DISCOURS SUR LE PSAUME LXI.
SERMON AU PEUPLE.
SOUMISSION A DIEU.
Séparé des méchants par la dignité de sa vocation, le chrétien, comme l’Eglise entière, se voit persécuté par eux, tantôt d’une manière sanglante, tantôt par des procédés violents et toujours honteux pour ceux qui les emploient. La lutte entre Babylone et la eité de Dieu, entre les justes et les pécheurs, durera jusqu’à la fin des siècles. Néanmoins, il reste soumis à Dieu : loin de se venger, il souhaite et demande la conversion de ses adversaires; il attend de Dieu son secours en ce monde et sa gloire en l’autre. Voilà les seuls biens réels qu’on puisse désirer; aussi, dans sa charité, s’efforce-t-il de détourner ses ennemis de l’amour des faux biens du monde et de les rapprocher de Dieu: là, ils apprendront à. connaître la vérité qui éclaire l’homme, et à pratiquer la vertu qui le sauve.
1. La grâce de Dieu, qui répand sur nous ses délices afin de féconder notre terre 1, nous fait trouver dans l’étude et l’intelligence de la parole sainte un plaisir si suave, que nous nous sentons pressés, nous, de vous l’expliquer, et vous, de l’entendre. Je le remarque avec bon-. heuretje m’en réjouis; vous n’éprouvez aucun ennui à nous écouter: vous apportez même ànos discours un goût intérieur très-prononcé, et, sous son influence, loin de repousser cette salutaire nourriture de vos âmes, vous la recevez avidement, et vous en faites votre profit. Aussi vous entretiendrons-nous encore aujourd’hui, pour vous expliquer, autant que le Seigneur nous le permettra, le psaume que nous venons de chanter. Voici son titre:
« Pour la fin, pour Idithun, psaume à David ».
1. Ps. LXXXIV, 13.
Je me souviens de vous avoir déjà indiqué le sens du mot Idithun. Si j’entre bien dans la pensée de l’auteur, et si je rends bien toute la force de l’expression hébraïque, je le traduirai dans notre langue par ces autres mots: Homme qui les dépasse. Celui dont les paroles vont nous occuper, en dépasse donc d’autres; puis, du lieu élevé où il est parvenu, il jette sur eux un regard de dédain. Voyons donc jusqu’où il s’est avancé: cherchons à connaître ceux qu’il a dépassés, et l’endroit où il s’est arrêté encore, quoiqu’il en ait dépassé plusieurs: cherchons à connaître cette demeure invisible, où il trouve sa sécurité, cet abri tranquille du haut duquel il contemple le spectacle qui s’étend à ses pieds, cette maison spirituelle en dehors de laquelle il se penche, non pour s’exposer à une chute dangereuse, mais pour (2) appeler à lui les hommes indolents qu’il a devancés, et leur dépeindre les délices de sa retraite. Il a marché plus vite qu’eux; il s’est élevé au-dessus d’eux: quelqu’un néanmoins est encore plus élevé que lui; aussi veut-il d’abord nous faire entendre sous l’égide de qui il se trouve, et nous persuader que s’il en a dépassé d’autres, c’est la preuve de la rapidité de sa marche, mais non un sujet d’orgueil pour lui.
2. Voyez, d’abord, en quel endroit il a trouvé la sécurité; car il dit: « Est-ce que mon âme ne sera pas soumise à Dieu? » Il avait appris que « celui qui s’élève sera humilié, et que « celui qui s’humilie sera élevé 1 ». Il craint de ressentir les atteintes de l’orgueil, et cette crainte le fait trembler ; non-seulement il ne se prévaut pas de son élévation et ne méprise pas ce qu’il voit au-dessous de lui, mais il s’humilie en présence du Dieu qui le domine; aussi répond-il aux envieux, qui gémissent d’avoir été distancés par lui, et qui semblent lui faire des menaces: « Mon âme « ne sera-t-elle pas soumise à Dieu?» Parce que je vous ai devancés, est-ce pour vous un motif de me tendre des piéges ? Vous voulez m’abattre par vos injures ou me tromper par vos artifices; croyez-vous que la pensée de mon élévation au-dessus de vous me fait oublier celui c1ui se trouve au-dessus de moi? « Mon âme ne sera-t-elle pas soumise à Dieu? » Tant que je marche, si haut que je monte, si grande que soit la distance qui nous sépare les uns des autres, je me trouverai toujours inférieur à Dieu; jamais je ne m’élèverai contre lui. C’est donc en toute sécurité que je m’élève au-dessus de tout le reste, puisque celui-là me tient dans sa dépendance, qui est supérieur à toutes choses. « Mon âme ne sera-t-elle pas soumise à Dieu? C’est de lui que vient mon salut; c’est lui qui est mon Dieu et mon Sauveur: il est mon protecteur, je ne serai plus ébranlé ». Je sais quel est celui qui se trouve au-dessus de moi, qui tend une main secourable et miséricordieuse à ceux qui le connaissent, dont les ailes protectrices m’offrent un abri sûr « Je ne serai plus ébranlé ». Pour vous, dit-il à quelques-uns, en les devançant,vous faites tous vos efforts pour m’ébranler; « mais que le pied de l’orgueil ne me fasse point tomber ». Car de là vient que s’accomplit aussi cet autre passage du même psaume: « Et que la main des
1. Matth. XXIII, 12.
« méchants ne m’ébranle point 1 » ; passage conforme à celui-ci: « Je ne serai plus ébranlé».
Ces paroles: « Que la main des méchants ne m’ébranle pas », correspondent en effet à
celles-ci: « Je ne serai plus ébranlé »; comme le verset: « Que le pied de l’orgueil ne me fasse point tomber », correspond à cet autre: « Mon âme ne sera-t-elle point soumise au Seigneur? »
3. Placé en un lieu élevé, fortifié et sûr, trouvant dans le Seigneur son refuge, et en Dieu sa sécurité comme dans une forteresse inexpugnable, cet homme porte ses regards sur ceux qu’il a devancés, il semble les défier, de même que s’il était à l’abri d’une haute tour, suivant cette parole des livres saints qui a trait à sa personne: « Vous êtes comme une tour imprenable en face de vos ennemis 2 ». Il jette donc les yeux sur eux, et leur dit: « Jusques à quand accablerez-vous un homme? » Vous l’accablez d’un insupportable fardeau, par vos insultes, vos outrages, les pièges que vous lui tendez et vos mauvais traitements: le fardeau que vous lui imposez, ses forces sont à peine suffisantes à le porter; pour n’en être pas surchargé, il se tient dans la soumission à l’égard de son Créateur. « Jusques à quand accablerez-vous un homme? » Si vous ne voyez en moi qu’un homme, travaillez tous à me donner la mort». Ecrasez-moi, faites-moi souffrir, « donnez-moi le coup de la mort ». Jetez-vous sur moi comme sur une muraille qui penche, comme sur une maison qui tombe de vétusté ». Employez toutes vos forces à m’ébranler et à me renverser. Mais n’a-t-il pas dit: « Je ne serai plus ébranlé? »Où est l’effet de ses paroles? «Je ne serai plus ébranlé »; pourquoi? « Parce que Dieu me sauve et me protége ». Vous êtes des hommes, et, comme tels, vous pouvez accabler un homme en le surchargeant mais avez-vous un pouvoir quelconque sur le Dieu qui est devenu son protecteur?
4. « Donnez-lui tous la mort ». Quel est l’homme dont le corps ait assez d’étendue pour recevoir les coups de tous? Ne l’oublions pas: en nous se personnifie l’Eglise, le corps de Jésus-Christ; tête et corps, tout ensemble, Jésus-Christ ne forme qu’un seul homme. Le Sauveur du corps et ses membres sont deux en une même chair 3 ; ils sont deux, et, pourtant, mêmes plaintes, mêmes souffrances, et, après le règne du
1. Ps. XXXV, 12.— 2. Ps. LX, 4. — 3. Gen. II, 24; Eph. V, 31.
3
péché, même repos éternel. Le Christ, considéré dans sa personne particulière, n’est pas seul à souffrir: si nous le considérons dans son ensemble, il n’y a que lui pour souffrir. Si, en effet, le Sauveur t’apparaît comme tête et corps tout ensemble, lui seul est soumis à l’épreuve; mais situ ne vois en lui que la tête, cette épreuve a lieu en d’autres que lui. Si, en ce cas, l’épreuve n’atteignait que Jésus-Christ en qualité de chef, comment l’apôtre saint Paul, l’un de ses membres, dirait-il avec vérité qu’ « il supplée, dans sa chair, à ce qui manque aux souffrances du Sauveur 1? » Qui que tu sois, dès lors que tu entends mes paroles, lors même que tu ne tes entendrais pas encore (mais tu dois les entendre si tu appartiens au corps du Christ), qui que tu sois, sache-le bien: par cela même que tu fais partie des membres du Sauveur, les souffrances que te font endurer ceux qui ne sont pas de ce nombre, suppléent à l’insuffisance de celles du Sauveur. Il y manquait quelque chose, tu l’y ajoutes: tu en combles la mesure, sans qu’il y ait surabondance en elles: tu souffres dans la proportion de ce qu’attendait de toi le Sauveur, qui a souffert en sa propre personne, c’est-à-dire comme notre chef, et qui souffre dans ses membres, c’est-à-dire encore, en nous-mêmes. Nous composons tous ensemble une sorte de république, an bonheur de laquelle nous contribuons selon nos moyens et notre devoir; et, dans la mesure de nos forces, nous formons comme un faisceau commun de souffrances. La somme de toutes ces souffrances n’arrivera à sa perfection qu’à la fin des temps. «Jusques à quand accablerez-vous un homme? » Tout ce que les Prophètes ont souffert, depuis le jour où le juste Abel a perdu la vie jusqu’au jour où a été répandu le sang de Zacharie 2, a pesé sur cet homme, parce qu’avant l’Incarnation du Fils de Dieu il a existé des membres du Christ: il en avait été ainsi de ce patriarche qui, au moment de sa naissance, montra sa main avant de montrer sa tête 3, quoique sa main fût parfaitement unie à sa tête et ne fît qu’un avec elle. Mes frères,n’allez pas vous imaginer que tous ces justes qui ont souffert persécution de la part des méchants n’aient pas été du nombre des membres de Jésus-Christ; et ce que je dis des justes du Nouveau Testament, je le dis aussi
1. Coloss. 24. — 2. Matth. XXIII, 35. — 3. Gen. XXXVIII, 27.
de ceux qui ont été envoyés par Dieu avant l’avènement du Sauveur pour l’annoncer. Pourrait-il, en effet, ne pas appartenir au corps du Christ, celui qui appartient à cette cité dont le Christ est le roi? Cette cité sainte,cette Jérusalem céleste est une, et elle n’a qu’un roi, et son roi c’est le Christ; car il lui parle ainsi: « Un homme appellera Sion sa mère »; il l’appellera « sa mère, parce qu’il est homme. Car un homme appellera Sion sa mère, et cet homme n été formé en elle, et cet homme est le Très-Haut qui l’a fondée 1 ». Le roi de Sion, qui l’a fondée, le Très-Haut s’est fait homme en elle, et le plus humble de tous les hommes. Dans les temps qui ont précédé sa venue, il a envoyé quelques-uns de ses membres pour annoncer qu’il viendrait; puis il les a suivis, uni à eux par les liens les plus étroits. Rappelle-toi les circonstances de la naissance de ce patriarche, dont je parlais tout à l’heure, et qui a préfiguré le corps mystique du Sauveur. Sa main était sortie du sein maternel avant sa tête, et pourtant elle était toujours unie à la tête, et sous sa dépendance. En exaltant l’excellence du premier peuple de Dieu, et en gémissant du malheur qu’avaient eu les branches naturelles d’être retranchées de l’arbre, l’Apôtre a dit du Sauveur 2: « L’adoption des enfants de Dieu leur appartient: sa gloire, son alliance, son culte, sa loi et ses promesses; leurs pères sont les patriarches, et c’est de leurs pères qu’est sorti,selon la chair, Jésus-Christ même, qui est le Dieu supérieur à tout, et béni dans tous les siècles. Jésus-Christ est donc né d’eux», comme de Sion, « selon la chair », parce qu’ « il s’est fait homme en elle » ; parce que « le Christ, Dieu élevé au-dessus de tout, est béni dans tous les siècles » ; parce qu’ « il est le Très-Haut, et qu’il l’a fondée ». Parce qu’ «il est né d’eux, le Sauveur est fils de David »: il en est le Seigneur, parce qu’ « il est le Dieu supérieur à tout, et que tous les siècles le bénissent 3». Les paroles du Psalmiste, que nous venons de citer, appartiennent donc à tous ceux qui ont fait partie des habitants de cette ville depuis le jour du meurtre du juste Abel jusqu’à celui de l’assassinat de Zacharie: par le sang innocent du Précurseur des Apôtres, des martyrs, des chrétiens fidèles, de toutes les parties de cette ville, de tous les membres de cet homme qui est le Christ, un cri se fait
1. Ps. LXXXVI, 5.— 2. Rom. XI, 21. — 3. Rom. IX, 4,5.
4
entendre, cri unique: « Jusques à quand accablerez-vous un seul homme ? Faites-le tous mourir ». Nous verrons si vous pouvez le détruire et l’anéantir; nous verrons si vous êtes capables d’effacer son nom de la mémoire des hommes! O peuples, nous verrons si vous ne nourrissez pas de vains projets 1, lorsque vous dites: « Quand mourra-t-il? quand son nom sera-t-il effacé de dessus la terre 2?» Jetez-vous « sur cet homme, comme sur une muraille qui penche, comme sur une vieille maison qui va tomber en ruines » ; poussez-le avec violence. Ecoutez ce qu’il a dit tout à l’heure : « Dieu me protège, aussi ne serai-je plus ébranlé »; comme la vague pousse devant elle un monceau de sable, ainsi m’ont poussé les méchants; mais le Seigneur m’a reçu dans ses bras 3.
5. « Ils ont conspiré en eux-mêmes pour m’ôter ma gloire 4». Obligés de céder aux violences des méchants, les chrétiens tombent sous les coups de leurs persécuteurs, et néanmoins ils restent victorieux: le sang des martyrs est une semence féconde qui multiplie les fidèles; les ennemis de notre religion se voient forcés de respecter ses disciples le temps de les faire mourir est passé. « Cependant ils ont conspiré en eux-mêmes pour m’ôter ma gloire». Aujourd’hui il est impossible de répandre le sang chrétien , on s’acharne à les déshonorer. La gloire qui s’attache à leur nom est pour les impies la source d’intolérables tourments intérieurs: autrefois vendu par ses frères, transporté loin de son pays au milieu de nations figurées par l’Egypte, jeté honteusement en prison, accusé par le faux témoignage d’une femme, ce nouveau Joseph, ce Joseph spirituel, l’Eglise, a vu se réaliser en lui cette parole prophétique: « Le glaive a transpercé son âme 5 » mais aujourd’hui il est parvenu au faîte de la gloire; loin d’être soumis à ses frères, et vendu par eux, il soulage leur disette par l’abondance du froment qu’il leur distribue 6. Son humilité, sa chasteté, son incorruptibilité, ses afflictions, ses souffrances, lui ont fait remporter la victoire sur ses ennemis : ils sont témoins de l’honneur qui l’entoure, et cet honneur, ils voudraient l’en dépouiller. Ce passage de la sainte Ecriture: « Le pécheur verra », est présent à leur pensée. Ils ne
1. Ps. II, 1. — 2. Ps. XL, 6. — 3. Ps. CXVII, 13.— 4. Ps. LXI, 5.— 5. Ps. CIV, 18. — 6. Gen. XXXVII, XXXIX, XLI.
peuvent pas ne pas voir, puisqu’une ville, placée sur la montagne, se trouve forcément exposée à tous les regards 1. « Le pécheur verra » donc « et frémira de colère; il grincera des dents, et séchera de désespoir 2 ». Ils cachent dans le secret de leur coeur, mais leur visage ne trahit point au dehors la méchanceté qui les porte au mal et à la colère: voilà pourquoi le corps du Christ dépeint ainsi leurs pensées : « Ils ont conspiré en eux-mêmes pour m’ôter ma gloire ». Car ils n’osent pas dire ce qu’ils pensent. Quoiqu’ils nous souhaitent du mal, souhaitons-leur du bien: « Seigneur, jugez les: faites-les tomber du haut de leurs pensées 3». Y aurait-il, pour eux, rien de plus utile et de meilleur, que de tomber de l’endroit où ils se trouvent, où ils se sont élevés pour faire le mal? Cette chute leur inspirant des pensées tontes différentes, ils pourraient dire avec le Psalmiste: « Vous avez affermi mes pieds sur la pierre 4 ».
6. « Cependant ils ont conspiré en eux-mêmes pour me ravir ma gloire ». Tous se sont-ils déclarés contre un seul ? Un seul s’est-il déclaré contre tous? Tous se sont-ils levés contre tous? Un seul l’a-t-il fait contre un seul? Quand le Prophète dit: « Vous accablez un homme », il ne parle que d’un seul; et quand il ajoute: « Faites-le tous mourir», il indique une conspiration de tous contre un seul; lilais c’est, à vrai dire, une conspiration de tous contre tous, puisqu’elle est dirigée contre tous les chrétiens unis en un seul corps.
Maintenant, des diverses erreurs opposées au Christ, de ses différents ennemis, peut-on dire qu’ils ne font qu’un, ou doit-on les désigner sous le nom de tous? Oui, j’ose dire qu’ils ne font qu’un, car il y a une seule ville et une seule ville, un seul peuple et un seul peuple, un seul roi et un seul roi. Et quand je dis: Il y aune seule ville et une seule ville, j’entends une seule Babylone et une seule Jérusalem. Qu’on leur donne d’autres noms mystérieux, peu importe; car, eu réalité, il n’y a que deux villes, l’une qui a pour roi le démon, l’autre que gouverne le Christ. Il y a, dans l’Evangile, un passage qui me frappe singulièrement et dont le sens ne vous échappe point; le voici : Plusieurs personnes avaient été invitées aux noces, sans distinction aucune entre les bons et les méchants, et la salle du
1. Matth. V, 14.— 2. Ps. CXI, 10. — 3. Ps. V, 11. — 4. Ps. XXXIX. 3.
5
festin se trouvait remplie de convives, car des serviteurs avaient été envoyés de tous côtés avec ordre d’amener au repas tous ceux qu’ils trouveraient, sans faire attention à ceux qui le méritaient et à ceux qui en étaient indignes: le roi entra alors pour voir ceux qui étaient à table; et, apercevant un homme qui n’avait point la robe nuptiale, il lui adressa ces paroles que vous connaissez: « Mon ami, pourquoi es-tu venu ici, puisque tu n’as pas la robe nuptiale? Celui-ci garda le silence ». Le roi commanda qu’on lui liât les pieds et les mains, et qu’on le jetât dans les ténèbres extérieures. Ce malheureux fut donc enlevé de vive force de la salle du festin et précipité dans les tourments. Quel était cet homme? Quelle place tenait-il, quel nombre représentait-il au milieu de cette foule de convives? Le Seigneur a voulu nous faire comprendre que cet homme représentait à lui seul un corps composé d’un grand nombre de membres; après nous avoir dit que le roi donna ordre de jeter cet homme hors de la salle, et de le précipiter dans les tourments qu’il avait mérités, il a, en effet, immédiatement ajouté:
« Car il y en a beaucoup d’appelés, et peu d’élus 1 ». Comment? Vous avez invité au festin une foule d’hommes: un grand nombre s’y sont rendus: vous avez commandé, vous avez fait annoncer partout le repas des noces, le nombre des conviés s’est démesurément accru 2, la chambre nuptiale s’est trouvée remplie de convives, un seul d’entre eux a été exclu de l’assemblée, et vous dites: « Il y en a beaucoup d’appelés, et peu d’élus? » Ne serait-il pas plus exact de dire: Tous sont appelés, il y en a beaucoup d’élus: un seul a été renvoyé. Si le Seigneur disait : Beaucoup ont été appelés; la plupart d’entre eux ont été choisis; quelques-uns d’entre eux ont été réprouvés, il serait assez naturel de penser que ce petit nombre d’hommes réprouvés se trouvent représentés par l’homme qui fut seul exclu ; mas ce n’est pas ainsi qu’il s’exprime; il dit d’abord qu’un seul des invités a été renvoyé, puis il ajoute: « Il y en a beaucoup d’appelés et peu d’élus ». Si ceux qui sont restés dans la salle du festin ne sont pas les élus, où les trouver? L’homme réprouvé en a été chassé, les élus y sont restés: il y a peu d’élus, parce que ce malheureux réprouvé en représente, dans sa
1. Matth. XXII, 10-14. — 2. Ps. XXXIX, 6.
personne, une multitude d’autres. Tous ceux dont les désirs ne s’élèvent pas au-dessus de ce bas monde, qui préfèrent à Dieu les joies de la terre, qui cherchent leur avantage, et non la gloire de Jésus-Christ 1, tous ceux-là sont les citoyens d’une seule et même ville, de la Babylone mystique quia pour roi le démon; de même, cette autre ville, que le Christ gouverne, se compose de toutes les personnes animées de sentiments célestes, dont les pensées sont toutes spirituelles, qui vivent ici-bas avec tremblement, dans la crainte d’offenser Dieu; quis’efïorcent de ne point com mettre le péché, et ne rougissent point d’avouèr leurs fautes lorsqu’elles ont eu le malheur d’en commettre: en un mot, elle compte pour habitants les hommes humbles et doux, les chrétiens qui sont devenus saints, justes, pieux et bons. Babylone a paru la première en ce monde; mais si elle l’emporte par son ancienneté, elle est loin de l’emporter sous le rapport de l’excellence et de la gloire: elle est donc l’aînée Jérusalem est plus nouvelle; son existence date d’une époque moins éloignée de nous. La première remonte à Caïn, la seconde à Abel. A chacune de ces deux villes appartient une société d’hommes d’un caractère particulier, que gouverne un roi différent de l’autre ; toujours opposées l’une à l’autre, ces deux sociétés lutteront ensemble jusqu’à la fin du monde; aujourd’hui leurs membres se trouvent confondus ensemble, mais alors aura lieu leur séparation: les uns seront placés à droite, et les autres à gauche; aux uns l’on dira: « Venez, bénis de mon a Père, possédez le royaume qui vous a été préparé dès le commencement du monde»; et aux autres: « Allez au feu éternel, qui a été préparé pour le démon et ses anges 2». Elevé, le jour de son triomphe, au-dessus de tout, le Roi de la Ville sainte, le Christ dira à ses sujets : « Venez, bénis de mon Père, possédez le royaume qui vous a été préparé dès le commencement du monde ». A ceux qui seront à sa gauche, aux habitants de la ville des pécheurs, il tiendra un autre langage « Allez au feu éternel». Fera-t-il une distinction entre le roi de cette ville et ses sujets ? Non, car il ajoutera: « Qui a été préparé pour le démon et ses anges ».
7. Attention, mes frères; attention, je vous en prie: ce serait pour moi un véritable plaisir
1. Philip. II, 21. — 2. Matth. XXV, 34, 41.
6
de vous parler encore quelques instants de cette cité sainte, dont la pensée fait le charme de mon âme. En effet, ô cité de Dieu, on m’a dit de toi de bien belles choses 1. Si jamais, ô Jérusalem, ton souvenir s’efface de ma mémoire, que ma main droite tombe elle-même en oubli 2 ! Cette ville, dont le souvenir m’est si doux, est vraiment notre patrie: je ne dis pas assez, elle est notre seule patrie; tout ce qui se trouve en dehors d’elle n’est pour nous qu’un triste lieu d’exil. Je ne vous entretiendrai donc pas de choses qui vous soient inconnues: vous approuverez ce que je vais vous dire, car je ne ferai que raviver vos souvenirs ; vous connaissez d’avance l’objet de mes enseignements. L’Apôtre a dit: « Ce qui est spirituel n’a pas été formé le premier; ce qui est animal l’a été d’abord: ensuite est venu ce qui est spirituel 3 ». Puisque Caïn est né le premier, et qu’Abel est venu au monde après lui, Babylone est donc la plus ancienne 4. Mais, comme les deux fils d’Adam que nous venons de nommer, « l’aîné sera l’esclave du plus jeune » ; de même si Babylone l’emporte sur .Jérusalem par l’ancienneté, Jérusalem est bien supérieure à Babylone par la dignité 5. Mais pourquoi celle-ci a-t-elle existé avant celle-là? L’Apôtre nous le dit: « Ce qui est spirituel n’a pas été formé le premier : ce qui est animal l’a été d’abord; ensuite est venu ce qui est spirituel ». Et pourquoi Jérusalem l’emporte-t-elle en dignité sur Babylone? Parce que l’aîné sera l’esclave du plus jeune ». La sainte Ecriture nous apprend que Caïn bâtit une ville 6. On en était alors au commencement de toutes choses: les hommes n’avaient encore accompli aucun travail : nulle autre ville n’existait. Il est pour toi facile de le comprendre: Caïn et Abel comptaient déjà un grand nombre de descendants: leurs familles s’étaient suffisamment étendues pour pouvoir composer une société et former la population d’une ville. L’aîné des deux frères bâtit donc une ville, à une époque où il n’y en avait pas d’autre. Jérusalem, la ville sainte, cité et royaume de Dieu, ombre et figure de l’avenir, Jérusalem fut bâtie ensuite. Grand et ineffable mystère, indiqué dans ces paroles de saint Paul: « Ce qui est spirituel n’a pas été formé le premier; ce qui est animal l’a été d’abord; ensuite
1. Ps. LXXXVI, 3. — 2. Ps. CXXXVI, 5. — 3. I Cor. XV, 46. — 4. Gen. IV, 1, 2. — 5. Gen. XXV, 23. — 6. Gen. IV, 17.
est venu ce qui est spirituel ». Caïn fut donc le premier à édifier une cité, et il l’édifia quand il n’en existait pas encore d’autre. Mais, au moment où Jérusalem fut construite, on en voyait déjà une; elle porta d’abord le nom de Jébus, d’où est venu à ses habitants celui de Jébuséens. Cette ville tomba au pouvoir des ennemis: ils la soumirent à leur puissance et la détruisirent, et sur ses ruines, avec ses débris, on en éleva une nouvelle: c’était Jérusalem, la vision de paix, la cité de Dieu 1. Parce qu’on est enfant d’Adam, on n’est point pour cela citoyen de Jérusalem ses descendants traînent à leur suite les chaînes du péché, et comme conséquence de leur état de péché, ils en subissent la peine, ils sont condamnés à mourir. La vieille ville de Jébus les compte donc, en un sens, au nombre de ses habitants; mais s’ils veulent appartenir au peuple de Dieu, il faut qu’en eux le vieil homme soit détruit et fasse place au nouveau; com prenez-vous maintenant pour. quoi Caïn a bâti une ville à une époque où il n’y en avait pas encore? Chacun de nous est d’abord sujet aux passions mauvaises et à la mort, pour devenir bon ensuite: « car, de même que plusieurs sont devenus pécheurs par la désobéissance d’un seul, ainsi par l’obéissance d’un seul plusieurs deviendront justes 2». « Nous mourons tous en Adam 3 », et chacun de nous tire de lui son origine. Passons donc à Jérusalem; le vieil homme sera détruit en nous, et le nouveau y sera édifié. Comme il aurait pu parler aux Jébuséens au moment de la ruine de leur ville et de la construction de Jérusalem, l’Apôtre nous parle à nous-mêmes, et nous dit : « Dépouillez-vous du vieil homme, et revêtez-vous de l’homme nouveau 4 ». Et à tous ceux d’entre nous qui. font maintenant partie de Jérusalem, et qui brillent de l’éclat de la grâce, saint Paul dit encore: « Autrefois vous avez été ténèbres; « mais aujourd’hui, vous êtes lumière dans le Seigneur 5 ». La cité des méchants est donc aussi ancienne que le monde : elle durera jusqu’à la consommation des siècles ; les habitants de la cité de Dieu ne sont que des pécheurs convertis.
8. Les habitants de ces deux villes sont maintenant confondus ensemble; à la fin des temps ils seront séparés: une lutte acharnée règne
1. Jos. XVIII, 28.— 2. Rom. V, 19.— 3. I Cor. XV, 22.— 4. Colos. III, 9, 10. — 5. Eph. V, 8.
7
entre eux tous, car les uns combattent pour l’iniquité et les autres pour la justice; ceux-ci pour la vérité, ceux-là pour la vanité. Par suite de ce mélange temporaire des bons et des méchants, il arrive que des citoyens de Babylone dirigent les affaires de Jérusalem, comme parfois les habitants de Jérusalem ont entre les mains la direction des affaires de Babylone. La preuve de ce que j’avance vous paraît difficile à apporter; la voici néanmoins: Prenez patience; des exemples vous en convaincront. Suivant le langage de l’Apôtre, « tout » ce qui arrivait au peuple juif « était figure: et tout a été écrit pour nous servir d’instruction, à nous qui nous sommes rencontrés à la fin des temps 1 ». Portez donc votre attention et vos regards sur ce premier peuple qui a été l’image du peuple suivant, du peuple chrétien ,et vous toucherez du doigt la preuve de mes paroles. Il y eut à Jérusalem de mauvais rois, tout le monde le sait: on en connaît le nom et le nombre. Ils étaient donc tous, sans exception , des citoyens de Babylone , et pourtant ils gouvernaient Jérusalem, en dépit de leur méchanceté: ils devaient, plus tard, en être éloignés pour partager le sort des démons. Par contre, nous voyons à la tête de l’administration de Babylone des habitants de la cité de Dieu. Vaincu par le prodige dela fournaise ardente, Nabuchodonosor n’a-t-il point confié le gouvernement de son royaume aux trois jeunes hébreux ? Les satrapes eux-mêmes ne leur étaient-ils pas soumis? En réalité, l’autorité supérieure a donc été exercée à Babylone par des habitants de Jérusalem 2. Remarquez-le, mes frères : le même fait se reproduit encore, et de nos jours, dans l’Eglise. En effet, le Sauveur a dit : « Faites ce qu’ils enseignent, mais ne les imitez pas ». Tous ceux auxquels s’appliquent ces paroles, sont des citoyens de Babylone, qui dirigent les affaires de Jérusalem, De fait , s’ils n’étaient en rien chargés de l’administration de cette ville, dirait-on d’eux: « Faites ce qu’ils disent? Ils sont assis sur la chaire de Moïse ». Et, d’autre part, s’ils étaient du nombre des citoyens de Jérusalem, et destinés à régner éternellement dans les cieux avec Jésus-Christ, ajouterait-on: « Ne les imitez pas 3? » Non ; puisque cette sentence sera prononcée contre eux: « Retirez-vous de moi, vous tous qui êtes des ouvriers
1. I Cor. X, 11. — 2. Dan, III, 97. — 3. Matth. XXIII, 2, 3.
d’iniquité 1 ». Vous le voyez donc, les habitants de la cité des méchants se trouvent parfois à même de gérer les affaires de la cité des justes. Assurons-nous maintenant que le rôle rempli par les uns l’est aussi quelquefois par les autres. Tout gouvernement de ce monde doit périr un jour; sa puissance disparaîtra le jour où se manifestera cette puissance royale à laquelle nous faisons allusion, quand nous disons dans notre prière: « Que votre règne arrive 2 », et dont il a été prédit: « Et son règne n’aura pas de fin 3 ». Ce gouvernement terrestre a donc à sa tête des citoyens sortis de nos rangs. Que de fidèles, en effet, que de justes, dans les villes qu’ils habitent, remplissent les fonctions de magistrats, de juges, de ducs et de comtes, et sont revêtus de l’autorité royale ! Ils sont tous vertueux et bons; ils ne pensent qu’aux choses admirables que l’on dit de vous, ô bienheureuse cité 4! Pour eux, tout ce qu’ils font dans cette passagère Babylone est un embarras et une entrave: le docteur de la Cité de Dieu leur commande de garder la fidélité à leurs supérieurs, soit « au roi, comme ayant une autorité souveraine, soit aux gouverneurs, comme envoyés de sa part pour punir ceux qui font mal, et traiter favorablement ceux qui font bien ». S’ils servent des maîtres, ils doivent leur obéir 5 : chrétiens, ils doivent se montrer soumis aux païens; parmi eux l’homme vertueux est obligé de se montrer fidèle même aux méchants, quoique sa sujétion à leur égard soit purement temporaire, et que sa destinée soit de régner éternellement. Ainsi en sera-t-il jusqu’au moment où l’iniquité arrivera à son terme 6. Les serviteurs omit donc l’ordre de supporter l’autorité de leurs maîtres, même lorsqu’elle se montre injuste et méchante : il faut que les citoyens de Jérusalem supportent les habitants de Babylone, et leur montrent, si j’ose parler ainsi, plus de déférence que s’ils appartenaient eux-mêmes à la société des pécheurs, car en eux doit s’accomplir cette parole du Sauveur: Si l’on te commande « de marcher l’espace de mille pas, fais-en deux mille 7 ». C’est à cette Babylone, répandue eu tous lieux, dispersée jusqu’aux extrémités de la terre, confondue, pour le moment, avec Jérusalem, c’est à elle que s’adressent les paroles du
1. Luc, XIII, 27.— 2. Matth. VI, 10.— 3. Luc, I, 33.— 4. Ps. LXXXVI, 3. — 5. I Pierre, II, 13, 18. — 6. Ps. LVI, 2. — 7. Matth. V, 41.
8
Psalmiste: « Jusques à quand accablerez-vous un seul homme ? Faites-le tous mourir » . Vous tous qui êtes en dehors comme des épines dans les buissons, comme des arbres stériles dans les forêts, vous qui tenez au dedans la place de l’ivraie ou de la paille; qui que vous soyez, séparés déjà des bons ou mêlés encore avec eux, ou destinés à exercer encore la patience des justes, et à vous en voir un jour forcément éloignés, « faites-les tous mourir; jetez-vous sur moi comme sur un mur qui penche, comme sur une maison qui tombe en ruine. Ils ont conspiré en eux-mêmes pour me ravir mon honneur ». Ils ne l’ont pas dit; ils se sont contentés de le penser. « Ils ont conspiré en eux-mêmes pour me ravir mon honneur ».
9. « Dans l’excès de ma soif, j’ai couru ». Ils me rendaient le mal pour le bien 1. Ils me faisaient mourir, ils me repoussaient; pour moi, j’avais soif de leur salut; ils voulaient me ravir ma gloire, et moi je brûlais du désir d’en faire les membres de mon corps. Effectivement, lorsque nous buvons, que faisons-nous si ce n’est d’introduire dans notre corps, et de faire passer jusqu’à l’extrémité de nos membres, une humidité et une fraîcheur qui se trouvent hors de nous ? Ainsi agit Moïse avec la tête du veau d’or. Cette tète avait une signification prophétique et cachait un grand mystère, car elle représentait la société des méchants, qui par leur amour excessif des avantages temporels ne ressemblent que trop aux jeunes boeufs dont la plus grande jouissance consiste à manger l’herbe des champs 2. Car « toute chair n’est que de l’herbe 3 ». Parmi les Israélites, il y avait, comme je l’ai dit, une société d’impies. Vivement irrité de leur idolâtrie, Moïse jeta dans le feu la tête du veau d’or, la fit réduire en poussière, et jeta cette poussière dans de l’eau qu’il fit ensuite boire au peuple 4. La colère du législateur des Israélites fut elle-même une prophétie. Cette société des impies est jetée par Dieu dans le creuset des tribulations, et par sa parole il la réduit en poussière: car, peu à peu se dissipe leur union, elle s’use insensiblement, pareille à un vêtement qui vieillit; tous ceux qui deviennent chrétiens s’en séparent: ce sont, en quelque sorte, des grains de poussière qui se détachent de l’ensemble:
1. Ps XXXIV, 12. — 2. Ps. CV, 20. — 3. Isaïe, XL, 6. — 4. Exode, XXXII, 20.
unis les uns aux autres, ils sont les ennemis de la foi; dès qu’ils s’éloignent les uns des autres, ils l’embrassent avec empressement. Pouvait-il y avoir un signe plus clair des effets du baptême ? A l’aide de l’eau baptismale les hommes ne devaient-ils pas entrer dans le corps de cette Jérusalem spirituelle, dont le peuple juif était l’image? La société des pécheurs a été jetée dans l’eau, et ce mélange n’est-il pas devenu comme un breuvage destiné aux enfants d’Adam? Tel est le breuvage après lequel, dans l’ardeur de sa soif, soupirera jusqu’à la fin celui qui parle en ce psaume : il a soif , il s’élance , il boit une multitude d’âmes, et, pourtant, sa soif ne sera jamais étanchée: voilà pourquoi il disait à la Samaritaine : « Femme, j’ai soif, donne-moi à boire 1». Elle reconnut auprès du puits que le Christ avait soif, et ce fut lui qui la désaltéra ; elle reconnut la première de quelle nature était la soif du Fils de Dieu, et, par sa foi, elle l’étancha. Attaché à la croix, il dit : « J’ai soif 2 », et néanmoins les Juifs ne lui donnèrent point le breuvage qui pouvait le désaltérer. Il avait soif de leur salut, et ils ne lui offrirent que du vinaigre. Au lieu de lui donner de ce vin nouveau qui doit remplir des outres nouvelles, ils lui apportèrent du vin si vieux qu’il en était gâté et corrompu 3. Au vin corrompu on donne indifféremment le nom de vin vieux et celui de vinaigre; par là on désigne ceux qui demeurent dans le vieil homme, et dont il a été dit: « Pour eux, il n’y a pas de changement 4 ». Jamais ils ne seront détruits comme les Jébuséens, jamais on ne se servira d’eux pour bâtir Jérusalem 5.
10. A l’exemple de son divin chef, l’Eglise court altérée, depuis le commencement du monde, et jusqu’à la fin des temps la soif la poussera à courir toujours. N’aurait-on pas le droit de lui dire: O corps sacré de Jésus-Christ, ô sainte Eglise du Sauveur,d’où vous vient cette soif brûlante? que vous manque-t-il? Hé quoi! vous jouissez ici-bas d’une gloire sans égale; vous êtes environnée de l’éclat le plus brûlant; vous êtes parvenue au faîte de la grandeur; manquerait-il encore quelque chose aux prérogatives dont le Seigneur vous a enrichie jusqu’à présent? Vous voyez s’accomplir en vous cette prophétie : « Tous les rois de la
1. Jean, IV, 7. — 2. Jean, XIX, 28. — 3. Matth. IX, 17. — 4. Ps. LIV, 20. — 5. II Rois, V, 6.
9
terre l’adoreront, et toutes les nations seront «soumises à son empire 1». Pouvez-vous désirer davantage? Que souhaitez-vous encore? La multitude des peuples qui vous obéissent ne vous suffit-elle pas? Hélas, répondrait-elle, de quels peuples me parlez-vous? « Ils me bénissaient du bout des lèvres, et, dans le fond du coeur, ils me maudissaient. Il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus 2». Une femme affligée d’un flux de sang toucha la frange du vêtement de Jésus, et se trouva guérie : le Sauveur s’était aperçu qu’elle le touchait, car il avait senti qu’une vertu était sortie de lui pour la guérir; il s’étonna de l’action que cette femme s’était permise, et dit à ses disciples : « Qui est-ce qui m’a touché ? » Tout surpris d’une question pareille, ils lui répondirent : « Une foule énorme se presse autour de vous, et vous demandez qui est-ce qui a pu vous toucher? » Et il ajouta: «Quelqu’un m’a touché 3», comme s’il avait voulu dire: La foule me presse, mais une seule personne m’a touché. Ceux qui, dans les solennités de , Jérusalem, remplissent nos églises, profitent des fêtes de Babylone pour remplir les théâtres : cette foule immense sert, respecte et honore la foi de Jésus-Christ; mais de quelles personnes se compose-t-elle? De chrétiens qui participent aux sacrements du Sauveur, et qui, néanmoins, détestent ses commandements; de gens qui ne reçoivent pas ces sacrements de la loi nouvelle, parce qu’ils sont encore juifs ou païens : ils honorent, ils louent, ils prêchent la foi de Jésus-Christ; mais, en réalité, « ils ne la bénissent que du bout des lèvres ». Je ne m’arrête pas à leurs paroles, dit l’Eglise: Celui qui m’a éclairé de sa divine lumière sait qu’ « ils me maudissent dans le secret de leur cœur ». Ils me maudissent, dès lors qu’ils cherchent à me ravir ma gloire.
11. O Idithun, ô corps de Jésus-Christ, qui distancez ces impies, quelle sera votre ligne de conduite au milieu de tant de scandales? Que ferez-vous? Vous laisserez-vous aller au découragement ? Ne persévérerez-vous pas jusqu’à la fin? Quoiqu’il ait été dit que, « quand l’iniquité abondera, on verra se refroidir la charité », n’écouterez-vous pas ces autres paroles: « Celui qui persévérera jusqu’à la fin sera sauvé 4? » Les auriez-vous
1. Ps. LXXI, 11 — 2. Matth. XXII, 14. — 3. Marc, V, 25-31. — 4. Matth. XXIV, 13, 12.
inutilement devancés ? Et vos pensées ne s’élèveraient-elles plus vers le ciel 1? Les pécheurs sont affectionnés aux choses de la terre; citoyens et habitants de ce monde, ils n’ont de goût que pour lui; ils ne sont que de la terre; les serpents trouvent en eux leur nourriture. Que ferez-vous donc au milieu d’eux? Leurs pensées et leurs oeuvres sont opposées aux miennes; ils se jettent sur moi et cherchent à me renverser, comme on cherche à renverser un mur qui a perdu son aplomb: en dépit de leurs efforts, je leur apparais toujours droit et ferme; alors ils s’ingénient àme ravir ma gloire: de leur bouche sortent mes louanges, et ils me maudissent dans le secret de leurs âmes : partout où ils le peuvent, ils creusent des piéges sous mes pas, et ils ne manquent aucune occasion de me calomnier: « Quoi qu’il en soit, mon âme restera soumise au Seigneur 2 ». Qui est-ce qui pourra supporter tant de luttes ouvertes et cachées? Comment ne point défaillir au milieu d’un si grand nombre d’ennemis connus et de faux frères? Comment résister à de si difficiles épreuves? Un homme en est-il capable? Et s’il en a la force, est-ce en lui-même qu’il la trouve? Oh! si j’ai devancé mes ennemis, je ne m’en prévaus pas, car je ne veux pas que Dieu me frappe et m’humilie. « Mon âme sera soumise au Seigneur, car c’est de lui que me vient ma patience ». Au milieu de tant de scandales, qui est-ce qui peut me soutenir, sinon l’attente de ce que nous espérons sans le voir encore 3? La douleur m’accable aujourd’hui, bientôt sonnera pour moi l’heure du repos. La tribulation est maintenant mon partage: plus tard, je recouvrerai mon innocence. L’or brille-t-il de tout son éclat dans le creuset du joaillier? On le verra dans toute sa beauté, quand on l’emploiera à former un collier ou d’autres ornements; mais, auparavant, il lui faut passer par le creuset, pour se débarrasser de tout alliage et paraître au grand jour dans toute sa splendeur. Au creuset il y a de la paille, de l’or et du feu: le souffle de l’orfèvre s’y fait sentir, le feu prend à la paille et purifie l’or; la paille est réduite en cendres : l’alliage se sépare de l’or. Le creuset, c’est le monde; la paille n’est autre que les pécheurs: les justes tiennent la place de l’or, la tribulation fait l’office du feu ; le joaillier, c’est Dieu : ce que veut le
1. Philipp. III, 20. — 2. Ps. LXI, 6. — 3. Rom, VIII, 25.
10
joaillier, je le fais ; partout où il me place, je m’y tiens: mon devoir est de souffrir : à Dieu, de me purifier; la paille prendra feu, elle semblera destinée à me brûler et à me consumer; mais, en définitive, elle se réduira en cendres; pour moi, je sortirai des flammes débarrassé de toutes souillures. Comment cela? « Parce que mon âme sera soumise à Dieu, et que ma patience vient de lui ».
12. Quel est celui qui vous donne la patience? « Il est mon Dieu et mon Sauveur; il est mon protecteur, et je ne serai point ébranlé 1 » . « Il est mon Dieu », voilà pourquoi il m’appelle; « il est mon Sauveur», aussi me justifie-t-il: « Il est mon protecteur », il me glorifiera donc: sur la terre ont lieu ma vocation et ma justification; ma glorification se fera dans le ciel « jamais je n’en sortirai » ; ici-bas je me trouve dans un lieu d’exil, où je n’aurai point de séjour permanent: plus tard, je m’en éloignerai pour entrer dans une demeure éternelle. Je ne suis maintenant auprès de vous qu’un étranger sur la terre, à l’exemple de tous mes ancêtres 2. Je sortirai donc du lieu de mon pèlerinage ; mais mon habitation céleste, je ne la quitterai pas.
13. « J’attends de Dieu mon salut et ma gloire 3 ». En Dieu je trouverai mon salut et ma gloire, j’y puiserai l’un et l’autre: le salut, parce que sa grâce me sépare des impies et me rend juste 4; la gloire, parce qu’après m’avoir justifié, il me conduira à l’honneur des élus. En effet, « Dieu a appelé ceux qu’il a prédestinés » ; et pourquoi les a-t-il appelés? Il a justifié ceux qu’il « a appelés, et ceux qu’il a justifiés, il les a comblés de gloire 5 ». La justification aboutit au salut, et la glorification à l’honneur éternel. Qu’il en soit ainsi de la glorification, il est inutile de le prouver, cela est évident. Pour ce qui concerne la justification, nous allons essayer de le démontrer. Cette démonstration est d’autant plus facile que nous la trouvons dans I’Evangile. Certaines personnes qui se croyaient justes, blâmaient le Sauveur de ce qu’il s’asseyait à la table des pécheurs, et prenait ses repas avec des publicains et des hommes de moeurs relâchées. Que répondit le Sauveur à ces personnes orgueilleuses, à ces forts de la terre qui s’élevaient avec tant d’insolence, à ces gens qui se glorifiaient de la santé
1. Ps. LXI, 7.— 2. Ps. XXXVIII, 13. — 3. Ps. LXI, 8.— 4. Rom. IV, — 5. Rom. VIII, 30.
plus factice que réelle de leur âme? « Ceux qui se portent bien n’ont pas besoin de médecin: il n’est nécessaire que pour les malades u. A ses yeux, quels hommes se portent bien? quels hommes sont malades ? Le voici, car il ajoute: « Si je suis venu, c’est pour appeler, non pas les justes, mais les pécheurs 1». Suivant•lui, ceux qui jouissent d’une bonne santé, ce sont les justes; or, au lieu d’être effectivement justes, les Pharisiens se contentaient de croire qu’ils l’étaient: aussi, en concevaient-ils de l’orgueil, et partaient-ils de là pour reprocher aux malades la présence et les soins du médecin: toutefois, ils devinrent eux-mêmes si malades, qu’ils firent mourir ce médecin. Quoi qu’il en soit, le Sauveur donna aux justes le nom de sains, et celui de malades aux pécheurs. Celui qui a devancé les impies, s’exprime donc ainsi : Dieu lui-même est l’auteur de ma justification, et si plus tard je suis glorifié, il en sera encore la cause: « J’attends de Dieu mon salut et nia gloire »; « mon salut», pour être sauvé ; « ma gloire », pour être glorifié. Mais puisque je ne saurais parvenir, dès maintenant, à la gloire, que me reste-t-il pour le moment? « En Dieu, je trouverai du secours, car il sera la source de mon espérance », jusqu’au jour où je parviendrai à la justification et au salut; car nous « ne sommes sauvés que par l’espérance, et l’on n’espère pas ce que l’on voit 2», jusqu’au jour où j’entrerai dans cette gloire ineffable, dans le royaume du Père éternel, où les justes brilleront de l’éclat du soleil 3. En attendant ce jour fortuné, Idithun se trouve environné de tentations, d’iniquités, de scandales, d’hommes qui le combattent ouvertement, qui s’efforcent de le tromper par leurs paroles menteuses, qui le bénissent de bouche et le maudissent de coeur, qui veulent lui ravir sa gloire; il s’écrie: « En Dieu je trouverai mon Sauveur », parce qu’il soutient ceux qui combattent. Contre qui avons-nous à combattre? « Nous avons à combattre, non contre des « hommes de chair et de sang, mais contre les « principautés et les puissances 4. En Dieu « donc je trouverai mon secours : il est la source de mon espérance ». J’espère, car les biens qu’il m’a promis ne sont pas devenus mon partage : je crois, parce que je ne vois pas encore l’objet de ma foi. Lorsque
1. Matth. IX, 12, 13. — 2. Rom. VIII, 24. — 3. Matth. XIII, 43. — 4. Eph. VI, 12.
11
enfin je le posséderai , je serai sauvé et glorifié; avant que luise pour nous ce jour fortuné, Dieu ne nous abandonnera pas quoiqu’il diffère de nous accorder ses dons éternels, il n’en est pas moins « mon soutien et la source de mon espérance».
14. « O peuples, espérez tous en lui 1 ». Imitez Idithun; devancez vos ennemis: laissez
bien loin derrière vous ceux qui vous résistent, qui s’opposent à votre marche vers le ciel, qui vous haïssent. « O peuples, espérez tous en lui, répandez vos coeurs en sa présence ». Ne vous laissez point aller au découragement, quand on vous dira: Où est donc votre Dieu? « Mes larmes», a dit le Prophète, « sont devenues mon pain durant le jour et pendant la nuit, parce qu’on me dit tous les jours: Où est ton Dieu? » Et il a ajouté: « J’ai fait de cela le sujet de mes réflexions, et j’ai répandu mon âme pour l’élever au-dessus de moi 2 », J’ai gardé le souvenir de ce que j’ai entendu: « Où est ton Dieu? » je me le suis rappelé, et j’ai répandu mon âme pour l’élever au-dessus de moi ». Je cherchais Dieu, et, pour parvenir jusqu’à lui, je suis sorti de moi-même, j’ai répandu mon âme et l’ai élevée au-dessus de moi. « O peuples, espérez donc tous en lui; répandez vos coeurs en sa présence », et, pour cela, priez, confessez vos fautes, livrez-vous à l’espérance. Ne retenez pas vos coeurs, ne les emprisonnez pas en eux-mêmes, « répandez-les en sa présence »; pour les répandre ainsi, vous ne les perdrez pas, Car il est mon protecteur ». S’il te protége, que craindrais-tu à répandre le tien? Décharge-toi de toutes tes peines sur le Seigneur 3, et mets en lui ton espérance. « Répandez vos coeurs en sa présence; il est notre soutien ». Pourquoi craindre les calomniateurs et les médisants qui vous environnent? Dieu les déteste 4. S’ils le peuvent, ils vous attaquent ouvertement: quand ils en sont incapables, ils vous tendent des piéges: ils feignent de vous louer: en réalité, ils vous maudissent, parce qu’ils sont vos ennemis; mais, encore une fois, pourquoi les craindre? « Dieu est notre soutien » . Sont-ils de force à lutter avec lui? Sont-ils plus puissants que lui? « Dieu est notre soutien ». Soyez donc tranquilles. Si Dieu est pour nous, qui est-ce qui sera contre nous 5?. « Répandez vos coeurs en sa présence », en
1. Ps. LXI, 9.— 2. Ps. XLI, 4, 5.— 3. Ps. LIV, 23.— 4. Rom. I, 29, 30 — 5. Rom. VIII, 31.
vous approchant de lui, en élevant vos âmes jusqu’à lui. « Dieu est notre soutien ».
15. Puisque vous êtes parvenus en lieu sûr, puisque vous êtes protégés contre vos ennemis par une tour inexpugnable, prenez pitié de ceux qui vous inspiraient de la crainte vous, aussi, vous devez éprouver les ardeurs de la soif, et courir: placés dans la forteresse, regardez les adversaires d’un oeil de commisération, et dites: « Toutefois, les hommes « sont vains, les enfants des hommes sont menteurs 1 ». Enfants des hommes, jusques à quand aurez-vous le coeur pesant? Vous êtes vains, enfants des hommes, vous êtes menteurs: pourquoi donc aimez-vous la vanité ? Pourquoi allez-vous à la recherche du mensonge 2 ? Tenez-leur ce langage imprégné de compassion et de sagesse. Si vous avez devancé vos ennemis, si vous les aimez, si vous ne prétendez détruire en eux le vieil homme qu’alla d’y faire naître l’homme nouveau, si vous aimez celui qui juge les nations et relève les ruines 3, tenez-leur ce langage; mais, en leur parlant de la sorte, ne vous laissez point conduire par les sentiments de haine, ne cherchez point à rendre le mal pour le mal 4. « Les enfants des hommes sont trompeurs dans leurs balances; ils s’accordent ensemble dans la vanité ». Ils sont en grand nombre, mais en définitive ils ne font qu’un, et l’homme qui les représente tous dans sa personne, est celui-là même qui a été chassé du festin des noces 5 . Ils sont tous d’accord pour rechercher les avantages de ce monde; ils sont tous charnels et ne veulent que les plaisirs de la chair; et s’ils espèrent quelque chose pour l’avenir, leurs espérances sont aussi toutes charnelles. Divisés, pour tout le reste, en une multitude de partis différents, ils ne font plus qu’un dès qu’il s’agit de la vanité. Leurs erreurs sont innombrables, et se manifestent avec une surprenante variété de formes: un royaume ainsi divisé ne saurait subsister longtemps 6; mais, en eux tous on remarque un penchant égal et pareil de tous points pour la vanité et le mensonge, un dévouement absolu pour le même roi, pour ce maître avec lequel ils seront éternellement condamnés au feu 7. « Ils s’accordent ensemble dans la vanité ».
16. Mais voyez quelle soif Idithun ressent
1. Ps. LXI, 10. — 2. Ps. IV, 3. — 3. Ps. CIX, 6. — 4. Rom. XII, 17. — 5. Matth. XXII, 13. — 6. Matth. XII, 25. — 7. Matth. XXV, 41.
12
à leur endroit : voyez avec quelle ardeur il court vers eux dans l’excès de sa soif. Altéré du désir de leur salut, il se tourne vers eux et leur dit : « Ne mettez point votre espérance dans l’iniquité ». Pour moi, je mets la mienne en Dieu. « Ne mettez point votre espérance dans l’iniquité 1».Vous tous qui ne voulez ni vous approcher, ni marcher plus vite que les méchants, prenez garde; « ne mettez point votre espérance dans l’iniquité ». Je vous ai devancés: j’ai placé mon espérance dans le Seigneur: « l’iniquité se trouve-t-elle en lui 2?» « Ne mettez point votre espérance dans l’iniquité». — Faisons ceci; agissons encore de telle autre manière; pensons aussi à cela: tendons telle embûche: voilà bien le langage de ceux qui s’accordent dans la vanité. Pour toi, tu es altéré; par ceux qui ont déjà servi à étancher ta soif, tu as appris à connaître ceux qui nourrissent contre toi de pareilles pensées. « Ne mettez point votre espérance dans l’iniquité ». Elle est vaine, ce n’est rien ; la puissance n’appartient qu’à la justice. On peut, pour quelque temps, obscurcir la vérité: jamais on ne sera à même d’en triompher complètement. L’iniquité peut momentanément fleurir, mais son éclat est de courte durée. « Ne mettez point votre espérance dans « l’iniquité, ne désirez point commettre la rapine ». Tu n’es pas riche, et tu veux t’emparer du bien d’autrui? Que gagnes-tu? Que perds-tu? O ruineux bénéfice! Tu gagnes de l’argent, et tu perds la justice. « Ne désirez point commettre la rapine». — Je suis pauvre, je n’ai rien.—Voilà pourquoi tu veux te rendre voleur? Tu vois ce que tu dérobes, et tu ne vois pas de qui tu deviens la proie? Ignores-tu donc que l’ennemi rôde autour de toi comme un lion rugissant, et qu’il cherche à te dévorer 3? Le bien d’autrui que tu veux t’approprier , est dans une souricière ; tu le prends et tu es pris. O pauvre, ne désire donc point commettre la rapine; que tes désirs se portent vers Dieu, car de lui nous viennent les choses nécessaires à la vie 4. Il t’a créé, il te nourrira. Le voleur reçoit de lui sa nourriture, et il laisserait mourir de faim un innocent? Il pourvoira à la subsistance, car il fait lever le soleil sur les bons et sur les méchants, et tomber la pluie sur les justes et les pécheurs 5. Si sa main bienfaisante s’ouvre
1. Ps. LXI, 11. — 2. Rom. IX, 14. — 3. I Pierre, V, 8. — 4. I Tim. VI, 17. — 5. Matth. V, 45.
pour ceux qui doivent être réprouvés, se fermera-t-elle pour les futurs élus ? Ne désirez donc point commettre la rapine. Ceci soit dit au pauvre, qui peut-être ne devient voleur que sous l’influence de la nécessité. Voici maintenant pour le riche. Je n’éprouve, dit-il, aucun besoin de manquer à la probité: rien ne me manque; je me trouve dans l’abondance. O riche, prête aussi l’oreille à la voix du Prophète: « Si vous possédez d’abondantes richesses, n’y attachez pas votre coeur». L’un est riche, l’autre n’a rien; que celui-ci ne cherche pas à s’approprier les biens qui ne sont pas à lni;que celui-là ne s’affectionne pas à ce qu’il possède. « Si vous avez d’abondantes richesses, n’y attachez pas votre coeur ». C’est-à-dire, si elles surabondent chez toi, si elles semblent y couler comme de source, puissent-elles ne point t’inspirer une folle confiance en toi-même ! Puisses-tu ne pas y accoler ton coeur! « Si tu as d’abondantes « richesses», prends-y garde: tu n’as pas moins à craindre que le pauvre. Ne vois-tu pas, en effet, que si tu leur donnes tes affections, tu passeras comme elles? Tu es riche, tu ne désires plus rien, parce que ta fortune est grande. Ecoute l’Apôtre parlant à Timothée: « Recommande aux riches de ce monde de ne point être orgueilleux » ; et, pour expliquer ces paroles du Psalmiste: « N’y attachez pas votre cœur », il ajoute: « Et de ne pas mettre leur confiance en des biens incertains 1. Si vous avez d’abondantes richesses, n’y attachez » donc « pas votre coeur » : n’y mettez pas votre confiance, n’en concevez nul orgueil; qu’elles ne soient point le mobile de vos espérances, car on dirait de vous : « Voilà un homme qui n’a pas attendu de Dieu son secours, mais qui a placé sa confiance dans ses grandes richesses, et mis sa force dans la vanité 2 ». O vous, enfants des hommes, qui êtes vains et menteurs, ne commettez point de rapines, et, sites richesses abondent chez vous, n’y attachez pas votre coeur; n’aimez donc plus la va imité, ne cherchez plus le mensonge ! Heureux l’homme qui a mis son espérance dans le Seigneur Dieu, et qui ne porte son attention ni sur la vanité, ni sur les trompeuses folies du monde 3! Vous aspirez à devenir trompeurs, vous voulez commettre une fraude? De quoi vous servez-vous? De fausses balances. Car, dit le Psalmiste, « les enfants
1. I Tim. VI, 17. — 2. Ps. LI, 9. — 3. Ps. XXXIX, 5.
13
des hommes trompent avec leurs balances». Ils cherchent à induire les autres en erreur en se servant de fausses balances. Vous trompez, par de mensongères apparences, ceux qui vous regardent; mais il y en n un autre pour peser: il y en a un autre pour juger du poids; l’ignorez-vous? Celui pour lequel vous employez une balance fausse ne s’aperçoit pas de votre supercherie; mais elle est connue de celui qui vous pèse tous les deux suivant les règles de son incorruptible justice. Ne désirez donc ni fraude ni rapine; ne mettez donc pas davantage votre espérance dans ce que vous possédez ; .je vous en avertis, je vous en préviens. Tel est le langage que vous tient Idithun.
17. Mais continuons : « Dieu a parlé une fois, et j’ai entendu ces deux choses: la puissance est à Dieu, et la miséricorde vous appartient, Seigneur; vous rendrez à chacun selon ses oeuvres 1 ».Voilà ce que dit Idithun. Du lieu élevé où il était parvenu, il a entendu une voix et il nous a répété ce qu’elle lui a dit. Mes frères, ses paroles me surprennent et me troublent ; aussi, je vous en conjure, veuillez me prêter toute votre attention, car je vais vous faire part de la crainte et de l’espérance qu’elles m’inspirent. Par la grâce de Dieu nous sommes parvenu à vous expliquer ce psaume dans tout son entier; nous n’avons plus à développer que le dernier verset, et quand nous l’aurons fait, il ne nous en restera pius rien à dire. Veuillez donc vous joindre à moi; efforçons-nous de comprendre ce passage, autant, du moins, que nous le pourrons. S’il m’est impossible d’en pénétrer parfaitement le sens, et qu’un autre parmi vous en soit capable, j’en ressentirai plus de joie que d’envie. Il est difiicile de comprendre comment, après avoir dit d’abord « que Dieu a parlé une fois », le Prophète ajoute que, néanmoins, « il a entendu deux choses ». Si, en effet, il avait dit: Le Seigneur a parlé une fois, et j’ai entendu une chose, la difficulté serait à moitié résolue; nous n’aurions plus qu’à pénétrer le sens de ces paroles : « Dieu a parlé une seule fois » . Nous avons donc deux questions à traiter: l’une relative à ces mots: « Dieu a parlé une fois » ; l’autre concernant ces paroles : « J’ai entendu deux choses», et la contradiction qui semble exister entre ces deux passages.
18. « Dieu a parlé une fois ». Que dis-tu, ô
1. Ps. LXI, 12, 13.
Idithun? Toi qui as devancé les impies, est-ce bien ton langage? « Dieu a parlé une seule fois? » Je consulte l’Ecriture, et elle me dit en un autre endroit: « Dieu a parlé souvent, et en plusieurs manières à nos pères, par les Prophètes 1 » Pourquoi donc dire: « Dieu a parlé une seule fois? » N’est-ce pas ce même Dieu qui a parlé à Adam dès le commencement du monde? N’est-ce pas le même Dieu qui a parlé à Caïn, à Noé, à Abraham, à Isaac, à Jacob, à Moïse et à tous les Prophètes? A lui seul, Moïse n’a-t-il pas souvent entendu la parole du Seigneur? Dieu a donc conversé avec plusieurs hommes, et bien des fois. Il a aussi parlé à son Fils, pendant qu’il vivait sur la terre; il lui a dit: « Tu es mon fils biens aimé 2 ». Il a encore parlé aux Apôtres et à tous les saints; et si sa voix ne retentissait pas du haut du ciel, elle se faisait, du moins, entendre au fond du coeur; car c’est là que le Seigneur s’adresse particulièrement aux hommes pour les instruire. Aussi David disait-il: « J’écouterai ce que le Seigneur Dieu me dira dans le secret de mon âme, parce qu’il adressera des paroles de paix à son peuple 3 ». Qu’est-ce donc à dire: « Dieu a parlé une seule fois? » Idithun s’était élevé bien haut, puisqu’il était parvenu à l’endroit où Dieu n’a parlé qu’une fois. Je vais, en deux mots, expliquer à votre charité ma pensée tout entière. Sur la terre, sans doute , au milieu des hommes, Dieu a parié maintes fois, en différentes manières, en plusieurs endroits, par l’organe d’une foule de créatures diverses; mais, en lui-même, il n’a parlé qu’une fois, parce qu’il n’a engendré qu’un Verbe. Idithun, en devançant ses ennemis, s’était donc élevé, par la force pénétrante, par la vivacité , pleine de hardiesse et de confiance, de son esprit, au-dessus de ce monde et de tout ce qu’il renferme ; il s’était élevé au-dessus des airs et des nuages, du sein desquels le Seigneur avait parlé souvent et à une multitude d’hommes: il s’était élevé par l’essor puissant de sa foi, même au-dessus des anges: car, pareil à l’aigle, il avançait toujours, et, méprisant les régions terrestres, il s’élançait par-delà les nuées qui enveloppent l’univers, et dont la Sagesse a dit : « J’ai couvert toute la terre d’une nuée 4 ». Après avoir laissé bien loin derrière
1. Hébr. I, 1. — 2. Matth. III, 17. — 3. Ps. LXXXIV, 9. — 4. Eccli. XXIV, 6.
14
lui toutes les créatures, brûlant du désir de trouver Dieu, répandant son âme au-dessus de lui, il était enfin parvenu à un ciel pur; il était arrivé jusqu’au Principe,jusqu’au Verbe, Dieu en Dieu: alors il trouva l’unique Verbe d’un Père unique; alors il comprit que Dieu n’a parlé qu’une fois, alors il vit le Verbe, par qui tout a été fait 1, et en qui toutes choses subsistent ensemble, dans leur entier, sans inégalité aucune. Car Dieu savait parfaitement ce qu’il faisait par son Verbe, et puisqu’il le savait, ce qu’il faisait était donc en lui avant d’exister. Si les choses, qu’il a créées, ne se trouvaient pas en lui, avant de sortir du néant, comment aurait-il pu connaître ce qu’il faisait ? Mais est-il possible de dire que Dieu faisait des choses sans les connaître d’avance? Les créatures étaient donc en lui comme dans leur archétype. Si, maintenant, on ne peut avoir la connaissance d’un objet qu’après sa création, par quel moyen a-t-il eu cette connaissance? Remarquez-le, mes frères, ce sont les créatures seules, c’est vous, ce sont les hommes sortis du néant et placés en ce bas monde, qui ne connaissent pas les oeuvres de Dieu, tant qu’elles n’ont pas apparu à leurs regards; pour le Créateur, elles n’avaient rien de caché, même quand elles étaient encore au nombre des êtres possibles:
lorsqu’il les a faites, il les connaissait donc. Avant leur création, toutes choses étaient, par conséquent, dans le Verbe, qui les a faites. Et depuis le jour où elles sont sorties du néant, elles sont encore dans le même Verbe, mats elles ne sont de la même manière ni dans le Verbe, ni dans le monde: elles sont, en effet, dans l’état où elles se trouvent, tout autres que dans l’idée de l’Eternel artiste qui les a créées. Qui est-ce qui pourra expliquer de tels mystères ? Nous essayons de le faire; mais suivez Idithun, et voyez vous mêmes.
19. Dieu n’a parlé qu’une fois: nous l’avons démontré de notre mieux; voyons maintenant comment Idithun a entendu deux choses : « J’ai entendu deux choses ». De ces paroles il ne suit pas nécessairement qu’il n’ait entendu que deux choses: « J’ai », dit-il, « entendu deux choses ». Tirons-en donc cette seule conséquence: Il a entendu deux choses qu’il nous est utile de savoir. Peut-être en a-t-il entendu beaucoup d’autres
1. Jean, I, 3.
qu’il est inutile de nous dire. Le Seigneur ne s’est-il pas exprimé en ce sens ? « J’ai beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez maintenant les comprendre 1 ». Que veut donc dire le Prophète par ces paroles: « J’ai entendu deux choses? » Je vous les ferai connaître; mais, faites-y bien attention, si je vous parle, ce ne sera pas en mon nom, mais de la part de celui que j’ai entendu. « Dieu a parlé une seule fois» ; il n’a engendré qu’un seul Verbe, son Fils unique, Dieu comme lui. Toutes choses sont en ce Verbe, parce que tout a été fait par lui: il n’a engendré qu’un seul Verbe, en qui sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la science 2. Il n’a engendré qu’un seul Verbe, « il n’a parlé qu’une seule fois». En lui, « j’ai entendu les deux choses » que je vais vous dire: elles ne viennent pas de moi, je ne vous les rapporterai donc pas comme de moi: voilà pourquoi je vous dis que « je les « ai entendues. L’ami de l’époux se tient à côté « de lui et l’écoute 3», afin de dire la vérité. Il l’écoute, afin de ne point parler de lui-même, et de ne pas dire de faussetés 4. Tu n’auras donc point le droit de me dire: Qui es-tu, pour me parler ainsi ? Pourquoi me tiens-tu ce langage, car j’ai entendu ces deux choses : je t’en parle, parce que je les ai entendues, comme j’ai appris que Dieu a parlé une seule fois. J’ai entendu ces deux choses, qu’il t’est nécessaire de savoir: à force de m’élever au-dessus de toutes les créatures, je suis parvenu jusqu’au Verbe unique de Dieu, et j’ai appris en lui que le Seigneur a parlé une seule fois: tu ne dois donc pas mépriser mes paroles.
20. Qu’il nous rapporte donc enfin ces deux choses, car il nous importe singulièrement de les connaître. « La puissance est à Dieu : Seigneur, la miséricorde vous appartient». La puissance et la miséricorde, sont-ce bien là les deux choses dont il a. entendu parler? Oui, sans doute: comprenez donc bien ce que c’est que la puissance et la miséricorde de Dieu; Toutes les Ecritures se rapportent, à vrai dire, à ces deux points. Telles sont les causes de la mission des Prophètes, de la vocation des patriarches, de la promulgation de la loi, de l’Incarnation même de Notre-Seigneur
1. Jean, XVI, 12. — 2. Coloss. II, 3. — 3. Jean, III, 29. — 4. Jean, VIII, 44.
15
Jésus-Christ, du ministère des Apôtres, de la prédication et de la glorification de la parole de Dieu dans l’Eglise: oui, en voilà les deux causes: la puissance et la miséricorde divines. Craignez sa puissance , aimez sa miséricorde. N’ayez pas en sa miséricorde une confiance telle que vous méprisiez sa puissance: ne redoutez pas, non plus, sa puissance, au point de perdre toute confiance en sa miséricorde. L’une et l’autre se trouvent en lui à un égal degré. Il humilie celui-ci, il élève celui-là; par sa puissance il abaisse l’un, il élève l’autre par sa miséricorde 1. « Dieu voulant manifester sa juste colère et faire voir sa puissance, souffre, avec une patience infinie, les vases de colère destinés à la perdition ». Voilà pour sa puissance; voici pour sa miséricorde : « Afin de faire connaître les richesses de sa bonté envers les vases de miséricorde qu’il a préparés pour la gloire». C’est donc le propre de sa puissance de condamner les pécheurs. Et personne n’osera lui dire: Qu’avez-vous fait? « Car, ô homme, qui es-tu pour te permettre d’accuser Dieu 2? » Que sa puissance t’inspire donc la crainte, et te fasse trembler; mais que sa miséricorde anime ta confiance. Le démon, lui aussi, est une puissance; mais le plus souvent, quand il veut faire du mal, il est réduit à l’impuissance, parce qu’il dépend d’un pouvoir supérieur. De fait, si le démon pouvait faire autant de niai qu’il le désire, tous les justes disparaîtraient; il ne laisserait pas un fidèle en ce monde. Par l’intermédiaire des vases de perdition, il se précipite sur eux comme sur un mur qui penche; toutefois il ne l’ébranle qu’autant que Dieu le lui permet: le Seigneur lui-même soutiendra ce mur, afin qu’il ne croule pas; car, en donnant au démon le pouvoir de tenter l’homme, il accorde à celui-ci son bienveillant secours. Le pouvoir d’éprouver les justes n’appartient donc à Satan que dans une certaine mesure. « Vous nous ferez boire avec mesure les larmes qui couleront de nos yeux », dit le Prophète 3. Parce que Satan a reçu l’autorisation de te maltraiter, n’en conçois aucune appréhension, car tu as un Sauveur rempli de bonté pour toi. Si donc il te tente, c’est pour ton bien c’est pour t’exercer , t’éprouver et t’aider à te connaître toi-même. D’où peut, en effet,
1. Ps. LXXIV, 8. — 2. Rom. IX, 22, 23, 26. — 3. Ps. LXXIX, 6.
nous venir la tranquillité, sinon de la puissance et de la miséricorde divines? Où pouvons-nous trouver la sécurité, sinon à cette source féconde? Car l’Apôtre a dit: « Dieu est fidèle , et il ne permet pas que vous soyez tentés au-dessus de vos forces 1 ».
21. « A Dieu donc appartient la puissance. Car toute puissance vient de Dieu 2 »; ne dis donc pas : Pourquoi le Seigneur donne-t-il au démon une pareille puissance? Ne devait-il pas lui refuser tout pouvoir ? — Celui qui accorde la puissance est-il dépourvu de justice? Tu peux murmurer injustement contre lui; pour lui, jamais il ne perdra l’équité. « Y a-t-il de l’injustice en Dieu? Non 3». Il faut bien t’en persuader: puisse ton ennemi ne jamais réussir à t’en faire perdre la mémoire! Les motifs qui portent Dieu à agir de telle ou telle manière, tu peux ne pas les connaître; mais il est sûr que la justice même ne peut se rendre coupable d’injustice. Tu accuses le Seigneur d’injustice: mais discutons ensemble un instant, et prête-moi ton attention. Tu l’accuses d’injustice:connais-tu les règles de la justice ? Pour porter une telle accusation sans blesser le droit, il est indispensable de savoir toutes les lois de la justice: il faut comparer ensemble l’équité et l’injustice. Comment, en effet, saurais-tu qu’une chose est injuste, si tu ne sais pas ce qui est juste? Qui est-ce qui sait si ce que tu appelles un procédé inique n’est pas de tous points conforme aux règles du droit? — Non, dis-tu, je maintiens mon opinion. Et tu le soutiens avec autant de fermeté que si tu le voyais de tes propres yeux; tu te prononces avec autant d’assurance dans le sens de l’injustice, que si tu tenais en tes mains l’infaillible règle de la justice et que l’appliquant à la conduite de Dieu, tu aperçusses une différence entre les deux. A t’entendre, ne croirait-on pas avoir devant soi uu expert chargé de discerner entre la ligne droite et celle qui ne l’est pas? Je t’adresse donc cette question: Comment sais-tu que telle chose est juste? Où est cette règle de justice dont la présence t’apprend que telle autre est injuste? D’où vient ce je ne sais quoi, dont ton âme se trouve de toutes parts imprégnée, même au sein des ténèbres, ce je ne sais quoi qui éclaire ton esprit? D’où sort notre règle de justice ? N’aurait-elle ni source ni
1. I Cor. X, 13. — 2. Rom. XIII, 1. — 3. Rom. IX, 14.
16
principe? Diras-tu qu’elle a son principe en toi-même? Es-tu capable de te la donner? Personne ne peut te donner ce qu’il n’a pas. Si donc tu es injuste, tu ne peux devenir juste qu’en te conformant à une règle immuable de justice; tu deviens injuste dès que tu t’en éloignes: si tu t’en approches, tu deviens équitable. Que tu t’en éloignes, que tu t’en approches, elle est toujours la même. Où réside-t-elle donc? Sur la terre? Non. Si tu cherchais à y trouver de l’or ou des pierres précieuses, à la bonne heure; mais, ne l’oublie pas, nous parlons de la justice. La chercheras-tu dans la vaste profondeur des mers, au sein des nuages, dans les étoiles, parmi les Anges? Sans doute, elle habite au milieu des Anges, mais ils la puisent eux-mêmes à sa source; elle se trouve en chacun d’eux, et elle ne procède toutefois que d’un seul principe. Elève donc tes regards, monte au ciel, dirige-toi vers l’endroit où Dieu n’a parlé qu’une fois, et tu trouveras la source de la justice là ou se trouve la source de la vie. « Parce qu’en vous, Seigneur, est la source de la vie 1». De ce qu’avec tes faibles lumières tu crois pouvoir prononcer entre le juste et l’injustice, il ne suit nullement que l’injustice se rencontre en Dieu: trop souvent tu te trompes dans tes appréciations; mais quand elles sont justes, à quoi le dois-tu, sinon à un rayon de la justice divine qui est descendu sur toi? En lui donc se trouve la source de la justice. Ne cherche pas l’iniquité où l’on rencontre la pure lumière. Il est très-possible que tu ignores la raison des choses. S’il en est ainsi, accuse ton ignorance ; souviens-toi de ce que tu es: pense à ces deux choses: « La puissance est à Dieu; Seigneur, la miséricorde vous appartient. Ne cherche point à connaître ce qui est au-dessus de toi: ne sonde point la profondeur des conseils divins qui dépassent les bornes de ton intelligence; qu’il te suffise de connaître les commandements du Seigneur, et que jamais tu n’en perdes le souvenir 2 » . A ces commandements se rapportent les deux choses entendues par Idithun: « La puissance est à Dieu; et, Seigneur, la miséricorde vous appartient». Ne crains pas ton ennemi; il ne te fera jamais que ce qu’il a reçu le pouvoir de te faire : crains plutôt celui à qui appartient la puissance suprême : redoute celui qui peut
1. Ps. XXXV, 10. — 2. Eccli. III, 22.
faire tout ce qu’il veut, dont les oeuvres, loin d’être entachées d’injustice, sont, au contraire, marquées au coin de la plus intègre justice. Nous supposions injuste telle ou telle chose: mais dès lors que Dieu l’a faite, sa justice est démontrée.
22. Quand un homme fait mourir un innocent, fait-il bien ou mal ? Certes, il fait mal. Pourquoi Dieu lui permet-il d’agir ainsi?Avant de faire cette question, ne devrais-tu pas te souvenir que tu dois à Dieu ce commandement : « Partage ton pain avec le pauvre abrite ceux qui n’ont point d’asile, donne des vêtements à celui qui en manque 1?» La justice, de ta part, consiste à observer cette prescription divine : « Lavez-vous de vos taches, purifiez-vous : dépouillez-vous de votre malignité, éloignez-la de mes yeux apprenez à faire le bien, à rendre justice à l’orphelin et à la veuve; puis vous viendrez, et nous discuterons ensemble, dit le Seigneur 2 ». Tu prétends discuter avec Dieu commence par te rendre digue d’engager cette discussion, en accomplissant tes devoirs, et alors tu demanderas au Tout-Puissant raison de ses actes. O homme, il ne m’appartient pas de te faire connaître les desseins de l’Eternel : je n’en ai pas le pouvoir ; je me borne à te dire que le meurtre d’un innocent est un crime, et que ce crime n’aurait pas lieu, si Dieu ne le permettait pas ; et de ce qu’un homme se soit rendu coupable d’une telle faute, il ne suit pas du tout que le Seigneur ait participé à cette iniquité en la permettant. Sans examiner la cause de cet homme, au sort duquel tu t’intéresses si vivement, et dont la mort te fait verser des larmes : je pourrais te dire dès maintenant qu’il n’aurait pas été assassiné, s’il n’avait pas été coupable, et, par là, je me trouverais en opposition avec toi, puisque tu soutiens son innocence : encore une fois, je pourrais te fàire cette réponse ; car, pour appuyer ton assertion sur une base sûre, pour dire avec apparence de raison, que cet homme a été injustement mis à mort, il faudrait avoir préalablement scruté son coeur jusque dans les plus secrets replis, examiné à fond tous ses actes, et disséqué chacune de ses pensées: or, tu ne l’as pas fait : je serais donc à même de clore ici la discussion. Mais tu me parles d’un juste;qu’on a pu, sans contredit et sans aucun doute,
1. Isaïe, LVIII, 7. — 2. Isaïe, I, 16-18,
appeler de ce nom : d’un juste qui n’avait commis aucune faute, et que, néanmoins, les pécheurs ont fait mourir, qu’un traître a livré aux mains de ses ennemis: tu me donnes pour exemple le Christ lui-même : certes, nous ne pouvons dire qu’il y ait eu en lui aucun péché , puisqu’il payait des dettes qu’il n’avait pas contractées 1. Que répondre à cette objection ? — Je te tiens, me diras-tu. — Moi aussi je te tiens. Tu me proposes une difficulté relativement au Christ : il me servira lui-même à la résoudre. Nous savons quels ont été les desseins de Dieu à l’égard de son Fils : il a lui-même pris soin de dissiper à cet égard notre ignorance. Puis donc que tu connais les motifs pour lesquels le Seigneur a permis à des scélérats de faire mourir son Fils, et que ses desseins sont de nature à obtenir ton assentiment, et, si tu es juste, à ne point te révolter, tu dois croire aussi qu’à l’égard des autres Dieu a ses vues, quoique tu ne les connaisses pas.
Mes frères, il a fallu le sang d’un juste pour effacer la cédule de nos péchés: nous avions besoin d’un exemple de patience et d’humilité : le signe de la croix était nécessaire pour triompher du démon et de ses anges 2. Il était indispensable pour nous que Notre Seigneur souffrit, car il a racheté le monde par sa passion. De quels bienfaits ses souffrances ont été pour nous la source ! Toutefois, le Sauveur, le juste par excellence, ne les aurait jamais endurées, si les pécheurs ne l’avaient attaché à la croix. Mais est-ce bien à ses bourreaux qu’il faut imputer les heureux résultats de sa mort ? Non: ils l’ont voulue, Dieu l’a permise: la volonté seule de faire périr Jésus-Christ aurait suffi à les rendre criminels mais Dieu n’aurait point permis une pareille mort, s’il y eût eu injustice à le faire. Les Juifs ont voulu tuer le Sauveur : supposons qu’un obstacle se soit opposé à la perpétration dé leur crime, seraient-ils pour cela innocents ? Personne n’oserait ni le penser ni le dire. « Car le Seigneur examine le juste et le pécheur 3 », et « il pénètre jusque dans les pensées de l’impie 4 ». Il recherche, non pas ce qu’on a pu taire, mais ce qu’on a voulu faire. Si donc les Juifs avaient voulu faire mourir le
1. Ps. LXVIII, 5. — 2. Coloss. II, 14, 15. — 3. Ps. X, 6. — 4. Sag. 1, 9.
Christ, sans pouvoir toutefois parvenir à leurs fins, ils n’en seraient pas moins coupables; mais tu n’aurais pas reçu les bienfaits dont sa passion a été la source. Les impies ont donc agi de manière à le faire condamner: Dieu a permis cette condamnation, afin d’opérer ton salut. Ce que l’impie a voulu faire, lui est imputé à crime ; ce que Dieu a permis est venu de sa puissance : la volonté des Juifs a été contraire aux lois de la justice : la permission que Dieu leur a donnée y a été conforme. Aussi, mes frères, le scélérat qui a trahi le Sauveur, Juda et les bourreaux du Christ, étaient, les uns et les autres, des méchants, des impies et des pécheurs; tous étaient dignes de condamnation : et, pourtant, le Père « n’a pas épargné son propre Fils, niais il l’a livré pour nous tous 1». Distingue, discerne, si tu le peux : offre à Dieu les voeux que tu as faits avec tin sage discernement 2. Vois ce qu’a fait le Juif prévaricateur : vois ce qu’a fait le Dieu juste : l’un a voulu faire mourir le Christ, l’autre l’a permis : la conduite de celui-ci est digne de louanges, la conduite de celui-là mérite le blâme le plus sévère. Condamnons les intentions perverses des pécheurs : glorifions les desseins équitables du Très-Haut. Le Christ est mort : quel mal a-t-il éprouvé? Ceux qui ont travaillé à sa perte, se sont perdus eux-mêmes. Mais, pour lui, ils n’ont pu lui causer aucun dommage, même en le livrant au dernier supplice. En mourant dans sa chair, il a porté à la mort le coup de grâce, il nous a enseigné la patience, et nous a donné, dans sa résurrection, le modèle de la nôtre. Quelle précieuse occasion de faire le bien les méchants ont-ils fournie au juste, en le faisant mourir? T’aider par sa grâce à faire le bien, tirer le bien du mal même que tu fais, n’est-ce pas une des preuves les plus sensibles de la grandeur de Dieu? Ne t’en étonne pas. Quand il permet de faire le mal, ce n’est point sans motifs : il ne le fait, du reste, qu’avec poids, nombre et mesure : sa conduite est à l’abri de tout reproche. Pour toi, fais seulement tous tes efforts pour lui appartenir; mets eu lui ta confiance; qu’il soit ton soutien et ton salut; qu’en lui tu trouves un asile inviolable, une imprenable forteresse; qu’il soit ton refuge, et il ne permettra pas que tu sois tenté au-dessus de tes forces, et il t’en fera sortir avec
1. Rom. VIII, 32. — 2. Ps. LXV, 13.
18
avantage, en sorte que tu seras à même de supporter l’épreuve 1. Lorsque tu es éprouvé par la tentation, tu dois voir en cela l’action de sa puissance; mais sa miséricorde se manifeste, quand il ne permet pas que tu soit tenté au-delà de tes forces. « La puissance est à Dieu, et à vous, Seigneur, appartient la miséricorde : aussi vous rendrez à chacun selon ses oeuvres ».
Après l’explication de ce psaume, comme on montrait au milieu du peuple un homme qui s’était livré à l’astrologie judiciaire, Augustin ajouta :
Dans l’ardeur de sa soif, l’Eglise veut faire entrer aussi dans son corps, l’homme que vous avez sous les yeux. Dès lors il vous est facile de comprendre combien il en est parmi les chrétiens pour la bénir du bout des lèvres, et la maudire du fond du coeur. Autrefois chrétien fidèle, il revient aujourd’hui à elle dans les sentiments de pénitence et de crainte salutaire que lui inspire la puissance divine, et vient se jeter dans les bras de la miséricorde du Tout-Puissant. D’abord fidèle à sa foi et à ses devoirs, il a été séduit par l’ennemi, et il est devenu astrologue. Après avoir été lui-même séduit, il a séduit les autres; après avoir été trompé, il s’est fait trompeur; il en a attiré à son erreur; il les a jetés dans l’illusion, il a proféré quantité de mensonges contre le Dieu qui a donné aux hommes le pouvoir de faire le bien, et non celui de faire le mal. Il disait que l’adultère et l’homicide ne sont pas l’effet de notre volonté; que Vénus est l’auteur du premier, et Mars du second ; il ajoutait que la source de la justice se trouve, non pas en Dieu, mais en .Jupiter : enfin, mille autres blasphèmes abominables sont sortis de sa bouche. A combien de chrétiens il a extorqué de l’argent? Vous vous en feriez difficilement une idée. Que de fidèles ont acheté ses mensonges ! Pourtant, nous leur disions: Enfants des hommes, jusques à quand aurez-vous le coeur lourd? Pourquoi aimez-vous la vanité et cherchez-vous le mensonge 2? Maintenant, s’il faut l’en croire, il déteste le mensonge et reconnaît qu’avant d’en tromper tant d’autres il avait été lui-même la dupe du démon. Nous pensons, mues Frères, qu’une grande frayeur a été la cause de sa conversion. Qu’ajouterons-nous? Si cet astrologue abandonnait
1. I Cor. X, 13. — 2. Ps. IV, 3.
aujourd’hui le paganisme pour entrer dans l’Eglise, nous en ressentirions, sans doute, une grande joie; mais ne devrions-nous pas craindre que le mobile de sa conversion fût un secret désir d’entrer dans la cléricature ? Celui-ci est pénitent; il ne demande qu’indulgence et pardon. Ouvrez donc les yeux sur lui; dilatez vos coeurs en faveur de cet homme repentant, nous vous en conjurons: celui que vous voyez, aimez-le du fond de vos entrailles ; portez incessamment sur lui vos regards. Considérez-le bien ; apprenez à le connaître, et partout où il ira, montrez-le à ceux de vos frères qui ne sont point ici : ces soins et cette vigilance seront, de votre part, une oeuvre de miséricorde, qui empêchera ce séducteur de se détourner du bien et de redevenir l’ennemi de la vérité. Soyez ses gardiens; que ses discours et sa conduite n’aient rien de caché pour vous : votre témoignage servira à nous assurer qu’il est vraiment revenu à Dieu. Ainsi placé sous votre surveillance, ainsi recommandé à votre compassion, il n’aura plus rien de caché pour vous. Vous savez, par les Actes des Apôtres, qu’un grand nombre d’hommes perdus, c’est-à-dire exerçant la même profession, et soutenant des doctrines perverses, apportèrent aux pieds des disciples du Sauveur tous leurs livres : on en brûla alors un si grand nombre, que l’Ecrivain sacré a cru devoir les estimer, et en consigner la valeur dans son récit 1. Il l’a fait, sans doute, pour la plus grande gloire de Dieu et pour empêcher de tels hommes de désespérer de la bonté de celui qui sait, quand il le veut, chercher ce qui était perdu 2. Celui-ci était perdu; mais Dieu l’a cherché, il l’a retrouvé, il l’a ramené; cet homme rapporte avec lui, pour les faire brûler, des livres qui devaient le condamner au feu éternel; du foyer ardent où ils seront bientôt consumés, il tirera pour son âme un véritable rafraîchissement. Sachez-le pourtant, mes frères, il y a longtemps qu’il frappe à la porte de l’Eglise, il avait commencé à le faire avant Pâques : dès avant Pâques, il demandait à l’Eglise chrétienne un remède à ses maux. Mais comme l’art dont il a fait profession, le rendait un peu suspect de mensonge et de dissimulation, nous avons cru devoir différer de le recevoir, dans la crainte d’être trompé; mais, enfin, nous l’avons reçu, pour ne pas l’exposer à une
1. Act. XIX, 19. — 2. Luc, XV, 32.
19
nouvelle et plus dangereuse tentation. Offrez donc à Dieu, pour lui, vos prières par la médiation du Sauveur. Que chacun de vous conjure aujourd’hui le Seigneur de
lui faire miséricorde; car nous savons, et nous en sommes sûr, que vos prières effacent toutes ses impiétés. Que Dieu soit avec vous !
DISCOURS SUR LE PSAUME LXII.
SERMON AU PEUPLE.
DÉVOUEMENT A DIEU.
Ce psaume est une prophétie, qui concerne le Messie personnifié dans ses membres. Figuré par David, le chrétien se trouve, en cette vie, comme dans un désert aride , où rien ne saurait satisfaire ses désirs ; aussi a-t-il soin de s’unir à Dieu par ses pensées, ses affections et ses espérances. Pour sa récompense, il reçoit les consolations divines en ce monde, et jouira, dans l’autre, de l’éternelle béatitude. Au souvenir de ses immortelles destinées, il redouble ses prières et ses bonnes œuvres pour obtenir les bénédictions célestes, la sagesse, la vigueur de l’âme, la possession de Dieu, et dans le sentiment de tranquillité que lui inspire sa confiance en Dieu, il oublie ses épreuves et délie ses ennemis.
1. Il en est peut-être parmi vous, qui ne connaissent pas encore suffisamment le Christ; car celui qui a répandu son sang pour tous les hommes, choisit ses serviteurs dans tous les rangs de la société; c’est pourquoi je veux aujourd’hui vous parler de manière à être agréable à ceux qui ont déjà la science de la religion, et à instruire ceux-là mêmes qui n’ont pas encore du Sauveur une connaissance parfaite. Les psaumes que nous chantons ont été composés et écrits sous l’inspiration de l’Esprit-Saint bien avant l’époque où Notre-Seigneur Jésus-Christ est né de la Vierge Marie. David, auteur de ces psaumes, régna sur la nation juive ; c’était, de tous les peuples de l’univers, le seul qui reconnût l’unité de Dieu, et l’adorât, dans cette conviction, comme le Créateur du ciel, de la terre, de la mer, et de tous les êtres visibles ou invisibles qu’ils ~renferment. Pour les autres nations, elles se prosternaient, non pas aux pieds du divin Auteur de l’univers, mais devant des créatures ou devant des idoles fabriquées de mains d’hommes ; ainsi, elles rendaient le culte suprême au soleil, à la lune, aux étoiles, à la mer, aux montagnes ou aux arbres. Ce sont autant de merveilles sorties des mains du Très-Haut, et dans la pensée de l’Eternel elles doivent nous porter à l’adorer lui-même; knais nous ne serons jamais en droit d’en faire l’objet de notre culte et de les adorer à sa place. David régna donc sur le peuple juif; et il fut la souche de cette famille au sein de laquelle Notre-Seigneur Jésus-Christ prit naissance par la Vierge Marie 1; car celle qui est devenue la Mère du Sauveur, descendait de la race royale de David 2. Ce saint roi composa nos psaumes, et, dans ses admirables cantiques, il annonça le Christ, qui ne devait venir que bien plus tard en ce monde ; les Prophètes ont aussi prédit ce qui le concernait, longtemps avant que la Vierge Marie lui donnât le jour selon la chair ; ils ont prédit ce qui devait arriver de notre temps, et tes événements dont nous lisons aujourd’hui le récit; nous en sommes les témoins oculaires; et l’accomplissement de leurs prédictions doit nous remplir de joie. Ces saints personnages ont annoncé d’avance ce qui fait le sujet de nos espérances les plus vives; ils ne pouvaient en contempler l’accomplissement que dans un esprit prophétique, puisqu’ils en étaient si éloignés; pour nous, nous en lisons l’histoire, nous en entendons le narré ; nous nous en entretenons, et, dans l’univers entier, nous trouvons la preuve évidente que toutes les paroles contenues dans l’Ecriture se sont littéralement vérifiées. Y en aurait-il parmi nous un seul pour ne pas se réjouir? Tant
1. Rom. 1,3. — 2. Luc, 11, 7.
de prédictions importantes se sont réalisées jusqu’à nos jours ! Ne doivent-elles pas nous donner l’espoir bien fondé que toutes les autres s’accompliront infailliblement? C’est un fait dont vous ne pouvez douter, mes frères, puisqu’il se passe sous vos yeux ; le monde entier, l’univers, toutes les nations, les peuples de tous les pays s’empressent de connaître Jésus-Christ, et embrassent la foi chrétienne; vous voyez comme partout s’évanouissent les superstitions païennes ; il suffit d’ouvrir les yeux pour s’en convaincre n’êtes-vous pas, en effet, témoins de la vérité de ce que nous vous lisons ? Les événements, que vous êtes à même de constater, parce qu’ils ont lieu devant vous, ont été prédits de temps immémorial ; nous lisons les écrits où ils ont été consignés d’avance, et nous assistons, en même temps, à la réalisation de ces écrits. D’autres événements ne se sont pas encore produits, que les Prophètes ont néanmoins aussi annoncés ; ainsi, il est prédit qu’après être venu ici-bas pour subir le jugement des hommes , Notre-Seigneur Jésus-Christ y reviendra pour les juger à son tour; qu’après avoir paru sur la terre au sein des humiliations, il apparaîtra plus tard environné de gloire ; qu’après avoir donné aux hommes l’exemple de la patience, il reviendra un jour pour les juger selon leurs mérites, et rendre aux justes et aux pécheurs suivant leurs oeuvres. Ces événements, ce retour du Sauveur, du souverain Juge des vivants et des morts, qui font le sujet de notre espérance, nous devons les croire. Quand, en effet, nous voyons, de manière à ne pouvoir en douter, l’accomplissement d’un si grand nombre de prophéties, est-il pour nous bien difficile de croire à celles qui ne sont pas encore réalisées ? Ne serait-ce pas, en vérité, le comble de la démence, de refuser sa foi à quelques prédictions non encore vérifiées par l’événement, lorsque tant d’autres prononcées si bu gtern ps d’avance, se trouvent déjà justifiées par les faits?
2. Le psaume qui nous occupe en ce moment a donc trait à la personne de Notre-Seigneur Jésus-Christ, considéré comme chef et corps de l’Eglise tout ensemble. Comme chef, il est le fils de Marie, qui a souffert, qui a été enseveli, qui est ressuscité et monté au ciel, qui est assis à la droite du Père, et intercède pour nous auprès de lui. Il est notre chef, nous sommes ses membres ; car il est le chef de l’Eglise, qui est répandue par toute la terre; elle est son corps : à ce corps appartiennent non-seulement les fidèles aujourd’hui vivants, mais encore ceux qui ont existé avant nous, et ceux qui viendront après nous jusqu’à la consommation des siècles; la tête de ce corps, c’est le Christ qui est monté aux cieux 1.Nous ne pouvons donc ignorer quel est le chef de l’Eglise,quel en est le corps: Jésus-Christ est le chef; le corps, c’est nous. Aussi, quand nous entendons parler le Sauveur, nous devons reconnaître dans ses paroles, celles du chef et celles de ses membres ; car tout ce qu’il a souffert, nous le souffrons en lui et avec lui, et tout ce que nous souffrons, il le souffre cri nous et avec nous. Dans le corps humain, la tête souffre-t-elle sans que la main partage ses douleurs ? La main, à son tour, peut-elle endurer quelque douleur, sans que la tête en ressente aussi les atteintes? Le mal qui torture le pied, ne torture-t-il pas en même temps la tête? Aussi, qu’un de nos membres vienne à souffrir, tous nos autres membres se hâtent pour ainsi dire, de compatir à ses douleurs, et par là même de contribuer à les alléger d’où je conclus avec raison, que si nous avons souffert en sa personne quand il souffrait, il souffre aussi en nous lorsque nous souffrons; quoique monté au ciel, et assis à la droite de son Père, il partage les tribulations, les épreuves, les extrémités et les tourments où son Eglise se trouve exposée, où elle doit se purifier, comme l’or se purifie dans le creuset. Que nous ayons souffert en sa personne , j’en trouve la preuve dans les épîtres de saint Paul : « Si vous êtes morts avec Jésus-Christ à ce bas monde, pourquoi le laissez-vous vous imposer des lois, comme si vous étiez encore vivants 2?». «Notre vieil homme» , dit-il ailleurs, « a été crucifié avec lui, afin que la chair du péché fût détruite en nous. 3» Si donc nous sommes morts avec le Christ,
nous sommes aussi ressuscités avec lui. « C’est pourquoi », ajoute le même Apôtre, « si vous êtes ressuscités avec Jésus-Christ, recherchez ce qui est au ciel, où Jésus-Christ est assis à la droite de Dieu ; n’ayez d’affection que pour les choses du ciel, et non pour celles de la terre 4 ». Nous sommes donc morts et ressuscités avec le Christ; j’ajoute qu’il meurt lui-même et ressuscite avec nous ; car ne l’oublions pas, il est tout à
1. Coloss. I, 18.— 2. Coloss. II 20.— 3. Rom. VI, 6.— 4. Coloss.III, 1.
21
la fois le chef et le corps de son Eglise; par conséquent, ses paroles sont les nôtres comme nos paroles sont les siennes. Ecoutons donc les différents versets de ce psaume, et reconnaissons-y les paroles du Christ lui-même.
3. Voici quel en est le titre : « Pour David, quand il était dans le désert d’Idumée 1 ». Par le mot d’Idumée, on entend ce monde; car les habitants de ces contrées étaient un peuple nomade, et adoraient les idoles : on n’entend donc pas ce mot dans un bon sens; et, puisqu’il en est ainsi, il signifie la vie présente, où nous sommes éprouvés par tant de peines et de si vives douleurs. Le inonde est à vrai dire un désert, où l’on éprouve une soif ardente ; aussi allez-vous entendre les cris plaintifs d’un homme torturé par la soif au sein d’un désert. Si, à son exemple, nous endurons le même tourment, comme lui aussi nous aurons, plus tard, le bonheur de voir notre soif étanchée. Quiconque, en effet, ressentira les ardeurs de la soif, sera désaltéré dans le séjour éternel; car, dit le Seigneur, « bienheureux ceux qui ont faim et soif de la «justice, parce qu’ils seront rassasiés 2 ». En ce monde nous ne devons point chercher ànous rassasier: il nous faut avoir soif: nous ne serons rassasiés qu’au ciel; aujourd’hui, pour que nous ne tombions pas cmi défaillance dans le désert de cette vie, le Seigneur répand en nos coeurs la divine rosée de sa parole, et nous empêche d’être entièrement consumés par l’ardeur de notre soif; par là, nous conservons le goût et le désir de ce qui peut l’étancher : nous sommes altérés et nous pouvons nous rafraîchir au moyen de la grâce que Dieu nous accorde. Néanmoins, nous éprouvons le tourment de la soif: dans cette situation pénible, notre âme s’adresse à Dieu; que lui dit-elle? :
4. « O Dieu, ô mon Dieu, mon coeur veille « et s’élève vers vous dès le point du jour 3». Qu’est-ce que veiller? C’est ne pas dormir. Qu’est-ce que dormir? Il y a un sommeil de l’âme, et il y a un sommeil du corps. C’est pour nous tous une indispensable nécessité de dormir corporellement : privé de ce repos bienfaisant, l’homme se fatigue, le corps perd ses forces, car il est trop faible pour supporter longtemps l’action d’un esprit vif et appliqué à des choses sérieuses laissez à votre âme
1. Ps. LXII, 1. — 2. Matth. V, 6.— 3. Ps. LXII, 2
toute sa liberté; qu’elle s’occupe continuellement: vous verrez bientôt que votre corps est incapable de soutenir une pareille épreuve, parce qu’il participe à la faiblesse de la matière ; il succombera infailliblement sous le poids du travail ; il. périra. Aussi, Dieu a-t-il accordé à notre enveloppe mortelle le sommeil qui doit réparer ses forces, et lui permettre de supporter la fatigante activité de notre âme. Mais prenons garde de laisser notre âme s’endormir aussi, car le sommeil de l’âme est chose mauvaise. Celui du corps est bon , puisqu’il contribue à en réparer les forces, à entretenir sa vigueur : quant au sommeil de l’âme, il consiste à oublier Dieu, et toute âme qui perd le souvenir du Créateur, s’y trouve plongée. C’était à des personnes de ce caractère que l’Apôtre parlait en quelque endroit de ses épîtres : elles avaient oublié leur Dieu, et, dans leur sommeil, elles songeaient à adorer les idoles. Les adorateurs des faux dieux ne ressemblent-ils pas, en effet, à des gens qui rêvent de choses vaines ? Que leur âme se réveille, aussitôt elle reconnaît son Créateur, elle n’adore plus les divinités qu’elle a elle-même fabriquées. L’Apôtre, parlant à ces sortes de personnes, s’exprime donc ainsi : « Lève-toi, toi qui dors; sors d’entre les morts, et Jésus-Christ t’éclairera 1». Par ces paroles, saint Paul voulait-il éveiller un homme endormi du sommeil du corps? Non; son intention était de faire sortir du sommeil de l’âme des chrétiens qu’il désirait voir éclairés de la lumière du Christ. Le Prophète n’était point plongé dans cet assoupissement spirituel, quand il disait
« O Dieu, ô mon Dieu, je veille et m’élève vers vous dès le point du jour». Ton coeur ne serait pas éveillé si le point du jour n’était venu dissiper le sommeil de ton âme. Le Christ éclaire les âmes, et les empêche ainsi de rester endormies elles s’assoupissent, dès que les rayons de sa lumière ne parviennent plus jusqu’à elles. C’est pourquoi le Psalmiste lui dit ailleurs : « Eclairez mes yeux, Seigneur, afin que je ne m’endorme point d’un sommeil de mort 2 ». Car si les âmes se détournent elles-mêmes de la lumière divine, celle-ci les environne de son éclat mais elles ne l’aperçoivent point parce qu’elles dorment. Il en est de ces âmes comme d’une personne qui s’endort au milieu du jour; le
1. Eph. V,14.— 2. Ps. XII,4.
22
soleil est levé, il brille de tous ses feux, et, pourtant, la personne dont nous parlons se trouve comme plongée dans les ténèbres, parce qu’étant assoupie, elle ne remarque en aucune manière la splendeur du jour qui l’environne. Ainsi, le Sauveur est à côté de certains chrétiens : la vérité leur est annoncée, mais leur âme est encore ensevelie dans le sommeil. Si vous êtes vous-mêmes éveillés, vous leur direz donc sans cesse : « Toi, qui dors, lève-toi et sors d’entre les morts, et le Christ t’éclairera ». Par toute votre vie, par votre conduite, vous devez prouver aux autres que vous veillez dans le Christ ; les païens, qui dorment, s’en apercevront : ils se réveilleront au bruit de vos veilles , ils sortiront de leur assoupissement , et commenceront à dire avec vous en Jésus-Christ « O Dieu, ô mon Dieu, je veille et m’élève a vers vous dès le point du jour».
5. «Mon âme a soif de vous ». Voilà ce que produit le séjour du désert d’Idumée. Voyez de quelle soif le Prophète est tourmenté voyez ce qu’il y a de bien dans cette soif. « Mon âme a soif de vous ». Il en est qui ont soif, mais ce n’est pas de Dieu qu’ils sont altérés. Quiconque souhaite vivement posséder un objet, est brûlé par l’ardeur de ses désirs, qui sont, à vrai dire, la soif de son âme. Et remarquez, je vous prie, combien de désirs se partagent le coeur humain. L’un voudrait de l’or, l’autre de l’argent, celui-ci des propriétés, celui-là des héritages ou des richesses considérables, ou de nombreux troupeaux, ou bien encore, une maison spacieuse, des honneurs, une épouse, des enfants: vous le voyez, les désirs qui remplissent le coeur de l’homme, sont innombrables: il en est desséché et consumé; aussi, qu’il est petit le nombre de ceux qui savent dire à Dieu « Seigneur, mon âme a soif de vous! » à peine en trouverait-on pour tenir ce langage, car les hommes ont soif de ce monde, ils ne comprennent point qu’ils se trouvent au désert d’Idumée et que leur âme devrait y avoir soif de Dieu. « Mon âme a soit de vous » : tel doit être notre langage; oui, nous devons tous répéter ces paroles, parce qu’en Jésus-Christ nous ne devons faire qu’un coeur et qu’une âme : puisse notre âme être altérée de Dieu dans le désert d’Idumée !
6. «Seigneur», dit le Prophète, «mon âme a soif de vous: mon corps lui-même sèche du désir de vous voir». C’est trop peu que mon âme soit altérée : il faut que mon corps éprouve aussi le même tourment. Mais comment, en quel sens peut-il partager les tortures de mon coeur, puisque à un corps altéré il faut de l’eau pour se rafraîchir, et que le coeur ne peut étancher sa soif qu’à la source de la sagesse? C’est à cette fontaine sacrée que nos âmes seront désaltérées, selon cette autre parole du Psalmiste : « Ils seront enivrés des biens de votre maison, et vous les rassasierez du torrent de vos délices 1 ». Nous devons donc avoir soif de la sagesse etde la justice, et nous n’en serons pleinement rassasiés qu’à la fin de notre vie, au moment où Dieu nous mettra en possession des biens qu’il nous a promis. Le Seigneur nous a promis de nous élever au même rang que les anges 2: ils ne souffrent pas, comme nous, de la faim et de la soif, car ils se nourrissent d’un aliment immortel : la vérité, la lumière, la justice fait leur nourriture. C’est pourquoi, rien ne manque à leur bonheur : du sein de cette inénarrable félicité, du haut de cette Jérusalem céleste qu’ils habitent, et dont nous sommes encore exilés, ils portent sur nous leurs regards, ils nous plaignent de ce que nous sommes ainsi éloignés du séjour du bonheur: par l’ordre de Dieu, ils viennent ànotre aide pour nous faire parvenir plus sûrement un jour à cette éternelle patrie qui doit nous réunir les uns aux autres, et où nous puiserons dans le Seigneur, comme en une source féconde, la vérité et l’éternité qui doivent mettre le comble à nos désirs. « Mon corps lui-même», dit le Prophète, « sèche du désir de vous voir», parce que, Dieu l’a dit, notre chair ressuscitera d’entre les morts. A notre âme donc est promise la béatitude céleste; à notre corps, la résurrection. Oui, nous ressusciterons dans notre chair: le Seigneur nous en fait la promesse formelle. Ecoutez-le donc bien; apprenez-le, et ne l’oubliez pas : voilà le sujet de notre espérance: voilà pourquoi nous sommes chrétiens. Car nous n’avons pas embrassé la foi pour acquérir un bonheur terrestre, qui devient souvent l’apanage des voleurs et des scélérats : nous sommes chrétiens, et, comme tels, nous avons le droit et le devoir de prétendre à un bonheur bien différent : nous entrerons en possession de ce bonheur quand se seront entièrement
1. Ps. XXXV, 9. — 2. Luc, XX, 36.
23
écoulés les temps réservés à l’existence de ce monde. La résurrection de la chair, voilà ce que nous attendons, voilà ce que Dieu nous promet; et elle se fera de manière qu’à la fin des siècles, le corps aujourd’hui habité par notre âme, reviendra à la vie. La grandeur de ce mystère ne doit point effrayer votre foi, car le Dieu qui nous a créé lorsque nous n’existions pas encore, trouvera-t-il une difficulté insurmontable à nous rétablir dans l’état où nous nous trouvons aujourd’hui? Vous n’avez donc aucun motif de douter de la réalité des promesses divines, par cela même que vous voyez les morts se corrompre, et tomber en cendres et en poussière. De ce qu’on brûle le corps d’un défunt, ou de ce que des chiens le dévorent, il ne suit nullement qu’il ne doive pas ressusciter : vous auriez tort de le croire, parce que ces cadavres ont beau être déchirés ou réduits en cendres, ils sont toujours relativement à Dieu dans leur entier : ils ne font, en effet, que retourner et retomber dans ces éléments du monde, du sein desquels le Seigneur les avait primitivement tirés pour en former notre corps nous ne pouvons plus les apercevoir; mais le Seigneur sait où il les reprendra pour nous les rendre, comme, avant de nous créer, il a su où les prendre pour nous les donner. Tel sera donc le caractère de cette résurrection, que notre corps d’aujourd’hui, qui est destiné à sortir plus tard vivant d’entre les morts, ne sera plus, comme maintenant, sujet à la corruption. Aujourd’hui, par une conséquence nécessaire de la fragilité de notre chair mortelle, il faut que nous mangions sous peine d’éprouver le tourment de la faim et de perdre nos forces : il faut que nous buvions, ou que nous ressentions les ardeurs de la soif, et la défaillance : il est indispensable pour nous de nous reposer, parce qu’autrement nous tomberions en langueur, et que le sommeil nous accablerait bientôt. D’autre part, si nous consacrons au sommeil trop de temps, nous nous affaiblissons: c’est pour nous une impérieuse nécessité de sortir de notre assoupissement. Quoique nous buvions et mangions uniquement pour réparer nos forces, si nos repas sont prolongés, au lieu de nous fortifier, ils nuisent à notre santé. Restons droits trop longtemps, nous nous fatiguons, il faut nous asseoir : que nous demeurions, au contraire, trop longtemps assis, la fatigue vient à la rescousse, et nous oblige à nous lever. Remarquez-le encore : notre corps ne demeure jamais dans le même état. De l’enfance nous passons avec une rapidité extrême à la jeunesse : tu crois encore rencontrer un enfant, que déjà tu ne le reconnais plus, il est déjà devenu grand : à cette première jeunesse succède aussi vite l’adolescence : la jeunesse a disparu, et tu n’en saurais plus trouver les traces : l’homme fait se forme à la suite de l’adolescence, que tu chercherais inutilement à retrouver. Enfin, l’âge mûr fait place à la vieillesse, sans laisser aucun vestige de son passage, et le vieillard meurt, et tu n’en vois plus rien. Nos différents âges n’ont donc pas de stabilité : nous ne nous arrêtons nulle part, et, partout, nous rencontrons fatigue, lassitude et corruption. L’objet de nos espérances, la glorieuse résurrection que le Seigneur nous promet, voilà ce qui nous soutient au milieu de nos innombrables défaillances; aussi éprouvons-nous une soif ardente pour ce bienheureux séjour, où nous serons revêtus d’incorruptibilité; aussi, notre corps soupire-t-il lui-même vivement après le jour où il verra Dieu. Plus il souffre au sein de cette Idumée, dans la solitude de ce désert, plus ses désirs s’enflamment; plus il se fatigue, plus il souhaite d’entrer dans la demeure de son éternel repos.
7. Mes frères, on peut encore dire, en un autre sens, que le corps même du véritable chrétien, du fidèle sincère, a soif de Dieu, dès ce monde. Si, en effet, il a besoin de pain, d’eau, de vin, d’argent, du secours d’une bête de somme, il les demande à Dieu, et il ne les demande, ni aux démons, ni, aux idoles, ni àje ne sais quelles puissances de ce monde. H en est qui, pendant le cours de leur vie, au moment où ils souffrent de la faim, abandonnent le vrai Dieu pour s’adresser à Mercure ou à Jupiter, ou à cette- fausse divinité à laquelle ils donnent le nom de Céleste ou à quelqu’autre démon semblable : dès lors que, dans leur détresse, ils ont recours à de pareils soutiens, il est évident que leur corps n’a point soif du Tout-Puissant. Pour ceux d’entre nous, qui soupirent après lui, ils doivent le faire, tout à la fois, par leur âme et par leur corps : par leur âme, car Dieu lui donne une nourriture qui lui est propre, c’est-à-dire, sa parole sainte : par leur corps, puisque le Seigneur lui procure les aliments (23) nécessaires: par l’une et par l’autre, parce qu’il les a créés tous les deux. Pour tes besoins matériels, tu sollicites le secours des démons : est-ce qu’après avoir tiré ton âme du néant, le Très-Haut leur alaissé le soin de créer ton corps? Ne l’oublie pas, ton âme et ton corps ont un auteur commun; c’est le maître de l’univers : ils sont tous deux sortis de ses mains; tous deux également en reçoivent leur nourriture: aussi faut-il qu’ils ressentent pour Dieu une soif égate, et que dans la multitude innombrable de leurs souffrances, ils soient pareillement et tout ensemble rassasiés.
8. Notre âme et notre corps soupirent donc ardemment, non après une créature quelconque, mais après vous, Seigneur, qui êtes notre Dieu ; or en quel lieu se trouvent-ils pour éprouver cette soif qui les dévore? Le voici : « C’est dans un pays désert, où l’on ne trouve ni chemin ni fontaine». Nous l’avons déjà dit : l’Idumée, ce désert dont il est parlé au titre de notre psaume, n’est autre que ce bas monde. C’est « un pays désert », où n’habite aucun homme; mais il y a plus: « on n’y trouve ni chemin ni fontaine ». Si seulement on rencontrait un chemin dans ce désert: si seulement l’homme qui s’y trouve engagé était à même d’y apercevoir une issue. Mais non : on n’y rencontre personne, la présence d’un de ses semblables n’y vient point réjouir et réconforter le malheureux voyageur : il ne sait pas même par où il pourra en sortir; il est donc condamné à y rester malgré lui. Si, du moins, en ce triste lieu d’exil où il se voit forcé de demeurer il pouvait trouver une source d’eau vive pour s’y rafraîchir. O l’affreux désert ! O l’horrible, l’effrayant , séjour! Pourtant, le Seigneur a pris pitié de notre infortune; il a tracé pour nous une voie dans le désert de notre vie, il nous a donné Notre-Seigneur Jésus-Christ 1. Pour nous consoler dans ce désolant pèlerinage, des prédicateurs de sa parole ont été envoyés par lui vers nous; il nous a donné de l’eau pour nous désaltérer dans cette aride solitude, car il a rempli ses Apôtres de l’Esprit-Saint qui est devenu en eux une source d’eau vive, jaillissant jusqu’à la vie éternelle 2. Nous avons donc ici-bas tout ce que nous pouvons désirer : toutefois, ces secours précieux accordés à notre faiblesse, ce n’est point le désert qui nous les fournit. Aussi, le Psalmiste
1. Jean, XIV, 6. — 2. Jean, IV, 14.
nous a-t-il d’abord parlé des privations pénibles auxquelles nous condamne le désert. Si, après avoir reçu son charitable avertissement, tu viens à trouver pour ta consolation, ou des compagnons bienveillants, ou une route sûre, ou encore des sources abondantes, tu devras conclure que le désert est incapable de te procurer de pareils adoucissements à tes peines, et qu’il faut en rendre grâces à celui qui a bien voulu ne pas te délaisser dans la solitude.
9. « Ainsi, j’ai paru en votre présence dans « votre sanctuaire, afin de voir votre gloire et votre puissance ». D’abord, mon âme a ressenti les ardeurs de la soif dans la solitude du désert; mon corps a partagé ses tourments dans cette terre où l’on ne rencontre ni hommes, ni chemins, ni fontaines : « Aussi, j’ai paru en votre présence, dans votre sanctuaire, pour voir votre gloire et votre puissance ». Nul ne peut entrer en possession du véritable bien qui est Dieu, s’il n’a d’abord éprouvé les tortures de la soif au milieu du désert de la vie, au sein des peines de ce monde où il se trouve plongé. « J’ai paru », dit le Prophète, « en votre présence, dans votre sanctuaire ». On trouve dans votre sanctuaire les plus douces consolations. « J’ai paru en votre présence»; qu’est-ce à dire? Afin que vous me voyiez, et vous m’avez vu, afin que je pusse vous contempler à mon tour. « J’ai paru devant vous pour voir ». David ne dit pas : J’ai paru devaut vous, afin que vous voyiez; mais il dit : « J’ai paru en « votre présence pour voir moi-même votre « puissance et votre gloire ». C’est pourquoi l’Apôtre s’exprime ainsi : « Maintenant nous « connaissons Dieu, ou plutôt, il nous connaît 1 ». Vous avez d’abord apparu devant Dieu, afin que Dieu pût ensuite apparaître devant vous. « Pour contempler votre puissance et votre gloire ». Que dans ce désert, dans cette solitude, l’homme prétende en tirer et en recevoir son secours, jamais il ne sera admis à contempler la puissance et la gloire du Très-Haut. Il y demeurera condamné à mourir de soif, car il n’y rencontrera ni chemins, ni consolations, ni sources d’eaux vives qui le désaltèrent et l’empêchent de périr. Si, au contraire, il élève vers Dieu ses regards, et que, du fond de son coeur, il lui dise : « Mon âme a soif de vous, Seigneur,
1. Gal. IV, 9.
et mon corps partage ses désirs »; si, au milieu de ses privations, il n’attend de personne autre que Dieu l’adoucissement de ses peines et les choses nécessaires à la vie; si, enfin, il souhaite vivement le jour où,suivant la promesse divine, son corps sortira vivant du tombeau, il trouvera les plus abondantes consolations dans le souvenir qu’il aura gardé du Tout-Puissant.
10. Mes frères, avant le jour de sa bienheureuse résurrection, pendant le cours de sa vie mortelle et de sa fragile existence, notre corps trouve des adoucissements à ses maux dans le pain, l’eau, les fruits, le vin, l’huile, qui entretiennent en lui la vie, et nons sont à tel point nécessaires, que s’ils nous font défaut, nous ne tardons pas à succomber : il y trouve une sorte de bonheur, quoiqu’il ne soit point encore parvenu à jouir de cette santé parfaite au sein de laquelle il ne ressentira ni privations, ni douleurs. Ainsi en est-il de notre âme, même quand elle est encore unie ànotre corps, même au milieu des épreuves et des dangers de ce monde, et des infirmités inhérentes à sa nature : elle aussi trouve son soulagement dans la parole sainte, dans la prière et les entretiens spirituels. Pour elle, comme pour notre corps, il y a donc ici-bas quelque diversion à ses peines Mais lorsqu’aura eu lieu notre résurrection, quand notre corps ne réclamera plus de jouissances matérielles, il habitera le séjour de l’immortalité, et s’y trouvera établi pourjamais: alors aussi un aliment divin deviendra la nourriture de notre âme : elle sera sustentée par le Verbe éternel, qui a fait toutes choses 1. C’est donc pour nous un devoir de rendre grâces au Tout-Puissant de ce qu’il ne nous abandonne pas à notre malheureux sort; il nous donne, en effet, les choses nécessaires à la vie du corps et à celle de l’âme ; et hors même qu’il nous éprouve en ne pourvoyant pas àtous nos besoins, il veut seulement nous instruire et nous porter à l’aimer davantage; ainsi, au lieu de nous laisser corrompre par les plaisirs sensuels, nous conservons de lui un souvenir salutaire. Parfois, il nous retire ce qui nous est nécessaire, il nous frappe, mais pour nous apprendre qu’il est toujours notre maître et qu’il ne cesse d’être notre Père, soit qu’il nous bénisse, soit qu’il nous châtie. Sa providence nous réserve un magnifique
1. Jean, I, 3.
et inamissible héritage. Eh quoi ! si tu veux léguer à ton fils une coupe, un cellier ou un autre objet quelconque, tu lui conseilles d’en faire un bon usage, et pour lui inspirer la sagesse , pour l’empêcher d’abuser de tes biens, et l’exciter à ménager des objets qu’il lui faudra pourtant, comme toi, abandonner plus tard à d’autres, tu lui infliges de sévères corrections , et tu prétendrais n’en pas recevoir de notre Père céleste ! Et tu ne voudrais pas être préparé par les privations et les épreuves, à la possession de l’inamissible héritage qu’il nous réserve ! Cet héritage n’est autre que Dieu lui-même; nous le posséderons et il nous possédera éternellement.
11. Apparaissons donc devant Dieu, dans son sanctuaire, afin qu’il nous apparaisse àson tour; que la sainteté et la vivacité de nos désirs nous transporte jusqu’aux pieds de son trône, et alors nous serons les témoins de la puissance et de la gloire de son Fils. Il ne s’est encore manifesté qu’à un petit nombre d’hommes; que les autres pénètrent dans son sanctuaire, et ils l’y contempleront. Beaucoup s’imaginent qu’il n’a été qu’un homme, puisque, suivant le témoignage des Apôtres du christianisme, il est né d’une femme, qu’il a été crucifié et qu’il est mort, qu’il a conversé, bu et mangé avec les hommes, et qu’il a agi à la manière des autres : ils ne voient en lui qu’un homme comme un autre; et, pourtant, vous en avez la preuve dans le passage de l’Evangile qu’on vous lisait tout à l’heure, il a établi sa grandeur divine quand il a dit : « Mon Père et moi, nous ne sommes qu’un 1» .Voilà celui qui s’est abaissé jusqu’à se faire homme pour nous relever du sein de notre faiblesse! C’est le souverain Maître de l’univers! C’est l’égal du Père éternel! Voilà comment le Seigneur nous a aimés, avant même que nous l’aimions! Si, avant d’aimer notre Dieu, nous avons reçu de lui un témoignage d’ineffable affection dans la Personne de son égal, de son Fils, qui s’est fait homme comme nous, que ne devons-nous pas attendre de lui pour le moment où nous l’aimerons éternellement? Parce que le Fils de Dieu est devenu semblable à nous, beaucoup de personnes en conçoivent je ne sais quelle basse idée; la raison en est facile à saisir, c’est qu’elles n’ont point pénétré dans son
1. Jean, I, 30.
26
sanctuaire, c’est qu’il ne leur a encore manifesté ni sa puissance ni sa gloire; en d’autres termes, elles n’ont point encore purifié leur coeur; par conséquent, elles ne comprennent point la grandeur de sa puissance; elles ne lui rendent point grâces de ce que, malgré sa majesté infinie, il est descendu jusqu’à nous, pour y naître et y souffrir dans l’humiliation; elles sont, en un mot, incapables de contempler sa puissance et sa gloire.
12. « Car votre miséricorde vaut mieux que toutes les vies 1 ». Il y a, en ce monde, pour l’homme, des manières de vivre de plus d’un genre ; mais, dans le ciel, Dieu ne nous en réserve que d’une sorte; et quand il nous l’accordera, ce sera, non en raison de nos mérites, mais par un effet de sa miséricorde. Car pour mériter une pareille faveur,qu’avons-nous fait? En vertu de quelles bonnes oeuvres avons-nous prévenu les dons et les grâces du Seigneur? A-t-il trouvé en nous des actes de vertu à récompenser? Ou plutôt, n’y a-t-il pas trouvé des fautes à punir? Ah, sans doute il aurait pu, sans injustice, nous punir, car il nous a pardonné bien des chutes; et n’est-ce pas justice que de châtier un pécheur? Et puisqu’il aurait pu, sans blesser nos droits, nous frapper à cause de nos péchés; ç’a donc été de sa part une grande preuve de miséricorde de ne pas nous punir, de nous justifier, de changer notre malice en bonté, et notre impiété en un véritable esprit de religion. « La miséricorde du Seigneur vaut donc mieux que toutes les vies ». De quelles vies parte le Prophète? De celles qu’embrassent les hommes. Celui-ci choisit la vie du commerçant, celui-là la vie du cultivateur : l’un préfère l’existence du banquier; l’autre, celle du soldat : chacun se décide suivant son goût, d’une manière ou d’une autre. Voilà donc divers genres de vie, mais « votre miséricorde est préférable à toutes les vies ». Ce que vous accordez aux convertis, vaut mieux que ce que choisissent les méchants. Vous nous mettez en possession d’une vie bien autrement précieuse quetoutes celles que nous aurions pu choisir dans le monde. « Parce que votre miséricorde est préférable à toutes les vies, ma bouche chantera vos louanges». Vos louanges ne sortiraient point de mes lèvres, si votre miséricorde ne me prévenait: elles ne sont donc qu’un. effet de votre généreuse
1. Ps. LXII, 4.
bonté à mon égard : non, je ne serais nullement capable de vous bénir, si vous ne
m’en donniez vous-même le pouvoir. « Parce que votre miséricorde est préférable à toutes les vies, ma bouche chantera vos louanges ».
13. « De la sorte je vous bénirai en cette vie, et je lèverai mes mains vers vous en invoquant votre saint nom 1» . «Je vous bénirai de la sorte dans ma vie » : c’est-à-dire, dans la vie dont vous m’avez gratifié ; non pas dans la vie que j’ai choisie parmi toutes celles que se partagent mes semblables, et pour des motifs mondains, mais dans celle que vous m’avez miséricordieusement accordée, afin que je vous bénisse. « Je vous bénirai de la sorte dans ma vie ». Quel sens donner à ces mots, « de la sorte? » J’attribuerai, non à mes mérites, mais à votre bonté pour moi, cette vie au sein de laquelle je chanterai vos louanges. « Et je lèverai mes mains en invoquant votre saint, nom ». Prie donc, et durant ce pieux exercice élève tes mains. Attaché à la croix, Notre-Seigneur a élevé ses mains en notre faveur : Il a étendu les bras pour nous. S’il a agi ainsi en sa douloureuse passion, c’était afin de nous faire étendre les nôtres vers les bonnes oeuvres: sa croix a donc été pour nous une source de grâces. Jésus a élevé ses mains vers le ciel : il s’est offert lui-même pour nous en sacrifice à Dieu son Père, et, par là, il a effacé toutes nos fautes. Levons donc nous-mêmes les nôtres vers le trône du Tout-Puissant dans l’exercice de la prière, afin qu’occupées à opérer toutes sortes de bonnes oeuvres, elles ne se fatiguent point inutilement à s’étendre vers le ciel. Que fait, en effet, celui qui élève ses mains vers Dieu? C’est pour nous un devoir de le faire et de prier le souverain Maître, car, « je veux », dit l’Apôtre, « que les hommes prient en tout lieu, et lèvent vers le ciel leurs mains pures, avec un esprit éloigné de toute colère et de toute contention 2». Pourquoi ce devoir? Pourquoi ce commandement? Afin qu’au moment où nous élèverons nos bras vers Dieu, le souvenir de nos actions se présente à nous. Tu agis ainsi pour demander ce que tu désires par là, tu penses à les employer au bien, pour ne pas avoir à rougir de cette action « Et j’élèverai mes mains, en invoquant votre saint nom ». C’est ainsi qu’en priant nous
1. Ps. LXII, 5 — 2. I Tim, II, 8.
nous soutenons dans cette Idumée, dans ce désert, dans ce pays où l’on ne trouve ni chemins ni fontaines, dans cette solitude affreuse où le Christ s’est fait notre voie 1; voie, néanmoins, qui ne nous est pas venue de cette terre maudite. « J’élèverai mes mains en invoquant votre saint nom ».
14. Mais quand j’élèverai mes mains pour invoquer votre saint nom, que vous dirai-je? Que pourrai-je vous demander? Mes frères, toutes les fois que vous élevez vos mains vers le trône de l’Eternel, réfléchissez à ce que vous allez lui demander; car, ne l’oubliez pas, vous vous adressez au Tout-Puissant. Ne sollicitez de sa part rien de ce que lui demandent ceux qui n’ont pas encore la foi : il faut que l’objet de votre prière soit digne de lui et de vous. Voyez quels biens le Seigneur accorde même aux impies; et tu demanderais à ton Dieu des richesses? Mais n’en comble-t-il pas les scélérats eux-mêmes , ceux qui ne croient pas en lui? Ce qu’il donne aux méchants mérite-t-il vraiment ta considération? Ne sois donc pas étonné, si les bienfaits accordés par la Providence aux pécheurs sont peu de chose, puisqu’ils sont dignes de pareilles gens ; n’attribue donc aucun prix aux faveurs que Dieu leur départit. Sans doute, tous les biens temporels viennent du Créateur; pourtant, veuillez y faire attention, les dons qu’il répand sur les impies comme sur les justes, doivent être considérés comme étant de mince valeur: il nous en réserve de bien autres. Toutefois, que les uns nous apprennent à juger sainement des autres. Voyez quels bienfaits il répand sur ceux qui l’offensent. Il fait luire sur eux les rayons du soleil ; mais, remarquez-le, les bons et les méchants se trouvent, en cela, également favorisés. Il fait descendre sur leurs propriétés les ondées du ciel, comme sur le reste de la terre. Qui est-ce qui pourrait dire la fécondité que ces pluies apportent avec elles! Néanmoins, elles sont encore le partage des justes et des pécheurs, car nous lisons dans l’Evangile : « Il fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et fait tomber la pluie sur les justes et sur les pécheurs 2». La chaleur et la lumière du soleil, l’abondance des pluies, et tous les biens, dont elles sont la source, nous devons les demander à Dieu, parce qu’ils nous sont nécessaires; mais à ces bienfaits de la Providence ne doivent pas se
1. Jean, XIV, 6. — 2. Matth V, 45.
borner nos désirs, parce qu’ils sont communs à ceux qui servent le Seigneur et à ceux qui l’offensent. Quel doit donc être l’objet de nos prières, au moment où nous élevons nos mains vers le ciel? Le Psalmiste nous l’indique autant, du moins, que la chose lui est possible. Pourquoi avoir dit : Autant que la chose lui est possible? Autant qu’une bouche d’homme est capable de le dire à une oreille humaine : car l’Esprit-Saint se sert ici de l’intermédiaire d’in homme et de certaines comparaisons pour se mettre à la portée des plus ignorants, et même des enfants. Que dit donc le Prophète? Que demande-t-il? « J’élèverai mes mains vers vous en invoquant votre saint nom ». Qu’obtiendra-t-il? «Mon âme sera remplie et comme engraissée de vos bénédictions ». Pensez-vous, mes frères, qu’il sollicite pour son âme une sorte d’embonpoint matériel? oh! non, il ne borne pas ses désirs à si peu de chose : il ne souhaite ni béliers ni porcs engraissés; il ne ressemble point à ces hommes, qui entrent dans une taverne, pour y demander des mets aussi substantiels et s’y rassasier ; et si nous le croyions capable de pareille chose, en vérité serions-nous dignes d’écouter la parole sainte? Nous devons donc entendre ce verset dans un sens spirituel. Il y a une sorte de graisse propre à notre âme : cet aliment, qui satisfait surabondamment à ses besoins, n’est autre que la sagesse. Les âmes auxquelles elle fait défaut, maigrissent en quelque sorte, et dépérissent à tel point que bientôt elles se trouvent trop faibles pour opérer n’importe quelle bonne oeuvre. Mais pourquoi cette faiblesse extrême dans la pratique des vertus chrétiennes? Parce que l’embonpoint qui résulte pour elles d’une alimentation riche, leur fait défaut, L’apôtre saint Paul nous parle de cet état de luxuriante santé spirituelle, et recommande à chacun de nous de faire le bien écoute ses paroles, les voici : « Dieu aime celui qui donne de bon coeur et avec joie 1». Cette vigueur, où notre âme la puise-t.elle, sinon en Dieu, comme à une source abondante? Mais qu’est-ce que cette énergie en comparaison de celle que le Seigneur nous accordera dans le ciel, lorsqu’il sera lui-même notre nourriture? Pendant le cours de cette vie passagère, sur cette terre d’exil, nous ne pouvons pas dire ce que nous serons
1. II Cor. IX, 7.
28
pendant l’éternité; aujourd’hui, pendant que nous élevons nos mains vers Dieu, nous lui demandons peut-être cette surabondance, au sein de laquelle nous serons un jour rassasiés, où disparaîtra tout à fait notre indigence; où, enfin, nous ne désirerons plus rien, parce que nous posséderons tout ce qui peut ici-bas enflammer nos désirs, tout ce que nous aimons comme étant digne de nos affections. Déjà nos ancêtres sont morts, mais Dieu est toujours vivant: nous ne pouvons, par conséquent, jouir toujours de la présence de nos pères; mais dans le ciel, dans la véritable patrie, nous serons toujours en la présence du Dieu vivant, de notre Père céleste. Dès lors que notre patrie d’ici-bas est terrestre, tant de plaisirs qu’elle nous offre, nous en sortirons un jour: d’autres hommes y naîtront nécessairement, et ils apparaîtront sur la scène de ce monde, pour en éloigner leurs parents, qui l’habitent aujourd’hui. Un enfant ne reçoit l’existence que iour dire à l’auteur de ses jours : Que fais-tu ici? Venir après d’autres, naître, et chasser devant nous ceux qui nous ont précédés dans le chemin de la vie, voilà notre destinée sur la terre : au ciel, nous vivons tous simultanément, sans nous rein placer les uns les autres, parce que personne ne cédera sa place et personne ne sera là pour la prendre. O bienheureuse patrie! qui est-ce qui pourrait en dépeindre les charmes? Sur la terre tu aimes les richesses? Au ciel, tu posséderas Dieu lui-même. Tu éprouves un indicible plaisir à te désaltérer à une source d’eau vive? Y a-t-il rien de plus limpide ou de plus pur que la source de la sagesse éternelle? Le Seigneur, qui a créé l’univers, te tiendra lieu de tout ce que tu peux aimer. «Mon âme sera remplie et comme engraissée de vos bénédictions, et mes lèvres s’ouvriront avec bonheur pour vous louer. Au milieu de ce désert, j’élèverai mes mains vers vous en invoquant votre saint nom: et mon âme sera remplie et comme engraissée de vos bénédictions, et mes lèvres s’ouvriront avec bonheur pour vous louer». Pendant que la soif nous tourmente, c’est pour nous un devoir de prier; quand nous n’en souffrirons plus, au lieu de prier Dieu, nous le louerons: « Et mes lèvres s’ouvriront avec bonheur pour vous louer ».
15. « Je me souviendrai de vous sur ma couche, et, dès le matin, je méditerai vos merveilles, parce que vous êtes mon protecteur 1 ». Ce lit du Prophète, c’est son repos. Puisse celui qui jouit du repos, ne pas oublier le Seigneur! Plaise à Dieu que celui qui est tranquille, ne se laisse pas corrompre, et ne perde point le souvenir du Tout-Puissant! Et dès lors qu’il en sera ainsi, il gardera le souvenir du Seigneur dans tout ce qu’il fèra. Par le point du jour il entend les actions de l’homme, parce que, dès le matin, chacun se met au travail. Que dit-il donc? ou plutôt, que veut-il dire par ces paroles : « Je me souviendrai de vous sur ma couche, et dès le matin je méditerai vos merveilles? » Il veut dire : Si je ne me souviens pas de vous sur nia couche, je ne serai pas davantage disposé, dès Je matin, à niéditer vos merveilles; car celui qui oublie Dieu au sein du repos, pensera-t-il à lui au moment d’agir? Mais l’homme qui eu garde le souvenir pendant le repos, ne l’oublie pas non plus clans l’action ; car il craint alors de tomber en défaillance. « Et dès le matin je méditerai vos merveilles, parce que vous êtes mon protecteur ». De fait, si Dieu ne venait à notre secours, jamais nous ne serions capables d’opérer le bien et d’accomplir nos devoirs. Nos actions doivent être marquées au coin de l’honnêteté : et puisque Jésus-Christ nous instruit de ce que nous avons à faire, notre conduite doit être lumineuse et pure. L’Apôtre nous en avertit : « Celui qui fait mal », dit-il, « agit dans les ténèbres, et non pas aux premiers rayons du soleil. Ceux qui s’enivrent, s’enivrent pendant la nuit; et ceux qui dorment, dorment pendant la nuit: pour nous, qui sommes des enfants de lumière, soyons sobres». Il nous recommande de vivre honnêtement, et de marcher à la lumière du jour. « Marchons avec honnêteté, comme au grand jour 2. Parce que», ajoute-t-il, « vous êtes les enfants du jour et de la lumière, et non les enfants de la nuit et des ténèbres 3 ». Quels sont ces enfants de la nuit et des ténèbres? Ce sont ceux qui font toujours le mal. Et ils sont à tel point des enfants de la nuit, qu’ils craignent de laisser voir leurs oeuvres : ils ne font le mal en public, que quand beaucoup d’autres agissent de la sorte : et lorsqu’ils sont presque seuls à le faire, ils se cachent. Pour commettre
1. Ps. LXII, 7, 8. — 2. Rom. XIII, 13. — 1 Thess. V, 5-8.
29
publiquement le péché, on se trouve, à la vérité, exposé à la lumière du soleil, mais on est plongé dans les ténèbres du coeur. Il n’y a donc, pour agir dès le matin, que ceux qui se conduisent chrétiennement. Celui qui se souvient du Christ pendant le repos, s’en souvient aussi pendant le cours de toutes ses actions, et le Sauveur lui vient en aide pour l’accomplissement de ses devoirs, afin que sa faiblesse ne l’entraîne point à des chutes déplorables. « Je me souviendrai de vous sur ma couche, et, dès le matin, je méditerai vos merveilles, parce que vous êtes mon protecteur ».
16. « Et je tressaillerai de joie à l’ombre de vos ailes » . Mes bonnes oeuvres me jettent
en des transports de joie, parce que vos ailes sont étendues sur moi. Je ne suis qu’un petit
oiseau : si vous ne me protégez, le vautour m’enlèvera. S’adressant à Jérusalem, à cette ville qui l’a fait mourir sur la croix, Notre-Seigneur dit quelque part : « Jérusalem, Jérusalem, combien de fois j’ai voulu rassembler tes enfants, comme la poule rassemble ses petits sous ses ailes 1! » Nous sommes petits: que Dieu donc nous garde à l’ombre de ses ailes! Et quand nous serons devenus grands, il nous sera encore utile d’être protégés par le Seigneur, et de nous tenir toujours, comme si nous étions petits, sous ses ailes, parce qu’il sera toujours plus grand que nous : jamais nous ne parviendrons à l’égaler, n’importe à quelle hauteur nous puissions parvenir. Que personne donc ne dise : Daigne le Seigneur étendre sur moi sa protection, parce que je suis petit! car, à aucune époque, on ne pourra arriver à un tel point de grandeur, qu’on soit à même de se suffire sans lui. Sans le secours de Dieu, tu n’es rien. Aussi devons-nous désirer son incessant secours, et si nous savons nous montrer petits à son égard, nous trouverons en lui la source d’une véritable grandeur. « Et je tressaillerai de joie à l’ombre de vos ailes».
17. « Mon âme s’est étroitement uni à vous pour vous suivre 2 ». Voyez le Prophète comme il s’attache fortement à Dieu, sous l’influence de ses désirs et de la soif qui le tourmente! Puissions-nous éprouver nous-mêmes ses sentiments affectueux pour le Seigneur! Puissent ces sentiments germer dans
1. Matth. XXIII, 37. — 2. Ps. LXII, 9.
vos coeurs, y recevoir la rosée de la grâce, y grandir, y arriver à un tel degré de vigueur que vous puissiez dire du fond de votre être: « Mon âme s’est unie étroitement au Seigneur pour le suivre ». Quel est donc ce lien étroit, et si j’osais parler ainsi, cette glu qui nous unit à Dieu? C’est la charité. Si seulement cette charité, cette glu établissait l’union entre le Tout-Puissant et ton âme, et la faisait venir après Dieu ! Je dis après Dieu, et non avec lui, parce qu’il doit te précéder, et tu dois le suivre; car quiconque veut marcher devant lui, prétend vivre au gré de ses propres caprices et dans l’indépendance à l’égard de l’Eternel. Aussi Pierre fut-il repoussé, pour avoir osé donner des conseils à Jésus-Christ la veille de sa passion. Alors, cet Apôtre était encore faible et ignorant : il ne savait pas encore de quelle utilité devait être, pour le genre humain, le douloureux sacrifice du Sauveur. Notre-Seigneur, qui était venu en ce monde pour nous racheter du prix de son sang, prédit à ses disciples les circonstances diverses de son agonie et de sa mort. Pierre fut saisi d’épouvante en apprenant de la bouche même de Jésus que son Maître allait bientôt mourir; il s’imaginait que le Christ vivrait toujours tel qu’il le voyait, car il ne voyait rien que d’un oeil charnel, et son affection pour le Sauveur était tout humaine. Aussi s’écria-t-il: « Mais, non, Seigneur, il n’en sera pas ainsi : vous prendrez pitié de vous-même », « Arrière, Satan, arrière», répondit Jésus : «loin de goûter les choses de Dieu, tu n’as de goût que pour celles du monde 1 ». Quel est le sens de ces mots : « Tu n’as de goût que pour les choses de ce monde ?» Le voici : Tu veux marcher devant moi; c’est pourquoi retourne en arrière, et,au lieu de m précéder, tu me suivras. A la suite du Sauveur, il pourrait dire : « Mon âme s’est unie étroitement à vous pour vous suivre ».
Le Psalmiste ajoute avec raison : « Et votre main droite m’a soutenu. Mon âme s’est unie étroitement à vous pour vous suivre, et votre main droite m’a soutenu ». Jésus-Christ a tenu ce langage en nous, c’est-à-dire, dans l’homme dont il s’était revêtu pour nous racheter; l’Eglise le dit elle-même dans la personne de Jésus-Christ son chef, car elle a déjà souffert ici-bas de cruelles persécutions, et en souffre aujourd’hui encore
1. Matth. XVI, 22, 23.
30
dans chacun de ses enfants. Où est le parfait chrétien, qui n’éprouve toutes sortes de tentations? Tous les jours, le démon et ses anges le tourmentent pour le pervertir; dans ce but, ils emploient tour à tour les désirs mauvais, les passions coupables, la promesse du gain, la crainte des pertes temporelles, l’espérance de la vie, la peur de la mort, l’inimitié d’un grand de la terre, l’amitié d’un prince. Le démon ne néglige rien pour nous faire perdre l’amitié de Dieu : aussi vivons-nous en de continuelles persécutions : aussi rencontrons-nous, dans Satan et ses anges, d’infatigables ennemis; mais pourquoi trembler? Si l’esprit infernal est pareil à un vautour, ne sommes-nous point cachés sous les ailes d’une poule divine, et peut-il nous atteindre?Cette poule, qui nous rassemble sous ses ailes, jouit d’une force invincible. Sans doute, elle est devenue faible pour nous; mais Notre-Seigneur Jésus-Christ, la sagesse de Dieu incarnée, trouve en lui-même une force irrésistible. On peut donc attribuer à l’Eglise, comme au Christ, ces paroles : « Mon âme s’est unie étroitement à vous pour vous suivre, et votre main droite m’a soutenu ».
18. «Mes ennemis ont inutilement cherché à perdre mon âme 1 ». Quel mal m’ont causé ceux qui cherchaient à me perdre? Si seulement ils cherchaient mon âme pour s’unir à elle par les liens d’une même foi ! Mais non ils l’ont cherchée pour me l’ôter. Et toutefois, à quoi pouvaient aboutir leurs efforts? étaient-ils capables de détruire le lien, la glu, qui la tenaient unie à Dieu? « En effet, qui nous séparera de l’amour de Jésus-Christ? Sera-ce l’affliction, ou l’épreuve avec ses ennuis, ou la persécution, ou la faim, ou la nudité, ou le glaive 2? Votre main droite m’a soutenu. La force du lien qui m’attache à vous, Seigneur, et votre main toute-puissante ont paralysé leurs efforts, et c’est inutilement qu’ils ont cherché à perdre mon âme». Ces ennemis dont parle le Psalmiste, désignent, si l’on veut, ceux qui ont persécuté ou voudraient persécuter 1’Eglise; mais ils représentent particulièrement les Juifs, qui ont cherché à perdre l’âme du Christ, soit comme chef, puisqu’ils l’ont crucifié, soit comme corps, en persécutant après la mort du Sauveur ses premiers disciples. « Ils ont cherché à perdre mon âme : ils seront précipités
1. Ps. LXII,10. — 2. Rom. VII, 35.
dans les profondeurs de la terre ». Dans la crainte de perdre la terre, ils ont attaché à la croix le Fils de Dieu; c’est pourquoi ils ont été précipités dans les profondeurs de la terre. Par « ces profondeurs de la terre », que peut-on entendre? Les passions, les désirs terrestres, Il vaut bien mieux vivre sur la terre, que de s’enfoncer dans ses abîmes sous l’influence des passions mondaines. Quiconque, en effet, s’abandonne aux désirs terrestres, contrairement à ses intérêts éternels, se place sous la terre, car il la préfère réellement à son âme; il la met au-dessus de lui, il se constitue en dessous d’elle. Notre-Seigneur opérait d’innombrables prodiges, attiré par un spectacle si nouveau, le peuple se précipitait sur ses pas; dans la crainte de perdre la terre, on entendit les Juifs s’écrier « Si nous le laissons vivre, les Romains viendront, et ils nous enlèveront notre ville et notre pays 1». Ils ont craint de perdre la terre, etidu même coup ils se sont jetés dans ses abîmes, et ce qu’ils craignaient leur est arrivé. La mort du Sauveur leur parut le moyen le plus sûr de n’être pas dépossédés de leur terre, et ce fut précisément elle qui causa leur ruine. Le Christ leur avait dit « On vous ôtera votre royaume, pour le donner à un peuple qui accomplira les devoirs de la justice 2 ». En conséquence de cette menace, ils le mirent à mort; des malheurs sans fin, des persécutions atroces suivirent de près leur déicide. Vaincus par les empereurs romains et les rois des nations étrangères, chassés du pays même qui fut témoin du supplice sanglant du Christ, ils ont laissé leur patrie au pouvoir des chrétiens: le crucifié y règne aujourd’hui, partout retentissent ses louanges; on n’y rencontre plus un seul Juif: tous ses ennemis ont disparu. La Judée n’a plus d’autres habitants que les disciples du Sauveur. Les Juifs ont eu peur de se voir enlever leur pays par les Romains: tour éviter cette catastrophe, ils ont cloué Jésus-Christ àla croix, et, en punition de leur crime, les Romains sont venus les dépouiller de leur royaume. Donc, « mes ennemis seront précipités dans les profondeurs de la terre ».
19. « Ils tomberont sous le tranchant du glaive 3». L’accomplissement de cette prophétie a eu lieu d’une manière frappante à l’égard des Juifs: leurs ennemis sont venus
1. Jean, XI, 48. — 2. Matth. XXI, 43. — 3. Ps. LIII, 11.
31
et les ont exterminés. « Ils seront la proie des renards». Sous ce nom se trouvent désignés les rois qui gouvernaient le monde au moment où la nation juive fut détruite. Ecoutez bien, mes frères; apprenez et coin prenez que le Prophète donne à ces rois le nom de renards. Le Sauveur lui-même a ainsi appelé le roi Hérode : « Allez, dites à ce renard 1». Voyez, et remarquez-le attentivement : les Juifs n’ont pas voulu du Christ pour leur roi, et ils sont devenus la proie des renards, Au moment où Pilate, gouverneur de la Judée pour les Romains, céda aux vociférations des Juifs et condamna Jésus à mort, il leur dit « Voulez-vous donc que je crucifie votre roi? » Car on l’appelait le Roi des Juifs, et il l’était effectivement. Ceux-ci lui refusèrent ce titre, et répondirent : « Nous n’avons pas d’autre roi que César 2». Ils repoussèrent la domination d’un Agneau, pour se soumettre à celle d’un renard: ce fut donc avec justice qu’ils devinrent la proie des renards.
20. « Mais le roi 3»; le Prophète veut parler ici du roi que les Juifs ont éloigné d’eux pour se soumettre à un renard : « Mais le roi », c’est donc à dire, le véritable roi, dont la puissance a été consacrée par l’inscription placée sur l’instrument de son supplice: inscription écrite en hébreu, en grec et en latin, et conçue en ces termes : Voici « le Roi des Juifs ». Par elle, tous les témoins de la mort du Sauveur ont pu connaître la gloire du roi des Juifs, comme aussi se convaincre du crime honteux de ces déicides qui ont repoussé leur vrai Maître pour se plier sous le joug d’un renard, du César romain. « Mais le Roi mettra sa joie en Dieu »; pour eux, ils deviendront la proie des renards, « mais le roi se réjouira dans le Seigneur ». Ils avaient cru remporter une éclatante victoire sur leur roi en le condamnant à la mort de la croix, et voilà que par son supplice sanglant, il a racheté l’univers. « Mais le Roi se
1. Luc, XIII, 32. — 2. Jean, XIX, 15. — 3. Ps. LXII, 12.
réjouira dans le Seigneur, et tous ceux qui jurent par son nom, seront honorés ». Pourquoi « ceux qui jurent par son nom, seront-ils honorés ? » Parce qu’ils auront choisi le Christ pour leur roi, au lieu de choisir un renard: parce qu’au moment où les Juifs l’outrageaient, Jésus-Christ a payé le prix de notre rançon. Nous lui appartenons donc puisqu’il nous a rachetés, et qu’à cause de nous il a vaincu le monde, non par la force des armes, muais avec le bois dérisoire de sa croix. « Mais le roi se réjouira dans le Seigneur, et tous ceux qui jurent par son nom, seront honorés ». Qui est-ce qui jure par son nom? Tous ceux qui lui consacrent leur vie; tous ceux qui lui font des promesses et les accomplissent; tous ceux qui se font chrétiens. Voilà ce que le Prophète veut dire par ces paroles: « Ceux qui jurent par son nom, seront honorés. La bouche des méchants sera fermée pour toujours». Quelles iniques paroles les Juifs ont prononcées! Quels méchants discours ont tenus les Juifs et ceux qui ont défendu le culte des idoles en persécutant les chrétiens ! Par les mauvais traitements qu’ils faisaient subir aux disciples du Sauveur, ils s’imaginaient pouvoir en finir bientôt avec eux, et pendant ce temps-là le nombre des chrétiens augmenta sensiblement, tandis qu’ils disparurent eux-mêmes, et qu’il n’en resta pas de traces. « La bouche des méchants sera fermée pour toujours». Aujourd’hui, il n’y a personne pour oser parler en public contre Jésus-Christ: tous redoutent sa puissance, « parce que la bouche des méchants sera fermée pour toujours». Quand le Sauveur était revêtu de la faiblesse de l’Agneau, les renards étaient remplis de hardiesse pour l’attaquer et l’insulter; mais ils gardent le silence depuis qu’il est devenu le lion de la tribu de Juda, et qu’il a vaincu 1. « Car la bouche des méchants sera fermée pour toujours ».
1. Apoc. V, 5.
DISCOURS SUR LE PSAUME LXIII.
SERMON AU PEUPLE.
VANITÉ DE LA CRAINTE DES MÉCHANTS.
Les paroles de ce Psaume conviennent parfaitement à Jésus-Christ souffrant dans son corps et dans sa personne. Il demande à Dieu d’être délivré de la crainte de leurs ennemis, car ils ne sont pas redoutables. Les Juifs ont tendu des pièges au Sauveur ils ont mis en jeu toute leur malice, ils l’ont fait mourir mais en définitive, à quoi ont- ils réussi? à travailler à leur propre confusion, car Jésus-Christ est ressuscité, l’Evangile a été prêché dans le monde. Mais si la crainte de nos ennemis est vaine, celle de Dieu est nécessaire pour établir, dans notre coeur, la droiture qui nous préservera de la condamnation finale et nous sauvera.
1. Nous solennisons le jour anniversaire de la mort de saints martyrs : une telle fête doit nous combler de joie, en même temps qu’elle doit nous rappeler leurs souffrances, et les immortelles espérances qui les ont soutenus au milieu de leurs supplices. Jamais ils n’auraient eu assez de force et de courage pour supporter, avec un corps fragile, les tortures auxquelles ils ont été condamnés, s’ils n’avaient eu en vue les inénarrables délices du repos céleste. Pour entrer dans l’esprit de cette solennité, nous allons nous entretenir ensemble de ce psaume. Hier, j’ai entretenu bien longuement votre charité; et, pourtant, il m’est impossible de célébrer ce grand jour, sans remplir encore à votre égard les devoirs de ma charge. Le psaume qui nous occupe en ce moment, a particulièrement trait à la passion du Seigneur : il convient donc d’en donner aujourd’hui l’explication, car les martyrs n’auraient pu se montrer si fermes, s’ils n’avaient porté leurs regards sur celui qui a souffert le premier; ils n’auraient pu souffrir comme lui, s’ils n’avaient eu dans le coeur l’espérance de la résurrection glorieuse, dont il leur a donné la preuve anticipée dans sa personne. Du reste, votre sainteté ne l’ignore pas : Notre-Seigneur Jésus-Christ est notre chef, et tous ceux qui lui sont unis par la charité, sotit ses membres; et quand vous entendez sa voix, vous le savez très-bien, c’est tout à la fois la voix du chef et celle des membres, et cette voix concerne et regarde non-seulement le Seigneur Jésus, qui est déjà monté au c:el, mais encore les membres de ce chef sacré, qui doivent l’y suivre un jour. Reconnaissons donc, dans ce psaume, la parole du Sauveur et la nôtre : et que personne d’entre nous ne dise que nous sommes aujourd’hui exempts de souffrances et de tribu-la lions: car, je vous l’ai dit souvent, si l’Eglise était autrefois battue par la tempête dans la généralité de ses membres, elle est maintenant tourmentée en particulier dans chacun d’eux. Le Seigneur tient enchaînée la puissance du démon, et il n’est pas à même de faire tout le mal qu’il pourrait et voudrait faire ; mais le pouvoir de tenter les fidèles, autant qu’il est utile à leur avancement dans le chemin de la vertu, lui a été laissé. Il ne nous serait nullement avantageux d’être exempts d’épreuves; ne prions donc pas Dieu de nous en préserver, mais demandons-lui la grâce de ne point succomber à la tentation.
2. Disons-lui donc comme le Prophète « O Dieu , écoutez la prière que je vous adresse dans mon affliction délivrez-moi de la crainte de mon ennemi ». Les ennemis du nom chrétien ont persécuté les martyrs quelle était alors la prière adressée à Dieu par le corps du Christ? li demandait que ses membres fussent délivrés des persécutions de leurs ennemis et n’eussent point, de la part de ceux-ci, à subir le dernier supplice. Leur prière a-t-elle été inutile, parce qu’ils sont morts au milieu des tourments? au sein de la douleur et de l’humiliation, ils ont espéré en Dieu et néanmoins, le Seigneur ne les a-t-il pas abandonnés, comme s’il méprisait
1. Ps. LXIII, 2.
leur fidélité et les témoignages de leur suprême confiance? Oh! non, mes frères. «Y a-t-il un seul homme qui ait invoqué Dieu, et se soit vu rejeté de lui? Où est celui qui « a mis son espérance dans le Seigneur, et e qui s’en est trouvé abandonné 1? » Leur prière était exaucée, ils succombaient, et néanmoins ils étaient délivrés de la puissance de leurs ennemis. Ceux d’entre les chrétiens qui cédaient à la crainte et aux menaces, on les laissait vivre, et par là même ils devenaient les victimes de leurs adversaires. En mourant, les uns triomphaient; les autres succombaient, même en continuant de vivre: aussi, dans les transports de leur joie et de leur reconnaissance, les martyrs disaient-ils « Si le Seigneur n’avait été avec nous, ils nous auraient dévorés tout vivants 2 ». Plusieurs sont devenus, de leur vivant, les victimes de leurs adversaires ; plusieurs autres étaient alors déjà morts. Ceux qui ont regardé comme indigne d’un homme sérieux la foi chrétienne, étaient déjà morts, quand ils ont été anéantis par leurs ennemis ; mais ceux-là ont succombé de leur vivant, au pouvoir des persécuteurs, qui ont reconnu dans l’Evangile l’expression de la vérité, qui voyaient dans le Christ lè Fils de Dieu, qui ont lait profession extérieure de cette vérité qu’ils croyaient de toute la force de leur âme, et qui néanmoins ont faibli au milieu des tortures, et sacrifié aux idoles. Les uns étaient déjà morts, quand ils ont été dévorés par leurs adversaires les autres sont morts, parce qu’ils ont été dévorés. Quoique dévorés vivants, ils n’ont pu survivre à leur défaite. C’est pourquoi telle est la prière des martyrs « Seigneur, délivrez mon âme de la crainte de mes ennemis » . Je ne vous demande pas qu’ils ne me fassent point mourir, mais je vous demande de ne point craindre mon ennemi, lors même qu’il me donnerait le coup de la mort. Le serviteur demande donc, dans cette prière, le courage que le divin Maître exigeait de ses disciples : « Ne craignez pas », leur disait-il, « ceux qui tuent le corps et ne e peuvent tuer l’âme; craignez plutôt celui qui a le pouvoir de tuer le corps et l’âme, et de les précipiter dans la géhenne du feu 3. Oui », ajoutait-il en un autre endroit, « oui, je vous le dis, craignez un tel homme 4 » Qui sont ceux qui donnent la
1. Eccli. II, 11, l2. — 2. Ps. CXXIII, 3.— 3. Matth. X, 28.— 4. Luc, XII, 5
mort au corps? Ce sont les ennemis. Quelle recommandation fait le Seigneur? De ne pas les craindre. Prions-le donc de nous accorder ce qu’il exige. de nous. « Seigneur, préservez mon âme de la crainte de mon ennemi ». Que je sois à l’abri de la crainte de mon ennemi, mais que la crainte de votre saint nom me domine tout entier. Puissé-je redouter, non point celui qui tue le corps, mais celui qui peut tuer le corps et l’âme, et les précipiter dans la géhenne du feu! Me voir complètement à l’abri de la crainte, ce n’est point là l’objet de mes désirs : ce que je veux, c’est de ne pas craindre mon ennemi, c’est de vous servir, Seigneur, dans la crainte de vos jugements.
3. « Vous m’avez protégé contre l’assemblée des méchants, contre la multitude de ceux qui commettent l’iniquité 1». Ici, portons nos regards sur notre chef. Beaucoup de martyrs ont pu, à juste titre, se plaindre des procédés des méchants et des pécheurs, mais nul -d’entre eux n’a eu à souffrir, de leur part, autant que le Sauveur: en considérant ce qu’il a enduré, nous comprendrons bien mieux ce qu’ils ont supporté. Il a été protégé contre l’assemblée des méchants: Dieu lui accordait son secours; il n’a pas lui-même abandonné son corps à la volonté perverse des pécheurs : Fils de Dieu incarné, Fils de Dieu et Fils de l’homme tout ensemble, Fils de Dieu à cause de la substance divine qu’il possédait, Fils de l’homme, à cause de la forme d’esclave dont il s’était revêtu 2, il le protégeait: car il avait le pouvoir de donner sa vie et de la reprendre 3. Quel mal ses ennemis ont-ils pu lui faire? Ils ont fait mourir son corps, mais ils n’ont pu faire mourir son âme. Veuillez remarquer ceci. C’eût été peu pour lui d’exciter de bouche ses disciples au martyre: il fallait qu’il leur prêchât d’exemple: ses leçons n’en devaient être que plus puissantes sur leurs coeurs. Vous savez quelles étaient ces assemblées de méchants: c’étaient celles des Juifs; vous connaissez l’iniquité de cette multitude de pécheurs: elle a consisté dans le dessein formé par eux de faire mourir Notre-Seigneur Jésus-Christ. « J’ai opéré sous vos yeux un si grand nombre de bonnes oeuvres: pour laquelle voulez-vous me mettre à mort 4 ? » Il avait supporté patiemment les indiscrets empressements de tous leurs
1. Ps. LXIII, 3. — 2. Phil. II, 6, 7. — 3. Jean, X, 18.— 4. Jean, X, 32.
34
malades, guéri tous leurs infirmes, prêché au milieu d’eux la parole de Dieu; il avait mis le doigt sur leurs vices pour leur en inspirer la haine, et non pour leur faire détester le médecin, qui voulait leur rendre la santé de l’âme: au lieu de lui témoigner de la reconnaissance pour tant de guérisons, ils se montrèrent ingrats : à les voir s’emporter contre lui, on eût dit qu’une fièvre violente leur avait ôté le sens, et qu’une sorte de rage les animait à l’égard du bienveillant médecin, qui était venu apporter un remède à leurs maux : ils formèrent donc le projet de le perdre, comme s’ils voulaient s’assurer de ce qu’il était: un homme, comme les autres, sujet à la mort, ou un homme supérieur aux autres, et à l’abri des coups du trépas. Le livre de la Sagesse de Salomon a prédit les paroles qu’ils prononcèrent alors : « Condamnons-le à mourir d’une mort infâme : éprouvons si ce qu’il a dit est véritable. S’il est le Fils de Dieu, que Dieu le délivre 1 !» Voyons ce qu’il en est advenu
4. « Ils ont aiguisé leurs langues comme une épée. Les dents des enfants des hommes sont comme des armes et des flèches: leur langue est comme une épée perçante 2». Ce que le Psalmiste dit ailleurs, nous le retrouvons ici : « Il ont aiguisé leur langue comme une épée ». Que les Juifs ne disent pas : Nous n’avons pas fait mourir le Christ. Car s’ils l’ont traduit au tribunal de Pilate, c’était afin de rejeter sur le gouverneur romain l’odieux de la condamnation du Sauveur, et de n’être point eux-mêmes accusés. En effet, lorsque Pilate leur dit: « Faites-le vous-mêmes mourir», ils lui firent cette réponse: « Il ne nous est permis de faire mourir personne 3 ». Leur dessein était donc de faire peser sur un seul, sur le juge, toute la responsabilité de leur crime; mais pouvaient-ils tromper le souverain Juge ? Ce qu’a fait Pilate pèse donc sur lui dans la proportion de la part qu’il a prise à la perpétration du déicide. Mais, si l’on compare sa conduite à celle des Juifs, il est de beaucoup moins coupable qu’eux. Autant que possible, il insista en sa faveur pour le tirer de leurs mains : dans cette intention, il le fit flageller et le présenta tout ensanglanté à leurs regards. En le soumettant au supplice de la flagellation, ce faible juge n’avait certainement
1. Sag. II, 18-20. — 2. Ps. LVI, 5. — 3. Jean, XVIII, 31.
pas la volonté de se déclarer contre Jésus et de lui faire du mal : ce qu’il avait en vue, c’était de donner à leur fureur’ une sorte de satisfaction; il s’imaginait qu’en le voyant meurtri de la sorte, ils s’adouciraient un peu et se désisteraient de leur projet homicide 1. Il suivit donc ce plan de conduite, mais s’apercevant qu’ils persévéraient dans leurs idées sanguinaires, il lava ses mains, vous le savez, et il déclara qu’il n’était pour rien dans la condamnation de cet homme, et qu’il était innocent de sa mort 2. Néanmoins, il le condamna. Il agit contre son gré, et tout le monde lui impute l’injustice de celte condamnation; et ceux qui l’ont forcé à rendre l’inique sentence seraient innocents ! Oh ! non, Pilate a prononcé le verdict; il a donné l’ordre de crucifier Jésus; il l’a, en quelque sorte, tué de sa main : mais, en réalité, ô Juifs, c’est vous qui lui avez donné le coup de la mort. Et comment lui avez-vous ôté la vie ? De quel instrument vous êtes-vous servi? Du glaive de votre langue, car vous l’avez aiguisée comme une épée. Et à quel moment avez-vous frappé votre victime? C’est lorsque vous vous êtes écriés : « Crucifie-le, crucifie-le 3 !»
5. Mais je ne veux point passer sous silence une pensée qui me vient à l’esprit : je vais vous en faire part, afin que vous ne vous laissiez point troubler par la lecture de nos saints livres. Un évangéliste nous rapporte que Notre-Seigneur Jésus-Christ a été crucifié à la sixième heure 4 ; selon le récit d’un autre écrivain sacré, il l’a été à la troisième 5 . Si nous ne comprenions point cette apparente contradiction, c’en serait assez pour nous jeter dans le trouble. Il est dit que dès le commencement de la sixième heure, Pilate moula à son tribunal, et, de fait, quand le Sauveur fut élevé en croix, il était six heures. Mais l’autre évangéliste, considérant les dispositions intérieures des Juifs, et leur désir ardent de détourner d’eux l’odieuse responsabilité de leur déicide, les condamne, par son récit, comme réellement coupables de la mort du Sauveur, puisqu’il nous dit que Jésus a été crucifié à la troisième heure. Si, en effet, nous pesons toutes les circonstances rapportées par l’écrivain sacré, nous voyons qu’au moment où ils firent comparaître le Christ au tribunal de Pilate, ils firent tous
1. Jean, XIX, 1, 5. — 2. Matth. XXVII, 24. — 3. Luc, XXXIII, 21. — 4. Jean, XIX, 14. — 5. Marc, XV, 25.
35
leurs efforts pour le faire crucifier; de là on peut conclure que quand ils ont crié : « Crucifie-le, crucifie-le», on en était à peu près à l’heure de tierce. Par leurs cris ils devinrent donc les véritables auteurs de sa mort : les agents du pouvoir l’attachèrent à la croix à midi, et les violateurs de la loi demandèrent son supplice à la troisième heure : ce que les uns ont accompli au milieu du jour, les autres l’avaient commandé à neuf heures du matin:
le Christ a été mis à mort par la langue de ceux-ci, et par la main de ceux-là. Les plus coupables n’étaient certainement pas ceux qui agissaient par obéissance, c’étaient ceux qui par leurs clameurs arrachaient à Pilate une sentence capitale. Voilà donc le but où tendaient les malicieux efforts des Juifs ; voilà le résultat auquel ils voulaient parvenir: en finir avec Jésus-Christ, mais ne pas le condamner eux-mêmes; le faire mourir, et ne pas en assumer la responsabilité devant l’opinion publique. « Ils ont aiguisé leur langue comme une épée ».
6. « Ils ont bandé leur arc et empoisonné leurs flèches » Sous le nom d’arc le prophète veut désigner des embûches, des pièges. Celui qui se sert de l’épée pour se battre de près, attaque son ennemi en face ; mais employer des flèches, c’est vouloir le frapper en traître; car une flèche vient vous blesser avant même que vous ayez le temps d’y penser. Mais qui est-ce qui pouvait être dupe de ces artifices du coeur humain? Etait-ce Notre-Seigneur Jésus-Christ? « Mais il n’avait pas besoin qu’on lui apprît ce qui se trouvait dans le coeur de l’homme, car il savait parfaitement ce qui s’y trouvait ». C’est le témoignage que lui rend l’évangéliste 1. Ecoutons néanmoins leurs discours, voyons les projets qu’ils ont formés, dans l’idée que le Christ ignorait leurs desseins. « Ils ont bandé leur arc, et empoisonné leurs flèches pour en percer l’innocent dans les ténèbres». Vous savez de quelles ruses ils se sont servis : ils ont acheté à prix d’argent un homme de sa société, l’un de ses disciples, pour qu’il les aidât à mettre la main sur lui 2; des faux témoins ont été fournis par eux : tels sont les pièges et les artifices dont ils ont fait usage « pour percer l’innocent dans les ténèbres ». Abominable conduite ! se mettre dans l’ombre, en un lieu caché, pour lancer des flèches sur un homme innocent, pour frapper et faire mourir celui
1. Jean, II, 25. — 2. Matth. XXVI, 14, 15.
qui n’avait pas en lui-même une tache aussi large que la pointe d’une de ces flèches. Leur victime n’était autre que cet innocent Agneau, qui jamais ne fut souillé, qui toujours fut parfaitement pur et exempt de toute tache, et qui à aucune époque n’eut besoin d’être purifié, parce qu’en aucun temps il ne contracta de souillure. Il a rendu à beaucoup la robe blanchie de leur innocence en leur pardonnant leurs fautes; mais, pour lui, il n’a jamais cessé de porter ce vêtement d’éclatante blancheur, parce qu’il n’a jamais commis le péché. « Pour percer l’innocent dans les ténèbres ».
7. « Ils les ont lancées à l’improviste et sans rien craindre 2 » . Quelle dureté de coeur! Vouloir faire mourir Celui qui ressuscitait les morts ! « A l’improviste », c’est-à-dire, en traîtres, comme subitement, dans l’intention de surprendre leur victime. Notre-Seigneur se trouvait au milieu d’eux; il semblait ignorer leurs projets; pour eux, ils ne savaient jusqu’où allaient son ignorance et sa pénétration à leur égard : ils connaissaient même si peu ses pensées, qu’à vrai dire ils ne savaient pas qu’il n’ignorait rien de ce qui les concernait, qu’il était au courant de tout ce qui se passait, et qu’il était venu pour les laisser faire de sa personne ce qu’ils croyaient pouvoir attribuer à leurs propres forces et à leur volonté personnelle. « Ils les ont lancées à l’improviste et sans rien craindre ».
8. « Ils se sont affermis dans leurs desseins pervers » . « Ils se sont affermis » . Une foule de miracles s’est opérée sous leurs yeux: loin d’en être ébranlés, ils ont persévéré dans leurs projets et leurs discours pervers. Le Christ a été traduit devant le tribunal de Pilate: alors le juge a tremblé; niais ceux qui lui ont livré l’innocent n’ont ressenti aucune crainte. L’un a été effrayé, quoiqu’il fût investi du pouvoir ; parvenus au comble de la fureur, les autres n’ont ressenti ni trouble ni tourment : Pilate a voulu laver ses mains, les Juifs ont souillé leur langue. Pourquoi ? « Parce qu’ils se sont affermis dans leurs desseins pervers ». Pourtant, que n’a pas fait Pilate ? Que n’a-t-il pas dit? Quels moyens n’a-t-il pas employés pour les arrêter dans la funeste voie où la fureur les engageait? « Ils ne se sont pas moins affermis dans leurs desseins pervers ». Ils se sont écriés: « Crucifie-le, crucifie-le». Répéter ce qu’on a déjà
1. Ps. LXIII, 6.
dit, c’est donner à ses paroles une force nouvelle; c’est en augmenter la malice. Mais voyons comment ils se sont affermis dans leurs projets mauvais. « Faut-il donc.», s’écria le juge, « que je crucifie votre Roi ?» Et ils répondirent: « Nous n’avons point d’autre roi que César 1 ». « Ils se sont affermis dans leurs desseins mauvais ». Pilate leur offrait pour roi le Fils de Dieu; pour eux, ils lui préférèrent un homme, et par ce choix ils devinrent dignes d’avoir César pour maître, et de n’avoir point le Christ pour roi. Voici encore comment « ils se sont affermis dans leurs desseins pervers ». Pilate ajouta: « Je ne trouve en cet homme rien qui le rende digne de mort ». Et ces hommes « qui s’étaient affermis dans leurs mauvais projets », s’écrièrent: « Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants 3 !» « Ils se sont endurcis dans leur injuste résolution. Ils se sont opiniâtrés dans leurs méchants projets », non au détriment du Sauveur, mais « pour leur propre perte » . Comment, en effet, ne seraient-ils pas devenus les victimes de leurs entêtements, puisqu’ils ont dit : « que son sang retombe « sur nous et sur nos enfants? » Leur endurcissement a donc tourné contre eux, car il est dit en un autre endroit de l’Ecriture: «Ils ont creusé devant moi une fosse dans laquelle ils sont eux-mêmes tombés». Loin de tomber vaincu sous les coups de la mort, Jésus-Christ en est devenu le vainqueur ; quant à eux, ils sont devenus les victimes de leur iniquité, parce qu’ils ont voulu y persévérer.
9. On ne saurait en douter, nies frères, car c’est une chose certaine; il faut que tu fasses mourir le péché en toi, ou que le péché te fasse périr à son tour ; mais ne t’imagine pas que le péché, dont je parle; soit un ennemi extérieur: reporte tes regards sur ton propre coeur, et tu verras que cet ennemi est intimement uni à ce coeur pour te combattre. Ah ! ne te laisse pas vaincre par ces passions intérieures, qui sont tes adversaires les plus dangereux, situ n’en triomphes pas entièrement les luttes que tu dois le plus redouter, te viennent de toi-même ; ton âme te déclare la guerre: c’est là, et nulle part ailleurs, que se trouve pour toi le danger. Tu tiens à Dieu par une partie de ton être; par l’autre partie, tu tiens au monde et tu y cherches ton bonheur : et toutes les deux se livrent un
1. Jean, XIX, 15. — 2. Luc, XXIII, 14, 22. — 3. Matth. XXVII, 25.
continuel combat ; puissions-nous tenir à Dieu, y tenir chaque jour davantage, ne point nous en séparer, ne rien perdre de notre attachement pour lui; car il sera pour nous la source d’une force irrésistible; et si nous persévérons à coin battre avec courage, nous triompherons inévitablement de notre adversaire intérieur. Votre chair est comme la demeure dû péché:
puisse-t-elle ne pas en devenir le trône. « Que le péché», dit l’Apôtre, « ne règne point dans ton corps, pour lui faire accomplir ses mauvais désirs 1 ». Si tu ne cèdes point à ses convoitises, si persuasives, si en traînantes qu’elles puissent être, tù réussiras, en leur résistant, à les empêcher de régner en toi, et à les détruire par là, tu n’éprouveras plus de ces luttes intestines où se trouve compromise ton innocence. Mais quand se consommera ce triomphe? Quand la mort sera ensevelie dans sa défaite, et que notre chair mortelle sera devenue incorruptible 2. Alors, tu n’éprouveras plus aucune résistance de la part de la matière, et Dieu seul fera désormais ton bon heur. Les Juifs portaient donc envie au Sauveur, ils n’avaient d’autre désir que celui de dominer, et d’exercer le pouvoir souverain : aux yeux de plusieurs d’entre eux, Jésus leur enlevait ce pouvoir; aussi la soif ardente qu’ils ressentaient pour la domination les poussait-elle à se révolter contre lui. S’ils avaient résisté à leur désir coupable, ils auraient triomphé de leur envie : elle ne les aurait point vaincus, et le Seigneur, qui était venu pour les guérir, les aurait sauvés de la mort. Mais, parce qu’ils ont nourri la fièvre qui les consumait, ils ont repoussé leur médecin; ils ont agi selon les mouvements et les ardeurs de leur fièvre, et toutes les ordonnances de leur médecin, ils n’en ont tenu aucun compte; voilà pourquoi ils sont devenus les victimes de leur malice: le Sauveur, au contraire, y a échappé; car la mort a été détruite en lui, tandis que l’iniquité a trouvé la vie en eux; et parce qu’ils l’ont laissée subsister, ils sont morts eux-mêmes.
10. « Ils se sont concertés pour dresser leurs pièges en secret, et ils ont dit: Qui est-ce qui les verra? » Ils s’imaginaient que leurs projets homicides étaient ignorés de leur victime, de Dieu lui-même. Mais supposons que le Sauveur ne fût qu’un homme, et que pareil aux autres hommes, il ne connût pas les pensées
1. Rom. VI, 12. — 2. I Cor. XV, 54.
37
qu’ils nourrissaient contre lui; Dieu lui-même pouvait-il les ignorer? O coeur humain, pourquoi donc as-tu dit: Qui est-ce qui me verra? Oublies-tu que le Seigneur t’a créé, et qu’il ne te perd pas de vue? « Ils ont dit : Qui est-ce qui les verra?» Dieu les voyait; et le Christ aussi, parce qu’il est Dieu. Mais pourquoi s’imaginaient-ils qu’il ne les voyait pas? Ecoute ce qui suit.
11. « Ils se sont étudiés à former des projets criminels, mais ils n’ont pu réussir dans leur malice 1», c’est-à-dire dans leurs desseins cruels et malins. Ne le livrons pas nous-mêmes, ont-ils dit; servons-nous pour cela de l’un de ses disciples : ne le faisons pas mourir, mais forçons le juge à le condamner à mort. Faisons tout ce qu’il faut pour nous débarrasser de lui; mais ayons soin de ne point laisser même soupçonner que nous nous en occupons. Eh quoi! ne vous a-t-on pas entendus crier: « Crucifie-le, crucifie-le? » Si vous êtes aveugles, n’en est-ce pas assez? Faut-il encore que vous soyez sourds? L’innocence simulée n’est pas plus de l’innocence, que la justice feinte n’est de la justice. C’est une double injustice d’abord, parce qu’en soi il y a injustice, et qu’à ce péché vient se joindre la dissimulation. Voilà pourquoi ils n’ont pu réussir dans leurs mauvais desseins. Plus ils croyaient mettre de finesse dans l’élaboration de leurs plans, moins ils réussissaient, parce qu’en s’éloignant de la lumière de la vérité et de la justice, ils se précipitaient dans les abîmes des conseils méchants. La justice a un éclat qui lui est propre : elle répand ses rayons sur l’âme qui s’attache à elle, et elle lui communique son éclat: par une raison contraire, plus l’âme humaine s’éloigne de la lumière de la justice, et s’efforce de l’affaiblir par ses attaques, plus aussi s’éteint en elle ce flambeau divin, plus profonde est sa chute dans l’abîme des ténèbres. Ces hommes, qui scrutaient l’art de faire du mal au juste, s’éloignaient donc de la justice, et plus ils s’en écartaient, plus aussi ils défaillaient dans leur pénible travail. O l’adroit moyen de faire croire à leur innocence! Lorsque Judas, repentant d’avoir trahi le Christ, vint jeter à leurs pieds l’argent qu’ils lui avaient donné comme prix de sa trahison, ils ne voulurent point remettre cet argent dans le trésor, « car », dirent-ils, « C est le prix du
1. Ps. LXIII, 7.
sang : nous ne devons pas le faire entrer dans le trésor 1» . « Ce trésor » n’était autre qu’un coffre, consacré à Dieu, où l’on renfermait l’argent destiné au soulagement des serviteurs du Très-Haut qui manquaient du nécessaire. O homme! que ton coeur soit plutôt ce coffre divin où se con servent les richesses du Seigneur! Puisse-t-on y voir une monnaie divine! Puisse ton âme être cette précieuse monnaie, et porter sur elle l’image de ton souverain empereur! D’après cela, quel nom donner à ces sentiments de feinte innocence qui portèrent les Juifs à n’oser mettre dans le trésor du temple le prix du sang de Jésus-Christ, et à ne pas craindre de répandre ce sang lui-même, et d’en souiller leur conscience?
12. Mais que leur est-il advenu? «Ils n’ont pu réussir dans leurs malicieux desseins » -Pourquoi cet échec? Parce qu’ils ont dit « Qui est-ce qui s’en apercevra? » Ils s’imaginaient et tâchaient de se persuader que personne ne découvrirait le fil de leur trame. Remarque bien ce qui arrive à une âme méchante : elle s’éloigne de la lumière de la vérité, et par cela même qu’elle ne voit plus Dieu, elle se figure que Dieu ne la voit plus. Ainsi en est-il advenu des Juifs : ils se sont écartés de la vérité; ils se sont jetés dans les ténèbres, ils n’ont plus vu Je Seigneur et ils ont dit: Qui est-ce qui nous aperçoit? Celui-là même qu’ils attachaient à la croix, suivait la trace de leurs dissimulations méchantes; pour eux, ils ne pouvaient ni faire réussir leurs projets, ni voir désormais le Fils de Dieu et le Père éternel. Mais puisque le Sauveur n’ignorait rien de ce qui concernait ses ennemis, pourquoi s’est-il soumis à tomber en leurs mains, et à se voir par eux mis à mort? Pourquoi a-t-il laissé réussir les plans qu’ils avaient formés contre lui? Pourquoi? Parce qu’il s’était fait homme pour sauver les hommes, il avait caché sa divinité sous les traits de l’humanité pour donner à ceux qui ne le connaissaient pas un exemple de force d’âme et de courage: il connaissait lui-même la malice de ceux qui le persécutaient, mais il souffrait leurs mauvais traitements pour en venir à ses fins.
13. Voyons ce qui suit : «L’homme et le coeur profond s’approcheront, et Dieu sera exalté 2 » Les Juifs avaient dit: Qui est-ce qui nous verra? « Ils n’ont pu faire réussir
1. Matth. XXVII, 6. — 2. Ps. LXIII, 8.
38
leurs malicieux projets ». L’homme a pénétré tous leurs desseins, et- il leur a permis de s’emparer de son humanité sainte : s’il n’avait pas été revêtu de notre humanité, jamais ses ennemis n’auraient pu, ni mettre la main sur lui, ni le voir, ni le frapper, ni le crucifier, ni le faire mourir : par la même raison, il n’aurait pas été délivré de leurs embûches. « Cet homme, ce coeur profond », c’est-à-dire ce coeur secret, s’approcha donc aux regards d’un homme, il n’offrait que l’apparence des hommes; mais sous cette enveloppe mortelle, se dérobait- à leurs yeux la divinité : on n’apercevait donc point en lui cette nature divine qu’il partageait avec le Père et qui le rendait égal au Père; on n’y voyait que la forme d’esclave, par laquelle il lui était devenu inférieur. Il nous instruit lui-même de ces différents états où il se trouve, suivant qu’on le considère ou comme Dieu ou comme homme. Comme Dieu, il nous dit : « Mon Père et moi, nous ne sommes qu’un 1». Comme homme, il ajoute : « Mon Père est plus grand que moi 2 ». Mais pourquoi, comme Dieu, peut-il dire : « Mon Père et moi nous ne sommes qu’un? » Parce qu’étant de la nature de Dieu, il n’a pas cru « commettre un larcin en disant qu’il était égal à Dieu » Pourquoi encore a-t-il pu dire comme homme : « Mon Père est plus grand que moi? » Parce qu’ « il s’est anéanti lui-même en prenant la nature d’esclave 3 ». L’homme et le coeur profond se sont approchés, et Dieu a été exalté. L’homme a été mis à mort, et le Dieu a été glorifié. Qu’il ait été crucifié, ç’a été la suite dé la faiblesse humaine : s’il est ressuscité et monté au ciel, ç’a été l’effet de sa puissance divine 4. « L’homme s’approchera, et aussi le coeur profond », c’est-à-dire le coeur secret, le coeur caché, qui ne faisait paraître ni ce qu’il savait, ni ce qu’il était. Aussi les Juifs supposaient-ils qu’il n’était autre que ce qu’il semblait être : ils le mirent donc à mort cet homme qui s’était retiré dans la profondeur de son humilité, mais Dieu fut exalté dans la grandeur de sa gloire par sa puissance infinie, et dans la suprême majesté de sa gloire, il s’est retiré dans ce séjour céleste, qu’il n’avait point quitté, même au temps de ses humiliations.
14. « L’homme s’approchera, et aussi le coeur profond, et Dieu sera glorifié ». Aussi, mes
1. Jean, X, 30.— 2. Id. XIV, 28.— 3. Phil. II, 6, 7.— 4. II Cor. XIII, 4.
frères, considérez la profondeur du coeur de l’homme. De quel homme? De celui dont le Prophète a parlé ainsi : « Un homme dira à Sion : Tu es ma mère. Et cet homme a été formé en elle : il est le Très-Haut qui l’a fondée 1». Le Très-Haut, qui a jeté les fondements de Sion, a été formé et s’est fait homme dans cette ville dont il est devenu le fondateur. « L’homme s’est donc approché, et aussi le coeur profond ». Considère la profondeur du coeur de cet homme, et, si tu le peux, et autant que tu le pourras, vois Dieu dans l’abîme de ce coeur. L’homme s’est approché ; et parce qu’il était Dieu, parce qu’il devait souffrir volontairement, parce qu’il devait encourager les faibles par son exemple, parce qu’enfin les efforts de ses ennemis et de ses persécuteurs devaient rester inutiles, vu que, malgré l’humanité et la chair mortelle dont il était revêtu, il était Dieu ; voici ce qu’ajoute le Psalmiste : « Leurs flèches sont devenues comme des traits lancés par des enfants ». Qu’est devenue la fureur des Juifs? A quoi ont abouti les rugissements du lion, les cris effrénés de ce peuple ivre de colère: « Crucifie-le! Crucifie-le ? » Les piéges, creusés par ceux qui ont tendu leur arc, ont-ils servi à prendre leur victime? Mais non, car « leurs flèches sont devenues comme des traits lancés par des enfants ». Vous le savez : les enfants se servent de roseaux pour faire des flèches. Avec de telles armes, qui pourraient-ils blesser? Comment pourraient-ils en blesser d’autres? Quels bras pour lancer un trait? Quels traits entre pareilles mains? Quelles mains? Quelles armes? «Leurs flèches sont devenues comme des traits lancés par des enfants».
15. « La malice de leur langue n’a pas réussi; elle s’est retournée contre eux-mêmes 2 ». Qu’ils aiguisent leur langue comme on aiguise un glaive, qu’ils s’affermissent, s’ils le veulent, dans leurs injustes résolutions; en vérité, ils ont eu raison de s’y affermir, puisque « la malice de leur langue n’a pas réussi, et qu’elle s’est retournée contre eux ». Leurs projets pouvaient-ils réussir contre Dieu ? « L’iniquité », a dit le Prophète, « s’est menti à elle-même 3. La malice de leur langue n’a pas réussi ; elle s’est retournée contre eux ». Le Sauveur est sorti vivant du tombeau où l’avaient jeté ses ennemis. Ceux-ci avaient
1. Ps. LXXXVI, 5. — 2. Ps. LXIII, 9. — 3. Id. XXVI, 12.
39
passé devant sa croix ou s’y étaient arrêtés, comme le Psalmiste l’avait prédit longtemps
auparavant en ces termes : « Ils ont percé mes mains et nies pieds, et compté tous mes os; ils m’ont regardé et considéré attentivement 1». Alors, ils secouaient la tête en disant: « S’il est le Fils de Dieu, qu’il descende donc de la croix ! » Ils avaient voulu, en quelque sorte, s’assurer s’il était le Fils de Dieu, et, à leur avis, ils avaient reconnu qu’il ne l’était pas, puisqu’en dépit de leurs insultes, il n’était pas descendu de la croix; s’il l’avait fait, ils auraient avoué sa
filiation divine 2. Pour toi, mon frère, que penses-tu de ce qu’il est resté sur sa croix, et de ce que, néanmoins, il est ressuscité? Quel profit ont-ils tiré de leur conduite à son égard? Et quand même il ne serait point sorti vivant de son tombeau, en auraient-ils été plus avancés? Non, car il leur serait advenu ce qui est advenu aux persécuteurs des martyrs. Les martyrs ne sont point encore revenus à la vie; leurs persécuteurs n’y ont rien gagné, puisque nous célébrons aujourd’hui le triomphe éternel des victimes. A quoi a donc abouti la fureur des ennemis de notre Dieu? « Leurs flèches sont devenues comme des traits lancés par des enfants ; la malice de leur langue n’a pas réussi, elle s’est retournée contre eux ». Jusqu’où ont-ils poussé cette malice, dont les calculs leur ont fait défaut? Jusqu’à placer des gardes auprès du tombeau du Christ; car bien qu’ils l’eussent fait mourir, qu’il fût enseveli, il leur inspirait encore des craintes. Ils dirent donc à Pilate « Ce séducteur ». Ainsi appelaient-ils Notre-
Seigneur Jésus-Christ, et ce devait être là un sujet de consolation pour tous les chrétiens que le nionde calomnie. Ils s’adressèrent donc à Pilate et lui dirent : « Etant encore en vie, ce séducteur a dit qu’il ressusciterait trois jours après sa mort. Ordonnez donc qu’on garde son tombeau jusqu’au troisième jour, de peur que ses disciples ne viennent l’enlever, et qu’ils ne disent au peuple qu’il est ressuscité d’entre les morts; cette dernière erreur serait pire que la première. Vous avez des gardes, leur répondit Pilate: allez, et gardez-le comme vous voudrez. Ils s’en allèrent donc, établirent une garde près du sépulcre, en y plaçant des soldats, et ils apposèrent leur sceau sur la pierre 3 ».
1. Ps. XXI, 17, 18.— 2. Matth. XXVII, 40-43.— 3. Matth. XXVII, 63-66.
Les Juifs appostèrent auprès du tombeau de Jésus des soldats pour le garder: tout à coup la terre trembla, et le Sauveur sortit vivant du séjour de la mort, et il s’opéra, autour de son tombeau, de tels prodiges que les soldats, chargés de le garder, auraient pu en rendre témoignage s’ils avaient voulu rapporter les faits comme ils les avaient vus; malheureusement, l’amour de l’argent, qui avait aveuglé un compagnon de Jésus, dans la personne de Judas, paralysa la langue des soldats auxquels fut confiée la garde du divin tombeau. « Nous vous donnerons de l’argent, leur dirent les Juifs: vous direz donc que, pendant votre sommeil, ses disciples sont venus et l’ont enlevé 1 ». En vérité, « les profonds calculs de leur malice ont été déjoués ». O malheureuse astuce ! ne faut-il pas que tu aies perdu de vue la lumière d’une réflexion éclairée, que tu te sois précipitée dans les ténèbres d’une noire méchanceté pour tenir ce langage : Dites que, pendant votre sommeil, ses disciples sont venus et qu’ils l’ont enlevé? Comment I tu en appelles au témoignage de gens endormis ! Ne dormais-tu pas toi-même en imaginant une pareille combinaison, qui montre surabondamment ta faiblesse? Car s’ils dormaient, qu’ont-ils pu voir? Et s’ils n’ont rien vu, méritent-ils le nom de témoins? « Mais ils n’ont pu réussir dans leurs vains projets ».
Ils se sont écartés des rayons de la lumière divine; ils ont vu échouer leurs entreprises, et puisqu’au moment d’agir, ils n’ont pu venir à bout de rien, ils ont manifesté leur impuissance. Pourquoi cela? Parce que l’homme s’est approché, et aussi le coeur profond, et Dieu a été exalté. Oui, aussitôt que la résurrection de Jésus-Christ fut connue dans le monde, au moment où, par la descente du Saint-Esprit, des disciples, jusqu’alors découragés et dominés par la crainte, se montrèrent assez fermes pour annoncer la mort de leur Maître et tout ce qu’ils avaient vu, alors fut exaltée et glorifiée la grandeur du Dieu qui avait paru au pied d’un tribunal, et y avait subi une condamnation ignominieuse pour nous relever du milieu de notre bassesse jusqu’à lui: et quand les Apôtres, pareils â des trompettes divines, eurent annoncé à l’univers l’avènement futur de Celui qu’ils avaient vu jugé par des hommes, et qui viendra les juger à
1. Matth. XXVIII, 12, 13.
40
son tour, alors « tous ceux qui les virent, furent plongés dans le trouble ». Dieu fut donc glorifié : le Christ fut annoncé; dès lors plusieurs d’entre les Juifs s’aperçurent que
leurs coreligionnaires avaient échoué dans la réalisation de leurs projets : une foule de miracles s’opéraient, en effet, sous leurs yeux, au nom de Celui qu’ils avaient crucifié et fait mourir de leurs propres mains. Ils se séparèrent donc de coeur et d’affection de leurs frères endurcis, trouvant dans l’opiniâtre impiété de ces malheureux aveugles un sujet de dégoût et d’horreur : et, mieux inspirés par rapport à leur salut, ils s’adressèrent aux Apôtres, et leur dirent : « Que ferons-nous? Tous ceux qui les virent, furent plongés dans le trouble 1». En d’autres termes, on vit tomber dans le trouble tous ceux qui s’aperçurent de l’inutilité de leurs projets, et comprirent que leurs malicieux complots tourneraient à leur propre confusion et à leur propre perte.
16. « Et tout homme fut saisi de crainte 2». Ceux qui n’éprouvèrent pas ce sentiment de crainte ne méritaient pas même le nom d’hommes. « Tout homme fut saisi de crainte » : c’est-à-dire, toute personne raisonnable et capable d’apprécier les événements: aussi, devrait-on donner le nom de bêtes, et même de bêtes brutes et sauvages, aux hommes qui demeurèrent alors insensibles à la crainte; et le peuple juif est encore aujourd’hui un lion qui rugit et fait des victimes. Mais la crainte s’empara de tout homme, c’est-à-dire, de quiconque voulut se soumettre au joug de la foi, et conçut une sainte frayeur à la pensée du jugement à venir. « Et tout homme fut saisi de crainte, et ils publièrent hautement les oeuvres de Dieu ». A celui qui disait : « Seigneur, délivrez-moi de la crainte de mes ennemis », s’appliquent donc ces paroles : « Tout homme a été saisi de crainte ». Il était délivré de la crainte de ses ennemis, mais il était sous l’impression de la crainte de Dieu. S’il redoutait quelqu’un, c’était, non pas celui qui peut tuer le corps, mais celui qui peut précipiter tout à la fois le corps et l’âme dans la géhenne du feu 3. Les Apôtres ont prêché l’Evangile. D’abord, Pierre fut saisi de crainte, il avait peur de l’ennemi : son âme n’était pas encore à l’abri de toute appréhension à
1. Act. II, 1-37. — 2. Ps. LXIII, 10 — 3. Matth. X, 28.
l’égard de ses adversaires. Questionné par une servante sur sa présence au milieu des disciples. du Sauveur, il renia trois fois son divin Maître 1. Après sa résurrection, Jésus affermit cette colonne de l’Eglise. Pierre annonce alors la bonne nouvelle sans trembler, et, néanmoins, sous l’influence de la crainte; sans trembler en face de ceux qui peuvent tuer le corps; sous l’influence de la crainte à l’égard de celui qui peut précipiter tout àla fois le corps et l’âme dans la géhenne du feu. « Tout homme a été saisi de crainte, et ils ont hautement publié les oeuvres de Dieu ». Dès que les Apôtres eurent commencé à publier les oeuvres du Très-Haut, les princes des prêtres les firent comparaître devant eux, et leur firent des menaces en leur intimant « la défense de prêcher au nom de Jésus-Christ. Mais ceux-ci leur répondirent: Dites-nous à qui, de Dieu ou des hommes, il vaut mieux obéir 2? » Que pouvaient-ils répondre à une pareille question? Auraient-ils osé dire qu’il vaut mieux obéir aux hommes qu’à Dieu? Non, et leur réponse n’était pas douteuse, et ils devaient déclarer que la soumission envers Dieu doit avoir le pas sur la soumission à l’égard des hommes;
aussi, parce qu’ils connaissaient la volonté du Tout-Puissant, les Apôtres dédaignèrent-ils les menaces des prêtres. « La crainte, dont l’homme fut saisi », devint donc la source de sa fermeté et de son courage, et « ils publièrent hautement les oeuvres de Dieu ». Si l’homme éprouve des sentiments de crainte, ce n’est point son semblable, mais son créateur qui doit les lui inspirer. Redoute ce qui est supérieur à l’homme, et jamais l’homme ne te fera trembler. Appréhende la mort éternelle, et tu ne t’inquiéteras nullement de la vie présente. Soupire après les immortelles voluptés du paradis; que l’immuable tranquillité du ciel soit l’objet de tes désirs, et tu te riras du monde entier et de tous ses faux biens. Aime et crains en même temps; aime ce que Dieu te promet, crains l’effet de ses menaces, et les promesses de l’homme ne corrompront point ton coeur, et ses menaces ne t’ébranleront pas. « Tout homme a été saisi de crainte, et ils ont publié hautement les oeuvres de Dieu, et ils les ont comprises ». Qu’est-ce à dire: « Ils ont compris ses prodiges? » Etait-ce là, ô Seigneur
1. Matth. XXVI, 69. — 2. Act. V, 27-29.
41
Jésus, ce que vous taisiez lorsque, pareil à une innocente brebis, vous alliez à la mort, sans ouvrir la bouche pour vous plaindre de vos bourreaux, lorsque nous vous considérions plongé dans les souffrances et la douleur, et ressentant toute notre faiblesse? Etait-ce pour cela, ô le plus beau des enfants des hommes, que vous nous dérobiez la vue de vos charmes infinis 1, et que vous sembliez n’avoir ni grâce ni beauté 2? Attaché à la croix, vous supportiez les insultes et les ricanements de vos ennemis : « S’il est le Fils de Dieu », disaient-ils, « qu’il descende donc de sa croix 3 ! »De tous vos serviteurs, de tous ceux qui connaissent votre suprême puissance, en est-il un seul qui ne se soit entièrement décrié : Oh ! si seulement il descendait du haut de sa croix pour la confusion de ceux qui le blasphèment de la sorte ! Mais il ne devait pas en être ainsi : il fallait que le Sauveur mourût pour le salut de ceux qui étaient condamnés à mourir, comme il devait ressusciter pour nous communiquer la vie éternelle. Voilà ce que ne comprenaient pas ceux qui le défiaient de descendre de sa croix; mais quand, après sa résurrection, il monta glorieusement au ciel, ils comprirent les oeuvres de Dieu : « Ils ont publié les oeuvres de Dieu, et ils les ont comprises ».
17. « Le juste se réjouira dans le Seigneur 4». La tristesse ne doit plus être aujourd’hui le partage du juste. Au moment où le Sauveur mourut sur la croix, les Apôtres étaient plongés dans la tristesse, ils s’en retournèrent, le coeur accablé de chagrin et d’ennui, car ils croyaient avoir perdu toute lueur d’espérance. Le Sauveur sortit d’entre les morts, et, malgré le prodige de sa résurrection, leur tristesse était toujours la même, quand il vint les visiter. Par un effet de sa volonté, les deux disciples qui voyageaient sur le chemin d’Emmaüs ne le reconnurent point: ils gémissaient et pleuraient ; il différa de se faire connaître à eux jusqu’au moment où il leur eut exposé le sens des Ecritures, et montré, par les passages de nos saints livres, que les événements devaient avoir lieu comme, ils avaient eu lieu effectivement. Il leur fit comprendre que, d’après les oracles sacrés, le Seigneur devait ressusciter le troisième jour. Mais serait-il ressuscité d’entre les morts le troisième jour, s’il était descendu de sa croix?
1. Ps. XLIV, 3.— 2. Ps. LIII, 2 - 7.— 3. Matth. XXVI, 40. — 4. Ps. LXIII, 11.
Aujourd’hui vous êtes tristes en voyageant mais combien vous seriez heureux et fiers si votre Sauveur, pour répondre aux insultantes provocations des Juifs, était descendu de sa croix! Vous seriez au comble de la joie, s’il leur avait, par là, fermé la bouche. Mais attendez que le médecin vous fasse connaître ses projets et agisse: il ne descend pas de sa croix; il veut mourir de la main de ses ennemis, pour vous préparer le remède qui doit vous guérir. Le voilà maintenant ressuscité; il vous parle, vous ne le reconnaissez pas encore, mais vous n’en ressentirez que plus de joie lorsque vos yeux s’ouvriront. Plus tard, et par la fraction du pain, il se manifeste à eux, et ils le reconnaissent 1, et leur joie se traduit en exclamation: « Le juste se réjouira dans le Seigneur». On annonce l’heureuse nouvelle à un disciple incrédule : le Seigneur a été vu , il est ressuscité ; la tristesse de cet Apôtre continue, car il ne croit pas à l’événement dont on lui parle : « Si je ne mets pas mes doigts à la place de ses clous, si je ne touche pas ses plaies, je ne croirai pas ». Le Sauveur lui donne son corps à toucher; il y porte la main, il le palpe et s’écrie : « Mon Seigneur et mon Dieu! Le juste se réjouira dans le Seigneur». Ils se sont donc réjouis dans le Seigneur, les justes qui ont vu et touché, et qui ont cru. Mais les justes d’aujourd’hui, qui ne voient point et ne touchent point, peuvent-ils, eux aussi, se réjouir dans le Seigneur? Oui, car le Seigneur a dit à Thomas lui-même: « Parce que tu m’as vu, tu m’as cru; bienheureux ceux qui n’ont pas vu, et qui ont cru 2». Réjouissons-nous donc tous dans le Seigneur; que, réunis dans le sentiment d’une même foi, nous formions tous ce juste dont parle le Psalmiste : ne formons tous qu’un seul corps uni au même chef, et réjouissons-nous, non en nous-mêmes, mais dans le Seigneur ; car notre souverain bien réside, non en nous, mais en celui qui nous a créés: lui seul est notre bien et la source de notre joie. Qu’aucun d’entre nous ne se réjouisse en lui-même; que personne ne présume ou ne désespère de lui-même; que personne ne place son espérance dans son semblable, car nous devons nous efforcer d’amener les autres à partager notre confiance, mais jamais nous ne devons les considérer comme le motif et lé principe de notre espérance,
1. Luc, XXIV, 16-46. — 2. Jean, XX, 25-29.
42
18. « Le juste se réjouira dans le Seigneur, et il espérera en lui, et tous ceux qui ont le coeur droit seront au comble de l’allégresse ». Le Seigneur Jésus est ressuscité, il est monté au ciel, il nous a prouvé par là l’existence d’une autre vie, il a manifesté au grand jour les desseins qu’il tenait cachés au plus profond de soit coeur, et fait voir qu’ils n’étaient pas vains; il a répandu son sang comme prix de notre rédemption: la sagesse de ses plans divins a éclaté au grand jour: on a publié ses prodiges: le monde entier y a cru; le juste, n’importe en quelle contrée du monde il se trouve, « se réjouira donc dans le Seigneur, et mettra son espérance en lui, et tous ceux qui ont le coeur droit, seront au comble de l’allégresse ». Qui sont ceux dont le coeur est droit? Mes frères, nous vous le disons souvent, et il est bon pour vous de le bien comprendre. Qui sont ceux dont le coeur est droit? ce sont les hommes qui attribuent les tribulations, au milieu desquelles ils vivent, non à un défaut de sagesse de la part de Dieu, mais à sa sagesse, et qui les regardent comme un moyen providentiel destiné à la guérison de leur âme: de pareilles gens ne sont point infatués de la pensée de leur propre justice, au point de supposer qu’ils souffrent sans l’avoir mérité, ou d’accuser Dieu de ce que les plus grands pécheurs ne sont pas les plus affligés. Encore une fois, remarquez-le, car nous vous l’avons souvent dit. Souffres-tu quelque maladie dans ton corps, ou une perte dans tes biens, ou une séparation pénible occasionnée par la mort, dans ta famille? Parmi ceux qui t’entourent, tu en remarques de plus méchants que toi, et sans te croire vraiment juste, tu les reconnais moins bons encore; je t’en conjure, ne sois point jaloux de ce qu’ils réussissent, et se trouvent à l’abri des châtiments célestes. Puissent les desseins du Très-Haut ne point ébranler ta foi! Ne dis pas : Je suis pécheur, et Dieu me punit: pourquoi donc n’inflige-t-il aucune punition à cet homme, qui l’a évidemment offensé plus grièvement que moi? J’ai mal fait, je le sais bien; mais si coupable que je sois, le suis-je autant que lui? Si tu parlais ainsi, tu donnerais la preuve sans réplique de la fausse direction imprimée à tes pensées. Que le Dieu d’Israël est bon, mais pour ceux qui ont le coeur droit ! Tes pieds glissent sous toi, parce que tu t’irrites contre les pécheurs, envoyant la paix dont ils jouissent 1. Laisse agir le médecin ; celui qui connaît la blessure sait le remède qu’il doit y appliquer. Mais pourquoi cet autre n’est-il pas maltraité ? Pourquoi? parce qu’il est impossible d’espérer le sauver. On te fait de douloureuses incisions, parce que tu pourras guérir. Souffre donc, avec droiture de coeur, toutes tes épreuves. Le Seigneur sait ce qu’il doit t’accorder, et ce qu’il doit te refuser. Ce qu’il te donne doit servir à te consoler, et non à te corrompre ; s’il te refuse ses dons, supportes-en la privation et ne blasphème pas. Si la conduite de Dieu te déplaît et te fait blasphémer, si tu te complais en toi-même, c’est la preuve que tu as le coeur tordu et perverti; et le pis, en tout cela, c’est que tu veux faire du coeur de Dieu ce que tu fais du tien : tu veux lui imposer tes volontés au lieu d’agir selon son bon plaisir. Eh quoi! Voudrais-tu détourner aussi du bien le coeur de Dieu? Il est si droit! Prétendrais-tu lui communiquer la fausseté du tien? Ne vaudrait-il pas mieux, mille fois, ramener le tien à la droiture dc celui de Dieu? N’est-ce point là ce que t’a enseigné ce Dieu, dont les souffrances faisaient tout à l’heure le sujet de nos entretiens? Ne te montrait-il pas qu’il s’était revêtu de ta faiblesse, quand il disait : « Mon âme est triste jusqu’à la mort? » Ne te figurait-il pas en sa personne, quand il disait : « Mon Père, si c’est possible, que ce calice s’éloigne de moi? » Le coeur du Père et celui du Fils n’étaient pas différents l’un de l’autre : ce n’était, à vrai dire, qu’un seul coeur; mais en se revêtant de la forme d’esclave, il a pris ton coeur pour l’instruire par ses exemples. Or, voilà qu’en face de la tribulation, ton coeur est tout différent du sien : il voudrait ne pas être éprouvé; il se met en contradiction avec la volonté divine. Puisque le coeur de Dieu ne peut se prêter aux mauvaises dispositions du tien, conforme donc le tien à celui de Dieu ; écoute ce qu’il dit à son Père: « Toutefois, ne faites pas ce que je veux, mais faites ce que vous voulez 2».
19. Aussi, « tous ceux qui ont le coeur droit, seront loués ». Qu’en conclure? C’est que, si « ceux qui ont le coeur droit, doivent être loués »,ceux qui ont le coeur tordu et déréglé seront condamnés. Tu as à choisir de deux choses l’une : choisis donc tandis qu’il en est
1. Ps. LXXII, 1-3. — 2. Matth. XXVI, 38, 39.
43
temps. Si ton coeur est droit, tu iras à la droite et tu seras loué. Comment cela? « Venez, bénis de mon Père: recevez le royaume qui vous a été préparé dès l’origine du monde ». Si, au contraire, tu as le coeur tordu et déréglé, situ te moques de Dieu, si tu te joues de sa Providence ; si tu dis en toi-même : Il est évident que Dieu ne s’occupe pas des choses de ce monde; car, s’il en prenait soin, ce scélérat serait-il dans l’abondance et moi dans la disette? il est sûr que ton coeur n’est pas droit. Viendra le jugement, et alors on connaîtra les motifs secrets de la conduite de Dieu : alors aussi, parce que tu n’auras pas voulu rétablir ton coeur dans la droiture et le rendre semblable à celui de Dieu, parce que tu auras négligé de te rendre digne d’aller à la droite du Seigneur, en cet endroit « où seront loués ceux qui ont le coeur droit », tu iras à la gauche, et tu y entendras ces paroles : « Allez au feu éternel, qui a été préparé au démon et à ses anges 2 ». Sera-t-il temps alors de redresser son coeur? Redressez-le donc maintenant, mes frères; redressez-le dès aujourd’hui. Quel obstacle pourrait s’y opposer? On chante le psaume devant toi; on te lit l’Evangile; tu entends de bonnes lectures, de saintes instructions; le Seigneur est patient : tu l’offenses et il t’épargne; tu renouvelles tes infidélités, et il ne te punit pas, et tu ajoutes encore au nombre de tes fautes. Jusques à quand le Très-Haut usera-t-il d’indulgence à ton égard? Prends-y garde! Tu pourrais bien éprouver à la fin les rigueurs de sa justice. Nous vous effrayons, parce que nous sommes saisis de crainte rassurez-nous, et nous ne vous troublerons plus. Mais j’aime beaucoup mieux trembler à la pensée de Dieu, que de puiser ma confiance dans la pensée de n’importe quel homme, « car tout homme a été saisi de crainte, et ils ont publié les oeuvres de Dieu ». Daigne le Seigneur nous compter au nombre de ceux qui ont tremblé et fait connaître ses ouvrages. Nous vous prêchons maintenant en son nom, mes frères, parce
1. Matth. XXV, 34, 41.
que nous craignons. Nous sommes témoins de votre empressement à écouter sa parole, du vif désir que vous avez de nous entendre, de votre bonne volonté. La terre de votre coeur est suffisamment imprégnée de la rosée du ciel. Puisse-t-elle produire du froment et non des épines, car si les celliers du père de famille doivent contenir le bon grain, les épines seront livrées aux flammes. Tu sais ce que tu dois faire de ton champ, et Dieu ne saurait ce qu’il doit faire de son serviteur? Pour une terre fertile, la pluie qui l’arrose est un bienfait du ciel ; et, si elle tombe sur un champ couvert de ronces et d’épines, en est-elle moins précieuse? Et ce champ peut-il rendre la pluie responsable de sa stérilité? La pluie elle-même ne rendra-t-elle pas témoignage contre lui, et ne dira-t-elle pas J’ai répandu partout, d’une manière égale, la douceur de mes ondées? Quelles sont tes oeuvres? Remarque-le attentivement, afin de juger de ce qui t’est réservé. Si tu produis du froment, sois-en sûr, tu iras dans le cellier du Père de famille; si tu produis des épines, le feu sera ton partage; mais le temps d’être mis dans les greniers célestes ou jeté dans te feu éternel n’est pas encore venu : préparons-nous donc à ce moment décisif, et nous n’éprouverons aucune crainte. Vous qui m’écoutez et moi qui vous parle au nom de Jésus-Christ, nous vivons encore; et puisqu’il en est ainsi, n’avons-nous ni le moyen ni le temps de réformer nos pensées, et de devenir de parfaits chrétiens? Et si vous le voulez, pourquoi cette conversion n’aurait-elle pas lieu dès aujourd’hui? Pourquoi ce changement de nos moeurs ne se ferait-il pas dès maintenant? Pour en venir là, faut-il faire de grandes acquisitions, des recherches pénibles, de lointains voyages aux Indes? Faut-il noliser des vaisseaux choisis entre tous? Non; change ton coeur au moment même où je t’adresse la parole, et ainsi sera accompli ce que, depuis si longtemps, on te presse de faire; et si tu ne le fais pas, ta mauvaise volonté sera pour toi la source d’une punition éternelle.
DISCOURS SUR LE PSAUME LXIV
SERMON AU PEUPLE.
LA DÉLIVRANCE.
Ezéchiel et Jérémie chantent le retour de Babylone à Jérusalem, d’où le crime du Calvaire a de nouveau banni les Juifs. Babylone ou confusion est la ville de Caïn, Jérusalem ou vision de la paie est la ville d’Abel. Ces deux cités mélangées ici-bas seront séparées par Dieu au jugement, Jérusalem à sa droite, Babylone à sa gauche. Nous sommes de Babylone par l’amour du monde, et de Jérusalem par l’amour de Dieu. — Ce Psaume est pour ceux qui commencent à sortir de Babylone, ou à aimer Dieu, à chanter Jérusalem, à l’habiter par le coeur. Ici-bas, quand nous soupirons après Jérusalem, la chair résiste, mais la mort sera détruite et la charité fera de nous un holocauste. Toute chair ou tons les hommes viendront au Seigneur; on leur a prêché l’idolâtrie, mais Dieu leur remettra leurs fautes par l’expiation du Calvaire, dont l’effet est figuré par l’entrée du grand prêtre seul dans le Saint des Saints, figure demeurée incomprise pour les Juifs incrédules. Bienheureux au contraire les hommes unis à Dieu par l’incarnation. Dieu leur donnera dans sa maison le spectacle de la justice. C’est le Christ qui doit nous exaucer, lui l’espoir de la terre et non d’une partie, l’espoir de la mer on du monde, où il nous prend dans ses filets. Soyons les bons poissons. Dieu prépare les montagnes on les apôtres, trouble le fond des mers, ou les coeurs impies, les amène au bien. Le monde révolté est vaincu. Dieu visite la terre, l’arrose, laisse croître l’ivraie jusqu’à la moisson, féconde le désert, multiplie le bercail. L’hymne de joie.
1. Le titre du psaume nous fait connaître ici la voix d’une sainte prophétie. Voici cette inscription : « Pour la fin, psaume de David, cantique de Jérémie et d’Ezéchiel au nom du peuple de la captivité, au moment du retour 1». Tous ne savent point ce qui se passa chez nos pères au temps de la captivité de Babylone, mais ceux-là seulement qui ont écouté ou lu avec soin les saintes Ecritures, Le peuple d’Israël fut donc captif, emmené de Jérusalem, et réduit en servitude à Babylone 2. Mais le saint prophète Jérémie annonça que ce peuple reviendrait de cette captivité, après soixante et dix années, qu’il rebâtirait cette même cité de Jérusalem, dont il avait pleuré la dévastation par ses ennemis 3. Or, en ce même temps il y avait, parmi ce peuple captif à Babylone, des Prophètes, et entre autres le prophète Ezéchiel. Ce peuple donc attendait que fussent accomplies les soixante-dix années, selon la prophétie de Jérémie. Il arriva, qu’après ces soixante-dix années, le temple se releva de ses ruines, et une grande partie de ce peuple revint de la captivité. Mais comme l’Apôtre a dit : « Toutes ces choses qui leur arrivaient étaient des figures; elles ont été écrites pour nous instruire, nous qui vivons à la fin des temps 4», nous devons connaître
1. Ps. LXIV, 1. — 2. IV Rois, XXIV, 25. — 3. Jérém. XXIX, 11, et XXIX, 10. — 4. I Cor. X, 11.
d’abord ce qui est pour nous la captivité, ensuite la délivrance; nous devons connaître Babylone, dans laquelle nous sommes captifs, et Jérusalem, où nous aspirons à retourner. Ces deux cités sont réellement et littéralement deux cités. Cette Jérusalem, à la vérité, n’est plus habitée par les Juifs. Après la mort du Sauveur Sur la croix, ce crime fut vengé par de grands fléaux ; arrachés de ce lieu, où leur fureur insolente, leur délire impie avait éclaté contre leur médecin, ils furent dispersés parmi les nations, et leur terre échut aux chrétiens: alors s’accomplit ce que leur avait dit le Seigneur : « C’est pourquoi le royaume de Dieu vous sera enlevé, et donné à un peuple pratiquant la justice 1 ». En voyant des foules si nombreuses à la suite du Seigneur qui prêchait le royaume des cieux, et qui faisait des miracles, les princes de cette cité s’écrièrent : « Si nous le laissons ainsi, chacun le suivra, et les Romains viendront et nous extermineront nous et notre ville 2 ». Afin de ne point perdre la ville, ils mirent à mort le Seigneur, et ils la perdirent précisément à cause de cette mort. Donc cette cité de la terre était la figure d’une cité éternelle dans le ciel : mais dès que fut prêchée au grand jour la cité ainsi figurée, celle qui en était l’ombre fut rejetée: aussi n’y voit-on plus aujourd’hui
1. Matth. XXI, 43. — 2. Jean, XI, 48.
45
ce temple qui avait été construit pour symboliser dans l’avenir le corps du Seigneur. Nous avons la lumière, la figure a passé: et toutefois nous sommes encore dans une certaine captivité: « Tant que nous sommes sous notre «chairs, dit l’Apôtre, « nous sommes éloignés du Seigneur 1 ».
2. Voyez aussi les noms de ces deux cités, Babylone et Jérusalem. Babylone signifie confusion, et Jérusalem, vision de la paix. Fixez votre attention sur la cité de confusion, pour comprendre la cité de la paix; supportez l’une et soupirez après l’autre. A quoi pouvons-nous distinguer ces deux cités? Pouvons-nous les séparer l’une de l’autre? Elles sont mélangées, et mélangées dès l’origine même du genre humain; elles doivent arriver ainsi jusqu’à la fin des siècles. Jérusalem a commencé par Abel, Babylone par Caïn; cflr lés murailles de ces villes ne se sont élevées que plus tard. Cette Jérusalem était dans la terre des Jébuséens; car elle s’appelait d’abord Jébus 2, et la race des Jébuséens en fut chassée, quand le peuple de Dieu, délivré de 1’Egypte, fut introduit sur la terre promise. Babylone fut bâtie au milieu des régions de la Perse, et leva longtemps sur les autres nations sa tête orgueilleuse. Ces deux villes ont donc été bâties à des époques fixes, afin d’être la figure de ces autres cités commencées jadis, et qui doivent durer jusqu’à la fin des siècles, mais se séparer à la fin. Comment alors pouvons-nous les montrer, aujourd’hui qu’elles sont mélangées ? Dieu saura les discerner quand il mettra les uns à sa droite, les autres à sa gauche. Jérusalem occupera la droite et Babylone la gauche. Jérusalem entendra ces paroles : « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé dès l’origine du monde». Babylone s’entendra dire : « Allez au feu éternel préparé au diable et à ses anges 3 ». Toutefois, avec la lumière de Dieu, nous pouvons donner des marques pour distinguer les pieux fidèles, même dès aujourd’hui, et les citoyens de Jérusalem des citoyens de Babylone. Ces deux cités subsistent par deux amours : Jérusalem par l’amour de Dieu, Babylone par l’amour du monde. Que chacun interroge son coeur, et il saura de quelle ville il est citoyen; et s’il reconnaît qu’il est de Babylone, qu’il
1. II Cor. V, 6.— 2. II Rois, V, 6 et Josué, XVIII, 28.— 4. Matth, XXV, 34, 41.
extirpe de son coeur les convoitises pour y planter la charité; s’il se reconnaît au contraire habitant de Jérusalem, qu’il endure la captivité et soupire après sa délivrance, Plusieurs, en effet, qui avaient pour mère la sainte Jérusalem, étaient retenus par leurs convoitises dans la corruption de Babylone, et leurs désirs corrompus en avaient fait des citoyens de cette ville: beaucoup en sont là aujourd’hui encore, et beaucoup après nous continueront à en être là sur cette terre; mais le Seigneur, qui a fondé Jérusalem, connaît ceux qu’il a prédestinés pour enêtre les habitants, bien qu’il les voie encore sous le joug du démon, attendant qu’il les rachète par le sang du Christ : il les connaît avant qu’ils se connaissent eux-mêmes. Telle est donc l’allégorie sous laquelle ce psaume est chanté. Aussi a-t-il dans son titre le nom de deux prophètes qui existaient aux jours de la captivité, de Jérémie et d’Ezéchiel qui chantaient, « lorsqu’ils commençaient à sortir ». Commencer à sortir, c’est commencer à aimer. Il en est beaucoup en effet qui sortent secrètement, et les affections du coeur sont les pieds de ceux qui sortent; et ils sortent de Babylone. Qu’est-ce àdire, de Babylone ? De la confusion. Comment sortir de Babylone ou de la confusion? Ceux qui étaient d’abord mélangés par de semblables désirs commencent à se distinguer par la charité; une fois séparés, ils ne sont plus dans la confusion. Et s’ils sont encore mélangés d’une manière corporelle, du moins ils sont séparés par leurs saintes aspirations. Ecoutons donc maintenant, mes frères, écoutons; et que nos désirs soient bien ceux de notre cité. Et quelle est donc la joie que nous chante le Prophète ? Comment raviveren nous tet amour de notre cité qu’un trop long éloignement nous a fait oublier? Mais c’est de là que notre Père nous a envoyé ses lettres, que Dieu nous a fait parvenir ses saintes Ecritures, lettres qui nous ont inspiré le désir du retour; car, aimer notre éloignement, c’était passer à l’ennemi, et tourner le dos àla patrie. Quel est donc l’objet de ces chants?
3. «C’est en Sion, ô Dieu, qu’il convient de chanter votre gloire 1 ». Sion est notre patrie; car Sion n’est autre que Jérusalem ; et vous devez connaître le sens d’un tel nom. De même que Jérusalem signifie vision de la paix, de même Sion signifie regard, ou vision
1. Ps. LXIV, 2.
46
et contemplation. Je ne sais quel spectacle si grand nous est promis; et ce spectacle, c’est Dieu lui-même fondateur de la cité. Belle et splendide cité, dont le fondateur est plus splendide encore : « Il convient de chanter votre gloire, ô Dieu », dit le Prophète. Mais où? « En Sion », et non point à Babylone. Quiconque s’est mis en devoir d’en sortir, chante alors Jérusalem dans son coeur, d’après cette parole de l’Apôtre « Notre conversation est dans le ciel 1 » . « Quoique nous vivions dans la chair », dit-il encore, « nous ne combattons pas selon la chair 2 ». Déjà nous sommes en Jérusalem par le désir, déjà nous avons jeté dans cette terre notré espérance comme une ancre, afin de ne point faire naufrage sur cette mer. De même, alors que nous disons avec raison qu’un navire est à terre dès qu’il est à l’ancre, il flotte à la vérité, mais il est en quelque sorte amené à terre, pour résister aux vents et aux tempêtes; ainsi contre les tentations de notre pèlerinage ici-bas, nous avons notre espérance fixée dans la cité de Jérusalem, et qui nous empêche d’être jetés contre les écueils. Celui-là donc chante en Sion, qui chante selon cette espérance ; qu’il dise alors : « C’est en Sion, ô Dieu,qu’il convient de chanter votre gloire»: oui, en Sion, non point à Babylone. Mais peut-être maintenant encore êtes-vous à Babylone. J’y suis, nous répond cet homme Plein d’amour, ce citoyen ; j’y suis, mais de corps seulement, et non de coeur. Ayant ainsi fait ces deux affirmations que j’y suis de corps et non de coeur: je ne chante point Babylone, car c’est mon coeur qui chante, et non point mon corps. Les citoyens de Babylone entendent, je le sais, ma voix corporelle ; mais le fondateur de Jérusalem entend les chants de mon coeur. De là vient que l’Apôtre exhortait les habitants à chanter des cantiques d’amour pleins de l’espérance de retourner à cette splendide cité, vision de la paix: «Chantez», leur disait-il, « chantez du fond de vos coeurs à la gloire de Dieu ». Qu’est-ce à dire : « Chantez dans vos coeurs?» Ne chantez point de cette Babylone où vous êtes ; mais chantez de cette patrie d’en haut que vous habitez par l’espérance. Donc, « c’est en Sion qu’il convient, ô Dieu, de chanter votre gloire ». C’est l’hymne de Sion, et non l’hymne de Babylone, qui vous est agréable. Ceux qui
1. Philip. III, 20. — 2. II Cor. X, 3. — 3. Eph. V, 19.
chantent à Babylone, sont citoyens de Babylone, et ne chantent point pieusement, même quand ils chantent l’hymne de Dieu. Ecoute la parole de l’Ecriture : « La louange n’est pas bonne dans la bouche du pécheur 1. C’est en Sion, « ô Dieu, qu’il convient de vous bénir».
4. « C’est à Jérusalem qu’on s’acquittera des voeux qu’on vous aura faits ». Ici-bas
nous faisons des voeux, là haut nous les acquitterons. Qui donc fait ici-bas des voeux qu’il n’acquitte point? Celui qui ne persévère pas jusqu’à la fin dans les voeux qu’il a faits. Aussi le Psalmiste a-t-il dit ailleurs : « Faites des voeux au Seigneur votre Dieu, et accomplissez-les 2. C’est en Jérusalem que l’on tiendra ses voeux ». C’est là que nous serons entièrement, c’est-à-dire corps et âme, à la résurrection des justes; c’est là que nos voeux seront totalement accomplis ; non-seulement notre âme y sera, mais aussi notre chair, qui ne sera plus corruptible, car nous ne serons plus à Babylone, mais notre corps sera devenu céleste. Quel changement nous est promis? « Tous nous ressusciterons », dit l’Apôtre, « mais nous ne serons pas tous changés ». Il indique aussi ceux qui seront changés. «En un clin d’oeil, au son de la dernière trompette, car la trompette sonnera, et les morts ressusciteront incorruptibles désormais, c’est-à-dire dans leur intégrité, et nous serons changés ». Plus loin il nous explique en quoi consistera ce changement : « Il faut », dit-il, « que ce corps corruptible soit revêtu d’incorruptibilité, et que ce corps mortel soit revêtu d’immortalité, et après que ce corps de corruption sera revêtu d’incorruptibilité, que ce corps de mort sera revêtu d’immortalité, cette parole de l’Ecriture s’accomplira : La mort a été absorbée dans sa victoire. O mort, où est donc ton aiguillon 3? » Dès que commencent à se former en nous les prémices de l’esprit qui nous font soupirer après Jérusalem, nous ressentons en notre chair corruptible bien des résistances qui deviendront insensibles quand la mort sera absorbée dans sa victoire. La paix régnera, il n’y aura plus de guerre. Or, le règne de la paix sera aussi le règne de cette cité qui est la vision de la paix. La mort ne nous sera donc plus un obstacle. Maintenant, combien n’avons-nous pas à lutter contre la mort! De là viennent
1. Eccli. XV, 9. — 2. Ps. LXXV, 12. — 3. I Cor. XV, 51-55.
47
ces sensualités de la chair, qui nous suggèrent tant de désirs coupables; et quand même nous n’y consentirions pas, il nous faut néanmoins lutter pour n’y point consentir. La convoitise de la chair nous a donc tout d’abord conduits sans résistance, puis entraînés malgré nos efforts. Puis est venu le secours de la grâce, et alors, sans pouvoir désormais nous conduire ou nous entraîner, elle a lutté contre nous; et après la lutte viendra la victoire. Si elle te livre aujourd’hui des assauts, du moins qu’elle ne te renverse pas; et quand la mort sera absorbée dans la victoire, la lutte alors cessera. Qu’est-il dit? « La mort sera notre dernier ennemi détruit ». J’accomplirai mon voeu. Quel voeu? Le même que l’holocauste. Or, on appelle holocauste ce qui est entièrement consommé par le feu; l’holocauste est donc le sacrifice où tout est brûlé; car olon signifie entièrement, et kausis, brûlure. Holocauste donc, brûlé entièrement. Que cette flamme nous gagne, flamme divine qui est en Jérusalem; que la charité nous embrase jusqu’à la consomption de tout ce qu’il y a de mortel en nous, et que tout ce qui nous fait obstacle s’en aille en sacrifice au Seigneur. De là vient qu’il est dit ailleurs:
« Dans votre amour, Seigneur, répandez vos bénédictions sur Sion, afin que s’élèvent les murailles de Jérusalem; alors vous accepterez le sacrifice de justice, les oblations et les holocaustes 2. C’est en Sion, ô mon Dieu, qu’il faut chanter votre gloire, et nos voeux pour vous s’accompliront en Jérusalem ». Ici nous cherchons si Jésus-Christ notre Seigneur et Sauveur ne nous serait point présenté commue le roi de cette cité : chantons donc jusqu’à ce que nous arrivions à quelque donnée plus claire. Déjà je pourrais vous dire à qui il est dit : « C’est vous, ô Dieu, qu’il convient de chanter dans Sion, et nos voeux pour vous s’accompliront en Jérusalem ». Mais, si je le disais, ce serait à moi plutôt qu’à l’Ecriture que l’on croirait; et peut-être ne me croirait-on pas. Ecoutons la suite.
5. « Exaucez ma prière », dit le Prophète, « c’est à vous que s’adressera toute chair 3 ».
Et le Seigneur nous dit qu’il a reçu la puissance sur toute chair 4. Il commence donc à paraître en roi, quand il est dit : « C’est à vous que toute chair doit s’adresser. Toute chair donc », dit le Prophète, « doit s’adresser
1. I Cor. XV, 26.— 2. Ps. L, 20, 21.— 3. Id. LXIV, 3.— 4. Jean, XVII, 2.
à vous ». Pourquoi toute chair doit-elle venir à lui? Parce qu’il a pris une chair. Où toute chair viendra-t-elle? Les prémices de la chair lui viennent d’un sein virginal : or, les prémices posées, le reste a dû suivre, et l’holocauste s’achever. Comment « toute chair? » Tout homme. Et comment tout homme? Veut-il nous prédire que tous croiront en Jésus-Christ? Les impies, qui doivent être damnés, ne seront-ils pas en grand nombre? Chaque jour bon nombre d’incrédules ne meurent-ils point dans leur infidélité? Com ment donc entendrons-nous: « Toute chair viendra vers vous? » Toute chair, dit le Prophète, la chair de toute race : de toute race donc la chair viendra vers nous. Qu’est-ce à dire : la chair de toute race? Est-il venu des pauvres, sans que vinssent aussi des riches? ou des hommes d’humble condition, sans que vinssent aussi des grands? ou des ignorants, sans que vinssent des savants? ou des hommes, sans que vinssent des femmes? ou des maîtres, sans que vinssent des esclaves? ou des vieillards, sans que vinssent des jeunes gens? ou des jeunes gens, sans que vinssent des adolescents? ou des adolescents, sans que vinssent des enfants ?ou des enfants, sans que l’on apportât des nouveau-nés? ou des Juifs (car c’est de là que vinrent les Apôtres, et tant de milliers d’autres, qui furent croyants 1 après avoir été persécuteurs), sans que vinssent des Grecs? ou des Grecs, sans que vinssent des Romains? ou des Romains, sans que vinssent des barbares? Et qui peut énumérer toutes les nations qui viennent à celui à qui s’adressent ces paroles: « C’est à vous que toute chair doit venir? Exaucez ma prière, car toute chair doit venir à vous ».
6. « Les paroles des méchants ont prévalu sur nous, et vous nous pardonnerez nos iniquités 2 » Que signifie: « Les paroles des méchants ont prévalu sur nous, et vous nous pardonnerez nos iniquités ? ». Que nous sommes nés sur cette terre, et que. nous avons rencontré des méchants dont nous avons écouté le langage. Que l’attention de votre charité m’aide à expliquer ma pensée. Tout homme apprend la langue du pays, de la contrée, de la ville où il est né; il est imbu de ses moeurs, de sa vie. Comment un enfant né parmi les païens n’adorerait-il pas la pierre, quand ce culte lui est inoculé par ses parents?
1. Act. II, 41. — 2. Ps. LXIV, 4.
48
Ce sont les paroles qu’il entend tout d’abord: il a sucé l’erreur avec le lait ; et comme ceux qui lui parlaient étaient ses ancêtres, et que l’enfant qui apprenait à parler était tout jeune, comment ce jeune enfant pouvait-il ne point suivre l’autorité de ses ancêtres, et ne point regarder comme bien ce qu’il leur entendait louer ? Donc les nations converties àla foi du Christ, et se souvenant dans la suite des impiétés de leurs ancêtres, pouvaient dire avec Jérémie : « Vraiment nos pères ont « adoré le mensonge et la vanité, qui ne leur ont servi de rien 1» : parler ainsi, c’est renoncer à leur culte et aux sacrilèges impiétés de leurs ancêtres. Mais pour leur insinuer ce culte sacrilège, il a fallu la persuasion de ceux qui leur paraissaient une autorité d’autant plus plausible, qu’elle était consacrée par un âge plus grand; quiconque veut quitter Babylone pour venir à Jérusalem, doit faire cet aveu et dire : « Les discours des impies ont prévalu sur nous». Nos guides nous ont enseigné le mal et nous ont faits citoyens de Babylone; nous avons abandonné le Créateur pour adorer la créature; nous avons laissé celui qui nous a faits pour adorer ce que nous avons fait . « Les discours des impies ont prévalu sur nous » ; mais pourtant ne nous ont pas étouffés. Pourquoi ? « Vous nous pardonnerez nos iniquités ». Que votre charité veuille bien écouter. « Vous pardonnerez nos iniquités »; ne se dit qu’à un prêtre qui fait une offrande, pour l’expiation de l’impiété, et se rendre Dieu propice. On dit que l’impiété nous est remise, quand Dieu se rend propice à notre impiété. Qu’est-ce, pour Dieu, qu’être propice à notre impiété? C’est nous la remettre, nous en accorder le pardon. Mais, pour obtenir de Dieu le pardon, il faut un sacrifice propitiatoire. Le Seigneur notre Dieu nous a donc envoyé un prêtre qui est le nôtre ; il a pris en nous de quoi offrir à Dieu, c’est-à-dire les saintes prémices de notre chair dans le sein de la Vierge. Tel est l’holocauste qu’il a offert à Dieu : il a étendu ses mains sur la croix, pour dire : « Que ma prière s’élève comme l’encens en votre présence, que mes mains élevées soient comme le sacrifice du soir 2». Car le Seigneur, vous le savez, fut mis en croix vers le soir : et alors nos impiétés ont été pardonnées, autrement elles nous eussent absorbés :.
. Jérém. XVI 19. — 2. Ps. CXL, 2.— 3. Matth. XXVII,46.
les discours des méchants ont prévalu sur nous: nous avions pour guides les prédicateurs d,e Jupiter, de Saturne, de Mercure. «Les discours des impies ont prévalu sur nous ». Mais que ferez-vous ? « Vous serez indulgent pour nos impiétés ». C’est vous qui êtes prêtre et victime, qui offrez et qui êtes l’offrande. Il est le prêtre qui a pénétré jusqu’au sanctuaire du voile qui est à l’intérieur, et seul de tous ceux qui ont porté une chair comme la nôtre, il intercède pour nous 1. Voilà ce que figurait chez le premier peuple, et dans le premier temple, cette entrée du grand prêtre seul dans le Saint des saints, alors que tout le peuple était debout au dehors: et celui qui pénétrait seul dans l’intérieur du voile, offrait le sacrifice pour le peuple qui se tenait au dehors 2. Pour qui le comprenait bien, c’est l’esprit qui donne la vie; pour qui ne comprenait pas, c’est la lettre qui tue. Tout à l’heure, à la lecture de l’Apôtre, vous avez entendu : « La lettre tue, mais l’esprit vivifie 3». Les Juifs, en effet, n’ont jamais compris ce qui avait lieu chez ce peuple, et ne le savent pas même aujourd’hui. Car c’est d’eux qu’il est dit : « Quand on lit Moïse, il y a un voile sur leur coeur 4 ». Or, ce voile est une figure:
la figure passera et fera place en eux à la vérité. Mais quand ce voile disparaîtra-t-il ? Ecoute l’Apôtre: «Quand ce peuple sera converti au Seigneur, le voile sera levé 5». Donc, tandis qu’ils ne sont point convertis au Seigneur, ils ont le coeur voilé en lisant Moïse. Voilà ce que figurait encore la face lumineuse de Moïse, « en sorte que les enfants d’Israël ne pouvaient fixer les yeux sur sa face vous l’avez entendu tout à l’heure dans la lecture ; et il y avait un voile entre la face de Moïse qui parlait, et le peuple qui écoutait sa parole. Ils écoutaient donc sa parole à travers le voile et sans voir sa face. Que dit alors l’Apôtre? « En sorte que les enfants d’Israël ne pouvaient fixer les yeux sur la face de Moïse. Ils ne pouvaient la contempler », dit-il, « jusqu’à la fin 6 ». Qu’est-ce à dire : « jusqu’à la fin? » Jusqu’à ce qu’ils comprissent le Christ. Car, l’Apôtre l’a dit : « Le Christ est la fin de la loi, pour justifier ceux qui croiront 7 ». Il est vrai qu’il y a une splendeur sur la face de Moïse, face corporelle
et mortelle : or, cette splendeur pourrait-elle
1. Hébr. VI, 19, 20. — 2. Id. IX, 7. — 3. II Cor. III, 6. — 4. Id. 15. — 5. II Cor. III, 16.— 6. Ibid. 17.— 7. Rom. X, 4.
49
être durable pour l’éternité? Assurément elle doit disparaître à la mort. Mais la splendeur de la gloire et de la béatitude en Notre-Seigneur Jésus-Christ est éternelle. Tout cela n’était qu’une figure qui passait avec le temps, et ce que couvrait cette figure était la vérité. Aussi les Juifs lisent, mais sans comprendre le Christ; la portée de leur vue ne va point jusqu’à la fin, parce que le voile qu’ils rencontrent leur dérobe la vue de la lumière intérieure. Vois ici le Christ sous un voile. Notre-Seigneur lui-même a dit: « Si vous croyiez Moïse, vous me croiriez aussi car c’est de moi qu’il a écrit 1». Or, après que nos péchés nous sont remis, ainsi que nos impiétés, par la vertu de ce sacrifice du soir, nous passons au Seigneur, et le voile est levé:
c’est pourquoi quand le Seigneur fut sur la croix, le voile du temple se déchira 2. « Exaucez ma prière, toute chair doit venir à vous. Les discours des impies ont prévalu sur nous, et vous nous remettrez nos impiétés ».
7. « Bienheureux celui que vous avez élu et adopté 3». Qui donc est choisi par lui et adopté? Qui est élu par notre Sauveur Jésus-Christ? Ou bien lui-même en sa chair, en son humanité serait-il élu et adopté? Alors ce langage s’adresserait à lui, comme Verbe de Dieu, qui était dès le commencement, ainsi que le dit l’Evangéliste: « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu 4 » ; car il est aussi Fils de Dieu, Verbe de Dieu, dont il est dit encore: « Toutes choses ont été faites par lui, et rien n’a été fait sans lui » : en sorte que ce serait à lui, Fils de Dieu devenu prêtre pour nous, après avoir adopté une chair, que s’adresserait cette parole : « Bienheureux celui que vous avez élu et adopté », c’est-à-dire bienheureux l’homme dont vous vous êtes revêtu, qui a commencé dans le temps, qui est né d’une femme, le temple en quelque sorte de celui qui est toujours éternel, et qui a été éternellement. Ou plutôt le Christ aurait-il adopté quelque bienheureux, et alors on désignerait, non pas au pluriel, mais au singulier celui qu’il a adopté? En effet, c’est un seul qu’il a adopté, car il n’adopte que l’unité. Il n’adopte ni les schismes, ni les hérésies, qui se divisent à l’infini; il n’y a point la l’unité que l’on puisse adopter. Mais ceux
1. Jean, V, 46. — 2. Matth. XXVII, 51. — 3. Ps. LXIV, 5. — 4. Jean, I, 1-3.
qui demeurent dans l’union du Christ, et qui sont ses membres, ne font en quelque sorte qu’un seul homme, dont l’Apôtre a dit: « Jusqu’à ce que nous parvenions tous à l’unité dans la connaissance du Fils de Dieu, à l’état de l’homme parfait, à la mesure de l’âge de la plénitude du Christ 1 ». Un seul homme est donc adopté, qui a pour chef le Christ: « Car le Christ est lui-même le chef de l’homme 2». C’est encore là « cet homme bienheureux qui n’est point allé dans les conseils des impies 3 », et le reste qu’on lit dans le Psaume: c’est lui qui est adopté. Mais il ne l’est pas à l’exclusion de nous; car nous faisons partie de ses membres, nous sommes gouvernés par un même chef, nous vivons dans un même esprit, nous désirons tous la même patrie. Voyons donc si ce qui est dit du Christ, l’est aussi de nous, et nous concerne; interrogeons nos consciences, et pénétrons cet amour; si ce-t amour est faible et nouvellement éclos, car il a bien pu éclore dans quelque coeur, que celui-là arrache les épines qui croissent auprès, c’est-à-dire, les soucis du monde, de peur qu’ils ne viennent à s’accroître et à étouffer le germe sacré. « Bienheureux celui que vous avez élu et adopté». Soyons en lui et nous serons adoptés à notre tour; soyons en lui et nous serons élus.
8. Et que nous donnera-t-il? « Cet élu », dit le Prophète, « habitera dans vos tabernacles ». Telle est la Jérusalem que chantent ceux qui commencent à sortir de Babylone : « Il habitera dans vos tabernacles; nous serons comblés des biens de votre maison 4 ». Quels sont les biens de la maison de Dieu? Mes frères, imaginons un palais bien riche, qui regorge de richesses, où tout soit en abondance, où brillent des vases d’or et d’argent, qui renferme de nombreux serviteurs, de grands troupeaux, beaucoup de chevaux ; un palais enfin qu’embellissent les peintures, les marbres, les lambris dorés, les colonnes, les galeries, les appartements divers; voilà ce que l’on désire, mais lorsqu’on est encore dans la confusion de Babylone. Retranche tous ces désirs, habitant de Jérusalem, retranche tout cela ! Si tu désires le retour, que la captivité n’ait point de charmes pour toi. Es-tu sur le chemin du retour? Ne regarde point en arrière, ne t’arrête pas en chemin. Il ne manque pas d’ennemis qui te vanteront
1. Ephés. IV, 13. — 2. I Cor. XI, 3. — 3. Ps. I, 1. — 4. Id. LXIV, 5.
la captivité, l’éloignement: que les discours des méchants ne prévalent plus sur toi. Soupire après la maison de Dieu, soupire après les biens de sa maison; mais ne désire point ces biens que tu souhaites ordinairement dans ta demeure, ou dans celle de ton voisin, ou même dans celle de ton patron. Il est un autre bien qui est propre à la maison de Dieu. Qu’avons-nous besoin d’énumérer les biens de cette maison? Qu’il nous les indique celui qui chante son retour de Babylone: « Nous serons comblés»,dit-il, «des biens de votre maison». Quels sont ces biens? Nous avions élevé les désirs de notre coeur, jusqu’à l’or, l’argent, et ce qu’il y a de précieux: ne désirons rien de tout cela, c’est une charge plutôt qu’un soulagement. Méditons donc ici-bas ces biens de Jérusalem, ces biens de la maison du Seigneur, ces biens du temple du Seigneur ; car la maison du Seigneur est le temple même du Seigneur. « Nous serons comblés des biens de votre maison ; et votre saint temple est admirable à cause de la justice 1». Voilà les biens de la maison de Dieu. Le Prophète ne dit point : Votre saint temple est admirable dans ses colonnes, admirable dans ses marbres, admirable dans ses lambris dorés; mais admirable à cause de la justice. Vos yeux extérieurs peuvent se fixer sur le marbre et l’or, mais c’est l’oeil intérieur qui voit la beauté de la justice. Oui, dis-je, c’est à l’oeil intérieur que l’éclat de la justice est visible. S’il n’y arien de beau dans la justice, pourquoi aimer un vieillard juste? Qu’y a-t-il dans son corps qui flatte le regard? Des membres courbés, un front couvert de rides, une tète aux cheveux blancs, une faiblesse exhalant des plaintes continuelles. Mais ce vieillard décrépit n’ayant rien qui puisse plaire à tes yeux, charmera tes oreilles : par quelle mélodie? par quel chant? Si ses chants étaient beaux dans sa, jeunesse, avec l’âge tout a disparu. Le sonde sa parole aura peut-être des charmes pour toi, quand sa bouche dépouillée de ses dents ne laisse échapper que des sons incomplets? Toutefois s’il est juste, s’il n’ambitionne pas le bien d’autrui, s’il trouve sur son bien une part pour le pauvre, s’il a de bons conseils, une réflexion sage, une foi pure, s’il est prêt à immoler ses membres débiles pour rendre témoignage à la vérité, beaucoup de martyrs
1. Ps. LXIV, 6.
étaient en effet des vieillards. D’où viendra notre amour pour lui, qu’y a-t-il en lui qui charme nos yeux? Rien absolument. Il y a donc une beauté de justice, que voient les yeux de notre âme, qui nous porte à l’amour, à l’enthousiasme: voilà ce qui eut des charmes pour les hommes, dans ces martyrs dont les membres étaient déchirés par les bêtes. Mais alors que tout était souillé de sang, que les entrailles se répandaient sous les morsures des bêtes, n’était-ce point là une horreur pour les yeux? Qu’y avait-il d’aimable, sinon que ces membres déchirés et hideux couvraient une beauté de justice parfaite. Tels sont les biens de la maison de Dieu, prépare-toi à t’en rassasier. Mais pour t’en rassasier en arrivant dans ce palais, il te faut en avoir faim et soif dans ton pèlerinage ici-bas: que ce soit donc là ta faim et ta soif, parce que tels sont les biens de Dieu. Ecoute ce roi à qui l’on tient ce langage, qui est venu pour te ramener, qui s’est fait lui-même ta voie 1. Que dit-il? « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu’ils seront rassasiés 2 ». Le temple de Dieu est saint, admirable à cause de la justice. Et par le temple, mes frères, n’imaginez rien que vous-mêmes. Aimez la justice, et vous êtes le temple de Dieu.
9. « Exaucez-nous, ô Dieu notre Sauveur ». Il nous montre maintenant le Dieu qu’il invoque. Notre Sauveur est, à proprement parler, Notre-Seigneur Jésus-Christ. Nous voyons plus clairement de qui le Prophète avait dit : « Toute chair doit aller à vous. Exaucez-nous, ô Dieu notre Sauveur». Cet homme adopté peur le temple de Dieu, est multiple, et néanmoins unique. C’est dans la personne d’un seul qu’il a dit: « Ô Dieu, exaucez ma prière ». Et comme dans cet homme unique, il y en a plusieurs, il dit maintenant: « Exaucez-nous, ô Dieu notre Sauveur». Ecoute plus clairement que c’est de lui qu’il est question: « Exaucez-nous, ô Dieu, notre Sauveur, vous, l’espoir des confins de la terre et des îles lointaines ». Voilà pourquoi il est dit: « Toute chair doit venir à vous ». Elle vient de toutes parts. « Vous êtes l’espoir de tous les confins de la terre », non pas l’espérance d’un seul angle de terre, non pas l’espoir de la Judée seulement, non pas l’espoir de l’Afrique seule, non pas l’espoir de la Pannonie,
1. Jean, XIV, 6. — 2. Matth. V, 6.
non pas l’espoir de l’Orient ou de l’Occident mais « l’espoir de tous les confins de la terre et dans la mer bien loin »; oui, des confins de la terre. « Et dans la mer au loin» : c’est au loin, parce que c’est dans la mer. La mer est ici la figure die ce monde, amer à cause de la salaison, troublé par les tempêtes, et où les hommes guidés par leurs convoitises coupables et dépravées, sont devenus des poissons se dévorant les uns les autres. Voyez cette mer dangereuse, cette onde amère, aux flots meurtriers; voyez de quels hommes elle est remplie. Qui souhaite un héritage, autrement que par la mort d’un autre? Qui convoite un gain,sinon au détriment d’un autre? Combien veulent s’élever par la chute même des autres? Combien encore désirent que les autres vendent leurs biens, afin de les acheter? Quelle oppression mutuelle, comme on se dévore dès qu’on le peut ! Et quand un grand poisson en a dévoré un plus petit, il est à son tour dévoré par un plus grand encore. O poisson méchant, tu fais ta proie d’un plus petit, et tu deviens la proie d’un plus grand. Voilà ce qui arrive chaque jour et sous nos yeux: nous en sommes témoins, ayons-le en horreur. Gardons-nous d’en agir ainsi, mes frères, car c’est Dieu qui est l’espoir des confins de la terre. Et s’il n’était pas aussi- l’espérance, « au loin sur la mer », il ne dirait pas à ses disciples: « Je ferai de vous; des pêcheurs d’hommes 1 ». Déjà pris au milieu de la mer dans les filets de la foi, réjouissons-nous d’y nager encore à travers ces filets; car cette mer est houleuse encore, mais les filets dans lesquels nous sommes engagés seront tirés sur le rivage Ce rivage est le terme de la mer, et dès lors la fin du monde pour nous. Jusque-là, mes frères, vivons saintement dans ces filets; ne les déchirons point pour sortir dehors. Beaucoup d’autres ont rompu ces filets, et ont fait des schismes et sont allés au dehors. Ils ne pouvaient, disaient-ils, souffrir les poissons mauvais enfermés dans le filet; et voilà qu’ils sont devenus pires encore que ceux qu’ils disaient n’avoir pu tolérer. Ces filets, en effet, ont pris de bons et de mauvais poissons; car le Seigneur a dit: « Le royaume des cieux est semblable à un filet jeté dans la mer, et qui rassemble toutes sortes de poissons ; et lorsqu’il est plein on le retire, et, s’asseyant sur le rivage, on réunit les
1. Matth. IV, 19.
bons dans un vase, et on jette les mauvais il en sera ainsi », continue-t-il, « à la consommation des siècles ». Voilà qu’il nous montre le rivage, qu’il montre le terme de la mer. « Les anges viendront, et sépareront les mauvais du milieu des justes, et ils les jetteront dans la fournaise du feu : c’est là qu’il y aura pleur et grincement de dents 1». Courage donc, ô habitants de
Jérusalem, qui êtes dans les filets, qui êtes les bons poissons; tolérez les mauvais, mais ne
brisez point les filets : « Ils vous retiennent dans la mer, mais ils ne vous retiendront plus au rivage. Celui qui est l’espérance des confins de la terre, est aussi l’espérance au loin sur la mer ». Or, comme c’est sur la mer, c’est au loin.
10. « Il prépare les montagnes dans sa puissance 2»: non pas dans leur puissance. C’est lui en effet qui a préparé ces grands prédicateurs, qu’il appelle des montagnes; humbles en eux-mêmes, ils sont élevés en lui. Il prépare donc les montagnes dans sa puissance. Et que dit une de ces montagnes ? « Nous avons reçu en nous-mêmes une réponse de mort, afin de ne point mettre notre confiance en nous-mêmes, mais en Dieu qui ressuscite les morts 3». Mettre sa confiance en soi-même, et ne point la mettre dans le Christ, c’est n’être point de ces montagnes qu’il prépare dans sa puissance. « C’est donc en sa puissance qu’il prépare les montagnes. Il se revêt de force». Je comprends la force: Mais « se revêtir», qu’est-ce? Ceux qui placent le Christ au milieu d’eux, l’environnent , c’est-à-dire qu’ils sont pour lui comme un vêtement. Nous l’avons tous communément, il est au milieu de nous : nous sommes pour lui un vêtement, nous tous qui croyons en lui; et comme notre foi n’est point l’oeuvre de nos forces, mais de sa puissance, il est donc « revêtu de sa force», mais non de notre vertu.
11. « C’est vous qui troublez le fond des mers 4 »,Voilà ce qu’il a fait: son oeuvre est visible. Il a préparé les montagnes dans sa puissance, et les a envoyées prêcher : il s’est environné de foi dans sa force, et la mer s’est troublée, le siècle s’est troublé, et s’est mis à persécuter les saints. « Environné de force, vous troublez le fond des mers ». Le prophète
1. Matth. XIII, 47-50. — 2. Ps. LXIV, 7. — 3. II Cor. I, 9. — 4. Ps. LXIV, 8.
ne dit point: Vous troublez la mer, mais « le fond de la mer ». Ce fond de la mer c’est le coeur des impies. De même que c’est jar le fond que l’on bouleverse avec plus de violence, parce que le fond contient tout ainsi tout ce qui est l’oeuvre de la langue, des mains, des puissances diverses, pour persécuter l’Eglise, vient du fond. Si la racine de l’iniquité n’était point dans le coeur, tout cela ne marcherait point contre le Christ. Il a troublé le fond, peut-être à dessein de l’épuiser : car en certains fléaux il a épuisé la mer jusqu’au fond, et en a fait un désert. C’est ce que dit un autre psaume : « Il a fait de la mer une terre sèche 1 ». Tous les impies et les païens qui ont embrassé la foi, étaient la mer, et sont devenus la terre : stériles d’abord à cause de l’eau salée, ils sont devenus fertiles en fruits de justice. « Vous troublez le fond des mers: et qui supportera le bruit de ses flots ? » Qu’est-ce à dire, « qui supportera? » Quel homme supportera le bruit des flots, les injonctions des puissances du monde? Mais d’où vient qu’on les supporte? C’est qu’il a préparé les montagnes dans sa puissance. Pourquoi donc se demander qui les supportera? Il veut dire : Par nous-mêmes nous ne pourrions supporter ces persécutions, si Dieu ne nous en donnait la force. « C’est vous qui troublez le fond de la mer : et qui supportera le bruit de ses flots? »
12. « Les nations seront dans l’effroi 2 ». D’abord l’effroi pour les nations ; mais ces montagnes préparées dans la force du Christ, ont-elles été dans l’effroi? La mer s’est troublée, elle s’est ruée contre ces montagnes ses lames ont été brisées, et les montagnes sont demeurées inébranlables. « Les nations seront dans le trouble, toutes en proie à la crainte ». Déjà la crainte s’est emparée de toutes; ceux qui naguère étaient troublés, sont maintenant dans l’effroi. Les chrétiens, sans rien craindre, ont inspiré de la crainte. Ceux qui les persécutaient les redoutent. Car il a vaincu celui qui est environné de sa puissance; et toute chair vient à lui, au point d’effrayer les obstinés sur leur petit nombre. « Et tous ceux qui habitent les confins de la terre, seront dans la crainte à cause de vos miracles ». Car les Apôtres ont opéré des miracles qui ont jeté dans la crainte et amené à la foi les confins de la terre.
1. Ps. LXV, 6. — 2. Id. LXIV, 8. — 3. Ib. 9.
13. « Vous répandrez la joie sur nos démarches au matin et au soir 1», c’est-à-dire:
vous nous les rendrez agréables. Que nous est-il promis dès cette vie? « Vous répandrez la joie sur les démarches du matin et du soir ». Nous marchons en effet le matin, comme nous marchons le soir. « Le matin »signifie la prospérité du siècle, et le soir » la tribulation du siècle, Que votre charité veuille bien le remarquer, l’une et l’autre servent d’épreuve à notre âme ; la corruption est l’écueil de la prospérité, comme l’abattement, de l’adversité. Aussi le matin est-il le symbole de la prospérité, parce que le matin a sa joie après les tristesses de la nuit. Mais les ténèbres sont tristes, alors que vient le soir : c’est pourquoi au soir du monde fut offert le sacrifice du soir. Gardons-nous donc de toute tristesse le soir, et de toute corruption le matin. Voilà je ne sais quel homme qui t’offre un bénéfice pour t’engager au mal, c’est là le matin; une forte somme d’argent te sourit, c’est le matin pour toi. Garde-toi de toute corruption, et tu auras une heureuse issue. Or, situ as une issue, tu ne seras point pris au piége. Cette promesse d’un gain est en effet un appât sur un piège: tu es embarrassé, tu ne trouves point d’issue; tu es pris au piége. Or, le Seigneur ton Dieu t’a ouvert une issue pour échapper au piége du gain, alors qu’il dit dans son coeur : Je suis ton trésor. Ne t’arrête pas aux promesses du monde, tuais aux promesses du Créateur du monde : considère les promesses que fait le Seigneur, à tes oeuvres de justice, méprise celles que te fait un homme pour te détourner de la justice et t’amener à l’injustice. Ne considère donc point les promesses du inonde,mais celles du Créateur du monde; et tu pourras au matin t’échapper par l’issue que t’ouvre cette parole du Seigneur : « Que sert à l’homme de gagner le monde entier, s’il vient à perdre son âme 2? » Mais celui qui n’a pu te corrompre en te promettant de l’or, ni t’amener à l’iniquité, va recourir aux menaces, il va devenir ton ennemi, et te dire : Si tu n’agis selon mon gré, moi j’agirai, je t’en ferai repentir, tu auras en moi un ennemi. Quand il t’offrait un gain, c’était le matin pour toi; maintenant que le soir est venu, tu es triste. Mais celui qui t’a donné une issue le matin t’en donnera une le soir encore. De même qu’au flambeau du
1. Ps. LXIV, 9. — 2. Matth. XVI, 26.
Seigneur, lu as méprisé le matin du monde, que les souffrances du Seigneur te fassent aussi mépriser le soir, et dire à ton âme: Que peut me faire cet homme, que n’ait enduré pour moi mon Dieu? Gardons la justice, et ne consentons pas à l’iniquité. Qu’il sévisse contre ma chair, le piége sera brisé, et je volerai vers mon Dieu, qui me dit : « Ne crains point ceux qui tuent le corps, mais qui ne peuvent tuer l’âme 1 ». Et même au sujet du corps il nous donne une garantie, en disant : « Il ne périra pas un cheveu de votre tête 2 ». Il donne ici cette magnifique image : « Vous mettrez la joie dans mes issues du matin et du soir ». Si ces démarches en effet n’ont pour vous aucun charme, il vous en coûtera peu de sortir de là. Tu donneras tête baissée dans le gain qui t’est promis, si tu goûtes peu les promesses du Sauveur. Et derechef, tu céderas à la tentation et à la crainte, si lu ne trouves tes délices dans les douleurs qu’il a le premier endurées, pour te ménager une issue. « Vous mettrez la joie dans nos démarches du matin et du soir».
14. « Vous avez visité la terre et l’avez enivrée 3 ». Par où a-t-il enivré la terre ? « Quelle est la splendeur de votre calice qui enivre 4! Vous avez visité la terre et l’avez enivrée » : vous avez envoyé vos nuages qui ont épanché la rosée de la vérité, et la terre a été enivrée. « Vous avez multiplié ses richesses ». Par quel moyen avez-vous multiplié ses richesses? « Le fleuve du Seigneur a été rempli d’eau ». Quel est ce fleuve de Dieu? Le peuple de Dieu. Le premier peuple a été rempli de manière à arroser tout le reste de la terre. Ecoute le Seigneur qui promet des eaux: « Si quelqu’un a soif, qu’il vienne et qu’il boive. Quiconque croit en moi, des fleuves d’eau vive couleront de son sein 5 ». S’il y a des ruisseaux, il n’y a cependant qu’un fleuve; parce que dans l’unité tous n’en forment qu’un seul. Il y a plusieurs Eglises, et néanmoins une seule Eglise, plusieurs fidèles et une seule épouse du Christ; ainsi plusieurs écoulements ne forment qu’un seul fleuve. Beaucoup d’israélites embrassèrent la foi, et furent remplis de l’Esprit-Saint : puis ils se répandirent dans les nations et commencèrent à prêcher la vérité; et ce fleuve de Dieu, qui a été rempli d’eau, arrosa toute la terre.
1. Matth. X, 28. — 2. Luc, XXI, 18. — 3. Ps. LXIV, 10.— 4. Id, XXII, 5. —6. Jean, VII, 37, 38.
53
« Vous avez ainsi préparé leur nourriture : parce que telle est votre préparation ». Ce n’est point parce qu’ils avaient bien mérité de vous, ceux à qui vous avez pardonné leurs péchés : leurs mérites étaient mauvais; mais vous l’avez fait à cause de votre miséricorde: « Comme c’est ainsi que vous préparez, vous leur avez préparé leur nourriture ».
15. « Arrosez ses sillons ». Creusons d’abord des sillons qui seront ensuite arrosés
que notre coeur trop dur s’ouvre au soc de la parole de Dieu. « Arrosez ses sillons, multipliez ses fruits ». Voilà ce que nous voyons; les hommes croient, leur foi engendre d’autres croyants , et ces croyants d’autres croyants encore : il ne suffit point à l’homme d’être fidèle et de gagner l’unique nécessaire. Ainsi se multiplie la semence; on jette quelques grains et des moissons surgissent. « Arrosez ses sillons, multipliez ses produits, et le germe tressaillera pénétré de ses rosées 1 »; c’est-à-dire, avant peut-être qu’elle ne puisse recevoir toute l’eau du fleuve, «quand elle germera, elle tressaillera de sa rosée, ou de ce qui lui est convenable ». Aux enfants, en effet, ainsi qu’aux faibles, on ne donne qu’une faible rosée des mystères, parce qu’ils ne pourraient supporter la vérité dans sa plénitude. Ecoulez quelle douce rosée est donnée aux enfants à leur naissance, ou quand, nouvellement nés, ils sont le moins coupables : « Je n’ai pu», dit l’Apôtre, «vous parler comme à des hommes spirituels, mais comme à des hommes charnels, comme à des enfants en Jésus-Christ 2 » . Quand il dit : « Des enfants en Jésus-Christ », il parle d’enfants déjà nés, mais incapables de goûter cette abondante sagesse, dont il dit : « Nous prêchons la sagesse aux parfaits 3 ». Qu’il se réjouisse de ses gouttes de rosée, à sa naissance et pendant son accroissement; devenu parfait, il prendra la nourriture de la sagesse : de même que l’on donne d’abord du lait à un enfant et qu’il devient capable de nourriture; toutefois, c’est de cette nourriture, dont il était d’abord incapable, que s’est formé le lait. « Et quand elle germera, elle se réjouira de quelques gouttes de rosée ».
16. « Vous bénirez la couronne des années de votre bonté 4 ». C’est aujourd’hui le moment de semer, la semence croît, la moisson viendra ensuite. Et aujourd’hui, au milieu
1. Ps. LXIV, 11. — 2. I Cor. III, 1. — 3. Id. II, 6. — 4. Ps. LXV, 12.
54
de ces semailles, l’ennemi est venu semer la zizanie; et voilà que les méchants, les faux chrétiens, ont germé au milieu des bons; ils leur ressemblaient par la tige, mais non par le fruit. On appelle zizanie ces plantes qui à leur naissance, ressemblent au froment, comme l’ivraie et la folle avoine et tant d’autres qui leur ressemblent dans leurs premières tiges. De là vient que le Seigneur parlait ainsi à propos de la zizanie répandue « Son ennemi vint et sema de la zizanie au milieu du froment; or, après que l’herbe eut poussé et produit son fruit, la zizanie parut aussi. Donc c’est l’ennemi qui est venu semer la zizanie » : mais qu’a-t-il fait au froment? Ce froment n’est pas étouffé par l’ivraie ; au contraire, on a laissé l’ivraie pour laisser croître le froment. Car le maître lui-même dit à quelques ouvriers qui voulaient arracher la zizanie : « Laissez croître l’un et l’autre jusqu’à la moisson, de peur qu’en voulant arracher la zizanie vous n’arrachiez aussi le froment; mais au temps de la moisson je dirai aux moissonneurs : Arrachez d’abord la zizanie, faites-en des gerbes pour les brûler; mais amassez le froment dans mon grenier 1». Cette fin de l’année est la moisson du siècle. « Vous bénirez la couronne des années de votre bonté ». Lorsque tu entends couronne, cela signifie l’honneur de la victoire. Triomphe du démon, et tu seras couronné. « Vous bénirez la couronne des années de votre bonté ». Il nous remet encore la bonté de Dieu sous les yeux , afin que nul ne se glorifie de ses mérites.
17. « Et vos campagnes seront pleines de fécondité, les confins du désert s’engraisseront, et les collines auront une ceinture de joie 2». Les campagnes, les collines, les confins du désert, tout cela désigne les mênies hommes. Dans les plaines tout est de niveau; donc, à cause de ce niveau, les peuples justes sont comparés à des campagnes. Ce sont des collines à cause de leur élévation; parce que Dieu élève jusqu’à sa sublimité ceux qui s’humilient. Les confins du désert désignent toutes les nations. Pourquoi confins du désert? Elles étaient désertes, en effet, puisque nul prophète ne leur était envoyé; elles étaient donc semblables au désert que nul homme ne traverse. Nulle parole de Dieu n’a été
1. Matth. XIII, 25-30. — 2. Ps. LXIV, 13.
envoyée aux Gentils. Les prophètes n’ont prêché qu’au peuple d’Israël. Alors vint le Seigneur, le froment dont ce peuple d’Israël embrassa la foi. Car le Christ disait à ses disciples : « Vous dites que la moisson est encore éloignée; levez les yeux, et voyez les campagnes qui blanchissent pour la moisson 1». Il y eut donc une première moisson, il y en aura une seconde à la fin des temps. La première moisson se composa de Juifs, parce que c’était à eux que les Prophètes étaient envoyés pour prêcher l’avènement du Sauveur. C’est pourquoi le Seigneur disait à ses disciples: « Voyez comme les campagnes blanchissent pour la moisson »: c’étaient les campagnes de la Judée. « D’autres », leur dit-il encore, « ont travaillé, et vous êtes entrés dans leurs travaux 2 ». Les prophètes ont travaillé pour semer, et vous, c’est avec la faux que vous entrez dans leurs labeurs. La première moisson est donc faite, et c’est de ce premier froment qui fut alors purifié, que l’on a ensemencé toute la terre, pour produire cette autre moisson que l’on doit recueillir à la fin des temps. Dans cette seconde moisson, il a été semé de l’ivraie, de là le travail actuel. De même que dans la première moisson les Prophètes travaillèrent jusqu’à l’arrivée du Sauveur : ainsi, daus cette seconde, ont travaillé les Apôtres, et travaillent tous les prédicateurs de la vérité, jusqu’à la fin des siècles, alors que le Seigneur enverra ses anges pour la récolte. C’était donc tout d’abord le désert, mais « les confins du désert se sont engraissés ». Voilà que dans les endroits où les Prophètes ne s’étaient pas fait entendre, on a reçu le Seigneur des Prophètes : « Les confins du désert s’engraisseront, et les collines auront une ceinture de joie ».
18. « Les béliers dans les troupeaux ont été environnés 3» : il faut sous-entendre « de joie ». La joie qui faisait une ceinture aux collines, environnait aussi les béliers. Et ces béliers sont les mêmes que les collines. Collines à cause de la sublimité de la grâce; béliers, comme chefs du bercail. Donc les béliers ou les Apôtres ont été environnés de joie, ils ont tressailli devant leurs moissons, ils n’ont pas travaillé en vain ni prêché inutilement. « Donc les chefs des troupeaux ont été environnés, et les vallées donneront des
1. Jean, IV, 35. — 2. Id. 38. — 3. Ps. LXIV, 14.
55
blés en abondance »; et les peuples humbles parieront des fruits nombreux « Ils crieront », et à cause de ces cris ils produiront du froment en abondance. Que doivent-ils crier? « Ils chanteront une hymne ». Autre chose est de crier contre Dieu, et autre de chanter une hymne; autre de proférer des chants sacrilèges, autre de chanter les louanges de Dieu. Proférer le blasphème, c’est produire des épines; chanter une hymne, c’est produire du froment.
DISCOURS SUR LE PSAUME LXV.
PRÊCHÉ À CARTHAGE.
LA FOI EN LA RÉSURRECTION.
Double erreur des Juifs qui ont attendu dans la résurrection les biens de la terre, et cru qu’ils ressusciteraient seuls. Jésus répond que nous serons alors comme des anges. C’est un bonheur que toute la terre doit chanter, chanter même extérieurement ou sur le psaltérion, afin que les hommes en soient édifiés. La grâce est pour tous, mais n’est point le salaire de nos mérites. De là cette crainte que doivent nous inspirer les oeuvres de Dieu, qui donne la lumière aux humbles et aveugle les orgueilleux. Les Juifs ont été retranchés, et les Gentils insérés à leur place: de cette insertion Dieu retranche encore les hérétiques. Le mensonge de ses ennemis concourt à sa gloire. Mensonges d’accusation, mensonges contre la résurrection. Jésus triomphe en montant au ciel. Les Gentils qui étaient une mer sont devenus une terre sèche. Toute âme humble passe à pied sec le fleuve de la vie, pour s’épanouir en Jésus-Christ, qui est ici-bas notre espérance, qui sera notre force. Au rejeton d’Abraham, nous devons ce que nous sommes, il nous éclaire, nous maintient dans la vertu, nous soutient dans les épreuves, nous aide à supporter les hommes. C’est lui qui nous garantit du feu qui nous consumerait, de l’eau qui nous corromprait. Offrons-lui des holocaustes, c’est-à-dire que le feu ne laisse en nous rien de terrestre, des holocaustes intérieurs, par la charité, qui lui amèneront les boeufs et les boucs, les innocents et les coupables. Il fait à notre âme cette faveur, qu’il la tire du culte des idoles pour la tourner vers lui, qu’il nous détourne de l’iniquité, nous donne la prière, et par la prière la miséricorde.
1. Ce psaume a pour titre : « Pour la fin, chant du psaume de la résurrection 1 ». Lorsque dans l’énoncé d’un psaume vous entendez « pour la fin », comprenez: pour le Christ, d’après cette parole de l’Apôtre : « Le Christ est la fin de la loi, pour justifier ceux qui croiront 2 ». Vous allez donc entendre un chant de résurrection, et savoir qui ressuscite, autant qu’il voudra bien lui-même nous en donner l’intelligence. Nous autres, chrétiens, nous connaissons la résurrection qui s’est opérée dans notre chef, et qui aura lieu dans ses membres. « Le Christ est chef de l’Eglise, et l’Eglise forme les membres du Christ 3 ». Ce qui s’est tout d’abord accompli dans le chef, doit ensuite s’accomplir dans le corps. Telle est notre espérance voilà pourquoi nous croyons, voilà ce qui nous soutient, ce qui nous fait supporter la malice de ce monde, parce que l’espérance nous
1. Ps. LXV, 1.— 2. Rom. X, 4. — 3. Coloss. I, 18.
console , jusqu’à ce que l’espérance devienne réalité; or, elle se réalisera quand nous ressusciterons, alors que devenus célestes nous serons semblables aux anges. Qui oserait l’espérer, si la vérité même ne l’avait promis ? Ces promesses, cette espérance, les Juifs les avaient aussi; de là vient qu’ils se glorifiaient de leurs bonnes oeuvres, comme des oeuvres de justice, parce qu’ils avaient reçu la loi, et qu’en la prenant pour règle de vie, ils devaient posséder ici-bas des biens temporels, et à la résurrection des morts, acquérir ces mêmes biens qui faisaient leur joie ici-bas. Aussi les Juifs ne pouvaient-ils répondre aux Sadducéens, qui niaient la résurrection future, et qui leur proposaient la question qu’ils firent au Seigneur. Nous comprenons, en effet, par l’admiration que leur causa la solution du Seigneur, que cette question était pour eux insoluble. Les Sadducéens le questionnaient donc au sujet d’une femme qui avait eu sept (56) maris, non pas simultanément, mais successivement. Pour favoriser l’accroissement du peuple, la loi ordonnait que si un homme venait à mourir sans enfants, son frère, s’il en avait, épouserait sa veuve, afin de susciter des enfants à son frère 1. Ils proposèrent donc une femme qui avait eu sept maris, tous morts sans enfants, et qui n’avaient épousé cette veuve de leur frère, que pour accomplir ce devoir, et firent alors cette question : « A la résurrection, duquel des sept sera-t-elle la femmes 2 ? » Assurément, cette question n’eût été pour les Juifs ni insoluble, ni même difficile, s’ils n’avaient pas espéré après la résurrection le même genre de biens qu’en cette vie. Mais le Seigneur en leur promettant d’être comme les anges, et non point dans la corruption d’une chair humaine, leur dit : « Vous êtes dans l’erreur, ne sachant ni les Ecritures, ni la puissance de Dieu; à la résurrection, les hommes n’auront point de femmes, ni les femmes de maris, ils ne seront plus assujettis à la mort, mais ils seront comme les anges de Dieu 3». Il leur montre qu’il y a besoin de succession, là seulement où il y a des décès à pleurer; mais qu’il n’est plus besoin de successeurs quand il n’y a point de décès. C’est pour cela qu’il ajoute : ils ne seront plus assujettis à la mort. Toutefois, comme les Juifs croyaient à la résurrection future, quoique d’une manière charnelle, ils furent heureux de cette réponse faite aux Sadducéens, avec lesquels ils étaient en dispute au sujet de cette question captieuse et obscure. Donc les Juifs croyaient à la résurrection des morts ; et ils espéraient qu’eux seuls ressusciteraient pour la vie heureuse, à cause de l’oeuvre de la loi, à cause de la justification des saintes Ecritures, qu’ils possédaient seuls, à l’exclusion des Gentils. « Le Christ a été crucifié, l’aveuglement est tombé sur une partie d’Israël, jusqu’à ce que la plénitude des nations entrât dans l’Eglise 4» :
ainsi dit l’Apôtre. Or, la résurrection fut promise aux Gentils, quand ils crurent à la résurrection de Jésus-Christ. De là vient que notre psaume combat cette orgueilleuse présomption des Juifs, et célèbre la foi des Gentils appelés à la même espérance de résurrection.
2. Voilà, mes Frères, eu quelque manière
1. Deut. XXV, 5 — 2. Matth. XXII, 28. — 3. Id. 23-30; Luc, XX, 27-36. — 4. Rom. XI, 23.
le sens du psaume. Arrêtez votre attention sur le peu que j’ai dit et que je viens d’expo. ser; ne vous en laissez détourner par aucune autre pensée: le psaume contredit la présomption des Juifs,qui se basaient sur les justifications de la loi, et ont crucifié Jésus-Christ, lequel est ressuscité le premier, et les Juifs seront les seuls de ses membres qui ne ressusciteront point avec lui, mais tous ceux qui ont cru en lui, c’est-à-dire les Gentils. Voici comme il commence : « Sonnez de la trompette au Seigneur 1 » Qui sonnera? « Toute la terre ». Donc la Judée ne sera point seule. Voyez, mes Frères, comme il est question de l’Eglise entière répandue dans l’univers ; et non-seulement plaignez les Juifs, qui enviaient cette faveur aux Gentils, mais pleurez encore plus sur les hérétiques. Car s’il faut plaindre ceux qui ne sont point amenés au bercail, combien plus encore ceux qui n’y sont venus que pour en sortir ? « Que toute la terre donc sonne de la trompette au Seigneur ». Qu’est-ce à dire: « Sonnez de la trompette? » Poussez des cris de joie, si les paroles vous manquent. Les paroles ne vont point dans la trompette, mais seulement les sons joyeux; c’est le coeur qui déborde, qui jette sa joie au dehors, avec de simples cris que nulle parole ne peut rendre. « Que toute la terre sonne de la trompette au Seigneur : que nul ne se fasse entendre sur une partie seulement. Non dis-je, que nul ne divise la terre; que la terre entière soit dans la joie, que cette joie soit catholique. Dire catholique, c’est dire universelle : quiconque divise se sépare du tout ; il veut hurler, mais non sonner de la trompette. « Que la terre sonne de la trompette au Seigneur ».
3. « Chantez des psaumes en son nom 2»Que veut dire le Prophète? que les chants des psaumes soient une gloire pour son nom. Hier je vous ai dit ce que signifie chanter un psaume, et il me semble que votre charité s’en souvient. Chanter un psaume, c’est prendre une lyre appelée psaltérion, et mettre l’action de la main qui touche d’accord avec la voix. Si donc vous êtes dans la jubilation, que Dieu vous entende; mais touchez votre harpe, afin que les hommes vous voient et vous entendent; mais non pas en votre nom. « Gardez-vous, en effet, de faire vos oeuvres de justice en présence des hommes, afin d’en
1. Ps. LXV, 2. — 2. Id.
57
être vu ». Au nom de qui, me diras-tu, faut-il toucher de la harpe, afin que mes oeuvres soient dérobées au regard des hommes? Voyez dans un autre endroit: « Que vos oeuvres aient de l’éclat aux yeux des hommes, afin qu’ils voient vos bonnes actions, et qu’ils glorifient votre Père qui est dans les cieux 2. Qu’ils voient vos bonnes actions et qu’ils glorifient », non pas vous, mais Dieu, Car si vous ne faites le bien que pour en tirer une certaine gloire, on vous fera la réponse que fit le Sauveur à propos de certains hommes de cette catégorie : « En vérité, je vous le déclare , ils ont reçu leur récompense » ; et encore : « Autrement vous n’aurez point de récompense de « votre Père qui est dans les cieux’ ». Donc, diras-tu, je dois cacher mes oeuvres, et ne point les faire en présence des hommes? Point du tout. Que dit en effet le Sauveur? « Que vos oeuvres aient de l’éclat en présence des hommes ». Je demeurerai donc dans l’incertitude. D’une part, vous me dites : « Gardez-vous de faire vos oeuvres de justice devant les hommes» ; et d’autre part: « Que vos oeuvres aient de l’éclat en présence des hommes ». Quel précepte écouter ? que faire? que laisser? Il y a pour l’homme la même impossibilité de servir deux maîtres, qui donnent des ordres différents, que d’en servir un seul, dont les ordres sont différents aussi. Mais le Seigneur n’a point dit : Mes préceptes sont différents. Remarque bien la fin, et chante pour la même fin; vois pour quelle fin tu dois agir. Si tu agis pour en tirer ta gloire, voilà ce que je défends; mais si c’est pour la gloire de Dieu, voilà ce que j’ordonne. Chantez donc sur la harpe, non pas en votre nom, mais au nom du Seigneur votre Dieu. A vous le chant, à lui la louange; à vous de vivre saintement, à lui d’en retirer la gloire. D’où vous vient le moyen de vivre saintement? Si vous l’aviez de toute éternité, votre vie n’aurait jamais été coupable; si vous l’aviez de vous-mêmes, votre vie n’aurait jamais manqué d’être sainte. « Chantez donc sur la lyre au nom du Seigneur ».
4. « Mettez votre gloire dans ses louanges 4 ». Le Prophète veut que toute notre volonté soit pour la gloire de Dieu, il ne nous laisse aucun sujet de nous louer nous-mêmes. Il n’en faut que plus nous glorifier et nous
1. Matth. VI, 1. — 2. Id. V, 16. — 3. Id. VI, 1, 2. — 4. Ps. LXV, 2.
réjouir; attachons-nous au Seigneur, et qu’en lui soit notre louange. Dans la lecture de l’Apôtre vous avez entendu : « Considérez votre vocation, mes Frères, vous trouverez parmi vous peu de sages selon la chair, peu de puissants et peu d’illustres; mais Dieu a choisi ce qui est fou selon le monde, pour confondre les sages; il a choisi ce qui est faible selon le monde, afin de confondre les forts; il a choisi ce qu’il y a de plus vil, ce qui n’est rien comme ce qui est quelque chose, afin de détruire ce qui est 1 ». Qu’a-t-il voulu dire? qu’a-t-il voulu montrer? Notre-Seigneur Jésus-Christ qui est Dieu, est venu restaurer le genre humain, et donner sa grâce à tous ceux qui comprennent qu’elle est un don de lui, et non un mérite de leur part; et pour que nul homme ne pût se glorifier selon la chair, il a choisi les infirmes. Car le mérite ne fit pas choisir Nathanaël lui-même. Que diras-tu , en effet? Voilà Matthieu le Publicain, choisi sur son comptoir 2 , et le Sauveur ne choisit point Nathanaël, à qui néanmoins il rend témoignage en ces termes : « C’est là un vrai israélite, sans déguisements 3». On comprend alors que Nathanaël était savant dans la loi. Non pas que le Sauveur ne dût pas choisir des savants; mais s’il les eût choisis tout d’abord, ils auraient attribué leur élection au mérite de leur doctrine ; la louange eût été pour leur science, et la louange de la grâce dans le Christ en eût souffert. Il lui rendit témoignage comme à un bon fidèle qui n’a pas de déguisement, et néanmoins il ne le mit pas au nombre de ses disciples , qu’il choisit d’abord parmi les illettrés. Et qu’est-ce qui nous fait comprendre qu’il était habile dans la loi? Quand l’un de ceux qui avaient suivi le Seigneur lui dit z « Nous avons trouvé le « Messie, appelé le Christ» ; il demanda d’où il était, et comme on lui répondit: « De Nazareth » ; « il peut », dit-il à son tour, « venir quelque chose de bien de Nazareth ». Mais dès qu’il comprenait que de Nazareth pouvait venir quelque bien, il était habile dans la loi et avait examiné attentivement les Prophètes, Je sais que l’on donne à ces paroles une autre accentuation, mais qui n’est pas adoptée par les plus habiles, et d’après laquelle il aurait répondu avec un certain désespoir : « De Nazareth peut-il venir quelque
1. I Cor. I, 26-28. — 2. Matth. IX, 9. — 3. Jean, I, 41.47.
58
bien? » C’est-à-dire, est-ce bien possible? et donnant à sa réponse l’accent du doute. Nous lisons ensuite : « Venez et voyez 1 ». Or, cette réponse : « Venez et voyez », peut convenir à chaque manière de parler. Si c’est le doute qui vous fasse dire : « De Nazareth peut-il venir quelque chose de bon? » la réponse est : « Venez et voyez », puisque vous ne croyez point. Si vous dites affirmativement: « De Nazareth il peut venir quelque chose de bon » ; la réponse sera aussi : « Venez et voyez » combien est bon ce que je vous dis de Nazareth; venez voir que vous avez raison de croire , faites-en l’expérience. On peut aussi conclure en faveur de son habileté dans la loi, de ce qu’il ne fut pas admis nu nombre des disciples par celui qui a choisi ce qu’il y a de faux selon le monde, alors que le Seigneur lui rendait ce témoignage : « Voilà un vrai israélite, sans déguisement ». Dieu choisit donc ensuite des orateurs; mais ceux-ci eussent pu s’enorgueillir, s’il n’eût d’abord choisi des pêcheurs : il choisit des riches; mais ils auraient cru que c’était en considération de leurs richesses, s’il n’avait d’abord choisi des pauvres; il choisit ensuite des empereurs; mais il était plus avantageux pour home de voir un empereur y faire son entrée en déposant son diadème, et en pleurant au souvenir d’un pêcheur, qu’un pêcheur pleurant au souvenir d’un empereur. « Dieu a choisi ce qu’il y a de faible selon le monde pour confondre ce qui est fort; il a choisi ce qu’il y a de méprisable pour réduire au néant ce qui est, comme ce qui n’est point 2». Et quelle est la suite? L’Apôtre conclut ainsi:
« Afin que nulle chair ne se puisse glorifier devant Dieu 3 », Voyez comment il nous interdit la gloire pour nous donner la gloire; il nous interdit la nôtre afin de nous donner la sienne; il nous enlève de la gloire ce qui est futile, pour nous en donner la plénitude; une gloire chancelante, pour nous donner la gloire solide. Combien donc notre gloire n’en est-elle pas plus forte et plus solide pour être en Dieu? Ce n’est point alors en toi-même qu’il faut te glorifier, la vérité te le défend; niais cette parole de l’Apôtre est le précepte de la vérité : « Que celui qui se glorifie, le fasse dans le Seigneur 4». N’imitez point les Juifs, qui voulaient
attribuer leur justification en quelque sorte à leurs propres mérites, et
1. Jean, I, 41-47. — 2. I Cor. I, 27, 28. — 3. Id. 29, — 4. I Cor. I, 31
portaient envie aux Gentils qui arrivaient à la grâce évangélique pour obtenir la rémission de tous leurs péchés; comme si eux-mêmes n’avaient aucun pardon à obtenir; comme s’ils ne devaient plus attendre que la récompense de leurs bonnes oeuvres. Malades encore, ils se croyaient guéris, et leur maladie n’en était que plus dangereuse. Car si leur maladie eût été moindre, ils n’eussent pas dans leur délire tué le médecin. « Mettez votre gloire à le bénir».
5. « Dites au Seigneur : Que vos œuvres sont redoutables 1! » Pourquoi redoutables,
et non pas aimables? Ecoutez cette autre parole du psaume : « Servez le Seigneur avec crainte, et chantez ses louanges avec tremblement 2 ». Qu’est-ce que cela signifie? Entendez la réponse de l’Apôtre : « Travaillez à votre salut », nous dit-il, « avec crainte et avec tremblement». Pourquoi « avec crainte et tremblement? » Il en donne la raison : « Car c’est Dieu qui, par sa volonté, opère en vous le vouloir et le faire 3 ». Si donc c’est Dieu qui agit en toi, tu ne fais le bien que par la grâce de Dieu, et non par tes propres forces. Donc, à ta joie unis la crainte; de peur que Dieu n’enlève à ton orgueil ce qu’il a donné à ton humilité. Et afin que vous pussiez comprendre que tel fut pour les Juifs le sort de leur orgueil, eux qui se croyaient justifiés par les oeuvres de la loi, et qui tombaient par là même, un autre psaume a dit : « Les uns comptent sur leurs chariots, les autres sur leur cavalerie», comme sur des degrés, sur des instruments d’élévation. « Mais nous», dit le Prophète, « nous nous glorifierons dans le nom du Seigneur notre Dieu. Ceux-là donc mettent leur confiance dans leurs chars et dans leurs coursiers; mais nous, c’est dans le Seigneur notre Dieu que nous mettons notre gloire». Vois comment les uns se glorifient d’eux-mêmes, et comment les autres ne s’exaltent qu’en Dieu. Aussi qu’est-il dit ensuite? « Leurs pieds ont été garrottés, et ils sont tombés. Nous, au contraire, nous nous sommes relevés et redressés 4 ». Ecoute le même langage de la part de Notre-Seigneur lui-même: « Je suis venu », dit-il, « afin d’éclairer ceux qui ne voient point , et d’ôter la vue à ceux qui voient 5 ». Considère d’une part
la bonté, et d’autre part une certaine sévérité,
1. Ps, LXV, 3. — 2. Ps. II, 11. — 3. Philip. II, 12, 13, — 4. Ps, XIX, 8, 9. — 5. Jean, IX, 39.
59
Et pourtant, où trouver plus de bonté, plus de miséricorde, plus de justice? Pourquoi dès lors « ceux qui ne voient point doivent-ils voir? » A cause de cette bonté du Seigneur. Pourquoi aussi «ceux qui voient deviendront-ils aveugles? » A cause de leur orgueil. Ils voyaient donc, en effet, et les voilà frappés de cécité? Ils ne voyaient pas, en réalité, seulement ils croyaient voir. Voyez en effet, mes Frères, quand les Juifs disaient : « Sommes-nous donc des aveugles ? » le Seigneur répondit : « Si vous étiez des aveugles, vous n’auriez point de péchés; mais maintenant que vous dites : Nous voyons, votre péché demeure en vous 1 ». Tu viens au médecin et tu dis que tu vois? Plus de collyres alors, tu demeureras aveugle; avoue que tu es aveugle, et mérite ainsi devoir. Considère les Juifs et considère les Gentils. « Ceux qui ne voient point, verront, dit le Seigneur, et je suis venu pour que ceux qui voient soient frappés d’aveuglement». Les Juifs voyaient Notre-Seigneur Jésus-Christ dans sa chair, les Gentils ne le voyaient point ; voilà que ceux qui l’ont vu l’ont crucifié, ceux qui ne l’ont point vu, ont cru en lui. Qu’avez-vous donc fait, ô Christ? qu’avez-vous fait contre ces superbes? Nous voyons par votre faveur, et nous sommes vos membres. Vous avez caché le Dieu, pour ne montrer que l’homme. Et pourquoi ? « Afin qu’une partie d’Israël tombât dans l’aveuglement et que la plénitude des nations entrât ». C’est pour cela que vous avez dérobé le Dieu à leurs regards, pour ne leur offrir que l’homme. Ils voyaient donc, et ne voyaient pas : ils voyaient ce que vous aviez emprunté, et non ce que vous étiez; ils voyaient la forme de l’esclave, et non la forme de Dieu 2 : cette forme de l’esclave qui a fait dire : Mon Père est plus grand que moi 3, et non la forme de Dieu, au sujet de laquelle vous venez d’entendre : Mon « Père et moi sommes un 4 ». Ce qu’ils voyaient, ils l’ont saisi; ce qu’ils voyaient ils l’ont crucifié. Ils ont insulté l’homme qu’ils voyaient sans connaître ce qu’il cachait. Ecoute ces mots de l’Apôtre : « S’ils l’avaient connu, ils n’eussent jamais crucifié le Seigneur de la gloire 5». Donc, ô Gentils qui êtes appelés, voyez les branches que Dieu a retranchées dans sa justice, et vous que sa
1. Jean, IX, 40, 41 — 2. Philipp. II, 6, 7. — 3. Jean, XIV, 28. — 4. Id. X, 30.— 5. 1 Cor. II.
bonté veut bien insérer, et devenus participants de l’olivier fécond, n’allez point vous élever ou vous enorgueillir. « Ce n’est point vous qui portez la racine, mais bien la racine qui vous porte ». Soyez plutôt dans l’effroi en voyant retrancher les branches naturelles. Car les Juifs sont les fils des Patriarches et enfants d’Abraham selon la chair. Que dit encore l’Apôtre ? « Mais, diras-tu, ces branches ont été retranchées afin que je fusse inséré à leur place. Il est vrai; leur incrédulité les a fait retrancher; mais toi, poursuit-il, qui es debout à cause de ta foi, ne cherche pas à t’élever, mais crains; car, si Dieu n’a point épargné les branches naturelles, il ne t’épargnera pas non plus 1 ». Considère ces rameaux qui sont brisés, et toi inséré, loin de t’enorgueillir sur ces rameaux retranchés, dis plutôt à Dieu: « Combien vos oeuvres sont redoutables, ô Dieu ! » Mes frères, si nous n’avons point à nous enorgueillir contre les Juifs retranchés du tronc des Patriarches, s’il nous faut plutôt craindre et dire à Dieu : « Combien vos oeuvres sont redoutables ! » combien moins nous est-il permis de nous prévaloir contre les blessures de nouveaux retranchements ? Les Juifs ont été retranchés d’abord et les Gentils unis; de cette insertion, les hérétiques ont été de nouveau retranchés ; mais gardons-nous de nous prévaloir contre eux, de peur qu’en insultant à ces malheureux retranchés, nous ne méritions de l’être à notre tour. Quel que soit l’évêque dont vous entendiez la voix, je vous en supplie, mes frères, vous tous qui êtes dans le sein de l’Eglise, gardez-vous de toute insulte contre ceux qui sont dehors ; mais plutôt priez pour eux, afin qu’ils rentrent à l’intérieur. « Car Dieu a la puissance de les enter de nouveau 2». C’est là ce que l’Apôtre a dit des Juifs, et qui s’est accompli en eux. Le Seigneur ressuscita, et beaucoup embrassèrent la foi : ils ne le connurent point en le crucifiant, et néanmoins plus tard ils crurent en lui, et un tel forfait leur fut pardonné. Le sang du Seigneur a été répandu et pardonné à des homicides, pour ne pas dire à des déicides: « Car s’ils eussent connu le Seigneur de la gloire, ils ne l’eussent jamais crucifié 3 ». Naguère donc, Dieu a pardonné aux homicides le sang innocent qu’ils avaient répandu ; ils ont bu par la grâce ce même
1. Rom. XI, 17-20. — 2. Ibid. 23. — 3. I Cor. II, 8.
60
sang versé par leur fureur. « Dites donc à Dieu : Combien vos oeuvres sont redoutables ! » Pourquoi redoutables ? « Parce qu’une partie d’Israël est tombée dans l’aveuglement jusqu’à ce que la plénitude des nations entrât dans l’Eglise 1 ». O plénitude des nations, dites à Dieu : « Combien vos oeuvres sont redoutables !» Réjouissez-vous, mais avec tremblement, ne vous élevez point au-dessus des rameaux retranchés. « Dites à Dieu: Combien vos oeuvres sont redoutables ! »
6. « Vos ennemis mentiront contre vous, à cause de votre puissance 2 ». Ils mentiront contre vous, de manière à grandir votre puissance. Qu’est-ce à dire? Redoublez d’attention, mes frères. La puissance de Notre-Seigneur Jésus-Christ s’est surtout manifestée dans la résurrection, d’où est venu le titre à notre psaume. Or, à sa résurrection il apparut à ses disciples 3. Il n’apparut point à ses ennemis, mais à ses disciples. Tous le virent crucifié, les fidèles seuls le virent ressuscité afin que, dans la suite, celui-là crût qui en aurait la volonté, et que la résurrection fût promise à celui qui croirait. Beaucoup de saints ont fait des miracles, nul d’entre eux n’est ressuscité après sa mort : parce que ceux qu’ils ont ressuscités n’ont ressuscité que pour mourir encore. Que votre charité veuille bien le remarquer, Le Seigneur nous a dit en nous parlant de ses oeuvres: « Croyez à mes oeuvres, si vous ne voulez point croire en moi 4 » . Il faisait valoir aussi les anciennes merveilles des Prophètes, sinon les mêmes absolument, du moins les mêmes en grand nombre, émanant de la même puissance. Le Seigneur marcha sur la mer, et y fit marcher Pierre 5. Le Seigneur n’était-il point là quand la mer ouvrit ses eaux, afin de livrer passage à Moïse et au peuple d’Israël 6? C’était le même Seigneur qui opérait ces merveilles. Il accomplissait les unes dans sa chair, les autres dans la chair de ses serviteurs. Toutefois, ce qu’il n’a point fait par l’entremise de ses serviteurs (car c’était lui qui opérait toutes ces merveilles), c’est que l’un d’eux mourût et revînt ensuite à la vie éternelle, Si donc les Juifs pouvaient dire, quand le Seigneur faisait des miracles: C’est ce que Moïse a fait aussi, ce qu’a fait Elie, ce qu’a fait
1. Rom. XI, 17-25. — 2. Ps. LXV, 3, — 3. Act. X, 41. — 4. Jean, X, 38.— 5. Matth. XIV, 25, 29. — 6. Exod. XIV, 21.
Elisée : s’ils pouvaient s’attribuer de semblables miracles, car ces Prophètes ont ressuscité des morts, et tait de nombreuses merveilles: voilà que quand ils lui demandent un signe qui lui soit propre, il attire leur attention sur un miracle qui ne doit s’accomplir qu’en lui seul, et leur dit : «Cette génération mauvaise et adultère demande un signe, et il ne lui en sera point donné d’autre que celui du prophète Jonas. De même, en effet, que Jonas fut trois jours et trois nuits dans le ventre de la baleine, ainsi le Fils de l’homme sera trois jours et trois nuits dans le sein de la terre 1» Comment Jonas fut-il dans le ventre de la baleine? N’est-ce point de manière à en sortir vivant? Or, les enfers furent pour le Seigneur ce que la baleine fut pour Jonas. Voilà le miracle propre qu’il signale à l’attention, le principal miracle. Il y a plus de puissance à ressusciter après la mort qu’à ne point mourir. La merveille donc de la puissance du Seigneur, dans son humanité, resplendit dans le miracle de sa résurrection. Voilà ce que l’Apôtre nous signale en disant: « Non pas avec ma justice qui vient de la loi, mais avec celle qui vient de la foi en Jésus-Christ, qui est la justice que donne Dieu par la foi, afin de le connaître, ainsi que la puissance de sa résurrection 2». Voilà ce qu’il signale aussi en un autre endroit: « Quoique crucifié selon la faiblesse de la chair, il vit néanmoins par la puissance de Dieu 3». Si donc la puissance de Dieu se montre dans son éclat à la résurrection du Seigneur, qui forme le titre de notre psaume, quel est le sens de ces paroles : « Dans l’éclat de votre puissance, vos ennemis mentiront contre vous », sinon : vos ennemis mentiront jusqu’à vous crucifier, et vous serez crucifié pour ressusciter? Donc leur mensonge fera éclater votre puissance dans toute son étendue. Pourquoi un ennemi ment-il ordinairement? Afin de diminuer la puissance de celui qui est l’objet de son mensonge. Pour vous, dit le Prophète, c’est le contraire qui arrive. Votre puissance apparaîtrait moins, si ces hommes ne mentaient point contre vous.
7. Voyez même, dans l’Evangile, le mensonge des faux témoins, et considérez qu’il a pour sujet sa résurrection. Quand on demandait en effet au Sauveur : « Par quel signe nous montrez-vous que vous pouvez faire
1. Matth. XII, 39, 40. — 2. Philipp. III, 9, 30. — 3. II Cor. XIII, 4.
61
de telles choses 1? » en outre de ce qu’il avait dit au sujet de Jouas, il ajoute dans le même sens, mais sous une autre comparaison, afin de nous montrer que cette merveille tant signalée est particulière au Sauveur : « Détruisez », dit-il, « le temple de Dieu, et je le rétablirai en trois jours. Et ils répondirent: On a mis quarante-six ans à bâtir ce temple, et vous le relèverez en trois jours? » Et l’Evangéliste, nous exposant le sens de ces paroles, ajoute « Or, il disait cela en parlant du temple de son corps 2». Donc, il promettait de montrer aux hommes sa puissance, dans cette chair qui lui suggérait la comparaison du temple, et qui était en effet le temple où se cachait sa divinité. Les Juifs ne voyaient alors que l’extérieur du temple, mais ne voyaient pas la divinité qui en habitait l’intérieur. Ces paroles fournirent aux faux témoins un mensonge qu’ils débitèrent contre lui, oui, ces mêmes paroles dans lesquelles il signalait sa résurrection future, en parlant du temple. Voici en effet ce que déposèrent contre lui les témoins, quand on leur demanda ce qu’ils avaient entendu dire : « Nous l’avons entendu qui disait : Je détruirai ce temple et le ressusciterai en trois jours 3». Ils avaient donc entendu : « Je le ressusciterai après trois jours ». Ils n’avaient pas entendu: « Je détruirai », mais bien : « Détruisez ». Ils changèrent un mot et quelques lettres, afin d’ourdir un faux témoignage. Mais, ô vanité de l’homme, ô infirmité de l’homme, à qui veux-tu changer une parole? Tu changes une parole à la Parole incomparable? Tu peux changer ta parole, mais peux-tu changer la parole de Dieu? Aussi est-il dit ailleurs : « Et u l’iniquité s’est donnée à elle-même le démenti 4 ». Pourquoi donc, ô Seigneur, vos ennemis ont-ils menti contre vous, vous que chante la terre entière? « Le mensonge de vos ennemis contre vous fera ressortir l’éclat de votre puissance ». Ils diront : Je détruirai, quand vous aurez dit: « Détruisez ?». Pourquoi vous accusent-ils d’avoir dit : Je détruirai, et ne disent-ils point ce que vous avez dit : « Détruisez? » Ils veulent, ce semble, se défendre en vain contre l’accusation d’avoir détruit le temple. Car si le Christ est mort quand il l’a voulu, c’est vous néanmoins qui l’avez tué. Nous vous l’accordons, ô imposteurs,
1. Jean, II, 18. — 2. Jean, II, 19 - 21. — 3. Matth. XXVI, 61. — 4. Ps. XXVI, 12.
c’est lui qui a détruit le temple. Car l’Apôtre a dit : « C’est lui qui m’a aimé et qui s’est livré à la mort pour moi 1». Il est dit du Père : « Qu’il n’a pas épargné son propre Fils, mais qu’il l’a livré pour nous tous 2». Si donc c’est le Père qui a livré son Fils, si c’est le Fils qui s’est livré lui-même, qu’a fait Judas? Le Père, en livrant son Fils à la mort pour nous, a fait une bonne oeuvre: le Christ, et se livrant lui-même pour nous, a fait une bonne oeuvre : Judas, en livrant son Maître au profit de son avarice 3, a commis un crime. Car, le profit qui nous revient de la passion du Christ ne sera point attribué à la malice de Judas: Judas recevra le châtiment de sa trahison, et le Christ la louange de ses faveurs. Que lui-même ait détruit son temple, qu’il l’ait détruit, celui qui a dit : « J’ai le pouvoir de donner ma vie, et le pouvoir aussi de la reprendre : nul ne me l’ôte , mais je la donne de moi-même et de moi-même la reprends 4 ». Qu’il ait donc détruit son temple, c’est l’oeuvre de sa grâce et de votre malice. « Selon l’étendue de votre puissance, vos ennemis mentiront contre vous ». Les voilà qui mentent, voilà que l’on croit en eux, vous voilà saisi, vous voilà crucifié, vous voilà insulté, voilà qu’ils branlent la tête : « S’il est Fils de Dieu, qu’il descende de la croix 5». Voilà que vous donnez votre vie à votre gré, que votre côté est ouvert par la lance 6, que les sacrements coulent de votre flanc sacré; vous êtes déposé de la croix, enveloppé de linceuls, placé dans le sépulcre, des gardes aussi sont mis tout près, de peur que vos disciples ne vous enlèvent : l’heure de la résurrection arrive, la terre s’ébranle, les tombeaux s’ouvrent, vôtre résurrection est secrète, votre apparition manifeste. Où sont donc alors ces menteurs? où est le faux témoignage de leur malice ? N’est-ce point pour faire éclater votre puissance qu’ils ont menti contre vous?
8. Voyons aussi ces gardiens du sépulcre; qu’ils racontent ce qu’ils ont vu; qu’ils reçoivent de l’argent, et vendent leur mensonge : qu’ils parlent, ces pervers à qui d’autres pervers ont donné le mot d’ordre; qu’ils parlent, les hommes corrompus par les Juifs, qui n’ont pas voulu être intègres avec le Christ; qu’ils viennent parler et mentir à leur
1. Gal, II, 20.— 2. Rom. VIII, 32.— 3. Matth. XXVI, 15.— 4. Jean, X, 18. — 5. Matth. XXVII, 40. — 6. Jean, XIX, 34.
62
tour. Que diront-ils ? Parlez, et voyons; mentez-vous aussi, pour faire éclater la grande puissance du Seigneur. Que direz-vous? Quand nous étions endormis, les disciples sont venus et l’ont enlevé du sépulcre 1. O folie ! ô véritable rêve ! Ou bien vous étiez éveillés, et vous avez dû défendre d’approcher ; ou bien vous dormiez, et vous ne savez ce qui est arrivé. Les voilà qui mentent comme des ennemis, le nombre des menteurs s’accroît, afin que s’accroisse encore le prix du mensonge. « Car c’est pour faire éclater votre puissance, que vos ennemis mentent contre vous ». Ils ont donc menti , ils ont menti, pour faire éclater votre puissance; et vous avez apparu aux hommes véridiques à l’encontre des menteurs, et vous avez apparu a ces hommes véridiques, dont vous-même avez fait la véracité.
9. Aux Juifs de rester dans leurs mensonges; à vous, parce qu’ils ont menti pour faire éclater votre puissance, à vous s’applique ce qui suit : « Que la terre entière vous adore et vous chante des psaumes; qu’elle célèbre votre nom sur des guitares, ô Tout-Puissant 2»; naguère si humilié, maintenant « Tout-Puissant »; humilié entre les mains de ses ennemis menteurs ; « Tout-Puissant», au-dessus des anges qui chantent sa gloire. « Que toute la terre vous adore et célèbre votre gloire, qu’elle chante votre nom sur des guitares, ô Tout-Puissant ».
10. « Venez et voyez les oeuvres du Seigneur ». O nations, nations éloignées, laissez les Juifs dans leurs mensonges, venez avec des aveux. « Venez et voyez les oeuvres du Seigneur : il est terrible dans ses desseins sur les enfants des hommes 3 ». Lui- même est appelé Fils de l’homme, et a été véritablement fait fils de l’homme; vrai Fils de Dieu dans la forme de Dieu, vrai fils de l’homme dans la forme de l’esclave 4; mais ne jugez pas de cette forme de l’esclave, par la condition de ceux qui lui ressemblent: « Il est terrible dans ses desseins sur les enfants des hommes ». Voilà que, dans leurs trames, les enfants des hommes ont imaginé de crucifier le Christ, et ce crucifié a frappé d’aveuglement ceux qui le clouèrent sur la croix. Qu’avez-vous donc fait, ô enfants des hommes, en tramant de noirs complots contre votre Seigneur, en qui se dérobait la majesté pour
1. Matth. XXVIII, 13. — 2. Ps. LXV, 4. — 3. Id. 5.— 4. Philipp. II, 6,
ne laisser voir que l’infirmité ? Vous avez formé un dessein de perdition, lui d’aveuglement et de salut : d’aveuglement contre les superbes, de salut en faveur des humbles; mais d’aveuglement contre les superbes, afin que cet aveuglement, les humiliât, que l’humilité leur fit confesser leurs fautes, que la confession les éclairât. « Vous êtes terrible dans vos desseins sur les enfants des hommes ». Vraiment terrible! Voilà qu’une partie d’Israël tombe dans l’aveuglement voilà que les Juifs desquels est né le Christ sont dehors ; voilà que les Gentils, les adversaires des Juifs, sont à l’intérieur avec le Christ 1. « Vous êtes terrible dans vos desseins sur les enfants des hommes ».
11. Aussi qu’a-t-il fait dans ce dessein redoutable ? Il a changé la mer en une terre sèche. C’est là ce que dit ensuite le Prophète : « Qui fait de la mer une terre sèche 2 ». Le monde était une mer qui avait l’amertume de la salaison, une mer troublée par la tempête, où bouillonnaient les flots de la persécution. Or, cette mer est tellement devenue une terre sèche, que le monde, naguère surchargé d’eau amère, a maintenant soif d’eau douce. Qui a fait ce changement ? « Celui qui change la mer en terre sèche». Que dit maintenant l’âme de toutes les nations? « Notre âme est pour vous comme une terre sans eau 3». C’est lui qui « change la mer en une terre sèche, et fait traverser le fleuve à pied sec ». Ceux-là mêmes qui étaient la mer sont devenus une terre sèche. « Ils passeront le fleuve à pied sec ». Qu’est-ce que le fleuve? C’est tout ce qui meurt en cette vie, Voyez un fleuve; un flot vient et passe, un autre lui succède pour passer encore. N’est-ce pas là dans un fleuve le jeu des eaux qui naissent de la terre pour s’écouler? Quiconque est né sur la terre, devra céder sa place à celui qui naîtra : et cet ordre des choses qui passent constitue une espèce de fleuve. Mais que l’âme avide ne se jette point dans ce fleuve; loin de s’y jeter, qu’elle se tienne sur les bords. Et comment traversera-t-elle ces charmes des choses passagères? Qu’elle croie au Christ, et elle les traversera à pied sec : lui-même la guidera, elle passera à pied sec. Qu’est-ce à dire, passer à pied sec ? passer facilement Sans chercher un cheval pour passer, sans s’élever dans son
1. Rom. XX, 25. — 2. Ps. LIV, 6. — 3. Id. CXLII, 6.
63
orgueil pour traverser le fleuve : elle passera humblement et passera sûrement. «Ils passeront le fleuve à pied sec ».
12. « C’est là que nous nous réjouirons en lui». Enfants d’Israël, vous vous glorifiez de vos oeuvres: déposez cet orgueil qui vous porte à vous glorifier de vous-mêmes, et recevez la grâce de vous glorifier dans le Christ. C’est là que nous nous épanouirons, mais pas en nous-mêmes. « C’est là que nous nous réjouirons en lui ». Quand serons-nous dans cette allégresse ? Quand nous aurons passé le fleuve à pied sec. La vie éternelle nous, est promise, la résurrection nous est promise, et là notre chair ne passera plus; elle passe maintenant qu’elle est sous l’empire de la mort. Voyez s’il est un âge qui se puisse tenir dans le même état. L’enfant veut croître, il ne sait pas que sa vie est un espace qui se rétrécit par la succession des années. Car l’accroissement ne multiplie point nos années, il nous les enlève au contraire; de même que l’eau du fleuve ne marche qu’en s’écartant de la source. L’enfant veut croître pour échapper à la tutelle de ses parents : il croît et le temps passe vite, il arrive à l’adolescence; que celui qui a dépassé les années enfantines s’en tienne à la jeunesse, s’il le peut; elle-même fuit rapidement. Vient ensuite la vieillesse : faites qu’elle soit éternelle; la mort y mettra fin. Donc toute chair qui naît forme un fleuve, Or, afin que la convoitise des choses d’ici-bas ne vienne point bouleverser ou précipiter encore ce courant, celui-là le passe facilement, qui le passe avec humilité, ou à pied, en prenant pour guide celui qui l’a passé le premier, qui jusqu’à la mort but en chemin l’eau du torrent, et pour cela leva la tête 1. Si donc nous passons le fleuve à pied, c’est-à-dire si nous traversons sans regret cette vie mortelle qui s’écoule, nous nous réjouirons en lui. Mais en qui maintenant nous réjouissons-nous, si ce n’est en lui, ou dans l’espérance de le posséder? Si donc nous avons quelque joie aujourd’hui, c’est la joie de l’espérance; alors seulement nous nous réjouirons en lui. C’est en lui maintenant, mais par l’espérance : « Alors ce sera face à face 2 ».
13. « C’est là que. nous nous réjouirons en lui ». En celui « qui règne éternellement, par sa vertu 3 ». Pour nous, quelle vertu
1. Ps. CIX, 7.— 2. I Cor. XIII, 12.— 3. Ps. LXV, 7.
avons-nous ? Est-elle éternelle ? Si notre vertu était éternelle, nous ne serions point déchus, ni tombés dans le péché, nous n’aurions point mérité d’être châtiés par la mort 1. Il nous a donc adoptés celui dont notre faute nous avait séparés. « C’est lui qui règne éternellement par sa vertu ». Devenons ses cohéritiers, et nous serons forts en lui, mais lui l’est par sa propre vertu. Nous serons éclairés, et lui la lumière qui nous doit éclairer; éloignés de lui nous ne sommes plus que ténèbres; pour lui, il ne peut s’éloigner de lui-même. C’est sa flamme qui nous réchauffe; loin de lui, il n’y avait que glace pour nous, près de lui sa flamme nous échauffe de nouveau. Disons-lui dès lors qu’il nous garde dans sa vertu, parce que nous trouverons notre joie dans celui « qui règne éternellement par sa propre vertu ».
14. Mais ces avantages, il ne les procure pas seulement aux Juifs qui arrivent à la foi. Comme les Juifs s’étaient beaucoup élevés en présumant de leur propre vertu, voilà que plus tard ils connurent quelle vertu leur avait donné une force salutaire, et plusieurs d’entre eux embrassèrent la foi; or, cela ne suffit point au Christ; le don qu’il nous a fait est grand, c’est un don précieux; mais ce don qu’il nous a fait ne doit point s’arrêter aux Juifs seulement. « Ses regards. s’arrêtent sur les nations. Donc il porte ses regards sur les nations 2 ». Que faisons-nous alors? diront les Juifs eu murmurant : ils ont donc aussi ce que nous avons nous-mêmes; à eux l’Evangile, comme à nous l’Evangile; à eux la grâce de la résurrection, comme à nous la grâce de la résurrection; à quoi nous sert que nous ayons reçu la loi, que nous ayons vécu dans les justifications de la loi, que nous ayons observé les préceptes de nos pères? C’est donc inutilement? Pour eux les mêmes faveurs que pour nous! point de litige, point de contestation. « Que les rebelles ne s’exaltent point en eux-mêmes ». O chair misérable et corrompue, n’es-tu donc pas pécheresse? Que profère donc ta langue? Considère ta conscience. Tous ont péché, tous ont. besoin de la grâce de Dieu 3. Reconnais-toi donc, ô faiblesse humaine, tu n’as reçu la loi que pour transgresser la loi, car tu n’as ni gardé ni observé les préceptes que tu as reçus. Il ne t’est revenu de la loi que la prévarication, que
1. Gen. III, 17. — 2. Ps. LXV, 7. — 3. Rom. III, 23.
64
tu as commise, et non la justification que la loi ordonne. Si donc le péché a abondé, pourquoi cette jalousie quand la grâce surabonde1? Loin de toi les murmures: « Que les murmurateurs ne s’exaltent pas en eux-mêmes ». Cette parole: «Que les murmurateurs ne s’exaltent pas », semble d’abord une malédiction; qu’ils s’élèvent au contraire, mais pas en eux-mêmes. Qu’ils s’humilient en eux-mêmes, qu’ils s’élèvent dans le Christ. « Car celui qui s’humilie sera élevé, et celui qui s’élève sera humilié 2 ». Que les rebelles ne s’élèvent pas en eux-mêmes ».
15. « Nations, bénissez notre Dieu 3 ». Voilà que Dieu a repoussé les murmurateurs et leur en a donné la raison : plusieurs se sont convertis, plusieurs sont demeurés dans leur orgueil. Ne les redoutez point, quand ils envient aux nations la grâce de l’Evangile voilà qu’est venu ce rejeton d’Abraham en qui sont bénies les nations 4. Bénissez celui en qui vous êtes bénies. « Nations, bénissez le Seigneur notre Dieu écoutez chanter ses louanges». Loin de vous louer vous-mêmes, c’est lui qu’il faut chanter. Pourquoi le louer? parce que nous devons à sa grâce tout ce qu’il y a de bon en nous. « C’est lui qui a rendu la vie à mon âme 5 ». Telle est donc l’hymne de sa louange : « Il a rendu la vie à mon âme ». Elle était donc morte, et morte en toi. De là vient qu’il ne vous sied point de vous élever en vous-mêmes. Voilà que ton âme était morte en toi; d’où lui viendra la vie, sinon de celui qui a dit: « Je suis la voie, la vérité et la vie 6 ? »Ainsi que l’a dit l’Apôtre à quelques fidèles: « Autrefois vous étiez ténèbres, et maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur 7 ». Donc les ténèbres sont en vous et la lumière dans le Seigneur: en vous est la mort, dans le Seigneur la vie. « C’est lui qui a donné la vie à mon âme ». Le voilà qui domine la vie à notre âme, par la foi que nous avons en lui; dans notre âme il met la vie: mais que nous faut-il faire, sinon persévérer jusqu’à la fin 8? Et qui nous le donnera, sinon celui dont il est dit ensuite : « Il n’a point laissé chanceler mes pieds? » C’est donc lui qui rend la vie à mon âme, lui qui dirige mes pieds de peur qu’ils ne chancellent, qu’ils ne fléchissent et
1. Rom. V, 20. — 2. Matth. XXIII, 12. — 3. Ps. LXV, 8. — 4. Gen. XII, 3. — 5. Ps. LXV, 9. — 6. Jean, XIV, 6. — 7. Ephés. V, 8. — 8. Matth. X, 22.
n’entraînent ma chute; c’est lui qui nous fait vivre, qui nous fait persévérer jusqu’à la fin, pour que nous vivions éternellement. « Il n’a pas laissé mes pieds chanceler ».
16. Pourquoi dire, ô Prophète : « Il n’a point fait chanceler mes pieds? » Qu’avez-vous donc enduré, ou qu’auriez-vous pu endurer, qui eût pu faire chanceler vos pieds? Quoi ? Ecoutez la suite. Pourquoi ai-je dit qu’ « il n’a point fait chanceler mes pieds? » C’est que nous avons passé par des épreuves qui eussent fait chanceler nos pieds, si lui-même ne nous dirigeait et ne raffermissait nos pas. Qu’est-ce que cette épreuve? « Vous nous avez éprouvés, ô Dieu ; vous nous avez fait passer par le feu comme on y fait passer l’argent 1». Ce n’est point comme la paille, mais comme l’argent, que vous nous avez fait passer par le feu: nous mettre au feu, ce n’était point nous mettre en cendres, mais laver nos souillures. « Vous nous avez donc mis au feu comme on y met l’argent ». Voyez comment Dieu sévit contre ceux dont il a fait vivre l’âme. « Vous nous avez poussés dans un piège »: non pour nous y prendre et nous donner la mort, mais pour nous en délivrer et nous donner l’expérience. « Vous avez mis les tribulations sur notre dos 2 ». Nous redresser mal, c’était nous enorgueillir; nous redresser mal, c’était nous courber, afin que, courbés, nous pussions nous redresser parfaitement. « Vous avez mis les tribulations sur notre dos, vous avez élevé les hommes sur nos têtes 3». Voilà ce qu’a enduré l’Eglise dans les persécutions, dans ses persécutions nombreuses et de tous genres: voilà ce qu’elle a souffert en particulier, ce qu’elle endure encore maintenant. Car il n’est personne qui se puisse dire en cette vie exempt de tribulations, Des hommes donc s’élèvent sur nos têtes : nous sommes assujettis à ceux que nous ne voulons point, et souvent nous subissons des supérieurs que nous savons être plus coupables que nous. L’homme qui est sans faute est un homme bien supérieur ; plus ses fautes sont nombreuses au contraire, plus il est abaissé. Mais il nous est bon de nous considérer comme des pécheurs, et de supporter dès lors ceux qui sont placés sur nos têtes; afin d’avouer par là au Seigneur, que nous souffrons justement. Pourquoi ne souffrir en effet qu’avec impatience ce que fait celui qui est
1. Ps. LXV, 10. — 2. Id. 11. — 3. Id, 12.
65
juste? « Vous avez mis sur notre dos les tribulations : vous avez imposé les hommes sur nos têtes». Dieu semble agir ainsi dam sa colère : demeure sans crainte, car il est un père, et ne sévit jamais afin de perdre. S’il t’épargne pendant que tu vis dans le désordre, il n’en est que plus irrité. Toutes ces tribulations ne sont que les fouets qui doivent te corriger, pour n’être pas l’arrêt de ton châtiment. « Vous avez mis les tribulations sur notre dos, vous avez élevé les hommes sur nos têtes ».
17. « Nous avons passé par le feu et par l’eau 1 ». Le feu et l’eau, voilà deux dangers pour cette vie. L’eau paraît éteindre le feu, et le feu paraît dessécher l’eau. Telles sont aussi les épreuves si fréquentes en cette vie. Le feu dessèche, l’eau corrompt : et nous avons àcraindre le feu de la tribulation, comme l’eau de la corruption. Dans les angoisses, ce que le monde appelle malheur devient comme un feu; dans la prospérité, l’abondance vient à couler, et c’est comme une eau, Garde-toi donc, et du feu qui te brûlerait, et de l’eau qui te corromprait. Tiens ferme contre le feu ; tu dois passer au feu, tu es jeté dans la fournaise comme un vase d’argile, afin d’être consolidé dans ta forme. Mais le vase, une fois consolidé par le feu, ne craint plus l’eau: et toutefois, s’il n’est solidifié par le feu, il se dissoudra dans l’eau comme une boue. Ne t’empresse donc point de te jeter dans l’eau; passe par le feu pour aller à l’eau, afin de traverser l’eau. Aussi dans les sacrements, dans les catéchismes, dans les exorcismes, nous commençons par le feu. Et d’où viendrait en effet que les esprits immondes s’écrient : Je brûle, si ce n’est point là un feu ? Or, après les feux de l’exorcisme on arrive au baptême : de même que du feu à l’eau, et de l’eau au rafraîchissement. Ce qui a lieu dans les sacrements, a lieu aussi dans les épreuves de cette vie. Nous éprouvons tout d’abord la crainte, c’est là le feu après la crainte, il nous faut redouter la félicité du monde qui nous corromprait. Mais quand le feu ne t’a point fait rompre, et que dans l’eau, loin d’être submergé, tu as surnagé, la règle te fait arriver au repos, et ainsi tu passes par le leu et par l’eau pour arriver au rafraîchissement. Car ce que les sacrements renferment en signes, ce sont les
1. Ps. LXV, 12.
choses qui doivent nous arriver dans la perfection de la vie éternelle. Or, quand nous serons arrivés à ce rafraîchissement, mes frères bien-aimés, nous n’aurons plus à craindre aucun ennemi, aucun tentateur, aucun jaloux, aucun feu, aucune eau; ce sera un rafraîchissement continuel. Mais ce nom de rafraîchissement lui vient du repos. Dites que c’est une chaleur, c’est vrai ; dites que c’est un rafraîchissement, c’est vrai encore. En mauvaise part, le rafraîchissement arriverait à nous engourdir ici-bas. Mais là, il n’y a plus de torpeur, il n’y a que le repos ; ce que l’on appelle chaleur ne nous suffoquera point, ce sera une ferveur d’esprit. Considère cette chaleur dans un autre psaume : « Nul ne peut se dérober à sa flamme 1 ». Que dit encore l’Apôtre? « Ayez la ferveur de l’esprit 2 ». Donc « nous avons passé par l’eau et par le feu; et vous nous avez conduits au rafraîchissement. »
18. Considérez que si le Prophète ne se tait point au sujet du rafraîchissement, il ne se tait pas non plus au sujet du feu qu’il nous faut désirer: « J’entrerai dans votre maison avec des holocaustes 3». Qu’est-ce que l’holocauste? Ce qui est brûlé totalement, mais par le feu divin. Car on appelle holocauste ce sacrifice dans lequel tout est brûlé. Autres sont en effet les sacrifices partiels et autre l’holocauste. Il y a holocauste quand tout est embrasé, tout est consumé par le feu divin; s’il n’y en a qu’une partie, c’est le sacrifice. Tout holocauste est donc un sacrifice, mais tout sacrifice n’est pas un holocauste. Aussi cette promesse d’holocaustes vient-elle du corps du Christ, c’est le Christ qui parle dans son unité. « J’entrerai dans votre maison au u moyen des holocaustes 3 ». Que votre feu brûle tout ce qui est en moi, qu’il ne reste rien de moi, que tout soit à vous. C’est là ce qui doit arriver à la résurrection des justes, « quand ce corps corruptible sera revêtu d’incorruptibilité, que ce corps mortel sera revêtu d’immortalité, alors arrivera ce qui est écrit : La mort est absorbée dans sa victoire 4 ». La victoire est comme un feu divin; et comme elle doit absorber jusqu’à notre mort, c’est un holocauste. Rien de mortel ne demeurera dans notre chair, rien de coupable dans notre coeur; tout ce qui est
1. Ps. XVIII, 7. — 2. Rom. XII, 11.— 3. Ps. LXV, 13 — 4. Cor. XV, 54.
66
de la vie mortelle sera consumé, afin d’être consommé dans la vie éternelle; tout alors sera donc holocauste.
19. Et qu’arrivera-t-il dans ces holocaustes? « Je vous rendrai ces voeux dont mes lèvres ont fait la distinction 1 ». Quelle distinction entre des voeux? Il y a cette distinction, que tu dois t’accuser, mais bénir Dieu; comprendre que tu es créature, et lui créateur; que tu es ténèbres, et lui la lumière; que tu dois lui dire: « C’est à vous, Seigneur, d’allumer le flambeau qui m’éclaire; à vous, ô mon Dieu, de dissiper mes ténèbres 2 ». Dire en effet, ô mon âme, que ta lumière vient de toi, c’est ne faire aucun discernement; et sans discernement, il n’y aura dans tes voeux nulle distinction. Rends au Seigneur des voeux distincts, confesse que tu es mobile, et lui immuable; confesse que tu n’es rien sans lui, et que lui au contraire sans toi est parfait; que tu as besoin de lui, et qu’il n’a nul besoin de toi. Crie vers lui « J’ai dit au Seigneur : Vous êtes mon Dieu, et vous n’avez mini besoin de mes biens 3 ». T’agréer en holocauste, ce n’est pour lui ni croître, ni augmenter, ni s’enrichir, ni se perfectionner : ce qu’il fait pour toi, ce qu’il fait à ton sujet, est un profit pour toi, nullement pour lui. Par ce discernement, tu rends à Dieu les voeux dont tes lèvres ont tait la distinction. « Je vous rendrai les voeux qu’ont discernés mes lèvres ».
20. « Les voeux que ma bouche a proférés au jour de ma tribulation 4 ». Combien est douce parfois, combien est nécessaire la tribulation! Qu’a proféré sa bouche dans sa détresse? « Je vous offrirai des holocaustes de moelle 5 ». Qu’est-ce à dire: «De moelle?» J’aurai pour vous un amour intérieur, non point superficiel; mais cet amour pour vous sera dans la moelle de mes os, Rien en moi n’est plus intérieur que cette moelle; les os sont plus à l’intérieur que la chair, et la moelle est plus intérieure encore que les os. Donc n’adorer Dieu qu’à l’extérieur, c’est chercher bien plus à plaire aux hommes; c’est avoir d’autres sentiments intérieurs, et dès lors ne pas offrir des holocaustes de moelle : que Dieu voie la moelle, et il agrée l’homme tout entier. « Je vous offrirai des holocaustes de moelle, avec de l’encens et
1. Ps. LIV, 14. — 2. Id. XVII, 29. — 3. Ps. XV, 2. — 4. Id. LXV, 14. — 5. Ibid. 15.
des béliers ». Ces béliers sont les chefs de l’Eglise; et le corps du Christ parle ici tout entier : voilà ce qu’il offre à Dieu. Qu’est-ce que l’encens? la prière. « Avec de l’encens et « des béliers. » Car les béliers prient sans cesse pour leurs troupeaux. « Je vous offrirai des boeufs et des boucs ». Nous voyons des boeufs fouler le grain, puis immolés à Dieu, A propos des prédicateurs de l’Evangile l’Apôtre nous a indiqué la manière de comprendre ce passage : « Vous ne lierez point la bouche au boeuf qui foule le grain. Est-ce « que Dieu se soucie des boeufs 1?» Ces béliers sont donc grands, ces boeufs sont grands. N’y a-t-il rien pour ces autres, qui sont peut-être coupables de quelques péchés, qui sont tombés peut-être en voyage, et dont la blessure est guérie par la pénitence? Qu’ils se rassurent, le Prophète a dit aussi des boucs « Je vous offrirai des holocaustes de moelle, avec de l’encens et des béliers : je vous offrirai des boeufs et des boucs ». Cette addition sauve aussi les boucs; par eux-mêmes ils ne pourraient être sauvés, mais unis aux boeufs, ils deviennent agréables. Ils se sont fait avec la monnaie de l’iniquité 2 des amis qui les ont reçus dans les tabernacles éternels. Ces boucs ne seront donc point à la gauche, puisqu’ils se sont fait des amis avec la monnaie de l’iniquité. Quels boucs seront à la gauche? Ceux à qui il est dit : « J’ai eu faim, et vous ne m’avez point donné à manger 3 »; et non ceux qui ont racheté leurs péchés par l’aumône.
21. « Venez, écoutez, vous tous qui craignez le Seigneur, et je vous raconterai 4 ». Allons, écoutons ce qu’il doit nous raconter, « Venez, écoutez, et je vous racontera ». Mais à qui dit-il : « Venez et écoutez? A vous tous qui craignez Dieu » . Si vous ne craignez point Dieu, je ne raconte point. Il n’y a rien à raconter où n’est pas la crainte de Dieu. Que la crainte de Dieu ouvre les oreilles, afin que ma narration trouve où entrer et par où entrer. Mais que raconterai-je? « Ces grands biens que Dieu a faits à mon âme». Le voilà qui veut raconter, mais que va-t-il raconter? Les espaces de la terre, sa distance des cieux, le nombre des astres, et les phases du soleil et de la lune? Ces créatures marchent dans l’ordre tracé; et ceux qui les ont étudiées avec trop de curiosité n’en ont point connu le
1. I Cor. IX, 9.— 2. Luc, XVI, 9.— 3. Matth. XV, 42.— 4. Ps. LXV, 18.
Créateur 1. Voici donc ce qu’il faut écouter et retenir: « O vous qui craignez Dieu: le grand bien qu’il a fait à mon âme », et si vous le voulez, à la vôtre. « Le bien qu’il a fait à mon âme, ma bouche le crie vers lui ». Et ce bien fait à son âme, c’est de pouvoir crier vers Dieu; voilà ce bien qu’il préconise, comme fait à son âme. Voilà, mes frères, que nous étions païens, sinon en nous-mêmes, du moins en nos pères. Or, que dit l’Apôtre? « Vous le savez, quand vous étiez païens, vous vous laissiez conduire à des idoles muettes 3 ». Que telle soit maintenant l’hymne de l’Eglise: « Quel grand bien il a fait à mon âme, ma bouche le crie vers lui ». Homme, je m’adressais à la pierre, je m’adressais à un bois sourd, je parlais à des simulacres sourds et muets; mais l’image de Dieu s’est retournée vers son Créateur. « Moi qui disais au bois: « Tu es mon Père; et à la pierre: Tu m’as engendré 4»; je dis maintenant: «Notre Père, qui êtes aux cieux ». Ma bouche a crié vers lui : « Ma bouche »,et non une bouche étrangère. Quand je criais vers la pierre, dans une vie pleine de vanité, à l’exemple de mes pères 6, je criais par une bouche étrangère quand j’ai crié vers le Seigneur, selon le don qu’il m’en a fait, l’inspiration qu’il m’a envoyée, « c’est par ma bouche que j’ai crié vers lui; et sous ma langue je l’ai glorifié». Qu’est-ce à dire: « J’ai crié vers lui, je l’ai glorifié sous ma langue? » Je l’ai prêché en public, je l’ai confessé en secret. C’est que ma langue glorifie le Seigneur; tu dois le glorifier sous ta langue, c’est-à-dire penser à l’intérieur ce que tu dis avec certitude. « Ma bouche a crié vers lui, et je l’ai glorifié sous ma langue ». Vois quelle intégrité intérieure il désire, celui qui offre des sacrifices de moelle, C’est là, mes frères, ce qu’il faut faire, ce qu’il faut imiter afin que vous puissiez dire : «Venez et voyez le grand bien qu’il a fait à mon âme ». Tout ce que raconte le Prophète est l’effet de la grâce de Dieu en notre âme. Voyez ce qu’il dit ensuite.
22. « Si dans mon coeur j’ai vu l’injustice, que le Seigneur ne m’exauce point 7 ». Voyez, mes frères, combien facilement, combien journellement les hommes accusent en rougissant les iniquités des autres hommes il a mal agi, agi en fripon, c’est un homme
1. Sag. XIII, 9. — 2. Ps. LXV, 17. — 3. I Cor. XII, 2. — 4. Jérém. II, 27.— 5. Matth. VI, 9. — 6. I Pierre, I, 18. — 7. Ps. LXV, 18.
criminel. C’est, là sans doute ce que l’on dit au sujet des hommes. Mais considère si dans ton coeur tu ne vois point l’injustice, de peur de méditer intérieurement ce que tu blâmes dans un autre, et de crier contre lui, non parce qu’il est coupable, mais parce qu’il, est surpris. Reviens à toi, et sois ton juge intérieurement. Dans le secret de ton intérieur, dans la veine intime de ton coeur, où tu es seul avec celui qui te voit, prends à dégoût ton iniquité, afin de plaire à Dieu. Garde-toi d’avoir pour elle un regard de complaisance ou d’amour, mais plutôt un regard de dédain et de mépris, jusqu’à t’en séparer. Et la joie qu’elle t’a promise pour t’entraîner au péché, et les menaces lugubres qu’elle t’a faites, pour te jeter dans les forfaits, tout cela n’est rien, tout cela doit passer: tout cela doit être méprisé, foulé aux pieds, et non pris en considération pour être accepté. Souvent elle s’insinue par la pensée, souvent encore par les conversations des méchants. « Les mauvais entretiens corrompent les bonnes moeurs pour toi, ne te laisse point séduire 1 ». C’est peu d’en détourner les yeux, peu encore de n’en point parler: ne les regarde point du coeur, c’est-à-dire, n’aie pour eux ni inclinaison, ni consentement. Journellement nous prenons le regard pour l’affection ; ainsi nous disons de Dieu: Il m’a regardé. Qu’est-ce à dire : Il m’a regardé ? Avant cela ne te voyait-il donc point? Ou ses regards, dirigés en haut, ont-ils dû s’abaisser sur toi, provoqués par tes supplications? Il te voyait, même auparavant; mais dire: Il m’a regardé, c’est dire: Il m’a aimé. A un homme qui te voit, et dont tu implores la pitié, tu dis : Faites attention à moi. Il te voit cependant, et tu lui dis: Regardez-moi. Qu’est-ce à dire: Regardez-moi? Accordez-moi votre amour, votre attention, votre pitié. Quand donc le Prophète nous dit : « Si j’ai envisagé l’iniquité dans mon coeur », ce n’est point qu’il n’y ait dans le coeur humain aucune suggestion criminelle. li ya toujours suggestion,et suggestion incessante; mais que le regard ne s’y repose point. Regarder l’iniquité, c’est regarder en arrière; c’est encourir la sentence du Seigneur qui dit dans l’Evangile : « Nul n’est propre au royaume de Dieu, s’il regarde en arrière en mettant les mains à la charrue 2 ». Que me faut-il donc faire? Ce que nous dit
1. I Cor. XV, 33. — 2. Luc, IX, 62.
68
l’Apôtre: « J’oublie ce qui est en arrière, pour m’étendre vers ce qui est en avant 1 ». Tout notre passé qui est derrière, est une iniquité. Nul n’est bon avant de venir au Christ; tous ont péché, et sont justifiés par la foi 2. La justice ne sera parfaite que dans cette vie
niais c’est lui qui nous inspire les bonnes moeurs, pour y arriver, lui qui nous en fait don. Loin de toi donc, oh! loin de toi, de compter sur tes mérites. Et quand l’iniquité te sera suggérée, loin de toi d’y consentir. Que dit en effet le Prophète? « Si dans mon coeur j’ai vu complaisamment l’iniquité, que le Seigneur ne m’exauce point».
23. « Si le Seigneur m’a écouté », c’est que je n’ai point regardé l’iniquité dans mon coeur. « Et il a écouté la voix de ma prière 3 ».
24. « Béni soit mon Dieu, qui n’a point rejeté ma prière, ni éloigné de moi sa miséricorde 4 ». Il continue dans le même sens, depuis l’endroit où il dit : « Venez, entendez, et je vous raconterai, à vous tous qui craignez le Seigneur, combien il a fait pour mon âme 5 ». Vous avez entendu ses paroles, et il conclut enfin: « Béni soit mon Dieu, qui n’a point rejeté ma prière, ni détourné de moi sa miséricorde ». C’est ainsi que l’interlocuteur arrive à la résurrection, où nous sommes déjà en espérance : bien plus, en réalité; car ces paroles sont les nôtres. Tant que dure notre séjour ici-bas, supplions le Seigneur de ne point rejeter notre prière, de n’éloigner point de nous sa miséricorde;
1. Philip. III, 13. — 2. Rom. III, 22. — 3. Ps. LIV, 19.— 4. Id. 20. — 5. Id.16.
c’est-à-dire, de nous accorder la persévérance dans la prière et de persévérer lui-même à nous prendre en pitié. Plusieurs ne prient qu’avec nonchalance, dans la phase de leur conversion: ils ont d’abord de la ferveur, puis vient la nonchalance, puis la froideur, puis la négligence : ils se croient en sûreté. L’ennemi veille: et loi, tu dors. Le Seigneur nous prescrit dans l’Evangile « de toujours prier, de ne point nous lasser». Il apporte en exemple ce juge d’iniquité, qui ne craignait point Dieu, n’avait aucun respect pour les hommes, et qu’importunait cette veuve qui chaque jour le suppliait de l’entendre : il cède à l’ennui, lui que la pitié ne fléchissait point; et ce juge inique se dit en lui-même: « Quoique je ne craigne point Dieu, et que je m’inquiète peu des hommes, cependant, parce que cette veuve m’importune tous les jours, j’entendrai sa cause et lui ferai justice. Or, le Seigneur ajoute : Si un juge d’iniquité en agit de la sorte, votre Père ne vengera-t-il pas ses élus, qui crient à lui jour et nuit? Assurément, vous dis-je, il leur fera promptement justice 1 ». Ne cessons donc point de prier. Un retard dans ce qu’il doit nous accorder, n’est pas un refus: certains de sa promesse, ne cessons de prier, et ceci est encore un de ses bienfaits. Aussi a-t-il dit: « Béni soit mon Dieu qui n’a point éloigné de moi ma prière et sa miséricorde ». Tant que la prière ne sera pas loin de tes lèvres, sois en sûreté, parce que sa miséricorde n’est pas loin de toi.
1. Luc, XVIII, 1.8.
DISCOURS SUR LE PSAUME LXV.
PRÊCHÉ À CARTHAGE.
LA FOI EN LA RÉSURRECTION.
Double erreur des Juifs qui ont attendu dans la résurrection les biens de la terre, et cru qu’ils ressusciteraient seuls. Jésus répond que nous serons alors comme des anges. C’est un bonheur que toute la terre doit chanter, chanter même extérieurement ou sur le psaltérion, afin que les hommes en soient édifiés. La grâce est pour tous, mais n’est point le salaire de nos mérites. De là cette crainte que doivent nous inspirer les oeuvres de Dieu, qui donne la lumière aux humbles et aveugle les orgueilleux. Les Juifs ont été retranchés, et les Gentils insérés à leur place: de cette insertion Dieu retranche encore les hérétiques. Le mensonge de ses ennemis concourt à sa gloire. Mensonges d’accusation, mensonges contre la résurrection. Jésus triomphe en montant au ciel. Les Gentils qui étaient une mer sont devenus une terre sèche. Toute âme humble passe à pied sec le fleuve de la vie, pour s’épanouir en Jésus-Christ, qui est ici-bas notre espérance, qui sera notre force. Au rejeton d’Abraham, nous devons ce que nous sommes, il nous éclaire, nous maintient dans la vertu, nous soutient dans les épreuves, nous aide à supporter les hommes. C’est lui qui nous garantit du feu qui nous consumerait, de l’eau qui nous corromprait. Offrons-lui des holocaustes, c’est-à-dire que le feu ne laisse en nous rien de terrestre, des holocaustes intérieurs, par la charité, qui lui amèneront les boeufs et les boucs, les innocents et les coupables. Il fait à notre âme cette faveur, qu’il la tire du culte des idoles pour la tourner vers lui, qu’il nous détourne de l’iniquité, nous donne la prière, et par la prière la miséricorde.
1. Ce psaume a pour titre : « Pour la fin, chant du psaume de la résurrection 1 ». Lorsque dans l’énoncé d’un psaume vous entendez « pour la fin », comprenez: pour le Christ, d’après cette parole de l’Apôtre : « Le Christ est la fin de la loi, pour justifier ceux qui croiront 2 ». Vous allez donc entendre un chant de résurrection, et savoir qui ressuscite, autant qu’il voudra bien lui-même nous en donner l’intelligence. Nous autres, chrétiens, nous connaissons la résurrection qui s’est opérée dans notre chef, et qui aura lieu dans ses membres. « Le Christ est chef de l’Eglise, et l’Eglise forme les membres du Christ 3 ». Ce qui s’est tout d’abord accompli dans le chef, doit ensuite s’accomplir dans le corps. Telle est notre espérance voilà pourquoi nous croyons, voilà ce qui nous soutient, ce qui nous fait supporter la malice de ce monde, parce que l’espérance nous
1. Ps. LXV, 1.— 2. Rom. X, 4. — 3. Coloss. I, 18.
console , jusqu’à ce que l’espérance devienne réalité; or, elle se réalisera quand nous ressusciterons, alors que devenus célestes nous serons semblables aux anges. Qui oserait l’espérer, si la vérité même ne l’avait promis ? Ces promesses, cette espérance, les Juifs les avaient aussi; de là vient qu’ils se glorifiaient de leurs bonnes oeuvres, comme des oeuvres de justice, parce qu’ils avaient reçu la loi, et qu’en la prenant pour règle de vie, ils devaient posséder ici-bas des biens temporels, et à la résurrection des morts, acquérir ces mêmes biens qui faisaient leur joie ici-bas. Aussi les Juifs ne pouvaient-ils répondre aux Sadducéens, qui niaient la résurrection future, et qui leur proposaient la question qu’ils firent au Seigneur. Nous comprenons, en effet, par l’admiration que leur causa la solution du Seigneur, que cette question était pour eux insoluble. Les Sadducéens le questionnaient donc au sujet d’une femme qui avait eu sept (56) maris, non pas simultanément, mais successivement. Pour favoriser l’accroissement du peuple, la loi ordonnait que si un homme venait à mourir sans enfants, son frère, s’il en avait, épouserait sa veuve, afin de susciter des enfants à son frère 1. Ils proposèrent donc une femme qui avait eu sept maris, tous morts sans enfants, et qui n’avaient épousé cette veuve de leur frère, que pour accomplir ce devoir, et firent alors cette question : « A la résurrection, duquel des sept sera-t-elle la femmes 2 ? » Assurément, cette question n’eût été pour les Juifs ni insoluble, ni même difficile, s’ils n’avaient pas espéré après la résurrection le même genre de biens qu’en cette vie. Mais le Seigneur en leur promettant d’être comme les anges, et non point dans la corruption d’une chair humaine, leur dit : « Vous êtes dans l’erreur, ne sachant ni les Ecritures, ni la puissance de Dieu; à la résurrection, les hommes n’auront point de femmes, ni les femmes de maris, ils ne seront plus assujettis à la mort, mais ils seront comme les anges de Dieu 3». Il leur montre qu’il y a besoin de succession, là seulement où il y a des décès à pleurer; mais qu’il n’est plus besoin de successeurs quand il n’y a point de décès. C’est pour cela qu’il ajoute : ils ne seront plus assujettis à la mort. Toutefois, comme les Juifs croyaient à la résurrection future, quoique d’une manière charnelle, ils furent heureux de cette réponse faite aux Sadducéens, avec lesquels ils étaient en dispute au sujet de cette question captieuse et obscure. Donc les Juifs croyaient à la résurrection des morts ; et ils espéraient qu’eux seuls ressusciteraient pour la vie heureuse, à cause de l’oeuvre de la loi, à cause de la justification des saintes Ecritures, qu’ils possédaient seuls, à l’exclusion des Gentils. « Le Christ a été crucifié, l’aveuglement est tombé sur une partie d’Israël, jusqu’à ce que la plénitude des nations entrât dans l’Eglise 4» :
ainsi dit l’Apôtre. Or, la résurrection fut promise aux Gentils, quand ils crurent à la résurrection de Jésus-Christ. De là vient que notre psaume combat cette orgueilleuse présomption des Juifs, et célèbre la foi des Gentils appelés à la même espérance de résurrection.
2. Voilà, mes Frères, eu quelque manière
1. Deut. XXV, 5 — 2. Matth. XXII, 28. — 3. Id. 23-30; Luc, XX, 27-36. — 4. Rom. XI, 23.
le sens du psaume. Arrêtez votre attention sur le peu que j’ai dit et que je viens d’expo. ser; ne vous en laissez détourner par aucune autre pensée: le psaume contredit la présomption des Juifs,qui se basaient sur les justifications de la loi, et ont crucifié Jésus-Christ, lequel est ressuscité le premier, et les Juifs seront les seuls de ses membres qui ne ressusciteront point avec lui, mais tous ceux qui ont cru en lui, c’est-à-dire les Gentils. Voici comme il commence : « Sonnez de la trompette au Seigneur 1 » Qui sonnera? « Toute la terre ». Donc la Judée ne sera point seule. Voyez, mes Frères, comme il est question de l’Eglise entière répandue dans l’univers ; et non-seulement plaignez les Juifs, qui enviaient cette faveur aux Gentils, mais pleurez encore plus sur les hérétiques. Car s’il faut plaindre ceux qui ne sont point amenés au bercail, combien plus encore ceux qui n’y sont venus que pour en sortir ? « Que toute la terre donc sonne de la trompette au Seigneur ». Qu’est-ce à dire: « Sonnez de la trompette? » Poussez des cris de joie, si les paroles vous manquent. Les paroles ne vont point dans la trompette, mais seulement les sons joyeux; c’est le coeur qui déborde, qui jette sa joie au dehors, avec de simples cris que nulle parole ne peut rendre. « Que toute la terre sonne de la trompette au Seigneur : que nul ne se fasse entendre sur une partie seulement. Non dis-je, que nul ne divise la terre; que la terre entière soit dans la joie, que cette joie soit catholique. Dire catholique, c’est dire universelle : quiconque divise se sépare du tout ; il veut hurler, mais non sonner de la trompette. « Que la terre sonne de la trompette au Seigneur ».
3. « Chantez des psaumes en son nom 2»Que veut dire le Prophète? que les chants des psaumes soient une gloire pour son nom. Hier je vous ai dit ce que signifie chanter un psaume, et il me semble que votre charité s’en souvient. Chanter un psaume, c’est prendre une lyre appelée psaltérion, et mettre l’action de la main qui touche d’accord avec la voix. Si donc vous êtes dans la jubilation, que Dieu vous entende; mais touchez votre harpe, afin que les hommes vous voient et vous entendent; mais non pas en votre nom. « Gardez-vous, en effet, de faire vos oeuvres de justice en présence des hommes, afin d’en
1. Ps. LXV, 2. — 2. Id.
57
être vu ». Au nom de qui, me diras-tu, faut-il toucher de la harpe, afin que mes oeuvres soient dérobées au regard des hommes? Voyez dans un autre endroit: « Que vos oeuvres aient de l’éclat aux yeux des hommes, afin qu’ils voient vos bonnes actions, et qu’ils glorifient votre Père qui est dans les cieux 2. Qu’ils voient vos bonnes actions et qu’ils glorifient », non pas vous, mais Dieu, Car si vous ne faites le bien que pour en tirer une certaine gloire, on vous fera la réponse que fit le Sauveur à propos de certains hommes de cette catégorie : « En vérité, je vous le déclare , ils ont reçu leur récompense » ; et encore : « Autrement vous n’aurez point de récompense de « votre Père qui est dans les cieux’ ». Donc, diras-tu, je dois cacher mes oeuvres, et ne point les faire en présence des hommes? Point du tout. Que dit en effet le Sauveur? « Que vos oeuvres aient de l’éclat en présence des hommes ». Je demeurerai donc dans l’incertitude. D’une part, vous me dites : « Gardez-vous de faire vos oeuvres de justice devant les hommes» ; et d’autre part: « Que vos oeuvres aient de l’éclat en présence des hommes ». Quel précepte écouter ? que faire? que laisser? Il y a pour l’homme la même impossibilité de servir deux maîtres, qui donnent des ordres différents, que d’en servir un seul, dont les ordres sont différents aussi. Mais le Seigneur n’a point dit : Mes préceptes sont différents. Remarque bien la fin, et chante pour la même fin; vois pour quelle fin tu dois agir. Si tu agis pour en tirer ta gloire, voilà ce que je défends; mais si c’est pour la gloire de Dieu, voilà ce que j’ordonne. Chantez donc sur la harpe, non pas en votre nom, mais au nom du Seigneur votre Dieu. A vous le chant, à lui la louange; à vous de vivre saintement, à lui d’en retirer la gloire. D’où vous vient le moyen de vivre saintement? Si vous l’aviez de toute éternité, votre vie n’aurait jamais été coupable; si vous l’aviez de vous-mêmes, votre vie n’aurait jamais manqué d’être sainte. « Chantez donc sur la lyre au nom du Seigneur ».
4. « Mettez votre gloire dans ses louanges 4 ». Le Prophète veut que toute notre volonté soit pour la gloire de Dieu, il ne nous laisse aucun sujet de nous louer nous-mêmes. Il n’en faut que plus nous glorifier et nous
1. Matth. VI, 1. — 2. Id. V, 16. — 3. Id. VI, 1, 2. — 4. Ps. LXV, 2.
réjouir; attachons-nous au Seigneur, et qu’en lui soit notre louange. Dans la lecture de l’Apôtre vous avez entendu : « Considérez votre vocation, mes Frères, vous trouverez parmi vous peu de sages selon la chair, peu de puissants et peu d’illustres; mais Dieu a choisi ce qui est fou selon le monde, pour confondre les sages; il a choisi ce qui est faible selon le monde, afin de confondre les forts; il a choisi ce qu’il y a de plus vil, ce qui n’est rien comme ce qui est quelque chose, afin de détruire ce qui est 1 ». Qu’a-t-il voulu dire? qu’a-t-il voulu montrer? Notre-Seigneur Jésus-Christ qui est Dieu, est venu restaurer le genre humain, et donner sa grâce à tous ceux qui comprennent qu’elle est un don de lui, et non un mérite de leur part; et pour que nul homme ne pût se glorifier selon la chair, il a choisi les infirmes. Car le mérite ne fit pas choisir Nathanaël lui-même. Que diras-tu , en effet? Voilà Matthieu le Publicain, choisi sur son comptoir 2 , et le Sauveur ne choisit point Nathanaël, à qui néanmoins il rend témoignage en ces termes : « C’est là un vrai israélite, sans déguisements 3». On comprend alors que Nathanaël était savant dans la loi. Non pas que le Sauveur ne dût pas choisir des savants; mais s’il les eût choisis tout d’abord, ils auraient attribué leur élection au mérite de leur doctrine ; la louange eût été pour leur science, et la louange de la grâce dans le Christ en eût souffert. Il lui rendit témoignage comme à un bon fidèle qui n’a pas de déguisement, et néanmoins il ne le mit pas au nombre de ses disciples , qu’il choisit d’abord parmi les illettrés. Et qu’est-ce qui nous fait comprendre qu’il était habile dans la loi? Quand l’un de ceux qui avaient suivi le Seigneur lui dit z « Nous avons trouvé le « Messie, appelé le Christ» ; il demanda d’où il était, et comme on lui répondit: « De Nazareth » ; « il peut », dit-il à son tour, « venir quelque chose de bien de Nazareth ». Mais dès qu’il comprenait que de Nazareth pouvait venir quelque bien, il était habile dans la loi et avait examiné attentivement les Prophètes, Je sais que l’on donne à ces paroles une autre accentuation, mais qui n’est pas adoptée par les plus habiles, et d’après laquelle il aurait répondu avec un certain désespoir : « De Nazareth peut-il venir quelque
1. I Cor. I, 26-28. — 2. Matth. IX, 9. — 3. Jean, I, 41.47.
58
bien? » C’est-à-dire, est-ce bien possible? et donnant à sa réponse l’accent du doute. Nous lisons ensuite : « Venez et voyez 1 ». Or, cette réponse : « Venez et voyez », peut convenir à chaque manière de parler. Si c’est le doute qui vous fasse dire : « De Nazareth peut-il venir quelque chose de bon? » la réponse est : « Venez et voyez », puisque vous ne croyez point. Si vous dites affirmativement: « De Nazareth il peut venir quelque chose de bon » ; la réponse sera aussi : « Venez et voyez » combien est bon ce que je vous dis de Nazareth; venez voir que vous avez raison de croire , faites-en l’expérience. On peut aussi conclure en faveur de son habileté dans la loi, de ce qu’il ne fut pas admis nu nombre des disciples par celui qui a choisi ce qu’il y a de faux selon le monde, alors que le Seigneur lui rendait ce témoignage : « Voilà un vrai israélite, sans déguisement ». Dieu choisit donc ensuite des orateurs; mais ceux-ci eussent pu s’enorgueillir, s’il n’eût d’abord choisi des pêcheurs : il choisit des riches; mais ils auraient cru que c’était en considération de leurs richesses, s’il n’avait d’abord choisi des pauvres; il choisit ensuite des empereurs; mais il était plus avantageux pour home de voir un empereur y faire son entrée en déposant son diadème, et en pleurant au souvenir d’un pêcheur, qu’un pêcheur pleurant au souvenir d’un empereur. « Dieu a choisi ce qu’il y a de faible selon le monde pour confondre ce qui est fort; il a choisi ce qu’il y a de méprisable pour réduire au néant ce qui est, comme ce qui n’est point 2». Et quelle est la suite? L’Apôtre conclut ainsi:
« Afin que nulle chair ne se puisse glorifier devant Dieu 3 », Voyez comment il nous interdit la gloire pour nous donner la gloire; il nous interdit la nôtre afin de nous donner la sienne; il nous enlève de la gloire ce qui est futile, pour nous en donner la plénitude; une gloire chancelante, pour nous donner la gloire solide. Combien donc notre gloire n’en est-elle pas plus forte et plus solide pour être en Dieu? Ce n’est point alors en toi-même qu’il faut te glorifier, la vérité te le défend; niais cette parole de l’Apôtre est le précepte de la vérité : « Que celui qui se glorifie, le fasse dans le Seigneur 4». N’imitez point les Juifs, qui voulaient
attribuer leur justification en quelque sorte à leurs propres mérites, et
1. Jean, I, 41-47. — 2. I Cor. I, 27, 28. — 3. Id. 29, — 4. I Cor. I, 31
portaient envie aux Gentils qui arrivaient à la grâce évangélique pour obtenir la rémission de tous leurs péchés; comme si eux-mêmes n’avaient aucun pardon à obtenir; comme s’ils ne devaient plus attendre que la récompense de leurs bonnes oeuvres. Malades encore, ils se croyaient guéris, et leur maladie n’en était que plus dangereuse. Car si leur maladie eût été moindre, ils n’eussent pas dans leur délire tué le médecin. « Mettez votre gloire à le bénir».
5. « Dites au Seigneur : Que vos œuvres sont redoutables 1! » Pourquoi redoutables,
et non pas aimables? Ecoutez cette autre parole du psaume : « Servez le Seigneur avec crainte, et chantez ses louanges avec tremblement 2 ». Qu’est-ce que cela signifie? Entendez la réponse de l’Apôtre : « Travaillez à votre salut », nous dit-il, « avec crainte et avec tremblement». Pourquoi « avec crainte et tremblement? » Il en donne la raison : « Car c’est Dieu qui, par sa volonté, opère en vous le vouloir et le faire 3 ». Si donc c’est Dieu qui agit en toi, tu ne fais le bien que par la grâce de Dieu, et non par tes propres forces. Donc, à ta joie unis la crainte; de peur que Dieu n’enlève à ton orgueil ce qu’il a donné à ton humilité. Et afin que vous pussiez comprendre que tel fut pour les Juifs le sort de leur orgueil, eux qui se croyaient justifiés par les oeuvres de la loi, et qui tombaient par là même, un autre psaume a dit : « Les uns comptent sur leurs chariots, les autres sur leur cavalerie», comme sur des degrés, sur des instruments d’élévation. « Mais nous», dit le Prophète, « nous nous glorifierons dans le nom du Seigneur notre Dieu. Ceux-là donc mettent leur confiance dans leurs chars et dans leurs coursiers; mais nous, c’est dans le Seigneur notre Dieu que nous mettons notre gloire». Vois comment les uns se glorifient d’eux-mêmes, et comment les autres ne s’exaltent qu’en Dieu. Aussi qu’est-il dit ensuite? « Leurs pieds ont été garrottés, et ils sont tombés. Nous, au contraire, nous nous sommes relevés et redressés 4 ». Ecoute le même langage de la part de Notre-Seigneur lui-même: « Je suis venu », dit-il, « afin d’éclairer ceux qui ne voient point , et d’ôter la vue à ceux qui voient 5 ». Considère d’une part
la bonté, et d’autre part une certaine sévérité,
1. Ps, LXV, 3. — 2. Ps. II, 11. — 3. Philip. II, 12, 13, — 4. Ps, XIX, 8, 9. — 5. Jean, IX, 39.
59
Et pourtant, où trouver plus de bonté, plus de miséricorde, plus de justice? Pourquoi dès lors « ceux qui ne voient point doivent-ils voir? » A cause de cette bonté du Seigneur. Pourquoi aussi «ceux qui voient deviendront-ils aveugles? » A cause de leur orgueil. Ils voyaient donc, en effet, et les voilà frappés de cécité? Ils ne voyaient pas, en réalité, seulement ils croyaient voir. Voyez en effet, mes Frères, quand les Juifs disaient : « Sommes-nous donc des aveugles ? » le Seigneur répondit : « Si vous étiez des aveugles, vous n’auriez point de péchés; mais maintenant que vous dites : Nous voyons, votre péché demeure en vous 1 ». Tu viens au médecin et tu dis que tu vois? Plus de collyres alors, tu demeureras aveugle; avoue que tu es aveugle, et mérite ainsi devoir. Considère les Juifs et considère les Gentils. « Ceux qui ne voient point, verront, dit le Seigneur, et je suis venu pour que ceux qui voient soient frappés d’aveuglement». Les Juifs voyaient Notre-Seigneur Jésus-Christ dans sa chair, les Gentils ne le voyaient point ; voilà que ceux qui l’ont vu l’ont crucifié, ceux qui ne l’ont point vu, ont cru en lui. Qu’avez-vous donc fait, ô Christ? qu’avez-vous fait contre ces superbes? Nous voyons par votre faveur, et nous sommes vos membres. Vous avez caché le Dieu, pour ne montrer que l’homme. Et pourquoi ? « Afin qu’une partie d’Israël tombât dans l’aveuglement et que la plénitude des nations entrât ». C’est pour cela que vous avez dérobé le Dieu à leurs regards, pour ne leur offrir que l’homme. Ils voyaient donc, et ne voyaient pas : ils voyaient ce que vous aviez emprunté, et non ce que vous étiez; ils voyaient la forme de l’esclave, et non la forme de Dieu 2 : cette forme de l’esclave qui a fait dire : Mon Père est plus grand que moi 3, et non la forme de Dieu, au sujet de laquelle vous venez d’entendre : Mon « Père et moi sommes un 4 ». Ce qu’ils voyaient, ils l’ont saisi; ce qu’ils voyaient ils l’ont crucifié. Ils ont insulté l’homme qu’ils voyaient sans connaître ce qu’il cachait. Ecoute ces mots de l’Apôtre : « S’ils l’avaient connu, ils n’eussent jamais crucifié le Seigneur de la gloire 5». Donc, ô Gentils qui êtes appelés, voyez les branches que Dieu a retranchées dans sa justice, et vous que sa
1. Jean, IX, 40, 41 — 2. Philipp. II, 6, 7. — 3. Jean, XIV, 28. — 4. Id. X, 30.— 5. 1 Cor. II.
bonté veut bien insérer, et devenus participants de l’olivier fécond, n’allez point vous élever ou vous enorgueillir. « Ce n’est point vous qui portez la racine, mais bien la racine qui vous porte ». Soyez plutôt dans l’effroi en voyant retrancher les branches naturelles. Car les Juifs sont les fils des Patriarches et enfants d’Abraham selon la chair. Que dit encore l’Apôtre ? « Mais, diras-tu, ces branches ont été retranchées afin que je fusse inséré à leur place. Il est vrai; leur incrédulité les a fait retrancher; mais toi, poursuit-il, qui es debout à cause de ta foi, ne cherche pas à t’élever, mais crains; car, si Dieu n’a point épargné les branches naturelles, il ne t’épargnera pas non plus 1 ». Considère ces rameaux qui sont brisés, et toi inséré, loin de t’enorgueillir sur ces rameaux retranchés, dis plutôt à Dieu: « Combien vos oeuvres sont redoutables, ô Dieu ! » Mes frères, si nous n’avons point à nous enorgueillir contre les Juifs retranchés du tronc des Patriarches, s’il nous faut plutôt craindre et dire à Dieu : « Combien vos oeuvres sont redoutables ! » combien moins nous est-il permis de nous prévaloir contre les blessures de nouveaux retranchements ? Les Juifs ont été retranchés d’abord et les Gentils unis; de cette insertion, les hérétiques ont été de nouveau retranchés ; mais gardons-nous de nous prévaloir contre eux, de peur qu’en insultant à ces malheureux retranchés, nous ne méritions de l’être à notre tour. Quel que soit l’évêque dont vous entendiez la voix, je vous en supplie, mes frères, vous tous qui êtes dans le sein de l’Eglise, gardez-vous de toute insulte contre ceux qui sont dehors ; mais plutôt priez pour eux, afin qu’ils rentrent à l’intérieur. « Car Dieu a la puissance de les enter de nouveau 2». C’est là ce que l’Apôtre a dit des Juifs, et qui s’est accompli en eux. Le Seigneur ressuscita, et beaucoup embrassèrent la foi : ils ne le connurent point en le crucifiant, et néanmoins plus tard ils crurent en lui, et un tel forfait leur fut pardonné. Le sang du Seigneur a été répandu et pardonné à des homicides, pour ne pas dire à des déicides: « Car s’ils eussent connu le Seigneur de la gloire, ils ne l’eussent jamais crucifié 3 ». Naguère donc, Dieu a pardonné aux homicides le sang innocent qu’ils avaient répandu ; ils ont bu par la grâce ce même
1. Rom. XI, 17-20. — 2. Ibid. 23. — 3. I Cor. II, 8.
60
sang versé par leur fureur. « Dites donc à Dieu : Combien vos oeuvres sont redoutables ! » Pourquoi redoutables ? « Parce qu’une partie d’Israël est tombée dans l’aveuglement jusqu’à ce que la plénitude des nations entrât dans l’Eglise 1 ». O plénitude des nations, dites à Dieu : « Combien vos oeuvres sont redoutables !» Réjouissez-vous, mais avec tremblement, ne vous élevez point au-dessus des rameaux retranchés. « Dites à Dieu: Combien vos oeuvres sont redoutables ! »
6. « Vos ennemis mentiront contre vous, à cause de votre puissance 2 ». Ils mentiront contre vous, de manière à grandir votre puissance. Qu’est-ce à dire? Redoublez d’attention, mes frères. La puissance de Notre-Seigneur Jésus-Christ s’est surtout manifestée dans la résurrection, d’où est venu le titre à notre psaume. Or, à sa résurrection il apparut à ses disciples 3. Il n’apparut point à ses ennemis, mais à ses disciples. Tous le virent crucifié, les fidèles seuls le virent ressuscité afin que, dans la suite, celui-là crût qui en aurait la volonté, et que la résurrection fût promise à celui qui croirait. Beaucoup de saints ont fait des miracles, nul d’entre eux n’est ressuscité après sa mort : parce que ceux qu’ils ont ressuscités n’ont ressuscité que pour mourir encore. Que votre charité veuille bien le remarquer, Le Seigneur nous a dit en nous parlant de ses oeuvres: « Croyez à mes oeuvres, si vous ne voulez point croire en moi 4 » . Il faisait valoir aussi les anciennes merveilles des Prophètes, sinon les mêmes absolument, du moins les mêmes en grand nombre, émanant de la même puissance. Le Seigneur marcha sur la mer, et y fit marcher Pierre 5. Le Seigneur n’était-il point là quand la mer ouvrit ses eaux, afin de livrer passage à Moïse et au peuple d’Israël 6? C’était le même Seigneur qui opérait ces merveilles. Il accomplissait les unes dans sa chair, les autres dans la chair de ses serviteurs. Toutefois, ce qu’il n’a point fait par l’entremise de ses serviteurs (car c’était lui qui opérait toutes ces merveilles), c’est que l’un d’eux mourût et revînt ensuite à la vie éternelle, Si donc les Juifs pouvaient dire, quand le Seigneur faisait des miracles: C’est ce que Moïse a fait aussi, ce qu’a fait Elie, ce qu’a fait
1. Rom. XI, 17-25. — 2. Ps. LXV, 3, — 3. Act. X, 41. — 4. Jean, X, 38.— 5. Matth. XIV, 25, 29. — 6. Exod. XIV, 21.
Elisée : s’ils pouvaient s’attribuer de semblables miracles, car ces Prophètes ont ressuscité des morts, et tait de nombreuses merveilles: voilà que quand ils lui demandent un signe qui lui soit propre, il attire leur attention sur un miracle qui ne doit s’accomplir qu’en lui seul, et leur dit : «Cette génération mauvaise et adultère demande un signe, et il ne lui en sera point donné d’autre que celui du prophète Jonas. De même, en effet, que Jonas fut trois jours et trois nuits dans le ventre de la baleine, ainsi le Fils de l’homme sera trois jours et trois nuits dans le sein de la terre 1» Comment Jonas fut-il dans le ventre de la baleine? N’est-ce point de manière à en sortir vivant? Or, les enfers furent pour le Seigneur ce que la baleine fut pour Jonas. Voilà le miracle propre qu’il signale à l’attention, le principal miracle. Il y a plus de puissance à ressusciter après la mort qu’à ne point mourir. La merveille donc de la puissance du Seigneur, dans son humanité, resplendit dans le miracle de sa résurrection. Voilà ce que l’Apôtre nous signale en disant: « Non pas avec ma justice qui vient de la loi, mais avec celle qui vient de la foi en Jésus-Christ, qui est la justice que donne Dieu par la foi, afin de le connaître, ainsi que la puissance de sa résurrection 2». Voilà ce qu’il signale aussi en un autre endroit: « Quoique crucifié selon la faiblesse de la chair, il vit néanmoins par la puissance de Dieu 3». Si donc la puissance de Dieu se montre dans son éclat à la résurrection du Seigneur, qui forme le titre de notre psaume, quel est le sens de ces paroles : « Dans l’éclat de votre puissance, vos ennemis mentiront contre vous », sinon : vos ennemis mentiront jusqu’à vous crucifier, et vous serez crucifié pour ressusciter? Donc leur mensonge fera éclater votre puissance dans toute son étendue. Pourquoi un ennemi ment-il ordinairement? Afin de diminuer la puissance de celui qui est l’objet de son mensonge. Pour vous, dit le Prophète, c’est le contraire qui arrive. Votre puissance apparaîtrait moins, si ces hommes ne mentaient point contre vous.
7. Voyez même, dans l’Evangile, le mensonge des faux témoins, et considérez qu’il a pour sujet sa résurrection. Quand on demandait en effet au Sauveur : « Par quel signe nous montrez-vous que vous pouvez faire
1. Matth. XII, 39, 40. — 2. Philipp. III, 9, 30. — 3. II Cor. XIII, 4.
61
de telles choses 1? » en outre de ce qu’il avait dit au sujet de Jouas, il ajoute dans le même sens, mais sous une autre comparaison, afin de nous montrer que cette merveille tant signalée est particulière au Sauveur : « Détruisez », dit-il, « le temple de Dieu, et je le rétablirai en trois jours. Et ils répondirent: On a mis quarante-six ans à bâtir ce temple, et vous le relèverez en trois jours? » Et l’Evangéliste, nous exposant le sens de ces paroles, ajoute « Or, il disait cela en parlant du temple de son corps 2». Donc, il promettait de montrer aux hommes sa puissance, dans cette chair qui lui suggérait la comparaison du temple, et qui était en effet le temple où se cachait sa divinité. Les Juifs ne voyaient alors que l’extérieur du temple, mais ne voyaient pas la divinité qui en habitait l’intérieur. Ces paroles fournirent aux faux témoins un mensonge qu’ils débitèrent contre lui, oui, ces mêmes paroles dans lesquelles il signalait sa résurrection future, en parlant du temple. Voici en effet ce que déposèrent contre lui les témoins, quand on leur demanda ce qu’ils avaient entendu dire : « Nous l’avons entendu qui disait : Je détruirai ce temple et le ressusciterai en trois jours 3». Ils avaient donc entendu : « Je le ressusciterai après trois jours ». Ils n’avaient pas entendu: « Je détruirai », mais bien : « Détruisez ». Ils changèrent un mot et quelques lettres, afin d’ourdir un faux témoignage. Mais, ô vanité de l’homme, ô infirmité de l’homme, à qui veux-tu changer une parole? Tu changes une parole à la Parole incomparable? Tu peux changer ta parole, mais peux-tu changer la parole de Dieu? Aussi est-il dit ailleurs : « Et u l’iniquité s’est donnée à elle-même le démenti 4 ». Pourquoi donc, ô Seigneur, vos ennemis ont-ils menti contre vous, vous que chante la terre entière? « Le mensonge de vos ennemis contre vous fera ressortir l’éclat de votre puissance ». Ils diront : Je détruirai, quand vous aurez dit: « Détruisez ?». Pourquoi vous accusent-ils d’avoir dit : Je détruirai, et ne disent-ils point ce que vous avez dit : « Détruisez? » Ils veulent, ce semble, se défendre en vain contre l’accusation d’avoir détruit le temple. Car si le Christ est mort quand il l’a voulu, c’est vous néanmoins qui l’avez tué. Nous vous l’accordons, ô imposteurs,
1. Jean, II, 18. — 2. Jean, II, 19 - 21. — 3. Matth. XXVI, 61. — 4. Ps. XXVI, 12.
c’est lui qui a détruit le temple. Car l’Apôtre a dit : « C’est lui qui m’a aimé et qui s’est livré à la mort pour moi 1». Il est dit du Père : « Qu’il n’a pas épargné son propre Fils, mais qu’il l’a livré pour nous tous 2». Si donc c’est le Père qui a livré son Fils, si c’est le Fils qui s’est livré lui-même, qu’a fait Judas? Le Père, en livrant son Fils à la mort pour nous, a fait une bonne oeuvre: le Christ, et se livrant lui-même pour nous, a fait une bonne oeuvre : Judas, en livrant son Maître au profit de son avarice 3, a commis un crime. Car, le profit qui nous revient de la passion du Christ ne sera point attribué à la malice de Judas: Judas recevra le châtiment de sa trahison, et le Christ la louange de ses faveurs. Que lui-même ait détruit son temple, qu’il l’ait détruit, celui qui a dit : « J’ai le pouvoir de donner ma vie, et le pouvoir aussi de la reprendre : nul ne me l’ôte , mais je la donne de moi-même et de moi-même la reprends 4 ». Qu’il ait donc détruit son temple, c’est l’oeuvre de sa grâce et de votre malice. « Selon l’étendue de votre puissance, vos ennemis mentiront contre vous ». Les voilà qui mentent, voilà que l’on croit en eux, vous voilà saisi, vous voilà crucifié, vous voilà insulté, voilà qu’ils branlent la tête : « S’il est Fils de Dieu, qu’il descende de la croix 5». Voilà que vous donnez votre vie à votre gré, que votre côté est ouvert par la lance 6, que les sacrements coulent de votre flanc sacré; vous êtes déposé de la croix, enveloppé de linceuls, placé dans le sépulcre, des gardes aussi sont mis tout près, de peur que vos disciples ne vous enlèvent : l’heure de la résurrection arrive, la terre s’ébranle, les tombeaux s’ouvrent, vôtre résurrection est secrète, votre apparition manifeste. Où sont donc alors ces menteurs? où est le faux témoignage de leur malice ? N’est-ce point pour faire éclater votre puissance qu’ils ont menti contre vous?
8. Voyons aussi ces gardiens du sépulcre; qu’ils racontent ce qu’ils ont vu; qu’ils reçoivent de l’argent, et vendent leur mensonge : qu’ils parlent, ces pervers à qui d’autres pervers ont donné le mot d’ordre; qu’ils parlent, les hommes corrompus par les Juifs, qui n’ont pas voulu être intègres avec le Christ; qu’ils viennent parler et mentir à leur
1. Gal, II, 20.— 2. Rom. VIII, 32.— 3. Matth. XXVI, 15.— 4. Jean, X, 18. — 5. Matth. XXVII, 40. — 6. Jean, XIX, 34.
62
tour. Que diront-ils ? Parlez, et voyons; mentez-vous aussi, pour faire éclater la grande puissance du Seigneur. Que direz-vous? Quand nous étions endormis, les disciples sont venus et l’ont enlevé du sépulcre 1. O folie ! ô véritable rêve ! Ou bien vous étiez éveillés, et vous avez dû défendre d’approcher ; ou bien vous dormiez, et vous ne savez ce qui est arrivé. Les voilà qui mentent comme des ennemis, le nombre des menteurs s’accroît, afin que s’accroisse encore le prix du mensonge. « Car c’est pour faire éclater votre puissance, que vos ennemis mentent contre vous ». Ils ont donc menti , ils ont menti, pour faire éclater votre puissance; et vous avez apparu aux hommes véridiques à l’encontre des menteurs, et vous avez apparu a ces hommes véridiques, dont vous-même avez fait la véracité.
9. Aux Juifs de rester dans leurs mensonges; à vous, parce qu’ils ont menti pour faire éclater votre puissance, à vous s’applique ce qui suit : « Que la terre entière vous adore et vous chante des psaumes; qu’elle célèbre votre nom sur des guitares, ô Tout-Puissant 2»; naguère si humilié, maintenant « Tout-Puissant »; humilié entre les mains de ses ennemis menteurs ; « Tout-Puissant», au-dessus des anges qui chantent sa gloire. « Que toute la terre vous adore et célèbre votre gloire, qu’elle chante votre nom sur des guitares, ô Tout-Puissant ».
10. « Venez et voyez les oeuvres du Seigneur ». O nations, nations éloignées, laissez les Juifs dans leurs mensonges, venez avec des aveux. « Venez et voyez les oeuvres du Seigneur : il est terrible dans ses desseins sur les enfants des hommes 3 ». Lui- même est appelé Fils de l’homme, et a été véritablement fait fils de l’homme; vrai Fils de Dieu dans la forme de Dieu, vrai fils de l’homme dans la forme de l’esclave 4; mais ne jugez pas de cette forme de l’esclave, par la condition de ceux qui lui ressemblent: « Il est terrible dans ses desseins sur les enfants des hommes ». Voilà que, dans leurs trames, les enfants des hommes ont imaginé de crucifier le Christ, et ce crucifié a frappé d’aveuglement ceux qui le clouèrent sur la croix. Qu’avez-vous donc fait, ô enfants des hommes, en tramant de noirs complots contre votre Seigneur, en qui se dérobait la majesté pour
1. Matth. XXVIII, 13. — 2. Ps. LXV, 4. — 3. Id. 5.— 4. Philipp. II, 6,
ne laisser voir que l’infirmité ? Vous avez formé un dessein de perdition, lui d’aveuglement et de salut : d’aveuglement contre les superbes, de salut en faveur des humbles; mais d’aveuglement contre les superbes, afin que cet aveuglement, les humiliât, que l’humilité leur fit confesser leurs fautes, que la confession les éclairât. « Vous êtes terrible dans vos desseins sur les enfants des hommes ». Vraiment terrible! Voilà qu’une partie d’Israël tombe dans l’aveuglement voilà que les Juifs desquels est né le Christ sont dehors ; voilà que les Gentils, les adversaires des Juifs, sont à l’intérieur avec le Christ 1. « Vous êtes terrible dans vos desseins sur les enfants des hommes ».
11. Aussi qu’a-t-il fait dans ce dessein redoutable ? Il a changé la mer en une terre sèche. C’est là ce que dit ensuite le Prophète : « Qui fait de la mer une terre sèche 2 ». Le monde était une mer qui avait l’amertume de la salaison, une mer troublée par la tempête, où bouillonnaient les flots de la persécution. Or, cette mer est tellement devenue une terre sèche, que le monde, naguère surchargé d’eau amère, a maintenant soif d’eau douce. Qui a fait ce changement ? « Celui qui change la mer en terre sèche». Que dit maintenant l’âme de toutes les nations? « Notre âme est pour vous comme une terre sans eau 3». C’est lui qui « change la mer en une terre sèche, et fait traverser le fleuve à pied sec ». Ceux-là mêmes qui étaient la mer sont devenus une terre sèche. « Ils passeront le fleuve à pied sec ». Qu’est-ce que le fleuve? C’est tout ce qui meurt en cette vie, Voyez un fleuve; un flot vient et passe, un autre lui succède pour passer encore. N’est-ce pas là dans un fleuve le jeu des eaux qui naissent de la terre pour s’écouler? Quiconque est né sur la terre, devra céder sa place à celui qui naîtra : et cet ordre des choses qui passent constitue une espèce de fleuve. Mais que l’âme avide ne se jette point dans ce fleuve; loin de s’y jeter, qu’elle se tienne sur les bords. Et comment traversera-t-elle ces charmes des choses passagères? Qu’elle croie au Christ, et elle les traversera à pied sec : lui-même la guidera, elle passera à pied sec. Qu’est-ce à dire, passer à pied sec ? passer facilement Sans chercher un cheval pour passer, sans s’élever dans son
1. Rom. XX, 25. — 2. Ps. LIV, 6. — 3. Id. CXLII, 6.
63
orgueil pour traverser le fleuve : elle passera humblement et passera sûrement. «Ils passeront le fleuve à pied sec ».
12. « C’est là que nous nous réjouirons en lui». Enfants d’Israël, vous vous glorifiez de vos oeuvres: déposez cet orgueil qui vous porte à vous glorifier de vous-mêmes, et recevez la grâce de vous glorifier dans le Christ. C’est là que nous nous épanouirons, mais pas en nous-mêmes. « C’est là que nous nous réjouirons en lui ». Quand serons-nous dans cette allégresse ? Quand nous aurons passé le fleuve à pied sec. La vie éternelle nous, est promise, la résurrection nous est promise, et là notre chair ne passera plus; elle passe maintenant qu’elle est sous l’empire de la mort. Voyez s’il est un âge qui se puisse tenir dans le même état. L’enfant veut croître, il ne sait pas que sa vie est un espace qui se rétrécit par la succession des années. Car l’accroissement ne multiplie point nos années, il nous les enlève au contraire; de même que l’eau du fleuve ne marche qu’en s’écartant de la source. L’enfant veut croître pour échapper à la tutelle de ses parents : il croît et le temps passe vite, il arrive à l’adolescence; que celui qui a dépassé les années enfantines s’en tienne à la jeunesse, s’il le peut; elle-même fuit rapidement. Vient ensuite la vieillesse : faites qu’elle soit éternelle; la mort y mettra fin. Donc toute chair qui naît forme un fleuve, Or, afin que la convoitise des choses d’ici-bas ne vienne point bouleverser ou précipiter encore ce courant, celui-là le passe facilement, qui le passe avec humilité, ou à pied, en prenant pour guide celui qui l’a passé le premier, qui jusqu’à la mort but en chemin l’eau du torrent, et pour cela leva la tête 1. Si donc nous passons le fleuve à pied, c’est-à-dire si nous traversons sans regret cette vie mortelle qui s’écoule, nous nous réjouirons en lui. Mais en qui maintenant nous réjouissons-nous, si ce n’est en lui, ou dans l’espérance de le posséder? Si donc nous avons quelque joie aujourd’hui, c’est la joie de l’espérance; alors seulement nous nous réjouirons en lui. C’est en lui maintenant, mais par l’espérance : « Alors ce sera face à face 2 ».
13. « C’est là que. nous nous réjouirons en lui ». En celui « qui règne éternellement, par sa vertu 3 ». Pour nous, quelle vertu
1. Ps. CIX, 7.— 2. I Cor. XIII, 12.— 3. Ps. LXV, 7.
avons-nous ? Est-elle éternelle ? Si notre vertu était éternelle, nous ne serions point déchus, ni tombés dans le péché, nous n’aurions point mérité d’être châtiés par la mort 1. Il nous a donc adoptés celui dont notre faute nous avait séparés. « C’est lui qui règne éternellement par sa vertu ». Devenons ses cohéritiers, et nous serons forts en lui, mais lui l’est par sa propre vertu. Nous serons éclairés, et lui la lumière qui nous doit éclairer; éloignés de lui nous ne sommes plus que ténèbres; pour lui, il ne peut s’éloigner de lui-même. C’est sa flamme qui nous réchauffe; loin de lui, il n’y avait que glace pour nous, près de lui sa flamme nous échauffe de nouveau. Disons-lui dès lors qu’il nous garde dans sa vertu, parce que nous trouverons notre joie dans celui « qui règne éternellement par sa propre vertu ».
14. Mais ces avantages, il ne les procure pas seulement aux Juifs qui arrivent à la foi. Comme les Juifs s’étaient beaucoup élevés en présumant de leur propre vertu, voilà que plus tard ils connurent quelle vertu leur avait donné une force salutaire, et plusieurs d’entre eux embrassèrent la foi; or, cela ne suffit point au Christ; le don qu’il nous a fait est grand, c’est un don précieux; mais ce don qu’il nous a fait ne doit point s’arrêter aux Juifs seulement. « Ses regards. s’arrêtent sur les nations. Donc il porte ses regards sur les nations 2 ». Que faisons-nous alors? diront les Juifs eu murmurant : ils ont donc aussi ce que nous avons nous-mêmes; à eux l’Evangile, comme à nous l’Evangile; à eux la grâce de la résurrection, comme à nous la grâce de la résurrection; à quoi nous sert que nous ayons reçu la loi, que nous ayons vécu dans les justifications de la loi, que nous ayons observé les préceptes de nos pères? C’est donc inutilement? Pour eux les mêmes faveurs que pour nous! point de litige, point de contestation. « Que les rebelles ne s’exaltent point en eux-mêmes ». O chair misérable et corrompue, n’es-tu donc pas pécheresse? Que profère donc ta langue? Considère ta conscience. Tous ont péché, tous ont. besoin de la grâce de Dieu 3. Reconnais-toi donc, ô faiblesse humaine, tu n’as reçu la loi que pour transgresser la loi, car tu n’as ni gardé ni observé les préceptes que tu as reçus. Il ne t’est revenu de la loi que la prévarication, que
1. Gen. III, 17. — 2. Ps. LXV, 7. — 3. Rom. III, 23.
64
tu as commise, et non la justification que la loi ordonne. Si donc le péché a abondé, pourquoi cette jalousie quand la grâce surabonde1? Loin de toi les murmures: « Que les murmurateurs ne s’exaltent pas en eux-mêmes ». Cette parole: «Que les murmurateurs ne s’exaltent pas », semble d’abord une malédiction; qu’ils s’élèvent au contraire, mais pas en eux-mêmes. Qu’ils s’humilient en eux-mêmes, qu’ils s’élèvent dans le Christ. « Car celui qui s’humilie sera élevé, et celui qui s’élève sera humilié 2 ». Que les rebelles ne s’élèvent pas en eux-mêmes ».
15. « Nations, bénissez notre Dieu 3 ». Voilà que Dieu a repoussé les murmurateurs et leur en a donné la raison : plusieurs se sont convertis, plusieurs sont demeurés dans leur orgueil. Ne les redoutez point, quand ils envient aux nations la grâce de l’Evangile voilà qu’est venu ce rejeton d’Abraham en qui sont bénies les nations 4. Bénissez celui en qui vous êtes bénies. « Nations, bénissez le Seigneur notre Dieu écoutez chanter ses louanges». Loin de vous louer vous-mêmes, c’est lui qu’il faut chanter. Pourquoi le louer? parce que nous devons à sa grâce tout ce qu’il y a de bon en nous. « C’est lui qui a rendu la vie à mon âme 5 ». Telle est donc l’hymne de sa louange : « Il a rendu la vie à mon âme ». Elle était donc morte, et morte en toi. De là vient qu’il ne vous sied point de vous élever en vous-mêmes. Voilà que ton âme était morte en toi; d’où lui viendra la vie, sinon de celui qui a dit: « Je suis la voie, la vérité et la vie 6 ? »Ainsi que l’a dit l’Apôtre à quelques fidèles: « Autrefois vous étiez ténèbres, et maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur 7 ». Donc les ténèbres sont en vous et la lumière dans le Seigneur: en vous est la mort, dans le Seigneur la vie. « C’est lui qui a donné la vie à mon âme ». Le voilà qui domine la vie à notre âme, par la foi que nous avons en lui; dans notre âme il met la vie: mais que nous faut-il faire, sinon persévérer jusqu’à la fin 8? Et qui nous le donnera, sinon celui dont il est dit ensuite : « Il n’a point laissé chanceler mes pieds? » C’est donc lui qui rend la vie à mon âme, lui qui dirige mes pieds de peur qu’ils ne chancellent, qu’ils ne fléchissent et
1. Rom. V, 20. — 2. Matth. XXIII, 12. — 3. Ps. LXV, 8. — 4. Gen. XII, 3. — 5. Ps. LXV, 9. — 6. Jean, XIV, 6. — 7. Ephés. V, 8. — 8. Matth. X, 22.
n’entraînent ma chute; c’est lui qui nous fait vivre, qui nous fait persévérer jusqu’à la fin, pour que nous vivions éternellement. « Il n’a pas laissé mes pieds chanceler ».
16. Pourquoi dire, ô Prophète : « Il n’a point fait chanceler mes pieds? » Qu’avez-vous donc enduré, ou qu’auriez-vous pu endurer, qui eût pu faire chanceler vos pieds? Quoi ? Ecoutez la suite. Pourquoi ai-je dit qu’ « il n’a point fait chanceler mes pieds? » C’est que nous avons passé par des épreuves qui eussent fait chanceler nos pieds, si lui-même ne nous dirigeait et ne raffermissait nos pas. Qu’est-ce que cette épreuve? « Vous nous avez éprouvés, ô Dieu ; vous nous avez fait passer par le feu comme on y fait passer l’argent 1». Ce n’est point comme la paille, mais comme l’argent, que vous nous avez fait passer par le feu: nous mettre au feu, ce n’était point nous mettre en cendres, mais laver nos souillures. « Vous nous avez donc mis au feu comme on y met l’argent ». Voyez comment Dieu sévit contre ceux dont il a fait vivre l’âme. « Vous nous avez poussés dans un piège »: non pour nous y prendre et nous donner la mort, mais pour nous en délivrer et nous donner l’expérience. « Vous avez mis les tribulations sur notre dos 2 ». Nous redresser mal, c’était nous enorgueillir; nous redresser mal, c’était nous courber, afin que, courbés, nous pussions nous redresser parfaitement. « Vous avez mis les tribulations sur notre dos, vous avez élevé les hommes sur nos têtes 3». Voilà ce qu’a enduré l’Eglise dans les persécutions, dans ses persécutions nombreuses et de tous genres: voilà ce qu’elle a souffert en particulier, ce qu’elle endure encore maintenant. Car il n’est personne qui se puisse dire en cette vie exempt de tribulations, Des hommes donc s’élèvent sur nos têtes : nous sommes assujettis à ceux que nous ne voulons point, et souvent nous subissons des supérieurs que nous savons être plus coupables que nous. L’homme qui est sans faute est un homme bien supérieur ; plus ses fautes sont nombreuses au contraire, plus il est abaissé. Mais il nous est bon de nous considérer comme des pécheurs, et de supporter dès lors ceux qui sont placés sur nos têtes; afin d’avouer par là au Seigneur, que nous souffrons justement. Pourquoi ne souffrir en effet qu’avec impatience ce que fait celui qui est
1. Ps. LXV, 10. — 2. Id. 11. — 3. Id, 12.
65
juste? « Vous avez mis sur notre dos les tribulations : vous avez imposé les hommes sur nos têtes». Dieu semble agir ainsi dam sa colère : demeure sans crainte, car il est un père, et ne sévit jamais afin de perdre. S’il t’épargne pendant que tu vis dans le désordre, il n’en est que plus irrité. Toutes ces tribulations ne sont que les fouets qui doivent te corriger, pour n’être pas l’arrêt de ton châtiment. « Vous avez mis les tribulations sur notre dos, vous avez élevé les hommes sur nos têtes ».
17. « Nous avons passé par le feu et par l’eau 1 ». Le feu et l’eau, voilà deux dangers pour cette vie. L’eau paraît éteindre le feu, et le feu paraît dessécher l’eau. Telles sont aussi les épreuves si fréquentes en cette vie. Le feu dessèche, l’eau corrompt : et nous avons àcraindre le feu de la tribulation, comme l’eau de la corruption. Dans les angoisses, ce que le monde appelle malheur devient comme un feu; dans la prospérité, l’abondance vient à couler, et c’est comme une eau, Garde-toi donc, et du feu qui te brûlerait, et de l’eau qui te corromprait. Tiens ferme contre le feu ; tu dois passer au feu, tu es jeté dans la fournaise comme un vase d’argile, afin d’être consolidé dans ta forme. Mais le vase, une fois consolidé par le feu, ne craint plus l’eau: et toutefois, s’il n’est solidifié par le feu, il se dissoudra dans l’eau comme une boue. Ne t’empresse donc point de te jeter dans l’eau; passe par le feu pour aller à l’eau, afin de traverser l’eau. Aussi dans les sacrements, dans les catéchismes, dans les exorcismes, nous commençons par le feu. Et d’où viendrait en effet que les esprits immondes s’écrient : Je brûle, si ce n’est point là un feu ? Or, après les feux de l’exorcisme on arrive au baptême : de même que du feu à l’eau, et de l’eau au rafraîchissement. Ce qui a lieu dans les sacrements, a lieu aussi dans les épreuves de cette vie. Nous éprouvons tout d’abord la crainte, c’est là le feu après la crainte, il nous faut redouter la félicité du monde qui nous corromprait. Mais quand le feu ne t’a point fait rompre, et que dans l’eau, loin d’être submergé, tu as surnagé, la règle te fait arriver au repos, et ainsi tu passes par le leu et par l’eau pour arriver au rafraîchissement. Car ce que les sacrements renferment en signes, ce sont les
1. Ps. LXV, 12.
choses qui doivent nous arriver dans la perfection de la vie éternelle. Or, quand nous serons arrivés à ce rafraîchissement, mes frères bien-aimés, nous n’aurons plus à craindre aucun ennemi, aucun tentateur, aucun jaloux, aucun feu, aucune eau; ce sera un rafraîchissement continuel. Mais ce nom de rafraîchissement lui vient du repos. Dites que c’est une chaleur, c’est vrai ; dites que c’est un rafraîchissement, c’est vrai encore. En mauvaise part, le rafraîchissement arriverait à nous engourdir ici-bas. Mais là, il n’y a plus de torpeur, il n’y a que le repos ; ce que l’on appelle chaleur ne nous suffoquera point, ce sera une ferveur d’esprit. Considère cette chaleur dans un autre psaume : « Nul ne peut se dérober à sa flamme 1 ». Que dit encore l’Apôtre? « Ayez la ferveur de l’esprit 2 ». Donc « nous avons passé par l’eau et par le feu; et vous nous avez conduits au rafraîchissement. »
18. Considérez que si le Prophète ne se tait point au sujet du rafraîchissement, il ne se tait pas non plus au sujet du feu qu’il nous faut désirer: « J’entrerai dans votre maison avec des holocaustes 3». Qu’est-ce que l’holocauste? Ce qui est brûlé totalement, mais par le feu divin. Car on appelle holocauste ce sacrifice dans lequel tout est brûlé. Autres sont en effet les sacrifices partiels et autre l’holocauste. Il y a holocauste quand tout est embrasé, tout est consumé par le feu divin; s’il n’y en a qu’une partie, c’est le sacrifice. Tout holocauste est donc un sacrifice, mais tout sacrifice n’est pas un holocauste. Aussi cette promesse d’holocaustes vient-elle du corps du Christ, c’est le Christ qui parle dans son unité. « J’entrerai dans votre maison au u moyen des holocaustes 3 ». Que votre feu brûle tout ce qui est en moi, qu’il ne reste rien de moi, que tout soit à vous. C’est là ce qui doit arriver à la résurrection des justes, « quand ce corps corruptible sera revêtu d’incorruptibilité, que ce corps mortel sera revêtu d’immortalité, alors arrivera ce qui est écrit : La mort est absorbée dans sa victoire 4 ». La victoire est comme un feu divin; et comme elle doit absorber jusqu’à notre mort, c’est un holocauste. Rien de mortel ne demeurera dans notre chair, rien de coupable dans notre coeur; tout ce qui est
1. Ps. XVIII, 7. — 2. Rom. XII, 11.— 3. Ps. LXV, 13 — 4. Cor. XV, 54.
66
de la vie mortelle sera consumé, afin d’être consommé dans la vie éternelle; tout alors sera donc holocauste.
19. Et qu’arrivera-t-il dans ces holocaustes? « Je vous rendrai ces voeux dont mes lèvres ont fait la distinction 1 ». Quelle distinction entre des voeux? Il y a cette distinction, que tu dois t’accuser, mais bénir Dieu; comprendre que tu es créature, et lui créateur; que tu es ténèbres, et lui la lumière; que tu dois lui dire: « C’est à vous, Seigneur, d’allumer le flambeau qui m’éclaire; à vous, ô mon Dieu, de dissiper mes ténèbres 2 ». Dire en effet, ô mon âme, que ta lumière vient de toi, c’est ne faire aucun discernement; et sans discernement, il n’y aura dans tes voeux nulle distinction. Rends au Seigneur des voeux distincts, confesse que tu es mobile, et lui immuable; confesse que tu n’es rien sans lui, et que lui au contraire sans toi est parfait; que tu as besoin de lui, et qu’il n’a nul besoin de toi. Crie vers lui « J’ai dit au Seigneur : Vous êtes mon Dieu, et vous n’avez mini besoin de mes biens 3 ». T’agréer en holocauste, ce n’est pour lui ni croître, ni augmenter, ni s’enrichir, ni se perfectionner : ce qu’il fait pour toi, ce qu’il fait à ton sujet, est un profit pour toi, nullement pour lui. Par ce discernement, tu rends à Dieu les voeux dont tes lèvres ont tait la distinction. « Je vous rendrai les voeux qu’ont discernés mes lèvres ».
20. « Les voeux que ma bouche a proférés au jour de ma tribulation 4 ». Combien est douce parfois, combien est nécessaire la tribulation! Qu’a proféré sa bouche dans sa détresse? « Je vous offrirai des holocaustes de moelle 5 ». Qu’est-ce à dire: «De moelle?» J’aurai pour vous un amour intérieur, non point superficiel; mais cet amour pour vous sera dans la moelle de mes os, Rien en moi n’est plus intérieur que cette moelle; les os sont plus à l’intérieur que la chair, et la moelle est plus intérieure encore que les os. Donc n’adorer Dieu qu’à l’extérieur, c’est chercher bien plus à plaire aux hommes; c’est avoir d’autres sentiments intérieurs, et dès lors ne pas offrir des holocaustes de moelle : que Dieu voie la moelle, et il agrée l’homme tout entier. « Je vous offrirai des holocaustes de moelle, avec de l’encens et
1. Ps. LIV, 14. — 2. Id. XVII, 29. — 3. Ps. XV, 2. — 4. Id. LXV, 14. — 5. Ibid. 15.
des béliers ». Ces béliers sont les chefs de l’Eglise; et le corps du Christ parle ici tout entier : voilà ce qu’il offre à Dieu. Qu’est-ce que l’encens? la prière. « Avec de l’encens et « des béliers. » Car les béliers prient sans cesse pour leurs troupeaux. « Je vous offrirai des boeufs et des boucs ». Nous voyons des boeufs fouler le grain, puis immolés à Dieu, A propos des prédicateurs de l’Evangile l’Apôtre nous a indiqué la manière de comprendre ce passage : « Vous ne lierez point la bouche au boeuf qui foule le grain. Est-ce « que Dieu se soucie des boeufs 1?» Ces béliers sont donc grands, ces boeufs sont grands. N’y a-t-il rien pour ces autres, qui sont peut-être coupables de quelques péchés, qui sont tombés peut-être en voyage, et dont la blessure est guérie par la pénitence? Qu’ils se rassurent, le Prophète a dit aussi des boucs « Je vous offrirai des holocaustes de moelle, avec de l’encens et des béliers : je vous offrirai des boeufs et des boucs ». Cette addition sauve aussi les boucs; par eux-mêmes ils ne pourraient être sauvés, mais unis aux boeufs, ils deviennent agréables. Ils se sont fait avec la monnaie de l’iniquité 2 des amis qui les ont reçus dans les tabernacles éternels. Ces boucs ne seront donc point à la gauche, puisqu’ils se sont fait des amis avec la monnaie de l’iniquité. Quels boucs seront à la gauche? Ceux à qui il est dit : « J’ai eu faim, et vous ne m’avez point donné à manger 3 »; et non ceux qui ont racheté leurs péchés par l’aumône.
21. « Venez, écoutez, vous tous qui craignez le Seigneur, et je vous raconterai 4 ». Allons, écoutons ce qu’il doit nous raconter, « Venez, écoutez, et je vous racontera ». Mais à qui dit-il : « Venez et écoutez? A vous tous qui craignez Dieu » . Si vous ne craignez point Dieu, je ne raconte point. Il n’y a rien à raconter où n’est pas la crainte de Dieu. Que la crainte de Dieu ouvre les oreilles, afin que ma narration trouve où entrer et par où entrer. Mais que raconterai-je? « Ces grands biens que Dieu a faits à mon âme». Le voilà qui veut raconter, mais que va-t-il raconter? Les espaces de la terre, sa distance des cieux, le nombre des astres, et les phases du soleil et de la lune? Ces créatures marchent dans l’ordre tracé; et ceux qui les ont étudiées avec trop de curiosité n’en ont point connu le
1. I Cor. IX, 9.— 2. Luc, XVI, 9.— 3. Matth. XV, 42.— 4. Ps. LXV, 18.
Créateur 1. Voici donc ce qu’il faut écouter et retenir: « O vous qui craignez Dieu: le grand bien qu’il a fait à mon âme », et si vous le voulez, à la vôtre. « Le bien qu’il a fait à mon âme, ma bouche le crie vers lui ». Et ce bien fait à son âme, c’est de pouvoir crier vers Dieu; voilà ce bien qu’il préconise, comme fait à son âme. Voilà, mes frères, que nous étions païens, sinon en nous-mêmes, du moins en nos pères. Or, que dit l’Apôtre? « Vous le savez, quand vous étiez païens, vous vous laissiez conduire à des idoles muettes 3 ». Que telle soit maintenant l’hymne de l’Eglise: « Quel grand bien il a fait à mon âme, ma bouche le crie vers lui ». Homme, je m’adressais à la pierre, je m’adressais à un bois sourd, je parlais à des simulacres sourds et muets; mais l’image de Dieu s’est retournée vers son Créateur. « Moi qui disais au bois: « Tu es mon Père; et à la pierre: Tu m’as engendré 4»; je dis maintenant: «Notre Père, qui êtes aux cieux ». Ma bouche a crié vers lui : « Ma bouche »,et non une bouche étrangère. Quand je criais vers la pierre, dans une vie pleine de vanité, à l’exemple de mes pères 6, je criais par une bouche étrangère quand j’ai crié vers le Seigneur, selon le don qu’il m’en a fait, l’inspiration qu’il m’a envoyée, « c’est par ma bouche que j’ai crié vers lui; et sous ma langue je l’ai glorifié». Qu’est-ce à dire: « J’ai crié vers lui, je l’ai glorifié sous ma langue? » Je l’ai prêché en public, je l’ai confessé en secret. C’est que ma langue glorifie le Seigneur; tu dois le glorifier sous ta langue, c’est-à-dire penser à l’intérieur ce que tu dis avec certitude. « Ma bouche a crié vers lui, et je l’ai glorifié sous ma langue ». Vois quelle intégrité intérieure il désire, celui qui offre des sacrifices de moelle, C’est là, mes frères, ce qu’il faut faire, ce qu’il faut imiter afin que vous puissiez dire : «Venez et voyez le grand bien qu’il a fait à mon âme ». Tout ce que raconte le Prophète est l’effet de la grâce de Dieu en notre âme. Voyez ce qu’il dit ensuite.
22. « Si dans mon coeur j’ai vu l’injustice, que le Seigneur ne m’exauce point 7 ». Voyez, mes frères, combien facilement, combien journellement les hommes accusent en rougissant les iniquités des autres hommes il a mal agi, agi en fripon, c’est un homme
1. Sag. XIII, 9. — 2. Ps. LXV, 17. — 3. I Cor. XII, 2. — 4. Jérém. II, 27.— 5. Matth. VI, 9. — 6. I Pierre, I, 18. — 7. Ps. LXV, 18.
criminel. C’est, là sans doute ce que l’on dit au sujet des hommes. Mais considère si dans ton coeur tu ne vois point l’injustice, de peur de méditer intérieurement ce que tu blâmes dans un autre, et de crier contre lui, non parce qu’il est coupable, mais parce qu’il, est surpris. Reviens à toi, et sois ton juge intérieurement. Dans le secret de ton intérieur, dans la veine intime de ton coeur, où tu es seul avec celui qui te voit, prends à dégoût ton iniquité, afin de plaire à Dieu. Garde-toi d’avoir pour elle un regard de complaisance ou d’amour, mais plutôt un regard de dédain et de mépris, jusqu’à t’en séparer. Et la joie qu’elle t’a promise pour t’entraîner au péché, et les menaces lugubres qu’elle t’a faites, pour te jeter dans les forfaits, tout cela n’est rien, tout cela doit passer: tout cela doit être méprisé, foulé aux pieds, et non pris en considération pour être accepté. Souvent elle s’insinue par la pensée, souvent encore par les conversations des méchants. « Les mauvais entretiens corrompent les bonnes moeurs pour toi, ne te laisse point séduire 1 ». C’est peu d’en détourner les yeux, peu encore de n’en point parler: ne les regarde point du coeur, c’est-à-dire, n’aie pour eux ni inclinaison, ni consentement. Journellement nous prenons le regard pour l’affection ; ainsi nous disons de Dieu: Il m’a regardé. Qu’est-ce à dire : Il m’a regardé ? Avant cela ne te voyait-il donc point? Ou ses regards, dirigés en haut, ont-ils dû s’abaisser sur toi, provoqués par tes supplications? Il te voyait, même auparavant; mais dire: Il m’a regardé, c’est dire: Il m’a aimé. A un homme qui te voit, et dont tu implores la pitié, tu dis : Faites attention à moi. Il te voit cependant, et tu lui dis: Regardez-moi. Qu’est-ce à dire: Regardez-moi? Accordez-moi votre amour, votre attention, votre pitié. Quand donc le Prophète nous dit : « Si j’ai envisagé l’iniquité dans mon coeur », ce n’est point qu’il n’y ait dans le coeur humain aucune suggestion criminelle. li ya toujours suggestion,et suggestion incessante; mais que le regard ne s’y repose point. Regarder l’iniquité, c’est regarder en arrière; c’est encourir la sentence du Seigneur qui dit dans l’Evangile : « Nul n’est propre au royaume de Dieu, s’il regarde en arrière en mettant les mains à la charrue 2 ». Que me faut-il donc faire? Ce que nous dit
1. I Cor. XV, 33. — 2. Luc, IX, 62.
68
l’Apôtre: « J’oublie ce qui est en arrière, pour m’étendre vers ce qui est en avant 1 ». Tout notre passé qui est derrière, est une iniquité. Nul n’est bon avant de venir au Christ; tous ont péché, et sont justifiés par la foi 2. La justice ne sera parfaite que dans cette vie
niais c’est lui qui nous inspire les bonnes moeurs, pour y arriver, lui qui nous en fait don. Loin de toi donc, oh! loin de toi, de compter sur tes mérites. Et quand l’iniquité te sera suggérée, loin de toi d’y consentir. Que dit en effet le Prophète? « Si dans mon coeur j’ai vu complaisamment l’iniquité, que le Seigneur ne m’exauce point».
23. « Si le Seigneur m’a écouté », c’est que je n’ai point regardé l’iniquité dans mon coeur. « Et il a écouté la voix de ma prière 3 ».
24. « Béni soit mon Dieu, qui n’a point rejeté ma prière, ni éloigné de moi sa miséricorde 4 ». Il continue dans le même sens, depuis l’endroit où il dit : « Venez, entendez, et je vous raconterai, à vous tous qui craignez le Seigneur, combien il a fait pour mon âme 5 ». Vous avez entendu ses paroles, et il conclut enfin: « Béni soit mon Dieu, qui n’a point rejeté ma prière, ni détourné de moi sa miséricorde ». C’est ainsi que l’interlocuteur arrive à la résurrection, où nous sommes déjà en espérance : bien plus, en réalité; car ces paroles sont les nôtres. Tant que dure notre séjour ici-bas, supplions le Seigneur de ne point rejeter notre prière, de n’éloigner point de nous sa miséricorde;
1. Philip. III, 13. — 2. Rom. III, 22. — 3. Ps. LIV, 19.— 4. Id. 20. — 5. Id.16.
c’est-à-dire, de nous accorder la persévérance dans la prière et de persévérer lui-même à nous prendre en pitié. Plusieurs ne prient qu’avec nonchalance, dans la phase de leur conversion: ils ont d’abord de la ferveur, puis vient la nonchalance, puis la froideur, puis la négligence : ils se croient en sûreté. L’ennemi veille: et loi, tu dors. Le Seigneur nous prescrit dans l’Evangile « de toujours prier, de ne point nous lasser». Il apporte en exemple ce juge d’iniquité, qui ne craignait point Dieu, n’avait aucun respect pour les hommes, et qu’importunait cette veuve qui chaque jour le suppliait de l’entendre : il cède à l’ennui, lui que la pitié ne fléchissait point; et ce juge inique se dit en lui-même: « Quoique je ne craigne point Dieu, et que je m’inquiète peu des hommes, cependant, parce que cette veuve m’importune tous les jours, j’entendrai sa cause et lui ferai justice. Or, le Seigneur ajoute : Si un juge d’iniquité en agit de la sorte, votre Père ne vengera-t-il pas ses élus, qui crient à lui jour et nuit? Assurément, vous dis-je, il leur fera promptement justice 1 ». Ne cessons donc point de prier. Un retard dans ce qu’il doit nous accorder, n’est pas un refus: certains de sa promesse, ne cessons de prier, et ceci est encore un de ses bienfaits. Aussi a-t-il dit: « Béni soit mon Dieu qui n’a point éloigné de moi ma prière et sa miséricorde ». Tant que la prière ne sera pas loin de tes lèvres, sois en sûreté, parce que sa miséricorde n’est pas loin de toi.
1. Luc, XVIII, 1.8.
source: http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin/index.htm