SERMON LXXXI. LES SCANDALES PRÉSENTS (1).
ANALYSE. A l'époque du sac de Rome parles Goths, vers l'an
410, des clameurs s'élevaient de toutes parts contre le Christianisme;
on lui attribuait les désastres de l'empire, et c'était pour
plusieurs une occasion de scandale. Saint Augustin prémunit son
troupeau contre ce danger. Il montre d'abord que s'il y a des afflictions
il n'y a point de scandale proprement dit pour le disciple fidèle
du Sauveur, attendu que la loi de Dieu lui fournit toujours d'efficaces
moyens de résister à la tentation. Il met surtout en scène
Job et un chrétien de qui on voudrait obtenir un faux témoignage.
Abordant ensuite la question actuelle, comment, dit-il, se scandaliser
de ce qui arrive aujourd'hui? Jésus-Christ n'a-t-il pas prédit
ces calamités, et les temps antérieurs au Christianisme ne
nous en présentent-ils pas d'aussi formidables, ne fût-ce
que la ruine de Troie, mère de Rome?
1. Nous venons d'entendre de divines leçons elles nous avertissent de nous fortifier par la vertu, de nous armer d'un courage chrétien contre les scandales qui doivent arriver; et de recourir pour cela à la miséricorde de Dieu. « Que serait l'homme en effet; si vous ne vous souveniez de lui (2)? »
« Malheur au monde à cause des scandales! » dit le
Seigneur, dit la Vérité même. Il nous effraie, il nous
avertit, il veut que nous soyons sur nos gardes, attendu qu'à ses
yeux nous ne sommes point dans un état désespéré.
Pour nous préserver de ce malheur, malheur terrible, redoutable,
épouvantable, il nous offre des consolations, des encouragements
et des leçons dans ces paroles de l'Ecriture : « Paix abondante
à ceux qui aiment votre loi; pour eux il n'y a point de scandale
(3). » Si donc il nous fait voir l'ennemi à éviter,
il nous montre aussi un rempart inexpugnable. A ces mots: « Malheur
au monde à cause des scandales ! » tu te demandais où
fuir en dehors du monde pour y échapper. Mais où fuir hors
du monde, pour se préserver des scandales, sinon vers Celui qui
a fait le monde? Et comment fuir vers Celui qui a fait le monde, sinon
en écoutant sa loi publiée partout? Que dis-je? en l'écoutant?
Il nous faut l'aimer. Car en nous rassurant contre les scandales, la Sainte
Ecriture ne dit pas: Paix abondante à ceux qui écoutent sa
loi ; puisqu'il ne suffit pas de l'entendre pour être justifié
devant
1. Matt. XVIII, 7-9. 2. Ps. VIII, 5. Ibid. CXVIII, 166.
Dieu. Ce sont les observateurs de la loi qui seront justifiés (1); et la foi agit par la charité (2). C'est pourquoi il est écrit : « Paix abondante à ceux qui aiment votre loi; pour eux il n'y a point de scandale. »
A cette pensée se rapporte ce que nous avons entendu et répondu en choeur : « Les doux hériteront de la terre et ils se réjouiront dans l'abondance de la paix (3); » car il y a « paix abondante en ceux qui aiment votre loi. » Les doux en effet sont ceux qui s'attachent à la loi de Dieu. « Heureux l'homme que vous instruisez, Seigneur; vous lui enseignez votre loi pour le rendre doux en présence des jours mauvais, quand la fosse se creusera pour le pécheur (4). » Que les expressions du texte sacré sont différentes ! Toutes cependant formulent la même pensée, et quoiqu,on puise à cette source intarissable, il faut y avoir confiance, s'attacher à la vérité avec amour, avec une paix profonde, avec un charité embrasée et être prêt à résister au scandale.
2. Il s'agit de considérer, d'examiner ou d'apprendre comment
nous devons être doux, et ce que je viens de rappeler du texte sacré,
nous indique la solution de cette question. Que votre charité prête
un peu attention. Il nous importe singulièrement d'être doux;
la douceur est nécessaire dans l'adversité. Les adversités
1. Rom. II. 13. 2. Galat. V, 6. 3. Ps. XXXVI, 11. 4. Ps.
XCIII.12, 13.
357
temporelles, en effet, ne sont point des scandales. Qu'est-ce que le scandale ? Attention !
Un homme, par exemple, éprouve quelque affliction, il est opprimé. Être opprimé n'est pas être scandalisé; ainsi les martyrs ont été opprimés, mais non pas oppressés. Qu'on se préserve donc du scandale ; il est moins nécessaire d'échapper à l'affliction ; l'affliction opprime et le scandale oppresse. Quelle différence y a-t-il donc entre l'affliction et le scandale ? Sous le poids de l'affliction, on se disposait à pratiquer la patience, à conserver la constance, et à être ferme dans la foi, à repousser le péché. Si l'on a été ou si l'on est fidèle à cette résolution, l'affliction ne nuira point; elle fera ce que fait le pressoir, il ne cherche point à déchirer l'olive, mais à en exprimer l'huile. Et si l'on va alors jusqu'à louer Dieu, combien l'adversité est avantageuse, puisqu'elle sert à former ces divines louanges!
Les Apôtres étaient arrêtés et enchaînés, et sous le poids de cette épreuve ils chantaient ;des hymnes au Seigneur. Voilà bien le pressoir et ce qui s'en exprime. Job aussi fut soumis à une cruelle épreuve, jeté sur un fumier, dépouillé de sa fortune, sans ressources, sans aucun bien, sans enfants, et aiche seulement des vers qui le dévoraient. Tel était en lui l'homme extérieur, mais intérieurement il était rempli de Dieu ; aussi louait-il le Seigneur, et cette affliction cruelle n'était pas pour lui un scandale. Où commença le scandale ? Quand son épouse s'approcha de lui en disant : « Blasphème contre Dieu et meurs. » Le démon lui avait tout enlevé ; mais, dans son épreuve, Eve lui fut laissée, laissée pour le tenter et non pour : le consoler. Voilà le scandale. Elle lui représente son malheur et sa propre infortune attachée à celle de son époux, essayant ainsi de le porter au blasphème. Mais Job était doux, car Dieu l'avait instruit de sa loi, il l'avait rendu doux pour les jours mauvais; Job aimait la loi divine, une paix abondante remplissait son coeur ; aussi n'y eut-il point pour lui de scandale. Il y en eut, du scandale, mais pas pour lui. Sa femme fut un scandale, mais pas pour son époux. Considère donc combien il était doux, combien il était instruit de la loi de Dieu. Je dis de la loi éternelle; car à l'époque du patriarche, la loi n'avait pas été encore donnée aux Juifs sur des tables de pierre et il n'y avait dans les coeurs pieux que l'éternelle loi dont la loi publiée devant Israël était un extrait. La loi de Dieu avait ainsi adouci Job pour les jours mauvais; il aimait cette loi et jouissait d'une paix abondante. Aussi vois ce qu'il répond dans sa douceur, et apprends ici, selon mon dessein, quels sont les hommes doux : « Tu as parlé, dit-il à sa femme, comme une insensée. Si nous avons reçu des biens de la main du Seigneur, pourquoi n'en souffririons-nous pas des maux (1)? »
3. Cet exemple nous a appris quelles sont les âmes douces; donnons maintenant, s'il nous est possible, une définition de la douceur. Les hommes doux sont ceux à qui rien ne plait que Dieu dans tout ce qu'ils font, dans toutes leurs bonnes couvres, et à qui Dieu ne déplaît jamais, quelques 'maux qu'il endurent. Allons, mes frères, appliquez-vous à bien comprendre cette définition, cette règle : cherchons à nous y conformer et acquérons ce qui nous manque pour nous y adapter. Eh! que nous sert de planter et d'arroser si Dieu ne donne l'accroissement ? « Ni celui qui plante n'est quelque chose, ni celui qui arrose, mais Dieu de qui vient la croissance (2). » Ecoute bien cela, toi qui veux être doux, toi qui prétends tadoucir contre les jours mauvais et qui aimes la loi Dieu pour n'être pas victime du scandale, pour goûter unie paix abondante, pour posséder la terre et jouir des délices de la paix; écoute donc, toi qui veux être doux. Quelque bien que tu fasses, garde-toi de te plaire; car « Dieu résiste aux superbes et donne sa grâce aux humbles (2). » Ainsi, quelque soit le bien que tu fais, que Dieu seul te plaise ; et que jamais il ne te déplaise, quelques maux que tu endures. Qu'ajouter encore? Rien ; fais cela et tu vivras. Tu ne périras point pendant les jours mauvais et tu échapperas à nette menace : « Malheur au monde à cause des scandales ! (3)» Et à quel monde, sinon au monde dont il est écrit: « Et le monde ne l'a point connu (4) ? » Ce n'est sûrement pas à celui dont il est dit : « Dieu était dans le Christ pour se réconcilier se monde (5). »
Il y a donc un monde méchant et un monde honnête. Le monde
méchant, ce sont tous les méchants que renferme le monde,
et le monde honnête en comprend tous les bons. N'avons-nous pas remarqué
souvent quelque chose de semblable sur la terre ? Ce champ est tout couvert;
de quoi? de froment. Nous disons pourtant aussi, et sans mentir, qu'il
est tout couvert de
1. Job. II , 9, 10. 2. Cor. III, 7. 3. Jacq. IV, 6. 4. Jean, I,
10. 5. II Cor. V, 19.
358
paille. Voici un arbre chargé de fruits, dit l'un; chargé de feuilles, dit l'autre; et tous deux disent vrai ; car ni l'abondance des feuilles n'ôte la place aux fruits, ni la multitude des fruits n'est incompatible avec la multitude des feuilles. L'arbre est à la fois chargé de feuilles et de fruits ; mais le vent emporte les unes et le jardinier recueille les autres. Ne t'effraie donc point lorsqu'on te dit: « Malheur au monde à cause des scandales (1) » Aime la loi de Dieu et pour toi il n'y aura point de scandale.
4. Cependant voici ta femme qui accourt pour t'entraîner dans je ne sais quelle faute. Tu l'aimes comme tu dois aimer ta femme, c'est un membre de ton corps. Mais « si ton oeil te scandalise, si ta main, si ton pied te scandalisent, te disait tout à l'heure l'Evangile, coupe et les jette loin de toi. » Si cher qu'on te soit, si grand qu'on te paraisse, on ne doit être grand, ni être à tes yeux un membre chéri, qu'autant qu'on n'est pas une cause de scandale, qu'on ne te conseille point le mal. Sachez que c'est bien en ceci que consiste le scandale.
Nous avons cité Job et sa femme, mais dans cet exemple ne se trouve point le mot même de scandale. Prête l'oreille à l'Evangile. Comme le Seigneur annonçait sa passion, Pierre se mit à l'en détourner. « Arrière, Satan, répondit le Sauveur, tu es pour moi un scandale. » Celui donc qui a voulu nous servir de modèle nous apprend ainsi et la nature du scandale et la manière de l'éviter. En disant : « Tu es bienheureux, Simon fils de Jonas (2) » il venait de représenter Pierre comme l'un de ses membres. Mais il retranche ce membre, dès qu'il veut être pour lui un scandale. Ensuite pourtant il le guérit et le remet à sa place.
Tu regarderas donc comme étant un scandale pour toi quiconque
entreprendra de te porter au mal. Et je prie votre charité de remarquer
que ces conseils funestes viennent plus souvent d'une bienveillance aveugle
que de la malveillance. Un de tes amis, un ami qui t'aime aussi sincèrement
que tu l'aimes à ton tour, ton père, ton frère, ton
fils, ton épouse, te voient dans le mal et ils veulent te rendre
méchant. Qu'est-ce à dire, ils te voient dans le mal? Ils
te voient dans quelque affliction, dans une affliction que tu souffres
peut-être pour la cause de la justice : ainsi tues persécuté
parce que tu refuses de faire un faux témoignage. C'est un exemple
que je suppose. Et le
1. Matt. XVI, 28, 17.
Monde est plein de faits qui vérifient cette sentence : «Malheur au monde à cause des scandales!» Ainsi donc un homme puissant, pour cacher ses déprédations et ses rapines demande que tu lui rendes le service de faire un faux témoignage. Tu refuses; tu refuses le faux pour ne pas manquer au vrai. Abrégeons ; cet homme puissant s'irrite et t'opprime. Vient ton ami ; il ne peut te voir dans l'affliction, il ne peut te voir dans le mal. Je t'en prie, dit-il, fais ce qu'on te demande; est-ce difficile? Peut-être même va-t-il imiter Satan, disant au Seigneur : « Il est écrit: Il vous a confié à ses Anges, pour que vous ne heurtiez point votre pied contre quelque pierre (1). » Oui, il est possible que cet ami, te voyant chrétien, recoure à la loi pour essayer de te porter à ce qu'il prétend que tu dois faire, Fais ce qu'il dit, s'écrie-t-il. Mais quoi ? Ce que veut cet homme puissant. Mais il veut de moi un mensonge, une fausseté. Eh ! n'as-tu point lu que tout homme est menteur (2) ? » Cet ami est donc un scandale. Toi, que feras-tu? C'est ton oeil, c'est ton bras droit. « Arrache-le et le jette loin de toi. » Qu'est-ce à dire ? Ne consens pas. Ne consens pas, c'est ce que signifie : « Arrache-le et le jette loin de toi. » C'est parleur accord en effet que nos membres font l'unité dans notre corps, ils vivent par leur accord et par leur accord ils communiquent les uns aux autres. Y a-t-il malaise ? Cest qu'il y a maladie ou blessure.
Ainsi donc cet ami est comme un membre de ton corps ; aime-le. Mais s'il te scandalise, « Coupe-le et le jette loin de toi. » Ne consens pas à ce qu'il dit, éloigne-le, ferme-lui ton oreille peut-être que cette réprimande te le ramènera; avec des sentiments meilleurs.
5. Néanmoins comment feras-tu pour couper, rejeter et corriger
peut-être, ainsi que je viens de le dire ? Comment t'y prendras-tu?
réponds : C'est par la loi qu'il a voulu te persuader le mensonge.
Dis ce qu'on te demande, s'écriait-il, Peut-être n'osait-il
proférer le mot de mensonges; aussi répétait-il :
Dis ce qu'on te demande. Mais c'est un mensonge, répliquais-tu.
Et lui, pour te disculper d'avance : « Tout homme est menteur. »
Donc, mon frère, réponds de ton côté: «
La bouche qui ment, tue l'âme (3). » Remarque bien, cet arrêt
n'est pas de mince importance: « La bouche qui ment tue l'âme
(3).» Que peut contre moi cet ennemi puissant qui m'accable? Pourquoi
prendre pitié de moi et de la situation qui m'est
1. Matt. IV, 6. 2. Ps. CXV, 11. 3. Sag. I, 11.
359
faite? Pourquoi ne vouloir pas que j e souffre quel que mal et chercher à me rendre mauvais ? Qu peut-il enfin contre moi ? Sur quoi frappe-t-il Sur ma chair. Oui, dis-tu, il accablera ton corps Je suppose qu'il lui donne la mort. Ne serait il pas encore meilleur envers moi que je ne le serais en proférant le mensonge ? Il donne la mort à mon corps ; mais je la donne à mon âme. Ce puissant dans sa colère m'ôte la vie du corps; mais « la bouche qui ment tue l'âme. » Il donne la mort à mon corps; mais ne la lui donnât on pas, ce corps doit mourir; tandis que si l'âme n'est point tuée par l'iniquité, elle vivra éternellement au sein de la vérité. Conserve ainsi ce que tu peux conserver, et laisse périr ce qui doit périr quelque jour.
Voilà une réponse, mais ce n'est point la solution de cette difficulté : « Tout homme est « menteur. » Réponds aussi à ce passage ; autrement il pourrait croire avoir trouvé en faveur du mensonge, un argument dans la loi même et tavoir porté par la loi à violer la loi. Or, dans, la loi il est écrit : « Tu ne feras point de faux témoignage (1); » il y est écrit également : « Tout homme est menteur. Rappelle-toi maintenant ce que j'ai dit tout-à-l'heure lorsque j'ai donné, comme je l'ai pu, la définition de l'homme doux. L'homme doux est celui à qui rien ne plaît que Dieu, dans tout le bien qu'il fait, et à qui Dieu ne déplaît pas, quelque mal qu'il endure. A cet homme qui te presse de mentir, parce qu'il est écrit que « tout homme est menteur, » réponds donc: Moi je ne mens pas, car il est écrit aussi: « La bouche qui ment tue l'âme; » moi je ne mens pas, car il est écrit : « Vous perdrez tous ceux qui profèrent le mensonge; (2) » je ne mens pas enfin, car il est écrit: « Tu ne feras point de faux témoignage.» Qu'il m'accable le corps, celui à qui il déplaît que je dise la vérité; j'entends mon Seigneur me dire : «Gardez-vous de craindre ceux qui tuent le corps (3). »
6. Comment alors tout homme est-il menteur? N'est-tu pas un homme?
Réponds sans hésiter et selon la vérité :
Puisse-je donc n'être pas homme pour n'être pas menteur!
Écoutez en effet : « Le Seigneur, du haut du ciel, a jeté
un regard sur les enfants des hommes, pour voir s'il en est un qui ait
de l'intelligence et qui cherche Dieu. Tous se sont égarés,
tous sont devenus inutiles ; il n'en est pas un qui fasse
1. Deut. V, 20. 2. Ps. V, 7. 3. Matt. X, 28.
le bien ; il n'en est pas même un seul (1). » Pourquoi? Parce qu'ils ont voulu être les enfants des hommes. Mais pour les délivrer de ses iniquités, pour les traiter, pour les racheter, pour les guérir, pour les changer, il a donné à ces enfants des hommes le pouvoir de devenir les enfants de Dieu (2). Pourquoi s'étonner alors ? Si vous étiez enfants des hommes, vous étiez hommes ; tous vous étiez hommes et par conséquent menteurs, puisque tout homme est menteur. Mais vous avez reçu la grâce de Dieu, elle vous a fait le pouvoir de devenir les enfants de Dieu. Écoute la voix de mon Père : « Je l'ai déclaré, dit-il, vous êtes tous des Dieux et les fils du Très-Haut (3). » Oui, les hommes étant enfants des hommes s'ils ne sont pas devenus enfants de Dieu, sont menteurs, puisque tout homme est menteur. S'ils sont au contraire les enfants du Très-Haut, s'ils sont délivrés parla grâce du Sauveur et rachetés par son sang précieux, s'ils ont reçu une nouvelle génération de l'eau et de l'Esprit-et qu'ils soient prédestinés à l'héritage du ciel, enfants de Dieu, ils sont sûrement des Dieux. Qu'ont-ils alors de commun avec le mensonge? Adam n'était qu'un homme, le Christ est un homme-Dieu, Dieu est le Créateur de tout. Adam était un homme, le Christ est un homme médiateur auprès de Dieu, le Fils unique du Père, un Dieu-homme. L'homme est bien éloigné de Dieu et Dieu est bien éloigné de l'homme. Un homme-Dieu s'est placé entre les deux. Chrétien, reconnais le Christ et par cet homme élève-toi vers Dieu.
7. Changez donc, et si nous avons pu quelque chose, devenez doux, et attachons-nous à notre inviolable profession de foi. Pour échapper à cette menace : « Malheur au monde à cause des scandales, » aimons la loi de Dieu.
Parlons maintenant des scandales qui remplissent le monde ; disons comment
les scandales se multiplient avec les afflictions. Le monde est dévasté;
c'est le pressoir qui se foule. Allons, chrétiens, allons, race
céleste, vous qui êtes étrangers sur la terre et qui
cherchez au ciel une patrie avec le désir d'être associés
aux saints Anges, comprenez que vous n'êtes venus ici que pour en
sortir. Vous traversez le monde en cherchant avec effort Celui qui a créé
le monde. Ne vous laissez pas troubler parles amis du monde, par ceux qui
veulent y demeurer, et bon gré mal gré sont forcés
de le quitter; ne vous laissez ni tromper ni séduire par eux. Ces
afflictions ne sont pas
1. Ps. XIII, 2, 3. 2. Jean, I, 12. 3. Ps. LXXXI, 6.
360
des scandales; soyez justes et pour vous elles ne seront qu'un exercice. Voici venir une tribulation ; elle sera pour toi ce que tu voudras, une épreuve ou ta condamnation. Elle sera ce que tu seras toi-même. La tribulation est un feu. Es-tu de l'or? Elle te purifie. De la paille? Elle te réduit en cendre. C'est ainsi que les afflictions qui se multiplient ne sont point des scandales.
Où sont les scandales? Dans ces discours, dans ces propos qui nous répètent: Voile ce que valent les temps chrétiens! Là est le scandale ; car on ne te parle ainsi que pour te porter à blasphémer contre le Christ, si tu aimes le monde. Celui qui t'adresse ce langage de ton ami, ton conseil; c'est donc comme ton oeil. Il est ton serviteur, ton auxiliaire dans tes entreprises ; c'est donc ta main. C'est peut-être ton protecteur, celui qui t'élève au-dessus des derniers de la terre; il est ainsi comme ton pied. « Arrache, coupe, jette loin de toi, » ne suis, pas ces conseils. Réponds à ces hommes ce que répondait cet autre à qui on conseillait un faux témoignage. Oui, réponds ainsi, et quand on te dit: C'est depuis le christianisme qu'il y a tant de maux et que le monde est dévasté, réponds: Le Christ me l'avait annoncé avant l'évènement.
8. Pourquoi te troubler ? Les calamités publiques agitent ton
cur comme était agitée la barque où dormait le Christ.
Voilà bien, ô homme sensé, voilà la cause du
trouble dé ton coeur. Cet esquif où sommeillait le Christ
est un coeur où la foi est endormie. Que t'apprend-on en effet,
chrétien, que t'apprend-on de nouveau ? Sous le règne du
Christianisme le monde est dévasté, le monde touche à
sa fin. Ton Maître ne l'avait-il pas dit que le monde serait dévasté
? Ne t'avait-il pas dit que le monde aurait une fin ! Tu le croyais quand
il le prédisait, et maintenant que se vérifient ses prédictions,
tâte troubles? Ainsi la tempête gronde dans ton coeur; prends
donc garde au naufrage, réveille le Christ. « Par la foi,
dit l'Apôtre, le Christ habite dans vos coeurs. (1) » Le Christ,
par la foi, habite dans ton coeur. Si donc tu as la foi, tu possèdes
le Christ, cette foi est-elle vigilante? le Christ veille aussi est-elle
endormie ? c'est le Christ qui sommeille. Réveille-toi donc, ranime-toi,
dis: « Nous périssons, Seigneur (2) ». Ah! que ne nous
disent pas les païens, et ce qui est plus brave, que ne nous disent
pas les mauvais chrétiens?Levez-vous, Seigneur, nous sommes perdus.
Que ta foi séveille,
1. Ephés. III,17. 2. Matt. VIII, 24-26.
et le Christ commence à t'adresser ainsi la parole. Pourquoi te troubler, dit-il? Ne t'ai-je pas prédit tout cela ? Or je te l'ai prédit pour te porter, à avoir bon espoir quand viendraient les épreuves et à n'y succomber pas. Tu t'étonnes de voir le monde toucher à sa fin ? Etonne-toi plutôt de le hoir parvenu à cet âge avancé. Le- monde, est un homme qui naît, qui grandit et qui vieillit. Que de chagrins dans la vieillesse ? La toux, le dérangement des humeurs, la faiblesse de la vue, l'inquiétude, la fatigue, tout est réuni. Dans sa vieillesse l'homme est donc rempli de misères, et le monde dans sa vieillesse est aussi rempli de calamités.
Mais pour toi Dieu a-t-il fait peu; lorsque dans la vieillesse du monde il a envoyé le Christ pour te rajeunir quand tout tombe de vétusté ? Ignores-tu que ce fait a été signalé d'avance dans la race d'Abraham, dans Celui de la race d'Abraham que l'Apôtre appelle le Christ ? « L'Écriture ne dit point: « A ceux de ta race, comme s'ils étaient plusieurs; mais, parce qu'il n'est question que d'un seul, à Celui de ta race, c'est-à-dire au Christ (1). » De même donc qu'Abraham a eu un fils dans sa vieillesse, ainsi le Christ devait venir à l'époque de la décrépitude du monde. Il est venu effectivement au moment où tout vieillissait, et il t'a rajeuni. La création, l'univers, ce qui doit périr courait à sa ruine, et les calamités ne pouvaient que se multiplier. Le Christ est donc venu te consoler au milieu de ces douleurs et te promettre un éternel repos. Ah! garde-toi de vouloir t'attacher à ce vieux monde et ne refuse pas de te renouveler dans le Christ. Le Christ te dit : Le monde s'en va, le monde est vieux, le monde succombe, le monde est déjà haletant de vétusté, mais ne crains rien, ta jeunesse se renouvellera comme celle de l'aigle (2).
9. C'est, dit-on, sous le Christianisme que Rome est détruite.
Peut-être ne l'est-elle point: peut-être est-elle frappée
et non ruinée, châtiée et non renversée: Est-elle
détruite d'ailleurs si les Romains ne le sont pas? Or ceux-ci ne
périront point s'ils louent Dieu, tandis qu'ils périront
s'ils le blasphèment. Qu'est-ce en effet que Rome, sinon les Romains?
Car il ne s'agit pas ici d'amas de pierres ni de monceaux de bois, de palais
qui ressemblent à des îles entières ni de remparts
immenses. Tout cela était construit pour tomber en ruines 'quelque
jour. La main de l'homme en bâtissant mettait pierre sur pierre,
1. Gal. III, 16. 2. Ps. CII, 5.
361
et la main de l'homme en démolissant ôtait pierre de dessus pierre. Ce qu'un homme a fait, un autre l'a détruit.
Est-ce d'ailleurs un outrage pour Rome de dire qu'elle tombe ? Ce n'en est pas un pour Rome, c'en serait un, tout au plus, pour son fondateur. Or faisons-nous injure à son fondateur même quand nous disons: Rome tombe, Rome l'oeuvre de Romulus ? Mais le monde créé par Dieu doit être réduit en cendres. Mais les oeuvres de l'homme ne succombent que quand il plait à Dieu, et l'oeuvre de Dieu ne se détruit également que quand il lui plait. Or si les oeuvres humaines ne tombent point sans la volonté divine, comment la volonté humaine pourrait-elle suffire à anéantir les oeuvres de Dieu ? N'est-il pas vrai encore que Dieu n'a fait pour toi qu'un monde périssable et que tu es toi-même destiné à la mort? Oui, l'homme qui fait l'ornement de là cité, qui habite la cité, qui la régit et qui .la gouverne, n'est venu que pour s'en aller, il est né pour mourir, il est entré pour sortir. Le ciel et la terre passeront ; est-il alors étonnant qu'une ville cesse d'exister ? Si d'ailleurs elle ne cesse pas aujourd'hui, elle cessera sûrement un jour.
Mais pourquoi cette ruine de Rome pendant que les chrétiens offrent
leurs sacrifices ? Pourquoi aussi l'embrasement de Troie, sa mère,
pendant que les païens offraient les leurs ? Les dieux qui ont la
confiance des Romains, les dieux qui sont réellement lés
dieux Romains et en qui les païens de Rome ont placé leurs
espérances, ces dieux ont quitté les cendres de Troie pour
venir fonder Rome. Ces dieux de Rome étaient primitivement les dieux
de Troie. Troie fut brûlée ;
1. Matt. XXIV, 36.
Enée en emporta ses dieux fugitifs, ou plutôt il emporta dans sa fuite ses dieux insensibles. Il pouvait les porter, mais eux n'auraient pu fuir. Et abordant avec eux en Italie, il établit Rome avec ces faux dieux.
Il serait trop long d'entrer dans tous ces détails; je rapporterai seulement en peu de mots ce que disent des auteurs Romains. L'un d'eux connu de tout le monde, s'exprime ainsi : « La ville de Rome fut fondée et occupée d'abord, comme je l'ai appris, par des Troyens qui fuyaient sous la conduite d'Enée, et s'en allaient de pays en pays sans pouvoir se fixer (1). » Ces Troyens donc avaient avec eux leurs dieux; ils bâtirent Rome dans le Latium et y proposèrent à la vénération les mêmes dieux qu'adorait Troie. Un poète romain introduit encore sur la scène Junon irritée contre Enée et ses Troyens fugitifs. « Une nation que j'abhorre, dit-elle, fait voile sur la mer de Toscane, portant en Italie Ilion et ses pénates vaincus (2); » c'est-à-dire ses dieux vaincus. Or quand ces dieux vaincus entraient en Italie, était-ce un triomphe ou un présage?
Aimez donc la loi de Dieu et que pour vous il n'y ait pas de scandale.
Nous vous en prions, nous vous en conjurons, nous vous y exhortons, soyez
compatissants pour ceux qui souffrent, accueillez les malheureux; et maintenant
; qu'on voit tant d'étrangers, tant de pauvres, tant de malades,
donnez largement l'hospitalité, multipliez vos bonnes oeuvres. Que
les chrétiens fassent ce que commande le Christ et les -païens
en blasphémant ne nuiront qu'à eux-mêmes.
1. Sallust. Guerre de Catil. chap. 4. 2. Virg. En. liv. 1. vers 67, 68.
SERMON LXXXII. CORRECTION FRATERNELLE (1).
ANALYSE. Trois idées principales dans ce discours. Premièrement
saint Augustin établit que nous sommes obligés de reprendre
le prochain des fautes que, nous voyons, et de l'en reprendre pour l'amour
de lui, et non par haine ni pour l'amour de nous. Il établit en
second lieu que cette réprimande doit être secrète
quand la faute est secrète, et publique si la faute est publique.
Troisièmement, pratiquant lui-même le devoir de la correction
fraternelle, il montre la gravité du péché de la chair,
insiste sur la nécessité de se corriger au plus tôt
et termine en disant qu'un pasteur n'est heureux que des progrès
que font ses ouailles dans la vertu.
l. Notre-Seigneur nous interdit l'insouciance sur nos fautes réciproques;
il veut que sans chercher matière à censure nous reprenions
ce dont nous sommes témoins. On est, selon lui, propre à
écarter l'herbe de l'il de son frère, quand on n'a pas une
poutre dans le sien. Qu'est-ce à dire ? Je vais l'expliquer en,
peu de mots à votre
1. Matt. XVIII, 15-18.
362
charité. Le brin d'herbe dans l'il, c'est la colère, et la poutre, la haine. Quand donc un coeur livré à la haine réprimande un homme irrité, il cherche à ôter l'herbe de l'oeil de son frère, mais il en est empêché par la poutre qu'il porte dans le sien (1). Le brin d'herbe est l'origine de la poutre, car la poutre en naissant n'est que de l'herbe. En arrosant cette herbe on en fait une poutre, et en nourrissant la colère de mauvais soupçons; on en fait de la haine.
2. Il y a une grande différence entre le péché de colère et le crime de haine. Nous nous irritons contre, nos propres enfants; mais qui de nous les hait ? Parmi les animaux mêmes on voit parfois une génisse fatiguée de son veau qui le tourmente le repousse avec colère : en a-t-elle moins pour lui l'affection d'une mère ? Il l'ennuie quand il l'a secoue en tettant, et s'il n'est point là elle le cherché. Corrigeons-nous nos enfants sans un peu de colère et d'indignation ? Et pourtant sans amour pour eux nous ne les corrigerions pas. La colère est si peu la haine, que le défaut de colère est plutôt en certains cas une preuve de haine. Suppose un enfant qui veut jouer dans un fleuve dont la rapidité l'expose à périr. Tu le vois et le laisses faire patiemment n'est-ce pas une preuve de haine ? Ta patience lui donne la mort. Ne vaudrait-il pas beaucoup mieux te fâcher et le corriger, que de le laisser périr en ne te fâchant pas ?
Il faut donc avant tout éviter la haine, rejeter la poutre de son oeil. Car il y a une grande différence entre celui qui outrepasse tant soit peu la mesure du langage dans l'émotion de la colère et qui en fait ensuite pénitence, et celui qui cache de noirs desseins dans son coeur. Il y a enfin une grande différence entre ces mots de l'Écriture : « Mes yeux sont obscurcis par la colère (2); » et ces autres paroles: « Qui hait son frère est homicide (3). » Grande différence aussi entre l'oeil obscurci et l'il éteint; il est obscurci par le fétu, éteint par la poutre.
3. Ce dont il faut par conséquent nous persuader d'abord, c'est
l'indispensable nécessité de n'avoir pas de haine, afin de
pouvoir accomplir parfaitement l'obligation qui nous est enjointe aujourd'hui.
Si la poutre ne te ferme pas l'oeil, tu peux voir clairement ce qu'il y
a dans l'il de ton frère, et tu éprouves le vif besoin d'en
ôter ce qui lui est nuisible. La lumière qui t'éclaire
ne te permet pas linsouciance sur ce qui peut
1. Matt. VIII, 3-6. 2. Ps. VI, 8. 3. I Jean, III, 15.
éclairer ton frère. Mais si tu le hais et que tu veuilles le reprendre, comment peux-tu, sans plus voir clair, lui émonder la vue ? C'est ce qu'enseigne manifestement l'Écriture dans le passage où elle dit: « Qui hait son frère est homicide. « Qui hait son frère, ajoute-t-elle, est encore dans les ténèbres (1). » Les ténèbres sont donc la haine.
Mais il est impossible de haïr autrui sans se nuire auparavant. On blesse à l'extérieur et on perd tout à l'intérieur. Plus néanmoins l'âme l'emporte sur le corps, plus aussi nous devons prendre garde de la blesser. Or on la blesse en haïssant autrui. Que peut-on en effet contre celui qu'on hait, que peut-on ? On lui ôte son argent, ruais peut-on lui ôter sa foi ? On ternit sa réputation, ternit-on sa conscience ? On ne saurait lui faire de dommage qu'à l'extérieur, mais observez où on s'en fait à soi-même. Celui qui hait son prochain, se hait lui-même dans l'âme. Mais comme il ne sent pas quel mal il se fait, il continue à frapper sur autrui, d'autant plus exposé au danger, qu'ils sent moins combien il se blesse, puisqu'en frappant au dehors il a perdu le sens intime. Tu te mets en fureur contre ton ennemi et dans ta fureur tu le dépouilles, mais tu te livres à l'iniquité. Quelle différence entre un homme dépouillé et un homme criminel ! Il a perdu sa fortune, mais toi, ton innocente. Lequel des deux a perdu davantage ? Il n'a perdu que ce qu'il devait perdre tu t'es condamné à périr toi-même.
4. Ainsi donc nous devons reprendre par amour; non pas chercher à nuire mais chercher it corriger. Avec cette heureuse disposition nous accomplirons merveilleusement le précepte qui nous est rappelé aujourd'hui. « Si ton frère a péché contre « toi, reprends-le entre toi et lui seul. » Pourquoi le reprendre ? Est-ce parce que tu es peiné d'avoir été offensé par lui ? Dieu t'en garde; car si tu agis pour l'amour de toi, tu ne fais rien; au lieu que si c'est par amour pour lui, ton acte est excellent. Distinguo dans ces paroles mêmes par quel principe tu dois agir, si c'est pour l'amour de toi ou pour l'amour de lui. « S'il t'écoute, dit le Sauveur, tu auras gagné ton frère. » Agis donc dans l'intention de le gagner. Mais si tu le gagnes en remplissant ce devoir, n'est-ce pas une preuve que sans lui il était perdu?
Comment, maintenant, un si grand nombre d'hommes font-ils si peu d'attention
à ces sortes
1 I Jean, II, 9.
363
de péchés? Quel si grand mal ai-je fait, disent-ils? Je n'ai manqué qu'à un homme. N'en sois
pas sans souci. Tu n'as manqué qu'à un homme ! Veux-tu savoir qu'en lui manquant tu t'es perdu toi-même? Si celui à qui tu as manqué t'avait repris entre toi et lui seul, et que tu l'eusses écouté, il t'aurait gagné. Et pourquoi t'aurait-il gagné, sinon parce que sans lui tu étais perdu ? Car si tu n'étais perdu, comment aurait-il pu te gagner ? Que nul donc ne reste indifférent après avoir manqué à son frère. L'Apôtre ne dit-il pas quelque part : « En péchant de la sorte contre vos frères et en blessant leur conscience faible, vous péchez contre le Christ (1) ? » C'est qu'effectivement nous sommes devenus les membres du Christ. Or, comment ne pécher pas contre le Christ, quand on pèche contre ses membres?
5. Loin donc de tous ce langage : Puisque je n'ai pas péché contre Dieu, mais seulement contre mon frère, contre un homme, ce péché est léger, si même c'est un péché. Dis-tu qu'il est léger parce qu'il est bientôt effacé ? Eh bien ! quand tu as manqué à ton frère, fais une réparation suffisante, et tues guéri. Tu as fait en un moment un acte mortellement coupable, mais aussi tu n'as pas été long à y trouver le remède. Eh! mes frères, qui de nous espèrera le royaume des cieux en face de ces mots de l'Évangile : « Celui qui traitera son frère de fou sera condamné à la géhenne du feu ? » Quel sujet d'épouvante! mais voici qui. nous rassure : « Si tu présentes ton offrande à l'autel et que là tu te souviennes que ton frère a quelque chose contre toi, laisse-là ton offrande devant l'autel. » Dieu ne se mécontentera point de ton retard à présenter ton offrande, c'est toi qu'il cherche plutôt que tes dons. Si tu viens à lui l'offrande à la main, mais le coeur ulcéré contre ton frère, il te répondra : Tu es mort, que peux tu m'offrir ? Tu apportes ton offrande à ton Dieu, sans t'offrir toi-même à lui? Le Christ est plus avide de ce qu'il a racheté par son sang, que de ce que tu tires de ton grenier. Ainsi donc « laisse-là ton présent devant l'autel et va d'abord te réconcilier avec ton frère ; revenant alors tu offriras ton don (2). » Que cette condamnation, à la géhenne a été promptement levée ! Tu étais sous le poids de cette condamnation, avant de t'être réconcilié; une fois réconcilié, tu peux, offrir tranquillement tes dons à l'autel.
6. Mais hélas ! on se laisse aller, facilement
à l'outrage et on se porte difficilement à rétablir
1. II Cor. VIII, 12. 2. Matt. V, 22-24.
la paix. Demande pardon à cet homme que tu as offensé, à cet homme que tu as blessé, dit-on. Je ne m'humilierai pas, répond le coupable. Si tu dédaignes ton frère, écoute au moins ton Dieu : « Qui s'abaisse sera élevé (1). » Tu ne veux pas t'humilier et tu t'es laissé tomber ? Quelle différence toutefois entre un homme qui s'incline et un homme qui est tombé! Tu es tombé et tu ne veux pas t'abaisser ! Tu pourrais dire : Je refuse de descendre, si tu avais refusé de te laisser tomber.
7. Tel est le devoir de celui qui a fait injure à autrui. Mais que doit faire celui qui l'a soufferte? Ce qui nous a été rappelé aujourd'hui : « Si ton frère a péché contre toi, reprends-le entre toi et lui seul. » Il deviendra plus méchant, si tu négliges de le reprendre. Il t'a manqué, et en te manquant il s'est fait une profonde blessure : tu n'as aucun souci de la blessure de ton frère ? Tu le vois périr, peut-être.est-il déjà mort, et tu ne t'en inquiètes pas ? Tu fais plus de mal par ton silence qu'il n'en a fait en t'outrageant.
Quand donc quelqu'un nous blesse, soyons attentifs et vigilants, mais non pas dans notre intérêt, car il est glorieux d'oublier les outrages. Oublie donc l'injure qui t'est faite, mais non pas la blessure dont souffre ton frère. « Reprends-le entre toi et lui seul; » cherchant à le ramener et lui épargnant la honte. Peut-être en effet la honte le porterait-il à prendre la défense de sa faute, et l'aggraverait-il au lieu de s'en corriger. « Reprends-le donc entre toi et lui seul. S'il t'écoute, tu auras gagné ton frère, » puisque sans toi il était perdu. Mais s'il ne t'écoute
pas, » s'il soutient son péché comme un acte de justice, « prends avec toi deux ou trois personnes, parce que sur la parole de deux ou trois témoins tout est, avéré. Si même il ne les écoute point, réfères-en à l'Église. Si enfin il n'écoute pas l'Église qu'il te soit comme un
païen et un publicain. » Ne le mets plus au nombre de tes frères. On ne doit pas toutefois négliger son salut. Sans doute, nous ne comptons point parmi nos frères les gentils et les païens ; nous cherchons cependant à procurer leur salut.
Voilà donc les avertissements que vient de nous donner le Sauveur,
et il tient à l'observation de ces préceptes jusqu'à
dire aussitôt après : « En vérité je vous
le déclare, tout ce que vous lierez sur la terre sera lié
aussi dans le ciel; et tout
1. Luc, XIV, II.
364
ce que vous délierez sur la terre sera dans le ciel également délié. » En commençant à regarder ton frère comme un publicain, tu le lies sur la terre: mais prends garde de ne pas le lier injustement, car les liens injustes sont rompus par la justice. Au contraire, lorsque tu le reprends et que tu fais la paix avec lui, c'est ton frère que tu délies sur la terre; et lorsque tu l'auras délié sur la terre, il sera également délié dans le ciel. Quel service tu rends alors, non pas à toi mais à lui, car c'est à lui qu'il a fait du mal et non à toi.
8. Puisqu'il en est ainsi, que veut dire Salomon par ces paroles d'une première leçon que nous avons entendue aujourd'hui ? L'oeil flatteur est une source de chagrins; mais reprendre en public, c'est établir la paix (1). » Mais s'il est vrai que reprendre publiquement ce soit établir la paix, comment est-il dit: « Reprends-le entre loi et lui seul ? » N'est-il pas à craindre que ces divins préceptes ne soient opposés l'un à l'autre ?
Comprenons au contraire qu'ils sont entr'eux du plus parfait accord; n'imitons pas ces hommes vains qui s'imaginent faussement qu'il y a opposition entre les livres des deux Testaments, l'Ancien et le Nouveau; et ne nous figurons pas que ces deux pensées soient contraires parce que l'une est tirée d'un livre de Salomon, et l'autre de l'Évangile.
Supposons en effet qu'un accusateur ignorant des divines Écritures
vienne à dire : Voici une contradiction manifeste entre les deux
Testaments. « Reprends-le entre toi et lui seul, » dit le Seigneur.
Salomon au contraire : « Reprendre en public, c'est établir
la paix. » Ne s'ensuit-il Vas que le Seigneur ignorait la pensée
de Salomon? Celui-ci veut briser le front superbe du pécheur; le
Christ veut au contraire qu'on lui épargne la honte. L'un dit :
« Reprendre en public, c'est établir la paix; et l'autre:
Reprends-le entre toi et lui seulement; » non pas en public, mais
en particulier et en secret. Eh bien ! toi qui fais ces réflexions,
veux-tu savoir que ces deux sentences, l'une de Salomon et l'autre de l'Évangile,
ne prouvent point l'opposition des deux Testaments? Écoute l'Apôtre,
il est sûrement un ministre du Testament nouveau. Écoute-le
donc, il écrit et il donne ce précepte à Timothée
: « Reprends ceux qui pèchent, devant tout le monde, afin
que les autres en conçoivent
1. Prov. X, 10, Sel. LXX.
souvent de la crainte (1). » Ce n'est plus ici un livre de Salomon, c'est une épître de l'Apôtre Paul qui semble en contradiction avec l'Évangile. Pour le moment, et sans mépris, mettons de côté Salomon; puis prêtons l'oreille au Christ Notre-Seigneur et à son serviteur Paul.
Que dites-vous donc, Seigneur? « Si ton frère pèche contre toi, reprends-le entre toi et lui seulement. » Et vous Apôtre? « Reprends ceux qui pèchent, devant tout le monde, afin que tous les autres en conçoivent de la crainte. »» Que conclure ? Entendre ce débat pour le juger? Dieu nous en préserve. Soyons plutôt soumis an juge et frappons pour obtenir qu'il nous ouvre, réfugions-nous sous les ailes du Seigneur notre Dieu. Il n'a rien dit qui fût contraire à ce qu'a dit depuis son Apôtre, car c'est lui qui parlait par la bouche de celui-ci. « Voulez-vous, dit Paul, éprouver celui qui parle en moi, le Christ (2)? » Le Christ parle dans l'Évangile et il parle dans son Apôtre : de lui viennent donc les deux propositions; il a exprimé l'une par sa bouche, et l'autre par la bouche de son héraut. Lorsque parmi nous le héraut parle du haut du tribunal, on n'écrit point dans les Actes : Le héraut a dit; on attribue les paroles à celui qui a commandé au héraut de les prononcer.
9. Essayons donc, mes frères, de bien comprendre ces deux préceptes et de nous entendre avec chacun d'eux. Soyons en paix avec notre conscience et nous ne découvrirons nulle part de contrariété dans les Saintes Écritures. Oui ces deux commandements sont également et absolument bons, mais il faut savoir la nécessité d'observer tantôt l'un et tantôt l'autre. Parfois donc il faut reprendre son frère entre soi et lui seulement; parfois aussi il le faut reprendre devant tout le monde, afin que les autres en conçoivent de la crainte. En agissant ainsi nous ne nous écarterons point du sens des Écritures et nous ne nous tromperons pas en les prenant pour guides. On me demande : A quels moments divers accomplir chacun de ces préceptes ? Je crains de faire la correction secrète quand elle doit être publique, et publique quand il faut qu'elle soit secrète.
10. Votre charité comprendra vite le devoir de chaque moment;
et puissions-nous ne pas différer de l'accomplir ! Appliquez-vous
et saisissez. « Si ton frère pèche contre toi, dit
le Sauveur, reprends-le entre toi et lui seulement. » Pourquoi le
reprendre? Parce qu'il a péché contre toi.
1 I Tim, V, 20. 2. II Cor. XIII, 3.
365
Qu'est-ce à dire il a péché contre toi? C'est-à-dire que tu sais qu'il a péché. C'est en secret qu'il
a péché contre toi, tu dois l'en reprendre en secret. Puisque seul tu connais son péché contre toi, il est sûr que le reprendre devant tout le monde, ce ne serait pas le corriger, mais le diffamer.
Considère avec quelle bonté l'homme juste pardonna le crime énorme dont il soupçonna son épouse avant de savoir comment elle avait conçu. Joseph la voyait enceinte, il savait de plus ne l'avoir pas approchée: Pouvait-il n'être pas sûr d'un adultère? Mais il était seul à s'apercevoir, à connaître. Aussi, que dit de lui l'Évangile ? « Comme Joseph était un homme juste et ne « voulait pas la diffamer. » Sa douleur d'époux ne chercha point à se venger. Au lieu de punir la coupable, il voulut la servir. Donc, « comme il ne voulait point la diffamer, il eut la pensée de la laisser secrètement. » Mais comme il s'occupait de ce dessein, un, Ange du Seigneur lui apparut en songe; il lui révéla la vérité et lui apprit que Marie n'avait point violé là foi conjugale, mais qu'elle avait conçu, du Saint-Esprit, le Seigneur même des deux époux (1).
Ton frère donc a péché contre toi; il n'a vraiment péché que contre toi, si seul tu connais sa faute. Mais s'il t'a manqué devant plusieurs, il a aussi péché contre eux, puisqu'il en a fait les témoins de son iniquité. Je vais en effet, mes très-chers frères, vous faire un aveu que chacun de vous pourrait me faire de son côté. Si devant moi on outrage mon frère, je n'ai garde de me considérer comme étranger à cette injure; elle me blesse sûrement aussi, elle me blesse même davantage, puisqu'en la faisant on croyait que j'y prendrais plaisir. Qu'on reprenne donc devant tout le monde les fautes commises devant tout le monde, et plus secrètement, les fautes plus secrètes. Distinguez les temps, et l'Écriture s'accorde avec elle-même.
11. Agissons ainsi, car c'est ce que nous devons faire, non-seulement
lorsqu'on nous offense, mais encore lorsqu'on pèche en secret. C'est
en secret qu'il nous faut alors corriger et re.prendre; nous pourrions,
en cherchant à réprimander publiquement, diffamer le coupable.
Nous voulons, disons-nous, le corriger, le reprendre: mais si un ennemi
cherche à savoir sa faute parle faire alunir? Ainsi, par exemple,
l'évêque connaît l'auteur d'un meurtre, et nul autre
que
1. Matt. I, 19, 20.
lui ne le connaît. J'entreprends de le censurer publiquement, mais tu veux, toi, le dénoncer à la justice. Je prends donc le parti de ne pas le diffamer et toutefois je ne le laisse pas en repos sur son crime : je le réprimande en particulier, je lui mets sous les yeux le jugement divin, je cherche à effrayer sa conscience coupable, je le porte à faire pénitence. Telle est la charité qui doit nous animer.
On nous reproche quelquefois de ne pas flageller le vice: c'est qu'on suppose que nous savons ce que nous ignorons ou que nous ne disons rien de ce que nous savons. Je sais peut-être ce que tu sais, mais je n'en reprends pas devant toi, parce que je veux panser et non pas accuser. Il est des hommes qui commettent l'adultère dans leurs propres demeures, ils pèchent en secret. Il arrive que leurs épouses nous en avertissent; c'est souvent par jalousie et quelquefois pour le salut de leurs .époux. Nous n'avons garde de parler de cela en public, nous en faisons de secrets reproches. Que le mal s'éteigne là où il s'est allumé. Ah ! nous n'oublions pas cette plaie profonde; nous montrons d'abord au coupable, dont la conscience est si malade, que ce péché est mortel. Car il est hélas! des hommes si étrangement pervertis, qu'ils ne s'en inquiètent pas après l'avoir commis. Sur quels frivoles et vains témoignages s'appuient-ils pour affirmer que Dieu ne s'occupe pas des péchés charnels? Ont-ils oublié ce qui nous a été répété aujourd'hui : « Dieu juge les fornicateurs et les adultères ? » Attention ! pauvre malade. Écoute ce que Dieu t'enseigne et non ce que te disent ni ton coeur pour te porter au crime, ni ton ami, ou plutôt ni un homme qui est ton ennemi comme le sien propre et qui est chargé des mêmes chaînes d'iniquité que toi. Écoute donc ce que te dit l'Apôtre : « Que le mariage soit honorable en toutes choses et le lit nuptial sans souillure. Dieu juge les fornicateurs et les adultères. »
12. Allons, mon frère, corrige-toi. Tu crains d'être dénoncé
par ton ennemi, et tu ne crains pas d'être jugé par Dieu ?
Où est ta foi ? Crains quand il y a lieu de craindre. Le jour du
jugement est loin encore ; mais le dernier jour de chacun de nous ne saurait
être éloigné, parce que la vie est de courte durée.
Et comme cette durée est non-seulement courte, mais toujours incertaine,
tu ne sais quand viendra ton dernier jour. Corrige-toi aujourd'hui à
cause de lincertitude
1. Hébr. XIII, 4.
366
de demain. Profite à l'instant de la réprimande que je te fais en secret. Je parle en public, il est vrai, mais je reprends secrètement. Mes paroles vont à toutes les oreilles, mais quelques consciences seulement en sont frappées. Si je disais : Toi, tu es un adultère, corrige-toi, je dirais d'abord ce que je puis ignorer; peut-être aussi serait-ce un soupçon fondé sur ce que j'ai entendu avec légèreté. Je ne dis donc pas : Tu es un adultère, corrige-toi; je dis : Quiconque est ici adultère doit se corriger. L'avertissement est public, la réprimande est secrète, et je sais que si on a la crainte de Dieu on se corrige.
13. Qu'on ne, dise donc pas en son coeur : Dieu ne s'occupe pas des péchés charnels. « Ne savez-vous, dit l'Apôtre, que vous êtes le temple de Dieu et.que l'Esprit de Dieu habite en vous? Quiconque profane le temple de Dieu, Dieu le perdra (1). » Qu'on ne se fasse pas illusion.
On dira peut-être encore: Mon âme et non mon corps est le
temple de Dieu; on s'appuiera même sur cette autorité : «
Toute chair n'est que de l'herbe, et toute sa gloire n'est que la fleur
de l'herbe (2). ». Interprétation malheureuse! coupable pensée!
La chair est comparée à l'herbe, parce qu'elle meurt comme
elle: mais ce qui meurt pour un temps doit-il ressusciter couvert de crimes
? Veux-tu fine proposition claire tirée de la même Épître
? « Ne savez-vous, dit encore l'Apôtre, que vos corps sont
le temple du Saint-Esprit, qui est en vous, que vous avez reçu de
Dieu? » Comment mépriser désormais les péchés
charnels, puisque vos corps sont les temples de l'Esprit-Saint, qui est
en vous, que vous avez reçu de Dieu ? » Tu ne t'inquiétais
pas d'un péché charnel; seras-tu sans crainte pour, avoir
profané un temple? Et c'est ton corps qui est en toi le temple de
l'Esprit de Dieu. Réfléchis donc à ta conduite envers
ce temple divin: Qu'y aurait-il de plus sacrilège que toi, si dans
cette église, si dans ce sanctuaire tu te déterminais à
commettre un adultère ? Et pourtant tu es toi-même le temple
de Dieu. Que tu entres ici ou que tu en sortes, que tu sois en repos ou
en mouvement dans ta maison, partout tu es un temple. Prends-garde, prends-garde
d'offenser l'hôte de ce temple, crains qu'il ne t'abandonne et ne
te laisse tomber en ruine. « Ne savez-vous pas, » l'Apôtre
tenait ce langage à propos de la fornication et pour apprendre à
ne mépriser pas les péchés de la chaire; « ne
savez-vous
1. I Cor. III, 16, 47. 2. I Pierre, I, 24.
pas que vos corps sont, en vous, le temple de l'Esprit-Saint, que vous avez reçu de Dieu, et que vous n'êtes plus à vous-mêmes ? Car vous avez été achetés à haut prix (1). » Si tu méprises ton corps, estime au moins ce que tu as coûté.
14. Je le sais, et quiconque réfléchit tant soit peu attentivement le sait comme moi: quand on craint Dieu et qu'on ne se corrige pas en entendant sa parole, c'est qu'on pense avoir encore à vivre. Ce qui perd un grand nombre d'hommes, c'est qu'ils répètent : Demain, demain, et tout-à-coup la porte se ferme. On reste dehors en imitant le corbeau, parce qu'on n'a pas gémi comme la colombe. Le corbeau en effet dit: Demain, demain, cras, cras. Gémis donc comme la colombe, frappe-toi la poitrine; mais en la frappant corrige-toi, sinon tu semblerais moins réveiller ta conscience, que l'endurcir à coups de poing, la rendre insensible plutôt que de la corriger. Gémis donc, mais ne gémis pas en vain
Peut-être dis-tu en toi même : Dieu a promis de me pardonner quand je me corrigerai; je suis tranquille, car je lis dans la divine Écriture « Le jour où le pécheur se convertira de ses iniquités et accomplira la justice, j'oublierai toutes ses iniquités (2). » Je suis tranquille; Dieu me pardonnera toutes mes fautes quand je me serai corrigé. Pour moi, que répondrai-je ? Réclamerai-je contre Dieu ? Lui dirai-je : Gardez-vous de lui pardonner? Objecterai-j.e que cette promesse n'est pas écrite, que Dieu ne l'a pas faite? Si je tiens ce langage, ce ne sera que faussetés. Eh bien ! oui, tu dis vrai, Dieu a promis de pardonner à ta conversion, je ne le saurais nier. Mais réponds, je t'en prie. J'y consens, j'accorde et je reconnais que Dieu t'a promis le pardon; mais qui t'a promis de vivre demain ? Tu me montres bien que le pardon t'est assuré si tu te corriges; mais là aussi montre-moi combien tu as encore à vivre. Je ne l'y vois pas, dis-tu. Tu ignores donc ce qu'il te reste de vie. Ah! sois toujours converti et toujours préparé.
Ne t'expose pas à redouter le dernier jour, comme un voleur qui
percerait la muraille durant ton sommeil; veille et aujourd'hui même
corrige-toi. Pourquoi attendre à demain? J'aurai une longue vie.
Si elle est longue; qu'elle soit bonne. On ne remet pas un long et, bon
festin, et tu veux une vie mauvaise et longue? Oui, si elle est longue,
elle gagnera à être bonne; et si elle est courte, n'a-t-on
pas raison de la prolonger
1. I Cor. VI, 19, 20. 2. Ezéch. XVIII, 21, 22..
367
en la rendant bonne ? Telle est, hélas! l'insouciance des hommes pour leur propre vie, qu'ils ne veulent rien de mauvais qu'elle. Si tu achètes une terre, tu la veux bonne ; si tu, prends une épouse, tu la choisis bonne également; désires-tu des enfants ? c'est à la condition qu'ils soient, bons; tu neveux pas même de mauvaises chaussures et tu te contentes d'une vie mauvaise ? Que t'a fait cette vie, pour ne vouloir rien de mauvais qu'elle, pour vouloir que de tout ce que tu possèdes il n'y ait rien de mauvais que toi ?
15. Je le crois, mes frères, si je prenais à part quelqu'un d'entre vous, pour le réprimander, il m'écouterait sans doute ; je reprends en public plusieurs d'entre -vous, tous m'applaudissent ; qu'il y ait au moins quelqu'un pour m'écouter. le n'aime pas qu'on loue des lèvres et qu'on méprise dans le cur. Car en me louant sans te corriger tu déposes contre toi. Si donc tu es pêcheur et que mon enseignement te plaise, déplais-toi à toi-même; en te déplaisant ainsi, tu te corrigeras et tu seras heureux, comme je l'ai dit, si je ne me trompe, il y a trois jours.
Mes paroles sont comme un miroir que je présente à tous;
et ce ne sont pas mes paroles; je ne fais en parlant qu'obéir au
Seigneur, sa crainte ne me permet point de me taire. Eh! qui ne préfèrerait
se tare sans rendre compte de vous? Mais c'est un fardeau que nous avons
pris sur nos épaules, nous ne pouvons ni ne devons le rejeter.
367
Lorsqu'on lisait l'Épître aux Hébreux, vous avez entendu, mes frères, cet avertissement « Obéissez à vos supérieurs et soyez-leur soumis; car ils veillent sur vos âmes, et doivent rendre compte de vous ; afin qu'ils le fassent avec joie et non avec tristesse : ce qui ne vous serait pas avantageux (1). » Quand accomplissons-nous ce devoir avec joie? Lorsque nous voyons qu'on, profité de la parole de Dieu. Quand travaille-t-on avec joie dans un champ ? Lorsqu'en regardant les arbres on' y voit du fruit; lorsqu'en jettant les yeux sur la plaine on y distingue de riches moissons: ce n'est pas en vain qu'on a travaillé, ce n'est pas en vain qu'on s'est courbé, ce n'est pas en vain qu'on s'est fatigué les mains, ce n'est pas en vain qu'on a supporté le froid et la chaleur. Voilà ce que signifient ces mots : « Afin qu'ils le fassent avec joie et non avec tristesse: ce qui ne vous serait pas avantageux. » Est-il dit: Ce qui ne leur serait point avantageux? Non; mais: « Ce qui ne vous serait point avantageux, à vous. » Lorsqu'ils s'attristent de vos maux, cette tristesse leur est avantageuse, elle leur sert, mais elle ne vous sert pas.
Nous ne voulons rien d'avantageux pour nous, qui ne le soit pour vous.
Ensemble donc, frères, travaillons dans le champ du Seigneur, afin
de recueillir ensemble l'heureuse récompense.
1. Hébr. XIII, 17.
SERMON LXXXIII. DU PARDON DES INJURES (1).
ANALYSE Après avoir rappelé la parabole du serviteur
qui était redevable à son maître de dix mille talents,
et constaté que nous sommes désignés parce serviteur,
puisque, comme lui, nous sommes en même temps débiteurs et
créanciers, saint Augustin demande s'il faut prendre à la
lettré lé nombre de septante sept fois qui figure dans la
parabole. Il prouve d'abord par d'autres passages de l'Écriture
qu'il faut pardonner absolument tous les torts. II montre ensuite que le
sens mystique des nombres septante-sept, dix mille et cent, qui paraissent
dans la parabole, peuvent s'entendre à merveille de l'universalité
des fautes. Il termine en disant que le pardon ne préjudicie en
rien à la correction nécessaire.
1. Le saint Evangile nous avertissait hier de n'être pas indifférents
aux péchés de nos frères. « Si ton frère
te manque, y est-il dit, reprends le entre toi et lui seulement. S'il t'écoute,
tu auras gagné ton frère. Mais s'il te méprise, prends
avec toi deux ou trois personnes, afin que sur la parole de deux ou trois
témoins tout soit avéré. S'il les méprise aussi,
dis-le à l'Eglise,
1. Matt, XVIII, 21-22.
et s'il méprise l'Eglise, qu'il te soit « comme un païen
et un publicain (1). » A ce sujet se rapporte encore le passage qu'on
a lu aujourd'hui et que nous venons d'entendre. En effet, Notre-Seigneur
Jésus ayant ainsi parlé à Pierre, celui-ci poursuivit
et demanda, à son Maître combien de fois il devrait pardonner
à qui l'aurait offensé. Suffira-t-il de pardonner
1. Matt. XIII, 16-17.
368
sept fois, dit-il? « Non seulement sept fois, reprit le Seigneur, mais septante sept fois. » Il rapporta ensuite une parabole effroyable. Le royaume des cieux, disait-il, est semblable à un père de famille qui voulut compter avec ses serviteurs. Il en trouva un qui lui devait dix mille talents, et lorsqu'il eut donné l'ordre de vendre pour payer cette dette, tout ce que possédait ce malheureux, de vendre toute sa famille et de le vendre lui-même, celui-ci se jeta aux genoux de son Maître, demanda un délai et mérita la remise de sa dette. Car ce maître, touché de compassion, lui remit tout ce qu'il devait, ainsi qu'il a été dit. Déchargé de sa dette mais esclave du péché, ce serviteur, après avoir quitté sou maître, rencontra à son tour quelqu'un qui lui était redevable, non pas de mille talents, le chiffre de sa dette, mais de cent deniers. Il se luit à le serrer, à l'étouffer, et à lui dire : « Paie ce que tu me dois. » Ce dernier suppliait son compagnon, comme le compagnon avait lui-même supplié son Maître; mais il ne trouva point dans ce compagnon ce que celui-ci avait trouvé dans le Maître. Non-seulement il refusa de lui remettre sa dette, il ne lui laissa même aucun délai; et acquitté généreusement par son Seigneur, il le traînait avec violence pour le contraindre à payer. Cette conduite fâcha les autres serviteurs et ils rapportèrent à leur Maître ce qui venait de se passer. Le Maître fit comparaître ce misérable et lui dit: « Méchant serviteur, » quand tu m'étais redevable d'une telle somme, par compassion « je t'ai remis le tout. Ne devais-« tu donc pas prendre pitié de ton compagnon comme j'ai eu pitié de toi ? » Et il commanda qu'on lui fit payer tout ce qui lui avait été remis.
2. Cette parabole est destinée à notre instruction, c'est un avertissement pour nous détourner de nous perdre. « C'est ainsi, dit le Sauveur, que vous traitera aussi votre Père céleste, si chacun de vous ne pardonne à son frère du fond de son coeur, » Ainsi, mes frères, le précepte est clair, l'avertissement utile ; et il -ne peut y avoir que grand profit à obéir, à faire avec perfection ce qui est ordonné. Tout homme, en effet, est débiteur à l'égard de Dieu, et créancier à l'égard de son frère. Quine doit à Dieu, sinon celui qui est absolument sans péché? Et à qui n'est-il pas dû, sinon à celui que personne n'a jamais offensé? Pourrait-on découvrir dans tout le genre humain un seul individu qui ne fût redevable à son frère à cause pour quelque faute ? Ainsi chacun est à la fois débiteur et créancier; et pour ce motif Dieu t'oblige de faire envers ton débiteur ce qu'il fera lui-même envers le sien.
Il y a deux espèces d'oeuvres de miséricorde qui peuvent servir à nous décharger et que le Seigneur a exprimé en peu de mots dans son Evangile : « Pardonnez, dit-il, et on vous par« donnera; donnez, et on vous donnera (1). » Pardonnez, et on vous pardonnera, voilà pour l'indulgence. Donnez, et on vous donnera, voilà pour la bienfaisance. Il dit donc, à propos de l'indulgence : Tu veux qu'on te pardonne tes fautes, il est aussi des fautes que tu dois pardonner ; et à propos de la bienfaisance : Un pauvre mendie près de toi, et toi tu mendies près de Dieu. Que sommes-nous quand nous prions, sinon les pauvres de Dieu? Nous nous tenons, ou plutôt nous nous prosternons, nous supplions et nous gémissons devant la porte du grand Père de famille; nous lui demandons quelque chose, et ce, quelque chose est Dieu même. Que te demande un mendiant? Du pain. Et toi, que demandes-tu au Seigneur, sinon son Christ, lui qui a dit : « Je suis le pain vivant descendu du ciel (2)? » Vous voulez qu'on vous pardonne ? Pardonnez. « Pardonnez, et on vous pardonnera. » Vous demandez quelque chose? « Donnez, et on vous donnera. »
3. Qu'y a-t-il, dans des commandements aussi clairs, qui puisse fournir matière à difficulté! Le voici. A propos de ce pardon qui se demande et qu'on doit accorder, on peut se poser la question que se posa Pierre. « Combien de fois dois-je pardonner ? demanda-t-il. Suffit-il de sept fois ? » Non, reprit le Seigneur, « je ne te dis pas : sept fois, mais : septante-sept fois. » Compte maintenant combien de fois ton frère t'a manqué. Si tu trouves en lui septante-huit fautes, s'il en fait contre toi plus de septante-sept, tu peux donc travailler à te venger ? Est-il bien vrai, est-il bien sûr que tu dois pardonner si ont offense septante-sept fois, et que tu n'y sois plus obligé, si on te manque septante huit fois? Je l'ose dire, je l'ose dire, t'eût-on offensé septante-huit fois, pardonne. Oui, par donne si on t'offense septante-huit fois. Et si c'était cent? Pardonne encore. A quoi bon fixer un nombre et un autre nombre ? Pardonne, quel que soit la quantité des torts.
Ainsi donc, j'ose ne m'en pas tenir au nombre
1. Luc, VI, 37, 38. 2. Jean, VI, 51.
369
fixé par mon Seigneur? Il fixe à septante sept fins la limite du pardon, et j'oserai, moi, franchir cette limite? Non, et je ne demande pas plus que lui. Je lui ai entendu dire, par l'organe de son Apôtre, et sans déterminer ni limite ni mesure : « Vous pardonnant les torts que l'un pourrait avoir envers l'autre, comme Dieu vous a pardonné par le Christ (1). » Voilà le modèle. Si le Christ ne t'a pardonné que septante sept péchés, n'outrepassant pas cette limite, adopte-la aussi et ne pardonne pas davantage. Mais si le Christ a trouvé en toi des milliers de péchés et les a pardonnés tous; ne cesse pas de faire miséricorde et cherche à égaler ce nombre de pardons.
Ce n'est pas sans motif qu'il a dit: « Septante-sept fois, » puisqu'il n'est absolument ancune faute qu'osa ne doive pardonner. Ce serviteur qui était à la fois débiteur et créancier, redevait dix mille talents. Or dix mille talents me semblent figurer pour le moins dix mille péchés; car je ne veux pas dire qu'un talent comprenne toutes les sortes de fautes. Et combien lui redevait- on ? Cent deniers. Cent n'est-il pas plus que septante sept? Le Seigneur néanmoins s'irrita qu'il n'eût pas remis cette dette. C'est qu'il ne faut pas s'arrêter à voir que cent font plus que septante sept; cent deniers représentent peut-être mille sous. Mais qu'est-ce que cette somme devant dix mille talents ?
4. Nous devons par conséquent être disposés à pardonner toutes les fautes qui se commettent contre nous, si nous voulons qu'on nous pardonne les nôtres. En considérant nos péchés et en comptant tous ceux que nous avons faits par action, par regard, par l'ouïe, par la pensée et par des mouvements sans nombre, je ne sais si avant de nous endormir nous ne nous trouverons pas chargés d'un talent tout entier. Aussi nous supplions chaque jour, chaque jour nous frappons de nos prières les oreilles divines, clous nous prosternons et nous disons chaque jour.
« Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux
qui nous ont offensés (2). » Quelles offenses ? Toutes, ou
une partie ? Toutes, répondras-tu. Donc aussi pardonne tout à
qui t'a offensé. Telle est la règle, telle est la condition
que tu établis; voilà le pacte, voilà le contrat que
tu rappelles lorsque tu dis dans ta prière : « Pardonnez-nous,
comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés.
1. Coloss. III, 13. 2. Matt. VI, 12.
5. Que signifie alors te nombre de soixante sept? Prêtez l'oreille, mes frères, voici un mystère profond, un secret admirable. C'est au moment où le Seigneur a reçu le baptême que l'Evangéliste saint Luc, montre la succession, la série, l'arbre des générations qui conduisent jusqu'à la naissance du Christ (1). Saint Mathieu commence à Abraham et vient en descendant jusqu'à Joseph (2). Saint Luc, au contraire, faits on énumération en montant. Pourquoi l'un descend-il, tandis que l'autre remonte ? C'est que Saint Matthieu appelait l'attention sur cette naissance qui fit descendre le Christ jusqu'à nous; aussi est-ce à la naissance du Christ qu'il commence sa généalogie descendante. Mais Saint Luc commence au moment du baptême du Christ, baptême qui commence à nous relever; c'est pourquoi sa généalogie est ascendante.
On y compte soixante sept générations. Par où commence-t-il ? Remarquez, il commence par le Christ et remonte jusqu'à Adam, jusqu'à Adam qui a péché le premier, et nous a engendrés dam le péché. Il va donc jusqu'à Adam et énumère septante sept générations. Ainsi du Christ à Adam et d'Adam au Christ, voilà nos septante sept générations. Si donc il n'y en a aucune d'omise, nous ne devons laisser aucune faute non plus sans la pardonner. C'est pour ce motif qu'on trouve dans ces générations le nombre même que le Seigneur a consacré à propos du pardon des fautes; pour ce motif encore la généalogie se fait au moment du baptême, qui efface tous les péchés.
6. Ici encore, mes frères, admirez quelque chose de plus merveilleux. Le nombre de septante sept, avons-nous dit, figure la rémission des péchés, et on le rencontre dans les générations qui remontent du Christ à Adam. Maintenant, examine avec un peu plus d'attention encore les mystères de ce nombre, sondes-en les profondeurs; frappe plus vivement pour te les faire ouvrir.
La justice consiste dans la loi de Dieu, c'est incontestable, et cette
loi est comprise dans dix préceptes. Voilà pourquoi le nombre
de dix dans les dix mille talents que redevait le premier serviteur, comme
dans ce décalogue mémorable qui fut écrit par le doigt
de Dieu et donné au peuple par le ministère de Moïse,
le serviteur fidèle. Les dix mille talents qui étaient dus,
figurent donc tous les péchés commis contre les dix commandements.
1. Luc, III, 21-38. 2. Matt. I, 1-16.
370
L'autre serviteur était redevable de cent deniers : c'est encore le nombre dix; car cent fois cent égalent dix mille, et dix fois dix égalent cent. L'un doit dix mille talents, et l'autre dix dizaines de deniers. C'est partout le nombre légal; et de part et d'autre il exprime les péchés de chacun. Les deux serviteurs sont donc endettés l'un et l'autre; l'un et l'autre sollicitent, implorent leur grâce. Mais le premier est méchant, il est ingrat; il est cruel, il refuse de donner ce qu'il a reçu, il s'obstine à ne pas accorder ce qui lui a été octroyé quoiqu'il en fût indigne.
7. Attention, mes frères. Un homme vient de recevoir le baptême, il en sort acquitté, on lui a remis sa dette de dix mille talents; et il lui arrive de rencontrer son compagnon qui est son débiteur. Mais qu'il prenne garde au péché!
Le nombre onze figure le péché ou la transgression de la loi, comme le nombre dix représente la loi même, composée dix préceptes. Mais pourquoi y a-t-il onze dans le péché? Parce qu'en outrepassant dix, ou la règle établie par la loi, on arrive à onze, qui symbolise ainsi le péché. Ce profond mystère apparut quand Dieu commanda la construction du tabernacle. Bien des nombres figurent alors, et tous marquent de grandes choses. Faites particulièrement attention aux couvertures de poil de chèvre ; il est ordonné d'en faire, non pas dix, mais onze (1), parce que cette sorte de voile rappelle comme l'aveu des fautes.
N'est-ce pas dire assez? Veux-tu savoir comment tous les péchés sont compris dans ce nombre de septante sept? Sept exprime souvent la totalité. Cela vient de ce que le temps roule dans l'espace de sept jours, et que ce nombre écoulé, le temps recommence pour suivre toujours le même cours. Ainsi se passent les siècles, et jamais en dehors de ce nombre de sept. Septante sept désigne donc tous les péchés, puisque sept fois onze donne septante sept; et en employant ce nombre à propos du pardon des fautes, le Christ a voulu qu'on les remit toutes sans exception.
Ah! que personne ne soit donc assez ennemi de lui-même pour les
retenir en ne pardonnant pas; ce serait forcer à ce qu'on ne lui
remette pas les siennes, quand il prie. Pardonne, s'écrie le Seigneur,
et tu obtiendras ton pardon. Le premier, je t'ai pardonné, pardonne
au moins
1. Exod. XXVI, 7
le dernier. Si tu ne pardonnes pas, je te citerai de nouveau et j'exigerai tout ce que je t'ai remis. La Vérité ne ment pas, mes frères, le Christ ne se trompe ni ne se laisse tromper. Or il a terminé en disant: « C'est ainsi que vous traitera votre Père qui est dans les cieux. » C'est ton Père, imite-le donc. En ne l'imitant pas tu cherches à être déshérité par lui. « Ainsi vous traitera votre Père qui est aux cieux, si chacun de vous ne pardonne à son frère du fond de son coeur. (1)» Ne dis pas du bout des lèvres : Je pardonne, sans le faire dans le cur à l'instant même. Vois de quel supplice te menace la vengeance divine, Dieu sait avec quelle sincérité tu parles. L'homme entend ta voix, mais le Seigneur lit dans ta conscience. Si donc tu dis : Je pardonne, pardonne réellement. Mieux valent encore des reproches sur les lèvres et le pardon dans le coeur, que des paroles flatteuses et la haine dans l'âme.
8. Mais quel sera maintenant le langage de ces enfants indisciplinés, leur horreur pour la discipline ! Quand nous voudrons les châtier, ne diront-ils pas en se prévalant d'une autorité sainte: J'ai manqué, pardonnez-moi? Je pardonne. Mais on manque encore. Pardonne de nouveau. Je le fais. On pèche une troisième fois. Une troisième fois, pardon. A la quatrième faute, qu'il soit châtié. Ne dira-t-il pas alors : T'ai-je offensé septante sept fois? Si cette obligation endort la rigueur de la discipline, où s'arrêteront les désordres désormais sans frein? Que faut-il donc faire ?
Corrigeons par la parole, corrigeons même avec la verge, s'il
est nécessaire; mais pardonnons la faute, rejetons de notre cur
tout ressentiment. Aussi quand le Seigneur disait: « Du fond du coeur,
» il voulait que si la charité même exigeait le châtiment
du coupable, la bienveillance intérieure ne fût jamais altérée.
Est-il rien de plus charitable qu'un médecin armé du fer?
A la vue du fer et du feu le malade pleure et se lamente. Le fer et le
feu ne lui sont pas moins appliqués. Est-ce de la cruauté?
On ne traite pas ainsi la rigueur du médecin. Elle s'attaque à
la plaie pour sauver le malade, car si on épargne l'une on perd
l'autre. Voilà, mes frères, ce que je voudrais que nous fissions
envers nos frères coupables. Aimons-les de toute manière;
ne perdons jamais de notre cur la charité que nous leur devons,
et châtions-les quand il en est besoin. La discipline ne se (371)
relâcherait qu'au profit du désordre et nous mériterions
d'être accusés devant Dieu, car on vient de nous lire encore
ces mots : « Reprends, devant tout le monde, ceux qui pèchent,
afin que les autres en conçoivent de la crainte (1) ».
1. I Tim. V, 20.
Il faut et il suffit, pour être dans le vrai, de distinguer les temps. Si la faute est secrète, corrige secrètement;, et; publiquement si elle est publique et manifeste. Ainsi le coupable s'amendera et les autres seront saisis de crainte.
SERMON LXXXIV. LES DEUX VIES (1).
ANALYSE. Des misères et du peu de durée de la vie présente,
que néanmoins on aime beaucoup, saint Augustin conclut combien nous
devons nous attacher à la vie bienheureuse et éternelle.
1. Le Seigneur disait à un jeune homme : « Si tu veux parvenir à la vie, observe les commandements. » Il ne disait pas: Si tu veux parvenir à l'éternelle vie; mais : « Si tu veux parvenir à la vie : » c'est qu'il n'entend par vie que celle qui dure éternellement. Commençons donc par en inspirer l'amour.
Quelle que soit la vie présente, on s'y attache, et malgré ses chagrins et ses misères, on craint, on tremble d'arriver au terme de cette chétive vie. Puisqu'on aime ainsi une vie pleine de tristesses et périssable, ne doit-on pas comprendre, ne doit-on pas considérer combien la vie immortelle est digne de notre amour? Remarquez attentivement, mes frères, combien il faut s'attacher à une vie où jamais l'on ne cesse de vivre. Tu aimes cette vie où tu as tant à travailler, tant à courir, à te hâter, à te fatiguer. Comment nombrer tous les besoins que nous y éprouvons? Il y faut semer, labourer, défricher, voyager sur mer, moudre, cuire, tisser et mourir après tout cela. Combien d'afflictions dans cette misérable vie que tu aimes! Et tu crois vivre toujours et ne mourir jamais? On voit tomber les temples, la pierre et le marbre, tout scellés qu'ils sont avec le fer et le plomb ; et l'homme s'attend à ne pas mourir?
Apprenez donc, mes frères, à rechercher la vie éternelle
où vous n'aurez à endurer aucune de ces misères, où
vous régnerez éternellement avec Dieu. « Celui qui
veut la vie, dit le prophète, aime à voir des jours heureux
(2). » Quand en effet les jours sont malheureux, on désire
moins la vie que la mort. Au milieu des afflictions et des
1. Matt. XIX, 17. 2. Ps. XXXIII,13.
angoisses, des conflits et des maladies qui les éprouvent, n'entendons-nous
pas, ne voyons-nous pas les hommes répéter sans cesse : O
Dieu, envoyez-moi la mort, hâtez la fin de mes jours? Quelque temps
après on se sent menacé : on court, on ramène les
médecins, on leur fait des promesses d'argent et de cadeaux. Me
voici, dit alors la mort, c'est moi que tu viens de demander à Dieu;
pourquoi me chasser maintenant ? Ah ? tu es dupe de toi-même et
attaché à cette misérable vie.
2. C'est du temps que nous parcourons que l'Apôtre a dit : « Rachetez le temps car les jours sont mauvais (1). » Et ils ne seraient pas mauvais, ces jours que nous traversons au milieu de la corruption de notre chair, sous le poids accablant d'un corps qui se dissout, parmi tant de tentations et de difficultés, quand on ne rencontre que de faux, plaisirs, que des joies inquiètes, les tourments de la crainte, des passions qui demandent et des chagrins qui dessèchent ? Ah ! que ces jours sont mauvais! Et personne ne veut en voir la fin ? et l'on prie Dieu avec ardeur pour obtenir une vie longue? Eh ! qu'est-ce qu'une longue vie, sinon un long tourment? Qu'est-ce qu'une longue vie, sinon une longue succession de jours mauvais?
Lorsque les enfants grandissent, ils croient que leurs jours se multiplient,
et ils ignorent qu'ils diminuent. Le calcul de ces enfants les égare,
puisqu'avec l'âge le nombre des jours s'amoindrit plutôt que
d'augmenter. Supposons, par exemple, un homme âgé de quatre-vingts
ans: n'est-il pas vrai que chaque moment de sa vie est pris sur
1. Ephés. , 10.
Ce quil lui en reste? Et des insensés se réjouissent à mesure qu'ils célèbrent les retours de leur naissance ou de celle de leurs enfants! Quelle vue de l'avenir ! Quand le vite baisse dans ton outre, tu t'attristes, et tu chantes quand s'écoule le nombre de tes jours ? Oui, nos jours sont mauvais, ils le sont d'autant plus qu'on les aime davantage. Les caresses du monde sont si perfides, que personne ne voudrait voir la fin de cette vie d'afflictions.
Mais la vraie vie, la vie bienheureuse est celle qui nous attend lorsque nous ressusciterons pour régner avec le Christ. Les impies ressusciteront aussi, mais pour aller au feu. Il n'y a donc de vie véritable que la vie bienheureuse. Or, la vie ne saurait être heureuse si elle n'est éternelle en même temps que les jours ou plutôt que le jour y est heureux; Car il n'y a point là plusieurs jours, mais un seul. Si nous disons plusieurs, c'est par suite d'une habitude contractée dans cette vie. Ce jour unique ne connaît ni soir ni matin; il n'est pas suivi d'un lendemain, parce qu'il n'avait pas d'hier. C'est ce jour ou ces jours, c'est cette vie et cette vie véritable qui nous est promise. Récompense, elle suppose le mérite. Ah! si nous aimons cette récompense, ne nous lassons pas de travailler, et durant l'éternité nous règnerons avec le Christ.
SERMON LXXXV. LES RICHES ET LES PAUVRES (1).
ANALYSE. On distingue dans l'Évangile les commandements et
les conseils. Il y a des commandements que tous doivent observer ; il en
est qui sont propres aux riches, dont te salut est si difficile; il en
est aussi qui conviennent plus spécialement aux pauvres, L'Apôtre
recommande aux riches d'éviter l'orgueil et la présomption,
d'espérer en Dieu et de multiplier leurs bonnes uvres. Il veut
que les pauvres, d leur tour, se livrent à la piété
en se contentant du nécessaire, et se gardent avec soin de l'avarice
ou du désir des richesses. Ainsi les pauvres et les riches vivront
en paix sous lempire de leur commun Seigneur.
1. Le passage de l'Évangile qui vient de frapper nos oreilles, demande plutôt à être écouté et pratiqué, qu'à être expliqué. Quoi de plus clair que ces paroles: « Si tu veux parvenir à la vie, observe les commandements ? » Qu'ai-je donc à dire ? « Si tu veux parvenir, à la vie observe les commandements. » Qui ne vent point parvenir à la vie ? Mais aussi, qui veut observer les commandements? Si tu ne veux pas les observer, pourquoi prétends-tu à la vie? Si tu es lent au travail, pourquoi si empressé à la récompense ?
Ce jeune nomme riche assurait qu'il avait été fidèle
aux commandements, et on lui a fait connaître des préceptes
plus élevés. « Si tu veux être parfait, lui a
dit le Sauveur, va, vends tout ce que tu possèdes et le donne aux
pauvres;» tu ne le perdras point, mais « tu auras un trésor
dans le ciel; viens ensuite et suis-moi. » En effet que te servirait
de donner, si tu ne me suivais pas ? Il s'éloigna tout triste
et tout chagrin, comme vous venez de l'entendre ; car il possédait
de grandes richesses. Ce qui lui a été dit, nous a été
dit également. L'Évangile est comme la bouche du Christ.
Le Christ siège au ciel, mais
1. Matt. XIX, 17-25.
il ne cesse de parler sur la terre. Ne soyons pas sourds, car il crie ; ne soyons pas des morts, car il tonne. Si tu ne veux pas de ses conseils de perfection, observe au moins les préceptes indispensables. Les premiers sont pour toi un lourd fardeau, charge-toi au moins des seconds. Pour quoi cette indifférence pour les tins et pour les autres ? Pourquoi leur être également opposé!
Voici les premiers : « Vends tout ce que.tu possèdes, donne
le aux pauvres et suis-moi. » Voici les seconds : « Tu ne seras
point homicide; tu ne commettras point d'adultère; ne cherche point
de faux témoignage ; ne dérobe point; honore ton père
et ta mère ; tu aimeras ton prochain comme toi-même. »
Accomplis ceux-ci. Eh! pourquoi te crier de vendre ton propre bien, si
je ne puis obtenir que tu ne ravisses pas le bien d'autrui ? On t'a dit
: « Ne dérobe pas; » et tu ravis. Sous les yeux même
d'un si grand Juge je te surprends, non plus à dérober, mais
à voler. Epargne-toi, prends pitié de toi. Cette vie te laisse
encore un peu de temps, ne repousse pas la réprimande. Tu étais
hier un larron; ne le sois plus aujourd'hui. Peut-être l'as-tu été
aujourd'hui même ; ne le sois plus demain. Mets
373
enfin un terme au mal et pour ta récompense appelle le bien. Tu veux le bien, sans vouloir être bon! ta vie est opposée à tes désirs! Si c'est un grand bien d'avoir une bonne campagne quel malheur d'avoir une âme mauvaise ?
2. Le riche s'éloigna tout chagrin. « Qu'il est difficile à qui possède des richesses, dit alors le Seigneur, d'entrer dans le royaume des cieux ! » Jusqu'où va cette difficulté? La comparaison suivante montre qu'elle va jusqu'à l'impossibilité. Prête l'oreille; voici la difficulté : «En vérité je vous le, déclare, il est plus facile à un chameau de passer par le trou d'une aiguille, qu'à un riche d'entrer dans le royaume des cieux. » A un chameau de passer par le trou d'une aiguille ? S'il y avait ici un puceron, ce serait déjà l'impossibilité.
Aussi les disciples turent consternés de ces paroles et ils s'écrièrent : « S'il en est ainsi, qui pourra être sauvé ? » Qui le pourra parmi les riches ? ô pauvres, écoutez le Christ. Je m'adresse ici au peuple de Dieu, car les pauvres font ici la majorité. Vous au moins, ô pauvres, entrez dans ce royaume, et pourtant écoutez. Vous qui vous glorifiez de votre pauvreté, prenez garde à l'orgueil, vous seriez vaincus par des riches qui sont humbles; prenez garde à l'impiété, la piété de certains riches l'emporterait sur vous; gardez-vous de l'amour du vin, vous seriez au dessous des riches qui sont sobres. Si ceux-ci ne doivent pas se glorifier de leur opulence, gardez-vous de vous enorgueillir de votre indigence.
3. Que les riches, si toutefois il en est ici, écoutent à leur tour, qu'ils écoutent l'Apôtre: « Commande aux riches de ce siècle; » dit-il ; c'est qu'il y a des riches d'un autre siècle ; et les riches de cet autre siècle sont les pauvres, ce sont les Apôtres qui disaient: « Nous sommes comme n'ayant rien, et nous possédons tout (1). » Afin donc de vous apprendre de quels riches il parle, il a eu soin d'ajouter : « De ce siècle. » Que ces riches du siècle écoutent donc l'Apôtre: « Commande, dit-il, aux riches de ce siècle, de ne point s'élever d'orgueil. » L'orgueil est le premier ver rongeur qu'engendrent les richesses, ver terrible qui dévore tout et réduit tout en cendres : « Commande-leur donc de ne point s'élever d'orgueil, de ne point se confier aux richesses incertaines. » Il craint que tu ne t'endormes riche pour t'éveiller pauvre. « De ne pas se confier aux richesses incertaines, » ce sont les propres paroles de l'Apôtre; « mais au Dieu vivant, » dit-il encore. Le larron t'enlève ton or, qui t'enlève ton Dieu ? Qu'a donc le riche, s'il n'a pas Dieu, et si le pauvre le possède, de quoi manque-t-il ? « De ne pas se confier aux richesses, dit donc l'Apôtre, mais au Dieu vivant qui nous donne abondamment toutes choses pour en jouir, » et lui-même avec toutes choses.
4. Ils ne doivent pas espérer dans leurs richesses ni s'y confier, mais au Dieu vivant: que feront-ils alors de leur fortune ? Le voici : « Qu'ils soient riches en bonnes oeuvres. » Qu'est-ce à dire ? Expliquez-vous, ô Apôtre. Plusieurs refusent de comprendre ce qu'ils refusent de faire. Expliquez-vous donc, Apôtre ; n'occasionnez pas le mal par l'obscurité de votre enseignement. Dites-nous ce que signifie: « Qu'ils soient riches en bonnes oeuvres. » Qu'on écoute donc, qu'on saisisse; qu'on n'ait pas lieu de s'excuser, qu'on commence à s'accuser plutôt et à dire ce que nous venons d'entendre dans un psaume : « Je reconnais mon péché (1). » Encore une fois, sue veulent dire ces mots : « Qu'ils soient riches en bonnes oeuvres. »
« Qu'ils dominent de bon coeur, » Qu'est-ce à dire encore : « Qu'ils donnent de bon coeur ? » Quoi! ne comprend-on pas cela non plus? « Qu'ils donnent de bon coeur, qu'ils partagent. » Tu as du bien, un autre n'en a pas; partage avec lui, afin qu'on partage avec toi. Partage ici, et là tu recevras. Donne ici du pain, et tu recevras là du pain. Quel est le pain d'ici? Celui que lon recueille à force de sueurs et de travaux, après la malédiction du premier homme. Et là, quel est le pain ? Celui qui a dit « Je suis le pain vivant descendu du ciel (2). » Ici: tu es riche, mais là tu es pauvre. Tu as ici de l'or, mais tu ne pouls pas encore de la présence du Christ. Donne ce que tu possèdes, pour recevoir, ce que lu n'as pas. « Qu'ils soient riches en bonnes oeuvres, qu'ils donnent de bon coeur, qu'ils partagent. »
5. Alors ils perdront leurs biens? L'Apôtre a dit : « Qu'ils
partagent, » et non pas : qu'ils donnent le tout. Qu'ils retiennent
pour leurs besoins et même au delà. Donnons une partie. Laquelle
? La dixième ? C'est ce que donnaient les Scribes et les Pharisiens
(3). Ah! rougissons, mes frères. Ils donnaient la dixième
partie; et pour eux le Christ n'avait point encore répandu son sang.
Ces Scribes et ces Pharisiens donnaient le dixième. Et tu croirais
faire quelque chose de
1. Ps. L, 6. 2. Jean, VI, 61. 3. Luc, XVIII,12.
374
grand, lorsque tu partages ton pain avec le pauvre ! Est-ce la millième partie de ce que tu possèdes ? Je ne t'en blâme pourtant pas ; fais au moins cela. J'ai si faim, j'ai si soif, que je serais heureux de recueillir ces miettes.
Que dit néanmoins ce Dieu vivant qui est mort pour nous ? Je ne le tairai pas. « Si votre justice n'est plus abondante que celle des Scribes et des Pharisiens, vous n'entrerez point dans le royaume des cieux (1). » Ce n'est pas là nous endormir ; c'est un médecin qui va jusqu'au vif. « Si votre justice n'est plus abondante que celle de Scribes et des Pharisiens, vous n'entrerez point dans le royaume des cieux. » Les Scribes et les Pharisiens donnaient le dixième. Et puis? Examinez-vous; voyez ce que vous faites, et ce que vous avez; ce que vous donnez et ce que vous vous réservez ; ce que vous répandez en charités et ce que vous consacrez au luxe. Ainsi, « qu'on donne de bon coeur, qu'on partage, qu'on se fasse un trésor qui soit un bon fondement pour l'avenir, afin d'acquérir la vie éternelle.»
6. J'ai parlé aux riches; maintenant, pauvres, écoutez. Vous, donnez; et vous, gardez-vous de ravir. Vous, donnez de vos biens; et vous, mettez un frein à vos passions. Ecoutez donc, pauvres, 1e même Apôtre: « C'est un grand gain. » Le gain est un profit. « C'est un grand gain, dit-il, que la piété avec ce qui suffit. » Le monde vous est commun avec les riches ; vous n'avez pas la même maison, mais vous avez le même ciel, une même lumière. Cherchez ce qui suffit, cherchez-le, rien davantage. Car le reste est une charge et non un soulagement; un fardeau, non pas un honneur.
« C'est un grand gain que la piété avec ce qui suffit.
» La piété avant tout. La piété est le
culte dé Dieu. « La piété avec ce qui suffit;
car nous « n'avons rien apporté dans ce monde. » Y as-tu
apporté quelque chose ? Et vous, riches, qu'y avez-vous apporté
? Vous y avez tout trouvé, et comme les pauvres, vous êtes
nés dans la nudité. Vous étiez, comme eux, bien faibles
de corps, et comme les leurs vos vagissements témoignaient de vos
souffrances. « Car nous n'avons rien apporté dans ce monde
; » ce langage s'adresse
1. Matt. V, 20.
à des pauvres; «et nous n'en saurions emporter rien. Avec la nourriture et le vêtement, contentons-nous. Parce que ceux qui veulent devenir riches » Ceux qui veulent le devenir, et non pas ceux qui-le sont. Laissons ceux-ci, ils savent ce qui les concerne : « qu'ils soient riches en bonnes oeuvres, qu'ils donnent de bon coeur, qu'ils partagent. »
Voilà ce qui les concerne. Vous qui n'êtes pas riches encore, prêtez l'oreille. « Ceux qui veulent devenir riches tombent dans la tentation et dans des filets, dans des désirs multipliés et funestes. » Vous ne craignez pas ? Ecoutez ce qui suit: « Qui plongent les hommes dans la ruine et la perdition. » Et tu ne trembles pas? « Car la racine de tous les maux est l'avarice. » Or il y a avarice à vouloir être riche, non pas à l'être. En cela consiste l'avarice. Et tu ne crains pas d'être plongé dans la ruine et la perdition? Tu ne redoutes point la racine de tous les maux Tu arraches dé ton champ la racine des épines; et de ton coeur tu n'arraches pas la racine des passions mauvaises? Tu nettoies ton champ pour nourrir ton corps; et tu lie purifies pas ton coeur pour y recevoir ton Dieu? « La racine de tous les maux est l'avarice; aussi quelques-uns en s'y laissant aller ont dévié de la foi et se sont engagés dans beaucoup de chagrins (1). »
7. Vous savez maintenant ce que vous avez à faire, vous connaissez
ce que vous devez redouter; vous savez comment on achète le royaume
des cieux et vous savez comment on est exclus. Conformez-vous tous à
la parole de Dieu. Dieu a fait le riche et le pauvre. « Le riche
et le pauvre se sont rencontrés, dit l'Écriture, c'est le
Seigneur qui les a faits l'un et l'autre (2). Le riche et le pauvre se
sont rencontrés. » Où, sinon en celle vie? Le riche
est né, le pauvre est né aussi. Vous vous êtes rencontrés
sur la même route. Toi, garde-toi d'opprimer, et toi, de tromper.
L'un a besoin, l'autre est dans l'abondance. « Le Seigneur les a
faits tous deux. » Par celui qui possède, il aide celui qui
a besoin, et par celui qui n'a rien il éprouve celui qui a. Après
avoir ainsi entendu ou parlé, craignons et prenons garde, prions
et arrivons.
1. I Tim. VI, 17-19; 6-10. 2. Prov. XXII. 2.
source: http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin/index.htm