatures, quand il veut se donner lui-même à toi, et te donner, en sa personne, le Créateur de toutes choses.

Dans ces sentiments d’amour, une âme lui a dit: «Seigneur, est-ce que vous êtes mon partage 1? » C’est-à-dire: Vous êtes mon partage. Que ceux qui désirent des richesses choisissent ce qu’ils veulent; qu’ils prennent leur part dans les biens de ce monde : pour moi, vous êtes mon partage; je vous ai choisi. Et encore : « Vous êtes la part de mon héritage ». Qu’il te possède, afin que tu le possèdes: tu seras son domaine ; tu seras sa maison. Il possède une âme pour lui faire du bien ; en le possédant on en tire avantage.

Est-ce que tu peux lui être de quelque utilité? « J’ai dit au Seigneur : Vous n’avez pas besoin de mes biens 2. Mon âme se réjouira dans le Seigneur; elle trouvera toute sa consolation dans son Sauveur». Le salut qui vient de Dieu, c’est le Christ, « car mes yeux ont vu votre salut 3 ».

13. « Tous mes os vous diront: Seigneur, qui est semblable à vous? » Où est l’homme capable d’interpréter ces paroles d’une manière digne d’elles? Selon moi, on doit se borner à les prononcer, et ne point essayer de les expliquer. Pourquoi y chercher tel ou tel sens? Qu’y a-t-il de pareil à ton Seigneur? Tu l’as devant toi. « Tous mes os vous diront: Seigneur, qui est semblable à vous ? Les méchants m’ont entretenu de choses agréables; « mais, Seigneur, qu’elles sont différentes de votre loi 4! » Il s’est trouvé des persécuteurs qui ont dit: Adore Saturne , adore Mercure. Et on leur a répondu: Je n’adore pas les idoles : « Seigneur, qui est semblable à vous? » Les idoles omit des oreilles et n’entendent pas, des yeux et ne voient pas 5. « Seigneur, qui est semblable à vous ? » Vous avez fait l’oeil pour voir et l’oreille pour entendre. Mais, a-t-on ajouté, je n’adore pas les idoles, parce qu’elles sont l’oeuvre d’un artisan. — Adore donc les arbres et les montagnes ; ils ne sont sortis des mains d’aucun ouvrier. — « Seigneur, qui est semblable à vous ? » On me montre des objets terrestres, et c’est vous qui avez créé la terre ! — On tourne peut-être alors ses regards vers les créatures placées au-dessus de nous, et l’on me dit: Adore la lune, adore ce soleil qui, du haut des cieux, pareil à un immense flambeau, donne au jour son éclat. Et moi, je réponds avec énergie : « Seigneur, qui est semblable à vous ? » Vous avez fait la lune et les étoiles, le soleil a reçu de vous les feux
 
 

1. Ps. LXXII, 26,— 2. Ps.XV, 5,2. — 3. Luc, II, 30. — 4. Ps. CXVIII, 85. — 5. Ps. CXIII, 5, 6.
 
 

341
 
 

ardents qui le font présider au jour: vous êtes l’auteur des harmonies du ciel ! — Il y a d’autres créatures , elles sont invisibles et meilleures ; peut-être me dira-t-on aussi : Honore les anges, adore-les: — et, ici encore, je m’écrierai: « Seigneur, qui est semblable à vous ?» Les anges eux-mêmes sont sortis de vos mains. Que seraient-ils, s’ils ne vous voyaient pas? Rien. Il vaut bien mieux vous posséder avec eux, que tomber, loin de vous, dans les abîmes, pour les avoir adorés.

14. « Tous mes os vous diront: Seigneur, qui est semblable à vous? » O corps du

Christ, ô sainte Eglise, que tous tes os disent : « Seigneur, qui est semblable à vous ? » Et si

tes chairs ont disparu sous l’effort de la persécution; que tes os, du moins, disent encore

« Seigneur, qui est semblable à vous? » Car il a été dit des justes: « Le Seigneur aime tous leurs os; aucun d’eux ne sera brisé 1 ».

Comment énumérer tous les justes dont les os ont été brisés pendant la persécution?

            Enfin, le juste vit de la foi 2, et l’impie est justifié par le Christ 3; et quel est l’homme ainsi ramené à la justification, sinon celui qui croit et qui confesse sa foi, puisque l’on croit de coeur pour être justifié, et que l’on confesse de bouche pour être sauvé 4? Parce qu’il a cru de coeur et confessé de bouche, le larron a été justifié sur la croix, même après que ses crimes l’eurent conduit aux pieds du juge, et de là au dernier supplice; car le Seigneur n’aurait pas dit à un scélérat non encore justifié: «Tu seras aujourd’hui avec moi dans le paradis 5 » Et, cependant, on a brisé ses os. En effet, lorsqu’on arriva pour enlever les corps à cause de la proximité du sabbat, on s’aperçut que le Seigneur était déjà mort, et on ne lui brisa pas les os 6 .Pour les autres, comme ils vivaient encore, on les leur brisa, afin de hâter leur mort par ce supplice , et ainsi de pouvoir les détacher plus vite de la croix et les ensevelir. Le larron, qui persévéra dans son impiété jusque sur la croix, fut-il le seul à qui on brisa les os, et n’en fut-il pas de même de celui qui crut de coeur pour être justifié et confessa de bouche pour être sauvé? Qu’est donc devenue cette promesse : « Le Seigneur garde tous leurs os; aucun d’eux  ne sera brisé? » Mais n’est-ce pas que, dans le corps du Seigneur, les os sont tous
 
 

1. Ps. XXXIII, 21. — 2. Rom. I, 17. — 3. Id. IV, 5. — 4. Id. X, 10. — 5. Luc. XXIII, 43. — Jean, XIX, 33.
 
 
 
 

les justes, chrétiens au coeur énergique, pleins de courage, intrépides en face des persécutions et des tentations, incapables de consentir au mal?

Et comment résister à toutes les tentations? Comment demeurer ferme, quand les persécuteurs vous disent : Voilà le vrai Dieu; voilà ce qu’il est; qu’il vienne et soit ton sauveur; il y a ici je ne sais quel grand. prêtre, au sommet de la montagne; si tu es pauvre, c’est peut-être parce que ce Dieu ne vient pas à ton secours ; prie-le, il t’aidera; tu ne fais point monter vers lui tes supplications : voilà, sans doute, pourquoi tu es malade; prie-le, et la santé te sera rendue; peut-être encore est-ce pour ce motif que tu n’as pas d’enfants:

adresse-toi donc à lui, et tu en auras? Celui qui appartient au corps du Seigneur et ht partie de ses os, repousse tous ces conseils et répond : « Seigneur, qui est semblable à vous? » Si vous daignez m’accorder, mène dès cette vie, ce que je recherche, donnez-le. moi; mais si vous ne voulez pas me l’accorder, soyez ma vie, car je ne cesse point de vous chercher. En sortant de ce monde, oserai-je paraître devant vous, la tête haute, si j’ai adoré un autre que vous, si je vous ai offensé?

Grande est sa miséricorde ! Il nous engage à bien vivre et il nous cache le dernier de nos jours, celui de notre mort, pour que nous ne puissions rien nous promettre de l’avenir.

Je fais mal aujourd’hui et je vis ; demain je cesse d’agir ainsi. Et si demain tu n’es plus?

Sois donc du nombre des os du Christ, et dis-lui : « Seigneur, qui est semblable à vous?

Tous mes os diront: Seigneur, qui est semblable à vous? C’est vous qui tirez le pauvre des mains de ceux qui sont plus forts que lui, et celui qui est abandonné et dans l’indigence, de celles de ses ennemis qui le dépouillent».
 
 

15. Ce psaume a été lu aujourd’hui jusqu’ici, et nous l’avons expliqué de même: mais afin que ce que nous avons dit ne devienne point pour vous un sujet d’ennui, nous n’y ajouterons rien. Arrêtons-nous donc à ces paroles: « C’est vous qui tirez le pauvre des mains de ceux qui sont plus forts que lui». Qui est -libérateur, si ce n’est celui dont le bras est robuste? Cet autre David délivrera le pausa des mains de ceux qui sont plus forts que lui. Le démon avait été le plus fort; il s’était rendu maître de toi : il t’avait vaincu, parce
 
 

342
 
 

que tu avais consenti à ses suggestions ; mais qu’a fait celui dont le bras est puissant? « Personne n’entre dans la maison d’un homme robuste pour en enlever les meubles, avant d’avoir réduit cet homme à l’impuissance 1». Par sa puissance auguste et digne d’admiration, il à réduit le diable à l’impuissance il a tiré son épée pour lui fermer tout passage, poser délivrer le pauvre et l’indigent dénués de tout secours 2.Quel est, en effet, ton protecteur, sinon le Seigneur, à qui tu dis:
 
 

1. Matt. XII, 29. — 2. Ps. LXX, 12.
 
 

« Seigneur, vous êtes mon aide et mon Rédempteur ? » Si tu veux présumer de tes forces, ta présomption sera pour toi une cause de chute : si tu t’appuies sur les forces d’un autre, sache qu’il voudra, non te venir en aide, mais devenir ton maître. Recherche donc, comme ton soutien, celui-là seul qui a racheté les hommes, qui les a rendus libres, qui a donné son sang pour en faire un peuple d’acquisition et conférer à ses serviteurs le titre de frères.
 
 

1. Ps. XVIII, 15.
 
 

Haut du document
 
 
 
 

DEUXIÈME SERMON
DEUXIÈME PARTIE DU PSAUME.
 
 
 
 
 

1. Fixons notre attention sur le reste du psaume, et prions le Seigneur, notre Dieu, de nous donner une intelligence saine pour le bien comprendre, et la grâce d’en tirer profit par nos bonnes oeuvres. Votre charité se rappelle, sans doute, où s’est arrêtée hier notre explication: partons donc de là aujourd’hui. Nous attribuons ces paroles au Christ, considéré comme Chef et comme corps de l’Eglise. Et, puisqu’il s’agit du Christ, ne sépare point l’Epoux de l’épouse, et comprends ce grand mystère : « Ils seront deux dans une même chair». Si, étant deux, ils n’ont qu’une même chair, pourquoi ne se serviraient-ils pas des mêmes paroles? Car, si le chef a supporté ici-bas de mauvais traitements, son corps les apporte aussi : le chef n’a souffert que pour servir d’exemple au corps. En effet, le Seigneur a volontairement souffert, tandis que nous souffrons nécessairement: lui a souffert par bonté pour nous: notre nature nous y condamne. Dans cette indispensable obligation, nous trouvons donc un sujet de consolation en ce qu’il a souffert de sa propre volonté; aussi, quand, par hasard, nous subissons de pareilles épreuves, portons nos regards sur notre chef, prenons exemple sur sa conduite et disons-nous: S’il
 
 

1. Eph., V, 31.
 
 

a été ainsi traité, à quoi devons-nous nous attendre? Conduisons-nous donc comme il l’a fait lui-même. Son ennemi a pu en venir jusqu’à lui ôter la vie du corps; mais, si cruel qu’il se soit montré, il n’a pu détruire entièrement ce corps, puisqu’il est ressuscité le troisième jour. Ce qui est advenu de lui le troisième jour, se fera pour nous à la fin du monde. Si la réalisation de nos espérances de résurrection est différée, ces espérances nous sont-elles ravies? Reconnaissons donc ici la parole du Christ, et ne la confondons pas avec celle des impies. Cette parole est celle du corps du Christ, qui souffre persécutions, angoisses et tribulations, mais, parce que ici-bas il y en a beaucoup pour souffrir à cause de leurs péchés et de leurs crimes, nous devons apporter un soin tout particulier à distinguer de leurs souffrances elles-mêmes la cause de leurs souffrances : car un scélérat peut subir un supplice pareil à celui des martyrs, mais la raison de ses douleurs est bien différente. Il y en avait trois de crucifiés: le Sauveur, celui qui devait être sauvé, et celui qui devait être damné : pour tous, même supplice; mais, pour chacun d’eux, cause de souffrances non pareille.

2. Que notre chef dise donc: « Des témoins injustes s’étant élevés, m’ont interrogé sur
 
 

343
 
 

des choses que je ne connaissais pas 1 » Pour nous, disons à notre chef: Seigneur, que ne saviez-vous pan? Etiez-vous à ce point ignorant? Ne connaissiez-vous point le coeur de ceux qui vous interrogeaient? Ne vous étiez-vous point aperçu d’avance de leurs fourberies? N’était-ce pas en connaissance de cause que vous vous étiez livré entre leurs mains? N’étiez-vous point venu en ce monde pour subir leurs mauvais traitements? Qu’ignoriez-vous donc?

Il ignorait le péché; il ignorait ce péché, non comme s’il ne le condamnait pas, mais parce qu’il ne le commettait point. On emploie tous les jours de pareilles manières de parler; car tu dis de quelqu’un : Il ne sait se tenir debout, pour dire : Il ne se tient pas debout; il ne sait faire le bien, pour dire : Il ne fait pas de bien; il ne sait pas faire le mal, pour dire : Il ne fait pas de mal. Ce qu’on ne fait pas n’intéresse nullement la conscience, et ce dont la conscience ne s’occupe pas, on semble ne pas le savoir. Ainsi, dans notre pensée, Dieu ignore comme l’art qui ne conduit pas au mal, mais qui apprend à connaître le vice et à le discerner. Lors donc que nous interrogeons notre chef, il nous répond dans toute la vérité de son Evangile ; quand nous lui disons: Seigneur, qu’ignoriez-vous? Comment a-t-on pu vous interroger sur des choses que vous ne connaissiez pas? Il nous dit : J’ignorais le péché, et ils m’interrogeaient sur le péché. Si tu ne crois pas que j’ignore le péché, lis l’Evangile et tu y verras que je ne connais pas même les pécheurs; car je leur dirai à la fin du monde : « Je ne vous connais pas; vous, qui commettez l’iniquité, retirez-vous de moi 2». Est-ce qu’il ne connaissait pas ceux qu’il condamnait? Peut-il prononcer un jugement conforme à l’équité, s’il ne le porte pas en parfaite- connaissance de cause? Il agissait en connaissance de cause, et pourtant il n’a pas menti quand il a dit: « Je ne vous connais pas»; c’est-à-dire vous n’êtes pas unis à mon corps; vous ne vous attachez pas à mes préceptes : vous êtes la personnification des vices; et moi, je suis l’art, qui n’a rien de commun avec les défauts, et qui n’apprend rien autre chose qu’à les éviter. « Des témoins injustes s’étant levés, m’ont interrogé sur des choses que je ne connaissais pas». Qu’est-ce que le Christ pouvait
 
 

1. Ps. XXXIV, 11, 12. — 2. Matt. VII, 23.
 
 

ainsi ignorer, sinon le blasphème? Voilà pourquoi il fut accusé d’avoir blasphémé, lorsque interrogé par ses persécuteurs, il répondit selon la vérité. Mais quels furent ses accusateurs? Ceux-là mêmes dont il est dit plus loin: « Ils me rendaient le mal pour le bien; ils « rendaient à mon âme la stérilité ». Je leur apportai l’abondance, et ils me rendaient la stérilité : je leur apportai la vie, et ils me rendaient la mort : je leur apportai l’honneur, et ils me rendaient l’humiliation. Je leur apportai le remède, et ils me rendaient des blessures; et, dans tout ce qu’ils me rendaient, il n’y avait que de la stérilité.

Cette stérilité, il l’a maudite dans le figuier, lorsque, y cherchant des fruits, il n’en trouva aucun 1. Il y avait des feuilles, mais pas de fruits; des paroles, mais pas d’oeuvres: abondance de paroles, stérilité en fait d’oeuvres. « Tu prêches qu’il rie faut rien dérober, et tu dérobes; tu dis que l’adultère est un crime, et tu commets l’adultère ». Tels étaient ceux qui interrogeaient le Christ sur des choses qu’il ne connaissait pas.

3. « Pour moi, lorsqu’ils m’interrogeaient, je me revêtais d’un cilice ; j’humiliais mon âme par le jeûne, et je répandais ma prière dans mon sein». Nous savons, mes frères, que nous appartenons au corps de Jésus-Christ, puisque nous en sommes les membres: nous ne devons pas non plus l’ignorer: dans nos tribulations, il ne nous faut point penser à la manière dont nous répondrons à nos ennemis, mais chercher à leur être propices auprès de Dieu par nos prières, surtout à ne pas nous laisser vaincre par la tentation, et enfin, à obtenir du Tout-Puissant, pour nos persécuteurs, la guérison de leur âme et leur retour à la justice. Rien, de plus grand, rien de meilleur au sein des tribulations, que de s’éloigner du bruit extérieur, et d’entrer dans le plus profond intérieur de son âme pour invoquer Dieu, en ce sanctuaire où personne ne peut ni entendre nos gémissements, ni voir celui qui vient à notre aide; mettons-nous-y à l’abri de toutes les ennuyeuses contrariétés qui nous viennent du dehors: fermons les portes de ce lieu secret; humilions. -nous en faisant l’aveu de nos fautes; louons et bénissons le Dieu qui nous corrige et nous -console: voilà bien la conduite que nous devons tenir.
 
 

1. Matt., XXI, 19.
 
 

344
 
 

Ce que nous disons s’applique au corps du Christ, c’est-à-dire, à chacun de nous : mais soyons-nous en Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même quelque chose de pareil? Tant de soin que nous mettions à examiner et à scruter l’Evangile, jamais nous n’y verrons que, dans ses peines et ses ennuis, le Seigneur se soit revêtu d’un cilice. Nous y lisons, à la vérité, qu’il a jeûné après son baptême; mais, pur un cilice, il n’en est nulle part question nous ne le voyons en aucun endroit. Quand il a jeûné, le diable le tentait, mais les Juifs se le persécutaient pas encore, et je ne puis lire qu’il ait jeûné au moment où ils l’interrogeaient sur des choses qu’il ne connaissait pas, ni au moment où, lui rendant le mal pour le bien, ils examinaient malicieusement sa conduite, le poursuivaient, s’emparaient de sa personne, le flagellaient, le couvraient de blessures et lui donnaient la mort. Néanmoins, mes frères, cédons à une pieuse curiosité, levons un peu le voile, ouvrons les yeux de notre coeur, pénétrons le sens caché le l’Ecriture, et nous verrons qu’en réalité, pendant le cours de ses souffrances, le Seigneur a jeûné et s’est couvert d’un cilice.

Qu’entend-il par un cilice, sinon peut-être la condition mortelle de la chair? Pourquoi en cilice? A cause de la ressemblance de sa et chair avec la chair du péché. « Car», dit l’Apôtre, « Dieu a envoyé son propre Fils, revêtu d’une chair semblable à la chair du péché; il a condamné le péché dans sa chair 1 »; c’est-à-dire, il a revêtu son Fils d’un cilice pour condamner les boucs par ce cilice. Sans aucun doute, il n’y avait pas de péché dans le Verbe de Dieu ; il n’y en avait, non plus, dans l’âme sainte, ni dans l’esprit de l’homme que le Verbe et la sagesse de Dieu s’étaient attaché en unité de personne : il n’y en avait pas même dans son corps; mais la ressemblance de la chair du péché se trouvait dans le Seigneur, parce que la mort n’existe du péché, et son corps était certainement sujet à mourir. Si, en effet, il n’avait pas été mortel, il ne serait pas mort ; s’il n’était pas mort, il n’aurait pas ressuscité; et

S’il n’était pas ressuscité, il ne nous aurait point donné la preuve et l’exemple de notre immortalité. La mort, qui nous est venue du à, porte le nom de péché, de la même manière qu’on désigne, sous le nom de
 
 

1. Rom. VIII, 3
 
 

langue grecque ou de langue latine, non pas notre langue corporelle, mais ce que nous disons au moyen de ce membre: notre langue est un de nos membres, aussi bien que nos yeux, nos oreilles, notre nez, etc.; mais, par langue grecque, on entend les paroles prononcées en grec, non parce que les paroles seraient la même chose que la langue, mais parce qu’elles sont prononcées par elle. Tu dis de quelqu’un, pour désigner une partie quelconque de son corps-: J’ai reconnu sa figure. En parlant d’un absent, tu dis encore J’ai reconnu sa main, quoique tu veuilles parler, non de sa main corporelle, mais de l’écriture tracée par elle. Ainsi en est-il du péché du Seigneur: il a eu pour cause le péché, puisqu’il a pris un corps fait de cette substance, qui est devenue sujette à la mort, à cause du péché. Et pour exprimer plus brièvement ma pensée, je dirai : Marie est morte à cause du péché d’Adam, parce qu’elle en était la fille ; Adam est mort à cause de sa propre prévarication; et le corps du Seigneur, mis au monde par Marie, est mort pour détruire le péché. Le Seigneur s’est revêtu de ce cilice, et ce cilice, sous lequel il se cachait, l’a empêché d’être reconnu. « Lorsque», dit-il, « ils me tourmentaient je me revêtais d’un cilice » ; c’est-à-dire : ils sévissaient contre moi, et je me cachais. S’il n’avait pas voulu se cacher, il n’aurait pu mourir. Quand, en effet, ils s’approchèrent de lui pour le saisir, il lui suffit d’un instant, il n’eut qu’à laisser jaillir un éclair de sa puissance, si toutefois on peut dire que c’en était même un éclair; c’en fut assez de sa part, de leur adresser cette seule question : « Qui cherchez-vous? » pour les faire reculer et tomber en arrière. Une telle puissance n’aurait certes pas subi les ignominies de la passion, si elle ne s’était cachée sous le cilice : donc, « je me revêtais du cilice et j’humiliais mon âme par le jeûne ».

4. Si nous avons bien compris ce qu’il faut entendre par le cilice, comment devons-nous maintenant comprendre ce qu’il faut entendre par le jeûne? Le Christ voulait manger, quand il cherchait des fruits sur le figuier stérile, et s’il en avait trouvé, il s’en serait nourri. Il voulut boire, quand il dit à la femme de Samarie: « Donne-moi à boire  1» et sur la croix: « J’ai soif 2». Quelle faim et quelle soif éprouva-t-il donc? Il eut faim et soif de nos bonnes
 
 

1. Jean, IV, 7. — Id. XIX, 28.
 
 

345
 
 

oeuvres. Et, parce qu’il ne trouvait le mérite d’aucune bonne oeuvre en ceux qui le persécutaient et le crucifiaient, il jeûnait ; ils jetaient dans son âme la disette. Quel jeûne, en effet, de trouver à peine un larron dont il pût se nourrir, étant sur la croix ! Les apôtres avaient pris la fuite et s’étaient cachés dans la foule; Pierre lui-même, ce Pierre qui avait promis de persévérer jusqu’à la mort du Seigneur, l’avait déjà renié trois fois; il pleurait déjà, mais il se cachait encore dans la multitude et craignait d’être reconnu. Tous, enfin, le voyant mort, désespérèrent de l’avenir aussi les trouva-t-il, après sa résurrection, plongés dans le découragement; quand il leur parla, la tristesse, la désolation et le désespoir étaient dans leurs coeurs et se reflétaient dans les paroles de ceux qui s’entretenaient avec lui. Il leur dit: « De quoi vous entretenez-vous ensemble? » Car ils parlaient de lui ; et ils lui répondirent: « Etes-vous seul « si étranger dans Jérusalem, que vous ne sachiez pas ce qui s’y est passé ces jours-ci, touchant Jésus de Nazareth, qui a été un prophète puissant en oeuvres et en paroles, devant Dieu, devant tout le peuple; et de quelle manière les princes des prêtres et nos sénateurs l’ont livré pour être condamné à mort, et l’ont crucifié? Or, nous espérions que ce serait lui qui rachèterait Israël 1 ». Le Seigneur aurait persévéré datas ce grand jeûne, s’il n’avait pas ranimé ceux qui devaient apaiser sa faim. Il leur rendit le courage, les consola, les raffermit et en fit les membres de son corps. Tel fut donc le jeûne que s’imposa le Seigneur.

5. « Et je répandais», dit-il, « ma prière dans « mon sein ». Il y a certainement, dans ce verset, un sens profond; daigne le Seigneur nous aider à le pénétrer! Par sein, nous devons entendre une chose secrète. Mes frères, nous trouvons déjà, dans ces paroles, un avertissement pour nous, le bon conseil de prier dans le secret de notre coeur. Dieu nous y voit; il nous y entend; l’oeil de l’homme est incapable d’y pénétrer; celui-là, qui vient à notre aide, peut seul y porter ses regards. Ce fut là que pria Susanne et qu’elle fut entendue de Dieu, lorsque les hommes ne voulurent plus écouter sa voix 2. En ce qui nous concerne, voilà le conseil que nous devons tirer de ces paroles; mais nous devons les entendre plus
 
 

Luc, XXIV, 18-21. — Dan. XIII, 35, 44.
 
 

particulièrement de Notre-Seigneur, parce que, lui aussi, il a prié.

En examinant la lettre de l’Evangile, nous n’avons vu, nulle part, qu’il y fût question de son cilice; il n’y est point davantage parlé, dans le sens littéral, du jeûne qu’il a observé pendant sa- passion; c’est pourquoi nous avons, selon la mesure de nos forces, expliqué ces deux mots par similitude et dans le sens allégorique. Pour sa prière, nous l’avons entendue tomber du haut de la croix: « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné 1? » Là aussi nous priions. En effet, quand son Père, dont il ne s’est jamais séparé, l’a-t-il abandonné? Nous lisons encore qu’il a prié seul sur la montagne, qu’il n passé les nuits en prières, qu’il a prié dans le cours de sa passion. Je répandrai donc na prière dans mon sein. Je ne sais ce qu’on pourrait imaginer de mieux à l’égard du Seigneur. Quoi qu’il en soit, je vais dire ce qui me vient en ce moment à l’esprit; une idée meilleure s’y présentera peut-être plus tard; ou bien elle se présentera à une personne plus intelligente que moi. Je comprends donc ces paroles : « Je répandrai ma prière dans mon sein», dans ce sens que son Père habite en lui, car Dieu s’est réconcilié le monde dans le Christ 2 . Il possédait en lui-même celui qu’il voulait prier. Il n’en était pas éloigné, puisqu’il avait dit : « Je suis dans mon Père, et mon Père est en moi 3. Mais, en lui, la prière est plus particulièrement l’oeuvre de l’homme; car, en tant qu’il est le Verbe, le Christ ne prie pas, il exauce; il ne demande pas qu’on lui vienne en aide; mais, d’accord avec son Père, il secourt les autres. Quel est donc le sens de ces paroles : Je répandais mea prière dans mon sein? Celui-ci, sans aucun doute : Mon humanité invoque en moi-mère la divinité.

6. « J’avais de la complaisance comme pour « un parent et un frère ; j’étais abattu, comme touché d’une vraie douleur qui me portait à gémir». Il fait allusion à son corps: c’est nous qu’il faut voir ici désignés, quand nous trouvons notre bonheur dans la prière, et que notre âme se rassérène, non par l’influence des prospérités de ce monde, mais sous l’impression des rayons de la vérité. Il est facile de comprendre ce que je dis , et celui qu’éclaire cette lumière voit et reconnaît par
 
 

1. Ps. XXI, 2 ; Matt. XXVII, 46. — 2. II Cor. V, 19. — 3. Jean, XIV, 10
 
 

346
 
 

lui-même la vérité de ces paroles : « J’avais de la complaisance comme pour un parent et un frère»; car alors l’âme se rapproche de Dieu, et lui devient agréable comme à un frère, à un parent, ou à un ami; « car», est-il dit, «nous avons en lui l’être et le mouvement 1». Si notre âme n’en est point là, si elle ne peut se réjouir ni briller des feux de la vérité, ni s’approcher de Dieu, ni s’attacher à lui : si elle s’en voit éloignée, qu’elle fasse du moins ce qui suit: « J’étais abattu, comme touché d’une vraie douleur qui me portait à gémir». En s’approchant de Dieu , il  dit: « J’avais de la complaisance comme pour un parent et un frère». Retiré et placé loin de lui, il a dit : « J’étais abattu, comme touché d’une vraie douleur qui me portait à gémir». Pourquoi gémit-il, sinon parce qu’il ne possède point ce qu’il désire? Parfois il arrive au même homme, tantôt de s’approcher de Dieu et tantôt de s’en éloigner, de s’en approcher sous l’influence lumineuse de la vérité, de s’en éloigner parce que la chair enveloppe son esprit d’un voile épais. Dieu, mes frères, est partout: son être infini ne peut être circonscrit en un lieu quelconque nous ne nous éloignons donc ni ne nous rapprochons de lui d’une manière physique. S’en approcher, c’est lui devenir semblable; en lui devenant dissemblable, on s’en éloigne. Lorsque tu vois deux objets presque pareils, tu dis qu’ils approchent l’un de l’autre : s’ils t’apparaissent différents, quoique placés dans le même endroit et souvent dans la même nain, tu dis : Cet objet est loin de l’autre. Tu les tiens tous les deux, tu les réunis ensemble, et tu dis Ils sont loin l’un de l’autre, non pas physiquement, mais parce qu’ils ne se ressemblent pas. Si tu lui es pareil, réjouis-toi; gémis si tu lui es différent: que tes gémissements éveillent en toi les désirs: les désirs contribueront eux-mêmes à exciter les gémissements de ton coeur par veux tu te rapprocheras de celui dont tu avais commencé à t’éloigner. Pierre ne s’approchait-il pas, quand il dit : « Vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant? » Et le même Apôtre ne s’éloigna-t-il pas quand il dit: « Seigneur, m n’y pensez pas, il n’en sera pas ainsi? » Enfin, au moment où il s’approchait et se trouvait près de Dieu, que lui dit le Seigneur? « Tu es heureux, fils de Barjona! » Comme
 
 

1. Act. XVII, 28
 
 

au moment où Pierre s’éloignait et n’avait plus de traits de ressemblance avec son Maître, celui-ci lui dit encore : « Retire-toi, Satan » . En s’approchant, il entendit ces paroles : « Ce n’est ni la chair, ni le sang qui te l’ont révélé, mais mon Père qui est dans les cieux». En s’éloignant et en contredisant le Sauveur au sujet des souffrances qu’il devait endurer pour notre salut, il entendit ces autres paroles: « Tu n’as point de goût pour les choses de Dieu, mais tu en as pour celles des hommes 1 » . Parlant de ces deux états de l’âme, quelqu’un a dit avec raison dans un psaume: « Pour moi, j’ai dit dans mon extase : J’ai été rejeté de devant vos yeux 2». Il ne dirait point: « Dans mon extase», s’il ne s’approchait, car l’extase est le transport de l’âme. Il a répandu son âme sur lui-même, et s’est approché de Dieu; puis, ramené de nouveau sur la terre par le poids et les ténébreuses illusions de la chair; se rappelant les transports de son âme et voyant son abaissement présent, il a ajouté « J’ai été rejeté de devant vos yeux». Que le Seigneur nous accorde de voir s’accomplir en nous ces paroles : « J’avais de la complaisance comme pour un parent et un frère! » Et, s’il n’en est pas ainsi, qu’au moins nous puissions dire : « J’étais abattu, comme touché d’une vraie douleur qui me portait à gémir».

7. « Quant à eux, ils se sont réjouis sur mon sujet; ils se sont réunis ensemble contre moi 3». Chez eux la joie; dans mon âme, la tristesse. Et pourtant, nous avons entendu tout à l’heure dans l’Evangile : « Bienheureux ceux qui pleurent 4 », malheur à ceux qui rient. « Ils se sont réjouis sur mon sujet; ils se sont réunis ensemble contre moi; ils m’ont accablé de maux sans savoir pourquoi ». Ils m’interrogeaient sur des choses que j’ignorais, et eux-mêmes ne connaissaient pas celui qu’ils interrogeaient.

8. « Ils m’ont tenté et insulté avec moquerie 5» ,c’est-à-dire, ils m’ont tourné en dérision et accablé d’injures. Ceci s’applique tout ensemble au chef et au corps. Remarquez, mes frères, la gloire présente de l’Eglise; rappelez-vous ses humiliations passées : souvenez-vous qu’autrefois les chrétiens furent partout mis en fuite, et que, partout où on les trouvait, ils se voyaient tournés en dérision,
 
 

1. Matt. XVI, 16, 17, 22, 23. — 2. Ps. XXX, 23. — 3. Ps. XXXIV, 15. — 4. Matt. V, 5. —  5. Ps. XXXIV, 16.
 
 

347
 
 

maltraités, mis â mort, exposés aux bêtes, brûlés vifs; tous, en ricanant, se déclaraient contre eux. Ce que le chef avait souffert, le corps devait l’endurer; et dans toutes les persécutions qui ont eu lieu jusqu’à ce jour, le corps a subi les mêmes traitements que le Seigneur en croix. Partout où l’on rencontre un chrétien, on l’insulte, on le harcèle, on s’en moque, on lui donne le nom d’homme stupide, insensé, dépourvu de coeur et d’esprit. Qu’ils fassent ce qu’ils veulent, le Christ est dans le ciel ! Qu’ils fassent ce qu’ils veulent, il a ennobli son supplice, il a imprimé sa croix sur tous les fronts; il permet aux impies d’insulter, mais il leur interdit de nuire; néanmoins, par les paroles qui tombent de leurs lèvres, on connaît les secrètes pensées de leurs coeurs. « Ils ont grincé des dents contre moi».

9. « Seigneur, quand ouvrirez-vous les yeux? Délivrez mon âme de leurs fourberies, et mon unique des lions 1 ». Notre patience se lasse de souffrir, et ces paroles : « Quand ouvrirez-vous les yeux», ont été dites de chacun de nous. C’est-à-dire, quand vous verrons-nous tirer vengeance de ceux qui nous insultent? Quand le juge, vaincu par les importunités de cette veuve, lui fera-t-il justice? Si notre juge diffère de nous délivrer, c’est, non par indifférence, mais par amour, non par impuissance, mais par raison, non par incapacité de nous venir en aide, mais parce qu’il veut attendre jusqu’à la fin pour nous sauver tous en même temps. Et toutefois nos désirs nous portent à lui dire: « Quand ouvrirez-vous les yeux, Seigneur ? Délivrez mon âme de leurs fourberies, et mon unique des lions»; c’est-à-dire, délivrez mon Eglise des puissances qui la persécutent.

10. En effet, veux-tu savoir quelle est cette unique? Lis ce qui suit: « Je publierai vos  louanges dans une grande assemblée : je vous louerai au milieu d’un peuple chargé de mérites. Oui, dans une grande assemblée je publierai vos louanges; oui, au milieu d’un peuple chargé de mérites, je vous louerai ! » Les louanges du Seigneur se chantent devant toute l’assemblée, mais tous ceux qui la composent ne louent pas Dieu. Toute l’assemblée entend les louanges que nous lui adressons; mais Dieu ne trouve pas sa louange en tous ceux qui en font partie
 
 

1. Ps. XXXIV, 17
 
 

car, dans toute assemblée, c’est-à-dire, dans l’Eglise qui est répandue sur toute la terre, il y a de la paille et du grain; la paille s’envole, le grain reste. « C’est pourquoi je vous louerai au milieu d’un peuple de poids ». Dieu trouve sa louange dans ce peuple que n’enlève pas le vent de la tentation. Pour la paille, elle est toujours un sujet de blasphèmes. Quand on fait attention à notre paille, que dit-on? Voilà comment vivent les chrétiens ! Voilà ce qu’ils font ! Et en eux s’accomplissent ces paroles de l’Ecriture : « Parce que vous faites blasphémer mon nom parmi les nations .» Homme pécheur et jaloux, qui n’est que paille, tu examines l’aire, et tu y aperçois difficilement le grain ; cherche et tu trouveras un peuple chargé de mérites, dont la vue te portera à louer Dieu. Ressemble à ce peuple, si tu ne lui es point pareil, tu y verras difficilement autre chose que ce que tu es toi-même « Ils ne se comparent qu’avec eux-mêmes 1 », dit l’Apôtre, et ils ne comprennent point ces paroles: « Je vous louerai au milieu d’un peuple de poids».

11. « Que je ne sois pas un sujet d’insultes pour ceux qui m’attaquent injustement 2 »,

car ils m’insultent à cause de ma paille, «ceux qui me haïssent sans aucun motif», c’est-à-dire, ceux à qui je n’ai pas fait de mal, «et qui m’approuvent du regard » , c’est-à-dire, ceux dont le visage affecte des sentiments étrangers à leur coeur. Et qui sont ces hommes à l’oeil  approbateur? » Car, « ils me parlaient avec amitié, et pour irriter davantage mes ennemis, ils ne pensaient qu’à des tromperies. Ils ont ouvert leur bouche contre moi».En apparence, ils approuvaient du regard, mais ils n’étaient que des lions occupés à trouver une proie pour l’enlever et la dévorer; au dehors, ils flattaient et parlaient dans un esprit de paix; mais pour irriter davantage unes ennemis, ils ne pensaient qu’à des tromperies. Que disaient-ils dans un

esprit de paix ? « Maître, nous savons que vous enseignez la voie de Dieu dans la vérité, sans avoir égard à qui que ce soit. Est-on libre de payer le tribut à César ou de ne pas le lui payer ? » Ils me parlaient comme auraient fait des amis. Quoi donc! Ne les connaissiez-vous pas, et, par leurs regards flatteurs, pouvaient-ils vous tromper? Il ne les connaissait que trop ; voilà
 
 

1. II Cor. X, 12. — 2. Ps. XXXIV, 19-21.
 
 

348
 
 

pourquoi il leur répondit : « Hypocrites, pourquoi me tentez-vous 1? » Puis, ils ont ouvert leur bouche contre moi, et se sont écriés : « Crucifiez-le! Crucifiez-le! Ils ont dit : Courage, courage ! nos yeux ont vu ». Commencement de leurs insultes: « Courage, courage. — Christ, prophétise-nous!» Lorsqu’ils consultent au sujet de la pièce de monnaie, leurs paroles n’étaient que mensonges; ainsi, leurs louanges n’étaient qu’insultes. « Ils ont dit : « Courage, courage, nos yeux ont vu » - Quoi? Des oeuvres, vos prodiges. Il est le Christ. « S’il est le Christ, qu’il descende de la croix, et nous croirons en lui. Il a sauvé les autres et il ne peut se sauver lui-même 2 . Nos yeux ont vu». Il se vantait, il disait qu’il était le Fils de Dieu. Voilà tout ce qu’il en est! Pour le Seigneur, il demeurait patiemment attaché à la croix ; il n’avait rien perdu de sa puissance, mais il manifestait sa patience. Descendre de la croix, était-ce chose bien difficile pour celui qui devait, bientôt après, sortir vivant du tombeau ? Non. Mais il aurait paru céder devant ceux qui l’insultaient, tandis qu’il lui était nécessaire de se montrer après sa résurrection à ses disciples, et non peint à ses ennemis, pour leur enseigner ce grand mystère ; car sa résurrection était le symbole d’une nouvelle vie, et cette vie nouvelle, on la manifeste aux yeux de ses amis, et non aux regards de ses ennemis.

12. « Vous avez vu, Seigneur, ne gardez pas de silence 2» . Ces paroles: « Ne gardez pas le silence», veulent dire : « Jugez». Au sujet du jugement, il est dit quelque part : « Je me

suis tu : est-ce que je me tairai toujours 3? »quant au délai du jugement, il est dit au pécheur: «Tu as fait ces choses, et je me suis tu, tu as cru le mensonge: tu as cru que je serais semblable à toi 5». Est-ce qu’il garde le silence, celui qui parle par les prophètes, celui qui parle lui-même dans l’Evangile, celui qui parle par les évangélistes, celui qui parle par nous-mêmes, toutes les fois que nous disons la vérité? Qu’est-ce donc à dire : Il se tait? Il ne prononce pas son jugement, mais il ne cesse pas pour cela de nous imposer des préceptes et de nous instruire. Le prophète invoque en quelque façon et annonce d’avance ce jugement de Dieu : « Seigneur, vous m’avez vu, ne gardez pas le silence ». C’est-à-dire :
 
 

1. Matt. XXII, 16-18. — 2. Matt. XXVI, 68. — 3. Ps. XXXIV, 22. — 4. XLII, 14. —  5. Ps. XLIX, 21.
 
 

Vous ne garderez pas le silence, il faut que vous rendiez votre jugement. En attendant l’heure de ce jugement, ne vous éloignez pas de moi; vous m’en avez fait la promesse : « Voici que je suis avec vous jusqu’à la consommation des siècles 1»

13. « Levez-vous, Seigneur, et appliquez-vous à me juger 2». Pourquoi te juger? parce que tu es dans la tribulation ? Parce que les inquiétudes et les souffrances ne te laissent pas de repos? Est-ce qu’une multitude de méchants n’éprouvent pas des tourments pareils? Pourquoi te juger? Es-tu juste par cela même que tu souffres ainsi ? Non. Mais, qu’est-ce à dire : « A me juger ? » Que lis-tu ensuite? : « Appliquez-vous à me juger, Seigneur, mon Dieu ; appliquez-vous à ma cause». Non pas à mes peines, mais à ma cause; non parce que je souffre comme le larron, mais parce qu’en moi s’accomplit cette parole: « Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice 3». Voilà cette cause parfaitement définie. Les bons et les méchants ont à supporter des peines pareilles: ce qui constitue le martyre, ce n’est donc pas la souffrance; c’en est le motif. Si les supplices faisaient les martyrs, toutes les mines en regorgeraient, toutes les chaînes serviraient à en conduire, la couronne serait accordée à tous ceux qui tombent sous le glaive. Il faut donc connaître le motif des souffrances. Aussi, que personne ne dise: Je souffre, donc je suis un juste. Celui qui a souffert le premier a souffert pour la justice; c’est pourquoi il a ajouté cette condition essentielle : « Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice».

Il en est plusieurs qui deviennent persécuteurs pour la bonne cause, comme il en est qui souffrent persécution pour en soutenir une mauvaise. Si l’on ne pouvait devenir persécuteur à bon droit, le psalmiste n’aurait pas dit : « Je persécutais celui qui médisait secrètement de son prochain 4». De plus, mes frères, un père juste et bon ne persécute-t-il pas un fils libertin? Il persécute, non pas l’homme, mais ses vices; non pas son enfant, mais ce qui est venu s’y adjoindre. Le médecin, appelé pour soulager un malade, n’emploie-t-il pas souvent les instruments tranchants? c’est contre la blessure et non point
 
 

1. Matt. XXVIII, 20. — 2. Ps. XXXIV, 23. — 3. Matt. V, 10. — 4. Ps, C, 5.
 
 

349
 
 

contre l’homme; il coupe, mais pour guérir: et, pourtant, quand il tranche dans le corps du patient, celui-ci souffre, il crie, il résiste; et si, par hasard, la fièvre lui a fait perdre la raison, il va jusqu’à frapper le médecin : mais celui-ci continue à le soigner, il fait ce qu’il doit faire sans se tourmenter, en aucune façon, des malédictions et des injures qu’il en reçoit. N’éveille-t-on pas tous ceux qui tombent en léthargie, dans la crainte de voir leur profond sommeil aboutir à la mort ? Et par qui sont-ils éveillés, sinon par les enfants qu’ils ont été si heureux de mettre au inonde? Nul ne mériterait le titre de fils dévoué, s’il ne faisait violence à son père en circonstance pareille. On éveille les gens tombés en léthargie, on garrotte les frénétiques, uniquement parce qu’on les aime. Que personne ne dise donc :  Je souffre persécution. Il ne suffit pas de faire parade de ses maux, il faut en faire connaître le motif; et si l’on ne peut démontrer que la cause en est juste, on doit être mis au nombre des méchants. Aussi, avec quel à-propos et quelles paroles pleines de justesse il s’est recommandé à Dieu! « Seigneur, appliquez-vous à mon jugement», non à mes peines : « Seigneur, mon Dieu, appliquez-vous à ma cause».

14. « Jugez-moi, Seigneur, selon ma justice 1»; voilà bien ma cause: non selon ma peine, mais « selon ma justice, Seigneur mon « Dieu ». Que ce soit le motif de votre jugement.

15. « Que mes ennemis ne se réjouissent pas en triomphant de moi. Qu’ils ne disent point dans leurs coeurs: Courage, courage, réjouissons-nous»; c’est-à-dire : nous avons

fait ce que nous avons pu : nous l’avons tué nous nous sommes débarrassés de lui. « Qu’ils  ne disent pas». Montrez-leur qu’ils n’ont rien fait. « Qu’ils ne disent pas : Nous l’avons dévoré». De là ces paroles des martyrs : « Si le Seigneur n’avait été avec nous, ils auraient pu nous absorber tout vivants 2 ». Qu’est-ce : Ils nous auraient absorbés? ils nous auraient fait entrer dans leur corps. Car ce que tu absorbes, tu le fais entrer dans ton corps. Le monde veut t’absorber : absorbe-le loi-même: fais-le entrer dans ton corps: tue-
 
 

1. Ps. XXXIV, 24-26. — 2. Id. CXXXIII, 1, 3.
 
 

le; mange-le, suivant ce qui a été dit à Pierre : « Tue et mange». Tue en eux ce qu’ils sont, et fais-les ce que tu es : mais s’ils parviennent à te rendre impie, ils absorberont : ce n’est pas en te persécutant qu’ils t’absorberont; c’est en te rendant semblable à eux. « Qu’ils ne disent pas : Nous l’avons dévoré ! » Dévore toi-même le corps des païens. Pourquoi le corps des païens? Il veut te dévorer. Fais-lui ce qu’il veut te faire. Pourquoi Moïse fit-il réduire en poussière le veau d’airain, en jeta-t-il les cendres dans l’eau et donna-t-il cette eau en breuvage aux Israélites? C’était peut-être pour leur faire absorber le corps des impies. « Que ceux qui  témoignent être contents de mes maux rougissent et soient confondus : qu’ils soient couverts de confusion et de honte! » Puissions-nous les absorber pleins de honte et de confusion ! Qu’ils soient confondus, qu’ils de viennent honteux, « ceux qui parlent orgueilleusement contre moi ».

16. Et maintenant, que dites-vous des membres dont vous êtes le chef? « Qu’ils se réjouissent et soient transportés de bonheur, ceux qui veulent ma justice 2», ceux qui se sont

unis à mon corps, «et qu’ils disent sans cesse: « Que le Seigneur soit glorifié, ceux qui désirent la paix de son serviteur; et ma langue publiera votre justice et vos louanges tout le jour ». Quel est celui dont la langue est capable de publier les louanges de Dieu pendant tout le jour?

Mon discours a été un peu trop long; vous êtes fatigués. Quel est celui, qui peut louer Dieu tout le jour? Si tu y consens, je vais t’indiquer un moyen de le faire. Fais bien tout ce que tu fais, et tu loues Dieu. Quand tu chantes un hymne, tu chantes les louanges de Dieu. Mais que peut faire ta langue, si ton coeur reste muet? Ton hymne fini, tu t’arrêtes, puis tu te retires pour prendre ton repas. Ne t’enivre pas et tu loues Dieu. Tu traites une affaire : ne te rends coupable d’aucune fraude, et tu loues Dieu. Si tu cultive un champ, ne suscite de querelle à personne, et tu loues Dieu. Prépare-toi, par l’innocence de tes actions, à louer Dieu tout le jour.
 
 

1. Act. X, 13. — 2. Ps. XXXIV, 27, 28.

DISCOURS SUR LE PSAUME XXXV
L’IMPIÉTÉ
 

DISCOURS SUR LE PSAUME XXXV

L’IMPIÉTÉ
 
 
 
 

L’impie ne veut point connaître son iniquité afin de ne point la haïr, il cherche à se dérober à Dieu, il ne prie point dans les secret ou pour demander les biens du ciel. Il ne peut espérer qu’un jugement sévère, parce qu’il se laisse entraîner dans l’abîme jusqu’à mépriser Dieu. Nos ressources pour éviter ce malheur sont dans la miséricorde divine, à laquelle nous devons demander non les biens terrestres, comme Israël, mais les biens du ciel. Sainte ivresse du ciel. Eviter l’orgueil afin d’y arriver.
 
 
 
 

1. J’appelle toute l’attention de votre charité sur les paroles et sur les mystères de ce psaume, afin que nous puissions l’exposer rapidement, car il est clair en bien des endroits; et quand l’obscurité nous obligera de sous étendre quelque peu, le plaisir d’apprendre nous adoucira cette longueur. « L’impie s’est en lui-même déterminé au mal; la crainte de Dieu n’est point devant ses yeux 1». Ce n’est point un seul homme que désigne ici le Prophète, mais bien cette espèce d’hommes pervers, ennemis d’eux-mêmes, parce qu’ils ne comprennent pas la sainteté de la vie, non qu’ils ne le puissent, mais parce qu’ils ne le veulent pas. Il y a une différence entre un homme qui s’efforce de comprendre et qui est empêché par l’infirmité de sa chair, comme il est dit dans I’Ecriture : « Que ce corps corruptible appesantit l’âme, et que cette habitation terrestre abat l’esprit capable des plus hautes pensées 2. » ; et un homme dont le coeur se livre une guerre funeste, afin de ne point comprendre ce qu’il comprendrait avec quelque bonne volonté, non que cela soit difficile, mais parce que sa volonté y répugne. C’est ce qui arrive quand on aime ses péchés et que l’on hait la loi de Dieu. Cette parole de Dieu est haïssable pour toi, situ as de l’attachement pour ton iniquité. Si au contraire tu hais ton iniquité, la parole de Dieu devient aimable pour toi et repousse ton iniquité. Haïr le mal, c’est donc travailler de concert avec la parole de Dieu; et ainsi vous serez deux, cette parole et toi, pour le détruire. Pour toi, tu ne peux rien par tes propres forces; mais celui qui t’a envoyé cette parole te prête son secours, et te mal est surmonté. Si tu la hais, Dieu te la pardonne et
 
 

1. Ps. XXXV, 12.— 2. Sag. IX, 15.
 
 

l’affranchit de la servitude; mais si tu l’aimes, il te répugne de comprendre le blâme que l’on en fait. Montrez-moi un homme qui cherche comment le Fils est égal au Père; il croit, mais il cherche à comprendre et ne le peut encore. C’est en effet une doctrine bien relevée et qu’on ne peut saisir qu’avec les plus grandes forces de l’esprit; et il est un commencement de foi qui préserve l’âme jusqu’à ce qu’elle se fortifie. Elle se nourrit d’abord de lait, jusqu’à ce qu’elle prenne de l’accroissement et devienne plus capable d’un aliment plus solide, afin qu’elle puisse comprendre: « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était  Dieu 1 ». Avant d’en arriver là, elle s’alimente par la foi; elle s’efforce de comprendre, afin de le faire enfin autant que Dieu lui en donne la grâce. Mais faut-il un grand effort pour comprendre : « Ne fais pas à un autre ce que tu ne veux pas que l’on te fasse 2 », en sorte que tu ne commettes point d’injustice, puisque tu n’aimes pas qu’on soit injuste envers toi, et que tu ne tendes aucune embûche, puisque tu ne veux pas être victime des embûches? Ne pas comprendre cela, c’est le tort de ta volonté. Aussi « l’injuste a-t-il résolu en lui-même de commettre le mal »; il a résolu de pécher.

2. Mais est-ce bien publiquement? n’est-ce pas en soi-même que l’on prend la résolution de pécher? Pourquoi en soi-même? Parce que l’homme ne la voit point. Quoi donc? parce que l’homme ne voit point dans le coeur la résolution de pécher, Dieu ne la voit-il point? Dieu la voit, assurément. Mais qu’est-il dit ensuite? « La crainte de Dieu n’est point devant ses yeux ». Il n’a devant les yeux que
 
 

1. Jean, I, 1. — 2. Tob. IV, 16.
 
 

351
 
 

la crainte des hommes. Il n’oserait afficher publiquement l’iniquité, de peur d’être blâmé ou condamné par les hommes. Il fuit la présence des hommes; où est son refuge? En lui-même; il rentre dans son intérieur où nul ne le voit; c’est là que, sans être aperçu, il s’étudie aux piéges, aux embûches et aux crimes. Cependant il ne pourrait s’étudier au mal, même dans son intérieur, s’il pensait que Dieu le voit; mais comme il n’a point devant les yeux la crainte de Dieu et qu’il se dérobe au regard des hommes en rentrant dans son coeur, qu’a-t-il à craindre ? Dieu n’y est-il pas présent? Oui, mais « la crainte de Dieu n’est pas devant ses yeux ».

3. Donc il inédite la fraude; et voici la suite (car il ne sait peut-être pas que Dieu le voit, pourriez-vous me dire; et le Prophète nous montre ce que j’avais commencé à vous exposer, qu’il veut bien ne pas le savoir et que cette volonté d’ignorer tourne contre lui-même) : « Il a frauduleusement agi en sa présence 1 ». En présence de qui? de celui qu’il ne craint point dans ses fourberies. « En cherchant son iniquité pour la haïr ». Il a donc agi de manière à ne la point trouver. Il y a des hommes, en effet, qui paraissent faire des efforts pour connaître leur iniquité, et qui craignent de la trouver; car, s’ils la trouvaient, une voix leur dirait Rompez avec elle. Vous avez fait cela avant de connaître le mal; cette faute est celle de votre ignorance, Dieu vous la pardonne; et, maintenant que vous la connaissez, rompez avec elle, afin que votre ignorance obtienne plus facilement son pardon, et que sans rougir vous puissiez dire à Dieu: « Ne vous souvenez plus, Seigneur, des péchés de ma jeunesse et de mon ignorance 2 ». D’une part donc il cherche son injustice, et d’autre part il craint de la trouver; car il cherche avec feinte. Je ne savais pas qu’il y eût péché; quand est-ce que l’homme parle ainsi? C’est quand il reconnaît qu’il a péché et qu’il cesse de faire ce qu’il faisait précisément parce qu’il ignorait que ce fût un mal; il voulait réellement connaître sa faute, afin de la trouver et de la haïr. Mais aujourd’hui beaucoup cherchent leur iniquité avec feinte, c’est-à-dire qu’ils ne la cherchent point avec l’intention de la trouver et de la haïr. Mais comme la recherche qu’ils en font est hypocrite, ils ne trouvent cette iniquité
 
 

1. Ps. XXXV, 3. — 2. Id. XXIV, 7.
 
 

que pour la défendre. Pour celui qui découvre l’iniquité, il est évident que cette iniquité est un mal. Ne le faites plus, lui direz-vous. Et lui, qui n’agissait que frauduleusement pour trouver son iniquité, la trouve enfin, mais ne la hait pas. Que dit-il, en effet? Combien d’autres en agissent ainsi, et qui n’en est pas là? Dieu voudrait-il nous damner tous? Ou, du moins, voici son langage : Si Dieu ne voulait pas qu’on agît de la sorte, les hommes qui en sont là vivraient-ils encore? Vois-tu bien que tu ne cherches ton iniquité qu’avec hypocrisie? Si tu n’eusses point agi en homme hypocrite, mais en homme sincère, tu l’aurai déjà trouvée et prise en haine; maintenant que tu la trouves, tu la soutiens; tu la cher. chais donc en hypocrite.

4. « L’injustice et la ruse, telles sont ta « paroles de sa bouche; il n’a point voulu comprendre, afin de ne point faire le bien 1. » Vous voyez que ces torts sont attribués à sa volonté; il est en effet des hommes qui ne veulent pas comprendre et ne le peuvent; il est aussi des hommes qui ne comprennent point parce qu’ils ne veulent point corsO prendre. « Il n’a point voulu comprendre, de peur de faire le bien ».

5. « Il a médité l’iniquité sur sa couche 2 ». Qu’est-ce à dire: « Sur sa couche? Le méchant a résolu en lui-même de faire le mal ». L’expression « en lui-même » a le même sens que: « sur sa couche ». Notre lit, en effet, c’ont notre coeur; c’est là que nous ressentons l’aiguillon d’une conscience coupable, comme le calme d’une bonne conscience. Quiconque aime de jouir dans son coeur, doit d’abord y faire le bien. C’est dans ce lit que Notre-Seigneur Jésus-Christ nous ordonne de prier. « Entrez », nous dit-il, « dans votre lit secret et fermez-en la porte ». Qu’est-ce à dire: « Fermez-en la porte? » N’attendez point de Dieu les biens extérieurs, mais les biens de l’âme. « Et votre Père qui voit dans le secret vous le rendra 3 ». Quel est celui qui se ferme point sa porte? Celui qui croit beaucoup demander à Dieu en lui demandant les biens de la terre, et qui borne là toutes mes demandes. Alors, votre porte est béante, et chacun voit quand vous priez. Qu’est-ce qui clore votre porte? C’est demander à Dieu ce que Dieu seul sait vous donner. Et que demanderas-tu en fermant ta porte? « Ce que
 
 

1. Ps, XXXV, 4. — 2. Id. 5. — 3. Matt. VI, 6.
 
 
 
 

d’oeil n’a point vu, ce que l’oreille n’a pas entendu, ce que le coeur de l’homme n’a jamais compris 1 ». Ce qui peut-être n’est jamais entré dans ton lit, ou plutôt dans ton coeur. Mais Dieu sait ce qu’il doit te donner. Quand sera-ce? Quand Dieu se révélera, quand il apparaîtra comme Juge. Quoi de plus clair que ce langage qu’il doit tenir à ceux qui seront à sa droite « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé dès l’origine du monde 2? »

Voici ce qu’entendront ceux qui seront à sa gauche, et ils gémiront dans une pénitence inutile 3, parce qu’ils n’auront pas voulu pendant leur vie la rendre fructueuse. Pourquoi gémir alors? Parce que ce ne sera plus le lieu de se corriger. Donc ils entendront cet arrêt: « Allez un feu éternel, qui a été préparé pour le diable et pour ses anges 4 ». Paroles de consternation. Quant aux justes, ils se réjouiront de ce qu’ils entendront; et, comme il est écrit: « La mémoire du juste sera éternelle; il n’entendra point une parole sévère qui lui inspire de l’effroi 5 ». Quelle parole sévère? Cette parole que ceux-ci doivent entendre: « Allez au feu éternel ». Dieu donc, qui peut nous accorder au-delà de nos demandes et de notre intelligence 6, cherche nos gémissements secrets, afin que nous mous coudions agréables à ses yeux et que nous ne vantions point notre justice devant les hommes. Celui qui prétend par sa justice plaire aux hommes, qui ne se propose point de faire bénir Dieu par ceux qui le verront, mais de s’attirer à lui-même des louanges, celui-là ne ferme point sa porte au bruit; et comme cette porte est ouverte au bruit du monde, le Seigneur n’entend point comme il voudrait entendre. Travaillons donc à rendre pur ce lit ou notre coeur, afin que nous puissions y être à l’aise. Votre charité connaît tout coque l’on endure dans la vie publique, dans le forum, dans les querelles, dans les procès, dans l’embarras des affaires, et combien sont nombreux ceux qui en souffrent; elle sait comment, fatigué des occupations du dehors, chacun retourne à la hâte en sa maison afin de s’y reposer, chacun cherche à terminer promptement les affaires qui le retiennent dehors, afin d’y goûter un peu de calme. C’est en effet pour cela que chacun a son logis, afin d’y être
 
 

1. I Cor. II, 9. — 2. Matt. XXV, 34. — 3. Sag, V, 3. — 4. Matt. XXV, 41,— 5. Ps. XI, 7. — 6. Eph. III, 20.
 
 

en paix. Mais s’il vient à souffrir des troubles jusque-là , où donc se reposera-t-il? Quoi donc? Encore doit-il goûter le calme chez lui! Mais s’il rencontre des ennemis au dehors et une épouse acariâtre à la maison, il sort de nouveau. Quand il veut se reposer des fatigues du dehors, il rentre dans son intérieur; et s’il n’y trouve pas plus de calme qu’au dehors, où donc se reposera-t-il? Du moins dans le secret de son coeur, c’est là que tu dois te retirer, dans l’intérieur de ta conscience. Si par hasard tu y rencontres cette épouse qui n’a aucune parole amère , c’est-à-dire la sagesse de Dieu, vis avec elle dans une sainte union, repose dans ton lit secret, et que la fumée d’une conscience coupable ne t’en fasse point sortir. Mais c’est là que se retirait, loin des regards des hommes et pour méditer le crime, celui dont nous parle David; et telles étaient ses pensées, qu’il ne pouvait même trouver la paix dans son coeur. « Sur sa couche il a médité les embûches ».

6. « Il s’est tenu à l’entrée de toute voie coupable 1 ». Qu’est-ce à dire : « Il s’est tenu? » Il a persévéré dans le mal. C’est pourquoi il est dit de l’homme juste « qu’il ne s’est point arrêté dans la voie des pécheurs 2 ». De même que l’un ne s’est point arrêté, l’autre s’est tenu. « Il ne repousse aucun mal ». C’est là sa fin, le fruit qu’il vient recueillir ; s’il lui est impossible de s’exempter de tout mal, que du moins il le prenne en haine. Car si tu en avais la haine, à peine te surprendrait-il dans quelque acte mauvais. Il est vrai que le péché habite un

corps mortel; mais que nous dit l’Apôtre? « Que le péché ne règne donc plus dans votre corps mortel pour vous assujettir à ses convoitises 3 ». Quand commencera-t-il à n’y plus habiter? Lorsque s’accomplira en nous ce qu’il nous dit ailleurs « Quand ce qui est corruptible en nous aura revêtu l’incorruptibilité, et quand ce corps mortel sera revêtu d’immortalité 4 ». Avant cela il y a dans notre corps un attrait pour le mal; mais il y a un attrait supérieur dans les douceurs de la parole de sagesse et des préceptes de Dieu. Surmonte donc le péché et la volonté de le commettre; hais le péché et l’injustice, afin de t’unir à Dieu dans une commune réprobation. Dans cette union d’esprit à la loi de Dieu, tu obéis à cette loi selon l’esprit. Et si
 
 

1. Ps. XXXV, 5.— 2. Id. t, 1.— 3. Rom. vi, 12. — 4. I Cor. XV, 53.
 
 

353
 
 

ta chair t’assujettit encore à la loi du péché 1, parce que tu ressens quelques délectations dans la chair, elles deviendront nulles quand tu n’auras plus à combattre. Il y a une différence entre n’avoir plus à combattre, parce que l’on jouit d’une paix vraie et continuelle, et combattre encore, mais vaincre; entre combattre et être vaincu, et ne plus combattre, mais se laisser entraîner. Il y a des hommes qui ne combattent plus; tel est celui dont il est parlé ici. Il ne hait point le mal, dit le Prophète; comment combattre ce qu’il ne hait point? Il est donc entraîné par sa malice, sans résister nullement. D’autres commencent par combattre; mais comme ils présument de leurs forces, Dieu veut leur montrer que c’est lui seul qui peut vaincre dans l’homme qui se soumet à lui, et ils sont vaincus dans le combat; et quand ils ont commencé à pratiquer une certaine justice, ils deviennent orgueilleux et se brisent. Ceux-là combattent, mais ils succombent. Quel est celui qui combat sans être vaincu? Celui qui dit: «Je vois dans mes membres une autre loi contraire à la  loi de l’esprit ». Voilà un athlète; mais comme il ne présume point de ses forces, il sera victorieux. Que dit-il ensuite? « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort? La grâce de Dieu par  Jésus-Christ Notre-Seigneur 2 ». Il met son espoir dans celui qui lui ordonne de combattre, et il surmonte son ennemi avec le secours de celui qui commande la lutte. Quant à l’autre, « il n’a point de haine pour le mal».

7. « Seigneur, votre miséricorde est dans le « ciel et votre vérité jusqu’aux nues 3 ». Le Prophète parle de je ne sais quelle miséricorde, qui est spécialement dans le ciel. Car il y a aussi une miséricorde du Seigneur qui est sur la terre. Il est écrit : « La terre est pleine des miséricordes du Seigneur 4 ». De quelle miséricorde veut-il parler, quand il dit:

« Seigneur, votre miséricorde est dans les  cieux? » Entre les dons de Dieu, il en est qui sont temporels et terrestres, et d’autres qui sont célestes et éternels; celui qui ne se propose, en servant Dieu, que d’acquérir ces dons terrestres et temporels, qui sont l’apanage de tous, n’est encore qu’au rang des bêtes; il a part à la divine miséricorde, mais non à cette miséricorde, plus spéciale, qui u e sera donnée qu’aux seuls justes, aux saints,
 
 

1. Rom. VI, 25. — 2. Id. 23-25. — 3. Ps. XXXV, 6. — 4. Id. XXII, 5.
 
 

aux bons. Quels sont les dons communs à tous? « Dieu fait luire son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes « et sur les injustes 1 ». Qui d’entre les hommes n’a part à cette miséricorde, puisque d’abord il existe; ensuite il diffère des animaux brutes, il est animal raisonnable, il peut comprendre Dieu, jouir de cette lumière, de cet air, de ta pluie, des récoltes, de la diversité des saisons, de la santé du corps, du commerce de ses amis, de la conservation de sa famille? Tout autant de biens qui viennent de la munificence de Dieu. Ne croyez point, mes frères, que tout autre que Dieu seul nous les puisse donner. Quiconque alors ne les attend que de Dieu seul, met un vaste intervalle entre lui et ceux qui les recherchent auprès des démons, des magiciens, des astrologues, Ces derniers, en effet, sont doublement misérables, puis. qu’ils ne souhaitent que des biens temporels et qu’ils ne les demandent pas à l’Auteur de tout bien. Mais ceux qui désirent ces biens, qui veulent mettre en eux leur félicité, et qui ne les demandent qu’à Dieu seul, sont préférables sans doute en ce qu’ils ne les demandent qu’à Dieu, et toutefois ils sont encore en danger. Quel est ce danger? nous dira-t-on. C’est qu’ils jettent parfois les yeux sur les choses du monde, et ils voient que ces biens terrestres, objets de leurs désirs, sont aussi le partage, l’ample partage des impies et des mi chants, et ils se croient privés de récompense dans le culte de Dieu, puisque les méchante qui n’honorent pas Dieu partagent ces biens avec ceux qui le servent fidèlement; quelquefois même ceux qui servent Dieu n’ont rien de ce qui est en abondance chez ceux qui blasphèment : c’est en cela qu’est pour eux le danger.

8. Mais le Prophète sait bien quelle miséricorde il implore de Dieu. « Seigneur», dit-il, « votre miséricorde est dans le ciel, et votre vérité s’élève jusqu’aux nues »; c’est-à-dire cette miséricorde spéciale que vous accordez à vos saints est du ciel et non de la terre; oit est éternelle et non passagère. Mais comment avez-vous pu l’annoncer aux hommes? C’ont que votre vérité s’élève jusqu’aux nues pourrait en effet connaître les dons célestes de Dieu, si Dieu ne les annonçait aux hommes? Comment les a-t-il fait connaître? En faisant descendre la vérité jusqu’aux nuées. Quelles
 
 

1. Matt. V, 45.
 
 

nuées?Les prédicateurs de la vérité. C’est en ce sens qu’en un certain endroit de l’Ecriture le Seigneur s’irrite contre une certaine vigne. Votre charité, je pense, me comprend, elle entend le prophète Isaïe qui dit de cette vigne: « J’ai attendu qu’elle produisît du raisin, elle n’a produit que des épines 1 ». Et pour nous ôter l’idée d’une vigne visible, voici la conclusion du Prophète : « La vigne du Seigneur des armées, c’est ta maison d’Israël; le plant que Dieu aime, c’est le peuple de Juda 2 ». Il reproche donc à cette vigne de lui avoir produit des épines au lieu des raisins qu’il espérait. Et que dit-il? « Je commanderai à mes nuées de ne plus répandre leur rosée sur elle 3 ». C’est donc dans sa colère que le Seigneur commande aux nuées de refuser la pluie. C’est ce qui est arrivé. Les Apôtres furent envoyés prêcher l’Evangile; et nous voyons au livre des Actes que saint Paul voulait d’abord prêcher aux Juifs, et qu’au lieu de raisins il ne trouva chez eux que des épines. Ils commencèrent à lui rendre le mal pour le bien, et le persécutèrent. Alors, comme pour exécuter cette sentence : « Je commanderai aux nuées de ne point donner la pluie; nous étions envoyés vers vous », dit l’Apôtre; « mais puisque vous méprisez la parole de Dieu, nous allons vers les Gentils». Ainsi s’accomplit : « Je commanderai aux nuées de ne plus verser la pluie sur elle ». La vérité descendit jusqu’aux nuées; et de là vient que l’on put nous prêcher cette miséricorde de Dieu qui est dans le ciel et non sur la terre. Or, les prédicateurs de la vérité sent bien des nuées. Quand le Seigneur nous menace par ses prédicateurs, il tonne dans les nuées. S’il fait des miracles par ses prédicateurs, c’est l’éclair qui sillonne les nues, test l’effroi qui se répand par elles, c’est la pluie qu’elles versent. Donc, les prédicateurs qui annoncent la parole de Dieu sont les nuées de Dieu. Ainsi espérons la miséricorde, mais celle qui est du ciel.

9.  « Votre justice est comme les montagnes ide Dieu; vos jugements sont de profonds abîmes 4 ». Quelles sont les montagnes de tien? Nous venons déjà d’appeler nuées ceux qui sont des montagnes, car ces montagnes sont les grands prédicateurs. Et de même que le soleil à son lever projette sur les sommets des montagnes ses rayons lumineux, qui descendent
 
 

1. Isa. V,4.— 2. Id. 6.— 3. Id. 7.— 4. Ps. XXXV, 7.
 
 

ensuite dans les plus profondes vallées ainsi Notre-Seigneur Jésus-Christ, à son avènement, jeta sur les Apôtres, comme sur des montagnes, les premiers rayons de sa lumière qui descendirent ensuite dans les vallées de la terre. De là vient qu’il est dit dans un psaume: « J’ai levé les yeux vers les montagnes, d’où me viendra le secours 1», Mais n’allons pas croire que d’elles-mêmes des montagnes donneront du secours. Elles reçoivent ce qu’elles donnent, sans donner d’elles-mêmes. Et si tu demeures attaché à ces montagnes, ton espérance ne sera point ferme; mais ton appui, ta confiance, doivent être en celui qui éclaire ces montagnes. C’est donc des montagnes que te viendra le secours, parce que les saintes Ecritures te sont prêchées par ces montagnes ou par ces grands prédicateurs de la vérité; mais ce n’est point en eux qu’il faut mettre ton espoir. Ecoute alors ce que dit le Prophète : « J’ai levé les yeux vers les montagnes, d’où me viendra le secours». Mais les montagnes me donneront donc le secours? Point du tout; écoute la suite : « Tout mon secours viendra du Seigneur qui a fait le ciel et la terre 2. » Il vient ainsi par l’entremise des montagnes, et non des montagnes elles-mêmes. De qui vient-il donc? « Du Seigneur qui a fait le ciel et la terre ». Il y avait aussi d’autres montagnes; et quiconque s’en approchait avec sa barque faisait naufrage. Les princes de l’hérésie se sont élevés, et ils étaient des montagnes. Arius était une montagne, Donat était une montagne, Maximien depuis peu est comme une montagne 3. Plusieurs, qui regardaient ces montagnes et désiraient la terre afin d’échapper aux flots, ont heurté contre des rochers et ont fait naufrage sur la terre. Ces montagnes étaient loin de séduire celui qui disait : « J’ai mis ma confiance dans le Seigneur, et comment dites-vous à mon âme : Passereau, va dans les montagnes 4?» Je ne veux mettre mon espoir ni en Arius ni en Donat. « Tout mon secours vient du Seigneur qui a fait le ciel et la terre ». Voyez ici combien vous mettez votre confiance en Dieu et combien vous attribuez aux hommes: « Car, maudit est celui qui met son espérance dans un

1. Ps. CXX, 1. — 2. Id. 2. — 3. Ce Maximien était un diacre du schisme de Donat, qui devint évêque de Carthage contre Primianus, et fut le chef des Maximianistes. Voy. le disc, sur le ps. XXXVI. — 4. Ps. X, 2.
 
 

355
 
 

homme 1». Saint Paul avec une rare modestie et une grande humilité , jaloux d’élever une

Eglise au divin Epoux et non à lui-même, s’indigne contre ceux qui disaient: « Pour moi, je suis à Paul, moi à Apollo 2 »; il se met en avant pour se fouler aux pieds, se mépriser

et glorifier Jésus-Christ: « Paul a-t-il donc été crucifié pour vous, ou bien est-ce au nom de  Paul que vous êtes baptisés 3? » Il éloigne de lui-même pour envoyer au Christ. Il ne veut

pas même que l’ami de l’Epoux usurpe dans le coeur de l’Epouse l’amour qui est dû à

1’Epoux. Car les amis de l’Epoux étaient les Apôtres. Jean aussi, que l’on regardait comme

le Christ, dans son humilité, avait à cœur la gloire de l’Epoux. Aussi répond-il : « Je ne suis point le Christ; mais celui qui est venu après moi est plus grand que moi, et je ne suis pas digne de délier le cordon de ses souliers 4 ». Il montrait donc en s’humiliant qu’il n’était point l’Epoux, mais l’ami de l’Epoux, et il disait : « Celui qui a l’Epouse est l’Epoux, mais l’ami de l’Epoux qui est debout et l’écoute, est plein de joie à la voix de l’Epoux 5». Et cet ami de l’Epoux, fût-il une montagne , n’a pourtant pas la lumière en lui-même ; il écoute, il est au

comble de la joie à cause de la voix de l’Epoux. « Pour nous », dit-il, « nous avons tout reçu de sa plénitude 6». De la plénitude de qui? « De celui qui était la lumière véritable qui éclaire tout homme venant en ce monde 7». C’est donc à lui que saint Paul voulait conserver l’Eglise, quand il disait: « Que les hommes nous regardent comme les ministres du Christ et les dispensateurs des mystères de Dieu ». Ainsi : « J’ai levé les yeux vers les montagnes d’où viendra mon secours. Que l’homme nous regarde comme les ministres du Christ et les dispensateurs des mystères de Dieu 8». Et de peur que tu ne mettes encore quelque espérance en ces montagnes plutôt qu’en Dieu, écoute : « J’ai  planté, Apollo a arrosé, mais Dieu a donné l’accroissement »; et encore : « Or, celui qui plante n’est rien, non plus que celui qui

arrose, mais c’est Dieu, qui donne l’accroissement 9». Déjà donc tu as dit : « J’ai levé les yeux vers les montagnes, d’où me viendra le secours»; mais, « parce que celui qui
 
 

1. Jérém. XVII, 5.— 2. I Cor. III, 4 .— 3. Ibid I, 3. — 4. Jean, I,20 ; Marc, I,7.— 5. Jean, III,29.— 6. Id. I,16.— 7. Id.9,—— 8. I Cor. IV,1.— 9. Id. 6,7.
 
 

plante n’est rien non plus que celui qui arrose » ; dis alors : « Mon secours viendra du Seigneur qui a fait le ciel et la terre » ; et : « Votre justice est comme les montagnes de Dieu », c’est-à-dire les montagnes sont rein-plies de votre justice.

10. « Vos jugements sont de profonds abîmes ». On appelle abîme cette profondeur du péché où l’homme arrive par le mépris de Dieu, ainsi qu’il est dit quelque part : « Dieu les a livrés aux désirs de leurs coeurs, et ils se sont couverts de honte ». Que votre charité redouble d’attention, il s’agit d’une importante vérité ; oui , très-importante. Qu’est-ce à dire que « Dieu les a livrés aux désirs de leurs coeurs pour faire ce qui est honteux? » C’est donc lorsque Dieu les s livrés aux convoitises de leurs coeurs pour faire ce qui est honteux, qu’ils commettent de si grands crimes? Ce qui revient à poser cette question Si c’est Dieu qui fait qu’il commettent ce qui est honteux, que font ils d’eux-mêmes? Il y a de l’obscurité dans cette parole : « Dieu les a livrés aux convoitises de leurs coeurs». Il y avait donc en eux des convoitises qu’ils n’ont point voulu réprimer, et auxquelles ils sont livrés par un châtiment de Dieu. Mais pour comprendre qu’ils méritaient d’y être livrés, écoute ce qu’avait dit l’Apôtre à leur sujet: « Ayant connu Dieu, il ne l’ont point glorifié comme Dieu et ne lui ont point rendu grâces; mais ils se sont évanouis dans leurs pensées, et leur coeur insensé a été obscurci ». Comment? Par l’orgueil. « En se disant sages ils sont devenus fous ». De là cette sentence : « Dieu les a livrés aux convoitises de leurs coeurs». Donc, parce qu’ils furent ingrats et orgueilleux, ils méritèrent d’être livrés aux convoitises de leurs coeurs et ils sont devenus un profond abîme, non-seulement en commettant le péché, mais en agissant avec hypocrisie, de peur de connaître leur iniquité et de la haïr. C’est le comble de la malice de n’avoir pas voulu trouver leurs péchés et les haïr. Mais voici comment on arrive à cette profondeur: « Les jugements de Dieu sont un abîme profond ». De même que les montagnes de Dieu se forment par sa justice et grandissent par sa grâce, ainsi c’est par ses jugements que tombent dans l’abîme ceux qui se roulent dans les bas-fonds du péché. Ainsi donc que par la grâce les montagnes aient donc pour
 
 

356
 
 

toi des attraits, mais par la grâce aussi fuis l’abîme et tourne-toi vers « le secours du Seigneur» qui nous est promis. Comment? En levant les yeux vers les montagnes. Qu’est-ce à dire? Je vais m’expliquer : Dans l’Eglise de lieu tu trouveras des abîmes et des montagnes. Tu y trouveras les bons en petit nombre, parce que les montagnes sont rares; mais le gouffre est large, c’est-à-dire que beaucoup miment dans le désordre par la juste colère de lieu, parce que leurs actes les ont fait livrer aux convoitises de leurs coeurs, jusqu’à défendre leurs péchés au lieu d’en faire l’aveu, et nue jusqu’à dire: Quoi donc? Qu’ai-je fait? Un tel a bien commis tel crime, celui-là tel autre crime. Bientôt même ils veulent légitimer ce que la parole de Dieu condamne: c’est l’abîme. Ecoute en effet ce que dit l’Ecriture en certain endroit: « Quand le pécheur en arrive aux profondeurs du mal, il méprise ». Voilà comme « vos jugements, ô Dieu, sont de profonds abîmes ». Pour toi, tu n’es pas une montagne, tu n’es pas un abîme: fuis l’abîme, regarde les montagnes, mais ne t’arrête point sur les montagnes. Ton secours est dans le Seigneur qui a fait le ciel et la terre.

11. « Seigneur, vous sauverez les hommes met les animaux, selon que s’est multipliée notre miséricorde, ô mon Dieu 1 ». Le Prophète avait dit :  « Votre miséricorde est dans le ciel»; et, afin que l’on sache qu’elle est aussi sur la terre, il ajoute : « Seigneur, vous sauverez les hommes et les animaux selon que s’est multipliée votre miséricorde ». Par cette miséricorde est grande, ô mon Dieu, cette miséricorde se multiplie à l’infini; vous l’étendez sur les hommes et sur les animaux. De qui vient le salut des hommes? De Dieu. Et le salut des animaux ne vient-il pas aussi de Dieu? Car le créateur de l’homme est aussi le créateur de l’animal; celui qui a fait l’un et l’autre, sauve aussi l’un et l’autre mais le salut des animaux est temporel. Il en cet qui demandent comme une grande grâce ce qu’il a donné aux animaux. « Votre miséricorde, ô mon Dieu , se multiplie à l’infini » ; non-seulement elle s’étend aux hommes, elle descend jusqu’aux animaux pour leur donner ce salut terrestre et passager que vous donnez aux hommes.

12. Mais Dieu ne réserve-t-il donc aux hommes rien de particulier, que l’animal ne
 
 

1. Ps. XXXV, 7, 8.
 
 

puisse obtenir, rien que l’animal ne puisse atteindre? Assurément il est une faveur pour eux. Et où donc est cette réserve? « Quant « aux fils des hommes, ils espéreront à l’ombre de vos ailes ». Que votre charité pèse bien cette sentence consolante : « Seigneur, vous sauverez les hommes et les animaux ». Le Prophète a donc parlé « de l’homme et de l’animal », et le voilà qui s’occupe des « enfants des hommes » : comme s’il mettait une différence entre l’homme et les fils de l’homme. Quelquefois dans l’Ecriture on entend par enfants des hommes les hommes en général; et quelquefois cette expression « des enfants des hommes », est prise dans une acception spéciale, elle a un sens particulier qui empêche d’entendre par là tous les hommes; surtout quand elle établit une distinction. Or, ce n’est point sans raison que le Psalmiste, après avoir parlé « des hommes et des bêtes que Dieu doit sauver », nous dit:

« Quant aux fils des hommes »; comme si Dieu mettait à part les autres pour accorder une protection spéciale aux fils des hommes qu’il aurait séparés. Séparés de qui? non-seulement des animaux, mais encore de ces hommes qui demandent comme un grand bien le salut qu’il donne aux bêtes. Qui sont donc les enfants des hommes? Ceux qui espèrent à l’ombre de ses ailes. Les hommes, en effet, partagent avec les animaux la joie des biens présents, les fils des hommes goûtent les joies de l’espérance : les uns recherchent avec les animaux les biens du temps, les autres espèrent les biens éternels avec les anges. Pourquoi donc une distinction, et appeler hommes les uns, fils des hommes les autres? car l’Ecriture dit quelque part: « Qu’est-ce que l’homme, Seigneur, pour que vous vous souveniez de lui, ou le fils de l’homme, pour que vous le visitiez 1? Qu’est-ce donc que l’homme pour que vous vous souveniez de lui? » Vous vous souvenez de lui comme on se souvient d’un absent; vous visitez le fils de l’homme comme on visite celui qui est présent. Qu’est-ce à dire que vous vous souvenez de l’homme? « Seigneur, vous sauvez les hommes et les animaux »; car vous donnez un certain salut même aux méchants, même à ceux qui ne désirent point le royaume des cieux. Car Dieu les protége comme son troupeau, il ne les abandonne
 
 

1. Ps. VIII, 5.
 
 

357
 
 

que d’une manière qui leur est propre, salis les abandonner totalement; mais il a pour eux le souvenir qui est le soin des absents. Au contraire, celui qu’il visite, c’est le fils de l’homme, dont il est dit: « Quant aux fils des hommes, ils espéreront à l’ombre de vos ailes ». Et si vous voulez discerner ces deux sortes d’hommes, considérez d’abord deux hommes, Adam et Jésus-Christ. Ecoutez l’Apôtre: « De même que tous meurent en Adam, de même tous vivront en Jésus-Christ 1 ». Nous naissons d’Adam pour mourir: nous ressuscitons en Jésus-Christ pour vivre toujours. Porter l’image de l’homme terrestre, c’est là être homme; et porter l’image de l’homme céleste, c’est là être fils de l’homme; car le Christ est appelé Fils de l’homme. Adam était homme, il est vrai; mais non fils de l’homme; et tous ceux-là viennent d’Adam qui désirent les biens de la terre et le salut temporel. Nous les exhortons à devenir fils des hommes, espérant sous la protection des ailes de Dieu, désirant cette miséricorde qui est dans le ciel et qui nous a été annoncée par les nuées. S’ils ne le peuvent encore, qu’au moins ils n’attendent que de Dieu ces biens temporels : et qu’ils le servent selon l’ancienne loi, afin d’arriver ainsi à la loi nouvelle.

13. Le peuple juif, en effet, désira les biens terrestres et la domination pour Jérusalem, et l’asservissement de ses ennemis, et l’abondance des récoltes, et son propre salut, et la conservation de ses enfants. Tels étaient les biens qu’ils désiraient, les biens qu’ils recevaient, la loi les protégeait. Ils demandaient à Dieu ces biens qu’il donne aux animaux de la terre, parce que le Fils de l’homme n’était point venu en eux pour les rendre enfants des hommes; mais ils avaient déjà des nuées qui annonçaient ce Fils de l’homme. Les prophètes sont venus leur annoncer le Christ ; et il y en avait parmi eux plusieurs qui comprenaient, qui avaient l’espérance de l’avenir et comptaient sur cette miséricorde qui est du ciel. Mais il y en avait d’autres qui ne désiraient que les biens d’ici-bas, une félicité temporelle et terrestre. Leurs pieds allaient d’eux-mêmes façonner ou adorer des idoles. Et même quand le Seigneur les avertissait, les châtiait et les dépouillait de tout ce qu’ils aimaient, quand ils étaient affligés par la
 
 

1. I Cor. XV, 22.
 
 

famine, la guerre, la peste, les maladies, ils recouraient aux idoles. Les biens qu’ils devaient attendre de Dieu comme un grand bienfait, ils les demandaient aux idoles et abandonnaient le vrai Dieu. Ils voyaient en abondance, entre les mains des impies et des scélérats, ces biens qu’ils convoitaient, et ils croyaient adorer sans profit un Dieu qui ne leur accordait aucune récompense terrestre. O homme ! tu es l’ouvrier de Dieu, plus tard viendra le temps de la rémunération ; pourquoi demander un salaire avant que le travail soit achevé? Qu’un ouvrier vienne chez toi, lui donneras-tu son salaire avant l’achèvement de l’ouvrage ? Tu le trouverais déraisonnable de dire: Je veux d’abord mon salaire, et ensuite je travaillerai. Tu t’en fâche. rais. Et pourquoi t’en fâcherais-tu ? parce qu’il aurait manqué de confiance envers un homme qui peut tromper. Et comment Dieu ne s’irriterait-il point , quand tu n’as pas confiance en la vérité même? Ce qu’il t’a promis, il te le donnera ; il est infaillible, c’est la vérité même qui a promis. Craindrais tu peut-être qu’il n’eût pas de quoi te donner? Il est tout-puissant. Ne crains pas qu’il ne soit plus alors pour te donner. Il est immortel. lie crains pas enfin qu’il ait des successeurs;il est éternel. Sois en pleine sécurité. Si tu exiges que ton ouvrier se fie à toi pendant tout un jour, mets ta confiance en Dieu pendant toute ta vie, car ta vie n’est qu’un instant pour Dieu. Et alors, que seras-tu? Un de ces «enfants des hommes qui espèrent à l’ombre de vos ailes, ô mon Dieu ».

14. « Ils seront enivrés de l’abondance de votre maison 1 ». Je ne sais quoi de grand nous promet ici le Prophète. Il veut le dire et ne le dit point; est-ce lui qui ne saurait le dire, ou nous qui ne le comprenons point ? Je le dis sans crainte, mes frères, et même des langues et des coeurs des saints qui nous ont annoncé la vérité : l’objet de leur message était supérieur à toute parole et à toute pensée. C’est en effet quelque chose de grand et d’ineffable; eux-mêmes ne le voyaient qu’en partie, d’une manière figurative, comme l’a dit l’Apôtre. « Nous ne voyons Dieu qu’imparfaitement et comme en énigme; mais alors nous le verrons face à face 2 ». Ainsi jetaient leur surabondance ceux qui ne voyaient qu’en énigme. Comment donc serons-nous, quand nous
 
 

1. Ps. XXXV, 9.— 2. I Cor. XIII 12.
 
 

verrons face à face Celui qu’ils portaient dans leurs coeurs, et que leurs langues ne pouvaient exprimer aux hommes d’une manière compréhensible? Quelle nécessité y avait-il de dire: « Ils seront enivrés de l’abondance de votre maison ? » Il cherche dans la langue humaine une expression à sa pensée; et comme ils voient que les hommes se gorgent de vin jusqu’à l’ivresse, qu’ils en prennent sans mesure et jusqu’à perdre la raison, trouve là une manière de s’exprimer; car, une fois cette joie céleste répandue dans nos âmes, la raison humaine s’évanouit en quelque serte, elle devient divine et s’enivre de l’abondance qui est dans la demeure de Dieu. Aussi est-il dit dans un autre psaume: « Combien m’est délicieux le calice qui m’enivre 1 !» C’est ce calice qui enivrait les martyrs quand ils allaient au supplice sans connaître leurs proches. Quelle plus grande ivresse que de méconnaître une épouse éplorée, des enfants, des proches? Et pourtant, ils ne les connaissaient plus, ils ne croyaient point les avoir devant les yeux. Ne vous en étonnez pas, ils étaient dans l’ivresse. Dans quelle ivresse ? Voyez: ils avaient pris la coupe qui avait dû les enivrer. C’est ce qui porte à remercier Dieu celui qui s’écriait: « Que rendrai-je au Seigneur pour tous les biens dont il m’a comblé? Je prendrai le calice du salut et j’invoquerai le nom du Seigneur 2 ». Donc, mes frères, soyons les enfants des hommes; espérons à l’ombre des ailes du Seigneur, et enivrons-nous de l’abondance de sa maison. Je dis ce que je puis à ce sujet, je ne vois que comme je puis, et je ne puis dire encore ce que je vois. « Ils seront enivrés de l’abondance de votre maison ; et vous les abreuverez au torrent de vos délices». On appelle torrent cette eau qui se précipite avec impétuosité; la divine miséricorde se précipitera donc, pour baigner, pour enivrer ceux qui, en cette vie, se reposent dans l’espérance à l’ombre de vos ailes. Quelle est cette volupté? C’est un torrent qui enivre ceux qui ont soif. lue celui-là donc qui a soif se prenne à espérer; qu’il espère, celui qui a soif, et quand il sera dans l’ivresse, il possédera l‘objet de son espérance ; mais avant de le posséder, qu’il en ait la soif et l’espérance. « Bienheureux iceux qui ont faim et soif de la justice, parce n qu’ils seront rassasiés 3 ».
 
 

1. Ps. XXII, 5.— 2. Id. CXV, 12, 13. — 3. Matt. V, 6.
 
 

15. A quelle source irez-vous donc boire, et d’où coulera cet impétueux torrent des divines voluptés? « C’est en vous », dit le Prophète, « qu’est la source de vie ». Quelle autre source de vie que le Christ? Il est venu à vous dans sa chair, afin d’arroser votre gosier desséché par la soif; et celui qui a pu vous soulager dans votre soif, comblera un jour votre espérance. «C’est en vous, Seigneur, qu’est la source de la vie, et à votre flambeau nous verrons la lumière1 ». Autre est la source d’eau, et autre est la lumière; en Dieu il n’en est pas ainsi. La source d’eau est identique à la lumière; tu peux lui donner le nom qu’il te plaira, parce que tu ne le désigneras point par son nom ; puisque tu ne peux trouver un nom qui lui soit propre, et qu’un seul nom ne lui suffit point. Si tu dis qu’il est seulement une lumière, on te répondra: C’est donc en vain que l’on me pousse à la faim et à la soif; comment, en effet, manger une lumière? On m’a dit alors avec raison : « Heureux les hommes dont le coeur est pur, parce qu’ils verront Dieu 2 » ; si Dieu est une lumière, je dois préparer mes yeux. Prépare encore ta bouche ; car celui qui est une lumière est encore une source ; oui, une source qui abreuve ceux qui ont soif, une lumière qui éclaire les aveugles, Ici-bas il est souvent une distance entre la source et la lumière. Car les sources parfois coulent dans les ténèbres, et souvent encore dans le désert tu souffriras du soleil sans trouver une source:

ces deux choses peuvent donc être séparées ici-bas; mais là haut, il n’y a point de lassitude, parce qu’il y aune source; il n’y a point de ténèbres, parce que c’est le foyer de la lumière.

16. « Etendez votre miséricorde à ceux qui vous connaissent, et votre justice à ceux qui ont le coeur droit 2 ». Nous l’avons dit souvent: ceux qui ont le coeur droit sont ceux qui accomplissent ici-bas la volonté de Dieu. Or, quelquefois c’est la volonté de Dieu que tu sois en santé, quelquefois que tu sois malade ; et si la volonté de Dieu te plaît dans la

santé, pour te déplaire dans la maladie, tu n’as pas le coeur pur. Pourquoi? Parce que tu ne veux point te soumettre à la volonté de Dieu, mais la courber afin qu’elle subisse la tienne. Cette volonté est droite, et toi tu es défectueux ; c’est ta volonté qui doit se
 
 

1. Ps. XXXV, 10. — 2. Matt. V, 8.— 3. Ps. XXXV, 11.
 
 

359
 
 

dresser selon la volonté de Dieu, et non celle-ci se courber selon la tienne: alors seulement tu auras un coeur droit. Es-tu heureux en ce monde? Bénis Dieu qui te console. Es-tu dans la peine? Bénis Dieu qui te châtie et t’éprouve : et alors tu auras le coeur droit et tu diras: « Je bénirai le Seigneur en tout temps; sa louange sera toujours dans ma bouche 1»

17. « Que le pied de l’orgueil ne s’attache point à moi 2 ». Déjà le Prophète a dit:

« Les enfants des hommes espéreront à l’ombre de vos ailes, ils s’enivreront au torrent des voluptés de votre palais ». Qu’il prenne garde à l’orgueil celui qui sentira couler sur lui l’eau sacrée. Elle ne faisait point défaut au premier homme, Adam; mais il fut heurté par le pied de l’orgueil, il fut ébranlé par la main du pécheur ou par la main orgueilleuse de Satan. Ce séducteur, qui avait dit: « J’établirai mon trône vers l’Aquilon 3 » , dit à Adam pour le persuader: « Goûtez du fruit, et vous serez comme des dieux 4 ». Donc c’est par l’orgueil que nous sommes tombés et réduits à passer par la mort. Comme l’orgueil nous avait blessés, l’humilité nous guérira. Dieu est venu dans son humilité pour guérir chez l’homme cette immense blessure de l’orgueil. Il est venu, puisque « le Verbe s’est fait chair et a demeuré parmi nous 5 ». Il a souffert que les Juifs le prissent pour l’insulter. L’Evangile vient de vous dire quels hommes, et à qui ils dirent: « Vous êtes possédé du démon 6 » ; mais lui ne leur dit point: C’est vous qui êtes en la puissance du démon, puisque vous demeurez dans votre péché et que le diable règne dans vos coeurs. Tel ne fut point son langage, qui toutefois eût été vrai ; mais ce n’était pas le temps de parler ainsi, de peur qu’il parût moins prêcher la vérité que repousser l’injure par l’injure. Il oublie ce qu’il a entendu, comme s’il ne l’avait point entendu ; car il était médecin et venait pour guérir un frénétique. De même que les paroles d’un frénétique ne sont rien pour un médecin, qui ne s’inquiète que de sa santé et de sa guérison, qui en reçoit un coup de poing sans y faire attention et ne lui en fait pas moins de nouvelles blessures, cherchant à guérir une fièvre invétérée ; ainsi Notre-Seigneur
 
 

1. Ps. XXII, 2. — 2. Id. XXXV, 12. —  3. Isa. XIV, 13. — 4. Gen. III, 5. — 5. Jean, I, 14. — 6. Id. III, 48.
 
 

est venu guérir un malade, il est venu près d’un frénétique, résolu à mépriser toutes ses récriminations, toutes ses injures. Il voulait par là donner à tous des leçons d’humilité, et par l’humilité les guérir de l’orgueil, de cet orgueil dont le Prophète supplie que Dieu le délivre, en disant: « Que le pied de l’orgueil ne s’attache point à moi; que la main du pécheur ne puisse m’ébranler 1 ». Car si le pied de l’orgueil s’attache à nous, la main du pécheur nous ébranle. Quelle est cette main du pécheur? L’oeuvre qui nous porte au mal. Es-tu orgueilleux? Celui qui te porte au mal te corrompra bientôt. Affermis-toi en Dieu par l’humilité, et mets-toi peu en peine de ce que l’on te dira. Aussi est-il dit ailleurs: « Purifiez-moi de mes fautes cachées, épargnez à votre serviteur les fautes des autres 2 ». Qu’est-ce à dire , « mes fautes « cachées ? » c’est-à-dire : « Que le pied de l’orgueil ne s’attache point à moi » . «Epargnez à votre serviteur les péchés des autres », c’est-à-dire: « Que la main du pécheur ne m’ébranle point ». Défends bien l’intérieur, et tu n’auras rien à craindre du dehors.

18. Et comme si l’on demandait au prophète: Pourquoi craindre ainsi l’orgueil? C’est

répond-il , que « là sont tombés tous ceux qui commettent l’iniquité 1 »; pour en venir à cet abîme dont il est dit: « Vos jugements sont de profonds abîmes, et se précipiter enfin dans ces profondeurs où sont tombés les pécheurs qui méprisent Dieu 4. « Ils sont tombés » . Mais comment sont-ils tombés? D’abord par le pied de l’orgueil. Or, écoutez ce qu’est le pied de l’orgueil. « Ils ont connu Dieu et ne l’ont point glorifié comme Dieu 5 ». Le pied de l’orgueil les a donc touchés, et de là ils sont tombés dans l’abîme. « Dieu les a livrés aux convoitises de leurs coeurs, et ils se sont couverts de honte 6 ». Le prophète craint donc et la racine du péché, et la tête du péché, quand il dit: « Que le pied de l’orgueil ne me heurte point». Pourquoi l’appeler un pied? c’est que l’orgueil a porté l’homme à déserter le Seigneur et à s’en éloigner. C’est son affection qu’il appelle son pied. « Que le pied de l’orgueil ne me heurte point, que la main du pécheur ne m’ébranle point, c’est-à-dire, que les oeuvres du pécheur ne me séparent point de vous, ne me portent pas à les
 
 

1. Ps. XXXV, 12.— 2. Id. XVIII, 13, 14.— 3. Id. XXXV, 13.— 4. Prov. XVIII, 3.— 5. Rom. 1, 21.— 6. Id. 24.
 
 

360
 
 

imiter. Pourquoi dire que c’est par l’orgueil « que sont tombés ceux qui commettent l’iniquité? » C’est que tout pécheur d’aujourd’hui est tombé par orgueil. C’est pourquoi Dieu, recommandant à l’Eglise la vigilance, dit au serpent: « Elle observera ta tête, et tu observeras son talon 1 ». Quand, heurté par le pied de l’orgueil, tu viens à chanceler, le serpent est aux aguets pour te faire tomber; mais toi, observe bien sa tête : « Car l’orgueil est le commencement de tout péché 2. — C’est d’écueil de tous ceux qui commettent l’iniquité: ils ont été poussés et n’ont pu se tenir debout » . Celui-là est le premier qui n’est point demeuré ferme dans la vérité, et ensuite ceux dont il entraîna l’expulsion du paradis 3. Mais celui qui pousse l’humilité jusqu’à dire qu’il n’est pas digne de dénouer las cordons d’un soulier, celui-là n’a pas été ébranlé, au contraire il demeure ferme pour
 
 

1. Gen. III,15.— 2. Eccl. X, 15. — 3. Gen. III, 23.
 
 

écouter l’Epoux, pour s’épanouir à la voix de l’Epoux 1, non à sa propre voix, de peur d’être

heurté par le pied de l’orgueil, d’être ébranlé, de ne point tenir debout.

19. Nous voici au terme d’un psaume qui a pu causer un peu de fatigue et d’ennui à quelques-uns d’entre vous; mais cet. ennui est passé , et je me réjouis d’avoir exposé le psaume tout entier. Vers le milieu, j’avais eu la pensée de quitter, afin de ne pas vous surcharger; mais j’ai cru que l’attention serait partagée, et que l’on écouterait moins bien la seconde partie, que si l’on parcourait le psaume tout entier. J’ai donc mieux aimé vous être un peu à charge, que de réserver quelque partie d’un discours imparfait. Demain encore il faut vous parler; priez pour nous, afin que nous puissions le faire encore, et revenez-nous avec une soif ardente et des coeurs fervents.
 
 

1. Jean, I, 27 ; III, 29.