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Saint Augustin d'Hippone
Sermons

SERMON LXXI. DU PÉCHÉ CONTRE LE SAINT-ESPRIT (1).
 

ANALYSE. — Saint Augustin explique d'abord que le péché contre le Saint-Esprit, déclaré irrémissible par Notre-Seigneur lui-même, n'est autre chose que l'impénitence finale; il expose ensuite pour quel motif l'impénitence finale est nommée spécialement péché contre le Saint-Esprit. — I. Saint Augustin explique d'abord les paroles de Notre-Seigneur qui précédent la phrase relative au péché irrémissible contre l'Esprit-Saint. Il constate ensuite que par ce péché irrémissible il, est impossible d'entendre tous les péchés commis contre le Saint-Esprit. Il faut donc, continue-t-il, y voir quelque péché particulier commis contre l'Esprit-Saint, ce qui s'accorde parfaitement avec le texte des Évangélistes et avec le langage ordinaire de l'Écriture. Or le Saint-Esprit étant le lien qui unit les fidèles entré eux, comme il est l'Esprit commun et au Père et au Fils, c'est lui qui efface les péchés par, la pénitence, et qui répand la charité dans les coeurs, et pécher contre lui d'une manière irrémissible c'est s'obstiner dans l'impénitence finale; mais ce n'est pas, comme l'ont imaginé quelques hérétiques, une preuve que le Saint-Esprit soit plus grand que le Père ou que le Fils. — II. Mais le Père et le Fils ne remettent-ils pas les péchés comme le Saint-Esprit? Ils y contribuent sans aucun doute, comme le Fils et l'Esprit-Saint contribuent aux actes particulièrement attribués au Père, comme le Père et le Saint-Esprit contribuent aux actions propres du Fils. Si donc, la rémission des fautes est spécialement l'oeuvre du Saint-Esprit, c'est que l'Esprit-Saint anime l'Église qui seule a reçu ce pouvoir. Aussi les textes sacrés relatifs à cette grave question contribuent tous à démontrer que le péché irrémissible coutre le Saint-Esprit n'est autre chose que l'impénitence finale.
 
 

1. Cette lecture de l'Évangile soulève une grande question. Nous sommes, pour ce qui nous concerne, incapables de la résoudre, mais nous en deviendrons capables si nous pouvons recevoir ou saisir le secours de Dieu.

Considérez donc d'abord,  l'importance de ce sujet, et lorsque vous enverrez le fardeau peser sur nos épaules, vous unirez vos prières à nos efforts, et en venant à notre aide, la grâce divine portera l'édification dans vos âmes.

On verrait de présenter au Seigneur un démoniaque aveugle et muet: le Seigneur l'avait guéri; il parlait, il voyait, tout le monde était saisi d'admiration et on disait: « N'est-ce point là le Fils de David? Or les Pharisiens, entendant cela, répliquaient : Celui-ci ne chasse les démons que par Béelzébud, le prince des démons. Mais Jésus, connaissant leurs pensées, leur dit : Tout royaume divisé contre lui-même sera ruiné, a et toute ville ou maison divisée contre elle même ne subsistera plus. Que si Satan est divisé contre Satan, comment subsistera-t-il? » Ce raisonnement avait pour but de montrer que, d'après leur propre aveu, les Pharisiens, en ne croyant pas au Sauveur, avaient pris le parti de rester dans le royaume de Satan, et que ce royaume
 
 

1. Matt. XII, 22-32.
 
 

divisé contre lui-même, ne pouvait que tomber. Choisissez, Pharisiens, ce que vous voudrez. Si Satan ne peut chasser Satan, vous ne sauriez trouver à dire quoi que ce soit contre le Seigneur; et si Satan peut chasser Satan, prenez plus vite encore vos précautions et quittez cet empire, menacé de tomber, par ses divisions mêmes.

2. Par qui donc le Christ Notre-Seigneur chasse-t-il les démons ? Écartez ici toute idée du prince des démons, soyez attentifs aux paroles suivantes « Et si moi, dit Jésus, je chasse les démons par Béelzébud, par qui vos enfants les chassent-ils ? Aussi seront-ils eux-mêmes vos juges. » Il appliquait ceci à ses disciples, issus de ce peuple; ah! ces disciples de Notre-Seigneur savaient parfaitement que ce bon Maître ne leur avait point enseigné des actes coupables pour chasser les démons au nom du prince des démons. « Aussi, poursuit-il, seront ils eux-mêmes vos juges. » Eux-mêmes, observe-t-il, eux-mêmes, ce qu'il y a de bas et de méprisable en ce monde, eux en qui se révèle, non pas la fourberie et la méchanceté,  mais la simplicité sainte de ma vertu, ils sont mes témoins et ils seront vos juges. Il ajoute : « Mais si je chasse les démons par l'Esprit de Dieu, le royaume de Dieu est donc parvenu jusqu'à vous. » Qu'est-ce à dire? « Si (316) je chasse les démons par l'Esprit de Dieu, » et si vos enfants, initiés par moi, non pas à des pratiques perverses, mais à la simplicité de la foi, ne peuvent les chasser autrement, c'est une preuve incontestable que parmi vous est arrivé ce royaume de Dieu, qui renverse le trône du diable avec lequel vous tombez vous-mêmes.

3. Il avait dit : « Par qui vos enfants les chassent-ils ? » Afin donc de montrer que c'est par la grâce et non par leur propre mérite, il ajoute : « Comment d'ailleurs peut-on entrer dans la maison du fort et enlever ce qu'il possède, si auparavant on ne lie le fort ? C'est alors qu'on dépouillera sa demeure. » En d'autres termes : « vos enfants eux-mêmes, » ces enfants qui déjà ont cru ou qui croiront en moi et qui chassent les démons, non pas au nom du prince des démons, mais par la simplicité et la sainteté ; ces enfants qui étaient assurément ou qui peut-être sont encore ce que vous êtes, c'est-à-dire des impies et des pécheurs et conséquemment des habitants de la demeuré du diable, les instruments du démon; comment pourraient-ils échapper à la dure tyrannie que le règne de l'iniquité lui permettait d'exercer sur eux, si je ne l'étreignais sous les chaînes de ma justice, si je ne lui enlevais ses vaisseaux, dès vaisseaux de colère, pour en faire des vaisseaux de miséricorde?

Tel est aussi le reproche que le saint Apôtre adresse aux superbes qui se glorifient en quelque sorte de leurs mérites. « Qui donc te distingue ? » leur dit-il: qui te distingue, soit de la masse de perdition issue d'Adam,  soit des vaisseaux de colère? Ne dis pas que c'est ta justice: « Qu'as-tu en effet que tu ne l'aies reçu (1) ? ». Aussi disait-il encore de lui-même : « Nous étions par nature enfants de colère comme les autres (2). » Au moment donc où il persécutait l'Église, la blasphémait, l'outrageait et cédait, comme il l'avoue, aux entraînements de la méchanceté et de l'envie (3), l'Apôtre était aussi un vase d'ignominie dans la demeure de ce fort cruel. Mais Celui qui a su enchaîner le fort a su lui enlever encore ce vase de perdition et en faire un vase d'élection.

4. Aux incrédules et aux impies, ennemis du nom chrétien, il fallait ôter ensuite la pensée que les hérésies diverses et que les schismes de ces malheureux qui rassemblent au nom du Christ des bandes d'hommes perdus, divisent aussi le
 
 

1. I Cor. IV, 7. — 2. Ephés. II, 3. — 3. I Tim. 13.
 
 

royaume du Christ contre lui-même. C'est pourquoi le Sauveur continue : « Qui n'est pas avec moi, est contre moi, et qui ne recueille pas avec moi, dissipe. » Il ne dit pas : Qui n'est pas à l'ombre de mon nom ou de mon sacrement mais : « Qui n'est pas avec moi, est contre moi. » Il ne dit pas non plus : Qui ne recueille pas à l'abri de mon nom, mais: «Qui ne recueille pas avec moi, dissipe. » Ainsi donc, le royaume du Christ n'est pas divisé contre lui-même seulement, il est des hommes qui travaillent à diviser ce que le Christ à acheté au prix de son sang. « Le Seigneur tonnait effectivement ceux qui sont à lui, et quiconque invoque son nom, doit s'éloigner, dit-il, de toute iniquité (1). » En vain implore-t-on le nom du Christ, on n'est pas de son royaume, si l'on n'évite toute iniquité.

Voici quelques exemples : l'esprit d'avarice et l'esprit de débauche sont divisés, puisque l'un retient tandis que l'autre dissipe, et ces deux esprits règnent dans l'empire du diable. On voit chez les idolâtres l'esprit de Junon et celui d'Hercule également opposés entre eux, tous deux néanmoins appartiennent aussi au même empire. Il en est de même des païens et des juifs, ennemis du Christ; des Ariens et des Photiniens, hérétiques les uns et les autres; des Donatistes et des Maximianistes, également hérétiques ; de tous les vices et de toutes les erreurs des mortels : si contraires et si opposés qu'ils soient entre eux, tous font partie du royaume du démon; aussi ce royaume ne tiendra pas. Au contraire, le juste et l'impie, le fidèle et l'incrédule, le catholique et l'hérétique sont à la vérité divisés entre eux, mais il n'appartiennent pas également au royaume du Christ : « Le Seigneur connaît ceux qui sont à lui. » Qu'on ne présumé pas du nom que l'on porte; et pour trouver un appui dans le nom du Seigneur, « que celui qui l'invoque s'écarte de toute iniquité. »

5. Mais s'il y avait, dans ces paroles évangéliques, quelques difficultés qu'il me semble avoir éclaircies, avec l'aide du Seigneur; il y en avait certes moins que dans les paroles suivantes « C'est pourquoi je vous le déclare : Tout péché et tout blasphème contre l'Esprit ne sera point remis. Et quiconque aura dit un mot contre le Fils de l'homme, il lui sera remis; mais si c'est contre l'Esprit-Saint, il ne lui sera remis ni dans ce siècle ni dans le siècle à venir, »
 
 

1. II Tim. II, 19.
 
 

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Que deviendront alors ceux que l'Église désire s'attacher ? Leur promet-on vainement la rémission des péchés, s'ils se corrigent et laissent tous leurs égarements? Qui d'entre eux, hélas ! n'est convaincu d'avoir parlé contre l'Esprit-Saint, avant de devenir chrétien ou catholique.

Les païens d'abord, les adorateurs des idoles et des faux dieux, en attribuant aux arts magiques les miracles du Christ Notre-Seigneur, ne ressemblent-ils pas à ceux qui l'accusaient de ne chasser les démons qu'au nom du prince des démons, et en blasphémant chaque jour contre nos pratiques de sanctification, font-ils autre chose que de blasphémer contre le Saint-Esprit? Et les Juifs qui reprochèrent au Seigneur ce qui a fait le commencement de ce discours, ne parlent-ils pas encore aujourd'hui contre le Saint-Esprit, puisqu'ils soutiennent qu'il n'est pas dans les chrétiens, comme leurs prédécesseurs soutenaient qu'il n'était pas dans le Christ ? Ceux-ci en effet n'outragèrent point le Saint-Esprit en niant son existence, ni en prétendant qu'il n'était qu'une simple créature ou qu'il fût incapable de chasser les démons; il ne se permirent contre lui ni ces injures ni rien de semblable. Les Sadducéens, à la vérité, niaient le Saint-Esprit, mais à l'encontre de cette hérésie, les Pharisiens soutenaient son existence (1); ils prétendaient seulement qu'il n'était point avec Jésus-Christ Notre-Seigneur, c'est pourquoi ils l'accusaient de chasser les démons au nom du prince des démons, quoiqu'il les chassât réellement au nom de l'Esprit-Saint. D'où il suit qu'en reconnaissant le Saint-Esprit, mais en niant qu'il soit dans le corps du Christ, c'est-à-dire dans son Eglise unique, car il n'y a qu'une seule Église, l'Église catholique, les juifs et les hérétiques qui l'admettent, ressemblent assurément à ces Pharisiens qui tout en reconnaissant alors le Saint-Esprit, le refusaient à Jésus-Christ, dont la puissance à chasser les démons était attribuée par eux au prince des démons.

Je ne parle pas de certains hérétiques qui considèrent le Saint-Esprit non pas comme Créateur mais comme créature : tels sont les Ariens, le Eunomiens, les Macédoniens; ou qui le nient par là même qu'ils nient la Trinité, affirmant qu'il n'y a que Dieu le Père, et qu'il prend quelquefois le nom de Fils et parfois le nom de d'Esprit-Saint: tels sont les Sabelliens, appelés par quelques uns Patripassiens, parce qu'ils attribuent la passion
 
 

1. Act. XXIII, 8.
 
 
 
 
 
 

au Père; en niant que le Père ait un Fils ils nient aussi l'existence du Saint-Esprit. Les Photiniens également, en ne reconnaissant que Dieu le Père, et en ne voyant dans le Fils que la nature humaine, nient aussi d'une manière absolue l'existence de la troisième personne, du Saint-Esprit.

6. Il est donc évident que les païens, que les juifs et que les hérétiques blasphèment contre le Saint-Esprit. Faut-il pour cela les abandonner, les désespérer, puisqu'il est écrit d'une manière irrévocable qu'il « ne sera pardonné ni dans ce siècle ni dans le siècle à venir à quiconque aura dit une parole contre l'Esprit-Saint ? » Faut-il ne regarder comme exempts dé ce crime, affreux que ceux 'qui sont catholiques depuis leurs plus jeunes années? Ceux en effet qui ont ajouté foi à la parole de Dieu pour se faire catholiques, ont quitté les rangs des païens, des juifs ou des hérétiques, pour entrer en grâce et en paix avec le Christ; et s'ifs n'ont pas reçu le pardon de ce qu'ils ont dit contre l'Esprit-Saint, c'est en vain que l'on fait des promesses aux hommes, qu'on leur prêche de se convertir au Seigneur et de venir recevoir dans le baptême ou au sein de l'Église, la paix et le pardon de leurs péchés. Car le Christ ne dit pas que ce péché ne sera remis que dans le baptême, mais qu'il ne sera remis « ni dans ce siècle ni dans le siècle à venir. »

7. Plusieurs se figurent qu'il n'y a de péché contre le Saint-Esprit que pour ceux qui, après s'être purifiés au sein de l'Église dans le bain de régénération et avoir reçu le Saint-Esprit, ont poussé contre le Sauveur l'ingratitude de ses bienfaits jusqu'à se plonger dans quelque péché mortel; tels que l'adultère, l'homicide, et même l'apostasie absolue du nom chrétien ou au moins de l'Église catholique. J'ignore comment on pourrait prouver ce sentiment, car il n'est point de crimes auxquels soit fermée dans l'Église la porte de la pénitence; et 1e motif pour lequel il est recommandé par l'Apôtre de reprendre les hérétiques eux-mêmes, « c'est que Dieu leur donnera peut-être l'esprit de pénitence pour qu'ils connaissent la vérité et qu'ils se dégagent des filets du diable qui les tient captifs sous sa volonté. (1) » A quoi servirait en effet la réprimande, s'il n'y avait aucune espérance de pardon ? De plus, le Seigneur ne dit pas: Si un fidèle, si un catholique profère un mot contre l’Esprit-Saint; mais : « Si quelqu'un, » quel qu'il soit,
 
 

1. I Tim. II, 25, 26.
 
 

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prononce ce mot, « il ne lui sera remis ni dans ce siècle, ni dans le siècle à venir.          » Qu'il soit païen, juif, ou chrétien, qu'il soit un hérétique sorti des rangs des juifs ou des rangs des chrétiens, quelle que soit enfin l'erreur qu'il professe, rien n'est spécifié, il n'y a aucune restriction, mais il est dit d'une manière générale : « Quiconque aura proféré un mot, » en d'autres termes, aura blasphémé « contre l'Esprit-Saint, il ne lui sera remis ni dans ce siècle, ni dans le siècle à venir. »

Si donc, comme nous l'avons constaté précédemment, toute doctrine opposée à la vérité et à la paix catholique s'attaque au Saint-Esprit, si d'un autre côté l'Église ne cesse de redresser toutes les erreurs et d'appeler à elle tous les égarés pour leur conférer la rémission de leurs péchés, pour leur donner même cet Esprit-Saint contre qui ils ont blasphémé, ne s'ensuit-il pas que notre grande question parait de plus en plus profonde? Afin d'en pénétrer les replis, demandons au Seigneur la lainière nécessaire.

8. Ainsi mes frères, ouvrez vos oreilles à ma parole, et vos esprits â l'action du. Seigneur. Je l'affirme devant votre charité : peut-être n'est-il pas possible de rencontrer, dans toutes les Écritures, de question plus importante, plus difficile à résoudre. De là vient, pour vous faire, un aveu personnel, que dans les discours que j'ai adressés au peuple, j'ai constamment évité les embarras et les obscurités de ce problème. Non pas que je n'eusse quelques idées sur ce sujet; il est si sérieux que pour l'approfondir je ne pouvais négliger de demander, de chercher, de frapper; mais je ne me croyais pas capable de trouver sur le moment les expressions convenables pour faire comprendre ma pensée lorsqu'elle s'éclaircissait quelque peu. Cependant obligé aujourd'hui de vous entretenir des leçons sacrées, je me suis senti, quand on lisait l'Évangile, le coeur tellement ému, que j'ai cru y reconnaître un témoignage de la volonté de Dieu, demandant à mon ministère de vous dire quelque chose sur cette matière.

9. Remarquez-le donc d'abord et comprenez-le bien: le Seigneur n'a pas dit: aucun blasphème contre l'Esprit-Saint ne sera pardonné, ni : Quelque parole que l'on profère contre le Saint-Esprit, elle ne sera point remise; mais : « Quiconque dira une parole. » S'il s'était exprimé de la sorte, il ne nous resterait absolument rien à examiner. Si effectivement il n'y avait de pardon ni pour aucun blasphème, ni pour aucune parole émise contre l'Esprit-Saint, jamais l'Église ne sauverait aucun de ceux qui résistent aux grâces du Christ et aux pratiques qui la sanctifient, quelle que soit d'ailleurs la nature de leur impiété, qu'ils soient païens ou juifs, qu'ils appartiennent à une secte quelconque ou qu'ils soient même des catholiques ignorants. Mais à Dieu ne plaise que la Vérité suprême ait déclaré impardonnables pour ce siècle et pour le siècle futur tous les blasphèmes et toutes les paroles qui attaquent l'Esprit-Saint.

10. Il a bien voulu la difficulté de la question pour nous exercer, mais non pas la fausseté de la pensée pour nous induire en erreur. Il ne faut donc pas croire irrémissible tout blasphème ou toute parole contre le Saint-Esprit: mais il est incontestablement nécessaire d'admettre qu'il y a quelque blasphème ou quelque parole contre l'Esprit-Saint, qui ne sera jamais ni remis ni pardonné. Qui pourra se sauver, s'il s'agit ici de tout blasphème ? Et s'il n'est question d'aucun, c'est nous mettre en contradiction avec le Sauveur. Il existe donc quelque parole ou quelque blasphème dont on ne recevra point le pardon, si on les profère contre le Saint-Esprit.

Or, quelle est cette parole ? Le Seigneur veut que nous la cherchions, c'est pourquoi il ne l'a pas désignée formellement. Il veut, dis-je, qu'on la cherche, il ne veut pas nous la refuser. Une règle d'interprétation pour l'Écriture, c'est qu'il n'est pas, nécessaire d'admettre comme universelle, c'est qu'on peut prendre comme partielle une proposition qui n'est exprimée ni comme partielle ni comme universelle. La proposition qui nous occupe serait universelle, si le Sauveur avait dit : Aucun blasphème contre le Saint-Esprit ne sera pardonné; ou bien encore : Quiconque aura prononcé une parole, quelle qu'elle soit, contre le Saint-Esprit, n'en recevra la rémission ni dans ce siècle ni dans le siècle à venir. Elle serait partielle s'il était dit: Il est un seul blasphème qui ne sera point remis. Ici donc elle n'est ni universelle ni partielle, puisqu'il n'est dit, ni; aucun blasphème, ni quelque blasphème, mais, d'une manière indéfinie: «Le blasphème contre le Saint-Esprit ne sera point pardonné; » il n'y est pas dit non plus: Celui qui profèrera une parole quelconque; ni : Celui qui profèrera quelque parole particulière: mais, d'une manière également indéfinie : « Celui qui prononcera une parole. » Par conséquent il n'est pas nécessaire (319) de comprendre qu'il est ici question de toute parole ou de tout blasphème, mais d'après la pensée du Seigneur nous devons voir quelque blasphème ou quelque parole; et s'il n'a point voulu nous la faire connaître expressément, c'est pour nous exciter à demander, à chercher, à frapper et pour nous empêcher de mépriser la vérité que Dieu nous aura fait connaître par ces moyens.

11. Afin de mieux saisir cette règle, remarquez ce que le Sauveur dit aussi des Juifs : « Si je n'étais point venu et que je ne leur eusse pas parlé; ils n'auraient point de péché (1). » Il ne veut pas faire entendre ici que les Juifs seraient absolument sans péché, si lui-même n'était venu et ne leur eût parlé ; tait ils étaient, à son arrivée, chargés et accablés d'iniquités. Aussi leur dit-il: « Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés (2). » De quoi, sinon du fardeau de vos péchés et des violations de la loi, puisque « la loi est survenue pour faire abonder le péché (3) ? » Le Seigneur dit d'autre part : « Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs (4). » Comment alors seraient-ils sans péché s'il n'était venu? N'est-ce point parce que cette proposition n'est ni universelle ni partielle, mais indéfinie, et qu'on n'est point forcé à y voir toute espèce de péché ? Ce serait néanmoins réputer fausse cette même proposition, que Dieu nous en préserve ! si nous n'entendions ici quelque péché particulier dont les Juifs seraient exempts sans l'avènement et les discours du Sauveur.

Jésus ne dit donc pas: Si je n'étais pas venu et que je ne leur eusse point parlé, ils seraient sans aucun péché ; ce serait faire mentir la Vérité même. Il ne dit pas non plus, dans un gens déterminé: Si je n'étais pas venu et que je ne leur eusse pas parlé, ils seraient sans un certain péché; t'eût été restreindre l'exercice et l'application de la piété; et si, dans toute l'étendue des Écritures, ce qui est clair nourrit l'âme, les passages obscurs servent à l'exercer; ce qui est clair apaise la faim, ce qui ne l'est pas prévient le dégoût. Jésus donc n'ayant pas dit: Ils seraient sans aucun péché, ne nous étonnons pas de rencontrer, en dehors même de l'avènement du Seigneur, des péchés dans les Juifs. Et toutefois comme il est dit: « Si je n'étais pas venu ils n'auraient point de péché, » il faut bien reconnaître qu'ils se sont rendus coupables, à l'arrivée du Sauveur, non pas de toute espèce de péchés, mais d'un péché particulier dont ils étaient exempts.
 
 

1. Jean, XV, 22. — 2. Matt. XI, 28. — 3. Rom. V, 20. — 4. Matt. IX,13.
 
 

Ce péché, sans aucun doute, est de n'avoir pas cru en lui quand il était au milieu d'eux et qu'il les instruisait, de l'avoir même considéré comme un ennemi et de l'avoir mis à mort parce qu'il leur disait la vérité. Ce grand et horrible crime, ils ne s'en seraient pas rendus coupables si le Sauveur n'était venu et ne leur eût parlé.

De même donc qu'en entendant ces mots : « Ils seraient sans péché,» nous ne comprenons pas qu'ils eussent été exempts de tout péché, mais de quelque péché particulier; ainsi en entendant lire aujourd'hui: «Le blasphème contre le Saint-Esprit ne sera point pardonné; — Quiconque dit une parole contre l'Esprit-Saint n'en recevra point la rémission, » nous devons sentir qu'il est question, non pas de tout blasphème onde toute parole riais de quelque blasphème et de quelque parole en particulier.     .

12. Il en est de même de cette expression de notre texte : « contre l'Esprit: » car il est nécessaire de voir ton pas un blasphème contre tout esprit en général, mais un blasphème contre l'Esprit-Saint; et si l'auteur sacré ne le disait ailleurs plus expressément, qui aurait assez peu de sens pour ne le pas comprendre ?

C'est d'après la même règle qu'on explique encore : « Si l'on ne renaît de l'eau et de l'Esprit (1). » Le texte ne porte pas: de l'Esprit-Saint; c'est lui néanmoins que l'on entend ici, et quoiqu'il soit dit: « de l'eau et de l'Esprit, » rien ne détermine à prendre le mot Esprit dans un sens universel. Ainsi donc pour ces paroles : « Le blasphème contre l'Esprit ne sera point pardonné ; » comme on ne parle pas de fout esprit, on ne parle pas non plus de tout blasphème.

13. Puisqu'il n'est pas ici question de tout blasphème, quel est, demandez-vous maintenant, le blasphème particulier qui ne sera point pardonné? Et puisqu'il ne s'agit pas non plus de toute parole, quelle est donc la parole qui ne sera remise ni dans ce siècle ni dans le siècle à venir, si elle est proférée contre l'Esprit-Saint? Je voudrais à mon tour vous donner la réponse si ardemment désirée ; mais permettez que j'examine encore un peu de temps et avec plus de soin, jusqu'à ce que avec l'aide du Seigneur, j'aie résolu toutes les autres questions qui se présentent.

Pour nous faire sentir qu'il ne s'agit pas de tout blasphème on de toute parole, mais de quelque parole, deux autres évangélistes, saint Marc et saint Luc, n'ont pas dit blasphème ni parole.
 
 

1. Jean, III, 5.
 
 

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Qu'ont-ils dit? Nous lisons dans saint Marc : « En vérité je vous le déclare: on remettra aux enfants des hommes tous leurs péchés et les blasphèmes qu'ils auront proférés ; mais celui qui  aura blasphémé contre l'Esprit-Saint n'obtiendra point de pardon ; il sera coupable d'un péché éternel (1). » Et dans saint Luc: « Quiconque profère une parole contre le Fils de l'homme en obtiendra le pardon; mais il n'y aura point de pardon pour celui qui aura blasphémé contre  l'Esprit-Saint (2). » Quelque différence dans les mots suffit-elle pour altérer la vérité et l'identité de la pensée? Si les Évangélistes rapportent diversement les mêmes choses, c'est uniquement pour nous apprendre à préférer la pensée à l'expression et non l'expression à la pensée, et à ne chercher dans celui qui parle que le dessein pour lequel il parle. Qu'importe en effet à la pensée même de dire: « Le blasphème contre l'Esprit ne sera point remis, » ou de dire: « Celui qui aura blasphémé contre l'Esprit-Saint n'en recevra point le pardon? » Peut-être seulement que la même pensée est exprimée ici plus clairement que là; et qu'un Évangéliste explique l'autre, loin de le contredire. Dans cette phrase : « Le blasphème de l'Esprit, » le sens n'éclate pas, car il n'est pas dit de quel esprit il est question; le blasphème de l’Esprit pourrait aussi s'entendre du blasphème fait par l'esprit, comme on appelle prière de l'Esprit la prière faite par l'esprit même. Delà ces paroles de l'Apôtre : « Je prierai de l'esprit, je prierai aussi avec l'intelligence (3). » Mais dans ces mots: « Quiconque aura blasphémé contre l'Esprit-Saint, » ces équivoques disparaissent. Et ces expressions: « Il n'obtiendra jamais de pardon mais il sera coupable d'un péché éternel, » disent-elles autre chose que ce que noirs lisons dans saint Matthieu : « Il ne lui sera pardonné ni dans ce siècle ni dans le siècle à venir ? » C'est la même pensée sous d'autres paroles et avec une autre construction. Quand saint Matthieu dit encore : « Quiconque aura proféré une parole contre l'Esprit-Saint, » les autres Évangélistes, pour nous faire comprendre plus aisément qu'il ne s'agit ici que de blasphème, écrivent en propres termes : « Quiconque aura blasphémé contre l'Esprit-Saint. » C'est néanmoins la même idée exprimée par tous; aucun de ces écrivains ne s'écarte de la volonté de Celui qui parle, et c'est pour nous le faire saisir qu'ils
 
 

1. Marc, III, 28, 29. — 2. Luc, XII, 40. — 3. I Cor. XIV, 15.
 
 

emploient de vive voix ou par écrit les paroles que nous lisons et entendons.

14. Je comprends parfaitement, dira-t-on, que le mot de blasphème sans être uni à tout ou à quelque, peut s'appliquer à tout blasphème ou à quelque blasphème; il n'est pas nécessaire de l'appliquer ici à tout blasphème, et si on ne l'applique à aucun, le texte est menteur. Ainsi en est-il du terme parole : s'il n'est joint ni à toute ni à quelque, il n'est pas nécessaire de l'entendre de toute parole et si on ne l'entend d'aucune, il est impossible que la phrase soit vraie. Mais quand on lit : « Quiconque aura blasphémé, » comment voir là quelque blasphème particulier ou quelque parole particulière, puisqu'on ne lit ni le mot de blasphème ni le terme de parole, et que la proposition semble être générale : « Quiconque aura blasphémé? »

A cette objection voici notre réponse : S'il était dit dans ce passage: Quiconque aura blasphémé de quelque manière que ce soit contre l'Esprit-Saint, il n'y aurait pas lieu de chercher à déterminer quelque blasphème particulier, puisqu'il serait parlé de tout blasphème sans exception. Mais il ne peut être question de tout blasphème en général; car ce serait ôter tout espoir de pardon s'ils se convertissent, aux païens, aux juifs, aux hérétiques et à tous les hommes qui par leurs erreurs et leurs oppositions à la vérité, blasphèment contre l'Esprit-Saint. Il faut donc dans cette proposition : « Quiconque aura blasphémé contre le Saint-Esprit, n'en obtiendra jamais le pardon, » voir non pas tout blasphème, mais l'espèce spéciale de blasphème qui est à jamais irrémisible.

15. Quand l'Écriture dit : « Dieu ne tente personne (1); » nous :ne prenons pas l'expression tenter dans tous ses sens mais dans un sens particulier ; autrement il y aurait fausseté dans ces autres paroles: « Le Seigneur votre Dieu vous, tente (2); » de plus nous nierions la divinité du Christ ou nous accuserions l'Évangile d'erreur, puisqu'il y est écrit que Jésus interrogeait un disciple « pour le tenter, car il savait parfaitement ce qu'il avait à faire (3). » De fait, il est une espèce de tentation qui pousse au péché, à celle-là Dieu est étranger; il en est une autre destinée à éprouver la foi, Dieu daigne y recourir de temps en temps. Donc aussi quand nous lisons: « Quiconque aura blasphémé contre l'Esprit-Saint, » nous ne devons pas plus y voir toute
 
 

1. Jacq. I, 13. — 2. Deut. XIII, 3. — 3 Jean, VI, 5, 6.
 
 

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espèce de blasphème que nous ne voyons là toute espèce de tentation.

16. Quand également nous lisons : «Qui croira et sera baptisé, sera sauvé (1), » nous ne prenons pas le verbe croire dans le sens dont il est dit « Les démons croient et ils tremblent (2), » et nous ne confondons pas ceux qui ont reçu le baptême avec Simon le magicien et ses semblables, lequel a pu être baptisé et n'a pu être sauvé (3). De même donc qu'en disant: «Qui croira et sera baptisé, sera sauvé, » le Sauveur avait en vue non pas tous les croyants et tous les baptisés, mais quelques-uns, c'est-à-dire ceux-là seulement qui possèdent cette foi spéciale dont parle l'Apôtre, laquelle « agit par la charité (4); » ainsi en prononçant ces paroles: « Quiconque aura blasphémé contre « l'Esprit-Saint, n'obtiendra jamais son pardon, » il considérait non pas tous les blasphèmes contre le Saint-Esprit, mais un blasphème particulier qui ne sera jamais remis à quiconque s'en est rendu coupable.

17. Quel sens donner encore à cette autre sentence : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang, demeure en moi et moi en lui (5)? » Pouvons-nous y comprendre ceux mêmes dont l'Apôtre déclare qu'ils mangent et boivent leur condamnation ? Et toutefois ils mangent et boivent réellement la chair et le sang du Sauveur. Cet impie Judas, qui a vendu et trahi son Maître, a reçu avec les autres disciples le sacrement du corps et du sang divins, lorsque le Seigneur le consacra la première fois dans ses mains adorables; l'Évangéliste saint Luc le dit assez clairement (6) : s'ensuit-il qu'il demeura dans le Christ et que le Christ demeura en lui ? Lorsque tant d'autres reçoivent hypocritement ce, corps et ce sang précieux, ou apostasient après s'en être nourris, demeurent-ils dans le Christ et le Christ demeure-t-il en eux ? Il est donc une manière de manger ce, corps et de boire ce sang, qui fait que le Christ demeure dans celui qui les prend comme celui qui les prend demeure dans le Christ; et conséquemment il ne nous suffit pas, pour que nous demeurions dans le Christ et pour que le Christ demeure en nous, de manger sa chair et de boire son sang d'une manière quelconque; il est une manière spéciale de le recevoir, que lui-même avait en vue lorsqu'il tenait ce langage. Quand il dit également : « Quiconque aura blasphémé contré l'Esprit-Saint, ne sera jamais absous, » il ne s'ensuit pas qu'un blasphème
 
 

1. Marc, XVI, 16. — 2. Jacq. II, 19. — 3. Act. VIII, 13. — 4. Gal. V, 6. — 5. Jean, VI, 57. —6. Luc, XXII, 21.
 
 

quelconque rende coupable de ce crime irrémissible; il faut entendre un blasphème particulier, dont l'auteur de cette sentence, aussi vraie que terrible, veut que nous recherchions et comprenions la nature.

18. Quelle est cette espèce, ou plutôt ce monstre de blasphème ? Quelle est aussi cette parole contre le Saint-Esprit? L'ordre logique demande, je crois, que nous vous les fassions connaître, et que nous: ne différions pas plus longtemps de satisfaire votre attente, déjà si longuement, quoique nécessairement, tenue en suspens.

Vous savez, mes très-chers frères, que dans cette invisible et incorruptible Trinité que croit notre foi et que célèbre l'Église catholique, Dieu le Père n'est pas le Père de l'Esprit-Saint, mais du Fils; que Dieu le Fils n'est pas le Fils du Saint-Esprit, mais du Père ; et que Dieu le Saint-Esprit n'est pas exclusivement l'Esprit du Père ni exclusivement l'Esprit du Fils, mais l'Esprit du Père et du Fils en même temps. Vous savez aussi que malgré la distinction et la subsistance de chacune des personnes, cette Trinité ne forme pas trois dieux mais un seul Dieu, parce qu'en elle la nature ou l'essence de l'éternité, de la vérité, et de la bonté, est indivise et inséparable. Autant donc que nous pouvons comprendre ces mystères en les regardant à travers le miroir et en énigme, surtout dans l'état où nous sommes encore aujourd'hui, nous entrevoyons l'autorité dans le Père, la naissance dans le Fils, dans le Saint-Esprit l'union commune du Père et du Fils, l'égalité souveraine dans les trois personnes. Aussi ont-elles voulu nous unir entre nous et avec elles par ce qui unit le Père et le Fils, et nous attacher à l'unité par le Don qui leur est commun, c'est-à-dire par l'Esprit-Saint qui est Dieu et en même temps le Don de Dieu.

C'est par lui en effet que nous nous réconcilions avec la divinité et que nous en jouissons. Que nous importerait, sans l'amour, la connaissance de quelque bien que ce fût? Or, de même que la vérité nous éclaire, la charité nous embrase, afin de perfectionner nos connaissances et de nous rendre heureux à la vue du bien. Mais la charité a été répandue dans nos coeurs par l'Esprit-Saint qui nous a été donné (1); et comme nos péchés nous éloignaient de la possession des biens véritables, la charité couvre la multitude des péchés (2). Ainsi donc le Père est pour le Fils ou la Vérité le véritable Principe; le Fils est la
 
 

1. Rom. V, 5. — 2. I Pierre, IV, 8.
 
 

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Vérité issue du Père infiniment vrai; et l'Esprit-Saint est la Bonté émanant du Père et du Fils l'un et l'autre infiniment bons; mais la divinité des trois personnes est la même identiquement et leur unité inaltérable.

19. Or, pour nous préparer à l'éternelle vie que nous recevrons à la tin de nos jours, la première grâce que nous confère la Bonté de Dieu, en nous initiant à la foi, est la rémission des péchés. Tant qu'ils demeurent en nous effectivement, nous sommes en quelque sorte ennemis de Dieu et séparés de lui, ce qui vient de notre fond dépravé : « Vos péchés, dit l'Écriture infaillible, vous éloignent de Dieu (1). » Aussi Dieu ne nous communique ses biens qu'en nous délivrant de nos maux; nous nous enrichissons d'autant plus de ceux-là que ceux-ci diminuent, et nous n'aurons les uns dans toute leur perfection que si nous sommes entièrement affranchis des autres.

Or, c'est par l'Esprit-Saint que le Seigneur Jésus remet les péchés, comme c'est par l'Esprit-Saint qu'il chasse les démons. Ce qui peut le faire entendre, c'est qu'ayant dit à ses disciples, après sa résurrection : « Recevez le Saint-Esprit, » il ajouta sur-le-champ : « Les péchés seront remis à qui vous les remettrez, et retenus à qui vous les retiendrez (2). » Ce qui le prouve encore c'est que cette régénération spirituelle où s'effacent tout les péchés, s'opère aussi par le Saint-Esprit, car le Seigneur dit expressément : « Si l'on ne renaît de l'eau et de l'Esprit, on ne saurait entrer dans le royaume de Dieu. (3). » Remarquez néanmoins que naître de l'Esprit n'est pas se nourrir de l'Esprit; comme naître de la chair, ce qui a lieu quand on quitte le sein maternel, est autre chose que de se nourrir de la chair, ce qui se voit quand la mère allaite son enfant, quand celui-ci s'attache à boire avec plaisir à la source même où il a puisé la vie, afin d'y alimenter le principe d'existence qu'il en a reçu.

Le premier bienfait que nous recevions de la Bonté divine par le Saint-Esprit, est donc, il le faut croire, la rémission de nos péchés. Aussi c'est par là que commencèrent les prédications de Jean-Baptiste, envoyé pour préparer les voies au Seigneur. Voici en effet ce qui est écrit : « Or, en ces jours-là vint Jean-Baptiste, prêchant dans le désert de Judée et disant : Faites pénitence, car le royaume des cieux approche (4). » Par là commença aussi le Seigneur
 
 

1. Is. LIX, 2. — 2. Jean, XX, 22, 23. — 3. Ibid. III, 6. — 4. Matt. III, 1, 2.
 
 

« A dater de ce moment, est-il écrit, Jésus commença à prêcher et à dire : Faites pénitence, car le royaume des cieux approche (1). » Jean disait encore, entre autres choses, à ceux qui venaient lui demander le Baptême : « Moi, à la vérité, je vous baptise dans l'eau pour la pénitence ; mais Celui qui doit venir après moi, est plus puissant que moi, et je ne suis pas digne de porter sa chaussure : lui-même vous baptisera par l'Esprit-Saint et par le feu (2). » Le Seigneur disait aussi : « Jean a baptisé dans l'eau, mais vous, vous serez baptisés par l'Esprit-Saint sous peu de jours, d'ici à la Pentecôte (3). »

Quant à l'expression de Jean : Et par le feu, on peut sans doute y voir les persécutions que devaient endurer les fidèles pour le nom du Christ; il importe toutefois de remarquer que le même Esprit-Saint est représenté aussi sous le symbole du feu. Aussi est-il dit au moment de sa descente : « Alors leur apparurent comme des langues de feu; et ce.feu se reposa sur chacun d'eux (4). » Le Seigneur disait de son côté : « Je suis venu mettre le feu à la terre (5). »  Et l'Apôtre dans le même sens : « Embrasés par l'Esprit (6). » C'est lui en effet qui allume la charité; car elle est répandue dans nos coeurs par l'Esprit-Saint qui nous a été donné, et ce qui lui est contraire, c'est, comme dit le Seigneur, que « la charité d'un grand nombre se refroidira (7). »

La charité parfaite est le don parfait de l'Esprit-Saint. Mais il doit être précédé par celui de la rémission des péchés : bienfait immense qui nous arrache à la puissance des ténèbres (8), et met dehors, au moyen de notre foi, le prince de ce monde (9), qui agit sur les fils de la défiance (10) en les associant et. en les enchaînant au péché, Or c'est par l'Esprit-Saint, qui unit le peuple de Dieu, que se chasse l'esprit impur divisé contre lui-même.

20. Contre ce don gratuit, contre cette grâce de Dieu parle le coeur impénitent. L'impénitence est ainsi le blasphème contré l'Esprit, qui ne sera effacé ni dans ce siècle, ni dans le siècle i venir. En effet, on parle d'une façon bien perverse et bien impie, de la bouche ou du coeur, contre cet Esprit en qui l'on est baptisé pour la rémission de tous les péchés et qui a été donné à l'Eglise pour qu'elle puisse effacer tous les crimes ;
 
 

1. Matt. IV, 17. — 2. Ibid. III, 11. — 3. Act. I, 5. — 4. Ibid. II, 3. — 5. Luc, XI, 49. — 6. Rom. XII, 11. — 7. Matt. XXIV, 12. — 8. Colos. I, 13. — 9. Jean, XII, 31. — 10. Ephés. II, 2.
 
 

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quand invité à la pénitence par la patience divine, on se laisse aller à la dureté et à l'impénitence de son coeur et qu'on s'amasse un trésor de colère pour le jour de la colère et de la manifestation du juste jugement de Dieu, qui rendra à chacun selon ses oeuvres (1). Or cette impénitence, car nous pouvons appeler de ce nom unique et le blasphème et la parole contre le Saint-Esprit; celte impénitence contre laquelle s'élevaient et le héraut et le jute lorsqu'ils disaient l'un et l'autre : « Faites pénitence, car le royaume des cieux approche; » contre laquelle le Seigneur commença ses prédications évangéliques et contre laquelle il prédit que son Evangile serais publié par tout l'univers, lorsque après sa résurrection il parla ainsi à ses disciples « Il fallait que le Christ souffrit, et qu'il ressuscitât d'entre les morts le troisième jour, et qu'on prêchât en son nom la pénitence et la rémission des, péchés à toutes les nations, en commençant par Jérusalem (2); » cette impénitence est absolument irrémissible, et dans ce siècle et dans le siècle futur, car la mission de la pénitence est d'obtenir dans ce siècle un pardon qui serve dans le siècle à venir.

21. Mais on ne saurait se prononcer sur cette impénitence ou sur ce cœur impénitent, tout le temps que le pécheur vit dans ce monde. Car il ne faut désespérer du salut de personne, tant que la patience divine invite à la pénitence et que l'impie n'est pas tiré de cette vie par Celui qui ne veut pas sa mort, mais plutôt sa conversion et sa vie (3). Cet homme est païen aujourd'hui : comment peux-tu savoir si demain il ne sera pas chrétien? Le Juif est aujourd'hui incroyant : et si demain il s'attache au Christ? Tel est aujourd'hui hérétique: et s'il embrasse demain la vérité catholique? Il est schismatique : et s'il rentre demain dans la paix de l'Église? Si enfin tous ces hommes que tu vois entraînés dans différentes sortes d'égarements et que tu condamnes comme des désespérés, font pénitence avant de quitter la terre et parviennent dans l'autre monde à la vie véritable? Aussi, mes frères, que ces paroles de l'Apôtre vous servent de règle : « Gardez-vous de juger avant le temps (4). » On ne saurait en effet, comme nous l'avons dit, constater dans aucun vivant ce blasphème à tout jamais irrémissible contre le Saint-Esprit; ce blasphème qui, nous l'avons compris, n'est pas toute espèce de blasphème, mais un blasphème particulier,
 
 

1. Rom. II, 4-6. — 2. Luc, XXIV, 46-47. — 3. Ezéch. XVIII, 23. — 4. I Cor. II, 6.
 
 

et qui consiste, nous l'avons dit, nous croyons même l'avoir clairement démontré dans l'opiniâtre dureté d'un cœur impénitent.

22. N'objectez point que le pécheur continuant à vivre, jusqu'à la fin de sa carrière, dans cette indomptable impénitence, parle souvent et longtemps contre cette grâce de l'Esprit-Saint, et qu'il serait absurde à l'Évangile de représenter cette longue rébellion du cœur impénitent comme quelque chose de court, comme une simple parole, puisque nous lisons : « Quiconque aura dit une parole contre le Fils de l'homme sera pardonné : mais quiconque aura dit une parole contre le Saint-Esprit ne sera pardonné ni dans ce siècle ni dans le siècle à venir. » Ce blasphème, sans doute, est prolongé, et se traduit par un grand nombre de paroles; mais l'usage de l'Écriture n'est-il pas de désigner par le singulier un grand nombre de paroles? Aucun prophète ne s'est contenté de prononcer une seule parole; nous lisons toutefois : « Parole adressée à tel ou tel prophète. » L'Apôtre dit aussi: « Que les prêtres soient regardés comme dignes d'un double honneur, surtout ceux qui s'appliquent à la parole et à l'enseignement (1). » Il ne dit pas : Aux paroles, mais : « à la parole. » Et saint Jacques : « Pratiquez, dit- il, la parole, sans vous contenter de l'entendre (2). » Il ne dit pas non plus : Les paroles; mais : « La parole : » et pourtant combien de paroles tirées des divines Ecritures ne lit-on pas, ne prononce-t-on pas, n'écoute-t-on pas publiquement et solennellement dans l'Église?

Quel que soit le temps que nous nous fatiguions à prêcher l'Évangile, on nous appelle les prédicateurs, non pas des paroles, mais de la parole divine : et quelque soit le temps que vous vous appliquiez vous-mêmes à entendre avec soin nos prédications, on vous nomme auditeurs attentifs, non pas des paroles mais de la parole sacrée. Ainsi conformément au langage habituel des Ecritures, que reproduisent les usages de l'Église; quelle que soit la longueur de cette vie mortelle, et quelque nombreuses que soient en pensée ou de vive voix, les paroles prononcées par un coeur impénitent, durant tous le cours de son existence terrestre, à l'encontre de la rémission des péchés qui s'accorde dans l'Église, ce cœur profère une parole contre le Saint-Esprit.

23. Si maintenant on peut être absous, non seulement de toute parole prononcée contre le
 
 

1. I Tim. V,  17. — 2. I Jacq. I, 22.
 
 

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Fils de l'homme, mais encore de tout autre péché et de tout autre blasphème, c'est que toujours les iniquités sont remises partout où n'est point ce péché d'opiniâtre impénitence contre le Saint-Esprit, à qui l'Eglise doit le pardon de tout faute. Et comment pourrait se remettre le péché qui fait obstacle à la rémission de tous les autres ?

Si donc on peut obtenir le pardon de toute parole prononcée contre le Fils de l'homme, mais non de la parole proférée contre l'Esprit-Saint; ce n'est pas, que dans la Trinité le Saint-Esprit l'emporte sur le Fils, ce qui n'a jamais été avancé, même par aucun hérétique; mais c'est qu'après avoir résisté contre la vérité, c'est-à-dire contre le Christ, depuis même qu'il s'est révélé avec tant d'éclat devant le genre humain, lorsque, Verbe, il s'est fait chair et a habité parmi nous comme Fils de l'homme ou comme Christ; si le coeur ne prononcé point cette parole d'impénitence opposée à l'Esprit-Saint, dont il est dit : « Si l'on ne renaît de l'eau et de l'Es-prit, (1) » et encore : « Recevez le Saint-Esprit; les péchés seront remis à qui vous les remettrez (2) ; » en d'autres termes, si le coeur se repent, il recevra par ce don du repentir, la rémission de tous ses péchés, et par conséquent du blasphème proféré contre le Fils de l'homme. La raison en est qu'au péché d'ignorance, d'opiniâtreté ou de blasphème, quel qu'il soit, il n'a pas ajouté le péché d'impénitence rebelle au don de Dieu et à la grâce de la régénération ou de la réconciliation qui s'opère au sein de l'Eglise par l'Esprit-Saint.

24. De là il suit encore qu'il ne faut pas adopter le sentiment d'après lequel, si l'on est absous de la parole élevée contre te Fils de l'homme, et non pas de la parole proférée contre le Saint-Esprit, c'est parce que le Christ en prenant une chair est devenu Fils de l'homme, et que l'Esprit-Saint l'emporte sur l'humanité, puisque par sa nature il est égal au père et au Fils considéré comme Dieu, c'est-à-dire comme Fils unique de Dieu égal au 'Père et à l'Esprit-Saint. Si en effet cette raison était la véritable, il ne serait fait mention ici d'aucun autre blasphème et on ne présenterait comme rémissible que celui qui attaque le Fils de l'homme considéré uniquement comme homme. Mais il a été dit auparavant : « Tout péché et tout blasphème seront remis aux hommes; » un, autre Evangéliste dit dans
 
 

1. Jean, III, 6. — 2. Ibid. XX, 22.
 
 

le même sens: « On pardonnera aux hommes « tous les péchés et tous les blasphèmes qu'ils « auront commis; » et des termes aussi généraux comprennent sans aucun doute aussi les blasphèmes proférés contre Dieu le Père. Néanmoins on ne déclare irrémissible que le blasphème contre le Saint-Esprit. Le Père a-t-il donc pris aussi la nature de serviteur pour être inférieur à l'Esprit-Saint? Non assurément; et si après avoir rappelé d'une manière générale tous les péchés et tous les blasphèmes, le Sauveur a parlé spécialement du blasphème qui s'adresse au Fils de l'homme, c'est pour faire entendre que fût-on coupable du péché particulier dont il a parié en ces termes : « Si je n'étais pas venu et que je ne les eusse point enseignés, ils seraient sans péché (1); » de ce péché dont il a montré, dans le même Evangile selon saint Jean, l'affreuse gravité lorsqu'il disait du Saint-Esprit qu'il promettait d'envoyer : « Il convaincra le monde en ce qui touche le péché, la justice et le jugement; le péché, parce qu'ils n'ont pas cru en moi (2) : » si néanmoins le coeur impénitent n'a point prononcé dans sa dureté cette parole contre le Saint-Esprit, il obtiendra même le pardon de ce qu'il aura dit contre le Fils de l'homme.

25. Peut-être demandera-t-on, en cet endroit, s'il n'y a que le Saint-Esprit pour remettre les péchés, et sire Père et le Fils ne les remettent pas également. Nous répondons que le Père et le Fils les remettent aussi. Le Fils en effet dit de son Père : « Si vous remettez aux hommes leurs offenses, votre Père aussi vous remettra les vôtres; » nous lui disons nous-mêmes dans l'oraison dominicale : « Pardonnez-nous nos péchés (3).» Pour le Fils, il dit de lui-même: « Afin de vous apprendre que le Fils de l'homme possède sur la 'terre le pouvoir de remettre les  péchés (4). »

Mais, diras-tu, si le Père, te Fils et le Saint-Esprit remettent les péchés, pourquoi représenter comme un blasphème qui attaque seulement le Saint-Esprit, l'impénitence dont on n'obtiendra jamais le pardon: comme si cette impénitence n'était une résistance qu'au don du Saint-Esprit qui efface les péchés?

Je demanderai à mon tour: Le Christ seul chassait-il les démons? Le Père et l'Esprit-Saint les chassaient-ils également? Si le Christ seul les chassait, comment peut-il dire : « Mon Père, qui demeure
 
 

1. I Jean, XV, 22. — 2. Ibid. XVI, 8, 9. — 3. Matt. VI, 14, 9, 12 — 4. Ibid. IX, 6.
 
 

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en moi, fait lui-même les oeuvres (1) ? » Ces expressions: « Fait lui-même les oeuvres, » Seul

Ment indiquer que le Fils n'en est pas l'auteur, mais le Père demeurant dans le Fils. Cependant pourquoi dit-il ailleurs : « Mon Père agit sans cesse, et moi j'agis avec lui, » et un peu plus loin : « Tout ce que fait le Père, le Fils le fait pareillement (2) ? » Quand ailleurs il dit encore : « Si je n'avais pas fait parmi eux des oeuvres que nul autre n'a faites, (3) » il s'exprime comme s'il agissait seul. Or si ce langage suppose que les oeuvres du Père et du Fils sont inséparables; que penser du Saint-Esprit, sinon qu'il agit en même temps? Le Fils ne dit-il pas, dans le passage qui a soulevé le problème que nous discutons, et qui représente le Sauveur chassant les démons : « Si je chasse les démons dans l'Esprit-Saint, c'est une preuve que le royaume de  Dieu est arrivé parmi nous? »

26. Ici peut-être on objectera que l'Esprit-Saint est plutôt donné par le Père et le Fils qu'il n'agit de lui-même; et qu'en disant : « Je chasse les démons dans l'Esprit-Saint, » le Christ veut faire entendre qu'il les chassait par l'Esprit-Saint. « Je chasse les démons dans l'Esprit-Saint, » aurait alors le même sens que : Je les chasse par l'Esprit-Saint. Une des locutions habituelles de l'Ecriture est de dire en effet : « Ils ont tué dans le glaive, » au lieu de par le glaive : « Ils ont embrasé dans le feu, » au lieu de par le feu (4); « Jésus prit les couteaux de pierre dans lesquels il voulait circoncire les fils d'Israël (5), » c'est-à-dire avec lesquels il voulait circoncire les fils d'Israël. Avant néanmoins ale nier pour ce motif que le d'Israël, ait une puissance propre, on fera bien de remarquer ces paroles du Seigneur « L'Esprit souffle où il veut (6). » Quant à ces autres de l'Apôtre : « C'est le seul et même Esprit qui produit tous ces dons, » il est à craindre qu'elles ne donnent à penser que le Père et le Fils né les produisent pas également; et néanmoins l'Apôtre a compté parmi ces dons les grâces de guérir et d'opérer des miracles, parmi lesquelles on doit comprendre sûrement l'expulsion des démons. Mais en ajoutant : « Les distribuant à chacun comme il veut (7), » Saint Paul ne montre-t-il par aussi dans l'Esprit-Saint une puissante particulière, inséparable pourtant de la puissance du Père et du Fils?

Si donc ces autorités différentes nous enseignent que les opérations de la Trinité sont des
 
 

1. Jean, XII, 10. — 2. Ibid. V, 17, 19. — 3. Ibid. XV, 24. — 4. Ps. LXXIII, 7. — 5. Josué, V, 2, 3. — 6. Jean, III, 8. —  7. II Cor. XII, 11.
 
 

opérations inséparables; si l'on ne peut attribuer une opération au Père sans l'attribuer également au Fils et à l'Esprit-Saint, ni une opération au Fils sans qu'elle appartienne au Père et au Saint-Esprit, ni une opération au Saint-Esprit sans la rapporter au Père et au Fils; il est manifeste aux yeux de ceux qui ont la vraie foi ou même quelque intelligence de ces matières, qu'en disant de son Père : « Lui-même fait les oeuvres, » Jésus-Christ rappelle que le Père en est le principe, comme il est le principe des personnes qui agissent avec lui; le Fils, en effet, est né du Père et le Saint-Esprit procède premièrement de ce même Père qui engendre le Fils avec qui l'Esprit-Saint lui est commun. Il est manifeste aussi que ces autres paroles du Sauveur : « Si je n'avais pas fait parmi eux des oeuvres que nul autre n'a faites, » ne signifient pas que le Père et le Saint-Esprit n'agissaient pas alors de concert avec lui, mais, qu'aucun des hommes qui sont représentés comme ayant fait beaucoup de miracles n'a fait ce qu'a fait le Fils de Dieu. Il est manifeste encore que ce témoignage de l'Apôtre : « C'est le seul et même  Esprit qui produit tous ces dons, » n'ont pas pour but de montrer que le Père et le Fils ne les produisent pas avec lui; saint Paul veut seulement faire entendre que ces dons ne sont pas l'oeuvre de plusieurs esprits, mais d'un seul, et que malgré la diversité de ses opérations il ne diffère pas de lui-même.

27. Toutefois ce n'est pas sans motif, c'est au contraire avec raison et avec vérité qu'on attribue au Père, et non au Fils ni au Saint-Esprit, d'avoir dit : « Vous êtes mon Fils bien-aimé, en qui j'ai mis mes complaisances (1). » Mais tout en reconnaissant là la voix du Père, nous ne nions pas que le Fils et l'Esprit-Saint aient contribué à former en même temps ce bruit miraculeux descendu du ciel. Car, de ce que le Fils était alors revêtu d'un corps et conversait avec les hommes sur la terre, il ne s'ensuit pas qu’au moment où cette voix divine perça la nuée, il p'était plus dans le sein où son Père l'engendre comme son Verbe unique : il ne serait ni sage ni spirituel de croire que Dieu le Père a produit, sans la coopération de sa Sagesse et de son Esprit, le bruit de ces paroles bientôt évanoui.

Nous avons droit de dire aussi que ce n'est ni le Père ni le Saint-Esprit, mais le Fils qui a marché sur la mer (2); car c'est à lui seul qu'appartenaient
 
 

1. Luc, III, 22. — 2. Matt. XIV, 25.
 
 

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et ce corps et ces pieds qui se soutenaient sur les flots. Qui nierait cependant la coopération du Père et du Saint-Esprit à un miracle aussi frappant? Nous disons encore avec autant de vérité que le Fils seul s'est incarné, et non le Père ni l'Esprit-Saint; on aurait tort néanmoins -de nier que le Père et le Saint-Esprit aient contribué à cette incarnation qui n'est que l'incarnation du Fils. Nous enseignons également que ce n'est ni le Père ni lé Fils, mais uniquement le Saint-Esprit qui s'est montré sous forme de colombe et sous forme de langues de feu, et qui a donné à ceux sur qui il s'était reposé, la grâce de publier les grandeurs de Dieu en beaucoup de langues diverses (1) : et pourtant, quoique ce miracle soit propre à l'Esprit-Saint, nous ne saurions y contester la coopération du Père et dé son Fils unique.

Ainsi donc et partout la Trinité entière concourt aux oeuvres de l'une des divines personnes ; l'une d'elles agit, les deux autres coopèrent; il y a dans les trois harmonie parfaite d'action, et dans aucune la puissance ne fait défaut pour compléter son oeuvre.

On comprend maintenant pourquoi le Seigneur Jésus chasse les démons par l'Esprit-Saint. La force ne lui manquait pas et il n'implorait pas, comme incapable de réussir tout seul, un secours étranger ; il convenait seulement que l'esprit divisé contre lui-même fût mis en fuite par cet Esprit divin que le Père et le Fils possèdent en eux-mêmes, comme un Esprit unique et sans division aucune.

28. Il convenait donc aussi que les péchés n'étant effacés qu'au sein de l'Église, ils ne le fussent que par le même Esprit qui fait l'union de l'Église. Qu'un homme, en dehors de l'Église, se repente de tous ses péchés, mais non du péché formidable qui le tient éloigné de cette Eglise de Dieu; à quoi lui sert son repentir, puisqu'il suffit, pour pécher contre le Saint-Esprit, de demeurer étranger à cette Eglise, qui a reçu le pouvoir de remettre les péchés dans son sein par la grâce du Saint-Esprit ? Bien que la Trinité entière accorde cette rémission, elle est cependant l'oeuvre propre de l'Esprit-Saint. Cet Esprit est en effet « l'Esprit d'adoption des fils, en qui nous crions : Père, Père, (2) » afin de pouvoir dire à Dieu : « Pardonnez-nous nos péchés (3). — Et nous savons, dit l'Apôtre Jean, « que le Christ demeure en nous, par l'Esprit
 
 

1. Matt. III, 16 ; Act. II. 3, 4. — 2. Rom. VIII, 15. —3. Matt. VI, 12.
 
 

qu'il nous a donné (1). — Ce même Esprit rend « à notre esprit le témoignage que nous sommes, « les enfants de Dieu (2) ; » car il est l'auteur de la société sainte qui fait de nous le corps unique du Fils unique de Dieu. C'est pourquoi il est écrit : « S'il est donc quelque consolation dans le Christ, « quelque douceur dans la charité, quelque société dans l'Esprit (3).»

C'était pour figurer cette société que l'Esprit-Saint fit parler les langues de tous les peuples aux premiers disciples sur lesquels il descendit. De même en effet que les langues contribuent à l'union des sociétés humaines; ainsi convenait-il que cette société des enfants et des membres du Christ, qui devait s'étendre partout, fût désignée par les langues de toutes les nations; et comme en parlant les divers idiomes on témoignait alors qu'on avait reçu l'Esprit-Saint, ainsi on doit croire l'avoir reçu aujourd'hui, quand on est attaché par le lien de la paix à cette même Eglise qui se répand de tous côtés. Aussi l'Apôtre dit-il : « Appliquez-vous à conserver l'unité d'Esprit par le lien de la paix (4). »

29. Cet Esprit est l'Esprit du Père, car le Sauveur a dit : « Il procède du Père (5) ; » et ailleurs : « Ce n'est pas vous qui parlez, c'est l'Esprit de votre Père qui parle en vous (6). » Il est aussi l'Esprit du Fils. « Dieu, dit l'Apôtre, a envoyé dans nos coeurs l'Esprit de son Fils ; il y crie : Père, Père (7) ; » c'est-à-dire qu'ils nous fait crier : car c'est nous qui crions; mais par lui, par lui répandant la charité dans nos coeurs, puisque sans la charité tout cri n'est qu'un vain cri. C'est ce qui fait dire au même Apôtre : « On n'est pas au Christ, quand on n'a pas son Esprit (8). » Ainsi donc à laquelle des trois adorables Personnes attribuer spécialement l'union de cette grande société, sinon a l'Esprit-Saint qui est commun au Père et au Fils.

30. Ceux qui sont étrangers à l'Église ne possèdent pas cet Esprit ; l'Apôtre Jude l'exprime sans détour quand il dit : « Ce sont des gens qui se séparent eux-mêmes, hommes de vie animale, n'ayant pas l’Esprit (9). » Aussi en s'élevant contre ces esprits, qui, pour des noms d'hommes vivant même dans l'unité de l'Église, fomentaient des schismes, l'Apôtre dit-il entre autres choses : « L'homme animal ne perçoit pas et qui est de l'Esprit de Dieu; c'est folie pour lui
 
 

1. I Jean, III, 24. — 2. Rom. VIII, 16. — 3. Philip. II, 1. — 4. Ephés. IV, 3 — 5. Jean, XV, 26. — 6. Matt. X, 20. — 7. Galat. IV, 6. — 8. Rom. VIII, 8. — 9. Jud.19.
 
 

et il ne le peut comprendre, parce que c'est par l'Esprit qu'on en doit juger (1).» Il ne perçoit

plus; c'est-à-dire, comme l'explique l'auteur sacré, il n'en a point l'intelligence. Ces sortes de chrétiens sont dans l'Eglise comme de petits enfants ; ils ne sont point spirituels encore, mais charnels; il leur faut du lait et non pas une nourriture solide. « Comme de petits enfants en Jésus-Christ, dit saint Paul, je vous ai abreuvés de lait, je ne vous ai point donné à manger car vous n'en étiez pas capables encore, vous ne l'êtes pas encore non plus. » Cette expression encore n'est pas un terme de désespoir, mais il faut faire effort pour devenir ce qu'on n'est pas encore. « Vous êtes encore charnels, » est-il dit. Pourquoi le sont-ils encore ? « Puisqu'il y a pariai vous jalousie et contention, poursuit l'Apôtre, n'êtes-vous pas charnels et ne vivez-vous pas humainement? » Et mettant la plaie de plus en plus à nu : « Puisque l'un dit : Je suis à Paul ; un autre : Et moi à Apollo ; n'êtes-vous pas des hommes ? Qu'est donc Apollo ? et qu'est Paul ? Des ministres de Celui en qui vous avez cru (2). »

Paul donc et Apollo vivaient de concert dans l'unité de l'Esprit et le lien de la paix. Cependant pour avoir voulu les désunir, en faire des hommes de parti, s'enflammer pour l'un aux dépens de l'autre, ces Corinthiens sont traités à la fois d'hommes charnels, de vie animale, incapables de percevoir ce qui est de l'Esprit de Dieu. Comme, toutefois, ils ne sont pas séparés de l'Église, ils sont traités de petits enfants en Jésus-Christ. L'Apôtre aurait voulu les voir des Anges ou des dieux; et il leur reprochait de n'être que des hommes, c'est-à-dire de rechercher dans leurs disputes, non pas les choses divines, mais les choses humaines. Mais à ceux qui sont séparés de l’Eglise, il ne dit pas qu'ils ne perçoivent point ce qui est de l'Esprit de Dieu; il craindrait qu'on n'entendit ici le défaut d'intelligence, il dit seulement qu'ils ne possèdent pas l’Esprit. Car de ce qu'on possède une chose, il ne s'ensuit pas qu'on en ait en même temps l'intelligence.

31. L'Esprit-Saint est donc dans ces petits enfants en Jésus-Christ, qui demeurent dans l'Eglise, dont la vie est encore animale, charnelle, qui sont incapables de percevoir, en d'autres termes, de savoir et de comprendre ce qu'ils possèdent. Eh! comment seraient-ils enfants en
 
 

1. Cor.  II, 14. — 2. I Cor. III, 1-5.
 
 

Jésus-Christ, s'il ne leur était arrivé de renaître de l'Esprit-Saint

Qu'on ne s'étonne pas d'ailleurs si l'on ne sait pas toujours ce que l'on possède. Sans parler ici de la divinité et de l'unité de la toute puissante et immuable Trinité, est-il si facile à chacun de comprendre scientifiquement la nature de l'âme? Qui pourtant n'a pas d'âme? Pour connaître enfin de la manière la plus indubitable que les petits enfants en Jésus-Christ possèdent l'Esprit de Dieu saris percevoir néanmoins ce qui est de l'Esprit de Dieu, considérons comment l'Apôtre Paul les réprimande un peu plus loin : « Ignorez-vous, dit-il, que vous êtes le temple de Dieu et que l'Esprit de Dieu habite en vous (1). » Assurément il ne parlerait pas de la sorte aux membres séparés de l'Église, puisqu'il a dit d'eux qu'il n'avaient pas cet Esprit.

32. Mais il faut bien se garder de considérer comme appartenant à l'Église, à cette grande société que forme l'Esprit-Saint, celui qui se mêle extérieurement, mais hypocritement, aux brebis du Christ. « Car l'Esprit-Saint, qui enseigne la sagesse, fuit le déguisement (2). » De là vient qu' après avoir reçu le baptême dans les communions, ou plutôt dans les désunions hérétiques ou schismatiques, mais sans avoir pu renaître de l'Esprit, ressemblant ainsi à Ismaël, fils d'Abraham selon la chair, et non à Isaac, son fils selon l'Esprit, parce qu'il était le fils de la promesse ; lorsqu'on rentre dans l'Église catholique et qu'on se réunit à cette société formée par l'Esprit divin, que sans doute on ne possédait pas en dehors, on ne réitère point le baptême extérieur ; car on avait, même dans la séparation, cette forme de religion; mais on reçoit ce qui ne peut se donner qu'au sein de l'Église, l'unité de l'Esprit par le lien de la paix. Telle était,  avant qu'ils devinssent catholiques,  la situation de ces hommes dont l'Apôtre dit : « Qu'ils avaient une forme de religion, mais qu'ils en repoussaient la vertu (3). » Une branche peut avoir la forme extérieure du sarment sans appartenir réellement à la vigne; peut-elle puiser ailleurs que sur le cep la sève intérieure que communique la racine? Ainsi peut-on voir dans les Sacrements visibles qu'emportent avec soi et que célèbrent ceux mêmes qui sont séparés du corps de Jésus-Christ, le signe extérieur de la piété chrétienne; mais il est aussi impossible à ces hommes d'avoir en eux la vertu intérieure
 
 

1. II Cor. III, 16. — 2. Sag. I, 15.  — 3. Ga1at. VI, 28, 29. — 4. II Tim. III, 5.
 
 

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et spirituelle de la religion, qu'à un membre séparé du corps de demeurer sensible.

33. Ceci une fois constaté, comme la rémission ne se donne que par le Saint-Esprit, il en résulte qu'elle ne s'obtient que dans l'Église qui possède le Saint-Esprit. La rémission des péchés fait réellement que le prince du péché, que l'esprit divisé contre lui-même, ne règne plus en nous; que délivrés de la tyrannie de l’esprit impur, nous devenons ensuite le temple de l'Esprit Saint, et que Celui qui nous purifie en nous octroyant le pardon, devient notre hôte pour nous aider à pratiquer, à accroître et à accomplir la justice dans toute sa perfection. Aussi, dès son premier avènement, lorsque ceux qui l'avaient reçu parlaient les langues de tous les peuples et que Pierre s'adressait aux témoins étonnés de cette scène, « ils furent touchés de componction en leur coeur, et ils dirent à Pierre et aux autres Apôtres : Que ferons-nous, frères? Montrez-le nous. Pierre alors leur répondit : Faites pénitence, et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus-Christ pour la rémission de vos péchés; et vous recevrez le don de l'Esprit Saint (1). »

On vit donc ces deux choses dans 1'Eglise, savoir, la rémission des péchés et la réception du don qui communiquait le Saint-Esprit. Si ce fut au nom du Christ, c'est que lui-même avait dit, en promettant l'Esprit-Saint : « Le Père l'enverra en mon nom (2). » L'Esprit-Saint, en effet, n'habite nulle part sans le Père et le Fils, comme le Fils ne réside nulle part sans le Père et l'Esprit, ni le Père nulle part sans les autres personnes. Elles ne sauraient habiter séparément puisque toujours elles agissent ensemble. On les énonce séparément, néanmoins, à l'aide des signes créés, et non en les considérant dans leur nature; par exemple, en articulant l'une après l'autre des syllabes qui occupent des temps déterminés, sans que les divines personnes soient elles-mêmes séparées par aucun laps de temps. On ne peut en effet les nommer jamais ensemble, bien que jamais elles ne puissent être qu'ensemble.

Mais, comme nous l'avons remarqué déjà plusieurs fois, si la rémission des péchés qui renverse et dissipe la tyrannie de l'esprit divisé contre lui-même, si la société formée par l'unité de l'Église de Dieu, en dehors de laquelle il n'y a point pardon des fautes, sont considérées
 
 

1. Act. II, 37, 38. — 2. Jean, XIV, 26.
 
 

comme l'oeuvre produite spécialement par le Saint-Esprit, avec le concours du Père et du Fils; c'est que l'Esprit-Saint est en quelque sorte le lien spécial du Père et du Fils. Le Père effectivement n'est pas commun au Fils et au Saint-Esprit, puisqu'il n'est pas le Père de l'un et de t'autre ; le Fils à son tour n'est pas commun au Père et à l'Esprit-Saint, puisqu'il n'est pas le Fils de tous deux; au lieu que le Saint-Esprit étant l'Esprit du Père et du Fils, est commun au Père et au Fils.

34. Ainsi donc, tout homme coupable d'impénitence contre l'Esprit à qui l'Église doit son unité et son harmonie, n'en obtiendra jamais lé pardon, parce qu'il s'est fermé la demeure oit le pardon s'octroie; il mérite d'être condamné avec l'Esprit toujours divisé contre lui-même, pour s'être opposé à l'Esprit-Saint en qui ne règne jamais aucune division. C'est ce que nous enseignent les textes mêmes de l'Evangile, si nous les méditons avec soin.

D'après saint Luc effectivement, ce n'est pas en répondant à l'accusation de ne chasser les démons que par le prince des démons, que notre Seigneur déclare irrémissible le blasphème contre le Saint-Esprit; ce qui prouve qu'il a enseigné cela plus d'une fois. Il n'en faut pas moins examiner avec soin en quelle circonstance il a tenu ce langage. Il parlait de ceux qui le confesseraient ou qui le renieraient devant les hommes. « Je vous l'assure, dit-il, quiconque m'aura confessé devant les hommes, le Fils de l'homme aussi le confessera devant les Anges de Dieu; mais qui m'aura renié devant les hommes, sera renié devant les Anges de Dieu. » Afin toutefois de ne pas désespérer l'Apôtre Pierre qui l'a renié jusqu'a trois fois devant les hommes, il ajoute aussitôt : « Si quelqu'un parle contre le Fils de l'homme, il lui sera pardonné; mais il ne sera point pardonné à celui qui aura blasphémé contre l'Esprit-Saint (1) ; » c'est-à-dire qui se sera rendu coupable de ce blasphème d'impénitence qui empêche la rémission des,  péchés accordée dans l'Église par le Saint-Esprit, Tel ne fut pas le blasphème de Pierre, puisqu'il se repentit bientôt en pleurant amèrement (2); puisqu'il triompha de l'esprit de division qui avait demandé à le tourmenter et contre qui le Seigneur le protégea en, demandant que sa foi ne défaillît point (3); puisqu'enfin il reçut sans résistance l'Esprit-Saint qui lui accorda, outre
 
 

1. Luc, XIII, 8-10. — 2. Matt. XXVI, 69-75. — 3. Luc, XXII, 31, 32,
 
 

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son pardon, la grâce de prêcher et d'accorder la rémission des péchés.

35. Mais d'après le récit des deux autres Evangélistes, ce qui amena le Sauveur à exprimer cette pensée sur le blasphème contre le Saint-Esprit, c'est qu'il venait de parler de l'esprit impur divisé contre lui-même. Où avait effectivement accusé le Seigneur de chasser les démons au nom du prince des démons; il répondit qu'il les chassait au nom de l'Esprit-Saint ; de cette sorte, l'Esprit d'union vainc et met en fuite l'esprit de division, tandis qu'on se perd éternellement avec ce dernier en refusant la paix offerte par l'Esprit d'unité. Voici le texte de saint Marc : « En vérité je vous le dis, tous les péchés seront remis aux hommes, et même les blasphèmes dont ils se seront rendus cou« gables ; mais celui qui aura blasphémé contre « l'Esprit-Saint, n'en aura jamais le pardon, « il demeurera chargé d'un péché éternel (1). » Après avoir rapporté ces paroles du Seigneur, l'historien ajoute en son nom propre : « C'est qu'on disait: Il est possédé d'un esprit impur (2). » Cette réflexion est destinée à montrer que le motif pour lequel Jésus parla ainsi, venait de ce qu'on l'avait accusé de chasser les démons au nom de Béelzébud leur prince. Ce blasphème, sans doute, n'était pas irrémisible, puisqu'on en obtient le pardon en en faisant bonne pénitence; mais ce qui porta, comme je l'ai remarqué, le Sauveur à exprimer ce sentiment, c'est qu'il avait été question de l'esprit immonde que le Seigneur montre divisé contre lui-même, au lieu que le Saint-Esprit non-seulement ne l'est. point, mais encore unit entre eux tous ceux qu'il attire à lui en leur remettant leurs péchés et.en habitant en eux après les avoir purifiés; afin de réaliser ce qui est écrit aux Actes des Apôtres : « La multitude des croyants n'avait qu'un coeur et qu'une âme (3). »

On ne résiste à cette offre du pardon qu'en y opposant la dureté d'un coeur impénitent. Ailleurs en effet les Juifs ayant encore accusé le Seigneur d'être possédé par le démon (4),  il ne leur dit rien du blasphème contre le saint-Esprit, parce que leur langage sur cet esprit impur ne pouvait servir à leur prouver qu'il était divisé contre lui-même, comme ce qu'ils dirent de Béelzébud, à qui ils attribuaient le pouvoir de chasser les démons,
 
 

1. Marc, III, 28, 29. — 2. Ib. 30. — 3. Act. IV, 3l. — 4. Jean, VII, 20 ; VIII, 48.
 
 

36. Mais on voit bien plus clairement, en lisant saint Matthieu, ce que voulait faire entendre le Seigneur, savoir qu'on parle contre l'Esprit-Saint quand on résiste avec un coeur impénitent à l'unité de l'Eglise où s'accorde par le Saint-Esprit la rémission des péchés. Ceux-là en effet, je l'ai déjà dit, n'ont pas l'Esprit-Saint, qui emportant avec eux et administrant les sacrements du Christ, sont séparés de son Eglise. Le Sauveur donc, après avoir observé que Satan serait divisé contre Satan et que lui-même ne chassait les démons qu'au nom du Saint-Esprit qui n'est pas divisé contre lui-même comme l'esprit mauvais, ajoute aussitôt dans l'intention de montrer que, malgré les sectes qui se forment sous son nom en dehors de son bercail, son royaume n'est pourtant pas divisé contre lui-même: « Qui n'est pas avec moi est contre moi, et qui ne recueille pas avec moi dissipe. » Ainsi donc renie comme lui appartenant tous ceux qui en recueillant sans lui ne recueillent pas mais dissipent. Il poursuit : « Aussi je vous le déclare, on pardonnera aux hommes toute espèce de péché et de blasphème mais non le blasphème contre le Saint-Esprit.» Que veut dire ceci ? Que le seul blasphème contre l'Esprit-Saint ne sera pas effacé, parce que n'être pas avec le Christ c'est être contre, et ne recueillir pas avec lui c'est dissiper ? Oui certainement; car ne pas recueillir avec lui, quoiqu'on l'entreprenne sous son nom, c'est n'avoir pas l'Esprit-Saint.

37. Voilà, voilà ce qui nous fait voir absolument que la rémission de tout péché et de tout blasphème n'est possible qu'au sein de la société chrétienne qui ne dissipe point, parce qu'elle est formée par l'Esprit-Saint qui n'est pas divisé comme l'est l'esprit immonde. Aussi ces autres communions ou plutôt ces autres désunions qui se nomment les Eglises du Christ, qui sont divisées et opposées l'une à l'autre et de plus ennemies de la société où règne l'unité, c'est-à-dire de la véritable Eglise, n'appartiennent pas à la communauté formée par le Fils de Dieu, quoiqu'elles semblent porter son nom. Elles lui appartiendraient si l'Esprit-Saint qui forme cette société, était un Esprit de division. Mais il n'en est point ainsi, puisque n'être pas avec le Christ c'est être contre lui, et que ne pas recueillir avec lui, c'est dissiper. Il s'ensuit qu'on obtiendra la rémission dé tout péché et de tout blasphème dans la société que forme le Christ par l'Esprit-Saint, l'Esprit d'union.
 
 

330
 
 

Quant au blasphème contre l'Esprit-Saint lui-même, quant à ce blasphème qui fait que l'on résiste avec un coeur impénitent jusqu'à la fin de cette vie, à ce Don ineffable et divin, il est irrémissible. Fût-on rebelle à la vérité jusqu'à lutter contre l'enseignement que Dieu nous adresse non par le ministère des prophètes mais par l'organe de son Fils unique, à qui il a ordonné de devenir Fils de l'homme pour nous parler par sa bouche ; on en obtiendra le pardon pourvu que l'on se repente et que l'on s'attache à la divine Bonté. Plus désireux en effet de la conversion et de la vie du pécheur que de sa mort (1), le Seigneur a donné l'Esprit-Saint à son Eglise afin que les péchés fussent remis à qui elle les remettrait en son nom. Mais avoir en aversion cette grâce jusqu'à ne la demander point avec un coeur pénitent, jusqu'à y opposer même l'opiniâtreté de l'impénitence, c'est un crime impardonnable, non point précisément parce que c'est un crime, si grand qu'il soit, mais parce que c'est un mépris du pardon, une résistance même à cette grâce, une parole contre le Saint-Esprit.

On pèche ainsi contre lui, lorsque jamais on ne quitte une secte pour rentrer dans la société qui a reçu l'Esprit-Saint, afin d'effacer les péchés. Mais fut-on reçu dans cette société par un mauvais ecclésiastique, par un réprouvé et un hypocrite, pourvu néanmoins qu'il soit ministre
 
 

1. Ezéch. XXXIII, 11.
 
 

catholique et que soi-même on agisse avec sincérité, on y reçoit par la vertu du Saint-Esprit le pardon de ses péchés. Car aujourd'hui même, que la sainte Eglise est foulée comme le serait l'aire où la paille se mêle au bon grain, l'Esprit de Dieu y agit de manière à ne rejeter aucun aveu sincère; à n'être dupe d'aucune hypocrisie et à fuir les réprouvés sans laisser toutefois d'employer leur ministère à recueillir les élus.

Le seul moyen d'empêcher le blasphème de devenir impardonnable, est donc d'éviter l'impénitence du coeur et de ne croire à l'efficacité du repentir qu'au sein de l'Eglise, où s'accorde le pardon dès péchés et où l'on maintient l'union de l'Esprit par le lien de la paix.

SERMON LXXII. LES BONS ARBRES (1).
 

ANALYSE. — Notre-Seigneur veut que nous travaillions à devenir de bons arbres. Ce qui fait comprendre la nécessité de ce commandement, c'est que 1° un arbre mauvais ne saurait porter de bons fruits. Aussi, 2° Jésus-Christ est venu travailler à nous rendre bons. 3° Il nous menace de la mort éternelle si pour le devenir, nous ne profitons pas des délais que nous accorde sa bonté. 4° N'est-il pas incompréhensible que l'homme ne veuille rien avoir que de bon et que toutefois il ne cherche pas à devenir bon lui-même? Qu'il, s'attache donc à Dieu, source de bonté. 5° Les calamités présentes doivent nous servir d'avertissement sérieux.
 
 

1. Notre-Seigneur Jésus-Christ nous a avertis d'être de bons arbres afin de pouvoir porter de bons fruits. « Ou rendez l'arbre bon et son fruit bon, dit-il; ou rendez l'arbre mauvais et son fruit mauvais; car c'est par le fruit qu'on connaît l'arbre. » Dans ces mots : « Ou rendez l'arbre bon et son fruit bon, » il y a, non point un avis; mais un précepte salutaire que nous sommes obligés d'accomplir. Et dans ces autres : « Rendez l'arbre
 
 

1. Matt. XII, 33.
 
 

mauvais et son fruit mauvais, » il n'y a pas un précepte à accomplir, mais l'avis d'être sur ses gardes. Car cet avis s'adresse à. ces hommes qui croyaient, tout mauvais qu'ils étaient, pouvoir bien parler ou bien agir. Cela ne se peut, dit le Seigneur Jésus. Pour changer la conduite, il faut d'abord changer l'homme. Si celui-ci reste mauvais, il ne peut bien agir : et s'il est bon, il ne saura agir mal.

2. Or qui a été trouvé bon par le Seigneur, (331) lorsque le Christ est mort pour les impies (1) ? Il n'adonc rencontré que des arbres mauvais; mais il leur a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu s'ils croyaient en son nom (2). Ainsi quiconque est bon aujourd'hui, c'est-à-dire est un bon arbre, a d'abord été trouvé mauvais et est devenu bon. Ah. ! s'il avait voulu, en venant parmi nous, arracher tous les mauvais arbres, en resterait-il un seul qui ne méritât d'être déraciné? Mais il est venu l'aire miséricorde, afin d'exercer ensuite la justice, ainsi qu'il est écrit « Je chanterai, Seigneur, votre miséricorde et votre justice (3). » Aussi a-t-il accordé aux croyants la rémission de leurs péchés sans vouloir même revenir avec eux sur les comptes passés. Il a fait d'eux de bons arbres ; il a détourné la cognée et apporté la paix.

3. C'est de cette cognée que parle Jean quand il dit : « Déjà la cognée est mise à la racine des arbres. Tout arbre qui ne produit pas de bon fruit, sera coupé et jeté au feu (4).» C'est de cette cognée que menace le père de famille, lorsqu'il dit dans l'Evangile : « Voilà trois ans que je viens voir cet arbre, sans y trouver de irait. Je dois maintenant rendre libre la place. Qu'on le coupe donc. » Le vigneron intercède : « Seigneur, dit-il, laissez-le encore cette année; je vais creuser tout autour et y mettre une charge de fumier. Vous serez content, s'il porte du fruit ; s'il n'en porte pas, vous viendrez et l'abattrez (5).

Le Seigneur, en effet, a visité le genre humain comme pendant trois ans, c'est-à-dire à trois époques déterminées. La première époque précède la loi; la seconde est celle de la loi, et la troisième est l'époque actuelle de la grâce. Si le Seigneur n'avait point visité le genre humain avant la loi, comment expliquerait-on la justice d'Abel, d'Enoch, de Noë, d'Abraham, d'Isaac, de Jacob, dont il a voulu être nommé le Seigneur, comme s'il n'était le Dieu que de ces trois hommes, lui à qui toutes les nations appartiennent ? « Je suis, dit-il, le Dieu d'Abraham, et d'Isaac et de Jacob (6). » Et s'il ne nous avait point visités sous la loi, aurait-il donné cette loi ? Ce père de famille est venu aussi après la loi ; il a souffert, il est mort, il est ressuscité, il a fait prêcher l'Evangile dans tout l'univers ; et il reste encore quelque arbre stérile! Il est encore une portion de l'humanité qui ne se corrige point! Le jardinier se fait médiateur ; l'Apôtre prie
 
 

1. Rom. V, 6. — 2. Jean, I, 12. — 3. Ps. C, 1. — 4. Matt. III, 10. — 5. LUC, XII, 7-9. — 6. Exod. III, 14.
 
 

pour le peuple: « Je fléchis pour vous, dit-il, les genoux devant le Père, afin qu'enracinés et fondés dans la charité, vous puissiez comprendre, avec tous les saints, quelle est la largeur et la longueur, la hauteur et la profondeur, et acquérir aussi la science suréminente de la charité du Christ, pour être remplis de toute la plénitude de Dieu (1). » En fléchissant ainsi les genoux devant le Père de famille, il demande que nous ne soyons pas déracinés.

Puisque ce Père de famille viendra nécessairement, faisons en sorte qu'il trouve en nous des arbres féconds. On creuse autour de l'arbre par l'humilité d'un coeur pénitent, attendu qu'on ne peut creuser sans descendre. Le fumier figure l'abjection à laquelle se livre le repentir. Est-il en effet rien de plus abject que le fumier.

Et pourtant, est-il rien qui rapporte plus, si l'on en fait bon usage?

4. Que chacun donc devienne un bort arbre, et qu'on ne s'imagine pas porter de bons fruits en restant arbre mauvais. Il n'y a de bons fruits que sur les bons arbres. Change ton coeur et tu changeras de conduite. Arraches-en la cupidité et plantes-y la charité. De même que la cupidité est la racine de tout mal (2), la racine de tout bien est la charité.

Pourquoi alors, pourquoi des hommes murmurent-ils, disputent-ils entre eux et disent-ils Qu'est-ce que le bien ? — Ah! si tu savais ce que c'est que le bien! Le bien véritable n'est pas ce que tu voudrais avoir, mais ce que tu ne veux pas être. Tu voudrais avoir la santé du corps; c'est un bien sans doute, mais ce n'est pas un grand bien, car le méchant l'a aussi. Tu veux avoir de l'or et de l'argent ; j'en dis autant, c'est un bien, vrais à la condition que tu en feras un bon usage. Et tu n'en feras pas un bon usage, si tu n'es bon toi-même. D'où il suit que l'or et l'argent sont un mal pour les méchants et un bien seulement pour les bons. Ce n'est pas que l'or et l'argent rendent ceux-ci bons; niais ils ne sont employés à.un bon usage que pour être tombés entre les mains des bons. Tu veux de l'honneur; c'est un bien, ruais à condition encore que tu en feras un sage emploi. Combien y ont trouvé leur ruine ! Et pour combien a-t-il été un instrument de bonnes oeuvres !

5. Ainsi donc, s'il est possible, sachons mettre de la différence entre ces diverses sortes de biens, puisqu'il est aujourd'hui question de bons arbres.
 
 

1. Ephés. III, 14-19. — 2. I Tim. VI, 10.
 
 

332
 
 

Or il n'est rien dont chacun doive ici s'occuper davantage que de tourner ses regards sur lui-même, de s'examiner, de se juger, de se sonder, de se chercher et de se trouver; que de détruire ce qui lui déplait, que de souhaiter et de planter ce qui lui plait. Comment être avide des biens extérieurs, lorsqu'on est vide des biens meilleurs ? Qu'importe d'avoir la bourse pleine, quand la conscience est vide? Tu veux des biens sans vouloir être bon ! Ne comprends-tu pas que tu dois rougir de ce que tu possèdes, si dans ta maison tout est bien excepté toi ? Que veux-tu avoir de mauvais? Dis-le moi. Rien absolument; ni épouse, ni fils, ni fille, ni serviteur, ni servante, ni campagne, ni tunique, ni même chaussure. Et tu veux toutefois mener une mauvaise vie ! Je t'en conjure, élève ta vie au dessus de ta chaussure. Tout ce que rencontrent tes regards autour de toi, est élégant, beau et agréable pour toi : toi seul restera laid et, hideux Ah ! si ces biens dont ta maison est pleine, si ces biens dont tu as convoité la possession et dont tu redoutes la perte, pouvaient te répondre, ne te crieraient-il pas: Tu veux que nous soyons bons et nous aussi nous voulons avoir un bon traître? Mais ils crient silencieusement contre toi devant ton Seigneur : Vous lui avez, disent-ils, accordé de bonnes choses, et lui reste mauvais! Que lui importe ce qu'il a, puisqu'il n'a pas l'auteur de tout ?

6. Ces paroles touchent ici quelque coeur; livré peut-être à la componction il demande ce que t'est que le bien, quelle en est la nature, l’origine. Tu l'as donc bien compris, c'est de cela que tu dois t'enquérir. Eh bien ! je répondrai à ta question et je dirai : Le bien est ce que tu ne saurais perdre malgré toi. Tu peux, malgré toi, perdre ton or, et ta demeure et tes honneurs et la santé même ; mais le bien qui te rend bon, tu ne peux ni l'acquérir, ni le perdre malgré toi.

Quelle est maintenant la nature de ce bien? Nous trouvons dans un psaume un grand enseignement, c'est peut-être ce que nous cherchons. « Enfants des hommes, y est-il dit, jusques à quand aurez-vous le cœur appesanti ? » Jusques à quand cet arbre demeurera-t-il stérile ? « Enfants des hommes, jusques à quand serez vous appesantis de cœur ? » Que signifie, « Appesantis de cœur ? — Pourquoi aimez-vous la vanité et recherchez vous le mensonge? » Venant ensuite au fond même de la question « Sachez que le Seigneur a glorifié son Saint (1). » Déjà en effet le Christ est venu, déjà il est glorifié, il est ressuscité et monté au ciel, déjà son nom est célébré par tout l'univers : « Jusques à quand serez-vous appesantis de coeur? N'est-ce pas assez du passé? Et maintenant que ce Saint est glorifié, jusques à quand aurez-vous le cœur appesanti ? » Les trois ans écoulés, qu'avez-vous à attendre, sinon la cognée? « Jusques à quand serez-vous appesantis de cœur ? Pourquoi aimez-vous la vanité et recherchez-vous le mensonge ? » Même après la glorification du Saint, du Christ, on s'attache encore à la vanité, encore à l'inutilité, encore à l'ostentation, encore à la frivolité! La vérité se fait entendre et l'on court encore après la vanité ! « Jusques à quand aurez-vous le cœur appesanti? »

7. C'est avec justice que le monde endure de si cruels fléaux; car il connaît aujourd'hui la parole de son Maître. « Le serviteur qui ne sait pas la volonté de son maître, est il écrit, et qui fait des choses dignes de châtiment, recevra peu de coups. » Pourquoi ? Afin de l'exciter à rechercher cette volonté. Tel était le monde avant que le Seigneur glorifiât son Saint; c'était un serviteur ignorant la volonté de son Maître; aussi recevait-il peu de coups. Mais aujourd'hui et depuis que Dieu a glorifié son Saint, le serviteur qui connaît la volonté de son Maître et qui ne l'accomplit point, recevra un grand nombre de coups. Est-il donc étonnant que le monde soit si fort châtié ? C'est un serviteur qui connaît les intentions de son maître et qui fait des choses dignes de châtiment. Ah! qu'il ne se refuse pas aux nombreuses afflictions qu'il mérite (2) ; car s'il ne veut pas écouter son précepteur, Il trouvera justement en lui un vengeur. Qu'il ne murmure pas contre la main qui le frappe, qu'il se reconnaisse digne de châtiment ; c'est le moyen de mériter la miséricorde divine, par Jésus-Christ, qui vit et règne avec Dieu le Père et avec l'Esprit-Saint dans les siècles des siècles. Amen.
 
 

1. Ps IV, 3, 4. — 2. Luc XII, 48, 47.

SERMON LXXIII. LE BON GRAIN ET L'IVRAIE (1).
 

ANALYSE. — Saint Augustin avait expliqué, la veille, la parabole de la semence. Il dit aujourd'hui que la parabole de l'ivraie et du bon grain a le même sens; car les paraboles permettent de représenter la même idée sous des termes différents. Il termine en engageant l'ivraie, c'est-à-dire les mauvais chrétiens, à devenir de boit grain, et en invitent les bons chrétiens à la patience.
 
 

1. Hier et aujourd'hui nous avons entendu, de la bouche de Notre-Seigneur Jésus-Christ, une parabole de semeur. Vous qui étiez présents hier, réveillez aujourd'hui vos souvenirs. Il était question hier de ce semeur qui, en répandant sa semence, en laissa tomber une partie dans le chemin, ou elle fut recueillie pair les oiseaux; une antre dans les endroits pierreux, où elle fut desséchée par la chaleur; une autre au milieu des épines, où elle fut étouffée sans pouvoir porter d'épis; unie antre enfin dans la bonne terre, où elle rapporta cent, soixante, et trente pour un (2). C'est encore aujourd'hui une parabole de semeur, le Seigneur nous y montre un homme qui a semé de bon grain dans son champ. Or pendant que l'on dormait, l'ennemi vint et sema de l'ivraie par dessus. On ne s'en aperçut point quand tout était en herbe; mais sitôt qu'on put distinguer les bons épis, on reconnut aussi l'ivraie à la vue de cette ivraie mêlée en grand nombre au bon grain, les serviteurs du père de famille se fâchèrent, et voulurent l'arracher; on ne le permit pas, mais on leur dit: « Laissez croître à l'un et l'autre jusqu'à la moisson. »

Cette nouvelle parabole a été également expliquée par Notre-Seigneur Jésus-Christ. Le semeur de bon grain, c'est lui-même ; le diable est l'homme ennemi qui a semé l'ivraie; la fin du siècle est le temps de la moisson, et le champ, le monde tout entier. Mais qu'ajoute-t-il ? «A l'époque de la moisson je dirai aux moissonneurs : amassez d'abord l'ivraie pour la brûler; puis recueillez mon grain et le mettez au grenier. » Pourquoi cet empressement, ô serviteurs pleins de zèle ? Vous voyez l'ivraie parmi le froment, les mauvais chrétiens parmi les bons et vous voulez les extirper. Cessez, nous ne sommes pas à la moisson. Elle viendra, et puissiez-vous alors être de bons grains! Pourquoi vous lâcher ? Pourquoi souffrir avec peine que les méchants soient mêlés aux bons? Ils peuvent être
 
 

1. Matt. XIII, 24-30, 38-43. — 2. Matt. XIII, 2-23.
 
 

confondus avec venus ducs le champ, ils ne le seront pas au grenier.

2. Vous savez qu'il a été parlé hier de trois endroits où ne profite point la semence; le chemin, les pierres et les épines. Voilà l'ivraie, c'est dans une autre parabole un autre nom donné à la même chose. Car, lorsqu'il est question de similitudes et non du sens propre, on n'exprime que la ressemblance de la vérité, et non la vérité même. Je n'ignore point que quelques uns savent cela ; mais nous parlons pour tous.

Ainsi donc dans les choses sensibles un chemin est un chemin, un endroit pierreux est un endroit pierreux et des épines sont des épines; il n'y faut voir que cela, car les mots sont pris ici dans leur sens propre. Mais dans les paraboles et les comparaisons, un même objet peut être désigné par des noms différents, et c'est ce que m'a permis de vous dire que le chemin dont il est parlé dans l'Évangile, ainsi que l’endroit pierreux et l'endroit couvert d'épines désignent les mauvais chrétiens, désignés aussi par l'ivraie. Le Christ ne porte-t-il pas à la fois les noms d'agneau et de lion ? S'il s'agit de troupeaux et d'animaux sauvages, on ne doit voir dans      l'agneau qu'un agneau et dans le lion qu'un lion mais le Christ est l'un et l'autre. Dans la première acception, c'est le sens propre : c'est le sens figuré dans celle-ci.

Il arrive même que dans ce sens figuré les êtres les plus opposés portant le même nom. Qu'y a-t-il de plus opposés entre eux que le Christ et le démon ? Le Christ et le démon, néanmoins, sont appelés l'un et l'autre lion. Au Christ est donné ce nom : « Le lion de la tribu de Juda a vaincu (1). » Au démon également : « Ne savez-vous que votre ennemi, le diable, comme un lion rugissant, rôde autour de vous, cherchant à dévorer. (2) » Ce nom désigne ainsi le Christ et le diable : le Christ, à cause de sa force, le diable à cause de sa férocité; le Christ à cause de ses victoires, le
 
 

1. Apoc. V, 5. — 2. I Pierre, V, 8.
 
 

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diable à cause de ses ravages. Ce même démon est encore représenté comme un reptile, c'est l'antique serpent (1) : s'ensuit-il que notre Pasteur nous ordonne d'imiter ce serpent quand il nous dit: « Soyez simples comme des colombes et rusés comme des serpents (2) ? »

3. Hier donc je me suis adressé au chemin, aux lieux pierreux et aux lieux couverts d'épines, et je leur ai dit: Changez puisque vous le pouvez, retournez avec la charrue ce terrain durci, jetez les pierres de ce champ, arrachez-en les épines. N'ayez point ce coeur endurci où meurt aussitôt la parole de Dieu. Ne soyez point cette terre légère où la charité ne saurait enfoncer ses racines. Gardez-vous, d'étouffer par lés soins et les passions du siècle, la bonne semence que nous répandons en vous par nos travaux. Car c'est le Seigneur qui sème et nous ne sommes que ses ouvriers. Soyez une bonne terre, vous disions-nous hier, et aujourd'hui nous répétons à tous: Que l'un donne cent, l'autre soixante et l'autre trente pour un. L'un produit plus que l'autre, mais tous ont droit au grenier.

Voilà ce que nous disions hier. Je m'adresse aujourd'hui à l'ivraie. Cette ivraie désigne des brebis du troupeau. O mauvais chrétiens ! ô vous qui fatiguez par votre mauvaise conduite l'Église que vous remplissez! corrigez-vous avant l'époque de la moisson, ne dites pas : « J'ai péché, et que m'est-il advenu de fâcheux ? (3) » Dieu n'a rien perdu de sa puissance ; mais il exige que tu fasses pénitence. C'est ce que je dis aux pécheurs, qui pourtant sont chrétiens; c'est ce que je dis à l'ivraie. Car ils sont dans le champ du Père de famille, et il peut se faire qu'ivraie aujourd'hui, demain ils soient bon grain. Pour ce même motif je m'adresse aussi au froment.

4. O chrétiens qui vivez saintement! vous êtes en petit nombre et vous soupirez, vous gémissez au sein de la multitude. L'hiver passera, viendra
 
 

1. Apoc. XII, 9. — 2. Matt. X, 6. — 3 Eccli. V, 4.
 
 

l'été et voici bientôt la moisson. Les Anges viendront avec le pouvoir de faire la séparation et dans l'impuissance de se tromper. Pour nous, nous ressemblons aujourd'hui à ces serviteurs qui disaient: « Voulez-vous que nous allions l'arracher ? » Nous voudrions en effet, s'il était possible, qu'il ne restât aucun méchant parmi les bons. Mais il nous a dit: « Laissez croître l'un et l'autre jusqu'à la moisson. » Pourquoi ? Parce que vous pourriez vous tromper. Aussi écoutez « Dans la crainte qu'en voulant arracher l'ivraie vous n'arrachiez aussi le froment. » Que faites-vous avec cette noble ardeur ? N'allez-vous point ravager ma moisson ? Les moissonneurs viendront, c'est-à-dire les Anges, comme l'a expliqué le Sauveur. Nous sommes des hommes, les Anges sont les moissonneurs. Il est vrai, si nous achevons notre course, nous serons égaux aux anges de Dieu; mais aujourd'hui que nous noirs fâchons contre les méchants, nous sommes encore des hommes, et nous devons prêter l'oreille à ces mots : « Que celui donc qui se croit debout prenne garde de tomber (1). »

Croyez-vous, mes frères, que l'ivraie ne s'élève pas jusqu'à l'abside (2)? Croyez-vous qu'il n'y en ait qu'en bas et point en haut? Plaise à Dieu que nous n'en soyons pas nous-même! « Mais peu m'importe d'être jugé par vous (3). » Oui, je le déclare à votre charité : il y a dans les absides du froment et de l'ivraie, du froment aussi et de l'ivraie parmi le peuple. Que les bons supportent donc les méchants, mais que les méchants se convertissent et imitent les bons. Devenons tous, sil est possible, les serviteurs de Dieu, et tous, par sa miséricorde, échappons à la malice de ce siècle, Cherchons les jours heureux, puisque nous sommes dans les jours malheureux; mais pour arriver à ces heureux jours, ne blasphémons point en traversant les jours malheureux.
 
 

1. Cor. X, 12. — 2. D'où les Évêques parlaient au peuple. — 3. I Cor. IV, 3.

SERMON LXIV. QUEL EST LE VRAI DOCTEUR DE LA LOI (1).
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ANALYSE. — Ce discours n'est que l'explication de ces paroles de saint Matthieu : « Tout scribe.instruit de ce qui touche le royaume des cieux, est semblable au père de famille qui tare de son trésor des choses nouvelles et des choses anciennes. Qu'entend-on ici par Scribe? On entend les docteurs de la toi divine. — Pourquoi dit-on qu'il tire de son trésor? C'est qu'il est des docteurs qui ne font pas ce qu'ils enseignent : ceux-là ne tirent pas de leur trésor ou de leur coeur, mais uniquement du trésor de la révélation. — Quelles sont enfin ces choses nouvelles, et ces choses anciennes? Lés doctrines révélées dans l'ancienne loi et mises en lumière dans l'Évangile.
 
 

1. La lecture de l'Évangile nous invite à examiner et à expliquer à votre charité, autant que le Seigneur nous en fera la grâce, quel est « le Scribe instruit de ce qui louche le royaume de Dieu et semblable au père de famille qui tire de son trésor des choses nouvelles et des choses anciennes ; » quelles sont encore ces choses nouvelles et ces choses anciennes que produit au grand jour ce scribe instruit; car c'est par là que s'est terminée la lecture de l'Évangile.

On sait d'abord quels sont ceux que, conformément au style de l'Écriture, les anciens appelaient Scribes; ce sont ceux qui faisaient profession de connaître la Loi. Tel est le sens que le peuple juif donnait à ce terme. Les scribes ne signifiaient donc point alors, comme aujourd'hui parmi nous, ceux qui écrivent au palais sous l'autorité dés juges ou dans les villes pour le public. Gardons-nous de fréquenter inutilement une école, et sachons le sens que l'Écriture attache aux expressions qu'elle emploie ; car autrement en entendant des paroles de l'Écriture prises dans une acception différente de l'acception ordinaire, nous pourrions nous égarer et, pour nous laisser aller à nos pensées habituelles, ne comprendre pas ce qui nous est enseigné. Les 'Scribes donc étaient des hommes qui faisaient profession de connaître la loi, et c'est à eux qu'appartenait le soin de garder les livres, de les expliquer, de les transcrire et de les étudier.

2. C'est à eux que Notre-Seigneur Jésus-Christ reproche d'avoir les clefs du royaume des cieux sans y entrer eux-mêmes et sans y laisser entrer personne; ce reproche en effet s'adresse aux Pharisiens et aux Scribes, les docteurs de la loi parmi les Juifs. C'est d'eux encore qu'il parle ainsi ailleurs : « Faites ce qu'ils disent; mais gardez-vous de faire ce qu'ils font; car ils disent et ne
 
 

1, Matt XIII, 52.
 
 

font pas. (1) » Et pourquoi,  ces mots: « Es di« sent et ne font pas,  » sinon parce qu'ils sont du nombre de ceux en qui on voit ce que dit l'Apôtre : « Toi qui prêches de ne point dérober, tu dérobes; toi qui défends l'adultère, tu commets l'adultère; toi qui as en horreur les idoles, tu fais des sacrilèges; toi qui te glorifies de la loi, tu déshonores Dieu par la violation de la loi ; car à cause de vous le nom du Seigneur est blasphémé parmi les nations ? (2) » Il est sûr et évident qu'à cette sorte de docteurs s'appliquent ces paroles du Seigneur. « Ils disent et ne font  pas. » Ce sont des Scribes, mais ils ne sont pas réellement instruits en ce qui touche le royaume de Dieu.

Néanmoins, dira quelqu'un d'entre vous, comment un mauvais homme peut-il enseigner une bonne doctrine, puisqu'il est écrit et que le Seigneur dit lui-même : « L'homme bon tire de bonnes choses du bon trésor de son coeur, et du mauvais trésor de son cœur l'homme mauvais tire des choses mauvaises ? Hypocrites, comment pouvez-vous faire de bonnes choses, puisque vous êtes mauvais (3) ? » Ici donc il est dit : « Comment pouvez-vous dire de bonnes choses, puisque vous êtes mauvais? » Et là : « Faites ce qu'ils disent, mais gardez-vous de « faire ce qu'ils font; car ils disent et ne font point. » S'ils disent sans pratiquer, ils sont mauvais; mais s'ils sont mauvais, ils ne peuvent dire de bonnes choses : comment faire alors ce qu'ils nous enseignent, puisqu'ils ne sauraient nous enseigner rien de bon?

Voici la solution de cette difficulté; que votre sainteté s'y rende attentive. Tout ce que l'homme mauvais tire de lui-même est mauvais; tout ce que l'homme mauvais tire de son cœur est mauvais; car dans son cœur est son mauvais trésor. D'où vient donc que ces méchants enseignaient
 
 

1. Matt. XXIII, 3. — 2. Rom. II, 21-23. — 3. Matt. XII, 35, 34.     .
 
 

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le bien? C'est qu'ils étaient assis sur la chaire de Moïse, et si le Seigneur n'avait dit auparavant: « Ils sont assis sur la chaire de Moïse (1); » jamais il n'aurait commandé d'écouter ces méchants. Ce qu'ils tiraient du mauvais trésor de leur coeur était différent de ce que du haut de la chaire de Moïse ils faisaient entendre comme étant les hérauts du juge. Jamais on n'attribuera à un héraut ce qu'il dit, quand il parle en présence du juge. Autre chose est ce qu'il dit dans sa maison, et autre chose ce qu'il transmet de la part du juge. Bon gré, mal gré, il faut que ce héraut publie la condamnation de son ami même; et bon gré, mal gré, il publie aussi l’acquittement de son ennemi. Laissez parler son coeur, c'est son ami qu'il acquittera et son ennemi qu'il condamnera. Laissez parler le coeur des Scribes, ils diront : « Mangeons et buvons, car demain nous mourrons (2). » Faites parler la chaire de Moïse, elle dira : « Tu ne tueras point, tu ne commettras point d'adultère; tu ne déroberas point ; tu ne rendras point de faux témoignage; honore ton père et ta mère; tu aimeras ton prochain comme toi-même. (3) » frais ce que dit la chaire par la bouche des Scribes, et non ce que dit leur coeur; et embrassant ainsi les deux pensées exprimées par le Seigneur, tu ne suivras point l'une au détriment de l'autre; tu comprendras qu'elles s'accordent parfaitement et que s'il est vrai de dire : « L'homme bon tire de bonnes choses du bon trésor de son coeur, et de son mauvais trésor, l'homme mauvais tire des choses mauvaises ; » c'est que le bien qu’enseignaient ces Scribes ne venait pas du mauvais trésor de leur coeur, mais il ne pouvait venir que du trésor de la chaire de Moïse.

4. Tu ne seras donc plus étonné de ces autres paroles du Seigneur : « Chaque arbre se reconnaît à son fruit. Cueille-t-on des raisins sur les a épines et des figues sur les chardons (4) ? » Les Scribes et les Pharisiens sont ainsi comparés aux épines et aux chardons; toutefois « faites ce qu'ils disent, mais gardez-vous de faire ce qu'ils font. » Mais, comme Dieu vous l'a fait comprendre par les réflexions précédentes, n'est-ce pas cueillir le raisin sur des épines et la figue sur des chardons? Quelquefois aussi on voit des branches de vigne s'entrelacer dans une haie d'épines et des grappes suspendues au buisson. Laisseras-tu ce raisin parce que tu le vois au milieu des épines? Recherche attentivement quelle est la tige de
 
 

1. Matt. XXIII, 2. — 2. Isaïe, XXII, 13. — 3. Exod. XX,12-16; Lévit. XIX, 16. — 4. Luc, VI, 44.
 
 

ces épines et tu reconnaîtras ce qui les porte. Suis aussi la tige de la grappe suspendue, et reconnais d'où vient cette grappe. Tu comprendras par là qu'autre chose vient du coeur du Pharisien et autre chose de la chaire de Moïse (1).

5. Mais pourquoi ce triste état des Pharisiens? C'est qu'ils ont « un voile placé sur leur coeur; » et ils ne voient pas que « les choses anciennes ont passé et que tout est devenu nouveau (2). » Voilà ce qui fait leur malheur et le malheur de quiconque leur ressemble. Pourquoi dire choses anciennes? C'est qu'on les enseigne depuis longtemps. Et choses nouvelles ? C'est qu’elles sont du royaume de Dieu. L'Apôtre même enseigne comment s'enlève ce voile: « Il s'enlèvera, dit-il, lorsque tu te convertiras au Seigneur. » Mais en ne s'attachant pas au Seigneur, le juif ne dirige point son regard vers le but; et c'est ainsi que les enfants d'Israël, figurant autrefois ce malheur, ne portaient pas non plus leurs yeux sur le but, en d'autres termes, sur la face de Moïse. L'éclat de cette face symbolisait l'éclat de la vérité; mais un voile la couvrit, parce que les fils de Jacob ne pouvaient encore en contempler la splendeur.

Cette figure a disparu, selon ces expressions de l'Apôtre: « Ce qui doit disparaître (3). » Pourquoi disparaît-elle ? Parce qu'à l'arrivée du souverain on fait disparaître ses images. Quand le souverain n'est point là, on regarde son portrait; est-il présent ? on l'enlève. Avant l'avènement de Jésus-Christ, Notre-Seigneur et notre souverain, on montrait donc ses images ; mais ses images disparaissent et on ne voit plus que lui. Et c'est ainsi que le voile tombe quand on s'attache au Sauveur. A travers le voile on pouvait entendre la voix de Moïse, mais on ne voyait point sa face, Ainsi les Juifs entendent maintenant la voix du Christ dans les Écritures anciennes, mais ils ne voient pas la face de Celui qui leur parle. Veulent ils, encore une fois, faire tomber ce voile? Qu'ils viennent au Seigneur. Ils ne perdront point les anciennes richesses, il les enfermeront dans leur trésor pour devenir des scribes instruits de qui concerne le royaume de Dieu, et tirant de leur trésor, non ce qui est seulement ancien ou .ce qui est seulement nouveau, car alors ils ne ressembleraient point à ce scribe instruit de ce qui touche le royaume de Dieu et tirant de son trésor le nouveau en même temps que l'ancien.

Mais si l'on se contente de dire sans pratiquer,
 
 

1. Bossuet a emprunté cette ingénieuse comparaison à saint Augustin : Vaines excuses des pécheurs; 1er. ser. pour le Dim. de la pass. Ed. Bar. tom. 2 pag. 355. — 2 II Cor. V, 17. — 3 II Cor. III, 13-16.
 
 

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on puise dans la chaire et non dans le trésor de son coeur.

Nous l'attestons devant votre sainteté : ce qui vient de l’ancien Testament s'éclaircit par le Nouveau; et c'est ainsi qu'on vient au Seigneur pour être débarrassé du voile.

SERMON LXXV. TEMPÊTE APAISÉE (1).
 

ANALYSE. — Le but de saint Augustin est d'expliquer la signification mystique de ce fait et de ses circonstances diverses. Les voyageurs qui passent la mer sur le navire, nous apprennent que nous sommes tous voyageurs et que nous ne pouvons nous sauver que sur le bois de la croix. La montagne où le Christ s'est retiré pour prier, rappelle le ciel où il est monté avant nous et qu’il intercède pour nous. La tempête, représente les orages soulevés contre l'Église; cette tempête est excitée en l'absence du Sauveur, c'est-à-dire quand l'âme est vaincue par quelque passion; elle est excitée vers la fin de la nuit, maintenant même que le Christ presse de son pied vainqueur les vagues écumantes du siècle. On le prend pour un fantôme : c'est ainsi que les Manichéens ne croient pas à la réalité de son incarnation et que d'autres hérétiques n'ajoutent pas foi à là réalité de ses menaces. Pierre à son tour marche sur les flots où le soutient le bras de Celui qui soutient et soutiendra son Église, sans l'abandonner jamais.
 
 

1. La lecture de l'Évangile que nous venons d'entendre avertit l'humilité de chacun de nous de rechercher et de savoir oit nous sommes, où nous devons tendre et nous empresser d'arriver. Ne croyez pas en effet qu'il n'y a aucune signification relevée dans ce vaisseau qui portait les disciples et qui luttait sur les flots contre le vent contraire. Ce n'est pas sans motif non plus que laissant la foule le Seigneur gravit la montagne pour y prier seul, ni que venant et marchant sur la mer il trouva ses disciples en danger, les rassura en montant sur la barque et apaisa les vagues. Faut-il s'étonner que Celui qui a tout créé puisse apaiser tout? De plus, quand il fut dans le vaisseau, les passagers vinrent à lui en disant: « Vous êtes vraiment le Fils de Dieu. » Mais avant de le reconnaître avec tant d'éclat, ils s'étaient troublés en le voyant sur la mer et avaient dit: « C'est un fantôme. » Pour lui, montant sur là barque il fit cesser l'incertitude de leurs coeurs, incertitude qui mettait plus leur âme en.danger que les vagues n'y mettaient leur corps.

2. Il est bien vrai, le Seigneur, dans toutes ses actions, nous trace des règles de vie. Tous ne sont-ils pas étrangers dans ce siècle, quoique tous ne désirent pas leur retour dans la patrie Nous rencontrons dans le voyage des flots et des tempêtes; il nous faut donc au moins un navire, et si sur le navire même nous courons des dangers, en dehors du navire notre perte serait certaine. Quelques vigoureux que soient les bras d'un homme qui nage, sur l'Océan, il finit par être vaincu, entraîné et submergé dans les vastes
 
 

1. Matt. XIV, 24-33.
 
 

abîmes. Afin donc de traverser cette mer, il nous faut être sur un navire, appuyés sur le bois. Et ce bois qui soutient notre faiblesse, est la croix même dit Seigneur, dont nous sommes marqués et qui nous préserve des gouffres de ce monde. Les flots se soulèvent contre nous ; mais le Seigneur est Dieu et il nous vient en aide.

3. Si le Seigneur laisse la toute et va seul sur la montagne pour y prier, c'est que cette montagne figure le.haut des cieux. Ainsi, en effet, le Sauveur après sa résurrection, laissa les hommes et monta seul au ciel, où il intercède pour nous, comme dit l'Apôtre (1). Il y a donc un mystère dans cet abandon de la multitude et cette ascension sur la montagne pour y prier solitaire. Seul encore aujourd'hui il est le premier-né d'entre les morts et, depuis sa résurrection, placé à la droite de son Père pour y être notre pontife et l'appui de nos supplications. Ainsi le Chef de l'Église est élevé afin que tous ses membres le suivent jusqu'au terme suprême; et s'il va pour prier au sommet de la montagne, c'est qu'élevé au dessus des plus nobles créatures, il prie réellement seul.

4. Cependant le navire qui porte les disciples, ou l'Église, est ballotté par la tempête et secoué par les tentations. Le vent contraire ne cesse pas,  parce que le diable, son ennemi, travaille à l'empêcher de parvenir au repos. Mais notre Intercesseur l'emporte; car au milieu des secousses qui nous tourmentent, il nous inspire confiance,  en venant à nous et en nous fortifiant. Ayons soin seulement de ne pas nous troubler, sur le
 
 

1. Rom. VIII, 34.
 
 

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vaisseau, de ne pas nous renverser ni de nous jeter à la mer. Le vaisseau peut s'agiter; mais c'est un vaisseau, un vaisseau qui seul porté les disciples et reçoit le Christ. Il est exposé sur les vagues; sans lui néanmoins la mort serait prompte. Reste donc dans ce vaisseau et prie Dieu. Lorsqu'on ne sait plus que faire, lorsque le gouvernail ne peut plus diriger et que le déploiement des voiles 'contribue à accroître le danger plutôt que de pourvoir au salut, on laisse de côté tous les moyens et toutes les forces humaines, et les nautonniers n'ont plus d'autre soin que de prier Dieu et d'élever la voix jusqu'à lui. Or Celui qui donne aux navigateurs ordinaires d'arriver au port, laissera-t-il son Église sans la mettre en repos?

5. Cependant, mes frères, les grandes secousses qu'éprouve ce navire ne se font sentir qu'en l'absence du Seigneur. — Quoi ! le Seigneur peut-il être absent pour qui est dans l'Église? Quand arrive cette absence ? — Quand on est vaincu par quelque passion. Il est dit quelque part, et on peut l'entendre d'une façon mystérieuse: « Que le soleil ne se couche pas sur votre colère, et ne donnez point lieu au diable (1). » Ceci s'entend non pas de ce soleil qui paraît si grand parmi les corps célestes et qui peut-être regardé par les animaux comme par nous; mais de cette lumière que peuvent contempler les coeurs purs des fidèles seulement, ainsi qu'il est écrit : « Il était la lumière véritable qui éclaire tout homme venant en ce monde (2); » au lieu que la lumière de ce visible soleil éclaire aussi les plus petits et les derniers des insectes. La lumière véritable est donc celle de la justice et de la sagesse; l'esprit cesse de la voir lorsque le trouble dé la colère l'offusque comme d'un nuage et c'est alors que le soleil se couche sur la colère. C'est ainsi qu'en l'absence du Christ, chacun sur ce navire est battu par la tempête, par les péchés et les passions auxquelles il s'abandonne. La loi dit par exemple : « Tu ne feras point de faux témoignage (3). » Si tu es attentif à la vérité qui réclame ta déposition, la lumière brille dans ton esprit; mais si entraîné par la passion d'un gain honteux, tu te détermines intérieurement à rendre un faux témoignage, tu vas être, en l'absence du Christ, battu par la tempête, emporté par les vagues de ton avarice, exposé aux tourments de tes passions, et, toujours en l'absence du Christ, sur le point d'être submergé.
 
 

1. Ephés. IV, 28-27. — 2. Jean, I, 9. — 3. Exod. XX, 16.
 
 

6. Qu'il est à craindre que ce vaisseau ne se retourne et ne regarde en arrière ! C'est ce qui arrive lorsque,-renonçant à l'espoir des célestes récompenses, on se laisse aller à la remorque de ses passions pour s'attacher aux choses qui se voient et qui passent. Il ne faut pas désespérer si fort de celui que troublent les tentations et qui néanmoins tient le regard attaché sur les choses invisibles, demandant pardon de ses péchés et s'appliquant à dompter et à traverser les flots courroucés de la mer. Mais celui qui s'oublie jusqu'a dire dans son coeur: Dieu ne me voit pas; il ne pense pas à moi et ne se soucie point si je pèche, celui-là tourne la proue de son vaisseau, se laisse aller à l'orage et emporter d'où il venait. Combien effectivement sont nombreuses les pensées qui s'.élèvent dans le coeur de l'homme! Aussi quand le Christ. n'y est plus, les flots du siècle et des tempêtes sans cesse renaissantes se disputent son navire.

7. La quatrième veille est la fin de la nuit, car chaque veille est de trois heures. Cette circonstance signifie donc que vers la fin des temps le Seigneur vient secourir son Église et semble marcher sur les eaux. Car, bien que ce vaisseau soit en butte aux attaques et aux tempêtes, il n'en voit pas moins le Sauveur glorifié marcher sur toutes les élévations de la mer, c'est-à-dire sur toutes les puissances du siècle. A l'époque où il nous servait dans sa chair de modèle d'humilité, et, où il souffrait pour nous, il était dit de lui que les flots s'élevèrent contre sa personne et que pour l'amour de nous il céda volontairement devant cette tourmente afin d'accomplir cette prophétie : « Je me suis jeté dans la profondeur de la mer, et la tempête m'a submergé (1). » En effet il n'a point repoussé les faux témoins ni confondu les cris barbares qui demandaient qu'il fût crucifié (2). Il n'a point employé sa puissance à comprimer la rage de ces coeurs et de ces bouchés en fureur, mais sa patience à l'endurer. On lui a fait tout ce qu'on a voulu, parce qu'il s'est fait lui-même obéissant jusqu'à la mort de la croix (3).

Mais lorsqu'après sa résurrection d'entre les morts il voulut prier seul pour ses disciples, placés dans l'Église comme dans un vaisseau, appuyés sur le bois, c'est-à-dire sur la foi de sa croix et menacés par les vagues des tentations de ce siècle; son nom commença à être honoré dans ce monde même, où il avait été méprisé, accusé,
 
 

1. Ps. LXVIII, 3. — 2. Matt. XXVII, 23. — 3. Philip. II, 8.
 
 

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mis à mort; et lui qui en souffrant dans son corps s'était jeté dans la profondeur de la mer et y avait été englouti, foulait les orgueilleux ou les flots écumants, aux pieds de sa gloire. C'est ainsi qu'aujourd'hui encore nous le voyons marcher en quelque sorte sur la mer, puisque toute la rage du ciel expire à ses pieds.

8. Aux dangers des tempêtes se joignent encore les erreurs dies hérétiques. Il est des hommes qui pour attaquer les passagers du vaisseau mystique publient que le Christ n'est point né de la Vierge, qu'il n'avait pas un corps véritable et qu'il paraissait ce qu'il n'était point. Ces opinions perverses viennent de naître, maintenant que le Christ marche en quelque sorte sur la mer, puisque son nom est glorifié parmi tous les peuples. « C'est un fantôme, » disaient les disciples épouvantés. Mais lui, pour nous rassurer contre ces doctrines contagieuses : « Ayez confiance, dit-il, « c'est moi, ne craignez point. »

Ce qui a contribué à former ces opinions trompeuses, c'est la vaine crainte dont on s'est trouvé saisi à la vue de la gloire et de la majesté du Christ. Comment aurait pu avoir une telle naissance Celui qui a mérité tant de grandeur ? On croyait le voir encore avec saisissement marcher sur la mer, car cette action prodigieuse est la marque de sa prodigieuse. élévation, et c'est, elle qui a donné lieu de croire qu'il était un fantôme. Mais en répondant : « C'est moi, » le Sauveur ne veut-il pas qu'on ne voie point en lui ce qui n'y est point ? Si donc il montra en lui de la chair, c'est qu'il y en avait; des os, c'est qu'il y avait des os; des cicatrices enfin, c'est qu'il en avait aussi. « Il n'y avait pas en lui, comme s'exprime l'Apôtre, le oui et le non; mais le oui était en lui (1). » De là cette parole : « Ayez « confiance, c'est moi; ne craignez point. » En d'autres termes : N'admirez pas ma grandeur jusqu'à vouloir me dépouiller de ma réalité. Il est bien vrai, je marche sur la mer, je tiens sous mes pieds, comme des flots écumants, l'orgueil et le faste du siècle; je me suis montré néanmoins véritablement homme, et mon Évangile dit vrai quand il publie que je suis né d'une Vierge, que je suis le Verbe fait chair, que j'ai dit avec vérité : « mouchez et voyez, car un esprit n'a point d'os comme vous en voyez en moi (2); » enfin que mon Apôtre dans son doute constata de sa propre main la réalité de mes cicatrices. Ainsi donc : « C'est moi; ne craignez point. »
 
 

1. II Cor. I, 19. — 2. Luc, XXIV, 39.
 
 

9. En s'imaginant que le Seigneur était un fantôme, les disciples ne rappellent pas seulement les sectaires qui lui refusent une chair humaine et qui vont quelquefois dans leur aveuglement pervers jusqu'à ébranler les voyageurs présents dans le navire; ils désignent- aussi ceux qui se figurent que le Sauveur n'a pas dit vrai en tout et qui ne croient pas à l'accomplissement des menaces faites contre les impies. Il serait donc en partie véridique et en partie menteur, espèce de fantôme dans ses discours où se trouveraient le oui et le non.

Mais qui comprend bien cette parole : « C'est moi; ne craignez point, » ajoute foi à tout ce qu'a dit le Seigneur, et s'il espère les récompenses qu'il a promises, il redoute également les supplices dont il a menacé: C'est la vérité qu'il fera entendre aux élus placés à sa droite, quand il leur dira: « Venez, les bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé dès le commencement du monde; » c'est aussi la vérité qu'entendront les réprouvés placés à sa gauche : « Allez au feu éternel, qui a été préparé pour le diable et pour ses anges (1). » Aussi bien le sentiment de la fausseté des menaces adressées par le Christ aux impies et aux réprouvés, vient de ce que l'on voit soumis à son nom des peuples nombreux et d'innombrables multitudes : et si le Christ semblait être un fantôme parce qu'il marchait sur la mer, aujourd'hui encore on ne croit pas à la réalité des peines dont il menace, on ne le croit pas capable de perdre des peuples si nombreux qui l'honorent et se prosternent devant lui. Qu'on l'entende dire, néanmoins : « C'est moi. » Rassurez-vous donc, vous qui le croyez véridique en tout et qui fuyez les supplices dont il menace, comme vous aspirez aux récompenses qu'il promet. Car s'il marche sur la mer, si toutes les parties de l'humanité lui sont soumises dans ce siècle, il n'est pas un fantôme et il ne ment pas quand il s'écrie : « Ce ne sont pas tous ceux qui me disent : Seigneur, Seigneur, qui entreront dans le royaume des cieux (2). »

10. Que signifie encore la hardiesse de Pierre à venir à lui en marchant sur les eaux? Pierre représente souvent l'Église ; et ces mots : « Si c'est vous, Seigneur, ordonnez-moi de venir à vous sur les eaux, » ne reviennent-ils pas à ceux-ci : Seigneur, si vous dites vrai, si vous ne mentez jamais,  glorifiez votre Église dans le
 
 

1. Matt.XXV, 34, 41. — 2. Matt. VIII, 21.
 
 

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monde, par les prophètes ont prédit que vous le feriez ? Qu'elle marche donc sur les eaux et qu'elle parvienne ainsi jusqu'à vous, puisqu'il lui a été dit : « Les opulents de la terre imploreront tes regards (1). » Le Seigneur n'a rien à craindre des louanges humaines, tandis que dans l'Église même les éloges et les honneurs sont souvent pour les mortels un sujet de tentation. Et presque de ruine. Aussi Pierre tremble sur les flots, il redoute l'extrême violence de la tempête. Eh ! qui ne craindrait devant cette parole : « Ceux qui vous disent heureux vous trompent et font trembler le sentier où vous marchez (2) ? »

L'âme résiste donc au désir des louanges humaines; aussi convient-il, au milieu de ce danger, de recourir à l'oraison et à la prière; car il pourrait bien se faire de charme des applaudissements des hommes on succombât sous leur blâme. Que
 
 

1 Ps. XLIV, 13. — 2. Isaïe, III, 12.
 
 

Pierre s'écrie, en chancelant sur l'onde: « Sauvez-moi, Seigneur. » Le Seigneur étend la main, et quoiqu'il le réprimande en lui disant: « Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté? » pourquoi, les yeux fixés directement sur Celui vers qui tu marchais, ne t'es tu pas glorifié uniquement dans le Seigneur? il ne laisse pas de le tirer des flots sans le laisser périr, parce qu'il a confessé sa faiblesse et sollicite son secours.

Le Seigneur enfin est entré dans le navire, la foi est affermie, il n'y a plus de doute, la tempête est apaisée et l'on va mettre en paix le pied sur la terre ferme. Tous alors se prosternent Pro s'écriant : « Vous êtes vraiment le Fils de Dieu. » C'est l'éternelle joie, joie produite par la connaissance et l'amour de la vérité contemplée dans tout son éclat, du Verbe de Dieu et de sa Sagesse par laquelle tout a été fait, et de son infinie miséricorde.
 
 

source: http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin/index.htm

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