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Saint Augustin d'Hippone
Sermons  sur l'évangile de Saint Matthieu

SERMON LI. LA DOUBLE GÉNÉALOGIE DE JÉSUS-CHRIST (1).
 

ANALYSE.— Après avoir félicité ses auditeurs de ce qu'ils ont préféré au.spectacle profane le spectacle de la vérité évangélique, et après avoir plaint ceux que l'attachement aux divertissements publics retient éloignés de l'Église, saint Augustin aborde le sujet qu'il a promis de traiter le jour de Noël. Il s'agit d'expliquer pourquoi Jésus-Christ est né miraculeusement de Marie et pourquoi néanmoins sa double généalogie est la généalogie de Joseph. — I. Pour relever le courage et l'honneur du sexe qui nous a perdus, il convenait que Jésus-Christ naquit d'une femme. Comment savoir qu'il est né d'une femme? Par le témoignage de l'Église universelle et par le témoignage de l'Évangile ; car si l'on rencontre des difficultés dans l'Évangile, elles s'évanouissent bientôt quand on croit avec une hum soumission. Or l’Évangile rapporte expressément, non-seulement que le Fils de Dieu a pris chair dans la race de David et d'Abraham mais encore qu'il est né miraculeusement de la vierge Marie. En vain objecte-t-on que l'Évangile est dans l'erreur lorsqu'il rapporte le nombre des générations. Son calcul n'est pas erroné, et ce qu'il a d'étonnant figure d'une manière admirable comment le Sauveur convertissant les hommes devait être la pierre angulaire qui réunirait entre eux les Juifs et les païens devenus chrétiens. — II. Pourquoi la généalogie du Sauveur est-elle celle de Joseph et non celle de Marie? — C'est que Joseph est le père de Jésus-Christ. Ainsi l'enseigne l'Évangile à plusieurs reprises; ainsi le veut son titre véritable d'époux de Marie; ainsi l'exige la filiation adoptive. Si maintenant les Évangélistes attribuent deux pères à Joseph, c'est qu'il arrivait souvent chez les Juifs qu'un fils portait même temps le nom de son père légal et le nom de son père réel. Si d'un autre coté saint Matthieu compte les générations descendant, tandis que saisit Luc les énumère en remontant, si l'un en compte quarante et l'autre soixante dix-sept, c'est dans un but mystérieux, c'est pour faire connaître que le Fils de Dieu est descendu parmi nous pour se charger de nos péchés et qu’il est remonté vers son Père après les avoir effacés.
 
 

1. Dieu a excité l'attente de votre charité, qu'il daigne la remplir. Nous comptons, il est vrai que ce que nous allons vous adresser ne vient pas de nous mais de Lui ; nous disons cependant avec beaucoup plus de raison que l'Apôtre dans son
 
 

1. Matt. I ; Luc, III.
 
 

humilité, que « nous portons ce trésor dans vases d'argile, afin que la grandeur appartienne à la puissance de Dieu et ne vienne pas nous (1). » Je le vois, vous vous souvenez de notre engagement ; c'est en Dieu que nous l'avons contracté,
 
 

1. II Cor. IV, 7.
 
 

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et c'est par lui que nous l'accomplissons. Nous le prions en vous promettant, et c'est lui qui nous donne de nous acquitter aujourd'hui. Votre charité n'a pas oublié que le matin dé la Nativité du Seigneur, nous avons ajourné la solution de la question qui avait été proposée. C'est qu'en effet beaucoup de ceux qu'importune la parole de Dieu célébraient avec nous la solennité exigée par ce grand jour. Mais aujourd'hui il n'y a, je crois, que ceux qui désirent l'entendre, et nous ne parlons ni à des coeurs sourds ni à des âmes dégoûtées. Le désir que je vois en vous est de plus une prière en ma faveur.

Un autre motif m'encourage: le jour des jeux publics a emporté d'ici un grand nombre de malheureux, pour le salut desquels nous vous recommandons une sollicitude aussi empressée que la nôtre : priez Dieu avec ferveur pour eux, car appliqués comme ils sont- aux spectacles de la chair, ils ne connaissent point encore les doux spectacles de la vérité. Je sais et je sais avec certitude qu'à votre société appartiennent plusieurs de ceux qui nous délaissent aujourd'hui. Ils déchirent ainsi ce qu'ils ont cousu; car, les hommes changent et en bien et en mal: nous éprouvons chaque jour la joie et la tristesse de ces vicissitudes : joie, quand ils se corrigent ; tristesse, quand ils se perdent. Aussi le Seigneur n'assure pas le salut à celui qui commence : « celui qui persévèrera jusqu'à la fin, dit-il, celui-là sera sauvé (1). »

2. Mais était-il possible que Notre-Seigneur Jésus-Christ, que le Fils de Dieu, qui a daigné se faire en même temps fils de l'homme, nous accordât rien de plus admirable, rien de plus magnifique, que de faire entrer dans son bercail, non-seulement les spectateurs de ces jeux frivoles, mais encore ceux qui s'y donnent en spectacle ? Car il poursuit pour les sauver ét les amis des gladiateurs et les gladiateurs eux-mêmes. Lui-même d'ailleurs n'a-t-il pas été donné en spectacle ? Apprends de quelle manière. Il a dit, il a prédit longtemps auparavant, il a annoncé, comme si la chose était déjà accomplie, il a dit expressément dans un psaume : « Ils ont creusé mes mains et mes pieds, ils ont compté tous mes os. » Voilà comment il a été donné en spectacle, ses os mêmes ont été comptés. Il exprime plus clairement encore cette idée de spectacle : « Ils m'ont regardé, dit-il, ils m'ont considéré attentivement (2). » Spectacle de
 
 

1. Matt. X, 22. — 2. Ps. XXI, 17, 18.
 
 

dérision, car on n'avait pour lui, même en ce moment, aucune bienveillance, on ne montrait que de la fureur. Ainsi voulut-il que dès l'origine ses martyrs fussent également livrés en spectacle. « Nous sommes en spectacle, dit l'Apôtre, au monde, aux anges et aux hommes (1). »

Or il y a pour cette dernière sorte de spectacles deux espèces de spectateurs; les spectateurs charnels et les spectateurs spirituels. Les spectateurs charnels regardent comme des misérables ces martyrs qui sont exposés aux bêtes, qui périssent ta tête tranchée ou consumés par la flamme ; ils les détestent, et les ont en horreur. Les autres spectateurs, comme les saints anges eux-mêmes, considèrent moins leurs chairs en lambeaux qu'ils n'admirent l'intègre vigueur de leur foi. Quel spectacle en effet pour les yeux du cœur qu'une âme montre ce que vous préférez invincible dans un corps en ruine! Ce sont ces spectacles que vous contemplez volontiers lorsqu'on en lit les actes dans l'Eglise ; car vous n'y entendriez rien si vous n'y voyiez rien; et aujourd'hui par conséquent vous ne renoncez point, aux spectacles vous montrez ceux que vous préférez.

Que Dieu donc voies accorde la grâce de rendre compte avec bonté de vos spectacles pieux, à ces amis que vous plaignez aujourd'hui d'avoir couru à l'amphithéâtre et d'avoir refusé de venir à l'église ; qu'ils commencent à mépriser ces jeux profanes dont l'amour les rend méprisables eux-mêmes, et qu'avec vous ils aiment ce Dieu dont ne peut rougir aucun de ceux qui l'aiment, car l'aimer c'est aimer l'invincible. Qu'avec vous ils aiment le Christ, le Christ qui a voulu paraître vaincu pour vaincre l'univers. Ne voyons-nous pas aujourd'hui, mes frères, qu'il l'a vaincu en effet ? Il a soumis toutes les puissances ; sans soldat superbe et avec sa croix chargée d'outrages, il a courbé les rois sous son joug ; il n'a point fait sang avec le glaive, il est resté attaché à la croix et en souffrant dans son corps il a triomphé des âmes. Ses membres s'élevaient sur le gibet et sous ce gibet il abaissait les coeurs. Et quel diamant brille avec plus d'éclat sur le diadème, que la croix du Christ sur le front des monarques? Non, en vous attachant à lui, vous n'avez jamais à rougir.

Combien reviennent de l'amphithéâtre, vaincus parce que sont vaincus ceux pour qui ils se sont pris d'une folle passion ? Ne seraient-ils pas plus vaincus encore si leurs partisans triomphaient ? Ils seraient alors livrés à une vaine joie, ils
 
 

1. I Cor. IV, 8.
 
 

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s'abandonneraient au plaisir inspiré par leur passion insensée. Aussi sont-ils défaits au moment même oit ils courent au théâtre. Combien n'y en a-t-il pas, mes frères, qui aujourd'hui ont hésité de savoir s'ils iraient là ou s'ils viendraient ici? Ceux d'entre eux qui dans ce moment de doute ont regardé le Christ et sont accourus à l'Eglise, ont triomphé,nonpas d'un homme quelconque mais du diable même, le plus méchant ennemi du genre humain. Ceux au contraire qui ont alors préféré courir au théâtre, ont été vaincus au lieu d'être vainqueurs avec les premiers. Or si ceux-ci ont vaincu, c'est en Celui quia dit: «Réjouissez« vous, car j'ai vaincu le monde (1). » Il est en effet comme le général qui s'est laissé attaquer pour former le soldat au combat.

3. Or c'est pour nous donner cette leçon que Jésus-Christ Notre-Seigneur s'est fait homme en naissant d'une femme. — L'eût-il moins donnée, s'il ne fût né de la vierge Marie, dira-t-on ? Il voulait être homme, il pouvait l'être sans avoir une mère ; le premier homme formé par lui n'en avait pas. — Voici ma réponse. Pourquoi, demandes-tu, a-t-il voulu naître d'une femme ? Et pourquoi, répliquerai-je, aurait-il refusé d'avoir une femme pour mère? Supposé que je ne puisse expliquer les motifs de son choix ; dis-moi d'abord ce qui lui défendait de naître d'une femme. N'a-t-on pas observé déjà qu'en fuyant un sein maternel il aurait comme reconnu qu'il pouvait en être souillé ? Plus il était par sa nature au dessus de toute souillure possible, moins il devait craindre de se souiller dans le sein de sa mère; de plus il a voulu en naissant d'elle, nous révéler quelques traits d'un mystère important.

Il est vrai, mes frères, et nous l'avouons, si le Seigneur avait voulu se faire homme sans naître d'une femme c'était chose facile à sa Majesté suprême. S'il a pu naître d'une femme sans le concours d'aucun homme, ne pouvait-il naître aussi sans l'intermédiaire d'aucune femme? Mais il nous a appris qu'aucun sexe, car il y en a deux dans le genre humain, ne doit désespérer. Si étant du sexe masculin, comme il devait en être, il ne s'était pas choisi une mère, les femmes tomberaient dans le désespoir au souvenir de leur premier péché, car c'est la femme qui a séduit le premier homme; elles croiraient qu'elles n'ont absolument aucun motif d'espérer au Christ. Le Christ a donc préféré pour lui le premier sexe, mais en naissant d'une femme il console les femmes et il semble
 
 

1. Jean, XVI, 33.
 
 

leur dire : Pour vous apprendre qu'aucune créature de Dieu n'est mauvaise par nature et qu'elle n'a été pervertie que par un plaisir coupable, lorsque j'ai créé l'homme au commencement du monde je l'ai créé mâle et femelle. Je ne condamne point ce due j'ai fait. Je suis homme, mais né d'une femme. Non, je ne condamne point la créature que j'ai faite, je condamne le péché que je n'ai pas fait. Que chaque sexe reconnaisse comment je l'honore ; mais aussi que chacun d'eux confesse son iniquité et espère le salut. La femme pour tromper l'homme lui a présenté une coupe empoisonnée; elle lui offrira pour le relever la coupe du salut, et la femme en devenant  mère du Christ réparera la faute qu'elle a faite en séduisant l'homme. Aussi ce sont des femmes qui les premières apprirent aux Apôtres la résurrection du Seigneur. Une femme avait annonce la mort à son époux dans le paradis ; des femmes aussi ont annoncé le salut aux hommes dans l'Eglise. Les Apôtres devaient annoncer aux nations la résurrection du Christ ; ce sont des femmes qui l'ont annoncée aux Apôtres. Personne ne doit donc reprocher au Sauveur d'être né d'une femme : une telle nuisance ne pouvait le souiller, et il convenait que le Créateur honorât ce sexe.

4. Comment nous amener à croire, poursuivent-ils, que le Christ est né d'une femme? Je répondrai : Par l'Évangile, cet Évangile quia été prêché et qui l'est encore à tout l'univers. Mais ces aveugles essaient de révoquer en doute ce qui est admis par toute la terre; ils veulent communiquer leur aveuglement, et en cherchant à ébranler la certitude de ce qu'il faut croire, ils ne voient point ce qu'il faut voir.-Ne nous impose pas, s'écrient-ils, l'autorité de l'univers ; ouvrons les Écritures. Ne fais pas le populaire ; c'est la multitude séduite qui est pour toi. — La multitude séduite est avec moi? Mais cette multitude n'était-elle pas d'abord le petit nombre? Comment s'est formée cette multitude dont les accroissements ont été annoncés si longtemps d'avance? On n'a pas vu ces accroissements et on les a prédits. Eh quoi? Abraham n'était pas un petit nombre, il était seul. Remarquez-le, mes frères, Abraham était seul alors, seul dans tout le monde, seul dans tout l'univers, seul parmi tous les peuples ; néanmoins il lui fut dit: «Dans un rejeton de ta race toutes les nations seront bénies (1). » Et ce que seul alors il croyait de son unique
 
 

1. Gen. XXII, 18.
 
 

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héritier, un grand nombre le voient aujourd'hui réalisé dans la multitude de ses descendants. Il ne voyait pas et il croyait; on voit aujourd'hui et l'on conteste : ce que Dieu disait alors à un seul homme, ce que celui-ci croyait, est maintenant contesté par un petit nombre, tout réalisé qu'il est dans la multitude. Car Celui qui a fait de ses disciples des pêcheurs d'hommes, a pris dans ses réseaux tous les genres d'autorité. Faut-il ajouter foi au grand nombre ? Qu'y a-t-il de plus nombreux que l'Eglise, répandue dans tout l'univers ? Aux riches ? Combien de riches sont entrés dans son sein ! Aux pauvres? Combien de milliers d'entre eux l'on y compte ! Aux nobles ? La noblesse y est presque tout entière. Aux rois ? On les voit tous soumis au Christ. A l'éloquence, à la science, à la sagesse ? Combien d'orateurs, combien de savants, combien de philosophes du siècle entraînés dans les mailles de ces pêcheurs, retirés de l'abîme et placés sur les rivages du salut ! Tous ont les yeux fixés sur Celui qui est descendu pour guérir l'âme humaine de la grande maladie qui la dévore, de l'orgueil, et qui a choisi ce qui est faible pour confondre ce qui est fort ; ce qui est insensé pour confondre les sages, ou plutôt ceux qui le paraissent sans l'être ; ce qui est bas selon ce monde et ce qui n'est rien pour détruire ce qui est (1).

5. Dis tout ce qu'il te plaira, reprennent-ils, nous avons remarqué qu'à l'endroit même où ils vous rapportent la naissance du Christ, les Evangiles sont en contradiction ; or deux assertions contradictoires ne sauraient être également vraies. Donc après avoir montré cette contradiction, je dois rejeter ta foi ; on bien pour justifier ta foi, montre-moi l'accord des Evangiles. — Quelle contradiction me signaleras-tu? — Une contradiction manifeste et que personne ne saurait contester. — Je vous la ferai connaître sans crainte parce que vous êtes fidèles.

Remarquez, mes bien-aimés, combien est salutaire cet avertissement de l'Apôtre : « Marchez donc en Jésus-Christ notre Seigneur selon que vous l'avez reçu, enracinés en lui, édifiés sur lui et affermis dans la foi. » Nous devons en effet nous attacher fortement à lui, avec une foi simple et inébranlable; à cause de cette fidélité il nous découvrira ce qui est caché en lui, car, dit le même Apôtre, « en lui sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la science (2). » Or s'il les cache, ce n'est pas pour les refuser,
 
 

1. I Cor. 1, 27, 28. — 2. Coloss. II, 6, 7, 3.
 
 

c'est pour exciter le désir de les posséder. Telle est l'utile conséquence de ce qu'on garde sous le secret. Respectes-y ce que tu ne comprends pas encore, et respecte-le d'autant plus que plus de voiles le dérobent à tes yeux. Plus un personnage est honorable; plus sont nombreux les voiles appendus dans sa demeure. Ces voiles inspirent le respect pour ce, que l'on ne voit pas. Ils se lèvent pour ceux qui les honorent, tandis qu'on en éloigne ceux qui jettent sur eux le mépris. Aussi pour nous n'y a-t-il plus de voile depuis que nous avons passé au Christ (1).

6. Plusieurs donc nous accusent. Matthieu est-il sûrement un évangéliste, demandent-ils ? La piété sur les lèvres aussi bien que la religion dans le coeur, nous répondons avec une entière certitude : Matthieu est un Evangéliste. — As-tu foi en lui, reprennent-ils ? — Qui ne répondrait comme le fait entendre votre pieux murmure : J'ai foi en lui ? Eh bien, mes frères, si vous avez cette ferme foi, il n'est rien qui puisse vous faire rougir. Celui qui vous parle a été déçu pendant quelque temps. Tout jeune encore je voulais discuter les Ecritures avec subtilité plutôt que de les interroger avec piété, mes moeurs dépravées avaient fermé pour moi la porte de mon Maître et au lieu de frapper pour qu'elle s'ouvrit, je continuais à la fermer, car je cherchais avec orgueil ce qu'on ne peut découvrir qu'avec humilité. Ah! que vous êtes bien plus heureux aujourd'hui ! Vous apprenez avec tant de tranquillité et de sécurité, vous qui êtes encore comme des enfants dans le nid de la foi et qui recevez simplement la nourriture spirituelle ! Je me croyais capable de prendre mon essor, j'eus te malheur de quitter le nid et je tombai avant de m'élever. Pour m'épargner d'être foulé par les passants et m'arracher à la mort, la miséricorde du Seigneur m'a ramassé et replacé dans ce nid. Voici donc ce qui me tourmentait. Je vous en parle maintenant et je vous l'explique sans crainte au nom du Seigneur.

7. J'avais commencé de le dire, on nous accuse de la manière suivante. Matthieu est-il un évangéliste demande-t-on, et avez-vous foi en lui? — Nous confessons que Matthieu est un évangéliste et conséquemment nous avons confiance en lui. — Remarquez les générations du Christ, d'après Matthieu. « Livre de la généralogie de Jésus-Christ, fils de David, fils d'Abraham. » Comment est-il fils de David, comment fils d'Abraham ?
 
 

1. II Cor. III, I6.
 
 

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On ne saurait le montrer qu'en traçant la suite des générations; car ni Abraham ni David n'étaient plus sûrement de ce monde, quand le Seigneur naquit de la vierge Marie. — Et tu le prétends fils de David, et en même temps fils d'Abraham ? Ainsi demandons à Matthieu de prouver ce qu'il dit; j'attends de lui la généalogie du Christ.

« Abraham, poursuit-il, engendra Isaac;Isaac engendra Jacob ; Jacob engendra Juda et ses frères ; Juda engendra de Thamar Pharés et Zara ; Pharés engendra Esron; Esron engendra  Aram; Aram engendra Aminadab; Aminadab engendra Naasson ; Naasson engendra Salmon ; Salmon engendra Booz, de Rahab ; Booz engendra Obed, de Ruth ; Obed engendra Jessé ; Jessé engendra David, roi. »

Observez maintenant comment on va de David au Christ, qui vient d'être appelé fils d'Abraham et fils de, David : « David engendra Salomon, de celle qui fut femme d'Unie ; Salomon engendra Roboam ; Roboam engendra Abias ; Abias engendra Asa;Asa engendra Josaphat; Josaphat engendra Joram ; Joram engendra Osias; Osias engendra Joatham ; Joatham engendra Achaz ; Achaz engendra Ezéchias ; Ezéchias engendra Manassés; Manassés engendra Amon; Amon engendra Josias; Josias engendra Jéchonias et ses frères vers la transmigration de Babylone. Et après la transmigration de Babylone, Jéchonias engendra Salathiel ; Salathiel engendra Zorobabel; Zorobabel engendra Abiud ; Abiud engendra Eliachim ; Eliachim engendra Azor ; Azor engendra Sadoc; Sadoc  engendra Achim ; Achim engendra Eliud ; Eliud engendra Eléazar ; Eléazar engendra Mathan ; Mathan engendra Jacob ; Jacob engendra Joseph, l'époux de Marie, de laquelle est né Jésus qui est appelé le Christ. » Il suffît donc de suivre l'ordre et la série des générations pour comprendre que le Christ est en même temps fils de David et fils d'Abraham.

8. Ceci fidèlement établi, on appuie une première accusation sur les paroles suivantes de saint Matthieu. « Il y a donc en tout, d'Abraham jusqu'à David, quatorze générations; de David jusqu'à la transmigration de Babylone, quatorze générations; et de la transmigration de Babylone jusqu'au Christ, quatorze générations. » L'Évangéliste continue ensuite son récit, et. pour rapporter comment le Christ naquit de la Vierge Marie, il ajoute: « Telle était donc la généalogie du Christ. » Il a suffi en effet de parcourir la, férie de ses ancêtres pour comprendre qu'il est vraiment fils de David et fils d'Abraham.

Il faut relater maintenant comment il est né et comment il s'est révélé aux hommes; c'est sur ce récit que s'appuie notre foi quand elle nous montre que Jésus-Christ Notre-Seigneur est né du Père éternel, qu'il est coéternel lui-même à Celui qui l'a engendré avant tous les siècles, avant toute création, que tout a été fait par lui; quand de plus nous confessons également qu'il est né de la Vierge Marie par l'opération du Saint-Esprit. Rappelez-vous en effet, car vous le connaissez, puisque je parle à des Catholiques, à mes frères, que telle est effectivement notre foi, celle que nous professons et publions hautement. Pour elle sont morts dans tout l'univers des milliers de martyrs.

9. Voici donc ce qu'ils veulent tourner en dérision pour ôter toute confiance aux livres évangéliques; ils prétendent que nous croyons trop légèrement ce qui suit : « Marie sa mère étant fiancée à Joseph, il se trouva qu'avant leur union elle avait conçu de l'Esprit-Saint. Mais Joseph son époux était un homme juste et ne voulait point la manifester; c'est pour« quoi il chercha à la laisser secrètement. » Etranger à cette conception, il en concluait quelle était adultère. « Il était juste, dit l'Ecriture, et ne voulait pas la manifester, » c'est-à-dire la diffamer, ainsi que portent plusieurs exemplaires. « Aussi voulut-il la laisser secrètement. » Il est époux et il se trouble; mais il est juste et il ne frappe pas. Telle est en effet la justice attribuée à cet homme, qu'il ne veut point conserver une adultère et qu'il n'ose la châtier en la diffamant. « II voulut la laisser secrètement, » est-il dit; car loin de la punir il ne voulait pas même la faire connaître.

Voyez combien sa justice était véritable! S'il voulait l'épargner, ce n'était point, un effet de la passion. En pardonnant à des épouses adultères beaucoup obéissent à l'amour charnel; ils veulent les conserver malgré leur crime pour assouvir leur honteuse convoitise. Mais le juste : Joseph ne veut point conserver sa femme; son affection n'est donc pas charnelle. Il ne veut pas non plus la punir; il a donc pour elle une vraie compassion. Que ce juste est admirable! Sans conserver l'adutère il ne lui pardonne point par affection charnelle; et toutefois il ne la châtie ni ne la fait connaître. N'a-t-il pas été bien (235) choisi pour rendre témoignage à la virginité de son épouse? Est-il étonnant que si la faiblesse humaine l'a fait chanceler, il ait été raffermi par une autorité divine?

10. Voici en effet ce .qui suit dans le récit évangélique: « Comme il s'occupait de ces pensées, un ange du Seigneur lui apparut en songe et lui dit : Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre avec toi Marie ton épouse; car ce qui a été engendré en elle est du Saint-Esprit. Elle enfantera un fils auquel tu donneras le nom de Jésus. » Pourquoi ce nom de Jésus? « Parce que, poursuit l'ange, c'est lui qui sauvera son peuple de ses péchés (1). » Il faut ainsi entendre que le nom hébreu de Jésus signifie Sauveur, c'est l'explication même du céleste messager. En effet, comme si on lui avait demandé: Pourquoi s'appellera-t-il Jésus? Il ajoute en expliquant le sens de ce mot : « Parce que c'est lui qui sauvera son peuple de ses péchés. » Notre foi pieuse, notre inébranlable conviction est donc que le Christ est né de la Vierge Marie par l'opération du Saint-Esprit.

11. Et qu'objectent nos adversaires? — Si je découvre une erreur dans ce récit, tu ne saurais l'admettre avec certitude dans son intégrité. — Montre-m'en une, voyons. — Je compte les générations. — C'est à cela en effet que nous invitent, que nous entraînent nos adversaires par leurs accusations. Mais si -nous vivons dans la piété, si nous croyons au Christ, si nous ne cherchons point à sortir prématurément du nid, leurs efforts aboutissent à nous faire mieux connaître les mystères.

Que votre sainteté remarque ici de quelle utilité sont pour nous les hérétiques; j'entends de quelle utilité selon Dieu, qui tire le bien du mal même. Pour eux ils recevront ce que mérite leur volonté perverse, ils ne seront pas récompensés du bien que Dieu sait tirer de leurs actes. Citons Judas, quels heureux résultats Dieu a su faire découler de sa conduite ! les nations doivent leur salut à la passion du Sauveur; mais le Sauveur ne doit-il pas sa passion à la trahison de Judas? Dieu a donc sauvé les peuples par la passion de son Fils et il punit Judas de son crime. C'est ainsi qu'en se contentant de la simplicité de la foi, nul ne pénétrerait les mystères de l'Ecriture; et comme nul ne s'occuperait de les pénétrer s'il n'y était poussé par les accusateurs, on ne les éclaircirait point. Devant les calomnies
 
 

1. Matt. I, 1-21.
 
 

des hérétiques, les faibles se troublent ; en se troublant ils cherchent, et en cherchant ils font comme ces petits enfants qui frappent de la tête le sein de leur mère pour en faire couler autant de lait qu'il leur en faut. Les faibles une fois troublés cherchent donc; et ceux qui connaissent, ceux gui ont approfondi parce qu'ils ont médité et que Dieu a ouvert à leur persévérance, leur exposent à leur tour la vérité découverte par eux. Il est donc incontestable qu'en cherchant par leurs accusations à entraîner dans l'erreur, ces hérétiques servent à faire briller la vérité. On la chercherait avec plus de négligence, si elle ne rencontrait des ennemis menteurs. « Il faut, est-il écrit, qu'il y ait des hérésies. » Et comme si nous en demandions la raison : « Afin que l'on connaisse ceux qui sont éprouvés parmi vous, » continue aussitôt l'écrivain sacré (1).

12. Qu'objectent enfin nos adversaires ? — Matthieu résume le nombre des générations ; d'Abraham à David il en compte quatorze; quatorze depuis David jusqu'à la transmigration de Babylone; et depuis la transmigration de Babylone, jusqu'au Christ, quatorze encore. Multiplie quatorze par trois, tu obtiens quarante-deux. Pour eux, en additionnant ces générations, ils n'en trouvent que quarante-et-une, ce qui provoque leurs accusations, leurs dérisions et leurs insultes.

Mais pourquoi l'Evangile affirme-t-il qu'il y a trois fois quatorze générations, tandis qu'en les prenant toutes l'une après l'autre on en obtient, non pas quarante-deux, mais quarante-et-une? C'est assurément un profond mystère. Et nous sommes heureux, nous remercions le Seigneur de nous faire découvrir, à l'occasion des outrages lancés contre nous, une vérité d'autant plus agréable à saisir qu'elle était plus profondément ensevelie dans l'ombre. Nous le disions en commençant, nous donnons ici un spectacle tout spirituel.

D'Abraham à David, il y a donc quatorze générations. On reprend ensuite à Salomon, fils de David, et de Salomon on va jusqu'à Jéchonias, sous qui eut lieu la transmigration de Babylone. Or en comprenant Salomon, le chef de cette série et Jéchonias qui en est le terme, on compte encore quatorze générations. Pour la troisième série, elle commence à ce même Jéchonias.

13. Que votre sainteté goûte ici un mystère
 
 

1. I Cor. XL. 19.
 
 

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plein de douceur. Je vous avoue que mon coeur y trouve d'ineffables délices, et j'aime à croire que vous direz comme moi lorsque je vous aurai exposé et fait goûter ma pensée. Ecoutez donc.

De Jéchonias qui ouvre la troisième série, jusqu'à Jésus-Christ Notre-Seigneur, il y a quatorze générations; ainsi Jéchonias est compté deux fois, une fois pour fermer la deuxième série et une autre fois pour ouvrir la troisième. Pourquoi, demandera-t-on, Jéchonias est-il compté deux fois ? Rien n'arrivait chez le peuple d'Israël qui ne fût un mystère de l'avenir. La raison ne défend pas de compter deux fois Jéchonias. Voici la limite qui sépare deux propriétés, une pierre ou une cloison quelconque : chaque propriétaire ne part-il pas de cette borne quand il s'agit de mesurer?

Pourquoi néanmoins ne comptons-nous pas de la même manière les deux précédentes séries; la première, qui comprend quatorze générations depuis Abraham jusqu'à David, et la deuxième qui en comprend quatorze aussi, non pas depuis David inclusivement, mais depuis Salomon? Il en faut donner le motif : c'est ici le profond mystère. Que votre sainteté nous prête toute son attention.

La transmigration de Babylone eut lieu, lorsque le roi Jéchonias succéda à son père qui venait de mourir. La couronne fut enlevée à ce prince et un autre prit sa place; ce fut néanmoins de son vivant que le peuple de Dieu émigra parmi les gentils. On ne cite de Jéchonias aucune faute qui ait pu le faire détrôner, on parle plutôt des crimes de ses successeurs. Arrive donc la captivité, on va à Babylone. Les impies seuls n'en prennent pas la route, des saints mêmes vont avec eux en captivité et l'on y voit le prophète Ezéchiel, l'on y voit Daniel et ces trois enfants qu'illustrèrent les flammes de la fournaise. Tous suivaient les conseils du prophète Jérémie.

14. N'oubliez pas que Jéchonias fut réprouvé innocemment, qu'if cessa de régner et passa parmi les gentils à l'époque où eut lieu la transmigration de Babylone : voyez ici une image anticipée de ce qui devait arriver à Jésus-Christ Notre-Seigneur. Les Juifs ne voulurent plus que Notre-Seigneur Jésus-Christ régnât sur eux, et pourtant ils n'avaient trouvé en lui aucune faute. Il fut rejeté dans sa personne, rejeté dans la personne de ses serviteurs, qui passèrent alors à Babylone, c'est-à-dire parmi les gentils. Le prophète Jérémie commandait de la part de Dieu d'aller à Babylone, et les prophètes qui s'y opposaient étaient par lui traités de faux-prophètes. Vous qui lisez les Ecritures, vous savez que nous n'inventons pas ; ceux qui ne les lisent pas doivent nous croire. Jérémie donc faisait au nom du Seigneur des menaces à qui refusait d'aller à Babylone, et il promettait à ceux qui y allaient, le repos et l'espèce de bonheur que procurent la plantation des vignes, la culture des arbres et l'abondance des récoltes (1). Et comment en réalité et non plus en figure, le peuple d'Israël passât-il à Babylone? Mais d'où étaient les Apôtres? N'étaient-ils pas des Juifs? D'où était Paul lui-même ? « Je suis Israëlite, dit-il, de la race « d'Abraham, de la tribu de Benjamin (2). » Beaucoup de Juifs crurent donc en Jésus-Christ. Parmi eux furent choisis les Apôtres ; de leur nombre se trouvaient ces cinq cents frères et plus, qui méritèrent de voir le Seigneur après sa résurrection (3) ; parmi eux comptaient encore ces cent vingt disciples que le Saint-Esprit trouva assemblés dans une même demeure lorsqu'il descendit du ciel (4). Et lorsque les Juifs repoussèrent ensuite la prédication de la vérité, que leur dit l'Apôtre dans les Actes des Apôtres? « Nous étions envoyés vers vous; mais puisque vous rejetez la parole de Dieu, nous nous tournons à l'instant vers les gentils (5). » Ainsi se fit spirituellement, à l'époque de l'incarnation du Seigneur, la transmigration de Babylone figurée au temps de Jérémie.

Mais que disait des Babylonients Jérémie aux émigrants ? « Leur paix fera votre paix (6). » Et lorsque sous la conduite du Christ et des Apôtres Israël allait aussi à Babylone, en d'autres termes, lorsque l'Evangile passait aux gentils, que dit l'Apôtre comme pour interpréter Jérémie ? « Je demande avant tout qu'on fasse des prières, des demandes, des supplications, des actions de grâces, pour tous les hommes, pour les rois et tous ceux qui sont en dignité, afin que nous menions une vie paisible et tranquille, avec toute piété et chasteté (7). » Les princes n'étaient pas encore chrétiens et. il priait pour eux. Les prières d'Israël furent exaucées à Babylone. Les prières de l'Eglise ont été également exaucées; et les princes sont devenus chrétiens, et vous voyez l'accomplissement de cette prophétie figurative : « Leur paix fera votre paix. » Ils ont
 
 

1. Jérém. XXVII. — 2. Rom. XI, 1. — 3. I Cor. X, 6. — 4. Act. I, 15; II , 14. — 5. Act. XIII, 46. — 6. Jérém. XXIX, 7. —  7. I Tim, II, 1, 2.
 
 

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reçu effectivement la paix du Christ et ils ont cessé de persécuter les chrétiens. Aussi a-t-on

bâti des Églises à la faveur de cette paix, établi et cultivé de nouveaux peuples dans le champ de Dieu, et toutes les nations s'enrichissent par la foi, par l'espérance et par la charité qu'inspire le Christ.

15. La transmigration de Babylone eut lieu sous Jéchonias, à qui on ne permit plus de régner sur les Juifs : c'était un emblème du Christ dont les Juifs ne voulurent plus pour leur roi. Israël passa parmi les gentils, les prédicateurs de l'Evangile se tournèrent aussi vers les peuples païens. Est-il alors étonnant que l'on compte deux fois le nom de Jéchonias? Jéchonias figurait le Christ passant des Juifs aux gentils. Mais ainsi placé entre les. Juifs et les gentils, qu'est-ce que le Christ? N'est-il pas cette célèbre pierre angulaire ? Considère l'angle d'une maison : cet angle ne termine-t-il pas un mur pour en commencer un autre? On comprend également la pierre angulaire dans la mesure de l'un et de l'autre mur ; il unit les deux murs et on le compte deux fois. En figurant le Seigneur, Jéchonias le figurait donc comme pierre angulaire. Et de ni même qu'on ne laissa point ce prince régner sur les Juifs, et qu'il alla à Babylone ; ainsi « après avoir été rejeté parles architectes » le Christ « est devenu la pierre angulaire (1), » l'Evangile a été annoncé aux gentils.

Ne crains donc pas de compter deux fois cette première pierre angulaire; tu obtiendras le total de l'écrivain sacré, tu compteras jusqu'à trois fois les quatorze générations, sans néanmoins parvenir à la somme de quarante-deux, mais à la somme de quarante-et-une. Quand on compte des pierres placées en ligne droite, on ne copte chacune d'elles qu'une seule fois; mais si la ligne se brise pour former un angle, il faut compter deux fois la pierre qui forme cet angle; cette pierre appartient réellement et au mur qui se termine à elle et à celui qui par elle commence. Ainsi en est-il des générations évangéliques. Tant qu'on reste chez le peuple juif, on compte en ligne droite les quatorze; mais lorsqu'on.brise la ligne pour tourner du côté de Babylone, Jéchonias devient comme une pierre angulaire, et comme figure d'une autre pierre angulaire infiniment vénérable, il faut le compter deux fois.

16. Voici une autre de leurs accusations : c'est
 
 

1. Ps. CVII, 22.
 
 

qu'on compte , disent-ils, les générations du Christ par Joseph, et non par Marie. Je prie votre sainteté de se rendre encore un peu attentive. On ne devait pas, disent-ils donc, compter ainsi par Joseph. — Et pourquoi ne devait-on pas compter par Joseph? Joseph n'était-il pas l'époux de Marie ? — Non, répondent-ils. — Qui ose dire non, quand, appuyée sur l'autorité d'un ange, l'Ecriture enseigne le contraire ? « Ne crains pas, dit-elle, de prendre Marie pour « ton épouse ; car ce qui a été engendré en elle « vient du Saint-Esprit. » A Joseph encore elle commande de donner le nom à l'enfant, quoiqu'il ne soit pas né de lui. « Elle l'enfantera un fils et « tu lui donneras le nom de Jésus. » Ainsi tout en s'attachant à montrer que le saint Enfant n'est pas né de Joseph, tout en répondant, aux inquiétudes de Joseph, qu'il « vient du Saint« Esprit, » la même Ecriture ne lui ôte pas l'autorité paternelle, puisqu'elle lui commande de donner le nom à l'Enfant. Bien sûre enfin qu'elle ne lui doit pas la conception du Christ, la Vierge Marie le nomme père de son fils.

17. Observez dans quelles circonstances. Notre-Seigneur était âgé de douze ans, de douze ans comme homme; car en tant que Dieu il est au dessus et en dehors de tous les temps; et il resta séparé d'eux dans le temple, discutant avec les docteurs qui admiraient sa doctrine. Au sortir de Jérusalem ses parents le cherchèrent dans leur compagnie, c'est-à-dire parmi ceux qui marchaient avec eux ; et ne le trouvant point, ils rentrèrent tout alarmés dans Jérusalem, et le trouvèrent discutant dans le temple avec les anciens, quoiqu'il ne fût, comme j'ai dit, âgé que de douze ans. Qui pourrait néanmoins s'en étonner? Le Verbe de Dieu ne garde jamais le silence, quoiqu'on ne l'entende pas toujours. On le découvre donc dans le temple et sa mère lui dit : « Pourquoi avez-vous agi de la sorte envers nous? Votre père et moi nous vous «cherchions dans l'affliction. — Ignoriez-vous, reprit-il, que je dois être occupé des intérêts de mon Père (1) ? » Il répondit ainsi comme étant le Fils de Dieu et dans le temple de Dieu. Ce temple en effet n'était par le temple de Joseph, mais le temple de Dieu.

Donc, objectera quelqu'un, il ne dit point qu'il était le fils de Joseph. — Ecoutez avec un peu plus de patience; mes frères, car nous avons peu de temps et il faut achever ce discours. Marie
 
 

1. Luc, II, 42, 49.
 
 

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ayant dit : « Votre père et moi nous vous cherchions dans l'affliction, » il répliqua : « Ignoriez-vous que je dois être occupé des affaires de mon Père ? » Il ne voulait pas laisser croire que tout en étant leur fils il n'était pas en même temps le Fils de Dieu; car il est et il est toujours le Fils de Dieu, créateur de ses parents mêmes. Mais fils de l'homme dans le temps et né miraculeusement d'une vierge, il avait néanmoins un père et une mère. Comment le prouver ? Marie l'a déjà dit: « Votre père et moi nous vous cherchions dans l'affliction. »

18. En vue surtout de l'instruction des femmes, de nos sueurs, ne passons point sous silence, mes frères, cette sainte modestie de la Vierge Marie. Elle avait donné le jour au Christ, un ange était venu vers elle et lui avait dit : « Tu vas concevoir dans ton sein et tu enfanteras un fils. Il sera grand et sera appelé le Fils du Très-Haut (1). » Elle avait mérité de donner le jour au Fils du Très-Haut, et elle était si humble! Même en se nommant elle ne se préférait pas à son mari, elle ne disait pas : moi et votre père, mais : « votre père et moi. » Elle ne considère point sa dignité de mère, mais l'ordre du mariage. Ah! Jésus-Christ est trop humble pour avoir enseigné l'orgueil à sa mère. « Votre père et moi nous vous cherchions dans les larmes. — Votre père, et moi » ensuite; car l'homme est le chef de la femme (2). Combien moins doivent s'enorgueillir les autres femmes! Si ce nom a été donné à Marie, ce n'est point qu'elle ait perdu sa virginité, c'est pour suivre l'usage de sa nation. L'Apôtre a dit de Jésus-Christ Notre-Seigneur qu' « il est né d'une femme (3); » mais sans se mettre en contradiction avec notre foi, qui professe hautement qu'il est né du Saint-Esprit et de la Vierge Marie, car elle conçut Vierge, Vierge elle enfanta et elle demeura Vierge. La langue hébraïque, en effet, donne le nom de femme à toutes les personnes du sexe. En voici une preuve manifeste; c'est que la première femme, tirée par Dieu du côté d'Adam, portait ce nom avant de s'unir avec l'homme, ce qui n'arriva qu'après leur expulsion du paradis. L'Ecriture dit expressément : « Dieu en forma la femme (4). »

19. Ainsi donc, lorsqu'en répondant : « Je devais m'occuper des affaires de mon Père, » Jésus-Christ Notre-Seigneur indique que Dieu est son Père, il ne nie pas que Joseph le soit aussi.
 
 

1. Luc, I, 31, 32. — 2. Ephée. V, 23. — 3. Galat. IV, 4. — 4. Gen. II, 22.
 
 

Où en est la preuve ? Dans l'Écriture quand elle dit : « Et il leur répondit : Ignoriez-vous que je dois m'occuper des affaires de mon Père ? Ils ne comprirent pas ce qu'il leur disait; puis étant descendu avec eux il vint à Nazareth et il leur était soumis (1). » Il n'est pas écrit : Il était soumis à sa mère, ni : il lui était soumis ; mais « Il leur était soumis. » A qui ? N'est-ce pas à ses parents ? C'est à ses deux parents qu'il se soumettait avec la même condescendance qui le rendait fils de l'homme.

Nous venons de transmettre des règles de vie aux femmes; c'est maintenant au tour des.enfants d'en recevoir. Qu'ils apprennent donc à obéir à leurs parents, à leur être soumis. L'univers est soumis au Christ, et le Christ est soumis à ses parents !

20. Vous voyez donc, mes frères, qu'en disant « Il faut que je m'occupe des intérêts de mon Père; » il ne prétend pas dire: Vous n'êtes pas mes parents. Ils étaient ses parents dans le temps, son Père est son Père dans l'éternité. Eux sont les parents du Fils de l'homme ; le Père est le Père de son Verbe, de sa Sagesse et de cette Vertu suprême par laquelle il a tout formé. Si par elle il a tout formé, car elle atteint d'une extrémité à l'autre avec force et dispose tout avec douceur (2); » par le Fils de l'homme ont été formés aussi ces parents auxquels il devait plus tard se soumettre comme Fils de Dieu.

L'Apôtre le nomme fils de David : « Il lui est né, dit-il, de la race de David, selon la chair (3). » Le Sauveur néanmoins propose aux Juifs une question que l'Apôtre résout dans ces mêmes paroles. Si après ces mots : « Il lui est né de la race de David, » il ajoute : « selon la chair, » c'est pour faire entendre que selon sa divinité fi n'est pas fils de David, mais Fils de Dieu et Seigneur de David. Aussi en faisant ailleurs l'éloge de la race juive : « De leurs pères, dit le même Apôtre, est né selon la chair le Christ qui est au-dessus de toutes choses, Dieu béni dans tous les siècles (4). — Selon la chair; » par là il est fils de David; « au dessus de toutes choses, Dieu béni dans tous les siècles, » il est par là le Seigneur de David.

Le Seigneur demanda donc aux Juifs : «De qui dites-vous que le Christ est fils ? — De David, répondirent-ils. » Ils le savaient pour l'avoir saisi facilement dans les écrits des Prophètes. Et Jésus était réellement le fils de David,
 
 

1. Luc, II, 49-51. — 2. Sag. VIII, 1. — 3. Rom. I, 3. — 4. Ib. IX, 6.
 
 

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mais selon la chair qu'il devait à la Vierge Marie, l'épouse de Joseph. Après les avoir entendus répondre que le Christ est fils de David, le Sauveur ajouta : « Comment donc David l'appelle-t-il, en esprit, son Seigneur lorsqu'il dit: Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Asseyez-vous à ma droite, jusqu'à ce que je mette vos ennemis sous vos pieds ? Et si David l'appelle, en esprit, son Seigneur, comment est-il son fils ? » Mais les Juifs ne purent répondre (1).

Voilà ce que nous lisons dans l'Évangile. En se disant fils de David, il ne voulut pas leur laisser ignorer qu’il était en même temps le Seigneur de ce prince. Ils reconnaissaient au Christ une origine temporelle, ils ne connaissaient pas son éternité. Ainsi pour leur enseigner sa divinité, il soulève une question relative à son humanité. C'est comme s'il eût dit : Vous savez que le Christ est fils de David ; expliquez-moi comment il est aussi son Seigneur. Et pour les empêcher de répondre : Il n'est pas le Seigneur de David, il en appela au témoignage de David même. Et que dit David ? Il dit la vérité, car voici ce qu'on lit dans un de ses psaumes : « Je placerai sur ton trône, lui dit l'Éternel, un fils qui naîtra de toi (2). » Voilà bien le Christ fils de David. Et comment est-il aussi son Seigneur ? « Le Seigneur, déclare David, a dit à mon Seigneur : Asseyez-vous à ma droite (3). »

Pourquoi vous étonner que David ait son fils pour Seigneur quand vous voyez Marie devenue mère de son Dieu ? Il est le Seigneur de David, parce qu'il est Dieu ; son Seigneur, car il est le Seigneur de tous ; et son fils, car il est fils de l'homme. Il est à la fois son Seigneur et son fils; son Seigneur, car « ayant la nature de Dieu, il n'a pas cru usurper en s'égalant à Dieu; » et son fils, car « il s'est anéanti lui-même en prenant la nature de serviteur (4). »

21. Ainsi donc, pour ne s'être pas uni à la mère du Seigneur, Joseph n'en demeure pas moins son père. Est-ce la passion, n'est-ce pas plutôt l'amour conjugal qui constitue l'épouse ? Je prie votre Sainteté de s'appliquer.

Un Apôtre du Christ devait dire bientôt dans l'Église : « Il faut que ceux mêmes qui ont des femmes soient comme n'en ayant point (5). » Et nous savons qu'un grand nombre, de nos frères, pour porter des fruits de, grâce, s'abstiennent au nom du Christ et d'un mutuel consentement, de tout contact charnel, sans renoncer
 
 

1. Matt. XXII, 42-46. — 2. Ps. CXXXI, 11. — 3. Ps. CIX, 1.— 4. Philip. II, 6, 7. — 5. I Cor. VII, 29.
 
 

toutefois a la charité conjugale. Plus ils répriment la concupiscence et plus s'accroît leur amitié. Cessent-ils d'être époux en vivant ainsi, en ne demandant rien à la chair, en n'exigeant pas ce que pourrait réclamer la concupiscence ? La femme alors n'en est pas moins soumise à son mari, car ainsi le veut l'ordre même ; elle lui est même d'autant plus soumise qu'elle est plus chaste ; le mari de son côté a pour son épouse un amour véritable, un amour plein de respect de pureté, comme il est écrit (1) ; et il voit en elle une cohéritière de la grâce, et il l'aime « comme le Christ a aimé l'Église (2). » Si donc il y a union matrimoniale, si cette union n'est pas détruite parce qu'on s'abstient de ce qui peut se faire, quoique illicitement, en dehors du mariage; et plaise à Dieu que tous soient capables de ce genre de vie, mais il est au dessus des forces d'un grand nombre; pourquoi séparer ceux qui peuvent vivre ainsi ? Pourquoi nier qu'il n'y a ni mari ni femme, quand il n'y a point mélange charnel, mais étroite union des coeurs ?

22. Comprenez par là ce que pense l'Écriture de nos pieux ancêtres qui ne cherchaient dans le mariage que la génération d'une postérité. Conformément aux usages de l'époque où ils vivaient et de la nation dont ils faisaient partie, ils possédaient même plusieurs épouses: mais ils étaient si chastes que jamais ils ne s'en approchaient qu'en vue des enfants ; ils avaient pour elles un respect véritable. D'ailleurs, demander à une femme au delà de ce qu'exige ce besoin de la génération, c'est violer le contrat même du mariage. On lit ce contrat, on le lit en présence de tous les témoins, on y lit cette clause : pour engendrer des enfants ; voilà ce qui fait l'essence de ce qu'on appelle l'acte matrimonial. Eh ! si ce n'était dans ce but qu'on donne et qu'on accepte une épouse, quel père oserait livrer sa fille à la passion d'autrui ? Afin donc d'ôter toute honte aux parents, afin de leur rappeler qu'ils deviennent beaux-pères et non chefs de prostitution, on lit le contrat au moment où ils donnent leur fille. Et qu'y lit-on ? Pour la génération des enfants. Le front du père à ces mots s'éclaircit et devient serein. Et le front de celui qui reçoit cette femme ? Ah ! qu'il rougisse de la prendre pour un autre motif, puisque le père rougit de la lui remettre dans un autre dessein !

Si cependant, nous avons déjà dit cela quelque part, ils ne peuvent se restreindre à cette juste limite,
 
 

1. Thess. IV, 4. — 2. Ephès. V, 25.
 
 

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qu'ils exigent ce qui leur est dû; mais uniquement de ceux qui leur doivent ; que l'homme et la femme se soulagent ensemble dans leur faiblesse sans s'adresser à autrui, ce qui serait un adultère, comme l'indique l'étymologie même de ce mot. Adulterium, quasi ad alterum. S'ils passent les bornes du contract matrimonial, qu'ils ne franchissent par les limites du lit nuptial. N'y a-t-il pas péché à exiger au delà de ce qu'exige la procréation des enfants ? C'est un péché, mais véniel. C'est l'expression même l'Apôtre : « Je parle ainsi par condescendance, secundum veniam ; » dit-il sur ce sujet. « Ne vous refusez point l'un à l'autre ce devoir, si ce n'est, de  concert pour un temps, afin de vaquer à la prière, et revenez ensuite comme vous étiez, de peur que Satan ne vous tente par votre incontinence. » Que signifie ce langage de S. Paul ? Il veut dire : Ne vous chargez pas au dessus de vos forces ; vous pourriez, en vous abstenant l'un de l'autre, tomber dans l'adultère; Satan pourrait « vous tenter à cause de votre incontinence. » Néanmoins, comme autre chose est de donner un ordre à la vertu ou fine permission à la faiblesse, l'Apôtre ne veut point paraître commander ce qu'il permet seulement; c'est pourquoi il ajoute aussitôt: « Je parle ainsi par condescendance, secundum veniam, et non par commandement; car je voudrais que tous les hommes fussent comme moi (1): » en d'autres termes: je ne vous commande pas de le faire, je vous pardonne si vous le faites.

23. Maintenant, mes frères, soyez attentifs à cette conséquence. Il est de grands hommes qui ne prennent d'épouse que dans l'intention d'en avoir des enfants; tels furent les patriarches, nous pouvons en donner des preuves nombreuses et les livres sacrés l'attestent hautement, sans laisser le moindre doute. Si donc ces hommes qui ne prennent d'épouse que dans l'intention d'en avoir des enfants, pouvaient atteindre ce but sans recourir à l'union des sexes, avec quelle ineffable joie ils accueilleraient cette faveur ! avec quel immense plaisir ils la recevraient !

Deux sortes d'oeuvres charnelles maintiennent l'existence du genre humain; les hommes saints et prudents s'y prêtent par devoir; les imprudents s'y laissent entraîner par passion : ces deux motifs en effet sont bien différents l'un de l'autre. Quelles sont ces deux sortes d'oeuvres ? La première nous concerne directement, elle consiste
 
 

1. I Cor. VII, 5-7.
 
 

à prendre des aliments, ce qui ne peut se faire sans quelque délectation charnelle ; à manger et à boire, sans quoi il faut mourir. Le manger et le boire sont ainsi le premier soutien de la nature humaine, mais de la nature humaine considérée dans les hommes actuellement existants; car ce moyen ne pourvoit pas à la perpétuité de l'espèce, il y faut l'union conjugale. Pour entretenir l'existence du genre humain, il est d'abord nécessaire que les hommes vivent. Mais quelques soins que l'on donné au corps, il ne saurait exister toujours, il est donc indispensable que les naissances fassent contrepoids aux décès. Le genre humain, comme on l'a écrit, ressemble aux feuilles d'un arbre, mais d'un arbre toujours vert, tels que l'olivier, le laurier, d'autres encore. Ces arbres ne sont jamais dépouillés, mais ils n'ont pas constamment les mêmes feuilles, ils en perdent et en produisent (1) ; celles qui naissent remplacent celles qui tombent, et quoiqu'il en tombe toute l'année, l'arbre toute l'année en est couvert. Ainsi dans le genre humain les décès sont compensés par les naissances, et l'humanité se maintient ainsi tout entière. Comme toujours on voit des feuilles sur certains arbres, ainsi-la terre parait toujours peuplée : et s'il n’y avait que des trépas sans naissances, elle ressemblerait aux arbres qui perdent toutes leurs feuilles.

24. Ces deux moyens, dont nous venons de parler assez longuement, étant indispensables à la conservation du genre humain, l'homme sage, prudent et fidèle se prête par devoir à l'un et à l'autre, il ne s'y laisse point aller par passion. Combien hélas ! se jettent avec voracité à manger et à boire, faisant en cela consister toute la vie, comme s'ils ne vivaient que pour cela ! Parce qu'il faut manger pour vivre, ils s'imaginent vivre pour manger. Ils sont condamnables aux yeux de tout homme sage, aux yeux surtout des divines Écritures. Hommes de chair et de vin, gloutons « qui font leur Dieu de leur ventre (2), » ils vont à table pour satisfaire leur convoitise et, non pour réparer leurs forces. Aussi tombent-ils sur les aliments et sur les boissons. Ceux au contraire qui se prêtent alors à l'accomplissement d'un devoir, ne vivent pas pour manger, mais ils mangent pour vivre. Ce sont des hommes prudents, et tempérants, et si on leur offrait de vivre sans boire et sans manger, avec quelle joie ils accueilleraient le bonheur de n'être plus obligés de se prêter à des actes où ils n'ont pas
 
 

1. Eccli. XIV, 18-19. — 2. Philip.III, 19.
 
 

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l'habitude de se jeter ! Toujours élevés jusqu'à Dieu, ils ne seraient point obligés de descendre

pour réparer les forces épuisées de leur corps. Dans quels sentiments pensez-vous que le saint prophète Élie reçut le verre d'eau et le petit pain qui devaient suffire à le nourrir durant l'espace de quarante jours (1)? Avec une grande ; joie, sans aucun doute, car il mangeait et buvait par devoir et non par passion. Essaie, si tu le peux, d'accorder la même faveur à cet homme qui semblable au troupeau de l'étable, place toute sa béatitude et sa félicité dans le plaisir de la bouche. Il repousse cette faveur, il la déteste et la regarde comme un châtiment.

Ainsi en est-il du devoir conjugal : les voluptueux ne contractent mariage que pour assouvir 1curspassions ; combien de fois même leur en conte-t-il de se contenter de leurs épouses! Ah! s'ils ne peuvent ou ne veulent se dominer, puissent-ils ne point franchir les bornes, celles même jusqu'où peut aller la faiblesse ! Dis à un homme semblable : Pourquoi t'unir à une femme ? Peut-être répondra-t-il en rougissant que c'est pour en obtenir des enfants. Mais si un homme qu'il croit absolument sur parole, ajoutait: Dieu peut t'accorder et il t'accordera certainement des enfants sans que tu accomplisses l'acte conjugal, on verrait aussitôt, il avouerait même qu'il n'avait pas en vue des enfants en cherchant une épouse. Qu'il convienne donc de sa faiblesse et qu'il reçoive par condescendance ce qu'il prétendait accepter comme devoir.

25. Ainsi les saints des premiers temps, ces, hommes de Dieu, cherchaient des enfants et voulaient en obtenir. Ils ne contractaient mariage que dans ce dessein ; ils ne s'unissaient aux femmes que pour engendrer des enfants ; aussi leur fut-il permis d'avoir plusieurs épouses. Si Dieu avait vu avec plaisir l'intempérance, il aurait aussi bien permis à une femme d'avoir plusieurs maris, qu'il promettait alors a un mari d'avoir plusieurs femmes. Mais si toute femme chaste n'avait qu'un mari, tandis qu'un mari avait plusieurs femmes, n'était-ce point parce que la pluralité des femmes contribue à multiplier la postérité et que la pluralité des hommes pour une même femme n'y saurait contribuer en rien ? Si donc, mes frères, le but de nos pères en s'unissant à des femmes, n'était, que d'engendrer des descendants, quel bonheur c'eût été pour eux d'en obtenir' sans accomplir cet acte
 
 

1. III Rois, XIX, 6-8.
 
 

charnel, auquel ils se prêtaient par devoir et en vue de leur postérité, loin de s'y précipiter avec fougue ?

Et pour avoir reçu un fils sans rien donner à la convoitise, Joseph n'était pas son père? Comment la pureté chrétienne concevrait-elle une opinion semblable, réprouvée même par la chasteté juive ? Aimez vos épouses; mais aimez-les chastement. Ne désirez l'oeuvre charnelle que pour engendrer des enfants ; puisque vous ne pouvez en obtenir que par ce moyen, prêtez-vous y avec douleur. C'est un châtiment d'Adam, notre premier père. Irons-nous nous glorifier d'un châtiment ? C'est le châtiment de celui qui dut engendrer des mortels pour avoir mérité la mort par son péché. Dieu ne nous a point affranchis de cette peine ; car il veut que l'homme se rappelle d'où il est retiré et où il est élevé, qu'il aspire enfin à cet embrassement divin où ne saurait se glisser aucune impureté.

26. Le peuple Juif devait se propager beaucoup jusqu'à l'avènement du. Christ, il devait être assez nombreux pour figurer tous les enseignements figuratifs de l'Église. Aussi le mariage y était-il un devoir ; il fallait que la multiplication de ce peuple représentât l'accroissement de l’Église.

Mais depuis la naissance du Roi de toutes les nations, la virginité a commencé à être en honneur; elle a commencé par la Mère de Dieu, qui a mérité d'avoir un fils sans aucune altération de sa pureté. De même donc que son union avec Joseph était un vrai mariage, quoique sans convoitise ; pourquoi de la même manière la chasteté de l'époux n'aurait-elle pas reçu ce qu'avait produit la chasteté de l'épouse ? Car si elle était, une chaste épouse, il- était, lui, un époux chaste ; et si elle unissait la maternité à la chasteté, pourquoi tout en demeurant chaste n'aurait-il pu être père ? Dire donc : Joseph ne doit pas porter le nom de père, puisqu'il n'a pas engendré de fils, c'est chercher dans la génération la concupiscence et non la tendresse de la charité. Ah ! son coeur accomplissait plus parfaitement ce devoir que d'autres aspirent à accomplir charnellement.

Lorsqu'on adopte des enfants que refuse la nature, le coeur ne les engendre-t-il pas aveu plus de pureté ? Considérez, mes frères, considérez les droits que donne l'adoption, voyez comment un homme devient le fils de celui qui ne lui a pas donné le jour, et comment la volonté de celui qui l'adopte acquiert sur lui plus (242) de droit que n'en a celui qui l'a mis au monde. Vous comprendrez par là qu'à Joseph et à Joseph surtout était dû le titre de père. Lorsqu'en dehors du mariage des hommes engendrent des enfants, on nomme ceux-ci fils naturels et on leur préfère les enfants légitimes. Au point de vue de l'oeuvre charnelle les uns et les autres sont égaux ; pourquoi préfère-t-on les enfants légitimes aux enfants naturels, sinon parce qu'il y a plus de chasteté dans l'amour conjugal qui les donne ? On ne considère point alors l'union des sexes, égale dans l'un et l'autre cas. En quoi donc l'emporte l'épouse ? N'est-ce point par ses sentiments de fidélité conjugale, par un amour et plus pur et plus chaste ; et s'il était possible à une épouse de donner à son mari des enfants sans qu'il y eût union charnelle, celui-ci ne devrait-il pas les recevoir avec une joie d'autant plus vive, que cette épouse est plus chaste et qu'il la chérit plus tendrement ?

27. De là concluez aussi qu'il est possible au même homme d'avoir non-seulement deux fils, mais encore deux pères: Il suffit d'avoir prononcé le terme d'adoption pour que vous saisissiez cette possibilité. On dit : Un homme peut bien avoir deux fils, il ne saurait avoir deux pères. En vérité e suffit-il pas, pour, avoir deux pères, qu'on soit engendré par l'un et adopté par l'autre? Et si tout homme peut avoir deux pères, Joseph ne l'a-t-il pu? N'a-t-il pu être engendré par l'un, être adopté par l'autre ? Mais s'il l'a pu, pourquoi chercher un grief contre nous dans les généalogies différentes de saint Matthieu et de saint Luc ? Il est bien vrai qu'elles sont différentes, puisque selon saint Matthieu, Joseph était fils de Jacob, et d'Héli selon saint Luc. On pourrait croire sans doute que le père de Joseph portait à la fois ces deux noms. Mais les aïeuls, les bisaïeuls et les autres ascendants étant différents et plus ou moins nombreux dans chacune des deux généalogies, c'est une preuve manifeste que Joseph avait deux pères. Cette accusation mise de côté, la raison montrant avec évidence que Joseph a pu avoir deux pères, un père selon la nature et un père adoptif, est-il étonnant que les aïeuls, bisaïeuls et les autres ascendants diffèrent ensuite de part et d'autre ?

28. Ne croyez pas que ce droit d'adoption soit inconnu aux Écritures; ne vous imaginez point qu'on en ait pris l'idée dans les lois humaines et qu'il soit absolument étranger à l'autorité des divins oracles. Un fait antique dont il est souvent question dans les livres sacrés, c'est que la bienveillance donne des fils aussi bien que la nature. On y voit des femmes qui n'avaient pas eu d'enfants adopter comme tels ceux que leurs maris avaient obtenus de leurs servantes; elles commandaient même à leurs époux d'en obtenir par ce moyen : telles furent Sara (1), Rachel et Lia (2). Ces époux ne commettaient point alors d'adultère, car ils obéissaient à leurs femmes en ce qui concerne le devoir conjugal, et l'Apôtre a dit « La femme n'a pas puissance sur son corps, « c'est le mari; de même le mari n'a pas puissance sur son corps, c'est la femme (3) . » Fils d'une mère Israélite et exposé par elle, Moïse aussi fut adopté par la fille de Pharaon  (4). On n'observait point les mêmes formes légales qu'aujourd'hui; la volonté servait de loi. « Les gentils qui n'ont pas la foi font naturellement ce qui est selon la loi, » dit ailleurs l'Apôtre (5).

Or si les femmes pouvaient avoir des enfants sans qu'elles leur eussent donné le jour, pourquoi les hommes ne pourraient-ils pas obtenir aussi des enfants sans les avoir engendrés mais en les adoptant ? Ne lisons-nous pas que le patriarche Jacob, quoique père d'une si grande famille, voulut avoir pour fils les fils de son fils Joseph, et qu'il lui dit : « Ces deux enfants seront mes fils et ils partager ont la terre avec leurs frères; garde pour toi les autres que tu pourras engendrer (6). »,

Dira-t-on que le terme même d'adoption ne se rencontre point dans les saintes Écritures ? Mais ,qu'importe le nom, si la chose y est, si l'on voit des femmes avoir des enfants qu'elles n'ont pas mis au jour, et des hommes compter comme leurs fils ceux qu'ils n'ont pas engendrés ? Je ne m'oppose point à ce qu'on ne donne pas à Joseph le titre de fils adoptif, pourvu qu'on reconnaisse en sa faveur la possibilité d'avoir eu pour père un homme qui ne lui avait pas donné le jour, L'Apôtre Paul néanmoins emploie souvent et en lui donnant un sens non moins profond que sacré, ce terme d'adoption. L'Écriture atteste que Jésus-Christ Notre-Seigneur est le Fils unique de Dieu; cet Apôtre dit cependant que c'est par l'adoption de la grâce divine qu'il a daigné faire de nous ses -frères et ses cohéritiers. « Lorsqu'est venue la plénitude du temps, Dieu, dit-il, a envoyé son Fils, formé d'une femme, soumis à la loi, pour racheter ceux qui étaient sous la loi,
 
 

1. Gen. XVI, 1-5. — 2 Ib. XXX, 1-9. — 3. I Cor. VII, 4. — 4. Ex. II. — 5. Rom, II, 14. — 6. Gen. XLVIII, 5 ; 6.
 
 

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pour nous accorder l'adoption des enfants (1). — « Nous gémissons en nous-mêmes, dit-il ailleurs, attendant l'adoption, la rédemption de notre corps (2). » — Il disait aussi des Juifs : « Je désirais d'être moi-même anathème à l'égard du Christ, pour mes frères, mes proches selon la chair, c'est-à-dire les Israélites, auxquels appartiennent l'adoption, » remarquez ce mot, « la gloire, l'alliance et la législation, qui ont  pour pères les patriarches et de qui est sorti selon la chair le Christ même, Dieu au dessus de toutes choses et béni dans tous les siècles (3). » N'est-ce pas indiquer que le mot ou l'acte même d'adoption étaient chez les Juifs aussi anciens que l'alliance et la législation qu'il rappelle en même temps?

29. Ajoutez qu'il y avait parmi les Juifs une manière spéciale de donner des fils à qui n'en avait pas obtenu de la nature. Quand quelqu'un était mort sans enfants, son plus proche parent épousait sa femme pour susciter des enfants à son parent défunt (4). L'enfant qui naissait alors était en même temps fils de celui qui lui donnait naissance, et fils de celui dont il devenait l'héritier. Pourquoi ai-je rappelé tout ceci ? C'est qu'en regardant comme impossible qu'un homme puisse avoir deux pères, on pourrait faussement et sacrilègement accuser de mensonge les Évangélistes qui rapportent ta double généalogie du Seigneur. Mais les expressions mêmes qu'ils emploient nous donnent à réfléchir. Matthieu semble faire connaître le père naturel de Joseph, et il compte les générations en disant : Un tel a engendré un tel, afin de pouvoir terminer par ces mots : « Jacob engendra Joseph. » Le terme d'engendré ne convient proprement ni au fils adoptif, ni au fils suscité à un mort pour devenir son successeur. Aussi saint Luc ne dit pas: Héli, engendra Joseph, ni : Joseph, qu'engendra Héli, mais : « Joseph qui fut le fils d'Héli (5), » soit par l'adoption, soit qu'il ait été engendré par le proche parent du défunt dont il devenait l'héritier.

30. Nous ne devons plus maintenant nous étonner que Joseph et non Marie figure dans la généalogie; nous avons traité assez longuement ce sujet. Si Marie est devenue mère sans aucun acte de convoitise, Joseph est devenu père sans union charnelle. Il peut donc servir de terme ou de point de, départ aux générations soit ascendantes soit descendantes; son inviolable pureté ne doit point le faire retrancher du nombre des
 
 

1. Galat. IV, 4, 5. — 2. Rom. VIII, 23. — 3. Ib. IX, 3-5. — 4. Deut. XXV, 5, 6 ;. Matt. XXII, 24. — 5. Luc, III, 23 : Matt.I, 16.
 
 

ancêtres du Sauveur; elle doit au contraire affermir en nous l'idée de sa paternité. Sainte Marie elle-même nous condamnerait s'il n'en était ainsi. Elle n'a point voulu se nommer avant son époux, elle a dit : « Votre père et moi nous vous cherchions dans l'affliction (1). » Méchants murmurateurs, ne faites point ce que n'a pas fait cette chaste épouse. Laissons Joseph dans les généalogies ; s'il est chaste mari, il est aussi père chaste. Suivant le droit naturel et le droit divin, faisons passer l'homme avant la femme. Si nous venions à l'éloigner pour donner, sa place à Marie, il nous dirait et nous dirait avec raison : Pourquoi m'écarter ainsi ? Pourquoi ne pas me laisser en tête des deux généalogies ? Lui répondrons-nous C'est que tu n'as pas engendré charnellement ? Et mon épouse, répliquerait-il, a-t-elle enfanté d'une manière charnelle? Ce que l'Esprit-Saint a opéré, il l'a opéré pour chacun de nous. — «C'était un homme juste, » est-il écrit. Il était juste époux, Marie de son côté était une épouse juste, et l'Esprit-Saint.prenant ses délices dans la justice de l'un et de l'autre leur donna à tous deux un fils. Mais en donnant à l'épouse d'enfanter, il voulut qu'elle enfantât pour son époux. Aussi l'ange invite-t-il l'un comme l'autre à donner le nom à l'enfant, ce qui était leur reconnaître à tous deux l'autorité dont jouissent les parents.

Zacharie était encore muet lorsque naquit son fils, et son épouse indiquait le nom que devait porter celui-ci. Ceux qui étaient là demandaient au père comment il voulait le nommer, et prenant des tablettes il écrivit le nom qu'avait déjà donné sa mère (2). Il est dit à Marie: « Vous allez concevoir un fils et vous lui donnerez le nom de Jésus (3) ; » il est dit de même à Joseph : « Joseph, fils de David ne craignez point de prendre avec vous Marie votre épouse; car ce qui a été engendré en elle est du Saint-Esprit. Or elle enfantera un fils et vous lui donnerez le nom de Jésus; c'est lui qui sauvera son peuple de ses péchés (4). » Il est dit encore : «Et elle lui enfanta un fils (5); » ce qui prouve de nouveau que la charité et non la chair l'avait rendu véritablement père; c'est donc ainsi qu'il est père, et il l'est réellement. Ainsi les Évangéliste ont éminemment raison de compter par lui, soit les générations descendantes, comme saint Matthieu qui va d'Abraham au Christ, soit les générations ascendantes, comme saint Luc qui s'élève; par Abraham, du Christ jusqu'à Dieu.
 
 

1. Luc, II, 48. — 2 Ib. I, 60-63. — 3. Ibi. I, 31. — 4. Matt. I, 20, 21. — 5. Luc. II, 7.
 
 

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L'un compte en descendant, l'autre en montant et -tous deux comptent par -Joseph. Pourquoi ? Parce qu'il est père. Pourquoi père? Il l'est d'autant plus sûrement qu'il l'est avec plus de chasteté.

C'est dans un autre sens qu'on lé croyait père de Notre-Seigneur Jésus-Christ; on estimait qu'il était père comme les pères ordinaires, qui engendrent selon la chair et à qui la seule affection spirituelle ne suffit pas pour donner des enfants. Saint Luc a dit : « On le croyait père de Jésus. (1) » Qu'est-ce à dire : ou le croyait ? L'opinion humaine était portée à le confondre avec les pères ordinaires. Mais lé Seigneur n'est point issu de Joseph, quoiqu'on ait eu cette idée, et cependant la piété et la charité de Joseph a reçu de la Vierge Marie un fils qui est en même temps le Fils de Dieu.

31. Mais enfin, pourquoi l'un des Évangélistes compte-t-il en montant et l'autre en descendant ? Ecoutez ceci attentivement, je vous en prie, autant que le Seigneur vous en accordera la grâce, avec un esprit tranquille et débarrassé des importunes préoccupations que produisaient en vous ces accusations captieuses. Saint Matthieu suppute les générations en descendant, pour exprimer que Notre-Seigneur Jésus-Christ est descendu afin de se charger de nos péchés et afin que toutes les nations fussent bénies dans la postérité d'Abraham. Pour le nième motif il ire commence ni par Adam, le père de tout le genre humain; ni par Noë, dont la famille a peuplé toute la terre après le déluge. Pour montrer l'accomplissement de la prophétie, il était inutile de rappeler que le Christ fait homme descendait d'Adam et de Noë, les deux pères de l'humanité; mais il fallait le faire remonter jusqu'à Abraham, puisque c'est à Abraham que fut donnée l'assurance que toutes les nations seraient bénies dans un rejeton de sa race, lorsque déjà la terre entière était peuplée. Saint Luc au contraire compte en montant, et ce n'est pas à la naissance du Sauveur qu'il suppute les générations, mais au moment où il rapporte son baptême par saint Jean. De même en effet que le Sauveur en s'incarnant se charge des péchés du genre humain pour en porter le poids, ainsi en recevant le baptême il entreprend de les effacer. Puisque le premier de ces Évangélistes nous mettait sous lés yeux le Sauveur descendant du ciel pour se charger de nos fautes, il était convenable qu'il énumérât les générations en descendant; et puisque le second
 
 

1. Luc, III, 23.
 
 
 
 

nous présentait le Fils de Dieu remontant des eaux où il avait laissé, non pas ses péchés, mais les nôtres, il devait compter en montant. L'un descend par Salomon, dont la mère pécha avec David; et l'autre monte par Nathan, cet autre fils de David (1) qui purifia son père du crime commis par lui. Nous lisons en effet que Nathan fut envoyé vers ce prince pour lui reprocher son iniquité et le guérir par la pénitence. (2) Ces deux historiens se rencontrent dans David, celui-ci en descendant et celui-là en montant, et de David à Abraham ou d'Abraham à David- on ne voit dans leur récit aucune génération différente. Ainsi le Christ, fils à la fois de David et d'Abraham; s'élève à Dieu, où il faut que nous retournions avec lui après avoir effacé nos péchés et nous être renouvelés dans le baptême.

32. Ce qui frappe dans la généalogie de saint Matthieu, c'est le nombre quarante; car l'Écriture ne tient pas compte ordinairement de ce qui passe certains nombres déterminés. Ainsi elle fixe à quatre cents ans lé temps qui devait s'écouler jusqu'à la sortie d'Egypte (3); et il y en a quatre cent trente. Ici donc quoiqu'il y ait une génération au dessus de quarante, nous ne devons pas laisser de voir dominer ce nombre de quarante. Or ce nombre exprime la vie laborieuse de cette terre où nous voyageons loin du Seigneur, et où nous avons provisoirement besoin qu'on nous prêche la vérité. Si en effet nous multiplions par quatre, en considération des quatre parties du inonde, ou des quatre saisons de l'année, le nombre dix qui signifie la béatitude parfaite, nous obtenons le chiffre de quarante. Aussi Moïse (4), Elie (5), et notre Médiateur lui-même, Jésus-Christ Notre-Seigneur (6), ont continué pendant quarante jours le jeûne destiné à nous rappeler qu'il est nécessaire de réprimer les convoitises sensuelles. Le peuple juif voyagea aussi quarante jours dans le désert (7) et le déluge dura quarante jours (8). Pendant quarante jours encore le Seigneur vécut avec ses disciples après la résurrection, pour les convaincre de la réalité de ce fait (9) ; il insinuait ainsi que durant cette vie où nous voyageons loin du Seigneur, et que rappelle la signification mystique du nombre quarante, Ainsi que nous venons de le dire, nous avons besoin, jusqu'à son avènement suprême, de célébrer, comme nous le faisons dans l'Église, la mémoire de son corps sacré (10),
 
 

1. Voir Rétr. liv. II, chap. 16 — 2. II Rois, XII. — 3. Gen. XV, 13; Act, VII, 6. — 4. Deut. IX, 9. — 5. III Rois, XIX, 8. — 6. Matt. IV, 2. — 7. Nomb. XXXII, 13. — 8. Gen. VII, 4. — 9. Act. I, 3 . — 10. I Cor. XI, 26.
 
 

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Jésus-Christ donc étant descendu dans cette vie, le Verbe s'étant fait chair afin de s'immoler pour nos péchés et de ressusciter pour notre justification (1), saint Matthieu s'est attaché au nombre quarante. La génération qui excède ce nombre ne le détruit pas plus, que les trente années dont noirs avons parlé ne détruisent le nombre de quatre cents. Peut-être aussi l'Évangéliste a-t-il voulu t'aire entendre que tout en descendant en cette vie pour y porter le fardeau de nos crimes, le Seigneur Jésus, dont le nom forme l'unité qui s'ajoute à quarante, Dieu et homme tout ensemble, y occupe un rang si élevé et si incomparable, qu'il ne semble pas en faire partie. De lui en effet l'on pont dire ce que jamais on n'a pu, ce Brion ne pourra dire jamais d'aucun homme, si saint, si sage, si juste et si parfait qu'il soit : « Le Verbe s'est fait chair (2). »

33. Saint Luc, après avoir rapporté le baptême du Seigneur, suppute les générations en montant, et atteint le nombre complet de soixante-dix-sept, à partir de Notre-Seigneur Jésus-Christ jusqu'à Dieu, et en comprenant Joseph et Adam. C'est que ce nombre désigne tons les péchés effacés dans le baptême. Le Sauveur sans doute n'avait rien à effacer, mais son humilité, en recevant le baptême, a voulu nous recommander cet utile remède. Ce n'était encore que le baptême de Jean; la Trinité s'y révéla toutefois d'une manière sensible; l'on y vit le Père, le Fils et l'Esprit-Saint consacrer ainsi le baptême institué par le Christ en faveur des chrétiens : le Père dans la voix qui se fit entendre du haut du ciel; le Fils dans l'humanité même du divin Médiateur; et l'Esprit-Saint dans la colombe (3).

34. Le nombre de soixante-dix-sept, avons nous dit, désigne tous les péchés effacés dans le baptême. En voici. la raison qui parait convaincante. Dix exprime la justice et la félicité parfaite; car elles consistent dans l'union de la créature, signifiée parle nombre sept, avec la Trinité aussi le Décalogue comprend-il-en dix préceptes toute la loi divine. En outrepassant, en transgressant dix, on arrive à onze; or le péché est une transgression, puisqu'il vient de ce que l'homme franchit tes règles de la justice en désirant plus qu'il rie doit, ce qui a fait dire à l'Apôtre que la cupidité est la racine de tous les maux (4); et ce qui permet d'adresser au nom du Seigneur les paroles suivantes à l'âme que la volupté entraîne loin de lui: Tu espérais davantage en te séparant de moi.
 
 

1. Rom. IV, 25. — 2. Jean,  I, 14. — 3. Matt, III, 16,17. — 4. I Tim, VI, 10.
 
 

Le pécheur en cherchant son bien propre, rapporte donc à lui-même son péché ou sa transgression. C'est pourquoi l'Écriture, condamne ceux qui poursuivent leurs propres intérêts, non ceux de Jésus-Christ (1), et loue au contraire la charité qui ne s'occupe pas d'elle-même (2). De là vient que ce nombre onze, qui signifie la transgression, n'est pas ici multiplié par dix, mais par sept, et produit soixante-dix-sept. Ce n'est pas, effectivement à la Trinité qui l'a créé, c'est à lui-même, c'est à la créature que l'homme rapporte ses transgressions, et le nombre sept rappelle ta créature, car il y a dans ce nombre, trois pour désigner son âme, qui a été formée il l'image d e la Trinité créatrice et où reluit cette image; et quatre pour désigner le corps, dont on courrait partout les quatre éléments constitutifs. Si toutefois quelqu'un de vous les ignorait, je l’invite à se rappeler que ce monde où se meut localement notre corps, a comme quatre parties principales dont il est fait souvent mention dans l'Écriture et qui sont l'orient et l'occident; le nord et le midi.

Et parce que les péchés se commettent ou dans l'âme, comme les péchés qui ne sortent pas de la volonté, ou dans le corps, comme les fautes extérieures, le prophète Amos exprime fréquemment en ces termes les menaces dé Dieu : « Après trois et quatre crimes je ne me détournerai point (3), » c'est-à-dire je ne dissimulerai .pas. Les trois crimes sont ceux de l'âme; les quatre, ceux du corps, et l'homme est composé d'un corps et d'une âme.

35. Ainsi donc onze fois sept, ou, comme nous venons de l'expliquer, la,, transgression de la justice faite en vue du pécheur, donnent soixante dix-sept, et ce chiffre comprend toutes les fautes qu'efface le baptême. C'est pour ce motif que saint Luc s'élève jusqu'à Dieu en passant par les soixante dix-sept générations; il nous apprend ainsi que l'homme se réconcilie avec Dieu par l'expiation de ses péchés. C'est pour ce, motif aussi que Pierre demandant au Seigneur combien de fois il devait pardonner à son frère, le Seigneur lui répondit : « Non pas sept fois, mais jusqu'à soixante-dix-sept fois (4). »

Des esprits plus appliqués et plus, dignes sauront peut-être puiser autre chose dans ces profonds trésors des mystères divins. Pour nous, voilà ce qu'avec l'aide et le secours du Seigneur nous ont permis de dire notre faible intelligence et la brièveté du temps. Ceux de vous qui demandent
 
 

1. I Philip. II, 21. — 2. I Cor. XIII, 5. — 3. Amos, I, 11. — 4. Matt. XVIII, 22.
 
 

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davantage peuvent insister auprès de Celui qui nous donne à nous-même ce que nous pouvons saisir et expliquer. Retenez par-dessus tout qu'il ne faut ni se troubler quand on n'entend pas encore l'Écriture, ni s'enfler d'orgueil quand on l'entend; il faut au contraire ajourner avec respect ce que l'on ne comprend pas, et ce que l'on comprend le garder avec amour.

SERMON LII. LA SAINTE TRINITÉ (1).
 

ANALYSE. — On venait de lire dans l'Évangile l'histoire du Baptême de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Saint Augustin saisit cette occasion, qu'il regarde comme toute providentielle, pour démontrer comment les trois personnes divines sont inséparables. Au Baptême du Sauveur on les croirait séparées; niais en réalité elles sont inséparables dans toutes leurs opérations, comme l'Écriture le prouve et comme on peut s'en faire une idée en interrogeant les opérations de l'âme humaine. —1° L'Écriture nous montre en effet que la création et le gouvernement de l'univers sont dus au Père, au Fils et par conséquent au Saint-Esprit. Si le Fils seul est né, si seul il a souffert, s'il est seul ressuscité et monté aux cieux; sa naissance et sa passion, sa résurrection et son ascension sont l'oeuvre de son Père comme la sienne. Ainsi en est-il de ses miracles et de tout ce qu'il a fait. — 2° on peut se former une idée de ce mystère en considérant, non pas la nature matérielle, mais l'âme spirituelle de l'homme. N'y a-t-il pas dans cette âme trois facultés distinctes : la mémoire, l'entendement et la volonté? Ces facultés sont toutefois si inséparables dans leurs actes, qu'on ne peut nommer une seule d'entre, elles sans le concours des trois ensemble. Saint Augustin proteste qu'il ne veut pas établir ici de comparaison entre ces trois facultés et les trois divines Personnes. Mais si la créature nous présente une telle simultanéité d'action, pourquoi nous étonner de rencontrer ce phénomène dans la Trinité créatrice?
 
 

1. La lecture de l'Évangile vient de nous faire connaître, en quelque sorte par l'ordre du Seigneur, ou plutôt et véritablement par son ordre, de quel sujet nous devons entretenir votre Charité. Mon coeur attendait de lui le mot d'ordre; je sentais qu'il me commandait de parler de ce qu'il voudrait qu'on récitât. Que votre zèle et votre piété se montrent donc attentifs ; aidez auprès du Seigneur notre Dieu le travail de mon esprit.

Voici sous nos yeux comme un divin spectacle; sur les rives du Jourdain notre Dieu se révèle à nous dans sa Trinité sainte.

Jésus vient et il est baptisé par saint Jean ; le Seigneur reçoit le baptême du serviteur afin de nous donner un exemple d'humilité, car l'humilité est la plénitude de la justice ; lui-même l'a enseigné, quand à ces paroles de Jean: « C'est moi qui dois être baptisé par vous, et c'est vous qui venez à moi! » il répondit: « Laisse maintenant, afin d'accomplir toute justice. » Lors donc que Jésus fut baptisé, les cieux s'ouvrirent, et l'Esprit-Saint descendit sur lui en forme de colombe. On entendit ensuite cette voix d'en haut: « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j'ai mis mes affections. » Ne voyons-nous pas ici la Trinité distinctement? Dans la voix nous entendons le Père, nous adorons le Fils dans l'homme qui reçoit le baptême, et l’Esprit-Saint dans la colombe. Il suffit de le rappeler ; rien
 
 

1. Marc. III, 13.
 
 

n'est plus facile à saisir. Quoi de plus évident? Quoi de plus indubitable? C'est bien ici la Trinité. En effet, celui qui vient vers Jean sous la forme de serviteur, Jésus-Christ Notre-Seigneur est sûrement le Fils de Dieu; on ne peut dire qu'il soit ni le Père ni l'Esprit-Saint. « Jésus vint, u dit le texte sacré; c'est sans aucun doute le Fils de Dieu. D'un autre côté, qui peut hésiter à propos de la colombe? Qui peut demander ce qu'elle est, quand l'Évangile dit expressément: « L'Esprit-Saint descendit sur lui en forme de colombe? » On ne saurait douter non plus que la voix ne fût celle du Père, puisqu'elle dit: « Vous êtes mon Fils (1). » La Trinité est donc ici distincte.

2. J'ose même dire, en considérant espace, j'ose dire, quoique je le fasse en tremblant, que cette auguste Trinité est en quelque sorte séparable. Jésus en venant vers le fleuve se transportait d'un lieu dans un autre; la colombe en descendant du ciel sur la terre allait aussi d'un lieu à l'autre; et la voix du Père ne se faisait entendre ni de dessus la terre, ni du sein des eaux, mais du haut du ciel. Il y a donc ici comme une triple séparation de lieux, de fonctions et d'oeuvres.

Mais, me dira-t-on, montre plutôt que la Trinité est inséparable. Souviens-toi que tu es catholique et que tu parles à des catholiques. Tel est en effet l'enseignement de notre foi, c'est-à
 
 

1. Marc. I, 11.
 
 

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dire de la foi véritable, de la foi droite, de la foi catholique, de la foi qui ne repose pas sur les présomptions de l'esprit mais sur les témoignages de l'autorité, de la foi qui ne flotte pas incertaine au souffle téméraire des hérétiques, mais qui demeure fortement établie sur la vérité apostolique. Voilà donc ce qu'elle nous fait connaître, ce qu'elle nous donne à croire. Tant que la foi nous purifie encore, nous ne voyons cette vérité ni des yeux du corps ni des yeux du coeur. Cette même foi cependant nous assure avec une exactitude et une force incomparables que le Père, le Fils et le Saint-Esprit forment une inséparable 'trinité, un seul Dieu et non pas trois Dieux: un seul Dieu, sans que, toutefois, le Fils soit le Père et sans que le Père soit le Fils, sans que le Saint-Esprit soit le Père ou le Fils, car il est l'Esprit et du Père et du Fils. Cette ineffable Divinité, cette Trinité ineffable, qui demeure en elle-même et qui néanmoins renouvelle toutes choses ; qui crée et répare, qui envoie et rappelle, qui juge et absout, nous la savons non moins inséparable qu'elle est ineffable.

3. Mais quoi? Le Fils vient séparément avec son humanité; séparément l'Esprit-Saint descend du ciel sous forme de colombe, et séparément encore la voix du Père crie du haut du ciel: « Celui-ci est mon Fils bien-aimé. » Comment donc la Trinité est-elle inséparable

Dieu vient par moi de vous rendre attentifs. Priez pour nous, conjurez-le, en ouvrant votre coeur, de nous donner de quoi le remplir. Appliquons-nous ensemble. Vous voyez quelle est notre entreprise; vous connaissez et ce que nous projetons, et ce que nous sommes, de quoi nous voulons vous parler et où nous sommes placé ; placé hélas ! dans ce corps qui se corrompt et appesantit l'âme, dans cette maison de boue qui abat l'esprit, malgré tous ses efforts pour s'élever (1). Je rappelle cet esprit répandu sur tant d'objets, je veux l'appliquer au Dieu unique, à l'inséparable Trinité, pour chercher à vous en parler, pour essayer de vous entretenir convenablement d'un si grand sujet; mais pensez-vous que sous le lourd fardeau de ce corps je pourrai m'écrier: « C'est vers vous, Seigneur, que j'ai élevé mon âme (2)?» Ah! qu'il me vienne en aide et l'élève avec moi. Je suis trop faible et c'est un poids trop lourd pour moi.

4. Les frères les plus studieux proposent souvent la question suivante, les amis de la parole
 
 

1. Sag. IX, 15. — 2. Ps. LXXXV, 4.
 
 

de Dieu se demandent souvent et souvent on frappe au coeur de Dieu en disant: Le Père fait-il quelque chose sans le Fils et le Fils agit-il quelquefois sans le Père ? Restreignons-nous pour le moment au Père et au Fils, et lorsque nous serons tirés de cette difficulté par Celui à qui nous disons: « Soyez mon aide, ne me délaissez pas; » nous comprendrons que l'Esprit-Saint agit toujours aussi avec le Fils et le Père. Appliquez donc, mes frères, votre attention au Père et au Fils.

Le Père fait-il quelque chose sans le Fils? Nous répondons que non. En doutez-vous ? Mais que fait-il sans Celui par qui tout a été fait ? « Tout, dit l'Écriture, a été fait par lui. » Et pour ne rien laisser à désirer aux esprits lourds, aux intelligences lentes et difficiles, elle ajoute : « Et sans lui rien n'a été fait (2)».

5. Mais quoi, mes frères, tout en voyant dans ces paroles: « Tout a été fait par lui, » la preuve que le Père a fait par son Verbe, que Dieu a fait par sa Vertu et par sa Sagesse toutes les créatures qui ont été faites par le Fils; dirons-nous que tout a été fait par lui au moment de la création, mais que le Père aujourd'hui ne fait plus tout par lui? Non : que cette pensée s'éloigne du coeur des fidèles, qu'elle n'entre point dans l'esprit des hommes religieux, dans l'entendement des âmes pieuses. On ne saurait admettre que Dieu ait créé et ne gouverne point par son Fils. Comment ce qui a l'être serait-il dirigé sans lui, puisque c'est lui qui a donné cet être? Mais recourons au témoignage de l'Écriture. Elle enseigne, non-seulement que tout a été fait et créé par lui, comme nous l'avons rappelé en citant ces paroles de l'Évangile. « Tout a été fait par lui et sans lui rien n'a été fait; » mais encore que tout ce qu'il a fait est régi et gouverné par lui. Le Christ, vous venez de le reconnaître, est la Vertu de.Dieu, la Sagesse, de Dieu. Mais n'est-ce pas de la Sagesse qu'il est dit: « Elle atteint avec force d'une extrémité à l'autre et dispose tout avec douceur (3)? » Ainsi donc, gardons-nous d'en douter : Celui par qui tout a été fait, gouverne également tout, et conséquemment le Père ne fait rien sans le Fils ni le Fils sans le Père.

6. Ici se présente une question et nous entreprenons de la résoudre au nom du Seigneur et par sa volonté. — Si le Père ne fait rien sans le Fils, ni le Fils rien sans le Père, n'en devons-
 
 

1. Ps. XXVI, 9. — 2. Jean, I, 3. — 3. Sag. VIII, 1.
 
 

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nous pas conclure que c'est le Père aussi qui est né de la Vierge Marie, le Père qui a souffert sous Ponce-Pilate, le Père qui est ressuscité et monté au ciel? —  Non. Nous ne tenons pas ce langage, parée qu'il n'est pas conforme à notre foi. « J'ai cru, est-il dit; c'est pourquoi j'ai parlé; nous aussi nous croyons et c'est pourquoi nous parlons (1). » Que nous dit la foi ? Que le Fils, et non le Père, est né de la Vierge. Que dit-elle encore? Que le Fils, et non le Père, a souffert et est mort sous Ponce-Pilate.

J'oubliais de remarquer qu'il est des hommes, peu intelligents, connus sous le nom de Patripassiens. Ils affirment que c'est le Père qui est né d'une femme et qui a souffert, que le Fils n'est autre chose que le Père ; deux noms, mais une seule personne. Or pour les empêcher de séduire qui que ce soit, pour qu'ils ne pussent contester que hors de son sein, l'Eglise catholique les a retranchés de la communion des fidèles.

7. Rappelons maintenant à votre souvenir la difficulté de la question. Vous avez avancé, peut-on me dire, que le Père ne fait rien saris le Fils, ni le Fils sans le Père; vous avez cité l'Ecriture; le Père ne fait rien sans le Fils, avez-vous dit, car c'est par le Fils que tout a été fait; et rien n'est gouverné sans le Fils, car il est la Sagesse du Père, atteignant avec force d'une extrémité à l'autre et disposant tout avec douceur. Mais n'êtes-vous pas maintenant en contradiction avec vous-même? Le Fils, dites-vous, est né d'une vierge, et non le Père; le Fils a souffert, le Fils est ressuscité, mais non le Père. Ainsi le Fils fait quelque chose que ne fait pas le Père. De deux choses l'une: avouez que le Fils agit quelquefois sans le Père, ou bien avouez que le Père est né aussi, qu'il a souffert, qu'il est mort et qu'il est ressuscité. Il n'y a point de milieu, il faut l'un ou l'autre: — Eh bien! je neveux ni l'un ni l'autre. Je n'avouerai pas que le Fils fait quelque chose sans le Père, car ce serait mentir; je n'avouerai par non plus que le Père est né, qu'il a souffert, qu'il est mort et qu'il est ressuscité: ce serait mentir également. Comment, dira-t-on, vous tirer de cet embarras?

8. Vous aimez cette question telle qu'elle est proposée; que Dieu m'accorde la grâce que vous l'aimiez aussi telle qu'elle sera résolue. C'est-à-dire, qu'il nous tire de peine, vous et moi; car sous l'étendard du Christ nous avons la même foi, nous vivons sous le même Seigneur dans la
 
 

1. II Cor, IV, 13.
 
 

même maison; membres du même corps nous dépendons du même Chef et nous sommes animes du même souffle. Afin donc que le Seigneur délivre des embarras de cette difficile question, soit vous qui m'entendez, soit moi qui vous parle; voici ce que je dis : Le Fils, et non le Père, est né de la Vierge Marie ; mais cette naissance est l'œuvre du Père et du Fils. Le Père n'a point enduré la passion, c'est le Fils; mais cette passion est l'œuvre du Père et du Fils. Le Père n'est pas ressuscité, c'est le Fils; relais la résurrection aussi est l'œuvre du Père et du Fils. Il semble donc que la question soit résolue. Cependant l'est-elle dans l'Ecriture autant que dans mes paroles? Je dois donc démontrer, par le témoignage des livres saints, que la naissance du Fils, que sa passion et sa résurrection sont l'œuvre du Père et du Fils; que si le Fils seul a été le sujet de ces trois évènements, la cause en est, non pas uniquement dans le Père, ou dans le Fils uniquement, mais dans le Père et le Fils tout ensemble. Prouvons chacune de ces assertions, vous êtes juges, la cause dont il s'agit est expliquée, faisons paraître les témoins. Que votre tribunal me dise maintenant comme on dit aux plaideurs: Prouve ce que tu avances. Avec l'aide du Seigneur je le prouve clairement, je vais produire des passages du coite céleste; et si vous vous êtes montrés attentifs à la proposition, soyez plus attentifs encore à ce qui en fait voir la vérité.

9. Je dois m'arrêter d'abord à la naissance du Fils et démontrer qu'elle est l'œuvre du Père et du Fils, quoique le Fils seul en soit le sujet. Je produis ici l'autorité de Paul, cet habile docteur en droit divin. Il est aujourd'hui des avocats qui citent ce grand homme pour envenimer les disputes et non pour mettre fin aux contestations; je le cite, moi, pour établir la paix et non pour exciter la guerre. Montrez-nous, saint Apôtre, comment la naissance du Fils est l'œuvre du Père. « Lorsqu'est venue la plénitude du temps, dit-il, Dieu a envoyé son Fils, formé d'une femme, soumis à la loi, pour racheter ceux qui étaient sous la loi (1). » Vous avez entendu et vous avez compris, rien de plus clair, de plus évident. C'est le Père qui a fait naître son Fils d'une vierge. La plénitude du temps étant venue, « Dieu a envoyé son Fils, » le Père a envoyé le Christ. Comment l'a-t-il envoyé ? Il l'a envoyé « formé d'une femme, soumis à la Loi. » C'est
 
 

1. Galat, IV, 4, 5.
 
 

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donc le Père qui l'a formé d'une femme et soumis à la loi.

10. Etes-vous surpris que j'aie dit : d'une vierge, et que Paul dise : d'une femme ? Ne vous en étonnez point, ne nous arrêtons pas à cela; je ne parle pas à des ignorants. L'Écriture emploie les deux expressions; elle dit: d'une vierge, et: d'une femme. D'une vierge: « Voici qu'une, Vierge concevra et enfantera un Fils (1). » D'une femme ; vous venez de l'entendre. Mais il n'y a aucune contradiction, car la langue hébraïque appelle femmes, non pas celles qui ont perdu .leur virginité, mais toutes les personnes du sexe. La Genèse en présente un exemple frappant, au moment même de la création d'Eve : de cette côte, dit-elle, « Dieu forma la femme (2). » Ailleurs encore l'Écriture rappelle que Dieu ordonna de séparer les femmes qui n'avaient point connu d'homme (3). Assez d'explication sur ce point; ne nous y arrêtons pas davantage, cherchons plutôt à expliquer avec la grâce de Dieu ce qui présente plus de difficultés.

11. Nous avons prouvé que la naissance du Fils est l'oeuvre du Père; démontrons aussi qu'elle est l'oeuvre du Fils. Le Fils est né de la Vierge Marie, qu'est-ce à dire? C'est-à-dire que dans le sein de cette vierge il a pris la nature de serviteur : la naissance dit Fils est-elle autre chose que cela? Mais le Fils en est l'auteur comme le Père; écoutez: « Il avait la nature de Dieu, dit l'Apôtre, et il ne croyait par usurper en s'égarant à Dieu; mais il s'est anéanti lui-même en prenant la nature de serviteur (4). » — « Lorsqu'est venue la plénitude du temps, Dieu a envoyé son Fils, formé d'une femme; son fils qui lui est né selon la chair, de la race de  David (5). » Voilà la naissance du Fils produite par le Père ; mais comme le Fils « s'est  anéanti lui-même en prenant la nature de serviteur, » sa naissance est aussi son oeuvre. La preuve est faite, passons, appliquez-vous à ce qui suit.

12. Démontrons que la passion du Fils est également l'ouvrage et du Père et du Fils. L'ouvrage du Père: « Il n'a point épargné son propre Fils, mais il l'a livré pour nous tous (6). » L'oeuvre du Fils : « Il m'a aimé et s'est livré lui-même pour moi (7). » Le Père a livré son Fils, le Fils s'est livré lui-même; cette passion n'a pesé que sur l'un des deux, mais elle est l'oeuvre de l'un et de l'autre; et, comme la naissance,     elle n'a
 
 

1. Isaïe, VII, 14. — 2. Gen. II, 22. — 3. Nomb. XXXI, 17, 18. ; Juges, XXI, 11. — 4. Philip. II, 6, 7. — 5. Rom. I, 3. — 6. Ib. VIII, 32. — 7. Gal. II, 20.
 
 

pas été produite par le Père sans le Fils, ni par le Fils sans le Père. Le Père a livré son Fils, le Fils s'est livré lui-même. Qu'a fait ici Judas sinon le péché? Passons et arrivons à la résurrection.

13. C'est le Fils, et non le Père, qui ressuscite; mais la résurrection du Fils est l'oeuvre du Père et du Fils. L'oeuvre du Père: « C'est pourquoi il l'a exalté et lui a donné un nom qui est au-dessus de tout nom (1). » En exaltant son Fils et en le tirant d'entre les morts, le Père l'a donc ressuscité. Le Fils aussi ne s'est-il pas ressuscité? Sans aucun doute, car il a dit de son corps, en style figuré: « Renversez ce temple, et je le relèverai en trois jours (2). » Autre preuve: Si la passion consiste à donner son âme, la résurrection consiste à la reprendre. Voyons donc si le Fils a bien pu donner son âme et s'il a fallu que le Père la lui rendit. Il est certain que le Père la lui a rendue, car il est dit dans un psaume: « Ressuscitez-moi et je les châtierai (3) » Mais pourquoi attendez-vous que nous vous montrions le Fils la reprenant de son coté? N'a-t-il pas dit lui-même : « J'ai le pouvoir de donner mon âme ? » — Mais ce n'est pas encore ce que je vous ai promis; j'ai dit seulement : « Le pouvoir de la donner; » et vous applaudissez, parce que vous devancez mes paroles. Formés à l'école du Maître du ciel, vous écoutez attentivement ses leçons, vous les reproduisez avec piété; aussi vous n'ignorez pas ce qui suit: « J'ai le pouvoir, dit-il, de donner mon âme, et j'ai le pouvoir de la reprendre. Personne ne me la ravit; mais je la donne et la reprends de moi-même (4). »

14. Nous avons rempli nos promesses; nous avons, je crois, prouvé nos propositions par les plus sûrs témoignages. Retenez ce que vous venez d'entendre. Je répète en peu de mots et je vous recommande de conserver dans vos esprits une vérité que je crois fort importante. Le Père n'est pas né de la Vierge, c'est le Fils; mais cette naissance est l'oeuvre du Père et du Fils. Le Père n'a point souffert sur la croix; mais la passion du Fils est l'oeuvre du Père et du Fils. Le Père n'est point ressuscité d'entre les morts; mais la résurrection du Fils est l'oeuvre du Père et du Fils. Voilà la distinction des personnes et l'unité des opérations. Gardons-nous donc de dire que le Père fait quelque chose sans le Fils ou le Fils quelque chose sans le Père. Demanderez-vous si parmi ses miracles Jésus n'en a pas fait quelques-uns sans le Père? Eh! que
 
 

1. Philip. II, 19. — 2. Jean, II, 19 — 3. Ps. XL. 11. — 4. Jean, X, 18.
 
 

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deviendraient alors ces mots: « Mon Père, qui demeure en moi, fait lui-même mes oeuvres (1)?»

Ce que nous venons de dire était clair, il n'y avait qu'à l'énoncer; aucun effort n'était nécessaire pour le comprendre, il suffisait de le rappeler.

15. Je veux vous dire encore quelque chose; et ici je vous demande véritablement l'attention la plus active et l'union de vos coeurs avec Dieu. L'espace ne contient que des corps, au delà de l'espace est la divinité, il ne faut donc pas la chercher comme si elle était un corps. Elle est partout invisible et inséparable, sans avoir ici ou là plus ou moins d'étendue; car elle est partout tout entière, indivisible partout. Qui voit ce mystère? Qui le comprend? Modérons-nous; rappelons-nous qui nous sommes et de quoi nous parlons. Quelles que soient les perfections divines, croyons-les avec piété, méditons-les avec respect, et comprenons autant que nous en sommes capables, autant qu'il nous est donné, ce qui est ineffable. Ici point de paroles, point de discours; c'est le cœur qu'il faut exciter et élever vers Dieu. Ce n'est pas à Dieu de monter dans le cœur de l'homme, mais au coeur de l'homme de monter en Dieu.

Étudions la créature : « Les invisibles perfections de Dieu, rendues compréhensibles par les choses qui ont été faites, sont devenues visibles (2). » Dans ces oeuvres de Dieu au milieu desquelles nous vivons, ne pourrait-on découvrir quelque ressemblance, quelque objet qui nous montre trois choses bien distinctes, mais dont les opérations sont inséparables?

16. Allons, mes frères, appliquez-vous de tout votre coeur. Rappelez-vous d'abord quel est mon dessein; comme le Créateur est infiniment élevé au dessus de nous, je veux savoir si dans la créature je ne trouverai pas quelque similitude.

Au moment où la vérité brille comme un éclair dans son esprit, quelqu'un d'entre nous pourrait peut-être s'approprier ces paroles : « J'ai dit dans le transport de mon âme, » Et qu'as-tu dit dans ce transport de ton âme? « J'ai été rejeté de devant vos yeux (3). » Il me semble en effet que celui qui parlait ainsi avait élevé son âme vers Dieu, qu'en s'entendant demander chaque jour « Où est ton Dieu (4)? » il avait répandu son âme au dessus d'elle-même, que d'une manière toute spirituelle il avait atteint à la Lumière immuable, sans que sa faiblesse en pût supporter la vue ; il
 
 

1. Jean, XIV,10 — 2. Rom. I, 20. — 3. Ps. XXX, 23. — 4. Ps. XLI, 4,11.
 
 

retombe alors de tout son poids sur son infirmité, et se mesurant avec cette vive splendeur de la sagesse divine, il sent que le regard de son esprit ne peut la supporter encore. C'est dans le transport de l'âme qu'il a vu tout cela, quand élevé au dessus de la vie des sens il était ravi en Dieu. Mais quand il quitte Dieu en quelque sorte pour rentrer en lui-même, il s'écrie : « J'ai dit dans le transport de mon âme; » j'ai vu alors je ne sais quoi ; il m'a été impossible de le supporter longtemps; et revenu à ce corps mortel qui appesantit l'âme et aux mille soucis des choses périssables qui naissent de lui, j'ai dit. Quoi ? « Je suis rejeté de devant vos yeux; » vous êtes trop haut et je suis trop bas.

Que pouvons-nous donc dire de Dieu, mes frères? Si l'on comprend ce que l'on veut dire de lui, ce n'est pas lui; ce n'est pas lui que l'on peut comprendre, c'est autre chose en place de lui; et si l'on croit l'avoir saisi lui-même, on est le jouet de son imagination. Il n'est pas ce que l'on comprend; il est ce que l'on ne comprend pas; et comment vouloir parler de ce que l'on ne saurait comprendre?

17. Cherchons par conséquent si nous ne découvrirons pas dans la créature trois choses qui s'énoncent séparément et qui agissent d'une manière inséparable. Mais où aller? Au ciel pour y considérer le soleil, la lune et les autres astres? Sur terre pour y étudier les -végétaux, les plantes et les animaux qui la remplissent ? Faut-il envisager le ciel même et la terre qui comprennent tout ce que nous y voyons ? Mais pourquoi, ô homme, chercher ainsi dans la créature ? Rentre en toi-même, considère-toi, étudie-toi, examine-toi en personne. Tu veux trouver dans la créature trois choses qui s'énoncent séparément, tout eu agissant d'une manière inséparable; s'il en est ainsi, contemple-toi d'abord. N'es-tu pas une créature? Tu veux une comparaison, la chercheras-tu parmi les bestiaux? C'est de Dieu qu'il est question, lorsque tu cherches cette similitude; c'est de l'ineffable Trinité de la Majesté suprême; et parce que tu es trop au dessous de ce qui est divin, parce que tu as dû avouer humblement ton impuissance, tu t'es rabattu sur ce qui est humain; c'est donc sur ceci que tu dois arrêter ta pensée.

Pourquoi chercher parmi les troupeaux, dans le soleil ou les étoiles ? Lequel de ces êtres est formé à l'image et à la ressemblance de Dieu? Il y a en toi quelque chose de bien préférable (251) de plus rapproché de ton Créateur. Dieu en effet n'a-t-il point formé l'homme à son image et à ski ressemblance ? Inspecte ton âme; vois si l'image de la Trinité ne t'offrira point quelque vestige de la Trinité ? Mais quelle image es-tu ? C'est une image bien distante du modèle ; c'est une ressemblance et une image bien imparfaite, et qui n'est pas égale à Dieu comme le Fils est égal au Père, dont il est l'image. Quelle différence entre l'image reproduite dans un fils, et l'image représentée par le miroir? Tu te vois toi-même en voyant ton image dans ton fils, car ton fils a la même nature que toi; et s'il est autre par sa personne, par sa nature il est le même. Ainsi clone l'homme n'est pas l'image de Dieu comme l'est le Fils unique du Père ; il est plutôt formé à son image et à une certaine ressemblance avec lui. Examine donc si tu ne pourras découvrir en toi trois choses qui s'énoncent séparément et qui agissent toujours ensemble. Examinons ensemble, chacun de nous en soi-même; examinons en commun et en commun étudions notre commune nature, notre commune substance.

18. Ouvre les yeux, ô homme, reconnais si je dis vrai. As-tu un corps, as-tu un corps de chair? — Oui, réponds-tu. Comment, sans cela, pourrais-je occuper une place ici, me transporter d'un lieu dans un autre? Ne me faut-il pas, pour entendre ce qu'on me dit, des oreilles de chair, et des yeux de chair pour voir qui me parle?- C'est une chose sûre, tuas un corps; il ne faut pas chercher longtemps ce qui est sous nos yeux. Autre chose : Qu'est-ce qui agit par le corps ? L'oreille entend, mais elle ne te fait pas entendre; il y a au dedans quelqu'un qui entend par elle. Tu vois par l'oeil; mais regarde l’oeil lui-même. Te contenteras-tu de considérer la maison sans t'occuper de celui qui l'habite? L'oeil voit-il par lui-même ? N'y a-t-il pas en lui quelqu'un qui voit par lui? Je ne dis pas L'oeil d'un mort ne voit point, quand il est sûr que l'âme a quitté le corps; je dis que l'oeil d'un homme occupé d'autre chose ne voit pas ce qui est devant lui. C'est donc l'homme intérieur qu'il faut considérer en toi. C'est là surtout qu'il faut chercher l'idée de trois choses qui s'énoncent séparément et qui agissent ensemble.

Qu'y a-t-il dans ton âme? Il est possible qu'en scrutant j'y découvre beaucoup de choses; mais tout d'abord il s'en présente une qui est facile à saisir. Qu'y a-t-il dans ton âme? Rappelle tes idées, réveille tes souvenirs. Je ne demande pas que tu me croies sur parole; n'accepte ce que je vais dire qu'autant que tu le reconnaîtras en toi. Regarde donc.

Mais, ce qui nous a échappé, voyons d'abord si l'homme est l'image du Fils seulement, ou du Père, ou bien s'il l'est à la fois du Père, et du Fils, et conséquemment du Saint-Esprit. Il est dit dans la Genèse : « Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance (1). » Ainsi le Père ne l'a point fait sans le Fils ni le Fils sans le Père. « Faisons l'homme à notre ressemblance. — Faisons ; » et non pas : je ferai, fais, qu'il fasse, mais « faisons à l'image, » non pas à ton image ou à la mienne, mais « à la nôtre. »

19. Je questionne donc et j'interroge ce qui est bien dissemblable. Ne dites pas : Comment! c'est ce qu'il compare à Dieu! Je l'ai dit et redit, je vous ai prévenus et j'ai pris mes, précautions les termes de comparaison sont à une distance infinie ; il y a entre eux la distance du ciel à la terre, de l'immuable au muable, du Créateur à la créature, du divin à l'humain. Retenez avant tout cette observation, et que personne ne m'accuse s'il y a tant d'éloignement entre les deux termes; que nul ne-me montre les dents au lieu de m'ouvrir l'oreille; tout ce que j'ai promis de faire voir c'est trois choses qui s'énoncent séparément et. qui agissent inséparablement. Quant à leur dissemblance plus ou moins considérable avec la Trinité toute puissante, il n'en est pas question pour le moment; ce que j'entreprends, c'est de montrer que dans cette créature infirme et muable il y a trois facultés qui se peuvent considérer séparément et qui agissent indivisiblement: O pensée charnelle! ô conscience opiniâtre et infidèle! pourquoi douter que cette ineffable Majesté possède ce que tu peux discerner en toi-même?

Voyons, ô homme, réponds-moi : As-tu de la mémoire ? Mais si tu n'en as point, comment as-tu retenu ce que j'ai dit? Peut-être as-tu oublié ce que tu viens d'entendre; mais cette parole : J'ai dit; mais ces deux syllabes, tu ne les retiens que par la mémoire. Comment saurais-tu qu'il y a en deux, si tu avais oublié la première quand je prononce la seconde ? Pourquoi d'ailleurs m'arrêter plus longtemps ? Pourquoi me presser, me forcer de prouver cela ? Il est clair que tu as de la mémoire.
 
 

1. Gen. I, 36.
 
 

252
 
 

Autre question : As-tu de l'entendement? Oui, réponds-tu. — De fait, si tu ne pouvais, sans la mémoire, retenir ce que j'ai dit; tu ne saurais le comprendre sans l'entendement. Tu as donc de l'entendement; cet entendement, tu l'appliques à ce que garde ta mémoire, tu comprends alors, et comprendre c'est savoir.

Troisième question : Tu as de la mémoire pour retenir ce qu'on te dit ; tu as de l'entendement pour comprendre ce que tu retiens; mais dis-moi : Est-ce volontairement que tu retiens et que tu comprends? Sans aucun doute, reprends-tu. — Donc aussi de la volonté.

Voilà les trois choses que j'avais promis de faire entendre à vos oreilles et à votre esprit. Elles sont toutes trois en toi, tu peux les compter sans pouvoir les séparer. Les voilà toutes trois mémoire, intelligence et volonté, remarque bien ; on les énonce séparément et elles agissent inséparablement.

20. Le Seigneur nous viendra en aide et déjà il y est venu : je le vois à la manière dont vous saisissez; car ces acclamations me font sentir que vous comprenez, et j'espère qu'avec sa grâce vous comprendrez également tout le reste. J'ai promis de montrer trois choses qui s'énoncent séparément et qui agissent inséparablement. J'ignorais ce qu'il y a dans ton âme; tu me l'as fait connaître en disant : la mémoire. Cette parole, ce son, ce trot a jailli de ton coeur à mes oreilles. Car avant de parler tu réfléchissais silencieusement à ce qu'on nomme- la mémoire. Tu le savais et tu ne me l'avais pas dit encore. Or afin de me le faire entendre, tu as prononcé ce mot, la mémoire. J'ai entendu, j'ai distingué les trois syllabes dont est composé ce terme, la mémoire. C'est en effet un mot de trois syllabes; ce mot a été prononcé, il a frappé mes oreilles et a révélé quelque chose à mon esprit. Le son s'est évanoui; la cause et l'effet du son demeurent.

Dis-moi cependant: lorsque tu prononces ce mot : mémoire? remarques-tu qu'il n'y est question effectivement que de la mémoire? Les deux autres facultés ont leurs noms propres; l'une s'appelle l'intelligence, l'autre la volonté et aucune j'a mémoire. Et pourtant afin de prononcer ce dernier mot, afin de produire ces trois syllabes, quel moyen as-tu employé ? Ce mot qui ne désigne que la mémoire a été formé en toi par la mémoire, qui te faisait retenir ce que tu disais; par l'intelligence, qui te faisait comprendre ce que tu retenais; enfin par la volonté, qui te portait à proférer ce que tu comprenais. Grâces au Seigneur notre Dieu! Il a donné son secours à vous et à nous. Je le dis franchement à votre charité, je tremblais en commençant à discuter et à vous expliquer ce sujet. Je craignais qu'en faisant plaisir aux esprits plus avances, je ne vinsse à ennuyer fortement les intelligences plus lentes. Mais à votre attention et à l'activité de votre intelligence; je vois que votas avez compris et que même avant moi vous preniez votre essor pour vous écrier : Grâces au Seigneur.

21. Voyez encore : je reviens sans inquiétude sur ce que vous avez compris; je ne dis rien ale nouveau, je répète seulement, pour mieux Ici graver en vous, ce que vous avez parfaitement saisi.

De ces trois facultés nous en avons nommé une, nous avons prononcé seulement le nom de la Mémoire, et ce nom qui n'appartient qu'à la mémoire, a été formé par les trois facultés réunies, On n'a pu nommer la mémoire qu'avec le concours (le la volonté, de l'intelligence et de la mémoire. On ne saurait non plus nommer l'intelligence qu'avec le concours de la mémoire, de la volonté et de l'intelligence; ni nommer la volonté qu'avec le concours de la mémoire, de l'intelligence et de la volonté.

Je crois donc avoir expliqué ce que j'ai promis d'expliquer ; j'ai vu réuni dans ma pensée ce que j'ai énoncé séparément. Il a fallu les trois facultés pour former le nom de l'une d'entre elles, et ce nom formé par les trois n'appartient qu'à une seule. Les trois ont formé le nom de la mémoire; et ce nom n'appartient qu'à la mémoire. Les trois ont formé le nom de l'intelligence; et ce nom ne désigne que l'intelligence. Les trois ont formé le nom dé la volonté; et ce nom n'appartient qu'à la volonté. Ainsi la Trinité a formé la chair du Christ; et cette chair n'est qu'au Christ. Ainsi la Trinité a formé la colombe descendue du ciel; et cette colombe ne désigne que l'Esprit-Saint. Ainsi la Trinité a fait entendre la voit d'en haut; et cette voix n'appartient qu'au Père.

22. Que nul maintenant ne me dise, que nul n'essaie de tourmenter tua faiblesse en s'écriant: De ces trois facultés que tu as montrées dans notre esprit ou plutôt clans notre âme, laquelle désigne le Père, c'est-à-dire la ressemblance du Père, laquelle désigne le Fils et laquelle le (253) Saint-Esprit? Je ne saurais le dire, je ne saurais l'expliquer. Laissons quelque chose à la méditation, laissons aussi quelque chose au silence. Rentre en toi, et te soustrais au bruit. Lis en toi-même, si toutefois tu as su te faire dans ta conscience connue un doux sanctuaire; ou tu ne produises ni bruit ni querelle, où tu tic cherches ni à disputer ni à contredire avec opiniâtreté. «Sois docile à écouter la parole, afin de la comprendre (1). » Peut-être diras-tu bientôt : « Vous ferez entendre à mon oreille la joie et l'allégresse, et mes os tressailleront dans l'humilité, (2) » et non dans l'orgueil.

23. C'est donc assez d'avoir montré ces trois facultés qui s'énoncent séparément et qui agissent inséparablement. Si tu as pu reconnaître ce phénomène dans ta personne, dans un homme, dans un homme qui marche sur la terre et qui porte un corps fragile dont le poids appesantit l'ante; crois donc que le Père, le Fils et le Saint-Esprit peuvent se montrer séparément sous des symboles visibles, sous des formes empruntées à la créature, et néanmoins agir inséparablement. C'est assez.

Je ne dis pas que la mémoire représente le Père, l'intelligence le Fils et la volonté l'Esprit
 
 

1. Eccli. V, 13. — 2. Ps. L, 10.
 
 

Saint; je ne dis pas cela, quelque sens que l'on y donne, je ne l'ose. Réservons ces mystères pour de plus grands esprits, et faibles expliquons aux faibles ce que nous pouvons. Je ne dis donc pas qu'entre ces trois facultés et la Trinité il y ait analogie, c'est-à-dire des rapports qui permettent une comparaison véritable; je ne dis pas cela non plus. Que dis-je, alors? Je dis qu'en toi j'ai découvert trois facultés qui s'énoncent séparément et qui agissent inséparablement car le nom de chacune est formé par les trois, sans toutefois convenir aux trois mais à une seule d'entre elles. Et si tu as entendu, si tu as saisi, si tu as retenu cela, crois en Dieu ce que tu ne saurais voir en lui. Tu peux connaître en toi ce que tu es; mais dans Celui qui t'a fait, comment, quoi qu'il soit, connaître ce qu'il est? Si tu le peux un jour, tu n'en es pas capable aujourd'hui; et lors-même que tu le pourras, te sera-t-il possible de connaître Dieu comme Dieu se connaît?

Que votre charité se contente de ce peu. Nous avons dit ce que nous avons pu; nous avons, à votre demande, acquitté nos promesses; ce qu'il faudrait ajouter encore pour élever plus haut votre entendement, demandez-le au Seigneur.

SERMON LIII. LES BÉATITUDES (1).
 

ANALYSE. — Ce discours comprend deux parties. Dans la première, saint Augustin explique d'abord brièvement en quoi consiste chacune des six premières béatitudes : il indique ensuite comment dans chacune la récompense est admirablement proportionnée au mérite; il rappelle enfin que tous les bienheureux verront Dieu, quoique la vision divine ne soit promise expressément qu'à ceux dont le coeur est pur. La seconde partie est consacrée à enseigner le moyen de parvenir à la vision de Dieu, c'est-à-dire à la pureté du coeur qui mérite de voir Dieu. Or 1° le grand moyen c'est la foi, non pas la foi sans les oeuvres, comme celle des démons, mais la foi qui agit par l'amour, et conséquemment la foi accompagnée d'espérance et de charité. 2° Cette foi doit avoir soin de ne pas se faire de Dieu des idées indignes et matérielles. 3° En s'attachant à comprendre qu'elles sont la largeur, la longueur, la hauteur et la profondeur représentées par la croix du Sauveur, c'est-à-dire en pratiquant le bien avec persévérance, avec des intentions toutes célestes et avec la grâce de Dieu, la foi sera, sûrement admise au bonheur de contempler Dieu.
 
 

1. La solennité de nette vierge sainte qui a rendu témoignage au Christ et qui a mérité que le Christ lui rendit témoignage, qui a été immolée en public et couronnée en secret, est pour nous un avertissement. Elle nous dit d'entretenir votre charité de ce discours évangélique où le Sauveur vient de nous faire connaître les voies diverses qui conduisent à la vie bienheureuse. Il n'est personne qui n'aspire à cette vie; on ne peut trouver personne quine veuille être heureux, Ah! si seulement on désirait mériter la récompense avec autant d'ardeur qu'on .soupire après la récompense elle-même ! Qui ne prend son essor quand on lui dit : Tu seras bienheureux ? Il devrait donc entendre avec plaisir aussi à quelle condition il le sera. Doit-on refuser la combat lorsqu'on cherche la victoire? La vue de
 
 

1. Matt. V, 3-8
 
 

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la récompense ne devrait-elle pas enflammer le coeur pour le travail qui l'obtient? A plus tard ce que nous demandons; mais c'est maintenant qu'il nous est commandé de mériter ce que nous obtiendrons plus tard.

Commence à rappeler les divines paroles, les commandements et les récompenses évangéliques. — « Bienheureux les pauvres de gré, par« ce qu'à eux appartient le royaume des cieux. — Tu posséderas plus tard ce royaume des cieux; sois maintenant pauvre de gré. Veux-tu réellement posséder plus tard ce magnifique royaume? Vois quel esprit t'anime et sois pauvre de gré. Mais qu'est-ce qu'être pauvre de gré? Demandes-tu peut-être. Aucun orgueilleux n'est pauvre de gré; le pauvre de gré est donc l'homme humble. Le royaume des cieux est haut placé; mais « qui conque s'humilie s'élèvera » jusques là (1).

2. Considère ce qui suit : « Bienheureux ceux qui sont doux, car ils auront la terre pour héritage. » Tu veux posséder la terre? Prends garde d'être possédé par elle. Tu la posséderas si tu es doux; tu en seras possédé si tu ne l'es pas. Mais en entendant qu'on t'offre comme récompense la possession de la terre, n'ouvre pas des mains avares pour t'en emparer dès aujourd'hui, aux dépens même de ton voisin ; ne sois pas le jouet de l'erreur. Posséder la terre, c'est s'attacher intimement à Celui qui a fait le ciel et la terre. La douceur en effet consiste à ne pas résister à son Dieu, à l'aimer et non pas soi dans le bien que l'on fait; et dans le mal que l'on souffre justement, à ne pas lui en vouloir mais à s'en vouloir à soi-même. Il n'y a pas un léger mérite de lui plaire en se déplaisant et de se déplaire en lui plaisant.

3. Troisième béatitude : « Bienheureux ceux qui pleurent; car ils seront consolés. » Les pleurs désignent le travail, et la consolation, la récompense. Quelles sont, hélas ! les consolations de ceux qui pleurent d'une manière charnelle ? Aussi importunes que redoutables ; car en essuyant leurs larmes, ils craignent toujours d'en verser de nouvelles. Un père, par exemple, se désole d'avoir perdu son fils, la naissance d'un autre le réjouit; celui-ci remplace celui qui n'est plus, mais il est pour lui un sujet de crainte comme le premier a été un sujet de tristesse, et il ne trouve dans aucun d'eux consolation véritable. La vraie consolation sera de recevoir ce qu'on ne pourra perdre, et on mérite d'en jouir plus tard, lorsque maintenant on gémit d'être en exil.
 
 

1. Luc, XIV, II.
 
 

4. Quatrième devoir et quatrième récompense: « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés. » Tu veux être rassasié? Comment le seras-tu? Si tu aspires au rassasiement du corps, une fois les aliments digérés, tu ressentiras de nouveau le tourment de la faim; car il est dit : « Quiconque boira de cette eau, aura soif encore (1). » Quand un topique étendu sur une plaie parvient à la guérir, toute douleur disparaît, mais la nourriture ne chasse la faim et ne restaure que pour un moment; car la faim succède au rassasiement; et en vain applique-t-on chaque jour le remède de la nourriture, il ne cicatrise point la faiblesse. Ayons donc faim et soif de la justice; c'est le moyen d'en être un jour rassasiés, car notre rassasiement viendra de ce qui maintenant provoque en nous et la faim et la soif. Que notre âme en ait faim et soif; pour elle aussi il y a une nourriture et il y a un breuvage. « Je suis, dit le Seigneur, le pain descendu du ciel (2). » Voilà le pain destiné à apaiser ta faim. Désire aussi le breuvage qui étanchera ta soif : « En vous, » Seigneur, « est, là source de vie (3). »

5. Autre maxime : « Bienheureux les miséricordieux, car Dieu leur fera miséricorde. » Fais-la et on la fera; fais-la envers un autre et on la fera envers toi. Tu es à la fois riche et pauvre, riche des biens temporels, pauvre des biens éternels. Tu entends un homme mendier.

tu mendies toi-même auprès de Dieu. On te demande, et tu demandes. Ce que tu feras envers ton solliciteur, Dieu le fera envers le sien. Plein d'un côté et vide de l'autre, remplis de ta plénitude le vide des pauvres, et le tien sera rempli de la plénitude de Dieu.

6. Nous lisons encore : « Bienheureux ceux qui ont le coeur pur, car ils verront Dieu. » Telle est la fin de notre amour; mais c'est une fin qui nous perfectionne et non une fin qui nous détruit. On finit un repas et on finit un vêtement; un repas, quand on a consumé la nourriture; un vêtement, quand on achève de le coudre. Ici et là on achève; ici de consumer, et là de perfectionner. Quels que soient maintenant nos actes et nos vertus, nos efforts et les louables et innocentes aspirations de notre coeur, une fois que nous verrons Dieu nous serons entièrement ; satisfaits. Que pourrait chercher encore celui qui possède Dieu, et de quoi se contenterait celui à qui Dieu ne suffit pas ? Ce, que nous voulons,
 
 

1. Jean, IV, 13. — 2 Ib. VI, 41. — 3. Ps. XXXV, 10.
 
 

ce que nous cherchons ce que nous ambitionnons, c'est de voir Dieu. Et qui n'aurait ce désir?

Mais considère ces paroles : « Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu. » Donc, afin de le voir, prépare ton coeur. Pour me servir d'une comparaison toute matérielle, à quoi bon désirer voir le soleil à son lever, si les yeux sont fermés par la maladie? Qu'on les guérisse et ils seront heureux de voir la lumière; s'ils restent malades, elle fera leur tourment. De même tu ne pourras voir sans la pureté du coeur, ce que ne sauraient contempler que les coeurs purs. Tu seras repoussé, éloigné, tu ne pourras jouir. « Bienheureux ceux qui ont le coeur pur, car ils verront Dieu. »

Combien de fois déjà la Sauveur a-t-il répété ce mot Bienheureux? Quelles causes a-t-il assignées à la béatitude ? Quelles oeuvres et quels salaires, quels mérites et quelles récompenses a-t-il énumérés? Jamais jusqu'alors il n'avait dit : « Ils verront Dieu. — Bienheureux les pauvres de gré, car le royaume des cieux est à eux. Bienheureux ceux qui sont doux, car ils auront la terre en héritage. Bienheureux ceux qui pleurent; ils seront consolés. Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice; « ils seront rassasiés. Bienheureux les miséricordieux; ils obtiendront miséricorde. » Il n'a pas encore été dit : « Ils verront Dieu. » Nous arrivons aux coeurs purs; c'est à eux qu'est promise la vue de Dieu, et ce n'est pas sans motif, car ils ont des yeux pour voir Dieu. C'est de ces yeux que parle l'Apôtre quand il dit: « Les yeux « éclairés de votre cœur.» Maintenant donc ces yeux, parce qu'ils sont faibles, sont éclairés par la foi; devenus plus tard vigoureux, ils seront éclairés par la réalité même. « Tant que nous sommes dans ce corps, nous voyageons loin du Seigneur; car nous marchons dans la foi et non dans la claire vue (2). » Et tant que nous marchons ainsi dans la foi, que dit de nous l'Ecriture? Que « maintenant nous voyons à travers un miroir, en énigme, et qu'alors ce sera face à face (3). »

7. Loin d'ici la pensée de toute face corporelle. Si dans le désir enflammé de voir Dieu tu prépares ton visage à jouir de cette vue; tu désireras voir aussi la face divine. Si au contraire vous avez de Lui des idées au moins spirituelles, si vous croyez que Dieu n'est pas un corps, ainsi que
 
 

1. Eph. I,18, — 2. II Cor, V, 6, 7. — 3. I Cor. XIII, 12.
 
 

nous l'avons enseigné longuement hier, si toutefois nous l'avons enseigné; si dans vos coeurs,

comme dans les temples de Dieu, nous avons brisé tout simulacre de forme humaine, si vous vous souvenez exactement, si vous êtes bien pénétrés de ce passage où l'Apôtre réprouve ceux qui « se disant sages sont devenus insensés, et ont changé la gloire du Dieu incorruptible

contre un image représentant un homme corruptible (1) ; » si vous détestez cet égarement, si vous l'évitez, si vous purifiez le temple de votre Créateur, si vous voulez qu'il vienne en vous et y établisse sa demeure : « Ayez du Seigneur des sentiments dignes de lui et cherchez-le dans la simplicité du coeur (2); » voyez à qui vous vous adressez, si toutefois vous parlez sincèrement, quand vous vous écriez : « Mon cœur vous a dit: Je chercherai votre face. » Que ton cœur dise donc aussi : « Je chercherai votre visage, Seigneur, » car le chercher avec le coeur, c'est le chercher comme il convient.

On dit le visage de Dieu, le bras de Dieu, la main de Dieu, ses pieds, son trône et l'escabeau de ses pieds; lisais ne te figure, pas des membres humains; brise ces idoles de mensonge, si tu veux être le temple de la vérité. La main de Dieu désigne sa puissance; sa face, sa connaissance ; ses pieds, sa présence; et si tu le veux, tu peux devenir son trône. Nieras-tu que le Christ soit Dieu? Non, réponds-tu. Tu admets aussi que le Christ est la vertu et la sagesse de Dieu? — Je l'admets aussi. — Ecoute : « L'âme du juste est le trône de la sagesse (3). » Or où Dieu a-t-il son trône, sinon où il habite ; et où habite-t-il, si ce n'est dans son temple ? Mais « le temple de Dieu est saint, et vous êtes ce temple (4). » Songe donc de quelle manière tu dois considérer le Seigneur. « Dieu est esprit et il faut l'adorer en esprit et en vérité (5). » Qu'aujourd'hui donc, si tu le promets, l'arche d'alliance entre dans ton coeur, et que Dagon tombe à la renverse (6). Ainsi prête l'oreille, apprends à désirer Dieu, apprends à désirer ce qui te rend capable de le voir. « Heureux ceux qui ont le coeur pur, car ils verront Dieu. » Pourquoi penser aux yeux du corps? S'ils servaient à voir Dieu, Dieu occuperait quelque espace. Mais quel espace occupe Celui qui est tout entier partout ? Purifie ce qui doit le voir.

8. Ecoute encore et comprends, si toutefois je puis avec son secours expliquer ma pensée;
 
 

1. Rom. I, 22-23. — 2. Sag. I, 1. — 3. Ibid. I, 2. —  4. I Cor. III, 17. — 5. Jean, IV, 24. — 6. Rois, V, 3.
 
 

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qu'il nous aide à entendre ces devoirs et ces récompenses, à saisir comment les uns répondent aux autres. Quelle est en effet la récompense qui ne convienne, qui ne soit proportionnée au mérite? Les humbles semblent exclus du royaume, et il est dit : « Bienheureux les pauvres de gré, le royaume des cieux est à eux. » On exproprie facilement ceux qui sont doux; et il est dit : « Bienheureux ceux qui sont doux, car ils auront la terre en héritage. » Le reste est clair, évident, il se révèle de lui-même et il faut, non pas l'expliquer, mais le rappeler. «Bienheureux

ceux qui pleurent. » Qui ne désire la consolation quand il pleure? « Ils seront consolés. — Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice. » Qui ne désire être rassasié quand il a faim et soif ? Aussi « seront-ils rassasiés. — « Bienheureux les miséricordieux. » Qui fait miséricorde, sinon celui qui même en l'exerçant demande que Dieu le paie de retour et fasse pour lui ce que lui-même fait pour le pauvre? «Bienheureux» donc « les miséricordieux, car Dieu leur fera miséricorde. » Voyez continent tout se correspond, comment la nature de la récompense est appropriée à la nature du précepte. Il est prescrit d'être pauvre de gré; la récompense est de posséder le royaume des cieux. Il est prescrit d'être doux; la récompense est de posséder la terre. Il est prescrit de pleurer; la récompense est d'être consolé. Il est:prescrit d'avoir faim et soif de la justice ; la récompense est d'en être rassasié. Il est prescrit d'être miséricordieux ; la récompense est d'obtenir miséricorde. De même il est prescrit d'avoir le coeur pur; et la récompense est de voir Dieu.

9. Garde-toi donc de raisonner sur ces préceptes et sur ces récompenses de la manière suivante. Quand on le dit : « Bienheureux les coeurs purs, car ils verront Dieu, » ne t'imagine point que la vue de Dieu ne sera octroyée ni aux pauvres de gré, ni à ceux qui sont doux, ni à ceux qui pleurent, ni à ceux qui ont faim et soif de la justice, ni à ceux qui sont miséricordieux. Ne te figure point qu'il n'y aura pour  le voir que les coeurs purs et que les autres en seront privés. En effet, ceux qui ont le coeur pur ont aussi tous les autres mérites; mais s'ils voient Dieu, ce n'est ni pour être pauvres de gré, ni pour être doux, ni pour pleurer, ni pour avoir faim et soif de la justice, ni pour être miséricordieux; c'est pour avoir le coeur pur. C’est comme, si l'on rapprochait des membres du corps les actions auxquelles ils sont propres, comme si l'on disait, par exemple : Heureux ceux qui ont des pieds, car ils marcheront; heureux ceux qui ont des mains, car ils travailleront; heureux ceux qui ont de la voix, car ils crieront; Heureux ceux qui ont une bouche et une langue, car ils parleront; heureux ceux qui ont des yeux, car ils verront. En nous donnant en quelque sorte des membres spirituels, le Sauveur a indiqué à quoi chacun est propre. L'humilité est propre a posséder le royaume des cieux; la douceur, à posséder la terre; les larmes, à recevoir la consolation; la faim et la soif de la justice, à être rassasiés; la miséricorde, à obtenir miséricorde; le coeur pur enfin, à voir Dieu.

10. Si donc nous aspirons à voir Dieu, comment purifier cet oeil intérieur ? Qui ne s'appliquerait, qui ne chercherait à purifier son cœur pour voir Celui qu'il aime de toute son âme? Une autorité divine nous dit par quel moyen : « C'est par la foi, déclare-t-elle, qu'il purifie leurs coeurs (1). » La foi en Dieu purifie donc le coeur, et le coeur purifié voit Dieu.

Il est vrai, des malheureux qui se trompent eux-mêmes se font de la foi une étrange idée: ils se figurent qu'il suffit de croire; car il en est qui tout en vivant mal se promettent, parce qu'ils croient, d'arriver à la vision de Dieu et au royaume des cieux. Mais l'Apôtre saint Jacques s'enflamme contre eux dans son Epître, et rempli d'une charité toute céleste : « Tu crois qu'il y a un Dieu, » leur dit-il avec une sainte indignation. Tu t'applaudis de ta foi; tu considères qu'un grand nombre d'impies croient à la pluralité des dieux et tu es heureux de croire qu'il n'y en a qu'un. « C'est bien. Mais les démons croient aussi, et ils tremblent (2). » Ces démons verront-ils Dieu ? Les coeurs purs le verront. Mais qui oserait appeler des coeurs purs ces esprits immondes? « Ils croient » néanmoins, « et ils tremblent.»

11. Il faut mettre de la différence entre notre foi et la foi des démons. La nôtre purifie le cœur, la leur les rend coupables, car ils font le mal et c'est pourquoi ils disent au Seigneur : « Qu'y a-t-il entre vous et nous? » Tu crois peut-être, en les entendant parler ainsi, qu'ils ne le connaissaient pas? » Nous savons, disent-ils, qui « vous êtes; vous êtes le Fils de Dieu (3). » Pierre est comblé d'éloges, quand il lui donne ce titre; le démon le donne aussi, et il est condamné. D'où
 
 

1. Act. XV, 9. — 2. Jacq. II, 19. — 3. Luc, IV, 34.
 
 

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vient cette différence ? Ne vient-elle pas de ce que les paroles étant les mêmes les dispositions du cœur Font loin de se ressembler ? Que notre foi diffère donc de la leur, ne nous contentons pas de croire. Leur foi ne saurait purifier le coeur ; et « c'est par la foi, est-il dit, que Dieu a purifié leurs cœurs. »

Or quelle est cette foi, sinon celle que définit l'Apôtre Paul quand il dit : « La foi qui agit par l’amour (1) ? » Cette foi distingue des démons, elle distingue des hommes perclus de crimes et de mœurs. « La foi. » Quelle foi? « La foi qui agit par l'amour. » Elle espère donc ce que, Dieu promet. Rien de plus exact, rien de mieux que celle définition. Aussi y voit-on trois choses essentielles. En effet, quand on a « la foi qui agit par l’amour, » on espère nécessairement aux promesses divines et la foi est accompagnée par l’espérance. Comment nous passer de l’espérance. Comment nous passer de  l’espérance tant que nous croyons ce que nous ne voyons point encore? Sans voir et sans espérer, ne viendrions-nous pas à défaillir? Nous nous affligeons de ne pas voir, mais nous nous consolons dans l'espérance de voir un jour. Ainsi nous avons l'espérance et cette espérance accompagne la foi. Nous avons aussi la charité; c'est elle gui nous porte à désirer, à faire effort pour atteindre à quoi nous aspirons, à avoir faim et soif. Ainsi ajoutons cette vertu aux deux autres et nous avons la foi, l'espérance et la charité. Comment d'ailleurs n'aurions-nous pas la charité avec la foi telle que la définit l'Apôtre, puisqu'elle n'est autre chose que l'amour dont il parle quand il dit : « La foi qui agit par l'amour ? » Supprime la foi, tu ne crois plus rien; supprime la charité, tu n'agis plus. Car à la foi il appartient de croire, et à la charité, d'agir. Crois sans aimer, tu ne te portes à  aucune bonne oeuvre, et si tu t'y portes, c'est en esclave et non en fils, c'est par crainte de la peine et non par amour de la justice. La foi qui purifie le cœur est donc bien celle qui agit par la charité.

12. Alois cette foi, que fait-elle? Que fait-elle avec de si imposants témoignages de l'Ecriture, avec de si nombreux enseignements, des exhortations si variées et si puissantes? Elle nous met en état de voir, maintenant à travers un miroir, en énigme, et plus tard face à face. Cette fois encore ne songe pas à ta face extérieure, mais à la face de ton coeur. Force ton cœur à s'appliquer aux choses divines, contrains-le, presse-le. Rejette
 
 

1. Galat. V, 6.
 
 

toute image corporelle. Tu ne saurais dire en la voyant : Dieu est cela , dis au moins : Il n'est pas cela. Quand pourras-tu dire de Dieu : C'est cela? Pas même quand tu le verras, car Celui que tu verras est ineffable. L'Apôtre publie qu'il a été ravi au troisième ciel et qu'il y a entendu des paroles ineffables. Si des paroles sont ineffables, que penser de Celui de qui elles viennent?

Tu penses donc à Dieu, et à ton esprit se présente sous forme humaine, une merveilleuse et immense étende. La voilà devant ta pensée ; c'est quelque chose de grand, de vaste, une immense étendue enfin. Mais, ou bien elle est limitée, et limitée elle n'est point Dieu; ou bien elle n'est pas limitée, et alors où en est la face? Tu te représentes cette stature immense, mais pour lui donner des membres il faut lui assigner des bornes; comment sans cela distinguer ces membres? Que fais-tu donc, pensée folle et charnelle ? Tu construis une masse énorme, tu lui donnes d'autant plus d'étendue que tu crois par là honorer Dieu davantage. Mais tout autre ne peut-il y ajouter une coudée et la rendre plus grande encore?

13. J'ai lu néanmoins, dis-tu. — Qu'as-tu lu? Tu n'y as rien compris. Dis cependant, qu'as-tu lu? Ne repoussons pas cet enfant qui joue avec les imaginations de son coeur. Qu'as-tu donc lu? — « Le ciel est mon trône et la terre l'escabeau de mes pieds (1). » C'est vrai; moi aussi j'ai lu cela. T'estimes-tu plus que moi parce qu'en lisant tu as cru ? Mais je crois aussi ce que tu viens de rappeler. Croyons donc ensemble. Et puis? Cherchons ensemble. Retiens bien ce que tu as lu et ce que tu crois. « Le ciel est mon trône, c'est-à-dire mon siège, car tel est le sens de ce mot dérivé du grec; « et la terre, l'escabeau de mes pieds. » Or n'as-tu pas lu aussi : « Qui a mesuré le ciel avec la paume de sa main (2)? » Tu l'as lu sans doute et tu confesses également que tu le crois. Ainsi nous avons lu tous deux et tous deux nous croyons ces passages. Réfléchis maintenant et enseigne-moi ; sois mon maître, je me fais ton élève. Enseigne-moi, je t'en prie. Est-il un homme qui siège sur la paume de sa main?

14. Tu viens de donner à Dieu des traits et dm, membres copiés sur le corps humain, et, peut-être l'imaginais-tu que c'est notre corps qui est fait à l'image de Dieu. Provisoirement j'accepte ton idée; mais pour l'examiner, pour la discuter,
 
 

1. Isaïe, LXVI, 6. — 2. Ibid. XL, 12.
 
 

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pour la sonder, et pour la réfuter en l'étudiant. Consens à m'entendre, puisque j'ai prêté l'oreille à ce qu'il t'a plu de me dire.

Dieu siège au ciel et en même temps il mesure le ciel avec la paume de sa main. Ainsi le ciel est à la fois large et étroit ; large puisque Dieu y est assis, étroit puisqu'il le mesure comme-il vient d'être dit ? Ou bien ne faut-il à Dieu pour s'asseoir que l’espace occupé par la paume de sa main ? S'il en est ainsi, il ne nous a point faits à son image, car nous avons la paume de la main bien plus étroite que l'espace occupé quand nous sommes assis ; et si en Dieu la paume de la main est aussi étendue que la place occupée par lui sur son siège, il nous a donné des membres bien différents des siens ; il n'y a point là de ressemblance. Qu'un cœur chrétien rougisse de se faire une telle idole.

Prends donc ici le ciel pour tous les saints ; car la terre s'entend aussi de tous ceux qui l'habitent : « Que toute la terre vous adore (1). » Or si en pensant aux habitants de la terre nous pouvons dire : « Que toute la terre vous adore ; » pourquoi ne pourrions-nous dire également, en pensant aux habitants du ciel: Que tout le ciel vous porte? Tout en habitant sur la terre, tout en foulant la terre aux pieds, les saints eux-mêmes ont le cœur fixé au ciel. Ce n'est pas en vain qu'on les invite à y tenir leur cœur élevé, ni en vain qu'ils affirment être fidèles à ce conseil; ce n'est pas en vain non plus que le chef de l'homme est élevé ; aussi est-il dit dans ce sens mystérieux

« Si vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez les choses d'en haut, où le Christ siège à la droite de Dieu; goûtez les choses d'en haut et non les choses de la terre (2). » Considérés comme vivant au ciel, les saints portent Dieu, ils sont même le ciel puisqu'ils sont les trônes de Dieu; et considérés comme annonçant sa parole, ces « cieux racontent la gloire de Dieu (3). »

15. Reviens donc avec moi aux yeux du coeur et sache les préparer. C'est à l'homme intérieur que Dieu parle ; car il y a en nous un homme intérieur dont les oreilles, les yeux et les autres organes visibles ne sont que la demeure ou l'instrument. C'est aussi dans cet homme intérieur que le Christ habite provisoirement par la foie et qu'il fera sentir la présence de sa divinité, lorsque nous connaîtrons en quoi consistent la largeur et la longueur, la hauteur et la profondeur; lorsque nous connaîtrons aussi la charité du
 
 

1. Ps. LXV, 4. — 2. Coloss. III, 1, 2. — 3. Ps. XVIII, 2.
 
 

Christ, bien supérieure à toute science, pour être remplis de toute la plénitude de Dieu (1). Ainsi donc si tu aimes à comprendre dans ce sens, applique-toi à saisir ce que l'on entend par largeur et longueur, hauteur et profondeur. Mais ne laisse point courir ton imagination à travers les espaces de l'univers, à travers l'étendue finie de ce monde immense. Saisis dans toi-même ce que je vais dire.

La largeur consiste dans les bonnes oeuvres ; la longueur, dans la constance et la persévérance à les faire ; la hauteur est l'attente des récompenses célestes, c'est dans ce sens qu'on t'invite à élever ton coeur. Fais donc le bien et persévère à le faire dans l'espoir des dons de Dieu. Regarde comme rien les biens de la terre ; autrement, lorsqu'elle sera ébranlée sous les coups de l'éternelle Sagesse, tu serais exposé à dire qu'en vain tu as servi Dieu, fait le bien et persévère dans la pratique des bonnes oeuvres. Il y a donc en toi largeur, quand tu les pratiques, longueur, si tu y persévères ; mais tu manques de hauteur en convoitant les récompenses terrestres. Et la profondeur ? C'est la grâce de Dieu considérée dans le secret de sa volonté sainte. « Qui a connu la pensée du Seigneur ? qui lui a servi de conseiller (2) ? — Vos jugements sont comme un profond abîme (3). »

16. La vraie vie consiste donc à faire le bien et à y persévérer, à attendre les biens du ciel, à recevoir la grâce que Dieu donne secrètement, non pas à l'aventure mais avec sagesse, et à ne pas critiquer la manière différente dont il traite les hommes; car en lui il n'y a point d'injustice (4). Veux-tu rapprocher ce genre de vie de la croix de ton Seigneur ? Il dépendait de lui de mourir, ou de ne pas mourir, et ce n'est pas sans raison qu'il a choisi ce genre de mort. S'il pouvait mourir ou se préserver de la mort, ne pouvait-il pas aussi mourir d'une manière ou de l'autre? Non, ce n'est pas sans motif qu'il a préféré expirer sur la croix pour t'y crucifier à ce monde.

Sur la croix en effet la largeur est le bois transversal où sont attachées les mains; ce qui représente les bonnes oeuvres. La longueur est la partie qui part du bois transversal et s'étend jusques à terre. Là est appliqué et se tient comme debout le corps du crucifié; attitude qui désigne la persévérance. La hauteur est la partie qui s'élève au dessus des bras de la croix, et qui figure l'attente des biens célestes. Et la profondeur? N'est-
 
 

1. Ephés. III, 17-19. — 2. Rom. XI, 34. — 3. Ps. XXXV, 7. — 4. II Paralip. XIX, 7 ; Rom. IX, 14.
 
 

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ce, point le bas, fixé dans la terre? Ainsi est cachée et comme dérobée à la vue, la grâce divine. On ne la voit pas, mais c'est d'elle que part tout ce que l'on voit.

Maintenant donc, si tu fais entrer tout ceci non-seulement dans ton intelligence mais encore dans ta conduite, « et l'intelligence en est donnée à ceux qui s'y conforment (1); » travaille alors, si tu en es capable, à connaître cette charité du Christ, qui surpasse toute science; et lorsque tu la connaîtras, tu seras rempli de toute la plénitude de Dieu; et ce sera face à face. Oui tu seras rempli de toute la plénitude de Dieu, car Dieu
 
 

1. Ps. CX, 10.
 
 

même te remplira sans que tu le remplisses. Cherche donc maintenant, s'il est possible, quelque face corporelle? Loin d'ici les vains fantômes. Enfant, jette ces jouets et occupe-toi de choses sérieuses. Nous aussi nous sommes souvent des enfants, et lorsque nous l'étions davantage encore, nos aînés ont su nous supporter. « Recherchez avec tous la paix et la sainteté, sans laquelle personne ne verra Dieu (1). » Elle aussi purifie le coeur, parce qu'elle implique la foi qui agit par la charité. Ainsi donc « Bienheureux les coeurs purs, car ils verront Dieu. »
 
 

2. Hébr. XII, 14.

SERMON LIV. PURETÉ D'INTENTION (1).
 

ANALYSE. — Ce petit discours est simplement la conciliation de ces deux passages de l'Évangile : « Que votre lumière brille devant les hommes, » et : « Gardez-vous de faire votre justice devant les hommes, (2). » Ce que Jésus-Christ commande, c'est d'édifier le prochain parles bonnes couvres; ce qu'il défend, c'est de chercher la gloire en faisant le bien. Saint Augustin montre par l'examen du texte même que tel est le sens de ces deux passages.
 
 

1. Plusieurs s'étonnent, mes amis, qu'après avoir dit dans le grand discours de l'Evangile « Que votre lumière brille devant les hommes, de « façon qu'ils voient vos bonnes oeuvres et glorifient votre Père qui est dans les cieux ; » Jésus-Christ Notre-Seigneur ait dit en ensuite: « Gardez-vous de faire votre justice devant les hommes pour en être considérés. » Ici se trouble un esprit peu ouvert et désireux d'obéir aux préceptes divins ; il flotte en sens divers et opposés. N'est-il pas aussi impossible d'obéir à un seul maître, donnant des ordres contraires, que de servir deux maîtres, comme le déclare le Sauveur dans ce même discours (3)? Que fera ici l'âme incertaine, partagée entre ce qu'elle croit l'impossibilité d'obéir et la crainte de n'obéir pas ? Si elle fait ses oeuvres au grand jour, si elle les fait voir aux hommes pour accomplir ce commandement : « Que votre lumière brille devant les hommes, de façon qu'ils voient vos bonnes oeuvres et glorifient votre Père qui est dans les cieux ; » elle se croit coupable d'avoir violé le précepte suivant: « Gardez-vous de faire votre justice devant les hommes pour en être
 
 

1. Matt. V, 16; VI, 1. — 2. Ibid. — 3. Ibid. VI, 24.
 
 

 considérés.» Si d'autre part, pour échapper à cette faute elle cache ses vertus, elle croit ne pas obéir à cet ordre: « Que votre lumière brille devant les hommes, de façon qu'ils voient vos bonnes oeuvres. »

2. Celui.néanmoins qui comprend le sens de ces deux préceptes, les accomplit tous deux ; il sert ainsi le Seigneur de l'univers, lequel ne condamnerait point le serviteur paresseux, s'il commandait l'impossible. Ecoutez Paul, écoutez ce serviteur de Jésus-Christ, appelé à l'apostolat et séparé pour l'Evangile de Dieu, il accomplit et enseigne l'un et l'autre commandement.

Voyez d'abord comment sa lumière brille devant les hommes, comment il montre à ceux-ci ses bonnes oeuvres. « Nous nous recommandons nous-mêmes, dit-il, à toute conscience d'homme, devant Dieu (1). » Il dit encore. « Nous tâchons de faire le bien, non-seulement devant Dieu mais aussi devant les hommes (2). » Et ailleurs : « Plaisez à tous en toutes choses, comme en toutes choses je plais à tous (3). » Voyez d'un autre côté comment il se garde de pratiquer sa justice devant les hommes, pour en
 
 

1. II Cor. IV, 2. — 2. Ibid. VIII, 21. — 3. I Cor. X, 33.
 
 

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être considéré. « Que chacun, dit-il, éprouve ses oeuvres ; et alors il trouvera sa gloire en lui-même et non dans autrui (1). » Il dit encore: « Car voici en quoi consiste notre gloire, dans le témoignage de notre conscience (2). » Il ajoute ailleurs ces paroles on ne saurait plus claires : « Si je plaisais ainsi aux hommes, je ne serais pas le serviteur du Christ (3). »

Ceux néanmoins qui trouvent contradictoires les paroles du Seigneur même, ne vont-ils pas s'étonner encore plus du langage de l'Apôtre et lui demander: Comment dites-vous : « Plaisez à tous en toutes choses, comme en toutes choses « je plais à tous ; » et d'autre part : « Si je plaisais ainsi aux hommes, je ne serais point le serviteur du Christ ? » Daigne nous assister le Seigneur lui-même. C'est lui qui parlait dans son serviteur, dans son Apôtre : qu'il nous fasse connaître sa volonté et nous accorde la grâce de lui obéir.

3. Les paroles mêmes de l'Evangile portent en soi leur explication ; si nous avons faim, elles ne nous ferment pas la bouche, car en cherchant nous y trouverons la nourriture de notre âme. Il faut donc examiner où se porte l'intention, ce qu'a en vue le coeur de l'homme. Si celui qui veut faire éclater ses bonnes oeuvres aux yeux des autres, fait dépendre d'eux sa gloire et ses avantages, s'il les cherche dans leur estime, il n'accomplit aucun des préceptes du Seigneur sur cette matière; car il veut pratique sa justice devant les hommes afin d'en être considéré, et il ne fait pas briller devant eux sa lumière dans le dessein qu'en remarquant ses bonnes oeuvres ils glorifient leur Père céleste. C'est soi-même que l'on veut glorifier alors.et non pas Dieu; on cherche ses intérêts propres, ce n'est pas à la volonté du Seigneur que l'on s'attache: Tels étaient ceux dont l'Apôtre dit : « Ils cherchent, tous, leurs propres avantages et non ceux de Jésus-Christ (4). »

Aussi le Sauveur ne terminé pas sa phrase à ces mots : « Que votre lumière brille devant les hommes, de façon qu'il voient vos bonnes oeuvres; » il ajoute immédiatement pour quel motif on doit agir ainsi: « Et qu'ils glorifient votre Père qui est dans les cieux. » Ainsi en faisant le bien devant les hommes, on doit garder pour sa conscience l'intention de bien faire et rapporter à la gloire de Dieu, à l'utilité du prochain, l'intention d'être connu. Il est bon en
 
 

1. Galat. VI, 4. — 2. II Cor. I, 12. — 3. Galat. I, 10. — 4. Philip. II, 21.
 
 

effet que le prochain aime Dieu comme l'auteur de nos vertus, et qu'ainsi il ne désespère pas de les obtenir de lui s'il les désire. Pour la même raison le précepte suivant : « Gardez-vous de faire votre justice devant les hommes, » ne se termine qu'à ces mots : « pour en être considérés. » Le Sauveur n'ajoute pas ici: « pour qu'ils glorifient votre Père qui est dans les  cieux ; » il dit au contraire: « Autrement vous serez sans récompense auprès de votre Père qui est dans les cieux. » Il montre ainsi que le défaut interdit par lui à ses fidèles, consiste à chercher sa récompense dans l'approbation des hommes, à mettre là son bonheur, à y nourrir sa vanité, à y trouver en même temps la ruine et l'orgueil, l'enflure et la consomption. Pourquoi ne s'est-il point contenté de dire: «Gardez-vous de faire votre justice devant les hommes? » Pourquoi a-t-il ajouté : « Afin d'en être considérés ? » N'est-ce point parce qu'il est des âmes qui en accomplissant leur justice devant les hommes ne cherchent pas à s'en faire voir, mais à faire voir leurs bonnes oeuvres et à faire bénir le Père céleste, qui daigne accorder ses grâces à des impies justifiés ?

4. Ces âmes ne s'attribuent pas la justice qu'elles pratiquent, elles la rapportent à Celui dont la foi est leur principe de vie. Aussi l'Apôtre dit-il : « Afin de gagner le Christ et d'être trouvé en lui, possédant non pas ma propre justice qui vient de la loi, mais celle qui vient par la foi, dans le Christ, celle qui vient de Dieu, la justice par la foi (1). » Et ailleurs : « Afin qu'en lui nous devenions la justice de Dieu (2). » C'est ce qui le porte à reprocher aux Juifs « d'ignorer la justice de Dieu, de vouloir établir la leur, et « de n'être pas soumis à la divine justice (3). » Chercher donc à faire voir aux hommes ses bonnes oeuvres, afin de les porter à bénir Celui à qui on les doit, afin de les excitera imiter avec une foi pieuse les vertus dont ils sont témoins, c'est réellement faire briller sa lumière devant eux ; car c'est faire rayonner le feu de la charité, et non pas faire monter la fumée de l'orgueil, C'est aussi éviter de faire sa justice devant les hommes pour en être considéré ; car on ne s'attribue point cette ,justice, et on ne l'accomplit point pour être remarqué, mais pour élever l'esprit vers Celui que fait bénir l'homme justifié, pour porter Dieu à produire dans celui qui le loue
 
 

1. Philip. III. 8, 9. — 2. II Cor. V, 21, — 3. Rom, X, 3.
 
 

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ce qui fait le sujet de ses louanges, c'est-à-dire se rendre lui-même digne d'éloges. Remarquez aussi qu'après ces mots : « Plaisez à tous en toutes choses, comme en toutes choses je plais à tous, » l'Apôtre ne s'arrête pas. C'eût été indiquer en quelque sorte qu'il n'avait d'autre intention que de plaire aux hommes, et Il lui eût été impossible dédire sans mensonge « Si je plaisais ainsi aux hommes, je ne serais point le serviteur du Christ. » Il fait donc connaître aussitôt pourquoi il plaît aux hommes. « Ne cherchant pas, dit-il, ce qui m'est avantageux, mais ce qui l'est au grand nombre pour leur salut (1). » Ainsi donc il ne plaisait pas aux homme, pour son propre avantage, t'eût été n'être pas serviteur du Christ; et il leur plaisait pour leur salut, afin d'être ainsi pour le Christ un dispensateur fidèle. Sa conscience lui suffisait devant Dieu; et devant les hommes éclatait en lui ce que les hommes devaient imiter.
 
 

1. I Cor. X, 33.

SERMON LV. SE DOMPTER SOI-MÊME (1).
 

ANALYSE. — Pour échapper à la damnation; il est nécessaire de dompter sa langue. Nul de nous cependant ne saurait la dompter. Donc il faut recourir à bleu, qui le peint sans aucun doute. Mais il faut nous abandonner à lui avec confiance, car il né veut nous dompter que pour nous rendre heureux.
 
 

1. Le passage que nous venons d'entendre lire dans le saint Evangile, a dû nous glacer de frayeur si nous avons la foi ; il faudrait ne pas l'avoir pour ne pas trembler. Ceux qui ne tremblent pas veulent jouir d'une fausse sécurité; ils ne savent point, hélas ! distinguer entre le temps où l'on doit craindre et le temps où l'on doit ne craindre pas. Maintenant donc que l'on mène une vie qui doit finir, il faut s'effrayer pour jouir dans l'autre vie d'une assurance qui ne finira point. Aussi nous avons tremblé.

Qui d'ailleurs ne redouterait la vérité même quand elle s'écrie: « Quiconque dira à son frère « Fou, sera condamné à la géhenne du feu (2) ? » Aucun homme en effet ne peut dompter sa langue. L'homme dompte un animal farouche, et il ne dompte point sa langue ; il dompte un lion et il ne dompte point sa parole ; il dompte, mais ne se dompte pas ; il dompte ce qu'il craint; et quand il s'agit de se dompter, il ne redoute point ce qu'il faudrait craindre par dessus tout. Ainsi qu'arrive-t-il? Cette sentence éminemment vraie est sortie de l'oracle de la vérité même : « Nul homme ne saurait dompter sa langue (3).

2. Que ferons-nous donc, mes frères ? Je vois ici une multitude; triais comme nous sommes tous un en Jésus-Christ, délibérons en quelque sorte secrètement. Aucun étranger ne nous entendra; nous sommes un, car nous sommes unis. Que
 
 

1. Matt. V, 22. — 2. Ibid. — 3. Jacq. III, 7, 8.
 
 

faire ? « Quiconque dira à son frère : Fou, sera condamné à la géhenne du feu. — Nul homme ne saurait dompter sa langue. » Tous iront donc à la damnation ? A Dieu ne plaise! «Seigneur, vous êtes devenu notre asile, de génération en génération (1). » Votre colère est juste, et vous ne perdez personne injustement. « De devant votre « esprit et de devant vous, où fuir, où aller,

si ce n'est vers vous (2) ?

Ainsi comprenons mes amis, que si nul homme ne peut dompter sa langue, il faut pour la dompter recourir à Dieu. En vain d'ailleurs essayerais-tu de la dompter, tu ne le pourras, car tu n'es qu'un homme. « Nul homme ne saurait dompter sa langue. » Soyez attentifs à cette comparaison tirée des bêtes farouches que nous domptons. Un cheval ne se dompte pas ; un chameau ne se dompte pas; un éléphant ne se dompte pas; un aspic ne se dompte pas; un lion ne se dompte pas : c'est ainsi que l'homme ne saurait non plus se dompter. Pour dompter un cheval; un boeuf, un chameau, un éléphant; un lion, an aspic, on recourt à l'homme. Pour dompter l'homme, qu'on recoure donc à Dieu.

3. Aussi, « Seigneur, vous êtes notre recours. » Nous recourons à vous et là nous serons bien. Nous faisons en nous-mêmes notre malheur. Pour nous punir de vous avoir laissé, vous nous laissez à nous. Ah ! retrouvons-nous en vous, car en
 
 

1. Ps. LXXXIX, 1. — 2. Ibid. CXXXVIII, 7.
 
 

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nous nous sommes perdus. « Vous vous êtes fait, Seigneur, notre recours. » Et pourquoi craindrions-nous, mes frères, que rien ne puisse nous assouplir, si nous nous livrons entre ses mains pour être domptés? Tu as su dompter le lion que tu n'as pas créé; et Celui qui t'a créé ne te dompterait pas ? Comment d'ailleurs es-tu parvenu à dompter ces animaux terribles? As-tu autant de force corporelle ? Comment donc es-tu parvenu à les dompter ? Ce que nous appelons des bêtes de somme ne sont pas moins des animaux farouches; et on ne pourrait s'en servir si elles n'étaient apprivoisées. Mais parce qu'on ne les voit ordinairement que sous la main de l'homme, sous l'action du frein et de la puissance de l'homme, tu les crois douces de leur nature. Considère, donc les plus redoutables animaux féroces. Le lion rugit, qui ne tremblerait? Tu te crois cependant capable de le dompter. Par quel, moyen ? Ce n'est point par la force des organes, mais par la raison intérieure. Pour être formé à l'image de Dieu, tu es plus fort que le lion. C'est l'image de Dieu qui dompte cet animal terrible ; et Dieu ne dompterait point son image

4. En lui est notre espoir, soumettons-nous à lui et implorons sa miséricorde. Mettons en lui notre confiance, et jusqu'à ce que nous soyons domptés, entièrement domptés ou parfaits, supportons sa main. Souvent pour nous assujettir il emploie même le fouet. Si tu l'emploies à ton tour, si tu fais usage de la verge pour assouplir tes bêtes de charge; Dieu ne (emploiera-t-il pas pour nous dompter, nous qu'il veut élever de la vie animale à la dignité de ses enfants ? Tu entreprends de dompter ton cheval; et que lui donneras-tu quand il sera dressé, quand tu commenceras à le monter paisiblement, quand il obéira à ta voix, quand enfin il sera devenu ta bête de charge, le soutien de ta faiblesse : jumentum, adjumentum infirmitatis tuae ? Que recevra-t-il en retour ? Tu ne l'enterreras pas même après sa mort, mais tu l'abandonneras en pâture; aux animaux de proie. A toi au contraire, quand tu seras dompté, Dieu réserve un héritage qui n'est autre que lui-même; et après une mort de quelque temps il te ressuscitera. Il te rendra ton corps avec tous ses cheveux, et pour l'éternité il te placera avec les Anges. Là tu n'auras plus besoin d'être dompté, tu n'auras plus besoin que d'être la possession de ce Père infiniment doux. Dieu en effet sera tout en tous; (1) il n'y aura plus
 
 

1. I Cor. XV, 28.
 
 

d'infortune pour nous exercer, la seule félicité sera notre bonheur. Point d'autre pasteur que notre Dieu; point d'autre breuvage que lui ; il sera notre gloire; il sera nos richesses. Nous trouverons réuni en lui seul tout ce qu'ici nous cherchons de tout côtés.

5. C'est pour cet avenir qu'il dompte l'homme, et l'homme trouve sa main intolérable ! C'est pour cet avenir qu'il dompte l'homme, et si pour lui assurer ces immenses avantages il recourt quelquefois à la verge, l'homme murmure coutre lui ! Ne connaissez-vous pas ce conseil de l'Apôtre : « Si vous cherchez à vous soustraire au châtiment, vous êtes donc des bâtards, » le fruit de l'adultère, « et non des enfants légitimes. Quel est en effet le fils que son père ne châtie point? Quand nous recevions la correction des pères de notre chair, nous les révérions; ne nous soumettrons-nous pas beaucoup plus au Père des esprits, pour trouver la vie? (1) » Qu'a pu te donner ton père en te corrigeant, en te frappant, en te fouettant, en te meurtrissant ? Il n'a pu te communiquer une vie éternelle. Eh ! comment t'aurait-il donné ce qu'il ne pouvait se donner à lui-même ? S'il te châtiait à coups de fouets, c'était en vue des épargnes, si modiques qu'elles fussent, demandées par lui à l'usure et au travail; c'était pour t'empêcher de dissiper par ton inconduite les sueurs qu'il te laissait. S'il a meurtri son fils, c'était pour ne pas laisser perdre ses travaux; car il ne t'a laissé que ce qu'il ne pouvait ni garder ici, ni en emporter; il ne t'a rien laissé de ce qu'il pouvait conserver; il ne t'a cédé que pour avoir un successeur.

Mais lorsque ton Dieu, lorsque ton Rédempteur, lorsque ton Père véritable te châtie, te dompte, te forme, dans quel dessein agit-il! Afin de t'appeler à un héritage où tu ne dois pas perdre ton père, à un héritage qui sera ton Père lui-même. C'est dans ce dessein qu'il te corrige, et tu marin ares! Tu vas peut-être jusqu'au blasphème lorsque tu es éprouvé! Eh! où fuiras-tu, de devant son esprit? S'il te laisse sans te fouetter, s'il t'abandonne à tes blasphèmes, crois-tu échapper aux rigueurs de son jugement? Ne vaut-il pas mieux pour toi être châtié et accueilli, que d'être épargné et abandonné par lui?

6. Ainsi donc, disons au Seigneur notre Dieu; « Vous êtes, Seigneur, notre recours, de génération en génération. » Vous l'êtes dans la première et dans la secondé. Vous l'êtes, puisque
 
 

1. Héb. XII, 7-9.
 
 

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vous nous avez fait naître quand nous n'étions pas; vous l'êtes, pour nous avoir fait renaître quand nous étions pécheurs. Vous l'êtes, pour nous avoir nourris quand nous vous abandonnions; et vous l'êtes, pour nous relever et nous conduire depuis que nous sommes vos enfants vous êtes vraiment notre recours. Ah! nous ne vous laisserons plus, quand vous nous aurez guéris de tous nos maux et enrichis de vos biens. Ici même vous nous faites du bien, vous nous caressez, pour nous empêcher de ressentir la fatigue de la route; et si vous nous corrigez, si vous nous châtiez, si vous nous frappez, si vous nous redressez, c'est pour nous empêcher de nous égarer. Ainsi donc, soit que vous nous caressiez pour nous épargner la fatigue, soit que vous nous frappiez pour nous préserver de l'égarement : « vous êtes, Seigneur, notre recours. »
 
 
 

source: http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin/index.htm

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