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Saint Augustin d'Hippone
Sermons

SERMON CXLI. JÉSUS NOTRE VOIE (1).
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ANALYSE. — Les philosophes ont pu avec les lumières de la raison se faire quelque idée de la grandeur et de la majesté de Dieu. Mais au lieu de prendre le chemin qui les aurait conduits à la possession de ce bien suprême, ils se sont égarés jusqu'à adorer les idoles. Ah ! que nous sommes heureux que la Vérité même se soit faite notre voie dans la personne de Jésus-Christ ! Attachons-nous inséparablement à Lui.
 
 

1. Pendant qu'on lisait l'Evangile saint, vous avez entendu, entre autres, ces paroles du Seigneur Jésus : « Je suis la voie et la vérité et la vie. » Quel homme n'aspire à la vérité et à la vie? Mais chacun n'en découvre pas la, voie.

Quelques philosophes même profanes ont vu en Dieu une vie éternelle et immuable, intelligible et intelligente, sage et principe de toute sagesse; en lui aussi ils ont vu une vérité ferme, stable, invariable et comprenant les idées et les formes de toutes les créatures. Malheureusement ils ne l'ont vue que de loin et du sein de l'erreur; aussi n'ont-ils point découvert la route qui conduit à la possession de ce magnifique, de cet heureux et ineffable héritage.

Ce qui prouve en effet qu'ils ont vu réellement, autant du moins que l'homme en est capable, le Créateur à travers la créature, l'ouvrier à travers son ouvrage et dans le monde l'auteur même du monde, c'est lé témoignage, irrécusable pour les Chrétiens, de l'Apôtre saint Paul. Il dit donc en parlant d'eux : « La colère de Dieu éclate du haut dit ciel contre toute l'impiété. » Vous reconnaissez bien ici le langage de l'Apôtre. « La colère de Dieu éclate du haut du ciel contre toute l'impiété et l'injustice de ces hommes qui retiennent la vérité dans l'iniquité. » L'Apôtre dit-il que ces hommes ne possèdent pas la vérité ? Non, mais ils « la retiennent dans l'iniquité. » Ce qu'ils possèdent est bon, mais ils ont tort de le garder ainsi : « ils retiennent la vérité dans l'iniquité. »

2. On pouvait demander à saint Paul : comment ces impies sont-ils parvenus à la vérité ? Dieu a-t-il adressé la parole à quelqu'un d'entre eux? Ont-ils reçu de lui la loi, comme le peuple d'Israël par le ministère de Moïse? Comment alors peuvent-ils retenir la vérité, fût-ce dans l'iniquité même ? — Prêtez l'oreille à ce qui suit, c'est la réponse. « Parce que ce qui est connu de Dieu est manifeste en eux ; Dieu le leur a manifesté. »
 
 

1. Jean, XIV, 6.
 
 

— Comment! il le leur a manifesté et il ne leur a pas donné sa loi ? — Voici de quelle manière. « En effet, ses invisibles perfections; rendues compréhensibles par ses oeuvres, sont devenues visibles. » Interroge le monde et la magnificence du ciel, l'éclat et la disposition des astres, lé soleil qui suffit pour former le jour, et la lune qui nous ranime pendant la nuit; interroge cette terre qui produit en abondance et la verdure et les arbres, qui se couvre d'animaux et qu'embellit le genre humain ; interroge 1a mer, les grands et nombreux poissons qui la remplissent; interroge l'atmosphère et les oiseaux qui en font la vie ; interroge enfin tous les êtres et dis-moi si tous ne te répondent pas à leur manière C'est Dieu qui nous a faits. De nobles philosophes ont ainsi interrogé l'univers, et cet oeuvre leur a fait connaître l'ouvrier.

Mais alors, comment dire que la colère de Dieu éclate contre leur impiété? C'est qu' « ils  retiennent la vérité dans l'injustice. » Venez, Apôtre, expliquez-vous. Déjà vous avez montré comment ils sont parvenus à connaître Dieu. « Ses invisibles perfections, dit-il, rendues compréhensibles par ses oeuvres, sont devenues visibles, aussi bien que sa puissance éternelle et sa divinité : de sorte qu'ils sont inexcusables. Car après avoir connu Dieu ils ne l'ont point glorifié comme Dieu ni ne lui ont rendu grâces; mais ils se sont perdus dans leurs pensées et leur coeur insensé s'est obscurci. » C'est toujours l'Apôtre qui parle et non pas moi. « Et leur coeur insensé s'est obscurci. Ainsi en disant qu'ils étaient sages ils sont devenus fous. » L'orgueil leur a fait perdre ce que la curiosité leur avait fait découvrir. « En disant qu'ils étaient sages, » en s'attribuant les dons de Dieu, « ils sont devenus fous. » Encore une fois c'est l'Apôtre qui l'assure : « En disant qu'ils étaient sages, ils sont devenus fous. »

3. Montrez maintenant, prouvez qu'ils étaient fous. O Apôtre, vous nous avez fait voir (576) comment ils ont pu parvenir à connaître Dieu, « c'est que rendues compréhensibles par ses oeuvres, ses invisibles perfections sont devenues visibles. » Montrez-nous de la même manière comment « en se disant sages ils sont devenus fous. » — Le voici : C'est parce qu' « ils ont changé, répond-il, la gloire du Dieu incorruptible contre une image représentant un homme corruptible, des oiseaux, des quadrupèdes et des reptiles (1). » Les Païens en effet se sont faits (les dieux des figures de ces animaux. Quoi! tu connais Dieu et tu adores une idole! Tu connais la vérité et tu la retiens dans l'injustice! Ce que te révèle l'oeuvre de Dieu, tu le sacrifies à l'oeuvre d'un homme! Tu as tout examiné, tu as saisi l'harmonie du ciel et de la terre, de la mer et de tous les éléments; et tu ne veux pas remarquer que comme le monde est l'ouvrage de Dieu, cette idole est simplement l’ouvrage d'un homme. Si cet homme pouvait donner un coeur à son idole comme il lui a donné une physionomie, cette idole adorerait son auteur. N'est-il par vrai, mon ami, que cette idole est l'oeuvre d'un homme, de même que tu es l'oeuvre de Dieu ? Qu'est-en effet ton Dieu? Celui qui t'a formé. Et le Dieu de l'ouvrier en idoles? Celui également qui l'a formé. Le dieu de l'idole n'est-il donc pas aussi l'auteur de l'idole, et ne s'ensuit-il pas que si cette idole avait un cœur, elle adorerait aussi l'ouvrier qui l'a formée ?

C'est ainsi que ces philosophes ont retenu la vérité dans l'iniquité et qu'après l'avoir vue, ils n'ont point trouvé le chemin qui conduit à elle.
 
 

1. Rom. I, 18-23.

4. Mais le Christ est dans le sein de son Père la vérité et la vie, il est le Verbe de Dieu et c'est de lui qu'il est écrit : « La vie, était la lumière des hommes(1); » il est donc dans le sein de son Père la vérité et la vie, et comme nous n'avions pas le moyen de nous réunir à cette vérité, , lui, le Fils de Dieu, qui est éternellement avec son Père la vérité et la vie, s'est fait homme pour devenir notre voie. Suis cette voie de son humanité, et tu arrives à la divinité. C'est lui qui te conduit à lui-même, et pour y parvenir ne cherche personne que lui. Hélas! nous serions toujours égarés, s'il n'avait daigné se faire notre voie; il est réellement devenu la voie où tu dois marcher. Je ne te dirai donc pas : Cherche la voie. Cette voie s'est présentée elle-même devant toi; en avant, marche! Ce sont les moeurs qui doivent marcher en toi en non les pieds; car il en est beaucoup dont les pieds vont bien, tandis que leur conduite va mal, et tout en courant bien ils se précipitent hors de la voie. Tu rencontreras effectivement des hommes dont la conduite est régulière, mais qui ne sont pas chrétiens : ils courent bien, mais hélas! hors de la voie, et plus ils courent, plus ils s'égarent, puisqu'ils s'éloignent de leur chemin. Ah ! si ces hommes entraient dans la voie, s'ils s'y tenaient, quelle sûreté pour eux , puisqu'ils courraient sans s'égarer! Combien au contraire ils sont à plaindre de tant marcher sans être dans la voie! Mieux vaut y marcher en boitant, que de n'y être pas en marchant d'un pas ferme. Que votre charité veuille se contenter de ceci. Tournons-nous, etc.
 
 

1. Jean, I, 4. — 2. Voir. Ser. I.

SERMON CXLII. NÉCESSITÉ DE LA GRACE (1).
 

ANALYSE. — Jésus-Christ est la voie sûre que nous devons suivre. Or Jésus-Christ est humble et nous devons nous attacher à l'imiter dans son humilité. 1° En effet, l'amour-propre nous ayant détachés de Dieu pour nous répandre dans les créatures, il faut peur revenir à Dieu, que nous rougissions de nos égarements, il faudrait même que nous pussions nous oublier pour nous rattacher intimement à lui. L'orgueil est une enflure énorme qui nous empêche d'entrer au ciel par Celui qui en est la porte, par Jésus-Christ. 2° Ce que Jésus-Christ demande principalement de nous, c'est que nous reproduisions les exemples d'humilité qu'il a donnés au monde. 3° Enfin, la charité est incompatible avec l'orgueil. Or la charité est indispensable, puisque sans elle rien ne profite et que la perfection de la charité est la perfection du chrétien. Donc à ce titre encore nécessité de l'humilité.
 
 

1. Pour nous préserver de l'abattement du désespoir les divines Ecritures nous raniment, et d'autre part elles nous effraient pour que nous ne nous laissions pas emporter par l'orgueil. Mais il nous serait fort difficile de tenir le juste milieu, de marcher entre le désespoir à notre gauche et la présomption à notre droite, si le
 
 

1. Jean, XIV, 6.
 
 

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Christ ne disait : « Je suis la voie. » Où veux-tu aller, semble-t-il dire ? « Je suis la voie. » Où veux-tu parvenir ? « Je suis 1a vérité. » Où veux-tu demeurer? « Je suis la vie. »

Ainsi donc marchons avec sécurité dans cette, voie; mais craignons les dangers qui l'avoisinent. L'ennemi n'ose nous attaquer lorsque nous y marchons, attendu que nous sommes alors unis au Christ; mais à côté de la voie il ne cesse de tendre des pièges; c'est pourquoi nous lisons dans un Psaume : « Près du chemin ils m'ont dressé des embûches (1) ; » et dans un autre livre de l'Ecriture : « Souviens-toi que tu marches au milieu des filets (2). » Ces filets au milieu desquels nous marchons ne sont pas dans le chemin, mais auprès. Que crains-tu donc, que redoutes-tu si tu es dans la voie ? Mais tremble, si tu la quittes. S'il est permis à l'ennemi de l'environner de pièges, c'est pour modérer la sécurité d'une joie trop vive qui te porterait à la déserter et à tomber dans le précipice.

2. Mais quelle humilité dans cette voie! Quelle humilité dans le Christ qui est en même temps la vérité et la vie, le Très-Haut et Dieu même ! Si tu marches dans l'humilité du Christ, tu parviendras jusqu'à sa grandeur; si ta faiblesse ne dédaigne pas ses humiliations, devenu fort tu demeureras au sein de sa gloire. Eh! pourquoi s'est-il abaissé, sinon pour te guérir? Tu étais effectivement sous le poids d'une maladie irrémédiable et c'est pour t'en délivrer qu'est venu, jusqu'à toi ce céleste médecin. Ton mal aurait pu sembler tolérable s'il t'eût permis d'aller jusqu'à lui; mais comme il t'en rendait incapable, c'est Lui qui est venu jusqu'à toi.

Or il est venu nous enseigner l'humilité nécessaire à notre guérison; car l'orgueil nous empêchait de recouvrer la vie comme déjà il nous l'avait fait perdre. En effet le coeur de l'homme s'est élevé contre Dieu, et foulant aux pieds les préceptes salutaires qu'il avait reçus dans l'état de santé, l'âme est tombée malade. Que la maladie lui apprenne donc à écouter Celui qu'elle a dédaigné dans sa vigueur. Qu'elle l'écoute pour se relever, puisqu'elle -est tombée en ne l'écoutant pas. Que son, expérience lui persuade enfin ce qu'elle a refusé de croire à la voix du commandement. Sa misère, hélas! ne lui a-t-elle pas appris combien il est malheureux de se prostituer loin du Seigneur? N'est-ce pas se prostituer en effet que de se détacher du
 
 

1. Ps. CXXXIX, 6. — 2. Eccli. IX, 20.
 
 

Bien suprême et unique pour se jeter éperdument au milieu des voluptés, dans l'amour du siècle et la corruption de la terre? Aussi bien, lorsque le Seigneur rappelle à lui cette âme égarée, il la considère comme souillée de prostitutions; on lit très souvent dans les prophètes les reproches qu'il lui adresse à ce titre. Toutefois il ne veut pas qu'elle désespère; car tout en la reprenant de ses désordres, il tient en main de quoi l'en purifier.

9. Son but en effet n'est pas alors de l'irriter, il veut seulement la couvrir d'une confusion qui soit salutaire. Voyez dans 1.'Ecriture quelle vivacité d'objurgations! Certes, elle ne flatte pas les coupables, mais elle veut les réhabiliter et les guérir. « Adultères, s'écrie-t-elle, ignorez-vous que l'ami de ce monde se fait l'ennemi de Dieu (1)? » L'amour du monde rend l'âme adultère, comme l'amour de l'auteur du monde la rend chaste; mais si elle ne rougit de son ignominie, elle n'a même pas le désir de retourner à ces chastes embrassements. Que la confusion la prépare donc au retour, autant que l'en détournait son orgueil, car c'est bien l'orgueil qui l'en détournait. Aussi, loin d'être coupables, les reproches qui lui sont adressés lui montrent combien elle l'est, on lui met devant les yeux ce qu'elle rejetait derrière le dos. Ah ! considère-toi en toi-même. « Tu vois une paille dans l'oeil de ton frère, et dans le tien tu ne vois pas une poutre (2) ! » Les reproches donc rappellent l'âme en elle-même, car elle en était sortie, et autant elle se quittait, autant elle quittait Dieu même.

Cette âme en effet s'était regardée, s'était plu, et enflammée d'amour pour son indépendance, elle s'est éloignée de Dieu, mais sans rester en elle-même; car elle en est repoussée, bannie et se jette à l'extérieur, aimant le monde, aimant les choses temporelles, aimant les choses terrestres: et pourtant si elle se contentait de s'aimer elle-même au mépris de son Créateur, elle s'amoindrirait déjà, elle s'épuiserait par cet amour si rabaissé. N'est-elle pas inférieure en effet et d'autant plus inférieure à Dieu que l'oeuvre est au dessous de l'ouvrier? Elle devait donc aimer Dieu et nous devons l'aimer jusqu'à nous oublier nous-mêmes, s'il est possible. Comment alors se doit faire la conversion? L'âme s'était perdue de vue, mais pour aimer le monde; qu'elle se perde de vue encore, mais pour aimer
 
 

1. Jacq. IV, 4. — 2. Matt. VII, 3.
 
 

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son Auteur. Sortie d'elle-même elle s'est comme oubliée, ne se rendant point compte de ses actes et justifiant ses crimes ; s'emportant et s'enorgueillissant au milieu de la colère, des voluptés, recherchant les honneurs, la puissance les richesses et la vanité du pouvoir. Mais qu'on la reprenne, qu'on la corrige, qu'on la montre elle-même à elle-même; elle se déplaît alors, avoue sa laideur, désire recouvrer sa beauté perdue; et autant la dissipation l'éloignait de Dieu, autant a confusion l'y ramène.

4. Est-ce contre elle ou pour elle que semble s'élever cette prière : « Couvrez-leur la face d'ignominie? » On croirait voir ici un adversaire, un ennemi. Mais écoute ce qui suit et dis si ce n'est pas plutôt un ami. « Couvrez-leur la face d'ignominie, et ils rechercheront votre nom, Seigneur (1). » N'était-ce pas les haïr, d'appeler sur eux la confusion? Mais aussi n'est-ce pas les aimer, de vouloir qu'ils recherchent le nom du Seigneur? Qu'y a-t-il donc ici? Est-ce l'amour? Est-ce la haine? N'y a-t-il pas l'un et l'autre ? Oui, il y a en même temps haine et amour : haine contre ce qui vient de toi et amour pour toi. Qu'est-ce â dire: haine contre ce qui vient de toi et amour pour toi? C'est-à-dire qu'il y a haine contre tes œuvres et amour pour l'oeuvre de Dieu. Mais qu'elles sont tes oeuvres, sinon tes péchés? Et quelle est l'oeuvre de Dieu, sinon toi-même, formé par lui à son image et à sa ressemblance : Tu dédaignes, hélas! cette oeuvre et tu te prends d'affection pour les tiennes. Tu aimes hors de toi ce que tu as fait et tu négliges en toi l'oeuvre de Dieu. Ainsi tu mérites de t'égarer, dé tomber, de courir loin de toi et de t'entendre appeler un « esprit qui s'en va et qui ne revient point (2). » Ah! tourne plutôt la vue vers Celui qui t'appelle et qui te crie: « Revenez à moi et je reviendrai à vous (3). » Car Dieu ne se détourne point quand on le regarde, il demeure, il est immuable, pour reprendre et pour corriger. S'il est loin de toi, c'est que tu t'es éloigné de lui; c'est toi qui t'es séparé, ce n'est pas Lui qui s'est éclipsé (4). Ainsi donc prête l'oreille à sa voix : « Revenez à moi et je reviendrai à vous. » En d'autres termes: Quand je reviens à vous, c'est vous qui revenez à moi. Le Seigneur effectivement poursuit les fuyards et s'ils se retournent vers lui ils se trouvent éclairés. Où fuiras-tu, malheureux, en fuyant loin de Dieu? Où fuiras-tu, en t’éloignant de Celui qui n'est enfermé dans
 
 

1. Ps. LXXXII, 17. — 2. Ps. LXXVII, 39. — 3. Zach. I, 3. — 4. Voir traité 2e sur Saint Jean, n° 8.
 
 

aucun lieu et qui n'est absent nulle part? En s'attachant à lui on trouve la liberté et le châtiment en s'en détachant. Pour qui s'éloigne il est juge et père pour qui revient.

5. L'orgueil avait produit une enflure énorme et cette enflure ne permettait point au pécheur de revenir, car il lui fallait passer par un lieu fort étroit. Aussi j'entends Celui qui s'est fait notre voie s'écrier: « Entrez par la porte étroite (1). » Ou fait effort pour pénétrer, mais l'enflure empêche, et les efforts sont d'autant plus dangereux que l'enflure résiste davantage. Cette enflure en effet se trouve blessée pas l'étroitesse même du passage qu'elle veut franchir; ainsi blessée elle augmente, et augmentant toujours comment entrera-t-elle? Qu'elle décroisse donc. Mais par quel moyen? Qu'elle prenne l'humilité comme remède; qu'elle en boive le breuvage, il est amer, mais salutaire; oui qu'elle épuise la coupe de l'humilité. Qui l'empêche de pénétrer? Son volume même. Or l'enflure n'est pas de la grandeur, car la grandeur implique la solidité, ce que ne fait pas l'enflure. Que l'homme orgueilleux ne se croie donc pas grand; qu'il désenfle pour le devenir, pour être en même temps solide et ferme. Ah! qu'il ne se désire point ces biens temporels; qu'il ne se glorifie point de l'éclat de ces choses passagères et corruptibles; qu'il prête l'oreille à Celui qui a dit: « Entrez par la porte étroite, » et encore: « Je suis la voie. »

En effet, comme si le Seigneur supposait que l'orgueilleux lui demande : Quelle est cette porte étroite par laquelle j'entrerai, il ajoute: « Je suis la voie, » entre par moi, et pour entrer parla porte, tu ne saurais suivre que moi. Car si j'ai dit: «Je suis la voie, » j'ai dit aussi. « Je suis la porte (2). » Pourquoi chercher par où passer, où revenir, par où entrer? Ne va pas ici et là, tu trouves tout en Celui qui pour toi s'est fait tout, et il dit tout dans ces deux mots: Sois humble, sois doux. Ces paroles sont claires, écoutons-les et sache ainsi où est la voie, ce quelle est et où elle mène. Où veut-tu aller? Ton avarice te porterait-elle â vouloir tout posséder? « Tout, dit le Sauveur, m'a été donné par mon Père (3). » Diras-tu que si tout a été donné au Christ, ce n'est pas à toi? Ecoute l'Apôtre; écoute-le pour ne te laisser pas abattre par le désespoir, ainsi que je l'ai dit déjà; apprends de lui combien tu as été aimé quand tu étais tout couvert de laideur et d'ignominie,
 
 

1. Matt. VII, 13. — 2. Jean, X, 7. — 3. Matt. XI, 27.
 
 

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quand enfin tu ne méritais aucune affection, car c'est pour t'en rendre digne qu'il t'en a été accordé. « Le Christ, dit donc l'Apôtre, est mort pour les impies (1). » Quel amour méritait l'impie? Ou plutôt que méritait-il ? — D'être damné réponds-tu. — « Le Christ » cependant « est mort pour des impies. » Voile ce qu'il a fait pour toi dans ton impiété, que ne te réserve-t-il donc pas, si tu deviens pieux? Qu'as-tu reçu dans ton impiété? « Le Christ est mort pour des impies. » Mais tu aspirais à tout avoir; eh bien! n'y travaille point par avarice, travailles-y par piété, travailles-y par humilité. Ainsi tu parviendras à posséder Celui qui a fait tout, et tu posséderas tout en le possédant.

6. Ce n'est pas sur le raisonnement que nous appuyons cette doctrine; écoute l'Apôtre dire lui-même: « S'il n'a pas épargné son propre Fils, s'il l'a livré pour nous tous, comment ne nous aurait-il pas donné tout avec lui (2)? » C'est ainsi, ô avare, que tu es maître (le tout. Afin donc de n'être pas éloigné du Christ, méprise tout ce que tu aimes et attache-toi à Celui dont la puissance t'assure la jouissance de tout. Aussi qu'a fait ce Médecin généreux ? Pour exciter le courage de son malade et sans avoir besoin pour lui-même d'un semblable remède, il a bu la coupe qui ne devait-lui faire aucun bien; il l'a bue le premier, comme pour vaincre nos résistances et dissiper nos frayeurs, « C'est, dit-il, le calice que je dois boire (3). » Ce breuvage n'a rien à guérir en moi, je le prendrai pourtant, afin de t'animer à le prendre, car tu en as besoin.

Je vous le demande, mes frères, l'humanité devait-elle être malade encore quand on lui a donné un tel remède? Dieu est humble, et l'homme encore orgueilleux ! Ah ! qu'il écoute, qu'il entende enfin. « Tout, dit le Sauveur, m'a été donné par mon Père. » Si tu veux avoir tout, en moi tu le trouveras. Veux-tu le Père? Tu l'auras par moi et en moi. Nul ne connaît le Père, si ce n'est le Fils. » Point de découragement, viens au Fils, car il ajoute: « Et celui à qui le Fils aura voulu le révéler. » Tu lui disais: Je ne pourrai donc y parvenir; vous m'invitez à passer par un chemin trop étroit, je ne saurais entrer par là. «Venez à moi, répond-il, vous tous qui avez de la peine et qui êtes chargés; » chargés du poids de votre orgueil; « Venez à moi, vous tous qui avez de la peine et qui êtes chargés, et je vous soulagerai. Prenez
 
 

1. Rom. V, 6. — 2. Rom. VIII, 33. — 3. Matt. XX, 22.
 
 

sur vous mon joug et apprenez de moi. »

7. Ainsi crie le Maître des Anges, le Verbe de Dieu, qui nourrit sans s'épuiser toutes les intelligences, et que l'on mange sans le consumer; il crie donc: « Apprenez de moi. » Peuple, écoute le quand il dit: « Apprenez de moi; » réponds: Que devons-nous apprendre de vous? Que ne va pas nous enseigner effectivement ce grand Maître quand il crie: « Apprenez de moi! » Quel est en effet Celui qui dit: « Apprenez de moi? » C'est Celui qui a formé la terre, qui a séparé la mer et l'aride, qui a créé les oiseaux, qui a créé les animaux terrestres et tous les poissons, qui a placé les astres dans le ciel, qui a distingué le jour de fa nuit, qui a affermi le firmament même et séparé la lumière des ténèbres; c'est Celui-là qui dit: « Apprenez de moi. » Eh! veut-il que nous formions ces merveilles avec lui? Qui de nous le pourrait? Dieu seul en est capable. Ne crains pas, dit-il, je ne demande rien qui soit au dessus de tes forces. Apprends seulement de moi ce que je suis devenu pour toi.

« Apprenez de moi, » non pas à créer, puisque c'est moi qui ai créé; ni même à faire ce qu'il m'a plu d'accorder à quelques-uns seulement le pouvoir de faire, comme de ressusciter les morts, d'éclairer les aveugles et d'ouvrir l'oreille aux sourds; ceci n'est pas pour vous fort important à savoir et je ne demande pas que vous cherchiez à l'apprendre de moi. — Les disciples en effet étant revenus un jour pleins de joie et d'allégresse, et s'étant écriés: « Voilà qu'en votre nom des démons même nous sont soumis; » le Seigneur répliqua: « Ne vous réjouissez point de ce que les démons vous sont soumis; réjouissez-vous plutôt de ce que vos  noms sont écrits dans le ciel (1). » Dieu donc a donné à qui il a voulu le pouvoir de chasser les démons, elle pouvoir de ressusciter les morts à qui il a voulu. Même avant l'incarnation on voyait ces sortes de miracles; des morts étaient alors ressuscités et des lépreux guéris, l'histoire en fait foi (2). Or quel autre opérait ces prodiges, sinon ce même Christ qui s'est incarné après David et qui était Dieu avant Abraham ? C'est lui qui donnait alors ce pouvoir, qui faisait ces miracles par le moyen des hommes; mais à tous il n'accordait pas cette puissance. Ceux qui ne l'ont pas reçue doivent-ils se décourager et dire qu'ils lui sont étrangers puisqu'ils n'ont pas mérité de lui cette faveur? Il y a dans un même corps
 
 

1. Luc, X, 17, 20. — 2. IV Rois IV, V.
 
 

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plusieurs membres et chacun d'eux peut faire ce que ne saurait un autre. Le Créateur, en formant ce corps; n'a donné ni à l'oreille de voir, ni à l'oeil d'entendre, ni au front de flairer, ni à la main de 'goûter, non; mais il a donné à tous les membres la santé, l'harmonie entre eux et l'union; il les a tous animés et unis par un même souffle. C'est ainsi que parmi les hommes il n'a pas donné aux uns de ressusciter les morts ni à d'autres le pouvoir d'enseigner; à tous cependant il a donné quelque chose. Quoi? « Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur (1). » Ainsi nous l'avons entendu nous dire: « Je suis doux et humble de coeur. » Eh bien! mes frères, tout le remède qui nous guérira consiste à apprendre de lui qu'il est « doux et humble de coeur. » Que sert de faire des miracles et d'être orgueilleux, de n'être ni doux ni humble de cœur N'est-ce pas se mettre au nombre de ces malheureux qui viendront, à la fin des siècles, lui dire: « N'avons-nous pas prophétisé en votre nom et en votre nom fait beaucoup de merveilles ? » Que leur sera-t-il répondu? « Je ne vous connais pas. Eloignez-vous de moi, vous tous artisans d'iniquité (2). »

8. Que nous importe-t-il donc d'apprendre? « Que je suis doux, reprend le Sauveur, et humble de coeur. » Ainsi nous inspire-t-il la charité, mais la charité la plus sincère, une charité qui ne rougit pas, qui ne s'enfle pas, qui ne s'enorgueillit pas, qui ne trompe pas, et cette inspiration est contenue dans ces paroles: « Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur. » Comment pourrait avoir cette charité pure un homme orgueilleux et hautain? Il ne peut se défendre de l'envie. Un envieux aime-t-il réellement, et nous trompons-nous en disant le contraire ? Que personne ne s'avise jamais de supposer la charité à un coeur envieux. Aussi que dit l'Apôtre? « La charité n'est point envieuse. » Pourquoi? « Elle ne s'enfle point (3) ;» c'est le motif pour lequel saint Paul éloigne l'envie du caractère de la charité; c'est dire: Elle n'est point envieuse, parce qu'elle ne s'enfle point. Il a dit d'abord « La charité n'est point envieuse; » et comme si on lui en demandait la raison, il ajoute: C'est qu'elle « ne s'enfle point. » Si donc l'envie naît de l’orgueil; quand il n'y a pas d'orgueil, il n'y a pas d'envie non plus. Mais si la charité n'est ni orgueilleuse, ni envieuse; c'est enseigner la charité que de dire: « Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur. »
 
 

1. Matt. XI, 27-29. — 2. Ibid. VII, 22, 23. — 3. I Cor. XIII, 4.
 
 

9. Que chacun maintenant possède ce qui lui plaît et se vante comme il veut; « quand même je parlerais les langues des hommes et des Anges, si je n'ai pas la charité, je suis comme un airain sonore ou une cymbale retentissante.» Qu'y a-t-il de plus beau que de pouvoir parler tant de langues? On n'est pourtant alors, sans la charité, qu'un airain ou une cymbale faisant du bruit. Voici d'autres dons: «Quand je connaîtrais tous les mystères. » Qu'y a-t-il de plus élevé, ode plus magnifique? Ecoute encore: « Quand j'aurais tous les dons prophétiques et toute la foi, jusqu'à transporter les montagnes, si je n'ai point la charité, je ne suis rien. » Voici quelque chose de plus grand encore  mes frères. Qu'est-ce? « Quand je distribuerais tous mes biens aux pauvres. » Se peut-il rien de plus parfait? N'est-ce pas le moyen de perfection prescrit par le Seigneur à ce riche auquel il dit: « Si tu veux être parfait, va, vends tout ce que tu possèdes et le donne aux pauvres? » Mais est-on parfait pour avoir tout vendu et tout donné aux pauvres? Non, car le Sauveur ajoute: « Viens ensuite et suis-moi. » — Pourquoi vous suivre? J'ai tout vendu, distribué tout aux pauvres; ne suis-je donc point parfait? Qu'ai-je besoin de vous suivre ? — Suis-moi pour apprendre que « je suis doux et  humble de coeur. » — Mais peut-on vendre tout et tout donner aux pauvres sans être encore doux et humble de coeur ? — On le peut assurément. — Si pourtant j'ai tout distribué aux pauvres? — Ecoute encore. Car il en est qui après avoir tout abandonné et s'être mis à la suite du Seigneur, sans toutefois l'avoir suivi parfaitement, puisque le suivre parfaitement c'est l'imiter, n'ont pu supporter l'épreuve de la souffrance.

Voyez Pierre: il était, mes frères, du nombre dé ceux qui avaient tout abandonné et s'étaient mis à la suite du Seigneur. Car en voyant le jeune homme riche s'éloigner avec tristesse, et après avoir demandé avec émotion au Seigneur, qui les consola, quel était donc celui qui pourrait être parfait, ils ne craignirent pas de lui dire « Voici que nous avons tout laissé pour vous suivre; quelle récompense devons-nous donc attendre (1) ? » Et le. Seigneur leur fit connaître ce qu'il leur donnerait, ce qu'il leur réservait pour l'avenir. Pierre donc était dès lors du nombre de ceux qui avaient fait ces sacrifices. Et toutefois, quand fut arrivé le moment de la passion, il renia jusqu'à trois fois, à la voix d'une servante, Celui avec lequel il avait promis de mourir.
 
 

1. Matt. XIX, 21-29.
 
 

581

10. Que votre charité remarque donc bien ces paroles: « Va, vends tout ce que tu as  donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel; « viens ensuite et me suis. » Pierre est devenu parfait; mais il s'est mûri quand le Seigneur était déjà assis à la droite de son Père. Il ne l'é tait point, lorsqu'il suivait le Seigneur marchant vers sa passion ; et il l'est devenu quand il n'avait plus personne à suivre sur la terre. Que dis-je? Tu as toujours devant toi quelqu'un à suivre. Le Seigneur en te donnant l'Évangile t'a donné un modèle, il y est lui-même avec toi, et il n'a point trompé lorsqu'il a dit: « Voici que je suis avec vous tous les jours jusqu'à la consommation du siècle (1). » Ainsi donc suis le Seigneur. Qu'est-ce à dire? Imite-le. Qu'est-ce à dire encore? « Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur. » En effet, « quand je distribuerais
 
 

1. Matt. XXVIII, 20.
 
 

tous mes biens aux pauvres, et que je livrerais mon corps pour être brûlé, si je n'ai pas la charité, cela ne me sert de rien (1). »

C'est donc à la charité que j'excite votre charité, et je ne le ferais pas si vous n'en aviez déjà quelque peu. Je vous invite ainsi à poursuivre ce que vous avez entrepris, à perfectionner ce que vous avez commencé. Je vous prie aussi d'intercéder pour moi afin qu'en moi également se consomme la vertu que je vous enseigne. Tous en effet nous sommes imparfaits, et là seulement où tout est parfait nous atteindrons la perfection. « Mes frères, dit l'Apôtre Paul, je ne crois pas être arrivé. » Il s'explique: « Non que déjà j'aie atteint jusque là ou que je sois déjà parfait (2). » Quel homme oserait donc se vanter de l'être? Ah! plutôt, pour mériter d'être parfaits, confessons que nous sommes imparfaits.
 
 

1. II Cor, XIII, 1-3. — 2. Philip. III, 13, 12.

SERMON CXLIII. JÉSUS RETOURNANT AU CIEL (1).
 

ANALYSE. — En expliquant le passage de l'Évangile où Notre-Seigneur représente comme utile au monde son retour au ciel, saint Augustin constate en quoi consiste l'utilité de ce retour. C'est que, dit-il, la foi est la vie du juste. Or en quittant le terre le Fils de Dieu exercée et développe la foi, et c'est ainsi que son absence même nous devient salutaire.
 
 

1. Le remède à toutes les blessures de l'âme, l'unique moyen donné aux hommes d'expier leurs péchés, c'est de croire au Christ : et nul absolument ne peut se purifier, soit du péché originel, contracté en Adam, en qui tous ont péché et sont devenus par nature enfants de colère (2), soit des péchés personnels, commis ensuite pour n'avoir pas réprimé, mais pour avoir suivi en esclave la concupiscence de la chair en s'abandonnant aux crimes et aux infamies; sans s'unir intimement au corps de ce Christ divin qui a été conçu sans aucun plaisir charnel, sans aucune délectation coupable, nourri sans péché dans le sein maternel, et exempt de toute faute et de toute parole artificieuse (3). Croire en lui, effectivement, c'est devenir enfants de Dieu; car on puise en Dieu une vie nouvelle en recevant la, grâce de l'adoption que communique la foi en Jésus-Christ notre Seigneur. Aussi, mes très-chers, c'est avec raison
 
 

1. Jean, XVI, 7-11. — 2. Ephès. II, 3. — 3. I Pierre, II, 22.
 
 

que ce même Sauveur et Seigneur ne parle ici que du péché dont le Saint-Esprit convainc le monde, et qui consiste à ne croire pas en lui. « Je vous dis la vérité, déclare-t-il, il vous est avantageux que je m'en aille, car si je ne m'en vais point, le Paraclet ne viendra pas à vous; mais si je m'en vais, je vous l'enverrai. Et lorsqu'il sera venu, il convaincra le monde en ce qui touche le péché, et la justice, et le jugement : le péché, parce qu'on n'a pas cru en moi; la justice, parce que je vais à mon Père et que vous ne me verrez plus; et le jugement, parce que le prince de ce monde est déjà jugé. »   .

2. Ainsi le seul péché dont il veut que soit convaincu le monde, c'est de n'avoir pas cru en lui. La foi en lui déliant tous les péchés, n'était-il pas juste de n'imputer d'autre péché que celui qui les mantient tous? Depuis cette même foi faisant puiser en Dieu une vie divine et rendant enfants de Dieu, « puisqu'il a donné à ceux (582) qui croient en lui de devenir les enfants du Seigneur (1); » croire au Fils de Dieu, c'est renoncer au péché dans la mesure de l'union contractée avec lui, et de la grâce d'adoption qui rend fils, héritiers de Dieu, et cohéritiers de Jésus-Christ. Aussi saint Jean dit-il : « Quiconque est né de Dieu ne pèche point (2); » et le péché reproché au monde est-il de ne pas croire en lui. C'est de ce même péché que le Sauveur disait encore: « Si je n'étais pas venu, ils n'auraient point de péché (3). »

N'avaient-ils pas, et en quantité innombrable, d'autres péchés? Mais c'est qu'à l'avènement du Sauveur ils commirent, pour maintenir tous leurs autres péchés, le péché de ne croire pas en lui; tandis que l'absence de ce péché dans ceux qui crurent, suffit pour effacer tous les autres. Aussi l'Apôtre Paul dit-il, et uniquement pour ce motif, que « tous ont péché et ont besoin de la gloire de Dieu (4); » que ceux qui croiront en lui ne seront pas confondus (5) ; ce qui est d'ailleurs exprimé dans ce passage d'un psaume : « Approchez de lui, et vous serez éclairés, et sur votre visage ne sera point de confusion (6). » Aussi bien, se glorifier en soi, c'est se condamner à la confusion, puisqu'on n'est point alors exempt de péchés, et l'on n'évitera la confusion qu'en se glorifiant dans le Seigneur, puisque « tous ont péché et ont besoin de se glorifier en Dieu. » C'est pour cela encore qu'en parlant de l'infidélité des Juifs le même Apôtre ne dit pas : Si quelques-uns d'entre eux ont péché, est-ce que leur péché rendra vaine la fidélité de Dieu Eh! comment aurait-il pu dire : Si quelques-uns d'entre eux ont péché, après avoir dit expressément : « Puisque tous ont péché? » Il dix, donc « Si quelques-uns d'entre eux n'ont pas cru, est-ce que leur infidélité rendra vaine la fidélité de Dieu (7)? » C'est parler de la manière la plus expresse du péché qui suffit pour empêcher la grâce de Dieu de remettre tous les autres; et c'est bien de ce même péché que le monde est convaincu par la descente de l'Esprit-Saint, parla diffusion de la grâce dans l'âme des fidèles, comme l'enseigne le Seigneur dans ces paroles : « En ce qui touche le péché, parce qu'on n'a pas cru en moi. »

3. Mais il n'y aurait ni grand mérite ni glorieux bonheur à croire, si le Seigneur se montrait toujours aux regards de l'homme avec son
 
 

1. Jean, I, 12. — 2. Jean III, 9. — 3. Jean, XV, 22. — 4. Rom. III, 23. — 5. Ibid. IX, 33. — 6.  Ps. XXXIII, 6. — 7. Rom. III, 3.
 
 

corps ressuscité. Aussi la grande grâce accordée par l'Esprit-Saint aux croyants, a été d'éteindre en eux les passions charnelles et de les embraser dé désirs tout spirituels pour les faire soupirer vers le Christ, devenu invisible pour eux à l'oeil du corps. Voilà pourquoi le disciple qui avait juré de ne croire qu'autant qu'il aurait porté la main aux cicatrices du Sauveur, s'étant comme éveillé tout à coup après avoir touché son corps sacré, et s'étant écrié : « Mon Seigneur et mon Dieu! » Jésus lui répondit : « Tu crois pour m'avoir vu; heureux ceux qui n'ont pas vu et qui croient (1). » L'Esprit-Saint, l'Esprit consolateur rend donc heureux, lorsque voyant éloignée de nous cette nature de serviteur que le Christ a prise dans le sein de la Vierge, il élève le regard purifié de notre esprit vers cette nature divine elle-même qui a fait toujours de lui l'égal du Père, sans en excepter l'époque où il daigna se montrer aux hommes dans une chair mortelle. Aussi c'est sous l'impression de l'Esprit-Saint dont il était rempli que l'Apôtre disait : « Si nous avons connu le Christ selon la chair, maintenant nous ne le connaissons plus de la sorte (2). » C'est connaître en effet la chair même du Christ, non pas selon la chair mais selon l'esprit, que d'admettre la réalité vivante de sa résurrection, non point parce qu'on touche son corps avec curiosité, mais parce qu'on croit avec une pleine certitude. On ne dit pas alors dans son coeur : « Qui est monté au ciel ? c'est-à-dire pour en faire descendre le Christ; ni : Qui est descendu dans l'abîme ? c'est-à-dire pour rappeler le Christ d'entre les morts. » On dit au contraire : « Près de toi, dans ta bouche même est la Parole, » cette Parole est le Seigneur Jésus; « et situ crois dans ton coeur que Dieu l'a ressuscité d'entre les morts, tu seras sauvé; « car on croit de coeur pour la justification et on confesse de bouche pour le salut (3). » C'est ainsi, mes frères, que s'exprime l'Apôtre et qu'il exhale la sainte ivresse qu'il doit à l'Esprit-Saint.

4. Il est donc bien vrai que si le Saint-Esprit ne nous en faisait la grâce, nous n'aurions pas ce bonheur de croire sans voir. Par conséquent n'est-ce pas avec raison qu'il a été dit: « Il vous est avantageux que je m'en aille; car si je ne m'en vais, le Consolateur ne viendra pas à vous, au lieu que je vous l'enverrai si je m'en vais. » Le Sauveur sans doute est toujours avec nous dans sa nature divine; si cependant
 
 

1. Jean, XX, 25-29. — 2. II Cor. V, 16. — 3. Rom. X, 6-10.
 
 

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il n'éloignait de nous son corps, toujours nous le verrions sensiblement et nous ne pourrions

croire en lui d'une manière purement spirituelle; cette foi néanmoins est nécessaire pour nous l'aire mériter de contempler avec un coeur pénétré de justice et comblé de bonheur, , le Verbe même de Dieu dans le sein de son Père, ce Verbe-Dieu par qui tout a été fait et qui s'est fait chair pour habiter parmi nous.

Mais si on croit de, coeur pour être justifié et non pas en touchant de la main, n'est-ce pas avec raison que notre justice est la condamnation de ce monde; qui ne veut croire que ce  qu'il voit ? Or, c'est pour nous communiquer cette justice de la foi qui sera la condamnation du monde incrédule, que le Seigneur disait : « A cause de la justice, car je vais à, mon Père et vous ne me verrez plus. » En d'autres termes Votre justice sera de croire en moi, votre Médiateur, en moi que vous saurez, avec une pleine certitude; être remonté vers mon Père après ma résurrection, quoique vous ne me voyiez point d'une manière sensible; et ainsi réconciliés par moi vous pourrez parvenir à voir Dieu spirituellement. Aussi une femme qui figurait l'Église étant tombée à ses pieds quand il fut ressuscité, Jésus lui dit : « Garde-toi de me toucher, puisque je ne suis point encore remonté vers mon Père (1). » Paroles mystérieuses dont le sens est celui-ci : Garde-toi d'avoir en moi une foi charnelle en l'appuyant sur le contact corporel; tu auras en moi une foi spirituelle lorsqu'après mon retour vers mon Père tu ne me toucheras plus que spirituellement. Heureux en effet ceux qui croient sans voir, et c'est en cela que consiste la justice de la foi. Or, comme le monde ne l'a pas et que nous l'avons, le juste vivant de la foi (2), nous servons à le condamner. Ainsi donc, soit pour exprimer qu'en ressuscitant avec Jésus-Christ et qu'en montant avec lui vers son Père nous perfectionnons en nous l'invisible justice; soit pour signifier que croyant sans voir; nous vivons de la foi, comme il est écrit du juste, le
 
 

1. Jean, XX, 17. — 2. Habac. XI, 4; Rom. I, 17.
 
 

Sauveur a dit : « A cause de la justice, car je vais à mon Père, et vous ne me verrez plus. »

5. Que le monde, pour s'excuser de ne pas croire au Christ, ne prétexte pas que le démon l'en empêche. Pour ceux qui croient en effet le prince du monde est banni (1), et il ne saurait plus agir dans les coeurs des hommes dont le Christ s'est rendu maître par la foi, comme il agit sur les fils de la défiance (2), qu'il pousse trop souvent à tenter et à tourmenter les justes. Car puisqu'il est banni du coeur, lui qui y régnait en tyran, il ne peut plus qu'attaquer par l'extérieur; et quoique le Seigneur se serve de ses persécutions mêmes pour avancer les humbles dans la justice (3); par le fait de son bannissement du coeur, il est jugé. Or ce jugement sert encore à la condamnation du monde. Comment en effet le monde qui refuse de croire au Christ serait-il autorisé à se plaindre du démon, puisque, depuis qu'il est jugé, c'est-à-dire banni et réduit, pour nous exercer à la vertu, à nous attaquer en dehors seulement, le démon est vaincu, non seulement par des hommes, mais par des femmes, par des enfants et de jeunes filles couvertes aussi de la gloire du martyre ? Et par qui ceux-ci l'ont-ils vaincu, sinon par Celui à qui ils ont donné leur foi; par celui qu'ils ont aimé sans le voir et dont l'empire en s'établissant dans leurs coeurs a renversé l'affreuse domination qui les tenait sous le joug ?

Comme tout cela est dû à la grâce, c'est-à-dire au Saint-Esprit, on comprend pourquoi c'est l'Esprit-Saint qui accuse le monde « à cause du péché, » puisque le monde ne croit pas au Christ; « à cause de la justice, » puisque ceux qui avaient bonne volonté ont cru en lui tout en ne le voyant pas, et espéré de parvenir aussi, par la vertu de sa résurrection, à une résurrection pleine; « à cause enfin du jugement, » attendu que si les mondains voulaient croire à leur tour, nul ne les empêcherait, « puisque le prince de ce monde est déjà jugé. »
 
 

1. Jean, XII, 31. — 2. Ephés.  II, 2. — 3. Ps. XXIV, 9.

SERMON CXLIV. L'ESPRIT-SAINT CONDAMNANT LE MONDE (1).
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ANALYSE. — L'Esprit-Saint condamne le monde, et cette condamnation repose sur trois motifs : 1° sur le péché que commet le monde en ne croyant pas au Christ et en demeurant ainsi sous le joug de toutes les iniquités dont le délivrerait la foi du Christ; 2° sur la justice rendue au Fils de Dieu, ressuscité et glorifié par son Père, et pratiquée par les fidèles, ressuscités avec lui parla foi et avec lui élevés au ciel en quelque sorte; 3° sur le jugement prononcé contre le démon, que la foi au Christ bannit du cœur et réduit u n'attaquer plus que parle dehors.
 
 
 
 

1. En promettant d'envoyer le Saint-Esprit, qu'il a effectivement envoyé, notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ disait, entre beaucoup d'autres choses : « Il condamnera le monde à cause du péché, à cause de la justice, et à cause du jugement. » Et avant de passer à un autre sujet, il daignait s'arrêter pour expliquer sa pensée plus clairement. « A cause du péché, disait-il, car on n'a pas cru en moi; à cause de la justice, car je vais à mon Père; à cause enfin du jugement, car le prince de ce monde est déjà jugé. » Ici donc s'élève en nous le désir de comprendre les questions suivantes : Les hommes ne pêchent-ils qu'en ne croyant pas au Christ et pourquoi le Sauveur semble-t-il dire que le Saint-Esprit ne condamnera le monde que pour ce seul péché? N'est-il pas manifeste qu'il y a dans le inonde beaucoup d'autres péchés que celui-là, et pourquoi ce péché est-il le seul que doive reprocher lé Saint-Esprit? Serait-ce parce que l'infidélité maintient l'empire de tous les péchés, tandis que la foi les efface tous, et Dieu pour ce motif imputerait-il principalement, uniquement même, le péché qui empêche la rémission de tous les autres ? En effet, c'est l’orgueil qui détourne l'homme dé croire à un Dieu humilié; et il est écrit : « Dieu résiste aux superbes, tandis qu'il donne sa grâce aux humbles (2). » Cette grâce est sans douté un don de Dieu. Or le Don suprême est l'Esprit-Saint; aussi est-il une grâces Il est grâce; c'est-à-dire gratuitement donné; parce que tous les hommes avaient péché et avaient besoin de la gloire de Dieu (3), le péché étant entré dans le monde par un seul homme et par le péché la mort, dans la personne de celui en qui tous ont péché (4). La grâce est ainsi donnée gratuitement; elle n'est pas une récompense accordée après l'examen des mérites, elle est une faveur octroyée après le pardon des fautes.

2. Ainsi donc c'est à cause du péché que sont
 
 

1. Jean , XVI, 3-11. — 2. Jacq. IV, 6. — 3. Rom. III, 23. — 4. Ib. V, 12.
 
 

condamnés les infidèles, c'est-à-dire les esclaves du monde, désignés par ce terme de monde; et : quand il est dit que l'Esprit-Saint « condamnera le monde à cause du péché, » il n'est question que du péché commis par eux en ne croyant pas au Christ. Supprimez en effet ce péché d'infidélité, il n'en restera plus aucun, puisque le juste en vivant de la foi obtient la rémission de toutes ses iniquités.

Mais il y a une différence importante entre croire le Christ et croire au Christ. Les démons effectivement croient le Christ et ne choient pas au Christ. Croire au Christ, c'est en même temps espérer en lui et d’aimer; car avoir la foi sans l'espérance et sans la charité, c'est croire le Christ et non pas croire en lui. Or en croyant au Christ, on le reçoit, on s'unit à lui d'une certaine façon et l'on devient membre de son corps, ce qui ne peut se faire si la foi ne s'ajoute l'espérance et la charité.

3. Que signifient aussi ces autres paroles : « A cause de la justice, car je vais à mon Père? » Et d'abord, puisque le monde est condamné à cause du péché, pourquoi l'est-il encore à cause de la justice? Qu'y a-t-il dans la justice qui mérite condamnation? Faut-il entendre que si le monde est condamné, c'est à cause de son péché propre et à cause de la justice du Christ ? Je ne vois pas d'autre sens à donner à ces paroles, d'autant plus que je lis : « A cause du péché, car on n'a pas cru cri moi; à cause de la justice, car je vais à mon Père. » Ce sont les mondains qui n'ont pas cru et c'est lui qui va à son Père; ainsi le péché est pour eux et la justice pour lui.

Mais pourquoi ne montrer la justice que dans son retour vers son Père ? N'était-ce pas justice aussi quand il venait de Lui vers nous? Ou bien son avènement parmi nous né serait-il pas plutôt miséricorde et justice son retour vers son Père?
 
 

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4. Je crois donc, mes frères, qu'en face de l'étonnante profondeur des Ecritures, quand il y a dans ses paroles quelque mystère utile à dévoiler, il est bon pour mériter de le découvrir avec fruit, que nous cherchions ensemble avec foi. Demandons-nous alors pourquoi le Sauveur met la justice à retourner vers son Père, et non pas à être venu d'auprès de Lui. Serait-ce parce que la miséricorde l'ayant fait descendre parmi nous, c'est la justice qui le reconduit vers Dieu? Nous apprendrions alors que nous ne pouvons être parfaitement justes, si nous sommes négligents à faire miséricorde, à nous occuper des intérêts d'autrui et non pas seulement des nôtres. Aussi bien, après avoir rappelé ce devoir, l'Apôtre cite aussitôt l'exemple du Seigneur. Voici ses paroles : « Rien par esprit de contention, ni par vaine gloire, mais par humilité d'esprit, chacun croyant les autres au-dessus de soi, et ayant égard, non à ses propres intérêts, mais à ceux d'autrui. » Il ajoute immédiatement : « Ayez en vous les sentiments qu'avait en lui le Christ Jésus. Il avait la nature de Dieu et ne croyait pas que ce fût pour lui une usurpation que de s'égaler à Dieu. Cependant il s'est anéanti lui-même en prenant la nature de serviteur, ayant été fait semblable aux hommes et reconnu pour homme par les dehors; il s'est humilié, étant devenu obéissant jusqu'à la mort et la mort de la croix. » Telle est la miséricorde qui l'a amené du ciel. Où est maintenant la justice qui le reconduit vers son Père ? Continuons à lire : « C'est pourquoi Dieu l'a exalté et lui a donné un nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu'au nom de Jésus tout genou fléchisse dans le ciel, sur la terre et dans les enfers, et que toute langue confesse que le Seigneur Jésus-Christ est dans la gloire de Dieu le Père (1). » Telle est la justice qui le reconduit vers son Père.

5. Mais s'il retourne seul vers son Père, quel avantage y avons-nous? Comment le Saint Esprit peut-il condamner le monde à propos de cette justice? D'un autre côté, s'il ne retournait pas seul vers son Père, il ne dirait pas ailleurs : « Nul ne monte au ciel que celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme qui est dans le ciel (2). » Pourtant, l'Apôtre Paul dit encore « Car notre vie est dans les cieux (3). » Comment? Le voici : « Si vous êtes ressuscités avec le Christ, dit le même Apôtre, recherchez les choses d'en
 
 

1. Philip. II, 3-11. — 2. Jean, III, 13. — 3. Philip. III, 20.
 
 

haut, où le Christ est assis à la droite de Dieu; goûtez les choses d'en haut et non les choses de la terré; car, vous êtes morts et votre vie est cachée avec le Christ en Dieu (1). » Comment donc dire que le Christ y est seul monté? Serait-ce parce que le Christ avec tousses membres ne fait qu'un, comme la tête ne fait qu'un avec le corps? Et quel est le corps du Christ, sinon l'Église ? « Vous êtes, dit le même Docteur des gentils, le corps du Christ et les membres d'un membre (2). » D'après cette interprétation, comme nous sommes tombés et que le Christ est descendu à cause de nous, ces mots : « Nul ne monte que celui qui est descendu, » ne signifient-ils pas que personne ne peut parvenir au ciel qu'autant qu'il fait un avec lui et qu'il est comme un membre harmonieux de son corps? C'est dans ce sens qu'il disait à ses disciples

« Sans moi vous ne pouvez rien faire (3). » Car son union avec nous n'est pas la même que son union avec soit Père. Il est un avec son Père, parce que le Fils a la même nature que son Père; il est un avec son Père, parce que « ayant la nature de Dieu, il n'a pas cru usurper en s'égalant à Dieu. » Mais il s'est fait un avec nous, parce qu'il s'est anéanti lui-même, prenant la nature de serviteur; » il s'est fait un avec nous, en devenant ce rejeton d'Abraham en qui toutes les nations doivent être bénies. On sait qu'après avoir rappelé cette prophétie l'Apôtre observe

« Il n'est pas dit : Et aux rejetons, comme s'il y en avait plusieurs; mais : Et à ton rejeton, comme s'il n'y en avait qu'un seul, et c'est le Christ. » Or, comme nous appartenons au Christ, comme nous lui sommes incorporés tous ensemble et unis étroitement comme à notre Chef, le Christ est réellement seul. Aussi l'Apôtre nous dit-il à nous-mêmes : « Vous êtes donc le rejeton d'Abraham, les héritiers selon la promesse (4). » Mais, si Abraham n'a qu'un rejeton, si ce rejeton unique n'est que le Christ, et si nous sommes aussi nous-mêmes cet unique rejeton, ne s'ensuit-il pas que tous, et le Chef et le corps, nous ne formons qu'un Christ ?

6. C'est pourquoi nous ne devons pas nous considérer comme étrangers à cette justice dont parle le Seigneur en disant : « A cause de la justice, car je vais à mon Père. » Maintenant en effet nous sommes ressuscités avec le Christ notre chef et nous demeurons en lui par la foi et par l'espérance, en attendant que cette espérance
 
 

1. Colos. III, 1-3. — 2. I Cor. XII, 27. — 3. Jean, XV, 6. — 4. Gal. III, 16, 29.
 
 
 
 

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se réalise à la future résurrection des morts. Or lorsque se réalisera notre espérance, notre justification se complètera aussi; et avant de les compléter, le Seigneur montre dans son corps, dans notre Chef même, en ressuscitant et en remontant vers son Père, ce que nous devons espérer. Aussi est-il écrit : « Il a été livré à cause de nos péchés, et il est ressuscité pour notre justification (1). »

En résumé, le monde est condamné « à cause du péché, » commis par ceux qui ne croient pas au Christ; « à cause de la justice, » pratiquée par ceux qui ressuscitent au nombre de ses membres; et c'est pourquoi il est dit: « Afin que nous soyons en lui la justice de Dieu (2); » car si nous n'étions pas en lui, nous ne serions pas justice. Mais si nous sommes en lui, comme il remonte tout entier, il retourne avec nous vers son Père
 
 

1. Rom. IV, 25. — 2. II Cor. V, 21.
 
 

et c'est alors que la justice en nous sera parfaite. De là vient, que le monde est condamné encore « à cause du jugement, car le prince de ce monde est déjà jugé, » ce prince est le démon, le chef des pécheurs, qui n'ont le coeur attaché qu'à ce monde où ils habitent, qu'à ce monde qu'ils aiment et dont par conséquent ils portent le nom, comme à notre tour nous avons la vie attachée au ciel si nous sommes ressuscités avec le Christ. Aussi comme le Sauveur ne forme avec nous, qui sommes son corps, qu'un seul Christ; ainsi le démon ne forme qu'un démon non plus avec tous les impies dont il est le chef et qui sont comme son corps. Comme enfin nous ne sommes pas étrangers à la justice dont parle le Seigneur quand il dit : « Car je vais à mon Père; » ainsi les impies ne sont pas étrangers au jugement dont il est question dans ces mots : « Car le prince de ce monde est déjà jugé. »

SERMON CXLV. QU'EST-CE QUE DEMANDER QUELQUE CHOSE (1) ?
 

ANALYSE. — Notre-Seigneur reproche à ses disciples de n'avoir jamais rien demandé en son nom. En son nom pourtant ils ont déjà fait bien des miracles. Comment donc entendre sa pensée ? — Il est dit dans l'Écriture que Dieu refuse les jouissances divines à ceux qui sont sous le joug de la crainte et qu'il les accorde abondamment à ceux qui vivent d'espérance. Rien n'est plus vrai, car ceux qui ne servent Dieu que par crainte ont le coeur attaché au mal que la crainte seule leur fait éviter, tandis que ceux que l'espérance attache au service de Dieu ont pour lui un amour véritable dont ils goûtent les joies: Cet amour qui rend le coeur heureux est donc la grande grâce qu'il faut solliciter. — Or les disciples jusques là avaient plutôt vécu sous le joug de la crainte que sous le joug de l'amour. Sans doute ils avaient déjà demandé bien des faveurs; mais Jésus considère ces faveurs comme n'étant rien on presque rien en comparaison de ce qu'il voudrait qu'ils sollicitassent; et c'est pourquoi il leur dit que jusqu'alors ils n'ont rien demandé.
 
 

1. Nous avons remarqué, durant la lecture du saint Évangile, une pensée qui doit sans aucun doute mettre en mouvement toute âme sérieuse et la déterminer non pas à se décourager mais à chercher. Sans mouvement en effet il n'y a pas de changement possible; mais s'il est un mouvement dangereux, comme celui dont il est dit : « Ne mettez pas mes pieds en mouvement (2); » il est aussi un autre mouvement qui consiste à chercher, à frapper, à demander. Tous, il est vrai, nous avons entendu le lecteur; tous pourtant, je présume, nous ne l'avons pas compris. Sa voix donc nous signale ce qu’avec moi vous devez chercher, examiner, demander la grâce de comprendre. Dieu, je l'espère, nous assistera dans sa bonté et m'accordera ce dont je désire vous faire part.
 
 

1. Jean, XVI, 24. — 2. Ps. LXV, 9
 
 

Pourquoi donc, dites-moi, le Seigneur vient-il d'adresser cette observation à ses disciples « Vous n'avez jusqu'alors rien demandé en mon nom ? » N'est-ce pas ici ces mêmes disciples qu'il a envoyés avec le pouvoir de prêcher l'Évangile et de faire des miracles, et qui sont revenus vers lui tout transportés de joie et s'écriant: « Seigneur, voici qu'en votre nom les démons nous sont soumis (1) ? » Vous vous rappelez, vous reconnaissez ce passage que j'ai cité de l'Évangile, dont tentes les parties et toutes les pensées sont incontestablement vraies et sans aucun langage d'erreur. Comment alors accorder ces deux textes « Vous n'avez jusqu'alors rien demandé en mon nom; — Seigneur, voici qu'en votre nom les démons mêmes nous sont soumis? » Quel esprit ne désire résoudre cette question ? Donc il
 
 

1. Luc, X, 17, 20.
 
 

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nous faut demander, chercher, frapper. Faisons-le avec une piété pleine de foi, non pas avec une inquiétude charnelle, mais avec une humble dépendance; et Celui qui nous voit frapper ne dédaignera pas de nous ouvrir.

2. Recevez donc avec attention, avec une pieuse avidité, ce que le Seigneur va me mettre en main pour vous le distribuer; et après avoir entendu mes paroles, la pureté de votre goût vous dira sans doute à quel divin trésor je les ai puisées.

Le Seigneur Jésus savait ce qui pouvait rassasier l'âme humaine, cette intelligence créée à l'image de Dieu; il savait qu'il ne lui fallait rien moins que lui-même, et il savait aussi qu'elle n'en était point remplie encore; car s'il se montrait sous un rapport, sous un autre il se cachait, connaissant parfaitement ce qu'il convenait de mettre en relief et ce qu'il convenait de laisser dans l'ombre.

« Seigneur, est-il dit dans un psaume, coin« bien est grande l'abondance de votre douceur, « que vous cachez à ceux qui vous craignent et « que vous communiquez généreusement à ceux « qui espèrent en vous (1) ! » Oui, vous les dérobez à ceux qui vous craignent, ces délices divines, immenses, infinies. Si vous les cachez à ceux qui vous craignent, à qui les révélez-vous ? « Vous les communiquez généreusement à ceux qui espèrent en vous. » Voici donc une double question; mais la solution de l'une est l'éclaircissement de l'autre. Pourquoi, dira-t-on en examinant la seconde, pourquoi « avez-vous caché à ceux qui vous craignent et communiqué généreusement à ceux qui espèrent en vous? » Ceux qui craignent sont-ils différents de ceux qui espèrent ? Ceux qui craignent Dieu n'espèrent-ils pas en lui? Comment espérer en lui sans le craindre, et comment le craindre, pieusement sans espérer en lui? Commençons par résoudre ce problème; un mot de l'espérance et de la crainte.

3. La crainte est le caractère de la Loi, l'espérance celui de la grâce. — Peut-il y avoir une différence entre la Loi et la grâce, puisque la Loi et la grâce jaillissent de la même source? La Loi effraie ceux qui présument d'eux-mêmes : la grâce soutient ceux qui espèrent en Dieu. Oui, la Loi effraie; ne passez pas légèrement sur ce petit mot : pesez-le et appréciez en l'importance. Comprenez.bien ce double caractère, écoutez et saisissez nos preuves.

La Loi, disons-nous, effraie ceux qui présument d'eux-mêmes; la grâce soutient ceux qui
 
 

1. Ps. XXX, 20.
 
 

espèrent en Dieu. En effet, que contient la Loi? Beaucoup de prescriptions. Mais pourquoi chercher à les énumérer? Je n'en rappellerai qu'une seule, elle est fort courte et déjà rappelée par l'Apôtre; qui cependant l'observe? La voici: « Tu « ne convoiteras pas. » Attention! mes frères, c'est bien la Loi; mais sans la grâce c'est ta condamnation. Pourquoi, présomptueux, pourquoi tant te vanter et tant te vanter de ton innocence ? Pourquoi t'en faire tant accroire? Tu peux dire, sans doute. Je n'ai pas dérobé le bien d'autrui : je t'écoute, je te crois; je pourrais peut-être même constater par moi-même que tu né dérobes pas ce qui n'est pas à toi. Mais il s'agit de ne pas convoiter. — Je n'approche pas de la femme d'un autre. — Ici encore je t'écoute, je te crois, je constate. Mais il s'agit de ne pas convoiter. Pourquoi regarder autour et non au dedans de toi? Regarde en toi, et tu verras dans tes membres une loi contraire. Regarde bien en toi pourquoi te jeter en dehors? Descends en toi, et tu découvriras dans tes membres une loi qui résiste à la loi de ton esprit et qui t'assujettit à elle-même, à cette loi du péché qui vit en tes membres. Comment goûter alors les divines douceurs, esclave que tu es de la loi charnelle, de la loi opposée à la loi de ton esprit? Les Anges s'abreuvent de ces douceurs qui te sont inconnues, et ce sont les chaînes de ton esclavage qui t'empêchent d'atteindre jusques là. « Si la Loi n'avait dit : Tu ne convoiteras pas, » tu ignorerais « la convoitise. » En entendant la loi tu as craint, tu as essayé de combattre, mais sans pouvoir vaincre. Car « prenant occasion de ce « précepte, le péché a produit la mort. » Ainsi parle l'Apôtre, vous reconnaissez son langage. « Prenant occasion du commandement; le péché, dit-il, a développé en moi toute concupiscence. » Pourquoi tant de jactance et tant d'orgueil? Tu le vois, c'est avec tes propres armes que l'ennemi t'a vaincu. Tu voulais une loi pour t'instruire, et la loi même a servi d'entrée à ton ennemi. « Car, prenant occasion du commandement, le péché m'a séduit, continue l'Apôtre, et par lui m'a tué. » Comment ai-je pu dire. C'est par tes propres armes que l'ennemi t'a vaincu ? Ecoute la suite du discours de l'Apôtre. « Ainsi la Loi est sainte, le commandement est saint, juste et bon. Ce qui est bon est donc devenu pour moi la mort? Loin de là; mais le péché, pour se révéler, s'est servi de ce qui est bon pour me causer la mort (1). »
 
 

1. Rom. VII, 7-13, 23.
 
 

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Comment cela? C'est parce que tu as eu pour le commandement de la crainte et non de l'amour. Tu as craint le châtiment et tu n'as pas aimé la justice. Or, quand on craint le châtiment; on voudrait s'il était possible faire ce qui plait sans avoir rien à redouter. Ainsi, Dieu défend l'adultère : tu as bien en vue une femme étrangère, mais tu ne l'abordes pas, tu ne fais pas le mal avec elle; tu en as bien l'occasion, le temps et 1e lieu sont propices, il n'y a pas de témoins, nonobstant tu ne commets pas le crime. Pourquoi? Tu as peur du châtiment. — Personne ne le saura. — Dieu ne le saura-t-il pas non plus ? — Ainsi c'est parce que l'oeil de Dieu te voit, que tu t'abstiens de ce que tu allais faire. Mais ici ne crains-tu pas plus les menaces de Dieu, que tu n'aimes ses ordres? En effet, pourquoi t'abstiens-tu? Parce qu'en faisant le mal tu serais jeté en enfer. C'est donc le feu que tu redoutes. Ah! si tu aimais la chasteté, tu t'abstiendrais dans le cas même où tu n'aurais absolument rien à craindre; et si Dieu te disait: Fais ce que tu veux, je ne te condamnerai pas, je ne te condamnerai pas à l'enfer, seulement tu ne me verras pas; en t'abstenant après cette menace, ce serait l'amour de Dieu et non la crainte de son jugement qui t’inspirerait. Mais t'abstiendrais-tu ? Il est possible, ce n'est pas à moi d'en juger. Quoi qu'il en soit, tues aidé, si tu t'abstiens, par la grâce qui fait les saints, et c'est elle qui t'inspire une juste horreur pour l'impureté de l'adultère, et pour ton Maître un amour vrai qui te fait soupirer après ses promesses plutôt que de redouter ses menaces; oui, c'est la grâce et garde-toi de revendiquer ce mérite, de l'attribuer à ta nature. Tu t'abstiens avec plaisir, c'est bien; avec amour, c'est bien encore; j'y applaudis de tout coeur. C'est la charité qui t'inspire cette bonne volonté pratique, et ta confiance en Dieu te fait goûter les douceurs divines.

4. Mais d'où te vient cette charité? si toutefois tu l'as réellement; car je crains encore que ce ne soit la crainte qui t'anime et que nonobstant tu ne t'estimes un grand homme. Oui tu es grand situ agis par charité. Mais as tu la charité? — Je l'ai, dis-tu. — D'où te vient-elle ? — De moi-même. — Ah ! si elle te vient de toi-même, que tues loin encore de la divine douceur! C'est toi qu'il te faudra aimer, car ce sera aimer la source même de la charité. Mais je te prouve que tu ne l'as pas, et la preuve que tu ne l'as pas, c'est que tu t'attribués un bien si précieux; car si tu la possédais réellement, tu saurais d'où elle te vient. En prétendant que tu l'as par toi-même, ne la considères-tu pas comme quelque chose de très peu important? Et néanmoins, quand tu parlerais les langues des hommes — et des Anges, si tu n'avais pas la charité, tu ne serais qu'un airain sonore et une cymbale retentissante. Quand encore tu comprendrais tous — les mystères, que tu posséderais toute la science, tous les dons prophétiques et toute la foi jusqu'à transporter les montagnes, rien de tout cela, sans la charité, ne pourrait te servir. Si même tu distribuais tout ton avoir aux pauvres et que tu livrasses ton corps pour être brûlé, sans la charité, tu ne serais rien (1). Quelle place tient donc cette charité dont l'absence rend tout inutile? Compare-la, non pas à ta foi, non pas à ta science, non pas à ta langue, non pas à des choses moindres encore, l'oeil, la main, le pied, le dernier de te membres : quel rapprochement établir entre elle et ces biens minimes ? Et quand Dieu seul a pu te donner l'oeil et la main, tu ne devrais la charité qu'à toi ? N'est-ce            pas abaisser Dieu, que de prétendre être toi-même l'auteur de cette charité qui l'emporte sur tout! Le Seigneur peut-il te donner davantage? Tout ce qu'il peut te donner n'est-il pas moindre nécessairement? La charité l'emporte sur tout, et t'est toi qui te l'es donnée ? Si tu l'as, elle ne vient pas de toi; qu'as-tu en effet que tu ne l'aies reçu (2)? Qui donc en a fait don, soit à moi, soit à toi ? C'est Dieu. Reconnais en lui ton bienfaiteur, pour ne sentir pas sa main vengeresse. Oui, sur la foi des Écritures, c'est Dieu qui t'a donné la charité, ce bien immense, ce bien qui surpasse tout bien. Dieu te l'a donnée, « puisque la charité de Dieu a été répandue dans nos coeurs; par toi ? Nullement, mais par le Saint-Esprit qui nous a été donné (3). »

5. Revenons maintenant à notre esclave, revenons à la proposition que j'ai établie 'en ces termes : La Loi effraie ceux qui présument d'eux-mêmes, la grâce soutient ceux qui espèrent en Dieu. Vois en effet l'esclave dont il a été fait mention. Il sent dans ses membres une loi qui résiste à la loi de son esprit et qui se l'assujettit à elle-même, toute charnelle qu'elle soit. Lé voilà donc vaincu; entraîné, enchaîné, sous le joug. Que lui sert, hélas! d'avoir entendu : « Tu ne convoiteras pas ? » L'ennemi lui a été signalé, mais il ne l'a pas vaincu. Car il ignorait la concupiscence, c'est-à-dire son ennemi, « si la Loi
 
 

1. I Cor. XIII, I-3. — 2. Ibid. IV, 7. — 3 Rom. V, 5.
 
 

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ne disait: tu ne convoiteras pas.. » Eh bien! le voilà, ton ennemi, combats,        affranchis-toi,

rends-toi libre, étouffe cette pensée voluptueuse, anéantis cette impression coupable. Arme-toi de la loi, en avant, triomphe si tu le peux. Mais qu'est-ce que cette complaisance intérieure dans la Loi de Dieu que t'inspire déjà un commencement de grâce? Tu vois dans tes membres une loi différente qui résiste à cette loi spirituelle et qui n'y résiste pas vainement, puisqu'elle te met sous le joug de la loi de péché.

Voilà comment. la crainte te prive de l'abondance des divines douceurs. Mais si la crainte te prive de ces douceurs, comment te seront-elles communiquées généreusement situ espères? Crie sous la main de l'ennemi; car si tu as un adversaire, tu as aussi un soutien qui attend que tu combattes pour seconder tes efforts, mais à la condition que tu espéreras en lui, puisqu'il déteste l'orgueil. Et que dire en criant ainsi sous la main de l'ennemi ? « Malheureux homme que je suis! » Vous comprenez, vos acclamations me l'indiquent. Si donc il vous arrive de vous débattre sous la main de l'ennemi, criez ainsi, criez du fond du coeur, dites avec une foi éclairée : « Malheureux homme que je suis!» Je suis malheureux, malheureux d'abord parce que je suis moi, malheureux ensuite parce que je suis homme: doublement donc malheureux; car tout homme se tourmente vainement et s'égare au milieu des fantômes (1). « Malheureux homme que je suis, «qui me délivrera du corps de cette mort? » Est-ce toi? Mais où sont tes forces? Sur quoi repose ta présomption? Ah ! tu cesses enfin, tu cesses de t'enorgueillir et non d'invoquer Dieu. Cesse ainsi de te vanter et crie. Dieu lui-même ne se tait-il pas en même temps qu'il crie ? Il se tait comme juge, mais il ne se tait pas comme législateur. Toi aussi cesse de t'élever, mais non de l'invoquer; autrement Dieu pourrait te dire : « Je me suis tu, me tairai-je toujours (2)? » Crie donc: « Malheureux homme que je suis! » Avoue-toi vaincu, confesse ta faiblesse et dis : « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera du corps de cette mort? »

Qu'avais je avancé? Que la Loi effraie qui présume de soi. Voici un homme qui présumait de lui-même; il a essayé de combattre, mais sans pouvoir vaincre ; au contraire il a été vaincu, terrassé, mis sous le joug, et dans les fers. Ainsi a-t-il appris à se confier en Dieu, et après avoir été effrayé par la Loi quand
 
 

1. Ps. XXXVIII, 7. — 2. Isaïe, XLII,14.
 
 

il présumait de lui-même, maintenant qu'il espère en Dieu il sera secouru par sa grâce. C'est ce qu'il exprime avec bonheur. « Qui me délivrera du corps de cette mort? La grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur (1). » Ah! ressens maintenant sa douceur, goûte-la et la savoure, écoute ce psaume : « Goûtez et voyez combien le Seigneur est doux (2). » Pour toi il est devenu doux, mais après t'avoir délivré. Il était amer quand.tu présumais de toi; plonge-toi dans cette douceur, gage heureux de ce qui t'attend.

6. Les disciples de Notre-Seigneur Jésus-Christ étaient encore sous la loi et ils avaient besoin d'être encore purifiés et nourris, d'être encore réprimandés et redressés, car ils étaient sujets encore à la convoitise, quoique la Loi dise: « Tu ne convoiteras pas (3). » Je ne veux pas blesser ces béliers sacrés, ces chefs du troupeau divin; non je ne les blesserai point, car je ne dirai que la vérité, la vérité exprimée dans l'Évangile : ils disputaient à qui d'entre eux serait le plus grand (4) ; et quoique le Seigneur fût encore avec eux sur la terre, l'ambition du premier rang les divisait et les agitait. D'où venaient en eux ces mouvements, sinon du vieux levain, sinon de la loi des membres qui résistait en eux à la loi de l'esprit? Ils cherchaient à monter, esclaves encore de la cupidité, et ils se demandaient qui d'entre eux serait le premier; aussi un enfant vint-il confondre leur orgueil. Jésus en effet appela ce petit être afin d'abattre leurs prétentions superbes (5).

Aussi quand ils revinrent en s'écriant: « Seigneur, voilà qu'en votre nom les démons nous « sont soumis ; » comme c'était se réjouir de rien, qu'était en effet ce pouvoir comparé à ce que Dieu leur réservait ? le Seigneur, le bon Maître leur répondit, pour réprimer en eux l'esprit de crainte et y affermir la confiance : « Ne vous réjouissez point de ce que les démons vous sont soumis. » Et pourquoi? « Parce que beaucoup viendront en mon nom et diront : considérez qu'en votre nom nous avons chassé les démons ; et je leur répondrai : Je ne vous connais point (6). » — « Ne vous réjouissez point de cela, mais réjouissez-vous de ce que vos noms sont inscrits dans les cieux. » Vous ne sauriez y être encore ; et pourtant vos noms y sont déjà : réjouissez-vous donc. Si j'ajoute que «vous n'avez encore rien demandé en mon

nom ; » c'est que l'objet de vos voeux n'est rien comparé à ce que je me propose de vous
 
 

1. Rom. VII, 22-25. — 2. Ps. XXXIII, 9. — 3. Exod. XX, I7. —  4. Luc, XXII, 24. — 5. Marc, IX, 33-36. — 6. Matt. VII, 22, 23.
 
 

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donner. Qu'avez-vous effectivement demandé ? Que les démons vous fussent assujettis ? « Ne vous en réjouissez pas. » — Ce n'est donc rien que cette demande, car si elle était quelque chose, le Sauveur commanderait de se réjouir. Sans doute elle n'est pas entièrement rien, mais elle est bien peu de chose en face des récompenses magnifiques du Seigneur. C'est ainsi que l'Apôtre Paul n'était pas non plus absolument rien ; et pourtant il disait en se mettant en présence de Dieu : « Ni celui qui plante, ni celui qui arrose ne sont quelque chose (1). »

Appliquez-vous cela: nous nous l'appliquons à nous-mêmes ainsi qu'à vous lorsque nous demandons ces choses temporelles ; car vous en avez sûrement demandé. Eh! qui n'en demande? Si l'on est malade, on demande la santé ; la délivrance, si l'on est en prison ; durant une tempête, l'arrivée au port; la victoire, durant la mêlée ; tout cela on le demande au nom du Christ, et pourtant ce n'est rien. Que faut-il donc solliciter ? « Demandez en mon nom, » dit le Seigneur. Il ne précise pas ce qu'il faut demander, mais ses paroles doivent nous le faire comprendre.
 
 

1. I Cor. III, 7.
 
 

« Demandez et vous recevrez, afin que votre joie soit pleine. Demandez et vous recevrez en mon nom. » Quoi? Quelque chose assurément. « Afin que votre joie soit pleine. » Demandez donc ce qui vous contentera. Si en effet tu demandes ce qui n'est rien, souviens-toi que celui qui boira de cette eau, aura soif encore (1). Il descend dans le puits le sceau de la convoitise, il en tire de quoi boire, mais pour avoir encore soif. «Demandez, afin que votre joie soit pleine; » c'est-à-dire afin d'être rassasiés complètement, et non pas afin d'éprouver des délectations provisoires. Demandez ce qui peut vous contenter, dites avec Philippe : « Seigneur, montrez-nous « votre Père et cela nous suffit; » et le Seigneur vous répondra : « Je suis avec vous depuis si longtemps, et vous ne me connaissez pas encore ? Qui me voit, Philippe, voit aussi mon Père (2). »

Ainsi donc rendez grâces au Christ qui a tant souffert pour vous délivrer de vos infirmités, et pour remplir vos coeurs attachez-vous à sa divinité.

Tournons-nous, etc. 3.
 
 

1. Jean, IV, 13. — 2. Ibid. XIV, 8, 9. — 3. Serm. 1.

SERMON CXLVI. LE TROUPEAU DU CHRIST (1).
 

ANALYSE. — En apprenant qu'ils sont le troupeau du Christ et que le Christ les a confiés à la vigilance de ceux qui l'aiment pour les conduire au ciel, les fidèles doivent se réjouir. Mais aussi doivent-ils éviter avec soin d'imiter les chrétiens mauvais et de se mêler soit aux hérétiques soit aux schismatiques, si formellement réprouvés dans les Écritures.

 

1. Votre charité a remarqué, durant la lecture d'aujourd'hui, que le Seigneur demandait à Pierre : « M'aimes-tu? » Pierre lui répondait « Vous savez, Seigneur, que je vous aime; » il répondit ainsi deux et trois fois, et à chaque fois le Seigneur ajoutait : « Pais mes brebis. » Ainsi le Christ confiait à Pierre le soin de paître ses brebis, et c'était lui qui paissait Pierre. Que pouvait Pierre en faveur du Christ même, depuis surtout qu'il avait un corps immortel et qu'il était sur le point de monter au ciel ? Aussi en lui demandant: « M'aimes-tu? » le Seigneur semblait-il lui dire : Pour montrer que tu m'aimes, « pais mes brebis. »

 

1. Jean, XXI, 16-17.

 

C'est pourquoi, mes frères, rappelez-vous avec soumission que vous êtes les brebis du Christ, comme nous nous rappelons nous-même avec crainte ces paroles: « Pais mes brebis. » Ah! si nous n'accomplissons notre devoir qu'avec crainte, si nous tremblons pour nos ouailles; comment ne doivent-elles pas à leur tour trembler pour elles-mêmes. A nous donc la sollicitude, à vous l'obéissance; à nous la vigilance pastorale, à vous l'humble soumission du troupeau. Vous nous voyez, il est vrai, vous adresser la parole d'un lieu plus élevé ; la crainte ne nous en tient pas moins sous vos pieds, car nous savons combien est redoutable le compte qu'il nous faut rendre de ce haut siège que nous occupons.

 

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Aussi, mes très-chers enfants, tendres germes de l'Église catholique, membres du Christ, songez au Chef illustre que vous avez. Fils de Dieu, songez à quel Père vous vous êtes donnés. Songez, Chrétiens, à quel héritage vous êtes appelés; il ne ressemble pas à tes domaines terrestres que les enfants ne sauraient posséder qu'après la mort de leurs parents. Nul en effet n'hérite de son père qu'après le trépas de celui-ci, tandis que du vivant même de notre Père qui ne saurait mourir, nous serons maîtres de ses biens. Je dis plus, je dis bien plus, et pourtant c'est la vérité : notre Père sera lui-même notre héritage.

2. Vivez donc honorablement, vous surtout, ô blancs enfants du Christ, qui venez de recevoir le baptême ; vivez conformément aux avis que je vous ai donnés, conformément 'a ceux que vous donne encore aujourd'hui la sollicitude dont je me sens pénétré, car la dernière lecture de l'Evangile a encore redoublé mes craintes. Tenez-vous sur la réserve, gardez-vous d'imiter les chrétiens mauvais, gardez-vous de dire : Je puis faire cela, puisque tant de fidèles le font. Ah ! ce ne serait point vous préparer une défense mais vous chercher des compagnons d'enfer. Développez-vous sur cette aire sacrée : si vous êtes bons, vous y découvrirez de bons chrétiens qui auront vos sympathies.

Etes-vous donc notre, propriété ? Les hérétiques et les schismatiques ont pris au Seigneur pour se faire des domaines privés; ce ne sont pas les troupeaux du Christ, mais les leurs, qu'ils ont prétendu conduire malgré le Christ. Sans doute ils ont mis son nom sur ces troupeaux qu'ils lui ont ravis, et c'était comme pour les défendre par cet aspect imposant. Que fait donc le Christ quand se convertissent ces hommes qui en dehors de l'Église ont reçu son nom avec le Baptême ? Il chasse le voleur, conserve le titre de la maison et il y entre comme son nom l'y invite. Pourquoi changerait-il un nom qui est le sien ? Ces sectaires considèrent-ils ces paroles que le Seigneur adressa à Pierre : « Pais mes agneaux; Pais mes brebis ? » Il ne lui dit pas : Pais tes agneaux ; pais tes brebis.

Après donc les avoir exclus de son bercail, que dit-il à son Eglise dans le Cantique des cantiques? Là l'Époux parle ainsi à l'Epouse : « Si tu ne te reconnais toi-même, ô toi qui l'emportes en beauté sur les autres femmes, sors. » En d'autres termes : Je ne te chasse pas ; sors, si tu ne te reconnais toi-même; si tu ne te reconnais toi-même, ô la plus belle des femmes, dans le miroir des Écritures ; si tu ne te mets en face de ce miroir qui ne te donne pas un éclat menteur ; si tu ne reconnais qu'à toi s'appliquent ces mots: « Ta gloire s'étend sur « toute la terre (1) ; » et ces autres : « Je te donnerai les nations pour héritage et pour domaine , jusqu'aux extrémités de la terre (2); » ainsi que beaucoup d'autres témoignages qui désignent l'Eglise catholique. Si donc tu ne te reconnais ainsi, pour toi point de partage, tu ne saurais te rendre héritière. Aussi « sors sur les traces des troupeaux, » et non avec le troupeau, « et pais tes boucs (3) ; » tes boucs et non mes brebis, comme je disais à Pierre. A Pierre en effet il est dit : « Mes brebis ; » et aux schismatiques : « Tes boucs. » Ici des brebis, là des boucs ; ici mes brebis, là tes boucs. Rappelez-vous ce qui sera à la droite et ce qui sera à la gauche de notre Juge; rappelez-vous de quel côté seront les boucs et de quel côté les brebis (4); ainsi vous verrez clairement où est la société de la droite, où est la société de la gauche ; où est la blancheur, ou est l'obscurité ; où est la lumière, où sont les ténèbres; où est la beauté, où est la difformité ; à qui est destiné le royaume éternel, et qui doit s'attendre à l'éternel supplice.

 

1. Ps. LVI, 12. — 2. Ib. II, 8. — 3. Cant. 1, 7. — 4. Matt. XXV, 33.
 
 

SERMON CXLVII. TRANSFORMATION DE SAINT PIERRE (1).
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ANALYSE. — La présomption avait porté saint Pierre à promettre au Sauveur une inviolable fidélité pour l'avenir, et le Sauveur abandonnant saint Pierre à lui-même, l'apôtre l'avait renié jusqu'à trois fois. Il profita de cet avertissement et lorsque Jésus-Christ lui demanda ensuite s'il l'aimait, il évita avec soin la présomption où il était tombé. Aussi le Seigneur lui promit-il alors la gloire du martyre, qu'il a effectivement subi avec tant de courage.

 

1. Vous vous souvenez que le premier des Apôtres, que l'Apôtre Pierre se troubla au moment de la passion du Seigneur. Oui, il se troubla par lui-même, mais le Christ le renouvela et le raffermit. Pierre en effet avait audacieusement présumé de lui-même, et timidement ensuite il renia son Maître. Il avait promis de mourir pour le Sauveur, quand le Sauveur devait auparavant mourir pour lui. Ainsi comme il s'écriait : « Je vous accompagnerai jusqu'à la mort ; — je mourrai pour vous; » le Seigneur lui répondit: « Tu mourras pour moi? En vérité je te le déclare: avant que le coq chante tu me renieras trois fois (2). » Le moment arriva; et comme le Christ était Dieu, tandis que Pierre n'était qu'un homme, on vit l'accomplissement de cet oracle : «J'ai dit dans ma frayeur : Tout homme est menteur (3). » Si tout homme est menteur, observe l'Apôtre, Dieu est véridique (4). Le Christ donc fut véridique et Pierre menteur.

2. Mais maintenant ? Le Seigneur l'interroge, comme vous l'avez remarqué durant la lecture de l'Évangile, et lui dit: « Simon, fils de Jean, m'aimes-tu plus que ceux-ci ? — Oui, Seigneur, « répondit Pierre, vous savez que je vous aime. » Cette question lui fut adressée une seconde et fine troisième fois, et comme à chaque reprise l'Apôtre répondait qu'il aimait, le Seigneur chaque fois lui confiait son troupeau. « Je vous aime. — Pais mes agneaux ; pais mes petites brebis. » Pierre seul recevait ce dépôt ; il figurait ainsi l'union des bons pasteurs, des pasteurs qui savent gouverner pour le Christ et non pas pour eux.

Pierre aujourd'hui serait-il encore menteur ? Se tromperait-il en assurant qu'il aime le Seigneur ? Il dit vrai, car il dit ce qu'il voit dans son coeur. Quand il s'écriait : «Je donnerai m « vie pour vous, » il présumait de ses forces pour l'avenir. Chacun peut savoir ce qu'il est au moment

 

1. Jean, XXI, 15-19. —2. Luc, XX, 33, 34, 65-61; Jean, XIII, 37 38 ; XVII, 25-27. — 3. Ps. CXV, 11. — 4. Rom. III, 4.

 

où il parle ; mais qui sait ce qu'il sera demain ? Pierre donc regardait dans son âme quand le Seigneur l'interrogeait, et conformément à ce qu'il y voyait, il répondait avec confiance: « Oui, Seigneur, vous savez que je vous aime. » Vous savez ce que je vous dis ; et ce que je vois ; ici dans mon coeur, volis le voyez aussi. — Toutefois il n'osa répondre précisément à ce que le Seigneur lui demandait. Le Seigneur en effet ne lui avait pas dit simplement : «M'aimes-tu? » Il avait ajouté : « M'aimes-tu plus que ceux-ci?» c'est-à-dire plus que ces autres disciples. Pierre ne put que répondre : « Je vous aime ; » il n'osa pas ajouter : « Plus que ceux-ci. » C'est qu'il ne voulut plus mentir. Il lui suffisait de rendre témoignage aux dispositions de son coeur ; il ne devait pas juger des dispositions du coeur d'autrui.

3. La vérité venait-elle alors de Pierre même ou du Christ dans la personne de Pierre ? Le Seigneur Jésus-Christ abandonna Pierre quand il lui plut, et Pierre ne fut plus qu'un homme; il le remplit aussi de lui-même quand il lui plut, et Pierre fut véridique. Pierre dut cette véracité à la Pierre, à la Pierre c'est-à-dire au Christ (1). or, quand il eut pour la troisième fois répondu qu'il aimait le Christ et que pour la troisième fois encore le Christ lui eut confié ses humbles brebis, que lui fut-il annoncé? Le Christ lui prédit son martyre. « Quand tu étais jeune, tu te ceignais toi-même et tu allais où tu voulais. Mais quand « tu seras vieux, tu étendras les mains et un autre te ceindra et te portera où tu ne voudras pas. » L'Évangéliste nous expose ainsi quelle était la pensée du Christ. « Il parlait de cette manière, observe-t-il, pour indiquer par quelle mort il devait glorifier Dieu; » c'est-à-dire pour indiquer que Pierre devait être crucifié pour le Sauveur, car c'est ce que signifie : « Tu étendras les mains. »

Où est maintenant le renégat ? Le Seigneur Jésus ajouta: « Suis-moi ; » mais non dans le

 

1. I Cor. X, 4.

 

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A même sens qu'en appelant à lui ses disciples. Il disait alors : « Suis-moi ; » mais c'était pour s'instruire et c'est aujourd'hui pour être couronné. Pierre ne craignait-il pas la mort quand il renia le Christ ? Il craignait d'endurer ce qu'endura le Sauveur. Mais il ne doit plus craindre  aujourd'hui ; car il revoit vivant dans son propre corps Celui qu'il a vu suspendu au gibet. Le  Christ donc en ressuscitant lui a ôté la crainte de 1a mort ; et comme il lui a ôté cette crainte, il peut avec raison lui demander compte de son amour. La peur s'était manifestée par un triple reniement ; l'amour se révèle dans une triple confession. En reniant trois fois il avait abandonné la vérité; et il proclame son amour en confessant trois fois.
 
 

source: http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin/index.htm

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