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Saint Augustin d'Hippone
Sermons


SERMON CCLXXI. POUR LE JOUR DE LA PENTECOTE. V. UNITÉ DE L'ÉGLISE.
 

ANALYSE. — En accordant aux premiers disciples le don des langues, le Saint-Esprit a voulu rétablir dans l'humanité chrétienne l'unité rompue à la tour de Babel. Combien donc sont à plaindre ceux qui se séparent de l'Église de Jésus-Christ ! et  combien sont heureux ceux qui lui demeurent inviolablement attachés !

 

Voici, mes frères, un beau jour ; c'est le jour où la lumière de la sainte Eglise brille aux yeux des fidèles, où la charité embrase leurs murs; c'est le jour solennel où après sa résurrection et après la gloire de son ascension, Jésus-Christ Notre-Seigneur a envoyé l'Esprit. Saint. « Si quelqu'un a soif, disait-il au rapport de l’Evangile, qu'il vienne à moi et qu'il boive. Celui qui croit en moi, des fleuves d'eau vive couleront dans son sein». Or l'Evangéliste explique ainsi les paroles du Sauveur :« Il disait cela, observe-t-il, de l'Esprit que devaient recevoir ceux qui croîtraient en lui ; car l'Esprit n'avait pas encore été donné, parce que Jésus n'avait pas encore a été glorifié (1) ». Une fois donc que Jésus fut

 

1. Jean, 37-39.

 

glorifié par sa résurrection d'entre les morts et son ascension aux cieux, il devait donner le Saint-Esprit, l’envoyer après l'avoir promis.

C'est ce qui eut lieu. Après avoir effectivement passé avec ses disciples les quarante jours qui suivirent sa résurrection, le Seigneur monta au ciel, et le cinquantième jour, le jour dont nous célébrons aujourd'hui la mémoire, il envoya. l'Esprit-Saint, comme l'atteste l’Ecriture. « Soudain, dit-elle, il se fit un bruit du ciel, comme celui d'un vent impétueux qui s'élève ; et il leur apparut comme plusieurs langues de feu, et ce feu se reposa sur chacun d'eux, et ils se mirent à parler toutes les langues, comme l'Esprit-Saint leur donnait de parler (1) ».

 

1. Act. II, 1-4.

 

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Ce souffle emportait la paille sous laquelle étaient ensevelis leurs coeurs ; ce feu consumait en eux l'antique concupiscence, et ces langues que parlaient tous ceux que remplissait l'Esprit-Saint, annonçaient que l'Eglise se répandrait partout où les Gentils parlent leurs langues diverses. De même donc qu'après le déluge l'impiété superbe voulut bâtir malgré le Seigneur une tour fort élevée et que le genre humain mérita alors que lui fût infligé le supplice de la division des langues, chaque nation parlant un idiome que ne comprenaient pas les- autres nations (1) ; ainsi l'humble piété des fidèles assujettit cette diversité de langage à l'unité de l'Eglise, la charité réunissant ce qu'avait séparé la discorde, et le genre humain s'attachant au Christ comme à la tête s'attachent les membres d'un même corps, pour être comme fondus dans cette unité sainte par le feu de la charité.

A ce don de l'Esprit-Saint demeurent donc étrangers ceux qui ont en horreur la grâce de

 

1. Gen. XI, 1-9.

 

la paix, ceux qui ne restent pas en communion avec l'unité. S'ils sont aujourd'hui solennellement rassemblés, s'ils entendent ces leçons sacrées où il est question de la promesse et de l'envoi du Saint-Esprit; ils les entendent pour leur condamnation et non pour leur sanctification. Qu'importe de prêter l'oreille quand le coeur repousse, et de fêter le jour de Celui dont on rejette la lumière ?

Pour vous, mes frères, pour vous, membres du corps du Christ, enfants de l'unité et fils .de la paix, célébrez ce jour avec joie, célébrez le sans inquiétude; car en vous s'accomplit ce que promettait l'Esprit-Saint quand il des. tendit alors. 'De même en effet que chacun de ceux qui recevaient en ce moment le Saint Esprit parlait toutes les langues : ainsi s'exprime aujourd'hui dans tous les idiomes l'unité de l'Eglise répandue parmi toutes les nations; et c'est dans son sein que vous possédez le Saint-Esprit, vous, qui n'êtes séparés par aucun schisme de cette Eglise du Christ qui parle toutes les langues.

SERMON CCLXXII. POUR LE JOUR DE LA PENTECOTE. VI (1). SUR L'EUCHARISTIE.
 

ANALYSE. — C'est aux nouveaux baptisés que s'adresse ce discours. Après leur avoir dit que ce qu'ils ont déjà vu sur l'autel est le corps même et le sang de Jésus-Christ, saint Augustin indique la signification symbolique de ce sacrement auguste. Il nous rappelle que pour devenir nous-mêmes le corps de Jésus-Christ, nous devons faire en nous le travail qui se produit sur le blé et sur le raisin pour en faire le corps et le sang du Sauveur.

 

Ce que vous voyez maintenant sur l'autel, vous l'avez déjà vu la nuit dernière. Mais qu'est-ce ? Qu'est-ce que cela signifie ? Quel grand et mystérieux enseignement y est contenu? On ne vous l'a pas dit encore.

Que voyez-vous donc? Du pain et un calice; vos yeux mêmes en sont garants; mais, puisque votre foi demande à s'instruire, ce pain est le corps du Christ, ce calice est son sang.

 

1. C'est ce que portent tous les manuscrits.

 

Voilà la vérité en deux mots, et c'est peut. être assez pour la foi. La foi cependant désire comprendre, car un prophète a dit : « Vous ne comprendrez point, si vous ne croyez (1) ».

Vous pourriez me dire en effet: Tu nous as ordonné de croire , fais-nous comprendre maintenant. Chacun de vous ne sent-il pas s'élever dans son esprit une réflexion et ne se dit-il pas : Nous savons où Jésus-Christ Notre-Seigneur

 

1. Isaïe, VII, 9, sel. LXX.

 

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a pris un corps; c'est dans le sein de la Vierge Marie. Enfant, il a pris le sein maternel, on l'a nourri, il a grandi, il est parvenu jusqu'à la jeunesse, puis il a été persécuté par lès Juifs, attaché au gibet, mis à mort sur un gibet, descendu de ce gibet; il est ressuscité ensuite le troisième jour et le jour qu'il a voulu il est monté au ciel ; c'est là qu'il a porté son corps ; c'est de là qu'il viendra juger les vivants et les morts; c'est là qu'il est maintenant assis à la droite du Père : comment donc ce pain est-il son corps ? comment ce calice , ou plutôt ce que contient ce calice, est-il son sang?

Si l'on dit, mes frères, que ce sont ici des sacrements, c'est qu'ils expriment autre chose que ce que l'on voit en eux. Que voit l’oeil? Une apparence corporelle. Que saisit l'esprit? Une grâce spirituelle.

Veux-tu savoir ce qu'est le corps du Christ? écoute l'Apôtre, voici ce qu'il écrit aux fidèles : « Or vous êtes le corps du Christ et ses membres (1) ». Mais si vous êtes le corps et les membres du Christ, n'est-ce pas votre emblème qui est placé sur la table sacrée, votre emblème que vous recevez, à votre emblème que vous répondez Amen, réponse qui témoigne de votre adhésion? On te dit : Voici le corps du Christ. Amen, réponds-tu. Pour rendre vraie ta réponse, sois membre de ce corps.

Pourquoi sous l'apparence du pain? Ne disons rien de nous-mêmes; écoutons encore l'Apôtre, voici comment il s'exprimait en parlant de ce sacrement : « Quoiqu'en grand, nombre, nous sommes un seul pain, un seul corps (2) ». Comprenez et soyez heureux. O unité ! ô vérité ! ô piété ! ô charité ! « Un seul pain ». Quel est ce pain? « Un seul corps ». Rappelez-vous qu'un même pain ne se forme

 

1. I Cor. XII, 27. — 2. Ib. X, 17.

 

pas d'un seul grain, mais de plusieurs. Au moment des exorcismes, vous étiez en quelque sorte sous la meule; au moment du baptême, vous deveniez comme une pâte ; et on vous a fait cuire en quelque sorte quand vous avez reçu le feu de l'Esprit-Saint. Soyez ce que vous voyez, et recevez ce que vous êtes. Voilà ce qu'enseigne l'Apôtre sur ce pain sacré.

Mais, sans même en parler, c'est dire suffisamment ce que nous apprend ce calice. Pour former cette apparence sensible de pain, on unit avec l'eau,la farine de plusieurs grains, symbole de ce que dit l'Écriture des premiers fidèles,, lesquels « n'avaient qu'une âme et qu'un coeur envers Dieu (1)» ; ainsi en est-il du vin. Rappelez-vous, mes frères, comment il se fait. Voilà bien des graines suspendues à la grappe ; bientôt elles ne formeront qu'une même liqueur.

Tel est donc le modèle que nous a donné le Christ Notre-Seigneur ; c'est ainsi qu'il a voulu nous unir à sa personne et que sur sa table il a consacré le mystère de la paix et de l'unité que nous devons former. Recevoir ce mystère d'unité sans tenir au lien de la paix, ce n'est pas recevoir un mystère qui profite, c'est recevoir un sacrement qui condamne.

            Tournons-nous vers le Seigneur notre Dieu, le Père tout-puissant; rendons-lui avec un coeur pur et dans la mesure de notre faiblesse, d'immenses et sincères actions de grâces; supplions de toute notre âme son incomparable bonté de vouloir bien agréer et exaucer nos prières; qu'il daigne aussi, dans sa force, éloigner de nos actions et de nos pensées l'influence ennemie, multiplier en nous la foi, diriger notre esprit, nous accorder des pensées spirituelles et nous conduire à sa propre félicité; au nom de Jésus-Christ, son Fils. Ainsi soit-il.

 

1. Act. IV, 32.

SERMON CCLXXIII (1). POUR LA FÊTE DES SAINTS FRUCTUEUX, AUGURE, EULOGE ET DE SAINTE AGNÈS. (21 Janvier.) LE CULTE DES SAINTS.
 

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ANALYSE. — Qu'ils sont heureux de n'avoir pas craint de mourir pour Dieu! Notre devoir en célébrant leur martyre est de nous encourager à la vertu en profitant de leurs exemples et de leurs leçons; par conséquent nous devons nous attacher à l'Eglise catholique, ainsi que l'a recommandé saint Fructueux ; par conséquent encore c'est à Dieu et non aux saints que sou devons offrir des sacrifices. Les païens ont fait l'apothéose de quelques hommes qui leur avaient rendu quelques services: idolâtrie funeste qu'est venu dissiper le souffle de la grâce en formant les chrétiens, les chrétiens les plus faibles, comme cette petite Agnès, qui n'était âgée que de treize ans, à des vertus bien supérieures aux vertus des héros païens. Cependant nous nous gardons bien de rendre à nos grands hommes les honneurs divins. Eux-mêmes d'ailleurs les repousseraient avec énergie. Puisqu'ils étaient de, même nature que nous, songeons à les imiter plutôt qu'à les adorer.

 

1. Non content d'instruire ses martyrs en leur donnant ses commandements, Notre-Seigneur Jésus les a fortifiés encore en leur laissant son exemple. Afin qu'ils pussent le suivre dans leurs souffrances , il a le premier souffert pour eux; il leur a montré 1a voie et frayé la route.

On distingue la mort de l'âme et la mort du corps. Mais l'âme ne saurait mourir et elle peut mourir; elle ne peut mourir, car en elle le sentiment ne s'éteint jamais ; et elle peut mourir, en perdant Dieu. De même en effet que l'âme est la vie du corps, ainsi Dieu est la vie de l'âme; et par conséquent, de même que meurt le corps quand son âme ou sa vie le quitte, ainsi l'âme meurt quand Dieu l'abandonne. Ah! pour n'être pas abandonnée de Dieu, que l'âme soit toujours si remplie de foi, qu'elle ne craigne point de mourir pour lui; et Dieu ne fera point sa mort en l'abandonnant.

La mort n'est donc à craindre que pour le corps ? Mais sur ce point encore le Christ Notre-Seigneur a parfaitement rassuré ses martyrs. Pourquoi seraient-ils inquiets sur l'intégrité de leurs membres, quand ils n'ont rien à craindre pour le nombre de leurs cheveux? « Vos cheveux sont comptés », leur est-il été dit (2). Ailleurs encore il est dit plus clairement : « Je vous assure qu'aucun cheveu

 

1. Ici commence, dans l'édition des bénédictins, une troisième série que nous confondons ici avec la seconde, tout en conservant à chaque discours la place et le numéro qu'il occupe dans l'édition bénédictine. — 2. Matt. X, 30; Luc, XXII, 7.

 

ne tombera de votre tête (1) ». C'est la Vérité qui parle, et la faiblesse tremblerait?

2. Heureux les saints dont nous honorons le tombeau en célébrant le jour de leur martyre ! Pour la vie temporelle qu'ils ont sacrifiée, ils ont reçu l'éternelle couronne, une immortalité qui ne finira jamais, et ils nous ont laissé, dans ces jours de fête, un puissant encouragement. Lors en effet que nous apprenons comment ont souffert les martyrs, nous nous réjouissons et nous glorifions Dieu en eux. Nous ne pleurons pas leur mort; car s'ils n'étaient morts pour le Christ, seraient-ils aujourd'hui vivants? Pourquoi ne seraient-ils point parvenus, en confessant le Christ, où ils devaient arriver en souffrant?

Pendant qu'on lisait les actes de ces saints martyrs, vous avez entendu les questions des persécuteurs et les réponses des confesseurs, Qu'elle est belle; entre autres, cette réponse de l'évêque saint Fructueux! Quelqu'un lui disant et lui demandant de se souvenir de lui et de prier pour lui : « Il est nécessaire, reprit-il, que je prie pour l'Eglise catholique répandue de l'Orient à l'Occident». Qui peut prier pour chacun en particulier? Mais prier pour tous , c'est n'oublier personne; prier pour le corps entier, c'est n'omettre aucun de ses membres. Or, dites-moi, quel avis donnait le saint à cet homme qui lui demandait de prier pour lui ? Qu'en pensez-vous? Vous le voyez sans aucun doute. Permettez toutefois

 

1. Luc, XXI, 18.

 

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que nous nous répétions. Cet homme lui demandait donc de prier pour lui. « Moi, reprit-il, je prie pour l'Eglise catholique répandue de l'Orient à l'Occident ». Si tu veux que je prie pour toi, comme je prie pour elle, cela quitte pas.

3. Qu'elle est belle aussi cette autre réponse du saint diacre qui fut martyrisé et couronné avec son évêque ! « Est-ce que toi aussi, lui dit le juge, tu adores Fructueux? — Je m'adore pas Fructueux, répliqua-t-il, mais j'adore le même Dieu qu'adore Fructueux ». N’était-ce pas nous dire d'honorer les martyrs et d'adorer Dieu avec eux?

Nous ne devons pas effectivement ressembler aux païens que nous plaignons. Qu'adorent-ils? Des hommes morts : car tous ces prétendus dieux dont vous entendez les noms et à qui on a construit des temples, étaient simplement des hommes qui, pour la plupart et presque tous, jouirent sur la terre de la puissance royale. On vous parle de Jupiter, d'Hercule, de Neptune, de Pluton, de Mercure, de Bacchus et des autres: c'étaient des hommes, et c'est ce qu'enseignent non-seulement les fables des poètes, mais encore l'histoire des peuples. Ceux d'entre vous qui les ont lues, le savent, et ceux qui ne les ont pas lues, doivent s'en rapporter à ceux qui les ont lues. En faisant aux hommes quelque bien temporel, ces hommes se sont attiré des faveurs humaines et ont mérité que des hommes vains et vaniteux les adorassent jusqu'à les appeler des dieux, les regarder comme des dieux, et comme à des dieux leur élever des temples, leur adresser des supplications, leur construire des autels, leur consacrer des prêtres et leur immoler des victimes.

4. Mais il n'y a que le vrai Dieu qui doive avoir des temples; il est le seul à qui doivent s’offrir le sacrifice ; et pourtant ces pauvres dupes faisaient pour une multitude de faux dieux ce qui ne doit se faire régulièrement et absolument que pour le Dieu unique. De là vinrent les ténèbres épaisses qui s'appesantirent sur l'humanité déjà malheureuse; de là vint qu'après avoir abattu toutes les âmes, le démon établit en elles son trône.

Mais sitôt que la grâce du Sauveur, sitôt que la miséricorde de Dieu se fût abaissée vers nous malgré notre indignité, on vit l'accomplissement de ce qui avait été dit dans un sens prophétique au Cantique des Cantiques :

« Aquilon, lève-toi; accours, vent du midi, et souffle dans mon jardin, et des parfums s'en exhaleront (1) ». Que veut dire: « Lève-toi, aquilon? » La partie du monde située à l'aquilon est froide. C'est qu'au souffle de Satan comme au souffle de l'aquilon les âmes se sont refroidies; elles ont gelé en quelque sorte après avoir perdu la chaleur de la charité. Que dit-on à ce tyran ? « Lève-toi, aquilon » : c'est assez .de tyrannie, c'est assez de captivité , c'est avoir pesé assez longtemps sur ces coeurs écrasés par toi: « Lève-toi », pars, « Accours, vent du midi » , accours des régions de la lumière et de la chaleur; « souffle dans mon jardin, et des parfums s'en exhaleront ». Des parfums comme ceux que nous venons de respirer pendant la lecture.

5. Quels sont ces parfums? Ceux dont parle ainsi l'épouse sacrée: « Nous courrons après l'odeur de vos parfums (2)». C'est le souvenir de cette odeur qui fait dire à l'apôtre Paul: « Nous sommes partout la bonne odeur du Christ, à l'égard de ceux qui se sauvent, et à l'égard de ceux qui périssent ». Quel mystère ! « Nous sommes partout la bonne odeur du Christ, et pour ceux qui se sauvent, et pour ceux qui périssent. Aux uns une odeur de vie pour la vie ; aux autres une odeur de mort pour la mort. Or, qui est capable de» comprendre « cela? » Comment se peut-il que cette bonne odeur ranime les uns, tue les autres? Elle n'est pas mauvaise, elle est bonne, car l'Apôtre ne dit pas : La bonne odeur ranime les bons, la mauvaise tue les mauvais; il ne dit pas : Nous sommes pour les bons une bonne odeur qui les ranime, pour les méchants une odeur mauvaise qui les tue; il ne dit pas cela, mais: « Nous sommes partout la bonne odeur du Christ ». Malheur aux infortunés que tue cette bonne odeur ! Si vous êtes la bonne odeur, ô Apôtre, pourquoi cette bonne odeur tue-t-elle les uns et rend-elle aux autres la vigueur ? Qu'elle ranime ceux-ci, je l'entends, je le comprends; qu'elle tue ceux-là, c'est ce que je saisis d'autant plus difficilement que vous avez dit vous-même : « Or, qui est capable de » comprendre « cela? » Hélas ! il n'est pas étonnant que nous n'en soyons point capables; daigne seulement

 

1. Cant. IV, 16. — 2. Ib. I, 3.

 

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nous en rendre capables Celui dont s'exhalait l'odeur dont nous parlons. Voici soudain la réponse de saint Paul: Oui, dit-il, « nous sommes partout la bonne odeur du Christ, et pour. ceux qui se sauvent et pour ceux qui se perdent ». Mais toute bonne odeur que nous soyons , « nous sommes à l'égard des uns une odeur de vie pour la vie, et à l'égard des autres une odeur de mort pour là mort ». Cette odeur ranime ceux qui l'aiment, elle tue les envieux. Ah! s'il n'y avait de l'éclat dans les. saints, on ne verrait pas surgir l'envie dans l'âme des impies. Ceux-ci ont voulu dissiper la, bonne odeur répandue par les saints; mais plus ils frappaient et brisaient le vase des parfums, plus s'en répandait l'odeur.

6. Heureux les martyrs , dont on nous a lu les actes ! heureuse cette sainte Agnès qui a souffert à pareil jour ! Vierge pieuse, elle portait bien son nom. Agnès en latin signifie jeune agneau; en grec ce mot veut dire chaste. Elle. était tout cela; il était juste qu'elle fût couronnée. Maintenant donc, mes frères, que vous dirai-je de ces hommes à qui les païens ont rendu les honneurs divins, à qui ils ont consacré des temples, des sacerdoces, des autels, des sacrifices ? Que Nous en dirai-je ? Qu'il ne faut pas les, comparer à nos martyrs? Rien que ce que je dis est url,outrage pour ceux-ci. Si faibles que soient les fidèles, qu'ils soient charnels encore, qu'il faille leur donner non pas des aliments mais du lait, quels qu'ils soient enfin, loin de moula pensée de leur comparer ces dieux sacrilèges ! En face d'une pauvre vieille mais fidèle chrétienne, qu'est-ce que Junon? Qu'est-ce qu'Hercule en face d'un vieillard chrétien, malade et tremblant de tous ses membres ? Ce fameux Hercule a triomphé de Cacus, il a triomphé d'un lion, il a triomphé de Cerbère : Fructueux a triomphé. du monde entier. Compare l'un avec l'autre. Agée de treize ans seulement, notre petite Agnès a triomphé du démon ; oui, cette enfant a vaincu celui qui a fait tant de dupes au sujet d'Hercule.

7. Cependant, mes bien-aimés, quoique ces divinités n'aient absolument rien qui puisse les faire comparer à nos martyrs, nous ne regardons point, nous n'honorons point ces derniers comme des dieux; nous ne faisons pour eux ni temples, ni autels, ni sacrifices. Ce n'est pas à eux qu'offrent les prêtres. bien les en garde ! C'est à Dieu, oui c'est à Dieu de qui nous recevons tout. Lors même que nous sacrifions sur les tombeaux des saints martyrs, n'est-ce pas à Dieu que nous sacrifions? Remarquez bien : ces saints martyrs y occupent une place honorable; à l'autel du Christ leurs noms paraissent en premier lieu; mais nous ne les adorons point à la place du Christ. Quand avez-vous entendu dire, sur le tombeau de saint Théogène, soit par moi, soit par un de mes frères et collègues , soit par quelque prêtre : Je vous offre, saint Théogène; je vous offre, Pierre, je vous offre, Paul ? Jamais. Cela ne se fait point, cela n'est pas permis. Si donc jamais on te disait : Adores-tu Pierre? réponds comme Euloge a répondu à propos de Fructueux : Je n'adore pas Pierre, mais j'adore le même Dieu que Pierre adore. Ainsi tu mérites l'amour de Pierre. Mais en mettant Pierre à la place de Dieu, tu offenserais la Pierre; en te heurtant contre cette Pierre, prends garde de te briser le pied.

8. Voulez-vous vous convaincre de ce que je dis? Ecoutez, je vous y invite. On lit, dans les Actes des Apôtres, que l'apôtre saint Paul ayant fait un grand miracle en Lycaonie, les habitants de ce pays ou de cette province s’imaginèrent que c'étaient des dieux qui venaient de descendre parmi les hommes, et ils prirent Barnabé pour, Jupiter et Paul pour Mercure, à cause de son habileté dans l'art de la parole. Sur cette idée, ils firent venir des bandelettes et des victimes et voulurent leur offrir un sacrifice. Les Apôtres aussitôt, non pas de rire, mais de trembler , de déchirer leurs vêtements et de s'écrier : « Frères, que faites-vous? Nous aussi nous sommes comme vous des hommes passibles; mais c'est le vrai Dieu que nous vous annonçons. Laissez là ces vanités (1) ». Vous voyez combien les saints ont horreur d'être honorés comme des dieux.

Autre trait : Pendant que l'Evangéliste saint Jean, l'auteur de l'Apocalypse, était ravi à la vue des merveilles qui lui étaient révélées, ému de frayeur en un certain moment, il tomba aux pieds de l'ange qui lui faisait voir tant de mystères..On ne saurait comparer aucun homme avec un ange; l'ange lui dit néanmoins : « Lève-toi, que fais-tu ? Adore Dieu. Je ne suis que son serviteur, comme toi et comme tes frères (2) ». Les martyrs détestent donc et vos amphores et vos gâteaux et vos scènes d'ivresse. Ce que je dis sans manquer

 

1. Act. XIV, 10-14. — 2. Apoc. XIX, 10.

 

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à ceux qui n'ont pas à se faire de tels reproches. A ceux qui les méritent de se les appliquer. Les martyrs détestent ces pratiques, ils n'aiment pas ceux qui s'y livrent. Mais ils seraient bien plus blessés encore si on les adorait.

9. Ainsi donc, mes très-chers , réjouissez-vous aux fêtes des saints martyrs ; mais demandes de marcher sur leurs traces. Vous êtes des hommes; n'en étaient-ils pas ? Ont-ils eu une autre origine que vous? Avaient-ils : une chair d'autre nature que la vôtre ? Tous nous descendons d'Adam et nous travaillons à nous unir i Jésus-Christ. Et lui-même , lui Notre-Seigneur, lui le Chef de l'Église, lui le Fils unique de Dieu, le Verbe par qui tout a été fait, son corps n'était pas d'une autre nature que le notre, et c'est pour nous le faire comprendre qu'il a voulu s'incarner dans le sein d'une Vierge, naître d'un membre véritable du genre humain. S'il avait pris ailleurs son corps, qui croirait qu'il avait la même chair que nous?

Sa chair toutefois ne portait que la ressemblance de la chair de péché, tandis que la nôtre est la chair même de péché. Aussi bien ne dut-il sa naissance ni au concours d'aucun homme, ni à la concupiscence; mais à l'Esprit envoyé par le Père. Eh bien ! nonobstant sa naissance merveilleuse, il a voulu être d'une nature mortelle, mourir pour nous, et en tant qu'homme nous racheter par son sang. Ah ! mes frères, remarquez bien ceci. Oui, le Christ est Dieu, un seul Dieu avec le Père; il est le Verbe du Père, son Fils unique, son égal et coéternel à lui ; en tant qu'homme toutefois , il a mieux aimé se dire prêtre que de demander un prêtre pour lui-même, se faire victime que d'en exiger, toujours en tant qu'homme. Car en tant que Dieu, il a droit, lui le Fils unique, à tout ce qui est dû à son Père.

Ainsi donc; mes très-chers frères, vénérez , louez, aimez, célébrez, honorez les martyrs ; mais adorez le Dieu des martyrs. Convertissons-nous, etc.

SERMON CCLXXIV. POUR LA FÊTE DE SAINT VINCENT, MARTYR. I. NÉCESSITÉ DE LA GRACE.
 

ANALYSE. — Saint Vincent s'est montré partout vainqueur. A qui est-il redevable de la victoire, de la patience merveilleuse qui a brillé en lui? L'Écriture nous l'enseigne : c'est à Dieu. Il faut donc, quand on a triomphé de beaucoup de tentations, surmonter encore la tentation de vaine gloire et louer sincèrement le Seigneur des victoires remportées.

 

La foi vient de nous faire assister à un spectacle magnifique; nous avons vu Vincent partout vainqueur. Il a vaincu dans ses paroles, il a vaincu au milieu des tourments ; il a vaincu en confessant, il a vaincu en souffrant; il a vaincu au milieu des flammes, il a vaincu plongé dans les flots; enfin il a vaincu quand on l'a torturé, il a vaincu quand il est mort. Lorsqu'on jetait de la barque au milieu de la mer son corps ennobli par les trophées du Christ victorieux, il disait en silence : « On nous y jette, mais mous ne périssons pas (1) ».

 

1. II Cor. IV, 9.

 

Qui a donné à ce soldat cette admirable patience, sinon Celui qui le premier a versé pour lui son sang , Celui à qui nous disons avec un psaume : « Car vous êtes ma patience, Seigneur; Seigneur, dès ma jeunesse, vous êtes mon espoir (1) ? »

Ce rude combat procure une gloire immense; non pas une gloire humaine ou temporelle, mais une gloire éternelle et divine. Ici c'est la foi qui lutte, et quand elle lutte aucun effort ne dompte la chair. Fût-elle déchirée, fût-elle en lambeaux; comment périrait celui que le

 

1. Ps. LXX, 5.

 

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Christ a racheté de son sang? Un mortel puissant ne peut être dépouillé de ce qu'il a acheté de son or, et le Christ perdrait ce qu'il a payé de son sang ? Qu'on ait soin toutefois de tout rapporter non pas à la gloire de l'homme, mais à la gloire de Dieu. Car, c'est de Dieu que vient réellement la patience, la vraie patience, la sainte patience, la patience religieuse et juste; la patience chrétienne est un don de Dieu.

Beaucoup de larrons endurent la torture avec une patience invincible ; mais tout en ne fléchissant pas, et en triomphant du bourreau, ils n'en sont pas moins jetés ensuite dans les flammes éternelles. C'est le motif qui distingue la patience du martyr de la patience, ou plutôt de la dureté des scélérats. Le supplice est le même, la cause est différente. Aussi avons-nous chanté avec les martyrs et conséquemment avec Vincent, qui avait répété ces paroles dans es oraisons: « Jugez-moi, Seigneur, et distinguez ma cause de cette race qui n'est pas sainte (1)». Oui, sa cause était différente; car c'est pour la vérité, pour la justice, pour Dieu, pour le Christ, pour la foi, pour l'unité de l'Eglise, pour la charité personnelle qu'il a combattu. Qui lui a donné cette patience ? Qui ? apprenons-le d'un psaume. On y lit, on y chante : « Mon âme ne se soumettra-t-elle pas à Dieu ? Car c'est de lui que me vient la patience (2)». Quelle étrange erreur de croire que Vincent ait pu par ses propres forces tout ce qu'il a fait !

Présumer qu'on a pour cela des forces suffisantes, ce serait être vaincu par l'orgueil , lors même qu'on croirait l'emporter par la patience. Vaincre réellement, c'est triompher de toutes les manoeuvres de l'ennemi. Cherche-t-il à séduire ? On l'abat par la continence. Accable-t-il de peines et de tourments ? On le renverse par la patience. Pousse-t-il à l'erreur? On le foule aux pieds par la sagesse. Mais

 

1. Ps. XLII, 1. — 2. Ps. XLI, 2.

 

lorsqu'à la fin on l'a ainsi vaincu de toutes manières, il vient dire à l'âme : Bien ! bien, quelle force tu as déployée ! quels combats tu as livrés ! Qui pourrait se comparer à toi? Quelle noble victoire ! Ah ! que l'âme sainte lui réponde aussitôt : « Qu'ils fuient couverts d'ignominie; ceux qui me disent : Bien ! bien (1) ! » Car elle n'est victorieuse que quand elle s'écrie : « C'est dans le Seigneur que se glorifiera mon âme; que ceux qui sont doux m'entendent et partagent ma joie (2) ». Eux en effet savent ce que je dis ; il y a en eux la parole et l'exemple. Quant à celui qui n'est pas doux, il ignore ce qu'il y a de beau dans ces mots : « C'est dans le Seigneur que se glorifiera mon âme » ; car n'étant point doux, mais superbe, raide, enflé de lui-même, c'est en soi et non dans le Seigneur qu'il veut se glorifier. Mais celui qui dit : « C'est dans le Seigneur que se glorifiera mon âme», celui là ne crie pas : Peuples, écoutez, et réjouissez-vous; écoutez et réjouissez-vous, mortels; il dit : « Que ceux qui sont doux m'entendent et qu'ils partagent ma joie ». Que ceux donc qui aiment la douceur m'entendent. Aussi bien le Christ était-il doux; « comme une brebis, il a été conduit à l'immolation (3) ». Ainsi donc c'est pour s'être laissé mener à l'immolation qu'il est doux. « Que ceux qui sont doux m'écoutent et partagent ma joie», attendu qu'ils aiment ces paroles : « Goûtez et reconnaissez combien le Seigneur est doux: heureux l'homme qui espère en lui (4) ».

La lecture qu'on nous a faite était longue, le jour est court ; nous ne devons point retenir votre patience par un long discours. Nous savons en. effet que vous avez écouté avec beau., coup de patience, et qu'en restant si longtemps debout et attentifs vous avez voulu comme compatir aux souffrances du martyr. Que Dieu, en vous écoutant, vous aime et vous couronne.

 

1. Ps. LXIX, 4. — 2. Ps. XXXIII, 3. — 3. Isaïe, LIII, 7. — 4. Ps. XXXIII, 3,9.

SERMON CCLXXV. POUR LA FETE DE SAINT VINCENT, MARTYR. II. LA GLOIRE DE DIEU DANS SAINT VINCENT.
 

ANALYSE. — Dans cet illustre martyr la gloire de Dieu se révèle de trois manières : 1° par le courage héroïque, surhumain, par lequel il souffre et répond; 2° par les tourments qu'endurent le démon et le juge qui le torturent; 3° par les soins admirables que la Providence prend de son corps, même après sa mort.

 

1. Notre coeur vient d'assister à un grand bien admirable spectacle, et en y attachant le regard de notre âme nous n'y avons pas puisé ce qu'on puise dans les vains théâtres du monde, des voluptés aussi frivoles que funestes, mais un plaisir solide et salutaire, pendant qu'on lisait le martyre glorieux du bienheureux Vincent. Quelle merveille que l’âme invincible de ce grand martyr luttant contre les ruses de l'antique ennemi, contre la cruauté d'un juge impie; contre les douleurs d'une chair mortelle ! Quelle ardeur intrépide ! mais avec l'aide du Seigneur elle est partout victorieuse. Oui, mes très-chers frères, voilà bien certainement ce qui a eu lieu; louons donc cette âme généreuse, mais dans le Seigneur, afin que ceux qui sont doux nous entendent et prennent part à notre joie (1). Que lui a-t-on dit? Qu'a-t-il répondu? De quels tourments a-t-il triomphé ? C'est ce que nous a montré la lecture qu'on vient de faire, c'est ce qu'elle vient de nous mettre en quelque sorte sous les yeux. Quelles tortures dans tous ses membres! et dans toutes ses paroles quelle noble assurance ! Ne serait-on pas porté à croire que celui qui parlait n'était pas celui qui souffrait ? Sûrement ce n'était pas lui. Voici en effet ce que le Seigneur a prédit et promis à ses martyrs : « Ce n'est pas vous qui parlez, c'est l’Esprit de votre Père qui parle en vous (2) ». C'est donc dans le Seigneur que nous devons louer cette âme intrépide. « Qu'est-ce » en effet « que l'homme, si Dieu ne se souvient de lui (3)? » Quelles forces peut avoir la poussière, si elle n'en reçoit de Celui qui nous a tirés de la poussière?

 

1. Ps. XXXIII, 3. — 2. Matt. X, 20. — 3. Ps. VIII, 5.

 

« Que celui qui se glorifie, se glorifie donc dans le Seigneur (1) ».

Du reste, s'il arrive souvent au séducteur, à l'esprit diabolique, de s'emparer tellement de ses faux prophètes ou de ses faux martyrs, qu'on les voit ou se torturer eux-mêmes le corps, ou se rire des tourments qu'on fait tomber sur eux; est-il étonnant que pour appuyer la prédication de son nom le Seigneur notre Dieu livre aux mains des persécuteurs le corps de ses apôtres, et qu'il élève leur âme sur le roc inaccessible de la liberté, afin que de là elle affirme la vérité pendant que le corps est torturé par l'iniquité? Aussi n'est-ce point la souffrance, c'est la justice qui donne la victoire; car ce n'est pas le supplice, c'est la cause qui fait les martyrs. Combien d'hommes ont supporté la douleur, non pas avec constance, mais avec opiniâtreté ! De leur part ce n'était pas vertu, c'était vice; ce n'était pas raison ni droiture, c'était erreur et perversité ; ce n'était pas le démon qui les persécutait, ils étaient tout remplis de lui. Ah ! quelle différence dans notre victorieux Vincent ! En lui était vainqueur Celui dont il était rempli; mais aussi était-il rempli de Celui qui avait mis à la porte le prince de ce monde (2), et qui, en lui permettant de lutter à l'extérieur, voulait qu'il y fût vaincu , comme il l'avait déjà été à l'intérieur, où son trône était renversé. Car une fois chassé de l'âme, il ne cessa de rôder comme un lion rugissant et de rechercher pour mettre en pièces (3). Mais nous sommes défendus contre lui par Celui qui règne en nous après l'en avoir banni.

2. Ne voyons-nous pas d'ailleurs qu'en ne

 

1. I Cor. I, 31. — 2. Jean, XII, 31. — 3. I Pierre, V, 8.

 

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triomphant pas de Vincent, le démon était plus à la torture que n'y était Vincent sous ses coups redoublés? Plus étaient cruels et cruellement imaginés les supplices, plus la victime l'emportait sur le bourreau; et ce qui augmentait la rage de l'ennemi, c'est que sur son corps comme sur un terrain fécond, croissait la palme arrosée de son sang. Il est vrai, le démon reste invisible en exerçant sa fureur, et vaincu invisiblement, c'est invisiblement encore qu'il est tourmenté; mais le juge visible montrait assez à découvert ce que le diable souffrait en secret, et cet invisible ennemi se trahissait par les ouvertures et par les cris du vase d'iniquité qu'il remplissait tout entier. Les paroles de ce malheureux, ses yeux, son air, les mouvements violents de tout son corps, étaient autant de preuves qu'il souffrait bien plus à l'intérieur que ce qu'il faisait endurer extérieurement au martyr. En considérant le trouble du bourreau et le calme de la victime, n'est-il pas bien facile de voir lequel d'entre eux était sous le poids des tortures, et qui les dominait ? Ah ! quelles joies sont réservées à ceux qui règnent dans la vérité, quand déjà en éprouvent tant ceux qui meurent pour elle ! Une fois uni à la source même de la vie, que ne goûtera point le corps devenu incorruptible, quand du milieu des supplices quelques gouttes de rosée lui procurent des voluptés si douces? Mais aussi, que n'endureront pas les impies au milieu des flammes éternelles , quand les seuls désordres de leur coeur irrité produisent en eux de tels ravages ? Que ne souffriront-ils point quand on les- jugera , eux qui dès maintenant sont à la torture quand ils jugent? Quelle puissance n'auront point les futurs arrêts des saints, quand les chaînes d'un martyr mettent en pièces le tribunal de son juge?

3. Mais voici un témoignage magnifique rendu par Dieu même à ses témoins. Après qu'il a soutenu leurs coeurs dans le combat, après leur mort il n'abandonne point leurs corps; c'est ainsi que sur le corps de notre bienheureux Vincent il a opéré un des plus éclatants miracles, en découvrant d'une manière si manifestement divine ce corps que l'ennemi avait tout fait dans sa fureur pour dérober aux regards des hommes, et en montrant qu'il fallait l'inhumer avec un profond respect et l'entourer d'un culte religieux. Le Seigneur voulait qu'il fût ainsi un illustre et immortel témoignage du triomphe remporté par la piété victorieuse sur l'impiété vaincue. Ah ! il est bien vrai que « la mort des saints du Seigneur est précieuse à ses yeux (1) » ; puisqu'il ne dédaigne pas cette poussière du corps que la vie a quitté; puisqu'après même que l'âme invisible est sortie de sa visible demeure, Dieu veilla avec soin sur cette habitation qu'a occupée son serviteur, et puisque pour sa gloire il la fait honorer par ses autres serviteurs fidèles.

Quand en effet le Seigneur fait des miracles sur les corps de ses amis défunts, ne témoigne-t-il pas que pour lui ils ne sont pas morts; et ne veut-il pas, quand il déploie tant de puissance pour honorer une chair inanimée, faire entendre combien sont glorifiées près de lui ces âmes généreuses qui se sont pour lui dévouées à la mort? En parlant des membres de l'Eglise, l'Apôtre a emprunté une similitude aux membres de notre corps : « Nous entourons de plus de respect, dit-il, nos membres honteux (2) ». C'est ainsi qu'en faisant de si éclatants miracles en faveur des cadavres des martyrs, la- Providence du Créateur honore davantage ces restes sans vie ; c'est ainsi que dans ces cendres humaines que la mort a dépouillées de toute beauté, se manifeste avec plus d'éclat l'Auteur même de la vie.

 

1. Ps. CXV, 15. — 2. I Cor. XII, 23
 
 
 

source: http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin/index.htm

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