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Saint Augustin d'Hippone
Sermons

SERMON CCXXXI. POUR LA SEMAINE DE PAQUES. II. LA RÉSURRECTION SPIRITUELLE.
 

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Analyse. — Rien de plus indubitable que la résurrection de Jésus-Christ. Or, Jésus-Christ est ressuscité pour nous faire ressusciter spirituellement avec lui, comme il est mort pour nous obtenir de mourir au vieil homme. Entrons vivement dans ses desseins : c'est le seul moyen d'arriver au bonheur que nous convoitons tous avec une ardeur si persévérante ; car le bonheur n’est pas ici-bas, nous ne l'y trouverons pas plus que Jésus-Christ ne l'y a trouvé, et comme lui nous ne l'aurons qu'au ciel, si toutefois nous méritons d'y entrer.

 

1. Comme d'habitude, on lit durant ces jours la Résurrection de Notre-Seigneur Jésus-Christ d'après tous les livres du saint Evangile. La lecture d'aujourd'hui nous montre comment à ses propres disciples, à ses premiers membres, à des hommes qui étaient toujours à ses côtés, le Seigneur Jésus reprocha de ne pas croire en vie Celui dont ils pleuraient la mort (1). Ainsi ces Pères de notre foi n'étaient pas fidèles encore; ces maîtres qui devaient amener l'univers entier à croire un enseignement pour lequel eux-mêmes devaient mourir, ne le croyaient pas encore. Ils avaient vu le ressusciter des morts, et ils ne croyaient pas qu'il fût ressuscité ! Ne méritaient-ils pas les reproches qui leur étaient adressés ? Le Sauveur voulait par là les faire connaître à eux-mêmes, leur montrer ce qu'ils étaient par eux-mêmes, et ce que par lui ils seraient à l'avenir. C'est ainsi que Pierre apprit à se connaître quand, aux approches de la passion et durant la passion même, il chancela si dangereusement. Il se vit alors tel qu'il était, il s'affligea, il pleura de ce qu'il était; puis il se tourna vers l’Auteur même de son être (2). Or les Apôtres ne croyaient pas même ce qu'ils avaient sous les yeux. Quelle grâce donc a daigné nous taire Celui qui nous a donné de croire ce que nous ne voyons pas ! Nous croyons sur leur témoignage, et ils n'en croyaient pas à leurs propres yeux !

2. Or cette Résurrection de Jésus-Christ Notre-Seigneur est l'emblème de la vie nouvelle que doivent mener ceux qui croient en lui; et tel est l'enseignement mystérieux qui

 

1. Marc. XVI, 14. — 2. Matt. XXVI, 33-35, 69-75.

 

 

ressort de sa résurrection ainsi que de sa passion et que vous devez vous appliquer à approfondir et à pratiquer de plus en plus. Est-ce en effet sans motif que notre Vie s'est dévouée à la mort; que cette Source de vie, que cette Source où on boit la. vie, a bu ce calice qu'elle ne méritait pas, puisque le Christ ne méritait pas la mort ?

D'où vient la mort ? Rendons-nous compte de son origine. Le père de la mort est le péché, et sans le péché nul ne mourrait; car au premier homme avait été donnée la loi de Dieu, ou plutôt un commandement spécial avec cette condition expresse qu'il vivrait s'il l'observait et qu'il mourrait s'il venait à le violer. Mais lui, ne croyant pas qu'il pût mourir, fit ce qui lui mérita la mort, et il reconnut combien était vraie la menace de Celui qui avait établi la loi. De là nous viennent et la mort et la mortalité, et les fatigues, et les souffrances de tout genre; de là aussi la seconde mort après la mort première, c'est-à-dire la mort éternelle après la mort temporelle. Or, dès sa naissance, chacun de nous est assujetti à cet empire de la mort, à ces lois du tombeau; à l'exception toutefois de Celui d'entre nous qui s'est fait homme pour ne pas laisser périr l'homme ; car il n'est point né sous l'empire du trépas, et voilà pourquoi il est dit de lui dans un psaume qu'il était « libre parmi les morts (1) »; libre pour avoir été conçu sans mouvement de convoitise par une Vierge qui l'a mis au mondé Vierge et qui est restée toujours Vierge; pour avoir vécu sans tache, car il n'est point mort pour avoir péché; s'il a pris part à nos

 

1. Ps. LXXXVII, 6.

 

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châtiments, il n'a pris aucune part à nos fautes. En effet la mort est le châtiment du péché; or, Notre-Seigneur Jésus-Christ est bien venu mourir, mais il n'est pas venu pécher, et en partageant avec nous la peine sans avoir partagé la faute, il nous a déchargés de la faute et de la peine. De quelle peine nous a-t-il déchargés ? De celle qui nous attendait au-delà de cette vie.

Par conséquent il a été crucifié afin de nous montrer sur la croix comment doit mourir en nous le vieil homme; et il est ressuscité afin de nous donner dans sa vie nouvelle l'idéal de la nouvelle vie que nous devons mener. C'est aussi l'enseignement formel d'un Apôtre : « Il a été livré, dit-il, pour nos péchés, et il est ressuscité pour notre justification (1) ». C'est encore ce que figurait la circoncision donnée aux patriarches, l'obligation de la pratiquer le huitième jour (2). Si cette circoncision se faisait avec des couteaux de pierre, c'est que la Pierre était Jésus-Christ (3); de plus elle annonçait en se pratiquant le huitième jour, que la résurrection du Sauveur servirait à nous dépouiller de la vie charnelle. Effectivement, le septième jour de la semaine tombe un samedi. Or, le samedi, le septième jour de la semaine, le Seigneur resta dans le tombeau, et il en sortit le huitième jour. Donc, puisque sa résurrection doit nous donner une vie nouvelle, il nous circoncit en quelque sorte en ressuscitant ce jour-là; et nous vivons dans l'espoir de ressusciter comme lui.

3. Ecoutons l'Apôtre : « Si vous êtes ressuscités avec le Christ », dit-il. Or, comment ressusciter, puisque nous ne sommes pas encore morts? Qu'a-t-il donc voulu dire par ces mots

« Si vous êtes ressuscités avec le Christ ? » Le Christ lui-même serait-il ressuscité s'il n'était mort auparavant ? Comment parler ainsi de résurrection à des hommes encore -vivants, à des hommes qui ne sont pas encore morts? Que prétend-il ? Le voici : « Si vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez les choses d'en haut, où le Christ est assis à la droite de Dieu; goûtez les choses d'en haut et non les choses de la terre; car vous êtes morts ». C'est l'Apôtre qui le dit, et non pas moi; mais il dit vrai, et voilà pourquoi je dis comme lui. Pourquoi dire comme lui ? « Je crois, de là vient que je parle (4)».

 

1. Rom. IV, 25. — 2. Gen. XVII, 12. — 3. I Cor. X, 4 ; Josué, V, 2. — 4. Ps. CXV, 5.

 

Ainsi donc, quand nous nous conduisons bien, nous sommes à la fois morts et ressuscités; et celui qui n'est ni mort ni ressuscité se conduit encore mal. En se conduisant mal, il ne vit pas. Qu'il meure donc pour ne pas mourir. Qu'il meure pour ne pas mourir? Qu'est-ce que cela signifie ? Qu'il change pour n'être pas condamné. « Si vous êtes ressuscités avec le Christ, dirai-je de nouveau avec l'Apôtre, recherchez les choses d'en haut, où le Christ est assis à la droite de Dieu; goûtez les choses d'en haut et non pas celles de la terre; car vous êtes morts et votre vie est cachée en Dieu avec le Christ. Quand le Christ, votre vie, apparaîtra, vous aussi vous apparaîtrez avec lui dans la gloire (1)». Ainsi parle l'Apôtre. Meure donc celui qui n'est pas encore mort, et que celui qui se conduit encore mal, change; car il est mort s'il a renoncé à ses désordres, et s'il se conduit bien, il est ressuscité.

4. Mais qu'est-ce que se bien conduire? C'est goûter les choses d'en haut et non les choses de la terre. Jusques à quand resteras-tu terre, pour retourner en terre (2) ? Jusques à quand baiseras-tu la terre ? Car en l'aimant tu la baises en quelque sorte et tu deviens l'ennemi de Celui dont il est dit dans un psaume: « Et ses ennemis baiseront la terre (3) ». Qu'étiez. vous ? Des enfants des hommes. Qu'êtes-vous maintenant ? Des enfants de Dieu. « Enfants des hommes, jusques à quand aurez-vous le coeur appesanti ? Pourquoi aimez-vous la vanité et recherchez-vous le mensonge ? » Quel mensonge recherchez-vous ? Je vais le dire.

Vous voulez être heureux, je le sais. Montrez-moi un larron, un scélérat, un fornicateur, un malfaiteur, un sacrilège, un homme souillé de tous les vices et chargé de, tous les forfaits, de tous les crimes, qui ne veuille vivre heureux. Je le sais, tous vous voulez vivre heureux ; seulement vous ne voulez pas rechercher ce qui fait le bonheur. Tu cours après l'or, parce que tu espères être heureux avec de l'or : ce n'est pas l'or qui rend heureux. Pourquoi recherches-tu le mensonge? Tu voudrais être honoré dans le monde; pour quoi ? Parce que tu comptes trouver le bonheur dans les dignités humaines et dans les pompes du siècle : mais ces pompes ne te rendent pas heureux. Pourquoi recherches-tu le mensonge ? Il en est ainsi de tout ce que tu

 

1. Coloss. III, 1-4. — 2. Gen. III, 19. — 3. Ps. LXXI, 9.

 

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convoites ici-bas, de ce que tu convoites à la manière du siècle, en aimant la terre, en baisant la terre ; tu le recherches pour être heureux; mais rien sur la terre ne te saurait procurer le bonheur. Pourquoi donc ne pas cesser de rechercher le mensonge ? Où espères-tu trouver le bonheur? « Enfants des hommes, jusques à quand aurez-vous le coeur appesanti? » Vous ne voulez pas qu'il le soit, et vous le chargez de terre ? Pendant combien de temps le coeur des humains a-t-il été appesanti? Il l'a été jusqu'à l'avènement du Christ, jusqu'à sa résurrection. « Jusques à quand aurez-vous le coeur appesanti ? Jusques à quand aimerez-vous la vanité et rechercherez-vous le mensonge? » Comment, vous recherchez, pour être heureux, ce qui doit vous rendre malheureux ? Vous êtes dupes de ce que vous convoitez; vous convoitez le mensonge même.

5.Tu voudrais être heureux? Je vais te montrer, si tu y consens, comment le devenir. Continue à lire : « Jusques à quand aurez-vous le coeur appesanti ? Jusques à quand aimerez-vous la vanité et rechercherez-vous le mensonge ? Sachez ». Quoi ? « Sachez que le Seigneur a glorifié son Saint (1) ». Le Christ est venu partager nos misères ; il a eu faim et soif, il a été fatigué et il a dormi ; on l'a vu faire des miracles et souffrir des indignités, flagellé, couronné d'épines, couvert à crachats, déchiré de soufflets, attaché à une croix, percé avec une lance, déposé dans un tombeau; mais il est ressuscité le troisième jour, après avoir fini ses travaux et donné la mort à la mort même. C'est là, c'est sur sa résurrection que je vous invite à tenir fixés vos regards. Dieu effectivement a glorifié son Saint jusqu'à le ressusciter d'entre les morts et lui faire l'honneur de s'asseoir à sa droite dans le ciel. Ainsi te montre-t-il ce que tu dois goûter si tu veux être heureux, puisque tu ne saurais l'être ici.

Non, tu ne saurais l'être ici, personne ne saurait l'être. Il est bon de chercher ce que tu cherches; mais ce que tu cherches n'est pas sur cette terre. Que cherches-tu ? La vie bienheureuse; Elle n'est pas ici. Si tu cherchais de l'or où il n'y en a pas, celui qui saurait qu'il n’y en a pas là ne te dirait-il point : Pourquoi creuser, pourquoi tourmenter la terre ? Tu

 

1. Ps. IV, 3, 4.

 

fais une fosse, mais c'est pour y descendre et non pour y rien trouver. A cet avertissement que répondrais-tu ? —  Mais c'est de l'or que je cherche. — Soit, je ne prétends pas que ce n'est rien, mais il n'y en a pas où tu en cherches, te dirait-on encore. — De même, quand tu me cries : Je veux être bienheureux, je réplique : C'est bien, mais ce bonheur n'est pas ici. Si Jésus-Christ l'a trouvé ici, tu l'y trouveras. Or, dans ce pays où règne la mort qui t'attend, qu'a-t-il trouvé ? En venant de cet autre pays, qu'a-t-il rencontré dans celui-ci, sinon ce qui s'y rencontre si abondamment ? Il a mangé avec toi, mais ce que tu possèdes dans ta misérable cellule. C'est ici qu'il a bu le vinaigre, ici qu'on lui a donné du fiel. Voilà ce qu'il a trouvé chez toi.

Et cependant il t'a convié à son splendide banquet, au festin des Anges, au banquet du ciel où lui-même sert d'aliment. Ainsi donc, s'il est descendu: jusqu'à toi, si chez toi il a trouvé tant de souffrances, s'il n'a pas dédaigné de s'asseoir avec toi à une table pareille, c'était polir te promettre sa propre table. Que nous dit-il en effet ? Croyez, soyez sûrs que vous serez admis aux délices de ma table, puisque je n'ai point dédaigné les amertumes de la vôtre. Il a pris pour lui ton mal, et il ne te communiquerait pas ses biens ? N'en doute pas. Oui, il nous a promis de vivre de sa vie ; mais ce qu'il a fait est bien plus incroyable encore, puisque pour nous il a enduré la mort. Ne semble-t-il pas nous dire : Je vous invite à partager ma vie, dans ce séjour où personne ne meurt, où la vie est réellement bienheureuse, où les aliments ne s'altèrent point, où ils nourrissent sans, s'épuiser? Voilà à quoi je vous appelle, à habiter la patrie des Anges; à jouir de l'amitié de mon Père et de l'Esprit-Saint, à vous asseoir à un banquet éternel, à m'avoir pour frère, à me posséder enfin moi-même, à partager ma vie. Vous refusez de croire que je vous donne ma vie ? Acceptez-en ma mort pour gage.

Maintenant donc, pendant que nous vivons dans ce corps de corruption, mourons avec le Christ en changeant de moeurs, et vivons avec lui en nous attachant à la justice ; sûrs de ne trouver la vie bienheureuse qu'après être montés vers Celui qui est descendu jusqu'à nous, et qu'après avoir commencé à vivre avec Celui qui est mort pour nous.

SERMON CCXXXII. POUR LA SEMAINE DE PAQUES. III. EXHORTATION A LA VRAIE PÉNITENCE.
 

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ANALYSE. — Avant de parler de la pénitence, saint Augustin n semble préoccupé que du mystère du jour, la résurrection de Jésus-Christ; il est manifeste cependant que tout prépare au but qu'il se propose. Effectivement il montre d'abord combien étaient déraisonnables les Apôtres en refusant de croire la résurrection du Sauveur. Le Sauveur avait devant eux ressuscité des morts, et sur la foi de témoins oculaires ils ne veulent pas admettre qu'il soit ressuscité d'entre les morts ! Ils avaient, par la bouche de Pierre, proclamé sa divinité, et maintenant il n'est plus à leurs yeux qu'un prophète ! En eux se révèle bien l'inconstance, la faiblesse de Pierre, dont l'incrédulité lui mérita d'être appelé Satan par le Fils même de Dieu qui venait de le proclamer bienheureux. Que dis-je ? Ils sont bien au-dessous du larron qui sur la croix confessa sa divinité et son éternel empire! — Cependant ces disciples ouvrirent les yeux et se convertirent ainsi au moment de la fraction du pain. Pourquoi ne les imiter vous pas, vous qui portez le nom de pénitents et qui ne faites aucunement pénitence? Vous comptez sur une vie longue? En êtes-vous sûrs ? Mais fût-elle longue, ne faut-il pas, pour ce motif même, qu'elle soit bonne ?

 

1. Aujourd'hui encore on a lu la Résurrection de Notre-Seigneur Jésus-Christ, mais d'après un autre Evangile, l'Evangile selon saint Luc. On a donc commencé à la lire d'après saint Matthieu, c'était hier d'après saint Marc, et c'est aujourd'hui d'après saint Luc : on a suivi ainsi l'ordre où sont placés les Evangélistes. Tous l'ont écrite comme ils ont écrit la passion; mais ces sept ou huit jours permettent de la lire d'après tous ces écrivains sacrés, tandis que la passion ne se lisant qu'un seul jour, c'est d'après saint Matthieu qu'on la lit. J'aurais voulu, il y a quelque temps, que chaque année aussi on lût la passion d'après, tous les évangélistes: on l'a fait d'abord; mais les fidèles, n'entendant plus uniquement ce qu'ils avaient l'habitude d'entendre, se sont émus. Il est vrai pourtant que celui qui aime les livres sacrés et ne veut pas rester toujours dans l'ignorance, connaît tous les textes et cherche avec soin à les comprendre tous. Mais chacun avance selon la mesure de foi qu'il a reçue de Dieu.

2. Examinons maintenant ce que nous venons d'entendre pendant la lecture sainte; il s'agit plus expressément du sujet dont j'ai déjà dit un mot à votre charité, de l'infidélité des disciples: et nous comprendrons combien nous sommes redevables à la bonté de Dieu, qui nous a accordé de croire ce que nous ne voyons pas.

Dieu donc les avait appelés et instruits lui-même, il avait fait sous leurs yeux des miracles éclatants, jusqu'à rendre la vie aux morts; il avait ressuscité des morts, et eux ne le croyaient pas capable de ressusciter son propre corps ! Des femmes étant venues à son tombeau n'y trouvèrent point ce corps sacré; mais des anges leur apprirent que le Seigneur était ressuscité, et elles vinrent l'annoncer aux disciples. Puis, qu'est-il écrit? Que venez-vous d'entendre? « Tout cela leur parut du délire ». Triste condition de la nature humaine ! Quand Eve rapporta ce que lui avait dit le serpent, on l'écouta sans hésiter; Adam ajouta foi au mensonge qu'elle redisait et qui devait nous donner la mort; et on ne crut pas ces saintes femmes qui publiaient la vérité où nous devions puiser la vie ! S'il ne faut pas croire les femmes, pourquoi Adam s'en rapporta-t-il à Eve? Et s'il faut les croire, pour quoi les disciples ne crurent-ils pas les saintes femmes? Ici donc contemplons l'immense bonté de Notre-Seigneur. Si Jésus-Christ Notre-Seigneur a voulu que le sexe faible annonçât le premier sa résurrection, en voici le motif: ce sexe avait fait, tomber l'homme, ce sexe dut servir à le relever; aussi une vierge fut-elle la Mère du Christ et une autre femme publia telle qu'il était ressuscité; si d'une femme nous est venue la mort, d'une autre femme la vie nous est venue.

Cependant les disciples n'ajoutèrent pas foi au témoignage des saintes femmes; elles disaient la vérité et eux les crurent en délire.

3. En voici deux autres qui faisaient route (255) ensemble et qui s'entretenaient de ce qui venait d'arriver à Jérusalem, de l'iniquité des Juifs et de la mort du Christ; ils voyageaient donc en causant et en pleurant comme mort Celui dont ils ignoraient la résurrection. A eux aussi apparut le Sauveur, il se joignit à eux j comme troisième et conversa amicalement. Mais leurs yeux étaient retenus de peur qu'ils ale reconnussent; car il fallait que leur coeur fût mieux préparé. Il diffère donc de se révéler à eux et leur demande de quoi ils s'entretenaient, afin de les amener à avouer ce que lui savait déjà. Vous l'avez remarqué, ils s'étonnent d'abord de ce qu'il paraît ignorer un événement si public et si frappant. « Etes-vous seul, lui dirent-ils, assez étranger à Jérusalem, pour ne savoir pas ce qui vient de s'y passer? Quoi donc? —  Relativement à Jésus de Nazareth, qui fut un prophète puissant en oeuvres et en paroles (1) ».

Est-ce bien vrai, chers disciples? Le Christ n’était-il qu'un prophète, lui, le Seigneur des prophètes? Donnez-vous à votre juge le nom de son serviteur? Hélas ! ils avaient adopté l'opinion d'autrui. Pourquoi dire l'opinion d'autrui? Ranimez vos souvenirs. Lorsque Jésus demanda personnellement à ses disciples : « Parmi les hommes, que dit-on de moi, fils de l'homme? » Les disciples rapportèrent différentes manières de voir. « Selon les uns vous êtes Elie; selon d'autres, Jean-Baptiste ; selon d'autres encore, Jérémie ou quelqu'un des prophètes ». C'étaient les opinions des étrangers et non la croyance des disciples. Il fallut pourtant que ceux-ci s'expliquassent. « Maintenant donc, qui prétendez-vous que je suis, vous? » Vous m'avez répondu d'après autrui, je veux savoir ce que vous croyez. Seul alors au nom de tous, car il y avait union entre tous, Pierre reprit: « Vous, êtes le Christ, de Fils du Dieu vivant » ; non pas quelqu'un d'entre les prophètes, mais le Fils même du Dieu vivant, l'inspirateur des prophètes et le Créateur des anges. « Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant ». Une telle confession méritait la réponse suivante que fit le Sauveur: « Tu es bienheureux, Simon, fils de dons, carte n'est ni la chair ni le sang qui iront révélé cela, mais mon Père qui est aux cieux. Aussi je te dis à mon tour : Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon

 

1. Luc, XXIV, 1-19.

 

Eglise, et les portes de l'enfer n'en triompheront pas. Je te donnerai les clefs du royaume des cieux , et tout ce que tu délieras sur la terre sera délié aussi dans le ciel, comme tout ce que tu lieras sur la terre sera lié dans le ciel aussi ». Voilà ce que mérita d'entendre la foi de Pierre et non Pierre lui-même. Comme homme, en effet, qu'était Pierre, sinon l'un de ceux dont il est dit dans un psaume: « Tout homme est menteur (1)? »

4. Aussi le Seigneur ayant annoncé immédiatement sa passion et sa mort, Pierre trembla et s'écria : « A Dieu ne plaise, Seigneur, cela ne vous arrivera point. — Arrière, Satan », reprit le Seigneur. Pierre nommé Satan ! Où sont ces autres paroles : « Tu es bienheureux, Simon, fils de Jonas? » Satan est-il bienheureux? S'il est bienheureux, c'est par la grâce de Dieu; s'il est Satan, c'est par lui-même. Aussi le Seigneur explique-t-il pourquoi il lui a donné ce nom. « C'est que tu ne goûtes pas, lui dit-il, les choses qui sont de Dieu, mais celles qui sont des hommes (2) ». Pourquoi était-il heureux.d'abord? « C'est que ni la chair ni le sang ne t'ont révélé cela, mais mon Père qui est aux cieux ». Pourquoi ensuite devient-il Satan? « C'est que tu ne goûtes pas les choses qui sont de Dieu », ces choses qui faisaient ton bonheur quand tu y prenais goût, mais que «tu goûtes celles des hommes ».

Voilà comment flottait l'âme des disciples, montant et descendant, se relevant et tombant, tantôt éclairée et tantôt dans les ténèbres; car c'est de Dieu que lui venait la lumière et c'est en elle-.même qu'elle trouvait l'obscurité. D'où lui venait la lumière? « Approchez-vous de lui et vous êtes éclairés (3) ». D'où lui venaient les ténèbres? « Qui par le mensonge, parle de son propre fonds (4) ». Pierre donc avait proclamé Jésus le Fils du Dieu vivant, et il craignait qu'il ne mourût, tout Fils de Dieu qu'il était, quand néanmoins il était venu dans le dessein de mourir ! Ah ! s'il n'était venu pour mourir, comment pourrions-nous vivre?

5. D'où nous vient la vie, et d'où lui est venue la mort? Ecoutons-le d'abord : «Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ». Est-il là question de mort? Où est-elle? D'où vient-elle? Comment viendrait-elle? Le Verbe était,

 

1. Ps. CXV, 11. — 2. Matt. XVI, 13-23. — 3. Ps. XXXIII, 6. — 4. Jean, VIII, 44.

 

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il était en Dieu et Dieu même. Si tu découvres là de la chair et du sang, tu y vois la mort. Comment donc le Verbe a-t-il pu mourir? Et comment nous, qui sommes sur la terre, qui sommes mortels, corruptibles et pécheurs, pouvons-nous avoir la vie? Il n'y avait pas en lui de principe de mort, ni en nous de principe de vie; il. a donc pris la mort qui vient de nous, pour nous donner la vie qui vient de lui. Comment a-t-il pris la mort qui vient de nous? « Le Verbe s'est fait chair et il a habité parmi nous ». C'est ainsi qu'il a pris de nous de quoi offrir pour nous. Et nous, comment nous est venue la vie? « Et la vie, c'était la lumière des hommes (1) ». C'est ainsi qu'il est la vie pour nous et que pour lui nous sommes la mort. Mais comment? Par condescendance de sa part et non par nécessité; car, s'il est mort, c'est qu'il a daigné mourir, c'est qu'il l'a voulu, c'est qu'il a eu compassion de nous, c'est qu'il a eu la puissance de mourir : « J'ai, dit-il, le pouvoir de déposer ma vie et le pouvoir de la reprendre (2) ».

Pierre ignorait cela, lorsqu'il trembla en entendant le Seigneur parler de sa mort. Mais aujourd'hui le Seigneur avait prédit et sa mort et sa résurrection pour le troisième jour. Ses prédictions s'étaient accomplies, et ceux qui les avaient entendues n'y croyaient pas. «Voici déjà le troisième jour que ces événements sont arrivés ; et nous espérions que c'était lui qui devait racheter Israël (3)». Vous l'espériez ? Vous en désespérez donc? Vous êtes déchus de votre espoir? Il faut que vous relève Celui qui voyage avec vous.

Ainsi c'étaient ses disciples, ils l'avaient entendu personnellement, ils avaient vécu avec lui, l'avaient reconnu pour leur Maître, ils avaient été formés par lui, et il, leur était impossible d'imiter et de partager la foi du larron suspendu à, la croix !

6. Quelques-uns d'entre vous ignorent peut-être ce que je viens de dire du larron; pour n'avoir pas entendu lire la passion d'après tous les évangélistes; car c'est notre évangéliste actuel, saint Luc, qui a rapporté ce que je rappelle. Saint Matthieu rapporte aussi qu'avec le Sauveur furent crucifiés deux larrons (4); mais il ne dit pas que l'un d'eux outragea le Seigneur, tandis que l'autre crut

 

1. Jean, I, 1, 14, 4. — 2. Ib. X, 18. — 3. Luc, XXIV, 21. — 4. Matt. XXVII, 38.

 

en lui; c'est saint Luc qui nous l'apprend. Contemplons dans le larron une foi que le Christ ne trouva point dans ses propres disciples, après sa résurrection même. Le Christ était attaché à la croix, le larron aussi; le Christ était au milieu, les larrons à ses côtés, L'un d'eux insulte, l'autre croit, au milieu le Christ prononce la sentence. Celui qui insultait ayant dit : « Si tu es le Fils de Dieu, délivre-toi » ; l'autre répondit : « Tu ne crains pas Dieu. Nous souffrons, nous, ce que nous avons mérité, mais lui, qu'a-t-il fait? » Se tournant alors vers Jésus : « Seigneur, dit-il, souvenez-vous de moi lorsque vous serez arrivé dans votre royaume ». Foi admirable !  j'ignore ce qu'on y pourrait ajouter. Ils ont chancelé, ceux qui ont vu le Christ ressusciter les morts; et il a cru, celui qui le voyait près de lui suspendu au gibet. Quand ceux-là chancellent, celui-ci croit. Quel beau fruit le Christ a cueilli sur ce bois aride ! Ecoutons ce que lui dit le Sauveur : « En vérité, je te le déclare, tu seras aujourd'hui avec moi dans le paradis ». Tu t'ajournes, mais je te connais. Eh ! comment ce larron qui a passé du crime devant le juge, et du juge à la croit, espérerait-il monter de la croix au paradis ! Aussi bien, considérant ce qu'il a mérité,il ne dit pas : Souvenez-vous de moi pour me délivrer aujourd'hui même; il dit : « Lorsque vous serez arrivé dans votre royaume, alors souvenez-vous de moi » , afin que si des tourments me sont dus, je les endure seulement jusqu'alors. Mais le Christ : Il n'en sera pas ainsi; tu as envahi le royaume des cieux tu as fait violence, tu as cru, tu l'as enlevé. Aujourd'hui même tu seras avec moi dans, « le paradis ». Je ne te retarde pas; à une foi si grande, je rends aujourd'hui ce que je dois.

En disant : « Souvenez-vous de moi lorsque vous serez arrivé dans votre royaume », le  larron croyait, non-seulement à la résurrection du Christ, mais encore à son règne futur. C'est bien à un pendu, à un crucifié, à un homme tout sanglant et immobile, qu'il dit; « Lorsque vous serez arrivé dans votre royaume ». Et les Apôtres : « Nous espérions ». Ainsi donc le disciple a perdu l'espérance là où l'a trouvée le larron.

7. Voici maintenant, mes bien-aimés, le sacrement auguste que nous connaissons. Le Sauveur voyageait donc avec eux; on le reçoit dans une hôtellerie, il rompt le pain; où (257) reconnaît alors (1). Ne disons pas, nous, qu'ici nous ne reconnaissons pas le Christ; nous le reconnaissons si nous croyons. Ce n'est pas assez de dire que nous le connaissons si nous croyons; si nous croyons, nous le possédons. Eux possédaient le Christ à table avec eux, nous l'avons, nous, dans notre coeur. Ne vaut-il pas mieux avoir le Christ dans le coeur que de l'avoir dans sa maison ? Notre coeur ne nous est-il pas plus intime que notre demeure? On encore le fidèle doit-il le reconnaître ? Le fidèle le sait, mais le catéchumène l'ignore. Que personne toutefois ne ferme devant lui la porte pour l'empêcher de l'apprendre.

8. Je disais hier à votre charité et je répète aujourd'hui que la résurrection du Christ se reproduit en nous si nous nous conduisons bien, si nous mourons à notre ancienne vie, et si notre vie nouvelle prend chaque jour de nouveaux accroissements (2). Il y a ici des pénitents en grand nombre, la file en est fort longue quand on leur impose les mains. Priez, pénitents; ils vont prier. J'examine ce qu'ils sont, et je trouve qu'ils se conduisent mal. Comment se repentir de ce qu'on fait ordinairement? Si on a du repentir, qu'on ne recommence point; mais si on recommence, le nom est faux, le crime reste. Il en est quelques-uns qui ont demandé la place assignée aux pénitents; il en est d'autres qui ont été excommuniés par nous et réduits à l'accepter; mais ceux qui l'ont demandée veulent continuer de faire ce qu'ils faisaient, et ceux que nous avons excommuniés et forcés d'accepter cette place, ne veulent pas en sortir, comme si c'était une place de choix. Ainsi ce qui doit être le séjour de l'humilité devient un théâtre d'iniquité. C'est donc à vous que je m'adresse; vous qui portez le nom de pénitents pans l'être, je m'adresse à vous. Que vous dire ? Que si je vous loue, ce n'est pas de votre conduite; j'en gémis et je la déplore.

— Que faire, tant je suis décrié? —  Changez, changez, je vous en prie. Le terme de votre vie est incertain ; chacun marche avec le

 

1. Luc, XXIV, 21-31. — 2. Ser. CCXXXI, n. 2, 3.

 

principe de sa mort. Pourquoi différer de commencer à bien vivre en pensant que vous aurez une vie longue? Quoi ! vous pensez à une longue vie sans redouter une mort subite?

Mais supposons que votre vie doive être longue; je cherche en vain un pénitent, je n'en trouve pas (1). Ah ! une vie longue ne vaut-elle pas mieux, si elle est bonne, que si elle était mauvaise? Personne ne veut d'un long souper qui soit mauvais, et tous ambitionnent une vie longue et mauvaise ? Si la vie est une chose importante, rendons-la bonne. Que cherches-tu de mauvais, dis-moi, en actions, en pensées, en désirs ? Tu ne te soucies ni d'une terre mauvaise, ni d'une mauvaise récolte, tu veux cela bon; arbres, chevaux, serviteurs, amis, enfants, épouse, tu veux tout cela bon. Pourquoi parler de ces choses assez importantes? Un simple vêtement, une chaussure même, tu les veux bons et non pas mauvais. Montre-moi donc une seule chose que tu voudrais mauvaise, une seule que tu voudrais sans qu'elle fût bonne. Tu ne veux pas non plus une métairie mauvaise, il te la faut bonne ; il n'y a que ton âme que tu veuilles mauvaise.

Pourquoi t'outrager ainsi ? Quel châtiment as-tu mérité de t'infliger à toi-même ? De tout ce que tu possèdes, il n'y a que toi que tu aimes en mauvais état. Admettez que je dis comme toujours et que comme toujours vous agissez. Je secoue, moi, mes vêtements devant Dieu ; je craindrais qu'il me reprochât de ne pas vous avertir. J'accomplis donc mon devoir et je demande que vous portiez du fruit; je voudrais tirer de vos bonnes couvres, non de l'argent, mais de la joie. Qui se conduit bien ne m'enrichit pas; qu'il continue pourtant, et il m'enrichira. Mes richesses ne sont-elles pas dans l'espoir que vous établirez sur le Christ? Je n'ai de joie, de consolation, de relâche au milieu de mes tentations et de mes dangers, que dans la sagesse de votre conduite. Je vous en supplie, rues frères, si vous vous oubliez, prenez pitié de moi.

 

1. Ces derniers mots ne sont pas dans tous les manuscrits.

SERMON CCXXXIII. POUR LA SEMAINE DE PAQUES. IV. LE SALUT PROMIS (1).
 

258

 

ANALYSE. — En quoi consiste le salut que promet Jésus-Christ lorsqu'il envoie ses Apôtres prêcher l'Évangile? Ce salut ne consiste pas dans la santé du corps, attendu que les animaux en peuvent jouir comme nous, mais dans la santé spirituelle à l'âme Il comprend même la résurrection du corps qui sera accordée aux justes, à la fin des siècles, à l'instar de la résurrection de Jésus-Christ.

 

1. Vous avez entendu la lecture du saint Evangile relative à la résurrection du Christ. C'est sur cette résurrection qu'est établie notre foi. Les païens, les impies et les juifs croient bien la passion du Sauveur, mais les chrétiens seuls croient sa résurrection.

Comme la passion rappelle les souffrances de la vie présente , ainsi la résurrection est l'indice de la béatitude de la vie future. Travaillons durant cette vie, réservons pour l'autre notre espoir. Voici le moment d'agir, ce sera alors le moment de jouir. Si l'on se porte lâchement au travail, n'y aurait-il pas impudeur à en réclamer le salaire ? On vient de rappeler encore ce que le Seigneur disait à ses disciples après sa résurrection. Il les envoya prêcher l'Évangile ; c'est un fait accompli, l'Évangile est prêché, il est parvenu jusqu'à nous; il est bien vrai que « leur voix a retenti par toute la terre et leurs paroles jusqu'aux extrémités du monde (2) ». Ainsi l'Évangile en avançant et en avançant toujours est arrivé jusqu'ici et jusqu'aux limites de l'univers. Mais les paroles adressées aux disciples nous rappellent brièvement ce que nous avons à faire et ce que nous avons à espérer. Voici ces paroles, vous vous les rappelez : « Celui qui croira et qui recevra le baptême , sera sain et sauf (3) ». Ici donc le Sauveur nous demande la foi et nous offre le salut : « Qui croira et recevra le baptême sera sain et sauf. ». En face d'une telle récompense, le travail demandé n'est rien.

2. « Celui qui croira et qui recevra le baptême sera sain et sauf ». Mais quoi ? Ceux qui entendaient parler ainsi n'avaient-ils pas

 

1. Marc, XVI, 16. — 2. Ps. XVIII, 5. — 3. Marc, XVI, 16.

 

la santé ? N'y a-t-il pas beaucoup d'hommes en santé qui croient, qui avaient la santé même avant de croire ? Ils l'avaient sûrement; mais combien est vaine la santé des hommes (1) ! Que vaut en effet cette santé dont jouissent comme toi tes animaux ? Et pourtant d'où vient-elle encore, sinon de Celui dont il est écrit : « Vous donnerez la santé Seigneur, aux animaux comme aux hommes »; et dont il est dit ensuite: « Selon l' abondance de votre miséricorde, ô mon Dieu ». Telle est en effet cette abondance de votre miséricorde que de vous découle la santé et sur le corps des hommes mortels, et sur la chair des animaux mêmes. Voilà pour tous cette miséricorde immense. Mais pour vos enfants? C'est vous, Seigneur, qui donnerez la santé aux animaux comme aux hommes. Nous donc, n'aurons-nous rien de plus? N’aurons-nous que ce que vous donnez aux hommes quels qu'ils soient et à leurs troupeaux ! La chose est impossible.

Qu'aurons-nous donc? Écoute: « Mais les enfants des hommes espéreront à l'ombre de vos ailes; ils s'enivreront de l'abondance de votre maison, vous les ferez boire au torrent de vos délices, car en vous est la source de vie (2) ». C'est le Christ lui-même qui est cette source de vie. Jusqu'à ce que s'épanchât sur nous cette source de vie, nous avions la santé dont jouissent les animaux. Mais vers nous que s'est dirigée cette source de vie, c'est pour nous qu'elle est morte. Nous refusera-t-elle sa vie après avoir subi nous la mort? Voilà, voilà la santé qui n'est pas vaine. Pourquoi? Parce qu'elle ne dépérit

 

1. Ps. LIX, 13. — 2. Ps. XXXV, 7-10.

 

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3. Remarquez avec soin ces expressions différentes : « Vous donnerez la santé, Seigneur, aux animaux comme aux hommes » ; aux hommes, à ceux qui sont du parti de l'homme proprement dit : « Quant aux fils des hommes », quant à ceux qui appartiennent au Fils de l'homme, « ils espéreront à l'ombre de vos ailes ». Représentez-vous ici deux hommes; ranimez votre foi , éveillez votre coeur; rappelez-vous d'un côté l'homme en qui nous avons été séduits, et d'autre part l'homme qui nous a rachetés. Est-ce que le premier était fils de l'homme ? Adam était homme, il n'était pas fils de l'homme. Jésus-Christ au contraire se dit constamment fils de l'homme; c'est pour reporter nos souvenirs sur cet homme qui ne fut point fils de l'homme; c'est pour nous montrer la mort dans l'un, dans l'autre la vie; dans l'un le péché, le pardon dans l'autre; les chaînes dans l'un, dans l'autre la délivrance; la condamnation dans celui-là, l'acquittement dans celui-ci. Ces deux hommes différents sont donc désignés par ces paroles : « Vous donnerez la santé, Seigneur , aux animaux comme aux hommes ». Aux hommes, à ceux qui appartiennent encore à l'homme , vous leur donnerez la santé que vous donnez aux bêtes. Aussi bien, comme il est écrit : « L'homme élevé en gloire n'a point compris ; il s'est comparé aux animaux sans raison et leur est devenu semblable (1) ». C'est pourquoi, à ces hommes qui se sont faits semblables aux animaux en ne comprenant pas et en s'abaissant au niveau des êtres dont, par leur création même, ils devaient être les maîtres, vous donnerez la santé comme aux animaux.

4. Mais est-ce de cette santé qu'il est dit : « Qui croira et recevra le baptême sera sain et sauf? » Il s'agit ici d'une santé bien différente; c'est de la santé dont jouissent les anges. Ne la cherchez point sur la terre ; elle est précieuse, mais elle n'y est pas ; elle ne vient pas de nos contrées, il n'y a point ici de santé pareille. Elevez votre coeur. Pourquoi chercher ici une telle santé ? Cette santé y est venue pourtant, mais elle y a trouvé la mort. Est-il vrai qu'en venant parmi nous après, s'être incarné, Jésus-Christ Notre-Seigneur a trouvé dans nos régions cette espèce de santé ? N'est-il pas vrai plutôt qu'en venant de sa patrie il

 

1. Ps. XLVIII, 13.

 

a apporté ici un trésor précieux, tandis qu'il n'a trouvé dans la nôtre que ce qui s'y rencontre partout ? Qu'y a-t-il ici en abondance ? On naît ici et l'on y meurt ; la naissance et la mort, voilà des choses dont la terre est pleine; aussi le Sauveur est-il né pour mourir ensuite.

Mais comment est-il né ? Il est venu parmi nous, mais ce n'est pas en suivant le chemin que nous avons suivi, car il descendait du ciel et venait de la part de son Père. Toutefois il est né sujet à la mort. Il est né du Saint-Esprit et de la Vierge Marie. Est-ce comme nous sommes nés d'Adam et d'Eve ? La concupiscence a eu part à notre naissance, non pas à la sienne ; car la Vierge Marie n'a ressenti ni embrassements humains, ni ardeurs de convoitise, et c'était pour l'en préserver qu'il lui fut dit : « Le Saint-Esprit descendra en vous et la vertu du Très-haut vous couvrira de son ombre (1) ». Cette Vierge Mère le conçut donc sans aucun commerce charnel, elle le conçut par la foi; et s'il naquit mortel, c'était en faveur des mortels. A quel titre était-il mortel ? C'est qu'il avait une chair semblable à la chair de péché (2); non pas une chair de péché, ruais une chair semblable à la chair de péché. Que renferme la chair de péché ? Le péché et la mort. Et que subit la chair semblable à la chair de péché ? Non pas le péché, mais la mort. Avec le péché elle aurait été une chair de péché, et sans la mort elle n'eût pas été semblable à la chair de péché. Voilà comment nous est venu le Sauveur ; il est mort, mais pour tuer la mort ; il amis en lui un terme à la mort que nous redoutions; il l'a prise et l'a étouffée, comme un puissant gladiateur s'empare d'un lion et le fait expirer.

5. Où est maintenant la mort? Cherche dans le Christ, elle n'y est pas; elle y a été, mais elle est morte en lui. O vie suprême, vous êtes la mort de la mort. Courage, mes frères, en nous aussi la mort mourra. Ce qui s'est fait d'abord dans le Chef se fera aussi dans les membres; en nous aussi la mort mourra. Mais quand ? A la fin des siècles, à la résurrection des morts; que nous croyons sans élever contre elle le moindre doute. « Qui croira et recevra le baptême sera sauvé ». Continue à lire, voici de quoi t'effrayer. « Mais

 

1. Luc, I, 25. — 2. Rom. VIII, 3.

 

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qui ne croira pas sera condamné ». Il est donc vrai qu'en nous la mort mourra et qu'elle vivra dans les damnés. Là où elle ne mourra point, elle sera éternelle, attendu que les supplices le seront; tandis qu'elle mourra en nous et qu'il ne sera plus question d'elle. En voulez-vous la preuve ?

Je vais vous rappeler quelques paroles des saints qui triomphent : vous les méditerez, vous les chanterez dans votre coeur, elles vous enflammeront d'espérance, elles vous attireront à la foi et aux bonnes oeuvres. Écoutez donc ces paroles que répéteront lès triomphateurs quand sera anéantie la mort; quand en nous la mort sera morte comme elle l'est dans notre Chef. « Il faut, dit l'Apôtre saint Paul, que ce corps corruptible revête l'incorruptibilité, et que mortel il revête l'immortalité. Alors s'accomplira cette parole de l'Écriture : La mort a succombé dans sa victoire ». Je vous ai dit qu'en nous-mêmes la mort serait anéantie : « C'est que la mort a succombé dans sa victoire » ; la mort est ainsi devenue la mort de la mort. Elle succombera pour ne plus se montrer. Pour ne plus se montrer, qu'est-ce à dire? Pour n'exister plus ni dans l'âme ni dans le corps. « La mort a succombé dans sa victoire ». Réjouissez-vous, heureux triomphateurs, réjouissez-vous et répétez : « O mort, où est ta victoire ? O mort, où est ton aiguillon (1)? » Saisis-tu , t'empares-tu , triomphes-tu, soumets-tu, frappes-tu et immoles-tu encore? «  O mort, où est ta victoire? O mort, où est ton aiguillon ? » N'a-t-il pas été brisé par mon Seigneur ? Quand tu t'es attaquée à lui, ô mort, tu. t'es anéantie pour moi.

Voilà donc le salut réservé à « qui croira et aura reçu le baptême, tandis que sera condamné celui qui ne croira point ». Evitez cette condamnation; aimez et espérez le salut éternel.

 

1. I Cor. XV, 53-55.

SERMON CCXXXIV. POUR LA SEMAINE DE PAQUES. V. LA FOI CHRÉTIENNE.
 

ANALYSE. — Quand Jésus-Christ rencontra les disciples d'Emmaüs, leur foi était bien inférieure à celle du bon larron sur la croix; ils n'avaient que la foi des païens et des Juifs qui croient bien la mort, mais qui n'admettent pas la résurrection du Sauveur. Pour nous, ne nous contentons pas de croire la résurrection ; en n'allant pas plus loin nous ne ferions que ressembler aux démons. Afin donc d'avoir une foi vraiment chrétienne, unissons à la foi l’amour et la pratique du bien.

 

1. On lit durant ces jours la résurrection du Seigneur d'après les quatre Evangélistes. S'il est nécessaire de les lire tous, c'est que chacun d'eux n'a pas tout dit, ils se complètent l'un l'autre et ils se sont comme entendus pour se rendre tous nécessaires.

Saint Marc, dont on a lu hier, l'Évangile, rapporte en quelques mots ce que saint Luc développe plus longuement, l'histoire de deux disciples qui sans être du nombre des douze Apôtres n'en étaient pas moins disciples du Seigneur, à qui le Seigneur apparut, comme ils faisaient route ensemble, et avec qui il voyagea. Il se contente en effet de dire qu'il leur apparut en route ; au lieu que saint Luc rapporte et ce que le Sauveur leur dit, et ce qu'il leur répondit, et jusqu'où il les accompagna, et comment ils le reconnurent à la fraction du pain. Tous ces détails sont dans saint Luc ; nous venons de les entendre.

2. Mais pourquoi, mes frères, pourquoi nous arrêter ici ? C'est que nous y trouvons de nouveaux motifs de croire la résurrection de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Déjà sans doute nous avions cette foi quand nous avons entendu l'Évangile et que nous sommes entrés (261) dans cette église ; je ne sais cependant comment il se fait qu'on écoute avec joie ce qui réveille le souvenir de cet événement. Notre coeur éprouverait-il le plaisir de croire que nous l'emportons sur ces disciples à qui le Seigneur se montra durant leur voyage ? En effet, nous croyons ce qu'ils ne croyaient pas encore; ils avaient perdu tout espoir, et nous n'avons aucune incertitude sur ce qu'ils révoquaient en doute. Ils avaient perdu tout espoir au Seigneur depuis qu'il avait été crucifié; c'est ce qui se révèle dans leurs réponses. « Quels sont, leur dit le Sauveur, ces discours que vous échangez, et de quoi êtes-vous tristes ? —  Etes-vous, reprirent-ils, le seul assez étranger à Jérusalem pour ignorer ce qui vient de s'y passer ? —  Quoi? » poursuivit le Seigneur. Il savait tout ; mais s'il les interrogeait sur ce qui le concernait personnellement, c'est qu'il désirait vivre en eux. « Quoi ? » demanda-t-il donc. — « Relativement à Jésus de Nazareth, qui fut un prophète puissant en couvres et en paroles ; et comment les princes des prêtres l'ont crucifié. Or, voici le troisième jour que tout a cela est arrivé. Pour nous, nous espérions ». Vous espériez ? Vous n'espérez donc plus ? Voilà tout ce que vous avez retenu de ses leçons ? Le larron sur la croix l'emporte sur vous. Vous avez oublié Celui qui vous instruisait; ce larron l'a reconnu pendant qu'il était suspendu à côté de lui. « Nous espérions ? » — Qu'espériez-vous ? —  « Que c'était lui qui a devait racheter Israël ». Eh bien ! ce que vous espériez et ce que vous n'espérez plus depuis qu'il a été crucifié, le larron l'a reconnu, car il a dit au Seigneur : «Seigneur, souvenez-vous de moi lorsque vous serez arrivé dans votre royaume (1)». C'est ainsi qu'il proclame que c'était lui qui devait racheter Israël. La croix fut pour lui une école ; il y reçut l’enseignement du Maître; et le gibet où le Sauveur était suspendu devint la chaire où il donnait ses instructions.

Ah ! puisqu'il vient de se joindre à vous, qu'il ranime en vous l'espérance. C'est ce qui arriva. Mais rappelez-vous , mes bien-aimés, comment après avoir retenu leurs yeux pour les empêcher de le reconnaître, le Seigneur Jésus attendit la fraction du pain pour se révéler à eux. Les fidèles comprennent ce

 

1. Luc, XXIII, 42.

 

que je dis ; eux aussi reconnaissent le Christ à la fraction du pain ; non pas de tout pain, mais du pain qui reçoit la bénédiction du Christ, car c'est uniquement celui-là qui devient son corps. C'est donc alors que ces disciples le reconnurent, furent transportés de joie et allèrent trouver les Apôtres. Ils les trouvèrent déjà instruits de la résurrection ; mais en leur rapportant ce qu'ils avaient vu, ils ajoutèrent de nouveaux détails à l'Evangile (1) ; détails racontés de vive voix d'abord tels qu'ils se sont accomplis, écrits ensuite et parvenus jusqu'à nous.

3. Croyons en Jésus-Christ crucifié, mais en reconnaissant qu'il est ressuscité le troisième jour. Cette croyance à la résurrection du Christ d'entre les morts nous distingue et de ces disciples, et des païens et des juifs. « Souviens-toi, dit l'Apôtre à Timothée, que Jésus-Christ, de la race de David,. est ressuscité d'entre les morts, selon mon Evangile (2). Si tu crois de coeur , dit encore le même Apôtre, que Jésus est le Seigneur, et si tu confesses de bouche que Dieu l'a ressuscité d'entre les morts, tu seras sauvé (3) ». Il s'agit ici du salut dont j'ai parlé hier en expliquant ces mots : « Qui croira et recevra le baptême sera sauvé (4) ».

Vous croyez, je le sais ; vous serez donc sauvés ? Croyez de coeur et confessez de bouche que le Christ est ressuscité d'entre les morts: mais que votre foi soit une foi de chrétiens et non pas de démons. Voici en effet une distinction que je fais, que je fais à ma manière; dans votre intérêt et selon la grâce que j'ai reçue de Dieu. Cette distinction une fois faite, choisissez et attachez-vous. Je viens de le dire, la foi qui nous montre Jésus-Christ ressuscité d'entre les morts, nous distingue d'avec les païens. Demande à un païen si le Christ a été crucifié? Il crie : Sans aucun doute; s'il est ressuscité? Non. Demande également à un juif si le Christ a été crucifié? Il avoue le crime de ses pères, il confesse ce crime ou pourtant il a sa part, car il boit ce qu'ont demandé pour lui ses ancêtres en criant : « Que son sang retombe sur nous et sur nos fils (5) ». Demande-lui encore s'il est ressuscité d'entre les morts? Il dira non, se rira et t'accusera. Voilà ce qui nous distingue d'avec eux, puisque nous croyons que le Christ, de la race

 

1. Luc, XXIV, 13-35. — 2. II Tim. II, 8. — 3. Rom. X, 9. — 4. Marc, XVI, 16; serm. CCXXXIII. — 5. Matt. XXVII, 25.

 

262

 

de David selon la chair, est ressuscité d'entre les morts. Mais les démons ne le savent-ils pas aussi? Ne croient-ils pas ces mystères dont ils ont même été témoins? Dès avant la résurrection ils s'écriaient: « Nous savons qui vous êtes, e Fils de Dieu ». En croyant à la résurrection du Christ, nous nous séparons d'avec les païens; séparons-nous aussi des démons, si nous en avons le pouvoir. Que disaient donc les démons? je vous le demande. « Nous savons qui vous êtes, le Fils de Dieu. — Taisez-vous, leur fut-il répondu (1) ». N'était-ce pourtant pas la même confession que fit Pierre, lorsque Jésus demanda à ses Apôtres : « Qui les hommes prétendent-ils que je suis? » Car les Apôtres ayant rapporté les opinions qu'on se faisait en dehors de leur société, le Seigneur ajouta : « Pour vous, qui dites-vous que je suis ? » et Pierre répondit : « Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant ». Ainsi les démons disent ce que dit Pierre; les malins esprits ce que dit un Apôtre. Aux démons pourtant on fait entendre ces mots : « Taisez-vous » ; et à Pierre, ceux-ci : « Tu es bienheureux (2) ». Ah ! que cette différence nous distingue aussi d'eux.

Pourquoi les démons le proclamaient-ils Fils de Dieu? Parce qu'ils avaient peur de lui. Et Pierre? Parce qu'il l'aimait. Choisissez, aimez aussi. Telle est la foi qui sépare les chrétiens des démons. Ce n'est pas une foi quelconque. « Tu crois », dit l'apôtre Jacques dans son épître, « tu crois qu'il n'y a qu'un Dieu; tu fais bien. Mais les démons le croient aussi, et ils tremblent ». C'est lui encore qui dit dans la même épître : « Si quelqu'un la foi sans les oeuvres, sa foi pourra-t-elle le sauver (3)? » L'apôtre saint Paul dit dans le même sens : « Ni la circoncision, ni

 

1. Marc, I, 24, 1.5. — 2. Matt. XVI, 13-17. — 3. Jacq. II, 19, 14.

 

l'incirconcision ne servent de rien ; mais la foi qui a agit par la charité (1) ».

Voilà donc notre distinction établie, ou plu. tôt la distinction que nous rencontrons, que nous constatons à la lecture. Or, si la foi nous distingue, distinguons-nous aussi par la conduite, distinguons-nous par nos couvres, enflammons-nous de la charité inconnue aux démons. C'est de ce feu que brûlaient les deux voyageurs. Quand en effet ils eurent reconnu le Christ et qu'ils le virent s'éloigner d'eux, ils se dirent : « Notre coeur n'était il pas tout brûlant lorsque nous étions sur la route et qu'il nous ouvrait les Ecritures (2)? » Brûlez de ce feu, pour ne brûler pas de celui qui brûlera les démons (3). Brûlez du feu de la charité, pour ne pas leur ressembler. Ce feu vous enlève, vous transporte, vous monte jusqu'au ciel. Quoi que vous ayez à endurer de fâcheux sur la terre, de quelque poids, de quelque accablement que vous charge l'ennemi, si votre coeur est vraiment chrétien, cette flamme de la charité s'élève toujours.Voici une comparaison.

Tiens un flambeau allumé, et tiens-le droit, la flamme se dirige vers le ciel; renverse-le, la flamme monte également; tourne-le du côté de la terre, est-ce que la flamme y va? De quelque côté que se dirige le flambeau, la flamme ne fait que s'élever vers le ciel. Que la ferveur spirituelle vous embrase ainsi du feu de la charité ; excitez-vous les uns les autres à chanter les louanges de Dieu et à vivre saintement. L'un est ardent, l'autre froid; que ha ferveur de l'un se communique à l'autre, que celui qui en a trop peu désire en avoir davantage et implore le secours du Seigneur. Le Seigneur est prêt à donner, aspirons à recevoir avec un coeur ouvert.

Tournons-nous, etc.

 

1. Gal. V, 6. — 2. Luc, XXIV, 32. — 3. Matt. XXV, 41.

SERMON CCXXXV. POUR LA SEMAINE DE PAQUES. VI. LA FOI ET L'HOSPITALITÉ (1).
 

263

 

ANALYSE. — Les disciples d'Emmaüs avaient perdu la foi, ils ne la recouvrèrent qu'au moment où Jésus-Christ, comme pour les récompenser de leur hospitalité; se révéla è eux en rompant le pain sacré. S'il disparut ensuite, c'était pour leur laisser, comme à nous, le mérite de la foi, et le bonheur de l'éternelle récompense.

 

1. Hier, ou plutôt la nuit d'hier, on a lu dans l'Évangile la résurrection du Sauveur. C’est dans l'Evangile selon saint Matthieu que nous a été faite la lecture d'hier; mais aujourd'hui, comme vous venez de l'entendre de la bouche du lecteur, c'est dans l'Évangile tel que fa écrit saint Luc que nous est présenté ce récit de la résurrection du Seigneur.

Il estime chose qu'il faut vous rappeler souvent et que vous ne devez oublier jamais, c'est qu'il ne faut pas s'inquiéter si un évangéliste dit quelquefois ce que ne dit pas un autre, attendu que celui-ci rapporte quelquefois aussi ce que n'a pas rapporté le premier. Il est même des détails que l'on trouve dans l'un d'eux et pas dans les trois autres; d'autres que l'on rencontre dans deux seulement, et d'autres enfin dans trois d'entre eux. Mais telle est l'autorité de ce saint Evangile, que les évangélistes étant les interprètes de l'Esprit-Saint, le témoignage d'un seul d'entre eux suffit pour établir la vérité. Voilà pourquoi ce que vous venez d'entendre, savoir, la rencontre que fit le Seigneur après sa résurrection de deux de ses disciples qui voyageaient ensemble et qui s’entretenaient de ce qui venait d'arriver, la question qu'il leur adressa en ces termes : « Quels sont ces discours que vous échangez, et pourquoi êtes-vous tristes? » et le reste, tout cela n'est rapporté que par saint Luc. Saint Marc a dit simplement en quelques mots que Jésus apparut sur la route à deux des siens; mais il a passé sous silence les interrogations et les réponses du Seigneur et des disciples (2).

2. Quel profit nous revient de cette lecture ?

 

1. Luc, XXIV, 13-31. — 2. Marc, XVI, 12, 13.

 

Un grand profit, si nous savons comprendre. Jésus donc leur apparut ; ils le voyaient et ne le reconnaissaient pas. Le Maître marchait avec eux sur la voie publique , ou plutôt il était lui-même leur voie; mais eux ne marchaient pas en lui et il les en trouva égarés. Quand il était avec eux, avant sa passion, ne leur avait-il pas tout prédit, annoncé qu'il souffrirait, qu'il mourrait et qu'il ressusciterait le troisième jour (1)? Il leur avait tout prédit, mais sa mort leur avait fait tout oublier ; en le voyant attaché à la croix ils se troublèrent jusqu'à perdre le souvenir de ses enseignements, l'attente de sa résurrection, et jusqu'à ne tenir plus à ses promesses.

« Nous espérions, disent-ils, que c'était lui qui devait racheter Israël ». Vous l'espériez, chers disciples ? Vous ne l'espérez donc plus? Comment ! le Christ est vivant ; et dans vous la foi est morte ? Oui, le Christ est vivant, mais il a trouvé la mort dans le coeur de ses disciples qui le regardent sans le voir, qui le voient sans le reconnaître. Car, s'ils ne le voyaient réellement pas, comment pourraient-ils entendre ses questions et y répondre ? Ils le considéraient comme un compagnon de voyage, lui qui était leur guide suprême ; et c'est ainsi qu'ils le voyaient sans le reconnaître. « Leurs yeux étaient retenus, vient-on de nous lire, pour qu'ils ne le reconnussent pas » . Ils n'étaient pas retenus pour qu'ils ne le vissent pas, mais pour qu'ils ne pussent le reconnaître.

3. Continuons, mes frères. A quel moment le Seigneur voulut-il qu'on le reconnût ? Au moment de la fraction du pain. Nous aussi,

 

1. Matt. XX, 18,19.

 

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nous en sommes sûrs, en rompant le pain nous reconnaissons le Seigneur. S'il ne voulut se dévoiler qu'en ce moment, c'était en vue de nous qui, sans le voir dans sa chair, devions manger sa chair. Toi donc, qui que tu sois, toi qui es vraiment fidèle, toi qui ne portes pas inutilement le nota de chrétien, toi qui n'entres pas sans dessein dans l'église, toi qui entends la parole de Dieu avec crainte et avec confiance, quelle consolation pour toi dans cette fraction du pain ! L'absence du Seigneur n'est pas pour toi une absence ; avec la foi tu le possèdes sans le voir.

Tout en conversant avec lui, ces disciples, au contraire, n'avaient pas la foi, et pour ne l'avoir pas vu sortir du tombeau, ils ne croyaient pas qu'il pût ressusciter ; ils avaient perdu la foi, ils avaient perdu l'espérance, et c'étaient des morts qui marchaient avec un vivant, des morts qui marchaient avec la Vie même. La Vie marchait bien avec eux, mais elle n'était pas rentrée encore dans leurs coeurs.

A ton tour donc, si tu veux avoir la vie, fais ce qu'ils firent pour arriver à reconnaître le Seigneur. Ils lui donnèrent l'hospitalité ; le Seigneur semblait vouloir aller plus loin, ils le retinrent, et après être parvenus au terme de leur propre voyage, ils lui dirent: « Demeurez avec nous, car le jour est sur son déclin ». Toi aussi, arrête l'étranger, si tu veux reconnaître ton Sauveur. L'hospitalité leur rendit ce que l'infidélité leur avait fait perdre, et le Seigneur se montra à eux au moment de la fraction du pain. Apprenez donc quand est-ce que vous devez rechercher le Seigneur, le posséder, le reconnaître ; c'est quand vous mangez. Les fidèles voient dans cette lecture quelque chose de bien supérieur à ce qu'y voient ceux qui ne sont pas initiés.

4. Le Seigneur Jésus se fit donc reconnaître, et il disparut aussitôt après. S'il les quitta de corps, il resta avec eux par la foi ; et, si aujourd'hui encore il est pour toute l'Eglise absent corporellement et résidant au ciel, c'est pour élever la foi. Eh ! où serait la tienne, si tu ne connaissais que ce que tu vois ? Si tu crois au contraire ce que tu ne vois pas, quels transports lorsque tu seras en face de la réalité ! Fortifie donc ta foi, puisque tu verras un jour : oui, arrivera ce que nous ne voyons pas ; oui, mes frères, cela arrivera ; mais en quel état seras-tu trouvé alors ? On dit parmi les hommes : Où est-il ? Quand et comment sera-t-il ? Quand, quand viendra-t-il ? N'en, doute pas, il viendra ; il viendra même malgré toi. Malheur à ceux qui ne croiront pas ! Pour eux, quelle frayeur, et pour les croyants, quelle allégresse ! Les fidèles seront dans la joie, et les infidèles dans la confusion. Les fidèles s'écrieront: Grâces vous soient rendues, Seigneur : c'est la vérité que nous avons entendue, que nous avons crue, que nous avons espérée ; nous la voyons maintenant. Les infidèles diront au contraire : Hélas ! pourquoi ne croyions-nous pas ? pourquoi regardions-nous comme des impostures ce que lisaient les chrétiens?

Honneur donc à ceux qui croient sans voir, puisqu'en voyant ils seront transportés de bonheur ! C'est pour notre salut en effet que le Seigneur a pris un corps et que dans ce corps il a enduré la mort, est ressuscité le troisième jour pour ne plus mourir, et nous a donné, en reprenant la chair qu'il avait quittée, le premier modèle d'une résurrection qui n'est plus sujette au trépas. Avec cette chair encore il est monté près de son Père, il est assis à la droite de Dieu, il a comme son Père la puissance judiciaire et nous espérons qu'il viendra juger les vivants et les morts. A son exemple nous comptons nous-mêmes reprendre dans la poussière ce même corps, ces mêmes ossements que nous avons aujourd'hui, et tous ces mêmes membres que Dieu réparera pour nous les laisser toujours. Tous donc nous ressusciterons; mais nous ne jouirons pas tous du même bonheur. « Un jour viendra où tous ceux qui sont dans les tombeaux entendront la voix du Fils de Dieu, et en sortiront; ceux qui auront fait le bien, pour ressusciter à la vie, mais ceux qui auront fait le mal, pour ressusciter à leur condamnation (1) ».

C'est ainsi qu'à leur honte se joindra le supplice, comme à la couronne sera décernée la récompense. « Les uns donc iront aux flammes éternelles, et les autres à l'éternelle vie (2) ».

Tournons-nous avec un coeur pur, etc.

 

1. Jean, VI, 28, 29. — 2. Matt. XXV, 49.
 
 
 
 
 

source: http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin/index.htm

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