www.JesusMarie.com
Saint Augustin d'Hippone
Sermons

SERMON CCLXXXVI. SAINT GERVAIS ET SAINT PROTAIS, MARTYRS. GLOIRE DES SAINTS MARTYRS.
 

ANALYSE. — Martyr signifie témoin. Or, la première gloire des saints martyrs est d'avoir rendu à Dieu le plus haut témoignage qui se puisse imaginer. Une autre gloire des saints martyrs est d'être aujourd'hui aussi honorés dans le monde qu'ils y ont été décriés de leur vivant. Une autre gloire enfin, ce sont les miracles que Dieu accorde souvent à leur intercession : j'ai été témoin de plusieurs prodiges opérés à Milan par saint Gervais et saint Protais. Ne vous étonnez pas cependant de n'obtenir pas toujours les faveurs et les guérisons que vous sollicitez. Vous êtes souvent mieux exaucés quand Dieu parait ne pas vous exaucer. Ainsi il a accordé beaucoup plus aux Macchabées en ne pas les délivrant de la fureur d'Antiochus , qu'aux trois jeunes Hébreux préservés miraculeusement des atteintes de la flamme dans la fournaise de Babylone. Prenez donc courage et sachez que même sur votre lit vous pouvez arriver à la gloire du martyre.

 

l. Le mot martyr est un terme grec que fon emploie habituellement comme s'il était latin, et qui signifie témoin. Il y a donc de frais martyrs et il y en a de faux, comme il y a de vrais, et de faux témoins. « Le faux témoin, dit l'Ecriture, ne restera pas impuni (1)». Si le faux témoin ne doit pas rester sans châtiment, le témoin véridique ne restera pas sans couronne.

 

1. Prov. XIX, 5, 9.

 

424

 

Sans doute il était facile de rendre témoignage à Jésus-Christ Notre-Seigneur et de confesser la vérité de sa divinité; l'affaire importante était de la confesser jusqu'à la mort. Il y avait, observe l'Evangile, des notables parmi les Juifs qui croyaient au Seigneur Jésus, mais que la peur des autres Juifs empêchait de l'avouer publiquement. Mais l'écrivain sacré fait aussitôt cette remarque: « C'est qu'ils aimaient la gloire des hommes plus que la gloire de Dieu (1)». Ainsi plusieurs ont rougi de confesser le Christ devant les hommes. Il y en a eu d'autres qui valaient mieux et qui n'ont pas rougi de le confesser publiquement, mais qui n'ont pu le confesser jusqu'à la mort. Ces différents degrés de dévouement sont des grâces de Dieu, et ces grâces parfois ne se développent que peu à peu dans l'âme.

Arrêtez-vous d'abord ici, et comparez entre eux ces trois sortes de témoins : l'un, qui croit au Christ et ose à peine murmurer son nom ; l'autre, qui croit également au Christ, mais qui le confesse publiquement; un autre enfin qui croit aussi au Christ et qui est tout disposé à mourir pour lui en le confessant. Le premier est si faible que la timidité plutôt que la crainte suffit pour le vaincre; le second a du front et de la fermeté, mais pas encore jusqu'au sang; le troisième a tout ce qu'il faut et on ne peut lui souhaiter plus que ce qu'il a, car on voit en lui la fidélité à ce commandement: « Combats pour la vérité jusqu'à la mort (2) ».

2. Que disons-nous de Pierre ? Qu'il a prêché le Christ, après en avoir reçu la mission, et qu'avant la passion même il a publié l'Evangile. Nous savons en effet que le Seigneur envoya ses Apôtres prêcher l'Evangile : Pierre fut envoyé et prêcha comme eux. Combien donc il l'emportait sur ces Juifs qui n'osaient se prononcer publiquement pour le Christ ! Alors toutefois il ne ressemblait point encore ni à saint Gervais ni à saint Protais. Il était Apôtre, le premier des Apôtres et intimement uni au Seigneur, qui lui adressa même cette parole : « Tu es Pierre (3) » ; mais il n'était encore ni Gervais ni Protais, il n'était pas même ce que fut Némésien, un enfant; Pierre n'était pas cela encore; il n'était pas ce que furent des femmes, de jeunes filles, une Crispine,

 

1. Jean, XII, 43. — 2. Eccli. IV, 35. — 3. Matt. XVI, 18.

 

une Agnès; Pierre n'était pas encore ce que fut la faiblesse de ces femmes.

Je loue Pierre; mais je commence par rougir pour lui. Quelle âme ardente ! mais il ne sait se modérer. Si son âme n'était une âme ardente, il ne dirait pas au Sauveur: Je mourrai pour vous; « me fallût-il mourir pour vous, je ne vous renierai.point (1)». Mais le Médecin qui voyait les pulsations de son coeur, lui fit connaître le danger de cette ardeur. « Toi, lui dit-il, tu mourras pour moi. En vérité je te le déclare, avant que le coq ait chanté tu me renieras trois fois (2) ». Ainsi le Médecin avertissait-il lé malade de ce qu'ignorait celui-ci ; et le malade reconnut qu'il avait faussement présumé de lui-même, quand on lui demanda : « Es-tu l'un d'entre eux (3)? » La question venait d'une servante: c'était comme la fièvre. La fièvre donc s'avance, elle saisit le malade; que dis-je? le voilà en danger, il meurt. N'est-ce pas mourir que de renoncer à la vie? Pierre a renié le Christ, il a renoncé à la vie, il est mort.

Cependant Celui qui ressuscite les morts « regarda Pierre, et il pleura amèrement (4) ». Il était mort en reniant, il ressuscita en pleurant. Le Seigneur ensuite mourut d'abord pour lui, comme il le fallait; plus tard Pierre mourut pour le Seigneur, comme le demandait la convenance, et les martyrs l'ont suivi. Une fois tracée et aplanie sous les pieds des Apôtres, la voie est devenue plus douce pour ceux qui ont marché derrière eux.

3. Les martyrs ont été sur toute la terre comme une semence de sang, et cette semence a produit la moisson de l'Eglise. Morts, ils ont plus glorifié le Christ que pendant leur vie; aujourd'hui encore ils le publient, ils le prêchent : leur langue se tait, mais leurs actions parlent. On les arrêtait, on les garrottait, on les emprisonnait, on les traduisait, on les torturait, on les brûlait, on les lapidait, on les flagellait, on les exposait à la dent des bêtes, et malgré tant de genres de mort on se riait d'eux comme de gens de rien : mais « devant Dieu est précieuse la mort de ses saints (5) ». C'était seulement aux yeux du Seigneur qu'elle était précieuse alors, aujourd'hui c'est aussi devant nous. Quand, alors, c'était un opprobre d'être chrétien, la mort des saints était aux yeux des hommes une

 

1. Matt. XXVII, 35. — 2. Jean, XIII, 37, 38. — 3. Matt. XXVI, 69. — 4. Luc, XXII, 61, 62. — 5. Ps. CXV, 15.

 

425

 

mort ignominieuse; on les détestait, on les exécrait, et on souhaitait comme une malédiction de mourir, d'être crucifié , d'être brûlé comme eux. Quel fidèle n'ambitionne aujourd'hui ce genre de malédiction?

4. Aujourd'hui donc, mes frères, nous célébrons la mémoire, vivante en ce lieu, de saint Gervais et de saint Protais, martyrs de Milan. Nous ne solennisons par le jour où leur monument a été élevé parmi nous, mais le jour où leurs cendres précieuses devant le Seigneur ont été découvertes par l'évêque Ambroise, un homme de Dieu. Je fus témoin alors de la gloire immense de ces martyrs; j'étais là, j'étais à Milan; je connais les miracles que Dieu y a opérés, pour rendre témoignage à la mort précieuse de ses saints; car ces miracles devaient faire que cette mort, déjà précieuse devant Dieu, devint précieuse aussi aux yeux des hommes. Un aveugle fort connu de toute la ville recouvra la vue; il accourut, se fit conduire et retourna sans guide. Nous n'avons pas encore entendu dire qu'il soit mort; peut-être vit-il encore. Il se dévoua à servir toute sa vie dans la basilique où reposent leurs corps. Que nous étions heureux  de lui voir la vue rendue ! nous l'avons laissé occupé de son service (1).

5. Dieu ne cesse de se rendre témoignage, et il sait comment il doit faire ses miracles; lisait prendre les moyens de les rendre éclatants, empêcher qu'on ne vienne à les dédaigner. Il n'accorde pas à tous la santé par l'intercession des martyrs ; mais à tous ceux qui imitent les martyrs il promet l'immortalité. S'il ne donne pas à tous, que ne s'en inquiète point celui à qui il ne donne pas, afin d'obtenir ce qui est promis au terme, qu'il ne murmure point de ce que Dieu refuse. Ceux que Dieu guérit miraculeusement aujourd'hui ne meurent-ils pas quelque temps après? Mais ceux qui ressusciteront plus tard vivront éternellement avec le Christ.

Comme chef il nous a précédés et il attend que ses membres le suivent; le corps entier, le Christ et l'Eglise, sera complet alors. Ah ! qu'il nous voie marqués sur son livre et que durant cette vie il nous donne ce qui nous est utile. Il sait en effet ce qui convient à ses enfants. « Si donc, dit-il, tout méchants que vous soyez, vous savez faire à vos fils des dons

 

1. Voir Cité de Dieu, liv. XXII, ch. 8 ; Conf. liv. IX, ch. 7.

 

utiles, à combien plus forte raison votre Père qui est aux cieux donnera-t-il ce qui est bon à ceux qui lui en feront la demande (1)? » Or, qu'est-ce qui est bon? Les choses temporelles? Dieu les donne aussi; mais il les donne également aux infidèles. Il les donne aussi; mais il les donne également et aux impies et aux blasphémateurs de son nom. Cherchons ce qui est bon, mais ce que les méchants ne sauraient posséder comme nous. Ce Père sait donner à ses enfants ce qui leur est avantageux. Voici un fils qui lui demande la santé du corps ; il ne la lui donne pas, il continue à le frapper. Est-ce qu'un père, même en frappant, ne fait pas du bien ? Il emploie la verge, mais aussi pense au patrimoine qu'il réserve. « Il frappe, dit l'Ecriture, tous les enfants qu'il accueille; car le Seigneur corrige qu’il aime (2) ».

Si je vous parle ainsi, mes frères, c'est pour vous détourner de vous laisser aller à la tristesse lorsque vous demandez sans obtenir, et de croire que Dieu vous perd de vue, si pendant quelque temps il n'exauce pas vos désirs. Est-ce que le médecin fait toujours la volonté de son malade? Il n'est pas douteux néanmoins qu'il ne travaille et n'aspire à lui rendre la santé. Il ne lui donne pas ce qu'il demande; mais il lui assure ce qu'il ne demande pas. Il lui refuse l'eau froide: est-ce cruauté de sa part ? Il est venu pour guérir le malade; il suit les règles de son art, il n'est pas cruel. Il ne lui donne pas ce qui pour le moment lui ferait plaisir. mais s'il lui refuse quelque chose pendant qu'il est malade encore, c'est afin ,de pouvoir lui laisser toute liberté quand il sera guéri.

6. Réfléchissez, mes frères, aux divines promesses. Croyez-vous qu'à ces martyrs Dieu ait toujours donné ce qu'ils demandaient? Non. Beaucoup d'entre eux lui ont demandé d'être mis en liberté et d'y être mis miraculeusement, comme y furent mis les trois jeunes hommes jetés dans la fournaise. Que dit alors le roi Nabuchodonosor? «C'est qu'ils ont espéré en Dieu et ont résisté à l'ordre du roi ». Quel aveu dans un prince qui cherchait à leur ôter la vie ! Il voulut d'abord les livrer aux flammes, puis ils firent de lui un croyant ! Mais s'ils étaient morts dans ces flammes, ils eussent été couronnés à l'insu et sans profit

 

1. Matt. VII, 11. — 2. Héb. XII, 6.

 

426

 

pour ce prince. Dieu donc leur conserva la vie quelque temps encore, afin d'amener à la foi cet infidèle, afin de le porter à louer Dieu après les avoir condamnés à mort.

Le Dieu des jeunes hébreux était aussi le Dieu des Macchabées. Il délivra des flammes les Premiers (1), et y laissa mourir les seconds (2). Aurait-il changé? Aimerait-il les uns plus que les autres ? La couronne donnée aux Macchabées était plus belle. Sans doute les jeunes Hébreux échappèrent aux flammes; mais ils restèrent exposés aux dangers de ce siècle, tandis que les autres trouvèrent au milieu des flammés la cessation de tout danger. Pour eux, plus de tentation, mais uniquement la couronne. Il est donc bien vrai que les Macchabées reçurent davantage.

Réveillez votre foi, ouvrez les yeux du mur et non ceux du corps; car vous avez au dedans d'autres yeux que ceux-ci : le Seigneur  vous les a formés quand il vous a ouvert les yeux du coeur en vous donnant la foi. Demandez donc à ces yeux du corps si ce sont les Macchabées ou les jeunes Hébreux qui ont reçu davantage. C'est à la foi que je m'adresse. Si j'interrogeais les amis de ce siècle : Pour moi., me dirait une âme faible, j'aurais voulu être du nombre de ces jeunes Hébreux. Rougis, malheureux, devant cette mère des Macchabées qui voulut voir mourir ses fils devant elle, parce qu'elle savait qu'ils ne mourraient point.

 

1. Dan. III, 95. — 2. II Macc. VII.

 

7. Je me rappelle quelquefois les relations des miracles faits par les martyrs, qu'on lit sous vos yeux (1). On a lu, il y a quelques jours, dans une de ces relations, qu'une malade en proie aux douleurs les plus vives ayant dit : Je ne puis les supporter, le martyr qui était. venu. pour la guérir répondit : Que serait-ce si tu prolongeais ton martyre? Beaucoup donc souffrent le martyre sur leur couche ; oui, beaucoup. Satan les y persécute d'une manière plus dissimulée et plus adroite qu'il ne faisait alors. Voici un fidèle étendu sur son lit, il souffre cruellement, il prie et n'est pas exaucé; ou plutôt il est exaucé, mais il est éprouvé, exercé; et pour être reçu comme un fils, il est frappé de verges. Or, pendant qu'il souffre ainsi cruellement, voici une langue de tentateur : c'est une petite femme, c'est peut-être un homme, si toutefois on mérite alors le nom d'homme, qui s'approche du lit et qui dit au patient : Fais telle ligature, et tu seras guéri ; recours à tel enchantement, et la santé te sera rendue. C'est par là que se sont trouvés guéris, tu peux t'en assurer, un tel, un tel et encore un tel. Le malade ne se laisse point ébranler, il ne suit pas ce conseil, il ne consent pas à cette recommandation, mais il combat. Il est sans force, et pourtant il triomphe du diable; sur son lit il devient martyr et il est couronné par Celui qui est mort pour lui attaché à la croix.

 

1. Voir Cité de Dieu, liv. XXII, ch. 8.

 

SERMON CCLXXXVII (1). NATIVITÉ DE SAINT JEAN-BAPTISTE. I. JÉSUS-CHRIST ET SAINT JEAN.
 

ANALYSE. — Jésus-Christ et saint Jean sont les seuls dont nous célébrions la naissance. C'est que parmi les enfants des hommes il n'y a que le Fils de Dieu qui soit au-dessus de saint Jean. Malgré les rapprochements qui. se rencontrent dans l'annonciation et dans la naissance de l'un et de l'autre, à quelle distance prodigieuse néanmoins Jésus n'est-il pas élevé au-dessus de Jean-Baptiste ?

 

1. Ce récit est long, mais les charmes de la vérité dédommagent de la peine de l'écouter. Nous avons assisté, pendant la lecture du saint Evangile, à l'illustre naissance du bienheureux Jean, le héraut et le précurseur du Christ. Que votre charité considère ici quel grand homme vient de naître.

L'Eglise ne célèbre le jour natal d'aucun prophète, d'aucun patriarche, d'aucun apôtre: elle ne célèbre que deux nativités, celle de Jean et celle du Christ. L'époque même ou chacun d'eux est né figure un grand mystère. Jean était un grand homme, mais après tout un homme. C'était un si grand homme que Dieu seul était au-dessus de lui. « Celui qui nient après moi est plus grand que moi (2) ». C'est Jean lui-même qui a dit : « Celui qui vient après moi est plus grand que moi ». S’il est plus grand que toi, comment lui avons-nous entendu dire, à lui qui est plus grand que toi : « Parmi les enfants des femmes, il qu'en est aucun qui soit plus grand que Jean-Baptiste (3) ? » Si nul d'entre les hommes n'est plus grand que toi, qu'est-ce que Celui que tu dis plus grand ? Tu veux savoir ce qu'il est ? « Au commencement était le Verbe., et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ».

2. Mais ce Dieu, ce Verbe de Dieu par qui tout a été fait, qui est né avant l'origine du temps et par qui ont été faits les temps mêmes, comment

 

1. On lit dans le Bréviaire Romain, le jour de la Nativité de saint Jean-Baptiste, trois leçons qui sont attribuées à saint Augustin, et qu'on ne trouvera dans aucun des sermons suivants. Déjà l'édition de Louvain avait rejeté à l'Appendice le discours dont ces leçons sont a traites; les Bénédictine ont fait de même, et tout porte à croire que ce discours est plutôt de Fauste que de saint Augustin. On peut le lire d'ailleurs dans l'édition des Bénédictins (Tom. V, Append, sans. CXCVI. Migne, ibid.), et dans l'édition de Louvain (Append. serm. LXXVI). — 2. Matt. III, 11. — 3. Ib. XI, 11.

 

se fait-il qu'il ait dans le temps le jour de sa nativité? Oui, comment ce Verbe qui a créé les temps a-t-il dans le temps son jour natal? Tu veux savoir comment? Ecoute encore l'Evangile : « Le Verbe s'est fait chair, et il a habité parmi nous (1) ». La naissance du Christ n'est donc pas la naissance du Verbe, mais de sors humanité; ou si c'est la naissance du Verbe, c'est en tant que « le Verbe s'est fait chair ». Le Verbe est né, mais dans la chair et non en lui-même. En lui-même, sans doute, il est né du Père; mais, sous ce rapport, sa naissance ne compte pas dans le temps.

3. Jean est né, le Christ est né aussi; Jean a été annoncé par un ange, le Christ aussi a été annoncé par un Ange. Grand miracle de côté et d'autre ! C'est une femme stérile qui avec le concours d'un vieux mari donne le jour au serviteur., au précurseur; c'est une Vierge qui sans le concours d'aucun homme devient mère du Seigneur; du maître. Jean est un grand homme ; mais le Christ est plus qu'un homme, car il est l'Homme-Dieu. Jean est un grand homme ; mais pour exalter Dieu cet homme devait s'abaisser. Apprends de lui-même combien l'homme devait s'abaisser. « Je ne mérite pas de dénouer la courroie, de sa chaussure », dit-il (2). S'il estimait le mériter, combien il s'humilierait ! Il dit qu'il ne le mérite même pas.. C'est se prosterner complètement, c'est s'abaisser sous la Pierre. Jean était un flambeau (3) ; il craignait de s'éteindre au souffle de l'orgueil.

4. Oui, il fallait que tout homme et par conséquent Jean lui-même, s'humiliât devant

 

1. Jean, I, 1, 14. — 2. Jean, I, 27. — 3. Ib. V, 35.

 

428

 

le Christ; il fallait aussi que le Christ, que l'Homme-Dieu fût exalté : c'est ce que rappellent le jour natal et le genre de mort de Jésus et de Jean. C'est aujourd'hui qu'est né saint Jean : à partir d'aujourd'hui les jours diminuent. C'est le huit des calendes de Janvier qu'est né le Christ : à partir de ce jour les jours grandissent. Pour mourir, Jean fut décapité, le Christ fut élevé en croix.

Combien aussi de convenance, de vérité, de sainteté, dans la manière dont il fut annoncé à la Vierge Marie ! « Comment cela se fera-t-il? car je ne connais point d'homme ». Marie croyait, mais elle voulait connaître le mode de naissance. Quelle réponse ? « L'Esprit-Saint surviendra en vous; et la vertu du Très-Haut », l'Esprit-Saint lui-même, « la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre. Aussi ce qui naîtra de saint en vous sera appelé le Fils de Dieu (1) ». — « La vertu n du Très-Haut vous couvrira de son ombre». Vous concevrez, mais sans aucune atteinte de concupiscence. Comment sentir quelque ardeur de passion, quand l'Esprit-Saint couvre de son ombre ? — Mais nos corps étant en proie à de vives chaleurs, assez pour votre charité : bien méditées, ces pensées se multiplieront.

 

1. Luc, I, 34, 35.

SERMON CCLXXXVIII. NATIVITÉ DE SAINT JEAN-BAPTISTE. II. LA PAROLE ET LA VOIX.
 

ANALYSE. — Après avoir annoncé que pour célébrer la naissance du Précurseur il va sonder un grand mystère, saint Augustin rappelle que nonobstant son élévation au-dessus de tous les hommes et dé tous les prophètes, saint Jean disait simplement de lui-même qu'il était la voix, la voix du Verbe ou de la Parole éternelle. Quels traits de ressemblance en effet entre la voix et saint Jean d'une part, entre la parole divine et Jésus d'autre part ! Il suffit d'en indiquer quelques-uns pour que l'esprit les saisisse.  1° La voix n'est rien sans la parole ou sans la pensée. Qu'est-ce que saint Jean sans Jésus? 2° Dans l'intelligence qui la conçoit, la parole ou la pensée précède la voix ou le mot qui doit l'exprimer en quelque langue que ce soit; mais dans l'esprit à qui s'adresse la pensée, la voix porte la pensée, elle la précède. N'est-ce pas ainsi que le Verbe existe d'abord dam l'intelligence divine et que pour arriver jusqu'à nous il a dû avoir un précurseur, des précurseurs même ; car s'il faut à fidèle bien des mots pour se communiquer, pourquoi le Fils de Dieu n'aurait-il pas eu à son service des patriarches, des prophètes, des Apôtres? 3° Enfin la parole n'est plus nécessaire quand on a la pensée. C'est ainsi que saint Jean diminue et disparaît quand se montre Jésus ; c'est ainsi, encore qu’il ne sera plus nécessaire de le faire connaître par la parole quand au ciel nous le verrons face à face.

 

1. En revenant aujourd'hui comme chaque année, la fête que nous célébrons actuellement nous rappelle qu'avant l'Admirable est né admirablement le Précurseur du Seigneur. C'est aujourd'hui surtout qu'il convient de contempler et de louer cette naissance. Si fou a consacré au souvenir de ce miracle un jour de chaque année, c'est pour que l'oubli n'efface de nos coeurs ni les bienfaits de Dieu ni les magnificences du Très-Haut.

Le héraut du Seigneur, Jean fut envoyé avant lui, mais après avoir été fait par lui ; car « par lui tout a été fait et sans lui rien ne l'a été ». C'était un homme envoyé devant l'Homme-Dieu, un homme reconnaissant son Seigneur, annonçant son Créateur, le distinguant intérieurement et le montrant du doigt quand il était déjà sur la terre. Voici en effet les paroles qu'il prononçait en montrant le Sauveur et en lui rendant témoignage: « Voilà l'Agneau de Dieu, voilà Celui qui efface le péché du monde (1)». N'était-il donc pas juste qu'une femme stérile fût la mère du héraut, et une Vierge celle du Juge? On vit dans la

 

1. Jean, 3, 29.

 

429

 

mère de Jean la stérilité devenir féconde, et dans la mère du Christ la fécondité n'altérer en rien la virginité.

Si votre patience, si votre ardeur paisible, si votre attention silencieuse me le permettent, je vous dirai avec l'aide du Seigneur ce que le Seigneur m'inspire de vous dire; et pour vous dédommager de votre attention, de votre application, je ferai sûrement pénétrer dans vos oreilles et dans vos coeurs des vérités qui touchent à un profond mystère.

2. Il y a eu avant Jean-Baptiste de nombreux, de grands et de saints prophètes, des prophètes dignes de Dieu et remplis de Dieu, qui annonçaient le futur avènement du Sauveur et prêchaient la vérité. D'aucun d'eux néanmoins on n'a pu dire, comme de Jean : « Nul ne s'est élevé, parmi les enfants des femmes, au-dessus de Jean-Baptiste (1)». Pourquoi cette grandeur envoyée devant la majesté ? Pour faire ressortir son' humilité profonde. Jean était si grand qu'on pouvait le prendre pur le Christ. Il lui était donc possible d'abuser de cette erreur répandue parmi ses contemporains et de leur persuader sans peine qu'il l'était réellement, puisque ceux qui le noyaient et l'entendaient se l'étaient imaginé tus qu'il l'eût dit. Il n'avait pas besoin de répandre l'erreur; il n'avait qu'à l'accréditer. Mais au lieu de prendre en adultère la place de l'Epoux, cet humble ami de l'Epoux, cet ami zélé de l'Epoux, rend témoignage à son ami et recommande à l'épouse celui qui est son époux véritable : il veut n'être aimé qu'en lui et aurait horreur qu'on l'aimât pour lui. L’Epoux, dit-il, est celui à qui appartient d'épouse ». Puis, comme si on lui demandait: Qu'es-tu donc? « Mais l'ami de l'Epoux, poursuit-il, reste debout, l'écoute et se réjouit d'entendre sa voix (2)». — « Il reste debout et l'écoute » ; c'est le disciple écoutant le maître, car s'il l'écoute il reste debout, ait lieu qu'il tombe s'il ne l'écoute pas. Ce qui montre principalement la grandeur de Jean, c'est qu'il aima mieux rendre témoignage au Christ, quand on pouvait le prendre pour le Christ; c'est qu'il aima mieux le mettre en relief et s'humilier que de passer pour le Christ et de tromper le monde.

C'est avec raison aussi qu'il est présenté comme étant plus qu'un prophète. Voici en

 

1. Matt. XI, 11. — 2. Jean, III, 29.

 

effet ce que dit le Seigneur lui-même, des prophètes qui ont précédé saint Jean: «Beaucoup de prophètes et de justes ont aspiré à voir ce « que vous voyez, et ne l'ont pas vu (1) ». Effectivement ces hommes remplis de l'Esprit de Dieu pour prédire l'avènement du Christ, auraient désiré, s'il eût été possible, voir le Christ présent sur la terre. Aussi bien, quand le Ciel prolongeait la vie a Siméon, c'était pour accorder à ce vieillard de voir sous la forme d'un nouveau-né Celui qui a créé l'univers (2). Sans doute il contempla dans son petit corps le Verbe de Dieu devenu enfant; mais cet Enfant n'enseignait pas encore, et tout Maître qu'il fût pour éclairer les anges auprès de son Père, il n'avait pas pris encore son rôle de Maître sur la terre. Siméon le vit donc, mais petit enfant; au lieu que Jean le vit quand il prêchait déjà et que déjà il faisait choix de ses disciples. Où le vit-il? Près du Jourdain ; c'est près de ce fleuve en effet que Jésus commença à enseigner. C'est là aussi que fut recommandé à la piété le futur baptême du Christ; car on y recevait un baptême avant-coureur qui semblait préparer la voie et dire: « Préparez la voie au Seigneur, rendez droits ses sentiers (3)». Si effectivement le Seigneur voulut recevoir le baptême de Jean serviteur, n'était-ce pas pour faire comprendre ce qu'on reçoit dans son baptême, à lui ? C'est donc par là qu'il commença ce qui justifiait cette antique prophétie: « Il dominera d'une mer à l'autre, et du fleuve jusqu'aux extrémités de l'univers (4) ». Eh bien ! ce fut près ale ce fleuve où commença la domination du Christ, que saint Jean vit, reconnut le Christ et lui rendit témoignage. Il s'humilia devant cette grandeur, pour être dans son humiliation relevé par elle. Il se dit bien l'ami de l'Epoux; mais quel ami ? Est-ce pour marcher avec lui sur le pied de l'égalité? Nullement: c'est pour marcher bien au dessous. A quelle distance de lui? « Je ne mérite pas « de dénouer les courroies de sa chaussure (5) ».

Aussi ce prophète, qui est plus qu'un prophète, mérita-t-il d'être prédit par un prophète. C'est de lui en effet que parlait Isaïe dans ce passage qu'on a lu aujourd'hui : « Voix de Celui qui crie dans le désert: Préparez la voie au Seigneur, rendez droits ses sentiers. Toute vallée sera comblée, toute montagne

 

1. Matt. XIII, 17. — 2. Luc, II, 25, 26. — 3. Matt. III, 3. — 4. Ps. LXXXI, 8. — 5. Marc, I, 7.

 

430

 

et toute colline sera abaissée; les tortuosités seront redressées et les aspérités aplanies, et toute chair verra le salut de Dieu. Crie. Que crierai-je? Que toute chair est de l'herbe et que toute sa gloire est comme la fleur de l'herbe. L'herbe s'est desséchée, la fleur est a tombée : mais le Verbe du Seigneur subsiste éternellement (1)». Que votre charité se rende bien attentive. Quand on demanda à saint Jean qui il était, s'il était le Christ, Elie ou un prophète, « Je ne suis, répondit-il, ni le Christ, ni Elie, ni un prophète. — Qui êtes-vous donc?» reprirent les envoyés. — « Je suis la voix de Celui qui crie dans le désert ». Il se dit donc une voix; Jean est une voix. Et le Christ, pour qui le prends-tu, sinon pour le Verbe? La voix précède pour donner l'intelligence de la pensée du Verbe. De quel Verbe? Ecoute, on va te le dire clairement : « Au commencement était le Verbe et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu. Dès le commencement il était en Dieu.Tout a « été fait par lui, et sans lui rien ne l'a été (2) ». Si par lui tout a été fait, Jean aussi l'a été par lui. Pourquoi nous étonner que le Verbe se soit formé une voix? Considère, considère tout à la fois près du fleuve et la Voix et le Verbe, Jean et le Christ.

3. Examinons ce qui distingue la voix et le verbe ; examinons avec attention, car c'est une chose importante et qui demande une application soutenue. Le Seigneur nous accordera de ne point nous fatiguer, moi en vous expliquant, et vous en écoutant.

Voici donc deux choses: La voix et le verbe ou la parole. Qu'est-ce que la voix? Qu'est-ce que la parole? Qu'est-ce? Ecoutez ce dont vous allez reconnaître la vérité en vous-mêmes, en vous interrogeant et en vous répondant intérieurement. Il n'y a parole qu'autant qu'il y a signification. Quand on fait seulement un bruit de lèvres, un bruit qui n'a point de sens, comme le bruit qu'on fait en criant sans parler véritablement, on peut dire qu'il y a voix, mais il n'y a point parole. Un gémissement est une voix; un cri plaintif est une voix. La voix est comme un son informe qui retentit aux oreilles sans rien dire à l'entendement; tandis qu'il n'y a parole qu'autant qu'il y a signification, qu'autant qu'on s'adresse à l'intelligence en frappant les oreilles. Je le

 

1. Isaïe, XL, 3-8. — 2. Jean, I, 20, 21, 1, 2, 3.

 

répète, un cri jeté, c'est une voix; mais prononcer les mots homme, troupeau, Dieu, monde, ou tout autre semblable, c'est parler. Car ces émissions de voix signifient quelque chose, elles ont du sens; elles ne sont pas de sains sons qui n'apprennent rien. Si donc vous comprenez cette différence entre la voix et la parole, contemplez-la avec admiration dans saint Jean et dans le Christ.

De plus, séparée même de la voix, la parole peut avoir son. efficacité ; tandis que sans la parole la voix est vaine. Rendons compte de cette proposition, expliquons-la si nous le pouvons. Tu voulais dire quelque chose;ce que tu veux dire est déjà conçu dans fou coeur; ta mémoire le garde, ta volonté se dispose à l'exprimer, c'est une idée vivante de ton intelligence. Mais ce que tu veux dire n'est encore formulé dans aucune langue; cette idée que tu veux émettre, que tu as conçue dans ton esprit n'est encore formulée dans aucune langue, ni grecque, ni latine, ni punique, ni hébraïque, aucune langue enfin; l'idée n'est encore que dans l'esprit, d'on elle se prépare à sortir. Remarquez bien : C'est une idée, c'est une pensée, c'est une raison que conçoit l'intelligence et qui se prépare à s'en échapper pour s'insinuer dans l'esprit de l'auditeur. Or, en tant que connue de celui qui la possède dans son entendement, cette idée est un verbe, une parole ; parole connue de celui qui doit la proférer, mais non de celui qui doit la recueillir. Voilà donc dans l'esprit une parole déjà formée, déjà entière et cherchant à s'en échapper pour se donner à qui l'entendra. Considère à qui il va s'adresser, celui qui a conçu cette parole intérieure qu'il veut manifester et qu'il voit distinctement en lui-même.

Au nom du Christ je veux me faire entendre des esprits cultivés qui sont dans cette église, j'ose même présenter à ceux qui ne sont pas dépourvus de toute instruction, des considérations plus métaphysiques. Que votre charité se rende donc attentive.

Voyez une parole conçue dans l'intelligence, elle cherche à en sortir, elle veut qu'on la profère; on examine à qui on va la porter. Rencontre-t-on un Grec ? On cherche une expression grecque pour la lui faire comprendre. Un Latin ? C'est un terme latin. Un Carthaginois? C'est une expression punique. Supprime ces différents interlocuteurs, et la parole intérieure n'est ni grecque, ni latine, ni (431) punique, ni d'aucune autre langue. Elle a besoin, pour se montrer, d'un son de voix connu de celui à qui on veut l'adresser.

Afin de vous faire parfaitement comprendre, je voudrais, mes frères, vous citer maintenant un exemple : je voudrais exprimer l'idée de Dieu. Cette idée conçue en moi est une idée grande; car ce n'est pas la syllabe, ce n'est pas ce petit mot que j'ai en vue, c'est l'idée même de Dieu. Je considère donc à qui je parle. Est-ce à un Latin? Je prononce : Deus. A un Grec? Theos. Au Latin donc je dis: Deus; au Grec: Theos. Entre ces deux mots il n'y a de différence que le son et les lettres qui le forment; mais dans mon esprit, dans l'idée que je veux exprimer, que je médite, il n'y a ni diversité de lettres, ni variété de sons et de syllabes : c'est la même idée. Pour parler à un latin, il m'a fallu une voix latine; une voix grecque pour m'adresser à un Grec. Pour me faire comprendre d'un Carthaginois, d'un Hébreu, d'un Egyptien, d'un Indien, il m'aurait fallu également des voix différentes. Combien de voix différentes, vu le changement de personnes, n'amènerait pas la même idée à former, sans changer ni sans se modifier en elle-même ! Elle se communique à un Latin sous la forme d'une voix latine, sous une voix grecque à un Grec, hébraïque à un Hébreu.

De plus, tout en parvenant à celui qui écoute, elle ne quitte pas celui qui parle. Est-ce en effet que je n'ai plus en moi ce que je dis à un autre ? En te portant ma pensée, le son qui m'a servi d'intermédiaire te l'a communiquée sans me la ravir. J'avais présente l’idée de Dieu ; tu n'avais pas encore entendu ma voix; mais après l'avoir, entendue tu as commencé à avoir la même idée que moi : l'ai-je perdue en te la donnant? En moi donc, dans mon coeur qui lui donne le mouvement, dans mon esprit qui l'engendre secrètement, la parole existe avant de paraître sous forme de voix. La voix n'est pas encore formée dans ma bouche, et la parole est dans mon intelligence : c'est pour arriver jusqu'à toi que celle conception de mon âme recourt au ministère de ma voix.

4. Si maintenant, soutenu par votre attention et vos prières, je pouvais exprimer ce que je désire, celui qui me comprendrait serait ravi, je pense; pour celui qui ne me comprendra pas, je lui demande d'avoir égard à mes efforts et d'implorer la miséricorde de Dieu. Ce que je dis vient de lui ; je vois bien dans mon esprit ce que j'ai à exprimer ; ce sont les termes, les voix que je cherche avec effort pour le porter à vos oreilles.

Que voulais-je donc dire, mes frères ? que voulais-je dire ? Vous avez bien remarqué, vous comprenez bien que la parole ou l'idée était en mon esprit avant de choisir un terme, une -voix pour arriver jusqu'à vous. Tous comprennent aussi, je pense, que ce qui se fait en moi se produit également dans tous ceux qui parlent. Je sais donc ce que je veux dire, je le possède dans mon esprit, je cherche dés termes pour l'exprimer ; avant que ces termes soient prononcés par ma voix, je possède assurément la parole, la pensée en moi-même. Ainsi la parole est en moi antérieure à la voix; elle existe d'abord, la voix ne vient qu'ensuite. En toi au contraire, c'est l'oreille qui est frappée d'abord du son de ma voix pour porter ma pensée, ma parole à ton esprit. Comment connaîtrais-tu ce qui était en moi avant aucune émission de voix, si ma voix ne l'avait porté jusqu'à toi ?

Ne s'ensuit-il pas, si Jean est la voix, et le Christ la Parole ou le Verbe, que le Christ est antérieur à Jean, mais dans le sein de Dieu, et que Jean parmi nous est antérieur au Christ ? Quel mystère admirable, mes frères! Méditez-le, pénétrez-vous de plus en plus de la grandeur de cette vérité.

Je suis charmé de votre intelligence, elle m'enhardit près de vous, mais avec l'aide de Celui que je prêche, moi si petit et lui si grand, moi un homme quelconque et lui le Verbe de Dieu. Donc, avec son secours je m'enhardis près de vous, et après avoir exposé cette formation et cette distinction de la voix et de la parole ou du verbe, je vais indiquer quelques conséquences.

D'après les mystérieux desseins de Dieu, la voix se personnifiait dans saint Jean: mais seul il n'était pas la voix; car tout homme qui prêche le Verbe est la voix du Verbe, et ce que; la voix de notre bouche est à la pensée conçue dans notre coeur, toute âme pieuse qui prêche le Verbe l'est à ce Verbe dont il est dit : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu; il était en Dieu dès le commencement (1) ». Combien de paroles ou plutôt combien de voix produit

 

1. Jean, I, l, 2.

 

432

 

aussi le Verbe conçu dans notre intelligence ! Combien de prédicateurs a envoyés le Verbe tout en demeurant dans le sein de son Père ! Il a envoyé les patriarches, il a envoyé les prophètes, il a envoyé en si grand nombre les grands hommes qui l'ont fait connaître d'avance: Autant de voix qu'il a fait entendre sans sortir du sein de son Père ; mais après toutes ces voix le Verbe est venu lui-même et tout seul, porté par sa chair, comme par sa voix, comme sur un véhicule sacré. Eh bien ! réunis toutes ces voix qui ont précédé le Verbe, et mets-les dans la personne de Jean. Il en était comme l'incarnation, comme la personnification mystérieuse et sacrée. Si donc il a été seul et spécialement appelé la Voix, c'est qu'il était comme le symbole et la représentation de toutes ces autres voix.

5. Considérez maintenant la portée de ces mots : « Il faut qu'il croisse et que je diminue ». Mais pourrai-je exprimer ma pensée? Pourrai-je même, non pas vous faire comprendre, mais comprendre moi-même de quelle manière, dans quel sens, dans quel but, pour quel motif, la voix elle-même, saint Jean a dit, d'après la distinction que je viens d'établir entre la voix et la parole: « Il faut qu'il croisse et que je diminue (1)? » O mystère profond et admirable ! Contemplez la voix en personne, ce précurseur en qui se résument symboliquement toutes les voix, disant de la personne du Verbe : « Il faut qu'il croisse et que je diminue !» Pourquoi ce langage? Examinez.

L'Apôtre dit : « Nous connaissons partiellement et partiellement nous prophétisons; mais quand viendra ce qui est parfait, alors s'évanouira ce qui est partiel (2) ». Qu'entendre par ce qui est parfait? « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ». Voilà ce qui est parfait. Qu'est-ce encore que ce qui est parfait? Dites-le-nous à votre tour, apôtre Paul. « Il avait la nature même de Dieu et il ne crut pas usurper en se faisant l'égal de Dieu (3) ». Eh bien ! ce Dieu égal à Dieu le Père, ce Verbe de Dieu, qui demeure dans le sein de Dieu et par qui tout a été fait, nous le verrons tel qu'il est, mais à la fin seulement. Pour le moment en effet, comme s'exprime l'Evangéliste saint Jean, « mes bien-aimés, nous sommes les enfants

 

1. Jean, III, 30. — 2. I Cor. XIII, 9, 10. — 3. Philip. II, 6.

 

de Dieu, et ce que nous serons ne se voit pas encore. Nous savons, mes bien-aimés, que nous serons semblables à Dieu, lorsqu'il apparaîtra, parce que nous le verrons tel qu'il est (1) ». Cette vue de Dieu nous est promise; c'est pour y parvenir que nous travaillons à nous instruire et à purifier nos coeurs. « Bienheureux, est-il dit, ceux qui ont le coeur pur, car ils verront Dieu (2) ».

Le Sauveur montrait ici son corps, il montrait à ses serviteurs sa nature de serviteur, après les voix nombreuses dont il s'était fait précéder, il voulut que son corps sacré fût en quelque sorte sa voix spéciale. Un jour qu'on demandait à voir son Père, comme si on l'eût vu lui-même tel qu'il est, lui le Fils égal au Père qui parlait à ses serviteurs sous sa forme de serviteur: « Seigneur, lui dit Philippe, montrez-nous votre Père, et cela nous suffit». C'était le but de tous ses désirs, le terme de ses progrès, et après y être parvenu, il ne lui restait plus rien à ambitionner. « Montrez-nous votre Père, et cela nous suffit ». C'est bien, Philippe, c'est bien, tu comprends à merveille que le Père te suffit. Qu'il te suffit? qu'est-ce à dire? Que tu ne chercheras plus rien au delà; il te comblera, il te rassasiera, il te rendra parfait. Mais examine si Celui qui te parle ne te suffirait pas aussi. Te suffirait-il seul ou conjointement avec son Père? Eh ! comment te suffirait-il seul, puisque jamais il ne se sépare de son Père? A ce désir qu'a Philippe de voir le Père, le Fils va répondre . « Il y a si longtemps que je suis avec vous, et vous ne me connaissez pas encore ? Philippe, qui me voit, voit aussi mon Père (3) ». —Ces mots : «Qui me voit, Philippe, voit aussi mon Père », ne signifient-ils pas. Tu ne m'as donc pas vu, puisque tu cherches à voir mon Père ? « Qui me voit, Philippe, voit aussi mon Père ». Pour toi, tu me vois et tu ne me vois pas. Tu ne vois pas en moi Celui qui t'a fait, mais tu vois ce que je me suis fait pour toi. « Qui me voit, voit aussi mon Père». Pourquoi parle-t-il ainsi, sinon parce qu' « ayant la nature de Dieu, il n'a pas cru usurper en se disant égal à Dieu ». Qu'est-ce que Philippe voyait en lui ? Il voyait qu' « il s'est anéanti en prenant une nature, d'esclave, en devenant semblable aux hommes et en paraissant homme par

 

1. I Jean, III, 2. — 2. Matt. V, 8. — 3. Jean, XIV, 8, 9.

 

433

 

l'extérieur (1) ». Voilà ce que voyait Philippe, la nature d'esclave, avant de devenir capable de voir en lui la nature de Dieu.

N'oublions pas que Jean était la personnification de toutes les voix, et le Christ, la personnification du Verbe. Or il est nécessaire que toutes les voix diminuent à mesure que lions devenons aptes à voir le Christ. N'est-il pas vrai que tu as d'autant moins besoin du secours de la voix d'autrui; que tu t'approches davantage de la contemplation de la sagesse? La voix est dans les prophètes ; elle est dans les Apôtres, dans les psaumes, dans l'Evangile. Advienne ce Verbe qui était au commencement, qui était en Dieu, qui était Dieu. Lorsque nous le verrons tel qu'il est, lira-t-on encore l'Evangile? écouterons-nous encore les prophéties? étudierons-nous encore les Epîtres es Apôtres? Pourquoi non? Parce que les voix se taisent quand le Verbe grandit : « Il faut qu'il croisse et que je diminue». Sans

 

1. Philip. II, 6, 7.

 

doute, considéré en lui-même, le Verbe ne croît ni ne déchoît. Mais en nous on peut dire qu'il croît, lorsque nos progrès dans la vertu nous élèvent vers lui. C'est ainsi que la lumière croît dans les yeux, lorsqu'en guérissant, les yeux voient plus qu'ils ne voyaient étant malades. Oui, la lumière était moindre dans les yeux souffrants que dans les yeux guéris, quoiqu'en elle-même elle n'ait pas diminué d'abord ni augmenté ensuite.

On peut donc dire que l'utilité de la voix diminue à mesure qu'on s'approche davantage du Verbe. Dans ce sens il faut que le Christ croisse et que Jean diminue. C'est ce qu'indique aussi la différence de leur mort. Jean décapité a été comme raccourci ; le Christ élevé en croix a en quelque sorte grandi. C'est ce que rappellent encore les jours de leur naissance; car à dater de la naissance de Jean les jours commencent à diminuer, et ils recommencent à augmenter à partir de la Nativité du Christ.

SERMON CCLXXXIX. NATIVITÉ DE SAINT JEAN-BAPTISTE. III. LE FLAMBEAU DU CHRIST.
 

ANALYSE. — La naissance de saint Jean ayant été accompagnée de tant de merveilles, ce n'est pas sans raison qu'on la célèbre avec tant de solennité. Mais je voudrais pouvoir vous faire comprendre aujourd'hui ma pensée. — Sans doute il n'y a point de comparaison à établir entre le Christ et saint Jean. Toutefois le Christ lui-même a enseigné que saint Jean est le plus grand de tous les hommes. Aux yeux même de ses contemporains il était si grand qu'on se demandait s'il n'était pas le Christ. Mais saint Jean répondit qu'il n'en était que la voix, qu'il n'était qu'un homme mortel et fragile, tandis que le Christ, comme Verbe de Dieu; subsiste éternellement. N'était-ce pas montrer les grandeurs du Messie, en être le flambeau, selon l'expression Messie lui-même ? Par lui-même et par ses actes il mérita encore ce titre de flambeau. En effet, s'il était le plus grand des hommes, quand on le voyait s'humilier si profondément aux pieds de Jésus, que devait-on penser de Jésus, sinon que Jésus était plus qu'un homme, qu'il était Dieu? — Toutefois saint Jean n'est pas seul un flambeau ; les Apôtres sont aussi des flambeaux, des flambeaux élevés sur le chandelier, sur la croix, car ils nous prêchent le renoncement au monde et l'amour des souffrances. Montrons-nous dociles à leurs leçons.

 

1. Le motif qui réunit aujourd'hui cette grande assemblée est la nativité de saint Jean-Baptiste, dont l'Evangile vient de nous redire conception et la naissance merveilleuses. Quel éclatant prodige, mes frères ! La mère de tint Jean était tout à la fois stérile et fort avancée en âge ; son père aussi était un vieillard, et ni l'un ni l'autre ne pouvaient plus espérer de postérité; mais comme il n'y a rien d'impossible à Dieu, un fils leur fut promis. Le père ne crut pas, et pour avoir manqué de foi il perdit l'usage de la parole. Déjà en effet il (434) était écrit : « J'ai cru, c'est pourquoi j'ai parlé (1) » ; et lui n'ayant pas cru ne parla pas.

Vers la même époque une Vierge conçut aussi : c'était un miracle de premier ordre et bien plus grand encore que celui-là. Si une femme stérile devient mère du héraut, une Vierge le devient du Juge. Jean naît d'un père et d'une mère ; le Christ, d'une mère seulement. Voudrions-nous comparer Jean au Christ ? Nullement, ce n'est pas sans raison toutefois qu'un si grand homme a précédé un personnage si grand. Ah ! si le Seigneur notre Dieu daignait bénir et rendre efficaces mes efforts, si je pouvais expliquer ce que je sens, ni ma misère n'échouerait, ni votre attente ne serait frustrée. Si cependant je ne puis rendre mes impressions, le Seigneur notre Dieu y suppléera dans vos coeurs, et vous accordera ce qu'il aura refusé à ma faiblesse. La raison pour laquelle je jette en avant ces réflexions, c'est que je sais, et non pas vous, ce que je voudrais dire; c'est que je sens toute la difficulté d'exposer clairement mon idée. Je devais vous en prévenir afin que tout en me prêtant une grande attention vous puissiez prier pour moi.

2. Elisabeth a conçu un homme, Marie en a conçu un; Elisabeth est devenue la mère de Jean, Marie, la Mère du Christ ; le fils d'Elisabeth n'est qu'un homme, le Fils de Marie est Dieu et homme. O merveille ! comment une créature a-t-elle pu concevoir son Créateur ? Ici donc, mes frères, dans Celui qui emprunte un corps à sa Mère seulement, ne faut-il pas reconnaître Celui qui a formé le premier homme sans lui donner ni père ni mère ? Notre chute première date du moment où la femme qui nous a fait mourir, reçut dans son coeur le poison du serpent ; car le serpent la portant au péché, elle s'abandonna à ce perfide. Si notre première chute vient de ce qu'une femme a reçu dans son coeur le poison du serpent, est-il étonnant que notre salut vienne de ce qu'une femme aussi a conçu dans son sein le corps du Tout-Puissant ? Chaque sexe étant tombé, il fallait les relever tous deux. Une femme était l'auteur de notre perte, une femme devint pour nous le principe du salut.

3. Mais pourquoi saint Jean ? Pourquoi intervient-il ici ? Pourquoi l'envoyer en avant ? Je le dirai si je puis.

 

1. Ps. CXV, 10.

 

Jésus-Christ Notre-Seigneur disait de lui « Parmi les enfants des femmes nul ne s'est élevé au-dessus de Jean-Baptiste (1) ». Si donc on compare Jean aux autres hommes, il l'emporte sur tous, et pour l'emporter sur lui il n'y a que l'Homme-Dieu. Jean précède le Christ; et il y a en lui tant de grandeur, tant de grâce, qu'on le prend pour le Christ. Alors en effet les Juifs attendaient l'avènement du Christ, promis dans les ouvrages des prophètes qu'ils avaient entre les mains. Hélas ! ils l'attendaient quand il était absent, et présent ils le mirent à mort; ils ne voulurent pas le reconnaître et disparurent, tandis que lui se maintint avec son empire, Tous cependant ne lui manquèrent point, et beaucoup d'entre eux crurent en lui. Au milieu de cette attente où ils étaient du Christ, voyez éclater la gloire de Jean. Comme on remarquait en lui une grâce extraordinaire, comme il donnait le baptême de la pénitence et que semblable aux courriers envoyés en avant, il préparait la voie au Seigneur, les Juifs envoyèrent lui demander : « Qui êtes-vous ? Etes-vous Elie ou un prophète, ou bien êtes-vous le Christ ? — Je ne suis, répondit-il, ni le Christ, ni Elie, ni un prophète. — Qui êtes-vous donc ? — Je suis la voix de Celui qui crie dans le désert (2)». Ainsi lorsque les Juifs lui demandaient qui il était et commençaient à croire qu'il était le Christ, il répondit : « Je suis la voix de Celui qui crie dans le désert ».

Si vous étiez attentifs, vous avez remarqué le passage du prophète qu'on a lu d'abord; il y est dit : « Voix de Celui qui crie dans le désert : Préparez la voie au Seigneur, rendez droits ses sentiers. Toute vallée sera comblée ; toute montagne et toute colline abaissée, les tortuosités seront redressées et les aspérités aplanies, et toute chair verra le Salut de Dieu ». Le Seigneur dit ensuite par l'organe du prophète : « Crie. Je repris: Que crierai-je ? » Le Seigneur continue: « Toute chair n'est que de l'herbe, et tout l’éclat de la chair n'est que comme une fleur des champs. L'herbe s'est desséchée et la fleur est tombée, mais le Verbe du Seigneur subsiste éternellement (3) ». Ainsi donc quand saint Jean disait : « Je suis la voix de Celui qui crie dans le désert : Préparez la voie au

 

1. Matt. XI, 11. — 2. Jean, I, 21-23. — 3. Isaïe, XL, 3-8.

 

435

 

Seigneur », c'était comme s'il avait tenu ce langage : C'est de moi que le prophète a prédit que je crierais dans le désert. Le rôle de Jean est donc aussi de dire : « Toute chair n'est que de l'herbe, et tout l'éclat de la chair n'est que comme la fleur des champs. L'herbe s'est desséchée et la fleur est tombée, mais le Verbe de Dieu subsiste éternellement »: Ce Verbe est conçu dans le sein d'une Vierge, et une voix le fait retentir au milieu du désert.

Quand la voix ne fait pas entendre une parole ou un verbe, elle n'est qu'un bruit qui retentit aux oreilles; est-elle même un bruit véritable ? Toute parole est une voix, mais toute voix n'est pas une parole. Qu'un homme ouvre la bouche et crie de toutes ses forces, il fait entendre une voix, non pas une parole. Quand la voix prend-elle le nom de parole ? Quand la voix exprime une idée, elle prend le nom de parole. Supposons que ma voix ne se fasse pas encore entendre ; je veux cependant dire quelque chose,: la parole est alors dans mon esprit; la parole est dans mon esprit, quand la voix n'est pas encore dans ma bouche. Par conséquent la Parole peut exister indépendamment de la voix, et la voix indépendamment de la parole. Mais unis la voix à la parole ; la parole alors se manifeste.

Par rapport à Marie, qu'est-ce que le Christ ? La Parole cachée. Une voix vient de se faire entendre devant cette Parole. Qu'est-ce que Jean? «La voix de Celui qui crie dans le désert ». Qu'est-ce que le Christ? « Au commencement était le Verbe (1)». Et toi, ô voix? Et toi, mortel? « Toute chair n'est que de l'herbe, et toute la gloire de l'homme n'est que comme  la fleur des champs. L'herbe s'est desséchée, et la fleur est tombée; mais la Parole du  Seigneur subsiste éternellement ». Attache-toi à cette Parole, car le Verbe est pour toi devenu de l'herbe. Le Christ est le Verbe incarné.

Ah ! puisque    «toute   chair n'est que de l'herbe, et » puisque « tout l'éclat de la chair ressemble à la fleur des champs», dédaignons les biens présents et portons vers l'avenir nos

espérances. « Toute vallée sera remplie» toute humilité sera élevée : « toute montagne et toute colline sera abaissée » : tout orgueil sera déprimé. Abats les montagnes, comble les vallées, tu obtiens une plaine.

 

1. Jean, I, 1.

 

Donne-moi des riches et des hommes qui brillent de tout l'éclat de l'herbe; qu'ils prêtent l'oreille à ces mots : « Dieu résiste aux superbes, et il donne aux humbles sa grâce (1) ». Donne-moi des pauvres découragés, qui aient conscience de leur faiblesse : qu'ils ne désespèrent point, qu'ils croient en Celui qui est venu pour tous les hommes. Que les uns donc s'élèvent et que les autres s'abaissent. Que Celui qui doit venir trouve.ainsi une plaine et non des pierres où il se heurte le pied. C'est pour écarter ces obstacles que saint Jean disait : « Préparez la voie au Seigneur»; au Seigneur et non au serviteur.

4. Pourtant « n'es-tu pas le Christ? » poursuivent les Juifs. Si Jean n'était pas une de ces vallées qu'il faut combler, mais une montagne à abattre, quelle occasion pour lui de tromper! Quand on l'interrogeait, c'était pour ajouter foi à sa réponse; car on avait tant d'admiration pour la grâce qui éclatait en lui, qu'on croyait sans hésitation ce qu'il disait. Il pouvait donc alors tromper aisément le genre humain; on l'aurait cru, s'il avait dit : Je suis le Christ. Mais en se parant d'un titre étranger, il aurait perdu son propre mérite. D'ailleurs, s'il s'était vanté d'être le Christ, ne se serait-il pas dit lui-même : Pourquoi t'élever ainsi? «Toute chair n'est que de l'herbe, et son éclat ressemble à la fleur des champs. L'herbe s'est desséchée et la fleur est tombée». Sache que « ce qui demeure éternellement, c'est le Verbe  du Seigneur».

Ainsi Jean se connaissait, et c'est avec raison que le Seigneur l'a nommé un flambeau. « Il  était un flambeau ardent et luisant, disait de Jean-Baptiste le Sauveur même ; et vous avez voulu un moment vous réjouir à sa lumière (2) ». Que dit de lui toutefois Jean l'Evangéliste? « Il y eut un homme envoyé de Dieu; il se nommait Jean. Il vint en témoignage, pour rendre témoignage à la lumière. Il n'était pas la lumière». Qui n'était pas la lumière? Jean-Baptiste. Qui dit cela? Jean l'Evangéliste. « Il n'était pas la lumière, mais il vint pour rendre témoignage à la lumière». Comment ! de celui dont la Lumière dit elle-même : « Il était un flambeau ardent et luisant», tu dis : « Il n'était pas la lumière? » — Mais je sais, répond l'Evangéliste, de quelle lumière j'entends parler; je sais en

 

1. Jacq. IV, 6. — 2. Jean, V, 35.

 

436

 

comparaison de quelle lumière un flambeau n'est pas lumière. Ecoute ce qui suit : «Celui-là était la vraie lumière, qui éclaire tout homme venant en ce monde (1) ». Ce n'est pas Jean, c'est le Christ qui éclaire tous les hommes. Aussi pour ne s'éteindre pas au souffle de l'orgueil, Jean reconnut-il qu'il n'était qu'un flambeau. Un flambeau peut s'allumer et s'éteindre : le Verbe de Dieu ne peut s'éteindre jamais, un flambeau le peut toujours.

5. Le plus grand des hommes a donc été envoyé pour rendre témoignage à Celui qui est plus qu'un homme. Quand en effet celui que nul ne surpassa parmi les enfants des femmes, s'écrie: « Je ne suis pas le Christ », et que devant le Christ il s'humilie, c'est que sûrement le Christ est plus qu'un homme. Veux-tu aller à Jean, le plus grand des hommes? Mais le Christ est plus qu'un homme. Ainsi donc en voyant le précurseur, cherche le Juge; crains le Juge en entendant la voix de son héraut. Jean est un envoyé; il a prédit l'apparition prochaine du Messie. Quel témoignage lui rend-il? Ecoute : « Je ne mérite pas, dit-il, de dénouer les courroies de sa chaussure (2)». — Comprends-tu bien, ô homme, ce que tu ferais alors? — « Quiconque s'abaisse sera élevé (3)». — Que dit-il encore du Christ? « Nous avons tous reçu de sa plénitude (4)». Tous, qu'est-ce à dire? C'est que patriarches, prophètes ou apôtres sacrés, envoyés avant ou après l'Incarnation, « nous avons tous reçu de sa plénitude ». Nous sommes . comme des vases; il est lui, la Fontaine.

Si donc nous avons bien compris ce mystère, Jean, mes frères, n'est qu'un homme, et le Christ est Dieu. Que l'homme donc s'humilie; c'est Dieu qui doit être élevé. Pour apprendre à l'homme à s'humilier, Jean est né le jour où commencent à décroître les jours; et pour enseigner qu'il faut exalter Dieu, le Christ est né le jour où les jours commencent à croître. Mystère profond ! Si nous célébrons la naissance de Jean comme celle du Christ, c'est que cette naissance aussi est remplie d'enseignements sacrés. De quels enseignements? De ceux qui nous montrent en quoi consiste notre grandeur. Afin de croître divinement, diminuons humainement. Humilions-nous en nous-mêmes pour grandir en

 

1. Jean, I, 6-9. — 2. Ib. I, 27. —  3. Luc, XIV, 11. — 4. Jean, I, 16.

 

Dieu. Les morts différentes de Jean et du Christ nous montrent aussi cette grande vérité d'une manière frappante. Pour dire à l'homme de diminuer, Jean a perdu la tête; pour lui dire aussi combien il doit exalter Dieu, le Christ a été élevé en croix. Jean a été envoyé pour nous servir de modèle et pour nous attacher au Verbe. Tant que puisse se vanter l'orgueil humain, si éminente que soit la sainteté dont il se flatte, qui jamais égalera Jean ? Toi qui t'estimes grand, jamais, qui que tu sois, tu ne seras ce qu'il était. Il n'était pas né encore, et déjà par son tressaillement dans le sein maternel il prédisait la prochaine naissance du Seigneur. Est-il rien de plus sublime que cette sainteté? Imite-la, écoute ce qu'il dit du Christ : « Nous avons tous reçu de sa plénitude». C'est le flambeau qui te montre durant la nuit la source où lui-même a bu : « Nous avons tous reçu de sa plénitude. — Nous tous » : il est la Fontaine, nous sommes des vases; il est le Jour, nous sommes des flambeaux. Triste faiblesse humaine ! c'est avec un flambeau qu'on cherche le jour.

6. Mais les Apôtres sont aussi, mes frères, des flambeaux de ce jour. Ne vous imaginez point que Jean seul était un flambeau à l'exclusion des Apôtres. Le Seigneur ne dit-il pas à ceux-ci: « Vous êtes la lumière du monde? » Ils ne devaient pas toutefois se croire lumière au même titre que Celui dont il écrit: « Celui-là était la lumière véritable qui éclaire tout homme venant en ce monde » ; aussi le Sauveur s'empresse-t-il de leur enseigner quelle est la vraie lumière. Après avoir dit : «Vous êtes la lumière du monde » ; il ajoute: «Nul n'allume un flambeau pour le mettre sous le boisseau ». Si j'ai dit que vous êtes lumière, j'entendais par là un flambeau; gardez-vous donc de tressaillir d'orgueil, pour ne pas éteindre cette petite flamme. Je ne veux pas vous mettre sous le boisseau; mais pour que vous répandiez la clarté vous serez sur le chandelier. Quel est ce chandelier? Apprenez-le, et pour y être placés soyez des flambeaux. La croix du Christ est comme un grand chandelier. Celui qui veut répandre la lumière ne doit pas rougir de ce chandelier de bois.

Veux-tu comprendre que le chandelier est réellement la croix du Christ? Prête l'oreille : « Nul n'allume un flambeau pour le placer sous le boisseau; on le met sur un chandelier pour éclairer tous ceux qui sont dans la (437) maison. Que votre lumière brille donc devant les hommes de manière qu'ils voient vos bonnes oeuvres et qu'ils glorifient» , non pas toi, car en cherchant à te glorifier tu cherches à t'éteindre; «mais votre Père qui est dans les cieux (1)». Que vos bonnes oeuvres servent ainsi à faire glorifier votre Père. Vous n'avez pu, pour devenir des flambeaux, vous; allumer vous-mêmes ni vous placer, sur le chandelier; faites donc glorifier Celui qui vous a accordé cette faveur.

Ecoute aussi l'apôtre saint Paul, écoute ce flambeau qui pétille en quelque sorte sur la croix. « A Dieu ne plaise », dit-il (ici applaudissent ceux qui connaissent la suite du texte) «à Dieu ne plaise », quoi? « que je me glorifie dans autre chose que dans la croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ». Je me glorifie d'être sur le chandelier; si on me l'ôte, je tombe. « A Dieu ne plaise que je me glorifie d'autre chose que de la croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui le monde m'est crucifié comme je le suis au monde (2)». Vous venez d'applaudir, de montrer vos bonnes

 

1. Matt. V, 14-16. — 2. Gal. VI, 14.

 

dispositions. Que le monde vous soit donc crucifié et soyez vous- mêmes crucifiés au monde. Qu'est-ce à dire? Ne demandez point la félicité au monde; abstenez-vous du bonheur du monde. Le monde vous flatte, évitez ce corrupteur; il vous menace, ne redoutez point cet ennemi. Ne te laisses-tu corrompre ni par les biens ni par les maux du monde? Le monde t'est crucifié et tu l'es au monde. Sois heureux d'être sur le chandelier; pour n'y pas perdre ton éclat, ô flambeau, conserves-y toujours l'humilité; prends garde que l'orgueil ne vienne à t'éteindre. Garde avec soin ce que tu es devenu, pour te glorifier de Celui qui t'a fait ce que tu es. Qu'étais-tu en effet, ô homme? Qui que tu sois, ô homme, considère ce que tu étais en naissant. Fusses-tu noble de naissance, tu étais tout nu en venant au monde qu'est-ce donc que la noblesse? Le pauvre et le riche sont également nus à leur naissance. Pour être noble d'origine, vis-tu autant qu'il te plaît? C'est à ton insu que tu es entré dans la vie, et malgré toi que tu en sors. Regarde enfin dans les tombeaux; y distingueras-tu les ossements des riches?

SERMON CCXC. NATIVITÉ DE SAINT JEAN-BAPTISTE. IV. RAPPORTER TOUT A DIEU.
 

ANALYSE. — Si Dieu a fait de saint Jean-Baptiste le plus grand des hommes, c'était pour qu'en s'abaissant devant le Christ il montrât visiblement que le Christ est plus qu'un homme. Si Zacharie est châtié pour avoir prononcé à peu près les mêmes paroles que Marie, c'est que Dieu voyait dans les deux coeurs des intentions bien différentes. Si enfin Marie est si grande et si sainte, c'est à la grâce de Dieu qu'elle en est redevable, et elle-même proclame que c'est aux humbles que Dieu accorde cette On, tandis qu'il rejette les orgueilleux. Tout donc nous prouve dans ce mystère qu'il faut tout rapporter à Dieu, éviter avec soin l'orgueil des Pharisiens et l'orgueil plus grand encore des Pélagiens actuels.

 

1. Saint Jean, non pas saint Jean l'Evangéliste, mais saint Jean-Baptiste, a été envoyé devant le Christ pour lui préparer les voies. Voici le témoignage que le Christ rend à Jean. « Nul d'entre les enfants des femmes ne s'est élevé au-dessus de Jean-Baptiste (1) ». Voici d'autre part le témoignage que Jean rend au Christ : « Celui qui vient après moi est plus grand que moi, et je ne mérite pas de dénouer les courroies de sa chaussure (2) ». Examinons ces deux témoignages, celui que rend le Seigneur au serviteur, et celui que le serviteur rend au Seigneur.

Quel est le témoignage rendu par le Seigneur

 

1. Matt. XI, 11. — 2. Jean, I, 27.

 

438

 

à son serviteur ? « Parmi les enfants des femmes, nul ne s'est élevé au-dessus de Jean-Baptiste ». Et quel est le témoignage rend a par le serviteur à son Seigneur ? « Celui qui vient après moi est plus grand que moi ». Mais si aucun des enfants des femmes n'est plus grand que Jean-Baptiste, que doit-on penser de Celui qui est plus grand que. lui ? Jean est un grand homme, après tout ce n'est qu'un homme si le Christ est plus grand encore que Jean, c'est qu'il est Dieu et homme tout ensemble.

Tous deux sont nés d'une manière admirable, tous deux, savoir: le héraut et le Juge, le flambeau et le Jour, la voix et le Verbe, le serviteur et le Seigneur. C'est dans un sein stérile, avec le concours d'un père déjà vieillard et d'une mère qui depuis longtemps avait passé l'âge, que le Seigneur se forma un serviteur; et c'est dans le sein d'une Vierge, sans le concours d'aucun père, que le Seigneur se forma un corps, lui qui avait formé le premier homme sans le concours d'aucun père ni d'aucune mère. « Parmi les enfants des femmes nul ne s'est élevé plus haut que Jean-Baptiste ». Jean paraissait si grand que plusieurs le prenaient pour le Christ. Mais l'orgueil ne le porta point à adopter cette erreur étrangère, il ne se permit point de dire : Je suis ce que vous pensez ; mieux inspiré, il reconnut son néant jusqu'à se prosterner aux pieds du Seigneur, jusqu'à parier en serviteur des courroies de sa chaussure Humble flambeau, il ne voulait point s'éteindre au souffle de l'orgueil.

2. Aussi comme il était destiné, dès sa naissance, à révéler un grand mystère, il est le seul juste dont l'Eglise célèbre la nativité. On célèbre bien la naissance du Seigneur, mais c'est le Seigneur. Montrez-moi parmi les patriarches , parmi les prophètes , parmi les Apôtres, un serviteur de Dieu autre que saint Jean, dont l'Eglise du Christ solennise la naissance. Il en est plusieurs dont nous honorons le martyre ; Jean est le seul dont nous fêtions le jour natal.

Vous avez remarqué, pendant la lecture de l'Evangile, dans quel ordre sont nés, l'un et l'autre, le précurseur et le Souverain, ou, comme je viens de dire, le héraut et le Juge, la voix et le Verbe. L'ange Gabriel annonce la naissance de Jean, le même ange Gabriel annonce l'avènement de Jésus-Christ Notre-Seigneur. L'un précède, l'autre le suit; l'un précède en obéissant, l'autre le suit en le dirigeant; car s'il lui est postérieur par l'âge, il lui est bien supérieur par l'autorité. Jean en effet n'a-t-il pas été créé par le Christ? Le Christ aussi n'a-t-il pas été créé après Jean, et n'est-il pas ainsi Créateur et créé, Créateur avant l'existence de sa Mère, Créateur de sa Mère et créé dans le sein de sa Mère ? Pourquoi dire qu'il est Créateur avant l'existence de sa Mère ? Parce que lui-même a dit, au rapport de l'Evangile: « Je suis avant Abraham (1) » ; écoutez ou lisez cela. C'est peu de dire que dès avant Abraham il était Créateur; il l'était avant l'existence d'Adam, avant la formation du ciel et de la terre, avant la création de tous les anges et de toutes les créatures spirituelles, soit Trônes, soit Dominations, soit Principautés, soit Puissances, de tout enfin. Effectivement, « au commencement était » et ne fut pas fait « le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ; il était en Dieu dès le commencement. Tout a été fait par lui (2) ». Si c'est tout, ce sont donc les choses visibles et invisibles, le ciel et la terre et la Vierge Marie; puisque la Vierge Marie, elle aussi, a été formée de terre, et qu'ainsi le Christ qui a formé la terre a été formé de terre lui-même. Aussi « la Vérité s'est-elle élevée de terre (3) ».

3. Je voudrais donc rappeler brièvement à votre charité quel est notre grand mystère, Beaucoup devaient s'imaginer que le Christ n'était qu'un homme, qu'il n'était rien de plus. C'est pour ce motif qu'un grand homme, que le plus grand des hommes, que Jean lui rendit témoignage en se soumettant à lui, en s'abaissant, en s'humiliant devant lui. Combien ne se serait-il pas humilié, s'il avait dit de lui-même qu'il méritait de dénouer les courroies de sa chaussure ! Soyez attentifs, car c'est ici le grand mystère. Combien donc Jean se serait humilié s'il s'était reconnu digne de cette fonction ! Que penser de lui quand il proclame qu'il n'en est pas digne? C'est pour ce motif qu'on a distingué le jour de sa naissance et qu'il a été recommandé à l'Eglise d'en faire la fête.

4. Néanmoins, si grande que soit la différence entre les deux mères, puisque l'une est Vierge et que l'autre est une femme stérile, puisque l'une a enfanté par l'opération du

 

1. Jean, VIII, 58. — 2. Jean, I, 1-3. — 3. Ps. LXXXIV, 3.

 

439

 

Saint-Esprit le Fils même de Dieu, Notre-Seigneur, et que l'autre a conçu de son vieil époux le précurseur du Seigneur ; en voici une autre que je vous prie de considérer:

Zacharie manqua de foi. Comment en manqua-t-il? Il demanda, à l'Ange un moyen de s'assurer de la vérité de sa promesse, attendu qu'il était vieux déjà et que sa femme était fort avancée en âge. L'ange alors lui répondit : « Voilà que tu seras muet et que tu ne pourras parler jusqu'au jour où ces choses arriveront, parce que tu n'as pas cru à mes paroles, qui s'accompliront en leur temps». Le même ange arrive près de Marie, il lui annoncé que d'elle doit naître le Christ incarné, et Marie fait une réponse analogue. En effet, Zacharie demande : « Comment m'assurer de cela ? car je suis un vieillard, et a mon épouse est fort avancée en âge » . L'ange lui répond : « Voilà que tu seras muet, et tu ne pourras parler jusqu'au jour où ces choses s'accompliront, attendu que tu n'as point a cru à mes paroles ». Puis, en punition de son manque de foi, Zacharie devient muet. Qu'est-ce que le prophète avait dit de Jean: « Voix de Celui qui crie dans le désert (1) ». Zacharie devient donc muet quand il doit engendrer la voix ! Il est muet pour n'avoir pas cru; il était juste qu'il le fût jusqu'à ce que naquît la voix. S'il a été dit avec raison, ou plutôt comme il a été dit avec raison : « J'ai cru, c'est pourquoi j'ai parlé (2) » ; puisqu'il ne croyait point, il ne devait point parler. Cependant, Seigneur, je vous en prie, je vous en conjure conjointement avec ceux qui m'écoutent, ouvrez-nous, montrez-nous comment résoudre la question suivante. Zacharie demande à l'ange de quelle manière il peut s'assurer de ce qui vient de lui être annoncé, car il est vieux et son épouse est fort avancée en âge ; on lui répond : « Parce que tu n'as point cru, tu seras muet ». On annonce à la Vierge Marie la naissance du Christ ; elle aussi interroge sur le moyen, et elle dit à l'ange : «  Comment cela se fera-t-il? car je ne connais point d'homme ». L'un dit : « Comment m'assurer de cela? car je suis vieux, et mon épouse est fort avancée en âge » . L'autre : « Comment cela se fera-t-il? Car je ne connais point d'homme » . Eh bien ! au premier il est répondu: Tu seras muet pour

 

1. Isaïe, XL, 3. — 2. Ps. CXV, 10.

 

avoir manqué de foi; quant à la seconde, au lieu de lui imposer silence, on lui fait connaître le moyen. « Comment cela se fera-t-il? car je ne connais point d'homme », dit-elle. Et l'ange reprend : « L'Esprit-Saint surviendra en vous, et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre ». Voilà comment s'accomplira ce que vous demandez; voilà comment vous deviendrez mère sans connaître aucun homme; voilà le moyen : c'est que « l'Esprit-Saint surviendra en vous et que la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre ». A l'ombre d'une telle sainteté, ne crains pas les ardeurs de la passion.

Pourquoi cette différence? Si nous examinons les paroles, il semble que tous deux, Zacharie et Marie, ont également cru ou douté également. Mais si nous pouvons écouter les paroles, Dieu peut aussi interroger les coeurs.

5. Nous le comprenons, mes très-chers, quand Zacharie dit à l'ange : « Comment m'assurerai-je de cela? car je suis vieux, et mon épouse est fort avancée en âge », il ne cherchait pas à s'instruire, il exprimait son incrédulité ; mais quand Marie dit au contraire : « Comment cela se fera-t-il? car je ne connais point d'homme », elle ne se défiait pas, elle demandait des renseignements, elle questionnait, mais elle ne doutait pas de la promesse qui lui était faite.

Ah ! elle était vraiment pleine de grâce; aussi bien l'ange lui dit-il en l'abordant : « Je vous salue, pleine de grâce ». Qui parlerait convenablement de cette grâce? Qui suffirait à en rendre grâces ? L'homme est créé, puis il périt victime de son libre arbitre; le Créateur ensuite se fait homme, pour ne laisser pas périr entièrement l'homme fait par lui. Celui qui dès le commencement est le Verbe de Dieu, Dieu dans le sein de Dieu et le Créateur de toutes choses, celui-là se fait chair. « Le Verbe s'est fait chair et il a habité parmi nous (1)». Le Verbe donc se fait chair, en ce sens que la chair s'unit au Verbe, et non point en ce sens que le Verbe disparaisse dans la chair. O grâce divine ! Etions-nous dignes, hélas ! d'un tel bienfait?

6. Mais considérez ce que dit cette sainte Vierge, ce que dit Marie avec la foi, avec la grâce dont elle est pleine, elle qui doit demeurer

 

1. Jean, I, 14.

 

440s

 

vierge tout en devenant Mère. Que dit-elle parmi tant de vérités dont il nous serait trop difficile de parler en détail? Que dit-elle? « Il a rempli de biens les affamés et renvoyé les riches les mains vides (1)». Qu'entendre ici par les affamés? Les humbles, les pauvres. Et par les riches? Les orgueilleux, les superbes.

Nous n'irons pas chercher au loin : maintenant encore voyez dans le même temple un de ces riches que Dieu renvoie les mains vides, et un de ces pauvres qu'il remplit de biens. « Deux hommes montèrent au temple pour y prier. L'un était pharisien, et l'autre publicain. Le pharisien disait ». Que disait-il? Ecoute ce riche plein de lui-même et exhalant le rassasiement de l'orgueil et non de la justice : « Dieu, dit-il, je vous rends grâces de ce que je ne suis point comme les autres hommes qui sont voleurs, injustes, adultères, ni comme ce publicain. Je jeûne deux fois la semaine; je donne la dîme de tout ce que je possède». Es-tu venu pour prier ou pour te louer? Tu prétends avoir tout, et ne te croyant pas dans le besoin, tu ne demandes rien. Comment dire que tu es venu prier? « Seigneur, je vous rends grâces ». Il ne dit pas : Seigneur, faites-moi grâce. « Car je ne suis pas comme les autres hommes, qui sont voleurs, injustes, adultères ». Il n'y a donc que toi de juste? « Ni comme ce publicain ». C'est une insulte plutôt qu'un tressaillement de joie. « Je jeûne deux fois la semaine, je donne la dîme de tout ce que je possède ». O riche ! que tu as besoin d'être appauvri ! Viens, pauvre; viens, publicain; ou plutôt reste où tu es. Car « le publicain se tenait éloigné ». Mais le Seigneur s'approchait de cet humble. « Il n'osait pas même lever les yeux au ciel ». Mais il avait le coeur là où il n'osait lever les yeux. « De plus il se frappait la poitrine en disant: Seigneur, prenez pitié de moi, qui suis un pécheur ». O affamé, tu seras rempli de biens.

 

1. Luc, 1.

 

7. Seigneur, vous avez ouï la double plaidoierie ; prononcez la sentence. Vous, mes frères, écoutez cette sentence qui décide entre les parties. Le condamné n'en appelle point, car il n'est personne à qui il puisse en appeler. Il n'en appelle pas du Fils au Père; attendu que « le Père ne juge personne; il a remis tout jugement au Fils (1) ». Que la Vérité prononce donc entre les parties. «En vérité je vous le déclare, dit-elle, celui-ci sortit du temple justifié, plutôt que le pharisien ». Pourquoi, je vous le demande? Où est sa justice ? Veux-tu le savoir? « Parce que quiconque s'exalte sera humilié, et quiconque s'humilie sera exalté (2) ». Par qui sera exalté celui qui s'humilie, et humilié celui qui s'exalte ? Par Celui « qui remplit de biens les affamés et qui renvoie les riches avec les mains vides ».

Va maintenant et vante tes richesses; flatte-toi et t'écrie : Je suis dans l'opulence; et dans quelle opulence, puisque je suis juste, si je veux l'être, comme je ne le suis pas, si je n'y aspire point ! Il dépend de moi d'être juste ou de ne l'être pas. N'entends-tu pas ces paroles d'un psaume : « Ceux qui se confient dans leur vertu (3) ? » Ainsi c'est Dieu qui t'a donné le corps, les sens, l'âme, l'esprit, l'intelligence; et c'est toi qui te donnes la justice? Sans la justice, qu'est-ce que le corps et les sens, qu'est-ce que l'âme, l'esprit et l'intelligence? N'est-il pas vrai que sans la justice tout cela ne fera que te conduire au supplice? Ainsi, Dieu t'aurait donné ce qu'il y a de moindre en toi, et tu serais assez riche pour te donner ce qu'il y a de plus précieux? Mauvais riche, ah ! mauvais riche, tu seras appauvri, si toutefois tu possèdes ce que tu prétendais posséder. « Qu'as-tu en effet que tu ne l'aies reçu (4)? » Comment, tu n'as pas même appris, de ce pharisien orgueilleux et opulent, à rendre grâces à Dieu de ce que tu prétendais avoir?

 

1. Jean, V, 22. — 2. Luc,  XVIII, 10-14. — 3. Ps. XLVIII, 7. — 4. I Cor. IV, 7.
 
 
 

source: http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin/index.htm

www.JesusMarie.com