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Saint Augustin d'Hippone
Sermons

SERMON CCCXXXI. POUR UNE FETE DE MARTYRS. VI. RÉCOMPENSE DU MARTYR.
 

ANALYSE. — L'assurance de retrouver son âme, si on la perd pour  Jésus-Christ, a enflammé les saints d'ardeur pour le martyre, c'est-à-dire du désir de mourir pour Jésus-Christ, car ce n'est pas la souffrance même, c'est le motif de la souffrance qui constitue le martyre. Mais que ne reçoivent pas les martyrs en, échange de ce qu'ils donnent à Dieu ! C'est Dieu lui-même qui se fait leur récompense. Ah ! s'il est des hommes qui se font martyrs pour l'argent, ne conçoit-on pas qu'il y en ait qui se fassent martyrs pour l'amour de Dieu?

 

1. Excités par ces paroles du Seigneur dans l'Evangile, comme par l'éclat de la trompette : « Qui aime son âme la perdra, et qui la perdra pour l'amour de moi, la retrouvera (1)», les martyrs ont volé au combat, et ils ont remporté la victoire ;pour s'être appuyés, non sur eux-mêmes, mais sur le Seigneur.

On peut donner deux sens à ces mots: « Qui aime son âme la perdra». Ils signifient : Si tu l'aimes réellement, tu dois la perdre (2); ou encore : Garde-toi de l'aimer, pour ne la perdre pas. Ainsi, d'après, la première signification, si tu l'aimes, perds-la : perds-la, si tu

 

1. Matt. X, 39; Jean, XII, 25.

 

l'aimes, si tu l'aimes véritablement; sème-la sur la terre, et tu la moissonneras dans le ciel. Si-le laboureur ne sacrifie pas son blé en le semant, c'est qu'il n'aime pas à le récolter au moment de la moisson. — D'après le second sens, on doit dire : Garde-toi d'aimer ton âme, pour ne la perdre pas. On s'imagine l'aimer quand on, craint de mourir. Ah ! si les martyrs l'eussent aimée de la sorte, ils l'auraient perdue sans aucun doute. Eh ! que servirait de la garder durant la vie présente, et de la perdre dans la vie future ? Que servirait de la conserver sur la terre et de la perdre au ciel ? Qu'est-ce ensuite que la garder? Combien de temps peut-on la conserver? Si tu la gardes, elle t'échappe; si tu la perds, tu la retrouves (568) en toi. Sans doute les martyrs ont gardé la. leur; mais comment seraient-ils martyrs, s'ils l'eussent gardée toujours? Si, d'ailleurs, ils eussent voulu la conserver, leur vie se serait-elle prolongée jusqu'aujourd'hui? S'ils. eussent renié le Christ pour conserver leurs âmes en ce mondé, n'auraient-ils pas depuis longtemps quitté ce monde et perdu sûrement leurs âmes ? Au contraire, pour. n'avoir pas renié le Christ, ils ont passé de cette vie auprès du Père. Ils ont recherché le Christ en le confessant, ils l'ont atteint en mourant. Ainsi se sont-ils puissamment enrichis en perdant leurs âmes; pour la paille qu'ils ont sac riflée, ils ont mérité une couronne; oui, ils ont mérité une couronne et sont parvenus à la vie qui ne finit pas.

2. Aussi en eux s'accomplit ou plutôt s'est accompli ce que le Seigneur ajoute : « Et qui perdra son âme pour l'amour de moi, la retrouvera ». — « Qui la perdra pour l'amour de moi » : ces derniers mots disent le vrai motif. « Qui la perdra » , non pas d'une manière ni pour un motif quelconque, mais « pour l'amour de moi ». Aussi bien les martyrs s'étaient-ils écriés déjà par l'organe d'un prophète : « C'est pour l'amour de vous que chaque jour nous endurons la mort (1) ». Ce qui fait le martyr, ce n'est donc pas le supplice, mais la cause pour laquelle on l'endure.

Quand le Seigneur fut livré à la mort; il y avait sur le Calvaire trois croix entre lesquelles la cause des souffrances établissait de sérieuses différences. Le Seigneur était crucifié entre deux larrons; ces criminels étaient crucifiés à sa droite et à sa gauche, et lui au milieu. Mais comme si ce gibet eût été un tribunal, le Sauveur condamna alors le larron qui l'insultait, et il couronna celui qui le confessait. Que fera-t-il donc quand il viendra pour juger, lui qui a pu prononcer de tels arrêts au moment même où il était jugé ? Ainsi distinguait-il entre les croix. Pourtant, si on ne consultait que le supplice, le Christ ne ressemblait-il pas aux larrons? Mais si on demande à la croix pourquoi le Christ y était attaché, elle répondra : Pour l'amour de vous. Et vous, ô martyrs, dites à voire tour : C'est pour l'amour de vous que nous sommes morts. Il est mort pour nous, et nous pour lui. Il est vrai, lui est mort pour nous assurer

 

1. Ps. XLIII, 22.

 

 

des grâces; Irais nous, tout en mourant pour lui, nous ne lui avons rien donné. Voilà pourquoi c'est notre intérêt qu'il a eu en vue dans l'un et l'autre cas . le sang qu'il verse arrive jusqu'à nous; à nous revient encore ce que nous faisons pour lui; car c'est de lui que parle ainsi une âme saintement transportée

« J'ai dit au Seigneur : Vous êtes mon Dieu, puisque vous n'avez aucun besoin de mes biens (1) ». Que sont effectivement mes biens, sinon des dons de votre main? Or, comment pourrait avoir besoin d'un bien quelconque Celui de qui viennent absolument tous les biens ?

3. De lui nous viennent. et la nature ou l'existence, et l'âme ou la vie, et l'esprit ou l'intelligence, et les aliments ou le soutien de notre vie mortelle, et la lumière du ciel et les fontaines qui jaillissent de la terre. Ces dons, néanmoins, sont communs aux bons et aux méchants. Or, si les méchants mêmes reçoivent de lui de tels bienfaits, ne réserve-t-il rien de spécial aux bons? Assurément il tient pour eux quelque chose en réserve. Qu'est-ce donc? «Ce que l'oeil n'a point vu, ce que n'a point entendu l'oreille, ce qui ne s'est point élevé dans le cœur de l'homme » ; car ce qui s'élève dans le coeur de l'homme est au-dessous de ce coeur, et ne s'y élève qu'autant que ce cœur est au-dessus. C'est le coeur, au contraire, qui s'élève à ce que Dieu réserve aux bons. Ainsi, Dieu ne te réserve pas ce qui s'élève dans ton coeur, mais ce vers quoi ton cœur s'élève. Ne sois donc pas sourd à ces mots : Elevez vos coeurs. Elevez-les vers ce que l'oeil n'a point vu, ce que n'a point entendu l'oreille, ce qui ne s'élève point dans le cœur de l'homme. vers ce que l'oeil n'a point vu, car ce n'est rien de coloré; vers, ce que n'a point entendu l'oreille, car ce n'est rien de sonore ; vers ce qui ne s'est point élevé dans le coeur de l'homme, car ce n'est point une idée terrestre. Tel est le sens de ces mots : « Ce que l'oeil n'a point vu, ce que n'a point entendu l'oreille, ce qui ne s'est point élevé dans le coeur de l'homme, c'est ce que Dieu a préparé pour ceux qui l'aiment (2)».

4. Peut-être me demanderez-vous encore en quoi cela consiste. Demandez-le à Celui qui commence à faire en vous son séjour. Je ne laisserai pourtant pas de vous dire ce que j'en

 

1. Ps. XV, 2. — 2. I Cor. II, 9.

 

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pense. Vous voulez savoir ce que Dieu réserve spécialement aux bons, lui qui se montre si généreux envers les bons et les méchants. J'ai dit d'abord qu'il réserve aux bons « ce que l'oeil n'a point vu, ce que n'a point entendu l'oreille, ce qui ne s'est point élevé dans le coeur de l'homme » ; mais quelques-uns me demandent encore : En quoi cela même consiste-t-il? Eh bien ! voici en quoi consiste ce que Dieu tient en réserve pour les bons, pour les bons que lui-même aura rendus bons; le voici. Un prophète a exprimé en deux mots en quoi consiste notre récompense : « Je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple (1) ». — « Je serai leur Dieu » ; ainsi promet-il d'être lui-même notre récompense. Cherche, en découvriras-tu une autre qui soit préférable à celle-là? Si je te disais: Il nous a promis de l’or, tu serais dans la joie; c'est lui-même qu'il a promis, et je te vois triste ? Si le, riche ne possède pas Dieu, que possède-t-il? Ne demandez à Dieu que Dieu même, aimez-le gratuitement, et de lui ne désirez que lui. Ne craignez pas de manquer. Quand il se donne à nous, nous avons assez. Ah ! qu'il se donne à nous, et sachons nous contenter de lui. Ecoutez l'apôtre Philippe dire dans l'Evangile : « Seigneur, montrez-nous vôtre Père, et cela nous suffit (2) ».

5. Pourquoi donc vous étonner, mes frères, si, épris d'amour pour Dieu, les martyrs ont

 

1. Lévit. XXVI, 12; II Cor. VI, 16. —  2. Jean, XIV, 8.

 

tant souffert afin d'arriver à le posséder ? Voyez ce qu'endurent ceux qui aiment l'or. Au milieu des rigueurs de l'hiver, ils se confient à une frêle embarcation ; leur ardeur pour les richesses les enflamme au point qu'ils ne redoutent pas le froid; ils sont ballottés au souffle de la tempête, ils montent et descendent au gré des flots, sont en proie à d'affreux dangers de morts; certes, ils peuvent dire à l'or : « Pour l'amour de toi nous souffrons 1a mort chaque jour ». Que les vrais martyrs disent donc eux-mêmes au Christ : « C'est pour l'amour de vous que chaque jour nous souffrons la mort ». Les paroles sont les mêmes, mais combien est différente la cause soutenue par les uns et par les autres ! Tous ont bien dit, les uns en s'adressant au Christ, et les autres en s'adressant à l'or : «C'est pour vous que chaque jour nous endurons la mort » ; mais le Christ répondra à ses martyrs: En mourant pour moi, vous vous retrouverez ainsi que moi; tandis que l'or répondra aux avares : Si pour moi vous faites naufrage, vous vous perdrez avec moi.

Ainsi donc, remplis pour eux d'amour et de zèle à les imiter; remplis, non pas d'un amour stérile, mais d'un amour qui nous porte à les prendre pour modèles, célébrons les fêtes des martyrs, et tempérons par le rafraîchissement de la joie intérieure, ce que ces chaleurs ont d'extrême. Nous régnerons sans fin avec ces bienheureux, si nous avons pour eux, non pas un amour vain, mais un amour fidèle.

SERMON CCCXXXII. POUR UNE FÊTE DE MARTYRS. VII. L'A CHARITÉ CHRÉTIENNE.
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ANALYSE. — Les martyrs sont les amis de Dieu pour avoir accompli le précepte de la. charité chrétienne dans toute sa perfection, en mourant par charité. Demandons à Dieu cette charité ; elle sera pour nous un titre qui nous fera recevoir dans la cité sainte, d'où sont bannis les impudiques.

 

1. Quand nous honorons les martyrs, nous honorons en eux les amis du Christ. Vous voulez savoir comment ils sont devenus les amis du Christ ? Le Christ nous l'enseigne lui-même lorsqu'il dit : « Voici mon commandement, c'est que vous vous aimiez les uns les autres ». Ne s'aiment-ils pas les uns les autres, ceux- qui se réunissent, soit pour contempler des histrions, soit pour s'enivrer dans les tavernes, soit pour former une association coupable? Aussi, après ces mots : « Voici mon commandement, c'est que vous vous aimiez les uns les autres », le Christ a dû faire connaître la nature spéciale de cet amour. C'est ce qu'il a fait; écoutez-le. Après donc ces paroles : « Voici mon commandement, c'est que vous vous aimiez les uns les autres », il ajoute aussitôt : « Comme je vous ai aimés » ; oui, aimez-vous les uns les autres, en vue du royaume de Dieu, en vue de l'éternelle vie; aimez-moi tous ensemble. Ce serait aimer ensemble que d'aimer ensemble un histrion ; ensemble aimez davantage Celui qui ne saurait vous déplaire en rien, votre Sauveur.

2. Ce n'est pas tout; le Seigneur a poussé plus loin ses enseignements. Supposant donc que nous lui demandons comment il nous a aimés pour apprendre par là comment à notre tour nous devons aimer : « Il n'y a pas de plus grand amour, dit-il , que de donner sa vie pour ses amis (1) ». Aimez-vous donc les uns les autres jusqu'à être prêts à donner chacun votre vie pour autrui. C'est effectivement ce qu'ont fait les martyrs, conformément à ces paroles de saint Jean l'évangéliste

 

1. Jean, XV, 12, 13.

 

dans son épître : « De même que pour nous le Christ a donné sa vie, ainsi nous devons donner la nôtre pour nos frères (1)».

Vous vous approchez d'une grande table; vous savez, fidèles, quelle est cette table. Eh bien ! rappelez-vous ces mots de l'Ecriture : «En  t'approchant de la table d'un prince, sache que tu dois te disposer à rendre ce que tu reçois (2)». Quel est ce prince qui t'invite à sa table? C'est Celui qui se donne à toi lui-même et non des aliments préparés avec art; c'est le Christ qui t'invite à t'asseoir à sa table, à te nourrir de lui. Approche et rassasie-toi. Sois pauvre et tu seras rassasié. « Les pauvres mangeront et se rassasieront (3)». — « Sache que tu dois te préparer à rendre ce que tu reçois ». Pour comprendre ces mots, écoute l'explication de saint Jean. Peut-être ignorais-tu ce que signifie : « En approchant de la table d'un prince, tu dois te disposer à rendre ce que tu reçois »; écoute le commentateur : « Si le Christ a donné pour nous sa vie, nous devons nous préparer » à en faire autant. A en faire autant? qu'est-ce à dire? « à donner notre vie pour nos frères ».

3. Mais tu étais, pauvre quand tu t'es mis à table : comment te disposer à traiter à ton tour? A Celui-là même qui t'a invité, demande de quoi le recevoir. S'il ne te donne, tu ne le pourras. Mais tu as déjà quelque peu de charité ? Ne te l'attribue pas : « Qu'as-tu, en effet, que tu n'aies reçu (4) ? » Tu as déjà quelque charité ? Demande à Dieu de l'augmenter, demande-lui de la perfectionner en toi, jusqu'à pouvoir prendre part à ce banquet qui n'a rien de préférable sur la terre. « Il n'y a

 

1. I Jean, III, 16. — 2. Prov. XXIII, 1, 2. — 3. Ps. XXI, 27. — 4. I Cor. IV, 7.

 

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pas de charité plus grande que de donner sa vie pour ses amis ». Tu es venu pauvre, tu retournes riche; ou plutôt tu ne retournes pas, tu restes riche en demeurant. C'est au Seigneur que les martyrs sont redevables d'avoir souffert pour lui, croyez-moi, c'est à lui qu'ils en sont redevables; le Père de famille leur a donné moyen de le recevoir. Puisqu'il est également notre Père, demandons-lui aussi. Ne méritons-nous pas d'être exaucés ? demandons par l'entremise de ses amis, de ceux qui lui doivent d'avoir pu le traiter.. Ah ! qu'ils le prient de nous donner aussi. Il n'y a, en effet, que le ciel qui, puisse nous accorder plus que nous n'avons. Ecoute ce que dit Jean le précurseur : « L'homme ne peut recevoir que ce qui lui est donné du ciel (1) ». Du ciel donc aussi nous tenons ce que nous avons, et pour avoir davantage, c'est du ciel encore que nous.devons recevoir.....

4. Telle est la cité qui descend du ciel, et pour y entrer voilà ce que nous devons être.. Vous venez de voir, en effet, quels sont ceux qu'on y admet, et quels sont ceux qu'on en exclut. Ah ! ne ressemblez pas à ceux qu'on vient de vous faire voir comme n'y devant pas entrer ; ne ressemblez pas surtout aux fornicateurs.

En désignant ceux qui n'y seront pas admis, l'Ecriture a nommé les homicides: vous n'avez pas eu peur ; elle a nommé les fornicateurs (2); je vous ai entendus vous frapper la poitrine, Oui, je vous ai entendus, je vous ai entendus, je vous ai vus ; ce que je n'ai pas vu sur vos couches, je l'ai compris au bruit que vous avez fait, , e l'ai vu dans vos cœurs, lorsque vous vous êtes frappé la poitrine. Ah ! bannissez-en le péché, car se frapper la poitrine sans se corriger, ce n'est que s'endurcir dans l'iniquité. O mes frères, mes enfants, soyez chastes, aimez la chasteté, embrassez la chasteté, .chérissez la pureté ; l'auteur même de toute pureté, Dieu la cherche dans son temple, et ce temple c'est vous ; de ce temple bannissez

 

1. Jean, III, 27. — 2. Gal. VI, 19-21.

 

tout ce qui est immonde. Contentez-vous de vos épouses, puisque vous voulez qu'elles se contentent de vous. Tu veux qu'elle ne fasse rien sans toi: ne fais rien sans elle. Il est vrai, tu es le maître, elle, la servante ; mais Dieu vous a formés tous deux. « Sara, dit l'Ecriture, obéissait à Abraham, qu'elle appelait son seigneur (1) ». Le fait est incontestable, l'évêque a souscrit à ce contrat ; vos épouses sont vos servantes, vous en êtes les maîtres. Mais s'agit-il de l'oeuvre conjugale ? « La femme n'a pas puissance sur son corps, c'est le mari ». Tu tressailles, tu te redresses, tu fais le fier. L'Apôtre à bien dit, ce Vase d'élection a dit merveilleusement : « La femme n'a pas puissance sur son corps, c'est le mari ». — Je suis donc le maître ? — Tu as applaudi, écoute ce qui suit, écoute ce dont tu ne veux pas et que je te prie de vouloir. Qu'est-ce ? Ecoute : « Le mari de même » ; le mari, le maître de tout à l'heure ; « le mari de même n'a pas puissance sur son corps, c'est la femme (2) ». Ecoute cela volontiers. C'est le vice qu'on. t'interdit, ce n'est pas l'autorité ; on t'interdit l'adultère, on n'élève pas ta femme au-dessus de toi.

Tu es le mari, vir, montre-le; car vir vient de vertu, ou vertu de vir. Tu as de la vertu ? Dompte en toi la volupté. « L'homme, dit encore l'Ecriture, est-le chef de la femme (3) ». Si tu es son chef, mène-la et qu'elle te suive; mais observe où tu la conduis. Tu es son chef, mène-la où elle peut te suivre, et garde-toi d'aller où tu ne veux pas qu'elle t'accompagne. Ne tombe point dans le précipice , marche dans la droite voie.

Voilà comment vous devez vous préparer à approcher de cette nouvelle épouse, de cette épouse embellie et ornée, pour charmer son mari, non pas de pierres précieuses, mais de vertus. Car si polir approcher d'elle vous êtes bons, saints et chastes, vous aussi vous serez des membres de cette épouse nouvelle , de cette heureuse et glorieuse Jérusalem du ciel.

 

1. I Pierre, III, 6. — 2. I Cor. VII, 4. — 3. I Cor. XI, 3.

SERMON CCCXXXIII. POUR UNE FÊTE DE MARTYRS. VIII. LES BONNES OEUVRES DUES A LA GRACE.
 

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ANALYSE. — Le Seigneur, pour rassurer ses martyrs, leur promet de veiller spécialement sur eux. De fait, c'est lui qui leur donne la patience et la force. Il est vrai que saint Paul revendique la couronne éternelle comme urge récompense qui lui est due; mais le même saint Paul confesse que c'est par pure miséricorde que Dieu, l'a converti, complètement changé et que toutes ses bonnes oeuvres sont des dons de Dieu. Gardons-nous donc bien de compter sur notre libre arbitre, rappelons-nous que nous ne pouvons rien sans la grâce, et ne cessons de témoigner à Dieu notre reconnaissance.

 

1. La fragilité humaine portant les témoins ou les martyrs de Notre-Seigneur Jésus-Christ à craindre de périr en, le confessant et en mourant pour lui, il leur a inspiré une pleine confiance en leur adressant ces paroles : « Pas un cheveu de votre tête ne périra (1)». Quoi! tu as peur de périr quand ne périra pas un seul de tes cheveux? Si ces parties superflues de ton corps sont gardées avec tant de soin, en quelle sûreté ne doit pas être- ton âme? Il ne périt pas un seul de ces cheveux à la coupe desquels tu es insensible, et le foyer même de la sensibilité, ton âme périrait?

Le Seigneur néanmoins a prédit que ses disciples souffriraient beaucoup, mais c'était pour les disposer mieux et les porter à lui dire « Mon coeur est prêt (2) ». Que signifie : « Mon coeur est prêt », sinon ma volonté est toute disposée? Les martyrs ont donc la volonté préparée au milieu de leurs tortures; mais « la volonté est préparée par le Seigneur (3) ». De plus, après les avoir prévenus des tourments horribles qui les attendaient, « c'est par votre patience, continue-t-il, que vous posséderez vos âmes (4) ». — « C'est par votre patience ». Cette patience n'existerait effectivement pas, si elle n'était l'oeuvre de ta volonté. « Par votre patience » : comment cette patience est-elle à nous? Nous n'avons que ce qui vient de nous ou ce qui nous est donné car il n'y a pas de don si la chose donnée ne devient nôtre. Pourquoi donner, en effet, sinon pour transmettre la propriété à qui reçoit? Or, l'aveu suivant est clair : « Mon âme ne se soumettra-t-elle point à Dieu? C'est de lui

 

1. Luc, XXI, 18. — 2. Ps. LVI, 8. — 3. Prov. VIII, 35, Sept. — 4. Luc, XXI, 18, 19.

 

que vient ma patience (1)». Le Seigneur nous dit : « Par votre patience » ; disons-lui à notre  tour : « C'est de lui que me vient la patience ». Elle est tienne, parce qu'il te l'a donnée garde-toi de l'ingratitude. Dans l'oraison dominicale aussi, n'appelons-nous pas nôtre ce qui vient de Dieu? Chaque jour nous disons : « Donnez-nous notre pain de chaque jour ». Tu dis: «Donnez-nous», et tu dis. — « Nôtre (2) ». Oui, je dis : « Donnez-nous » ; oui, je dis encore: « Nôtre ». Ce pain devient nôtre parce que Dieu nous le donne. S'il devient nôtre parce que Dieu nous le donne, il n'est plus à nous dès que l'orgueil s'empare de nous. Tu dis : « Donnez-nous » ; et tu dis : « Nôtre » ; pourquoi t'attribuer ce que tu ne t'es point donné? « Qu'as-tu, en effets que tu n'aies reçu (3) » Tu dis : « Nôtre » ; et tu dis : « Donnez-nous ». Reconnais ici ton bienfaiteur, confesse que tu as reçu de lui, afin de le porter à te donner volontiers. Que serais-tu si tu n'étais pas dans le besoin, toi qu'on voit superbe, tout mendiant que tu es? Ne mendies-tu pas, en effet, quand tu demandes ton pain?

Le Christ considéré dans son égalité avec le Père est notre pain éternel; notre pain de chaque jour est encore le Christ, mais le Christ dans sa chair; pain éternel, il est en dehors du temps; pain quotidien, il est dans le temps, et toutefois il n'en est pas moins « le pain descendu du ciel (4) ». Les martyrs sont forts, les martyrs sont inébranlables; mais « c'est ce pain qui fortifie le coeur de l'homme (5)».

2. Maintenant donc entendons parler l'apôtre

 

1. Ps. LXI, 6. — 2. Matt. VI, 11. — 3. I Cor. IV, 7. — 4. Jean, VI, 41. — 5. Ps. CIII, 15.

 

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saint Paul du moment où il touchait au martyre; entendons-le compter sur la couronne qui lui était préparée. « J'ai combattu, disait-il, le bon combat; j'ai achevé ma course, j'ai gardé ma foi ; il ne me reste qu'à attendre la couronne de justice qui m'est réservée, et que te Seigneur, juste Juge, me rendra en ce jour-là, et non-seulement à moi, mais encore à tous ceux qui aiment son avènement glorieux (1) ». — « Le Seigneur, en juste Juge, me rendra cette couronne, dit-il.» Puisqu'il la rendra, c'est une preuve qu'il la doit. « Il la rendra comme juste Juge». Peut-il refuser la récompense en voyant mes oeuvres ? Et quelles oeuvres voit-il ? « J'ai combattu le bon combat », en voilà une ; « j'ai achevé ma course », en voilà une autre; « j'ai gardé ma foi », c'en est une autre encore. « Il me reste maintenant la couronne de justice » ; voilà ma récompense.

Observe toutefois qu'en recevant cette récompense tu n'agis pas., et que tu n'agis pas seul en faisant ce qui la mérite. La couronne te vient de Dieu, et si le mérite vient de toi, ce n'est encore qu'avec l'aide de Dieu. En effet, lorsque l'apôtre saint Paul, lequel était Saut d'abord, persécutait les chrétiens avec tant de cruauté et de fureur, il ne méritait rien de bon, il méritait au contraire beaucoup de mal, puisqu'il méritait d'être condamné et non pas d'être élu. Tout à coup cependant, au moment même où il faisait et méritait qu'on lui fît tant de mal, une voix céleste le renverse le persécuteur abattu se relève prédicateur. Ecoute comment il fait l'aveu de ses démérites « J'étais d'abord un blasphémateur, un persécuteur, un outrageux ; mais j'ai obtenu miséricorde (2)». Dit-il ici: « Que me rendra le juste Juge? » Non, mais «j'ai obtenu miséricorde » ; je méritais qu'on me fît du mal, on m'a fait du bien. « Il ne nous a pas traités comme le méritait nos crimes. — J'ai obtenu « miséricorde ». On ne m'a pas rendu ce qu'on me devait; si on me l'avait rendu, le supplice eût été mon partage. Non, on ne m'a pas rendu ce qu'on me devait ; « j'ai obtenu miséricorde. — Il ne nous a pas traités comme le méritaient nos crimes ».

3. « Autant le levant est loin du couchant, autant il a éloigné de nous nos iniquités (3)». — « Autant le levant est éloigné du couchant ».

 

1. II Tim. IV, 7, 8. — 2. I Tim. I, 13. —  3. Ps. CII,10, 12.

 

Détourne-toi du couchant, et tourne-toi vers l'orient. Voilà dans un seul homme et Saut et Paul; Saut au couchant, et Paul au levant; au couchant le persécuteur, au levant le prédicateur. Au couchant disparaissent les péchés, de l'orient s'élève la justice; le vieil homme est au couchant, à l'orient l'homme nouveau; Saut au couchant, Paul au levant. Comment s'est opérée cette- transformation dans ce Saut, dans cet homme cruel, dans ce persécuteur, dans cet ennemi du troupeau; car il était un loup ravissant, et de la tribu de Benjamin , comme lui-même l'atteste (1) ? Il était dit dans une prophétie : « Benjamin, le loup ravisseur, se jettera le matin sur sa, proie, et le soir il distribuera les aliments (2) »: Aussi commença-t-il par dévorer, il nourrit ensuite. Il ravissait, oui, il ravissait; lisez, lisez plutôt le livre des Actes des Apôtres (3). Il avait reçu des pontifes l'autorisation écrite d'arrêter et de conduire au supplice tous les disciples du Christ qu'il pourrait rencontrer. Il allait donc, furieux, respirant le meurtre et le sang. Le voilà qui ravit. Mais il est encore matin, il n'y a pour lui que vanité sous le soleil. Voici venir le soir, Paul devient aveugle. Pendant que ses yeux se ferment aux vanités du siècle, d'autres yeux s'ouvrent dans son âme; ce vase de perdition devient un vase d'élection, et on le voit « distribuer les aliments » sacrés; on lit partout les distributions qu'il en a faites. Vois avec quelle sagesse il préside à ce partage ! Il sait ce qui convient à chacun. Il distribue, non pas au hasard, il ne jette pas confusément. Il distribue, il partage, il distingue sans répandre tout pêle-mêle. C'est au milieu des parfaits qu'il prêche la sagesse (4) ; quant aux faibles qui ne peuvent prendre encore de nourriture solide, il leur dit avec discernement : « Je vous ai donné du lait à boire (5) ».

4. Voilà ce qu'il fait, lui qui naguère faisait quoi ? je ne veux pas le rappeler; ou plutôt je rappellerai ses iniquités afin d'exalter la miséricorde divine. Lui qui faisait souffrir le Christ, souffre maintenant pour le Christ; de Saut il devient Paul, de faux témoin un témoin véridique; il dispersait, mais il recueille; il attaquait, il défend. Comment dans Saut un changement pareil ? Ecoutons-le.

Vous demandez, dit-il, comment s'est opéré ce changement ? Il ne vient pas de moi, pour

 

1. Rom. XI , 1. — 2. Gen. XLIX, 27. — 3. Act. IX. — 4. I Cor. II, 6. — 5. Ib. III, 2.

 

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suit-il ; « j'ai obtenu miséricorde », ce changement ne vient pas de moi ; « j'ai obtenu miséricorde. — Que rendrai-je au Seigneur « pour tout ce qu'il m'a rendu? » Il m'a rendu, en effet, non pas le mal pour le mal; non, il ne m'a pas rendu le mal pour le mal, mais le bien pour le mal. « Que lui rendrai-je » donc? « Je recevrai le calice du Sauveur (1) ». — Ne voulais-tu pas rendre ? Et tu reçois ? tu reçois encore ? — C'est qu'aux approches de mon martyre je veux rendre le bien pour le bien , non pas le bien pour le mal. — Ainsi donc le Seigneur devait d'abord à Paul le mal pour le mal; au lieu de lui rendre le mal pour le mal, il lui rendit le bien pour le mal ; or, en lui rendant le bien pour le mal, il lui donna le moyen de rendre le bien pour le bien.

5. Dans Paul, en effet, ou plutôt dans Saul , il ne trouva aucun bien d'abord; et ne trouvant en lui aucun bien, il lui pardonna le mal pour lui faire du bien. N'était-ce pas le prévenir que de lui faire du bien pour commencer? Mais en lui faisant du bien pour le mettre en état de rendre le bien à son tour, il arrive à le récompenser de ses bonnes oeuvres. Quand Paul a bien combattu, qu'il a fourni sa course et gardé sa foi, Dieu le récompense. De quelles bonnes œuvres le récompense-t-il ? Des bonnes œuvres qui sont un don de sa main divine. N'est-ce pas à lui effectivement que tu dois attribuer d'avoir combattu le bon combat ? Si ce n'est pas à lui, pourquoi dis-tu quelque part : « J'ai travaillé plus qu'eux tous; pourtant ce n'est pas moi, c'est la grâce de Dieu avec moi (2)? » N'est-ce pas à lui encore que tu dois attribuer d'avoir achevé ta course ? Si ce n'est pas à lui, pourquoi dis-tu ailleurs : « Cela ne dépend ni de celui qui veut, ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde (3) ? » — «J'ai conservé la foi ». Tu l'as conservée; je le reconnais, j'y applaudis, j'avoue que tu l'as conservée. Mais « si le Seigneur ne garde la cité, c'est en vain qu'on veille à sa garde (4) ». C'est donc avec son aide, avec sa grâce, que tu as combattu le bon combat, achevé ta course et gardé ta foi. Pardonne, saint Apôtre; je ne vois que le mal pour t'appartenir en propre. Pardonne, saint Apôtre ; nous ne faisons que répéter ce que tu nous as enseigné; je vois en toi cet aveu, non pas de l'ingratitude. Non, nous ne voyons comme

 

1. Ps. CXV, 12, 13. —2. I Cor. XV, 10. — 3. Rom. IX, 16. — 4. Ps. CXXVI, 1.

 

venant de toi que le mal. Ne s'ensuit-il pas qu'en couronnant les mérites, Dieu ne fait que couronner ses dons

6. La vraie foi et la piété véritable demandent donc que nul ne s'enorgueillisse de son libre arbitre à la vue de ses bonnes oeuvres ; car les bonnes œuvres sont un don de Dieu, on doit les faire tout en les rapportant à leur Auteur, sans se montrer ingrat envers lui, sans s'enorgueillir en face du médecin, en se regardant, soit comme malade encore, soit comme lui étant redevable de sa guérison. Qu'on ne permette donc à aucune espèce de raisonnements de déraciner du coeur cette vraie foi, cette piété véritable. Conservez ce que vous avez reçu : qu'avez-vous, en effet, que vous n'ayez reçu ? C'est le reconnaître devant Dieu que de dire avec l'apôtre saint Paul: « Pour nous, nous n'avons pas reçu l'esprit de ce monde ». C'est l'esprit de ce monde qui rend orgueilleux, qui rend fiers, qui fait qu'on se croit quelque chose quand on n'est rien. Aussi bien que dit l'Apôtre contre cet esprit ? Que dit-il contre cet esprit superbe, fier, arrogant, vaniteux, qui n'a rien de solide ? « Pour nous, nous n'avons pas reçu l'esprit de ce monde, mais un esprit qui vient de Dieu ». Où en est la preuve ? « C'est que nous savons ce que Dieu nous a donné (1) ».

(2) Ainsi donc, écoutons le Seigneur nous dire : « Sans moi vous ne pouvez rien faire (3) » ; et encore : « Nul ne possède que ce qu'il a reçu d'en-haut (4); nul ne vient à moi, si mon Père, qui m'a envoyé, ne l'attire (5) ». — « Je suis la vigne, vous êtes les branches; de même que la branche ne saurait produire de fruit si elle ne demeure unie au cep, ainsi, vous non  plus, si vous ne demeurez en moi (6) ». Ecoutons aussi ce qu'atteste en ces termes l'apôtre saint Jacques : « Tout bien excellent et tout don parfait vient du ciel et descend du Père des lumières (7)»; ce qu'enseigne également l'apôtre saint Paul pour réprimer la présomption qui met son orgueil dans le libre-arbitre « Qu'as-tu, s'écrie-t-il, que tu n'aies reçu? Si tu l'as reçu, pourquoi te glorifier comme si tu ne l'avais pas reçu (8)? ». Et encore: « C'est la grâce qui nous a sauvés par la foi; et cela ne vient pas de vous, car c'est un don de Dieu, et personne ne doit s'en glorifier (9) » ;

 

1. I Cor. II, 12. — 2. Ce qui suit parait ajouté par saint Césaire, plutôt que par saint Augustin. — 3. Jean, XV, 5. — 4. Ib. III, 27. — 5. Ib. VI , 44. — 6. Ib. XV, 5, 4. — 7. Jacq. I, 17. — 8.  I Cor. IV, 7. — 9. Eph. II, 8, 9.

 

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de plus : « Il.vous a été donné, touchant le Christ, non-seulement de croire en lui, mais aussi de souffrir pour lui » ; de plus encore « Dieu, qui a commencé en vous la bonne oeuvre, la perfectionnera (1)». Pénétrons-nous avec soin et fidélité de ces pensées et d'autres pensées semblables, et ne croyons pas ceux qui, en exaltant orgueilleusement le libre arbitre, travaillent plutôt à le ruiner qu'à l'élever. Au contraire, considérons avec humilité ce témoignage de l'Apôtre : « C'est Dieu qui opère en vous et le vouloir et le faire (2)».

7. Rendons grâces au Seigneur, notre Sauveur : sans y être excité par aucun mérite

 

1. Philip. I, 29, 6. — 2. Ib. II, 13.

 

antérieur de notre part, il nous a guéris de nos blessures; réconciliés quand nous étions ses ennemis, rachetés de la captivité, élevés des ténèbres à la lumière, rappelés de la mort à la vie ; de plus, tout en confessant humblement notre fragilité, implorons sa miséricorde; puisque; d'après le Psalmiste, il nous a prévenus dans sa clémence (1), qu'il daigne aussi, non-seulement conserver, mais encore augmenter les dons ou les faveurs, qu'il a eu la bonté de nous accorder, lui qui étant Dieu, vit et règne avec le Père et avec l'Esprit-Saint dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

1. Ps. LVIII, 11.

SERMON CCCXXXIV. POUR UNE FÊTE DE MARTYRS. IX. CONFIANCE EN DIEU.
 

ANALYSE. — Sous le poids même des tortures les martyrs témoignent en Dieu une confiance inébranlable. Cette confiance s'appuie sur l'immense. bonté de Dieu qui déjà nous a donné son Fils et qui, de plus, promet de se donner à nous. Comment l’offenser encore ?

 

1. C'est à tous les bons et fidèles chrétiens, mais surtout aux glorieux martyrs qu'il appartient de s'écrier : « Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous? » Contre eux le monde était frémissant, les peuples méditaient de vains complots, les princes se liguaient; on inventait de nouvelles tortures et une cruauté trop ingénieuse imaginait contre eux d'incroyables supplices; on les couvrait d'opprobres, on les accablait d'accusations calomnieuses, on les enfermait dans d'insupportables cachots, on les labourait avec des ongles de fer, on les tuait à coups d'épée, on les exposait aux bêtes, on les consumait dans les flammes, et ces martyrs du Christ n'en disaient pas moins : « Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous? » — Quoi ! contre vous est tout l'univers, et vous dites: « Qui sera contre nous?» — Eh ! répondent-ils, qu'est-ce pour nous que ce monde, quand nous mourons pour Celui qui l'a fait? — Qu'ils disent donc, qu'ils répètent, écoutons-les et disons avec eux : « Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous? » On peut se mettre en fureur; nous accuser, nous calomnier, nous couvrir d'opprobres non mérités; on peut mettre non-seulement à mort mais encore en lambeaux notre corps; et après cela? « Voici que Dieu vient à mon secours, c'est le Seigneur qui se charge de mon âme (1) ». Quoi ! bienheureux martyr, on te déchire le corps, et tu t'écries : Que m'importe? — Oui, je le dis. — Pourquoi? dis-nous pourquoi. C'est que « le Seigneur se charge de mon âme ». Or, mon âme rétablira mon corps. Comment l pas un de mes cheveux ne périt, et ma tête périrait? Ma barbe même ne périt pas. — Les chiens pourtant mettent -tes membres en lambeaux. —

 

1. Ps. LIII, 6.

 

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Que m'importe? si des chiens le déchirent, le Sauveur saura lui rendre la vie. Le monde donne la mort à mon corps, « mais le Seigneur se charge de mon âme ». Or, quand « le Seigneur se charge de mon âme », que puis-je perdre à la mort donnée à mon corps par le monde? Qu'ai-je réellement perdu? de quoi m'a-t-on dépouillé, puisqu'en se chargeant de mon âme, le Seigneur promet aussi de rétablir mon corps? Lors même que l'ennemi mettrait mes membres en pièces, que-me manquera-t-il, puisque Dieu même compte le nombre de mes cheveux? Car en exhortant ses martyrs à ne redouter rien des persécutions de leurs ennemis, le Christ leur disait: «Tous vos cheveux sont comptés (1) ». Craindrai-je de perdre mes membres, quand on m'a garanti le nombre de mes cheveux? Disons donc, disons avec foi, disons avec confiance, disons avec une charité enflammée : « Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous? »

2. Le tyran s'élance contre toi, et tu dis « Qui sera contre nous? » Contre toi se soulève tout le peuple, et tu t'écries : « Qui sera contre nous? » Comment me prouves-tu, martyr glorieux, comment nie prouves-tu que tu as raison de dire : « Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous? » Il est manifeste que si Dieu est pour vous, qui sera contre vous? Prouve que Dieu est pour vous.

Est-ce que je ne le prouve pas? Ecoutez « Il n'a pas épargné son propre Fils, mais il l'a sacrifié pour l'amour de nous ». Ces paroles, qui font suite aux précédentes, ont été entendues par vous pendant qu'on lisait l'Apôtre. Après avoir dit en, effet : « Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous? » il suppose qu'on lui demande : Prouve que Dieu est pour vous; il apporte aussitôt une preuve imposante, il introduit sur la scène le Martyr des martyrs, le Témoin des témoins, le Fils, unique qui n'a pas été épargné mais livré par son Père pour l'amour de nous; tel est le témoignage cité par l'Apôtre en faveur de la vérité de ce qu'il vient d'affirmer. « Si Dieu est pour nous, dit-il donc, qui sera contre nous? Il n'a pas épargné son propre Fils, mais pour l'amour de nous il l'a sacrifié comment alors ne nous a-t-il pas donné toutes choses en même temps que lui (2)? » Puisqu'il nous a donné toutes choses en même

 

1. Luc, XIII, 7. — 2. Rom. VIII, 31, 32.

 

temps que lui, c'est une preuve qu'il nous l'a donné, lui aussi. M'effrayerai-je des menaces frémissantes du monde, quand je possède l'Auteur même du monde? Soyons heureux d'avoir reçu le Christ et ne redoutons dans ce siècle aucun dés ennemis du Christ. Quel est-il, en effet, lui qui nous a été donné? Voyez « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ». C'est lui qui est le Christ, le Fils unique de Dieu, coéternel à son Père. « Tout a été fait par lui ». Comment ne nous aurait-il pas donné tout ce qu'il a fait, puisqu'il s'est donné lui-même, lui l'Auteur de tout? Voulez-vous être sûrs qu'il est bien le Verbe? « Le Verbe s'est fait chair et il a habité parmi nous (1) ». Désire et demande de parvenir à cette vie du Christ qui t'est présentée; mais en attendant, attache-toi à sa mort comme à un gage précieux. Pouvait-il, en nous promettant de vivre en personne avec nous, nous donner un plus sûr gage de sa parole que de mourir pour nous? J'ai pris part à vos maux, dit-il, et je ne vous ferai point part de mes biens? Il en a fait la promesse, il nous a donné de cette promesse un gage, une caution, et tu hésites de le croire? Il a fait cette promesse en vivant au milieu des hommes; il nous a donné cette caution en écrivant son Evangile ; et en face du gage sacré ne réponds-tu pas chaque jour : Amen? Tu reçois ce gage; chaque jour on te le donne; ne désespère point, puisqu'il fait ta vie.

3. Est-ce outrager le Fils unique de Dieu que de dire qu'il nous est donné pour devenir un jour notre héritage? Oui, il le deviendra. Quoi ! si on t'offrait aujourd'hui un domaine aussi agréable que fertile, un domaine dont les beautés te feraient désirer de l'habiter toujours et dont la fécondité te fournirait aisément de quoi vivre, n'accueillerais-tu pas ce présent avec amour et avec reconnaissance ? Eh bien ! nous demeurerons un jour dans le Christ lui-même. Ne sera-t-il pas notre héritage dès qu'il sera notre séjour et notre vie?

Mais laissons l'Ecriture nous l'enseigner, pour ne paraître pas hasarder de conjecture contre l'enseignement de la parole de Dieu. Ecoute ce que disait au Seigneur un homme qui savait bien que « si Dieu est pour nous ,  qui sera contre nous? — Le Seigneur, dit-il, est la portion de mon héritage (2) ». Il ne dit

 

1. Jean, I, 1, 3, 14. — 2. Ps. XV, 5.

 

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point: O Seigneur, que me donnerez-vous pour héritage? Tout ce que vous pourriez me donner n'est rien. Soyez, vous, mon héritage c'est vous que j'aime, vous que j'aime de tout mon être; je vous aime de tout mon coeur, de toute mon âme, de tout mon esprit. Que serait pour moi ce que vous me donneriez en dehors de vous ? Voilà bien en quoi consiste le pur amour de Dieu ; c'est espérer Dieu de Dieu, c'est chercher à se remplir,-à se rassasier de lui. Ah ! il te suffit, et rien sans lui ne saurait te suffire. C'est ce que connaissait Philippe quand il disait: « Seigneur, montrez-nous votre Père, et cela nous suffit (1)». Oh ! quand donc s'accomplira ce que nous promet l'Apôtre pour la fin de notre vie ? Quand Dieu sera-t-il « tout en tous (2) ? » Quand sera-t-il pour nous ce

 

1. Jean, XIV, 8. — 2. I Cor. XV, 28.

 

qu'ici même nous désirons en dehors de lui, ce que nous désirons jusqu'à l'offenser souvent ? car il sera tout pour nous quand en tous il sera tout.

Pour manger tu offenses Dieu, tu l'offenses pour te vêtir, pour prolonger ta vie et arriver aux honneurs tu l'offenses encore. Que ne pourrais-je pas dire de plus? De grâce, n'offense pas Dieu pour de tels motifs. Tu l'offenses en vue de quelque aliment; et il sera lui-même ton aliment éternel ! Tu l'offenses pour te vêtir ; et lui-même te revêtira d'immortalité ! Tu l'offenses pour quelque honneur; et il sera ta gloire ! Tu l'offenses par amour pour cette vie temporelle; et lui-même sera ton éternelle vie ! Pour rien au monde ne consens à l'offenser ; ne dois-tu pas aimer uniquement Celui qui pourra te satisfaire pleinement et te tenir lieu de tout ?

SERMON CCCXXXV. POUR UNE FÊTE DE MARTYRS. X. LES MARTYRS DU CHRIST ET LES MARTYRS DE L'OR.
 

ANALYSE. — Le vrai martyr triomphe, non-seulement de toutes les séductions, mais encore de tous les supplices du siècle. Que dis-je? Ce triomphe ne lui suffit pas. L'avare aussi peut tout braver pour s'enrichir; c'est un martyr de l'or. Pour être martyr du Christ, il faut tout endurer pour le Christ.

 

1. Ce jour étant consacré aux saints martyrs, n'est-ce pas de leur gloire que nous devons prendre surtout plaisir à parler? Daigne nous venir en aide le Seigneur des martyrs, car il est lui-même leur couronne.

C'est le cri des martyrs que nous venons d'entendre dans ces éclatantes paroles de l'apôtre saint Paul : « Qui nous séparera de l'amour du Christ? — La persécution? » poursuivent-ils ; « l'angoisse ? la tribulation? la faim ? « la nudité ? les dangers ? le glaive ? car il est écrit : C'est à cause de vous que nous sommes mis à mort chaque jour, qu'on nous regarde comme des brebis d'immolation. Mais, en tout cela nous triomphons par Celui  qui nous a aimés (1) ». Ainsi les martyrs se disent prêts à tout souffrir, sans compter sur eux-mêmes; ils aiment Celui qui se glorifie dans ses serviteurs: « Afin que quiconque se glorifie, se glorifie dans le Seigneur (2) ».

Les martyrs savaient aussi ce que nous avons chanté un peu auparavant : « Justes, réjouissez-vous dans le Seigneur, tressaillez d'allégresse (3)». Si les justes se réjouissent dans le Seigneur, c'est que les injustes ne savent prendre leurs plaisirs que dans le siècle. Or, les plaisirs sont comme les premiers ennemis à attaquer : il faut triompher du plaisir

 

1. Rom. VIII, 35-37. — 2. I Cor. I, 31. — 3. Ps. XXXI, 11.

 

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d'abord, de la douleur ensuite. Comment vaincre les rigueurs du siècle, si on ne peut en vaincre les caresses? Les caresses du siècle consistent à promettre dés honneurs, des richesses, des voluptés; ses menaces, à réduire à la souffrance, à l'indigence, à l'humiliation. Si on ne dédaigne pas ses caresses, comment triompher de ses menaces? Aux richesses sont attachées des jouissances : qui l'ignore? Mais la justice en offre davantage. Goûte à la fois les charmes des richesses et de la justice. Supposons maintenant une tentation; supposons que tu aies à choisir entre la justice et l'opulence, que tu ne puisses posséder l'une avec l'autre, que tu doives sacrifier la justice si tu prends parti pour l'opulence, ou l'opulence si lu prends parti pour la justice; c'est ici qu'il te faut choisir et combattre, c'est ici que nous allons voir si tu n'as pas chanté en vain : « Justes, réjouissez-vous dans le Seigneur, tressaillez d'allégresse» ; si tu n'as pas vainement entendu ces mots: « Qui nous séparera de l'amour du Christ?» L'Apôtre ne dit rien des caresses du monde, il ne te rappelle que ses menaces. Pourquoi? Ah ! c'est qu'il prédisait les luttes des martyrs, ces luttes où ils ont vaincu la persécution, la faim, la soif, l'indigence, l'outrage, enfin la crainte de la mort et les extrêmes fureurs de l'ennemi.

2. Mais aussi vous voyez, mes frères, comment la doctrine du Christ fait tout en eux.. L'Apôtre nous enseigne de préférer au monde entier la charité du Sauveur. Mais quelles transes ne souffrent pas ceux qui cherchent à s'emparer du bien d'autrui? « Est-ce la persécution ? » demande l'Apôtre. Les poursuites intentées contre eux ne les arrêtent pas. Essaie-t-on d'intimider l'avare? Tout en redoutant le supplice, l'avare dérobe, il s'enflamme au larcin. Combien souffrent « la faim», pour réaliser des bénéfices, et allèguent leur faiblesse d'estomac quand nous leur prescrivons le jeûne ! Tout le jour ils trouvent du temps 'pour compter, ils s'endorment même sans avoir mangé. « Est-ce la nudité? » demande encore saint Paul. Que dirai-je ici ? On voit chaque jour des commerçants échapper, dépouillés, du naufragé, et de nouveau s'exposer aux dangers de la mer. Pourquoi braver ainsi ces dangers de chaque jour, si ce n'est pour acquérir des richesses ? « Le glaive » même n'y fait pas obstacle. Faire un faux est un crime capital; en rogne-t-on moins les héritages ? Ah ! si un domaine temporel exerce une telle attraction, que ne doit pas faire l'héritage même du Christ ? Ainsi, l'avare dit dans son coeur, s'il, n'ose le dire de vive voix : Qui nous séparera de l'amour de l'or? La tribulation? l'angoisse? la persécution? A l'or même ils peuvent dire aussi : Pour toi nous souffrons la mort tout le long du jour.

C'est donc avec grande raison que les saints martyrs s'écrient dans un psaume : « Jugez-moi, Seigneur, et distinguez ma cause de celle d'un peuple impie (1)». Distinguez ce que je souffre de tribulations; les avares en souffrent aussi. Distinguez lues angoisses; les avares en endurent aussi. Distinguez les poursuites exercées contre moi; on en exerce aussi contre les avares. Distinguez la faim qui me tourmente; pour acquérir de l'or les avares ont faim aussi. Distinguez ma nudité; les avares aussi se laissent dépouiller pour de l'or. Distinguez ma mort; pour l'or égale. ment se font mourir les avares. Que signifie donc : « Distinguez ma cause ? » Que « pour l'amour de vous nous subissons la mort chaque jour ». Eux souffrent pour de l'or, et nous pour vous. La souffrance est la même, la cause est différente. Mais la cause étant différente, la victoire est sûre.

C'est donc parce que nous voyons cette différence de la cause soutenue par les martyrs, que nous aimons leurs fêtes. Aimons en eux, non ce qu'ils ont souffert, mais les motifs pour lesquels ils ont souffert. Si nous n'aimons que ce qu'ils ont enduré, combien d'hommes se présenteront à nous, qui ont enduré davantage pour des causes mauvaises ! Ainsi, considérons la cause défendue. Voyez la croix du Christ. Tout près l’un de l'autre étaient le Christ et les larrons. Le supplice était le même, la cause diverse. Un des larrons devint croyant, l'autre resta blasphémateur, et le Seigneur, du haut en quelque sorte de son tribunal, les jugea.l'un et l'autre, condamnant à l'enfer le blasphémateur, et menant l'autre en paradis avec lui (2). Pourquoi cette conduite ? Parce qu'avec la similitude des supplices il y avait différence dans la cause. Voulez-vous donc arriver, aux palmes des martyrs? Embrassez leur cause.

 

1. Ps. XLII, 1. — 2. Luc, XXIII, 39-43.
 
 
 

source: http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin/index.htm

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