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Saint Augustin d'Hippone
Sermons  sur l'Ancien Testament

SERMON XLI. FIDÉLITÉ DANS LA PAUVRETÉ. (1).
 

ANALYSE. — S. Augustin entreprend d'expliquer ici le sens profond de ces paroles : « Sois fidèle avec ton prochain dans sa pauvreté, afin que tu jouisses aussi de son bonheur. » Après avoir reconnu qu'abandonner un ami tombé dans l'indigence, c est témoigner qu'on aimait ses richesses plus que sa personne, le grand Docteur demande si le but de la fidélité à lui garder doit être de pouvoir partager sa fortune lorsqu'il l'aura recouvrée. Evidemment l'amitié alors ne serait point pure. Il faut donc chercher ici une signification plus profonde et plus chrétienne. Or, comme on peut le voir dans l'histoire du mauvais riche, garder la fidélité avec son prochain dans la pauvreté, c'est partager la foi des pauvres afin de jouir de leur bonheur, d'être reçu par eux dans les tabernacles éternels; c'est aussi demeurer fidèle au Christ dans ses humiliations, afin d'être par lui associé à sa félicité suprême.
 
 

1. Quand on lisait dans les divines Ecritures ces maximes que maintenant nous ne saurions toutes expliquer, j'ai remarqué une pensée aussi brièvement exprimée qu’elle est vaste par le sens qu'elle renferme; et pour répondre avec l'aide du Seigneur et dans l'étroite mesure de mes forces, à la vive attente de votre charité, j'ai pris la résolution de m'y arrêter, et de la tirer pour votre profit du cellier divin oit je puise avec vous ma nourriture. Voici donc quelle est cette pensée: « Sois fidèle avec ton prochain dans sa pauvreté, afin de jouir aussi de son bonheur. »

Prenons-la d'abord simplement dans le sens littéral qu'elle parait présenter, comme peuvent l'entendre tous les esprits, ceux mêmes qui ne creusent jamais les profondeurs des Ecritures divines. « Sois fidèle avec ton prochain dans sa
 
 

1. Eccli. XXII, 28.
 
 

pauvreté, afin de jouir aussi de soit bonheur. » Rien n'est plus vrai, dit celui qui se contente d'écouter : quand un ami est pauvre, il ne faut pas lui manquer de foi mais lui demeurer fidèle; l'amitié ne doit pas changer avec la fortune, mais la bonne volonté doit s'affermir et la foi se garder. S'il était mon ami quand il était riche et que dans sa pauvreté il ne le soit plus, c'est que j'aimais son opulence et non sa personne. Si au contraire je l'aimais lui-même, malgré les vicissitudes de la fortune n'est-il pas toujours lui? Pourquoi donc ne serait-il pas encore pion ami? S'il a perdu son or, il n'a pas perdu son coeur. J'achète un cheval, je lui ôte ses parures et ses harnais, perd-il sa valeur pour cela? J'aimais mon ami quand il était orné et maintenant qu'il est dépouillé je le dédaigne? Elle est donc bonne, elle est salutaire, elle est parfaitement convenable aux besoins de l'humanité, cette, sentence (168) de l'Ecriture : « Sois fidèle avec ton prochain dans sa pauvreté. »

2. « Afin de jouir aussi de son bonheur. » Quoi donc? Que signifie cette seconde partie ? Dirons-nous que le motif pour lequel il faut demeurer avec un ami dans sa pauvreté et lui être fidèle soit le désir de jouir aussi de son bonheur? Dirons-nous : Maintenant il est pauvre, mais il s'enrichira et il ne te fera point part de son opulence si dans ton orgueil tu dédaignes maintenant sa pauvreté. Sois donc fidèle avec lui, lors même qu'il est pauvre, afin de jouir de son bonheur quand la fortune lui sera revenue et d'y trouver l'allégresse avec lui? Sois fidèle avec lui; il est pauvre, mais il a dans sa foi un grand trésor. Tu te disposais et tu aspirais à posséder avec lui quelque terre, si toutefois il en avait une que vous pussiez posséder ensemble : n'est-il pas beaucoup plus sûr de posséder avec lui la foi? Peut-être est-il possible qu'il soit dépouillé de ses biens par quelque scélérat; qui pourra lui ravir sa foi ? Que signifie donc : « Afin de jouir aussi de son bonheur? » Cela signifie sans doute que de pauvre qu'il est il pourra devenir riche et que pour n'avoir pas dédaigné sa pauvreté tu partageras son opulence.

3. L'explication vulgaire donnée au premier membre de cette phrase me parait convenable mais, je l'avoue, l'explication du second membre me blesse. Si en effet le motif pour lequel tu demeures fidèle à ton ami dans sa pauvreté est le désir de profiter de ses trésors quand il en aura acquis, ce n'est pas ton ami lui-même, c'est quelque autre chose que tu aimes en lui. La foi et l'espérance sont deux bonnes amies; la charité l'emporte sur-elles. «Maintenant, dit l'Apôtre, demeurent toutes les trois la foi, l'espérance et la charité ; mais la plus grande des trois est la charité: pratiquez la charité (1). »

Je m'adresse donc à cet ami. Je t'en prie, lui dis-je, gardes-tu la foi à ton ami dans sa pauvreté? — Certainement, répond-il, j'ai appris ce devoir dans les livres sacrés, je l'ai recommandé à mon coeur et confié à ma mémoire : je me le rappelle avec plaisir, je le pratique avec plus de plaisir encore. Oui, j'ai entendu cette sainte parole : « Sois fidèle avec ton ami dans sa pauvreté. » — Pourquoi cela, ajouté-je? Est-ce à cause de ce qui suit, c'est-à-dire : « afin que tu profites de son bonheur? » Qu'as-tu donc en vue? — J'espère; reprend-il, que pour n'avoir
 
 

1. Cor. XIII, 13 ; XIV, 1.
 
 

pas dédaigné son malheur, je fierai admis au partage de sa félicité, lorsqu'il sera enrichi et comblé de biens. — Souffre que je te questionne encore un peu. Et si cet homme avec qui tu demeures fidèle dans sa pauvreté ne devient jamais riche ? Et s'il doit rester pauvre jusqu'à la mort ? Ton espérance frustrée, ne seras-tu plus fidèle? Dans l'impossibilité de partager l'or du riche, te repentiras-tu d'avoir été fidèle avec le pauvre?

Si mon interlocuteur a des sentiments humains, que dis-je? s'il a des sentiments vrais, il se troublera de mes questions et me répondra que je dis vrai. Il est bien d'être fidèle à un ami; mais si on lui est fidèle dans sa pauvreté pour profiter de ses richesses, pour les partager avec lui, il n'est pas douteux qu'en le voyant mort indigent et sans l'opulence qu'on espérait, on se repentira de toute cette fidélité et l'on perdra misérablement fout le fruit de ce qu'on a fait pour lui. — Tu le vois donc, il faut approfondir davantage cette pensée et l'entendre, non dans le sens que peut y donner le vulgaire, mais dans le sens qu'avait en vue l'autorité divine lorsqu'elle l'a révélée afin de nous y monter quelque grande vérité, de nous y tracer une conduite et des devoirs pour lesquels nous n'avons à craindre ni déception ni regrets. Il est donc nécessaire pour la saisir de prendre un autre moyen.

4. C'est pourquoi contemple le pauvre Lazare gisant à la porte du riche. A la pauvreté Lazare joignait encore des infirmités douloureuses; il n'avait pas même la santé corporelle, l'unique patrimoine du pauvre. Il était de plus couvert d'ulcères que les chiens lui léchaient. Or le riche qui habitait ce palais était vêtu de pourpre et de fin lin; chaque jour il faisait grande chère et refusait d'être fidèle avec le pauvre. Mais le Seigneur Jésus, l'auteur et l'appréciateur de la foi, préférait avec justice celle de Lazare aux richesses et aux délices du riche ; il préférait ce domaine du pauvre à l'orgueil du riche. Aussi a-t-il fait connaître le nom de ce pauvre, tandis qu'il a jugé devoir laisser dans l'oubli le nom du riche mauvais. « Il y avait, dit-il, un homme riche qui était vêtu de pourpre et de fin lin et qui chaque jour faisait grande chère. Il y avait aussi un mendiant nommé Lazare.» Ne vous semble-t-il pas que le Seigneur ait lu dans le livre mystérieux où il a trouvé écrit le nom du pauvre et non celui du riche? Ce livre en effet est le livre des vivants et des justes, non le livre des orgueilleux et des impies. Les hommes publiaient le nom de ce (169) riche, ils ne disaient rien du pauvre; le Seigneur fit le contraire, il mit en lumière le nom du pauvre et tut celui du riche. Ce riche ne voulut donc pas être fidèle avec le pauvre.

Tous deux moururent. « Il arriva que le mendiant mourut et fut porté par les Anges dans le sein d'Abraham. Le riche mourut aussi et fut enseveli: » peut-être le pauvre ne le fut-il même pas. Quoi qu'il en soit, « lorsqu'il était dans les tourments de l'enfer, comme nous

lisons dans l'Ecriture, il éleva ses yeux de loin et vit dans le sein d'Abraham ce mendiant méprisé par lui à la porte de son palais. » Il n'avait pas voulu avoir la même foi que lui; il ne put jouir du même repos. « Père Abraham, s'écria-t-il, envoyez Lazare tremper son doigt dans l'eau et en faire tomber une goutte sur ma langue, car je suis torturé dans cette flamme. » Il lui fut répondu : « Souviens-toi, mon fils, que tu as reçu tes biens dans ta vie et Lazare les maux; or maintenant il se repose et toi tu es tourmenté. Et par dessus tout cela, il y a entre nous et vous un grand abîme et personne ne saurait ni d'entre nous aller jusqu'à vous, ni d'entre vous venir ici. » Ce malheureux comprit qu'on lui refusait toute compassion parce que lui-même en avait manqué. Il comprit la vérité de cette sentence : « Jugement sans miséricorde pour qui n'a point fait miséricorde (1). »

Il avait refusé au temps convenable d'avoir pitié du pauvre et quand il fut trop tard il eut pitié de ses frères. « Envoyez donc Lazare, dit-il, j'ai cinq frères, qu'il leur apprenne ce qui se passe ici, pour les empêcher de venir eux-mêmes dans ce lieu de supplices. » S'ils ne veulent pas venir dans ce lieu de supplices, lui fut-il alors répondu, « ils ont Moïse et les prophètes, qu'il les écoutent. » Ce riche avait tourné les prophètes en dérision; il le faisait sans doute avec ses frères; car je le crois et j'en suis même certain, lorsqu'avec ses frères il parlait des prophètes et de leurs sages conseils et de leurs sévères menaces, des tourments futurs et des futures récompenses qu'ils annonçaient, il riait de tout cela et disait à ses frères. Quelle vie peut exister après la mort ? Quelle peut être la mémoire d'une chair en dissolution et le sentiment d'un corps réduit en poudre? Tous sont emportés et ensevelis. Qui a-t-on jamais cité pour en être revenu? Au souvenir de ces propos qu'il avait
 
 

1. Jacq. II, 18.
 
 

tenus, il voulait donc que Lazare retournât vers ses frères, il voulait qu'ils ne pussent plus dire Qui en est revenu? C'est ce qui explique le parfait à-propos de la réponse. Car le mauvais riche paraît avoir été un juif, aussi donne-t-il à Abraham le nom de Père, et il convenait entièrement de lui faire entendre ces mots : « S'ils n'écoutent ni Moïse, ni les prophètes, ils ne croiront pas non plus un homme ressuscité d'entre les morts (1). » C'est ce qui se voit dans les Juifs; ils n'ont écouté ni Moïse ni les prophètes et ils n'ont pas cru davantage le Christ ressuscité. N'est-ce pas ce qu'antérieurement le Sauveur leur avait prédit en ces termes : « Si vous croyiez Moïse, vous me croiriez aussi ? »

5. Ce riche demeura donc sans secours dans les peines éternelles, après être arrivé au terme de ses délices temporelles. Il n'avait pas pratiqué la justice; il entendit ce qu'il méritait « Souviens-toi que tu as reçu tes biens dans ta vie. » Cette vie que tu aperçois n'est donc pas la tienne. « Tu as reçu tes biens; » donc aussi ces biens après lesquels tu soupires avec tant d'ardeur et de si loin, ne sont pas à toi. Où sont ces réflexions des riches et de leurs adulateurs quand ils voient un homme comblé de prospérités temporelles, avec de vastes domaines qu'il étend, multiplie comme pour attirer à lui le plomb avec lequel il doit être submergé? Ce fut en effet sous ce poids que ce riche tomba dans les enfers, c'est sous ce lourd fardeau qu'il fut précipité jusqu'en ses profondeurs. Il n'avait pas ouvert l'oreille à cette invitation : « Venez à moi, vous qui prenez de la peine et qui êtes chargés. Mon joug est doux et mon fardeau léger (3). » Le fardeau du Christ est comme des ailes. Le mendiant, avec ces ailes, s'envola dans le sein d'Abraham, et le riche ne voulut point en entendre parler. Il préféra le langage des flatteurs. Ce bruit le rendit sourd aux enseignements des prophètes, et il se plaisait n entendre les perfides adulateurs lui dire: Il n'y a que vous, vous seuls vivez réellement.

Donc : « Tu as reçu tes biens dans ta vie. » Car tu les croyais à toi sans en imaginer, sans en espérer d'autres, et « tu les as recueillis dans ta vie. » Tu pensais en effet n'avoir d'autre vie que cette vie et tu n'espérais rien, tu ne redoutais rien après la mort. « Tu as donc recueilli tes biens dans ta, vie, et Lazare les maux. » Non pas ses maux, mais les maux, ce que les hommes
 
 

1. Luc, XVI, 19-31. — 2. Jean, V, 46. — 3 Matt. XI, 28, 29.
 
 

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regardent, craignent et évitent comme de grands maux. Lazare sur cette terre a reçu des maux, il n'y a pas reçu tes biens, et pourtant il ne les a point perdus. Et de même qu'en parlant des maux endurés par Lazare, Abraham ne dit point ses maux, ainsi il ne dit point sa vie. Pour lui en effet il y en avait une autre, celle qu'il espérait dans le sein du patriarche. Ici il était mort, ici il ne vivait pas. Il était mort dans le sens de ces paroles de l'Apôtre : « Vous êtes morts et

votre vie est cachée en Dieu avec le Christ (1). » Ce mendiant souffrait des afflictions temporelles; mais Dieu retardait pour lui, il ne supprimait pas le bonheur. Pourquoi donc, ô riche, désirer dans les enfers ce que tu n'espérais point lorsque tu étais au sein de ton opulence ? N'est-ce pas toi qui méprisais le pauvre et riais de Moïse ? Tu n'as pas voulu être fidèle avec ton prochain dans sa pauvreté, et maintenant tu partagerais son bonheur ? Tu le tournais en dérision lorsqu'on te disait: « Sois fidèle avec ton prochain dans sa pauvreté, afin de jouir aussi de son bonheur; » maintenant donc contemple de loin ce bonheur, il n'est pas pour toi. C'était un bonheur à venir, un bonheur invisible qu'il fallait croire avant de le voir, pour n'être pas condamné en le voyant à pouvoir le regretter sans pouvoir le posséder.     .

6. Ainsi, mes frères, cette sentence me parait éclaircie. Des chrétiens en effet la doivent comprendre chrétiennement, et gardons-nous d'être fidèles avec notre prochain indigent dans l'espoir temporel des richesses qu'il peut acquérir, ne faisons pas servir notre fidélité à les partager avec lui. Gardons-nous, gardons-nous absolument de cela. Qu'avons-nous donc à faire, sinon de nous conformer à ce précepte de Notre-Seigneur : « Formez-vous des amis avec les richesses d'iniquité, afin qu'à leur tour ils vous reçoivent eux-mêmes dans les demeures éternelles (2) ? » Les pauvres parmi nous ont-ils des demeures pour nous y recevoir ? « Formez-vous des amis avec les richesses d'iniquité, » c'est-à-dire avec les profits que l'iniquité seule appelle des profits. Car il en est d'autres que la justice nomme ainsi; ils sont déposés dans les trésors de Dieu. Ne méprisez point les pauvres qui n'ont ni où rentrer, ni où s'abriter. Ils ont toutefois où entrer, ils ont des demeures, les demeures éternelles. Ils ont des demeures où vous souhaiterez vainement d'être admis, témoin ce riche, si maintenant
 
 

1. Colos. III, 3. — 2. Luc, XVI, 9.
 
 

vous ne les recueillez dans les vôtres : car « recevoir le juste comme juste, c'est mériter la récompense du juste; recevoir le prophète comme prophète, c'est mériter la récompense du prophète ; et quiconque aura donné, à l'un de ces plus petits, seulement un verre d'eau froide parce qu'il est de mes disciples, en vérité je vous le dis, il ne perdra pas sa récompense (1). » Celui-là aussi est fidèle avec son prochain dans sa pauvreté ; aussi jouira-t-il de sa prospérité.

7. Mais ton Seigneur te parle lui-même, lui qui s'est fait pauvre quand il était riche : il te donne de la même pensée une interprétation meilleure encore et plus solide. S'agit-il du mendiant que tu as recueilli dans ta demeure ? Ton esprit peut-être n'est pas tranquille, tu te demandes s'il est un homme sincère ou un imposteur, un trompeur, un hypocrite; et parce que tu ne peux lire dans son coeur, tu hésites en lui faisant la charité. Ne crains pas, fais-la même au méchant, c'est un moyen de la faire au bon. Craindre que la semence ne tombe dans les chemins, au milieu des épines et au milieu des pierres, et pour ce motif ne pas semer en hiver, c'est se condamner à souffrir de la faim en été.

Quoi qu'il en soit, voici ce que te dit ton Seigneur et tu ne doutes pas qu'il ne soit chrétien Pour toi je me suis fait pauvre quand j'étais riche. En effet « lorsqu'il possédait la nature divine, » et qu'y a-t-il de plus riche ? « il n'a pas cru que ce fut une usurpation de se faire égal à Dieu ; mais il s'est anéanti lui-même en prenant la nature d'esclave ; » s'il n'est rien de plus riche que la nature divine, qu'y a-t-il de plus pauvre que la nature d'esclave ? « Il s'est fait semblable aux hommes, a été reconnu pour homme à l'extérieur; il s'est humilié lui-même en obéissant jusqu'à la mort et jusqu'à la mort de la croix (2). » Ajoute : sur la croix il a eu soif et il a reçu à boire, non de la compassion mais de l'outrage, et en mourant cette divine source de vie a bu le vinaigre. Ne méprise pas, ne dédaigne pas, ne dis pas : Il s'ensuit donc que mon Dieu s'est fait homme, qu'il a été mis à mort, crucifié ? Oui, sans aucun doute, il a été crucifié. Ainsi sa pauvreté se recommande à toi. Il était loin de toi, par la pauvreté il s'en est rapproché. « Sois fidèle avec ton prochain dans sa pauvreté. »

Ici au moins le sens tic ces paroles n'est ni incertain ni obscur. Au nom de prochain substitue le nom de Christ et lis avec humilité; car un
 
 

1. Matt, X. 41, 42. —2. Philip. II, 6-8.               .
 
 

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Christ humble demande une âme humble, il faut être humble pour s'élever jusqu'à sa hauteur. Lis donc avec humilité et comprends qu'il est ton prochain. Le Seigneur n'est-il pas proche de ceux qui ont brisé leur coeur, et ne peux-tu pas dire dans ta prière : « Je cherchais à lui plaire comme à mon prochain et à mon frère (1) ? »

Il n'y a donc à changer qu'un mot, le mot de prochain, ajouté par le prophète à celui de frère pour couvrir son langage du voile du mystère; et il convenait qu'il en fut ainsi pour exciter à à chercher avec plus de désir et pour faire découvrir avec un plaisir plus vif. Au nom de prochain substitue donc dans sa phrase le nom du Christ que ce mot de prochain désigne d'une manière prophétique ; et considère comme la pensée se dégage avec clarté, elle coule en quelque sorte de la source même de la vérité pour étancher ta soif. « Sois fidèle avec le Christ dans
 
 

1. Ps. XXXIV, 14.
 
 

sa pauvreté,afin de jouir aussi de son bonheur. » Que signifie: « Sois fidèle avec le Christ? » Le voici: pour toi le Christ s'est fait homme, il est né d'une vierge, il a été chargé d'outrages, flagellé, suspendu à la croix, percé d'une lance et enseveli : ah! ne méprise point ces humiliations, ne les regarde pas comme incroyables, et de cette manière tu seras fidèle avec ton prochain. Voilà en effet en quoi consiste sa pauvreté.

« Pour jouir aussi de ses biens » Accueille cette promesse ; elle est l'expression de sa volonté ; accueille-la; car c'est pour la réaliser qu'il est venu à toi dans la pauvreté ; accueille cette parole de Celui qui pour toi s'est fait pauvre, du Seigneur ton Dieu qui t'enrichit; vois comme tu jouiras de son bonheur, si tu lui demeures fidèle dans sa pauvreté. « Mon Père, dit-il, je veux que là où je suis, ils soient aussi avec moi (1). »
 
 

1. Jean, XVII, 24.
 

SERMON XLII. LES DEUX AUMÔNES DU CHRÉTIEN (1).
 

ANALYSE. — Saint Augustin dit qu'il était malade en commençant ce discours et qu'il trouva en parlant plus de forces qu'il ne s'en croyait. Il enseigne que le vrai sacrifice, du Chrétien est l'aumône et que l'aumône consiste à pardonner et à donner. Il réfute ensuite l'objection que l'on pourrait tirer de ces paroles : « Délivrez-moi, Seigneur, de l'homme mauvais (2). » L`homme mauvais est nous-mêmes.
 
 

1. J'ai peu de forces, mes frères, mais la parole de Dieu en a beaucoup. Qu'elle les déploie donc dans nos coeurs, et si vous obéissez vous entendrez suffisamment ce que nous vous dirons lentement.

La foudre vient d'éclater dans la nuée, le Seigneur a parlé par la bouche du prophète Isaïe, et vous avez dû trembler si vous n'êtes pas insensibles. Le langage est clair, il n'est pas nécessaire de l'expliquer, il faut plutôt le pratiquer. « Que m'importe, dit-il, la multitude de vos sacrifices ? » Qui jamais vous les a demandés ? C'est nous que Dieu recherche, et non ce qui est à nous. Or le sacrifice du chrétien est l'aumône faite au pauvre, car c'est le moyen d'apaiser Dieu envers les pécheurs. Et si Dieu ne s'apaise envers eux, qui de nous ne sera condamné ? C'est donc par l'aumône que l'on se purifie des péchés et des fautes inséparables de cette vie.
 
 

1. Isaïe, I, 11. — 2. Ps. CXXXIX, 1.
 
 

Or on fait l'aumône de deux manières, en donnant et en pardonnant, en donnant le bien qu'on a et en pardonnant le mal qu'on souffre. Le Seigneur notre bon maître a présenté en peu de mots les divins enseignements à la terre, afin de les rendre plus féconds et moins onéreux ; écoutez donc avec quelle précision il a parlé de ces deux sortes d'aumônes: « Pardonnez, dit-il, et on vous pardonnera; donnez et on vous donnera (1). » Pardonnez et on vous pardonnera, voilà l'aumône du pardon; donnez et on vous donnera, voilà l'aumône du don.

En faisant l'aumône du pardon, tu ne perds rien. Voilà un homme qui s'empresse d'implorer ta clémence, et tu lui pardonnes : qu'as-tu perdu? Tu rentres au contraire plus riche de charité. Quant à l'aumône que nous sommes obligés de faire en donnant aux pauvres, elle parait plus
 
 

1. Luc, VI, 37, 38.
 
 

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difficile, car on se dépouille de ce que l'on a donné et de ce que l'on donnera.

2. L'Apôtre cependant nous rassure de ce côté. « Selon les moyens de chacun, dit-il, non pour soulager les autres et pour vous surcharger (1). » Que chacun examine donc ce qu'il peut, sans chercher à thésauriser sur la terre ; qu'il donne, car on ne perd pas ce que l'on donne. Que dis-je ? Non-seulement on ne perd pas ce que l'on donne, mais il n'y a véritablement que ce que l'on donne que l'on ne perde pas. Quant au reste, si tu le possèdes en abondance sans le donner, ou tu le perds pendant ta vie ou il t'échappe à la mort. En effet, mes frères, à quoi ne nous porte pas la divine promesse ? « Pardonnez, dit-elle, et on vous pardonnera; donnez et on vous donnera. » Donnez et on vous donnera. A qui s'adresse ce langage? C'est Dieu qui parle ainsi à l'homme, l'immortel aux mortels, l'opulent Père de famille au mendiant. Ah! il ne reniera point ce que nous lui avons donné. Nous pouvons donc prêter à usure; donnons à usure, mais donnons à Dieu et non à l'homme. C'est donner à Celui qui est riche, c'est donner à qui nous a donné de quoi donner. Et pour des biens de vil prix, pour des biens frivoles, périssables, corruptibles et terrestres, il nous promet des biens éternels, incorruptibles, des biens que nous conserverons à jamais ; que dire davantage ? il se promet lui-même. Si donc tu l'aimes, achète-le en t'adressant à lui-même. Et pour.apprendre à te donner à lui en retour, écoute-le, car il dit: « J'ai eu faim et vous m'avez donné à manger; j'ai eu soif et vous m'avez donné à boire; j'étais sans asile, et vous m'avez recueilli; nu, et vous m'avez vêtu ; malade, et vous m'avez visité; en prison, et vous êtes venus à moi (2). » Ils lui demanderont alors: « Quand est-ce que nous vous avons « vu » placé dans ces extrémités et que nous vous avons secouru ? «Toutes les fois, répondra-t-il, que vous l'avez fait à l'un de mes petits frères, c'est à moi que vous l'avez fait. » Si donc il nous donne du haut du ciel, il reçoit de nous sur la terre. Et toi tu prêtes en quelque sorte à usure dans un pays lointain. Tu donnes ici, là tu recevras: tu donnes ici des choses périssables, là tu recevras des choses qui dureront éternellement.

3. Mais ne dis-tu pas à Dieu: « Délivrez-moi,
 
 

1. II Cor., VIII, 12, 13. — 2. Matt. XXV, 35-40.
 
 

Seigneur, de l'homme mauvais? » Nous venons en effet de chanter ces paroles, et je sais avec quel gémissement tu t'écries : « Délivrez-moi, Seigneur, de l'homme mauvais. » Quel est en effet le mortel qui n'a point à souffrir de quelque homme mauvais? Si donc tu dis de tout ton coeur: « Délivrez-moi, Seigneur, de l'homme mauvais, » regarde-toi premièrement toi-même avec toute l'attention possible. Quand tu as dit: « Délivrez-moi, Seigneur, de l'homme mauvais, » suppose que Dieu te demande: duquel? Tu répondras : De Gaïus, de Lucius, de je ne sais quel autre ennemi. Mais, reprendra le Seigneur: Tu ne me parles pas de toi? Si je veux te délivrer de l'homme mauvais, il faut d'abord te délivrer de toi-même. Ce méchant te fait souffrir, garde-toi d'avoir à souffrir de ta propre méchanceté.

Examinons si cet homme mauvais trouve en toi matière à te tourmenter. Que te fera-t-il si tu n'es pas mauvais toi-même ! Ne te laisse ni dominer par l'avarice, ni fouler aux pieds par la concupiscence, ni briser par la colère. Voilà tes ennemis intérieurs. Ne te blesse pas toi-même, et comment te nuira alors un mauvais voisin, un maître mauvais, un homme influent mauvais: comment te nuiront-ils ? Qu'ils te trouvent juste, qu'ils te trouvent fidèle, qu'ils te trouvent chrétien : encore une fois, comment te nuiront-ils? Comme les Juifs ont nui à Etienne. Mais en lui faisant du mal ils l'ont comblé de biens. Ainsi quand tu demandes à Dieu de te délivrer de l'homme mauvais, ne t'oublie pas, ne t'épargne pas, demande-lui de te délivrer de toi. Comment te délivrer de toi ? En effaçant tes péchés, en t'accordant des mérites, en te donnant la force de lutter contre tes convoitises, en t'inspirant la vertu, en répandant en ton âme l'onction céleste pour triompher de tout plaisir terrestre. En te faisant ces grâces, Dieu te délivre de toi, et au milieu des maux passagers de ce siècle, tu attends avec confiance que le Seigneur vienne apporter les biens qui ne sauraient passer. C'est assez pour aujourd'hui.

Vous remarquez assurément comment après être arrivé si faible je me suis fortifié en parlant. Ah! c'est que j'ai tant d'ardeur et tant de désir pour votre avancement ! N'est-il pas vrai que l'ouvrier des champs sent moins le poids du travail lorsqu'il en espère des fruits? Soyez mes fruits, afin que je sois avec vous et que tous ensemble nous soyons les fruits de Dieu.

SERMON XLIII. SUR LA FOI (1).
 

ANALYSE. — Saint Augustin veut expliquer le sens de ces paroles d'Isaïe : « Si vous ne croyez vous ne comprendrez pas.» Il commence par rappeler que la foi est le principe de la vie surnaturelle et par conséquences du bonheur. Donc il est nécessaire d'en remercier Dieu de toute l'effusion de notre coeur; car elle est un bienfait plus précieux que toutes les faveurs et que tous les privilèges naturels qui nous élèvent au dessus de toutes les créatures. — Mais comment obtenir la foi? Faut-il, comme le disent quelques-uns, comprendre pour croire, ou, comme je le prétends, croire pour comprendre? Portons cette discussion devant le tribunal d'un prophète; les arrêts des prophètes ont une certitude incomparable; ainsi l'enseigne Pierre, l'infaillible interprète de la volonté divine. Or le prophète Isaïe proclame qui il est nécessaire de croire pour arriver à comprendre. S'ensuit-il qu'il ne faille pas comprendre pour croire? Ceux qui demandent à comprendre pour croire ont déjà tant soit peu de foi; ils veulent donc comprendre pour croire davantage, comprendre ma parole pour croire la parole de Dieu.
 
 

1. Le principe d'une vie sainte, de la vie qui mérite l'éternelle vie, est la vraie foi. Or la foi consiste à croire ce qu'on ne voit pas, et la récompense de cette même foi est de voir ce qu'on croit. Le temps de la foi est donc comme le temps des semailles ; employons ce.temps à semer, semons, semons, sans nous lasser, semons toujours, semons jusqu'à ce que nous récoltions ce que nous avons semé.

Le genre humain s'était éloigné de Dieu et gisait dans ses iniquités ; pour revivre il nous fallait un Sauveur, comme il nous avait fallu un Créateur pour vivre. Dieu dans sa justice avait condamné l'homme, il le délivra dans sa miséricorde. « Le Dieu d'Israël donnera lui-même « à son peuple la vertu et la force : qu'il en soit béni (2). » Mais pour recevoir ces dons il faut croire ; le dédain les éloigne.

2.Gardons-nous néanmoins de nous glorifier de la foi, comme si par nous-mêmes nous pouvions quelque chose pour elle. La foi en effet n'est pas rien, elle est quelque chose de grand, et nul ne la possède que sûrement il ne l'ait reçue. « Qu'as-tu effectivement que tu ne l'aies reçu (3) ? » Voyez donc, mes bien-aimés, si vous ne devez pas en rendre grâces au Seigneur notre Dieu : prenez garde de vous montrer ingrats pour aucun de ces bienfaits, cette ingratitude vous ferait perdre ce que déjà il- vous a accordé. Non, je ne puis louer dignement la foi, les fidèles cependant peuvent s'en faire une idée Or si on s'en fait une idée exacte sous quelque rapport seulement, à combien de dons même divins ne doit-on pas la préférer ? Et s'il est vrai que nous devions reconnaître en nous les moindres
 
 

1. Is. VII, 9, sel. les Lxx. — 2. Ps. LXVII, 36. — 3. I Cor. IV, 7.
 
 

bienfaits de Dieu, comment oublier le bienfait qui surpasse tous les autres ?

3. A Dieu nous sommes redevables d'être ce que nous sommes : à quel autre devons-nous de n'être pas entièrement rien ? -Mais les bois et les pierres sont aussi quelque chose n'est-ce pas également à Dieu qu'ils en sont redevables ? Qu'avons-nous alors de plus qu'eux? — Ils n'ont pas la vie, tandis que nous la possédons. — Mais la vie même nous est commune avec les arbres et les végétaux. On parle en effet de la vie de la vigne. De fait, si elle n'était pas vivante, il ne serait pas écrit : « Il a tué leurs vignes par la grêle (1). » Elle vit donc quand elle verdit et en se desséchant elle meurt. — Mais cette sorte de vie est dépourvue de sentiment.Et nous ? — Nous sentons. On connaît les cinq sens corporels : nous voyons, nous entendons, nous flairons, nous goûtons et le tact répandu dans tout notre corps nous aide à discerner ce qui est mou et ce qui est dur, ce qui est âpre et ce qui est poli, ce qui est chaud et ce qui est froid. — Oui, nous avons cinq sens : mais des animaux les possèdent également.

Il y a certainement en nous quelque chose de plus ; et toutefois; mes frères, si nous considérions déjà les dons que nous venons d'énumérer, quelles actions de grâces, quelles louanges de nous faudrait-il pas élever vers le Créateur ? Mais enfin quel est ce plus qui nous distingue' des animaux ? L'intelligence, la raison, le discernement ; car ils n'appartiennent ni aux quadrupèdes, ni aux oiseaux, ni aux poissons, et c'est dans ces facultés que brille en nous l'image de Dieu. En effet, dans le récit que fait l’Ecriture
 
 

1. Ps. LXXVII, 47.
 
 

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de notre création, elle dit expressément pour nous préférer, ou plutôt pour nous préposer aux animaux, en d'autres termes pour nous les soumettre : « Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance ; qu'il ait l'empire sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur tous les animaux et sur tous les reptiles qui rampent sur la terre (1). » D'où lui vient cet empire ? De l'image de Dieu; aussi adresse-t-on à quelques-uns ce reproche : « Ne ressemblez ni au cheval ni au mulet, animaux sans intelligence (2). »

Cependant l'intelligence diffère de la raison. Car nous avons la raison avant d'avoir l'intelligence de quoi que ce soit, mais nous ne saurions avoir l'intelligence sans avoir la raison. L'homme est donc un animal doué de raison ou pour parler plus clairement et plus brièvement, un animal raisonnable, un animal qui possède naturellement la raison et qui la possède avant même de comprendre. Pourquoi effectivement cherche-t-il à comprendre, sinon parce que la raison préexiste en lui ?

4. La faculté qui nous rend supérieurs aux bêtes est donc ce que nous devons principalement cultiver, retoucher en quelque sorte et réformer en nous. Mais qui en sera capable, sinon l'artiste divin qui nous a formés ? Nous avons pu défigurer l'image de Dieu en nous, nous ne saurions la réparer. Ainsi donc, pour tout résumer en quelques mots, nous partageons l'être avec les bois et les pierres; la vie avec les arbres; le sentiment avec les bêtes ; l'intelligence avec les anges. Par les yeux nous discernons les couleurs, le son par les oreilles, l'odeur par les narines, les saveurs par le goût, la chaleur par le tact et le mérite par l'intelligence. Attention !

Chacun veut comprendre, il n'est personne qui n'ait ce désir ; mais tous ne veulent pas croire. On me dit : Je dois comprendre pour croire ; je réponds : Crois pour comprendre. C'est donc entre nous une espèce de controverse, l'un disant: Je dois comprendre pour croire, et l'autre : Au contraire crois pour comprendre. Pour nous entendre cherchons un juge et que nul ne prononce dans sa propre cause. Or à quel juge nous arrêter ? Après avoir examiné tous les hommes, j'ignore s'il est possible de rencontrer un juge préférable à l'homme que Dieu a choisi pour son organe. Ainsi donc pour terminer ce débat n'ouvrons point les auteurs profanes, ne
 
 

1. Gen. I, 28. — 2. Ps. XXXI, 9.
 
 

nous faisons point juger par un poète, mais par un prophète.

Lorsqu'accompagné de deux autres disciples du Sauveur, le bienheureux Apôtre Pierre, était sur la montagne avec le Seigneur lui même, il entendit une voix descendue du ciel, laquelle disait : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui j'ai mis toutes mes complaisances écoutez-le (1). » Et en rappelant ce trait, le même Apôtre dit dans une de ses épîtres : « Nous avons entendu cette voix descendue du ciel, lorsque nous étions avec lui sur la montagne sainte. » Or après ces mots : « Nous avons entendu cette voix descendue du ciel, » ; il ajoute : « Et nous avons la parole plus certaine des prophètes (2). » Cette voix a retenti du haut du ciel; et la parole des prophètes est pourtant plus certaine.

Soyez attentifs, mes bien-aimés : que Dieu seconde et mes désirs et votre attente afin que je dise ce que je veux et comme je veux. Qui de nous ne s'étonnerait d'entendre dire à l'Apôtre que la parole des prophètes est plus certaine qu'une voix descendue du ciel ? Il dit plus certaine ; plus certaine et non pas meilleure ni plus vraie. La parole descendue du.ciel est en effet aussi vraie que la parole des prophètes ; elle est aussi bonne, aussi utile. Que signifie donc plus certaine, sinon plus propre à inspirer la conviction? Pourquoi? Parce qu'il est des infidèles qui accusent le Christ d'avoir eu recours à la magie pour faire ce qu'il a fait. En recourant aux conjectures humaines et aux prestiges coupables, les infidèles pourraient donc attribuer aussi aux arts magiques cette voix descendue du ciel.

Quant aux prophètes, ils sont antérieurs non-seulement à l'émission de cette voix, mais encore à l'incarnation du Christ. Le Christ ne s'était pas fait homme encore lorsqu'il les envoya. Toi donc qui fais de lui un magicien, dis-moi : s'il a pu, grâce à la magie, se faire adorer même après sa mort, avant de naître exerçait-il cet art? Voilà pourquoi l'Apôtre Pierre a dit : « Nous avons la parole plus certaine des prophètes. » La voix du ciel est pour les fidèles un' avertissement ; et pour les infidèles la parole des prophètes est une conviction. Ainsi donc, mes bien-aimés, nous comprenons pour quel motif Pierre a dit, même après avoir entendu la voix descendue du ciel : « Nous avons la parole plus certaine des prophètes. »
 
 

1. Matt. XVII, 5. — 2. II Pierre, I, 18, 19.
 
 

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6. Voyez aussi quelle n'est pas la bonté du Christ ! Ce même Pierre de qui nous tenons cette sentence était un pêcheur, et aujourd'hui c'est pour un orateur un grand sujet de gloire de pouvoir le comprendre. Aussi l'Apôtre Paul disait aux premiers chrétiens : « Voyez, frères  votre vocation: ce n'est pas un grand nombre, de sages selon la chair, ni un grand nombre de puissants et de grands que Dieu a choisis; mais ce qui est faible selon le monde pour confondre ce qui est fort ; il a choisi aussi ce qui est insensé selon le monde pour confondre les sages ; enfin Dieu a choisi ce qui est vil et méprisable selon le monde et les choses qui ne sont rien comme si elles étaient, pour anéantir les choses qui sont (1). » De fait, si le Christ avait d'abord choisi l'orateur, l'orateur dirait : Ce.choix est dû au mérite de mon éloquence. S'il avait choisi le sénateur, celui-ci dirait encore : Ce choix est dû à la dignité qui me distingue. Si enfin il avait d'abord choisi l'empereur, l'empereur dirait à son tour : C'est à ma puissance que je dois cette élection. Que ces grands du monde attendent donc, qu'ils attendent un peu ; on ne les oublie pas, on ne les méprise pas, mais qu'ils attendent quelque temps, car ils pourraient en eux-mêmes se glorifier, d'eux-mêmes. Donne-moi plutôt ce pêcheur, dit le Christ, donne-moi cet homme grossier, cet ignorant, donne-moi cet homme à qui le sénateur dédaigne d'adresser la parole lors même qu'il lui achète son poisson : voilà celui qu'il me faut, car il sera manifeste que c'est moi qui fais tout, quand je l'aurai rempli de moi-même. Sans doute j'appellerai aussi le sénateur, l'orateur et l'empereur, oui j'agirai sur le sénateur, mais sur le pêcheur mon action est plus visible. Le sénateur pourrait se glorifier de lui-même, l'orateur et l'empereur le pourraient également ; le pêcheur ne saurait se glorifier que du Christ. Viens donc, ô pêcheur, viens le premier pour enseigner la salutaire vertu d'humilité ; il conviendra mieux ensuite d'amener l'empereur par ton ministère.

7. Rappelez donc à votre souvenir ce pêcheur saint, juste, bon, rempli du Christ; et dont les vastes filets jetés sur le monde ont dû retirer de l'abîme ce peuple avec les autres ; souvenez-vous que c'est lui qui a dit : « Nous avons la parole plus certaine des prophètes. » Je veux donc un prophète pour juge de notre controverse.
 
 

1. I Cor, I, 26-23.
 
 

De quoi s'agissait-il entre nous? Tu disais: Je dois comprendre pour croire; et moi: Crois pour comprendre. Voilà le motif du débat. Cherchons un juge, adressons-nous à un prophète, ou plutôt que Dieu même prononce par la bouche d'un prophète. Maintenant taisons-nous ; on sait ce qui a été dit de part et d'autre. Je veux comprendre, dis-tu, pour croire; crois, répliquè-je, pour comprendre. Voici le prophète: « Si vous ne croyez, dit-il, vous ne comprendrez pas (1).»

8. Pensez-vous néanmoins, mes bien-aimés, qu'il n'y a rien de vrai dans cette assertion : Je veux comprendre pour croire. Eh ! que prétendons-nous maintenant, si ce n'est d'amener à croire, non ceux qui ne croient nullement, mais ceux qui ne croient guère encore? Seraient-ils ici, s'ils ne croyaient pas du tout ? La foi les a amenés à écouter, la foi les rend présents à la prédication de la parole de Dieu ; mais il faut arroser, nourrir et fortifier le germe de cette foi. C'est ce que nous faisons. « J'ai planté, dit l'Apôtre, Apollo a arrosé ; c'est Dieu qui donne  l'accroissement. C'est pourquoi ni celui qui plante n'est quelque chose, ni celui qui arrose, mais Dieu qui donne l'accroissement (2). » Ainsi en parlant, en exhortant, en enseignant, en persuadant, nous pouvons planter et arroser, mais sans faire croître.

C'est ce que savait cet homme avec qui s'entretenait un jour le Seigneur. La foi commençait à germer en lui, elle était tendre et fragile encore, elle était toute tremblante et cependant elle n'était pas entièrement nulle et c'était pour lui venir en aide qu'il disait: « Je crois, Seigneur. »

9. Lorsque tout à l'heure on lisait l'Évangile, vous avez entendu ces mots : « Si tu peux croire, disait le Seigneur Jésus au père de l'enfant, tout est possible à qui a la foi. » Et se considérant soi-même, se posant en face de soi-même, sans se livrer à une téméraire confiance cet homme examine d'abord sa conscience; il reconnaît qu'en lui il y a quelque peu de foi, mais il voit aussi que cette foi tremble : ni l'une ni l'autre de ces deux choses ne lui échappe. Il confesse donc la première et pour la seconde il demande un secours. « Je crois, dit-il, Seigneur. » Ne devait-il pas ajouter : Aidez ma foi ? Il ne parle pas ainsi. Je crois, Seigneur, dit-il. Je vois ici quelque chose de réel, je ne mens pas ; je crois et je dis vrai ; mais je vois aussi je ne sais
 
 

1. Isaïe, VII, 9, sel. les LXX. — 2. I Cor. III, 6, 7.
 
 

quoi qui me déplaît. Je voudrais être ferme, mais je tremble encore. En vous parlant je suis debout, je ne suis pas renversé puisque je crois ; mais je chancelle : « Aidez mon incrédulité (1). »

Ainsi, mes bien-aimés, celui-là même que j'ai en face, avec qui je suis dans une controverse que j'ai demandé au Prophète de vouloir bien dirimer, n'est pas non plus entièrement étranger à la vérité quand il dit : Je veux comprendre pour croire. Pourquoi ce que je dis
 
 

1. Marc, IX, 22, 23.
 
 

présentement, sinon pour amener à croire ceux qui ne croient pas encore ? Mais peuvent-ils croire s'ils ne comprennent ce que je dis ? Il est donc vrai sous un rapport  que l'on doit comprendre pour croire, et il est vrai aussi de dire avec le prophète, que l'on doit croire pour comprendre. Donc entendons-nous. Oui, il faut comprendre pour croire et croire pour comprendre. Voulez-vous que j'explique en deux mots et qu'il n'y ait plus de contestation possible ? Je dirai à chacun : Comprends ma parole, pour croire, et crois la parole de Dieu pour comprendre.

SERMON XLIV. LES GRANDEURS DU CHRIST DANS SA MORT (1).
 

ANALYSE. — Ce discours n'est que le commentaire de la célèbre prophétie d'Isaïe relative à la passion du Messie. Saint Augustin en l'expliquant prémunit ses auditeurs contre deux sortes d'ennemis, contre les hérétiques qui nient la divinité de l'Église et contre les Juifs qui contestent la résurrection et la divinité du Sauveur. La grandeur du Fils de Dieu se reflète ainsi dans la gloire de l'Église catholique et dans le triomphe remporté sur la mort. Conclusion pratique : Profitons avec soin des grâces du Fils de Dieu, car il nous en sera demandé un compte rigoureux.
 
 

1. Depuis dies siècles nombreux, frères bien-aimés, il a été prédit de notre Seigneur et Sauveur qu' « il s'élèvera comme un arbrisseau et comme une racine d'une terre aride. » Pourquoi comme une racine ? Parce qu' « il n'a ni éclat ni beauté. » Il a souffert, il a été humilié, conspué : il était alors sans beauté ; il était Dieu et on ne voyait en lui que l'homme. Mais si la racine n'est pas belle en elle-même, elle a une vigueur intérieure qui fait son mérite. Écoutez, mes frères, et considérez la miséricorde de Dieu.

Voici un arbre magnifique, délicieux, son feuillage est vert, il est chargé de fruits. On admire cet arbre, on se plait à en cueillir quelques fruits, à s'asseoir sous son ombre, à s'y abriter contre la chaleur. Tout cela est beau. Qu'on t'en montre la racine, tu n'y vois rien à admirer. Ne la méprise pas néanmoins ; cette partie abjecte est le principe de ce qui te ravit. C'est pourquoi le Christ est comparé à la racine qui sort d'une terre aride. Contemplez maintenant cet arbre dans sa gloire.

2. L'Église a grandi, les gentils ont reçu la foi, les princes de la terre ont été vaincus au nom du Christ afin d'être vainqueurs dans l'univers. Ils ont courbé la tâte sous le joug du Sauveur.
 
 

1. Isaïe, LIII, 2-2.
 
 

Autrefois ils persécutaient les Chrétiens à cause de leurs idoles, ils renversent maintenant les idoles à cause du Christ. Dans toutes les calamités et toutes les angoisses tous ont recours à l'Église. C'est le grain de sénevé qui a grandi et qui s'est élevé au dessus de toutes les plantes ; les oiseaux du ciel, c'est-à-dire les orgueilleux du siècle accourent et reposent sous ses rameaux (1). D'on lui vient tant de beauté ? Cette beauté si honorée vient de je ne sais quelle racine. Cherchons celui qui est cette racine. Il a été conspué, humilié, flagellé, crucifié, blessé, méprisé. Ici donc il est sans beauté : mais quelle gloire il a dans l'Église ! C'est ici la description de l'Époux, de i, l'époux dédaigné, déshonoré, rejeté. Mais vous pouvez voir à l'instant même l'arbre sorti de cette racine; il couvre l'univers. « Racine d'une terre aride. »

3. « Il est sans éclat et sans gloire ; et nous l'avons vu : il n'avait ni éclat ni beauté. » —

« N'est-ce pas le fils du charpentier (2) ? » Ne fallait-il pas qu'il fut étrangement privé de cette beauté mystérieuse quand on disait : « N'avons-nous pas droit de soutenir que tu es livré au démon (3) ? » A son nom seulement les démons prenaient la fuite et on lui reproche d'être livré
 
 

1. Matt. XIII, 31, 32. — 2. Marc, VI, 3. — 3. Jean, VIII, 48.
 
 

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au démon ! Pourquoi? « Nous l'avons vu et il n'avait ni éclat ni beauté. » De quel éclat ne

brille-t-il pas dans ce sanctuaire intérieur où ne pénètre point l'œil ! « Au commencement était le Verbe et le Verbe était en Dieu et le Verbe était Dieu (1). Quelle est encore sa beauté ?

Il avait la nature de Dieu et il n'a point regardé « comme une usurpation de s'égaler à Dieu (2). »

4. Mais où a-t-il paru sans éclat et sans beauté? « Et il était sans éclat, il avait la face abjecte et l'attitude difforme aux yeux de tous les hommes. Homme de plaies. » Couvert de plaies il est homme, auparavant il est Dieu, après il est homme-Dieu. «Homme de plaies et qui sait supporter les infirmités. » Les infirmités de qui? De ceux mêmes qui le torturent. C'est le médecin qui souffre des infirmités du phrénétique. Aussi quand on le crucifiait, il priait en disant: « Père, par« donnez-leur car ils ne savent ce qu'ils font (3). » Ah! n'oubliez point, mais aimez l'Epoux. Plus il nous semble difforme, plus il nous doit être cher, plus il est aimable pour son épouse. « C'est pourquoi il s'est détourné. » Il s'est détourné pour n'être pas reconnu de ceux qui le crucifiaient. « Sa face a été couverte d'outrages et méprisée. »

5. « Il supporte nos infirmités, pour nous il est livré à la douleur ; et nous l'avons contemplé en proie aux souffrances, chargé de plaies et de châtiments. Mais c'est à cause de nos péchés qu'il a été blessé, à cause de nos iniquités qu'il a été meurtri. Le supplice qui devait nous assurer la paix est tombé sur lui et nous avons été guéri par ses meurtrissures. Nous nous sommes tous égarés comme des brebis errantes, et le Seigneur l'a sacrifié pour nos crimes. » Est-ce ici l'Evangile ou une prophétie ? Qu'objectent les Juifs ? N'est-il pas étrange qu'ils entendent cela, qu'ils l'aient entre les mains, qu'ils le lisent, qu'ils ne puissent appliquer ces traits qu'à Celui dont la gloire se publie avec l'Evangile dans tout l'univers, et que cependant ils ne soient pas encore chrétiens et demeurent plongés dans l'aveuglement en face de prophéties aussi claires ? Mais pourquoi s'étonner de l'aveuglement des Juifs en ce qui concerne le Christ ? Ce qui s'applique à lui passe et le prophète commence à parler aussi de son Eglise. Si donc tu ne t'expliques point l'aveuglement des Juifs en face de l'Epoux ; comment t'expliquer l'aveuglement des hérétiques en face de l'Epouse?
 
 

1. Jean, I, 1. — 2. Philip. II, 6. — 3. Luc, XXIII, 34.
 
 
 
 

6. Maintenant toutefois contemplons avec surprise l'aveuglement des Juifs. « Le Seigneur l'a sacrifié pour nos crimes, et lui, malgré les mauvais traitements, n'a pas ouvert la bouche. Comme une brebis il a été conduit à l'immolation; et comme l'agneau silencieux sous la main qui le tond, il a gardé le silence. Son jugement a été enlevé au milieu des humiliations. » Et pour détourner ton dédain: « Qui racontera sa génération? » Laquelle? « Je t'ai engendré avant l'aurore (1). ».Voilà là première. « Avant l'aurore, » avant tous les siècles créés; avant tous les anges, avant toute créature. Pourquoi? Parce que « tout a été fait par lui (2). » Mais ne peut-on raconter sa seconde génération ? Qui le pourrait? Il est conçu par la seule foi, et il sort du sein de sa mère comme un époux du lit nuptial (3). Cette génération aussi est donc admirable. Elle est admirable parce qu'il y est sans père, comme la première est admirable parce qu'il y est sans mère.

« Comme une brebis il a été conduit à l'immolation, et comme l'agneau sous la main qui le tond il a gardé le silence. Son jugement a été enlevé au milieu des opprobres. Qui racontera sa génération? Car sa vie sortira de la terre. » C'est la prophétie de la résurrection. Vous voyez donc que le Seigneur disait avec vérité, et comment la Vérité même pouvait-elle parler autrement? « Il est écrit de moi dans la Loi, dans les Prophètes et dans les Psaumes. Car il fallait que le Christ souffrit et resusucitât. » Vous avez appris cela, et vous venez encore d'entendre parler de sa résurrection: « Car sa vie sortira de la terre. » Il faut de plus: « Qu'on prêche en son nom la pénitence et la rémission des péchés parmi toutes les nations, à commencer par Jérusalem. ( 4). » Vous l'apprendrez aussi du prophète que nous expliquons. Non que nous devions le préférer au Seigneur; le prophète est le héraut qui précède, le Seigneur, le juge qui le suit. Le héraut ne publiait point ses propres paroles mais celles du juge; et le juge en le suivant montra que c'était vraiment les siennes. « Sa vie sortira de la terre. Les iniquités de mon peuple l'ont conduit à la mort. » Vous l'entendiez tout-à-l'heure demander: Que vous ai-je fait? Condamnez-moi si vous avez en moi découvert quelque faute. Et eux: « Crucifiez, crucifiez-le (5). » Ils le croyaient un homme, mais pourtant un homme innocent. C'est ainsi qu' « il
 
 

1. Ps. CIX, 3. — 2. Jean, I, 3. — 3. Ps. XVIII, 6. — 4. Luc, XXIV, 44, 46, 47. — 5. Jean, XIX, 6.
 
 

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a été conduit à la mort par les iniquités de mon peuple.2

7. « Je lui donnerai donc les méchants pour sa sépulture. » Que signifie : « Je lui donnerai les méchants pour sa sépulture et les riches pour sa mort? » Les méchants pour sa sépulture et les riches pour sa mort. Ce riche d'Arimathie, Joseph se présenta à Pilate lorsque le Seigneur était suspendu à la croix et demanda d'enlever son corps; Pilate consentit qu'il fût enseveli. Ainsi des riches lui ont été donnés pour sa mort, et Joseph ensevelit ce pauvre en qui il voyait son trésor véritable. Ainsi s'expliquent les riches pour sa mort.

Ce que le prophète dit en dernier lieu s'est accompli d'abord, et ce qu'il dit d'abord ne s'accomplit qu'ensuite. « Et les méchants pour sa sépulture. » Où montrer la réalisation? « Les  Juifs abordèrent Pilate et lui dirent: Seigneur, nous avons appris que cet imposteur a dit à ses disciples qu'il ressuscitera après sa mort ordonnez de garder son sépulcre, dans la crainte que ces mêmes disciples ne viennent la nuit, ne l'enlèvent, car cet artifice serait pire que le premier. Vous avez des soldats, leur répondit Pilate, allez et gardez-le comme vous l'entendez. » Ils prirent donc des soldats et les placèrent prés du sépulcre (1). Ne sont-ce pas là les méchants donnés pour sa sépulture, pour garder son tombeau? .Comment prouver que c'était des méchants? Ils ne sont pas coupables pour avoir été envoyés, le juge leur a donné ses ordres, ils sont venus près du sépulcre et l'ont gardé. — Mais pour savoir qu'ils sont méchants, lis l'Evangile. Le Seigneur étant ressuscité, ces soldats virent l'Ange, furent frappés de terreur et consternés. L'Ange disait à d'autres: « Ne craignez pas; » mais ceux-ci furent accablés de frayeur parce qu'ils n'étaient point soulevés par la foi. Malgré ce qu'ils avaient vu, ils vinrent trouver les Juifs et leur rapportèrent tout ce qui s'était passé. Voici de l'argent, répartirent les Juifs. Ces soldats étaient donc corrompus, puisqu'ils voilèrent la vérité et vendirent le mensonge. Et comment le vendirent-ils? Il n'est pas étonnant qu'aveugles ils aient vendu le mensonge à des aveugles. « Publiez, leur dit-on, que pendant votre sommeil ses disciples sont venus et l'ont enlevé. » O vanité marchande de vanité pour les hommes vains ! Les hommes vains en effet écouteront cette fable et y croiront. Tel est encore aujourd'hui ce qui se dit parmi les
 
 

1. Matt. XXXVII, 67-68.
 
 

Juifs, telle est l'opinion publique; et qui pourrait exprimer combien elle est, vaine, fausse, ridicule (1) ? Ils refusent de se rendre au témoignage des martyrs pour y puiser la vie, et pour se perdre ils se rendent à la déposition de témoins endormis. Si les gardes dormaient, comment ont-elles pu savoir qui l'a enlevé du tombeau ? Dans le cas contraire, ô méchant, pourquoi veillais-tu? O méchant, ce n'est pas sans motif que le prophète a dit de toi : « Je lui donnerai des méchants pour sa sépulture. » O méchants, ô pervers : ou bien vous veilliez, et vous avez dû garder le sépulcre; ou bien votes dormiez, et vous ignorez ce qui s'est passé. Ici donc nous voyons ce qui longtemps auparavant le Saint-Esprit avait annoncé par la bouche du Psalmiste : « Ils ont conçu un dessein qu'ils n'ont pu faire prévaloir (2). »

8. Par conséquent, mes très-chers frères, nous tous pour le salut desquels ont été faites et accomplies toutes ces prédictions, rendons grâces à la divine miséricorde, et travaillons de toutes nos forces à puiser dans les bienfaits de Dieu, non pas notre condamnation, mais notre profit, afin qu'au jour redoutable du jugement et qu'au moment de rendre nos comptes, nous rendions intégralement au Seigneur et Sauveur qui nous jugera ce qu'il nous a obtenu après avoir été jugé. Il doit sans doute; à son dernier avènement, accorder ce qu'il a promis; mais aussi doit-il réclamer ce qu'il a racheté et redemander alors ce qu'il adonné à l'époque de son premier avènement. Nous devons présumer beaucoup de la miséricorde de Dieu; mais nous ne devons pas redouter indolemment sa justice, car s'il t'a racheté avec miséricorde, il te jugera avec justice : et si nous péchons, s'il nous épargne si longtemps, ce n'est point négligence, mais patience; ce n'est point qu'il ait perdu sa puissance, c'est qu'il nous invite à la pénitence. Donc en désirant sa miséricorde, craignons sa justice. Il nous épargne aujourd'hui, mais il ne se tait pas, et s'il se taisait il ne le ferait pas toujours; et si nous voulons qu'il nous épargne quand il parlera au jugement, écoutons-le maintenant qu'il nous donne ses commandements. Maintenant en effet il nous octroie sa miséricorde, mais alors il exigera la justice et rendra à chacun selon ses oeuvres ; ainsi s'accomplira ce que dit un Apôtre: « Jugement sans miséricorde à qui n'a point fait miséricorde (3).
 
 

1. Matt. XXVIII, 1-15. — 2. Ps. XX, 12. — 3. Jac. II, 13.

SERMON XLV. RÉCOMPENSE ET DEVOIRS. (1).
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ANALYSE. — Dans l'impossibilité d'expliquer tout ce qui a été lu à l'office, Saint Augustin choisit pour les réunir les dernières paroles de la Prophétie et les premières paroles de l'Épître qui les a suivies immédiatement. Il est dit dans les premières que ceux qu se seront consacrés au Seigneur possèderont sa terre et habiteront sa sainte montagne, et dans les secondes qu'avec ces promesses on doit se purifier de toute souillure soit corporelle soit spirituelle et accomplir sa sanctification dans la crainte de Dieu. Dans la réunion de ces deux textes se trouve donc indiquée la récompense promise aux serviteurs de Dieu et les moyens à employer pour l'obtenir. — I. Quelle est cette récompense? Faut-il prendre à la lettre la terre et la montagne dont il est ici question? Mais ce serait un encouragement à l'avarice et à la cupidité. Ce langage prophétique est donc figuré, et doit s'expliquer par des passages plus clairs. Conséquemment il faut entendre ici la terre des vivants d'où la Christ est venu jusqu'à nous et où il est lui-même le pain d'immortelle vie. C'est lui aussi que désigne la sainte montagne. Il est appelé ainsi à cause de l'Église dont il est le chef glorieux et ressuscité et qui remplit toute la terre. — II. Quels sont les devoirs à remplir pour être admis à habiter cette heureuse terre des vivants? Les dernières paroles de la promesse rappellent qu'il est nécessaire d'appartenir, non au schisme de Donat qui ne s'étend point au delà de l'Afrique, mais à l'Église universelle qui n'a d'autres limites que les limites du monde. D'après l'Apôtre il faut de plus garder l'innocence dans son corps et dans son âme; enfin se sanctifier en vue de Dieu. — L'accomplissement de ces devoirs égalera les hommes aux anges.
 
 

1. On nous a fait et nous avons entendu plusieurs lectures ; il nous est impossible de nous rappeler et d'expliquer tout ce qu'elles contiennent. Mais si votre charité a été attentive à la première leçon du prophète Isaïe, j'aime à croire que vos coeurs peuvent conserver tout frais encore le souvenir de ces dernières paroles prononcées parle lecteur: « Ceux qui se donneront à moi possèderont la terre et habiteront ma sainte montagne (2). » Après ces mots on nous a fait entendre la leçon de l'Apôtre et elle a commencé ainsi: « Ayant donc ces promesses, purifions-nous, mes bien-aimés, de toute souillure de la chair et de l’esprit, et achevons notre sanctification dans la crainte de Dieu (3). »

La divine miséricorde nous régit; elle prépare la nourriture destinée à apaiser non-seulement la faim de nos corps, et c'est pour cela qu'elle fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les injustes; mais aussi pour apaiser la faim dont souffrent nos coeurs dans ce désert où nous mourons si Dieu n'y fait tomber la manne. C'est donc le Seigneur qui dresse pour nous son banquet; aussi sans aucun dessein préconçu de la part des hommes, il est arrivé, comme Dieu l'a voulu, qu'après la lecture d'Isaïe où il était l'ait des promesses, on a récité ces paroles de l'Apôtre: « Ayant donc ces promesses, purifions-nous, mes bien-aimés, de toute souillure de la chair et de l'esprit, et achevons notre sanctification dans la crainte de Dieu. » Ne dirait-on pas que le Prophète et l'Apôtre ne formaient qu'une seule leçon? Qu'enseigne celui-ci ? : « Ayant donc ces promesses, mes bien-aimés. » On n'a pas dit
 
 

1. Isaïe, LVII, 13. — 2. Ibid. — 3. II Cor. VII, 1.
 
 

alors quelles promesses. Elles sont exprimées, mais le lecteur n'a point commencé par les faire connaître ; et l’auditeur cherchait en quelque sorte à savoir quelles sont ces promesses dont l'Apôtre dit: « Ayant donc ces promesses, mes bien-aimés, purifions-nous de toute souillure de la chair et de l'esprit. » Nous purifier ainsi de toute souillure de la chair et de l'esprit, c'est pour nous une grave affaire, un rude travail et personne ne s'en charge s'il n'y est excité par la promesse de la récompense.

Personne n'entreprenant donc, sans y être invité par l'appât de la récompense, de se purifier et la chair et l'esprit, je ne sais comment il s'est fait que le Lecteur ait commencé par l'obligation de ce travail et non par la promesse de la récompense. Dieu toutefois n'a pas voulu frustrer l'auditeur attentif. Tu hésitais peut-être de te livrer au travail qu'exige la purification de la chair et de l'esprit, sans avoir entendu parler de récompense, arme-toi donc au début de la lecture de l'Apôtre; et situ veux des promesses, regarde les dernier mots de la lecture du Prophète. Dans ces derniers mots est la promesse, comme dans les premiers de l'Apôtre invitation au travail.

2. Animons-nous donc, et purifions-nous de toute souillure de la chair et de l'esprit, puisque nous avons ces promesses. Quelles sont-elles? « Ceux qui se donneront à moi, dit le Seigneur par Isaïe, posséderont la terre et habiteront ma sainte montagne. Ayant donc ces promesses, purifions-nous de toute souillure de la chair et de l'esprit. » Ainsi, dira quelqu'un, si je dois me purifier de toute souillure de la chair et de l'esprit, c'est pour posséder une terre et habiter (180) une montagne ? Il faut donc examiner ce que signifient posséder la terre et habiter une montagne ; autrement on pourrait espérer d'amples domaines, ne pas détruire la cupidité ruais en retarder l'essor ou plutôt lui donner des forces nouvelles et, sans sortir de l'ordre matériel, mépriser peu pour obtenir davantage. Qui ne laisserait un arpent pour en obtenir cent autres? Qui ne sacrifierait aisément les jouissances d'un maigre et frugal repas, si on lui disait : A cette condition seulement tu seras admis à ce splendide et royal banquet? S'abstenir dans cette vue des biens présents, ce n'est pas en finir avec la concupiscence. On renonce sans doute à quelque chose, mais c'est dans la crainte de perdre ce qu'on désiré plus ardemment, et c'est toujours de la cupidité. Est-on moins avare quand on donne cent pour obtenir mille? Ne crois donc pas délivré de cette passion celui que tu vois tenir peu à cent pièces de monnaie; c'est qu'il en a mille en vue.

On rencontre des hommes très-obséquieux envers des vieillards sans enfants; ils passent sur beaucoup de choses à leur égard, mais ils nourrissent de magnifiques espérances. Or, est-ce avares, est-ce compatissants qu'il faut les nommer? Aussi apprécie-t-on davantage le mérite des enfants des pauvres lorsqu'ils se montrent bons envers leurs parents dans le besoin: c'est évidemment la: piété qui les anime et non la cupidité. Quand au contraire les enfants des riches sont complaisants envers leurs parents, fut-ce la piété qui les inspire, on ne la voit pas; Dieu peut la voir, mais elle est cachée aux yeux des hommes. Aussi arrive-t-il souvent que pleins de défiance pour les sentiments de leurs enfants et persuadés qu'ils obéissent uniquement en vue de la fortune, quoique ceux-ci dussent trouver avantage à être émancipés, quoiqu'ils aient besoin de ressources pour contracter mariage ou pour parvenir à quelque dignité, les parents refusent de leur, abandonner leur bien et s'écrient: Non, je n'y consentirai point, car on n'aurait plus d'égards pour moi. Quelle triste idée c'est avoir d'un fils! Elle vient de ce que sa soumission est intéressée au lieu d'être inspirée par la vue de l'amour paternel. Craindre que ton enfant te dédaigne après le partage dé tes biens, n'est-ce pas accuser sa piété d'être vénale et non filiale?

Combien l'emporte ce fils du pauvre, ce fils même d'un vieillard dans l'indigence et la misère, qui n'attend rien de son père puisque son père n'a rien à lui laisser et qui toutefois pourvoit à ses besoins par ses travaux et à la sueur de son font! Il arrive cependant aussi que pénétrés de la crainte de Dieu et non dans l'espérance de la fortune qui lés attend, des enfants de riches considèrent que leurs parents leur ont, donné la vie, l'éducation et que Dieu a établi ce précepte « Honore ton père et ta mère (1); » et pour ces motifs ils se montrent soumis. Mais en face de la récompense qui leur est proposée, on ne connaît point l'affection véritable qui les anime. Ils n'en sont toutefois que plus agréables à Dieu, qui seul distingue ce que les hommes ne sauraient ni voir ni louer. Ainsi Job servait Dieu avec fidélité. Les démons s'imaginèrent que c'était en vue d'une récompense terrestre. Quand fut-il prouvé que le patriarche était désintéressé ? Quand, après avoir tout perdu il s'écria : « Le Seigneur a donné, le Seigneur a ôté ; comme il a plu au Seigneur ainsi il a été fait : que le nom du Seigneur soi béni (2) ».

3. Pourquoi ces observations, mes frères? Parce que l'Écriture ne cesse chaque jour de nous exciter à dédaigner les choses temporelles pour nous attacher aux choses éternelles ; à chaque page sacrée nous retrouvons constamment ces conseils, soit en termes clairs, soit en termes mystérieux et figurés. Quand les expressions sont mystérieuses, ne t'imagine point que la divine Écriture veuille dissimuler. La volonté de Dieu se manifeste-t-elle avec clarté? Aime-la; attache-toi à ses conseils quand ils ne sont pas douteux. Manifeste ou obscure, placée au soleil ou à l'ombre, cette volonté est toujours la même; suis-là telle que tu la découvres.

Il y a, je l’ai dit,obscurité dans ces expressions: « Il possédera la terre et habitera ma sainte montagne ; » car en les prenant à la lettre, nous ne nous purifierions point de toute souillure de la chair et de l'esprit; et si par avarice, au lieu de nous appliquer à la piété, nous nous disposons à pendre possession d'une montagne de terre, c'est en vain que Dieu aura uni pour nous la fin de la, prophétie, avec le commencement de l'épître. Que devons-nous donc entendre par montagne? Cette expression est équivoque sans doute; mais si Dieu nous abandonnait à nous-mêmes, nulle part il n'en ferait connaître clairement la signification. Mais quand il te la manifeste, aime cette montagne mystérieuse: aime-la partout où il la recommande à ton amour, partout où l'Écriture
 
 

1. Exod. XX. 12. — 2. Job, I, 21.
 
 

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dévoile le sens de ce terme. Si même on te la promet, attache-toi à elle, et comprends-la sous les figures telle que tu l'as aimée dans les passages plus clairs. Où donc est-il parlé d'une montagne propre, à nous inspirer de nous purifier de toute souillure de la chair et de l'esprit? Quelle est la montagne promise?

4. Sachons d'abord quelle est la terre gale Dieu nous promet et après laquelle soupire le prophète David quand il dit quelque part: « Vous êtes mon espérance et mon lot dans la terre des vivants (1). » Il y a donc assurément une terre des vivants, différente de la nôtre, la terre des mourants. Si tous ici ne naissaient pas pour mourir, le prophète ne nommerait pas cette autre région la terre des vivants; il la compare à la nôtre où il ne voit que des mourants. Oui donc, il y a une terre des vivants. Si tout éternelle et toute céleste qu'elle est on l'appelle terre, c'est qu'elle est un domaine et non un lieu de culture. On lai possède sans travail; au lieu que celle-ci exige la fatigue et tourmente par la crainte le maître qui la fait valoir. Ne te dit-on pas en effet : Lève-toi et laboure, afin d'avoir de quoi vivre? Bon gré, mal gré, tu te lèves et tu travailles en gémissant et en soupirant, parce que tu es sous le poids de cette sentence à laquelle Adam fut condamné : « Tu mangeras ton pain à là sueur de ton visage (2). » Mais après les fatigues elles angoisses nous serons dans la terre des vivants. Là rien ne naît pour croître : tout y est toujours au même état. Là nulle succession d'hiver et d'été, de nuit et de jour. C'est pour y moissonner que l'on sème ici; si toutefois l'on sème. Quel est en effet celui qui sème maintenant pour moissonner là haut? Celui qui donne aux pauvres. Donner aux pauvres, c'est jeter la semence dans les sillons. Sème ici pour récolter là ; la récolte ne consiste pas à abattre en été dés moissons qui s'épuisent, mais à se rassasier et à jouir sans fin. Là en effet on se nourrit de justice, là on trouve le pain. Quel est ce pain? Le pain qui est descendu jusqu'à nous; Celui qui a dit : « Je suis le pain vivant descendu du ciel (3). » Quel est-il encore: « Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés (4). »

5. Nous connaissons quel est le pain de cette terre; apprenons encore quelle en est la montagne. « Ils habiteront dit le Seigneur, sur ma montagne sainte. » N'avons-nous pas lu dans un autre passage sacré que le Christ aussi est
 
 

1. Ps. CXLI, 6. — 2. Gen. III, 19. – 3. Jean VI, 51. — 4. Matt. V, 6.
 
 

cette montagne? Ainsi celui qui est le pain est également la montagne; pain parce qu'il nourrit l'Église, et montagne parce que l'Église est son corps. L'Église est sûrement, une montagne et qu'est-ce que l'Église? Le corps du Christ. Joins le chef à ce corps; voilà un homme; car l'homme a nécessairement une tête et un corps.

Maintenant quel est le Chef? Celui qui est né de la vierge Marie, qui a pris un corps mortel exempt de tout péché, qui a été meurtri, flagellé, outragé et crucifié par les Juifs, qui enfin -a été sacrifié pour nos péchés et qui est ressuscité pour notre justification. Il est à la fois le chef de I'Eglise et le pain de cette terre des vivants. Et son corps, qu'est-il? C'est son épouse c'est l'Église. « Car ils seront deux dans une seule chair. Ce sacrement est grand : je dis dans le Christ et dans l'Église (1). » Le Seigneur aussi a dit également, dans l'Évangile, de l'homme et dé la femme : « Donc ils ne sont plus deux, mais une seule chair (2). » Il a voulu par conséquent gîte l'Église et le Christ ne formassent qu'un seul homme. Au ciel est le chef; ici sont les membres: Pour nourrir l'espérance de ces membres, il n'a pas voulu ressusciter seulement avec eux, mais avant eux. S'il a voulu mourir, c'était pour ressusciter le premier ; s'il a voulu monter au ciel avant eux, c'était pour exciter la confiance de ses membres, pour les porter à attendre en eux-mêmes l'accomplissement de ce qu'ils voyaient réalisé dans leur Chef. Eh !quel besoin avait de mourir, le Christ, le Verbe de Dieu, Celui dont il est écrit; « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu : tout a été fait par lui (3)? » On le crucifie, on l'insulte, on le perce d'une lance, on l'ensevelit; et tout a été fait par lui !

Comme il a daigné se faire le Chef de l'Église; l'Église désespérerait de ressusciter si elle voyait que lui-même n'est pas ressuscité. Il est donc ressuscité et on l'a vu ressuscité. Des femmes l'ont vu d'abord et en ont porté la nouvelle aux hommes; après avoir vu le Seigneur ressuscité, elles ont porté cette heureuse nouvelle aux futurs évangélistes, aux Apôtres; c'est par des femmes que le Christ a été annoncé à ceux-ci. Aussi Evangile signifie-t-il heureuse nouvelle ; ceux qui savent le grec peuvent rendre ce témoignage. L'Evangile signifie donc la bonne nouvelle. Et quelle nouvelle comparable à celle de la résurrection de nôtre Sauveur ? Les Apôtres eurent
 
 

1. Eph. V, 31, 32. — 2. Matt. XIX, 6. —3. Jean, I, 1. 8.
 
 

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ils jamais à annoncer rien de plus grand que ce qu'ils avaient appris de la bouche des femmes? Mais pourquoi la femme a-t-elle publié cet Evangile ? C'était comme pour châtier la mort. Une femme avait annoncé la mort, puisqu'elle était morte elle-même en donnant la mort; une autre femme la consola en annonçant la vie. Une femme avait séduit Adam pour le livrer à la mort; une autre femme annonça que le Christ était ressuscité pour ne plus mourir. C'est ainsi que nous devons ressusciter à notre tour et devenir la sainte montagne de Dieu. Sur cette montagne habite quiconque s'est donné au Seigneur. « Ceux qui se donneront à moi possèderont la terre et habiteront ma sainte montagne, » c'est-à-dire ne sortiront pas de l'Église. Travaillons maintenant dans l'Église afin d'avoir ensuite l'Église pour héritage: Aussi bien quand nous y goûterons l'éternelle joie, nous en serons simplement les possesseurs, possesseurs sans travail.

6. Toutefois cherchons ailleurs le sens clair de cette montagne, car il est ici tant soit peu voilé. Où est-il dit, demandera-t-on, que l'Église soit une montagne, que le Christ en soit une et que son corps soit également une montagne? Daniel le dit avec la plus grande évidence : nul doute là dessus. Ce prophète eut une vision. A-t-elle besoin de commentaire? Que votre charité ouvre donc les yeux. Quelques mots demandent peut-être à être expliqués; nous les expliquerons au nom du Christ et vous les comprendrez.

« Je vis, dit Daniel, et voile, qu'une pierre, sans mains, fut détachée de la montagne. » Il ne dit pas que cette pierre n'avait point de mains; il dit qu'elle fut détachée de la montagne sans le concours d'aucun homme, qu'aucune main d'homme ne travailla à l'extraire de la montagne. Votre charité sait que sans le concours des mains dé l'homme on ne tire pas les pierres dés montagnes. Celle-ci toutefois fut sans ce moyen extraite de la montagne. Elle vint donc et abattit tous les royaumes de la terre. Voyez-vous ici autre chose que le Christ, dont il est dit : « Tous les royaumes de la terre se prosterneront devant lui (1)? » C'est lui qui a abattu tous ces royaumes. Un roi superbe ne veut aucun monarque au dessus de lui; et tous les rois aujourd'hui reconnaissent au dessus d'eux la royauté du Christ. Il a donc, pour régner, abattu tous les royaumes de la terre. Et que dit ensuite
 
 

1. Ps. L.XXI, II.
 
 

le prophète ? « Cette pierre grossit et devint une grande montagne qui remplit toute la terre (1). » Maintenant, je pense, vous reconnaissez le Christ.

« Ceux qui se donneront à moi posséderont la terre : » vous connaissez cette terre. « Et ils habiteront ma montagne sainte : » voies connaissez cette montagne. « Ayant donc ces promesses, purifions-nous de toute souillure de la chair et de l'esprit. » Cependant vous désirez savoir peut-être ce que veut dire être détaché sans mains. Ces mots renferment quelque obscurité. Plusieurs parmi vous en comprennent le sens avant que je l'explique. Qu'ils nous permettent pourtant de nous y arrêter un peu dans l'intérêt de ceux qui ne peuvent s'en faire une idée si nous n'en parlons. Que signifie sans mains? Sans secours humain. Que votre charité remarque aussi, mes frères, que la pierre a été détachée de la montagne et qu'elle est devenue elle-même une montagne. Détachée de la montagne, elle est devenue une montagne mais quelle montagne? Non pas comme celle d'où elle a été extraite, car il n'a pas été dit de celle-ci qu'elle a grossi et qu'elle a rempli toute la terre. Il y a donc deux montagnes, la première est la Synagogue, l’Eglise est la seconde; la première est le peuple juif, la seconde est le peuple chrétien. Or si pour devenir une grande montagne et couvrir toute la terre, le peuple chrétien est la pierre qui s'est détachée de la montagne, c'est que des Juifs est issu Jésus-Christ. Comment est-il dit sans mains ? Parce que s'est sans le concours d'aucun homme; le Christ étant né d'une vierge, ayant été conçu miraculeusement.

7. Ainsi donc nous connaissons clairement cette montagne. Ne nous la représentons pas comme les autres montagnes, comme le mont Giddaba ou les autres dont on nous parle. Il est en effet des hommes qui entendent tout charnellement; ils lisent, par exemple: « Il l'exaucera du haut de son ciel saint (2) ; » ou du haut de sa montagne sainte, et il s'agit du Christ; ils courent aussitôt prier sur une montagne, comme si Dieu y était pour les exaucer. Hommes grossiers, parce qu'ils voient les nuages s'attacher aux flancs des montagnes, ils montent sur ces sommets pour se rapprocher de Dieu! Veux-tu t'approcher de Dieu dans ta prière? Abaisse-toi. Et maintenant que nous avons dit : Pour t'élever jusqu'à Dieu, abaisse-toi, ne donne pas non plus à ces paroles
 
 

1. Dan. II, 34, 35. — 2 Ps. XIX, 7.
 
 

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un sens charnel et ne descends point dans les caveaux pour y prier Dieu. Ne cherche ni caveaux ni montagnes. Abaisse-toi dans ton coeur et Dieu t'élèvera, il viendra à toi et demeurera avec toi dans ton intérieur.

Ainsi donc la montagne est pour nous le Christ, elle est pour nous l'Eglise, aimons cette Eglise. Elle est vraiment la montagne qui a grandi et qui couvre l'univers. Par conséquent ils ne sont point sur cette montagne ceux qui sont d'un parti sans tenir avec nous à toute la terre. Rappelez-vous, mes frères, que l'Ecriture à chaque page nous arme et nous prémunit contre les discours qui nous attaquent sans cesse. Si le texte disait que cette montagne a grossi et couvert toute l'Afrique, ne crieraient-ils pas qu'elle ne désigne que le parti de Donat ? Mais en grossissant elle leur a fermé la bouche; elle a grandi jusqu'à fermer la bouche à ces grands parleurs. Où s'est-elle étendue effectivement? Dans tout l'univers. Mais la montagne d'où celle-ci a été détachée n'a pas ainsi couvert la terre. Si les Juifs sont répandus partout, c'est comme vaincus et après avoir été exilés de leur propre pays; ils sont partout pour leur châtiment, ils n'y sont pas pour avoir grandi. Le Seigneur au contraire, le Christ qui est la vraie pierre angulaire, a soumis les royaumes des hommes, brisé l'empire des démons et humilié tous les rois pour s'étendre; il s'est étendu et il couvre toute la terre. Je l'ose dire, il s'étend encore, il est encore des lieux dont il s'empare.

8. Aime donc cette montagne, prépare-toi à l'habiter éternellement et avec de telles promesses purifie-toi de toute souillure de la chair et de l'esprit. Quelles sont ces promesses ? Si tu veux posséder la terre et habiter la montagne sainte, purifie-toi de toute souillure de la chair et de l'esprit. Qu’elles sont les souillures de la chair ? Que votre charité se montre attentive; nous vous devons encore cette explication. Quelles sont les souillures de la chair? Ce ne sont point celles que l'on contracte quand en passant quelque part il arrive que l'on touche quelque chose du pied ou même de la tète, ni même quand le pied venant à manquer on tombe dans la boue ou dans la fange et que le visage en est tout couvert. Cette souillure est facile à enlever; comme on dit, on se lave et elle s'en va. Mais la souillure de la chair de laquelle il faut se garder ne s'efface pas ainsi; elle vient de la souillure de l'esprit qui se transmet à la chair.

Cite une souillure de l'esprit. — La passion. — Et une souillure de chair. — L'adultère. — Voilà deux choses. La passion s'est fait sentir, l'esprit est souillé ; l'adultère n'est pas encore commis, la chair n'est pas souillée. Qu'importe que la chair soit pure, quand l'esprit qui l'habite est impur? N'est-il pas possible qu'un homme dont le corps est pur soit devant Dieu un adultère de coeur, puisque le, Seigneur a dit : « En vérité je vous le déclare, quiconque a regardé une femme pour la convoiter, a déjà commis dans son coeur l'adultère avec elle (1) ? » En cela consiste la souillure de l'esprit.

En quand y a-t-il sainteté parfaite? Quand il y a pureté de corps et d'esprit. Il est des hommes qui s'abstiennent des actions mauvaises et non des mauvaises pensées: ceux-là purifient la chair et non l'esprit. La crainte des hommes les empêche de mal faire. La passion les pousse, la peur lés retient. Que crains-tu? D'être découvert et condamné ; d'être découvert et donné en spectacle. La chair ici parait donc pure, mais la pureté n'est point parfaite. Que dit en effet l'Apôtre? « Purifions-nous de toute souillure de la chair et de l'esprit : » comme tu t'abstiens des actions coupables, évite la mauvaise volonté et les pensées mauvaises. Abstiens-toi des mauvaises actions, et tu te purifies des souillures de la chair; garde-toi de toute mauvaise volonté, et tu te purifies des souillures de l'esprit.

9. Poursuivons : « Achevant de nous sanctifier dans la crainte du Seigneur. » Que ces dernières paroles sont belles! Nul en effet ne se sanctifie entièrement que dans la crainte de Dieu. Quelle est la pureté parfaite? La pureté du corps et de l'esprit. La pureté du corps seul est imparfaite, et la pureté de l'esprit ne saurait exister sans la pureté du corps. Il peut y avoir pureté dans le corps et non dans l'esprit; mais il ne saurait y avoir pureté d'esprit qu'il n'y ait pureté de corps; car celui dont l'esprit est pur ne peut commettre d'infamies. Pourquoi

« Parce que du coeur viennent les adultères et les homicides, » dit le Seigneur (2). L'homme en effet ne saurait faire servir ses membres d'instrument à ce qu'il n'a point résolu dans son coeur. Il conçoit une idée dans sa volonté avant d'en faire une action. Aussi le. Sauveur dit-il quelque part : « Nettoyez l'intérieur, afin que l'extérieur soit net aussi (3). » Il ne dit pas : Nettoyez l'extérieur. S'il commençait par le
 
 

1. Matt. V, 28. — 2. Ib. XV, 19. — 3. Ib. XX ;II, 26.
 
 

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corps, il devrait nous avertir aussi de purifier l'âme; mais en commençant par l'âme, il n'est pas nécessaire de s'occuper du corps, car la pureté de l'âme entraîne celle du corps. Aussi après avoir commencé par parler de la chair, l'Apôtre Paul a dû parler ensuite de l'esprit. « Achevant notre sanctification, dit-il, purifions-nous « de toute souillure de la chair et de l'esprit. » La chair peut être pure, si elle ne se livre ni à l'adultère, ni à la fornication, ni à rien de semblable; mais il peut alors y avoir dans l'âme et des passions et des pensées mauvaises ainsi que des volontés corrompues.

Il ajoute : « Achevant notre sanctification dans la crainte de Dieu. » Qui donc purifie le corps sans purifier l'âme? Celui qui craint les hommes sans craindre Dieu. La crainte de Dieu conduit à la parfaite pureté. Tu n'as point voulu commettre d'adultère parce que tu craignais d'être connu des hommes; c'est donc la crainte ,des hommes qui a mis un frein à ta chair, c'est pour ce motif que tu n'as point voulu t'exposer à ses regards. Si tu crains Dieu aussi, ne fais pas non plus le mal que Dieu peut connaître, et tu achèves ainsi ta sanctification. Attention! Ah! dit un tel, si je pouvais arriver à telle personnel Mais non, elle est gardée avec -soin, son mari veille, je n'ai point d'intermédiaire, si je me hasarde je suis ,pris. C'est comme purifier le corps; mais la volonté qu'il nourrit intérieurement empêche la purification de l'âme. Il a craint d'agir extérieurement, parce qu'un homme l'aurait vu, et il ne craint pas d'agir intérieurement quoique Dieu le voie! Il redoute l'œil .d'un homme et il ne tremble pas sous le regard de Dieu ! Qui donc achève de se sanctifier, sinon celui qui craint le Seigneur ? La crainte des hommes est peut-être capable de préserver le corps de l'impureté; pour en préserver l'âme il n'y a que la crainte de Dieu. A-t-on l'âme pure? Point d'inquiétude pour le corps. Si un homme habillé est propre, ses habits ne sont-ils, pas propres aussi? Que l'habitant du corps soit bon et sain, il n'aura point à redouter la ruine de sa demeure.

10. Qu'est-ce en effet que cette chair? Nous ne devons point la mépriser. Mais qu'est-elle? C'est une herbe, mais une herbe qui deviendra de l'or. Ne méprise pas cette herbe qui doit se convertir en or. Celui qui a pu changer l'eau en vin ne peut-il pas changer l'herbe en or et d'un homme faire un ange ? Si de la boue il a fait l'homme, de l'homme il ne fera pas un ange? Que votre charité se rappelle de quoi l'homme a été tiré, pour peu que nous y réfléchissions vous comprendrez ce que je dis. Oui, avec cette boue Dieu a fait l'homme, et de cet homme il ne ferait pas un ange? Il le fera tel certainement. De quelques hommes il a fait ses amis, et il n'en fera pas des Anges? «Je ne vous nommerai plus serviteurs, dit-il, mais amis (1). » Ils étaient encore chargés de chair, encore mourants, encore plongés dans la misère et la fragilité de cette vie, et il leur dit « Je ne vous nommerai plus serviteurs, mais amis. » Or que donnera-t-il à ses amis ? Ce qu'il manifeste dans sa propre personne après sa résurrection. Ils seront couronnés, pénétrés d'une gloire toute céleste et égaux aux Anges de Dieu (2). Nulle corruption alors, nulle tentation. On ne nous dira point : « Purifiez-vous de toute souillure de la chair et de l'esprit. » Nous ne travaillerons point et on ne nous promettra point de salaire : nous l'aurons reçu. On ne nous invitera point à gémir : nous bénirons; de même en effet que la chair mortelle sera changée en corps angélique, ainsi le gémissement deviendra louanges. Ici la pénitence, la tribulation et les pleurs; là les bénédictions, la joie et l'allégresse. A plus tard donc la joie et non à maintenant. Elle est aujourd'hui seulement en espérance. Tu ne tiens pas encore, mais tu espères tenir et tu t'en réjouis ; tu t'en réjouis parce que Celui qui t'a promis ne saurait te tromper; parce que Celui qui t'a promis est celui qui possède et qui donne.
 
 

1. Jean, XV, 16. — 2. Luc, XX, 36.
 
 

source: http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin/index.htm

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