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Saint Augustin d'Hippone
Sermons  sur l'Ancien Testament

SERMON II. LA TENTATION D'ABRAHAM (1).
 

ANALYSE. — Rien n'est plus admirable que la foi manifestée par Abraham lorsqu'il est question soit de la naissance, soit du sacrifice d'Isaac. Les Manichéens cependant s'offensent d'entendre dire à l'ancien Testament que Dieu tenta Abraham. Mais, 1° l’Évangile dit également que Jésus tenta Philippe ; 2° si Dieu tenta Abraham, ce n'était point pour connaître lui-même les dispositions de son âme, c'était pour les révéler soit à Abraham, soit à nous ; 3° qui n'est frappé des ressemblances figuratives que présente le sacrifice d'Isaac avec le sacrifice du Calvaire ? — N'oublions pas que dans ce grand acte de la vie d'Abraham se manifeste la foi qui produit les oeuvres de la charité.
 
 

1. La lecture que vous venez d'entendre rappelle à notre mémoire la piété célèbre d'Abraham notre père : piété admirable ! quel coeur serait assez oublieux pour en perdre jamais le souvenir ? Et néanmoins je ne sais comment il arrive que toutes les fois qu'on en lit l'histoire, elle nous impressionne aussi vivement que si le spectacle était sous nos yeux.
 
 

1. Gen. XXII.
 
 

Cette foi est grande, grande est cette piété, non seulement envers Dieu mais encore envers le fils unique du patriarche. Père, il ne crut pas que ce fils pût souffrir d'aucune disposition prise par Celui qui l'avait créé; car si Abraham était, selon la chair, le père d'Isaac, il ne pouvait être ni son créateur ni son auteur, comme l'était la majesté divine. Il est vrai, comme dit l'Apôtre, qu'Abraham n'eut pas ce fils selon la chair, (4) mais en vertu de la promesse (1). Isaac en effet, était issu de la chair, mais au moment où tout était désespéré, et sans la promesse divine, jamais le noble vieillard n'eût osé attendre que la postérité dût lui venir d'une épouse chargée d'années. Mais sur la parole dé Dieu il crut la future naissance et ne déplora point la mort future: On choisit son bras pour le sacrifice qui doit conduire à la mort, comme on avait choisi son cœur pour la foi qui devait obtenir la vie. Il crut sans hésiter quand on lui promettait un fils, il l'offrit sans hésiter quand on le lui redemanda; et la -piété de sa foi ne lutta point contre le dévouement de son obéissance.

Abraham ne se dit donc pas : Dieu m'a parlé; quand il m'a promis un fils, j'ai cru qu'il me ferait une postérité et quelle postérité! une postérité dont il a dit : « C'est d'Isaac que ta postérité prendra ton nom (2). » Et pour m'empêcher de craindre que cette postérité dût s'éteindre en Isaac avant ma mort : « Toutes les nations, m'a-t-il dit encore, seront bénies en ta race (3). » C'est donc lui qui m'a promis expressément un fils, et il exige que je le fasse périr  ? Il n'examina point s'il y avait opposition entre les paroles de Dieu, si après avoir promis la naissance d'un fils, Dieu ne se contredisait point en demandant sa mort; sa foi ne, défaillit point, elle demeura ferme dans son coeur.

Si de vieillards même, se dit-il, Dieu a fait naître le fils qui n'était pas, ne peut-il au delà du tombeau le rendre à la vie (4) ? En effet, Dieu avait fait davantage et à consulter l'humaine faiblesse, il avait même fait l'impossible, lorsqu'il avait donné à Abraham ce fils qu'il voyait et que tout le portait à désespérer d'obtenir. Il embrassa donc la foi avec courage; il ne crut pas que rien fût impossible au Créateur; et après avoir reçu ce fils conformément à sa foi, il ajouta foi aussi à l'ordre de Dieu. Déjà il avait cru quand Dieu lui donnait ce fils; et la foi du patriarche, quand il fallut en faire le sacrifice, ne dégénéra point de ce qu'elle s'était montrée quand il dut le recevoir ; partout il fut fidèle.

Jamais il ne se montra cruel. Oui, il conduisit son fils au lieu de l'immolation, il arma son bras de l'épée tranchante. Tu vois avec étonnement ce père prêt à frapper et à frapper qui ? Vois aussi de qui il suit les ordres. Abraham se montre pieux en obéissant: qu'oseras-tu dire de

1. Gal. IV, 23. — 2. Gen. XXI, 12. — 3. Gen. XXII, 18. — 4. Rétr. liv. II, ch. 22, n. 2.
 
 

Dieu qui commande? De grâce, dirai-je ici aux coeurs faibles et non aux impies, ne murmurez point contre lui. Vous aimez celui qui obéit, comment vous déplairait celui dont il exécute les ordres ? Si Abraham a bien fait de s'y soumettre, Dieu n'a-t-il pas fait mieux, beaucoup et incomparablement mieux en les donnant ?

2. Peut-être faut-il chercher ici des raisons plus profondes. Car Dieu n'a pas donné sans motif et il ne faut point entendre dans un sens charnel cet ordre dont la connaissance trouble peut-être parmi vous, des âmes peu clairvoyantes. « Dieu, dit l'Écriture, tenta Abraham (1). » Quoi! est-il si étranger à ce qui existe, connaît-il si peu le cœur de l'homme qu'il le tente pour en découvrir les secrets ? Loin de nous cette pensée. C'est l'homme qu'il veut révéler à lui-même. Ainsi donc, mes frères, je m'adresse d'abord à ces esprits qui combattent la loi ancienne, l'Écriture sainte. Il en est effectivement qui sont plutôt prêts à critiquer ce qu'ils ne comprennent pas qu'à chercher à le comprendre, et à calomnier avec orgueil qu'à étudier avec humilité. Je m'adresse donc à ces hommes qui veulent recevoir l'Évangile et repousser l'ancienne loi, qui croient pouvoir suivre la loi de Dieu et n'y marcher que sur un pied, car ils ne sont point ces Docteurs instruits de ce qui touche le royaume de Dieu et qui tirent de leur trésor des choses anciennes et des choses nouvelles (2). C'est à eux que je m'adresse, car il peut se faire qu'il y en ait ici qui se déguisent; d'ailleurs s'il n'en est point parmi nous, vous tous qui êtes présents vous pourrez ainsi leur répondre. Je résous donc en peu de mots la question proposée.

Voici ce que nous disons à ces âmes égarées Vous recevez l'Évangile sans recevoir la loi. Pouf, nous, nous déclarons que le Législateur miséricordieux de l'Évangile est l'auteur redoutable de la loi. Sa loi; en effet, effraye les hommes pour les porter à se convertir, et quand ils le sont l'Évangile les guérit. Le Souverain avait rendu un décret; et ce décret, étrangement violé, ne servait plus qu'à la punition des coupables. Que restait-il à faire pour ces malheureux? Le Législateur devait venir lui-même apporter leur grâce.

Mais que dit le cœur pervers pour expliquer comment il reçoit l'Évangile et rejette la loi? Pourquoi rejette-t-il la loi ? Parce qu'il y est écrit, dit-il, que « Dieu tenta Abraham. » Quoi ! j'adorerais
 
 

1. Gen. XXI, 1. — 2. Matt. XIII, 52.
 
 

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un Dieu qui tente ? — Adore le Christ que te montre l'Évangile. C'est lui qui te rappelle à l'intelligence de la loi. — Mais ils ne sont pas allés jusqu'au Christ et ils sont restés avec leurs vains fantômes.; car ils n'adorent pas le Christ tel que le prêche l'Évangile ; ils se font un Christ particulier. Aussi appliquent-ils, sur le voile de leur folie naturelle, un autre voile, le voile de l'erreur. Et comment, à travers l'épaisseur de ce double voile, peuvent-ils distinguer la lumière de l'Évangile ?

Tu ne peux souffrir que Dieu ait tenté; ne souffre donc pas non plus que le Christ l'ait fait. Et si tu aimes à voir que le Christ l'a fait, aime aussi à considérer que Dieu en ait fait autant. Le Christ est en effet le Fils dé Dieu, Dieu comme son Père et un même Dieu avec lui.

Mais où lisons-nous que le Christ a tenté? Dans l'Évangile même. Il y dit à Philippe: « Où achèterons-nous des pains pour nourrir ce peuple? » Et l'Évangéliste ajoute . « Or il disait cela pour le tenter, car pour lui il savait ce qu'il devait faire (1). » Applique maintenant ceci à Dieu quand il tenta Abraham. Lui aussi parlait de cette sorte en tentant Abraham, car il savait ce qu'il devait faire. Voilà le Christ qui tente et Dieu qui tente également. L'hérétique alors ne cessera-t-il point de nous tenter? Mais lorsque Dieu tente, c'est pour instruire l'homme, et quand l'hérétique tente, c'est pour s'éloigner de Dieu.

3. Sache donc votre charité que Dieu en tentant ne cherche pas à connaître ce qu'il ignorait; il veut, lorsqu'il tente, c'est-à-dire lorsqu'il interroge, manifester les secrets du coeur de l'homme. L'homme en effet ne se connaît pas aussi bien que le connaît son Créateur : un malade n'est-il pas mieux connu de son médecin que de lui-même ? Le malade souffre, le médecin ne souffre pas ; et pourtant le premier espère savoir la nature de ses douleurs par le second qui ne les endure point. Aussi crie-t-on dans un psaume : « Purifiez-moi, Seigneur, de mes fautes cachées (2). » C'est qu'il est dans l'homme des choses inconnues de l'homme; elles ne s'avancent, ne se montrent, ne se découvrent que dans les tentations; et si Dieu cesse de tenter, c'est le maître qui cesse d'enseigner.

Mais Dieu tente pour instruire, et le diable pour tromper. Qu'on ne donne pas lieu à cette tentation; et elle est vaine, ridicule, elle échoue.
 
 

1. Jean, VI, 5, 6. — 2. Ps. XVII, 13.
 
 

Aussi l'Apôtre dit-il . « Ne donnez point lieu au diable. (1) » C'est par leurs passions que les hommes donnent lieu au diable, car ils ne voient pas cet ennemi contre lequel ils combattent. Ils peuvent toutefois en triompher facilement qu'ils se domptent eux mérites à l'intérieur et ils le vaincront ostensiblement.

Pourquoi parler ainsi? Parce que l'homme se méconnaît tant qu'il ne s'étudie pas dans la tentation. Mais quand il s'est étudié, qu'il ne se néglige point. S'il a pu se négliger quand il se méconnaissait, qu'il prenne garde de se négliger encore, maintenant qu'il se connaît.

4. En résumé, mes frères, si Abraham se connaissait, nous ne le connaissions pas. Il fallait donc le révéler soit à lui soit au moins à nous à lui, pour lui apprendre de quoi il devait rendre grâces; à nous, pour nous dire ce que nous devions demander à Dieu ou imiter dans son serviteur. Que nous enseigne donc Abraham ? Je l'exprimerai en un mot : à ne pas préférer à Dieu les dons de Dieu. Ceci soit dit selon le sens littéral et avant de scruter les leçons cachées dans ce mystère, dans cet ordre intimé à Abraham d'égorger son fils unique. Garde-toi donc de préférer à Dieu même les grands dons qu'il t'accorde, et s'il veut te les enlever, ne cesse point de l'honorer, car on doit aimer Dieu gratuitement. Et quelle plus douce récompense peut nous venir de Dieu, que Dieu même ?

5. Après avoir accompli généreusement dans son coeur cet acte d'obéissance et de dévouement, Abraham s'entend dire de la part de Dieu : « Je connais maintenant que tu crains Dieu (2). » Ce qui signifie que Dieu a révélé Abraham à lui-même. Ne sommes-nous point habitués à ce langage ? Je parle à des Chrétiens, ou à des hommes qui profitent des divines leçons; ce que je dis n'est ni nouveau ni étrange, votre sainteté le connaît parfaitement. Que disons-nous donc quand un prophète parle? C'est Dieu, disons-nous, qui a parlé. Nous disons également : Le prophète a parlé. Et ces deux manières de nous exprimer sont également justes, appuyées également sur des autorités. C'est ainsi que les Apôtres ont interprété les prophètes, ils disent également Dieu a parlé; Isaïe a parlé. Ces deux formules sont vraies, puisque nous les trouvons toutes deux dans les Écritures.

Si donc le chrétien me résout la question présente, il résoudra par là même celle que j'ai
 
 

1. Eph. IV, 27. — 2. Gen. XXII, 12.
 
 

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proposée un peu auparavant. Comment? Parce que, conformément à cette parole : « Ce n'est pas vous qui parlez, » et le reste (1) ; et à ces autres : « Voici que moi, Paul, je vous parle (2);  Le Christ parle en moi, (3) » c'est Dieu qui dit ce que dit l'homme par sa grâce.

6. Donc, mes frères, appliquez cette règle à ce qui vous paraissait tortueux, et il sera redressé. Donc aussi attachons tous sur Dieu nos regards suppliants; qu'il apaise la faim de nos âmes: c'est lui qui pour nous a enduré la faim et pour nous s'est fait pauvre, quand il était riche, afin de nous enrichir par sa pauvreté (4). Avec quel à-propos nous venons de lui chanter

« Tous les êtres attendent de vous leur nourriture au temps convenable (5). » Si c'est tous les êtres, c'est tous les hommes; et si c'est tous les hommes, c'est nous par conséquent. Donc encore, si en vous adressant la parole nous devons vous donner quelque chose de bon, cela vous viendra de Celui qui nous donne à tous, parce que tous nous attendons de Lui.

Le temps convenable est venu, qu'il donne; mais pour l'obtenir faisons ce qu'il a dit; attachons sur lui le regard du coeur : le corps a des yeux et des oreilles qui sont pour nous; le coeur, des yeux et des oreilles qui sont pour lui. Ouvrez donc cette oreille du coeur et entendez ce grand mystère. Tous les mystères des Écritures sont grands et divins : il en est toutefois de plus remarquables, de plus importants; il en est qui demandent la plus vive attention de notre part; plus que les autres ils relèvent ceux qui sont tombés et nourrissent ceux qui ont faim : ils les nourrissent, non en leur inspirant le dégoût, mais en les en préservant, en chassant le besoin sans provoquer la répugnance. — Qui ne s'étonnerait de cet ordre d'immoler un fils unique, intimé par Celui qui l'avait promis? Cet ordre donné exactement, comme nous l'avons appris, provoque l'attention a chercher le secret du mystère.

7. Avant tout néanmoins, nous vous prions, mes frères, au nom du Seigneur, et avec les plus vives instances, nous vous ordonnons même, quand on vous dévoile le mystère d'un fait rapporté dans l'Écriture, de croire d'abord qu'il s'est accompli à la lettre : enlevez ce fondement de l'histoire, vous chercherez à bâtir dans les airs.

Abraham notre père était alors un homme
 
 

1. Matt., X, 20. — 2. Gal., V, 2. — 3. II Cor. III, 3. — 4. II Cor. VIII, 9. — 5. Ps. CIII, 27.
 
 

fidèle, confiant en Dieu, et justifié par la foi, comme disent les Écritures anciennes et nouvelles (1). Il eut un fils de Sara son épouse, lorsque tous deux étaient parvenus à la vieillesse et devaient humainement désespérer d'en avoir. Mais que ne doit-on espérer de Dieu ? Rien ne lui est difficile : il fait les grandes comme les petites choses; il ressuscite les morts comme il crée les vivants. Si l'art du peintre lui permet de faire des oeuvres si diverses, de produire l'insecte comme l'éléphant; de quoi n'est point capable ce grand Dieu qui a dit, et tout a été fait, qui a commandé, et tout a été créé (2) ? Qu'y a-t-il de laborieux pour Celui à qui suffit une parole? Autant il lui fut aisé de créer les anges par de là les cieux, autant il lui en coûte peu de produire les astres dans les cieux, les poissons dans la mer, les arbres et les animaux sur la terre : il fait avec la même facilité les grandes et les petites choses. Et quand il a pu si facilement tirer du néant, on s'ét6nnerait qu'il eût donné un fils à des vieillards?

Ces hommes ou plutôt ces personnages étaient alors entre les mains dé Dieu et il les avait créés comme les hérauts du futur avènement de son Fils : il veut que nous cherchions, que nous trouvions le Christ non-seulement dans ce qu'ils disaient, mais encore dans ce qu'ils faisaient et dans ce qui leur arrivait. Ce que l'Écriture rapporte d'Abraham est donc en même temps un fait et une prophétie. Ainsi l'atteste l'apôtre « Il est écrit, dit-il, qu'Abraham eut deux fils : l'un de la servante et l'autre de la femme libre. Ce qui a été dit par allégorie : car ce sont les deux alliances (3). »

8. Ainsi donc il n'y a point d'imprudence à dire qu'Isaac est né et qu'il est une figure. Il y a aussi réalité et prophétie quand le père se montre docile à la voix de Dieu lui commandant d'immoler son fils; quand il le conduit et parvient au bout de trois jours au lieu du sacrifice; quand il renvoie ses deux serviteurs avec la bête de somme et poursuit sa route jusqu'au lieu indiqué par le Seigneur; quand il place le bois sur l'autel et son fils sur le bois; quand avant d'arriver au lieu de l'immolation, le fils porte le bois sur lequel on doit l'étendre; et qu'au moment où il va être frappé. une voix crie qu'on l'épargne, sans manquer néanmoins d'offrir un sacrifice avant le retour et de répandre le sang;
 
 

1. Gen. XV, 6; Rom. IV, 3; Gal. III, 6. — 2. Ps. CXLVIII, 5. — 3. Gal. IV, 22, 24.
 
 

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quand apparaît un bélier arrêté par les cornes dans un buisson et qu'on l'égorge pour consommer le sacrifice; quand après ce grand acte, il est dit à Abraham : « Je multiplierai ta postérité comme les étoiles du ciel et comme le sable de la mer; et ta race possédera les cités de tes ennemis; et toutes les nations de la terre seront bénies en celui qui sortira de toi; parce que tu as obéi à ma parole (1). »

Vois donc à quel moment cette promesse s'accomplit et à quel moment elle fut rappelée. C'est au moment où le divin Bélier s'écria : « Ils m'ont percé les pieds et les mains, .» et le reste. Et au moment où se consommait le sacrifice marqué dans ce psaume, on disait en récitant ce même psaume : « Toutes les extrémités de la terre se souviendront et. se convertiront au Seigneur, toutes les nations se prosterneront devant lui; car à lui appartient l'empire et il régnera sur les peuples (2). » Ils se souviendront, est-il dit : ainsi le fait dont nous sommes aujourd'hui témoins, avait été prédit auparavant.

9. Voyons donc comment s'est accomplie, par quel moyen et à la suite du quel sacrifice s'est accomplie cette promesse adressée à Abraham : « Toutes les nations seront bénies en celui qui sortira de toi. » Heureuses les nations qui n'ont pas entendu et qui croient, maintenant qu'elles le lisent, ce que crut le patriarche en l'entendant ! Car « Abraham crut à Dieu, ce qui lui fut imputé à justice, et il fut appelé ami de Dieu (3). » Quand il crut à Dieu dans son coeur, c'était seulement de la foi; et quand il conduisit son fils à l'autel, quand sans trembler il arma son bras, quand il frappait s'il n'eût été retenu par la voix du ciel, c'était en même temps une grande foi et une grande couvre ; une couvre qui fut louée de Dieu même : « Tu as, dit-il, obéi à ma parole. »
 
 

1. Gen. XXII, 17, 18. — 3. Ps. XXI, 17, 28, 29. —3. Jacq. II, 23.
 
 

Pourquoi donc l'Apôtre Paul dit-il d'un côté « Nous estimons que l'homme est justifié par la foi sans les oeuvres de la loi, (1) » et de l'autre « La foi opère par la charité (2) ? » Comment est-il possible que la foi agisse par l'amour et qu'en même temps l'homme soit justifié par la foi sans les oeuvres de la loi ? Comment, mes frères ? soyez attentifs.

Un homme croit, il reçoit sur sa couche les sacrements de la foi et il meurt, sans avoir eu le temps d'agir. Que disons-nous alors? Qu'il n'est pas justifié ? Nous croyons au contraire qu'il est justifié, puisqu'il croit en Celui qui justifie l'impie (3). Il a donc été justifié sans avoir agi et on voit s'accomplir en lui cette sentence de l’Apôtre. « Nous estimons que l'homme est justifié par la foi sans les oeuvres de la loi. » Ainsi le larron crucifié avec le Seigneur crut de cœur pour la justice et confessa de bouche pour le salut (4). Car si la foi agissant par la charité ne peut s'exercer à l'extérieur, elle échauffe néanmoins le cœur et s'y conserve.

Il y avait sous la loi des hommes qui se glorifiaient des oeuvres de la loi, accomplies peut-être par crainte et non par amour; et ils voulaient pour ce motif passer pour justes et être préférés aux Gentils qui n'avaient pas vécu selon la loi. Mais l'Apôtre qui prêchait la foi aux Gentils vit justifiés par la foi ceux qui se convertissaient au Seigneur; il vit qu'ils faisaient le bien après avoir cru, sans avoir mérité de croire en le faisant, et il s'écria avec sécurité : « L'homme peut être justifié par la foi sans les oeuvres de la loi. » Ainsi les justes n'étaient pas selon lui ceux qui agissaient par crainte, car c'est dans le cœur que la foi agit par l'amour, lors même qu'elle ne se traduit point extérieurement par des œuvres.
 
 

1. Rom. III, 28. — 2. Gal. V, 6. — 3. Rom. IV, 6. — 4. Héb. X, 10.
 
 

source: http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin/index.htm

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