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Saint Augustin d'Hippone
Sermons


SERMON CCXXXVI. POUR LA SEMAINE DE PAQUES. VII. CHARITÉ FRATERNELLE (1).
 

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ANALYSE. — Quoique Jésus-Christ fût mort pour nous purifier et ressuscité pour nous justifier, les Apôtres après sa mort et insurrection n'avaient pas même la foi ! Quel malheur pour eux ! En donnant l'hospitalité au Sauveur, qu'ils ne connaissaient pas, les disciples ouvrirent les yeux et furent justifiés. Qui donc pourrait exciter suffisamment aux oeuvres charitables ?

 

1. Ainsi que renseigne l'Apôtre, Jésus-Christ Notre-Seigneur « a été livré pour nos péchés, puis il est ressuscité pour notre justification (2) ». Sa mort nous jette à terre comme one semence, sa résurrection nous en fait sortir comme un germe. Sa mort, en effet, nous apprend à mourir à notre vie. Ecoute l'Apôtre : « Par le baptême, nous avons été ensevelis avec le Christ pour mourir, afin que comme de Christ est ressuscité d'entre les morts, nous aussi nous menions une vie nouvelle (3)». Il n'avait rien à expier sur la croix, puisqu'il lest monté sans péché; c'est à nous de nous piller par la vertu de ses souffrances, de placer sur cette croix tout le mal que nous avons commis, afin de pouvoir être justifiés par sa résurrection. Car tel est le sens précis attaché à ces deux membres de phrase : « Il a été livré pour nos péchés, puis il est ressuscité pour notre justification ». Il n'est pas dit: Il a été livré pour notre justification, puis il est ressuscité pour nos crimes. A sa passion est attachée l'idée de crime et l'idée de justice à sa résurrection.

2. Mais ce don, cette. promesse, cette grâce immense de la justification, tout, à la mort du Christ, s'évanouit pour ses disciples, ils perdirent même l'espérance. On leur annonçait la résurrection du Sauveur, mais ils regardaient cette nouvelle comme du délire; oui, la vérité hait pour eux du délire. Quand aujourd'hui on prêche la résurrection, ne plaint-on pas amèrement celui qui la considère comme une imagination vaine? Tous ne repoussent-ils pas, tous n'ont-ils pas en horreur et en aversion cette incrédulité? On se ferme les oreilles, on

 

1. Luc, XXIV, 13-31. — 2. Rom. IV, 25. — 3. Ib. VI, 4.

 

refuse d'écouter. Voilà pourtant ce qu'étaient les Apôtres après la mort de leur Maître; ils avaient des idées qui nous font horreur aujourd'hui; ces chefs du troupeau étaient coupables d'un crime qui fait horreur aux agneaux.

Quant à ces deux disciples à qui le Seigneur se montra sur la route et dont les yeux étaient retenus pour qu'ils ne le reconnussent pas, leurs paroles font connaître où ils en étaient, leur langage témoigne de ce qui se passait dans leur coeur, pour nous et non pour lui, car son regard plongeait au fond de leur âme. Ils s'entretenaient donc de sa mort; et lui se joignit à eux comme un troisième voyageur mais c'était la Voie même qui sur la voie leur parlait et échangeait avec eux des discours. Il leur demanda, quoiqu'il sût tout, de quoi ils s'entretenaient; mais c'était pour les amener à un aveu qu'il faisait ainsi l'ignorant. « Etes-vous le seul assez étranger à Jérusalem, lui répondirent-ils, pour ignorer ce qui vient de s'y passer à propos de Jésus de Nazareth, qui a été un grand prophète ? » Pour eux donc il n'était plus le Seigneur, mais un prophète ; et telle est l'idée que sa mort leur avait donnée de lui. Ils l'honoraient encore comme un prophète; ils ne le reconnaissaient pas comme le Seigneur des prophètes et des anges mêmes. « Et comment, poursuivent-ils, nos anciens et les princes des prêtres l'ont livré pour être condamné à mort. Et voilà déjà le troisième jour que tout cela s'est accompli. Nous espérions pourtant que c'était lui qui devait racheter Israël ». C'est à cela que se réduisent tous vos efforts? Vous espériez, et déjà vous désespérez? Vous voyez bien qu'ils n'avaient plus d'espoir.

Aussi le Sauveur commença-t-il à leur (266) expliquer les Ecritures, afin de leur faire voir le Christ là surtout où ils l'avaient méconnu et délaissé. Ce qui les avait portés à désespérer, c'est qu'ils l'avaient vu mort; et lui leur fit voir dans les Ecritures que sans mourir il ne pouvait être le Christ. Il leur démontra par les livres de Moise, par les suivants, et par les prophètes, qu' « il fallait », comme il le leur avait dit, « que le Christ mourût et entrât ainsi dans sa gloire ». Ils l'écoutaient avec des transports, avec des soupirs, et, comme ils l'exprimèrent, avec un coeur enflammé; mais ils ne reconnaissaient pas encore la lumière qui brillait à leurs yeux.

3. Quel mystère profond, mes frères ! Jésus entre chez eux, il devient leur hôte; et à la fraction du pain ils le reconnaissent, quand sa vie entière n'a pu suffire à leur ouvrir les yeux. Apprenez donc à pratiquer l'hospitalité, puisque c'est le moyen de reconnaître le Christ. Ignorez-vous que recevoir un chrétien, c'est le recevoir lui-même ? N'est-ce pas lui qui dit : « J'étais étranger, et vous m'avez et accueilli? » Qu'on lui demande alors: « Quand vous avons-nous vu étranger? » Il répond : « Lorsque vous avez fait du bien aux derniers de mes frères, c'est à moi que vous en avez fait (1) ». Par conséquent, lorsqu'un chrétien reçoit un chrétien, c'est un membre qui rend service à un autre membre; le Chef se réjouit alors et considère comme donné à lui-même ce que reçoit un de ses membres. Ici donc nourrissons le Christ quand il a faim, donnons-lui à boire quand il a soif, des vêtements quand il en manque, l'hospitalité quand il voyage, et visitons-le quand il est malade. C'est ce que réclame notre vie voyageuse;

 

1. Matt. XXV, 35, 38,40.

 

c'est ce qu'il faut faire dans cet exil où le Christ est indigent, car tout riche qu'il soit en lui-même, dans les siens il est pauvre.

Oui, riche en lui-même, dans les siens il est pauvre; c'est pourquoi il appelle à lui tous ceux qui sont dans le besoin. Avec lui en effet il n'y aura ni faim, ni soif, ni nudité, ni maladie, ni exil, ni fatigue, ni douleur. Je sais qu'on n'éprouvera rien de tout cela; mais qu'éprouvera-t-on? Je l'ignore. La raison en est que je connais trop ces souffrances, tandis que l'oeil n'a point vu, ni l'oreille entendu,ni le coeur de l'homme pressenti les biens qu'on goûtera près de lui (1). Nous pouvons, durant ce voyage, aimer ces biens immenses, les désirer, les appeler de tous nos soupirs; nous ne saurions nous les représenter ni en parler convenablement. Pour mon compte, j'en suis sûrement incapable. Cherchez donc, mes frères, qui sera plus heureux que moi. Si vous parvenez à trouver quelqu'un ; menez-moi pour être avec vous son disciple. Ce que je sais, c'est que a Celui qui peut faire au-delà « de nos demandes , de nos conceptions mêmes (2) », conduira ses élus dans ce séjour où s'accompliront ces paroles : « Heureux ceux qui habitent en votre demeure, ils vous béniront durant les siècles des siècles (3) ». Là toute notre occupation sera de louer Dieu. Mais comment louer si nous n'aimons pas, et aimer si nous ne voyons pas? Nous verront donc alors la Vérité, et cette Vérité sera Dieu même, l'objet de nos louanges. Là nous contemplerons cet Amen que nous avons chanté aujourd'hui; c'est la Vérité même. Alleluia, louez le Seigneur.

 

1. I Cor, II, 9. — 2. Ephés. III, 20. — 3. Ps. CXXXIII, 5.

SERMON CCXXXVII. POUR LA SEMAINE DE PAQUES. VIII. RÉALITÉ DE L'INCARNATION (1).
 

267

 

ANALYSE. — Quand Jésus-Christ apparut pour la première fois à ses disciples, le jour même de sa résurrection, ils crurent que c'était un esprit. Les Manichéens disent également que Jésus-Christ n'avait pas une chair véritable ; et comme l'esprit est au-dessus de la chair, ils se vantent d'avoir sur le Sauveur des idées plus élevées que nous. Mais disons-nous que Jésus-Christ soit chair simplement ? N'enseignons-nous pas qu'il est le Verbe de Dieu et qu'il a pris un corps et une âme semblables aux nôtres? Ainsi nous croyons de lui beaucoup plus que les Manichéens. Lui-même d'ailleurs a tenu à démontrer à ses apôtres la réalité de sa chair : c'est ce que nous apprend le passage de saint Luc que nous expliquons. Soyons donc sûrs de ce que nous enseigne la foi catholique, savoir, que le. Verbe de Dieu s'est uni personnellement à la nature humaine.

 

1. On vient d'achever la lecture de ce qui se rapporte, dans l'Evangile selon saint Luc, à la résurrection du Seigneur; et nous venons de voir le Sauveur apparaissant au milieu de ses disciples au moment même où ceux-ci révoquaient en doute sa résurrection ou plutôt n'y croyaient pas. Il leur apparut alors si inopinément et d'une manière si merveilleuse, que tout en le voyant ils ne le voyaient pas. N'apercevaient-ils pas vivant Celui dont ils avaient pleuré la mort? N'apercevaient-ils pas debout su milieu d'eux Celui qu'ils avaient vu avec douleur suspendu. à la croix? Ils le voyaient donc; mais comme ils n'en croyaient pas leurs propres regards, ils s'estimaient trompés. « Ils s'imaginaient avoir un esprit sous les yeux », tient-on de vous dire.

Ainsi ces Apôtres chancelants se firent alors sur le Christ les idées que se sont faites depuis d'abominables hérétiques. Aujourd'hui encore il est des hommes qui n'admettent pas que le Christ ait eu un corps véritable; aussi bien refusent-ils de croire et qu'une Vierge l'ait mis au monde, et même qu'il soit né d'une femme. Du symbole de leur foi ou plutôt de leur infidélité ils bannissent complètement ces mots : « Et le Verbe s'est fait chair (2) » ; et toute cette économie de notre salut où nous voyons se faire homme, pour retrouver l'homme perdu, le Créateur divin de l'homme ; où nous voyons le christ, pour la rémission de nos péchés, répandre non pas un sang faux, mais un sang véritable et effacer par ce sang réel l'arrêt de

 

1. Luc, XXIV, 37-39. — 2. Jean, I, 14.

 

notre condamnation, de coupables hérétiques cherchent à l'anéantir complètement; et, d'après les Manichéens, ce que le regard de l'homme vit dans le Christ était purement spirituel et n'avait rien de corporel.

2. Mais voici l'Evangile qui parle. Le Seigneur était debout au milieu de ses Apôtres, et ils ne croyaient pas encore qu'il fût ressuscité. Ils le voyaient, et croyaient ne voir qu'un esprit. S'il n'y a point de mal à croire que le Seigneur fût un esprit sans corps; oui, s'il n'y a point de mal à cela, qu'on laisse les disciples avec cette idée. — Soyez bien attentifs, pour comprendre ma pensée; et que Dieu me donne la grâce de l'exprimer comme le réclame votre intérêt. Je reprends donc. — Voici ce que disent quelquefois, pour faire illusion, ces hommes détestables qui font profession de détester la chair et qui vivent selon la chair Quels sont ceux qui se font du Christ une idée plus digne de lui ? Sont-ce ceux qui lui donnent un corps de chair, ou bien nous qui disons de lui qu'il était Dieu, qu'il était un esprit et que c'était comme Dieu et non comme corps humain qu'il se montrait aux hommes? Qu'y a-t-il de plus élevé, de la chair ou de l'esprit ? —  Que répondre, sinon que l'esprit l'emporte sur la chair? —  Donc, poursuit-on, puisque, d'après toi-même, l'esprit l'emporte sur la chair, je me fais du Christ une idée meilleure en prétendant qu'il n'était pas chair , mais esprit. — O erreur déplorable! —  Pourquoi ? —  Ai-je dit que le Christ fût chair? Tu prétends qu'il est esprit; j'enseigne, moi, qu'il est chair et esprit. Tu ne dis pas mieux, tu dis (268) moins. Ecoute donc tout ce que je professe, ou plutôt tout ce que professe la foi catholique, tout ce que publie la vérité la mieux établie et la plus incontestable. Selon toi le Christ ne serait qu'un esprit, il ne serait donc que ce qu'est notre esprit ou notre âme : voilà ce que tu prétends. Je dis , comme toi , que le Christ était un esprit de même nature et de même substance que le nôtre ; mais, ce que tu ne dis pas, c'est qu'à cet esprit étaient unis et le Verbe et la chair. Il n'y avait en lui, prétends-tu, qu'un esprit humain ; pour moi, je mets en lui et le Verbe, et l'esprit, et la chair, la divinité et l'humanité. Si je ne veux point m'étendre longuement pour exprimer tout ce qu'il est, je dis simplement qu'il est un Dieu fait homme. Il est à la fois vrai Dieu et vrai homme; rien de faux dans son humanité, comme rien de faux dans sa divinité. Si toutefois tu me demandes ce que contient son humanité, je répète encore qu'elle est composée d'une âme humaine et d'un corps humain. Tu es homme, parce que tu as une âme et un corps; il est le Christ, parce qu'il est Dieu et homme. Voilà ma doctrine.

3. Tu te vantes d'en avoir une meilleure parce que tu répètes: Mais c'était un esprit; il se montrait esprit, on le voyait comme tel, c'est l'esprit qui faisait tout en lui sous une apparence humaine. C'est là ta pensée; je le dis de nouveau : c'était aussi la pensée de ses disciples. Eh bien ! si tu ne parles point mal, si ton opinion est vraie, celle des disciples l'était aussi; et si le Seigneur les y a laissés, nous devons t'y laisser aussi , puisque la tienne ne diffère pas de la leur, et que si tu as raison, ils avaient raison comme toi. Mais non, ils n'avaient pas raison.

« Pourquoi vous troublez-vous ? » leur dit le Seigneur. Ainsi ta manière de voir leur fut inspirée par le trouble. Que s'imaginaient-ils donc? Voir un esprit; c'est alors que le Seigneur leur dit : « Pourquoi vous troublez-vous, et pourquoi ces pensées montent-elles dans votre coeur? » C'étaient donc des pensées terrestres; si elles fussent venues du ciel, elles seraient descendues dans le coeur, elles n'y seraient pas montées. Pourquoi nous dit-on Elevez votre coeur, sinon afin que ce coeur, placé en haut par nous, ne se heurte point contre les pensées terrestres qu'il rencontrerait? « Pourquoi êtes-vous troublés et pourquoi ces pensées montent-elles dans votre coeur? Voyez mes mains et mes pieds; touchez et voyez ». S'il ne vous suffit pas de regarder, mettez la main. Si ce n'est même par assez de mettre la main après avoir regardé, touchez. Le texte ne signifie même pas simplement : Touchez, mais : Palpez, serrez; que vos mains servent à constater si vos yeux vous trompent : « Touchez et voyez » ; prenez comme vos yeux à vos mains. Touchez, et reconnaissez, quoi? « Qu'un esprit n'a ni chair ni os, comme vous m'en voyez ».

Avec les disciples tu étais dans l'erreur, reviens avec eux à la vérité. L'erreur est une faiblesse humaine, je l'accorde : vous croyez que le Christ n'est qu'esprit; Pierre se l'imagina aussi, avec les autres Apôtres, quand ils pensèrent voir en lui une espèce de fantôme; mais ils ne persévérèrent point dans cette opinion erronée. Le Médecin ne les laissa pas avec cette plaie qu'ils avaient sûrement au coeur, il s'approcha d'eux, il leur appliqua le remède convenable : pour fermer ces ouvertures qu'il voyait dans leur âme, il conserva les plaies qu'il portait dans son corps.

4. Voilà quelle doit être notre croyance. Je sais que telle est la vôtre; mais de peur que  quelque plante funeste ne croisse dans ce champ du Seigneur, je m'adresse à ceux mêmes que  je ne vois pas ici. Nul ne doit avoir sur le Christ que les idées autorisées par lui, et devant lui il nous importe de les nourrir; car c'est lui qui nous a rachetés, qui a recherché notre salut, qui pour nous a répandu son sang, qui a souffert pour nous ce qu'il ne méritait pas, et qui nous a mérité ce dont nous n’étions pas dignes. Réglons ainsi notre foi.

Qu'est-ce que le Christ? Le Fils de Dieu, le Verbe de Dieu. Qu'est-ce que le Verbe de Dieu ? Ce que ne saurait exprimer le verbe ou la paré de l'homme. Tu me demandes ce que c'est que le Verbe de Dieu? Si je voulais t'expliquer ce que c'est que le verbe de l'homme, je ne le pourrais ; je me fatiguerais, je serais embarrassé, je succomberais à la tâche ; non, je ne puis montrer tout ce qu'il y a de force dans la parole humaine, Avant de vous exprimer mon idée, j'ai une parole dans l'esprit; cette parole n'est pas prononcée encore, mais elle est en moi; je la prononce, elle arrive jusqu'à toi, sans néanmoins s'éloigner de moi. Vous voilà tous attentifs à ma parole; ce que je dis sert de nourritures à vos âmes. Si cette nourriture était destinée à vos corps, vous vous la partageriez et chacun (269) d'entre vous ne pourrait la recevoir tout entière; il faudrait la diviser en des portions d'autant plus nombreuses que vous êtes ici plus nombreux, et chacun recevrait d'autant moins que votre multitude est plus considérable. Maintenant, au contraire, je vous dis en Tous présentant la nourriture spirituelle : Acceptez, prenez, mangez ; et vous acceptez, vous mangez, sans faire de partage. Chacune de mes paroles est pour vous tous et pour chacun de vous. Voilà dans quel sens on ne aurait expliquer suffisamment la force mystérieuse de la parole humaine, et vous me demandez encore : Qu'est-ce que la Parole de Dieu? C'est la Parole de Dieu qui nourrit tant de milliers d'anges, car leur nourriture est toute spirituelle. Cette Parole ou ce Verbe remplit les anges, elle remplit le monde et elle remplit aussi le sein de la Vierge, mais ans être là trop au large et ici à l'étroit. Qu'est-ce que ce Verbe de Dieu ? Que lui-même nous le dise. Il le dit, mais en peu de mots qui expriment beaucoup : « Mon Père et moi, nous sommes un (1) ». Ne compte

 

1. Jean, I, 30.

 

pas ici, pèse. Pourquoi? C'est que bien des paroles ne sauraient expliquer cette unique Parole.

Eh bien ! c'est « ce Verbe » ineffable qui « s'est fait chair et qui a habité parmi nous (1) ». Il a pris l'humanité tout entière, l'âme et le corps. Veux-tu quelque chose de plus exact ? La bête ayant aussi un corps et une âme, en disant que le Verbe s'est uni à une âme humaine et à un corps humain, j'entends désigner ici l'âme tout entière. Ce point de doctrine a donné lieu à une hérésie; il y a eu des esprits pour prétendre que l'âme du Christ n'était douée ni d'entendement, ni d'intelligence, ni de raison, et que le Verbe divin lui tenait lieu de raison, d'intelligence et d'entendement. Loin de toi cette idée ! De nous le Verbe a tout racheté comme il a tout créé, et il a tout pris comme il a délivré tout. En lui donc est l'entendement et l'intelligence; en lui l'âme qui fait la vie du corps, en lui le corps véritable et complet ; le péché seul lui est étranger.

 

1. Jean, I, 14.

 

SERMON CCXXXVIII. POUR LA SEMAINE DE PAQUES. IX. L'ÉPOUX ET L'ÉPOUSE (1).
 

 

ANALYSE. — Le passage à expliquer aujourd'hui est la condamnation de plusieurs hérésies qui attaquent le Christ et l'Eglise. Les Manichéens et les Priscillianistes prétendent que le Christ n'avait pas une chair véritable : le Christ enseigne ici formellement le contraire. Les Donatistes soutiennent que l'Eglise est circonscrite dans une partie du monde : le Christ dit expressément qu’elle s’étend par tout l’univers.

 

 

1. Ce passage sacré de l'Evangile, que nous usons chaque année, nous montre quel est le vrai Christ et quelle est l'Eglise vraie; il veut que nous évitions l'erreur, soit en supposant su saint Epoux une épouse différente de la sienne, soit en attribuant à la sainte épouse un époux autre que le sien. Afin donc de rester dans la vérité, relisons dans l'Evangile ce qui est comme leur acte matrimonial.

2. Il y a eu, il y a encore des hommes qui s'égarent en prétendant que Notre-Seigneur Jésus-Christ n'avait pas un corps véritable. Eh bien ! qu'ils prêtent l'oreille à ce que nous venons d'entendre. Il est au ciel, mais il se

 

1. Luc, XXIV, 37-48.

 

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fait entendre jusqu'ici ; il est assis à la droite du Père, mais sa voix retentit au milieu de nous. A lui donc de se faire connaître, à lui de se manifester. Pourquoi invoquer sur lui d'autre témoignage que le sien? Ecoutons-le plutôt lui-même.

Il vient d'apparaître à ses disciples, et soudain il s'est trouvé debout au milieu d'eux; la lecture vous l'a redit; et les disciples tout troublés se sont imaginé voir un esprit. Telle est aussi l'opinion de ceux qui ne croient pas la réalité de sa chair, comme font les Manichéens, les Priscillianistes, et d'autres contagions semblables dont je ne dois pas prononcer même le nom. Ces hérétiques ne pensent pas que le Christ n'existe point, ils n'ont pas cette idée; mais ils le regardent comme un esprit qui n'était pas uni à un corps. Et toi, Eglise catholique? et toi, épouse fidèle, quelle est ton idée? Quelle est-elle, sinon celle qu'il t'a enseignée? Et je reconnais que sur lui tu une pouvais interroger de témoin plus digne de foi que lui-même. Quelle est donc ton idée? Ce qu'il t'a appris, savoir que le Christ est tout à la fois le Verbe de Dieu, un esprit et un corps humains. Comment sais-tu qu'il est te Verbe? « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu; il était en Dieu dès le commencement (1) ». Comment sais-tu qu'il y a en lui un esprit humain? « En inclinant la tête, il rendit l'esprit (2) ». Et un corps humain? Le voici , et sois indulgent pour ceux qui partagent l'erreur où étaient d'abord les disciples. Observe toutefois que ces disciples n'y persévérèrent point.

Les disciples pensaient donc, comme aujourd'hui les Manichéens et les Priscillianistes, que le Christ Notre-Seigneur n'avait pas une chair réelle, et qu'il n'était qu'un esprit. Jésus les laissa-t-il dans cette erreur.? Combien elle est funeste, puisque le Médecin s'empressa d'y porter remède, pour ne laisser point le mal empirer ! Ils le regardaient simplement comme un esprit; et, pour déraciner en eux ces pensées funestes qu'y découvrait son oeil : « Pourquoi êtes-vous troublés, leur dit-il, et pourquoi ces pensées montent-elles dans votre coeur? Voyez mes mains et mes pieds, touchez et voyez, car un esprit n'a ni chair ni os comme ce que vous voyez en

 

1. Jean, I, 1, 2. — 2. Ib. XIX, 30.

 

moi ». Ah ! pour combattre toutes les folle imaginations de ces insensés, attache-toi à cet enseignement; autrement c'est ta mort. Le Christ est véritablement le Verbe, le Fils unique de Dieu, l'égal de son Père; il est un esprit humain véritable et une véritable chair exempte de péché. C'est cette chair qui et morte et qui est ressuscitée, qui a été attachée au gibet, puis déposée dans le tombeau pour siéger enfin dans le ciel. Le Seigneur Jésus prétendait convaincre ses disciples que ce qu'ils voyaient était bien de la chair et des ossements; tu prétends, toi, le contraire. Est-ce donc lui qui ment, et toi qui dis vrai? Est-ce toi qui bâtis et lui qui renverse? Pourquoi d'ailleurs a-t-il voulu me convaincre de cette vérité, sinon parce qu'il sait ce qu'il m'est utile de croire et ce qu'il m'est désavantageux de ne croire pas? Croyez donc cela; voilà bien l'Epoux

3. Ecoutons maintenant ce qui contera l'épouse. Je ne sais quels esprits, pour favoriser l'adultère, cherchent à supplanter l’Epouse véritable et à introduire une épouse menteuse. Ecoutons par conséquent ce qui concerne l'épouse. Quand ils lui eurent touché les pieds et les mains, la chair et les os, le Seigneur dit encore à ses disciples: « Avez-vous ici quelque chose à manger? » Il voulait, en mangeant avec eux, donner une nouvelle preuve qu'il était vraiment homme. On lui donna quelque chose, il en mangea et en donna à son tour; puis, comme ils ne se possédaient pas de joie : « N'est-ce pas, leur dit-il, ce que je vous annonçais lorsque j'étais encore au milieu de vous? » N'était-il plus alors au milieu d'eux? Que signifie donc : « Lorsque j'étais encore au milieu de vous? » Lorsque j'étais mortel comme vous l'êtes encore. Que vous annonçais-je alors? « Qu'il fallait que fût accompli tout ce qui est écrit à mon sujet dans la Loi, dans les Psaumes et dans les Prophètes. Alors il leur ouvrit l'esprit pour qu'ils comprissent les Ecritures, et il leur dit : Il fallait que le Christ souffrît ainsi et  ressuscitât d'entre les morts le troisième jour ». Supprimez la réalité de la chair,l aura-t-il souffrance réelle et réelle résurrection ? Voici l'Epoux : « Il fallait que le Christ souffrît et ressuscitât le troisième jour ». Attache-toi à ce chef divin. Ecoute ensuite ce qui concerne son corps. Que devons-nous prouver pour le moment? Nous avons vu l’Epoux, reconnaissons également son épouse.

 

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« Et qu'on prêchât en son nom la pénitence et la rémission des péchés ». Où ? de quelles limites jusqu'à quelles autres? « Parmi toutes des nations, à partir de Jérusalem ». Voilà l'épouse.

Que nul donc ne cherche à te vendre des fables. Arrière la rage hérétique qui te parle d'un coin de la terre. C'est dans tout l'univers qu'est répandue l'Église, elle est au milieu de tous les peuples. Que personne ne vous séduise l'Église véritable est l'Église catholique. Nous n'avons pas vu le Christ; elle, nous la voyons, tandis que nous devons croire au Christ. Pour

les Apôtres, ils voyaient le Christ et croyaient à l'Église : ils voyaient une chose et en croyaient une autre, comme nous en voyons une pour croire à l'autre. Eux voyaient le Christ et croyaient à l'Église qu'ils ne voyaient pas nous, au contraire, nous voyons l'Église pour croire au Christ sans le voir; et en nous attachant à ce que nous voyons, nous parviendrons jusqu'à celui que nous ne voyons pas encore. Reconnaissons ainsi, sur l'acte matrimonial, les caractères de l'Époux et de l'épouse ; c'est le moyen d'éviter les divisions dans une union si sainte.

SERMON CCXXXIX. POUR LA SEMAINE DE PÂQUES. X.  BIENFAISANCE CHRÉTIENNE (1).
 

ANALYSE. — Si le Sauveur, après sa résurrection, daigne accepter l'hospitalité que lui offrent deux de ses disciples, c'est pour se donner lui-même à eux. Ainsi en est il toujours de l'aumône et de la bienfaisance chrétienne ; elle attire sur nous les bénédictions divines comme la charité faite à Elie les attira sur la veuve de Sarepta. Notre propre intérêt nous engage donc aux vives de bienfaisance. Ne devons-nous pas y être portés aussi par un sentiment de reconnaissance, puisque Jésus-Christ a tant fait pour nous; et par un sentiment d'amour, puisque c'est lui que nous soulageons lorsque nous soulageons l'infortune?

 

1. On vient de nous lire aujourd'hui, pour la troisième fois, la résurrection de Notre-Seigneur d'après l'Évangile; car je vous l'ai déjà dit, et il vous en souvient, c'est la coutume de lire ce récit de la résurrection dans tous les Évangélistes. C'est dans saint Marc que nous tenons de l'entendre. Or saint Marc a mérité d'écrire l'Évangile, quoiqu'il ne fût pas, non plus que saint Luc, du nombre des douze Apôtres. Des quatre Evangélistes, savoir, saint Matthieu et saint Jean, saint Marc et saint Luc, les deux premiers appartiennent seuls au collège Apostolique; mais leur prééminence n'a point produit la stérilité; elle n'a point empêché que des émules vinssent à leur suite. Sans doute, ni saint Marc ni saint Luc ne sont les égaux des Apôtres ; la différence toutefois est peu notable; et si le Saint-Esprit a voulu choisir, en dehors des douze, deux disciples

 

1. Luc, XXIV, 30, 31.

 

pour écrire l'Évangile, c'était pour empêcher de croire que la grâce de l'annoncer n'était que pour les Apôtres, et qu'une fois arrivée jusqu'à eux, la source de cette grâce s'était tarie. Le Seigneur ne dit-il pas, de son esprit ou de sa parole, que si on le reçoit et que si on le garde avec le respect qu'il mérite, « il deviendra dans l'âme la fontaine d'une eau qui jaillit jusqu'à la vie éternelle (1)? » Mais le caractère d'une fontaine est de couler, et non pas de rester immobile. Voilà pourquoi la grâce s'est répandue des Apôtres sur d'autres qui ont reçu l'ordre de prêcher l'Evangile. Celui qui a appelé les premiers, a également appelé les seconds, et il attire à lui, jusqu'au dernier jour, le corps de son Fils unique, c'est-à-dire l'Église répandue dans tout l'univers.

2. Qu'est-ce donc que vient de nous dire

 

1. Jean, IV, 14.

 

272

 

saint Marc ? Il vient de nous dire, comme saint Luc, dont nous avons lu l'Evangile hier, que le Seigneur se montra à deux de ses disciples qui voyageaient ensemble. « Il se montra, dit-il, sous une autre forme, à deux d'entre eux qui étaient en chemin (1) ». On lit dans saint Luc des expressions différentes, mais la pensée ne diffère pas. Que dit donc saint Luc? « Leurs yeux étaient retenus, pour qu'ils ne le reconnussent point (2) ». Que dit saint Marc ? « Il se montra à eux sous une autre forme ». Mais avoir les yeux retenus pour ne pas reconnaître, n'est-ce pas voir sous une forme différente ? Si la forme a paru différente, c'est que les yeux n'étaient pas ouverts, mais retenus. Or, saint Luc nous ayant dit hier, le souvenir sans doute en est encore frais dans votre mémoire, que leurs yeux s'ouvrirent au moment où le Sauveur rompait le pain qu'il venait de bénir, s'ensuit-il qu'ils voyageaient avec lui les yeux fermés, et conséquemment sans savoir où mettre le pied ? Ce fut donc pour le reconnaître et non pour le voir que leurs yeux s'ouvrirent.

Ainsi donc, avant la fraction du pain, Notre-Seigneur Jésus-Christ s'entretient avec ces hommes sans en être connu, et ils ne le reconnaissent qu'au moment de la fraction du pain c'est qu'on ne jouit de lui qu'en recevant la vie éternelle. Ainsi, il accepte l'hospitalité et il prépare au ciel une demeure. « Il y a, dit-il a au rapport de saint Jean, beaucoup de demeures dans la maison de mon Père; sinon, je vous l'aurais dit, car je vais vous préparer la place. Mais quand j'y serai allé et que je vous a aurai préparé un lieu, je reviendrai et je a vous prendrai avec moi (3) ». Oui, le Seigneur du ciel a voulu recevoir l'hospitalité sur la terre; être étranger dans le monde, lui l'Auteur du monde. Mais s'il a daigné demander l'hospitalité, c'est pour qu'en la lui accordant tu sois comblé de ses bénédictions, et ce n'est pas le besoin qui lui a fait franchir le seuil de ta demeure.

3. Le Seigneur, durant une famine, nourrissait le saint prophète Elie au moyen d'un corbeau : ainsi les oiseaux servaient celui que persécutaient les hommes. Ce corbeau apportait donc au serviteur de Dieu, le matin, du pain, et des chairs le soir; en sorte que, nourri par le ministère des oiseaux de Dieu, Elie n'était pas dans le besoin. Il n'en fut pas moins

 

Marc, XVI, 12.. — 2. Luc, XXIV, 16. — 3. Jean, XIV, 2, 3.

 

envoyé vers la veuve de Sarepta : « Va vers elle, lui dit le Seigneur, elle te nourrira ». Pour envoyer le prophète vers cette veuve, Dieu n'avait-il plus rien ? Ah ! plutôt, c'est qu'en continuant à donner toujours, sans aucun intermédiaire humain , des aliments à son serviteur, Dieu n'aurait pas fourni à cette veuve l'occasion de mériter une récompense. Sans être dans le besoin, le prophète vient donc vers cette indigente ; sans souffrir de la faim, il s'adresse à cette femme sans pain et lui dit : « Va et apporte-moi à manger, si peu que ce soit ». Il ne lui restait que fort peu de chose, qu'elle allait prendre avant de mourir. Elle en avertit le prophète, qui ne laissa pas de lui dire encore : « Va et commence par me l'apporter ». Elle l'apporta sans hésiter; mais quelle bénédiction elle mérita en offrant ce peu de nourriture ! Elie en effet bénit sa mesure de farine et son vase d'huile. La farine était ce qui lui restait à manger dans sa demeure, et l'huile était déjà dans la poële pour être complètement épuisée; mais avec la bénédiction du saint prophète, ces vases devinrent des trésors. La fiole d'huile jaillit comme une fontaine et cette poignée de farine nourrit plus longtemps que de riches moissons (1).

4. Si Elie n'était pas dans le besoin, le Christ y était-il ? Aussi, mes frères, d'après l'enseignement des saintes Ecritures, Dieu réduit souvent à l'indigence ses serviteurs quand il pourrait les nourrir, afin précisément d'exciter le zèle des bonnes oeuvres. Que nul donc ne s'enorgueillisse de donner au pauvre: le Christ n'a-t-il pas été pauvre? Que nul ne se vante de donner l'hospitalité : le Christ l'a reçue. Ne l'emportait-il pas en l'acceptant sur celui qui la lui offrait; et, en recevant l'aumône, n'était-il pas plus riche que celui qui la lui faisait ? Il la recevait, mais il possédait tout; tandis que celui qu~i.la lui présentait l'avait reçue de lui d'abord, à qui elle s'adressait. Non, mes frères, que nul ne s'enorgueillisse de donner au pauvre; que nul ne dise en lui-même: C'est moi qui donne et lui qui reçoit; c'est moi qui ouvre ma maison, il est, lui, sans abri. N'est-il pas possible que tu sois plus indigent que lui ? Il se peut que ton hôte soit un saint : si alors il a besoin de pain, tu as besoin, toi, de vérité; s'il a besoin d'un asile,

 

1. III Rois, XVII.

 

273

 

tu as besoin du ciel; s'il a besoin d'argent, tu as besoin de justice.

5. Prête à usure, donne pour recevoir. Ne crains pas que Dieu te traite d'usurier; ne le  crains pas, deviens, deviens usurier. Que veux-tu ? te demande le Seigneur. Prêter à usure ?  qu'est-ce que prêter à usure ? C'est donner moins pour recouvrer davantage. Eh bien ! donne-moi, dit le Seigneur; c'est moi qui reçois moins pour rendre plus. Que donné-je en plus? Le centuple et l'éternelle vie. Quand  tu cherches à placer ton argent pour gagner davantage, le mortel à qui tu t'adresses est heureux en recevant, mais il pleure en rendant; pour recevoir il  te supplié, et pour ne rendre pas il te calomnie. Eh bien ! donne aussi à un mortel et ne te détourne pas de  qui veut t'emprunter (1). Mais ne reçois que ce que tu as donné. Ne réduis pas aux larmes ton débiteur,  ce serait perdre le mérite de ta bonne oeuvre. Il est possible d'ailleurs qu'il n'ait pas sous la main ce que tu lui as donné, ce qu'il a reçu : tu as pris patience quand il te demandait, prends patience encore, maintenant qu'il n'a rien; attends : quand il aura, il te rendra. Ne là fais pas rentrer dans l'anxiété dont tu l'as tiré. C'est toi qui lui as donné, et tu le poursuis?  Mais il n'a pas de quoi te rendre ; quand il aura, il le fera. Ne t'emporte point, ne dis pas: Suis-je un usurier ? Je ne réclame que ce que j'ai donné; je ne veux que ce que j'ai prêté. C’est bien ; mais lui n'est pas encore en mesure. Tu des pas un usurier, et tu veux que pour le rembourser ton client s'adresse à un usurier? Si c'est pour ne lui être pas à charge que tu n'exiges point. d'intérêts , comment veux-tu qu'un usurier pèse sur lui de tout son poids? Mais tu l'accables, mais tu l'étouffes; et tout en n'exigeant que, ce qu'il a reçu, en l'étouffant ainsi, en le réduisant à l'extrémité, soin de lui avoir rendu service, tu  lui as  fait. une position plus pénible. Tu diras peut-être : Il a de quoi me rembourser; il possède une maison, qu'il la vende; il possède une propriété, qu'il s'en défasse. — Mais quand il s'est dressé à toi, c'était pour ne, pas vendre; ne le contrains pas à faire ce que tu lui as aidé à ne faire pas. Voilà comment on doit se conduire envers ses semblables ; Dieu le veut, Dieu l’ordonne.

6. Mais tu es avare? Sois-le, te dit le Seigneur,

 

1. Matt.  V, 42.

 

sois-le autant que tu pourras; et dans ton avarice, poursuis-moi. Poursuis-moi, te dit le Seigneur : c'est moi qui pour l'amour de toi ai dépouillé mon, Fils de ses richesses. Pour nous en effet le Christ s'est rendu pauvre quand il était riche (1). Tu veux de l'or? C'est lui qui l'a fait. De l'argent? Il l'a fait encore. Des troupeaux? Il les a créés. Des biens? Il a tout fait: Pourquoi ne rechercher que ce qu'il a fait? reçois-le lui-même. Rappelle-toi combien il t'a aimé. « Tout a été fait  par lui, et sans lui rien n'a été fait (2) ». Tout a été fait par lui, et il est au milieu de tout. Tout a été fait par lui, et- il s'est fait au milieu de tout. Créateur de l'homme, il s'est fait homme; il s'est fait ce qu'il a fait, pour ne pas laisser périr son oeuvre Il a tout fait, et il s'est fait comme tout le reste. Contemple sa fortuné; qu'y a-t-il de plus riche que l'Auteur même de tout? Et pourtant, tout riche qu'il était, il a pris une chair mortelle dans le sein d'une Vierge. Il est né petit enfant, il a été enveloppé de langes comme un enfant, puis déposé dans une crèche; il a attendu patiemment la succession des âges; avec patience il a subi le cours du temps, lui, l'Auteur du temps. Il a pris le sein, il  a poussé des vagissements comme un enfant, i1 s'est montré enfant véritable. Mais de. son berceau il régnait; de sa crèche .il gouvernait, le monde : sa Mère le nourrissait et les Gentils l'adoraient; sa Mère le nourrissait et les anges l'annonçaient; sa Mère le nourrissait et une étoile brillante publiait sa gloire.  Voilà ses richesses, voilà sa. pauvreté : avec ses richesses il t'a créé, il te répare avec sa pauvreté: Ah ! si un tel Pauvre a reçu, l'hospitalité comme un pauvre, c'était par condescendance ce n'était pas par besoin.

7. Ne dis-tu pas en toi-même : Heureux ceux qui ont mérité d'accueillir le Christ? Oh ! si l'avais existé alors! Oh ! si j'avais été l'un des deux disciples rencontrés par lui sur la voie 1 Eh bien ! marche dans la voie, et le Christ ne manquera pas de devenir ton hôte. Croirais-tu qu'il ne t'est plus possible de le recevoir?

Mais comment? observes-tu :après s'être manifesté à ses disciples à la suite de sa résurrection, il est monté au ciel, il est assis à la droite du Père, et  il n'en viendra qu'à la fin des siècles pour juger les vivants et les morts; or, il viendra alors avec gloire et non avec

 

1. II Cor. VIII, 9. — 2. Jean, I, 3.

 

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la faiblesse humaine, pour donner le, ciel et non pour demander l'hospitalité. — As-tu oublié qu'en donnant la couronne il dira : « Ce, que vous avez fait à l'un de ces derniers d'entre les miens, c'est à moi que vous l'avez fait (1) ? » Ainsi ce riche est pauvre jusqu'à la consommation des siècles. Oui, il est pauvre, non pas dans son chef, mais dans ses membres. Où dit-on qu'il est pauvre? Dans ces membres qui, souffraient quand il criait : « Saul, Saul, pourquoi me persécuter (2)? » Ah ! écoutons le Christ. Il est avec nous dans les siens, il est avec nous dans nous-mêmes, et ce n'est pas sans motif qu'il a dit : « Me voici avec vous jusqu'à la consommation du siècle (3) ».

 

1. Matt. XXV, 40. — 2. Act. IX, 4. — 3. Matt. XXVIII, 20.

 

En agissant ainsi nous reconnaissons le Christ par nos bonnes oeuvres ; nous le voyons, non- pas des yeux du corps, mais des yeux du coeur, non pas des yeux de la chair, mais des yeux de la foi. «C'est pour m'avoir vu que tu as cru » observa-t-il à l'un de ses disciples qui s'était montré incrédule, et qui avait dit: « Je ne croirai pas que je ne l'aie touché. — Viens, touche et ne sois plus, incrédule », avait dit ensuite le Seigneur. Après avoir touché, le disciple s'était écrié : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » et c'est alors que le Seigneur avait répliqué: « C'est pour m'avoir vu que tu as cru (1) » ; toute ta foi consiste à croire ce que tu vois. Honneur, à ceux qui croient sans voir, car ils jouiront envoyant.

 

1. Jean, XXII, 25-29.

SERMON CCXL. POUR LA SEMAINE DE PAQUES. XI. DE LA RÉSURRECTION DES MORTS.
 

ANALYSE. — Il serait trop long et trop fatiguant, pour la plupart même des auditeurs, de montrer que les Evangélistes ne se contredisent pas en insérant, dans le récit des mêmes faits, des circonstances diverses. Il est bon toutefois de soutenir devait vous, contre les objections profanes, le dogme sacré de la résurrection des corps, enseigné formellement dans les Ecritures. Cette croyance ne renferme évidemment rien de contraire à la toute-puissance de Dieu. De plus, comme les corps des élus doivent ressusciter sans défaut et tout glorieux, la bonté Dieu ne peut-elle pas les rappeler à la vie? Troisièmement enfin, plusieurs philosophes païens n'ont-ils pas révélé quelque chose d'analogue quand ils ont enseigné que l’âme de l'homme, immortelle de sa nature, reprend un corps, soit immédiatement, soit longtemps après la mort? Cette opinion se dissipe à la lumière de nos Ecritures. Mais nous parlerons plus longuement de ces philosophes.

 

1. Votre charité se le rappelle : on lit solennellement, durant ces quelques jours , les passages de l'Evangile relatifs à la résurrection du Seigneur ; car aucun, des quatre Evangélistes n'a pu passer sous silence ni sa passion ni sa résurrection. Jésus Notre-Seigneur ayant fait beaucoup de choses, tous, il est, vrai, n'ont pas tout écrit ; l'un a dit ceci et l'autre cela; mais tous s'accordent souverainement avec la vérité. L'Evangéliste saint Jean rapporte même un grand nombre d'actes de Jésus Notre-Seigneur, dont ne parle aucun des autres Evangélistes. Jésus a fait tout ce qui devait se faire alors; et on a écrit tout ce qui doit se lire maintenant.

Pour démontrer que dans les faits rapportés par les quatre Evangélistes , sans aucune exception, comme seraient la passion et la. résurrection du Sauveur, il n'y a entre eux aucune contradiction, il faudrait un travail sérieux. N'est-il pas des hommes qui s'imaginent que les auteurs sacrés sont opposés entre eux, parce, qu'eux-mêmes sont opposés aux intérêts de leur âme ? Aussi plusieurs docteurs se sont appliqués, avec la grâce de Dieu, à prouver le contraire. Cependant, je le répète, (275) si j'entreprends cette tâche devant vous, si je veux traiter ce sujet devant le peuple, la multitude des auditeurs s'affaissera sous le poids de l'ennui, avant d'être ranimée par l'éclat de la vérité: Mais je connais votre foi, c'est-à-dire la foi de ceux qui sont ici et de ceux qui n'y sont pas aujourd'hui, quoique fidèles; je sais que vous avez à la vérité de 1'Evangile une foi si ferme que vous n'avez aucun besoin de mes explications. Savoir défendre nos dogmes, c'est être plus instruit et non plus fidèle. On a la foi alors; on a de plus le moyen de la soutenir. Mais il en est aussi qui sans avoir la science et les autres moyens nécessaires pour là venger, n'en ont pas moins la foi. Quant à celui qui sait la défendre, il est utile à ceux qui chancèlent et non à ceux qui croient, car il ferme les plaies du doute et ,de l'incrédulité. C'est donc un bon médecin ; mais comme tu n'as point la maladie des infidèles, que peut-il guérir en toi ? Il sait appliquer un remède; mais, toi, tu ne souffres pas. «Le médecin est nécessaire, non à qui se a porte bien, mais à qui est malade (1) ».

2. Je n'ai pas dessein toutefois de ne rien vous dire de ce qui peut s'expliquer plus facilement dans le moment actuel et s'entendre avec plus d'avantages. Le Seigneur en ressuscitant a voulu nous montrer, dans sa personne ce que nous devons espérer pour nos propres corps à la fin des siècles; mais cette résurrection des morts donne lieu à beaucoup de discussions : les uns en parlent en fidèles et les autres en infidèles. Ceux qui en parlent en fidèles cherchent à mieux savoir ce qu'on peut répondre aux infidèles; et ces derniers argumentent contre les réclamations et les intérêts de leur âme en disputant contre la puissance du Tout-Puissant. Comment se peut-il faire qu'un mort ressuscite, demandent-ils ? Je réponds : C'est Dieu qui le ressuscite, et, tu demandes, comment cela se peut faire ? Montre-moi, je ne dis pas un chrétien ni un juif, mais un païen, un idolâtre, un esclave des démons, qui ne reconnaisse que Dieu est tout-puissant. Il lui est possible de nier la divinité du Christ, impossible de nier la toute-puissance de Dieu. Eh bien ! ce Dieu que tu crois tout-puissant, je m'adresse à un païen , ce Dieu que tu crois tout-puissant, c'est lui qui d'après moi ressuscite les morts. Si tu dis encore qu'il ne

 

1. Matt. IX, 12.

 

le peut, tu nies qu'il soit tout-puissant ; et si tu admets qu’il soit tout-puissant, pourquoi repousser ce que j'enseigne ?

3. Si nous disions que le corps ressuscitera pour avoir encore faim et soif, pour être malade, se fatiguer et être exposé à se décomposer encore, tu aurais raison de ne pas nous croire. C'est maintenant que la chair,est soumise à ces besoins et à ces souffrances. Pourquoi ? La cause en est au péché que nous avons contracté.dans la personne de l'un d'entre nous; ce péché fait que nous naissons pour nous décomposer. Le péché est réellement l'auteur. de tous nos maux. Ce n'est pas, sans raison que les hommes ont tant à souffrir. Dieu est juste, Dieu est tout-puissant, et assurément nous ne souffririons point de la sorte si nous ne le méritions. Mais ces peines où nous ont jetés nos péchés, Notre-Seigneur Jésus-Christ a voulu les partager sans avoir aucun péché, et en endurant le châtiment sans la faute, il nous a déchargés de la faute et du châtiment :.de la faute, en nous pardonnant nos péchés; du châtiment, en ressuscitant d'entre les morts; car il nous a promis de ressusciter comme lui, il veut que nous vivions dans cet espoir : persévérons-y et nous parviendrons à la réalité. La chair donc ressuscitera incorruptible, elle ressuscitera sans avoir aucun défaut ni aucune infirmité, sans être assujettie à la mort, sans rien avoir pour la charger ou l'appesantir. Pour toi maintenant elle est un lourd fardeau, elle sera plus tard un ornement. Mais s'il est bon que, le corps soit incorruptible, pourquoi désespérer que Dieu doive le rendre tel ?

4. Parmi les philosophes du siècle, les plus grands, les plus doctes, les meilleurs enfin, ont compris que l'âme de l'homme est immortelle; non-seulement ils l'ont compris, mais pour la soutenir ils ont eu recours à tous les arguments qu'ils ont pu imaginer, et ils ont écrit leurs plaidoyers qui sont parvenus à la postérité. Leurs livres sont là, on les lit. Si j'ai dit que ces philosophes sont meilleurs que les autres, c'est qu'il y en a de mauvais. Il en est effectivement qui prétendent que l'homme une fois mort ne conserve aucune vie; or les premiers doivent évidemment être préférés à ceux-ci. De plus, quoiqu'ils s'égarent souvent loin de la vérité, ils s'en rapprochent sur le point même qui les rend supérieurs aux autres.

 

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En effet, comme ils enseignaient, d'après leurs,convictions, que l'âme de l'homme est immortelle, ils durent rechercher les causes de ce qui afflige l'humanité, de tant de chagrins et d'erreurs auxquels sont sujets les mortels; ils s'occupèrent de cette question avec leurs lumières purement humaines, et ils répondirent, comme ils purent, que dans une autre vie l'homme avait commis antérieurement je ne sais quelles fautes, et que ces fautes avaient mérité à l'âme d'être jetée dans le corps comme dans une prison. On leur demanda ensuite ce que deviendra l'homme après la ment. Ici ils se mirent en pièces, ils s'épuisèrent pour répondre de manière à se satisfaire eux-mêmes ou à satisfaire les autres: ils dirent que l'âme des méchants, que l'âme souillée par des moeurs corrompues, une fois sortie du corps, rentre aussitôt dans un autre corps pour y endurer les peines que nous avons sous les yeux ; tandis que l'âme de ceux qui ont vécu dans la justice, monte au haut des cieux, quand elle se sépare du corps, s'y repose, soit au milieu des étoiles et des astres brillants, soit dans quelque retraite inconnue; que là elle oublie tous les maux passés, puis désire de rentrer dans un corps, et qu'elle revient alors souffrir ici de nouveau: D'après eux, par conséquent, toute la différence entre l'âme des pécheurs et l'âme des justes, c'est que l'âme des pécheurs rentré dans un autre corps aussitôt après la mort, au lieu que l'âme du juste jouit d'un long repos, qui pourtant n'est pas éternel; qu'elle tourne ensuite ses affections vers les corps, et.que nonobstant la justice à laquelle-elle s'est élevée elle tombe du haut du ciel dans cet abîme de maux.

5. Voilà ce qu'ont enseigné ces grands philosophes ;voilà ce qu'ont pu découvrir les, philosophes de ce siècle. Aussi l'Ecriture dit-elle en parlant d'eux : «Dieu a convaincu de folie la sagesse de ce siècle ». De quoi donc a-t-il convaincu la folie même? Si la sagesse de ce monde n'est devant Dieu que folie, à quelle distance est de lui la folie véritable? Il est toutefois dans ce monde une espèce de folie qui s'élève jusqu'à Dieu; c'est d'elle que parle ainsi l'Apôtre : « Le monde n'ayant point, avec sa propre sagesse, connu Dieu par les oeuvres de la sagesse divine, il a plu au Seigneur de sauver les croyants par la folie de la prédication ». Il ajoute : « Les Juifs demandent des miracles et les Grecs cherchent la sagesse; pour nous, nous prêchons le Christ crucifié. Aux yeux des Juifs, c'est un scandale, une folie aux yeux des Gentils; mais aux yeux de ceux qui sont appelés, soit juifs, soit, gentils, il est la vertu de Dieu et la sagesse de Dieu (1) ».

Depuis que nous est venu ce Christ, Notre Seigneur, la sagesse. même de Dieu, c'est le ciel qui tonne; silence donc dans les marais. Ce qui est vrai, c'est ce qu'a dit la Vérité; et il est manifeste, comme elle l'a enseigné, que le péché est la source des maux qu'endure le genre humain. Or le Christ est établi médiateur entre Dieu et les hommes; entre Dieu juste et les hommes injustes il fallait un homme juste qui prît d'en bas son humanité et d'en haut sa justice; et se trouvât ainsi placé comme au milieu. Il fallait qu'il prît, là une chose, ici une autre; car il serait su ciel s'il y prenait tout, et abattu avec nous sur la terre si tout lui en venait; il ne serait point alors, médiateur: Celui donc qui croit en ce médiateur et qui mène une vie sainte et, fidèle, celui-là, sans doute, quittera son corps et jouira, du repos; mais plus tard il reprendra ce même, corps, lequel sera pour lui, non pas un instrument de supplices mais un ornement véritable, et il vivra dans la société de Dieu durant toute l'éternité: Pourquoi aimerait-il de revenir ici, puisqu'il a son corps avec lui?

Mes bien-aimés, comme je vous ai parlé aujourd'hui de ce qu'enseignent les philosophes mêmes du monde, dont Dieu a réprouvé et, convaincu de folie la sagesse, nous pourrons demain, avec l'aide du Seigneur, revenir plus longuement sur ce sujet,

 

1. I Cor. I, 20-24,
 
 
 
 

source: http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin/index.htm

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