www.JesusMarie.com
Saint Augustin d'Hippone
Sermons

SERMON CCCXXVI. POUR UNE FETE DE MARTYRS. I. L'ÉTERNEL BONHEUR.
 

ANALYSE. — C'est la vue et l'espoir de l'éternelle félicité qui a porté les martyrs à se sacrifier et à tant souffrir dans la vie présente.

 

1. La fête de ces bienheureux martyrs a répandu sur cette journée une plus vive joie. Nous nous réjouissons, parce que de la terre des fatigues ces martyrs ont passé dans la région du repos; mais ce n'est pas en dansant, c'est en priant; ce n'est pas en buvant, c'est en jeûnant; ce n'est pas en disputant, c'est en tolérant, qu'ils ont mérité ce bonheur.

Je le crois, leurs parents s'affligeaient en les voyant aller au martyre; mais eux se réjouissaient et s'écriaient: « Je suis heureux de cette nouvelle que je viens d'apprendre  nous irons dans la demeure du Seigneur (1) ». Gardez-vous, chers parents, gardez-vous de pleurer notre félicité. Si vous ne voulez pas laisser tomber dans la géhenne ceux que vous avez élevés, au lieu de les empêcher, vous devez les imiter. — Ainsi les martyrs savaient-ils où ils allaient, et leurs parents incrédules gémissaient sans motif. Toutefois si leur amour charnel pour leurs enfants les portait à pleurer alors, plus tard, devenus croyants, ils disaient à Dieu: « Vous avez changé mes gémissements en joie, vous avez déchiré mon cilice et vous m'avez revêtu d'allégresse (2) ». Plaise à Dieu, mes frères, que pour nous aussi se déchire le cilice de la pénitence et que s'en répande le prix qui nous assure le pardon ! Tous les martyrs ont laissé ici le fardeau des biens du siècle, ils s'en sont déchargés, et agiles comme de valeureux soldats ils ont franchi rapidement

 

1. Ps. CXXI, 1. — 2. Ps. XXIX, 12.

 

ment la voie qui conduit à la vie. Aussi est-il écrit : « Comme n'ayant rien en propre, et possédant tout (1)». Réellement ils n'avaient rien sur la terre, mais ils étaient au ciel possesseurs de l'éternelle félicité. Ils couraient au ciel avec une sainte ardeur, franchissaient en paix la voie de la vie, et de loin encore ils étendaient leurs mains vers la palme. Courez, ô saints, « courez de manière à atteindre. Le Royaume des cieux souffre violence, il se « laisse emporter par ceux qui se font violente (2) ». Ce royaume n'est pas un royaume étroit; quiconque veut être heureux n'a qu'à s'empresser d'y parvenir. Il n'est fermé pour personne, à moins de s'en exclure soi-même. Le Christ est tout prêt à y recevoir ceux qui le confessent; il dit du haut des cieux : Je vous regarde, je vous soutiendrai dans le combat, je vous couronnerai après la victoire.

2. Sûrs de cette promesse, les martyrs ont compté pour rien les épouvantements et les menaces du persécuteur. Quand celui-ci disait : « Sacrifiez aux idoles », ils répondaient: « Non, car nous avons au ciel l'Éternel notre Dieu, c'est à lui que toujours nous sacrifions, nous n'offrons rien aux démons ». — « Pourquoi sacrifier malgré la loi? » — « C'est que notre céleste Maître nous dit dans l'Evangile : « Qui abandonnera, pour mon nom, son père et sa mère , son épouse et ses enfants, ainsi que tout ce qu'il possède,

 

1. II Cor. VI, 10. — 2. I Cor. IX, 24; Matt. XI, 12.

 

559

 

recevra le centuple et possédera la vie éternelle (1)». — « Comment ! vous n'obéirez point aux ordres des empereurs? — Non. — Sur quelle puissance pouvez-vous donc vous appuyer, puisque vous vous voyez condamnés au supplice ? — Avec la puissance du Roi éternel, nous nous soucions peu de la puissance d'un homme ». — Ils furent alors jetés dans les cachots et chargés de chaînes.

Comme en ce moment les impies s'écriaient : « Où est leur Dieu (2)? » Qu'il vienne, ce Dieu

 

1. Matt. XIX, 29. — 2. Ps. CXIII, 12.

 

à qui ils ont donné leur foi, qu'il les sauve, et de la prison, et du glaive, et de la dent des bêtes. Ainsi parlaient-ils, mais sans abattre ces martyrs appuyés sur la pierre. Les bourreaux étaient en fureur, mais eux étaient sans crainte. Ils savaient où ils les laissaient, où ils allaient eux-mêmes. Après avoir confessé leur Dieu, ces martyrs ont reçu la couronne, et les juges qui l'ont abandonné sont restés ce qu'ils étaient.

C'est ainsi que Dieu veut éprouver chaque chrétien, afin de vouloir ensuite le couronner avec ses martyrs.

SERMON CCCXXVII. POUR UNE FÊTE DE MARTYRS. II. CE QUI FAIT LE MARTYR.
 

ANALYSE. — Les martyrs en appellent au mérite de la cause qu'ils soutiennent. Ce qui prouve que c'est la cause, plutôt que la souffrance, qui fait le martyr, c'est que les coupables souffrent souvent comme les justes, c'est que le mauvais larron a souffert comme le bon, mais n'a pas été récompensé comme lui.

 

1. En empruntant la parole des martyrs, nous avons chanté devant Dieu : « Jugez-moi, Seigneur, et distinguez ma cause de celle d'un peuple impie (1)». C'est bien là le cri des martyrs. Qui oserait dire : « Jugez-moi, Seigneur », s'il n'était pour la bonne cause? Les promesses et les menaces servent à tenter l'âme ; charmée par le plaisir, elle est torturée par la douleur; mais tout cela, pour le Christ, a été vaincu par les invincibles martyrs. Ils ont vaincu le monde avec ses promesses, le monde aussi avec ses rigueurs, sans être arrêtés, ni par ses caresses, ni par ses tourments. Une fois purifié dans la fournaise, l'or ne craint plus le feu de l'enfer. Aussi, parce qu'il est purifié par le feu de l'affliction, le bienheureux martyr dit-il en paix : « Jugez-moi, Seigneur ». Quel que soit le bien que vous trouviez en moi, jugez. C'est vous qui m'avez donné de quoi vous plaire ; voyez-le

 

1. Ps. XLII, 1.

 

en moi, et jugez-moi. Les appas du siècle ne m'ont point charmé, ses tourments ne m'ont point éloigné de vous. « Jugez-moi, et distinguez ma cause de celle d'un peuple impie ». Beaucoup supportent des tourments; avec les mêmes souffrances ils ne soutiennent pas la même cause. Que n'endurent pas les adultères, les malfaiteurs, les larrons, les homicides, les scélérats de tous genres? Et moi, votre martyr, que n'ai-je pas à endurer? Mais « distinguez ma cause de celle d'un peuple impie», de celle des larrons, des meurtriers, de tous les scélérats. Ils peuvent souffrir ce que je souffre; ils ne sauraient défendre la même cause. La fournaise me purifie, elle les réduit en cendres. Les hérétiques souffrent aussi, la plupart du temps ils se font souffrir eux-mêmes et veulent passer pour martyrs. C'est contre eux que nous nous sommes écriés : « Distinguez ma cause de celle d'un peuple impie ». Ce n'est pas la souffrance, c'est la cause qui fait le martyr.

 

560

 

2. Durant la passion du Seigneur, trois croix étaient dressées; le supplice était le même, la cause était bien différente. A la droite était un larron, un autre à la gauche, au milieu le Juge, le Juge élevé entre l'un et l'autre pour prononcer l'arrêt du haut de son tribunal. Il entendit l'un lui dire : « Délivre-toi, si tu es juste »; et l'autre, au contraire, reprendre ainsi son compagnon : « Tu ne crains donc pas Dieu ? Nous souffrons pour nos crimes, nous; mais lui est juste ». La cause de ce larron était mauvaise, et il en distinguait la cause des martyrs. N'est-ce pas ce que signifient ces mots : « Nous souffrons, nous, pour nos crimes, mais lui est juste? » N'est-ce pas distinguer ici la cause des martyrs de la cause des impies quand ils sont châtiés? Lui, dit-il, est reconnu pour être juste; nous, au contraire, nous souffrons pour nous-mêmes, pour nos crimes.

« Seigneur » : n'oublie pas ce que le bon larron vient de dire à son compagnon de supplice. Le Christ, sans doute, était crucifié comme lui , mais à ses yeux il n'était, pas digne du même mépris. Pendu à côté de lui, il voyait en lui le Seigneur. Tous deux étaient sur la croix, la récompense n'était pas la même pour tous deux. Mais pourquoi parler des récompenses, quand il s'agit du Christ qui les distribue? « Seigneur, dit donc le bon larron, souvenez-vous de moi lorsque vous serez arrivé dans votre royaume ». Il le voyait cloué, crucifié, et il espérait qu'il régnerait ! « Souvenez-vous de moi », lui dit-il, non pas maintenant , mais « lorsque vous serez arrivé dans votre royaume ». J'ai fait beaucoup de mal, je ne compte point parvenir promptement au repos ; mais contentez-vous de ce que je souffrirai jusqu'au jour de votre avènement. Je consens à être maintenant châtié; mais pardonnez-moi quand vous reviendrez. Ainsi s'ajournait-il lui-même; mais, sans qu'il le demandât, le Christ lui offrit le paradis. « Souvenez-vous de moi »; quand? « quand vous serez arrivé dans votre royaume. — « En vérité, je te l'assure, reprit le Seigneur, tu seras aujourd'hui avec moi dans le paradis (1) ». Mes disciples m'ont abandonné, mes disciples ont désespéré de moi; et toi, tu m'as reconnu sur la croix, tu ne m'as point méprisé quand j'expire, tu comptes, que je régnerai

« Aujourd'hui tu seras avec moi dans le paradis ». Je ne te quitte point.

La cause ici est différente, la peine l'est-elle? Il est donc bien de dire : « Jugez-moi,  Seigneur, et distinguez ma cause de celle d'un peuple impie ». Nous tous qui vivons en ce siècle, ah ! travaillons pour la bonne cause ; et si quelque accident nous survient durant la vie, que notre cause soit bonne quand nous en sortirons.

 

1. Luc, XXIII, 39, 43.

SERMON CCCXXVIII. SOLENNITÉS ET PANÉGYRIQUES. POUR UNE FÊTE DE MARTYRS. III. LA GRÂCE DE DIEU ET LE MARTYRE.
 

ANALYSE. — Non-seulement l'exemple de Jésus-Christ a inspiré le courage des martyrs, mais c'est son Esprit qui leur a donné de s'attacher à la vérité, puisque par lui-même tout homme est menteur, comme dit l'Ecriture. A ces grâces le Sauveur ajoutera l'éternelle félicité, surtout à la résurrection générale, où se complètera 1e bonheur des saints.

 

1. Nous avons dit dans un psaume, au Seigneur notre Dieu : « Aux yeux du Seigneur est précieuse la mort de ses saints ». La mort des saints martyrs est précieuse, parce que le prix qui les a rachetés est le sang même de leur Dieu; si leur Dieu a souffert le martyre, c'est parce qu'eux-mêmes devaient l'endurer après lui. Il a marché en avant, et quelle (561) foule l'a suivi ! La voie était, fort escarpée, mais il l'a aplanie en y passant le premier ; et c'est parce qu'il y a passé le premier que tous ensuite n'ont pas craint d'y passer. Sa mort jeta la consternation dans l'âme de ses disciples; mais sa résurrection dissipa leur crainte et leur inspira l'amour. A sa mort, en effet, ces disciples tremblèrent et s'imaginèrent que c'en était fait de lui. Quand donc ils le suivirent ensuite, ce fut un effet de la grâce de Dieu, sachez le reconnaître.

Voyez le larron devenir croyant, lorsque les disciples étaient consternés. Avec le Sauveur, en effet,. il y avait un larron sur la croix, et il crut en lui jusqu'à lui dire : « Seigneur; souvenez-vous de moi lorsque vous serez parvenu à notre royaume (1) ». Qui l'instruisait, sinon Celui qui était pendu auprès de lui ? Mais tout cloué qu'il fût près de lui, le Sauveur habitait en.son coeur.

2. Dans le psaume où nous avons lu: « Aux yeux du Seigneur est précieuse la mort de ses saints », il est écrit encore, ce que vous avez également entendu : « J'ai dit dans ma surprise: Tout homme est menteur (2) ». Quoi ! mes frères, tout homme est menteur? Donc les martyrs l'ont été aussi? Mais s'ils se sont montrés véridiques, comment admettre que « tout homme est menteur? » Et pourtant, c'est; l'Écriture qui dit : « Tout homme est menteur ». Assurons-nous que les martyrs étaient. :véridiques ? Nous accusons de mensonge l'Écriture même. D'un autre côté; si elle a raison de proclamer que « tout homme est menteur », il s'ensuit que les martyrs aussi ont été menteurs. Comment prouver; en même temps la véracité de l'Écriture et la véracité des martyrs ? Les martyrs n'étaient-ils pas des hommes ? Or, s'ils étaient des, hommes, comment est-il vrai que atout homme est « menteur ? » Que faire alors ? Nous tâcherons de vous montrer et que l'Écriture est , véridique, et que « tout homme est menteur », et que les martyrs aussi sont véridiques; puisqu'ils sont morts pour la vérité. Si, effectivement, ils portent le nom de martyrs, c'est qu'ils sont morts pour rendre témoignage à la vérité, car martyr est un mot qui vient du grec et qui signifie témoin. Mais si les martyrs ont été de vrais témoins, ils ont dit la vérité, et c'est en la disant qu'ils ont mérité la couronne.

 

1. Luc, XXII, 42. — 2. Ps. CXV, 15, 11.

 

Si au contraire; ce qu'à Dieu ne plaise, ils ont été de faux témoins, ils sent parvenus non pas à la récompense, mais au châtiment, conformément à cette parole : « Le faux témoin ne restera pas impuni (1)». Ainsi donc montrons qu'ils ont été de véridiques témoins. Déjà ils l'ont prouvé eux-mêmes quand, en faveur de la vérité, ils ont voulu faire le sacrifice même de leur vie. Mais, encore une fois, comment alors l'Écriture peut-elle dire : « Tout homme est menteur ? » Prions Notre-Seigneur Jésus-Christ, et lui-même nous résoudra cette question. Comment la résoudra-t-il? Par l'Evangile qu'on vient de vous lire et dont nous venons de vous parler.

3. Quand, en effet, on en faisait la lecture, vous. avez remarqué que le Seigneur Jésus y disait aux martyrs: « Lorsqu'on vous livrera, ne songez ni à ce que vous direz, ni à ce que vous répondrez ; car à l'heure même vous sera donné ce que vous aurez à dire. En effet ce n'est pas vous qui parlez; c'est l'Esprit de votre Père qui parle en vous (2) ». Si c'était vous qui parliez, vous feriez des mensonges, puisque « tout homme est menteur ». Reconnaissant donc que « tout homme est menteur », le Seigneur a donné son Esprit aux martyrs, afin qu'ils ne parlassent pas eux-mêmes; mais son Esprit, afin qu'ils ne fussent pas menteurs, mais véridiques. Ainsi, le motif pour lequel ils ont dit la vérité, c'est qu'ils ne parlaient pas eux-mêmes, mais en eux l'Esprit de Dieu. Maintenant encore, si nous vous parlions de nous-mêmes, nous serions menteurs ; si, au contraire; ce que nous vous disons vient de l'Esprit de Dieu, pour ce motif même nous disons la vérité. Vous aussi, profitez de ceci. ;  si vous voulez énoncer la vérité , ne parlez pas de vous-mêmes ; ainsi vous ne resterez point des hommes menteurs, vous deviendrez de véridiques enfants de Dieu.

4. Tous les hérétiques vont même jusqu'à souffrir pour la fausseté ; ce n'est pas pour la vérité, puisque leurs mensonges attaquent le Christ lui-même. Tout ce que souffrent aussi les païens, les impies, ils l'endurent aussi pour soutenir la fausseté. Que nul donc ne s'enorgueillisse ni ne se vante de ce qu'il souffre ; qu'il montre d'abord que la vérité est sur sa langue. Tu m'étales tes souffrances, moi j'en

 

1. Prov. XIX, 15. — 2. Matt. X,19, 20.

 

562

cherche la cause. J'ai souffert, dis-tu.    Pourquoi as-tu souffert? Si nous ne faisons attention qu'aux souffrances, ne.s'ensuit-il pas que les brigands aussi méritent-la couronne? Un scélérat ose-t-il dire : J'ai souffert tout ceci et tout cela? Pourquoi ? C'est qu'on lui répondrait : C'est à cause de tes crimes ; tu endures de sévères châtiments, parce que tu soutenais une cause mauvaise.

Si l'on doit se glorifier de ce qu'on, endure, le diable aussi peut se vanter: Voyez combien' il. souffre quand il voit partout ses temples renversés,. ses idoles brisées, ses prêtres et ses suppôts flagellés ? Ira-t-il dire : Moi aussi je suis martyr, puisque je souffre tant ? — O  homme de Dieu, adopte d'abord la bonne cause, puis tu souffriras tranquillement; car, en souffrant pour la bonne cause, on recevra la couronne ensuite.

5. Aussi bien «la mémoire du juste sera n éternelle, et il ne redoutera point la terrible parole (1) ». Viendra en effet, comme nous le lisons dans l'Evangile, le Juge des vivants. et des morts. Car il est bien vrai que ce que nous voyons maintenant n'était pas, quand d'avance on en prédisait l'existence. Vous voyez maintenant prêcher le, nom du Christ à toutes les nations, les hommes s'attacher au Dieu unique, les idoles délaissées, les démons abandonnés, les temples renversés, les simulacres brisés : rien de cela n'existait autrefois, pourtant on parlait de tout cela, et nos yeux maintenant en sont témoins. Eh bien ! dans les mêmes livres où sont écrits ces événements que nous voyons, où ils ont été écrits quand on ne les voyait pas encore, et qu'on en faisait seulement la promesse, dans ces mêmes livres nous lisons des choses qui ne sont pas encore. Maintenant, en effet, ne sont arrivés encore ni le jour du jugement, ni la résurrection des morts; non, Celui qui était, venu. pour être jugé n'est point venu juger encore: Jugé avec injustice, il jugera conformément à la justice; il diffère de montrer sa puissance, car il veut montrer sa patience d'abord.. Il viendra donc, il viendra comme il a promis de venir, accompagné de ses anges et jetant un vif éclat aux yeux de tous les hommes reprenant leurs corps.

 

1. Ps. CXI, 7.

 

Chacun, en effet, ressuscitera avec la cause qu'il aura embrassée. Mourir maintenant c'est en quelque sorte entrer dans un cachot: chacun paraîtra devant le Juge tel qu'il est en. mourant. C'est maintenant donc qu'on doit, préparer sa cause ; une fois enfermé, nul ne le pourra: Est-on dans la bonne cause? on est admis au repos. Dans la mauvaise? on est condamné aux supplices. Mais après la résurrection on souffrira davantage : ce qu'endurent aujourd'hui les méchants après leur mort, comparé aux peines qui suivront, la résurrection, n'est que comme les tourments qu'on endure, en songe. L'âme souffre; le corps ne souffre pas: Ce qu'on supporte éveillé ne pèse-t-il pas beaucoup plus ?

Quand donc tous seront ressuscités et comparaîtront devant le juste Juge, comme lui-même l'a prédit, il les séparera, comme un berger sépare les brebis d'avec les boucs, il placera les. boucs a sa gauche et les brebis à sa droite. A la droite il dira : «Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous est préparé dès l'origine du monde ». A ces mots tressailleront de joie ceux de la droite, les justes. Quant à ceux de la gauche, il leur dira : « Allez au feu éternel, avec le diable et ses anges (1)». C'est cette parole terrible que ne redoutera point le juste.

6. Ainsi, avant d'avoir recueilli le fruit de leurs mérites, les saints martyrs sont heureux dès maintenant, parce que leurs âmes sont avec le Christ. Mois quel langage pourrait expliquer ce qui leur est réservé pour la résurrection? « Ce que l'oeil n'a point vu, ce que n'a point entendu l'oreille, ce que le coeur de l'homme n'a point pressenti, c'est ce que Dieu a préparé à ceux qui l'aiment (2) ». Si nul ne saurait expliquer ce que doivent recevoir les simples et bons fidèles; est-ce sans motif que les mêmes récompenses sont réservées à. ceux qui, pour la vérité, ont combattu jusqu'au sang, qui ne se sont laissé ni charmer par le monde, ni abattre par ses terreurs, ni vaincre par ses tortures, ni séduire par ses caresses? Leurs corps mêmes seront pour eux un ornement magnifique, puisqu'en eux ils ont souffert de si cruels, tourments.

 

1. Matt. XXV, 32-34, 41. — 2. I Cor. II, 9.

SERMON CCCXXIX. POUR UNE FETE DE MARTYRS. IV. PRÉCIEUSE MORT DES MARTYRS.
563

 

ANALYSE. — La mort des saints martyrs est réellement précieuse, 1° parce qu'ils s'y sont voués par reconnaissance, 2° parce que la grâce de Dieu les a aidés à la supporter.

 

1. Ces oeuvres glorieuses des saints martyrs qui jettent partout un si vif éclat sur l'Église, nous montrent en quelque sorte à l'oeil combien nous avons eu raison de chanter : « Aux yeux du Seigneur est précieuse la mort de ses saints »; elle est réellement précieuse, et à nos yeux, et aux yeux de Celui pour qui ils l'ont endurée.

Or, le mérite de tant de morts vient de la mort d'un seul. Combien de morts a achetées en mourant Celui dont la seule mort a donné au grain de froment de se multiplier? Vous lui avez entendu dire, quand il touchait à sa passion, c'est-à-dire à notre rédemption : « Si  le grain de froment tombé à terre ne meurt pas, il reste seul; mais s'il meurt, il porte beaucoup de fruits (1) ». — Sur la croix, en effet, il a fait comme un grand paiement; là s'est ouvert le trésor qui contenait notre rançon, c'est au moment où le côté du Sauveur a été ouvert par un- coup de lance, et il s'en est répandu la rançon de l'univers entier. Alors ont été rachetés les fidèles et les martyrs;, mais la foi des martyrs est une foi éprouvée, leur sang en est la preuve. Ils ont, rendu ce qu'ils avaient reçu , ils ont accompli ce que dit saint Jean : « De même que. le.Christ adonné sa vie pour nous, ainsi nous devons donner la nôtre pour nos frères (2)». Ailleurs encore il est dit : «Es-tu assis à une grande table? Considère avec soin ce qui t'est présenté, car tu dois en préparer autant. (3)». — La grande table est celle où sert d'aliments le Seigneur même de la table. Nul ne se donne comme nourriture à ses convives, le Seigneur pourtant, le Christ le fait; il est tout à la fois l'invitateur, la nourriture et le breuvage. Pour

 

1. Jean, XXII, 24, 25. — 2. I Jean, III, 16. — 3. Prov. XXIII, 1, 2.

 

lui rendre ce qu'ils avaient reçu de lui, les martyrs ont donc considéré ce qu'ils mangeaient et ce. qu'ils buvaient à sa table.

2. Comment toutefois auraient-ils pu rendre, si pour rendre ils n'avaient reçu encore de Celui qui leur avait donné d'abord? Aussi dans le psaume où nous avons chanté : « Aux yeux du. Seigneur est précieuse la mort de ses saints », quelle. leçon nous est donnée? On y voit un. homme qui considère combien il a reçu de Dieu; qui examine tous ces bienfaits du Tout-Puissant, qui l'a créé, qui l'a recherché quand il s'était perdu, qui lui a pardonné après l'avoir retrouvé, qui a soutenu sa faiblesse dans le combat, qui ne lui a point manqué dans le danger, qui l'a couronné après la victoire, et qui s'est donné lui-même pour récompense. Or, après avoir réfléchi à tout cela, cet homme s'écrie : « Que rendrai-je au Seigneur pour tous les biens qu'il m'a rendus? »  Il ne veut point être un ingrat, il veut, témoigner sa reconnaissance , mais il n'en a pas le moyen.

Pourtant il ne dit pas : « Que rendrai-je au Seigneur pour tous les biens qu'il m'a » faits, mais « pour tous les biens qu'il m'a rendus? » Le Seigneur donc ne lui a pas donné, il lui a rendu. S'il nous a rendu, c'est que nous lui avions donné quelque chose. Hélas ! nous lui avions donné nos iniquités, et il nous a rendu ses faveurs : c'est ainsi qu'après avoir reçu de nous le mal pour-le bien, il nous rend le bien pour le mal.

Le prophète; cherche donc ce qu'il rendra; il est embarrassé, il ne trouve pas le moyen de s'acquitter : « Que rendrai-je au Seigneur pour tous les biens qu'il m'a rendus? » Puis, comme s'il avait trouvé de quoi rendre : « Je prendrai, dit-il, le calice du salut, et j'invoquerai (564) le nom du Seigneur (1)». Mais quoi? Sûrement il songeait à rendre, et le voilà qui demande à recevoir encore : « Je recevrai le calice du salut !». Qu'est-ce que ce calice? C'est l'amer et salutaire calice de la passion; c'est le calice que n'oserait même toucher, le malade, si le médecin ne le buvait d'abord. Voilà quel est ce calice ; il est sur les lèvres du Christ quand il dit : « Mon Père, s'il est possible, que ce calice s'éloigne de moi (2) ». Ce qui le prouve, c'est que les fils de Zébédée ayant demandé, par l'entremise de leur mère, des places élevées, la faveur de s'asseoir, l'un à la droite, l'autre à la gauche du Fils de Dieu, le Sauveur leur dit : « Pouvez-vous boire le, calice, que moi-même  je dois boire (3)? » Vous voulez de l'élévation ? C'est en traversant la vallée qu'on s'élève sur la montagne. Vous voulez des trônes de gloire ? Buvez d'abord le calice de

 

1. Ps. CXV, 15, 12, 13. — 2. Matt. XXVI, 39. — 3. Ib. XX, 22.

 

l'humiliation. Tel est le calice dont les martyrs disaient : « Je recevrai le calice du salut, et j'invoquerai le nom du Seigneur ».

Ne crains-tu pas de succomber? — Non. — Pourquoi? Parce que « j'invoquerai le nom  du Seigneur ». Comment auraient vaincu les martyrs, si n'avait vaincu en eux Celui qui a dit : « Réjouissez-vous, car j'ai vaincu le monde (1)? » C'est l'Empereur du ciel qui dirigeait et leur esprit et leur langue, qui par eux triomphait du diable sur la terre et qui les couronnait comme martyrs dans le ciel. Oh ! bienheureux ceux qui ont bu ainsi ce calice ! Ils ont mis fin à leurs douleurs et sont couverts d'honneurs.

Réfléchissez-y donc, mes très-chers frères; appliquez toute votre attention et tout votre esprit à ce que vous ne pouvez fixer de l'oeil, et reconnaissez qu' « aux yeux du Seigneur est précieuse la mort de ses saints ».

 

1. Jean, XVI, 33.

SERMON CCCXXX. POUR UNE FETE DE MARTYRS. V. LE RENONCEMENT, A SOI-MÊME.
 

ANALYSE. — Les martyrs sont de, parfaits modèles de ce renoncement. Or, il nous est avantageux de nous renoncer, comme au laboureur de jeter la semence dans ses sillons, et ne nous renoncer pas c'est nous perdre, puisque c'est chercher dans le monde extérieur, qui ne nous vaut pas, le bonheur qu'il ne .saurait nous assurer. Donc, imitons l'enfant prodigue revenant du monde extérieur à son Père, après être rentré en lui-même; imitons le renoncement des martyrs; le renoncement de saint Pierre et de saint Paul.

 

1. La fête de ces bienheureux martyrs et l'attente où est votre sainteté exigent de nous un discours; et nous comprenons que notre devoir est de traiter ce qui a rapport à cette solennité. Vous le désirez, nous le voulons; à Celui-là de réaliser nos. voeux, de qui nous dépendons, nous et nos paroles. Il nous a donné de vouloir, qu'il nous accorde de pouvoir.

Pourquoi les martyrs ont-ils brûlé d'amour? Enflammés d'ardeur pour les choses invisibles, ils ont dédaigné tout ce qui se voit, Eh ! qu'aime-t-on en soi, quand on va jusqu'à se mépriser pour ne se perdre pas? Les martyrs étaient les temples de Dieu, ils sentaient en eux la présence du Dieu véritable; aussi n'adoraient-ils pas les faux dieux. Ils avaient entendu; ils avaient convoité avec ardeur, ils avaient fait pénétrer jusqu'au plus profond de leurs coeurs et avaient en quelque sorte gravé dans leurs entrailles cette maxime du Seigneur : « Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il se renonce lui-même » ; oui, « qu'il se renonce (565) qu’il prenne sa croix et me suive (1)». C'est sur cette sentence que je voudrais vous adresser quelques réflexions. Si l'attente où je vous vois me fait peur, vos prières sont pour moi un ordre.

2. Que signifie, je vous le demande : « Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il se renonce lui-même, qu'il prenne sa croix et me suive ? » Nous comprenons ce que c'est que prendre sa croix ; c'est supporter les afflictions, car prendre a ici le même sens que porter supporter. Qu'il accepte donc avec patience, dit le Sauveur, ce qu'il souffre à cause de moi. « Et qu'il me suive ». Où ? Où nous savons qu'il est allé après sa résurrection; au ciel où il est monté, où il est assis à la droite du Père. Là aussi il nous a fait une place; mais il faut l'espérance avant d'arriver à la réalité. Et quelle doit être cette espérance? Ceux-là le savent qui entendent ces mots : « Elevez vos coeurs : Sursum corda».

Examinons maintenant, avec l'aide du Seigneur, considérons, voyons et comprenons , s'il daigne nous ouvrir et nous montrer, expliquons enfin, autant que nous le pourrons, ce qu'il veut nous faire entendre par ces mots : « Qu'il se renonce». Comment se renoncer quand on s'aime ? C'est bien là un raisonnement, mais un raisonnement humain, et il faut être homme pour dire : Comment se renoncer quand on s'aime ? Aussi le Seigneur. enseigne-t-il, au- contraire, que pour s'aimer il faut se renoncer ; car en s'aimant on se perd, et en se renonçant on se retrouve. « Celui; dit-il, qui aime son âme, la perdra (2) ». Voilà un ordre émané de Celui qui sait ce qu'il commande; car il sait conseiller puisqu'il sait instruire, il sait aussi restaurer puisqu'il a daigné créer. « Que celui » donc « qui aime, perde ». Il est douloureux de perdre ce qu'on aime. Mais le laboureur ne sait-il pas- aussi de temps en temps faire le sacrifice de ses semences ? Il les tire de ses greniers, les répand, les jette , les enterre. Iras-tu t'en étonner ? Ce dédaigneux, ce prodigue n'est-il pas un avare moissonneur ? L'hiver et l'été ont révélé son dessein, et la joie qu'il témoigne au moment de la récolte fait connaître le motif qui l'excitait à semer. C'est ainsi que « celui qui aime son âme, la perdra » . Veut-on y trouver du fruit ? qu'on la sème. S'il est commandé de se renoncer,

 

1. Matt. XVI, 24. — 2. Jean, XII, 25.

 

c'est pour faire éviter de se perdre en s'aimant imprudemment.

3. Il n'est personne qui ne s'aime; mais autant il faut chercher à s'aimer bien, autant on doit éviter de s'aimer mal. S'aimer en laissant Dieu de côté, laisser Dieu de côté pour s'aimer, c'est ne pas même rester en soi, mais en sortir. Oui, on est comme exilé de son coeur en dédaignant la vie intérieure et en s'attachant aux choses extérieures. N'ai-je pas dit la vérité? N'est-il pas certain que tous ceux qui font le mal n'ont que du mépris pour leur conscience ? Lors, en effet, qu'on a des égards pour elle, on met fins ses iniquités. C'est ainsi qu'après avoir laissé Dieu pour s'aimer et en s'attachant à l'extérieur, à autre chose qu'à lui, le pécheur arrive à se mépriser lui-même.

Voyez; écoutez l’Apôtre appuyant de son témoignage cette interprétation : « A la fin des temps, dit-il, viendront des moments périlleux ». Quand viendront ces moments périlleux ? Quand « il y aura des hommes s'aimant eux-mêmes ». Voilà la source du mal. Voyons maintenant si ces hommes en s'aimant resteront en eux-mêmes; voyons, écoutons ce qui suit : « Il y aura des hommes s'aimant eux-mêmes, attachés à l'argent (1) ». Où es-tu maintenant , ami de toi-même? Dehors, hélas ! Mais, dis-moi, je t'en prie: l'argent est-il une même chose avec toi ? Ah ! en laissant Dieu pour t'aimer et en t'attachant à l'argent tu es allé jusqu'à te laisser toi-même, et en te délaissant,.tu t'es perdu; c'est l'amour de l'argent qui t'a perdu. L'argent te fait mentir ? « La bouche menteuse donne la mort à l'âme (2) » ; et c'est ainsi que tu perds ton âme en convoitant la richesse.

Apporte ici une balance, la, balance de la vérité et non celle de la cupidité ; apporte-la, je t'en prie, et place sur un plateau la richesse, et ton âme sur l’autre plateau. Mais Quoi ! tu veux peser toi-même ? la cupidité te met la fraude à la main ? tu veux faire incliner le plateau de la richesse? Contente-toi de charger les plateaux, ne soulève pas ; tu voudrais frauder à ton désavantage , j'ai découvert ton dessein ; tu voudrais que l'argent pesât plus que ton âme, tu voudrais tromper en faveur de l'argent et pour ta propre perte. Mets donc simplement dans les deux plateaux; Dieu même pèsera; il ne sait ni se tromper ni tromper,

 

1. II Tim. III, 1, 2. — 2. Sag. I, 11.

 

566

 

à lui de peser. Le voilà qui prend en main la balance, vois-le peser, écoute-le ensuite se prononcer, « Qu'importe à l'homme, dit-il?» C'est ici une parole divine; c'est la parole de Celui qui ne trompe pas : il a pesé, voici le résultat, voici son jugement.. Tu as placé ton argent d'un côté et de l'autre ton âme; reconnais bien de quel côté tu as mis ton argent., Que va te dire le divin Peseur, à toi qui as chargé le plateau de la richesse? « Qu'importe à l'homme de gagner tout le monde, s'il perd son âme (1)? » Tu voulais comparer ton âme à la fortune ; mets-la en comparaison avec, le monde. Tu voulais la sacrifier pour gagner un peu de terre; mais elle pèse plus que le ciel et la terre !

Pourquoi agir ainsi ? Parce. qu'en laissant Dieu pour, l'amour de toi, tu n'es pas même resté en toi, et te voilà préférant à toi les choses extérieures. Ah ! rentre en toi, et une fois que te relevant tu y seras rentré, garde-toi d'y rester. Commence par quitter les choses extérieures pour revenir en toi-même, puis rends-toi à Celui qui t'a créé, qui t'a cherché ensuite quand tu étais perdu, qui t'a retrouvé quand tu fuyais loin de lui, et qui t'a rattaché à lui-même quand tu t'en détournais. Reviens donc à toi et retourne vers Celui qui t'a créé. Imite ce jeune prodigue. N'est-ce pas-toi? Or je m'adresse ici, non pas à un seul homme, mais à tout le peuple; non pas à un seul homme, mais au genre humain tout entier, si ma voix pouvait se faire entendre de tous. Reviens donc, prends modèle sur ce jeune fils, qui après avoir perdu et dissipé tout son bien en vivant dans la,débauche, fut réduit à,l'indigence, à paître des pourceaux, à souffrir de là faim, et qui alors se réveilla et se rappela le souvenir de son père. Or, que dit de lui l'Evangile ? « Et rentré en lui-même ». Il s'était donc quitté. Mais une fois rentré,en lui-même, voyons s'il y reste. « Et rentré en lui-même il dit : Je me lèverai ». Il était donc tombé. « Je me lèverai, poursuit-il, et j'irai vers mon père », Le voyez-vous qui se quitte, après s'être retrouvé? Comment se quitte-t-il, se renonce-t-il ? Ecoutez : « Et je lui dirai : Mon Père, j'ai péché, contre le ciel et contre vous ». Voilà le renoncement. « Je ne mérite plus d'être appelé votre fils (2)».

C'est ce qu'ont fait les saints martyrs. Ils

 

1. Matt. XVI, 26. — 2. Luc, XV, 11-19.

 

ont méprisé toutes les choses extérieures; attraits du siècle, égarements et menaces, tout ce qui pouvait les intimider ou les charmer, ils ont tout dédaigné, tout foulé aux pieds; pénétrant ensuite en eux-mêmes, ils se sont regardés; en se voyant ils se sont déplu, et ils se sont élancés vers Dieu pour acquérir en lui quelque beauté, recouvrer en lui la vie, demeurer en lui, faire périr en lui ce que par leur action propre ils avaient commencé à devenir, et conserver ce que lui-même avait formé en eux. C'est en cela que consiste le renoncement à soi-même.

4. L'apôtre saint Pierre ne pouvait comprendre encore cette doctrine, lorsque Notre-Seigneur Jésus-Christ, prédisant sa passion, il lui dit : « A vous ne plaise, Seigneur, cela ne vous  arrivera point ». Il craignait que la Vie même ne vînt à mourir. Il n'y a qu'un instant encore, pendant la lecture du saint Evangile, vous avez, remarqué cette réponse de Pierre an Sauveur, pendant que le Sauveur prédisait et annonçait, en quelque sorte, la passion que pour nous il devait endurer. Hélas ! c'était le captif qui faisait opposition à son libérateur. Que fais-tu, Pierre? comment oses-tu le contredire? comment oses-tu t’écrier : « Cela n'arrivent point? » Tu neveux donc pas de la passion du Seigneur. L'enseignement de la croix est pour toi un scandale souviens-toi que pour les réprouvés c'est une folie. Tu as besoin d'être racheté, et tu repousses ton Rédempteur? Laisse-le souffrir: il sait ce qu’il a à faire, il sait pourquoi il est venu; il sait comment il doit et te chercher et te trouver. Voudrais-tu instruire ton Maître? Recueille plutôt ta rançon dans son côté ouvert; écoute plutôt ses réprimandes et garde-toi de lui en faire : ce serait mal, ce serait l'ordre renversé. Prête l'oreille à ce qu'il dit: «Arrière». Puisqu'il l'a dit, je le répète; je ne dissimulerai point cette parole du Seigneur, et pourtant je n'outragerai point l'Apôtre. Le Seigneur, le Christ lui dit donc. « Arrière, Satan (1) ». — Pourquoi Satan? - Parce que tu veux me devancer. Ne veux-tu pas être Satan? Marche derrière moi. En marchant derrière moi, tu me suivras; en me suivant, tu porteras ta croix, et loin de me conseiller, tu m'écouteras en disciple fidèle. Pourquoi as-tu tremblé quand ton Seigneur prédisait sa passion ?

 

1. Matt. XVI, 22, 23.

 

567

 

Pourquoi as-tu tremblé, sinon dans la de mourir avec lui? Cette crainte de la mort n'est pas le renoncement à toi-même; c'est pour toi cet amour déréglé qui t'a porté à renier ton Dieu.

Ajoutons que plus tard, après avoir renié son Seigneur jusqu'à trois fois, le bienheureux apôtre saint Pierre effaça cette faute par ses larmes; puis, lé Seigneur ressuscité, il se sentit raffermi, rétabli, et mourut pour lui, pour lui que la crainte de la mort l'avait porté à renier. Ainsi, en le confessant; il trouva la mort, mais dans cette mort il embrassa la vie. Et maintenant, Pierre ne meurt plus; c'en est fait de toutes les craintes, de toutes les larmes pour toujours ; tout cela est passé ; il.ne reste. à l'Apôtre que son bonheur dans l'union avec le Christ. Il a foulé aux  pieds tout ce qui est extérieur, séductions, menaces, frayeurs; il crainte s'est renoncé; il a porté sa croix et a suivi le  Seigneur.

Ecoute aussi comment se renonce l'apôtre Paul : « Loin de moi, dit-il, la pensée de me glorifier, sinon dans la croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui le monde est pour moi un crucifié, et moi un crucifié pour le monde (1) ! » Ecoute-le encore parler de son renoncement : « Je vis, mais ce n'est pas moi ». Renoncement manifesté que suit cette noble confession du Christ : « C'est le Christ qui vit en moi (2)». Que signifie donc Renonce-toi? Ne vis plus en toi. Et ne vis plus en toi? Ne fais plus ta volonté, mais la volonté de Celui qui demeure en loi.

 

1. Gal. VI, 14. — 2. Ib. II, 2 .
 
 
 
 

source: http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin/index.htm

www.JesusMarie.com