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Saint Augustin d'Hippone
Discours sur les Psaumes 71 à 75


DISCOURS SUR LE PSAUME LXXI (1).
LE VRAI SALOMON OU LE CHRIST.
 

C‘est le Christ qui nous donne la véritable paix avec Dieu. Il a reçu le pouvoir de juger et de sauver ceux qui sont humbles, pauvres selon l’esprit divin, qui ne prétendent point tenir la justice d’eux-mêmes. C’est de Dieu que vient le jugement ou la droiture, la justice. C’est aux montagnes ou aux hommes de recevoir et de maintenir la paix, aux collines d’obéir aux montagnes, mais sans les préférer alu Christ, comme font les schismatiques. Les premières nous réconcilient avec Dieu, l’obéissance des collines arrive au perfectionnement. Le démon ou calomniateur sera humilié quand Jésus nous donnera la grâce, mourra et ressuscitera, régnera avec le soleil ou s’assiéra à la droite de Dieu, tandis que la lune ou l’Eglise qu’il a devancée dans le ciel, réparera par les générations successives les pertes de la mort. Il descend par la grâce comme la pluie sur la toison. La lune ou l’Eglise sera élevée. Conversion des Ethiopiens ou Gentils, schismes. Le Christ nous arrache au puissant ou au démon, nous pardonne, nous rachète de l’usure ou du châtiment, nous fait grandir à ses yeux, vit éternellement, recueille l’or de l’Arabie on la sagesse des convertis, affermit les montagnes ou accomplit les promesses des saintes Ecritures, s’élève au-dessus du monde par le fruit de la chaulé, qui est le froment et qui domine le u onde. Que son nom soit béni, puisque de lui nous vient la bénédiction.

 

1. « Pour Salomon », tel est le titre du psaume : et toutefois ce qu’il contient ne peut s’accorder avec le récit de l’Ecriture au sujet de Salomon, roi charnel d’Israël, mais convient très-bien à Notre-Seigneur Jésus-Christ. C’est pourquoi ce nom de Salomon ne nous paraît ici qu’une figure de l’avenir qui nous annonce le Christ. Car Salomon signifie pacifique, et dès lors s’applique d’une manière bien vraie et bien convenable à celui qui nous sert de médiateur, afin que d’ennemis que nous étions, nous soyons réconciliés à Dieu, par la rémission de nos péchés. « Car  lorsque nous étions ennemis, nous avons été réconciliés à Dieu par la mort de son  Fils 2». Ce même Fils est le véritable pacifique, « puisque des deux peuples, il n’en a fait qu’un seul, en détruisant dans sa propre chair le mur de séparation, ou leurs inimitiés; abolissant par ses décrets la loi chargée de préceptes, pour former en lui seul un homme nouveau de ces deux peuples, mettant la paix entre eux; il est donc venu prêcher la paix à ceux qui étaient éloignés et la paix encore à ceux qui étaient proches 3». Lui-même nous dit dans l’Evangile: « Je vous laisse ma paix, je vous donne ma paix 4 ». Et dans une foule d’autres témoignages le Christ notre Seigneur se montre pacifique non point dans le sens de cette paix que le monde connaît et recherche, mais de cette

 

1. Tiré de l’épître CLXIX à Evode, n. I.— 2. Rom. V, 10.— 3. Ephés. II, 14-17. — 4. Jean, XIV, 27.

 

paix dont le Prophète a dit : «  Je leur donnerai de vraies consolations, et paix sur paix 1 »: c’est-à-dire, qu’à la paix de réconciliation j’ajouterai la paix de l’immortalité. Car après l’accomplissement des promesses de Dieu, le même Prophète nous fait espérer une dernière paix dans laquelle nous vivrons éternellement avec Dieu, lorsqu’il nous dit : « Seigneur, notre Dieu, donnez-nous votre paix, après nous avoir donné toutes choses 2». Cette paix alors sera parfaite, « quand la mort notre dernière ennemie sera détruite 3». Mais en qui cela s’accomplira-t-il, sinon dans ce roi de paix et de réconciliation? « De même, en effet, que tous meurent en Adam, de même tous seront vivifiés en Jésus-Christ 4 ». Après avoir trouvé le vrai Salomon, le vrai

pacifique, écoutons maintenant les enseignements du psaume.

2. « O Dieu, donnez au roi votre jugement,  et votre justice au fils du roi 5 ». Le Seigneur dit lui-même dans l’Evangile : « Le Père ne juge personne, mais il a donné tout jugement au Fils 6». C’est bien là : « ô Dieu, donnez votre jugement au roi ». Et ce roi est aussi fils du roi, car le Père est roi lui-même : aussi est-il écrit qu’un roi fit des noces à son fils 7. Cette répétition est dans l’usage des Ecritures. Ainsi cette expression « Votre jugement », est répétée dans « votre

 

1. Isa. LVII, 19, suiv. les Septante. — 2. Id. XXVI, 12, suiv. les Septante — 3. I Cor. XV, 26. — 4. Id. 22.— 5. Ps. LXVI, 2. — 6. Jean, V, 22 — 7. Matth. XXII, 2.

 

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justice »; et cette autre : « Au roi », dans « au Fils du roi »; de même qu’il est dit ailleurs : « Celui qui habite dans les cieux se rira d’eux, et le Seigneur les persiflera 1 ». Or, « celui qui habite les cieux », est bien le même que « le Seigneur»; et « se rira d’eux » a le même sens que « les persiflera ». Il en est de même dans « les cieux qui racontent la gloire de Dieu et le firmament qui annonce l’oeuvre de ses mains 2 » . « L’oeuvre de ses mains » est une répétition de « sa gloire », et « annoncer » une répétition de « raconter». Or, ces répétitions sont fréquentes dans les Ecritures, soit qu’elles redisent les mêmes paroles, soit qu’elles expriment le même sens avec des paroles différentes : elles se trouvent principalement dans les psaumes, et dans ce style dont le but est d’émouvoir les âmes.

3. Le Prophète continue : « De juger votre peuple dans la justice; et vos pauvres dans l’équité 3 » . Ces paroles : « De juger votre peuple dans la justice », font voir suffisamment que le Père, qui est roi, a donné au roi son Fils le jugement et la justice pour juger votre peuple. Cette même expression se trouve dans Salomon : « Proverbes de Salomon, fils de David, de connaître la sagesse et la discipline 4 »; c’est-à-dire, proverbes de Salomon, qui enseignent la sagesse et la discipline. De même « votre jugement de juger votre peuple », signifie votre jugement afin qu’il juge votre peuple. Mais ces expressions « Votre peuple», et ensuite « vos pauvres »; et ces autres, « dans la justice » , puis « dans l’équité», sont encore des répétitions. Le Prophète nous apprend ainsi que le peuple de Dieu doit être pauvre, sans orgueil, plein d’humilité. « Bienheureux en effet les pauvres de gré, parce que le royaume des cieux est à eux 5». Telle était la pauvreté du bienheureux Job, même avant qu’il eût perdu ses richesses terrestres. Ce qu’il est bon de remarquer ici, car il est plus facile pour quelques-uns de distribuer tous leurs biens aux pauvres que de se faire les pauvres de Dieu. Ils s’enflent et sont pleins de jactance; ils croient que c’est à eux-mêmes, et non à la grâce de Dieu, qu’ils doivent de vivre saintement, et voilà que leur vie n’est pas sainte, quelque nombreuses que paraissent leurs bonnes oeuvres. Ils croient tout tenir d’eux-mêmes, et se glorifient comme

 

1. Ps. II, 4. — 2. Id. XVIII, 2.— 3. Id. LXXI, 2. — 4. Prov. I, 1.— 5. Matth, V, 3.

 

s’ils n’avaient rien reçu 1: ce sont des riches en eux-mêmes, et non des pauvres de Dieu; pleins de leurs mérites, et non indigents pour l’amour de Dieu. Or, l’Apôtre l’a dit: « Quand je distribuerais tous mes biens aux pauvres, et que je livrerais mon corps aux flammes, si je n’ai point la charité, cela ne me sert de rien 2 »; comme s‘il disait : Il ne me servirait de rien de distribuer mes biens aux pauvres, si je ne devenais pauvre pour Dieu. « La charité ne s’enfle point d’orgueil 3 »: et il n’y a point de charité en celui qui est ingrat envers l’Esprit-Saint, par qui la charité est répandue dans nos coeurs 4. Aussi ces hommes n’appartiennent-ils pas au peuple de Dieu, parce qu’ils ne sont point pauvres selon Dieu. Ainsi parlent en effet les pauvres selon Dieu : « Pour nous, nous n’avons pas reçu l’Esprit de ce monde, mais l’Esprit qui vient de Dieu, afin de connaître les dons que Dieu nous a faits 5 ». Tandis que dans notre psaume, afin d’exprimer ce mystère d’un Dieu qui s’unit à l’homme, ou du Verbe fait chair 6, il est dit à Dieu le Père qui est Roi: « Donnez votre justice au Fils du Roi » : ceux-ci ne veulent point qu’on leur donne la justice, ils prétendent l’avoir en eux-mêmes. « Ignorant cette justice qui vient de Dieu, et voulant établir leur propre justice, ils ne sont point soumis à la justice de Dieu 7 ». Ils ne sont donc point affamés de Dieu, mais pleins d’eux-mêmes, puisqu’ils ne sont pas humbles, mais superbes. Or, ce Fils du Roi viendra juger le peuple de Dieu tians la justice, et les pauvres dans l’équité, et par ce jugement, il séparera les pauvres qui sont à lui, c’est-à-dire, ceux qu’il a enrichis de sa pauvreté. Car c’est vers lui que ce peuple de pauvres élève cette voix: « Jugez-moi, ô Dieu, et séparez ma cause de cette nation qui n’est point sainte 8 ».

4. Il y a ici dans les expressions un ordre qui est changé; après avoir dit d’abord : « Dieu, donnez votre jugement au roi,et votre justice au fils du roi », énonçant d’abord le jugement, ensuite la justice, le Prophète au verset suivant met au premier rang la justice, et au second le jugement: « Pour juger votre peuple dans la justice, et vos pauvres selon le jugement » ; et montre ainsi que ce jugement a le sens de justice, et que lieu importe à quel rang vienne cette expression, qui a le

 

1. I Cor. IV, 7. — 2. Id. XIII, 5 — 3. Id. 4. — 4. Rom. V, 5. — 5. I Cor. II, 12. — 6. Jean, I, 14. — 7. Rom. X, 3. — 8. Ps. XLII, 1.

 

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même sens. On appelle d’ordinaire partial, un jugement injuste; mais on ne dit guère une justice inique ou injuste; car si elle est fausse, elle sera injuste, et dès lors ne s’appellera plus justice. Dire alors jugement, puis le répéter sans le nom de justice, puis dire justice et lui donner ensuite le nom de jugement, c’est montrer suffisamment qu’il appelle jugement ce que d’ordinaire on appelle justice, c’est-à-dire ce qui ne peut s’entendre d’un faux jugement. Quand le Seigneur nous dit en effet: « Ne jugez point selon l’apparence, mais jugez selon le sens droit 1 », il montre qu’un jugement peut être sans droiture; et en disant: « Portez un jugement droit », il défend l’un e1à ordonne l’autre. Mais quand il dit le jugement, sans aucune qualification, il veut que l’on entende la justice. C’est ainsi qu’il a dit: « Vous omettez ce qu’il y a d’important dans la loi, la miséricorde et le jugement 2 » ; et que Jérémie a dit aussi : « Il amasse des richesses, mais non avec jugement 3 ». Il ne dit pas qu’il amasse des richesses avec un jugement faux ou pervers, ni avec un jugement droit ou injuste; mais bien « non avec jugement », réservant ainsi le nom de jugement à tout ce qui est droit et juste.

5. « Que les montagnes reçoivent la paix pour le peuple, et les collines la justice 4 ». Les montagnes sont plus hautes, les collines moins élevées. Le Prophète désigne ici ceux qu’il appelle ailleurs « les grands et les petits ». Ce sont là « ces montagnes qui bondirent comme des béliers, et ces collines comme des agneaux, quand Israël sortit de l’Egypte 5» ; c’est-à-dire, quand le peuple de Dieu fut délivré de l’esclavage de ce monde. Ces montagnes sont donc les hommes qui, dans l’Eglise, dominent par une sainteté supérieure et qui sont capables d’instruire les autres 6; qui ne parlent que pour enseigner la vérité, qui règlent leur vie afin d’être des modèles de sainteté. Mais pourquoi « la paix est-elle pour les montagnes, et la justice pour les collines? » Serait-il indifférent de dire que les montagnes reçussent la justice pour le peuple, et les collines la paix? Car la justice comme la paix est nécessaire aux uns et aux autres, et il est possible que la paix ne soit qu’un autre nom de la justice. Telle serait en

 

1. Jean, VII, 24. — 2. Matth. XXIII, 23. — 3. Jérém. XVII, 11. — 4. Ps. LXXI, 3.— 5. Id. CXIII, 1, 4, 13.— 6. II Tim. II , 2.

 

effet la véritable paix, non plus comme les hommes injustes la font entre eux. Ou peut-être, ne faut-il pas dédaigner la distinction du Prophète, et dire: « La paix aux montagnes et la justice aux collines? » Car ceux qui sont éminents dans l’Eglise doivent apporter tous leurs soins à maintenir la paix, à ne pas briser les liens de l’unité, à ne point causer de schismes dans l’Eglise par leur conduite orgueilleuse. Quant aux collines, elles doivent imiter les montagnes, et leur être soumises, de manière néanmoins à leur préférer Jésus-Christ: de peur que séduites par l’éclat apparent de quelques montagnes dangereuses, elles n’en viennent à se séparer du Christ et à rompre avec l’unité. Voilà pourquoi le Prophète appelle « sur les montagnes la paix, pour le peuple ». Qu’elles disent: « Soyez mes imitateurs, comme je le suis du Christ 1 ». Mais qu’elles disent encore: «Quand un ange venu du ciel, ou nous-mêmes vous annoncerions un Evangile autre que celui que vous avez reçu, qu’il soit anathème 2». Qu’elles disent enfin : « Paul a-t-il été crucifié pour vous, ou seriez-vous baptisés au nom de Paul 3? » Qu’ « ils reçoivent cette paix pour le peuple » de Dieu, ou pour les pauvres de Dieu, qui leur fasse désirer de régner, non sur eux, mais avec eux. Qu’à leur tour ceux-ci ne disent point: « Moi je suis à Paul, moi à Apollo, moi à Céphas », mais bien tous : « Moi je suis au Christ 4 ». La justice dès lors consiste pour les serviteurs à ne point se préférer ni même s’égaler au Seigneur, et à lever les yeux vers les montagnes d’où le secours doit leur venir, de manière cependant à ne pas attendre ce secours des montagnes elles-mêmes, mais bien du Seigneur qui a fait le ciel et la terre 5.

6. On peut très-bien encore donner à ces paroles: « Que les montagnes reçoivent la paix pour le peuple », le sens d’une paix qui nous réconcilie avec Dieu, car les montagnes la reçoivent pour son peuple. Voilà ce que nous prêche l’Apôtre: « Le passé n’est plus, tout est devenu nouveau: or, tout vient de Dieu qui nous a réconciliés avec lui par le Christ, et nous a confié le ministère de la réconciliation ». Voilà comment les montagnes reçoivent la paix pour son peuple. « Car Dieu était dans le Christ se réconciliant le monde, n’imputant plus aux hommes leurs péchés,

 

1. I Cor. XI, 1.— 2. Gal, I, 8.— 3. I Cor. I,13.— 4. Id., 1.  — 5. Ps. CXX, l, 2.

 

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et mettant en nous la parole de réconciliation ». En qui la met-il, sinon dans ces montagnes qui reçoivent la paix pour son peuple? Voilà que les messagers de la paix s’écrient ensuite: « Nous remplissons donc la fonction d’ambassadeurs du Christ, c’est Dieu même qui vous exhorte par notre bouche; nous vous conjurons, au nom du Christ, de vous réconcilier avec Dieu 1 ». Telle est la paix que les montagnes reçoivent pour son peuple, c’est-à-dire la prédication et le message de la paix: aux collines la justice, ou l’obéissance qui est, pour l’homme ainsi que pour toute créature douée de raison, l’origine et le perfectionnement de la justice. Entre ces deux hommes, Adam qui fut pour nous la source de la mort, et le Christ ou l’auteur de notre salut, la grande différence consiste « dans cette désobéissance d’un seul homme «qui en a rendu tant d’autres pécheurs, comme l’obéissance d’un seul homme en établira un grand nombre dans la justice 2. Que les montagnes reçoivent donc la paix pour le peuple, et les collines la justice »: afin que l’accord des uns et des autres justifie cette parole: « Voilà que la justice et la paix se sont embrassées 3 ». Il est vrai que l’on trouve dans certains exemplaires : « Que les montagnes et les collines reçoivent la paix»: je crois qu’il faut l’entendre des prédicateurs de l’Evangile, soit des premiers, soit des seconds. Alors dans ces manuscrits on lit ainsi le verset suivant : « C’est dans la justice qu’il jugera les pauvres du peuple ». Toutefois on préfère les exemplaires qui portent, comme nous venons de l’expliquer : « Que les montagnes reçoivent la paix pour le peuple, et les collines la justice ». D’autres encore lisent: « Pour votre peuple » ; d’autres n’ont point « votre », mais seulement « le peuple».

7. « Il jugera les pauvres du peuple, et sauvera les fils des pauvres 4 ». Les pauvres et les fils des pauvres me paraissent identiques, de même que la cité de Sion n’est autre que la fille de Sion. Mais si l’on veut une distinction: par « les pauvres », nous entendrons « les montagnes » ; et par « les fils des pauvres, les collines » : alors les pauvres seraient les Prophètes et les Apôtres, et leurs fils, ou « les fils des pauvres», seraient ceux qui sous leur autorité s’avancent dans la

 

1. II Cor. V, 17-20. — 2. Rom. V, 19. — 3. Ps. LXXXIV, 11. — 4. Id. LXXI, 4.

 

vertu. Le Prophète dit d’abord que Dieu « les «jugera », ensuite qu’il « les sauvera », pour nous donner un aperçu du jugement qu’il doit exercer; car il ne doit les juger que pour les sauver, ou les séparer de ceux qui seront damnés et réprouvés, et leur donner ainsi le salut qu’il est prêt de révéler dans ces derniers temps 1. Ceux-là lui disent en effet: « Ne perdez point mon âme avec les impies 2 »et encore : « Jugez-moi, ô Dieu, et séparez ma cause de celle d’une nation qui n’est point sainte 3 ». Remarquons aussi que le Prophète ne dit point : Il jugera le pauvre peuple; mais bien: « Les pauvres du peuple». Quand il dit plus haut: « Afin de juger le peuple dans la justice et vos pauvres dans l’équité», il identifie le peuple de Dieu avec ses pauvres, ou simplement ceux qui sont bons et qui doivent être placés à sa droite. Mais comme, en cette vie, ceux de la droite et ceux de la gauche paissent ensemble, ainsi que des boucs et des agneaux que l’on doit séparer à la fin des jours 4, le Prophète appelle ce mélange peuple de Dieu. Et comme le Prophète donne ici un sens favorable au jugement, et l’entend de ceux qu’il doit sauver; « il jugera les pauvres du peuple», signifie dans son langage, qu’il discernera pour les sauver ceux de sou peuple qui sont pauvres, Après avoir dit quels sont ceux qui sont pauvres 5, comprenons encore qu’ils sont indigents. « Il humiliera le calomniateur». Nous ne connaissons pas de plus grand calomniateur que le diable. Voici une de ses calomnies: « Est-ce gratuitement que Job honore le Seigneur 6? » C’est lui que le Seigneur Jésus humilie, en donnant sa grâce aux siens, afin qu’ils servent Dieu gratuitement, c’est-à-dire qu’ils trouvent leurs délices dans le Seigneur 7.  Il l’a humilié encore, quand le diable, ou le prince de ce monde, ne trouvant rien en lui 8, le mit à mort sous les calomnies de ces Juifs qui étaient pour le calomniateur des instruments dociles, agissant par ces enfants de rébellions 9. Ce fut une humiliation pour lui de voir celui qu’ils avaient mis à mort, ressuscitant et détruisant cet empire de la mort, dans lequel il exerçait une telle puissance, que par un seul homme qu’il avait séduit, il entraînait le genre humain dans

 

1. I Pierre, I, 5. — 2. Ps. XXV, 9.— 3. Id. XIII, 1.— 4. Matth. XXV, 32. — 5. Plus haut, n. 3. — 6. Job, I, 9. — 7. Ps. XXXVI, 4. — 8. Jean, XIV, 30. — 9. Ephés. II, 2.

 

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une éternelle damnation. Il fuit surtout humilié, parce que si le péché d’un seul homme a fait ainsi régner la mort, à plus forte raison ceux qui reçoivent l’abondance de la justice et de la grâce, régneront dans la vie par un seul qui est Jésus-Christ 1, qui a confondu le calomniateur, ainsi que les accusations mensongères, les juges d’iniquité, les faux témoins, que ce calomniateur suscitait pour le perdre.

8. « Il demeurera autant que le soleil, ou avec le soleil 2 ». Quelques-uns de nos interprètes ont cru qu’il était mieux de traduire ainsi, parce qu’il y a dans le grec sumparamenei, qu’on ne peut traduire en latin en un seul mot, que par compermanebit, il condemeurera: et comme on ne pouvait rendre cette pensée en une seule expression latine, on a dit : « Il demeurera avec le soleil ». Condemeurer au soleil n’aurait en effet d’autre sens que « demeurer avec le soleil ». Mais qu’y a-t-il de si grand à demeurer avec le soleil pour celui par qui tout a été fait, et sans qui rien n’a été fait 3, sinon la condamnation de ceux qui s’imaginent que la religion du Christ ne doit subsister que pour un temps, pour disparaître ensuite? « Il subsistera donc avec le soleil », tant que le soleil se lèvera et se couchera; c’est-à-dire que l’Eglise de Dieu ou le corps mystique du Christ subsistera sur la terre tant que s’écouleront les siècles. Quand le Prophète ajoute « Et avant la lune, de génération en génération », il aurait pu dire aussi bien : Et avant le soleil, c’est-à-dire et avec le soleil et avant le soleil; ce qui signifierait: et avec les temps et avant les temps. Or, ce qui précède le temps est éternel: et l’on doit regarder comme vraiment éternel, ce qui ne varie point avec le temps, comme le Verbe qui était au commencement. Mais le Prophète a préféré symboliser dans la lune ces accroissements et ces dépérissements des choses mortelles. Aussi après avoir dit : « Avant la lune », le Prophète voulant en quelque sorte nous expliquer le sens qu’il y attache, ajoute: « Dans les générations des générations » ; comme s’il disait : « Avant la lune », c’est-à-dire, avant « les générations des générations », qui passent avec la mort et la succession des choses mortelles, comme les phases d’accroissement et de disparition de la lune. Dès lors, dans quel sens

 

1. Rom. V, 17. — 2. Ps. LXXI, 5. — 3. Jean, I, 3.

 

plus plausible peut-on dire que le Christ subsistera, « avant la lune », sinon que par son immortalité il a devancé tout ce qui est mortel? On pourrait encore entendre très-bien qu’après avoir humilié le calomniateur, le Christ est assis à la droite de son Père, et qu’il demeure ainsi « avec le soleil ». Car on entend par le Fils la splendeur de la gloire éternelle 1 : le soleil serait alors le Père, et le Fils en serait l’éclat. Toutefois cela doit s’entendre de la substance invisible du Créateur, et non de cette substance visible des créatures, qui est celle des corps célestes, dont le plus éclatant est le soleil, objet de notre comparaison, comme on en tire des objets terrestres, tels que la pierre, le lion, l’agneau, l’homme qui a deux fils, et le reste. Donc après avoir humilié le calomniateur, il demeure « avec le soleil » : car après avoir vaincu le diable par sa résurrection, il est assis à la droite du Père 2, où il ne mourra plus, et où la mort n’a plus d’empire sur lui 3. Et cela « devant la lune », comme le premier-né d’entre les morts précédant son Eglise qui passe avec les hommes, par les phases de la mort et de la succession. Voilà « les générations des générations». A moins d’entendre par génération notre naissance temporelle, et par « générations des générations », notre naissance dans l’éternité. Voilà l’Eglise que précède le Christ, afin de demeurer « avant la lune », lui, le premier-né d’entre les morts. Mais comme il y a dans le grec geneas geneon, plusieurs ont traduit non plus « générations », au pluriel, mais « la génération des générations ». Car geneas répond à deux cas du grec, et pour traduire par l’accusatif pluriel,  tas geneas, ou les générations, plutôt que par le génitif singulier, tes geneas, il n’y a pas de raison évidente, sinon que l’on a préféré traduire à l’accusatif « les générations des générations », comme une explication de ce qu’il entendait par « la lune », qui est aussi à l’accusatif.

9. « Il descendra comme la pluie dans la toison, et comme la rosée qui dégoutte sur la terre4 ». C’est là une allusion qui nous rappelle que c’est dans le Christ que doit s’accomplir cette figure qui eut lieu sous Gédéon. Ce juge demanda pour signe au Seigneur que la toison placée dans l’aire, fût trempée de rosée, quand l’aire demeurerait

 

1. Hébr. I, 3.— 2. Marc, XVI, 19.— 3. Rom. VI, 9. — 4. Ps. LXXI, 6.

 

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sèche 1; et ensuite que la toison demeurât sèche, tandis que l’aire serait mouillée; ce qui arriva en effet. Nous voyons en cela le peuple d’Israël, ou le premier peuple qui est une toison desséchée dans l’aire immense de l’univers entier. Ce même Christ est descendu comme la rosée dans la toison, tandis que l’aire était encore desséchée : aussi a-t-il dit: « Je ne suis envoyé que vers les brebis perdues de la maison d’Israël 2 ». C’est là qu’il a choisi et la mère qui devait lui donner cette forme de l’esclave dans laquelle il devait se rendre visible pour les hommes, et ces disciples auxquels il a donné ce précepte : « N’allez point par la voie des gentils, n’entrez point dans les villes des Samaritains allez d’abord vers les brebis de la maison d’Israël qui ont péri 3». Mais leur dire : «allez tout d’abord à ces brebis», c’est leur dire qu’au temps marqué pour tremper l’aire e la divine rosée, ils devront aller aussi vers ces autres brebis qui ne sont point de l’antique bercail d’Israël, et dont il a dit : « J’ai d’autres brebis qui ne sont point de ce bercail, il faut que je les amène, afin qu’il n’y ait qu’un troupeau et qu’un pasteur 4 ». De là cette parole de l’Apôtre : « Je dis que le Christ a été le ministre pour le peuple circoncis, afin de vérifier la parole de Dieu,  et de confirmer les promesses faites à nos « Pères» .C’est ainsi que la pluie est descendue sur la toison, pendant que l’aire demeurait sèche. Mais l’Apôtre continue « Les gentils doivent louer Dieu de sa miséricorde 5 » puisque au temps marqué s’accomplit cette promesse du Prophète: « Le peuple que je n’ai point connu, m’a servi, il m’a obéi en entendant ma voix 6» : or, nous voyons aujourd’hui le peuple juif qui demeure dans l’aridité, tandis que dans l’univers entier les nuées de la grâce arrosent pleinement tous les peuples. Notre psaume a pris un autre terme pour désigner la même pluie; il la nomme : « des gouttes de rosée qui tombent », non plus sur la toison, mais « sur la terre ». Qu’est-ce en effet que la pluie, sinon des gouttes qui tombent? Aussi, Dieu a-t-il, selon moi, désigné ce peuple sous le nom d’une toison, ou bien parce qu’il devait être dépouillé du droit d’enseigner comme on dépouille une brebis de sa toison; ou bien

 

1. Juges, VI, 36 et seq. — 2. Matth. XV, 21. — 3. Id. X, 5, 6 — 4. Jean, X, 16. — 5. Rom. XV, 8, 9. — 6. Ps. XVII, 45.

 

parce qu’il renfermait cette pluie divine en lui-même sans permettre de l’annoncer aux peuples incirconcis.

10. « La justice s’élèvera en ses jours, ainsi que l’abondance de la paix, jusqu’à ce que la lune disparaisse 1». Cette expression « disparaisse » est rendue chez d’autres interprètes par « soit enlevée », et chez d’autres encore par « soit élevée»:chacun a traduit à sa guise le verbe grec anatanairethe. Mais il y a peu de différence entre « disparaisse » et « soit enlevée». « Disparaître e a plus ordinairement le sens d’être enlevé, de n’être plus, que celui d’être élevé plus haut. « Etre enlevé », ne peut guère s’entendre que datas le sens d’être perdu, de n’exister plus; « être élevé », n’a d’autre sens que d’être plus haut : ce qui se prend quelquefois en mauvaise part , et désigne l’orgueil; ainsi: « Ne t’élève point dans ta sagesse 2». Damas un sens favorable, il signifie un plus grand honneur, ainsi quand on élève un objet: par exemple: « Pendant la nuit élevez vos mains vers le sanctuaire, et bénissez le Seigneur 3 ». Si donc nous traduisons par « disparaisse», qu’en résultera-t-il, sinon que, pour la lune, « disparaître » aura le sens de n’être plus? Peut-être le Prophète a-t-il voulu nous dire qu’il n’y aura plus de mortalité, quand « la mort notre dernière ennemie sera détruite 4 » ; en sorte que l’abondance de la paix sera telle que rien ne s’opposera à la félicité des bienheureux, de la part des infirmités de la mort: ce qui arrivera dans ce séjour dont Dieu nous a donné l’infaillible promesse, par Jésus-Christ Notre-Seigneur, et dont il est dit: « En ses jours s’élèvera la justice ainsi que l’abondance de la paix »: jusqu’à ce que la mort soit vaincue, et que toute mortalité soit détruite et absorbée, Mais si la lune désigne ici, non plus cette mortalité de la chair que subit ici-bas l’Eglise, mais bien l’Eglise elle-même qui doit être délivrée de cette mortalité pour demeurer éternellement, il faut traduire ainsi: « En ses jours s’élèvera la justice et l’abondance de la paix, jusqu’à ce que la lune soit élevée » ; comme si l’on disait: En ses jours s’élèvera la justice qui dompte les contradictions et les rébellions de la chair, et une paix surgira pour aller croissant et se multipliant, jusqu’à ce que la lune s’élève, ou plutôt jusqu’à la glorification de

 

1. Ps. LXXI, 7. — 2. Eccli. XXXII, 6. — 3. Ps. CXXXIII, 2. — 4. I Cor. XV, 26,

 

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l’Eglise qui doit régner par la gloire de la résurrection, avec ce premier-né d’entre les morts, qui l’a précédée dans cette gloire, et qui est assis à la droite de soma Père 1 : c’est là demeurer « avec le soleil et avant la lune », que ce même soleil doit ensuite élever en gloire.

11. « Il dominera depuis la mer jusqu’à la mer, et depuis le fleuve jusqu’aux extrémités de la terre 2 ». Ainsi doit régner celui dont il est dit: « En ses jours s’élèvera la justice et l’abondance de la paix, jusqu’à ce que la lune soit exaltée ». Si par lune on entend ici l’Eglise, on voit combien il doit étendre au loin cette Eglise, puisqu’il ajoute: « Il dominera depuis la mer jusqu’à la mer ». Car la terre est environnée de cette grande mer, qu’on appelle Océan, dont nous avons dans nos terres quelques portions étroites que forment ces mers si connues sillonnées par nos vaisseaux. « Depuis la mer jusqu’à la mer », ou depuis une extrémité de la terre jusqu’à l’autre, voilà ce que le Prophète assigne à la domination du Christ, dont le nom et la puissance devaient être prêchés dans l’univers entier pour le dominer. Et pour que nous ne donnions pas un autre sens à ces paroles: « Depuis la mer jusqu’à la mer », le Prophète ajoute: « Depuis le fleuve jusqu’aux extrémités de la terre ». Or, « jusqu’aux extrémités de la terre », était exprimé dans ces paroles; « Depuis la mer jusqu’à la mer ». Mais quand le Prophète nous parle « du fleuve », il veut dire que le Christ a commencé à signaler sa puissance sur le fleuve du Jourdain, où il choisit ses disciples, où il fut baptisé et ou l’Esprit-Saint descendit sur lui alors que cette voix se fit entendre du ciel : « Celui-ci est mon fils bien-aimé 3». Tel est donc le point de départ de sa doctrine: c’est de là que l’autorité de cet enseignement céleste s’est i’épandue jusqu’aux confins de la terre, que 1’Evangile du royaume des cieux a été prêché dans l’univers entier, pour servir de témoignage à toutes les nations : puis arrivera la fin de toutes choses.

12. « Devant lui les habitants de l’Ethiopie se prosterneront, et ses ennemis baiseront  la poussière 4 ». Les Ethiopiens désignent ici les nations, c’est la partie pour le tout, et le

Prophète choisit ici la nation la plus reculée

 

1. Marc , XVI , 19. — 2. Ps. LXXI, 8. — 3. Matth. III, 17. — 4. Ps. LXXI, 9.

 

sur les confins de la terre. « Ils se prosterneront en sa présence », est-il dit, pour, ils l’adoreront. Or, comme il doit naître en diverses contrées de la terre des schismes qui porteront envie à l’Eglise catholique répandue dans le monde entier; comme ces schismes se diviseront ét porteront chacun le nom de son auteur; comme ils s’attacheront aux hommes qui les ont provoqués, jusqu’à combattre même cette gloire du Christ resplendissante chez tous les peuples, voilà que le Prophète à ces paroles: « Les Ethiopiens se prosterneront devant lui », ajoute: « Et ses ennemis baiseront la poussière » : c’est-à-dire, aimeront les hommes et porteront envie à cette gloire du Christ, qui a fait dire : « Elevez-vous, Seigneur, au-dessus des cieux, et que votre gloire apparaisse à la terre 1 ». L’homme a mérité, par son péché, d’entendre : « Tu es terre, et tu retourneras dans la terre 2». Or, baiser cette terre, c’est-à-dire, se soumettre avec joie à l’autorité de ces hommes frivoles, les aimer, y trouver ses délices, c’est contredire les saintes Ecritures, qui préconisent l’Eglise catholique, dont le règne s’étendra, non plus sur quelque partie de la terre, comme il en est des schismes, mais qui envahira successivement l’univers entier et jusqu’aux Ethiopiens, c’est-à-dire aux plus éloignés, comme aux Plias dépravés des hommes.

13. « Les rois de Tharsis et des îles lui apporteront des présents; les rois des Arabes et de Saba lui amèneront des offrandes. Tous les rois de là terre l’adoreront, toutes les nations lui seront assujetties 3 ». Il n’est pas besoin d’expliquer ce passage, mais d’en contempler la vérité. Elle éclate aux yeux, non. seulement des fidèles qui en tressaillent, mais des infidèles qui en gémissent. A moins peut-être que nous ne demandions le sens de « ces offrandes qu’on doit amener ». Car on amène ce qui peut marcher. Or, serait-il ici question de victimes à immoler? Loin de nous de croire à une telle justice en ses jours. Mais les offrandes préconisées par ce verset, nous semblent désigner les hommes que l’autorité des rois amène au sein de l’Eglise du Christ, bien que ces rois aient aussi amené à Dieu des présents par leurs persécutions, en immolant des martyrs, sans savoir ce qu’ils faisaient.

14. Le Prophète expliquant pourquoi les

 

1. Ps. CVII, 6.— 2. Gen. III, 19.— 3. Ps. LXXI, 10, 11.

 

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princes doivent rendre au Christ un si grand honneur, et toutes les nations le servir, ajoute: « Parce qu’il arrachera le pauvre des mains du puissant, ce pauvre qui n’a personne pour soutien 1 ». Ce pauvre, cet indigent, c’est le peuple qui croit en lui. Et dans ce peuple il est aussi des rois qui l’adorent, qui ne dédaignent pas de paraître pauvres et indigents, c’est-à-dire qui confessent leurs péchés, qui sentent le besoin de la gloire de Dieu, afin que ce roi fils du roi les délivre du puissant. Or, ce puissant est le même que le Prophète vient d’appeler calomniateur, et qui tient, non de sa propre force, mais des péchés des hommes, le pouvoir de les soumettre à sa tyrannie. C’est pourquoi il est appelé le fort, et ici le puissant. Mais celui qui a humilié le calomniateur, et qui est entré dans la maison du fort, afin de le garrotter et de lui enlever ses dépouilles 2, a « délivré aussi le faible des mains du puissant, et le pauvre qui était sans appui ». Nulle autre force, nul autre juste, pas même un ange n’eût pu le faire. Comme ces pauvres n’avaient aucun appui, le Christ est venu les sauver.

15. Mais on peut objecter : Si l’homme était au pouvoir du démon à cause de ses péchés, ces mêmes péchés plaisaient-ils donc au Christ pour qu’il délivrât le pauvre des mains du puissant? Loin de là; lui-même doit « pardonner au pauvre et à l’indigent 3 », c’est-à-dire remettre les fautes à l’homme humble, qui n’a pas confiance dans ses propres mérites, qui n’espère point son salut de sa propre force, mais qui sent le besoin de la grâce du Sauveur. « Et il sauvera les âmes des pauvres ». Le Prophète nous signale ainsi le double effet de la grâce; et dans la rémission des péchés, quand il dit: « Il pardonnera au pauvre et à l’indigent » ; et dans la part qui nous est donnée à la justice, quand il ajoute: « Il sauvera les âmes des pauvres ». Nul en effet ne peut sans la grâce de Dieu se procurer le salut, qui est la justice parfaite. Car l’accomplissement de la loi, c’est la charité, et la charité n’existe point en nous par notre propre . force, mais elle est répandue dans nos coeurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné 4.

16. « Il délivrera leurs âmes de l’usure et de l’iniquité 5». Quelles sont ces usures,

 

1. Ps. LXXI, 12 — 2. Matth. III, 29. — 3. Ps. LXXI, 13. — 4. Rom. V, 5. — 5. Ps. LXXI, 14.

 

sinon les péchés, que l’on nomme encore des dettes 1? On leur donne, je crois, le nom d’usures, parce qu’un pécheur souffre dans les châtiments un mal plus grand que celui qu’il a commis en péchant. Un meurtrier, par exempte, tue le corps d’un homme, et ne peut rien sur son âme: mais pour lui, il se condamne corps et âme à l’enfer. De là vient qu’à propos de ces contempteurs de la loi en cette vie, de ces railleurs du supplice à venir, il est dit : « Je viendrai pour exiger le salaire avec usure 2 ». Or, les âmes des pauvres sont délivrées de ces usures, par le sang qui a été répandu pour la rémission des péchés. Racheter de l’usure, c’est donc racheter du péché qui mérite un plus grand châtiment; or, le Christ nous rachète de l’iniquité en nous donnant le secours de sa grâce pour pratiquer la justice. Il y a dès lors ici une répétition de ce qui a été dit plus haut: puisque « pardonner au pauvre et à l’indigent 3», c’est le «délivrer de l’usure », et « sauver les âmes des pauvres», c’est les sauver « de l’iniquité »; le mot « racheter » serait sous entendu dans l’un et dans l’autre cas. Et en effet, pardonner, c’est racheter de l’usure; sauver, c’est racheter de l’iniquité. Ainsi « pardonner au pauvre et à l’indigent, et sauver les âmes des pauvres, c’est racheter leurs âmes de l’usure et de l’iniquité.— Son nom sera pour eux un nom de gloire ». Car ils relèvent par des louanges le nom d’un si grand bienfaiteur, ceux qui répondent qu’il est digne et juste de rendre grâces au Seigneur leur Dieu. On trouve en d’autres exemplaires : « Et ton nom est glorieux à ses propres yeux». Car si le monde ne voit dans les chrétiens que des hommes à mépriser, leur nom est grand devant celui qui le leur a donné, et qui ne se souvient plus, pour le leur reprocher 3, du nom qu’ils portaient auparavant, lorsqu’ils étaient engagés dans les superstitions des Gentils, ou de ces noms qui désignaient leurs crimes avant qu’ils fussent chrétiens : voilà le nom qui est honorable à ses yeux, bien qu’il paraisse méprisable à nos ennemis.

17.  « Et il vivra, et on lui donnera de l’or de l’Arabie 4 ». « Vivre »; de qui ne peut-on point parler ainsi, quelque peu de temps qu’il doive passer sur la terre? Le Prophète veut donc nous signaler cette vie du « Christ

 

1. Matth. VI, 12.— 2. Id. XXV, 27.— 3. Ps. XV, 4.— 4. Id. LXXI, 15.

 

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qui déjà ne meurt plus, et sur qui la mort a perdu son empire 1 ». « Il vivra donc » celui dont on a méprisé la mort: puisque selon le mot d’un autre Prophète: « Sa vie e fut retranchée de dessus la terre 2». Mais qu’est-ce à dire qu’on « lui donnera de l’or de l’Arabie? » De là, en effet, Salomon tira de l’or, et cela devient pour le Psalmiste une figure du véritable Salomon, ou du véritable pacifique. L’ancien Salomon, en effet, ne domina point «depuis le fleuve jusqu’aux extrémités du monde ». Cette prophétie nous marque alors que les sages du monde eux-mêmes croiront au Christ. Par l’Arabie nous entendons les Gentils; par l’or, cette sagesse qui est au-dessus des autres sciences, comme l’or au-dessus des métaux. De là cette parole:

« Recevez la prudence comme l’argent, et l’or comme un or éprouvé 3. Il sera l’objet éternel de leurs vœux ». Comme il y a dans le grec, peri autou , plusieurs ont traduit qu’on fera des voeux « à son sujet» ; d’autres, « pour lui-même », ou « pour lui ». Or, qu’est-ce que faire des voeux « à son sujet », sinon peut-être dire: « Que votre règne arrive 4 ? »Or, l’avènement du Christ sera pour les fidèles l’entrée du royaume de Dieu. Mais il est assez difficile de comprendre « pour lui», sinon que prier pour l’Eglise, c’est aussi prier pour lui, puisqu’elle est son corps mystique, C’est en effet le Christ et l’Eglise que figure ce grand sacrement: « Ils seront deux dans une même chair 5 ». Quant au reste du sujet: « Tout le jour ils le béniront », il est assez évident que c’est pendant les siècles.

18. « Il sera sur la terre le ferme appui des hautes montagnes 6. Car toutes les promesses de Dieu ont en lui leur affirmation 7» ; c’est-à-dire, se confirment en lui. Car c’est en lui que s’accomplit tout ce qu’ont annoncé les Prophètes au sujet de notre salut. Il convient, en effet, d’entendre par ces montagnes les auteurs dont Dieu s’est servi pour nous donner les livres saints; Jésus-Christ devient pour eux un ferme appui, parce que c’est à lui que se rapporte tout ce que Dieu a fait écrire. Il a voulu que cela fût écrit sur la terre, parce que c’est pour ceux qui vivent sur la terre qu’il l’a fait écrire; et que lui-même n’est venu sur la terre qu’afin de le

 

1. Rom. VI, 9. — 2. Isa. LIII, 8 ; Act, VIII, 33. — 3. Prov. VIII, 10, 11. — 4. Matth. VI, 10. — 5. Ephés. V, 31, 32. — 6. Ps. LXII, 16. — 7. II Cor. I, 20

 

confirmer, ou d’en montrer en lui l’accomplissement. « Il fallait», dit-il, « que s’accomplit tout ce qui a été écrit à mon sujet dans la loi, dans [es Prophètes et dans les psaumes 1 » : c’est-à-dire « sur les hautes montagnes ». Voilà que « dans les derniers jours, la montagne du Seigneur se manifestera et s’élèvera sur le sommet des montagnes 2 ». Ce que le psaume exprime ainsi : « Sur les hautes montagnes. Et son fruit dominera les sommets du Liban ». Le Liban a d’ordinaire pour nous le sens des dignités du siècle, car c’est une montagne dont les arbres sont très-élevés, et dont le nom signifie blancheur. Or, quelle merveille que le fruit du Christ s’élève au-dessus de tous les prestiges du siècle, puisque tous ceux qui aiment ce fruit ont dédaigné ce qu’il y a d’éclatant et d’élevé dans le monde? Si nous entendons le Liban dans un sens favorable, à cause «des cèdres du Liban que Dieu a plantés 3 », que devons-nous entendre par ce fruit qui s’élève au-dessus du Liban, sinon celui que nous marque saint Paul, quand il va parler de la charité : « Je vous montrerai une voie plus élevée encore 4? » C’est là ce qu’il met au premier rang dans les dons de Dieu, quand il dit : « Or, le fruit de l’Esprit-Saint est la charité 5 », et le reste, qu’il énumère ensuite. « Et ils fleuriront dans la cité comme  les plantes de la terre ». Le mot de cité n’est point ici déterminé, et il n’est point dit: sa ville, ou la ville de Dieu, mais seulement: dans la cité; nous le prendrons en bonne part, et ce sera dans la cité de Dieu, ou dans l’Eglise , qu’ils fleuriront comme l’herbe; mais une herbe qui porte du fruit, comme le froment; car lui-même a le nom de plante dans les saintes Ecritures; ainsi dans la Genèse Dieu ordonne à la terre de produire toute espèce d’arbres, toute espèce de plantes 6, et il n’est point dit toute espèce de froment, ce qui n’eût pas été omis certainement, s’il n’eût pas été compris sous le nom générique des plantes; on en trouve encore beaucoup d’exemples dans les Ecritures. Mais si nous devons donner à ces paroles : « Ils fleuriront comme les plantes de la terre », le sens de: « Toute chair est une herbe, et tout éclat pour  l’homme n’est qu’une fleur des plantes 7», alors la cité nous désignera la société du

 

1. Luc. XXIV, 44.— 2. Isa. II, 2.— 3. Ps. CIII, 16.— 4. I Cor. XII, 31. — 5. Gal. V, 22. — 6. Gen. II, 11. — 7. Isa. XL, 6.

 

monde, et ce n’est pas sans raison que Caïn en fut le premier fondateur 1. Or, quand ce fruit du Christ est élevé au-dessus du Liban, c’est-à-dire au-dessus des arbres à longue vie et des bois incorruptibles, comme ce fruit est éternel, l’homme dans tout son éclat et dans toute sa grandeur ici-bas, n’est plus comparé qu’à une herbe, car tous ceux qui croient eu Jésus-Christ, qui espèrent la vie éternelle, n’ont que du mépris pour une félicité passagère, et ainsi s’accomplit ce qu’a dit le Prophète : « Toute chair est une herbe, et toute beauté de la chair n’est qu’une fleur de l’herbe; l’herbe se dessèche, la fleur tombe, mais la parole de Dieu demeure éternellement ». C’est en cela que le fruit du Christ domine les cèdres du Liban. Jamais la chair n’a été qu’une herbe, et la beauté de la chair que la fleur d’une herbe; mais comme l’on n’enseignait pas la félicité qu’il fallait choisir et préférer, la fleur de l’herbe était en honneur, et non-seulement on ne la dédaignait point, mais on la recherchait avec empressement. Or, comme si toutes ces fleurs mondaines commençaient à devenir viles dès qu’on s’en détourne et qu’on les dédaigne : «Voilà », dit le Prophète, «que son fruit sera élevé au-dessus du Liban, et qu’ils fleuriront dans la cité comme les fleurs de la terre 2 » ; c’est-à-dire que l’on estimera pardessus tout les promesses éternelles, et que l’on regardera comme l’herbe des champs ce qui occupe l’attention du monde.

19. « Que son nom soit béni à jamais : son nom durera plus que le soleil 3 ». Le soleil

ici marque les temps. Donc le nom du Christ durera éternellement. Car l’éternité a devancé

les temps, et ne finira point avec les temps. « C’est en lui que seront bénies les tribus de la terre »; puisque c’est en lui que s’accomplit la promesse faite à Abraham. « Il n’est point dit, en effet: En ceux qui naîtront, comme s’ils devaient être plusieurs; mais bien comme en parlant d’un seul : En celui qui naîtra, et qui est le Christ 4 ». Il fut dit

 

1. Gen. IV, 17.— 2. Ps. XI, 6-8.—  3. Ps. LXXI, 17.— 4. Gal. III, 16.

 

à Abraham, en effet : « En celui qui naîtra de toi seront bénies toutes les tribus de la terre 1. Or, ce ne sont pas les enfants selon la chair, mais les enfants de la promesse, qui font partie de sa race 2. Toutes les nations le béniront». C’est là une répétition qui explique ce qui précède. Ces peuples qui seront bénis en Jésus-Christ le grandiront, non point en ajoutant à sa  grandeur, puisque par lui-même il est grand, mais en le bénissant, en chantant sa grandeur. C’est ainsi que nous grandissons Dieu ; ainsi disons-nous encore : « Que votre nom soit sanctifié 3 », bien qu’il soit saint éternellement.

20. « Béni soit le Seigneur, Dieu d’Israël, qui seul opère les merveilles 4». A la vue de ces merveilles qu’il vient d’énumérer, le Prophète échappe un hymne, et bénit le Seigneur, le Dieu d’Israël. Alors s’accomplit ce qui est dit à cette veuve stérile : « Celui qui t’a délivrée, ce Seigneur d’Israël, sera appelé le Dieu de toute la terre 5 ». C’est lui qui « seul fait des merveilles », parce que c’est lui qui en opère dans tous ceux qui en font : « Lui qui seul opère des miracles ».

21. « Et que le nom de sa gloire soit béni dans l’éternité et dans les siècles des siècles 6 » Comment traduire en latin, si nous ne pouvons dire : Dans l’éternité, et dans l’éternité de l’éternité ? Comme si « l’éternité » avait un autre sens que « le siècle », ce qui n’est pas. Mais le grec porte : eis ton aiona, kai eis ton aiona tou aionos , que l’on traduirait plus facilement par : Dans les siècles, et dans les siècles des siècles; alors «les siècles» s’entendraient de la durée du temps , et « les siècles des siècles » marqueraient ce qui est de l’avenir. « Et toute la terre sera remplie de sa gloire. Ainsi soit-il. Ainsi soit-il». Vous l’avez ordonné, Seigneur, et cela s’accomplit : cela s’accomplit jusqu’à ce qu’enfin la parole partie « du fleuve » ,  parviendra « jusqu’aux dernières extrémités de la terres ».

 

1. Gen. XXII, 18. — 2. Rom. IX, 8.— 3. Matth. VI, 9. — 4. Ps. LXXI, 18. — 5. Isa. LIV, 5 —  6. Ps. LXXI, 19.

DISCOURS SUR LE PSAUME LXXII.
SERMON AU PEUPLE (1).
VANITÉ DES BIENS TERRESTRES.
 

Dans l’Ancien Testament était caché le Nouveau, comme le fruit dans sa racine. De cette racine Dieu a retranché des branches pour y greffer les Gentils qui doivent craindre et persévérer dans le bien. Les promesses temporelles, figures des promesses spirituelles, n’étaient que pour un temps, non plus que les hymnes de David, ou ce culte de la synagogue, mère des Apôtres ou des chefs du bercail. Ce peuple tiré de la servitude, puis errant dans le désert, et introduit dans la terre promise, était la figure du peuple chrétien, délivré par le baptême. Toutefois la terre promise qui finit pour les Juifs, les force à chercher une terre sans fin. La synagogue servait Dieu pour les biens du temps et se scandalisait de voir ces biens entre les mains des impies Elle ne bénit plus le Seigneur, elle l’accuse, puis arrive à comprendre qu’il faut chercher Dieu lui-même. — Le Prophète a failli s’égarer en voyant la prospérité des impies, qui pèchent dans l’abondance et non par nécessité, qui haïssent tout avertissement, qui se glorifient du mal sans penser à leur fin. Mais la mort changea les rôles pour Lazare et pour le mauvais riche. Le vrai fidèle se demande si Dieu n’a pas soin des choses d’ici-bas ; il se rassure par l’autorité des livres saints, qui prêchent la providence et la justice ; il méprise des biens que Dieu donne h ses ennemis. il s’unit à Dieu pour voir, à la lueur du jugement, que l’élévation des impies n’est qu’une vaine fumée, leur félicité, celle d’un songe  qu’il n’y a qu’à nous laisser mener par la main à la possession de Dieu, seul et souverain bien.

 

1. Ecoutez, écoutez, ô vous, mes frères bien-aimés, qui êtes les entrailles du corps de Jésus-Christ, vous qui avez mis votre espoir dans le Seigneur votre Dieu, qui détournez les yeux des vanités et des folies mensongères 2; et vous qui les regardez encore, écoutez, pour ne les regarder plus. Ce psaume a pour inscription ou pour titre : « Fin des psaumes de David, fils de Jessé, psaume d’Asaph 3 ». Nous avons beaucoup de psaumes qui portent le nom de David, mais nulle autre part qu’en celui-ci ne se lit cette addition : « Fils de Jessé », qui, nous devons le croire, n’est pas sans motif ni sans raison. Partout en effet Dieu se montre à nous, et stimule en nous l’amour et le pieux désir de comprendre. Que signifie: « Fin des psaumes de David, fils de Jessé ? » On appelle hymnes des louanges que l’on chante en l’honneur de Dieu; des chants qui contiennent la louange du Seigneur. Une louange qui ne serait point la louange de Dieu, ne serait plus une hymne; de même une louange, et même louange de Dieu,, mais que l’on ne chante pas, n’est pas l’hymne. Dès lors, l’hymne renferme ces trois conditions la louange, la louange de Dieu, puis le chant. Que signifie donc : « Fin des hymnes? » C’est dire : fin des louanges

 

1. Ce sermon prêché au peuple, probablement en 411, la veille de la fête de saint Cyprien. Voir Lettre CXL à Honor. — 2. Ps. XXXIX, 5.—3. Id. LXXII, 1.

 

que l’on chante en l’honneur de Dieu. Le Prophète semble nous annoncer un événement triste et lamentable. Car celui qui chante une louange, non-seulement loue, mais loue avec allégresse, et celui qui chante une louange, non-seulement chante, mais aime celui qu’il chante. La louange témoigne d’un zèle de prédication; le chant est l’élan du coeur. Donc « fin des hymnes de David », dit le Prophète, et il ajoute « Du fils de Jessé ».  Car ce David, fils de Jessé 1 fut roi en Israël, dans l’Ancien Testament, lorsque le Nouveau Testament était caché dans l’Ancien comme le fruit dans la racine cherchez du fruit dans la racine, vous n’en trouverez point, et néanmoins vous n’en trouverez point dans les branches qui ne soient issus de la racine. En ces jours donc, et chez ce peuple issu le premier d’Abraham selon la chair, car le second peuple aussi est issu d’Abraham, mais selon l’esprit; chez ce peuple donc encore charnel où quelques Prophètes comprenaient et les desseins de Dieu, et le moment où il devait se révéler au monde; ces Prophètes annoncèrent les temps à venir et l’avènement de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Et comme ce Christ qui devait naître selon la chair, étau caché dans la génération patriarcale comme dans sa racine, et devait se manifester au temps marqué, semblable au fruit qui apparaît,

 

1. I Rois, XVI, 18.

 

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ainsi qu’il est écrit : « Voilà que fleurit la tige sur la racine de Jessé 1 » ; de même, cette nouvelle alliance dont le Christ est l’auteur, était voilée dans ces premiers temps, connue seulement des Prophètes, et de quelques âmes d’élite, à qui Dieu, sans découvrir le présent, voulait bien révéler l’avenir. Pour n’en citer qu’un exemple, en effet, que signifie, mes frères, cette action d’Abraham, qui envoie son serviteur fidèle chercher une épouse à son fils unique, et lui dit : « Pose ta ain sur ma cuisse, et jure-moi 2? » Que signifiait la cuisse d’Abraham, que touchait le serviteur en faisant serment? Qu’y avait-il, sinon cette promesse : « En ta postérité seront bénies toutes les nations 3? » Cette cuisse désigne le corps entier; or, du corps d’Abraham, par Isaac, par Jacob, et pour abréger, par Marie, est né Jésus-Christ Notre-Seigneur.

2. Comment ferons-nous voir que la racine était chez les Patriarches? Interrogeons saint Paul. Voilà que des Gentils convertis au Christ prétendent s’élever contre les Juifs qui ont crucifié le Christ, bien que de ce peuple soit sortie une muraille qui est venue s’unir à l’angle, ou dans le Christ, à cette autre muraille venant des incirconcis ou des Gentils. Donc les Gentils prétendent s’élever, et l’Apôtre abaisse ainsi leurs prétentions: « Si toi, qui n’étais que l’olivier sauvage, as été greffé parmi les branches, ne t’élève point au-dessus des rameaux naturels. Si tu te glorifies, ce n’est point toi qui portes la racine, mais la racine qui te porte ». L’Apôtre le déclare donc : sur le tronc des Patriarches on a retranché des branches à cause de leur infidélité, et l’on a inséré l’olivier sauvage, afin de lui donner part au suc et à la séve de l’olivier franc; c’est là l’Eglise venue de la gentilité. Qui enta jamais un olivier sauvage sur un olivier franc? C’est le franc que l’on greffe sur le sauvage, et l’on ne voit point le sauvage sur le franc. Quiconque le ferait, ne recueillerait que des baies sauvages. C’est en effet ce que l’on cuite qui pousse et qui porte du fruit. Car le fruit n’est point celui de la racine, mais celui de la greffe. L’Apôtre veut nous montrer que Dieu, par sa toute-puissance , a fait que l’olivier sauvage, greffé sur l’olivier franc, ne donnât plus de fruits sauvages, mais bien l’olive, et

 

1. Isa. XI, 1. —  2. Gen. XXIV, 2. — 3. Id. XXII, 18.

 

c’est à la toute-puissance de Dieu qu’il attribue ce miracle, en nous disant: « Si tu as été retranché de l’olivier sauvage, ta tige naturelle, pour être enté, contre ta nature, sur l’olivier franc, ne te glorifie point contre les branches. Mais, diras-tu », poursuit l’Apôtre, « ces branches mit été rompues, afin que je fusse inséré. Il est vrai, elles ont été rompues à cause de leur incrédulité; et toi, c’est par la foi que tu es debout: crains au lieu de t’élever dans ta sagesse». Qu’est-ce à dire : « Ne point s’élever dans sa sagesse?» Ne pas s’enorgueillir de son insertion, mais craindre que l’infidélité n’aboutisse au retranchement, comme il en a été d’eux-mêmes. « Car c’est leur infidélité » , dit-il encore, « qui les a fait retrancher; mais toi, tiens ferme dans la foi, crains au lieu de t’élever. Car si Dieu n’a point épargné les branches  naturelles, il ne t’épargnera point non plus». Puis il continue par ce passage si intéressant, si beau, qu’il faut si bien écouter : « Vois donc », nous dit-il, « la bonté et la sévérité  de Dieu: sa sévérité pour ceux qu’il a retranchés, et sa bonté pour toi, qui es inséré, si tu persévères dans le bien. Autrement », c’est-à-dire si tu ne persévères pas dans le bien, « tu tomberas à ton tour, et pour eux, s’ils ne demeurent point dans l’infidélité, ils seront insérés de nouveau 1 ».

3. Ainsi donc, mes frères, dans l’Ancien Testament, notre Dieu avait fait au peuple charnel des promesses temporelles et terrestres. Il leur promit un royaume terrestre, il leur promit cette terre vers laquelle on les conduisit après la délivrance de l’Egypte : Josué les introduisit dans la terre promise, qui vit s’élever cette Jérusalem terrestre, où régna David. Ils reçurent donc cette terre après la délivrance de l’Egypte et le passage de la mer Rouge; après des allées et des venues dans le désert, ils furent mis en possession de la terre et du royaume. Maîtres du royaume, comme ils n’avaient reçu que des biens terrestres, ils méritèrent par leurs péchés d’être attaqués, vaincus, emmenés captifs ; enfin la ville elle-même fut entièrement détruite. Telles étaient ces promesses qui ne devaient point durer, et qui étaient des figures de promesses plus durables; en sorte que ce cours de promesses temporelles était la figure prophétique de l’avenir. Il devait donc

 

1. Rom. XI, 17-24.

 

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finir ce royaume, qui était le royaume de David fils de Jessé, le royaume d’un homme, d’un saint, d’un prophète, lequel voyait et annonçait le Christ à venir, et issu de lui-même selon la chair; il n’était néanmoins qu’un homme, il n’était pas le Christ, il n’était pas notre roi, le Fils de Dieu, mais seulement le roi David, fils de Jessé. Il devait périr ce royaume qu’avaient reçu ces hommes charnels, et dont ils bénissaient Dieu. Rien ne leur paraissait grand comme cette délivrance temporelle de leurs oppresseurs, comme le passage de la mer Rouge qui les dérobait à la poursuite de leurs ennemis, comme cette course à travers le désert qui aboutit à fonder une patrie et un empire. C’était là pour eux le seul motif de louer Dieu; ils ne comprenaient point les promesses divines que dérobaient ces figures. Or, quand s’évanouirent ces biens qui portaient à louer Dieu un peuple charnel qui eut David pour roi, durent cesser aussi « les hymnes de David, fils de Jessé », et non fils de Dieu. Nous voilà, Dieu aidant, sauvés de l’écueil que ce titre nous présentait; vous comprenez ce que signifie: « Fin des psaumes de David, fils de Jessé ».

4. Qui parle dans ce psaume? « Asaph 1». Qu’est-ce que « Asaph? » D’après le sens que nous donne la traduction de l’hébreu en grec, et du grec en latin, « Asaph » signifie synagogue. Voici donc la voix de la synagogue. Maïs à ce mot de synagogue, n’écoute pas ta haine contre cette meurtrière du Sauveur. Il est vrai que cette synagogue a mis à mort le Sauveur, nul n’en doute; mais souviens-toi que c’est de la synagogue que sont venus ces chefs du bercail dont nous sommes les agneaux. De là cette parole du psaume « Amenez au Seigneur les fils des béliers 2 ». Or, quels sont ces béliers? C’est Pierre, c’est Jean, c’est Jacques, c’est André, c’est Barthélemy, ce sont les autres Apôtres. C’est de là que vient Saul d’abord, ensuite appelé Paul, c’est-à-dire tout d’abord orgueilleux, puis humble. Car, vous le savez, Saül, d’où vient le nom de Saul, fut un roi superbe et insoumis. Ce ne fut point par une espèce de jactance que l’Apôtre changea son nom ; mais Saul devint Paul, ou plutôt l’orgueilleux devint humble. Car Paul, ou paulum, désigne la médiocrité. Or, veux-tu savoir ce que signifie

 

1. Ps. LXXII, 1. — 2. Id. XXVIII, I.

 

Saul? Ecoute ce même Paul, te racontant ce qu’il a été par sa propre malice, et ce qu’il est devenu par la grâce de Dieu : écoute quel était Saul, et quel est Paul. « Tout d’abord, j’ai été un blasphémateur », nous dit-il, « j’ai persécuté, j’ai outragé 1 ». Voilà Saul, écoute maintenant Paul : « Je suis », dit-il, « le moindre des Apôtres ». Qu’est-ce à dire le moindre, sinon le plus petit ou Paul? Et il ajoute : « Je ne suis pas digne d’être appelé Apôtre ». Pourquoi ? parce que j’ai été Saul. Comment Saul? Qu’il nous l’explique : « Parce que j’ai persécuté l’Eglise de Dieu : mais la grâce de Dieu m’a fait ce que je suis 2 ». Il se dérobe à sa propre grandeur, il se fait petit en lui-même, et grand en Jésus-Christ. Le voilà Paul, que dit-il? « Dieu », nous dit-il, « n’a point repoussé son peuple », et il parle du peuple Juif, son peuple qu’il a connu dans sa prescience. Car moi aussi, je suis enfant d’Israël, de la race d’Abraham, et de la tribu de Benjamin 3 ». Donc Paul lui-même nous vient de la synagogue, Pierre et les autres Apôtres de la synagogue. Donc à ce nom de synagogue, ne t’arrête pas à ce qu’elle mérite, mais à ce qu’elle a produit. Donc la synagogue parle dans ce psaume, alors que finissent les psaumes de David, fils de Jessé : c’est-à-dire, alors que touchaient à leur fin, ces objets temporels d’un culte que ce peuple charnel rendait à Dieu. Pourquoi devaient-elles finir, sinon pour que l’on en cherchât d’autres? Et quelles autres chercher? d’autres qui n’étaient point là? Nullement, mais bien celles qui étaient voilées sous ces figures, et non celles qui n’y étaient point; mais celles qui s’y cachaient sous l’enveloppe des mystères, comme le fruit dans sa racine. Quelles autres chercher? Ces promesses qui étaient pour nous des figures 4.

5. Voyez rapidement, comme nous étions peints dans ces figures. Le peuple d’Israël est sous le joug de Pharaon et des Egyptiens 5; le peuple chrétien, que Dieu se réservait, était avant la foi sous l’empire du démon, assujéti à leur prince. Voilà un peuple esclave en Egypte, et un peuple esclave de ses péchés; car ce n’est que par le péché seulement que le diable peut nous dominer, Moïse délivra du joug de l’Egypte le peuple ancien, et

 

1. I Tim. I, 13.— 2. I Cor. XV, 9, 10.— 3. Rom. XI, 1, 2.— 4. I Cor. X, 6. — 5. Exod. I, 10.

 

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Notre-Seigneur Jésus-Christ délivre le peuple nouveau de sa vie ancienne du péché. Le premier peuple dut passer par les eaux de la mer Rouge, le second par celles du baptême. Les ennemis de l’un sont submergés dans la mer Rouge 1, tous les péchés de l’autre dans les eaux du baptême. Soyez attentifs, mes frères: après le passage de la mer Rouge, ce n’est point aussitôt la patrie, ce n’est pas aussitôt le triomphe, comme s’il n’y avait plus d’ennemis à combattre; mais il restait la solitude, et dans ce pèlerinage, il restait les embûches des ennemis: ainsi après le baptême, il nous reste la vie chrétienne dans les épreuves. Dans ce désert, on soupirait après la terre promise, et quel est l’objet des soupirs des chrétiens quand ils sont purifiés par le baptême? Règnent-ils donc avec Jésus-Christ? Ils ne sont point encore parvenus à cette patrie qui nous est promise, mais qui ne doit point se terminer, et où les hymnes de David ne finiront point. Que tous les fidèles veuillent bien écouter mes paroles, et qu’ils sachent où ils sont: ils sont au désert, et soupirent après la patrie. Leurs ennemis sont morts par le baptême, ceux-là toutefois qui les suivaient par derrière. Qu’est-ce à dire qui les suivaient par derrière? Nous avons devant nous l’avenir, derrière nous le passé tous les péchés du passé sont noyés dans les eaux du baptême; et nos tentations ne sont plus derrière nous, mais dans les embûches du voyage. Aussi l’Apôtre marchant encore dans ce désert s’écriait; « J’oublie ce qui est derrière moi, pour m’avancer vers ce qui est devant moi, afin d’atteindre la palme à laquelle Dieu m’a appelé d’en haut 3 ». Comme s’il disait : Je veux atteindre la patrie céleste que Dieu m’a promise. Et dans ce désert, mes frères, tout ce qu’endura ce peuple, tous les dons que lui fit le Seigneur, tous les châtiments qu’il lui infligea, sont des figures de ce qui doit nous arriver dans le désert de cette vie, quand nous marcherons en Jésus-Christ cherchant notre patrie, et qui sera pour nous une source de consolations ou d’épreuves. Il ne faut donc pas s’étonner de voir à sa fin ce qui n’était qu’une figure de l’avenir. Ce peuple fut conduit à la terre promise, mais devait-elle durer toujours? S’il en était ainsi, elle ne serait pas une figure, mais bien une réalité. Comme donc elle n’était qu’une

 

1. Exod. XIV, 22, 23. — 2. Philip. III, 13, 14.

 

figure, le peuple n’aboutit qu’à une situation temporaire; or, une situation temporaire devait finir, et en finissant nous forcer à chercher ce qui n’a point de fin.

6. Donc, la synagogue, ou ceux qui servaient Dieu avec piété, mais en vue des biens terrestres, (les biens de cette vie (car il est des impies qui demandent ces biens d’ici-bas aux dénions, et le peuple avait cette supériorité sur les Gentils, que s’il recherchait les biens présents, les biens temporels, il les demandait néanmoins au seul Dieu créateur et des choses visibles et des choses invisibles); ces hommes pieux donc, mais charnels, cette partie de la synagogue, bonne en ce temps-là, mais non d’une piété spirituelle comme celle des Prophètes, et de ceux qui attendaient un royaume céleste et éternel; cette synagogue vit les biens que Dieu prodiguait à son peuple, et qu’il lui promettait pour l’avenir l’abondance des richesses de la terre, une patrie, la paix, une félicité terrestre. Mais il n’y avait là que des symboles; et sans coin Prendre les promesses que cachaient ces figures, elle s’imagina que c’était beaucoup pour Dieu de la traiter ainsi, et qu’il n’avait rien de mieux à donner à ceux qui le servent avec amour et fidélité. Dans cette pensée elle vit des hommes pécheurs, impies, blasphémateurs, des adorateurs de démons, iles fils du diable, qui vivaient dans les excès de la malice et de l’orgueil, et qui possédaient néanmoins ces biens de la terre et du temps, dont la convoitise la portait à servir Dieu. Alors surgit dans sois coeur une exécrable pensée, bien capable de la faire chanceler dans la voie de Dieu, et même de l’en écarter. Or, voici la pensée qui tourmentait ce peuple de l’Ancien Testament: à Dieu ne plaise qu’elle soit aussi chez ceux de nos frères qui sont charnels, quand on leur prêche ouvertement la félicité ! Que dit alors cette synagogue? Que dit ce peuple? Nous servons Dieu, et voilà des châtiments, des fléaux, voilà qu’on nous prive de ce que nous aimons, de ce que nous regardions comme une grande faveur de Dieu : des hommes criminels au contraire, des hommes injustes, orgueilleux, blasphémateurs, remuants, ont en abondance tous ces biens, pour lesquels nous servons le Seigneur; c’est donc inutilement que nous le servons. C’est jusque-là qu’est tombé le peuple de notre psaume, peuple qui touche à sa fin, qui

 

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chancelle. Il voit en effet que ces biens terrestres qui lui font servir Dieu, coulent en abondance chez ceux qui ne servent point le Seigneur, et le voilà qui chancelle, qui tombe en défaillance, qui disparaît avec les hymnes de David, parce qu’en de semblables coeurs il n’y avait plus de louanges. Qu’est-ce à dire, qu’en de semblables coeurs il n’y avait plus de louanges? Qu’avec de telles pensées on ne bénit plus le Seigneur. Comment en effet bénir Dieu, quand peu s’en faut qu’on ne l’accuse d’injustice, parce qu’il donne tant de biens aux méchants, et qu’il en prive ceux qui le servent? A ces hommes, Dieu paraissait n’avoir aucune bonté; or, ceux qui ne voient en Dieu aucune bonté, sont loin de le louer, et comme ils cessent de louer Dieu, la louange fait défaut chez eux. Plus tard néanmoins ce peuple comprit ce que Dieu l’avertissait de chercher, quand il privait ainsi ses serviteurs des biens temporels qu’il donnait àses ennemis, à des impies, à des blasphémateurs; cet avertissement lui fit connaître qu’en outre des biens que Dieu donne aux bons et aux méchants, et dont il prive quelquefois les méchants comme les bons, il en est qu’il réserve particulièrement aux bons. Qu’est-ce à dire, qu’il réserve pour les bons? Que leur réserve-t-il? Lui-même. Nous pouvons, si je ne me trompe, aller rapidement dans le psaume; nous le comprendrons avec le secours du Seigneur. Voyons revenir de ses erreurs et se repentir, celui qui avait cru que Dieu manquait de bonté, parce qu’il donnait aux méchants les biens terrestres et les refusait à ceux qui le servent. Il a compris ce que Dieu réserve à ses adorateurs; dans cette pensée, et comme pour se châtier de cette erreur, il s’écrie:

7. « Quelle bonté chez le Dieu d’Israël ! » Mais pour qui ? « Pour ceux qui ont le coeur droit ». Qu’est-il pour l’impie? Il paraît injuste. C’est ainsi que dans un autre psaume il est dit : « Vous êtes saint pour l’homme saint, innocent avec l’innocent, et pervers avec l’homme pervers 1 ». Qu’est-ce à dire « pervers avec le pervers? » L’homme corrompu ne verra chez vous que corruption. Non que Dieu se puisse laisser corrompre. Loin de là: il est ce qu’il est; mais de même que le soleil est agréable pour l’homme qui a les yeux purs, sains, fermes et vigoureux,

 

1. Ps. XVII, 26, 27.

 

tandis qu’il paraît avoir des aiguillons pour les yeux chassieux, qu’il est la joie de l’un, et le tourment de l’autre, non que lui-même change, mais bien l’objet qu’il frappe ; ainsi dès que tu seras corrompu, tu verras en Dieu la corruption, tu seras changé, mais non lui. Tu trouveras ton supplice dans ce qui fera la joie des bons. Telle est la pensée du Prophète qui s’écrie: « Combien est bon le Dieu d’Israël, pour l’homme au coeur droit ».

8. Mais pour toi, ô Prophète? « Pour moi, mes pieds ont failli chanceler 1 ». Quand est-ce que les pieds chancellent, sinon quand le coeur n’est point droit? Et d’où vient que le coeur  n’était point droit? Ecoute: « Peu s’en faut que mes pas ne glissent». Tout à l’heure il disait : « Ont failli », maintenant « peu s’en faut »; tout à l’heure : « Ses pieds chancelaient », maintenant « ses pas glissent». Mes pieds ont failli chanceler, peu s’en faut que mes pas ne s’égarent. « Des pieds chancelants » ; mais dans quelle voie ont-ils chancelé, de quelle voie mes pas se seraient-ils égarés? « Mes pieds chancelaient » pour s’égarer, « mes pas glissaient » pour tomber, non pas tout à fait, mais « presque ». J’allais à l’erreur, sans y être encore ; je tombais, mais je n’étais pas encore tombé.

9. Mais pourquoi? « C’est », répond le Prophète, « que je porte envie aux pécheurs, en

voyant la paix dont ils jouissent 2 ». J’ai considéré les pécheurs, je les ai vus dans la paix. Quelle paix ? Une paix temporelle, fragile, caduque et terrestre, mais telle cependant que je la désirais de Dieu. J’ai vu chez ceux qui ne servaient point le Seigneur, ce que je désirais pour prix de mes adorations; et mes pieds ont chancelé, et mes pas ont presque glissé.

10. Mais il va vous dire en quelques mots pourquoi les méchants possèdent ces biens:

« C’est que leur mort est inévitable, et que leur châtiment s’affermira. Aussi ne sont-ils point dans les travaux des hommes, et ne seront-ils point châtiés comme eux 3 ». J’ai compris, nous dit-il, pourquoi ils ont la paix et fleurissent ici-bas. C’est que leur mort est inévitable, c’est-à-dire que la mort est pour eux certaine, et qu’elle sera éternelle; elle ne se détournera point d’eux, et ils ne pourront s’en détourner; « c’est que leur mort est inévitable, et que leur châtiment s’affermira ». Un châtiment qui s’affermit, n’est plus un

 

1. Ps. LXXII, 2. — 2. Id. 3. — 3. Id. 4, 5.

 

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châtiment passager; il est ferme pour l’éternité. C’est donc parce que Dieu leur réserve des maux qui doivent durer éternellement, qu’ « ils ne sont point aujourd’hui dans les travaux des hommes, et qu’ils ne sont point châtiés avec eux ». Toutefois n’est-il point châtié avec les hommes, ce diable auquel on prépare un supplice sans fin?

11. Aussi qu’arrive-t-il ici-bas à ceux qui ne sont point châtiés avec les hommes, qui ne souffrent point avec eux? « Voilà », dit le Prophète, « que l’orgueil les domine ». Voyez ces orgueilleux incorrigibles ; voyez cette victime dévouée au sacrifice, qu’on laisse errer à son gré, dévaster comme il lui plaît, jusqu’au jour où l’on doit l’égorger. Or, il est bon, mes frères, de voir dans les paroles du Prophète, cette victime dont nous parlons. L’Ecriture qui en fait mention ailleurs, nous dit que ces hommes sont destinés à l’immolation, qu’on ne les épargne qu’en leur laissant une triste liberté 2. « C’est pourquoi », dit le Prophète, « ils sont au pouvoir de l’orgueil ». Qu’est-ce qu’ « être au pouvoir de l’orgueil? Leur iniquité, leur impiété, les enveloppe comme un vêtement». Il ne dit pas qu’ils sont couverts, mais « enveloppés », complètement revêtus de leur impiété. Malheur bien légitime ! sous leur manteau, ils ne voient point, ils ne sont vus de personne, et leur intérieur est invisible. Tel en effet qui pourrait sonder l’âme de ces hommes que l’on croit heureux ici-bas, tel qui verrait les tortures de leur conscience, tel qui découvrirait dans leurs coeurs ces déchirements, ces tyrannies de la crainte et de la convoitise, les trouverait malheureux dans ce qu’on regarde comme un bonheur; « mais enveloppés de leur iniquité et de leur impiété», ils ne voient point et ne sont point vus. L’Esprit-Saint les connaissait quand il en parlait de la sorte; et nous devons les regarder avec cet oeil qui nous montre la vérité, quand on nous ôte le voile de l’impiété. Sachions donc les connaître, et fuyons-les nonobstant leur bonheur; nonobstant leur bonheur, ne les imitons point: gardons-nous de demander au Seigneur notre Dieu, comme une grande faveur, des biens qu’ont mérité d’obtenir ceux qui ne le servent point. Car il nous réserve un tout autre bien, un bien vraiment désirable: écoutez quel bien.

12. Voici d’abord leur portrait. « Leur iniquité

 

1. Ps. LXXII, 6. — 2. Prov. VII, 22.

 

sortira de leur abondance 1». Voyez si cette grosse victime ne se reconnaît point ici. Ecoutez, mes frères, et ne passons pas légèrement sur cette parole : « Leur iniquité sortira comme de leur embonpoint ». Il y a des méchants, mais méchants par maigreur, et qui sont méchants précisément parce qu’ils sont maigres, c’est-à-dire des âmes faibles, chétives, et comme sous l’empire de la nécessité; ils sont mauvais à la vérité, et vraiment condamnables; car on doit plutôt subir la nécessité que de commettre le crime. Et toutefois autre est pécher dans la nécessité , autre dans l’abondance. Qu’un pauvre mendiant commette un vol, son péché vient de sa maigreur ; mais un riche dans l’abondance, pourquoi s’empare-t-il du bien d’autrui ? Le péché vient chez l’un de sa maigreur, chez l’autre de sa graisse. Aussi, dis à ce pauvre : Pourquoi cette injustice ? et le voilà qui s’humilie, qui se repent, qui s’afflige. C’est la nécessité, dit-il, qui m’y a forcé. Comment n’as-tu pas craint le Seigneur? La nécessité m’a contraint. Dis à un riche au contraire : Pourquoi cette injustice, et ne crains-tu pas le Seigneur ? situ as toutefois assez de considération pour le pouvoir faire. Vois s’il daignera même t’écouter, et si l’iniquité qui vient de son abondance ne rejaillira point sur toi. Car ces hommes déclarent la guerre à tous ceux qui les instruisent et qui les reprennent, ils deviennent ennemis de quiconque dit la vérité, accoutumés qu’ils sont aux flatteries, ayant eux-mêmes l’oreille délicate, et le coeur corrompu. Qui ose dire à un riche: C’est mal à toi de prendre le bien d’autrui ? Et si quelqu’un ose le dire, et qu’il soit de telle condition qu’on n’ose point lui résister, que répondra ce riche ? Il n’ouvre la bouche que pour blasphémer Dieu. Pourquoi ? parce qu’il est orgueilleux. Pourquoi ? parce qu’il est dans l’abondance. Pourquoi? parce qu’il est une victime dévouée au sacrifice. « Leur iniquité sortira de leur graisse ».

13. « ils ont tout dépassé dans la pensée de leur coeur ». C’est intérieurement qu’ils ont dépassé. Qu’est-ce à dire « dépassé ? » Au-delà de la voie. Qu’est-ce à dire encore ? Ils ont dépassé les bornes de la nature humaine, et ne se croient plus des hommes comme les autres hommes. Oui, dis-je, ils ont franchi les bornes de la nature humaine. Parfois tu dis

 

1. Ps. LXXII, 7.

 

à l’un de ces hommes: Ce pauvre que tu vois est ton frère, vous êtes issus des mêmes parents, d’Adam et d’Eve : n’écoute point ton orgueil, n’écoute point cette enflure de la vanité, quelque nombreux que soient tes serviteurs, quels que soient l’or et l’argent que lu possèdes, quelque précieux que soit le marbre de ton palais, quelque étincelant qu’en soit le dôme: non plus que le pauvre, tu n’as pour te couvrir qu’un même ciel, qui est le toit du monde. Rien ne t’appartient de tout ce qui te distingue du pauvre; tout cela est étranger pour toi ; c’est en cela qu’il faut te voir, et non pas voir cela en toi-même. Considère ce que tu es en face du pauvre, mais considère toi-même, non ce que tu possèdes. Pourquoi mépriser ton frère? Vous étiez nus l’un et l’autre dans les entrailles de vos mères ; et certes quand vous serez sortis de cette vie, quand l’âme aura quitté vos chairs en pourriture, démêle qui pourra discerner les ossements du pauvre et du riche. Je parle de l’égalité de nature qui est la condition du genre humain, et dans laquelle nous naissons tous; or, celui que nous voyons riche en cette vie, n’y sera pas toujours, non plus que le pauvre. Le riche, à sa naissance, n’est point riche, àsa mort il ne sera point riche ; pour le riche comme pour le pauvre, même entrée dans la vie, même sortie de ce monde. J’ajoute même que leur sort peut être changé. Partout aujourd’hui on prêche l’Evangile ; remarque ce pauvre couvert d’ulcères, couché à la porte du riche, et dont le désir est de se rassasier des miettes qui tombaient de la table de ce riche ; vois ce même riche, revêtu comme toi de pourpre et de fin lin , et qui était chaque jour clans la bonne chère. Or, il arriva que ce pauvre mourut et fut porté par les anges dans le sein d’Abraham. Le riche mourut aussi et fut enseveli ; nul peut-être n’avait eu soin de la sépulture de l’autre ; et quand ce riche était dans les tourments de l’enfer, ne leva-t-il point les yeux, et ne vit-il pas au sein d’une joie infinie celui qu’il avait méprisé au seuil de sa porte ? Ne désira-t-il point qu’une goutte d’eau tombât du doigt de celui qui avait envié jadis les miettes de sa table? Combien, mes frères, dura l’angoisse du Pauvre? Combien durèrent les délices du riche? Mais ce qui ensuite leur échut en partage est éternel. Comme il n’y avait donc pour lui nul moyen d’échapper à la mort,et comme son châtiment devait être sans fin, il n’a point partagé le labeur des hommes, ni subi avec eux son châtiment. Le pauvre, au contraire, flagellé en cette vie, doit se reposer en l’autre; car Dieu châtie celui qu’il reçoit au nombre de ses enfants 1. Mais à qui parle-t-on ainsi? A l’homme de la bonne chère, qui est chaque jour vêtu de pourpre et de fin lin. A qui tenir ce langage? A l’homme qui a tout dépassé « dans la pensée de son coeur », qui dira un jour avec raison, mais trop tard: « Envoyez Lazare, afin qu’il avertisse mes frères 2 » : car il ne tirera aucun profit de sa pénitence. Non point qu’il n’ait aucun regret, mais ce regret doit être éternel, ce regret ne produira point le salut. ils ont donc « tout dépassé dans la « pensée de leur coeur ».

14. « Ils ont pensé et dit le mal 3 ». Mais ce n’est qu’en tremblant que les hommes disent le mal: comment ceux-ci le disent-ils? « Ils publient l’iniquité sur les hauteurs ». Non. seulement ils publient l’iniquité, mais ils le font à haute voix, aux oreilles de tous, avec orgueil: c’est à moi que tu as affaire, moi qui te donnerai une leçon, tu sauras qui je suis, tu y laisseras la vie. Avoir cette pensée, ce serait beaucoup, quand même tu ne la montrerais pas: quand même ce désir de vengeance demeurerait inconnu, et enseveli dans le secret de ton coeur. Mais à quoi bon? Cet homme est-il maigre? « Leur injustice sortira comme de leur graisse. lis publient l’iniquité sur les hauteurs ».

15. « Ils opposent leurs bouches au ciel, et leur langue dépasse la terre 4 ». Qu’est-ce à dire, « dépasse la terre? » C’est la répétition de ce qui est dit: « Ils opposent leurs bouches au ciel »; car dépasser la terre signifie aller au-delà de tout ce qui est terrestre. Mais qu’est-ce qu’aller au-delà de tout ce qui est terrestre? C’est-à-dire que l’homme dans son langage ne songe point qu’il peut mourir subitement, qu’il menace comme s’il devait toujours vivre:

sa pensée oublie l’humaine fragilité, et ne sait point de quel faible manteau il est revêtu; il ignore ce que l’Ecriture a dit ailleurs à propos de ces orgueilleux: « Son âme s’en ira et il retournera dans la terre, en ce jour périront toutes ses pensées 5 ». Mais ces hommes , peu soucieux de leur dernier jour, n’ont qu’un langage d’orgueil; ils opposent

 

1. Hébr. XIII 6. — 2. Luc, XVI, 19-31. — 3. Ps. LXXII, 8. — 4. Id. 9. —    5. Id. CXIV, 4.

 

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leurs bouches au ciel, et s’élèvent au-dessus de la terre. Rien de plus insensé qu’un voleur jeté dans une prison, qui ne penserait point à son dernier jour, au jour qui termine sa condamnation; et pourtant il peut encore s’enfuir. Mais où fuir la mort? Ce jour arrivera certainement. Quelle peut être pour toi la plus longue vie? Combien dure peu ce qui a une fin, quelle qu’en soit la durée ! Ajoutez que cette durée n’est point longue; car celle qu’on appelle une longue vie est courte et encore incertaine. Pourquoi n’y point réfléchir? C’est que l’on oppose sa bouche au ciel, et que la langue dépasse la terre.

16. « Aussi mon peuple eu reviendra-t-il à ces pensées 1». Asaph lui-même en revient le premier. Il a vu que les biens sont pour les impies, sont pour les orgueilleux; il se retourne vers Dieu, et commence à lui en demander raison. Mais quand? « alors que les jours s’accompliront pour eux ». Que sont «des jours accomplis? » « Lorsque les temps ont été accomplis, Dieu a envoyé son Fils 2 ». Ainsi les temps étaient accomplis quand le Christ est venu nous apprendre à mépriser ce qui est temporel, à ne pas estimer ce que désirent les méchants, à souffrir ce que redoutent les hommes d’iniquité. Il s’est donc fait la voie, il nous a fait rentrer en nous mêmes, et nous a montré ce qu’il faut demander à Dieu. Vois maintenant comment de ses pensées qui se détruisent mutuellement, et qui se brisent comme des flots par leur propre choc, il s’élève aux vrais biens désirables. « C’est pourquoi mon peuple en reviendra là, et les jours s’accompliront en eux ».

17. « Et ils ont dit: Comment Dieu le sait-il? le Très-Haut en a-t-il connaissance 3? » Vois par quelles réflexions ils doivent passer. Les méchants sont heureux, donc Dieu n’a aucun soin des choses humaines. Est-il vrai qu’il sache ce que nous faisons? Ecoutez les paroles du psaume; et je vous en supplie, mes frères, que des chrétiens ne disent plus:

«Comment Dieu le sait-il? et le Très-Haut en a t-il connaissance? »

18. Comment peux-tu croire en effet que Dieu ignore ce qui se passe ici-bas, que le Très-Haut n’en a point de connaissance? Le Psalmiste répond : « Voilà que les pécheurs et les heureux du siècle ont obtenu des

 

1. Ps. LXXII, 10. — 2. Gal, IV, 4. — 3. Ps. LXXII, 11.

 

richesses 1 ». Ils sont pécheurs, ils sont dans l’abondance, et néanmoins ils ont encore obtenu des richesses ici-bas. Il l’a déclaré, il n’a point voulu être pécheur, afin d’avoir des richesses. Cette âme charnelle vendait sa justice au prix des biens visibles et terrestres. Quelle justice peut-on acheter avec de l’or, comme si l’or était plus précieux que la justice? Quand un homme nie un dépôt, pour qui le dommage est-il plus grand, pour celui qui nie, ou pour celui à qui on le nie? L’un perd un vêtement, l’autre sa foi. « Voilà que les pécheurs et les riches du siècle ont obtenu des biens». Donc Dieu ne le sait pas? donc le Très-Haut n’en a point de connaissance?

19. « Et j’ai dit: C’est donc en vain que j’ai  justifié mon coeur ». Voilà que je sers Dieu, et je n’ai pas ces biens; ceux-là ne le servent point et sont dans l’abondance: « Donc c’est vainement que j’ai justifié mon coeur, et que j’ai lavé mues mains parmi les innocents 2 ». C’est donc en vain que j’ai fait cela. Où est la récompense pour une vie juste? Où est le prix de ta fidélité? Je vis dans la justice et j’ai faim, tandis que l’impie est dans l’abondance.  « Et j’ai purifié mes mains parmi les innocents ».

20. « Durant tout le jour je suis flagellé 3  ».Vos fléaux ne s’éloignent point de moi. Je vous sers fidèlement, et je suis châtié: cet autre ne vous sert point, il est au comble des biens. Terrible question que l’homme se pose à lui-même ! Son âme est dans le trouble, elle est sur le point de passer au mépris de ce qui passe pour désirer ce qui dure éternellement. Telle est la pensée qui bâte pour l’âme ce passage. Dès qu’elle est agitée par la tempête, c’est pour arriver au port. Il en est de même de ces malades, qui souffrent moins lorsque la santé est bien loin encore, et dont la douleur est plus aigué quand la guérison est proche. C’est ce que les médecins appellent des accès de crise, qui sont le passage à la convalescence : la lièvre est plus vive, mais aboutit à la santé; la crise est plus violente, mais la guérison est proche. Telles sont les récriminations du Psalmiste. Ses paroles sont fâcheuses, insolentes, presque blasphématoires : « Comment Dieu le sait-il? » Je dis « presque », et en effet il ne dit point : Dieu ne le sait point; il ne dit point : Le Très-Haut n’en a point connaissance; mais il se

 

1. Ps. LXXII, 12.— 2. Id. 13.— 3. Id. 14.

 

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questionne, il est dans l’hésitation et dans le doute, Il disait un peu auparavant : « Mes pieds ont failli chanceler », comme il dit maintenant: « Comment Dieu le sait-il, et le Très-Haut en a-t-il connaissance? » Il n’affirme point, mais son doute est dangereux, et tel est le péril qui le ramène à la santé. Ecoute bien cette guérison : « C’est donc en vain que j’ai justifié mon coeur, et que j’ai lavé mes mains parmi les innocents, tout le jour je subis la flagellation, je suis châtié dès le matin ». Or, le châtiment est une correction : châtier, c’est se corriger. Qu’est-ce à dire : « dès le matin ? » Sans délai. Il est un délai pour les impies, il n’en est point pour moi. Pour eux le châtiment est tardif, ou même nul, pour moi il vient « dès le matin. — Tout le jour je suis flagellé, et mon châtiment est du matin ».

24. « Et je disais: Voilà ce que je raconterai 1 »; ou ce que j’enseignerai. Qu’enseigneras-tu? Que le Très-Haut n’en a point connaissance, et que Dieu ne sait rien? Veux-tu donc enseigner que les justes mènent sans profit une vie juste, que l’homme de bien sert Dieu inutilement, puisque Dieu, ou favorise les méchants, ou n’a souci de personne? Est-ce là ce que tu veux dire, enseigner? Il cède à l’autorité qui le domine. Quelle autorité? Souvent l’homme veut s’abandonner à ces sentiments; mais il est retenu par les saintes Ecritures qui lui disent de vivre toujours dans la justice, qui lui répètent que Dieu a soin des choses d’ici-bas, et qu’il met une différence entre le juste et l’impie. Voilà donc ce qui retient le Psalmiste, alors qu’il voudrait enseigner une telle doctrine. Et que dit-il? « Si je disais : Voilà ce que je raconterai : je rejetterais la race de vos enfants ». Mon langage serait une condamnation portée contre vos enfants, contre les justes. Ou bien, comme on lit dans certains exemplaires: « Parmi vos enfants à qui ai-je parlé? » ou bien auquel de vos enfants ai-je parlé? Auquel mon langage convenait-il, qui l’approuvait? Parler ainsi, c’est m’éloigner de tous. Celui-là m’ap. prouve en effet qui est d’accord avec moi; mais point d’accord, point d’approbation. Je tiendrai un langage autre que celui d’Abraham, celui d’Isaac, celui de Jacob, et celui des Prophètes. Car ils se sont tous accordés à dire que Dieu prend soin de ce qui se passe

 

1. Ps. LXXII, 15.

 

ici-bas : et moi j’irai dire qu’il n’en prend aucun soin? Aurai-je donc plus de lumière qu’eux tous? Telle est l’autorité salutaire qui éloigne de lui toute pensée impie.

22. Que dit ensuite le Prophète? « Si je disais : Voilà ce que j’enseignerai, je rejetterais la race de vos enfants ». Que fait-il donc pour ne point la rejeter? « J’ai résolu de comprendre », nous dit-il. Il veut donc comprendre ce mystère; Dieu veuille bien l’aider et le lui faire connaître : toujours est-il, mes frères, qu’il évite une chute effroyable, alors qu’il ne présume point de sa science, et qu’il veut apprendre ce qu’il ne sait point. Naguère il prétendait que l’on crût à sa science, il voulait enseigner que Dieu n’a aucun soin des actions des hommes. C’est la doctrine impie et pernicieuse que prêchent tous les méchants. Il est bon que vous le sachiez, mes frères; il en est beaucoup qui prétendent et qui osent dire que Dieu n’a aucun souci des actions des hommes, que tout est gouverné par le hasard, ou que nos volontés sont sous l’influence des astres, et que chacun de nous, loin d’être dirigé selon ses propres mérites, ne l’est que par la fatalité de son étoile. Doctrine impie! Doctrine effroyable! C’est là que devait aboutir celui dont « les pieds ont quelque peu chancelé, dont les pas ont failli trébucher 1 »; c’est à cette erreur qu’il courait : mais comme il n’était point d’accord avec la génération des enfants de Dieu, il entreprend de connaître ; le voilà qui condamne ce qui est en dissonance avec les justes de Dieu. Ecoutons ce qu’il va dire, car il a entrepris de connaître, et avec le secours de Dieu, il a compris, et nous en a fait part. « J’ai entrepris de connaître », dit-il, « et c’est là un travail devant moi ». C’est vraiment un labeur pénible, de connaître comment Dieu prend soin de ce que font les hommes, quand les méchants sont heureux, les justes dans la peine ! C’est là une grande difficulté. Aussi, « c’est là un labeur pénible devant moi ». C’est comme une muraille en face de moi ; mais le Prophète a dit : « Avec le secours de Dieu j’irai au-delà du mur 2. « C’est là un labeur pénible devant moi ».

23. Tu dis vrai, ô Prophète, c’est un labeur pénible. Mais pour Dieu, il n’est point de labeur; mets-toi en présence du Dieu qui ne connaît point la peine, et il n’y aura rien de

 

1. Ps. LXXII, 16. — 2. Id. XVII, 30.

 

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pénible pour toi. C’est ce qu’a fait le Prophète, car il précise combien de temps  ce labeur sera devant lui : « Jusqu’à ce que j’entre dans le sanctuaire du Seigneur, et que je comprenne la fin des choses 1 ». Voilà une grande parole, mes frères. Je suis dans un long travail, dit le Prophète, et je vois devant moi un labeur en quelque sorte inextricable, quand je veux examiner comment Dieu connaît les choses humaines et en prend soin, et comment n’est-il point injuste, alors que les pécheurs, les criminels sont heureux sur la terre, tandis que les hommes pieux, qui le servent avec fidélité, sont souvent dans l’épreuve, et brisés par la tribulation : voilà ce qu’il est très-difficile de comprendre, mais seulement « jusqu’à ce que j’entre dans le sanctuaire de Dieu ». Mais que verras-tu dans ce sanctuaire, afin de résoudre cette difficulté? « Je comprendrai », dit le Psalmiste, «la fin des choses», non celles qui sont présentes. C’est vers le sanctuaire de Dieu que-je dirige mes yeux pour voir la fin, peu soucieux du présent. Tout ce qui porte le nom d’homme, toute cette masse de mortels doit subir l’examen, tout alors sera pesé; et alors seront appréciées les oeuvres des hommes. Aujourd’hui tout est enveloppé d’un nuage, mais Dieu connaît les mérites de chacun. «Je comprendrai », dit le Prophète, « quelle est la fin » ; non par moi-même, car il n’y a devant moi que labeur. Comment alors «comprendrai-je la fin? » En entrant dans le sanctuaire de Dieu. C’est donc là qu’il comprendra pourquoi les méchants sont heureux ici-bas.

24. « A cause de leurs artifices, vous les avez fait tomber 2» A cause de leurs artifices, ou de leur fraude : parce qu’ils cherchent la fraude, ils sont trompés. Qu’est-ce à dire: Ils sont trompés, parce qu’ils veulent tromper ? Ils veulent tromper les hommes par mille artifices, eux-mêmes sont trompés, et délaissent les biens de l’éternité, pour les biens du temps, Donc, mes frères , ils se trompent en voulant tromper. Je vous l’ai déjà dit, mes frères, quelle âme peut avoir celui qui vole un manteau, et qui perd la foi? Est-ce bien celui qui perd ce vêtement qui est victime de la fraude, ou celui qui éprouve un si grand dommage? C’est le premier, si le manteau est plus précieux que la foi; mais si

 

1. Ps. LXXII, 17. — 2. Id. 18.

 

la foi est infiniment préférable au monde enlier, l’un perdra son manteau à la vérité, mais il est dit à l’autre : « Que sert à l’homme de gagner le monde, s’il vient à perdre son âme 1». Qu’arrive-t-il donc aux méchants? « A cause de leurs artifices vous les avez fait tomber : vous les avez humiliés pendant qu’ils s’élevaient ». Il n’est pas dit: Vous les avez humiliés, parce qu’ils s’élevaient :car ce n’est point après qu’ils se sont élevés que vous les avez humiliés, mais à l’instant même qu’ils s’élevaient vous les avez humiliés. Car s’élever ainsi, c’est déjà tomber, « Vous les avez humiliés pendant qu’ils s’élevaient ».

25. « D’où leur est venue cette catastrophe subite 2?» Le Prophète s’étonne à leur sujet, il comprend leur dernière fin. «Ils se sont véritablement évanouis» comme une fumée qui ne s’élève que pour se dissiper. Comment dit-il qu’ « ils se sont évanouis? » Il en parle comme un homme qui comprend la fin des choses. « Ils se sont évanouis; ils ont péri à cause de leur iniquité».

26. « Comme le songe d’un homme qui s’éveille 3 ». Comment se sont-ils évanouis? Comme s’évanouit le songe d’un homme qui s’éveille. Suppose un homme qui voit en songe, qui dans son rêve croit avoir trouvé des trésors, il est riche, mais seulement jusqu’à ce qu’il s’éveille. Ces hommes se sont donc évanouis, « comme le songe de cet homme à son lever » ; il cherche, et ne trouve rien; rien dans ses mains, rien dans son lit. Il s’était endormi pauvre, un songe l’avait enrichi; il eût été riche sans le réveil, mais il s’est éveillé, et n’a retrouvé que la misère, qui l’avait abandonné dans son rêve. Ainsi les méchants retrouveront la misère qu’ils ont entassée. Quand ils s’éveilleront de cette vie, alors s’évanouira ce qu’ils ont possédé pendant leur sommeil. Tel est le songe pour l’homme qui s’éveille. Et pour éviter cette objection : N’est-ce donc rien à vos yeux que cet éclat qui les environne, rien que cette pompe, rien que ces titres, que ces images, que ces statues, que ces louanges, que cette foule de clients? « Seigneur », répond le Prophète, « vous anéantirez leur image dans votre cité ». Je vous parlerai donc avec liberté, mes frères, dans la place que j’occupe et qui m’y autorise, car, quand nous nous mêlons à vous, c’est plus pour vous

 

1. Matth. XVI, 26. — 2. Ps. LXXII, 19. — 3. Id. 20.

 

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soutenir que pour vous instruire ; je vous en supplie donc, dans la crainte et dans l’amour du Christ, ô vous qui êtes privés de ces biens, ne les convoitez point, et vous qui les possédez, n’y mettez point votre confiance. Remarquez-le, je ne vous dit point: Vous serez damnés dès lors que vous les possédez; mais : Vous serez damnés, si ces biens vous donnent de la présomption, s’ils stimulent votre orgueil, s’ils vous grandissent à vos propres yeux, s’ils vous font mépriser les pauvres, si dans l’exaltation de votre vanité, vous en venez à oublier la condition de la nature humaine. En ce cas, en effet, Dieu devrait à sa justice de châtier au dernier jour, et d’anéantir dans sa cité l’image de ces hommes. Que celui qui est riche le soit donc, selon le précepte de l’Apôtre : « Ordonnez», dit-il, « aux riches de ce monde, de n’être point orgueilleux, de ne point mettre leur confiance dans des richesses incertaines, mais dans le Dieu vivant, qui nous donne avec abondance ce qui est nécessaire à la vie ». Il réprime ainsi l’orgueil des riches, et leur donne un conseil. Comme si ces riches lui disaient: Nous avons les richesses, et vous nous défendez de nous enorgueillir, vous nous interdisez d’étaler toutes les pompes de nos richesses, que ferons-nous donc de ces biens ? N’ont-ils pas occasion d’en faire usage? « Qu’ils soient riches en bonnes oeuvres » , dit l’Apôtre, « qu’ils donnent facilement, et qu’ils prêtent ». Que leur en reviendra-t-il ? « Qu’ils se fassent ainsi un trésor, et s’établissent un fondement solide pour l’avenir, afin d’arriver à la véritable vie 1 ». Où doivent-ils s’amasser un trésor ? où l’interlocuteur a jeté les yeux, quand il est entré dans le tabernacle de Dieu. Que tous ceux d’entre vous, mes frères, qui sont riches, tremblent à cette parole; que tous ceux qui ont des biens, de l’or, de l’argent, des esclaves, des honneurs, tremblent quand le Prophète s’écrie : « Seigneur, vous réduirez au néant leur image dans votre  cité ». N’est-il pas bien juste que Dieu anéantisse leur image dans sa cite, lorsque dans leur cité terrestre ils ont anéanti l’image de Dieu ? « Vous réduirez donc au néant, Seigneur, leur image dans votre cité ».

27. « Alors mon coeur s’est trouvé dans la joie ». Voici l’objet de ses tentations. « Mon coeur s’est trouvé dans la joie, et mes reins

 

1. I Tim. VI, 17-19.

 

se sont changés 1 ». Mes reins se changeaient, lorsque je faisais mes délices des biens temporels. On peut aussi donner ce sens : « Parce que mon coeur a mis sa joie en Dieu, mes reins se sont changés», c’est-à-dire mes affections charnelles se sont changées, et je suis devenu entièrement chaste. « Mes reins se sont changés »; voyons de quelle manière.

28. « Voilà que j’ai été réduit au néant, et je ne l’ai point connu 2 ». Moi qui vous parle maintenant contre les richesses, j’ai quelquefois désiré ces sortes de biens. Aussi, « ai-je été réduit au néant, quand mes pieds chancelaient». «J’ai été réduit au néant sans rien connaître ». On voit dès lors qu’il ne faut pas désespérer de ces hommes dont je viens de parler.

29. Qu’est-ce à dire : « Je ne l’ai point connu? » « J’étais devant vous comme le stupide animal, et néanmoins j’étais toujours avec vous 3». Il y a une grande différence entre ce nouvel interlocuteur et les autres. Celui-ci a ressemblé à l’animal par ses désirs terrestres, quand, réduit au néant, il n’a point connu les biens éternels; mais il ne s’est point éloigné de Dieu, car il n’a point espéré recevoir ces biens des esprits malins, ni du diable. Je vous en ai déjà fait la réflexion, c’est la synagogue qui parle ici, ou ce peuple qui n’a point servi les idoles. J’ai donc ressemblé aux bêtes, en espérant de mon Dieu les biens terrestres; mais je ne me suis jamais séparée de mon Dieu.

30. Dès lors qu’elle ne s’est point éloignée de Dieu, même en ressemblant à l’animal, elle ajoute : « Vous avez tenu la main de ma droite 4 ». Elle ne dit point Ma main droite, mais « la main de ma droite » ; si c’est la main de la droite, la main a donc une main. « Vous avez tenu la main de ma droite », afin de me conduire. Que nous marque cette main? la puissance. Nous disons de quelqu’un qu’il tient dans sa main ce qu’il tient en son pouvoir. C’est ainsi que, en parlant de Job, le diable dit à Dieu : « Etendez votre main et ôtez-lui ce qu’il a ». Que signifie : « Etendez votre main? » Donnez-moi le pouvoir. La main de Dieu est donc la puissance de Dieu, selon qu’il est écrit ailleurs: « La mort et la vie sont dans les mains

 

1. Ps. LXXII, 21. — 2. Ibid. 22. — 3. Ibid. 23. — 4. Ibid. 24. — 5. Job. I, 11.

 

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de la langue 1 ». La langue a-t-elle donc des mains? Que signifie alors: « Dans les mains de la langue », sinon au pouvoir de la langue? « C’est ta bouche qui te justifiera, et ta bouche qui te condamnera 2. Vous avez tenu la main de ma droite », ou la puissance de ma droite. Quelle était ma droite? «Je suis toujours avec vous ». Ma gauche était de ressembler au stupide animal, ou d’avoir en moi des convoitises terrestres, mais ma droite était d’être toujours avec vous. Vous avez donc tenu la main de cette droite, ou plutôt vous en avez dirigé la puissance. Quelle puissance? « Il leur a donné la puissance de devenir les enfants de Dieu 3 ». Asaph commence d’être parmi les enfants de Dieu, et appartient au Nouveau Testament. Vois comment Dieu a tenu la main de sa droite. « Vous m’avez dirigé selon votre volonté ». Qu’est-ce à dire, « selon votre volonté? » Non point selon mes mérites. Qu’est-ce encore, « selon votre volonté? » Ecoute l’Apôtre qui eut comme l’animal des désirs terrestres, et qui vécut selon l’Ancien Testament: que dit-il? « Tout d’abord, je fus un blasphémateur, un persécuteur, un véritable ennemi; mais j‘ai obtenu miséricorde 4 ». Qu’est-ce encore, selon votre volonté? « C’est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis 5. Et vous m’avez reçu u avec gloire». Où m’avez-vous reçu? et dans quelle gloire? Qui nous l’expliquera? qui nous le dira? Attendons cet honneur, qui doit nous arriver à la résurrection, au dernier jour. « Et vous m’avez reçu avec gloire».

31. Le voilà qui commence à méditer le bonheur du ciel, à se reprocher d’avoir ressemblé à l’animal par ses désirs terrestres. « Qu’y a-t-il pour moi dans le ciel, et sans vous, qu’ai-je désiré sur la terre 6?» Vous comprenez ces paroles, je l’entends à ce bruit. Asaph compare à ses désirs terrestres, cette récompense du ciel qu’il doit recevoir, il a vu ce que Dieu lui réserve; alors il médite, et cette méditation l’enflamme d’un saint désir pour je ne sais quel bien ineffable que l’oeil n’a point vu, que l’oreille n’a point entendu, et qui n’est pas entré dans le coeur de l’homme 7. Il ne dit pas : C’est tel ou tel bien que j’ai dans le ciel, mais: « Qu’y a-t-il au ciel

 

1. Prov. XVIII, 21. — 2. Math. XII, 37.— 3. Jean, I, 12.— 4. I Tim. I, 13. — 5. I Cor. XV, 10. — 6. Ps. LXXII, 25. — 7. I Cor. II, 9.

 

 pour moi? » Qu’est-ce que je possède au ciel? Qu’est-ce que ce bien? Est-il grand? de quelle nature? Et comme ce bien du ciel ne doit point passer, « que puis-je désirer sur la terre, si ce n’est vous? » Voilà que vous vous réservez à mon amour : (je m’explique, mes frères; comme je le puis; ayez de la condescendance pour moi, suppléez à mes efforts pour stimuler votre piété; il m’est impossible de m’expliquer parfaitement.) Vous me réservez dans le ciel des biens impérissables, et c’est vous-même. Et moi, je vous ai demandé, sur la terre, des biens que possèdent les impies, des richesses, de l’or, de l’argent, des pierres précieuses, des esclaves, que possèdent les méchants, qui sont le partage des criminels, le partage de tant de scélérats, le partage de tant de femmes débauchées, le partage de tant d’hommes souillés; voilà ce qui me paraissait considérable, et ce que je demandais à Dieu sur la terre, tandis que mon Dieu lui-même se réserve à moi dans le ciel. « Au ciel, quel est mon bien? » Ce bien, il peut maintenant le faire connaître. « Et que puis-je, après vous, désirer sur la terre? »

32. « Mon coeur et ma chair ont défailli, ô Dieu de mon coeur 1». Voilà donc ce qui m’est réservé au ciel, « le Dieu de mon coeur, le Dieu qui est mon partage ». Eh quoi! mes frères? Cherchons les richesses d’ici-bas, que les hommes se choisissent un apanage. Voyez-les déchirés par toutes sortes de passions contraires; les uns choisissent l’épée, les autres le barreau, ceux-ci les sciences diverses, ceux-là le négoce ou la culture des champs. Qu’ils se fassent une part dans les choses d’ici-bas; mais que le peuple de Dieu s’écrie: « C’est Dieu qui est mon partage », non pas mon partage pour un temps, mais « mon partage pour l’éternité ». Quand j’aurai de l’or éternellement, qu’est-ce que cela? Mais avoir Dieu, quand même ce ne serait pas éternellement, quel bien pour moi! Ajoutez que c’est Dieu qui daigne se promettre à moi, et m’assurer que je le posséderai éternellement. Ineffable bien que je posséderai sans cesse! Indicible félicité! « C’est Dieu qui est mon partage ». Pour combien de temps? « Pour l’éternité ». Voyons, en effet, comment notre interlocuteur a aimé Dieu; il a châtié son coeur: « C’est le Dieu de mon coeur, c’est

 

1. Ps. LXXII, 26.

 

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le Dieu qui est mon héritage pour l’éternité». Son coeur est donc chaste, il aime Dieu gratuitement sans lui demander d’autre récompense. Demander à Dieu toute autre récompense que lui-même, et le servir dans ce dessein, c’est estimer ce que l’on demande plus que Dieu dont on l’attend. Mais quoi ! Dieu n’a-t-il donc nulle récompense à nous donner? Aucune, si ce n’est lui-même. La récompense de Dieu, est Dieu même. Voilà pour le Prophète l’objet de son amour, de ses transports: tout autre amour ne Serait plus un amour chaste. Loin de ce feu immortel, c’est le froid, c’est la corruption. Ne t’en éloigne point, ô mon frère, tu aurais pour apanage la corruption, pour apanage la souillure. Asaph revient, il cède au repentir, il choisit la pénitence, il s’écrie: « Dieu est mon partage ». Quelles délices pour lui dans ce partage qu’il a choisi!

33. « Voilà qu’ils périront, ceux qui s’éloignent de vous 1 ». Celui-ci donc s’était « éloigné de Dieu, mais pas loin. « Je ressemble », dit-il, « au stupide animal, mais je suis toujours avec vous ». Les autres, au contraire, se sont retirés bien loin de Dieu; car non-seulement ils ont désiré les biens terrestres, mais ils les ont demandés aux mauvais anges et au diable. « Ceux qui s’éloignent de vous, périront ». Et qu’est-ce que s’éloigner de Dieu? « Vous perdrez, Seigneur, quiconque porte son amour à d’autre qu’à vous». L’amour chaste est opposé à cette fornication spirituelle. Qu’est-ce que l’amour chaste? L’amour de l’âme pour Dieu son époux. Mais que désire-t-elle de cet époux qu’elle aime de toute sa flamme? Va-t-elle, comme les femmes de la terre, se choisir un homme pour gendre ou pour époux, et lui demander les richesses, comme si elle n’aimait que son or, ses campagnes, son argent, ses pierreries, ses cheveaux, ses esclaves, et le reste? Point du tout. Asaph n’aime que Dieu, il l’aime gratuitement parce qu’il trouve en lui toutes choses, et que c’est par lui que tout a été fait 2. « Vous perdrez », dit-il, « tous ceux qui portent loin de vous leur amour ».

34. Mais toi, Prophète, que fais-tu? « Pour moi, il m’est bon de m’attacher au Seigneur 3 ». C’est là le comble des biens, Désires-tu mieux? Je te plains de ton désir. Mes frères, que

 

1. Ps. LXXII, 27. — 2. Jean, I, 3. — 3. Ps. LXXII, 28.

 

voulez-vous de plus? Le bien suprême est de nous attacher à Dieu, quand nous le verrons face à face 1. Et quel est le bien aujourd’hui? Aujourd’hui, que je parle en étranger, « mon bien est de m’attacher à Dieu » ; mais comme je ne suis que voyageur, comme je n’ai pas encore atteint le but, « je mets en Dieu mon espérance ». Tant que tu n’es pas encore attaché à Dieu, mets en lui ton espoir. Es-tu dans l’agitation? Jette l’ancre sur la terre ferme. Adhère au Seigneur, sinon par la présence, du moins par l’espoir. « Mon bien est de mettre en Dieu mon espérance ». Et qu’arrivera-t-il, si tu mets en Dieu ton espoir? Que devras-tu faire, sinon louer le Seigneur, et le faire bénir par les autres? Si tu étais partisan d’un habile cocher, ne forcerais-tu pas les autres à l’aimer avec toi? Tout partisan d’un cocher parle de lui partout sur son passage, il veut déterminer les autres à l’aimer aussi. On aime gratuitement des hommes flétris, et l’on ne veut pas aimer Dieu sans récompense! Aimez donc le Seigneur gratuitement, et n’enviez cet amour à personne. Emparez-vous de lui, vous tous qui le pouvez, vous tous qui devez le posséder. Il peut vous suffire, car il ne connaît point de limites; vous le posséderez tous tout entier, il est tout entier à chacun de vous. Que ce soit donc là ton occupation, ô mon frère, dans ton séjour ici-bas, mets ton espoir dans le Seigneur. Que dit ensuite le Prophète? « Afin que je publie toutes vos louanges, sous les portiques de la fille de Sion ». « Afin que je publie toutes vos louanges », dit le Prophète, mais où? « Sous les portiques de la fille de Sion » ; parce que l’on prêche Dieu inutilement, en dehors de l’Eglise. C’est peu de louer Dieu, c’est peu de publier toutes ses louanges. Il faut le prêcher « sous les portiques de la fille de Sion ». Cherche l’unité de l’Eglise, et ne jette point le schisme parmi les peuples, porte-les à l’unité, n’en fais qu’un seul corps.

J’ai oublié depuis quel temps je vous parle. Notre psaume est fini; la sueur me fait conjecturer que j’ai parlé bien longtemps: niais il m’est difficile de vous satisfaire; vous me faites violence, et puissiez-vous par cette violence ravir le ciel!

 

1. I Cor. XIII, 12.

DISCOURS SUR LE PSAUME LXXIII.
SERMON AU PEUPLE.
LA FOI PASSE DES JUIFS AUX GENTILS.
 

C‘est la synagogue ou le peuple Juif qui parle dans ce psaume, lequel parait faire suite au précédent, car il s’agit de la disparition des figures de l’Ancien Testament, de la destruction de la ville et du temple, qui étaient des monuments de la promesse de Dieu. Aujourd’hui que l’homme céleste a paru, l’homme terrestre a dû disparaître. Dieu fit d’abord des promesses temporelles à l’homme encore enfant ; puis des promesses spirituelles à l’homme devenu adulte. Les premières ont dû disparaître avec l’Ancien Testament, pour feire place aux promesses du ciel. Pour s’être attachés aux premières, tes Juifs ont perdu et les biens temporels et les biens célestes. — Néanmoins la synagogue est l’héritage de Dieu, héritage délivré par Moïse dont la houlette figurait le Christ, et recruté parmi les Juifs et parmi les Gentils. En réprimant ces derniers, Dieu leur a fait connaître le Christ. Dès lors les figures devaient disparaître. Rome alors exécuta contre Jérusalem la volonté de Dieu sans la connaître, puis crut au Messie, que la synagogue attend toujours. Toutefois les Juifs sortis du sein de Dieu, et lépreux comme la main de Moïse, y rentreront après la conversion des Gentils, ils seront guéris par le serpent d’airain. Le Seigneur a donc affermi la mer ou converti les Gentils, et détruit la puissance du démon, qu’il a donné en pâture à ses adorateurs, comme Moïse fit boire à Israël la tête du veau d’or, réduite en poussière et jetée dans l’eau. Ces peuples sont incorporés au Christ, comme les serpents des magiciens de Pharaon furent absorbés par celui de Moïse. — C’est Dieu qui fait jaillir, et l’eau de la vie éternelle, et celle qui passe avec la rapidité du torrent, c’est-à-dire la doctrine pure, qui fait taire le démon et l’orgueilleux, qui a fait le jour on la doctrine des parfaits, et la nuit on celle des moins parfaits, l’homme spirituel et l’homme charnel. Toutefois le Prophète implore le pardon de son peuple coupable, qui n’a point adoré les faux dieux, qui a fait pénitence à la parole de Pierre, qui comprendra enfin le salut. Humilité du chrétien. — Nécessité de la foi aux promesses de Dieu.

 

1. Ce psaume a pour titre : « Intelligence «d’Asaph 1». Or, Asaph signifie, en latin, Assemblée, en grec, Synagogue. Voyons ce qui a été compris par cette synagogue, ou plutôt comprenons d’abord ce qu’était la synagogue, afin de comprendre ensuite ce qu’elle a compris. Toute réunion, en général, s’appelle synagogue; or, on peut appliquer ce mot de réunion aux animaux comme aux hommes; seulement ici, il n’est pas question d’animaux, puisqu’il est parlé d’intelligence. Ecoute en effet ce qu’il est dit de l’homme qui étaie en honneur, et qui a négligé de le comprendre : « L’homme était en donneur, il ne l’a point compris, il s’est comparé aux anis maux sans raison, et leur est devenu semblable 2». Inutile dès lors de nous arrêter ici plus longtemps, et de démontrer avec plus de soin qu’il ne s’agit point d’une assemblée d’animaux, mais bien d’une réunion d’hommes; alors cherchons de quels hommes il est question. Assurément, il ne s’agit point de ces hommes qui, ne comprenant point l’honneur de leur condition, se sont comparés aux stupides animaux et leur sont devenus semblables, mais bien de ceux qui l’ont compris. C’est

 

1. Ps, LXXIII, 1. — 2. Id. XLVII, 13.

 

ce que marque le titre qui dit: « Intelligence d’Asaph ». Nous allons donc entendre la voix d’une assemblée intelligente. Mais comme le nom de synagogue est tellement particulier à la réunion du peuple d’Israël, que toujours, en entendant synagogue, nous entendons le peuple juif, voyons si ce n’est point lui qui parle dans notre psaume. Mais alors quels juifs, et quel peuple d’Israël? Ce n’est point la paille, mais le froment 1, non point les rameaux brisés, mais les rameaux affermis 2. « Tous ceux qui sont nés d’Israël, ne sont point tous israélites, mais c’est Isaac qui sera appelé votre fils, c’est-à-dire, ce ne sont point les enfants selon la chair, qui sont enfants de Dieu, mais bien les fils de la promesse, qui sont réputés de la race  d’Abraham 3 ». Il y a donc de vrais enfants d’Israël, au nombre desquels se trouvait celui dont le Sauveur a dit: « Voilà un vrai israélite, sans déguisement 4 ». Toutefois ils ne sont pas israélites dans le même sens que nous, car nous sommes aussi de la race d’Abraham. Et l’Apôtre s’adressait à des Gentils quand il disait: « Vous êtes de la race  d’Abraham , et les héritiers de la

 

1. Matth. III, 12.— 2. Rom. XI, 17.— 3. Id. IX, 6 - 8.— 4. Jean, 1, 47.

 

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promesse ». Nous sommes donc enfant d’Israël, quand nous suivons les traces d’Abraham notre père. Mais nous entendons ici ces Israélites , à la manière de l’Apôtre : «  Pour moi ». dit-il, « je suis enfant d’Israël, de la race d’Abraham, de la tribu de Benjamin 2 ». Comprenons alors ceux dont les Prophètes ont dit : « Les restes d’Israël seront sauvés 3 ». Ecoutons donc la voix de ces restes d’Israël échappés au naufrage; cette voix de la Synagogue qui avait reçu l’Ancien Testament, et qui n’attendait que des récompenses temporelles , d’où lui venaient ses allures chancelantes. Que lisons-nous en effet dans un autre psaume, que le titre assigne à Asaph? « Combien est bon le Dieu d’Israël pour ceux qui ont le coeur droit! Quant à mes pieds, ils ont failli trébucher ». Et comme si nous lui demandions: Pourquoi vos pieds ont-ils failli trébucher? « Mes pas se sont presque égarés», nous dit-il, « parce que j’ai porté envie aux pécheurs, en voyant la paix dont ils jouissent». Il n’attendait du Seigneur qu’un bonheur temporel, selon les promesses de l’Ancien Testament, et il voit que les impies jouissent de ce bonheur, qu’ils ont, sans adorer Dieu, ce qu’il attend pour prix de ses services; alors ses pieds chancellent comme s’il servait Dieu en vain. « Voilà», dit-il en effet, « que les pécheurs et ceux qui sont ici-bas dans l’abondance ont obtenu les richesses. Est-ce donc en vain que j’ai justifié mon coeur 4 ? » Voyez combien ses pieds sont ébranlés, pour que son âme en vienne jusqu’à dire Que me revient-il de servir le Seigneur? Tel qui ne le sert point est heureux; et moi qui le sers, je suis dans l’angoisse. Enfin, quand même je serais heureux, dès lors que celui qui ne sert point Dieu l’est aussi, comment ce, bonheur viendrait-il du culte que je rends à Dieu? Or, le psaume que je viens de citer, précède immédiatement celui que nous expliquons.

2. Sans aucun dessein de notre part, mais bien par la Providence de Dieu, nous venons d’entendre fort à propos dans l’Evangile : «Que la loi fut donnée par Moïse, que la grâce et la vérité viennent de Jésus-Christ 2». Car si nous remarquons bien les différences entre les deux Testaments, l’Ancien et le Nouveau, nous ne trouverons ni les

 

1. Gal. III, 29.— 2. Rom. XI, 1.— 3. Id. IX, 27.— 4. Ps. LXXII, 1-3, 12, 13 — 5. Jean, I, 17.

 

mêmes sacrements, ni les mêmes promesses, quoique ce soient les mêmes préceptes. Car: « Vous ne tuerez point; vous ne commettrez point la fornication ; vous ne déroberez point; honorez votre père et votre père; vous ne direz point de faux témoignage; vous ne désirerez point le bien du prochain; vous ne désirerez point son épouse non plus 1»; voilà ce qui nous est aussi ordonné. Quiconque néglige ces préceptes, s’écarte de la voie, et se rend indigne d’aller avec Dieu sur cette montagne sainte, dont le Prophète a dit: «Qui habitera, Seigneur, dans vos tabernacles, ou qui reposera sur votre sainte montagne 2? L’homme aux mains innocentes, et au coeur pur 3». En examinant ainsi les préceptes, nous les trouvons semblables, ou à peine différents dans l’Evangile, de ce qu’en ont dit les Prophètes. Ainsi donc, ce sont les mêmes préceptes, mais non les mêmes sacrements, ni les mêmes promesses. Voyons pourquoi ce sont les mêmes préceptes; c’est qu’ils déterminent la manière dont nous devons servir Dieu. Les sacrements sont différents, car les uns donnent le salut, les autres promettent le Sauveur. Les sacrements de la Nouvelle Alliance donnent le salut, tandis que c’est le Sauveur qui est promis dans ceux de l’Ancienne Alliance; mais dès lors que l’on possède le Sauveur promis, à quoi bon s’arrêter aux promesses? Je dis que nous possédons ce qui était promis, non point que nous ayons déjà la vie éternelle, mais parce que le Christ prédit par les Prophètes est venu. Les sacrements sont changés, ils sont devenus plus faciles, moins nombreux, plus salutaires, plus heureux. Pourquoi les promesses ne sont-elles pas les mêmes? C’est que la terre de Chanaan fut promise aux Juifs, terre grasse et fertile, où coulaient des ruisseaux de lait et de miel; un royaume leur fut promis, la félicité du temps leur était promise, la fécondité dans la famille et la victoire sur leurs ennemis 4. Tout cela n’est qu’un bonheur de la terre. Mais comment ces promesses étaient-elles d’abord nécessaires? « C’est que ce n’est point le corps spirituel qui a été créé le premier », dit saint Paul, « mais bien le corps animal, et ensuite le spirituel. Le premier homme, est l’homme terrestre, formé de la terre; le second est l’homme céleste, venu

 

1. Exod. XX, 12-17.— 2. Ps. XIV, I.— 3. Id. XXIII, 4.— 4. Exod. III, 8.

 

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du ciel. Comme le premier fut terrestre, ses enfants sont terrestres, et comme le second fut céleste, ses enfants sont célestes. De même que nous avons porté l’image de l’homme terrestre , il nous faut porter l’image de l’homme qui est du ciel 1 ». L’Ancien Testament fut fait à l’image de l’homme terrestre , et c’est à l’image de l’homme céleste qu’est fait le Nouveau Testament. Mais afin que l’on ne crût point que le Créateur de l’homme terrestre n’est pas celui qui a fait l’homme céleste, voilà quo Dieu, pour nous montrer qu’il a créé l’un et l’autre, a voulu être l’auteur des deux Testaments, et faire dans l’Ancien des promesses terrestres, et des promesses célestes dans le Nouveau. Mais jusques à quand, ô homme, seras-tu terrestre? Jusques à quand auras-tu du goût pour la terre? Parce que l’on donne à un enfant des jouets enfantins pour amuser son jeune esprit, faut-il, quand il grandit, ne pas les lui enlever des mains, afin de lui donner une occupation plus utile et plus digne de son âme ? Toi-même, n’as-tu pas donné à ton fils des noix quand il était enfant, et un livre quand il a grandi? Si donc Dieu, par le Nouveau Testament, a secoué, des mains de ses fils, ces espèces de jouets d’enfants, afin de leur donner, à mesure qu’ils grandissent, quelque chose de plus utile, ce n’est pas une raison de croire qu’il n’a point donné les premiers biens, il est l’auteur des uns et des autres. « Mais la loi fut donnée par Moïse, la grâce et la vérité par Jésus-Christ 2 »; « la grâce », parce que c’est la charité qui accomplit ce que prescrivait la loi; « la vérité», parce que Dieu nous rend ce qu’il a promis. Voilà ce qu’a compris cet Asaph. Enfin tous ces biens temporels promis aux Juifs sont retranchés. Où est maintenant leur royaume? Où est le temple? Où est l’onction? Où est le sacerdoce? Où sont chez eux les Prophètes ? Depuis l’avènement de celui que les Prophètes annonçaient, ils n’ont plus paru dans cette nation; elle a perdu les biens de la terre, et n’a pas encore acquis ceux du ciel.

3. Il ne faut donc point nous attacher aux biens de la terre, quoiqu’ils nous viennent de Dieu. Mais parce que nous ne devons pas nous y attacher, ce n’est pas une raison pour croire que ce soit un autre que Dieu qui nous

 

1. I Cor. XV, 46-49. —  2. Jean, I, 17.

 

les donne; c’est de lui qu’ils nous viennent mais ne regarde pas comme une grande faveur de sa part, des biens qu’il donne même au méchant. Car s’il les estimait, il ne les donnerait point aux impies. Si donc il veut en faire le partage des méchants, c’est pour apprendre aux bons à lui demander ce qu’il ne donne pas aux impies. Quant aux Israélites, ils s’attachèrent misérablement aux biens terrestres, sans mettre son espoir dans Celui qui a créé le ciel et la terre; qui leur donna les biens terrestres , qui les délivra de la captivité temporelle de l’Egypte, qui leur ouvrit un passage à travers la mer Rouge, et engloutit leurs ennemis dans les flots q; sans mettre alors leur confiance dans Celui qui devait leur donner les biens célestes à l’âge viril, comme il leur avait donné les biens terrestres dans leur enfance, ils ont craint de perdre ce qu’ils avaient reçu et ont mis à mort le donateur. Nous vous parlons ainsi, mes frères, hommes du Nouveau Testament, afin que vous ne vous attachiez point aux biens d’ici-bas. S’ils sont inexcusables dans leur attachement pour ces biens, eux qui ne connaissaient point encore la nouvelle Alliance; combien moins pourront trouver d’excuses pour leurs convoitises terrestres, ceux qui connaissent les promesses spirituelles du Nouveau Testament ! Rappelons-nous, mes frères, cette parole des persécuteurs du Christ: « Si nous le laissons libre, les Romains viendront, et nous enlèveront et la ville et le royaume 2». Vous le voyez, ils ont craint de perdre des biens terrestres, et ont tué le Roi du ciel. Et que leur est-il arrivé? Ils ont même perdu les biens temporels: ils ont subi la mort dans ce même lieu où ils avaient mis à mort le Christ : l’appréhension de perdre la terre leur fit tuer l’Auteur de la vie, et ils n’en perdirent pas moins et la vie et la Terre; et cela au temps même qu’ils l’avaient tué, afin qu’une telle coïncidence leur indiquât la cause de ces désastres. Les Juifs en effet célébraient la Pâque, lorsque leur ville fut détruite, et toute la nation était accourue en foule pour célébrer cette solennité. Ce fut alors que Dieu, par la main des méchants, bien qu’il soit toujours bon, par la main des injustes, bien qu’il demeure juste et agisse avec justice, tira des Juifs cette éclatante vengeance, qui les fit périr par milliers et détruisit leur ville.

 

1. Exod, XIV, 22,  28. — 2. Jean, XI, 18.

 

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Tel est le désastre que voit Asaph, et qu’il pleure dans notre Psaume; dans ses lamentations il nous apprend à discerner les biens de ta terre des biens du ciel, et l’Ancien Testament du Nouveau : afin que tu saches par où il te faut passer, ce qu’il te faut espérer, à quels biens tu dois renoncer ou t’attacher. Il commence donc ainsi.

4. « Pourquoi, Seigneur, nous avez-vous rejetés jusqu’à la fin 1? » Nous avez-vous repoussés à jamais dans la personne de ce peuple Juif, dans la personne de celte assemblée qui est spécialement appelée Synagogue? « Pourquoi, Seigneur, nous avez-vous rejetés à jamais? » Ce n’est point là une inculpation, c’est une question. « Pourquoi », quel motif vous a fait agir ainsi? Qu’avez-vous fait? « Vous nous avez rejetés jusqu’à la fin ». Qu’est-ce à dire, « à la fin? » Peut-être jusqu’à la fin du monde. Ou bien nous auriez-vous rejetés jusqu’au Christ qui est la fin pour tous ceux qui croient 2? « Pourquoi, Seigneur, nous avez-vous rejetés jusqu’à la fin? votre fureur s’est-elle enflammée contre les brebis de votre bercail ? » Pourquoi cette colère contre les brebis de votre troupeau, sinon parce que nous nous attachions aux biens terrestres, et que nous ne connaissions point notre pasteur?

5. « Souvenez-vous de votre peuple, que vous avez possédé depuis le commencement 3 ».  Cette prière viendrait-elle des Gentils? Dieu les a-t-il possédés à l’origine? Et  toutefois il possédait la race d’Abraham, le peuple d’Israël, né selon la chair des Patriarches qui sont aussi nos pères, car nous sommes devenus leurs enfants, non plus en vivant selon la chair, mais en imitant leur foi. Mais qu’est-il arrivé à ce peuple qui fut tout d’abord l’héritage de Dieu ? « Souvenez-vous, Seigneur, de ce peuple que vous avez possédé depuis le commencement. Vous avez « racheté le sceptre de votre héritage 4 ». Ce peuple, qui est le vôtre, c’est « le sceptre de votre héritage que vous avez racheté ». Reportons-nous à ce que Dieu fit tout d’abord quand il voulut posséder en héritage ce peuple qu’il délivra de l’Egypte, quel signe donna-t-il à Moïse, alors que Moïse lui disait: « Quel signe leur donnerai-je, pour leur montrer que vous m’envoyez? Et le Seigneur lui répondit : Que tiens tu en ta

 

1. Ps. LXXIII, 1.— 2. Rom. X, 4.— 3. Ps. LXIII, 2.— 4. Exod. IV, 1-4.

 

main? une houlette. Jette-la sur la terre. Et Moïse jeta sur la terre sa houlette qui devint un serpent, et Moïse eut peur et s’enfuit. Or, le Seigneur lui dit : Saisis-le par la queue, et il le saisit, et il redevint une houlette, comme auparavant ». Qu’est-ce que cela signifie? Car ce ne fut point une action sans motif. Interrogeons les saintes Ecritures. A quoi aboutit pour l’homme l’insinuation du serpent? A la mort 1. Donc la mort vient du serpent. Si la mort vient du serpent, dans le sceptre il faut voir le serpent, et dans le Christ la mort. De là vient que quand les Juifs mouraient au désert par la morsure des serpents, Dieu donna ordre à Moïse d’élever un serpent d’airain, et d’avertir le peuple que tout homme blessé par le serpent, qui le regarderait, serait guéri 2. Ce qui arrivait; et les hommes mordus par les serpents étaient guéris de cette blessure venimeuse, en regardant le serpent d’airain. Que signifiait cette merveille, être guéri d’un serpent par la vue d’un serpent? Etre sauvé de la mort par la foi en un mort? Et toutefois « Moïse eut peur et s’enfuit 3 ». Que signifie cette fuite de Moïse, à la vue du serpent? Quoi, mes frères, sinon ce que nous raconte l’Evangile ? A la mort du Christ, les disciples furent saisis de crainte, et oublièrent l’espérance qu’ils avaient eue en lui 4. Mais qu’est-il dit ensuite? « Prends-le par la queue 5 » Qu’est-ce à dire, u la « queue? » Saisis la partie postérieure. C’est dans le même sens qu’il dit encore: « Tu me verras par derrière 6 ». D’abord le sceptre de Moïse devint un serpent, et quand il en saisit la queue, ce fut un sceptre; comme le Christ mourut d’abord, pour ressusciter ensuite. La queue du serpent est aussi la fin des siècles. Aujourd’hui l’Eglise marche à travers la mort. Les uns vont, les autres viennent par la mort comme par le serpent; puisque c’est lui qui a semé la mort; mais à la fin des siècles, que figure la queue du serpent, nous retournons à Dieu, nous devenons le royaume stable de Dieu, et alors s’accomplit en nous cette parole: « Vous avez racheté le sceptre de votre héritage ». Mais l’interlocuteur est ici la Synagogue; et c’est plutôt parmi les Gentils que paraît racheté le sceptre de l’héritage du Seigneur; car il n’y avait dans les Juifs qu’une espérance cachée, soit dans ceux

 

1. Gen. III, 4, 5.— 2. Nomb. XXI, 8; Jean, III, 14.—3. Exod. IV, 3. — 4. Luc, XXIV, 21. — 5. Exod. IV, 4 — 6. Id. XXXIII, 23.

 

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qui devaient croire dans l’avenir, soit dans ceux qui crurent alors, à la descente du Saint-Esprit, quand les disciples parlèrent toutes les langues des peuples 1. Alors en effet quelques milliers de Juifs, qui avaient crucifié le Christ, embrassèrent la foi: il s’en trouva même qui eurent assez de foi pour vendre leurs biens et en apporter le prix aux Apôtres 2. Tout cela néanmoins se passait dans l’obscurité, tandis que c’était avec plus d’éclat que le sceptre de l’héritage de Dieu devait être racheté parmi les Gentils ; le Prophète alors nous montre ceux dont il a dit: « Vous avez racheté le sceptre de votre héritage ». Il ne parle pas ainsi des Gentils, cela est visible chez eux. De qui dès lors ? « De la montagne de Sion ». Et comme on pouvait donner un autre sens à la montagne de Sion, le Prophète ajoute: « Cette montagne sur laquelle vous avez demeuré », qu’habitait jadis votre peuple, sur laquelle fut construit le temple, où l’on célébra les sacrifices, et ces rites nécessaires alors qui promettaient le Christ. Promesses devenues inutiles en face de l’accomplissement. La promesse est nécessaire en effet avant qu’elle soit accomplie, afin que celui à qui elle est faite n’oublie point ce qui lui est promis, et ne meure par défaut d’espérance. Il doit donc espérer, afin de recevoir au temps marqué: dès lors il ne doit point abandonner la promesse. Aussi n’abandonnait-on point les figures, afin que les ombres ne disparussent qu’à l’aube du jour. « Cette montagne de Sion, sur laquelle vous avez demeuré ».

6. «Jusqu’à la fin, élevez votre main contre leur orgueil 3 ». De même que vous nous rejetiez jusqu’à la fin, de même « jusqu’à la fin élevez votre main contre leur orgueil ». L’orgueil de qui? De ceux qui ont renversé Jérusalem. Quels sont-ils, sinon les rois des Gentils? La main du Seigneur s’est levée heureusement contre leur orgueil, jusqu’à la fin, car ils ont connu le Christ, et « le Christ est la fin de la loi pour justifier ceux qui croiront 4 ». Heureux souhait du Prophète ! Il semble parler avec colère, on dirait qu’il maudit. Plût à Dieu que ses malédictions s’accomplissent, ou plutôt réjouissons-nous de ce qu’elles s’accomplissent au nom de Jésus- Christ. Tous ceux qui tiennent le sceptre s’inclinent devant la croix; ainsi s’accomplit cette parole : « Les rois de la terre l’adoreront,

 

1. Act. II, 4. — 2. Id. IV, 34. — 3. Ps. LXXIII, 3. — 4. Rom. X, 4.

 

toutes les nations lui seront assujetties 1 ». Déjà sur le front des rois, le signe de la croix est plus précieux que les perles de leur diadème. « Jusqu’à la fin, élevez votre « main contre leur orgueil. Que de ravages a « faits l’ennemi dans votre sanctuaire ! » Avec quelle fureur l’ennemi a sévi contre tout ce qui vous était consacré, contre le temple, contre le sacerdoce, contre tout ce qui était alors sacré ! Ces excès sont bien l’oeuvre d’un ennemi. Car les Gentils, qui les commettaient alors, adoraient de faux dieux, de vaines idoles, et servaient les démons; et, toutefois, ils ont causé de grands ravages dans la maison de Dieu. Comment l’auraient-ils pu, si Dieu ne l’eût permis? Or, comment Dieu l’eût-il permis , si ces rites figuratifs ne fussent devenus inutiles, par l’avènement de Celui qui avait fait ces promesses? « Que de ravages a donc faits l’ennemi dans votre sanctuaire! »

7. «Tous ceux qui vous haïssent ont signalé leur orgueil 2 » Vois ces esclaves des démons, ces idolâtres, comme l’étaient les Gentils quand ils détruisirent la ville et le temple de Dieu. « Ils signalèrent leur orgueil, au milieu de vos solennités ». Rappelez-vous ce que nous avons dit, que Jérusalem fut renversée pendant cette solennité de Pâques, choisie par les Juifs pour crucifier le Seigneur. Assemblés ils sévirent, assemblés ils périrent.

8. « Quant à leurs signes, ils les ont placés « comme des signes, et n’ont point compris 3 ». Ils avaient des signes à planter là: leurs étendards, leurs aigles, leurs dragons, étendards de Rome , leurs statues mêmes qu’ils placèrent d’abord dans le temple; ou peut-être « leurs signes », seraient les oracles de leurs devins, inspirés par les démons. «Et ils n’ont point compris ». Qu’est-ce qu’ils n’ont pas compris? « Que vous n’auriez aucun pouvoir sur moi, s’il ne vous avait été donné d’en haut 4 ». Ils n’ont pas compris que ce n’était point pour les élever en gloire que Dieu leur permettait d’affliger, de prendre et de détruire cette ville, mais que leur impiété servait à Dieu comme une hache dans sa vengeance. Ils sont devenus l’instrument de sa colère, et non les ministres de sa bonté. Car Dieu fait quelquefois ce que font souvent les hommes. Souvent dans sa colère, un

 

1. Ps. LXXI, 11. — 2. Id. LXXIII,1.— 3. Id. 5.— 4. Jean, XIX, 11.

 

homme ramasse la première baguette qu’il trouve à terre, le premier sarment venu, et après qu’il en a châtié son fils, il jette le sarment au feu, et réserve son héritage pour son fils: ainsi Dieu se sert des méchants pour châtier les bons, et donne ici-bas le pouvoir àceux qui seront damnés pour exercer la patience de ceux qui seront sauvés. Eh quoi, mes frères? pourriez-vous croire que ce peuple ait été châtié, jusqu’à périr entièrement? Combien d’entre eux ont ensuite embrassé la foi, et combien doivent l’embrasser encore? Autre est la paille, autre le froment ; tous deux, néanmoins, subissent le fléau qui brise l’une et purge l’autre. Quel avantage pour nous Dieu n’a-t-il pas tiré de la trahison de Judas ? Quel bonheur n’a pas procuré aux Gentils infidèles la fureur des Juifs? Le Christ u été mis à mort, afin que cloué à la croix, il pût être regardé par tout homme blessé par le serpent 1. C’est ainsi que, peut-être, les Romains avaient appris de leurs devins, qu’ils devaient marcher contre Jérusalem, et la prendre; et quand ils l’eurent prise et détruite, ils dirent que c’était l’ouvrage de leurs dieux. « Quant à leurs signes, ils les ont placés s comme des signes, et n’ont point compris ». Que n’ont-ils pas compris? « Que cela venait d’en haut ». Car si le décret n’en était venu d’en haut, jamais la fureur des Gentils n’eût eu contre le peuple juif de tels succès. Mais le décret est venu d’en haut, ainsi que l’a dit le prophète Daniel: « La parole est sortie dès le commencement de ta prière 2 ». Voilà ce que signifie la réponse du Sauveur à Pilate, qui s’enflait dans son orgueil, qui plaçait son trophée comme un trophée, sans le comprendre, et qui disait au Christ: « Vous ne me répondez point? Vous ne savez donc point que j’ai le pouvoir de vous faire mourir, et le pouvoir de vous renvoyer absous? » Mais le Sauveur, comme pour crever cette bulle de vanité, lui répond : « Vous n’auriez aucun pouvoir sur  moi, s’il ne vous était venu d’en haut 3 ». Ainsi, dans notre psaume, les Gentils placent « leurs étendards comme des signes, sans comprendre » Comment n’ont-ils pas compris? « Que c’est un pouvoir d’en haut». Les Romains, en effet, pouvaient-ils comprendre que c’était d’en haut que leur venait le pouvoir d’accomplir ces choses ?

9. Passons rapidement sur ces versets, puisque

 

1. Nomb. XXI, 8.— 2. Dan. IX, 23. — 3. Jean, XIX, 10, 11.

 

que la ruine de Jérusalem leur donne de l’évidence, et qu’il est pénible de s’appesantir sur une plaie, fût-elle d’un ennemi. « Ils ont uni leurs efforts pour abattre nos portes, comme on abat les arbres d’une forêt; ils ont ruiné l’édifice avec la scie et le marteau 1 ». Ils y ont mis l’unanimité, la constance : «ils ont employé la scie et le marteau pour ruiner l’édifice ».

10. « Ils ont incendié votre sanctuaire,et profané sur la terre le tabernacle de votre nom 2».

11. « Ils ont dit dans leur coeur, et comme réunis en famille ». Qu’ont-ils dit? « Venez,  faisons disparaître de la terre du Seigneur toutes les solennités du Seigneur 3 ». C’est Asaph qui donne ici ce titre de Seigneur, car les forcenés n’appelaient pas ainsi celui dont ils détruisaient le temple. « Venez, faisons disparaître de la terre les solennités du Seigneur». Que fait Asaph? Où est « l’intelligence d’Asaph » dans tous ces malheurs? De quoi lui sert ce châtiment même qu’il a reçu? Son esprit dépravé ne se corrige-t-il point? Tout ce qui était debout jadis est maintenant détruit : plus de sacerdoce, plus d’autel des Juifs, plus de victimes et plus de temple. N’a-t-il donc plus à connaître rien qui doive succéder à ces ruines? et ce signe des promesses devrait-il disparaître, si l’objet des promesses n’était venu? Voyons donc ici l’intelligence d’Asaph, voyons s’il a fait des progrès à l’école du malheur. Ecoute ce qu’il dit : « Nous n’avons point vu nos prodiges, tout prophète a disparu, et Dieu ne nous connaît plus 4 ». Voilà ces Juifs qui accusent Dieu de ne les plus connaître, c’est-à-dire de les abandonner jusqu’alors dans la captivité, de ne point les délivrer, et qui attendent le Christ jusqu’à présent. Le Christ viendra sans douté, mais il viendra comme juge; il est venu d’abord nous appeler, il viendra ensuite nous juger. Il viendra, puisqu’il est venu; il viendra, cela est évident, mais il viendra d’en haut. Il était devant toi, ô Israël! Tu t’es meurtri, en te heurtant contre lui : pour n’être point écrasé, regarde-le venir d’en haut. Voilà ce qu’ont annoncé les Prophètes: « Quiconque heurtera contre cette pierre sera brisé, elle écrasera celui sur qui elle tombera 5 ». Petite elle meurtrit, grande elle

 

1. Ps. LXXIII, 6. — 2. Id. 7. — 3. Id. 8. — 4. Id. 9. — 5. Isa. VIII, 14, 15; Luc, XX, 18.

 

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écrasera. Déjà tu ne comprends plus tes signes, il n’y a déjà plus de prophète, et tu dis: « Le Seigneur ne nous connaît plus ». C’est toi qui ne le connais plus. « Il n’y a plus de prophète, et Dieu ne vous connaît plus ».

12. «Jusques à quand, ô Dieu, notre ennemi nous insultera-t-il 1? » Plains-toi, Asaph, comme un homme abandonné de Dieu, un homme que l’on méprise; plains-toi comme un malade, ô toi, qui as mieux aimé tuer le médecin que lui demander ta guérison : il ne te connaît plus. Voilà ce qu’il a fait pour toi, et dis qu’il ne te connaît plus. Ceux à qui il n’a pas été annoncé le verront, et ceux qui n’ont pas ouï parler de lui le connaîtront 2; et tu viens nous dire : « Il n’est plus de prophète, et il ne nous connaît plus? » Où est donc ton intelligence? «L’ennemi méprise votre nom jusqu’à la fin ». Or, cet ennemi méprise votre nom jusqu’à la fin, pour que dans votre colère vous le réprimiez, et qu’en le châtiant vous le connaissiez enfin, ou du moins jusqu’à la fin. Jusqu’à quelle fin? Jusqu’à ce qu’il vous connaisse lui-même, jusqu’à ce qu’il pousse des cris vers vous, et qu’il saisisse enfin la queue du serpent, pour retourner dans votre royaume.

13. « Pourquoi détourner votre main, et retirer de votre sein votre main droite pour toujours 3? » Un autre signe donné à Moïse. Sa houlette fut un signe, comme sa main droite fut aussi un signe. Après le signe de la houlette, Dieu lui en donna un autre dans sa main droite. Donc le signe de la houlette fut suivi d’un autre signe : « Mettez », dit le Seigneur, « votre droite dans votre sein. Et Moïse l’y mit. Retirez-la; et il la retira, et voilà qu’elle était blanche», c’est-à-dire lépreuse. Car cette blancheur dans la peau n’est pas une blancheur de beauté, mais une blancheur de lèpre 4. Or, l’héritage du Seigneur, ou son peuple, fut jeté dehors par le Seigneur et devint lépreux. Mais que dit ensuite le Seigneur? « Remettez votre main dans votre sein, et Moïse l’y remit, et sa main avait sa couleur naturelle 5». Quand sera-ce, dit Asaph, que vous agirez ainsi? Jusques à quand éloignerez-vous votre main de votre sein, afin qu’elle demeure impure au dehors?

 

1. Ps. LXXIII, 10. — 2. Isa. LII, 15; Rom. XV, 21.— 3. Ps. LXXIII, 11.— 4. Lévit. XIII, 25. — 5. Exod. IV, 6, 7.

 

Remettez-la dans votre sein , afin qu’elle reprenne sa couleur naturelle, et connaisse son Sauveur. « Pourquoi jusqu’à la fin détourner votre main droite du milieu de votre sein? » C’est là le cri d’un aveugle, d’un peuple sans intelligence, mais Dieu fait son oeuvre. Pourquoi le Christ est-il venu? « Israël », dit l’Apôtre, « est tombé dans  l’aveuglement, jusqu’à ce que la plénitude des nations fût entrée, et qu’ainsi tout Israël fût sauvé 1». Reconnais donc, ô Asaph, ceux qui t’ont précédé, afin de les suivre au moins, si tu n’as pu les devancer. Car ce n’est pas en vain que le Christ est venu, ou qu’il a été mis à mort; ce n’est pas en vain que le grain de froment a été mis en terre, mais bien pour multiplier 2. Le serpent ne fut élevé au désert que pour guérir ceux que le venin avait blessés 3. Pèse donc ce qui a été fait; ne t’imagine pas que le Christ est venu en vain, de peur qu’il ne te condamne à son second avènement.

14. Asaph l’a compris, puisque le titre porte : « Intelligence d’Asaph ». Or, que dit-il? « Le Seigneur, notre roi avant tous les siècles, a opéré le salut au milieu de la terre 4 ». D’une part nous disons : « Il n’y a plus de prophète, et Dieu ne nous connaît plus » ; d’autre part : « Notre Dieu est notre roi avant tous les siècles » ; car il est le Verbe qui était au commencement, et par qui les siècles ont été faits : « Il a donc opéré le salut au milieu de la terre. Il est notre Dieu, notre roi avant tous les siècles ». Qu’a-t-il fait? « Il a opéré le salut au milieu de la terre » : et je me plains encore comme un homme abandonné. Voilà que Dieu produit le salut sur la terre, et moi je demeure terre. Asaph a bien compris : « Intelligence d’Asaph ». Qu’est-ce que fout, cela? Quel est le salut qu’a opéré le Christ sur la terre, sinon d’apprendre aux hommes à désirer les biens éternels, et à ne point demeurer attachés à ceux de la terre? « Le Seigneur, notre roi avant tous les siècles, a opéré le salut au milieu de la terre». Pendant que nous crions: « Jusques à quand, Seigneur, serons-nous en butte aux outrages de nos ennemis? Jusques à quand cet ennemi insultera-t-il à votre nom ? Jusques à quand éloignerez-vous de votre sein votre main droite 5? » Pendant

 

1. Rom. XI, 25. — 2. Jean, XII, 25. — 3. Nomb XXI, 9. — 4. Ps. LXXIII, 12. — 5. Id. 9.

 

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que nous parlons ainsi : « Dieu, notre roi avant les siècles, a opéré le salut au milieu de la terre » : et nous demeurons endormis. Déjà les nations s’éveillent, et nous dormons profondément, et comme si Dieu nous avait abandonnés, nous nous repaissons de rêveries. « Il a opéré le salut au milieu de la « terre».

15. Corrige-toi donc, ô Asaph, afin de comprendre, et dis-nous quel est ce salut que Dieu a opéré au milieu de la terre. Voilà que pour vous est détruit le salut du temps: qu’a fait le Seigneur? Où sont ses promesses? « Dans votre puissance vous avez affermi la mer ». Le peuple juif était comme une terre sèche, et les Gentils, comme une mer d’amertume, l’environnaient de toutes parts « Vous avez affermi la mer dans votre puissance », elle est devenue comme une terre sèche, altérée des eaux du ciel. « Dans votre puissance, vous avez affermi la mer, et brisé sous les flots les têtes des dragons  1». Ces têtes des dragons, sont la puissance orgueilleuse de Satan, qui dominait sur les nations, et que vous avez brisée dans les eaux, Seigneur, en délivrant par le baptême ces malheureux esclaves.

16. Qu’a fait le Seigneur, après avoir brisé les têtes des dragons ? Ils ont en effet un prince, qui est le premier et le grand dragon. Et qu’en a fait Celui qui a opéré le salut au milieu de la terre? Ecoutez: « Vous avez u écrasé la tête du dragon 2 ». De quel dragon? Par les dragons nous avons entendu tous les démons qui sont aux ordres du diable. Que faut-il entendre par cet autre dragon dont le psaume parle au singulier, et dont le Seigneur a brisé la tête, sinon le diable lui-même? Qu’en a fait le Seigneur? « Vous avez écrasé la tête du dragon » ; tête qui est la source du péché, tête qui fut maudite, pour inviter la race d’Eve à prendre garde à cette tête du serpent 3. Dieu donc avertit l’Eglise de fuir le commencement du péché. Quel est ce commencement du péché, ou la tête du dragon? « Le commencement de tout péché, c’est l’orgueil 4 ». Donc, briser la tête du dragon, c’était briser l’orgueil du diable. Mais qu’a fait de cette tête brisée, Celui qui a opéré le salut au milieu de la terre? « Vous l’avez donnée en pâture aux peuples de l’Ethiopie ». Qu’est-ce à dire? Que devons-nous

 

1. Ps. LXXIII, 13.— 2. Ps. LXXIII, 14.— 3. Gen. III, 15.— 4. Eccli. X, 15.

 

entendre par les peuples de I’Ethiopie, sinon toutes les nations de la terre? Voilà ce que désigne la couleur de l’Ethiopien, qui est noir. Ceux qui étaient noircis par le péché, sont appelés à la foi, ces peuples dont il est dit: « Vous étiez autrefois ténèbres, aujourd’hui vous êtes lumière dans le Seigneur 1 ». Ils I sont donc noirs, quand Dieu les appelle, mais afin qu’ils ne demeurent point noirs. C’est d’eux qu’est formée l’Eglise, à qui l’on chante : « Quelle est celle-ci qui s’élève dans sa blancheur 2? » Et sa noirceur ne lui fait-elle pas dire : « Je suis noire, mais je suis belle 3» Mais comment l’Ethiopien s’est-il nourri du dragon ? Ne s’est-il pas nourri plutôt de Jésus-Christ ?Mais de Jésus-Christ pour se consommer en lui, du dragon pour le consumer en eux. Nous avons en effet à ce sujet la figure d’un grand mystère; cette figure, c’est le veau d’or qu’adora un peuple infidèle et apostat, qui recherchait les dieux de l’Egypte et répudiait celui qui l’avait délivré de l’esclavage des Egyptiens. Moïse, en effet, dans sa colère à la vue de ce peuple qui se prosternait devant une idole, et enflammé du zèle de Dieu, voulut infliger à ces idolâtres un châtiment temporel, qui leur fit éviter une mort sans fin. Il jeta dans le feu la tête du veau, la brisa, la réduisit en poudre, et la jeta dans l’eau pour la faire boire au peuple 4. C’était là un grand symbole. O colère vraiment prophétique dans une âme toujours tranquille, éclairée d’en haut! Que fait Moïse ? Jetez, lui fut-il dit, cette tête au feu, pour la rendre méconnaissable, faites-en une poudre, afin de la réduire peu à peu ; jetez cette poudre dans l’eau, et faites-la boire au peuple. Que nous dit cette figure, sinon que les adorateurs du diable ne sont qu’un même corps avec lui ? De même ceux qui connaissent le Christ, sont incorporés au Christ, selon cette parole de saint Paul: « Vous êtes le corps et les membres du Christ 5 ». Or, il fallait consumer le corps du diable, et le consumer par les Israélites. C’est de ce peuple en effet que viennent les Apôtres, de lui que vient l’Eglise, Mais il fut dit à Pierre, à propos des Gentils: « Tue, et mangeb6 ». Qu’est-ce à dire: « Tue et mange ? » Tue ce qu’ils sont, et fais-les ce que tu es. Ici, « tue et mange »; là, brise et bois : ici et là, c’est néanmoins la même

 

1. Ephés. V, 8. — 2. Cant. VIII, 5, suiv, les Septante. — 3. Id. I, 4. — 4. Exod. XXXII, 1-20.— 5. I Cor. XII, 27.— 6. Act. X, 13.

 

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figure ; il fallait, en effet, oui certes, il fallait qu’un corps qui était au diable passât par la foi dans le corps du Christ. Ainsi le diable est consumé peu à peu en perdant ses membres. Voilà ce que figurait encore le serpent de Moïse. Car les mages de Pharaon changeront comme Moïse leurs verges en serpents, mais le serpent de Moïse dévorera toutes ces verges des mages 1. Voilà ce qui arrive maintenant au corps du démon; il est dévoré par les Gentils qui embrassent la foi, il est donné en pâture aux peuples de l’Ethiopie. Dire qu’ « il est donné en pâture aux peuples de l’Ethiopie », peut signifier encore qu’il est en proie à leurs morsures. A quelles morsures? A leurs accusations, à leurs malédictions, à leurs représailles, dans le sens de cette prohibition de saint Paul : « Si vous vous déchirez, si vous vous dévorez les uns les autres, prenez garde de vous consumer réciproquement  2». Qu’est-ce à dire, « vous déchirer, vous dévorer mutuellement? » Disputer ensemble, médire l’un de l’autre, vous injurier réciproquement. Voyez ces morsures qui détruisent le diable aujourd’hui. Quel homme aujourd’hui, même chez les païens, dans sa colère contre son serviteur, ne le traite pas de satan? Voilà donc le diable donné en pâture. Tel est le langage des chrétiens, le langage même des païens, qui le maudissent fous en l’adorant.

17. Voyons la suite, mes frères, et redoublez d’attention, je vous en supplie; on est heureux d’entendre ce que l’on voit s’accomplir dans le monde entier. Il n’en était pas ainsi quand le Prophète l’annonçait : c’était alors la promesse, mais non l’accomplissement; quel bonheur aujourd’hui pour nous, de voir se vérifier dans le monde entier les prophéties que nous lisons dans ce livre! Voyons ce qu’a fait Celui que comprend Asaph, et qui «a opéré le salut au milieu de la terre». «Vous avez fait jaillir des fontaines et des torrents 3 »; qui ont fait couler l’eau de la sagesse, répandu les richesses de la foi, arrosé les Gentils dans l’erreur, et par leur influence ramené tous les infidèles aux douceurs de la foi. « Vous avez sait jaillir les fontaines et les «torrents». Peut-être y a-t-il ici un sens différent; peut-être un sens unique, et alors telle serait l’abondance des fontaines, qu’elles auraient formé des fleuves. « C’est vous qui

 

1. Exod. VII, 12. — 2. Gal. V, 15. — 3. Ps. LXXIII, 15.

 

avez fait jaillir les fontaines et les torrents». S’il y a une différence, c’est que chez les uns « la parole de Dieu est une source d’eau qui jaillit jusqu’à la vie éternelle 1», tandis que chez d’autres, cette parole qu’ils entendent, que leur langue publie, mais qui ne leur sert pas à mieux vivre, passe comme un torrent. Car les torrents ont cela de particulier qu’ils ne coulent pas toujours: quelquefois, néanmoins, on donne aux fleuves ce nom de torrents ; c’est ainsi qu’il est dit : « Ils seront enivrés par l’abondance de vos demeures, et vous les abreuverez au torrent de vos joies saintes 2 ».Or, ce torrent ne doit jamais tarir. Mais on appelle torrents proprement dits, ces cours d’eau, qui se dessèchent en été, et que grossissent les eaux de l’hiver. Voici donc un homme véritablement fidèle, qùi doit persévérer jusqu’à la fin, qui n’abandonnera point Dieu au moment de l’épreuve, qui souffre tout pour .la vérité, et non pour la fausseté ou l’erreur. Or, d’où lui vient cette vigueur, sinon de ce que le Verbe est devenu en lui u une source d’eau vive, qui jaillit « jusqu’à la vie éternelle? » Tel autre reçoit cette parole; il la prêche et ne se tait point, c’est une eau qui coule; l’été nous montrera si c’est une source ou un torrent. Toutefois qu’ils arrosent l’un et l’autre la terre, de la part de Celui  « qui a opéré le salut sur toute la terre » : que les fontaines jaillissent, que les torrents s ’écoulent. « C’est vous qui avez fait jaillir les fontaines et les torrents ».

18. « C’est vous qui avez desséché les fleuves d’Etham ». Ici Dieu fait jaillir les fontaines et les fleuves; là il dessèche les fleuves, afin que d’une part les eaux se précipitent, et que d’autre part elles s’arrêtent. « Les fleuves d’Etham », dit le Prophète. Qu’est-ce que Etham? Un nom hébreu. Quel en est le sens? Fort, robuste. Quel est ce fort, ce robuste dont Dieu dessèche les fleuves? qui, sinon le dragon lui-même? « Nul en effet n’entre dans la maison du fort, pour en enlever les dépouilles, avant d’avoir lié le fort  3». C’est là le fort qui a présumé de son pouvoir, pour abandonner Dieu; ce fort qui a dit: « J’établirai mon trône du côté de l’Aquilon, je serai semblable au Très-Haut 4». Il a présenté à l’homme cette coupe d’une force

 

1. Jean, IV, 14. — 2. Ps. XXXV, 9. — 3. Matth. XII, 29. — 4. Isaïe, XIV, 13.

 

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trompeuse. Ils voulurent être forts , nos pères qui croyaient devenir des dieux en touchant au fruit défendu. Adam était devenu fort, quand Dieu disait avec ironie : « Voilà qu’Adam est devenu comme l’un de nous 1.» Ils étaient forts ces Juifs qui présumaient de leur propre justice. « Sans connaître la justice de Dieu, et dans leur désir d’établir leur propre justice, les voilà comme des forts,  rebelles à la justice de Dieu 2». Voyez au contraire cet homme qui a dissipé sa force, et qui demeure faible, pauvre, se tenant debout et éloigné, sans oser lever les yeux au ciel, mais qui frappe sa poitrine, et qui dit: « Seigneur, ayez pitié de moi, qui suis un pécheur 3». Il est faible, et a conscience dc sa faiblesse, ce n’est point un fort: c’est une terre sèche; qu’elle reçoive l’eau des fontaines et des torrents. Quiconque présume de sa vertu est encore dans sa force. Que leurs fleuves soient desséchés, qu’elles tarissent toutes ces doctrines des païens, des aruspices, des astrologues, des magiciens, puisque Dieu a desséché les eaux du fort: « C’est vous qui avez tari les fleuves d’Etham ». Mort à ces doctrines, et que les âmes soient trempées de l’Evangile de vérité!

19. « A vous le jour, et à vous la nuit 4 ». Qui peut l’ignorer, puisque Dieu en est l’auteur, et que tout a été fait par son Verbe 5? C’est donc à Celui qui « a opéré le salut au milieu de la terre », qu’il est dit: « A vous le jour, et à vous la nuit ». Il nous faut donc comprendre ce qui regarde ici ce salut qu’il a opéré au milieu de la terre. « A vous le jour ». Qui est ici désigné? Les hommes spirituels. « Et à vous la nuit ». Et ceux-là? Les hommes charnels. «A vous le jour, et à vous la nuit ». Que l’homme spirituel tienne à l’homme spirituel un langage spirituel; car il est dit: « Nous tenons aux parfaits le langage de la sagesse, en communiquant les choses spirituelles à ceux qui sont spirituels 6 ». Mais cette sagesse est au-dessus de l’homme charnel: « Car », dit le même Apôtre, « je n’ai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais seulement comme à des hommes charnels 7 » . Donc l’homme spirituel, s’adressant à l’homme spirituel, c’est « le jour qui parle au jour ». Mais l’homme charnel qui ne tait point sa foi en Jésus crucifié, telle que

 

1. Gen. III, 22.— 2. Rom. X, 3.— 3. Luc, XVIII, 13.— 4. Ps. LXXIII, 16. — 5. Jean, I, 3.— 6. I Cor, II, 13, 6. —  7. Id. III, 1.

 

peuvent l’avoir les petits, c’est « la nuit qui donne la science à la nuit 1. A vous le jour, et à vous la nuit ». A vous appartiennent et les hommes spirituels et les hommes charnels; vous éclairez les uns au flambeau de la sagesse et de l’invariable vérité, vous consolez les autres par la manifestation de votre humanité, comme la lune qui vient consoler la nuit. « A vous le jour, et à vous la nuit ». Veux-tu connaître le jour? Vois, si tu le peux, élève ton esprit autant que tu en es capable. Voyons si tu appartiens au jour, voyons si tu en pourras soutenir la vue. Peux-tu contempler ce que tu viens d’entendre dans l’Evangile : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et, le Verbe était Dieu 2? » Car ta pensée ne peut embrasser d’autres paroles que celles qui passent à mesure qu’elles résonnent. Peux-tu comprendre le Verbe, non plus un son, mais Dieu? Ne comprends-tu pas ce qui est dit ici : « Que le Verbe était Dieu? » Te voilà donc méditant de telles paroles. « Tout a été fait par lui », et il a même fait ceux qui parlent de la sorte. Qu’est-ce donc que ce Verbe? Le comprends-tu, homme charnel? Réponds-moi, comprends-tu? Non, tu ne comprends point, tu appartiens à la nuit: tu as besoin de la lune pour ne point mourir dans les ténèbres. « Car voilà que les pécheurs ont bandé leur arc pour percer dans l’obscurité de la lune ceux qui ont le coeur droit 3». La chair du Christ fut obscurcie, quand on la descendit de la croix, pour la placer dans le tombeau : et ceux qui l’avaient mis à mort, lui insultait; il n’était pas ressuscité encore, les disciples au coeur droit étaient percés de flèches, mais seulement dans l’obscurcissement de la lune. Donc, afin que le jour parle au jour, et que la nuit enseigne à la nuit, puisque « le jour est à vous,  comme la nuit est à vous »; daignez descendre, ô mon Dieu, et en même temps demeurer en votre Père; descendez et venez à ceux pour qui vous descendez. Daignez descendre, ô vous qui étiez en ce monde, vous, par qui le monde a été fait, vous que le monde n’a point connu. Que la nuit ait sa consolation; qu’elle ait « le Verbe qui s’est fait chair et qui a demeuré parmi nous 4. « A vous le jour, et à vous la nuit. C’est vous qui avez fait le soleil et la lune » : le soleil

 

1. Ps. XVIII, 3. — 2. Jean, I, 1. — 3. Ps. X, 3. — 4. Jean, I, 14.

 

ou les hommes spirituels, la lune ou les hommes charnels. Que l’homme encore charnel ne soit point abandonné, mais conduit à la perfection. « Vous avez fait le soleil et la  lune » : le soleil, image des parfaits; la lune, image des moins parfaits, et vous ne les avez point abandonnés. Car voici ce qui est écrit: « Le sage demeure comme le soleil, l’insensé change comme la lune 1 ». Quoi donc! parce que le soleil demeure, c’est-à-dire parce que « le sage demeure toujours égal comme le soleil, et que l’insensé change comme la lune », faut-il abandonner pour cela celui qui est encore charnel, encore faible? Que devient alors cette parole de l’Apôtre : « Je suis redevable aux sages et aux insensés 2? C’est vous qui avez fait le soleil et la lune ».

20. « C’est vous qui avez fixé les bornes de la terre 3 ». Ne les a-t-il pas fixées tout d’abord, quand il a fondé la terre? Mais comment a-t-il mis des bornes à la terre. « Celui qui a opéré le salut au milieu de la terre? » Comment, sinon, comme le dit l’Apôtre « C’est par la grâce que nous sommes sauvés, et cela ne vient pas de nous, c’est un don de Dieu, qui ne vient pas de nos oeuvres, afin que nul ne s’élève? » Nos oeuvres n’étaient donc pas bonnes ? Elles étaient bonnes, mais comment? Par la grâce de Dieu. Suivons saint Paul, et voyons. « Nous sommes son ouvrage, créés en  Jésus-Christ dans les bonnes oeuvres 4 ». C’est ainsi qu’il a posé des bornes à la terre, « Celui qui a opéré le salut au milieu de la terre. C’est vous qui avez posé des limites à la terre, qui avez fait l’été et le printemps». L’été ou ceux dont l’âme est fervente. C’est vous, dis-je, qui avez fait les âmes ferventes; vous encore, qui avez fait le printemps, ou les nouveaux dans la foi. « L’été comme le printemps, vous les avez faits ». Qu’ils ne se glorifient point, comme s’ils n’avaient rien reçu: « C’est vous qui les avez faits ».

21. « Souvenez-vous de cette créature qui est la vôtre ». Quelle est cette créature? « L’ennemi a insulté au Seigneur 5». Pleure, ô Asaph, qui le comprends, pleure ton aveuglement du passé: « L’ennemi a insulté au Seigneur ». On a dit au Christ, dans sa propre nation : « Celui-là est un pécheur,

 

1. Eccli. XXVII, 12.— 2. Rom. I, 14.— 3. Ps. LXXIII, 17. — 4. Ephés. II, 8-10. — 5. Ps. LXXIII, 18.

 

nous ne savons d’où il vient: nous connaissons Moïse, Dieu lui a parlé, celui-là est un  samaritain 1. L’ennemi a donc insulté au Seigneur: un peuple insensé a irrité votre nom ». Asaph n’était alors qu’un peuple insensé, mais Asaph n’avait point encore d’intelligence. Qu’est-il dit au psaume précédent? « J’ai été pour vous comme le stupide animal; mais j’étais toujours avec vous »; car il n’a point couru après les dieux et les idoles des nations. Comme homme du moins il a connu le Seigneur, qu’il avait méconnu comme animal. Car il a dit: « Je suis toujours avec vous, nonobstant ma stupidité». Mais que disons-nous encore dans ce même psaume d’Asaph? « Vous avez tenu la main de ma droite, vous m’avez conduit dans votre bonté, et m’avez élevé en gloire 2 » : « dans votre bonté », et non dans votre justice; c’est votre don, non pas mon mérite. Ici encore: « L’ennemi a insulté au Seigneur, et un peuple insensé a irrité votre nom ». Tous ont-ils donc péri? Loin de là. Si des rameaux ont été brisés, il en reste néanmoins quelques-uns afin d’y greffer l’olivier sauvage 3; la racine subsiste encore, et parmi ces rameaux que leur infidélité a fait briser, il en est qui ont été rappelés par la foi. Car l’apôtre saint Paul, brisé d’abord à cause de son infidélité, fut rejoint sur la tige par sa foi. Donc, « un peuple insolent a irrité votre nom», quand il s’est écrié: Qu’il descende de la croix 4 ».

22. Mais toi, Asaph, que dis-tu, maintenant que tu comprends? «Ne livrez pas aux bêtes une âme qui vous confesse 5 ». Je comprends, dit Asaph; et comme il est dit dans un autre psaume: « Je sais que j’ai péché, et je n’ai point déguisé mon crime 6 ». Comment cela? C’est que Pierre osa bien reprocher aux Israélites 7, qui admiraient le prodige des langues, d’avoir mis à mort le Christ, ce Christ envoyé pour eux, « et qu’à ces paroles, ils furent touchés au fond de leur coeur, et ils dirent aux Apôtres: Que nous faut-il faire? dites-le-nous. Et les Apôtres : Faites  pénitence, et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus-Christ; alors vos péchés vous seront remis 8» .Voilà donc la pénitence qui m’arrache cet aveu: « Ne livrez point aux bêtes une âme qui vous confesse ».

 

1. Jean, IX, 24, 29; VIII, 48.— 2. Ps. LXXII, 23, 24. — 3. Rom. XI, 17. — 4. Matth. XXVII, 40. — 5. Ps. LXXIII, 19. — 6. Id. XXXI, 5. — 7. Act. II, 37, 38.

 

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Pourquoi cette confession? « C’est que je me suis retourné dans ma douleur, en proie à l’aiguillon 1 ». La componction a donc envahi leur coeur; l’orgueil et la cruauté font place chez eux à la douleur et au repentir, : « Ne livrez pas aux bêtes une âme qui vous confesse ». A quelles bêtes, sinon à celles dont les têtes furent brisées sur les eaux? Car le diable est appelé bête, lion et dragon. « Ne livrez point », dit le Prophète, « au diable et à ses anges, une âme qui vous confesse ». Que le serpent me dévore, si je goûte les choses de la terre, si je désire les biens d’ici-bas, si j’attends encore les promesses de l’Ancien Testament, au mépris du Nouveau qui est révélé. Maintenant que j’ai déposé tout orgueil, que je connais non plus ma justice, mais votre grâce, que les bêles de l’orgueil n’aient plus aucun pouvoir sur moi. « Ne livrez point aux bêtes une âme qui vous confesse; et n’abandonnez point jusqu’à la fin les âmes des pauvres». Nous étions riches, nous étions forts, mais, « vous avez desséché les fleuves d’Etham ». Aujourd’hui, loin d’établir notre justice, nous reconnaissons votre grâce, nous sommes dans l’indigence, exaucez vos mendiants. Nous n’osons lever les yeux au ciel, mais nous frappons nos poitrines, en disant: « Seigneur, soyez-moi propice, à moi qui suis un pécheur 2. N’oubliez pas jusqu’à la fin l’âme de vos pauvres ».

23. « Jetez les yeux sur votre Testament 3». Accomplissez ce que vous avez promis; nous avons le contrat, nous attendons l’héritage. « Jetez les yeux sur votre Testament n, non plus sur l’Ancien: ce n’est point la terre de Chanaan que je vous demande, ni une victoire temporelle sur mes ennemis, ni cette fécondité charnelle qui me donnera beaucoup d’enfants, ni des richesses de la terre, ni un salut passager: «Jetez les yeux sur ce testament», qui nous promet le royaume des cieux. Je comprends aujourd’hui votre Testament; Asaph en a l’intelligence, Asaph n’est plus l’animal stupide; il comprend ce qui est écrit: « Voici  venir des jours,dit le Seigneur, et j’établirai avec la maison d’Israël et la maison de Juda, une alliance nouvelle, non plus selon l’alliance que j’ai formée avec leurs pères 4. Jetez les yeux sur votre Testament, parce que des

 

1. Ps. XXXI, 4. — 2. Luc, XVIII, 13. — 3. Ps. LXXII, 20. — 4. Jérém. XXXI, 31, 32.

 

hommes ténébreux ont rempli sur votre terre les maisons de l’iniquité ». Leurs coeurs étaient alors impies, car nos maisons sont bien nos coeurs: c’est là que se plaisent ceux qui ont le coeur pur 1. « Jetez donc les yeux sur votre Testament»; et que les restes soient sauvés 2: car le grand nombre de ceux qui s’attachent à la terre, sont dans l’aveuglement et absorbés par la terre. La poussière est entrée dans leurs yeux; elle les aveugle, et ils sont devenus une poussière vaine qu’emporte le vent de la surface de la terre 3. « Des hommes de ténèbres ont rempli sur la terre des maisons d’iniquités». Ils n’ont vu que la terre et sont devenus aveugles; c’est d’eux que le Psalmiste a dit ailleurs: « Que leurs yeux s’obscurcissent, et qu’ils ne voient  point, tenez leur dos toujours courbé 4.» Ils sont donc « absorbés dans la terre, ces aveugles qui ont occupé sur la terre les demeures de l’iniquité » : parce qu’ils avaient des coeurs iniques. Or, nos demeures, avons-nous dit, sont nos coeurs. C’est là que nous habitons volontiers, quand nous les purifions de toute injustice. C’est là qu’est la conscience mauvaise, qui en repousse l’homme, et où Jésus-Christ ordonne au paralytique de rentrer, après lui avoir remis ses péchés, et enjoint de porter son grabat: « Prenez votre grabat, et allez en votre maison 5»: portez votre chair, et rentrez dans votre conscience guérie. « Voilà que des aveugles ont rempli sur la terre des maisons d’iniquité ». Ils sont aveugles et absorbés par la terre. Qui, ces aveugles? Ceux dont le coeur est impie. Dieu les traite selon leurs coeurs.

24. « Que l’homme humble ne retourne point avec confusion »; puisque l’orgueil a confondu les autres. « Le pauvre et l’indigent béniront votre nom 6 ». Vous voyez, mes frères, combien doit être douce la pauvreté; vous voyez que les pauvres et les indigents appartiennent à Dieu; mais les pauvres d’esprit, parce que le royaume des cieux leur appartient 7. Quels sont les pauvres d’esprit? Les humbles, ceux qui redoutent la parole de Dieu, qui confessent leurs péchés; mais non ceux qui présument de leurs mérites et de leur justice. Quels sont les pauvres d’esprit? Ceux qui louent Dieu du bien qu’ils peuvent faire, qui s’accusent du mal qu’ils commettent. « Sur

 

1. Matth. V, 8.— 3. Rom. II, 27.— 4. Ps. I, 4.— 5. Id. LXVIII, 24.— 6. Jean, V, 8. — 7. Ps. LXXIII, 21. — 8. Matth. V, 3.

 

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qui reposera mon esprit», dit le Prophète, « sinon sur l’homme humble, paisible, et qui redoute ma parole 1? » Voilà donc Asaph qui a l’intelligence, voilà qu’il ne s’attache plus à la terre, voilà qu’il ne compte plus sur les promesses temporelles de l’ancienne alliance : il se fait votre mendiant, votre pauvre; il a soif de vos fleuves, parce que les siens sont desséchés. Telles sont ses dispositions, que ses espérances ne soient point trompées: il a levé ses mains vers vous pendant la nuit, qu’il ne soit point frustré dans son attente 2. « Que l’homme humble ne retourne point dans la confusion: votre nom sera béni du pauvre et de l’indigent ». Ils bénissent votre nom quand ils confessent leurs péchés, ils bénissent votre nom quand ils soupirent après les promesses de l’éternité. Ce ne sont point les hommes orgueilleux de leurs richesses, ni ceux qui se prévalent témérairement de leur propre justice, ce ne sont point ceux-là qui béniront votre nom: qui sera-ce donc? « Le pauvre et l’indigent ».

25. « Levez-vous, Seigneur, et vengez ma cause 3 ». Je parais abandonné, parce que je n’ai point recueilli le fruit de vos promesses. Voilà que mes larmes sont ma nourriture le jour et la nuit, pendant que l’on me dit sans cesse: Où est donc ton Dieu 4? Et comme je ne puis montrer mon Dieu, on me tourne en dérision comme si je suivais un fantôme. Non-seulement les païens, mais les Juifs, mais les hérétiques, mais souvent mes frères de l’Eglise catholique, répondent par la raillerie, à la prédication des promesses de Dieu, à l’annonce d’une résurrection à venir. On en voit même aujourd’hui qui ont été régénérés dans l’eau du salut éternel, qui portent le sacrement du Christ, et qui nous disent: Qui donc est ressuscité jusqu’à présent? Depuis que j’ai enseveli mon père, je ne l’ai point entendu me parler du fond du sépulcre. Dieu a donné sa loi à ses serviteurs, afin de les occuper pour un temps; mais qui est revenu du tombeau? Que puis-je dire à ces hommes? Leur montrerai-je ce qu’ils ne voient pas? Je ne puis; car Dieu ne se rendra point visible pour les satisfaire. Qu’ils le fassent eux-mêmes, s’ils le peuvent : qu’ils agissent, qu’ils s’efforcent; qu’ils changent Dieu, puisqu’ils ne veulent point se changer eux-

 

1. Isa. LXVI, 2. —  2. Ps. LXXVI, 3. — 3. Id. LXXII, 22. — 4. Id. XLI, 4.

 

mêmes. Qu’il voie Dieu, celui qui le petit voir; qu’il croie en Dieu, celui qui ne saurait le voir: mais voir Dieu, est-ce le voir des yeux? C’est le voir de l’intelligence, le voir du coeur. Ce n’était point le soleil et la lune que voulait montrer Celui qui disait: « Bienheureux ceux dont le coeur est pur, parce qu’ils verront Dieu 1 ». Que le coeur impur, peu disposé à la foi, croie au moins ce qu’il ne peut voir. Je ne crois rien, dit-il, que croirai-je donc? On voit aussi ton âme sans doute? insensé ! ton corps est visible, enais ton âme, qui la verra? Mais puisqu’il ne paraît de toi que ton corps, pourquoi ne pas l’ensevelir? Celte parole vous étonne: Pourquoi ne pas t’ensevelir, puisqu’on ne voit que ton corps? C’est que je suis en vie, réponds-tu, car tu te sens alors. Mais comment saurai-je que tu es en vie, puisque je ne vois point ton âme? Comment le saurai-je? C’est que je parle, me réponds-tu, c’est que je marche, c’est que j’agis. Insensé! les oeuvres de ton corps me feront croire à la vie, et les oeuvres de la création ne te feront pas croire au Créateur! Un autre me dira peut-être : après ma mort je ne serai plus .rien c’est un lettré sans doute, qui a pris cette maxime dans Epicure, dans ce je ne sais quel philosophe en délire, plus ami de l’orgueil que de la sagesse, à qui les philosophes eux-mêmes ont donné le nom de pourceau : c’est lui qui a placé le souverain bonheur dans les voluptés du corps, et il est appelé pourceau, parce qu’il se vautrait dans le bourbier de la chair. C’est à lui sans doute que notre savant a emprunté cette maxime: Après la mort, je ne serai plus rien. Que les fleuves d’Etham soient desséchés; périssent ces doctrines des Gentils; vivent les plantes de Jérusalem: qu’elles voient ce qu’elles pourront voir, qu’elles croient du fond du coeur ce qu’elles ne pourront voir. Assurément, tout ce que nous voyons aujourd’hui tians le monde n’existait pas encore, quand le Seigneur opérait le salut au milieu de la terre, et quand on faisait ces promesses: c’était alors le temps de la prophétie: aujourd’hui que nous la voyons s’accomplir, l’insensé dit encore dans son coeur: « Il n’y a point de Dieu 2 ». Malheur aux coeurs pervers; car tout ce qui reste à s’accomplir, s’accomplira en effet, comme s’est accompli ce qui ne l’était point encore au moment de la

 

1. Matth. V, 8. — 2. Ps. XIII, 1.

 

188

 

prophétie. Dieu, après avoir accompli toutes ses promesses, nous aurait-il trompés sur le seul jour du jugement? Le Christ n’était point autrefois sur la terre. Dieu nous l’a promis, Dieu nous l’a envoyé: une vierge n’avait pas enfanté; Dieu nous l’a promis, il nous l’a montré : un sang précieux n’avait pas été versé pour effacer la cédule de notre mort; Dieu nous l’a promis, il nous l’a montré : la chair n’était pas encore ressuscitée pour la vie éternelle; Dieu nous l’a promis, il nous l’a montré : les Gentils n’avaient point encore embrassé la foi; Dieu nous l’a promis, et il nous l’a montré : les hérétiques armés au nom du Christ, n’avaient pas encore combattu contre le Christ; Dieu nous l’a prédit et il l’a montré: les idoles des nations n’étaient point encore tombées à terre; Dieu l’a prédit et nous l’a montré: et quand il accomplit tant d’événements qu’il a promis, il nous aura trompés uniquement an sujet du jugement? Non, il viendra comme tout le reste est venu: avant leur accomplissement, tous ces événements étaient à venir, ils ont été d’abord annoncés, puis accomplis ensuite. Ce jour viendra donc, mes frères; que nul ne dise: Il ne viendra point; ou bien: Il viendra, mais ce ne sera de longtemps. Mais il est proche, le jour où tu sortiras de la terre. Qu’il nous suffise d’une première erreur: si une fois déjà nous n’avons pu demeurer fermes dans le précepte de Dieu, corrigeons-nous du moins par l’exemple. Le monde n’avait pas eu d’exemple de la chute du genre humain, quand il fut dit à Adam: « Si tu touches à ce fruit, tu mourras». Mais le serpent tortueux vint dire: « Tu ne mourras point». L’homme crut au serpent et méprisa Dieu: l’homme crut au serpent, toucha au fruit défendu, et mourut  1.La promesse de Dieu ne fut-elle pas justifiée plutôt que la promesse de l’ennemi? Elle le fut en effet, nous le savons : de là vient que nous mourons tous. Que cette expérience nous tienne sur nos gardes. Aujourd’hui encore le serpent vient murmurer à notre oreille et nous dire: Dieu voudrait-il damner les multitudes et ne sauver que le petit nombre? Que signifie ce langage, sinon : Agissez contre le

 

1. Gen. II, 17 ;  III, 4, 6, 19.

 

précepte, vous ne mourrez point? Mais aujourd’hui comme alors, si nous cédons aux suggestions du diable pour mépriser les préceptes du Seigneur, viendra le jour du jugement qui justifiera les menaces de Dieu, et démentira les promesses de l’ennemi. «Levez-vous, Seigneur, et jugez votre cause». Vous êtes mort, et mort dans les opprobres. On me dit : Où est ton Dieu 1? « Levez-vous, et jugez ma cause ». Nul autre, en effet, que celui qui est ressuscité d’entre les morts, ne doit venir nous juger. Il était prédit qu’il viendrait, et il est venu, et les Juifs l’ont méprisé, dans son séjour sur la terre; et maintenant qu’il est assis dans les cieux, de faux chrétiens le méprisent. « Levez-vous, Seigneur, et jugez ma cause». Que je ne périsse point, puisque j’ai cru en vous; j’ai cru ce que je n’ai point vu, que mon espérance ne soit point trompée, que je recueille vos promesses. « Jugez ma cause. Souvenez-vous des  outrages de l’insensé, qui durent tout le jour ». Aujourd’hui encore on insulte au Christ, et pendant tout le jour, ou jusqu’à la fin des siècles, il y aura des vases de colère. On nous dit encore aujourd’hui: les Chrétiens prêchent des chimères; on nous dit : la résurrection des morts est une rêverie. « Jugez ma cause, et souvenez-vous de vos opprobres». Mais de quels opprobres, sinon de « ceux que l’insensé vous prodigue pendant tout le jour? » Est-ce en effet l’homme prudent qui parle ainsi. Prudent vient du latin porro videns, qui voit au loin. Si l’homme prudent voit au loin, c’est la foi qui donne cette longue vue ; car nos yeux ne voient que peine devant nos pieds. « Pendant tout le jour ».

26. « N’oubliez pas la voix de ceux qui vous invoquent 2», les gémissements de ceux qui soupirent après vos promesses dans la Nouvelle Alliance, et qui marchent selon la foi. « N’oubliez pas la voix de ceux qui vous invoquent». Mais ceux-là me disent encore: Où est ton Dieu? « Que l’orgueil de vos ennemis s’élève toujours devant vous ». Gardez-vous d’oublier cet orgueil. Aussi Dieu ne l’oublie-t-il point, mais il le châtie ou le corrige.

 

1. Ps. XLI, 11. —  2. Id. LXXIII, 23.

DISCOURS SUR LE PSAUME LXXIV.
SERMON AU PEUPLE.
L’HUMILITÉ DE LA CONFESSION.
 

Le but auquel nous devons tendre, c’est la fin, ou Jésus-Christ qui doit nous juger, et accomplir ainsi ses promesses. Mais pour arriver à Dieu, il faut nous humilier, car Dieu ne s’approche du pécheur que quand celui-ci fait l’aveu de ses fautes ; et l’aveu est une humiliation volontaire, il purifie le temple où doit venir le Seigneur. Le Prophète redouble ici ses expressions, afin de confirmer sa pensée. Il a donc fait l’aveu de ses fautes, et seulement après cet aveu il invoque le Seigneur. C’est l’Eglise qui parle ici dans son chef et dans ses membres, quand il s’agit de la prédication; dans son chef seulement quand il s’agit de juger les justices. Le Christ les jugera quand le temps sera venu. Le temps sera pour celui qui gouverne le temps, parce qu’il viendra dans son humanité. La terre s’est effondrée sous les péchés des hommes, le Christ en a raffermi les colonnes ou les Apôtres que la résurrection confirma dans la foi, et qui prêchèrent l’Evangile. C’est par eux que le Christ nous avertit de pratiquer la justice, dit aux coupables de ne point s’enorgueillir, mais de s’humilier par l’aveu. Gardons-nous de blasphémer le Seigneur par nos murmures, de prendre sa patience pour l’impunité. Ne murmurons pas même intérieurement, car Dieu pénètre les pensées les plus intimes de notre coeur. Nous lui échappons en nous réfugiant en lui par la confession. Il abaisse l’orgueilleux ou le Pharisien, il élève l’humble ou le Publicain qui avoue ses fautes. Dans sa coupe est le vin pur du décalogue, les Gentils le boivent et sont raffermis ; et le vin trouble les enveloppes figuratives, que boivent les Juifs, et ils s’affaissent. Il brisera les impies dont nous devons mépriser les honneurs, élèvera les justes dont l’humilité doit nous plaire.

 

1. Ce psaume nous offre dans l’humilité un remède contre l’enflure de l’orgueil, et donne aux petits la consolation de l’espérance. Il prémunit les orgueilleux contre la présomption, et les humbles contre la défiance envers le Seigneur. Les promesses divines, en effet, sont invariables, certaines, inébranlables; elles sont fidèles et hors de doute, consolantes pour l’affligé. Car « toute la vie de l’homme sur la terre», est-il écrit, « est une épreuve sans fin ». Nous n’avons point à choisir, ou à rechercher la prospérité, ou à fuir l’adversité seulement; l’une et l’autre sont à craindre; l’une qui corrompt, l’autre qui abat; ainsi tout homme, quel que soit son état en cette vie, n’a de refuge qu’en Dieu, et de joie qu’en ses promesses. La vie, quelles qu’en soient les joies, est un leurre pour beaucoup, Dieu ne trompe jamais. Tout homme qui se convertit à lui, ne fait que changer de plaisir; car les délices ne lui sont point retranchées, mais changées : ici-bas sans doute nos délices en Dieu ne sont point en réalité, mais l’espérance que nous en avons est tellement certaine, qu’elle seule est préférable à toutes les délices du monde, ainsi qu’il est écrit : « Mets tes délices dans le Seigneur ». Mais ne t’imagine pas avoir déjà ce que Dieu promet, car le Prophète ajoute aussitôt : « Et il t’accordera les désirs de ton cœur  2». Mais si

 

1. Job, VII, 1. — 2.Ps. XXXVI, 4.

 

les désirs de ton coeur ne sont pas rassasiés, comment te complaire dans le Seigneur, sinon parce que tu es assuré des promesses qui le font ton débiteur? C’est donc pour affermir en nous l’espérance de notre prière, et pour que nous entrions en possession des promesses que Dieu nous a faites, que le titre du psaume porte : « Pour la fin, ne corrompez pas». Qu’est-ce à dire: «Ne corrompez point? Exécutez ce que vous avez promis. Mais quand? Pour la fin na. C’est bien là qu’il te faut diriger l’oeil de ton esprit, « pour la fin ». Quoi que tu puisses rencontrer sur ta route, passe outre, afin d’arriver à la fin. Que la félicité du temps fasse tressaillir les orgueilleux, qu’ils s’enflent de leurs dignités, qu’ils étincellent d’or, qu’ils scient escortés de serviteurs, environnés de clients : tout cela passe et s’évanouit comme l’ombre. Quand viendra cette fin qui fait la joie de tous ceux qui espèrent dans le Seigneur, il n’y aura pour ces hommes qu’une tristesse sans fin. Quand les humbles recevront ce qui fait la risée des méchants, l’enflure des superbes ne sera plus qu’un deuil. Alors s’accomplira cette parole de la sagesse ils diront à la vue de cette gloire des saints, jadis si patients quand on les humiliait, et si humbles quand on les élevait en gloire, ils diront donc : « Voilà ces hommes que nous avons tournés en dérision ». Et ils (190) ajouteront: « De quoi nous a servi notre orgueil, et que nous revient-il du faste de nos richesses ? Tout s’est évanoui comme une ombre 1! » Ils ont mis leur espoir dans des biens corruptibles, et cet espoir s’évapore; le nôtre, au contraire, se réalisera. Car afin de laisser à la promesse de Dieu son intégrité, sa stabilité, sa certitude, nous avons dit dans notre coeur et avec confiance: « Pour la fin, ne corrompez point. » Ne craignez donc point qu’un potentat vienne altérer les promesses de Dieu. Lui-même ne les altère point, parce qu’il est véridique; et nul n’est plus puissant que lui pour faire avorter ses promesses : la promesse de Dieu est donc certaine, et déjà nous pouvons chanter ce premier verset du Psaume.

2. «Nous nous confesserons, Seigneur, nous « nous confesserons, et nous invoquerons votre nom 2 ». Ne l’invoque pas avant d’avouer tes fautes, fais d’abord cet aveu, tu invoqueras ensuite. Invoquer Dieu, c’est l’appeler en toi: quel autre sens peut avoir invoquer ? Si donc tu l’invoques, ou situ l’appelles en toi, chez qui descend-il ? Pas chez l’orgueilleux. Il est élevé, et nul ne l’atteint en s’élevant. Pour atteindre toute hauteur, il faut nous élever; et si nous ne pouvons y arriver, nous avons recours aux machines ou aux échelles, afin de parvenir au faîte: Dieu, au contraire, est élevé, et il n’y a que les humbles pour l’atteindre. Il est écrit : « Le Seigneur est près de ceux qui ont un coeur contrit 3». Cette contrition du coeur, c’est la piété, l’humilité. L’homme contrit se fâche contre lui-même. Qu’il soit en guerre avec lui-même, afin d’être en paix avec Dieu; qu’il soit son propre juge, afin d’avoir Dieu pour défenseur. Dieu vient donc, si nous l’invoquons; mais chez qui vient-il? Jamais chez l’orgueilleux. Ecoutez un autre témoignage : « Du haut de son trône, Dieu regarde les humbles, il ne voit que de loin les orgueilleux 4. Ainsi le Seigneur jette les yeux sur les humbles », mais non de loin, tandis que c’est de loin qu’il voit les orgueilleux. Or, après avoir dit que Dieu voit les humbles, de peur que les orgueilleux ne se rassurent dans l’impunité, comme si leur orgueil devait échapper à celui qui habite au plus haut des cieux, le Prophète les effraie en disant : Il

 

1. Sag. V, 3,8,9.— 2. Ps. LXXIV, 2.— 3. Id. XXXIII, 19.— 4. Id. CXXXVII, 6.

 

vous voit, il vous connaît, mais de loin. Il fait les délices de ceux dont il s’approche; pour vous, superbes, dit le Prophète, hommes altiers, vous ne jouirez pas de l’impunité, car il vous voit; mais vous n’aurez point le bonheur, il ne vous connaît que de loin. Voyez ce que vous avez à faire : s’il vous connaît, il ne vous pardonnera point. Vous épargner, vaudrait mieux pour vous que vous connaître. Qu’est-ce que vous épargner, en latin ignoscere, sinon ne pas vous connaître, non noscere ? Que signifie ne pas vous connaître? n’avoir point l’esprit contre vous, non animadvertere, car l’animadversion se dit d’un homme qui châtie. Ecoutez le Prophète, qui demande à Dieu de l’épargner : « Détournez votre face de mes péchés 1». Que feras-tu donc, si le Seigneur détourne de toi son visage ? Voilà qui est fâcheux, il est à craindre qu’il ne t’abandonne. Mais que Dieu ne détourne point son visage, c’est l’animadversion. Dieu nous comprend, il a le pouvoir et de détourner sa face du pécheur, et de ne point la détourner de l’homme pénitent. Aussi est-il dit quelque part : « Détournez votre face de mes péchés »; et ailleurs : « Ne détournez point de moi votre visage 2 ». Ici, détournez-la de nies péchés; là, ne la détournez point de moi : confesse donc ton péché, et invoque le Seigneur. C’est par l’aveu que tu purifies le temple où viendra le Seigneur, sur ton invocation. Qu’il détourne sa face de ton péché, mais non de toi : qu’il détourne sa face de ce que tu as fait, mais non de ce qu’il a fait lui- même. En toi il a fait l’homme, et tu as fait tes péchés. Confesse-les donc, et invoque le Seigneur; dis-lui : « Nous vous confesserons, Seigneur, nous vous confesserons nos fautes ».

3. Cette répétition devient ici une confirmation ; ainsi ta confession ne te cause aucun repentir. Celui qui reçoit cet aveu n’est point un Dieu cruel, ni vindicatif, mi insulteur : confesse-toi sans crainte. Ecoute celte autre parole encourageante du psaume: « Confessez-vous au Seigneur, parce qu’il est bon 3 ». Qu’est-ce à dire, « parce qu’il est bon? » Pourquoi redouter l’aveu? Le Seigneur est bon, il pardonne à celui qui avoue . Crains d’avouer devant un homme qui est le juge, de peur qu’il ne te châtie, mais non devant Dieu ; l’aveu te le rendra propice, et

 

1. Ps. L, 11.— 2. Id. XXVI, 9. — 3. Id. CV, 1; CV, 1

 

ta négation ne lui déroberait pas ta faute.  « Nous vous confesserons, Seigneur, nous vous confesserons, nous invoquerons avec confiance votre saint nom ». Nous avons épuisé nos coeurs par la confession; vous nous avez jetés dans l’effroi et purifiés. L’aveu nous humilie; approchez-vous des humbles, ô vous qui vous éloignez des superbes. En beaucoup d’endroits de l’Ecriture, nous voyons, dans la répétition, une confirmation de la pensée. De là cette locution de Notre-Seigneur : « En vérité, en vérité 1». De là vient que dans plusieurs psaumes, nous lisons : «Ainsi soit-il, ainsi soit-il 2 ». Une seule fois suffisait pour le sens, la répétition n’est qu’une manière de le corroborer. Pharaon, roi d’Egypte, vous le savez, pendant que Joseph était en prison pour avoir aimé la chasteté, Pharaon, dis-je, eut un songe : sept vaches grasses qui furent dévorées par sept vaches maigres; et ensuite sept épis pleins dévorés par sept épis grêles. Or, quelle interprétation donna Joseph? S’il vous en souvient, ce n’étaient point là deux songes, mais une même vision. « Il n’y a », dit Joseph, «qu’un même sens : la seconde vision», ajouta-t-il, « vient confirmer la première 3». Je vous fais ces réflexions, afin que la répétition, dans le langage des saintes Ecritures, ne vous apparaisse point comme un besoin de parler. Souvent, en effet, la répétition n’est qu’une confirmation de la pensée. « Mon coeur est prêt, Seigneur », dit le Prophète, « mon coeur est prêt 4». Ailleurs il s’écrie : « Attends le Seigneur, agis avec courage, raffermis ton coeur, et attends le Seigneur 5 ». Il y a dans les Ecritures une foule de répétitions semblables. Qu’il nous suffise de vous avoir expliqué cette manière de parler, pour observer cette règle en semblable rencontre. Revenons maintenant à notre Psaume : « Nous vous confesserons », dit le Prophète, « et nous en appellerons à nous». Je vous ai dit pourquoi l’aveu précède ici l’invocation. Invoquer, c’est inviter. Or, le Seigneur ne se rendra pas à ton invitation, si tu es orgueilleux; et si tu es orgueilleux, tu ne pourras faire l’aveu de tes fautes. Or, tu ne caches rien à Dieu qu’il ne sache, et ton aveu ne lui apprend rien; seulement il te purifie.

 4. Le Prophète a donc avoué ses fautes, il

 

1. Jean, 1,51.— 2. Ps. LXXI, 19; LXXXVIII, 53. — 3. Gen. XLI, 1—32. — 4. Ps. LVI, 8. — 5. Id. XXXVI, 14.

 

a invoqué, ou plutôt, ils ont avoué, ils ont invoqué; et il est dit au nom d’un seul : « Je raconterai toutes vos merveilles ». Son aveu l’a déchargé de ses misères, l’invocation l’a comblé de biens, et il répand ces biens avec sa parole. Remarquez-le, mes frères, le Prophète parle au nom de plusieurs, quand il s’agit d’avouer ses fautes : « Nous vous confesserons, Seigneur, nous vous confesserons, et nous invoquerons votre nom ». Les coeurs sont multiples pour l’aveu, ils ne sont qu’un pour croire. Pourquoi sont-ils plusieurs pour l’aveu, un seul pour la foi? C’est que les hommes confessent des péchés différents, et qu’ils n’embrassent qu’une même foi. Or, quand le Christ sera venu habiter dans l’homme intérieur par la foi 1, quand le Dieu invoqué aura pris possession du coeur qui fait l’aveu; alors le Christ sera tout entier dans son chef et dans son corps, il sera un dans plusieurs membres, Ecoutez donc ces paroles du Christ; car jusqu’alors elles ne paraissaient point lui appartenir : « Nous vous confesserons, Seigneur, nous vous confesserons, nous invoquerons votre nom 2. » Voici donc les paroles de notre chef. Or, que le chef parle, ou bien les membres, c’est le Christ qui parle : tantôt au nom dit chef, tantôt au nom des membres. Qu’est-il dit en effet? « Ils seront deux dans une seule chair. Ce sacrement est grand, et moi, je le dis, dans le Christ et dans l’Eglise 3 ». Et le Sauveur a dit lui-même dans l’Evangile : « Ils ne sont donc plus deux, mais une seule chair 4». Pour nous faire comprendre qu’il y a ici deux personnes en quelque sorte, et qui n’en font plus qu’une seule par l’union du mariage; voilà qu’un seul nous dit en lsaïe : « Il m’a mis, comme à un époux, une couronne sur la tête, et m’a paré de pierreries comme une  épouse 5». L’époux se dit du chef, et l’épouse du corps. C’est donc un seul qui parle, écoutons-le, et nous aussi parlons avec lui. Soyons ses membres, afin que sa voix soit aussi la nôtre. « Je publierai », dit-il, « toutes vos merveilles ». Le Christ s’annonce lui-même, et il s’annonce par ceux qui sont déjà ses membres, et qui en amènent d’autres, afin que ceux qui n’en étaient pas encore, s’approchent de Dieu, et prennent place parmi ces membres qui ont déjà prêché l’Evangile;

 

1. Ephés. III, 17. — 2. Ps. LXXIV, 2.— 3. Gen. II, 24; Ephés. V, 31, 32. — 4. Matth. XIX, 6. — 5. Isa. LXI, 10.

 

192

 

alors il n’y aura plus qu’un seul corps sous un seul chef, dans un même esprit, dans une même vie.

5. Que dit-il donc? « Quand le temps sera venu » dit-il, « je jugerai les justices 1». Quand jugera- t-il les justices? Quand le temps sera venu. Le temps n’est donc pas venu; bénissons sa divine miséricorde qui prêche d’abord la justice, et ensuite juge les justices. Car s’il eût voulu juger avant d’avoir prêché, qui trouverait-il à sauver? Qui pourrait-il absoudre? C’est donc maintenant le temps de la prédication : « Je raconterai », dit-il, « toutes vos merveilles ». Ecoule son récit, écoute sa prédication: car si tu le méprises: « Quand le temps sera venu », dit-il, « je jugerai les justices ». Je pardonne maintenant, dit-il, à celui qui fait l’aveu de ses fautes, je ne pardonnerai point à celui qui l’aura dédaigné. « Je chanterai en votre honneur,ô mon Dieu, la miséricorde et le jugement 2 », dit-il dans un autre psaume. « La miséricorde et « le jugement ». C’est maintenant « la miséricorde », et après « le jugement»; la miséricorde qui pardonne les fautes, le jugement qui les châtie. Veux-tu ne point redouter 1e vengeur des crimes? Aime celui qui pardonne, ne rejette point ses faveurs, ne t’élève point, ne dis point : je n’ai rien à me faire pardonner. Ecoute ce qui suit: « Quand j’aurai reçu le temps, je jugerai les justices ». Est-ce au Christ que le temps doit échoir? ou, le Fils de Dieu reçoit-il le temps? Le temps n’est pas pour le Fils de Dieu, mais c’est le Fils de l’homme qui a reçu le temps. Lui-même est tout à la fois le Fils de Dieu par qui nous avons été faits, et le Fils de l’homme qui nous a refaits. Il a revêtu l’humanité, mais sans se dépouiller; c’est l’homme qui a été élevé à un état supérieur, mais lui n’a pas été amoindri. Il n’a point cessé d’être ce qu’il était, il a pris ce qu’il n’était pas. Qu’était-il? « Ayant eu la nature de Dieu, il n’a point cru faire usurpation en s’égalant à Dieu ». Ainsi dit l’Apôtre. Et qu’a-t-il reçu? «Il s’est anéanti, et a pris la forme de l’esclave 3 ». Il a donc pris le temps comme il a pris la forme de l’esclave. Il a donc été changé, diminué, rapetissé, il est tombé en quelque défaut? Loin de là. Comment donc « s’est-il anéanti en prenant la forme de l’esclave? » Il a paru s’anéantir parce qu’il a pris une forme moindre, non

 

1. Ps. LXXIV, 3. — 2. Id. C, 1. — 3. Philip. II, 6, 7.

 

qu’il soit déchu de son égalité avec Dieu. Que signifie donc, mes frères, cette parole: « Quand j’aurai reçu le temps, je jugerai les justices? » Fils de l’homme, il a reçu le temps; Fils de Dieu, il gouverne le temps. Ecoute comment, Fils de l’homme, il a reçu le temps pour juger. Nous lisons dans l’Evangile : « Dieu lui a donné la puissance de rendre des jugements, parce qu’il est le Fils de l’homme 1». Comme Fils de Dieu, il n’a pas reçu la puissance de juger, car il n’a jamais été privé de ce pouvoir judiciaire : mais comme Fils de l’homme, le temps lui a été assigné pour naître et pour souffrir, comme pour mourir, pour ressusciter, pour monter au ciel, enfin pour venir juger le monde. Ce langage est aussi celui de ses membres, car il ne doit pas juger sans eux ; et il est dit dans l’Evangile : « Vous serez assis sur douze eu trônes, jugeant les douze tribus d’Israël  2.» C’est donc Jésus-Christ tout entier, dans son chef, et dans ses membres ou dans les saints, qui dit: « Quand le temps sera venu pour moi, eu je jugerai les justices ».

6. Qu’arrive-t-il maintenant? « La terre s’est effondrée ». Comment la terre a-t-elle pu s’effondrer, sinon à cause des péchés? Aussi pécher s’appelle encore défaillir, et défaillir signifie en quelque sorte déchoir de la solidité, de la force, de la justice et de la vertu, pour se répandre comme l’eau. Ce n’est que par l’amour des biens inférieurs que nous péchons: de même que la force, pour nous, est dans l’amour des biens supérieurs, de même l’amour des biens d’ici-bas est use défaillance et comme une dissolution. Voyant l’homme s’effondrer ainsi dans le péché, le Dieu de la clémence et du pardon, le Dieu qui pardonne le péché sans le châtier encore, s’écrie : « La terre s’est effondrée, ainsi que eu ses habitants 3 ». C’est la terre qui s’est effondrée dans ceux qui l’habitent. Le Prophète explique, au lieu d’ajouter. Comme si tu disais : Comment la terre s’est-elle effondrée? En a-t-on dérobé les fondements, et ne trouvant plus qu’un vide, s’y est-elle abîmée? Ce que j’appelle la terre désigne « tous ceux qui l’habitent ». J’ai trouvé, dit-il, une terre pécheresse. Et qu’ai-je fait? « J’en ai affermi les colonnes ». Quelles colonnes a-t-il affermies? Ce qu’il appelle colonnes, ce sont les Apôtres. Ainsi saint Paul, parlant des autres

 

1. Jean, V, 27, — 2. Matth. XIX, 28. — 3. Ps. LXXIV, 4.

 

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Apôtres, disait : « Ceux qui paraissaient être les colonnes 1». Mais que seraient ces colonnes, si Dieu ne les eût affermies? Car elles furent ébranlées par un certain mouvement de la terre, et le désespoir s’empara de tous les Apôtres, à la passion du Sauveur. Ces colonnes donc ébranlées par la passion du Sauveur, se raffermirent à sa résurrection. Le fondement de l’édifice cria par ces colonnes, et dans toutes ces colonnes, ce fut l’architecte qui parla. L’apôtre saint Paul était une de ces colonnes, quand il disait : «Est-ce que vous voulez éprouver la puissance du Christ qui parle en moi  2? » C’est donc « moi », dit le Sauveur, « qui en ai raffermi les colonnes » : je suis ressuscité, j’ai montré que la mort n’était point à craindre, j’ai prouvé à ceux qui la craignaient, que le corps même ne périt t oint par la mort. Mes blessures les effrayaient, mes cicatrices les ont rassurés. Le Christ pouvait ressusciter sans porter aucune cicatrice : était-ce trop en effet pour sa puissance, de rétablir son corps dans une intégrité si parfaite, qu’il ne parût aucune trace de ses anciennes plaies? Il avait sans doute le pouvoir de guérir ses plaies sans cicatrice, mais il voulut à ces marques rétablir ces colonnes chancelantes.

7. Nous avons entendu, mes frères, qu’il ne cesse pas un jour de parler; écoutons ce qu’il nous crie par ces colonnes. Il est temps d’écouter et de trembler à cette parole : « Quand le temps sera venu, je jugerai les justices 3». Le temps de juger les justices viendra pour lui; pour vous est venu le temps de pratiquer la justice. S’il se taisait, vous ne pourriez faire aucun bien ; mais il crie par ses colonnes raffermies. Que crie-t-il? « J’ai dit aux injustes : Ne commettez pas l’injustice ». Il crie donc, mes frères, et vous criez aussi certainement ; vous prenez plaisir d’entendre ses cris. C’est par lui que je vous en conjure, laissez-vous effrayer par cette voix ; car j’ai bien moins lieu de me réjouir de vos applaudissements, que vous d’être effrayés de ces paroles. « J’ai dit aux injustes: Ne commettez point l’injustice ». Mais ils l’avaient déjà commise, et ils sont coupables: « la terre s’est effondrée avec ceux qui l’habitent », ils sont touchés de repentir, ceux qui ont mis à mort le Sauveur, ils ont reconnu leur péché, ils ont appris des Apôtres

 

1. Gal. II, 9. — 2. II Cor. XIII, 3. — 3. Ps. LXXIV, 5.

 

ne point désespérer leur pardon de celui qui prêche 1. Il était médecin Celui qui était venu, aussi n’était-il point venu pour ceux qui avaient la santé. « Ce ne sont pas », avait-il dit, « ceux qui se portent bien qui ont besoin du médecin, mais les malades. Je ne suis point venu appeler les justes, mais les pécheurs à la pénitence 2». Donc « j’ai dit aux injustes : Ne commettez point l’injustice », et ils n’ont pas entendu. Voilà ce qui nous fut dit en effet autrefois: nous n’avons pas entendu, nous sommes tombés, nous sommes devenus mortels, engendrés dans la mort: « la terre s’est effondrée ». Afin de se relever, qu’ils écoutent du moins le médecin qui est venu près du malade: en santé ils ont refusé de l’écouter pour éviter la chute, maintenant qu’ils sont couchés à terre, qu’ils l’écoutent pour se relever. « J’ai dit aux injustes : Ne commettez pas l’injustice ». Que faire? nous l’avons commise. « Et vous, pécheurs, ne levez point votre tête orgueilleuse». Qu’est-ce à dire? Si vous avez commis l’iniquité par convoitise, ne la défendez point par orgueil; accusez-vous si vous l’avez commise. C’est lever la tête, qu’être coupable sans l’avouer. « J’ai dit aux injustes : Ne commettez point l’injustice; et aux coupables: Ne levez point la tête ». Le Christ élèvera sa force au milieu de vous, si vous n’élevez point la vôtre. Votre force vient de l’iniquité, la force du Christ vient de sa majesté.

8. « Ne vous élevez donc pas; ne proférez point contre Dieu l’iniquité 3 » Ecoutez ces paroles d’un grand nombre, que chacun de vous écoute, et soit touché de repentir. Que disent ordinairement les hommes? Est-il vrai que Dieu jugera les actions des hommes? Est-ce là l’occupation de Dieu ? Aurait-il souci de ce que l’on fait sur la terre? Tant d’hommes injustes sont dans la prospérité, tant d’innocents dans la douleur! Or, comme Dieu voulait t’avertir et te corriger, et qu’il lui est arrivé je ne sais quoi de fâcheux, qui lui découvre sa conscience, et lui fait comprendre qu’il est juste pour lui de souffrir à cause de ses péchés: d’où lui viennent ses arguments contre Dieu? Comme il ne peut dire : Je suis juste, que pensez-vous qu’il va dire? Il y en a de plus pécheurs que moi qui ne souffrent pas ainsi. Voilà l’iniquité des murmures de l’homme contre Dieu. Comprenez-en vous-

 

1. Act. II, 37, 38. — 2. Matth. IX, 12, 13. — 3. Ps. LXXIV, 6.

 

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mêmes l’injustice: afin de paraître juste, il accuse Dieu d’injustice. Dire, en effet: C’est injustement que je souffre, c’est accuser d’injustice Celui qui juge à propos de me soumettre à la douleur, et déclarer juste celui qui souffre injustement. J’en appelle à vous, mues frères, est-il bien que l’iniquité soit pour Dieu, la justice pour vous? Parler de la sorte, c’est proférer l’iniquité contre Dieu.

9. Que dit le Seigneur dans un autre Psaume? «Voilà votre oeuvre», dit-il, après avoir énuméré plusieurs fautes, et néanmoins je me suis tu ». Qu’est-ce à dire: « Je me suis tu? » Dieu ne se tait jamais en précepte, muais quelquefois en châtiment: il diffère sa vengeance, et ne prononce pas l’arrêt contre le coupable. Mais ce coupable dit alors: J’ai commis telle et telle faute, et Dieu ne m’a point châtié, me voilà en santé, rien de fâcheux ne m’est arrivé. « Voilà ce que tu as fait, et j’ai gardé le silence: tu m’as soupçonné d’être injuste et de te ressembler ». Qu’est-ce à dire, « de te ressembler? » Parce que tu es injuste, tu m’as cru injuste aussi; tu m’as regardé comme l’approbateur, et non comme l’ennemi, le vengeur de tes crimes. Que dit ensuite le Seigneur? « Je t’en convaincrai, et je t’exposerai toi-même à tes propres yeux 1 ». Qu’est-ce que cela signifie? Que maintenant, dans tes péchés, tu te dérobes à toi-même, tu ne te vois point, tu ne te considères point. Je te mettrai donc en face de toi-même, tu seras pour toi un supplice. C’est ainsi qu’il est écrit ici : « Ne dites point l’iniquité contre Dieu». Remarquez, mes frères, beaucoup profèrent cette iniquité, mais ils n’osent le faire ostensiblement, de peur que les hommes de bien n’aient horreur de leurs blasphèmes; mais dans leurs coeurs, ils rongent ces pensées, ils s’en font intérieurement un aliment abominable; ils prennent plaisir à parler ainsi contre Dieu, et si la langue ne fait point d’éclat, le coeur n’est point muet. De là vient cette parole d’un autre Psaume : « L’insensé a dit dans son coeur: Dieu n’est point 2 » . « L’insensé l’a dit»; mais il a craint les hommes ; il n’a osé le dire où les hommes l’auraient entendu ; jamais il l’a dit dans son coeur où l’entendait Celui qu’il blasphémait. Aussi voyez, mes bien-aimés,le Prophète, après avoir dit dans notre psaume : « Ne proférez point l’iniquité contre Dieu », voit que beaucoup

 

1. Ps. XLIX, 21. — 2. LI, XIII, 1.

 

en agissent ainsi dans leurs coeurs, et il ajoute: « Car ni dans l’Orient, ni dans l’Occident, ni dans les déserts des montagnes, Dieu « n’est absent, partout il est juge 1». Dieu jugera vos iniquités, car s’il est un Dieu, il est présent partout. Comment te dérober aux yeux de Dieu ; où iras-tu pour qu’il n’entende point tes blasphèmes? Si Dieu juge dans l’Orient, va dans l’Occident, et dis contre lui ce qu’il te plaira: s’il ne juge que dans l’Occident, va dans l’Orient, et parle à ton aise : s’il juge dans les déserts des montagnes, va au milieu des peuples, afin d’y murmurer sans crainte. Mais Dieu n’a pus un lieu spécial pour juger les hommes, il est caché partout, et partout il est visible ; nul ne peut le connaître tel qu’il est, et nul ne peut le méconnaître. Prends guide à ce que tu fais. Tu blasphèmes le Seigneur; mais « l’Esprit du Seigneur a remplit toute la terre », est-il dit dans un autre endroit de l’Ecriture, « et Celui qui contient tout, a la science de la parole: de là vient que le blasphémateur ne lui est pas inconnu 2 ». Ne t’imagine donc pas que Dieu soit en certains lieux : il est avec toi tel que tu es toi-même. Qu’est-ce à dire, tel que tu es toi-même? Bon, si tu es bon ; tu le croiras méchant, si tu es méchant; un Dieu secourable, si tu es bon; un Dieu vengeur, si tu es méchant. Ton juge est donc dans le secret de ton coeur. Pour faire le mal, tu fuis le public, tu rentres chez toi où nul ennemi ne te verra; tu évites même chez toi les endroits les plus exposés, qui seraient le plus en vue tu vas dans le lieu le plus secret, encore là tu redoutes un témoin, tu te renfermes dans ton coeur, pour y méditer à l’aise : mais Dieu pénètre plus avant que ton coeur. En quelque lieu que tu fuies, Dieu s’y trouve. Comment te fuir toi-même? Ne te suivras-tu point partout où tu iras? Mais lorsque Dieu est plus en toi que toi-même, où fuir un Dieu irrité, sinon en s’abritant sous sa miséricorde? Tu n’as donc point à fuir ; veux-tu lui échapper? Fuis en lui-même. Donc, ne proférez plus l’iniquité contre Dieu, pas même où vous le faites d’ordinaire. « Dans son lit», dit le Prophète, « l’ennemi a médité l’injustice 3 ». Qu’a-t-il médité dans son lit ? Ce lit, c’est son coeur, ainsi que le dit le Prophète : « Offrez un sacrifice de justice, et espérez daims le Seigneur ». Et déjà il avait dit: « Dites dans vos coeurs,

 

1. Ps. LXXIV, 7, 8. — 2. Sag. I, 7, 8. — 3. Ps. XXXV, 5,

 

et soyez dans vos lits percés de componction 1 ». Autant de fois le péché a stimulé votre coeur, autant de fois il vous faut sentir l’aiguillon de l’aveu. Dans le lieu même où tu as proféré l’iniquité contre Dieu, c’est là qu’il te juge: et ce n’est point le jugement qui est différé, mais le châtiment. Il te juge, il te connaît, il te voit ; il ne reste plus que le châtiment; or, ce châtiment il te l’infligera, quand il sera en ta présence, et quand apparaîtra cette face majestueuse de Celui qui a été tourné en dérision, jugé, crucifié, amené devant un tribunal : lorsque tu seras en présence de cette majesté redoutable, c’est alors que tu subiras ton châtiment, si tu ne t’es corrigé. Que nous faut-il donc faire? Prévenons sa face par un humble aveu, en exomologesei 2. «. Préviens-le par la confession, et alors viendra dans sa douceur Celui dont nous avons excité la colère. « Ni loin des déserts des montagnes, parce que Dieu est juge». Ni loin de l’Orient, ni loin de l’Occident, ni loin  des déserts, des montagnes : pourquoi ? « Parce que Dieu est juge ». S’il était en quelque lieu, il ne serait plus Dieu or, comme Dieu est un juge, et non pas un homme, ce n’est pas de quelque lieu qu’il faut l’attendre. Tu seras toi-même sa demeure, situ es bon, si tu l’invoques en confessant tes fautes.

10. « Il abaisse l’un pour élever l’autre ». Quel est celui qu’abaisse un tel juge, et quel est celui qu’il élève ? Voyez ces deux hommes dans le temple, et voyez celui qu’il humilie, et celui qu’il élève, « Deux hommes », dit le Sauveur, « un pharisien et un publicain, montèrent au temple pour prier » ; le pharisien disait : « Je vous rends grâces de ce que je ne suis pas comme les autres hommes, injustes, voleurs, adultères, ni même comme ce publicain je jeûne deux fois la semaine, je donne la dîme de ce que je possède ». Il venait trouver le médecin, et il montrait ses membres pleins de santé, et cachait ses plaies. Mais que fait cet autre qui sait mieux prendre le moyen d’être guéri ? « Le publicain se tenait au loin, et se frappait la poitrine » .Vous le voyez debout et au loin, et pourtant il est proche de celui qu’il invoquait. « Et il frappait sa poitrine en disant : Mon Dieu, soyez-moi propice, à moi pécheur. En vérité, je vous le déclare, le publicain s’en retourna plus juste que le Pharisien ; parce que tout

 

1. Ps. IV, 6,5.— 2. Id. XCIV, 2.

 

homme qui s’élève sera abaissé, et tout homme qui s’abaisse sera élevé 1 ». Voilà, mes frères, l’explication de ce verset du psaume. Que fait Dieu dans sa justice ? « Il abaisse l’un, et élève l’autre » : il humilie les orgueilleux, pour élever les humbles.

11. « Dans la main du Seigneur est une coupe d’un vin pur et néanmoins mélangé ». Cela est bien injuste. « Il en verse à l’un et à l’autre; et toutefois la lie ne tarit point, tous les pécheurs de la terre en boiront  2 ». Renouvelez quelque peu votre attention : il y a ici de l’obscurité; mais, comme il vient de nous être dit dans l’Evangile: « Demandez et l’on vous dominera; cherchez et e vous trouverez; frappez et l’on vous ouvrira 3 ». Mais, diras-tu, ou frapper afin que l’on m’ouvre ? « Ni à l’Orient, ni à l’Occident, ni dans les déserts des montagnes, parce que Dieu est juge ». Si donc il est présent ici et là, s’il n’est absent d’aucun lieu, frappe où tu es, sois debout, car on est debout pour frapper. Que signifie donc notre verset ? Voici la première difficulté : « Un vin pur, et néanmoins mélangé ». S’il y a « mélange », comment est-il « pur ? » Du reste, que « cette coupe soit dans la main du Seigneur » , je m’adresse à des fidèles instruits dans l’Eglise du Christ, et qui ne se représentent pas intérieurement l’image de Dieu sous une forme humaine, qui ne se font point d’idoles dans leurs coeurs, maintenant que les temples sont fermés. Ce calice a donc une signification, et nous l‘examinerons. « En la main du Seigneur », ou plutôt en sa puissance, car sa main signifie son pouvoir; comme on dit souvent des hommes : Il l’a sous la main c’est-à-dire, cela est en son pouvoir, il le fait à soin gré. « Cette coupe est donc pleine d’un  vin pur et néanmoins trouble ». Le Prophète nous donne ensuite cette explication : « Il verse », dit-il, « à l’un et à l’autre, et la lie ne tarit point». Voilà pourquoi le vin est mélangé. Ne vous étonnez point que le vin soit tout à la fois pur et mélangé ; il est pur à cause de son intégrité, il est trouble à cause de sa lie. Mais qu’est-ce que ce vin, et cette lie ? Pourquoi « verser à l’un et à l’autre », de manière à ne point tarir la lie?

12. Rappelez-vous ce qu’il a dit plus haut: « Il abaisse l’un, il élève l’autre ». C’est ce

 

1. Luc, XVIII, 10-14. — 2. Ps. LXXIV, 9.— 3. Matth, VII, 7.

 

qu’ont figuré dans l’Evangile ces deux hommes, l’un pharisien, et l’autre publicain ; et dans un sens plus large, voyons ici deux nations, les Juifs et les Gentils ; le peuple juif sera le pharisien, le peuple des Gentils le publicain. Les Juifs se vantaient de leurs mérites, les Gentils confessaient leurs péchés. Il peut me comprendre celui qui a lu dans les Ecritures les lettres apostoliques, et les actes des Apôtres : et pour abréger, il voit comment les Apôtres exhortaient les Gentils à ne point désespérer, à la vue des grands désordres de leur vie ; et comment ils réprimaient les Juifs qui se glorifiaient dans les justifications de la loi, qui se regardaient eux-mêmes comme justes, et les Gentils comme des pécheurs, parce que les Juifs avaient une loi, un temple, et un sacerdoce 1. Quant à ces idolâtres, qui rendaient un culte aux démons, ils étaient loin de Dieu, comme ce publicain qui se tenait éloigné dans le temple. Mais les Juifs se sont éloignés de Dieu par leur orgueil, commue les Gentils sont revenus à lui par l’humble aveu. Je vous dirai donc ce qu’il plaira au Seigneur sur «ce calice qui est en sa main, et plein d’un vin pur ». Un autre pourra vous donner un sens meilleur ; telle est en effet l’obscurité de ce passage, qu’il est difficile de s’accorder sur un sens unique. Et toutefois, quelque sens que l’on y donne, pourvu qu’il s’accorde avec les règles de la foi, nous n’aurons ni envie contre les plus habiles, ni désespoir dans notre humilité. Je dirai donc à votre charité ce qui me vient à l’esprit, sans empêcher de prêter l’oreille à ceux qui pourront mieux dire. « Cette coupe d’un vin pur et pourtant eu trouble », me paraît être la loi, qui fut donnée aux Juifs, et toute cette Ecriture qu’on appelle ancienne alliance; c’est là que s’embarrassent toutes les interprétations. C’est là, en effet, qu’est caché le Nouveau Testament, comme enveloppé dans la lie des cérémonies légales. La circoncision de la chair est le symbole d’un grand mystère, et nous fait comprendre la circoncision du coeur. Ce temple de Jérusalem, est le symbole d’un grand mystère, et nous désigne le corps du Sauveur. La terre des promesses nous marque le royaume des cieux. L’offrande des victimes et des animaux était un grand symbole:  mais tous ces sacrifices différents ne désignaient qu’un seul et même sacrifice, que le

 

1. Rom, III, 4.

 

Seigneur, victime unique sur la croix: ce seul sacrifice a remplacé tous les autres, parce que tous les autres n’en étaient que la figure, c’est-à-dire le désignaient comme des symboles. Le peuple juif a donc reçu la loi, il a reçu des commandements justes et bons. Quoi de plus juste que ces préceptes : « Vous ne tuerez point ; vous ne commettrez point la fornication ; vous ne déroberez point; vous ne direz point de faux témoignage; honorez votre père et votre mère ; vous ne désirerez point le bien du prochain; vous ne convoiterez pas l’épouse de votre prochain ; vous adorerez un seul Dieu, et ne servirez que lui seul 1 ». Tout cela constitue leur vin. Les autres préceptes charnels sont en quelque sorte descendus au fond, pour demeurer chez les Juifs, et afin qu’il en découlât un sens tout à fait spirituel. « Cette coupe alors en la main du Seigneur », ou en la puissance du Seigneur, « est d’un vin pur » , c’est la sainteté de la loi , « et néanmoins troublé » ; c’est-à-dire mélangé avec la lie du symbole charnel. Or, comme « il humilie celui-ci », ou le juif orgueilleux, « et abaisse celui-là », ou le gentil qui s’humilie : « Il a versé sur l’un et sur l’autre », c’est-à-dire du peuple juif, sur le peuple païen. « Toutefois la lie n’est pas épuisée », parce que toutes les enveloppes charnelles sont demeurées chez les Juifs. «Tous les pécheurs de la terre en boiront » ; Qui en boira? « Tous les pêcheurs de la terre ». Quels pécheurs de la terre? Les Juifs étaient pécheurs à la vérité, mais orgueilleux : les Gentils étaient pécheurs aussi, mais humbles. « Tous les pécheurs boiront » ; mais vois pour qui la lie, et pour qui le vin pur. Car les uns se sont affaissés en buvant la lie, les autres se sont justifiés en buvant le vin ; ils se sont même enivrés, j’ose le dire sans crainte ; et puissiez-vous tous avoir cette ivresse. Souvenez-vous de cette parole: «Que votre calice est enivrant et délicieux  2! » Eh quoi! mes frères, pensez-vous qu’ils n’étaient pas dans l’ivresse, tous ceux qui ont voulu mourir tour Jésus-Christ ? Ils étaient ivres au point de méconnaître leurs proches. Tous les parents:qui essayaient, par l’amorce des biens terrestres, de les détourner du ciel, ne furent ni écoutés par ces hommes ivres, ni même connus. N’étaient-ils pas ivres ces

 

1. Exod. XX, 7-17; Deut, V, 6-21. — 2. Ps. XXII, 5.

 

 

hommes dont le coeur était ainsi changé? N’était-ce pas de l’ivresse que ce mépris pour le monde ? « Tous les pécheurs de la terre boiront », dit le Prophète. Qui boira le vin? Les pécheurs le boiront, afin de ne point demeurer dans le péché, afin de devenir justes, et non afin d’être châtiés.

13. « Quant à moi » : tous boiront, mais pour moi, c’est-à-dire pour le Christ dans son corps : « Je serai dans une allégresse éternelle, je chanterai le Dieu de Jacob 1 » dans l’espérance que Dieu me donne cette promesse pour l’avenir, et dont il est dit «Pour la fin, ne l’altérez pas. Je serai dans une éternelle allégresse ».

14. « Et je briserai toute la force des impies, et la force des justes sera élevée 2 ». Voici encore : « Il abaisse l’un, il élève l’autre ». Les pécheurs ne veulent point dompter ici ces forces qui seront infailliblement brisées à la fin. Tu ne veux point que le Christ les brise alors ; brise-les toi-même aujourd’hui. Car tu as entendu plus haut, et garde-toi de le mépriser : « J’ai dit aux pécheurs : N’agissez plus injustement; et aux coupables :

 

1. Ps. LXXIV, 10.— 2. Id. 11.

 

« Ne vous élevez point avec orgueil ». Mais à ces paroles : « Ne vous élevez point avec orgueil », tu as répondu par le mépris et avec une orgueilleuse enflure : la fin viendra pour toi, et alors s’accomplira cette parole : « Je briserai toutes les cornes des pécheurs, et j’élèverai les cornes des justes ». Par les cornes des pécheurs, on entend ces dignités dont ils s’enorgueillissent, et par les cornes des justes les dons du Christ. Ce mot de cornes désigne en général tout ce qui est élevé. Dédaigne sur la terre une élévation terrestre, afin que tu sois un jour grand dans le ciel. Si tu aimes la gloire d’ici-bas, tu n’auras pas celle d’en haut il y aura confusion pour toi, à voir ton orgueil brisé, et gloire pour toi à voir élever ta force. C’est donc maintenant qu’il faut choisir, et non plus alors. Tu ne pourras dire : Renvoyez-moi afin que je choisisse ; car tu as entendu : « J’ai averti l’impie ». Si je ne l’ai point fait, prépare tes excuses, ta défense , mais si je l’ai dit, fais par avance l’aveu de tes fautes, afin de ne pas aboutir à la damnation ; car au jugement ton aveu serait trop tardif, et ta défense inutile.

DISCOURS SUR LE PSAUME LXXV.
SERMON AU PEUPLE.
LA JUDÉE OU L’ÉGLISE DE DIEU.
 

Dieu est connu en Judée ou chez les hommes qui sont entrés dans la famille d’Abraham, par la foi. Parmi les douze fils de Jacob, Juda donna des rois à la nation, et Lévi des prêtres. Ceux-ci n’eurent point de partage dans la terre de Chanaan, et alors Joseph forma deux tribus. Comme l’avait prédit Jacob, le Christ est venu de Juda; c’est le vrai roi que les Juifs n’ont vu que pour le crucifier, que les Gentils ont adoré sans l’avoir vu. La Judée est dès lors dans l‘Eglise. Judée en effet signifie confession, et l’homme qui fait l’aveu de ses fautes est en accord avec Dieu. Jusque-là nous sommes en guerre, et il nous faudra combattre avec les armes de Dieu, jusqu’à la pacification définitive de la résurrection, qui détruira nos convoitises ; et alors nous verrons Dieu en Sion où il renverse les puissances ennemies. — Dieu répand sa lumière par les montagnes, ou par les prédicateurs de la vérité . Mais cette vérité ne leur appartient pas ; dès lors il ne faut suivre ni Donat, ni Maximien, ni même Paul ou Céphas, mais le Christ, et l’homme n’est rien qu’en s’attachant à lui. Nous séparer de l’Eglise, c’est nous séparer de Dieu. A la prédication de l’Evangile les orgueilleux se sont endormis pour se réveiller les mains vides, ils n’ont pas compris, comme Zachée, l’avantage qu’ils pouvaient tirer de leurs richesses pour la vie éternelle. Les cavaliers ou les orgueilleux se sont endormis, comme Pharaon, par un effet de la colère de Dieu, et ne s’éveilleront que pour regretter vainement leur vie. Mais l’homme qui voudra son salut, se confessera comme Paul, le persécuteur; ce sera là sa première pensée, et sa seconde, ou les restes de sa pensée, sera de regretter son péché, de bénir Dieu qui noue tes pardonne. Dans cette ferveur, nous faisons des voeux, mais alors il fait les accomplir. Les voeux sont une perfection, maie ne regardons point en amère comme la ferme de Loth. La vérité est le partage de tous, ce n’est pas à nous que nous devons de la connaître, mais à Dieu. Soyons humbles devant lui.

 

1. Les Juifs, dont la haine pour Notre-Seigneur Jésus-Christ est connue partout, tirent un sujet de vanité du psaume que nous venons de chanter. « Dieu est connu dans la

eu Judée », nous disent-ils, « son nom est grand en Israël 1 » : ils reprochent aux Gentils de ne point connaître le Seigneur,

 

1. Ps. LXXV, 2.

 

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et se font gloire d’être les seuls pour le connaître; car si le Prophète s’écrie : Dieu est « connu dans la Judée », il est donc inconnu ailleurs. Il est vrai que Dieu est connu dans la iodée, si nous comprenons bien ce qu’est la Judée. Et nous aussi, nous avançons qu’à moins d’être dans la Judée, nul ne peut connaître Dieu. Que dit néanmoins l’Apôtre ? « Le Juif est celui qui l’est intérieurement, qui est circoncis de coeur selon l’esprit et non selon la lettre 1 ». Les Juifs ont donc reçu la circoncision de la chair, et il y a des Juifs circoncis dans la chair, d’autres circoncis dans le coeur. Nos pères, saints pour la plupart, avaient la circoncision de la chair, comme signe de leur foi, et la circoncision du coeur, comme l’effet de leur fol. Voilà que leurs enfants ont dégénéré de leur piété; ils ne font valoir que leur nom et oublient leurs oeuvres; fils dégénérés de leurs pères, ils sont Juifs selon la chair, et païens de coeur. Car on appelle Juifs ceux qui sont nés d’Abraham, qui eut pour fils Isaac, duquel est né Jacob, qui eut pour fils les patriarches, et de ces douze patriarches est venu le peuple entier des Juifs. Mais ce nom de Juifs ou Judéens leur vient spécialement de Juda, l’un des douze fils de Jacob, patriarche comme les douze, dont la postérité règna sur le peuple des Juifs. Car ce peuple était divisé en douze tribus selon le nombre des douze fils de Jacob: ces tribus sont en quelque sorte des curies, des sociétés séparées. Ce peuple avait donc douze tribus, et parmi ces douze tribus, celle de Juda qui donnait des rois, et celle de Lévi qui donnait des prêtres. Mais les prêtres occupés au service du temple n’avaient aucune part dans la terre 2, et néanmoins cette terre devait être divisée en douze parts; l’exception que l’on faisait en faveur de la tribu de Lévi, à cause de sa dignité, eût réduit à onze les portions de cette terre, si les deux fils de Joseph n’étaient venus compléter le nombre douze. Ecoutez comment cela se fit. Joseph était un des douze fils de Jacob; c’est celui-là que ses frères vendirent pour l’Egypte, et que sa chasteté porta au comble des honneurs, parce que Dieu bénit toutes ses actions ; lui qui recueillit ses frères et son père, exténués par la faim, et qui venaient en Egypte chercher du pain. Ce Joseph eut deux fils, Ephraïm et Manassé. Jacob, en mourant, déclara qu’il adoptait ses deux petits

 

1. Rom. II, 29. — 3. Nomb. XVIII, 20.

 

fils, et dit à Joseph « Ceux qui naîtront à l’avenir, seront vos enfants; ceux-ci sont à moi,  ils partageront la terre avec leurs frères 1». Or, cette terre promise n’était encore ni échue à ce peuple, ni divisée; niais il parlait ainsi par l’esprit de prophétie. Avec les deux fils de Joseph, on compléta donc le nombre de douze, car alors on arrivait à treize ; puisque Joseph fournissait deux tribus, il y avait alors treize tribus. Si donc nous exceptons du partage la tribu de Lévi, tribu sacerdotale, occupée au service du temple, vivant de la dîme qu’elle recevait des tribus qui avaient une part dans les terres, nous retrouvons le nombre douze. Dans ces douze, c’était la tribu de Juda qui donnait des rois. Il est vrai que, tout d’abord, le roi Saül fut tiré d’une autre tribu 2, mais il fut réprouvé comme un mauvais roi; vint alors David, de la tribu de Juda, et ce fut sa race, dans la tribu de Juda, qui donna des rois 3, Voici ce qu’avait dit Jacob lorsqu’il bénissait ses enfants « Le prince ne sortira point de Juda, ni le chef de sa postérité, jusqu’à ce que vienne celui à qui est faite la promesse 4». Or, Notre-Seigneur Jésus-Christ est de la tribu de Juda; car, ainsi que le dit l’Ecriture, et que vous venez de l’entendre, il est né de Marie, «dans la famille de David 5». Mais dans sa divinité qui le rend égal à son père, Notre-Seigneur Jésus-Christ est non-seulement avant les Juifs, mais avant Abraham 6, non-seulement avant Abraham, mais avant Adam; non-seulement avant Adam,mais avant le ciel et la terre, et avant les siècles « Car tout a été fait par lui, et rien n’a été fait sans lui 7». Telle était donc la prophétie de Jacob : « Le Prince ne sortira point de la famille de Juda, ni le chef de sa postérité, jusqu’à ce que vienne celui qui a reçu la promesse » : parcourons les siècles, et nous trouverons que les Juifs ont toujours eu des rois de la tribu de Juda, d’où leur est venu ce nom de Juifs; qu’ils n’ont eu aucun roi étranger avant cet Hérode, qui gouvernait quand le Sauveur vint au monde «. Avant lui tous les rois étaient de la tribu de Juda, mais jusqu’à celui qui avait reçu la promesses. Aussi à l’avènement du Sauveur, le royaume des Juifs fut détruit et leur fut enlevé. Ils n’ont plus de royaume aujourd’hui, parce

 

1. Gen. XLVIII, 5, 6. — 2. I Rois, IX, 1. — 3. Id. XVI, 12. — 4. Gen. XLIX , 10. — 5. II Tim. II. — 6. Jean , VIII , 58. — 7. Id 1 3, — 8. Luc, III, 1.

 

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qu’ils ne veulent point reconnaître le véritable roi. Voyez, mes frères, s’ils doivent porter encore le nom de Juifs, ou plutôt, vous comprenez que ce nom ne leur convient plus. Car ils ont eux-mêmes abjuré ce nom, au point qu’ils ne méritent plus ce nom de fils de Juda que selon la chair. Où donc ont-ils abjuré ce nom? Ils ont blasphémé, ils ont sévi contre le Christ, c’est-à-dire contre la race de Juda, le sang de David. Pilate leur dit : « Faut-il crucifier votre roi ? » Ils répondent : « Nous n’avons d’autre roi que César 1». O peuple, qui portes le nom de Juda, tu ne l’as plus; si tu n’as d’autre roi que César, le prince n’est donc plus en Juda : il est donc venu « celui qui a reçu la promesse ». Ceux-là sont plus véritablement fils de Juda, qui de Juifs sont devenus chrétiens: quant aux fils de Juda qui n’ont pas cru au Christ, ils ont mérité de perdre jusqu’à leur nom. La véritable Judée est donc l’Eglise qui croit en ce roi, issu de la tribu de Juda. par la Vierge Marie : qui croit en celui dont l’Apôtre parlait tout à l’heure dans sa lettre à Timothée : « Souvenez vous que Notre-Seigneur Jésus-Christ, de la race de David, est ressuscité selon l’Evangile que j’annonce 2 ». Car David est fils de Juda, et le Christ est fils de David. Or, en croyant au Christ nous appartenons à Juda: et nous avons connu le Christ, non pour l’avoir vu des yeux, mais nous le tenons par la foi. Qu’ils ne nous insultent donc plus, ces Juifs qui ne sont plus Juifs. Eux-mêmes l’ont dit : « Nous n’avons  d’autre roi que César » ; il leur était plus avantageux d’avoir pour roi le Christ de la race de David, de la tribu de Juda. Mais comme le Christ issu de David selon la chair, est aussi Dieu béni par-dessus tout dans les siècles, il est tout ensemble notre roi et notre Dieu : notre roi parce que comme Christ, Seigneur et Sauveur, il est né selon la chair dans la tribu de Juda ; notre Dieu, parce qu’il est avant Juda, avant le ciel et la terre, puisque c’est par lui qu’a été fait le monde spirituel comme le monde visible. Or, si « tout a été fait par lui », Marie aussi, dont il est né, a été faite par lui. Dès lors, comment serait-il né comme le reste des hommes, Celui qui a fait la mère dont il devait naître ? Il est donc aussi notre Seigneur, selon ce mot de l’Apôtre à propos des Juifs : « Ils ont pour pères les patriarches, de qui est sorti selon la chair

 

1. Jean, XIX, 15.— 2. II Tim. II, 8.

 

le Christ même, le Dieu au-dessus de tontes choses, et béni dans tous les siècles 1 ». Mais les Juifs n’ayant vu le Christ que pour le crucifier, n’ont pas vu en lui un Dieu; les Gentils, au contraire, qui sans le voir ont cru en lui, l’ont reconnu pour Dieu. Si donc ceux-ci ont compris le Seigneur qui se réconciliait le monde dans le Christ 2, tandis que ceux-là l’ont crucifié, parce qu’ils n’ont point compris en lui un Dieu qui se cachait dans la chair, arrière cette Judée qui en porte le nom et qui ne l’est plus: et que la véritable Judée s’approche, elle à qui l’on a dit : « Approchez-vous de Dieu, et vous serez éclairés, et la confusion ne sera point sur votre visage ». Le visage du véritable Juif n’aura point à rougir. Car ils ont entendu, et ils ont cru : et l’Eglise est devenue la véritable Judée, où est connu le Christ, qui est homme de la lignée de David, et Dieu au-dessus de David.

2. « Dieu est connu dans la Judée, son nom est grand dans Israël ». Nous devons prendre Israël dans le même sens que la Judée; de même que les Juifs ne sont lias les vrais fils de Juda, de même ils ne sont pas le véritable Israélite. Que signifie en effet Israélite ? Qui voit Dieu. Or, de quelle manière ont-ils vu Dieu, ceux au milieu desquels il a vécu dans sa chair, et qui l’ont pris pour un homme qu’ils ont crucifié? A sa résurrection il s’est montré Dieu à tous ceux auxquels il lui plaisait de se faire voir. Ceux-là donc sont dignes d’être appelés Israélites, qui ont mérité de comprendre que le Christ était un Dieu fait homme, sans mépriser ce qu’ils voyaient; mais en adorant ce qu’ils ne voyaient pas. Sans voir le Christ de leurs yeux, les Gentils l’ont vu en esprit, et leur humble foi a embrassé ce qu’ils ne voyaient point. Alors ceux qui l’ont touché de leurs mai us l’ont crucifié; ceux qui t’ont vu par la foi seulement, l’ont adoré. «Son nom est grand en Israël». Veux-tu être Israélite? Souviens-toi de celui dont le Seigneur a dit: « Voilà un vrai Israélite, sans déguisement 4 ». Si « le vrai Israélite est sans déguisement », les hommes de fraude et de mensonge ne sont point Israélites. Qu’ils ne disent donc point que Dieu est chez eux, que son nom est grand en Israël. Qu’ils prouvent d’abord qu’ils sont Israélites, et moi je leur accorderai que «son nom est grand en Israël ».

 

1. Rom. IX, 5.— 2. II Cor. V, 19.— 3. Ps. XXXIII, 8.— 4. Jean, I, 47.

 

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3. « Son tabernacle est dans la paix, et sa demeure en Sion 1 ». Sion est encore pour les Juifs comme une patrie : la véritable Sion, c’est l’Eglise chrétienne. Voici en effet l’interprétation qu’on nous donne des noms hébreux: Judée signifie confession, et Israël qui voit Dieu. Or, Israël ne vient ici qu’après la Judée : « Dieu », dit le Prophète, « est connu dans la Judée, son nom est grand dans Israël ». Veux-tu voir Dieu? Confesse tes fautes, et tu

prépareras en toi une place au Seigneur; car « sa demeure est dans la paix ». Jusqu’à ce que tu aies fait l’aveu de tes fautes, tu es en guerre avec Dieu. Comment ne pas être en guerre, en effet, quand tu approuves ce qui lui déplaît? Il punit le voleur, et tu approuves le vol ; il punit l’ivrogne, et tu approuves l’ivrognerie. Tu es en guerre avec Dieu, tu ne lui fais point une place dans ton coeur; car « sa demeure est dans la paix ». Mais que faire pour être en paix avec Dieu ? Commence par l’aveu. C’est le mot du Psalmiste : « Commencez, pour le Seigneur, par l’aveu des fautes 2». Qu’est-ce à dire : « Commencez, pour le Seigneur, par l’aveu des fautes? » Commencez par vous rapprocher de Dieu. Comment? En condamnant ce qui lui déplaît. Ta vie désordonnée lui est à charge: si elle est agréable pour toi, tu es en désaccord avec lui; si elle te déplaît, tu te rapproches de lui par l’aveu. Vois donc de combien de manières tu es en désaccord avec lui, puisque c’est par cela mérite que tu lui déplais. O homme, tu as été fait à t’image de Dieu. Mais ta vie perverse et désordonnée a défiguré chez toi, a effacé chez toi l’image de ton créateur. Dans ce désaccord, situ viens à te considérer et à te déplaire, tu redeviens semblable à Dieu, puis. que tu détestes ce qu’il déteste.

4. Mais, diras-tu, comment puis-je être semblable à Dieu, quand je me déplais encore à moi-même? — Aussi le Prophète a-t-il dit : « Commencez ». Commence par confesser tes fautes au Seigneur; tu te perfectionneras dans la paix; car tu es encore en guerre contre toi-même. Tu dois combattre non-seulement contre les suggestions du démon, contre ce prince de la puissance de l’air, qui règne sur les fils de l’incrédulité, contre le diable et ses anges, contre les esprits de malice 3 ce n’est pas seulement contre tout cela qu’il te faut combattre, mais aussi contre toi-même.

 

1. Ps. LXXV, 3. — 2. Id. CXLVI, 7. — 3. Ephés. VI, 12.

 

Comment contre toi-même ? Contre tes habitudes mauvaises, contre les attaches invétérées de ta vie coupable, qui te ramènent toujours aux désordres du passé, te détournant d’une vie nouvelle. C’est orne vie nouvelle en quelque sorte, qui t’est demandée, et tu es le vieil homme. La joie d’une vie nouvelle t’élève, et le poids du vieil homme te rabaisse : ce double mouvement est une guerre contre toi-même. Te haïr toi-même, c’est t’unir à Dieu, et cette union à Dieu te donne la force de vaincre, parce que tu as avec toi Celui qui est supérieur à tout. Vois ce que dit l’Apôtre : « Je suis soumis à la loi de Dieu par l’esprit, et à la loi du péché par la chair ». Comment « par l’esprit? » Parce que tu hais ta vie désordonnée. Comment « par la chair? » C’est que tu n’es pas exempt des suggestions et des attraits du péché, mais ton coeur uni à Dieu te fait vaincre ce qui refuse en toi d’obéir. Tu avances d’une part, tu es retardé d’autre part. Traîne-toi vers celui qui t’élève en haut. Es-tu entraîné par le poids du vieil homme? Redis dans tes cris: « Malheureux homme que je suis! qui me délivrera de ce corps mortel ? » Qui me délivrera de ce corps qui m’entraîne ? Car ce corps corruptible appesantit l’âme 2. Qui donc me délivrera? « La grâce de Dieu, par Jésus-Christ Notre-Seigneur 3 ». Pourquoi te laisser dans une longue guerre contre toi-même, jusqu’à ce qùe toute convoitise soit détruite? C’est afin que tu comprennes que ton châtiment est en toi, que tu as en toi-même ton propre fléau; que ton coin bat soit de même en toi. C’est ainsi que Dieu tiré vengeance des rébellions : pour n’avoir point voulu de la paix avec Dieu, le pécheur est en guerre avec lui-même. Mais tiens tes membres en garde contre tes convoitises déréglées. Dans l’irritation, tiens-toi dans l’union de Dieu. Elle aura bien pu s’élever, mais non trouver des armes. L’irritation a ses transports, toi tu as des armes : qu’elle demeure désarmée, afin que ses vains soulèvements lui apprennent à ne plus se soulever.

5. Je vous parle ainsi, mes frères, de peur que cette parole : « Par la chair, je suis soumis à la loi du péché », ne vous fasse obéir à vos convoitises charnelles. Bien qu’il soit impossible de n’en point ressentir en cette vie, il ne faut point y consentir pour cela,

 

1. Rom. VII, 25. — 2. Sag. IX, 15. — 3. Rom. VII, 25,

 

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Aussi l’Apôtre n’a-t-il pas dit: Que le péché n’entre point dans votre corps mortel. Il sait que dans un corps mortel il y aura toujours péché. Mais que dit-il donc? « Que le péché ne règne point en votre corps mortel ». Qu’est-ce à dire, « qu’il ne règne pas? » Le même saint Paul nous l’explique. «En sorte», dit-il, « que vous lui obéissiez dans ses tendances 1 ». Il y a donc des tendances dans la chair, elle a ses inclinations; mais tu n’obéis point à ces tendances, tu n’es pas à la remorque de ces inclinations, ta volonté n’y est point : le péché est en toi, mais il a perdu son empire, puisqu’il n’y règne en aucune sorte. Alors sera détruite la mort, ta dernière ennemie 2. Que nous promet l’Apôtre en disant que l’esprit en nous obéit à la loi de Dieu, tandis que la chair obéit à la loi du péché 3? Apprends qu’il nous promet que ces désirs déréglés s’éteindront un jour dans notre chair. Car elle ressuscitera et sera changée; et quand cette chair mortelle sera devenue un corps spirituel, alors nulle convoitise du siècle, nul attrait charnel ne fera battre notre coeur, et ne nous détournera de la contemplation de Dieu. Ainsi donc s’accomplira ce que dit l’Apôtre : « A la vérité, le corps est mort à cause du péché, mais  l’esprit est vivant à cause de la justice. Si donc l’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus-Christ habite en vous, celui qui a ressuscité Jésus-Christ d’entre les morts, rendra aussi la vie à vos corps mortels à cause de son Esprit qui habite en vous 4». Donc après la résurrection, le corps jouira de cette paix où le Seigneur établit sa demeure : mais faisons d’abord l’aveu de nos fautes. « Dieu est connu dans la Judée ». Confesse à Dieu ce que tu es, alors « son nom sera grand en Israël ». Tu ne vois pas Dieu tel qu’il est, vois-le par la foi, et alors s’accomplira cette parole : « Et il fixe dans la paix sa demeure, c’est en Sion qu’il habite ». Sion signifie contemplation. Que veut dire contemplation? Nous contemplerons Dieu face à face 5. Ici-bas on nous promet Celui en qui nous croyons sans te voir. Quelle sera notre joie quand nous le verrons? Mes frères, si la simple promesse nous fait ainsi tressaillir aujourd’hui, que sera-ce quand elle s’accomplira? Car Dieu accomplira ce qu’il a promis. Et qu’a-t-il

 

1. Rom. VI, 12. — 2. I Cor. XV, 26. — 3. Rom. VII, 25. — 4. Id. VIII, 10, 11.— 5. I Cor. XIII, 12.

 

promis? Lui-même, que nous verrons face à face, et dont la vue causera notre joie: et rien autre chose n’aura pour nous des charmes, parce que rien n’est supérieur à Celui qui a fait lui-même tout ce qui peut nous plaire. « Son tabernacle est dans la paix et il habite en Sion »: c’est-à-dire que sa demeure s’établit dans une contemplation paisible, dans une vue bienheureuse, « en Sion ».

6. « C’est là qu’il a brisé la puissance de l’arc, le bouclier, le glaive et la guerre 1 ». Où les a-t-il brisés? Dans cette paix éternelle, cette paix parfaite. Et maintenant, mes frères, ceux qui ont une foi saine, comprennent qu’ils ne doivent point présumer d’eux-mêmes; ils émoussent en eux-mêmes la pointe de leurs glaives, et toute la force de leurs menaces. C’est là que Dieu a brisé toutes les forces dont ils attendaient un secours temporel, et cette guerre qu’ils faisaient à Dieu en défendant leurs péchés.

7. « C’est vous qui répandez une lumière admirable du haut des montagnes éternelles 2 ». Quelles sont ces montagnes éternelles? Celles que Dieu même a rendues éternelles ; quettes sont ces montagnes élevées? les prédicateurs de la vérité. C’est vous qui les éclairez, mais du haut des montagnes éternelles : ces hautes montagnes reçoivent d’abord votre lumière, et la terre se revêt ensuite de cette lumière qu’ont reçue les montagnes. Mais les grandes montagnes qui ont reçu la lumière sont les Apôtres, les Apôtres éclairés des premiers rayons de cette lumière naissante. Ont-ils retenti pour eux ce qu’ils avaient reçu? Point du tout; afin de ne pas entendre cette parole: « Méchant et lâche serviteur, que ne donnais-tu mon argent à la banque 3? » Si donc ils n’ont point retenu pour eux ce qu’ils avaient reçu, mais l’ont prêché à l’univers entier, « voilà que des montagnes éternelles vous avez répandu la lumière ». Vous avez rendu ces montagnes éternelles, et par elles vous avez promis aux autres une vie sans fin. « Du haut des montagnes éternelles, c’est vous qui avez répandu une admirable lumière ». C’est vous, dit le Prophète avec poids et magnificence, « c’est vous » ; afin que nul ne s’imagine que ce sont les montagnes qui l’éclairent. Il en est plusieurs en effet qui ont cru que la lumière était produite par les montagnes,

 

1. Ps. LXXV, 4.— 2. Id. 5.— 3. Matth. XXV, 26, 27

 

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et ils se sont partagé ces montagnes : et voilà que les montagnes se sont affaissées, et qu’eux-mêmes ont été brisés. Quelques-uns se sont choisi Donat, quelques autres ont suivi Maximien, celui-ci l’un , celui-là l’autre. Pourquoi s’imaginer que le salut vient des hommes, et non de Dieu? O homme! la lumière te vient au moyen des montagnes, mais celui qui éclaire, c’est Dieu, et non point les montagnes. « C’est vous qui éclairez », dit le Prophète, « vous », et non les montagnes. « C’est vous qui répandez la lumière », au moyen des montagnes éternelles, il est vrai mais la lumière vient de vous. De là vient cette autre parole du Psalmiste : « J’ai levé les yeux vers les montagnes, d’où me viendra le secours ». Quoi donc! est-ce dans les montagnes que tu espères, est-ce de là que ton secours doit venir? Es-tu demeuré sur les montagnes? Prends garde à toi. Il y a quelque chose au-dessus des montagnes; il y a, par-dessus les montagnes, Celui que redoutent les montagnes. « J’ai levé les yeux vers les montagnes, d’où me viendra le secours ». Mais que dit ensuite le Prophète? « Mon secours », a-t-il soin de dire, « me viendra du Seigneur qui a fait le ciel et la terre 1 ». J’ai donc levé les yeux vers les montagnes, parce que ces montagnes m’enseignent les Ecritures; mais mon coeur espère en Celui qui éclaire toutes les montagnes.

8. Je vous parle ainsi, mes frères, afin que nul d’entre vous ne mette son espérance dans un homme. Car l’homme n’est quelque chose qu’en s’attachant à Celui qui l’a créé : dès qu’il s’en retire, il n’est plus rien, fût-il uni aux autres hommes. Prends donc conseil d’un homme, de manière à ne voir que Celui qui éclaire les hommes. Car toi-même tu peux avoir accès auprès de Celui qui t’instruit par un homme, car il ne t’a pas rejeté pour le faire approcher. Mais celui qui s’approche véritablement de Dieu, de manière que Dieu habite en lui, ne peut souffrir ceux qui ne mettent pas en lui seul leurs espérances. Aussi nous en fut-il donné un exemple, quand les fidèles se partagèrent les Apôtres, et se divisèrent en schismes, en disant : « Moi je suis à Paul, et moi à Apollo, et moi à Céphas », ou à Pierre. L’Apôtre s’apitoie sur eux, et leur dit : « Le Christ est-il donc divisé? » et se choisissant lui- même pour s’humilier devant

 

1. Ps. CXX, 1, 2.

 

eux, « Paul a-t-il donc été crucifié pour vous », s’écrie-t-il, « ou seriez-vous baptisés au nom de Paul 1 ?» O sainte montagne! qui ne cherche point sa gloire, mais la gloire de Celui qui éclaire les montagnes. Il ne voulait point qu’on mit son espoir en lui, mais en Celui en qui lui-même espérait. Quiconque dès lors se fera valoir aux yeux des peuples, de manière à les séparer au moindre trouble qui arrive, et à se faire un Parti en divisant l’Eglise catholique, celui-là n’est pas une montagne éclairée par le Très-Haut. Qu’est-il donc? Aveuglé par lui-même, et non point éclairé par le Seigneur. Comment éprouver la fidélité de ces montagnes? S’il arrive dans l’Eglise quelque trouble contre les montagnes, soit par les séditions des hommes charnels, soit par les faux soupçons des autres hommes, une montagne fidèle repousse avec horreur tous ceux qui ‘voudraient se donner à elle pour se séparer de l’unité. Elle-même demeurera dans l’unité quand elle ne souffrira point que l’unité se divise à son occasion. Pour ceux qui sont divisés, ils ont tressailli de joie, quand le peuple a fait schisme avec l’univers entier, pour suivre leur nom ; ils se sont élevés, et ont été rejetés. Que ne s’humiliaient-ils ! Dieu les eût relevés. Puni s’abaisse lui-même quand il dit : « Paul a-t-il donc été crucifié pour vous? » Et ailleurs « J’ai planté, A polio a arrosé ; mais Dieu a donné l’accroissement. Or, celui qui plante n’est rien, non plus que celui qui arrose, mais bien Dieu qui donne l’accroissement 2». Ces montagnes sont humbles en elles-mêmes, élevées aux yeux de Dieu; mais ceux qui s’élèvent en eux-mêmes sont humiliés par Dieu. « Car celui qui s’élève sera abaissé, et quiconque s’abaisse sera humilié 3 ». Ces hommes, dès lors, qui recherchent leur propre gloire, abreuvent de fiel les hommes pacifiques dans l’Eglise. Les uns s’efforcent de maintenir la paix, les autres de semer la discorde. Or, que dit à ce sujet un autre psaume? « Que les hommes de fiel ne s’élèvent point en eux-mêmes 4. C’est vous qui donnez la lumière », écoutez bien, « vous qui donnez une lumière admirable du haut des montagnes éternelles ».

9. « Les hommes au coeur insensé ont été dans le trouble 5 ». On a prêché la vérité,

 

1. I Cor. I, 12, 13. — 2. Id. III , 6,7. — 3. Luc, XIV, 11. — 4. Ps. LXV, 7.— 5. Id. LXXV, 6.

 

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annoncé la vie éternelle aux hommes, et à cette lumière que répandaient les montagnes, les hommes ont fait bon marché de la vie présente pour acquérir la vie éternelle. « Mais les hommes au coeur insensé ont été dans le trouble ». Commuent « se sont-ils troublés? » Quand on a prêché l’Evangile. Qu’est-ce donc que la vie éternelle? Qui donc est ressuscité d’entre les morts.? Ainsi parlaient avec surprise les Athéniens, quand Paul leur annonçait la résurrection des morts, qu’ils prirent pour je ne sais quelle fable nouvelle 1. Mais comme il parlait d’une autre vie, que l’oeil n’a point vue, que l’oreille n’a pas entendue, que le coeur de l’homme n’a point comprise 2, voilà que « des insensés ont été dans le trouble ». Or, que leur est-il arrivé? « Ils ont dormi leur sommeil, et n’ont trouvé dans leurs mains aucune de leurs richesses ». Ils ont aimé les biens de cette vie, ils se sont endormis sur ces biens, et ces biens leur ont causé des délices, telles qu’en ressent un homme qui, dans son rêve, trouve des trésors ; tant qu’il ne s’éveille point, il est riche. Un songe l’a fait riche, le réveil va l’appauvrir. Le voila qui s’est endormi sur la terre, et sur la terre dure, pauvre, mendiant peut-être; il s’est vu en songe dans un lit d’or ou d’ivoire, et sur des monceaux de plumes : tant qu’il dort, il est bien; mais à son réveil il se retrouve sur la terre dure où il s’était endormi. Telle est l’image des riches. Ils sont venus en cette vie, où les ont tenus endormis les convoitises temporelles; ils se sont trouvés au milieu des pompes et du luxe des richesses: ce luxe a passé devant leurs yeux, et ils n’ont point compris combien ils pouvaient en devenir meilleurs. Car, s’ils eussent connu une autre vie, ils s’y seraient amassé un trésor, avec ce qui doit périr ici-bas : c’est ce bien que connut  Zachée, chef des publicains, quand il reçut Jésus dans sa maison, et qu’il dit : « Je donne la moitié de mes biens aux pauvres, et si j’ai fait tort à quelqu’un, je lui rendrai quatre fois autant 3 ». Il n’était point dans l’illusion d’un songe, mais dans la foi d’un homme éveillé. Aussi le Seigneur, qui était venu comme un médecin auprès d’un malade, annonça la guérison de cet homme, en disant: « Le salut est entré aujourd’hui dans cette maison, car celui-ci est aussi un enfant

 

1. Act. XVII, 18, 32. — 2. I Cor, II, 9. — 3. Luc, XIX.

 

d’Abraham 1». D’où nous apprenons que nous devenons enfants d’Abraham en imitant sa foi mais les Juifs ont dégénéré de cette foi, en s’enorgueillissant dans la chair. « Ces hommes donc ont dormi leur sommeil, dans leurs richesses, et ensuite ils n’ont rien trouvé dans leurs main ». Ils se sont endormis dans leurs convoitises; ce sommeil leur plaît, mais il passe, leur vie passe également, et ils se trouvent les mains vides, parce qu’ils n’ont rien mis en dépôt dans la main du Christ. Veux-tu trouver un jour quelque chose dans ta main ? Ne méprise pas maintenant la main du pauvre, et regarde les mains vides, si tu veux qu’un jour tes mains soient pleines. Car le Seigneur l’a dit : « J’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger; j’ai eu soif, et vous m’avez donné à boire; j’ai été étranger, et vous m’avez recueilli », et le reste. Et ceux-ci : « Quand est-ce que nous vous avons vu ayant faim, ou soif, ou étranger? » Alors le Sauveur leur répond : « Ce que vomis avez fait au moindre des miens, c’est à moi que vous l’avez fait 2 ». Il a voulu avoir faim dans les pauvres, Celui qui est riche dans les cieux; et toi, ô homme, tu hésites à donner à l’homme, quand tu sais que lui donner, c’est donner au Christ, qui t’a donné le premier ce que tu donnes ensuite? Mais les riches « ont dormi leur sommeil, et ensuite n’ont retrouvé en leurs mains aucune de leurs richesses ».

10. « A vos menaces, ô Dieu de Jacob, les cavaliers se sont assoupis 3 ». Quels sont « ces hommes montés sur des chevaux? » Ceux qui ont repoussé l’humilité. Monter à cheval n’est pas un péché, mais bien élever contre Dieu une tête orgueilleuse, et alors se croire en honneur. Tu es donc à cheval, ô riche; Dieu tonne, et tu t’endors. O colère menaçante ! colère d’uni Dieu ! Ecoutez bien, mes frères, ce qu’il nous faut craindre, La menace est un bruit, et d’ordinaire le bruit tire les hommes du sommeil. Mais au contraire, sous le poids de menaces divines, le Prophète s’écrie : « Au bruit de vos menaces, ô Dieu de Jacob, les cavaliers se sont assoupis ». Tel était le sommeil de Pharaon, qui montait sur des chevaux 4. Son coeur ne se réveilla point, parce que ce même coeur s’était endurci contre les menaces. L’en-

 

1. Luc, XIX, 9.— 2. Matth. XXV, 35-40.— 3. Ps, LXXV, 7.—  4. Exod. XIV, 8.

 

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durcissement du coeur est un vrai sommeil. Voyez, mes frères, je vous en supplie, combien il en est qui sont endormis profondément; dans l’univers entier on prêche l’Evangile, on chante partout, Amen et Alleluia, et ils ne veulent point condamner la vie du vieil homme, pour s’éveiller à une vie nouvelle, Jadis l’Ecriture sainte n’était qu’en Judée, aujourd’hui elle est récitée dans tout l’univers. Il n’y avait qu’une nation où l’on prêchât le culte d’un seul Dieu, où le Créateur de toutes choses fût adoré; et maintenant où n’est-il point publié? Le Christ est ressuscité; bafoué sur la croix, il a mis sur le front des empereurs cette même croix, instrument de ses épreuves; et l’on sommeille encore ! Effrayante colère du Seigneur, mes frères! Combien il est mieux pour nous d’écouter celui qui dit : « Debout, ô toi qui dors, lève-toi d’entre les morts, et le Christ sera ta lumière 1». Mais qui écoutera sa parole? Ceux qui ne montent point à cheval. Qui ne se grandit point sur des chevaux? Ceux qui ne s’élèvent pas, qui ne se font pas de leurs honneurs et de leur puissance, un certain piédestal. « Au bruit de vos menaces, ô Dieu de Jacob, les cavaliers se sont assoupis ».

11. « Vous êtes terrible, et qui pourra vous résister dans votre colère 2? » Aujourd’hui qu’ils dorment leur sommeil, ils ne comprennent point votre colère, mais l’effet de cette colère est leur sommeil même. Un jour ils verront pour l’éternité ce qu’ils ne voient point aujourd’hui dans leur assoupissement; quand apparaîtra le Juge des vivants et des morts, alors « qui pourra vous résister dans votre colère? » ils discourent maintenant à leur gré, ils disputent contre Dieu, et osent dire : Quels sont les chrétiens? ou, qui est le Christ? ou bien : Quelle ineptie de croire ce que l’on ne voit pas, et de renoncer aux plaisirs que l’on voit de ses yeux, pour s’opiniâtrer à croire ce que les yeux ne voient point? Insensés, vous rêvez, vous aboyez, vous vous élevez contre Dieu de toute la force de vos blasphèmes. Jusques à quand, ô mon Dieu, jusques à quand les pécheurs pourront-ils se glorifier? Jusques à quand se répandront-ils en vains discours 3? Mais quand cessera-t-on de répondre et de questionner, sinon quand on rentrera en soi-même? Quand est-ce qu’ils tourneront contre eux-

 

1. Ephés. V, 14. — 2. Ps. LXXV, 8. — 3. Id. XCIII, 3.

 

mêmes ces dents acérées dont ils nous déchirent maintenant, en raillant les chrétiens, en jetant le ridicule sur la vie des saints? Ils ne se tourneront contre eux-mêmes, que quand s’accomplira l’oracle de la sagesse : « Ils diront alors en eux-mêmes, se repentant et gémissant dans l’angoisse de leur esprit »; ils diront en voyant la gloire des saints : « Les voilà, ces hommes que nous avions en mépris ». O vous, qui dormez depuis si longtemps ! vous sortez de votre sommeil, et vous vous trouvez les mains vides. Vous les voyez, au contraire, ayant la gloire de Dieu à pleines mains, ces pauvres que vous tourniez en dérision. Dites alors, alors que vous ne pouvez résister à la colère de Dieu, ni de la main, ni de la langue, ni des paroles, ni de la pensée; dites, quand vous verrez à découvert Celui que vous avez tourné en dérision lorsqu’on vous annonçait son avènement; mais que diront-ils? « Nous avons donc erré loin de la voie de la vérité, et la lumière de la justice n’a pas lui à nos yeux, et le soleil ne s’est point levé pour nous». Comment le soleil de la justice se lèverait-il pour des hommes endormis? Mais ce sommeil est un effet de la colère et des menaces de Dieu. Peut être me dira-t-on: Mais si je ne montais pas à cheval; et alors ils s’accuseront d’être montés sur des chevaux. Ecoutez-les s’en prendre à ces chevaux sur lesquels ils ont dormi : « Nous avons donc erré loin de la vérité, et la lumière de la vérité n’a point lui à nos yeux, le soleil ne s’est point levé pour nous. Que nous a servi notre orgueil? que nous a procuré l’ostentation de nos richesses? Tout a passé comme une ombre ».Te voilà donc enfin réveillé. Mais il eût mieux valu pour toi ne pas monter à cheval, et ne point t’assoupir alors que tu devais être éveillé, pour entendre la voix du Christ, qui eût été la lumière. « Vous êtes terrible, Seigneur, et qui peut vous résister dans votre colère? » Qu’arrivera-t-il alors?

12. « Du haut du ciel vous avez lancé vos jugements, la terre s’en est émue, elle est demeurée dans le silence 2 ». Elle qui se trouble, elle qui ose maintenant parler, sera dans le silence et dans le repos. Mieux vaudrait pour elle le repos aujourd’hui et la joie au dernier jour.

 

1. Sag. V, 3, 6, 8, 9. — 2. Ps. LXXV, 9.

 

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13. « La terre a tremblé, elle est demeurée dans la stupeur ». Quand? « Alors que Dieu  se levait pour le jugement, afin de sauver tous ceux qui ont le coeur doux 1 ». Quels sont ces hommes au « coeur doux? » Ceux qui n’ont point monté sur des chevaux frémissants, mais qui ont humblement confessé leurs péchés. « Afin de sauver les hommes au coeur doux ».

14. « C’est pourquoi la pensée de l’homme vous confessera, et les restes de cette pensée célébreront une fête en votre honneur». « Unie pensée » d’abord, et ensuite « les restes de cette pensée » Quelle est cette « pensée » première? Celle qui commence, et la bonne « pensée » est celle qui commence l’accusation de ses fautes. La confession nous unit au Christ. Mais cette confession elle-même ou cette première « pensée » laisse en nous comme des suites, et ces mêmes « suites de la pensée célébreront en votre honneur des solennités. La pensée de l’homme vous confessera, et les suites de cette pensée célébreront des solennités en votre honneur 2 » Quelle sera donc « la pensée qui confessera? » Une désapprobation de notre vie passée, qui prend à dégoût ce que nous avons été, et nous fait ce que nous n’étions pas encore: telle est la première « pensée ». Toutefois, comme l’aveu de tes fautes qui est le fruit de ta première pensée , te doit éloigner du péché, saris te faire oublier que tu as été pécheur; avoir été pécheur, c’est là célébrer une fête en l’honneur de Dieu. Encore plus de clarté. La première « pensée » est l’aveu qui nous fait rompre avec le passé: mais oublier les fautes dont nous avons été délivrés, c’est ne pas remercier Dieu, et ne point célébrer une fête en son honneur. Voyez la première « pensée » de Saul devenu apôtre, et déjà Paul. Il était d’abord Saut, quand une voix se fit entendre du ciel, au moment où il persécutait le Christ, enlevait les chrétiens, et les cherchait partout pour les traîner à la mort; il entendit cette voix du ciel: « Saul, Saul, pourquoi me persécuter 3?» Environné de lumière et néanmoins frappé d’aveuglement afin de ne voir qu’à l’intérieur, il émit sa première pensée d’obéissance. Il entendit ces paroles: « Je suis Jésus de Nazareth que tu persécutes. Seigneur », dit-il alors, « que voulez-vous que je fasse 4? »

 

1. Ps. LXXV, 10, —  2. Id. 11. — 3. Act. IX, 4. — 4. Id. 5.

 

C’est là une « pensée » de confession ; il appelle Seigneur Celui qu’il persécutait. Comment « les restes de cette pensée seront-ils une fête ? » Saint Paul vous l’a dit lui-même, dans la lecture que vous avez entendue : « Souvenez-vous que Jésus-Christ, de la race de David, est ressuscité selon l’Evangile que j’annonce 1 ».  Qu’est-ce à dire : « Souvenez-vous ? » Que cette « pensée », qui vous a fait tout d’abord avouer vos fautes, ne s’efface point de votre mémoire. Et voyez comme le même Apôtre se souvient du lardon qui lui a été accordé: « Tout d’abord », nous dit-il ailleurs, « je fus un blasphémateur, un persécuteur, un ennemi 2 ». Mais dire: « Je fus un blasphémateur », est-ce l’être encore? Pour n’être plus blasphémateur, il eut tout d’abord une « pensée » de confession : et pour se souvenir du pardon, il eut « ces suites de la pensée », et ces suites furent une fête en l’honneur de Dieu.

15. Le Christ en effet, mes frères, nous a renouvelés, il nous a pardonné nos fautes et il a opéré notre conversion. Oublier cette miséricorde et Celui qui nous l’a faite, c’est oublier le don du Sauveur: mais quand nous n’oublions point le don du Sauveur, Jésus-Christ n’est-il pas chaque jour immolé pour nous? Il l’a été une fois; croire en lui, c’était là une première « pensée » ; « les suites de « cette pensée », sont de nous souvenir de Celui qui est venu en nous, de ce qu’il nous a pardonné. Ces restes de notre pensée, ou ce souvenir fait que Jésus-Christ s’immole chaque jour pour nous, et renouvelle chaque jour en nous cette première grâce du renouvellement. Car le Seigneur nous a retrempés dans le baptême, et nous sommes devenus des hommes nouveaux, pleins de joie dans l’espérance, et de patience dans la tribulation «. Et toutefois ne perdons pas le souvenir de la grâce qui nous a été faite. Si votre « pensée » n’est point aujourd’hui ce qu’elle a été, car votre première « pensée » a été de sortir du péché, et si vous n’en sortez pas maintenant que cette oeuvre est accomplie, ayez en vous « les restes de votre pensée », et n’oubliez point Celui qui vous a guéris. Oublier que vous fûtes blessés autrefois, c’est n’avoir plus « les restes de votre pensée». Que veut dire ici David, croyez-vous? Car il parle ici au nom de tous. David

 

1. II Tim. II, 8.— 2. I Tim, I,13.— 3. Rom. XII, 12.

 

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nonobstant sa sainteté pécha gravement, et le prophète Nathan lui fut envoyé pour le réprimander. David confessa sa faute en disant: « J’ai péché 1 ». Cette pensée d’accusation fut sa première « pensée ». « La pensée de l’homme vous confessera ». Quels furent « les restes de cette pensée? » Ce fut de dire: « Mon péché est toujours devant moi 2».Quelle fut donc sa première « pensée? » De sortir du péché. Mais s’il est sorti du péché, comment son péché peut-il être toujours devant lui, sinon qu’après l’exécution de sa première « pensé », « les restes de cette même pensée » offrent à Dieu une fête continuelle? Tel est le souvenir que je vous supplie de garder, mes frères bien-aimés: que tout pécheur délivré se souvienne de ce qu’il a été, qu’il conserve « les restes de sa pensée ». Car il supportera ceux qui sont à guérir, s’il se souvient d’avoir été guéri. Que chacun donc se souvienne de ce qu’il a été, qu’il voie s’il ne l’est point encore, et il viendra en aide à Celui qui est encore ce que lui-même n’est plus. Que si au contraire il veut s’appuyer de ses propres mérites, et repousser les pécheurs comme indignes, et sévir contre eux sans aucune pitié, il monte alors à cheval, qu’il prenne garde à l’assoupissement. « Ils se sont assoupis tous ceux qui sont montés sur des chevaux ». Mais voilà qu’il descend de cheval, qu’il s’est humilié : qu’il n’y monte plus une seconde fois, c’est-à-dire, qu’il ne s’élève plus dans son orgueil. Comment cela se fera-t-il ? « Si les restes de sa pensée » sont pour Dieu une hymne de louanges.

16. « Faites au Seigneur, votre Dieu, des « voeux, et accomplissez-les 3 ». Que chacun fasse des voeux selon son pouvoir, et les accomplisse. N’allez point faire des voeux que vous n’accompliriez pas; niais que chacun proportionne ses voeux à son pouvoir et les accomplisse. Ne soyez point tièdes à offrir des voeux; car ce n’est point par votre force que vous les accomplirez. Vous serez en défaut si vous comptez sur vous-mêmes; mais faites des voeux, si vous comptez sur le Dieu à qui vous les faites, car alors vous les accomplirez. « Faites au Seigneur votre Dieu des voeux et accomplissez-les ». Quels voeux devons-nous faire communément à Dieu? De croire en lui, d’espérer qu’il nous donnera la vie éternelle, de vivre saintement dans la

 

1. II Rois, XC, 13. — 2. Ps. L, 5. — 3. Id. LXXV, 12.

 

vie commune à tous les chrétiens. Car il est une manière de vivre commune à tous. S’abstenir du vol, n’est pas un précepte enjoint aux vierges, et dont serait exempte une épouse ; ne pas commettre l’adultère, est un précepte commun à tous; éviter les excès du vin, qui gorgent l’âme et souillent en nous le temple de Dieu, est encore un précepte pour tous ; il est aussi défendu à tous de ne point s’enorgueillir, à tous encore de ne point commettre l’homicide, de ne point haïr son frère, de ne vouloir aucun mal à personne. Voilà des voeux obligatoires pour tous. Mais il est encore des voeux particuliers à chacun. L’un a fait voeu d’être chaste dans le mariage, et de ne connaître aucune autre femme que la sienne; de même une femme a fait voeu de ne connaître que son mari. Quelques-uns, après s’être engagés dans le mariage, ont fait voeu de n’en plus user, de ne plus rien désirer ou supporter de semblable; d’autres sont allés plus loin encore que ces derniers. D’autres ont fait voeu, dès l’enfance, de garder la virginité, et de ne pas même se permettre le mariage, que ces derniers s’étaient permis: c’est un voeu plus parlait. Ceux-ci ont promis à Dieu de faire de leur maison l’asile de tous nos frères qui peuvent leur venir : c’est là un voeu agréable à Dieu. Celui-là promet de quitter son bien pour le donner aux pauvres, et de vivre en communauté dans la compagnie des saints: c’est encore un voeu méritoire, « Faites au Seigneur votre Dieu des voeux, et accomplissez-les ». Que chacun fasse tel voeu qu’il voudra: qu’il ait soin seulement d’accomplir sa promesse. Quiconque après avoir fait un voeu, regarde en arrière, est déjà coupable. Voilà je ne sais quelle vierge qui veut se marier après avoir fait voeu de virginité. Que veut-elle? Ce que veut toute autre tille. Que veut-elle encore? Ce que veut sa mère. Est-elle donc si coupable ? Oui, sans doute. Pourquoi? Parce qu’elle avait fait un voeu au Seigneur son Dieu. Que dit saint Paul à propos de ces personnes? Il dit aux jeunes veuves de se marier si elles veulent 1; et pourtant il ajoute à un certain endroit: « Elle sera plus heureuse, si elle demeure veuve, et c’est ce que je lui conseille 2 ». Il dit qu’elle sera plus heureuse de demeurer veuve, niais il ne la condamne pas si elle veut se marier. Et que dit-il de celles qui ont fait

 

1. I Tim. V, 14 — 2. I Cor. VII, 40.

 

des voeux sans les accomplir? « Elles encourent la condamnation », dit-il, « parce qu’elles éludent leur promesse déjà faite 1 ». Qu’est-ce à dire, «elles éludent leur promesse déjà faite? » Elles ont fait no voeu qu’elles n’accomplissent point. Que nul de nos frères qui ont embrassé la vie monastique ne dise: Je me retire du monastère, car il n’y aura pas que les moines pour aller au ciel, et ceux qui ne sont point ici, ne laissent pas d’être à Dieu. On lui répond : Ceux-là n’ont fait aucun voeu; toi, tu en as fait, et tu regardes en arrière. Que dit le Seigneur en nous menaçant du jour du jugement ? « Souvenez vous de la femme de Loth. Et il parle pour toits. Que fit la femme de Loth? Elle échappe à la ruine de Sodome, mais, chemin faisant, elle tourne la tête, et la voilà qui demeure où elle avait regardé. Elle est changée en statue de sel 3, et devient une leçon pour ceux qui la verront à l’avenir; afin qu’ils deviennent sages, ne soient point insipides, ne regardent point en arrière, ne donnent point l’exemple pernicieux qui les fixerait pour devenir un exemple aux autres. Voilà ce que nous disons aujourd’hui à quelques-uns de nos frères que nous voyons s’affaiblir eu quelque sorte dans leurs bonnes résolutions : Voulez-vous donc ressembler à tel ou tel ? en leur citant ceux qui ont regardé en arrière. Voila des hommes fades en eux-mêmes, et qui servent de condiment aux autres: on les cite afin d’intimider par leur exemple, et de préserver de leur chute. « Faites au Seigneur votre Dieu des voeux, et accomplissez-les ». Cette femme de Loth est pour tous un exemple. Qu’une femme mariée veuille commettre l’adultère, c’est là tourner la tête du lieu où elle était arrivée. Une veuve qui a fait voeu de demeurer en cet état, veut se marier, elle veut ce qui a été permis à d’autres qui sont mariés une seconde fois ; mais à elle cela n’est point permis, c’est regarder en arrière. Voila une vierge qui s’est consacrée à Dieu, elle avait toutes les vertus qui embellissent la virginité elle-même, et sans lesquelles cette pureté n’est que laideur. Que serait-ce en effet qu’une âme corrompue dans une chair intacte? Que dis je? Que serait-ce qu’une chair immaculée, avec l’intempérance du vin, de l’orgueil, de la colère, de la langue ? Car tout cela est condamné par Dieu. Qu’elle se soit mariée avant

1. I Tim. V, 12. —  2. Luc, XVII, 32. — 3. Gen. XIX, 26.

 

d’avoir fait des voeux, elle n’était point condamnable ; elle a choisi mieux, elle s’est élevée au-dessus de ce qui lui était permis; et voilà que son orgueil la porte à des excès. Je le répète, Il est permis de se marier avant d’avoir fait des voeux, mais de s’enorgueillir, jamais. Toi donc, ô vierge de Dieu, tu as renoncé au mariage qui était permis, et tu as de l’orgueil, ce qui n’est jamais permis. L’humilité dans une vierge est supérieure à l’humilité dans une épouse ; mais une épouse qui est humble est bien supérieure à une vierge orgueilleuse. Quant à celle qui s’est retournée vers le mariage, ce n’est point pour avoir voulu se marier qu’elle est condamnable, mais parce qu’elle s’était élevée au-dessus du mariage, et qu’elle a regardé en arrière comme la femme de Loth. Ne vous attardez point, mues frères, qui le pouvez, vous à qui Dieu domine d’aspirer à un état plus élevé: ce n’est point pour vous détourner des voeux, que je vous parle de la sotte, mais pour vous faire accomplir ce que vous avez promis. « Faites des voeux au Seigneur votre Dieu, et accomplissez-les ». Peut-être que mon langage t’a détourné des voeux que tu voulais taire. Mais écoute ce que dit le Psalmiste. Il ne dit point: Ne faites aucun voeu; mais au contraire : « Faites des voeux et « accomplissez-les o. Voudrais-tu ne faire aucun voeu, parce qu’il est dit « Accomplissez-les ? » Alors tu voulais en faire, mais pour ne point les accomplir? Fais l’un et l’autre au contraire : L’un sera le fruit de ta bonne volonté, l’autre du secours de Dieu. Considère Celui qui te conduit, et tu ne regarderas point en arrière le lieu d’où il t’a fait sortir. Ton guide est devant toi, le lieu d’où tu viens est derrière toi. Aime ton guide. et tu n’encourras pas sa condamnation en regardant derrière. « Faites des voeux au Seigneur votre Dieu, et accomplissez-les ».

17. « Tous ceux qui l’environnent, lui offriront des présents». Qui est-ce qui environne le Seigneur ? En quel lieu peut-être celui-ci pour dire: « Tous ceux qui l’environnent?» Si tu as en pensée Dieu le Père, où peut n’être l’oint Celui qui est présent partout? Si c’est le Fils dans sa nature divine, il est avec le Père, présent partout : car il est la sagesse de Dieu, dont il est dit : « Elle atteint partout à cause de sa pureté 1 ». Si tu envisages le Fils,

 

1. Sag. VII, 24.

 

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comme revêtu de notre chair, tel qu’on l’a vu parmi les hommes, il fut crucifié, il est ressuscité, et nous savons qu’il est monté au ciel. Qui donc est autour de Dieu ? Les anges. Et nous, n’offrons-nous aucun présent? Car le Prophète a dit : « Tous ceux qui l’environnent lui offriront des présents ».Si Notre-Seigneur était enseveli quelque part sur ta terre, si son corps était renfermé dans quelque tombeau comme celui des martyrs, nous remarquerions ceux qui seraient à l’entour, et les peuples qui avoisineraient ce tombeau, ou ceux qui y viendraient de toutes parts. Maintenant qu’il s’est élevé de la terre, il est au ciel. Que signifie : « Tous ceux qui l’environnent lui offriront des présents ? » Je vais vous dire le sens que Dieu daigne m’inspirer au sujet de ces paroles : s’il s’en présente un meilleur, il sera également à vous, car la vérité est de tout le monde : elle n’est ni à vous ni à moi, ni à celui ci, ni à celui-là, elle est commune à tous. Peut-être est-elle au milieu de nous, afin d’être ainsi environnée de tous ceux qui l’aiment. Ce qui est commun à tous, est au milieu de tous. Qu’est-ce à donc au milieu? Egalement éloignée de tous, également rapprochée de tous. Ce qui n’est pas au milieu, paraît un bien privé. Ce qui est public, se place au milieu, afin que tous ceux qui viennent en aient une part, en soient éclairés. Que nul ne dise: Ceci est à moi, de peur de s’approprier ce qui est au milieu pour tous. Qu’est-ce donc: « Tous ceux qui l’environnent lui offriront des présents ? » Tous ceux qui comprennent que la vérité est commune à tous, qui ne tentent pas de se l’approprier avec orgueil comme leur bien propre, lui offriront des présents, parce qu’ils ont de l’humilité. Ceux, au contraire, qui s’emparent de ce qui est commua à tous, qui attirent séparément à eux ce qui est au milieu, n’offrent pas des présents à Dieu; car « tous ceux qui l’environnent offrent les présents au Dieu terrible ». C’est au Dieu terrible que l’on fait des offrandes. Qu’ils le craignent dès lors, tous ceux qui l’environnent. lis le craindront en effet, et le loueront avec frayeur, car ils ne l’environnent que pour l’atteindre, afin de le posséder en commun, d’en recevoir une lumière commune à tous. C’est là craindre Dieu. Chercher à se l’approprier, de sorte qu’il ne soit plus le bien de tous, c’est le propre de l’orgueil. Or, il est écrit : « Servez le Seigneur avec crainte, et louez-le avec tremblement 1 ». Donc ceux qui l’environnent lui offriront des présents, car ceux-là sont humbles qui savent que la vérité est le bien de tous.

18. A qui offriront-ils des présents? « Au Dieu terrible, à celui qui ôte l’esprit des princes 2 ». L’esprit des princes est un esprit d’orgueil. Ceux-là ne sont pas de l’esprit de Dieu, qui regardent ce qu’ils savent, non comme le bien de tous, mais comme leur bien propre : il est, au contraire, à celui qui se regarde l’égal de tous, qui se met au milieu afin que tous puisent en lui ce qu’ils voudront et autant qu’ils voudront, non ce qui vient de l’homme, mais de Dieu, et dès lors ce qui est à eux puisqu’ils sont de Dieu. Tous ceux-là donc ont l’humilité, car ils ont échangé leur esprit coutre l’esprit de Dieu. Qui leur a fait perdre leur esprit ? Celui qui le fait perdre aux princes, ainsi qu’il est dit dans un autre psaume : « Vous leur ôterez leur esprit et ils seront sans force, et ils retourneront dans leur poussière. Vous enverrez votre esprit, et ils renaîtront, et la face de la terre sera changée 3». Quelqu’un a peut-être compris une vérité; s’il se l’attribue en propre, il a encore son esprit; il est à souhaiter qu’il perde son esprit pour acquérir l’Esprit de Dieu; il s’enorgueillit encore avec les princes : il est bon qu’il rentre dans sa poudre, et qu’il dise : « Souvenez-vous, Seigneur, que nous ne sommes que poussière 4». Si tu confesses que tu es poussière, de cette poussière Dieu fera un homme. Tous ceux qui l’environnent lui offrent des présents. Tous ceux qui sont humbles se prosternent devant lui pour l’adorer. Ils offrent des présents au Dieu terrible. S’il est terrible, « tressaillez avec crainte, devant Celui qui ôte l’esprit des rois », ou qui réprime l’audace des orgueilleux. « il est terrible aux rois de la terre ». Les rois de la terre sont redoutables en effet, mais il est plus redoutable que tous les rois, Celui qui l’est même aux rois de la terre. Sois un roi de la terre, et Dieu sera terrible pour toi. Mais, diras-tu, comment serai-je un roi de la terre? Gouverne la terre, et tu seras un roi de la terre. Loin de toi cette soif du pouvoir, qui te ferait jeter les yeux sur de vastes provinces pour y déployer ta puissance; gouverne la terre que tu portes. Ecoute l’Apôtre

 

1. Ps. II, 11.— 2. Id. LXXV, 13.— 3. Id. CIII, 29, 30.— 4. Id, CII, 14.

 

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qui gouvernait la terre : « Je combats, non comme frappant les airs; mais je châtie mon corps et je le réduis en servitude, de peur qu’après avoir prêché aux autres, je ne sois réprouvé moi-même ». Soyez donc, mes frères, soyez autour de Dieu, afin de ne pas attribuer le mérite de la vérité à celui qui vous l’annonce, quel qu’il soit: que cette vérité soit au milieu de vous comme le bien de tous. Soyez humbles, et si vous comprenez quelque peu ce bien inappréciable, ne vous en attribuez pas le mérite. Ce que nous pourrions comprendre mieux que vous, est à vous; et ce que vous pourriez mieux comprendre, est à nous également; demeurons tous autour de Dieu et dans l’humilité. Et de la sorte en faisant abnégation de notre esprit, nous offrirons des présents à Celui qui est redoutable aux rois de la terre, c’est-à-dire à ceux qui gouvernent leur chair, dans la soumission au Créateur.

 

1. I Cor. IX, 26, 27.
 
 
 

source: http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin/index.htm

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