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Saint Augustin d'Hippone
Sermons


SERMON CXCVI. POUR LE JOUR DE NOEL. XIII. POUR QUI L'INCARNATION ?
 

ANALYSE. — La génération du Fils de Dieu dans le sein de son Père est ineffable ; sa naissance du sein de sa mère n'est-elle pas merveilleuse aussi? Pour qui est-il né? Pour tous les genres de vie qui sont dans l'Eglise, pour les vierges, les époux et les veufs. C'est donc pour nous et pour nous tous qu'il s'est tant abaissé et qu'il a tant souffert ! Abus censuré à propos des calendes de janvier.

 

1. Voici pour nous la fête de la naissance de Jésus-Christ Notre-Seigneur; ce jour natal est celui où est né le Jour même, et s'il l'a choisi, c'est par ce qu'à dater d'aujourd'hui le jour commence à grandir.

Notre-Seigneur Jésus-Christ a deux naissances: l'une est divine, l'autre humaine, et toutes deux admirables; dans l'une il n'a point de femme pour Mère, et dans l'autre point d'homme pour Père. Aussi peut-on appliquer à ces deux naissances le cri du saint Prophète haïe: « Qui racontera sa génération (1)? » Eh ! qui pourrait expliquer convenablement comment un Dieu engendre, comment enfante une Vierge ? La génération divine est en dehors de tout jour, l'enfantement virginal est à un jour déterminé ; ruais ces actes tous deux merveilleux surpassent tous deux les conceptions de l'homme. Ecoutez; voici la première génération : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu (2)». Le Verbe de qui ? Du Père. Quel est ce Verbe ? Le Fils. Le Père n'a jamais été sans son Fils; et le Père néanmoins a engendré son Fils. Il l'a engendré ; et pourtant le Fils n'a pas commencé. Comment aurait-il commencé, puisque jamais il n'y a eu de commencement à sa génération ? Toutefois, je le répète, il est réellement son Fils et engendré réellement.

Comment, dira-t-on, a-t-il été engendré, s'il n'a pas eu de commencement ? S'il est engendré, il a sûrement commencé ; s'il n'avait pas commencé, pourrait-il être engendré? — Comment ? Je l'ignore. Est-ce à un homme que tu oses demander comment un Dieu a été

 

1. Isaïe, LIII, 8. — 2. Jean, I, 1.

 

engendré ? Ta question m'embarrasse ; néanmoins j'en appellerai au Prophète : « Qui racontera, dit-il, sa génération?» Viens considérer avec moi cette génération humaine, cette génération où il s'est anéanti en prenant une nature d'esclave : pourrons-nous au moins la comprendre ? nous sera-t-il possible d'en dire au moins quelque chose ? Eh ! qui serait capable de comprendre ceci : « Il avait la nature de Dieu, et il n'a pas cru usurper en se faisant égal à Dieu ? » Oui, qui peut comprendre cela? Qui peut s'en faire une juste idée ? Quelle intelligence oserait sonder cet abîme ? Quelle langue aurait la hardiesse d'en parler ? Quel esprit assez fort pour concevoir ce mystère ? Mais laissons-le pour le moment; il est trop au-dessus de nos forces. Afin de s'abaisser jusqu'à nous, « il s'est anéanti en prenant une nature d'esclave, en se faisant semblable aux hommes (1) ». Où l'a-t-il prise ? Dans le sein de la Vierge Marie. Parlons donc de cet événement. Mais pourrons-nous? Un ange l'annonce ; la Vierge l'écoute, y croit et conçoit. Elle a la foi dans le coeur, et le Christ est dans son sein. Vierge, elle conçoit: qui ne serait étonné? Vierge, elle enfante, étonnez-vous davantage; après avoir enfanté elle demeure Vierge, qui raconterait cette génération?

2. Voici qui vous fera plaisir, mes bien-aimés. Il y a dans l'Eglise trois genres de vie pour les membres du Christ: la vie conjugale, la vie de veufs et la vie des vierges. Or, comme ces vies devaient être, dans toute leur pureté, les vies des membres saints du Christ, toutes ont été appelées à lui rendre témoignage. La

 

1. Philip. II, 6, 7.

 

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première de ces vies est la vie conjugale. Quand Marie conçut en demeurant Vierge, Elisabeth, épouse de Zacharie, avait déjà conçu et elle portait dans ses entrailles le héraut du grand Juge. Sainte Marie alla vers elle, comme pour rendre ses hommages à une parente, et l'enfant que portait Elisabeth tressaillit dans son sein. L'enfant tressaillit, mais la mère prophétisa: n'est-ce pas le témoignage de la pureté conjugale? Et le témoignage des veuves? Voici Anne. Vous venez de l'entendre encore pendant la lecture de l'Evangile : c'était une sainte prophétesse âgée de quatre-vingt-quatre ans, qui en avait passé sept avec son mari, et qui depuis son veuvage était souvent au temple, servait Dieu en le priant nuit et jour. Elle aussi reconnut le Christ. Dans ce petit enfant elle vit une grandeur toute divine et elle lui rendit témoignage. Voilà pour les veuves. Quant aux vierges, elles sont représentées par Marie (1).

A chacun de choisir entre ces trois vies; vouloir être en dehors de toutes, c'est ne pas vouloir compter parmi les membres du: Christ. Que les épouses ne disent donc pas: Nous sommes pour le Christ des étrangères ; de saintes femmes ont été mariées. Que de leur côté les vierges prennent garde de s'enorgueillir. Plus elles sont grandes, plus elles doivent s'abaisser en toutes choses (2). Il n'est pas de saints exemples qui ne nous aient été mis sous les yeux. Que nul ne s'égare loin de la voie ; que nul n'aille à d'autre. qu'à son épouse. Il est préférable de n'en pas avoir ; mais si on veut des modèles de chasteté conjugale, en voici dans Susanne ; de pureté dans le veuvage, voici Anne; de sainteté virginale, voici Marie.

3. C'est pour nous qu'a voulu se faire homme le Seigneur Jésus. Ne dédaignons point sa miséricorde ; c'est la Sagesse étendue sur la terre. « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ». O Pain divin et aliment des Anges ! c'est vous que mangent les Anges, de vous qu'ils se rassasient sans dégoût, de vous qu'ils vivent, en vous qu'ils puisent la sagesse et la félicité. Ah ! où êtes-vous descendu à cause de moi ? Dans une étroite hôtellerie; sur des langes, dans une crèche ; et pour qui ? Oui, Celui qui dirige les astres prend le sein d'une

 

1. Luc, I, 11. — 2. Eccli. III, 20.

 

femme; Celui qui nourrit les Anges et qui parle dans le sein de son Père, garde le silence sur le sein de sa Mère. Mais il- parlera quand sera venu l'âge convenable; pour nous alors il publiera tout l'Evangile. Il souffrira pour nous, pour nous il mourra, et afin de montrer en lui quelle sera notre biture récompense, il ressuscitera, montera au ciel sous les yeux de ses disciples et en reviendra pour juger l'univers. Ainsi donc en s'abaissant dans une crèche il n'a rien perdu de lui-même; il a pris ce qu'il n'était pas, tout en demeurant ce qu'il était. Nous l'avons, ce divin Enfant, croisons avec lui.

4. Que votre charité veuille bien se coin tenter de cela. La solennité ayant amené ici une nombreuse assistance, je dois faire uns observation.

Les calendes de Janvier vont arriver; vous êtes tous chrétiens; oui, parla grâce de Dieu, la ville est chrétienne. Il y a pourtant dans cette ville des Juifs mêlés aux chrétiens. Ah ! qu'on ne fasse rien de ce qui déplaît à Dieu : il est des divertissements où se commet l'iniquité, des jeux où se pratique l'injustice. Gardez-vous d'appeler la vengeance des juges, pour ne tomber pas entre les mains du Juge suprême. Vous êtes chrétiens, vous êtes membres du Christ. Réfléchissez à votre dignité, songez au prix qui a été donné pour vous acheter. Mais que faites-vous donc? Je m’adresse aux seuls coupables. Vous à qui déplaît cette conduite, ne vous offensez pas; je parle qu'à ceux qui se livrent et qui se plais à ces désordres. Voulez-vous savoir enfin ce que vous faites et de quelle douleur vous nous pénétrez? Vous imitez les Juifs. N'est-ce assez pour vous porter à rougir et à ne plus recommencer?

Le jour de la nativité de saint Jean, il y a six mois, car le héraut précède le Juge de tout ce temps, des chrétiens vinrent se laver dans la mer, conformément à un usage superstitieux des païens. Je n'étais pas ici; mais, m'a-t-il dit, quelques prêtres, zélés pour la discipline chrétienne, imposèrent à quelques-uns de ces coupables une pénitence convenable et canonique. On en murmura, et plusieurs s'écrièrent : En coûtait-il tant de nous prévenir? Si nous avions été avertis d'avance, nous n’aurions pas agi ainsi. Que ces prêtres eux-mêmes ne nous prévenaient-ils? Nous n'aurions pas fait cela. Eh bien ! votre évêque aujourd'hui (175) vous prévient; je vous avertis, je le fais hautement, je le fais clairement. Qu'on se rende donc à l’évêque quand il commande, à l'évêque quand il prévient, à l'évêque quand il supplie, à l'évêque quand il adjure; oui, au nom de Celui qui est né aujourd'hui, je vous adjure, je vous y oblige, ne continuez pas. Ainsi je me décharge; mais il vaut mieux que vous écoutiez mes avertissements que de sentir le poids de ma douleur.

SERMON CXCVII. POUR LE PREMIER JANVIER. I. ORGUEIL ET HUMILITÉ.
 

ANALYSE. — Ce discours n'est pas entier; il est composé de plusieurs fragments qui ne sont pas toujours liés. entre eux et dont le but est de montrer que comme l'orgueil a conduit les païens à tous les désordres oh ils se sont livrés, ainsi l'humilité est le caractère essentiel des vertus chrétiennes.

 

1. « La colère de Dieu éclate effectivement du haut du ciel sur toute l'impiété ». De qui, sinon des Juifs et des Gentils?

On pourrait objecter: Pourquoi, sur l'impiété des Gentils ? Les Gentils ont-ils jamais reçu la loi pour avoir pu la violer? Il est juste que la colère divine éclate sur les Juifs, puisque la loi leur a été donnée et qu'ils ont refusé de l'observer; mais elle n'a pas été donnée aux Gentils. — Regardez, mes frères, et voyez comment l'Apôtre prouve que tous sont coupables et ont besoin tous du salut et de la miséricorde de Dieu. « La colère de Dieu, dit-il donc, éclate du haut du ciel sur toute l'impiété et l'iniquité de ces hommes qui a retiennent la vérité dans l'injustice ». Remarquez-le bien ; il ne dit pas : Ces hommes ne possèdent pas la vérité; mais: « Ils la retiennent dans l'injustice ». Tu pourrais demander encore: Comment leur est-il possible de connaître la vérité, puisqu'ils n'ont pas reçu la Loi? Aussi l'Apôtre continue-t-il: « Car, ce qui est connu de Dieu leur a été manifesté ». Comment encore, sans qu'ils aient reçu la Loi, ce qui est connu de Dieu leur a-t-il été manifesté? Le voici dans la suite du texte : « C'est que ses perfections invisibles; rendues compréhensibles depuis la création du monde par les choses qui ont été faites, sont devenues visibles, aussi bien que sa puissance éternelle et sa divinité » ; sous-entendu, sont devenues visibles, pour avoir été comprises. Pourquoi en effet considérer l'ouvrage sans remonter à l'ouvrier? Voici la terre et ses produits, voici la mer et les animaux qui la remplissent, voici l'air et les oiseaux qui l'animent, voici le ciel et l'éclat de ses astres, voici tant d'autres merveilles, et tu ne cherches pas quel en est l'auteur ?

Je vois bien ces merveilles, diras-tu, mais je n'en vois pas l'auteur. —Pour les voir il t'a donné les yeux du corps, et l'intelligence pour le voir lui-même. Vois-tu l'âme de l'homme? Les mouvements et la direction imprimée au corps te révèlent l'existence de l'âme que tu ne vois pas: ainsi le gouvernement de tout l'univers et la conduite de l'âme elle-même doivent te faire connaître le Créateur.

Il ne suffit pas toutefois de le connaître. Ces païens le connaissaient; et néanmoins que dit d'eux l'Apôtre? « Que connaissant Dieu ils ne l'ont point glorifié comme Dieu, ou ne lui ont point rendu grâces; mais ils se sont perdus dans leurs pensées, et leur coeur insensé s'est obscurci ». Pourquoi, sinon à cause de leur orgueil ? Aussi considère ce qui suit: « En disant qu'ils étaient sages, ils sont devenus fous ». Ils ne devaient point s'attribuer les dons de Dieu, ni se vanter de ce qu'ils tenaient, non pas d'eux-mêmes, mais de lui.

 

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Ils devaient au contraire lui en rendre grâces afin d'êtres guéris par lui et de pouvoir conserver les connaissances qu'il leur avait accordées. En agissant ainsi ils auraient pratiqué l'humilité, ils auraient pu se purifier et s'attacher inséparablement à la beauté suprême qui aurait fait leur bonheur. Mais comme ils étaient orgueilleux, ils furent séduits par cet esprit faux, trompeur et superbe qui leur promit de purifier leurs âmes par je ne sais quelles pratiques d'orgueil, et ils en vinrent ainsi à adorer les démons. Telle est l'origine de tous les usages religieux des païens, représentés comme devant leur communiquer la pureté de l'âme. Aussi remarque comment l'Apôtre enseigne ensuite que c'est pour eux un juste châtiment de leur orgueil, d'avoir été ainsi punis pour n'avoir pas glorifié Dieu comme il doit l'être. « Et ils ont échangé la gloire du Dieu incorruptible contre l'image d'un homme corruptible ». Nous voilà déjà aux idoles, aux idoles des Grecs et des autres peuples qui adorent des images d'hommes.

Mais de tous les genres d'idolâtrie, il n'y en a point de plus accentué ni de plus superstitieux que celui des Egyptiens, car c'est l'Egypte qui a couvert le monde des vains simulacres dont parle ensuite l'Apôtre. Après avoir dit : « Contre l'image d'un homme corruptible », il ajoute en effet : « Des oiseaux, des quadrupèdes et des reptiles ». Dites-moi, mes frères, avez-vous vu dans d'autres temples des statues avec des têtes de chien ou de boeuf, et d'autres représentations d'animaux sans raison ? Ces idoles sont toutes égyptiennes, et l'Apôtre parle des unes comme des autres dans le passage suivant : « Contre l'image représentant un homme corruptible, et des oiseaux, et des quadrupèdes, et des reptiles. Aussi Dieu les a livrés au désir de leurs coeurs, à l'impureté, au point qu'ils déshonorent leurs propres corps en eux-mêmes ». Ces péchés viennent de leur impiété orgueilleuse. Or, en tant qu'ils viennent de l'orgueil, ils sont des châtiments aussi bien que des péchés. Voilà pourquoi ces expressions : « Dieu les a livrés» elles désignent la vengeance de quelque crime, et cette vengeance consiste à laisser commettre ces honteux désordres à ces hommes « qui ont transformé la vérité de Dieu en mensonge ». Qu'est-ce à dire: « Qui ont transformé la vérité de Dieu en mensonge ? » C'est-à-dire qu'ils l'ont « échangée contre l'image représentant un homme corruptible, et des oiseaux, et des quadrupèdes et des reptiles ». Quelqu'un de ces païens aurait pu dire: Moi, je n'adore pas la statue, mais ce qu'elle représente. L'Apôtre dit donc immédiatement; « Ils ont adoré et servi la créature plutôt que le Créateur (1) ». Appliquez ici toute votre attention. Ils adorent la statue même ou l'ouvrage de Dieu. Adorer la statue, c'est transformer la vérité de Dieu en mensonge. En effet, on peut considérer la mer comme étant une vérité, et Neptune comme un mensonge fabriqué par l'homme. Or, c'est changer alors la vérité de Dieu en mensonge, puisque la met est l'ouvrage de Dieu, tandis que la statue de Neptune est de création humaine. C'est aine encore que Dieu ayant fait le soleil, l'homme qui fabrique l'idole du soleil change en mensonge la vérité de Dieu. Afin donc que l’on n'ait pas même le prétexte de dire : Ce n'est pas l'image du soleil, c'est le soleil que j’adore, saint Paul a écrit: «Ils ont servi la créature plutôt que le Créateur »......

2. Ne pourrait-on pas faire cette objection; Sans doute il est né dans l'humilité, mais il a prétendu mettre sa gloire dans l'honneur de ses disciples? Or, il n'a choisi ni des rois, ni des sénateurs, ni des orateurs ; il a préféré des hommes du peuple, des pauvres, des ignorants, des pêcheurs. Le pêcheur Pierre a devancé Cyprien l'orateur ; et si le pêcheur ne s'était montré fidèle d'abord, l'orateur ne serait pas devenu un humble disciple. Que nul donc.ne désespère, si petit qu'il soit ; qu'on s'attache au Christ et on ne sera point déçu dans son espoir.....

3. A quoi prétendait Simon ? N'est-ce pas à la gloire de faire des miracles, à l'élévation que donne l'orgueil ? C'est l'orgueil effectivement qui le porta à croire; qu'on pouvait acheter à prix d'argent le  don de l'Esprit-Saint (2). Ah ! que l'Apôtre était loin de cet orgueil quand avec une humilité si constante, un ferveur spirituelle si brûlante et une prudence si éclairée, il disait : « Ce n'est ni celui qui plante, ni celui qui arrose qui sont quelque chose, mais Dieu, qui donne l'accroissement ». C'est qu'il venait d'écrire ces mots : « J'ai planté, Apollo a arrosé; mais l'accroissement a été donné par Dieu (3) » ; et ces autres : « Est-ce Paul qui a été crucifié pour vous !

 

1. Rom. I, 18-25. — 2. Act. VIII, 18. — 3. I Cor. III, 7, 6.

 

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« Est-ce au nom de Paul que vous avez reçu le baptême (1) ? » Vois comme il refuse les honneurs dus au Christ, comme il est éloigné de vouloir prendre la place de l'Epoux aux yeux de l'âme infidèle. N'y a-t-il pas du mérite à planter et à arroser ? Cependant « ni celui qui plante, ni celui qui arrose ne sont quelque chose ». Comme il a peur ! Il n'est rien pour le salut de ces âmes qu'il désirait avec tant d'ardeur faire progresser dans les voies du Christ.

4. Il ne voulait pas non plus qu'on espérât en lui, mais seulement dans la vérité dont il était le héraut. Ce qu'il disait valait mieux que lui. « Si nous-mêmes », écrivait-il ; ce n'est pas assez, écoute ce qui suit : « ou un ange vous évangélisait, du haut du ciel, autrement que vous n'avez été évangélisés, qu'il soit anathème (2) !  » Il savait qu'un faux médiateur pouvait se transformer en ange de lumière et prêcher le mensonge. Des hommes superbes cherchent à se faire adorer à la place de Dieu, à se faire attribuer tout ce qu'ils peuvent, à prendre le nom du Christ, à recevoir même, s'ils le pouvaient, plus de gloire que lui: ainsi font le démon et ses anges. Pour les Donatistes, Donat n'est-il pas le Christ? Entendent-ils un païen outrager le Christ ? ils pourront montrer plus de patience que de l'entendre outrager Donat.

5. Cependant le Christ parle dans ses saints. « Voulez-vous éprouver, dit saint Paul, Celui

 

1. I Cor. I, 13. — 2. Gal. I, 8.

 

qui parle en moi, le Christ (1)? » Le même Apôtre disait sans doute aussi : « Ni celui qui plante, ni celui qui arrose ne sont quelque chose, mais Dieu, qui donne l'accroissement ». C'était pour attirer les affections, non pas sur lui, mais sur Dieu en lui. Il ne rend pas moins à plusieurs le témoignage suivant : « Vous m'avez reçu comme un ange de Dieu, comme Jésus-Christ même (2) ». C'est le Christ donc qu'il faut aimer dans ses saints; aussi a-t-il dit : « J'ai eu faim et vous m'avez donné à manger (3) » ; non pas : Vous leur avez donné, mais : « Vous m'avez donné » ; tant est vif l'amour du Chef pour son corps !....

6. Qu'est-ce que Junon ? Junon, disent-ils, est l'air. On voulait tout à l'heure nous faire adorer la mer dans un simulacre de terre ; c'est maintenant pour l'air qu'on réclame nos hommages. Mais ce sont là des éléments dont ce monde est composé, et l'apôtre saint Paul parle ainsi de ce sujet dans une de ses épîtres « Prenez garde que personne ne vous séduise par la philosophie, par des raisonnements faux et trompeurs, à propos des éléments du monde (4) ». Ainsi faisait-il allusion à ces esprits qui prétendent expliquer aux sages le sens des idoles. Voilà pourquoi il rapproche de la philosophie, les éléments du monde; il veut qu'on évite, non pas précisément les adorateurs des idoles en général, mais ceux qui paraissent en interpréter plus savamment la signification.

 

1. I Cor. XIII, 3. — 2. Gal. IV, 14. — 3. Matt. XXV, 35. — 4. Colos. II, 8.

SERMON CXCVIII. POUR LE PREMIER JANVIER. II. ÉTRENNES DES CHRÉTIENS.
 

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ANALYSE. — Vous venez de demander à Dieu de vous séparer des gentils; séparation qui doit s'entendre, non de la séparation des corps, mais de la séparation des moeurs. Or les gentils se livrent aujourd'hui à des divertissements indignes d'un chrétien, et se donnent réciproquement des étrennes. Mieux inspirés, faites l'aumône et livrez-vous aux exercices de piété.

 

1.En vous voyant réunis aujourd'hui comme pour un jour de fête et plus nombreux que de coutume, nous invitons votre charité à se rappeler ce qu'elle vient de chanter, à n'avoir pas le coeur muet quand la langue parle si haut, à porter avec ardeur jusqu'aux oreilles (178) de Dieu ce que vous avez fait entendre extérieurement aux oreilles les uns des autres. Voici en effet ce que vous venez de chanter : « Sauvez-nous, Seigneur notre Dieu, et rassemblez-nous du milieu des gentils, afin que nous bénissions votre nom (1) ». Or, vous serez séparés des gentils si vous ne prenez aucun plaisir à ce qu'ils font aujourd'hui, à leurs joies profanes et charnelles, au bruit de leurs chants si vains et si honteux, à leurs festins et à leurs danses ignobles, à la solennité et à la fête menteuse qu'ils célèbrent.

2. Oui, vous avez chanté, et l'écho de ce chant sacré est encore à vos oreilles : « Sauvez-nous, Seigneur notre Dieu, et rassemblez« nous du milieu des gentil». Comment être rassemblé du milieu des gentils autrement qu'en se sauvant? Rester mêlé au milieu d'eux, c'est ne pas se sauver ; mais se rassembler du milieu d'eux, c'est obtenir le salut que donne la foi, que donne l'espérance, que donne une charité sincère, en un mot le salut spirituel attaché aux promesses de Dieu. Il ne suffit donc pas, pour être sauvé, de croire, d'espérer et d'aimer ; l’important est ce que l'on doit croire, espérer et aimer ; car nul ne vit ici-bas sans ces trois sentiments de foi, d'espérance et d'amour. Mais pour être rassemblé du milieu des gentils, c'est-à-dire pour être séparé d'eux, il ne faut ni croire ce qu'ils croient, ni espérer ce qu'ils espèrent, ni aimer ce qu'ils aiment. Ainsi séparé d'esprit, ne crains pas d'être de corps parmi eux. Se peut-il une différence plus tranchée entre eux et toi que de croire de ton côté qu'il n'y a qu'un Dieu unique et véritable, quand ils croient, eux, que les démons sont des dieux; que d'espérer, comme tu fais, la vie éternelle avec le Christ, quand ils espèrent, eux, les frivolités du siècle ; que d'aimer avec toile Créateur du monde, quand eux n'aiment que le monde?

Mais si on diffère d'eux par la foi, par l'espérance et par l'amour, on doit le prouver par sa vie, le montrer par ses actions. Si tu dois donner des étrennes, te livrer à des jeux de hasard et à l'ivresse comme un païen, as-tu une autre foi, une autre espérance, un amour autre que lui, et comment oses-tu lever le front pour chanter : « Sauvez-nous, Seigneur notre Dieu, et rassemblez-nous du milieu des gentils ? » Cette séparation

 

1. Ps. CV, 47.

 

consiste à mener une vie différente de celle des gentils, tout en demeurant extérieurement au milieu d'eux. Combien doit être tranchée . cette différence ? Reconnaissez-le, si toutefois vous voulez la faire passer dans votre vie. N'est-il pas vrai que le Fils de Dieu, Jésus-Christ Notre-Seigneur, après s'être fait homme pour l'amour de nous, a payé lui-même notre rançon ? Il l'a payée de son sang, il l'a payée pour nous racheter et nous rassembler du milieu des gentils. Or, en te mêlant à eux, tu refuses de marcher à la suite de ton Rédempteur; et tu t'y mêles par ta vie, par tes actions par les sentiments de ton coeur, par la communauté de foi, d'espérance et d'amour; tu te montres, par là, ingrat envers ton Sauveur, sans égard pour ta rançon, pour le sang de l'Agneau sans tache.    De grâce donc, pour suivre ton Rédempteur, Celui qui t'a racheté de son sang, évite de te mêler aux gentils par la ressemblance des moeurs et de la conduite. Eux donnent des étrennes ; faites-vous, des aumônes. Ils se distraient par des chant lascifs ; sachez vous distraire par les paroles de l'Ecriture. Ils courent au théâtre; courez à l'Eglise. Ils s'enivrent ; jeûnez, et si vous ne pouvez jeûner aujourd'hui, mangez avec sobriété. Vous conduire ainsi, ce sera avoir chanté dignement : « Sauvez-nous, Seigneur notre Dieu, et rassemblez-nous du milieu des gentils ».

3. Mais beaucoup vont se préoccuper aujourd'hui d'un mot qu'ils ont entendu. Nous avons dit : Ne donnez point d'étrennes, donnez plutôt aux pauvres. Ce n'est pas assez de donner autant, donnez encore plus. Ne voulez-vous point donner davantage ? donnez au  moins autant. — Mais, répliques-tu, lorsque je donne des étrennes, j'en reçois aussi. — Et quand tu donnes aux pauvres, ne reçois rien ? Assurément tu ne voudrais ni croire que croient les gentils ni espérer ce qu’ils espèrent. Si néanmoins tu répètes que tu ne reçois rien en donnant aux pauvres, tu fais partie des gentils; c'est sans résultat que tu as chanté : « Sauvez-nous, Seigneur notre Dieu et rassemblez-nous du milieu des gentils ». N'oublie pas cette recommandation : « Ce qui donne aux pauvres ne sera jamais dans le besoin (1)». Tu ne te souviens donc pas de ce que dira le Seigneur à ceux qui auront

 

1. Prov. XXVIII, 26.

 

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assisté les indigents : « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume » ; ni des paroles qu'il adressera à ceux qui ne les auront pas assistés : « Jetez-les au feu éternel (1)? »

S'il en est ici qui ne m'ont pas entendu avec plaisir, il en est sûrement qui sont satisfaits. C'est à ces vrais chrétiens que je m'adresse pour le moment. Si votre foi, si votre espérance, si votre amour différent des leurs, vivez autrement qu'eux et montrez par la différence de vos moeurs cette autre différence. Ecoutez l'avertissement de l'Apôtre : « Ne traînez point le même joug que les infidèles. « Quoi de commun entre la justice et l’iniquité ? ou quelle alliance entre la lumière et les ténèbres ? Quel commerce entre le fidèle et l'infidèle ? Quel rapport entre le temple de Dieu et les idoles (2) ? »            Il dit encore ailleurs . « Ce qu'immolent les gentils, ils l'immolent aux démons et non à Dieu. Je ne veux pas, s'écrie-t-il, que vous ayez aucune société avec les démons (3) ». Les moeurs des gentils plaisent à leurs dieux. L'Apôtre donc en disant : « Je ne veux pas que vous fassiez société avec les démons », entend que les chrétiens se distingueront,

 

1. Matt. XXV, 34, 41. — 2. II Cor. VI, 14-15. — 3. I Cor, X, 20.

 

par leur conduite et par leurs moeurs, des esclaves des démons. Ces démons aiment les chants frivoles, les spectacles bouffons, les hontes multipliées du théâtre , la folie du cirque, la cruauté de l'amphithéâtre, les combats animés de ceux qui luttent et disputent, souvent jusqu'à l'inimitié, en faveur d'hommes pestilentiels, en faveur d'un comédien, d'un historien, d'un pantomime, d'un cocher, d'un gladiateur. Ces actes sont comme de l'encens offert dans leurs coeurs aux démons; car ces esprits séducteurs prennent plaisir à faire des dupes; ils se repaissent en quelque sorte des iniquités, des hontes et des infamies de leurs victimes. « Pour vous », comme dit l'Apôtre, « ce n'est pas ainsi que vous connaissez le Christ, si toutefois vous l'avez écouté et si vous avez été formés à son école (1). N'ayez donc point de commerce avec eux. Car, si autrefois vous étiez ténèbres, vous êtes maintenant lumière dans le Seigneur; conduisez-vous comme des enfants de lumière (2)» ; afin que nous aussi, qui vous annonçons la divine parole, nous puissions, avec vous et à cause de vous, nous réjouir à cette lumière éternelle.

 

1. Eph. IV, 20, 21. — 2. Ib. V, 7, 8.

SERMON CXCIX. POUR L'ÉPIPHANIE. I. LA GLOIRE DU CHRIST.
 

ANALYSE. — La gloire du Christ nous est aujourd'hui révélée, premièrement par les Mages accourus d'Orient pour l'adorer secondement par l'étoile qui les dirige, troisièmement par les Ecritures qui lui rendent témoignage. En vain des savants superficiels essaient-ils d'appuyer sur l'apparition de l'étoile le système impie de l'astrologie judiciaire. Les astres évidemment n'exercent aucun empire sur le Christ; au contraire ils lui obéissent à sa naissance comme ils lui obéiront à sa mort.

 

1. Nous célébrions dernièrement le jour où le Seigneur est né parmi les Juifs; nous célébrons aujourd'hui celui où il a été adoré par les gentils. « Ainsi le salut vient des Juifs (1)» ; et ce «salut s'étend jusqu'aux extrémités de

 

1. Jean, IV, 22.

 

la terre (1) ». Le premier jour ce sont les bergers qui l'ont adoré, ce sont les Mages aujourd'hui. Aux uns il a été annoncé par des anges, aux autres par une étoile; et tous, en voyant sur la terre le Roi du ciel, ont appris

 

1. Isaïe, XLIX, II, 6.

 

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du ciel même que Dieu allait être glorifié au plus haut des cieux et la paix accordée sur la terre aux hommes de bonne volonté (1). Car le Sauveur « est notre paix, puisque de deux il a fait un » ; et c'est ainsi que muet encore il s'annonce comme la pierre angulaire, et qu'il se montre tel dès le début de sa vie. Dès lors en effet il commence à unir en lui les deux murs qui viennent de directions différentes; amenant les bergers de la Judée et les Mages de l'Orient, « afin de former en lui-même un seul homme de ces deux peuples, en accordant la paix à ceux qui étaient loin, et la paix à ceux qui étaient proche (2) ». Voilà pourquoi les uns en venant plus tôt et de près, et les autres en venant de loin et aujourd'hui seulement , ont signalé aux siècles futurs deux jours à célébrer, quoique les uns comme les autres n'aient vu qu'une seule et même lumière du monde.

2. Mais aujourd'hui il nous faut parler de ceux d'entre eux que la foi a amenés, de pays lointains, aux pieds du Christ. Ils sont donc venus et l'ont cherché en disant : « Où est le Roi des Juifs qui vient de naître ? Car nous avons vu son étoile en Orient et nous sommes venus l'adorer (3) ». C'est à la fois annoncer et questionner, croire et chercher: n'est-ce pas l'image de ceux qui se conduisent par la foi et qui désirent voir la réalité ?

Cependant, n'était-il pas né bien des fois en Judée d'autres rois des Juifs ? Pourquoi Celui-ci est-il par des étrangers reconnu dans le ciel et cherché sur la terre? Pourquoi rayonne-t-il en haut, se cache-t-il en bas? Les Mages voient en Orient une étoile, et ils comprennent qu'il est né un roi en Judée ! Quel est donc ce Roi, si petit et si grand, qui ne parle pas encore sur la terre et qui déjà promulgue ses lois dans le ciel ?

Toutefois, comme il voulait se faire connaître à nous par les saintes Ecritures, après avoir fait briller pour les Mages un signe aussi éclatant dans le ciel et leur avoir révélé au coeur qu'il était né dans la Judée, le Seigneur voulut, à cause de nous, que leur foi en lui fût appuyée aussi sur ses prophètes. En s'informant de la ville où était né Celui qu'ils aspiraient à contempler et à adorer, ils eurent besoin d'interroger les princes des Juifs, de savoir quelle réponse ils trouveraient

 

1. Luc, II, 14. — 2. Ephés. II, 14-20. — 3. Matt. II, 2.

 

pour eux dans l'Ecriture, dans l'Ecriture qu'ils avaient sur les lèvres et non dans le coeur. C'étaient donc des infidèles qui instruisaient les fidèles touchant le bienfait de la foi; des hommes qui mentaient par eux-mêmes et qui contre eux-mêmes proclamaient la vérité. Ah ! qu'ils étaient éloignés d'accompagner ces étrangers à la recherche du Christ, quoiqu'ils eussent appris d'eux que c'était après avoir vu son étoile qu'ils étaient venus l'adorer; de les conduire eux-mêmes dans cette cité de Bethléem de Juda, qu'ils venaient de leur faire connaître d'après les livres saints; de contempler enfin, de comprendre et d'adorer avec eux ! Malheureux, qui sont morts de soif, après avoir montré à d'autres la fontaine de vie ; semblables à ces pierres milliaires qui indiquent la route aux voyageurs et qui demeurent insensibles et immobiles.

Les Mages donc cherchaient pour trouver, Hérode cherchait pour tuer; quant aux Juifs ils lisaient le nom de la ville où naissait le nouveau Roi, mais ils ne comprenaient pas le temps de son arrivée. Placés entre l'amour pieux des Mages et la crainte sanguinaire d'Hérode, les Juifs se perdirent tout en indiquant Bethléem. Sans chercher alors le Christ qui venait de naître dans cette ville, ils devaient le voir plus tard ; le voir non pas silencieux mais rendant ses oracles, le renier et le mettre à mort. Combien l'ignorance des enfants qu'Hérode persécuta dans sa frayeur, était préférable à la science de ces docteurs qu'il consulta dans son trouble ! Sans pouvoir confesser encore le Christ, ces enfants purent souffrir pour lui; tandis qu'après avoir pu connaître la ville où il était né, ces docteurs ne s'attachèrent point à la vérité qu'il prêchait.

3. C'est bien l'étoile qui conduisit les mages au lieu précis où était Dieu même, le Verbe devenu enfant. Rougis enfin, folie sacrilège, science ignorante, si je puis parler ainsi, qui t'imagines que le Christ en naissant fut soumis à l'arrêt des astres, parce que, d'après l'Evangile, des Mages virent, à sa naissance, son étoile en Orient. Tu n'aurais pas raison, alors même que les autres hommes seraient, en naissant, assujettis de cette sorte à la fatalité, puisqu'ils ne naissent pas, comme le Fils de Dieu, par leur volonté propre, mais d'après les lois d'une nature mortelle. Or, il est si peu vrai que le Christ soit né sous l'empire des astres, qu'aucun de ceux qui ont la vraie foi chrétienne, ne (181) le dirait d'aucun homme absolument. Que ces esprits superficiels publient sur les naissances humaines ce que leur suggère leur défaut de sens; qu'ils nient en eux l'existence de la liberté quand ils pèchent; qu'ils imaginent je ne sais quelle fatalité pour excuser leurs crimes; qu'ils travaillent à faire remonter jusqu'au ciel même les désordres qui les font détester par les hommes sur la terre; qu'ils multiplient les mensonges pour en rejeter la responsabilité sur les astres :au moins que nul d'entre eux ne perde de vue comment il croit pouvoir régler, non pas sa vie, mais sa famille, quelque autorité qu'il y possède. Eh ! pourrait-il, avec ce sentiment, frapper ses esclaves lorsqu'ils lui manquent dans sa demeure, sans avoir dû préalablement blasphémer contre ses dieux qui brillent au haut du ciel ?

Cependant ni les vains raisonnements de ces hommes, ni les livres qui sont pour eux, non pas des livres révélateurs mais sûrement des livres menteurs, ne leur permettent de croire que le Christ soit né sous l'empire des astres, parce qu'à sa naissance les Mages virent une étoile en Orient. Cette apparition prouve au contraire que loin d'être dominé par elle, le Christ dominait cette étoile. Aussi ne suivait-elle point dans le ciel la route ordinaire des étoiles, puisqu'elle conduisit jusqu'au lieu même où venait de naître le Christ ceux qui le cherchaient pour l'adorer. Ce n'est donc pas à elle qu'on doit rapporter la vie admirable du Christ, c'est au Christ plutôt qu'il faut attribuer la merveille de son apparition; elle ne fut point l'auteur des miracles du Christ, le Christ montra au contraire qu'elle était un de ses miracles. Fils du Père, c'est lui qui a formé le ciel et la terre; comme Fils de sa mère, il fit briller dans le ciel un nouvel astre aux yeux de la terre. Si une nouvelle étoile répandit à sa naissance une lumière nouvelle, l'antique lumière du monde s'éclipsa à sa mort dans le soleil même. Les cieux à sa naissance rayonnèrent d'une gloire nouvelle, comme les enfers à sa mort furent saisis d'une nouvelle frayeur, comme les disciples à sa Résurrection se sentirent embrasés d'un nouvel amour, comme en s'ouvrant à son Ascension l'empyrée lui rendit un hommage nouveau.

Ainsi donc célébrons avec pompe et avec dévotion le jour où le Christ fut reconnu et adoré des Mages de la gentilité (1); comme nous célébrions cet autre jour où les pasteurs de la Judée vinrent le contempler après sa naissance (2). C'est lui, le Seigneur notre Dieu, qui a choisi dans la Judée des pasteurs, c'est-à-dire ses Apôtres, afin de recueillir par eux les pécheurs de la gentilité pour les sauver.

 

1. Matt. XI, 1-11. — 2. Luc, II, 8-20.

SERMON CC. POUR L'ÉPIPHANIE. II. GRANDEUR DU CHRIST.
 

ANALYSE. — Tout ici proclame la grandeur du Christ. C'est d'abord l'adoration des Mages et l'apparition de l'étoile miraculeuse; c'est en second lieu la frayeur d'Hérode qui tremble sur son trône, au lieu que plus sages aujourd'hui les rois de la terre sont devenus les serviteurs du Christ ; c'est en troisième lieu le témoignage que les Juifs rendent au Messie, quoiqu'ils condamnent pu là leur propre conduite ; c'est enfin l'union que Jésus commence à former, en se les attachant, entre les Juifs fidèles et les gentils qui se convertissent.

 

1. Des Mages sont venus d'Orient pour adorer l'Enfant de la Vierge. Voilà le motif de la tête d'aujourd'hui, voilà pourquoi cette solennité et ce discours, qui sont pour nous une

dette. Les Mages virent d'abord ce jour; devant nous il est ramené chaque année par la fête. Ils étaient les premiers de la gentilité; nous en sommes le peuple. Nous avons été (182) instruits par la langue des Apôtres; ils le furent, eux, par une étoile, interprète du ciel. Les mêmes Apôtres, comme s'ils eussent été le ciel, nous ont raconté la gloire de Dieu (1). Pourquoi d'ailleurs ne verrions-nous pas en eux le ciel, puisqu'ils sont devenus le trône de Dieu, conformément à ces paroles de l'Ecriture : « L'âme du juste est le siège de la sagesse (2)?» N'est-ce point dans ce ciel que Celui qui a créé et qui habite le ciel, a fait retentir son tonnerre et trembler l'univers entier, lequel maintenant est croyant?

O mystère étonnant ! Il était couché dans une crèche, et d'Orient il amenait les Mages; il était caché au fond d'une étable, et proclamé du haut du ciel, afin qu'ainsi proclamé dans le ciel on le reconnût dans l'étable, ce qui a fait donner à ce jour le none d'Epiphanie, c'est-à-dire manifestation. Ainsi mettait-il en relief et sa grandeur et son humilité; car si les astres le révélaient au loin dans le ciel, il fallait le chercher pour le trouver dans un étroit réduit; et s'il était faible dans ce petit corps et enveloppé des langes de l'enfance, il n'en était pas moins adoré par les Mages et redouté des méchants.

2. Car Hérode le redouta lorsqu'il eut entendu les Mages, encore à la recherche de ce petit Enfant dont le ciel leur avait attesté la naissance. Eh ! que sera son tribunal quand il viendra nous juger, puisque des rois superbes ont ainsi tremblé devant le berceau de son enfance muette? Que les rois aujourd'hui sont bien mieux inspirés, puisqu'au lieu de chercher, comme Hérode, à le mettre à mort, ils sont heureux de l'adorer comme les Mages; maintenant surtout qu'en subissant pour ses ennemis et de la part de ses ennemis la mort dont nous menaçait l'ennemi, il l'a étouffée dans son propre corps ! Toutefois, si un roi impie a tremblé devant lui quand il prenait encore le sein de sa Mère; maintenant qu'il siège à la droite de son Père, que les rois aient pour lui une crainte pieuse. Qu'ils écoutent ces paroles : « Et maintenant, ô rois, comprenez, instruisez-vous, vous qui jugez la terre; servez le Seigneur avec crainte, et réjouissez-vous en lui avec frayeur (3) ». En effet ce grand Roi qui châtie les rois impies et qui dirige les rois pieux, n'est pas né comme naissent les rois de la terre, attendu que la

 

1. Ps. XVIII, 1. — 2. Sag. VII. — 3. Ps. II, 10, 11.

 

couronne ne lui vient pas de ce inonde. Sa grandeur se manifeste dès sa naissance dans la virginité de sa Mère, comme la grandeur de sa Mère éclate dans la divinité de son Fils. Si donc de tant de rois qui sont nés et qui sont morts parmi les Juifs, il n'en est aucun autre que des Mages aient cherché pour l'adorer, c'est qu'il n'en est aucun autre que leur ait fait connaître le langage des cieux.

3. N'oublions pas toutefois combien ce rayonnement de la vérité dans l'esprit des Mages fait ressortir l'aveuglement des Juifs. Les premiers venaient voir le Messie dans le pays de ceux-ci, et ceux-ci ne l'y voyaient point. Ils le trouvèrent parmi eux sous la forme d'un enfant sans parole, et eux le renièrent quand il enseignait en leur présence. Accourus de loin, des étrangers adorèrent parmi eux le Christ dans un enfant quine disait .rien encore ; et eux, ses concitoyens, le crucifièrent dans la vigueur de l'âge et lors qu'il faisait des miracles. Les uns le reconnurent pour leur Dieu malgré la faiblesse de ses membres, et les autres n'épargnèrent pas même son humanité, malgré la puissance de ses couvres. Mais devait-on être plus frappé de voir une étoile nouvelle briller au moment de sa naissance, que de voir le soleil s'obscurcir au moment de sa mort?

Il est vrai, l'étoile qui conduisit les Mages à l'endroit même où était le Dieu-Enfant avec la Vierge sa Mère, et qui pouvait également les conduire jusqu'à la ville où il était né, disparut tout à coup et ne se montra plus i eux pour le moment. Ils durent interroger les Juifs sur le nom de la cité où devait naître le Christ, leur demander ce que disaient sur ce point les divines Ecritures ; et les Juifs durent répondre : « A Bethléem de Juda; car voici ce qui est écrit : Et toi, Bethléem, terre de Juda tu n'es pas la moindre des principales villes de Juda, puisque de toi sortira le Chef qui conduira mon peuple d'Israël (1) ». La divine Providence ne voulait-elle pas nous montrer par là que les Juifs ne conserveraient plus que les saints livres, pour éclairer les Gentils et s'aveugler eux-mêmes; et qu'ils les porte. raient dans le monde, non point comme un moyen de salut pour eux, mais comme un témoignage du salut qui nous serait accordé? Aussi, quand aujourd'hui nous citons les

 

1. Matt. II, 1-6.

 

antiques prophéties relatives au Christ et dont les événements accomplis ont fait éclater la lumière, s'il arrive aux païens que nous voulons gagner de nous objecter qu'elles ne sont pas si anciennes, que nous les avons fabriquées après coup pour donner aux faits l'air d'avoir été prédits; nous ouvrons, pour dissiper ce doute, les exemplaires juifs. Ainsi les païens sont figurés par ces Mages à qui les Juifs faisaient connaître d'après l'Ecriture la ville où était né le Christ, sans qu'eux-mêmes se missent en peine soit de le rechercher, soit de le reconnaître.

4. Maintenant donc, mes bien-aimés, enfants et héritiers de la grâce, réfléchissez à votre vocation, et puisque le Christ a été révélé aux Juifs et aux Gentils comme étant la pierre angulaire, attachez-vous à lui avec un amour dont rien ne dompte la persévérance. Oui, dès le berceau où reposait son enfance, ceux qui étaient près et ceux qui étaient loin l'ont également connu; les Juifs qui étaient près, dans la personne des bergers, et les Gentils qui étaient loin, dans la personne des Mages. Les uns sont venus à lui le jour même de sa naissance, et les autres aujourd'hui, d'après ce que l'on croit. S'il s'est manifesté aux premiers, ce n'est point parce qu'ils étaient savants; aux seconds, ce n'est point parce qu'ils étaient justes. L'ignorance n'est-elle pas le caractère de ces pasteurs des champs, et l'impiété, la marque de ces Mages sacrilèges ? Les uns comme les autres, toutefois, ont été attirés par la pierre angulaire; car elle est venue choisir ce qu'il y a d'insensé dans le monde pour confondre les sages (1), appeler les pécheurs et non les justes (2), afin que personne n'eût à s'enorgueillir de sa grandeur ni à désespérer de sa bassesse. Aussi n'est-il pas étonnant que les Scribes et les Pharisiens, pour se croire trop savants et trop justes, l'aient rejetée de leur édifice après avoir montré, par la lecture des oracles prophétiques, la ville où il venait de naître. Il n'en est pas moins devenu la première pierre de l'angle (3), accomplissant par sa Passion ce qu'il avait indiqué à sa naissance; et pour ce motif attachons-nous à lui avec ce mur où je vois les restes d'Israël qui doivent leur salut au choix de la grâce (4). Car ces Israélites, qui n'avaient pas à venir de loin pour se lier à la pierre angulaire, étaient figurés par les bergers, comme nous, qui avons été appelés de si loin, l'étions par les Mages, pour n'être plus des hôtes et des étrangers, mais pour être des concitoyens des saints, pour faire partie de la maison de Dieu, pour être bâtis ensemble sur le fondement des Apôtres et des Prophètes, pour avoir comme principale pierre angulaire Jésus-Christ même; lui qui a réuni les deux en un (5), afin de nous faire aimer l'unité dans sa personne, afin aussi de nous inspirer une ardeur infatigable à recueillir les rameaux qui, après avoir été greffés sur l'olivier franc en ont été détachés par l'orgueil pour s'attacher à l'hérésie, et que Dieu est assez puissant pour greffer de nouveau (6).

 

1. I Cor. I, 27. — 2. Matt. IX, 13. — 3. Ps. CXVII, 22. — 4. Rom. XI, 5. — 5. Ephés. II, 11-22. — 6. Rom. XI, 17-24.
 
 
 
 

source: http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin/index.htm

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