SERMON CXXXVI . AVEUGLEMENT DES JUIFS (1).
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ANALYSE. En guérissant l'aveugle-né et surtout en ouvrant
son âme à la lumière de la vérité, le
Sauveur faisait entendre qu'il était venu dissiper l'aveuglement
des Juifs. Les Juifs prenaient la loi trop à la lettre et ils n'en
connaissaient pas l'impuissance. Il a fallu que Jésus-Christ vint
en enseigner l'esprit et donner la vie aux hommes en se faisant homme comme
eux. Heureux qui profite de son enseignement et de ses grâces !
1. Nous avons entendu, comme à l'ordinaire, cette lecture du saint Evangile ; mais il est bon de ranimer nos souvenirs et de les préserver de l'assoupissement qu'engendre l'oubli. D'ailleurs, ce passage que nous connaissons depuis si longtemps nous a fait autant de plaisir, que s'il eût été nouveau pour nous.
Pourquoi vous étonner que le Christ ait fait voir la lumière à l'aveugle-né ? Le Christ est notre Sauveur; il a accordé à cet homme, comme un bienfait, ce qu'il ne lui avait pas donné en le créant. Se méprenait-il alors en ne lui donnant pas des yeux? Non, il voulait plus tard lui en donner miraculeusement. Comment le sais-tu, demanderez-vous? Je l'ai appris de lui-même ; il vient de le dire encore et nous l'avons tous entendu. Ses disciples, en effet, lui ayant demandé : « Seigneur, qui a péché, celui-ci ou ses, parents, pour qu'il soit né aveugle? » il répondit, comme vous venez de l'entendre avec moi : « Ni celui-ci n'a péché, ni ses parents; mais c'est pour la manifestation en lui des oeuvres de Dieu. » Voilà pour quel motif il avait différé de lui donner des yeux. Il ne lui en avait pas donné, parce qu'il devait lui en donner plus tard, parce qu'il savait qu'il lui en donnerait au moment opportun.
Ne pensez pas, mes frères, que ses parents aient été
sans péché ou qu'il n'ait pas lui-même contracté
en naissant le péché originel, pour la rémission duquel
on confère aux enfants le baptême destiné à
effacer les péchés. Mais sa cécité ne fut l'effet
ni du péché de ses parents, ni de son péché
propre; elle devait servir à manifester en lui les oeuvres de Dieu.
Aussi bien, quoi que nous ayons tous en naissant contracté la souillure
originelle, nous rie sommes pas nés aveugles. Et toutefois en y
regardant de près, nous sommes des aveugles de naissance. Qui de
nous en naissant n'était aveugle, mais aveugle de coeur? Créateur
de l'âme et du corps, le Seigneur Jésus a guéri l'un
et l'autre.
1. Jean, IX.
2. La foi vous a montré cet homme aveugle d'abord, puis voyant la lumière : vous l'avez vu aussi dans l'erreur. Son erreur consiste premièrement à regarder le Christ comme un prophète, à ignorer qu'il est le Fils de Dieu. Il a fait aussi une réponse certainement fausse lorsqu'il a dit : « Nous savons que Dieu n'exauce pas les pécheurs. » Si Dieu n'exauce pas les pécheurs, quel espoir nous reste-t-il? Si Dieu n'exauce pas les pécheurs, pourquoi le prions-nous, pourquoi confessons-nous nos péchés en nous frappant la poitrine ? Que faire de ce Publicain qui monta au temple avec le Pharisien et qui se tenant éloigné et les yeux fixés à terre se frappait la poitrine et confessait ses péchés, pendant que le Pharisien vantait et étalait ses mérites? Le Publicain pourtant, après avoir confessé ses fautes, sortit du temple justifié, plutôt que le Pharisien (1). N'est-ce pas une preuve que Dieu exauce les pécheurs? Mais l'aveugle en parlant ainsi ne s'était point encore lavé 1'il du coeur à Siloé. Déjà il s'était mis sur les yeux la boue mystérieuse; mais la grâce n'avait point produit encore son effet dans le coeur. Quand se lava-t-il l'il du coeur? Quand après avoir été chassé par les Juifs il fut appelé par le Seigneur. Le Seigneur en effet le rencontra et lui dit : « Crois-tu au Fils de Dieu? Quel est-il, Seigneur, pour que je croie en lui? » Il le voyait des yeux du corps; le voyait-il des yeux du coeur ? Non ; mais attendez, il le verra bientôt. Jésus lui répondit effectivement : « C'est moi, moi qui te « parle. » Cet homme douta-t-il ? A l'instant même il se lavait l'âme, puisqu'il communiquait avec Siloé, c'est-à-dire avec l'Envoyé. Et quel est l'Envoyé, sinon le Christ? Lui-même l'a répété plusieurs fois. « Je fais, disait-il, la volonté de mon Père qui m'a envoyé (2). » C'est ainsi qu'il est Siloé, et en s'approchant dé lui, en l'écoutant, en le croyant, en l'adorant, cet aveugle se purifia le coeur et recouvra la vue.
3. Quant à ceux qui l'avaient expulsé, ils
1. Luc, XVIII, 10-14. 2. Jean, IV, 34; V, 30; VI, 38.
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restèrent aveugles. On le vit, quand ils reprochèrent au Seigneur d'avoir violé le sabbat en faisant de la boue avec sa salive et en en mettant sur les yeux de l'aveugle.
Sans doute l'accusation était manifestement fausse, puisqu'ils reprochaient au Sauveur des guérisons opérées par sa seule parole. Etait-ce travailler le jour du sabbat que de dire simplement pour faire ? C'était une évidente calomnie, c'était accuser un simple commandement, accuser une simple parole : eux-mêmes s'abstenaient-ils donc de parler le jour du sabbat? Je pourrais affirmer qu'ils ne parlent ni le jour du sabbat, ni aucun autre jour, puisqu'ils ont cessé de louer le vrai Dieu. Il est vrai cependant qu'ils calomniaient ouvertement le Sauveur, ainsi que je l'ai déjà observé. Le Seigneur disait à un homme : « Etends la main, » cet homme guérissait et on criait à la violation du sabbat (1) ! Mais qu'a fait Jésus? A quel travail s'est-il livré? Quel fardeau a-t-il porté ? Maintenant qu'il crache à terre, qu'il forme de la boue et qu'il en met sur les yeux d'un aveugle, il travaille à la vérité ; nul ne doit le révoquer en doute, il travaille, il abolit le sabbat, et toutefois il ne se rend point coupable.
Pourquoi ai-je dit qu'il abolissait le sabbat : Parce qu'il était
la lumière qui venait écarter les ombres. Le sabbat en effet
avait été établi parle Seigneur notre Dieu et par
le Christ même, uni au Père pour la promulgation de cette
loi ; mais il avait été établi comme l'ombre de ce
qui devait arriver. « Que personne donc ne vous juge sur le manger
ou sur le boire; ou à cause des jours de fête, ou des néoménies,
ou des sabbats, ce qui n'est que l'ombre des choses futures (2). »
On voyait arrivé Celui qu'annonçaient ces institutions. Pourquoi
se plaire encore dans l'ombre? Juifs, ouvrez les yeux, voilà le
soleil. « Nous savons, dites-vous. » Que savez.vous, ô
coeurs aveugles? Que savez-vous? « Que cet homme n'est point de
Dieu, puisqu'il viole ainsi le sabbat. » Le sabbat, malheureux,
le sabbat! Mais il a été publié par ce même
Christ que vous prétendez n'être point dé Dieu. Et
observant le sabbat d'une manière charnelle, vous n'êtes point
sanctifiés par la salive du Christ. Voyez dans le sabbat l'empreinte
du Messie et vous comprendrez que le sabbat est une prophétie qui
l'annonce. Mais vous n'avez pas sur les yeux la boue faite avec la salive
du Christ,
1. Matt, XII, 10-14. 2. Colos, 11, 16
c'est pourquoi vous n'êtes pas allés à Siloé, pour vous y laver et vous êtes restés aveugles; ne voyant pas le bonheur de cet aveugle qui a recouvré la vue du corps et de l'esprit. C'est lui qui a reçu sur ses yeux la boue faite avec la salive; il s'est approché ensuite de Siloé, il s'est lavé, il a cru au Christ, il a vu et il n'est pas resté sous l'arrêt de cette formidable sentence
« Je suis venu dans ce monde pour juger; afin que ceux qui ne voient pas, voient, et que ceux qui voient deviennent aveugles. »
4. Quelle menace ! J'aime à entendre : « Afin que ceux qui ne voient pas, voient. » Un Sauveur, un médecin doit faire « que ceux qui ne « voient pas, voient. » Mais pourquoi, Seigneur, avez-vous ajouté : « Afin que ceux qui voient, deviennent aveugles? » Si nous comprenons bien, rien ne nous paraîtra ni plus vrai ni plus juste.
Que faut-il entendre par « ceux qui voient? » Les Juifs.
Les Juifs voient donc? Ils le prétendent, mais en réalité
ils ne voient pas. Que signifie donc « Ils voient? » Ils
pensent voir, ils croient voir. Car ils croyaient voir, quand ils défendaient
la Loi contre le Christ. « Nous savons, » disaient-ils; voilà
comment ils voient. « Nous savons » ne signifie-t-il pas: nous
voyons? Pourquoi ajouter: « Que cet homme ne vient pas de Dieu, puisqu'il
viole ainsi le sabbat? » C'est que ces prétendus voyants lisaient
la lettre de la Loi, où il était prescrit de lapider quiconque
violerait le sabbat (1); et pour ce motif ils soutenaient que cet homme
ne venait pas de Dieu. Mais ces voyants étaient aveugles et ils
ne voyaient pas que le Juge futur des vivants et des morts était
déjà venu dans le inonde pour juger. Quel arrêt rend-il?
Il fait « que ceux qui ne voient pas, « voient; » c'est-à-dire
que ceux qui reconnaissent leur aveuglement soient éclairés;
« et que ceux qui voient deviennent aveugles; » c'est-à-dire
que ceux qui ne confessent pas leur aveuglement soient plus endurcis qu'ils
ne l'étaient. . Aussi voyez l'accomplissement de ce dernier arrêt.
Les défenseurs de la Loi, les commentateurs de la Loi, les docteurs
de la Loi, les savants dans la Loi ont crucifié l'Auteur même
de la Loi. Quel aveuglement! Et une partie d'Israël y est tombée.
Elle y est tombée, ce qui a fait crucifier le Christ et entrer la
plénitude des gentils. Que signifie : « Afin que ceux qui
ne voient pas, voient?» « Afin que la plénitude
des gentils
1. Nomb. XV, 36.
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entrât, une partie d'Israël est tombée dans l'aveuglement (1). » L'univers entier gisait dans
l'aveuglement; mais le Sauveur est venu « afin que ceux quine voient pas, voient, et que ceux qui voient, deviennent aveugles. » Les Juifs l'ont méconnu, les Juifs l'ont crucifié, pour lui il a fait avec son sang un remède pour les aveugles. De plus en plus opiniâtres et aveuglés de plus en plus, ceux qui se vantaient de voir la lumière ont crucifié la Lumière même. Quel aveuglement, d'avoir éteint la Lumière! Mais cette Lumière, éteinte sur la croix, a éclairé les aveugles.
5. Écoute un ancien aveugle, maintenant éclairé;
reconnais combien ils ont été malheureux de heurter contre
la croix pour avoir refusé d'avouer au médecin leur aveuglement.
Ils avaient conservé la Loi. Que peut la Loi sans la grâce?
Qu'a pu, malheureux, la Loi sans la grâce? Que peut la terre, si
elle n'est détrempée par la salive, du Christ? La Loi sans
fa grâce peut-elle autre chose que de rendre plus coupables? Pourquoi?
Parce qu'en écoutant la Loi sans l'accomplir, on est non, seulement
pécheur, mais encore prévaricateur. L'hôtesse de l'homme
de Dieu vient de perdre son enfant, le prophète envoie son serviteur
poser son bâton sur la face de cet enfant, mais il ne revient pas
à la vie. Que peut la Loi sans la grâce: Écoutez un
ancien aveugle ; c'est aujourd'hui un voyant, un Apôtre : que dit-il
? «Si la Loi avait été donnée avec le pouvoir
de communiquer la vie, la justice viendrait vraiment de la Loi. »
Remarquez bien, répétons. Qu'a dit l'Apôtre ? «
Si la Loi avait été donnée avec le pouvoir de
communiquer la vie, la justice viendrait vraiment de la Loi. »
Mais si elle ne pouvait communiquer la vie; à quoi bon la donner
? L'Apôtre le dit en continuant ainsi « Mais l'Écriture
a tout renfermé sous le péché, afin que la promesse
fût accordée aux croyants par la foi en Jésus-Christ
(2). » Afin donc d'accomplir en faveur des croyants, par la foi en
Jésus-Christ, les promesses qui assuraient aux hommes la lumière
et l'amour, l'Écriture ou la Loi atout compris sous le péché.
Que veut dire, « A tout compris sous le péché ? Je
ne connaîtrais pas la concupiscence, si la Loi n'eût dit :
Tu ne convoiteras pas (3). » Que veut dire encore : « L'Ecriture
a tout compris sous le péché? » Que la Loi a rendu
le pécheur prévaricateur, puisqu'elle n'a pu le guérir.
« Elle a tout compris sous le péché.» Dans lespoir
de la grâce,
1. Rom. XI, 25. 2. Galat. III, 21, 22. 3. Rom. VII, 7.
dans l'espoir de la miséricorde. Tu as reçu la Loi et tu as voulu l'accomplir, mais tu n'as pu; tu es ainsi tombé du haut de ton orgueil, tu as expérimenté ta faiblesse. Cours donc au médecin, lave-toi la face; appelle le Christ de tes voeux, confesse-le et crois en lui; ainsi l'Esprit se joindra â la lettre et tu seras guéri. Car si tu ôtes l'Esprit de la lettre, « la lettre te tuera; » si elle te tue, quel espoir te reste-t-il ? « C'est l'Esprit qui donne la vie (1). »
6. Que le serviteur d'Elisée, que Giézi prenne donc le
bâton de son maître, comme Moïse, le serviteur de Dieu,
reçut autrefois la Loi. Qu'il prenne le bâton, qu'il le prenne,
qu'il coure, qu'il devance son maître, arrive avant lui et mette
son bâton sur le visage de l'enfant mort. C'est déjà
fait. Giézi a reçu le bâton, il a couru et l'a posé
sur la face du mort. Mais à quoi bon ? A quoi bon ce bâton
? « Si la Loi avait été donnée avec le pouvoir
de communiquer la vie, » le bâton aurait ressuscité
l'enfant; mais « l'Écriture ayant tout compris sous le péché,
» l'enfant reste mort. Pourquoi « l'Écriture a-t-elle
tout compris sous le péché? Afin que la promesse
fût accomplie en faveur des croyants par la foi en Jésus-Christ.»
Vienne donc Elisée. Pour constater la mort, il a envoyé son
serviteur avec son bâton ; mais qu'il vienne lui-même, qu'il
vienne, qu'il entre dans la demeure de son hôtesse, qu'il monte dans
la chambre haute et qu' y rencontrant l'enfant mort il applique sur chacun
des membres de ce mort chacun des membres vivants de son propre corps.
Il l'a fait aussi; il a appliqué sa face sur la face de l'enfant,
ses yeux sur ses yeux, ses mains sur ses mains, ses pieds sur ses pieds,
il s'est comme rétréci, contracté, rapetissé
(2). Il s'est comme rétréci, comme diminué. Ainsi
: « Celui qui avait la nature divine s'est anéanti en prenant
la nature de serviteur (3). » Tout vivant il s'est appliqué
sur l'enfant mort: qu'est-ce à dire? Vous voulez le savoir? Ecoutez
l'Apôtre « Dieu a envoyé son Fils. » Mais s'appliquer
sur l'enfant mort ? L'Apôtre va le dire, il continue en effet : «
Dans une chair semblable à la chair de péché (4).»
S'appliquer vivant sur le mort, c'est donc venir à nous, non pas
avec une chair de péché, mais avec une chair semblable à
la chair de péché. Nous étions morts dans notre chair
de péché, le Christ s'est approché de nous avec une
chair, semblable à notre chair de péché ;
1. II Cor. III, 6, 2. 2. IV Rois, IV. 3. Philip. II, 6. 4. Rom.VIII,
3.
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il est mort sans être condamné à mort lui seul était libre parmi les morts; il est mort parce que tous les hommes étaient condamnés à mort par le péché. Comment les hommes revivraient-ils, si Celui qui était seul sans péché n'était venu comme pour s'appliquer sur eux, avec une chair semblable à la chair de péché ? O Seigneur Jésus, vous qui avez souffert pour nous et non pour vous, vous qui n'avez commis aucune faute et qui en subissez la peine, ah! c'est pour nous délivrer et de toute faute et de toute peine.
SERMON CXXXVII. LE BON PASTEUR (1).
ANALYSE. On serait porté à croire, surtout en lisant
la fin de ce discours, que plusieurs s'étaient plaints de la sévérité
des avertissements donnés par saint Augustin à son peuple.
L'explication de lEvangile du bon Pasteur lui fournissant l'occasion d'expliquer
sa conduite, il en profite. Qu'est-ce donc que le bon Pasteur? Jésus-Christ
s'appelle à la fois la porte et le bon Pasteur. C'est en lui-même
et considéré comme chef de l'Église qu'il est la porte,
c'est dans son Eglise même qu'il est Pasteur; et en disant que le
bon pasteur doit entrer par la porte, il veut faire entendre que tout bon
pasteur doit recevoir de lui sa vocation et être rempli de son amour.
De plus un bon pasteur ne doit pas être un mercenaire? Qu'est-ce
qu'un pasteur mercenaire? Un pasteur mercenaire, quoiqu'en disent certains
ecclésiastiques, est celui dont la conduite, semblable à
celle des Scribes et des Pharisiens; est en opposition avec son enseignement,
Il ne remplit pas son devoir pour l'amour de Jésus-Christ, mais
par intérêt; et voilà pourquoi il ne résiste
pas avec vigueur aux attaques de l'ennemi, aux mauvais conseils et aux
doctrines mauvaises. II faut le supporter dans l'Église, profiter
même de l'enseignement salutaire qu'il donne au nom de l'Église;
mais on doit se garder d'imiter sa lâcheté. C'est pour ne
pas faire comme lui et ne mériter pas d'être condamné
au tribunal suprême, que saint Augustin reprend avec fermeté,
ne consultant que l'avantage spirituel de son troupeau.
1. Votre foi ne l'ignore pas, mes bien-aimés, nous savons même
que vous l'avez appris du Maître qui enseigne du haut du ciel et
en qui vous avez mis votre espoir: Celui qui pour nous a souffert et est
ressuscité, Jésus-Christ Notre-Seigneur est le Chef de l'Église,
l'Église est son corps, et la santé de ce corps c'est l'union
de ses membres et le lien de la charité. Que la charité vienne
à se refroidir, on est malade tout en faisant partie du corps de
Jésus-Christ. Il est vrai, Celui qui a exalté notre Chef
divin peut aussi guérir ses membres; mais c'est à la condition
qu'un excès d'impiété ne les fera point retrancher
de son corps et qu'ils y restent attachés jusqu'à ce qu'ils
soient complètement guéris. Car il ne faut pas désespérer
de ce qui lui est uni encore; mais on ne peut ni traiter ni guérir
ce qui en est séparé. Or le Christ étant le Chef de
l'Église et l'Église étant son corps, le Christ entier
comprend et le chef et le corps. Mais le Chef est ressuscité. Nous
avons donc au ciel notre chef qui intercède pour nous, et qui exempt
de tout péché et affranchi de la mort, apaise Dieu irrité
par nos iniquités. Il veut ainsi que ressuscitant nous-mêmes
à la fin des siècles, transformés et pénétrés
de la gloire céleste, nous parvenions où il est. Les membres
en
1. Jean, X, 1-16 .
effet ne doivent-ils pas suivre la tête? Ah! puisqu'ici même nous sommes ses membres, ne nous décourageons point; nous suivrons notre Chef.
2. Contemplez, mes frères, combien nous sommes aimés de ce Chef divin. Il est au ciel, et pourtant il souffre sur la terre tout le temps qu'y souffre son Église. Ici en effet il a faim, il a soif, il est dépouillé, il est étranger, il est malade, il est en prison. N'a-t-il pas dit qu'il endure tout ce que souffre son corps et qu'à la fin du monde plaçant ce corps à sa droite et à sa gauche les impies qui le foulent aujourd'hui, il dira aux élus de sa droite : « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé dès la création du monde? » Et pourquoi ? « Parce que j'ai eu faim et que vous m'avez donné à manger. » Il énumère les autres services comme s'il en avait été l'objet. Les élus mêmes ne le comprennent pas et ils s'écrient : « Quand est-ce, Seigneur, que nous vous avons vu sans pain, sans asile et en prison? » Et il leur répond: « Toutes les fois que vous avez rendu ces bons offices de l'un des plus petits d'entre les miens, c'est à moi que vous les avez rendus. »
Notre corps même présente quelque chose de semblable. La tête y est on haut et les pieds en (559) bas; si cependant au milieu d'une foule serrée quelqu'un te marche sur le pied, la tête ne dit-elle pas: Tu me blesses ? Ce n'est ni la tête ni la langue que l'on presse alors; elles sont en haut, elles sont en sûreté, personne ne les frappe; mais le lien de la charité unissant tout le corps, de la tête aux pieds, la langue ne sépare point sa cause de celle des autres membres et elle crie : Tu me blesses, quoique personne ne la -touche. Si donc notre langue, sans être touchée, peut dire alors qu'on la blesse, le Christ notre Chef ne peut-il dire, sans souffrir personnellement. « J'ai eu faim et vous m'avez donné à manger? » Ne peut-il dire encore à ceux qui ont refusé ce service à ses membres : « J'ai eu faim, et vous ne m'avez pas donné à manger? » Comment enfin conclut-il ? Le voici : « Ceux-ci iront aux flammes éternelles, et les justes à l'éternelle vie (1). »
3. Dans les paroles que nous venons d'entendre, le Seigneur se présentait
à la fois comme étant le pasteur et comme étant la
porte. Il disait expressément : « Je suis la porte; »
et expressément : « Je suis le pasteur. » C'est comme
Chef qu'il est la porte, c'est dans ses membres qu'il est le pasteur. Aussi
bien en établissant l'Église sur Pierre seulement, il lui
dit : « Pierre, m'aimes-tu? Seigneur, je vous aime, répond
Pierre. Pais mes brebis. » Comme il disait une troisième
fois : « Pierre m'aimes-tu ? » Pierre s'attrista de cette troisième
demande (2) : si son Maître avait pu voir dans sa conscience qu'il
le renierait, ne voyait-il pas dans sa foi combien il était sincère-
à le confesser ? Mais Jésus ne cessa jamais de connaître
Pierre; il le connaissait même lorsque Pierre s'ignorait, et Pierre
s'ignorait quand il disait : « Je vous suivrai jusqu'à la
mort; » il ne savait pas alors jusqu'où, allait sa faiblesse.
Il arrive souvent à des malades de ne connaître point ce qui
se passe en eux, tandis que le médecin le sait et quoique celui-ci
ne souffre pas ce qu'endure le malade. L'un explique mieux ce qui se passe
dans l'autre, que ce dernier n'exprime ce qui se passe en lui-même.
Voilà ce qui avait lieu entre Pierre, malade alors, et le Seigneur,
son médecin. Le premier prétendait avoir des forces et pourtant
il n'en avait pas ; ruais en touchant les pulsations de son coeur, Jésus
annonçait qu'il le renierait trois fois. On sait comment se réalisa
la prédiction du médecin, et comment fat confondue la présomption
du malade (3). Si donc le Sauveur l'interrogea après sa
1. Matt. XXV, 31-46. 2. Jean, XXI, 15-17. 3. Luc, XXII, 33,
34, 55-61.
résurrection, ce n'est point qu'il ignorât combien était sincère l'amour qu'il professait pour lui; mais il voulait qu'en confessant trois fois son amour, il effaçât le triple reniement que lui avait arraché la crainte.
4. Aussi quand le Seigneur demande à Pierre « Pierre m'aimes-tu ? » c'est comme s'il lui disait : Que me donneras-tu, que m'accorderas-tu comme témoignage de ton amour? Eh ! que pouvait accorder Pierre au Seigneur ressuscité, quand il était sur le point de monter au ciel et d'y siéger à la droite du Père ? Jésus semblait donc lui dire : Ce que tu me donneras, ce que tu feras pour moi, situ m'aimes, c'est de paître mes brebis, c'est d'entrer par la porte, sans monter par ailleurs. On vous a dit, en lisant l'Évangile « Celui qui entre par la porte est le pasteur; mais celui qui monte par ailleurs est un voleur et un larron, qui cherche à troubler, à disperser et à ravir. » Qu'est-ce qu'entrer par la porte ? C'est entrer par le Christ. Qu'est-ce qu'entrer par le Christ? C'est l'imiter dans ses souffrances, c'est le reconnaître dans son humilité, et Dieu s'étant fait homme, c'est avouer que l'on est homme et non pas Dieu. Est-ce en effet imiter un Dieu fait homme que de vouloir paraître Dieu quand on n'est qu'un homme? On ne t'invite pas à devenir moins que tu es, mais on te dit: Reconnais que tu es homme, que tu es pécheur; reconnais que Dieu justifie et que tu es souillé. Avoue les taches de ton coeur, et tu feras partie du troupeau de Jésus-Christ; car cet aveu de tes fautes portera le médecin à te guérir, autant que l'éloigne de lui le malade qui prétend être en bonne santé.
Le Pharisien et le Publicain n'étaient-ils pas montés au temple? L'un se vantait de sa bonne santé, et l'autre montrait ses plaies au Médecin. Le premier disait effectivement : « O Dieu, je vous rends grâces de ce que je ne suis pas comme ce Publicain. » Ainsi s'élevait-il superbement au dessus de lui, et si le Publicain n'eût pas été malade, dans l'impuissance de se préférer à lui, le Pharisien l'aurait haï. Avec de telles dispositions à la jalousie et à la haine, en quel état se trouvait donc le Pharisien montant au temple? Sûrement il était malade, et en se disant bien portant il ne fut point guéri quand il quitta le temple. Le Publicain au contraire tenait les yeux à terre sans oser les lever vers le ciel, et se frappant la poitrine il disait: « O Dieu, ayez pitié de moi, pauvre pécheur. » Et que (560) conclut le Seigneur? « En vérité je vous le déclare : le Publicain sortit du temple justifié, plutôt que le Pharisien; car quiconque s'élève sera abaissé, et quiconque s'abaisse sera élevé (1). » Ceux donc qui s'élèvent veulent monter par ailleurs dans le bercail; tandis que ceux qui s'abaissent, y entrent par la porte. Aussi est-il dit, de l'un, qu'il entre et de l'autre, qu'il monte. Monter, vous le voyez, c'est rechercher les grandeurs, ce n'est pas entrer, c'est tomber; au lieu que s'abaisser pour entrer par la porte, ce n'est pas tomber, c'est être pasteur.
5. Cependant le Seigneur fait figurer dans l'Évangile trois personnages que nous devons y étudier : le pasteur, le mercenaire et le voleur. Vous avez .sans douté remarqué à la lecture de l'Évangile, les caractères assignés par Jésus-Christ au pasteur, au mercenaire et au voleur. Le pasteur, a-t-il dit, donne sa vie pour ses brebis et il entre par la porte. Le voleur et le larron montent par ailleurs. Quant au mercenaire, il fuit lorsqu'il voit le loup ou le voleur, parce qu'étant mercenaire et non pasteur, il ne prend point souci des brebis. L'un entre par la porte, attendu qu'il est le pasteur; l'autre monte par ailleurs, attendu qu'il est un voleur; et le troisième tremble et prend la fuite à la vue des ravisseurs qui veulent s'emparer des brebis, attendu qu'il est mercenaire et qu'étant mercenaire il ne prend point souci du troupeau.
Si nous parvenons à bien reconnaître ces trois sortes de personnages, votre sainteté saura qui vous devez aimer, qui vous devez supporter et de qui vous devez vous garder. Il faudra aimer le pasteur, supporter le mercenaire et vous garder du larron.
Il y a en effet dans l'Église des hommes dont l'Apôtre dit qu'ils annoncent l'Évangile par occasion, recherchant auprès des hommes leurs propres avantages, argent, honneurs, louanges humaines (2). Ce qu'ils veulent, ce sont des présents de quelque nature, et ils ont moins en vue le salut de l'auditeur que leurs intérêts personnels. Quant au fidèle à qui le salut est annoncé par un homme qu'y n'y a point part, s'il croit en Celui qu'on lui annonce sans s'appuyer sur le prédicateur, il y aura profit pour l'un, perte pour l'autre.
6. Le Seigneur disait des Pharisiens: « Ils sont assis sur la
chaire de Moïse (3). » Il n'avait pas en vue que les Pharisiens
et son intention n'était
1. Luc, XVIII, 10-14 2. Philip. I, 18. 3. Matt. XXIII, 2.
pas d'envoyer à l'école des Juifs ceux qui croiraient en lui, pour y apprendre le chemin qui conduit au royaume des cieux. N'était-il pas venu effectivement pour former son Église, pour séparer du reste de la nation, comme on sépare le froment de la paille, les Israëlites qui étaient dans la bonne foi, qui avaient une bonne espérance et une charité véritable, pour faire de la circoncision comme une muraille, pour y joindre, comme une autre muraille, la gentilité, et pour servir lui-même de pierre angulaire à ces deux murs aboutissant à lui de directions opposées ? N'est-ce pas de l'union future de ces deux peuples qu'il disait : « J'ai aussi d'autres brebis qui ne sont pas de ce bercail, » du bercail des Juifs; « il faut que je les amène encore, afin qu'il n'y ait plus qu'un seul troupeau et un seul pasteur?» Aussi est-ce de deux barques qu'il appela ses disciples; ces deux barques désignaient les deux peuples qui devaient entrer dans l'Église, lorsque les Apôtres, après avoir jeté les filets, prirent cette multitude de poissons dont le poids faillit les rompre et qu'« ils en chargèrent ces deux mêmes barques (1). » Il y avait bien deux barques, mais il n'y a qu'une Église formée de deux peuples différents qui s'unissent dans le Christ. C'est ce qui était figuré aussi par Lia et Rachel, les deux épouses d'un même mari, de Jacob (2); par les deux aveugles assis près de la route et it qui lé Seigneur rendit la vue (3). Si enfin vous étudiez avec attention les Écritures, souvent vous y rencontrerez des figures de ces deux Églises qui n'en forment qu'une seule, comme l'indiquent et la pierre angulaire qui unit deux murs et le pasteur qui unit deux troupeaux.
En venant donc pour enseigner son Église et pour établir
son école en dehors du Judaïsme, comme nous la voyons établie
aujourd'hui, le Seigneur ne voulait pas rendre disciples des Juifs ceux
qui croiraient en lui. Sous le nom de Scribes et de Pharisiens il voulait
désigner ceux qui un jour dans son Église diraient et ne
feraient pas, comme il se désignait lui-même dans la personne
de Moïse. Moïse effectivement figurait Jésus-Christ, et
si en parlant au peuple il se voilait la face, c'était pour indiquer
qu'en cherchant dans la Loi les joies et lés voluptés charnelles
et qu'en ambitionnant un empire terrestre, les Juifs avaient devant les
yeux un voile qui les empêcherait de reconnaître le Christ
dans les Écritures. Aussi le voile tomba-t-il après la passion
du Seigneur
1. Luc, V, 2-7. 2. Genèse, XXIX. 3. Matt. XX, 30-34
561
et on vit alors les secrets du sanctuaire. C'est pour ce motif quau moment où le Sauveur était suspendu à la croix, le voile du temple se déchira de haut en bas (1); et l'Apôtre Paul dit expressément : « Lorsque tu te seras converti au Christ, le voile disparaîtra (2); » au lieu «qu'il reste posé sur le coeur, » comme s'exprime le même Apôtre, lorsque tout en lisant Moïse, on ne s'est point attaché au Christ (3). Afin donc d'annoncer qu'il y aurait dans son Église de ces docteurs pervers, que clin le Seigneur? « Les Scribes et les Pharisiens sont assis sur la chaire de Moïse ; faites ce qu'ils disent, mais gardez-vous de faire ce qu'ils font. »
7. En entendant ce texte qui les condamne, il est de mauvais ecclésiastiques qui cherchent i en corrompre le sens; j'en ai réellement entendu quelques-uns qui voulaient l'altérer. S'ils le pouvaient, n'effaceraient-ils pas cette maxime de l'Évangile ? Dans l'impuissance d'y réussir, ils veulent au moins la fausser. Mais par sa grâce et par sa miséricorde, le Seigneur ne leur permet pas d'y parvenir non plus. Toutes ses paroles sont environnées du rempart protecteur de sa vérité; elles sont tellement posées que si un lecteur ou un interprète infidèle voulaient en retrancher ou y ajouter quoi que ce fût, un homme de coeur, pour rétablir le sens qu'on cherchait à pervertir, n'a qu'à rapprocher l'Ecriture d'elle-même en lisant ce qui précède ou ce qui suit. Comment donc s'y prennent ceux dont il est question dans ces mots : « Faites ce qu'ils disent ? » C'est aux laïques, affirment-ils que cela s'adresse.
Il est vrai, que fait un laïque qui veut se bien conduire, lorsqu'il
voit un ecclésiastique se conduisant mal? Le Seigneur a dit, se
rappelle-t-il « Faites ce qu'ils disent; gardez-vous de faire ce
qu'ils font. » Je vais donc suivre les voies tracées par le
Seigneur, sans imiter un tel dans ses moeurs. Je recevrai, quand il parlera,
non pas sa parole, mais la parole de Dieu. Qu'il s'attache à sa
passion, pour moi je m'attache à Dieu. Car si pour me défendre
devant Dieu je disais un jour : Seigneur, j'ai vu cet homme qui est votre
clerc, se conduire mal et je me suis mal conduit; le Seigneur ne me répondrait-il
pas, mauvais serviteur, ne t'avais-je pas dit: « Faites ce qu'ils
disent; gardez-vous de faire ce qu'ils font? » Quant au laïque
mauvais, infidèle, qui ne fait partie ni du troupeau du Christ,
ni du froment du Christ et qu'on supporte simplement comme
1. Matt. XXVII, 51. 2. II Cor. III, 16. 3. Ibid. 15.
on laisse la paille sur l'aire, que réplique-t-il quand on se met à le presser en lui citant la parole de Dieu? Laisse-moi; à quoi bon me parler ainsi? Les évêques, les ecclésiastiques mêmes ne font pas ce que tu dis, et tu prétends que je le fasse? C'est se chercher, non pas un- avocat de mauvaise cause, mais un compagnon de supplice. Comment être défendu au jour du jugement par un méchant qu'on aura voulu imiter ? Quand le diable parvient à séduire, ce n'est pas pour régner, c'est pour être condamné avec ceux qu'il dupe; ainsi en s'attachant aux traces des méchants, on s'associe à eux pour l'enfer, on ne s'en fait pas des protecteurs pour le ciel.
8. Comment donc ces ecclésiastiques qui se conduisent mal faussent-ils la pensée du Seigneur, quand on leur oppose qu'il a eu raison de déclarer : « Faites ce qu'il disent; gardez-vous de faire ce qu'ils font ? » La sentence est irréprochable répondent-ils. Il vous est dit de faire ce que nous disons et de ne pas faire ce que nous faisons. C'est qu'il ne vous est pas permis d'offrir le sacrifice que nous offrons. Quelles supercheries de la part de ces..... de ces mercenaires! Ah! s'ils étaient de vrais pasteurs, ils ne parleraient pas ainsi. Aussi pour leur fermer la bouche, il suffit d'observer la suite des paroles du Seigneur. « Ils sont assis, dit-il, sur la chaire de Moïse ; faites ce qu'ils disent, mais gardez-vous de faire ce qu'ils font, car ils disent et ne font pas. » Que signifie ce langage, tues frères ? S'il était ici question du sacrifice à offrir, nous ne lirions point : « Ils disent et ne font pas; » car le sacrifice est une action, c'est une offrande faite à Dieu. Qu'est-ce donc qu'ils disent sans le faire ? Le voici dans les paroles qui suivent: « Ils lient des fardeaux pesants et qu'on ne peut porter, et les placent sur les épaules des hommes, sans vouloir même les remuer du doigt (1). » Voilà des reproches manifestes et clairement exprimés. Mais en voulant fausser la pensée du Seigneur, ces malheureux montrent que dans l'Eglise ils ne cherchent que leurs propres avantages et qu'il n'ont pas lu l'Evangile. S'ils en connaissaient seulement une page et en avaient lu le texte entier, jamais ils n'avanceraient ce qu'ils osent avancer.
9. Voyez plus clairement encore qu'il y a dans l'Eglise de ces mauvais
docteurs. On pourrait nous objecter que le Seigneur ne parlait que des
Pharisiens, que des Scribes, que des Juifs, et qu'il
1. Matt. XXIII, 2-4.
562
n'y a parmi nous personne qui leur ressemble. Quels sont alors ceux qu'envisage le Sauveur quand il s'écrie : « Ce ne sont pas tous ceux qui me disent : Seigneur, Seigneur, qui entreront dans le royaume des cieux ? » et quand il ajoute : « Beaucoup me diront, en ce jour-là: Seigneur, Seigneur, n'est-ce pas en votre nom que nous avons prophétisé, en votre nom que nous avons .fait beaucoup de miracles, et en votre nom que nous avons bu et mangé ? » Est-ce au nom du Christ que les Juifs font tout cela? Il est évident toutefois qu'il ne s'agit ici que, de ceux qui portent le nom du Christ. Et que dit ensuite le Sauveur ? « Je leur déclarerai alors : Je ne vous ai jamais connus. Éloignez-vous de moi, vous qui opérez l'iniquité (1). »
Prête l'oreille aux gémissements que l'Apôtre répand sur eux. Les uns, dit-il, annoncent l'Evangile par charité, les autres par occasion, et ceux-ci « ne l'annoncent pas avec droiture (2). » L'Evangile est droit, mais eux ne le sont pas. Ce qu'ils annoncent est droit, mais eux ne sont pas droits. Pourquoi ne sont-ils pas droits ? Parce qu'ils cherchent dans l'Église autre chose que Dieu et ne cherchent pas Dieu même. S'ils cherchaient Dieu, ils seraient purs, attendu que Dieu est le légitime époux de l'âme, et que chercher en Dieu autre chose que Dieu même, ce n'est pas le chercher purement. En voici la preuve, lues frères. Une épouse n'est pas pure, si elle aime son mari parce qu'il est riche ; ce n'est pas lui qu'elle aime alors, c'est plutôt son or. Mais si elle l'aime véritablement, elle l'aime jusque dans le dépouillement et l'indigence. En l'aimant parce qu'il est riche, que fera-t-elle, si par suite des vicissitudes humaines, il vient à être proscrit et jeté tout-à-coup dans la misère ? Il est possible qu'elle le quitte. Ce serait la preuve qu'elle ne l'aimait pas, mais qu'elle aimait son bien. Car si elle l'aimait réellement, elle l'aimerait plus.vivement encore quand il tombe dans la pauvreté, puisque la compassion se joindrait en elle à l'amour.
10. Et pourtant, mes frères, notre Dieu ne saurait tomber jamais
dans la pauvreté. Il est riche, c'est lui qui atout fait, le ciel
et la terre, la mer et les Anges. Tout ce que nous voyons et tout ce que
nous ne voyons pas dans le ciel, c'est lui qui l'a fait. Mais nous ne devons
pas aimer ses richesses, nous devons l'aimer lui-même, lui qui en
est l'auteur, car il ne t'a promis
1. Matt. VII, 21-23. 2. Philip. I, 17.
que lui. Montre-lui quelque chose de plus précieux que lui, et il te le donnera: La terre est belle,. le ciel et les Anges sont beaux ; mais leur Créateur est plus beau encore.
Ainsi donc ceux qui annoncent Dieu avec amour, ceux qui annoncent Dieu pour Dieu même, ceux-là sont de vrais pasteurs et non pas des mercenaires. Leur âme est pure, comme l'exigeait Notre-Seigneur Jésus-Christ quand il disait à Pierre: « Pierre, m'aimes-tu? M'aimes-tu? » C'est-à-dire : Es-tu pur? N'as-tu pas un coeur adultère? Est-ce tes intérêts et non pas les miens que tu cherches dans l'Église ? Ah! si tu es pur, tu m'aimes, « pais mes brebis (1); » tu ne. seras pas un mercenaire, mais un vrai pasteur.
11. Pour ceux qui excitent les gémissements de l'Apôtre, ils ne prêchaient pas l'Évangile avec pureté. Que dit néanmoins l'Apôtre ? « Mais qu'importe, pourvu que le Christ soit annoncé de quelque manière que ce puisse être, ou par occasion, ou par un vrai zèle (2)? » C'était tolérer des mercenaires. Le pasteur annonce le Christ avec un vrai zèle, le mercenaire l'annonce par occasion et avec d'autres .vues. Ils le prêchent toutefois l'un et l'autre. Écoute ce cri d'un vrai pasteur: « Pourvu, dit Paul, que le Christ, soit prêché, ou par occasion, ou par un vrai zèle! » Ce bon pasteur laisse agir les mercenaires. Ils font le bien où ils peuvent, ils sont utiles autant qu'ils en sont capables.
Avait-il, dans d'autres circonstances, besoin de quelqu'un qui pût
servir de modèle aux faibles? Il écrivait: « Je vous
ai envoyé Timothée, pour vous rappeler mes voies (3). »
Qu'est-ce à dire ? Je vous ai envoyé un pasteur qui doit
vous rappeler mes voies, parce qu'il se conduit comme je me conduis. Que
dit-il encore de ce pasteur qu'il envoie ailleurs ? « Je n'ai personne
qui me soit aussi intimement uni et qui s'inquiète pour vous avec
une affection aussi sincère. » Mais n'avait-il pas avec lui
beaucoup de disciples ? Lisez encore : « C'est que tous cherchent
leurs intérêts, et non les intérêts de Jésus-Christ
(4). » En d'autres termes: J'ai voulu vous envoyer un pasteur, car
il y a beaucoup de mercenaires, et if ne fallait pas vous en envoyer maintenant.
On peut dans d'autres occasions et pour d'autres affaires envoyer un
mercenaire; mais il fallait un pasteur pour ce que Paul avait en vue. Hélas
! il en trouve un à peine dans ce grand nombre de mercenaires; c'est
qu'effectivement
1. Jean, XXI, 16. 2. Philip. I, 18. 3. I Cor. IV, 17. 4
Philip. 20,21.
563
il y a beaucoup de mercenaires et peu de pasteurs. Cependant, qu'est-il dit des mercenaires ? « En vérité je vous le déclare, ils ont reçu leur récompense (1). » Du pasteur au contraire que nous enseigne l'Apôtre? « Quiconque se tient pur de ces choses, sera un vase d'honneur sanctifié et utile au Seigneur, préparé pour toutes les bonnes oeuvres: » non pas pour quelques-unes, mais pour toutes; «préparé pour toutes les bonnes oeuvres (2). » Voilà pour les pasteurs.
12. Quant aux mercenaires : « le mercenaire prend la fuite lorsqu'il
voit le loup rôder autour des brebis. » Ainsi s'exprime le
Seigneur. Et pourquoi le mercenaire prend-il la fuite? «Parce qu'il
n'a point souci des brebis. » Par conséquent le mercenaire
rend des services tant qu'il ne voit ni loup, ni voleur, ni larron. En
voit-il? Il prend la fuite. Quel mercenaire ne prend pas la fuite, ne sort
pas de l'Église, lorsqu'il voit le loup et le larron ? Les loups
et les larrons sont nombreux. Ce sont ceux-ci qui montent par ailleurs?
Et quels sont ceux qui montent par ailleurs ? Ceux du parti de Donat qui
veulent faire proie des brebis de Jésus-Christ. Ils montent par
ailleurs, ils n'entrent point par le Christ, car ils ne sont pas humbles.
Ils sont orgueilleux et ils montent. Qu'est-ce à dire, ils montent?
Ils s'élèvent. D'où s'élèvent-ils ?
D'un parti, car ils prétendent porter le nom d'un parti. N'étant
point dans t'unité, ils sont d'un parti et c'est de ce parti qu'ils
montent, qu'ils s'élèvent pour enlever les brebis. Voyez
comment ils s'élèvent. C'est nous, disent-ils, qui sanctifions,
c'est nous qui justifions, c'est nous qui faisons des justes. Voilà
jusqu'où ils montent. Mais qui s'élève sera humilié
(3); le Seigneur notre Dieu peut les humilier. Le loup désigne le
diable. Or le diable et ceux qui marchent à sa suite cherchent à
tromper; aussi est-il dit qu'ils sont revêtus de peaux de brebis
et qu'intérieurement ils sont des loups rapaces (4). Eh bien ! qu'un
mercenaire voie quelqu'un mal parler, avoir des sentiments pernicieux pour
son salut, faire des actes coupables,et obscènes; malgré
l'autorité qu'on lui connaît dans l'Église, où
pourtant il n'est qu'un mercenaire puisqu'il y cherche son intérêt;
ce mercenaire , tout en voyant un homme périr dans son péché,
être saisi au gosier et traîné par le loup au supplice,
ne lui dira pas : Tu fais mal, et ne lui fera aucun reproche, par égard
pour ses propres intérêts.
1 Matt. VI, 4. 2. II Tim. II, 21. 3. Luc, XIV, 11. 4. Matt. VII,
16.
N'est-ce pas fuir quand. on voit le loup? En ne disant pas : Tu fais le mal, ce n'est pas le corps, c'est l'âme qui prend la fuite. Le corps est immobile, mais le coeur s'en va, quand on voit un pécheur et qu'on ne lui dit pas: Tu fais mal, quand on va même jusqu'à s'entendre avec lui.
13. Ne voyez-vous pas souvent, mes frères, monter ici des prêtres et des évêques, et du haut dé cette tribune engagent-ils à autre chose qu'à s'abstenir de prendre le bien d'autrui, de faire des fraudes, de commettre des crimes ? Assis sur la chaire de Moïse, ils ne sauraient parler autrement, et c'est plutôt elle qui parle qu'eux-mêmes. N'est-il pas dit toutefois : « Cueille-t-on des raisins sur les épines et des figues sur les chardons? » et encore: «Tout arbre se reconnaît à son fruit (1) ? » Comment donc un Pharisien peut-il enseigner la vertu ? Le Pharisien est l'épine; comment cueillir le raisin sur l'épine ? Ah! c'est que vous avez dit, Seigneur : « Faites ce qu'ils disent, mais gardez-vous de faire ce qu'ils font. » Ainsi vous me commandez de cueillir le raisin sur l'épine, quoique vous ayez dit en personne: « Cueille-t-on le raisin sur des épines ? » Voici ce que répond le Seigneur: Je ne te commande pas de cueillir le raisin sur des épines; mais examine, regarde bien s'il n'arrive pas souvent à la vigne, lorsqu'elle court sur la terre, de s'entre!acer dans des épines? Plusieurs fois, mes frères, nous avons vu des ceps de vigne appuyés sur ces figuiers sauvages qui forment ici des haies épineuses; ces ceps déploient leurs rameaux, ils les entrelacent dans les épines, et au milieu de ces épines on voit pendre des grappes. Mais est-ce sur les épines qu'on les cueille ou plutôt sur la vigne qui s'y entrelace ? Oui, les Pharisiens sont des buissons épineux; mais une fois assis sur la chaire de Moïse, la vigne s'attache à eux; à eux sont suspendues des grappes, d'excellents conseils, de salutaires préceptes. Cueille le raisin, tu ne te blesseras point dans l'épine si tu es attentif à ces mots: « Faites ce qu'il disent, mais gardez-vous de faire ce qu'ils font. » Leurs actions sont des épines, tandis que leurs discours sont le raisin, mais le raisin produit par la vigne, c'est-à-dire par la chaire de Moïse.
14. Ces mercenaires fuient donc quand ils voient le loup, quand ils
voient le larron. Mais, comme je le disais, il ne peuvent, du haut de cette
chaire, que vous répéter : Faites le bien, ne soyez point
1. Matt. VII, 16.
564
parjures, gardez-vous de tromper, de surprendre personne.
Il est pourtant des hommes assez égarés pour consulter l'évêque sur les moyens à prendre afin de s'approprier le domaine d'autrui. Nous le savons par nous-même, nous ne l'aurions pas cru autrement. Plusieurs donc veulent que nous leur donnions des conseils pervers, que nous leur apprenions à mentir et à tromper; ils s'imaginent nous plaire ainsi. Mais par la grâce du Christ et si le Seigneur me permet de parler ainsi, jamais aucun d'eux n'a réussi à nous tenter et à obtenir de nous ce qu'il désirait; car pourvu que Celui qui nous a appelé nous en fasse la grâce, nous sommes pasteur et non pas mercenaire. Cependant que dit l'Apôtre? « Pour moi, je me mets fort peu en peine d'être jugé par vous ou par un tribunal humain; bien plus, je ne me juge pas moi-même. A la vérité, ma conscience ne me reproche rien, mais je ne suis pas pour cela justifié, et celui qui me juge, c'est le Seigneur (1). » Ce ne sont pas vos louanges qui me mettent la conscience en bon état. Pourquoi louez-vous ce que vous ne voyez pas? C'est à Celui qui voit de louer, à Lui encore de reprendre s'il voit en moi quelque chose qui blesse son regard. Car nous sommes bien éloignés de nous croire parfaitement guéris et nous nous frappons la poitrine en disant à Dieu: Aidez-moi dans votre miséricorde à ne point pécher. Je crois pouvoir le dire cependant, puisque je parle en sa présence et n'ayant en vue que votre salut: nous gémissons bien souvent sur les péchés de nos frères; ces péchés nous accablent et nous tourmentent le coeur; nous en reprenons de temps en temps les auteurs, ou plutôt nous ne cessons de les en reprendre. J'invoque le témoignage de tous ceux qui voudront réveiller leurs souvenirs : combien de fois n'avons-nous pas repris et repris avec force nos frères dans le désordre!
15. Je révèle maintenant des desseins à votre sainteté.
Vous êtes, par la grâce du Christ, le peuple de Dieu, un peuple
catholique, les membres du Sauveur. Vous n'êtes point séparés
de l'unité, mais en communication avec ceux qui tiennent aux Apôtres,
avec ceux qui honorent la mémoire des saints Martyrs et il y en
a dans tout l'univers; vous êtes l'objet ne notre sollicitude et
nous devons rendre bon compte de vous.
1. I Cor. IV, 3, 4.
Vous savez en quoi consiste- ce compte. Pour vous, ô mon Dieu, vous n'ignorez pas que j'ai parlé, que je n'ai pas gardé le silence, vous connaissez avec quelles dispositions j'ai parlé et combien j'ai pleuré devant vous lorsqu'on n'écoutait pas mes avertissements: N'est-ce pas là tout le compte dont je suis chargé ?
Ce
qui nous rassure en effet, c'est ce que le Saint-Esprit a fait dire au
prophète Ezéchiel. Vous vous rappelez le passage relatif
à la sentinelle. « Fils de l'homme, est-il écrit, je
t'ai établi sentinelle pour la maison d'Israël. Quand je dirai
à l'impie: Impie, tu mourras de mort, si tu ne lui parles pas; »
car je te parle à toi pour que tu lui reportes mes paroles ; si
donc tu ne les lui reporte pas, « et que le glaive vienne le frapper
et le mettre à mort, » comme j'en ai menacé le pécheur
; « l'impie sans doute mourra dans son péché, mais
je demanderai compte de son sang aux mains de la sentinelle. » Pourquoi?
Parce qu'elle ne l'a pas averti. « Au contraire, si la sentinelle
voit venir l'épée, si de plus elle sonne de la trompette
pour inviter à prendre la fuite et que l'impie « ne se mette
pas sur ses gardes, » c'est-à-dire ne se corrige pas pour
échapper au supplice dont Dieu le menace; « si l'épée
vient en effet et le mette à mort ; l'impie sans doute mourra dans
son iniquité, mais toi, tu auras sauvé ton âme (1).
» N'est-ce pas ce qu'enseigne aussi le passage suivant de l'Evangile
? « Seigneur, y dit le serviteur paresseux, je savais que vous êtes
un homme dur ou sévère, que vous moissonnez où
vous n'avez pas semé, que vous cueillez où vous n'avez rien
mis, j'ai donc eu peur et je suis allé enfouir mon talent dans la
terre: voici ce qui est à vous. Serviteur mauvais, répond
le Seigneur, et d'autant plus paresseux que tu me connaissais pour un homme
dur et sévère, moissonnant où je n'ai pas semé
et recueillant ou je n'ai rien mis : » l'avarice même que tu
m'imputes devait t'apprendre que je veux profiter de mon argent. «
Tu devais donc mettre cet argent chez les banquiers et en revenant je l'aurais
repris avec les intérêts (2).» Le Seigneur dit-il ici:
Tu devais mettre cet argent et le reprendre? C'est nous, mes frères,
qui le mettons à la banque et c'est Lui qui viendra le reprendre.
Priez pour obtenir que nous soyons prêts alors,
1. Ezéch. XXXIII, 7-9. 2. Luc, XIX, 20-23.
SERMON CXXXVIII. L'UNITÉ DE L'ÉGLISE (1).
565
ANALYSE. Il y a sans doute plusieurs bons pasteurs. Comment donc se
fait-il que Jésus parle comme s'il était le seul bon Pasteur?
Remarquons d abord avec l'Écriture que le martyre même ne
servant de rien sans la charité, on n'est pas bon pasteur pour avoir
répandu son sang; il faut l'avoir répandu par charité
et conséquemment dans l'unité. Maintenant, si le Fils de
Dieu, après avoir institué lui-même d'autres bons pasteurs,
semble se dire le seul bon Pasteur, c'est pour nous apprendre que tous
les autres doivent relever de lui et par conséquent vivre dans l'unité
entre eux comme avec lui. Il est vrai; les Donatistes citent un texte des
Cantiques pour autoriser leur schisme. Mais premièrement ils ne
le comprennent pas, puisque l'épouse dans ce texte demande à
connaître quels sont les vrais pasteurs, les pasteurs embrasés
de charité, et cela pour ne pas s'exposer à s'égarer
sur les traces des pasteurs rebelles. Secondement, ce texte expliqué
à la lettre, comme il doit l'être, est une condamnation manifeste
des Donatistes. Ils sont obligés de l'altérer pour l'interpréter
dans leur sens.
1. Nous venons d'entendre Notre-Seigneur Jésus nous prêcher les devoirs d'un bon pasteur et par conséquent nous avertir ainsi qu'il y a de bons pasteurs. Afin toutefois d'écarter de notre esprit toute idée fausse sur la puralité des pasteurs, il ajoute: « Je suis le bon pasteur. » Comment est-il le bon pasteur? Le voici : « Le bon pasteur, dit-il, donne sa vie pour ses brebis. Quant au mercenaire, quant à celui qui n'est pas réellement pasteur, il voit venir le loup et s'enfuit, parce qu'étant mercenaire il ne prend point souci des brebis. » Le Christ est donc le bon pasteur.
Et Pierre? N'est-il pas aussi bols pasteur? Lui aussi n'a-t-il pas donné sa vie pour ses brebis? Et Paul ? Et les autres Apôtres? Et les bienheureux évêques martyrs qui leur ont succédé ? Et votre Saint Cyprien encore (2)? Tous n'étaient-il pas de bons pasteurs, au lieu d'être de ces mercenaires dont il est dit: « En vérité je vous le déclare, ils ont reçu leur récompense (3) » ? Tous ces grands hommes étaient donc de bons pasteurs; ce qui le prouve, ce n'est pas seulement qu'ils ont versé leur sang, c'est qu'ils l'ont versé en faveur de leurs brebis. Ce n'est pas l'orgueil, c'est la charité qui les a portés à le répandre.
2. On voit bien parmi les hérétiques des hommes qui pour
avoir souffert quelques désagréments en faveur de leurs iniquités
et de leurs fausses doctrines, se donnent vaniteusement le nom de martyrs
et se parent de ce manteau pour ravir plus facilement, car ils ne sont
que des loups. Voulez-vous savoir en effet ce qu'il faut penser d'eux?
Apprenez d'un bon pasteur, de l'Apôtre Paul, qu'il ne faut pas regarder
comme ayant répandu leur sang pour leurs brebis, car c'est plutôt
contre elles, tous ceux qui ont souffert
1. Jean, X, 11-18. 2. Ce passage indique que ce discours a été
prononcé sur le tombeau du grand Evêque de Carthage. 3.
Matt. VI, 2.
jusqu'à même livrer leurs corps aux flammes. « En vain, dit-il, je parlerais les langues des Anges et des hommes, si je n'ai pas la charité, je suis comme un airain sonnant ou une cymbale retentissante. En vain je connaîtrais tous les mystères, j'aurais en vain toutes les
lumières prophétiques et toute la foi jusqu'à transporter les montagnes, si je n'ai pas la charité, je ne suis rien. » Quelle puissance que cette foi, capable de transporter les montagnes! Quels dons aussi que ceux qui sont énumérés avant la foi! Eh bien! dit saint Paul, si je les possédais sans avoir la charité, sans doute ils ne perdraient rien de leur valeur, mais moi je ne serais rien. L'Apôtre néanmoins n'a pas atteint encore ceux qui dans les punitions qui leur sont infligées, se glorifient faussement d'être des martyrs. Voyez maintenant quel coup il leur porte, ou plutôt comment il les perce d'outre en outre. « En vain, dit-il, je distribuerais tous mes biens aux pauvres, et je livrerais en vain mon corps pour être brûlé. » Voilà bien ces hommes. Et la suite du texte? « Si je n'ai pas la charité, cela ne me sert de rien (1). » On va jusqu'à être tourmenté, on va jusqu'à répandre son sang, on va jusqu'à livrer son corps aux flammes; mais cela ne sert de rien, parce qu'on n'a point la charité. Avec la charité tout profite; rien ne profite sans la charité.
3. Que cette charité est donc un grand bien, mes frères!
Eh! qu'y a-t-il de plus précieux, de plus glorieux, de plus ferme,
de plus utile, de plus solide? Dieu fait beaucoup de dons aux méchants
eux-mêmes qui diront un jour. : « Seigneur, nous avons prophétisé
en votre nom, en votre nom chassé les démons, opéré
de nombreux prodiges en votre nom. » Le Seigneur ne
1. I Cor. XIII, 1-3.
566
répondra point qu'ils n'ont pas fait ce qu'ils disent; sous l'il d'un tel juge oseraient-ils mentir ou se vanter d'oeuvres imaginaires? Mais comme ils n'avaient pas la charité : « Je ne vous connais pas, » sera-t-il dit à tous (1). Y a-t-il la moindre étincelle de charité dans celui qui hait l'unité, tout convaincu qu'il soit par la vérité ?
C'est donc pour recommander cette unité aux bons pasteurs, que le Seigneur a évité de parler des pasteurs au pluriel. Sans aucun doute, je l'ai déjà remarqué, Pierre, Paul et les autres Apôtres étaient de bons pasteurs, ainsi que les saints évêques qui les ont remplacés, ainsi que le bienheureux Cyprien. Oui, ils étaient tous de bons pasteurs : et pourtant le Seigneur ne leur a point parlé de plusieurs bons pasteurs, mais d'un seul. « Je suis, dit-il, le bon pasteur. »
4. Interrogeons le Seigneur comme nous le pourrons; questionnons avec
la plus profonde humilité ce divin Père de famille. Que
dites-vous donc, ô Seigneur, û bon Pasteur? car si vous êtes
l'agneau de Dieu, vous êtes aussi le bon pasteur, vous êtes
tout à la fois pasteur et pâturage, agneau et lion. Que nous
enseignez-vous? Aidez-nous à vous écouter et à vous
comprendre. Que dites-vous ? « Je suis le bon « pasteur.
» Et Pierre? N'est-il donc point pasteur, ou est-il un pasteur
mauvais? Examinons s'il n'est point pasteur. « M'aimes-tu? »
C'est vous, Seigneur, qui lui avez demandé : « M'aimes-tu?
Je vous aime, » répondit-il. Et vous : « Pais mes
brebis. » C'est vous, c'est vous, Seigneur, qui après l'avoir
questionné avez établi pasteur, par l'autorité dé
votre parole, cet amant dévoué. Il est pasteur, puisque vous
lui avez donné vos brebis à paître. Voyons maintenant
s'il n'est pas bon pasteur. Nous l'apprendrons encore par la question et
par la réponse. Vous lui demandiez s'il vous aimait; il répondit:
« Je vous aime. » Vous voyiez dans son coeur qu'il disait vrai.
Ne serait-il. pas bon dès qu'il vous aime ainsi, vous le Bien suprême?
Sa réponse aurait-elle jailli, comme elle a fait, du fond de son
coeur? Au moment où il sentait votre regard plonger jusque dans
ses entrailles, se serait-il affligé que vous l'eussiez questionné,
non pas une fois, mais deux et trois fois, afin de lui donner lieu d'effacer
son triple reniement en confessant trois fois son amour? Se serait-il affligé
d'être interrogé plusieurs fois par Celui qui connaissait
ce qu'il demandait et qui inspirait la
1. Matt. VII, 22, 23.
réponse? Se serait-il écrié, sous l'impression de sa tristesse : « Vous savez tout, Seigneur, ah! vous savez que je vous aime (1)? » Mentirait-il en faisant cette confession ou plutôt cette profession solennelle? Il était donc sincère en répondant qu'il vous aimait, c'est du fond même de son coeur que s'échappa ce cri d'amour. Or vous avez dit que « c'est du bon trésor de son coeur que l'homme bon fait jaillir le bien (2). » Pierre est donc et pasteur et bon pasteur. Il n'est rien sans doute, comparé à la puissance et à la bonté du Pasteur des pasteurs; il est pourtant pasteur aussi et même bon pasteur, et ceux qui lui ressemblent sont bons pasteurs également.
5. Pourquoi alors ne parlez-vous à ces bons pasteurs que d'un seul pasteur, sinon parce que vous voulez ainsi recommander l'unité? C'est ce qu'exprimera plus clairement encore le Seigneur lui-même par notre organe. Il s'adresse donc, d'après le même Evangile, à votre charité : Ecoutez, dit-il, ce que j'ai voulu vous faire sentir. J'ai dit : « Je suis le bon pasteur; » parce que tous les autres bons pasteurs sont mes membres; parce qu'il n'y a qu'un Chef, qu'un seul corps, qu'un seul Christ, conséquemment qu'un seul pasteur des pasteurs et que tous les pasteurs établis par lui sont, avec leurs brebis, sourds à ce Pasteur suprême. N'est-ce pas ce qu'enseigne l'Apôtre? « Comme le corps est un, dit-il, tout en ayant beaucoup de membres, et que tous les membres du corps ne sont cependant quun seul corps; ainsi en est-il du Christ (3). » S'il en est ainsi du Christ, c'est avec raison que comprenant en lui tous les bons pasteurs il ne parle que d'un seul et dit : « Je suis le bon pasteur. » Je le suis, il n'y a que mollet tous ceux qui sont avec moi n'en forment qu'un seul dans le lien de l'unité. Paître en dehors de moi, c'est être contre moi; et ne pas recueillir avec moi, c'est dissiper.
Voulez-vous voir l'unité recommandée plus fortement encore?
« J'ai d'autres brebis qui n'appartiennent point à ce
bercail. » Il faisait mention du premier bercail formé du
peuple issu charnellement d'Israël. Car il y avait en dehors et parmi
les gentils des prédestinés qui devaient avoir la foi d'Israël,
mais qui n'étaient pas encore réunis au bercail. Le Sauveur
les connaissait, puisque c'était lui qui les avait prédestinés;
il les connaissait, puisqu'il était venu
1. Jean, XXI, 15-17. 2. Matt. XII, 35. 3. I Cor. XII,12.
567
les racheter au prix de son sang. Il les voyait sans en être vu encore, il les connaissait sans qu'ils crussent encore en lui. « J'ai d'autres brebis qui ne sont pas de ce bercail; » qui ne sont pas de la race d'Israël; mais elles ne seront pas toujours en dehors du bercail; car « il faut que je les amène, afin qu'il n'y ait qu'un troupeau et qu'un pasteur. »
6. C'est donc avec raison que l'épouse bien-aimée de ce Pasteur des pasteurs, que cette épouse ornée et embellie par sa miséricorde et par sa grâce, car elle était auparavant toute souillée d'iniquités, s'adresse à lui dans l'ardeur qui la transporte et lui dit: « Où paissez-vous? »
Remarquez, mes frères, combien s'enflamme ici, avec quelle ardeur
s'élève l'amour spirituel. Pour ressentir vivement les joies
de cet amour, il faut en avoir goûté tant soit peu les douceurs;
ceux qui aiment le Christ me comprennent, car c'est par leur bouche et
c'est d'eux que parle l'Eglise dans le Cantique des Cantiques. Si le Christ
qu'ils aiment parait sans beauté, il n'en est pas moins la beauté
incomparable. « Nous l'avons vu, est-il dit, et il n'avait ni éclat,
ni beauté (1). » C'est dans cet état qu'il parut sur
la croix, qu'il se montra avec sa couronne d'épines : il était
alors sans beauté et .sans éclat, on aurait dit qu'il avait
perdu sa puissance, qu'il n'était point le Fils de Dieu. C'est dans
cet état que le virent les aveugles; car c'est au nom des Juifs
qu'Isaïe s'écriait : « Nous l'avons vu, et il n'avait
ni éclat ni beauté. » Aussi lui disait-on : «
S'il est le Fils de Dieu, qu'il descende de la croix. Il a sauvé
les autres, il ne peut se sauver lui-même. Christ, prophétise-nous,
lui disait-on encore en lui frappant sur la tête avec un roseau,
qui t'a frappé (2) ? » Il était alors sans éclat
et sans beauté. Mais si vous l'avez cru tel, ô Juifs, c'est
qu'une partie d'Israël est tombée dans l'aveuglement, jusqu'à
ce qu'entrât la plénitude des gentils, jusqu'à ce que
vinssent les autres brebis (3). Oui, c'est pour être tombés
dans l'aveuglement que vous avez vu sans beauté la beauté
même. Ah! si vous l'aviez connu, jamais vous n'auriez crucifié
le Seigneur de la gloire (4). Vous l'avez crucifié, parce que vous
ne le connaissiez pas. Et pourtant ne vous supportait-il point malgré
vos crimes? N'était-il pas beau quand il priait pour vous et disait
: « Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils
font (5)? » S'il était sans beauté,
1. Isaïe, LIII, 2. 2. Matt. XXVII, 40,41 ; XXVI, 68. 3. Rom.
XI, 25. 4. I Cor. II, 8. 5. Luc, XXIII, 34.
serait-il aimé de l'épouse et dirait-elle : « Apprenez-moi, vous que chérit mon âme? » Pourquoi l'aime-t-elle? Pourquoi s'enflamme-t-elle? Pourquoi craint-elle si vivement de s'égarer loin de lui? Pourquoi chérit-elle sa présence au point de ne redouter que d'en être privée ? L'aimerait-elle enfin, s'il n'était beau? Mais comment l'aimerait-elle, si elle ne voyait en lui que ce qu'y voyaient ces bourreaux qui le tourmentaient sans savoir ce qu'ils faisaient? Qu'aimait-elle donc en lui? Le plus beau des enfants des hommes. « Vous l'emportez en beauté sur les enfants des hommes, la grâce est répandue sur vos lèvres (1). » Ah! de ces lèvres bénies, « apprenez-moi, vous que chérit mon âme; apprenez-moi, vous que chérit, » non pas ma chair, mais « mon âme, où vous paissez, où vous reposez à midi, dans la crainte que je ne m'égare sur les traces des troupeaux de vos commensaux (2). »
7. Ce passage semble obscur, il l'est, en effet, car c'est le mystère
sacré du lit nuptial. L'épouse ne dit-elle pas : «
Le Roi m'a fait entrer dans sa chambre? » Et il s'agit ici du secret
communiqué alors. Pour vous néanmoins, qui n'êtes point
écartés de ce sanctuaire comme des profanes, écoutez
ce que vous êtes, dites avec l'épouse, si toutefois vous aimez
avec elle, et vous aimez avec elle si vous lui êtes unis; dites tous,
où plutôt qu'elle dise toute seule, car c'est l'unité
même qui parle : « Apprenez-moi, vous que chérit mon
âme; » puisqu'on ne doit avoir en Dieu qu'un coeur et qu'une
âme (3); « Apprenez-moi où vous paissez, où vous
reposez à midi. »Que rappelle le midi? Une grande chaleur
et une éclatante lumière. L'épouse veut donc dire
: Faites-moi connaître quels sont vos sages, quels sont les hommes
qui unissent 1a ferveur de l'esprit à l'éclat de la doctrine.
« Montrez-moi la puissance de votre droite et quels sont les coeurs
pénétrés de votre sagesse (4). » Je veux m'attacher
à eux dans votre corps, leur être associée, jouir de
vous avec eux. Dites-moi donc, « apprenez-moi où vous paissez,
où vous reposez à midi; » afin que je ne me jette pas
au milieu de ceux qui parlent de vous autrement qu'ils ne pensent, qui
croient autrement qu'ils ne prêchent, qui ont leurs troupeaux particuliers
et qui sont, vos commensaux, mangeant à votre table et célébrant
le Sacrement qu'on y reçoit. Le mot sodales en effet signifie qu'ils
1. Ps. XLIV, 3. 2. Voir ci-des. serm. XLVI, n. 36-38. 3. Act. IV,
32. 4. PS. LXXXIX, 12.
568
sont vos commensaux, quasi simul edales. C'est à eux que s'adresse ce reproche d'un psaume
« Si mon ennemi m'eût outragé, je me serais soustrait à ses injures; oui sans doute je me serais dérobé à ses injures si mon ennemi s'était emporté contre moi. Mais toi, mon intime, mon conseil et mon familier, toi qui prenais avec moi des aliments exquis et avec qui je vivais cordialement dans la maison de Dieu (1) ! » Pourquoi maintenant ces esprits s'élèvent-ils contre la maison de Dieu et nous sont-ils opposés? C'est qu'ils nous ont quittés, n'étant point d'avec nous (2). Faites donc, « ô vous que chérit mon âme, » que je ne me jette point au milieu d'eux; ils sont vos commensaux, mais comme l'étaient ceux de Samson, infidèles à leur ami et cherchant à corrompre son épouse (3). Non, « que je ne me jette pas au milieu d'eux, » que je n'y sois pas comme une inconnue, comme une femme cachée et voilée au lieu d'être assise sur la montagne. « Apprenez-moi » donc, « ô vous que chérit mon âme, où vous paissez, où vous reposez à midi; » quels sont les sages et les fidèles en qui vous reposez de préférence; dans la crainte que je ne me jette en aveugle, non pas au milieu de vos troupeaux, mais au milieu des troupeaux de vos commensaux. Car vous n'avez pas dit à Pierre : Pais tes brebis; mais : « Pais mes brebis (4). »
8. A cette épouse bien-aimée réponde maintenant
ce bon Pasteur, le plus beau des enfants des hommes; qu'il lui réponde,
puisqu'il l'a rendue la plus belle des femmes. Ecoutez donc et comprenez
ce qu'il dit : craignez ses menaces et attachez-vous aux avis qu'il lui
donne. Que lui dit-il? Il ne la flatte pas, mais sous des formes caressantes
il lui donne des avertissements sévères; il la reprend pour
la retenir, pour la préserver: « Si tu ne te connais toi-même,
lui dit-il, ô toi la plus belle d'entre toutes les femmes. »
Si belles que soient les autres des dons de ton époux, elles n'en
sont pas moins des hérésies; c'est la parure, ce n'est pas
le coeur qui les embellit; elles brillent à l'extérieur,
elles se couvrent du nom de la justice; mais « toute la beauté
de la fille du Roi est à l'intérieur (5). » «
Si donc tu ne te connais, » si tu ne sais que tu es une, que tu es
répandue parmi toutes les nations; que tu es pure et que tu ne dois
pas te laisser corrompre par le langage pervers de ces commensaux indignes;
si tu ne sais que tu m'es
1. Ps. LIV, 13-15. 2. I Jean, 11, 19. 3. Jug. XIV. 4. Jean, XXI,
15. 5. Ps. XLIV, 14.
légitimement fiancée et que tu dois être présentée au Christ comme une vierge pure; si tu ne te présentes à moi toi-même, dans la crainte que comme le serpent séduisit Eve par son astuce, les mauvaises doctrines ne corrompent en toi la chasteté que tu m'as vouée (1); si donc tu ne connais en toi ces caractères, « sors, sors. » A d'autres je dirai : « Entre dans la joie de ton Seigneur (2); » à toi je ne dirai pas : Entre; mais: « Sors, » joins-toi à ceux qui nous ont quittés. « Sors;» mais seulement « si tu ne te connais pas; » car si tu te connais, entre. « Si tu ne te connais pas, sors sur les traces des troupeaux et pais tes boucs au milieu des tentes des pasteurs (3). »
« Sors sur les traces, » non pas du troupeau, mais « des troupeaux; et pais, » non pas, comme Pierre, mes brebis, mais « tes boucs, » « au milieu des tentes, » non pas du pasteur, « mais des pasteurs, » non pas de l'unité, mais de la désunion, sans rester ou il n'y a qu'un troupeau et qu'un pasteur.
Ainsi s'affermit, ainsi s'édifie, ainsi devient plus forte cette épouse bien-aimée, également prête à mourir pour son époux et à vivre pour lui.
9. Ces paroles que nous avons rappelées, viennent du livre sacré des Cantiques, lequel est comme l'épithalame de l'Epoux et de l'Epouse. Il y a en effet des noces spirituelles qui demandent de nous une grande pureté; car le Christ a accordé à son Eglise d'être spirituellement ce que fut corporellement sa mère, vierge et mère tout à la fois. Mais à ces mêmes paroles les Donatistes donnent un sens particulier bien différent et complètement faux. Je neveux pas manquer de vous le faire connaître, ni de vous exposer brièvement; avec la grâce de Dieu et dans la mesure de mes forces, comment vous pouvez leur répondre.
Lorsque nous pressons les Donatistes en leur montrant cette vive lumière
de l'unité de l'Eglise répandue dans tout l'univers, lorsque
nous leur demandons de citer dans l'Ecriture quelque passage où
Dieu ait prédit que son Eglise s'établirait en Afrique pendant
que les autres contrées seraient comme perdues pour lui; voici ce
qu'ils ont l'habitude de répondre : L'Afrique est au midi; lors
donc que l'Eglise demande au Seigneur où il paît, où
il repose, le Seigneur répond: « Au midi. » La question
serait alors contenue dans ces mots . « Apprenez-moi, vous
1. II Cor. XI, 2, 3. 2. Matt. XXV, 21, 23. 3. Cant. I, 6, 7.
569
que chérit mon âme, où vous paissez, où vous « reposez; » et la réponse dans ceux-ci : « Au midi; » c'est-à-dire en Afrique.
Mais si c'est l'Église qui fait la question, et si c'est le Seigneur qui lui répond : Je pais en Afrique et conséquemment: L'Église est en Afrique, il sensuit que l'Église qui l'interroge n'est pas là. « Apprenez-moi, disait cette Eglise, ô vous que chérit mon âme, où vous paissez, où vous reposez; » et à cette Eglise qui n'est pas en Afrique il serait répondu : « Au midi, » en d'autres termes : C'est en Afrique que je repose, en Afrique que je pais, ce qui ferait entendre que ce n'est pas en toi. Maintenant, si la questions est adressée par une Eglise, et nul n'en doute, les Donatistes mêmes n'en disconviennent pas, si de plus ces sectaires voient ici je ne sais quoi qui rappelle l'Afrique, c'est qu'évidemment l'Église qui interroge n'est pas en Afrique. Elle est pourtant une Eglise véritable; l'Église existe donc en dehors de l'Afrique.
10. Admettons que l'Afrique soit au midi, quoique l'Égypte soit plutôt qu'elle au point précis du midi, du milieu du jour. Or, que fait en Egypte le divin Pasteur? Vous qui le savez, réveillez vos souvenirs, et vous qui l'ignorez, apprenez quel immense troupeau il y réunit, quel nombre considérable il y possède de saints et de saintes qui ont renoncé complètement au monde. Le saint troupeau s'y est accru au point d'en bannir toutes les superstitions; et pour ne pas dire comment en se développant il a éloigné le culte des idoles, qui y exerçait tant d'empire; j'admets ce que vous dites, ô perfides commensaux, j'admets absolument, je veux croire que l'Afrique est au midi et qu'il est question d'elle dans ces mots : « Où paissez-.vous, où reposez-vous au midi? » Mais de votre côté remarquez aussi que c'est l'Épouse et non l'Époux qui parle ainsi. Oui, c'est l'Épouse qui dit : « Apprenez-moi, vous que chérit mon âme, où vous paissez, où vous reposez au midi, dans la crainte que je ne me jette comme une aveugle. » O sourd, ô aveugle, si tu vois l'Afrique dans ce mot dé midi, comment ne vois-tu pas que ces autres mots; comme une aveugle, désignent une femme? « Apprenez-moi, vous que chérit mon âme : » c'est bien à un homme que s'adressent ces expressions : « Vous que chérit « quem delexit. » Si nous lisions : Apprenez-moi, vous que chérit, quam dilexit; nous comprendrions que c'est l'Époux parlant à l'Épouse; donc puisqu'il est écrit « Apprenez-moi, vous que chérit mon âme, quem dilexit, où vous paissez, où vous reposez, » c'est l'Epouse parlant à l'Époux. Mais c'est elle aussi qui ajoute : « au midi; » et elle demande : « Où paissez-vous au midi, dans la crainte que je ne m'égare, comme une aveugle, au milieu des troupeaux de vos commensaux. » J'admets donc, j'admets complètement qu'il est ici question de l'Afrique, comme tu le prétends, que le mot midi la désigne. Ne s'ensuit-il pas que c'est l'Église du Christ, située au delà des mers, qui s'adresse à son Epoux, dans la crainte de heurter contre l'erreur répandue en Afrique?
« O vous que chérit mon âme, dites-moi, » enseignez-moi. J'ai appris qu'il y a dans le midi, c'est-à-dire en Afrique, deux partis, ou plutôt de nombreuses factions. « Dites-moi » donc « où vous paissez, » quelles sont vos brebis, à quel bercail je dois m'attacher, auquel m'unir. « Dans la crainte que je ne me jette, comme une aveugle. » On m'insulte en effet, on m'accuse d'être voilée, d'être cachée, comme perdue et comme n'existant ailleurs nulle part. Je crains donc de me jeter comme une aveugle, comme une femme inconnue et dans les ténèbres, au milieu des troupeaux, des assemblées d'hérétiques, de vos commensaux, des Donatistes, des Maximianistes, des Rogatistes, et des autres sectes venimeuses qui recueillent en dehors de vous et qui par conséquent dissipent; je vous en conjure, éclairez-moi, afin qu'en cherchant là mon Pasteur, je ne me jette point dans l'abîme ouvert par les rebaptisants.
Je vous en prie, je vous en supplie par la sainteté de ces noms sacrés, aimez cette Eglise, vivez en elle, formez-la telle qu'elle vient de vous apparaître; chérissez le bon Pasteur, l'époux si beau qui ne trompe personne et qui ne veut la mort de personne. Priez aussi pour les brebis dispersées; qu'elles reviennent aussi, qu'elles reconnaissent aussi et aiment la vérité, afin qu'il n'y ait plus qu'un troupeau et qu'un pasteur. Tournons-nous etc.
SERMON CXXXIX. CONSUBSTANTIALITÉ DU FILS AVEC LE PÈRE
(1).
570
ANALYSE. Si Dieu a un grand nombre dé fils adoptifs, il n'a
pourtant qu'un Fils proprement dit : un Fils qui soit de même nature
et de même substance que lui. Vainement les Ariens objectent qu'un
fils en naissant est inférieur à son père. S'il lui
est inférieur, c'est seulement en âge et parce qu'il est soumis
aux mouvements du temps; mais il lui est égal en nature. Quelle
injure donc les hérétiques ne font-ils pas et an Père
éternel et à son Fils? En considérant celui-ci comme
inférieur à son Père, ils l'accusent de n'être
qu'un Fils dégénéré, comme ils accusent le
Père de n'avoir engendré qu'un monstre.
1. Jésus-Christ, notre Seigneur et notre Dieu, Jésus-Christ, le Fils unique de Dieu, qui est né de Dieu le Père sans le concours d'aucune mère, et de la Vierge sa mère sans le concours d'aucun père mortel, Jésus-Christ a dit, vous venez de l'entendre : « Mon Père et moi nous sommes « un. » Accueillez, croyez cette assertion de manière à mériter de la comprendre; car la foi doit précéder l'intelligence et l'intelligence doit être la récompense de la foi, comme l'enseigne expressément un Prophète : « Si vous ne croyez, dit-il, vous ne comprendrez point (2). » Ainsi donc c'est à la foi que s'adresse la prédication en exposant simplement les mystères, et c'est l'intelligence que veut éclairer la discussion en les approfondissant. Aussi, afin de commencer par répandre la foi dans vos âmes, nous vous prêchons Jésus-Christ, Fils unique de Dieu.
Pourquoi dire unique? Parce que le Père de ce Fils unique s'est
fait par sa grâce beaucoup d'autres enfants. Tous les saints en effet
sont fils de Dieu par grâce, Jésus-Christ seul l'est par nature.
Etre fils de Dieu par grâce, c'est n'avoir pas la nature du Père;
voilà pourquoi aucun saint n'a osé dire jamais, comme le
Fils unique : « Mon Père et moi nous sommes un. » Le
Père toutefois n'est-il pas aussi notre Père? S'il ne l'est
pas, comment lui disons-nous en priant : « Notre Père qui
êtes aux.cieux (3)? » Il est vrai, nous sommes ses enfants;
mais il nous a rendus tels par sa volonté, sans nous avoir engendrés
de sa substance; et s'il est dit qu'il nous a engendrés, c'est pour
exprimer qu'il nous a adoptés en nous communiquant ses bienfaits
et non point en nous transmettant sa nature. Aussi portons-nous ce titre
d'enfants pour avoir été appelés par lui à
l'adoption de ses fils (4). Nous sommes des hommes adoptés par Dieu.
Si Jésus-Christ est appelé Fils unique, c'est qu'il a la
même nature que son Père; nous au contraire nous ne sommes
que des hommes
1. Jean, X, 30. 2. Isaïe VII, 9. sel. LXX. 3. Matt. VI, 9.
4. Ephès. I, 6.
et notre Père est Dieu. Or c'est parce que Jésus a la même nature que son Père qu'il a dit et qu'il a dit avec vérité: «Mon Père et moi nous sommes un. » Que signifie «nous sommes un?» Nous sommes d'une seule et même nature, d'une seule et même substance.
2. Peut-être ne comprenez-vous pas suffisamment ce que veut dire d'une seule et même substance. Appliquons-nous et que Dieu nous aide; moi à m'expliquer et vous à entendre; moi à mettre la vérité à votre portée, vous à la croire, ce qui est nécessaire avant tout, à la comprendre ensuite dans la mesure de vos forces. Que signifie donc d'une seule et même substance? Afin d'éclaircir par des exemples ce qui peut n'être pas suffisamment clair, j'emploierai des comparaisons.
Suppose que Dieu c'est de l'or, le Fils sera de l'or aussi. Et pourquoi des comparaisons tirées des choses de la terre ne serviraient-elles pas à nous élever vers les choses du ciel, puisqu'il est écrit : « La pierre était le Christ (1)? » Ainsi le Fils est tout un avec le Père; et si, comme je l'ai déjà supposé, le Père était de l'or, le Fils aussi serait de l'or. Dire que le Fils n'est point de la même substance que le Père, ne serait-ce pas dire, par exemple : Le Père est de l'or, et le Fils de l'argent? Mais si le Père est de l'or tandis que le Fils est de l'argent, c'est que le Fils unique du Père est un Fils dégénéré. Un homme engendre un homme; le père qui engendre est de même substance que le fils engendré par lui. Qu'est-ce à dire encore de même substance ? L'un est homme, l'autre aussi; l'un a une âme, l'autre en a une ; l'un a un corps, l'autre a un corps; l'un est enfin ce qu'est l'autre.
3. Mais j'entends l'hérésie Arienne. Que me dit-elle?
Souviens-toi de ce que tu viens de dire. Et qu'ai-je dit? Qu'on peut
établir une comparaison entre un fils de l'homme et le Fils de Dieu.
Oui, une comparaison, mais une
1. I Cor. X, 4.
571
comparaison de ressemblance et non une comparaison d'égalité. Mais qu'en veux-tu conclure? Ne vois-tu donc pas, reprend-elle, que le père qui engendre est plus grand que le fils engendré par lui? Comment, dis-moi, comment osez-vous enseigner que le Père et le Fils, que Dieu et le Christ sont égaux, quand vous voyez parmi les hommes Je fils toujours inférieur au père? O homme sage, tu vas donc chercher le temps dans l'éternité, la succession des âges là où il n'y a point de temps? Si parmi nous le père est plus grand que le fils, c'est qu'ils sont tous deux dans le temps, c'est que l'un grandit tandis que l'autre vieillit. Car, je l'ai déjà dit, ce n'est point par la nature que le père l'emporte sur son fils, c'est par l'âge. En veux-tu la preuve? Attends, laisse croire le fils et il sera égal à son père; si petit que soit un enfant, il pourra en grandissant atteindre la taille de son père. Mais toi, en représentant le Fils de Dieu comme inférieur à son Père, tu veux qu'il ne grandisse ni rie s'élève jamais à la hauteur de Celui qui l'engendre. Ainsi tu mets un simple fils d'homme dans une condition préférable à celle du Fils de Dieu. Comment? Parce qu'un fils d'homme grandit et parvient à égaler son père; tandis que le Christ, selon vous, naît inférieur à son Père pour lui rester inférieur, sans avoir même à espérer le développement de l'âge; et c'est ainsi qu'on lui donne une nature différente. Mais pourquoi lui donne-t-on une nature différente si.ce n'est pour ne pas croire qu'il est de même substance que son Père? Confesse au moins qu'il a la même substance que son. Père, et dis ensuite qu'il lui est inférieur.
Voyons les hommes: voici un homme. Qu'est-il par sa substance? Un, homme. Et le fils qu'il engendre? Un homme aussi, quoique plus petit. L'âge est différent, la nature est la même. Dis donc aussi : Le Fils est de même nature que le Père, mais il lui est inférieur. Dis cela, fais un pas en avant, dis que le Fils est de même substance que le Père, mais que pourtant il est moindre que lui; tu parviendras ainsi à voir en lui son égal. Oui, reconnaître qu'il est de même substance, quoique moindre, que lui, c'est avancer beaucoup, c'est se rapprocher beaucoup de la vérité qui nous le montre son égal. Mais le Fils, prétends-tu; n'est pas de même substance que le Père. C'est dire que l'un est de l'or et l'autre de l'argent; c'est dire d'un homme qu'il a engendré un cheval, puisque l'homme n'est pas de même substance que le cheval. Or si le Fils est d'une autre substance que le Père, il s'ensuit que le Père a engendré un monstre. D'une créature, d'une femme qui enfante ce qui n'est pas un être humain, ne dit-on pas qu'elle a donné le jour à un monstre? Pour n'être pas un monstre, il faut que ce qui naît soit de même substance que ce qui le produit; que l'homme engendre un homme, le cheval un cheval, la colombe une colombe et le passereau un passereau.
4. Dieu donc a accordé à ses créatures d'engendrer ce qu'elles sont: à ses propres créatures, à des créatures mortelles et terrestres il a donné d'engendrer ce qu'elles sont; et lui, qui devance tous les siècles, n'aurait pu garder pour lui ce pouvoir? Il est sans aucun commencement, et son Fils ne serait pas ce qu'il est, il aurait un Fils dégénéré? Quel blasphème n'est-ce donc pas de soutenir que le Fils unique de Dieu n'est pas de même substance que son Père? Oui, c'est dire qu'il est dégénéré. Quelle injure de reprocher au fils d'un homme quelconque qu'il est dégénéré! Qu'est-ce qu'être dégénéré? C'est, par exemple, avoir un père courageux, et être soi-même lâche et timide. Quand on veut humilier ce lâche dont le père est d'un caractère généreux, que lui dit-on? Arrière, fils dégénéré. Ton père était vaillant, et la peur te fait trembler. Mais c'est par sa faute qu'un fils dégénère de son père, par nature il est son égal. Par nature il est son égal, quest-ce à dire? C'est-à-dire qu'il est homme aussi bien que son père. Sans doute le père est courageux et le fils est un lâche, le père est intrépide et le fils un trembleur; ils sont néanmoins tous deux des hommes, ce qui prouve que c'est le vice et non la nature qui fait du fils un fils dégénéré. Pour toi, quand tu accuses le Fils unique du Père d'être un Fils dégénéré, de n'être pas ce qu'est son Père, tu l'accuses, non pas d'avoir dégénéré après sa naissance, mais d'avoir été engendré dégénéré. Qui pourrait entendre un tel blasphème ? Ah! si les Ariens pouvaient en voir la gravité dune manière quelconque; comme ils fuiraient leur secte pour se faire catholiques!
5. Que dire pourtant, mes frères? Ne nous irritons point contre eux, mais pour eux demandons à Dieu le don d'intelligence. Peut-être en effet sont-ils nés dans cette erreur. Qu'est-ce à dire? Que peut-être ils ont reçu de leurs parents cet enseignement auquel il tiennent si fort. Hélas! ils préfèrent leur famille à la vérité. Ah ! (572) pour pouvoir rester ce qu'ils sont, qu'ils deviennent ce qu'ils ne sont pas; qu'ils deviennent catholiques, afin de pouvoir rester hommes; et pour ne pas perdre ce que leur a donné la création divine, qu'ils y ajoutent la divine grâce. Ils croient honorer le Père en outrageant le Fils, et si on dit à l'un d'eux: Tu blasphèmes; en quoi ? reprend-il. En disant que le Fils n'est pas de même nature que le Père. C'est toi plutôt qui blasphèmes, réplique-t-il. Pourquoi?- Parce que tu prétends égaler le Fils au Père. Oui, je prétends égaler le Fils à son Père; mais le Fils lui est-il étranger? Le Père n'est-il pas heureux de me voir lui égaler son Fils unique? Il en est heureux, car il ne connaît pas l'envie; et c'est parce qu'il n'a point d'envie contre son Fils unique que par la génération il lui a transmis tout ce qu'il est.
Toi au contraire tu outrages le Père en outrageant le Fils, car c'est pour honorer le Père que tu déshonores son Fils. Si en effet tu prétends que le Fils n'est pas de même substance, c'est pour ne pas manquer à son Père. Eli bien ! je vais te montrer en peu de mots que tu manques à tous deux. Comment ? Si je dis à un fils : Homme dégénéré, tu ne ressembles pas à ton père; homme dégénéré, que tu es loin de ton père! Ce fils en m'entendant s'irrite et s'écrie : Est-ce en naissant que j'étais dégénéré? De son côté, le père en m'entendant s'irrite plus vivement encore, et que dit-il dans sa colère? Ai-je donc engendré un fils dégénéré? Si j'ai engendré ce que je ne suis pas, j'ai engendré un monstre. Demanderas-tu encore comment tu outrages le Père et le Fils en honorant l'un au détriment de l'autre? Tu offenses le Fils sans te concilier le Père; en cherchant à faire profiter le Père du déshonneur du Fils, tu blesses le Père comme le Fils. Vers qui maintenant iras-tu te réfugier ? Si tu veux échapper à la colère du Père en courant vers le Fils, ne te dira-t-il pas : Quoi! tu recours à un Fils que tu supposes dégénéré? Et si tu recours au Père après avoir offensé le Fils, ne te dira-t-il pas aussi : Quoi ! tu recours à un Père que tu supposes avoir engendré un Fils d'autre, nature?
Contentez-vous de cela, mes frères: retenez-le, confiez-le à votre mémoire, inscrivez-le sur les tablettes de votre croyance, et pour le comprendre, adressez vos prières à Dieu le Père et à son Fils, car ils ne sont qu'un.
SERMON CXL. ÉGALITÉ DU FILS AVEC LE PÈRE (1).
ANALYSE. Un évêque Arien, du nom de Maximin, et protégé par le comte Ségisvult, opposait à lenseignement catholique, sur l'égalité du Fils avec le Père, ces paroles de saint Jean : « Qui croit en moi, ne croit pas en moi, mais en Celui qui m'a envoyé; » et ces autres : « Mon Père qui m'a envoyé m'a prescrit lui-même ce que je dois dire et ce dont je dois parler; et je sais que son commandement est la vie éternelle. » Pour réfuter l'évêque Arien, saint Augustin établit que le Père en engendrant son Fils lui communique une égalité parfaite avec lui-même. C'est à quoi le Fils rend hommage en faisant remonter à son Père la foi que nous avons en sa parole. Quant au commandement qu'il déclare avoir reçu de son Père dès que ce commandement est appelé par lui la vie éternelle et que de lui-même l'Écriture dit ailleurs qu'il est la vie éternelle, ce commandement n'est autre chose que l'être divin qu'il doit à son Père.
1. Pourquoi, nies frères, venons-nous d'entendre dire au Seigneur : « Qui croit en moi ne croit pas en moi, mais en Celui qui m'a envoyé ? » Il nous est salutaire de croire au Christ, surtout parce que c'est lui qui a dit expressément ce qu'on vient de répéter devant vous, savoir qu'il était venu dans le monde pour en être la lumière, et que croire en lui ce n'était pas marcher dans les ténèbres, mais avoir la lumière de la vie (2). Il est donc utile, il est extrêmement avantageux de croire au Christ, et c'est un grand malheur de n'y pas croire. Cependant, comme le Christ, Fils
1. Jean, XII, 44, 50. 2. Ibid. VIII, 12.
de Dieu, tient de son Père tout ce qu'il est, comme le Père ne procède pas du Fils, puisqu'au contraire il en est le Père, tout en nous recommandant d'avoir foi en lui, le Fils en reporte toute la gloire à son Père.
2. Effectivement, si vous voulez demeurer catholiques, croyez d'une manière ferme et inébranlable que Dieu le Père a engendré, avant le temps, Dieu le Fils et que, dans le temps, il l'a fait naître d'une Vierge. La première naissance devance tous les temps, la seconde les éclaire; toutes deux néanmoins sont admirables, car pour la première il n'y a point de mère, ni de père pour la (473) seconde. En engendrant son Fils, Dieu l'a engendré de sa substance, sans le concours d'aucune femme, et la Vierge sa mère, en l'enfantant, l'a enfanté sans la participation d'aucun homme. Le Fils est né du Père sans avoir eu de commencement; et aujourd'hui même il a eu un commencement certain en naissant de sa mère. Fils du Père il nous a faits, Fils de sa mère il nous a refaits. Il est né du Père pour nous donner l'être, il est né de sa mère pour nous empêcher de le perdre.
Or le Père l'a engendré son égal et tout ce qu'est le Fils, il le lient de son Père, tandis que Dieu le Père ne doit pas à son Fils tout ce qu'il est; ce qui nous fait dire que Dieu le Père n'a point de principe, et que Dieu le Fils procède du Père. De là vient que le Fils attribue au Père tous les miracles qu'il opère, toutes les vérités qu'il énonce, et il ne saurait différer de l'Auteur de son être. Le premier homme a pu devenir autre chose que ce qu'il était par la création : la création l'avait formé juste, et il est devenu pécheur; mais le Fils unique de Dieu ne saurait changer rien à ce qu'il est: il ne peut ni le transformer, ni le diminuer, il lui est impossible de n'être pas ce qu'il était, impossible de n'être pas l'égal de son Père. Le Père qui a tout donné à son Fils dès sa naissance et sans qu'il éprouvât aucun besoin, lui a donné aussi et sans aucun doute d'être son égal. Comment lui a-t-il donné d'être son égal? L'a-t-il engendré inférieur à lui, pour ajouter ensuite à sa nature et l'élever jusqu'à lui? S'il eût agi ainsi, il l'aurait laissé manquer pour lui donner ensuite. Or je vous l'ai déjà dit et vous devez en être parfaitement sûrs, c'est dès sa naissance et sans qu'il éprouvât aucun besoin que le Père a donné tout son être à son Fils. Mais s'il lui a donné alors tout son être, il lui a certainement donné l'égalité avec lui-même, et pouvait-il en lui conférant cette égalité, ne l'engendrer pas son égal? Aussi, bien que le Père soit autre que le Fils, il n'est pas autre chose que lui; l'un est ce qu'est l'autre. L'un n'est pas l'autre, mais l'un est ce qu'est l'autre.
3. « Celui qui ma envoyé, » a-t-il dit et vous l'avez entendu. « Celui qui m'a envoyé m'a prescrit ce que j'ai à dire et ce dont je dois parler; et je sais que son commandement est la vie éternelle. » Ainsi s'exprime 1'Evangilede saint Jean, retenez-le. « Celui qui m'a envoyé m'a prescrit lui-même ce que .j'ai à dire et ce dont je dois parler; et je sais que son commandement est « la vie éternelle. » Ah! s'il m'était donné par Dieu d'exprimer ce que je veux! Ce qui me met dans la gêne, c'est son abondance et ma propre indigence. « C'est lui, dit le Sauveur, qui m'a prescrit ce que j'ai à dire et ce dont je dois parler; et je sais que son commandement est la vie éternelle. » Dans l'Épître de ce même Jean l'Évangéliste, cherche ce qui est dit du Christ. « Croyons, y est-il écrit, en Jésus-Christ, son vrai Fils. Il est vrai Dieu et éternelle vie (1). » « Vrai Dieu et éternelle vie, » qu'est-ce à dire? Que le vrai Fils de Dieu est en même temps vrai Dieu et éternelle vie. Pourquoi l'appeler vrai -Fils de Dieu? C'est que Dieu a beaucoup d'enfants de qui il fallait le discerner en disant qu'il est, lui, « le vrai Fils de Dieu. » Il ne suffisait pas de le nommer son Fils, il fallait ajouter qu'il est son Fils véritable, afin de le distinguer des nombreux enfants que Dieu a d'autre part. Effectivement, si nous sommes fils de Dieu par grâce, lui l'est par nature. Par lui le Père nous a créés; il est, lui, tout ce qu'est son Père ; pouvons-nous dire que nous sommes tout ce qu'est Dieu?
4. Mais voici un aveugle qui nous prend en travers et qui crie, sans savoir ce qu'il dit : S'il est écrit : « Mon Père et moi nous sommes un (2), » c'est pour exprimer l'accord de la volonté et non la communauté de nature. Les Apôtres mêmes, c'est l'assertion de l'adversaire (3) et non la mienne, ne font non plus qu'un avec le Père et avec le Fils. Affreux blasphème ! Oui, dit-on, les Apôtres ne sont qu'un avec le Père et avec le Fils, parce qu'ils obéissent à la volonté du Père et du Fils. Est-il possible qu'on ait osé avancer une telle assertion? Paul donc pourrait dire : Dieu et moi nous sommes un ! Pierre aussi pourrait dire, ainsi que tout prophète Dieu et moi nous sommes un! Mais ils ne parlent pas de la sorte, à Dieu ne plaise! Ils savent qu'ils sont d'une autre nature, d'une `nature qui a besoin d'être guérie; ils savent qu'ils sont d'une autre nature, d'une nature qui a besoin d'être éclairée. Aucun d'eux ne dit : Dieu et moi nous sommes un. Quels que soient leurs progrès, quelle que soit l'éminence de leur sainteté, quelle que soit la sublimité de leur vertu, jamais ils ne disent : Dieu et moi nous sommes un; et s'ils ont réellement de la vertu, il leur suffirait pour tout perdre de tenir ce langage.
5. Croyez donc que le Fils est égal au Père,
1. Jean, V, 20. 2. Jean, X. 30. 3. De Maximin, dans la conférence qu'il eut avec Saint Augustin, Voir contre Maximin liv. 2. chap. 22.
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mais aussi que le Fils procède du Père et non pas le Père du Fils. Dans l'un est le principe, et dans l'autre l'égalité. Car si le Fils n'est pas égal au Père, il n'est pas son Fils véritable. Voici en effet comme nous raisonnons, mes frères. Si le Fils n'est pas égal au Père, il lui est inférieur; s'il lui est inférieur, comment a-t-il pu naître son inférieur? Réponds, nature malade dont la foi est pervertie: Ce Fils inférieur au Père grandit-il, oui ou non? S'il grandit, c'est que le Père vieillit. Mais s'il doit rester tel qu'il est né, en le supposant inférieur, à sa naissance, il restera inférieur toujours; ainsi sa perfection sera l'imperfection, puisque parfait et non perfectible à sa naissance, il ne parviendra jamais à égaler son Père. Est-ce ainsi, ô impies, que vous outragez le Fils? Est-ce ainsi que vous le blasphèmez, ô hérétiques? Qu'enseigne au contraire la foi catholique? Dieu le Fils procède de Dieu le Père et non Dieu le Père de Dieu le Fils. Dieu le Fils est toutefois égal au Père; il est né son égal, et non son inférieur; il est né son égal, et ne l'est pas devenu. Ce qu'est le Père, le Fils l'est aussi. Le Père a-t-i1 été jamais sans Fils? Non, et qu'on ne parle pas de temps là où il n'y a pas de temps. Le Père est toujours, le Fils toujours. Le Père est sans commencement; le Fils aussi sans commencement; jamais le Père ne fut ni avant, ni sans son Fils. Néanmoins, comme Dieu le Fils procède de Dieu le Père, et non pas Dieu le Père de Dieu le Fils, ne craignons pas d'honorer le Fils dans le Père; car, l'honneur du Fils rejaillit sur le Père, sans amoindrir sa divinité.
6. Mais il faut expliquer ces paroles citées par moi : « Je sais, est-il ait, que son commandement est l'éternelle vie. » Remarquez bien ces mots, mes frères : « Je sais que son commandement est l'éternelle vie. » Le même saint Jean nous dit aussi du Christ : « Il est vrai Dieu et vie éternelle. » Or, si le commandement du Père est vie éternelle, si de plus le Christ son Fils est également éternelle vie, il s'ensuit que le Fils est le commandement du Père. Comment ne serait-il pas son commandement, puisqu'il est son Verbe ? Entendrez-vous d'une manière charnelle que le Père a donné un commandement à son Fils, en lui disant, par exemple, je t'ordonne ceci, je veux que tu fasses cela? Mais quelles paroles aura-t-il employées pour se faire comprendre de Celui qui est son unique Parole? Lui l'allait-il des paroles pour commander à sa Parole? Mais non, le commandement du Père étant l'éternelle vie et son Fils étant aussi l'éternelle vie, croyez-le et l'admettez, croyez-le et le comprenez, car un Prophète a dit : « Si vous ne croyez, vous ne comprendrez pas (1).» Vous ne saisissez pas ? Dilatez-vous ; écoutez l'Apôtre : « Dilatez-vous, dit-il, pour ne traîner pas le joug avec les infidèles (2); » car c'est être infidèle, que de refuser croyance à ce mystère avant de le comprendre. Infidèles, en voulant rester tels, vous demeurerez dans l'ignorance ; croyez donc pour avoir l'intelligence. Oui, le commandement du Père est l'éternelle vie. C'est que le Fils, dont nous honorons aujourd'hui la naissance, est aussi le commandement du Père, non pas un commandement donné dans le temps, mais un commandement né de toute éternité. .
L'Evangile de saint Jean sert à exercer lesprit, il le purifie et le spiritualise pour nous former sur Dieu, non pas des idées charnelles, mais des idées spirituelles. Assez donc pour vous aujourd'hui, mes frères; il serait à craindre que la longueur de la discussion ne produisit le sommeil de l'oubli.
1. Isaïe, VII, 9, sel. LXX. 2. II Cor. VI, 13, 14.
source: http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin/index.htm