DISCOURS SUR LE PSAUME XCVI.
SERMON AU PEUPLE.
LES SAINTES JOIES DE L’ÉGLISE.
Ce que les saints personnages ont désiré voir, c’est le salut de Dieu chez les nations.: ce salut est Jésus-Christ, auquel nous devons rapporter tout notre psaume, si nous voulons le comprendre. Il a pour titre : « Pour David », ou pour le Christ fils de David. « Quand sa terre fut rétablie », c’est-à-dire quand les Juifs égarés jusqu’à mettre à mort le Christ, se convertirent en grand nombre à la Pentecôte. De là les Apôtres passèrent chez les Gentils, et le Christ fut la pierre angulaire unissant la circoncision à la gentilité. Ainsi sa terre fut établie; ce que l’on peut encore entendre de la résurrection. Le Seigneur a donc régné par sa parole prêchée sur les continents et dans les îles; ces îles que battent les flots sais les submerger peuvent aussi désigner les Eglises persécutées et non détruites. Ces ténèbres d’une part, la justice et l’équité d’autre part, caractérisent ceux qui entendent la prédication, nuageuse pour les orgueilleux, pleine de lumière pour les humbles qui forment son trône. Le feu qui marche devant le Seigneur, n’est point le feu de l’enfer, mais c’est le feu de la persécution qui a consumé les persécuteurs mêmes, ou le feu de la charité qui a embrasé le monde, et dévoré les ennemis de Dieu, en jetant les incrédules dans la réprobation, et -en ramenant à lui les hommes de bonne foi. Les Apôtres fuient comme des nuées d’où jaillirent ces éclairs de miracles et de prédications qui émurent la terre, qui fondirent les montagnes ou les orgueilleux. Honte à ceux qui adorent des pierres; pour nous, notre pierre est vivante ! Ils adorent l’idole ou le démon, qui se repaît de nos malheurs : un bon esprit refuserait tout culte. Sion a entendu le baptême de Corneille, et l’appel fait aux Gentils, elle a tressailli de joie. Ainsi le Seigneur s’est montré supérieur aux démons et aux anges Nous qui aimons le Seigneur, haïssons le mal, au risque d’être persécutés; car la persécution ne peut nous ôter ni le ciel, ni la vie de l’âme, ni la lumière d’est haut. N’ayons de joie que dans le Seigneur ; puisqu’il n’y a pas de joie pour l’impie, la nôtre est pour l’autre vie, selon la promesse de l’Evangile.
1. Dieu donne au coeur chrétien de grands spectacles, et que rien ne surpasse en douceur, si toutefois nous avons le palais de la foi qui goûte le miel de Dieu. Vous tous, qui avez la foi en Jésus-Christ, vous avez en vous, je le crois, l’Esprit-Saint, qui vous donne une sainte joie quand vous entendez lire les prophéties, émanées depuis tant de (425) siècles de la bouche de saints personnages, et qui s’accomplissent après tant d’années dans la conversion des Gentils. Ces saints prophètes ressentaient une grande joie de ce qu’ils voyaient, non pas accompli, mais dans l’avenir. Oui, c’était là une grande joie pour eux; et même telle était la charité dont ils étaient embrasés pour nous, pour nous qu’ils ne voyaient point encore, et qu’ils enfantaient par l’esprit, qu’ils eussent voulu vivre de notre temps et avec nous, s’il leur eût été possible, et voir s’accomplir ce qu’ils prédisaient en esprit. De là cette parole du Sauveur aux disciples qui commençaient à voir cet accomplissement: « Beaucoup de justes et de Prophètes ont voulu voir ce que vous voyez, et ne l’ont point vu; et entendre ce que vous entendez, et ne l’ont pas entendu 1 ». Bien qu’ils vissent tout cela en esprit, ils ne le voyaient néanmoins que dans un lointain avenir; tandis que les Apôtres l’avaient sous les yeux. C’est pourquoi le saint vieillard Siméon fut transporté d’une grande joie, quand il vit l’enfant Jésus, en découvrant sa grandeur dans un tel abaissement, et dans une faible chair, le Créateur du ciel et de la terre. Grande fut sa joie, parce qu’il avait reçu la promesse qu’il ne sortirait point de cette vie, sans voir le salut de Dieu. Il le reconnut donc, en conçut une grande joie, et s’écria dans un saint ravissement: «Seigneur, vous laisserez maintenant mourir en paix votre serviteur; car mes yeux ont vu votre salut 2 ». Voilà une grande joie, et que produit la charité. Le chant du psaume vous a donné une sainte soie; quelques passages étaient clairs pour tous; d’autres, autant que j’en puis juger, ne l’étaient que pour un petit nombre, mais non pour tous assurément. Considérons-le donc tous ensemble, dans ce discours dont je vous suis redevable; et voyons avec quelle bonté Dieu nous ménage le bonheur de voir ses promesses et de nous en montrer la vérité par leur accomplissement.
2. Voici le titre du psaume: « Pour David, lorsque sa terre a été rétablie 3 ». Il faut rapporter le tout au Christ, si nous voulons saisir le véritable sens; ne nous écartons point de la pierre angulaire 4, de peur que notre intelligence ne tombe en ruine; qu’en lui se consolide tout ce qui est mobile et
1. Matth. XIII, 17.— 2. Luc, II, 25-20.— 3. Ps. XCVI, 1.— 4. Ephés. II, 20.
chancelant, qu’en lui s’affermisse tout ce qui est incertain. Quelque doute que fassent naître dans notre esprit les saintes Ecritures, que l’homme ne s’éloigne pas du Christ, et s’il le découvre dans ses lectures, qu’il soit certain de les avoir comprises, et qu’il ne se persuade point qu’il les comprend, tant qu’il n’y rencontre pas le Christ, « qui est la fin de la loi pour justifier ceux qui croiront en lui 1». Qu’est-ce à dire, et comment appliquer au Christ cette parole : « Quand sa terre fut rétablie? » On comprend aisément que David ici désigne le Christ, puisque le Christ est né de Marie dans la famille de David, et coin me il devait naître dans la postérité de David, ce nom servait à le désigner en figure. Ainsi donc David c’est le Christ, et David signifie la main puissante; or, quelle main est plus puissante que celle qui, de la croix, vainquit le monde? Car après la résurrection et l’Ascension du Sauveur, quand les Apôtres reçurent le Saint-Esprit et parlèrent diverses langues 2, ceux qui avaient crucifié le Sauveur s’émurent, et demandèrent un conseil de salut, qu’ils reçurent, et embrassèrent la foi. Et Dieu leur pardonna le sang de son Christ qu’ils avaient répandu, et ils burent ce sang du Christ; de persécuteurs, ils devinrent ses fidèles; ils crurent en celui qu’ils avaient crucifié, et voulurent avoir pour chef, pour tête, celui devant qui ils avaient branlé la tête 3 avec tant d’insolence. C’est ainsi que « sa terre fut rétablie», selon le titre du psaume. Cette terre était la Judée; or, la Judée avait péri entièrement quand les Juifs crucifièrent leur Seigneur; frénétiques ignorants, ils sévirent contre le médecin, repoussant follement leur salut. La Judée avait donc péri totalement comment totalement? Les Apôtres eux-mêmes furent ébranlés; Pierre qui suivait son maître avec un amour audacieux, le renia trois fois avec une crainte excessive 4. Après sa résurrection, Notre-Seigneur Jésus-Christ trouve quelques-uns d’entre eux qui parlent de lui en voyageant, et quand il leur demande le sujet de leur entretien, ils vont jusqu’à lui dire : « Etes-vous donc le seul étranger à Jérusalem pour ignorer ce qui vient de s’y passer en ces jours? Et il leur dit : Quoi donc? Touchant Jésus de Nazareth, ce prophète puissant en oeuvres
1. Rom. X, 4. — 2. Act. II, 4, 37 . — 3. Matth. XXVII, 39. — 4. Id. XXVI, 70.
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et en paroles devant Dieu et devant tout le peuple; et comme les princes des prêtres et nos magistrats l’ont livré pour être condamné à la mort et l’ont crucifié. Or, nous espérions qu’il délivrerait Israël 1». Ils n’avaient déjà plus d’espérance en lui; ils ne disent point : Nous espérons qu’il rachètera Israël; mais: « Nous espérions qu’il rachèterait Israël ». Il était avec eux, mais eux n’espéraient pas en lui. Il se montre à eux, il se fait voir aux autres disciples; on le voit, on le touche, ceux qui le croyaient mort le rencontrent ; la foi de ceux qui étaient tombés se releva, « et sa terre fut rétablie ». Après avoir passé quarante jours avec eus, il s’élève au ciel 2; et, comme je l’ai dit tout à l’heure, il envoie le Saint-Esprit à ses disciples, qui naguère ignorants, parlent maintenant toutes les langues. Alors tous ceux pour qui le Christ n’avait pas dit inutilement: « Mon Père, pardonnez-leur, ils ne savent ce qu’ils font 3 », furent touchés, disions-nous encore, et demandèrent le salut, et on leur conseilla de croire en lui. Trois mille embrassèrent la foi en un seul jour, et cinq mille en un autre 4. Alors le Christ vit surgir une Eglise fervente, dans ces mêmes lieux où l’effervescence l’avait couvert d’opprobre, « et sa terre fut restituée». Mais comme il avait dit: « J’ai d’autres brebis, qui ne sont point de ce bercail, et il me faut les appeler, afin qu’il n’y ait qu’un seul bercail et un seul pasteur 5»; il envoya ses Apôtres chez les Gentils auxquels il n’avait pas envoyé les Prophètes. Ils allèrent chercher ceux qui ne cherchaient point, et trouvèrent ceux qui n’espéraient rien. Ils n’avaient aucune promesse, et ils trouvèrent un Dieu Sauveur. Quant aux Juifs, ils avaient les promesses de Dieu, par les Prophètes, qui leur avaient annoncé le Christ, prêché le Christ, et sous leurs yeux ne le reconnurent point. Aux Gentils, au contraire, nulle promesse n’avait été faite : mais les Prophètes avaient parlé de conversion. Nulle parole ne leur avait été adressée, mais ou avait parlé d’eux. Les Apôtres leur furent envoyés, et vous avez entendu ce que Dieu fit pour eux; la lecture des Actes des Apôtres vous a fait connaître comment le centenier Corneille embrassa la foi. Ce centenier n’était point juif de nation. Il priait, il jeûnait, il faisait des aumônes. Dieu ne
1. Luc, XXIV, 18-21. — 2. Act. I, 3,9. — 3. Luc, XXIII, 31. — 4. Act. II, 4,1; IV, 4. — 5. Jean, X, 16.
l’abandonna point, bien qu’il appartint aux peuples idolâtres; mais un ange lui fut envoyé pour lui annoncer que ses aumônes et ses oraisons étaient agréables à Dieu. Il crut, après avoir appelé Pierre chez lui 1. L’ange ne pouvait-il pas l’instruire? Pierre lui fut envoyé, afin qu’un homme fît naître en lui une foi plus parfaite, et lui montrât que Dieu a daigné visiter les hommes, et qu’il daigne bien nous instruire par les hommes, lui qui a bien voulu se faire homme. C’est ainsi que « sa terre a été rétablie », quand une muraille est venue des Juifs, et une autre muraille des Gentils : et qu’il a été lui-même la pierre angulaire reliant ces murailles qui venaient de directions différentes 2.
3. Comment pouvons-nous encore entendre: «Quand sa terre fut rétablie? » Quand il ressuscita dans la chair. Car cet autre sens, qui ne s’éloigne pas du Christ, peut encore se soutenir : sa terre rétablie, c’est sa chair ressuscitée. C’est après sa résurrection que s’accomplirent toutes les merveilles que chante notre psaume. Ecoutons donc ce chant joyeux sur le rétablissement de la terre. Que le Seigneur notre Dieu veuille bien exciter en nous une attente et une joie qui réponde à la grandeur de ces mystères ; qu’il me donne une parole qui aille à vos coeurs, et que la joie que la vue de ces spectacles fait naître en mon âme vienne sur ma langue pour passer de là dans vos coeurs, puis dans vos actes.
4. « Le Seigneur a régné ». Celui qui a comparu devant un juge, qui a reçu des soufflets, qui a été flagellé, qui a été conspué, lui a été couronné d’épines, dont le visage a été meurtri par les coups, qui a été suspendu au gibet, qui a été insulté sur la croix, qui est mort sur cette même croix, qui a été percé d’une lance, qui a été enseveli, et qui est ressuscité, « le Seigneur a régné». Qu’ils sévissent de toute leur puissance dans ces royaumes de la terre, que feront-ils au roi des rois, au Seigneur de tous les potentats, au créateur de tous les siècles ? Est-il donc méprisable, pour avoir paru sur la terre si soumis, si humilié ? C’est là un acte de miséricorde, et non d’impuissance. S’il apparaît humble, c’est afin d’être à. notre portée. Mais voyons ces paroles: « Le Seigneur a régné: que la terre en tressaille, que les îles en soient dans la joie ». Car la parole de Dieu n’a pas été seulement prêchée sur les continents,
1. Act. X. — 2. Ephés. II, 20.
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mais encore dans les îles qui sont au milieu des mers ; et voilà qu’elles sont pleines de chrétiens, pleines de serviteurs de Dieu. Car l’Océan n’est pas une barrière pour celui qui u fait la nier. Où les navires peuvent aborder, la parole de Dieu ne le pourrait? Oui, les îles sont pleines de cette parole. Toutefois ces îles peuvent être une expression figurée pour les Eglises. Pourquoi des îles ? Parce qu’elles sont entourées des flots des tentations. De même toutefois qu’une île environnée de flots écumeux, peut bien être battue, mais non brisée par ces flots, comme elle les brise au contraire, bien plus qu’elle n’en est brisée; ainsi les Eglises de Dieu, répandues en tout lieu dans le monde, sont en butte à la persécution de la part des infidèles qui frémissent de toutes parts, et résistent marne les îles, et la mer est apaisée. « Que les îles soient dans la joie ».
5. « Les nuées et les ténèbres l’environnent, la justice et l’équité sont la base de son trône 1 ». Pour qui « Dieu est-il entouré de muées et d’obscurité? » Pour qui « la justice et l’équité sont-elles la base de son trône?» Il n’y a de nuages et d’obscurité que pour les impies qui ne l’ont point compris. La justice et le jugement sont pour les fidèles qui ont cru en lui. L’orgueil a obscurci les yeux des uns, l’humilité a mérité aux autres d’être affermis. Ecoute d’une part les nuées et l’obscurité, d’autre part la justice elle jugement. Le Sauveur adit lui-même mie suis venu eu ce monde pour le jugement, main que ceux qui ne voient point voient, et que ceux qui voient deviennent aveugles 2». Qu’est-ce à dire, « que ceux qui voient deviennent aveugles?» Que ceux-là ne comprennent point et deviennent aveugles, qu’ils croient voir, qui pensent être sages, qui se persuadent qu’ils n’ont pas besoin du médecin. Et « que ceux qui ne voient pas voient », c’est-à-dire, afin qu’ils méritent d’être éclairés, ceux qui confessent leur aveuglement. Qu’il y ait donc « autour de lui un nuage et des ténèbres». pour ceux qui ne l’ont point connu; mais pour ceux qui confessent leurs fautes et qui s’en humilient, « la justice et l’équité sont la base de son trône »; car ce sont eux qui forment son trône, puisque la sagesse habite eu eux. Car le Fils de Dieu est la sagesse de Dieu 3. Un autre passage de l’Ecriture nous
1. Ps. XCVI, 2. — 2. Jean, IX, 39. — 3. I Cor. I, 24.
met en pleine lumière cette pensée : « L’âme du juste est le siège de la sagesse ». Donc, parce qu’ils sont devenus justes en croyant en lui, parce qu’ils sont justifiés par leur foi, ils deviennent son trône: c’est en eux qu’il siége, en eux qu’il juge, eux qu’il redresse. Pourquoi? Parce qu’il les trouve doux comme des animaux dociles, qui ne savent point regimber, ni se cabrer sous le fouet, ni secouer leur tête orgueilleuse pour rejeter le joug ce sont des animaux doux et souples qui méritent cet éloge du psaume : « Il conduira dans la justice ceux qui sont doux, et dirigera les humbles dans ses voies 1». Pour ceux donc qui ne sont point droits, il y a « nuages et ténèbres »; mais ceux qui sont humbles, sont dans « la justice et dans l’affermissement de son trône ».
6. « Le feu marchera en sa présence, et embrasera ses ennemis autour de lui 2 ». Quel est ce feu, mes frères, dont il est dit qu’ « il marchera devant lui, et dévorera ses ennemis autour de lui ? » Je ne pense pas qu’il s’agisse du feu dans lequel on jettera les irai pies au jour du jugement, lesquels seront placés à gauche ainsi qu’il vous souvient de l’avoir lu dans l’Evangile, et auxquels on dira: « Allez au feu éternel, préparé au diable et à ses anges 3 » ; tel n’est point ce feu, selon moi. Et d’où me vient cette opinion? Parce qu’il est question d’un feu qui marchera devant le Christ, avant qu’il vienne pour le jugement. Il est dit, en effet, que ce feu le précédera, et qu’il embrasera ses ennemis autour de lui, c’est-à-dire dans toute la terce. Le feu de l’enfer ne sera qu’après son avènement; celui dont il est question doit le précéder. Quel est doue ce feu? Nous pouvons l’entendre de la peine des méchants, et du salut de la rédemption. En quel sens de la peine des méchants? Parce qu’ils ont soulevé une persécution contre le Christ que l’on prêchait parmi les nations: or, cette colère a été un feu qui a dévoré les persécuteurs plutôt que ceux qui étaient persécutés. Quand nous voyous deux hommes, dont l’un se met en colère, dont l’autre souffre avec patience, jugez par vous-mêmes qui de ces deux est en feu. Vous pouvez chaque jour vous donner ce spectacle parmi les hommes. Représentez-vous un homme injuste, à l’âme emportée, au visage menaçant, aux regards enflammés, aux paroles
1. Ps. XXIV, 9. — 2. Id. XCVI, 3. — 3. Matth. XXV, 41.
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étincelantes, se ruer sur un autre pour le tuer, pour le dépouiller, pour l’outrager, pour l’injurier, un homme hors de lui-même, incapable de se contenir, l’autre qui souffre en paix ces outrages, ces violences, tout ce qu’on veut lui faire, qui tend l’autre joue quand on le frappe sur une joue : or, en voyant d’une part la fureur, d’autre part le calme; ici la colère, et là la patience; ici l’emportement, et là la paix, peut-on hésiter à se prononcer sur celui des deux qui est consumé et qui souffre la peine des flammes? Est-ce celui dont le corps est meurtri, ou celui dont l’âme est embrasée? Aussi le prophète Isaïe a-t-il dit : « Et maintenant le feu dévorera ses ennemis 1». Qu’est-ce à dire : « Et maintenant ? » Avant que vienne le grand jour du jugement , ils sont consumés par leur propre fureur, ceux qui doivent endurer ensuite la flamme éternelle. Pourriez-vous, en effet, mes frères, vous imaginer que l’injustice que commet un homme en voulant nuire à un autre, nuise à celui qu’elle attaque sans nuire à son propre auteur? Comment cela serait-il possible? Quelquefois on applique une torche ardente à un tison humide et vert; ce tison ne brûle point, mais la torche continue à se consumer : ainsi en est-il de votre ennemi. Qu’un homme d’iniquité vienne à te tendre des embûches, ou à te ménager quelque peine, c’est là une injustice: mais si tu es un bois vert, c’est-à-dire plein d’un suc spirituel et vivace, qui résiste à la flamme de la haine; situ pries pour celui qui te nuit, son injustice ne te nuira point, mais à lui-même; c’est lui qui brûle, et toi tu es intact. A moins peut-être que tu ne prennes pour une offense le mal corporel que l’on pourrait te faire, alors que ton âme pure et sans tache méritera de Dieu une couronne, en suivant l’exemple du divin maître qui a voulu souffrir de la part des Juifs, qui pouvait ne point mourir et qui est mort, qui a voulu naître, quoiqu’il eût pu nie point naître. Naître, c’est pour toi ta condition ; pour lui, c’est sa volonté; mourir est dans ta condition; pour lui, c’est un acte de miséricorde. De même alors que les Juifs ne lui ont point nui, ainsi nulle persécution ne pourra t’atteindre, situ veux être membre de ce chef auguste.
7. C’est ainsi que nous entendons le feu qui marche devant lui, c’est-à-dire un feu qui,
1. Isa. XXVI, 11.
dès ici-bas même, est un châtiment pour les infidèles et pour les hommes injustes. Cherchons un autre feu qui soit le salut de la rédemption, comme nous nous l’étions proposé. Car le même Seigneur a dit: « Je suis venu jeter le feu sur la terre 1 ». Il parle ici du feu comme du glaive, car au même endroit il dit qu’il n’est point venu apporter la paix, mais le glaive 2 ; le glaive pour diviser, le feu pour brûler : mais l’un et l’autre sont nécessaires, car le glaive de sa parole nous a heureusement séparés de nos habitudes mauvaises. Il a donc apporté le glaive pour séparer chaque fidèle, ou d’un père qui ne croit point au Christ, ou d’une mère également infidèle, ou du moins de ses aïeux, s’il est né de parents fidèles. Il n’est, en effet personne d’entre nous qui n’ait son aïeul, ou son bisaïeul, ou quelqu’un de ses ancêtres engagé dans le paganisme et plongé dans cette infidélité dont Dieu avait horreur: nous sommes donc séparés de ce que nous étions: l’épée est venue, non pas nous donner la mort, niais nous diviser. Ainsi en est-il de ce feu : « Je suis venu jeter le feu sur la terre». Les hommes qui ont cru en lui, se sont enflammés, puis ont reçu l’embrasement de la charité : c’est pour cela que le Saint-Esprit, envoyé aux Apôtres, apparaît sous la forme du feu : « Ils virent comme des langues de feu qui se partagèrent et se reposèrent sur chacun d’eux 3 ». Touchés de cette. flamme sacrée, ils se répandirent dans le monde pour y porter cette flamme et en incendier les ennemis qui l’environnent. Quels ennemis? Ceux qui ont abandonné le vrai Dieu qui les a créés, pour adorer les idoles qu’ils ont faites. S’ils étaient mauvais, cette flamme les consumait; s’ils étaient bons, elle les perfectionnait. Atteint par ce feu de la parole de Dieu, ou bien l’incrédule résistait à la foi, et alors devenant pire, il était consumé, dévoré par le feu de sa propre envie. S’il se convertissait, ce feu n’en avait pas moins agi en lui. Le foin brûlait afin que l’or en devînt plus pur. Cet or, c’est la foi; le foin, c’est la convoitise charnelle. « Toute chair est un foin », dit Isaïe, « et tout honneur de la chair tombera comme l’herbe 4 ». Tout ce qu’il y a dans l’homme charnel, convoitant ce qui est frivole et passager, n’est qu’une herbe. Combien, peut-être même d’entre nos frères, sont allés au théâtre?
1. Luc, XII, 49.— 2. Matth. X, 31. — 3. Act. II, 3.— 4. Isa. XL, 6.
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L’herbe les entraînait. Ne faut-il pas désirer que ce feu dévore le foin, afin que l’or soit purifié? Toute la foi qui Peut être en eux est étouffée par l’herbe. Il est donc bon pour eux d’être embrasés d’un feu divin, afin que l’herbe étant consumée, on voie éclater cet or précieux racheté par le Christ. Donc « le feu marchera devant lui, pour dévorer les ennemis qui l’environnent ». Il en est qu’il a consumés pour leur bonheur, et qui sont fidèles aujourd’hui; d’ennemis qu’ils étaient, les voilà fidèles; tu cherches des ennemis, il n’en est plus ; tout est brûlé, tout est consumé: la charité a consumé en eux ce qui persécutait le Christ, et purifié en eux ce qui croyait au Christ. « Il a dévoré les ennemis qui l’environnent ».
8. « Ses éclairs brillent dans l’univers entier 1 ». Quelle allégresse ! n’est-ce point ce que nous voyons? ce qui est évident? Ses éclairs ont brillé dans le monde entier : voilà ses ennemis embrasés, ses ennemis consumés. Tout ce qui contredisait a été consumé, et l’univers enliera vu ses éclairs». Pourquoi ces éclairs? Pour donner la foi. D’où venaient ces éclairs? Des nuées. Quelles sont ces nuées du Seigneur? Les prédicateurs de la vérité. Vois-tu dans le ciel cette nuée? Elle est ténébreuse, obscure; elle recèle je ne sais quoi qu’un éclair s’échappe de la nuée , tu en vois l’éclat; et ce que tu méprisais a fait jaillir ce qui t’effraie. Notre-Seigneur Jésus-Christ u envoyé ses apôtres, ses prédicateurs comme des nuées. On ne voyait en eux que des hommes, et on les méprisait, comme on méprise les nuées qu’on voit avant qu’elles n’aient produit ce qui doit nous surprendre. Ils n’étaient tout d’abord que des hommes revêtus d’une chair, fragile; ensuite des hommes sans lettres, ignorants, méprisables. Mais il y avait en eux cette foudre qui devait et tonner et briller. Pierre, cet humble pêcheur, venait, priait, et les morts ressuscitaient 2. La forme humaine montrait une nuée, mais le miracle était l’éclair. Ainsi dans leurs paroles, dans leurs actes, quand ils disent des merveilles, et accomplissent des merveilles, « ses éclairs brillent dans l’univers entier. La terre les a vus et s’en est émue ». Voyez si cela n’est point vrai, si la terre entière, devenue chrétienne, ne répond point amen, bouleversée par les éclairs qui sortent de ces
1. Ps. XCVI, 4.— 2. Act. IX, 40.
nuées. La terre les a vus et s’en est émue».
9. « Les montagnes se sont fondues comme la cire devant la face du Seigneur 1». Quelles sont ces montagnes? Les orgueilleux. Toute hauteur qui s’élève contre Dieu, a tremblé, a succombé devant les actes du Christ et des chrétiens, et l’on ne saurait trouver une expression plus juste que celle du Prophète, se fondre. « Les montagnes se sont fondues devant la face du Seigneur». Où est cette hauteur des puissances? Où est l’endurcissement des infidèles? « Les montagnes se sont fondues comme la cire devant la face du Seigneur ». Le Seigneur a été pour elles un feu, et elles ont fondu en sa présence comme la cire, qui n’est dure que jusqu’aux approches du feu. Toute hauteur est aplanie aujourd’hui et n’ose plus blasphémer le Christ. Le païen qui ne croit point en lui s’abstient de tout blasphème; s’il n’est pas encore devenu une pierre vivante, il n’est déjà plus une montagne endurcie. « Les montagnes ont fondu comme la cire devant la face du Seigneur, en présence du Seigneur de la terre entière » : non-seulement des Juifs, mais encore des Gentils, comme a dit l’Apôtre 2 : ce n’est pas le Dieu des Juifs seulement, mais le Dieu des nations. Donc le Seigneur de toute la terre, le Seigneur Jésus-Christ, né en Judée, n’est pas né seulement pour les Juifs; car avant de naître il a tout fait; et ayant tout fait, il a tout restauré. « Devant la face du Dieu de la terre entière ».
10. « Les cieux ont annoncé sa justice, tous les peuples ont vu sa gloire 3». Quels cieux l’ont annoncé? « Les cieux qui racontent la gloire de Dieu 4». Quels cieux? Ceux qui lui servent de trône. De même que le Seigneur a pour trône les cieux, il a pour trônes les Apôtres, et les prédicateurs de l’Evangile. Toi aussi tu seras le ciel, si tu le veux. Veux-tu être le ciel? Purifie ton coeur de ce qu’il a de terrestre. Si tu n’as plus de convoitises terrestres, si tu ne mens point en répondant que ton coeur est en haut; tu es un ciel. « Si vous êtes ressuscités avec le Christ » (et l’Apôtre s’adresse aux fidèles), « cherchez ce qui est en haut, où le Christ est assis à la droite de Dieu; goûtez les choses d’en haut, et non celles d’ici-bas 5 ». En commençant à goûter les choses d’en haut, et non les choses de la
1. Ps. XCVI, 5. — 2. Rom. III, 29.— 3. Ps. CXVI, 6.— 4. Id. XVIII, 2. — 5. Colos. III, 1, 2.
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terre, n’es-tu pas devenu un ciel? Tu as encore une chair, et ton coeur est un ciel; car fa conversation est dans les cieux 1. C’est alors que toi aussi tu annonces le Christ. Quel fidèle pourrait s’en taire? Que votre charité redouble d’attention; croyez-vous que nous qui prêchons ici soyons seuls à prêcher le Christ, et que vous ne le prêchiez point? D’où vient alors que des hommes que nous n’avons jamais vus, jamais connus, jamais exhortés, viennent à nous pour devenir chrétiens? Ont-ils cru sans qu’on leur ait annoncé la foi? L’Apôtre dit cependant : « Comment croire à celui dont on n’entend point parier? Et comment en entendre parler,si on ne le prêche 2 ?» Donc toute l’Eglise prêche le Christ, et les cieux prêchent sa justice: parce que tous les fidèles qui ont à coeur de gagner à Dieu ceux qui ne croient pas encore, et qui le font par charité, sont des cieux. C’est par eux que Dieu fait éclater le tonnerre de ses jugements: et l’infidèle tremble, et la crainte l’amène à la foi. Montrez aux hommes ce qu’a pu le Christ dans l’univers entier, en leur parlant et en les amenant à l’amour du Christ. Combien en est-il aujourd’hui qui ont entraîné leurs amis pour voir un comédien, un joueur de flûte? Pourquoi, sinon par amour pour ces histrions? Vous aussi, aimez le Christ. Aimez celui qui a donné de si grands spectacles, où l’on ne peut trouver rien à reprendre, et qui a vaincu le siècle. Quelquefois, en s’attachant à un personnage de théâtre, on est vaincu avec lui. Mais nul n’est vaincu avec le Christ, nul n’a motif d’en rougir. Saisissez donc, amenez-nous, entraînez ceux que vous pourrez ne craignez rien, c’est les amener à celui qui ne saurait déplaire à quiconque le verra : priez-le qu’il les éclaire, afin qu’ils le considèrent bien. « Les cieux ont annoncé sa justice, et les peuples ont vu sa gloire».
11. «Qu’ils soient confondus, ceux qui adorent des idoles 3». Tout cela n’est-il point arrivé? N’ont-ils pas été dans la confusion ? N’y vont-ils pas chaque jour? Ces idoles sont en effet des statues faites par la main des hommes. Pourquoi ceux qui adorent les idoles sont-ils confondus tous? Parce que tous lus peu pies ont vu la gloire du Christ. Déjà tous les peuples chantent cette gloire: qu’ils rougissent, les adorateurs de la pierre. Car ces pierres sont mortes, et nous avons trouvé la
1. Philipp. III, 20. — 2. Rom. X, 14.— 3. Ps. XCVI, 7.
pierre vivante. Et même ces pierres n’ont jamais vécu pour être appelées des pierres mortes : tandis que notre pierre est vivante, qu’elle a toujours vécu en son Père, qu’elle est morte pour nous, puis ressuscitée, qu’elle vit maintenant, et qu’elle n’est plus soumise à l’empire de la mort 1. Telle est la gloire que les peuples ont connue pour déserter les temples et accourir dans nos églises. « Qu’ils soient confondus, tous ceux « qui adorent des idoles». Veulent-ils encore adorer ces idoles? Ils ne veulent pas abandonner ces dieux, et ces dieux les abandonneront. « Qu’ils soient confondus, tous ceux qui adorent des idoles, qui se glorifient dans leurs simulacres ». Mais quelque raisonneur, qui se croit savant, viendra me dire: Ce n’est point la pierre que j’adore, non plus que le simulacre insensible. Votre prophète n’a pu voir qu’il a des yeux et ne voit pas 2, sans que je sache, moi aussi, que cette idole n’a point d’âme, qu’elle ne voit point de ses yeux, n’entend point de ses oreilles; ce n’est point là ce que j’adore, mais en adorant ce qui est visible, je sers ce qui est indivisible. Qui donc alors? Une divinité qui préside à cette statue. Ils se croient habiles, en exposant ainsi le culte des idoles, et en nous disant qu’ils n’adorent point la statue, mais qu’ils adorent les démons. Car l’Apôtre l’a dit: « Les sacrifices des Gentils sont offerts aux démons, et non à Dieu. Je ne veux point»,dit-il encore, « que vous ayez part avec les démons 3 » : car l’idole n’est rien, nous le savons 4; et l’Apôtre nous dit : « Nous savons que l’idole n’est rien, « mais que les offrandes des Gentils sont faites aux démons,et non à Dieu ». C’est lui qui dit encore : « Je ne veux point que vous ayez part avec les démons ». Qu’ils ne viennent donc plus nous dire qu’ils ne rendent pas un culte à des idoles inanimées : ils n’en sont que mieux sous le joug des dénions, ce qui est plus dangereux. S’ils n’adoraient que des idoles, ces pierres ne pourraient les aider en rien, leur nuire en rien ; mais adorer et servir les démons, c’est les avoir pour maîtres. Et quels seront tes maîtres? Ceux qui sont jaloux de ton bonheur, qui ne peuvent que t’envier ta liberté, qui voudraient te posséder toujours, et te rendre tels, qu’ils te puissent toujours entraîner. Il est en effet dans ces esprits une malice qui leur est naturelle, une volonté de nuire: le mal
1. Rom. VI, 9.— 2. Ps. CXIII, 5.— 3. I Cor. X, 19, 20.— 4. Id. VIII, 4.
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des hommes fait leur joie, ils se repaissent de nos erreurs, quand ils peuvent nous tromper. Et que cherchent-ils? Non pas des hommes qu’ils puissent dominer éternellement, mais qui soient avec eux sous le poids d’une éternelle damnation, comme le voleur jaloux qui se plaît à accuser l’innocent. Qu’il soit brûlé vif, en souffrira-t-il moins si un autre brûle avec lui? En mourra-t-il moins pour mourir avec un autre? Sa peine est égale, mais sa méchanceté se rassasie. Qu’il meure avec moi, dit-il, non pour en mourir moins, mais pour se consoler par le malheur d’un autre. Telle est la malice du diable, qui veut séduire afin qu’on partage son supplice. Mais comme une peut tromper la justice de Dieu (car il n’excuse pas les innocents à son tribunal) il les pousse au péché afin d’avoir de véritables crimes à reprocher. Voilà les maîtres que se créent ceux qui adorent les idoles et les démons. « Les sacrifices des païens sont offerts aux démons, et non à Dieu : je ne veux point que vous ayez part avec les démons. »
12. Mais nous, quel est notre Dieu? Ecoutez la suite. Après avoir dit : « Qu’ils soient confondus, tous ceux qui adorent des sculptures, qui se glorifient dans les simulacres », il prévoit qu’on viendra donner raison de ces idoles et nous dire : Ce n’est point la pierre que j’adore, niais la puissance divine. Quelle puissance? Dis-moi, est-ce aux démons que lu rends un culte, ou bien aux bons esprits, tels que sont les anges? Car il y a les saints anges, et les esprits mauvais. Pour moi, j’affirme que dans vos temples on n’adore que les mauvais esprits : ceux qui sont assez orgueilleux pour exiger des sacrifices, qui veulent être adorés comme des dieux, sont des méchants et des superbes. Tels sont aussi les hommes peu soumis à Dieu, qui recherchent leur propre gloire, et méprisent celle de Dieu. Mais voyez les hommes vraiment saints et qui ressemblent aux anges. Qu’on veuille rendre un culte à un homme saint, au véritable serviteur de Dieu, qu’on le veuille adorer comme un Dieu, il vous empêche à l’instant; loin de s’arroger les honneurs divins, de se poser comme un Dieu à tes yeux, il adore Dieu avec toi. Voilà ce que tirent les saints apôtres Paul et Barnabé, quand ils prêchaient la parole de Dieu en Lycaonie. Pleins d’admiration pour les merveilles qu’ils avaient accomplies dans ces contrées, les Lycaoniens amenèrent des victimes et voulaient leur offrir des sacrifices, en donnant à Barnabé le nom de Jupiter, et à Paul celui de Mercure; ceux-ci les rejetèrent avec horreur. Mais la cause de cette horreur était-elle parce qu’on les comparait aux démons? Non, mais bien parce qu’ils avaient en abomination un culte divin rendu à des hommes. Leurs paroles sont claires, et je ne fais point de conjectures. Voici la lecture de ce passage, qui indique leur indignation : « Alors Paul et Barnabé déchirèrent leurs vêtements, et s’écrièrent: Mes frères, que faites-vous? Nous sommes, comme vous, des hommes mortels 1». Remarquez bien ceci, De même que les hommes vraiment bons arrêtent ceux qui les veulent adorer comme des dieux, et ne veulent que pour Dieu seul le culte divin, pour Dieu seul les honneurs divins, pour Dieu seul le sacrifice, et non pour eux-mêmes; ainsi les saints anges cherchent la gloire de celui qu’ils aiment; ils brûlent du désir d’attirer à lui ceux qu’ils aiment, de leur inspirer une sainte ardeur pour lui rendre un culte, pour l’adorer, pour le contempler; c’est lui qu’ils annoncent, et non pas eux-mêmes, parce qu’ils sont des anges : et comme ils sont aussi ses soldats, ils ne savent que chercher la gloire de leur général; sitôt qu’ils chercheraient leur gloire, ils seraient condamnés comme des usurpateurs. Tel est le diable avec ses démons, c’est-à-dire avec ses anges. Il usurpa les honneurs divins pour lui et pour tous ses sectateurs ; il remplit les temples des païens, il leur persuada de lui élever des idoles, de lui offrir des sacrifices. Ne serait-il pas mieux d’adorer les bons anges, que d’adorer les démons? Ils nous répondent: Nous n’adorons pas les anges mauvais. Nous adorons ces esprits que vous appelez des anges, et qui sont les puissances du Dieu souverain, les ministres du grand Dieu. Fasse le ciel que vous les adoriez, ils vous apprendraient bientôt à ne plus les adorer. Ecoutez un ange qui nous instruit. Il faisait une révélation à un disciple du Christ, et lui montrait ces nombreuses merveilles consignées dans l’Apocalypse de saint Jean. A la vue de ces merveilles que l’ange lui découvrait, Jean est ravi et se jette à ses pieds; mais l’ange, qui ne cherchait que la gloire de son Seigneur, lui dit: « Levez-vous, que faites-vous? adorez le Seigneur,
1. Act. XIV, 13, 14.
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car moi, je suis serviteur comme vous et comme vos frères 1 ». Qu’on ne dise point : Je crains que l’ange ne s’irrite contre moi, si je ne t’adore point comme un dieu; il s’irrite au contraire quand tu lui rends les honneurs divins, car il est bon et il aime Dieu. De même que les démons s’irritent quand on ne les adore point; de même les bons anges s’irritent quand on les adore comme des dieux. Mais qu’une âme faible et timide ne vienne point nous dire: Si les démons s’irritent quand on ne les adore point, je crains de les offenser. Que pourra donc te faire le diable qui est leur chef? S’il avait quelque puissance, nul de nous ne resterait debout. Ne savons-nous point combien les chrétiens le maudissent chaque jour, et pourtant les chrétiens se multiplient? Si tu es en colère contre ton serviteur, tu lui donnes son nom, tu l’appelles diable, tu l’appelles Satan. Tu es dans l’erreur en appelant ainsi un homme; c’est la colère qui te porte à cet outrage envers l’image de Dieu : tu choisis, pour la lui dire, une injure qui te fait horreur. Si le démon avait quelque puissance, ne se vengerait-il point? Mais Dieu ne le lui permet point, et il ne peut rien que dans la mesure que Dieu permet. Il voulut mettre Job à l’épreuve, et il en demanda simplement la permission 2, sans laquelle il n’avait aucun pouvoir. Pourquoi donc ne pas adorer Dieu sans crainte, puisque sans son ordre nul ne peut te nuire, et qu’il ne le permet que pour te corriger, et non pour te nuire? S’il plaît au Seigneur ton Dieu de permettre qu’un homme te nuise, ou même un esprit, il te corrige alors, pour te faire dire avec David: « Le Seigneur m’a châtié, mais ne m’a point livré à la mort 3». Donc « qu’ils soient confondus, tous ceux qui adorent des idoles, qui se glorifient dans des simulacres, Adorez-le, vous tous qui êtes ses anges ».Que les païens apprennent ici à servir Dieu. Ils veulent adorer les anges, qu’ils imitent les anges, et qu’ils adorent celui que les anges adorent. « Adorez-le, vous qui êtes. ses anges». Qu’il l’adore, cet ange qui fut envoyé à Corneille, car c’est en adorant Dieu qu’il envoya Corneille à Pierre : qu’il adore le Christ, Seigneur de Pierre, lui qui est serviteur comme Pierre. « Adorez-le, vous tous qui êtes ses anges ».
1. Apoc. XIX, 10.— 2. Job, I, 11.— 3. Ps. CXVII, 18.— 4. Act. X, 3.
13. « Sion n entendu et a tressailli 1 ».Qu’a donc entendu Sion? Que tous ses anges l’adorent. Qu’a entendu Sion? Voici ce qu’elle a entendu: « Les cieux ont annoncé sa justice, et les peuples ont vu sa gloire: qu’ils soient confondus, tous ceux qui adorent des idoles, qui se glorifient dans leurs simulacres ». L’Église, en effet, n’était point répandue encore parmi les nations.; quelques Juifs croyaient en Judée, et ces Juifs croyaient que le Christ n’était que pour eux seuls: les Apôtres furent envoyés aux Gentils, ils prêchèrent à Corneille, et Corneille embrassa la foi, fut baptisé, et tous ceux qui étaient avec lui furent baptisés. Mais vous savez ce que Dieu fit pour les amener au baptême: il est vrai que le lecteur n’a pas été jusque-là aujourd’hui, plusieurs s’en souviennent, mais que ceux qui ne s’en souviennent plus, m’écoutent quelque peu. L’ange fut envoyé à Corneille, il envoya Corneille à Pierre, et Pierre vint à Corneille. Et comme Corneille était païen, comme ceux de sa suite, ils n’étaient point circoncis; afin qu’il n’y eût aucune hésitation à prêcher l’Evangile à des Gentils incirconcis, avant que Corneille fût baptisé avec sa suite, le Saint-Esprit vint, les remplit, et ils parlèrent diverses langues. Le Saint-Esprit jusqu’alors n’était tombé que sur des baptisés, mais il descendit sur ces derniers avant le baptême. Pierre aurait pu hésiter à donner le baptême à des incirconcis, mais le Saint-Esprit descendit, et ils parlèrent diverses langues, ils reçurent un don invisible, qui leva toute hésitation à propos du sacrement visible ; et tous furent baptisés. Il est écrit au même endroit: « Or, les Apôtres, et les frères qui étaient en Judée, apprirent que les Gentils avaient reçu la parole de Dieu, et bénissaient le Seigneur 3 ». Voilà ce qu’annonce le Prophète: « Sion a entendu et a tressailli ; les filles de Juda ont été dans l’allégresse ». Qu’est-ce que Sion a entendu, pour être dans la joie? « Que les Gentils ont reçu la parole de Dieu ». Une muraille s’était élevée, mais l’angle n’existait pas. Sion est proprement l’Eglise qui était en Judée et qui a reçu cette dénomination. « Sion a entendu et a tressailli ; les filles de Juda ont été dans l’allégresse». C’est ce qui est écrit: « Les Apôtres, et les frères qui étaient dans la Judée entendirent ». Voyez si « les filles
1. Ps. XCVI, 8. — 2. Act. XI, 1.
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de Juda n’ont point tressailli ». Qu’entendirent les frères? « Que les Gentils ont reçu la parole de Dieu ». Que dit à ce propos notre psaume? « Les cieux ont annoncé sa justice, et les peuples ont vu sa gloire ». Et comme les Gentils, adorateurs des idoles, embrassaient la foi, le psaume continue: « Qu’ils soient confondus, tous ceux qui adorent des idoles, qui se glorifient dans leurs simulacres. Sion a entendu et a tressailli; les filles de Juda ont été dans l’allégresse ». Plus tard quelques circoncis voulurent reprocher à Pierre sa conduite, en disant : « Pourquoi êtes-vous entré chez les hommes incirconcis,et avez-vous mangé avec eux 1?» Pierre se justifia, et dit que dans son oraison un linceul, qui avait apparu, appendu au ciel par ses quatre coins, et que ce linceul, qui contenait toutes sortes d’animaux, désignait tous les Gentils. Il était suspendu aux quatre coins, parce que la terre qui renferme tous les peuples a quatre parties : et qu’on prêche les quatre Evangiles du Christ pour montrer que sa grâce doit se répandre dans les quatre parties du monde. Saint Pierre partit de cette vision qui lui était apparue, pour dire aux disciples tout ce qui s’était passé, et comment Corneille avait embrassé la foi, parce qu’avant de recevoir le baptême l’Esprit-Saint était descendu sur lui. Cet exposé fit taire les reproches et tous bénirent le Seigneur en disant: « Dieu a donc donné la pénitence aux Gentils pour les conduire à la vie 2 ». Voilà ce « qu’entendit la fille de Sion qui fut dans l’allégresse; et les filles de Juda tressaillirent, à cause de vos jugements, ô mon Dieu». Quels jugements? C’est que Dieu ne fait acception de personne. C’est le mot de Pierre lui-même , quand, voyant que le Saint-Esprit avait rempli Corneille et ceux de sa suite, il s’écria : « En vérité, j’ai reconnu que Dieu ne fait acception de personne ». Donc « les filles de Juda ont tressailli à cause de vos jugements, ô mon Dieu » .Qu’est-ce à dire « à cause de vos jugements? » C’est que « dans toute nation, dans tout peuple, quiconque veut le servir lui est agréable 3 », et qu’il n’est pas seulement le Dieu des Juifs, mais encore le Dieu des Gentils 4.
14. Voyez si ce n’est point pour cela qu’ont tressailli les filles de Sion. « Et les filles de
1. Act. XI, 3. — 2. Id. 18. — 3. Id. 34, 35. — 4. Rom. III, 29.
Juda omit tressailli d’allégresse à cause de vos jugements, ô mon Dieu, parce que vous êtes le seul Dieu très-haut, au-dessus de toute la terre 1». Non sur la Judée seule, non sur Jérusalem seule, non sur Sion seulement, mais « sur toute la terre ». C’est dans l’univers entier que les jugements de Dieu sont en vigueur, afin de rassembler tous les peuples des extrémités du monde. Ceux qui se sont retranchés ne communiquent plus à ces peuples; ils n’écoutent point cette prédiction, ne la voient point s’accomplir. « C’est que vous êtes le Dieu très-haut, au-dessus de toute la terre; bien supérieur à tous les dieux». Qu’est-ce à dire, « bien supérieur? » Le Prophète parle du Christ. Et que veut-il dire par cette expression « bien supérieurs, sinon nous faire comprendre qu’il est égal à son Père? Qu’est-ce à dire encore supérieur à tous les dieux?» Quels dieux? Les idoles n’ont point de sens, n’ont point de vie : les démons ont le sentiment et la vie, mais sont mauvais, Quelle gloire donnons-nous au Sauveur en l’élevant au-dessus des idoles? Il est bien supérieur aux démons, mais ce n’est point là une grandeur. Les démons sont les dieux des nations 2, mais pour lui il est élevé au-dessus de tous les dieux. Des hommes aussi ont été appelés des dieux: « Je l’ai dit : Vous êtes des dieux, vous êtes tous les fils du Très-Haut ». Il est encore écrit: « Dieu a pris séance dans l’assemblée des dieux, pour juger les dieux au milieu d’eux 3». Notre-Seigneur Jésus-Christ est bien supérieur à tous, non-seulement aux idoles, non-seulement aux démons, mais encore aux hommes justes; c’est peu encore, il est supérieur à tous les anges. Pourquoi en effet ce précepte : « Adorez-le, vous qui êtes ses anges », sinon parce qu’ « il est bien supérieur à tous les dieux? »
15. Mais nous tous qui sommes assemblés auprès de celui qui est élevé bien au-dessus de tous les dieux, que devons-nous faire? Il nous le dit en un seul mot: « Vous qui aimez le Seigneur, haïssez le mal 4 ». Il est honteux d’aimer en même temps le Christ et l’avarice. Si tu l’aimes, tu dois haïr ce qu’il hait. Un homme est ton ennemi, mais il est ce que tu es; vous êtes l’oeuvre du même créateur, et dans la même condition: et néanmoins, si ton fils parle à ton ennemi, entre dans la maison de ton ennemi, a de fréquents entretiens avec
1. Ps. XCVI, 9.— 2. Id. XCV, 5.— 3. Id. LXXXI, 1, 6. — 4. Id. XCVI, 10.
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ton ennemi, tu veux le déshériter, parce qu’il parle à ton ennemi. Et comment? Parce que tu trouves cette raison juste: Tu es l’ami de mon ennemi et tu veux une part de mon bien! Un peu d’attention. Tu aimes le Christ, et l’avarice est l’ennemie du Christ; pourquoi t’entretenir avec elle? C’est peu dire, tu t’entretiens avec elle; pourquoi être son esclave? Le Christ commande bien souvent, tu n’obéis point; l’avarice commande, à l’instant tu obéis. Le Christ ordonne de vêtir celui qui est nu, et tu ne le fais point; l’avarice commande la fraude, et tu la fais à l’instant. S’il en est ainsi, si telle est ta conduite, garde-toi d’espérer une belle part dans l’héritage du Christ. J’aime le Christ, me diras-tu. « O vous qui aimez le Seigneur, haïssez le mal ». La preuve que tu aimes le bien, est dans la haine que tu montreras pour le mal. « Haïssez le mal, ô vous qui aimez le Seigneur ».
16. Mais dès que nous commençons à haïr le mal, voici bientôt la persécution. Nous haïssons le mal; et voilà qu’un persécuteur vient nous dire: Commets telle fraude; vient nous dire: Adore cette idole ; vient nous dire: Offre de l’encens aux dénions; mais nous l’avons entendu : « Vous tous qui aimez le Seigneur, haïssez le mal ». Nous l’avons entendu, il est vrai, mais si nous n’obéissons, il sévira contre nous. Jusqu’où sévira-t-il? Que nous enlèvera-t-il? Réponds-moi, pourquoi es-tu chrétien? Est-ce pour acquérir l’héritage éternel, ou une félicité terrestre ? Interroge ta foi, traduis ton âme au tribunal de la conscience, tourmente-la par la crainte du jugement, dis-moi en qui as-tu mis ta foi, et pourquoi cette foi? Mais, dis-tu, j’ai cru au Christ. Que t’a promis le Christ, sinon ce qu’il nous montre en lui? Que montre-t-il en lui? Il est mort, il est ressuscité, il est monté aux cieux. Veux-tu l’y suivre? Imite ses souffrances et attends ses promesses. Que peut t’enlever un persécuteur, quand tu commenceras à haïr le mal par amour pour le Seigneur? Que t’enlever?Ton patrimoine? Est-ce le ciel? Qu’il t’enlève, s’il veut, ce que Dieu t’a donné: (il ne peut même l’enlever, si Dieu ne le veut point; mais, quand Dieu le permet, il te ravit ce que Dieu t’a donné, de peur que Dieu lui-même ne se dérobe à toi). Mais pour Dieu, nul ne peut te l’enlever; toi seul, en fuyant Dieu, tu peux te le ravir.
17. Peu m’importe mon patrimoine, me diras-tu peut-être. « Dieu me l’a donné, Dieu me l’a ôté ». Puis-je dire avec Job : « et comme il a plu au Seigneur, il a été fait 1 ». Mais je crains que mon ennemi ne me tue, C’est là toute ma crainte. Ecoute alors la consolation du Psalmiste: « Le Seigneur garde les âmes de ses serviteurs». De même qu’il avait dit plus haut: « Vous qui aimez le Seigneur, haïssez le mal » : pour te délivrer de la crainte de ne haïr le mal, que par la peur que tu aurais d’être tué par le méchant, le Psalmiste ajoute aussitôt : « Le Seigneur garde les âmes de ses serviteurs ».Apprends dans 1’Evangile qu’il garde les âmes de ses serviteurs: « Ne craignez point ceux qui tuent le corps, mais qui ne peuvent tuer l’âme 2». Il tue le corps, ce persécuteur, c’est l’apogée de sa puissance; mais que t’a-t-il fait?Ce qu’il a fait au Seigneur ton Dieu. Pourquoi vouloir posséder ce que possède le Christ, quand tu crains de souffrir ce qu’il a souffert?il est venu pour se revêtir d’une vie temporelle, infirme, assujettie à la mort. Crains de mourir, j’y consens, si tu peux ne point mourir. Pourquoi ne point embrasser par la foi ce que tu ne peux éviter par ta nature? Que cet ennemi si redoutable par ses menaces t’enlève cette vie, Dieu te donnera une autre vie; car c’est lui qui t’a donné celle-ci, et s’il ne le voulait-on ne te l’enlèverait point: mais s’il lui plaît qu’on te l’enlève, il a de quoi faire un échange, ne crains point d’être dépouillé pour lui. Crains-tu de perdre un vêtement en lambeaux? Il te donnera la robe de la gloire. De quelle robe me parlez-vous? « Il faut que, corruptible, ce corps soit revêtu d’incorruptibilité, et mortel, d’immortalité 3». Cette chair même ne périra point. Notre ennemi peut sévir jusqu’à la mort : mais au delà il n’a de pouvoir ni sur l’âme, ni sur la chair; en dispersant ta chair, il n’empêcherait pas la résurrection. Les hommes craignaient pour leur âme, et que leur dit Jésus-Christ? « Les cheveux de votre tête sont tous comptés 4 ». Craindras-tu de perdre ton âme, lorsque tu ne perds pas un cheveu? Dieu en sait le nombre, il rétablira tout, lui qui a tout créé. Il les a créés quand ils n’étaient point, et quand ils existent, une saurait les réparer? Croyez donc de tout votre coeur, mes frères, et « vous qui aimez le Seigneur, haïssez le mal ». Soyez forts, non-seulement dans votre amour pour
1. Job, I, 21.— 2. Matth. X, 28.— 3. I Cor. XV, 53. — 4. Matth. X, 3O.
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Dieu, mais aussi dans votre haine pour le mal. Que nul ne vous effraie: celui qui vous a appelés est plus puissant encore, il est le tout-puissant. Il est plus fort que toute force, plus élevé que toute élévation. Le fils de Dieu est mort pour nous; sois assuré de recevoir sa vie, toi qui as pour gage de cette vie sa mort même. Pour qui est-il mort? Est-ce pour les justes? écoute saint Paul: « Le Christ est mort pour les impies 1 ». Tu étais impie, et il est mort pour toi: et quand tu es justifié, il t’abandonnerait? Lui qui a justifié l’impie, pourrait-il abandonner l’homme juste? «Vous qui aimez le Seigneur, haïssez le mal», Que nul ne craigne, puisque « le Seigneur garde les âmes de ses serviteurs, et les tirera des mains du pécheur ».
18. Mais, diras-tu, je perds néanmoins cette lumière. « La lumière s’est levée pour le juste ». Quelle lumière crains-tu de perdre? Crains-tu d’être dans les ténèbres? Ne crains pas de perdre la lumière, ou plutôt prends garde qu’en craignant de perd me cette lumière tu ne perdes la vie éternelle. Mais voyons en effet à qui est donnée celle que tu crains de perdre, et avec qui elle vous est commune. N’y a-t-il que les bons pour voir le soleil, quand Dieu fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes et sur les injustes 2 ? Cette lumière est commune avec les méchants, commune avec les voleurs, commune avec les impudiques, commune avec les bêtes, avec les mouches, avec les vermisseaux. Quelle lumière ne ménage-t-il point au juste, celui qui en donna une semblable à de pareils êtres? C’est la lumière que les martyrs ont vue avec justice dans la vivacité de leur foi; eux qui méprisaient cette lumière terrestre, en voyaient une autre après laquelle ils soupiraient, en dédaignant celle-ci. « La lumière s’est levée pour le juste, et la joie tour les coeurs droits 3 ». N’allez pas croire qu’ils étaient véritablement à plaindre, quand ils étaient chargés de chaînes. La prison était large pour les fidèles, et les chaînes légères pour les confesseurs. Ils paraissaient avec joie devant les tribunaux, eux qui prêchaient le Christ dans les tourments. « La lumière s’est levée pour le juste ». Quelle lumière s’est levée? Celle qui ne se lève point pour l’injuste ; non point, cette lumière que Dieu fait lever sur les bons comme
1. Rom. V, 6. — 2. Matth. V, 45. — 3. Ps. XCVI, 11.
sur les méchants, Il est une autre lumière qui se lève pour le juste, lumière qui ne se lève point pour les hommes d’iniquité, et qui leur fera dire au dernier jour: « Nous avons erré loin du sentier de la vérité : la lumière de la justice ne s’est point levée pour nous, son soleil n’a point paru à nos yeux 1 ». Ils ont aimé ce soleil terrestre et sont tombés dans les ténèbres du coeur. Que leur sert d’avoir vu l’un des yeux du corps, quand ils ne verront point l’autre des yeux de l’esprit? Tobie était aveugle et il enseignait à son fils la voie de Dieu. Vous savez qu’il lui donnait des conseils et lui disait : « Mon fils, fais l’aumône, parce que l’aumône ne te laissera point aller dans les ténèbres 2 ». Il était plongé lui-même dans les ténèbres en parlant de la sorte. Voyez-vous dès lors qu’il y a une autre lumière qui s’élève pour le juste, une autre joie pour ceux qui ont le coeur droit? Il était aveugle, et disait néanmoins à son fils: « Fais l’aumône, parce que l’aumône ne te laissera point aller dans les ténèbres». Il ne craignit point que son fils lui dît en son coeur: Vous donc, n’avez-vous pas fait l’aumône? Pourquoi parier ainsi quand on est aveugle? Voilà que vos aumônes vous ont fait devenir aveugle, et comment me dites-vous que « les aumônes m’empêcheront de tomber dans l’aveuglement? » Pourquoi ce père parlait-il avec confiance,sinon parce qu’il voyait une autre lumière? Le fils tendait la main au père pour diriger sa marche; mais le père montrait au fils le chemin de la vie. Il est donc une autre lumière qui se lève pour le juste. « La lumière se lève pour le juste, et la joie pour ceux qui ont le coeur droit ». Veux-tu la connaître? Aie le coeur droit. Qu’est-ce à dire: Aie le coeur droit? Prends garde d’aller à Dieu avec un coeur replié, en résistant â sa volonté et en cherchant à la courber vers toi au lieu de te redresser sur elle, et tu ressentiras la joie, la joie que goûtent tous ceux qui ont le coeur droit. « La lumière s’est levée pour le juste, et la joie pour ceux qui ont le coeur droit. »
19. « Tressaillez, vous qui êtes justes ». Peut-être que des fidèles qui entendent cette parole: « Tressaillez », rêvent des festins, préparent des coupes, attendent la saison des roses, parce que l’on dit; « Tressaillez, ô justes ». Ecoutez le mot suivant: « Dans le Seigneur. «Vous qui êtes justes, tressaillez dans le Seigneur ».
1. Sag. V, 6.— 2. Tob. IV, 7, 11.
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Tu attends la belle saison afin de te réjouir. Si le Seigneur est ta joie, il est toujours avec toi ; il n’y a point de saison pour lui : tu l’auras la nuit, comme tu l’auras le jour. Aie la droiture de coeur, et il sera toujours ta joie, car la vraie joie n’est pas toujours celle qui vient du monde. Ecoute en effet le prophète Isaïe : « Il n’y a point de joie pour l’impie, dit le Seigneur 1 ».Ce que les impies appellent joie , n’est pas vraiment joie. Quelle joie connaissait donc celui qui condamnait cette joie? Croyons, mes frères, ce qu’il nous en dit. Il était homme, et connaissait deux joies bien différentes. Homme, il connaissait la joie du vin, la joie de la table, la joie molle d’un lit, il connaissait toutes ces joies mondaines et luxurieuses. Et néanmoins connaissant toutes ces joies, il dit hardiment: « Il n’y a pas de joie pour l’impie, dit le Seigneur » .Ce n’était point l’homme qui parlait, mais bien « le Seigneur ». Donc, dans la vérité du Seigneur, « il n’y a point de joie pour les impies ». Ils paraissent avoir de la joie, mais « il n’est point de joie pour l’impie », telle est la parole non pas d’un homme, mais la parole « du Seigneur ». De là vient qu’à la vue de cette joie, un autre a dit : « Je n’ai point désiré le jour des hommes, vous le savez, Seigneur 2». O vous qui me montrez un autre jour, qui m’enseignez une autre lumière, qui répandez une autre joie dans mon coeur, qui me faites goûter intérieurement d’autres délices, vous m’amenez à ne point désirer le jour des hommes. Isaïe voyait sans doute les hommes plongés dans l’ivresse, dans la luxure, dans les spectacles; il voyait le monde entier s’éprendre de toutes les bagatelles et néanmoins il s’écriait: « Il n’est point de joie pour les impies, dit le Seigneur ». Si là n’est point la joie, quelle joie voyait donc le Prophète, en comparaison de laquelle cette joie d’ici-bas n’est rien? Qu’un homme admire la lumière d’une lanterne, toi qui connais le soleil, tu lui diras: Cette lumière n’est rien. Pourquoi n’est-elle rien? Lui la prend pour quelque chose, il s’en réjouit; et toi, tu dis que cette lumière n’est rien. Qu’un homme encore admire un singe, tu diras: telle n’est point la beauté : et s’il s’attache à considérer cet animal, à admirer l’agencement de ses membres, et leur proportion; toi qui connais la beauté, tu nierais celle du singe, et tu dirais : Ce n’est point la
1. Isa. XLVIII, 22; LVII, 21. — 2. Jérém. XVII, 16.
beauté. Pourquoi? Parce que tu en connais une autre. Mais, diras-tu : Je ne vois point la beauté que voyait Isaïe. Crois, et tu la verras. Tu n’as peut-être pas ce qu’il faut pour la découvrir; car il est un oeil qui voit la beauté. De même que l’oeil corporel voit cette lumière, c’est l’oeil du coeur qui voit la beauté. Cet oeil, chez toi, est peut-être blessé, obscurci, troublé par la colère, par l’avarice, par la convoitise, par le délire des passions; oui, ton oeil est troublé, et tu ne saurais voir cette lumière. Crois avant de voir, et tu seras guéri, et tu verras. « La lumière s’est levée pour le juste, et la joie pour les coeurs droits».
20. « Justes, réjouissez-vous dans le Seigneur, et rendez hommage à la mémoire de sa sainteté 1». Dans cette joie du Seigneur, dans les délices que vous goûterez, rendez-lui témoignage, car ce n’est que par sa volonté que nous goûtons en lui cette joie. Car le Seigneur a dit lui-même : « Je vous ai parlé de ces choses, afin que vous ayez la paix en moi; vous aurez des afflictions dans le monde 2». Si vous êtes chrétiens, espérez ici-bas la tribulation; n’espérez pas des temps meilleurs et plus calmes; ce serait vous tromper, mes frères; ne vous promettez point ce que l’Evangile ne vous promet point. Vous savez ce qu’il vous prédit; nous parlons à des chrétiens, ne soyons pas des prévaricateurs de la foi. L’Evangile dit que dans les derniers temps, il s’élèvera beaucoup de calamités, beaucoup de scandales, beaucoup d’afflictions, beaucoup d’iniquités: mais que celui qui persévérera sera sauvé, « La charité de plusieurs se refroidira 3 », est-il dit encore. Celui donc qui persévérera dans l’esprit de ferveur, selon ce mot de l’Apôtre: « Soyez -fervents en esprit 4»; celui-là ne verra point sa foi se refroidir : « Car l’amour de Dieu est répandu dans nos coeurs par l’Esprit-Saint, qui nous a été donné 5 ». Que personne donc ne se promette ce que l’Evangile ne promet point. Des temps plus heureux viendront, et je ferai ceci, j’achèterai cela. Il vous est bon de vous en tenir à celui qui ne se trompe point, qui ne trompe personne, qui vous a promis la joie, non pas d’ici-bas, mais en lui-même; afin qu’après cette vie vous espériez de régner avec lui éternellement. Si tu veux régner sur la terre, tu ne trouveras de joie, ni en cette vie, ni dans l’autre vie.
1. Ps. XCVI, 12. — 2. Jean, XVI, 33. — 3. Matth. XXIV, 3, 13. — 4. Rom. XII, 11.— 5. Id. V, 5.
DISCOURS SUR LE PSAUME XCVII.
SERMON AU PEUPLE.
LA CONVERSION DES GENTILS.
Ce cantique nouveau est celui de l’homme, renouvelé en Jésus-Christ,qui chante les merveilles de Dieu. Or, ces merveilles sont celles que Dieu a faites pour sa gloire, c’est-à-dire en attirant à son service ceux qu’il guérit et qu’il sauve par le Christ. Ainsi s’accomplit sa promesse envers Jacob, sa vérité envers Israël. Car il a promis à Jacob, et il s’acquitte envers Israël ou envers le voyant de Dieu, en se manifestant à lui tel qu’il est. Or, cet Israël qui doit voir le Seigneur, vient de toutes les nations ; non d’une partie, comme le prétendent les Donatistes, mais de toute la terre. Chantons le Seigneur, avec la trompette d’airain, ou par les oeuvres de la patience, et avec la trompette de corne, ou par des oeuvres supérieures de l’humanité. C’est alors que les montagnes applaudiront des mains ou des oeuvres saintes, et applaudiront en appelant le règne de Dieu.
1. « Chantez au Seigneur un nouveau cantique 1». L’homme nouveau connaît ce cantique, le vieil homme ne le connaît pas. Le vieil homme, c’est la vieille vie, l’homme nouveau, c’est la vie nouvelle: cette vieille vie nous vient d’Adam, la vie nouvelle est formée en nous par Jésus-Christ. C’est la terre entière que notre psaume invite à chanter un cantique nouveau. Car il dit plus clairement encore dans un autre passage : « Chantez au Seigneur un nouveau cantique, que la terre entière chante au Seigneur 2 ». Que les hommes séparés de la communion du monde entier comprennent enfin qu’ils ne peuvent chanter un cantique nouveau, parce que le cantique nouveau se chante dans le monde enlier, et non dans une partie. Or, remarquez et voyez que tel est le sens de notre psaume, et qu’en invitant l’univers entier à chanter un nouveau cantique, on signifie que c’est la paix qui entonne ce chant nouveau; « Chantez au Seigneur un cantique nouveau, parce que le Seigneur a fait des merveilles». Quelles merveilles? Tout à l’heure, à la lecture de l’Evangile, nous avons entendu les merveilles du Seigneur. On portait un mort, fils unique de sa mère, et celle-ci était veuve : le Seigneur touché de pitié fit arrêter le convoi; et quand il fut arrêté, il dit : « Jeune homme, je te le commande, lève-toi. Et celui qui était mort s’assit, et commença à parler, et Jésus le rendit à sa mère 3 ». Voilà les merveilles du Seigneur. Mais il y a une merveille bien plus grande à tirer de la
1. Ps. XCVII, 1.— 2. Id. XCV, 1. — 3. Luc, VII, 12-15.
mort éternelle l’univers entier, qu’à ressusciter le fils unique d’une veuve. « Chantez donc au Seigneur un nouveau cantique, parce que le Seigneur a fait des merveilles». Quelles merveilles ? Ecoute encore : « Sa droite et la sainteté de son bras ont fait pour lui d’admirables guérisons ». Quel est ce bras saint du Seigneur ? C’est Notre-Seigneur Jésus-Christ. Ecoute lsaïe: « Qui croira à notre parole, et à qui le Seigneur a-t-il montré son bras 1 ? » Il est donc tout à la fois son bras saint et sa droite. Jésus-Christ donc est le bras de Dieu et la droite de Dieu : c’est pour cela qu’ « elle a guéri pour lui » . Il n’est pas dit seulement que sa droite a guéri l’univers entier, mais qu’ « elle l’a guéri pour lui». Beaucoup en effet sont guéris pour eux, et non pour lui. Combien désirent la santé du corps, la reçoivent de sa miséricorde, et dès lors sont guéris par lui, et non pour lui ? Comment sont-ils guéris par lui, et non pour lui? C’est qu’ayant recouvré la santé, ils se livrent au péché; malades, ils étaient chastes; guéris, ils deviennent adultères : pendant leur maladie, ils ne blessaient personne; une fois en santé ils subjuguent et oppriment l’innocence. Ils sont guéris, mais non pour lui. Qui est guéri pour lui ? Celui qui est guéri intérieurement, Qui est guéri intérieurement? Celui qui croit en Jésus-Christ, en sorte que, une fois qu’il est guéri intérieurement, et reformé sur l’homme nouveau, cette langueur même d’une chair mortelle qui est passagère, recouvre enfin sa santé la plus parfaite. Guérissons-nous donc
1. Isa. LIII, 1.
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pour Dieu ; et afin de nous guérir pour Dieu, croyons en sa droite : « Parce que sa droite et la sainteté de son bras ont fait pour lui des guérisons ».
2. « Le Seigneur a fait connaître son salut 1». Sa droite, son bras, son salut, c’est Notre-Seigneur .Jésus-Christ, dont il est dit: « Et toute chair verra le salut de Dieu 2 ». C’est encore de ce salut que le saint vieillard Siméon a dit en prenant l’enfant dans ses bras : « C’est maintenant, Seigneur, que vous laissez aller en paix votre serviteur, selon votre parole, car mes yeux ont vu votre salut 3. Le Seigneur a fait connaître son salut». A qui l’a-t-il fait connaître? A une partie du monde ou du monde entier? Ce n’est point à une partie seulement. Que nul ne nous trompe, que nul ne nous séduise en disant : « Le Christ est ici, ou il est là 4 ». Dire qu’ « il est ici ou là», c’est ne montrer que des parties du monde. Or, « à qui le Seigneur a-t-il révélé son salut ? » Ecoute la suite « Devant toutes les nations, il a dévoilé sa justice ». La droite de Dieu, le bras de Dieu, le salut de Dieu et la justice de Dieu, c’est notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ.
3. « Il s’est souvenu de sa miséricorde envers Jacob, et de sa vérité envers la maison d’Israël 5». Qu’est-ce à dire qu’ « il s’est souvenu de sa miséricorde et de sa vérité? » Promettre était un acte de miséricorde: promettre et accomplir sa miséricorde, c’était manifester sa vérité. La miséricorde a donc fait la promesse, et la promesse accomplie a montré la vérité. « Il s’est souvenu de sa miséricorde envers Jacob, et de sa vérité envers Israël ». Quoi donc? Est-ce seulement de Jacob, seulement d’Israël ? Cette race des Juifs, cette postérité d’Abraham selon la chair, s’appelle ordinairement maison d’Israël; or, cet Israël était Jacob, car Jacob était fils d’Isaac, et Isaac fils d’Abraham. Jacob était donc petit-fils d’Abraham; il eut douze fils, et de ces douze fils est issue toute la nation Juive. Est-ce à eux seulement que le Christ était promis? Si l’on examine ce qu’est Israël, c’est à Israël qu’a été promis le Christ. Israël signifie qui voit Dieu : or, nous verrons Dieu face à face, si nous le voyons d’abord par la foi. Que notre foi ait des yeux, et la vérité de notre foi se manifestera : croyons en celui que nous
1. Ps. XCVII, 2. — 2. Luc, III, 6. — 3. Id. II, 28-30. — 4. Matth. XXIV, 23. — 5. Ps. XCVII, 3.
ne voyons point, et nous verrons avec joie; désirons celui que nous ne voyons point, pour jouir de lui quand nous le verrons. Nous sommes donc ici-bas Israël par la foi, un jour nous serons Israël,en voyant Dieu face à face; non plus en énigme et dans un miroir 1, mais, comme l’a dit saint Jean : « Mes bien-aimés, nous sommes les enfants de Dieu; mais ce que nous serons un jour n’apparaît point encore. Nous savons que quand il viendra nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu’il est 2 ». Préparez vos coeurs pour cette vision, vos âmes à cette grande joie: pour te montrer son soleil, Dieu te demanderait seulement de préparer les yeux du corps; mais comme il daigne nous montrer la beauté de sa sagesse, préparez les yeux de votre coeur : Bienheureux ceux dont le coeur est pur, parce qu’ils verront Dieu 3. « Le Seigneur s’est souvenu de sa miséricorde envers Jacob, et de sa vérité envers Israël ». Quel est cet Israël? De peur que ta pensée ne s’arrête que sur la nation des Juifs, écoute ce qui suit : « Toutes les extrémités de la terre ont vu le salut de notre Dieu ». Il n’est pas dit: Toute la terre; mais: « Tous les confins de la terre »; comme on dit d’un bout à l’autre. Que nul ne déchire, que nul ne sépare le Christ : il est dans une puissante unité, Il n’a donné un si grand prix que pour acheter le monde entier. « Tous les confins de la terre ont vu le salut de notre Dieu ».
4. Donc, parce qu’ils l’ont vu, « que la terre entière jubile au nom du Seigneur ». Déjà vous savez ce qu’est la jubilation, réjouissez. vous et pariez. Si la parole ne peut exprimer votre joie, soyez dans la jubilation, que cette jubilation exprime ce que la parole ne saurait exprimer. Que cette joie cependant ne soit point muette, que le coeur ne se taise ni sur Dieu, ni sur ses dons. Si tu pat les pour toi, tu es guéri pour toi : si la droite de Dieu t’a guéri pour lui, chante celui pour qui ta es guéri. « Tous les confins de la terre ont vu le salut de Dieu. Que la terre entière jubile au nom du Seigneur. Chantez, poussez des cris de joie, chantez des psaumes».
5. «Chantez vos hymnes à notre Dieu sur la harpe, sur la harpe et sur le psaltérion 5 ». Chantez, non-seulement de la voix; joignez-y vos oeuvres, afin de ne pas chanter seulement,
1. I Cor, XIII, 12. — 2. I Jean, III, 2. — 3. Matth. V, 8. — 4. Ps. XCVII, 4. — 5. Id. 5.
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mais d’agir. Chanter et agir, c’est chanter sur la harpe et sur le psaltérion.
6. Vois quels instruments servent ici de comparaison : « Chantez sur les trompettes ductiles, et sur les trompettes de corne». Que signifient ces trompettes ductiles, ces trompettes de corne ? Les trompettes ductiles sont d’airain, et faites au marteau. Si c’est au marteau, c’est donc à force de coups. Vous serez alors des trompettes ductiles, battus pour la louange de Dieu, si vous avancez dans la piété au milieu des tribulations. Car la tribulation est le coup de marteau, et vos progrès seront l’extension de la trompette. Job était une trompette ductile, quand soudain, frappé de tant de malheurs, privé de ses enfants, il devint sous les coups si multipliés de la tribulation une trompette ductile, et jeta ce son harmonieux : « Dieu l’a donné, Dieu l’a ôté; comme il a plu au Seigneur, il a été fait ; que de nom du Seigneur soit béni 1 ». O son délicieux ! Agréable harmonie ! On frappe une seconde fois cette trompette ductile ; Job est livré au pouvoir de Satan, afin d’être frappé dans sa chair; et sa chair est frappée, tombe en pourriture, devient la proie des vers : son épouse, nouvelle Eve, dont Satan veut se servir non pour le consoler, mais pour le séduire, lui suggère le blasphème ; mais Job résiste. Adam céda aux suggestions d’Eve dans le paradis 2 ; Adam sur son fumier repousse la nouvelle Eve. Car Job était assis sur le fumier quand le pus et les vers tombaient de ses plaies. Or Job, en pourriture sur son fumier, est plus fort qu’Adam plein de santé dans le paradis. Cette épouse était encore Eve, mais Job n’était plus Adam. Il a une réponse pour celte Eve qui doit être pour lui la séduction, les embûches, et il s’écrie (voyez comme ce clairon est bien frappé. Satan l’a couvert d’une plaie effrayante; des pieds à la tête, en pourriture, en proie aux vers, il est assis sur un fumier. Après avoir vu comment il a été frappé, écoutons ce son qu’il rend; écoutons, s’il vous plaît, l’harmonie de cette trompette ductile); « Vous avez parlé », dit-il à sa femme, «comme une femme des plus insensées. Si nous avons reçu les biens de la main de Dieu, pourquoi n’en pas recevoir les maux 3? »Eclatante harmonie, suave harmonie ! Qui ne tirerait-elle point du sommeil ? Qui ne serait point porté à se confier en Dieu pour
1. Job, I, 21.— 2. Gen. III, 6. — 3. Job, I, 11.
marcher en sécurité contre le diable, comptant sur les forces de celui qui nous éprouve, et non sur ses propres forces ? C’est Dieu même qui nous frappe aussi; car le marteau ne peut rien de lui-même. Et le Prophète, parlant de la peine que Satan subira dans l’avenir, s’écrie que « le marteau de toute la terre a été brisé à son tour 1 ». Par ce marteau de la terre, il entend le diable. C’est ce marteau qui est en la main de Dieu, ou plutôt en la puissance de Dieu, et qui frappe les trompettes ductiles pour en tirer les louanges de Dieu. Voyez aussi comment (j’oserai bien vous le dire, mes frères), ce marteau frappait aussi saint Paul : « De peur que la grandeur de ces révélations ne me donne de l’orgueil, un aiguillon a été mis en ma chair, ange de Satan, pour me souffleter ». Le voilà martelé, voyons les sons qu’il va rendre. « C’est pourquoi », poursuit-il, « j’ai prié trois fois le Seigneur de l’éloigner de moi; et il m’a répondu : Ma grâce te suffit, car la vertu se perfectionne dans la faiblesse ». Je veux, dit ce divin ouvrier, perfectionner une telle trompette, et je ne le puis que par le marteau. « La vertu s’affermit dans la faiblesse ». Ecoutez maintenant la parfaite harmonie de cette trompette. « Quand je suis faible, c’est alors que je suis fort 3». L’Apôtre lui-même, s’attachant comme Apôtre au Christ, s’attachant à cette droite qui tient le marteau pour en frapper le clairon, placé dans cette même droite, se sert aussi du marteau; car il dit de quelques-uns : « Je les ai livrés à Satan, afin qu’ils apprennent à ne plus blasphémer ». Il les a livrés au marteau qui doit les frapper. Ces trompettes sonnaient faux avant d’être battues; et peut-être que devenues ductiles sous le marteau, elles ont oublié le blasphème pour chanter les louanges de Dieu. Voilà ces trompettes ductiles.
7. Qu’est-ce que la trompette faite avec la corne? La corne est au-dessus de la chair. Or, en s’élevant au-dessus de la chair elle doit nécessairement se durcir, et ainsi durer longtemps et rendre un son. Mais pourquoi cela? parce quelle est au-dessus de la chair. Pour être donc une trompette en corne, il faut s’élever au-dessus de la chair? Qu’est-ce à dire au-dessus de la chair? S’élever au-dessus des affections charnelles, vaincre les passions de la chair. Ecoute ces trompettes de corne.
1. Jérém. I, 23.— 2. II Cor. XII, 7-10. — 3. I Tim. I, 20.
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« Si vous êtes ressuscités avec Jésus-Christ»,dit l’Apôtre, « cherchez ce qui est en haut, où est le Christ assis à la droite de Dieu; goûtez ce qui est en haut, et non ce qui est terrestre 1».Qu’est-ce à dire, «cherchez ce qui est en haut? » C’est-à-dire, tout ce qui s’élève au-dessus de la chair, que vos pensées ne soient point charnelles. Ils n’étaient point encore trompettes de corne, ces hommes à qui l’on disait : « Je n’ai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais seulement comme à des hommes charnels. Comme à des enfants en Jésus-Christ, je vous ai donné du lait, et non des viandes; vous ne pouviez pas les supporter encore: vous ne le pouvez même pas maintenant, car vous êtes encore charnels 2 ». Ne s’élevant point au-dessus de la chair, ils n’étaient donc pas encore des trompettes de corne. La corne tient à la chair, il est vrai, mais surmonte la chair. Si donc d’homme charnel, tu es devenu spirituel, ta chair est encore sur la terre, mais l’esprit est au ciel. « Quoique nous vivions dans la chair», dit l’Apôtre, « ne combattons pas selon la chair 3». Et n’oublions pas, mes frères, à quels hommes l’Apôtre parlait. Que leur dit-il, pour leur montrer qu’ils sont encore charnels, avec des goûts charnels, et qu’ils ne sont point encore des trompettes de corne? « Quand chez vous l’un dit : Je suis à Paul ; l’autre, moi à Apollo; celui-ci, moi à Céphas: n’êtes-vous point des hommes charnels, et ne vous conduisez-vous point selon l’homme? Qu’est-ce que Apollo? Qu’est-ce que Paul? Les ministres du Dieu par lesquels vous avez cru. J’ai planté, Apollo a arrosé, mais Dieu adonné l’accroissement 4». Il veut, de cette espérance qu’ils avaient mise en un homme, les élever jusqu’au niveau des choses spirituelles du Christ; afin qu’en s’élevant au-dessus de la chair, ils puissent être des trompettes de corne. N’insultez point, mes frères, à ceux que la divine miséricorde n’a pas encore convertis. Sachez que tant que vous le faites, vous avez des goûts charnels. Le son d’une telle trompette n’est point harmonieux aux oreilles de Dieu : une trompette insolente ne soulève qu’une guerre inutile. Qu’une trompette de corne vous anime contre le démon, et non une trompette de chair contre vos frères. « Chantez devant le Seigneur
1. Coloss. III, 1, 2.— 2. I Cor. III, 1, 2.— 3. II Cor. X, 3.— 4. I Cor. 1, 12; III, 1-6.
qui est roi, chantez au son de la trompette ductile, ou au son de la trompette de corne».
8. Et quand vous aurez jubilé, tressailli au son de la trompette ductile, au son de la trompette de corne, qu’arrivera-t-il? « Que la mer soit émue, et tout ce qu’elle contient 1 ». Mes frères, quand les Apôtres prêchèrent la vérité, avec des clairons et des trompettes de corne, la mer se troubla, ses flots se soulevèrent, les tempêtes grandirent, et l’Eglise fut persécutée. D’où venait ce trouble de la mer? Les jubilations, les cris d’allégresse en l’honneur de Dieu, étaient une harmonie qui charmait les oreilles de Dieu, et qui soulevait la mer. « Que la morse trouble, et tout ce qu’elle contient; que la terre en soit émue, et tous ceux qui l’habitent». Que la mer se soulève pour la persécution. « Les fleuves battront des mains pour lui applaudir 2 ». Que la mer soit émue, que les fleuves battent des mains : et les persécutions s’élèvent, et les saints s’en applaudissent en Dieu. Pourquoi les fleuves battront-ils des mains ? Qu’est-ce qu’applaudir des mains? C’est témoigner sa joie par des oeuvres. L’applaudissement marque la joie, et les mains les oeuvres. Quels sont ces fleuves ? Ceux dont Dieu a fait des fleuves, en faisant couler sur eux le Saint-Esprit comme une eau vive. « Si quelqu’un a soif, qu’il vienne et qu’il boive », dit le Sauveur. « Celui qui croit en moi, des fleuves d’eau vive sortiront de son sein 3». Tels sont les fleuves qui applaudissaient des mains, les fleuves qui témoignaient leur joie par des oeuvres, et qui bénissaient Dieu.
9. « Les montagnes tressailliront devant la face du Seigneur, parce qu’il est venu, parce qu’il est venu juger la terre 4». Heureuses « montagnes».Le Seigneur vient juger la terre, et elles sont dans la joie. D’autres montagnes doivent trembler, quand le Seigneur viendra juger la terre. Il y a donc de bonnes montagnes, et de méchantes montagnes; bonnes à cause de l’éminence spirituelle, mauvaises à cause de l’enflure de l’orgueil. « Les montagnes tressailliront en face du Seigneur, parce qu’il est venu juger la terre ». Pourquoi viendra-t-il, comment viendra-t-il? « Il viendra pour juger la terre. Il jugera l’univers dans la justice, et les peuples dans l’équité ». Que les montagnes donc se réjouissent, car il ne jugera point injustement,
1. Ps. XCVII, 7.— 2. Id. 8.— 3. Jean, VII, 37-39.— 4. Ps. XCVII, 9.
441
Quand un homme doit venir pour juger, comme il ne voit point le fond des consciences, que les hommes tremblent, fussent-ils innocents, si c’est de lui qu’ils attendent la louange, ou qu’ils craignent le supplice: mais quand viendra celui qui ne peut errer, que les montagnes se réjouissent, et soient en sûreté : elles recevront de lui la lumière, au lieu de subir la condamnation. Qu’elles se réjouissent, parce que le Seigneur viendra juger la terre dans l’équité. Mais si les montagnes justes se réjouissent, que les injustes soient dans la crainte. Ce juge cependant n’est point encore venu, à quoi bon trembler? Qu’elles se corrigent et se réjouissent. Elle dépend de toi, cette manière dont tu attendras le Christ. S’il diffère de venir, c’est afin (le ne point te damner. Voilà qu’il n’est point venu encore, il est au ciel, et toi sur la terre; s’il diffère son avènement, ne diffère pas ton choix. Son avènement sera dur pour les coeurs endurcis, et doux pour les coeurs doux. Vois ce que tu es maintenant : si tu es endurci, tu peux t’adoucir; si tu es doux, réjouis-toi de son avènement: car tu es chrétien. Oui, me dis-tu. Je crois donc que tu pries, et que tu dis : « Que votre règne arrive 1 ». Tu désires qu’il vienne, et tu crains qu’il vienne. Corrige-toi, afin de ne pas prier contre toi.
1. Matth. VI, 10.
DISCOURS SUR LE PSAUME XCVIII.
SERMON AU PEUPLE.
LE RÈGNE DE JÉSUS-CHRIST.
Le Christ annoncé dès le commencement par les Prophètes a régné quand on a commencé à le prêcher après sa résurrection. Le monde alors prit parti pour l’idole, il tua dans les martyrs cette chair qui doit ressusciter, mais non l’âme qui est couronnée, tandis que l’idole a disparu. Le Seigneur s’est donc fait homme et il a régné, il s’assied sur les chérubins ou sur la plénitude de ta science, et en toi, si lu as la science de la loi par la charité. Or, ces peuples frémissants ont été vaincus par la prière de l’Eglise qui les a absorbés; prions pour ceux qui sont demeurés dans l’aveuglement, afin qu’ils se tournent enfin vers Dieu, qui est mort pour eux, qui leur prêche dans sa miséricorde, qui oublie nos fautes, mais qui enfin nous jugera. C’est lui qui forme eu nous la justice, car si nous pouvons par nous-mêmes devenir malades, il faut le secours du médecin pour nous guérir. Il produit donc en nous le jugement qui nous rat discerner ce qui est bien, et la justice qui l’accomplit. Adorons l’escabeau de ses pieds ou cette chair en laquelle il s’est montré, qui fit éloigner les disciples quand il leur proposa de la manger, lui dont Moïse, Aaron et Samuel étaient les serviteurs, et à qui il parlait d’une manière figurée, corrigeant leurs affections, ou ce qui était imparfait. Car nous ne voyons en eux aucun châtiment extérieur, mais leur peine était de vivre avec les imparfaits. A mesure que nous avançons dans la piété, nous voyons l’ivraie autour de nous, mais ne l’arrachons pas. De même saint Paul souffre davantage à mesure qu’il avance dans la perfection. Adorons le Seigneur qui nous éprouve, adorons-le sur la montagne sainte, et dans cette pierre qui grandit et remplit toute la terre. Que nos paroles soient pour vous la pluie du Seigneur.
1. Votre charité, mes frères, ne peut ignorer, car vous êtes enfants de l’Eglise, instruits à l’école de Jésus-Christ, et dans les écrits de nos pères de l’Ancien Testament, qui ont consigné les paroles de Dieu, les merveilles de Dieu, que leur but était de nous instruire, nous qui devions vivre en ces temps et croire en Jésus-Christ. Il est venu à nous d’abord dans son humilité au temps précis, il viendra ensuite dans sa splendeur. Il est venu une première fois, pour comparaître devant un juge ; il viendra une seconde fois, pour s’asseoir sur son tribunal, afin que tous les membres du genre humain comparaissent devant lui chacun selon ses mérites. Il s’est fait précéder de plusieurs hérauts, qui l’ont annoncé comme un grand juge, et aussi comme un homme qui viendra dans son humilité. Beaucoup également l’ont annoncé comme devant naître d’une vierge, sucer la mamelle comme un nouveau-né, puis devenir enfant, lui le Verbe de Dieu par qui tout a été fait ; plusieurs hérauts t’ont précédé pour prédire ces merveilles et les temps où nous sommes. Toutefois, en les prédisant, ils cachaient leurs pensées sous des figures, jusqu’à ce que le voile (442) qui couvrait la vérité dans les livres anciens, fût enfin déchiré, et que la vérité sortit de la terre. Il est dit en effet dans un psaume: « La vérité s’est levée de la terre, et la justice a regardé du ciel 1 ». Tout notre but maintenant, quand nous lisons les psaumes, les prophètes, la loi, livres tous écrits avant la naissance de Jésus-Christ Notre-Seigneur , est donc d’y retrouver le Christ, d’y comprendre le Christ. Que votre charité donc examine ce psaume, afin d’y chercher le Christ: assurément il apparaîtra à ceux qui le cherchent, lui qui s’est montré à ceux qui ne le cherchaient point; il n’abandonnera point ceux qui soupirent après lui, quand il a racheté ceux qui le dédaignaient. C’est par lui que commence le psaume, quand il dit :
2. « Le Seigneur a régné, que les peuples frémissent 2 ». Notre-Seigneur a commencé son règne, on a commencé à le prêcher quand il est ressuscité des morts pour monter aux cieux, quand il a rempli ses disciples d’une sainte confiance dans l’Esprit-Saint, afin qu’ils n’eussent plus à craindre la mort qu’il avait tuée en lui-même. Or, il a commencé d’être annoncé aux hommes, afin que ceux qui voudraient être sauvés crussent en lui ; et alors les peuples qui adoraient des idoles ont frémi de colère. Ils frémissaient quand on leur prêchait tin Dieu qui les avait faits, ces hommes qui adoraient ce qu’ils avaient fait. Il se faisait annoncer par ses disciples, lui qui voulait ramener les hommes au Dieu qui les a créés, et les détourner des idoles qu’ils avaient faites. En faveur de l’idole, ils s’emportaient contre leur Seigneur, eux qui en faveur de leur idole ne pouvaient s’emporter contre leur esclave sans encourir la damnation. Car l’esclave valait bien mieux que l’idole, puisque c’est Dieu qui a créé l’esclave, tandis qu’un simple ouvrier a fait l’idole. Tel était leur zèle pour l’idole, qu’ils ne craignaient point de s’emporter coutre Dieu. Cette colère était prédite, mais non commandée; David l’a dit en effet: « Le Seigneur a régné, que les peuples s’irritent ». Cette colère des peuples peut aboutir; ils se fâcheront, et les martyrs seront couronnés par cette même colère. Qu’ont fait ces peuples aux prédicateurs de la vérité, aux nuées du Christ qui environnaient la terre, et qui arrosaient le champ du Christ? Que leur ont-ils fait dans leur colère, sinon
1. Ps. LXXXLV, 12. — 2. Id. XCVIII, 1.
de tourmenter la chair qui était entre leurs mains, et de faire couronner l’âme qui était entre les mains de Jésus-Christ? Et toutefois cette chair qu’ont pu tuer les persécuteurs, n’a pas été tellement morte, qu’elle eût péri éternellement : elle aura son temps pour ressusciter à son tour, puisque le Seigneur nous a déjà montré par lui-même que la chair doit ressusciter. Il a voulu se revêtir de notre chair, afin que nous ne pussions en désespérer. Donc, mes frères, la chair de ces serviteurs, que les idolâtres ont mis à mort, ressuscitera dans son temps : mais l’idole brisée par le Christ ne sera point rétablie par l’ouvrier. Tout à l’heure, quand on lisait Jérémie avant de lire les Apôtres, vous avez entendu, pour peu d’attention que vous ayez apportée, que les temps où nous vivons sont annoncés. Car il dit « Qu’ils périssent de la terre et de dessous le ciel, ces dieux qui n’ont fait ni le ciel ni la terre 1». Il ne dit point : Qu’ils disparaissent du ciel et de la terre, puisqu’ils n’ont jamais été au ciel. Mais que dit-il? « Que les dieux qui n’ont pas fait le ciel et la terre disparaissent de la terre». Comme s’il répondait au sujet de la terre, et n’avait rien à répondre à propos du ciel, puisque ces dieux n’ont jamais été dans le ciel : il nomme la terre deux fois, puisqu’elle est sous le ciel. « Qu’ils périssent de la terre, et de dessous le ciel », ou de leurs temples. Voyez si cet oracle ne s’accomplit point, s’il ne l’est même en grande partie. Que reste-t-il, combien en reste-t-il ? Ces idoles subsistent bien plus dans le coeur des païens, que dans leurs temples.
3. Donc « le Seigneur a régné, que les peuples s’irritent. Lui qui s’assied sur les chérubins », sous-entendu « a régné. Que la terre soit en émoi ». Ces derniers mots sont une répétition de ces autres: « Que les peuples s’irritent ». Car cette expression: «Seigneur », est répétée dans: « Celui qui s’assied sur les chérubins ». Il a régné », du premier verset, est sous-entendu dans le second, et: « Que les peuples s’irritent », est répété dans: « Que la terre soit en émoi ». Que sont en effet les peuples, sinon la terre ? Que la terre se soulève tant qu’elle voudra contre celui qui est assis dans le ciel. Le Seigneur en effet fut autrefois sur la terre, et il se fit de cette terre une chair afin d’habiter sur la terre. lise revêtit de notre chair, et voulut être la première
1. Jérém. X, 11.
443
victime des emportements populaires. Pour affermir ses serviteurs contre cette colère, il voulut la subir le premier: et comme cette colère des peuples était nécessaire à ses serviteurs, pour les guérir de leurs péchés au moyen de la tribulation, le médecin but le premier ce breuvage amer, afin que le malade ne craignît plus de le boire. Donc « le Seigneur a régné, que les peuples s’irritent » : que les peuples se soulèvent, puisque leur colère sert à Dieu pour opérer de si grands biens. Les peuples s’irritent et les serviteurs de Dieu sont purifiés; et parce qu’ils sont tourmentés, ils sont couronnés. « Que les peuples se soulèvent. Celui qui s’assied sur des chérubins » a régné: « Que la terre soit en émoi ». Le chérubin est le trône de Dieu, comme nous l’enseigne l’Ecriture, un trône sublime dans les cieux, et que nous ne voyons pas; mais le Verbe le connaît, et le connaît comme son trône; et ce même Verbe de Dieu et l’Esprit de Dieu ont enseigné aux serviteurs de Dieu le trône du Seigneur. Non point que le Seigneur s’asseye à la manière d’un homme; mais si tu veux que Dieu s’asseye en toi, si tu es juste, tu seras le trône de Dieu, car il est écrit que « l’âme du juste est le siége de la « sagesse ». Le mot trône, se dit en latin sedes ou siège. Ceux qui connaissent la langue hébraïque ont cherché ce que le mot chérubin signifie en latin, car chérubin est un mot hébreu, et ils ont dit qu’il signifie plénitude de la science. Donc parce que le Seigneur surpasse toute science, il est dit qu’il s’assied sur la plénitude de la science. Sois donc aussi plein de science, et le Seigneur s’assiéra en loi. Mais, diras-tu : Comment pourrai je avoir la plénitude de la science? Qui peut s’élever à cette hauteur pour avoir pleinement la science? Crois-tu que pour trouver en nous la plénitude de la science, Dieu exige que nous sachions le nombre des étoiles, ou des grains, je ne dirai pas de sable, mais de froment, ou combien de fruits pendent sur les arbres? Dieu connaît tout, il est vrai, puisqu’il a compté tous nos cheveux 1. Mais il est une plénitude de science qu’il veut trouver en l’homme. La science que Dieu veut trouver en toi, consiste dans la loi de Dieu. Mais, diras-tu encore, qui peut connaître si parfaitement la loi pour avoir en lui la plénitude de la science, et devenir ainsi le trône de Dieu?
1. Matth. X, 30.
Point d’effroi, voilà qu’on te dit en deux mots ce que tu dois avoir, situ veux posséder la plénitude de la science et devenir le trône de Dieu. « La charité », nous dit l’Apôtre, « c’est la plénitude de la loi 1». Quoi donc? Tu as perdu toute excuse. Interroge ton coeur, vois s’il a de la charité. S’il a de la charité, il a aussi la plénitude de la loi, et Dieu dès lors habite en toi, et tu es le trône de Dieu. « Que les peuples s’irritent ». Que feront-ils à celui qui est le trône de Dieu? Tu considères ceux qui peuvent te nuire, et tu ne considères pas celui qui est en toi. Tu es devenu le ciel, et tu crains la terre? Car l’Ecriture fait dire ailleurs au Seigneur notre Dieu: « Le ciel est mon trône 2 ». Si donc tu es le siège de Dieu, parce que tu as la plénitude de la science, ainsi que la charité, tu es aussi le ciel, car aux yeux de Dieu ce n’est point ce ciel que nous voyons des yeux, qui a quelque prix : le ciel pour Dieu, ce sont les âmes saintes; le ciel de Dieu, ce sont les esprits des anges, tous les esprits de ses serviteurs. Donc « que les peuples s’irritent, que la terre soit en émoi ». Que feront les peuples, que fera la terre à celui qui est le trône de Dieu, le ciel sur lequel il s’assied ?
4. « Le Seigneur est grand dans Sion, il est élevé au-dessus de tous les peuples 3». Oui, le Seigneur est grand dans Sion, il est souverainement élevé. Si donc il te restait quelque chose d’obscur sur cette parole: « Dieu est assis sur des chérubins » ; si tu te figurais un trône céleste éclatant de pierreries, fantôme grossier, voltigeant çà et là, et que tu appelais chérubin, tu as entendu que le chérubin c’est la plénitude de la science; que cette science n’est pas une science quelconque, mais la pleine science de la loi, science utile aux hommes : et de peur que tu ne désespères d’arriver à cette science de la loi, on t’a dit que la plénitude de la loi est la charité». Aie donc l’amour de Dieu et du prochain, et tu seras le siège de Dieu, tu seras un chérubin. Et si maintenant tu ne comprends pas encore, écoute ce qui suit: « Le Seigneur est grand dans Sion ». Celui qui s’assied sur les chérubins, celui-là est grand en Sion. Cherche maintenant ce qu’est Sion. Sion, nous le savons, est la cité de Dieu. Sion est la même ville que Jérusalem, et en interprétant le nom hébreu, Sion signifie observation, ou vision
1. Rom. XIII, 10. — 2. Isa. LXVI, 1. — 3. Ps. XCVIII, 2.
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et contemplation. Car observer signifie regarder, ou plutôt apercevoir, ou faire des efforts pour voir. Or, Sion est toute âme qui s’applique à découvrir la lumière qu’elle doit voir. Contempler sa propre lumière, c’est s’aveugler. Mais l’âme s’éclaire en contemplant celle de Dieu. Comme il est néanmoins évident que Sion est la cité de Dieu; quelle est cette cité de Dieu, sinon l’Eglise? Les hommes, en s’aimant d’une charité mutuelle , en aimant Dieu qui habite en eux, font à Dieu une cité. Or, comme toute cité a des lois, leur loi est la charité, et la charité c’est Dieu. Car il est dit clairement: « Dieu est charité 1 ». Etre plein de charité, c’est donc être plein de Dieu; et quand plusieurs sont pleins de charité, ils forment une cité à Dieu. Cette cité de Dieu s’appelle Sion, et dès lors Sion c’est l’Eglise. C’est en elle que Dieu est grand. Sois dans Sion et Dieu ne sera point en dehors de toi. Et quand Dieu sera eu toi, parce que tu feras partie de Sion, tu seras un membre de Sion, un citoyen de Sion, uni à la société du peuple de Dieu, alors Dieu sera en toi plus élevé que tous les peuples, dominant ceux qui frémissent ou ceux qui frémissaient autrefois. Pensez-vous en effet que ces peuples qui s’irritaient jadis ne s’irritent plus aujourd’hui? Ils s’irritaient alors, et comme ils étaient nombreux, ils le faisaient au grand jour; maintenant qu’ils sont en petit nombre, leur colère est secrète. Dieu qui a jusque-là brisé leur audace, étouffera enfin leur colère.
5. Croyez-vous en effet qu’ils ne frémissent point contre nos jeûnes, ceux qui faisaient retentir hier leurs instruments de musique? Pour nous, sans nous irriter contre eux, jeûnons pour eux. Ainsi l’a dit le Seigneur notre Dieu, il nous a ordonné de prier pour nos ennemis, de prier pour nos persécuteurs 2 ; voilà ce qu’a fait l’Eglise pour mettre fin aux persécutions. Elle a été exaucée quand elle a pratiqué ce précepte, Dieu l’exauce chaque jour quand elle le pratique; ses ennemis prévalaient sur elle pour leur malheur; et pour leur bonheur, ils sont dissipés. Voulez-vous savoir quelle a été leur fin? L’Eglise les a absorbés. Vous les cherchez en eux-mêmes, et vous ne les trouvez point cherche-les dans celle qui les a absorbés, et tu les trouveras dans ses entrailles. Dans les entrailles de l’Eglise, en effet, ils sont devenus
1. Jean, IV, 8. — Matth. V, 44.
chrétiens : ils ont péri comme persécuteurs , grandi comme prédicateurs. Aussi quand nous voyons dans leurs fêtes ceux qui sont demeurés païens, se livrer à leurs folies voluptueuses et condamnables, nous prions Dieu pour eux, afin qu’au lieu d’écouter avec plaisir le son des harpes, ils écoutent mieux encore la voix de Dieu. Si une harmonie sans raison flatte notre oreille, la parole de Dieu doit plaire à notre coeur. Mais ce que nous demandons pour eux, quand nous jeûnons aux jours de leurs fêtes, c’est qu’ils soient à eux-mêmes leurs spectacles. Ils ne pourront se voir sans se déplaire, et s’ils ne se déplaisent point, c’est qu’ils ne se considèrent point. Un homme dans l’ivresse ne se déplaît point, mais il déplaît à l’homme sobre. Donne-moi un homme qui trouve son plaisir en Dieu, il mène une vie sérieuse, il soupire après la paix éternelle que Dieu lui a promise : or, qu’il rencontre un homme qui danse au son des instruments, et vois s’il ne plaindrait pas plus cette folie, que le délire d’un frénétique. Donc si nous connaissons leur malheur, plaignons-les, puisque Dieu nous en a délivrés, et si nous les plaignons, prions pour eux, et afin d’être exaucés, jeûnons pour eux. Car ce n’est point pour célébrer leurs solennités que nous jeûnons; nous avons en effet d’autres jeûnes que nous célébrons dans les jours qui précèdent Pâques, et en d’autres jours solennels dans l’Eglise; mais nous jeûnons aux fêtes des païens, afin de gémir quand ils s’élèvent à une joie insensée. Leur joie est un avertissement pour notre douleur, et ils nous font souvenir de ce que nous étions. Mais comme plusieurs sont délivrés de ces folies dans lesquelles nous avons été plongés, nous ne devons point désespérer d’eux-mêmes. S’ils frémissent encore de colère, prions. Si cette partie de la terre qui demeure infidèle est en émoi, pour nous persévérons dans nos gémissements, afin que Dieu leur donne l’intelligence, et qu’ils entendent comme nous ces paroles qui font notre joie : « Le Seigneur est grand dans Sion, il est élevé au-dessus de tous les peuples ».
6. « Qu’ils rendent gloire à votre grand nom 1». Que tous ces Peuples que domine le Dieu qui est grand en Sion, « rendent gloire à son nom si grand ». Votre nom était faible,
1. Ps. XCVIII, 3.
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ô mon Dieu, quand ils frémissaient de colère: maintenant qu’il est grand, puissent-ils le bénir. Comment disons-nous que le nom du Christ était faible avant qu’il se répandît avec tant d’éclat ? C’est que le nom se prend ici pour la renommée ; c’est pourquoi il était faible alors et maintenant il est grand. Quelle nation n’a pas entendu le nom du Christ? Que les peuples donc rendent témoignage à la grandeur de votre nom, eux qui frémissaient quand il était faible. « Qu’ils confessent la grandeur de votre nom ». Pourquoi la confesser ? « C’est qu’il est terrible et qu’il est saint». Votre nom, ô mon Dieu, est un nom saint et terrible. Ainsi on prêche la mort de Jésus à la croix, on prêche ses humiliations, on prêche le jugement qu’il a subi, mais en prêchant son avènement dans sa gloire, en prêchant qu’il est vivant, en prêchant qu’il viendra pour juger. Maintenant il épargne les peuples blasphémateurs, parce que le baptême de Dieu amène à la pénitence 1. Car, celui qui épargne maintenant, épargnera-t-il toujours? et si maintenant on le prêche pour le faire craindre, ne doit-il point venir juger? Il viendra donc , mes frères, il viendra ; craignons-le, et vivons de manière à être placés à sa droite. Car il viendra pour juger, et il placera les uns à sa droite, les autres à sa gauche 2. Et toutefois il ne fait point ce discernement de manière à se tromper, à mettre à gauche celui qui doit être placé à droite, ou à placer à droite celui qui doit être placé à gauche. Dieu ne saurait se tromper, ni mettre dès lors le méchant à la place du bon, non plus que le bon à la place du méchant. Mais s’il ne saurait se tromper, c’est nous tromper beaucoup, que ne pas craindre ; et si nous craignons maintenant, nous n’aurons plus rien à craindre alors. « Son nom est terrible et saint : l’honneur du roi aime l’équité ». Que les peuples donc le craignent et se craignent : qu’ils ne présument point de sa miséricorde au point de s’oublier et de vivre dans le désordre ; car s’il aime la miséricorde, il aime aussi la justice. Où est sa miséricorde? A vous prêcher la vérité, à prendre sa grande voix pour vous amener à la conversion. Est-ce donc peu pour sa miséricorde, de ne pas t’avoir retranché de la terre au milieu de tes crimes, alors que tu vivais dans le désordre, et de t’avoir pardonné
1. Rom. II, 4. — 2. Matth. XXV, 31-33.
tes fautes, en considération de ta foi? Est-ce peu pour sa miséricorde, et penses-tu qu’il sera toujours miséricordieux, au point de ne jamais punir? Garde-t-en bien. Son nom est terrible et saint, « et l’honneur du roi aime l’équité». Il y aurait injustice dans le jugement, ou plutôt ce ne serait point un jugement, si chacun n’était traité selon ses mérites, selon le bien ou le mal qu’il a fait pendant qu’il était sur la terre 1. « L’honneur du roi aime le jugement ». Craignons donc alors, pratiquons la justice, et suivons l’équité.
7. Mais qui suit l’équité? qui pratique la justice ? Est-ce l’homme pécheur, l’homme d’iniquité: l’homme pervers, et qui se détourne de la lumière de la vérité ? Que doit faire l’homme ? Simplement se convertir à Dieu, qui formera en lui cette justice que lui-même, loin de former, ne fait que défigurer. L’homme qui peut si facilement se blesser, peut-il donc se guérir? Il est malade quand il le veut, triais ne se lève point quand il veut. Il n’a qu’à le vouloir, à s’exposer à l’excès du froid ou de la chaleur; il sera malade au jour qu’il voudra: mais lorsqu’il est malade volontairement par ses propres excès, qu’il se lève quand il le voudra ; il s’est alité à son gré, qu’il se lève à son gré, s’il le peut. Pour être malade, il ne lui fallait que son intempérance; mais pour sa guérison, il lui faut le secours du médecin, il en est ainsi du péché; l’homme se suffit à lui-même pour pécher; mais s’agit-il de la justification, il ne peut être justifié que par celui qui est le juste par excellence. Afin d’engager les hommes à se livrer à lui pour être formés à la justice, voilà qu’après avoir effrayé les peuples, et dit: « Qu’ils confessent la grandeur de votre nom, parce qu’il est terrible et saint, et l’honneur du roi aime la justice », le Prophète semble répondre aux hommes effrayés, qui lui demandent comment il leur faut vivre dans la justice; puisqu’ils n’ont pas la justice en eux-mêmes, il leur signale celui qui peut former en eux cette justice: «C’est vous», dit-il, « qui avez préparé la justice ; vous avez fait en Jacob la justice et le jugement 2 ». Car nous aussi, nous devons avoir le jugement, nous aussi avoir la justice. Mais celui qui a fait la justice et le jugement est aussi celui qui nous a faits afin de les former en nous.
1. II Cor. V, 10. — 2. Ps. XCVIII, 4.
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Comment donc, nous aussi, aurons-nous la justice et le jugement? Le jugement chez toi, c’est le discernement du bien et du mal ; la justice, de faire le bien et éviter le mal. Discerner le bien, c’est le jugement; le faire, c’est la justice. « Evite le mal », dit le Prophète, « et fais le bien; cherche la paix et poursuis-la 1 ». Ainsi donc , le jugement d’abord, et ensuite la justice. En quoi consiste le jugement ? A discerner ce qui est bien et ce qui est mal. En quoi la justice? A se détourner du mal pour s’attacher au bien. Mais cela ne vient pas de toi: vois en effet ce que dit le Prophète : « C’est vous qui avez fait en Jacob le jugement et la justice».
8. « Exaltez le Seigneur notre Dieu ». Oui, exaltez-le, relevez ses bienfaits. Louons-le, exaltons-le, puisqu’il a fait la justice que nous avons, et l’a faite en nous. Qui a créé en nous la justice, sinon celui qui nous a justifiés? Or, il est dit du Christ, qu’ « il a justifié l’impie 2 ». Nous sommes les impies, c’est lui qui nous rend justes, quand il établit en nous cette justice par laquelle nous pouvons lui plaire et mériter d’être placés, non point à sa gauche, mais à sa droite, lorsqu’il dira à ceux de droite : « Venez , bénis de mon Père, recevez le royaume qui a été préparé pour vous dès l’origine du monde »; afin qu’il ne nous place point à la gauche avec ceux auxquels il doit dire: « Allez au feu éternel qui a été préparé au diable et à ses anges 3». Combien ne devons-nous point exalter celui qui doit couronner en nous, non point nos mérites, mais ses dons? « Exaltez le Seigneur notre Dieu ».
9. « Prosternez-vous devant l’escabeau de « ses pieds, car il est saint 4 ». Que devons-nous adorer? « L’escabeau de ses pieds ». On appelle escabeau ce que l’on met sous les pieds. Les Grecs l’appellent upopodion, les Latins scabellum, d’autres l’ont appelé suppedaneum. Voyez, mes frères, ce que le Psalmiste nous ordonne ici d’adorer. Dans un autre endroit de l’Ecriture il est dit : « Le ciel est mon trône, et la terre l’escabeau de mes pieds 5». Est-ce donc la terre qu’il nous faut adorer, puisqu’il dit ailleurs que c’est l’escabeau de ses pieds? Comment adorer la terre, quand l’Ecriture nous dit clairement: « Tu adoreras le Seigneur ton Dieu 6? » Cependant l’Ecriture
1. Ps. XXXIII, 15. — 2. Rom. IV, 5. — 3. Matth. XXV, 34, 41. — 6. Ps. XCVIII, 5.— 7. Isa. LXVI, 1.— 8. Deut. VI, 13; Matth. IV, 10.
nous dit : « Adorez l’escabeau de ses pieds » ; et comme pour nous expliquer ce qu’elle entend par cet escabeau, elle dit ailleurs : «La terre est l’escabeau de ses pieds». Me voilà dans l’embarras : je crains d’adorer la terre, de peur d’être condamné par celui qui a créé le ciel et la terre ; et je crains encore de n’adorer point l’escabeau des pieds de mon Dieu, quand le Psalmiste me dit: « Adorez l’escabeau de ses pieds ». Je cherche quel est cet escabeau, et l’Ecriture me répond: « La terre est l’escabeau de ses pieds». Dans mon anxiété, je me tourne vers le Christ, car c’est lui que je cherche ici, et je trouve comment l’on peut sans impiété adorer la terre, sans impiété adorer l’escabeau de ses pieds. Car c’est de la terre qu’il a reçu une terre, puisque la chair est une terre, et qu’il a pris sa chair de la chair de Marie. Et parce qu’il s’est montré sur la terre avec cette chair, que pour notre salut il nous a donné cette chair à manger, nul ne mange cette chair sans l’adorer d’abord. Et voilà que nous avons trouvé comment nous pouvons adorer cet escabeau de ses pieds, en sorte qu’on peut l’adorer sans pécher, et que ne point l’adorer au contraire, ce serait pécher. Mais est-ce la chair qui nous donne la vie? Jésus-Christ lui-même, en nous signalant cette terre qu’il portait, nous dit: «C’est l’Esprit qui vivifie,la chair ne sert de rien 1» .C’est pour cela qu’en t’inclinant devant une terre quelconque, en l’adorant, tu ne fais aucune attention à la terre, mais à ce saint, dont la terre que tu adores est le marchepied, car c’est à cause de lui que tu l’adores : aussi le Prophète a-t-il ajouté : « Adorez l’escabeau de ses pieds, parce que lui est saint ». Qui est saint? Celui en l’honneur de qui tu adores l’escabeau de ses pieds. Et quand tu l’adores, que ta pensée ne demeure point dans la chair, de peur que tu ne sois privé de la vie de l’Esprit : « C’est l’Esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien », dit le Sauveur. Quand le Seigneur faisait cette recommandation, il avait parlé de sa chair, et il avait dit : « Si vous ne mangez ma chair, vous n’aurez pas la vie en vous 2».Quelques disciples, au nombre de septante environ, en furent scandalisés, et s’écrièrent : « Cette parole est dure, et qui e pourrait l’entendre? » Ils se séparèrent et ne le suivirent plus 3. Cette parole leur
1. Jean, VI, 64. — 2. Id. 54. — 3. Id, 61-67.
447
paraissait dure : « Si vous ne mangez ma chair, vous n’aurez pas la vie éternelle ». Ils l’entendirent d’une manière stupide; leur pensée était charnelle : ils crurent que le Seigneur allait couper quelques morceaux de sa chair et les leur présenter, et ils s’écrièrent : « Cette parole est dure ». C’étaient eux qui étaient durs, et non la parole. S’ils eussent été humbles, et non pas durs, ils se seraient dit : Ce n’est pas sans raison que le Seigneur parle ainsi, il y a là quelque mystère caché. Dans leur soumission ils seraient demeurés avec Jésus-Christ, et ne seraient point partis avec dureté; alors ils eussent appris de lui ce que les autres apprirent après leur départ. Car les douze qui demeurèrent après le départ des autres, affligés de leur mort spi rituelle, avertirent le Sauveur du scandale des autres et de leur départ. C’est alors qu’il leur dit pour leur instruction : « C’est l’Esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien; les paroles que je vous ai dites sont esprit et vie ». Donnez à mes paroles un sens spirituel : ce n’est point ce corps tel que vous le voyez que vous devez manger, ni boire mon sang tel que le répandront ceux qui doivent me crucifier. C’est un mystère que je vous ai prêché, et si vous l’entendez d’une manière spirituelle, il vous donnera la vie. S’il faut le célébrer d’une manière visible, il faut néanmoins le concevoir d’une manière invisible. « Exaltez le Seigneur notre Dieu, et adorez l’escabeau ide ses pieds, car lui est saint ».
10. « Moïse et Aaron étaient ses prêtres, Samuel était de ceux qui invoquent son nom. Ils invoquaient le Seigneur, et il les exauçait, il leur parlait dans la cotonne de nuée 1». Des hommes, tels que Moïse, Aaron et Samuel, ont servi le Seigneur, et ont un grand nom parmi les anciens. Vous savez que Moïse fit éclater la puissance de Dieu en tirant le peuple de l’Egypte, et en le conduisant à travers la mer Rouge, et dans le désert. Dieu fit par Moïse beaucoup de merveilles que connaissent tous ceux qui écoutent lire volontiers les Ecritures dans l’Eglise, ou qui les lisent eux-mêmes,ou qui les ont apprises de quelque manière. Aaron était frère de Moïse, et il l’ordonna grand prêtre. On ne voit pas qu’il y eût alors d’autre prêtre que Aaron, que les saintes lettres nomment expressément le prêtre de Dieu 2. Il n’est point dit que Moïse fût prêtre. Mais
1. Ps. XCVIII, 6,7.— 2. Exod. XXVIII, 1.
alors qu’était-il, sinon prêtre? Pouvait-il être supérieur au grand prêtre? Notre psaume nous dit ici qu’il était prêtre : « Moïse et Aaron étaient parmi ses prêtres ». Ces deux grands hommes étaient alors prêtres du Seigneur, et plus tard on trouve le nom de Samuel dans le livre des rois. C’est le même Samuel qui vécut du temps de David, et qui lui donna l’onction royale 1. Samuel, dès sa plus tendre enfance, grandit dans le temple du Seigneur. Sa mère était stérile, et dans son désir d’avoir un fils, elle pria le Seigneur avec grands gémissements de lui donner un fils, montrant qu’elle ne voulait point une consolation charnelle, puisqu’après sa naissance elle le donna à celui qui l’avait fait naître. Elle avait fait un voeu au Seigneur en disant: « Si j’obtiens un fils, il vous servira dans le temple» ; et elle tint parole. Samuel, après sa naissance, demeura auprès de sa mère, tant qu’il fut à la mamelle; et quand il fut sevré, on l’amena dans le temple pour y grandir, y fortifier son esprit et y servir le Seigneur. Il fut de son temps le grand, le saint prêtre 2. Le psaume nomme ces saints personnages, et par eux comprend tous les autres saints. Pourquoi nommer ceux-ci? Parce que le Psalmiste veut mous montrer en eux le Christ. Que votre sainteté redouble d’attention. Il a dit tout à l’heure, « Exaltez le Seigneur notre Dieu, et adorez l’escabeau de ses pieds, car lui est saint 3». Nous désignons ainsi quelqu’un ou notre Seigneur Jésus-Christ, dont nous devons adorer l’escabeau, parce qu’il a pris une chair pour être visible aux hommes; et pour nous montrer que c’est lui qu’ont figuré nos pères dans l’antiquité, que c’est ce même Jésus-Christ qui est le roi-prêtre, le psaume désigne ces personnages, parce que c’est à eux que Dieu parlait dans la colonne. Qu’est-ce à dire « dans la colonne? » Il leur parlait en figure. Si Dieu leur parlait en effet sous des ombres, ces paroles voilées désignaient alors un personnage inconnu. Mais ce personnage inconnu n’est plus inconnu; car nous savons que c’est notre Seigneur Jésus-Christ. «Moïse et Aaron étaient au nombre de ses prêtres, et Samuel parmi ceux qui invoquent son nom. Ils invoquaient le Seigneur et îles écoutait, il leur parlait dans la nuée ». Celui qui parlait d’abord dans la nuée, nous a parlé ensuite dans
1. I Rois, XVI, 13.— 2. Id. I, 11. — 3. Ps. XCVIII, 5.
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l’escabeau de ses pieds, c’est-à-dire dans la terre ou dans la chair qu’il avait prise; de là vient que nous adorons l’escabeau de ses pieds, car lui est saint. Il leur parlait de la nuée un langage alors inconnu: il a parlé de l’escabeau de ses pieds, et nous a fait comprendre les paroles de cette nuée. « Il leur parlait dans une cotonne de nuée ».
11. Redoublons d’attention , mes frères, et voyez quels saints le Prophète nous désigne, et quelle est leur sainteté. « Ils gardaient ses témoignages , et les préceptes qu’il leur a donnés ». Assurément ils gardaient ces préceptes, comprenez-le bien. « Ils gardaient ses témoignages, et les préceptes qu’il leur a donnés ». Voilà ce que dit le Prophète, et ce qu’on ne peut nier. Mais n’avaient-ils aucun péché? Comment cela? Puisqu’ils gardaient ses préceptes, ils gardaient aussi ses témoignages. Voyez quelle disposition exige de nous le Prophète, afin que nous ne présumions point que notre justice est parfaite. Voilà Moïse et Aaron parmi ses prêtres, Samuel parmi ceux qui invoquent son nom. C’est à eux qu’il parlait de cette colonne de nuée, c’est d’eux qu’il exauçait la prière, parce qu’ils gardaient ses témoignages, et les préceptes qu’il leur avait donnés. « Seigneur», dit ensuite le Prophète, « Seigneur, notre Dieu, vous les avez exaucés. O Dieu, vous leur avez été propice ». Or, on ne dit point de Dieu qu’il soit propice, sinon quand il s’agit de péchés; en accorder le pardon, voilà ce qu’on appelle être propice. Mais que pouvait. il trouver à venger en eux, pour se montrer propice en le leur pardonnant? Dieu leur était propice par le pardon, et propice encore par le châtiment. Que dit en effet la suite? « Vous leur avez été propice, même en tirant vengeance de leur affection ». Jusqu’à cette vengeance leur était propice : c’était bonté de votre part, non-seulement de leur pardonner leurs fautes, mais encore de les châtier. Voyez, mes frères, ce que veut dire ici le Prophète; remarquez bien. C’est le propre de la colère de Dieu de ne point châtier le pécheur. Pour l’homme, en effet, qui jouit de ses faveurs, non-seulement il lui pardonne ses fautes qui lui seraient nuisibles pour la vie éternelle, mais il l’en châtie de peur qu’il ne mette à jamais son bonheur dans le péché.
12. Courage donc, mes frères, et si nous cherchons comment leurs fautes furent châtiées, Dieu m’aidera à vous le dire. Cherchons comment Dieu châtia les fautes de ces trois personnages, Moïse, Aaron et Samuel, puisque le Psalmiste nous dit: « Il tira vengeance de leurs affections », parlant sans doute de ces affections que Dieu voyait dans leurs coeurs, mais inconnues aux hommes. Car, aux yeux des hommes, ces saints étaient irréprochables au milieu du peuple de Dieu. Mais que dis-je? Moïse ne fut-il pas coupable, dans les commencements de sa vie? Car il s’enfuit de l’Egypte après avoir tué un homme 1. Au début de sa vie encore Aaron déplut à Dieu. Lorsque le peuple, en effet, dans sa fureur et son délire voulut une idole, il le permit, et le peuple de Dieu se prosterna devant l’idole 2. Mais que fit Samuel qui entra tout enfant dans le temple? Depuis ses jeunes années, sa vie s’écoula dans les rites sacrés, au service du Seigneur 3. Aucun reproche ne tomba sur Samuel, aucun de la part des hommes. Mais Dieu voyait sans doute en lui quelque chose à purifier. Car ce qui semble parfait aux hommes, est souvent bien imparfait devant la perfection. Nous voyons tous les jours des ouvriers, qui exposent leurs ouvrages aux yeux des ignorants; et quand les ignorants regardent ces oeuvres comme parfaites, l’artiste qui connaît leur imperfection les polit toujours, et force les hommes à l’admiration devant ce fini d’une oeuvre qu’ils avaient d’abord jugée parfaite. Voilà ce qui arrive dans l’architecture, dans la peinture, dans les vêtements et dans presque tous les arts. Les hommes, tout d’abord, jugent parfait ce qu’on leur montre: leurs yeux ne désirent rien de plus, mais l’oeil expérimenté en juge autrement, ainsi que les règles d’un art. C’est ainsi que ces mêmes saints, qui marchaient sous l’oeil de Dieu, pouvaient paraître sans faute, comme des hommes parfaits, des anges;mais Dieu, qui châtiait leurs affections, connaissait ce qui leur manquait. Il les châtiait sans colère, mais par bonté ; il les châtiait, non point pour punir leur faute, mais afin de perfectionner son oeuvre. Dieu donc châtiait en eux leurs affections. Quel châtiment a-t-il exercé contre Samuel ? Où est la vengeance qu’il en a tirée? Je parle ainsi afin que les chrétiens, qui ont déjà connu le Christ, qui est venu en eux dans l’escabeau de ses pieds,
1. Exod. II, 12, 15. — 2. Id. XXXII, 1-4. — 3. I Rois, I, 24
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qui les a aimés jusqu’à répandre son sang pour eux, sachent comment ils seront flagellés quand ils seront avancés dans la piété. Cherchons un châtiment dans Moïse, et nous ne voyons presque rien dans l’Ecriture, sinon qu’à la fin de sa vie Dieu lui dit: « Va sur la montagne, pour y mourir ». Or, il était vieux, quand Dieu lui dit: « Meurs»; il avait eu de longues années, ne devait-il donc point mourir? Où est le châtiment? Prendrez-vous pour châtiment cette parole : « Tu n’entreras pas dans la terre promise 1», où le peuple devait entrer ? Moïse était en cela une figure de plusieurs. Pour celui qui entrait dans le royaume des cieux, était-ce une grande peine de n’entrer point dans cette terre, promise pour un temps, ombre de l’avenir qui devait passer à son tour? Beaucoup d’infidèles ne furent-ils pas admis dans cette terre ? Leur vie n’y fut-elle pas un désordre, un outrage contre Dieu? Ne s’adonnèrent-ils pas à l’idolâtrie dans cette même terre? Qu’était-ce pour Moïse de n’y pas entrer ? Moïse voulut être ici la figure de ceux qui étaient sous cette loi. Car ce fut Moïse qui donna la loi 2, et ce fut par là qu’il enseigna qu’ils n’entreraient point dans la terre promise, ces hommes qui s’obstineraient à demeurer sous la loi, refusant d’être sous la grâce. Cette parole donc adressée à Moise était une figure, et non un châtiment. Quelle peine que la moi-t pour un vieillard ? Quelle peine que n’entrer point dans cette terre où entrèrent des indignes? Qu’est-il dit à propos d’Aaron? Il mourut chargé d’années, et ses fils lui succédèrent dans le sacerdoce son fils devint grand prêtre après lui 3. Où est le châtiment d’Aaron? Samuel mourut aussi après une longue vieillesse, et laissa des enfants tour lui succéder 4. Je cherche quelle vengeance fut exercée contre eux, et humainement parlant, je n’en trouve point; mais à en juger sur la connaissance que j’ai de ce qu’endurent les serviteurs de Dieu, le Seigneur les affligeait chaque jour. Lisez ces afflictions, voyez-les, et vous, qui avancez dans la piété, profitez de ces afflictions. Chaque jour ils enduraient les contradictions du peuple, chaque jour encore l’iniquité des méchants ils étaient forcés de vivre avec ceux dont ils reprenaient tes désordres. Telle fut leur peine; quiconque la trouve légère, n’a fait encore
1. Deut. XXXII, 49, 52. — 2. Jean, I, 17. — 3. Nomb. XX, 24-28; XXXIII, 38. — 4. I Rois, VIII, 1; XXV, 1.
aucun progrès. Car tu souffres les injustices des autres à proportion que tu t’es purifié de la tienne. Quand, en effet, tu seras un bon grain, c’est-à-dire une bonne herbe qui croit d’une bonne semence, un fils du royaume commençant à donner du fruit, alors tu verras l’ivraie: « Quand l’herbe eut poussé et produit son fruit, l’ivraie parut aussi 1». A l’apparition de l’ivraie, tu verras que tu vis parmi les méchants. Tu voudrais en quelque sorte éloigner de toi les méchants, et séparer tout méchant de l’Eglise. Mais voici le Seigneur qui te répond « Laissez grandir l’un et l’autre jusqu’à la moisson, de peur qu’en voulant arracher l’ivraie, vous n’arrachiez aussi le froment 2». Ainsi donc, d’après l’arrêt de Dieu, il faut laisser croître l’ivraie, et d’après sa condition, le serviteur doit vivre parmi l’ivraie : tu ne saurais faire une séparation, il faut nécessairement la supporter. Vois combien de plaies dans ton coeur, quand tu es sain de corps au milieu des méchants. Vous me comprendriez quand vous aurez fait des progrès, et vous qui en avez fait vous me comprenez. Ce sont donc des maux qu’il faut tolérer; et c’est peut-être à cela que l’on doit rapporter cette parole : « Le serviteur qui connaît la volonté de son maître, et qui ne l’exécute point, sera frappé de plusieurs coups 3». Bien souvent, en effet, plus nous connaissons la volonté de Dieu, et plus nos fautes nous apparaissent; et plus ces fautes apparaissent, plus aussi nous nous abandonnons aux pleurs et aux sanglots. Nous comprenons combien il est juste que Dieu nous frappe, et quelle est notre imperfection, et alors s’accomplit en nous cette parole: « Multiplier la science, c’est multiplier la douleur 4 ». Plus tu auras de charité, et plus le péché t’affligera; plus la charité grandira, plus la malice du méchant te sera à charge: non point à cause de la colère qu’il t’inspirera, mais à cause de ta compassion pour lui.
13. Vois ce que souffrait saint Paul, et ce qu’il souffrait chaque jour. « Outre les occupations extérieures » (il avait énuméré ce qu’il avait souffert, et il passe aux douleurs intérieures, en outre de ce qu’il souffrait au dehors de la part des méchants qui persécutaient le Christ) , « j’ai les assauts de chaque jour, et la sollicitude de toutes
1. Matth. XIII, 26. — 2. Id. 30. — 3. Luc, XII, 47, 48. — 4. Ecclés. I, 18.
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les Eglises 1 ». Et vois quelle sollicitude, comme elle est paternelle, maternelle même: vois quelles étaient ses douleurs, comment Dieu châtiait toutes ses affections; énumérons ces affections secrètes que Dieu châtiait: « Qui est faible », dit-il, « sans que je sois faible avec lui? qui est scandalisé, sans que je sois brûlé 2? » Plus sa charité grandit, plus vives sont les douleurs qu’il ressent des péchés des autres. Il ressentait aussi l’aiguillon de la chair, l’ange de Satan qui le souffletait. Voilà comment Dieu se montre propice en tirant vengeance de ses affections. Or, de quelles affections tirait-il ainsi vengeance? Il nous les expose lui-même dans ces paroles: « De peur que la grandeur de mes révélations ne me donne de l’orgueil, il m’a été donné un aiguillon de la chair, un ange de Salan, pour me souffleter 3 ». Telle était sa perfection, que néanmoins l’enflure était encore à craindre; car Dieu n’apporterait aucun remède, s’il n’y avait aucune blessure. Il demande qu’il lui soit ôté; ce malade veut éloigner le remède: « C’est pourquoi »,dit-il, « j’ai demandé au Seigneur de m’en délivrer », c’est-à-dire de me délivrer de cet aiguillon de la chair qui me donne des soufflets, c’est-à-dire quelque douteur corporelle. « J’ai demandé au Seigneur de m’en délivrer, et il m’a répondu : Ma grâce te suffit, car la force se perfectionne dans la faiblesse 4 ». Je connais celui qu’il faut guérir, que le malade ne me donne pas de conseil. Le remède est cuisant, mais il te guérit. Paul supplie le médecin d’ôter ce remède, et le médecin ne l’ôte pas avant la guérison de cette plaie sur laquelle on l’a placé. « C’est dans l’infirmité que se perfectionne la force ». Nous donc, mes frères, qui avançons dans le Christ, n’espérons pas vivre sans épreuve douloureuse; quels que soient nos progrès, en effet, Dieu connaît nos fautes, quelquefois il lui plaît de nous les montrer, et alors nous voyons nous-mêmes nos péchés. Et quand nous nous trouvons au milieu d’hommes tels qu’ils ne nous reprochent plus nos péchés, Dieu trouve encore de quoi nous reprocher, et tire vengeance de nos affections, par bonté pour nous. S’il nous abandonnait, sans daigner nous châtier, nous péririons. « O Dieu, vous leur avez été favorable, en châtiant toutes leurs affections ».
14. « Exaltez le Seigneur notre Dieu ». Encore
1. II Cor. XI, 28. — 2. II Cor. XI, 29. — 3. Id. XII, 7. — 4. Id. 8, 9.
une fois, chantons le Seigneur mais comment louer, comment exalter celui qui est bon, même quand il frappe?Ce que tu fais à l’égard de ton fils, Dieu ne peut-il donc le faire pour toi? Ne crois point que ce soit être bon que flatter ton fils, et méchant que le corriger. Tu es père dans tes caresses, et bon encore dans tes châtiments: tes caresses le garantissent du découragement, tes châtiments du désordre. « Chantez le Seigneur notre Dieu, et adorez-le sur sa montagne sainte, parce que le Seigneur notre Dieu est saint 1». De même que le Prophète a dit tout à l’heure : « Chantez le Seigneur notre Dieu, et adorez l’escabeau de ses pieds»; or, nous avons compris ce que désigne cet escabeau; de même, après nous avoir invités à touer le Seigneur Dieu, il nous signale sa montagne, de peur qu’on ne le chante ailleurs que sur sa montagne. Or, quelle est sa montagne? Nous lisons ailleurs, à propos de cette montagne, qu’une pierre détachée de la montagne, sans la main d’aucun homme, brisa tous les royaumes de la terre, et que cette pierre grandit. C’est la vision de Daniel que je vous rapporte. « Elle s’accrut donc cette pierre détachée de la montagne, sans la main d’aucun homme; elle devint une grande montagne », dit le Prophète, « au point de remplir, toute la terre 2». Telle est la montagne sur laquelle nous devons adorer Dieu, si nous voulons qu’il nous exauce. Les hérétiques ne l’adorent point sur cette montagne; car elle a rempli la terre entière; et eux, en s’attachant à une partie, ont perdu la totalité. S’ils reconnaissent l’Église catholique, ils adoreront Dieu avec nous sur cette montagne. Car nous voyons combien a grandi cette pierre détachée de la montagne, sans la main d’un homme, combien de contrées elle occupe, et à quelles nations elle est arrivée. Quelle est cette montagne d’où s’est détachée la pierre, sans la main des hommes? C’est le royaume des Juifs, qui adoraient un seul Dieu. C’est de là que s’est détachée cette pierre, qui est Notre-Seigneur Jésus-Christ. C’est lui qui est appelé « la pierre réprouvée par les architectes et devenue la pierre de l’angle 3». Cette pierre détachée de la montagne, sans la main d’un homme, a broyé tous les royaumes de la terre: nous voyons tous les empires du monde écrasés aujourd’hui par la pierre. Quels étaient ces
1. Ps. XCVIII, 9.— 2. Dan. II, 34, 35.— 3. Ps. CXVII, 22; Act. IV, 11.
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royaumes de la terre? Les royaumes de l’idolâtrie, empires du démon qui sont brisés. Saturne régnait sur un grand nombre d’hommes: où est son royaume? Mercure avait beaucoup d’hommes sous son empire : où est cet empire? Il est brisé, et les peuples qu’il dominait ont passé sous l’empire du Christ. Combien était puissant à Carthage l’empire de Vénus! Où est maintenant Vénus, où est son empire? Cette pierre détachée de la montagne, sans le secours d’aucun homme, a broyé tous les empires. Qu’est-ce à dire détachée de la montagne sans la main d’un homme? Que sans l’opération d’aucun homme, le Christ est né parmi les Juifs. Tous les hommes qui naissent, ne peuvent naître que par l’oeuvre maritale; mais le Christ est né de la Vierge sans la main d’un homme; or, la main signifie ici l’oeuvre d’un homme, puisque nul homme n’a pris part à sa naissance, et qu’il s’est formé sans aucun acte conjugal. Cette pierre est donc née de la montagne, et sans la main d’un homme; elle a grandi, et en grandissant a broyé tous les royaumes du monde. Il est devenu une grande montagne couvrant la surface de la terre. C’est là l’Eglise catholique, dont vous devez vous réjouir d’être les enfants. Quant à ceux qui ne lui appartiennent point, comme ils n’adorent point Dieu, ne le louent point sur la montagne, ils ne sont point exaucés pour la vie éternelle; bien que Dieu les exauce quelquefois dans ce qui est du temps. Qu’ils ne se flattent point, dès lors, de ce que Dieu les écoute parfois, car il écoute aussi quelques voeux des païens. Dieu n’accorde-t-il pas la pluie aux prières des idolâtres? Pourquoi? Parce qu’ « il fait luire son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes et sur les injustes 1». Ne te glorifie donc pas, ô idolâtre, de ce que tes prières obtiennent la pluie de Celui qui fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes. Il t’exauce pour ce qui est du temps; mais il ne t’exauce pour ce qui est de la vie éternelle, que si tu l’adores sur sa montagne sainte. « Adorez le Seigneur sur sa montagne sainte, parce que le Seigneur notre Dieu est saint ».
15. Que cette explication du psaume suffise à votre charité: nous avons dit ce qu’il a plu au Seigneur de nous inspirer. Et tout ce que nous disons au nom du Seigneur, est une pluie de Dieu, puisqu’il lui plaît de parler par notre bouche; voyez quelle terre vous êtes à votre tour. Quand la pluie descend sur la terre, si la terre est bonne, elle produit de bons fruits; si elle est mauvaise, elle ne produit que des épines : la pluie est toujours douce, aux bous fruits comme aux épines. Celui qui aura entendu nos paroles pour tomber dans un état pire, et à qui cette pluie aura fait produire des épines, ne peut espérer que le feu sans accuser la pluie; mais celui qui en sera devenu meilleur, qui aura produit les fruits d’une bonne terre, doit espérer les greniers célestes et bénir la pluie. Que sont en effet les nuées, ou qu’est-ce que la pluie, sinon la miséricorde de Dieu, qui fait tout en ceux qu’il aime et à qui il a donné de l’aimer?
1. Matth. V, 45.
DISCOURS SUR LE PSAUME XCIX.
SERMON AU PEUPLE.
LA JUBILATION DANS L’ÉGLISE.
Que la terre entière soit dans la jubilation et confesse le Seigneur. Cette jubilation est l’expression inarticulée d’une joie excessive, à la vue des grandeurs de la création; mais le coeur pur comprend seul ces grandeurs, le coeur impur ne désire même pas la lumière ; pour voir il faut S’approcher, et l’on s’approche de Dieu par la ressemblance avec lui. Tout est également présent pour l’homme qui voit et pour l’aveugle, mais le résultat est bien différent. Approcher de Dieu, c’est te voir autant qu’il est possible en cette vie mortelle, c’est a source de la jubilation. Le joug du Seigneur est doux, et nous devons le servir par amour, afin d’être ainsi esclaves et libres. Servons le avec allégresse, mais ici-bas la jubilation n’est pas entière, nous sommes daims la tribulation, comme le lis au milieu des épines. Le chrétien doit-il donc se séparer des méchants pour vivre dans la solitude ? Mais d’abord ses exemples de vertu seront perdus, et puis la solitude a ses tentations, ses faux frères, ses combats, et notre paix ici-bas n’est que dans la foi aux promesses divises Ce qui nous trompe, c’est que nos voyons uniquement ou les avantages ou les inconvénients d’un genre de vie; on loue l’Eglise sans dire quelle renferme aussi des méchants ; on blâme les mauvais chrétiens salis faire attention aux bons. Il en est de même des clercs, de même des solitaires. Le Seigneur a donc raison de nous dire, que deux travailleront dans le champ du Seigneur, et que le bon seul sera admis, de même des deux à la meule, ou qui travaillent en apparence à leur salut. Sachons donc nous soumettre à Dieu, confessons nos fautes avant d’entrer dans ce bercail, où se continuera notre confession, mais confession de louanges en l’honneur de Dieu.
1. Vous avez, mes frères, entendu le psaume quand on l’a chanté; il est court et n’a rien d’obscur : je vous donne cette garantie, afin que vous n’ayez pas à craindre la fatigue. Appliquons néanmoins notre attention, et d’autant plus volontiers que nous en avons plus le temps, à pénétrer le sens de ces paroles déjà si claires, afin d’en trouver la signification spirituelle autant que nous le pourrons. Quel que soit l’organe que prenne la voix de Dieu, c’est toujours la voix de Dieu; il n’y a que sa parole qui plaise à ses oreilles ; et quand nous parlons, nous ne lui plaisons qu’à la condition qu’il parlera lui-même par notre bouche.
2. « Psaume pour la confession » : telle est l’inscription, tel est son titre: « Psaume pour la confession 1 ». Il contient peu de paroles, mais qui sont pleines d’un grand sens; puissent-elles jeter la bonne semence dans vos âmes, afin que l’on prépare le grenier céleste pour la moisson du Seigneur. Poussons des cris de joie au Seigneur, c’est là ce que veut ce psaume de la confession, c’est à quoi il nous exhorte. Or, cette exhortation ne s’adresse point à un coin de la terre, ni à quelque lieu séparé, ou à quelque réunion d’hommes; mais comme Dieu sait qu’il a
1. Ps. XCLX, 1
répandu ses bénédictions sur toute la terre, il exige de toute la terre la jubilation.
3. « Vous tous, habitants de la terre, acclamez le Seigneur 1». Est-ce que la terre entière peut entendre ma voix ? Cependant la terre entière a entendu la voix du psaume. Déjà la terre entière acclame le Seigneur, et celle qui ne l’acclame point encore, l’acclamera bientôt. Car la bénédiction qui est partie de Jérusalem avec l’Eglise naissante, se répand dans toutes les nations 2, renverse partout l’impiété pour établir la piété en tout lieu : les bons sont mélangés aux méchants, et comme les méchants sont par toute la terre, les bons aussi sont par toute la terre. Toute la terre murmure avec les méchants, comme toute la terre pousse avec les bons des cris de jubilation. Qu’est-ce que la jubilation? Car le titre de « psaume pour la confession », appelle notre attention sur cette expression du psaume. Qu’est-ce que jubiler dans la confession? Il est une autre parole du psaume ainsi conçue: « Bienheureux le peuple qui connaît la jubilation 3». Sans doute c’est quelque chose de grand, puisqu’on est heureux de te comprendre. Que le Seigneur donc, que notre Dieu, qui donne aux hommes le bonheur, me donne de comprendre ce que je dois dire, et
1. Ps. XCIX, 2.— 2. Luc, XXIV, 47.— 3. Ps. LXXXVIII, 16.
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à vous de comprendre ce que vous entendrez: « Bienheureux le peuple qui comprend la jubilation ». Courons à cette félicité, comprenons la jubilation, ne la répandons point sans la comprendre. A quoi bon jubiler, et obéir aux invitations de ce psaume : « Terre entière, jubilez au Seigneur », si l’on ne comprend la jubilation, si cette jubilation n’est que dans notre voix et nota dans notre coeur? Car le son du coeur, c’est l’intelligence.
4. Vous savez ce que je vais dire. Jubiler, ce n’est point parler, c’est exhaler sans paroles un cri de joie : c’est la voix d’une âme dont la joie est au comble, qui exhale autant que possible ce qu’elle ressent, mais ne comprenant point ce qu’elle dit dans les transports de son allégresse, l’homme après des paroles indicibles et inintelligibles exhale sa joie en cris inarticulés : en sorte que l’on comprend à la vérité sa joie dans ses cris, mais qu’il ne saurait exprimer en paroles cette joie excessive. Voilà ce que l’on remarque dans ceux qui chantent même sans pudeur. Sans doute notre jubilation ne ressemble point à leur jubilation, puisque notre allégresse n’a pour bot que la justice, tandis qu’ils ne jubilent que dans le crime : notre allégresse est dans la confession, la leur dans la confusion. Toutefois, afin de mieux comprendre mes paroles, et même de vous rappeler ce que vous savez, ceux qui jubilent sont principalement les ouvriers des champs. L’abondance des récoltes met en joie les moisson fleurs, les vendangeurs, et tous ceux qui recueillent des fruits; cette fécondité, cette richesse de la terre leur donne des chants d’allégresse; et dans ces chants, ils mêlent aux paroles des ions confus qui témoignent de leur joie, voilà ce qu’on appelle jubilation. Si quelqu’un ne comprend point mes paroles, parce qu’il n’y a point fait attention, qu’il le remarque à l’avenir; puisse-t-il cependant ne trouver personne à remarquer, de peur que Dieu ne trouve quelqu’un à renverser. Mais puisque les épines renaissent sans relâche, signalons, dans ceux qui exhalent une joie profane, la jubilation que Dieu réprouve, afin de lui offrir la jubilation qu’il couronne.
5. Quand est-ce que nous jubilons? Quand nous chantons ce qui est inexprimable. Nous dons les yeux sur la terre, les mers, les cieux, et tout ce qu’ils renferment. Nous voyons que toutes les créatures ont leurs principes et leurs raisons, une force reproductive, un ordre de naissance, une manière de subsister, un dépérissement et une disparition, nous les voyons suivre sans aucune perturbation le cours des siècles, les astres couler en quelque sorte d’Orient en Occident, marquer la suite des années, la longueur des mois, l’étendue des heures; et dans tout cela, je ne sais quoi d’invisible, que l’on appelle âme ou esprit, qui est dans tous les êtres animés, qui cherche le bonheur et redoute la gêne, afin de conserver sa vitalité; des traits dans l’homme qui lui sont communs avec les anges de Dieu, et non avec les animaux, comme la vie, l’ouïe, la vue et le reste. Ainsi il connaît Dieu, ce qui est le propre de l’esprit, qui discerne le bien du mal, comme l’oeil discerne le blanc du noir. Que l’âme, en considérant toutes ces créatures que nous avons pu nommer et parcourir, se demande: Qui a fait tout cela? Qui a créé toutes ces choses? Qui t’a créée toi-même parmi elles? Que sont toutes ces choses que tu considères? Qu’es tu toi-même qui les considères? Qui a fait, et ces créatures à considérer, et l’âme qui les considère? Quel est ce Créateur? Nomme-le : et pour le nommer, réfléchis. Ta pensée peut voir ce que ta parole ne saurait peut-être dire, mais jamais tu ne pourras dire ce que tu n’auras pu penser. Pense donc à ce Créateur avant de le nommer, et pour penser à lui, il faut s’en approcher. Quand tu veux bien voir, afin de pouvoir parler, tu t’approches pour mieux regarder, afin de n’être point trompé par l’éloignement. Mais de même que les yeux dis corps perçoivent tous ces objets, de même c’est l’esprit qui voit Dieu, c’est le coeur qui le considère et le contemple. Et quel doit être le coeur pour contempler Dieu? « Bienheureux », est-il dit, « ceux dont le coeur est pur, parce qu’ils verront Dieu 1». J’entends, je crois, je comprends, comme je puis, que c’est le coeur qui voit Dieu, et que Dieu ne se découvre qu’aux coeurs purs : mais j’entends un autre passage de l’Ecriture : « Qui se glorifiera d’avoir un coeur chaste? Ou qui se glorifiera d’être exempt de toute faute 2? » J’ai considéré, autant que je l’ai pu, toutes les créatures; j’ai vu, dans le ciel et sur la terre, celles qui
1. Matth. V, 8. — 2. Prov. XX, 9.
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ont un corps, et une créature spirituelle en moi qui parle, qui fait agir mes membres, entendre ma voix, mouvoir ma langue, qui prononce des paroles, qui en discerne le sens. Mais quand est-ce que je me comprends en moi-même? et d’où pourrais-je comprendre ce qui est au-dessus de moi? Et toutefois l’Ecriture promet à l’homme qu’il verra Dieu, et lui indique la manière de purifier son coeur ; voici son conseil : Prépare-toi, de manière à voir Dieu que tu aimes, avant de le voir. Quand on parle de Dieu et de son saint nom, qui ne se réjouit d’entendre, sinon l’impie séparé de Dieu, rejeté au loin? « Ceux qui s’éloignent de vous périront », dit le Prophète ; et il ajoute: « Vous avez perdu ceux qui sont adultères loin de vous ». Mais à nous qu’arrivera-t-il? Car ceux-là sont loin de vous, et dès lors dans les ténèbres, et leurs yeux sont tellement obscurcis par les ténèbres, que non-seulement ils ne désirent point la lumière, mais qu’ils en ont horreur; pour nous, qui ne sommes point éloignés, que nous est-il promis? « Approchez de lui et soyez dans la lumière 1 ». Mais pour approcher de lui et en recevoir la lumière, il faut que les ténèbres te déplaisent; condamne ce que tu es, afin de mériter d’être ce que tu n’es pas. Tu es injuste et tu dois être juste; tu n’arriveras jamais à la justice, si l’iniquité a de l’attrait pour toi. Brise-la dans ton coeur, et purifie-toi; chasse-la de ton coeur où veut habiter Celui que tu veux voir. Voilà donc l’âme qui s’approche de Dieu, l’homme intérieur restauré à l’image de Dieu, parce qu’il avait été créé à l’image de Dieu, et qui en était d’autant plus éloigné, qu’il lui était devenu plus dissemblable. Car ce n’est point par la distance des lieux qu’on s’approche de Dieu ou qu’on s’en éloigne. Tu es loin de lui, quand tu es dissemblable à lui; tu es près de lui, situ es à son image. Vois comment le Seigneur veut que nous approchions de Dieu, puisqu’il commence par nous rendre semblables à lui, afin que cette ressemblance nous rapproche. « Soyez », dit-il, « comme votre Père qui est dans les cieux, qui fait luire son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes comme sur les injustes 3». Apprends à aimer un ennemi, si tu veux éviter un ennemi. A mesure que la charité grandit en toi, qu’elle te reforme, et
1. Ps. LXXII, 27. — 2. Id. XXXIII, 6. — 3. Matth. V, 45.
ravive en toi l’image de Dieu, elle s’étend à tes ennemis, afin que tu deviennes semblable à Celui qui fait luire son soleil, non-seulement sur les bons, mais aussi sur les méchants; et pleuvoir, non-seulement sur les justes, mais sur les justes et suries injustes. Plus la ressemblance est vive, et plus tu avances dans la charité, plus aussi tu commences à goûter Dieu. Et quel est celui que tu goûtes? Celui qui vient à toi, ou Celui à qui tu reviens? Car ce n’est point lui qui s’est éloigné de toi; s’il est loin de toi, c’est que tu t’éloignes de lui. Tout est également présent et aux aveugles, et à ceux qui voient; qu’un aveugle et qu’un voyant soient dans un même lieu, ils sont environnés des mêmes images: pour l’un ces images sont présentes, mais absentes pour l’autre : ainsi donc, voilà deux hommes en un même lieu, l’un est présent, l’autre absent; non que les objets se rapprochent de l’un, s’éloignent de l’autre, mais cela tient à la différence des yeux. On dit de l’un qu’il est aveugle, parce qu’il est inutilement en présence des objets qu’il ne voit pas, puisqu’en lui est éteint l’organe qui nous met en rapport avec la lumière, qui donne une forme à tout; et même on peut dire qu’il est plus absent que présent: partout en effet où il n’a pas un sens, on dit avec raison qu’il est absent; car l’absence n’est qu’un défaut de sens. C’est ainsi que l’on dit que Dieu est en tout lieu, tout entier partout. Sa sagesse atteint d’une extrémité à l’autre avec force, et dispose toutes choses avec douceur 1. Or, ce qu’est Dieu le Père, son Verbe, sa Sagesse l’est aussi, lui qui est Dieu de Dieu, et lumière de lumière. Que veux-tu donc voir? Ce que tu veux voir n’est pas loin de toi. L’Apôtre nous dit en effet qu’il est placé non loin de chacun de nous, puisque « nous avons en lui la vie, le mouvement et l’être 2 ». Quelle misère donc d’être loin de celui qui est partout!
6. Sois donc semblable à Dieu par la piété, l’aimant par la pensée : car les perfections invisibles de Dieu, sont devenues visibles par les oeuvres visibles qu’il a opérées 3. Envisage donc ces oeuvres, admire-les, cherches en l’auteur. Si tu es dissemblable, il te repoussera; si tu lui es semblable, tu seras dans la joie. Or, dès que tu t’approcheras de Dieu par la ressemblance, et que tu sentiras
1. Sag. VIII, 1. — 2. Act. XVII, 27, 28.— 3. Rom. I, 20.
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Dieu, à mesure que grandira ta charité, comme « Dieu est charité 1», tu ressentiras quelque chose que tu disais sans le dire toutefois. Avant de le sentir, tu disais: C’est Dieu ; mais après l’avoir goûté, tu comprends qu’il est impossible d’exprimer tes sentiments. Or, après que tu auras compris ton impuissance à dire ce que tu sens, faudra-t-il te taire, ou chanter des louanges? Faudra-t-il donc taire la louange de Dieu, et ne point rendre grâces à celui qui a voulu se révéler à toi ? Tu le bénissais eu le cherchant, tairas-tu ta louange après l’avoir trouvé ? Nullement, tu ne seras pas ingrat. A lui appartiennent et l’honneur, elle respect, et toutes les louanges. Vois ce que tu es, terre et cendre; vois celui qui a mérité de voir, et de voir quoi? Qui ? Quoi?C’est un homme qui voit Dieu. Je reconnais, non point le mérite chez l’homme, mais la miséricorde en Dieu. Bénis donc cette miséricorde. Comment la bénirai-je, me diras-tu? à peine puis-je exprimer le peu que je sens, en partie, en énigme, à travers un miroir 2. Ecoute le psaume : « Terre entière, jubilez au Seigneur ». Si ta joie est dans le Seigneur, tu comprends déjà la jubilation de la terre entière en l’honneur de Dieu. Que ta joie soit donc pour le Seigneur; et ne la divise point entre telles et telles créatures. Tout le reste se peut dire en quelque manière; celui-là seul est ineffable qui a dit, et tout a été fait. la dit, et nous avons été faits; mais nous ne pouvons le nommer 3. Le Verbe qui nous a dit d’être, est son Fils ; et pour que nous puissions la nommer en quelque façon, nous si infirmes, lest devenu infirme. Au lieu de verbe, nous pouvons jeter un cri confus, mais nulle parole ne peut exprimer le Verbe. « O terre entière, jubilez au Seigneur».
7. « Servez le Seigneur dans l’allégresse ». Toute servitude est pleine d’amertume; tous ceux qui sont sous le joug de la servitude, ne servent qu’avec murmure. Ne redoutez point le joug du Seigneur: il n’y a là ni gémissement, ni murmure, ni indignation ; nul ne cherche à s’en affranchir, on goûte le bonheur d’être racheté. Il y n donc, nies frères, un grand bonheur d’être dans cette maison, bien qu’il y ait des entraves. Ne redoute point ces entraves, heureux serviteur, mais confesse-toi mu Seigneur; n’attribue ces entraves qu’à tes mérites; rends gloire à Dieu dans ces chaînes,
1. Jean, IV, 8. — 2. I Cor. XIII, 12. — 3. Ps. XXXII, 9.
si tu veux qu’elles soient pour loi un ornement. Ce n’est pas en vain, ni sans avoir été exaucé, que le Prophète a dit: « Que les cris des captifs montent jusqu’à vous, ô mon Dieu 1. Servez le Seigneur dans l’allégresse», C’est être libre que servir le Seigneur, c’est être libre, puisqu’on le sert, non par contrainte, mais par amour. « Pour vous»,dit saint Paul, « vous êtes appelés à la liberté, mes frères: seulement que cette liberté ne soit point une occasion de vivre dans la chair; mais assujettissez-vous les uns aux autres par l’esprit de charité 2» Que la charité te rende esclave, puisque tu es l’affranchi de la vérité. « Si vous demeurez fermes dans ma parole », dit le Sauveur, « vous êtes véritablement mes disciples, et vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous affranchira 3 ». Te voilà donc esclave, esclave et libre; esclave parce que tu as été créé; libre parce que tu es aimé de Dieu ton créateur: ou plutôt libre, parce que tu aimes celui qui t’a créé. Ne le sers donc point avec murmure ; tes murmures ne te dispenseront point de le servir, seulement ils feront de toi un mauvais serviteur. Tu es le serviteur du Seigneur, l’affranchi du Seigneur; ne désire point la liberté au point d’être mis hors de la maison de Celui qui t’affranchit.
8. « Servez le Seigneur avec allégresse ». Cette allégresse sera pleine et entière, quand notre corps corruptible sera revêtu d’incorruptibilité, et que notre mortalité aura revêtu l’immortalité 4 : c’est alors que la joie sera pleine, l’allégresse parfaite, la louange sans défaut, l’amour sans scandale, la jouissance sans crainte, et la vie sans trépas. Mais ici-bas? N’y aura-t-il donc nulle joie? S’il n’y a aucune joie, aucune jubilation, pourquoi dire: « Terre entière, soyez dans l’allégresse, au nom du Seigneur? » Il est assurément une joie ici-bas; l’espérance de la vie future nous rassasie par avance. Mais il faut que le bon grain souffre, mélangé à l’ivraie : il est environné de paille 5; c’est un lis au milieu des épines. Qu’est-il dit de l’Eglise? « Comme un lis au milieu des épines, ainsi est ma bien-aimée au milieu des filles 6 ». Il n’est pas dit, au milieu, des filles étrangères, mais «au milieu des filles ». Quelle consolation pour nous, ô mon Dieu! Comme vous nous fortifiez! Comme vous nous effrayez ! Que dites-vous en effet?
1. Ps. LXXVIII, 11.— 2. Gal. V, 13.— 3. Jean, VIII, 31, 32.— 4. I Cor. XV, 54. — 5. Matth. III, 12; XIII, 30.— 6. Cant. II, 2.
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« Comme le lis est au milieu de quelques épines, ainsi est ma bien-aimée au milieu de quelles filles ? » Quelles sont ces filles que vous appelez des épines ? Elles sont pour moi des épines à cause de leurs moeurs, et des filles a cause de mes sacrements. Plût à Dieu que l’on n’eût à gémir que parmi les étrangers! on en gémirait moins. Mais combien est plus amer ce gémissement: « Si un ennemi m’eût outragé, je l’eusse supporté; si un homme irrité se fût élevé contre moi, je me serais dérobé à ses poursuites ». Ainsi dit le psaume; celui qui connaît les saintes lettres peut suivre; que celui qui les ignore, les apprenne et suive : « Si l’homme qui me haïssait eût répandu la malédiction sur moi, je me serais dérobé à lui; mais toi, qui n’étais qu’un avec moi, toi, mon guide, mon ami, qui prenais avec moi la douce nourriture 1 ». Quelle douce nourriture prennent-ils donc avec nous, ceux qui n’y doivent pas être éternellement ? Quelle douce nourriture, sinon : « Goûtez et voyez combien le Seigneur est doux 2? » C’est au milieu d’eux que nous devons gémir.
9. Mais comment le chrétien pourrait-il se séparer, pour ne pas vivre parmi les faux frères? Où ira-t-il? Que fera-t il? Dans la solitude? Les scandales l’y suivront. Celui qui avance dans la vertu, doit-il se séparer de manière à ne plus supporter les hommes? Et qu’arriverait-il, si nul ne le supportait lui-même avant ses progrès? Si donc les progrès qu il fait l’empêchent de supporter personne, par là même qu’il ne veut point souffrir les autres, il est convaincu de n’avoir fait aucun progrès. Que votre charité veuille bien écouter. «Supportez-vous mutuellement », dit l’Apôtre, « dans la charité, vous efforçant de conserver l’union des coeurs dans les liens de la paix 3». « Supportez-vous mutuellement » n’as-tu donc rien qu’un autre doive supporter? Tu m’étonnerais, si tu n’avais rien; mais admettons qu’il n’y ait rien en toi, tu es d’autant plus fort pour supporter les autres, que les autres n’ont rien à supporter de ta part. Si tu ne fais rien supporter, supporte les autres. Je ne saurais, diras-tu. Donc tu as en toi quelque chose que l’on doit supporter. « Supportez-vous mutuellement dans la charité ». Tu abandonnes le genre humain, tu te sépares afin que nul ne te voie; à qui seras-tu utile? En serais-tu arrivé là, si
1. Ps. LIV, 13-15. — 2. Id. XXXIII, 8 — 3. Ephés. IV, 2, 3.
nul ne t’avait aidé? Parce que tu crois avoir le pied assez agile pour passer le fleuve, vas-tu couper le pont? C’est vous tous que j’exhorte, mes frères, c’est la voix de Dieu qui vous exhorte: « Supportez-vous mutuellement dans la charité ».
10. Je me serai, dit un autre, je me séparerai avec quelques gens de bien, et j’aurai la paix avec eux. Car il y a impiété, cruauté même à n’être utile à personne. Telles ne sont point les leçons du Seigneur mon Dieu, qui condamne un serviteur, non pour avoir usé de l’argent qu’il avait reçu, mais pour n’en avoir tiré aucun profit. Mesurons la peine du voleur à la peine du paresseux: « Serviteur méchant et paresseux », dit le maître en le condamnant. Il ne dit point: Tu as tourné à ton profit mon argent; il ne dit point: Je t’ai confié, et tu ne m’as point remis le dépôt entier; mais parce que ce dépôt ne s’est point accru, parce que tu ne l’as point mis à la banque, je punirai ton indolence 1. Le Seigneur en effet est avare de notre salut. Je me séparerai donc, dit cet homme, avec quelques hommes choisis : qu’ai-je à faire avec la foule? C’est bien : mais ces quelques bons, de quelle foule ont-ils été tirés? Si toutefois ce petit. nombre est tout à fait bon, c’est une pensée humaine, mais une pensée bonne et louable de vivre avec ceux qui ont choisi une vie paisible, de vous retirer loin du. bruit populaire, des fou les tumultueuses, et ne chercher comme dans un port un abri contre ces grands flots du monde. Mais est-ce bien là qu’on trouve cette joie pleine? Est-ce bien là cette jubilation qu’on se promettait? Pas encore; mais on y gémit encore, on y éprouve encore des tentations. Ce port a quelque part une entrée; puisque s’il était fermé de toutes parts on n’y pourrait pénétrer: il est donc ouvert quelque part; mais par cette ouverture le vent s’engouffre quelquefois, et les vaisseaux qui ne craignent rien des rochers, se brisent les uns contre les autres. Où sera donc la sûreté, si elle n’est dans le port? Et néanmoins on est plus heureux dans le port qu’en pleine mer, il faut l’avouer, je l’accorde, c’est la vérité. Que ces vaisseaux dans le port s’aiment donc mutuellement, qu’ils se tiennent unis étroitement, et ne se heurtent point : qu’ils gardent l’égalité, l’uniformité, une charité constante; et quand par
1. Matth. XXV, 14-30.
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hasard le vent viendra s’y engouffrer par l’ouverture, que le gouvernail soit dirigé sagement.
11. Mais que me dira celui qui, dans ces lieux paisibles, est préposé à ses frères ou plutôt est leur serviteur, dans cet asile appelé monastère? Que me dira-t-il? Je me tiendrai sur mes gardes, je n’admettrai aucun méchant, Comment n’admettre aucun méchant? Je n’admettrai aucun homme d’humeur fâcheuse, aucun frère méchant qui voudrait y montrer; je me bornerai à quelques bons. Comment connaître celui que tu devras exclure ? On ne peut connaître sa méchanceté qu’après des épreuves dans le monastère. Or, comment exclure celui qui veut entrer, que tu dois éprouver ensuite, et que tu ne saurais éprouver s’il n’est entré? Repousseras-tu donc tous les méchants? car tu le promets, et tu as le coup d’oeil juste. Ils viennent tous à toi le coeur sur la main? Mais ceux qui veulent titrer ne se connaissent point, comment les connaîtrais-tu? Plusieurs avaient promis de mener cette vie sainte, qui met tout en commun, où nul ne revendique de propriété, où tous n’ont qu’un coeur et qu’une âme 1 ; une fois dans la fournaise, ces vases ont crevé. Comment connaître celui qui ne se connaît point lui-même? Excluras-tu les faux frères le la société des bons? Mais toi qui parles de la sorte, bannis de ton esprit, si tu le peux, toutes les pensées mauvaises; ne laisse entrer dans ton coeur aucune suggestion fâcheuse. Je n’y consens point, dis-tu. Cette suggestion n’est pas moins entrée, car nous voulons tous que nos coeurs soient sur leur garde, au point de ne laisser entrer aucune suggestion. Qui peut même savoir par où elle entrera? Chaque jour notre coeur seul nous livre des combats, et un seul homme trouve dans son coeur une foule d’ennemis. Suggestions de l’avarice, suggestions de la luxure, suggestions de l’intempérance, suggestions las joies du siècle, suggestions de toutes parts. Attaqué partout, il résiste partout, s’abstient de tout; mais il est bien difficile de n’être point blessé parfois. Où trouver la sécurité? nulle part en cette vie, sinon dans l’espérance des promesses de Dieu. C’est dans l’accomplissement de ces promesses que nous louerons la parfaite sécurité, alors que se fermeront les portes de la Jérusalem céleste,
1. Act. IV, 32, 35.
dont les serrures sont inébranlables 1; là notre jubilation sera pleine, et notre bonheur ineffable. Mais aujourd’hui ne louez pas sans crainte une vie quelconque, ne chantez pas un homme avant sa mort 2.
12. Ce qui trompe les hommes, ce qui les détourne d’une profession sainte, ou les y engage témérairement, c’est que dans leurs louanges, quand ils veulent en donner, ils n’expriment point les inconvénients de certain genre de vie, et que dans leurs blâmes, ils font entrer la jalousie et le venin, au point de fermer les yeux sur ce qu’il y a de bien, et de se borner à exagérer le mal réel ou supposé qu’on y trouve. Il arrive de là que ces professions mal exposées, ou exposées sans précaution, attirent par ces applaudissements des hommes qui s’étonnent d’y rencontrer ensuite ceux qu’ils étaient loin d’y soupçonner: offusqués alors d’y trouver des méchants, ils se séparent même des bons. Mes frères, que cette leçon vous serve à régler votre vie, écoutez pour vivre pieusement. Pour, parler en général, c’est l’Eglise qu’on loue: les chrétiens, dit-on, sont de grands hommes, il n’y a qu’eux de grands. Vive l’Eglise catholique; tous ses membres s’aiment, se font tout le bien qu’ils peuvent; dans toute la terre, ils s’adonnent à la prière, au jeûne, à la louange de Dieu, et s’unissent dans un concert de paix pour louer le Seigneur. Un homme qui entend ce langage, qui ne sait pas ce qu’on ne lui dit point, que les méchants y sont mêlés aux bons, vient à l’Eglise attiré par ces louanges; il y trouve des méchants dont la présence ne lui était pas signalée, et l’aversion que lui inspirent ces faix chrétiens, l’éloigne même des chrétiens véritables. Des hommes haineux, au contraire, des hommes envenimés se répandent en injures: Quelles gens que ces chrétiens ! Que sont-ils? des avares, des usuriers. Ne les voit-on pas aussi dans les jours de fêtes et de spectacles, remplir les théâtres et les amphithéâtres, puis aller dans leurs églises aux jours de fêtes? Ils sont ivrognes, gourmands, envieux, se déchirent mutuellement. Il y en a de semblables, il est vrai, mais ils ne sont pas les seuls. Ce censeur est aveugle et ne dit rien des bons, et ce panégyriste est imprévoyant et ne dit rien des méchants. Si l’on veut chanter maintenant l’Eglise de Dieu comme la chantent les saintes
1. Ps. CXLVII, 13. — 2. Eccli. XI, 30.
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Ecritures, voici comme il faut dire: « Ma bien-aimée est au milieu des filles,comme le lis au milieu des épines 1». Un homme nous entend, il considère, le lis lui plaît, il entre, il s’attache au lis, et tolère les épines : il mérite ainsi l’éloge et fixe les regards de l’époux, qui dit: « Ma bien-aimée est au milieu des filles, comme le lis est au milieu des épines ». Ainsi en est-il des clercs. Leurs panégyristes considèrent parmi eux les ministres excellents, les fidèles dispensateurs, ceux qui supportent tout le monde, qui donneraient jusqu’à leurs entrailles pour ceux dont ils souhaitent les progrès, qui ne cherchent pas leurs propres intérêts, mais ceux de Jésus-Christ 2. Voilà ce qu’on loue, et l’on oublie que les méchants y sont mélangés. De même ceux qui blâment l’avarice des clercs, la rapacité des clercs, les procès des clercs, les représentent comme avides du bien d’autrui, comme des ivrognes, des gourmands. C’est là blâmer avec jalousie, c’est louer étourdiment. Toi qui loues, dis qu’il y a là des méchants; et toi qui blâmes, regarde les bons. Ainsi en est-il de cette vie commune que des frères mènent dans les monastères. Ce sont là des hommes admirables, des hommes saints, qui sont chaque jour dans les hymnes, dans la prière, dans la louange de Dieu, qui en vivent et qui s’occupent de saintes lectures; le travail des mains pourvoit à leur subsistance ; ils vivent sans avarice, ne demandent rien, et tout ce qu’ils reçoivent de là piété de leurs frères, ils en usent avec charité, et selon leur besoin; nul ne s’arroge une chose qu’un autre n’ait pas; ils s’aiment tous, et se supportent mutuellement. Mais tu as loué cette vie, tu l’as louée ; et celui qui n’en connaît point l’intérieur, qui ne sait point que le vent pénètre parfois dans le port, et que les vaisseaux s’entrechoquent, entre dans ces maisons, espérant y trouver le calme, et n’avoir plus personne à supporter; il y trouve de faux frères, dont on ne pouvait connaître la méchanceté, qu’après les avoir admis: (il faut d’abord les tolérer dans l’espoir qu’ils se corrigeront; il est difficile de les exclure sans les avoir quelque peu supportés). Cet homme alors devient à son tour d’une impatience insupportable. Qui m’appelait ici, s’écrie-t-il? Je croyais ici rencontrer la charité. Irrité alors par ce qu’il y
1. Cant. II, 2. — 2. Philipp. II, 21.
a d’agaçant chez quelques hommes, et n’ayant point le courage d’accomplir son dessein, il abandonne son projet de sainteté, et apostasie ses voeux. Mais au sortir de là, il blâme, il maudit à son tour, il ne dit que les choses qu’il n’a pu supporter, et qui sont souvent vraies ; mais il faut supporter les défauts des méchants, si l’on veut jouir de la société des bons. « Malheur à ceux qui ne savent rien supporter », dit l’Ecriture. Ce qui est pire encore, cet homme, dans son indignation, répand pour ainsi dire l’odeur infecte de ces lieux, et en détourne ceux qui voudraient entrer, parce qu’il n’a pu y demeurer après y être lui-même entré. Qu’est. ce que ces gens? des jaloux, des querelleurs, qui ne peuvent souffrir personne. Celui-ci y a fait tel crime, celui-là tel autre crime. Au méchant, pourquoi ne rien dire des bons? Tu blâmes ceux que tu n’as pu supporter, sans rien dire de ceux qui ont supporté tes défauts.
13. Qu’elle est juste, mes frères, qu’elle est admirable cette parole de l’Evangile, émanée de la bouche de Notre-Seigneur: « Deux hommes seront dans un champ, l’un sera pris, l’autre sera laissé: deux femmes seront à moudre, l’une sera prise, l’autre sera laissée; deux dans un lit, on prendra l’un, on laissera l’autre 2 ». Qui, ces « deux dans un champ?» Ceux dont saint Paul a dit: « J’ai planté, Apollo a arrosé, Dieu a donné l’accroissement. Vous êtes le champ du Seigneur ». Nous travaillons dans ce champ. « Deux sont dans ton champ », ce sont les clercs: « l’un sera pris, l’autre laissé»; On prendra le bon, on laissera le mauvais.
« Deux seront à moudre », dit le Sauveur, en revenant au peuple. Pourquoi à « la meule?» Parce que les liens du siècle les tiennent attachés au cercle des choses temporelles. « L’un de ces esclaves sera choisi, l’autre dédaigné ». Lequel sera choisi? Celui qui fait des bonnes oeuvres, qui prend en pitié l’indigence des serviteurs de Dieu, qui est fidèle à confesser Dieu, qui met sa joie dans une espérance certaine, qui est attentif à Dieu, qui ne veut de mal à personne, qui aime autant qu’il peut, non-seulement ses amis, mais encore ses ennemis, l’homme qui ne connaît d’autre femme que la sienne, l’épouse
1. Eccli. II, 16. — 2. Matth. XXIV, 40, 41; Luc, XVII, 34, 35 — 3. I Cor. III, 6, 9.
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qui ne connaît que son époux, voilà celui que l’on prendra à la meule; on laissera quiconque vit d’une autre manière. D’autres vous disent : Nous voulons le repos, t’avoir à souffrir de personne, nous retirer de la foule, vivre en paix dans quelque lieu retiré. Chercher le repos, c’est chercher un lit, où l’on fait trève à toute inquiétude. Mais là encore « on prendra l’un, et on laissera l’autre ». Ne vous laissez point illusionner, mes frères; si vous ne voulez vous tromper, si vous aimez vos frères, sachez que dans l’Eglise toute profession a ses faux frères. Je ne dis point que tout homme soit faux, mais il y a des faux dans toute profession: il y a de mauvais chrétiens, mais il y a aussi de bons chrétiens. Tu ne vois en quelque sorte que des mauvais, qui sont comme la paille, et qui ne te laissent pas approcher du bon grain 1; mais il y a aussi du bon grain, approche, vois, secoue, juges-en par ta bouche. Tu trouveras des vierges déréglées; faut-il pour cela blâmer la virginité ? Il en est beaucoup qui ne s’enferment point dans leurs maisons, qui courent les maisons des autres, qui sont curieuses, parlent sans discrétion, orgueilleuses, causeuses 2, s’adonnent au vin: bien qu’elles soient vierges, qu’est-ce que cette pureté du corps avec une âme corrompue? Le mariage, dans l’humilité, est préférable à une virginité orgueilleuse; le mariage lui donnerait un frein pour la retenir et lui enlèverait ce nom qui l’enorgueillit. Mais pour des vierges indignes, faut-il condamner celles dont la chair est pure et l’âme sainte 3? ou pour celles qui sont louables, faudra-t-il doue louer celles qui sont condamnables? Partout on prendra l’un, on laissera l’autre.
14. Finissons, mes frères, notre psaume, qui est clair dans tout le reste. « Servez le Seigneur avec joie 4 ». C’est à vous que s’adresse le Psalmiste, ô vous qui souffrez tout dans la charité, et vous réjouissez dans l’espérance. « Servez le Seigneur », non dans l’amertume de vos murmures, mais bien « dans la joie » de la charité. « Entrez en sa présence, dans l’allégresse ». Il est facile de se réjouir dans les choses du dehors; tressaille en la présence de Dieu. Que cette allégresse ne soit point en paroles, que la conscience soit dans l’allégresse. « Entrez en sa présence, et dans l’allégresse ».
1. Matth. III, 12.— 2. I Tim. V, 13.— 3. I Cor. VII, 34.— 4. Ps. XCIX, 2.
15. « Sachez que le Seigneur est lui-même votre Dieu 1». Qui ne sait que le Seigneur est Dieu ? Mais le Psalmiste parle de ce Seigneur que les hommes ne croyaient pas un Dieu: « Sachez que le Seigneur est lui-même Dieu ». Que ce Seigneur ne soit point méprisable à vos yeux. Vous l’avez crucifié, flagellé, couvert de crachats, couronné d’épines, revêtu d’un manteau d’ignominie, suspendu à la croix, percé de clous, frappé d’une lance, fait garder dans son sépulcre, et il est Dieu. « Sachez que le Seigneur est Dieu lui-même. C’est lui qui nous a faits, et non point nous-mêmes ». « C’est lui qui nous a faits », puisque tout a été fait par lui, et rien sans lui 2. Pourquoi vos transports, pourquoi votre orgueil? Un autre vous a faits, et celui qui vous a faits vous l’avez fait souffrir. Mais vous, votre jactance, votre orgueil, votre enflure, feraient croire que vous vous êtes faits vous-mêmes. Il est avantageux pour vous que celui qui vous a faits, vous perfectionne. « C’est lui qui nous a faits, et non pas nous-mêmes ». Loin de nous tout orgueil ; tout le bien qui est en nous, nous vient du Créateur ; tout ce qui est notre oeuvre aboutit à notre condamnation, et tout ce qu’il a mis en nous, à notre couronnement. « C’est lui qui nous a faits, et non pas nous-mêmes. Nous sommes son peuple, et les brebis de son bercail ». Les brebis et la brebis, tous ses brebis, et une seule brebis. Et quel amour a pour nous notre pasteur ! Il abandonne les quatre-vingt-dix-neuf brebis, pour en chercher une seule, qu’il a rachetée de son sang et qu’il rapporte sur ses épaules 3 ; pasteur qui est mort sans hésiter pour sa brebis, et qui possède sa brebis en ressuscitant. « Nous sommes son peuple, et les brebis de son bercail».
16. « Entrez dans ses portes par la confession 4». La porte marque l’entrée; commencez par la confession. C’est là le titre du psaume, « la confession », ou les transports. Confessez que vous ne vous êtes pas faits vous-mêmes, louez Celui par qui vous avez été faits. Que de lui vienne tout ton bien, puisque tout ton mal est de t’être séparé de lui. « Entrez dans ses portes par la confession 4». Que le troupeau entre par la porte, sans rester dehors, exposé aux loups. Et comment entrer? « Par la confession ». Que
1. Ps. XCIX, 3.— 2. Jean, I, 3.— 3. Luc, XV, 4, 5.— 4. Ps. XCIX, 4.
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la porte ou l’entrée soit pour toi la confession, d’où cette parole d’un autre psaume « Commencez avec le Seigneur par la confession 1», où le mot « commencez » répond à « la porte » de notre psaume : « Entrez dans ses portes par la confession ». Et quoi donc! n’aurons-nous rien à confesser quand nous serons entrés ? Confesse toujours, parce que tu as toujours de quoi confesser. Il est difficile ici-bas qu’un bornoie change au point de n’avoir plus rien de répréhensible. Accuse-toi donc toi-même, de peur d’être accusé par celui qui te damnera. Donc en entrant fais une confession. Quand ne sera-ce plus celle des péchés ? Dans ce repos où notas ressemblerons aux anges. Mais comprenez mes paroles: il n’y aura plus de confession des péchés ; je n’ai point dit qu’il n’y aura plus de confession, car alors il y aura la confession de la louange. Toujours tu confesseras qu’il est ton Dieu, que tu es sa créature, qu’il est le protecteur et toile pupille. Tu seras en quelque sorte caché en lui, ainsi qu’il est dit : « Vous le cacherez, Seigneur, dans le secret de votre face ». Dans son parvis « chantez des hymnes à sa gloire ». Chantez sur ses portes, et quand vous serez dans son parvis, chantez encore des hymnes à sa « gloire ». Les hymnes sont des louanges. En entrant, accuse-toi ; et quand tu seras entré, chante à sa gloire. « Ouvrez pour moi les portes de la justice », dit un autre psaume, « et en entrant, je me confesserai au Seigneur» 3. Mais dit-il : Quand j’y serai entré,
1. Ps. CXLVI, 7. — 2. Id. XXX, 21. — 3. Id. CXVII, 19.
je n’aurai plus de confession à faire au Seigneur? Même après l’entrée il y aura confession. Etait-ce donc des péchés que Notre-Seigneur accusait à son Père, quand il disait: « Je vous confesse, ô mon Père, Dieu du ciel et de la terre 1 ? » Cette confession était un cantique à Dieu, et non une accusation de lui-même.
17. « Louez son nom, car le Seigneur est doux». Ne craignez point de vous lasser en le bénissant ; cette louange sera pour vous une nourriture ; plus vous chanterez, plus vous aurez de forces, et plus vous sera doux l’objet de vos louanges. « Louez son nom, parce que le Seigneur est doux, sa miséricorde éternelle ». Sa miséricorde, en effet, ne s’arrêtera point à la délivrance, et il y va de cette miséricorde, de te protéger dans la vie éternelle. « Sa miséricorde est éternelle, et sa vérité s’étend de génération en génération ». Cette expression, « de génération en génération », doit s’entendre de toute génération, ou de deux générations, l’une terrestre et l’autre céleste ; une génération qui enfante les hommes à une vie mortelle, et une génération qui les engendre à la vie éternelle. Dans l’une et dans l’autre est sa vérité ; et garde-toi de croire que sa vérité ne soit point ici-bas. Si sa vérité n’était point ici-bas, un autre psaume ne dirait point: «La vérité s’est levée de la terre 2 » ; et la vérité elle-même ne dirait point: « Voilà que je suis avec vous jusqu’à la consommation des siècles 3 ».
1. Matth. XI, 25. — 2. Ps. LXXIV, 12. — 3. Matth. XXVIII, 20.
DISCOURS SUR LE PSAUME C.
SERMON AU PEUPLE.
LA MISÉRICORDE ET LE JUGEMENT.
Que nul ne compte sur l’impunité à cause de la divine miséricorde, car le Psalmiste qui chante cette miséricorde tout d’abord, y joint le jugement ou la justice. Souvent chez les hommes la miséricorde a nui à la justice, et la justice à la miséricorde; mais Dieu tout d’abord miséricordieux ne tolère les méchants que pour les juger ensuite, après les avoir amenés à la pénitence. Saint Paul qui proclame la miséricorde de Dieu pour lui-même, n’en menace pas moins du jugement de Dieu, ceux qui se rassurent à cause de l’impunité de cette vie. Outre la crainte, ce jugement doit nous inspirer l’amour, puisque nous serons couronnés. Sans la divine miséricorde, Paul n’était qu’un blasphémateur ; mais la grâce de Dieu lui fait espérer la couronne de Justice qui lui est due ; il est ici le type des pécheurs. Mais Dieu ne nous épargne que pour nous amener à la pénitence, autrement il serait notre complice. Il nous mettra en face de nous-mêmes pour nous convaincre. C’est donc là le chant du Christ, chef de l’Eglise, en qui nous sommes Christ. Mais pour chanter avec lui, il faut ne pas nuire aux autres, ni à soi-même. Autrement notre conscience perverse ne nous permettrait pas d’habiter ni dans le Christ, ni dans notre intérieur. Répudions les prévaricateurs pour nous unir à Dieu, bien qu’il ne nous exauce pas toujours. Malgré sa tristesse en face de la mort, le Sauveur s’unit à la volonté de son père. Dans le malheur nous accusons parfois Dieu qui désapprouve le pécheur. Rapprochons-nous le Dieu et fuyons la table des méchants: désapprouvons ce qu’ils aiment, comme Jésus à la table de Sinon était loin de son orgueil. Asseyons-nous avec les fidèles, afin de juger avec eux. Nous sommes donc ici-bas au temps de la nuit, ou de la miséricorde de Dieu qui nous éprouve comme il éprouva Job et les Apôtres. Extermination réservée à ceux qui ne se tourneront point vers lui.
1. Le premier verset de ce psaume centième contient tout ce que nous devons chercher dans tous les autres : « Je chanterai, le Seigneur, votre miséricorde et votre jugement ». Que nul ne compte sur la divine miséricorde, pour se promettre l’impunité; car il y a aussi le jugement: et que nul pécheur converti ne redoute le jugement; car il y a aussi la miséricorde. Quand les hommes jugent, ils se laissent parfois dominer par la miséricorde, et ils prononcent contre la justice: et alors ils ont, du moins en apparence, la miséricorde et non la justice; souvent aussi, pour être trop sévères dans leurs jugements, ils perdent la miséricorde. Quant à Dieu, l’effusion de sa miséricorde ne lui fait point perdre la sévérité du jugement, et dans la sévérité du jugement il n’oublie point sa bonté miséricordieuse. Si nous remarquons bien l’ordre de ces deux expressions : miséricorde et justice, nous trouverons que ce n’est point sans raison qu’elles sont ainsi placées de manière à ne point dire justice et miséricorde, mais bien, « miséricorde et justice » : et au point de vue du temps, nous verrons que c’est aujourd’hui le temps de la miséricorde, et dans l’avenir le temps du jugement. Comment la miséricorde vient-elle tout d’abord? Considère tout d’abord en Dieu les dons que tu as reçus, afin d’imiter ton Père céleste. Car il n’y a point arrogance de notre part à dire que nous devons imiter notre Père; puisque Notre-Seigneur, le Fils unique de Dieu, nous y exhorte en disant : « Soyez semblables à votre Père céleste ». Après avoir dit dans l’Evangile: « Aimez vos ennemis; priez pour ceux qui vous persécutent»; il ajoute: « Afin que ,vous soyez semblables à votre Père qui est dans le ciel, qui fait luire son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes et sur les injustes 1». Telle est la miséricorde. Quand tu vois les justes et les injustes contempler le même soleil, jouir de la même lumière, boire aux mêmes fontaines, s’enrichir aux mêmes pluies, récolter en abondance les mêmes fruits de la terre, respirer le même air, se partager aussi les nièmes biens de cette vie, garde-toi d’accuser d’injustice ce même Dieu qui donne également ces biens aux justes et aux injustes. C’est maintenant le temps de la miséricorde, et non celui de la justice. Si lotit d’abord il ne mous pardonnait dans sa miséricorde, il ne trouverait personne qu’il pût couronner dans son jugement. Il y a donc un temps de miséricorde, alors que le Seigneur amène les pécheurs à la pénitence par la patience.
2. Ecoute l’Apôtre qui distingue ces deux
1. Matth. V, 48, 44, 45.
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temps, et distingue-les avec lui : « Toi donc, ô homme, qui condamnes ceux qui commettent ces fautes, et qui les commets toi-même, penses-tu éviter le jugement de Dieu 1? » Redoublez d’attention. Il se voyait lui-même, cet homme à qui s’adresse l’Apôtre, qui ne parle pas à un homme seulement, mais au genre humain qui est tel, il se voyait tomber chaque jour dans beaucoup de fautes, bien qu’il ne laissât pas de vivre, et qu’il ne lui arrivât aucun mal; et alors il s’imaginait ou que Dieu dort, ou qu’il n’a aucun souci des choses humaines, ou bien qu’il prend plaisir au mal que font les hommes. Saint Paul détruit celte pensée dans leurs coeurs, pourvu néanmoins qu’ils le comprennent. Que dit-il donc? « O homme qui juges ceux qui commettent ces fautes, et qui les fais toi-même, crois-tu donc échapper au jugement de Dieu? » Et comme si on lui répondait : Tant de fois chaque jour je me rends coupable, pourquoi donc ne m’arrive-t-il aucun mal? voilà que l’Apôtre continue en lui montrant que nous sommes au temps de la miséricorde: « Méprises-tu », lui dit-il, « les trésors de sa bonté, de sa patience, de sa longanimité 1? » Il les méprisait, en effet, mais l’Apôtre lui suggère l’inquiétude. «Ignores-tu », lui dit-il, « que la bonté de Dieu t’invite à la patience? » Voilà le temps de la miséricorde. Mais pour l’empêcher de croire que ce temps durera toujours, comment lui inspire-t-il de l’effroi? « Quant à toi » (écoute le jour du jugement après avoir entendu le jour de la miséricorde , puisqu’il est dit : « Je chanterai, Seigneur, votre miséricorde et votre jugement) : quant à toi, par la dureté de ton coeur, et par ton impénitence, tu te grossis un trésor de colère pour le jour de la colère et de la manifestation du juste jugement de Dieu, qui rendra à chacun selon ses oeuvres 2 ». Voilà: « Je chanterai, Seigneur, votre miséricorde et votre jugement». Mais saint Paul nous menace du jugement de Dieu: ce jugement ne doit-il donc nous inspirer que la crainte, et non l’amour? Les méchants doivent le craindre à cause du châtiment, et les bons l’aimer à cause de la couronne qu’ils doivent recevoir. Mais puisque l’Apôtre a effrayé les méchants, dans le passage que j’ai cité, écoute l’espérance qu’il donne aux bons à propos même du jugement;
1. Rom. II, 4.— 2. Id. 5.
il se met en avant et montre par lui-même que c’est maintenant le temps de la divine miséricorde. Car s’il n’eût lui-même rencontré la miséricorde, qu’eût trouvé en lui le jugement? le blasphème, la persécution, l’outrage. Voilà ce qu’il avoue lui-même en nous signalant ce temps de miséricorde qui est le nôtre: « Tout d’abord », nous dit-il, « j’ai été un blasphémateur, un persécuteur, un insolent; mais j’ai obtenu miséricorde 1 ». Peut-être est-il le seul pour avoir obtenu miséricorde? Ecoute comment il nous relève: « Jésus-Christ », nous dit-il, « a voulu montrer en moi sa longanimité pour l’instruction de ceux qui croiront en lui 2». Qu’est-ce à dire, « a voulu montrer en moi sa longanimité? » C’est-à-dire que tout pécheur, tout criminel comprenant que Paul a obtenu son pardon, ne doit point s’abandonner au désespoir. Le voilà qui se montre afin de relever les autres. Où? Dans le temps de la miséricorde. Ecoute ce qu’il dit aux bons à propos du jugement, en parlant de lui et des autres. D’abord il a obtenu miséricorde; et comment? Parce qu’il a blasphémé, persécuté, outragé. Le Seigneur est donc venu pour pardonner à Paul, non pour le récompenser. S’il eût voulu lui rendre selon ses oeuvres, qu’eût-il trouvé pour Paul, sinon le châtiment et le supplice? Il n’a point voulu le châtier, il lui a fait don de la grâce. Ecoute bien comment celui qui a reçu cette grâce, ne voit plus dans le Seigneur qu’un débiteur. Il a trouvé en lui un donateur au temps de la miséricorde, il compte sur lui comme sur un débiteur au temps du jugement. Ecoutez ce qu’il dit à ce propos : « Je touche déjà à l’immolation, et le temps de ma mort approché. J’ai combattu un bon combat, j’ai achevé ma course, j’ai gardé la foi ». Voilà pour le temps de la miséricorde; écoute pour celui du jugement : « Il ne me reste qu’à lui tendre la couronne de justice que le Seigneur, juste juge, me rendra au grand jour 3». Il ne dit pas : Me donne; mais, « me rendra ». Donner, c’était la miséricorde; rendre, ce sera la justice; car « Je chanterai, Seigneur, votre miséricorde et votre justice ». En lui pardonnant ses péchés, il s’engageait à le couronner. C’est là que « j’ai reçu miséricorde ». Le Seigneur est donc tout d’abord miséricordieux; c’est lui qui « me rendra » la
1. I Tim. I, 15. — 2. Id. 16. — 3. II Tim. IV, 6-8.
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couronne « de justice ». Pourquoi la rendre? Parce qu’ « il est un juste juge ». Pourquoi est-il alors un juste juge? C’est que «j’ai combattu un bon combat, j’ai achevé ma course, j’ai gardé ma foi n. Voilà ce que la justice ne peut se dispenser de couronner. Car elle a trouvé de quoi couronner; mais auparavant qu’avait-elle trouvé? « Un blasphémateur, un persécuteur ». Il a pardonné ces derniers actes, il couronnera les seconds ; il a pardonné les uns au temps de la miséricorde, il couronnera les autres au temps du jugement, car « c’est votre miséricorde et ensuite votre jugement que je veux chanter, ô mon Dieu ». Mais Paul est-il donc le seul pour avoir mérité celte grâce? Car je vous l’ai dit, comme il nous effraie dans un de ses témoignages, ainsi il nous console dans l’autre. Après avoir dit : « Le Seigneur, qui est un juste juge, me rendra en ce grand jour » ; il ajoute: « Et non-seulement à moi, mais à tous ceux qui aiment sa manifestation et son royaume 1».
3. Donc, mes frères, tant que nous sommes dans le temps de la miséricorde, ne nous flattons point, ne nous négligeons point, ne disons point que Dieu pardonne toujours. J’ai péché hier, Dieu m’a pardonné; je pèche aujourd’hui, Dieu pardonne encore; donc je pécherai encore demain, puisque Dieu veut bien pardonner. Tu ne vois que la miséricorde, et tu ne crains pas le jugement. Si tu veux chanter la miséricorde et le jugement, comprends bien que s’il te pardonne, c’est afin que tu te corriges, et non afin que tu demeures dans ton péché. Ne te grossis pas un trésor de colère pour le jour de la colère et de la juste révélation du jugement de Dieu 2. En ce qui regarde le temps de la miséricorde, il est dit dans un autre psaume: « Dieu a dit au pécheur: Pourquoi parler de ma justice, et mettre dans ta bouche mon alliance? Tu hais l’ordre, et tu as rejeté ma parole bien loin derrière toi: si tu voyais un voleur, tu courrais à lui, tu partagerais l’héritage des adultères ; tu t’asseyais pour parler contre ton frère, tu mettais le scandale devant le fils de ta mère. Voilà ce que tu as fait, et je me suis tu 3». Voilà le temps de la miséricorde. Qu’est-ce à dire, «je me suis tu? » Est-ce à dire que je n’ai point réprimandé? Non, mais je n’ai point jugé. De quel silence accuser celui qui parle chaque jour, dans les saintes Ecritures, dans les Evangiles,
1. II Tim. IV, 8. — 2. Rom. II, 5.— 3. Ps. XLIX, 16-21.
Dans ses prédicateurs? C’est le supplice, et non la parole, qui a été en demeure. « Voilà ce que tu as fait, et je me suis tu ». Et parce que Dieu s’est tu ou n’a point tiré vengeance, qu’a dit le pécheur dans le secret de son âme? Ecoute : « Tu m’as soupçonné d’iniquité », dit le Seigneur, « de ressemblance avec toi ». C’est-à-dire, c’est peu pour toi d’être ainsi, tu m’as cru semblable. Après avoir montré le temps de la miséricorde, le Seigneur nous effraie au sujet du jugement. « Je te convaincrai»,dit-il au même endroit, « je te mettrai en face de toi-même 1 ».Tu te places par derrière, mais je te placerai en face de toi-même. Quiconque, en effet, ne veut point voir ses fautes, se place derrière lui-même, relève exactement celles des autres, non par une sainte vigilance, mais par envie: sans vouloir guérir, il veut accuser, et s’oublie lui-même. C’est à ces hommes que le Seigneur a dit: « Tu vois la paille dans l’oeil de ton frère, et non la poutre qui est dans ton oeil 2 ». Puis donc que le Prophète chante pour nous la miséricorde et la justice, faisons la justice, et nous attendrons le jugement dans la sécurité : soyons dans son corps mystique, afin de les chanter aussi. Car c’est le chant du Christ : mais si le chef le chantait seul, ce serait le cantique du Seigneur, et non le nôtre. Or, si c’est tout le Christ qui le chante, c’est-à-dire la tête et les membres, attache-toi à lui par la foi, par l’espérance et par la charité, et tu chanteras en lui, tu tressailliras en lui; comme lui-même souffre en toi, endure en toi la faim, la soif, la tribulation. Il meurt en toi encore aujourd’hui, et toi tu es déjà ressuscité en lui. S’il ne mourait en toi, il ne demanderait pas de répit à celui qui te persécute, et ne dirait point: « Saul, Saul, pourquoi me persécuter 3?» Donc, mes frères, c’est le Christ qui chante, mais en la manière que vous connaissez: car nous vous avons souvent parlé du Christ, et je sais qu’il n’y a point en vous d’ignorance. Notre-Seigneur Jésus-Christ est le Verbe de Dieu par qui tout a été fait. C’est ce Verbe qui s’est fait chair pour nous racheter, et qui a habité parmi nous 4 : il s’est fait homme, lui qui était Dieu par-dessus tout, Fils de Dieu égal à son Père; il s’est fait homme, afin d’être Dieu, médiateur entre Dieu et les hommes, afin de réconcilier ceux qui étaient éloignés, de réunir ceux qui étaient séparés, de rappeler
1. Ps. XLIX, 21.— 2. Matth. VII, 3.— 3. Act. IX, 4.— 4. Jean, 1, 3, 14.
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ceux qui étaient étrangers, de ramener. les bannis; voilà pourquoi il s’est fait homme. Il est donc devenu la tête de l’Eglise, ayant un corps et des membres. Parce que ses membres gémissent sur la terre dans l’univers entier, au dernier jour ils seront dans la joie, quand ils recevront. cette couronne de justice dont saint Paul a dit, que « le Seigneur, dans la justice de son jugement, doit nous la rendre alors 1 ». Et maintenant unissons-nous en un même corps et chantons en espérance. Car après avoir revêtu le Christ, nous ne sommes qu’un même Christ avec notre chef, puisque nous sommes assurément de la race d’Abraham. C’est le langage de l’Apôtre. Et si j’ai dit que nous sommes le Christ, l’Apôtre a dit : « Vous êtes donc la race d’Abraham, les héritiers selon la promesse ». Vous êtes de la race d’Abraham : or, voyons si le Christ est la race d’Abraham : « En ta race les nations seront bénies. Il ne dit pas : Dans tes descendants, comme s’ils étaient plusieurs; mais bien comme d’un seul: Et en celui qui naîtra de toi, et. qui est le Christ 2 ». A nous aussi il est dit: « Donc vous êtes la race d’Abraham ». Il est donc évident que nous appartenons au Christ, et que nous sommes ses membres, sou corps ne formant avec notre chef qu’un seul homme. Ainsi répétons, nous aussi : « Seigneur, je chanterai votre miséricorde et votre justice ».
4. « Je chanterai votre gloire, et je connaîtrai les voies de l’innocence, quand vous viendrez à moi 3».Tu ne saurais chanter et comprendre que dans les voies de l’innocence. Si tu veux comprendre, chante dans la voie pure, c’est-à-dire travaille avec joie pour le Seigneur. Quelle est cette voie pure? Ecoute la suite : « Je marchais dans l’innocence de mon coeur, au milieu de ma maison ». Cette voie pure commence par l’innocence, et arrive encore au terme par l’innocence. A quoi bon chercher tant de paroles? Sois pur, et toute justice est accomplie. Mais en quoi consiste l’innocence? Un homme peut nuire en deux manières à un autre homme, ou en, le rendant misérable, autant qu’il est en lui, ou en l’abandonnant dans la misère; car tu ne veux point qu’un autre te plonge dans la misère, ni qu’il t’abandonne, si tu es misérable. Quel est celui qui fait la misère des autres ? Celui qui use de violences ou
1. II Tim. IV, 8. — 2. Gal, III, 8,16, 29 ; Gen. XII, 3. — 3. Ps. C, 2.
d’embûches, qui ravit le bien d’autrui, qui opprime les pauvres, qui se livre au vol, qui recherche l’adultère, qui calomnie, qui fait gémir les autres, pour le bonheur de nuire, Quel est celui qui abandonne les misérables? C’est celui qui voit un pauvre dénué de tout secours, et qui néglige de le soutenir comme il le pourrait, qui le dédaigne, qui lui ferme son coeur. Quand même on serait homme à n’avoir jamais besoin de miséricorde, il y aurait encore de l’orgueil, dans l’abandon d’un misérable : mais lorsqu’on est dans la tribulation de la chair, qu’on ne sait ce qui peut arriver demain, et qu’on méprise les larmes d’un malheureux, on n’est plus innocent. Mais alors qui est innocent? Celui qui ne nuit point aux autres ni à lui-même. Car se nuire à soi-même, ce n’est plus être innocent, Je n’ai rien dérobé à personne, me dira quelqu’un, ni fait violence à personne; c’est avec mon bien, avec le juste fruit de mon travail que je prends mes ébats, que je veux avoir une table bien servie, dépenser autant qu’il me plaira et boire avec mes amis, autant qu’il me plaira; à qui ai-je fait tort? A qui ai-je fait violence ? Qui se plaint de moi ? Il paraît innocent. Mais s’il se pervertit, s’il détruit en lui-même le temple de Dieu, comment espérer qu’il sera miséricordieux pour les autres, qu’il prendra en pitié les malheureux? Pourrait-il avoir de la pitié pour les autres, quand il est si cruel envers lui-même? Toute la justice se résume ainsi dans ce mot d’innocence. — « Aimer l’iniquité, c’est haïr son âme 1». Lorsqu’il aimait l’iniquité, il croyait nuire aux autres; mais vois s’il nuisait aux autres. « Aimer l’iniquité», dit le Psalmiste, « c’est haïr son âme ». C’est donc à lui-même qu’on nuit tout d’abord, quand on veut nuire aux autres : on ne se met point au large, l’espace manque : toute malice est toujours à l’étroit; il n’y a que l’innocence pour être au large et se promener à l’aise. « Je me promenais dans l’innocence de mon coeur, au milieu de ma maison». Par ce milieu de la maison, il entend ou l’Eglise elle-même dans laquelle se promène le Christ, ou notre coeur qui est une maison intérieure ; alors, au milieu de ma maison, serait une répétition de ce qu’il a dit plus haut: « Dans l’innocence de mon coeur». Quiconque tient cette maison en mauvais état,
1. Ps. X, 6.
465
en est chassé; quiconque en effet est harcelé par une mauvaise conscience, ressemble à un homme qui demeure sous un toit d’où l’eau tombe de toutes parts, ou qui sort pour éviter la fumée, qui ne saurait demeurer chez lui tel est l’homme dont le coeur n’est point tranquille, et qui ne saurait y habiter à l’aise. La distraction de leur esprit jette ces hommes au dehors d’eux-mêmes, et leur fait chercher le plaisir dans les choses corporelles, demander le calme aux bagatelles, aux spectacles, à la luxure, à toutes sortes de crimes. Pourquoi chercher leurs délices au dehors, sinon en ce qu’ils ne peuvent à 1’intérieur goûter la paix de la conscience? Aussi le Seigneur, après avoir guéri le paralytique, lui dit-il: « Enlevez votre grabat et allez en votre maison 1 ». Voilà ce que doit faire une âme qui est comme amollie par la paralysie qu’elle se raffermisse dans les bonnes oeuvres de ses membres, qu’elle fasse le bien, qu’elle emporte son grabat, qu’elle soumette le corps; puis, qu’elle aille dans sa maison ou sa conscience, et qu’elle la trouve assez large pour s’y promener, y chanter, y avoir l’intelligence.
5. « Je ne mettais sous mes yeux rien d’injuste 2».Qu’est-ce à dire que « Je ne mettais sous mes yeux aucune injustice? » Je n’y attachais point mon coeur, car, vous le savez, on dit d’un homme qui en aime un autre qu’il l’a sous les yeux, Et un homme que l’on méprise se plaint en disant : Je ne suis rien à ses yeux. Ainsi donc, avoir une chose sous ses yeux, c’est l’aimer; qu’est-ce que ne pas l’aimer? Ne pas y être de coeur. Le Prophète nous dit donc: « Je ne mettais sous mes yeux rien d’injuste » : je ne m’attachais pas au mal; et il nous dit ce qu’est le mal : « Je haïssais quiconque violait la loi ». Ecoutez bien, mes frères, si vous marchez avec le Christ au milieu de sa maison, c’est-à-dire si vous goûtez dans votre coeur un saint repos, ou si dans l’Eglise vous prenez le bon chemin qu’a suivi votre chef, vous ne devez pas seulement haïr les prévaricateurs que vous rencontrez au dehors, mais encore tous ceux de l’intérieur. Quels sont les prévaricateurs? Ceux qui haïssent la loi de Dieu; ceux qui l’entendent sans la pratiquer, voilà les prévaricateurs. Poursuis de ta haine les prévaricateurs, écarte-les de toi. Mais c’est le prévaricateur,
1. Matth, IX, 6.— 2. Ps. C, 2.
et non l’homme, que tu dois haïr. Le même homme qui devient prévaricateur a deux dénominations; il est homme, puis prévaricateur : aime alors ce que Dieu a fait en lui, mais poursuis ce qu’il a fait lui-même. Poursuivre la prévarication, c’est tuer ce qu’a fait l’homme, pour délivrer ce qu’a fait Dieu. « J’ai haï ceux qui commettent le péché ».
6. « Le coeur méchant n’a pas eu d’accès auprès de moi 1». Qu’est-ce à dire un coeur méchant? Un coeur tortueux. Qu’est-ce que le coeur tortueux? Le coeur qui n’est pas droit. Quand est-ce que le coeur n’est pas droit? Vois d’abord ce qu’est le coeur droit, tu sauras ce que peut être un coeur qui ne l’est pas. On appelle droit le coeur d’un homme qui ne repousse rien de ce que Dieu veut. Redoublez d’attention. Un homme demande à Dieu que je ne sais quoi ne lui arrive point, mais sa prière ne l’a point détourné. Qu’il redouble ses prières de tout son pouvoir; ce qu’il veut éviter lui arrive contre sa volonté: qu’il se soumette alors à la volonté de Dieu, et ne résiste point à cette volonté si grande. C’est ce que nous apprend l’exemple du Sauveur lui-même, qui veut personnifier eu lui notre infirmité, et quai s’écrie, au moment de souffrir: « Mon âme est triste jusqu’à la mort 2». Et pourtant il ne craignait pas la mort, lui qui avait le pouvoir de donner sa vie, et aussi le pouvoir de la reprendre 3. Et Paul, ce soldat et serviteur du Christ, s’écrie : « J’ai combattu un bon combat, j’ai gardé ma foi, j’ai achevé ma course; il ne me reste qu’à attendre la couronne de justice, que me rendra en ce jour le Seigneur qui est juste juge 4». Il tressaille parce qu’il va mourir ; et son Seigneur, son chef est triste devant la mort! Le serviteur vaut donc mieux que le chef? Alors que devient cette parole du divin Maître : « Il doit suffire au serviteur d’être comme son Seigneur, et au disciple d’être comme son maître 5?, Voilà que Paul est brave en face de la mort, et que le Seigneur est triste. « Je désirais », dit-il, « ma dissolution, afin d’être avec le Christ 6». Paul est dans la joie en face de la dissolution, afin d’être avec le Christ, et le Christ sera dans la tristesse, lui avec qui Paul se réjouit d’être un jour? Qu’est-ce que cette parole, sinon Le cri de notre infirmité? Beaucoup d’hommes faibles sont encore attristés
1. Ps. C, 4.— 2. Matth. XXVI, 38.— 3. Jean, X, 18.— 4. II Tim. IV, 7. — 5. Matth. X, 25.— 6. Philipp. I, 23.
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en face de la mort; mais qu’ils aient le coeur droit, qu’ils évitent la mort autant qu’ils le pourront; et s’ils ne le peuvent, qu’ils disent ce que le Seigneur a dit, non pour lui, mais pour nous. Qu’a-t-il dit? « Mon Père, s’il est «possible, que ce calice s’éloigne de moi». Telle est bien l’expression de la volonté humaine: vois que déjà le coeur est droit: « Néanmoins, ô mon Père, que votre volonté se fasse, et non la mienne 1 ». Si donc le coeur droit suit le Seigneur, le coeur dépravé lui résiste. Qu’il lui arrive quelque chose de fâcheux, et il s’écrie : O Dieu, que vous ai-je fait? Quel est mon crime? Quelle faute ai-je commise? Il veut être juste, et que Dieu soit injuste. Quel manque de droiture! C’est peu d’être tortueux, on veut encore que la règle soit faussée. Corrige-toi d’abord, et alors te paraîtra droit celui dont tu t’es éloigné. Ses actes sont justes, les tiens injustes; et tu es dépravé, parce que tu donnes le nom de juste à l’homme, à Dieu celui d’injuste. Quel homme appelles-tu juste? Toi-même. Dire en effet : Que vous ai-je fait? c’est te croire juste. Mais que Dieu te réponde : li est vrai que tu ne m’as rien fait, tu as toujours agi pour toi. Car en agissant pour moi, tu eusses fait le bien. Tout le bien que l’on fait, c’est pour moi qu’on le fait, puisque c’est pour obéir à mon précepte. Tout le mal que tu commets, tu le fais pour toi, et non pour moi; car le méchant, dans ce qu’il fait, n’agit que pour lui, puisque je ne lui commande Point ces actes. Mes frères, quand vous rencontrerez ces hommes, avertissez-les, reprenez-les, corrigez-les: et si vous ne pouvez les reprendre ou les corriger, ne vous attachez point à eux, afin de pouvoir dire: « Le coeur pervers n’a eu nul accès auprès de moi ».
7. « Comme le méchant s’éloignait de moi, je ne le connaissais pas ». Qu’est-ce à dire:
« Je ne le connaissais pas? » Je ne l’approuvais point, ne l’applaudissais point, il me déplaisait, Nous voyons, en effet, que l’Ecriture domine souvent au mot connaître, le sens de plaire. Que peut-on cacher à Dieu , mes frères? Verra-t-il donc les justes sans voir les injustes? Quelle est ta pensée qu’il ne connaisse point? Je ne dis pas quel acte, mais quelle pensée peux-tu lui dérober? Je ne dis pas seulement quelle pensée actuelle, mais quelle pensée à venir n’a-t-il pas vue avant
1. Matth. XXVI, 38, 39.
toi? Dieu connaît donc tout, et néanmoins, à la fin, c’est-à-dire au jour du jugement, qui suivra sa miséricorde, il dit de quelques-uns: « En ce jour, beaucoup viendront, et diront: Seigneur, Seigneur, n’avons-nous pas chassé les démons en votre nom, fait beaucoup de prodiges en votre nom, mangé et bu en votre nom? et je leur dirai: Retirez-vous de moi, artisans d’iniquité, je ne vous connais point 1 ». Y a-t-il donc quelqu’un que Dieu ne connaisse pas? Mais que signifie: « Je ne vous connais pas? » Je ne vous trouve point conformes à ma règle. Car je connais la règle de ma justice, et vous n’y êtes point conformes, vous vous en êtes écartés, vous êtes tortueux. C’est en ce sens qu’il est dit ici: « Je ne connaissais point. Comme le méchant s’éloignait de moi, je ne le connaissais pas ». Qu’est-ce à dire : « Je ne le connaissais pas? » Serait-ce parce qu’un méchant, rencontrant un juste dans tin chemin étroit, se dit cette parole de Salomon au livre de la Sagesse : « Il m’est odieux , même de le voir 2 » ; et qu’alors il se détourne du chemin pour ne point le voir? Mais combien de méchants voyons-nous, et combien nous voient, qui loin de se détourner de nous, accourent au contraire auprès de nous, et voudraient faire de nous les complices de leurs iniquités? Nous le voyons souvent. Comment donc se détournent-ils? Quiconque n’est pas semblable à toi, s’éloigne de toi. Qu’est-ce à dire qu’il s’éloigne? Qu’il ne te suit pas. Qu’est-ce à dire, qu’il ne te suit pas? Qu’il n’imite pas tes exemples. Donc, « comme le méchant s’éloignait de moi », c’est-à-dire comme le méchant ne me ressemblait point, ne voulait point marcher sur mes traces, ni suivre l’exemple que je lui donnais; «je ne le connaissais point ». Qu’est-ce à dire: « Je ne le connaissais point? » non pas que je le méconnaissais, mais que je ne l’approuvais point.
8. « Celui qui parle en secret contre son prochain, je le poursuivais 3». C’est là une
salutaire persécution, non contre l’homme, mais contre le péché. « Je ne m’asseyais à table, ni avec l’homme à l’oeil superbe, ni avec l’homme d’un coeur insatiable ». Qu’est-ce à dire : « Je ne m’asseyais point à leur table? » Que votre charité fasse attention; nous entendrons quelque chose d’admirable.
1. Matth. VII, 22, 23 — 2. Sag. II, 15. — 3. Ps. C, 5.
467
S’il ne s’asseyait pas à table avec eux, il ne mangeait point; s’asseoir à table, c’est manger; pourquoi donc voyons-nous que le Seigneur a mangé avec les orgueilleux? Non point avec ces publicains et avec ces pécheurs, car ils étaient humbles, ils connaissaient leur maladie et cherchaient un médecin; mais c’est avec les orgueilleux pharisiens que nous lisons qu’il mangea. Un de ces orgueilleux l’avait invité; c’est à lui que déplut cette femme pécheresse, fameuse dans sa ville natale, et qui vint se jeter aux pieds du Sauveur; c’est à ce pharisien qui disait en son coeur (et la pureté des pharisiens allait jusqu’à ne point se laisser toucher par des hommes impurs; pour peu que les touchât un homme impur, ils étaient saisis d’horreur, et craignaient de devenir impurs par l’attouchement d’un homme impur) : « Si cet homme était un prophète, il saurait quelle femme vient à ses pieds 1». Comment savait-il que Jésus ne connaissait point cette lemme? C’est qu’il le soupçonnait parce qu’il ne la repoussait point? Lui, Simon, l’eût repoussée bien loin. Or, le Seigneur, non-seulement connaissait cette femme, mais il voyait encore les blessures incurables faites à l’orgueil de Simon. A la vue de ses pensées, et pour lui montrer son propre orgueil : « Simon », lui dit-il, « j’ai quelque chose à te dire: un créancier avait deux débiteurs, dont l’un lui devait cinquante deniers, et l’autre cinq cents : comme ils ne pouvaient s’acquitter, il leur remit leur dette à tous deux : qui des deux l’aima le plus? » Et celui-ci prononça contre lui-même cette sentence que la vérité lui arrachait : « Je crois, Seigneur, que c’est celui à qui il a le plus remis. Alors se tournant vers la pécheresse : Vois-tu cette femme, dit-il à Simon? Je suis entré dans ta maison, et tu ne m’as point donné d’eau pour laver mes pieds; mais celle-ci m’a lavé les pieds avec ses larmes 2 », et le reste que vous savez. il n’est pas nécessaire de nous arrêter plus longtemps sur les détails de ce passage que nous citons. Ce pharisien donc était orgueilleux, et le Seigneur mangeait avec lui; pourquoi David nous dit-il : « Je ne prenais mes repas ni avec l’homme au regard orgueilleux, ni avec l’homme au coeur insatiable? » Qu’est-ce à dire : « Je ne prenais point
1. Luc, VII, 39. — 2. Id. 36-44.
mes repas? » Je ne mangeais pas avec lui. Comment nous propose-t-il ce qu’il ne fait point? Il nous engage à l’imiter: or, nous le voyons dans un festin avec les orgueilleux, comment nous défendra-t-il de manger avec eux? Pour nous, mes frères, nous nous séparons quelquefois de nos frères, nous nous abstenons de manger avec eux, afin qu’ils se corrigent. Nous acceptons plus volontiers avec les étrangers, avec les païens, qu’avec ceux de nos proches que nous voyons plongés dans une vie de désordres, afin qu’ils en rougissent et s’en corrigent ; ainsi que l’a dit l’Apôtre : « Si quelqu’un n’obéit pas à ce que nous ordonnons par notre lettre, notez-le, et n’ayez point de commerce avec lui, ne le regardez pas néanmoins comme un ennemi, mais reprenez-le comme un frère 1 ». C’est ce que nous faisons souvent avec nos frères pour les guérir; et pourtant nous mangeons souvent avec des étrangers et avec des impies.
9. Que signifie cette parole: « Je ne prenais point mes repas avec l’homme au regard orgueilleux, au coeur insatiable ? » Un coeur pieux a sa nourriture, et un coeur orgueilleux sa nourriture aussi. C’est en vue de cette nourriture du coeur superbe, que le Prophète a dit : « L’homme au coeur insatiable ». Quelle est la nourriture du coeur superbe? S’il y a orgueil, il y a envie, il n’en peut être autrement. L’orgueil est père de l’envie, il ne peut engendrer que l’envie, et qu’être toujours avec elle. Tout orgueilleux est envieux, et il se repaît du mal d’autrui. De là cette parole de l’Apôtre : « Si vous vous déchirez et vous dévorez les uns les autres, prenez garde de vous détruire mutuellement 2 ». Voyez donc de quoi ils se nourrissent, et ne mangez point avec eux, fuyez un tel festin. Mais la joie du mal d’autrui ne les rassasie point, car ils sont insatiables. Garde-toi de tomber de leurs festins dans les filets de Satan. Tel était le festin des Juifs quand ils crucifièrent le Seigneur, ils se repaissaient en quelque sorte ries souffrances du Sauveur; ce qui est bien différent de nous qui nous repaissons de sa croix, parce que nous mangeons sa chair. Ils lui disaient, en le voyant suspend à la croix et en lui insultant, car leur coeur était insatiable, ils disaient donc : « S’il est le Fils de Dieu, qu’il
1. II Thess. III, 11, 15. — 2. Gal. V, 15.
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descende de la croix; il a sauvé les autres, et il ne peut se sauver lui-même 1». Ils se repaissaient de leur cruauté, et pour lui, sa nourriture était sa miséricorde. « Mon Père », dit-il, « pardonnez-leur, parce qu’ils ne savent ce qu’ils font 2 ». Ils avaient donc leur nourriture, et lui sa nourriture. Mais écoutez ce qui est dit de la table des orgueilleux: « Que leur table soit pour eux un piège, une vengeance, un scandale 3 ». Ils s’en sont repus et ont été pris; de même que les oiseaux se font prendre en mangeant l’appât du piège, et les poissons en mordant à l’hameçon Les impies ont donc leurs festins, et les hommes pieux leurs festins. Ecoutez,voici le festin des bons : « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu’ils seront rassasiés 4 ». Si donc l’homme pieux se rassasie de justice et l’impie d’orgueil; il n’est pas étonnant que celui-ci ait le coeur insatiable, car il a pour nourriture l’iniquité; loin de toi ce pain de l’iniquité; et l’homme à l’oeil superbe, au coeur insatiable ne mangera point avec toi.
10. Mais toi, ô Prophète, où était ta nourriture? A quelle table te plaisais-tu, quand
l’impie ne mangeait pas avec toi ? « Mes yeux », répond-il, «étaient sur les fidèles de la terre, afin qu’ils soient établis avec moi 5 ». Le Seigneur nous dit: «Mes yeux sont sur les fidèles de la terre, afin qu’ils demeurent avec moi » : c’est-à-dire qu’ils y soient assis. Comment être assis ? « Vous serez assis sur douze trônes, pour juger les douze tribus d’Israël 6 ». Les fidèles de la terre seront donc juges, et c’est à eux que saint Paul a dit: «Ne savez-vous point que nous jugerons les anges 7? Mes yeux sont sur les fidèles de la terre, afin qu’ils soient établis avec moi. Celui qui marchait dans la soie pure, était celui qui me servait ». « Moi», et non pas lui. Beaucoup en effet sont ministres de l’Evangile, mais ministres pour eux, cherchant leurs intérêts et non ceux du Christ 8. Qu’est-ce que servir le Christ? Chercher ce qui est des intérêts de Jésus-Christ. Or, que les méchants annoncent l’Evangile, ils sauvent 1es autres, en se perdant eux-mêmes. Car il est écrit : « Faites ce qu’ils vous disent, mais ne faites pas ce qu’ils font 9». Tu n’as donc rien à craindre quand
1. Matth. XXVII, 40, 42. — 2. Luc, XXIII, 34. — 3. Ps. LXVIII, 23.— 4. Matth. V, 6 — 5. Ps. C, 6. — 6. Matth. XIX, 28.— 7. I Cor. VI, 3. — 8. Philipp. II , 21, — 9. Matth. XXXI, 3.
c’est un méchant qui t’annonce l’Evangile. Malheur à celui qui se sert lui-même, c’est-à-dire qui cherche ses intérêts : toi, cherche ceux du Christ. « Celui qui marchait dans la voie droite, celui-là me servait ».
11. « Celui qui se comporte avec orgueil, n’habitera point l’intérieur de ma maison ». Reportez-vous à la maison indiquée plus haut, c’est-à-dire au coeur. Nul homme aux acres orgueilleux n’habitait dans mon coeur, nul homme semblable n’y demeurait, il en sortait à l’instant. Nul ne demeure dans mon coeur, s’il n’est doux et paisible : l’orgueilleux n’y habitait point, car l’injuste n’habite point le coeur du juste. Qu’un homme juste soit séparé de toi par des distances en des contrées; vous habitez ensemble, si vous avez un même coeur. « L’homme qui se comporte avec orgueil n’a point habité dans mon coeur, l’homme aux paroles d’iniquité, ne marchera point d’un pas ferme en ma présence ». Telle est la voie sans tache, qui nous donne l’intelligence, quand le Seigneur vient à nous.
12. « Dès le matin j’exterminais tous les pécheurs de la terre 2 ». Ce passage est obscur; écoutons bien, je vous prie, le psaume touche à sa fin. « Au matin j’exterminais tous les pécheurs de la terre ». Pourquoi? « Afin de bannir de la cité du Seigneur tous ceux qui commettent l’iniquité ». Il en est donc dans la cité du Seigneur qui commettent l’iniquité, et ils sont épargnés aujourd’hui. Pourquoi? Parce que nous sommes dans le temps de la miséricorde, et qu’après viendra celui du jugement. «Je chanterai, Seigneur, votre miséricorde et votre jugement ». Il nous a dit plus haut que les bons seuls s’attachent à lui, qu’il ne s’est pas attaché aux méchants, qu’il ne se plaît point dans le festin d’iniquité de ces hommes qui ne servent qu’eux-mêmes, et non le Seigneur, c’est-à-dire qui cherchent leurs propres intérêts. Et comme si nous lui demandions : Pourquoi donc avoir toléré si longtemps ces hommes dans votre cité ? C’était le temps de la miséricorde, nous dit-il. Mais qu’est-ce que le temps de la miséricorde? C’est-à-dire que le jugement n’est pas encore dévoilé: c’est la nuit, viendra le jour, et le jugement apparaîtra. Ecoute l’Apôtre: « Gardez-vous de juger quelqu’un avant le
1. Ps. C, 7. — 2. Id. 8.
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temps ». Qu’est-ce à dire « avant le temps? » Avant le jour. Vois qu’il s’agit ici du jour : « Jusqu’à ce que vienne le Seigneur, qui doit éclairer les secrets des ténèbres, manifester les pensées des coeurs, et alors chacun recevra sa louange de Dieu 1». Maintenant en effet que vous ne voyez point mon coeur et que je ne vois point le vôtre, c’est la nuit. Tu demandes à un homme je ne sais quoi qu’il te refuse, et tu te crois méprisé; or, peut-être n’es-tu pas méprisé. Car tu ne vois point le mur, et à l’instant tu murmures, il faut te pardonner comme à un homme qui erre pendant la nuit. Tu es aimé d’un homme, et tu crois qu’il te hait; ou bien il te hait quand tu crois en être aimé : l’une et l’autre erreur est l’effet de la nuit. Sois donc sans crainte, mets ta confiance dans le Christ, et tu auras la lumière en lui : n’appréhende aucun mal de sa part, car nous sommes en sûreté, ayant la certitude qu’on ne peut le tromper et qu’il nous aime. Mais nous n’avons point cette certitude à l’égard de nous-mêmes. Dieu connaît notre amour mutuel, mais nous, bien que nous nous aimions, qui connaît notre intention alors ? Pourquoi le coeur se dérobe-t-il à tous? Parce que nous sommes dans la nuit. Or, dans cette nuit les tentations abondent. C’est de cette nuit que le psaume a dit: « Vous avez amené les ténèbres, et voilà la nuit; alors les bêtes de la forêt glissent dans l’ombre : les lionceaux rugissent après leur proie, et demandent à Dieu leur pâture 2 ». C’est pendant la nuit que les lionceaux cherchent la nourriture. Quels mont ces lionceaux? Les princes et les puissances de l’air, le démon et ses anges 3. Comment cherchent-ils leur nourriture ? En nous suggérant la tentation. Mais comme ils ne peuvent nous approcher si Dieu ne leur en donne le pouvoir, le Psalmiste ajoute qu’ « ils demandent leur proie au Seigneur ». Le démon demande de tenter Job. Quelle était cette proie? Une proie riche, opulente, le juste de Dieu, à qui le Seigneur lui-même avait rendu témoignage en l’appelant « homme irréprochable, et véritable serviteur de Dieu ». Demander de le tenter, c’était demander à Dieu sa proie, et il reçut le pouvoir, non de l’accabler, mais de le tenter 4; de le purifier, non de le perdre. Néanmoins il arrive que d’autres sont livrés au tentateur pour l’avoir
1. I Cor. XV, 5.— 2. Ps. CIII, 20,21.— 3. Ephés. II, 2.— 4. Job, I, 8-12.
mérité, parce qu’ils se sont livrés eux-mêmes à leurs concupiscences. Le diable en effet ne nuit à personne s’il n’en a reçu de Dieu le pouvoir. Mais quand ? pendant la nuit. Qu’est-ce à dire pendant la nuit? En cette vie. Mais quand à la nuit succédera le jour, les méchants seront précipités avec le diable dans le feu éternel, et les justes auront une vie sans fin 1. Là plus de tentateur, parce qu’il n’y aura plus de lionceaux, la nuit sera passée. Aussi le Seigneur dit-il à ses disciples: « Cette nuit Satan a demandé de vous cribler comme le froment; mais, Pierre, j’ai prié pour toi, afin que ta foi ne vienne pas à faiblir 2». Qu’est-ce à dire, « vous cribler à comme le froment ?» De même que l’homme ne mange le froment qu’après l’avoir brisé pour en faire du pain, de même nul ne devient en quelque sorte la proie de Satan, qu’après avoir été brisé sous la meule de l’affliction. Il nous brise donc pour nous manger; mais toi, si dans l’affliction tu demeures un véritable grain, tu ne seras point broyé, et il ne t’arrivera aucun mal. Quand les boeufs foulent le grain, n’ont-ils d’action que sur le grain seulement? Ne les chasse-t-on point sur la paille dans la grange ? Mais est-ce le froment qui doit craindre? Nullement. La paille seule est brisée, le froment est dépouillé du superflu, et alors viendra le van, qui fera du froment une masse pure. Le grain que l’on trouve alors est mis en réserve dans les greniers, et le monceau de paille jeté au feu inextinguible 3.
13. A quoi bon ce langage? Parce que nous espérons voir le jour, Ce jour pour nous doit être dans le Christ, et pendant que nous sommes daims la tentation, c’est la nuit. Pendant la nuit, Dieu épargne les pécheurs, et ne les extermine point; il leur inflige des épreuves douloureuses, afin de les corriger, il les tolère dans sa cité. Mais croyons-nous qu’il les souffrira toujours? Si Dieu usait toujours de miséricorde, il n’y aurait point de jugement. Mais si le psaume a dit vrai « Seigneur, je chanterai votre miséricorde et votre jugement »; il n’épargne aujourd’hui que pour juger plus tard. Or, quand jugera-t-il? Quand la nuit sera passée. De là cette parole : « Au matin j’exterminais tous les pécheurs de la terre ». Qu’est-ce à dire, «au matin? » Au point du jour, quand la
1. Matth. XXV, 46. — 2. Luc, XXII, 31, 32. — 3. Matth. III, 2.
470
nuit sera passée. « Au matin j’exterminais tous les pécheurs
de la terre » : pourquoi les avoir épargnés jusqu’au
matin ? Parce que c’était la nuit. Qu’est-ce à dire, c’était
la nuit? C’était le moment de l’indulgence; car Dieu pardonnait,
quand le coeur des hommes était dans les ténèbres.
Tu vois un homme vivant dans le désordre; tu as pour lui de la tolérance;
comme il est dans la nuit, tu ne sais ce qu’il deviendra, si vivant aujourd’hui
dans le désordre, il ne sera pas demain plus régulier; et
si l’homme régulier d’aujourd’hui ne sera pas demain l’homme du
désordre. Nous sommes dans la nuit, et Dieu tolère les pécheurs
dans sa longanimité. Il les tolère afin qu’ils se retournent
vers lui. Mais ceux qui ne se convertiront point ici-bas seront exterminés.
Pourquoi exterminés? Afin qu’ils soient bannis de la cité
de Dieu, de la société de Jérusalem, de la société
des saints, de la société de l’Eglise. Quand seront-ils exterminés?
« Au matin ». Qu’est-ce à dire « au matin? »
Quand la nuit sera passée. Pourquoi les épargner aujourd’hui
? Parce que c’est le temps de la miséricorde. Pourquoi n’épargner
pas toujours? Parce que « je chanterai, Seigneur, votre miséricorde,
et ensuite votre jugement ». Mes frères, que nul ne se fasse
illusion. Tous ceux qui commettent l’iniquité seront exterminés
: le Christ les exterminera au matin, et les bannira de sa cité.
Mais aujourd’hui que nous sommes dans le temps de la miséricorde,
que les pécheurs l’écoutent. Partout il nous prêche,
et dans sa loi, et dans les Prophètes, et dans les psaumes, et dans
les Epîtres et dans l’Evangile. Reconnaissez qu’il ne se tait point,
qu’il épargne, qu’il use même de miséricorde; mais
veillez sur vous, car voici le jugement.
source: http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin/index.htm