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Saint Augustin d'Hippone
Sermons

SERMON CCXI. POUR LE CARÊME. VII. DU PARDON DES INJURES.
 

ANALYSE. — Le temps même où nous sommes nous invite à vivre en paix: avec nos frères et à leur pardonner leurs torts. Comment prier, comment se mettre en face de ce que dit l'Ecriture coutre. ceux qui conservent de la haine, si on ne pardonne pas? — Je voudrais pardonner, mais lui ne veut pas de réconciliation ? C'est son malheur et ce n'est plus ta faute. — Je voudrais pardonner, mais lui ne veut pas me demander pardon ? Remarque qu'il ne doit pas te le demander s'il ne t'a point offensé ; s'il est ton supérieur, s'il a à craindre de te nuire et de t'inspirer de l'orgueil en te demandant pardon , il doit te faire, sentir autrement, comme par quelques paroles bienveillantes, qu'il se repent de t'avoir manqué. Supposons maintenant qu'il te doive demander pardon et qu'il ne le fasse pas; comme tu es très-sincèrement disposé à le lui accorder, tu, n'es pas répréhensible. — Beaux exemples de pardon que nous donne Jésus-Christ !

 

1. Ces saints jours que nous consacrons à l'observation du Carême, nous invitent à vous entretenir de l'union fraternelle, à vous engager d'en finir avec les ressentiments que vous pouvez avoir contre autrui, pour qu'on n'en finisse pas avec vous.

Gardez-vous de dédaigner ceci, mes frères. Cette vie fragile et mortelle, cette vie qui rencontre tant d'écueils et de tentations dans ce monde et qui demande la grâce de ne pas sombrer, ne peut, hélas ! rester exempte de quelques péchés, dans les justes eux-mêmes. Il n'y a donc pour la préserver qu'un seul moyen, c'est celui que nous a indiqué Dieu notre Maître en nous ordonnant de dire dans la prière: « Remettez-nous nos offenses comme nous remettons nous-mêmes à ceux qui nous ont offensés (1) ». Nous avons fait un pacte, un contrat avec le Seigneur; nous avons apposé notre signature sur l'acte qui dit à quelle condition il nous pardonnera nos fautes. Avec pleine. confiance nous lui demandons de nous pardonner, si nous pardonnons nous-mêmes. Si donc nous ne pardonnons pas, ne croyons

 

1. Matt. VI, 12.

 

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pas qu'il nous pardonne, ce serait nous abuser. Que nul ne se trompe ici, car ce n'est pas Dieu qui trompe qui que ce soit.

La colère est une faiblesse attachée à l'humanité ; puissions-nous toutefois en être exempts 1 C'est donc une faiblesse attachée à l'humanité, et en naissant elle est comme un petit germe sortant de terre ; mais prends garde de l'arroser de soupçons, elle serait bientôt de la haine, le germe deviendrait un gros arbre. La haine est effectivement différente de la colère. On voit souvent un père se fâcher contre son fils sans le haïr; il veut, dans sa colère, simplement le corriger. Or, s'il se fâche pour corriger, c'est en quelque sorte l'amour qui inspire sa colère. Aussi bien est-il dit: « Tu vois le fétu dans l'oeil de ton frère; mais dans le tien tu ne vois pas la poutre (1) ». Tu condamnes la colère d'un tel, et tu conserves de la haine en toi-même. Comparée à la haine, la colère est comme un fétu ; mais en le nourrissant, tu en feras une poutre, au lieu qu'il. n'en serait plus question si tu l'arrachais pour le jeter au loin.

2. Si vous étiez attentifs à la lecture de l'Epître, vous avez dû être effrayés d'une pensée de saint Jean. « Les ténèbres sont passées, dit-il, déjà luit la vraie lumière». Puis il ajoute : « Celui qui se prétend dans la lumière, tout en baissant son frère, est encore dans les ténèbres (2) ». Ne croira-t-on pas que ces ténèbres sont de la nature des ténèbres auxquelles sont condamnés les prisonniers? Ah ! si elles n'étaient que cela ! Personne cependant ne recherche ces dernières; et l'on peut y jeter . les innocents aussi bien que les coupables, puisque les martyrs y ont été enfermés. Oui, ils étaient de toutes parts environnés par ces ténèbres, mais une lumière secrète brillait dans leurs coeurs. Leurs yeux étaient plongés dans l'obscurité, mais l'amour de leurs frères leur permettait de voir Dieu-. Veux-tu savoir de quelle nature sont ces ténèbres dont il est parlé dans ces mots: « Celui qui hait son frère est encore dans les ténèbres? » Le même Apôtre dit ailleurs : « Celui qui hait son frère est un homicide (3) ». Cet homme haineux se met en mouvement, il sort, il rentre, il voyage, il ne paraît ni chargé de chaînes, ni enfermé dans un cachot; mais il est lié par le crime. Ne t'imagine point qu'il ne soit pas en

 

1. Matt. VI, 3. — 2.  I Jean, II, 8, 9. — 3. I Jean, III,15.

 

prison ; son coeur est son cachot. Afin donc d'écarter toute idée d'indifférence pour les ténèbres dont il dit: «Celui qui hait son frère est encore dans les ténèbres », l'Apôtre ajoute : « Celui qui hait son frère est homicide ». Toi, tu hais ton frère et tu voyages tranquillement ! Quoique Dieu t'en donne le moyen, tu refuses de te réconcilier avec lui ! Tu es donc homicide, et pourtant tu vis encore ! Si Dieu se vengeait, tu serais emporté soudain avec ta haine contre ton frère. Mais Dieu t'épargne encore, épargne-toi aussi et te ré. concilie.

Le voudrais-tu sans que ton frère le voulût? C'est assez pour toi. Tu as, hélas ! un motif de le plaindre; mais toi, tu es dégagé; et quoi. qu'il refuse la réconciliation, dès que tu la veux, tu peux dire tranquillement : « Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons nous-mêmes à ceux qui nous ont offensés ».

3. C'est toi peut-être qui lui as manqué; tu voudrais faire la paix , tu voudrais lui dire : Pardonne-moi, frère, mes torts contre toi. Mais lui ne veut point pardonner, il ne veut rien quitter ; il refuse de te remettre ce que tu lui dois. Qu'il ouvre donc les yeux quand il devra prier. Cet homme qui refuse de te remettre ce que tu peux lui devoir, comment se tirera-t-il d'embarras quand viendra pour lui le moment de prier ? Qu'il dise d'abord: « Notre Père qui êtes aux cieux ». Ensuite: « Que votre nom soit sanctifié ». Ensuite encore: « Que votre règne arrive ». Continue: «Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel ». Poursuis : « Donnez-nous aujourd'hui notre pain de chaque jour ». C'est bien: mais ne voudras-tu point passer par-dessus ce qui suit, y substituer autre chose ? pas moyen de passer, te voici arrêté. Dis donc encore, dis sincèrement; ou plutôt, si tu n'as pas de motif de prononcer ces paroles: « Pardonnez-nous nos offenses » , ne les prononce pas. Que devient toutefois cet oracle de l'Apôtre : « Si nous prétendons être sans péché, nous nous séduisons nous-mêmes et la vérité n'est point en nous (1)». Si donc ta conscience te reproche des fragilités et si de toutes parts abonde l'iniquité dans ce siècle, dis sincèrement: «Pardonnez-nous nos offenses » ; mais remarque ce qui suit. Comment ! tu as refusé de par

 

1. I Jean, I, 8.

 

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donner à ton frère et tu vas dire : « Comme nous pardonnons nous-mêmes à ceux qui nous ont offensés (1) ? » Ne diras-tu pas cela ? Alors tu n'obtiendras pas. Le diras-tu ? Ce sera mentir. Dis-le plutôt et dis-le sincèrement. Comment le dire sincèrement après avoir refusé de remettre le tort à ton frère ?

4. Je viens donc d'avertir ce malheureux; et maintenant je reviens à toi pour te consoler, à toi qui que tu sois, si cependant il en est ici, qui as dit à ton frère : Pardonne-moi cette offense envers toi. Je suppose donc que tu as dit cela de tout ton coeur, avec une humilité vraie, avec une charité sincère, que tu. n'as dit que ce que voit dans ton âme le regard de Dieu, et que néanmoins on t'a refusé le pardon demandé, eh l bien ne t'inquiète pas: toi et ton frère vous êtes des serviteurs, vous avez un Maître commun ; tu dois à ton frère et il ne veut pas te tenir quitte, adresse-toi au Maître de tous deux; une fois que ce Maître t'aura donné quittance, que pourra exiger de toi son serviteur ?

Voici autre chose. A celui qui refuse le pardon que lui demande son frère, j'ai donné l'avis de surmonter sa répugnance, attendu qu'en priant il n'obtiendrait pas lui-même ce qu'il désire. J'ai parlé aussi à celui qui, sans l’obtenir, a demandé à son frère le pardon de sa faute; je lui ai dit que s'il n'a pas obtenu de son frère, il peut compter sur son Dieu. J'ai à dire encore autre chose :Ton frère a-t-il péché contre toi et refuse-t-il de t'adresser ces mots Pardonne-moi mes torts ? Combien de fois ne rencontre-t-on point ce cas ? Ah : si Dieu voulait arracher cette plante de son champ, ce sentiment de vos coeurs ! Combien n'en est-il pas qui ont la conscience d'avoir manqué à leurs frères et qui refusent de prononcer ces mots: Pardonne-moi ! Hélas ! ils n'ont pas rougi de pécher, et ils rougissent de demander; ils n'ont pas rougi de commettre l'iniquité, et ils rougissent de pratiquer l'humilité ?

C'est à eux que je m'adresse d'abord. Vous donc qui êtes en discorde avec vos frères, vous qui en vous recueillant, en vous examinant, en vous jugeant selon la vérité et au fond du coeur, reconnaissez que vous auriez dû ne faire ni ne dire ce que vous avez dit ou fait, demandez pardon à vos frères, représentez-leur cette recommandation de l'Apôtre : « Vous pardonnant

 

1. Matt. VI, 9-12.

 

les uns aux autres, comme Dieu même nous a pardonnés en Jésus-Christ (1) »; allez, ne rougissez pas de demander grâce. C'est à tous que je dis ceci, aux hommes et aux femmes, aux petits et aux grands, aux laïques et aux ecclésiastiques : je me le dis également à moi-même. Tous, prêtons l'oreille, craignons tous. Oui, si nous avons manqué à nos frères, et que la mort nous accorde encore quelque délai, nous ne sommes point perdus; nous ne le sommes point, puisque nous vivons et que nous ne sommes point encore au nombre des réprouvés; eh bien l puisque nous sommes encore en vie, faisons ce que nous ordonne notre Père, lequel se montrera bientôt notre Dieu et notre juge, et demandons pardon à ceux de nos frères que nous pouvons avoir offensés ou blessés en leur manquant de quelque manière.

Il y a toutefois des personnes d'humble condition dans ce monde, qui s'enorgueilliraient si on leur demandait pardon. Ainsi un maître manque à son serviteur; il lui manque, car s'il est maître et l'autre serviteur, ils n'en sont pas moins tous deux serviteurs d'un autre maître, puisque tous deux sont rachetés au prix du sang de Jésus-Christ. On semblerait toutefois bien sévère envers le maître à qui il serait arrivé de manquer à son serviteur en le grondant ou en le frappant injustement, si on lui imposait l'obligation de dire : Use d'indulgence, pardonne-moi. Sans doute il doit le faire, mais il est à craindre que le serviteur ne commence à s'enfler d'orgueil. Que faire alors? Que le maître se repente devant Dieu, qu'il se punisse intérieurement devant Dieu; et s'il ne peut, s'il ne doit pas dire à son serviteur: Fais-moi grâce, qu'il lui parle avec douceur. Un doux langage est quelquefois une demande de pardon.

5. Il me reste à adresser la parole. à ceux qui ont été offensés et à qui on a refusé de demander pardon. J'ai dit ma pensée à ceux qui ont refusé ce pardon quand on l'implorait; mais aujourd'hui, dans ce saint temps où je vous presse tous de ne laisser subsister rien de vos discordes, il me semble qu'à plusieurs d'entre vous s'est présentée une pensée secrète. Vous savez donc qu'il y a entre vous et vos frères quelques sujets de discordes ; mais vous êtes convaincus que l'offense vient d'eux et non

 

1. Ephés. IV, 32.

 

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pas de vous. Vous ne me dites rien sans doute, car en ce lieu c'est à moi de porter la parole et à vous de l'entendre en silence; il est possible cependant que vous vous disiez à vous-mêmes: Je veux faire la paix, mais c'est lui qui m'a blessé, qui m'a offensé et il se -refuse à demander pardon. — Que vais-je répondre ? Dirai-je : Va le trouver et lui demande grâce? Nullement. Je ne veux pas te pousser au mensonge ; je ne veux pas que tu dises : Pardonne-moi, quand tu as la conscience de n'avoir pas manqué à ton frère. A quoi bon t'accuser? Pourquoi demander grâce à qui tu n'as pas manqué, à celui que tu n'as pas blessé ? Cette démarche ne te profiterait pas, ne la fais point. Tu sais , tu sais après examen sérieux, que c'est de lui que vient l'offense, et non de toi. — Je le sais. — Eh bien ! que ta conscience soit en repos sur cette certitude bien fondée. Ne vas point trouver ce frère qui t'a manqué,ni lui demander spontanément pardon. Entre toi et lui doivent se trouver des pacificateurs qui lui représentent son devoir et l'amènent à te demander grâce d'abord ; il importe seulement que de ton côté tu sois disposé à l'accorder, entièrement prêt à pardonner du fond de ton coeur. La disposition à pardonner est le pardon déjà octroyé. Tu dois pourtant prier encore, prier pour obtenir qu'il te demande pardon : convaincu qu'il perd à ne lé demander pas, prie pour qu'il le demande, et dans ta prière dis au Seigneur : Vous savez, Seigneur, que je n'ai pas manqué à mon frère un tel, mais que c'est lui qui m'a manqué ; vous savez encore qu'il lui est funeste de ne pas me demander pardon après m'avoir manqué ; je vous conjure donc avec amour de lui pardonner.

6. Je viens. de vous rappeler ce que main tenant surtout, durant ces jours de jeûnes, de saintes pratiques et de continence, vous devez faire aussi bien que moi pour vous réconcilier avec vos frères. Procurez-moi la joie de vous voir en paix, puisque vous me faites la peine de vous voir en querelles; et vous pardonnant mutuellement les torts que vous pouvez avoir l'un contre l'autre; mettons-nous en état de faire tranquillement la Pâque, de célébrer sans inquiétude la Passion de Celui quine devant rien à personne a payé pour tous ; je veux parler.de Jésus-Christ Notre-Seigneur; car il n'a offensé personne; presque tous au contraire l'ont offensé ; et pourtant loin d'exiger de nous des supplices, il nous a promis des récompenses. Eh bien ! il voit dans nos coeurs que si nous avons offensé quelqu'un, nous lui demandons sincèrement pardon; que si quelqu'un nous a offensés, nous sommes disposés à lui pardonner et à prier pour nos ennemis. Ne demandons pas à nous venger, mes frères ? Qu'est-ce que se venger, sinon jouir des maux d'autrui ?

Je le sais, il vient chaque jour des hommes qui fléchissent le genou, qui se prosternent le front dans la poussière, qui quelquefois même s'arrosent le visage de leurs larmes, et qui disent au milieu de cette émotion et dans cette attitude si humble : Vengez-moi, Seigneur, faites périr mon ennemi. Eh bien ! oui, demande que le Seigneur fasse périr ton ennemi, et qu'il sauve ton frère ; qu'il détruise l'inimitié, et préserve la nature; demande à Dieu qu'il mette à mort ce qui te persécutait en lui, mais qu'il, le conserve lui-même pour le rendre à ton amitié.

SERMON CCXII. POUR LE CINQUIÈME LUNDI DE CARÊME. EXPLICATION DU SYMBOLE. I.
 

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ANALYSE. — Dans cette courte explication adressée aux Catéchumènes, saint Augustin montre plutôt la liaison que le sens détaillé des parties du Symbole. Il termine en disant pour quel motif il était alors défendu de l'écrire.

 

1. Il est temps de vous livrer le Symbole, qui contient en peu de mots ce que vous croyez en vue du salut éternel.

Le mot symbole est pris ici par analogie, dans un sens figuré. On dit des négociants qu'ils font un symbole quand, pour le maintien de leur société, ils font entre eux un pacte de fidélité. Votre société aussi n'est-elle pas une espèce de commerce spirituel, et ne ressemblez-vous pas aux marchands qui sont en quête de la perle précieuse (1) ? C'est la charité que répandra dans vos coeurs l'Esprit-Saint qui vous sera donné (2). Or; on y parvient par la loi contenue dans le Symbole.

Croyez donc en Dieu , le Père tout-puissant, invisible, immortel, le Roi des siècles, le Créateur de ce qui est invisible et de ce qui est visible; croyez de lui encore toutes les grandeurs que nous montre en lui la raison dans sa pureté ou l'autorité des saintes Ecritures.

Mais de ces grandeurs n'excluez pas le Fils de Dieu. Si on les attribue au Père, ce n'est pas pour les refuser à Celui qui a dit : « Mon Père et moi nous sommes un (3) » ; et de qui l'Apôtre a écrit: « Il avait la nature de Dieu et a il ne croyait point usurper en se faisant égal à Dieu (4) ». Usurper, c'est s'attribuer une chose étrangère; or, l'égalité avec Dieu est la nature même du Fils de Dieu. Comment donc ne serait-il pas tout-puissant, puisque tout a été fait par lui, puisqu'il est la Puissance et cette Sagesse de Dieu (5), dont il est écrit qu'étant « une, elle peut tout (6) ? » Il est aussi invisible par nature, par cette nature qui le rend l’égal du Père. N'est-il pas invisible en effet ce Verbe de Dieu qui était au commencement et

 

1, Matt. XIII, 45. — 2. Rom. V, 5. — 3. Jean, X, 30. — 4. Philip. II, 6. — 5. I Cor. I, 24. — 6. Sag. VII, 27.

 

qui était Dieu  (1) ? Comme tel il est aussi complètement immortel, c'est-à-dire immuable sous tout rapport. L'âme humaine est bien immortelle à un point de vue; mais elle ne possède point l'immortalité véritable, puisqu'elle est mobile, capable de reculer et de progresser. Elle meurt, quand elle renonce à la vie de Dieu;par suite de .l'ignorance qui est en elle; elle vit, quand elle court à la source de la vie, pour jouir, à la clarté de Dieu, de la lumière de Dieu. Vous aussi vous vivrez de cette vie, lorsque par la grâce du Christ vous sortirez de l'état de mort auquel vous renoncez. Quant au Verbe de Dieu; quant au Fils unique de Dieu, il possède avec son Père une vie toujours immuable; il ne perd rien, car il n'y a point diminution dans ce qui reste toujours le même; il n'acquiert rien non plus, car ce qui est parfait ne saurait croître. Il est aussi le Roi dés siècles, le Créateur des choses visibles et des choses invisibles. En effet, comme le dit l'Apôtre : « C'est par lui que toutes choses ont été créées au ciel et sur la terre, les visibles et les invisibles, soit Trônes, soit Dominations, soit Principautés, soit Puissances; tout a été créé par lui et en lui, et pour lui tout subsiste (2) ».

Cependant, comme « il s'est, anéanti », non pas en perdant la nature de Dieu, mais « en prenant une nature d'esclave (3) » ; par cette nature d'esclave il est devenu visible, puisqu'il est né de l'Esprit-Saint et de la Vierge Marie. Comme esclave encore le Tout-Puissant est devenu faible, puisqu'il a souffert sous Ponce-Pilate. Comme esclave l'Immortel est mort, puisqu'il a été crucifié et enseveli. Comme

 

1. Jean, I, 3, 1. — 2. Colos. I, 16, 17. — 3. Philip. II, 7.

 

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esclave le Roi des siècles est ressuscité le troisième jour. Comme esclave le Créateur des choses visibles et des êtres invisibles est monté aux cieux, quoiqu'ils ne les ait quittés jamais. Comme esclave il est assis à la droite du Père, quoiqu'il soit le bras du Père, puisqu'un prophète a dit de lui: « Et le bras du Seigneur, à qui s'est-il manifesté (1) ? » Comme esclave il viendra juger les vivants et les morts, avec qui il. a voulu mourir, quoiqu'il soit la vie des vivants.

C'est par lui.que le Père et lui-même nous ont envoyé l'Esprit-Saint. Cet Esprit du Père et du Fils a été envoyé par le Père et par le Fils, sans être engendré par l'un ni par, l'autre; il est le lien de tous deux, et tous deux il les égale. Voilà la Trinité, voilà le Dieu unique, tout-puissant, invisible, le Roi des siècles, le Créateur de ce qui est visible et de ce qui est invisible. Car nous ne disons pas qu'il y ait ni trois Seigneurs, ni trois Tout-Puissants, ni trois Créateurs; nous ne prononçons au pluriel aucun de ces noms réservés à la grandeur de Dieu, attendu qu'il n'y a pas trois dieux, mais un seul Dieu. Et pourtant, dans cette auguste, Trinité, le Père n'est pas le Fils, le Fils n'est pas le Père, l'Esprit-Saint n'est non plus ni le Père ni le Fils s le Père est simplement le Père du Fils; le Fils, le Fils du Père; et le Saint-Esprit, l'Esprit du Père et du Fils. Croyez pour comprendre; car vous ne comprendrez point si vous ne croyez (2).

Avec cette foi espérez la grâce qui effacera tous vos péchés ; c'est par là que vous serez sauvés et non par vous-mêmes, car le salut est un don de Dieu. Espérez. aussi qu'après cette mort qui nous abat tous en. punition du crime. antique du premier homme, vos corps mêmes ressusciteront à la fin des siècles, non pas pour être accablés de douleurs, comme les impies, qui ressusciteront aussi ; non pas pour goûter les joies des désirs charnels, comme s'y attendent

 

1. Isaïe, LVI, 1. — 2. Isaïe, VII, 9, sel. LXX.

 

les insensés; mais pour expérimenter ce que dit l'Apôtre: « On sème un corps animal, il s'en élèvera un corps spirituel (1)», un corps qui ne sera plus un fardeau pour l'âme et qui , ne perdant plus rien n'aura plus besoin d'aucun aliment.

2. Je vous devais ce petit discours sur l'ensemble du Symbole; le voilà terminé, et vous reconnaîtrez qu'il comprend en peu de mots tout ce qu'on vous montrera dans ce Symbole. Afin toutefois de retenir ce Symbole mot à mot, vous ne devez pas l'écrire, mais, l'apprendre en l'entendant; vous ne devez pas même l'écrire lorsque vous le saurez, mais le retenir et le réciter toujours de mémoire. Sans doute, tout ce que vous verrez dans le Symbole est contenu dans les saintes Ecritures; et s'il n'est pas permis de l'écrire après l'en avoir ainsi recueilli et en avoir formé cet abrégé, c'est en souvenir des divines promesses exprimées ainsi par un Prophète, à propos du Nouveau Testament: «Voici l'alliance que je formerai alors avec eux, dit le Seigneur: j'écrirai ma loi dans leur esprit et je la graverai dans leur coeur (2) ». En mémoire donc de ces paroles, on apprend le Symbole en l'écoutant; on ne le grave ni sur des tablettes, ni sur une matière quelconque, mais dans le coeur. Celui qui vous convie à son royaume et à sa gloire,vous accordera la grâce, quand vous aurez été régénérés, que le Saint. Esprit lui-même l'écrive aussi dans vos coeurs. Par là vous aimerez ce que vous croyez, la foi agira en vous par la charité et vous plairez ainsi au Dispensateur de tous les biens, au Seigneur notre Dieu., non pas en craignant la peine comme des esclaves, mais en vous affectionnant à la justice comme des enfants.

Voici donc le Symbole dont l'Ecriture et les discours de l'Eglise vous ont appris la substance, et que les fidèles doivent retenir et pro, fesser sous cette courte formule.

 

1. I Cor. XV, 54. — 2. Jérém. XXXI, 33.

SERMON CCXIII. EXPLICATION DU SYMBOLE. II.
 

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ANALYSE. — Cette seconde explication du Symbole est la suite naturelle de la première. Celle-ci considérait le Symbole d'une manière plus générale ; la seconde entre dans le détail du sens de chaque article. Mais on n'y verra pas la froideur d'un ouvrage didactique. Saint Augustin y met son coeur comme il le met partout et spécialement dans ses discours.

 

1. Le Symbole,est la formule abrégée de notre foi, formule destinée à nous instruire sans être à charge à la mémoire; elle s'exprime en peu de mots pour enseigner beaucoup.

«Je crois en Dieu,, le Père tout-puissant ». Quel laconisme et quelle force ! Voilà tout à la fois un Dieu et un Père-; un Dieu avec sa puissance, un Père avec sa bonté. Que nous sommes heureux de rencontrer un père dans notre Dieu ! Croyons donc en lui, et promettons-nous tout de sa miséricorde, puisqu'il est tout-puissant : aussi disons-nous que nous croyons « en Dieu, le Père tout-puissant ». Que nul ne dise: Il ne peut me remettre mes péchés. Comment ne le pourrait le Tout-Puissant? — Mais j'ai tant péché, ajoutes-tu. — Mais il est tout-puissant, répliqué-je. — J'ai tant commis de péchés, que je ne saurais en être ni délivré ni purifié. — Je réponds encore Mais il est tout-puissant. Remarquez ce que vous lui dites en chantant ce psaume : « Bénis ale Seigneur, ô mon âme, et garde-toi d'oublier toutes ses faveurs; il te pardonne toutes tes iniquités, il te guérit de toutes tes langueurs (1) ». C'est pour cela que nous était nécessaire sa toute-puissance. Toutes les créatures en avaient besoin pour sortir du néant. Pour faire ce qui est grand et ce qui est petit Dieu est tout-puissant ; tout-puissant pour former ce qui est au ciel et ce qui est sur la terre ; tout-puissant pour créer ce qui est mortel et ce qui est immortel ; tout-puissant pour donner l'être à ce qui est spirituel et à ce qui est corporel ; tout-puissant pour tirer du néant ce qui est visible et ce qui est invisible; il, est grand dans les grandes choses sans être petit dans les moindres. Il est tout-puissant enfin pour faire tout ce qu'il veut ;

 

1. Ps. CII, 2, 3.

 

combien en effet n'est-il pas de choses qu'il ne saurait faire ? Il ne peut ni mourir, ni pécher, ni mentir, ni se tromper ; combien d'autres choses encore qu'il ne pourrait que s'il n'était pas tout-puissant ! Croyez donc en lui et professez votre foi. « Car on croit de coeur pour être justifié, et on confesse de bouche pour être sauvé (1) ». Voilà pourquoi après avoir cru vous devrez confesser votre foi en récitant le Symbole. Ecoutez donc maintenant ce que vous aurez à retenir toujours et à réciter bientôt sans l'oublier jamais.

2. Qu'est-ce qui vient ensuite? « Et en Jésus-Christ ». — « Je crois, dis-tu, en Dieu, le Père tout-puissant, et en Jésus-Christ, son Fils unique, Notre-Seigneur ». S'il est Fils unique, il est par conséquent égal à son Père. S'il est Fils unique, il est donc de même nature que son Père. S'il est Fils unique, il a conséquemment la même toute-puissance que son Père. S'il est Fils unique, il est aussi coéternel à son Père.

Voilà ce qu'il est en lui-même, en lui-même et dans le sein de son Père. Mais pour nous, et par rapport, à. nous, qu'est-il ? « Qui a été conçu du Saint-Esprit, qui est né de la Vierge Marie ». Voilà bien Celui qui est venu, par où il est venu, et vers qui il est venu. Il est venu par la Vierge Marie, avec l'opération du Saint-Esprit et non pas d'un homme; d'un époux ; du Saint-Esprit qui a fécondé cette Vierge pure en lui conservant son intégrité. Et c'est ainsi que s'est revêtu de chair le Christ Notre-Seigneur; ainsi que s'est fait homme Celui qui a créé l'homme : il a pris ce qu'il n'était pas, sans rien perdre de ce qu'il était ; car « le Verbe s'est fait chair et il a habité parmi nous (2) ». Ce n'est pas que

 

1. Rom. X, 10. — 2. Jean, I, 14.

 

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le Verbe se soit changé en chair; mais tout en restant Verbe il a pris une chair, tout en demeurant à jamais invisible, il est devenu visible quand il l'a voulu, et « il a habité parmi nous ». Qu'est-ce à dire, parmi nous? Parmi les hommes. Il est devenu l'un de nous, tout en restant unique. Unique pour son Père. Et pour nous ? Unique aussi comme Sauveur, car nous n'avons d'autre Sauveur que lui ; unique aussi comme Rédempteur, car nul autre ne nous a rachetés, rachetés, non pas avec de l'or ni avec de l'argent, mais au prix de son sang.

3. Considérons donc par quelles négociations il est parvenu à nous racheter. Il a été dit dans le Symbole : « Qui a été conçu du Saint« Esprit, qui est né de la Vierge Marie ». Mais enfin qu'a-t-il fait pour nous ? Le voici dans la suite du texte : « Il a souffert sous Ponce-Pilate, a été crucifié, est mort et a été enseveli ». Oui, c'est le Fils unique de Dieu, c'est Notre-Seigneur, qui a été crucifié : c'est le Fils unique de Dieu, c'est Notre-Seigneur, qui a été enseveli. Mais c'est comme homme qu'il a été crucifié, comme homme encore qu'il a été enseveli. Comme Dieu il n'a pas changé, comme Dieu il n'a pas été mis à mort; pourtant Dieu a été mis à mort en tant qu'homme. « Car, s'ils l'avaient connu, dit l'Apôtre, ils n'auraient pas crucifié le Seigneur de la gloire (1)». Il le montre ici comme Seigneur de la gloire, il confesse néanmoins qu'il a été crucifié. Déchirer ta tunique sans te blesser la chair, ce serait te faire injure ; si tu criais alors, ce ne serait pas pour dire Tu as déchiré ma tunique, mais : Tu m'as déchiré, tu m'as mis en- lambeaux. Tu parlerais ainsi sans être blessé, et tu dirais vrai, lors même qu'en te manquant on n'aurait pas touché à ta chair. C'est ainsi que le Christ Notre-Seigneur a été crucifié. Il est vraiment le Seigneur, le Fils unique du Père ; il est notre Sauveur et le Seigneur de la gloire ; néanmoins il a été crucifié, mais crucifié dans sa chair; enseveli, mais dans sa chair uniquement: l'âme elle-même n'était pas là ni au moment ni au lieu où on l'ensevelissait, et par sa chair seulement il gisait dans le sépulcre. Tu n'en reconnais pas moins en lui Jésus-Christ, le Fils unique, Notre-Seigneur. Qui donc a été conçu du Saint-Esprit, puis est

 

1. I Cor. II, 8.

 

né de la Vierge Marie ? Jésus-Christ, le Fils unique de Dieu, Notre-Seigneur. Qui a été crucifié sous Ponce-Pilate ? Jésus-Christ, le Fils unique de Dieu, Notre-Seigneur. Quia été enseveli ? Jésus-Christ, le Fils unique de Dieu, Notre-Seigneur. — Comment ! je ne vois que la chair, et tu dis que c'est Notre Seigneur ? — Assurément, je le dis, car en voyant le vêtement j'adore Celui qui le porte. La chair en effet lui sert comme de vêtement ; car «ayant la nature de Dieu et ne croyant point usurper en s'égalant à Dieu, il s'est anéanti lui-même en prenant une nature d'esclave », non pas en perdant sa nature divine ; « et devenu semblable aux hommes, il a été par l'extérieur considéré comme homme (1) ».

4. Toutefois ne méprisons pas la chair envisagée en elle-même ; c'est quand elle était abattue qu'elle nous a rachetés. Pourquoi nous a-t-elle rachetés ? Parce qu'elle n'a pas été toujours abattue : « Le troisième jour il est ressuscité d'entre les morts». C'est ce qui suit immédiatement dans le Symbole. Ainsi nous proclamons sa résurrection après avoir confessé sa passion. Qu'a-t-il fait en souffrant? Il nous a appris ce que nous avons à souffrir, Et en ressuscitant ? Il nous a montré ce que nous devons espérer. Ici voilà le devoir et ici la récompense ; le devoir dans la passion et la récompense dans la résurrection. Mais il n'en est pas resté là après être ressuscité d'entre les morts. Qu'est-il dit ensuite? «Il est monté au ciel ». Et maintenant où est-il? « Il est assis à la droite du Père ». Ne vois pas ici la droite considérée par rapport à la gauche. La droite de Dieu signifie l'éternelle félicité, La droite de Dieu signifie l'ineffable, l'inestimable, l'incompréhensible béatitude, la prospérité sans fin. Telle est la droite de Dieu et c'est là qu'est assis le Sauveur. Qu'est-ce à dire: « Il est assis ? » C'est-à-dire qu'il y demeure, car on appelle siège (2) le lieu où demeure quelqu'un. Au moment donc où le vit saint Etienne, on ne se trompait pas en disant : « Il est assis à la droite du Père ». Que dit en effet saint Etienne ? « Voilà que je vois le ciel ouvert, et le Fils de l'homme debout à la droite de Dieu (3) ». De ce qu'il l'ait vu debout, s'ensuit-il qu'il y aurait eu mensonge à dire alors : « Il est assis à la droite du Père ? » Il

 

1. Philip. II, 6, 7. — 2. Le siège de l'empire, par exemple, est le lieu habité par le gouvernement. — 3. Act. VII, 55.

 

213

 

est assis est donc ici synonyme de il demeure, il habite. Comment demeure-t-il ? Comme tu demeures toi-même. En quelle position ? Qui le dira? Contentons-nous d'exprimer ce qu'il a enseigné, de parler de ce que nous savons.

5. Et puis? « De là viendra juger les vivants et les morts ». Bénissons en lui le Sauveur pour ne pas redouter le Juge. Car celui qui maintenant croit en lui, qui accomplit ses préceptes et l'aime sincèrement, ne tremblera point quand il viendra juger. les vivants et les morts; non-seulement il ne tremblera point, mais il soupirera après son arrivée: Eh ! que peut-il y avoir pour nous de plus heureux que devoir venir Celui que nous désirons, Celui que nous aimons? — Craignons néanmoins, puisqu'il sera notre juge. Il est maintenant notre avocat, mais il sera notre juge alors. — Écoute Jean : « Si nous prétendons être sans péché, nous nous séduisons nous-mêmes et la vérité n'est point en nous. Mais si nous confessons nos péchés , ajoute-t-il, il est fidèle et juste pour nous les remettre et pour nous purifier de toute iniquité. Je vous ai écrit ceci afin de vous détourner du péché.  Si cependant quelqu'un vient à pécher, nous avons pour avocat, auprès du Père, Jésus-Christ le Juste; et il est lui-même propitiation pour nos péchés (1) ». Je suppose que tu aies à soutenir une cause devant quelque juge; tu vas trouver un avocat pour l'en instruire; cet avocat t'accueille parfaitement, il plaide ta cause de son mieux, mais avant que la sentence soit rendue, tu apprends que cet avocat va être nommé ton juge :quelle joie d'avoir pour juge celui qui vient de te défendre ! Maintenant même c'est Jésus-Christ qui prie pour nous, qui intercède pour nous ; c’est lui que nous avons pour avocat, et nous craindrions de l'avoir pour juge? Ah! plutôt, puisque nous l'avons envoyé devant nous pour nous servir d'avocat et nous rassurer, espérons qu'il reviendra pour être notre juge.

6. Nous avons parcouru dans le Symbole ce qui a rapport à Jésus-Christ, le Fils unique de Dieu et notre Seigneur. On y dit ensuite : « Et au Saint-Esprit », pour compléter ce qui concerne la Trinité, père, Fils et Saint-Esprit. S’il a été parlé plus longuement du Fils, c'est que le Fils s'est fait homme, c'est que le Fils, le Verbe, s'est fait chair, et non pas le Père ni

 

1. I Jean, I, 8-11, 2.

 

l'Esprit-Saint, quoique l'humanité du Fils soit 1'oeuvre de la Trinité tout entière, attendu que les oeuvres de la Trinité sont inséparables. Croyez donc, en entendant parler ici du Saint-Esprit, qu'il n'est inférieur ni au Fils, ni au Père; car le Père, le Fils et le Saint-Esprit, ou la . Trinité tout entière, ne font qu'un seul Dieu. Il n'y a entre eux ni différence, ni variété, ni infériorité, ni opposition ; mais égalité, perpétuelle , invisibilité et immuabilité dans le Père,  le Fils et l'Esprit-Saint: Ah ! daigne cette auguste Trinité nous délivrer de la multitude de nos péchés !

7. C'est à nous que se rapporte ce qui vient ensuite : « La sainte Eglise » ; car c'est nous qui sommes la sainte Eglise. Or, en disant nous, je ne veux pas que vous entendiez seulement ceux qui sont ici, ceux qui m'écoutent, ceux qui par la grâce de Dieu sont chrétiens et fidèles ici, dans cette église, dans cette ville; mais encore tous ceux qui sont dans cette contrée, dans, cette province, au-delà même de la mer et.dans tout l'univers habité; car d u levant au couchant on bénit le nom du Seigneur (1). C'est là l'Église catholique , notre mère véritable et la véritable épouse de ce divin Époux. Honorons-la, puisqu'elle est la Dame d'un si grand Seigneur. Que dirai-je encore? Son Epoux a daigné faire pour elle d'incomparables merveilles : il l'a rencontrée prostituée et il l'a rendue vierge. Peut-elle nier ses prostitutions sans oublier la miséricorde de son Libérateur? Comment dire qu'elle n'était pas prostituée, quand- elle se souillait avec les idoles et les démons? Tous les hommes, hélas ! étaient adultères de coeur; peu l'étaient de corps, mais tous l'étaient de coeur. Le Christ donc est venu et il a rendu vierge son Eglise.

Elle est vierge par sa foi. Elle compte en petit nombre lés vierges. proprement dites , consacrées à Dieu; mais sous le rapport de la foi tous en elle doivent être vierges , les hommes comme les femmes; car tous doivent être chastes, purs, saints. Voulez-vous savoir combien l'Église est vierge? Écoutez l'Apôtre saint Paul, cet ami zélé pour l'Epoux et non pour lui-même. « Je vous ai parés, dit-il, pour l'Époux unique ». Ainsi parlait-il à l'Eglise; et à quelle Eglise? A toute l'Église qui pouvait recevoir ses lettres. « Je vous ai parés

 

1. Ps. CII, 3.

 

214

 

comme une vierge chaste pour vous présenter au Christ votre unique Epoux. Mais je crains, poursuit-il, que, comme le serpent séduisit Eve par son astuce ». Ce serpent fit-il perdre à Eve sa chasteté corporelle? Non, mais il corrompit en elle la virginité du coeur. « Je crains que vos âmes ne se flétrissent et ne perdent la chasteté qu'on trouve dans le Christ (1) ». Ainsi l'Eglise est vierge; oui, elle est vierge et qu'elle reste vierge. Qu'elle prenne garde au séducteur, pour ne trouver pas en lui de corrupteur. L'Eglise est vierge.

Tu vas me dire : Si elle est vierge, comment met-elle au. monde des enfants? Et si elle n'en met pas ait monde, comment nous sommes-nous enrôlés afin de trouver dans son sein une nouvelle naissance? —  Je réponds : L'Eglise est vierge et mère en même temps. En cela elle imite Marie, la Mère du Seigneur. Est-ce que la sainte Vierge Marie n'est pas devenue Mère, tout en restant Vierge? Ainsi en est-il de l'Eglise, vierge et mère tout à la fois. A voir même de près, elle aussi est mère du Christ, puisque ceux qui reçoivent le baptême sont ses membres. « Vous êtes, dit l'Apôtre, le corps et les membres du Christ (2) ». Si donc l'Eglise enfante ainsi les membres du Christ, n'a-t-elle pas avec Marie la plus grande ressemblance ?

8. « La rémission des péchés ». Si cette grâce n'était dans l'Eglise, il faudrait désespérer; on ne pourrait espérer ni la vie future, ni l'éternelle délivrance, s'il n'était pas possible dans l'Eglise d'obtenir la rémission des péchés. Grâces donc au Seigneur qui a accordé cette faveur à son Eglise.

Vous allez approcher des fonts sacrés, être purifiés par le baptême, recevoir une vie nouvelle dans le bain salutaire de la régénération; et en sortant vous serez sans péché. Tous les péchés qui vous menaçaient y auront disparu; ils ressembleront aux Egyptiens qui s'élancèrent contre les Israélites et qui les poursuivirent jusqu'à la mer Rouge seulement (3). Jusqu'à la mer Rouge? Qu'est-ce à dire? Jusqu'aux fonts consacrés par la croix et par le sang du Christ: En effet ce qui est rouge est ce qui parait tel. Or, ne vois-tu pas comme semble rouge tout ce qui appartient au Christ? Ouvre les yeux. de la foi. En regardant la croix, n'y vois-tu pas du sang ? Peux-tu contempler

 

1. II Cor. XI, 2, 3. —  2. I Cor. XII, 27. — 3. Exod. XIV.

 

Celui qui y est suspendu sans penser en même temps à ce qu'il y a versé, quand son côté fut ouvert avec une lance et que notre rançon en découla (1) ? Voilà pourquoi on marque du signe, de la croix le baptême, c'est-à-dire l'eau qui sert à l'administrer, et c'est ainsi que vous traversez en quelque sorte la mer Rouge. Vos péchés sont comme vos ennemis; ils vous poursuivent, mais jusqu'à la mer seulement; et lorsque vous y serez entrés, vous en sortirez, mais eux y resteront : c'est ainsi que les Israélites traversant la mer à pieds secs, les Egyptiens  furent engloutis sous les eaux. Que dit l'Ecriture? « Il n'en resta pas un seul (2) ». Tes péchés sont-ils en grand ou en petit nombre, graves ou légers? Il n'en reste pas un seul.

Cependant, comme il nous faut vivre dans ce monde, où nul n'est exempt de péché, les péchés ne se remettent pas seulement aux fonts sacrés du baptême, mais encore ils s'effacent par la prière dominicale et quotidienne qu'on vous apprendra dans huit jours. Elle sera pour vous comme un baptême quotidien, et vous rendrez sûrement grâces à Dieu d'avoir donné à son Eglise cette faveur que nous reconnaissons dans le Symbole, lorsqu'après avoir dit : « La sainte Eglise », nous ajoutons : « La rémission des péchés ».

9. Vient ensuite « La résurrection de la chair », et c'est la fin. Mais ce sera une fin sans fin que la résurrection de la chair. Il n’aura plus alors pour cette chair ni mort, ni angoisses, ni faim, ni soif, ni affliction, ni vieillesse, ni lassitude. Ne redoute donc pointa résurrection de la chair. Vois les biens dont jouira cette chair et oublie les maux qu'elle souffre. Non, il n'y aura plus rien alors des misères dont elle se plaint aujourd'hui. Nous serons éternels, les égaux des anges de Dieu (3); nous formerons avec ces saints anges une même société ; Dieu nous possédera, nous serons son héritage et lui-même sera le nôtre; aussi lui disons-nous dès maintenant: « Le Seigneur est ma portion d'héritage (4)»; et lui-même a dit de nous à son Fils : « Demande-moi, et je te donnerai. les nations pour héritage (5) ».. Ainsi nous serons à la fois propriétaires et propriété, nous retiendrons et on nous retiendra.

Aujourd'hui même ne sommes-nous pas

 

1. Jean, XIX, 34. — 2. Ps. CV, 11. — 3. Matt. XXII, 30. — 4. Ps. XV, 5. — 5. Ib. II, 8.

 

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cultivés en même temps que nous cultivons? Mais nous cultivons comme on peut cultiver Dieu, tandis que. que nous sommes cultivés comme un champ peut l'être. Voulez-vous vous assurer que nous sommes cultivés? Ecoutez le. Seigneur: « Je suis la vraie vigne, dit-il, vous êtes les sarments et mon Père le cultivateur (1). » Si le Père est cultivateur, c'est qu'il cultive; quel champ? c'est nous. Un cultivateur de cette terre où tombent partout nos regards, peut bien labourer, bêcher,  planter, arroser même s'il trouve de l'eau mais peut-il donner l'accroissement, diriger le germe vers l'intérieur de la terre, y fixer la racine, élever la tige, fortifier les rameaux, les charger dé fruits,, les embellir de feuilles ? Un cultivateur peut-il cela? Mais le divin Cultivateur de nos âmes, Dieu le Père peut faire en nous tout cela. Pourquoi te peut-il ? Ne croyons-nous pas en Dieu le Père tout-puissant?

Retenez bien ce que nous venons de vous dire, et comme Dieu nous a fait la grâce de vous l'expliquer.

 

1. Jean, XV, 1, 5.

SERMON CCXIV. EXPLICATION DU SYMBOLE. III.
 

ANALYSE. — Ce discours est évidemment un des premiers qu'ait prononcés saint Augustin lorsqu'il eut quitté la retraite studieuse où il avait demandé à son évêque de pouvoir s'enfermer pour se préparer au ministère de la parole (1). Aussi le, style et les idées présentent-ils ici une plus grande ressemblance que dans ses autres discours, avec le style et les idées de ses ouvrages philosophiques, composés vers la même époque; cette explication du Symbole s'attache plus aussi à dilucider et à approfondir les idées dogmatiques qu'à en tirer des conclusions morales. Le lecteur ne pourra qu'être frappé de la justesse et de l'élévation dé doctrine où le saint Docteur était déjà parvenu, si peu de temps après sa conversion, quatre années seulement; car ce discours se rapporte à l'an 391.

 

1. Déjà ministre de l'autel dont vous allez vous approcher, nous ne pouvons vous refuser le ministère de notre parole, tel que notre faiblesse pourra; le remplir à un âge si peu avancé, à rentrée d'une carrière que nous apprenons seulement à fournir et où toutefois nous sommes, soutenus par notre affection pour vous.

« Si tu confesses de bouche, dit l'Apôtre, que Jésus est le Seigneur, et si tu crois dans ton coeur que le Seigneur l'a ressuscité d'entre les morts, tu seras sauvé; car on croit de coeur pour être justifié et en confesse de bouche pour être sauvé (2) ». C'est le Symbole qui met en vous ce que, pour être sauvés, vous devez croire et confesser. Il est vrai, ce que vous allez entendre en peu de mots pour le confier à votre mémoire et pour le confesser de bouche, ne sera pour vous ni nouveau ni inouï. Les saintes Ecritures et les

 

1. Voir lett. 21, tom. I. — 2. Rom. X, 9, 10.

 

discours ecclésiastiques vous le présentent habituellement sous différentes formes. Pour vous le faire apprendre, toutefois, on en a fait un recueil abrégé et disposé avec ordre; moyen d'éclairer en vous la foi, et de vous préparer à la confesser, sans vous charger la mémoire. Voici donc ce que vous devez retenir et réciter par coeur.

Après ce début il faut réciter le Symbole en entier, sans y mêler aucune réflexion : « Je crois en Dieu le Père tout-puissant », et le reste. Vous savez qu'on n'a pas l'habitude d'écrire ce Symbole. On fera suivre ces mots du discours suivant.

2. Vous devez, non-seulement croire, mais encore retenir mot à mot et répéter les vérités que vous venez d'entendre en si peu de paroles. Il faut de plus les défendre contre ceux qui les combattent, contre les esclaves du démon qui attaquent perfidement la foi en s’opposant à notre salut. En croyant donc que Dieu est tout-puissant , souvenez-vous de (216)

croire aussi qu'il n'est absolument aucune nature qu'il n'ait formée; et s'il punit le péché qu'il n'a pas fait, c'est parce que le péché souille la nature qu'il a faite. Par conséquent toutes, les créatures visibles et invisibles : soit celles dont l'âme raisonnable peut connaître l'immuable vérité, comme les anges et les hommes; soit celles qui ont la vie et le sentiment, mais sans avoir l'intelligence, comme tous les animaux qui se meuvent sur la terre, au milieu des eaux et dans l'air, quadrupèdes, reptiles, poissons, oiseaux; soit celles qui sont privées d'intelligence et de sens, mais non d'une vie telle quelle, comme les plantes qui fixent en terre leurs racines pour s'élever en germant et s'épanouir dans les airs; soit celles qui se bornent à occuper quelque espace , comme les pierres, comme les éléments que nous pouvons voir ou toucher dans, ce monde matériel; toutes enfin ont été créées par le Tout-Puissant, qui a eu soin d'unir entre eux les extrêmes par des milieux et de faire apparaître chacune de ses œuvres à la place et au temps qui leur conviennent.

Mais il ne les a pas formées d'une matière préexistante dont il ne serait pas l'auteur; il n'à point travaillé sur un fonds étranger, il a tout fait dans ses oeuvres. Prétendre qu'il n'a pu faire rien avec rien, serait-ce croire qu'il est tout-puissant? C'est sûrement le nier, que de croire, a'il n'aurait pu former le monde sans une matière préexistante. Quelle toute-puissance en effet, quand il y aurait eu en lui tant de faiblesse, que pareil à un artisan vulgaire il n'aurait pu produire son oeuvre sans le concours d'une matière qui ne lui devrait -pas l'existence ? Bannis donc de ton esprit ces idées vaines et mensongères, toi qui crois en Dieu tout-puissant. D'ailleurs cette matière qu'on appelle informe et qu'on dit susceptible de prendre des formes diverses et de servir aux desseins du Créateur, peut réellement se prêter à toutes les modifications qu'il voudra lui imprimer. Dieu, pour créer le monde, ne l'a point rencontrée comme un être qui lui fût coéternel; il l'a tirée entièrement du néant, aussi bien que ce qu'il a fait avec elle. Elle n'a point précédé les œuvres qu'elle a servi à former; aussi le Tout-Puissant, dès l'origine, a tiré tout de rien, la matière première, comme le reste. Si donc le ciel et la terre ont été créés au commencement, cette matière dont ils ont été formés a été créée en même temps qu'eux. Non, Dieu n'a rien trouvé sous sa main pour faire ce qu'il a fait dès le principe ; il ne l'a pas moins fait, parce qu'il est . tout-puissant, pour y mettre ensuite l'ordre; la perfection et la beauté; et sa toute-puissance éclate, non-seulement parce qu'il a fait de rien ce qu'il a fait au commencement, mais encore parce qu'il a pu faire tout ce qu'il a voulu avec ce qu'il a créé d'abord.

3. Si les impies agissent souvent à l'encontre de la volonté divine, qu'ils n'en concluent pas que Dieu n'est point tout-puissant. S'ils font ce qu'il ne veut pas, lui fait d'eux ce qu'il veut, et jamais ils ne changent ni ne maîtrisent la volonté du Tout-Puissant; toujours cette volonté s'accomplit, soit dans la juste condamnation, soit dans la délivrance miséricordieuse de l'homme. Ainsi rien n'est impossible au Tout-Puissant,. que ce qu'il ne veut pas. Il fait servir les méchants, non pas aux desseins de leur volonté dépravée, mais aux vues de sa volonté toujours droite. De même que les méchants font un usage mauvais de leur nature bonne, c'est-à-dire de ce que Dieu a. fait bon ; ainsi la Bonté divine fait un bon usage de leurs oeuvres perverses, et sous aucun rapport la volonté du Tout-Puissant n'a le dessous. S'il n'avait dans sa bonté même le moyen de faire servir les méchants à la justice et au bien, il ne les laisserait assurément ni naître ni vivre. Ce n'est pas lui sans doute qui les a rendus méchants, il n'en a fait que des hommes, en créant, non pas le mal qui est en eux contre nature, mais leur nature même; cependant il n'a pu dans sa prescience ignorer ce qu'ils deviendraient, et s'il a su le mal que feraient ces méchants, il a su. aussi le bien que lui-même ferait d'eux.

Qui pourrait développer, qui pourrait célébrer dignement combien nous sommes redevables à la passion du Sauveur, qui, a versé son sang pour la rémission des péchés? Toutefois ces biens immenses ont eu pour instrument la malice du démon, la malice des Juifs, la malice, du traître Juda. Et ce n'est pas à eux qu'on doit rendre hommage du bien que Dieu, et non pas eux, a voulu par eux faire aux hommes ;.au contraire ils sont justement tourmentés pour avoir voulu leur nuire. Si ce fait que nous citons prouve avec éclat comment Dieu a. fait servir à notre rédemption et à notre salut les crimes mêmes des juifs et du traître Judas; Dieu ne voit-il pas, dans ces mystérieuses (217) profondeurs de toute créature où nous ne saurions plonger ni de l'oeil ni de la pensée, comment lui-même emploie le mal pour procurer le bien, et comment s'accomplit, dans tout ce qui naît et se gouverne au monde, la volonté du Tout-Puissant ?

4. J'ai dit qu'au Tout-Puissant rien n'est impossible que ce qu'il ne veut pas ; et on pourrait m'accuser peut-être de témérité pour avoir dit que quelque chose est impossible au Tout-Puissant. Mais l'Apôtre le dit. aussi: « Si nous ne croyons pas, a-t-il écrit, lui n'en reste pas moins fidèle, il ne saurait se nier lui-même (1)». Ajoutons que s'il ne peut pas, c'est qu'il ne veut pas non plus, car il ne peut vouloir. La justice peut-elle vouloir faire ce qui est injuste ? La sagesse peut-elle se livrer à rien d'insensé? ou la vérité chercher ce qui est faux ? C'est assez pour nous donner à entendre que non-seulement le Tout-Puissant « ne saurait se nier lui-même », comme s'exprime l'Apôtre, mais qu'il est encore beaucoup d'autres choses qu'il ne peut faire. Ainsi je l'ose dire, je l'ose dire, appuyé sur sa vérité même et sans oser dire le contraire: Malgré sa toute-puissance, Dieu ne peut ni mourir, ni changer, ni se tremper, ni devenir malheureux, ni être vaincu. Que le Tout-Puissant est éloigné d'avoir un semblable pouvoir ! Aussi non-seulement la vérité même démontre qu'il est tout-puissant pour ne pouvoir rien de pareil; elle contraint même de reconnaître que a'il avait ce pouvoir il ne serait pas tout-puissant. En effet, quand Dieu veut, c'est tout qui veut en lui; c'est l'éternel, c'est l'immuable, t'est l'infaillible, c'est le bienheureux, c'est l’invincible qui veut. De là il suit que s'il ne peut tout ce qu'il veut, c'est qu'il n'est pas tout-puissant. Mais il l'est; donc tout ce qu'il veut, il le peut, et ce qu'il ne veut pas ne saurait être. Sa toute-puissance consiste à pouvoir tout ce qu'il veut. « Au ciel et sur la terre, est-il dit dans un psaume, il a fait tout ce qu'il a voulu (2) » .

5. Ce Dieu tout-puissant, qui a fait tout ce u'il a voulu, a engendré aussi son Verbe unique, par lequel tout a été fait ; mais il ne l'a pas tiré du néant, c'est de lui-même, et pour motif il n'est pas dit qu'il l'a fait, mais qu'il a engendré. « Au commencement, est-il écrit, il a fait le ciel et la terre (3) » ; mais il n'a point

 

1. II Tim. II, 13. — 2. Ps. CXXXIV, 6. — 3. Gen. I, 1.

 

fait son Verbe au commencement, car « au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu (1) ». Ce Verbe est Dieu de Dieu, taudis que le Père est bien Dieu, mais non pas Dieu de Dieu. Il est aussi le Fils unique de Dieu, parce que Dieu n'a aucun autre Fils qui soit formé de sa substance, qui soit coéternel et égal au Père. Ce Verbe est Dieu: il ne ressemble donc pas à cette parole humaine dont la pensée, se représente le bruit et dont, la bouche peut le faire entendre; ce « Verbe était Dieu » ; voilà ce qui se peut dire de plus court et de plus clair à son sujet. « Il était Dieu », demeurant immuablement dans le sein de son Père, et, comme son Père, immuable lui-même. C'est de lui que l'Apôtre parle ainsi: « Il avait la nature de Dieu et il ne crut pas usurper en se faisant égal à Dieu » ; car cette égalité vient de sa nature même et ne lui est pas étrangère. Voir dans quel sens nous croyons en Jésus-Christ, le Fils unique de Dieu le Père, Notre-Seigneur.

6. Mais lui, qui dans sa nature divine n'a pas cru usurper en se faisant égal à Dieu, lui par qui nous avons été créés, « il s'est anéanti lui-même en prenant une nature d'esclave, il est devenu semblable aux hommes et a été reconnu pour homme par les dehors (2) » ; afin de chercher et de sauver ce qui était perdu : aussi croyons-nous encore qu'il est né du Saint-Esprit et de la Vierge Marie. Ses deux naissances, divine et humaine , sont admirables. Dans l'une il a un Père sans avoir de mère, et dans l'autre une Mère, sans avoir de père ; dans l'une il est en dehors du temps, et dans l'autre il est né en temps convenable ; l'une est éternelle, l'autre temporelle ; l'une ne lui donne point de corps dans le sein de son Père, l'autre lui donne un corps sans altérer la virginité de sa Mère; l'une a lieu en dehors de tout sexe, l'autre a lieu sans l'union des sexes. Et si nous disons qu'il est né du Saint-Esprit et de la Vierge Marie, c'est que la Sainte Vierge ayant demandé à l'ange : « Comment cela se fera-t-il ? » l'ange lui répondit : « L'Esprit-Saint descendra en vous et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre » ; puis il ajouta : « C'est pourquoi ce qui naîtra saint de vous sera appelé le Fils de Dieu (3) ». L'ange ne dit pas : Ce qui naîtra de vous sera appelé le Fils

 

1. Jean, I, 1. — 2. Philip.  II, 6, 7. — 3. Luc, I, 34, 35.

 

218

 

de Dieu. C'est que toute l'humanité que s'est unit le Verbe, à savoir l'âme raisonnable et le corps, pour ne former qu'un même Christ, qu'une même personne divine, qu'un seul Fils de Dieu, tout en n'étant pas seulement le Verbe, mais le Verbe et son humanité, tout est en même temps Fils de Dieu le Père comme Verbe, et fils de l'homme comme homme. Comme Verbe, ; il est égal au Père ; comme homme, il lui est inférieur. Uni à son humanité il est Fils de Dieu , mais à cause du Verbe qui s'est uni à elle, et uni au Verbe il est fils de l'homme, mais à cause de l'humanité que le Verbe s'est unie. En considération de sa conception toute sainte dans le sein de la Vierge, conception qui n'a pas été due aux ardeurs de la concupiscence, mais à la ferveur d'une charité pleine de foi, nous disons encore qu'il est né du Saint-Esprit et de la Vierge Marie, l'un de ces deux noms désignant, non pas Celui qui a engendré, mais Celui, qui a sanctifié, et l'autre s'appliquant à Celle qui l'a conçu et mis au monde. « C'est pourquoi, disait l'ange, ce qui naîtra saint de vous sera appelé le Fils de Dieu ». Il est saint, voilà pourquoi : « Du Saint-Esprit » ; il naîtra de vous, voilà pourquoi : « De la Vierge Marie» ; il sera appelé le Fils de Dieu; voilà pourquoi : « Le Verbe s'est fait chair (1) »

7. Il fallait qu'en se faisant homme, non-seulement l'invisible se montrât et que, coéternel au Père il naquit dans le temps; il fallait encore que l'insaisissable fût saisi, que l'invincible fût suspendu au, gibet, que là vie; que l'immortalité même mourût sur la croix et fût ensevelie dans un tombeau : eh bien ! tout cela s'est vu dans le Fils de Dieu, dans Jésus-Christ Notre-Seigneur. Aussi devons-nous croire de coeur, pour être justifiés et confesser de bouche, pour être sauvés, que ce même Fils de Dieu, que ce même Jésus-Christ Notre-Seigneur n'est pas seulement né, comme homme, de sa Mère, mais encore qu'il a souffert jusqu'à sa mort et sa sépulture ce que peuvent endurer les hommes. Car ce Fils unique de Dieu, ce Jésus-Christ Notre-Seigneur étant à la fois le Verbe et son humanité, c'est-à-dire le Verbe, son âme et son corps, s'il est dit que son âme fut triste jusqu'à la mort (2), cette tristesse se rapporte à toute la personne; et c'est le Fils unique de Dieu, c'est Jésus-Christ

 

1. Jean, I, 14. — 2. Matt. XXVI, 38.

 

qui fut triste ; s'il est dit que comme homme seulement il fut crucifié, cela se rapporte à toute la personne aussi, et c'est le Fils unique de Dieu, c'est Jésus-Christ qui a été crucifié, s'il est dit que son corps seulement a été enseveli, cela se rapporte aussi à toute la personne. Depuis en effet que nous avons commencé à dire que nous croyons en Jésus-Christ, son Fils unique; Notre-Seigneur, dans tout ce que, nous ajoutons ensuite relativement à lui, il ne faut jamais sous-entendre que ces mots; Jésus-Christ, le Fils unique de Dieu, Notre-Seigneur. Pourquoi vous en étonner? Ne pouvons-nous dire que le Fils unique de Dieu, que Jésus-Christ Notre-Seigneur a été enseveli, quoique sa chair seule l'ait été; comme nous disons, par exemple, que l'Apôtre saint Pierre gît aujourd'hui dans son tombeau, bien que nous puissions affirmer aussi, conformément à la plus exacte vérité, qu'il jouit avec le Christ du repos et de la joie? N'est-ce pas à nos yeux le même Apôtre? Pierre n'est pas deux, il est un; et c'est du même que nous disons qu'avec son corps seul il est dans le sépulcre pet qu'avec son seul esprit il partage le bonheur du Christ.

Nous ajoutons : « Sous Ponce-Pilate », soit pour donner un moyen de s'assurer de l'époque, soit pour faire mieux ressortir l'humilité du Christ, qui a tant souffert pour avoir été jugé par un homme, lui qui doit venir avec tant à puissance pour juger les vivants et les morts,

8. Il est ressuscité ensuite le troisième jour, avec son corps véritable, mais pour être désormais et toujours exempt de la mort. La disciples s'en sont assurés non-seulement en le regardant; mais encore en le touchant; la Bonté même n'a pas pu se jouer de leur bonne foi, ni la Vérité les induire en erreur. Pour être plus court on ajoute aussitôt qu' « il est monté au ciel » ; quoiqu'il ait demeuré quarante jours avec ses disciples, pour ne pas donner lieu, en les quittant trop tôt, de considérer comme une illusion cet important miracle de sa résurrection.  Là maintenant « il est assis à la droite du Père ». Nous devons joindre ici la prudence à la foi et ne pas nous représenter le Fils de Dieu comme fixé sur un siège sans pouvoir faire aucun mouvement, sans pouvoir marcher ni même se tenir debout. Si saint Étienne a affirmé qu'il le voyait debout (1); il

 

1. Act. VII, 55.

 

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ne faut pas croire qu'il s'est trompé ou qu'il ait démenti ce passage du Symbole. Loin de nous de penser ou de parler ainsi ! C'est pour indiquer qu'il demeure au sein d'une félicité sublime et ineffable qu'il est dit de lui, qu'il est assis à la droite du Pète. Aussi nomme-t-on parmi nous les habitations des siéges : quand nous demandons où est quelqu'un : Dans ses siéges, répond-on ; et des serviteurs de Dieu surtout on dit très-fréquemment : Un tel s'est assis, sedit, tant d'années dans tel ou tel monastère; ce qui signifie qu'il s'y est arrêté, qu'il y a demeuré, qu'il l'a habité. Cette manière de parler n'est pas, inconnue dans les saintes Ecritures. Lorsque le, roi Salomon eut commandé au fameux Séméi de demeurer à Jérusalem, en le menaçant, s'il en sortait, des châtiments qu'il méritait, l'Ecriture dit qu'il y fut assis, exathise, trois ans (1), ce qui signifie qu'il y resta cet espace de temps. Quant à la droite du Père, on ne doit pas se 1a représenter matériellement, ni croire que le Père occupe la gauche du Fils dès que-le Fils est à la droite du Père. La droite de Dieu est mise ici pour désigner l'ineffable degré de gloire et de bonheur où le Fils est élevé. Dans. le même sens il est dit de la Sagesse : « Sa gauche est sous ma tête, et de sa droite elle m'embrasse (2) ». C'est qu'en laissant au-dessous de soi les commodités de la terre, on est comme embrassé par la félicité éternelle qui est bien an dessus.

9. C'est donc de cette haute demeure des cieux, où maintenant même son corps est déjà immortel , que Jésus-Christ Notre-Seigneur viendra juger les vivants et les morts. C'est l'assurance formelle qu'ont donnée les anges et qu'on lit aux Actes des Apôtres. Comme en effet les disciples regardaient le Seigneur monter au ciel et qu'ils le conduisaient d'un oeil fort attentif, ils entendirent des anges qui leur disaient: « Hommes de Galilée; pourquoi vous tenez-vous là? Ce même Jésus qui s'éloigne de vous, reviendra de la même manière que vous l'avez vu aller au ciel (3) ». Combien de suppositions de tout genre soustraites à la présomption humaine ! Le Christ pour nous juger aura la même nature que quand il fut jugé.; car c'est avec cette même forme humaine que les Apôtres le voyaient monter au ciel, quand ils apprirent qu'il en

 

1. III Rois, II, 38, sel. LXX. — 2. Cant. II, 6. — 3. Act. I, 11.

 

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reviendrait de la même, manière. Son humanité frappera donc les regards des vivants et des morts, des bons et des méchants ; soit que par vivants nous entendions ici les bons et par morts, les méchants; soit que les vivants désignent ceux qui n'auront pas atteint encore le terme de leur vie lorsqu'aura lieu son avènement, et les morts ceux qu'il ressuscitera, car lui-même s'exprime ainsi dans son Evangile : « Viendra l'heure où tous ceux qui sont dans les tombeaux entendront sa voix et en sortiront; ceux qui auront fait le bien, pour ressusciter à la vie, et ceux qui auront fait le mal, pour ressusciter à leur condamnation (1)». Les uns donc verront dans son humanité Celui en qui ils ont cru, et les autres Celui qu'ils ont méprisé. Quant à sa nature divine, qui le rend égal à son Père, les impies ne la verront pas. « L'impie sera enlevé, dit un prophète, pour qu'il ne voie point la beauté de Dieu (2) ». Il est dit encore : « Bienheureux ceux qui ont le coeur pur, car ils verront Dieu (3)» . Contentons-nous de ces aperçus sur le Fils unique de Dieu, sur Jésus-Christ Notre-Seigneur.

10. Car nous croyons également au Saint-Esprit, qui procède du Père (4), sans être son Fils; qui repose sur le Fils (5), sans être son Père; qui reçoit du Fils (6), sans pourtant être son Fils; mais il est l'Esprit du Père et du Fils, l'Esprit-Saint, une des personnes divines. Si effectivement il n'était pas Dieu, il n'aurait pas un temple comme celui dont parle l'Apôtre: « Ignorez-vous, dit-il, que vos corps sont le temple, de l'Esprit-Saint, qui est en vous et que vous avez reçu de Dieu (7) ? » Ce n'est pas la créature, c'est le Créateur qui doit avoir un temple. Loin de nous d'être le temple d'une créature ! « Car le temple de Dieu est saint, dit encore l'Apôtre, et c'est vous qui êtes ce temple (8)».

Il n'y a dans cette Trinité adorable ni supérieur ni inférieur, aucune distinction dans les oeuvres, aucune différence dans la nature. Le Père est Dieu, le Fils est Dieu, l'Esprit-Saint est Dieu. Toutefois le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne sont pas trois dieux, mais un seul Dieu, sans que le Père soit le Fils, sans que le Fils soit le Père et sans que l'Esprit-Saint soit le Père ou le Fils; car le Père est Père du Fils, le Fils est Fils dit Père, et l'Esprit-Saint,

 

1. Jean, V, 28, 29. — 2. Isaïe, XXVI, 10, sel. LXX. — 3. Matt. V, 8. — 4. Jean, XV, 26. — 5. Ib. I, 32. — 6. Ib. XVI, 14. — 7. I Cor. VI, 19. — 8. Ib. III, 17.

 

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l'Esprit du Père et. du Fils; chacun deux est Dieu et tous trois ne sont qu'un seul Dieu. Pénétrez vos coeurs de cette croyance et qu'elle inspire votre profession de foi. En entendant ce mystère, croyez-le pour arriver à le comprendre , car en progressant vous pourrez comprendre réellement ce que vous croyez..

11. Pour la sainte Eglise, votre mère, laquelle est comme la Jérusalem céleste, la cité sainte de Dieu, honorez-là, aimez-là, louez-là. C'est elle qui porte des fruits et qui se développe dans le monde entier en y répandant cette foi que je viens d'expliquer (1). C'est l'Église dû Dieu vivant, la colonne et l'appui de la vérité (2); laquelle néanmoins souffre, que les méchants, dont elle est séparée par la différence des moeurs et qui seront à la fin séparés complètement d'elle, participent aux sacrements. En faveur du froment qui gémit dans son sein au milieu de la paille et qui au moment où apparaîtra le grand Vanneur , se montrera si digne d'être placé au grenier, elle a reçu les clefs du royaume des cieux, afin de pouvoir, par les mérites du sang de .Jésus-Christ et par l'opération de l'Esprit-Saint, remettre les péchés: Dans cette Église pourra donc revivre l'âme a qui le péché avait donné la mort, pour ressusciter avec Jésus-Christ, dont la grâce fait notre salut.

12. Nous ne devons pas douter non     plus que cette chair mortelle elle-même ne doive ressusciter

 

1. Coloss. I, 6. — 2. I Tim. III, 15.

 

à la fin des siècles. « Il faut, en effet, ça que ce corps corruptible se revête d'incorruptibilité, et que mortel il se revête d'immortalité. On le sème dans la corruption, il lèvera dans l'incorruption ; on le sème dans l'abjection, il lèvera dans la gloire; on le sème corps animal, il lèvera corps spirituel (1) ». Telle est la croyance chrétienne, la croyance catholique, la croyance apostolique. Ayez foi au Christ quand il vous dit: « Pas un cheveu ne tombera de votre tête (2) » ; et repoussant toute idée, de doute, songez plutôt combien vous valez. Qu'est-ce en effet que notre Rédempteur pourrait dédaigner de ce qui nous appartient, quand il ne saurait être indifférent à un seul de nos cheveux? Comment encore pourrions-nous hésiter de croire qu'il communiquera a notre âme et à notre corps l'éternelle vie, quand pour l'amour de nous il a pris une âme et un corps afin de pouvoir mourir, quand il a quitté son corps en mourant et qu'il l'a repris pour ôter à la mort ses terreurs?

Je viens, mes frères, d'exposer à votre charité, dans la faible mesure de mes forces, ce qui est contenu dans le Symbole. Ce pont dé. signe le pacte sur lequel est établie notre société, et en le professant on donne un signe qui fait reconnaître qu'on est chrétien et fidèle. Ainsi soit-il.

 

1. I Cor. XV, 53, 42, 43. — 2. Luc, XXI, 18.

SERMON CCXV. EXPLICATION DU SYMBOLE. IV.
 

ANALYSE. — Environ huit jours après avoir donné le Symbole à apprendre aux Catéchumènes, on les réunissait pour le faite réciter à chacun d'eux, en particulier. C'est dans une de ces assemblées que saint Augustin prononça le discours suivant. Le lecteur remarquera que le grand Docteur s'attache moins à expliquer chaque détail du Symbole qu'à faire sentir la beauté et la vérité de ce qu'il contient.

 

1. Le Symbole du saint témoignage qui vous a été donné à tous ensemble et que vous avez récité aujourd'hui chacun en particulier, est l'expression de la foi de l'Église notre mère,

foi établie solidement sur le fondement inébranlable, sur Jésus-Christ Notre-Seigneur. « Nul en effet ne saurait poser d'autre fondement que le fondement établi, le Christ (221)  Jésus (1)». On vous a donc donné à apprendre et vous avez récité ce que vous devez avoir toujours dans l'âme et dans le coeur, répéter sur votre couche, méditer sur les places publiques, ne pas oublier en prenant votre nourriture, murmurer même intérieurement durant votre sommeil. Car en renonçant au démon, en dérobant à ses pompes et à ses anges votre esprit et votre âme, vous contractez l'obligation d'oublier le passé, de mépriser votre ancienne vie et de mener, par la sainteté de vos moeurs, une vie nouvelle comme l'homme nouveau que vous revêtirez; ou, comme s'exprime l'Apôtre, oublier ce qui est en arrière et vous élancer vers ce qui est en avant, afin d'atteindre à la palme céleste où vous appelle la vocation de Dieu (2), croire enfin ce que tu ne vois pas pour mériter de posséder ce que tu crois. « Qui, en effet, espère ce qu'il voit? Si donc nous espérons ce que nous ne voyons pas, c'est que nous l'attendons avec patience (3)» .

2. Notre foi, notre règle de salut consiste doue à croire en Dieu, le Père tout-puissant; le Créateur de toutes choses, le Roi des siècles, Roi immortel et invisible. Il est le Dieu tout-puissant, attendu que dès l'origine du monde il a tout créé de rien et qu'antérieur à tous les siècles il a formé et gouverne les siècles. Car il ne grandit pas avec le temps, il ne s'étend pas dans l'espace, il n'est circonscrit par rien de matériel; c'est l'éternité même demeurant en soi pleine et parfaite, sans qu'aucune pensée humaine soit capable de la comprendre et aucune langue de l'expliquer. D'ailleurs si l'oeil n'a point vu, si l'oreille n'a point entendu, si le coeur de l'homme n'a point pressenti la récompense qu'il promet à ses saints ; comment l'esprit pourrait-il concevoir,comment le coeur pourrait-il se représenter l'Auteur même de cette promesse, et comment la langue pourrait-elle en parler dignement ?

3. Nous croyons également en Jésus-Christ, son Fils et Notre-Seigneur, Dieu vrai de vrai Dieu, Fils divin de Dieu son Père, sans qu'il y ait deux dieux. Car le Père et lui sont un (4); il l'insinuait d'ailleurs quand il disait à son peuple par la bouche de Moïse : « Ecoute Israël, aces préceptes de vie; Le Seigneur ton Dieu a n'est qu'un Dieu (5) ».

Si maintenant tu cherches à te représenter comment le Fils éternel est né avant tous les

 

1. I Cor. III, 11. — 2. Philip. II, 13. — 3. Rom. VIII, 24, 25. — 4. Jean, I, 30. — 5. Deut. VI, 4.

 

temps de son Père éternel, attends-toi à ce reproche d'un prophète : « Qui expliquera sa génération (1) ?» Tu ne saurais donc ni te figurer, ni expliquer comment un Dieu naît d'un. Dieu; il t'est seulement permis de le croire afin de pouvoir arriver au salut; aussi l'Apôtre dit-il: « Il faut, pour approcher de Dieu, croire qu'il est et qu'il récompense ceux qui le cherchent (2) »..Veux-tu savoir encore comment il est né après avoir daigné prendre un corps pour notre salut? Ecoute et crois qu'il est né de la Vierge Marie, par l'opération du Saint-Esprit. Et toutefois qui pourrait expliquer aussi cette seconde naissance elle-même? Qui pourrait en effet se représenter convenablement comment un Dieu a voulu naître pour sauver les hommes, comment une Vierge l'a conçu sans connaître aucun homme, comment elle l'a mis au monde sans corruption et comment elle est demeurée Vierge après être devenue Mère? Car il est bien vrai que Jésus-Christ Notre-Seigneur a daigné entrer dans le sein d'une Vierge, pénétrer sans aucune souillure dans le corps d'une femme, féconder sa Mère sans aucune altération, sortir de ses entrailles après s'être formé lui-même, et en les conservant dans toute leur pureté ; unissant ainsi, dans celle qu'il a daigné choisir pour Mère, les honneurs de la maternité à la sainteté de la virginité. Mais qui pourra concevoir, expliquer un tel mystère? Qui pourra donc expliquer aussi cette seconde naissance? Quel esprit en effet pourrait comprendre, quelle langue serait capable d'expliquer, non-seulement comment le Verbe était dès le principe sans que sa naissance eût jamais commencé ; mais encore comment ce Verbe s'est fait chair (3), choisissant une Vierge pour en faire sa Mère, et la rendant Mère pour la conserver Vierge; comment il est Fils de Dieu sans avoir été conçu par une Mère, et comment il est fils de l'homme sans, avoir été engendré par un Père; comment, en venant en elle, il apporte la fécondité à une femme, sans lui ôter son intégrité lorsqu'il la quitte ? Quelles merveilles l Qui peut en parler? Qui peut s'en taire ? Chose étonnante ! en effet. Nous.ne saurions parler et il ne nous est pas permis de nous taire; nous publions au dehors, et nous ne pouvons comprendre au dedans. Ah ! si nous ne pouvons parler d'un tel bienfait de Dieu, c'est que nous

 

1. Isaïe, LIII, 8. — 2. Héb. XI, 6. — 3. Jean, I, 1,14.

 

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sommes trop petits pour en montrer la grandeur; et si nous nous centons contraints de l'en bénir, c'est que nous ne voulons point rester avec, l'ingratitude du silence. Grâce à Dieu, toutefois, puisque nous pouvons croire fidèlement ce que nous ne saurions dignement expliquer.

4. Ainsi nous croyons en Jésus-Christ, Notre-Seigneur, lequel est né, par l'opération du Saint-Esprit, de la Vierge Marie. Cette Vierge bienheureuse a effectivement conçu par la foi Celui qu'avec foi elle amis au monde. Lorsqu'un fils lui eût été promis, elle demanda comment il naîtrait d'elle, qui ne connaissait point son mari, attendu qu'elle ne savait point d'autre manière de concevoir et d'enfanter que par le rapprochement des sexes, non qu'elle l'eût expérimenté jamais, mais la nature le lui montrait souvent dans les autres femmes. L'ange alors lui répondit., : « L'Esprit-Saint descendra en vous, et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre ; c'est pourquoi ce qui naîtra saint de vous sera appelé le Fils de Dieu ». Et lorsque l'Ange eut ainsi parlé, pleine de foi et recevant le Christ dans son âme avant de le recevoir dans son sein . « Voici, dit-elle, la servante du Seigneur ; qu'il me soit fait selon votre parole (1) ». Que sans le concours de l'homme je conçoive en restant Vierge ; que du Saint-Esprit et d'une Vierge naisse Celui en qui l'Église renaîtra vierge du. Saint-Esprit: Que ce Saint,. qui. naîtra d'une Mère sans avoir de père, se nomme le Fils de Dieu ; car c'est Celui qui est né de Dieu son Père sans avoir de mère, qui a dû se faire fils de l'homme, prendre un corps qui lui permette, à sa naissance, de sortir d'un sein fermé, et plus tard, à sa résurrection, d'entrer dans une demeure fermée également. Ces choses sont merveilleuses parce qu'elles sont divines ; ineffables, parce qu'elles sont incompréhensibles ; et si la bouche humaine ne peut les expliquer, c'est que le cœur de l'homme ne saurait les pénétrer.

Marie crut donc et ce qu'elle crut s'accomplit en elle. Croyons aussi afin de pouvoir en profiter nous-mêmes. Si merveilleuse que soit à son tour cette seconde naissance, songe, ô homme, à ce que ton Dieu, a fait pour toi, à ce que le Créateur a entrepris pour sa créature c'est Dieu qui tout en demeurant dans le sein

 

1. Luc, I, 34-48.

 

de Dieu, c'est l'Éternel qui tout en vivant avec l'Éternel; c'est le Fils qui tout en restant l'égal de son Père , n'a pas dédaigné de se revêtir d'une nature d'esclave, en faveur de ses esclaves, coupables et pécheurs. Ah ! ce n'est point ce que méritaient les hommes. Nos iniquités appelaient plutôt la. vengeance sur nos têtes; mais si Dieu y avait eu égard, qui serait resté debout? C'est donc pour ses esclaves impies et pécheurs que :le Seigneur a daigné se faire homme, naître du Saint-Esprit et de la Vierge Marie.

5. Semblera-t-il peu de chose que pour des hommes; pour des pécheurs, pour des coupables, pour des captifs et pour des esclaves; Dieu même, le Juste, l'Innocent, le Roi suprême, le Maître souverain, soit venu parmi nous revêtu d'un corps humain, se soit montré sur la terre et ait vécu parmi les mortels ? Mais, de plus, il a été crucifié, il est mort et a été enseveli. Ne le crois-tu tuas ? Demandes-tu à quelle époque ? Le voici : c'est sous Ponce-Pilate. Pour écarter de toi tout doute, au sujet même de l'époque, on a eu soin de te faire connaître dans ce Symbole le nom propre du juge. Crois donc bien que sous Ponce-Pilate : le Fils de Dieu a été crucifié et enseveli.

« Il n'y a point, dit-il, de charité plus grande que de donner sa vie pour ses amis (1) ». Est-ce absolument vrai ? Ne peut-on rien de plus ? Non, Jésus-Christ l'a dit. Toutefois, interrogeons l'Apôtre, il ne dédaignera point de nous répondre à son tour. « Le Christ, dit-il, est mort pour les impies ». Il ajoute : « Que nous étions ses ennemis, nous avons été conciliés avec Dieu par la mort de son Fils ». N'est-ce point dans le Christ une charité plus grande, attendu qu'il a donné sa vie, non pour des amis, mais pour ses ennemis? Quel n’est donc pas l'amour, quel n'est pas l'attachement de Dieu pour les hommes, puisqu'il affectionne les pécheurs jusqu'à mourir pour eux ! « Ce qui montre sa charité envers nous, dit aussi l'Apôtre, c'est que dans le temps où nous étions encore pécheurs, le Christ est mort pour nous (2) ». Crois-le aussi; toi, et pour assurer ton salut ne rougis pas de le confesser : « car on croit de coeur pour être justifié, et on confesse de bouche pour être sauvé (3) » Aussi, pour éloigner de toi l'hésitation et la confusion, dès que tu as commencé à croire

 

1. Jean, XV, 13. — 2. Rom. V, 6, 10, 8. — 3. Ib. X, 10.

 

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as reçu le signe de la croix sur le front, comme sur le siége de la pudeur. Pense à ton front, pour n'avoir pas peur de la langue d'autrui. « Celui qui aura rougi de moi devant les hommes, dit le Seigneur lui-même, le Fils de l'homme rougira de lui devant les anges de Dieu (1) ». N'aie donc pas honte de l'ignominie de cette croix dont Dieu même n'a pas hésité de se charger pour toi, et dis avec l'Apôtre : « Loin de moi la pensée de me glorifier, sinon dans la croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ (2)». Le même Apôtre te répondra encore : « J'ai estimé ne savoir parmi vous que Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié (3) ». Ah ! Celui qu'un peuple a attaché à là croix est maintenant fixé au coeur de tous les peuples.

6. Pour toi, qui que tu sois, qui préfères mettre ta gloire dans la puissance plutôt que dans l’humilité, console-toi, tressaille d'allégresse. Après avoir été, sous Ponce-Pilate, crucifié et enseveli, il est le troisième jour, ressuscité d'entre les morts. Tu doutes encore ? Tu crains encore ? Quand on te disait : Crois qu'il est né, crois qu'il a souffert, qu'il a été crucifié, mort et enseveli, tu croyais plus facilement, parce qu'il ne s'agissait .en quelque sorte que d'un homme ; maintenant qu'on ajoute : Le troisième jour il est ressuscité d'entre les morts, tu doutes, mon ami ? Je pourrais te donner beaucoup de preuves, en voici une seulement : Pense à Dieu, songe qu'il est tout-puissant, et ne doute plus. S'il a pu te former du néant, lorsque tu n'existais pas; pourquoi n'aurait-il pu ranimer au milieu des morts cette humanité qu'il avait prise ? Croyons donc, mes, frères ; il ne faut pas un          long discours, quand il s'agit de la foi. Or, c'est cette foi seule qui sépare, qui distingue les chrétiens des autres hommes. Qu'il soit mort et qu'il ait été enseveli, c'est ce que croient aujourd'hui les païens mêmes, c'est ce que virent les Juifs alors ; mais ni les païens ni les Juifs n'admettent que le troisième jour il soit ressuscité d'entre les morts. C'est ainsi que cette résurrection d'entre les morts distingue notre. foi toute vivante de l'incrédulité morte. Aussi l'apôtre saint Paul écrivant, à Timothée lui dit : « Souviens-toi que Jésus-Christ est ressuscité d'entre les morts (4).». Croyons donc, mes frères, et espérons que s'accomplira en nous ce que nous voyons accompli

 

1. Marc, VIII, 38. — 2. Gal. VI, 14. — 3. I Cor. II, 2. — 4. II Tim. II, 8.

 

dans le Christ. C'est Dieu qui nous en a fait la promesse, et Dieu ne trompe point.

7. Après sa résurrection d'entre les morts, il est monté aux cieux et il est assis à la droite de Dieu le Père. Ici peut-être tu ne crois pas encore. Ecoute l'Apôtre : « Celui qui est descendu, dit-il, est Celui-là même qui est monté au-dessus de tous les cieux pour finir toutes choses (1) ». Ne crains-tu pas d'être châtié par Celui que tu refuses de croire ressuscité ? Carne, pas croire, c'est être déjà jugé (2). Il siège donc aujourd'hui; pour nous servir d'avocat, à la droite du Père, et c'est de là qu'il viendra juger les vivants et les morts. Croyons donc, afin qu'à la vie et à la mort nous soyons au Seigneur (3).

8. Croyons également au Saint-Esprit; car il est Dieu, puisqu'il est écrit : « L'Esprit est Dieu ». C'est par lui que nous recevons la rémission de nos péchés ; par lui que nous croyons à la résurrection de la chair; par lui que nous espérons l'éternelle vie.

Prenez garde toutefois de tomber dans l’erreur en calculant, de croire que j'ai nommé trois dieux en nommant un Dieu pour la troisième fois. Dans là Trinité, il n'y a qu'une seule nature divine; qu'une seule puissance, qu'une même vertu, qu'une seule majesté, qu'un seul nom adorable. C'est ce qu'enseignait à.ses disciples le Christ lui-même, lorsqu'il leur dit, après .sa résurrection d'entre les morts : «Allez, baptisez les nations », non pas aux noms, au pluriel, mais, au singulier, « au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit (4) ». En croyant ainsi à la divine Trinité et à l'unité des trois personnes divines, prenez garde, mes biens-aimés, de vous laisser séduire et entraîner hors de la foi et de l'unité, de l’Eglise catholique. « Si on vous prêche l'Evangile autrement que vous l’avez entendu, qu'on soit anathème ». Vous voyez ici non pas moi, mais l'Apôtre qui a dit encore: « Que ce soit nous ou un ange qui vous prêche l'Evangile autrement que vous l'ayez ouï, anathème (5) ! »

9. Vous reconnaissez donc clairement, mes bien-aimés, que jusque, dans les paroles du Symbole, on a fait intervenir la sainte Église comme la sanction et le complément des articles de notre foi. Par conséquent fuyez de toutes vos forces ces séducteurs de tout genre

 

1. Ephés. IV, 10. — 2. Jean, III, 18. — 3. Rom. XIV, 8. — 4. Jean, IV, 24. — 5. Matt. XXVIII, 19. — 6. Gal. I, 9, 8

 

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dont les sectes et les noms se trouvent trop nombreux, pour qu'on puisse les énumérer. Nous avons encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous n'êtes pas maintenant capables d'en supporter le poids (1). Il est une chose que je vous recommande d'obtenir par vos prières, c'est de détourner absolument l'esprit  et l'oreille de celui qui n'est pas catholique, afin de  pouvoir arriver à la rémission de vos péchés, à. la résurrection de la chair et à la vie éternelle, par le moyen de l'unique véritable et sainte Église catholique, où on apprend à connaître un seul Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit. A lui l'honneur et la gloire durant les siècles des siècles.

 

1. Jean, XVI, 12.
 
 
 
 
 

source: http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin/index.htm

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