CHAPITRE CCI. POUR L'ÉPIPHANIE. III. LE MESSIE GLORIFIÉ.
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ANALYSE. Nous célébrons l'Epiphanie à aussi juste titre que la Nativité, car cette fête nous montré le Christ glorifié premièrement par l'apparition de l'étoile merveilleuse ; secondement par les adorations qu'il reçoit des Mages ; troisièmement par le titre de Roi des Juifs qu'ils lui donnent comme plus tard le lui donnera Pilate et comme pour faire une allusion future à celle prophétie du Sauveur : « Les enfants du royaume seront jetés dans les ténèbres »; quatrièmement enfin par le témoignage que les prêtres de Jérusalem rendent au Christ en présence des Mages, témoignage qui prélude au témoignage qu'ils doivent lui rends dans tout l'univers où ils seront dispersés.
1. Il y a quelque jours seulement nous célébrions la naissance du,Seigneur ; nous célébrons aujourd'hui, à aussi juste titre, le jour solennel où il commença à se révéler aux Gentils. Des bergers juifs l'autre jour le contemplèrent aussitôt qu'il fut né; des ?Mages venus d'Orient l'adorent aujourd'hui. C'est qu'en naissant il était déjà cette pierre angulaire sur laquelle devaient reposer les deux murailles de la circoncision et de l'incirconcision , accourant vers lui de directions fort opposées afin de s'unir en lui, en lui devenu notre paix pour n'avoir fait qu'un peuple des deux (1). C'est ce qu'ont figuré les bergers parmi les Juifs, et les Mages parmi les Gentils; en eux a commencé ce qui devait se développer et s'étendre dans l'univers entier. Ainsi donc célébrons avec une joie vive et toute spirituelle ces deux jours de la nativité et de la manifestation de Notre-Seigneur.
C'est à la voix d'un ange que les bergers juifs accoururent à lui, et les Mages de la gentilité à l'indication d'une étoile. Cette étoile couvre de confusion les vains calculs et les conjectures des astrologues, puisqu'elle conduit les adorateurs des astres à adorer plutôt le Créateur du ciel et de la terre. C'est lui en effet qui fit briller en naissant cette étoile nouvelle, comme il obscurcit en mourant le soleil déjà si ancien. A cette lumière commença la foi des Gentils, comme à ces ténèbres s'accusa la perfidie des Juifs. Qu'était-ce donc que cette étoile que jamais auparavant on n'avait aperçue parmi les astres, et qu'on ne put plus signaler
1. Ephés. II, 11-22.
ensuite? Qu'était-elle, sinon le langage magnifique du ciel racontant la gloire de Dieu, oubliant, par son éclat tout nouveau, l'enfante ment nouveau d'une Vierge et préludant à l'Evangile qui devait la remplacer dans l'univers entier quand elle aurait disparu?
Qu'est-ce aussi que dirent les Mages en arrivant ? « Où est le Roi des Juifs qui vient de naître ? » Quoi ! n'était-il pas né auparavant bien des rois des Juifs ? Comment se fait-il que des étrangers désirent avec tant d'ardeur connaître et adorer Celui-ci ? « Nous avons vu, disent-ils, son étoile en Orient, et nous sommes venus l'adorer (1) ». Le chercheraient-ils avec tant d'ardeur, désireraient-ils l'adorer avec une piété si affectueuse, si dans ce Roi des Juifs ils ne voyaient en même temps le Roi des siècles ?
2. Aussi Pilate avait-il reçu comme un souffle de vérité, quand au jour de sa Passion il écrivit ainsi son titre : « Roi des Juifs », titre que les Juifs s'efforcèrent de corriger au lieu de se corriger eux-mêmes. « Ce que j'ai écrit, je l'ai écrit » , leur répondit Pilate (2) ; car il avait été dit, dans un psaume prophétique: « Ne change rien aux mots écrits du titre (3) ». Mais étudions ce grand et merveilleux mystère.
Les Mages étaient des gentils, et Pilate également gentil : les premiers virent l'étoile dans le ciel, le second grava le titre sur la croix; mais tous cherchaient ou reconnaissaient dans Jésus, non pas le Roi des Gentils, mais le Roi des Juifs. Quant aux Juifs mêmes on ne les vit ni suivre l'étoile, ni adopter le titre. Ah ! c'était l'emblème
1. Matt. II, 2. 2. Jean, XIX, 19, 22. 3. Ps. I, VI, 1.
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de ce que devait dire plus tard le Seigneur en personne : « Beaucoup viendront d'Orient et d'Occident et prendront place au festin avec Abraham, Isaac et Jacob dans le Royaume des cieux; tandis que les enfants du royaume s'en iront dans les ténèbres extérieures (1) ». Les Mages effectivement vinrent d'Orient et Pilate d'Occident; voilà pourquoi les uns rendirent témoignage au Roi des Juifs à son lever, c'est-à-dire à sa naissance; et l'autre à son coucher, c'est-à-dire à sa mort ; afin de prendre place au festin du Royaume des cieux avec Abraham, Isaac et Jacob, dont les Juifs étaient issus, et sur lesquels ils étaient eux-mêmes entés par la foi sans en descendre par la chair: c'était donc déjà l'emblème du sauvageon dont parle l'Apôtre, qui devait se greffer sur l'olivier franc (2). Si donc ces Gentils ne cherchaient ni n'adoraient le Roi des Gentils mais le Roi des Juifs, c'est que le sauvageon devait être greffé sur l'olivier et non l'olivier sur le sauvageon. De plus, lorsque les Mages demandèrent où devait naître le Christ, les rameaux qui devaient être rompus, les Juifs infidèles répondirent : « A Bethléem de Juda (3) » ; et quand Pilate leur reprocha de vouloir faire crucifier leur Roi, leur animosité contre lui se montra de plus en plus opiniâtre. Si donc les Mages durent aux Juifs, qui leur firent connaître le lieu de la naissance du Christ, de pouvoir l'adorer; c'est que l'Ecriture, confiée d'abord aux Juifs, nous le révèle à nous-mêmes ; et si Pilate, le représentant des Gentils, se lava les mains pendant que les Juifs demandaient la mort du Sauveur (4), c'est que le sang versé par eux nous sert pour nous purifier de nos péchés. Mais nous traiterons ailleurs, au temps même de la Passion, du témoignage que rendit Pilate en écrivant au haut de la croix que Jésus était le Roi des Juifs.
3. Achevons ce que nous avons encore à dire de la manifestation,ou, comme parlent les Grecs, de l'Epiphanie du Sauveur, lorsque après sa naissance il commença à se révéler aux Gentils et qu'il reçut les adorations des Mages. Nous ne saurions nous lasser de considérer comment les Juifs répondirent aux questions des Mages sur
1. Matt. VIII, 11, 12. 2. Rom, XI, 24. 4. Matt. II, 5. 5. Ib. XXVII, 24.
le lieu où devait naître le Christ, lorsqu'ils leur dirent que c'était « à Bethléem de Juda », sans néanmoins venir eux-mêmes vers lui; comment encore l'étoile reparut, quand les Mages eurent quitté les Juifs, et les conduisit jusqu'au lieu où était l'Enfant divin: n'était-ce pas faire entendre clairement qu'elle pouvait aussi bien leur indiquer la ville de Bethléem, et que si elle disparut un moment c'était pour les porter à s'adresser aux Juifs ? Si donc les Juifs furent interrogés, c'était pour enseigner qu'ils étaient dépositaires des divins oracles, moins pour leur propre salut que pour le salut et l'instruction des Gentils; et si ce peuple reste expulsé de son pays et dispersé dans le monde, c'est pour le forcer de rendre témoignage à la foi même dont il est l'ennemi. Sans temple, sans . sacrifice, sans sacerdoce, sans empire, quelques rites anciens lui suffisent pour maintenir son nom et sa nationalité, l'empêchent de disparaître en se confondant complètement avec les peuples parmi lesquels il est répandu, et de perdre le témoignage qu'il rend à la vérité. C'est Caïn recevant au front un signe qui empêche de le mettre à mort, quoique par orgueil et par envie il ait donné la mort au juste, son frère (1).
On peut, avec quelque vraisemblance, interpréter dans ce sens un passage du psaume cinquante-huitième, où le Christ dit au nom de son corps mystique : « Mon Dieu m'a dit, au sujet de mes ennemis : Ne les fais pas mourir, dans la crainte qu'on n'oublie un jour ta loi (2)». Ces ennemis de la foi chrétienne ne montrent-ils pas aux Gentils comment le Christ a été prédit? et envoyant avec quel éclat sont accomplies les prophéties, n'aurait-on pas été porté à croire qu'elles avaient été, après coup, fabriquées par les chrétiens ? Mais quand les Juifs déploient leurs exemplaires, c'est Dieu qui nous éclaire par le moyen de nos ennemis. En ne les mettant point à mort, en ne les faisant point disparaître complètement du globe, il préserve sa loi de l'oubli ; et quand les Juifs la lisent, quand ils en observent quelques points, d'une façon même purement charnelle, ne dirait-on pas qu'ils y cherchent leur condamnation et notre justification ?
1. Gen. IV, 1-15. 2. Ps. LVIII, 12.
SERMON CII. POUR L'ÉPIPHANIE. IV. UNITÉ DE L'ÉGLISE.
ANALYSE. C'est aujourd'hui que, représentants de la Gentilité, les Mages viennent, après les bergers juifs, s'unir à Jésus-Christ et fonder ainsi l'unité de lEglise. Aussi les Donatistes ne veulent pas de cette fête. C'est pourtant aujourd'hui que le Sauveur enlève glorieusement les dépouilles de Damas et de Samarie. S'il semble donner des marques de faiblesse, c'est pour nous enseigner l'humilité ; et s'il veut que les Mages interrogent les Juifs et retournent par un autre chemin, c'est pour nous rappeler la docilité à sa parole, ainsi que l'esprit de pénitence nécessaire aux vrais membres de son Eglise.
1. Quelle joie nous apporte, dans l'univers entier, la solennité de ce jour? Que nous rappelle le retour de cet anniversaire ? L'époque où nous sommes demande que je l'expose par ce discours, qui revient également chaque année.
Le mot grec Epiphanie peut se rendre dans notre langue par celui de manifestation. C'est à pareil jour en effet, croit-on, que les Mages sont venus adorer le Seigneur, avertis par l'apparition d'une étoile et conduits par sa marche. Le jour même de la nativité ils virent cette étoile en Orient et comprirent de qui elle annonçait l'avènement. A dater de ce jour jusqu'à celui-ci ils franchirent la distance, effrayèrent Hérode par la nouvelle qu'ils lui apprirent; et lorsque les Juifs interrogés par eux leur eurent répondu, d'après les prophéties de l'Écriture, ils surent que le Seigneur était né dans la ville de Bethléem. Conduits ensuite par la même étoile, ils arrivèrent près du Seigneur lui-même, après l'avoir reconnu ils l'adorèrent, lui offrirent de l'or, de l'encens et de la myrrhe, puis retournèrent par un autre chemin (1). Il est vrai, le jour même de sa naissance il se manifesta aux bergers qu'il fit avertir par un ange; le même jour encore il se fit annoncer, par l'étoile, au loin, en Orient, aux Mages; mais c'est aujourd'hui seulement qu'il a été adoré par eux. Si donc toute l'Église des Gentils a voulu célébrer ce jour avec une grande dévotion, n'est-ce point parce que les Mages étaient les prémices de la gentilité ? Les bergers étaient Israélites, les Mages Gentils; les premiers étaient près, les seconds éloignés;
1. Matt. IX, 1-12.
mais les uns comme les autres accoururent se joindre à la même pierre angulaire. « Ainsi en venant il a annoncé la paix, comme dit l'Apôtre, et à nous qui étions loin, et à ceux qui étaient près. Car c'est lui qui est notre paix, lui qui des deux en a fait un, lui qui les a établis tous deux en lui, pour fonder sur l'unité l'homme nouveau, pour mettre la paix; de plus il a changé ces deux peuples réunis en un seul corps, en les réconciliant avec Dieu et en détruisant leurs inimitiés dans sa propre personne (1) ».
2. On comprend pourquoi les Donatistes n'ont jamais voulu célébrer avec nous cette fête : ils n'aiment pas l'unité et ne sont pas en communion avec l'Église d'Orient, où se montra cette étoile. Pour nous, au contraire, honorons en demeurant dans l'unité catholique, ce jour où se révéla notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ, et où il recueillit en quelque sorte les prémices de la gentilité . N'est-ce pas alors que, selon l'oracle d'un prophète, avant de pouvoir bégayer encore les noms de son père et de sa mère (1) ; en d'autres termes, avant de pouvoir, comme fils de l'homme, articuler aucune parole humaine, il s'empara des dépouilles de Samarie et de la puissance de Damas, de ce qui faisait la gloire de cette ville? Jouissant, à une certaine époque, de ce que le monde appelle prospérité, Damas s'était enorgueillie de ses richesses. Mais les richesses sont représentées par l'or principalement, et les Mages offrirent avec humilité de l'or au Christ.
Quant aux dépouilles de Samarie, il faut entendre par là ceux qui l'habitaient; car
1. Ephés. II, 11-22. 2. Isaïe, VIII, 4.
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Samarie est ici l'emblème de l'idolâtrie, à laquelle s'était livré dans ses murs le peuple d'Israël en se séparant du Seigneur. Avant. donc de marcher, avec le glaive spirituel, contre le royaume du démon établi par tout l'univers, le Christ encore enfant enleva à sa domination ces premières dépouilles de l'idolâtrie; détachant les Mages de cette superstition contagieuse après les avoir déterminés à l'adorer lui-même; leur parlant du haut du ciel par le moyen d'une étoile, avant de parler sur la terre par l'organe humain de la pensée; leur apprenant en même temps, non par la bouche, mais par l'impression du Verbe fait chair, qui il était, dans quelle région et en faveur de qui il était venu au monde. Car ce même Verbe qui dès le commencement était Dieu en Dieu et qui venait de se faire chair pour habiter parmi nous, était en même temps près de nous et dans le sein de son Père, ne quittant point les anges dans le ciel, et sur la terre nous attirant à lui par le moyen des anges; faisant, par son Verbe, briller l'immuable vérité aux peux des habitants des cieux, et obligé, par l'étroitesse de l'étable, de demeurer couché dans une crèche; montrant dans le ciel une étoile nouvelle, et se présentant lui-même aux adorations de la terre.
Et néanmoins cet Enfant si puissant, ce Petit si grand, s'enfuit en Egypte porté sur les bras de ses parents, pour échapper à l'inimitié d'Hérode. Ainsi disait-il à ses membres, non par ses paroles, mais par ses actions et en gardant le silence : « Si on vous persécute dans une ville, fuyez dans une autre (1) ». Pour nous servir en effet de modèle, ne s'était-il point revêtu d'une chair mortelle, d'une chair où il devait souffrir pour nous la mort au temps convenable ? Aussi les Mages lui avaient-ils offert, non-seulement de l'or pour l'honorer et de l'encens pour l'adorer, mais encore de la myrrhe pour témoigner qu'on devait l'ensevelir un jour..Il fit voir aussi, dans la personne ès petits enfants mis à mort par Hérode, ce que devaient être, quelle innocence et. quelle humilité devaient avoir ceux qui mourraient pour sa gloire. Car les deux ans qu'ils avaient rappellent les deux commandements qui comprennent toute la Loi et les Prophètes (2).
3. Mais qui ne se demande avec surprise pourquoi les Juifs, questionnés par les Mages,
1. Matt. X, 23. 2. Matt. XXII, 37-40.
leur firent connaître d'après l'Ecriture en quel lieu devait naître le Christ, sans aller l'adorer avec eux? Ce phénomène ne se reproduit-il pas encore aujourd'hui sous nos yeux, puisque les pratiques religieuses auxquelles se soumettent ces coeurs durs ne prêchent que le Christ en qui ils refusent de croire ? Quand aussi ils immolent et mangent l'Agneau pascal (1), ne montrent-ils pas le Christ.aux Gentils, sans pourtant l'adorer avec eux ? Et quand rencontrant des hommes qui se demandent si les passages des Prophètes relatifs au Christ n'ont pas été composés après coup par des chrétiens, nous les renvoyons aux exemplaires que les Juifs ont en main, afin de dissiper leur doute ; alors encore n'est-ce pas les Juifs qui montrent le Christ aux Gentils sans vouloir l'adorer avec eux ?
4. Pour nous, mes biens-aimés, dont les Mages étaient comme les prémices ; pour nous qui sommes l'héritage de Jésus-Christ jus qu'aux extrémités de la terre ; pour nous en faveur de qui une partie d'Israël est tombée dans l'aveuglement jusqu'à ce que soit entrée la plénitude des Gentils (2) ; pour nous qui connaissons notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ, et qui savons qu'afin de nous consoler il a été jeté dans un étroit réduit et qu'il trône au ciel pour nous élever jusqu'à lui ; ayons soin, en le prêchant sur cette terre, dans ce pays où vit notre corps, de ne pas repasser par où nous sommes venus, de ne pas reprendre les traces de notre première vie. Voilà pourquoi les Mages ne retournèrent point par le chemin qui les avait amenés. Changer de chemin, c'est changer de vie. A nous aussi les cieux ont raconté la gloire de Dieu (3) ; nous aussi nous avons été amenés à adorer le Christ par la vérité qui brille dans l'Evangile, comme brillait l'étoile dans le ciel ; nous aussi nous avons prêté une oreille docile aux prophéties publiées par les Juifs, au témoignage rendu par ces Juifs qui ne marchent pas avec nous ; nous aussi nous avons vu dans le Christ notre Roi, notre Pontife et la victime immolée pour nous, et nos louanges ont été pour lui comme une offrande d'or, d'encens et de myrrhe: il ne nous reste donc plus qu'à suivre un chemin nouveau, pour publier sa gloire, qu'à ne retourner point par où nous sommes venus.
1. Exod. XII, 9. 2. Rom. XI, 25. 3. Ps. XVIII, 2.
SERMON CCIII. POUR LÉPIPHANIE. V. LHUMILITÉ.
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ANALYSE. C'est à pareil jour que les Gentils ont commencé à devenir chrétiens. Si les Juifs ont eu le privilège d'avoir été appelés les premiers à cette grâce, les Gentils semblent, d'après lEcriture, y avoir apporté une humilité plus profonde, et la douze jours qui se sont écoulés entre la naissance du Sauveur et l'adoration des Mages, paraissent désigner que les Gentils devaient se convertir dans le monde entier.
1. Le mot Epiphanie, qui vient du grec, peut se traduire par manifestation. C'est donc pour s'être aujourd'hui manifesté aux Gentils que le Rédempteur de tous les Gentils a établi cette fête pour la Gentilité tout entière ; et après avoir, il y a quelques jours, célébré sa naissance, nous célébrons aujourd'hui sa manifestation. Né il y à treize jours, Jésus-Christ Notre-Seigneur à été aujourd'hui même, dit la tradition, adoré par les Mages. L'adoration a eu lieu, nous en avons pour garant la vérité évangélique ; quel jour a-t-elle eu lieu ? Une fête aussi solennelle le proclame partout avec autorité. Puisque les Mages ont connu, les premiers d'entre les Gentils, Jésus-Christ Notre-Seigneur; puisque, sans avoir encore entendu sa parole, ils ont suivi l'étoile qui leur a apparu (1), et dont l'éloquence céleste et visible leur a tenu lieu de la parole du Verbe encore enfant; ne semblait-il pas, n'était-il pas véritablement juste que les Gentils vissent avec reconnaissance le jour où fut accordée la grâce du salut aux premiers d'entre eux, et qu'ils le consacrassent à Notre-Seigneur Jésus-Christ pour le remercier et le servir solennellement? Les premiers d'entre les Juifs qui furent appelés à la foi et à la connaissance du Christ, sont ces pasteurs qui le jour même de sa naissance vinrent de près le contempler. Ils y furent invités par les Anges, comme les Mages par une étoile. Il leur fut dit : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux (2)» ; et pour les Mages s'accomplit cet oracle : « Les cieux racontent la gloire de Dieu (3) ». Les uns et les autres, toutefois, furent comme les premières pierres de ces deux murs de direction différente, la
1. Matt. II, 1-12. 2. Luc, II, 14. 3. Ps. XVIII, 2.
circoncision et l'incirconcision ; ils coururent se réunir à la pierre angulaire, afin d'y trouver la paix et de se confondre dans l'unité (1).
Cependant les premiers louèrent Dieu de ce qu'ils avaient vu le Christ, et non contents d'avoir vu le Christ les seconds l'adorèrent, Les uns furent appelés les premiers à la grâce, les autres montrèrent une humilité plus pro. fonde. Ne dirait-on pas que moins coupables les bergers ressentaient une joie plus vive du salut qui leur venait du ciel, tandis que plus chargés de crimes les Mages imploraient plus humblement le pardon? Aussi les divines Ecritures montrent-elles dans les Gentils plus d'humilité que dans les Juifs. N'était-il pas gentil ce centurion qui après avoir fait au Seigneur un accueil si cordial, se proclama indigne de le recevoir dans sa demeure, ne voulut pas qu'il y vînt voir son serviteur malade, mais seulement qu'il décrétât sa guérison (2) , le retenant ainsi dans son coeur, quand pour l'honorer davantage il l'éloignait de sa demeure? Aussi le Seigneur s'écria-t-il: « Je n'ai pas découvert une telle foi en Israël ». N'était-elle pas une gentille aussi, cette Chananéenne qui après avoir entendu le Seigneur la traiter de chienne, et déclarer qu'elle n'était pas digne qu'on lui jetât le pain des enfants, ne laissa pas de demander les miettes qu'on ne refuse pas à une chienne, méritant ainsi de n'être plus ce qu'elle ne nia point avoir été? Elle aussi entendit le Seigneur s'écrier « O femme, que ta foi est grande (3) » Oui, parce qu'elle s'était rapetissée elle-même, l'humilité avait agrandi sa foi.
1. Ephés. II, 11-22. 2. Matt. VIII, 5-10. 3. Ib. XV, 21-28.
3. Ainsi donc les bergers viennent de près voir le Christ, et les Mages viennent de loin l'adorer. Cette humilité a mérité au sauvageon d'être greffé sur l'olivier franc et, contre sa nature, de produire des olives véritables (1); la grâce changeant ainsi la nature. Le monde entier était couvert de ces sauvageons amers; et une fois greffé par la grâce le monde entier s'est adouci et éclairé. Des extrémités de la terre accourent des hommes qui disent avec Jérémie: « Il n'est que trop vrai, nos pères ont adoré le mensonge (2) ». Et ils viennent, non pas d'un côté seulement, mais comme l'enseigne l'Evangile de saint Luc, « de l'Orient cet de l'Occident, du Nord et du Midi », pour prendre place avec Abraham, Isaac et Jacob, au festin du royaume des cieux (3).
Ainsi c'est des quatre points cardinaux que à grâce de la Trinité appelle à la foi l'univers entier. Or ce nombre quatre multiplié par unis, est le nombre sacré des douze Apôtres, lesquels paraissaient figurer ainsi que le salut serait accordé aux quatre parties du monde
1. Rom. XI, 17. 2. Jér. XVI, 19. 3. Luc, XIII, 29.
par la grâce de l'auguste Trinité. Ce nombre était marqué aussi par cette nappe immense que saint Pierre aperçut remplie de toutes sortes d'animaux (1), représentant tous les Gentils. Suspendue aux quatre coins elle fut à trois reprises descendue du ciel puis remontée : trois fois quatre font douze. Ne serait-ce pas pour ce motif que durant les douze jours qui suivirent la naissance du Seigneur, les Mages, les prémices de la Gentilité, furent en marche pour aller voir et adorer le Christ, et méritèrent d'être sauvés eux-mêmes ainsi que d'être le type du salut de tous les Gentils ?
Ah ! célébrons donc ce jour encore avec la plus ardente dévotion ; si nos pères dans la foi ont adoré le Seigneur Jésus couché dans un humble réduit, nous aussi adorons-le maintenant qu'il habite au ciel. Car cette gloire que les Mages saluaient dans l'avenir, nous la voyons dans le présent. Les prémices des Gentils adoraient l'Enfant attaché au sein de sa Mère; les Gentils adorent aujourd'hui le Triomphateur siégeant à la droite de Dieu son Père.
1. Act. X, 11.
SERMON CCIV. POUR LÉPIPHANIE. VI. LA PIERRE ANGULAIRE.
ANALYSE . Déjà le jour même de Noël les Juifs s'étaient attachés au Sauveur; c'est aujourd'hui le tour des Gentils, représentés par les Mages. Ainsi s'accomplit la prophétie qui montre Jésus-Christ comme la pierre angulaire où viennent s'unir les Juifs et les Gentils. S'il est dit que les Juifs ont rejeté cette pierre, c'est qu'il y avait au sein de ce peuple deux partis figurés par le patriarche Jacob, que l'Ecriture nous représente comme étant à la fois boîteux et comblé des bénédictions divines.
1. Nous célébrions, il y a quelques jours, la naissance du Seigneur ; nous célébrons aujourd'hui son Epiphanie, expression d'étymologie grecque qui signifie manifestation, et qui rappelle ces mots de l'Apôtre : « Il est grand sans aucun doute le mystère de piété qui s'est manifesté dans la chair (1) ». Il y a donc deux jours où le. Christ s'est manifesté.
Dans l'un il a quitté, comme homme, le sein de sa Mère, lui qui est éternellement, comme Dieu, dans le sein de son Père. C'est à la chair qu'il s'est montré alors, puisque la chair ne pouvait le voir dans sa nature spirituelle. Au jour donc de sa naissance il a été contemplé par, des bergers de la Judée ; et aujourd'hui, le jour de son Epiphanie ou de sa manifestation, il a été adoré par des Mages de la Gentilité. Aux uns il fut annoncé par des anges, aux
1. I Tim. III, 16.
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autres par une étoile; et comme les anges habitent le ciel et que les astres en sont l'ornement, on peut dire qu'aux bergers et aux Mages les cieux ont raconté la gloire de Dieu.
2. C'est que pour les uns et les autres venait d'apparaître la pierre angulaire, « afin de fonder sur elle, comme s'exprime l'Apôtre, les deux peuples dans l'unité de l'homme nouveau, d'établir la paix, de les changer tous deux en les réconciliant avec Dieu par le mérite de la croix, pour en former un seul corps ».. Qu'est-ce en effet qu'un angle, sinon ce qui sert à lier deux murs qui viennent de directions différentes et qui se donnent là comme le baiser de paix ? La circoncision et l'incirconcision; en d'autres termes, les Juifs et les Gentils étaient ennemis entre eux, à cause de la diversité, de l'opposition même qu'établissaient, d'une part le culte du seul vrai Dieu, et d'autre part le culte d'une multitude de faux dieux. Ainsi les uns étaient rapprochés, les autres éloignés de lui; mais il a attiré à lui les uns comme les autres « en les réconciliant avec Dieu pour former un seul corps, détruisant en lui-même leurs inimitiés,comme ajoute immédiatement l'Apôtre. Il a aussi, en venant, annoncé la paix et à vous qui étiez éloignés, et à ceux qui étaient près de lui ; car c'est par lui que nous avons accès les uns et les autres auprès du Père dans un même Esprit (1) ».
N'est-ce pas mettre en quelque sorte sous nos yeux ces deux murs qui partent de points opposés et ennemis; puis cette pierre angulaire, Jésus Notre-Seigneur, auquel se rattachent les deux ennemis et en qui ils font la paix? Je veux parler ici des Juifs et des Gentils qui ont cru en lui et à qui il semble qu'on ait dit : Et vous qui êtes près, et vous qui êtes loin, « approchez de lui, et soyez éclairés , et vous n'aurez point la face couverte de confusion ». Il est écrit d'ailleurs : « Voici que je pose en Sion une pierre angulaire, choisie, précieuse; et quiconque aura foi en elle ne sera point confondu (3) ». Les coeurs dociles et soumis sont venus des deux côtés, ils ont fait la paix et mis fin à leurs inimitiés; les bergers et les Mages ont été comme les prémices de ce mouvement. C'est en eux que le boeuf a commencé à connaître son maître et l'âne l'étable de son Seigneur (4). Celui de ces
1. Ephés. XI, 11-22. 2. Ps. XXXIII, 6. 3. I Pierre, II, 6. 4. Isaïe, I, 3.
deux animaux. qui a des cornes représente les Juifs, à cause des deux branches de la croix qu'ils ont préparée au Sauveur; et celui qui a de longues oreilles rappelle les Gentils desquels une prophétie disait : « Le peuple que je ne connaissais point m'a obéi, il m'a prêté une oreille docile (1) ». Quant au Maitre du boeuf et de l'âne, il était couché dans la crèche et semblait servir aux deux animaux une même nourriture. C'était donc la paix et pour ceux qui étaient loin et pour ceux qui étaient près. Aussi les bergers d'Israël, qui étaient tout près, se présentèrent au Christ le jour même de sa naissance, ils le virent et tressaillirent de bonheur ce jour-là. Plus éloignés, les Mages de la Gentilité n'arrivèrent à lui qu'aujourd'hui, plusieurs jours après sa naissance ; aujourd'hui seulement ils le virent et l'adorèrent. Ne devions-nous donc pas, nous qui sommes l'Eglise recrutée parmi les Gentils, célébrer solennellement ce jour où la Christ s'est manifesté aux prémices de la Gentilité, comme nous célébrons solennellement aussi cet autre jour où il est né parmi les Juifs, et consacrer par une double fête la mémoire de si imposants mystères?
3. Quand on se rappelle ces deux murailles de la Judée et de la Gentilité qui viennent s'unir à la pierre angulaire pour y conserver l'unité d'esprit dans le lien de la paix (2), on ne doit pas s'étonner de voir le grand nombre des Juifs réprouvés. Parmi eux étaient des architectes, c'est-à-dire des hommes qui prétendaient être docteurs de la loi; mais, comme s'exprime l'Apôtre, « ils ne comprenaient ni ce qu'ils disaient, ni ce qu'ils affirmaient (3) », Cet aveuglement d'esprit leur fit rejeter la pierre placée au sommet de l'angle (4); cette pierre, néanmoins, ne serait pas la pierre angulaire si par le ciment de la grâce elle n'unissait dans la paix les deux peuples d'abord opposés. Ne voyez donc point dans la muraille formée par Israël les persécuteurs et les assassins du Christ, ces hommes qui ont renversé la foi sous prétexte d'affermir la loi, qui ont rejeté la pierre angulaire et attiré la ruine de leur infortunée patrie. Ne pensez pas à ces Juifs répandus en si grand nombre dans tout pays pour rendre témoignage aux saints livres qu'ils portent partout sans les comprendre. Ils sont pour ainsi dire la jambe boiteuse de
1. Ps. XVII, 45. 2. Ephés. IV, 3. 3. I Tim. I, 7. 4. Ps. CXVII, 22
Jacob; car ce patriarche eut la jambe blessée et comme paralysée (1), pour figurer d'avance la multitude de ses descendants qui s'écarteraient de ses voies. Voyez au contraire, dans la sainte muraille formée par leur nation pour s'unir à la pierre angulaire, ceux qui représentent la personne génie de Jacob; car Jacob était à la fois boiteux et béni; boiteux pour désigner les réprouvés, béni pour figurer les saints. Voyez donc dans cette sainte muraille la foule qui précédait et qui suivait l'âne monté par le Sauveur, en s'écriant : « Béni Celui qui vient au nom du Seigneur (2) ». Pensez aux disciples choisis parmi ce peuple et devenus les Apôtres. Pensez à Étienne, dont le nom grec signifie couronne et qui reçut le premier, après la Résurrection, la couronne du martyre. Pensez à tant de milliers d'hommes
1. Gen. XXXII, 25. 2. Matt. XXI, 9.
qui sortirent des rangs des persécuteurs, après la descente du Saint-Esprit, pour devenir des croyants. Pensez à ces églises dont l'Apôtre parle ainsi : « J'étais inconnu de visage aux églises de Judée attachées au Christ. Seulement elles avaient ouï dire : Celui qui autrefois nous persécutait annonce maintenant la foi qu'il s'efforçait alors de détruire ; et elles glorifiaient Dieu à mon sujet (1)».
Telle est l'idée qu'il faut se former de la muraille d'Israël pour la rapprocher de cette muraille de la Gentilité qui se voit partout; on comprendra ainsi que ce n'est pas sans raison que les Prophètes ont représenté d'avance Notre-Seigneur comme la pierre angulaire. de l'étable où elle fut posée d'abord, cette pierre s'est élevée jusqu'au haut des cieux.
1. Galat. I, 22-24.
SERMON CCV. POUR LE CARÊME. I. LE CRUCIFIEMENT CHRÉTIEN.
ANALYSE. Le chrétien doit en tout temps crucifier ses vices et ses convoitises , être attaché à la croix avec Jésus-Christ pour ne tomber pas dans la boue ; mais c'est surtout en carême qu'il doit se crucifier de la sorte. Bonnes oeuvres spéciales et détaillées auxquelles saint Augustin demande qu'on se livre. Indications intéressantes pour la discipline et les moeurs de l'antichrétienne.
1. Voici, aujourd'hui même, le retour solennel des observances quadragésimales, et aujourd'hui encore nous devons, comme chaque année, vous adresser la parole. Nourris ainsi par notre ministère d'un aliment spirituel et divin pendant que vous pratiquerez le jeûne corporel, votre coeur pourra livrer le corps à la mortification extérieure et en supporter le travail avec plus d'énergie.
La piété même ne demande-t-elle pas de nous qu'à la veille de célébrer la Passion et le crucifiement de Notre-Seigneur, nous nous fassions à nous-mêmes une croix pour y attacher les passions charnelles? « Ceux qui appartiennent à Jésus-Christ, dit l'Apôtre, ont crucifié leur chair avec ses passions et ses convoitises (1) ». Il est vrai que durant tout le cours de cette vie, harcelée par des tentations continuelles, le chrétien doit être constamment attaché à la croix; jamais il n'y a de moment pour arracher les clous dont il est dit dans un psaume: « Que votre crainte enfonce ses clous dans mes chairs (2)». Les chairs sont ici les convoitises charnelles; les clous désignent les préceptes de justice que fait pénétrer en nous la crainte de Dieu, en nous attachant à la croix
1. Gal. V, 24. 2. Ps. CXVIII, 120.
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comme une hostie agréable au Seigneur. Aussi le même Apôtre disait-il encore : « Je vous conjure donc, mes frères, par la miséricorde de Dieu, d'offrir vos corps en hostie vivante, sainte, agréable à Dieu (1) ». Telle est la croix dont le serviteur de Dieu se glorifie, au lieu d'en rougir. « Loin de moi, s'écrie-t-il, de me glorifier, sinon de la croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui le monde est crucifié pour moi, comme je le suis pour le monde (2)». A cette croix dont nous devons rester attachés, non l'espace de quarante jours, mais toute notre vie : car ce nombre mystérieux de quarante jours la désigne dans toute son étendue; soit parce qu'avant de vivre l'homme est quarante jours, selon l'opinion de plusieurs, à s'organiser dans le sein maternel; soit parce que les quatre Evangiles sont en accord parfait avec les dix préceptes de la loi, et que l'union de ces deux nombres dans le nombre quarante montre que nous avons besoin, durant le cours de cette vie, de l'un et de l'autre Testament; soit enfin pour d'autres raisons meilleures que saura découvrir un esprit plus pénétrant et plus clairvoyant. Aussi Moïse, Elie et le Seigneur lui-même ont jeûné quarante jours. C'était pour nous faire entendre que le but poursuivi par Moïse, par Elie et par Jésus-Christ, c'est-à-dire par la Loi, par les Prophètes et par l'Evangile, est de nous éloigner de l'imitation et de l'amour du siècle, de nous porter à crucifier en nous le vieil homme, sans nous laisser aller aux excès de table et à l'ivrognerie, aux dissolutions et aux impudicités, à l'esprit de contention et à l'envie; de nous déterminer à nous revêtir du Seigneur Jésus-Christ, sans chercher à contenter la chair dans ses convoitises (3).
C'est ainsi qu'il te faut vivre toujours, chrétien ; si tu ne veux point te laisser prendre les pieds dans la boue dont la terre est couverte, garde-toi de descendre de la croix; et si tu dois y rester pendant toute ta vie, à combien plus forte raison durant ce temps de Carême, lequel est non-seulement une partie de la vie, mais le symbole de la vie.
2. En tout autre temps ne laissez appesantir vos coeurs ni par la crapule ni par l'ivresse; mais dans celui-ci pratiquez encore le jeûne. En tout autre temps évitez l'adultère, la fornication et tous les plaisirs défendus; dans celui-ci
1. Rom. XII, 1. 2. Gal. VI, 14. 3. Rom. XIII, 13, 14. 4. Luc, XXI, 34.
ci, abstenez-vous même de vos épouses. Ce que vous vous retranchez par le jeûne, ajoutez-le à vos bonnes oeuvres ordinaires en en faisant des aumônes. Employez à la prière le temps que vous passez à rendre. le devoir conjugal. Au lieu de s'efféminer dans des affections charnelles, que le corps se prosterne pour s'appliquer aux supplications qui purifient. Qu'on étende pour prier les mains qui se croisaient pour embrasser.
Quant à vous qui jeûnez dans les autres temps, maintenant jeûnez encore plus. Vous qui d'ordinaire crucifiez vos corps par une continence perpétuelle, appliquez-vous en ce moment à implorer votre Dieu plus fréquemment et avec plus de ferveur. Vivez tous avec un plein accord, soyez tous fidèles l'un à lautre, embrasés durant ce pèlerinage du saint désir de la patrie et brûlants d'amour. Que l'un n'envie pas à l'autre, ni ne tourne en dérision les faveurs divines qu'il ne possède pas lui-même. En fait de dons spirituels regarde comme à toi ce que tu aimes dans ton frère, et qu'à son tour il regarde comme sien ce qu'il aime en toi. Que sous prétexte d'abstinence on se garde de changer ses plaisirs plutôt que d'y renoncer, en se procurant soit des aliments recherchés, en place de la chair dont on s'abstient, soit des boissons rares, au lieu du vin dont on se prive: ne serait-ce pas favoriser la volupté quand il s'agit de dompter la chair? Sans doute, pour ceux qui sont purs tous les aliments le sont ; mais il n'est personne pour qui la sensualité le soit.
3. Surtout, mes frères, abstenez-vous des querelles et des discordes. Souvenez-vous de ces vifs reproches adressés par un prophète; « On vous voit, quand vous jeûnez, suivre vos penchants, frapper et meurtrir de coups ceux qui portent votre joug ; on vous entend crier sans cesse (1) ». Après d'autres reproches de même nature, il ajoute : « Tel n'est pas le jeûne qui me plait, dit le Seigneur ». Voulez-vous crier? Poussez souvent le cri dont il est dit: « J'ai crié vers le Seigneur (2)». Car ce cri ne ressent pas l'amertume, mais la charité ; ce n'est pas le cri de la bouche, mais le cri du coeur ; ce n'est pas un cri semblable à cet autre: « J'attendais qu'il accomplit la justice, et il a fait liniquité; au lieu d'être juste il a crié (3) » .
1. Isaïe, LVIII, 3-5. 2. Ps. CXLI, 2. 3. Isaïe, V, 7.
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« Pardonnez, et on vous pardonnera; donnez et on vous donnera (1) ». Telles sont les deux des ailes sur lesquelles la prière s'élève jusqu'à Dieu : pardonner à qui nous offense, et donner à qui est dans le besoin.
1. Luc, VI, 37
source: http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin/index.htm