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Saint Augustin d'Hippone
Sermons

SERMON CCLXXVI. POUR LA FÊTE DE SAINT VINCENT, MARTYR. III. LA GLOIRE DE DIEU DANS SAINT VINCENT.
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ANALYSE. — La gloire de Dieu se révèle avec éclat : 1° dans la patience et la sagesse que fait paraître le martyr ; 2° dans doreur que montre le tyran ; 3° dans les soins que Dieu prend du corps de saint Vincent et dans les hommages qu'il lui fait rendre, après sa mort, par tout l'univers.

 

1. Dans le récit douloureux qu'on vient de nous lire, mes frères, nous voyons avec éclat un juge féroce, un bourreau cruel et un invincible martyr. Sur son corps sillonné par tant de supplices différents, on avait déjà épuisé tous les genres de torture, et ses membres étaient encore en vie. Malgré tant de miracles qui devaient la confondre, l'impiété ne se lassait point, et sous le poids de tant d'affreuses tortures, la faiblesse humaine ne songeait pas même à fléchir. Qui ne reconnaîtrait ici l'action divine? Comment cette faible poussière pourrait-elle soutenir ces tourments épouvantables, si le Seigneur n'habitait en elle ? C'est donc le Seigneur qu'il faut voir, qu'il faut glorifier, qu'il faut bénir dans toutes ces merveilles. S'il a donné la foi au martyr quand il a commencé par l'appeler, il lui a aussi donné la force pour endurer ces extrêmes souffrances.

Voulez-vous la preuve que ces deux vertus sont également un don de sa main? Ecoutez l'apôtre saint Paul : « Il vous a été octroyé au nom du Christ, dit-il, non-seulement de moire en lui, mais encore de souffrir pour lui (1)». Le lévite Vincent avait donc reçu ces deux vertus; il les avait reçues et voilà pourquoi il les possédait. Comment les eût-il possédées s'il ne les avait reçues? Dans ses paroles brillait une noble assurance et la patience dans ses douleurs. Que nul donc, quand il parle, ne présume de son esprit; que nul en souffrant ne présume de ses forces. C'est Dieu effectivement qui nous accorde la sagesse pour nous faire bien et prudemment parler; de lui aussi nous vient la patience pour

 

1. Philip. I, 29.

 

souffrir le mal avec courage. Rappelez-vous les avis que le Christ Notre-Seigneur adresse à ses disciples dans l'Évangile; rappelez-vous comment le Roi des martyrs revêt ses légions de l'armure spirituelle, leur montre le combat, leur assure des auxiliaires et leur promet la récompense. Après donc avoir dit à ses disciples : « Vous aurez dans le monde des tribulations » ; comme il les. voyait effrayés, il ajouta pour les consoler : « Mais ayez confiance; j'ai vaincu le monde (1)». Ainsi, pourquoi nous étonner, mes bien-aimés, si Vincent a vaincu, appuyé sur Celui qui a vaincu le monde? « Vous aurez dans le monde des afflictions » ; dit-il, mais pour peser sur vous sans vous écraser, pour vous attaquer sans vous vaincre.

2. Le monde fait aux soldats du Christ une double guerre. Remarquez ces mots, mes frères : le inonde fait une double guerre aux soldats du Christ. Il emploie contre eux des caresses pour les séduire, des frayeurs pour les abattre. Ne nous laissons prendre ni par le plaisir que nous ressentons, ni par la cruauté qu'on exerce contre nous, et le monde est vaincu. Pour nous défendre contre ce double assaut le Christ vient à notre secours , et le chrétien par lui est à l'abri de toute défaite.

Sans aucun doute la patience paraît incroyable dans ce martyr, si on y voit une patience humaine; si on y voit la puissance divine, elle cesse d'être admirable. Avec quelle cruauté on laboure le corps de Vincent ! avec quelle sérénité il s'exprime ! Quelle atroce fureur s'exerce sur ses membres ! et quelle tranquillité respire dans ses paroles ! Ne dirait-on pas,

 

1. Jean, XVI, 33.

 

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chose merveilleuse ! que durant le supplice c'est un autre qui souffre et un autre qui parle? Eh bien, mes frères, c'est ce qui avait lieu réellement, incontestablement, c'était un autre qui parlait par la bouche de Vincent, comme le Christ a assuré, dans l'Evangile, qu'il ferait par la bouche de ses martyrs pendant qu'il les disposait à ce genre de combat. « Ne songez d'avance, leur dit-il, ni comment a vous direz, ni ce que vous devrez dire. Car ce n'est pas vous qui parlez, c'est l'Esprit de votre Père qui parle en vous (1)». Ainsi dans Vincent c'était la chair qui souffrait et l'Esprit-Saint qui parlait; de plus, pendant que parlait l'Esprit-Saint, non-seulement l'impiété était confondue, la faiblesse même se fortifiait.

3. A quoi aboutissaient tant de tortures, sinon à nous rendre ce martyr plus illustre? En effet, malgré le nombre et la profondeur de ses horribles blessures, loin d'abandonner le combat, il y redoublait d'ardeur. On aurait dit que la flamme le durcissait au lieu de le brûler, semblable au vase d'argile qui perd toute sa mollesse dans la fournaise du potier, et qui y prend une ferme consistance. Généreux martyr, il pouvait dire à Dacien : Si ton feu ne consume pas mon corps, c'est que « ma force s'est durcie comme l'argile (2) »; c'est qu'il est dit avec vérité dans l'Ecriture : « La fournaise éprouve les vases du potier, et la tribulation éprouve les hommes justes (3)». Mais le feu qui épura et qui durcit Vincent, brûla et fit éclater Dacien. S'il ne brûlait pas, pourquoi tous ses cris? Ses paroles de colère n'étaient-elles pas comme la fumée de ce tison enflammé? Sans doute, il environnait de flammes le corps de ce martyr, dont le coeur était arrosé d'une onde rafraîchissante; mais, comme si les torches de la fureur l'eussent mis en feu lui-même, il brûlait comme un four ardent et embrasait en même temps le

 

1. Matt. X, 19, 20. — 2. Ps. XXI, 16. — 3. Eccli. XXVII, 6.

 

diable qui habitait en lui. N'était-ce pas en effet cet hôte cruel qui se montrait dans les cris furibonds de Dacien, dans son regard terrible, dans son air menaçant, dans les mouvements de tout son corps? Ces signes extérieurs n'étaient-ils pas comme les ouvertures que faisait en éclatant le vase rempli par le démon et à travers lesquelles on le voyait distinctement? Ah ! le martyr souffrait moins sous le poids des tourments, que le bourreau sous le fouet de sa propre rage.

4. Cependant, mes frères, tout cela est passé, la fureur de Dacien comme les souffrances de Vincent; avec cette différence, toutefois, que pour toujours Dacien est dans les supplices, tandis que Vincent est couronné pour toujours. De plus, indépendamment de cette différence dans le sort éternel qu'ils ont mérité l'un et l'autre, considérons combien est brillante, dans cette vie même, la gloire des martyrs. Partout où s'étend l'empire romain, par. tout où est connu le nom chrétien, quel est le pays, quelle est la province qui ne célèbre avec joie la naissance au ciel de Vincent? Et s'il n'avait lu le martyre de Vincent, qui con. naîtrait au contraire le nom même de Dacien.

Si le Seigneur a pris tant de soin du corps même de son martyr, n'était-ce pas pour montrer que lui-même avait dirigé pendant sa vie cet homme qu'il n'abandonna point après sa mort? Vincent donc a vaincu Dacien et avant et après son trépas. Avant son trépas il a foulé aux pieds les tortures, après sa mort il a traversé les mers; mais il a eu pour diriger au milieu des flots ses membres inanimés la main qui l'a rendu invincible sous les ongles de fer. Le bourreau avec ses feux n'avait pu amollir son courage; la mer ne put avec ses eaux submerger son corps. Que voir ici et dans les autres événements de même nature, sinon que « la mort de ses élus est précieuse devant le Seigneur (1)».

 

1. Ps. CXV, 15.

SERMON CCLXXVII. POUR LA FÊTE DE SAINT VINCENT, MARTYR. IV. LES CORPS DES SAINTS APRÈS LA RÉSURRECTION.
 

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ANALYSE. — En conservant par miracle le corps de saint Vincent après sa mort, Dieu avait moins en vue la gloire du martyr que notre consolation et notre encouragement à le prier ; car saint Vincent avait assuré, en confessant Jésus-Christ, non-seulement le bonheur de son âme, mais encore celui de son corps. Et comment exprimer ce que seront les corps saints après la résurrection ? — I. Si la santé consiste aujourd'hui pour nous dans l'harmonie des humeurs, quelle idée nous faire de ce que sera la santé des corps glorieux ! On pourrait dire que la santé parfaite consiste à ne pas sentir son corps. Mais ici, comme ce corps nous pèse ! Après la résurrection au contraire, quelle ne sera pas son agilité ! Pour nous en former une idée, ne nous arrêtons pas à considérer l'effrayante rapidité des corps célestes; voyons la rapidité plus merveilleuse encore du rayon rituel. Si l'Ecriture enseigne que la résurrection des morts se fera en un clin d'oeil, n'est-ce pas afin de nous faire entendre que les mouvements l'emporteront en rapidité sur les mouvements de l'oeil même? Du reste, le corps de Notre-Seigneur ressuscité, auquel ressembleront les corps des saints après la résurrection, a pénétré alors où ne saurait pénétrer l'oeil. — II. Ici s’élève une question, celle de savoir si l'oeil des corps saints ressuscités pourra voir Dieu. Il est certain d'abord que Dieu étant tout entier partout, on ne pourra jamais le voir comme on voit les corps dont chaque partie occupe un point particulier de l'espace. Mais Dieu donnera-t-il à l'œi1 une faculté nouvelle, celle de voir ce qui ne saurait être circonscrit dans un lieu? C'est une question sur laquelle je ne suis pas fixé encore. Ce que nous devons croire indubitablement, c'est que Dieu restera toujours ce qu'il est, et que si l'oeil ressuscité parvient à le voir, c'est dans l'oeil qu'aura lieu le changement. Qu'on ne m'objecte pas ce texte de l'Ecriture : « Toute chair verra le salut de Dieu (1) ». Ce texte ne saurait me tirer de mon incertitude (2), puisqu'il désigne Notre-Seigneur Jésus-Christ, que les méchants comme les justes ont vu sur la terre et qu'ils verront encore au jugement dernier. Mais ce point indécis pour moi ne saurait nous faire révoquer en doute ce que l’Ecriture enseigne sur la résurrection même, sur l'incorruptibilité et la spiritualité des corps des saints ressuscités.

 

1. Nous avons contemplé des yeux de la foi ce combattant généreux et nous nous sommes sentis épris d'amour pour toutes les beautés invisibles qui brillaient dans son âme. Quelle beauté d'âme, en effet, quand le corps même inanimé demeure invincible ! Vivant, il a confessé le Seigneur; mort, il a triomphé de son ennemi.

Croirons-nous pourtant, mes frères, qu'en honorant ainsi ce corps sans vie, la Providence du Créateur tout-puissant ait eu en vue de récompenser le martyr lui-même? Croirons-nous que si ce corps n'avait reçu la sépulture, Dieu n'aurait su où le prendre pour le ressusciter? Le partage du martyr est la couronne après sa victoire et l'éternelle vie après sa résurrection. Quant à son corps, il devait être pour l'Eglise un monument de consolation. C'est ainsi que souvent, par une douce condescendance, Dieu emploie ses serviteurs à faire du bien aux autres, ayant plutôt en vue l'avantage de celui qui reçoit que l'avantage

 

1. Luc, III, 6. — 2. Saint Thomas ne partage point l'incertitude que professe ici saint Augustin. Jamais les yeux du Corps ne pourront voir Dieu dans sa nature. Du reste c'est saint Augustin lui-même, mieux éclairé plus tard, qui suggère à saint Thomas le sentiment qu'il enseigne. (Voir S. Th. I, p. q, XI, art. 3. Cité de Dieu, liv. XXII, ch. 29).

 

de celui qui donne. Par le ministère d'un oiseau il nourrissait le saint prophète. Ne pouvait-il dans sa miséricorde et sa toute-puissance, le nourrir toujours ainsi? Il l'envoie néanmoins vers une veuve, pour que celle-ci lui conserve la vie (1). Non, Dieu ne manquait pas de moyens pour le- nourrir autrement, mais il voulait que cette veuve fidèle méritât ses bénédictions. C'est ainsi qu'en donnant à ses Eglises des ossements sacrés, il avait dessein de porter à la prière plutôt que de glorifier ses martyrs. La gloire de ceux-ci brille de tout son éclat devant leur Créateur. De plus ils ne craignent pas pour leur corps, puisque pour lui ils n'ont rien à craindre. Ah ! ils lui auraient nui en l'épargnant; mais en ne (épargnant point dans des desseins de foi, que ne lui assurent-ils pas?

2. Remarquez bien cette pensée, et interrogez votre religion. Si la crainte des tortures avait déterminé saint Vincent à renier le Christ, il aurait semblé épargner son corps; mais, de condition mortelle, il ne lui aurait pas moins fallu subir le trépas. Et qu'aurait-il

 

1. III Rois, XVII, 9.

 

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obtenu pour lui, lorsqu'au moment de sa résurrection il serait précipité tout entier dans les flammes éternelles? Qui renie le Christ sera renié par lui. «Quiconque m'aura renié devant les hommes, dit-il, je le renierai devant mon Père qui est aux cieux (1) ». Si donc Vincent l'avait renié, les bourreaux ne se seraient pas jetés sur lui; son âme eût été blessée; mais son corps n'eût rien souffert, ou plutôt son âme serait morte et son corps eût conservé la vie; mais que lui eût servi cette courte vie, une fois mort pour l'éternité? Viendra le jour dont parle le Seigneur, le jour « où tous ceux qui sont dans les tombeaux entendront sa voix et sortiront » ; mais avec des destinées bien différentes. Tous sortiront, mais non pour arriver au même but. Tous ressusciteront, mais tous ne seront pas changés. Car « ceux qui auront fait le bien sortiront pour ressusciter à la vie, et ceux qui auront fait le mal, pour ressusciter à leur condamnation (2) ». Ces paroles : « Tous ceux qui sont dans les tombeaux» , désignent évidemment la résurrection des corps. Quant au mot de condamnation, ne te flatte pas de n'y voir qu'une condamnation temporaire; cette condamnation est synonyme de peine éternelle. C'est dans ce sens qu'il est dit : « Celui qui ne croit pas est déjà jugé (3) ».

Voilà donc la grande distinction qui tranchera entre les justes et les injustes, les fidèles et les infidèles, les confesseurs et les renégats, entre ceux qui aiment une vie périssable et ceux qui aiment l'éternelle vie. « Et les justes iront à la vie éternelle, comme les impies aux éternelles flammes (4)». Là seront tourmentés avec leur corps ceux qui l'auront épargné. Ils l'auront épargné en redoutant pour lui la souffrance, et en l'épargnant ils auront renié le Christ. Or, en reniant le Christ ils auront ajourné pour leur corps les supplices éternels; mais les ajourner, est-ce les écarter pour toujours?

3. Ainsi donc les martyrs du Christ, dans leur prudence, n'ont pas fait mépris de leurs corps. Ils le méprisent, ces aveugles philosophes du monde qui ne croient pas la résurrection de la chair. Ils croient même se distinguer noblement en regardant leurs corps comme des prisons où ils estiment que leurs âmes ont été reléguées pour des péchés commis

 

1. Luc, XII, 9. — 2. Jean, V, 28. — 3. Ib. III, 18. — 4. Matt. XXV, 46.

 

mis ailleurs. Mais c'est notre Dieu qui a formé le corps aussi bien que l'esprit; Créateur de l'un et de l'autre, il les répare tous deux; il les a formés tous deux et tous deux il les réforme. Aussi les martyrs n'ont ni dédaigné ni tourmenté leur chair comme une ennemie. « Personne, dit l'Apôtre, n'a jamais haï sa chair (1) ». Ah ! ils prenaient plutôt ses intérêts en main, quand ils paraissaient l'oublier; car lorsque malgré les tourments temporels qu'ils enduraient avec fermeté dans leur chair ils demeuraient fidèles à Dieu, ne préparaient-ils pas à cette même chair une gloire éternelle?

4. Mais qui pourrait dire quelle sera cette gloire à la résurrection de la chair ? Nul de nous n'en a fait encore l'expérience. La chair que nous portons est pour nous aujourd'hui un fardeau; car c'est une chair mendiante, infirme, mortelle et corruptible. «Le corps qui se corrompt appesantit l'âme», dit l'Ecriture (2). Ne crains pas qu'il en soit ainsi à la corruption ; « il faut que corruptible ce corps revête l'incorruptibilité, et que mortel il revête l'immortalité (3) ». Ce qui est maintenant un fardeau sera une gloire alors; ce qui nous accable aujourd'hui nous allégera plus tard. Ce corps pèsera si peu que tu ne croiras plus en avoir.

Remarquez, mes bien-aimés, ce que nous éprouvons lorsque notre corps jouit de la santé, lorsqu'il en jouit même aujourd'hui qu'il est si fragile et si mortel : quand toutes les parties qui le composent sont en paix et en harmonie les unes avec les autres; quand aucune affection n'y en combat une autre ; quand la chaleur n'y repousse pas l'engourdissement du froid et que l'excès du froid n'y éteint pas la chaleur, ce qui produit une lutte douloureuse; quand il n'est ni trop desséché ni trop surchargé d'humeurs, mais que tout en lui est proportionné, harmonieux et y trouve ce contre-poids qui fait la santé (car la santé, pour le dire en quelques mots, est l'harmonie corrélative de toutes les parties du corps); mais dans ce corps indigent, infirme et corruptible; dans ce corps sujet encore à la faim et à la soif; dans ce corps qui se fatigue en restant debout, qui s'asseoit pour reprendre des forces et qui se fatigue encore d'être assis, qui succombe de besoin et que ranime la nourriture, qui ne se relève d'une défaillance qu'en commençant

 

1. Eph. V, 29. — 2. Sag. IX, 15. — 3. I Cor. XV, 53.

 

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à tomber dans une autre, puisque toute diversion entreprise pour le récréer est l'origine d'une fatigue nouvelle, si on la prolonge; oui, dans ce corps infirme et corruptible, qu'est-ce donc que la santé, qu'est-ce que cette harmonie, si parfaite qu'elle soit , qui règne entre les organes et entre les humeurs ? Ce qu'on appelle santé pour cette chair mortelle et corruptible ne saurait assurément se comparer à la santé dont jouissent les anges , les anges dont il nous est promis d'être les égaux à la résurrection (1). Quelle qu'elle soit pourtant, comme je viens de le dire, quels charmes n'offre pas cette santé ? Combien n'est-elle pas désirable pour tout le monde? Que ne possède pas le pauvre, quand il n'aurait qu'elle; et de quoi ne manque pas le riche lorsque seule elle lui fait défaut ? Pourquoi me vanter ses richesses ? La fièvre ne craint viles lits d'argent ni les palais superbes; elle ne craint même pas les flèches du guerrier.

5. Qu'est-ce donc que cette santé, méprisée avec tant de sagesse par les martyrs, qui en espéraient une autre? Quoique nous n'ayons pas fait encore l'expérience de cette autre, essayons, en considérant celle-ci , de nous en faire une idée quelconque. Qu'est-ce que la santé? Demande-moi : Qu'est-ce que voir ? et m'arrêtant au corps, je pourrai te répondre que voir c'est sentir des formes et des couleurs. Demande : Qu'est-ce qu'entendre ? C'est sentir des sons. Qu'est-ce que flairer ? Sentir des odeurs. Qu'est-ce que toucher ? Sentir ce qui est dur ou tendre, chaud ou froid, âpre ou uni, lourd ou léger. Maintenant, qu'est-ce que la santé ? C'est ne rien sentir.

Il est vrai que comparées à ce qui se passe dans d'autres êtres vivants, ces sensations ne sont rien. Tu as la vue perçante : celle de l'aigle ne l'est-elle pas davantage ? Ton ouïe est fine: que d'insectes l'ont plus fine encore. Tu as le flair délicat: il ne l'est pas plus que celui du chien dont tu admires la sagacité- Tu as le goût très-pur pour discerner les saveurs : il est des animaux qui jugent des plantes qu'ils n'ont jamais goûtées et quine touchent pas à ce qui est nuisible ; au lieu que, si habile que tu sois pour distinguer les aliments, il peut t'arriver de prendre imprudemment du poison. Si délicat encore que soit en toi le toucher, combien d'oiseaux sentent l'été d'avance, et changent

 

1. Luc, XX, 36.

 

de climats, sentent approcher l'hiver et vont sous un ciel plus chaud ! Réellement ils sentent d'avance ce dont tu ne t'aperçois qu'après. Ajoutons pourtant que ce défaut de sensation que je mets en relief dans la santé est propre aussi à la pierre, à l'arbre, au cadavre.

6. Le préfet Dacien ne sentait-il rien dans son coeur, lorsqu'il sévissait contre un cadavre insensible ? Eh ! que pouvait-il faire contre ce corps insensible, lui qui avait échoué contre lui quand il était sensible encore? Tout ce qu'il pouvait, il l'avait fait néanmoins, il l'avait fait avec colère. Quant au martyr, déjà on ne le voyait plus souffrir, mais secrètement Dieu le couronnait; il était en possession de la réalité promise par son Seigneur, quand pour nous rassurer contre les meurtriers du corps il avait dit : « Gardez-vous de craindre ceux qui tuent le corps et qui ne peuvent plus rien ensuite (1) ». Comment ensuite ne peuvent-ils plus rien, puisque ce farouche préfet a tant fait contre le corps inanimé de Vincent? Mais qu'a-t-il fait à Vincent lui-même, dès qu'il n'a rien pu sur lui quand il était vivant encore ? Par conséquent la santé ne consiste pas à être privé de sentiment comme en sont privés la pierre, un arbre, un cadavre; mais à vivre dans un corps sans en ressentir aucunement le poids- Quelle que soit cependant la santé de l'homme durant cette vie, son corps lui pèse toujours. Toujours le corps qui se corrompt, toujours le corps corruptible appesantit l'âme, il l'appesantit en ce sens qu'il n'obéit pas à toutes ses volontés. En beaucoup de choses il lui est docile ; c'est elle qui imprime le mouvement aux pieds pour marcher, aux yeux pour voir, à la langue pour parler; c'est elle aussi qui ouvre les oreilles pour percevoir les sons ; le corps en tout cela est le serviteur de l'âme. Quand néanmoins on veut se transporter d'un lieu dans un autre, on sent un poids, on sent un fardeau; il n'est pas si facile au corps de se transporter où voudrait l'âme. Un ami désire-t-il voir un ami vivant dans son corps comme il y vit lui-même ? Il sait qu'il habite au loin et que de longs espaces le séparent de lui; son âme est déjà près de lui, mais en y conduisant son corps de quel fardeau il se sent chargé ! Ce poids de la chair ne saurait suivre l'élan précipité de la volonté ; la chair ne va pas aussi vite que le voudrait l'âme qui porte ce fardeau.

 

1. Matt. X, 28; Luc, XII, 4

 

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Le corps est lent et lourd tout à la fois.

7. Le corps toutefois n'a-t-il pas des membres qui témoignent de la rapidité de ses mouvements ? Parlerons-nous des pieds ? Qu'y a-t-il de plus lent ? Ce sont eux qui marchent ; mais qu'ils ont de peine à suivre nos désirs ! qu'ils ont à faire d'efforts pour arriver ! Supposons néanmoins un homme qui soit aussi rapide que le sont certains animaux auxquels nous ne saurions nous comparer sous le rapport de la vélocité; supposons un homme rapide comme les oiseaux: il ne peut arriver aussi vite qu'il le veut. Combien de temps volent les oiseaux pour arriver sous d'autres cieux ? Ne les voit-on pas quelquefois s'asseoir de fatigue sur les mâts des navires ? Lors donc que nous pourrions voler comme les oiseaux, à quelle distance le moment de notre arrivée serait-il de celui du désir ? Mais quand notre corps sera spiritualisé, conformément à ces paroles : « On le sème corps animal et il ressuscitera corps spirituel (1) » ; quelle agilité, quelle promptitude de mouvements, quelle obéissance spontanée il aura alors ! Alors plus en lui ni fatigue, ni besoin, ni pesanteur; plus de lutte, ni de résistance sous aucun rapport.

8. Quel n'était pas le corps du Sauveur , quand avec lui il traversa la muraille ! Soyez attentifs, je vous en conjure peut-être me sera-t-il donné par le Seigneur et quelque soit mon langage, de satisfaire votre attente ou au moins de n'être pas trop au dessous. Ce qui nous a amené à parler de la spiritualité du corps ressuscité, ce sont les souffrances de ce martyr que nous avons vu avec admiration mépriser le sien au milieu des tortures. C'est en n'épargnant pas son corps, avons-nous dit, qu'il a agi dans son intérêt : car en se dérobant à des supplices temporels, et en renonçant au Christ, il aurait pu réserver à son corps d'atroces et éternelles tortures. J'ai voulu à cette occasion vous exhorter et m'exhorter en même temps à mépriser les choses présentes et à mettre notre espoir dans les biens futurs. « En effet, nous gémissons sous le poids de cette tente », et pourtant nous ne voulons pas mourir, nous redoutons d'être délivrés de ce fardeau : « car nous ne voulons pas être dépouillés, mais recouverts et voir ce qui est mortel absorbé par la vie (2) ». C'est pourquoi j'ai entrepris de vous dire quelques mots

 

1. I Cor. XV, 44. — 2. II Cor. V, 4.

 

de la spiritualité du corps, et j'ai cru devoir commencer par insister sur la santé de ce corps fragile et corruptible : c'est le moyen de nous élever à la découverte de quelque grande vérité.

La santé, avons-nous vu, consiste à ne pas sentir. Combien n'avons-nous pas d'organes à l'intérieur ? Qui de nous les connaîtrait s'il ne les voyait dans des corps dépouillés ? Comment en effet avons-nous l'idée de nos entrailles, de ces parties intérieures qu'on appelle les intestins ? Le bien-être est de ne les sentir pas; car n'en avoir pas le sentiment, c'est jouir de la santé. Tu dis à cet homme : Prends garde à ton estomac. Il te répond: Qu'est-ce que l'estomac ? heureuse ignorance ! S'il ne sait où est son estomac, c'est que son estomac n'est jamais malade. S'il l'était quelquefois, il le sentirait ; et s'il le sentait, ce ne serait pas pour lui un avantage.

9. Après avoir constaté 1e bonheur de la santé corporelle, nous avons parlé de la rapidité des. mouvements et nous avons reconnu que nous sommes en quelque sorte des hommes de plomb. Quelle n'est point la rapidité des corps célestes? — Veux-tu le savoir ? Regarde le soleil il te paraît ne pas se mouvoir, et pourtant il se meut. Il se meut, dis-tu peut-être, mais bien lentement. Veux-tu savoir avec quelle célérité? Veux-tu découvrir par la raison ce que ne voit point ton oeil ? Suppose qu'un cavalier coure en droite ligne de l'Orient à l'Occident, combien de jours il lui faudrait pour arriver? Quelle que fût la rapidité de son coursier, combien de haltes il lui faudrait faire? Eh bien ! cet espace immense qui sépare le point extrême de l'Orient de l'extrême limite de l'Occident, le soleil le parcourt en un seul jour, et il ne lui faut qu'une nuit pour se retrouver au point de départ. Je ne veux pas dire ici, car c'est un point obscur encore , difficile à persuader et incertain peut-être , combien ces espaces du ciel l'emportent en immensité sur tout l'espace occupé par la terre. Mais en voyant tant de rapidité dans les corps célestes, dont nous ne pouvons surprendre le mouvement en les fixant même, à quelle rapidité pouvons-nous comparer la rapidité des corps des anges ? Des anges en effet se sont montrés; ils se sont fait voir et toucher quand ils l'ont voulu. Abraham n'a-t-il pas lavé les pieds à des anges (1) ? Non-seulement

 

1. Gen. XVIII, 4.

 

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il a lavé, mais il a touché leurs corps. Ils se montrent comme ils veulent, quand ils veulent, à qui ils veulent, sans ressentir ni difficulté, ni pesanteur.

Cependant nous ne les voyons ni courir, ni aller d'un lieu à l'autre et nous ignorons à quel moment ils s'éloignent de notre présence; ils arrivent aussitôt qu'il leur plaît. Nous ne pouvons par conséquent les montrer comme des amples frappants de l'agilité dont nous parlons. Laissons donc là ce qui nous est inconnu, et gardons-nous de préjuger témérairement de ce que l'expérience ne nous a point appris.

10. C'est dans ce corps même dont nous sommes chargés que je trouve à admirer quelque chose d'ineffablement rapide. Qu'est-ce ? C'est le rayon de notre oeil, lequel touche tout ce que nous voyons; oui, tu touches réellement ce que tu vois du rayon de ton oeil. Supposons que tu veuilles voir au loin, mais qu'un corps opaque s'interpose, le rayon de ton oeil tombe sur ce corps et il ne saurait arriver jusqu'à l'objet que tu désires contempler. Tu dis à l’homme qui te fait obstacle : Ecarte-toi, tu me gênes. C'est une colonne que tu veux regarder, quelqu'un se trouve en face et arrête ta vue. Le rayon visuel est lancé, mais il sont arrêté par l'homme qui fait obstacle, il ne saurait arriver jusqu'à la colonne; c'est sur un autre objet qu'il tombe, ce n'est pas sur ce qu'il cherche. L'obstacle vient-il à s'écarter? eue arrive où tu voulais. Raisonne maintenant, et si tu en es capable, découvre la vérité et réponds-moi. Ce coup d'oeil, ce rayon visuel est-il arrivé plutôt à ce qui est plus rapproché et plus tard à ce qui est plus éloigné ? Voici un homme assez près de toi : pour le voir, pour faire aller jusqu'à lui ton coup d'oeil, pour aller jusqu'à lui avec ton rayon visuel, il t'a fallu autant de temps que pour aller jusqu'à cette colonne que tu voulais voir et que cet homme placé entre toi et elle t'empêchait de considérer; tu n'arrives ni plus tôt ni plus tard i l'une qu'à l'autre, quoique l'une pourtant soit plus éloignée que l'autre. Si tu voulais marcher, tu atteindrais plus tôt l'homme que la colonne; mais en voulant regarder tu es aussitôt près de l'homme que de la colonne. Cet exemple n'est rien. Jette encore les yeux, ils rencontrent au loin cette muraille ; jette les plus loin encore, tu arrives jusqu'au soleil. Quel intervalle entre toi et le soleil ! Qui pourrait le mesurer? Qui pourrait même s'en faire l'idée, quelque vif que soit son esprit ? Il te suffit pourtant d'ouvrir l'oeil pour l'avoir parcouru, pour l'avoir fait traverser à ton rayon visuel. Sitôt que tu as voulu voir ce soleil, tu y es parvenu, et sans avoir cherché ni machines pour te servir d'appui, ni échelles pour monter, ni cordages pour te soulever, ni ailes pour prendre ton.vol. Ouvrir l'oeil, c'est être arrivé.

11. Qu'est-ce donc que cette rapidité? Qu'elle est grande ! et que signifie-t-elle? C'est après tout la rapidité d'un corps, une rapidité produite par notre chair. Ces rayons visuels sont à nous, et c'est nous qui en sommes surpris ; ils nous servent à voir, et nous sommes en y pensant comme saisis de stupeur. Comme rapidité corporelle, tu ne trouves rien que tu puisses comparer à celle-là. Aussi est-ce avec raison que l'apôtre saint Paul compare à cette rapidité la facilité avec laquelle s'opérera la résurrection : « En un clin d'œil », dit-il (1). Le clin d'oeil ne consiste pas à fermer ni à ouvrir les paupières, attendu que ce mouvement se fait plus lentement que l'acte même de voir. Oui, tu soulèves moins vite ta paupière que tu ne diriges à son terme le rayon visuel. Ce rayon est plutôt au ciel que ta paupière à ton sourcil. Vous voyez ce que c'est que le clin d'oeil ; vous voyez avec quelle facilité se produira d'après l'Apôtre la résurrection des corps.

Que ces corps ont été lents à se créer et à se former ! Rappelons-nous les longs jours de la conception et combien de temps mettent à s'unir les membres d'un enfant dans le sein maternel, combien de jours, combien de mois il leur faut avant de pouvoir- être mis au jour; combien ensuite pour croître, pour passer de l'enfance à l'adolescence; de l'adolescence à la jeunesse, de la jeunesse à la vieillesse et de la vieillesse à la mort, la loi de tous. Il faut du temps pour autre chose encore. Un corps qui vient de mourir a encore tous ses membres; mais il se corrompt, et pour se corrompre il lui faut du temps, du temps jusqu'à ce qu'il tombe en putréfaction et qu'il devienne une cendré aride. Combien donc d'intervalle franchit un corps depuis sa formation première dans le sein maternel jusqu'à sa décomposition dernière, jusqu'à ce qu'il soit réduit en cendre dans le tombeau ! Que de jours ! que

 

1. I Cor. XV, 52.

 

394

 

d'années ! Vient la résurrection, ce corps en un clin d'œil est réparé.

12. Soyez donc bien attentifs, mes frères, et comparez les choses à quoi elles doivent être comparées. Il faut à ce corps moins de temps pour se mouvoir en marchant, qu'il ne lui en a fallu pour se former, pour se nourrir, pour grandir, pour arriver à la jeunesse, à la maturité de l'âge et des forces ; oui, pour se mouvoir en marchant il lui faut moins de temps que pour cela. Or, c'est en un clin d'œil que se fera la résurrection. Quelle ne sera donc pas la rapidité de mouvements du corps ressuscité, dès qu'il lui faudra si peu de temps pour ressusciter ! Voici des corps mis en pièces par les bourreaux : leurs membres glacés fussent-ils dispersés dans tout l'univers et leurs cendres répandues sur toute la terre, c'est en un clin d'œil que se prépare cette oeuvre dont les éléments sont jetés pêle-mêle dans ce sein immense. Nous contemplons avec admiration cette rapidité extrême et, si nous n'en avions l'espérance, incroyable, du coup d'œil : l'agilité du corps une fois devenu spirituel sera plus merveilleuse encore. Ce corps ressuscitera en un clin d'oeil, le corps même de Notre-Seigneur n'a-t-il pas fait ce que ne saurait faire en nous le rayon visuel, lorsqu'il a traversé les morailles ?On sait qu'après sa résurrection il se montra tout à coup à ses disciples enfermés dans un local dont les portes étaient closes (1). Ainsi donc il a pu entrer où nous ne saurions porter même la, vue. Qu'on ne vienne pas nous dire : De ce que le corps du Sauveur a fait cela, s'ensuit-il que mon corps puisse en faire autant ? Sur ce point même tu vas être rassuré pleinement par l'Esprit-Saint, dont l'Apôtre était l'organe. Le Seigneur lui-même, dit-il, « transformera notre humble corps et le rendra conforme à son corps glorieux (2) ».

13. Quand donc il est question du corps en cet état, de tant d'agilité et de rapidité, d'une santé si parfaite, que la fragilité humaine se garde bien de rien déterminer avec témérité et présomption. Nous saurons ce que nous devons être, lorsque nous le serons ; et dans la crainte de ne l'être pas, ne soyons pas téméraires avant de l'être.

Il  arrive quelquefois à la curiosité humaine de s'adresser cette question : Au moyen de

 

1. Jean, XX, 19. — 2. Philip. III, 21.

 

notre corps devenu spirituel, verrons-nous Dieu ? On peut y répondre sans hésiter: On ne voit pas Dieu comme on voit ce qui est dans un espace déterminé; on ne le voit point partiellement comme on voit ce qui est répandu dans des lieux particuliers. Il remplit le ciel et la terre ; mais ce n'est pas en ayant moitié de lui-même au ciel, et sur la terre une autre moitié. Si cet air occupe le ciel et la terre, il est sûr que la portion d'air qui est sur, la terre n'est pas au ciel. De même quand l'eau remplit un bassin, elle en occupe toute la surface; mais une moitié du bassin ne contient que moitié de cette eau dont l'autre moitié est contenue dans l'autre moitié du bassin : toute l'eau n'est comprise que dans le bassin tout entier. Rien de pareil en Dieu. Sois-en bien sûr, Dieu n'est pas un corps. La propriété des corps est de s'étendre dans l'espace, d'être circonscrits localement, de se diviser en deux, en trois, en quatre, en parties égales au tout. Rien de pareil en Dieu. Dieu est tout entier partout; il n'a pas ici une moitié de lui-même et là une autre moitié : il est partout tout entier. Il remplit le ciel et la terre; mais il est tout entier au ciel et tout entier sur la terre.

«Au commencement était le Verbe ». Je rappelle ce texte pour te faire entendre qu'il en est du Fils comme du Père, car il est avec lui un seul Dieu, son égal, non pas en volume, mais en nature divine. « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu; il était en Dieu dès le commencement. Tout a été fait par lui et sans lui rien ne l'a été. Et la lumière luit dans les ténèbres », est-il dit un peu après (1). Or, ce Fils unique qui demeure tout entier dans le sein du Père, luit aussi tout entier dans les ténèbres ; il est tout entier au ciel, tout entier sur la terre, tout entier dans le sein d'une Vierge, tout entier dans.un corps d'enfant ; et cela, non pas successivement et comme en passant d'un lieu dans un autre. Toi aussi tu es tout entier dans ta maison et tout entier dans l'Eglise ; mais quand tu es dans l'Eglise, tu n'es pas dans ta maison, et quand tu es dans ta maison, tu n'es pas dans l'Eglise. Ce n'est pas ainsi que le Fils de Dieu est tout entier au ciel, sur la terre tout entier, tout entier dans le sein d'une Vierge ni tout

 

1. Jean, I, 1-5.

 

395

 

entier dans un corps d'enfant, pour ne parler pas d'autre chose ; qu'on ne le regarde pas comme allant en quelque sorte du ciel sur la terre, de la terre dans le sein de la Vierge ni du sein de la Vierge dans un corps d'Enfant ; il est partout en même temps et tout entier. Ce n'est pas comme une eau qui se répand, ni comme une terre qu'on enlève et qu'on transporte avec effort. Pour être tout entier sur la terre, il n'abandonne pas le ciel ; et réciproquement quand il est tout entier au ciel, il n'abandonne pas la terre. Car « il atteint avec force d'une extrémité à l'autre et dispose tout avec douceur (1) ».

14. Par conséquent si nos yeux peuvent, quand notre corps sera devenu spirituel, voir une nature qui n'occupe aucun point de l'espace; si ce pouvoir leur vient de je ne sais quelle force secrète, mystérieuse et absolument inconnue; s'ils l'ont enfin, soit, car nous ne voulons point porter envie à ces organes à qui nous devons la vue. Seulement. n'essayons pas de mettre Dieu dans un lieu quelconque, de l'y enfermer, de l'étendre dans l'espace comme un objet corporel ; n'osons rien, ne songeons à rien de semblable. laissons la nature divine dans toute la majesté qui lui est propre. S'il s'agit. de nous, améliorons-nous autant que nous en sommes capables, à la bonne heure ; mais gardons-nous de détériorer Dieu : surtout parce que nous ne trouvons, ou au moins parce que nous n'avons rien trouvé encore de défini sur ce sujet dans les saintes Ecritures. Je n'oserais pas avancer qu'on n'y peut rien découvrir ; mais ou il n'y a rien, ou on n'y a rien vu encore, ou je n'y ai rien vu pour mon compte. Quelqu'un peut-il m'y montrer la question résolue dans un sens ou dans l'autre ? Je l'écouterai avec plaisir ; et si je ne remerciais de m'avoir instruit, non pas cet homme mais Celui qui m'aura parlé par sa bouche, je serais un ingrat, Or, à Dieu ne plaise que l'Auteur de la grâce permette qu'il y ait en moi de l'ingratitude !

Voici donc quelle est maintenant ma pensée. Nos yeux ne voient rien aujourd'hui qu'à travers l'espace ; il faut qu'il y ait un intervalle entre eux et l'objet qu'ils veulent considérer. Si cet objet est trop éloigné, ils ne le noient point, parce que le rayon visuel ne saurait

 

1. Sag. VIII, 1.

 

atteindre jusque-là ; et s'il est trop rapproché d'eux, s'il n'y a pas un intervalle entre eux et l'objet, ils ne peuvent absolument le voir non plus. Approche en effet tes yeux de cet objet au point qu'ils le touchent, qu'il n'y ait aucun intervalle, ils ne voient pas. Eh bien ! c'est précisément parce que nos yeux ne peuvent rien voir que de cette manière, à travers un espace quelconque, que ni maintenant ni, plus tard ils ne peuvent ni ne pourront voir Dieu, car Dieu n'est pas circonscrit dans un espace. Par conséquent, ou bien les yeux seront doués alors de la faculté de voir ce qu'on ne voit pas dans un lieu ; ou bien, s'ils n'acquièrent pas cette faculté, ils ne verront point Celui qu'aucun lieu ne contient.

15. Mais, en attendant qu'on s'occupe avec plus de soin de ce que peut croire la foi ou découvrir la droite raison sur la nature des corps spiritualisés, soyons sûrs. que le corps ressuscitera, soyons sûrs aussi que notre corps aura soit la forme qu'avait le corps du Christ, soit celle dont il a fait une promesse ignorée de nous ; soyons sûrs que le corps deviendra spirituel et ne restera pas corps animal, tel qu'il est; car il est dit clairement et sans qu'aucune contradiction soit possible : « Le corps est semé corps animal, il ressuscitera corps spirituel (1) » ; soyons sûrs que le Père, le Fils et le Saint-Esprit, qui ont une nature, une substance si élevée au-dessus de toute substance, sont pareillement et également invisibles, parce que nous les croyons pareillement et également immortels, incorruptibles pareillement et également. L'Apôtre, en effet, a dit dans une même phrase : « Au Roi des siècles, immortel, invisible, incorruptible, au Dieu unique, honneur et gloire pour les siècles des siècles ; ainsi soit-il (2) ». Ainsi le Dieu unique, Père, Fils et Saint-Esprit, est immortel, - invisible et incorruptible ; il n'est pas invisible aujourd'hui pour devenir ensuite visible, de même qu'il n'est pas aujourd'hui incorruptible pour devenir corruptible plus tard. S'il est toujours immortel, incorruptible toujours, toujours aussi il sera invisible. Touchez à son invisibilité; n'êtes-vous pas en danger de toucher également à son immortalité ? C'est sans doute pour nous faire entendre cette vérité que l'Apôtre a placé l'invisibilité entre l'immortalité et l'incorruptibilité. Comme on

 

1. I Cor. XV, 44. —2. I Tim. I, 17.

 

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pouvait révoquer en doute que Dieu fût toujours invisible, il a placé son invisibilité entre ces deux remparts protecteurs.

Attachons-nous inébranlablement à cette foi. Il n'est pas indifférent que ce soit la créature ou le Créateur qu'on offense. Nous pouvons sans doute rechercher et examiner quelles sont les propriétés des créatures, et si nous nous trompons en quelque point, n'en continuons pas moins à marcher avec ce que nous avons acquis. Alors, en effet, Dieu nous montrera lui-même en quoi nous nous égarons (1). Tel est le sujet que nous avons traité dans le sermon d'hier (2). « Heureux, ceux dont le coeur est pur, car ils verront Dieu (3) ». Appliquons-nous donc par tous les moyens à nous purifier le coeur, appliquons à cela tous nos efforts et toute notre vigilance; et dans toutes nos prières, obtenons autant que nous pouvons la grâce de nous purifier le coeur. La pensée des choses extérieures se présente-t-elle à nous? « Purifiez, dit le Sauveur, ce qui est au dedans, et ce qui est au dehors sera purifié (4) ».

16. Quelqu'un ne va-t-il pas s'imaginer qu'il est parlé aussi clairement du corps que du coeur, puisqu'il est écrit,: « Toute chair verra le salut de Dieu (5) ? » Rien de plus clair que ce témoignage en faveur du coeur : « Heureux ceux dont le coeur est pur, car ils verront Dieu ». De la chair il est dit également

« Toute chair verra le salut de Dieu ». — Douterait-on qu'il ait été- promis à la chair de voir Dieu, si on ne se demandait ce qu'il faut entendre par ce salut de Dieu ? Ou plutôt on ne se le demande pas; car, sans aucun doute, le salut de Dieu est le Christ Notre-Seigneur. Si donc on ne pouvait voir Jésus-Christ Notre-Seigneur que dans sa divinité, personne n'hésiterait de croire que la chair même verra la nature de Dieu, puisque «toute chair verra le  salut de Dieu ». Mais dans Notre-Seigneur Jésus-Christ il y a la divinité, que peut voir 1'oeil du coeur purifié, parfait et rempli de Dieu ; il y a aussi l'humanité, qu'on a contemplée, comme le disent ces paroles de l'Ecriture : « Il s'est montré ensuite sur la terre, et  il a vécu avec les hommes (6) » et c'est ce qui m'explique le sens de ces mots.: « Toute chair verra le salut de Dieu ». Oui, toute chair verra le Christ; c'est un oracle, que personne ne le révoque en doute.

 

1. Philip. III, 15, 16. — 2. Voir tome VI, serra. LIII. — 3. Matt. V, 8. — 4. Ib. XXIII, 26. — 5. Luc, III, 6. — 6. Baruch. III, 38.

 

Mais ce qui est douteux, c'est la question de savoir si c'est dans son corps seulement que toute chair verra le Christ, ou bien si c'est comme Verbe existant dès le commencement dans le sein de Dieu, où il est Dieu comme son Père. Ne cherche pas à me con. vaincre par ce seul texte; je n'hésite pas à reconnaître que « toute chair verra le salut de Dieu ». On admet que ces mots signifient: Toute chair verra le Christ du Seigneur. Or, n'a-t-on pas vu le Christ dans sa chair, dans sa chair devenue immortelle, si toutefois on peut lui donner encore, ce nom de chair, depuis que par un merveilleux changement elle est devenue toute spirituelle ? En effet, pendant que ses disciples le voyaient et le touchaient même après sa résurrection, il leur disait : «Touchez et reconnaissez qu'un esprit n'a ni chair ni ossements, comme vous m'en voyez (1) » . On le verra encore de la même manière: non-seulement on l'a vu mais on le verra de: nouveau, et n'est-ce pas alors que ces mots : « Toute chair », trouveront une appli. cation plus parfaite ? La chair l'a vu déjà, mais non pas toute chair; au lieu que le jour où il viendra avec ses anges, assis sur son tribunal, pour juger les vivants et les morts; quand sa voix aura été entendue de tous ceux qui sont dans les tombeaux, et qu'ils en seront sortis les uns pour ressusciter à la vie et les autres pour ressusciter à leur condamnation (2), il sera vu avec la nature dont il a daigné se revêtir pour l'amour de nous, non-seulement par les justes, mais encore par les pécheurs; non-seulement par ceux de la droite, mais encore par ceux de la gauche. En effet, ceux qui l'ont mis à mort « verront Celui qu'ils ont percé (3) ». C'est ainsi que « toute chair verra le salut de Dieu » ; les yeux du corps verront son corps, attendu qu'il viendra juger avec son corps véritable. Ajoutons qu'à ceux qui seront placés à sa droite et qui seront admis au royaume des cieux il se montrera de plus comme il a promis de le faire lorsque, vivant déjà avec son corps visible, il disait: « Celui qui m'aime sera aimé de mon Père : je l'aimerai aussi et je me manifesterai à lui (4) ». Sous ce rapport le Juif impie ne le verra point. « Car l'impie sera enlevé pour ne pas voir la gloire de Dieu (5)».

17. Le juste Siméon l'a vu, et des yeux du

 

1. Luc, XXIV, 39. — 2. Jean, V, 28, 29. — 3. Jean, XIX, 37. — 4. Ib. XIV, 21. — 5. Isaïe, XXVI, 10, sel. Septante.

 

397

 

coeur, puisqu'il a su quel était cet Enfant, et des yeux du corps, en le portant. De plus en le voyant de ces deux manières, et comme Fils de Dieu et comme Fils de la Vierge, il s'est écrié: « C'est maintenant, Seigneur, que vous laissez votre serviteur aller en paix; puisque a mes yeux ont vu votre Salut (1) ». Comprenez ses paroles. Il était retenu sur la terre jusqu'au moment où il verrait des yeux du corps Celui que lui montrait sa foi. Il prend donc ce petit corps, le presse dans ses bras; puis en contemplant ce même corps, ou son Seigneur incarné, « Mes yeux, dit-il, ont vu votre Salut ». Qui t’a dit que ce n'est pas ainsi que « toute chair verra le salut de Dieu ? »

Nous ne devons pas désespérer de le voir venir sur son tribunal avec la nature qu'il a prise pour l'amour de nous, et non pas seulement avec celle qui le rend égal à son Père; prêtons l'oreille à ce que les anges disent sur ce sujet. Au moment où Jésus montait au ciel sous les yeux de ses disciples; au moment où attentifs et le coeur plein de regrets les disciples le conduisaient du regard, voici ce qu'ils entendirent de la bouche des anges: « Hommes de Galilée, pourquoi restez-vous là, les yeux fixés au ciel? Ce même Jésus qui vous est Gravi, reviendra de la même manière que vous venez de le voir monter au ciel (2) ». Il reviendra donc, oui, il reviendra comme il est allé au ciel. Donc il sera visible en venant pour juger, puisqu'il est monté au ciel visiblement. Si après y être allé visiblement, il en revenait invisiblement, comment viendrait-il de la même manière ? Mais « il viendra de la même manière » ; donc aussi sous une forme risible, et « toute chair verra le Salut de Dieu ».

18. Rappelez maintenant vos souvenirs dans la mesure de vos forces; car nous devons étudier jusqu'à ce que nous aurons découvert ce que nous ne connaissons pas encore, puisque nous n'avons pas à apprendre, mais à enseigner

 

1. Luc, II, 25-30. — 2. Act. I, 11.

 

avec l'aide de Dieu ce que nous connaissons déjà. Je ne prétends donc pas que la chair ne verra pas Dieu, mais que pour le prouver il faut produire, si on peut en découvrir, des témoignages plus péremptoires. Vous comprenez en effet ce que vaut celui qu'on nous cite; car il prouve plutôt en notre faveur, ou en faveur de la vérité même, ou en faveur de ceux qui soutiennent comme un point incontestable que jamais, pas même à la résurrection des morts, la chair ne verra Dieu. Nous ne contestons pas cela, nous voulons seulement, en résumant, réveiller les souvenirs de ceux qui comprennent vite et inculquer davantage notre pensée à ceux qui comprennent lentement. Dussions-nous ennuyer plu sieurs d'entre vous, nous répétons ceci

On ne voit point Dieu dans l'espace, car n'est pas un corps, car il est tout entier partout, car il n'a pas ici une plus grande partie de .lui-même et là une moindre partie. Soyons profondément convaincus de cela. Si plus tard notre corps doit être changé au point de pouvoir contempler ce qui ne se voit point dans l'espace; soit, j'y consens. Seulement il faut chercher sur quelle autorité on s'appuie pour enseigner ce point. Mais si on ne l'enseigne pas encore, qu'on ne le nie pas non plus, et qu'on reste au moins dans le doute; sans douter néanmoins que la chair doive ressusciter, que de corps animal notre corps doive devenir corps spirituel , que corruptible et mortel il doive revêtir l'incorruptibilité et l'immortalité: ainsi nous marcherons avec ce que nous avons acquis (1). S'il nous arrive, par un zèle excessif dans nos recherches, de nous égarer sur quelque point, que ce soit au sujet de la créature et non du Créateur. Que chacun s'applique donc de toutes ses forces à transformer son corps en esprit, pourvu qu'il ne fasse pas de Dieu un corps.

 

1. Philip. III, 16.

SERMON CCLXXVIII. POUR LA CONVERSION DE SAINT PAUL. I. GUÉRISON DU PÉCHEUR.
 

398

 

ANALYSE. — En convertissant saint Paul avec tant d'éclat, Dieu a voulu, comme le dit cet Apôtre, inspirer confiance en sa miséricorde. Mais pour guérir et se sanctifier, le pécheur a besoin : 1° de suivre un régime particulier et différent de celai qui était prescrit à l'homme avant son péché ; 2° de souffrir des douleurs et des tribulations qu'on peut comparer aux opérations que font quelquefois les médecins ; 3° de pardonner à qui l'a offensé, comme il est nécessaire que Dieu lui pardonne tant de péchés qu'il commet chaque jour, principalement en se laissant aller à la sensualité et en faisant un usage immodéré de ce qui est permis ; 4° en soumettant à l'autorité des clefs les péchés graves où il peut tomber. Saint Augustin revient en terminant sur la nécessité de pardonner et de ne conserver aucune haine.

 

1. On à lu aujourd'hui, dans les Actes des Apôtres, le passage où on voit saint Paul devenir Apôtre du Christ, de persécuteur qu'il était des .chrétiens; et maintenant encore, dans ces contrées d'Orient, les lieux mêmes rendent témoignage au fait qui s'est accompli alors, qu'on lit et qu'on croit aujourd'hui. Le but spirituel de cet événement est indiqué par le même Apôtre dans ses Epîtres. S'il a obtenu, dit-il, le pardon de tous ses péchés, notamment de cette rage, de cette aveugle frénésie avec laquelle il traînait les chrétiens à la mort, après s'être fait le ministre de la haine des Juifs, soit en lapidant le saint martyr Etienne, soit en dénonçant et en conduisant au supplice les autres fidèles; c'est pour que personne ne tombe dans le désespoir, si graves que soient les péchés dont il est chargé, si énormes que soient les crimes dont il porte les chaînes ; c'est pour qu'on ne désespère pas d'obtenir le pardon, si on se convertit à Celui qui du haut de la croix où il était suspendu, pria pour ses bourreaux en disant: « Pardonnez-leur, mon Père, car ils ne savent ce qu'ils font (1) ». De persécuteur Paul est donc devenu prédicateur, et le docteur des Gentils. « J'ai été d'abord, dit-il, blasphémateur, persécuteur et outrageux ; mais la raison pour laquelle j'ai obtenu miséricorde, c'est que le Christ Jésus a voulu faire éclater en moi d'abord toute sa patience, pour me faire servir d'exemple à ceux qui croiront en lui en vue de la vie éternelle (2) ». C'est effectivement la grâce de

 

1. Luc, XXIII, 39. — 2. I Tim. I, 13, 16.

 

Dieu qui nous sauve de nos péchés, de ces péchés qui sont pour nous autant de maladies, Oui, le remède vient de lui, c'est lui qui guérit l'âme. L'âme a bien pu se blesser; elle ne saurait se guérir.

2. Chacun d'ailleurs n'a-t-il pas le pouvoir de se rendre corporellement malade? Mais chacun n'a pas autant de pouvoir pour se guérir. Supposons qu'on fasse des excès, qu'on vive dans l'intempérance, qu'on se livre à ce qui est contraire à la santé, à ce qui la détruit même, on peut en un seul jour contracter diverses maladies; mais en relève-t-on aussitôt qu'on y est tombé ? Pour se rendre malade il suffit de se livrer à l'intempérance; pour guérir on recourt au médecin. On n'a pas, je le répète, autant de pouvoir pour recouvrer la santé qu'on en a pour la perdre.

Ainsi en est-il de l'âme : pour se jeter en péchant dans les bras de la mort, pour devenir mortel, d'immortel qu'il était, pour être asservi au diable, au séducteur, il a suffi à l'homme de son libre arbitre; c'est par lui qu'en s'attachant aux choses inférieures il a abandonné les biens supérieurs, qu'en prêtant l'oreille au serpent il l'a, fermée à Dieu, et que placé entre son Maître et un séducteur, il a préféré obéir au séducteur plutôt qu'au Maître; car après avoir entendu Dieu sur un sujet, il a sur le même sujet écouté le démon. Pourquoi, hélas ! ne croyait-il pas plutôt Celui qui est plus digne de foi ? Aussi a-t-il expérimenté la vérité des prédictions divines et la fausseté des promesses diaboliques. Telle est l'origine première de nos maux, la racine de nos (399) misères; le germe de mort vient de la libre et propre volonté du premier homme. En obéissant à Dieu, il eût été toujours heureux et immortel; en négligeant et en méprisant ses préceptes, il devait tomber malade à la mort, bien que Dieu voulût lui conserver éternellement la santé : tel était le but de sa création. Mais il méprisa Dieu, et ce divin Médecin ne traite pas moins le malade.

Autres sont les prescriptions que fait la médecine pour la conservation dé la santé; elle les donne à ceux qui en jouissent, pour qu'ils ne tombent pas malades: autres sont celles qu'elle adresse aux malades , pour qu'ils recouvrent ce qu'ils ont perdu. L'homme aurait dû, quand il avait la santé, obéir au médecin pour n'avoir pas besoin de lui; car « ceux qui se portent bien n'ont pas besoin de médecin, mais ceux qui sont malades ». Dans le sens propre, en effet, on appelle médecin celui qui rend la santé. Mais Dieu est un médecin dont ne peuvent se passer ceux mêmes qui ont la santé, s'ils veulent la conserver. L'homme donc eût bien fait de conserver toujours la santé qu'il avait reçue avec l'existence. Mais il l'a méprisée, il en a abusé, son intempérance l'a conduit à cette maladie funeste dont nous mourons: que maintenant au moins il écoute les prescriptions de son médecin, afin de pouvoir sortir de l'état douloureux où l'a jeté son péché.

3. N'est-il pas vrai, mes frères, qu'en suivant les prescriptions hygiéniques que fait la médecine corporelle, celui qui a la santé la conserve? N'est-il pas vrai encore que s'il tombe malade on lui fait des prescriptions nouvelles, et qu'il s'y conforme s'il a le désir sérieux de recouvrer une bonne santé ? Il ne la recouvre pas sans doute aussitôt qu'il se met à prendre les remèdes; mais en les prenant il commence à ne pas aggraver son état, puis, au lieu d'empirer, son état s'améliore et le malade guérit insensiblement, car à mesure que la maladie diminue, revient l'espoir d'une parfaite guérison. Eh bien ! qu'est-ce que pratiquer la justice en cette vie, sinon écouter et accomplir les préceptes de la loi ? Toutefois, jouit-on de la santé de l'âme sitôt qu'on observe ces préceptes ? Non , mais on les observe pour y arriver. Qu'on ne se décourage donc pas en les accomplissant, car on ne recouvre qu'insensiblement ce qu'on a perdu en un moment. Eh  ! si l'homme retrouvait si promptement son ancien bonheur, ce serait pour lui un jeu de se jeter en péchant dans les bras de la mort.

4. Quelqu'un, par exemple, a-t-il contracté une maladie corporelle en se livrant à l'intempérance? lui est-il survenu dans quelque partie du corps un mal qu'on ne peut lui enlever qu'avec le fer? Sans aucun doute il lui faudra souffrir, mais ces souffrances ne seront point stériles. Ne veut-il pas essuyer les douleurs d'une incision ? Qu'il se résigne à sentir en lui les vers et la pourriture. Le médecin donc se met à lui dire: Faites attention à ceci, à cela ; ne touchez pas à ceci ; ne prenez ni telle nourriture, ni telle boisson ; ne vous inquiétez pas de telle affaire. Le malade commence à obéir, à observer ces recommandations; mais il n'est pas guéri encore. Que lui sert-il donc de s'y conformer ? Il a en vue premièrement de n'accroître pas, de diminuer même son mal. Et ensuite ? Il faut qu'il se résigne à accomplir encore ce que lui commande le médecin, qui va jusqu'à porter le fer sur sa main et lui causer d'horribles mais salutaires souffrances. Si donc ce malheureux, livré à la gangrène, s'écriait: Que me sert-il d'avoir observé les prescriptions, s'il me faut endurer les douleurs de cette opération ? on lui répondrait. C'est que pour guérir il vous faut à la fois et suivre les prescriptions et souffrir l'opération : tant est sérieux le mal que vous vous êtes fait en ne respectant pas les recommandations quand vous étiez en santé. Jusqu'à ce que vous l'ayez recouvrée, obéissez donc au médecin : votre mal est cause de tout ce que vous souffrez.

5. C'est ainsi que médecin compatissant le Christ vient trouver l'homme affligé et souffrant. Aussi dit-il: « Ceux qui se portent bien n'ont pas besoin de médecin, mais ceux qui sont malades. Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs (1)». Il invite en effet les pécheurs à la paix et les malades à la santé. Il leur commande la foi, la chasteté, la tempérance, la sobriété; il réprime les convoitises de l'avarice; il dit ce que nous avons à faire, à observer. Eire fidèle à ses recommandations, c'est pouvoir assurer qu'on vit dans la justice conformément aux prescriptions du médecin ; mais ce n'est pas avoir recouvré encore cette santé pleine et parfaite que Dieu

 

1. Matt. IX, 12, 13.

 

400

 

nous promet en ces termes par la bouche de son Apôtre: « Il faut que ce corps corruptible  revête l'incorruptibilité, que mortel il revête l'immortalité. Alors s'accomplira cette parole de l'Ecriture: La mort a disparu dans sa victoire. O mort, où est ta puissance? O mort, où est ton aiguillon (1) ? » C'est donc alors que la santé sera parfaite et que nous serons égaux aux saints anges. Mais lorsque avant d'en être là, mes frères, nous travaillons à nous conformer aux.ordres du médecin, ne croyons pas les observer en vain quand il nous arrive des tentations et des afflictions. Il semble qu'on souffre davantage en observant les divins préceptes; mais ce que tu endures vient du médecin qui opère sur toi et non du juge qui châtie. S'il agit ainsi, c'est pour te rendre une parfaite santé ; souffrons donc, supportons la douleur. Il y a de la douceur dans le péché; ne faut-il pas que l'amertume de la tribulation fasse disparaître cette douceur funeste? Tu jouissais en faisant le mal, mais par là tu es tombé malade. Le remède contraire est donc de souffrir une douleur temporelle pour recouvrer une éternelle santé. Fais bon usage de cette douleur, et garde-toi de la repousser.

6. Voici avant tous les- autres un remède qu'on ne doit cesser de prendre, un remède efficace contre tous les maux de l'âme, contre tous les empoisonnements du péché; c'est de dire et de dire sincèrement au Seigneur ton Dieu : « Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés (2) ». C'est ici comme un pacte que le médecin a écrit et signé avec ses malades. En effet, il .y a deux sortes de péchés ceux qui offensent Dieu et ceux qui offensent le prochain. De là viennent aussi les deux préceptes auxquels se rapportent la loi et les  prophètes : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme et de tout ton esprit; Tu aimeras aussi ton prochain comme toi-même (3) ». Ces d'eux commandements comprennent tout le Décalogue, dont trois préceptes sont relatifs à l'amour de Dieu, et sept à l'amour du prochain ; mais nous en avons ailleurs suffisamment parlé.

7. De même donc qu'il n'y a que deux commandements, il n'y a que deux sortes de péchés : contre Dieu ou contre l'homme. Tu

 

1. I Cor. XV, 53-55. — 2. Matt. VI, 12. — 3. Ib. XXII, 37, 40.

 

pèches en effet contre Dieu lorsque en toi tu souilles son temple; puisque Dieu t'a racheté avec le sang de son Fils. A qui d'ailleurs appartenais-tu avant d'être racheté, sinon à Celui qui a tout créé? Mais en t'achetant avec le sang de son Fils, il a voulu te posséder en quelque sorte à un titre particulier. « Aussi vous n'êtes pas à vous, dit l'Apôtre, car vous avez été achetés à un haut prix; glorifiez et portez Dieu dans votre corps (1) ». Celui donc qui t'a racheté a fait de toi sa demeure. Ah ! si tu ne te respectes pas à cause de toi, respecte-toi à cause de Dieu, qui t'a fait son temple. « Le temple de Dieu est saint, dit l’Ecriture, et ce temple, c'est vous ». Elle dit encore: « Celui qui souillera le temple de Dieu, Dieu le perdra (2) ». Et pourtant les hommes en se livrant à ces péchés croient ne pas pécher, attendu qu'ils ne nuisent à personne.

8. Je veux donc, autant que me le permettront ces quelques instants, faire connaître à votre sainteté quel mal font ceux qui se souillent en se livrant à la voracité, à l'ivresse, à la fornication et qui répondent aux observations : Je suis dans mon droit, je suis sur mon terrain; à qui ai-je dérobé? qui ai-je dépouillé? à qui ai-je fait tort? Je veux jouir de ce que Dieu m'a donné. Cet homme se croit innocent, parce qu'il ne nuit à personne. Mais est-ce être innocent que de se nuire à soi-même ? On est innocent quand on ne nuit à personne : car l'amour du prochain se règle sur l'amour de soi, Dieu ayant dit : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Or aimes-tu ton prochain lorsque ton intempérance détruit en toi l'amour de toi? De plus, Dieu peut te dire : Lorsque tu veux te souiller en te laissant aller à l'ivresse, ce n'est pas l'habitation du premier venu, c'est la mienne que tu ruines. Où demeurerai-je maintenant? Au milieu de ces ruines? Au milieu de ces souillures? Situ devais donner l'hospitalité à l’un de mes serviteurs, tu réparerais et tu approprierais la maison où il devrait entrer: et tu ne purifies pas le coeur où je veux faire mon séjour?

9. Je n'ai cité que cet exemple, mes frères, afin de vous faire comprendre jusqu'à quel point pèchent ceux qui se souillent eux-mêmes tout en se croyant innocents. Cependant il est difficile, au milieu de cette vie fragile et mortelle,

 

1. I Cor. VI, 19, 20. — 2. I Cor. III, 17.

 

401

 

de ne pas user quelquefois avec immodération des choses même nécessaires: il faut donc prendre le remède contenu dans ces mots: « Pardonnez-nous nos offenses, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offenses » ; mais il faut dire vrai en les prononçant. test pour ne pas nuire au prochain qu'il t'est défendu de commettre l'adultère. Tu ne veux pas en effet qu'un étranger approche de ton épouse, tu ne dois pas approcher non plus d'une épouse étrangère. Nuiras-tu au prochain en jouissant de la tienne avec intempérance? User alors sans modération de ce qui est permis en soi , c'est souiller en soi le temple de Dieu. Un mari étranger ne t'accusera pas; mais que répondra ta conscience lorsque Dieu te fera dire par son Apôtre : « Que chacun de vous sache posséder son bien saintement et honnêtement, et non avec la convoitise maladive des Gentils, qui ignorent Dieu (1) ». Or, quel est l'époux qui n'approche de son épouse que pour accomplir le devoir de la procréation des enfants? C'est dans ce but en effet qu'elle lui a été accordée, comme l'attestent les actes matrimoniaux. Un contrat a été passé alors, et ce contrat dit formellement: « Pour la procréation des enfants ». Ainsi donc, si tu en es capable, n'approche d'elle que pour accomplir ce devoir. Aller au delà, c'est manquer à l'acte matrimonial et au contrat. La chose n'est-elle pas évidente? Oui, c'est mentir et violer le pacte; de plus, quand Dieu voudra s'assurer si son temple a conservé en toi toute sa pureté, il découvrira le contraire, et cela non parce que tuas joui de ton épouse, mais parce que tu en as joui sans réserve. Le vin que tu bois ne vient-il pas de ton cellier? Si cependant tu en bois jusqu'à t'enivrer, la circonstance que ce vin t'appartient ne t'excuse pas de péché. Malheureux ! tu as fait servir le don de Dieu à corrompre ton âme.

10. Que conclure, mes frères ? Il est sûrement clair et la conscience de tous répète qu'il est difficile d'user même de ce qui est permis, sans dépasser en quelques points la mesure. Or en dépassant la mesure, tu outrages Dieu , dont tu es le temple. « Car le temple de Dieu est saint, et ce temple c'est vous » Que nul ne s'abuse. « Quiconque violera le temple de Dieu, Dieu le perdra ». L'arrêt est prononcé,

 

1. Thess. IV, 4, 5.

 

tu es coupable. Que dire maintenant dans tes prières, dans les moments où tu imploreras ce Dieu que tu outrages dans son temple, que tu chasses de son temple ? Comment purifier à nouveau la demeure de Dieu en toi ? Comment ramener Dieu dans ton âme? Comment, sinon en disant d'un coeur sincère, et par tes paroles et par tes actions: « Pardonnez-nous nos offenses, comme nous pardonnons à ceux qui « nous ont offensés ? » Qui t'accusera d'user sans modération de la nourriture, du vin, de l'épouse qui t'appartiennent ?Aucun homme ne t'en accusera, mais Dieu lui-même te demandera compte de la pureté et de la sainteté de son temple. Cependant lui aussi te donne un remède. Si tu m'offenses par défaut de réserve, semble-t-il te dire, si je te trouve coupable quand aucun homme ne t'accuse, remets à ton frère ses torts contre toi, afin que je te pardonne tes offenses contre moi.

11. Attachez-vous fortement à cela , mes frères. Renoncer même à ce contre-poison , c'est rejeter absolument tout espoir de salut. Je ne puis le promettre, ce salut, à qui nie dirait : Je ne pardonne pas aux hommes les torts qu'ils peuvent avoir à mon égard. Puis-je en effet promettre ce que Dieu ne promet pas ? Je serais alors, non pas le dispensateur de la divine parole, mais le ministre du serpent. N'est-ce pas le serpent qui a promis à l'homme qu'il serait heureux en péchant, tandis que Dieu l'avait menacé de la mort? Or, qu'est-il arrivé, sinon ce que Dieu avait fait craindre au pécheur ? et quel n'a pas été le mécompte de celui-ci en face des promesses du serpent ? Voudriez-vous que je vous dise, mes frères : Eussiez-vous péché, n'eussiez-vous rien pardonné aux hommes, vous serez sûrement sauvés, et quand Jésus-Christ viendra il accordera le pardon à tous ? Je ne tiendrai pas ce langage, parce qu'on ne me l'a point tenu; je ne dis point ce qu'on ne me dit pas. Dieu sans doute assure l'indulgence aux pécheurs, mais c'est en pardonnant les péchés passés aux cours convertis, croyants et baptisés. Voilà ce que je lis, voilà ce que j'ose promettre, voilà ce que je promets et ce qui m'est promis à moi-même. Quand en effet on lit cette promesse, nous l'entendons tous , puisque tous nous sommes condisciples, car dans notre Ecole il n'y a qu'un seul Maître.

12. Je reprends : Dieu remet les péchés quand on est converti ; mais dans le cours de la vie il se rencontre certains péchés graves et (402) mortels qui ne s'effacent que par les douleurs aiguës de l'humiliation du coeur, de la contrition de l'âme et des afflictions de la pénitence; pour remettre ces péchés il faut de plus les clefs de l'Eglise. Commences-tu à te juger, à te condamner toi-même ? Dieu viendra prendre compassion de toi. Veux-tu te punir ? Il t'épargnera. Or c'est se punir que de faire bien pénitence. Qu'on se montre sévère contre soi, pour obtenir la miséricorde de Dieu. C'est ce qu'enseigne David. « Détournez votre face de mes péchés, dit-il, et effacez toutes mes iniquités ». Pourquoi ? Il l'exprime dans le même psaume: « Parce que je reconnais mon crime et que mon péché s'élève sans cesse contre moi 1 ». Dieu donc oublie, si tu reconnais ta faute.

Il y a de plus de petits et légers péchés, qu'il est absolument impossible d'éviter, qui semblent peu redoutables, mais qui accablent par leur nombre. Les grains de blé sont fort petits ; mais on en forme des quantités qui suffisent pour charger des navires, pour les faire même couler à fond si l'on y en met trop. Un coup de foudre abat un homme et le tue; si légères que soient les gouttes de pluie, elles font périr beaucoup de monde quand il y en a trop. Si donc la foudre tue d'un seul coup, la pluie éteint la vie à force de tomber. D'un seul coup de dents les forts animaux ôtent la vie à un homme ; réunissez beaucoup d'insectes, ils parviennent souvent à faire mourir et à causer des douleurs telles que le peuple superbe de Pharaon a mérité d'être condamné à les éprouver. Eh bien ! quand, si petits qu'ils soient, les péchés se trouvent assez nombreux pour former comme un fardeau propre à t'écraser, Dieu est si bon qu'il te les pardonnera aussi, à toi qui ne peux vivre sans y tomber. Mais comment te les pardonnera-t-il, si tu ne pardonnes les offenses dont tu es l'objet ?

13. Cette sentence évangélique est une espèce de pompe qui sert à décharger le navire faisant eau sur la mer. Il est impossible en effet que l'eau n'entre point dans ce navire par les fentes que laisse sa construction. Or, en s'infiltrant

 

1. Ps. L, 11, 5.

 

insensiblement, l'eau finit par se rassembler en telle quantité , que le vaisseau coulerait à fond , si on ne l'en tirait. Ainsi dans le cours de cette vie, notre mortalité, notre fragilité laissent en nous comme des ouvertures qui donnent entrée au péché, sous la pression des vagues de ce siècle. Jetons-nous donc sur cette décision comme sur une urne pour rejeter l'eau du navire et ne pas faire naufrage. Pardonnons à ceux qui nous ont offensés, afin que Dieu nous pardonne nos offenses. Qu'on pratique ce qu'on dit alors, et on rejette tout ce qui a pénétré. Sois néanmoins sur tes gardes, car tu es encore en mer, Il ne suffit donc pas d'avoir pardonné une fois; il faut, après avoir traversé la mer, être par. venu au port solide, à la terre ferme de cette patrie où on n'a plus à craindre d'être battu par les flots, où on n'a plus à pardonner, puisqu'on n'y est plus offensé, ni à demander pardon, puisqu'on n'y offense personne.

14. C'est assez, je crois, avoir insisté sur ce point devant votre charité. Ah ! je vous en conjure, en face de ces tempêtes qui nous mettent en péril, attachons-nous à ce moyen de salut. Mais si Dieu ne doit pas supporter celui qui ne pardonne pas le mal qu'on lui a fait, considérez combien est coupable celui qui s'attache à nuire à un innocent. Ainsi donc que nos frères réfléchissent et examinent contre qui ils ont des ressentiments haineux. S'ils ne les ont pas encore étouffés, qu'ils considèrent au moins durant ces jours comment ils doivent les rejeter de leurs coeurs. Se croient-ils en sûreté ? Qu'ils mettent du vinaigre dans les vases où ils conservent le bon vin. Ils s'en gardent, ils ont peur de gâter ces outres. Et pourtant ils mettent de la haine dans leurs coeurs, sans craindre combien elle les corrompt?

Ayez donc soin, mes frères, de ne nuire à personne, travaillez-y de toutes vos forces. Mais si la faiblesse humaine vous a portés à quelque excès dans l'usage des choses permises; comme c'est une profanation du temple de Dieu, attachez-vous, appliquez-vous à pardonner promptement les torts commis contre vous, afin que votre Père qui est dans les cieux vous pardonne aussi vos péchés.

SERMON CCLXXIX. POUR LA FÊTE DE LA CONVERSION DE SAINT PAUL. II. CHANGEMENT MERVEILLEUX.
 

ANALYSE. — La conversion de saint Paul avait été prédite par le vieux patriarche Jacob ; elle offre l'exemple d'un changement merveilleux. En effet, 1° autant Paul était cruel avant sa conversion, autant après il fut doux : c'est le loup devenu agneau; 2° autant il faisait souffrir les chrétiens, autant il dut souffrir lui-même : il lui fallut ici déployer une grande énergie ; 3° autant il était orgueilleux, autant il devint humble : c'était Saul et c'est Paul. A son exemple et à sa voix confessons Jésus-Christ. Rougir de lui ce serait orgueil, ce serait noire ingratitude, ce serait enfin lâcheté fort mal placée.

 

l. Nous venons d'entendre les paroles de l’Apôtre, ou plutôt nous venons d'entendre de la bouche de l'Apôtre les paroles du Christ qui parlait en lui; car de ce persécuteur le Christ a fait un prédicateur, le frappant et le guérissant tout à la fois, lui donnant la mort et lui rendant la vie : Agneau immolé par des loups, il change les loups en agneaux.

Ce fait était prédit dans une prophétie célèbre. Lorsque le saint patriarche Jacob bénissait ses fils et que, la main étendue sur eux, il lisait dans l'avenir, il prédit ce qui vient d'arriver à Paul. En effet, Paul était, comme lui-même l'atteste, de la tribu de Benjamin (1). Or lorsqu'en bénissant ses fils Jacob fut arrivé à bénir Benjamin, il dit de lui : « Benjamin, loup ravisseur ». Mais quoi ! s'il est loup ravisseur, le sera-t-il toujours ? nullement. Qu'arrivera-t-il donc? « Le matin, il ravira; vers le soir, il partagera ses aliments (2) ». C'est ce qui s'est accompli dans l'apôtre saint Paul; aussi est-ce lui que concernait la prédiction.

Voyons maintenant, s'il vous plaît, comment il ravissait le matin et comment vers le soir il distribuait ses aliments. Matin et soir sont ici synonymes de d'abord et d'ensuite; c'est donc comme s'il était dit: Il ravira d'abord, ensuite il partagera. Voici le ravisseur : « Saul, est-il dit aux Actes des Apôtres, ayant reçu des princes des prêtres l'autorisation écrite d'emmener et d'entraîner », sans doute pour les punir, « les sectateurs des voies de Dieu, en quelque lieu qu'il pût les découvrir, s'en allait respirant et soupirant après le meurtre ». Voilà bien le loup qui ravit

 

1. Philip. III, 5. — 2. Gen. XLIX, 27.

 

le matin. Aussi quand Etienne, le premier martyr, fut lapidé pour le nom du Christ, Paul paraissait là plus que tout autre. Il était bien là avec les bourreaux, mais pour lui ce n'était pas assez de lapider de ses propres mains; afin de se trouver en quelque sorte dans toutes les mains qui lançaient les pierres, il gardait tous les vêtements, plus cruel en secondant les autres que s'il eût frappé lui-même. « Le matin, il ravira ». Voyons, maintenant : « Vers le soir il partagera les aliments ». Du haut du ciel la voix du Christ le renverse, il reçoit l'ordre de ne plus sévir et tombe la face contre terre. Il fallait qu'il fût abattu d'abord, puis relevé; d'abord frappé, puis guéri : car le Christ n'aurait jamais vécu en lui, s'il n'était mort à son ancienne vie de péchés. Or, ainsi renversé, que lui est-il dit: « Saul, Saul, pourquoi me persécuter? Il t'est dur de regimber contre l'aiguillon. — Qui êtes-vous, Seigneur? » reprend-il. Et la voix lui crie du ciel : « Je suis Jésus de Nazareth, que tu persécutes ». C'est la tête dont les membres étaient encore sur la terre, qui criait du haut du ciel. Aussi bien ne disait-elle pas : Pourquoi persécuter mes serviteurs? mais: « Pourquoi me persécuter? » —  Ah ! « que voulez-vous que je fasse? » Déjà il se dispose à obéir, cet ardent persécuteur; déjà ce persécuteur devient prédicateur, ce loup se change en brebis, cet ennemi en défenseur. Il vient d'apprendre ce qu'il doit faire. S'il est devenu aveugle, si la lumière extérieure lui est soustraite pour quelque temps, c'est pour faire briller dans son coeur la lumière intérieure; la lumière est ravie au persécuteur, pour être rendue au prédicateur. Mais quand il ne voyait (404) plus rien , il voyait Jésus. C'est ainsi que sa cécité était le symbole mystérieux des croyants. Celui en effet qui croit au Christ doit le contempler, sans tenir même compte de la créature; dans son cœur la créature doit déchoir toujours et le Créateur être goûté de plus en plus.

2. Examinons la suite. Paul est conduit vers Ananie. Or, Ananie signifie brebis. Voilà donc ce loup ravisseur qu'on mène vers la brebis, pour qu'il marche à sa suite et non pour qu'il s'en empare. Mais pour empêcher la brebis de trembler à l'arrivée soudaine de ce loup, le Pasteur céleste qui faisait tout ici, lui annonça que le loup allait venir, mais qu'il ne serait pas cruel. Nonobstant, le loup était précédé d'une réputation si affreuse, que la brebis ne put s'empêcher de trembler, en entendant son nom seulement. Le Seigneur Jésus ayant en effet appris à Ananie que Paul était venu, qu'il croyait et qu'il allait arriver auprès de lui, Ananie, celui-ci répondit: « Seigneur, j'ai a entendu dire de cet homme qu'il a fait beaucoup de maux à vos saints; maintenant encore il a reçu des princes des prêtres l'autorisation d'emmener, en quelque lieu qu'il les rencontre, les disciples de votre nom ». Or, le Seigneur reprit : « Sois tranquille, et je lui montrerai combien il faut qu'il souffre pour mon nom (1) ». Quel événement merveilleux ! Le loup reçoit la défense de ravager, on le mène soumis devant la brebis. Or, il était précédé d'un tel renom, que son nom seul faisait trembler la brebis, jusque sous la main de son Pasteur. La brebis toutefois s'affermit ; elle ne croit plus à la fureur du loup et ne redoute plus sa colère. C'est l'Agneau mis à mort pour les brebis qui apprend à la brebis à ne pas craindre le loup.

3. Nous chantions, Dimanche dernier « Seigneur, qui est semblable à vous? Ne gardez, ô Dieu, ni votre silence, ni votre douceur (2)». Dieu dit cependant: « Venez, et apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur (3)». Examinons comment se concilient ces deux idées, comment s'harmonisent en Dieu ces deux paroles. Il est doux et humble de coeur, puisqu' « il a été conduit comme « une brebis à l'immolation, puisque semblable à un agneau qui se tait sous le ciseau

 

1. Act. IX, 1-16. — 2. Ps. LXXXII, 2. — 3. Matt. XI, 28, 29.

 

qui le tond, il n'a pas ouvert la bouche (1) ». Attaché ensuite au gibet, il y a enduré les feux injustes de la haine, il y a ressenti les traits perçants de langues cruelles. Ne sont-ce pas ces langues qui ont blessé l'Innocent, qui ont crucifié le Juste? C'est d'elles qu'il avait été dit: «Enfants des hommes, leurs dents sont des lances et des flèches, leur langue est un glaive perçant ». Qu'a fait cette langue? Qu'a fait ce glaive perçant? Il a mis à mort. Qu'est-ce qui a été mis à mort? C'est la mort qui a tué la Vie, afin qu'à son tour la Vie tuât la mort. Qu'a donc fait, qu'a fait leur langue, ce glaive perçant ? Ecoute ce qu'elle a fait, lis ce qui suit: « Elevez-vous, Seigneur, au-dessus des cieux, et que votre gloire se répande sur toute la terre (2). » Voilà ce qu'a procuré le glaive perçant. Nous savons, non pour l'avoir vu, mais par la foi, que le Seigneur s'est élevé au-dessus des cieux; et par la lecture, par la foi, pour le voir, que sa gloire est répandue sur toute la terre.

Considère maintenant comment il a été doux et humble de coeur, pour élever à une telle gloire sa chair morte, puis ressuscitée. Voici sa douceur. Du haut de sa croix il disait: « Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font (3) ». Il avait dit ailleurs: « Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur ». Oh ! apprenez-nous vous-même que vous êtes doux et humble de coeur. Où ces vertus ont-elles pu, où ont-elles dû se révéler avec plus de convenance que sur la croix? Aussi, c'est lorsque ses membres y étaient suspendus, que ses mains et ses pieds y étaient cloués, que ses ennemis le poursuivaient encore de leurs paroles cruelles, sans se rassasier de son sang répandu et sans re. connaître le Médecin qui venait les guérir de leurs maladies, c'est alors que Jésus disait: « Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent « ce qu'il font » ; en d'autres termes: Je suis venu pour guérir ces malades; c'est l'excès même de leur fièvre qui les empêche de me reconnaître. Quelle douceur donc et quelle humilité de cœur dans ces paroles: « Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce « qu'ils font ! »

4. Mais que signifie : « Ne gardez ni votre silence, ni votre douceur ? » Qu'il accomplisse aussi ce voeu. Il n'a point gardé son silence,

 

1. Isaïe, LIII, 7. — 2. Ps. LVI, 5, 6. — 3. Luc, XXIII, 34.

 

405

 

quand il a crié du haut du ciel: « Saul, Saul, a pourquoi me persécuter? » Voilà: « Ne gardez point votre silence ». Et « ne gardez point non plus votre douceur? » D'abord il n'a épargné ni l'erreur , ni la cruauté de Saul ; sa parole l'a abattu au moment même où il ne respirait que meurtres, il lui a enlevé la vue et l'a amené tremblant comme un captif vers ce même Ananie qu'il cherchait pour le persécuter. Ici donc ce n'est pas la douceur, c'est la sévérité; la sévérité contre l'erreur et non pas contre la personne. Ce n'est pas assez : continuez à ne garder ni votre silence ni votre douceur. Comme Ananie craignait et tremblait en entendant seulement le

in de ce loup connu au loin: « Je lui montrerai, dit le Seigneur. — Je lui montrerai »  voilà des menaces, voilà de la sévérité. « Je lui montrerai. — Ne gardez ni votre silence, ni votre douceur ». Montrez à ce persécuteur, non-seulement votre bonté, mais encore votre rigueur. Montrez; qu'il endure ce qu'il a fait endurer, qu'il apprenne à souffrir ce qu'il faisait souffrir, qu'il éprouve enfin ce qu'il faisait éprouver à autrui. « Je lui montrerai combien cil doit souffrir ». C'est avec un accent sévère que le Sauveur prononce ces paroles; c'est pour accomplir celles-ci : « Ne gardez ni votre silence ni votre douceur ». Il ne doit pas toutefois se mettre en contradiction avec ces autres: «Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur. Je lui montrerai ce qu'il doit souffrir pour mon nom ». Voilà de quoi t’effrayer : ah ! venez à son secours, ne laissez ai souffrir outre mesure ni périr cet homme que vous avez créé, retrouvé ensuite. Ce sont ici des menaces de votre part ; ce n'est ni votre silence ni votre douceur, ce sont des menaces. « Je lui montrerai ce qu'il doit souffrir pour mon nom ». Ce qui l'effraie ici fera son salut. Il agissait contre mon nom; que pour mon nom il souffre. O sévérité miséricordieuse ! Voici le Seigneur aiguisant le fer; non pour donner la mort, mais pour faire une incision ; non pour tuer, mais pour guérir. Le Christ disait: « Je lui montrerai ce qu'il doit souffrir pour mon nom ». Et dans quel but? Apprends-le du patient lui-même. « Les douleurs de cette vie ne sont pas proportionnées à la gloire à venir qui éclatera en nous (1)». Que le monde sévisse, qu'il menace, qu'il

 

1. Rom. VIII, 18.

 

calomnie, qu'il prenne ses armes, qu'il fasse enfin tout ce qui lui est possible : qu'est-ce que tout cela en présence de ce qui nous est réservé ? En face de ce que j'espère, je place ce que j'endure; je sens l'un, je crois l'autre; combien ce que je crois l'emporte dans la balance sur ce que je souffre ! Quelles que soient les rigueurs endurées pour la gloire du Christ, si elles permettent de vivre encore, elles sont tolérables; ne permettent-elles plus de vivre ? elles font sortir de ce monde. Elles ne détruisent pas, elles bâtent. Que hâtent-elles ? La récompense elle-même, ces jouissances qui n'auront point de fin lorsqu'on y sera parvenu; car, si le travail a une fin, le salaire n'en a point.

5. Cet homme, ce vase d'élection se nommait d'abord Saul. Saul vient de Saül. Vous, mes frères, qui connaissez les divines Ecritures, rappelez-vous ce qu'était Saül. C'était un roi méchant et qui persécutait David, ce saint serviteur de Dieu ; il était aussi, vous vous en souvenez, de la tribu de Benjamin. De là égaiement venait Saul ; il semblait en avoir emporté l'habitude de la persécution ; mais il ne devait point y persévérer, car si Saul vient de Saül, d'où vient Paul? Saul était donc comme issu de ce roi cruel, lorsque superbe et cruel il respirait le meurtre; mais d'où vient Paul? Paul signifie Petit. Paul est donc un nom d'humilité. L'Apôtre prit ce nom lorsqu'il eut été amené aux pieds du Maître qui a dit : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur ». Voilà d'où vient le nom de Paul. Remarquez qu'en latin Paul signifie Petit. Ces mots: PAULO post videbo te, PAULUM hic expecta, signifient en effet : Dans PEU de temps je te reverrai, Attends ici PEU de temps. Aussi Paul disait-il : « Je suis le plus petit des Apôtres (1)» ; oui, « le plus petit des Apôtres »; et ailleurs : « Je suis le dernier des Apôtres (2) ».

6. Le plus petit et le dernier des Apôtres, il est comme la frange de la robe du Seigneur. Qu'y a-t-il dans un vêtement de plus petit, de plus bas que la frange? C'est néanmoins en la touchant qu'une femme se trouva guérie d'une perte de sang (3). Aussi dans ce petit, dans ce dernier Apôtre, vivait quelqu'un de grand, d'immense, quelqu'un à qui il laissait d'autant plus de place qu'il était plus petit. Pourquoi nous étonner que la grandeur habite dans la

 

1. I Cor. XV, 9. — 2. Ib. IV, 9. — 3. Matt. IX, 20, 22.

 

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petitesse? Elle demeure principalement dans ce qu'il y a de plus petit. Vois comme elle s'exprime : « Sur qui reposera mon Esprit? Sur l'homme humble, sur l'homme paisible et qui tremble à mes paroles (1) » . Si le Très-Haut habite ainsi dans l'homme humble; c'est pour l'élever; car il est dit : « Du haut de son « trône le Seigneur regarde les humbles : et « de loin seulement il aperçoit les superbes (2) ». Donc humilie-toi, et il s'approchera, élève-toi, et il s'éloignera.

7. Mais que dit le petit Paul ? Ce que nous avons entendu aujourd'hui même : « On croit a de coeur pour être justifié; on confesse de bouche pour être sauvé (3) » . Beaucoup croient de coeur et rougissent de confesser de bouche. Sachez, mes frères, qu'il n'y a presque plus aucun païen qui n'admire en lui-même le Christ et qui ne sente l'accomplissement des prophéties relatives à son élévation au-dessus des cieux, en voyant sa gloire répandue par toute la terre. Mais en se craignant, en rougissant les uns devant les autres, ils éloignent d'eux le salut dont il est dit : « On confesse de bouche pour être sauvé ». Que sert de croire pour être justifié, si les lèvres hésitent de manifester tes convictions du coeur? Dieu voit bien la foi intérieure; mais ce n'est pas assez. La peur que tu as des orgueilleux t'empêche de confesser le Dieu fait humble, et tu lui préfères ces superbes auxquels il n'a pas craint de déplaire pour l'amour de toi. Tu n'oses confesser le Fils de Dieu fait humble. Tu oses bien confesser la grandeur du Verbe, de la Sagesse, de la Puissance de Dieu ; mais tu rougis de reconnaître qu'il soit né, qu'il ait été crucifié et qu'il soit mort. Le Très-Haut, l'Egal du Père, Celui par qui tout a été fait, par qui tu as été formé toi-même, s'est fait ce que tu es; pour l'amour de toi il s'est fait homme, il est né, il est mort. O malade, comment pourras-tu guérir, en rougissant de prendre tes remèdes? Profite du temps. Tu en as le temps aujourd'hui : plus tard ce Sauveur méprisé viendra éveiller l'admiration; jugé, il viendra juger; mis à mort, il viendra rendre la vie; couvert d'outrages, il viendra combler d'honneurs. Distingue aujourd'hui de l'avenir : ce que nous croyons est aujourd'hui voilé, dans l'avenir nous le verrons à découvert. Choisis maintenant le parti où tu veux

 

1. Isaïe, LXVI, 2. — 2. Ps. CXXXVI, 6. — 3. Rom. X, 10.

 

rester à l'avenir. Tu rougis du nom du Christ? En en rougissant maintenant devant les hommes, tu te prépares à rougir encore lors qu'il viendra dans sa gloire rendre aux bons ce qu'il leur a promis et aux méchants ce dont il les a menacés. Où seras-tu placé alors? Que deviendras-tu, si te fixant du haut de son trône il te dit : Tu as rougi de mon humilité, tu n'entreras point dans ma gloire? Arrière donc cette honte coupable; qu'on s'anime d'une sainte impudence, si toutefois on peut ici employer cette expression. J'avoue pour tant, mes frères, que pour bannir de moi toute crainte, je me suis fait violence, afin de parler ainsi.

8. Non, je ne veux pas que nous rougissions du nom du Christ. Pénétrons-nous profondément de notre foi au Christ crucifié, mis à mort. Oui, il a été mis à mort; car si son sang n'avait coulé, la cédule de nos péchés ne serait pas effacée encore. Oui, je crois qu'il a été mis à mort; car ce qui est mort en lui,c'est ce qu'il me doit et non la nature à qui je dois l'existence. Je crois donc à un mort ; à quel mort ? A un mort qui est venu parmi nous avec une existence pleine et qui pourtant nous a emprunté. Quel était-il en venant? Il était Celui « qui possédant la nature de Dieu n'a pas cru usurper en se faisant égal à Dieu ». Voilà Celui qui est venu. Que nous a-t-il emprunté ? « Mais il s'est anéanti lui-même en prenant une nature d'esclave et en devenant semblable aux hommes (1) ». Ainsi c'est le Producteur quia été produit, le Créateur qui a été créé. Comment a-t-il été formé et créé? Dans sa nature d'esclave, en prenant cette nature d'esclave sans perdre sa nature divine, Or, c'est dans cette nature de serviteur, dans cette nature que le Fils de Dieu nous a empruntée pour l'amour de nous, qu'il est né et qu'il a souffert, qu'il est ressuscité et qu'il est monté au ciel. Je viens de nommer quatre choses: la naissance et la mort, la résurrection et l'ascension au ciel. Deux ont précédé, deux ont suivi. Les deux premières sont la naissance et la mort; les deux dernières, la ré. surrection et l'ascension. Dans les deux premières on t'a montré ce que tu es; dans les deux dernières, ce que tu seras une fois récompensé. Tu savais naître et mourir; sur cette terre habitée par des mortels c'est ce

 

1. Philip. II, 6, 7.

 

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qu'on voit partout. Qu'y a-t-il en effet de plus universel pour tous les hommes, que de naître et de mourir ? C'est une destinée que partage l'homme avec la bête, de sorte que cette vie nous est commune avec elle. Nous sommes nés, nous mourrons. Ce que tu ne savais pas faire encore, c'est de ressusciter et de monter au ciel. Deux choses donc t'étaient connues, et deux choses inconnues ; le Sauveur s'est chargé de ce que tu connaissais, et il t'a donné l'exemple de ce que tu ne connaissais pas souffre donc ce qu'il a pris sur lui, espère ce qu'il t'a montré dans sa personne.

9. En vérité, te suffit-il pour lie pas mourir de ne consentir pas à ta mort ? Pourquoi craindre ce que tu ne saurais éviter? Tu crains ce que tu ne saurais éviter en le repoussant ; et ce qu'en le repoussant tu pourrais écarter, tu ne le crains pas ? Qu'est-ce que je viens de dire? Quand les hommes sont nés, Dieu les assujettit à la mort comme à un moyen pour eux de sortir de ce siècle ; et tu n'es exempt de la mort que si tu es étranger au genre humain. Aveugle, que fais-tu ? Te demande-t-on de choisir si tu veux être homme ? Tu l'es, puisque tu es arrivé comme homme sur cette terre. Songe à la manière dont tu en sortiras. Dès que tu es né, tu dois mourir. Fuis, prends garde, repousse, rachète; tu ne peux ni ajourner ni éviter la mort. Elle viendra, même malgré toi; à ton insu elle viendra. Pourquoi donc craindre ce que ta résistance ne saurait empêcher? Crains plutôt ce qui ne sera pas, situ n'y consens. Qu'est-ce? Ce dont Dieu a menacé les impies, les infidèles, les parjures, les blasphémateurs, les injustes et tous les méchants, savoir les feux brûlants de l'enfer et les flammes éternelles.

Commence donc par comparer ces deux choses : la mort qui dure un instant, et les supplices qui durent l'éternité. Tu redoutes la mort d'un instant; elle viendra, même malgré toi: crains les peines de l'éternité; si tu veux, tu en seras exempt. Ce que tu dois craindre, ce que tu peux écarter, n'est-il pas ce qu'il y a de bien plus sérieux? Oui, ce qu'il y a de plus, de bien plus, d'incomparablement plus sérieux, est ce que tu dois redouter et ce que tu peux éloigner de toi. Que tu vives bien ou mal, tu mourras ; tu ne saurais échapper à la mort, quel que soit ton genre de vie. Mais si tu prends le parti de bien vivre, tu ne seras point condamné aux peines éternelles. Donc, dès que tu ne peux prendre le parti de ne pas mourir, prends celui de ne pas mériter, durant ta vie, de mourir éternellement. Telle est notre foi ; tel est l'enseignement que nous a donné le Christ par sa vie et par sa mort. Il t'a montré en mourant ce que tu dois souffrir, bon gré, mal gré ; et il t'a montré, en ressuscitant, ce à quoi tu parviendras en vivant saintement. Or ici « on croit de coeur pour être justifié, et on confesse de bouche pour être sauvé ». Pour toi, tu n'oses confesser, de peur d'être insulté, non par des hommes qui ne croient pas, car eux aussi croient intérieurement, mais par des hommes qui rougissent de montrer qu'ils croient. Ecoute ce qui suit : « Quiconque croira en lui, dit l'Ecriture, ne sera point confondu (1) ».

Médite cela, sache t'en occuper ; c'est l'aliment, non pas du corps, mais de l'esprit ; c'est la nourriture que distribuait, vers le soir, le ravisseur du matin.

Unis au Seigneur, etc.

 

1. Hom. X, 10, 11.

 

SERMON CCLXXX. POUR LA FÊTE DES SAINTES PERPÉTUE ET FÉLICITÉ, MARTYRES. I.
 

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ANALYSE. — Ce qui doit nous donner ta plus haute idée de la gloire méritée et obtenue par les saints martyrs, c'est que 1° Ils doivent cette gloire à Jésus-Christ; 2° S'ils jouissent de tant d'honneurs dans ce monde, que ne reçoivent-ils pas de l'autre? 3° Ils ont effectivement triomphé de ce à quoi l'homme est le plus attaché, de l'amour de la vie et. de la crainte der douleurs ; 4° S'il leur arrivait, au moment même de leur martyre, de n'en point ressentir les souffrances à cause des consolation divines dont ils étaient remplis, quelle idée ne doit-on pas se faire des délices dont ils sont enivrés dans leur état glorieux! 5° Quels que soient cependant leur bonheur et leur gloire d'aujourd'hui, ce n'est que comme un songe, en présence de ce qui les attend après la résurrection. Faisons-nous donc un honneur de célébrer la mémoire de ces illustrés membres de notre corps, lesquels d'ailleurs sont morts et prient pour nous. Associons-nous dans notre faiblesse aux hommages qu'ils rendent à Dieu.

 

1. Le retour anniversaire de ce jour nous rappelle à la mémoire et nous représente en quelque sorte le jour solennel où, ornées de la couronne du martyre, les saintes servantes de Dieu Perpétue et Félicité commencèrent à jouir de la félicité perpétuelle, et où, pour s'être montrées ensemble fidèles au Christ au milieu dés combats, elles méritèrent que leurs noms fussent unis pour désigner leur récompense. Le lecteur vient de nous redire les encouragements qui leur furent adressés dans leurs visions divines et les triomphes remportés par elles sur les souffrances. Tout cela, exprimé et éclairé par la lumière de la parole, a été écouté attentivement, regardé avec intérêt, religieusement honoré et loué par nous avec amour. Cependant une solennité si pieuse réclame encore de nous le discours de chaque année. Si ce discours, fait par moi, se trouve bien au-dessous des mérites de ces saintes martyres, il n'en sera pas moins un témoignage de l'ardeur de mon zèle à me mêler aux joies d'une fête si solennelle.

Se peut-il en effet rien de plus glorieux que ces femmes, qu'il est plus facile aux hommes d'admirer que d'imiter? Mais cette gloire appartient surtout à Celui à qui elles ont donné leur foi, au nom de qui elles ont combattu avec une émulation généreuse et fidèle, et près de qui il n'y a, pour l'homme intérieur, aucune distinction de sexe. Aussi semble-t-il que dans ces saintes femmes le sexe disparaisse sans la vigueur de l'esprit, et on ne s'arrête point à considérer dans leur corps ce qu'on ne voit pas dans leurs actes. C'est ainsi que sous leurs pieds chastes et victorieux a été foulé le dragon, au bas de l'échelle montrée à Perpétue pour la conduire à Dieu; et la tête de cet antique serpent, qui fut comme un abîme où se jeta la première femme, leur servit d'échelon pour monter au ciel.

2. Est-il rien de plus attachant que ce spectacle, de plus animé que ce.combat, de plus honorable que cette victoire ? Quand alors ces corps sacrés étaient exposés aux bêtes, les païens frémissaient dans tout l'amphithéâtre, ces populations entières méditaient de vains projets; mais Celui qui habite au ciel se riait d'eux, le Seigneur les jouait. Aujourd'hui les enfants de ces aveugles, dont les cris impies appelaient les tourments sur les corps des martyrs, exaltent par des chants pieux les mérites de ces héros de la foi. Quand il s'agissait de les mettre à mort, on ne courait pas avec autant . d'empressement à ces spectacles de cruauté, qu'on court aujourd'hui dans l'église pour les honorer avec piété. La charité contemple avec religion, chaque année, l'acte commis en un seul jour par l'impiété et le sacrilège. Alors aussi il y avait des spectateurs ; mais que leurs dispositions étaient différentes des nôtres ! Ils achevaient par leurs cris ce qu'épargnaient les morsures des bêtes. Pour nous au contraire nous n'avons que de la pitié pour ce qu'ont fait ces impies, que du respect pour ce qu'ont souffert ces pieux martyrs. Les impies voyaient, des yeux du corps, de quoi nourrir la férocité de leurs coeurs; nous voyons, (409) nous, des yeux du coeur, ce qu'il ne leur a pas été donné de contempler. Eux applaudissaient il a mort des martyrs ; et nous, nous pleurons la mort des âmes de ces païens. Privés des lumières de la foi, ils s'imaginaient que ces saints étaient anéantis; éclairés par la vérité, nous voyons, nous, qu'ils sont couronnés. Leurs insultes mêmes sont devenues notre triomphe, avec cette différence que c'est un triomphe religieux et éternel, tandis que des insultes impies d'alors il n'est plus question aujourd'hui.

3. Nous croyons, mes frères, et nous croyons avec raison qu'immenses sont les récompenses des martyrs. Si cependant nous considérons avec soin la nature de leurs combats, nous ne serons point étonnés que Dieu les rende si brillantes. En effet toute laborieuse et toute courte qu'elle soit, cette vie a pour nous tant de douceur, que dans l'impossibilité de ne jamais mourir, on fait de nombreux et de grands efforts pour mourir un peu plus tard. Pour échapper il a mort on ne peut rien; mais pour l'ajourner on fait tout ce q u'on peut. Le travail assurément pèse à l'âme; pourtant ceux mêmes qui n'espèrent rien, qui n'espèrent ni bien ni mal au-delà de cette vie, n'épargnent aucuns travaux pour empêcher que la mort ne mette sitôt fin à leur travail. Pour ceux à qui l'erreur fait soupçonner, pour après la mort, de fausses et charnelles jouissances, ou à qui la vraie foi lait espérer un repos d'ineffable tranquillité et parfaitement heureux, ne travaillent-ils pas aussi, ne s'appliquent-ils pas avec les plus grands soins, à retarder la mort? Que prétendent-ils en effet lorsque, pour se procurer la nourriture de chaque jour, ils se livrent à tant de labeurs, s'assujettissent à tant de dépendance soit pour les remèdes, soit pour d'autres précautions qu'ils prennent étant malades ou qu'ils font prendre aux malades? Leur but n'est-il pas d'éloigner tant soit peu (arrivée de la mort? Combien donc ne faut-il pas acheter, pour la vie future, l'exemption absolue de cette mort dont le seul retard est estimé si cher dans cette vie ? Nous avons, même pour cette existence calamiteuse, un tel et si inexplicable attrait ; nous avons, dans cette vie telle quelle, une horreur de la mort, si vive et si naturelle, que ceux-là mêmes voudraient ne pas mourir, pour qui la mort est un passage à cette vie où désormais ils seront inaccessibles à la mort.

4. Eh bien ! la vertu qui distingue surtout les martyrs du Christ, c'est le mépris qu'ils professent, avec une charité sincère, une solide espérance et une foi non feinte, pour cet immense amour de la vie et pour cette crainte de la mort. Quelles que soient sous ce rapport les promesses ou les menaces que leur adresse le monde, ils les dédaignent et s'élancent en avant. Quels que soient les sifflements que le serpent fasse entendre, ils lui foulent la tête aux pieds et s'élèvent sur elle. On triomphe en effet de toutes les passions, quand on dompte, comme un tyran farouche, l'amour de cette vie, à qui toutes les passions servent de satellites. Quel lien en effet pourrait attacher encore à la vie, celui qui n'a plus en lui l'amour de la vie ?

Jusqu'à un certain point on assimile ordinairement les douleurs corporelles à la crainte de la mort. C'est tantôt l'une et ce sont tantôt les autres qui l'emportent dans l'homme. Celui-ci ment au milieu des tortures pour échapper à la mort; celui-là, sûr de mourir, ment encore pour s'épargner des supplices. On dit vrai aussi, quand on n'endure pas la question, plutôt que de s'y exposer en se défendant par le mensonge.

Mais quelle que soit, de ces deux craintes, celle qui l'emporte dans les autres hommes, les martyrs du Christ les ont domptées toutes les deux pour soutenir la gloire et la justice du Christ : ils n'ont redouté ni. la mort ni la douleur. C'est qu'en eux triomphait Celui qui vivait en eux; et pour avoir vécu, non pour eux mais pour lui, ils ne sont pas morts en mourant.

Aussi leur faisait-il éprouver des délices spirituelles qui leur ôtaient le sentiment des souffrances corporelles, autant qu'il leur était nécessaire pour mériter sans succomber. Où était effectivement cette jeune femme, quand elle ne s'apercevait point qu'elle luttait contre une vache indomptée et quand elle demanda à quel moment aurait lieu cette lutte déjà accomplie? Où était-elle? Que voyait-elle quand elle ne remarquait pas ce combat? De quoi jouissait-elle quand elle n'était pas sensible à ses blessures? Quel amour l'emportait? Quel spectacle la ravissait? De quel breuvage était-elle enivrée? Et pourtant elle était prise encore dans les noeuds de la chair, elle portait encore des membres mourants, elle était toujours appesantie par un corps corruptible.

 

410

 

Que goûtent donc les âmes des martyrs, une fois qu'échappées des liens du corps, après les fatigues et les dangers du combat, elles sont reçues en triomphe avec les anges et nourries comme eux; une fois qu'on ne leur dit plus : Pratiquez ce que j'ai prescrit; mais Recevez ce que j'ai promis? Quelles délices spirituelles ne savourent-elles pas au banquet divin ! Avec quelle sécurité elles reposent en Dieu ! Quelle sublime gloire n'éclate pas en elles ! Rien sur la terre ne peut nous le faire comprendre.

5. Ajoutez que, si incomparable qu'elle soit avec ce qu'il y a de plus heureux et de plus doux sur la terre, la vie dont jouissent actuellement les saints martyrs n'est qu'une faible partie de ce qui leur est promis; ce n'est même qu'un allégement destiné à les consoler de n'en pas jouir encore. Viendra donc le jour de la récompense, où réuni à son corps chacun recevra tout ce qu'il mérite, où les membres de ce riche, ornés autrefois d'une pourpre éphémère, seront livrés en proie aux feux éternels, tandis que toute transformée la chair du pauvre couvert d'ulcères brillera d'un vif éclat au milieu des anges; quoique dès aujourd'hui l'un demande avec ardeur que l'autre fasse tomber de son doigt une goutte d'eau sur sa langue embrasée, tandis que celui-ci repose délicieusement dans le sein du juste (1). Autant il y a de différence entre les joies ou les souffrances de ceux qui rêvent et de ceux qui veillent, autant il y en a entre les tourments ou les jouissances de ceux qui sont morts et de ceux qui sont ressuscités. Ce n'est pas que l'esprit des morts soit assujetti à l'illusion comme les esprits qui rêvent; c'est que le repos des âmes privées de leurs corps est bien différent de la félicité et de la gloire dont on jouit au milieu des anges lorsqu'on est réuni à un corps tout céleste; car la multitude des fidèles ressuscités sera élevée au niveau des anges. Or, dans cette multitude brilleront d'un éclat particulier les glorieux martyrs, et comme ils ont subi dans leurs corps d'indignes tourments, ces corps deviendront pour eux des ornements de gloire.

6. Par conséquent, continuons à célébrer

 

1. Luc, XVI, 19-24.

 

leurs solennités, avec un grand zèle et avec une joie contenue, par des réunions chastes, des pensées de foi et des prédications pleines d'espérance. C'est déjà imiter sérieusement les saints que d'applaudir à leurs vertus. Eux sont grands, nous sommes petits; mais le Seigneur a béni les petits avec les grands (1). Ils nous devancent, ils s'élèvent bien au-dessus de nous: si nous ne pouvons les suivre par nos actions, suivons-les en désir; si nous n'approchons pas de leur gloire, partageons leur joie; si nous n'avons pas leurs mérites, formons-en le voeu; si nous ne souffrons pas ce qu'ils ont souffert, compatissons; si nous ne nous élevons pas comme eux, tenons à eux. Croirions-nous que c'est peu pour nous d'être avec ces héros, auxquels nous ne pouvons clous comparer, les membres d'un même corps? «Si un membre souffre, est-il écrit, tous les autres souffrent avec lui ; et quand un membre est dans la joie, avec lui y sont aussi tous les autres (2) ». C'est la gloire du Chef divin qui veille également sur les mains et sur les pieds, sur les membres supérieurs et sur les membres inférieurs.

Seul il a donné sa vie pour tous; à son exemple, les martyrs ont donné la leur pour leurs frères; ils ont pour produire cette immense et fertile moisson des peuples chrétiens, arrosé la terre de leur sang. C'est ainsi que nous sommes aussi le fruit de leurs sueurs. Nous élevons vers eux notre admiration, ils ont pour nous de la pitié. Nous leur applaudissons, ils prient pour nous. Sous les pieds de l'ânesse qui conduisait Jésus à Jérusalem, ils ont étendu leurs corps comme des vêtements; pour nous, détachons au moins les rameau des arbres, et cherchant dans l'Ecriture des hymnes et des louanges, faisons-les retentir pour ajouter à la joie commune (3).

N'oublions pas toutefois que nous obéissons au même Seigneur, que nous suivons-le même Maître, que nous escortons le même Prince, que nous sommes unis au même Chef, que nous marchons vers la même Jérusalem, que nous pratiquons la même charité et que nous gardons la même unité.

 

1. Ps. CXIII, 13. — 2. I Cor. XII, 26. — 3. Matt. XXI, 7-9.
 
 
 
 

source: http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin/index.htm

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