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Saint Augustin d'Hippone
Sermons

SERMON CCXCI. NATIVITÉ DE SAINT JEAN-BAPTISTE. V. TOUT RAPPORTER A DIEU.
 

ANALYSE. — De même que les merveilles qui éclatent à la naissance de saint Jean sont destinées à mettre davantage en relief les grandeurs de Jésus-Christ, ainsi la conduite de Zacharie en face de l'ange fait mieux ressortir la vertu de Marie, que la foi rend mère sans qu'elle cesse d'être vierge. Mais aussi Marie proclame hautement qu'elle doit tout à la grâce de Dieu.

 

1. Il n'est pas besoin de vous dire quel jour nous célébrons aujourd'hui, puisque vous avez tous entendu lire l'Evangile. Aujourd'hui donc naît parmi nous saint Jean, le précurseur du Seigneur, le fils d'une mère stérile qui annonce le Fils de la Vierge, le serviteur qui annonce son Maître. En effet, l'Homme-Dieu devant avoir pour Mère une Vierge, s'est fait précéder d'un homme admirable qui a pour mère une femme stérile; afin que l'homme admirable se proclamant indigne de dénouer les courroies de ses souliers, on reconnût le Dieu fait homme. Admire Jean autant que tu en es capable ; ton admiration tourne au profit du Christ : au profit du Christ, non pas en ce sens que tu lui donnes, mais en ce sens que tu fais en lui des progrès. Admire donc Jean autant que tu le peux.

Or, tu viens d'entendre de quoi admirer en lui. Un ange l'annonce au prêtre, son père, et celui-ci ne croyant pas, l'ange le rend muet; il reste ainsi sans parole jusqu'à ce que sa langue se délie à la naissance de son fils. Jean est conçu par une femme stérile et de plus avancée en âge : ce qui est l'infécondité ajoutée à l'infécondité. L'ange aussi prédit ce qu'il sera; la prophétie s'accomplit, et ce qu'il a d'extrêmement merveilleux, c'est que dès le sein de sa mère l'enfant est rempli du Saint-Esprit; puis à l'arrivée de sainte Marie, il tressaille dans les entrailles maternelles et salue par ses mouvements Celui qu'il ne saurait saluer encore par ses paroles. Il naît et rend à son père l'usage de la parole; le père, qui n'est plus muet, donne un nom à son fils, et tous admirent des grâces aussi éclatantes (1). Qu'était-ce en effet, si ce n'étaient des grâces ?

 

1. Luc, 1.

 

Qu'est-ce que Jean avait jusqu'alors mérité de Dieu ? Qu'a-t-il pu mériter de Dieu, puisqu'il n'existait pas encore ? O grâce vraiment gratuite !

2. Tous sont dans l'étonnement, dans une sorte de stupeur, et sous l'impression qu'ils ressentent, ils disent ce qu'on a écrit pour que nous ayons à le lire : « Que pensez-vous que sera cet enfant ? car la main du Seigneur était avec lui. — Que pensez-vous que sera cet enfant? » Il dépasse les bornes de la nature humaine. Nous connaissons les enfants ; mais « que pensez-vous que sera celui-ci ? » Pourquoi dire : « Que pensez-vous que sera cet enfant, car la main du Seigneur est avec lui ? » C'est que si nous savons déjà que la main du Seigneur est avec lui, nous ignorons encore ce qu'il sera. Sans aucun doute il deviendra fort grand, puisqu'il est si grand au début. Que sera ce petit qui est si grand ? Que sera-t-il ? La faiblesse humaine est à bout, tous les esprits attentifs sont saisis d'effroi. « Que pensez-vous que sera cet enfant? » Il sera grand : que sera donc Celui qui l'emportera sur lui en grandeur? Il sera fort grand : que sera donc Celui dont la grandeur l'emportera sur sa grandeur ? S'il doit être si grand, lui qui vient de commencer, que sera Celui qui était auparavant? Qui était auparavant? Que dis-je? Avant le précurseur était Zacharie ; à plus forte raison Abraham, Isaac et Jacob, le ciel et la terre étaient avant lui. Que sera donc Celui qui était dès le commencement? En effet, « au commencement » , avant l'existence de Jean et de tous les autres hommes, « Dieu fit le ciel et la terre (1) ». Veux-tu savoir ce qu'il employa pour cela ? Au commencement

 

1. Gen. I, 1.

 

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Dieu ne fit pas le Verbe, car le Verbe était : « Au commencement était le Verbe», non pas un Verbe quelconque, car « le Verbe était Dieu. Tout a été fait par lui ». Or, ce Verbe, qui était dès le commencement, s'est fait à son tour, pour ne laisser pas périr ce que lui-même avait fait : « Que pensez-vous que sera cet enfant? car la main du Seigneur est avec lui ». Si un enfant doit être si grand parce que la main du Seigneur est avec lui, que sera la main du Seigneur elle-même ? Car cette main du Seigneur n'est autre que le Christ, que le Fils de Dieu, que le Verbe de Dieu. La main du Seigneur, en effet, n'est-elle pas Celui par qui toutes choses ont été faites? « Que pensez-vous que sera cet enfant? car la main du Seigneur est avec lui ». O faiblesse humaine ! que feras-tu en face du Juge, puisque tu es si peu sûre en face de son héraut? :gais qu'est-ce que je viens de dire moi-même? Je rentre dans des considérations purement humaines. Qu'est-ce que je viens de dire? Je viens de parler de héraut, de juge. Un héraut n'est-il pas un homme? un juge n'est-il pas un homme-? J'ai donc parlé de ce qui était visible dans le Christ : qui parlera de ce qui restait caché ? « Le Verbe s'est fait chair (1) » , sans toutefois se changer en chair. Le Verbe s'est fait chair en prenant ce qu'il n'était pas, mais sans rien perdre de ce qu'il était.

Nous venons d'admirer la naissance de son héraut, que nous célébrons aujourd'hui: ne nous lassons pas de considérer Celui qui en était le but.

3. L'ange Gabriel descendit près de Zacharie ; il, ne vint pas vers Elisabeth son épouse et la mère de Jean ; l'ange Gabriel vint donc vers Zacharie et non vers Elisabeth. Pourquoi? Parce que c'était Zacharie qui devait donner Jean à Elisabeth. Or, il convenait qu'en annonçant la future naissance de Jean, l'ange s'adressât à celui qui le donnerait, plutôt qu'à celle qui le recevrait. Jean devait être le fils de l'un et de l'autre, le fruit de l'union d'un homme et d'une femme; mais, encore une fois, ce fut au père que l'ange l'annonça. Dans son message suivant, ce fut à Marie et non à Joseph que fut envoyé le même ange Gabriel, parce qu'en Marie devait se former et prendre naissance la chair du Fils de Dieu. En quels

 

1. Jean, I, 1, 2, 14.

 

termes l'ange prédit-il au prêtre Zacharie qu'il allait avoir un fils? « Ne crains pas, Zacharie, lui dit-il, la prière est exaucée ». Mais quoi? mes frères, ce prêtre était-il entré dans le Saint des saints pour demander des enfants au Seigneur? Loin de nous cette idée. Comment prouver que ce n'était pas pour cela, demandera-t-on, puisque Zacharie n'a point fait connaître ce qu'il venait de demander ? Je ne ferai qu'une seule et courte observation : Si Zacharie avait demandé un fils, il aurait cru quand Dieu le lui fit annoncer. L'ange lui assure qu'un fils lui naîtra bientôt; il ne le croit pas, et c'est ce qu'il venait de demander. Prie-t-on sans espoir? Ne croit-on pas quand on espère? Si tu n'espères pas, pourquoi demandes-tu ? Si tu espères, pourquoi ne crois-tu pas? Que dit donc l'ange? « Ta prière est exaucée; car Elisabeth concevra et t'enfantera un fils ». Pourquoi ? «Parce que ta prière est exaucée ». Supposons que Zacharie ait demandé Pourquoi ? est-ce que j'ai sollicité cette faveur? L'Ange n'eût été ni trompeur en répondant; « Ta prière est exaucée ; car ton épouse t'enfantera un fils ». Pourquoi, en effet, cette raison donnée par l'Ange? C'est que Zacharie sacrifiait pour le peuple ; il sacrifiait pour le peuple, en sa qualité de prêtre. Or, le peuple attendait le Christ, et Jean l'annonçait.

4. Le même Ange, cependant, dit à la Vierge Marie : « Je vous salue, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous » ; déjà est avec vous Celui qui doit venir en vous : « Vous êtes bénie parmi les femmes ». Un idiotisme de la langue hébraïque, c'est d'appeler femmes toutes les personnes du sexe ; c'est ce qu'attestent les saintes Ecritures, et c'est ce que je remarque pour prévenir l'étonnement ou le scandale de ceux qui n'ont pas l'habitude d'en écouter la lecture- Ainsi le Seigneur y dit quelque part en termes formels : « Mettez de côté les femmes qui n'ont pas connu d'homme (1)». Rappelez-vous aussi nos origines. Quand Eve fut formée du côté d'Adam, que dit le texte sacré ? « Dieu lui tira une côte et en bâtit la femme (2) ». Dès ce moment, Eve est appelée femme ; et pourtant, quoique tirée d'Adam, elle ne s'était pas encore unie à lui. Lors donc que vous entendez l'Ange dire à Marie.: «Vous êtes bénie parmi les femmes », comprenez ces paroles dans le même sens que si nous

 

1. Nomb. XXXI, 17, sel. les Sept. — 2. Gen. II, 22.

 

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disions aujourd'hui, : Vous êtes bénie parmi les personnes du sexe.

5. Un fils est promis à Zacharie, un fils aussi est promis à sainte Marie, et celle-ci prononce à peu près les mêmes paroles qu'avait proférées Zacharie. Qu'avait dit Zacharie? «Comment m'assurer de cela? car je suis vieux; de plus mon épouse est stérile et fort avancée en âge». Que dit à son tour sainte Marie? « Comment cela se fera-t-il? » Les expressions se ressemblent; les dispositions sont fort différentes. Si l'oreille nous dit que les paroles sont semblables, apprenons de l'ange même combien sont dissemblables les intentions. David, après son péché, fut repris par un prophète et s'écria: « J'ai péché », et aussitôt il lui fut répondu : « Ton péché t'est remis (1)». Saül aussi pécha et fut également repris par un prophète; il répondit aussi : « J'ai péché », mais son péché ne lui fut point pardonné, et la colère de Dieu continua à peser sur lui (2). Ici encore n'est-ce pas le même langage avec des dispositions contraires? Ah ! si l'homme entend la voix, c'est Dieu qui lit dans le coeur. L'ange vit donc que Zacharie ne parlait pas avec foi, mais avec doute et défiance; il le montra en rendant Zacharie muet et en le punissant ainsi de son manque de foi.

Sainte Marie dit dans un autre sens: « Comment cela se fera-t-il? car je ne connais point d'homme ». Reconnaissez ici sa résolution de garder la virginité. Si elle avait dû lier des rapports avec un homme, comment aurait-elle dit : « Comment cela se fera-t- il ? » Sinon Fils avait dû naître de la même manière que tous les autres enfants, aurait-elle dit : « Comment cela se fera-t-il? » Mais elle avait le souvenir de sa résolution, la conscience de son voeu sacré, car elle savait ce qu'elle avait promis à Dieu, lorsqu'elle disait : « Comment cela se fera-t-il, car je ne connais point d'homme? » Sachant donc que les enfants ne naissent que par suite des relations entre époux, comme elle avait résolu de n'avoir pas de ces relations, lorsqu'elle dit : « Comment cela se fera-t-il? »       elle n'exprimait pas un doute sur la toute-puissance de Dieu, elle demandait comment elle deviendrait Mère. « Comment cela se fera-t-il?» Quel moyen est à employer pour y parvenir? Vous m'annoncez un Fils, vous connaissez les dispositions de

 

1. II Rois, XII, 13. — 2. I Rois, XV, 30, 35.

 

mon âme, dites-moi la manière dont ce Fils me viendra. Vierge sainte, elle pouvait craindre qu'en voulant lui donner un Fils Dieu ne désapprouvât son voeu de virginité; elle pouvait au moins rester dans l'ignorance sous ce rapport. Et si l'ange lui avait dit : Consommez votre mariage, unissez-vous à votre mari ? Dieu ne pouvait parler ainsi; il avait agréé en Dieu son voeu de virginité : il ne faisait même, en l'agréant, qu'accepter d'elle, ce que lui-même lui avait donné. Dites-moi donc, messager divin, « comment cela se fera-t-il? » — Reconnais ici que l'ange connaissait le secret, et que Marie, sans manquer de foi, cherchait à le savoir aussi. Aussi, la voyant chercher à s'instruire sans manquer de foi, il ne refusa pas de le lui enseigner. Voici ma réponse, dit-il : Vous resterez Vierge ; croyez seulement la vérité, conservez votre virginité, recevez même ce qui la complétera. Votre foi étant intègre, voire virginité restera sans tache. Ecoutez encore comment cela se fera : « L'Esprit-Saint surviendra en vous, et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre ». Sous un tel ombrage on est à l'abri des ardeurs de la passion. « Aussi », parce que « l'Esprit-Saint surviendra en vous, et que la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre » ; parce que vous concevrez par la foi, et que la foi, non les rapports sexuels, vous donnera un Fils; « le Saint qui naîtra de vous s'appellera le Fils du Très-Haut ».

6. Vous qui devez être Mère, qui êtes-vous ? Comment avez-vous mérité cette grâce? Comment se formera en vous Celui qui vous a formée? D'où vous vient donc un tel bonheur? Vous êtes Vierge, vous êtes sainte, vous avez fait un voeu sacré: voilà beaucoup de mérites ou plutôt de grâces reçues. Comment, en effet, avez-vous mérité tout cela? En vous se forme Celui qui vous a formée, en vous se forme Celui qui vous a faite, ou plutôt Celui qui a fait le ciel et la terre. Celui qui a tout fait devient en vous le Verbe fait chair ; il y prend un corps sans perdre sa divinité. Le Verbe s'unit, le Verbe s'incorpore à la chair; votre sein est comme le lit nuptial de cette union mystérieuse; oui, cette union mystérieuse du Verbe et de la chair s'opère dans votre sein; aussi le Verbe est-il comme « l'Epoux sortant de son lit nuptial (1)». Il vous a

 

1. Ps. XVIII, 6.

 

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trouvée vierge en y entrant, il vous laisse vierge en en sortant. Il vous rend féconde sans altérer en vous l'intégrité. D'où vous vient cette grâce ?

Je semble peu réservé en faisant ces questions et importuner des oreilles si chastes en parlant ainsi. Mais, je le vois, tout en rougissant, la Vierge me répond et me dit : Vous me demandez d'où me vient ce bonheur? Je rougirais de vous parler de ma félicité; écoutez plutôt la salutation de l'ange, et reconnaissez en moi ce qui fera votre salut. Croyez à qui j'ai cru. D'où me vient ce bonheur ? Que l'ange réponde. — Dites-moi donc, ange de Dieu, d'où vient à Marie cette faveur? — Je l'ai fait connaître quand je lui ait dit: « Je vous salue, pleine de grâce (1) ».

 

1. Luc, I, 28.

SERMON CCXCII. NATIVITÉ DE SAINT JEAN-BAPTISTE. VI. LA VRAIE SOURCE DE LA GRACE.
 

ANALYSE. — Les Donatistes, comme on sait, prétendaient que la grâce conférée par un sacrement venait du ministre qui l'administrait, et conséquemment, que le sacrement ne conférait pas la grâce quand il était administré par un pécheur. Saint Augustin entreprend de réfuter cette erreur, contre laquelle il a tant écrit, dans ce discours adressé au peuple. Quelle clarté d'exposition ! quelle vigueur de logique ! Voici comment il procède. — Après avoir dit d'abord que si Jean-Baptiste est le seul de tous les saints dont on célèbre la naissance, c'est qu'il est le seul qui ait glorifié le Christ, même avant de naître; après avoir dit encore que si saint Jean, au lieu d'être un disciple de Jésus-Christ, avait des disciples comme lui, c'était pour rendre à sa divinité un plus éclatant témoignage, saint Augustin aborde la question du baptême. Pourquoi Jésus a-t-il voulu être baptisé par saint Jean ? C'était sans aucun doute pour pratiquer la même humilité dont il nous a donné l'exemple en s'incarnant. Mais saint Jean aussi n'avait-il pas raison de s'écrier : « C'est moi qui dois plutôt être baptisé par vous? » Jésus répond : Baptise-moi; « ainsi doit s'accomplir toute justice ». C'est qu'il avait en vue ces hérétiques futurs qui attribueraient au ministre la grâce du sacrement. Est-ce de saint Jean que vient la sainteté de Jésus-Christ? Saint Jean est-il l’arbre, comme ils disent, et Jésus-Christ le fruit? Mais ne voient-ils pas que faire découler du ministre la justification, c'est faire dire au ministre qu'il est le Christ, puisque seul, le Christ justifie ceux qui croient en lui ? Pour n'exposer pas les fidèles à de stériles , alarmes, s'ils venaient à craindre que tout en paraissant bon le ministre du sacrement ne fait intérieurement mauvais, ils disent que Dieu alors confère la grâce lui-même. Ne comprennent-ils pas que d'après ce principe, mieux vaudrait être baptisé par au hypocrite que par un saint, puisque baptisé par un saint on naît d'un homme, et de Dieu quand on est baptisé par un hypocrite ? Qu'ils apprennent donc de saint Jean que si le ministre verse l'eau, c'est Jésus-Christ qui envoie la grâce et l'Esprit-Saint; qu'à l'exemple de saint Jean encore, ils soient de vrais disciples de Jésus-Christ et avouent que de lui ils ont tout reçu.

 

1. La solennité de ce jour demande un discours solennel, lequel est d'ailleurs bien vivement attendu. Aussi, Dieu aidant, nous vous présenterons ce qu'il nous donnera, mais sans oublier, mais avec la pensée bien précise que le devoir de notre charge est de vous parler, non comme maître, mais comme ministre; non comme à des disciples, mais comme à des condisciples; non comme à des serviteurs, mais comme à des collègues. Car nous n'avons tous qu'un Maître, dont l'école est sur la terre et la chaire dans le ciel, et qui a eu pour précurseur ce saint Jean dont la tradition nous rapporte que ce fut aujourd'hui la naissance; aussi la célébrons-nous aujourd'hui. Voilà ce que nous ont appris nos pères; voilà ce que nous transmettons à la postérité avec une fidélité religieuse qu'elle devra imiter. Aujourd'hui donc nous célébrons la naissance, non pas de Jean l'Evangéliste, mais de Jean-Baptiste.

Cela posé, une question se présente qu'il ne faut pas négliger, savoir, pourquoi nous célébrons plutôt la naissance charnelle de saint Jean que la naissance de tout autre, apôtre, martyr, prophète ou patriarche? Si on nous adresse cette question, que répondrons-nous? Voici, je crois, autant du moins que je puis le

 

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comprendre avec une force d'intelligence aussi médiocre que la mienne, quel en est le motif: C'est après leur naissance et quand ils eurent avec l'âge atteint leur développement, que les disciples du Seigneur furent admis à son école; ils s'attachèrent ensuite de tout leur coeur au Sauveur, mais aucun d'eux ne le servit dès sa naissance. Reportons notre souvenir vers les prophètes, vers les patriarches : ils naquirent comme les autres hommes, ils grandirent ensuite, puis remplis de l'Esprit-Saint ils prédirent le Christ; ils naquirent donc pour le prédire ensuite. Mais la naissance même de Jean-Baptiste fut une prédiction de l'avènement du Sauveur, puisqu'il le salua du sein de la mère qui le portait.

2. Cette question résolue comme nous avons pu la résoudre, abordons-en une autre avec toute l'énergie que nous donnera le Seigneur. Ici en effet se présente une autre question, laquelle me semble plus obscure et plus difficile à résoudre, et pour laquelle vous aiderez beaucoup ma faiblesse par votre attention et par vos prières. Jean-Baptiste avait reçu une grâce si éminente que, comme nous l'avons dit,étant encore dans le sein maternel il salua k8eigneur, non par ses paroles, ruais par ses tressaillements, et qu'ainsi l'attrait qui l'attachait à Dieu était déjà manifeste, quoique son corps fût encore enfermé dans un autre corps. Néanmoins on ne le rencontre point parmi les disciples du Seigneur, on remarque plutôt qu'il avait lui-même des disciples. Pourquoi? Que penser de lui? C'est un grand homme; quel est ce grand homme ? Que penser de :cotte grandeur? Non, il ne suivait pas le Seigneur avec ses disciples, il avait lui-même des disciples pour le suivre. Loin de moi la pensée qu'il fût contre le Seigneur ! cependant il semblait vivre loin de lui. Le Christ avait des disciples, Jean en avait aussi ; le Christ enseignait, Jean enseignait également. Que dire encore? Jean baptisait, le Christ aussi baptisait; il y a même plus ici : Jean baptisa le Christ.

Où sont les superbes, qui, à propos de l'administration du baptême, se gonflent arrogamment d'animosité et d'orgueil? Où sont ces mots si peu humbles et si fiers : C'est moi qui baptise, c'est moi qui baptise? Que n'aurais-tu pas dit, si tu avais mérité de baptiser le Christ?

Ici déjà, votre sainteté en fait la remarque, se dessine visiblement le grand motif pour lequel Jésus devait être envoyé par son Père, et Jean envoyé en avant par Jésus. Sans doute Jean précède Jésus, mais comme les serviteurs précèdent le juge. Jésus ne s'est fait homme qu'après Jean, mais Jean a été créé par Jésus, par Dieu même. Jean était donc un homme si parfait et doué d'une grâce si éclatante, que le Sauveur disait lui-même : « Parmi les enfants des femmes, nul ne s'est élevé au-dessus de Jean-Baptiste (1)». Or, c'est ce grand homme qui reconnaît le Seigneur dans un si petit corps; c'est cet homme qui reconnaît le Dieu qui vient de se faire homme. S'il est vrai que parmi les enfants des femmes, c'est-à-dire parmi les hommes, nul ne s'est élevé au-dessus de Jean-Baptiste; quiconque est au-dessus de Jean n'est pas seulement un homme, il est Dieu. C'est pour rendre plus frappante cette conclusion que ce grand homme dut avoir des disciples, et conjointement avec eux reconnaître dans le Christ le Maître de tous. Pouvait-il faire éclater un témoignage plus saisissant de vérité, qu'en reconnaissant par ses abaissements Celui dont l'envie pouvait le porter à se faire le rival? Jean pouvait être pris pour le Christ, être regardé comme le Christ; il ne le voulut pas, il s'y opposa. Trompé sur son compte, on disait : Ne serait-il pas le Christ? Et lui de répondre qu'il ne l'était pas. C'était le moyen de rester ce qu'il était; car si Adam perdit en tombant ce qu'il était d'abord, ce fut pour avoir cherché a usurper ce qu'il n'était pas. Ce souvenir revenait à cet homme si grand, vrais si petit devant le Christ abaissé; il savait cela, il se le rappelait, il n'avait garde de l'oublier, car il songeait à reconquérir ce qu'Adam avait perdu.

Comme je viens déjà de le dire, ce grand-homme que glorifia la Vérité même et à qui le Seigneur rendit témoignage jusqu'à dire de lui : « Parmi les enfants des femmes, nul ne s'est élevé au-dessus de Jean-Baptiste », Jean put donc passer pour le Christ; séduits même par la grâce étonnante qui brillait en lui, plusieurs le prenaient déjà pour le Christ, et ils seraient morts dans cette erreur, si lui-même en confessant sa foi ne les en avait repris. Il leur répondit donc au moment où ils avaient de lui cette opinion : «Je ne suis pas le Christ (2)». C'était leur dire en quelque sorte : Votre

 

1. Matt. XI, 11. — 2. Jean, I, 20.

 

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méprise me fait honneur, l'opinion que vous avez de moi ajoute beaucoup à ma gloire: cependant je dois reconnaître ce que je suis, afin que le Christ même puisse vous pardonner un tel mécompte. De fait, s'il n'avait pas détruit l'opinion fausse qu'on avait de lui, il n'aurait point eu de part avec Celui qui était réellement ce qu'on le supposait.

3. Jean a été envoyé en avant pour baptiser le Seigneur si profondément humble. Si le Seigneur voulut recevoir. le baptême, ce fut en effet pour pratiquer l'humilité et non pour effacer en lui quelque iniquité. Pourquoi le Christ Notre-Seigneur a-t-il voulu être baptisé? Pourquoi a voulu être baptisé le Christ, le Fils unique de Dieu ? Apprends pourquoi il est né, et tu sauras en même temps pourquoi il a été baptisé. Tu le verras sur ce chemin de l'humilité que ne foule pas ton pied superbe, quoiqu'en t'abstenant d'y marcher d'un pied modeste tu ne puisses parvenir où il mène. Le Christ est descendu pour toi, et pour toi il s'est fait baptiser. Vois combien il est descendu du haut de sa grandeur ! «Il était de la nature de Dieu et il n'estimait pas usurper en s'égalant à Dieu » . En effet l'égalité du Fils avec le Père n'était pas une usurpation, c'était sa nature. Pour Jean t'eût été une usurpation de se présenter comme étant le Christ. Mais le Christ «n'estima pas usurper en s'égalant à Dieu »; attendu qu'il lui était réellement coéternel, étant né de toute éternité. « Cependant il s'est anéanti lui-même en prenant une nature d'esclave », c'est-à-dire en prenant la nature humaine. «Ayant donc la nature de Dieu », sans l'avoir prise ; «ayant ainsi la nature de Dieu, il s'est anéanti lui-même en « prenant une nature d'esclave» ; en prenant ce qu'il n'était pas, sans rien perdre de ce qu'il était; en demeurant Dieu et en devenant homme. Oui, en prenant cette nature d'esclave, le Dieu qui a fait l'homme est devenu l'Homme-Dieu. Ah ! quelle majesté, quelle puissance, quelle grandeur, quelle égalité avec le Père, est venue se revêtir pour l'amour de nous d'une nature d'esclave ! Considère la voie d'humilité que t'a ouverte un si grand Maître; ne s'est-il pas plus abaissé en voulant se faire homme qu'en voulant se faite baptiser par un homme?

4. Ainsi donc, je le répète, le Christ se fait baptiser par Jean, le Seigneur par le serviteur, le Verbe par la voix. Car, n'oubliez pas ces mots : « Je suis la voix de Celui qui crie dans le désert » ; ni ces autres : « Le Verbe s'est fait chair et il a habité parmi nous (1) ». Le Christ donc est baptisé par Jean, le Seigneur parle serviteur, le Verbe par la voix, le Créateur par la créature, le soleil par le flambeau; le soleil qui a formé cet autre soleil; le soleil dont il est dit . « Pour moi s'est levé le soleil de justice, le salut est sous ses ailes (2) »; et dont les impies impénitents finiront par dire au jugement de Dieu : « Que nous a servi l'orgueil? Que nous a procuré l'ostentation des richesses? Tout cela a passé comme une ombre »; a passé avec les ombres poursuivant des ombres. « Ainsi donc, poursuivent-ils, nous avons erré loin de la voie de la vérité, et la lumière de la justice n'a point lui à nos yeux, et le soleil ne s'est point levé sur nous (3) ». Sur eux ne s'est pas levé le Christ; parce qu'ils ne l'ont pas reconnu. Ce Soleil de justice sans nuage et sans nuit ne se lève ni sur les méchants, ni sur les impies, ni sur les infidèles ; au lieu que Dieu. fait lever chaque jour sur les bons et sur les méchants son soleil visible (4).

Le Créateur a été baptisé, je le répète, par la créature, le Soleil par le flambeau; mais au lieu de s'élever, Jean s'est abaissé en baptisant. Comme Jésus s'approchait de lui : «Vous venez me demander le baptême? lui dit-il; et c'est moi qui dois être baptisé par vous». Importante profession de foi ! elle met en sûreté le flambeau dans son humilité. Si ce flambeau se lançait contre le Soleil, il serait bientôt éteint au souffle de l'orgueil. C'est ce qu'a prévu le Seigneur, c'est ce qu'il nous a appris en se faisant baptiser; quand si grand qu'il était il a voulu recevoir le baptême d'un être si petit; quand, pour tout dire en un mot, le Sauveur s'est fait baptiser par un homme ayant besoin d'être sauvé par lui. Tout grand qu'il fût en effet, Jean sans doute avait conscience de quelque mal secret; sans quoi au. rait-il dit : «.C'est moi qui dois être baptisé par vous? » Le baptême du Sauveur conférait assurément le salut; car «le salut vient du Seigneur (5) » ; de plus, « le salut des hommes est vain (6) ». Jean donc aurait-il dit : «C'est moi qui dois être baptisé par vous», s'il n'avait eu besoin d'être guéri ? O merveilleux remède de l'humilité ! L'un baptisait et l'autre

 

1. Jean, I, 23, 14. — 2. Malach. IV, 2. — 3. Sag. V, 6-8. — 4. Matt. V, 45. — 5. Ps. III, 9. — 6. Ps. LIX, 13.

 

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guérissait. Si le Christ est « le Sauveur de tous les hommes, surtout des fidèles (1) » ; or c'est une vérité. aussi incontestable qu'elle est apostolique, que le, Christ est le Sauveur de tous les hommes; personne ne doit dire : Je n'ai pas besoin du Sauveur. Parler ainsi, ce n'est pas s'humilier devant le médecin, c'est périr de la maladie dont on est atteint. Si le Christ est le Sauveur de tous les hommes, il est donc aussi le Sauveur de Jean, attendu que Jean ne laisse pas que d'être un homme. Il est sans doute un grand homme; mais après tout c'est un homme. Le Christ est le Sauveur de tous les hommes; aussi Jean reconnaît-il en lui son Sauveur, et le Christ n'excluait pas Jean du salut qu'il conférait. Jean non plus ne le suppose pas lorsqu'il dit avec tant d'humilité : « C'est moi qui dois être baptisé par vous». Aussi le Seigneur lui répond-il: « Fais maintenant, pour que toute justice s'accomplisse (2)». Qu'est-ce à dire, toute justice? C'est l'humilité qu'il recommande sous le nom de justice; oui, c'est à l'humilité surtout que le Maître du ciel, que le Seigneur de vérité donne le nom de justice. Si effectivement il se faisait baptiser, c'était par humilité; et c'était avant de faire cet acte d'humilité qu'il disait : « Que n'accomplisse toute justice ».

5. Il voyait dans l'avenir beaucoup d'hommes qui devaient s'enorgueillir de donner le baptême et qui devaient dire : C'est moi qui baptise; tel je suis en baptisant, tel je rends celui que je baptise. — Et le prouver ? — Je le prouve. — Par quels témoignages ? — Des témoignages de l'Evangile. — Ecoutons cet étrange et nouvel évangéliste s'élevant contre le plus ancien ministre du baptême. Donc par quels témoignages évangéliques prouves-tu que tel tu es, tel tu rends celui que tu baptises ? — C'est qu'il est écrit : « L'arbre bon porte de bons fruits». Je ne fais que lire, j'ai en main l’Evangile : « L'arbre bon porte de bons fruits, et l'arbre mauvais, de mauvais fruits (3) ». —  Je reconnais ici l'Evangile ; mais, me semble-t-il, tu ne te reconnais pas, toi. Je vais prendre quelque peu patience ; explique ta pensée, suppose provisoirement que je ne l'ai pas comprise. Dis-moi à quoi se rapportent ces témoignages ? Comment peuvent-ils sertir à résoudre la question que nous agitons sur le baptême? — L'arbre bon est le bon

 

1. Tim. IV, 10. — 2. Matt. III, 14, 15. — 3. Ib. VII, 17.

 

ministre du baptême. — L'arbre bon, dit avec son parti mon interlocuteur, l'arbre bon est le bon ministre du baptême ; le bon fruit de cet arbre est celui qui le reçoit, car l'un est bon fruit si l'autre est bon arbre. Que penses-tu du Christ et de Jean? Allons, éveille-toi, voici la lumière d'une éclatante vérité qui te frappe les yeux ; vois ce que nous avons rappelé précédemment ; lis l'Evangile. Jean a baptisé le Christ : diras-tu que Jean est l'arbre, que le Christ en est le fruit? Diras-tu que la créature est l'arbre et que le fruit en est le Créateur? Ah ! si le Christ Notre-Seigneur a voulu recevoir le baptême des mains de Jean, ce n'était pas pour effacer l'iniquité, c'était pour fermer la bouche à l'impiété. Celui qui baptise est l'inférieur, dirai-je qu'il est meilleur que Celui qu'il baptise ? — J'aurai peut-être assez de mal à comprendre cela. —Reviens aux hommes, considère deux hommes. Ananie a baptisé Paul ; Paul l'a emporté sur Ananie. Le fruit vaudrait-il mieux que l'arbre ? C'est l'arbre qui porte le fruit, et non le fruit qui porte l'arbre.

6. Tu ne vois plus à quoi te prendre ? Le Seigneur a dit en personne: « Beaucoup viendront en mon nom, disant: Je suis le Christ (1) ». Beaucoup d'égarés et de séducteurs sont venus, il est vrai, au nom du Christ ; mais nous n'en avons entendu aucun dire : Je suis le Christ. Si innombrables qu'ils soient, tous les hérétiques se sont présentés au nom du Christ, c'est-à-dire en se cachant sous le nom du Christ et en décorant d'un nom glorieux leur séparation de boue; mais nous n'en avons entendu aucun qui ait dit: Je suis le Christ. Que conclure ? Que le Seigneur ne savait ce qu'il prédisait ? N'a-t-il pas voulu plutôt nous tirer de notre sommeil pour nous faire comprendre ses secrets et nous les ouvrir : pour nous exciter à sonder, à frapper, afin d'obtenir . qu'il découvre en quelque sorte là toiture, et que, semblables à ce paralytique, nous soyons déposés à ses pieds et méritions d'être guéris par lui (2) ?

Eh bien ! il est parfaitement vrai que tous ces égarés disent : Je suis le Christ ; ils ne le disent pas de vive voix; mais, ce qui est pire, ils le disent par leurs actes. Ils n'auraient pas l'audace de prononcer ces paroles : qui les écouterait? qui serait assez dupe pour ouvrir

 

1. Matt. XXIV, 5. — 2. Marc, II, 3-12.

 

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à ces insensés ou l'oreille ou le coeur? Qu'on vienne dire à celui qu'on va baptiser : Je suis le Christ ; le néophyte aussitôt détourné le visage, il laisse ce superbe avec sa sotte arrogance et court chercher la grâce de Dieu. L'hérétique ne dit donc pas formellement : Je suis le Christ; il le dit indirectement. Voici de quelle manière. C'est le Christ qui guérit, le Christ qui purifie , le Christ qui justifie l'homme ne justifie pas. Qu'est-ce que justifier? Rendre juste. De même que mortifier signifie faire mourir ; vivifier, faire vivre ; ainsi justifier veut dire rendre juste. Voici donc qu'entrant de côté, non par la porte mais par-dessus la muraille, un ministre du baptême qui n'est ni pasteur ni gardien du troupeau, mais voleur et larron, vient baptiser sans mission, et sans mission il dit: Je baptise. S'il baptise simplement comme ministre, soit; ne fais pas davantage, tout ce qui va au delà vient du mal (1). Mais il va plus loin et sans hésiter. Jusqu'où va-t-il ? Jusqu'à dire : C'est moi qui justifie, c'est moi qui rends juste; car tel est le sens de ces mots. Je suis le bon arbre, et de moi a besoin de naître quiconque veut être bon fruit. S'il y a en toi prise encore à la sagesse, écoute un peu ; je ne t'adresserai que peu de mots ; mais, si je ne me trompe, ils portent la lumière avec eux.

C'est donc toi qui justifies, qui rends juste ? Eh bien ! celui que tu justifies doit croire en toi. Dis, ose lui dire : Crois en moi, puisque tu ne crains pas dé lui dire : C'est moi qui te justifie. — Ici on se trouble, on hésite, on s'excuse. Eh ! dit-on, quel besoin ai-je de dire Crois en moi ? Je dis au contraire : Crois au Christ. — Tu as chancelé, tu as douté ; tu as donc daigné descendre quelques pas jusqu'à nous ; tu as fait un aveu qui peut servir à te guérir, tu as confessé une vérité qui peut servir à redresser toutes tes opinions dépravées. Ecoute donc, non plus moi, mais toi. Tu n'oses dire : Crois en moi. — A Dieu ne plaise ! — Tu  oses bien dire pourtant : C'est moi qui te justifie. Ecoute donc et apprends que si tu n'oses dire : Crois en moi, pour le même motif tu ne dois pas oser dire non plus C'est moi qui te justifie. L'Apôtre lui-même va parler, et bon gré mal gré, il faut que tu cèdes devant lui, que tu lui sois soumis. Ici en effet tu ne dois pas le regarder comme un homme

 

1. Matt. V, 37.

 

mais comme le représentant de Celui dont il disait: « Voulez-vous éprouver Celui qui parle en moi, le Christ (1) ? » Ecoute donc, non pas l'Apôtre, mais le Christ s'exprimant par l'organe de l'Apôtre. Que dit l'Apôtre ? « Quand un homme croit en Celui qui justifie l'impie, sa foi lui est imputée à justice (2) ». Remarquez bien, je vous en prie; voyez combien est claire et nette cette phrase: « Quand un homme croit en Celui qui justifie l'impie, sa foi lui est imputée à justice ». Ainsi quiconque croit en Celui qui justifie l'impie, qui d'impie qu'il était le rend pieux ; quiconque croit en Celui qui justifie l'impie, qui le rend juste d'impie qu'il était ; sa foi lui est imputée à justice. Dis encore, si tu l'oses : C'est moi qui justifie. Vois comment je te réponds d'après l'Apôtre: Si c'est toi qui me justifies, je dois croire en toi, car «c'est quand un homme croit en Celui qui justifie l'impie, que sa foi lui est imputée à justice ». C'est toi qui me justifies? Alors, je vais croire en toi, croire en Celui qui me justifie; c'est-à-dire qui justifie l'impie, et je crois en toi sans inquiétudes, puisque croyant en celui qui me justifie, ma foi m'est imputée à justice. Si donc tu n'oses dire C'est moi qui te justifie; je me trompe, si tu n'oses dire: Crois en moi, évite de dire encore: C'est moi qui te justifie. Retrouve-toi, homme égaré, pour ne pas me perdre avec toi.

7. Quant à ce que tu as dit de l'arbre et de son fruit, je vais te citer quelque exemple et tu apprendras à comprendre quel est le sens véritable de ces mots : « L'arbre bon porte de bons fruits, et l'arbre mauvais, de mauvais fruits ». Pour moi effectivement je les entends dans le sens même que leur assigne le Seigneur. Que signifie donc : « L'arbre bon porte de bons fruits (3) ? — L'homme de bien « tire le bien du bon trésor de son coeur ; et « du mauvais trésor de son coeur l'homme mauvais tire le mal (4) ». Les hommes sont ainsi comparés à des arbres, et leurs actes à des trésors. Tel est l'homme, tels sont ses actes. Bon, ses actes sont bons; mauvais, ils sont mauvais : l'homme de bien ne saurait faire des actes mauvais, ni le méchant des actes bons. Est-il rien de plus clair, de plus limpide, de plus manifeste ?

Pour toi au contraire, l'arbre bon, c'est toi qui baptises, et son fruit est celui qui est baptisé

 

1. II Cor. XIII, 3. — 2. Rom. IV, 5. — 3. Matt. VII, 17. — 4. Ib. XII, 35.

 

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par toi, en sorte qu'il te ressemblerait. Ah ! qu'il s'en garde bien, et saisis combien tu comprends mal.

N'y a-t-il pas ou n'y a-t-il pas eu parmi vous quelque adultère même inconnu? — Ce que je ne connais pas, réplique-t-on, ne saurait me souiller. — Il ne s'agit pas de cela, la question est ailleurs, je veux parler du baptême, c'est ce que nous avons entrepris. Il y a donc parmi vous un adultère inconnu, dissimulé, par conséquent ; non qu'il soit un faux adultère : l'adultère en lui n'est que trop réel, c'est la chasteté qui est feinte. Eh bien ! de cet adultère dissimulé, et d'autant plus dissimulé qu'il est plus inconnu, car s'il était connu il ne serait plus dissimulé, de cet adultère dissimulé s'éloignera sûrement l'Esprit-Saint, car il est dit bien clairement : « L'Esprit-Saint qui enseigne à vivre fuira l'homme dissimulé (1) ». Néanmoins cet adultère inconnu baptise. Voici donc un homme baptisé par un adultère inconnu : c'est un fruit produit; est-ce par un bon arbre? Il est baptisé, il est innocent, ses péchés sont effacés; par conséquent, c'est un impie justifié, c'est un bon fruit, produit par quel arbre ? Dis, réponds-moi. Cet arbre, l'adultère caché, est un arbre mauvais; si donc le baptisé est le fruit de cet arbre, c'est assurément un mauvais fruit; le Seigneur même ayant dit : « L'arbre mauvais a porte de mauvais fruits ». Pour certifier que c'est un bon fruit, tu répondras qu'il n'est pas le produit de cet arbre; si tu ignores que cet arbre est mauvais, il n'en est pas moins mauvais pour cela; il l'est même d'autant plus qu'on le sait moins, puisqu'il lui faut en ce cas, pour cacher son crime, une malice plus consommée. S'il se faisait connaître pour ce qu'il est, cet aveu même préparerait sa guérison. Voilà donc un très-mauvais arbre, et cependant le fruit est bon. D'où vient-il ? Diras-tu qu'il n'est produit nulle part ? — Je ne le dirai pas. — Où donc est-il né? Que vas-tu répondre? Où est-il né ? Il n'y a qu'une réponse à faire, c'est qu'il est né de Dieu ; j'ignore si on essaiera jamais une autre réponse que celle-là. Si l'hérétique en disait autant de tous ceux qui sont baptisés; si au lieu de se présenter avec dissimulation pour un bon arbre, quand il n'est qu'un arbre mauvais, et par conséquent de se rendre

 

1. Sag. I, 5.

 

plus mauvais encore, il disait dé tous ceux qui ont reçu le baptême qu'ils sont nés de Dieu, il aurait pour lui cette assertion si claire de l'Evangile : « Il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu à ceux qui ne sont nés ni de la chair, ni du sang, ni de la volonté de l'homme, ni de la volonté de la chair, mais qui sont nés de Dieu (1) ».

Revenons à ce fidèle: Est-il né de Dieu? — Oui. — Pourquoi est-il né de Dieu? — Parce qu'un bon fruit ne saurait naître d'un mauvais arbre. Quand celui qui baptise est chaste, c'est un bon arbre, ce n'est pas un homme dissimulé ; quand il est vraiment chaste et qu'il a baptisé, c'est un bort fruit porté par un bon arbre. — Mais ce fidèle dont nous parlons, ce bon fruit, quel arbre l'a produit? Oseras-tu dire que c'est un mauvais arbre? — Je ne l'oserai. — C'est donc aussi par un bon arbre qu'il a été produit? — C'est par un bon arbre. — Quel est ce bon arbre ? — C'est Dieu. — Et l'autre baptisé? — Il est le fruit d'un homme chaste. — Arrête-toi un peu; comprenons ce que nous disons. Ce catéchumène baptisé par un homme chaste est le fruit d'un bon arbre, d'un homme de bien; et cet autre qui est baptisé par un adultère inconnu comme tel, est le fruit d'un mauvais arbre; mais quel fruit? — Un bon fruit. — C'est chose impossible. Si le fruit est bon, change-le d'arbre. Selon toi le fruit est bon, et l'homme qui l'a produit est mauvais, puisque c'est un homme secrètement adultère; change donc ce fruit d'arbre. — Je l'ai fait, et voilà pourquoi j'ai dit que le fidèle est né de Dieu. — Compare maintenant ces deux hommes nouvellement baptisés : l'un a été baptisé par un homme manifestement chaste; l'autre par un homme secrètement adultère; le premier est né de l'homme, le second est né de Dieu. Il vaut donc mieux être né d'un homme secrètement adultère que d'un homme manifestement chaste?

8. Ah ! que tu ferais mieux, ô hérétique, d'écouter saint Jean; homme arriéré, d'écouter le précurseur; ô superbe, d'écouter cet humble; ô lumière éteinte, d'écouter ce flambeau ardent. Oui, écoute Jean. Lorsqu'on venait à lui : « Moi, disait-il, je vous baptise avec l'eau » seulement. Si donc tu savais te connaître ! tu ne fais que donner l'eau. « Moi, je

 

1. Jean, I, 12, 13.

 

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vous baptise avec l'eau; mais quelqu'un viendra qui est au-dessus de moi ». De combien au-dessus de toi? « Je ne mérite pas de dénouer les courroies de sa chaussure ». S'il prétendait mériter cela, ne s'humilierait-il pas déjà beaucoup ? Eh bien ! il prétend n'être pas même digne de cet office de dénouer les courroies de sa chaussure. « C'est Lui qui baptise avec l'Esprit-Saint (1) ». Pourquoi te substituer au Christ ? « C'est Lui qui baptise avec l'Esprit-Saint». C'est donc Lui qui justifie. Pour toi, que dis-tu ? C'est moi qui baptise avec l'Esprit-Saint, c'est moi qui justifie. Ce n'est pas dire : Je suis le Christ? Ce n'est pas être du nombre de ceux dont il est écrit : « Beaucoup viendront en mon nom, disant : « Je suis le Christ (2)? » Tu es pris. Et plût à Dieu que tu le fusses pour être retrouvé, toi qui étais perdu quand tu ne l'étais pas ! Ah ! il est bon de se laisser prendre dans les filets de la vérité, pour servir d'aliment au grand Roi. Ne dis donc plus : C'est moi qui justifie, c'est moi qui sanctifie, si tu ne veux pas être convaincu de dire : Je suis le Christ. Dis plutôt avec un ami de l'Epoux, et sans vouloir te faire passer pour l'Epoux : « Ce n'est ni celui qui plante, ni celui qui arrose qui sont quelque chose; mais Dieu, qui donne l'accroissement (3) ».

Ecoute aussi cet autre ami de l'Epoux dont nous parlons maintenant. Il avait en quelque sorte des disciples comme le Christ et ne comptait pas au nombre des disciples du Christ : vois cependant comme il se confesse le disciple du Christ; vois-le parmi ces disciples, disciple d'autant plus fidèle qu'il est plus humble, et d'autant plus humble qu'il est plus grand; vois-le pratiquant ce conseil de l'Ecriture : « Humilie-toi en toutes choses

 

1. Luc, III, 16; Jean,  I, 27, 33. — 2. Matt. XXIV, 5. — 3. I Cor. III, 7.

 

d'autant plus que tu es plus grand, et tu trouveras grâce devant Dieu (1) ». Il a déjà dit : « Je ne mérite pas de dénouer les courroies de sa chaussure » ; mais ce n'était pas se donner comme son disciple. Il dit donc encore : « Celui qui descend du ciel est au-dessus de tous (2); et tous nous avons reçu de sa plénitude (3) ». Ainsi, tout en réunissant des disciples comme le Christ, il était un des disciples du Christ. Ecoute-le en faire l'aveu d'une manière plus explicite : « L'Epoux est celui à qui appartient l'épouse; mais l'ami de l'Epoux est celui qui se tient debout et l'écoute (4) » ; et s'il reste debout, c'est parce qu'il l'écoute. « Il se tient debout et écoute »; car s'il n'écoute pas, il tombe. C'est avec raison que cet ancien s'écriait : « Vous ferez retentir à mon oreille la joie et l'allégresse ». Parler ainsi, c'est dire qu'on écoute le Seigneur, et non pas qu'on veut être écouté à sa place. Voulez-vous savoir encore qu'aux yeux du prophète c'est pratiquer l'humilité? Il ajoute aussitôt: «Et mes os humiliés tressailleront (5) ». C'est ainsi qu'il reste debout et écoute. Ses «os humiliés tressailleront », car ils se brisent quand ils se gonflent.

Ainsi donc, qu'aucun serviteur ne s'attribue la puissance du Seigneur. Qu'il s'estime heureux de compter dans la famille, et s'il est préposé à quelque service, qu'il ait soin de donner en temps voulu la nourriture à ses compagnons (6); mais en en vivant comme eux, sans les faire vivre de lui-même. Qu'est-ce, en effet, que donner la nourriture en temps opportun, sinon donner le Christ, louer le Christ, exalter, prêcher le Christ ? C'est bien là donner la nourriture au temps voulu; car pour devenir la nourriture de ses bêtes de charge, le Christ est né dans une étable.

 

1. Eccli. III, 20. — 2. Jean, III, 21. — 3. Ib. I, 16. — 4. Ib. III, 29. — 5. Ps. L, 10. — 6. Matt. XXIV, 45.

SERMON CCXCIII. NATIVITÉ DE SAINT JEAN-BAPTISTE. VII. MISSION DU PRÉCURSEUR.
 

ANALYSE. — La mission confiée au saint précurseur avait pour but la gloire de Jésus-Christ et nos propres, intérêts. I. La gloire de Jésus-Christ. Si la naissance et la vie de saint Jean offrent tant d'analogies avec la naissance et la vie de Jésus-Christ, c'était pour que le témoignage rendu à Jésus-Christ par saint Jean fit sur les hommes une impression plus profonde. Qu'était-ce que Jésus-Christ? Le Fils de Dieu sans doute; mais le Fils de Dieu voilé dans un corps humain. Combien donc on devait être frappé de la parole de saint,Jean, de saint Jean qui paraissait le rival de Jésus-Christ et que plusieurs prenaient pour le Messie, lorsqu'on lui entendait répéter avec une conviction si profonde que Jésus était le Christ, qu'il était le Fils même de Dieu ! II. Nos propres intérêts. En effet Jésus-Christ incarné est notre médiateur, médiateur nécessaire à tous, tu enfants mêmes, puisque les enfants sont coupables et reçoivent le baptême. Rien donc de plus indispensable que de nous attacher à lui. Or, n'est-ce pas ce que nous apprend encore saint Jean, soit lorsqu'à l'approche de Jésus il tressaille comme pour implorer de lui le salut, soit lorsque dans le Jourdain il lui demande et reçoit sans doute de lui le baptême?

 

1. Nous célébrons aujourd'hui la fête de saint Jean, dont nous venons d'entendre avec admiration lire la naissance dans le récit évangélique. Quelle n'est pas la gloire du luge, si telle est celle de son héraut? Quel n'est pas Celui qui doit venir, si tel est celui qui lui prépare la voie?

L’Eglise considère la nativité de saint Jean comme une fête sacrée, et parmi tous les Pères il n'en est pas un seul dont nous célébrions solennellement la naissance. Nous célébrons la naissance de Jean, nous célébrons aussi celle du Christ : ce rapprochement ne saurait être sans raison, et si nos explications ne peuvent s'élever à la hauteur de ce grand mystère, nous y penserons avec plus de fruit et avec plus de profondeur. Jean naît, d'une mère âgée et stérile; le Christ, d'une Mère jeune et Vierge. Jean est le fruit de la stérilité; le Christ, celui de la virginité. Pour donner naissance à Jean, l'âge de ses parents n'était plus convenable ; et pour donner naissance au Christ, l'union des sexes a fait défaut. L'un est annoncé par le message d'un ange; à la voix d’un ange l'autre est conçu. Le père ne croit pas à la future naissance de Jean, et il devient muet; la mère croit au Christ qui lui est annoncé, et sa foi l'amène dans son sein; la foi descend dans son coeur, puis la fécondité dans ses entrailles. Les paroles toutefois sont à peu près les mêmes de part et d'autre. A l'ange qui annonçait Jean, Zacharie répond : « Comment m'assurer de cela? car je suis vieux, et mon épouse est déjà fort avancée en âge » ; et quand le même ange prévint Marie qu'elle allait devenir Mère, la sainte reprit. « Comment cela se fera-t-il ? car je ne connais point d'homme » : les expressions sont presque identiques. A Zacharie il est dit : « Voilà que tu seras muet, sans pouvoir parler, jusqu'à ce que ces événements s'accomplissent ; parce que tu n'as pas eu foi à mes paroles, qui se réaliseront dans leur temps ». A Marie au contraire: « L'Esprit-Saint surviendra en vous, et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre ; c'est pourquoi le Saint qui naîtra de vous s'appellera le Fils de Dieu ». Le premier donc est repris, la seconde renseignée. A l'un il est dit: Parce que tu n'as pas eu foi; à l'autre: Recevez ce que vous avez demandé. Encore une fois, ce sont presque les mêmes paroles de part et d'autre. « Comment m'assurer de cela ? — Comment se fera cela ? » Mais Celui qui entendait ces paroles voyait aussi le coeur sans qu'aucun repli lui demeurât caché. Le langage de chacun d'eux voilait une pensée; mais si cette pensée était voilée, elle l'était pour les hommes et non pour l'ange, ou plutôt pour Celui qui s'exprimait par l'organe de l'ange.

Enfin. Jean naît à l'époque où le jour diminue et où la nuit commence à croître; le Christ naît au moment où la nuit décroît et où le jour augmente. Ne semble-t-il pas que le précurseur ait eu en vue ces époques mystérieuses des deux naissances lorsqu'il disait : (452)  « Il faut qu'il croisse et que je diminue(1) ? » Voilà ce que nous nous sommes proposé d'examiner et d'approfondir. Mais j'ai cru devoir mettre tout cela en avant, et si le défaut de temps ou de lumière nous empêche de pouvoir sonder tous les replis de ce profond mystère, il sera suppléé avantageusement à notre enseignement par Celui qui vous parle intérieurement, même en notre absence, par Celui en qui se repose pieusement votre pensée, que vous avez reçu dans votre coeur, et dont vous êtes devenus les temples.

2. Jean paraît être une limite établie entre les deux Testaments, l'Ancien et le Nouveau. Le Seigneur même enseigne qu'il est en quelque sorte cette limite, lorsqu'il dit: « La loi et les prophètes jusqu'à Jean-Baptiste (2) ». Jean personnifie ainsi l'antiquité et annonce les temps nouveaux. Comme chargé de personnifier l'antiquité, il naît de parents âgés; et comme chargé d'annoncer les temps nouveaux, il se montre prophète dès le sein de sa mère. Car il n'était pas né encore, lorsqu'à l'arrivée de sainte Marie, il tressaillit dans le sein maternel. Là déjà il était marqué du caractère prophétique, marqué avant de naître; et il montra de qui il était le précurseur avant même de l'avoir vu. Ce sont là des traits divins et qui dépassent les bornes de ce que peut la faiblesse humaine. Enfin il naît, reçoit son nom, et la langue de son père se dénoue (3).

Rapproche ce fait de ce que figure saint Jean, pourvu que tout en en signalant peut-être la signification, tu ne nies pas la réalité du fait en lui-même. Rapproche donc ce fait de ce qui est figuré par Jean, et vois quel profond mystère. Zacharie garde le silence, il perd l'usage de la parole jusqu'à ce qu'en naissant le précurseur du Seigneur lui rouvre la bouche. Que rappelle ce silence de Zacharie, sinon que les prophéties étaient voilées, et en quelque sorte cachées et scellées jusqu'à la prédication du Christ; tandis qu'elles s'ouvrent à son avènement, et qu'elles s'éclaircissent quand doit arriver Celui dont elles parlent ? Ainsi la bouche ouverte à Zacharie au moment de la naissance de Jean a le même sens que le voile du temple déchiré quand Jésus était en croix. Si Jean s'était simplement annoncé lui-même, il n'aurait pas ouvert la bouche à Zacharie ; mais la langue de celui-ci

 

1. Jean, III, 30. — 2. Luc, XVI, 16. — 3. Luc, I.

 

se délie, parce que la naissance de son fils est « la naissance de la voix. En effet, quand jean prêchait déjà Jésus-Christ, on vint lui demander : « Qui êtes-vous? » et il répondit: « Je suis la voix de Celui qui crie dans le désert (1) ».

3. Jean est la voix, mais dès le commence. ment le Seigneur était le Verbe (2). C'est pour un temps que Jean est la voix: Verbe dès le principe, le Christ est Verbe pour l'éternité. Supprime la parole : qu'est-ce que la voix? Il ne reste qu'un vain bruit, là où manque le sens. Ainsi la voix qui n'est point parole frappe l'oreille sans édifier le coeur. Remarquons ce qui se passe dans notre cœur lorsqu'il s'agit de l'édifier. Si je réfléchis à ce que je veux dire, la parole est déjà dans mon coeur; mais en cherchant à m'adresser à toi, je suis en quête de la manière dont je ferai passer dans ton esprit ce qui déjà est dans le mien. En examinant ainsi comment te faire parvenir, comment te mettre au cœur la parole, l'idée qui est en moi, je recours à la voix, et avec ma voix je te parle. Le son de ma voix conduit jusqu'à ton esprit l'intelligence de mon idée, et quand le son t'a ainsi conduit le sens de mon idée, ce son passe ; mais l'idée conduite par ce son est en toi, sans que je l'aie perdue: Quand donc le son t'a ainsi mené mon idée, ne semble-t-il pas te dire : « Il faut qu'elle croisse et que je diminue? » Le son de ma voix a fait son oeuvre et en disparaissant il semble s'écrier: «Ma joie est ainsi accomplie (4) ». Mais nous gardons l'idée, faisons-la entrer comme dans la moelle de nous-mêmes, ne la perdons pas.

Veux-tu voir la voix qui passe et la divinité du Verbe qui demeure ? Où est maintenant le baptême de Jean ? Il a fait son oeuvre et il s'en est allé ; au lieu que le baptême du Christ est toujours en usage. Tous encore nous croyons au Christ, nous espérons en lui le salut. C'est ce que nous a fait entendre la voix. Aussi, comme il est difficile de discerner la parole de la voix, Jean a été pris pour le Christ. La voit a été prise pour la Parole; mais pour n'offenser pas la Parole, la voix a reconnu ce qu'elle était « Je ne suis, a-t-elle dit, ni le Christ, ni Elie, ni un prophète. — Qui donc êtes-vous? » ajouta-t-on. — « Je suis, reprit-elle, la voix de Celui qui crie dans le désert : Préparez la voie au Seigneur (4) ». — « La voix de Celui qui crie

 

1. Jean, I, 22, 23. — 2. Ib. I. — 3. Jean, III, 30, 29. — 4. Ib. I, 20-23.

 

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dans le désert » ; qui rompt le silence. « Préparez la voie au Seigneur ». C'était comme dire: Si je me fais entendre; c'est pour l'introduire dans vos coeurs ; mais si vous ne lui préparez la voie, il ne daigne pas venir où je voudrais le faire entrer. Que signifie : « Préparez la voie», sinon: Priez avec ardeur? Que signifie: « Préparez la voie », sinon : Soyez humbles dans vos pensées ? Imitez en lui ses exemples d'humilité. On le prend pour le Christ ; il dit qu'il n'est pas ce qu'on pense de lui, et il ne profite pas, pour s'élever, de l'erreur d'autrui. Fil disait : Je suis le Christ, avec quelle facilité on le croirait, puisque avant qu'il eût rien dit, on le croyait déjà ! Il ne dit pas cela, il sait ce qu'il est, il ne se confond pas avec le Christ, il s'humilie. Il sait où trouver le salut; et comprenant qu'il n'est qu'un flambeau, il craint de s'éteindre au souffle de l'orgueil.

4. Aussi Dieu se plut-il à voir rendre ainsi témoignage au Christ, un homme comblé de tant de grâces qu'il pouvait passer pour le Christ. « Parmi les enfants des femmes, dit le Christ lui-même, nul ne s'est élevé au-dessus de Jean-Baptiste (1)». Mais si nul homme ne surpassa Jean, Celui qui le surpassait était sûrement plus qu'un homme. Voilà certes un remarquable témoignage que le Christ se rend à lui-même. Mais pour des yeux chassieux et malades, le jour est peu sensible.

Cependant si les yeux malades redoutent la lumière du jour, ils supportent celle d'un flambeau. Voilà pourquoi le Jour, avant de paraître, se fit précéder d'un flambeau ; il s'en fit précéder aux yeux des fidèles, et pour confondre les incrédules. «J'ai préparé, est-il dit, un flambeau à mon Christ ». C'est Dieu le Père qui s'exprime ainsi dans une prophétie. J'ai préparé un flambeau à mon Christ » : ce flambeau est Jean, le héraut du Sauveur, le précurseur du Juge, l'ami de l'Epoux qui va venir. « J'ai préparé un flambeau à mon  Christ ». Pourquoi le lui avez-vous préparé? « Je couvrirai ses ennemis de confusion, et sur sa tête fleurira ma sainteté (2) ». Comment ce flambeau a-t-il servi à couvrir ses ennemis de confusion? Ouvrons l'Evangile. Les Juifs calomniateurs y disent au Seigneur : « En vertu de quel pouvoir agis-tu ainsi? Si tu es le Christ, dis-le nous sans détour ». Ils cherchaient, non pas à croire, mais à accuser; non

 

1. Matt. XI, 11. — 2. Ps. CXXXI, 17, 18.

 

pas à se sauver, mais à le surprendre. Aussi remarquez ce que leur répondit Celui qui lisait dans leurs coeurs; il va prendre le flambeau pour les couvrir de confusion. « A mon tour, leur dit-il, je vous ferai aussi une a question. Dites-moi, le baptême de Jean, d'où vient-il ? du ciel ou des hommes ? » Frappés tout à coup et, bien que la lumière ne rayonnât que faiblement à leurs yeux, réduits à tâtonner, parce qu'ils ne pouvaient rester en face du jour, ils coururent se cacher dans les ténèbres de leur coeur, et là ils se troublèrent, heurtant et se précipitant de tous côtés. « Si nous répondons », se disaient-ils dans le secret de leurs pensées où les discernait l'œil du Sauveur; « si nous répondons qu'il vient du ciel, il nous demandera: Pourquoi donc n'avez-vous pas cru à sa parole? » Jean en effet avait rendu témoignage au Christ comme étant le Seigneur même. « Mais si nous répondons qu'il vient des hommes, le peuple va nous lapider », attendu que Jean passait pour un grand prophète. Ils répliquèrent alors « Nous ne savons ». Vous ne savez ! vous êtes donc dans les ténèbres, vous perdez la vue. Qu'il serait bien préférable, lorsqu'il survient des ténèbres dans le coeur humain, d'y faire entrer la lumière au lieu de l'en écarter ! Dès qu'ils eurent répondu : « Nous ne savons », le Seigneur reprit: «Je ne vous dis pas non plus en vertu de quel pouvoir j'agis ainsi (1) », car je sais dans quel dessein vous dites : «Nous ne savons » : vous ne voulez pas vous instruire, vous redoutez de faire un aveu.

5. Autant que l'homme est en état de le comprendre, et le meilleur comprend mieux, de même que comprend moins celui qui vaut moins, cette disposition providentielle nous révèle un profond mystère. Le Christ devait venir parmi nous avec un corps; c'était le Christ, non pas un ange, non pas un envoyé, non pas tout autre, mais Celui qui doit les sauver Q. Celui qui devait venir n'était donc pas le premier venu; et pourtant, comment devait-il venir? Il devait naître avec un corps mortel, être petit enfant, placé dans une crèche, enveloppé de langes, se nourrir de lait, croître avec l'âge et finir par être victime de la mort. C'étaient autant d'actes d'humilité et d'humilité extrême. Or, qui devait s'humilier ainsi? Le Très-Haut. Et combien

 

1. Matt. XXI, 23-27. — 2. Isaïe, XXXV, 4.

 

454

 

est-il élevé ! Ne cherche point sur la terre de terme de comparaison, élève-toi jusqu'au-dessus des astres. Lorsque tu te seras approché des célestes armées des anges, elles te diront Monte plus loin encore. Arrivé près des Trônes, des Dominations, des Principautés et des Puissances, on te dira de nouveau : Encore plus loin; nous aussi nous sommes des créatures : « Tout a été fait par lui ». Elève-toi au-dessus de la création entière, au-dessus de tout ce qui a été formé, établi, au-dessus de tout ce qui est muable, corporel ou incorporel, enfin, au-dessus de tout. Tu ne saurais t’élever encore ainsi réellement, élève-toi par la foi, élève-toi jusqu'au Créateur, élève-toi jusqu'à lui, guidé et précédé par la foi. Là, contemple le Verbe qui était au commencement. Jamais il n'a été fait, mais au commencement il était. Il est dit de la créature : « Au commencement Dieu créa le ciel et la terre (1) ». Pour le Verbe, au contraire, il était dès le commencement, et jamais il ne fut sans être. Eh bien ! ce Verbe qui était au commencement; ce Verbe qui était en Dieu et qui était Dieu lui-même ; ce Verbe par qui tout a été fait, sans qui rien ne l'a été, et en qui est vie tout ce qui a été fait (2), est descendu vers nous. Vers nous? Le méritions-nous ? Nullement; nous étions bien indignes. Aussi « le Christ est-il mort pour des impies (3) » et des indignes, lui si digne. Car si nous ne méritions pas qu'il eût pitié de nous, il était digne, lui, de nous prendre en compassion et de s'entendre dire . « En considération de votre miséricorde, délivrez-nous, Seigneur ». Hélas ! nous ne l'avons pas mérité jusqu'alors; mais « en considération de votre miséricorde, délivrez-nous,  Seigneur, et pour la gloire de votre nom, pardonnez-nous nos péchés (4) ». Nous ne sollicitons point ce pardon à cause de nos mérites, puisque nos mérites sont des péchés; mais « pour la gloire de votre nom ». Des pécheurs, hélas ! ne méritent point des récompenses, mais des supplices; et voilà pourquoi nous disons: « Pour la gloire de votre nom ».

Tels sont ceux vers qui il vient, telle est la grandeur de Celui qui s'approche de nous. Mais comment vient-il? Sûrement «le Verbe s'est fait chair » pour habiter parmi nous (5). S'il n'était venu qu'avec sa divinité, qui aurait pu supporter sa majesté ? qui l'aurait

 

1. Gen. I, 1. — 2. Jean, I, 1-14. — 3. Rom. V, 6. — 4. Ps. LXXVIII, 9. . — 5. Jean, I, 14.

 

accueilli? qui l'aurait reçu? Pour ne pas nous laisser ce que nous étions, il a pris, non pas ce que nous étions par notre faute, mais ce que nous étions par notre nature. S'il s'est fait homme pour se donner aux hommes, il ne s'ensuit pas que pour se donner aux pécheurs il se soit fait pécheur. De ces deux parties de notre humanité, la nature et la faute, il a pris l'une et il a guéri l'autre. S'il s'était chargé de nos iniquités, lui aussi n'aurait-il pas eu besoin d'un Sauveur? Et pourtant il s'en est chargé, mais pour en porter le poids et nous en délivrer, et non pour les garder, tandis que voilant sa divinité il s'est montré homme au milieu des hommes.

6. Qui donc rendra témoignage à ce grand Jour caché en quelque sorte dans les nuages de la chair ? Donne-moi un flambeau pour me montrer le Jour ; donne à ce flambeau tant d'éclat que le Jour seul le surpasse en splendeur, « Parmi les enfants des femmes, nul ne s'est élevé au-dessus de Jean-Baptiste (1) ». Oh ! quelle ineffable Providence ! Pour moi, mes frères, lorsque je réfléchis à cela; je suis frappé d'admiration au souvenir de ce que, d'après l'Evangile, saint Jean dit du Christ; « Je ne mérite pas, ce sont ses expressions, de dénouer les courroies de sa chaussure (2) ». Se peut-il rien de plus humble? Mais aussi quoi de plus élevé que le Christ? et quoi de plus bas qu'un homme crucifié? « L'Epoux est Celui à qui appartient l'épouse; pour l’ami de l'Epoux, il reste debout, il l'écoute, et se trouve fort heureux d'entendre sa voix (3) », et non de parler lui-même. « Nous, dit encore saint Jean, nous avons tous reçu de sa plénitude (4) » . Que de grandes choses il dit du Christ ! combien est magnifique, combien est relevé, combien est digne ce qu'il nous en apprend, si toutefois on peut dire de lui quelque chose qui soit en rapport avec lui ! Nonobstant, Jean. Baptiste ne marche point parmi ses disciples, il ne le suit point comme le suivent Pierre, André, Jean et leurs compagnons. Lui-même a aussi réuni des disciples, et il les conserve, bien que le Seigneur soit près de lui avec les siens. On les appelait les disciples de Jean, et on ne craignait pas de dire au Seigneur lui. même : « Pourquoi les disciples de Jean jeûnent-ils, tandis que les vôtres ne jeûnent pas (5)? »

 

1. Matt. XI, 11. — 2. Jean, I, 27. — 3. Ib. III, 29. — 4. Ib. I,16. — 5. Marc, II, 18.

 

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Eh bien ! c'est qu'il était nécessaire que le Christ fût prêché par un précurseur fidèle qu'on pouvait regarder comme son rival.Jean avait des disciples, le Christ aussi en avait; Jean paraissait enseigner en dehors de son école, mais il lui était attaché intimement et lui rendait témoignage. Voilà pourquoi « nul parmi les enfants des femmes ne s'est élevé au-dessus de Jean-Baptiste ». Des prophètes ont paru avec des disciples aussi, mais quand le Seigneur n'était pas là. Vinrent ensuite les grands Apôtres, mais comme disciples du Christ et non comme ayant pu avoir des disciples en même temps que Lui. Jean au contraire a des disciples, il appelle à lui, il baptise; mais où, mes frères? Est-ce en dehors de lui ou d'accord avec lui ? C'était de plein accord avec lui et pour être, vu qu'il était homme, sauvé par Dieu: s'il paraissait agir en dehors, c'était pour donner plus d'autorité à son témoignage. Remarque bien cette circonstance : Quand, par exemple, Pierre, André, Jean et les autres rendaient témoignage au Sauveur, on pouvait leur dire: Vous louez après tout Celui que vous suivez, vous prêchez Celui à qui vous vous êtes donné. Vienne donc le flambeau destiné à confondre les ennemis du Christ, qu'autour de lui accourent des disciples. Le Christ en a, Jean aussi. Le Christ baptise, Jean aussi ; et quand on aient à Jean, on lui dit : « Celui à qui vous avez rendu témoignage, le voilà qui baptise, et tous courent à lui ». C'était comme pour exciter sa jalousie et l'amener à dire du Christ quelque mal. Mais c'est alors que la flamme de ce flambeau vacille moins que jamais, qu'elle jette un plus vif éclat, qu'elle est plus nourrie et d'autant moins exposée à s'éteindre qu'elle montre plus distinctement la vérité. «Je vous ai déjà dit, leur répond Jean, que je ne suis pas le Christ. L'Epoux est Celui à c qui appartient l'épouse; Celui qui est descendu du ciel l'emporte sur  tous (1)». Ceux qui ajoutèrent foi à sa parole furent alors saisis d'une admiration qui se reporta sur le Christ; quant aux ennemis du Sauveur, ils furent couverts de confusion en voyant comme forcé de publier sa gloire celui qui aurait pu lui porter envie. Ici en effet le serviteur est contraint de reconnaître son Seigneur, la créature, de rendre témoignage au Créateur;

 

1. Jean, III, 26-31.

 

ou plutôt il n'y a point contrainte ici, mais plaisir; Jean n'est pas un envieux mais un ami, et son zèle n'est pas pour lui, mais pour l'Epoux.

7. C'est ce qu'on voit dans les amis d'un époux ordinaire. C'est en effet une coutume dans les mariages humains de choisir, indépendamment des autres amis, un ami plus intime, un confident des secrets de l'union conjugale, que l'on nomme paranymphe. Mais il y a ici une différence, et une différence énorme. Dans les noces humaines, c'est un homme qui sert de paranymphe à un homme ; ici c'est Jean qui sert de paranymphe au Christ; mais le Christ, mais l'Epoux est Dieu , et comme homme il est médiateur entre Dieu et les hommes. Comme Dieu, il n'est pas médiateur, il est égal à son Père, il a la même nature que lui, il est un seul Dieu avec lui. Comment aurait pu être médiatrice cette nature suréminente si loin de laquelle nous étions relégués et abattus sous le poids du mal ? Pour être médiateur, il faut que le Fils de Dieu devienne ce qu'il n'était pas; et qu'il demeure ce qu'il était, pour que nous puissions parvenir jusqu'à lui. En effet, ne voyez-vous pas que Dieu est au-dessus de nous , que nous sommes au-dessous de lui, qu'entre lui et nous s'étendent des espaces immenses, surtout.depuis que le péché nous rejette et nous relègue si loin de lui ? Comment franchir une telle distance pour arriver jusqu'à Dieu ? Dieu reste ce qu'il est ; mais une nature humaine s'unit à lui de manière à ne former avec lui qu'une même personne. Il n'est donc pas ce qu'on pourrait appeler un demi-Dieu, un être moitié Dieu et moitié homme; il est à la fois complètement Dieu et homme complètement, Dieu libérateur et homme médiateur; c'est par lui que nous allons à lui, ce n'est point par un autre que nous allons à qui n'est pas lui; mais c'est par le moyen de ce que nous sommes en lui que nous allons à lui comme Auteur de notre être.

L'Apôtre connaissait la divinité du Christ , aussi disait-il de lui, en parlant de ce qu'avaient mérité les Juifs jusqu'alors : « Dont les pères sont ceux de qui est sorti, selon la chair, le Christ même, qui est, au-dessus de toutes choses, Dieu béni pour tous les siècles (1)». Mais tout en reconnaissant que le Christ était Dieu, Dieu au-dessus de tout, et au-dessus de

 

1. Rom. IX, 5.

 

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tout pour avoir tout fait; lorsqu'il eut à parler de son rôle de médiateur, il ne le nomma point Dieu, attendu que s'il est médiateur, ce n'est pas comme Dieu, mais comme Dieu fait homme. « Il n'y a qu'un Dieu » , dit-il. Comme vous êtes catholiques et catholiques instruits, vous prêtez ici une oreille fort attentive. « Il n'y a qu'un Dieu ». Ne s'agit-il ici que du Père, que du Fils, que de l'Esprit-Saint? MaislePère, le Fils et le Saint-Esprit ne forment qu'un seul Dieu. Donc « il n'y a qu'un Dieu, il n'y a non plus qu'un seul médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ, homme (1) ». —Si l'Apôtre disait: Il n'y a qu'un Dieu; il n'y a non plus qu'un médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ; on prendrait le Christ pour un Dieu d'ordre inférieur; car il semblerait séparé de la Trinité divine, s'il était dit simplement : Il n'y a qu'un Dieu; il n'y a non plus qu'un médiateur entre Dieu et les hommes, c'est Jésus-Christ, attendu qu'il ne paraîtrait pas être ce Dieu que l'Apôtre dit unique. Mais l'unité de Dieu comprenant le Père, le Fils et le Saint-Esprit, la divinité du Sauveur reste dans l'unité divine, et par son humanité il devient médiateur.

8. C'est cette médiation qui réconcilie avec Dieu la masse du genre humain, éloignée de lui par Adam. « Par Adam, en effet, le péché est entré dans le monde, et, à l'aide du péché , la mort; et ainsi elle a passé dans tous les hommes par celui en qui tous ont péché (2) ». Qui aurait pu se tirer de là ? Se séparer de cette masse sur qui pèse la colère, pour être l'objet de la miséricorde divine ? « Qui te discerne, demande l'Apôtre ? et qu'as-tu que tu n'aies reçu (3)? » Ainsi, ce n'est pas le mérite, c'est la grâce qui nous sépare de cette masse. Si c'était le mérite, la séparation serait un droit ; si elle était un droit, elle ne serait point gratuité ; mais si elle n'était point gratuite , elle ne serait plus une grâce. C'est le raisonnement de l'Apôtre lui-même : « Si c'est par la grâce, dit-il, ce n'est plus par les oeuvres ; autrement la grâce ne serait plus une grâce (4)».

Tous donc, grands et petits, vieillards et jeunes gens, enfants de tout âge , tous nous devons le salut à un seul. « Car il n'y a qu'un a Dieu; il n'y a non plus qu'un médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ, homme. — Par un homme est venue la mort,

 

1. I Tim. II, 5. — 2. Rom. V, 12. — 3. I Cor. IV, 7. — 4. Rom. XI, 6.

 

et par un homme la résurrection des morts. Et comme tous meurent en Adam, tous revivront aussi dans le Christ (1) ».

9. Quelqu'un vient me dire ici: Comment est-il possible que ce soient tous ? Tous ? Ceux donc aussi qui seront jetés en enfer, condamnés avec le diable et tourmentés dans les feux éternels? Comment dire tous de part et d'autre? C'est que personne ne meurt que par Adam, et que personne ne ressuscite que par le Christ. Si un autre qu'Adam était cause de notre mort, nous ne mourrions pas tous en Adam; et si un autre que le Christ nous rendait la vie, nous ne revivrions pas tous dans le Christ.

10. Quoi ! me dira-t-on encore, un enfant même aurait besoin d'être délivré ? Sans aucun doute : nous en avons pour garant cette mère qui court à l'église avec son petit pour le faire baptiser. Nous en avons pour garant notre sainte mère l'Eglise elle-même qui reçoit ce petit pour le purifier, soit qu'elle doive le laisser mourir après l'avoir délivré, ou le faire élever avec piété. Qui oserait élever la voix contre une telle mère ? Nous en avons pour garant enfin les pleurs mêmes que répand cet enfant en témoignage de sa misère. Si peu intelligente qu'elle soit, cette faible nature atteste à sa manière son malheureux état; elle ne commence point par rire, mais par pleurer. Ah ! reconnais cette triste situation et prête-lui secours. Que, tous ici prennent des entrailles de miséricorde. Moins ces petits peuvent faire pour eux-mêmes, plus nous devons parler en leur faveur: L'Eglise a coutume de protéger les intérêts des orphelins : ah ! parlons tous pour eux, tous portons-leur secours afin de les faire échapper à la perte du patrimoine céleste. C'est pour eux que leur Seigneur s'est fait petit enfant. Comment n'auraient-ils point part à la délivrance qu'il assure, puisque les premiers ils ont mérité d'être mis à mort pour lui ?

11. Ajoutons qu'au moment où on annonçait la prochaine naissance du Sauveur, il fut dit de lui : « On lui donnera le nom de Jésus, parce qu'il sauvera son peuplé de ses péchés (2) ». Nous possédons Jésus, nous connaissons la signification de son nom. Pourquoi? pourquoi s'appelle-t- il Jésus, c'est-à-dire Sauveur? «C'est qu'il sauvera son peuple ». Mais Moïse aussi l'a sauvé . avec la main puissante et le secours

 

1. I Cor. XV, 21, 22. — 2. Matt. I, 21.

 

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du Très-Haut, il l'a sauvé de la persécution et de la tyrannie des Egyptiens; Jésus, fils de Navé, l'a sauvé des attaques et des guerres que lui faisaient les gentils ; les juges l'ont sauvé en le délivrant des Philistins, les rois également l'on sauvé en l'arrachant au joug des gentils qui ne cessaient d'aboyer autour de lui. Ce n'est pas ainsi que le sauve Jésus; il le sauve « de ses péchés. — On lui donnera le nom de «Jésus ». Pourquoi ? « Parce que lui-même sauvera son peuple ». De quoi ? « de ses péchés ».

Parlons maintenant de ce petit enfant. On l'apporte à l'Eglise pour le baptiser, pour en faire un chrétien, pour le faire entrer, je présume, dans le peuple de Jésus. De quel Jésus? De Celui qui « sauvera son peuple de ses péchés ». Dans cet enfant il n'y a rien à sauver, qu'on l'emporte d'ici. Pourquoi ne disons-nous pas aux mères : Loin d'ici ces enfants ; Jésus est le Sauveur : si dans ces petits il n'y arien à sauver, emportez-les : « Ceux qui ont bonne santé n'ont pas besoin du médecin, mais les malades (1) ? » Pendant que se débattrait ainsi la cause de cet enfant, y aurait-il un seul homme pour oser me dire : J'ai un Jésus, celui-ci n'en a point? — Tu as un Jésus, cet enfant n'en a point? N'est-il pas venu près de Jésus ? Ne répond-on pas pour lui qu'il croira en Jésus? Etablissons-nous pour les enfants un nouveau baptême où il ne s'agit pas de la rémission des péchés ? Ah ! si cet enfant pouvait se défendre, comme il réfuterait ce contradicteur ! Il s'écrierait : Donnez-moi la vie du Christ; je suis mort en Adam; donnez-moi la vie du Christ, « car à ses yeux personne n'est pur, pas même l'enfant qui ne respire que depuis un seul jour sur la terre (2) ».

Fallût-il donner du sien, on ne refuserait point la grâce à ces petits. Qu'on ait de la. compassion pour ces infortunés. Pourquoi vanter démesurément leur innocence ? Qu'ils trouvent un Sauveur: ils ont le temps d'avoir des adulateurs. Quand ils sont si exposés, nous ne devons pas même discuter, dans la crainte de paraître par là retarder leur salut. Qu'on les apporte, qu'on les purifie; qu'on les délivre, qu'on leur donne la vie. « Comme tous meurent en Adam, ainsi tous revivront dans le Christ ». On ne peut venir dans la vie de ce

 

1. Matt. IX, 12. — 2. Job, XIV, 4, Sept.

 

monde que par Adam; on ne pourra échapper aux châtiments du siècle futur que par Jésus-Christ. Pourquoi leur fermer cette porte , quand il n'y en a qu'une? «Car il n'y a qu'un seul Dieu ; il n'y a non plus un seul médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ, homme ». Et c'est lui qui te crie, écoute : « Ceux qui ont bonne santé n'ont pas «besoin de médecin, mais les malades » . Pourquoi dire que cet enfant a bonne santé ? N'est-ce pas te mettre en contradiction avec le Médecin ?

12. Ainsi donc, poursuit-on, Jean-Baptiste lui-même, dont vous venez de nous dire de si grandes choses, serait né aussi avec le péché? — Tu n'as sûrement trouvé pour être exempt de péché à sa naissance, que celui que tu pourrais me montrer n'être pas de la race d'Adam. Jamais tu n'arracheras aux mains des fidèles cette vérité: « Par un homme est venue la mort, et par un homme la résurrection des morts. De même que tous meurent en Adam, ainsi tous revivront dans le Christ. Par un seul homme le péché est entré dans le monde, et par le péché, la mort, qui a ainsi passé dans tous les hommes». Si ces paroles étaient les miennes, aurais-je pu m'exprimer plus formellement? plus clairement ? plus intégralement ? « Ainsi la mort a passé dans tous les hommes par celui en qui tous ont péché ». Maintenant donc excepte Jean de cette loi. Si tu parviens à l'écarter du genre humain, à lui donner une autre origine que celle des descendants du premier couple, à le faire naître autrement que de l'union d'un homme et d'une femme, il ne sera point compris dans cet arrêt ; car Celui qui a voulu se placer en dehors a daigné naître d'une Vierge.

Pourquoi me pousser à examiner ce qu'a mérité Jean ? Dans le sein maternel il a salué le Seigneur ; mais, je le crois, il l'a salué en sollicitant de lui le salut. Il ne demande pas à être si malheureusement défendu par toi. Lorsqu'ensuite le Seigneur vient lui demander le baptême, il lui dit avec la conscience de partager l'infirmité commune : « C'est moi qui dois être baptisé par vous (1) ». Le Seigneur se présentait alors pour recommander l'humilité même en recevant le baptême et tout en consacrant ce sacrement ; car il a reçu le baptême dans sa jeunesse avec les

 

1. Matt. III, 14.

 

 

 

mêmes dispositions que la circoncision dans son enfance. Mais recommander l'utilité d'un remède, ce n'est pas faire l'éloge du mal. Quant au précurseur, dirait-il : « C'est moi qui dois être baptisé par vous », s'il était exempt de toute faute absolument, s'il n'y avait en lui rien à guérir, rien à purifier? Il croit avoir des dettes, et tu déclares le contraire, sans doute pour qu'il n'en soit pas déchargé. « C'est moi qui dois être baptisé par vous » ; j'ai besoin de votre baptême, il m'est nécessaire. Ce baptême, il le reçut alors ; car il n'était pas hors de l'eau, quand le Seigneur était dans l'eau.

Pourquoi en dire davantage? Maintenant au moins, s'il est possible, que la contradiction se taise, puisque le Sauveur lui-même a délivré son héraut.

SERMON CCXCIV. SAINT GOUDIN, MARTYR. DU BAPTÊME DES ENFANTS.
 

ANALYSE. — Après avoir rappelé qu'il n'a pu traiter suffisamment, dans le précédent discours, la question du baptême des enfants, saint Augustin annonce qu'il va continuer ce sujet, quoiqu'on célèbre la fête d'un martyr, en répondant aux objection des Donatistes. 1° Les Donatistes enseignent que s'il faut baptiser les enfants, ce n'est point pour leur assurer la vie éternelle, mais pour leur procurer l'entrée dans le royaume des cieux. Pitoyable raison, puisque l'Écriture nous présente indubitablement le royaume des cieux comme synonyme de la vie éternelle, et la vie éternelle comme synonyme du royaume des cieux. 2° Ils prétendent que les enfants ne sont souillés d'aucun péché, même originel, et si on leur cite ces paroles de Notre-Seigneur à Nicodème : « Quiconque ne renaîtra de l'eau et de l'Esprit-Saint n'entrera point dans le royaume de Dieu », ils reviennent à leur prétendue distinction entre ce royaume et la vie éternelle. Ils ne voient donc pas que dans le passage même qu'ils citent se trouve inscrite leur condamnation. Jésus y dit en effet que nul ne peut monter au ciel que lui-même, et conséquemment, qu'il faut lui être incorporé pour y parvenir, incorporation qui ne se fait pour les enfants que par la foi qui leur est communiquée avec le baptême ; puis il ajoute que celui qui n'a pas cette foi est déjà jugé ou condamné, qu'il est exclu de la vit éternelle et que la colère de Dieu demeure sur lui. 3° Quand on leur cite le texte de saint Paul enseignant que tous ont péché en Adam, ils répondent qu'il faut l'entendre en ce sens qu'Adam a été le premier pécheur et a entraîné par son exemple tous les hommes au mal. Mais c'est le démon qui a péché le premier. Dit-on néanmoins que nous avons péché dans le démon? De plus, Abel étant le premier juste, il faudrait ajouter que c'est en lui et non en Jésus-Christ que nous puisons la vie : ce qui est contraire à toutes les Écritures. 4° Les enfants de parents chrétiens ne doivent-ils pas être, eux au moins, exempts du péché originel.? Mais ce n'est point la partie régénérée des parents chrétiens qui engendre, c'est le vieil homme qui reste souillé. 5° Si Adam nuit à ceux mêmes qui n'ont pas péché, ne s'ensuit-il pas que le Christ doit faire le salut de ceux mêmes qui ne croient pas? Les Donatistes admettent cependant que le Christ fait du bien aux enfants baptisés. Reconnaissent-ils que ces enfants ont la foi ? ils sont d'avec nous. Prétendent-ils qu'ils ne l'ont pas ? comme ils reconnaissent alors que le Christ leur fait du bien quoiqu'ils ne croient pas, ils s'obligent à avouer qu'Adam aussi a fait du mal à ceux qui n'ont pas péché. 6° L'Apôtre ne dit-il pas expressément que les enfants des fidèles sont saints? Comme il dit que l'époux infidèle est sanctifié, c'est-à-dire, est aidé à se sanctifier par l'époux fidèle. 7° Enfin les Donatistes nous accusent d'enseigner une doctrine nouvelle.   Ils se trompent, et voici un texte très-formel de S. Cyprien qui dit formellement ce que nous disons. Nos frères égarés ont donc tort de nous traiter d'hérétiques : faisons tout ce que nous pouvons pour les faire rentrer dans le chemin de la vérité.

 

1. En parlant, le jour de la fête de saint Jean-Baptiste, de ce qui semblait se rattacher à notre sujet, nous avons été amenés à traiter du baptême des petits enfants. Mais comme notre discours était déjà long et que nous songions à le terminer, nous n'avons pas dit sur une aussi grave question tout ce que notre sollicitude nous obligeait de dire en face d'un pareil danger. Ce qui nous inquiète effectivement, ce n'est pas la décision rendue depuis longtemps sur ce sujet dans l'Église catholique et appuyée sur l'autorité la plus imposante, ce sont les discussions que plusieurs cherchent à engager aujourd'hui pour la perversion d'un grand nombre. Aussi nous paraît-il convenable, en ce moment, d'aborder cette matière avec le secours du Seigneur. Il est vrai, nous célébrons la fête d'un martyr ; mais l'intérêt de tous les fidèles doit passer avant l'intérêt des martyrs seulement. D'ailleurs si tous les fidèles (459) ne sont pas martyrs, pour être martyr il faut d'abord être fidèle. Ainsi donc examinons ce que disent nos adversaires, voyons ce qui les touche : nous devons songer en effet moins à les réfuter qu'à les guérir.

2. Ils admettent qu'on doit baptiser les petits enfants. Il ne s'agit donc pas entre eux et nous de savoir si on doit conférer le baptême à ces petits, mais de constater pour quel motif on le leur doit conférer. Point de doute sur ce qu'ils reconnaissent avec nous ; point d'hésitation, personne n'en a, pas même eux qui pourtant nous contredisent, en quelque point, sur la nécessité de baptiser les enfants.

Voici le sujet précis de la querelle : Nous enseignons, nous, que les enfants n'obtiendront ni le salut ni la vie éternelle que s'ils reçoivent le baptême du Christ; ils prétendent, eux, que ce baptême ne leur assure pas la vie éternelle, mais le royaume des cieux. Nous allons exposer leur sentiment le mieux qu'il nous sera possible : soyez un instant attentifs. Un petit enfant, disent-ils, a le mérite de l'innocence ; il n'est souillé d'aucun péché, ni personnel, ni originel, ni par son propre fait ni par le fait d'Adam; il est donc nécessaire que sans même être baptisé il obtienne le salut et la vie éternelle: il faut toutefois le baptiser pour le faire entrer dans le royaume de Dieu, en d'autres termes, dans le royaume des cieux. Faut-il discuter cette assertion ? Oui, mais dans l'intérêt de nos frères plutôt que dans le nôtre. Sans doute ils se sont troublés en face d'une question si profonde; mais ils devraient se laisser gouverner par l'autorité. En soutenant que ce n'est ni en vue du salut ni en vue de la vie éternelle, mais seulement en vue du royaume des cieux, du royaume de Dieu, que les enfants doivent être baptisés, ils reconnaissent la nécessité du baptême ; seulement ils ne veulent pas qu'il procure aux enfants l’éternelle vie, mais uniquement le royaume des cieux. Et cette éternelle vie? Ils l'auront, répondent-ils. Pourquoi l'auront-ils ? Parce que exempts de tout péché ils ne sauraient être du nombre des réprouvés. Il s'ensuit donc que l'éternelle vie est indépendante du royaume des cieux ?

3. Première erreur, qu'il faut ne plus laisser entendre, qu'il faut arracher de l'esprit. Prétendre que la vie éternelle est en dehors du royaume des cieux, que l'éternel salut n'est pas le royaume de Dieu, c'est assurément une chose nouvelle et inouïe dans l'Eglise. Considère tout d'abord, mon frère, si tu ne dois pas reconnaître avec nous que n'appartenir pas au royaume de Dieu, c'est être au nombre des réprouvés. Lorsque le Seigneur viendra juger les vivants et les morts, comme s'exprime l'Evangile, il fera deux grands partis, la gauche et la droite. A la gauche il dira : « Allez au feu éternel, qui a été préparé pour le diable et pour ses anges », et à la droite « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé dès l’origine du monde ». Ici donc c'est le royaume; là, c'est la damnation avec le diable : point de milieu pour y placer les enfants. Les vivants et les morts seront également jugés; les uns seront à la droite, les autres à la gauche je ne sais que cela. Toi qui nous parles d'un milieu, quitte-le, sans t'irriter contre ceux qui cherchent la droite. Je vais même te dire encore : Quitte le milieu , mais garde-toi d'aller à la gauche. Mais s'il y a une droite et une gauche sans que l'Evangile, au moins nous l'ignorons, parle d'un milieu quelconque, le royaume des cieux est sûrement à la droite : « Entrez en possession du royaume ». N'y être pas, c'est être à gauche. Qu'y aura-t-il à gauche ? « Allez au feu éternel ». Ainsi à la droite est réservé le royaume, sans aucun doute le royaume éternel ; et à la gauche le feu éternel aussi. Donc celui qui n'est pas à la droite est sans aucun doute à la gauche ; celui qui n'est pas dans le royaume est sans aucun doute aussi dans le feu éternel. Celui qui n'est pas baptisé pourra jouir, dis-tu, de l'éternelle vie, quoiqu.'il ne soit pas à la droite, en d'autres termes, dans le royaume ? Prendrais-tu le feu éternel pour la vie éternelle?

D'ailleurs, apprends plus formellement encore que le royaume ne diffère pas ici de l'éternelle vie. Le Seigneur a parlé d'abord du royaume réservé à la droite et du feu éternel destiné à la gauche. Mais il indique, en concluant l'arrêt irrévocable, ce qu'il faut entendre soit par le royaume, soit par le feu éternel. « Alors, dit-il, ceux-ci iront brûler éternellement, et les justes iront dans la vie éternelle (1) ». Ainsi d'après cette explication qu'il donne lui-même du royaume et du feu éternel, croire avec toi que, les petits enfants ne seront pas admis dans le royaume des cieux, ce serait

 

1. Matt. XXV, 33, 34, 41, 46.

 

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avouer qu'ils seront jetés dans l'éternelle flamme; puisque le royaume des cieux n'est autre chose que la vie éternelle.

4. L'apôtre saint Paul ne parle pas autrement. Lorsqu'il cherche à jeter l'effroi, non dans les petits enfants, non dans ceux qui n'ont pas reçu le baptême, mais dans l'âme des scélérats, des méchants, des débauchés, des hommes perdus de moeurs, il ne les menace pas du feu éternel où ils iront assurément s'ils ne se corrigent pas, mais il leur fait craindre d'être exclus du royaume ; son but étant de leur faire comprendre que n'ayant plus cette espérance ils ne peuvent plus s'attendre qu'au supplice des feux éternels. « Ne vous abusez pas, dit-il : ni les fornicateurs, ni les idolâtres, ni les adultères, ni les efféminés, ni les Sodomites, ni les avares, ni les voleurs, ni les ivrognes, ni les médisants, ni les rapaces, ne posséderont le royaume de Dieu ». Il ne dit pas : Ceux-ci et ceux-là, tels et tels seront tourmentés dans les éternelles flammes ; mais : « Ils ne posséderont point le royaume de Dieu ». Quand on n'est pas à la droite, on ne saurait être qu'à la gauche. Comment échapper au feu qui ne s'éteint point? On ne pourra y échapper que si on est admis dans le royaume.

L'Apôtre ajoute : « Il est vrai, vous avez été a cela ». Comment ne le sont-ils plus ? « Mais vous avez été lavés, mais vous avez été sanctifiés , mais vous avez été justifiés au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ et dans l'Esprit de notre Dieu (1) ». — « Au nom de a Notre-Seigneur Jésus-Christ. Car il n'y a sous « le ciel aucun autre nom par lequel nous a devions être sauvés (2) », nous tous, qui que nous soyons, petits ou grands. Or, si c'est par ce nom que nous devons être sauvés, en dehors de ce nom on n'obtiendra sûrement pas même l'espèce de salut qu'on promet aux enfants. Je ne veux blesser personne ; mais promettre le salut en dehors du Christ, n'est-ce pas se condamner à n'obtenir pas soi-même le salut dans le Christ ?

5. Faisons-leur une autre question : Qu'un homme vienne à vous affirmer qu'en vertu du mérite de leur innocence, comme vous vous exprimez, et de leur exemption de toute faute, les petits enfants obtiendront non-seulement le salut et l'éternelle vie, mais encore

 

1. I Cor. VI, 9.11. — 2. Act. IV, 12.

 

le royaume de Dieu , comment répondrez-vous ? Comment êtes-vous sûrs et certains que les enfants non baptisés ne parviendront pas au royaume de Dieu? Comment osez-vous, non pour venir au secours de ces petits, mais pour opprimer ces infortunés, faire une séparation arbitraire et leur donner le salut et la vie éternelle sans le royaume des cieux ? Voici un coeur qui l'emporte sur vous en bienveillance, en miséricorde, et à votre point de vue, en justice même ; il donne le tout à ces enfants, le royaume des cieux aussi bien que l'éternelle vie : comment le réfuterez-vous? Vous aimez quelquefois à vous appuyer sur le raisonnement humain pour vous élever contre l'autorité la plus évidente. Eh bien ! recourez maintenant à toutes vos règles de raisonnement et prouvez avec tous les arguments dont-vous pourrez disposer qu'il y a erreur à soutenir qu'en considération des mérites de leur innocence, de leur exemption de toute faute, comme vous vous exprimez, c'est-à-dire du péché originel, les enfants qui n'ont pas reçu le baptême obtiendront non-seulement la vie éternelle, mais encore le royaume des cieux. Oui, prouvez qu'il y a erreur dans cette assertion. Je vais, mais sans rien préjuger encore, la soutenir tant soit peu et exprimer ce dont je ne suis pas convaincu. Je vous en avertis pour vous faire mieux sentir les traits de l'adversaire.

6. Voici donc un homme; un homme quelconque qui vient vous dire : Dès qu'il n'a aucun péché absolument, ni commis par lui-même, ni contracté du premier homme, l'enfant parviendra sûrement à la vie éternelle et au royaume des cieux. Répondez, réfutez cette argumentation qui s'élève contre vous, car vous faites une distribution bien différente. Vous dites en effet :  Cet enfant qui n'a point reçu le baptême parviendra sans doute à la vie éternelle, mais non pas au royaume des cieux. Et eux : Il parviendra à l'un comme à l'autre. Pourquoi dépouiller cet innocent de ce royal et céleste patrimoine ? Le priver du royaume des cieux, n'est-ce pas le priver d'un bien immense? Où est ici la justice? Pourquoi cet arrêt ? En quoi a péché ce petit qui n'est pas baptisé, mais qui n'est souillé non plus d'aucune faute soit personnelle, soit héréditaire ? Comment a-t-il mérité, dis-le-moi, de n'entrer pas au royaume des cieux, de ne partager pas le sort des saints, d'être exilé de la (461) société des anges ? Tu te crois compatissant en ne lui ôtant pas la vie; tu ne le condamnes pas moins en le reléguant loin du royaume des cieux. Tu le condamnes, non pas en le frappant, mais en l'exilant. Sans aucun doute les exilés peuvent vivre s'ils ont la santé ; ils n'éprouvent point de douleurs corporelles, ne sont point mis à la torture ni jetés dans les désolantes ténèbres d'un cachot, et ils n'éprouvent d'autre peine que de n'être pas dans leur patrie. Mais s'ils aiment cette patrie, quel supplice 1 Et s'ils ne l'aiment pas, n'y a-t-il pas dans leur coeur un ulcère plus profond ? Le coeur n'est-il pas profondément gâté, s'il ne désire ni la société des saints ni le royaume des cieux ? S'il n'a point ces désirs, sa perversité même est un supplice; s'il les éprouve, la privation imposée à son amour est un supplice encore. Admet-on avec toi que ce supplice soit léger ? Le châtiment n'en est pas moins terrible, puisqu'il n'est mérité par aucune faute. Prends ici le parti de la justice de Dieu. Comment inflige-t-elle une peine, même légère, à un innocent où elle ne trouve absolument aucun péché ? Réfute donc cet adversaire qui, plus miséricordieux et plus juste que toi, veut accorder aux enfants qui n'ont pas reçu le baptême, non-seulement l'éternelle vie, mais encore le royaume des cieux. Réponds-lui, si tu le peux, mais en raisonnant, puisque tu es si fier de ta raison.

7. Pour moi, je sens combien cette question est profonde et je ne me reconnais pas la force de la sonder complètement. Je préfère, ici encore, m'écrier avec saint Paul: « O profondeur ! » Pour n'avoir pas été baptisé, un enfant est mis au nombre des réprouvés, car l'Apôtre dit expressément que la condamnation vient d'un seul homme (1) : je ne trouve pas à cette condamnation une raison suffisante. Est-ce à dire qu'il n'y en a pas de suffisante ? Non; mais je n'en trouve point. Or, si je ne découvre pas la profondeur même de cette profondeur, je dois l'attribuer à la faiblesse humaine, sans condamner une autorité divine. Je m'écrie donc et sans rougir: « O profondeur des trésors ode la sagesse et de la science de Dieu! Que ses jugements sont impénétrables et ses voies incompréhensibles ! Qui a connu la pensée du Seigneur? ou qui l'a assisté de ses conseils ? ou enfin qui lui adonné le premier et

 

1. Rom. V, 16.

 

sera rétribué? Car c'est de lui, et par lui, et en lui que sont toutes choses : à lui la gloire dans les siècles des siècles (1) ». Ces paroles vont servir d'appui à ma faiblesse, et soutenu par cette défense je vais rester inébranlable en face de tous les traits que va me lancer ta raison. Pour toi, guerrier ou raisonneur vigoureux, riposte à l'adversaire qui te crie : Je soutiens qu'innocent et exempt de tout péché, soit originel soit actuel, le petit enfant jouira tout à la fois de l'éternelle vie et du royaume des cieux. C'est justice: puisqu'il n'y a en lui aucun mal, pourquoi manquerait-il de quelque bien? — Je sais pourquoi, reprends-tu. — Pourquoi donc? — Parce que Dieu l'a dit. — Tu arrives enfin. Ainsi tu crois cela, non sur l'autorité de ton raisonnement, mais sur l'autorité du Seigneur même. Je t'en loue, sans arrière pensée; c'est bien : ne trouvant point de raison comme homme, tu as recours à l'autorité. J'applaudis, j'applaudis sans réserve ; tu fais bien; ne trouvant rien à répliquer, jette-toi dans les bras de l'autorité; je ne t'y poursuivrai point, je ne veux point t'en arracher, j'aime mieux t'accueillir et te presser sur mon coeur pour t'en féliciter.

8. Cite donc un témoignage de cette autorité, armons-nous-en l'un et l'autre pour résister à notre ennemi commun; car je dis comme toi que l'enfant sans baptême n'entre point dans le royaume des cieux; tandis que notre ennemi dit que cet enfant qui n'est point baptisé, n'y sera point reçu. Résistons tous deux, et opposons à ses traits perfides le bouclier de la foi.

Laissons de côté pour le moment les conjectures de la raison humaine et revêtons-nous d'une armure divine. « Couvrez-vous, dit l'Apôtre, de l'armure de Dieu (2) ». Disons tous deux à cet homme : Es-tu chrétien? — Oui, répond-il. — Eh bien ! toi qui veux mettre au ciel les enfants qui n'ont pas reçu le baptême, écoute l'Evangile; voici ce qu'il dit : « Quiconque ne renaîtra de l'eau et de l'Esprit-Saint, n'entrera point dans le royaume de Dieu». C’est l'arrêt formel du Seigneur; il n'y a pour y résister que celui qui n'est pas chrétien. — Nous avons repoussé l'agresseur: à nous deux maintenant. Ah ! si ce qui t'a servi à le vaincre pour son bonheur, pouvait aussi te désarmer pour le tien ! A moins d'être

 

1. Rom. XI, 33-36. — 2. Ephés. VI, 13.

 

462

 

complètement endurci, ton adversaire n'a pu être vaincu sans être éclairé par toi. Ne t'endurcis pas non plus, et tous deux en attendant, attachons-nous à cet arrêt: « Si on ne renaît de l'eau et de l'Esprit, on n'entrera point dans le royaume de Dieu ». — C'est sur cet arrêt si clair, reprends-tu, et c'est pour ne pas y contrevenir, que je ne saurais promettre le royaume de Dieu à l'enfant qui n'est pas baptisé. C'est cet arrêt qui me fait dire : Ces enfants ne posséderont pas le royaume de Dieu; et qui me fait dire encore : Pour qu'ils possèdent le royaume de Dieu, il faut les baptiser. — C'est pour cet arrêt, dis-tu ? — C'est pour cet arrêt même. — Examine pourtant si ce que nous avons dit plus haut ne montre pas qu'en dehors du royaume de Dieu il n'y a point de vie éternelle. Rien de plus clair en effet que ce qui est enseigné sur ces deux grands partis, la gauche et la droite, entre lesquels il n'y a pas moyen de placer un milieu où serait la vie indépendamment du royaume de Dieu. Quoi l ces considérations ne font-elles rien sur toi pour redresser ta manière de voir? Mais reviens un peu avec moi sur le texte même où tu appuies ton sentiment.

9. Si tu ne veux pas promettre le royaume des cieux aux petits enfants qui ne sont pas baptisés, c'est que ce serait, as-tu dit, aller contre cet arrêt manifeste : « Si quelqu'un ne renaît de l'eau et de l'Esprit, il n'entrera point dans le royaume des cieux ». Nicodème demanda alors comment cela pouvait se faire, comment un homme pouvait renaître, naître de nouveau, attendu qu'il ne saurait rentrer dans le sein de sa mère pour acquérir une nouvelle naissance. Mais n'as-tu pas remarqué ce que lui répondit le Seigneur, ce que lui dit ce bon Maître, ce que la Vérité dit à l'erreur?

Pour lui montrer en effet comment la chose pouvait avoir lieu, le Sauveur employa, entre autres moyens, une comparaison. Mais il dit d'abord : « Nul ne monte au ciel que Celui qui est descendu du ciel, que le Fils de l'homme qui est dans le ciel (1) ». Il était sur la terre; il n'en disait pas moins qu'il était au ciel, et ce qu'il y a de plus étonnant, c'est qu'il plaçait au ciel le Fils de l'homme lui-même. C'était pour montrer que dans ses deux natures il ne formait qu'une seule personne, soit comme Fils de Dieu égal au Père, comme Verbe de

 

1. Jean, III, 5, 13.

 

Dieu, existant au commencement et Dieu dans le sein de Dieu, soit comme Fils de l'homme, comme revêtu d'une âme humaine et d'un corps humain, comme homme enfin vivant avec les hommes; car sous ce double rapport il n'y a ni deux Christs ni deux Fils de Dieu, mais une seule personne, un seul Christ, qui est, en même.temps Fils de Dieu et Fils de l'homme, sans cesser d'être le même Christ; Fils de Dieu à cause de sa divinité et Fils de l'homme à cause de son humanité. Nous qui sommes si peu attentifs ou si peu éclairés, n'aurions-nous pas préféré mettre au ciel le Fils de Dieu et le Fils de l'homme sur la terre? Pour écarter de nous l'idée d'une telle distinction qui pourrait introduire la croyance à deux personnes, « nul n'est monté au ciel, dit le Seigneur, que Celui qui est descendu du ciel, que le Fils de l'homme ». C'est donc le Fils de l'homme qui est descendu du ciel. Pour. tant n'est-ce pas sur la terre, n'est-ce point dans le sein de Marie qu'il est devenu Fils de l'homme? Garde-toi bien, ô homme, de séparer ce que je veux unir.

C'est peu encore que le Fils de l'homme soit descendu, puisque c'est le Christ qui est descendu et que le Christ est en même temps Fils de Dieu et Fils de l'homme : ce même Fils de l'homme siège au ciel, tout en marchant sur la terre. Il était au ciel, puisque le Christ est partout et puisque le Christ est Fils de Dieu et Fils de l'homme tout à la fois. L'unité de personne met sur la terre le Fils de Dieu comme elle met au ciel le Fils de l'homme, ainsi que nous l'avons prouvé par ces paroles : « Le Fils de l'homme, qui est au ciel ». N'est-ce pas également à cause de cette unité de personne que tout placé et tout visible qu'il fût sur la terre, Pierre lui disait: « Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant (1)? »

10. Que Nicodème apprenne donc mainte. nant comment peut s'accomplir ce qu'il comprend peu en ce moment, ce qui lui parait incroyable et comme impossible, savoir: «Nul ne monte au ciel que Celui qui en est descendu ».

Quels sont ceux qui montent certainement au ciel? Tous ceux qui sont régénérés, et pas un seul de ceux qui ne le sont pas. De plus, tous ceux qui sont régénérés, c'est parla grâce de Dieu qu'ils montent au ciel : « Nul ne monte

 

1. Matt. XVI, 17.

 

463

 

au ciel que Celui qui est descendu du ciel, que le Fils de l'homme qui est dans le ciel » . Comment cela ? Parce que tous ceux qui sont régénérés deviennent les membres du Christ, du Christ qui reste toujours un, soit qu'on le considère comme Fils de Marie, soit qu'on le considère comme Chef du corps qui lui est uni. Voilà ce qu'il a voulu faire entendre par ces mots: « Nul ne monte que Celui qui est descendu ». Ainsi nul ne monte que le Christ. Veux-tu monter? Fais partie de son corps. Veux-tu monter? Sois l'un de ses membres. « Comme notre corps, qui est un, est composé de plusieurs membres, et que tous ces membres du corps, bien que nombreux, ne sont tous néanmoins qu'un seul corps; il en est de même du Christ (1) » ; car le Christ est tout à la fois la tête et le corps. Mais cherchons encore le secret de ce mystère: la question est obscure, on dirait que c'est un abîme qui s'approfondit encore.

11. Le Christ n'est coupable d'aucun péché; il n'a point contracté le péché originel et il n'y a point ajouté de péché personnel. Conçu sans aucune impression de volupté, en dehors de toute union sexuelle, il n'a pris dans le corps virginal de sa mère aucune maladie, il y a puisé le remède : il n'en a rien emporté à guérir; mais de quoi guérir; je parle de ce quia rapport au péché. Seul donc il est exempt de souillure: comment alors deviendrons-nous ses membres, nous dont aucun n'est sans péché ? Ecoute la comparaison suivante : « Et de même que Moïse a élevé un serpent dans le désert, ainsi faut-il que soit élevé le Fils de l'homme, afin que quiconque croit en lui ne périsse pas, mais possède la vie éternelle (2) ». Pour quel motif te semblait-il que les pécheurs ne pouvaient devenir membres du Christ, du Christ complètement exempt de péché ? C'était à cause de la morsure du serpent. Eh bien ! c'est pour cela même que le Christ se laisse crucifier, c'est pour cela qu'il répand son sang afin d'effacer les péchés. C'est à cause du péché, c'est-à-dire du poison du serpent, que « Moïse éleva un serpent dans le désert » ; c'était pour la guérison de tous ceux qu'avait mordus le serpent dans la solitude; ils étaient obligés de le regarder au haut du gibet, et quiconque le regardait se trouvait guéri: « Ainsi faut-il que le Fils de l'homme

 

1. Cor. XII, 12. — 2. Jean, III, 14, 15.

 

soit élevé, afin que quiconque croit en lui » ; en d'autres termes, le regarde sur la croix, ne rougit point de le voir crucifié, se glorifie de la croix du Christ, « ne périsse pas, mais possède la vie éternelle ». Comment ne périra-t-il pas ? En croyant en lui. Comment encore ? En le fixant sur la croix; autrement il périrait. C'est bien ce que signifie : « Afin que quiconque croit en lui ne périsse pas, mais possède la vie éternelle ».

12. Pour toi, tu me présentes un enfant et tu veux qu'il contemple le Crucifix, tout en niant qu'il y ait en lui du venin du serpent. Ah ! si tu l'aimes, si tu es touché de l'innocence qu'il a conservée dans sa vie propre, né nie point qu'il ait contracté quelque culpabilité dans une vie antérieure, non dans sa propre vie, mais dans la vie de son premier père. Ne nie pas cela; avoue qu'il est empoisonné avant de demander le contre-poison ; sans quoi il ne guérira. point. Pourquoi d'ailleurs lui dire de croire ? C'est en effet ce que répond celui qui porte l'enfant. Si la parole d'autrui le guérit, c'est qu'il a été blessé par le fait d'autrui. Croit-il en Jésus-Christ? demande-t-on ; et on répond : Il y croit. Cet enfant ne parle pas, il se tait, il pleure, et ses pleurs semblent crier au secours; on répond pour lui, et la réponse est valide. Le serpent chercherait-il à persuader encore que la réponse ne sert à rien? Loin du coeur de tout chrétien une pensée semblable ! Oui, la réponse est efficace. L'esprit passe en quelque sorte de l'un à l'autre; cet enfant croit dans la personne d'autrui comme dans la personne d'autrui il a péché. La naissance qu'il reçoit de l'infirmité lui communiquerait-elle la vie du siècle présent, sans que la naissance que lui donne la charité pût lui assurer la vie du siècle futur ?

13. Ainsi donc, de même que Moïse éleva un serpent au milieu du désert, afin que tout ceux qui étaient blessés par les serpents de feu regardassent ce serpent élevé et fussent guéris; ainsi fallut-il que fût élevé le Fils de l'homme, afin que quiconque est empoisonné par le serpent infernal le regarde sur la croix et trouve ainsi sa guérison. Adam reçut le premier la morsure empoisonnée du serpent; il est donc convenable qu'en naissant avec une chair de péché, nous puisions dans le Christ le salut que donne sa chair semblable seulement à la chair du péché.

Effectivement « Dieu a envoyé son Fils », (464) non pas avec une chair de péché, « mais avec une chair semblable à la chair de péché » ; attendu qu'elle ne vient pas de l'union sexuelle mais d'un sein virginal. « Il l'a envoyé avec une chair semblable à la chair de péché ». Pourquoi ? « Afin de condamner dans sa chair le péché par le péché même (1) » , le péché par le péché, le serpent par le serpent. Qui hésiterait de donner au péché le nom de serpent ? Ainsi Dieu a condamné le péché par le péché, le serpent par le serpent; ou plutôt par ce qui en avait la ressemblance, puisque le Christ a toujours été sans péché et n'a eu que la ressemblance de la chair de péché. Aussi le serpent élevé par Moïse était-il un serpent d'airain, et la chair élevée sur la croix pour désinfecter la source même du péché n'était-elle que la ressemblance de la chair de péché; puisque «Dieu a envoyé son Fils avec une chair « semblable à la chair de péché » : non point avec une ressemblance de chair, puisqu'il avait une chair véritable, mais « avec une ressemblance de la chair de péché», puisque c'était une chair mortelle, bien qu'exempte de tout péché absolument. « Afin de condamner le péché », l'impiété réelle, « par le péché même », par ce qui en a l'apparence. Le Christ en effet était véritablement sans péché, et pourtant il était mortel ; il ne s'était pas chargé du péché, mais seulement de la peine du péché. Or, en prenant sur lui le châtiment sans la faute, il a mis fin à la faute et au châtiment.

Voilà comment cela s'accomplit, pour en revenir à ce cri d'étonnement qu'avait jeté Nicodème : « Comment cela peut-il se faire ? » C'est ainsi que s'accomplit en nous la guérison que nous ne méritons pas. Voilà comment se réalise le mystère. Que vas-tu faire maintenant des petits enfants ? Il n'y a en eux, dis-tu, le venin d'aucune morsure. Éloigne-les donc de la vue du serpent élevé en croix. Ne pas le faire, c'est dire,qu'ils ont besoin d'être guéris, c'est avouer qu'ils sont empoisonnés.

14. Aujourd'hui encore n'avez-vous pas entendu, pendant la lecture du même discours, ce qu'y disait en personne le Seigneur à Nicodème ? « Qui croit en lui n'est pas jugé; mais il est déjà jugé, celui qui n'y croit pas (2) ». Homme de milieu, ici encore tu cherches quelque milieu, tu discutes, tu te fais remarquer

 

1 Rom. VIII, 3. — 2. Jean, III, 9, 18.

 

sans remarquer toi-même ces mots : « Qui croit en lui n'est pas jugé : mais il est déjà « jugé, celui qui n'y croit pas». Que signifie: « Il est déjà jugé ? » Il est condamné; car le mot jugement est souvent pris dans le sens de, con. damnation. Les Écritures l'attestent, surtout dans ce passage si clair dont personne ne con. teste le sens. Le Seigneur dit, à propos de la résurrection : « Ceux qui ont fait le bien, en sortiront pour la résurrection de la vie; et ceux qui ont fait le mal, pour la résurrection du jugement (1) ». Ici jugement est mis évidemment pour condamnation. Et tu oses, toi, affirmer ou croire le contraire ! « Qui ne croit pas est déjà jugé». Ailleurs: « Qui croit au Fils possède la vie éternelle » ; et toi, tu la promettais aux enfants non baptisés ! « Qui croit au Fils possède la vie éternelle ». Pourtant, dit-on, cette vie éternelle est aussi le partage du petit enfant qui ne croit pas encore, bien qu'il n'ait aucun droit au royaume de Dieu. Vois donc ce qui suit : « Qui ne croit pas au Fils ne possède pas la vie éternelle, mais la colère de Dieu demeure sur lui (2) ». Où mets tu les enfants baptisés? sans aucun doute au nombre des croyants ; voilà pourquoi une coutume ancienne, canonique et fort autorisée dans l'Église, donne aux petits enfants baptisés le nom de fidèles. Si nous demandons de quel. qu'un de ces enfants : Est-il chrétien? Oui, répond-on. — Catéchumène ou fidèle? — Fidèle. Or fidèle vient de fades, foi, et foi désigne la croyance. Il est donc bien vrai que tu compteras parmi les croyants les petits enfants baptisés; et tu n'oseras penser d'eux autre chose, à moins de vouloir passer. pour un hérétique déclaré. D'où il suit que si ces enfants possèdent la vie éternelle, c'est parce qu' « a droit à la vie éternelle celui qui croit au Fils».

Garde-toi bien de leur promettre cette éternelle vie sans la foi et sans le sacrement qui la donne. « Celui qui ne croit point au Fils n'a pas la vie éternelle, mais la colère de Dieu demeure sur lui ». Il n'est pas dit que la colère viendra, mais qu' « elle demeure sur lui ». Ces mots: « La colère de Dieu demeure sur lui», font allusion à notre origine. C'est en vue de cette origine que l'Apôtre disait aussi : « Nous aussi nous étions autrefois, par nature, enfants de colère (3) ». Nous ne blâmons point la nature: c'est Dieu qui en est l'Auteur; Dieu, l’a créée

 

1. Jean, V, 29. — 2. Ib. III, 36. — 3. Eph. II, 3.

 

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bonne, c'est la volonté perverse du serpent qui l'a viciée. Aussi ce qui fut en Adam l'effet de sa faute et non de sa nature, est devenu en nous, qui sommes issus d'Adam, l'effet de la nature. Or, nul ne délivre de ce vice de nature, apporté par l'homme en naissant, que Celui qui est né sans être souillé. Nul ne nous délivre de cette chair de péché, que Celui qui est né sans péché, mais avec la ressemblance d'une chair de péché. Rien ne guérit de l'empoisonnement du serpent, que l'élévation d'un autre serpent. A cela, que dis-tu ? N'est-ce pas avoir suffisamment prouvé ?

15. Examinez encore un peu cette autre objection pénétrante qu'ils élèvent contre nous. Les presse-t-on par ce témoignage de l'Apôtre : « Par un seul homme le péché est entré dans ale monde, et par le péché la mort, qui a ainsi passé dans tous les hommes par celui en qui tous ont péché (1) » , témoignage qu'il est comme impossible de ne pas comprendre dont personne, sans doute, n'a besoin de demander l'explication ? Ils essaient une réponse encore ; ils disent que l'Apôtre parle ainsi pour rappeler qu'Adam le premier a péché et que les autres pécheurs n'ont fait que l'imiter. Répondre ainsi, n'est-ce pas travailler à amonceler des ténèbres autour de la lumière la plus transparente ? « Par un seul homme le péché est entré dans le monde, et par le péché la a mort, qui a ainsi passé dans tous les hommes, par celui en qui tous ont péché ». Ceci, prétends-tu , veut dire simplement qu'ils ont imité Adam, le premier pécheur.

Je réponds d'abord : Adam n'est pas le premier pécheur. Veux-tu savoir qui a péché le premier ? Vois le diable. L'Apôtre voulait montrer que la masse du genre humain avait bu le poison avec la vie : voilà pourquoi il nomme ici , non pas celui que nous avons imité, mais celui dont nous sommes issus. Sans doute on appelle aussi ton père celui que lu imites : « Mes enfants, dit l'Apôtre, que j'engendre de nouveau (2). — Soyez mes imitateurs », dit-il encore (3). Aux impies considérés comme imitateurs, il est dit aussi : « Vous avez le diable pour père (4) » . Il est sûr en effet, d'après la foi catholique, que le diable n'a engendré ni formé notre nature ; s'il marche devant nous, c'est uniquement en nous séduisant ; si nous le suivons, c'est en

 

1. Rom. V, 12. — 2. Gal. IV, 19. — 3. I Cor. IV, 16. — 4. Jean, VIII, 44.

 

l'imitant. D'ailleurs, qu'on me montre écrit quelque part. Tous ont péché dans le diable, comme il est écrit que tous ont péché en Adam. Autre chose est de pécher en marchant sur les traces du diable et en se laissant séduire par lui, et autre chose de pêcher en Adam. Ceci suppose qu'issus de lui selon la chair, nous étions tous en lui avant de naître, nous y étions comme on est dans un père, comme un arbre dans son germe : c'est ainsi que s'est trouvé corrompu l'arbre dont nous sommes les fruits.

La preuve que notre origine ne remonte pas au diable, c'est-à-dire au prince du péché et certainement au premier de tous les pécheurs, mais que nous l'imitons seulement, c'est qu'il est dit de lui dans l'Ecriture. « Par l'envie du diable la mort est entrée dans l'univers, et ceux de son parti l'imitent (1) ». C'est même en l'imitant qu'ils sont de son parti. Lit-on ici qu'ils ont péché en lui ? D'Adam au contraire il est dit expressément, parce qu'il est la source première, le principe du genre humain : « En lui tous ont péché » . D'ailleurs, si c'est seulement pour nous avoir donné l'exemple du mal et non pour nous avoir corrompus à la source même de la vie, qu'Adam est considéré par nous comme le premier auteur du péché, pourquoi attendre si longtemps, pourquoi différer durant tant de siècles pour. opposer le Christ à Adam ? Si tous lés pécheurs ne forment le parti d'Adam que parce qu'il a péché le premier , Abel étant le premier juste, tous les justes doivent se rattacher à lui. Qu'est-il alors besoin du Christ ? Eveille-toi, mon frère. Oui, qu'est-il besoin du Christ, sinon parce que notre naissance étant viciée en Adam, nous avons besoin de renaître en Jésus-Christ?

16. Que personne donc ne cherche plus à nous tromper : l'Ecriture parle clairement, nous nous appuyons sur une autorité solide, notre foi est on ne peut plus catholique. Nous sommes tous condamnés en naissant; nul ne se sauve qu'en renaissant.

Ceci vous apprend, mes bien-aimés, à répondre à cette autre chicane qu'ils élèvent contre les petits enfants. Si d'un pécheur on naît pécheur, disent-ils, pourquoi d'un fidèle, d'un baptisé à qui sont remises toutes ses fautes, ne naît-on pas juste? Répliquez sans

 

1. Sag, II, 24, 25.

 

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hésiter : La raison pour laquelle on ne naît pas juste d'un père baptisé, c'est que la génération est l'oeuvre, non de ce qui est régénéré, mais de ce qui ne l'est pas. Il est dit du Christ qu'il est « mort selon la chair et ressuscité selon l'esprit (1)»; de l'homme on peut dire semblablement qu'il est corrompu selon la chair et justifié selon l'esprit. « Ce qui naît de la chair est chair ». Tu voudrais que du juste on naquît juste, quand tu sais que nul absolument ne peut être juste à moins d'être régénéré. Tu ne fais donc pas attention à cette sentence du Seigneur, que tu as sans cesse à la bouche : « Si on ne renaît de l'eau et de l'Esprit (2) ». Apparemment ce n'est point par le rapprochement des sexes que s'opère cette renaissance. Tu t'étonnes de voir que d'un juste on naît pécheur: et tu n'admires pas comment de l'olivier franc naît l'olivier sauvage ! Voici une autre comparaison. Suppose que le juste après son baptême est un grain de pur froment : ne vois-tu pas comment ce grain, tout pur qu'il soit, produit avec le froment la paille qu'on n'a pas semée avec lui? D'ailleurs encore, si la propagation naturelle se fait par la génération charnelle, la propagation surnaturelle s'accomplit au moyen de la propagation spirituelle. Pourquoi donc vouloir que d'un baptisé naisse un baptisé, puisque d'un circoncis ne naît pas un circoncis ? Notre génération est charnelle, la circoncision l'est aussi; et pourtant d'un circoncis ne naît pas un circoncis. C'est ainsi que d'un baptisé ne saurait naître un baptisé. Pour être régénéré ne faut-il pas avoir été engendré?

17. Voici un autre de leurs traits les plus acérés : mais qu'y a-t-il de si acéré qui ne s'émousse contre le bouclier de la vérité? Ils font donc une nouvelle objection, la voici : Si Adam, disent-ils, fait le malheur de ceux mêmes qui n'ont pas péché, le Christ aussi doit faire le bonheur de ceux mêmes qui n'ont pas cru en lui. Vous voyez combien ce raisonnement attaque vivement la vérité ; considérez maintenant combien il la soutient. Parler ainsi c'est ,dire tout simplement que le Christ n'assure aucun avantage à ceux qui ne croient pas. C'est vrai ; qui n'admet cela? Qui ne confesse que le Christ fait le bonheur, non de ceux qui ne croient. pas, mais de ceux qui croient? Or, dis-moi maintenant, je t'en prie

 

1. I Pierre, III, 18. — 2. I Jean, III, 6, 5.

 

Le Christ fait-il ou ne fait-il pas du bien aux enfants qui ont reçu le baptême ? Il faut répondre qu'il leur fait du bien : l'autorité maternelle de l'Eglise ne permet pas de dire le contraire. Peut-être voudraient-ils répondre qu'il ne leur procure aucun avantage, c'est à quoi semblent aboutir leurs raisonnements; mais l'autorité de l'Eglise les arrête, ils ont peur, je ne dirai pas d'être couverts de crachats et de mépris, mais d'être emportés par le torrent des larmes de ces petits enfants. Effectivement, s'ils affirmaient que le Christ n'accorde rien aux enfants qui reçoivent le baptême, ce serait prétendre qu'il est inutile de leur conférer ce sacrement. Or, pour ne pas dire, car ils ne l'osent, qu'il est inutile de donner le baptême aux enfants; ils avouent que le Christ leur accorde quelque grâce lors. qu'ils le reçoivent.

Mais si le Christ leur fait du bien quand ils reçoivent le baptême, croient-ils ou ne croient• ils pas? Qu'on prenne le parti qu'on voudra. Si on répond que ces enfants ne croient pas Pourquoi, demanderai-je alors, soutenais-tu donc calomnieusement que le Christ ne sau. rait faire aucun bien à qui n'a pas la foi? Ne confesses-tu pas maintenant qu'il en fait à ces enfants, quoique ceux-ci ne croient pas? Or, il leur en fait de toute manière. Selon toi il ne leur en fait pas pour leur assurer l'éternelle vie, le salut éternel, mais il leur en fait sûrement en leur octroyant le royaume des cieux. Toutefois il leur en fait, bien qu'ils ne croient pas. Dieu me garde pourtant d'avancer que ces enfants ne croient pas ! Je l'ai remarqué déjà précédemment, l'enfant croit par autrui, comme par autrui il a péché; on dit dé lui qu'il croit, cette parole a son efficacité et l'enfant compte au nombre des fidèles baptisés. Voilà ce qu'enseigne l'autorité de l'Eglise notre mère, voilà ce qu'exprime inébranlable loi de la vérité; se heurter contre ce roc, contre ce mur inexpugnable, c'est se mettre en pièces.

Ainsi donc le Christ fait du bien aux enfants qui ont reçu le baptême, et comme je le sou. tiens avec toute l'Eglise, il leur fait du bien parce qu'ils croient, parce qu'ils sont fidèles, Pour toi, adopte ce que tu voudras. Je désire sans doute que tu te prononces pour ce qu'il y a de plus incontestable et que tu confesses avec nous que le Christ leur fait du bien parce qu'ils croient. Si tu dis néanmoins qu'il les

 

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sauve bien qu'ils ne croient pas, tu te condamnes toi-même; et tu fais d'avec moi si tu admets qu'il leur profite et qu'ils sont croyants. Choisis donc si tu veux te condamner en disant faux, ou faire d'avec moi en disant vrai. N'est-il pas vrai que tu enseignais, il y a un instant, que le Christ n'est d'aucune utilité à ceux qui ne croient pas, et que tu avais l'intention de faire admettre qu'Adam n'a pas plus nui à ceux qui n'ont pas péché, que le Christ n'avantage ceux qui n'ont pas la foi? Maintenant, au contraire, tu prétends que le Christ fait du bien aux enfants baptisés qui ne croient pas ! Ah ! si tu admettais qu'ils croient, tu soutiendrais la vérité et tu serais d'avec moi, car ces enfants ont sûrement la foi. D'où leur vient-elle? Comment croient-ils? Elle leur vient de la foi de leurs parents. Si la foi de leurs parents sert à les purifier, c'est que c'est aussi le péché de leurs parents qui les a souillés. Leurs premiers parents les ont engendrés pécheurs avec leur corps de mort ; et avec l'esprit de vie leurs derniers parents les ont régénérés fidèles. L'enfant ne répond pas, et tu admets qu'il a la foi; il n'agit point, et je crois qu'il a péché.

18. Les saints, poursuit-on, doivent mettre des saints au monde, car l'Apôtre dit expressément : « Sans quoi vos enfants seraient souillés , tandis qu'ils sont saints (1) ». — Comment l'entends-tu ? Comment veux-tu qu'un enfant de fidèles naisse saint au point de ne devoir pas être baptisé? Tu peux prendre cette sainteté dans plusieurs sens ; car il y a plusieurs espèces de sainteté et plusieurs modes de sanctification. Est-ce que tout ce qui est sanctifié entre pour ce motif dans le royaume des cieux? L'Apôtre dit de la nourriture que nous prenons : « Elle est sanctifiée par la parole de Dieu et par la prière (2) ». Bien qu'elle soit sanctifiée, ignorons-nous où elle se jette ? Sache donc qu'il y a une espèce et comme une ombre de sainteté qui ne suffit point au salut. Elle en est éloignée,et éloignée à un point que Dieu tonnait. Donc aussi qu'on coure porter au baptême l'enfant issu de parents fidèles, et que. ces parents ne s'abusent pas jusqu'à croire qu'il est à sa naissance un fidèle comme eux. Ils peuvent bien dire qu'il est né, mais non qu'il soit

 

1. Cor. VII, 14. — 2. I Tim. IV, 5.

 

rené. Veux-tu savoir dans quel sens sont sanctifiés les enfants des fidèles? Il me faudrait beaucoup de temps pour approfondir ce mode de sanctification; rappelle-toi seulement ce qui est dit du mari infidèle et de l'épouse fidèle. « Le mari infidèle, est-il écrit, est sanctifié par son épouse, et la femme fidèle est sanctifiée par son frère (1) » . De ce que l'époux infidèle se trouve sanctifié jusqu'à un certain point par son union avec une fidèle épouse, s'ensuit-il qu'il doive être sûr d'entrer dans le royaume des cieux, sans avoir besoin d'être baptisé, d'être régénéré, d'être racheté par le sang du Christ? De même donc que tout sanctifié qu'il soit par son épouse, l'époux infidèle est perdu s'il ne reçoit le baptême; ainsi, quoique sanctifiés dans un certain sens, c'en est fait des enfants des fidèles, s'ils ne sont baptisés.

19. Je vous en prie, prenons un peu de relâche : je ne vais faire que lire. Le livre que je prends à la main est un ouvrage de saint Cyprien, ancien évêque de ce siège. Il vous instruira en peu de mots,'de ce qu'il pensait, ou plutôt de ce que d'après lui l'Eglise a toujours pensé du baptême des enfants. Peu contents des nouveautés impies qu'ils tâchent d'introduire par leurs raisonnements, nos adversaires travaillent encore à nous faire passer nous-mêmes pour des novateurs. Si donc je lis aujourd'hui un passage de saint Cyprien, c'est pour vous montrer quelle signification canonique et catholique on a donnée aux paroles que je viens d'expliquer.

On avait demandé à saint Cyprien s'il fallait baptiser les enfants avant le huitième jour, attendu que d'après l'ancienne loi il fallait attendre jusqu'au huitième jour pour circoncire les enfants. La question roulait donc sur le jour du baptême; il ne s'agissait pas du péché originel : aussi, comme il n'y avait pas doute à ce sujet, on partit de là pour résoudre la question soulevée. Voici ce qu'ajoute saint Cyprien aux considérations que j'ai faites plus haut : « Aussi pensons-nous que la loi précédemment établie ne doit empêcher personne d'obtenir la grâce et que la circoncision charnelle ne peut être un obstacle à la circoncision spirituelle, mais que tous absolument doivent être admis à

 

1. I Cor. VII, 14.

 

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la grâce du Christ. Pierre en effet s'exprime ainsi dans les Actes des Apôtres : Dieu m'a enseigné qu'il ne faut traiter personne de profane ni d'impur. D'ailleurs, si quelque chose pouvait jamais éloigner de la réception de la grâce, ce serait surtout les péchés graves qui devraient en éloigner les adultes et les hommes plus avancés en âge. Mais comme les plus grands pécheurs, comme ceux qui ont le plus grièvement offensé Dieu , reçoivent le pardon de leurs fautes quand ils sont devenus croyants, et qu'à nul d'entre eux ne sont refusés ni le baptême ni la grâce; à combien plus forte raison doit-on ne pas les refuser à l'enfant nouveau-né qui n'a pu pécher et qui seulement doit à sa qualité de fils d'Adam le vieil héritage de mort attaché à sa première naissance : d'autant plus facilement admis au pardon de ses péchés que les fautes dont il reçoit la rémission sont pour lui des fautes étrangères et nullement des fautes  personnelles (1) ». Remarquez comment la certitude qu'il a du péché originel, lui sert de point de départ pour fixer le doute sur la nécessité du baptême. Cette doctrine a été empruntée par lui à ce qui sert comme de fondement à l'Eglise, et dans le dessein d'en affermir les pièces chancelantes.

20. Ainsi donc obtenons de nos frères, s'il est possible, qu'ils ne nous donnent plus le titre d'hérétiques, quand, à raison de leurs prétentions, nous pourrions, si nous le -voulions, leur donner cette qualification , que pourtant nous ne leur appliquons pas. Mère pieuse, que l'Eglise les porte dans ses entrailles pour les guérir, et les tolère pour les instruire, afin de ne pas déplorer leur mort, Ils vont trop loin; ils s'égarent énormément, on peut les supporter à peine, on a besoin d'une grande patience. Ah ! qu'ils n'abusent point de cette patience de l'Eglise, qu'ils se corrigent, ce sera leur bonheur. Nous les y exhortons en amis, au lieu de disputer contre eux en ennemis. Ils parlent mal de nous, nous le souffrons; seulement qu'ils ne s'élèvent point contre la règle, contre la vérité, qu'ils ne se mettent point en contradiction avec la sainte Eglise, qui s'appliquant chaque jour à effacer la tache originelle dans les petits enfants. Cette doctrine est solidement établie. En d'autres questions qui n'ont pas encore été examinées avec soin, ni décidées parla pleine autorité de l'Eglise, on doit souffrir la discussion, supporter l'erreur : seulement celle-ci ne doit pas aller jusqu'à chercher à ébranler le fondement même de l'Eglise. Il ne serait pas avantageux de sévir alors, et peut-être notre patience n'est-elle point à blâmer; nous devons craindre pourtant aussi que notre négligence ne devienne coupable.

Que votre charité se contente de ce que j'ai dit; vous qui connaissez ces frères égarés, conduisez-vous envers eux avec amitié, avec un coeur fraternel et pacifique, avec amour et avec compassion; que votre piété fasse tout ce qu'elle peut, attendri que plus tard il n'y aura plus d'impies à aimer.

            Unis au Seigneur notre Dieu, etc.

 

1. S. Cypr. Epist. LIX ac Fidus.

SERMON CCXCV. FETE DE SAINT PIERRE ET DE SAINT PAUL. I. UNITÉ DE L'ÉGLISE.
 

ANALYSE. — C'est pour mieux faire ressortir l'unité de son Eglise que le Sauveur l'établit sur un fondement unique, qu'il donne à Pierre seul d'abord les clefs qu'il donnera ensuite aux autres Apôtres, qu'à lui seul encore il confie le soin du troupeau dont il chargera ses Apôtres de prendre soin aussi. Combien se méprennent par conséquent les sectaires qui divisent ! Il n'y a pas jusqu'à la circonstance de la mort de saint Pierre et de saint Paul qui ne rappelle l'unité de l'Eglise; car c'est pour mieux montrer combien étaient unis ces deux Apôtres, en qui vivait Jésus-Christ, que Dieu les a appelés le même jour au martyre et à la couronne.

 

1. Ce jour est pour nous un jour consacré par le martyre des bienheureux Apôtres Pierre et Paul. Nous ne parlons pas en ce moment de quelques martyrs obscurs : « La voix de ceux-ci a retenti par toute la terre, et leurs paroles jusqu'aux extrémités de l'univers (1) ». De plus ils ont vu ce qu'ils ont prêché en s'attachant à la justice, en confessant la vérité et en mourant pour elle.

Saint Pierre est le premier des Apôtres, il est cet ardent ami du Christ qui mérita d'entendre de lui ces mots : « A mon tour je te le dis : Tu es Pierre ». Il avait dit au Sauveur : « Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant». Le Sauveur lui dit donc : « A mon tour, je te le déclare: Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise (1) ». Sur cette pierre j'établirai la foi que tu confesses ; oui, sur cette confession : « Vous êtes le Christ, le Fils a du Dieu vivant », je bâtirai mon Eglise. Car tu es Pierre. Pierre vient de la pierre, et non la pierre de Pierre. Pierre vient de la pierre, comme Chrétien vient de Christ. Veux-tu savoir sûrement de quel mot vient le mot Pierre ? Ecoute saint Paul : « Je ne veux pas vous laisser ignorer, mes frères » ; c'est un Apôtre du Christ qui s'exprime ainsi : « Je ne veux pas vous laisser ignorer, mes frères, que nos pères ont tous été sous la nuée, et que tous ont passé la mer ; qu'ils ont tous été baptisés sous Moïse dans la nuée et dans la mer ; qu'ils ont tous mangé la même nourriture spirituelle,      et que tous ont bu le a même breuvage spirituel, car ils buvaient à

 

1. Matt. XVI, 16, 18.

 

la même pierre spirituelle qui les suivait, et cette pierre était le Christ (1)». Voilà d'où vient Pierre.

2. Avant sa passion, vous le savez, le Seigneur Jésus se choisit des disciples qu'il nomma Apôtres. Or Pierre est le seul d'entre eux qui ait mérité de personnifier l'Eglise presque partout. C'est en vue de cette personnification, qu'il faisait seul de toute l'Eglise, qu'il mérita d'entendre : « Je te donnerai les clefs du royaume des cieux (2) ». Ces clefs en effet furent moins confiées à un homme qu'à l'unité même de l'Eglise. Ainsi donc ce qui montre la prééminence de Pierre, c'est qu'en lui se personnifiaient l'universalité et l'unité de l'Eglise lorsqu'il lui fut dit: « Je te donne » ce qui pourtant fut donné à tous les Apôtres.

Pour vous convaincre que ce fut l'Eglise qui reçut les clefs du royaume des cieux, écoutez ce que le Seigneur, dans une autre circonstance, dit à tous ses Apôtres : « Recevez le Saint-Esprit » ; il ajoute aussitôt : « Les péchés seront remis à qui vous les remettrez, et retenus à qui vous les retiendrez (3) ». C'est ce que désignent les clefs que rappellent ces mots : « Ce que vous délierez sur la terre « sera aussi délié dans le ciel, et ce que vous lierez sur la terre sera aussi lié dans le ciel».

Mais dans la circonstance actuelle, c'est à Pierre seul qu'il s'adressa. Veux-tu la preuve que Pierre alors personnifiait toute l'Eglise? Prête l'oreille à ce qui va être dit soit à lui, soit à tous les bons fidèles : « Si ton frère a péché

 

1. I Cor. X, 1-4. — 2. Matt. XVI,19. — 3. Jean, XX, 32, 23.

 

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contre toi, reprends-le entre toi et lui seul : « S'il ne t'écoute pas, prends encore avec toi une ou deux personnes, car il est écrit : Sur la parole de deux ou trois témoins tout sera avéré. S'il ne les écoute point non plus, réfères-en à l'Eglise ; et s'il ne l'écoute point elle-même, qu'il te soit comme un païen et un publicain. En vérité, je vous le déclare; tout ce que vous lierez sur la terre sera aussi lié dans le ciel, et délié dans le ciel tout ce que vous délierez sur la terre (1) ». Si donc la Colombe lie et délie, l'édifice bâti sur la Pierre lie et délie aussi.

Craignez, vous qui êtes liés ; vous qui ne l'êtes pas, craignez aussi. Vous qui ne l'êtes pas, craignez de l'être ; et vous qui l'êtes, demandez à ne l'être plus. « Chacun est enchaîné par les liens de ses péchés (2) » ; et nul n'en est délivré en dehors de cette Eglise. A un mort de quatre jours, il est dit: « Sors, Lazare », et il sortit du sépulcre, les pieds et les mains enveloppés de bandelettes- C'est ainsi qu'en touchant le coeur pour en faire sortir l'aveu du péché, le Seigneur excite le mort à sortir de son tombeau. Ce mort toutefois reste encore un peu lié. Aussi, quand Lazare est sorti du sépulcre, le Seigneur se tourne vers ses disciples,ses disciples auxquels il a dit déjà: « Tout ce que vous délierez sur la terre sera délié aussi dans le ciel », et il leur fait entendre ces paroles : « Déliez-le et le laissez aller » ». Ainsi excite-t-il par lui-même et charge-t-il ses Apôtres de délier.

3. Voilà pourquoi Pierre surtout représente, et la force de l'Eglise, quand il suit le Seigneur allant à la passion, et sa faiblesse, une faiblesse d'un certain genre, quand, interrogé par une servante, il renie le Sauveur. Subitement renégat après avoir tant aimé, hélas ! après avoir présumé de lui-même il n'a plus trouvé que lui. Il avait dit, vous le savez : «Seigneur, je serai avec vous jusqu'à la mort, et s'il est nécessaire que je meure, pour vous je donnerai ma vie ». Présomptueux, reprit le Seigneur, « pour moi tu donneras ta vie ? Je te le déclare en vérité, avant que le coq ait chanté, tu me renieras trois fois (4) ». Ce qu'avait prédit le Médecin se réalisa, au lieu que le malade ne put faire ce qu'il avait présumé. Mais après? Le Seigneur le regarda soudain, car voici ce qui est écrit, voici comment

 

1. Matt. XVIII, 16-18. — 2. Prov. V, 22. — 3. Jean, XI, 43 , 44. — 4. Matt. XXVI, 33-35; Jean, XIII, 37, 38.

 

s'exprime l'Evangile : « Le Seigneur le regarda, et il sortit, et il pleura amèrement (1)». — « Il sortit » ; c'était confesser sa faute. « Il pleura amèrement » ; c'est qu'il savait aimer; et bientôt la douleur de l'amour remplaça en lui l'amertume de la douleur.

4. Pour la même raison aussi le Seigneur confia à Pierre, après sa résurrection, le soin de paître ses brebis. Il ne fut pas le seul des disciples pour mériter de paître le troupeau sacré, mais en s'adressant à lui seul, le Sauveur recommande l'unité, comme en lui parlant avant de parler aux autres, il rappelle que Pierre est le premier des Apôtres. « Simon, fils de Jean, lui dit Jésus, m'aimes-tu ? Je vous aime », répondit-il. Interrogé une seconde fois il fit une seconde fois la même réponse. Mais interrogé pour la troisième fois, comme,si sa parole n'inspirait pas confiance, il s'attriste. Et pourtant, comment aurait manqué de confiance en lui, Celui qui voyait son coeur à découvert? Après ce mouvement de tristesse il répondit enfin : «Seigneur, vous qui savez toutes choses, vous savez aussi que je vous aime». Vous savez tout, cela ne vous échappe pas plus que le reste. — O Apôtre, ne t’afflige pas, réponds une, deux et trois fois. Sois trois fois victorieux en confessant ton amour, puisque trois fois ta présomption a été vaincue par la crainte. Il faut délier jusqu'à trois fois ce que trois fois tu avais lié. Délie par amour ce que tu avais lié par crainte. Malgré cette crainte, le Seigneur n'en recommanda pas moins, une, deux et trois fois, ses brebis à Pierre.

5. Remarquez bien ces mots, mes frères: « Pais mes chères brebis, pais mes agneaux (1) ». — « Pais mes brebis » : Dit-il les tiennes ? Bon serviteur, pais les brebis de ton Maître, celles qui portent sa marque. « Est-ce que Paul a été crucifié pour vous ? Ou bien est-ce que vous avez été baptisés au nom » de Pierre et « de Paul (3) ? » Ce sont donc ses brebis, les brebis purifiées par son baptême, marquées de son nom et rachetées de son sang, que tu es invité à paître- « Pais mes brebis», dit-il. Semblables à des serviteurs infidèles et fugitifs qui se partagent ce qu'ils n'ont point acheté et qui se font comme une propriété particulière de ce qu'ils ont dérobé, les hérétiques s'imaginent paître leurs propres brebis. N'est-ce pas, je vous le demande, ce que révèle

 

1.  Luc, XXII, 61, 62. — 2. Jean, XXI, 15-17. — 3. I Cor. I, 13.

 

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effectivement ce langage : Tu resteras impur, si ce n'est pas moi qui te baptise; tu ne seras point sanctifié, si tu ne reçois mon baptême ? Ainsi donc vous n'avez pas entendu ces mots

« Maudit quiconque met dans un homme sa confiance (1)? »

Par conséquent, mes très-chers frères, ceux que Pierre a baptisés et ceux qu'a baptisés Judas sont également les ouailles du Christ. Aussi, voyez ce que dit, dans le Cantique des cantiques, l'Époux à sa bien-aimée. L'Epouse lui dit : « Apprenez-moi, vous que chérit mon âme, où vous paissez votre troupeau, où vous reposez à midi ; dans la crainte que je ne devienne comme une inconnue à la suite des troupeaux de vos commensaux. — Annoncez-moi, dit-elle, où vous menez paître, où vous reposez à midi », à la splendeur de là vérité, dans la ferveur de la charité. — Que crains-tu ? ô ma bien-aimée, que crains-tu ? — « De devenir comme une inconnue », comme cachée, et non comme l'Église, car l'Église n'est point cachée, attendu qu' «on ne saurait cacher une cité bâtie sur la montagne (2) » : et de me jeter, en m'égarant, non dans votre troupeau, mais « au milieu des troupeaux de vos commensaux ». Ce nom de commensaux désigne les hérétiques, « qui sont sortis d'avec nous (3) », et qui se sont assis à la même table avant de nous quitter. — Que lui est-il répondu ? — « Si tu ne te connais toi-même », répond l'Époux à sa question ; « si tu ne te connais toi-même, ô la plus belle d'entre les femmes », ô Église véridique au milieu des hérésies ; « si tu ne te connais toi-même » ; si tu ne sais qu'à toi s'appliquent ces grandes prédictions

4 « En ta postérité seront bénies toutes les nations (4); Le Dieu des dieux, le Seigneur a parlé et a convoqué la terre du levant au couchant (5); Demande-moi, et je te donnerai les nations pour héritage et pour domaine jusqu'aux extrémités de la terre (6) ; « Leur voix a retenti par toute la terre, et leurs paroles jusqu'aux confins de l'univers (7) » ; car c'est toi que regardent ces prophéties. « Si tu ne te connais toi-même, sors » ; je ne te chasse pas, afin que puissent dire de toi ceux qui resteront : « Ils sont sortis d'avec nous. — Sors sur les traces des troupeaux » ; non pas du troupeau dont il est dit : « Il y

 

1. Jérém. XVII, 5. — 2. Matt. V, 14. — 3. I Jean , II, 19. — 4. Gen. XXII, 18. — 5. Ps. XLIX, 1. — 6. Ps. II, 8. — 7. Ps. XVIII, 5.

 

aura un seul troupeau et un seul Pasteur (1). Sors sur les traces des troupeaux et pais tes boucs (2) » ; non pas « mes brebis », comme Pierre. C'est pour ces brebis qui lui avaient été confiées que Pierre a mérité la couronne du martyre, et c'est ce martyre qui a mérité d'être célébré dans tout l'univers par la fête de ce jour.

6. Paraisse maintenant aussi Paul, autrefois Saul, loup d'abord, agneau ensuite; d'abord ennemi, puis Apôtre; persécuteur d'abord, ensuite prédicateur. Qu'il vienne et qu'il reçoive des princes des prêtres l'autorisation écrite de charger de chaînes et de conduire aux supplices les chrétiens, partout où il en rencontrera. Qu'il reçoive, qu'il reçoive cette autorisation, qu'il parte, qu'il poursuive sa route, respirant le carnage et altéré de sang Celui qui habite aux cieux se rira de lui (3). Il s'en allait donc, comme il est écrit, « respirant le carnage », et approchait de Damas. « Saul, Saul », cria alors le Seigneur du haut du ciel, « pourquoi me persécutes-tu? Il est dangereux pour toi de regimber contre l'aiguillon ». C'est toi que tu blesses, car les persécutions ne font que développer mon Eglise. Tout effrayé et tout tremblant : « Seigneur, demanda-t-il, qui êtes-vous? Je suis Jésus de Nazareth, que tu persécutes ». Changé à l'instant même, il attend un ordre; il dépose sa haine et se dispose à l'obéissance. Il apprend ce qu'il doit faire. Le Seigneur aussi, avant le baptême de Paul, parle ainsi à Ananie : « Va dans ce quartier, vers cet homme qui s'appelle Saul, baptise-le, car il est pour moi un vase d'élection ». Ce vase doit contenir quelque chose, il ne doit pas rester vide. Il faut le remplir, de quoi? de grâce. Ananie répondit à Notre-Seigneur Jésus-Christ : «Seigneur, j'ai appris que cet homme a fait beaucoup de mal à vos saints; maintenant encore il porte l'autorisation accordée par les princes des prêtres de charger de liens et d'emmener, partout où il les rencontrera, ceux qui marchent dans votre voie. Je lui montrerai, reprit le Seigneur, ce qu'il doit souffrir pour mon nom (4) ». Le seul nom de Saul faisait trembler Ananie; c'était la faible brebis qui tremblait, jusque sous la main de son pasteur, en entendant seulement parler du loup.

7. Le Seigneur montra donc à Paul ce qu'il

 

1. Jean, X, 16. — 2. Cant. I, 6,7. — 3. Ps. II, 4. — 4. Act. IX, 1-16.

 

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lui fallait endurer pour son nom; il l'éprouva ensuite par la souffrance, et on vit Paul chargé de liens, couvert de plaies , jeté dans les, cachots et subissant des naufrages. C'est le Sauveur qui lui procura le martyre; c'est lui qui le conduisit jusqu'à ce jour. Les deux Apôtres ont souffert le même jour; ils ne faisaient qu'un; eussent-ils souffert en des jours différents, ils ne faisaient qu'un. Pierre marchait en avant, Paul le suivait, Paul qui d'abord était Saul, superbe d'abord et humble ensuite. Le nom de Saul en effet lui venait de Saül, le persécuteur de saint David. Il fut abattu persécuteur, et il se releva prédicateur; il échangea son nom d'orgueil pour un nom d'humilité; car Paul signifie petit. Remarquez comment s'exprime votre charité : Ne disons-nous pas chaque jour: Dans peu de temps, post paululum, je vous verrai; dans peu, paulo post, je ferai ceci ou cela? Que devons-nous donc penser de Paul? Interroge-le lui-même: « Je suis, dit-il, le plus.petit des Apôtres (1) ».

 

1. I Cor. XV, 9.

 

8. Nous célébrons aujourd'hui une fête con. sacrée en notre faveur par le sang des Apôtres; aimons leur foi, leur vie, leurs travaux, leurs souffrances, leur confession de foi, leurs prédications. Le progrès consiste pour nous à aimer ces choses, et non à les célébrer en vue d'une joie toute charnelle. Que nous demandent en effet les martyrs? Il leur manque quelque chose, s'ils recherchent encore les louanges humaines; s'ils les recherchent, ils n'ont pas vaincu. Si au contraire ils sont victorieux, ils ne nous demandent rien pour eux-mêmes, mais pour nous. Donc redressons notre voie en présence du Seigneur. Notre voie était étroite, hérissée d'épines et d'aspérités; en y passant en si grand nombre ces grands hommes l'ont aplanie. Le Seigneur en personne y a passé le premier; il y a été suivi par les Apôtres intrépides, puis par les martyrs, par des enfants, des femmes, de jeunes filles. Cependant, qui vivait eu eux? Celui qui a dit: «Sans moi vous ne pouvez rien faire (1) ».

 

1. Jean, XV, 5.
 
 
 

source: http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin/index.htm

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