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Saint Augustin d'Hippone
Sermons  sur l'Ancien Testament

SERMON XLVI. LE PASTEUR UNIQUE (1).
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ANALYSE. — Ce discours est l'un des plus remarquables qui nous restent de Saint Augustin, et son but est de rappeler que l'Église catholique est la seule Église dont Jésus-Christ soit le pasteur. Pour y parvenir il rappelle d'abord avec le Prophète Ezéchiel dont il commente le texte, quels sont les devoirs des vrais pasteurs et quels maux entraîne à sa suite la violation de ces devoirs. Il expose ensuite que Jésus-Christ seul porte remède à ces maux, parce que c'est lui qui vit dans la personne des bons pasteurs, ce qui n'a lieu évidemment que dans l'Église catholique. — I. Des maux, causés par les mauvais pasteurs. Le pasteur se doit à son troupeau. Sans doute il peut recevoir de celui-ci le soutien de sa vie et dés témoignages d'honneur ; cependant il ne doit pas travailler dans ce but. Mais le mauvais pasteur ne s'en propose aucun autre, et son premier défaut est de se paître lui-même en négligeant son troupeau. Secondement, il le tue par ses exemples scandaleux. Troisièmement, il ne le fortifie pas en le prémunissant contre les tentations. Quatrièmement, il ne travaille pas à le guérir-en l'excitant à combattre ses passions. Cinquièmement, il ne court point après les brebis égarées. Aussi, en sixième lieu, son troupeau se disperse et s'attache misérablement à tout ce qui est terrestre. — II. Quel remède à tant de maux? Premièrement, Dieu menace de sa colère les pasteurs négligents qui laissent périr leurs ouailles. Secondement, il invite celles-ci à ne s'attacher qu'à ce qui vient de lui dans les pasteurs indignes, c'est-à-dire à la saine doctrine prêchée par eux. Troisièmement, il paît lui-même son troupeau, il le mène dans les divins pâturages des saintes Écritures Quatrièmement, il vit dans les bons pasteurs animés de son amour. Cinquièmement, la conduite des Donatistes et le texte de l'Écriture prouvent manifestement que Dieu n'est pas avec ces schismatiques. Sixièmement, ils essaient en vain de citer en leur faveur deux textes sacrés : ces textes les couvrent de confusion et les condamnent, aussi bien que le sot argument emprunté par eux à la conduite de Simon le Cyrénéen.
 
 

1. Toute notre espérance repose dans le Christ; il est lui-même notre véritable et salutaire gloire et ce n'est -pas aujourd'hui que votre charité l'a entendu dire pour la première fois; vous faites en effet partie du troupeau de Celui qui veille sur Israël et le conduit (2). Mais comme il est des pasteurs qui cherchent à se glorifier de ce titre sans vouloir accomplir les devoirs qu'il impose, revenons sur ce que nous venons d'entendre lire, méditons ce que Dieu leur dit par la bouche du Prophète. Ecoutez avec attention, écoutons nous-même avec tremblement.

2. « Et la parole du Seigneur s'adressa à moi disant : Fils de l'homme, prophétise sur les pasteurs d'Israël. » Telle est la lecture que nous avons entendue tout à l'heure, et nous avons résolu d'en entretenir quelque temps votre sainteté. Dieu nous aidera à dire la vérité, en ne parlant pas de nous-mêmes; car si nous parlions de la sorte, ce serait nous paître nous-mêmes et non pas nos ouailles, au lieu que si nous disons ce qui vient de lui, il vous nourrira lui-même par le ministère de n'importe qui.

«Voici ce que dit le Seigneur Dieu : O pasteurs d'Israël qui ne paissent qu'eux-mêmes ! Est-ce que les pasteurs ne paissent pas leurs ouailles? » C'est-à-dire les pasteurs ne se doivent pas paître eux-mêmes, mais ils doivent paître leurs ouailles. Telle est la première cause des reproches faits à ces pasteurs ; ils se paissent eux-mêmes, au lieu de paître leurs troupeaux. Et quels sont ceux qui se paissent eux-mêmes?
 
 

1. Ezéch. XXXIV, 1-16. — 2. Ps. LXXIX, 2. — 3. Eccl. XII, 14
 
 

Ceux dont l'Apôtre dit : « Tous recherchent « leurs intérêts et non les intérêts de Jésus« Christ (1). » Nous en effet que vous voyez dans cette dignité dont il nous faudra rendre un compte si formidable et où le Seigneur nous a élevés par bonté et non à cause de nos mérites, nous avons deux titres, celui de chrétiens et celui de supérieurs. Le titre de chrétiens est pour nous, celui de supérieurs pour vous. Celui de chrétiens a en vue notre avantage, celui de supérieurs n'a en vue que le vôtre. Or il est beaucoup de chrétiens qui arrivent à Dieu par un chemin d'autant plus facile sans doute et d'un pas, d'autant plus alerte qu'ils sont chargés d'un moindre fardeau. Mais nous, indépendamment du titre de chrétiens qui nous oblige à rendre à Dieu compte de notre vie, nous sommes aussi supérieurs et astreints par conséquent à répondre devant Dieu de notre administration.

Si je vous expose cet embarras, c'est pour exciter votre compassion et vous engager à prier pour nous. Viendra en effet le jour où tout sera, mis en jugement (2). Et si pour le monde en général, ce jour est encore éloigné, chacun de nous est proche du terme de sa vie. Dieu néanmoins a voulu nous laisser ignorer et la fin du siècle et la fin de la vie de chacun. Veux-tu ne pas redouter ce jour inconnu ? Fais en sorte qu'à son arrivée il te trouve préparé.

Les supérieurs étant donc chargés de pourvoir aux intérêts de leurs subordonnés, ne doivent pas chercher dans leur dignité leurs propres
 
 

1. Phillp. II. 21. — 2. Ecclé. XII, 14.
 
 

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avantages, mais les avantages des inférieurs dont ils sont les ministres; et quiconque parmi eux met sa joie à être supérieur, cherche son honneur personnel et n'a pour but que son utilité particulière, celui-là se paît lui-même au lieu de paître ses ouailles. C'est à cette sorte de supérieurs que s'adresse le Prophète. Vous, mes frères, écoutez-le comme étant les ouailles de Dieu et voyez quelles sûres garanties vous a données le Seigneur. Quels que soient ceux qui vous commandent, en d'autres termes quels que nous soyons, le Pasteur d'Israël vous met en complète assurance. Il n'abandonne point ses brebis; les mauvais pasteurs subiront les châtiments, qu'ils méritent et le troupeau recevra la récompense promise.

3. Examinons maintenant ce que dit aux pasteurs qui se paissent eux-mêmes et non leurs brebis, cette parole divine quine flatte personne. « Je vous vois: vous mangez le lait et vous vous couvrez de la laine, et vous tuez ce qui est gras, sans paître mes brebis; vous ne fortifiiez point les faibles, vous ne guérissiez pas les malades, vous ne pansiez pas les blessées; vous n'avez point rappelé celles qui étaient égarées, ni cherché celles qui étaient perdues, mais vous avez fait périr celles qui étaient saines et mon troupeau s'est dispersé parce qu'il est sans pasteur. » Ici donc on montre aux pasteurs qui se paissent eux-mêmes au lieu de paître leurs brebis, ce qu'ils convoitent et ce qu'ils négligent. Que convoitent-ils? « Vous mangez le lait et vous vous couvrez de la laine. » — Mais pourquoi l'Apôtre dit-il : « Qui plante une vigne sans en recueillir du fruit? Qui paît un troupeau sans profiter de son lait (1) ? » Le lait du troupeau est ainsi tout ce que donne le peuple de Dieu à ses chefs pour soutenir leur vie temporelle : c'est de cela en effet que parlait l’Apôtre quand il a écrit ce que je viens de rapporter.

4. Ce même Apôtre, il est vrai, a préféré vivre du travail de ses mains, sans demander même du lait à son troupeau (2); il enseigne toutefois qu'il en avait le pouvoir et que d'après l'institution du Seigneur ceux qui annoncent l'Évangile doivent vivre de l'Évangile. Il ajoute que les autres Apôtres profitaient de ce pouvoir vraiment légitime et non usurpé. Pour lui il faisait davantage et ne recevait même pas ce qui lui était dû (3), accordant ainsi ce à quoi il n'était pas obligé. Si les autres exigeaient davantage, ils y
 
 

1. I Cor. IX, 7. — 2. II Thess. III, 8. — 3. I Cor. IX, 4-15.
 
 

avaient droit, Paul seulement était plus généreux. Peut-être était-il désigné par ce Samaritain qui disait à l'hôtelier en lui confiant un malade: « Si tu dépenses davantage, je te le rendrai à mon retour (1). » Que dire encore de ces hommes qui n'ont aucun besoin du lait de leurs ouailles? Ils sont plus miséricordieux, ou plutôt ils pratiquent plus largement le devoir de la miséricorde, car ils le peuvent et ils font ce qu'ils peuvent. Qu'on les loue donc sans condamner les autres.

Ce même Apôtre qui ne cherchait pas à recevoir, voulait cependant que ses brebis fussent généreuses et non stériles pour donner du lait. Aussi lorsqu'à une époque de sa vie où il était prisonnier pour avoir prêché la vérité, il souffrait d'un extrême besoin, ses frères lui envoyèrent de quoi subvenir à son indigence et à sa détresse, Or il leur répondit et les remercia en ces termes « Vous avez bien fait de prendre part à mes tribulations. J'ai appris à me contenter de ce que j'ai : je sais vivre dans l'abondance et souffrir la disette; je puis tout en Celui qui me fortifie. Cependant vous avez bien fait de m'adresser des secours. » Et pour montrer ce qui lui plaisait dans leur libéralité, pour n'être pas confondu avec ceux qui se paissent eux-mêmes et non leur troupeau, il se réjouit moins d'être soulagé dans sa misère qu'il ne se félicite de la munificence d'autrui. Que voulait-il donc? « Je ne recherche pas vos dons, dit-il, mais je désiré le fruit » que vous en recueillerez (2). Je ne cherche pas à m'enrichir, mais je veux que vous ne restiez pas stériles.

5. Ceux donc qui ne sauraient imiter l'Apôtre Paul en vivant comme lui du travail de leurs mains, peuvent accepter du lait de leurs brebis pour subvenir à leurs besoins, mais qu'ils n'abandonnent pas ces brebis à leur faiblesse; qu'ils ne recherchent pas non plus ce soulagement comme leur propre avantage, car ils paraîtraient poussés par l'indigence à prêcher l'Évangile, il faut au contraire que ce soit pour éclairer les hommes qu'ils fassent luire à leurs yeux le flambeau de la parole de vérité. Ils sont en effet comme des flambeaux, d'après ces paroles de l'Écriture : « Ceignez vos reins et tenez vos lampes allumées (3); » et ces autres : « On n'allume point une lampe pour la mettre sous le boisseau, mais sur le chandelier, afin qu'elle éclaire tous ceux qui sont dans la maison. Qu'ainsi donc
 
 

1. Luc, X, 35. — 2. Philip., IV, 11-17. — 3. Luc, XLII, 35.
 
 

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luise votre lumière devant les hommes, afin qu'ils: voient vos bonnes oeuvres et glorifient votre Père qui est dans les cieux (1) .» Et maintenant, si tu avais une lampe allumée dans ta de meure, n'y mettrais-tu pas de l'huile pour l'empêcher de s'éteindre ? Et si après cela ta lampe ne luisait pas, c'est qu'elle méritait, non d'être placée sur le chandelier, mais d'être brisée à l'instant même.

Ainsi donc la nécessité commande de recevoir ce qui soutient la vie, et la charité, de le donner; non que l'Évangile soit une chose vénale ni qu'on en voie le prix dans ce qu'acceptent pour vivre ceux qui l'annoncent; car le vendre â ce prix serait donner pour rien un bien singulièrement important. Aussi doivent-ils recevoir du peuple la subsistance nécessaire, et du Seigneur la récompense de leur ministère; le peuple en effet est incapable de récompenser ceux qui le servent avec la charité que prescrit l'Évangile. Que ceux-ci donc n'attendent de récompense que de Celui qui peut seul assurer à ceux-là le salut.

Comment alors les mauvais pasteurs sont-ils accusés? Que leur reproche-t-on ? De négliger le soin de leurs brebis quand ils en mangeaient le lait et qu'ils se couvraient de leur laine, cherchant ainsi leurs intérêts seulement et non ceux de Jésus-Christ (2).

6. Après avoir expliqué ce qu'on entend par manger le lait, examinons ce que c'est que de se couvrir de laine. Donner le lait c'est donner des aliments, et donner la laine c'est rendre honneur. Ce sont les deux choses que demandent au peuple ceux qui se paissent eux-mêmes et non leurs brebis : ils veulent la facilité de fournir à leurs besoins et les faveurs de la renommée et de la gloire. Le vêtement en effet, parce qu'il est destiné à couvrir là nudité, désigne assez bien l'honneur. Chaque homme est infirme, et votre supérieur est-il autre chose que ce que vous êtes? Il est chargé de chair, il est mortel, il mangé, il dort, il se lève, il est né et il mourra comme vous. Si donc tu le regardes en lui-même, il est homme; mais en l'honorant comme un ange, tu couvres en quelque sorte sa faiblesse.

7. Saint Paul encore avait reçu du fidèle peuple de Dieu cette espèce de vêtement, puisqu'il disait: « Vous m'avez reçu comme un ange de Dieu, et je vous rends témoignage que si la chose eût été possible vous vous seriez arraché les yeux pour me les donner. » Après néanmoins
 
 

1. Matt. V, 16, 16. — 2. Philip. II, 21.
 
 

avoir été accueilli avec de si grands honneurs, épargnat-t- il ces chrétiens, quand ils s'égarèrent, dans la crainte qu'en les reprenant il n'en reçut moins de gloire et de louange ? Cette conduite l'aurait luis au nombre de ceux qui se paissent au lieu de paître leurs troupeaux et il se serait dit : Que m'importe? Que chacun fasse ce qu'il veut; j'ai de quoi vivre et l'on me respecte; j'ai suffisamment de lait et de laine, que chacun s'en aille où il pourra. — Quoi! n'as-tu rien à perdre si chacun va où il pourra? Mais lors même que tu ne serais point pasteur, quand tu serais confondu avec le peuple, n'est-il pas vrai que « si un membre est souffrant tous les membres « souffrent avec lui (1) ? » Aussi en rappelant aux Galates ce qu'ils étaient par rapport à lui, et pour ne paraître point oublier les honneurs qu'ils lui avaient rendus, l'Apôtre atteste qu'ils l'ont reçu comme un Ange de Dieu et que si la chose eût été possible, ils auraient voulu s'arracher les yeux pour les lui donner. Omet-il pour cela d'aborder la brebis languissante, la brebis déjà gangrenée et de tailler au vif, de rejeter la gangrène? « Suis-je donc devenu votre ennemi, s'écrie-t-il, en vous disant la vérité (2) ? » Lui aussi, comme nous l'avons rapporté précédemment, a mangé du lait des brebis est s'est couvert de leur laine; mais il n'a pas laissé de s'occuper d'elles; car il cherchait les intérêts de Jésus-Christ et non les siens.

8. Ah ! gardons-nous donc de vous dire Vivez comme vous l'entendez, soyez sans inquiétude, Dieu ne perdra personne, conservez seulement la foi chrétienne; non, il ne perdra point ceux qu'il a rachetés, ceux pour qui il a versé son sang; si vous voulez vous livrer même au plaisir des spectacles, allez : quel mal y a-t-il ? Allez, célébrez ces fêtes que l'on fait par toutes les villes, dans de joyeux festins, dans ces banquets publics où l'on croit puiser l'allégresse tandis que réellement on s'y perd : la miséricorde divine est grande, elle pardonne tout. Couronnez-vous de roses, avant qu'elles se flétrissent (3). Faites même des festins dans la maison de votre Dieu quand il vous plaira; gorgez-vous avec vos amis de viandes et de vin, ces aliments vous sont donnés pour en jouir, car Dieu ne les a pas octroyés aux impies et aux païens sans vous les accorder à vous-mêmes. — Si nous parlions de la sorte, peut-être attirerions-nous de plus grandes foules et s'il était des esprits pour comprendre
 
 

1. I Cor. XII, 26. — 2. Galat. IV, 14-16. — 3. Sag. II, 8.
 
 

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que ce langage s'écarte de la vraie sagesse, ces esprits blesses seraient en petit nombre et nous nous concilierons les faveurs de la multitude. Mais en agissant ainsi, en prêchant notre parole et non, la parole de Dieu ni la parole du Christ, nous serions des pasteurs qui se paissent eux-mêmes au lieu de paître leurs brebis.

9. Après avoir, dit ce que convoitent ces pasteurs, le Prophète parle de ce qu'ils négligent. Les défauts des brebis ne sont, hélas! que trop connus; il, n'y en a qu'un fort petit nombre de saines et de grasses, c'est-à-dire qui soient constantes à se nourrir de la vérité, à faire un.bon usage des pâturages célestes où les appelle la grâce de Dieu. Et pourtant ce petit nombre même n'est pas épargné pour ces mauvais pasteurs. C'est peu pour eux, de ne prendre aucun souci de celles qui sont languissantes ou infirmes, égarées ou perdues; ils tuent autant qu'il est en eux, celles-mêmes qui sont, grasses et valides. Elles vivaient par, la miséricorde de Dieu, et; ces misérables.leur, donnent la, mort, de tout leur pouvoir.

Comment, diras-tu, leur donnent-ils la mort? En vivant, mal, en leur montrant le mauvais exemple. Est-ce en vain qu’il a été dit à ce serviteur de Dieu, qui se distinguait parmi les membres du Pasteur suprême : «Rends-toi pour tous un modèle de bonnes oeuvres (1) ; » et encore: « sois l'exemple des fidèles (2); ? » La brebis même vigoureuse considère souvent la vie coupable de son pasteur, et en détournant les regards des règles divines pour les arrêter sur l'humanité, elle commence. à. dire en elle-même.: Si mon pasteur vit de la sorte, est-ce à moi de ne pas faire ne qu'il fait ? Ainsi périt, la brebis saine. Or si le mauvais pasteur lui donne ainsi la mort, si ses exemples coupables tuent ainsi celles qu'il n'avait pas fortifiées, et qu'il, avait trouvées robustes et vigoureuses, que deviendront les autres entre ses mains? Je le dis et je le répète à votre charité Oui, quand même les brebis puiseraient la vie ou la vigueur, dans la parole de Dieu, quand même elles seraient fidèles à cette recommandation de leur Seigneur: « Faites ce qu'ils disent, gardez-vous de faire ce qu'ils font (3) ; » quiconque se conduit mal en public donne autant qu'il peut la mort à celui qui le considère.

Qu'on ne se flatte pas d'ailleurs si celui-ci échappe à la mort; il conserve la vie, mais celui-là n'en est pas moins homicide. Lorsqu'un homme impur arrête sur une femme des regards de convoitise,
 
 

1. Tit. II, 7. — 2. I Tim. IV, 2. — 3. Matt. XXIII, 3.
 
 
 
 

cette femme demeure chaste; mais lui n'est-il pas adultère ? Car le Seigneur a enseigné cette maxime aussi claire qu'indubitable : « Arrêter sur une femme des regards de convoitise, c'est être déjà adultère dans le coeur (1). » On ne la souille point, maison se souille soi-même. Ainsi en est-il de quiconque donne mauvais exemple à ses subordonnés ; autant qu'il le peut, il met à mort à ceux mêmes d'entre eux qui sont forts: En imitant un supérieur coupable on meurt; on vit en ne l'imitant pas; mais il tue, autant qu'il dépend de lui, dans l'un et dans l'autre cas. « Vous tuez ce qui est gras, dit le texte sacré, et vous ne paissez point mes brebis. »

10. Ecoutez encore ce que négligent ces pasteurs: «. Vous ne fortifiiez point les faibles, vous ne guérissiez pas les malades, vous ne pansiez pas les blessées; vous n'avez point rappelé celles qui étaient égarées, ni cherché celles qui étaient perdues et vous ayez tué celles qui étaient fortes.»

Une brebis est faible quand elle ne s'attend pas à éprouver des.tentations, et le pasteur négligeant ne lui: dit point alors: « En te donnant, mon fils, au service de Dieu, demeure dans la justice et dans la crainte, et prépare ton âme à l'épreuve (2). » Ce langage fortifie la faiblesse, il affermit les infirmes et les empêche d'attendre les prospérités du siècle comme récompense de leur foi. Sien effet on leur apprenait à compter sur ces prospérités, ils y trouveraient leur perte, car au choc de l’adversité ils seraient blessés, peut-être même à mort. Bâtir ainsi n'est donc pas construire sur la pierre mais sur le sable. Or Jésus-Christ était la pierre, dit l'Apôtre (3). Un chrétien doit donc partager les souffrances de Jésus-Christ et ne pas rechercher les délices. Et le moyen dé fortifier le faible est de lui dire: Attends-toi aux tentations de cette vie, mais le Seigneur saura te délivrer de toutes, pourvu que ton coeur ne se détache point de lui. C'est afin de fortifier ce coeur qu'il est venu souffrir et mourir, qu'il est venu pour être couvert de crachats et couronné d'épines, pour recevoir des outrages et être cloué à la croix. Ainsi donc c'est pour toi, qu'il atout enduré et ce n'est pas pour lui, mais pour toi que tu souffres.

11. Que penser maintenant de ceux qui dans la crainte de déplaire à leurs auditeurs, non-seulement ne les disposent pas aux épreuves qui les attendent, mais encore leur promettent pour ce monde une prospérité que Dieu ne promet pas
 
 

1. Matt. V, 28. — 2. Eccli. II, 1. — 3. I Cor. X, 4.
 
 

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Comment! Dieu prédit que jusqu'à la fin des siècles les calamités succèderont aux calamités, et tu en veux exempter le Chrétien! Comme chrétien cependant il souffrira davantage en cette vie ; l'Apôtre l'enseigne. « Tous ceux, dit-il, qui veulent vivre pieusement dans le Christ, souffriront persécution. » Ainsi donc, ô pasteur dévoué à tes intérêts et non à ceux de Jésus-Christ, tu laisses dire à cet Apôtre : « Tous ceux qui veulent vivre pieusement dans le Christ souffriront persécution, » et tu dis : Veux-tu vivre pieusement dans le Christ ? Tu auras de tous les biens en abondance; si tu n'as pas encore d'enfants, tu en auras et tu les élèveras tous sans en perdre aucun. Est-ce ainsi que tu construis ? Attention à ce que tu fais, à la place où tu bâtis : tu bâtis sur le sable, la pluie va tomber, le fleuve s'enflera, le vent soufflera, tout se précipitera sur cette construction, elle s'écroulera et grande sera sa ruine. Ote ta bâtisse de dessus le sable et place-là sur la pierre (1), unis au Christ celui dont tu veux faire un chrétien. Considère les souffrances du Christ, considère cet Innocent qui paie ce qu'il ne doit pas (2); considère ce texte sacré : « Le Seigneur frappe de verges tout fils qu'il reçoit (3). » Ainsi prépare-toi à être frappé ou ne demande pas à être reçu. « Il frappe de verges, est-il dit, tout fils qu'il reçoit ; » crois-tu devoir être excepté ? Si tu ne souffres pas la verge, tu ne compteras pas au nombre des fils; Est-il bien vrai, diras-tu, qu'il frappe ainsi tous ses fils ? Il les frappe si bien tous qu'il a frappé jusqu'à son Fils unique. Sans doute ce Fils unique engendré de la substance du Père, égal à son Père dans la nature divine, ce Verbe par qui tout a été fait, ne méritait pas d'être frappé de verges mais il s'est incarné pour n’être pas exempt de cette épreuve. Et Celui qui n'épargne pas son Fils unique innocent, épargnera-t-il son fils adoptif coupable ? Nous avons été appelés, dit l'Apôtre, à devenir des enfants adoptifs; nous avons reçu ce titre (4), afin que co-héritiers du Fils unique nous fussions aussi- son héritage. « Demande-moi, et je te donnerai les peuples pour domaine (5). » Or il nous a par son exemple appris à souffrir.

12. Pour empêcher la faiblesse de succomber dans ses futures épreuves, on ne doit ni la tromper de fausses espérances, ni l'abattre par la crainte. Dis-lui : « Prépare ton âme à la tentation.» Peut-être alors commence-t-elle à pâlir, trembler, à refuser d'avancer? Voici autre chose :
 
 

1. Matt. VII, 24-27. — 2. Ps. LXVIII, 6. — 3. Héb. XII, 6. — 4. Gal, IV, —  5. Ps. II, 8.
 
 

« Dieu est fidèle, il ne permettra pas que vous soyez tentés au-dessus de vos forces (1). » Donner cette assurance, en annonçant les futures épreuves, c'est affermir la faiblesse ; et quand la crainte est extrême, quand l'avenir épouvante, promettre la miséricorde de Dieu, donner la certitude, non pas qu'on sera exempt de souffrances, mais que Dieu ne permettra point qu'on soit tenté au dessus de ses forces, c'est aussi panser les blessés.

Il est des hommes qui à l'annonce des futures afflictions s'arment d'un courage nouveau; ils ont soif en quelque sorte : c'est peu pour leur ardeur des souffrances ordinaires destinées à purifier les fidèles, ils ambitionnent aussi la gloire des martyrs. Mais il en est d'autres qui à la nouvelle des contradictions particulières et indispensables que doit endurer tout chrétien et qui sont réservées exclusivement au chrétien, se laissent accabler et chancèlent. Apporte, apporte ici des consolations, bande cette âme qui se disloque, dis-lui : Ne crains rien, tu ne seras point délaissée dans tes angoisses par Celui à qui tu as voué ta foi ; Dieu est fidèle, il ne permettra point que tu sois tentée au dessus de tes forces. Ce n'est pas moi, c'est, l'Apôtre qui le dit ; il dit encore : « « Voulez-vous éprouver Celui qui parle en moi (2) ? » Ce langage est donc celui du Christ, c'est celui du pasteur d'Israël. A ce pasteur il a été dit : « Vous les abreuverez de larmes dans une mesure déterminée (3). » Dans une mesure déterminée, ces mots du prophète n'ont-ils pas le même sens que ceux-ci de l'Apôtre : Il ne permet point que vous soyez tentés au-dessus de vos forces ? Prends garde seulement de l'abandonner, soit qu'il.te reprenne ou t'encourage, soit qu'il t'effraie ou te console, soit qu'il te frappe ou te guérisse.

13. « Vous n'avez pas affermi les infirmes. » Ceci s'adresse aux pasteurs mauvais, aux faux pasteurs, aux pasteurs qui cherchent leurs intérêts au lieu des intérêts de Jésus-Christ, qui se plaisent à recevoir le lait et la laine et ne travaillent pas à guérir les malades. Infirme vient de non ferme, et quoiqu'on appelle infirmes les malades, voici, je crois, la différence qui distingue les uns des autres; je l'établirai comme je pourrai dans ce moment, mes frères. Peut-être me serait-il possible, en y réfléchissant davantage et serait-il possible à un homme plus instruit ou plus capable que moi, de signaler plus exactement cette différence. En attendant et pour ne pas vous priver
 
 

1. I Cor., X, 13. — 3. II Cor. XIII, 3. — 3 Ps. LXXXX, 6.
 
 

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de l'explication, que je vous dois, de l'Ecriture, voici mon sentiment.

L'infirme doit craindre d'être attaqué et renversé par la tentation : le malade est déjà travaillé par quelque passion et empêché par elle d'entrer dans la voie de Dieu, de se soumettre au joug du Christ. Rappelez-vous ces hommes qui ont la volonté de se bien conduire, qui en ont la résolution et qui sont moins bien disposés à souffrir que préparés à faire le bien. Le caractère de la fermeté chrétienne cependant est d'endurer le mal comme de faire le bien, De là il suit que paraître ardent aux bonnes oeuvres sans vouloir ou sans pouvoir endurer les souffrances qui surviennent, c'est être infirme ; tandis qu'aimer le monde et être éloigné des bonnes oeuvres par une passion quelconque, c'est languir et être malade, c'est un épuisement qui semble ôter entièrement la force de faire le bien. Tel était, dans le sens spirituel, ce paralytique qu'on voulait porter près du Seigneur et qu'on ne put mettre à ses pieds qu'après avoir ouvert une toiture (1); c'est-à-dire, en prenant ce trait au figuré, qu'il faut aussi découvrir la toiture pour présenter devant le Seigneur une âme paralysée, une âme quine peut plus rien sur ses membres, étrangère à toute bonne action, accablée sous le poids de ses péchés et sous la langueur de ses passions. As-tu donc affaire à des membres sans vie, attaqués de paralysie intérieure? Veux-tu les approcher du médecin? Car il peut arriver que tu ne le voies pas, et qu'il soit cachés; or le médecin ou le remède est le sens véritable et voilé dans les Ecritures ; découvre la toiture en expliquant ce sens caché et descends-y le paralytique. A quoi doivent s'attendre ceux qui n'agissent pas ainsi et négligent de le faire? Vous l'avez déjà entendu. « Vous n'avez point guéri les malades ni pansé les blessés. » Mais nous avons parlé de cela. Le paralytique était donc consterné à l'idée des tentations. Or voici le remède, voici la ligature qu'il faut à cette âme défaillante, ce sont ces paroles de consolation : « Dieu est fidèle, il ne permettra point que vous soyez tentés au-dessus de vos forces, mais il vous fera sortir de la tentation même, afin que vous puissiez persévérer. »

14. « Vous n'avez point rappelé celles qui étaient égarées. » Voilà nos dangers au milieu des hérétiques. « Vous n'avez point rappelé celles qui étaient égarées, ni cherché celles qui étaient perdues. » Ainsi nous vivons entre les mains
 
 

1. Marc, II, 8, 4.

des voleurs et sous la dent de loups furieux; aussi vous prions-nous de prier pour nous au milieu de tant de périls. Il y 'a même des brebis qui s'opiniâtrent parce qu'on cherche à les rappeler de leur égarement ; elles prétendent que leur égarement même et leur perte nous les rendent étrangères. Pourquoi nous désirez-vous? pourquoi nous cherchez-vous ? disent-elles. Comme si leur égarement et leur perte n'étaient pas pour nous un motif de les rappeler et de les chercher! –—  Si je suis égaré, si je suis perdu, dit-on, pourquoi me désires-tu ? pourquoi me cherches-tu ? — Je veux te rappeler précisément parce que tu es égaré, et te retrouver parce que tu es perdu. — Mais je veux rester ainsi dans mon égarement et ma ruine. — Tu veux rester ainsi dans ton égarement et ta ruine ! Et moi je ne veux pas : n'ai-je pas raison davantage ? Je dis même plus, je ne craindrai pas de me rendre importun. J'entends en effet l'Apôtre me crier : « Prêche la parole, insiste à temps et à contre-temps (1). » Près de qui à temps et près de qui à contre-temps ? A temps près de ceux qui veulent, à contre-temps près de ceux qui refusent. Je me rendrai donc importun et je ne crains pas de te dire: Tu veux t'égarer, tu veux périr, et moi je ne veux pas; il ne le veut pas non plus, Celui dont l'autorité m'épouvante. Et si j'y consentais, vois ce qu'il me dirait, vois quel reproche il m'adresserait:« Vous n'avez pas rappelé celles qui étaient égarées, ni recherché celles qui étaient perdues. » Te redouterai-je plus que lui? Ne faut-il pas que nous paraissions tous devant le tribunal du Christ ? Je ne te crains pas, car tu ne saurais renverser ce tribunal et y substituer celui de Donat. Je rapellerai donc la brebis égarée, je rechercherai la brebis perdue; que tu le veuilles ou ne le veuille pas, voilà ce que je ferai. Et si dans ma coeur, je suis déchiré par les épines des forêts, je saurai me rapetisser pour pénétrer partout ; je battrai tous les buissons, et si le Seigneur qui m'effraie me donne assez de forces, j'irai de tous côtés, je rappellerai la brebis égarée, je chercherai la brebis perdue. Pour n'avoir pas à être importun par moi, ne t'égare pas, ne te perds pas.

15. Il ne suffit même pas que je sois attristé      de ton égarement et de ta perte ; je crains que prenant peu soin de toi je ne donne la mort aux brebis même vigoureuses. Ecoute en effet ce qui suit : « Et vous avez fait mourir ce qui était robuste. » Si je laisse à elle-même celle qui s'égare
 
 

1. II Tim. IV, 2. — 2. II Cor. V, 10.
 
 

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et se perd, il plaira bientôt à celle qui est robuste de s'égarer et de se perdre aussi. Je désire sans doute des conquêtes à l'extérieur, mais je crains plus encore des pertes intérieures. Si je me montre indifférent à ton égarement, ce qui est fort me regarde et s'imagine qu'il importe peu de tomber dans l'hérésie. Voit-on dans le siècle quelque avantage à changer, de religion? En considérant que je ne cours pas après toi, le chrétien même robuste me dit aussitôt pour son malheur : Mais Dieu est là comme ici. Ces différences ne viennent que d'esprits querelleurs; il faut adorer Dieu partout. Qu'un Donatiste vienne à lui dire : Je ne te donnerai pas ma fille si tu n'entres dans mon parti, il est nécessaire qu'il puisse répondre : Ah ! s'il n'y avait point de mal à en être, nos pasteurs ne parleraient pas tant contre lui, ils ne feraient pas tant pour préserver de ces erreurs. Et si nous cessions, si nous nous taisions, on dirait au contraire : Si c'était mal d'être du parti de Donat, nos pasteurs parleraient contre ce parti, ils en montreraient le danger, ils travailleraient à en retirer; ils rappelleraient ces brebis égarées, ils rechercheraient ces brebis perdues. C'est ainsi qu'après avoir dit précédemment: « Vous avez tué les brebis grasses, » il n'est pas inutile que le Prophète répète ici en, concluant : « Et vous avez tué les fortes. » Ce ne serait qu'une simple répétition si le sens n'était fixé par ce qui précède : « Vous n'avez pas rappelé celles qui étaient égarées, ni cherché celles qui étaient perdues, » et en agissant ainsi « vous avez tué les fortes. »

16. Aussi écoute ce que produit la négligence de ces mauvais, ou plutôt de ces faux pasteurs. « Et mes brebis ont été dispersées parce qu'elles sont sans pasteur, et elle sont devenues la proie de tous les animaux des champs. » Quand les brebis ne demeurent pas autour du berger, elles sont enlevées bientôt par le loup qui guette, ravies par le lion qui rugit. Il y a bien là un pasteur, mais ce n'en est pas un pour ces êtres malfaisants ; c'est un pasteur qui n'est pas pasteur, un pasteur qui se paît lui même sans paître ses brebis ; aussi s'égarent-elles pour leur malheur, elles se jettent au milieu d'animaux qui les dévorent et qui cherchent à se rassasier de leur sang. Tels sont les hommes qui se félicitent des égarements d'autrui, ce sont des animaux qui vivent du sang des brebis dispersées.

17. « Et mes brebis ont été dispersées, et elles se sont égarées sur toutes les montagnes et sur toutes les hautes collines. » Les bêtes des montagnes et des collines désignent l'arrogance de la terre et l'orgueil du siècle. L'orgueil de Donat s'est enflé et il s'est fait un parti. Parménien l'a suivi, il a confirmé le mal. L'un est la montagne, l'autre est la colline. Ainsi en est-il de tout hérésiarque vainement enflé : il promet aux brebis le repos et de bons pâturages. Quelquefois, il est vrai, elles y trouvent des aliments produits parla pluie du ciel et non parla sécheresse de la montagne ; car ces sectes égarées possèdent aussi les Ecritures et les sacrements mêmes, ce qui n'appartient pas aux montagnes et s'y rencontre néanmoins. On fait mal toutefois en y demeurant; car en errant sur les montagnes et dans les collines, on s'éloigne du troupeau, on s'éloigne de l'unité, on s'éloigne des troupes armées contre les loups et les lions. Que Dieu donc les en retire, qu'il les en retire lui-même. Bientôt vous l'entendrez les rappeler.

« Mes brebis, dit-il, se sont égarées sur toutes les montagnes et sur toutes les collines, » c'est-à-dire sur toutes les folles élévations de l'orgueil du siècle. Car il y a aussi de saintes montagnes. « J'ai élevé mes regards vers les montagnes d'où me viendra le secours. » Apprends toutefois que tu ne dois pas mettre ton espoir en ces montagnes : « Mon secours, est-il écrit, viendra du Seigneur, qui a fait le ciel et la terre (1). » Ne crois pas outrager ces saintes montagnes lorsque tu dis : « Mon secours viendra, » non des montagnes, mais « du Seigneur qui a fait le ciel et la terre. » C'est en effet ce que te crient ces montagnes, car c'était une montagne qui disait « J'apprends qu'il se forme des divisions parmi vous et que chacun dit : Je suis à Paul, moi à Apollo, moi à Céphas, et moi au Christ. » Elève tes regards vers cette montagne, écoute ce qu'elle dit et ne reste pas sur elle. Voici en effet ce qui suit: «Est-ce que Paul a été crucifié pour vous (2)? » Oui donc, après avoir levé les yeux vers les montagnes d'où te viendra le secours, c'est-à-dire vers les auteurs des divines Ecritures, écoute cet autre qui te crie de toute sa, voix et de toute ses forces : « Qui est semblable à vous, Seigneur (3)? » et sans crainte aucune d'injurier ces montagnes tu diras : « Le secours me vient du Seigneur qui a fait le ciel et la terre. » Non-seulement tu ne seras point blâmé par ces montagnes ; elles t'en aimeront et te favoriseront davantage, au lieu qu'elles s'attristeront si tu places en elles ton
 
 

1. Ps. CXX, 1, 2. — 2. I Cor, I, 11-13. — 3. Ps. XXXIV, l0.
 
 

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espoir. Un ange montrait à un homme un grand nombre de divines merveilles, et levant en quelque sorte ses regards vers la montagne, cet homme l'adorait. Mais détachant de sa personne et conduisant au Seigneur, l'ange répondit: « Garde-toi de le faire ; adore Dieu, car je suis serviteur comme toi et comme tes frères (1). »

18. « Elles se sont dispersées sur toutes les montagnes, sur toutes les collines et sur toute la surface de la terre. » Que signifie : Elles se sont dispersées sur toute la face de la terre ? Elles s'attachent à tout ce qui est terrestre, à tout ce qui brille sur la face de la terre, elles convoitent et aiment tout cela. Elles ne veulent pas de cette mort qui rendrait leur vie cachée en Jésus-Christ. Sur toute la race de la terre; parce qu'elles aiment les choses terrestres et parce que dans tout l'univers il y a des brebis égarées; non que chaque secte hérétique soit répandue partout, mais il y a partout des sectes hérétiques. Les unes occupent un pays, les autres un pays différent, il n'est point de contrée où il n'y en ait ; elles-mêmes ne se connaissent pas toujours. Cette secte, par exemple, est en Afrique, cette autre en Orient, celle-ci en Egypte et celle-là en Mésopotamie. Différentes dans les différents pays, elles ont toutes une même mère, l'orgueil : comme tous les chrétiens fidèles répandus dans l'univers ont pour unique mère l'Église catholique. Rien d'étonnant sans doute que l'orgueil produise la division et que la charité produise l'unité. L'Église mère cependant, c'est-à-dire ses pasteurs, cherche partout les brebis égarées, elle fortifie les faibles, soigne les malades, panse les blessées. Ces brebis sont séparées les unes dés autres et ne se connaissent pas, mais l'Église les connaît toutes parce qu'elle est partout où elles sont. Ainsi, par exemple encore, en Afrique est le parti de Donat et il n'y a point ici d'Eunomiens ; mais l'Église catholique est ici avec les Donatistes. Il y a en Orient, des Eunomiens et point de Donatistes ; là encore est l'Eglise catholique avec les Eunomiens. Elle est donc comme une vigne qui étend partout ses rameaux, et les sectaires sont comme ces sarments inutiles que la serpe du vigneron a retranchés à cause de leur stérilité, pour tailler la vigne et non pour la détruire. Aussi ces sarments sont-ils restés au lieu même où ils ont été coupés, tandis que la vigne s'étend partout, sentant en elle les branches qui lui demeurent et voyant près d'elles les branches coupées. Elle ne laisse
 
 

1. Apoc. XXII, 9.
 
 

pas néanmoins de rappeler les égarées, car des branches même retranchées l'Apôtre a dit: « Dieu peut les enter de nouveau (1). « Soit donc que tu comparés les sectaires à des brebis écartées du troupeau ou à des rameaux séparés du cep, Dieu n'est pas moins capable de rappeler ces brebis que d'enter de nouveau ces rameaux, car il est le pasteur suprême et le vrai vigneron.

« Elles ont été dispersées sur toute la face de la terre, et il n'y avait personne pour les rechercher, personne pour les rappeler. » Personne parmi ces mauvais pasteurs ; personne, aucun homme, pour les rechercher.

19. « Écoutez donc la parole de Dieu, ô pasteurs. Je vis, dit le Seigneur Dieu. » Remarquez ce commencement. Cette affirmation de sa vie est comme lé serment de Dieu. « Je vis, dit le Seigneur. » Les pasteurs sont morts, mais les brebis peuvent être tranquilles : le Seigneur est vivant. « Je vis, dit le Seigneur Dieu. » Et quels pasteurs sont morts? Ceux qui cherchent leurs intérêts et pas ceux de Jésus-Christ (2). Il y aura donc et l'on verra des pasteurs qui chercheront les intérêts de Jésus-Christ, et non les leurs? Oui, il y en aura et on les connaîtra; il n'en manque pas aujourd'hui et il n'en manquera pas.

Examinons donc ce que prétend le Seigneur en disant qu'il est vivant. Dit-il qu'il ôtera les brebis aux mauvais pasteurs, qui se paissent au lieu de les paître, et qu'il les confiera à de bons pasteurs, à des pasteurs qui les paîtront au lieu de se paître ? « Je vis, dit le Seigneur Dieu, parce que, mes brebis sont devenues la proie de tous les animaux des champs, vu qu'elles étaient sans pasteur. » Il a déjà fait entendre ce mot de pasteur, au singulier, il le répète ici. C'est que pour ces brebis égarées misérablement et misérablement perdues, il n'y a point de pasteur, fût-il près d'elles; comme la lumière, si présente qu'elle soit, n'est pas lumière pour les aveugles. — «Et ces pasteurs n'ont pas recherché mes brebis; ils se paissaient eux-mêmes et ne paissaient pas mes brebis. »

20. « C'est pourquoi, écoutez, pasteurs, la parole de Dieu. » A quels pasteurs s'adresse-t-il? « Voici ce que dit le Seigneur Dieu : Je viens moi-même vers ces pasteurs, et je redemanderai mes brebis à leurs mains. » Troupeaux de Dieu, écoutez et retenez. Le Seigneur redemande ses brebis aux mauvais pasteurs, et de
 
 

1. Rom. XI, 23. —2 Philip. III, 24.
 
 

leurs mains il redemandera leur sang; car il dit ailleurs par la bouche du même prophète : « Fils de l'homme, je t'ai établi sentinelle pour la maison d'Israël; je te parlerai et tu leur annonceras mes paroles. Quand je dirai au pécheur : tu mourras de mort, si tu ne l'engages pas à se retirer de sa voie, le coupable mourra dans son crime, mais je remanderai son sang à ta main. Si au contraire tu engages ce coupable à s'écarter de sa voie et qu'il ne s'en écarte pas, il mourra dans son crime et tu auras délivré ton âme. » Voyez vous, mes frères, voyez-vous combien il est dangereux de se taire ? Ce coupable meurt et il meurt justement; il meurt dans son impiété et dans son péché ; mais c'est la négligence de son pasteur qui l'a tué. Il trouverait bien le Pasteur vivant, Celui qui s'écrie : « Je vis, dit le Seigneur; » mais comme ce coupable est négligent et qu'il n'est pas averti par celui qui doit lui servir de chef et de sentinelle, il est avec justice livré à la mort, et le pasteur condamné avec justice. « Mais quand je menacerai l'impie du glaive, si tu lui dis : Tu mourras de mort, et qu'il néglige d'écarter cette épée suspendue, et qu'elle tombe sur lui et lui donne la mort, il mourra dans son péché, tandis que  tu auras délivré ton âme. (1) » Notre devoir est donc de ne pas nous taire, et le vôtre, si nous nous taisions, de chercher dans les saintes Ecritures les paroles du divin Pasteur.

21. Examinons donc, comme je l'ai proposé, s'il ôte ses ouailles aux mauvais pasteurs et les donne aux bons. Je remarque d'abord qu'il les ôte aux mauvais pasteurs, car il dit : « Voici que je viens moi-même vers ces pasteurs et je redemanderai mes brebis à leurs mains et je les éloignerai d'eux en sorte qu'ils ne paissent plus ni mes brebis ni eux-mêmes. » En effet, lorsque je leur dis de paître mes brebis, ils se paissent eux-mêmes et non pas elles. « Je les éloignerai, » donc « afin qu'ils ne les paissent plus. » Et comment les éloigne-t-il pour qu'ils ne paissent plus ses brebis ? « Faites ce qu'ils disent et gardez-vous de faire ce qu'ils font (2). » Comme si nous lisions : Ils disent ce qui vient de moi, ils font ce qui vient d'eux. S'il y avait

Faites tranquillement ce qu'ils font, je les condamnerai pour leur mauvaise vie, mais je vous épargnerai parce que vous n'avez fait que suivre vos guides ; si Dieu parlait ainsi, il intimiderait seulement ces pasteurs mauvais qui ne paissent
 
 

1. Ezéch. XXX, 2-9-2. —2. Matt. XXIII, 3.
 
 

qu'eux-mêmes. Mais il menace également le guide aveugle et l'aveugle qui le suit; il ne dit pas: Le guide aveugle tombe dans la fosse sans que s'y précipite celui qui le suit; il dit : « Quand un aveugle conduit un aveugle, ils tombent l'un et l'autre dans l'abîme (1); » c'est pourquoi il donne à son troupeau ces avertissements « Faites ce qu'ils disent, gardez-vous de faire ce qu'ils font. » Quand vous ne faites pas ce que font ces mauvais pasteurs, ce n'est pas eux qui vous paissent; mais c'est moi qui vous pais lorsque vous faites ce qu'ils disent, car ce qu'ils disent vient de moi, bien qu'ils ne le fassent pas.

Nous sommes sans inquiétude, dit-on, parce que nous suivons nos évêques. C'est ce que répètent souvent les hérétiques, lorsqu'ils sont manifestement convaincus par la vérité. Nous ne sommes que des brebis, ils rendront compte de nous. Oui, ils rendront malheureusement compte de votre mort; le mauvais pasteur rend malheureusement compte de la mort d'une brebis mauvaise; il montre en quelque sorte sa dépouille cette brebis en est-elle plus vivante? On reproche au pasteur de n'avoir pris aucun souci de la brebis égarée, laquelle, pour ce motif, s'est jetée à la gueule du loup pour en être dévorée. Que lui sert d'en apporter la peau avec les signes qui la distinguent? C'est de la vie de sa brebis que s'inquiète le Père de famille. Au lieu de cela, le mauvais pasteur lui en rapporte la peau : qu'il rende compte dé cette peau. Osera-t-il mentir ? Mais le Juge a tout vu du haut du ciel; en vain on essaiera près de lui un langage trompeur, il connaît les pensées. C'est de la peau de cette brebis qu'il a laissé mourir, que ce mauvais pasteur est obligé de rendre compte. Je lui ai fait entendre vos paroles, elle a refusé de s'y montrer docile; j'ai pris soin de l'empêcher de s'écarter du troupeau, elle ne m'a pas obéi. Parler de la sorte, si ce langage était vrai, et Dieu sait s'il est vrai, ce serait assurément se bien défendre de la perte d'une brebis mauvaise. Mais si Dieu a vu que ce pasteur a négligé la brebis égarée et n'a point recherché la brebis perdue, que lui sert de pouvoir en rapporter la dépouille ? C'est la brebis même qu'il faudrait montrer vivante et non la peau d'un cadavre. Voilà ce qui fait son malheur au moment où il rend ses comptes. Mais s'il est coupable de ne l'avoir pas cherchée quand elle s'égarait, que penser de celui qui a causé cet
 
 

1. Matt. XV,14.
 
 

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égarement? En d'autres termes, si pour n'avoir pas recherché la brebis qui s'éloignait du divin troupeau, l'évêque qui demeure catholique doit être condamné, que deviendra l'hérétique puisque loin d'avoir rappelé cette brebis errante il l'a jetée dans l'erreur?

22. Examinons enfin, comme je l'ai dit, de quelle manière Dieu ôte les brebis aux mauvais pasteurs. J'ai déjà rappelé ces mots : « Faites ce qu'ils disent ; gardez-vous de faire ce qu'ils font. » Ce n'est pas eux qui vous paissent alors, c'est Dieu; car bon gré mal gré, pour obtenir le lait et la laine ils annonceront la parole de Dieu. « Toi qui prêches de ne point dérober, tu dérobes, » dit l'Apôtre à ceux qui enseignent le bien et commettent le mal. Toi, mon frère, écoute le prédicateur, ne dérobe pas, ne l'imite point dans ses larcins. Si tu l'imites dans les actes coupables, ils te servent en quelque sorte de nourriture, mais cette nourriture est un poison. Écoute plutôt ce qu'il te recommande non pas de lui-même mais de la part de Dieu. On ne peut, il est vrai, cueillir le raisin sur les épines, car le Seigneur a dit expressément : « Nul ne récolte le raisin sur des épines, ni la figue sur les ronces (1). » N'en conclus pas toutefois que tu peux accuser le Seigneur et lui dire : Seigneur, vous ne voulez pas de moi, car il est impossible de cueillir le raisin sur les épines, et d'un autre côté vous m'avez dit de quelques-uns : « Faites ce qu'ils enseignent, gardez-vous de faire ce qu'ils disent, » ce qui prouve qu'ils sont des épines. Comment voulez-vous que sur ces épines je cueille le raisin de votre parole? Le Seigneur en effet te répondrait : Ce raisin ne vient pas des épines. Ne voit-on pas quelquefois une branche de vigne croître, s'entrelacer dans une haie et le raisin suspendu au milieu d'un buisson d'épines, quoiqu'il ne soit pas produit par ces épines ? Si tu es pressé par la faim et que tu n'aies pas d'autres ressources, avance la main avec précaution, prends garde de te déchirer, c'est-à-dire d'imiter les actions des méchants, cueille ce raisin porté parla vigne et suspendu au milieu de ces épines. Profite de cette grappe, les épines sont destinées au feu.

23. « Et j'arracherai mon troupeau de leur bouche et de leurs mains, et désormais il ne leur servira plus d'aliments. » On lit de même dans un psaume : « N'auront-ils jamais d'intelligence, ces ouvriers d'iniquité qui dévorent
 
 

1. Matt. VII, 16.
 
 

mon peuple comme on dévore du pain (1) ? — « Il ne leur servira donc plus d'aliment, car voici ce que dit le Seigneur Dieu : Je viens moi-même. » J'ai soustrait mes brebis aux mauvais pasteurs en leur recommandant de ne pas faire ce qu'ils font, de ne pas faire par témérité et par négligence ce que font ces indignes pasteurs. Mais quoi! à qui confie-t-il ces brebis qu'il leur a soustraites ? Est-ce à de bons pasteurs ? On ne le voit pas. Que concluerons-nous, mes frères ? N'y a-t-il pas de bons pasteurs ? Les Écritures ne disent-elles pas ailleurs : « Je leur donnerai des pasteurs selon mon coeur, « et ils les nourriront d'instruction 2? » Comment donc ne confie-t-il pas à de bons pasteurs les brebis qu'il a ôtées aux mauvais ? Pourquoi dit-il, comme s'il n'y avait plus nulle part de bons pasteurs : « Je viendrai les paître ? » II avait dit à Pierre: « Pais mes brebis. » Comment expliquer son langage? En confiant ses brebis à cet Apôtre, il ne lui dit pas : Je les paîtrai et non pas toi; il lui dit : « Pierre, m'aimes- tu? Pais mes brebis (3). » Parce qu'il n'y a plus aujourd'hui de Pierre, parce que Pierre est parvenu au repos des Apôtres et des martyrs, est-ce qu'il ne se trouve plus personne à qui le Seigneur puisse dire avec assurance: « Pais mes brebis ? » Serait-il vrai que ne découvrant pas à qui confier son troupeau, que néanmoins il ne 'veut pas abandonner, il est obligé de s'abaisser jusqu'à le paître lui-même? On le croirait en lisant ce qui suit : « Voici ce que dit le Seigneur : Je viens moi-même. »

Nous lui disions : « Écoutez-nous, ô Pasteur d'Israël, vous qui conduisez, comme un troupeau, Joseph, » le peuple établi en Egypte, c'est-à-dire Israël répandu parmi les gentils. Vous savez effectivement que vendu par ses frères Joseph émigra en Egypte (4). Ainsi les Juifs ont vendu le Christ, et ce n'est pas sans motif que le vendeur Judas était du nombre des Apôtres mêmes. Le Christ commença alors à se répandre parmi les gentils; il y est honoré, son peuple s'y est multiplié et le divin Pasteur ne l'abandonne pas. « Réveillez votre puissance, disait le Prophète, et venez nous sauver (5). » C'est ce qu'il fait et ce qu'il fera encore, puisqu'il dit : « Je viendrai moi-même et je rechercherai mes brebis, et je les visiterai comme le pasteur visite son troupeau. » Si les pasteurs mauvais n'ont pas eu soin de mes ouailles, c'est qu'ils ne
 
 

1. Ps. LII, 5. — 2. Jérém. III, 15. — 3. Jean XXI, 17. — 4. Gen. XXXVII, 23. — 5. Ps. LXXII, 2,3.
 
 

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les ont pas rachetées de leur sang. « Comme un pasteur visite son troupeau au jour. » Quel jour? « Au jour de pluie et de nuages. » La pluie et les nuages désignent les erreurs du siècle, les épaisses ténèbres des passions qui couvrent le mondé comme un obscur nuage. Qu'il est alors difficile aux brebis de ne se point égarer! Mais le Pasteur ne les délaisse point ; il les cherche, il perce les ténèbres de ses yeux pénétrants, il voit nonobstant la profonde obscurité répandue par les nuages de toutes parts, il rappelle les brebis égarées et s'accomplit alors ce qu'il dit lui-même dans l'Évangile : « Celles, qui sont mes brebis entendent ma voix et nie suivent (1). » — « Au milieu des brebis dispersées, et je les délivrerai de tous les lieux où elles s'étaient égarées au jour des nuées et de l'obscurité. » Je les découvrirai quand il sera difficile de les trouver. La nuée est épaisse, les ténèbres sont profondes; mais rien n'échappe à ses regards.

24. « Et je les retirerai du milieu des nations, et je les recueillerai de toutes les contrées, et je les amènerai dans leur pays et je les ferai paître sur les montagnes d'Israël. » Les montagnes d'Israël sont ici les auteurs des divines Ecritures. Paissez là pour vivre en paix. Goûtez tout ce que vous y entendez, rejetez ce qui n'en vient pas. Ne vous égarez pas au milieu des ténèbres, écoutez la voix du Pasteur; retirez-vous sur les montagnes de l'Écriture; là sont les délices de votre coeur et rien d'empoisonné, rien qui vous soit contraire, mais de riches pâturages. Vous seules, brebis saines, venez et paissez sur ces monts d'Israël. « Le long des ruas« seaux et dans toutes le régions habitables. » Car des montagnes dont nous venons de parler ont coulé les ruisseaux de la prédication évangélique, lorsque la voix des Apôtres s'est fait entendre à toute la terre (2); et l'univers entier est devenu alors comme un riant et fertile pâturage. « Je les ferai paître dans de bons pâturages et sur les hautes montagnes d'Israël. Là seront leurs étables; » c'est-à-dire les lieux où elles prendront leur repos, où elles diront : C'est bien, c'est la vérité, c'est clair, on ne nous trompe pas. Elles reposeront dans la splendeur de Dieu comme dans des étables. « Et elles dormiront, » seront en paix, « et se reposeront dans de douces délices. »

25. « Et elles paîtront dans de gras pâturages sur la montagne d'Israël. » J'ai déjà expliqué
 
 

1. Jean, X, 27. — 2 Ps. XVIII, 5.
 
 

ce que sont ces montagnes, ces saintes montagnes d'Israël où nous élevons nos regards pour appeler du secours. Mais le secours nous vient du Seigneur qui a l'ait le ciel et la terre (1). Aussi pour nous empêcher de mettre notre espoir dans ces saintes montagnes, après avoir dit : « Je ferai paître mes brebis sur les montagnes d'Israël », et pour insister plus fortement, il ajoute : « Je les ferai paître moi-même. » Élève donc les yeux vers ces montagnes d'où te viendra le secours, mais écoute aussi Celui qui dit : « C'est moi qui les ferai paître; » car le secours te vient du Seigneur qui a fiait le ciel et la terre.

26. « Et je les ferai reposer dit le Seigneur Dieu. » Pour leur procurer ce repos il a dû les guérir, comme le prouvent les mots qui suivent « Voici ce que dit le Seigneur Dieu : Je chercherai celles qui étaient perdues, je rappellerai celles qui étaient égarées, je banderai les blessées, je fortifierai les languissantes, je garderai celles qui sont grasses et fortes. » C'est ce que ne faisaient point les mauvais pasteurs, occupés d'eux-mêmes et non de leur troupeau. Le Seigneur ne dit pas : J'établirai d'autres pasteurs, de bons pasteurs pour faire cela; il dit : Je le ferai moi-même, je ne confierai mes brebis à personne. Soyez donc tranquilles, mes frères, brebis, soyez tranquilles. N'est-ce pas nous qui devons craindre comme s'il n'y avait plus de bon pasteur ?

21. Il conclut ainsi : « Et je les conduirai avec justice. » Dieu n'est-il pas le seul qui conduise ainsi ? Quel homme en effet est juste envers un autre homme ? Tout est plein de jugements téméraires. Nous désespérions de celui-ci, il se convertit tout-à-coup et devient excellent chrétien; nous espérions beaucoup de cet autre, tout-à-coup il succombe et devient très-méchant. Nous ne sommes parfaitement sûrs ni de nos craintes ni de nos affections. Qui sait même ce qu'il est aujourd'hui? et s'il le sait tant soit peu, nui ne connaît ce qu'il sera demain. Dieu conduit donc avec justice, donnant à chacun ce qui lui appartient, une chose à celui-ci, une autre à celui-là et à tous ce qui leur est dû. Il sait ce qu'il à a faire et il dirige avec justice ceux qu'il a rachetés en souffrant injustement. Ainsi nourrit-il avec justice.

28. Nous lisons dans le prophète Jérémie: « La perdrix a crié, elle a rassemblé des petits dont elle n'est pas la mère, réuni des richesses sans
 
 

1. Ps. CXX,1, 2.
 
 

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jugement. » Au lieu donc que cette perdrix s'enrichit sans jugement, le divin Pasteur fait paître son troupeau avec discernement. En quoi la perdrix manque-t-elle de jugement? En ce qu'elle rassemble des neufs qu'elle n'a pas produits. En quoi se montre le discernement du divin Pasteur? En ce qu'il nourrit ses propres enfants.

Toutefois nous parlons encore du bon Pasteur. Il n'y en a donc pas de bons ou il n'en est pas parlé. S'il n'en est pas de bons, que faisons-nous ici? S'il n'en est pas parlé, pourquoi ce silence?

D'anciens Pères et des commentateurs de l'Ecriture qui nous ont précédés ont vu le diable dans cette perdrix qui rassemble ce qu'elle n'a pas produit. Le diable en effet n'est pas créateur, mais trompeur, et il rassemble des trésors sans jugement. Peu lui importe de quelle manière on s'égare ; tous les égarés et toutes les erreurs lui sont bonnes. Combien n'y a-t-il pas d'hérésies diverses et de diverses erreurs ? Il veut que toutes servent à perdre l'homme. Il ne dit pas: qu'on soit Donatiste, non pas Arien ; qu'on soit l'un ou l'autre, on lui appartient, car il amasse sans discernement. Que celui-ci, dit-il, adore les idoles, il est à moi ; que celui-là demeure attaché aux superstitions des Juifs, il est à moi encore ; que cet autre, après être sorti de l'unité, tombe dans telle ou telle hérésie, je le tiens également. Il amasse donc et s'enrichit sans discernement. Et qu'arrive-t-il? « On le quittera au milieu de ses jours et à la fin on verra sa folie (1). » Il vient rassembler ses brebis de toutes parts. « Au milieu de ses jours, » et plus-tôt qu'il ne s'y attendait, plutôt qu'il ne pensait, « elles l'abandonneront « et à la fin paraîtra sa folie. » Pourquoi paraissait-il sage au début tandis qu'à la fin il paraît insensé ? Ecoutez, mes frères. La sagesse est dans l'Ecriture prise quelquefois pour la ruse, c'est par figure et non dans le sens propre. C'est ainsi qu'il est dit : « Où est le sage ? où est le scribe ? Où est l'investigateur de ce siècle? Dieu n'a-t-il pas convaincu de folie la sagesse de ce monde (2) ? » Or cette perdrix, ce dragon, ce serpent semblait sage lorsque par Eve il séduisit Adam; il paraissait dire vrai, donner un bon conseil et on le crut plutôt que Dieu. Ce qui prouve que le mot de sagesse est pris improprement et en mauvaise part dans nos Ecritures; car peu nous importe de savoir comment s'expriment les écrivains profanes, ce sont ces
 
 

1. Jérém. XVII, 11 . — 2. I Cor. I, 20.
 
 

paroles du même livre : « Le serpent était le plus sage de tous les animaux. (1) » Plus sage, c'est-à-dire plus rusé, plus habile à tromper. Mais dans la suite on n'a plus foi en lui, on lui dit Nous te renions, c'est assez que tu aies surpris une première fois notre simplicité. Ainsi paraîtra-t-il à la fin insensé, ses fraudes seront découvertes et ne seront plus alors des fraudes. On verra donc quelle a été sa folie de recueillir ce qui ne lui appartenait pas et d'amasser des richesses sans discernement. Notre Rédempteur au contraire paît avec jugement.

29. Voici un hérétique; s'il n'est pas frère du diable, il en est l'aide et le fils, je puis dire aussi qu'il est une perdrix, un animal rusé. La perdrix en effet, les oiseleurs le savent, se fait prendre parses propres ruses; et les hérétiques rusent aussi contre la vérité, toujours ils ont rusé contre elle, depuis qu'ils s'en sont séparés. Ils disent aujourd'hui: Nous ne voulons pas lutter, mais c'est qu'ils sont pris, c'est qu'ils n'ont plus de prétexte pour tenir ce langage. Vaincu, je te reconnais ; c'est bien toi qui dans les premiers moments de ta rébellion accusais les catholiques de s'être faits traditeurs, condamnais des innocents, en appelais au jugement de l'Empereur, ne te soumettais pas à la sentence des évêques, ne cessais d'en appeler après avoir été tant de fois convaincu, plaidais devant l'Empereur même avec une ardeur non pareille, et amassais ce que tu n'avais pas produit. Où est maintenant ta fierté ? Où est ton éloquence ? Où est ton sifflet ? Toi aussi tu as montré à la fin ta folie, tu t'es conduit sans discernement. Ce n'est pas un jugement véridique que tu demandes ni sur ton erreur ni sur la vérité. Mais pour s'opposer à toi le Christ paît avec jugement et discerne ses ouailles des tiennes. « Celles qui sont mes brebis, dit-il, entendent ma voix et me suivent (2). »

30. Ici donc j’aperçois tous les bons pasteurs dans l'unique Pasteur. Les bons pasteurs, à vrai dire, ne sont pas plusieurs, ils sont un dans un seul. S'ils étaient plusieurs, ils seraient divisés; pour recommander l'unité, il n'est parlé que d'un seul. Si dans notre texte en effet il n'est point parlé de plusieurs bons pasteurs mais d'un seul, ce n'est pas que le Seigneur ne trouve personne aujourd'hui à qui confier son troupeau comme il l'a confié à Pierre, autrefois. S'il la confié à Pierre, c'était plutôt pour recommander en lui l'unité. Les Apôtres étaient plusieurs et à l'un
 
 

1. Gen. III, 1-6. — 2. Jean, X, 27.
 
 

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d'eux seulement il est dit: « Pais mes brebis. Loin de nous, loin de nous la pensée qu'il n'y ait pas aujourd'hui de bons pasteurs ; ne serait-ce pas outrager la divine miséricorde, de prétendre que Dieu n'en forme ni n'en établit aucun ? S'il y a de bons fidèles, il y a certainement aussi de bons pasteurs, puisque ces bons pasteurs sont pris dans les rangs de ces bons fidèles. Mais tous ces bons pasteurs n'en forment qu'un seul avec le Pasteur unique. Quand ils font paître, c'est le Christ qui fait paître. Amis de l'Epoux, ils ne parlent pas en leur nom, ils sont si heureux de faire entendre la voix de cet Epoux ! Quand ils paissent c'est donc lui qui paît; c'est pourquoi il dit : « Je fais paître. » Ils font en effet entendre sa voix et sont animés de sa charité.

C'est ce que l'on voit dans Pierre lui-même. Lors effectivement que comme à un autre soi-même le Christ lui confiait ses brebis, il voulait au préalable se l'unir intimement. Le Sauveur serait le Chef, Pierre représenterait le corps même de l'Eglise, et tous deux seraient unis comme l'époux et l'épouse dans une seule chair. Que lui dit-il en effet avant de lui commettre ces fonctions et pour qu'il ne les reçoive pas comme un étranger ? « Pierre, m'aimes-tu ? » demande le Sauveur. « Je vous aime, » répond l'Apôtre. Une seconde fois : « M'aimes tu? » et, une secondé fois: « Je vous aime. » A une troisième fois: « M'aimes-tu? » il est répondu une troisième fois : « Je vous aime. » C'était affermir la charité, pour consolider l'unité.

Ainsi donc, Jésus-Christ veut paître dans la personne des pasteurs, et les pasteurs dans la personne de Jésus-Christ. Il n'est point parlé d'eux et il en est parlé. Les pasteurs se glorifient; mais qui se glorifie doit se glorifier en Jésus-Christ. Paître pour le Christ, paître dans le Christ et paître avec le Christ, c'est ne pas paître pour soi-même en dehors du Christ. Ce n'est point la disette des pasteurs, ce n'est point la prévision de ces temps malheureux qui a fait dire au prophète : « Je ferai paître mes brebis, » comme s'il n'y avait personne à qui Dieu pût les confier. Lorsque Pierre était encore vivant, lorsque les Apôtres étaient encore dans cette chair et dans ce monde, cet unique Pasteur en qui sont réunis tous les Pasteurs, ne disait-il pas: « J'ai d'autres brebis qui ne sont pas encore de ce bercail; il faut que je les y amène aussi, afin qu'il n'y ait qu'un troupeau et qu'un Pasteur (1) ? » Tous les pasteurs doivent donc
 
 

1. Jean, X, 16.
 
 

être dans l'unique Pasteur, ils doivent tous ne faire entendre que sa voix aux brebis, afin que les brebis suivent leur unique Pasteur, et non celui-ci ou celui-là; tous doivent tenir en lui le même langage sans énoncer des maximes différentes. « Je vous conjure, mes frères, d'avoir tous le même langage et de ne point souffrir de schismes parmi vous (1). » Ce langage ne doit respirer aucune division, il doit être pur de toute hérésie et entendu de toutes les brebis, afin qu'elles suivent le Pasteur qui leur crie: « Celles qui sont mes brebis entendent ma voix et me suivent. »

31. Veux-tu savoir, hérétique, combien peu ta, voix est celle de ce Pasteur et combien il est dangereux aux brebis de te suivre, couvert que tu es de .leur peau, mais à l'intérieur vrai loup ravissant (2) ? Fais leur entendre ta voix, et considérons si elle est la voix du Christ. Voici une brebis affaiblie qui cherche l'Eglise ; elle s'est écartée du troupeau, ne sait plus où il est ; elle voudrait s'y réunir, s'abriter avec lui. Parle ; écoutons si ta voix est celle du Christ, celle d'un agneau ou celle de la perdrix. La brebis de Dieu cherche son troupeau : c'est, je suppose, une brebis venue d'Orient en Afrique; elle cherche son troupeau, elle te rencontre et veut entrer dans ton temple. Surpris à la vue de ce visage inconnu, toi ou ton ministre; peu importe, debout ou assis à la porte du temple, tu interroges cette brebis qui cherche son troupeau ou plutôt le troupeau du Seigneur, qui veut se réunir à lui, entrer dans le lieu où elle croit qu'il s'abrite. Tu demandes donc à cet homme: Es-tu païen, es-tu chrétien? —  Chrétien répond-il; il est en effet une brebis de Dieu. — Mais n'est-il pas Catéchumène? Ne va-t-il pas profaner les sacrements? — Je suis fidèle, répond-il encore. — De quelle communion? Je suis catholique. — Il est chrétien, fidèle, catholique, et tu le repousses. Quels sont alors ceux que tu laisses entrer? Oui, rejette-le, repousse-le. Tu le réprouves, mais il est approuvé du Christ. Plaise à Dieu que tes sectateurs viennent à te connaître aussi et à t'abandonner au milieu de tes jours!

Quelques-uns de nos frères se sont présentés hier à leur temple; ils allaient chez des frères quoique ces frères fussent mauvais frères. Ecoute quelle différence entre la confiance qu'inspire la vérité et la crainte suggérée par le mensonge. Quelle joie ne ressentez-vous point lorsque vous apercevez dans cette assemblée quelques uns
 
 

1. I Cor. 1, 10. — 2. Matt. VII, 15.
 
 

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d'entre eux? C'est que parmi vous se trouve Celui qui cherche la brebis perdue. On vous dit quelquefois - Il écoutera et sortira. — Vous de répondre : Qu'il écoute et sorte. — Il écoutera et se moquera. — Qu'il écoute et se moque. Il finira par goûter et connaître la vérité; un jour il ne sera plus avec les siens, il restera avec son coeur, il renoncera à son erreur et rendra grâces à son Dieu. — Voilà ce que vous dites. — Et eux que dirent-ils'? — Qui êtes-vous ? — Nous sommes chrétiens. — Non, vous êtes des espions. — Au contraire, nous sommes des catholiques. — Ils cherchèrent d'abord à les outrager ; mieux avisés ils se repentirent. Puissent-ils se repentir tous de demeurer dans cette voie comme se sont repentis ceux qui avaient commencé les outrages! Mais enfin quels sont ceux qu'ils ont repoussés? Des chrétiens, des fidèles, des catholiques. Et quels sont ceux qu'ils ont laissés entrer ? Je ne veux pas le dire. Je vois ceux qu'ils ont empêchés, qu'ils nous disent eux-mêmes à qui ils ont permis d'entrer.

32. Qu'ils parlent donc; écoutons si leur voix est celle du Christ, si c'est la voix du Pasteur que doivent suivre les brebis. Que ces paroles soient prononcées par un homme de bien ou par un méchant, peu importe, considérons seulement si c'est le langage du Pasteur.

Un chrétien faible, un chrétien égaré cherche l'Église. Que réponds-tu ? — L'Église est le parti de Donat. — Ne e l'oublie pas, je veux connaître le langage du Pasteur. Lis-moi donc cela dans les prophètes ou (tans les psaumes, montre-le moi dans la Loi, dans 1'Evangile ou dans les Apôtres. J'y vois bien que l'Église est répandue dans tout l'univers et que le Seigneur s'écrie : « Celles qui sont mes brebis écoutent ma voix et me suivent. » Or, quelle est cette voix du Pasteur : « Qu'on prêche en son nom la pénitence et la rémission des péchés parmi toutes les nations, à commencer par Jérusalem (1). » Voilà la voix du Pasteur, reconnais-là et suis-là, si tu es sa brebis.

33. — Mais ces catholiques ont livré les Écritures, ils, ont offert de l'encens aux idoles; c'est un tel et un tel. — Que m'importent tel et tel ? S'ils ont fait cela, ils ne sont pas des Pasteurs. C'est la voix du Pasteur que je te demande, ce que tu dis ne vient pas de lui. C'est toi qui les accuses, ce n'est pas l'Évangile; c'est toi, et non le Prophète ni l'Apôtre. Je chois ce que
 
 

1. Luc, XXIV, 47.
 
 

m’enseigne la voix de ce Pasteur, je ne crois rien autre chose. Tu montres des Actes publics; j'en montre aussi. Tu veux que j'ajoute foi aux tiens; donc aussi ajoute foi aux miens. Je ne crois pas les tiens; ne crois pas les miens. Laissons ces écrits des hommes, entendons le langage de Dieu. Montre-moi dans l'Écriture un seul mot en faveur du parti de Donat, je t'en montrerai d'innombrables en faveur de l'univers. Mais qui pourrait les compter tous? Rappelons-en seulement quelques-uns.

Écoute d'abord la Loi, le premier Testament divin : « Toutes les nations seront bénies dans ta postérité (1). » Voici des psaumes : «Demande-moi, et je te donnerai les nations pour héritage et pour domaine jusqu'aux extrémités de la terre (2). — Tous les peuples les plus reculés se souviendront du Seigneur et se tourneront vers lui, toutes les nations se prosterneront devant lui; car à lui appartient l'empire, il règnera sur les peuples (3). — Chantez au Seigneur un cantique nouveau; que toute la terre bénisse le Seigneur (4). — Tous les rois de la terre l'adoreront, toutes les nations le serviront (5). » Qui pourrait tout rapporter? Il n'y a presque pas une page où on ne voie partout le Christ et l'Eglise répandue dans tout l'univers. Qu'on me montre un seul mot en faveur du parti de Donat. Est-ce demander beaucoup? On prédit la ruine de cette Église partout répandue. Elle périra? et tant de témoignages assurent sa permanence ! Mais cette seule assertion n'est ni dans la Loi, ni dans les Prophètes, ni dans les chants du Pasteur; et sans le Verbe de Dieu, sans le Christ, on ne peut rien dire de vrai.

34. Voici maintenant la parole du Verbe, elle sort de la bouche même du Verbe. Il s'écrie donc, en admirant la foi du Centurion : « En vérité je vous le déclare, je n'ai pas rencontré de si grande foi en Israël. C'est pourquoi je vous l'assure, beaucoup viendront d'Orient et d'Occident, et reposeront avec Abraham, Isaac et Jacob dans le royaume des cieux (6). » « — Beaucoup viendront de l'Orient et de l'Occident. » Voilà l'Église, voilà le troupeau du Christ, reconnais-les si tu es du bercail, tu ne saurais méconnaître ce troupeau répandu partout Qu'auras-tu à répondre à ton Juge, puisque tu ne veux pas de lui pour ton pasteur? qu'auras-tu, dis-je, à lui répondre? Diras-tu : J'ai ignoré, je n'ai pas vu, je n'ai pas entendu? Mais qu'as-tu ignoré?
 
 

1. Gen. XXII, 18. — 2 Ps. II, 8. — 3. Ps. XXI, 28, 29. — 4. Ps. XCV, 1. — 5. Ps. LXXI, 11. — 6. Matt. VIII, 10, 11.
 
 
 
 

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«Personne ne se dérobe à sa chaleur (1). » Que n'as-tu pas vu ? « Toutes les extrémités de la terre ont vu le Salut de notre Dieu (2). » Que n'as-tu pas entendu? « Leur voix s'est étendue sur toute la terre, et leurs paroles jusqu'aux limites de l'univers (3). »

35. Nous devons pourtant exiger de vous une parole du Christ, une parole du Pasteur adressée aux brebis et suivie par elles. Vous ne trouvez que répondre; vous ne pouvez citer en votre laveur aucun témoignage du divin Pasteur. Écoutez mieux et obéissez; laissez la voix du loup, suivez la voix du Pasteur, ou enfin montrez-nous ce qui vous justifie.

Nous le montrons, disent-il. — Écoutons, car nous aussi nous citons pour nous le témoignage du Pasteur. Écoutons cependant. — On voit dans les Cantiques, disent-ils, l'épouse parler à l'Époux, l'Église au Christ. — Nous connaissons le Cantique des Cantiques, ces chants sacrés, ces chants d'amour, d'amour saint, de sainte charité et de sainte douceur. Je veux donc v entendre la voix du Pasteur, la voix de l'Époux aimable. Parle, si tu sais quelque chose, écoutons. — L'Épouse, répondent-ils, dit à l'Époux : « Toi que chérit mon âme, apprends-moi où tu conduis ton troupeau, où tu le fais reposer. » Et selon eux il répond : « Au midi. » Je te citais des textes clairs, tu ne pouvais interpréter autrement que moi les suivants : « Demande-moi et je te donnerai les nations pour héritage et pour domaine jusqu'aux extrémités de la terre. » — « Tous les peuples les plus reculés se souviendront du Seigneur et se tourneront vers lui. » Qu'est-ce main tenant que tu me cites du Cantique des cantiques? Un texte que peut-être tu ne comprends pas; car ces cantiques sont des espèces d'énigmes, connus d'un petit nombre d'hommes intelligents, ouverts à un petit nombre de ceux qui savent frapper. Accepte, en t'y attachant avec amour, ce qui est clair, pour mériter de pénétrer dans ce qui est obscur. Comment percer ce qui est obscur si tu foules aux pieds ce qui est clair?

36. Nous allons néanmoins, chers frères, discuter ce passage dans la mesure de nos forces; le Seigneur nous aidera à vous montrer ici un sens irréprochable.

Tous, et même les esprits les moins cultivés, peuvent d'abord le remarquer facilement, les Donatistes coupent mal la phrase; vous allez vous en convaincre. Voici le texte exactement : l'Épouse
 
 

1. Ps. XVIII, 7. — 2. Ps. XCVII, 3. —3. Ps. XVIII, 5.
 
 

dit à l'Époux: « Toi que chérit mon âme, apprends-moi où tu conduis ton troupeau, où tu le fais reposer. » C'est bien l'Épouse qui parle ainsi à l’Epoux, l'Église qui adresse au Christ ce langage; ni de notre côté ni du leur il n'y a de doute sur ce point. Mais rapporte donc toutes les paroles de l'Épouse. Pourquoi entreprends-tu d'attribuer à l'Époux un mot qui est encore de l'Épouse? Dis tout ce qui vient d'elle, l'Époux répondra en suite. Sois attentif à la coupe de phrase suivante, tu n'auras rien à répliquer. « Toi que chérit mon âme, apprends-moi où

tu conduis ton troupeau, où tu le fais reposer à midi. » Ces derniers mots : « à midi, » sont encore de l'Épouse, ce qui le prouve c'est ce qui suit : « Dans la crainte que je ne sois comme une inconnue auprès des troupeaux de tes compagnons. » Tous sans doute, lettrés et illettrés, savent distinguer le genre masculin du genre féminin. Or de quel genre est inconnue ? Je le demande à tous : Est-ce du masculin ou du féminin? « Toi que chérit mon âme, annonce moi, » dit-elle. Toi que, quem, est du masculin il désigne donc l'Époux. Et ce qui montre que c'est l'Épouse qui parle ainsi, ce sont les mots suivants : « Apprends-moi où tu conduis ton troupeau, où tu le fais reposer à midi, dans la crainte que je ne sois comme une inconnue autour des troupeaux de tes compagnons. » Remarque ce mot inconnue, pour bien connaître le sens. « Toi que chérit mon âme, apprends-moi où tu mènes ton troupeau, où tu le conduis à midi, dans la crainte que je ne devienne comme une inconnue autour des troupeaux de tes compagnons. »

Ici s'arrêtent les paroles de l'Épouse; voici maintenant et évidemment celles de l'Époux « Si tu ne te connais toi-même, ô la plus belle des femmes. » Il s'agit bien ici d'une femme « ô la plus belle des femmes. Si tu ne te connais toi-même, ô la plus belle des femmes, sors, va sur les traces des troupeaux et fais paître tes boucs près des tentes des pasteurs (1). » Considère ici les menaces de l'Epoux; considère comment à l'heure du danger, il met de côté toutes les caresses, malgré sa douceur. Avec quelle grâce l'Épouse lui disait : « Toi que chérit  mon âme, apprends-moi où tu conduis ton troupeau; où tu le fais reposer à midi. » Car viendra le moment de midi, quand les bergers courent chercher l'ombre, et j'ignorerais peut-être
 
 

1. Cant. I, 6, 7.
 
 

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où te conduis ton troupeau, où tu le fais reposer. Apprends-le moi donc, afin que je ne sois pas comme une inconnue, comme une étrangère. Je suis connue, il est vrai, mais je pourrais tomber, comme une inconnue et une étrangère, au milieu des troupeaux de tes commensaux. — En effet tous les hérétiques ont été chrétiens; avant d'être mauvais pasteurs et d'avoir au nom du Christ leurs troupeaux particuliers, ils étaient comme ses commensaux et mangeaient à sa table, ce que semble indiquer le terme latin qui les désigne ici. (1). Entends d'ailleurs comment lui-même se plaint de ces méchants en les regardant comme ses convives. « Si mon ennemi m'avait outragé, dit-il, je l'aurais supporté; s'il avait élevé ces graves accusations contre .moi, je me serais facilement dérobé à ses poursuites. Mais toi, mon intime, mon familier, le chef de mes conseils, toi qui mangeais amicalement à ma table (2). » Il y a donc beaucoup d'ingrats convives du Seigneur qui l'ont quitté, beaucoup de méchants qui ont voulu avoir leur table à part, qui ont dressé autel contre autel. C'est parmi eux que l'Épouse craint de s'égarer.

31. Tu crois peut-être que le mot midi désigne ici l'Afrique. Je pourrais démontrer que le midi dans le monde est plutôt l'Égypte et ces régions dévorées du soleil qui ne connaissent pas la pluie; c'est en effet au moment de midi, au milieu du jour que la chaleur se fait le plus vivement sentir. Or dans ces mêmes pays le désert est rempli, par milliers, de serviteurs de Dieu. Si donc nous voulions prendre l’expression de midi pour une expression de lieu, pourquoi ne dirions-nous pas plutôt que c'est dans ces régions que l’Epoux conduit son troupeau et le fait reposer ? N'a-t-il pas été prédit que « le désert sera fertile (3) ? »

Mais j'y consens, par midi entendons l'Afrique. Il y a donc en Afrique de mauvais serviteurs du Christ. Supposons maintenant que représentée par quelqu'un de ses enfants qui fait voile vers l'Afrique, l'Église d'outre-mer craigne de s'égarer; elle implore son Epoux et lui dit : J'apprends qu'il y a en Afrique un grand nombre d'hérétiques, des rebaptisants en grand nombre; j'apprends aussi que vous y comptez des, serviteurs fidèles: voilà deux choses qu'on me, dit, mais je veux savoir de vous-même quels sont vos serviteurs. « Vous que chérit mon âme, apprenez-moi où vous conduisez votre troupeau, où vous le faites reposer au midi; » dans cette
 
 

1. Sodales, quasi simul edales eo quod simul edant. — 2 Ps. LIV, 13-16. — 3. Joël, II, 22.
 
 

région méridionale où il y a, dit-on, deux partis, le parti de Donat et le parti qui demeure uni à tout votre univers. Dites-moi où je dois aller, « dans la crainte que je ne sois comme une inconnue autour des troupeaux de vos commensaux, » que je ne me jette au milieu des troupeaux d'hérétiques essayant de placer l'une sur l'autre des pierres qui s'écrouleront, que je ne m'égare au milieu des rebaptisants. L'Époux ne veut qu'un seul pasteur, puisqu'il a dit dans le texte que nous expliquons: « C'est moi qui ferai paître; » et il réprouve ces pasteurs qui ont cherché à se multiplier au détriment de l'unité. Il répond donc, non pas d'un ton doux, mais d'un ton sévère et proportionné à la gravité du péril : « Si tu ne te connais toi-même, ô la plus belle des femmes. » Tu es la plus belle des femmes, mais connais-toi. Où te connaîtras-tu ? Dans tout l'univers; car si tu es belle, il y a en toi unité, la division produisant la laideur, et non la beauté. « Si tu ne te connais toi-même. » Tu as cru en moi; connais-toi. Comment as-tu cru, en moi ? Comme y ont cru ces mauvais serviteurs; ils accordent que le Verbe s'est fait chair, qu'il est né d'une vierge, qu'il a été crucifié, qu'il est ressuscité, qu'il est monté au cieux : ne crois-tu pas ces vérités qu'ils publient? Connais-toi et connais-moi, moi dans le ciel et toi dans tout l'univers. Le Christ parle donc à un membre de l'Eglise comme à l'Église même. Comment en effet l'Église pourrait-elle chercher l'Église?

Je me mets à leur point de vue. « Toi que chérit mon âme, apprends-moi où tu conduis  ton troupeau, où tu le fais reposer. » Que cherche ici l'Épouse ? Elle cherche l'Église. Et comme, pour lui montrer cette Église, l'Époux répondrait, d'après eux: « Au midi. »

Qu'ils me disent maintenant comment l'Église cherche l'Église. « Toi que chérit mon âme, apprends-moi. » Qui parle ainsi? L'Église. Que demande-t-elle à, savoir ? « Où est conduit le  troupeau, où il repose, » en d'autres termes, où est l'Église. Ainsi l'Église demande où est l'Église, et l'Époux, estiment les Donatistes, répond qu'elle est au midi. Or si l'Église n'est qu'au midi, en Afrique comme ils prétendent, comment peut-elle demander elle-même où elle est ? N'est-ce pas plutôt une portion de l'Église d'outre-mer qui demande à ne pas s'égarer dans le midi ? Le Christ alors s'adresse à chacun des membres de son Église comme à l'Église elle-même : « Situ ne te connais toi-même; ô la plus belle des femmes, (201) « sors. » Sortir est le caractère des hérétiques. Ou connais-toi, ou sors; car si tu ne te connais pas, tu sortiras. Où sortiras-tu ? « Sur les traces des troupeaux, » à la suite des troupeaux égarés. Ne t'imagine pas qu'en sortant tu t'attacheras aux brebis fidèles, écoute ce qui vient ensuite. « Sors sur les traces des troupeaux, et pais tes boucs, » non plus tes brebis. Vous savez, mes frères, où seront placés les boucs. Seront placés à la gauche tous ceux qui auront quitté l'Église. Pierre demeure et on lui dit : « Pais mes brebis; » l'hérétique sort et on l'invite à paître ses boucs.

38. Nous avons, disent-ils, une autre autorité. — Elle ne te sera pas moins opposée. Quelle est-elle ? Ecoutons. Elle combattra ton sentiment autant que la première, que néanmoins tu croyais l'appuyer. — Si parle midi, reprennent-ils, on entend l'Egypte. — Nous donnons à ce mot plusieurs interprétations et en le prenant pour un nom de lieu, nous pouvons y voir et l’Egypte et l'Afrique même. Mais voici ce que j'entends par le midi. Le midi selon moi désigne la, ferveur spirituelle, la ferveur embrasée du feu de la charité, et éclairée de la lumière de la vérité. Il est dit en effet dans un psaume : le Faites-moi « connaître votre droite et ceux dont le coeur est rempli de sagesse. » — Votre droite, et non pas les boucs; ceux dont le coeur est rempli de sagesse; ils sont le midi, c'est pourquoi ces mots du Prophète : « Vos ténèbres seront comme le midi (1). » Nous pouvons donc interpréter diversement le mot midi; mais je veux bien parce terme entendre ici, entendre absolument l'Afrique. Tu me fournis par là une application meilleure peut-être que je ne l'aurais trouvée.

L'Église d'outre-mer craint donc de se jeter au milieu des rebaptisants, elle craint de tomber comme une étrangère au milieu des troupeaux qui ne sont pas de son Epoux, et elle lui demande où il conduit le sien, où il le fait reposer dans le midi. C'est que dans le midi il y a des troupeaux que le Christ conduit, il en est aussi qu'il ne conduit pas; il en est qu'il fait reposer, et d'autres au milieu desquels il ne repose pas. Il faut donc prendre conseil, se joindre à l'Église Catholique, ne passe jeter au milieu des sectes rivales et n'avoir pas à faire paître des boucs. Mais enfin tu avais autre chose à dire, qu'est-ce ? — Dieu viendra du côté de l'Auster (Africus) ; par conséquent de l'Afrique. — Quel témoignage ! « Dieu viendra du
 
 

1. Ps. LXXXIX, 12 ; Is. LVIII, 10.
 
 

côté de l'Auster, » par conséquent de l'Afrique! Ainsi, d'après les hérétiques, un second Christ naît en Afrique et se répand dans l'univers Que signifient ces mots: « Dieu viendra de « l'Auster ? » Si vous disiez que Dieu est resté en Afrique, il serait déjà honteux.de parler ainsi; mais vous allez jusqu'à affirmer que Dieu viendra de l'Afrique ! Ne savons-nous pas où le Christ est né, où il a souffert, d'où il est monté au ciel, d'où il a envoyé ses Apôtres, où il les a remplis du Saint-Esprit, où il leur a commandé d'évangéliser le monde entier? Ils lui ont obéi, l'Evangile remplit l'univers, et vous dites que Dieu viendra de l'Afrique !

39. — Explique-moi donc toi-même, ajoutes-tu, ce que signifient ces mots : Deus ab Africo veniet. — Lis tout le texte, peut-être alors comprendras-tu. — « Deus ab Africo veniet et Sanctus  de monte umbroso : Dieu viendra de l'Auster, le Saint viendra de la montagne ombragée. » — Explique-moi donc comment Dieu peut venir à la fois de l'Afrique et de la montagne ombragée. Le parti de Donat est né dans la Numidie ; des Numides ont été envoyés d'abord, par des Humides, porter la division, le trouble, le scandale et faire une large plaie. Sécondus, évêque de Tigisis, a envoyé des hommes pour cette oeuvre, et l'on sait où est Tigisis. Ces envoyés étaient des clercs,-ils appelèrent leurs partisans hors de (Église, sans vouloir se mettre en relation avec les clercs de Carthage; ils établirent un visiteur et furent reçus par Lucille (1). Ainsi l'auteur de tous ces maux fut un hérétique de Numidie. Mais dans ce pays de Numidie, d'où nous est venue cette calamité, on trouve à peine de quoi ombrager les mouches, il faut s'abriter dans des trous. Comment donc voir la Numidie dans cette montagne ombragée? Tout y est plaine, les campagnes y sont fertiles, mais en Llé; on n'y voit point d'oliviers, on n'y rencontre point d'agréables bocages. Comment doncvoirla montagne ombragée dans ces contrées de Numidie ? Comment, expliquer cette difficulté ?

40. — Expose-moi à ton tour, répond-il, ce que signifie: « Dieu viendra du côté de l'Auster, le Saint viendra de la montagne ombragée. » — Avec la plus grande facilité.. Remarque d'abord ce que dit le Seigneur : « Il fallait que le Christ souffrit et ressuscitât le troisième jour, et qu'en son nom la pénitence et la rémission « des péchés fussent prêchées parmi tous les peuples,
 
 

1. Voy. lettre 43, n°. 17, tom. 2, pag. 33.
 
 

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à commencer par Jérusalem (1). » Voilà d'où il viendra. Quand il dit: à commencer, il fait entendre que c'est de là qu'il viendra avec ses saints vers les autres peuples. Lis maintenant, au livre de Josué, le partage de la terre fait à toutes les tribus des fils d'Israël; il y est dit en propres termes : « Jébus, c'est-à-dire Jérusalem, du coté de l'Auster, ab Africo (2). » Lis, cherche, tu le trouveras. Puisses-tu croire après l'avoir trouvé, puisses-tu alors déposer tes préventions. « Jébus, c'est-à-dire Jérusalem, du côté de l'Auster. » Ainsi ces expressions du Seigneur: « à commencer par Jérusalem, » ont le même sens que celles-ci : « Dieu viendra du côté de l'Auster. »

Et la montagne ombragée ? Lis encore l'Évangile. C'est du mont des Oliviers que le Christ est monté au ciel. Conclus. Et qu'y a-t-il de plus clair ? D'une part: « du côté de l'Auster, » d'autre part : « à partir de, Jérusalem; » le premier texte est dans la Loi, le second dans l'Évangile. Non-seulement nous lisons : « à partir de Jérusalem, » dans le prophète, nous. y voyons encore : « Parmi tous les peuples. » Poursuis la lecture de ces mots que tu as méprisés, que tu as passés sous silence. « Dieu viendra du côté de l'Auster, le Saint viendra de la montagne ombragée, son ombre couvrira les montagnes, sa gloire remplira la terre (3). » N'est-ce pas ici : « parmi tous les peuples à commencer par Jérusalem ? Dieu viendra du côté de l'Auster, le Saint viendra de la montagne ombragée » et sombre; c'est-à-dire de la montagne des Oliviers; car de là il est monté au ciel et il a envoyé ses disciples; là encore il leur disait avant de les quitter : « Ce n'est pas à vous de connaître les temps et les moments que le Père a réservés en sa puissance, mais vous recevrez la vertu d'en haut, et vous me servirez de témoins. » Voyez comment débute la prédication : « Vous  me servirez de témoins à Jérusalem et dans la Judée, à Samarie et par toute la terre (4). » Ainsi donc, quand Dieu, quand le Christ est venu, son nom et la prédication de son Evangile sont partis de Jérusalem, c'est-à-dire du côté de l'Auster; de la montagne ombragée, ou du mont des Oliviers, pour se répandre parmi toutes les nations. « Son ombre, couvrira les montagnes, » son ombre, le rafraîchissement qu'il donne à l'âme, sa protection; et sa gloire remplit la terre. Chantez donc,
 
 

1. Luc, XXIV, 46, 47. — 2. Josué, XV, 8. — 3. Habac. III, 3. — 4. Act. I, 7, 8.
 
 

avec toute la terre, le cantique nouveau, et non le cantique ancien avec un coin de la terre.

41. Ils ont encore autre chose. — Simon le Cyrénéen, disent-ils, fut contraint de porter la croix du Seigneur (1). — C'est ce que nous lisons effectivement; mais quel argument est-ce pour toi? Je voudrais le savoir. — Les Cyrénéens poursuivent-ils, sont Africains; ainsi c'est un Africain qui a été contraint de porter la croix. — Ignorerais-tu où est Cyrène ? C'est à la fois une ville de la Lybie et une ville de la Pentapole, elle touche à l'Afrique et fait plutôt partie de l'Orient. Apprends-le au moins dans le tableau des divisions des provinces de l'Empire; car c'est l’Empereur d'Orient qui envoie un juge à Cyrène. D'où je conclus en peu de mots : où sont les Donatistes il n'y a pas de Cyrène; où est Cyrène il n'y a point de Donatistes. Cette incontestable vérité démasque l'erreur. Qu'on me montre Cyrène où sont les Donatistes, qu'on me montre les Donatistes où est Cyrène. Il est en effet  manifeste, mes frères, que l'Église Catholique s'étend dans la Pentapole et que là n'est point le parti de Donat.

Mais nous pouvons en toute sûreté rire de ce qui doit provoquer nos larmes, et pleurer ce dont nous devons rire. Que dis-tu ? Tu vantes ce Cyrénéen qui a porté la croix du Seigneur et tu  veux qu'il soit de l'Afrique. Il est de l'Orient; car il y a deux Lybies, l'une est vraiment en Afrique, et l'autre en Orient, tout près et vraiment limitrophe de l'Afrique. Admettons toutefois que Simon fut Africain. Tu l'estimes heureux d'avoir porté la croix forcément? Ne serait-il pas beaucoup plus juste de dire que l'Église du Christ est restée à Arimathie? Ce n'est en effet ni par force ni par contrainte que Joseph, ce riche d'Arimathie qui travaillait pour le royaume de Dieu, s'approchera de la croix du Seigneur. Pendant que les autres diciples tremblaient, il demanda à Pilate l'autorisation d'ensevelir le corps du Seigneur; il le déposa de la croix, lui fit des funérailles, le mit dans le sépulcre et mérita d'être loué clans l'Évangile (2). De ce que ce juste d'Arimathie rendit de si grands honneurs au corps du Sauveur, s'ensuit-il que l'Église est restée à Arimathie? Ou bien encore, si vous admirez davantage cet homme qu'il fallut contraindre à porter la croix, il s'ensuit que les Empereurs catholiques ont eu raison de vous forcer à rentrer dans l'unité.
 
 

1. Matt. XXVII, 32. — 2. Matt. XXVII, 57-60.
 
 

SERMON XLVII. LE TROUPEAU DU SEIGNEUR. (1).
 

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ANALYSE - Ce discours a été prononcé le lendemain du précédent; et dans Saint Augustin, comme dans le prophète Ézéchiel, il en est comme le développement et la suite. On peut y distinguer également deux parties : — I. Le châtiment dont sont menacées les brebis infidèles. —  1° Implorons avec larmes la miséricorde de Dieu, écoutons sa parole avec docilité, car il viendra sûrement nous juger; et pour être admis à la récompense promise aux bons, il est nécessaire d'avoir une conscience pure. 2° Ce qui provoquera d'abord la colère de Dieu, ce sont les scandales donnés aux faibles soit par les paroles, soit par les actions coupables. 3° Un autre motif de condamnation sera d'avoir, comme les Donatistes, absolument inexcusables, rompu et poussé à rompre l'unité. — II. Comment échapper à la vengeance divine? — 1° Nous attacher intimement à Jésus-Christ, l'unique et divin Pasteur descendu du ciel pour nous y conduire. 2° Etre fidèles au testament de paix et d'unité qu'il a laissé au genre humain racheté par lui. 3° Là nous trouverons les bénédictions célestes, la délivrance de nos maux, l'édification des païens, et la pleine jouissance de Dieu même.
 
 

1. Les paroles que nous avons chantées expriment ce que nous sommes, les ouailles de Dieu, et ce n'est point sans raison que nous implorons avec larmes la miséricorde de ce divin Pasteur. « Pleurons devant le Seigneur qui nous a formés, avons-nous dit, car il est lui-même le Seigneur notre Dieu. Ne désespérons pas d'ailleurs d'être exaucés par lui quand nous pleurons ainsi; n'a-t-on pas rappelé ce qui l'oblige en quelque sorte à nous écouter, quand on a dit: « Car il est le Seigneur notre Dieu, et nous sommes le peuple de ses pâturages et les brebis de ses mains (2) ? » Les bergers ordinaires et même les pères de famille qui possèdent des troupeaux n'ont pas formé eux mêmes les brebis qu'ils possèdent; mais le Seigneur notre Dieu étant à la fois et Dieu et créateur, a formé les brebis qu'il voulait posséder et paître; ainsi leur créateur n'est pas différent de leur pasteur, et leur pasteur n'est pas autre que leur créateur. Pleurons donc devant le Seigneur.

Dans ce siècle, d'ailleurs; nous ne sommes pas au comble de la prospérité. Quand nous plairons à Dieu dans la région des vivants, on essuyera nos larmes, et nous chanterons les louanges de Celui qui aura délivré nos, âmes des chaînes de la mort, nos pieds de l'abîme, et séché nos pleurs afin de nous rendre pour le Seigneur un spectacle agréable dans cette région des vivants (3). Mais dans la région des morts il est difficile de lui plaire; et cependant nous le pouvons, soit en appelant sa miséricorde et en nous abstenant du péché autant que nous le pouvons, soit, lorsque nous ne le pouvons pas, en le confessant et en le déplorant. Par là nous espérerons dans cette vie une autre vie, nous pleurerons en espérance
 
 

1. Ezéch. XXXIV, 17-31. — 2. Ps. XCIV, 6, 7. — 3. Ps. CXIV, 8, 9.
 
 

ou plutôt nous pleurerons en réalité et nous nous réjouirons en espérance.

2. Après avoir exprimé dans ce chant sacré que nous sommes les ouailles du Seigneur, le peuple de ses pâturages et les brebis de ses mains, écoutons ce qu'il nous dit comme à son troupeau. Dans la leçon précédente il s'adressait aux pasteurs; c'est aux brebis qu'il s'adresse dans celle d'aujourd'hui. Nous entendions la première, nous avec tremblement, et vous avec tranquillité: comment sera entendue celle d'aujourd'hui? Les rôles seront-ils changés ? Écouterons-nous avec tranquillité et vous avec tremblement? Point du tout. D'abord parce que nous sommes pasteurs, et qu'un pasteur écoute en tremblant non-seulement ce qui se dit aux pasteurs, mais encore ce qui se dit aux brebis. Aurait-il soin de celles-ci, s'il écoutait sans émotion ce qui s'adresse à elles? Ensuite, comme nous l'avons rappelé alors à votre charité, c'est qu'il y a en nous deux choses à considérer, notre qualité de chrétiens, et notre titre de supérieurs. Comme supérieurs, nous sommes mis au rang des pasteurs, si toutefois nous sommes bons; comme chrétiens nous sommes confondus avec vous au milieu des brebis. Soit donc que Dieu parle aux pasteurs ou aux brebis, nous devons tout écouter en tremblant et jamais nos coeurs ne peuvent être exempts de ces soucis qui nous portent à pleurer devant le Seigneur qui nous a formés.

3. Par conséquent, mes frères, prêtons l'oreille aux reproches adressés par le Seigneur aux brebis infidèles, et aux promesses qu'il fait à son troupeau. « Pour vous, mes brebis, voici ce que déclare le Seigneur Dieu. » Et d'abord, quel bonheur, d'être du troupeau de Dieu! On ne saurait y réfléchir, mes fières, sans ressentir une grande joie au milieu même des larmes et des (204) tribulations de cette vie. Car le troupeau dont on fait partie n'est pas sous la garde d'un berger que puissent déchirer les loups ou.surprendre les voleurs pendant son sommeil. A qui est-il dit : « Vous êtes le pasteur d'Israël (1)? » sinon à Celui de qui il est dit encore : « Jamais ne dort « ni ne sommeille le Gardien d'Israël (2)? » Soit donc que nous veillions, soit que nous dormions, toujours il veille sur nous; et si les troupeaux ordinaires sont en sûreté sous la garde d'un homme, quelle doit être notre sécurité, puisque nous sommes sous la houlette de Celui qui est à la fois notre pasteur et notre père?

4. Nous ne devons avoir qu'un soin, le soin d'entendre sa voix; nous sommes au temps de l'écouter puis qu'il n'a point fait paraître encore le temps de nous juger. Aujourd'hui en effet il parle et se tait; il parle en commandant, il se tait en jugeant. Aussi dit-il quelque part : « J'ai  gardé le silence; le garderai-je toujours (3)? » Comment a-t-il gardé le silence, puisqu'il ne peut l'affirmer qu'en parlant? Il ne se tait pas en disant qu'il se tait, puisque le dire c'est rompre le silence. Je vous écoute donc, Seigneur, car c'est vous qui nie parlez par tant de préceptes et de sacrements, par tant de pages et un si grand nombre de livres; je vous écoute jusque dans ces paroles : « J'ai gardé le silence, le garderai-je toujours? » Comment lavez-vous gardé? En ne disant pas encore aux uns : « Venez, bénis de mon Père, prenez possession du royaume, » ni aux autres : « Allez maudits, au feu éternel qui fut préparé pour le diable et pour ses anges (4). » Maintenant même que je prononce ces mots, je ne les dis pas solennellement comme je le ferai un jour.

Lorsqu'un juge doit rendre un arrêt définitif, lorsqu'il doit écrire sur les tablettes une sentence dernière, les parties ne l'entendent pas, elles sortent pendant qu'il écrit son jugement. Emues et inquiètes, elles se demandent, qui sera absous, qui sera condamné. C'est le secret du juge, aussi appelle-t-on secretarium ce lieu où il délibère, et la grande préoccupation des parties vient de ce qu'elles ignorent ce qu'il pense, ce qu'il écrit. Il n'est qu'un homme cependant et ceux qu'il juge ne sont que des hommes comme lui. Mais le Seigneur est notre Dieu, nous sommes le peuple de ses pâturages, les brebis de ses mains, et quoi qu'il soit notre créateur et nous
 
 

1. Ps. LXXIX, 2. — 2. Ps. CXX, 4. —  3. Isaïe, XLII, 14. — 4. Matt. XXV, 34, 41.
 
 

sa créature, immortel et nous mortels, invisible et nous visibles, il n'a point voulu nous laisser ignorer durant cette vie la sentence suprême qu'il rendra à la fin. Or on ne dit pas : Je condamne, quand on veut condamner, ni: Je frappe quand on veut frapper.

5. Dieu montre donc une grande bonté, une grande compassion, une grande douceur; mais nous ne devons point abuser de sa miséricorde pour nous corrompre, ni, puisqu'il supporte nos péchés, en augmenter le nombre, comme pour le charger davantage, sous prétexte qu'il ne souffre pas de la pesanteur de ce fardeau. Ces iniquités qu'il pardonne, qu'il tolère si longtemps, montrent sa patience et mettent le comble à notre culpabilité. « Ignores-tu, dit-il, que la patience de Dieu t'invite à la pénitence ? » C'est cette patience que le Prophète appelle silence quand il fait dire à Dieu: « J'ai gardé le silence, le garderai-je toujours? » Aussi en censurant les coupables auxquels il dit : « Tu prêches de ne point dérober et tu dérobes; tu déclares qu'il ne faut pas être adultère et tu commets l'adultère, » il s'écrie : « Méprises-tu les richesses de sa bonté et de sa longanimité? » Le crois-tu injuste, parce qu'il est bon, parce qu'il est patient, parce qu'il voit et se tait, parce qu'il voit et tolère? « Ignores-tu que sa patience t'invite à la pénitence? » Crois-tu, s'il se tait maintenant, qu'il se taira toujours ? « Par la dureté et l'impénitence de ton coeur, dit-il néanmoins, tu t'amasses un trésor de colère pour le jour de la colère et du juste jugement de Dieu, qui rendra à chacun selon ses oeuvres (1). »  Ainsi donc il se tait, mais se taira-il toujours?

Il dit dans le même sens, après avoir rappelé certains péchés : « Voilà ce que tu as fait et je « me suis-tu, » en d'autres termes : Tu as fait cela et je ne t'ai point puni : « tu as iniquement soupçonné que je te serai semblable. » C'est en effet ce que plusieurs s'imaginent lorsqu'après avoir fait beaucoup de maux ils observent qu'ils n'en éprouvent aucun; non contents de se plaire dans leurs crimes, ils croient que ces crimes plaisent à Dieu même; l'impiété va si loin que l'impie contempteur s'imagine Dieu semblable à lui. En vain par ses avertissements, ses enseignements, ses exhortations et ses reproches Dieu l'appelle à sa divine ressemblance, loin de chercher à ressembler à Dieu il veut abaisser Dieu jusqu'à sa propre similitude. N'est
 
 

1. Rom. II, 4, 21, 5, 6.
 
 

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ce point là une indignité plus grande que tous les crimes dont il ne se corrige point? « Tu as  iniquement soupçonné que je te serai semblable. » Et après? «Je t'accuserai (1). » Pourquoi? « J'ai gardé le silence, le garderai-je toujours?

Voilà donc, mes frères, ce que dit le Seigneur, ce qui m'effraie autant que vous. Tous en effet nous espérons en lui, et nous devons le craindre en même temps, car en l'offensant nous n'obtiendrions pas ce que nous espérons de lui, mais nous ressentirions sa justice méprisée. Ainsi écoutons-le comme ses brebis, tandis qu'il parle en gardant le silence, tandis qu'il nous avertit sans nous juger encore, tandis que nous pouvons écouter, lire même ce que nous dit Celui qui nous a créés.

6. « Pour vous, dit-il, mes brebis, voici ce que déclare le Seigneur Dieu. Je viens juger entre les brebis et les brebis, entre les béliers et les boucs. » Que font les boucs dans le troupeau de Dieu? Ils vont aux mêmes pâturages et aux mêmes fontaines, destinés à être placés à la gauche ils sont mêlés à ceux de la droite, on les supporte avant de les éloigner: c'est pour excercer la patience dés brebis et les former à l'image de la patience de Dieu. Un jour en effet il fera la grande séparation, mettant les uns à sa droite et les autres à sa gauche.

Maintenant donc il se tait, et toi, tu veux parler? Et de quoi veux-tu parler? De ce qu'il garde sous silence, de la sentence du jugement et non des avertissements. Il ne fait pas la séparation, et tu veux la faire. Après avoir semé son champ il y supporte le mélange, et toi tu veux nettoyer le froment avant que soit venu le moment de vanner. N'est-ce pas te vanner misérablement toi-même? Des serviteurs ont pu dire : « Voulez-vous que nous allions l'arracher? » Indignés et attristés de voir l'ivraie mêlée au bon grain, ils ont demandé : « N'avez-vous pas semé de bon grain? D'où vient donc cette ivraie? » Le Père de famille en expliqua l'origine, mais il ne voulut point qu'on l'arrachât avant le temps déterminé. Tout fâchés qu'ils étaient, ces serviteurs demandèrent le conseil et l'ordre du Maître. Ils n'aimaient pas cette ivraie dans le champ, mais ils comprenaient aussi qu'en l'arrachant d'eux-mêmes, ils mériteraient de lui être comparés. Aussi attendirent-ils l'ordre du Maître, demandèrent-ils le consentement de leur Roi : « Voulez-vous que nous allions l'arracher? Non, répondit
 
 

1. Ps. XLIX, 21.
 
 

Celui-ci, » et il en donna la raison : « c'est qu'en voulant arracher l'ivraie, vous pourriez aussi déraciner le froment. » De cette façon il apaisa leur colère et consola leur douleur. Ils souffraient de voir cette ivraie au milieu du froment, et c'était une chose vraiment regrettable. Mais autre chose est la destination du champ, autre chose le repos du grenier. Supporte donc, car tu es né pour cela; supporte, car peut-être il a fallu te supporter aussi. As-tu toujours été bon? Prends des sentiments de miséricorde. As-tu été quelque temps mauvais? N'en perds pas le souvenir. Qui d'ailleurs a toujours été bon? Ah! si Dieu voulait t'examiner, il lui serait plus facile aujourd'hui même de te trouver mauvais, qu'à toi de te trouver toujours bon. Il faut donc souffrir l'ivraie au milieu du froment, les boucs parmi les béliers et les chevreaux parmi les brebis.

Et le froment? « Au temps de la moisson je dirai aux moissonneurs : Arrachez d'abord l'ivraie et liez-la en gerbes pour la brûler, mais le froment, rassemblez-le dans mon grenier. » Le mélange qu'on voit dans le champ disparaîtra donc, puis viendra le discernement de la moisson. Le Seigneur aujourd'hui nous commande la patience et il nous en donne l'exemple quand il dit : Si je voulais juger maintenant, le ferais-je injustement ? Si je voulais juger aujourd'hui, pourrais-je me tromper? Or si je diffère de juger, moi qui juge toujours avec justice et sans pouvoir me tromper; comment oses-tu juger si prématurément, toi qui ignores la sentence qui sera prononcée contre toi ?

Considérez de plus, mes frères, comment malgré leur demande il ne permit pas à ses serviteurs d'arracher l'ivraie, même à l'époque de la moisson. « Au temps de la moisson, ajoute-t-il, je dirai aux moissonneurs. » Il ne dit pas : Je vous dirai. — Mais ses serviteurs ne seront-ils pas les moissonneurs? — Non, car en expliquant les détails de la parabole, il dit: « Les « moissonneurs sont les anges. (1) »

Homme environné de chair, chargé de chair et peut-être tout charnel, aussi charnel par l'âme que par le corps, tu oses donc usurper dès maintenant un ministère étranger qui plus tard même, à la moisson, ne te sera point confié! Voilà pour la séparation de l'ivraie.

Mais qu'est-il dit des boucs? « Quand le Fils de l'homme viendra et tous les anges avec lui,
 
 

1. Matt. XIII, 24-30 ; 37-43.
 
 

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il s'assiéra sur le trône de sa gloire. Et toutes les nations seront rassemblées devant lui, et il les séparera comme le pasteur sépare les brebis d'avec les boucs (1). » Il viendra donc pour séparer, la moisson viendra et la séparation aura lieu. Ainsi nous ne sommes pas au temps de la séparation, mais de la souffrance. Ce que nous ne disons pas, mes frères, pour endormir le devoir de la correction. Ah! plutôt, afin de n'arriver point à ce jugement sans avoir pris de précautions, afin de ne pas nous trouver tout-à-coup à la gauche comme des aveugles qui n'ont pas pris garde à leur cécité, soumettons-nous à la règle et ne nous empressons pas de juger.

7. Que fera donc le Seigneur? « Je viens prononcer entre les brebis et les brebis, entre les béliers et les boucs. » Je prononce : quelle sécurité! quelle sécurité pour les bons puisque c'est le Seigneur qui juge en personne! C'est un juge que nul adversaire ne corrompt, que nul avocat n'éblouit, qu'aucun témoin ne tromperais autant les bons sont tranquilles, autant doivent craindre les méchants. Ils n'ont pas affaire à un juge à qui l'on puisse rien cacher. Pour se prononcer en effet, Dieu ira-t-il -chercher des témoins pour apprendre ce que tu es? Eh ! comment ne saurait-il pas exactement ce que tu es, puisqu'il savait ce que tu devais être? C'est toi qu'il interroge et non un autre, sur toi-même. « Le Seigneur, est-il dit, interroge, le juste et l'impie (2). » Or, s'il t'interroge, ce n'est pas pour être éclairé par toi, mais pour te confondre.

Dès lors que nous avons un tel juge, un juge que personne ne saurait tromper ni en notre faveur ni contre nous, vivons de manière à ne pas redouter le jugement qu'il doit rendre, mais à l'espérer et à le désirer. Le froment craint-il d'être mis au grenier? Ne le souhaite-t-il pas, ne le désire-t-il pas avec ardeur? Les brebis craignent-elles d'être placées à la droite? Ah! plutôt, rien ne leur tarde comme cet heureux moment. C'est du fond du coeur et avec la plus entière sincérité qu'elles disent en priant: «Que votre règne arrive ; » tandis que le méchant, à ces paroles, sent son coeur trembler et sa langue incertaine. Comment peux-tu dire : « Que votre règne arrive ? » Il viendra sans doute, mais que trouvera-t-il en toi? Vis donc de manière à pouvoir prier tranquillement. Et si tu as
 
 

1. Matt. XXV, 31, 32. — 2. Ps. X, 6.
 
 

conscience de quelque égarement et de quelque péché, tu y trouveras un remède dans ta prière même. « Remettez-nous nos dettes comme nous remettons à ceux qui nous doivent (1). »

Si tu es débiteur, Dieu a voulu aussi que tu aies un débiteur. Tu te fais en péchant l'ennemi de Dieu; n'as-tu pas aussi quelque ennemi? Remets, et on te remettra. Ce que tu fais, toi sujet au péché, te sera fait aussi par Celui qui ne peut être condamné pour aucun péché. Si au contraire, pauvre mortel plongé dans le péché, tu ne pardonnes pas à qui a péché contre toi; si tu ne considères pas en lui ta propre fragilité et si dans l'avenir lu ne redoutes aucune chute pour ta faiblesse : comment le traitera Celui qui juge avec l'assurance que donne l'exemption de toute faute?

8. Il faut donc s'appliquer à avoir une conscience pure, et si nous y sentons quelque embarras, prévenons l'avènement du Seigneur par la confession ; ce sont précisément les paroles que nous avons entendues pendant qu'on chantait le psaume (2). Prévenons-le dans la crainte qu'il ne nous prévienne. Il ne se vengera point après que nous nous serons confessés; si nous-mêmes alors nous ne recommençons pas nos iniquités. Préviens-le avant d'être prévenu. Car il est certain qu'il viendra, et tu perdras tout si tu ne désires point ce qu'il apportera. Il viendra même malgré toi, et retarderas-tu son arrivée en t'y opposant? Il connaissait l'heure où il devait être jugé, il connaît également l'heure où il doit juger. Il viendra donc; à toi de voir ce que tu seras alors: Tu es aujourd'hui embarrassé? Confesse-toi aujourd'hui, délivre-toi aujourd'hui de cet embarras, et on te pardonne, et tu es à l'aise. Tu n'as pas à dire que Dieu diffère de pardonner; hâte-toi plutôt de courir au remède. Je vois dans ton âme quelque chose qui te tourmente; mais si tu es tourmenté, quelque chose t'est demandé. S'il se trouvait dans ta demeure une pierre qui te choquât les yeux, tu la ferais ôter, surtout dans le cas où tu devrais donner l'hospitalité à un homme qui fût un peu au dessus de toi. Mais invoquer Dieu c'est l'appeler en toi; comment y viendra-t-il si tu n'as rien purifié pour le recevoir? Te sens-tu incapable d'ôter de ton coeur les souillures que tu as contractées volontairement toi-même? Prie-le de te purifier; invite-le à entrer. Mais il faut te hâter, maintenant qu'il parle en avertissant et se tait en jugeant.
 
 

1. Matt. VI, 10, 12. — 2. Ps. XCIV, 2.
 
 

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9. Il a nommé les boucs, il a nommé les béliers et il prononce entre eux. Que leur dit-il? « N'était-ce pas assez pour vous de paître en de fertiles pâturages, sans fouler aux pieds ce  qui en restait? de boire une eau pure, sans troubler le reste avec vos pieds? Ainsi mes brebis paissaient ce que vous aviez foulé aux pieds, et buvaient l'eau que vos pieds avaient troublée.»

Que signifie ce langage ? Dieu a de bons pâturages et de pures fontaines, le tout dans l'Ecriture. Quels sont ceux qui y boivent les eaux tranquilles, qui y paissent les bons pâturages en foulant le reste aux pieds et en troublant l'eau pour que les autres brebis n'aient plus que des herbes flétries et une, eau troublée, ce qui, sous le voyez, déplait au Pasteur suprême, lequel dit alors et pour faire cesser ce désordre : « Je viens prononcer entre les brebis et les brebis? » Il est beaucoup d'hommes qui apprennent avec calme et enseignent avec émotion, qui ont un maître plein de patience et sévissent contre leurs disciples. Qui ne sait en effet avec quelle tranquillité nous instruit l'Ecriture? Un homme l'ouvre donc, il lit les commandements de Dieu, il les lit et les comprend. C'est un homme qui boit tranquillement à une source paisible, il paît dans de verts et salubres herbages. Quelqu'un vient à lui pour apprendre quelque chose, il se fâche alors, il se trouble, il lui reproche son peu d'habileté à comprendre, et en l'impressionnant ainsi, il est cause qu'il comprend moins ce qu'il pouvait entendre paisiblement.

10. En parlant ainsi, mes frères, je ne prétends point qu'il ne faille pas quelquefois adresser des reproches à la dureté ; cette incomparable sérénité de la Vérité même ne l'a-t-elle pas fait quand elle a dit : « O insensés et lents de coeur à croire (1) ? » Mais il est nécessaire d'agir alors avec l'intention de rendre attentif, d'exciter l'activité, de dissiper peut-être les nuages qu'ont élevés dans l'esprit les soucis du siècle ; car il peut arriver qu'en s'appliquant à d'inutiles pensées on devienne incapable d'écouter un enseignement utile. Lors même d'ailleurs que l'on remarquerait en soi cette pesanteur d'intelligence, il est bon de la reprendre dans autrui pour exciter ainsi à recourir à Dieu et à obtenir de lui la délivrance de cette lenteur et la connaissance de la vérité. De deux choses l'une ou bien c'est par négligence que nous
 
 

1. Luc, XXIV, 25.
 
 

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comprenons peu ce qu'on nous dit, il faut alors nous en corriger ; ou bien c'est par pesanteur d'esprit, et en nous en accusant on nous portera à implorer le secours de Dieu. II ne faut donc pas blâmer les docteurs qui agissent ainsi; mais s'ils le font avec amertume, avec un esprit jaloux, ils foulent aux pieds les pâturages et troublent les fontaines; ils voudraient profiter seuls de ce qu'ils peuvent connaître. Caractères méchants, animés d'une, infernale envie, honteusement blessés non pas au corps mais au coeur, il lisent et ils comprennent. Les interroge-t-on C'est au dessus de ta portée, répliquent-ils; j'irai te confier ces secrets? Es-tu digne de lire ou d'entendre ces choses? — Malheureux, pourquoi troubler cette eau? La source ne jaillit-elle pas pour vous deux? Pourquoi fouler ces herbes qui appartiennent à tous? Est-ce toi qui as répandu la pluie pour les faire grandir?

11. Les mêmes paroles prêtent à une autre application qui n'est point dénuée de fondement. Il y a des hommes qui se contentent d'une bonne conduite et du témoignage favorable que leur rend leur conscience, sans se soucier beaucoup de ce qu'on peut penser d'eux. Ils ignorent donc qu'en voyant un homme de bien vivre avec une certaine liberté, se mêlant indifféremment à tous et partout, sachant qu'il n'y a point d'idoles et s'asseyant néanmoins dans un temple d'idoles, une conscience faible se porte alors non pas vers l'idée secrète qui dirige mais vers ce qu'elle soupçonne (1). Cet égal, ce frère ne saurait pénétrer dans ta conscience que Dieu connaît. Si ta conscience est exposée aux yeux de Dieu, ta vie extérieure frappe les regards de ton frère; et s'il conçoit de mauvais soupçons, si dans son trouble il se détermine à faire ce qu'il estime que tu fais toi-même, alors, que lui importe que tu boives une eau pure puisque par suite de ton indifférence il boit une eau troublée ?

12. Quand nous les reprenons pour une telle conduite, ces hommes nous objectent ces paroles de l'Apôtre : « Si je plaisais encore aux hommes, je ne serais point serviteur du Christ (2). » Ici encore tu troubles l'eau et tu foules les pâturages. Comprends mieux et prends garde de troubler l'eau pour toi-même. Oui, l'Apôtre a dit : «Si je plaisais encore aux hommes, je ne serais point serviteur du Christ; » je le saisis parfaitement, c'est une excellente maxime apostolique. Mais n'as-tu pas lu aussi dans le même Apôtre:
 
 

1. I Cor. VIII, 10. — 2. Galat. I, 10.
 
 

208
 
 

« Complaisez à tous en toutes choses, comme moi-même je complais à tous en toutes choses, ne cherchant pas ce qui m'est avantageux, mais ce qui l'est au grand nombre, afin qu'ils soient sauvés; » et encore : « Ne soyez une occasion de scandale ni pour les Juifs, ni pour les Gentils, ni pour l’Église de Dieu (1)? » N'as-tu pas entendu cet Apôtre dire encore : « Nous tâchons de faire le bien, non seulement devant Dieu mais aussi devant les hommes (2)? »

Explique-moi donc, reprend mon adversaire, de quelle manière je dois accorder des pensées aussi diverses et aussi contraires. Ici l'Apôtre dit « Si je plaisais encore aux hommes, je ne serais pas serviteur du Christ; » là : « Complaisez à tous en toutes choses comme je complais moi-même en toutes choses; » ici: « Voici notre gloire, c'est le témoignage de notre conscience (3) ; » là : « Nous tâchons de faire le bien, non-seulement devant Dieu, mais encore devant les hommes. »

Veux-tu m'écouter tranquillement? Veux-tu ne pas troubler l'eau en toi-même? je parviendrai peut-être, en m'y employant de toutes mes forces, à résoudre la difficulté. Il y a des hommes qui jugent témérairement, qui déchirent la réputation, qui calomnient dans l'ombre, qui murmurent, qui cherchent à deviner ce qu'ils ne voient pas et qui vont même jusqu'à publier ce qu'ils ne croient pas: quelle autre ressource contre ces caractères que le témoignage, de notre conscience? Lors même que nous voulons plaire à quelqu'un, ce n'est pas notre gloire que nous cherchons ou que nous devons chercher, mais le salut d'autrui; nous devons désirer, si nous nous conduisons bien qu'on ne s'égare pas en nous suivant, qu'on nous imite si nous imitons Jésus-Christ (4), et si nous ne l'imitons pas qu'on le prenne pour modèle. Il est en effet le pasteur de son troupeau, il en est même le seul pasteur dans la personne de tous ceux qui le paissent saintement, parce que tous ne forment avec lui qu'un pasteur. Ainsi donc ce n'est pas notre avantage que nous avons en vue quand nous voulons plaire aux hommes; nous sommes heureux qu'ils aiment ce qui est bon, et cela pour leur profit et non pour notre gloire. On voit par là qui accusait l'Apôtre par ces paroles : « Si je plaisais encore aux hommes, je ne serais pas serviteur du Christ, » et en faveur de qui il prononçait celles-ci : « Plaisez à tous en toutes
 
 

1. I Cor. X, 33, 32. — 2. II Cor. VIII, 21. — 3. II Cor. I, 12. — 4. Ib. IV, 16.
 
 

choses, comme en toutes choses je plais moi« même à tous. » Tout est clair, tout est calme, tout, est pur et limpide ; à toi maintenant de paître et dé boire sans rien troubler, sans fouler rien aux pieds.

13. N'as-tu pas entendu le Maître des Apôtres, Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même s'exprimer ainsi : « Que vos oeuvres brillent devant les hommes afin qu'ils voient vos bonnes actions et glorifient votre Père qui est dans les cieux (1); » votre Père qui vous a faits si bons ? Car nous sommes le peuple de ses pâturages et les brebis de ses mains (2); d'ou il suit que si tu es bon, c'est lui qu'il en faut louer et non pas toi, puisque de toi-même tu ne pouvais être que mauvais. Pourquoi accuser la vérité de se contredire : vouloir être loué quand tu fais le bien, et quand tu fais le mal l'imputer au Seigneur? S'il a dit : « Que vos bonnes oeuvres brillent devant les hommes, » il a dit aussi dans le même discours : « N'accomplissez pas devant les hommes votre justice. » Dans l'Évangile se remarque donc la même apparente contrariété que dans l'Apôtre. Mais situ ne troubles point en toi l'eau mystérieuse, tu reconnaîtras ici également l'accord dés Écritures et tu ne te mettras point en désaccord avec elles.

Considérant en effet ces hommes qui se flattent publiquement, qui se vantent parce qu'ils regardent les éloges d'autrui comme la fin et; la récompense de leurs bonnes œuvres, « En vérité je vous le déclare, dit le Seigneur, ils ont reçu leur récompense, » et pour nous défendre de les imiter: «Gardez-vous, ajoute-t-il, d'accomplir votre justice devant les hommes,» en vous proposant comme but « d'être remarqués par eux (3), » et sans pousser votre intention au delà. Non, ne cherchez pas, dans le bien que vous faites, à être vus des hommes, ne mettez pas votre fin dans leur estime, ne vous bornez pas à désirer d'être regardés par eux. En nous recommandant de faire le bien devant eux, il ne veut donc pas bue nous nous arrêtions là; après avoir dit; « Que vos bonnes oeuvres brillent devant le hommes pour qu'ils en soient témoins, » il passe outre, il t'élève plus haut, au dessus de toi-même, car en restant en toi tu tomberais infailliblement, et il te met en lieu sûr : « Qu'ils voient vos bonnes œuvres, et qu'ils glorifient votre Père qui est dans les cieux. » Ne te fâche point de le voir glorifier, demeure en lui et tu seras glorifié
 
 

1. Matt. V, 16. — 2. Ps. XCIV, 9. — 3. Matt. VI, 12.
 
 

avec lui. « Aucune chair, dit l'Apôtre, ne se doit glorifier en sa présence. » S'ensuit-il que nous resterons sans gloire? Non, car il ajoute : « Que celui qui se glorifie se glorifie dans le Seigneur (1). » Le témoignage de notre conscience n'est en effet notre gloire qu'autant que nous nous glorifions en lui, et si cette gloire consistait à nous plaire à nous-mêmes, à nous rendre agréables à nos propres yeux, ne voyons-nous pas que se plaire ainsi à soi-même c'est plaire à un insensé?

14. Ainsi donc, mes frères, ne nous contentons pas de bien vivre, ayons soin aussi de bien nous conduire devant les hommes ; qu'il ne nous suffise pas d'avoir bonne conscience, travaillons encore, autant que le peuvent notre faiblesse et toute l'activité de la fragilité humaine, à ne rien faire qui inspire de fâcheux soupçons à l'infirmité de notre frère; car en paissant dans de purs herbages et en buvant une eau limpide, nous foulerions aux pieds les pâturages du Seigneur, nous réduirions ses brebis à ne manger que des aliments flétris, à ne boire qu'une eau troublée. Ne serait-ce pas notre malheur, puisqu'il a dit : « Je viens prononcer entre les brebis et les brebis? »

15. « C'est pourquoi voici ce que leur dit le Seigneur Dieu : C'est moi qui juge entre les brebis grasses et les brebis maigres. » C'est une pensée nouvelle. Il nous a été parlé de ceux qui foulent l'herbe et troublent l'eau. Voici une autre espèce de désordre et de désordre considérable. Il n'est plus dans la suite fait mention des boucs; leur nom a été prononcé une fois seulement pour nous rappeler qu'il y en a, car Dieu les connaît. On dirait maintenant qu'il n'y a que des brebis. Dieu a donc parlé d'abord d'après ces propres idées, il parle maintenant d'après les nôtres. Il voulait faire entendre aux brebis qu'il y a des boucs dans le troupeau et, qu'à la fin ils en seront séparés; mais aujourd'hui nous ne voyons en quelque sorte que brebis et brebis. Si Dieu seul sait qu'il y a des brebis et des boucs, c'est uniquement en vertu de la prédestination et de la prescience, car il peut seul prédestiner et connaître d'avance tous ceux qui maintenant marchent sous l'étendard du Christ et parviennent à la grâce de Dieu. Quoique tu te croies une brebis, il est donc possible que Dieu te regarde comme un bouc. Cependant écoute comme brebis ce qui t'est adressé : « C'est moi
 
 

1. I Cor. I, 29, 31.
 
 

qui juge entre les brebis grasses et les brebis maigres. »

16. « Parce que vous heurtiez de l'épaule et des cornes toutes les brebis infirmes, jusqu'à ce que vous les eussiez chassées du troupeau. » Qui ne comprendrait cela? Qui n'en frémirait? S'il n'y a point de brebis hors du troupeau, le prophète est menteur; et si nous avons à déplorer qu'un grand nombre en soient éloignées, malheur à qui les a poussées de l'épaule et des cornes ! Mais qui peut le faire, sinon les brebis vigoureuses? Et quelles sont-elles, sinon celles qui présument de leurs forces? Quelles sont-elles, sinon celles qui se glorifient de leurs vertus? Non, il n'y a eu pour diviser le troupeau et pour séparer les brebis, que ceux qui se prétendent justes; ardents pour pousser, parce qu'ils ne portent pas le joug de Dieu; hommes méchants et amis perfides, ils ne s'unissent que par opiniâtreté; coeurs superbes, leur orgueil se dresse avec insolence. Heurte donc de l'épaule et des cornes, chasse les brebis que tu n'as point produites. Si tu agis ainsi, c'est uniquement, sans doute, parce que tu es juste, que les autres sont injustes et que c'était une indignité que les justes fussent mêlés aux pécheurs; c'est-à-dire que c'était une indignité que le froment fût mêlé à l'ivraie, une indignité enfin que les brebis fussent confondues avec les boucs dans les mêmes pâturages, jusqu'à l'arrivée de ce suprême Pasteur qui ne peut se méprendre en les séparant. Es-tu donc l'ange chargé d'arracher l'ivraie ? La moisson fût-elle arrivée, je ne te reconnaîtrais pas pour cet ange. Mais avant la moisson je ne vois d'ange véritable ni dans toi ni dans qui que ce puisse être. Celui qui nous a dit que les anges seraient les moissonneurs, a fait connaître, aussi le temps de la moisson. Des hommes peuvent affirmer qu'ils sont des anges; nous voyons même dans l'Écriture ce nom donné à quelques-uns; mais je considère l'époque de la récolte. Si tu peux te présenter comme un ange, tu ne saurais hâter cette époque. En nous disant que tu l'es, tu mens assurément puisque le moment de l'être n'est pas encore venu. Aussi quand ce moment sera arrivé et que Dieu enverra ses vrais moissonneurs, je ne sais en quel état ils te trouveront, s'ils devront te vanner pour te placer au grenier, ou te lier pour te jeter au feu. Si je parle ainsi, c'est que je n'ose juger; mais je te plains hautement, parce que je ne sais ce que tu deviendras intérieurement.

17. Apprends néanmoins d'un autre passage (210) l'idée que l'Écriture donne de toi pendant ta vie et garde-toi de vouloir arracher l'ivraie- avant l'époque fixée, rentre plutôt en toi-même quand il en est temps encore. Il est donc, dit dans un autre livre des divines Écritures : « Le fils méchant se prétend juste (1). » Voilà ton audace et ton orgueil. Ta force est mal employée, la faiblesse ne serait-elle pas préférable? Ta force est mal employée, elle n'est pas la santé. Ta force est mal employée, c'est le phrénétique qui se jette sur son médecin même. Ah! combien il vaudrait mieux, combien il serait pour toi plus avantageux d'être faible, afin d'être fortifié par Celui qui connaît ton faible? Vois l'Apôtre Paul, ce vase d'élection; dans la crainte qu'il né s'enorgueillît de ses révélations, ce que nous n'oserions dire s'il ne disait lui-même : « De peur que la grandeur des révélations ne m'élève, il m'a été donné un aiguillon dans ma chair, un ange de Satan pour me souffleter, » dans la crainte donc qu'il ne s'enflât il était souffleté; c'est pourquoi, continue-t-il, j'ai demandé « trois fois au Seigneur qu'il m'en délivrât, et il m'a répondu : Ma grâce te suffit, car la vertu se perfectionne dans la faiblesse (2). » Combien donc la faiblesse qui se perfectionne vaut mieux que la force qui repousse les brebis et les heurte pour les éloigner ! Ainsi tu es un fils mauvais et tu te dis juste!

« Le fils mauvais se dit juste, mais il ne justifie pas sa séparation. » Remarquez cette pensée, mes frères, elle est exprimée en peu de mots mais elle est d'un grand sens. « Il se dit juste, » pour sortir lui-même et faire sortir autrui. « Il se dit juste, mais il est méchant; » aussi « ne justifie-t-il point sa séparation. » Il ne la justifie point, il ne saurait l'excuser. Pourquoi t'es-tu séparé? Pourquoi es-tu- sorti? Pourquoi ton coeur tremble-t-il quand tu lis dans les livres sacrés: « Ils sont sortis d'avec nous, mais ils n'étaient pas de nous (3)? » Et toutefois cette force trompeuse qui poussé, qui heurte, qui éloigne les brebis de Dieu, permet-elle à la crainte d'aller jusques à ton coeur? Celui qui disait. « Ils sont sortis d'avec nous, mais ils n'étaient pas de nous, » était sans aucun doute dans l'Église, et l'Église est répandue dans tout l'univers. Que fais-tu dehors ? Ce n'est pas moi qui fais connaître cette diffusion de l'Église dans tout l'univers; elle a été annoncée avant moi par les prophètes, par les Apôtres, par le Seigneur lui-
 
 

1. Prov. XXIV. sel. LXX. — 2. II Cor. XII, 7-9 — 3. I Jean, II,19.
 
 

même. Quand on lisait le psaume, il n'y a qu'un instant, nous avons entendu ces mots : « Le Seigneur ne rejette pas son peuple; » et comme si l'on eût demandé : Quel peuple? « parce que dans sa main, poursuit le prophète, sont les extrémités de la terre (1). » Il ne repousse pas son peuple, et toi tu le pousses, tu le heurtes, tu le chasses; tu parles de traditeurs; mais sans le prouver. C'est ici l'orgueil de l'ennemi et non la douceur du pasteur. Le peuple de Dieu occupe donc jusqu'aux extrémités de la terre; le peuple de Dieu gémit et pleure devant ce Dieu qui l'a créé; le psaume nous le montré disant au Seigneur en pleurant devant lui : « Des extrémités  de la terre j'ai crié vers vous quand mon coeur était dans l'angoisse. » Vois comme il s'humilie dans sa détresse. Et qu'a-t-il obtenu? « Vous m'avez élevé sur la pierre (2); » sur la pierre, c'est-à-dire sur le Christ; vous ne m'avez point précipité du haut de la montagne de Donat.

Va maintenant, secoue tes cornes, bats-toi les flancs, élargis tes épaules, pousse les brebis et dis : Je suis juste. L'Écriture te répondra : Non, tu es mauvais : « le fils mauvais se dit juste. » Si tu es juste, pourquoi sors-tu? pourquoi chasses-tu? Que fais-tu dehors avec ceux que tu entraînés? Tu prétends être comme une brebis qui fuis les boucs. Ah! il vaudrait mieux que le Pasteur te séparât d'eux pour te placer à sa droite, que d'être confondu au milieu d'eux à la gauche. Ils étaient des boucs et tu es une brebis; tu devrais donc paître avec eux. En quoi t'avaient nui les pâturages ou les fontaines? Que t'avait fait le Pasteur lui-même? Car c'est lui qui a mêlé provisoirement les brebis et les boucs; et quoi qu'il puisse les séparer quand il lui plaira, il a voulu toutefois réserver jusqu'à la fin cette séparation, que sans se tromper il pourrait faire dès aujourd'hui.

Il la diffère donc jusqu'à la fin; tu la fais, toi, auparavant. Tu n'attends pas la fin, et tu ne sais quand arrivera la tienne. D'où vient ce désordre, sinon de ce qu'en accusant tes frères d'être des boucs tu les as accusés injustement? Car ton accusation fût-elle fondée, tu ne les aurais pas quittés. Ta conduite les justifie. S'ils étaient de l'ivraie, pourquoi avoir voulu la séparer avant le temps? Puisque tu, te crois le froment, ne devrais-tu pas demeurer avec elle, être enraciné dans le même champ et arrosé de la même pluie? Pourquoi donc es-tu sorti ? Trouves-tu
 
 

1. Ps. XCIV, 4. — 2. Ps. LX, 3.
 
 

quelque excuse? Tu accuses, mais tu ne convaincs pas, et en sortant prématurément, en te séparant, tu es convaincu toi-même. Reconnais que tu es un fils mauvais : tu te dis juste et tu ne justifies point ta séparation.

Je ne dirai point: C'est toi plutôt qui es un traditeur. Si pourtant je le disais, je le prouverais aisément; mais je ne le dis point, parce que c'est aux tiens et non à toi que ce fait doit être imputé. Je ne te rends point responsable des faits d'autrui, des faits même de ton parti. Je considère ta conduite et je t'accuse d'être dehors, j'accuse ta séparation. J'écarte tout ce qu'on peut dire contre vous autres. Je ne parle, ni de vos scènes d'ivresse, ni de vos usures- accumulées les unes sur les autres. Je ne parle ni des bandes ni des fureurs des Circoncellions ; j'omets tout cela et beaucoup d'autres choses qu'on pourrait relater. Peut-être d'ailleurs n'êtes-vous pas tous coupables de ces actes. Je m'adresse à celui d'entre vous qui y demeure étranger et qui les désapprouve. Qu'il vienne et qu'il réponde ; je ne le charge pas du crime d'autrui, qu'il justifie sa séparation. N'a-t-on pas raison de lui dire : « Le fils mauvais se prétend juste ? » Car c'est le Seigneur, c'est la vérité même qui le lui dit : « Le fils mauvais se prétend juste. » Ce n'est pas moi, c'est lui qui se dit tel. S'il veut que je lui donne ce nom, qu'il vienne, qu'il porte de bons fruits au sein de l'Eglise catholique et qu'au sein de la paix catholique il les garde ; car il n'y a point de fruits sans patience. « Avec la patience, dit le Sauveur, ils porteront du fruit (1). » Veux-tu savoir comment tu en es dépouillé? Apprends-le par ces autres paroles : « Malheur à ceux qui ont perdu la patience. (2) ! »

18. Représentez-vous maintenant que, comme il arrive souvent, un homme se demande où est le Christianisme. Cet homme veut être chrétien, il remarque que l'humanité s'ébranle au nom du Christ, et sans se proposer aucun avantage temporel, il veut être chrétien ; ce n'est ni pour se concilier un ami puissant, ni pour obtenir une main bien-aimée, ni pour échapper à quelque affliction du siècle; et toutefois beaucoup étant entrés parmi nous avec ces sentiments se sont ensuite corrigés. Mais supposons un homme qui songe à son âme et veut être chrétien ; il est frappé de voir deux partis dans le Christianisme et il cherche les motifs qui les ont divisés. Les uns répondent : Nous sommes justes et nous
 
 

1. Luc, VIII, 16. — 2. Eccli. II, 16.
 
 

avons quitté les pécheurs. Mais croient-ils parler à un aveugle qui entend ce qu'ils disent sans voir ce qu'ils font? Si donc, considérant leurs moeurs et ce que je viens de rappeler, il ajoutait: Vous vous prétendez justes et vous assurez que pour ce motif vous avez eu raison de vous séparer ; pourquoi donc, je vous prie, vois-je parmi vous tels et tels ? Comme on n'oserait le nier, comme il s'agit de faits palpables, peut-être répondrait-on: Tels et tels sont parmi nous, il est vrai, mais sommes-nous tous comme eux? — A merveille. Je te vois donc mêlé aux pécheurs en dehors de l'Église, pourquoi ne leur serais-tu pas mêlé dans son sein ? Tu as dû obtenir, comme fruit de ta séparation, de ne pas vivre avec les pécheurs. Si tu ne rencontrais point, en dehors de l'Église, ces sortes de coupables pour lesquels tu prétends en être sorti, je tolérerais jusqu'à un certain point ta séparation.

Revenons à cet homme qui veut se taire chrétien et qui cherche où sont les chrétiens. Il remarque de nombreux pécheurs parmi ceux qui se sont, disent-ils, séparés des pécheurs. Il doit aussi étudier l'Eglise du Christ au point de vue de l'honnêteté des moeurs qu'il peut apprécier jusqu'à un certain degré, tout en sortant du siècle. Là encore il remarque des hommes sobres et des hommes débauchés; des hommes qui nourrissent les pauvres et d'autres qui cherchent à s'emparer du bien d'autrui ; dans l'Église et en dehors dé l'Église il voit tous ces contrastes. Qu'il se tourne ensuite du côté de Dieu et considère ce qu'il dit de son Eglise. Il observe qu'au témoignage de Dieu l'Église est répandue parmi toutes les nations, et que dans la parabole de l'ivraie Dieu déclare expressément : « Le champ est ce monde. » Le champ n'est pas l'Afrique, mais ce monde. Il y a donc du froment dans tout le monde et dans tout le monde de l'ivraie, et quoique le Fils de l'homme ait ensemencé ce champ immense que doivent moissonner, non pas les chefs des Circoncellions, mais les anges, l'ivraie comme le froment y doit croître jusqu'à la récolte ; il n'est pas dit que l'ivraie croit et que décroît le froment, mais que l'une et l'autre croissent jusqu'à la moisson. Quelle est cette moisson ? Entends le Christ : « La moisson, dit-il, est la fin du monde (1). »

Cet homme entend cela clairement, il juge avec sagesse et que dit-il ? Je n'entrerai point dans cette fraction, j'entrerai dans l'Église et j'y
 
 

1. Matt. XIII,  38, 39.
 
 

212
 
 

serai vertueux pour la gloire de Celui à, qui je me voue; je serai vertueux non par mes propres forces mais avec le secours gaie j'attends de Lui; non pas en me disant bon et juste, mais en désirant qu'il me déclare tel. Il entre donc, il devient catholique, Le vois-tu ? Il justifie son entrée ; justifie de même ta sortie. Mais tu ne le peux ; car « le fils mauvais se dit juste, sans  pouvoir justifier sa sortie. »

19. « Vous heurtiez de l'épaule, vous frappiez de la corne et vous poussiez toutes les brebis infirmes jusqu'à ce que vous les eussiez dispersées loin du troupeau. Et je sauverai mes  brebis. » Autant est détestable l'iniquité et la dureté de ces faux pasteurs, autant est louable la miséricorde de notre Pasteur ; il est vraiment notre Dieu et il sauvera ses brebis. Peut-être même, quand nous parlons, peut-être le fait-il, mes frères, par ses derniers et indignes serviteurs. Ah ! qu'il sauve ses brebis, que celles-ci écoutent la voix de leur Pasteur et le suivent. Qu'on ne cherche pas l'Église sur les lèvres des hommes, qu'on la cherche sur les lèvres de Dieu, sur les lèvres du Christ. Celui qu'il appelle impie est impie ; celui qu'il dit juste est juste ; s'il dit voilà une brebis, c'en est une ; voilà un bouc, c'en est un. Il est la Vérité, à lui de parler, à lui de nous faire connaître l'Église.

Dites-nous donc, Seigneur, où est votre Église. Et lui de répondre à tous : Savez-vous où je suis? Que tous reprennent : Au ciel, à la droite du Père. — C'est la vraie foi, c'est la foi que j'ai enseignée, la foi que j'ai semée, je l'ai semée dans le monde. Lors donc, poursuit-il, que vous confessez que je suis au ciel, vous pensez sûrement à ce psaume « Élevez-vous, Seigneur, au-dessus des cieux » Vous voulez savoir où est l'Église ? Lisez ce qui suit : « Et que votre gloire brille sur toute la terre (1). » — Ainsi, mes frères, le verset même où il est dit de la résurrection et de l'ascension du Christ: « Elevez-vous, Seigneur, au-dessus des cieux. » ajoute aussitôt : «Et que votre gloire brille sur toute la terre. » L'Epoux est au ciel, l'Epouse sur la terre; il est sur tous les cieux, elle est sur toute la terre. O hérétique, tu crois au ciel ce que tu n'y vois pas et tu ne crois pas ce que tu vois sur la terre ? Que le Christ donc nous parle ainsi, qu'il nous parle ainsi, mais écoutons-le et qu'il sauve ses brebis. « Je sauverai, dit-il, mes brebis, elles ne seront plus laissées en proie, et je jugerai entre les brebis et les brebis. »
 
 

1. Ps. CVII, 6.
 
 

20. « Et je susciterai sur elles le Pasteur unique. » N'a-t-il pas dit dans la leçon précédente : « Je ferai paître moi même ? » Et celui qui fait paître lui-même suscité maintenant le Pasteur unique ? Serait-ce qu'en si peu de temps il a été pris: d'ennui pour la profession du pasteur et qu'en vue dé sa tranquillité il a suscité un autre pasteur pour lui confier le soin de son troupeau ? Apprenons qui il appelle pasteur ; nous comprendrons ainsi pourquoi lui-même fait paître encore et fait paître tout seul quand il a suscité un pasteur. « Je susciterai sur elles le Pasteur unique, et mon serviteur David les fera paître, lui-même sera leur pasteur. » C'est ici une prophétie qui regarde le Christ fait homme, issu de la race de David. Vous l'entendez facilement, pour peu, mes frères, que vous connaissiez les époques. .

Le prophète qui parle, Ézéchiel vivait au temps de la captivité de Babylone. Or, de David à cette captivité on compte quatorze générations. C'est après cette longue période qu'il est dit : « David les fera paître. » Si cette prédiction datait de Noé, d'Abraham, dé Moïse, ou au moins de Saül, le prédécesseur de David sur le trône, nous devrions comprendre qu'il, s'agit de ce même David fils de Jessé, et qu'il était annoncé qu'il serait le pasteur du troupeau de Dieu et que Dieu lui confierait le soin de son peuple en l'appelant au trône. Mais à l'époque d'Ézéchiel, David avait régné il était mort, il était réuni à ses pères, il jouissait du repos mérité par lui. Que signifie donc : « Je susciterai David et je ferai de lui leur unique pasteur ? » David ne, désigne-t-il pas ici Celui qui est né de la famille de David ? Comment alors Dieu nous donne-t-il un pasteur ? Quel est ce pasteur unique ?

« Et mon serviteur David les fera paître. » Depuis longtemps Dieu- nous conduisait, nous faisait paître lui-même ; n'est maintenant son serviteur David. Pourquoi est-il parlé de lui comme d'une personne étrangère ? Quand il nous conduisait, Dieu ne nous conduisait-il pas? et quand Dieu nous dirigeait, n'étions-nous pas sous la direction du Père, du Fils et de l'Esprit-Saint ? Dieu maintenant suscite son Fils, qui devient comme un autre pasteur, sans être véritablement un autre. Comme, Dieu il n'est pas un autre, parce que considéré dans cette nature divine, il fait un seul Dieu avec le Père ; comme, revêtu de la nature de serviteur, il est considéré comme étant un autre, chargé de conduire le (213) troupeau, parce que sous ce rapport, le Père est au dessus de lui. Reconnais qu'il n’y a qu'un pasteur et que le Christ en fait les fonctions : « Mon Père et moi nous sommes un (1). » Reconnais que le Christ est suscité pour être pasteur : « Mon Père, est au-dessus de moi (2). » Il n'y a donc qu'un pasteur, car « étant de la nature de Dieu, il n'a pas cru usurper en s'égalant à Dieu. » Il est suscité pour être pasteur, car « il s'est anéanti en prenant la forme de serviteur. » C'est ce qu'atteste aussi notre prophète quand il dit : « Mon serviteur David. » Serviteur, dans la forme de serviteur. Serviteur, car « il s'est anéanti lui-même, prenant la forme de serviteur, devenu semblable aux  hommes et reconnu pour homme par les dehors. Il s'est humilié lui-même, s'étant fait obéissant jusqu'à la mort et la mort de la croix. » Qu'il s'éveille donc pour nous paître. « C'est pourquoi, poursuit l'Apôtre, Dieu l'a relevé » d'entre les morts « et lui a donné un nom qui est au-dessus de tout nom. » Ainsi, après avoir suscité son serviteur David; après avoir ressuscité sa nature de serviteur qu'il a placée à sa droite, « il lui a donné un nom qui est au-dessus de tout nom. » Et quelle est la mesure, l'étendue de sa direction pastorale ? « Afin qu'au nom de Jésus tout genou fléchisse au ciel, sur la terre et dans des enfers (3). »

O vanité hérétique, à quelles étroites limites réduis-tu cet immense domaine? As-tu assez de confiance à tes fortes épaules et à tes cornes superbes pour entreprendre, non pas de réunir le troupeau autour du Pasteur, mais d'éloigner le Pasteur du troupeau ? « Mon serviteur David les fera paître. » Brebis fidèles, écoutez votre pasteur David, écoutez la voix de David votre pasteur, et non la voix des voleurs ni les hurlements des loups. « Mon serviteur David les fera paître ; il les fera paître lui-même. » O bienfait mémorable ! « Il les fera paître lui-même. » Que nul autre que lui ne s'appelle pasteur. « Il les fera paître lui même. » Celui donc qui veut conduire doit s'unir, à lui, car c'est lui qui « les fera paître lui-même. »

Dieu disait tout-à-l'heure : «Je les ferai paître ; il dit maintenant : « c'est lui qui les fera paître. » Et le Fils nous assure que ces deux assertions sont également vraies, car « mon Père et moi, dit-il, nous sommes un. » Dieu a dit : « Je ferai paître; » et il ne ment pas en ajoutant
 
 

1. Jean, X, 30. — 2. Ib. XV, 28. — 3. Philip. II, 6-10.
 
 

« C'est lui qui fera paître ; » il a dit : « C'est lui qui fera paître, » et il ne.ment pas en disant encore : «Je ferai paître.» — « Tu ne crois pas, dit le Sauveur, que je suis dans le Père et que le Père est en moi ? Philippe, qui me voit, voit aussi mon Père (1). » Il est juste de dire : « Je ferai paître ; » il est juste de dire : « C'est lui qui fera paître. » Il y a ici distinction sans séparation. « Il les fera paître. » Ne craignez point, brebis : Celui qui a dit : « C'est lui qui les fera paître, » ne vous abandonnera pas. Dieu lui-même est votre pasteur, Dieu le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Mais il fallait distinguer la nature de serviteur, la distinguer, non la séparer ni la transporter sur une personne différente. Le Créateur en effet s'est uni à la créature sans se transformer en elle ; il a pris ce qu'il n'était pas, sans perdre ce qu'il était.

21. « Mon serviteur David les fera paître; lui-même les fera paître et sera leur pasteur, et « moi qui suis le Seigneur je serai leur Dieu. » Soyez attentifs, mes frères; voyez ici l'unité de la divinité et la distinction des personnes, et gardons-nous de confondre le Fils avec le Père ou le Père avec le Fils. Il a dit : « Lui-même les fera paître ; » et il venait de dire : « Je les ferai paître moi-même. » Il poursuit : « Et il sera leur pasteur ; pour moi, le Seigneur, je serai leur Dieu. » Expliquez-nous ceci, Seigneur; que personne ne trouble l'eau, et buvons .limpide ce qui coule d'une source limpide. Que signifie cette espèce de partage : « Il sera leur « pasteur; pour moi je serai leur Dieu ? » Serait-il vraiment notre pasteur et vous notre Dieu ? Et pourquoi, Seigneur, ne seriez-vous pas au contraire notre pasteur et lui notre Dieu a

Écoute tranquillement, écoute avec douceur, afin de comprendre (2). Peut-être y a-t-il ici quelque adversaire qui a bu à la coupe empoisonnée des hérétiques et qui se rit de moi quand je répète que le Père et le Fils ne forment qu'un seul Dieu : et pourtant rit-il de tous ces milliers de frères qui n'avaient qu'une âme (3)? Cet homme me dit donc : Dieu l'enseigne expressément : « Mon serviteur David sera leur pasteur, » et dans ce David tu as vu et il fallait voir le Christ ; car, ainsi que tu l'as remarqué, David était mort à l'époque de cette prophétie. Il est donc bien vrai que le Christ « sera leur pasteur. » Mais Dieu ajoute : « Et moi le Seigneur  je serai leur Dieu; » conséquemment l'un est « pasteur et l'autre est Dieu. »
 
 

1. Jean, XV, 10, 9. — 2. Eccli. V, 13. — 3. Act. IV, 32.
 
 

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A ton tour explique-moi ces paroles : « Je ferai paître. » Qui disait : « Je ferai paître ? » C'est sans contredit Dieu lui-même. Mais en parlant ainsi il n'ôtait point au Christ les fonctions de pasteur; ainsi ne lui ôte-t-il point la divinité en disant : « Je serai leur Dieu. » Le Christ est pasteur et le Père est pasteur; de même le Père est Dieu et le Christ est Dieu. Du Christ pasteur tu ne sépares pas le Père, ainsi de la divinité du Père ne sépare pas le Christ. Le Père partage avec le Fils la tendresse du Pasteur, et le Fils possède avec le Père l'égalité de la nature divine. S'il ne parlait pas ainsi, tu confondrais le Père avec le Fils. Il s'agit dont ici de l'unité de la nature et de la distinction des personnes divines ; et quand il dit : « C'est lui qui fera paître, je serai leur Dieu, » sans se séparer de son Fils et sans séparer son Fils de lui, il veut montrer que le Fils est un même Dieu avec le Père, et le Père un même pasteur avec le Fils.

« Moi le Seigneur je serai leur Dieu et mon serviteur David, prince au milieu d'eux. » Pourquoi au milieu d'eux ? Parce que « le Verbe s'est fait chair et a habité parmi nous (1). »

Il est « prince au milieu d'eux. » De là sa qualité de médiateur entre Dieu et les hommes; car il est Dieu comme le Père et homme avec les hommes. Un médiateur ne peut être ni homme seulement ni Dieu seulement. Il est médiateur. La divinité ne saurait être médiatrice sans l'humanité, ni l'humanité sans la divinité ; entre la pure divinité et l'humanité pure convient comme médiatrice la divinité humanisée et l'humanité divinisée dans la personne du Christ.

« Et mon serviteur David sera prince au milieu d'eux. Moi le Seigneur j'ai parlé. — Moi le Seigneur, » et non pas je ne sais quel hérétique.

22. « Et je ferai pour eux un testament de paix. » Il le fera, « par le ministère de Celui qui a dit : Je vous donne ma paix, je vous laisse ma paix (2). » Ainsi le testament de notre père est un testament de paix. Qu'on divise entre les héritiers ordinaires les patrimoines communs ; l'héritage de la paix ne saurait se diviser. Or le Christ est notre paix. La paix réunit et ne divise pas. Aussi est-il dit: « Il est notre paix et de deux il a fait un (3). » Il s'agit ici du testament de Dieu, d'un héritage qui est la paix. Qu'il soit donc possédé par tous d'un commun accord, et non pas divisé par l'esprit de chicane.

« Et je ferai pour eux un testament de paix. »
 
 

1. Jean, I, 14. — 2. Ibid, XIV, 27. — 3. Ephés, II, 14.
 
 

Attention, hérétiques ! Apprenez du Pasteur que son testament est un testament de paix, entrez dans cette paix. Courroucez-vous contre les empereurs chrétiens qui invalident les testaments qui se font dans vos familles. N'est-ce pas néanmoins un châtiment bien convenable? Et qu'est-ce que cette annulation de vos testaments? A quoi la comparer ? C'est un avertissement et pas encore la condamnation. Dieu en effet a pris parti pour son testament de paix. Tu souffres si le tien est sans valeur dans ta famille. Néanmoins tu dois mourir et tu ignoreras ensuite ce qui se fera dans ta famille. « En ce jour, est-il écrit, périront toutes ses pensées (1); » et « il ne connaîtra plus sa demeure (2). » Ainsi tu ignoreras après ta mort ce qui se passera dans ta maison et tu souffres néanmoins que ton testament n'y soit pas observé. Pour faire observer le sien, le Christ est sorti du tombeau et il veille du haut du ciel. Ah! que ton chagrin te réveille et que ta peine serve à te corriger. Pour redresser un bâton, on l'approche du feu ; que la douleur serve également à te redresser; cette douleur est loin d'être encore la flamme éternelle ; elle est comme la chaleur du foyer qui doit faire disparaître les tortuosités de ton coeur, t'avertir et te corriger. Ressens, et tu as raison, la douleur que ton testament n'ait aucune valeur dans ta propre maison. Mais la maison de Dieu est ton coeur, et si tu désires que ton testament soit observé dans ta demeure, pourquoi ne veux-tu pas respecter dans la maison de Dieu le testament divin ? Que laisses-tu à tes enfants ? Des pierres; et si tu sais qu'ils se les partagent autrement que tu ne l'as voulu, tu en es peiné. Quel soin, quelle sollicitude pour une vile maison, pour un toit ruineux ! Comme tu luttes de toutes tes forces contre une fièvre brûlante, contre la maladie qui t'accable, contre la mort qui te presse, exhalant avec peine tes dernières paroles pour achever ton testament ! Combien tu consultes d'hommes de lois, à combien d'artifices tu as recours pour en assurer la validité malgré la loi de l'Empereur ! Entends-tu Dieu te répondre Pourquoi ces artifices, pourquoi ces formules trompeuses? Tu veux que l'on observe ton testament ? Observe fidèlement le mien. Tu te plains que ton domaine passe à qui tu ne voulais pas? Que dois-je dire de l'héritage religieux que je laisse si étendu? « Toutes les nations seront bénies dans ta postérité (3). » Ainsi ai-je parlé à
 
 

1. Ps. CXLV, 44. — 2. Ib. CII, 16. — 3. Gen. XXII, 18.
 
 

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mon serviteur, continue toujours Dieu, et il a cru sans voir; toi, tu vois et tu ne crois pas ! Il

a gardé mon testament après l'avoir reçu ; il est ouvert maintenant et tu le déchires ! En effet ce testament a été gardé après avoir été reçu, au lieu que pour l'ouvrir il fallait que les prédictions en fussent accomplies. Il est donc parvenu jusqu'à toi dans toute son intégrité; et tu veux sûrement y conserver tes droits.

Mais, est-ce que ton cohéritier conteste avec toi et te dit : Prends pour toi cette part, je conserve celle-ci? ou bien : Prends la moindre, je réserve la plus grande? Il ne dit pas non plus Divisons entre nous, mais: Possédons ensemble. Telle est la volonté du testateur, ouvre et lis. Mais tu t'écries : Je l'ai empêché d'être brûlé, je l'ai gardé de peur qu'on le livrât aux flammes! Ouvre-le et reconnais que tu as gardé de quoi te faire brûler. Je ne crois pas cependant que tu l'aies gardé, quand je te vois ne pas garder ce qu'il ordonne. « Et' je ferai pour eux un testa« ment de paix. »

23. « Et j'exterminerai de la terre les bêtes fauves; » les bêtes fauves, les ennemis du testament de paix. C'est d'elles qu'il est dit dans un psaume : « Epouvante la bête des roseaux (1). » Que signifie : « la bête des roseaux? » La bête ennemie de l'Ecriture sainte, écrite avec un roseau. « J'exterminerai de la terre les bêtes cruelles, et on habitera le désert avec confiance. » Que signifie ici le désert ou la solitude ? L'intérieur de la conscience. La conscience est en effet une profonde solitude où nul homme ne saurait ni passer ni même pénétrer du regard. Habitons-y en espérance, puisque nous ne possédons pas encore la réalité, tout ce que nous avons au dehors flottant au souffle des tempêtes et des tentations du siècle. Nous avons donc un désert intérieur. Là interrogeons notre foi, examinons si nous avons la charité dans le coeur; voyons si notre coeur parle autant que nos lèvres quand nous disons : « Remettez-nous nos dettes comme nous remettons à nos débiteurs (2) » Si nous parlons, si nous disons vrai là où nul oeil humain ne pénètre, c'est qu'il y a en nous un désert intérieur où nous reposons en paix, assurés que toutes les tribulations présentes passent, que l'espérance deviendra réalité, et que tout notre être goûtera le repos. Nous nous verrons clairement alors, notre pensée ne sera plus comme une brebis qui se cache, ni nôtre conscience
 
 

1. Ps. LXVII, 31. — 2. Matt. VI, 12.
 
 

une solitude. Tous en effet se connaîtront et connaîtront leurs pensées, lorsque le Seigneur viendra, éclairera ce qui est caché dans les ténèbres et que chacun recevra de Dieu sa louange (1). Maintenant, au contraire, situ vois deux hommes dans l’affliction, tu ne saurais voir leur coeur. Il est possible que l'un soit déchiré de remords et que l'autre repose dans sa conscience comme dans un désert tranquille.

« Ils habiteront le désert avec espérance et goûteront le sommeil; » c'est-à-dire le plein repos que laisseront les sens, étrangers à tous les bruits du siècle. C'est là qu'ils reposeront, « près des ruisseaux. » Il y a dans cette solitude intérieure comme des ruisseaux qu'alimente la mémoire, qui répandent comme une eau divine jaillissant de la science et de la méditation des Ecritures. Si en effet ce qu'on a lu et entendu, on le confie à la mémoire, dans toute sa pureté et sa sainteté; lorsqu'ensuite on cherche à reposer dans la solitude intérieure, en d'autres termes, dans la paix d'une bonne conscience, on sent comme jaillir des profondeurs de l'âme et couler en quelque sorte le souvenir de la parole de Dieu. Alors on goûte avec les autres fidèles le repos de l'espérance et l'on dit : C'est vrai, c'est bien, c'est mon espoir, c'est ce que Dieu m'a promis, Dieu ne ment pas, je suis en sûreté. Cette sûreté est comme le sommeil pris le long des ruisseaux. « Et ils dormiront près des ruisseaux.»

24. « Et je leur donnerai ma bénédiction autour de ma colline. » Qu'importe qu'il y ait ici montagne ou colline, pourvu que nous soyons bien autour? Colline désigne le Christ; car il est au milieu de nous et nous sommes autour de lui, puisqu'il a été dit précédemment : «David sera prince au milieu d'eux. » Et parce qu'il est prince, il est appelé colline, douce colline, qui n'est ni âpre ni difficile à monter, pourvu qu'on n'ait pas la démarche fière, « Et je leur donnerai ma bénédiction autour de ma colline, et je répandrai en son temps la pluie » de la parole divine. Il y a une pluie dévastatrice; elle renverse la maison bâtie sur le sable et tout ce que peut la maison construite sur la pierre, c'est de ne pas s'écrouler sous ses coups (2). Cette pluie est la tentation qui cherche à déraciner et non à arroser. Telle ne sera point la pluie que promet le Seigneur. Que dit-il en effet? « Ce seront des pluies de bénédiction. » Tu craignais au mot
 
 

1. I Cor. IV, 6. — 2. Matt. VII, 24-27.
 
 

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de pluie? Mais cette pluie est bénédiction et non tentation.

25. Considère aussi ce que produit cette pluie. « Et les arbres qui sont dans la campagne porteront leur fruit. » Dans la campagne, dans une sorte de plaine, non sur les pentes ardues, avec un genre de vie facile. Il appelle campagne un genre de vie qui n'a rien d'ardu, de laborieux, de difficile, telle que la vie d'un grand nombre de fidèles dans l'Église de Dieu, où ils possèdent une épouse, des enfants, des maisons; ils sont comme des arbres dans la campagne, ils n'ont pu gravir aucune aspérité. Mais avec la pluie du ciel, ils porteront leurs fruits, comme en voici : « Romps ton pain pour celui qui a faim, et abrite dans ta demeure l'indigent sans asile (1). » C'est à ces fidèles que l'Apôtre disait: « Je ne cherche pas votre don, mais votre fruit (2). » — « Et les arbres de la campagne porteront leur fruit ; » si ce fruit n'est pas de première qualité, il a pourtant son mérite. « Et la terre, » toute la terre, « sera féconde. Et ils habiteront la terre qui est à eux. » Ainsi il y aura fertilité dans les champs, sur les collines et sur les montagnes. Que peuvent par eux-mêmes soit les champs, soit les collines, soit les montagnes? Qu'on ne voie ici que Celui qui les cultive: « Et ils habiteront dans leur terre avec espérance. » Remarquez que c'est la promesse de ce qu'il nous donne maintenant. Tant qu'il parle d'espérance, je vois le temps présent; car lorsque nous avons atteint ce qui nous est promis, ce ne sera plus l'espérance, mais la réalité.

26. « Et ils sauront que je suis le Seigneur, lorsque j'aurai brisé les chaînes qui les assujettissent au joug; » les chaînes qui leur serrent le cou. Rompez Seigneur, rompez les chaînes avec lesquelles les hérétiques tiennent les faibles par le cou. Est-il en effet rien qui serre et qui comprime davantage que ces paroles N'écoute pas le Christ, écoute-moi? Ecartez cette chaîne, permettez-moi de respirer. — Je ne sais ce que tu dis, répliquent-ils. — Mais j'écoute la voix de mon Pasteur, il crie : « Parmi toutes les nations, à commencer par Jérusalem (3). » Laisse-moi suivre la voix de mon Pasteur. Pourquoi me serrer? Ote-moi cette chaîne et je porterai le joug si doux de mon Seigneur. — Mais à ces mots il serre de nouveau. Voyez, Seigneur, l'hérétique ne veut point relâcher ma chaîne brisez-la. La croix du Seigneur nous élève, le
 
 

1. Isaïe, LVIII, 7. — 2. Philip. IV, 17. — 3. Luc, XXIV, 34.
 
 

joug de l'hérétique nous déprime. Mais il sera rompu : « Lorsque j'aurai brisé les chaînes qui les assujettissent au joug. » Ils veulent imposer aux hommes leur domination, les tenir sous leur dépendance et non sous celle de Dieu. « Lorsque j'aurai brisé les chaînes de leur joug, et je les arracherai aux mains de ceux qui les réduisaient à l'esclavage. » Qu'est-ce à dire : Qui les réduisaient à l'esclavage? — Qui les poussaient au péché. En effet commettre le péché, c'est en être l'esclave (1). Voyez, mes frères, ce qu'ils sont parvenus à leur persuader : Ils rendront compte de nous, disent les malheureux qu'ils égarent, nous ne sommes que des ouailles et nous les suivons où ils nous mènent. — Vous êtes ouailles? Ecoutez donc votre Pasteur et non les loups.

27. « Et ils ne seront plus en proie aux nations. » Partout en effet il y a des sectaires; ils diffèrent suivant les contrées, mais nulle part il ne manque de ces hommes qui chargent de chaînes et mettent sous le joug les fidèles. En désaccord les uns avec les autres, tous s'entendent contre l'unité. Cette unité n'est point en désaccord avec elle-même, mais elle lutte de toutes parts contre tous ceux qui lui résistent; partout elle travaille, mais elle goûte le repos du désert. « Ils ne seront plus en proie aux nations, et les bêtes de la terre ne les dévoreront plus. » Ils écouteront la voix de leur Pasteur et seront par ce moyen, arrachés à la dent des loups. La bête des roseaux ne les dévorera plus, elle ne cherchera plus à faire plier les Ecritures à son sentiment, ni à détourner l'esprit des passages clairs pour obtenir d'être écoutée plutôt que la divine parole. « Et les bêtes de la terre ne les dévoreront plus, mais ils demeureront dans l'espérance. » Remarquez combien de fois il fait entendre que ces promesses regardent le temps présent : Dieu parle ici de bienfaits qu'il accorde dès maintenant. « Et il n'y aura plus personne pour les épouvanter. » Comment n'y aura-t-il plus personne pour les épouvanter? La chose est incontestable; il suffit de mettre sa confiance au Seigneur; il suffit d'avoir commencé à dire : « Je louerai en Dieu sa parole, je glorifierai l'idée dans le Seigneur, » et non en moi. Louer l'idée en soi c'est dire : Croyez ce que nous vous enseignons ; et louer l'idée dans le Seigneur, c'est dire avec nous : Croyons ce que le Seigneur, nous enseigne. Il n'y aura plus personne pour
 
 

1. Jean, VIII, 84.
 
 

nous enrayer, car « je louerai en Dieu sa parole, je glorifierai la pensée dans le Seigneur; j'ai  mis ma confiance en Dieu, je ne craindrai rien des entreprises de l'homme (1). — Il n'y aura personne pour les épouvanter. »

28. « Et je ferai naître pour eux une pépinière de paix. » Un testament de paix, une pépinière de paix. Puisse donc fructifier ce que Dieu a planté et se déraciner ce qu'à semé l'hérétique Dieu a planté ce qui le concerne lui-même et ce qui concerne son Eglise ; lui-même dans le ciel, et son Eglise sur la terre; lui-même sur tous les cieux et son Eglise sur toute la terre; voilà une doctrine qui vient de Dieu. Mais ce langage Viens à nous, sois du parti de Donat, l'Église n'est qu'en Afrique; ce n'est pas Dieu qui l'inspire, je ne, vois pas ici un plant divin. Il faut donc le déraciner et non pas l'arroser. « Et je ferai naître pour eux une pépinière de paix, et ils ne mourront plus de faim sur la terre. » Il est bien vrai, mes frères, que la faim se fait sentir ici; examinez et voyez comme ils sont pressés par la faim. Ce qui est pis, c'est qu'ils ont des aliments à la bouche, sans manger, semblables à ces malades qui meurent de dégoût, non que la nourriture leur manque, mais parce qu'ils la rejettent et l'ont en horreur. Les Écritures n'enseignent-elles pas ce que nous disons et n'entendent-ils pas aussi bien que nous ces paroles d'un psaume : « Toutes les extrémités de la terre se souviendront du Seigneur et s'attacheront à lui; toutes les nations se prosterneront devant lui (2)? » Ainsi les aliments sont tout servis; si tu avais la santé et si tu mangeais, demeurerais-tu où tu es?

« Et il n'y aura plus personne pour mourir de faim sur la terre, et ils ne seront plus chargés de la malédiction des peuples. » Il est bien vrai, mes frères, que le Christ a aujourd'hui élevé si haut son Eglise, que tous ses ennemis sont confus et n'osent plus blasphémer son nom. Le seul reproche qu'il nous adressent est celui-ci : Pourquoi, disent-Ils, ne vous entendez-vous pas? Ainsi ceux qui sont restés païens parmi les gentils n'ont plus rien à objecter contre le Christ et ils ne blâment plus dans les chrétiens que leurs divisions. Mais ceux qui passent de l'hérésie à l'Église catholique n'ont plus à craindre cet opprobre, on ne leur reprochera point leurs dissensions, puisqu'ils demeurent attachés à la racine de l'unité sur le plant de la charité. « Ils ne seront
 
 

1. Ps. LV, 11. — 2. Ib. XXI, 28.
 
 

pas chargés de la malédiction des peuples.

29. « Et ils sauront que je suis le Seigneur leur Dieu, et eux-mêmes sont mon peuple, la maison d'Israël, dit le Seigneur Dieu. » Ils sont les ouailles du Seigneur, ils sont aussi sa vigne. Après avoir condamné la vigne stérile, Isaïe craignait de n'être pas compris; aussi expliqua-t-il sa pensée en disant : « La vigne du Seigneur des armées est la maison d'Israël (1); » et les Israëlistes ne pouvaient plus dire alors : On ne nous a point parlé, mais à je ne sais quelle vigne. De même après avoir parlé de brebis, Dieu craignait que quelqu'un n'élevât cette objection Peut-être le Seigneur a-t-il je ne sais où des brebis dont il prend soin et que je ne connais pas. Pour faire cette objection, il faudrait, il est vrai, avoir perdu le sens commun, être tombé dans l'absurdité; mais le bon Pasteur compatit à la faiblesse, il s'abaisse jusqu'à prévenir de telles pensées, et il finit par expliquer très-clairement quelles sont ses brebis. « Et vous, mes brebis, vous les brebis de mon troupeau, vous êtes des hommes. » Quels hommes? Est-ce tous les hommes? Non. Car il est écrit: « Heureux celui dont le Seigneur est l'espérance (2); — Que le Dieu d'Israël est bon pour ceux qui ont le coeur droit (3) ! — Heureux l'homme dont le Seigneur est le Dieu (4). »

30. « Et moi le Seigneur je suis votre Dieu, dit le Seigneur Dieu. » Dieu est également au dessus de tous les hommes. Je ne sais néanmoins comment il se fait que pour oser dire : mon Dieu! il n'y ait que celui qui croit en lui et qui l'aime. Celui-ci dit : mon Dieu! Tu l'as donc fait tien, et ce Dieu, à qui tu es, aime véritablement cela. Ah! de toute l'affection de ton coeur, avec toute la sécurité, la confiance et l'amour dont tu es capable, répète : Mon Dieu! Ne crains rien, tu dis vrai; il est à toi et tu ne l'empêches pas d'être encore à autrui. Tu ne dis pas: mon Dieu, comme tu dis : mon coursier. Celui-ci est à toi et non pas à un autre. Mais si Dieu t'appartient, il appartient aussi à ceux qui disent: Mon Dieu, comme tu le dis. Chacun dit: Mon Dieu, mon Dieu; c'est qu'il est à tous, se communiquant tout entier, pour qu'ils jouissent de lui, à tous et à chacun. Car en disant : Mon Dieu, on ne le divise pas.

Ce discours que jette ma langue et que porte le son, formé de lettres et de syllabes, parvient tout entier à chacun et nul de ceux qui l'entendent ne le divisé ; or si ce discours qui retentit sensiblement
 
 

1. Isaïe, V, 7. — 2. Ps. XXXIX, 5. — 3. Ib. LXXII, 1. — 4. Ib. CXLV, 5.
 
 

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aux oreilles et qui les frappe plus fortement de près, et de loin plus faiblement, est néanmoins entendu tout entier par tous sans qu'ils s'en partagent les syllabes, puisque chacun d'eux le reçoit tout entier; que penser de ce Dieu qui est présent partout, qui remplit tout, aussi parfaitement ce qui est proche que ce qui est éloigné, qui atteint d'une extrémité à l'autre avec force et dispose toutes choses avec douceur (1) ? N'est-il pas, à bien plus forte raison encore, possédé également par tous?

Voyez encore, mes frères, cette lumière : elle est sûrement corporelle, elle brille au ciel, s'élève, s'abaisse, circule, va d'un lieu dans un autre. Tous les yeux cependant vont à sa rencontre, se dirigent vers elle, et tous la possèdent également sans la diviser; le riche ne l'arrête pas et s'il en jouit le premier, il n'en prive pas les yeux du pauvre ou ne la rétrécit pas pour lui. Le pauvre peut donc dire : mon Dieu, et le riche : mon Dieu. L'un a plus et l'autre a moins abondamment, mais en argent et non en Dieu. Pour parvenir à lui, le riche Zachée donna moitié de son patrimoine (2) ; Pierre abandonna ses filets et sa barque (3); la veuve offrit deux oboles (4); un plus pauvre encore présenta un verre d'eau froide (5) ; et celui qui n'avait absolument rien accorda uniquement sa bonne volonté (6). Les offrandes étaient diverses, mais elles obtinrent la même
 
 

1. Sag. VIII. — 2. Luc, XIX, 8. — 3. Matt. IV, 20. — 4. Luc, XXI, 2-4. — 5. Matt. X, 42.—  6. Luc, II, 14.
 
 

récompense, car l'amour n'était pas différent. Vous donc, ô hommes qui êtes les brebis de Dieu, ô brebis du troupeau de Dieu, ne vous troublez point de voir dans le monde tant de conditions différentes; les uns dans la gloire et les autres sans gloire; les uns opulents et les autres indigents; ceux-ci beaux de corps et ceux-là épuisés par l'âge; des jeunes gens et des enfants, des hommes et de femmes. Dieu est également pour tous; et on le possède d'autant plus qu'on a donné, non pas plus d'agent, mais plus de foi. « Et vous, mes brebis, brebis de mon troupeau, vous êtes des hommes, et je suis votre Dieu, dit le Seigneur Dieu. » Oh! que nous sommes heureux d'avoir un tel domaine et d'en,être nous-mêmes le domaine! Car nous le possédons et il nous possède; il nous possède pour nous cultiver et nous le possédons pour l'honorer; nous l'honorons comme Dieu et il nous cultive comme un champ; il nous cultive pour que nous portions des fruits, et nous l'honorons pour en donner. Tout nous revient, il n'a pas besoin de nous. « Je te donnerai, dit-il, un héritage, ton domaine s'étendra jusqu'aux extrémités de la terre (1). » Nous sommes ainsi sa possession. « Le Seigneur, est-il dit encore, est la part de mon héritage et de mon calice (2). » Le voilà à son tour notre domaine. Et pourtant quelle différence! « Vous êtes hommes et je suis le Seigneur votre Dieu, dit ce Dieu notre Seigneur. »
 
 

1. Ps. II, 8. — 2. Ib. XV, 6.

SERMON XLVIII. SE JUGER SOI-MÊME. (1).
 

ANALYSE. — Dans ce discours, qui n'est, à vrai dire, que la première partie du suivant, saint Augustin explique ce que le prophète Michée entend par se juger soi-même. Se juger soi-même, c'est condamner le mal que l'on trouve en soi afin de pouvoir acquérir les vertus que l'on n'a pas et particulièrement se conformer à Dieu, en qui tout est bien, sans se scandaliser de la prospérité éphémère et apparente des méchants.
 
 

1. Nous venons d'entendre les leçons des divins oracles ; elles nous sont présentées comme un sujet de discours; nous devons les méditer, et avec le secours de Celui qui nous tient dans sa main, nous et nos paroles, ainsi qu'il est écrit (2), répandre en vous, comme une semence féconde, ce que nous y avons puisé. Ce n'est pas non plus sans raison qu'il est dit ailleurs : « Je louerai
 
 

1. Michée, VI, 6-8. —3. Sag. VII, 16.
 
 

en Dieu sa parole, je glorifierai la pensée dans le Seigneur (1). » On glorifie en Dieu ce qu'il donne, et malgré notre faiblesse, nous sommes comme des vases consacrés à son service; nous recevons en nous autant qu'il est possible et nous le communiquons sans envie. Qu'il daigne seulement suppléer dans vos coeurs à ce qui manque de notre part. Qu'est-ce, hélas! que nous
 
 

1. Pr. LV, 14.
 
 

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produisons sur vos sens si lui-même ne fait tout dans vos âmes? ,

2. Rappelez-vous avec moi ce que nous a recommandé la première leçon du prophète. « Qu'offrir au Seigneur, dit-il, qui soit digne de lui ? » Cet homme cherchait donc par quel sacrifice il pourrait apaiser Dieu ou plaire à Dieu. « Fléchirai-je le genou devant le Dieu très-haut? Le Seigneur s'apaisera-t-il par l'offrande de mille taureaux, et de dix mille chèvres engraissées? Pour expier le péché de mon âme, lui présenterai-je le fruit de mes entrailles? » Offrirai-je à mon Dieu mes premiers-nés pour expier mes fautes? — « On te répond : O homme ! » Qui répond : O homme! si ce n'est le créateur de l'homme? O homme, qui cherches ce que tu dois donner à Dieu pour l'apaiser ou pour lui plaire, on te répond donc.

« On te fait connaître ce qui est bien, ce que le Seigneur te demande : est-ce autre chose « que de pratiquer le jugement et la justice, d'aimer la miséricorde et d'être disposé à marcher avec le Seigneur ton Dieu (1) ? » Tu demandais ce que tu pourrais offrir pour toi : offre-toi. Est-ce autre chose en effet que le Seigneur exige de toi? Et parmi toutes les créatures corporelles qu'y a-t-il de meilleur? Or, s'il te redemande à toi-même, c'est que tu t'étais perdu, et si tu fais.ce qu'il ordonne, il trouve en toi le jugement et la justice, le jugement à l'égard de toi-même et la justice à l'égard de ton prochain.

En quoi consiste le jugement envers toi? A n'aimer pas ce que tu étais afin de pouvoir devenir ce que tu, n'étais pas; à te juger toi-même en toi-même, sans faire 'acception de ta personne, sans te pardonner tes fautes, sans les aimer parce qu'elles sont ton oeuvre; enfin à ne te pas glorifier du bien qui est en toi et à n'accuser pas Dieu des maux dont tu souffres. Sans quoi ton jugement serait dépravé, et par conséquent il ne serait pas un jugement. Pour nous montrer effectivement que le jugement dépravé n'est pas un jugement, Dieu ne dit pas : Le Seigneur demande-t-il de toi autre chose que de prononcer un jugement droit? Il dit : que de prononcer le jugement. S'il est droit, ce sera un jugement véritable, s'il ne l'est pas, ce ne sera point un jugement mais un crime. Que faisais-tu donc quand tu te perdais, quand tu courais à la perdition, et que tu courrais sans retour ? Que faisais-tu? Je le sais : Tu te glorifiais du bien qui était en toi, et tu blasphémais Dieu à cause des maux dont
 
 

1. Mich. VI, 6, 8.
 
 

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tu souffrais. C'est là un jugement injuste, et conséquemment, comme je l'ai dit, ce n'est pas un jugement. Veux-tu donc rendre ton jugement juste, en faire un jugement ? Il suffit de te corriger, de faire le contraire. Qu'est-ce à dire, de te corriger? De louer Dieu de ce que tu as de bon, de t'accuser de tes maux. Si en effet tes défauts te déplaisent et que tu te corriges avec le secours de Celui qui t'a créé, tu seras un juste observateur de la justice. Tu aimeras Dieu si tu es juste; à moins d'être mauvais et pervers tu ne t'écarteras point de la droiture, et si tu es droit tu aimeras ce qui l'est, d'où il suit que sans aucun doute tu aimeras Dieu, car lorsque tu ne l'aimais point, c'est ta perversité qui ne l'aimait point.

3. Ecoute ce psaume sacré : « Que le Dieu d'Israël est bon à ceux qui ont le cœur droit!» Trouvait-il rien de choquant en Dieu, celui qui parlait ainsi? Loin de moi la pensée de l'accuser! Mais je veux en croire son propre aveu. Prêtez l'oreille avec moi et considérez ce qu'il dit. « Que le Dieu d'Israël est bon ! » A qui ? « A ceux qui ont le cœur droit. » — « Pour moi, continue-t-il, » quand je n'avais pas le cœur droit, « pour moi, mes pieds se sont presque égarés, mes pas ont chancelé.-Mes pieds se sont égarés, mes pas ont chancelé, » c'est la même pensée, et en ajoutant le mot presque, il veut faire entendre qu'il a failli succomber, qu'il est presque tombé. Comment t'es-tu exposé à cet affreux péril? « Parce que, dit-il, je me suis indigné contre les méchants en voyant la paix des impies, » c'est-à-dire, en voyant les méchants heureux, j'ai chancelé devant Dieu, je me suis presque détaché de lui. Ainsi ce qui lui déplaisait en Dieu c'était le bonheur des méchants.

4. Considérez ce que dit en lui-même cet homme ébranlé, car c'est à lui que le psaume attribue les paroles suivantes: « Voilà que ces pécheurs se sont enrichis dans le siècle, et j'ai dit: « Dieu le sait-il ? » Ainsi s'exprime, ainsi parle cet homme qui avant .de s'être redressé trouvait mauvais que Dieu comblât de prospérités lés méchants. « Dieu le sait-il, le Très-Haut en a-t-il connaissance ? » Voyez de plus ce qu'il ajoute, voyez comment dans cette incertitude il est sur le point de tomber et de se perdre. Voici donc ce qu'il ajoute : « Serait-ce en vain que j'ai purifié mon cœur et lavé mes mains dans la société des innocents ? » J'ai perdu tout le fruit de ma bonne conduite. Pourquoi ai-je « purifié mon cœur et lavé mes mains dans la société des innocents? » C'est donc pourvoir les méchants (220) heureux et moi dans l'angoisse? « Durant tout le « jour j'ai été frappé de verges. » Ils sont dans la joie, et moi sous les verges; dans la joie ceux qui blasphèment lé Seigneur, et sous les verges moi qui l'adore. « Dieu le sait-il ? » — Voilà ce qui l'ébranle, ce qui le fait presque tomber, ce qui lui fait croire que Dieu ne prend point souci des choses humaines.

5. Il nourrissait donc ces idées lorsque son coeur n'était pas droit encore, et frappé du contraste qu'il avait remarqué, il était porté à regarder comme vraisemblable que Dieu ne prenait point souci des choses humaines, il voulait le publier, le proclamer, l'enseigner hautement; mais il en fut détourné par l'autorité et la doctrine des saints. Considérez ces paroles: « Quand je me disais : Je publierai cela, » je proclamerai, j'enseignerai hautement aux hommes que Dieu ne prend aucun souci des choses humaines; « quand » donc « je me disais : Je raconterai cela, j'ai reconnu que c'était réprouver la société de vos enfants. » Comment alors exécuter mon dessein? Ce que je voulais affirmer ne l'a été ni par Moïse, ni par Abraham, ni par Isaac ou Jacob, ni par Jérémie, Isaïe ou tout autre prophète. Tous néanmoins sont vos enfants ; ce serait donc les condamner que de publier mon raisonnement.

6. Que faire alors? « J'ai entrepris de découvrir « la vérité; » je l'ai entrepris, mais c'est une grande et difficile entreprise; « c'est une entreprise laborieuse » de parvenir à connaître, d'un côté comment Dieu est juste et sait ce qui ce passe au sein de l'humanité, de l'autre comment les méchants sont heureux et les bons quelquefois malheureux. Est-il juste qu'il en soit ainsi? C'est ce que je voudrais comprendre et voilà devant moi une entreprise laborieuse.

7. Combien de temps a duré mon embarras : « Jusqu'à ce que je sois entré dans le sanctuaire de Dieu et que j'aie réfléchi aux fins dernières, Entre donc dans ce sanctuaire de Dieu, ô âme fidèle; entre dans ce sanctuaire, ô âme pieuse, toi qui ne condamnes Dieu ni quand tu souffres ni quand prospèrent les méchants. Tu ignores peut-être le motif d'une telle disposition ? Crois néanmoins qu'il n'y a pas d'injustice dans ce que Dieu fait ou laisse faire. La raison humaine t'entraînait, que l'autorité divine te ramène et sois persuadée qu'il y a là quelque chose que tu ignores. Il faut en effet croire avec la plus entière certitude que Dieu n'est ni méchant ni injuste, et en entrant avec cette foi dans le sanctuaire de Dieu,
 
 

1. Ps. LXXII, 1-3, 13-17.
 
 

en y entrant en croyant, tu arrives bientôt à comprendre. Le prophète continue effectivement « Jusqu'à ce que je sois entré dans le sanctuaire de Dieu, » où pénètre la foi. Et cette foi, de quoi sera-t-elle suivie ? « Et jusqu'à ce que je comprenne les fins dernières. » Viendront en effet ces fins dernières, quand aucun .homme de bien ne sera malheureux, ni aucun méchant heureux; quand les hommes pieux seront discernés des impies, les justes des injustes, ceux qui louent Dieu de ceux qui le blasphèment; quand enfin le discernement sera si parfait qu'aucun homme de bien ne sera malheureux ni aucun méchant heureux, comme il vient d'être dit. Mais pourquoi n'en est-il pas ainsi dès aujourd'hui? Peut-être aujourd'hui même en est-il ainsi; mais ce qui est aujourd'hui caché sera dévoilé alors.

8. Entre avec moi, si tu le peux, dans le sanctuaire de Dieu; je parviendrai peut-être à te montrer, ou plutôt apprends avec moi de Celui qui m'instruit, que les méchants ne sont pas heureux et que les bons jouissent plus que les méchants, quoique la suprême félicité ne soit pas encore pour les bons, ni pour les méchants le châtiment suprême.

Comprends d'abord avec moi que les méchants ne sont pas heureux. Dis-moi en effet, je t'en prie, pourquoi tu n'es pas heureux? Tu vas me répondre : C'est que je suis dans le besoin, je rencontre des difficultés, je souffre dans mon corps, j'ai à craindre de la part de mes ennemis. — Ainsi tu n'es pas heureux parce que  tu as du mal à souffrir, et tu estimerais heureux celui qui est mal en lui-même? N'y a-t-il pas une énorme différence entre souffrir le mal et être mal? Tu n'es pas ce que tu souffres, puisque tu souffres le mal et que tu n'es pas mal; oui tu souffres le mal sans être mal et le méchant rte souffre pas du mal quand il est mal en lui-même ? Ne t'abuse pas, ne te trompe pas : il n'est pas possible que tu sois, malheureux en souffrant le mal et que lui soit heureux quand il est mal en personne. Crois-tu qu'étant mal en lui-même il ne souffre pas le mal ? Eh ! ne se supporte-t-il pas ? Tu souffres quand un mal étranger te blesse au corps, et il ne souffrirait pas quand il sent dans son coeur le mal qu'il est lui-même ? Tu souffres d'avoir une mauvaise villa, et il ne souffrirait pas d'avoir l’âme mauvaise?

Sois bon, toi qui possèdes du bien. Les richesses sont bonnes, l'or est bon, l'argent est bon, les grandes familles et les propriétés sont bonnes, tout cela est bon, mais pour faire du (221) bien et ne te rend pas meilleur. Possède donc les biens qui te rendent bon. Quels sont-ils, demandes-tu ? Exerce le jugement, pratique la justice. Tu as des biens ? Exerce le jugement, pratique la justice, mérite de compter ainsi au nombre des biens qui t'appartiennent. Sois sensible aux leçons qu'ils te donnent: immortel, deviens bon au milieu de ces biens périssables. Sois sensible à leur enseignement : garde-toi de faire le mal pour ne pas périr avec eux.

Il nous resté à examiner encore, mes frères, comment on doit observer la justice et aimer la miséricorde, comment aussi chacun doit être disposé à marcher avec le Seigneur son Dieu. Mais avec l'aide du ciel, nous traiterons une autre fois ces matières devant vous. Prenez acte de mon engagement : je ne veux pas vous fatiguer longtemps, je veux seulement vous venir en aide dans la mesure de mes forces.

SERMON XLIX. Prononcé à la table de Saint Cyprien (1). PRATIQUER LA JUSTICE (2).
 

ANALYSE. — En expliquant ce que le Psalmiste appelle pratiquer la justice, saint Augustin aura l'avantage de faire comprendre en même temps la parabole des ouvriers de la vigne, parabole que l'on vient de lire pendant l'office divin. En effet la pratique de la justice n'est autre chose que l'accomplissement de ce que les ouvriers sont obligés de faire dans la vigne du Seigneur. Or pratiquer la justice c'est croire en Dieu et faire ce qu'il commande, c'est ne pas juger témérairement le prochain et le juger avec amour quand on peut le juger, c'est réconcilier les ennemis au lieu d'épouser leurs haines, étouffer en son coeur la haine a sa naissance et pardonner sincèrement comme a fait Jésus-Christ, comme a fait admirablement saint Etienne.
 
 

1. Nous venons d'entendre plusieurs saintes lectures et nous devons vous en dire ce que le Seigneur damnera nous suggérer. Mais on retient davantage ce qu'on a ouï en dernier lieu et c'est sur cela que l'on compte entendre parler le prédicateur. Comme on a fini les leçons par la lecture du saint Evangile, je ne doute donc pas que votre charité n'attende de moi quelques réflexions sur la vigne, les ouvriers et le denier de récompense dont il y est fait mention.

Je me rappelle néanmoins ce, que j'ai promis dimanche dernier. Je voulais commenter ce qu'on avait lu d'un prophète. Or on avait lu qu'un homme cherchant à savoir par quels sacrifices il pourrait apaiser le Seigneur, il lui avait été répondu que Dieu ne demandait de lui que la pratique du jugement et de la justice, l'amour de la miséricorde et la disposition à marcher avec le Seigneur son Dieu. Aussi ai-je traité du jugement selon mes lumières et le discours s'étant prolongé jusqu'à ne plus me laisser le temps de discuter les autres questions autant que je l'aurais pu, j'ai promis de parler aujourd'hui de la justice. Vous ne serez toutefois pas déçus, vous qui pensiez que je vous entretiendrais de l'Évangile; car, la justice est la tâche imposée aux ouvriers de la vigne.
 
 

1. Voir le sermon XIII. — 2. Michée, VI, 6-8.
 
 

2. Supposez que vous êtes vous-mêmes ces ouvriers invités au travail. Venir dès l'enfance, c'est avoir été appelé à la première heure; l'adolescence est la troisième heure; la jeunesse, la sixième; l'âge mûr, la neuvième; et la vieillesse, la onzième. Du reste n'incidentez point sur ces époques; écoutez plutôt quel travail vous est imposé et attendez en paix la récompense promise, vous gardant bien de murmurer si elle est égale, pour peu que vous connaissiez quel est votre Maître.

Vous connaissez quelle est l'oeuvre commandée; je la rappellerai néanmoins. Ecoutez donc ce que vous savez et pratiquez ce qu'on vous a déjà dit. L'oeuvre de Dieu est la justice, avons-nous déjà observé. Cependant, comme on demandait au Seigneur Jésus quelle était l'oeuvre de Dieu : « L'oeuvre de Dieu, répondit-il, est que vous croyiez en Celui qu'il a envoyé. (1) » Il pouvait répondre : L'oeuvre de Dieu c'est la justice. Pensez-vous qu'humbles travailleurs nous osions hasarder une interprétation contraire à celle du Père de famille? Si donc l'oeuvre de Dieu c'est la justice, ainsi que je l'ai déjà répété, et si l'oeuvre de Dieu, d'après le Seigneur, consiste à croire en lui, ne s'ensuit-il pas que dans cette croyance consiste aussi la justice ? — Mais, répliques-tu,
 
 

1. Jean, VI, 29.
 
 

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c'est le Seigneur qui nous a dit: L'oeuvre de Dieu consiste à croire en « son Envoyé; » et c'est to qui affirmes que l'oeuvre de Dieu consiste dans la justice. Prouve donc que la justice est de croire au Christ. — Je m'empresse de répondre à ta juste demande.

Te semble-t-il que croire, au Christ ne soit pas justice? Qu'est-ce alors? Donne un nom à cet acte. Or, si tu fais bonne attention à ce que tu as entendu, tu me répondras sans aucun doute que cet acte est un acte de foi; la foi est de croire au Christ. — J'y consens, croire au Christ c'est avoir la foi. — Ecoute maintenant cet autre passage de l'Écriture : « Le juste vit de la foi. (1) » Accomplissez la justice, croyez : « Le juste vit de la foi. » Il est difficile de se mal conduire quand on croit comme il faut. Croyez de tout votre coeur, croyez sans chanceler, sans hésiter, sans opposer à la foi des conjectures humaines. La foi, fides, vient de ce que l'on fait ce qu'on dit. Il y a dans ce mot deux syllabes; la première vient de faire, a facto, et la seconde de dire, a dicto. Crois-tu?- Oui, je crois, réponds-tu. — Fais ce que tu dis et tu as là foi. Je puis bien entendre ta voix, je ne saurais voir la foi dans ton coeur. Incapable de voir la foi dans ton coeur, est-ce moi qui t'ai loué pour travailler à la vigne ? Ce n'est pas moi qui loue, ni moi qui impose la tâche, ni moi qui me prépare à payer le denier. Je suis ouvrier comme vous, je travaille à la vigne selon la mesure des forces que le Maître daigne m'accorder; dans quelle intention ? C'est lui qui le sait. « Peu m'importe, dit l'Apôtre, d'être jugé par vous. (2) » Vous aussi vous pouvez entendre ma voix, vous ne sauriez voir mon coeur. Mettons tout notre cœur à découvert devant le Seigneur, et agissons avec droiture. N'offensons pas Celui qui nous occupe, afin de nous présenter au paiement sans embarras.

3. Un jour, mes très-chers, mais plus tard, nous verrons mutuellement nos coeurs ; pour le moment nous sommes environnés des ténèbres de cette chair mortelle et nous marchons à la lumière des Écritures; « nous avons, comme dit l’Apôtre Pierre, la parole plus ferme des prophètes, à laquelle vous faites bien d'être attentifs, comme à une lampe qui luit dans un lieu obscur, jusqu'à ce que le jour brille et que l'étoile du matin se lève dans vos coeurs. (3) » De là il suit, mes bien-aimés, que par notre foi en Dieu nous sommes lumière, comparés aux infidèles. Après
 
 

1. Habacuc, II, 41 ; Rom.I,17. — 2. I Cor. IV, 3. — 3. II Pierre, I, 19.
 
 

avoir été ténèbres avec eux; nous sommes aujourd'hui lumière: « Vous étiez la nuit, dit l'Apôtre, vous êtes maintenant le jour dans le Seigneur (1); » nuit en vous-mêmes et jour dans le Seigneur. Il dit également ailleurs: « Car vous êtes tous des enfants de lumière et des enfants du jour; nous ne sommes point de la nuit ni des ténèbres (2). — Marchons honnêtement comme pendant le jour (3). » Ansi nous sommes le jour, comparés aux infidèles.

Mais devant ce jour où ressusciteront les morts, où ce corps corruptible revêtira l'incorruptibilité, où ce corps mortel revêtira l'immortalité (4), nous sommes encore la nuit. En nous considérant comme lumière, l'Apôtre Jean nous dit : « Mes bien-aimés, nous sommes maintenant les fils de Dieu. » Et parce qu'il nous reste encore des ténèbres; qu'ajoute-t-il ? « On ne voit pas encore ce que nous serons. Nous savons que lorsqu'il apparaîtra nous lui serons semblables, parce que nous le verrons tel qu'il est (5). » Ce sera la récompense et non le travail. « Nous le verrons tel qu'il est, » oui ce sera notre récompense. Le jour sera alors aussi éclatant qu'il puisse l’être.

En considérant donc le jour actuel, vivons honnêtement, et en considérant la nuit présente, ne jugeons pas les uns des autres. Noyez en effet l'Apôtre Paul lui-même. Après avoir dit: « Marchons honnêtement comme durant le jour, il ne contredit pas son collègue, l'Apôtre Pierre qui dit de son côté : « Vous faites bien de vous montrer attentifs » à cette divine parole, « comme à une lampe qui luit dans un lieu obscur, jusqu'à ce que le jour brille et que l’étoile du matin se lève dans vos coeurs. »

A Paul en effet ne le dit-il pas expressément? « C'est pourquoi, conclut-il, gardez-vous de juger avant le temps. » Avant quel temps? « Jusqu'à ce que vienne le Seigneur, qui éclairera ce qui est caché dans les ténèbres et manifestera les pensées des coeurs: et chacun alors recevra de Dieu sa louange (6). » Que signifie donc avant le temps, sinon avant que vous voyiez mutuellement vos coeurs?

Or n'est-ce pas ce que je disais? Pesez un peu toutes les expressions de cette pensée. « Gardez-vous de juger avant le temps. » Quand sera-ce temps? « Quand viendra le Seigneur pour éclairer ce qui est caché dans les ténèbres et manifester les pensées des coeurs; et chacun alors recevra de, Dieu sa louange. » Comment seras-tu
 
 

1. Ephés. V, 8. — 2. Thess, V, 5. — 3. Rom. XIII, 13. — 4. I Cor. V, 53. — 5. I Jean, III, 2. — 6. I Cor. IV, 6.
 
 

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replongé dans les ténèbres quand tu seras loué par la Lumière elle- même ? Les coeurs seront alors à découvert, maintenant ils sont voilés. On soupçonne quelqu'un d'être ennemi, peut-être est-il ami ; un autre semble ami, qui peut-être est ennemi caché. Quelle obscurité ! L'un se montre sévère et il nous aime; l'autre flatte et il nous hait. Si je me fie aux paroles, je quitte des eaux tranquilles pour me heurter contre un rocher; je fuis mon ami pour m'attacher à un ennemi. Cela vient de ce que le coeur est caché. Or c'est dans ce coeur caché, profond, mystérieux qu'il faut croire; c'est pour cultiver ce coeur que tu t'es engagé. Travaille donc en croyant dans ce lieu impénétrable que ne perce point l'oeil de celui qui travaille avec toi et où ne parvient que le regard de ton Dieu. « Le juste vit de la foi. » C'est là ton devoir.

5. J'ai traité, dimanche dernier, du jugement qui consiste à te juger toi-même (1), à ne pas te flatter lorsque tu découvres en toi des défauts, mais à te corriger et à devenir juste pour aimer Dieu, qui l'est souverainement. Comment ce Dieu juste pourrait-il plaire, à l'homme injuste ? Veux-tu donc aimer Dieu? Deviens juste, juge-toi toi même, ne t'applaudis pas, châtie, redresse, corrige en toi ce qui t'y déplaît avec raison. Prends l'Écriture pour te servir de miroir; tu t'y verras sans mensonge, sans adulation, sans acception de personne. Si tu es beau, tu t'y trouveras beau, et laid si tu es laid. Mais en t'y voyant laid comme tu l'es, garde-toi d'accuser ce miroir; rentre en toi-même; le miroir ne te trompe pas, ne te trompe pas non plus. Juge-toi, gémis de ta laideur. En t'éloignant avec cette tristesse inspirée par cette laideur, tu te corrigeras et tu reviendras avec ta beauté recouvrée.

Mais quand tu te seras jugé sans adulation, juge ton prochain avec amour. Tu peux juger en lui ce que tu vois. Mais il peut arriver qu'en voyant ses défauts tu te souilles; il peut arriver aussi que lui-même t'avoue ses fautes et découvre à l'amitié ce qu'il tenait caché à l'inimitié. Juge ce que tu vois et laisse à Dieu ce que tu ne vois pas. Or en jugeant prends soin d'aimer l'homme et de haïr le vice sans aimer le vice à cause de l'homme et sans haïr l'homme à cause du vice. L'homme est ton prochain ; le vice est donc l'ennemi de ton prochain, et l'amitié demande que l'on haïsse ce qui nuit à son ami. Si tu crois cela, tu agiras en conséquence, car « le juste vit de foi, »
 
 

1. Ser. XLVIII.
 
 

6. Voici ce qu'on rencontre fréquemment parmi les hommes. Il arrive parfois que l'un de tes amis devient l'ennemi d'un ami intime dont il était l'ami comme toi. De trois que vous étiez, deux se sont divisés; toi qui restes, que dois-tu faire ? L'un veut, il exige, il demande instamment que tu te tournes avec lui contre votre ami commun qu'il commence à haïr, et il te dit : Tu n'es pas mon ami, puisque tu es l'ami de mon ennemi. Ce dernier t'adresse le même langage. Car, encore une fois, vous étiez trois, deux se sont brouillés, toi seul ne l'es pas. Si tu prends le parti de l'un, l'autre sera ton ennemi et réciproquement; si d'un autre côté tu veux rester uni à l'un et à l'autre, ils murmureront tous deux. Telle est la difficulté, ce sont des épines dans la vigne où nous devons travailler.

Veux-tu savoir de moi ce qu'il faut faire? Demeure l'ami de l'un et de l'autre et travaille à les réunir. Ne révèle pas à celui-ci ce que celui-là peut avoir dit contre lui: ils pourraient redevenir amis et trahir à leur tour ceux qui les ont trahis. Si je parle ainsi toutefois, c'est d'une manière tout humaine, ce n'est pas en vue de Celui qui nous a loués pour sa vigne. Supposons donc que personne ne te trahisse: n'as-tu pas pour juge le Seigneur qui te voit ? Et si tu as entendu quelque mot de colère, de plainte, de critique, étouffe-le. Pourquoi le mettre au jour? Pourquoi le révéler? Il ne te fera pas mourir (1). Parle convenablement à cet ami qui veut te faire rompre avec l'autre, parle-lui ouvertement , considère-le comme un coeur malade et applique-lui de doux remèdes. Dis-lui: Pourquoi veux-tu que je devienne son ennemi? — Parce qu'il est le mien, répond-il. — Tu veux donc que je sois l'ennemi de ton ennemi? Je dois être plutôt l'ennemi de tes vices. Celui dont tu veux me rendre l'ennemi est un homme: tu as un autre ennemi contre lequel je dois nie déclarer si je suis ton ami. — Quel est cet autre ennemi, demandera-t-il. — C'est ta passion. — Et laquelle? — La haine que tu portes à ton ami.

Imite donc le médecin. Le médecin n'aime son malade qu'autant qu'il hait sa maladie, et pour l'en délivrer il la poursuit à outrance. Si vous aimez vos amis, n'aimez pas leurs vices.

7. Je parle ainsi, mais penses-tu que je fais ce que je dis? Je le fais, mes frères, si je lé fais d'abord en ce qui me concerne moi-même; et je le fais eu moi-même, si Dieu m'en accorde la grâce. Je hais mes vices et pour obtenir la guérison de
 
 

1. Eccli. XIX, 10.
 
 

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mon coeur, je l'offre à mon Médecin. Je mortifie ces vices autant que j'en suis capable, j'en gémis, je confesse qu'ils sont en moi et tu vois que je m'en accuse. Toi qui me censurais, corrige-toi donc. . Ainsi l'exige la justice; empêchons qu'on nous dise: « Tu vois la paille dans l'œil de ton frère et tu ne vois pas la poutre dans le tien. Hypocrite, ôte d'abord la poutre de ton oeil et tu verras clair alors pour ôter la paille de l'œil de ton frère (1). » La colère est cette paille, la haine est la poutre. Mais en entretenant cette paille, tu en fais une poutre; la colère invétérée devient haine, et la paille nourrie devient poutre. Afin donc de l'empêcher, que le soleil ne se couche pas sur votre colère (2). Tu te vois, tu te sens enflammé de haine et tu veux réprimer la colère de ton frère? Eteins d'abord ta haine, et tu auras droit de le reprendre. La colère est dans son oeil et la poutre dans le tien. Si tu le hais, si tu as une poutre dans l'œil, comment vois-tu clair pour ôter ce qui blesse le sien?

Mais pourquoi as-tu ainsi une poutre dans l'oeil? Parce que tu ne t'es pas inquiété de la paille quand elle y a paru. Tu t'es endormi avec elle, avec elle tu- t'es levé ; tu l'as cultivée, tu l'as nourrie de faux soupçons, tu l'as arrosée en ajoutant foi aux paroles des adulateurs, qui prêtaient à ton ami des propos pernicieux. Tu n'as pas eu le soin d'arracher cette paille, et tu en as fait une poutre. Arrache cette poutre de ton oeil, ne hais plus ton frère. Trembles-tu ou ne trembles-tu pas? Ne hais point, te dis-je, et tu seras en sûreté. Mais qu'est ce que la haine, me réponds-tu? Tu hais ton frère; mais si tu comptes pour peu cette haine, écoute ce que tu oublies: « qui hait son frère est homicide (3). » Qui hait son frère est homicide. Diras-tu maintenant : que m'importe d'être homicide? Haïr, c'est être homicide. Ainsi tu n'as point préparé de poison, tu n'es pas venu l'épée à la main frapper ton ennemi; tu n'as cherché ni l'aide, ni le lieu, ni le temps nécessaire pour commettre ce crime, enfin tu ne l'as pas commis; mais uniquement parce que tu hais ton frère tu t'es donné la mort avant de la lui donner.

Apprenez donc la justice, apprenez à ne haïr que les vices et à aimer les hommes. En vous montrant fidèles à cette recommandation, en accomplissant cette justice, en préférant guérir les hommes vicieux plutôt que de les condamner, vous avez bien travaillé dans la vigne. Exercez
 
 

1. Matt. VII, 3, 6. — 2. Eph. IV, 26. — 3. I Jean, III, 5.
 
 

vous à y travailler de la sorte, mes frères.

8. On va, après le sermon, renvoyer les catéchumènes, les fidèles resteront, et on arrivera au moment de la prière. Savez-vous jusqu'où nous devons monter, ce que nous commencerons par dire Dieu ? « Remettez-nous nos dettes, comme nous remettons à ceux qui nous doivent (1). » Appliquez-vous, appliquez-vous donc à pardonner. Vous arriverez à ces mots de la prière. Comment alors les prononcer et comment ne les prononcer pas? Je vous le demande enfin, les prononcez-vous ou ne les prononcez-vous pas? Quoi! tu as de la haine et tu les prononces? — Je ne les prononce.pas, me diras-tu. — Quoi encore! Tu pries sans les dire? Tu hais donc et tu les dis? ou bien tu pries et ne les dis pas. Mais si tu les dis, tu mens, je te le fais observer sans hésitation, et si tu ne les dis pas, tu ne mérites rien. Réfléchis, fais attention à toi, et avant de prier, pardonne des: tout ton coeur. Tu veux contester avec ton ennemi, gourmande ton coeur auparavant; oui gourmande, gourmande ton coeur; dis-lui: je te défends de haïr. Mais ce coeur, mais ton âme hait encore, dis-lui de nouveau : je te défends de haïr. Comment pourrais-je prier et dire. « Remettez-nous nos dettes? » Il est vrai néanmoins, je pourrais prononcer encore ces mots, mais les suivants: « comme nous aussi; » quoi ! « comme nous aussi nous pardonnons, » comment les articuler? Où est ta foi? Fais ce que tu dis: « comme nous aussi nous pardonnons. »

9. Mais ton âme ne veut point pardonner, elle se plaint même que tu lui interdises de haïr. Réponds-lui : « Pourquoi, mon âme, t'attrister ? et pourquoi me troubler ? — . Pourquoi t’attrister ? » Garde-toi de haïr et de me perdre. « Pourquoi me troubler? Espère en Dieu (2). » Tu languis, tu soupires, tu es malade et blessée, sans pouvoir te délivrer de la haine qui te tourmente. « Espère en Dieu: » c'est le médecin. Il a été pour toi suspendu à la croix et ne s'est pas encore vengé. Pourquoi vouloir te venger, car c'est le but de haine? Vois ton Seigneur suspendu, vois-le à la croix; du haut de ce tribunal il te donne ses ordres, Vois-le suspendu; il fait de son sang un remède pour tes langueurs Vois-le, si tu veux te venger, vois-le attaché, écoute sa prière: « Père pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font (3).

10. Il a pu pardonner ainsi, reprends-tu, moi je ne saurais. Car je suis homme et il est Die je suis homme et il est l'Homme-Dieu.
 
 

1. Matt. VI, 12. — 2. Ps. XII, 6. — 3. Luc, XXIII, 34.
 
 

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pourquoi Dieu s'est-il fait homme, si l'homme ne se corrige point? Ecoute-moi, homme que tu es: C'est trop pour toi d'imiter ton Seigneur? considère Etienne, serviteur comme toi. Saint Etienne était-il un homme ou était-il Dieu? C'était un homme sans aucun doute; il était ce que tu es; ce qu'il a fait, il le doit à Celui que tu pries .comme il le priait lui-même. Considère donc ce qu'il a fait.

Il s'adressait aux Juifs, leur parlait avec sévérité et avec amour. Voici la preuve de ce double sentiment de sévérité et d'amour, je dois vous la mettre sous les yeux. Et d'abord la sévérité: « Têtes dures! » Ainsi parlait saint Etienne aux Juifs: « Têtes dures, coeurs et oreilles incirconcis, toujours vous résistez à l'Esprit saint. Quel prophète vos pères n'ont-ils pas mis à mort ? » Voilà des paroles sévères ; voici maintenant des témoignages d'amour. Irrités et enflammés d'une haine nouvelle, ces malheureux veulent rendre le mal pour le bien, ils courent aux pierres et commencent à lapider le serviteur de Dieu. Ici, saint Etienne, donnez des preuves de votre amour; ici, ici nous voulons vous voir, vous contempler, admirer en vous le vainqueur et le triomphateur de l'enfer. Nous vous avons entendu parler sévèrement à ces ennemis réduits au silence, examinons si vous les aimez pendant qu'ils vous lapident. Si vous les haïssez, si vous avec pu les haïr, maintenant surtout qu'ils vous martyrisent, vous devez le faire. Opposez-vous donc la dureté de coeur à ces dures pierres qui vous accablent de pierres ; ils sont vraiment aussi durs que les pierres lancées par eux contre vous; leur Loi est gravée sur la pierre, et ils vous font expirer sous les pierres.

11. Assistons, mes bien-aimés, assistons à ce grand spectacle. Demain encore il nous sera offert, assistons-y. On lapide Etienne, représentez-vous attentivement cette scène. Courage, ô membre du Christ! courage, ô athlète du Christ! considérez Celui qui pour vous a été suspendu à la croix. On le crucifiait, on vous lapide. Il dit alors. « Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font. » Et vous, que dites-vous? Je veux le voir, peut-être pourrais-je au moins vous imiter. — Le bienheureux Etienne commence par prier debout pour lui-même. « Seigneur Jésus, dit-il, recevez mon esprit. » Il s'agenouille ensuite afin de prier pour ses bourreaux: « Seigneur, ne leur imputez pas ce péché, » et à ces mots il s'endormit (1). Oh! l'heureux sommeil ! oh! le repos véritable ! Le repos est ainsi de prier pour ses ennemis.

Mais, ô saint martyr, exposez-moi un peu cette étrange conduite, pourquoi vous restiez debout en priant pour vous-même et pourquoi vous avez fléchi le genou en priant pour vos ennemis ? Il répond sans doute et nous le comprenons : Pour moi j'ai prié debout, parce que je priais Dieu que j'ai servi avec fidélité, et que je n'ai eu de peine ni à le prier ni à obtenir de lui. — Il n'y a point de difficulté à prier pour le juste, c'est pourquoi il demeure debout en priant pour lui. Mais quand il s'agit de prier pour les Juifs, pour les meurtriers du Christ, pour les meurtriers des saints, pour ses propres bourreaux, il remarqua que leur impiété était extrême, excessive, que difficilement elle leur serait pardonnée, et il fléchit le genou. Courageux ouvrier, fléchissez le genou dans cette vigne; oui, fléchissez le genou en travaillant à cette vigne, ouvrier courageux. Votre entreprise est grande, elle est glorieuse et digne de tout éloge. Vous avez creusé bien avant, puisque vous avez déraciné de votre coeur la haine de vos ennemis.

Tournons-nous vers le Seigneur, etc.
 
 

1. Act. VII, 51-59.

SERMON L. LES RICHESSES D'INIQUITÉ (1).
 

ANALYSE. — On sait que pour condamner l'ancien Testament les Manichéens cherchaient partout à le mettre en contradiction avec le Nouveau. Ils prétendaient donc que ces paroles d'Aggée : « L'or est à moi, l'argent est à moi, dit le Seigneur, » étaient opposés à celles-ci de l'Évangile : « Faites-vous des amis avec les richesses d'iniquité (2). » Saint Augustin montre ici qu'entre ces deux sages il n'y a pas la moindre contrariété. — 1° Si Dieu rappelle dans l'ancien Testament que l'or et l'argent lui appartiennent, n’est-ce pas le moyen de rabaisser la vanité des riches? 2° Les richesses sont bien à lui : non-seulement il les a créées, il s'en sert encore pour la glorification des justes et la punition des pécheurs. 3° Notre-Seigneur, il est vrai, appelle les biens de ce monde des riche d'iniquité : c'est qu'en effet elles sont trompeuses, irritent les besoins au lieu de les apaiser. 4° Trop souvent sans doute elles sont l'instrument du vice; mais elles ne sont pas pour ce motif plus condamnables que les créatures les plus parfaites, dont on peut bien mal user. 5° En examinant de plus près le texte d'Aggée, on remarquera que l'or et l'argent dont il est ici parlé désignent la sage et la vertu dont nul ne doit s'enorgueillir, car elles viennent du Seigneur. 6° Il serait facile d'ailleurs de montrer que l’ancien Testament blâme autant l'avarice que le nouveau. 7° Tout donc tend à prouver la mauvaise foi des Manichéens.
 
 

1. Les Manichéens cherchent à appuyer leurs calomnies sur le prophète Aggée ; ils critiquent odieusement ces paroles qu'il a prononcées au nom du Seigneur : « L'or est à moi, l'argent est « à moi ; » et parce qu'ils s'attachent à comparer méchamment l'Évangile à l'ancienne loi, dans le but de montrer que les deux Testaments sont contraires et opposés l'un à l'autre, ils proposent la difficulté suivante: Il est écrit, disent-ils, dans le prophète Aggée : « L'or est à moi, l'argent est à moi, » et notre Sauveur, dans l'Evangile, appelle ces richesses une espèce d'iniquité (3). L'Apôtre à son tour parle ainsi de l'usage qu'on en fait : « La racine de tous les maux est l'avarice, écrit-il à Timothée ; aussi quelques-uns en s'y laissant entraîner, ont dévié de la « foi et se sont engagés dans beaucoup de chagrins (4). » Ainsi présentent-ils la question, ou plutôt, ainsi accusent-ils les anciennes Écritures qui ont annoncé l'Évangile, en s'appuyant sur le môme Évangile annoncé par elles. S'ils propos Baient- sérieusement la difficulté, peut-être se mettraient-ils en devoir de la résoudre, et en y travaillant ils pourraient y parvenir.

2. Malheureux qu'ils sont, pourquoi ne comprennent-ils pas que le motif du Seigneur, en disant dans Aggée : « L'or est à moi, l'argent est également à moi, » est de rappeler à celui qui refuse de donner aux indigents, malgré l'obligation d'exercer la miséricorde, que Dieu lui commande de distribuer, non pas de son propre bien, mais du bien du Seigneur lui-même; et à celui qui fait l'aumône, qu'il ne la fait pas avec ce qui lui appartient, car au lieu de s'affermir dans la vertu en pratiquant la miséricorde
 
 

1. Agée, II, 9. — 2. Luc, XVI, 9. — 3. Luc, XVI, 9. — 4. I Tim, VI, 10.
 
 

il pourrait s'enfler de vanité et d'orgueil ? « L’or est à moi, dit-il, l'argent est également à moi » non pas à vous, ô riches de la terre. Pourquoi donc hésiter de donner au pauvre de qui m'appartient? ou pourquoi vous enorgueillir de donner de ce qui est à moi?

3. Veux-tu connaître combien est juste ce Dieu à qui appartiennent et l'or et l'argent Ces richesses font le tourment de l'avare autant qu'elles aident le cœur compatissant. La divine justice distribue tout avec tant de sagesse, qu'elles servent soit à manifester les belles .actions, soit à châtier l'iniquité. Oui, l'or, l'argent et tous les domaines de la terre sont également l'instrument de la bienfaisance et le supplice de la cupidité. En les accordant aux hommes de bien, Dieu montre combien de choses dédaigne leur âme dont toute la richesse est l'auteur même de richesse. Pour prouver en effet que l'on méprise une chose, il faut la posséder réellement. En la possédant pas, on peut sans doute la mépriser. Mais ce mépris est-il feint ou sincère? Dieu seul le sait puisqu'il voit le coeur ; quant aux hommes qui voudraient imiter ce mépris, ils ne peuvent en connaître la sincérité que par des actes de générosité. Lorsque d'un autre côté Dieu octroie ces biens aux méchants, il fait voir, par ces biens-même qu'il accorde, à quels tourments est réservée l'âme qui en dédaigne le généreux ante Il donne aux bons l'occasion de faire le bien; tourmente les méchants de la crainte d'essuyer des pertes; et si les uns comme les autres perdent leur or et leur argent, les premiers conserveront avec joie leurs trésors célestes, tandis que les seconds verront leur maison dépouillent des biens temporels et leur conscience plus dépouillée encore des richesses éternelles.
 
 

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4. A Lui donc qui sait faire un tel usage de l'or et de l'argent appartiennent réellement et l'argent et l'or. Parmi les hommes eux-mêmes le bon usage n'est-il pas un titre à posséder? Est-on en droit d'avoir ce qu'on ne sait employer avec justice? Et si l'on se prétend possesseur de ce que l'on retient sans aucun droit, on n'en est pas le possesseur légitime, mais l'impudent et injuste usurpateur. De là il suit que si l'on revendique avec raison, non pas ce qu'a envahi une injuste et folle cupidité, mais ce qu'on administre avec une autorité pleine de prudence et une modération pleine de justice; Dieu ne peut-il pas beaucoup mieux et avec plus de vérité soutenir que l'or et l'argent sont à lui? Car il les a créés dans son immense bonté, il sait les  employer avec une souveraine justice, et sans son ordre ou sa permission personne ne peut posséder l'or et argent, ni les méchants pour e le supplice de leur avarice, ni les bons pour l'exercice de leur bienfaisance; exercice limité, car ils ne peuvent ni créer les richesses, ni les reprendre ou les distribuer à leur gré dans le monde.

            5. Supposé que les méchants seuls aient en partage l'or et l'argent, on devrait croire que c'est un mal; et s'ils n'appartenaient qu'aux bons, on serait porté à les considérer comme un grand bien. D'un autre côté, si les méchants seuls en étaient privés, la pauvreté semblerait un grand s           châtiment; et si c'étaient les bons seuls, la même a pauvreté serait regardée comme le souverain bonheur. Veux-tu savoir qu'il peut être bon d'avoir de l'or? Les hommes de bien en ont. Veux-tu savoir aussi que ce n'est pas l'or qui te          fait leur vertu? Les méchants possèdent aussi de l'or. Pour nous apprendre que pauvreté n'est pas malheur, il y a des pauvres heureux; et pour nous apprendre aussi que pauvreté n'est pas bonheur, il est des pauvres malheureux. Ainsi donc lorsque le Créateur suprême et gouverneur de toutes choses distribue aux hommes l'or et l'argent, il veut qu'on les regarde comme bons dans leur nature et dans leur genre, quoiqu'ils ne soient ni un grand bien ni le bien souverain, et que dans la place qui leur est faite ils excitent à louer le Seigneur de l'univers; il veut aussi que les bons sachent ne pas s'enorgueillir quand ils les ont en abondance, ni se laisser abattre quand ils en sont privés, et que les méchants soient aveuglés lorsqu'ils les possèdent, tourmentés quand ils les perdent.

6. On ne saurait donc blâmer aucunement ce que Dieu a créé pour sa gloire, pour l'honneur des bons et pour le supplice des méchants. Dieu peut aussi avec la plus parfaite vérité, appeler sien non-seulement ce qu'il a établi avec la plus généreuse bonté, mais encore ce qu'il distribue avec la plus sage prévoyance. Si maintenant le Seigneur dans l'Évangile appelle ces choses des richesses d'iniquité, c'est pour faire entendre qu'il y a d'autres richesses qui sont le partage exclusif des hommes de bien et des justes, et que c'est l'iniquité qui donne aux premières le nom de richesses. La justice sait en effet qu'il existe d'autres trésors destinés à orner l'homme intérieur; c'est d'eux que par le bienheureux Pierre quand il dit : « Lequel est riche devant Dieu (1). » Ces dernières richesses sont appelées justes, parce qu'elles sont le lot des justes, de ceux qui les ont méritées ; et vraies, parce qu'en les possédant on n'est pas en proie à l'indigence. Les autres sont nommées injustes, non qu'il y ait injustice dans l'or et l'argent, mais parce qu'il est injuste de dire que ce sont des richesses, attendu qu'elles ne préservent pas du besoin. Chacun en effet n'éprouve-t-il pas des désirs d'autant plus ardents qu'il po9sède avec attachement de plus nombreux trésors? Et comment appeler richesses ce qui en s'accroissant fait croître les besoins, ce qui ne saurait s'augmenter pour ceux qui en sont avides, sans enflammer leur cupidité au lieu d'apaiser leur soif? Estimes-tu riche celui à qui il manquerait moins s'il possédait moins? Combien voyons-nous d'hommes qui se réjouissaient en faisant de petits profits lorsqu'ils étaient peu riches, et qui maintenant qu'ils possèdent de l'or et de l'argent véritables, mais de fausses richesses, refusent les gains médiocres qu'on peut leur offrir ! Tu les crois enfin satisfaits : tu te trompes. L'accroissement de leur opulence n'a fait que dilater leur avarice, que l'enflammer sans la calmer. Ils rejettent un verre d'eau, parce qu'il leur faut un fleuve. Ainsi donc, est-ce comme plus riche, est-ce comme plus indigent qu'il faut considérer cet homme qui a cherché à s'enrichir pour n'éprouver pas de besoins, et qui n'est devenu plus riche que pour en ressentir davantage?

7. Ce n'est toutefois la faute ni de l'or ni de l'argent. Suppose en effet qu'un homme compatissant ait découvert un trésor : est-ce que par compassion il ne s'empresse pas de donner l'hospitalité aux voyageurs, de nourrir les affamés, de fournir des vêtements à qui en manque, d'aider
 
 

1. Pierre, III, 4.
 
 

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les indigents, de racheter les captifs, de construire des Églises, de soulager les fatigués, d'apaiser les querelles, de réparer les naufrages, de soigner les malades, de répandre sur la terre ses richesses matérielles et d'enfermer au ciel ses trésors spirituels? Qui agit ainsi? L'homme miséricordieux et bon. Par quel moyen ? Avec l'or et l'argent. Pour le service de qui? De celui qui a dit : « L'or est à moi, l'argent est également à moi. » Maintenant donc, mes frères, vous voyez sans doute quel étrange aveuglement et quelle démente il faut pour reporter sur les choses dont on use mal le crime de ceux qui en abusent. Si on condamne l'or et l'argent, parce qu'il est des hommes corrompus par l'avarice qui au mépris des préceptes du Tout-Puissant s'attachent avec une passion détestable à ce qu'il a créé; on doit mépriser aussi toutes les autres créatures de Dieu, car, dit l'Apôtre, il est des hommes pervers « qui ont adoré et servi la créature, de préférence au Créateur, béni dans les siècles (1); » on doit condamner jusqu'à ce soleil, puisque ne voyant pas en lui une créature les Manichéens ne cessent de l'honorer et de l'adorer soit comme le Créateur, soit comme une partie de lui-même. Mais pourquoi ne l'accusent-ils pas? Ne voit-on pas souvent les procès les plus injustes occasionnés par le désir de donner aux appartements plus de soleil et de lumière? Ne voit-on pas fréquemment renverser des maisons pour faire pénétrer plus librement et plus largement les rayons du soleil par les fenêtres ? Ne voit-on pas ceux qui s'y opposent, tout fondés qu'ils soient sur les droits les plus incontestables, poursuivis d'implacables inimitiés? Si donc il arrive que pour obtenir plus de soleil un homme puissant opprime injustement et cruellement un homme faible, s'il le dépouille, s'il l'envoie en exil ou à la mort, est-ce la faute du soleil dont l'oppresseur cherche à profiter plus abondamment? N'est-ce pas plutôt l'abus coupable qu'il en fait? car en désirant pour ses yeux plus de lumière matérielle, il ferme à la lumière de la justice le secret de son coeur.

            8. Ceci doit faire comprendre à ces sectaires, si néanmoins ils en sont capables, qu'il ne faut condamner ni l'or ni l'argent, quoique l'or et l'argent servent souvent de matière aux contestations d'hommes avides; ou qu'ils doivent transporter leur accusations de la terre au ciel, des métaux brillants aux étoiles et jusques au soleil,
 
 

1. Rom. 1, 25.
 
 

dont l'iniquité se dispute la lumière en se livrant à des haines souvent éternelles. Ils doivent apprendre aussi quelle distance sépare la lumière visible de l'invisible lumière de la justice. Il peut se faire en effet que plus on désire jouir de la première, plus on soit aveuglé en présence de la seconde. Rien de créé ne saurait justifier l'homme; pour faire bon usage de toutes les; créatures il a besoin d'être sanctifié par le Créateur. Aussi tout en condamnant partout l'avarice comme le doit faire un juste juge, le Seigneur comme maître de la vérité montre l'usage que l'on doit faire des richesses terrestres, et il le montre à l'endroit même que les Manichéens prétendent opposer au Prophète. « Faites-vous des amis avec les richesses d'iniquité, » dit-il, ce qui signifie : Vous ne devez point conserver comme richesses ce qui est richesses d'iniquité; et vous pourrez user des trésors de la terre, vous en faire même des amis qui vous reçoivent dans les tabernacles éternels, si vous ne possédez pas ces sortes de richesses, c'est-à-dire si vous ne vous en estimez pas riches. Car vos richesses véritables, les richesses qui vous mettront à l'abri de tout besoin, n'ont rien de comparable aux biens: de la terre. Mais pour mériter d'en jouir, il faut commencer parfaire bon usage de ces biens qui ne sont ni à vous, ni richesses véritables, mais des richesses d'iniquité, puisqu'elles n'ôtent pas l'indigence et que l'iniquité seule les regarde comme richesses. Les pécheurs se croient par elles préservés de la pauvreté; pour vous, vous devez soupirer; après d'autres richesses, après les richesses véritables et qui vous appartiendront réellement. Mais « si vous n'avez pas été fidèles dans les richesses injustes, qui vous confiera les véritables? Et si vous n'avez pas été fidèles dans le bien d'autrui, qui vous donnera celui qui est à vous (1)? »

9. Mais il est évident que selon leur habitude les Manichéens dénaturent le sens des prophéties. Si peu effectivement que l'on examine le contexte du passage dont ils abusent, on remarquera qu'il n'y est pas question de cet or et de cet argent qui font tourner la tête à l'avare, mais, et plutôt de l'or et de l'argent dont parle l'Apôtre quand il dit : « Si on élève sur ce fondement un   édifice d'or, d'argent, de pierres précieuses (2). » Ce même or et cet argent formaient le trésor mystérieux qui d'après le Sauveur fut trouvé dans un champ et qu'un homme merveilleusement et admirablement avare s'empressa d’acheter après avoir vendu tout ce qu'il possédait (3).
 
 

1. Luc, XVI, 9-12. — 2. I Cor. III, 12. — 3. Matt. XIII, 44.
 
 

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N'est-ce pas effectivement le Seigneur qu'annonçait le Prophète; et dans son langage figuré, comme il l'est d'ordinaire, ne désignait-il pas l'époque du siècle nouveau, c'est-à-dire de l’Église, quand il disait : « Encore un peu de temps, et j'ébranlerai le ciel et la terre, la mer et l'aride; j'ébranlerai tous les peuples, et le Désiré de toutes les nations viendra, et je remplirai cette maison de gloire, dit le Seigneur des armées? L'or est à moi, l'argent aussi est à moi, dit le Seigneur des armées. La gloire de ce temple sera encore plus grande que celle du premier, dit le Seigneur des armées, et je donnerai la paix en ce lieu, dit le Seigneur des armées (1). »

10. Si les Manichéens voulaient ne pas ressembler à ces chiens et à ces pourceaux auxquels il nous est interdit de jeter les choses saintes et les perles; s'ils demandaient pour recevoir, s'ils cherchaient pour découvrir et s'ils frappaient pour obtenir qu'on leur ouvrit (2); ne pourraient-ils pas, sans le secours d'aucun interprète et sous la conduite du Saint-Esprit, voir que ce passage s'applique manifestement au peuple nouveau, c'est-à-dire au peuple chrétien dont le grand prêtre est Jésus le Fils de Dieu ? Il comprendraient surtout les paroles suivantes : « Encore un peu de temps, et j'ébranlerai le ciel et la terre, la mer et l'aride; j'ébranlerai tous les peuples et le Désiré de toutes les nations viendra. — Et le Désiré des nations viendra; » ces mots désignent le second avènement du Seigneur, quand il viendra avec gloire. Lors en effet qu'à son premier avènement il nous fut donné dans une chair mortelle par la Vierge Marie, il n'était pas le Désiré de toutes les nations, qui ne croyaient pas encore en lui.Mais en se répandant parmi tous les peuples, l'Évangile y allume le désir de le voir; car il a èt il aura partout des élus qui disent de tout coeur en le priant : « Que votre règne arrive (3). » Au premier avènement la miséricorde a préparé le jugement, qui donnera tant d'éclat au second avènement. Il fallait donc d'abord ébranler le ciel, ce qui arriva lorsque l'Ange annonça à Marie qu'elle concevrait le Fils de Dieu, lorsqu'une étoile conduisit les Mages pour l'adorer, et lorsque des Anges encore apprirent sa naissance aux bergers ; ébranler la terre, étonnée de ses miracles; ébranler la mer, c'est-à-dire le monde où frémissait le bruit des persécutions; ébranler l'aride, car
 
 

1. Agg. II, 7-10. — 2. Matt. VII, 6-8. — 3. Ib. VI, 10.
 
 

ceux qui croyaient en lui étaient affamés et altérés de justice; ébranler enfin toutes les nations, car son Évangile devait courir de toutes parts. Après cela doit paraître le Désiré de toutes les nations, et il viendra effectivement, comme l'a prédit le prophète ; et cette demeure, c'est-à-dire l'Église, sera remplie de gloire.

11. Il ajoute ensuite conséquemment : « L'or est à moi, l'argent aussi est à moi. » C'est que toute la sagesse, signifiée par l'or, c'est que « les paroles, les paroles pures du Seigneur, cet argent épuré, purifié jusqu'à sept fois (1), » c'est que tout cet argent et cet or ne sont point aux hommes mais au Très-Haut ; et si sa maison est remplie de gloire, c'est que celui qui se glorifie doit se glorifier dans le Seigneur (2). Pour faire rentrer au paradis l'homme qui en était sorti par orgueil, le grand prêtre qui habite cette maison mystérieuse a daigné se présenter comme un modèle d'humilité ; il l'atteste lui-même quand il crie dans l'Évangile : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur (3). » Afin donc que dans cette maison, c'est-à-dire dans son Église, nul ne s'attribue orgueilleusement ce qu'il peut avoir de sagesse dans ses sentiments ou dans ses discours, avec quelle salutaire précaution le Seigneur dit à tous

« L'or est à moi, l'argent aussi est à moi! » Par là s'accomplira ce qui suit: « et la gloire de cette dernière demeure sera plus grande que celle de la première. » Car la première demeure, ou les habitants de la Jérusalem terrestre, « ignorent la justice de Dieu, cherchent à établir la  leur et conséquemment ne sont point soumis à la divine justice, » comme le dit l'Apôtre (4). Aussi considérez qu'en revendiquant la propriété de l'or et de l'argent, il leur a été impossible de parvenir à l'éternelle gloire de la dernière demeure. En disant, néanmoins : « La gloire de  cette dernière demeure sera plus grande que « celle de la première; » le prophète indique que celle-ci n'a pas été sans quelque gloire. C'est de cette gloire que parlait l'Apôtre lui-même quand il disait : « Si ce qui disparaît a de la gloire, ce qui demeure en a bien davantage (5). »

12. Le dernier verset de ce passage prophétique est celui-ci : « Et dans ce lieu je donnerai « la paix, dit le Seigneur des armées. » Que signifie dans ce lieu ? Ne dirait-on pas que le Seigneur montre du doigt quelque chose de terrestre, puisque les lieux ne peuvent contenir que
 
 

1. Ps. XI, 7. — 2. II Cor. X, 17. — 3. Matt. XI, 29. — 4. Rom. X, 3. — 5. II Cor. III. 11.
 
 

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des corps? On peut dont voir ici la résurrection générale des corps, laquelle fera le complément de la béatitude, car alors la chair ne convoitera plus contre l'esprit ni l'esprit contre la chair, En effet ce corps corruptible sera revêtu d'incorruptibilité, ce corps mortel d'immortalité (1) Il n'y aura plus dans nos membres de loi pour lutter contre la loi de l'esprit; car « en ce lieu je donnerai la paix, dit le Seigneur des armées. »

13. S'il s'agit du mépris de l'or et de l'argent     matériels, combien les prophètes n'en ont-ils point parlé? et qui a pu fermer assez l'oreille à la divine parole pour ignorer ce qu'ils en on dit?

Les Manichéens; pour séduire les esprits, citent ce texte de l'Apôtre : « L'avarice est la racine de tous les maux, et en s'y laissant entraîner, plusieurs ont dévié de la foi et se sont engagés dans beaucoup de chagrins (2). » Mais serait-il facile de découvrir dans l'ancien Testament un livre où l'avarice ne soit pas condamnée et vouée à l'exécration ? Puisqu'il s'agit entre nous d'or et d'argent, pourquoi n'écoutent-ils pas cet oracle
 
 

1. I Cor. XV, 53. — 2. I Tim.VI, 10.
 
 

prophétique: « Ni leur or, ni leur argent ne pourront les délivrer au jour de la colère divine (1) ». Ne suffirait-il pas d'entendre ce passage avec de bonnes dispositions, de s'en pénétrer l'âme, pour renoncer entièrement aux séductions d'une félicité trompeuse, pour se jeter dans les bras de Dieu, se dépouiller du vieil homme et se revêtir d'immortalité?

Mais pourquoi agiter plus longtemps cette question? Votre charité voit clairement, je n'en doute pas, que, devant les simples, les Manichéens s'appuient, non sur la vérité mais sur l'astuce, pour opposer une partie de l'Écriture à  toute l'Écriture et les livres nouveaux aux livres anciens; et que, pour faire illusion aux ignorants, ils prennent des phrases isolées entre lesquelles ils s'efforcent de montrer quelque contradiction. Mais dans le nouveau Testament lui-même, il n'y a ni une épître apostolique, ni un livre évangélique qu'on ne puisse défigurer également; on peut dans le même livre montrer des pensées opposées s’il n'a le plus grand soin, en le lisant, d'étudier le contexte tout entier.
 
 

1. Ezéch. VII, 19.
 
 

source: http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin/index.htm

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