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Saint Augustin d'Hippone
Sermons

SERMON CCCXXI. PROMESSE DE LA RELATION ÉCRITE.
 

Nous disions hier, votre charité se le rappelle : La relation présentée par cet homme consiste à le voir. Cependant, comme il nous a fait connaître certains détails que vous devez savoir pour admirer et glorifier davantage Notre-Seigneur au souvenir de ces saints dont il est écrit : « La mort des saints du Seigneur est précieuse à ses yeux (1) »; il est bon que nous vous donnions encore un mémoire qui contienne tout ce que nous avons appris de la bouche de cet homme guéri. Mais, s'il plaît au Seigneur, on le préparera aujourd'hui, et demain on vous en fera lecture.

 

1. Ps. CXV, 15.

SERMON CCCXXII. RELATION DE LA GUÉRISON.
 

Nous promettions hier à votre charité une relation qui puisse vous apprendre sur cet homme guéri ce que vous n'avez pu voir. S'il vous plaît donc, ou plutôt, comme ce qui me plaît doit vous plaire aussi, le frère et la soeur vont se tenir ici sous vos yeux; ainsi, ceux d'entre vous qui n'ont pas vu ce que celui-ci endurait, le verront dans ce que souffre celle-là. Qu'ils viennent donc tous deux, et celui qui a obtenu miséricorde, et celle pour qui nous devons demander grâce.

 

Copie de la relation présentée par Paul à l'évêque Augustin.

 

Je vous prie, bienheureux seigneur et père, Augustin, de faire lire à votre saint peuple cette relation que vous m'avez commandé de vous offrir.

Quand nous habitions encore notre patrie, la ville de Césarée en Cappadoce, notre frère aîné poussa contre notre mère l'outrage et l'insolence jusqu'à oser, crime intolérable! porter la main sur elle. Quoique réunis tous autour d'elle, nous souffrîmes cette injure, nous ses enfants, avec tant d'insensibilité, qu'il ne nous arriva même pas de dire un mot en faveur de notre mère, ni de demander à notre frère raison de sa conduite. En proie à la plus vive douleur que puisse ressentir une femme, notre mère résolut de punir, en le maudissant, ce fils outrageux.

Elle courait donc, après le chant du coq, vers les fonts sacrés du baptême, pour appeler la colère de Dieu sur son malheureux fils. Alors se présenta à elle, sous la figure de l'un de nos oncles, je ne sais qui, un démon probablement; et, s'adressant le premier à elle, il lui demanda où elle allait. Elle répondit que pour punir son fils de l'intolérable outrage (553) qu'elle en avait reçu, elle courait le maudire. Voyant que la fureur de cette pauvre mère lui donnait dans son cœur un facile accès, l'ennemi lui persuada alors de maudire tous ses enfants. Enflammée par ce conseil infernal, elle se prosterna près des fonts sacrés, et appuyée sur eux, les cheveux épars, la poitrine découverte, elle demanda instamment à Dieu que, sortis de notre pays et errants par toute la terre, nous fussions par notre exemple un objet de terreur pour le genre humain.

La vengeance céleste suivit de près les supplications maternelles. Soudain, en effet, ce frère aîné qui l'emportait sur nous par la culpabilité comme par l'âge , fut pris dans ses membres d'un tremblement aussi violent que celui dont votre Sainteté a été témoin en moi, il y a trois jours encore. Tous ensuite, dans le courant de l'année, et par ordre de naissance, nous fûmes frappés du même ,châtiment. Quand elle vit avec quelle efficacité s'étaient accomplies ses malédictions, notre mère ne put soutenir plus longtemps les remords de son impiété ni l'opprobre public, et se serrant la gorge avec une corde, elle termina sa déplorable vie par une fin plus déplorable encore.

Tous alors nous sortîmes, et incapables de porter le poids de notre honte, nous quittâmes notre commune patrie pour nous disperser de côté et d'autre. De dix enfants que nous sommes, le second par rang d'âge a mérité, avons-nous appris, de recouvrer la santé près de la mémoire du glorieux martyr saint Laurent, qui vient d'être établie à Ravenne. Pour moi, qui suis le sixième par ordre de naissance, accompagné de ma soeur, qui vient immédiatement après moi, et enflammé d'un désir immense de recouvrer la santé, je ne cessais d'aller dans toutes les parties de l'univers, partout où j'apprenais qu'il y avait des lieux sacrés où Dieu faisait des miracles. Et pour ne rien dire des autres fameux sanctuaires consacrés aux saints de Dieu, je suis allé dans mes courses vagabondes jusques à Ancône, en Italie, parce que Dieu t'opère de. nombreux prodiges par l'entremise du glorieux martyr saint Etienne. Nulle part, toutefois, je n'ai pu trouver ma guérison, parce que le Seigneur, dans sa prédestination divine, me la réservait pour ici. Je n'ai pas manqué non plus d'aller à Uzale, ville d'Afrique, où l'on publie que ce bienheureux martyr Etienne fait des actions merveilleuses.

Cependant, il y a plus de trois mois, le jour même des calendes de janvier, nous fûmes avertis, moi et ma sueur que vous voyez ici encore en proie au même mal, par une vision incontestable. Un vieillard, vénérable par la sérénité de sa physionomie et par la blancheur de ses cheveux, m'assura que dans trois mois nie serait rendue la santé désirée par moi si vivement. Ma sueur même, dans cette vision, vit votre Sainteté sous les dehors que nous contemplons maintenant ; ce qui nous fit entendre que nous devions venir ici. Moi aussi, dans la suite, je voyais, dans les autres villes que nous traversions en venant, votre Béatitude absolument telle que je la vois aujourd'hui. Fidèles ainsi à cet avertissement incontestablement divin, nous arrivâmes dans cette cité, il y a environ quinze jours. Que ne souffrais-je pas? Vos yeux ont pu le remarquer, vous pouvez le voir encore dans cette sueur infortunée qui vous montre, pour l'instruction de tous, le mal que tous nous endurions. Vous donc qui observez en elle le triste état où j'étais, reconnaissez quel changement le Seigneur a produit en moi par son Esprit-Saint.

Chaque jour je priais, en répandant des larmes abondantes, dans le lieu où se trouve la mémoire du glorieux martyr Etienne. Le jour même de Pâques, comme l'ont remarqué ceux qui étaient présents, pendant que je priais en fondant en pleurs et en me tenant à la grille, je tombai tout à coup. Hors de moi-même, j'ignore où j'étais. Un peu après je me relevai et je ne remarquai plus dans mon corps cet affreux tremblement.

C'est pour remercier Dieu d'un si grand bienfait que j'ai présenté cette relation , où j'ai fait entrer et ce que vous ne saviez pas de nos malheurs, et ce que vous saviez de ma guérison parfaite ; afin de vous engager à daigner prier pour ma sueur et rendre grâces à Dieu pour moi.

SERMON CCCXXIII. APRÈS LA LECTURE DE LA RELATION.
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ANALYSE. — Avis aux parents et aux enfants. — Ancône et Uzale. — Guérison de la soeur de Paul.

 

1. Croyons-le, mes frères, tous ces enfants que la colère de Dieu a frappés par la main de leur mère, finiront par recouvrer, grâce à la miséricorde divine, la santé dont nous sommes heureux de voir jouir maintenant ce frère.

Mais que les enfants apprennent ici le respect, et qu'ici les parents redoutent la colère. Il est écrit: « La bénédiction du père affermit  la maison de ses enfants ; et la malédiction de la mère la renverse jusqu'aux fondements (1) ». Ces malheureux ne sont plus maintenant sur le sol de leur patrie ; partout ils portent le spectacle effrayant de leur supplice, et en montrant partout leur infortune, ils jettent la terreur dans les âmes orgueilleuses. Apprenez, enfants, à rendre à vos parents l'honneur qui leur est dû, d'après l'Ecriture ; et vous, parents , lorsqu'ils vous offensent, souvenez-vous que vous êtes parents. Cette mère a prié contre ses enfants ; elle a été exaucée, attendu que Dieu est vraiment juste et qu'elle-même avait été outragée réellement. L'un de ses enfants lui avait adressé des paroles injurieuses et avait même porté la main sur elle ; les autres souffrirent avec insensibilité cette injure faite à leur mère, sans même dire en sa faveur un seul mot de reproche à leur frère. Dieu est juste ; il entendit les prières, il entendit les gémissements de cette infortunée. Et elle ? Ah ! ne fut-elle pas châtiée d'autant plus sévèrement qu'elle fut exaucée plus vite ? Sachez donc ne demander à Dieu que ce que vous ne craignez pas d'obtenir de lui.

2. Pour nous, mes frères, empressons-nous de rendre grâces au Seigneur notre Dieu pour celui qui est guéri, et de prier pour sa soeur encore captivé du mal. Bénissons Dieu de ce

 

1. Eccli. III, 11.

 

qu'il nous a jugés dignes d'être témoins de ce spectacle. Que suis-je, hélas ! pour leur avoir apparu sans le savoir ? Eux me voyaient, et c'était à mon insu. On leur conseillait même de venir en cette ville. Que suis-je? Un homme du commun, et non pas un personnage distingué. Vraiment, pour le dire à votre charité, je suis fort étonné et fort heureux de la faveur qui nous a été accordée, quand cet homme n'a pu trouver sa guérison à Ancône, ou plutôt quand, pouvant l'y trouver, car rien n'était plus facile, il ne l'y a pas trouvée à cause de nous.

Beaucoup savent, en effet, combien de miracles se font en cette ville par l'entremise du bienheureux martyr Etienne. Apprenez même une chose qui vous surprendra. Depuis longtemps il avait là un monument, il y est encore. — Son corps n'était pas encore découvert, diras-tu, d'où venait ce monument ? — On l'ignore, cependant je ne tairai point devant votre charité ce que la renommée a porté jusqu'à nous. Au moment où on lapidait saint Etienne, il se trouvait là des hommes innocents de sa mort, surtout parmi ceux qui croyaient au Christ. Or, on dit qu'une pierre l'ayant frappé au coude, vint retomber devant un homme sincèrement religieux. Cet homme l'emporta et la conserva. Cet homme était un marin; dans ses courses maritimes il,arriva avec cette pierre près du rivage d'Ancône, et il lui fut révélé qu'il devait l'y laisser. Il fut docile à la révélation, il fit ce qui lui était commandé ; et c'est de ce moment que date à Ancône la mémoire de saint Etienne ; on disait même, parce qu'on ignorait le fait précis, que le bras du saint martyre était là. Si la révélation ordonna de placer en cet endroit la pierre qui avait frappé le coude du martyr, ne serait-ce point parce qu'en grec coude se traduit par Agkon? Quoi qu'il en soit, c'est à ceux (555) qui savent quels miracles s'y opèrent, de nous le dire. Ces miracles n'ont commencé à se produire que depuis la découverte du corps de saint Etienne ; et si ce jeune homme n'y a point trouvé sa guérison, c'est que Dieu nous réservait d'en être témoins.

3. Cherchez aussi, et vous le saurez, combien il se fait de prodiges à Uzale, où est évêque mon frère Evode. Sans parler des autres, j'en rapporterai seulement un, pour vous faire comprendre combien y est sensible la présence de la majesté divine.

Une femme tenant un jour sur son sein son fils malade et simple catéchumène, le perdit tout à coup sans avoir pu le secourir, malgré tout son empressement; poussant alors un cri : Mon fils, dit-elle, est mort simple catéchumène.

4. Augustin en était à ces paroles, lorsque de la chapelle de saint Etienne, le peuple se mit à crier: Grâces à Dieu ! Louanges au Christ! Pendant que ce cri continuait, la jeune fille qui venait d'être guérie, fut conduite devant l'abside. Le peuple, à cette vue, fit éclater sa joie mêlée de larmes, et sans qu'il y eût aucunes paroles distinctes, mais seulement un bruit confus, il fit quelque temps encore entendre ses clameurs. Le silence rétabli : Il est écrit dans un psaume, dit l'évêque Augustin : « Je me disais: Je confesserai contre moi mon péché devant le Seigneur, et vous m'avez pardonné l'iniquité de mon coeur (1) ». — « Je me disais : Je confesserai » ; je n'ai pas confessé encore; « Je me disais: Je confesserai, et vous m'avez pardonné ». J'ai recommandé à vos prières cette infortunée, ou plutôt cette ex-infortunée; nous nous préparions à prier, et nous sommes exaucés. Que notre joie soit une action de grâces. L'Eglise notre mère a été plus tôt exaucée pour son bonheur, que cette mère de malédiction pour son malheur.

Unis au Seigneur notre Dieu, etc.

 

1. Ps. XXXI, 5.

SERMON CCCXXIV. APRÈS LA GUÉRISON DE LA SOEUR DE PAUL.
 

ANALYSE. — Enfant mort, ressuscité par l'invocation de saint Etienne, pour recevoir le baptême.

 

1. Interrompu hier par une extraordinaire joie, je dois achever aujourd'hui mon discours. Je m'étais proposé, et déjà même je m'étais mis en devoir d'exposer à votre charité pour quel motif, selon moi, ces enfants ont été conduits dans cette ville, par l'autorité de Dieu même, afin d'y recouvrer la santé qu'ils recherchaient et attendaient depuis si longtemps. Pour accomplir mon dessein, j'avais commencé à vous parler des sanctuaires où ils n'ont point trouvé leur guérison, et d'où ils ont été dirigés au milieu de nous. J'avais nommé Ancône, ville d'Italie; j'avais même dit quelques mots déjà d'Uzale, ville d'Afrique, dont l'évêque est Evode, mon frère, que vous connaissez, et où les avait attirés la renommée du saint martyr et de ses couvres. Là ils n'obtinrent pas ce qu'ils pouvaient y obtenir, parce que c'est ici même qu'ils devaient le recevoir. Pour vous donner brièvement une idée des couvres divines opérées par le saint martyr, j'avais entrepris de ne vous parler que d'une seule, sans même faire mention des autres; comme j'en parlais, la santé se trouvant subitement rendue à cette jeune fille, des cris de joie se sont élevés et m'ont contraint de finir autrement le discours commencé. Voici donc, parmi de nombreux miracles, car on ne saurait les énumérer tous, comment s'est accompli celui-là, nous le savons.

 

556

 

2. Une mère y perdit son fils malade, pendant que catéchumène encore et encore à la mamelle elle le tenait sur ses genoux. En le voyant mort et perdu irréparablement, elle éclata en sanglots, plutôt comme chrétienne que comme mère. Elle ne regrettait pour son fils que la vie du siècle futur ; ce n'est point la perte de la vie présente qu'elle regrettait en lui pour elle-même. Animée tout à coup d'une vive confiance, elle prend ce petit mort, court à la mémoire de saint Etienne, se met à réclamer son fils et à dire: Saint martyr, vous voyez qu'il ne me reste plus aucune consolation. Je ne puis dire que mon fils m'a précédé, puisque vous savez qu'il est perdu. Vous voyez pourquoi je le pleure. Rendez-moi mon fils, faites que je le possède sous les yeux de Celui qui vous a couronné. Pendant que suppliante elle prononçait ces mots et d'autres semblables, pendant que ses larmes le réclamaient, comme je l'ai dit, plutôt qu'elles ne le demandaient, cet enfant revint à la vie. Mais comme elle avait dit: Vous savez pourquoi je le redemande, Dieu voulut montrer que telles étaient bien les dispositions de son coeur. Sans perdre un instant, elle le porta aux prêtres : il fut baptisé, sanctifié; il reçut l'onction sainte et l'imposition des mains, puis, tous les rites achevés, il.rendit l'esprit. La mère ensuite assista à son convoi, ayant plutôt l'air de le conduire dans le sein du martyr Etienne qu'au repos du sépulcre. Après avoir fait là un miracle de cette nature par l'entremise de son martyr, Dieu ne pouvait-il, là aussi, guérir ces enfants? Et pourtant c'est à nous qu'il les a amenés.

Unis au Seigneur, etc.

SERMON CCCXXV. FÊTE DES VINGT MARTYRS (1). IMITATION DES MARTYRS.
 

ANALYSE. — Les hommages que nous rendons aux martyrs ne sauraient leur profiter, c'est à nous qu'ils sont utiles en nous excitant à les imiter. Or, la gloire des martyrs ne vient pas précisément de ce qu'ils ont souffert, mais du motif pour lequel ils ont souffert. Donc occupons-nous avant tout de prendre le bon parti, le parti de l'Eglise catholique.

 

1. Dans une solennité consacrée aux saints martyrs, nous vous devons un discours; nous allons nous acquitter. Mais pour parler de la gloire des martyrs, pour exposer la justice de leur cause, nous avons besoin qu'ils nous aident de leurs prières.

La première pensée que doit se rappeler votre sainteté en célébrant la fête des martyrs, c'est que les martyrs n'ont rien à retirer des honneurs solennels que nous leur rendons. Ils n'ont aucun besoin de nos solennités, car ils goûtent au ciel la joie des anges; et s'ils prennent part à nos réjouissances pieuses, ce n'est pas en se voyant honorés, c'est en se voyant imités par nous. Il est vrai pourtant

 

1. Voir Cité de Dieu, liv. XXII, chap. VIII.

 

que si nos hommages ne leur profitent pas, ils nous sont utiles. Mais si nous les honorions sans les imiter, ce serait simplement une adulation menteuse. Pourquoi donc ces sortes de fêtes sont-elles établies dans l’Eglise du Christ? C'est pour rappeler aux membres assemblés du Christ la nécessité de prendre pour modèles ses martyrs. Tel est assurément l'avantage procuré par ces fêtes, il n'en est pas d'autre.

Si, en effet, on nous propose Dieu même à imiter, la fragilité humaine répond que c'est trop pour elle de se modeler sur Celui à qui rien ne saurait se comparer. Nous propose-t-on ensuite l'imitation des exemples de Notre-Seigneur Jésus-Christ, car si, étant Dieu il s'est revêtu d'une chair mortelle, c'était tout à la (557) fois pour persuader le devoir et pour servir de modèle aux hommes également revêtus d'une chair condamnée à mort, aussi est-il écrit de lui: « Le Christ a souffert pour nous, en nous laissant son exemple afin que nous marchions sur ses traces (1)? » L'humaine fragilité répond encore : Quelle ressemblance entre le Christ et moi ? Il était homme, mais en même temps il était le Verbe; car « le Verbe s'est fait chair pour habiter parmi nous (2) » ; il a pris un corps sans cesser d'être le Verbe; il est devenu ce qu'il n'était pas, sans rien perdre de ce qu'il était. « Dieu, en effet, était dans le Christ, se réconciliant le monde (3) » . Ainsi, quelle ressemblance entre le Christ et moi ?

Afin de dissiper toutes ces excuses de la faiblesse et de l'infidélité, les martyrs nous ont construit une grande voie, et il fallait, pont que nous y pussions marcher avec sécurité, qu'elle fût assise sur des arches de pierre. Ils l'ont formée avec leur sang, avec les témoignages qu'ils ont rendus. Pleins de mépris pour leurs corps, lorsque le Christ est venu pour conquérir les gentils, et qu'il s'est en quelque sorte assis sur eux comme sur une monture, ils ont étendu devant lui leurs corps comme les Juifs étendirent autrefois leurs vêtements (4). Qui rougirait de dire : Je ne suis pas égal à Dieu ? Non, sans doute. Je suis loin d'être égal au Christ ? Oui, au Christ même devenu mortel. Mais Pierre était ce que tu es, Paul aussi, les Apôtres et les Prophètes étaient également ce que tu es. S'il t'en coûte d'imiter le Seigneur, imite celui qui n'est que son serviteur comme toi. Quelle armée de serviteurs de Dieu te précède ! Plus d'excuse pour la lâcheté. On n'en dit pas moins encore : Que je suis loin de Pierre ! Que je suis loin de Paul ! Ah ! tu es loin plutôt de la vérité ! Des gens sans lettres reçoivent la couronne; point de prétexte pour ta vanité. Diras-tu que tu ne peux ce que peuvent des enfants? ce que peuvent de jeunes filles ? ce qu'a pu sainte Valérienne ? Si tu hésites encore, ah 1 c'est que tu ne veux point suivre Victoire ? Tel est, en effet, l'ordre où se présentent nos vingt martyrs; la liste s'ouvre par un évêque, saint Fidentius, et se clôt par une femme fidèle, sainte Victoire. Elle commence par la foi, finit par la victoire.

 

1. I Pierre, II, 21. — 2. Jean, I, 14. — 3. II Cor. V, 19. — 4. Matt. XXI, 7, 8.

 

2. Ayez donc soin, mes frères, en célébrant les souffrances des martyrs, de songer à imiter les martyrs. Pour rendre leurs souffrances méritoires, ils ont d'abord pris parti pour la bonne cause; ils ont remarqué que le Seigneur avait dit, non pas : « Bienheureux ceux qui souffrent persécution » ; mais : « Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice (1) ». Toi aussi, adopte la bonne cause et ne t'inquiète pas de la souffrance; car si tu ne fais pas un bon choix, tu auras en partage la douleur dans cette vie et dans l'autre. Ne te laisse pas émouvoir par les supplices et les châtiments infligés aux malfaiteurs, aux sacrilèges, aux ennemis de la paix, aux adversaires de la vérité. Ce n'est pas, en effet, pour la vérité que meurent ces sectaires; ils meurent plutôt pour empêcher qu'on annonce la vérité, qu'on prêche la vérité, qu'on s'attache à la vérité; pour empêcher qu'on aime l'unité, qu'on embrasse la charité et qu'on parvienne à posséder l'éternité. Que leur cause est affreuse ! Aussi leurs souffrances sont-elles sans mérite.

Toi qui te vantes de ce que tu endures, ne vois-tu pas, ne vois-tu pas qu'il y avait trois croix sur la montagne quand le Seigneur y souffrit la mort? Il était suspendu entre-deux larrons; la différence venait entre eux, non pas de la souffrance, mais de la cause embrassée par chacun. Aussi bien ce sont les martyrs qui disent dans un psaume: «Jugez-moi, Seigneur ». Ils ne redoutent pas le jugement divin; en eux il n'y arien que puisse dévorer le feu; là où l'or est pur, pourquoi redouter la flamme ? « Jugez-moi, Seigneur, et distinguez ma cause de celle d'un peuple impie (2) ». Il n'est pas,dit : Distinguez ma peine. N'aurait-on pu répondre . Le larron aussi a enduré une peine ? Il n'est pas dit non plus Distinguez ma croix. N'y attache-t-on pas aussi l'adultère ? Il n'est pas dit : Distinguez mes chaînes. Les voleurs n'en portent-ils pas? Il n'est pas dit : Distinguez mes plaies. Que de scélérats périssent par le fer ! Ainsi donc, après avoir observé que tout, en fait. de souffrances, est commun aux bons et aux méchants, le prophète s'est écrié simplement: « Jugez-moi, Seigneur, et distinguez ma cause de celle d'une nation impie »; car si vous distinguez ma cause, vous couronnerez ma patience.

 

1. Matt. V, 10. — 2. Ps. XLII, 1.

 

558

 

Votre charité voudra bien se contenter, dans ce saint lieu, de cette petite exhortation ; d'ailleurs les jours sont courts et il nous reste encore quelque chose à faire avec votre charité dans la grande basilique.
 
 
 
 

source: http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin/index.htm

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