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Saint Augustin d'Hippone
Discours sur les Psaumes 76 à 80

DISCOURS SUR LE PSAUME LXXVI.
SERMON AU PEUPLE,
L’INTÉRIEUR DU CHRÉTIEN.
 

Idithun, ou celui qui devance, bondit jusqu’à ce qu’il arrive à la fin de la loi qui est le Christ, et en dehors de qui tout est affliction. Il demande à Dieu, non les biens de cette vie, ce serait reculer, mais Dieu lui-même, qu’il appelle en lui au jour de la tribulation. Cette tribulation, c’est la vie qui est une épreuve. L’homme qui devance cherche Dieu par de bonnes oeuvres, il le cherche la nuit ou dans cette vie, qui est ténèbres, puisque nous avons besoin de la lumière des Ecritures, mais qui est lumière en comparaison de la vie des infidèles. C’est en cette vie qu’il faut chercher Dieu par des oeuvres incessantes, et le chercher en sa présence pour éviter la déception. Le Prophète est dans la tristesse, à la vue des pécheurs qui abandonnent la loi de Dieu ; pour se consoler des scandales, il se souvient de Dieu et cherche en lui le repos. Partout il rencontre des pièges, et il s’abrite dans le silence pour méditer les années éternelles, non point ces années dans lesquelles nous n’avons que le moment où, nous parlons, encore nous échappe-t-il avec chaque syllabe. Dans le silence de son âme il comprend que Dieu ne nous repoussera point éternellement, car s’il y a en nous quelque pitié, elle vient de lui. En s’élevant au-dessus de lui-même, il arrive aux délices pures, et se complaît dans les oeuvres de Dieu, dans Dieu lui-même, qui est la sainteté, la grandeur, qui opère seul des merveilles, et fait connaître son Christ aux Juifs et aux Gentils. Alois les peuples ont confessé le Seigneur, à ta voix des nuées ou des Apôtres, dont la prédication a transpercé les coeurs, et qui ont converti le monde entier à cette lumière du Christ, dont les Juifs ont méconnu les traces.

 

1. Voici l’inscription qui ouvre le psaume: « Pour la fin, psaume à Asaph pour Idithun 1 ». Vous savez ce que signifie u pour la fin n. « Car le Christ est la fin de la loi pour ceux qui croiront 2». Idithun signifie celui qui devance les autres, et Asaph l’assemblée. Celle qui parle ici, est donc une assemblée qui s’avance pour arriver à la fin, qui est le Christ Jésus: et le psaume nous apprend ce qu’il nous faut devancer pour arriver à cette fin, où nous n’aurons plus rien à devancer. Car il nous faut incessamment dépasser tout ce qui nous est obstacle, tout ce qui nous embarrasse, tout ce qui nous retient comme

 

1. Ps. LXXVI, 1.— 2. Rom. X, 4.

 

une glu, tout fardeau qui appesantit notre vol, jusqu’à ce que nous arrivions à ce qui doit nous suffire, au-delà de quoi il n’y a plus rien, qui domine tout, et par qui tout existe. Un jour Philippe voulait voir le Père, et disait à Notre-Seigneur Jésus-Christ : « Montrez-nous le Père, et cela nous suffit 1 », comme s’il avait encore quelques obstacles à franchir pour arriver au Père, s’y reposer en toute sécurité, et n’avoir plus rien à dépasser. Tel est le sens de cette parole: «Cela nous suffit». Or, Jésus-Christ, qui avait dit, dans toute la force de la vérité: « Mon Père et moi nous sommes un », avertit Philippe et lui enseigna que

 

1. Jean, X, 30.

 

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tout homme qui comprend le Christ trouve aussi sa fin dans le Christ, parce que le Père et lui sont un. « Il y a si longtemps que je suis avec vous, et vous ne me connaissez point encore? Philippe, quiconque me voit, voit aussi mon Père 1 ». Quiconque dès lors veut entrer dans les sentiments du psaume, les reproduire, les conserver, doit s’élever au-dessus de tous les désirs charnels, fouler aux pieds les pompes et les charmes du monde, et ne se proposer d’autre terme à sa course, que Celui par qui tout a été fait. Tout cela le fait languir, jusqu’à ce qu’il arrive à sa fin. Que nous dit alors celui qui devance?

2. « J’ai élevé ma voix pour crier vers le Seigneur 2». Mais combien en est-il qui élèvent la voix au Seigneur, pour en obtenir des richesses, pour éviter quelque perte, pour la santé des leurs, pour l’affermissement de leur maison, pour une félicité temporelle, pour les dignités du monde, enfin pour leur propre santé, qui est le patrimoine du pauvre? C’est pour ces biens et pour d’autres semblables que beaucoup élèvent la voix vers le Seigneur 3, à peine s’en trouve-t-il qui élèvent la voix pour Dieu lui-même. Il arrive aisément qu’un. homme cherche à obtenir quelque chose de Dieu, et ne cherche pas Dieu: comme si le don nous convenait mieux que le donateur. Quiconque demande à Dieu autre chose que lui-même, n’est pas encore l’homme qui devance. Que dit alors cet Idithun? « J’ai élevé ma voix pour crier vers le Seigneur ». Et pour nous montrer qu’eu élevant sa voix au Seigneur, il n’a d’autre but que le Seigneur lui-même, il ajoute: « Et ma voix s’adresse à Dieu . Notre voix peut, en effet, s’élever vers Dieu, et avoir un autre but que Dieu lui-même. Nos cris ont pour but l’objet qui nous les fait élever. Mais celui-ci qui aimait Dieu gratuitement, qui sacrifiait volontairement au Seigneur 3, qui s’était élevé au-dessus de tout ce qui est ici-bas, qui ne voyait plus au-dessus de lui rien qu’il pût désirer, sinon Celui d’où il venait, par qui et en qui il avait été créé, vers lequel il élevait sa voix, celui-ci, dis-je, n’adressait qu’au Seigneur ses cris. Est-ce donc en vain? Ecoute la suite: « Et il m’a entendu ». Oui, sans doute il se penche vers toi, quand tu le cherches, et non lorsque tu attends de lui autre chose que lui. Il est dit de quelques-uns, qu’ « ils ont crié

 

1. Jean, IV, 8, 9. — 2. Ps. LXXVI, 2. — 3. Id. LIII, 8.

 

sans que personne les sauvât, vers le Seigneur, qui ne les a point écoutés 1 ». Pourquoi? Parce que leur voix ne cherchait point le Seigneur. Voilà ce que nous marque l’Ecriture, qui dit ailleurs, à propos de ces hommes: « Ils n’ont pas invoqué le Seigneur 2 ». Ils n’ont cessé de crier vers lui, et pourtant « ils n’ont point invoqué le Seigneur ».Que veut dire: « Ils n’ont point invoqué le Seigneur? » lis n’ont point appelé le Seigneur en eux; ,ils ne l’ont point attiré dans leurs coeurs, ils n’ont point voulu que le Seigneur habitât en eux. Aussi que leur est-il arrivé? : « Ils ont été saisis de frayeur, ou il n’y avait nulle crainte 3 ». Ils ont redouté de perdre les biens du temps, parce qu’ils n’étaient point rassasiés de Celui qu’ils n’avaient point appelé en eux. ils n’avaient point pour lui cet amour désintéressé qui leur eût fait dire : « Comme il a plu au Seigneur, ainsi il a été fait: que le nom du Seigneur soit bénis ». « Ma voix  donc est pour le Seigneur », dit le Prophète; puisse-t-il nous enseigner comment il en est ainsi.

3. « Au jour de ma tribulation, j’ai recherché le Seigneur 4 ». Qui es-tu pour en agir de la sorte ? Vois ce qui t’affecte au jour de la tribulation. Si tu es affligé d’être en prison, ton désir est d’être délivré; si tu souffres de la fièvre, tu désires la santé; situ souffres de la faim, tu recherches la nourriture; si tu as essuyé quelque dommage, tu cherches de nouveaux gains; si l’éloignement de ta patrie te cause quelque douleur, tes désirs sont d’y retourner: qu’ai-je besoin d’énumérer tout le reste, et comment le pourrais-je? Veux-tu tout devancer? Au jour de la tribulation, recherche le Seigneur, et non autre chose par le Seigneur ; oui, Dieu dans la tribulation, afin qu’il écarte la tribulation, et que tu puisses demeurer en lui en toute sécurité. « Au jour de la tribulation, j’ai recherché le Seigneur », rien que Dieu, mais Dieu lui-même. Et comment l’as-tu recherché? « Toute la nuit je l’ai recherché de mes mains en sa présence ». Redis-le au Prophète, afin que nous le sachions, que nous le comprenions, que nous le pratiquions, s’il nous est possible. Qu’as-tu donc recherché au jour de la tribulation? « Dieu ». Comment l’as-tu cherché? « De mes mains ». Quand l’as-tu cherché?

 

1. Ps. XVII, 42.— 2. Id. XIII, 5.— 3. Ibid.— 4. Job, I, 21.— 5. Ps. LXXVI, 3.

 

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« La nuit ». Où l’as-tu cherché? « En sa présence ». Quel est le fruit de tes recherches ? « Je n’ai pas été déçu » . Autant de particularités, mes frères, qu’il faut voir, qu’il faut sonder, qu’il faut examiner avec soin ; et quelle est cette affliction qui lui a fait rechercher Dieu; et qu’est-ce que rechercher Dieu des mains, et pendant la nuit, et en sa présence: car tout le monde comprend ce qui suit: « Et je n’ai pas été déçu ». Que veut dire en effet: « Je n’ai pas été déçu ?» j’ai trouvé ce que je cherchais.

4. Cette affliction n’est pas une peine telle quelle. Quiconque ne devance pas encore, ne con naît d’autre affliction que celle qui nous survient en des temps fâcheux; mais celui qui s’avance ici regarde toute sa vie comme une peine. Telle est son ardeur pour la céleste patrie, que son pèlerinage sur la terre est sa plus grande tribulation. Comment, je vous le demande, cette vie-ci ne serait-elle pas une calamité? Comment ne serait-elle point une tribulation, quand elle est appelée une tentation continuelle? On lit en effet dans le livre de Job: « La vie de l’homme sur la terre n’est-elle pas une épreuve 1? » Nous dit-il que la vie de l’homme est éprouvée sur la terre? Du tout. « Elle est elle-même l’épreuve»; si elle est épreuve, elle est aussi tribulation. Ainsi donc, dans cette tribulation, c’est-à-dire dans cette vie, l’homme qui devance a cherché Dieu. Comment? « De mes mains », répond-il. Qu’est-ce à dire, « de mes mains? » Par mes oeuvres. Car il ne cherchait rien de corporel qu’il pût toucher, comme on cherche une monnaie d’or ou d’argent qu’on a perdue, ou toute autre chose que la main peut toucher. Il est vrai que Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même voulut qu’on le touchât des mains, quand il montra ses plaies au disciple qui doutait. Mais quand après avoir touché les cicatrices des plaies, il se fut écrié : « Mon Seigneur et mon Dieu » ; n’entendit-il pas:

«Tu as cru, parce que tu as vu: bienheureux ceux qui ont cru sans voir  2? » S’il mérita ce reproche pour avoir cherché Jésus-Christ de ses mains, en sorte qu’il soit ignominieux d’avoir cherché Dieu de la sorte ; nous qui sommes appelés bienheureux parce que nous avons cru sans voir, pourquoi chercherions-nous te Seigneur, de la main ? Nous le

 

1. Job, VII, 1. — 2. Jean, XX, 27-29.

 

chercherons, disons-nous, par nos oeuvres. Quand le chercherons-nous? « La nuit ». Qu’est-ce à dire, « la nuit? » En cette vie. Car la nuit règne tant que ne paraît point le jour où Jésus-Christ Notre-Seigneur doit paraître dans sa gloire. Voulez-vous corn prendre que nous sommes dans la nuit? C’est que si nous n’avions un flambeau nous serions continuellement dans les ténèbres. Saint Pierre dit en effet: « Nous avons une preuve plus frappante dans les oracles des Prophètes, sur lesquels vous avez raison d’arrêter les yeux, comme sur un flambeau qui luit dans un lieu obscur, jusqu’à ce que vienne à poindre le jour, et que l’étoile du matin se lève dans vos coeurs ». Il viendra donc après cette nuit, mais pendant cette nuit servons-nous d’un flambeau. C’est là sans doute ce que nous faisons actuellement: vous exposer les saintes Ecritures, c’est vous donner comme consolation dans nos ténèbres, un flambeau qui doit toujours être allumé dans vos demeures ; car c’est à ce sujet qu’il est dit:

« N’éteignez point l’esprit 2 ». Et comme pour expliquer cette parole, saint Paul ajoute :

« Ne méprisez pas la prophétie ». C’est-à-dire, que votre lampe soit allumée. Or, cette lumière est appelée nuit lorsqu’on la compare avec le jour ineffable; mais en face de la vie des infidèles, la vie des fidèles est bien une lumière. Nous avons déjà dit comment elle est nuit, et nous l’avons prouvé par le témoignage de saint Pierre, qui nous parte de flambeau et nous avertit d’être attentifs a ce flambeau, c’est-à-dire aux discours des Prophètes, « jusqu’à ce que le jour vienne, et que l’étoile du matin se lève dans nos coeurs ». Saint Paul nous montre aussi que la vie des fidèles est un véritable jour, si nous la comparons à la vie des impies: « Loin de nous », dit-il, « ces oeuvres des ténèbres, revêtons-nous des armes de la lumière; marchons dans la décence comme dans le jour 3 ». Une vie honnête est donc le jour en comparaison de la vie des impies. Mais ce jour d’une vie fidèle ne suffit point à notre Iditum. Il veut s’élever au-delà de cette lumière, jusqu’à ce qu’il arrive à ce jour où il ne craindra plus les tentations de la nuit. Ici-bas, en effet, bien que la vie des fidèles soit une lumière, « la vie de l’homme sur la terre est une épreuve 1 ». Elle est lumière et ténèbres; lumière, si nous

 

1. II Pier. I, 19.— 2. Id. V, 19.— 3. Rom. XIII, 12.— 4. Job, VII, 1.

 

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la comparons à la vie des infidèles; ténèbres, si nous la comparons à la vie des anges. Car les anges ont une lumière que nous n’avons pas encore, et nous avons une lumière que n’ont pas les infidèles: mais les fidèles n’ont point la vie des anges, ils n’en doivent jouir que quand ils seront comme les anges de Dieu, ce qui leur est  promis pour le jour de la résurrection 1. Ainsi donc, en ce jour qui est nuit encore, nuit en comparaison du jour auquel nous aspirons, jour en comparaison des ténèbres de notre vie passée: dans celte nuit, dis-je, recherchons Dieu de nos mains. Que nos bonnes oeuvres ne s’arrêtent point; cherchons Dieu, et que nos désirs ne soient point stériles. Si nous sommes en voyage, faisons les dépenses pour arriver au terme. Cherchons Dieu de nos mains. Bien que ce soit pendant la nuit que nous le cherchions de nos mains, il n’y a point d’erreur, puisque nous le cherchons « en sa présence ». Qu’est-ce à dire, « en sa présence? » « Gardez-vous de faire vos bonnes oeuvres devant les hommes, afin qu’ils vous voient; autrement vous n’aurez pas de récompense de votre Père qui est dans les cieux. Lors donc que vous faites l’aumône », dit il, lorsque vos mains cherchent Dieu, « ne sonnez pas de la trompette devant vous, comme font les hypocrites; mais que votre aumône soit dans le secret; et votre Père qui voit dans le secret vous le rendra 2 ». Donc « j’ai cherché de mes  mains en sa présence, et je n’ai pas été déçu ».

5. Mais voyons ce qu’Idithun a enduré sur la terre et pendant cette nuit; écoutons avec la plus grande attention, comment les embarras et les afflictions de cette vie, l’ont mis dans une certaine nécessité de s’élever au-dessus de tout cela. « Mon âme a refusé toute consolation 3 ». Tel était mon ennui sur la terre, que mon âme se fermait à toute consolation. D’où lui venait un tel ennui? La grêle avait-elle ravagé sa vigne, ou ses olives ne mûrissaient-elles point, ou la pluie avait-elle retardé ses vendanges ? D’où vient cet ennui? Ecoute un autre psaume, dont l’interlocuteur est le même : « L’ennui m’a saisi, à la vue des pécheurs qui abandonnent votre loi 4 ». Tel est le mal qui lui avait causé un si profond ennui, que son âme, dit-il, se

 

1. Matth. XXII, 30.— 2. Id. VI, 1, 2,4. — 3. Ps. LXXVI, 3.— 4. Id. CXVIII, 53.

 

refusait à toute consolation. Absorbé par l’ennui, plongé dans une tristesse sans ressource, il ne veut plus de consolation. Dès lors que lui reste-t-il ?

6. Vois d’abord ce qui le consolerait. N’avait-il pas cherché quelqu’un qui s’affligeât avec lui et sans le trouver 1 ? Où pouvait-il se tourner pour être consolé, celui qui s’affligeait en voyant abandonner la loi de Dieu? Où se tourner ? vers quelque homme de Dieu? L’expérience ne lui a-t-elle pas fait rencontrer, de leur part, une douleur d’autant plus grande, qu’il en avait espéré une joie plus douce ? Quelquefois, en effet, on découvre des hommes justes, et l’on s’en réjouit; il faut d’autant plus s’en réjouir, que la charité est inséparable de cette joie ; niais si dans ces hommes qui causent notre joie, nous trou. vous quelque dépravation, comme il arrive souvent, nous ressentons autant d’ennui que tout d’abord nous avions ressenti de joie; c’est au point que, dans la suite, on craint de donner cours à sa joie, de s’abandonner à l’allégresse, de peur de rencontrer une tristesse plus grande encore que la joie que l’on a pu ressentir. Frappé donc de ces nombreux scandales, comme d’autant de plaies, il ferme son âme à toute consolation humaine, il n’en veut chercher aucune. Comment vivre alors? comment respirer? « Je me suis souvenu de Dieu, et j’ai été dans la joie ». Mes mains n’avaient pas travaillé vainement, elles avaient trouvé le souverain Consolateur. Ce n’est point dans le repos que « je me suis souvenu de Dieu, et que j’ai été dans la joie ». C’est donc Dieu qu’il faut prêcher, lui dont le souvenir a comblé de joie notre interlocuteur, l’a consolé dans la tristesse, et lui a rendu l’espoir du salut, c’est Dieu qu’il faut bénir. Il nous montre encore qu’il a été consolé, quand il dit: « J’ai communiqué». Qu’est-ce à dire : « J’ai communiqué ?» J’ai tressailli, j’ai répandu ma joie. On appelle communicatifs, ceux que le vulgaire nomme causeurs, et qui dans les transports de leur joie ne peuvent et ne veulent pas se taire. Voilà Idithun, et que dit-il ensuite? « Et mon âme est tombée en défaillance ».

7. L’ennui l’avait accablé, il retrouvait la joie dans le souvenir de Dieu, puis il tombe en défaillance, après avoir parlé; que dit-il ensuite? « Mes ennemis ont devancé le moment

 

1. Ps. LXVIII, 21.

 

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de la veille 1 ». Mes ennemis ont veillé sur moi, ils ont veillé plus que moi, et dans cette vigilance ils m’ont surpris. Où ne sont point leurs pièges ? Mes ennemis n’ont-ils pas devancé l’heure de la veille? Quels sont en effet mes ennemis, sinon ceux dont l’Apôtre a dit: « Vous n’avez pas à combattre contre la chair et le sang, mais contre les principautés, contre les puissances, contre les princes de ce monde ténébreux, contre les esprits de malice répandus dans les airs 2?» C’est donc le diable et ses anges qu’il nous faut combattre ; et c’est avec raison qu’ils sont appelés gouverneurs du monde, puisqu’ils gouvernent ceux qui sont épris du inonde. Sans doute l’Apôtre ne les appelle point gouverneurs du monde, comme s’ils avaient la direction du ciel et de la terre, mais par ce mande il entend les pécheurs: «Et le monde ne l’a point connu 3». Ainsi donc le monde gouverné par le démon, c’est le monde qui n’a pas connu le Christ. C’est contre ces démons que nous avons d’impérissables inimitiés. Quelle que soit ta haine contre un homme, tu songes à en finir, ou en recevant ses excuses, s’il t’a offensé le premier, ou en présentant les tiennes, si l’offense vient de toi, ou par de mutuelles excuses, Si vos outrages sont réciproques: tu t’efforces d’en venir à une satisfaction, à un accord mais avec le diable et ses anges, nul accord n’est possible. Ils nous envient le royaume des cieux. Ils ne peuvent s’adoucir à notre égard: « Ce sont des ennemis qui ont devancé «toutes nos veilles ». Ils sont plus attentifs à nous tromper, que moi à me défendre. « Mes ennemis ont devancé toutes mes veilles ». Comment n’auraient-ils point mis en demeure toute vigilance, eux qui ont tendu partout des pièges et des pierres de scandale? Es-tu dans l’ennui ? tu dois craindre que la tristesse ne t’accable; es-tu dans la joie? crains que l’expansion de cette joie ne te conduise à la défaillance: « Mes ennemis ont devancé toutes mes veilles ». Enfin, lorsque tu épanches ta joie, lorsque tu parles dans une sécurité parfaite, combien n’y a-t-il pas dans ton langage de ces choses que tes ennemis voudraient saisir et critiquer, et dont ils voudraient te faire un crime, fût-ce par la calomnie : voilà ce qu’il a dit, voilà ce qu’il pense, tel est son langage? Que peut faire un homme, sinon ce

 

1. Ps. LXXVI, 5.— 2. Ephés. VI, 12. — 3. Jean, I, 10.

 

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qui suit: « Dans mon trouble, j’ai gardé le silence ? » Il s’est donc troublé, et craignant que son ennemi aux aguets ne cherchât et ne trouvât dans ses épanchements matière à calomnie, il a gardé le silence, Mais Idithun n’a point cessé pour cela de s’épancher intérieurement: s’il a interrompu sa parole extérieure, où peut-être s’était glissée quelque envie de plaire aux hommes, il ne s’est point découragé, il n’a pas interrompu ses efforts pour devancer jusqu’à cette vanité. Et que dit-il ?

8. « J’ai médité les jours anciens 1 ». Semblable à celui que l’on maltraite au dehors, il se retire en lui-même dans le secret de sa pensée. Qu’il nous dise alors ce qu’il y fait

« J’ai médité les jours anciens ». Tant mieux. Voyez, je vous en supplie, quelles sont ses pensées. Dans son intérieur, dans son âme, il médite les jours anciens. Nul ne vient lui dire : Tu t’es mal exprimé ; nul mie lui dit C’est trop parlé ; nul ne lui dit: Ton opinion est fausse. Que Dieu l’aide ainsi à se contenter de lui-même : qu’il médite les jours anciens, et qu’il nous dise ce qu’il a fait dans le secret de son âme, où en est-il arrivé? qu’a-t-il devancé ? où en est-il demeuré ? « J’ai médité les jours anciens, et je me suis souvenu des années éternelles ». Quelles sont ces années éternelles? Sublime pensée t Voyez si cette pensée n’exige point un grand silence. Loin de moi tout bruit du dehors, tout fracas des choses humaines, quand je veux méditer intérieurement les années éternelles. Sont-elles bien éternelles, ces années qui sont les nôtres, qui furent celles de nos ancêtres, ou qui seront celles de notre postérité ? Gardons-nous bien de le croire. Que nous reste-t-il de ces années? Dans la conversation, nous disons: Cette année; mais que possédons-nous de cette année, sinon le jour où nous sommes? car les jours qui ont précédé ont passé, et il n’en reste rien ; les jours à venir ne sont point encore. Nous ne sommes que dans un jour, et nous disons : Cette année; disons plutôt : Aujourd’hui, si nous voulons parler du présent. Que nous reste-t-il, en effet, de toute l’année? Tout ce qui est écoulé de l’année, n’existe déjà plus; tout ce qu’il y a dans l’avenir n’existe point encore ; comment dire : Cette année ? Corrige ton langage et dis: Aujourd’hui. C’est vrai, je dirai : Aujourd’hui. Et maintenant

 

1. Ps. LXXVI, 6.

 

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encore fais-y attention ; les heures du matin sont écoulées, les heures à venir ne sont point encore. Corrige donc une seconde fois ton langage, et dis : Cette heure. Mais dans cette heure quelle est ta part? Il s’en est écoulé une partie déjà, et l’autre partie n’existe point encore. Dis donc : Le moment. Quel moment? Pendant que j’articule des syllabes, si j’en dois prononcer deux, la seconde ne résonne que quand l’autre n’est déjà plus ; et même dans cette syllabe, s’il y a deux lettres, la seconde lettre ne résonne que quand la première n’est plus. Quelle est donc notre part dans ces années? Ces années sont mobiles ; il nous faut penser aux années éternelles, aux années qui demeurent, qui ne s’écoulent point dans le va-et-vient des jours, aux années dont l’Ecriture a dit ailleurs, en parlant à Dieu : « Pour vous, vous demeurez le même, et vos années ne s’en vont point 1 ». Telles sont les années que cet homme qui devance a méditées en silence, et non dans un babil extérieur : « Et je me suis souvenu des années éternelles ».

9. « Et j’ai médité la nuit dans mon coeur 2». Nul ne lui tend des pièges pour incriminer ses paroles, il a médité dans son coeur. « Je babillais ». Tel est son babil, redouble d’attention, et ne laisse pas sommeiller ton esprit. Ce babil n’est plus extérieur, il est autre maintenant. Quel est-il maintenant? « Je me répandais en paroles, et je sondais mon esprit ». S’il fouillait la terre, pour y chercher un filon d’or, nul ne l’accuserait de folie, plusieurs même vanteraient sa sagacité à chercher l’or: quelles richesses n’a-t il pas à l’intérieur, et qu’il ne cherche point? Idithun sondait son esprit, il s’entretenait avec son esprit, il s’épanouissait dans son babil. Il s’interrogeait, il s’examinait, il était à lui-même son juge. Aussi dit-il : « Je sondais mon esprit». Il est à craindre qu’il ne demeure dans son esprit: il a babillé au dehors, et comme ses ennemis avaient devancé toute veille, il n’a trouvé là que de la tristesse, et son esprit a défailli. Après avoir babillé au dehors, il a cherché sa sûreté dans un entretien intérieur; c’est là que dans le silence il médite les années éternelles: « Et je sondais mon esprit », nous dit-il encore. Il est à craindre néanmoins qu’il ne se renferme dans son âme, et ne se jette plus en avant. Toutefois son

 

1. Ps. CI, 28. — 2. Id. LXXVI, 7.

 

action intérieure est préférable à l’action du dehors. Il y a progrès : voyons quelle en est l’étendue. Car il ne cesse de se porter en avant, jusqu’à ce qu’il arrive « à cette fin

qui donne le titre à notre psaume: « Je babillais », dit-il, « et je sondais mon âme ».

10. Et qu’as-tu trouvé, ô Prophète? Que e Dieu ne nous repoussera point éternellement 1 ». L’ennui l’avait assailli en cette vie; nulle part la confiance, nulle part une sécurité consolante. A quelques hommes qu’il pût s’adresser, il trouvait ou redoutait en eux le scandale. Nulle part il n’est en sûreté. Le silence avait pour inconvénient de se taire au sujet des bienfaits: parler et babiller au dehors était dangereux, car ses ennemis qui avaient devancé toutes ses veilles, cherchaient dans son langage de quoi le calomnier. Eu butte aux angoisses et à la violence, en cette vie il a beaucoup médité sur l’autre vie qui n’aura point ces épreuves. Et quand y arrivera-t-il ? Car nul doute à cet égard, les afflictions de cette vie sont un effet de la colère de Dieu. Voici en effet ce que dit Isaïe : « Mes vengeances contre vous ne seront pas éternelles, et ma colère contre vous ne durera point à jamais ». Il nous en donne la cause. « C’est de moi que viendra l’Esprit, et moi j’ai créé les âmes. Je l’ai affligé à cause de son péché, je l’ai frappé, j’ai détourné de lui ma face, et il s’en est allé, et s’est égaré dans ses voies 2 ». Quoi donc ! cette colère de Dieu sera-t-elle éternelle? Voilà ce que le Prophète n’a point trouvé dans son silence, Que dit-il en effet? « Le Seigneur ne nous repoussera point éternellement ; et cela n’entrera plus désormais dans ses desseins»: c’est-à-dire, il n’entrera pas dans ses desseins de nous rejeter, et il ne continuera pas éternellement de nous rejeter loin de lui. Il faut qu’il rappelle à lui ses serviteurs, il faut qu’il recueille tous ces fugitifs qui reviennent au Seigneur, il faut qu’il écoute les plaintes de ceux qui sont enchaînés. « Le Seigneur ne nous rejettera pas éternellement ; et cela n’entrera plus désormais dans ses desseins».

11. « Nous privera-t-il de sa miséricorde jusqu’à la fin, et de race en race? Ou le Seigneur oubliera-t-il sa clémence 3?» En toi et de toi-même, tu n’as pour les autres que cette miséricorde qui te vient de Dieu; et Dieu oublierait la miséricorde? Le ruisseau coule;

 

1. Ps. LXXVI, 8. — 2. Isa. LVII, 16, 17.— 3. Ps. LXXVI, 9, 10.

 

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et la source elle-même se tarirait? « Dieu oubliera-t-il de nous prendre en pitié? et sa colère va-t-elle arrêter sa compassion ? » On sera-t-il en colère, de manière à n’avoir plus de pitié? Il lui est plus facile de s’arrêter dans sa colère que dans sa bonté. C’est ce qu’il avait dit encore par Isaïe : « Ma vengeance contre vous ne sera point éternelle, ni ma colère sans fin». Et après avoir dit: « Il s’en est allé triste, et a marché dans ses voies». «Ces voies», dit-il, «je les ai vues, et je l’ai guéri 1».Voilà ce qu’a reconnu le Prophète, et il s’est élevé au-dessus de lui-même, pour mettre sa joie en Dieu et s’épanouir là où il est, ainsi que dans ses oeuvres, non pas dans son esprit, non point dans ce qu’il a été, mais dans celui qui est son Créateur. C’est de là qu’il s’est élancé pour s’élever. Voyez-le s’élancer, voyez s’il s’arrête quelque part, jusqu’à ce qu’il arrive à Dieu.

12. « Et j’ai dit ». Déjà élevé au-dessus de lui-même, que dit-il? « Maintenant je commence » : je me surpasse moi-même. « Maintenant je commence ». Nul péril ici désormais ; car il était dangereux pour moi de demeurer en moi-même. « Et j’ai dit: Maintenant, je commence, c’est là un changement qui est l’oeuvre de la droite du Très-Haut 2». C’est le Très-Haut qui a commencé à me changer; c’est là un commencement qui me donne la sécurité, c’est maintenant que j’entre dans ces régions du bonheur où nul ennemi n’est à craindre, maintenant que j’habite ces contrées où tous mes ennemis ne devanceront point mes veilles. « Je commence aujourd’hui; ce changement est l’oeuvre de la droite du Très-Haut ».

13. « Je me suis souvenu des oeuvres de Dieu ». Voyez-le se donnant de l’espace dans les oeuvres de Dieu. Il babillait au dehors, et dans son affliction son esprit s’en est allé: il a babillé dans le secret de son coeur, avec son esprit; et en sondant ce même esprit, il s’est souvenu des années éternelles, souvenu de la miséricorde de Dieu, car le Seigneur ne doit point nous rejeter éternellement : et le voilà qui se réjouit en sûreté dans ses oeuvres, qui tressaille sans crainte. Ecoutons ces oeuvres nous aussi, et prenons part à sa joie; mais élevons cette joie au-dessus de nous-mêmes, et ne l’abaissons pas au niveau du temps. Car nous aussi, nous avons

 

1. Isa. LVII, 18. — 2. Ps. LXXVI, 11.

 

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notre lit secret. Pourquoi n’y pas entrer? pourquoi n’y point travailler dans le silence? pourquoi n’y point sonder notre esprit? pourquoi n’y point méditer les années éternelles? pourquoi ne pas nous réjouir dans les oeuvres de Dieu ? Ecoutons-le maintenant; que sa parole fasse tellement nos délices, que même, sortis d’ici, nous fassions encore ce que nous faisions pendant qu’il parlait; si toutefois nous avons commencé comme le Prophète l’a dit : « Maintenant, c’en est fait». Te réjouir des oeuvres de Dieu, c’est t’oublier toi-même, si tu peux mettre en lui seul tes délices. Où trouver mieux que lui? Ne vois-tu pas que rentrer en toi-même, c’est trouver bien moins? « Je me suis souvenu des oeuvres de Dieu : parce que je me souviendrai, Seigneur, de toutes vos oeuvres depuis le commencement 1».

14. « Et je méditerai sur vos oeuvres, et je m’entretiendrai de vos charmes 2». Voilà un troisième entretien. Entretien au dehors, quand ton esprit a défailli ; entretien intérieur et dans le secret du coeur, quand il s’est avancé; entretien sur les oeuvres de Dieu, quand il est arrivé au but qu’il poursuivait. « Je gloserai sur vos charmes », non point sur les miens. Quel est l’homme qui vit sans charmes ? Et pourriez-vous croire, mes frères, qu’il n’y ait point de charmes pour l’homme qui craint Dieu, qui sert Dieu, qui aime Dieu? Pouvez-vous le croire et penser qu’il n’y àit rien d’attrayant dans les oeuvres de Dieu, quand vous trouvez de l’attrait dans un tableau, dans le théâtre, dans la chasse aux bêtes fauves ou aux oiseaux, dans la pêche? N’y aurait-il aucun attrait à méditer les oeuvres de Dieu, à contempler le monde, à ramener sous nos yeux le spectacle de la nature, alors que l’on en recherche l’auteur, et qu’on ne le trouve jamais en désaccord, mais dans une harmonie incomparable?

15. « Votre voie, ô Dieu, est dans la sainteté ». Il envisage autour de nous les oeuvres de la miséricorde suprême, il en glose, il s’épanouit dans leurs charmes. Tel est son point de départ. « Votre voie est dans la sainteté ». Quelle est cette voie dans la sainteté? « Je suis », dit le Seigneur, « la voie, la vérité et la vie 4 ». Revenez donc, ô hommes, revenez de vos passions. Où allez-vous? Où courez-vous? Pourquoi fuir ainsi,

 

1. Ps. LXXVII, 12. — 2. Id. 13. — 3. Id. 14. — 4. Jean, XIV, 16.

 

216

 

non-seulement loin de Dieu, mais loin de vous ? Rentrez en vous-mêmes, ô prévaricateurs 1, sondez votre âme, repassez les années éternelles, reconnaissez la bonté de Dieu pour vous, et voyez les oeuvres de sa miséricorde. « Sa voie est dans la sainteté ». Enfants des hommes, jusques à quand vos coeurs seront-ils appesantis? Que cherchez-vous dans vos délices? Pourquoi vous éprendre de la vanité, et courir après le mensonge? Sachez donc que le Seigneur a glorifié son saint 2. « Votre voie est dans la sainteté ». Elevons-nous donc à lui, élevons-nous au Christ; c’est là qu’est sa voie. « O Dieu, votre voie est dans le saint. Quel Dieu est aussi grand que notre Dieu? » Les Gentils trouvent des charmes dans leurs dieux; ils adorent des idoles, qui ont des yeux et ne voient point, des oreilles et n’entendent point, des pieds et ne marchent point 3. Pourquoi marcher vers ce Dieu qui ne marche pas? Je n’adore point ces idoles, me dit-il. Qu’est-ce que tu adores? La divinité qui y réside? Tu adores, sans aucun doute, ce qui a fait dire ailleurs : « Que les dieux des nations sont des démons

C’est l’idole que tu adores, ou le démon? Ni l’idole, ni le démon, crie répond-il. Quel est donc ton culte? Celui des étoiles, du soleil, de la lune, des corps célestes : qu’il vaudrait mieux adorer celui qui a fait le ciel et la terre! Quel Dieu est grand comme notre Dieu?

16. « Vous opérez des merveilles, et les opérez seul ». Vous êtes un Dieu véritablement grand, qui opérez des merveilles en notre corps et en notre âme, et le seul pour en opérer. Les sourds ont entendu, les aveugles ont vu, les malades ont été guéris, les morts ont ressuscité, les paralytiques ont recouvré la force. Ces merveilles toutefois sont corporelles; voyons les miracles sur l’âme. Des hommes naguère adonnés au vin sont         devenus sobres; ceux qui tout à l’heure adoraient des idoles ont embrassé la foi; d’autres qui volaient le bien des autres donnent leurs biens aux pauvres. « Quel Dieu est grand comme notre Dieu? Vous opérez des merveilles et les opérez seul ». Moïse a fait des merveilles, mais non seul; Elie en a fait, Elisée en a fait, les Apôtres en ont fait; mais nul d’entre eux n’était seul. Pour les faire, ces merveilles, vous étiez avec eux; mais

 

1. Isa. XLVI, 8.— 2. Ps. IV, 3, 4.— 3. Id. CXIII, 5-7. — 6. Id. XCV, 5. — 7. Id. LXXVI, 15.

 

vous, pour les faire, vous n’aviez nul besoin d’eux. Ils n’étaient point avec vous, en effet, quand vous les avez faits eux-mêmes. « Vous êtes un Dieu opérant des merveilles et les opérant seul ». Comment seul? Peut-être le Père et non le Fils? ou le Fils et non le Père? Non, mais le Père, le Fils et le Saint-Esprit. « Vous êtes un Dieu opérant seul des merveilles ». Car il n’y a pas trois dieux, mais un seul Dieu qui fait des merveilles, et qui en fait dans celui qui devance. Car le jeter en avant et le faire arriver où il en est, c’est là une merveille de Dieu; mais quand il s’est tenu un langage intérieur et dans son âme, et qu’il s’est élevé au-dessus de son âme pour trouver ses délices dans les oeuvres de Dieu, c’est lui qui a fait là une merveille. Mais qu’a fait le Seigneur ? « Vous avez fait connaître aux peuples votre puissance ». De là cette Eglise, ou Asaph qui devance, parce que le Seigneur a fait connaître sa puissance parmi les nations. Quelle puissance a-t-il montrée. aux peuples? « Pour nous, nous prêchons Jésus-Christ crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les Gentils; mais pour les Juifs qui sont appelés, aussi bien que pour les Grecs, la puissance de Dieu, la sagesse de Dieu 1 ». Si donc le Christ est la puissance de Dieu, c’est le Christ qu’il a fait connaître aux peuples. Pouvons-nous l’ignorer encore ? Serions-nous dans une telle démence, dans une telle prostration, assez arriérés jusqu’à ne pas voir cette parole accomplie : « Vous avez montré aux peuples votre puissance ? »

17. « Votre bras a racheté votre peuple 2 ». « Votre bras », c’est-à-dire votre puissance. A qui le bras du Seigneur a-t-il été révélé 3? « Votre bras a racheté votre peuple, les enfants d’Israël et de Joseph ». Comment paraît-il faire deux peuples « des fils d’Israël  et des fils de Joseph? » Ces fils de Joseph étaient-ils fils d’Israël? Oui, assurément. Voilà ce que nous savons, ce que nous lisons, ce que nous prêche l’Ecriture, ce que nous enseigne la vérité, que Israël ou Jacob eut douze tils parmi lesquels nous comptons Josepli, et que tous ceux qui sont nés de ces douze patriarches appartiennent au peuple d’Israël. Pourquoi dire alors, « les fils d’Israël et les fils de Joseph? » Je ne sais point quelle distinction il veut nous indiquer.

 

1. I Cor. I, 23, 24. — 2. Ps. LXXVI, 16. — 3. Id. LIII, 1.

 

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Cherchons dans notre âme : peut-être y a-t-il quelque dessein de ce même Dieu qu’il nous faut chercher de nos mains au milieu de la nuit, afin de n’être point trompés; c’est nous peut-être que nous trouverons dans cette distinction « des enfants d’Israël et de Joseph ». Par Joseph il a voulu entendre un autre peuple que celui d’Israël, le peuple des Gentils. Pourquoi Joseph désignerait-il les nations? Parce qu’il fut vendu en Egypte par ses frères 1. La jalousie porta ses frères à vendre Joseph pour l’Egypte, et ainsi vendu il passa par la douleur et par l’humiliation; reconnu, il se releva, grandit, commanda. A tous ces points de vue, qu’a-t-il symbolisé? Quoi, sinon le Christ, vendu par ses frères, rejeté de sa patrie, comme dans l’Egypte chez les nations? La, humilié d’abord quand la persécution sévit contre les martyrs, il est élevé dans cette gloire que nous voyons; car voilà que s’est accompli cet oracle: « Les rois de la terre doivent l’adorer, les nations le serviront 2 ». Donc Joseph est le peuple des nations, Israël est le peuple de la race des Hébreux. Dieu a racheté son peuple, « les fils d’Israël et les fils de Joseph ». Par quoi? Par cette pierre de l’angle où se réunissent les deux murailles 3.

18. Le Prophète poursuit ainsi : « Les eaux vous ont vu, ô Dieu 4 ». Quelles sont « ces  eaux? » Les peuples. Quelles sont « ces eaux », est-il dit dans l’Apocalypse? et il est répondu: ce sont les peuples : par là, nous le voyons clairement, les eaux désignent les peuples 5. Le Prophète a dit plus haut : « Vous avez fait connaître aux peuples votre  force. C’est donc à bon droit que les eaux vous ont vu, ô Dieu; les eaux vous ont vu et ont frémi ». Et parce qu’elles ont frémi , elles ont changé. « Les eaux vous ont vu, ô Dieu, les eaux vous ont vu et ont frémi, et les ahuries ont été troublés ». Qu’est-ce que « l’abîme ? » La profondeur des eaux. Qui n’est pas ému parmi les peuples quand la conscience est frappée ? Tu cherches la profondeur des mers : quelle profondeur plus grande que la conscience humaine? Telle est la profondeur qui s’est troublée, quand le Seigneur a racheté sou peuple par la force de son bras. Quand l’abîme s’est-il troublé? C’est quand les peuples ont

 

1. Gen. XXXVII, 28. — 2. Ps. LXXI, 11. — 3. Ephés. 14. — 4. Id. LXXII, 11. — 5. Apoc. XVII, 15.

 

répandu leurs consciences par l’aveu. « Et l’abîme s’est troublé ».

19. « Les eaux sont tombées avec fracas 1». La louange de Dieu, la confession des fautes, les hymnes, les cantiques, les prières, c’est là « le fracas des grandes eaux». «Les nuées ont grondé ». Le fracas des eaux, le trouble de l’abîme viennent de « la grande voix des nuées ». Quelles nuées? Ceux qui ont prêché la parole de vérité. Quelles nuées ? Ces nuées dont Dieu menace la vigne qui donne des épines et non des raisins : « Je commanderai à mes nuées de ne point pleuvoir sur elle 2 ». En effet, les Apôtres ont abandonné les Juifs pour aller chez les Gentils. Ces nuées « ont fait entendre leur voix » dans toutes les nations, et c’est en prêchant le Christ qu’ « elles ont fait entendre leur voix ».

20. « Car vos flèches ont traversé 3 ». Le Prophète appelle des flèches, ce qu’il appelait des nuages. Les paroles des Evangélistes, en effet, sont des flèches, ou ressemblent à des flèches. Car, à proprement parler, une flèche n’est pas la pluie, ni la pluie une flèche; mais la parole de Dieu est une flèche parce qu’elle frappe, et une pluie parce qu’elle arrose. Il n’est donc pas étonnant que l’abîme se trouble, quand « vos flèches le traversent». Qu’est-ce à dire « traverser? » Qu’elles ne demeurent point dans les oreilles, mais qu’elles transpercent les coeurs. « La voix de votre tonnerre est dans une roue». Qu’est-ce à dire? Comment faut-il comprendre? Dieu nous soit en aide. « La voix de votre tonnerre est dans une roue ». Dans notre enfance le bruit du tonnerre nous paraissait le bruit d’un chariot sortant de l’étable : car les secousses du tonnerre ont de la ressemblance avec les secousses d’un chariot. Faut-il en revenir à ces puérilités pour comprendre: « La voix de votre tonnerre est dans une roue »; comme si Dieu avait dans les nuages des chariots dont la marche occasionnerait ces bruyantes secousses? Point du tout. Ce serait puéril, vain et frivole. Que signifie donc: « La voix de votre tonnerre est dans une roue?» Votre voix tourne, je ne comprends pas davantage. Que faire alors? Interrogeons, Idithun lui-même; peut-être expliquera-t-il ce qu’il entend par « la voix de votre tonnerre est dans une roue », et que je ne comprends point. Ecoutons ce qu’il dit ensuite : « Le

 

1. Ps. LXXVI, 18.— 2. Isa. V, 6.— 3. Ps. LXXVI, 19.

 

feu de vos éclairs a brillé devant le globe terrestre ». Parlez, ô Prophète, car je ne comprenais point. Le globe de la terre est une roue, car la circonférence du globe terrestre se nomme avec raison un cercle, d’où l’on appelle petit cercle une petite roue. « La voix de votre tonnerre est dans une roue, le feu de vos éclairs a brillé devant le globe de la terre ». Ces nuages, dans une roue, ont parcouru l’univers entier; ils l’ont parcouru avec des tonnerres et des éclairs; ils ont troublé l’abîme par les tonnerres des préceptes et par les éclairs des miracles car leur voix a retenti sur toutes les terres, et leurs paroles dans tous les confins de l’univers 1. « La terre s’est troublée, elle a bondi en frémissant » : c’est-à-dire, tous ceux qui l’habitent, et par figure la terre elle-même. Pourquoi? Parce que toutes les nations sont désignées sous le nom de mer, à cause de l’amertume de cette vie, exposée à des troubles et à des tempêtes. Puis, si l’on veut considérer que les hommes se dévorent comme les poissons, que le plus faible est la proie du plus fort, on voit que ce monde est une mer; et c’est là qu’allèrent les Evangélistes.

21. « Votre voie est dans la mer 2 ». Tout à l’heure c’était : « Votre voie est dans la sainteté »; maintenant : « Votre voie est dans la mer », parce que le Saint lui-même est dans la mer et qu’il a marché sur les eaux de la mer 3. « Votre voie est dans la mer», c’est-à-dire que votre Christ est prêché parmi les Gentils. Il est dit, en effet, dans un autre psaume : « Que Dieu nous prenne en pitié et nous bénisse; qu’il fasse briller sur nous la lumière de son visage, afin que nous connaissions votre voie sur la terre ». Où « sur la terre? » « Votre salut est chez toutes les nations 4 ». Tel est le sens de « votre voie est dans la mer. Et vos sentiers dans les grandes eaux » : c’est-à-dire chez des peuples nombreux. « Et l’on ne connaîtra plus vos traces ». Je ne sais à qui cette phrase fait allusion, je m’étonnerais si ce n’était aux Juifs. Voilà que la miséricorde du Christ est prêchée aux Gentils, en sorte que « votre voie est dans la mer, vos sentiers dans les grandes eaux, et l’on ne connaîtra plus vos traces ». Pourquoi et qui ne les connaître point, sinon ceux qui disent encore: Le Christ

 

1.  Ps. XVIII, 5. — 2. Ps. LXXVI, 20. — 3. Matth. XIV, 25. — 4. Ps. LXVI, 2, 3.

 

n’est point encore venu? Pourquoi dire que le Christ n’est point encore venu? Parce qu’ils ne connaissent point sa marche sur la mer.

22. « Vous avez conduit votre peuple comme un troupeau, par les mains de Moïse et d’Aaron 1 ». II n’est pas facile de comprendre pourquoi cette addition. Aidez-nous de votre attention, car ces deux versets termineront le psaume et mon discours. Ne vous imaginez point qu’il doive durer encore et que la crainte de cette longueur ne diminue point votre attention. Après ces paroles: « Votre voie est dans la mer », que nous avons appliquées aux nations, « et dans les grandes eaux vos sentiers », que nous avons entendues des peuples; voilà que le Prophète ajoute: « Et l’on ne connaîtra point vos sentiers ». Nous lui demandions qui ne les connaîtra point, et voilà qu’il ajoute aussitôt : « Vous avez conduit votre peuple comme un troupeau, par les mains de Moïse et d’Aaron » c’est-à-dire, c’est ce peuple que vous avez conduit par les mains de Moïse et d’Aaron qui ne connaîtra point vos traces. N’est-ce point un reproche, et un reproche amer qu’il fait à ce peuple quand il s’écrie : «Votre voie est dans la nier? » Pourquoi « votre voix est-elle dans la mer », sinon parce qu’elle est effacée de votre terre? Car les Juifs ont chassé le Christ, et ces malades n’ont point voulu leur Sauveur: et voilà qu’il s’est retiré chez les Gentils, chez tous les Gentils, parmi tous les peuples. Seuls, quelques restes de ce peuple ingrat ont été sauvés; mais la multitude est restée dehors dans son ingratitude, cette cuisse de Jacob a boité dans toute son étendue 2. Car la cuisse de Jacob désigne la nombreuse postérité, et la majeure partie de cette postérité est devenue légère et insensée, au point de méconnaître la trace du Christ sur les grandes eaux. « Vous avez conduit votre peuple comme des brebis », qui ne vous ont point connu. Vous les avez comblés de tant de faveurs, vous avez divisé la mer, vous leur avez fait passer les eaux à pied sec, vous avez enseveli dans les flots leurs ennemis qui les poursuivaient; dans leur détresse vous leur avez fait pleuvoir la manne au désert, les conduisant « par la main de Moïse et d’Aaron » ; et néanmoins ils vous ont chassé de leur terre, en sorte que votre voie a été dans la mer, et qu’ils n’ont point connu vos traces.

 

1. Ps. LXXVI, 21. —  2, Gen. XXXII, 31.

DISCOURS SUR LE PSAUME LXXVII.
LES FIGURES DE L’ANCIENNE LOI.
 

Le Prophète nous avertit de chercher un sens caché dans ces figures que tous les enfants de la synagogue n’ont pas comprises. Le Prophète, s’adressant au peuple, parle au pluriel, parce que tous doivent écouter la loi, et avec humilité. Ce peuple ou la génération venir, c’est l’Eglise formée des Juifs et des Gentils. Evitons les châtiments consignés par te Prophète, châtiments figuratifs bien au-dessous de la réalité, Il dit les énigmes dès le commencement, c’est-à-dire depuis la délivrance d’Egypte. Dieu commence à parler lui-même, puis il se sert d’un homme pour parler en son nom. Pour cet homme, le  commencement c’est l’Ancien Testament que domine la crainte ; la fin, c’est le Nouveau avec la grâce et la charité. Dans l’un tout est promesse figurative, dans l’autre tout s’accomplit. La loi est un témoignage parce qu’elle a mis en évidence le péché; les Juifs l’ont reflue pour la faire connaître aux chrétiens sans l’avoir eux-mêmes comprise, parce qu’ils n’avaient pas le coeur en haut, ni la foi en Dieu : ils ne s’attachaient point à Dieu pour faire le bien par sa grâce. Ils comptaient sur leurs oeuvres, et ont tourné le dos an jour du combat; eux, les privilégiés de Dieu, les premiers n’ont point gardé son alliance, et dais les oeuvres extérieures leur coeur, qui n’était pas en Dieu, n’était pas d’accord avec les mains. Ils ont oublié les merveilles opérées en présence de Moïse, d’Aaron, des anciens qui étaient en Israël, comme saint Paul pour les premiers fidèles. L’Egypte est pour nous le monde, Tanis l’humilité. Dieu, qui retint les eaux, peut arrêter nos convoitises coupables, éclairer notre marche, nous abreuver de l’Esprit-Saint. Ils eurent soif, Ou mieux, leur coeur n’avait aucune sève, ils demandaient de la nourriture sans croire pie Dieu pût leur en donner. Dieu leur en donna d’abord, puis les châtia. La foi leur est donné le Verbe qui eût ouvert les nuées ou tu bouche des prédicateurs pour en faire tomber la parole de l’Evangile, ce mène pain qui nous vient par saint Paul. Notre indocilité provoque la colère du Seigneur qui n’épargne -pas même ses élus. Les Juifs recherchaient Dieu par crainte de la mort, et non pour lui-même; ils attendaient de sa bonté L’impunité de leurs crimes. Dieu pardonne sans doute, mais en cette vie, comme il fit tant de fois pour ce peuple qui aurait dû profiter des plaies d’Egypte. Dieu se servit des mauvais anges pour exercer sa justice, comme il se sert quelquefois des bons. Quant aux incrédules, ils, sont la propriété des démons. L’endurcissement des Egyptiens est l’effet de l’abandon de Dieu, abandon qui les portait à haïr son peuple. Telle est la domination des mauvais anges, dont nous délivre la grâce de Dieu seulement, qui nous arrache à la puissance des ténèbres pour nous transporter au ciel, comme ce peuple arriva à la terre promise. Nous sommes alors les brebis du Seigneur, qui chasse devant nous les erreurs, nous met à la place des auges rebelles. Irrité de nouveau, Dieu rejeta le tabernacle de Silo, permit que l’arche fût prise, puis frappa les Philistins comme il frappe toute âme lâche. Il rejette en grande partie le peuple juif, choisit Juda d’où naquit le Christ; de là le peuple chrétien fondé pour les siècles, enfanté par les églises juives, issu des Gentils, que Dieu fait paître dans la foi et dans l’innocence.

 

1. Ce psaume contient le récit de tout ce que Dieu a fait pour le peuple ancien le Prophète avertit le peuple nouveau d’éviter l’ingratitude à l’égard des bienfaits de Dieu, de ne point provoquer sa colère, de recevoir ses faveurs avec soumission et fidélité, de n’être point « comme leurs pères, une race indocile et rebelle, une race qui n’a point redressé son coeur, et dont l’âme n’a point mis sa confiance en Dieu 1 ». Tel est le but du psaume, son utilité, l’excellent fruit qui nous en reviendra. Bien que tout y soit clair, et facile à exposer, le titre néanmoins attire notre attention. Ce n’est pas sans sujet qu’il porte : « Intelligence d’Asaph 2» ; c’est afin que, loin de s’arrêter à la superficie, le lecteur attentif cherche un sens plus caché. Puis, avant de rappeler et d’exposer toutes ces merveilles, qui semblent n’avoir besoin que d’être dites pour être comprises, le Prophète s’écrie « J’ouvrirai la bouche en paraboles, j’exposerai

 

1. Ps. LXXVII, 8.— 2. Id. I.

 

« les propositions depuis te commencement 1». Qui ne sortirait de son sommeil? Qui oserait lire à la hâte et regarder comme intelligibles des figures, des paraboles, dont le nom seul indique un sens plus profond qu’il faut rechercher? Parabole est en effet un mot grec employé dans le latin, et qui indique une comparaison; car, chacun le sait, dans la parabole on compare ce que l’on dit avec ce que l’on veut faire entendre. Quant aux propositions, appelées en grec problemata ce sont des questions que la discussion doit résoudre. Qui donc alors oserait lire en courant des paraboles et des propositions? Qui, au contraire, à ces mots, ne redoublerait d’attention pour les comprendre et en tirer du fruit?

2. « Ecoutez ma loi, ô mon peuple 2 », est-il dit. Qui parle de la sorte, sinon Dieu, croirons-nous ? C’est lui qui a donné sa loi à son peuple qu’il avait rassemblé après l’avoir tiré de l’Egypte; et cette assemblée porte le nom

 

1. Ps. LXXVII, 2. — 2. Id. 1.

 

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de synagogue, œ que désigne encore Asaph. Mais cette parole: «Intelligence d’Asaph », indiquerait-elle ce que comprenait un homme du nom d’Asaph, ou bien doit-on l’entendre au figuré, de ce qu’a pu comprendre la synagogue, ou ce tnême peuple à qui l’on dit: « Ecoutez ma loi, ô mon peuple? » Mais alors pourquoi un prophète nous dirait-il de ce même peuple : « Israël ne m’a point connu, e mon peuple a manqué d’intelligence ? » Assurément il y avait dans ce peuple des hommes qui comprenaient,qui croyaient ce qui a été révélé depuis, et qui par cette croyance appartenaient, non plus à la lettre de la loi, mais à l’esprit de grâce. Car ils ne manquaient pas de foi, ceux qui ont pu prévoir et prédire que cette foi nous serait révélée en Jésus-Christ, et que tous ces rites mystérieux de l’ancienne loi n’étaient que des ombres de l’avenir. N’y eut-il que les Prophètes pour avoir cette foi, et le peuple ne l’eut-il point ? Il l’avait sans doute, et tous ceux qui écoutaient fidèlement les Prophètes, recevaient la même grâce pour croire ce qu’ils entendaient. Mais le mystère du royaume des cieux était voilé dans l’Ancien Testament, pour être révélé dans le Nouveau, quand les temps seraient accomplis. « Je ne veux point », dit l’Apôtre, « vous laisser ignorer, mes frères, que vos pères ont tous été sous la nuée, qu’ils ont tous passé la mer Rouge, qu’ils ont tous été baptisés sous la conduite de Moïse dans la nuée et dans la mer, qu’ils ont tous mangé le même pairs mystérieux, qu’ils ont tous bu le même breuvage spirituel. Car ils buvaient de l’eau de la pierre mystérieuse, pierre qui les suivait, et cette pierre était le Christ 2 ». C’était donc le même pain mystérieux, le même breuvage que le nôtre, le même par la signification, et non en apparence : car ce même Christ qui était pour eux figuré dans la pierre s’est manifesté à nous dans sa chair. « Mais », poursuit l’Apôtre, « la plupart d’entre eux ne furent point agréables au Seigneur. Tous à la vérité mangèrent la même nourriture spirituelle, tous burent le même breuvage spirituel», c’est-à-dire un breuvage qui avait une signification spirituelle: « Mais tous ne furent pas agréables à Dieu ». L’Apôtre dit que « tous ne furent pas agréables »; il y en avait donc plusieurs qui plaisaient à Dieu : les mystères étaient

 

1. Isa. 1, 3. — 2. I Cor. X, 1-5.

 

communs à tous, mais la grâce qui est la force des sacrements, n’était pas commune à tous. Aujourd’hui en pleine lumière de cette foi qui était alors voilée, tous sont baptisés au nom du Père, et du Fils et du Saint-Esprit 1, c’est pour tous le même bain de la régénération; mais cette grâce, marquée par les sacrements, et par laquelle les membres du Christ sont régénérés dans leur chef, n’est pas la même pour tous. Car les hérétiques ont le même baptême, aussi bien que les faux frères qui sont dans la communion catholique. Il est donc vrai de dire ici que « tous ne furent « point agréables à Dieu ».

3. Ce n’est pas inutilement néanmoins, alors comme aujourd’hui, que cette voix se fait entendre : « Ecoutez ma loi, ô mon peuple ». On voit dans tous les exemplaires que le Prophète ne dit pas: Ecoute; mais bien: « Ecoutez ». Car le peuple se compose de nombreux individus, et c’est à tous que s’adresse au pluriel cette parole qui suit : « Inclinez l’oreille aux paroles de ma bouche ». « Ecoutez » a le même sens que « prêtez l’oreille », et « ma loi » est répétée dans ces expressions, « les paroles de ma bouche ». Il écoute en effet pieusement la loi de Dieu et les paroles de sa bouche, celui dont l’oreille s’incline avec humilité, non pas celui qui élève la tête avec arrogance. Une eau que l’on verse est recueillie dans les bas. fonds de l’humilité, et ne tient point sur le cône de l’orgueil. Aussi est-il dit ailleurs: « incline l’oreille, et reçois les paroles e de l’intelligence 2 » . Nous le voyons suffisamment, ce psaume est de l’intelligence à Asapb, car dans le titre, ce mot intelligence est au génitif; il y a de l’intelligence, et non intelligence, et nous devons l’écouter en inclinant l’oreille, ou avec une humble piété. Et même il n’est pas dit d’Asaph, mais bien à Asaph, comme nous le voyons par l’article grec, et dans certains exemplaires. Ces paroles sont donc des paroles d’instruction, des leçons comprises données à Asaph; et Asaph n’est point un seul homme, mais bien le peuple de Dieu dont nous ne devons pas nous séparer. Sans doute le mot de Synagogue convient particulièrement aux Juifs, celui d’Eglise aux chrétiens, comme on dit un troupeau de bêtes, une réunion d’hommes ; cependant nous voyons le nom d’Eglise donné à la Synagogue, et c’est à nous qu’il convient plus

 

1. Matth. XXVIII, 19. — 2. Prov. XXII, 17

 

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particulièrement de dire : «Sauvez-nous, Seigneur, notre Dieu, rassemblez-nous du milieu des peuples, afin que nous confessions votre nom 1 ». Nous ne devons pas rougir, niais plutôt rendre à Dieu d’ineffables actions de grâce, de ce que nous sommes les brebis de ses mains, qu’il avait en vue quand il disait: J’ai d’autres brebis qui ne sont point de ce bercail, il me faut les amener, afin qu’il n’y ait qu’un seul troupeau et un seul pasteur 2; enjoignant le peuple fidèle sorti de la gentilité au peuple fidèle venu des Juifs, dont il disait plus haut : « Je ne suis envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël 3». Car toutes les nations seront  rassemblées devant lui, et il les séparera comme le berger sépare les boucs des brebis 3. Cette parole donc: « Ecoutez ma loi, ô mon peuple, inclinez l’oreille aux paroles de ma bouche», nous devons comprendre qu’elle est adressée, non plus aux Juifs, mais à nous-mêmes, ou du moins à nous comme aux Juifs. Car après avoir dit: « Mais la plupart d’entre eux ne furent point agréables à Dieu», pour montrer qu’il s’agit des Juifs qui déplurent à Dieu, l’Apôtre ajoute : « Ils périrent dans le désert », puis : « Or, toutes ces choses ont été des figures de ce qui nous regarde, afin que nous ne nous livrions pas aux mauvais désirs, comme ils s’y abandonnèrent. Ne devenez point idolâtres comme quelques-uns d’eux, ainsi qu’il est écrit: Le peuple s’assit pour manger et pour boire, et ils se levèrent pour se réjouir. Ne commettons point la fornication, comme le firent quelques-uns, et vingt-trois mille périrent en un seul jour. Ne tentons point le Christ, comme le tentèrent quelques-uns qui furent tués par des serpents. Ne murmurez point comme quelques-uns d’eux murmurèrent et furent frappés par l’ange exterminateur. Or, toutes ces choses qui leur arrivaient, étaient des figures : elles ont été écrites pour nous instruire, nous qui nous trouvons à la fin des temps 5». Ces chants sont donc principalement pour nous. Aussi, entre autres choses, est-il dit dans ce psaume : « Afin de donner la lumière à une autre génération, aux fils qui doivent naître et nous suivre ». Or, si la mort que donnaient les serpents, si les coups de l’ange  exterminateur; si la fureur du glaive, n’étaient que des figures, comme le

 

1. Ps. CV, 47.— 2. Jean, X, 16. — 3. Matth. XV, 21.— 4. Id. XXV, 92. — 5. I Cor. X, 5-11.

 

dit clairement saint Paul, bien que ces maux soient des faits réels ; car il ne dit pas Tout cela se disait ou s’écrivait en figure; mais: « Tout cela leur arrivait en figure » : avec quel pieux empressement ne devons-nous point éviter les maux dont elles étaient la menace figurative ? De même en effet que dans les biens la réalité figurée dépasse de beaucoup la figure elle-même, de même en fait de malheurs, ceux que nous représentent les figures sont incomparablement plus à craindre, que ces calamités déjà si grandes qui étaient figuratives. De même encore que la terre de la promesse, où l’on conduisait ce peuple, n’est rien en coin para ison de ce royaume des cieux, où se dirige le chrétien; de nième ces châtiments, quelque sévères qu’ils soient, ne sont rien en comparaison des peines dont ils sont le symbole. Ce que saint Paul appelle ici figures, le Psalmiste, autant que nous pouvons le voir, l’appelle paraboles et énigmes. Nous ne devons pas nous attacher aux faits accomplis, mais bien aux instructions qu’ils nous donnent par une comparaison très-juste. Nous, peuple de Dieu, écoutons donc sa loi, et inclinons notre oreille aux paroles de sa bouche.

4. « J’ouvrirai ma bouche en paraboles», dit le Prophète, « je dirai les énigmes dès le commencement 1 ». La suite nous- montre assez quel est ce commencement dont le Prophète veut parler. Ce n’est point la création du ciel et de la terre, ni même la création de l’homme et du genre humain, c’est la délivrance de l’Egypte, alors que ce peuple fut réuni en un corps, en sorte que les instructions s’adressent à Asaph, qui signifie réunion. Mais, hélas ! quand le Prophète s’écriait : « J’ouvrirai la bouche en paraboles», pourquoi ne daignait-il pas ouvrir aussi notre intelligence ? Si seulement, en ouvrant la bouche en paraboles, il nous découvrait aussi ces paraboles elles-mêmes ; si en nous disant des énigmes, il nous en donnait aussi l’explication, nous ne serions point à la torture. Mais il y a ici une telle obscurité, une telle nuit, que même avec son secours, si nous parvenons à en tirer de quoi nourrir nos âmes, nous aurons encore mangé notre pain à la sueur de notre front 2; et cette peine à laquelle nous sommes condamnés depuis longtemps, pèse à la fois, non-seulement sur le corps, mais encore sur l’âme. Que le Prophète

 

1. Ps. LXXVII, 2. — 2. Gen. III, 19.

 

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parle donc, et nous, écoutons ses paraboles et ses énigmes.

5. « Combien de merveilles nous avons entendues et apprises, combien d’événements  nous ont racontés nos pères 1 !». C’est le Seigneur qui a parlé plus haut; à qui en effet attribuer ces paroles: « Ecoutez ma loi, ô mon peuple? » Comment donc est-ce un homme qui parle tout à coup? Car voici le langage d’un homme: « Combien de merveilles nous avons entendues et apprises, combien d’événements nous ont racontés nos pères ! » Ou plutôt, c’est Dieu qui, voulant parler par l’entremise d’un homme, ainsi que l’a dit l’Apôtre: « Voulez-vous éprouver la puissance du Christ qui parle par ma bouche 2? » c’est Dieu, dis-je, qui a lui-même parlé tout d’abord, de peur qu’on ne méprisât un homme, si un homme venait à parler. Telle est en effet la parole divine, qu’elle s’insinue par les séns de notre corps c’est le créateur qui stimule, par une action invisible, la créature qui lui est soumise mais ce n’est point sa substance qui se change en quelque chose de corporel ou de temporel, afin de se servir de signes matériels et palpables, qui puissent agir sur les yeux et sur les oreilles, pour manifester sa volonté, autant que des hommes la peuvent comprendre. Si un ange peut se servir de l’air, d’un nuage, du feu, ou de quelque autre nature ou apparence qui ait du corps, si l’homme peut, au moyen d’un regard, d’un mot, de la main, d’une plume, de lettres, ou par tout autre signe, indiquer les secrets de son coeur ; et même si, tout homme qu’il est, il peut avoir pour messagers d’autres hommes, s’il dit à l’un : Allez, et il va; à l’autre: Venez, et il vient; et à son serviteur: Fais ceci; et il le fait 3: avec quelle puissance, et quelle efficacité bien plus grande, le Seigneur à qui tout est soumis, ne pourra-t-il pas se servir d’un ange ou d’un homme pour annoncer ce qu’il lui plaît. C’est donc un homme qui dit: « Combien de merveilles nous avons entendues et apprises , combien d’événements nous ont racontés nos pères ! » Et néanmoins nous devons écouter ces paroles comme celles de Dieu, et non comme des fables humaines. C’est pour cela que Dieu a commencé à dire: « Ecoutez ma loi, ô mon peuple, inclinez l’oreille aux paroles de ma bouche.

 

1. Ps. LXXVII, 1. — 2. II Cor. XIII, 3. — 3. Luc, VII, 8.

 

J’ouvrirai la bouche en paraboles, je dirai les énigmes depuis le commencement. Combien de merveilles », répond le Prophète, « avons-nous entendues et apprises, combien d’événements nous ont racontés nos pères !» « Nous avons entendu et appris », dit le Prophète ; ainsi dit-il ailleurs : « Ecoute et vois, ô ma fille . Ce qui a été entendu dans l’ancienne loi, est compris dans la nouvelle: entendu quand se faisait la prophétie, comme quand elle s’accomplissait. Accomplir la promesse, c’est ne point tromper ceux qui l’ont écoutée. « Combien d’événements nous ont racontés nos pères », Moïse et les Prophètes.

6. « Ils n’ont pas été cachés à leurs enfants, de génération en génération ». Ce qui est génération pour nous, c’est la naissance spirituelle qui nous a été donnée. « Ils annonçaient les louanges du Seigneur, ses grandeurs, et les merveilles qu’il faites 2 ». Le sens des paroles est celui-ci : « Nos pères nous apprenaient ces merveilles, en publiant les louanges du Seigneur ». Nous louons Dieu afin de l’aimer. Quel amour est plus avantageux?

7. « Il a suscité un testament en Jacob, et établi sa loi en Israël 3 ». Tel est le commencement dont il a été dit : « Je dirai les énigmes depuis le commencement ». L’Ancien Testament est donc le commencement, et le Nouveau est la fin. C’est la crainte qui domine dans la loi, et « le commencement de la sagesse, c’est la crainte du Seigneur 4 ». « Or, la fin de la loi est le Christ qui doit justifier ceux qui croiront 5; c’est par sa grâce que la charité a été répandue dans nos coeurs, par le Saint-Esprit qui nous a été donné 6, et la charité parfaite bannit toute crainte 7, puisque c’est en dehors de la loi, que la justice de Dieu est manifestée aujourd’hui. Mais comme la Loi et les Prophètes lui rendent témoignage 8 », c’est pour cela que « Dieu a établi un témoignage en Jacob, et donné sa loi en Israël ». Aussi ce tabernacle dont la construction était une oeuvre si admirable et pleine de si grandes figures, a-t-il été appelé tabernacle du témoignage 9. C’est là qu’était le voile qui cachait l’arche de la loi, comme le ministre de la loi avait aussi un

 

1. Ps. XLIV, 11. — 2. Id. LXXVII, 4.— 3. Id. 5.— 4. Id. CX, 10.— 5. Rom. X, 4.— 6. Id. V, 5. — 7. I Jean, IV, 18.— 8. Rom. III, 21.— 9. Exod. XL, 2.

 

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voile sur la face, parce que c’était alors le temps des figures et des énigmes. Tout ce que l’on disait, tout ce que l’on faisait alors était caché sous les ombres figuratives, on ne le voyait qu’à travers l’obscurité des symboles. « Mais », dit l’Apôtre, « quand tu auras passé au Christ, le voile sera enlevé 1 ». Toutes les promesses de Dieu ont en lui leur vérité, leur amen 2. Quiconque adhère au Christ, possède tout bien, même sans le comprendre dans la lettre de la loi; quiconque lui demeure étranger, ne comprend rien, ne possède rien. « Il a établi un témoignage en Jacob, et donné sa loi en Israël » . C’est là une répétition comme à l’ordinaire. Car « établir un témoignage », a le même sens que « donner sa loi »; et « en Jacob », le même sens que « Israël ». Ce sont là en effet les deux noms d’un même homme, de même que la loi et le témoignage sont les deux noms d’une même chose. Mais, dira quelqu’un, n’y a-t-il pas une différence entre « susciter » et « établir? » Il y en a une, sans doute, comme entre «Jacob » et « Israël ». Ce ne sont point là deux hommes différents, niais deux noms donnés au même personnage, pour des causes différentes; Jacob ou supplantateur, parce qu’en naissant il tenait le pied de son frère; Israël parce qu’il vit Dieu 3. De même « il suscita », diffère de établir. Le Prophète, en effet, si je ne me trompe, a dit : « Il suscita le témoignage », parce que ce témoignage suscita quelque chose. « Sans la loi », dit l’Apôtre, « le péché était mort, et moi je vivais, lorsque je n’avais point de loi : mais le commandement étant survenu, le péché a repris la vie ». Voilà donc ce qu’a suscité la loi, qui est dès lors appelée témoignage; elle a mis en évidence ce qui demeurait caché, comme le dit ensuite saint Paul: « Mais le péché, pour se «montrer péché, m’a donné la mort par ce qui était bon ». Cette expression : « Il a imposé sa loi», désigne en quelque sorte un joug imposé aux pécheurs: de là cet autre mot: « La loi n’est pas imposée au juste 5 ». C’est donc un témoignage, puisqu’il devient une preuve ; et c’est une loi, parce qu’elle est une injonction, et néanmoins c’est une seule et même chose, De même donc que le Christ est une pierre, et que pour les fidèles il est la pierre angulaire 6, mais pierre de scandale et

 

1. II Cor, III, 13, 16.— 2. Id. 1, 20.— 3. Gen. XXV, 25; XXXII, 38. — 4. Rom. VII, 8, 9, 33.— 5. I Tim. 1, 9.— 6. Ps, CXVII, 22.

 

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pierre d’achoppement pour les incrédules ; de même la loi est un témoignage; pour ceux qui usent mal de la loi, témoignage qui sert à les convaincre et à les châtier; pour ceux qui en usent avec droiture, témoignage qui démontre à qui les pécheurs doivent recourir pour être délivrés. « Car c’est par sa grâce, que Dieu nous donne la justice, qui a son témoignage dans la loi et les Prophètes, et qui justifie l’impie 3. Quelques-uns ignorant cette justice, et voulant établir celle qui leur est propre, ne se sont point soumis à la justice de Dieu 1».

8. « Combien a-t-il adressé d’ordonnances à nos pères, afin qu’ils les tissent connaître à leurs fils, à la génération qui viendra, aux fils qui sont à naître et qui viendront, et qui les raconteront à leurs enfants; afin qu’ils mettent leur espérance en Dieu, qu’ils n’oublient point les oeuvres du Seigneur, et qu’ils recherchent ses préceptes ; afin qu’ils ne deviennent point comme leurs pères, une race indocile et rebelle; une race dont le coeur n’a pas été droit, dont l’esprit n’a pas été fidèle là Dieu 2 ». Ces paroles désignent en quelque sorte deux peuples, un peuple de l’Ancien, et un peuple du Nouveau Testament. Car le Prophète, en disant: « Combien il a adressé d’ordonnances à nos pères, afin de les faire connaître à leurs fils »; fait voir qu’ils ont reçu ces ordonnances, « afin de les faire connaître à leurs fils »; mais il ne dit point qu’ils les aient eux-mêmes connues ou accomplies : ils les recevaient seulement « pour  transmettre à une autre génération », ce qu’ils n’avaient pas compris eux-mêmes. « Les enfants qui naîtront et qui s’élèveront ». Ceux qui sont nés ne se sont point élevés: leur coeur n’était point en haut, mais bien sur la terre. Ce n’est qu’avec le Christ qu’on s’élève; de là cette parole : « Si vous vous êtes relevés avec le Christ, cherchez les choses d’en haut 3. Qu’ils disent à leurs enfants », s’écrie le Prophète, « de mettre en Dieu leur espérance ». C’est ainsi que les justes ne cherchent point à établir leur propre justice, mais qu’ils découvrent leur voie en Dieu lui-même, espèrent en lui, afin que sa grâce agisse en eux 4. « Et qu’ils n’oublient point les oeuvres de Dieu », en s’élevant eux-mêmes, en vantant leurs oeuvres,

 

1. Rom. X, 3.— 2. Ps. LXXVII, 5-8. — 3. Colos. III, 1.— 4. Ps. XXXVI, 5

 

comme si elles étaient leurs oeuvres; tandis que c’est Dieu qui, dans sa miséricorde, opère, chez tous ceux qui font le bien, et le vouloir et le faire 1. « Et qu’ils recherchent ses commandements ». Comment les chercher, s’ils les savent déjà? « Combien», dit le Prophète, « il a fait d’ordonnances à nos pères, qui doivent les transmettre à leurs fils, afin qu’une autre génération en ait connaissance ». Que connaîtra-t-elle? Assurément les commandements qu’il a faits. Comment rechercheront-ils, sinon qu’en mettant leur confiance en Dieu, ils rechercheront en lui la grâce de les accomplir? «Afin qu’ils ne deviennent point, comme leurs pères, une génération indocile et rebelle, une génération dont le coeur n’a pas été droit ». Et il nous en explique aussitôt le motif: « Leur esprit», dit-il, « n’a pas été fidèle à Dieu » ; c’est-à-dire qu’ils n’ont pas eu cette foi, qui obtient de faire ce que la loi commande. Car la loi divine s’accomplit quand l’esprit de l’homme se met en accord avec l’esprit de Dieu et cela n’arrive que par la foi en celui qui justifie l’impie 2. Telle est la foi que n’eut point cette génération indocile et rebelle; de là cette parole du Prophète : « Son esprit n’avait point mis sa foi en Dieu». Cette expression désigne admirablement la grâce de Dieu, qui ne se borne point à effacer le péché, mais qui se fait du coeur de l’homme un coopérateur dans les bonnes oeuvres comme si le Prophète disait: Son esprit ne s’est point confié à Dieu. Pour le coeur, en effet, se confier en Dieu, c’est croire que nous ne pouvons sans Dieu arriver à la justice, mais bien avec Dieu. C’est encore là croire en Dieu, ce qui est plus que croire à Dieu. Souvent, en effet, il nous faut croire au premier homme venu, bien qu’il ne faille point croire en lui. Croire en Dieu, c’est donc nous attacher en lui par la foi, afin d’agir avec Dieu qui fait le bien. «Sans moi», dit l’Evangile, « vous ne pouvez faire aucun bien 3». Que pouvait dire de plus l’Apôtre, qui nous déclare que : « Celui qui s’attache à Dieu devient un même esprit 4 ? » Autrement la loi n’est qu’un témoignage pour condamner le coupable, et non pour l’absoudre. Elle est une lettre menaçante qui convaincra les prévaricateurs, et non un esprit de grâce qui délivre et justifie les coupables. Donc cette

 

1. Philipp. II, 13. — 2. Rom. IV, 5. — 3. Jean, XV, 5. — 4. I Cor, VI, 17,

 

génération, dont l’exemple est à éviter, fut indocile et rebelle, parce que « son esprit ne se confia point dans le Seigneur » : parce que si elle crut parfois à Dieu, elle ne crut point en Dieu : elle ne s’attacha point à Dieu par la foi, afin que sanctifiée par Dieu, elle put faire avec lui le bien qu’il eût fait en elle.

9. Continuons : « Les enfants d’Ephrem qui bandent l’arc et lancent la flèche, ont tourné le dos au jour du combat 1». En poursuivant la loi de la justice, ils ne sont point parvenus à la loi de la justice 2. Pourquoi? Parce qu’ils ne l’ont point recherchée par la foi. C’était en effet une génération dont l’esprit n’avait point cru en Dieu, et ils attendaient tout de leurs oeuvres. Bander l’arc pour tirer des flèches, c’est là une oeuvre extérieure, comme celle de la loi, mais ils n’ont point ainsi redressé leur coeur, où le juste vit de la foi 3 qui agit par la charité 4; or, c’est par la charité que l’on s’attache à Dieu qui, par sa grâce, opère en l’homme le vouloir et le faire 5. Qu’est-ce, en effet, que bander l’arc, lancer la flèche, et tourner le dos au jour du combat, sinon écouter, pro mettre d’accomplir la loi au jour qu’on l’entend proclamer, puis fuir au jour de la tentation, s’exercer à la guerre et lâcher pied à l’heure de la bataille? Le Prophète a dit avec raison : « Ils ont bandé et lancé l’arc »; lorsqu’il aurait dû dire, ce semble, bander l’arc, et lancer les flèches, car on ne jette pas l’arc, on s’en sert pour lancer quelque chose. Ou bien, c’est une locution, comme celle dont nous avons déjà parlé à propos de cette expression: « Il a suscité un témoignage », pour dire, il a suscité quelque chose à propos de ce témoignage; alors « lancer l’arc » signifierait lancer une flèche avec l’arc: ou bien il y a de l’obscurité dans les paroles, il y a un mot qu’il faut sous-entendre, et alors tel serait l’ordre véritable : « Les enfants d’Ephrem bandent l’arc, et lancent», sous-entendu, des flèches; et le sens complet serait, bandent l’arc, et lancent des flèches. S’il y avait en effet: bander et lancer des flèches, il né faudrait pas comprendre, bander des flèches; mais après l’expression « bander », il faudrait sous-entendre « l’arc », bien que cette expression fût omise. Toutefois, quelques exemplaires grecs portent , dit-on , « bander et lancer avec l’arc » ; il faut assurément sous-entendre

 

1. Ps. LXXVII, 9.— 2. Rom. IX, 31. — 3. Id. I, 17.— 4. Gal. V, 6.— 5. Philipp. II, 13.

 

« des flèches ». Mais par ces enfants d’Ephrem, le Prophète veut indiquer ici toute cette génération corrompue, et la partie désigne la généralité. Peut-être a-t-il choisi cette partie pour désigner le peuple tout entier, parce que c’était d’eux principalement qu’on devait se promettre le plus de bien ; puisqu’ils sont nés de celui que Jacob bénit comme son petit-fils, qu’il toucha de sa droite et qu’il préféra à son aîné par une bénédiction mystérieuse, bien que Joseph l’eût placé à gauche parce qu’il était le plus jeune 1. Le reproche que l’on fait ici à cette même tribu, le silence de l’Ecriture sur la manière dont elle répondit à cette bénédiction, nous font comprendre qu’il y avait dans les paroles de Jacob un mystère, plus grand que ne l’attend la prudence de la chair. Elles marquaient en effet que les derniers seraient les premiers, et les premiers les derniers 2, lors de l’avènement du Sauveur, dont il est dit : « Celui qui vient après moi, est fait devant moi 3 ». Ainsi le juste Abel a été préféré à son frère 4, Isaac à Ismaël 5, Jacob à Esaü né avec lui, mais le premier 6: ainsi Pharès précéda par sa naissance, naquit avant son frère jumeau, qui avait voulu naître d’abord et avait montré la main 7 ainsi David fut préféré à ses frères aînés 8; ainsi enfin le peuple chrétien fut préféré au peuple Juif, selon le sens de toutes ces figures et de tant d’autres qui furent proposées, non-seulement en actions, mais encore en paroles ; et c’est pour le racheter que le Christ a été mis à mort par les Juifs, comme Abc! par Caïn 9. Voilà donc ce que figurait l’action de Jacob qui croisa les mains, pour mettre la droite sur Ephraïm placé à sa gauche; le préférant ainsi à Manassé placé à droite et qu’il touchait de sa main gauche. Ce ne sont donc point « les fils d’Ephraïm, selon la chair, qui bandent l’arc, lancent des flèches, et tournent le dos au jour du combat ».

10. Le sens de cette parole: « ils ont tourné le dos au jour du combat », est expliqué dans les versets suivants qui le disent avec clarté: « Ils n’ont point gardé l’alliance du Seigneur, et n’ont point voulu marcher dans ses lois 10». Ainsi donc, « tourner le dos au jour du combat», c’est ne point garder l’alliance du Seigneur. Ils ont donc bandé l’arc et lancé les

 

1. Gen. XLVIII, 14. —  2. Matth. XX, 16. — 3. Jean. I, 27, — 4. Gen. IV, 4,5. — 5. Id. XXI, 12. — 6. Id. XXV, 23. — 7. Id. XXVIII, 27-29.— 8. I Rois, XV, 12. — 9. Gen. IV, 8. — 10. Ps. LXXVII, 10.

 

flèches, ils ont engagé leur promesse avec empressement: « Nous écouterons et nous ferons tout ce que le Seigneur notre Dieu nous a ordonné 1: Ils ont tourné le dos au jour du combat»; car une promesse d’obéissance ne s’accomplit point par l’attention à écouter, mais dans la tentation. Celui dont l’esprit est en Dieu, éprouve alors que Dieu est fidèle, qu’il ne l’exposera point à une tentation au-dessus de ses forces, mais lui ménagera dans la tentation une issue, afin qu’il puisse la surmonter et ne tourne point le dos au jour du combat. Quant à celui qui se glorifie en soi-même, et non pas en Dieu 2, quelque promesse qu’il ait faite d’être ferme, bien qu’il bande l’arc et lance des flèches, il tourne le dos au jour du combat. Parce que son esprit ne s’était point confié en Dieu 3, voilà que l’Esprit de Dieu n’est point en lui; et comme il est écrit : « N’ayant point cru, il ne sera point protégé 4 ». Quand après ces paroles : « Ils n’ont point observé le testament du Seigneur », le Prophète ajoute : « Et ils n’ont point voulu marcher dans sa loi»; il répète la pensée précédente avec une certaine explication. Il nomme « Loi de Dieu », ce qu’il avait appelé plus haut, « le Testament de Dieu », en sorte que cette parole : « Ils n’ont point gardé », se trouve répétée dans « ils n’ont point voulu marcher ». Mais comme il pouvait dire plus simplement: Ils n’ont point marché dans sa loi; il me semble qu’il veut nous faire peser quelque peu, pourquoi il a préféré dire : « Ils n’ont point voulu marcher », au lieu de : ils n’ont point marché. On aurait pu croire que la loi des oeuvres est suffisante pour la justification, en voyant les hommes faire à l’extérieur les oeuvres prescrites, bien qu’au fond de leur coeur ils eussent mieux aimé qu’elles ne fussent point prescrites, mais les faire néanmoins : ils paraissent donc marcher dans la loi de Dieu, mais ils n’y marchent pas réellement, puisque le coeur n’y est point. Car il est impossible d’appeler oeuvre du coeur, l’oeuvre que l’on fait par crainte du châtiment et non par amour de la justice. Quant à l’action extérieure, l’homme qui aine la justice et l’homme qui craint le châtiment, s’abstiennent également de voler; les mains se ressemblent, et les coeurs sont bien différents; l’oeuvre est la même, la volonté dissemblable. De là cette

 

1. Exod. XIX, 8.— 2. I Cor. X, 13.— 3. Id. I, 31.— 4. Eccli. II, 15.

 

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parole flétrissante : « C’est là », dit le Prophète, « une génération qui n’a pas redressé son coeur ». II n’accuse pas l’oeuvre, mais le coeur. Quand le coeur est droit, les oeuvres sont droites; mais quand le coeur n’est pas droit, les oeuvres ne sont pas droites, quelle qu’en soit l’apparence. Le Prophète nous montre aussi pourquoi cette génération perverse n’a point redressé son coeur, quand il nous dit : « Son esprit n’a pas cru en Dieu ». Dieu est droit, en effet, et en s’attachant à lui comme à la règle immuable, tout coeur humain peut se redresser, quelque tortueux qu’il ait été. Mais pour unir notre coeur à Dieu et le redresser, il faut nous approcher de lui, non par une démarche, mais par la foi. Aussi, dans l’épître aux Hébreux, est-il dit de cette génération indocile et rebelle : « La parole qu’ils entendirent ne leur servit de rien, n’étant pas unie à la foi chez ceux qui l’entendirent 1 ». Le Seigneur donc prépare la volonté dans un coeur droit, au moyen de la foi qui a précédé, et qui nous rapproche de Dieu toujours droit, de manière à redresser notre coeur. Cette foi est éveillée en nous par l’obéissance, alors que Dieu nous prévient et nous appelle dans sa miséricorde. Elle applique ensuite à Dieu notre coeur qui se redresse, et plus il se redresse, plus il voit ce qu’il ne voyait point, et peut t’aire ce qu’il ne pouvait faire, Voilà ce que n’avait point fait Simon, à qui l’apôtre saint Pierre disait : « Tu n’as aucune part dans cette foi, car ton coeur n’est point droit devant Dieu 2»; nous montrant ainsi que sans Dieu notre coeur ne peut être droit, afin que les hommes commencent à ne plus marcher sous la loi comme des esclaves sous le poids de la crainte, mais qu’ils observent comme des enfants cette loi, dans laquelle n’ont point voulu marcher ces mêmes Juifs, qui sont demeurés sous le poids de leurs transgressions, C’est la charité, et non la crainte, qui donne cette volonté; et la charité est répandue dans les coeurs qui croient par le Saint-Esprit 3. C’est à eux qu’il est dit « C’est la grâce qui vous a sauvés par la foi, et cela ne vient jas de vous, c’est un don de Dieu; cela ne vient pas de vos oeuvres, afin que nul ne se glorifie. Car nous sommes son ouvrage, créés en Jésus-Christ dans les bonnes oeuvres que Dieu a préparées, afin que nous y marchions 4 », et que nous

 

1. Héb. IV, 2. — 2. Act. VIII, 21. — 3. Rom. V, 5.— 4. Ephés. II, 8-10.

 

n'imitions point ceux qui « n’ont point voulu marcher dans sa loi », qui n’ont point cru en Dieu, qui n’ont point dirigé vers lui leur voie, en espérant en lui, afin qu’il fît tout en eux.

11. « Ils ont oublié ses bienfaits, les miracles qu’il leur a fait voir, et les merveilles qu’il opéra en présence de leurs pères. Il y a ici une question qu’il ne faut pas négliger. Tout à l’heure, en parlant de leurs pères, le Prophète les appelait une race perverse et indocile. « Qu’ils ne deviennent point comme leurs pères, race indocile et rebelle, race qui n’a pas redressé son cœur », et tout le reste qu’il a dit de cette race, détournant la race à venir de l’imiter, l’engageant « à mettre en Dieu son espérance, à n’oublier point les oeuvres de Dieu, à rechercher ses préceptes » ; ainsi que nous l’avons suffisamment expliqué. Maintenant que le Prophète nous parle de cette génération qui a oublié les bienfaits de Dieu, et les merveilles qu’il leur a fait voir, pourquoi vient-il ajouter : « Les merveilles qu’il a opérées en présence de leurs pères? » De quels pères est-il question, car ils sont eux-mêmes ces 1ères, avec lesquels il ne veut point de ressemblance dans leurs enfants? Si nous entendons par là ces hommes dont ils étaient nés, comme Abraham, Isaac et Jacob, ils étaient morts depuis longtemps quand le Seigneur opéra des merveilles en Egypte. Car nous lisons ensuite : « Sur la terre d’Egypte, dans les champs de Tanis » ; c’est là, nous dit-on, que Dieu opéra des merveilles en présence de leurs pères. Ou bien ces mêmes pères étaient-ils présents en esprit, selon cette parole du Sauveur dans l’Evangile: « Car tous vivent devant lui 2?» Ne serait-il pas plus facile d’entendre par ces pères, Moïse et Aaron, et ces anciens dont l’Ecriture nous dit qu’ils reçurent le même esprit que Moïse, afin de l’aider à conduire et à supporter le peuple 3? Pourquoi ne pas les appeler des pères? Non point dans le sens que l’on donne à Dieu seul le nom de père, parce qu’il régénère dans le Saint-Esprit ceux qu’il adopte comme enfants dans l’héritage éternel; niais ce nom de père serait un nom d’honneur à cause de leur âge et de leur pieux dévouement. Ainsi saint Paul déjà vieux disait : « Ce n’est point pour vous donner de la confusion que j’écris ceci; mais ce sont des avis que je vous donne

 

1. Ps. LXXVII, 11, 12. — 2. Luc, XX, 38. — 3. Nomb. XI, 16, 17.

 

comme à des enfants bien-aimés 1» ; et pourtant il n’ignorait pas cette parole du Seigneur : « N’appelez sur la terre personne votre père; car vous n’avez qu’un seul père, qui est dans les cieux 2». Ce que le Christ n’a point dit sans doute pour ôter du discours ordinaire ce terme d’honneur, mais seulement pour nous empêcher d’attribuer, ou à la nature, ou à la puissance, ou à la sainteté d’aucun homme, la grâce de Dieu qui nous régénère pour la vie éternelle. En disant donc: « C’est moi qui vous ai engendré », il a précisé auparavant : « En Jésus-Christ et par l’Evangile », afin qu’on ne lui attribuât point ce qui appartient à Dieu.

12. Donc « cette génération indocile et rebelle a oublié les bienfaits de Dieu, les  merveilles qu’il leur a montrées, les miracles opérés en présence de leurs pères, en Egypte, dans le champ de Tanis ». Le Prophète alors commence à raconter la suite de ces merveilles. S’il y a là des paraboles et des énigmes, elles doivent, par la comparaison, nous rappeler quelques leçons. N’oublions tas le but qui est celui du psaume, et le fruit principal que nous devons en tirer; ainsi que Dieu nous le marque, en stimulant si vivement notre attention: « Ecoutez moi, ô mon peuple, inclinez l’oreille aux paroles de ma bouche » : mettons notre confiance en Dieu, n’oublions point ses oeuvres, recherchons ses préceptes : ne soyons point comme ces hères, une race indocile et rebelle, une génération dont le coeur n’est pas droit, dont l’esprit n’a point cru en Dieu. C’est à ce point qu’il nous faut tout rapporter. Ainsi tout ce que figurent ces actions symboliques, doit s’accomplir dans l’homme d’une manière spirituelle, ou par la grâce de Dieu, si ce sont des biens, ou par le jugement de Dieu si ce sont des malheurs; de même que tout cela est arrivé pour Israël ou en bénédictions, ou en châtiments contre eux et contre leurs ennemis. Si nous retenons avec soin tous ces enseignements, plaçant en Dieu notre espérance, et n’oubliant pas ses bienfaits, si nous avons pour lui non plus cette crainte servile qui redoute seulement les maux du corps, mais cette crainte chaste qui demeure dans l’éternité, et qui redoute comme une grande peine d’être privée de la lumière de justice, alors nous ne deviendrons point comme ces

 

1. I Cor. IV, 14.— 2. Matth. XXIII, 9.

 

pères, une génération indocile et rebelle. La terre d’Egypte est donc pour nous l’image de ce monde; le champ de Tanis est une plaine qui désigne la loi de l’humilité, car Tanis signifie, en hébreu, humble précepte. Recevons donc en cette vie la loi de l’humilité, afin de mériter d’être élevés en gloire dans l’autre vie, gloire que nous a promise Celui qui s’est fait humble pour nous.

13. Car celui qui a divisé la mer pour y « faire passer son peuple, qui a retenu les eaux comme dans une outre 1», en sorte que l’eau s’est arrêtée comme si elle eût été enfermée, peut aussi par sa grâce arrêter le cours de la convoitise et de nos désirs charnels, nous porter à renoncer au monde, afin que nos ennemis, c’est-à-dire nos péchés, étant abîmés dans les eaux, le peuple passe par le sacrement de baptême. Celui qui «les a conduits tout le jour à l’ombre d’une nuée, et toute la nuit à la lueur du feu 2», peut encore guider nos pas d’une manière spirituelle, si notre foi crie vers lui : « Redressez mes voies selon votre parole 3 ». C’est de lui qu’il est dit ailleurs: « Il redressera votre course, et conduira en paix tous vos pas 4 », par Jésus-Christ Notre-Seigneur, qui nous a été révélé en cette vie comme au grand jour, et qui a paru en sa chair comme il apparaissait dans la nuée ; mais qui viendra au jour du jugement comme dans une nuit de terreur. Car alors la tribulation sera pour le monde comme un feu qui brillera aux yeux des justes, et qui consumera les hommes injustes. Celui « qui brisa la pierre au désert, et les désaltéra par d’abondantes eaux; qui fit sortir l’eau de la pierre, et les eaux coulèrent comme des fleuves 5», peut sans doute épancher sur l’âme altérée par la foi, les dons de l’Esprit-Saint, dont cette action était la figure; il peut le répandre de cette pierre spirituelle qui les suivait, et qui était le Christ 6; ce même Christ qui était là criant: « Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi »; et encore: « Celui qui boira de l’eau que je lui donnerai, des fleuves d’eau vive jailliront en lui ». Voilà ce qu’il disait, comme le marque l’Evangile, « de l’Esprit que devaient recevoir ceux qui croiraient en lui 7 ».Telle est la pierre qui a frappé le bois de la croix,

 

1. Ps. LXXVII, 13. — 2. Id. 14. — 3. Id. CXVIII, 133. — 4. Prov. IV, 27. — 5. Ps. LXXVII, 15, 16. — 6. I Cor. X, 4. — 7. Jean, VII, 37-39.

 

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comme la verge de Moïse, afin d’en faire couler la grâce pour les fidèles.

14. Et néanmoins ces hommes, comme une « race indocile et rebelle, ont continué de pécher contre lui 1 » ; c’est-à-dire de ne point croire. C’est là en effet un péché dont l’Esprit-Saint doit convaincre le monde, comme l’a dit le Sauveur : « Il le convaincra de péché, parce qu’ils n’ont point cru en moi 2. Ils ont irrité le Seigneur dans la sécheresse », ou, selon d’autres exemplaires, « dans un désert sans eau », expression plus précise qui vient du grec, et qui n’a d’autre sens que la sécheresse. Or, cette sécheresse venait-elle du désert, ou plutôt de leur coeur? Ils avaient bu l’eau de la pierre, et alors c’était moins leurs entrailles que leurs coeurs qui étaient desséchés, et n’avaient aucune vigueur pour produire la justice. C’était néanmoins dans cette sécheresse qu’ils devaient être pins fidèles à Dieu, et le supplier de leur donner des moeurs pures, après avoir étanché leur soif; puisque c’est à lui qu’a recours toute âme fidèle : « Que mes yeux voient la justice 3 ».

15. « Ils ont tenté Dieu dans le secret de leurs coeurs, et lui ont demandé une nourriture selon leurs désirs ». Autre chose est de demander avec fidélité, autre de demander pour tenter. Le Prophète continue: « Ils murmurèrent coutre Dieu, et dirent: Dieu pourra-t-il préparer des tables au désert; sans doute il a frappé le rocher, et des eaux en ont coulé, des torrents ont inondé la terre; mais pourra-t-il nous donner du pain et dresser des tables pour son peuple 4? » C’était donc sans y croire qu’ils demandaient une nourriture selon leurs désirs. Ce n’est pas ainsi que saint Jacques nous engage à demander la nourriture de notre coeur, mais il veut que nous la demandions avec foi, et non pour tenter ou avec murmure. « Si quelqu’un de vous », dit-il, « a besoin de la sagesse, qu’il la demande à Dieu, qui répand ses dons sur tous libéralement et sans les reprocher, et la sagesse lui sera donnée: mais qu’il demande avec foi, et sans hésiter 5 ». Telle est donc la foi qui manquait à cette génération, dont le coeur n’était point droit, et dont l’esprit n’avait pas cru en Dieu.

 

1. Ps. LXXVII, 17.— 2. Jean, XVI, 9.— 3. Ps. XVI, 2.— 4. Id. LXIVII, 18-20. — 5. Jacques, I, 5, 6.

 

16. « Le Seigneur les entendit et différa, le feu de sa colère s’alluma contre Jacob, et sa fureur contre Israël 1». Le Prophète explique ce qu’il appelle un feu ; il nomme ainsi la colère de Dieu, bien que le feu véritable ait dévoré beaucoup de ces murmurateurs. Que signifie donc: « Le Seigneur entendit et différa? » Est-ce d’introduire son peuple dans la terre promise qu’il différa? Il eût pu le faire en peu de jours, mais a cause de leurs péchés ils durent être accablés au désert, où le malheur les affligea pendant quarante ans. En ce cas ce fut son Peuple qu’il différa d’introduire, et non ceux qui l’avaient tenté par leurs doutes ; car tous périrent au désert, et leurs enfants seulement entrèrent dans cette terre. Différa-t-il seulement de les châtier, et voulut-il d’abord se prêter à leur incrédule convoitise, de peur qu’ils ne vinssent à attribuer sa colère à l’impuissance où il était de subvenir à leur demande, bien qu’ils ne l’eussent faite que pour le tenter et lui ôter la confiance? Donc « il entendit et différa » sa vengeance; et après qu’il eût fait ce qu’ils avaient pensé qu’il ne pourrait faire, alors « sa colère s’alluma contre Israël ».

17. Ensuite, après cette courte exposition, le Prophète reprend le cours de son récit :

« Parce qu’ils n’ont pas cru en Dieu, ni espéré dans son salut ». Après nous avoir dit pourquoi le feu de sa colère s’est allumé contre Jacob, et sa fureur contre Israël, c’est-à-dire, parce qu’ils n’ont pas cru en Dieu ni espéré dans son salut » ; il énumère à l’instant tous les bienfaits visibles qu’ils reçurent avec ingratitude. « Il avait cependant commandé aux nuées, et ouvert les portes du ciel. Il leur avait fait pleuvoir la manne pour apaiser heur faim, et donné le pain du ciel. L’homme mangea le pain des anges 2. Dieu leur donna des viandes en abondance. Il fit élever dans les airs le vent d’Orient, et par sa puissance le vent du midi. Il répandit les viandes comme la poussière, et les oiseaux comme le sable des mers. Il les fit tomber au milieu de leur camp, autour de leurs tentes. Et ils mangèrent et furent rassasiés ; « Dieu contenta leurs désirs». Voila pourquoi il différait ; mais écoutons ce qu’il a différé. « Les viandes étaient encore dans leurs bouches,

 

1. Ps. LXXVII , 21. — 2. Le verset 25 est expliqué dans le discours sur le Ps. XXXIII, serm. 1, n. 6.

 

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quand la colère de Dieu s’alluma contre eux 1». Voilà ce qu’il avait différé. Tout d’abord « il différa » ; puis ensuite « sa colère s’alluma contre Jacob, et sa fureur contre Israël ». Si donc il avait différé, c’était dans le dessein de faire d’abord ce qu’ils croyaient impossible à sa puissance, et de les châtier ensuite comme ils le méritaient. S’ils eussent mis en Dieu leur espérance, il eût satisfait en eux, non-seulement leurs désirs charnels, mais les désirs de l’esprit. En effet, «Celui qui a pu commander aux nuées, ouvrir les portes du ciel, faire tomber la manne pour les nourrir, et leur donner le pain du ciel de manière que l’homme mangeât le pain des anges, qui leur adonné des vivres en abondance » pour rassasier ces incrédules, est assez puissant pour donner, à ceux qui croient en lui, le vrai pain du ciel dont la manne était la figure ; ce pain qui est vraiment le pain des anges, ce Verbe de Dieu, aliment incorruptible de ceux qui sont incorruptibles : c’est pour être la nourriture de l’homme qu’il s’est fait chair, et a demeuré parmi nous 2. C’est là le pain que les nuées de l’Evangile font pleuvoir dans le monde entier. Il ouvre les coeurs des prédicateurs, comme des portes célestes, pour annoncer sa parole, non plus à.une synagogue qui murmure et tente le Seigneur, mais à l’Eglise qui croit et met son espoir en lui. Celui qui « a fait lever dans les airs le vent d’orient, et souffler par sa puissance le vent du midi; qui leur fait pleuvoir les viandes comme la poussière, et les oiseaux comme le sable des mers; qui les a fait tomber au milieu de leur camp, autour de leurs tentes, pour leur en faire manger et les rassasier; qui a comblé leurs convoitises et ne les a point privés de leur désir »; celui-là peut nourrir la foi faible encore de ceux qui croient en lui sans chercher à le tenter par des signes et des paroles qui sortent de la chair, et qui traversent les airs à la façon des oiseaux. Ces paroles toutefois ne viendront point de l’Aquilon, région froide et ténébreuse, c’est-à-dire de l’éloquence mondaine qui plaît aux hommes, mais en faisant souffler dans les cieux le vent du midi. Où soufflera-t-il, sinon sur la terre ? afin que Les faibles dans la foi entendent ce qui est de la terre, et se fortifient pour comprendre les choses du ciel. « Si je

 

1. Ps. LXXVII, 23-31. — 2. Jean, I, 14.

 

vous dis des choses terrestres et que vous ne les croyiez pas, dit le Sauveur, comment croirez-vous les choses du ciel 1 ? » Il était en quelque sorte transféré du ciel, ce même saint Paul ravi jusqu’à Dieu en extase, et qui, se proportionnant à ses auditeurs, leur disait : « Je n’ai point voulu vous prêcher comme à des hommes spirituels, mais bien comme à des hommes charnels 2 ». Ravi en Dieu il avait entendu des paroles ineffables 3, qu’il ne lui état pas donné d’exprimer sur la terre en ces sons articulés qui voltigent contre l’oiseau. Il a fait souffler l’Africus par sa puissance, c’est-à-dire ces vents du midi, ces souffles de la prédication qui portent la chaleur et la lumière. Tel est l’effet « de sa puissance », afin que l’Africus ne s’attribue point ce qui lui vient de Dieu. Ces vents donc viendront d’eux-mêmes vers les hommes, et leur apporteront les paroles venues d’en haut; afin que chacun, demeurant à sa place, ramasse autour de son pavillon ces sortes d’oiseaux, et adore Dieu dans le rang qu’il occupe, et que toutes les îles des nations arrivent à le connaître 4.

18. Mais pour les infidèles, comme pour cette nation indocile et rebelle, il arrive que les viandes sont encore dans leurs bouches, quand « la colère de Dieu s’allume contre eux, et en tue un grand nombre »; c’est-à-dire la plus grande partie, ou, comme portent certains manuscrits, « les plus gras d’entre eux ». Il est vrai que nous n’avons point vu cela dans les manuscrits grecs en notre possession. Mais si tel est le sens le plus vrai, que faut-il entendre par « les plus gras », sinon les plus orgueilleux, dont il est dit que u leur « iniquité semble venir de leur plénitude 5? « Et il abattit l’élite d’Israël ». Il y avait là des élus, à la foi desquels n’avait aucune part cette génération indocile et rebelle. Mais de quoi furent-ils empêchés, sinon d’être utiles à ceux que leur affection paternelle eût voulu conseiller? De quoi peut servir la pitié humaine aux hommes qui ont irrité Dieu? L’Ecriture, en disant que les élus furent liés, n’a-t-elle pas voulu nous faire comprendre que les hommes séparés de cette race par leur vie et leurs moeurs, étaient non-seulement des modèles de justice, mais aussi des modèles de patience, puisqu’ils étaient

 

1. Jean, III, 12. — 2. I Cor. III, 1. — 3. II Cor. XII, 4. — 5. Sophon. II, 11 — 6. Ps. LXXII, 7.

 

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confondus dans les châtiments du peuple ? Car je ne vois point pour quel autre motif Dieu aurait laissé emmener en captivité les saints et les pécheurs : aussi lisons-nous dans les manuscrits grecs, non plus enepodisen, ou « il empêcha », mais qui se traduit mieux par « il lia ensemble ».

19. Mais « cette génération rebelle et indocile ne laissa pas de pécher encore et ne crut point aux merveilles du Seigneur. Et leurs jours se consumèrent dans la vanité 1 ». Ils pouvaient, s’ils eussent cru en Dieu, passer leurs jours dans la vérité, dans l’immobilité de celui à qui le Prophète dit: « Vos années ne passeront point 3 ». Donc « leurs jours s’écoulèrent dans la vanité, et leurs années dans la précipitation ». Car la vie des hommes passe bien vite, et celle qui nous paraît la plus longue, n’est qu’une vapeur de quelques instants.

20. Toutefois « dès qu’il les frappait, ils le recherchaient », non par amour de la vie éternelle, mais par crainte de perdre une vie qui n’est qu’une fumée. Ce n’était donc point ceux qut mouraient, qui cherchaient Dieu, mais ceux qui craignaient de mourir comme eux; et si l’Ecriture s’exprime comme si ceux qui mouraient eussent cherché Dieu, c’est qu’ils ne formaient tous qu’un peuple, et que le Prophète en parle comme d’un même corps. « Et ils retournaient à lui, et se hâtaient de revenir à Dieu. Ils se souvenaient que Dieu était leur refuge, que le Très-Haut était leur Sauveur 3 ». Mais tout cela n’était que pour obtenir des biens de la terre, éviter les maux de cette vie. Chercher Dieu en vue des biens temporels, ce n’est point aspirer à Dieu, mais à ces biens; ce n’est point une crainte servile, mais un libre amour, qui honore le Seigneur. Ainsi donc ce n’est point Dieu que l’on sert, mais on sert ce que l’on aime. De là vient que Dieu, qui est supérieur à tout, meilleur que tout, est plus que tout digne de notre amour et de notre culte.

21. Voyons encore la suite : « Ils l’aimaient du bout des lèvres», dit le Prophète, « mais leur langue mentait au Seigneur. Leur coeur n’était pas droit devant lui, ils n’étaient point fidèles à son alliance 4». Mais Dieu, qui pénètre les secrets des hommes, et

qui découvrait sans peine leur préférence,

 

1. Is. LXXVII, 32, 33. — 2. Id. CI, 28. — 3. Id. LXXVII. 34, 35.— 4. Id, 36, 37.

 

voyait que le langage du coeur n’était point d’accord avec celui des lèvres. Un coeur est droit devant Dieu quand il cherche Dieu pour Dieu. Il ne veut obtenir de Dieu qu’une seule faveur, qu’il réclamera toujours, c’est d’habiter dans la maison du Seigneur, et de contempler ses délices 1. C’est à lui que le coeur des fidèles a dit : Je serai rassasié, non plus des viandes de l’Egypte, ni de ses melons, ni de ses concombres, ni de l’ail, ni de l’oignon, que cette génération indocile et rebelle préférait au pain du ciel 2, ni même de la manne visible, ou de la chair des oiseaux, mais je serai rassasié quand votre gloire m’apparaîtra 3. Tel est l’héritage du Nouveau Testament auquel ce peuple ne fut point fidèle. La foi en cette alliance, bien que voilée alors, était chez les élus; aujourd’hui qu’elle est révélée, elle n’est que chez bien peu d’appelés. « Beaucoup en effet sont appelés, mais peu sont élus 4 ». Telle était donc cette race corrompue et rebelle: même en paraissant cher. cher Dieu, elle ne l’aimait que des lèvres et sa langue était menteuse; elle n’avait point pour Dieu la droiture du coeur, et lui préférait les faveurs qu’elle attendait de lui.

22. « Mais lui, plein de miséricorde, leur pardonnera leurs offenses, et ne les perdra point: sans cesse il retient sa colère, et ne laisse point s’allumer sa fureur. Il se souvient qu’ils ne sont que chair, un esprit qui s’en va pour ne plus revenir 5 ». Plusieurs, en lisant ces paroles, comptent sur la bonté de Dieu pour l’impunité de leurs crimes, même lorsqu’ils y demeurent, comme cette génération, que le Prophète appelle « indocile et rebelle, dont le coeur n’était pas droit, et dont l’esprit ne croyait point en Dieu » : avec laquelle toute ressemblance est funeste. Si. Dieu, en effet, pour parler leur langage, ne perd point les méchants, il est certain qu’il ne perdra point non plus les bons. Pourquoi ne pas choisir de préférence ce qui est hors de doute? Ceux dont la langue est menteuse, et dont le coeur tient un autre langage, pensent que Dieu est menteur, désirent même qu’il le soit, quand il menace de châtiments éternels ces prévaricateurs. Mais ni eux ne peuvent tromper Dieu par leurs «mensonges, ni Dieu nous tromper par sa vérité. Que cette génération dépravée ne dé-

 

1. Ps. XXVI, 4.— 2. Exod. XVI, 3. — 3. Ps. XVI, 15.— 4. Matth. XX, 16. — 5. Ps. LXXVII, 38, 39.

 

détériore point les oracles divins, dont elle se glorifie, comme elle a détérioré son coeur; malgré cette corruption du coeur, les paroles de Dieu demeurent incorruptibles. C’est dans ce sens, en effet, que nous pouvons entendre ces paroles de l’Evangile : « Afin que vous soyez les enfants de votre Père céleste, qui fait luire son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes et sur les injustes ». Qui ne voit avec quelle patiente miséricorde il pardonne aux méchants, mais avant de les juger? C’est ainsi qu’il épargna cette nation, et réprima sa colère pour ne pas la détruire et l’exterminer entièrement; c’est là ce que nous voyons dans les paroles de Dieu, dans les supplications de Moïse pour obtenir le pardon de leurs péchés, alors que Dieu lui dit : « Je les exterminerai, et te ferai le chef d’une grande nation 2». Moïse insiste, déterminé à périr plutôt qu’eux; il savait qu’il parlait à un Dieu plein de miséricorde, qui ne pourrait le détruire, et qui leur pardonnerait en sa faveur. Voyons en effet, combien Dieu a pardonné, combien il pardonne encore. Il a introduit ces rebelles dans la terre promise, et conservé cette nation jusqu’à ce qu’ils se fussent engagés à tuer le Christ, par le plus grand de tous les crimes; bien qu’il les ait arrachés de leur terre pour les disséminer chez tous les peuples du monde, néanmoins il ne les a point détruits. Ce peuple subsiste encore, et se conserve par une succession continuelle, portant un signe, comme autrefois Caïn 3, afin qu’on ne le détruise pas entièrement. Ainsi s’accomplit cet oracle: « Dieu est plein de miséricorde, il pardonnera leur crime, et ne les perdra point. Sans cesse il retient sa colère, et n’aie turne point sa fureur». S’il se livrait à toute sa colère, c’est-à-dire autant qu’ils en sont dignes, rien ne demeurerait de cette race criminelle. Ainsi ce même Dieu dont le Prophète chante la miséricorde et le jugement 4, pousse, encore aujourd’hui, la miséricorde jusqu’à faire luire son soleil sur les bons et sur les méchants », et à la fin du inonde, au jugement, il séparera les méchants de la lumière éternelle, pour les jeter dans des ténèbres sans fin.

23. Toutefois, afin de ne point faire violence à la parole divine, et quand elle dit : « Dieu ne les perdra point», afin de ne point dire au

 

1. Matth. V, 4. — 2. Exod. XXXII, 10.— 3. Gen. IV, 15.— 4. Ps. C, 1.

 

contraire : Il les perdra plus tard; voyons dans ce même psaume une façon de parler très-ordinaire dans l’Ecriture, et qui nous donnera une solution plus nette, et plus vraie de cette difficulté. Parlant un peu plus loin de cette nation, après avoir montré les désastres essuyés à leur sujet par les Egyptiens, et rappelé la dernière plaie, le Prophète ajoute : « Il frappa tout premier-né sur la terre d’Egypte, les prémices de l’enfantement dans tes tabernacles de Cham. Puis il conduisit son peuple comme des brebis, et leur fit traverser le désert comme à un troupeau. Il les conduisit dans l’espérance, et ils furent sans crainte, et la mer couvrit leurs ennemis. Il les conduisit à la sainte montagne, à la montagne que sa droite avait conquise. Il chassa devant eux les nations, et leur divisa la terre comme ou divise les héritages 1 ». Si quelqu’un voulait incidenter sur ces paroles et nous dire : Comment le Prophète peut-il alléguer que Dieu leur ait fait ces grâces, puisque ceux qui sortirent de l’Egypte, ne furent pas introduits dans la terre promise, et qu’ils moururent au désert? Que répondre, sinon que l’on dit eux, parce que c’est le même peuple, par la succession des enfants ? Ainsi quand nous entendons dire, surtout que les expressions sont au futur : « Et il leur pardonnera leurs fautes et ne les détruira point: toujours il retiendra sa colère, et sa fureur ne s’allumera point »; nous devons comprendre que cela s’est accompli dans ceux  dont l’Apôtre a dit: « De même en nos jours, les restes ont été sauvés par l’élection de la grâce ». De là cette autre parole : « Dieu aurait-il rejeté son peuple? Non, sans doute. Car moi aussi je suis enfant d’Israël, de la tribu de Benjamin, Hébreu fils d’Hébreux 2 ». L’Ecriture avait donc en vue ceux de ce peuple qui devaient croire au Christ, recevoir la rémission des péchés, et même de ce crime le plus grand de tous, qui leur fit tuer leur médecin, dans un accès de folie. Voilà ce qui a dicté cette parole du Prophète : « Dieu est miséricordieux, il leur pardonnera leurs péchés et ne les détruira point; il a surtout modéré sa colère », jusqu’au point de leur pardonner la mort même de son Fils: «Et il ne laissera point s’allumer sa fureur, puisque les restes ont été sauvés  ».

24. « Il se souvint que ce peuple est charnel,

 

1. Ps, LXXVII, 51-54. — 2. Rom. XI, 5, 1; Philipp. III, 5.

 

qu’il n’est qu’un souffle qui passe et ne revient plus». Aussi, dans ses instances miséricordieuses, les a-t-il rappelés par sa grâce, car ils ne pouvaient revenir par eux-mêmes. Comment une faible chair, comment un esprit qui passe sans retour, aurait il pu revenir à Dieu, sans l’élection de la grâce, quand le poids des châtiments qu’il a mérités l’entraîne au fond de l’abîme? Et Dieu ne vous donne point cette grâce comme une récompense, mais elle est un don gratuit, afin que l’impie soit justifié 1, que la brebis égarée retourne au bercail, non par ses propres forces, mais sur les épaules du pasteur qui la rapporte 2. Elle a bien pu s’égarer au gré de ses caprices, mais elle ne pourrait se retrouver elle-même, elle n’est retrouvée que par la bonté du pasteur qui la recherche, li n’est lias en effet sans ressemblance avec cette brebis, ce fils qui rentre en lui-même, et se dit : « Je me lèverai, et j’irai à mon père ». Un appel secret, une sainte inspiration le cherchait, et il ne doit sa résurrection qu’à celui qui donne la vie à tout : et par qui a-t-il été retrouvé, sinon par celui qui sauve et qui recherche ce qui était perdu 3? « Il était mort et il est ressuscité; il était perdu et il est retrouvé 4». C’est ainsi que l’on peut répondre à cette autre difficulté des Proverbes, alors que l’Ecriture nous dit, à propos de la voie des impies: « Quiconque marche dans cette voie, n’en reviendra point 5 ». Parole qui nous porterait au désespoir sur le compte des impies : quand l’Ecriture nous marque l’effet de la grâce; car l’homme peut bien par ses propres forces marcher dans le sentier du mal, tandis qu’il n’en peut revenir par lui-même, si la grâce ne le rappelle.

23. « Combien de fois donc » ces hommes pervers et indociles «ont-ils aigri le Seigneur au désert, et ont-ils provoqué sa justice dans les terres sans eau ? Ils sont retournés à  leurs murmures, et ont tenté Dieu, et aigri le saint d’Israël 6 ». C’est là une répétition de cette infidélité déjà flétrie; mais le Prophète ne la rappelle que pour nous énumérer les plaies dont le Seigneur frappa l’Egypte en leur considération, Ils devaient en conserver plus précieusement la mémoire, sans se montrer ingrats. Enfin quelle est la suite? « Ils oubliaient le bras du Tout-Puissant, au

 

1. Philipp. XV, 4, 5.— 2. Luc, XV, 5. — 3. Id. XXIX, 10.—  4. Id. XV, 18, 21. — 5. Prov. II, 19. — 6. Ps. LXXVII, 40, 41.

 

jour où il les délivra du joug de l’oppression ». Vient alors l’énumération des plaies de l’Egypte : « Le Seigneur a fait éclater sa puissance en Egypte, et ses merveilles dans les champs de Tanis : lorsqu’il changea leurs fleuves en sang, et leurs pluies dont on ne put boire » ; ou plutôt « toute source d’eaux », comme nous lisons dans le grec, ta ombremata, que nous traduisons en latin par scaturigines, ou des eaux qui s’élancent de dessous terre. Les Egyptiens creusèrent, et au lieu d’eau trouvèrent du sang. « Il envoya contre eux des insectes qui les dévoraient, et des grenouilles qui désolaient tout. Il livra leurs récoltes à la rouille, et leurs maisons aux sauterelles. Il fit périr leurs vignes par la grêle, et leurs sycomores par les frimas. Il livra leurs brebis à la grêle, et leurs troupeaux au feu du ciel. Il versa sur eux toute sa colère, la fureur, l’indignation, les tribulations, les influences des mauvais anges. Il élargit les voies de sa colère, et ne leur épargna point la mort, il livra leurs bestiaux à la peste. Il frappa tout premier-né de l’Egypte, et les prémices de l’enfantement sous les tentes de Cham 1.»

26. Tous ces fléaux de l’Egypte peuvent s’entendre d’une manière allégorique, selon qu’il plaît à chacun de les interpréter, et de leur trouver des analogies. Nous essayerons de le faire aussi, et nous y réussirons comme il plaira au Seigneur de nous éclairer. Nous y sommes forcés par les paroles de ce psaume: « J’ouvrirai ma bouche en parabole, j’exposerai les énigmes dès le commencement ». Aussi voyons nous dans ce récit du psaume des plaies dont l’Ecriture ne nous dit point que les Egyptiens aient été frappés, bien que tous ces fléaux soient décrits très exactement dans l’Exode. Toutefois ce n’est pas sans raison que nous lisons dans le psaume ce qui n’est pas dit ailleurs; comme nous ne pouvons y voir que des figures, nous devons comprendre que ces autres plaies qui sont arrivées très-certainement , n’ont été envoyées par Dieu et écrites par Moïse, que pour être des figures. C’est ce que nous pouvons remarquer en beaucoup d’endroits prophétiques de l’Ecriture. Elle nous raconte parfois des particularités que l’on ne trouve point dans l’histoire qu’elle en a écrite et qu’elle semble rappeler, souvent même on

 

1 Ps. LXXVII, 45-51.

 

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trouve le contraire; afin que nous jugions de là que son but n’est point celui que l’on croirait tout d’abord , mais qu’il faut nous élever à une pensée supérieure. Aussi, quant à ces paroles: « il dominera depuis la mer jusqu’à la mer, et depuis le fleuve jusqu’aux extrémités de la terre 1»; il est constant qu’elles n’ont pas été accomplies sous le règne de Salomon, que le psaume paraît chanter, tandis qu’il chante le Christ. Ainsi donc, dans ces plaies des Egyptiens, que nous marque d’une manière exacte le livre que l’on nomme Exode, et où l’Ecriture a pris soin de nous détailler ces fléaux dont ils furent accablés, nous ne trouvons pas ce que dit notre psaume; « Il détruisit leurs maisons par la rouille». De plus, après avoir dit: « Il abandonna leurs bestiaux à la grêle », le Prophète ajoute : «Et leurs possessions au feu du ciel ». Or, nous lisons bien dans l’Exode 2, que leurs bestiaux furent frappés de la grêle, mais non que leurs possessions aient été détruites par le feu. Il est vrai qu’à la grêle se mêlent des bruits et des feux, comme le tonnerre et les éclairs; et pourtant il n’est pas écrit que ces feux aient rien consumé. Enfin il n’est point dit que les plantes flexibles que la grêle ne pouvait blesser, aient été frappées ou blessées par des coups violents, puisqu’elles furent ensuite la proie des sauterelles 3. De même encore il est dit: « Il fit périr leurs sycomores par les frimas », ce qui n’est pas dans l’Exode. Car les frimas diffèrent beaucoup de la grêle, et en hiver, pendant les nuits sereines, les frimas blanchissent la terre.

21. Quant à l’explication de ces figures, que chacun en parle comme il pourra, et que le lecteur en juge équitablement. Pour moi, l’eau changée en sang, désigne le jugement charnel que l’on porte sûr les choses. Ces insectes marquent le cynisme de ceux qui ne respectent point les parents dont ils sont nés. Les grenouilles, la vanité qui parle sans cesse. La rouille nuit d’une manière invisible, tantôt on l’appelle rouille, et tantôt canicule à quel vice comparer ce fléau, sinon à celui qui apparaît le moins, comme la confiance en soi même? C’est en effet un souffle nuisible qui la produit insensiblement dans les moissons; c’est le travail de cet orgueil secret. qui nous fait croire que nous sommes quelque chose, quand en effet nous ne sommes rien 4.

 

1. Ps. LXXI, 8.— 2. Exod. IX, 25. — 3. Id. X, 1-15.— 4. Gal. VI, 3.

 

La sauterelle est cette bouche méchante qui blesse les autres par le faux témoignage. La grêle, c’est l’injustice qui enlève le bien d’autrui, qui produit les rapines, les larcins, les pillages, et où le spoliateur perd plus que ceux qu’il dépouille. La bruine marque le péché qui refroidit la charité pour le prochain, par le froid de la nuit, dans l’obscurité de la folie. Quant au feu, s’il s’agit d’un feu séparé des éclairs et de la grêle, puisqu’il est écrit qu’ «il livra au feu leurs possessions »,ce qui paraît dire qu’elles furent incendiées, ce que l’Ecriture ne dit point du feu du tonnerre, il    semble désigner une colère violente qui porte souvent jusqu’au meurtre. La mort des troupeaux, autant que j’en puis juger, marque la perte de toute pudeur, parce que cette concupiscence, d’où provient la génération, nous est commune avec les bêtes, et la vertu de chasteté consiste à l’assujettir et à la régler. La mort des premiers-nés, c’est la perte de cette justice qui est le bien social parmi les hommes. Cependant, que tel soit le sens des figures, ou qu’un autre en donne un plus convenable, qui pourrait voir sans étonnement les dix plaies dont l’Egypte est frappée, et les dix préceptes inscrits sur les tables pour servie de code au peu pie de Dieu? Chercher l’analogie de ces deux faits, c’est-à-dire de ces plaies et de ces préceptes, nous l’avons fait ailleurs 1, et nous n’en voulons point surcharger l’explication de notre psaume: disons seulement que les dix plaies d’Egypte sont exprimées ici, quoique l’ordre diffère de celui de l’Exode, puisque au lieu des trois que nous y voyons 2, et qui manquent ici, c’est-à-dire des moucherons, des ulcères et des ténèbres, nous eu trouvons trois dans le psaume, et qui manquent dans l’Exode, c’est-à-dire, la rouille, la bruine et le feu, non le feu des éclairs, mais le feu qui consuma leurs biens, et dont l’Exode ne parle point.

28. Mais il est assez clair que Dieu, par un juste jugement, les accable de ces maux, au moyen des mauvais anges, qui travaillent dans notre siècle comme dans l’Egypte et dans les champs de Tanis, où nous devons pratiquer l’humilité, jusqu’à ce que vienne le jour où nous mériterons de sortir glorieusement de cette bassesse. Egypte, en langue

 

1. Sermon sur les dix plaies el les dix préceptes, tome V.— 2. Exod. VIII, 17 IX, 10; X, 22.

 

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hébraïque, signifie ténèbres ou tribulations, et Tanis, comme nous l’avons dit, signifie un humble commandement. Ne passons donc point légèrement star ce que le psaume nous dit des mauvais anges, à propos de ces plaies: « Il a déchaîné contre eux sa colère, son indignation, la désolation et la fureur, les influences des mauvais anges ». Qu’il y ait un diable avec ses anges, auxquels Dieu a préparé le feu éternel, il n’est aucun fidèle pour l’ignorer: mais ceux qui sont moins capables de considération, comprendront difficilement la souveraine justice de Dieu qui se sert utilement des méchants mêmes, et qui déchaîne leur puissance contre ceux qu’il juge dignes de leur méchanceté. Quant à la substance de ces esprits, quel autre que Dieu les a faits ? Mais il ne les a point faits mauvais: il en use néanmoins dans sa bonté, c’est-à-dire avec sagesse et avec justice: comme au contraire les méchants abusent pour le mal des meilleures créatures. Dieu donc se sert des mauvais anges, non-seulement pour punir les méchants, comme ceux dont il est question dans notre psaume, comme le roi Achab, qu’un esprit de mensonge séduisit par l’ordre de Dieu, afin qu’il pérît dans la guerre 1, mais encore pour mettre les bons à l’épreuve, et en évidence, comme il arriva pour Job. Pour ce qui est de cette matière corporelle des éléments visibles, je crois que les bons anges peuvent s’en servir comme les méchants, selon le pouvoir qu’ils ont reçu; de même que les hommes bons ou méchants s’en servent indifféremment, chacun à proportion de sa faiblesse. La terre est à notre usage, ainsi que l’eau, l’air et le feu, non-seulement dans ce qui est nécessaire pour sustenter notre vie, mais encore dans ce qui est superflu, ou amusant, ou même dans les oeuvres d’art que l’on admire. Ces ouvrages sans nombre de mécanique, en grec mexanemata, n’ont pas d’autre objet que ces éléments. Mais la puissance des anges, soit bons, soit méchants, est bien plus grande, et des bons plus que des mauvais; pour eux néanmoins comme pour nous, elle est subordonnée à l’ordre ou à la permission de Dieu. Pour nous, en effet, le pouvoir sur les éléments ne se mesure pàs à la volonté; et dans un livre authentique de l’Ecriture, nous lisons que le diable a bièn pu lancer le feu du ciel, pour consumer, par un

 

1. III Rois, XII, 22.

 

coup d’une violence extrême et surprenante, les immenses troupeaux d’un saint personnage: et nul peut-être n’oserait attribuer au démon une telle puissance, s’il ne l’apprenait par l’autorité de l’Ecriture. Mais cet homme que la grâce de Dieu avait rendu juste, fort et saintement clairvoyant, ne dit point: Le Seigneur l’a donné, le diable l’a ôté; mais bien: « Le Seigneur l’a donné, le Seigneur l’a ôté 1». Il savait très-bien que le démon ne peut. user de sa puissance sur les éléments et contre les serviteurs de Dieu, que selon la volonté et la permission de Dieu. Il confondait ainsi la malice du démon, parce qu’il connaissait celui qui s’en faisait un instrument pour l’éprouver. Quant aux fils de l’in. crédulité, le démon s’en fait des esclaves 2, comme les hommes s’assujétissent les animaux; et toujours néanmoins autant que le permet la souveraine justice de Dieu. Mais interdire au démon par une puissance supé. rieure, de traiter à son gré ceux qui sont à lui, et lui donner un pouvoir sur ceux qui lui sont étrangers, sont choses bien différentes. Ainsi un homme fait de son cheval ce qu’il veut, et toutefois il cesse d’en disposer, quand un pouvoir supérieur le lui interdit; mais pour user du cheval d’un autre, il attend qu’on lui en donne le pouvoir. Dans un cas on restreint le pouvoir qui existait, dans l’autre on accorde une puissance qui n’existait pas.

29. S’il en est ainsi, et si Dieu se servit des anges pour frapper les Egyptiens, oserions-nous bien dire que ce furent ces mêmes anges qui changèrent les eaux en sang, ces mêmes anges qui produisirent les grenouilles, merveilles qu’imitèrent les magiciens de Pharaon par leurs enchantements? Ces esprits méchants obsédaient-ils ce peuple d’une double manière, l’affligeant d’une part, le trompant de l’autre, selon la juste volonté de Dieu qui, dans sa toute-puissance, se sert très justement de la malice des méchants? Je n’ose prononcer. Pourquoi les magiciens de Pharaon ne purent-ils produire des mouches 3? Est-ce parce que les démons n’en reçurent point le pouvoir? Ou mieux, n’y a-t-il point là une raison cachée qui dépasse les forces de notre analyse? Si nous prétendons en effet que Dieu n’agissait alors que par les anges mauvais, parce qu’il s’agissait de châtiments à infliger, et non de faveurs à distribuer, comme si Dieu ne

 

1. Job, I, 16,21.— 2. Ephés II, 2.— 3. Exod. VII, 10, 22; VIII, 6, 7, 17, 18.

 

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châtiait jamais par le ministère des bons anges, mais seulement par ces bourreaux de la milice céleste; il nous faudra croire que Sodome fut ruinée par les mauvais anges, et que ce fut à de mauvais anges qu’Abraham et Loth donnèrent l’hospitalité. Loin de nous de le penser contre l’autorité si claire des Ecritures 1. Il est donc évident que ces maux peuvent arriver aux hommes par les bons et par les mauvais anges. J’ignore quand cela se fait ou se doit faire. Mais Dieu qui le fait ne l’ignore pas, non plus que le confident qu’il lui plaît de se choisir. Toutefois, en prenant l’Ecriture pour règle de mes pensées, je lis que Dieu châtie par les bons anges, comme il arriva pour Sodome, et qu’il châtie par les mauvais anges, comme il arriva pour les Egyptiens: mais je ne sache pas que par le moyen des bons anges, il ait infligé aux justes une épreuve corporelle.

30. Quant au passage du psaume que nous expliquons, si nous n’osons attribuer aux mauvais anges ces merveilles sur les créatures; nous avons de quoi leur attribuer, sans hésitation, la mort des troupeaux, le trépas des premiers-nés, et ce qui déchaîna tous les fléaux, cet endurcissement du coeur, qui s’opposait à la sortie du peuple de Dieu. Quand l’Ecriture dit que Dieu jeta leurs coeurs dans cette obstination si injuste et si criminelle 2, tel n’est point l’effet d’une inspiration de sa part, ou d’une excitation, mais simplement d’un abandon, en sorte que les diables ont fait, sur ces enfants de l’incrédulité 3, ce que Dieu leur a permis dans sa stricte justice. C’est dans ce sens qu’il nous faut entendre cette parole d’Isaïe : « Vous êtes irrité, Seigneur, et nous sommes pécheurs. Aussi sommes-nous tombés dans l’égarement. nous sommes tous comme dans l’impureté 4 ». Quelque crime de ce peuple avait donné lieu à la juste colère de Dieu de leur retirer sa lumière, en sorte que leur âme aveuglée s’éloigna du chemin de la justice pour tomber dans des fautes dont rien ne peut diminuer la gravité. quand nous voyons dans un autre psaume que Dieu convertissait le coeur des Egyptiens, afin qu’ils n’eussent que de la haine pour son peuple, et qu’ils traitassent injustement ses serviteurs 5, nous pouvons croire que Dieu agissait ainsi par ses mauvais anges, afin que les coeurs vicieux de ces incrédules fussent

 

1. Gen. XVIII et XIX. — 2. Exod. IV, 21.— 3. Ephés. II, 2. — 4. Isa. LXIV, 5, 6. — 5. Ps. CIV, 25.

 

portés à la haine contre le peuple de Dieu, par ces mêmes anges qui se plaisent dans les mêmes vices, et que les merveilles qui suivirent pussent effrayer et corriger les bons. On peut très-bien croire aussi que les mauvais anges infligent à ceux que leur abandonne la divine justice, les plaies de l’âme, dont ces plaies sensibles sont la figure, d’après cet oracle: « J’ouvrirai ma bouche en parabole ». En effet, quand s’accomplit ce que nous dit saint Paul: « Dieu les a livrés aux convoitises de leurs coeurs, afin qu’ils fissent des choses honteuses 1 », il se trouve là des démons qui s’emparent avec joie de ces coeurs comme d’une propriété: puisque Dieu leur assujettit la corruption des hommes, à l’exception de ceux qu’il en délivre par sa grâce. Qui comprendra ces choses 3? Aussi, quand le Psalmiste a dit: « Il déchaîna contre eux sa colère, son indignation, la désolation et la fureur, et les influences des anges mauvais» ; et qu’il ajoute: «Il élargit les voies à sa colère », quel esprit assez éclairé, assez pénétrant, peut se promettre d’aller au fond de la sentence renfermée dans ces paroles? La colère de Dieu s’était fait un sentier pour châtier par une justice occulte, l’impiété de l’Egypte. Mais il a élargi ce sentier, et par l’effet des mauvais anges, les a tirés de ces vices cachés pour les jeter dans des crimes publics, et venger d’une manière éclatante cette impiété déclarée. Pour délivrer l’homme de ce pouvoir des mauvais anges, il n’y a que la grâce de Dieu, dont l’Apôtre a dit: « C’est lui qui nous a arrachés à la puissance des ténèbres, pour nous transporter dans le royaume de son Fils bien-aimé 3 »: voilà ce que figurait ce peuple, qu’il arrachait à la puissance des Egyptiens, pour les mettre en possession de cette terre qui leur était promise, et où coulaient des ruisseaux de lait et de miel, symbole de la douceur de la grâce.

31. Après avoir énuméré les plaies de l’Egypte, le Psalmiste continue : « Il mena son peuple comme des brebis, et le conduisit comme un troupeau dans le désert. Il les conduisit dans l’espérance, et ils furent sans crainte, et la mer couvrit leurs ennemis 4 ». Voilà ce qui se produit d’une manière d’autant plus avantageuse, qu’elle est plus intérieure, alors que Dieu arrache notre âme à la puissance des ténèbres, et nous transfère dans des pâturages spirituels ; nous devenons les brebis

 

1. Rom. I, 24.— 2. II Cor. II, 16.— 3. Coloss. I,13.— 4. Ps. LXXVII, 52, 53.

 

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de Dieu, marchant dans cette vie comme dans un désert, puisque nul ne comprend notre foi. Aussi l’Apôtre a-t-il dit : « Votre vie est cachée en Dieu avec le Christ 1 ». Nous arrivons ensuite à l’espérance, car « l’espérance est notre salut ». Nous ne devons plus craindre, « car si Dieu est avec nous, qui sera contre nous 2? » La mer a englouti nos ennemis, parce que le baptême nous a remis nos péchés.

32. Le Prophète continue: « Il les fit entrer sur la montagne sainte». Combien vaut-il mieux entrer dans la sainte Eglise? « La montagne acquise par sa droite 3 ». Combien est plus sublime encore cette Eglise acquise par le Christ, et dont il est dit « A qui le bras du  Seigneur a-t-il été révélé 4?» « Il a chassé devant eux les nations » : devant ses fidèles. Ces nations sont en quelque sorte les erreurs des Gentils, et les esprits du mensonge. « Il leur a divisé la terre, comme on divise un héritage. C’est le même esprit qui opère en nous toutes ces choses, distribuant à chacun ses dons comme il lui plaît 5 ».

33. « Il a fait reposer sous leurs tentes les tribus d’Israël 6 ». C’est sous les tentes des

nations, dit le Prophète, qu’il fit reposer les tribus d’Israël. Cela s’accomplit bien mieux d’une manière spirituelle, selon moi, lorsque la grâce de Jésus-Christ nous élève dans cette gloire d’où furent chassés et précipités les anges prévaricateurs. Car tant de bienfaits visibles ne faisaient point déposer à cette « race indocile et rebelle », la tunique du vieil homme. « Et de nouveau ils tentèrent le Seigneur et l’irritèrent, ils ne gardèrent point ses préceptes; ils se retirèrent de lui et violèrent son alliance, aussi bien que leurs pères 7». Ils s’étaient liés envers Dieu par un pacte, et avaient dit librement: « Nous ferons, et nous écouterons tout ce qu’a ordonné le Seigneur notre Dieu 8 ». N’oublions pas que le Prophète a dit: « Aussi bien que leurs pères ». Quoiqu’il paraisse dans tout le psaume ne parler que des mêmes hommes, il est évident qu’il est question ici de ceux qui étaient déjà dans la terre promise, et qu’il appelle leurs pères les murmurateurs du désert.

34. « Ils se sont détournés », dit le Prophète,

 

1. Colos. III, 3. — 2. Rom. VIII, 24, 31. — 3. Ps. LXXVII, 54. — 4. Isa. LIII, 1­—  5. I Cor. XII, 11 — 6. Ps. LXXVII, 55.— 7. Id. 56, 57. —  8. Exod. XIX, 8.

 

« comme un arc nuisible»; ou, comme on lit dans quelques exemplaires, « comme un arc de travers ». Le Prophète nous explique ensuite plus clairement sa pensée: « Ils l’ont irrité », dit-il, « sur les hauts lieux 1 ». Ce qui signifie qu’ils tombèrent dans l’idolâtrie. Un arc est de travers quand il combat, non plus pour le nom du Seigneur, mais contre ce même Seigneur qui a dit à ce peuple: « Tu n’auras pas d’autres dieux que moi 2». L’arc désigne ainsi l’intention de l’âme. C’est ce que nous dit le Prophète avec plus de clarté: « Ils ont allumé sa jalousie en adorant des idoles».

35. « Dieu les vit et les méprisa », c’est-à-dire qu’il les vit pour en tirer vengeance, « et pour anéantir Israël 3». Ainsi méprisé de Dieu, que pouvait devenir un peuple qui n’était rien que par le secours de Dieu? Il rappelle sans doute ce qui eut lieu quand Israël fut vaincu par les Philistins, du temps du grand prêtre Héli, alors que l’arche de Dieu fut prise, qu’il se fit un grand carnage des Israélites 4, ce qu’exprime ensuite le Prophète: « Il rejeta le tabernacle de Silo, ce tabernacle où il avait demeuré avec les hommes 5». Nous dire: « Où il habita parmi les hommes », c’est nous dire pourquoi il rejeta ce tabernacle. Ces hommes n’étant pas dignes qu’il habitât parmi eux, pourquoi n’aurait-il point rejeté ce tabernacle, qu’il avait fait dresser non pour lui-même, mais pour ces hommes qu’il jugeait indignes de sa présence?

36. « Il livra leur force à la captivité, et aux ennemis l’arche de leur gloire ». Il appelle force et gloire des Juifs, cette arche avec laquelle ils se croyaient invincibles, et dont ils étaient fiers. Dans la suite, comme ces hommes débauchés s’applaudissaient du temple du Seigneur, il les effraie par son Prophète: « Voyez », leur dit-il, « ce que j’ai fait à Silo, où était mon tabernacle ».

37. « Il livra son peuple au glaive, et méprisa son héritage. Les jeunes guerriers furent dévorés par le feu, ou par sa colère, u leurs jeunes filles ne furent point pleurées » : la crainte des ennemis ne le permettait point.

38. « Leurs prêtres tombèrent sous le glaive, et leurs veuves ne furent point pleurées 9».

 

1. Ps. LXXVII, 58.— 2. Exod. XX, 3.— 3. Ps. LXXVII, 59.— 4. I Rois, IV, 10, 11. — 5. Ps. LXXVII, 60. —  6. Id. 61. — 7. Jérém. VII, 12. — 8. Ps. LXXVII, 62, 63.— 9. Id. 64.

 

Les deux fils d’Héli furent tués en effet, et la femme de l’un, devenue veuve, mourut bientôt dans l’enfantement, et dans le trouble d’alors ne pût être pleurée, ni ensevelie avec honneur 1.

39. « Le Seigneur s’éveilla comme d’un profond sommeil ». Il paraît, en effet, dormir, quand il abandonne son peuple entre les mains de ceux qu’il déteste, et qui lui disent: « Où est ton Dieu 2 ? Il s’est éveillé s comme un homme endormi, comme un homme puissant appesanti par le vin 3 ». Il n’y a que l’Esprit de Dieu pour oser parler de la sorte. Il prend le langage insolent des impies, qui s’imaginent que Dieu dort comme un homme ivre, quand il ne vient point au secours des hommes aussitôt qu’ils l’avaient cru.

40. « Il frappa ses ennemis par derrière 4» ces mêmes ennemis qui s’applaudissaient d’avoir pu prendre l’arche. Ils furent frappés dans la partie la plus cachée du corps 5, ce qui figure pour moi le châtiment dont sera frappé quiconque regardera en arrière. Tout cela doit être pour nous du fumier, selon le mot de l’Apôtre 6. Recevoir l’arche de Dieu, sans se dépouiller de la vanité, c’est ressembler à ces peuples ennemis qui, après avoir pris l’arche de l’alliance, la placèrent près de leur idole. Et ces idoles tombent, nonobstant leurs efforts: « Car toute chair n’est qu’une herbe des champs, toute gloire de l’homme n’est que la fleur de l’herbe. L’herbe se s dessèche, la fleur tombe; tandis que l’arche du Seigneur demeure éternellement 7» , c’est-à-dire le royaume des cieux, le lieu secret de cette alliance, et où réside « le Verbe » de Dieu. Mais ceux qui aiment ce qui est par derrière, en sont justement châtiés: « Dieu les couvre d’une éternelle ignominie ».

41. « Il rejeta le tabernacle de Joseph, et ne choisit point la tribu d’Ephraïm. Mais il choisit la tribu de Juda 8 » Il n’est point dit qu’il ait rejeté le tabernacle de Ruben, qui fut le premier-né de Jacob, non plus que ceux qui suivirent Ruben et qui précédèrent Jacob dans l’ordre de naissance, pour choisir Juda après avoir rejeté les autres. On pouvait croire néanmoins que ces tribus étaient rejetées car Jacob, dans la bénédiction qu’il donne à ses lits, maudit les crimes détestables des

 

1. I Rois, IV, 19, 20.— 2. Ps. XLI, 11.— 3. Id. LXXVII, 65.— 4. Id. 8, — 5. I Rois, V, 6.— 6. Philipp. III, 8.— 7. Isa. XL, 6,7.—  8. Ps. LXXVII, 67, 68.

 

aînés 1 : toutefois, parmi eux la tribu de Lévi mérita d’être la tribu sacerdotale, et de donner le jour à Moïse 2. Le Prophète ne dit point que Dieu rejeta la tribu de Benjamin ; ou qu’il ne choisit point la tribu de Benjamin, qui fut la première à donner un roi ; car ce fut en elle que Saut fut élu 3. Or, le peu de temps qui s’écoule entre la réprobation de Saül qui fut rejeté, et l’élection de David 4, nous ferait dire parfaitement bien, que Dieu rejeta Benjamin. Mais le Prophète ne donna que les noms de ceux que leurs mérites paraissaient rendre plus célèbres. Joseph nourrit en Egypte son père et ses frères. Vendu sans aucune pitié, il mérita d’arriver au comble de la gloire, par sa piété, sa chasteté, sa sagesse 5: Ephraïm fut préféré à son aîné dans la bénédiction le Jacob son aïeul 6: et pourtant Dieu rejeta le tabernacle de Joseph, et ne choisit point Ephraïm ». Que nous montre le Prophète par ces noms d’un mérite éclatant, sinon que ce peuple tout entier fut rejeté et réprouvé parce qu’il n’avait jamais recherché de Dieu que des biens temporels : et que si la tribu de Juda fut choisie, ce ne fut point à cause des mérites de Juda? Joseph méritait beaucoup plus. Mais comme c’est de la tribu de Juda que le Christ est né selon la chair, l’Ecriture nous montre ici que le peuple du Christ, peuple nouveau, a été préféré à l’ancien peuple, par le Seigneur qui ouvre sa bouche en paraboles. Aussi dans ces paroles qui suivent : « La montagne de Sion qu’il a aimée », nous aimons mieux voir l’Eglise du Christ, qui ne sert point Dieu à cause des biens temporels, niais qui plonge les regards de sa foi dans un lointain avenir et sur les biens éternels: car Sion signifie contemplation.

42. Nous lisons ensuite : « Il a bâti sa sanctification comme la corne du rhinocéros 7 », ou, comme l’ont dit quelques interprètes avec un mot nouveau, son sanctifice. Le rhinocéros est bien choisi pour figurer ceux dont l’espérance ferme s’élève vers un seul objet, et dont un autre psaume a dit: « J’ai fait une seule demande au Seigneur, et la ferai toujours 8 ». Cette sanctification est, selon saint Pierre, « le peuple saint, le sacerdoce royal ». Quant cette parole : « Il l’a fondée sur la terre pour l’éternité » : le grec porte eis ton aiona ;

 

1. Gen. XLIX, 1-7.— 2. Exod. II, 1.— 3. I Rois, IX, 1, 2.— 4. Id. XVI, 1, 13.— 5. Gen. XLI, 40. — 6. Id. XLVIII, 19. — 7. Ps. LXXVII, 69.— 8. Id. XXVI, 4.— 9. I Pierre, II, 9.

 

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le latin peut traduire in aeternum, ou in saeculum, car c’est la même signification, aussi trouvons-nous tantôt l’un et tantôt l’autre dans les exemplaires latins. Il en est même qui traduisent au pluriel, dans les siècles, ce que nous n’avons point lu dans les exemplaires grecs que nous avions sous les yeux. Mais quel fidèle peut douter encore que l’Eglise, qui passe de cette vie à une autre, avec ceux qui naissent et qui meurent, est néanmoins fondée pour l’éternité?

43. « Il a choisi David son serviteur 1» ; ou la tribu de Juda à cause de David, David à cause du Christ: et dès lors Juda à cause du Christ. Aussi les aveugles criaient-ils sur son passage: « Ayez pitié de nous, fils de David » et ils recevaient la lumière à cause de sa miséricorde 2; parce qu’ils disaient vrai. Ce n’est donc point à la légère, mais avec réflexion que l’Apôtre fait cette recommandation à Timothée: « Souvenez-vous que Notre-Seigneur Jésus-Christ, de la race de David, est ressuscité selon l’Evangile que je prêche. C’est pour lui que je souffre dans les chaînes comme un criminel ; mais la parole de Dieu n’est point enchaînée 2 ». Ce Sauveur donc, fils de David selon la chair, nous apparaît ici en figure sous le nom de David, alors que Dieu ouvre la bouche pour parler en paraboles. Ne nous étonnons pas qu’après avoir dit : « Il choisit David », qui nous marque le Christ, le Prophète ajoute « son serviteur », et non son fils; c’est ce qui nous montre que ce n’est point la substance du. Fils unique, coéternelle au Père, qui est issue de David, mais bien la forme de l’esclave.

44. « Il l’a tiré du milieu des bergeries, il l’a pris quand il gardait les brebis, pour être le pasteur de Jacob son peuple, et d’Israël son héritage 3». Ce David de qui est né Jésus-Christ selon la chair, fut tiré de la garde des troupeaux, pour conduire les peuples; mais notre David ou Jésus-Christ, ne passa que des hommes à d’autres hommes, des Juifs aux Gentils, et cependant, selon la parabole, il a été transféré d’un troupeau de brebis à d’autres brebis. On ne retrouve Plus dans ces contrées ces Eglises juives qui crurent en Jésus-Christ, qui vinrent de la circoncision peu après la passion et la résurrection du Sauveur, et dont l’Apôtre a dit: « J’étais inconnu de visage

 

1. Ps. LXXVII, 70. — 2. Matth. XX, 30, 34.— 3. II Tim. II, 8, 9. — 4. Ps. LXXVII, 71.

 

aux Eglises de Judée, qui sont en Jésus-Christ; seulement elles avaient appris que celui qui nous persécutait, annonce maintenant la foi qu’il s’efforçait de détruire, et elles bénissaient Dieu à mon sujet 1». Mais toutes ces Eglises de la circoncision n’existent plus aujourd’hui ; et ainsi le Christ n’est plus dans cette terre qu’on appelait la Judée. Il en est sorti pour être le pasteur des Gentils. A la vérité, il a été tiré de la garde des « brebis pleines », comme dit le Psalmiste ; car elles étaient de celles dont il est parlé dans le cantique des cantiques, quand il est dit, à une Eglise composée de beaucoup d’églises, à un troupeau formé de plusieurs autres troupeaux: «Vos dents », ou plutôt ceux par qui vous parlez, ou dont vous vous servez pour manger les autres, et les taire ainsi entrer dans votre corps, ceux qui sont pour vous « des dents, ressemblent à un troupeau de brebis nouvellement tondues, qui montent du lavoir; elles n’enfantent qu’un double fruit, et ne connaissent point la stérilité 2 ». Ils ont déposé comme une toison les fardeaux du siècle, quand ils ont apporté aux pieds des Apôtres le prix de leurs biens vendus 3; ils sont sortis de ce même bain, dans lequel saint Pierre leur a dit de se laver parce qu’ils ont répandu le sang du Christ. « Faites pénitence», leur dit-il, « et que chacun de vous soit baptisé au nom du Seigneur Jésus-Christ, et « vos péchés vous seront remis 4». Ils ont porté un double fruit dans les oeuvres des deux préceptes de la charité, envers Dieu, et envers le prochain : ainsi nulle de ces brebis n’a été stérile. Notre David a donc été tiré de la garde des brebis pleines, et garde maintenant, parmi les Gentils, d’autres brebis, qui sont aussi Jacob et Israël, ainsi que l’a dit notre Psaume : « Pour faire paître Jacob son serviteur, et Israël son héritage». Pour être venues en effet de la gentilité, ces brebis n’en sont pas moins de la race d’Abraham et de Jacob. Car cette race est celle d’Abraham, race de la promesse que lui fit le Seigneur, en disant : « C’est d’Israël que sortira votre race 5 ». C’est ce que nous explique saint Paul : « Ce ne sont point les fils selon la chair », dit-il, « mais les enfants selon la promesse, qui entrent dans la postérité 6 ». C’était aux fidèles de la Gentilité que l’Apôtre

 

1. Gal. I, 22-24. — 2. Cant. IV, 2. — 3. Act. II, 45; IV, 34.— 4. Id. II, 38. — 5. Gen. XXI, 12. — 6. Rom. IX, 8.

 

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disait : « Si vous êtes au Christ, vous êtes la postérité d’Abraham, les héritiers selon la promesse 1 ». Quant à cette parole: « Jacob mon serviteur, et Israël mon héritage », c’est une répétition de pensée, en usage dans l’Ecriture. A moins peut-être qu’on ne veuille mettre cette différence, que c’est Jacob qui sert en cette vie, et que l’héritage du Seigneur s’ouvrira par cette vie éternelle qui nous montrera Dieu face à face, d’où vient te nom d’Israël 2.

45. « Il les a fait paître dans l’innocence de son coeur ». Quelle plus parfaite innocence que celle qui n’eut point de péché, non-seulement pour la vaincre, mais. encore qu’elle pût vaincre? » Il les a conduites d’une main « sage et prudente 3». Ou, comme on lit dans d’autres exemplaires, « de ses mains intelligentes ». On pourrait croire qu’il serait mieux de dire : dans l’innocence de ses mains, et la sagesse de son coeur; mais celui qui sait mieux que tout autre comme il convient de dire, attribue au coeur l’innocence et aux mains la sagesse. Et autant que j’en puis juger, c’est que beaucoup se croient innocents parce qu’ils s’abstiennent de faire le mal, à cause du châtiment qu’ils craignent; et qui ont la volonté de le faire, s’ils te pouvaient impunément. On peut croire â l’innocence de leurs mains, mais non à celle de leur coeur. Et néanmoins quelle peut être une innocence qui n’existe pas dans le coeur où est la ressemblance de l’homme avec Dieu? Quand le

 

1. Gal. III, 29. — 2. Gen. XXXII, 28. — 3. Ps. LXXVII, 72.

 

Prophète nous dit que le Christ « a conduit son peuple dans l’intelligence de ses mains», il semble parler de cette sagesse que le Christ produit dans ceux qui croient en lui; aussi dit-il « des mains », parce que c’est la main qui agit : ce que l’on peut entendre de la main de Dieu, car le Christ est tout ensemble homme et Dieu. Il est certain que le roi David, dont le Christ est issu, ne pouvait eu agir ainsi à l’égard de ce peuple qu’il gouvernait, car il était homme : mais il le fait, celui à qui toute âme fidèle peut dire: « Donnez-moi l’intelligence, et je sonderai votre loi 1». Dès lors, afin de ne point nous égarer loin de lui, en nous confiant en notre sagesse, comme si elle était bien la nôtre, soumettons-nous à ses mains par la foi. Qu’il produise lui-même cette sagesse en nous, afin qu’après nous avoir délivrés de toute erreur, il nous conduise où toute erreur est impossible. C’est là le fruit que doit recueillir le peuple de Dieu lorsqu’il écoute sa loi, qu’il incline l’oreille à sa parole, qu’il redresse son coeur en l’élevant à lui,s’unit à lui d’esprit par une foi vive, afin de ne point devenir une race indocile et rebelle. Mais qu’il apprenne de tout ce que nous avons dit, à mettre son espérance en Dieu, non-seulement pour la vie présente, mais aussi pour la vie éternelle; non-seulement pour recevoir la récompense qui est due à ses bonnes oeuvres, ruais aussi pour faire ces mêmes bonnes oeuvres.

 

1. Ps. CXVIII, 34.

DISCOURS SUR LE PSAUME LXXVIII.
LES PERSÉCUTIONS DE JÉRUSALEM.
 

Sous la forme du passé, le Prophète ne plaint à Dieu de ce que le Seigneur lui découvre pour l’avenir, et an nom de ceux qui vivront alors, s’il est question de la ruine de Jérusalem sous Titus, car alors l’héritage du Seigneur serait un peuple qui aurait rejeté le Christ, quoique les premiers fidèles en soient issus, ainsi que les premières Eglises qui appartiennent à cet héritage par leur foi, mais non le reste du peuple. La Jérusalem du Prophète serait l‘Eglise formée de la gentilité et de la circoncision; le temple détruit se dirait des fidèles égorgés, pierres vivantes de l’Eglise : Jérusalem est une hutte abandonnée, puisque les martyrs ou les fruits que l’on y gardait sont retournés au ciel. Le sang coula dans le monde entier, et la terreur empêchait que l’on donnât la sépulture. Le Prophète appelle colère la vengeance que Dieu tire de l’injustice, et son zèle le soin de notre âme; mais Dieu est toujours calme. Cette colère se répandra sur les ennemis de Dieu La maison de Jacob, c’est l’Eglise dont plusieurs membres effrayés retourneront au paganisme. Mais comme les persécuteurs n’ont de pouvoir que selon la permission de Dieu, le Prophète implore son secours et sa délivrance, afin que les nations voient la puissance du Seigneur et se convertissent. S’il appelle la vengeance divine, c’est par amour de cette justice, ou qui corrige l’impie, ou qui détourne de l’impiété, ou qui du moins fait éclater l’équité du juge ; il ne déteste que le vice. Les chaînes dans lesquelles il veut que Dieu l’entende, sont les infirmités qui font gémir les bons, on les liens de la sagesse. Le sang des martyrs a fait vivre l’Eglise an lieu de la détruire ; elle voit la réprobation des persécuteurs, et chante les louanges de Dieu, jusqu’à la fin des siècles.

 

1. Le titre de ce psaume est si court et si simple, qu’il n’est pas, je crois, besoin de nous y arrêter. Quant aux promesses et aux prophéties qu’il renferme, nous en avons sous les yeux l’accomplissement. Lorsque au temps de David on chantait ces prophéties, aucun malheur semblable n’était arrivé à la ville de Jérusalem, ni au temple de Dieu qui n’était point encore bâti. Qui ne sait que ce fut après la mort de David que Salomon son fils éleva ce temple au Seigneur? Le Prophète rapporte donc comme au passé ce que l’Esprit du Seigneur lui montre dans l’avenir. « Dieu, les Gentils sont entrés dans votre héritage 1 ». Cette même manière de parler a fait dire à propos de la passion du Sauveur : « Ils m’ont donné du fiel pour nourriture, et dans ma soif m’ont abreuvé de vinaigre 2 » ; et d’autres particularités qui sont révélées, comme si elles étaient accomplies déjà. Ne nous étonnons pas que l’on parle ainsi au Seigneur. On ne cherche point à les liai apprendre comme s’il les ignorait, puisque c’est lui qui les révèle: mais alors c’est l’âme qui s’entretient avec Dieu, avec cette affectueuse piété qu’agrée le Seigneur. Quand les Anges fout aux hommes des révélations, ils les font à des ignorants: mais ce qu’ils redisent à Dieu, il le sait; c’est ainsi qu’ils lui présentent nos prières, et que dans un langage ineffable ils demandent ce

 

1. Ps. LXXVIII, 1. — 2. Id. LXVIII, 22.

 

qu’ils ont à faire à l’éternelle vérité, comme à la loi immuable. Ici donc l’homme de Dieu se plaint à Dieu de ce que le Seigneur lui apprend, comme le disciple parle au maître qui sait et qui juge, qui approuve ce qu’il a enseigné, qui reprend ce qu’il n’a point enseigné, d’autant plus que le Prophète personnifie en lui-même ceux qui vivront quand arriveront ces malheurs. D’ordinaire, en effet, on représente à Dieu dans la prière les vengeances qu’il a exercées, on le conjure ensuite de prendre en pitié et de pardonner. De même le Prophète parle ici des malheurs qu’il prédit comme en parleraient ceux qui les ont essuyés : et cette plainte qui est une prière, est en même temps une prophétie.

2. « O Dieu! les Gentils sont entrés dans votre héritage: ils ont souillé votre saint temple, et ont fait de Jérusalem une hutte pour garder les fruits. Les cadavres de vos serviteurs sont la proie des oiseaux du ciel, la chair de vos saints, la pâture des bêtes sauvages. Leur sang a coulé comme l’eau autour de Jérusalem, et nul n’était là pour les ensevelir 1 ». Si quelqu’un de nous voit dans cette prophétie la ruine de Jérusalem, qui arriva sous l’empereur romain Titus, alors que Jésus-Christ était déjà ressuscité et monté au ciel, et qu’on prêchait son Evangile parmi les Gentils, je ne vois pas comment le

 

1. Ps. LXXVLII, 1-3.

 

Prophète appelle héritage du Seigneur ut peuple qui n’avait pas reçu Jésus-Christ, qu en le rejetant et en le livrant à la mon avait encouru la réprobation, qui n’avait pat voulu croire en lui-même après sa résurrection, et qui même avait égorgé ses martyrs. Ils étaient néanmoins du peuple d’Israël, ceux qui crurent d’abord au Christ, qui profitèrent de son avènement, pour qui s’accomplit avec fruit et d’une manière salutaire la promesse qui en avait été faite, et dont le Seigneur lui-même a dit : « Je ne suis envoyé qu’aux brebis de la maison d’Israël qui se sont égarées 1» : ce sont là « les enfants de la promesse » parmi les Juifs, ceux « qui entrent dans la race d’Abraham 2»; ils appartiennent à l’héritage de Dieu. De là sont venus Joseph, cet homme juste, et la vierge Marie qui a enfanté le Christ 3; de là Jean-Baptiste, l’ami de l’Epoux, et ses parents, Zacharie et Elisabeth 4; de là le vieillard Siméon et la veuve Anne, qui n’entendirent point la parole extérieure du Christ, mais qui le connurent tout enfant 5; de là les Apôtres; de là Nathanaël sans déguisement 6 de là cet autre Joseph, qui attendait aussi le royaume de Dieu 7; delà cette grande foule qui le précédait et qui le suivait en chantant « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur 8 ». De là cette troupe de petits enfants, dont il est dit qu’ils accomplirent ce mot du Prophète : « C’est de la bouche des nouveaux-nés et des enfants à la mamelle que vous avez tiré une louange parfaite 9 ». De là ceux qui, après sa résurrection, furent baptisés 10, trois mille en un jour, et cinq mille en un autre jour, et qui, au feu de la charité, ne firent qu’un seul coeur et une seule âme, dont nul ne s’appropriait rien, mais qui possédaient tout en commun 11. De là ces saints diacres, parmi lesquels Etienne reçut avant les Apôtres la couronne du martyre 12. De là toutes ces Eglises de Judée, qui croyaient au Christ, qui ne connaissaient point le visage de Paul 13, mais ses persécutions fameuses, et surtout l’insigne miséricorde que lui fit le Christ. De là Paul lui-même selon la prophétie qui en avait été faite : « C’est un loup ravissant, au matin il enlève sa proie, au soir il partage les dépouilles 14»; c’est-à-dire que tout d’abord il persécute et égorge, et ensuite

 

1. Matth. XV, 24.— 2. Rom. IX, 8.— 3. Matth. II, 16.— 4. Luc, I, 5.— 5. Id. II, 25, 36.— 6. Jean, I, 47. — 7. Id. XIX, 38; Luc, XXII, 51. — 8. Math. XXI, 9. — 9. Ps. VIII, 3. — 10. Act. II, 41; IV, 4.— 11. Id. IV, 32,— 12. Id. VII, 58. — 13. Gal. 1, 22. — 14. Gen. XLIX, 27.

 

prêche et donne le pain de la vie. C’était là parmi les Juifs l’héritage du Seigneur. Aussi le plus humble des Apôtres 1, le docteur des Gentils a-t-il dit : « Que dirai-je? le Seigneur a-t-il réprouvé son peuple? Loin de là; car moi aussi je suis Israélite, de la race d’Israël, de la tribu de Benjamin. Dieu n’a point rejeté son peuple qu’il a choisi dans sa prescience 2». Ce peuple sorti de l’ancienne alliance pour entrer dans le corps mystique de Jésus-Christ, est l’héritage de Dieu.  Cette parole en effet de l’Apôtre : « Dieu n’a point rejeté le peuple qu’il a connu dans sa prescience », est analogue à cette autre parole du Psalmiste, ainsi écrite : « Car le Seigneur ne rejettera point son peuple»; et il ajoute: « Il n’abandonnera point son héritage 3 » : ce qui prouve que ce peuple est bien l’héritage de Dieu, Avant de parler ainsi, d‘Apôtre avait rappelé la prophétie qui annonce pour l’avenir l’incrédulité du peuple d’Israël : « J’ai tendu les bras durant tout le jour à ce peuple incrédule et rebelle à ma parole 4». Ici donc, pour empêcher que cette parole mal comprise ne fasse envelopper dans le crime d’incrédulité et de contradiction le peuple tout entier, l’Apôtre ajoute aussitôt : « Je dis donc: Est-ce que Dieu a rejeté son peuple? Loin de là. Car moi, je suis Israélite, de la race d’Israël, et de la tribu de Benjamin ». Montrant ainsi qu’il ne parle que du premier peuple, et que si Dieu l’eût réprouvé, l’eût condamné tout entier, il ne serait point apôtre du Christ, lui, Israélite de la race d’Abraham, de la tribu de Benjamin. il emploie aussi un témoignage très-important, quand il dit: « Ne savez-vous point ce que l’Ecriture rapporte d’Elie, de quelle sorte il demande justice à Dieu contre Israël ? Seigneur, ils ont tué vos Prophètes, ils ont détruit vos autels; je suis demeuré seul, et ils me cherchent pour m’ôter la vie. Mais qu’est-ce que Dieu lui répond ? Je me suis réservé sept mille hommes qui n’ont point fléchi le genou devant Baal. De même donc en ce temps-ci, quelques-uns, que Dieu s’est réservés par l’élection de sa grâce, ont été sauvés ». Tel est le petit nombre qui fait partie de l’héritage de Dieu; mais non ceux. dont il

est dit un peu après : « Pour les autres, ils ont été aveuglés»; selon qu’il est écrit: « Qu’est-

 

1. I Cor. XV, 9.— 2. Rom. XI, 1, 2.— 3. Ps. XCIII, 14— 4. Rom, X, 21; Isa. LXV, 2.

 

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il donc arrivé? Ce que cherchait Israël, il ne l’a point trouvé, mais les élus l’ont trouvé; et les autres sont tombés dans l’aveuglement 1 ». C’est donc cette élection, ce sont ces restes, c’est ce peuple de Dieu que Dieu n’a point rejeté, qui forme son héritage. Mais dans cet autre peuple qui n’a rien trouvé, dans ces autres qui furent aveuglés, ne se trouvait point l’héritage de Dieu dont on put dire après la glorification du Christ au temps de l’empereur Titus : « O Dieu, les Gentils sont entrés dans votre héritage, et tout ce que notre psaume semble prédire sur la destruction de ce peuple de la ville et du temple.

3. Dès lors, ou bien il nous faut entendre ces prophéties de ce que firent d’autres ennemis avant l’avènement du Christ en sa chair (car il n’y avait alors d’autre héritage de Dieu que ce peuple des saints Prophètes, lorsqu’il fut transporté à Babylone, et que la nation subit de tels désastres 2; ce peuple des Macchabées, horriblement torturés par Antiochus, et qui furent si glorieusement couronnés 3; le psaume nous prédit en effet ce qui fait les horreurs de la guerre), ou bien, s’il nous faut envisager l’héritage de Dieu après la résurrection et l’ascension du Seigneur, nous entendrons par ces calamités les maux que les idolâtres, les ennemis du nom chrétien ont fait endurer à l’Eglise dans cette foule innombrable de martyrs. Bien que le nom d’Asaph signifie synagogue ou assemblée, et que ce nom se donne ordinairement au peuple juif: néanmoins cette assemblée peut être nommée Eglise; et déjà dans un autre psaume 4, nous avons donné le nom d’Eglise à l’ancien peuple. Cette Eglise est donc l’héritage de Dieu, formé de la circoncision et de la gentilité, c’est-à-dire du peuple d’Israël et des autres nations, par « cette pierre qu’ont rejetée les architectes, et qui est devenue la tête de l’angle 5 » ,et à cet angle se sont jointes deux murailles, venant de directions différentes. « C’est lui qui est notre paix; lui qui e des deux peuples n’en a fait qu’un; pour former en lui-même un seul homme noue veau de ces deux peuples, mettant la paix entre eux, les réunissant tous deux à Dieu en un même corps 6 ». C’est dans ce corps que nous sommes les enfants de Dieu, et que

 

1. Rom. XI, 1-7. — 2. IV Rois, XXIV, 14. — 3. II Macch.VII — 4. Discours sur le Ps. LXXVII, n. 3. — 5. Id. CXVII, 22. — 6. Ephés. II, 11-16.

 

 

nous crions « Abba, notre Père 1». « Abba » dans la langue des Juifs, « Père » dans la nôtre, car « Abba » signifie « Père ». De là cette parole du Sauveur : « Je ne suis envoyé que vers les brebis d’Israël qui se sont égarées 2 » ; montrant ainsi que la promesse faite à ce peuple de lui envoyer le Messie était accomplie; et pourtant au même endroit il ajoute : « J’ai d’autres brebis qui ne sont point de cette bergerie, il me faut les amener, afin qu’il n’y ait qu’un seul troupeau et qu’un seul pasteur 3 » : désignant ainsi les nations qu’il devait appeler à lui, non par sa présence corporelle, afin de justifier cette parole : « Je ne suis envoyé qu’aux  brebis de la maison d’Israël qui se sont égarées »; mais par son Evangile que devaient aller répandre « les pieds si beaux de ceux qui annoncent la paix, qui prêchent les biens 4:  leur voix s’est fait entendre dans toute la terre, et leurs paroles jusqu’aux confins du monde 5». De là encore cette Parole de l’Apôtre : « Je déclare que Jésus-Christ a été le ministre pour le peuple circoncis, afin de vérifier la parole de Dieu et de confirmer les promesses faites à nos pères ». Voilà bien : « Je ne suis envoyé qu’aux brebis d’Israël qui se sont égarées ». L’Apôtre ajoute: « Pour les Gentils, ils doivent bénir la divine miséricorde ». Voilà aussi: « J’ai encore d’autres brebis qui ne sont pas de cette bergerie, il me faut les amener, et il n’y  aura plus qu’un troupeau et qu’un pasteur ». Telle est la double grâce exprimée dans ce mot du Prophète cité par saint Paul: « Nations, réjouissez-vous avec son peuple 6». C’est donc ce troupeau unique sous un seul pasteur qui forme l’héritage de Dieu, héritage non-seulement du Père, mais encore héritage du Fils. Car c’est le Fils qui a dit: «Le cordeau a mesuré ma part dans des lieux ravissants, mon héritage est incomparable ». Et cet héritage, par la bouche du Prophète, dit à Dieu : « Seigneur, notre Dieu, possédez-nous 7» .Ce n’est point un héritage que le Père mourant ait laissé à son Fils; mais c’est le Fils qui par sa mort l’a acquis d’une manière merveilleuse, et en a pris possession par sa résurrection.

4. Si donc c’est à cet héritage qu’il faut

 

1. Rom. VIII, 15; Gal. IV, 6. — 2. Matth. XV, 24. — 3. Jean, X, 16.— 4. Rom. X, 75.— 5. Ps. XVIII, 5.— 6. Rom. XV, 8-10.— 7. Ps. CXV, 6.— 8. Isa. XXVI, 13, suiv. les Septante.

 

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appliquer la prophétie de ce psaume: « O Dieu, les nations sont entrées dans votre héritage », et croire que les païens sont entrés dans l’Eglise, non par la foi, mais par la persécution, c’est-à-dire qu’ils l’ont envahie dans le dessein de la détruire et de la ruiner entièrement, comme le prouvent tant de cruautés inouïes, alors cette parole : « Ils ont profané votre saint temple », se doit appliquer, non plus aux bois et aux pierres, mais aux chrétiens eux-mêmes, dont saint Pierre a dit qu’ils sont les pierres vivantes formant la maison de Dieu 1. D’où saint Paul a dit clairement : « Le temple de Dieu est saint, et vous êtes ce temple 2 ». Voilà le temple que les persécuteurs ont profané, dans ces chrétiens qu’ils ont forcés à renier le Christ par les menaces et les tortures, et que leurs violences ont fait retourner au culte des idoles: toutefois plusieurs se sont relevés par la pénitence, et purifiés de cette souillure. C’est une âme pénitente qui a dit : « Purifiez-moi de mes péchés»; et : « Créez en moi un coeur nouveau, et renouvelez dans mes entrailles un esprit de droiture 3 ». Le Prophète continue : « Ils ont fait de Jérusalem une hutte pour garder les fruits » : l’Eglise peut très bien être appelée ainsi: « La Jérusalem libre est notre mère, dont il est écrit : Réjouis-toi, stérile, qui n’enfantes pas, pousse des cris de joie, élève la voix, toi qui n’es pas mère: l’épouse délaissée a plus d’enfants que celle qui a un époux 4 ». Cette expression, « une hutte à garder les fruits », signifie, selon moi, le désert qu’a tait la fureur de la persécution : comme une hutte à garder les fruits, car on abandonne ces huttes aussitôt que les fruits sont cueillis. Et certes, quand les Gentils eurent persécuté l’Eglise, elle parut un désert, les âmes des martyrs avaient passé au banquet céleste, comme des fruits nombreux et d’une admirable beauté cueillis dans le jardin du Seigneur.

5. « Ils ont donné pour pâture, aux oiseaux du ciel, les cadavres de vos serviteurs, et la  chair de vos saints aux bêtes de la terre 5 », Le mot de « cadavre » est répété dans « la chair », et « vos serviteurs » dans « vos saints ». Il n’y a de différence qu’entre « les oiseaux du ciel » et u les bêtes de la «terre ». Traduire « cadavre » est beaucoup

 

1. I Pierre, II, 5. — 2. I Cor. III, 17. — 3. Ps. L, 4, 12. — 4. Gal. IV, 26 ; Isa. LIV, 1, — 5. Ps. LXXVIII, 2.

 

mieux que traduire « dépouille mortelle », comme l’ont fait quelques-uns. Cadavre ne se dit que des morts, et dépouille mortelle se dit même d’un corps vivant. Lors donc que les martyrs, comme je l’ai dit, retournèrent comme d’excellents fruits à Dieu qui les cultivait, leurs cadavres et leurs chairs devinrent la proie des oiseaux du ciel et des bêtes de la terre; comme s’ils eussent pu perdre quelque chose pour la résurrection, alors que Dieu, qui a compté les cheveux de notre tête 1, saura tirer des secrètes entrailles de la nature de quoi nous restaurer.

6. «Ils ont répandu le sang comme l’eau», c’est-à-dire avec abondance et avec mépris : « autour de Jérusalem 2 ». Si par Jérusalem nous entendons la ville de la terre, ce sang répandu autour de ses murs est celui de ses enfants que l’ennemi a pu rencontrer en dehors de ses murailles. Mais si nous comprenons cette Jérusalem dont il est dit : « Plus nombreux sont les fils de l’épouse abandonnée, que les fils de celle qui a un époux 3 », son enceinte est l’univers entier. Car dans ce même endroit où le Prophète s’écrie : « L’épouse abandonnée est plus féconde que celle qui a un époux »; il continue à dire peu après: « Et le Dieu d’Israël qui t’a délivrée sera appelé le Dieu de la terre entière 4». En ce cas, l’enceinte de Jérusalem, dans notre psaume, comprendrait les lieux où l’Eglise était répandue, alors qu’elle croissait et portait des fruits dans le monde entier, et que la persécution, sévissant partout, fit un grand carnage des martyrs, répandant leur sang comme l’eau, et les enrichissant des trésors du ciel. Quant à cette parole : « Nul n’était là pour les ensevelir »; il n’est pas étonnant que, dans certaines contrées, la terreur ait été si grande, que nul n’ait osé donner la sépulture aux corps des saints; ou que plusieurs martyrs soient demeurés longtemps sans sépulture, jusqu’à ce que des mains pieuses leur eussent rendu ce devoir.

7. « Nous avons été en opprobre à nos voisins 5 ». Aussi n’est-ce point en présence des hommes, mais en présence de Dieu que la mort de ses saints est précieuse 6. « Nous sommes la fable et le jouet », ou comme d’autres ont traduit : « La dérision de ceux qui nous environnent ». C’est une répétition

 

1. Matth. X, 30, — 2. Ps. LXXVIII, 3. — 3. Isa. LIV, 1. — 4. Id. 5.— 5. Ps. LXXVIII, 4.—  6. Id. CXV, 15.

 

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de la pensée précédente. Car cette expression, « en opprobre », est répétée dans « la fable et le jouet » ; et « nos voisins » se trouve répété dans « ceux qui nous environnent ». Dès lors les voisins de la Jérusalem terrestre sont les autres peuples qui environnaient la Judée. Quant à la Jérusalem libre qui est notre mère, ses voisins et ceux qui l’environnent sont les ennemis chez qui elle habite dans l’univers entier.

8. Le Prophète se répand ensuite en prières, et nous montre que le récit qu’il vient de faire de tant de maux. est moins un récit qu’une lamentation: « Jusques à quand, Seigneur, durera votre colère, et votre zèle s’allumera-t-il toujours comme la flamme 1?» Il supplie le Seigneur de n’entrer point dans une fureur implacable; de ne point prolonger cette pression, cette affliction, ce massacre, niais de mettre un terme à ses châtiments, selon cette parole d’un autre psaume: « Jusques à quand serons-nous nourris du pain des larmes, et abreuvés au calice des  pleurs 2?» Dire en effet: «Jusques à quand, Seigneur, durera votre colère? » a bien le même sens que : Seigneur, mettez un terme à votre colère. Et quand nous lisons ensuite: « Votre zèle s’allumera-t-il comme une flamme? » faut-il sous-entendre « jusques à quand », et « jusqu’à la fin », comme s’il y avait: Jusques à quand votre colère s’allumera-t-elle comme une flamme? Sera-ce jusqu’à la fin? Il faut en effet sous-entendre ces deux mots, comme plus haut nous avons sous-entendu celui-ci : «Ils ont donné ». Dans la première partie du verset, on lit : « Ils ont donné les cadavres de vos serviteurs pour servir de proie aux oiseaux du ciel » : ce verbe « ils ont donné », ne se trouve pas dans la seconde partie : « Et la chair de vos saints  aux bêtes de la terre »; il faut l’y sous-entendre. Quant à ce zèle et à cette colère de Dieu, ce n’est point une passion qui le trouble, comme l’en accusent quelques-uns 3 qui ignorent les Ecritures. La colère de Dieu, c’est la vengeance qu’il tire de l’injustice, et son zèle, la jalousie de notre pureté, le soin de notre âme qui mépriserait sa loi, et se séparerait de lui par une fornication spirituelle. Ces sentiments causent du trouble chez les hommes qui souffrent; mais sont paisibles chez Dieu qui les règle et à qui il est dit:

 

1. Ps. LXXVIII, 5.— 2. Id. LXXIX, 6.— 3. Les Manichéens.

 

« Pour vous, Seigneur, vous jugez dans le calme 1 ». C’est ce qui nous montre que les tribulations viennent aux hommes, et même aux fidèles, à cause de leurs péchés: quoique la gloire des martyrs en devienne plus éclatante par le mérite de la patience, et par leur humble piété à supporter les fléaux qui sont l’épreuve du Seigneur. C’est ce qu’ont témoigné et les Macchabées dans les tourments les plus cruels 2, et les trois jeunes hommes dans les flammes qui ne les touchaient point 3, et les saints Prophètes en captivité. Sans doute ils supportaient ce châtiment paternel avec force et humilité, et pourtant ils ne cachaient point que ces maux étaient la punition de leurs fautes. Ce sont eux qui disent dans le psaume: « Le Seigneur m’a châtié, et il m’a frappé de verges, et ne m’a point livré à la mort 4». Il flagelle tous ceux qu’il reçoit parmi ses enfants: quel fils n’est point châtié de son père 5?

9. Quand le Prophète ajoute : « Répandez votre colère sur les nations qui ne vous connaissent point, et sur les royaumes qui n’invoquent point votre nom » : c’est encore une prophétie, et non une imprécation. Ce n’est point un souhait malveillant, mais un souffle prophétique qui a dicté ces paroles, de même qu’en parlant des maux qui doivent arriver à Judas, le Prophète semble appeler de ses désirs le châtiment que Judas aura bien mérité. Mais comme il n’y a point de commandement de la part du Prophète, quand il dit au Christ au mode impératif: « Ceignez votre glaive, ô le plus puissant des rois; revêtez-vous de votre éclat et de votre gloire, et dans votre majesté, marchez à la victoire et régnez 7» ; il ne souhaite rien non plus, mais il prophétise, quand il dit: « Répandez votre colère sur les nations qui ne vous connaissent point » : ce qu’il répète selon sa coutume, « et sur les royaumes qui n’invoquent point votre nom ». Car, royaumes est la répétition de nations; et : qui n’invoquent point votre nom, la répétition de: qui ne vous connaissent point. Comment faut-il entendre cette parole du Sauveur dans l’Evangile : « Le serviteur qui ignore la volonté de son maître et qui fait des actions dignes du châtiment, en recevra moins: mais le serviteur qui a connu la volonté

 

1. Sag. XII, 18. — 2. II Macchab. VII, 1, 2, etc. — 3. Dan. III, 21. — 4. Ps. CXVII, 18. — 5. Hébr. XII, 6, 7. — 6. Ps. LXXVIII, 6. — 7. Id. XLIV, 4, 5.

 

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de son maître et fait des actes à châtier, le sera davantage 1», si la colère de Dieu est plus grande contre les nations qui ne connaissent point son nom ? Car en disant : « Répandez votre colère », il indique assez quelle grande colère nous devons entendre. Aussi dit-il ensuite : « Rendez à nos voisins sept fois autant 1». Est-ce parce qu’il y a une grande différence entre le serviteur qui invoque le nom du Seigneur, bien qu’il ignore sa volonté, et l’étranger qui n’appartient pas à la famille d’un si grand maître, qui ignore Dieu au point de ne pas l’invoquer? Au lieu de Dieu, ils invoquent des idoles, des dénions ou une créature quelconque; mais non le Créateur qui est béni dans les siècles. Le Prophète ne marque point ici que ceux dont il parle, ignorent la volonté de Dieu, au point de ne pas craindre le Seigneur; mais il désigne ceux qui ignorent le Seigneur, de manière à ne pas l’invoquer, et à se poser comme les antagonistes de son nom. Il y a donc une grande différence entre ces serviteurs qui ne savent point, à la vérité, ta volonté de leur maître, mais qui font partie de sa famille, qui vivent dans sa maison, et ces ennemis qui, non-seulement veulent que ce maître leur soit inconnu, mais qui n’invoquent point son nom, et persécutent ses serviteurs.

10. « Ils ont dévoré la maison de Jacob », continue le Prophète, « ils ont mis le deuil dans sa demeure 3 ». Jacob était en effet la figure de l’Eghise, comme Esaü l’était de la synagogue. De là cette prédiction : « L’aîné sera le serviteur du plus jeune 4 ». Ce nom peut désigner aussi l’héritage du Seigneur, dont nous parlions, et contre lequel se sont rués les peuples par la persécution, afin de l’envahir et de le détruire après l’ascension du Seigneur. Mais il faut examiner comment nous comprendrons « la demeure de Jacob ». Il semble qu’on ne peut guère l’entendre que de cette ville qui possédait le temple, et où le Seigneur avait ordonné que la nation tout entière viendrait lui offrir des sacrifices, célébrer la Pâque et l’adorer. Car si le Prophète avait voulu désigner les assemblées chrétiennes, que la persécution empêchait et désolait, il aurait dû dire des demeures désolées, et non une demeure. Et pourtant nous pouvons encore ici prendre le singulier pour

 

1. Luc, XII, 48, 47.— 2. Ps. LXXVIII, 12.— 3. Id. 7.— 4. Gen. XXV, 23.

 

le pluriel, comme on dit le vêtement pour les vêtements, le soldat pour les soldats, le troupeau pour les troupeaux: ces manières de parler qui sont ordinaires, non-seulement dans le commun du peuple, mais aussi chez les plus habiles maîtres de l’éloquence. L’Ecriture elle-même use de cette façon de parler, et a dit la sauterelle pour les sauterelles 1, la grenouille pour les grenouilles, et beaucoup d’antres locutions semblables. Cette expression: « Ils ont dévoré Jacob », marque parfaitement bien que les menaces des persécuteurs contraignirent beaucoup de chrétiens à entrer dans leurs corps, ou plutôt dans leur société.

11. Le Prophète sait fort bien que si, d’une part, Dieu doit châtier selon leur perversité la volonté des persécuteurs, d’autre part eux n’auraient eu contre son héritage aucune puissance, s’il n’avait voulu par le fouet du châtiment corriger son peuple de ses péchés. C’est pourquoi il ajoute : « Ne vous souvenez point de nos anciennes iniquités 2 ». Je ne dis pas simplement de nos iniquités passées, et qui pourraient être bien récentes; mais des « anciennes », c’est-à-dire de celles qui viennent de nos pères. Car ce n’est plus le châtiment qui est dû à ces offenses, mais bien la condamnation. « Que vos miséricordes nous préviennent». Qu’elles nous arrivent avant le jugement. « Car la miséricorde est préférable au jugement. Or, le jugement sera sans miséricorde, mais pour celui qui n’aura pas été miséricordieux 3 ». Et quand il ajoute : « Parce que nous sommes devenus pauvres », il montre son désir que la volonté de Dieu nous prévienne, afin que notre pauvreté ou notre infirmité soit soutenue par sa miséricorde dans l’accomplissement des préceptes, et que nous n’arrivions pas au jugement pour y être condamnés.

12. Aussi lisons-nous ensuite : « Secourez-nous, ô Dieu notre Sauveur 4 ». Cette expression «notre Sauveur», désigne clairement de quelle pauvreté il veut parler, quand il dit : « Parce que nous sommes réduits à une extrême pauvreté ». C’est une faiblesse qui a besoin d’un sauveur. Demander un secours pour nous, ce n’est ni faire injure à la grâce, ni supprimer le libre arbitre. Car agir avec un secours, c’est faire quelque chose de soi-même. Le Prophète ajoute encore :

 

1. Ps. LXXVII, 45.— 2. Id. LXXVIII, 8.— 3. Jacques, II, 13.— 4. Ps. LXXVIII, 9.

 

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« Délivrez-nous, pour la gloire de votre nom », afin que celui qui se glorifie, ne se glorifie point en lui-même, mais dans le Seigneur 1. « Et pardonnez-nous nos péchés, à cause de votre nom », mais non à cause de nous. Que méritons-nous en effet pour nos péchés, sinon un très-juste châtiment? Nous délivrer, ô Dieu, ou nous tirer de nos misères, c’est nous aider à faire le bien, et nous pardonner nos péchés, dont nous ne pouvons être exempts ici-bas. « Car nul homme vivant ne sera juste en votre présence 2. Or, le péché, c’est l’injustice 3, et si vous considérez nos injustices, qui subsistera devant vous 4 ? »

13. « Afin qu’on ne dise point dans les nations : où est leur Dieu 5?» Ces paroles qu’ajoute le Prophète, sont plutôt en faveur des nations. Car elles périssent misérablement si elles n’espèrent point en Dieu, si elles croient ou qu’il n’existe point, ou qu’il n’est pour les siens d’aucun secours, ne leur accorde aucune faveur, « Et que, sous nos yeux, on sache parmi les nations, que vous vengez le sang de vos serviteurs qui a été répandu »: c’est ce qui s’accomplit, ou bien quand ceux qui persécutaient l’héritage du Seigneur croient en lui; c’est là en effet une vengeance qui fait mourir par le glaive de la parole de Dieu leur injuste cruauté: et c’est de ce glaive qu’il est dit: «Ceignez votre épée 6 »; ou bien quand les ennemis de Dieu persévèrent jusqu’à la fin, et sont châtiés. Car les maux du corps qu’ils endurent en cette vie, leur sont communs avec les bons.  Il est encore une autre vengeance, c’est l’extension et la fécondité de l’Eglise en ce monde, après ces persécutions dont ils pensaient l’exterminer; c’est ce que voit tout pécheur, tout incrédule, tout ennemi de Dieu, qui en grince les dents, et en sèche de dépit 7. C’est là un châtiment des plus sensibles; qui oserait le nier? Mais je doute que cette expression « sous nos yeux », se puisse entendre avec justesse, de cette peine qui demeure cachée au fond du coeur, qui torture ceux qui nous applaudissent et nous sourient, sans que nous puissions voir ce qu’ils souffrent dans l’intérieur de l’âme, Mais si l’on entend par là cette foi des persécuteurs qui tue leur injustice; ou le supplice qui vient torturer leur persévérance dans le mal,

 

1. I Cor, I, 31.— 2. Ps. CXIII, 2.— 3. I Jean, III, 4.— 4. Ps. CXXIX, 3. — 5. Id. LXXVIII, 10. — 6. Id. XLIV, 4. — 7. Id. CXI, 10.

 

nous pouvons sans difficulté y appliquer ces paroles : « Que, sous nos yeux, on connaisse vos vengeances parmi les nations ».

14. Ceci est une prédiction, avons-nous dit, et non point un désir. Ce qui nous donne lieu de remarquer en passant comment il faut entendre cette parole de l’Apocalypse à propos des martyrs qui sous l’autel du Seigneur font entendre ces plaintes: « Jusques à quand, Seigneur, différerez-vous de venger notre sang 1 ? » et de ne point laisser croire que ces âmes saintes veulent assouvir leur haine dans la vengeance, ce qui serait déroger à leur perfection. Et pourtant il est écrit: « Le juste tressaillira à la vue des vengeances de l’impie, il lavera ses mains dans le sang du pécheur 2 ». Et saint Paul dit : « Ne vous vengez point vous-mêmes, mes bien-aimés, mais donnez place à la colère: car il est écrit: La vengeance est à moi, et je l’exercerai, dit le Seigneur 3 ». Dès lors, le Seigneur ne leur commande point de renoncer à la vengeance, mais de ne point se venger soi-même, et de laisser exercer sa colère au Dieu qui a dit: « La vengeance est à moi, et je l’exercerai ». Le Seigneur, à son tour, nous propose dans l’Evangile l’exemple d’une veuve qui, désirant d’être vengée, importuna un juge inique, et, ce juge vaincu par ses instances, plutôt que dirigé par la justice, consent à l’écouter 4: et le Seigneur nous tient ce langage, pour nous montrer que Dieu, beaucoup mieux que ce juge, rendra justice à ses élus, qui en appellent à lui, la nuit et le jour 5. De là vient ce cri des martyrs, sous l’autel de Dieu, qui demandent justice et vengeance. Mais que devient donc cette parole : « Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent, et priez pour ceux qui vous persécutent 6 ? » Que devient cette autre parole: « Ne rendez pas le mal pour le mal, ni l’injure pour l’injure 7? » et encore: « Ne rendez à personne le mal pour le mal 7? » Car si l’on ne doit rendre à personne le mal pour le mal, non-seulement il ne faut faire aucun mal à cause du mal qu’on nous aurait fait, mais il ne faut pas même désirer un mal pour un mal que l’on nous aurait fait ou désiré. Or, celui-là désire un mal, qui tout en renonçant à se venger lui-même, attend et souhaite

 

1. Apoc. VI, 9, 10.— 2. Ps. LVII, 11.—3. Rom. XII, 19; Deut. XXXII, 35.— 4. Luc, XVIII, 3-5. — 5. Apoc. VI, 9. — 6. Matth. V, 44. — 7. I Pierre, III, 9. — 8. Rom. XII, 17.

 

que Dieu châtie son ennemi. Si donc l’homme juste et le méchant demandent également à Dieu d’être vengés de leurs ennemis, en quoi diffèrent-ils, sinon en ce que le juste désire l’amendement plutôt que le châtiment de son ennemi? Et quand il voit que Dieu en tire vengeance, il met sa joie, non dans la peine qu’il endure, car il ne le hait point, mais dans la justice divine, parce qu’il aime Dieu. Et si Dieu exerce sa vengeance dès ce monde, il s’en réjouit, ou pour son ennemi, s’il se corrige, ou pour les autres, s’ils craignent de l’imiter. Lui-même en devient meilleur, non pas en repaissant sa haine du supplice d’un ennemi, mais en se corrigeant de ses fautes. C’est donc par bonté, et non par malice, que le juste se réjouit à la vue des vengeances divines, et qu’il lave ses mains, ou plutôt qu’il purifie ses oeuvres dans le sang, c’est-à-dire dans la perte des pécheurs, et qu’il tire de là, non une joie criminelle du mal des autres, mais un exemple des divins avertissements. S’il s’agit de cette vengeance que Dieu se réserve pour l’autre vie à son dernier jugement, le juste trouve sa joie dans cette volonté de Dieu qui ne donne point le bonheur au méchant, ni à l’impie la récompense des justes; ce serait un acte injuste et contraire aux lois de la vérité qui fait les délices du juste. Aussi quand le Sauveur nous exhorte à l’amour de nos, ennemis, il nous propose l’exemple de notre Père céleste, « qui fait luire son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes et sur les injustes 1 »: et néanmoins n’a-t-il pas pour eux des châtiments temporels, et à la fin l’enfer pour les endurcis obstinés? Il faut donc aimer le prochain sans haïr la justice de Dieu qui le punit, et aimer cette justice qui le châtie de manière à n’aimer point le cliâtiment, mais l’équité du juge. Un esprit haineux au contraire, s’afflige de voir son ennemi se convertir et échapper à la peine, et quand il le voit châtié, il se réjouit de se voir vengé, non qu’il aime la justice de Dieu, mais bien le malheur de son ennemi, et s’il abandonne sa cause à Dieu, c’est qu’il souhaite que Dieu châtie cet ennemi, plus que lui-même ne le pourrait faire : et quand il donne à manger à son ennemi qui a faim, à boire à celui qui a soif, il savoure méchamment cette parole: « En agissant ainsi, vous amassez sur sa

 

1. Matth. V, 45

 

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tête des charbons de feu 1 ». Il prétend aggraver ainsi la faute de son ennemi, appeler sur sa tête cette indignation de Dieu figurée, croit-il, par des charbons ardents; il ne comprend pas que ce feu est la douleur de la pénitence, qui brûle le coeur jusqu’à ce que le coupable, devant ces bienfaits d’un ennemi, baisse enfin par l’humilité une tête qu’élevait l’orgueil, en sorte que le bien rie l’un ait vaincu le mal de l’autre. Aussi l’Apôtre a-t-il eu soin d’ajouter: « Ne vous laissez pas vaincre par le mal, mais triomphez du mal par le bien 2 ». Comment vaincre le mal par le bien, quand on n’est bon qu’en apparence, et mauvais au fond de l’âme; quand sans nuire en actions, on nuit en désirs; que la main est innocente, et la volonté sanguinaire? C’est donc ainsi que notre psaume prédit les châtiments des impies, en termes de désirs, en sorte qu’il nous faut comprendre que le serviteur de Dieu aime ses ennemis, ne souhaite à personne que le bien, c’est-à-dire la piété en cette vie, l’heureuse éternité en l’autre vie; que dans les châtiments des méchants, il se réjouit, non des maux qu’ils souffrent, mais des justes jugements de Dieu; et dans tous les endroits de l’Ecriture, où nous lisons leur haine contre les hommes, cette haine s’applique à leurs vices, que chacun devrait détester en soi-même, s’il s’aimait véritablement.

15. Quant à ces paroles: « Que les cris des enchaînés s’élèvent jusqu’à vous», ou comme on lit dans d’autres exemplaires, «jusqu’en votre présence 3 » ; nous ne voyons guère dans les saintes Ecritures, que les saints aient été jetés dans les entraves par leurs persécuteurs; et si cela est arrivé dans les tourments, si grands et si variés qu’ils ont endurés, cela est arrivé si rarement qu’il n’est pas croyable que le Prophète ait voulu choisir ce supplice pour s’y arrêter. Mais ces chaînes sont bien l’infirmité, la corruption des corps qui appesantissent l’âme. Car le persécuteur profitait de cette faiblesse, comme d’une douleur et d’une peine, pour perdre l’âme en la poussant à l’impiété. Voilà les chaînes dont l’Apôtre voulait être délivré pour être avec le Christ; mais il lui fallait prolonger son séjour en cette vie, à cause des fidèles qu’il formait à l’Evangile 4. Jusqu’à ce qu’enfin ce corps corruptible ait revêtu l’incorruptibilité, et

 

1. Rom. XII, 20. — 2. Rom. XII, 21. — 3. Ps. LXXVIII, 11. — 4. Philip. I, 23.

 

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que ce corps mortel soit revêtu d’immortalité 1, la chair qui est infirme retient dans des chaînes l’esprit qui est prompt. Mais ces liens ne sont lourds que pour ceux qui gémissent sous le poids qu’ils en ressentent 2, et qui soupirent après le ciel qu’ils doivent revêtir; parce qu’ils ont horreur de la mort et s’ennuient dans cette vie mortelle. Tels sont les gémissements que redit le Prophète, afin que ces gémissements s’élèvent jusqu’à la présence de Dieu. Ces captifs enchaînés peuvent s’entendre encore de ceux qui sont liés par les préceptes de la sagesse ; et ces chaînes portées avec patience deviennent une gloire: de là cette parole : « Mets tes pieds dans ses liens 3 ». « Dans la force de votre bras », poursuit le Prophète, « adoptez les fils de la mort »; ou comme on lit en d’autres exemplaires, « les fils de ceux que l’on a punis de mort».L’Ecriture nous montre aussi clairement quel était ce gémissement des captifs qui endurèrent pour le nom de Jésus-Christ les effroyables persécutions, prophétisées dans notre psaume. Au milieu de tourments si divers, ils priaient pour l’Eglise, afin que leur sang ne demeurât point stérile, et que ces moyens par lesquels ses ennemis espéraient détruire la famille du Seigneur, la rendissent plus féconde, « Les fils de ceux qui ont été tués », dit le Prophète, et qui, loin de s’effrayer à la vue des souffrances des martyrs qui les avaient précédés, sont venus en foule embrasser la foi de Celui pour l’honneur duquel ils les voyaient donner leur vie, excités qu’ils étaient par leur gloire à les imiter. Aussi dit-il : « Selon la force de votre bras ». Car tel est l’effet qui en est résulté chez les peuples chrétiens, que les persécuteurs qui croyaient prévaloir, ne l’eussent jamais prévu.

16. « Rejetez », dit le Prophète, « rejetez dans le sein de nos voisins, sept fois autant 4 ». Non qu’il souhaite un mal : c’est une sentence qu’il annonce, l’avenir qu’il prophétise. Le nombre sept, ou sept fois autant, désigne une vengeance parfaite, car ce nombre est ordinairement celui de la perfection. De là vient que l’on entend dans le sens favorable cette parole: « Il en recevra dans l’éternité sept fois autant 5 » ; ce qui comprend la totalité. « Comme n’ayant rien et possédant tout 6». Il donne à ces hommes

 

1. I Cor. XV, 53.— 2. II Cor. V, 4.— 3. Eccl. VI, 25.— 4. Ps. LXXVIII, 12. — 5. Marc, X, 30. — 6. II Cor. VI, 10.

 

le nom de voisins, parce que l’Eglise habite au milieu d’eux jusqu’au jour de la séparation, puisque maintenant pour les chrétiens la séparation n’est point visible. « Rejetez dans leur sein », dit le Prophète, c’est-à-dire d’une manière cachée, afin que la vengeance qui est secrète aujourd’hui, « soit visible un jour sous nos yeux en face des nations ». Lorsque Dieu en effet livre un homme au sens réprouvé, cet homme reçoit dans son sein ce qui lui vaudra un supplice éternel. « Rendez-leur l’injure qu’il vous ont faite, ô mon Dieu». Voilà ce qu’il faut leur rendre sept fois, c’est-à-dire, à cause des outrages qu’ils vous ont faits, réprouvez-les complètement dans le secret de leurs âmes; car c’est là qu’ils ont outragé votre nom, en croyant vous effacer de la terre par la mort de vos persécuteurs.

17. « Pour nous, nous sommes votre peuple 1 » : ce qui doit s’entendre de tous les chrétiens vrais et pieux. « Nous », que ces persécuteurs pensaient anéantir, « sommes votre peuple, et les brebis de votre troupeau », afin que celui qui se glorifie, le fasse dans le Seigneur 2, « nous vous confesserons dans le siècle ». D’autres manuscrits portent « Nous vous confesserons éternellement ». L’ambiguïté du grec a produit cette différence. L’expression du grec eis ton aiona, peut se traduire « dans l’éternité», ou « dans le  siècle». Le verset suivant, selon l’ordinaire des saintes Ecritures et surtout des psaumes, est la répétition du précédent, en sens inverse; il met en premier lieu ce que le précédent mettait en second lieu, et en second lieu ce qu’il avait mis en premier lieu. «Nous vous confesserons » est répété dans « nous annoncerons votre louange », et au lieu de dire « dans le siècle », la répétition porte « de génération en génération ». Répéter ainsi la génération désigne une durée sans fin, soit, comme plusieurs l’ont entendu, que l’on entende par là les deux générations, l’ancienne et la nouvelle, qui toutes deux néanmoins se forment en cette vie; car celui qui ne renaîtra point de l’eau et du Saint-Esprit n’entrera point dans le royaume des cieux 3; ensuite ce n’est qu’en ce monde que l’on annonce la gloire de Dieu, puisque dans le siècle à venir nous le verrons tel qu’il est 4, on ne l’annoncera plus à personne. « Nous sommes votre

 

1. Ps. LXXVIII, 13.— 2. I Cor. I,31.— 3. Jean, III, 5.— 4. I Jean, III, 2.

 

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« peuple, et les brebis de votre bercail», qu’ils ont prétendu détruire par la persécution « Nous vous confesserons dans le siècle », car cette Eglise, qu’ils ont voulu anéantir, doit durer jusqu’a la fin du monde : « De génération en génération nous chanterons votre louange», que ces impies voulaient faire cesser, en nous exterminant. En beaucoup d’endroits de l’Ecriture, nous vous t’avons dit, le mot de confession est employé pour la louange, comme il paraît ici. « Vous direz ceci dans votre confession : Toutes les oeuvres du Seigneur sont parfaitement bonnes et surtout dans cet endroit où Jésus-Christ, qui n’avait nulle faute à regretter et à confesser à son Père, lui dit : «Je vous confesse, mon Père, Seigneur du ciel et de la terre,  parce que vous avez dérobé ces choses aux sages et aux prudents, pour les révéler aux petits 1 ». Je vous cite ces passages pour vous faire comprendre que ces paroles : « Nous chanterons vos louanges », ne sont qu’une répétition de « nous vous confesserons».

 

1. Eccli. XXXIX, 39. — 2. Matth. XI, 25.

DISCOURS SUR LE PSAUME LXXIX.
SERMON AU PEUPLE.
LA VIGNE DU SEIGNEUR.
 

Ce psaume est pour ceux de la synagogue qui doivent se convertir au Christ. Joseph, dont il est ici question, fut déshonoré chez les siens, mis en honneur chez les étrangers; il est l’image du Christ, et c’est de son bercail que nous devons faire partie. Le Dieu qui s’assied sur les Chérubins viendra s’asseoir en nous, si nous avons la charité. Qu’il se montre en face du peuple Juif qui a boité comme autrefois Jacob, d’une part méconnaissant le Christ à la croix, d’autre part lui donnant les Apôtres, puis après sa résurrection et son ascension les Eglises primitives. Dieu n’a donc point rejeté la prière de son serviteur. Les nations ont insulté ces serviteurs dans la personne des martyrs, puis les insulteurs se sont ou convertis ou cachés. Ainsi la vigne du Seigneur est sortie de la servitude, pour être plantés chez les nations vaincues Cette vigne qui fut d’abord le peuple juif, est aujourd’hui l’Eglise qui domine toutes les grandeurs. La première vigne ayant mis à mort et rejeté l‘héritier, celui-ci en a brisé la clôture pour y faire entrer les nations qui ont détruit le royaume des Juifs. Toutefois cette Vigne est de la race d’Abraham, affermissez-la dans l’homme de votre droite, qui détruira en nous le péché de la crainte et le péché de la convoitise, nous fera tourner cette créature et cet amour du côté de Dieu, afin que nous méprisions toute créature pour nous attacher au Créateur.

 

1. Nous ne trouvons dans ce psaume que peu d’endroits qui puissent arrêter le discours, et que les auditeurs aient de la peine à comprendre. Aussi àvec le secours de Dieu, et ce désir que vous avez d’entendre et de voir ce qui a été prédit et prophétisé autrefois, nous passerons légèrement sur les endroits qui sont clairs, puisque vous êtes instruits à l’école du Christ; en sorte que si nous rencontrons quelques obscurités qui m’obligent à vous les expliquer, les passages évidents ne demandent qu’à être lus. C’est le chant de l’avènement de Jésus-Christ notre Seigneur et Sauveur, et de sa vigne. Mais c’est Asaph qui chante, Asaph, autant que j’en puis juger, éclairé, converti, et dont le nom signifie synagogue, vous le savez. Le psaume a pour titre: « Pour la fin, pour ceux qui doivent être changés 1 »: en mieux assurément; car le Christ, qui est la fin de ta loi 2, est venu pour tout améliorer. Le titre porte encore : « Témoignage à Asaph lui-même ». Bon témoignage de la vérité; car ce témoignage confesse le Christ et sa vigne, le chef et les membres, le roi et le peuple, en un mot le mystère des saintes Ecritures, le Christ et l’Eglise. Ce titre finit par ces mots « pour les Assyriens » ; et ce mot Assyriens signifie ceux qui se redressent, Que cette race ne soit plus sans redresser son coeur 3, qu’elle devienne une race au coeur droit. Ecoutons donc ce que dit ce témoignage.

« Ecoutez-nous, vous qui paissez Israël ». Qu’est-ce à dire, « vous qui paissez Israël, qui conduisez Joseph comme un troupeau 4? »

 

1. Ps. LXXIX, 1.— 2. Rom. X, 4.— 3. Ps. LXXVII, 8. — 4. LXXIX, 2.

 

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On invoque le Seigneur afin qu’il vienne, on attend qu’il vienne, on désire qu’il vienne. Puissiez-vous trouver des coeurs droits, «vous qui conduisez Joseph comme un troupeau » ; ce même Joseph, à la manière d’un troupeau. Joseph est tout à la fois une brebis et un troupeau de brebis, et à ce nom de Joseph, qui a un grand sens dans l’hébreu, puisqu’il signifie augmentation, on se rappelle naturellement celui qui doit venir pour faire germer au centuple le grain de froment mort dans la terre 1; ou pour multiplier le peuple de Dieu. Toutefois, puisque vous connaissez l’histoire de Joseph, souvenez-vous qu’il fut vendu par ses frères, déshonoré chez les siens, élevé en gloire chez les étrangers 2, et vous comprendrez de quel troupeau nous devons faire partie, avec tous ceux qui ont le coeur droit, afin que la pierre qu’ont rejetée les architectes, devienne la pierre angulaire 3, unissant les deux murs qui viennent de deux directions différentes, et s’unissent à l’angle dans un parfait accord. « Vous qui êtes assis sur des chérubins ». Le chérubin est le siége de la gloire de Dieu, et signifie la plénitude de la science. C’est donc dans cette plénitude de la science que Dieu établit son trône; et quoique nous entendions par les chérubins les puissances et les sublimes vertus des cieux, tu peux néanmoins être chérubin si tu le veux. Car si le chérubin est le trône de Dieu, écoute ce que dit l’Ecriture: « L’âme du juste est le trône de la sagesse 4 ». Comment, diras-tu, serai-je la plénitude de la science? Qui me donnera cette plénitude? Tu peux l’avoir: « La plénitude de la loi, c’est la charité 5 ». Ne t’égare pas, ne te répands pas en tant de sentiers. L’étendue des branches t’effraie, tiens-toi à la racine, sans t’inquiéter des vastes proportions de l’arbre. Que la charité demeure en toi, et tu auras nécessairement la plénitude de la science. Que peut ignorer celui qui fait la charité, puisqu’il est écrit: « Dieu est charité 6? »

3. « Vous qui êtes assis sur les chérubins, apparaissez ». Nous nous sommes égarés précisément parce que vous ne paraissiez point. « En présence d’Ephraïm, de Benjamin et de Manassé 7». Montrez-vous, dis-je, en face de

 

1. Jean, XII, 25. — 2. Gen. XXXII, 28; XLI, 40. — 3. Matth. XXI, 40; Ps. CXVII, 22.— 4. Sag. VII.— 5. Rom. XIII, 10.— 6. I Jean, IV, 8. —  7. Ps. LXXIX, 3.

 

la nation des Juifs, en face de votre peuple d’Israël. C’est là qu’est Ephraïm, là Manassé, là Benjamin. Mais voyons ce que ces noms signifient : Ephraïm veut dire multiplication, Benjamin fils de la droite, Manassé l’oubli. Paraissez donc en face du peuple qui a fructifié, en face du fils de la droite, en face de l’homme qui a oublié, afin qu’il n’oublie rien à l’avenir, et qu’il se souvienne que vous êtes son libérateur. Car si toutes les nations doivent se souvenir, si tous les confins de la terre doivent se convertir au Seigneur 1, le peuple issu d’Abraham n’aura-t-il pas aussi sa muraille qui s’appuiera sur l’angle, alors qu’il est écrit: « Les testes seront sauvés 2? Excitez votre puissance» .Vous étiez infirme, Seigneur, quand on criait: « S’il est Fils de Dieu, qu’il descende de la croix 3». Vous paraissiez sans force. Vos persécuteurs l’emportaient sur vous, et vous l’aviez prophétisé d’avance, quand Jacob l’emporta dans la lutte, et que l’homme fut vainqueur de l’ange. Comment cela, si l’ange ne l’eût bien voulu? L’homme prévalut donc, l’ange fut vaincu; et l’homme vainqueur retint l’ange et lui dit : «Je ne vous laisserai point aller que vous ne m’ayez bénis ». C’est là un grand mystère. Le vaincu attendit et bénit le vainqueur. Vaincu, parce qu’il l’a voulu, faible dans sa chair, puissant dans sa majesté. Il le bénit et lui dit : «Tu t’appelleras Israël 4». Toutefois il lui frappa la cuisse qui se dessécha, et rendit ainsi boiteux cet homme qu’il bénissait. Tu vois donc le peuple juif devenu boiteux: et en même temps vois la race bénie des Apôtres qui sort de ce peuple. « Excitez votre puissance». Jusques à quand paraîtrez-vous dans la faiblesse? O crucifié dans l’infirmité de la chair, « ressuscitez par la puissance de Dieu 5.— Eveillez votre puissance et  venez nous sauver ».

4. « Seigneur, hâtez notre retour». Nous sommes loin de vous, et nous ne retournerons point à vous, si vous ne hâtez notre retour. « Eclairez votre visage, et nous serons sauvés 7 ». La face de Dieu est-elle donc obscure? Cette face n’est pas obscurcie sans doute, mais Dieu l’a cachée sous un voile charnel, sous le voile de l’infirmité, et l’on n’a point connu sur la croix Celui qu’on devait reconnaître à la droite de son Père. C’est en effet ce qui est

 

1. Ps. XXI, 28. — 2. Rom. IX, 27. — 3. Matth. XXVII, 10. — 4. Gen. XXXIX, 26. — 5. Id. 25. — 6. II Cor. XIII, 4. — 7. Ps. LXXIX, 4.

 

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arrivé. Asaph n’a point connu le Christ qui faisait des miracles sur la terre; et toutefois, quand après sa mort il est ressuscité, puis monté aux cieux, Asaph a chanté ce témoignage que nous lisons aujourd’hui dans ce psaume : « Donnez la lumière à votre face, et nous serons sauvés ». Vous avez caché votre face, et nous avons langui; découvrez-la et nous serons sauvés.

5. « Seigneur, Dieu des vertus, jusques à quand serez-vous irrité contre la prière de votre serviteur?» Il est aujourd’hui « votre serviteur 1 ». Vous rejetiez ma prière quand j’étais votre ennemi, maintenant que je suis votre serviteur, la rejetteriez - vous? Vous nous avez convertis, nous vous reconnaissons, rejetterez-vous la prière d’un serviteur? Votre colère était celle d’un père qui corrige, non celle d’un juge qui condamne. Vous entrez en colère, parce qu’il est écrit : « Mon fils, en entrant au service de Dieu, demeure ferme dans la justice et dans la crainte , et prépare ton âme à la tentation 2».  Ne croyez point que votre conversion ait fait disparaître la colère de Dieu; elle est passée, puisqu’il ne vous damne point. Toutefois il frappe de verges, et ne vous épargne point: parce qu’il frappe tous ceux qu’il reçoit parmi ses enfants 3. Si tu ne veux point être châtié, pourquoi solliciter l’adoption? Il flagelle tout enfant qu’il adopte. Il frappe, lui qui n’a pas épargné son Fils unique. Et néanmoins, «jusques à quand, Seigneur, rejetterez-vous la prière de votre serviteur? » Non point de votre ennemi, mais « de votre serviteur»; combien de temps encore?

6. Le Prophète continue: « Jusques à quand serons-nous nourris du pain des larmes, et  nous abreuverez-vous avec mesure au calice des pleurs 4? » Qu’est-ce à dire « avec mesure? » Ecoute l’Apôtre: « Dieu est fidèle, et ne permettra point que vous soyez tenté au-dessus de vos forces 5». Telle est donc la mesure, vos forces. C’est la mesure, car Dieu veut vous corriger, non vous accabler.

7. « Vous nous avez exposés à la contradiction de nos voisins 6». C’est ce qui est accompli, car Dieu a choisi, du milieu d’Asaph, des prédicateurs qui sont allés au milieu des Gentils, pour y annoncer le Christ, et auxquels on a dit: « Que veut celui-ci qui annonce de

 

1. Ps. LXXIX, 5.— 2. Eccli. II, 1.— 3. Hébr. XII, 6.— 4. Ps. LXXIX, 6. — 5. I Cor. X, 13.—  6. Ps. LXXIX, 7.

 

nouveaux dieux 1? Vous nous avez exposés à« la contradiction de nos voisins ». Car ils prêchaient celui qui est en butte aux contradictions. Qui prêchaient-ils? Un Christ mort et ressuscité! Qui peut l’entendre? qui le comprendra? C’est une nouveauté. Toutefois des miracles s’opéraient, et ces miracles rendaient croyable ce qui était incroyable. Les hommes contredisaient; mais bientôt le contradicteur était vaincu, et de contradicteur devenait croyant. On employait cependant le fer et la flamme, les martyrs étaient nourris du pain de la douleur, abreuvés au calice des larmes, mais avec mesure, et non au-dessus de leurs forces, afin qu’à la mesure des larmes succédât la couronne de la joie. « Et nos ennemis nous ont insultés ». Où sont maintenant ces insulteurs? Longtemps on a dit : Quels sont ces hommes qui adorent un homme mort, qui adorent un crucifié? Longtemps on l’a dit: où est maintenant l’orgueil de nos persifleurs? Ceux qui osent nous blâmer, ne vont-ils pas se réfugier dans les cavernes, de peur d’être en évidence? « Et nos ennemis nous ont insultés ».

8. Mais écoutez ce qui suit : « Seigneur, Dieu des vertus, tournez-nous vers vous,  montrez-nous votre visage, et nous serons sauvés. Vous avez transporté votre vigne de  l’Egypte; vous avez dissipé les nations et vous l’avez plantée 2». Nous le voyons, tout cela s’est accompli. Combien de peuples ont été chassés? Les Amorrhéens, les Céthéens, les Jébuséens, les Gergéséens et les Evéens: il fallut les dissiper et les vaincre pour établir dans la terre promise Israël délivré de l’Egypte. Nous avons entendu d’où cette vigne a été tirée et où elle a été plantée. Voyons ce qu’elle est devenue ensuite, comment elle a embrassé la foi, quel a été son accroissement, son étendue. « Vous avez transporté votre vigne de l’Egypte, vous avez dissipé les nations, et vous l’avez plantée».

9. « Vous lui avez ouvert la voie, vous en avez planté les racines, elle a rempli la terre 3 ». Aurait-elle pu remplir la terre, si Dieu ne lui eût ouvert la voie? Quelle est cette voie ouverte en sa présence? « Je suis », dit le Seigneur, « la voie, la vérité, la vie 4 ». C’est donc avec raison qu’elle a rempli la terre. Ce qui est prédit de cette vigne, est

 

1. Act. XVII, 18.— 2. Ps. LXXIX, 8, 9.— 3. Id. 10. — 4. Jean, XIV, 6.

 

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accompli pour jamais. Mais qu’est-ce qui précède? « Son ombre a couvert les montagnes, et ses branches les cèdres les plus élevés. Elle a étendu ses pampres jusqu’à la mer, et ses rameaux jusqu’au fleuve 1». Il faut ici une explication, il ne suffit pas de lire et d’applaudir : aidez-moi de votre attention. Cette vigne, en effet, dont il est question dans notre psaume, embarrasse bien souvent les hommes peu attentifs. Nous avons déjà parlé de l’étendue de cette vigne, nous en avons dit l’origine et les causes de son accroissement. « Vous avez ouvert la voie en sa présence, vous en avez planté les racines, elle a rempli la terre ». Ceci est la prophétie de son extension. Toutefois cette vigne est le premier peuple Juif. Or, cette nation juive a régné depuis la mer jusqu’au fleuve. Depuis la mer, car nous voyons dans l’Ecriture qu’elle avoisine la mer 2, et jusqu’au fleuve du Jourdain. Car au-delà du Jourdain, il y avait quelque partie de ce peuple, mais en-deçà de ce fleuve était toute la nation. Le royaume des Juifs, le royaume d’Israël s’étendait donc « jusqu’à la mer, et jusqu’au fleuve»; et non, «depuis la mer jusqu’à la mer, et depuis le fleuve jusqu’aux confins de la terre ». C’est le prolongement de cette vigne, dont le Prophète a dit : « Vous avez ouvert un chemin en sa présence, vous en avez planté les racines, elle a rempli la terre ». Alors après vous avoir prédit l’extension de cette vigne, le Prophète revient à ses commencements, d’où elle s’est si fort agrandie. Veux-tu entendre le commencement? « Depuis la mer jusqu’au fleuve ». Et la fin? « Elle domine depuis la mer jusqu’à la mer, et depuis le fleuve jusqu’aux confins de la terre 3». C’est dire : « Elle a rempli la terre ». Voyons donc le témoignage d’Asaph, ce qui est arrivé à la première vigne, et ce qui doit arriver à la seconde vigne, ou plutôt à la même vigne. Car c’est bien la même, et pas une autre. C’est de là qu’est venu le Christ: le salut vient des Juifs 4; de là les Apôtres, de là ces premiers fidèles qui apportaient aux pieds des Apôtres le prix de leurs biens i; c’est d’elle qu’est venu tout cela. Et si quelques rameaux « ont été brisés à cause de leur incrédulité : toi », peuple des Gentils, « tiens ferme dans la foi, ne

 

1. Ps. LXXIX, 11, 12. — 2. Nombres, XXXIV, 5. — 3. Ps. LXI, 8. — 4. Jean, IV, 22. — 5. Act. II, 45; XV, 35.

 

cherche pas à t’élever, mais crains. Car si Dieu n’a point épargné les rameaux, il ne t’épargnera point. Si tu te glorifies, ce n’est point toi qui portes la racine, mais la racine  te porte 1 ». Cette vigne, en présence de laquelle Dieu ouvrit la voie, afin qu’elle remplît la terre, où fut-elle d’abord? « Son ombre a couvert les montagnes ». Quelles sont ces montagnes? Les Prophètes. Pourquoi son ombre les a-t-elle couvertes? Parce qu’ils étaient obscurs dans la prédiction de l’avenir. Tu entends dire aux Prophètes : Observe le sabbat; que l’enfant soit circoncis le huitième jour; offre en sacrifice le bélier, le veau et le bouc. Ne t’étonne point, ce sont là des ombres qui couvrent la montagne de Dieu; après l’ombre viendra la lumière. «Et ses branches, les cèdres de Dieu », c’est-à-dire couvrent les cèdres de Dieu les plus hauts, mais de Dieu. Car il y a des cèdres qui sont le symbole des orgueilleux que Dieu doit détruire. Donc cette vigne, dans ses accroissements, a couvert les cèdres du Liban, les grandeurs du monde, les montagnes de Dieu, tous les saints Prophètes, les patriarches.

10. Mais jusqu’où « a-t-elle étendu ses rameaux? Jusqu’à la mer, et ses pampres  jusqu’au fleuve 2». Qu’en est-il arrivé? « Pourquoi avez-vous détruit sa clôture? Déjà vous pouvez voir la ruine du royaume des Juifs; déjà dans un autre psaume vous avez pu entendre : « Ils l’ont abattu avec la hache et la cognée 3». Comment cela pourrait-il se faire, si la clôture n’était renversée? Quelle est cette clôture? ses forteresses. Car elle s’est élevée avec orgueil contre celui qui l’avait plantée. Les serviteurs qu’il envoyait pour recueillir sa redevance, les locataires les ont flagellés, meurtris, mis à mort. Le fils unique est venu lui-même, et ils ont dit : « Celui-ci est l’héritier; venez, tuons-le, et nous posséderons son héritage; et l’ayant tué, ils l’ont jeté hors de la vigne 4 ». Jeté hors de cette vigne, il la possède davantage. Aussi leur fait-il cette menace par Isaïe : « Je détruirai sa clôture ». Pourquoi? « J’ai attendu qu’elle produisît du raisin, elle n’a produit que des épines ». J’ai attendu des fruits de vertu, et n’ai trouvé que le péché. A quoi tend donc cette plainte à Asaph « Pourquoi avez-vous renversé la clôture?»

 

1. Rom. XI, 18-21.— 2. Ps. LXXIX, 13.— 3. Id. LXXIII, 6.— 4. Matth. XXI, 34-39.

 

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Ignorez-vous donc pourquoi? « J’ai attendu qu’Israël fît la justice, il a fait l’iniquité 1 ». Ne fallait-il donc point renverser la clôture? Alors sont venues les nations, et sur les ruines de la clôture ont envahi la vigne et détruit le royaume des Juifs. C’est ce que déplore Asaph, mais non sans quelque espérance. Car il parle maintenant pour le redressement du coeur, et ce psaume est pour les Assyriens, ou ceux qui se redressent. « Pourquoi avez-vous renversé sa clôture? et voilà qu’elle est au pillage de tous ceux qui passent par le chemin ». Qu’est-ce à dire : « Ceux qui passent par le chemin? » Ceux qui ont une domination temporelle.

11. « Le sanglier de la forêt l’a dévastée 2 ». Que faut-il entendre par ce sanglier de la forêt? Le pourceau était en horreur chez les Juifs, parce qu’il était pour eux  l’image de l’impureté des Gentils. Or, ces Gentils ont détruit le royaume des Juifs; mais le roi qui l’a détruit n’était pas seulement un pourceau à leurs yeux, c’était un sanglier. Qu’est-ce qu’un sanglier, sinon un porc sauvage, un porc orgueilleux? « Le sanglier de la forêt l’a ravagée ». « De la forêt», ou de la gentilité. Car la Judée était une vigne, les Gentils une forêt. Mais qu’a dit le Prophète, à propos de ces Gentils qui avaient embrassé la foi? « Alors bondiront tous les arbres des forêts 3. Le sanglier de la forêt l’a dévastée; la bête solitaire en a fait sa proie ». Qu’est-ce que « la bête solitaire? » Ce nième sanglier, qui est une bête solitaire, vit à part à cause de sou orgueil. Tel est en effet le langage de tout homme superbe : C’est moi, c’est moi, il n’y a que moi.

12. Mais quel est le fruit de tout cela? «Dieu des vertus, revenez enfin vers nous ». Nonobstant toutes ces catastrophes, « revenez enfin, regardez du haut des cieux, et voyez, visitez cette vigne. Amenez à la perfection celle que votre droite a plantée 4 ». Perfectionnez-la sans en planter une autre. Car elle est la postérité d’Abraham, cette race en qui toutes les nations de la terre doivent être bénies 5. Là est la racine qui porte l’olivier sauvage, greffé depuis. « Rendez parfaite cette vigne que votre droite a plantée ». Mais comment la perfectionner? « Affermissez-la dans ce fils de l’homme en qui vous avez

 

1. Isa. V, 2,5, 7. —  2. Ps. LXXIX, 14. — 3. Id. XCV, 12. — 4. Id. LXXXIX, 15, 16 — Gen. XXII, 18.

 

consolidé votre gloire ». Quoi de plus clair? Attendez-vous, mes frères, que je vous explique ces paroles? Ne vaut-il pas mieux répéter dans notre admiration: « Perfectionnez cette vigne, que votre droite a plantée, et perfectionnez-la dans le fils de l’homme? » Quel fils de l’homme? « Celui en qui vous avez consolidé votre gloire». O fondement inébranlable! bâtissez tant que vous pourrez. « Nul en effet ne peut en poser d’autre que celui qui a été posé, et qui est le Christ Jésus 1 ».

13. « Tout ce que le feu a brûlé, tout ce qui est creusé périra par la menace de votre colère 2 ». Quels sont ces lieux brûlés et creusés par le feu, qui doivent périr devant la menace de son visage? Voyons et comprenons ce que le feu peut brûler et creuser. Qu’est-ce que le Christ a menacé? les péchés: les péchés ont donc été détruits par les menaces de son visage. Tous les péchés n’ont chez l’homme que deux racines : la cupidité et la crainte. Examinez, sondez vos coeurs, interrogez-les, approfondissez vos consciences, et voyez si les péchés peuvent venir d’autre part que de la crainte ou de la cupidité. On te propose un appât pour commettre le mal; cet appât te plaît, et tu pèches parce que tu le désires. Mais si cet appât ne saurait te persuader, on t’effraie par des menaces, et tu agis sous l’empire de la crainte. Un homme veut te corrompre et t’amener au faux témoignage. Il y a mille rencontres semblables, mais je propose la plus claire, et qui laisse à juger des autres. Tu penses donc à Dieu, tu dis en toi-même: « Que sert à l’homme de gagner l’univers, s’il vient à perdre son âme 3? » Jamais le gain ne me dominera, jamais je ne perdrai mon âme pour un peu d’argent. Alors le tentateur a recours à la crainte; il n’a pu corrompre par l’appât, il a recours aux menaces; la perte des biens, le bannissement, la violence et peut-être la mort, voilà ses ressources. Les promesses ont échoué, les menaces auront peut-être plus d’efficacité sur vous. Mais s’il ne vous a fallu, pour résister à l’appât du gain, que cette parole de l’Ecriture : « Que sert à l’homme de gagner l’univers entier, s’il vient à perdre son âme »; souvenez-vous de cette autre contre la crainte: « Ne redoutez point ceux qui tuent le corps, et qui ne peuvent tuer

 

1. I Cor. III, 11. — 2. Ps. LXXIX, 17. — 3. Matth. XVI ,26.

 

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l’âme 1 ». Quel que soit l’homme qui en veut à votre vie, il n’a de pouvoir que sur le corps, il ne peut rien sur l’âme. Ton âme ne peut mourir, à moins que tu ne la veuilles tuer toi-même. Que l’injustice des autres tue ta chair, mais que la vérité garde ton âme. Mais si tu t’éloignes de la vérité, comment ton ennemi pourrait-il te dépasser dans le mal que tu te fais à toi-même? Dans sa fureur, ton ennemi peut meurtrir ta chair, et toi, par le faux témoignage, tu donnes la mort à ton âme. Ecoute l’Ecriture : « La bouche qui ment tue l’âme 2 ». Ainsi donc, mes frères, c’est l’amour ou la crainte qui nous conduit à tout bien, comme c’est l’amour ou la crainte qui nous conduit à tout suai. Pour faire le bien, tu aimes Dieu, tu crains Dieu; pour faire le mal, tu aimes le monde ou tu crains le monde. Tourne vers le bien ces deux passions. Tu aimais la terre, aime la vie éternelle; tu craignais la mort, crains l’enfer. De quelque bien que le monde ait promis de payer ton iniquité, peut-il te donner aussi largement que Dieu donne au juste? Quelles que soient les menaces du monde contre le juste, le peut-il châtier comme Dieu châtie le pécheur? Veux-tu voir la récompense en Dieu , si tu vis dans la justice? « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé dès l’origine du monde». Veux-tu voir ce qu’il réserve aux impies? « Allez au feu éternel, qui a été préparé au  diable et à ses anges 3 ». C’est bien pour toi de ne vouloir que le bonheur: car aimer, pour toi, c’est chercher le bonheur, et craindre, c’est écarter de toi le malheur. Mais tu ne cherches pas le bonheur où tu devrais le chercher. Tu te hâtes, parce que tu ne veux souffrir ici-bas ni indigence, ni aucune peine. Ton désir est bon; mais souffre ce que tu ne désires point, afin d’acquérir ce que tu cherches. Que fera donc le Seigneur, dont la face détruit le péché? Quels sont les péchés que le feu dissipe et embrase? Qu’a produit ton amour mauvais? Il t’avait embrasé comme une fournaise. Qu’a produit ta crainte déréglée? Elle t’a creusé comme une fosse. Car l’amour embrase, la crainte abaisse. Les péchés qui naissent de l’amour déréglé sont donc comme des embrasements; ceux d’une crainte servile, comme des fosses profondes. Il est vrai qu’une crainte juste humilie aussi

 

1. Matth. X, 28. — 2. Sag. X, 11. — 3. Matth. XXV, 34, 41.

 

notre âme, qu’un amour légitime l’embrase aussi, mais d’une manière bien différente. Car le vigneron supplie pour que l’arbre qui ne porte pas de bons fruits soit épargné, et s’écrie : « Je creuserai à l’entour et y mettrai du fumier 1 ». Cette fosse marque la pieuse humilité d’une âme pénétrée de crainte; et ce fumier les utiles négligences d’un pénitent. Quant au feu des bonnes oeuvres, le Seigneur a dit : « Je suis venu apporter le feu dans le monde 2 ». Tel est le feu qui embrase les âmes ferventes, et ceux qui brûlent de l’amour de Dieu et du prochain. Et alors de même qu’une crainte pieuse, et qu’un saint amour sont la source des bonnes oeuvres; de même un amour dépravé, une crainte mauvaise, produisent tous les péchés. Donc, « tout ce que le feu a brûlé, tout ce qu’il a creusé », c’est-à-dire tous les péchés, « périront par la menace de votre visage ».

14. « Que votre main s’étende sur l’homme de votre droite, sur le fils de l’homme que vous avez établi dans votre force, et nous ne vous quitterons plus 3 ». Jusques à quand subsistera cette race corrompue et rebelle, qui ne redresse point sors coeur 4? Qu’Asaph dise à Dieu : Montrez votre miséricorde, faites-en sentir les effets à votre vigne, et rendez-la parfaite : « Car l’aveuglement est tombé sur une partie d’Israël, jusqu’à ce que la plénitude des nations entrât dans l’Eglise, et qu’ainsi tout Israël fût sauvé 5». Quand la lumière de votre face se reflétera « sur l’homme de votre droite, que vous avez affermi dans votre force, nous ne nous éloignerons plus de vous ». Jusques à quand dureront vos menaces? Combien encore vos accusations? Accordez-nous cette grâce, « et nous ne vous quitterons plus. Vous nous rendrez la vie, et nous invoquerons votre nom ». Vous nous comblerez de vos faveurs, « vous nous rendrez la vie ». Autrefois nous aimions la terre, et non point vous. Mais vous avez fait mourir en nous les membres de l’homme terrestre 6. Car cet Ancien Testament, qui a des promesses terrestres, semble porter les hommes à n’aimer point Dieu gratuitement, mais à l’aimer pour les biens qu’il nous donne ici-bas. Dis-moi : que peux-tu aimer, et préférer à Dieu? Aime, si tu le peux, quelque créature qu’il n’ait point faite.

 

1. Luc, XIII, 8. — 2. Id. XII, 49. — 3. Ps. LXXIX, 18, 19. — 4. Id. LXXII, 8,9. — 6. Rom. XI, 25, 26. —  7. Coloss. III, 5.

 

Jette les yeux sur toutes les créatures, vois si l’amorce de la convoitise n’attache point ton coeur quelque part, le détournant ainsi de l’amour de Dieu, et situ ne négliges point le Créateur pour t’éprendre de ses oeuvres. Pourquoi les aimer, sinon à cause de leur beauté? Mais peuvent-elles égaler en beauté celui qui les a faites? Tu admires ces beautés parce que tu ne vois point celles de Dieu; mais sers-toi de ces beautés que tu admires, pour aimer- Dieu que tu ne vois pas. Interroge la créature; si elle subsiste par elle-même, demeure en elle; mais si elle vient de Dieu, ce qui la rend nuisible à celui qui s’y attache, c’est la préférence qu’on lui accorde sur le Créateur. Pourquoi vous tenir ce langage? C’est, mes frères, à cause du verset que nous expliquons. Ils étaient donc morts, ceux qui n’avaient pour honorer Dieu, d’autre motif que d’obtenir de lui les biens charnels : or, l’amour des choses de la chair, c’est la mort 1; et ils sont véritablement morts ceux qui ne servent point Dieu gratuitement, c’est-à-dire parce qu’il est bon, et non parce qu’il donne de ces biens dont il ne prive

 

1. Rom. VIII, 6.

 

 

pas les méchants. Tu demandes à Dieu des richesses? Les voleurs en ont. Une épouse, une famille nombreuse, la santé du corps, les dignités du siècle? Vois combien de méchants possèdent ces biens. C’est pour cela seulement que tu sers Dieu? Alors tes pieds seront ébranlés, et tu penseras que tu sers Dieu en vain, quand tu verras jouir de ces biens ceux qui ne le servent point 1. Donc ces biens, il les donne aux méchants, et se réserve lui-même aux bons. « Vous nous donnerez la vie » ; car nous étions morts, quand nous nous attachions aux biens de la terre nous étions morts quand nous portions l’image de l’homme terrestre. « Vous nous donnerez la vie; vous nous changerez en nous donnant la vie de l’homme intérieur, et nous invoquerons votre nom » ; c’est-à-dire nous vous aimerons. Dans votre douceur, vous nous remettrez nos péchés, vous nous justifierez, et serez notre unique récompense. « Seigneur, Dieu des vertus, revenez à nous, montrez-nous votre face, et nous serons sauvés 2»

 

1. Ps. LXXII, 2. — 2. Id. LXXIX, 20.

DISCOURS SUR LE PSAUME LXXX.
SERMON AU PEUPLE DE CARTHAGE.
LES PRESSOIRS DANS L’ÉGLISE.
 

On foule un pressoir et il en sort d’une part une huile que l’on conserve, d’autre part un mare que l’on rejette. En cette vie l’olive pend à l’arbre qui porte ainsi le marc et l’huile, la séparation aura lieu au jugement, l’injustice est le marc, la charité l’huile, et il y a aujourd’hui injustice et charité. Le psaume est au cinquième jour de la semaine, au jour où Dieu tira des eaux les créatures, comme il tire les chrétiens des eaux du baptême, alors l‘affliction et le baptême préparent le discernement dès ici-bas. Recevez donc les biens d’en haut et donnez ceux d’en bas, à la prédication joignez l’oeuvre temporelle; prêchez fortement à chaque nouvelle lune ou nouvelle vie. Tel est le précepte pour Jacob et pour Joseph. Or, Joseph, qui signifie accroissement, s’accrut en effet après le passage de la mer Rouge, fleuve du baptême, et par le baptême le Christ prit son accroissement chez les Gentils, en leur parlant une langue inconnue pour eux. Israël fut délivré d’une dure servitude, comme les Gentils du péché. Toutefois nous sommes éprouvés aux eaux de la contradiction, et ces eaux sont les peuples qui barrèrent le passage à Samson ou au Christ, et dont la fureur fut brisée, voilà pour l’huile Voyons le marc. Il y a des dieux récents chez les païens, chez les hérétiques ariens et manichéens qui, divisés en apparence sont d’accord à défigurer Dieu. Ce sont des renards se ménageant toujours une issue. Jésus tendit aux Pharisiens leurs pères un piège sur chacune des issues. Oui peut prendre au même piège les Manichéens, et attacher ces renards par la queue, ou par une doctrine postérieure, et y mettre le feu pour les incendier. Alors il n’y aura plus d’autre Dieu que celui qui est Israël ingrat a été livré aux désirs du coeur, de là tout ce qui est honteux, la servitude, la foi mentie, et le châtiment éternel. En vain on se rassure parce que l’on appartient au Christ ; les crimes n’entreront point dans le ciel. Le Christ fera donc le discernement, Ceux qui auront pris le Christ pour base, et bâti avec le crime seront exclus ; ceux qui bâtissent avec l’or, l’argent, sont les élus ; ceux qui bâtissent avec le bois, la paille, ou avec des affections terrestres mais en demeurant attachés au Christ, seront sauvés. Avec le froment et le miel de la sagesse, les ennemis du Seigneur sont demeurés en arrière.

 

1. Nous avons entrepris, mes frères, de vous exposer ce psaume; puisse votre calme aider notre voix qui est quelque peu sourde: mais l’attention des auditeurs me donnera des forces, avec le secours de Celui qui m’ordonne de parler. Ce psaume à pour titre: « Jusqu’à la fin, pour les pressoirs, au cinquième jour de la semaine, psaume pour Asaph lui-même ». Combien de mystères accumulés dans un seul titre ! de manière à nous montrer dès l’abord , l’intérieur du psaume. En parlant du pressoir, n’attendez pas que nous vous disions rien des cuves, des presses, des corbeilles: le psaume n’en dit mot, ce qui nous indique tout particulièrement un mystère. En effet, si le psaume en parlait, il se trouverait des hommes pour croire qu’on doit entendre ces pressoirs dans le sens littéral, qu’il n’y faut rien voir de plus, qu’il n’y a là rien de figuratif, rien qui dessine quelque mystère; ce psaume, pourrait on dire, parle simplement des pressoirs, et vous allez imaginer je ne sais quelle allégorie. La lecture ne vous a rien laissé entendre de tout cela. Voyez donc dans ces pressoirs le mystère de l’Eglise, aujourd’hui sur la terre. Dans un pressoir, trois objets arrêtent nos regards: une presse, et de cette presse il sort, d’une part ce qu’il faut garder, d’autre part ce qu’il faut rejeter. On presse donc, on foule, on écrase sous le pressoir; et de là sort invisiblement une huile qui se clarifie dans le vase, tandis qu’on voit le marc couler dans les rues. Fixez votre attention sur ce spectacle grandiose. Car Dieu ne cesse de nous donner de quoi contempler dans noire joie, et les folies du cirque n’ont rien de comparable avec ces spectacles, qui sont l’huile pour nous, tandis que le cirque est un marc impur. Vous entendez ces obstinés coasser leurs blasphèmes, et nous dire que les désastres sont plus fréquents depuis le christianisme; c’est là, vous le savez, leur refrain layon. De là encore cet adage ancien dejà, qui date du christianisme: Dieu ne fait point pleuvoir, prenez-vous-en aux Chrétiens. Ainsi disaient les anciens, aujourd’hui on dit: Il pleut trop, prenez-vous-en aux chrétiens. Il ne pleut pas, nous ne semons point; il pleut, nous ne battons iuoint. Esprits aveugles qui s’enorgueillissent de ce qui devrait les humilier, qui préfèrent le blasphème à la prière. Quand donc ils se livrent à ces discours, à ces bravades, à ces insolences, à ces obstinations, et qu’ils le (256) font sans crainte, et hardiment, qu’ils ne vous troublent point. Songez que les pressoirs abondent, et tâchez d’être l’huile. Que ce marc tout noirci d’ignorance nous maudisse à son gré, qu’il nous insulte sur les places publiques où il est jeté; mais toi, dans le secret de ton coeur, où pénètre l’oeil de ton Père 1, sois une huile clarifiée dans la cuve. Tant que l’olive pend à l’arbre, elle est parfois agitée par la tempête, mais elle n’est point écrasée sous le pressoir; l’arbre porte à la fois, et ce qu’il faut rejeter, et ce qu’il faut conserver: mais quand elle est écrasée sous le pressoir, alors se fait la séparation, le discernement; on garde l’un, on jette l’autre. Voulez-vous connaître la force de ces pressoirs? Pour ne vous donner qu’un exemple des maux dont ils se rendent coupables ceux-là même qui en murmurent: Combien de vols de nos jours, disent-ils, combien d’innocents opprimés, combien de pillages du bien d’autrui ! Dans ce pillage du bien d’autrui, vous ne voyez que le marc; et vous ne remarquez point l’huile ou la charité qui donne aux pauvres de son propre bien. Il n’y avait pas jadis tant de pillards des biens étrangers; mais il n’y avait pas non plus tant de donateurs de leur propre bien. Sois donc une bonne fois plus attentif à ce pressoir, et ne t’arrête pas à ce qui coule au dehors, tu trouveras mieux en cherchant. Examine, écoute, et vois faire à beaucoup ce qui attrista et fit retourner ce jeune homme riche, quand le Seigneur lui parla. Un grand nombre comprennent ce mot de l’Evangile: « Allez, vendez ce que vous possédez, donnez-en le prix aux pauvres, et vous aurez un trésor dans le ciel, puis venez et suivez-moi 2 ». Combien n’en vois-tu point pour agir de la sorte? Il en est peu, dis-tu. Ceux là néanmoins sont l’huile, et ceux qui usent bien de ce qu’ils possèdent, sont l’huile aussi : réunis-les ensemble, et tu verras se remplir les greniers du père de famille. Tu vois un voleur tel que tu n’en as jainas vu; vois aussi des prodigues tels que tu n’en as jamais vus de semblables. Bénis donc les pressoirs; voilà que s’accomplit la prophétie de l’Apocalypse: « Que le juste devienne plus juste encore, et que celui qui est souillé, se souille encore 3 ». Les pressoirs sont dans ces mots : « Que le juste devienne plus juste, et que celui qui est souillé, se souille encore ».

 

1. Matth. VI, 6.— 2. Id. XIX, 21.— 3. Apoc. XXII, 11.

 

12. Que signifie ce « cinquième du sabbat? » Quel en est le sens? Ayons recours aux premières oeuvres de Dieu, nous y trouverons peut-être de quoi élucider ce mystère. Le sabbat est le septième jour, alors que Dieu se reposa de tous ses ouvrages 1. Le jour qui suit le sabbat se nomme le premier jour, que nous appelons encore dimanche. Le second du sabbat est le second jour; le troisième tin sabbat est le troisième jour; le quatrième du sabbat est le quatrième jour; le cinquième du sabbat est le cinquième jour, depuis le dimanche; après vient le sixième du sabbat, ou sixième jour, et le sabbat lui-même est le septième jour. Voyez donc à qui s’adresse le psaume. Il me semble qu’il s’adresse à ceux qui ont reçu le baptême. Or, le cinquième jour Dieu tira les créatures de la substance des eaux; le cinquième jour donc, ou le cinquième du sabbat, Dieu dit: « Que les eaux produisent des créatures qui aient une âme vivante 2 ». Voyez donc en vous-mêmes, vous en qui les eaux ont produit des âmes vivantes. C’est vous qui appartenez aux pressoirs, et chez vous qui êtes le produit des eaux, il y a aussi de quoi garder, et de quoi rejeter. Car il en est beaucoup dont la vie ne répond point à la sainteté du baptême qu’ils ont reçu. Combien en est-il qui ont préféré aujourd’hui le cirque au théâtre? Combien qui ont reçu le baptême et qui occupent des loges sur le théâtre, ou se plaignent qu’on ne leur en fasse point? Ce psaume est « pour les pressoirs, ou cinquième jour du sabbat », c’est-à-dire qu’on le chante « pour Asaph », à ceux qui sont sous le pressoir de l’affliction, et au sacrement du baptême. Or, il y eut un homme du nom d’Asaph, comme un Idithun, un Coré, comme d’autres noms que nous trouvons dans les titres des psaumes. Toutefois la signification de ces noms indique souvent un mystère caché. Asaph signifie en latin assemblée. Donc, « c’est pour les pressoirs, au cinquième du sabbat », que l’on chante ce psaume « à Asaph », c’est-à-dire, c’est pour l’affliction, qui établit le discernement, pour ceux qui ont reçu dans l’eau une naissance nouvelle, que l’on chante notre psaume à l’assemblée du Seigneur. Le premier mot du titre nous montre ce qu’il faut entendre par ces pressoirs: entrons maintenant, si cela vous est agréable, dans la maison où l’on

 

1. Gen. II, 2— 2. Id. I,20.

 

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travaille, c’est-à-dire, pénétrons dans l’intérieur du pressoir. Entrons, examinons, soyons dans la joie, dans la crainte; désirons et fuyons. Car ce sont là les sentiments qui vous vont assaillir dans l’intérieur de cette maison, ou dans le texte du psaume, quand nous commencerons à vous le lire, et à vous dire avec le secours de Dieu, ce qu’il lui plaira de nous inspirer.

3. Vous donc, ô Asaph, ô sainte Eglise dc Dieu, « Tressaillez dans le Seigneur qui est notre soutien 2». Vous qui êtes ici assemblés aujourd’hui, vous, l’Asaph du Seigneur, puisque c’est pour Asaph ou pour vous que l’on chante ce psaume, « tressaillez en Dieu qui est notre appui ». Que d’autres s’épanouissent au cirque, vous, tressaillez en Dieu; que d’autres tressaillent dans celui qui les trompe, vous, tressaillez dans celui qui vous soutient; que d’autres tressaillent dans leur Dieu, qui est leur ventre, vous, tressaillez dans le Dieu qui vous soutient. « Poussez des cris devant le Dieu de Jacob ». Vous aussi, vous appartenez à Jacob, vous êtes même Jacob, le plus jeune peuple que sert le peuple aîné 1. « Poussez des cris devant le Dieu de Jacob ». N’avez-vous point de paroles pour vous exprimer, ne cessez pas de tressaillir; avez-vous des paroles, chantez; n’en avez-vous point, tressaillez. L’excès de la joie, quand on ne trouve pas d’expressions suffisantes, se répand en tressaillements : « Tressaillez devant le Dieu de Jacob ».

4. « Recevez le psaltérion, et donnez du tambour 2 », « Recevez » et « donnez ». Qu’est-ce à dire « recevez ? » Qu’est-ce à dire « donnez? » « Recevez le psaltérion et donnez du tambour ». Saint Paul nous le dit quelque part dans ses épîtres, en se plaignant avec douleur, que nul ne lui avait fait aucune part « à raison du don fait et reçu 3 ». Quel est ce

« don fait et reçu », sinon ce qu’il nous dit ailleurs : « Si donc nous avons semé parmi vous les biens spirituels, est-ce une grande chose, que nous recevions quelque peu de vos biens temporels 4?» Or, on fait le tambour avec un cuir, ce qui tient à la chair. Le psaume désigne donc les biens spirituels, et le tambour les biens du temps. Donc, ô peuple de Dieu, ô Eglise de Dieu, « Recevez le psaltérion, et donnez du tambour»; recevez les biens de l’esprit, donnez ceux du temps.

 

1. Gen. XXV, 23.— 2. Ps. LXXX, 1.— 3. Philipp. IV, 15.— 4. I Cor. IX, 11.

 

C’est là l’exhortation que nous vous faisions à la solennité de votre saint martyr, de recevoir les biens de l’âme, et de donner les biens temporels. Ces édifices, en effet, que l’on élève pour un temps, afin d’y recevoir les vivants ou les morts, sont nécessaires, mais dans cette vie qui s’écoule. Car après le jugement, pourrons-nous emporter ces constructions au ciel? Et sans elles, pourtant, nous ne pouvons faire ici-bas ce qu’il faut faire pour gagner le ciel. Si donc vous désirez recevoir les dons de l’esprit, soyez empressés à donner les biens temporels. « Recevez le psaltérion, et donnez du tambour »; recevez nos instructions, et donnez vos oeuvres.

5. « Le psaltérion est harmonieux avec la harpe ». Il me souvient d’avoir exposé à votre charité la différence entre le psaltérion et la harpe: ceux qui ont pris soin de la retenir, Pourront la reconnaître; ceux qui ne l’ont point entendue, ou retenue, pourront l’apprendre. Ces deux instruments de musique, le psaltérion et la harpe, ont cette différence, que le psaltérion a dans sa partie supérieure cette concavité qui rend les cordes sonores: on touche en bas les cordes qui résonnent en haut. Dans la harpe, au contraire, ce bois concave est en bas. L’un donc paraît descendre du ciel, et l’autre s’élever de la terre. Or, du ciel vient la prédication de la parole de Dieu. Mais si nous convoitons les biens du ciel, ne demeurons pas en arrière des oeuvres terrestres; car « le psaltérion est,harmonieux, mais d’accord avec la harpe ». C’est la répétition de ce qui est dit plus haut : « Recevez le psaume, et frappez du tambour ». Ici le psaltérion est mis pour le psaume, et la harpe au lieu du tambour. Toutefois, c’est là pour nous un avertissement de répondre par des oeuvres temporelles à la prédication de la parole de Dieu.

6. « Sonnez de la trompette 1». C’est-à-dire, prêchez plus clairement et avec plus de confiance, et ne craignez point, comme le dit quelque part un prophète : « Crie, et fais retentir ta voix, comme l’éclat de la trompette. Sonnez de la trompette au commencement du mois de la trompette 2». Il était ordonné de sonner de la trompette au commencement de chaque mois. Les Juifs le font encore aujourd’hui, sans en comprendre le sens mystique. Tout commencement de mois est une nouvelle lune, mais toute nouvelle

 

1. Ps. LXXX, 4.— 2. Isa. LVIII, 1.

 

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lune est une vie nouvelle. Qu’est-ce qu’une nouvelle lune? « Donc si quelqu’un est à Jésus-Christ, c’est une nouvelle créature 1». Qu’est-ce à dire: « Sonnez de la trompette au commencement du mois de la trompette 2?» Prêchez en toute confiance une vie nouvelle, ne craignez point le bruit de l’ancienne vie.

7. « Parce que c’est la loi en Israël, c’est un décret établi par Dieu pour Jacob 3 ». La loi suppose un jugement. Car ceux qui ont péché contre la loi, seront jugés par la loi 4. Celui-là même qui a établi la loi, le Christ Notre-Seigneur, Verbe fait chair, « est venu », dit-il, « en ce monde pour exercer un jugement, afin que ceux qui ne voient point voient, et que ceux qui voient deviennent aveugles 5». Qu’est-ce à dire, « afin que ceux qui ne voient point voient, et que ceux qui voient deviennent aveugles » ; sinon afin que les humbles soient élevés, et les orgueilleux abaissés? Car ceux qui voient réellement ne seront point aveuglés, mais ceux qui croient voir seront convaincus d’aveuglement. Tel est l’effet mystérieux du pressoir, que « ceux qui ne voyaient point voient, et e que ceux qui voyaient deviennent aveugles.»

8. « C’est un monument établi par le Seigneur dans la maison de Joseph 6 ». Courage, mes frères! Qu’est-ce que cria signifie? Joseph, en hébreu, signifie accroissement. Il vous en souvient, mes frères, vous savez que Joseph fut vendu en Egypte : c’est le Christ qui passe chez les nations. Ce fut là que Joseph après tant d’humiliations fut élevé en gloire 7 ; comme le Christ après les douleurs des martyrs fut en honneur dans le monde. Donc Joseph désigne ici les nations; et il est appelé accroissement, parce que l’épouse stérile a plus d’enfants que celle qui a un époux 8. « C’est un monument établi par le Seigneur dans la maison de Joseph, lorsqu’il sortit de la terre d’Egypte ». Voyez ici, mes frères, le cinquième jour du sabbat. Quand Joseph sortit de la terre d’Egypte, c’est-à-dire quand ce peuple que Joseph avait multi plié, traversa la mer Rouge 9. Car alors les eaux produisirent des âmes vivantes 10. Car alors le passage du peuple à travers la mer Rouge ne figurait que le passage des fidèles à travers les eaux du baptême ; nous

 

1. II Cor. V, 17.— 2. Saint Augustin n’explique pas cette page du verset : « Au jour de vos grandes solennités » . —  3. Ps. LXXX, 5.— 4. Rom, III, 12.— 5. Jean, IX, 39. — 6. Ps. LXXX, 6. — 7. Gen. XXXVII, 28; XLI, 37.— 8. Isa. LIV, I — 9. Exod. XIV, 22-31. — 10. Gen. I, 20.

 

en avons ce témoignage de l’Apôtre: « Je ne veux pas, mes frères, vous laisser ignorer ce que nos pères furent tous sous la nuée, que tous passèrent la mer, que tous furent baptisés, sous la conduite de Moïse, dans la nuée et dans la mer 1». Donc le passage de la mer Rouge n’avait d’autre signification que le sacrement du baptême; et les Egyptiens qui poursuivaient les Israélites figuraient la foule de nos péchés passés. Vous voyez là des symboles transparents. Les Egyptiens passent, ils poursuivent: nos péchés nous suivent, mais jusqu’à l’eau seulement. Pourquoi donc, ô toi, qui es en retard, pourquoi redouter de venir au baptême du Christ, de traverser la mer Rouge ? Pourquoi rouge? Consacrée par le sang du Seigneur. Pourquoi n’oser venir? Ta conscience serait-elle déchirée par le souvenir de quelque faute grave, en proie aux remords, et te dirait-elle que ta faute est trop grave pour en espérer le pardon? Crains sans doute qu’il ne demeure en toi quelque faute, qu’un seul Egyptien ne survive. Quand tu auras traversé la mer Rouge 2, et que tu seras délivré de tes péchés par une main forte et puissante, tu auras part aux mystères que tu ne connais. sais point, ainsi qu’il en fut de Joseph, qui « au sortir de l’Egypte cri tendit une langue à lui inconnue ». Tu entendras donc un langage que tu ne connaissais point, que savent et entendent ceux qui aujourd’hui témoignent qu’ils comprennent et qu’ils connaissent. Tu apprendras où tu dois élever ton coeur: et tout à l’heure quand j’en parlais, plusieurs d’entre vous ont témoigné par leurs acclamations qu’ils comprenaient; les autres sont demeurés muets, parce qu’ils entendaient une langue pour eux inconnue. Courage donc! qu’ils se hâtent, qu’ils passent la mer, qu’ils apprennent. « Il entendit une langue inconnue pour lui ».

9. « Il a délivré ses épaules des fardeaux 3». Qui « a délivré les épaules du fardeau », sinon celui qui a dit: « Venez à moi, vous tous qui êtes accablés par le travail et les fardeaux 4? »C’est le même sous une autre figure. Ce que faisait d’une part la persécution des Egyptiens, le fardeau des péchés le fait d’autre part. « Il a délivré ses épaules du fardeau ». Et comme si l’on disait: De quel fardeau? « Ses mains », répond le Prophète, « servaient

 

1. I Cor. X, 1, 2.— 2. Ps. CXXXV, 12.— 3. Id. CXXX, 7.— 4. Matth. XI, 28.

 

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à la corbeille ». Par corbeille il entend ici l’oeuvre des esclaves; ainsi nettoyer, porter le fumier ou la terre, sont des oeuvres que font des esclaves au moyen d’une corbeille: or, tout homme qui commet le péché, devient esclave du péché; et si le Fils de Dieu vient vous délivrer, vous serez vraiment libres 1. Les emplois abjects du monde sont bien désignés par des corbeilles; mais ces corbeilles, Dieu les remplit de morceaux de pain 2 : il remplit de morceaux de pain douze corbeilles, parce qu’il a choisi ce qu’il y a de plus vil selon le monde, pour confondre ce qu’il y a de plus élevé  3. Mais quand Joseph servait à la corbeille, il y portait la terre, parce qu’il faisait des briques. « Ses mains ont servi à la corbeille ».

10. « Dans la tribulation, tu m’as invoqué, et je t’ai délivré 4 ». Toute conscience chrétienne doit se reconnaître ici ; et si elle a saintement traversé la mer Rouge 5, si dans sa fidélité à croire et à pratiquer, elle a compris une langue jusqu’alors inconnue, qu’elle sache que Dieu l’a exaucée dans la tribulation. Car c’est une grande tribulation que d’être accablée sous le fardeau du péché. Quelle joie pour une conscience qui en est délivrée! Te voilà baptisé, ta conscience, accablée hier, est soulagée aujourd’hui. Dieu t’a exaucé au jour de la tribulation, mais n’oublie pas la tribulation qui t’accablait. Avant d’approcher des eaux sacrées, quelles n’étaient point tes inquiétudes? Quels n’étaient point tes jeûnes ? Et dans ton coeur, quelle amertume ! combien de prières saintes et ferventes? Tes ennemis sont tués, tes péchés détruits. « Tu m’as invoqué dans la tribulation, et je t’ai délivré ».

11. « Je t’ai exaucé dans le secret de la tempête», non de l’ouragan des mers, mais de la tempête du coeur. « Je t’ai exaucé dans le secret de la tempête ; je t’ai mis à l’épreuve aux eaux de la contradiction 6». C’est là une vérité, mes frères: celui qui a été exaucé dans le secret de la tempête, doit être éprouvé aux eaux de la contradiction. Lorsqu’il a embrassé la foi, qu’il a été baptisé, qu’il est entré dans les voies de Dieu, qu’il a fait couler comme une huile pure dans le vase préparé, et qu’il s’est séparé de cette lie qui coule vulgairement dans les rues, il trouve beaucoup de persécuteurs, beaucoup

 

1. Jean, VIII, 34, 36.— 2. Matth. XIV, 20.— 3. I Cor. I, 27.— 4. Ps. LXII, 8. —  5. Ibid. — 5. Exod. XIV, 22.

 

d’insolents qui le méprisent, le dissuadent, le menacent dès qu’ils le peuvent, qui t’effraient, et vont jusqu’à l’abattre. C’est là l’eau de la contradiction. Je ne doute pas qu’il n’y ait ici de ces menées, je nie persuade qu’il est ici des fidèles, que leurs amis voulaient entraîner au cirque, à je ne sais quelle niaiserie dans cette solennité que nous célébrons ceux-ci peut-être les ont au contraire amenés à l’Eglise. Mais soit qu’ils les aient amenés ici, soit qu’ils aient refusé de les suivre au cirque, ils ont été mis à l’épreuve aux eaux de la contradiction. Ne rougis point d’annoncer ce que tu sais, et de défendre la foi contre les blasphémateurs. Si en effet Dieu t’exauce dans le secret de là tempête, c’est que le coeur croit pour arriver à la justice; situ es éprouvé aux eaux de la contradiction, c’est qu’il faut confesser de bouche pour arriver au salut 1. A quoi est maintenant réduite cette eau de la contradiction ? Elle est presque desséchée. Nos pères en ont ressenti la violence quand les nations se soulevaient contre la parole de Dieu, contre les mystères du Christ. L’eau se troublait alors, car l’Apocalypse nous montre que par les eaux il faut souvent entendre les peuples, quand à la vue des grandes eaux, et à cette question : Qu’est-ce que cela? on répond : « Ce sont les peuples 2 ». Nos pères ont donc passé par les eaux de la contradiction quand les nations frémirent, quand les peuples formèrent de vains complots, quand les rois de la terre se levèrent, et que les princes se liguèrent contre le Seigneur et contre son Christ 3. Ce frémissement des peuples, c’était le lion rugissant, barrant le passage à Samson qui allait chercher une épouse chez les étrangers, c’est-à-dire au Christ qui descendait chez les Gentils pour s’unir à l’Eglise, Mais que fit le Seigneur? Il saisit ce lion redoutable, puis le broya, le mit en pièces : ce ne fut dans ses mains qu’un jeune chevreau. Qu’était-ce que toute la rage de ce peuple, sinon la langueur du péché? Détruisez cette cruauté, et les rois ne frémissent plus contre le Christ, les gentils ne l’attaquent plus avec cette colère : nous trouvons au contraire chez les nations des lois favorables à l’Eglise, c’est le rayon de miel dans la gueule du lion 4. Pourquoi craindrais-je cette eau de la contradiction qui est presque desséchée? Elle se tairait presque, si le marc

 

1. Rom. X, 10.— 2. Apoc. XVII, 15.— 3. Ps. II, 1, 2.— 4. Jug. XIV, 5-8.

 

ne soulevait la contradiction. Quelle que soit la fureur des étrangers, si du moins les méchants d’entre nous ne les secondaient point! « Je t’ai entendu dans le secret de la tempête, je t’ai mis à l’épreuve aux eaux de la contradiction » .Vous vous souvenez de ce qui est dit du Christ, qu’il est né pour la ruine de plusieurs, comme pour la résurrection de plusieurs, et pour être un signe de contradiction 1. Nous le savons, et nous le voyons. La croix se dresse comme un signe, et on la contredit. On contredit à la gloire de la croix; mais la croix était surmontée d’un titre que l’on ne pouvait altérer. Car il est dit dans un psaume : « Pour l’inscription du titre, ne l’altérez point 2 ». C’était là un signe de contradiction, et les Juifs dirent à Pilate : « N’écrivez point roi des Juifs, mais écrivez qu’il s’est dit roi des Juifs 3 ». Alors la contradiction fut vaincue, et Pilate répondit : « Ce que j’ai écrit, je l’ai écrit ». « Je t’ai exaucé dans le secret de la tempête, je t’ai mis à l’épreuve aux eaux de la contradiction ».

12. Toutes les paroles du psaume, depuis le commencement jusqu’à ce verset, nous les avons entendues de l’huile du pressoir. Le reste est plus à déplorer et plus à craindre, car jusqu’à la fin il est question du marc du pressoir; et ce n’est peut-être point sans raison que l’on a placé ici une pause. Mais il est utile d’entendre ces paroles, afin que celui qui se trouve avec l’huile s’en réjouisse, et que celui qui est en danger de s’écouler comme le marc du pressoir, soi t sur ses gardes. Ecoutez ces deux hommes: aimez l’un, craignez d’être comme l’autre. « Ecoute, ô mon peuple, je te parlerai, et te convaincrai  4 ». Ce n’est point à un peuple étranger, ce n’est point à un peuple qui n’appartienne pas aux pressoirs, que le Seigneur a dit : « Jugez entre ma vigne et moi 5. Ecoute, ô mon peuple, je te parlerai et te convaincrai ».

13. « Israël, si tu écoutais ma voix, il n’y aurait point chez toi un Dieu nouveau 6». Un Dieu récent est un Dieu de fraîche date or, notre Dieu n’est pas récent, il est de toute éternité, et sera dans l’éternité. Et si notre Christ est un homme récent, il est un Dieu éternel. Qu’y avait-il avant le commencement? Or, au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était

 

1. Luc, II, 34.— 2. Ps. LIX, 1.— 3. Jean, XII, 18-22.— 4. Ps. LXXX, 9.— 5. Isa. V, 5.— 6. Ps. LXXX, 10.

 

Dieu. Et le Verbe notre Dieu s’est fait chair, afin d’habiter parmi nous 1. A Dieu ne plaise qu’il y ait en quelqu’un de nous un Dieu récent. Un Dieu récent est une pierre ou un fantôme. Ce n’est point une pierre, diras-tu, c’est un Dieu d’or ou d’argent. C’est bien avec raison que le Prophète a dit de ces divinités précieuses : « Les idoles des nations sont l’argent et l’or», Elles sont précieuses, puisqu’elles sont d’or et d’argent; elles sont précieuses et brillantes, et pourtant elles ont des yeux pour ne point voir 2. Voilà des dieux récents. Quoi de plus récent qu’un dieu sorti d’une boutique? Bien que depuis plusieurs années ils soient couverts de toiles d’araignées: tout ce qui n’est pas éternel est récent. Ceci soit dit aux païens. Un autre prenant en vain le nom du Seigneur son Dieu, s’est fait du Christ une créature, un Christ inférieur et inégal au Père qui l’a engendré, un Christ qu’il appelle d’une part Fils de Dieu, quand d’autre part il nie qu’il soit Fils de Dieu. S’il est en effet le Fils unique du Père, il est tout ce qu’est le Père, et de toute éternité. Mais toi qui as imaginé dans ton coeur une autre doctrine, tu as fait un Dieu récent. Un autre encore s’est fait un Dieu qui combat contre les puissances des ténèbres, qui craint l’envahissement, qui se défend contre la corruption ; qui est corrompu en partie, et veut arriver à l’intégrité, sans pouvoir l’acquérir, puisqu’il tient à ta corruption. Voilà ce que disent les Manichéens, qui se font aussi dans leurs coeurs un Dieu récent. Tel n’est point notre Dieu, tel n’est point ton partage, ô Jacob. Ton Dieu est le Dieu qui a fait le ciel et la terre, qui n’a pas besoin de tes biens, qui ne redoute pas les maux.

14. Beaucoup d’hérétiques, à l’instar des païens, se sont fait eux-mêmes des dieux de toutes sortes, se sont formé des idoles étrangères ; et s’ils ne les ont point placées dans leurs temples, ils ont fait pire en les élevant dans leurs coeurs, et en se faisant eux-mêmes les temples de divinités ridicules et mensongères, C’est une oeuvre importante que briser ces idoles, et préparer en nous-mêmes un sanctuaire au Dieu vivant, et non de fraîche date. Tous ces hérétiques, différents d’opinions, se font aussi des divinités différentes ; ils déchirent par l’erreur le symbole de la foi, et semblent se combattre, tandis

 

1. Jean, I, 1, 51. — 2. Ps. CXIII, 4, 5.

 

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qu’ils ne s’écartent point des pensées terrestres, et que dans ces pensées terrestres ils sont tous d’accord. L’opinion varie, la vanité est la même. C’est d’eux qu’il est dit dans un autre psaume: « Ils se sont liés par la vanité 1 ». Divisés par la diversité de leurs erreurs, ils s’accordent néanmoins dans une même vanité. Or, vous le savez, la vanité doit être en arrière, dans l’oubli. Aussi l’Apôtre, oubliant ce qui est en arrière, c’est-à-dire la vanité, pour s’avancer vers ce qui est devant lui, ou la vérité, s’efforce de remporter la palme à laquelle Dieu l’a appelé d’en haut par Notre-Seigneur Jésus-Christ 2. Quoique ces hommes soient donc divisés en apparence, ils sont trop d’accord pour leur malheur. C’est dans ce sens que Samson attacha les renards par la queue 3. Le renard avec ses artifices est le symbole des hérétiques, pleins de ruse et de fourberie, se cachant, pour mieux tromper, dans des tanières aux mille détours, et qui suffoquent par heur puanteur. C’est contre cette puanteur que saint Paul a dit : « Nous sommes en tout lieu la bonne odeur de Jésus-Christ 4 ». C’est encore de ces renards qu’il est dit dans les cantiques: « Prenez-nous ces petits renards qui ravagent les vignes, et qui se dérobent dans des cavernes tortueuses ». «Prenez-les pour nous », donnez-leur notre conviction ; car c’est prendre un homme que le convaincre d’erreur. Des renardeaux contredisaient un jour le Sauveur, et lui disaient : « Par quel pouvoir faites-vous ces miracles ; et vous », leur dit-il, « répondez-moi un seul mot: d’où vient le baptême de Jean? Du ciel ou des hommes?» Dans les tanières des renards il y a ordinairement une entrée et une sortie : or, voilà que le chasseur a placé ses piéges sur chacune de ces issues. « Dites-moi : vient-il du ciel ou des  hommes ? » Ils comprennent que le piège est tendu de part et d’autre ; et ils se disent en eux-mêmes: « Si nous répondons qu’il vient du ciel, il nous dira : Pourquoi donc  n’avez-vous point cru en lui ? » Car Jean a rendu témoignage au Christ. « Si nous disons qu’il vient de la terre, le peuple nous lapidera, car on le regarde comme un Prophète ». Flairant donc le piège qui les menaçait de part et d’autre, ils répondirent : « Nous n’en savons rien ». Et le Seigneur :

 

1. Ps. LXI, 10.— 2. Philipp. III, 13, 14.— 3. Juges, XV, 4.— 4. II Cor. II, I5. — 5. Cant. II, 15.

 

« Ni moi non plus, je ne vous dis point par quel pouvoir j’opère ces merveilles 1 » . Vous alléguez l’ignorance quand vous savez, et moi je ne vous enseigne point cc que vous cherchez. Vous n’avez osé sortir dans aucune direction, et vous êtes demeurés dans vos ténèbres. Obéissons donc, nous aussi, à cette injonction du Verbe de Dieu : « Prenez ces renardeaux qui ravagent nos vignes ». Voyons si nous pourrons en prendre quelques uns : plaçons nos piéges sur chaque entrée du terrier, afin que le renard soit pris, quelque route qu’il suive. Ainsi le Manichéen se fait un dieu nouveau; il adore dans son coeur ce qui ne fut jamais; posons-lui cette question: La substance divine est-elle corruptible ou incorruptible? Prenez lé parti que vous voudrez, l’issue qui vous plaira ; mais vous n’échapperez point : si vous dites qu’elle est corruptible, vous serez lapidés, non par le peuple, mais bien par vous-mêmes. Si vous dites que Dieu est incorruptible, comment l’incorruptible peut-il redouter le peuple des ténèbres? Que peut faire une race corruptible à celui qui ne l’est pas? Que pouvez-vous répondre, sinon : « Nous ne savons ? » Or, si vous répondez ainsi, non par fourberie, mais bien par ignorance, ne demeurez point dans les ténèbres ; que le renard se change en brebis, qu’il croie au Dieu invisible, incorruptible, au Dieu qui n’est point nouveau; au Dieu seul, et non au Dieu soleil, car n’allons pas ouvrir un autre terrier au renard qui s’enfuit. Et toutefois nous ne redoutons point le nom de soleil, car il est dit dans nos saintes Ecritures, qu’il est « un soleil de justice, et que la santé est sous ses ailes 2 ». On cherche dans l’ombre un abri contre l’ardeur de ce soleil, on se retire sous ses ailes pour se défendre de ses feux : la santé est sous ses ailes. Tel est le soleil qui fera dire aux méchants : « Nous nous sommes donc égarés du sentier de la vérité, et la lumière de la justice n’a pas lui à nos yeux, le soleil ne s’est point levé pour nous ». Ces adorateurs du soleil diront : « Le soleil ne s’est point levé pour nous » : puisqu’en adorant ce soleil que Dieu fait lever sur les bons et sur les méchants, ils n’ont point fait lever sur eux ce soleil qui éclaire les bons. Chacun d’eux se fait donc, à sa fantaisie, un Dieu récent. Qui

 

1. Matth. XXI, 23-27 ; Luc, X, 2, etc. — 3. Malach. IV, 2. — 4. Sag. V, 6. — 5. Matth. V, 45.

 

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empêchera un coeur erroné de se faire des fantômes à sa guise ? Ils sont donc tous des renards liés par la queue, c’est-à-dire qu’ils s’accordent dans une même vanité. De là vient que notre Samson, qui en hébreu signifie leur soleil, ou le soleil de ceux qu’il éclaire, et non de tous, commue celui qui se lève sur les bons et sur les méchants, mais le soleil de quelques-uns, le soleil de justice, car il figurait le Christ, attacha les renards par la queue, comme je commençais à vous le dire, et y mit une torche enflammée : ce feu devait porter l’incendie, mais dans les moissons des étrangers. Donc les hérétiques, d’accord dans des enseignements postérieurs et comme liés par la queue, traînent après eux une torche incendiaire, niais sans force pour nos moissons. « Le Seigneur, en effet, connaît ceux qui sont à lui, et tout homme qui invoque le nom du Seigneur, doit se retirer de l’iniquité. Or, dans un grand palais, il y a non-seulement des vases d’argent et d’or, mais aussi des vases de bois et d’argile ; les uns sont en honneur, les autres méprisés. Si donc un homme se préserve de toute impureté, il sera un vase d’honneur, utile au Seigneur, et préparé pour toutes sortes de bonnes œuvres 2 » ; et dès lors il ne craindra ni la queue des renards, ni leurs torches enflammées. Mais revenons à notre psaume. « Si tu m’écoutes », dit le Prophète, « il n’y aura en toi aucun Dieu nouveau ». Ce qui m’étonne, c’est que le Prophète ait dit : « En toi », in te, et non pas, a te, de ta façon, comme si l’idole était quelque chose d’extérieur à l’homme : mais « en toi »dans ton coeur, dans le travail de ton imagination, dans l’erreur qui t’égare, tu porteras avec toi ton Dieu nouveau, en demeurant dans le vieil homme. « Si donc tu veux m’écouter, moi », dit le Prophète, « parce que je suis celui qui suis , il n’y aura en toi aucun Dieu nouveau; et tu n’adoreras point un Dieu étranger ». Si ce Dieu étranger n’est point en toi, «tu ne l’adoreras point». Si quelque faux dieu n’aborde point ta pensée, tu n’adoreras point un Dieu forgé par les hommes: « Il n’y aura en toi aucun Dieu nouveau ».

15. «C’est moi qui suis en effet ». Pourquoi veux-tu adorer ce qui n’est pas? « Je suis le Seigneur ton Dieu 4 » : parce que je suis

 

1. Juges, XV, 4. — 2. II Tim. II, 19-21. — 3. Exod. III, 14. — 4. Ps. LXXX, 11.

 

celui qui suis. C’est moi, dit le Seigneur, qui suis d’abord au-dessus de toute créature; et de plus que n’ai-je point fait pour toi dans le temps? « C’est moi qui t’ai tiré de l’Egypte ». Cette parole ne s’adresse point à Israël seulement, car nous sommes tous tirés de la terre d’Egypte, tous nous avons traversé la mer Rouge, et les ennemis qui nous poursuivaient ont péri dans les eaux. Ne soyons point ingrats envers Dieu, n’allons point oublier le Dieu qui subsiste, pour nous faire des dieux nouveaux. « C’est moi qui t’ai tiré de la terre d’Egypte»,dit le Seigneur, «ouvre la bouche et je la remplirai ». Tu es à l’étroit en toi-même, à cause du dieu nouveau qui a envahi ton coeur : brise un vain simulacre et bannis de ta conscience un Dieu fictif : « Ouvre ta bouche » par la confession et par l’amour; « et je la remplirai », car c’est en moi qu’est la source de vie 1.

16. Voilà ce que dit en effet le Seigneur; mais qu’est-il dit ensuite? « Et mon peuple n’a pas entendu ma voix 2 ». Dieu ne parlerait point de la sorte à tout autre qu’à son peuple. Car tout ce que dit la loi, nous savons qu’elle le dit à ceux qui sont sous la loi 3. « Et mon peuple n’a pas entendu ma voix; Israël n’a pas fait attention à moi ». Qui a manqué d’attention? pour qui? « Israël, pour moi ». O âme ingrate, âme qui existe par moi, âme que j’ai appelée, âme que j’ai amenée à l’espérance, âme que j’ai purifiée de l’iniquité ! « Israël n’a pas fait attention à moi ». Ils sont baptisés, ils traversent la mer Rouge, mais ils murmurent pendant la route, ils contredisent, ils se plaignent, ils se laissent troubler par les séditions , ils n’ont qu’ingratitude pour celui qui les a délivrés des poursuites de leurs ennemis, qui les a conduits à pied sec, à travers les eaux, par le désert, leur donnant la lumière pendant la nuit, l’ombre de la nuée pendant le jour : « Et Israël n’a point fait attention à moi ».

17. « Et je les ai livrés aux désirs de leurs coeurs 4 ». Voici le pressoir. Les issues sont

ouvertes, le marc va couler. « Et je les ai livrés », non point à la pratique de mes préceptes; mais « c’est aux désirs de leurs coeurs » que je les ai livrés. C’est la plaie dont parle saint Paul : « Dieu les a livrés aux désirs de leurs coeurs 5. Je les ai livrés aux

 

1. Ps. XXXV, 10.— 2. Id. LXXX, 12.— 3. Rom. III, 19.— 4. Ps. LXXI, 13.— 5. Rom. I, 24.

 

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convoitises de leurs coeurs, ils suivront leurs « désirs corrompus e. De là vient tout ce qui vous fait horreur, si toutefois vous êtes l’huile pure qui coule dans les vases mystérieux du Seigneur; si toutefois vous aimez ces vases, de là vient tout ce qui vous fait horreur, Les uns se font les champions du cirque, d’autres de l’amphithéâtre, celui ci vante une loge sur la place publique, celui-là le théâtre, l’un est dans un sens, l’autre dans un autre sens, un troisième défend ses dieux nouveaux : « Ils suivent la corruption de leurs pensées ».

18. « Si mon peuple m’avait écouté, si Israël avait marché dans mes voies 1» Peut-être cet Israël se dit en lui-même : De toute évidence, me voilà prévaricateur, voilà que mon coeur m’entraîne dans ses convoitises ; mais que faire ? c’est là l’oeuvre du diable, c’est l’oeuvre des démons. Qu’est-ce que le diable, et que sont les démons? Tes ennemis assurément. « Si Israël eût marché dans mes voies, j’aurais anéanti tous ses ennemis 2 » . « Si mon peuple m’eût écouté », dit le Seigneur; comment peut-il être mon peuple s’il ne m’écoute point? « Si mon peuple m’eût écouté ». Qu’est-ce que « mon peuple? » « Israël ». Qu’est-ce à dire « s’il m’eût écouté? » « S’il eût marché dans mes voies». Il se plaint, il gémit sous l’oppression de ses ennemis; et « j’aurais réduit ses ennemis au néant, j’aurais étendu ma main sur ses persécuteurs ».

19. Et maintenant quelle plainte peuvent-ils faire de leurs ennemis? Leurs plus grands ennemis sont eux-mêmes. Comment cela? Que dit ensuite le Prophète? Vous vous plaignez de vos ennemis, et vous-mêmes, qu’êtes-vous? « Les ennemis du Seigneur ont menti à la foi qu’ils lui avaient donnée 3». Renonces-tu au démon? J’y renonce. Et ils reviennent à ce qu’ils ont abjuré. Et pourtant à quoi donc as-tu renoncé, sinon aux actes mauvais, aux actes diaboliques, aux actes que Dieu condamne, aux vols, aux rapines, aux parjures, aux homicides, aux adultères, aux sacrilèges, aux sacrifices abominables, aux vaines curiosités? C’est à tout cela que tu as renoncé, et tout cela néanmoins te courbe et te. domine. Ton nouvel état devient pire que ton premier. Le chien retourne à son vomissement, et le pourceau lavé à son bourbier 4. «Les ennemis du Seigneur lui ont manqué de parole ».

 

1. Ps. LXXX, 14.— 2. Id. 15. — 3. Id. 16. — 4. II Pierre, II, 20, 22.

 

Admirable patience du Seigneur I Pourquoi ne sont-ils point renversés? pourquoi le glaive. n’en fait-il point justice? pourquoi la terre ne s’ouvre-t-elle point pour les engloutir? pourquoi ne sont-ils pas consumés par le feu du ciel? c’est que la patience du Seigneur est grande. Seront-ils néanmoins impunis? Loin de là. Qu’ils ne se prévalent point sur la miséricorde du Seigneur, jusqu’à se promettre qu’il sera injuste en leur faveur. Ignores-tu que cette longanimité de Dieu est un moyen de t’amener à la pénitence? Et toutefois, par la dureté, par l’impénitence de ton coeur, tu amasses un trésor de colère, pour le jour de la colère et de la manifestation du juste jugement de Dieu, qui rendra à chacun selon ses oeuvres 1. Il ne rend pas toujours ici-bas justice, il la rendra alors. Le châtiment qu’il inflige ici-bas n’est que pour un temps : ce qu’il doit infliger alors, à l’incorrigible et à l’impénitent, sera éternel. Et pour comprendre qu’ils ne seront point impunis, écoute ce qui suit : « Les ennemis du Seigneur lui ont manqué de parole ». Mais, diras-tu, que leur a-t-il fait? N’ont-ils pas la vie? ne peuvent-ils respirer, ni jouir de la lumière? ne boivent. ils pas aux sources d’eau? ne mangent-ils point des fruits de la terre? « Leur châtiment sera dans l’éternité ».

20. Que personne donc ne se flatte d’appartenir au pressoir; son avantage est d’être l’huile du pressoir. Avec des actions criminelles qui ne peuvent entrer dans le royaume des cieux, n’allons pas nous le promettre, en disant : J’ai le signe du Christ, les sacrements du Christ, je ne serai point effacé pour l’éternité; et si je dois être purifié, je serai sauvé par le feu. Que dit en effet l’Apôtre à propos de ceux qui sont sur la base? «Nul ne peut poser d’autre fondement que celui qui a été posé, et ce fondement, c’est Jésus-Christ ». Mais, ajoutent-ils, que dit ensuite l’Apôtre ? « Que chacun prenne garde à ce qu’il bâtit sur ce fondement. L’un bâtit en or, en argent, en pierres précieuses; un autre en bois, en foin, en chaume : le feu doit éprouver l’ouvrage de chacun, car le jour du Seigneur le fera connaître, et il sera révélé par le feu. Celui qui aura bâti un ouvrage qui subsistera, en recevra la récompense » ; c’est-à-dire celui qui aura élevé sur ce fondement un édifice avec des oeuvres

 

1. Rom. II, 4-6.

 

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de justice comme « l’or, l’argent, les pierres précieuses ». Mais celui qui aura bâti avec le péché, comme, « le bois, le foin et la paille », à cause du fondement, il ne laissera pas « d’être sauvé, quoiqu’en passant par le feu 1 ». Je préfère l’excès de crainte, mes frères, et ne veux point vous donner une sécurité trompeuse. Je ne vous donnerai pas ce que je n’ai point, je vous effraie, parce que je suis effrayé ; je vous donnerais plus de sécurité, si j’en avais moi-même : je crains le le feu éternel, « Et leur châtiment sera dans ’éternité», dit le Prophète; ce que je ne comprends que du feu éternel, dont l’Ecriture nous dit ailleurs : « Leur feu ne s’éteindra pas, et le ver qui les ronge ne mourra point 2». Mais c’est des impies qu’il est parlé, et non de moi, me dira quelqu’un; quelque pécheur,quelque adultère, quelque trompeur, quelque voleur, quelque parjure que je sois, j’ai pour base le Christ, je suis chrétien , je sais baptisé ; je passerai par le feu des expiations, mais je ne périrai point, à cause du fondement. Encore une fois, qui es-tu? Chrétien. Continue encore, que disais-tu? Coupable de vol, d’adultère et de tous ces crimes dont l’Apôtre a dit, que « ceux qui les commettent ne posséderont point le royaume des cieux 3 ». Assurément, sans être corrigé de ces crimes, sans en avoir fait pénitence, peux-tu bien te promettre le royaume des cieux ? Je ne le pense point. « Car ceux qui commettent ces crimes n’entreront point dans le royaume des cieux».Ignores-tu donc que la patience de Dieu t’amène a la pénitence 4? En te flattant d’illusoires espérances, par ta dureté, par l’impénitence de ton coeur, tu te fais une provision de colère pour le jour de la colère et de la manifestation du juste jugement de Dieu, qui rendra à chacun selon ses oeuvres. Considère donc le juge qui doit venir. Il a bien fait, et je lui en sais gré, de ne point nous avoir dérobé la sentence définitive; il na point expulsé les coupables pour tirer le voile ensuite. Il a voulu nous dire, par avance, ce qu’il voulait faire. « Toutes les nations seront rassemblées devant lui ». Et qu’en fera-t-il? « Il les séparera; il placera les uns à droite, les autres à gauche 5». Y a-t-il donc une place réservée au milieu ? Que dira-t-il à ceux de droite? « Venez, bénis

 

1. I Cor. III, 10-15. — 2. Isa. LXVI, 24. — 3. Gal. V, 21. — 4. Rom. 1, 4. — 5. Matth. XXV, 32.

 

de mon Père, recevez le royaume 1 ». Et à ceux de gauche ? « Allez au feu éternel, qui a été préparé pour le diable et ses anges 2 ». Si le feu ne t’effraie point, que la compagnie t’effraie. Si donc ces œuvres ne doivent point posséder le royaume des cieux, ou plutôt, non point les oeuvres, mais ceux qui les commettent, car dans le feu il n’y aura pas d’oeuvres semblables 3 ; et ceux qui seront dévorés dans les flammes ne commettront plus ni vol, ni adultère, mais « ceux qui les commettent ne posséderont point le royaume de Dieu » ; ces coupables ne seront donc point à la droite, en compagnie de ceux auxquels on dira : « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume, puisque ceux qui commettent ces crimes ne posséderont point le royaume de Dieu ». Mais s’ils ne sont point à la droite, il ne leur reste de place qu’à la gauche. Et que dira le juge à ceux de gauche? « Allez au feu éternel; — car leur châtiment sera dans l’éternité ».

21. Expliquez nous, me diras-tu, comment ceux qui bâtissent sur ce fondement, avec le bois, le foin, la paille, ne doivent point périr, mais seront sauvés, et cependant comme par le feu. C’est là un passage difficile, et néanmoins j’en dirai brièvement ma pensée. Mes frères, il y a des hommes qui ont pour le monde un souverain mépris, qui n’ont aucun goût pour les choses qui passent avec le temps, qui ne s’attachent par aucune affection aux oeuvres terrestres, qui vivent dans la sainteté, la chasteté, la continence, la justice, qui ont peut être vendu tous leurs biens pour en donner le prix aux pauvres, ou bien qui possèdent comme s’ils ne possédaient pas, qui usent de ce monde comme s’ils n’en usaient pas 4. Mais il en est d’autres qui ont quelque attache d’affection pour les biens que Dieu accorde à notre faiblesse. Tel qui ne prend point le bien d’autrui, s’attache au sien, de manière à se troubler de la moindre perte. Il ne convoite point l’épouse d’un autre, mais dans son affection pour la sienne, dans ses rapports avec elle, il ne garde plus cette prescription divine qui est la génération des enfants. Il ne s’empare point du bien des autres, mais en exigeant ce qui est à lui, il en vient avec ses frères à un procès. C’est à ces gens que s’adresse le reproche de l’Apôtre « C’est déjà une faute bien grave que vous ayez des procès entre

 

1. Matth. 34. — 2. Id. 41. — 3. Gal. V, 21. — 4. I Cor. VII, 30, 31.

 

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vous 1 » Il ordonne toutefois que ces différends soient décidés dans l’Eglise, et non portés aux tribunaux; et il les condamne comme des fautes. Car alors un chrétien dispute pour des biens terrestres, beaucoup plus qu’il ne convient à un homme à qui le ciel est promis, Ce n’est pas tout son coeur qu’il élève à Dieu, mais il en traîne une partie sur la terre. Enfin, s’il se présente une occasion d’aller au martyre, ceux qui ont le Christ pour fondement et qui bâtissent avec l’or, l’argent, ou les pierres précieuses 2, que disent-ils alors? Il m’est bon de mourir et d’être avec le Christ 3. Ils courent avec allégresse, et ne ressentent rien ou que très-peu de la faiblesse de la chair. Ceux au contraire qui aiment leurs biens, leurs palais, sont dans un trouble étrange; le foin, la paille et le bois sont en feu. Ils ont donc sur le fondement, du loin, de la paille et du bois; mais dans ce qui est permis, non dans ce qui est criminel. Je dis donc, mes frères, as-tu le fondement? Attache-toi au ciel, et foule aux pieds la terre. En agissant ainsi tu ne bâtis qu’en or, en argent, en pierres précieuses. Mais si tu viens dire : J’aime cette terre, je crains de la perdre; si cette perte qui te menace te cause de la tristesse, à la vérité tu ne préfères pas cette terre au Christ: car tel est ton attachement pour elle, que si l’on te disait : Que préfères-tu, de la terre ou du Christ? malgré ton chagrin de la perdre, néanmoins tu préférerais le Christ que tu as choisi pour fondement : alors tu seras sauvé, mais par le feu. Ecoute encore : Tu ne peux conserver ton bien que par un faux témoignage. L’éviter, c’est avoir le Christ pour fondement, puisque la vérité l’a dit « La bouche qui ment, tue l’âme 4 ». Donc ton amour pour la terre ne saurait te porter au larcin, ni au faux témoignage, ni à l’homicide, ni au parjure, ni à renoncer au Christ; si donc tu abjures tout cela par amour du Christ, c’est lui que tu as pour base. Et toutefois ton attachement pour tes biens, ta douleur de les perdre, t’ont fait bâtir sur ce fondement, non plus avec de l’or, de l’argent, des pierres précieuses; mais avec du bois, du foin, de la paille. Tu seras donc sauvé, lorsque ton édifice commencera à brûler, et dès lors comme par le feu. Que nul ne se persuade qu’en élevant sur ce fondement des adultères, des blasphèmes, des sacrilèges, des idolâtries, des

 

1. I Cor. VI, 7. — 2. Id. III, 11.— 3. Philipp. I, 23. — 4. Sag. I, 11.

 

parjures, il pourra se sauver par le feu, comme si c’était là du bois, du foin et de la paille mais celui-là seulement qui bâtit avec l’amour des choses temporelles, sur le fondement du royaume des cieux, ou plutôt sur le Christ, cet amour des biens de la terre brûlera, et lui sera sauvé, à cause de la solidité du fondement.

22. « Les ennemis du Seigneur lui ont menti », en disant : Je vais à votre vigne, sans toutefois y aller 1 : « et leur châtiment sera » non plus dans le temps, mais « dans l’éternité ». Quels sont ces ennemis? « Ceux qu’il a nourris du froment le plus pur 2 ». Vous savez quelle est cette fleur du froment dont se nourrissent plusieurs de ses ennemis, qui trahissent leur foi envers lui. « Il les a nourris de la fleur du froment ». Il leur a donné ses sacrements. Judas même fut nourri de ce pur froment, quand il reçut le morceau de pain 3. Cet ennemi du Seigneur a trahi sa foi, et son châtiment sera dans l’éternité. « Il les a nourris de la fleur du froment, et les a tu rassasiés du miel de la pierre». Les ingrats! « Et Dieu les a nourris de la fleur du froment, et rassasiés du miel de la pierre ». Au désert, cependant, ce fut de l’eau, et non du miel, que Dieu fit jaillir du rocher 4. Le miel est la sagesse qui pour le coeur est la plus douce de toutes les nourritures. Combien donc parmi les ennemis du Seigneur trahissent sa foi, après avoir été nourris non-seulement de la fleur du froment, mais aussi du miel de la pierre, ou de la sagesse du Christ? Combien trouvent leurs délices à goûter sa parole, à connaître ses sacrements, à pénétrer ses paraboles ! Combien sont ravis de ce miel qui n’est pas d’un homme en effet, mais de la pierre. Or, la pierre était le Christ 5. Combien sont rassasiés de ce miel, et s’écrient : Quelle douceur! Y a-t-il rien de comparable? Peut-on rien dire ou rien comprendre de plus doux? Et pourtant, les ennemis du Seigneur lui ont menti. Je ne veux point m’arrêter davantage sur un sujet si affligeant ; et quoique le psaume se termine d’u ne manière si effrayante, remontons de la fin au commencement, et retournons à Dieu : « Tressaillez dans ce Dieu qui est votre soutien ».

 

Exhortation à venir l’entendre le lendemain, et à mépriser les jeux séculaires.

 

23. Les spectacles des choses divines que

 

1. Matth, XXI, 30.— 2. Ps. LXXX, 17.— 3. Jean, XIII, 26.— 4. Exod, XVII, 6. — 5. I Cor. X, 4.

 

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vous admirez au nom du Christ, vous ont tenus sous la puissance de leur charme, et vous ont disposés non-seulement à désirer, mais à fuir. Ce sont là des spectacles utiles, salutaires, qui édifient sans détruire; ou mieux, qui détruisent et qui édifient; qui détruisent les dieux nouveaux, pour édifier notre toi, dans le Dieu qui est véritable, éternel. Nous supplions donc votre charité de venir demain encore. D’autres, nous dit-on, auront la mer dans le théâtre, et nous, en Jésus-Christ, le port du salut. Et comme après-demain, ou quatrième jour de la semaine.  Il nous sera impossible de nous assembler dans l’église de Saint-Cyprien, à cause de la fête des saints martyrs, nous y reviendrons demain.
 
 
 

source: http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin/index.htm

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