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Saint Augustin d'Hippone
Sermons

SERMON CXCI. POUR LE JOUR DE NOEL. VIII. DE LA VIRGINITÉ.
 

ANALYSE. — Tel est l'amour du Sauveur pour la virginité, qu'au moment où il vient se soumettre de grand coeur à tant d’outrages, il ne veut qu'une vierge pour mère, exige de toute son Eglise qu'elle soit vierge de coeur, et comble de ses grâces privilégiées les chrétiens qui gardent la virginité spirituelle et corporelle, à l'exemple de Marie.

 

1. En se faisant chair, le Verbe du Père, par qui tout a été fait, nous donne à célébrer le jour de sa naissance dans le temps; Auteur divin de tous les jours, il a voulu en réserver un au souvenir de sa Nativité. Dans le sein de son Père il est antérieur à la longue suite des siècles; et en quittant aujourd'hui le sein de sa mère, il suit le cours des années. Créateur de l'homme, il se fait homme; il veut ainsi prendre le sein maternel, lui qui dirige les astres, condamner le Pain à endurer la faim, la Fontaine à avoir soif, la Lumière à dormir, la Voie à se fatiguer de la route, la Vérité à être accusée par de faux témoins, le Juge des vivants et des morts à être jugé par un mortel, la Justice à être condamnée par l'iniquité, la Règle à être flagellée, la Grappe à être couronnée d'épines, le Fondement de l'édifice à être suspendu, la Force à être affaiblie, la Santé même à être blessée et la Vie à mourir. Oui, c'était pour endurer en notre faveur ces énormités et d'autres encore; c'était pour délivrer des indignes , puisqu'en souffrant tant de maux pour l'amour de nous, il n'en avait mérité aucun, et qu'en recevant de lui tant de bienfaits nous n'étions pas dignes d'un seul; c'était, dis-je, dans ce but que Fils de Dieu avant tous les siècles et sans avoir eu jamais de commencement, il a daigné dans ces derniers jours se faire fils de l'homme; né de Père sans avoir été formé par lui, il est d'une Mère que lui-même a formée, redevable enfin de l'existence humaine à celle qui jamais et nulle part n'aurait existé sans lui.

2. Ainsi s'accomplit cette prédiction d'un psaume : « La Vérité s'est élevée de terre (1) ». Cette terre est Marie, Vierge après l'enfantement comme avant de concevoir. Comment admettre la perte de l'intégrité dans ce corps dans cette terre d'où s'est élevée la Vérité ? Aussi, quand, après sa Résurrection, le Sauveur était considéré , non pas comme ayant un corps, mais comme étant un pur esprit : « Palpez, dit-il, et voyez, car un esprit n'a chair ni ossements, comme vous voyez que j'en ai (2) ». Or, ce corps jeune et ferme n'entrera pas moins dans l'appartement où étaient les disciples, quoique les portes en fussent fermées (3). Mais s'il a pu, malgré tout son développement , entrer par des portes closes, comment lui aurait-il été impossible, quand il était si petit, de sortir, sans le violer, du sein maternel? Toutefois les incrédules ne veulent admettre ni l'un ni l'autre de ces faits; et qui engage les croyants à les admettre avec

 

1. Ps. LXXXIV, 12. — 2. Luc, XXIV, 38. — 3. Jean, XX, 19.

 

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plus de confiance, c'est qu'ils sont rejetés l'un comme l'autre par les incroyants, par ceux qui ne croient pas à la divinité du Christ. Mais avec la certitude que Dieu même s'est incarné, la foi ne doute pas que ces deux faits ne soient également possibles ; que Dieu ait pu, dans la maturité de l'âge, pénétrer, sans l'ouvrir, dans une maison et montrer son corps à ceux qui s'y tenaient enfermés; qu'il ait pu aussi, devenu petit enfant, sortir comme un époux de son lit nuptial, du sein de la Vierge, sans blesser aucunement l'intégrité de sa Mère (1).

3. C'est là effectivement que le Fils unique de Dieu a pris la nature humaine afin de s'unir une Eglise immaculée comme son Chef. Aussi l'apôtre Paul dit-il que cette Eglise est vierge, non-seulement à cause des vierges proprement dites qu'il voit en elles ; mais encore à cause de l'inviolable pureté qu'il désirait à toutes les âmes. « Je vous ai fiancés , écrit-il , « comme une vierge chaste pour vous présent au Christ, votre unique Epoux (2) ». Afin donc d'imiter la Mère de son Seigneur, comme l'Eglise ne saurait être, par le corps, vierge et mère tout ensemble, elle l'est par l'esprit. Et quand le Christ veut que son Eglise soit vierge et qu'il la purifie des souillures contractées avec le démon, il aurait, en naissant, dépouillé sa Mère de sa virginité?

O vous qui êtes le fruit de cette incorruptible virginité, vierges sacrées qui foulez aux pieds les noces terrestres et qui voulez rester vierges jusque dans votre corps, célébrez aujourd'hui avec joie, célébrez avec pompe l'enfantement de la Vierge. C'est une femme qui met au monde sans s'être approchée d'aucun homme. Ah ! Celui qui vous a donné d'aimer ce que vous aimez, n'en a point privé sa Mère. Comment croire que guérissant en vous la maladie que vous avez héritée d'Eve, il corrompit en Marie la vertu qui pour vous a tant de charmes?

4. Il est donc sûr que cette Vierge, sur les

 

1. Ps. XVIII, 6. — 2. II Cor. XI,12.

 

traces de qui vous marchez, n'a point connu d'homme pour concevoir son Fils, et qu'elle est restée Vierge tout en le mettant au monde. Imitez-la dans la mesure de vos forces, non point dans sa fécondité, ce qui vous est interdit, mais dans toute sa pureté. Seule elle a pu joindre ces deux faveurs dont l'une a fixé votre choix, et vous perdriez celle-ci en voulant les réunir comme elle. Si elle a joui de l'une et de l'autre, c'est par la grâce du Tout-Puissant devenu son Fils; car au Fils de Dieu seul il était réservé de naître de cette manière pour devenir Fils de l'homme.

Néanmoins, de ce que le Christ ne soit Fils que d'une Vierge, ne concluez pas qu'il vous est étranger. Vous n'avez pu donner naissance à son humanité; mais voyez dans vos coeurs, il y est votre Epoux, et quel Epoux ! Un Epoux à qui vous devez vous attacher comme à l'Auteur de votre félicité, sans craindre qu'il vous ravisse la virginité. Eh ! si tout en naissant corporellement il n'a point ôté la virginité à sa Mère, ne vous la conservera-t-il pas bien mieux encore en vous donnant des embrassements purement spirituels ? Gardez-vous encore de vous croire stériles en demeurant vierges; car la sainte pureté du corps contribue à féconder l'âme. Suivez les recommandations de l'Apôtre ; et puisque vous ne vous souciez ni des choses du monde; ni de plaire à un mari, appliquez-vous aux intérêts de Dieu, cherchez à lui plaire en tout (1) ; plus féconde ainsi que votre corps, votre âme pourra s'enrichir de vertus.

Un mot enfin à vous tous; voici donc ce que j'ai à vous dire, à vous que l'Apôtre a fiancés au Christ comme une vierge chaste Ce que vous admirez extérieurement en Marie, reproduisez-le dans l'intérieur de votre âme. Croire de coeur pour être justifié, c'est concevoir le Christ; confesser de bouche pour être sauvé, c'est l'enfanter (2). Heureux moyen d'unir en vous la plus riche fécondité à une virginité constante !

 

1. I Cor. VII, 32-34. — 2. Rom. X, 10.

SERMON CXCII. POUR LE JOUR DE NOEL. IX. BONTÉ DE DIEU DANS L'INCARNATION.
 

ANALYSE. — Quelque grandes que soient les merveilles qui se manifestent dans l'Incarnation, la bonté de Dieu s'y révèle avec plus d'éclat encore. C'est pour nous en effet qu'il s'est fait homme, c'est pour tous en général et pour chacun en pari culier; et quand il retourne au ciel, c'est encore pour veiller sur nous.

 

1. « La Vérité » aujourd'hui « s'est élevée de terre (1) » ; le Christ est né de la chair. Livrez-vous à une sainte joie; que ce jour attache vos esprits à la pensée du jour éternel, souhaitez, espérez fermement les biens célestes, et puisque vous en avez reçu le pouvoir, comptez devenir enfants de Dieu. N'est-ce pas pour vous qu'est né dans te temps l'Auteur même des temps, pour vous que s'est montré au monde le Fondateur du monde, pour vous enfin que le Créateur est devenu créature ? Pourquoi donc, ô mortels, mettre encore votre esprit dans ce qui est mortel? pourquoi consacrer toutes vos forces à retenir, s'il était possible, une vie fugitive? Ah ! de plus brillantes espérances rayonnent sur la terre, et ceux qui l'habitent n'ont reçu rien moins que la promesse de vivre dans les cieux.

Or, pour faire croire à cette promesse, une chose bien plus incroyable vient d'être donnée au monde. Pour rendre les hommes des dieux, Dieu s'est fait homme ; sans rien perdre de ce qu'il était, il a voulu devenir ce qu'il avait fait ; oui , devenir ce qu'il a fait , unissant l'homme à Dieu, sans anéantir Dieu dans l'homme. Nous sommes étonnés de voir une Vierge qui devient Mère; il nous faut des efforts pour convaincre les incrédules de la réalité de cet enfantement tout nouveau, pour leur faire admettre qu'une femme a conçu sans le concours d'aucun homme ; qu'elle a donné le jour à un Enfant dont aucun mortel n'était le père ; enfin que le sceau sacré de sa virginité est resté inviolable au moment de la conception et au moment de l'enfantement. La puissance de Dieu se montre ici merveilleuse;

 

1. Ps. LXXXIV, 12

 

mais sa miséricorde plus admirable encore, puisqu'à la puissance il a joint la volonté de naître ainsi. Il était le Fils unique du Père, avant de devenir le Fils unique de sa Mère; lui-même l'avait formée, avant d'être formé dans son sein; avec son Père il est éternel, et avec sa Mère il est enfant d'un jour ; moins âgé que la Mère dont il est formé, il est antérieur à tout.sans être formé de son Père; sans lui le Père n'a jamais existé, et sa Mère n'existerait pas sans lui.

2. Vierges du Christ, réjouissez-vous; sa Mère est l'une de vous. Vous ne pouviez donner le jour au Christ, et pour lui vous ne voulez donner le jour à personne. Il n'est pas né de vous, mais c'est pour vous qu'il est né. fa pourtant, si vous gardez, comme vous y êtes obligées, le souvenir de sa parole, vous aussi vous êtes ses mères, puisque vous accomplissez la volonté de son Père. N'a-t-il pas dit: « Quiconque fait la volonté de mon Père, celui-là est mon frère, et ma soeur, et ma mère (1)? » Veuves chrétiennes , réjouissez-vous : il a rendu la virginité féconde, et c'est à lui qua vous avez fait le veau sacré de continence. Réjouis-toi aussi, chasteté nuptiale, vous tous qui gardez la fidélité conjugale ; conservez dans vos coeurs ce que n'ont plus vos corps Si la chair ne peut rester étrangère à certaines impressions, que la conscience soit vierge dans la foi, vierge comme l'est toute l'Eglise . La pieuse virginité de Marie a donné naissance au Christ ; la longue viduité d'Anne l'a reconnu petit enfant ; et pour lui a combattu la chasteté conjugale et la miraculeuse fécondité d'Elisabeth. Ainsi tous les ordres de l'Eglise.

 

1. Matt. XII, 50.

 

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ont fait pour le Christ ce que par sa grâce des membres fidèles pouvaient en faveur de leur Chef.

Et vous, puisque le Christ est- la vérité, la paix et la justice, concevez-le par la foi, enfantez-le par vos oeuvres ; que votre coeur fasse pour sa loi ce qu'a fait pour son corps le sein de sa Mère. Etes-vous étrangers à l'enfantement de la Vierge, puisque vous êtes les membres du Christ? A votre Chef Marie a donné naissance; à vous , c'est l'Église ; car l'Église aussi est à la fois vierge et mère ; mère, par les entrailles de la charité; vierge, par l'intégrité de la foi et de la piété. Elle enfante des peuples entiers ; mais ils ne sont que les membres de Celui dont elle est à la fois et le corps et l'épouse; semblable encore, sous ce rapport, à la Vierge qui est devenue pour nous tous la Mère de l'unité.

3. Ainsi donc célébrons tous avec unanimité de coeur, célébrons avec des pensées chastes et de saintes affections, le jour de la naissance du Seigneur. C'est en ce jour, comme nous le disions en commençant, que « la Vérité s'est élevée de terre ». Aussi bien ce que dit ensuite le même psaume est également accompli. En effet, comme Celui qui s'est élevé de terre, c'est-à-dire, qui est né de la chair, est descendu du ciel et se trouve au-dessus de tous (1) ; il est hors de doute qu'en remontant vers son Père, il est « la justice qui regarde du haut du ciel ». Lui-même, en promettant l'Esprit-Saint, dit expressément qu'il est la justice. Cet Esprit, dit-il, « convaincra le monde au a sujet du péché, et de la justice, et du jugement. Du péché, parce qu'on n'a pas cru en moi; de la justice, parce que je vais à mon Père et que vous ne me verrez plus (2)». Telle est donc la justice qui regarde du haut du ciel.

 

1. Jean, III, 31. — 2. Jean, XVI, 8-10.

 

« Elle s'élance d'une extrémité du ciel et s'étend jusqu'à l'autre ».

Il était à craindre qu'on ne vînt à mépriser la Vérité à cause qu'elle s'est élevée de terre, lorsque, semblable à l'époux qui sort du lit nuptial, elle s'est élancée du sein maternel où le Verbe de Dieu avait contracté avec la nature humaine une ineffable union. Afin de détourner ces mépris , et pour empêcher que malgré sa naissance admirable, malgré ses paroles et ses oeuvres merveilleuses, la ressemblance de la chair du Christ avec la chair de péché ne fît voir en qui qu'un homme; après ces mots : « Pareil à l'époux sortant du lit nuptial, il s'est élancé comme un géant pour fournir sa carrière », viennent aussitôt ceux-ci : « Il est parti d'une extrémité du ciel (1) ». Si donc, « la Vérité s'est élevée de « terre », c'était bonté de sa part, et non pas nécessité; miséricorde, et non pas dénuement. Pour s'élever de terre, cette Vérité est descendue des cieux ; pour sortir de son lit nuptial, l'Époux s'est élancé d'une extrémité du ciel. Voilà pourquoi il est né aujourd'hui.

Ce jour est le plus court des jours de la terre; et c'est à dater de lui que les jours commencent à grandir. Ainsi Celui qui s'est rapetissé pour nous élever, a fait choix du jour qui est à la fois le moindre et le principe des grands jours. En naissant ainsi et malgré son silence, il nous crie en quelque sorte avec une voix retentissante, que pour nous il s'est fait pauvre et qu'en lui nous devons apprendre à être riches; que pour nous il s'est revêtu de la nature de son esclave et que nous devons en lui recouvrer la liberté ; que pour nous il s'est élevé de terre et que nous devons avec lui posséder le ciel.

 

1. Ps. XVIII, 6, 7.

SERMON CXCIII. POUR LE JOUR DE NOEL. X. JÉSUS NOTRE PAIX.
 

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ANALYSE. — Il convenait que les Anges félicitassent hautement Marie de sa divine maternité; il convient aussi que nous répétions le cantique des Anges, car c'est nous qui serons un jour la gloire de Dieu dans les cieux, et si nous avons bonne volonté, si nous demandons instamment la grâce divine au nom de Jésus-Christ Notre-Seigneur, lui-même sera notre paix.

 

1. A la lecture de l'Evangile, nous avons entendu ce chant des Anges annonçant aux bergers que Jésus-Christ Notre-Seigneur était né de la Vierge: « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et sur la terre paix aux hommes de bonne volonté (1) ». Ce chant solennel de félicitation ne s'adressait pas seulement à la Mère de l'Enfant divin, mais encore à toute l'humanité à qui elle venait de donner un Sauveur. Et ne convenait-il pas, n'était-il pas de haute bienséance que Celle qui venait de donner naissance au Seigneur du ciel et de la terre en conservant toute son intégrité virginale, fût félicitée non par des femmes qui lui auraient adressé des louanges humaines, mais par les Anges chantant la gloire de Dieu? Nous donc aussi élevons la voix, non pour annoncer à des bergers la naissance du Sauveur, mais pour la célébrer avec ses brebis fidèles; écrions-nous avec toute l'allégresse dont nous sommes capables, et avec tout le dévouement de notre coeur ; écrions-nous à haute voix : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et sur la terre paix aux hommes de bonne volonté ». De plus étudions, avec toute la force de notre attention, le sens de ces divines paroles, de ces louanges divines, de ce chant angélique; méditons-les avec foi, espérance et charité. Car, conformément à ce que nous croyons, à ce que nous espérons et à ce que nous désirons, nous aussi nous glorifierons Dieu au plus haut des cieux, lorsqu'à la résurrection de notre corps devenu spirituel, nous serons transportés dans les nues au-devant du Christ ; pourvu toutefois que durant notre séjour sur la terre, nous unissions la paix à la

 

1. Luc, II, 14.

 

bonne volonté. La vie en effet n'est-elle pas au plus haut des cieux, puisque c'est là le séjour des vivants ? Là aussi les jours ne sont-ils pas heureux, puisque le Seigneur y est toujours le même, sans que ses années diminuent? Or, quand on cherche la vie, quand on aspire à voir des jours heureux, on doit préserver sa, langue de toute parole mauvaise, et ses lèvres de tout artifice; on doit éviter le mal et faire le bien, afin d'être ainsi un homme de bonne volonté; chercher aussi la paix et courir à sa poursuite (1); car c'est « aux hommes de bonne volonté » qu'elle est assurée.

2. Diras-tu, ô mortel: « Je sens en moi le vouloir, mais je n'y trouve pas à faire le bien ? Au fond du coeur aimes-tu la loi de Dieu, et vois-tu dans tes membres une autre! loi qui résiste à la loi de ton esprit et t'assujettit à cette même loi du péché qui est dans tes membres ? » Maintiens-toi dans cette bonne volonté, et écrie-toi avec l'Apôtre: « Malheureux homme que je suis ! Qui me délivrera du corps de cette mort ? La grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur (2) ». C'est lui en effet cette paix promise sur la terre aux hommes de bonne volonté, quand sera terminée cette guerre : «Où la chair convoite contre l'esprit et l'esprit contre la chair, sans vous laisser faire ce que vous voulez (3) »; car il a montré qu'il est réellement « notre paix, en unissant les deux en un (4) ». Oui, maintenons notre bonne volonté en face de ces convoitises perverses, et en la maintenant, implorons le secours de la grâce de Dieu, par Jésus-Christ Notre-Seigneur. Sentons-nous le soulèvement de la loi charnelle? y avons-nous

 

1. Ps. XXXIII, 13-15. — 2. Rom. VII, 18-25. — 3. Galat. V, 17. — 4. Ephés. II, 14.

 

même succombé? Implorons encore le secours divin, sans nous appuyer sur nos propres forces, et au moins dans cet accablement ne dédaignons point de nous humilier. Ainsi viendra à notre aide Celui qui disait à. des hommes déjà croyants : « Si vous demeurez dans ma parole, vous serez vraiment mes disciples, et vous connaîtrez la vérité, et la Vérité vous rendra libres (1) ». La Vérité donc viendra à notre aide et nous délivrera du corps de cette mort. Aussi quand cette Vérité, dont nous célébrons la naissance, « s'est élevée de terre (2) » ; c'était pour être sur la terre la paix des hommes de bonne volonté.

Qui pourrait en effet vouloir et faire le bien, sans être aidé pour le pouvoir, sans le secours intérieur de Celui qui en gnous appelant nous a donné de vouloir ? Aussi est-ce en tous sens que nous a prévenus sa miséricorde, et pour nous appeler quand nous ne le voulions pas, et pour nous faire obtenir de pouvoir ce que nous voulons? Disons-lui donc : « J'ai juré et

 

1. Jean, VIII, 31, 32. — 2. Ps. LXXXIV, 12.

 

résolu de garder les arrêts de votre justice », je l'ai résolu, sans doute, et pour vous obéir; je vous ai même promis l'obéissance. Mais comme « je vois dans mes membres une autre loi qui résiste à la loi de mon esprit et qui m'assujettit à cette loi du péché qui est dans mes membres; je suis humilié de tous côtés. Seigneur, rendez-moi la vie, selon votre parole. Le vouloir est en moi; agréez donc, Seigneur, les voeux que vous offre ma volonté (1) »; afin de donner sur la terre la paix aux hommes de volonté bonne. Parlons à Dieu de cette sorte, disons-lui encore ce que nous suggérera notre piété, éclairée par de saintes lectures; ainsi nous ne célébrerons pas inutilement le Seigneur naissant d'une Vierge, nous dont la sanctification commence par la bonne volonté et se consomme par la charité parfaite, charité que répand dans nos coeurs, non pas nous, mais l'Esprit-Saint qui nous a été donné (2).

 

1. Ps. CXVIII, 106-108. — 2. Rom. V, 5.

SERMON CXCIV. POUR LE JOUR DE NOEL. XI. LE PAIN DE VIE.
 

ANALYSE. — En naissant de son Père, Jésus-Christ est l'aliment des Anges, et il se fait l'aliment des hommes en naissant de à Mère. Mais si les hommes s'attachent à vivre de lui sur la terre, ils jouiront de lui comme les Anges dans le ciel et seront pleinement heureux. Pourquoi hésiter?

 

1. Ecoutez, enfants de lumière, adoptés pour faire partie du royaume de Dieu; mes très-chers frères, écoutez; écoutez, justes, et tressaillez dans le Seigneur, ainsi vos coeurs droits seront dignes de chanter ses louanges (1). Ecoutez ce que vous savez, rappelez-vous ce qui vous a été dit, aimez ce que vous croyez et publiez ce que vous.aimez. Puisque nous célébrons le retour anniversaire de ce grand jour, attendez les quelques mots qu'il réclame. Le Christ est né; comme Dieu, de son Père, de sa Mère, en tant qu'homme; de son Père, sans nuire à son immutabilité, de sa Mère, sans altérer sa virginité; de son Père, sans avoir de Mère, de sa Mère, sans avoir de Père ; de son Père en dehors du temps, de sa Mère en dehors de l'homme; de son Père comme principe de vie, de sa Mère comme anéantissant la mort; de son Père comme dirigeant tous les jours, de sa Mère comme consacrant  (170) celui-ci. Quand il a envoyé Jean devant lui, il a voulu qu'il naquît au moment où les jours commencent à diminuer; pour lui, il est né quand les jours commencent à grandir emblème mystérieux de ce que Jean devait dire plus tard : « Il faut qu'il croisse et que je diminue (1) ». C'est qu'en soi, la vie humaine doit décroître , et croître en Jésus-Christ; « en sorte que ceux qui vivent ne vivent plus pour eux-mêmes , mais pour Celui qui est mort et qui est ressuscité dans l'intérêt de tous (2) » ; et que chacun de nous dise avec l'Apôtre : « Je vis, mais ce n'est plus moi qui vis, c'est le Christ qui vit en moi (3)» ; à lui de croître, à moi de diminuer.

2. Les anges lui adressent des louanges dignes de lui; aussi bien est-il leur aliment éternel, il leur communique une incorruptible vigueur. Mais c'est comme Verbe de Dieu qu'ils vivent de sa vie, participant à son éternité et partageant son bonheur. Ils le louent magnifiquement comme Dieu dans le sein de Dieu, ils glorifient en lui le Dieu qui réside au plus haut des cieux. « Pour nous, qui sommes son peuple et les brebis de ses mains (4) », travaillons, dans la mesure de notre faiblesse, à mériter la paix par notre bonne volonté, après nous être réconciliés avec lui. N'est-ce pas aujourd'hui que les anges eux-mêmes, en célébrant avec transport le Sauveur qui nous est né, ont dit : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et sur la terre paix aux hommes de bonne volonté (5) ? » Si donc les anges le louent avec magnificence, louons-le, nous, avec obéissance. Ils sont ses messagers, nous sommes son troupeau. Il couvre d'un mets divin leur table dans les cieux, il remplit aussi notre étable sur la terre. Ce qui couvre leur table, c'est Celui dont il est écrit : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ». Ce qui remplit notre étable, c'est Celui dont il est dit : « Et le Verbe s'est fait chair et il a habité parmi nous (6) ». Ainsi, pour permettre à l'homme de manger le pain des anges, le Créateur des anges s'est fait homme. Les anges le louent par leur vie même, et nous par notre foi ; eux, en jouissant, et nous, en demandant; eux, en saisissant, et nous, en cherchant; eux, en entrant, et nous, en frappant.

 

1. Jean, III, 20. — 2. II Cor. V, 15. — 3. Gal. II, 20. — 4. Ps. XCIV, 7. — 5. Luc, II, 14. — 6.  Jean, I, 1, 14.

 

3. Quel est en effet celui d'entre nous qui connaît tous les trésors dé sagesse et de science enfermés dans le Christ et cachés sous le voir de sa pauvreté matérielle ? Car « pour nous il s'est fait pauvre quand il était riche, afin de nous enrichir par sa pauvreté (1)»; il s'est montré pauvre, lorsque pour anéantir la mort il s'est revêtu de notre mortalité. Toutefois il n'a point perdu alors ses richesses, il nous les a promises pour plus tard. Qu'elles sont grande les jouissances qu'il cache pour ceux qui le craignent et qu'il montre à ceux qui espèrent en lui (2) ! Car nous ne connaissons que, partiellement et jusqu'à ce qu'arrive ce qui est par fait. Or pour nous rendre capables de goûter ainsi ce qui est parfait, Celui qui comme Dieu est égal au Père et qui comme serviteur est devenu semblable à nous , nous réforme su l'image de Dieu même. Fils unique de Dieu, à venu fils de l'homme, il élève en grand nombre les fils des hommes jusqu'à la dignité de fils de Dieu; par sa nature visible de serviteur, il nourrit ses serviteurs et en fait des enfants capable de voir la nature même de Dieu. « Nous sommes les enfants de Dieu, est-il écrit, et ce que nous serons n'apparaît pas encore : Nous savons que quand Dieu apparaîtra nous lui serons semblables, parce que nous le verrons tel qu'il est (3) ». Pourquoi en effet ces expressions de trésors de sagesse et de science, de divines richesses, sinon pour dire que Dieu nous suffit? Pourquoi parler encore de grandes jouissances , sinon pour faire entendre qu'il nous satisfait pleinement ? « Montrez-nous donc votre Père , et c'est  assez (4) ». Aussi est-il dit par l'un de nous est-il dit en nous ou pour nous dans u psaume : « Je serai rassasié, lorsque se manifestera votre gloire (5) ». De plus, comme le Père et le Fils font un, voir le Fils, c'est vous aussi le Père (6) ; et « le Seigneur des vertus est » par là même « le Roi de gloire (7) ». En se tournant vers nous, il nous montrera face, et nous serons sauvés, et nous seront rassasiés, et cela nous suffira.

4. Ah ! disons-lui donc du fond du coeur : « J'ai recherché votre présence, je la rechercherai, Seigneur; ne détournez pas de moi votre face (8) ». Et qu'à notre coeur aussi lui-même réponde : « Celui qui m'aime garde mes

 

1. II Cor. VIII, 9. — 2. Ps. XXX, 20. — 3. I Jean , III, 2. — 4. Jean, XIV, 8. — 5. Ps. XVI, 15. — 6. Jean, X, 3 ; XIV, 9. — 7. Ps. XXIII, 10. — 8. Ps. XXVI, 8, 9.

 

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commandements; de plus, celui qui m'aime sera aimé par mon Père; moi aussi je l'aimerai et je me révélerai à lui (1) ». Ceux à qui il parlait ainsi le voyaient bien des yeux du corps, entendaient sa voix, et considéraient l'homme en lui; mais ce qu'il promettait de montrer à ceux qui l'aiment, c'est ce que l'oeil n'a point vu, ce que l'oreille n'a point entendu, ce qui ne s'est point élevé dans le coeur de l'homme (2), c'est lui-même encore.

Jusqu'à ce que s'accomplisse cette promesse, jusqu'à ce que le Sauveur nous montre ce qui nous suffira; en attendant que nous puisions en lui, la vraie source de vie, le rassasiement même; pendant que vivant de la foi nous sommes éloignés de lui; pendant que nous

 

1. Jean, XIV, 21. — 2. I Cor. II, 9.

 

avons faim et soif de la justice, et qu'avec une ardeur ineffable nous aspirons à contempler la beauté de la nature même de Dieu, célébrons avec une humble dévotion le jour où il naît comme esclave. Incapables encore de contempler ce qu'il reçoit du Père qui l'engendre avant l'aurore, chantons ce qu'il reçoit de sa Mère qui l'enfante dans la nuit. Nous ne voyons pas encore le nom qu'il porte dès avant le soleil (1) ; considérons dans le soleil sa tente qu'il y a placée. Nous ne voyons pas encore le Fils unique subsistant dans le sein de son Père; rappelons-nous l'Epoux sortant du lit nuptial (2). Nous ne pouvons nous asseoir encore au festin de notre Père; saluons la crèche de Jésus-Christ Notre-Seigneur.

 

1. Ps. LXXI, 17. — 2. Ps. XVIII, 6.

SERMON CXCV. POUR LE JOUR DE NOEL. XII. LES TITRES DU SAUVEUR.
 

ANALYSE. — Celui dont nous honorons aujourd'hui la naissance est à la fois le Fils de Dieu et le Fils de Marie, l'Epoux de l'Eglise et le Sauveur des hommes, en faveur de qui il sait user de douceur et de force, de sévérité et de bonté.

 

1. Celui qui est à la fois Fils de Dieu et fils de l'homme, Jésus-Christ Notre-Seigneur , comme Fils de Dieu n'a point de Mère et il a créé tous les jours; comme fils de l'homme il n'a point de Père et il a consacré ce jour. Invisible par sa naissance divine, rendu visible par sa naissance humaine, il est admirable dans l'une et dans l'autre. Quand donc un prophète disait de lui : « Qui racontera sa génération (1) ? » de laquelle parlait-il préférablement? Il est difficile de décider si c'est de celle où par sa naissance éternelle il est coéternel au Père, ou bien de celle où, formé dans le temps, il avait auparavant créé sa Mère afin de naître d'elle; si c'est de celle où il n'a jamais commencé puisqu'il a existé toujours.

 

1. Isaïe, LIII, 8.

 

Eh ! qui pourrait expliquer comment la Lumière est née de la Lumière, en ne formant toutefois qu'une seule et même Lumière; comment un Dieu est né d'un Dieu, sans faire néanmoins plusieurs dieux; comment on présente cette naissance à titre de fait accompli, quand il a été impossible de distinguer en elle soit un temps passé qui la montre comme passée, soit un temps futur qui l'ait indiquée comme devant avoir lieu, soit un temps présent qui la désigne comme s'accomplissant, sans être accomplie encore? Qui donc racontera cette génération, puisque l'acte à raconter subsiste au-dessus du temps, et que les paroles du récit passent avec le temps? Quant à cette autre génération qui lui donne une Vierge pour Mère, qui la racontera encore, puisque sa conception dans la chair n'a pas eu lieu d'une manière (172) charnelle, et puisqu'en naissant de la chair, il a rempli de lait le sein de sa nourrice, sans altérer l'intégrité de sa Mère. Qui donc racontera ces deux générations ou l'une d'elles ?

2. Ah ! voici le Seigneur notre Dieu; voici le Médiateur de Dieu et des hommes, notre Sauveur fait homme. Fils du Père, il a créé sa Mère; Fils de sa Mère, il a glorifié son Père; comme Fils unique du Père, il n'a point de Mère, et comme Fils unique de sa Mère, il n'a point de Père parmi les hommes. Voici le plus beau des enfants des hommes (1), le Fils de sainte Marie, l'Époux de la sainte Église, qu'il a rendue semblable à sa Mère, puisqu'il nous l'a donnée pour être notre mère et puisqu'il lui conserve pour lui-même une pureté virginale. N'est-ce pas à elle que dit l'Apôtre : « Je vous ai parée, comme une vierge pure, pour vous présenter au Christ, votre unique Époux (2)? » N'est-ce pas de cette mère qu'il dit encore qu'elle est, non pas la servante, mais la femme libre dont les enfants sont plus nombreux, malgré son délaissement, que les fils de celle qui a un époux (3) ? L'Église a donc, comme Marie, une virginité inaltérable et une inviolable fécondité. Ce que Marie a mérité de posséder dans sa chair, l'Église le conserve dans son âme seulement Marie n'a mis au monde qu'un Fils, l'Église en enfante une multitude entre lesquels sera établie l'unité par la grâce du Fils unique de Marie.

3. Ce jour est donc celui où est venu au monde le Créateur même du monde; où il s'y est rendu corporellement présent, quoique par sa puissance il n'en ait jamais été absent,

 

1. Ps. XLIV, 3. — 2. II Cor. XI, 12. — 3. Gal. IV, 26, 27.

 

puisqu'il a toujours été dans ce monde, et qu'il y est descendu chez lui-même. Sans doute il était dans ce monde, mais il y était caché ; la Lumière luisait dans les ténèbres, sans que les ténèbres la comprissent (1). Il y est venu avec un corps de chair, pour purifier les vices de la chair. Il y est venu avec un corps de terre, qui devait aider à guérir en nous les yeux du coeur, privés de lumière par notre corps de boue: ainsi, après notre guérison, nous deviendrions lumière dans le Seigneur, de ténèbres que nous étions (2) ; ainsi encore à Lumière ne luirait plus dan les ténèbres près d'hommes absents, elle se révélerait à des regards qui ne douteraient plus de la vérité.

Tel est le but pour lequel l'Époux est sorti du lit nuptial, et le géant s'est élancé afin de fournir sa carrière (3) ; car le Fils de Marie est beau comme un époux et fort comme un géant; il est à la fois aimable et terrible, doux et sévère, plein de charmes pour les bons, de rigueurs pour les méchants, demeurant dans le sein de son Père et remplissant celui de sa Mère. C'est dans ce sein de la Vierge, dans ce lit nuptial, que la nature divine s'est unie la nature humaine; que pour nous le Verbe s'est fait chair afin de demeurer au milieu de nous après l'avoir quitté (4), et afin de nous précéder près de son Père pour nous y préparer une; demeure. Aussi célébrons ce jour avec allégresse, avec solennité, et par la grâce de l'éternel qui pour nous est né dans le temps, aspirons avec une fidélité constante à contempler l'éternel jour.

 

1. Jean, I, 10, 11, 5. — 2. Ephés. V, 8. — 3. Ps. XVIII, 6. — 4. Jean, I, 14.
 
 
 
 
 

source: http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin/index.htm

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