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Saint Augustin d'Hippone
Sermons Inédits
N°45 à 64

QUARANTE-CINQUIÈME SERMON. DE Là CHASTETÉ DU PATRIARCHE JOSEPH.
 

ANALYSE. — 1.Introduction à l'histoire de Joseph. — 2. Joseph est vendu comme esclave pour être conduit en Egypte. — 3. Il est exposé à la séduction. —  4. Il repousse victorieusement la tentation. — 5. Il subit l'épreuve de la calomnie et se prépare ainsi à sa gloire future.
 
 

1. Il nous est doux, mes frères, de décrire cet admirable combat, dans lequel Joseph est resté vainqueur d'une infâme passion. Il nous est doux de révéler ces luttes mystérieuses, parce que la vigilance déployée par les martyrs a rendu leur victoire éclatante. Nous ne devons pas cacher comment les ruses de l'ennemi ont pu être déjouées, car de semblables manifestations augmentent le courage des partisans de la chasteté. De telles luttes donnent de la hardiesse aux combattants : voilà pourquoi nous devons en rendre témoins les âmes chastes et pudiques, car en leur montrant Joseph couronné pour sa chasteté et l'Égyptienne vaincue dans ses séductions, nous ne ferons que mieux ressortir la confusion profonde dont le démon reste couvert aux yeux de tous les hommes.

2. Le bienheureux Joseph était d'une noble origine, brillant de jeunesse, d'une beauté magnifique et d'une chasteté plus ravissante encore. Poussés par une coupable jalousie plutôt que par l'amour de richesses dont ils ignoraient le prix, ses frères le vendirent à des Ismaélites, qui devaient le conduire comme un vil esclave en Egypte. A peine arrivé dans ce pays, il est de nouveau mis en vente; une seconde fois il est enlevé, vendu, acheté; mais, en réalité, ce qui l'attend, ce n'est pas la servitude, mais la plus haute destinée. En effet, ce n'est point l'empire de l'homme qu'il subit, mais celui de Dieu qui veut glorifier en lui la chasteté et qui ne permet que son serviteur soit vendu une seconde fois que pour mieux prouver que sa liberté reste entière et complète. Celui qui est vendu comme esclave est constitué maître souverain. Toutefois sa puissance même reste cachée; humble enfant, il croissait, servait fidèlement ses maîtres, brillait par la dignité de ses moeurs, portait la pureté dans son âme, cachait la noblesse de sa naissance et montrait dans sa conduite une sainte indépendance. O vente honteuse et sublime acquisition ! Il est esclave et libre; esclave par la jalousie de ses frères et libre pour la justice; esclave pour ne pas détruire la charité, libre pour venger la chasteté ! Il sert fidèlement et il combat courageusement. Il est resté fidèle et a mérité de parvenir au comble de la gloire. Il règne en maître, parce qu'en résistant aux ténébreuses séductions d'une femme criminelle, il a conservé sans tache la fidélité à son maître.

3. Ainsi donc, le chaste Joseph est vendu, livré à une famille égyptienne et destiné à servir fidèlement le roi Pharaon. Il est estimé par son maître et aimé par sa maîtresse. (338) L'estime dont son maître l'entoure est sincère, parce qu'elle est fondée sur la fidélité de son esclave; au contraire, c'est la passion qui inspire la maîtresse. Le maître trouvait son bonheur dans les preuves de fidélité que lui donnait son serviteur, tandis que les charmes corporels de ce même serviteur faisaient le tourment de la maîtresse. Or, cette beauté du jeune homme ne faisait que s'accroître avec le temps, et plus elle croissait, plus s'enflammait la passion de l'Egyptienne. Bientôt elle se trouve impuissante à éteindre ces flammes qui la dévorent et qui trouvent dans la beauté du jeune homme un aliment de plus en plus abondant; inspirée d'ailleurs par le démon, elle rêve au moyen de surprendre l'innocence dans l'isolement et le silence. Et d'abord elle se revêt de ses plus beaux atours, croyant bien que par là elle ébranlerait facilement ce jeune homme. Elle jette sur ses vêtements des parfums précieux et se couvre d'aromates perfides, afin que l'objet de sa convoitise,fût-il de fer, se trouvât enivré par l'odeur des parfums avant même d'avoir subi le charme des yeux. Contemplons, mes frères, l'énergie de cet athlète, sa lutte héroïque et sa glorieuse victoire. Il avait d'abord pour ennemi sa propre jeunesse et la concupiscence déposée dans notre chair; au dehors, il était attaqué par une femme qui lui promettait tous lesbiens, afin de trouver accès près de lui et de satisfaire sa honteuse passion. Ainsi munie de tous ces moyens de séduction, et pour mieux s'assurer la victoire, elle se rend elle-même dans la chambre de Joseph, ferme la porte et le surprend ainsi dans la solitude la plus complète. Elle est en proie à la volupté la plus furieuse, un long combat s'engage et jette dans une anxieuse attente les anges du ciel et les démons de l'enfer ; ceuxci prenant parti pour le vice, ceux-là pour la vertu, et tous impatients devoir de quel côté restera la victoire. Les anges affermissaient le courage de Joseph, les démons provoquaient l'Egyptienne; les anges protégeaient le jeune homme, les démons irritaient les flammes de l'impudique. Plus les démons alimentaient le feu perfide dans l'âme de l'Egyptienne, plus le Christ fournissait des armes à son généreux athlète. D'ailleurs, toutes les séductions réunies devaient rester impuissantes: la vertu de Joseph était fondée sur la pierre; une telle base la rendait inébranlable. Toutefois, se trouvant face à face avec le jeune homme et dans l'isolement le plus complet, cette femme impudique essaye de l'émouvoir par ses paroles, employant tour à tour les plus terribles menaces et les plus séduisantes caresses. Je suis votre maîtresse, lui disait-elle, et par une grande somme d'argent je vous ai acheté comme esclave; si vous rejetez mes désirs, vous n'avez plus à attendre que les chaînes, la prison et un horrible trépas; mais si vous consentez, vous serez comblé des plus grands honneurs, et tout ce que je possède est à vous. Peut-être craignez-vous les domestiques, ou mon époux; rassurez-vous, ne craignez rien; personne ne nous voit, personne ne saura. Mon mari ne sait pas ce qui se passe dans mon coeur. Il ignorera tout; seulement ne tardez pas à satisfaire mes désirs, et cette satisfaction restera pour jamais et pour tous un secret. Ne résistez plus et rendez-moi heureuse Comblet mes voeux, et désormais tout vous appartient.

4. Joseph répondit: O malheureuse femme, serpent cruel, véritable vipère, pourquoi tenter de me séduire par vos flatteries et d'arracher de mon âme la foi qui la possède? Que dites-vous ? Que désirez-vous ? A quoi m'exhortez-vous? Pourquoi vous fatiguer à de semblables séductions ? Vous portez le nom de reine, et vous pouvez vous complaire à vous unir à un esclave? Si c'est un esclave que vous avez acheté, faites-lui sentir votre -domination; si vous le couvrez de votre affection, traitez-le comme s'il était votre fils; honorez-le d'un amour chaste et pudique, et, du vivant de votre époux, ne vous précipitez pas dans le crime. Il est vrai, je n'ai jamais été esclave, car je suis d'une noble famille, le descendant d'Abraham et d'Isaac, qui parlaient avec Dieu dans la plus grande intimité. J'ai pour père Jacob, qui a lutté avec l'ange du Seigneur. Si j'ai été vendu, c'est par la jalousie de mes frères; mes frères m'ont dépouillé de tout, mais il me reste l'invincible liberté de l'âme; extérieurement je ne suis plus qu'un esclave, mais dans mon coeur je suis et resterai libre. Vous m'avez acheté, et j'avoue sans hésiter que je vous appartiens; j'obéis à vos ordres, j'accomplis ce que vous me commandez; mais ce que vous désirez de moi en ce moment, je m'y refuse. Prescrivez-moi les obligations les plus dures, et je les accomplirai. Usez de votre puissance, le (339) secours divin ne me fera pas défaut. Exercez votre pouvoir, soyez même cruelle à mon égard; car vous ne souillerez pas ma chasteté. C'est sans motif que vous combattez avec moi; je ne dors pas avec vous, parce que Dieu veille avec moi; cessez, ô femme, cessez vos séductions; vous m'alléguez que votre époux est absent, qu'il ne connaîtra pas votre crime ; oubliez-vous donc que Dieu est partout? La porte est fermée sur nous, mais sachez que tout est connu de Dieu. Partout ses regards atteignent les bons et les méchants. Il voit tout, il discerne tout, il sonde tous les désirs; son empire est universel, et en sa présence vous oseriez commettre l'adultère? Femme, gardez le silence, souvenez-vous de votre époux et craignez votre Dieu. Supposez que tous les yeux sont fixés sur vous, et ne provoquez pas l'innocence au crime. Craignez le jugement de Dieu; sachez que vous êtes en présence des anges du Seigneur. Vous ne pouvez souiller la pureté de mon corps cessez donc vos attaques, rougissez de vos séductions, craignez les hommes absents ou tremblez devant les anges. Supposé que je cède et que je consente à vos désirs; comment seriez-vous encore ma maîtresse; et, devenue adultère, quel empire auriez-vous sur moi? Comment pourriez-vous encore soutenir les regards de votre époux, quand vous lui préparez des embûches; oseriez-vous encore lui donner le baiser ordinaire de l'amitié, quand vous pensez à l'immoler; comment lui parleriez-vous encore, quand vous tentez de souiller sa couche? Imitez, ô femme, imitez la tourterelle, chaste, pudique et modèle de fidélité conjugale. Dès qu'elle est unie, elle ne cherche plus à se séparer; la mort même de son conjoint n'est pas pour elle un motif de courir à d'autres affections. Des oiseaux peuvent rester fidèles et braver l'isolement que leur a fait la mort, et vous, femme malheureuse, vous oseriez souiller le lit nuptial? Prenez modèle sur les oiseaux et restez fidèle à votre époux. Impudique, imitez la chasteté de la tourterelle, rejetez la pensée même du crime; car toutes vos flatteries ne pourront séduire ma jeunesse. Ainsi parlait Joseph, et ce noble langage ne faisait qu'enflammer davantage la passion de l'Egyptienne; ses regards pleins d'un feu impur se fixaient sur le jeune homme et, s'apercevant qu'ils le laissaient froid et impassible, sa passion devint de plus en plus furieuse. Trouvant ses paroles impuissantes, elle porte les mains sur Joseph. Mais l'athlète du Christ, ne sachant plus comment échapper à cette femme impudique, lui abandonne le vêtement dont il était couvert, et ainsi découvert se précipite hors de la chambre et y laisse cette malheureuse désespérée de ses vains efforts.

5. L'Egyptienne coupable se trouva seule tenant dans ses mains le vêtement qui devait lui servir d'instrument. à un faux témoignage; sa honte était à son comble, elle avait tous les remords du crime sans en avoir goûté les douceurs. Joseph s'était enfui abandonnant son vêtement. Les anges sont dans la joie, les archanges tressaillent d'allégresse, toute l'armée céleste est dans l'exultation, tandis que les démons rugissent de leur défaite. Les anges au ciel chantent leur reconnaissance, et sur la terre les démons dévorent leur tristesse. L'Egyptienne, se voyant vaincue de tous côtés, se tourna vers son mari et porta devant lui une honteuse accusation contre le jeune homme qu'elle n'avait pu séduire. Elle accuse Joseph du crime dont elle seule était coupable. Elle lui reproche ce qu'elle-même voulait faire, et le fait condamner sans être entendu, parce qu'elle n'a pu satisfaire la passion qui la dévorait. Le mari, croyant à la fausse déposition de sa femme, se laisse facilement aller à la fureur. Il menace, il éclate en invectives, il s'emporte de colère et ordonne de jeter Joseph dans les fers. Joseph est dans la prison, chargé de chaînes en récompense de sa belle victoire, et en attendant qu'il y reçoive le don d'interpréter les songes. Il entre joyeux, chaste et pur, et parfaitement assuré de l'intégrité de sa vertu. Toutefois sa justification se fait longtemps attendre, et peut-être aurait-il été oublié dans les fers, si le Seigneur n'avait envoyé au roi Pharaon un songe dont l'explication devait rendre à Joseph sa liberté. L'interprétation qu'il donne de ce songe est acceptée sans hésitation. Il révèle l'avenir, il annonce des événements futurs; tout est par lui dévoilé, et à l'époque de la famine, Pharaon établit Joseph l'administrateur suprême de toute l'Egypte. Joseph doit à sa chasteté sa délivrance, son exaltation, sa puissance sans borne; cette vertu devint pour lui le principe de son élévation, de son bonheur, de sa justice sur la terre et de la félicité dont il est couronné dans les cieux.
 
 

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QUARANTE-SIXIÈME SERMON. SUR ZACHÉE.
 

ANALYSE. — 1. Le publicain Zachée est appelé à donner l'hospitalité à Jésus-Christ. — 2. Il rend le bien usurpé et donne du sien propre. — 3. Il devient enfant d'Abraham. — 4. Exhortation à l'imiter dans son repentir.
 
 

1. « Jésus étant entré à Jéricho parcourait « cette ville, et voici qu'un homme appelé «Zachée etc. (1) » Nous venons d'entendre dans l'Evangile l'histoire de Zachée, dans laquelle nous admirons l'excellence de ses dispositions et la libéralité sans borne de NotreSeigneur Jésus-Christ. Zachée monte sur un arbre afin de suppléer à la petitesse de sa taille qui ne lui aurait pas permis d'apercevoir le Sauveur; il désire contempler les traits de Celui qu'il aimait déjà dans son coeur; il veut voir de ses yeux Celui qu'il n'avait vu que par la pensée. Il se tenait debout sur l'arbre, mais quelque chose lui disait déjà que Jésus-Christ s'offrirait comme victime sur l'arbre de la croix. Zachée vit le Seigneur qui passait, mais il fut encore mieux regardé par le Sauveur lui-même, qui ne craignit pas de lui offrir ce qu'il n'osait pas demander. La majesté divine l'aperçut et lui dit : « Zachée, descendez promptement, parce qu'il me faut demeurer aujourd'hui chez vous (2) ». Déjà en possession du coeur de Zachée, le Seigneur veut encore aller prendre possession de sa demeure. Il y vient, trouve Zachée préparant un festin spirituel, admire sa foi et se dispose à la proposer comme modèle à tous les assistants. Zachée reçut le Sauveur avec les démonstrations de la foi la plus vie ; le Sauveur, après être entré dans son coeur, entra dans sa maison.

2. O bonheur du bienheureux Zachée ! Il possède maintenant, devenu son hôte, Celui dont la vue seule lui procurait naguère tant de joie. Mais admirons ce qu'il offre comme présent de bonne venue : « Voici », dit-il, « la moitié de mes biens, je la donne aux « pauvres; et si j'ai fait tort à quelqu'un, je lui rendrai quatre fois autant (3) ». Zachée
 
 

1. Luc, XIX, 1 et suiv.— 2. Ibid. 5. — 3. Ibid. 8.
 
 

offrit tout ce qu'il possédait. O dévouement admirable ! Il fit de son bien deux parts, l'une destinée aux oeuvres de miséricorde et l'autre aux réparations exigées parla justice. Il ne veut conserver aucune richesse injustement acquise, afin de s'assurer un jugement plus favorable au tribunal de Jésus-Christ, en obtenant le pardon de ses injustices et en méritant la gloire de promise aux oeuvres de miséricorde. Ne nous étonnons donc pas que Jésus-Christ fasse son éloge, qu'il exalte sa foi et qu'il applaudisse à la libéralité. « En « vérité, je vous le dis, aujourd'hui le salut est venu de Dieu dans cette maison, et celui-ci est véritablement le fils d'Abraham (1) ». Cette maison reçut par la foi le salut qu'autrefois elle avait perdu par la rapine.

3. Zachée, louez et tressaillez, car c'est en montant sur le sycomore que vous avez mérité ce bienfait ; le sycomore est une espèce d'arbre très-peu connu en Afrique ; le fruit qu'il produit ressemble assez à la figue sauvage. Pourquoi donc Zachée a-t-il vu Jésus-Christ ? Parce qu'il n'a pas eu peur des opprobres de la croix : un Dieu suspendu à la croix, un Dieu crucifié, c'est une folie aux yeux des hommes ; mais pour Zachée, c'est un objet d'admiration, car : « Ce qui nous paraît une folie en Dieu, est en réalité pour les hommes le comble de la sagesse (2)». Zachée devint enfant d'Abraham par la foi, et non par la race; par son mérite et non par la naissance ; par sa piété et non par le sang. Il éprouva d'abord un violent désir de voir le Seigneur, et il le vit comme il l'avait désiré. C'est ainsi qu'«Abraham votre père a désiré voir mon jour, il l'a vu et s'est senti comblé de joies». Zachée a reçu le Seigneur comme
 
 

1. Luc, XIX, 9.— I Cor. I, 25. — Jean, VIII, 56.
 
 

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sur des ossements nus et brisés ? Qui ne se détournerait de ce spectacle avec horreur ? Et cependant, l'éclatante sainteté de notre martyr donnait à cette scène je ne sais quel reflet de beauté ; la force invincible avec laquelle il combattait pour la foi, pour l'espérance du siècle futur et pour la charité de Jésus-Christ faisait oublier l'horreur des tourments et des blessures et les revêtait d'une auréole de gloire et de triomphe.

2. Un attrait bien différent séduisait, dans ce spectacle, le persécuteur et nous. Il applaudissait aux souffrances du martyr, et nous à la cause pour laquelle il souffrait; il était heureux de le voir souffrir, et nous de voir pourquoi il souffrait; il se complaisait dans les douleurs de sa victime, et nous dans sa vertu; lui, dans ses blessures, et nous, dans sa couronne ; lui, dans la durée de ses souffrances, et nous, dans son énergie à les supporter ; lui, dans les torturés corporelles, et nous, dans la fermeté et la persévérance de sa foi. Si donc le persécuteur trouvait sa cruauté satisfaite, toujours est-il que la vérité prêchée par le martyr était pour lui un remords et un tourment; de notre côté, si l'horreur des supplices nous glaçait d'horreur, du moins la mort de Vincent était pour nous une grande victoire. Il restait vainqueur, non pas en lui-même et par lui-même, mais en Celui et par Celui qui, du haut de sa croix, prête à tous son puissant secours et nous a laissé dans ses propres souffrances un exemple et un appui. En nous appelant à la récompense, il nous exhorte au combat, et il nous contemple dans la lutte afin de venir au secours de notre faiblesse. A son athlète il détermine l'œuvre à accomplir et propose la récompense à recevoir, afin de prêter son appui et d'empêcher toute défaillance. Qu'il prie donc simplement celui qui veut combattre simplement, triompher généreusement et régner heureusement.

3. Nous avons entendu notre frère confessant la sainte doctrine et confondant son persécuteur par la constance et la véracité de ses réponses. Mais auparavant nous avons entendu le Seigneur s'écriant : « Ce n'est pas vous qui parlez, mais c'est l'Esprit de votre Père qui parle en vous (1) ». Si donc saint Vincent a confondu ses adversaires, c'est parce qu'il a loué dans le Seigneur ses propres
 
 

1 Matth. X, 20.
 
 

discours. Il savait dire: « Je louerai ma parole dans le Seigneur, je louerai mon discours dans le Seigneur; j'espérerai dans le Seigneur, je ne craindrai pas ce que l'homme pourrait me faire (1) ». Nous avons vu ce martyr supportant avec une admirable patience des tourments inouïs, mais il se tenait dans une complète dépendance à l'égard de Dieu. « Car c'est de Dieu que lui venait la patience (2) » ; toutefois, comme il connaissait notre fragilité humaine, comme il craignait toute défaillance qui aurait pu lui faire renier Jésus-Christ et combler de joie son persécuteur, il savait à qui il adressait ces belles paroles : « Mon Dieu, arrachez-moi de la main du pécheur, de la main de celui qui méprise votre loi et la foule indignement aux pieds; car vous êtes ma patience (3) » . L'auteur de ces saints cantiques nous enseignait comment un chrétien doit demander d'être délivré des mains de ses ennemis; ce n'est pas sans souffrir, mais en supportant patiemment toutes ses souffrances : « Arrachez-moi des mains du pécheur, des mains de celui qui méprise votre loi et la foule aux pieds ». Si vous voulez savoir quelle délivrance il implore, écoutez ce qui suit : « Car vous êtes ma patience ». Toute souffrance est glorieuse quand elle est accompagnée de cette pieuse confession : « Afin que celui qui se glorifie se glorifie dans le Seigneur (4) ». Que personne donc ne présume de son coeur, quand il proclame sa pensée; que personne ne présume de ses forces, quand il subit la tentation ; car lorsque nos paroles sont dictées par la sagesse, cette sagesse ne nous vient que de Dieu, et c'est de Dieu aussi que nous vient la patience avec laquelle nous supportons nos souffrances. La volonté vient de nous; mais du moment que Dieu nous appelle, nous sommes déterminés à vouloir. La prière est notre oeuvre ; mais nous ne savons pas ce que nous devons demander. C'est à nous de recevoir, mais que recevons-nous, si nous n'avons rien ? C'est nous qui possédons, mais que possédons-nous, si nous ne recevons rien ? Voilà pourquoi « celui qui se glorifie, doit se glorifier dans le Seigneur ».

4. C'est ainsi que le martyr saint Vincent a mérité d'être couronné par le Seigneur, car c'est dans le Seigneur qu'il a désiré d'être glorifié par la sagesse et la patience. Il est
 
 

1. Ps. LV, 11. — 2. Id. LXI, 6. — 3. Id. LXX, 4, 5. — 4. I Cor. I, 31.
 
 

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digne de vos plus grands éloges, il est digne de l'éternelle félicité dont l'espérance lui a fait mépriser toutes les menaces de son juge, tous les tourments de son bourreau. Ses souffrances sont passées, mais son bonheur n'aura point de fin. Ses membres furent brisés, ses entrailles déchirées; il fut soumis aux tortures les plus horribles, aux souffrances les plus cruelles ; mais, alors même que le bourreau se fût montré plus barbare, Vincent se serait écrié: « Les souffrances de cette vie ne sont rien en vue de la gloire éternelle qui nous attend au ciel (1) ».
 
 

1. Rom. VIII, 18.
 
 
 
 

QUARANTE-HUITIÈME SERMON. SUR LE MARTYR SAINT VINCENT. (DEUXIÈME SERMON.)
 

ANALYSE. — 1. Courage de saint Vincent en présence de Dacianus. — 2. Saint Vincent, vivant et mort, reste vainqueur de Dacianus.
 
 

1. Nous avons sous les yeux, mes frères, le plus ravissant, spectacle. Deux hommes combattent l'un contre l'autre, le bourreau et sa victime, Vincent, le serviteur de Dieu, et Dacianus, le fils du démon. Le persécuteur sévissait sur le corps du martyr, mais saint Vincent n'éprouvait aucune crainte, parce qu'il voyait Jésus-Christ combattre pour lui. Malgré la sentence qui le condamnait, il resta vainqueur, parce qu'il n'était point abandonné par Celui dont il confessait hautement la divinité. A toutes les questions qui lui furent posées, il n'hésita pas à répondre et accrut ainsi le courroux de son persécuteur. Il enflamma la haine de son bourreau, afin d'accroître la gloire de son propre martyre. Quelle crainte pouvait inspirer à saint Vincent ce lion furieux et rugissant, puisque cet illustre martyr restait étroitement uni « au Lion de la tribu de Juda (1) », de qui il tirait toute sa force et son courage? Revêtu des armes de Jésus-Christ, Vincent marchait invincible et s'écriait : Que mon adversaire engage la lutte avec moi, si la confiance ne lui fait pas défaut, et il reconnaîtra qu'il se lassera plus tôt de me faire souffrir que moi de supporter mes souffrances. Saint Vincent est
 
 

1. Apoc. V, 5.
 
 

envoyé en exil, et il médite sur la voie qui le conduira au ciel. On le livre à la mort, et il se réjouit d'une vie meilleure; il est étendu sur le chevalet, et sa figure rayonne d'autant plus que son persécuteur s'acharne davantage à le faire souffrir. Il est en face de son juge ; mais pendant qu'il est debout devant son bourreau, il prie dans son coeur le souverain Juge des vivants et des morts et s'écrie : O antique ennemi du genre humain, pourquoi m'épargnerais-tu dans mes souffrances, toi qui as osé tenter mon Dieu, ruais sans pouvoir le vaincre; car tu es resté écrasé sous sa puissance, comme la bête fauve sous les coups du chasseur? Je ne crains, dit-il, aucun des supplices qu'il te plaira de m'infliger, et ce qui ranime mon courage, c'est de te voir prendre à mon égard des airs de pitié et de miséricorde. Démon, lève-toi dans ta fureur ; pour éprouver la foi et le courage d'une âme chrétienne, ce n'est pas trop de tous les tourments réunis.

2. Dans sa fureur et sa colère, l'impie Dacianus s'écria : Celui-ci ne peut me vaincre ; pendant qu'il est encore vivant, qu'on lui inflige les tourments les plus cruels. O courage indomptable ! O force d'âme invincible ! Saint Vincent est torturé, broyé, flagellé, brûlé, et (344) quand déjà son âme est allée recueillir la couronne, ses membres sont encore disloqués comme pour donner plus de prise à la souffrance. Vincent qui, chaque jour, rougissait de s'entendre appeler vaincu, semblait crier à son bourreau: Tu es resté maître du corps d'un martyr, mais voici qu'effrayé de te voir vaincu dans ton propre triomphe, tu es contraint d'avouer que ce cadavre lui-même te frappe d'une honteuse défaite. Ta cruauté criminelle, tu l'avouais toi-même, n'a fait que rehausser ma gloire. Maintenant que tu n'as plus entre les mains qu'un corps martyrisé, quel sera ton langage? Mes frères, écoutez ce que dit le bourreau : Qu'on jette ce cadavre à la mer. Et comme si quelqu'un lui en eût demandé le motif: De crainte, dit-il, que nous n'ayons à rougir de combattre sans cause. O aveuglement de la fureur ! cet impie, ce perfide, ce barbare Dacianus ne comprend donc pas que Celui qui peut rappeler une âme des enfers, peut également arracher à la mer le corps de son martyr. Du moins, dit-il, les flots cacheront sa victoire. Et comment donc cacheront-ils celui qu'ils reçoivent avec honneur? Ecoutez ce cri du Prophète: « La mer est à Dieu, c'est lui qui l'a faite, et ses mains ont jeté les fondements de la terre aride (1) ». Poursuis, cruel démon ; tout élément, quel qu'il soit, fera certainement éclater la gloire de notre martyr et attestera ta honte et ta défaite. Voici que la mer a entendu, et toi tu restes sourd ; voici que le vent fait silence, et toi tu souffles la vengeance ; voici que les flots reçoivent avec une crainte respectueuse celui que les matelots leur jettent par tes ordres, et, dociles à l'action de la Providence, ils ramènent au port, avant même le retour de tes
 
 

1. Ps. XCIV, 5.
 
 
 
 

sicaires, ce corps précieux réservé aux honneurs de la sépulture. La mer jouit d'une tranquillité parfaite, et toi, cruel, tu restes en proie aux accès de ta fureur inique. Avoue donc l'impuissance de ta rage, puisque les flots eux-mêmes se chargent de rapporter ce cadavre. Puisqu'ils veulent pour lui la sépulture, que peut leur opposer ta sauvage férocité? La victime est échappée à sa misérable cruauté; puisque Dacianus n'a pas voulu se souvenir de la puissance de Dieu, il ne lui reste plus qu'à pleurer sa honteuse perfidie. Il se flattait d'avoir trouvé un expédient infaillible, mais les flots lui ont refusé leur concours; le malheureux n'a pas su assurer l'accomplissement de ses désirs ; ou bien, une leçon solennelle devait lui être donnée par la mer qui ne pouvait, contre les ordres de son Créateur, cacher dans ses flancs le corps du martyr. Quel délicieux spectacle de voir ,un martyr, combattant contre son bourreau, bravant toutes les tortures, terrassant son adversaire pendant sa vie et, après sa mort, rapporté par les flots au rivage. Quelle gloire rejaillit d'un tel martyre, dans lequel Jésus-Christ se plaît à entasser tant de merveilles ! Quelle constance déploya saint Vincent ! Quelle brillante couronne il s'acquit par sa victoire ! N'en doutons pas, mes frères, Celui qui avait soutenu saint Pierre marchant sur les eaux, recueillit lui-même le corps de saint Vincent et l'empêcha de s'abîmer dans les flots. Il ne nous reste donc plus qu'à supplier saint Vincent d'intercéder en notre faveur auprès de Dieu et d'obtenir, par ses mérites, la glorification de l'Eglise de Jésus-Christ, à qui appartiennent l'honneur et la gloire dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 
 

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QUARANTE-NEUVIÈME SERMON. SUR LA CONVERSION DE SAINT PAUL. (PREMIER SERMON.)
 

ANALYSE. — 1. Ananie s'approche de Saul, comme la brebis du loup ravissant. — 2. Il reçoit l'ordre d'aller trouver Saul, et paraît refuser cette mission. — 3. Saul est baptisé par Ananie et reçoit le nom de Paul.
 
 

1. Vous venez d'entendre, mes frères, le récit d'un grand prodige opéré par le Tout-Puissant; le nom seul des deux personnages qui en ont été l'objet et l'instrument nous en donnera l'explication. En hébreu , Ananie signifie brebis, et Saul signifie loup. Admirons la prescience divine et les profonds desseins de la Providence; la brebis que le loup recherchait pour la dévorer a été choisie pour guérir le loup ! Saul, te voilà frappé d'un complet aveuglement; maintenant que tu es plongé dans une complète obscurité , que feras-tu à la brebis? Voilà devant toi la brebis que tu cherchais ; tout à l'heure tu frémissais de rage, pourquoi maintenant tremblestu? La brebis que tu espérais dévorer est venue elle-même pour te baptiser. Méchant, tu te promettais de la mettre en lambeaux, et en ce moment tu t'inclines humblement pour recevoir ses ordres.

2. Ananie avait dit au Seigneur : « Seigneur, j'ai appris tous les maux que cet homme a causés à vos saints dans la ville de Jérusalem, et il vient ici pour enchaîner tous ceux qui invoquent votre nom ! ». En d'autres termes : Vous n'inspirez que le bien à votre serviteur, mais comme vous êtes mon maître, moi je suis votre serviteur; si vous le voulez, les choses se passeront autrement. J'ai entendu David s'écriant dans l'un de ses psaumes : « Faites du bien, Seigneur, à ceux qui sont bons et droits de coeur (2) ». Je ferai du bien aux bons; mais vous, dites, dites, que prescrivez-vous? Seigneur, pourquoi me donnez-vous cet ordre ? Cet homme est un loup, et moi je ne suis qu'un agneau ; pourquoi donc ce qui vous plaît nous est-il à nous si
 
 

1. Act. IX, 13.— 2. Ps. CXXIV, 4.
 
 

contraire? « Vous avez les clefs de David,  c'est vous qui ouvrez, c'est vous qui fermez (1) », et jamais vous ne renfermez; toutefois j'ignore en ce moment pourquoi vous renfermez le loup avec la brebis. Vous êtes le Seigneur, vous pouvez tout, rien ne vous est impossible. « Vous avez toute puissance sur la vie et sur la mort». Toutes les portes vous sont ouvertes. «Vous avez éprouvé mon coeur et l'avez visité pendant la nuit (2) ». Pourquoi ces embarras me sont-ils survenus? Je m'épuise à fuir la mort, et vous me dites Renfermez le loup dans la bergerie. Vous voyez que sur toute la ville, comme sur un vaisseau, souffle le vent de la mort, et vous voulez, sur cette mer déjà si agitée, déchaîner une tempête encore plus furieuse. Il ne faut pas que vous nous condamniez, mais vous savez comment la vergue se brise sous les coups de l'orage. Puisque vous voulez que personne ne meure dans le péché, soyez indulgent pour nos craintes et nos alarmes. Pourquoi laisseriez-vous l'agneau mourir sous les étreintes du loup? Seigneur, vous nous avez donné la liberté, puisque vous avez permis à Moïse de lutter avec vous. Moïse craignit le turbulent Hébreu, et moi je ne craindrais pas Saul, le persécuteur des chrétiens? O Seigneur, ô mon Dieu ! Vous avez fait un crime de l'homicide, pourquoi donc jetez-vous ainsi la brebis à la dent du loup ? Le Seigneur lui répondit: Pourquoi craignezvous le coursier fougueux, frappé d'aveuglement? Levez-vous, marchez avec moi, parce que je suis avec vous. Allez, visitez-le dans l'hôtellerie. Je veux vous honorer et je le dispose à marcher avec vous. Que vous le
 
 

1. Apoc. I, 18. — 2. Ps. XVI, 3.
 
 
 
 

346
 
 

vouliez ou ne le vouliez pas, c'est moi qui dompte sa perfidie et sa ruse, quoiqu'il ait été habitué à s'engraisser aux dépens de mon troupeau. Mais je lui montrerai comment il sera vaincu par les renards.

3. Sur l'ordre du Seigneur, Ananie se présente devant Saul, la brebis devant le loup. Quoique ce loup eût été frappé d'aveuglement, il inspirait encore une si grande terreur à la brebis, que celle-ci invoque aussitôt avec le loup le nom même du pasteur. «Saul, mon frère », dit-il, « le Seigneur m'a envoyé vers vous ». — Quel est ce Seigneur? « Celui qui vous est apparu » . Où ? « Sur le chemin que vous suiviez pour venir (1) ». Mais ne craignez pas, car je suis venu afin que vous puissiez le voir. O Ananie, vous êtes pour nous la cause d'une bien grande joie, car avec la douceur extérieure de la brebis, vous n'avez pas hésité à vous adresser au loup, qui naguère vous aurait fait fuir à travers les montagnes. Le Seigneur nous a montré par là tout l'amour qu'il prodigue à celui qui le sert, puisqu'il inspire à Ananie de donner au loup le nom de frère. Ainsi donc la brebis se tient devant le loup, et elle tremble de frayeur; le loup s'abaisse devant la brebis et s'incline par respect. Ils s'étonnent de se rencontrer en face l'un de l'autre. Le loup s'arrête et sent faillir sa méchanceté; la brebis se tient au-dessus du loup et crie. Bientôt la brebis sait entraîner le loup au fleuve du baptême, et le loup, contrairement à ses propres instincts, demande la lumière à
 
 

1. Act. IX, 17.
 
 

la brebis. Et les oeuvres du loup restèrent subitement suspendues, dès que la brebis eut versé sur le loup l'eau sainte du baptême. La nature alors subit une transformation des plus inattendues, à tel point que le monde connut clairement que Jésus-Christ est le maître de toute créature, puisque le loup laissait la brebis lui jeter sur les épaules le joug de la loi, et que le loup, bien loin de dévorer la brebis, devenait son défenseur et son appui. Cependant Ananie donne à Saul, la brebis confère au loup l'immense bienfait du baptême, et non-seulement Saul recouvre la lumière qu'il avait perdue, mais il trouve qu'un autre nom est substitué à celui qu'il portait. Saul descendit dans l'eau du baptême, mais c'est Paul qui en sortit. Le loup accablé sous le poids de ses péchés s'abîma dans les fonts sacrés, mais bientôt devenu agneau, il surnagea comme l'huile sur les eaux, et « lorsqu'Ananie lui eut imposé les mains, on vit comme des écailles s'échapper des veux de Paul (1) ». Ananie prêta le ministère de ses mains, mais c'est Dieu luimême qui illumina l'Apôtre. Or, dans le sens allégorique, ces écailles représentent ou bien la saleté des vêtements, ou bien l'enveloppe des poissons. L'imposition des mains dissipa l'aveuglement de Paul qui recouvra également ses forces, lorsque, après le baptême, il reçut de la nourriture; en effet, dès que ses péchés lui furent remis, il mangea le pain des anges et reçut la mission de prêcher le royaume des cieux.
 
 

1. Act. IX. 18.
 
 

CINQUANTIÈME SERMON. SUR LA CONVERSION DE SAINT PAUL. (DEUXIÈME SERMON.)
 

ANALYSE. — 1. Puissance de la grâce de Jésus-Christ. — 2. Histoire de la conversion de Saul. — 3. Conclusion.
 
 

1. La sainte Ecriture est pour nous une source continuelle d'enseignements et de sa

lutaires conseils; que le chrétien sache lui donner son assentiment et la recevoir avec (347) affection, et, fût-il captif sous les liens si nombreux du péché, il poura être sauvé. Car telle est la grâce de Jésus-Christ, que d'un loup elle sait faire un agneau en l'arrachant à l'abîme de ses vices. Aussi, comptant sur le secours des prières de nos pères et de votre charité, je vais essayer de vous montrer comment elle a changé les loups en brebis et comment elle a sauvé ceux mêmes qui étaient plongés dans l'abîme du péché.

2. Les Actes des Apôtres nous apprennent que Paul, alors appelé Saul, se présenta devant les princes des prêtres et leur demanda des lettres qui l'autorisassent à s'emparer de tous les chrétiens de Damas et à les ramener chargés de chaînes à Jérusalem. Mais écoutons ce qui advint à cet homme qui se déclarait ainsi l'ennemi de Jésus-Christ. Au moment où Saul se rendait à Damas pour s'emparer des chrétiens, « une lumière du ciel l'environna de toute part, et l'on entendit une voix d'en haut qui disait: Saul, Saul, pourquoi me persécutez-vous? Saul répondit : Qui êtes-vous, Seigneur? Et la « voix ajouta : Je suis Jésus de Nazareth, que vous persécutez. Saul s'écria : Seigneur, a que voulez-vous que je fasse? Et la voix lui a dit encore : Levez-vous et entrez dans la ville, et là vous trouverez un homme appelé Ananie; il priera pour vous, afin que vous voyiez et que vous soyez sauvé. Or, ceux qui l'accompagnaient le prirent par la main et le conduisirent dans la ville. D'un autre côté Ananie reçut une vision dans laquelle le Seigneur lui dit : Levez-vous et allez dans le bourg nominé Droit, et là vous trouverez un homme de Tharse appelé Saul (1) ». O puissance inénarrable de Dieu t Ananie trouve un grand pécheur et il le rend juste; il trouve un persécuteur des chrétiens, et il en fait un confesseur de la foi ; il trouve un vase souillé,
 
 

1 Act. II, 4-11.
 
 

et il en fait un vase précieux; il trouve un orgueilleux, et il en fait un modèle d'humilité ; il trouve un blasphémateur, et il en fait un Apôtre; il trouve le ministre des prêtres juifs devenus des bourreaux, et il en fait le frère des saints. Saul était porteur de lettres qui l'autorisaient à anéantir les chrétiens, et voici qu'aujourd'hui, dans le monde tout entier, ses admirables lettres sont lues avec respect et enfantent de nouvelles Eglises à Jésus-Christ. O saint Paul, vous avez été véritablement converti, puisque vous avez été dignement glorifié. Vous avez été véritablement converti, puisque vous avez été associé aux Apôtres. Vous avez été véritablement converti, puisque vous êtes devenu le docteur des Eglises. Vous avez été véritablement converti, puisque vous avez mérité d'entendre ces paroles : Mon frère Paul, excellent conseiller; vous avez été véritablement couverti, puisque vous avez mérité de prendre rang parmi les Apôtres. Vous avez été véritablement converti, puisque vous avez mérité d'occuper le douzième trône, selon cette parole de Jésus-Christ : « En vérité, en vérité, je vous le dis, à la résurrection, lorsque le Fils de l'homme siégera plein de majesté, vous aussi vous serez assis sur douze trônes pour juger les douze tribus d'Israël (1) ».

3. Comment donc une langue humaine pourrait-elle se trouver digne de faire l'éloge de Paul, que le Seigneur a appelé « un vase d'élection », et vraiment un vase très-pur et très-précieux, dans lequel Jésus-Christ a daigné habiter. Aussi, mes frères, empressons-nous de marcher sur les traces des saints, et de mériter par Jésus-Christ le bonheur du ciel, parce que tout est possible à Dieu, et que nous pouvons tout avec le secours de celui qui vit et règne dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 
 

1. Matth. XIX, 28.
 
 

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CINQUANTE ET UNIÈME SERMON. SUR LA CONVERSION DE SAINT PAUL. (TROISIÈME SERMON.)
 

ANALYSE. — Paul, d'abord nommé Saul, persécuteur de Jésus-Christ. — 2. Saul, frappant ses victimes le matin, et le soir partageant sa proie. — 3. Saul, devenu Paul, persécuté pour Jésus-Christ. — 4. Saul, aidé par la grate de Jésus-Christ, supporte d'innombrables souffrances. — 5. Saul, nom d'orgueil, Paul, nom d'humilité. — 6. Paul, apôtre de l'Eglise des Gentils. —  7. Conclusion.
 
 

1. L'Apôtre saint Paul porta d'abord le nom de Saul, et surtout il fut l'ennemi déclaré de Jésus-Christ. Il persécuta cruellement les chrétiens, à l'époque où saint Etienne, premier martyr, fut lapidé. Il assistait à cette lapidation, et il gardait les vêtements des bourreaux. Il lui semblait que t'eût été trop peu pour lui de lapider de ses propres mains; tandis qu'au contraire, il agissait par les mains de tous ceux dont il gardait les vêtements. Après le martyre de saint Etienne, le premier couronné du martyre comme l'indique la signification de ce mot grec, Paul sentant sa haine redoubler, reçut des princes des prêtres des lettres qui lui permettaient, en quelque lieu que ce fût, de s'emparer des chrétiens, de les charger de chaînes et de les conduire au supplice. Il se rendait donc à Damas, plein de fureur, altéré de sang et de meurtre; mais « Celui qui habite dans les « cieux se jouait de lui , et le Seigneur le tournait en dérision (1) » . Pourquoi tant d'empressement à infliger à d'autres des tourments que bientôt tu subiras toi-même? Avec quelle facilité le Seigneur convertit son ennemi, terrassa son persécuteur et le releva prédicateur et apôtre: « Saul », dit-il, « Saul, encore Saul , pourquoi me persécutez-vous (2) ? » Quelle condescendance, mes frères, transpire dans cette parole du Seigneur ! Qui donc pourra encore persécuter Jésus-Christ, déjà alors assis à la droite de son Père dans le ciel ? Mais si le chef régnait dans le ciel, les membres souffraient sur la terre. Lui-même, le Docteur des nations, le
 
 

1.  Ps. II, 4.— 2. Act. IX, 4.
 
 

bienheureux apôtre Paul, nous apprend ce que nous sommes par rapport à Jésus-Christ« Vous êtes n, dit-il,«le corps de Jésus-Christ et « ses membres' n, Jésus-Christ tout entier, c'est donc la tête et les 'membres réunis. Voyez une comparaison tirée de notre propre corps.Vous vous trouvez pressé dans la foule, et quelqu'un heurte légèrement votre pied; aussitôt la tête crie pour le pied. Et que criet-elle? Vous me foulez. « Saul, Saul, pour« quoi me persécutez-vous n. Lorsque Saul persécutait les Evangélistes qui portaient le nom de Jésus-Christ dans toute la terre, il foulait réellement les pieds de Jésus-Christ. En effet, c'est dans la personne de ces Evangélistes que Jésus-Christ se transportait chez les Gentils; c'est dans leur personne qu'il serépandait de toute part. Celui qui devait devenir le pied de Jésus-Christ, foulait ainsi les pieds de Jésus-Christ. Celui qui devait porter l'Evangile à tous les peuples de la terre, foulait ce qu'il devait être. N'a-t-il pas cité lui-même ces paroles du Prophète : « Qu'ils sont beaux les pieds de ceux qui annoncent la paix, qui annoncent tous les biens (1) ». Nous avons également chanté ces autres paroles du Psalmiste:.« Le son de leur voix s'est répandu sur toute la terre ». Voulez-vous voir comment Jésus-Christ est venu, porté sur ces pieds? « Et leur parole a retenti jusqu'aux confins de la terre (2) ».

2. Le Seigneur ordonnait à Ananie de se rendre auprès de Saul pour le baptiser. Ananie répondit : « Seigneur, j'ai appris de cet homme qu'il persécute partout vos
 
 

1. I Cor. XVIII, 5.— 2. Rom. X, 15.— 3. Ps. XII, 27.
 
 

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serviteurs (1) ». En d'autres termes: Pourquoi envoyez-vous la brebis au loup? Le mot hébreu Ananie se traduit en latin par un mot qui signifie brebis. Or, c'est à Saul, devant plus tard s'appeler Paul, et de persécuteur devant devenir Apôtre, que s'appliquent ces paroles du Prophète: « Benjamin, loup ravisseur (2) ». Pourquoi Benjamin? Ecoutez saint Paul lui-même: « Moi aussi je suis israélite, de la race d'Abraham, de la tribu de Benjamin (3). Le loup rapace frappe le matin sa victime, et le soir il partagera sa proie (4) ». Il consommera d'abord, et seulement après il nourrira. En effet, devenu prédicateur, Paul savait distribuer la nourriture, il savait à qui la donner; il connaissait l'alimentation propre à un malade, à un infirme, ou à un homme fort et vigoureux. C'est en distribuant ainsi la nourriture, qu'il s'écriait: « Et moi, mes frères, je n'ai pu vous parler comme à des hommes spirituels , mais seulement comme à des hommes charnels, à des enfants en Jésus-Christ. Je vous ai donné du lait, et lion une nourriture solide ; car vous ne pouviez alors et vous ne pouvez encore la supporter (5) ». Je partage donc la nourriture, je ne la jette pas indifféremment partout.

3. Ananie, timide brebis, avait entendu prononcer le nom de ce loup, et il tremblait entre les mains du pasteur. Le loup l'effrayait, mais le pasteur le rassurait, le consolait, l'affermissait et le protégeait. On lui dit des choses incroyables sur la personne de ce loup, et pourtant ce n'est que la vérité même qu'il reçoit des renseignements précis et fidèles. Ecoutons la réponse que le Seigneur adresse à Ananie saisi de crainte : « Laissez, car cet homme est maintenant pour moi un vase d'élection, afin qu'il porte mon nom en présente des nations et des rois. Je lui montrerai ce qu'il lui faudra souffrir pour mon nom (6) ». « Je lui montrerai u. Cette parole ressemble à une menace , et cependant elle est l'annonce de la couronne. Toutefois, que n'a pas souffert saint Paul, de persécuteur devenu Apôtre ? « Périls sur mer, périls sur les flots, périls dans la cité, périls dans le désert, périls de la part des faux frères, dans le travail et la privation, dans les veilles nombreuses, dans la faim et la soif, dans les
 
 

1. Act. IX, 13. — 2. Gen. XLIX, 27. — 3. Rom. XI, 1. — 4. Gen. XIX, 27. — 5. I Cor. III, 1, 2. — 6.  Act. IX, 15, 16.
 
 

jeûnes répétés, dans le froid et la nudité ; outre ces maux extérieurs, le soin que j'ai des Eglises attire sur moi une foule d'affamés qui m'assiègent tous les jours. Qui est faible sans que je m'affaiblisse avec lui? Qui est scandalisé, sans que je brûle (1) ? » Tel est ce persécuteur; souffrez, attendez. Car vous souffrirez plus que vous n'avez souffert jusque-là. Mais gardez-vous de vous irriter; vous avez reçu avec usure. Mais qu'attendait-il au sein de toutes ses souffrances? Ecoutez ce qu'il nous dit dans un autre passage: « Le léger fardeau de notre tribula« tion n. Pourquoi ce fardeau est-il si léger ? Parce « qu'il opère en nous un poids ima mense de gloire; pourvu que nous considé« rions, non pas ce qui se voit, mais ce qui est « invisible. Car les choses qui se voient sont « temporelles, tandis que les choses qui ne « se voient pas sont éternelles (2) ». Il brûlait de l'amour des choses éternelles, lorsqu'il supportait avec tant de courage ces maux de toute sorte qui pouvaient effrayer par leur intensité, mais dont la durée ne pouvait être que passagère. Dès qu'on nous promet une récompense sans fin, toute souffrance destinée à avoir une fin doit nous paraître légère.

4. Mes frères, si l'Apôtre eut à subir tant de souffrances pour les élus, disons hardiment que ce n'est pas à lui qu'il faut en attribuer la gloire ; car la vertu de Jésus-Christ habitait en lui. Jésus-Christ régnait en lui, Jésus-Christ lui procurait des forces, Jésus-Christ ne l'abandonnait pas, Jésus-Christ courait avec lui la carrière, Jésus-Christ le conduisait à la couronne. Je ne lui fais donc pas injure, quand je dis que ce n'est pas à lui que revient la gloire. Je le dis en toute confiance et j'y suis autorisé par saint Paul lui-même. Puis-je craindre de m'attirer son courroux, lorsque je cite ses propres paroles? Paul, parlez, parlez, grand saint et glorieux Apôtre ; que lues frères sachent que je ne vous fais point injure. Que dit-il donc? Comparant ses travaux à ceux de ses collègues dans l'apostolat, il n'a pas craint de dire : « J'ai plus travaillé qu'eux tous (3) ». Mais aussitôt il ajoute: Ce n'est point moi. Dites donc ce qui suit, dans la crainte qu'on attribue à l'orgueil ces premières paroles: « J'ai plus travaillé qu'eux tous » . Vous commenciez à
 
 

1. II Cor. XI, 26, 29. — 2. Id. IV, 17, 18. — 3. I Cor. XV, 10.
 
 

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vous irriter contre moi, mais voici que Paul lui-même prend ma défense et semble vous dire: Ne vous irritez pas. « Or, ce n'est pas moi, mais la grâce de Dieu avec moi (1) ». De même, sur le point de souffrir le martyre dont nous célébrions hier l'anniversaire, que dit-il? « Je suis déjà immolé, et le temps de ma dissolution approche. J'ai combattu le bon combat, j'ai consommé ma course, j'ai conservé la foi. Il ne me reste plus qu'à attendre la couronne de la justice, que le Seigneur me rendra en sa qualité de souverain Juge (2) ». Celui qui mérite la couronne est clairement désigné: « J'ai combattu le bon combat, j'ai consommé ma course, j'ai conservé la foi ». Le Seigneur rendra ce qui est dû, mais rien ne serait dû à personne, si Dieu lui-même n'avait commencé par nous donner ce qu'il ne nous devait pas. Vous venez d'entendre saint Paul, assuré de recevoir de Dieu ce qui lui est dû; écoutez maintenant Jésus-Christ, traitant avec nous; c'est l'Apôtre lui-même qui nous le montre nous comblant de bienfaits qui ne nous étaient dus à aucun titre. « Je ne suis pas digne d'être appelé Apôtre, puisque j'ai persécuté l'Eglise de Dieu (3) ». Cette parole doit vous faire comprendre ce que méritait celui pour qui vous voyez préparer une couronne. Considérez saint Paul, et voyez s'il n'a pas subi le châtiment qu'il méritait; il a persécuté l'Eglise de Dieu, de quelle croix n'est-il pas digne? Quels tourments n'a-t-il pas mérités? « Je ne suis pas digne », dit-il, « d'être appelé Apôtre. Je sais ce qui m'était dû; comment donc ai-je reçu l'Apostolat, moi qui ai persécuté l'Eglise de Dieu? Voyez-vous donc l'Apôtre ? Mais c'est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis (4) ». O grâce de Dieu, donnée gratuitement et sans qu'elle puisse paraître en quoi que ce soit une récompense ! Cette grâce ne trouva dans Saul que des titres au châtiment, et elle opéra en lui des titres à la récompense.

5. Voyez ce qui suit : « C'est par la grâce de Dieu », dit-il, « que je suis ce que je suis, car je ne suis pas digne d'être appelé apôtre , moi qui ai persécuté l'Eglise de Dieu ? Je m'attendais à des supplices, et je trouve des récompenses. D'où me vient cette faveur? Parce que c'est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis, et la grâce
 
 

1. I Cor. XV, 10. — 2. II Tim. IV, 7, 8. — 3. I Cor. XV, 9. — 4. Id. 10.
 
 
 
 

de Dieu n'a pas été vaine en moi, car j'ai plus travaillé que tous les autres apôtres ». De nouveau vous commencez à vous élever ? « Ce n'est pas moi, mais la grâce de Dieu avec moi ». Bien, très-bien, Paul et non plus Saul, petit et non plus orgueilleux. Saul était un nom d'orgueil, car c'était le nom du premier roi d'Israël , d'autant plus jaloux qu'il était plus célèbre, et qui persécuta le saint roi David; c'est donc par un secret dessein de Dieu que l'Apôtre avait d'abord reçu le nom de Saul, c'est-à-dire le nom d'un persécuteur. Mais que signifie le mot Paul ? Paul signifie petit, très-petit. Pesez cette parole, vous qui connaissez les belles-lettres; rappelez-vous également la coutume, vous qui n'entendez rien à la littérature. Paul est petit; regardez-le donc ; ce n'est plus Saul altéré de sang et de carnage, c'est maintenant Paul, qui ne craint pas de se dire « le dernier d'entre les Apôtres (1) ». Il en est le dernier , mais c'est lui qui a converti le plus grand nombre de pécheurs.

6. Rappelons-nous ce vêtement, peut-être le plus petit de tous; en le touchant, une femme malade, image de l'église des Gentils, fut guérie d'une perte de sang. Or, c'est vers les Gentils que Paul fut envoyé pour leur porter le salut, quoiqu'il se crût le plus petit des Apôtres. Sachez également que cette femme qui toucha la robe du Sauveur, Jésus-Christ déclara qu'il ne la connaissait pas; mais cette ignorance n'était que simulée. En effet, que pouvait ignorer Jésus-Christ véritablement Dieu ? Et cependant, parce que cette femme représentait l'église des Gentils, dans laquelle le Seigneur ne se trouvait que par ses Apôtres, et non point par une présence corporelle, dès que le Sauveur sentit toucher la frange de son vêtement, il s'écria « Qui m'a touché ? » Les Apôtres répondirent « La foule vous presse et vous écrase, et vous « demandez : Qui m'a touché ? » Jésus-Christ répliqua: « Quelqu'un m'a touché (2) » . La foule accable, mais la foi touche. Mes frères, soyez de ceux qui touchent, et non pas de ceux qui accablent. « Qui m'a touché; quelqu'un m'a touché ». Jésus-Christ feint l'ignorance; ce n'est point un mensonge, mais une figure. Quelle est cette figure? « Le peuple que je n'ai pas connu est devenu mon serviteur fidèle (3) ».
 
 

1. I Cor. XV, 9. — 2. Luc, VIII, 45, 47.— 3. Ps. XVII, 4.
 
 

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7. Sur le point de souffrir le martyre, de terminer vos travaux et de recevoir la couronne, grand Apôtre, ne craignez pas de dire « Je me dissous déjà, le temps de ma mort approche ; j'ai combattu le bon combat, j'ai consommé ma course (1) ». A quoi servirait le combat, s'il n'était pas suivi de la victoire ? Vous dites que vous avez combattu ; dites d'où vous est venue la victoire; dans un autre passage il répond à cette question « Je rends grâces à Dieu qui nous a donné la victoire par Notre-Seigneur Jésus-Christ (2). « J'ai consommé ma course ». Vous avez consommé votre course? Reconnaissez-le « C'est l'œuvre non pas de celui qui veut, ou de celui qui court, mais de Dieu qui fait a miséricorde (3) ». Vous dites encore: « J'ai conservé la foi ». Vous avez conservé la foi, vous l'avez gardée? Mais : « Si le Seigneur
 
 

1. II Tim. IV, 7.— 2. I Cor. XV, 57.— 3. Rom. IX, 16.
 
 

ne construit pas la cité, c'est en vain que veillent ceux qui; la gardent (1) ». Si donc vous avez conservé la foi, c'est par le secours de Dieu ; c'est Dieu qui l'a conservée en vous, lui qui a dit à cet autre Apôtre martyrisé à Rome le même jour que vous : « J'ai prié pour toi, Pierre, pour que ta foi ne défaille point (2) ». Demandez donc, car la récompense est toute prête; dites : « J'ai combattu le bon combat », c'est vrai; «J'ai consommé ma course », c'est vrai; « J'ai conservé la foi», c'est vrai; il ne me reste plus qu'à attendre la couronne de justice que le Seigneur me rendra en sa qualité de souverain Juge (3) ». Exigez ce qui vous est dû. Votre couronne est toute prête; mais souvenez-vous que vos mérites ne sont que des dons de Dieu.
 
 

1. Ps. CXXVI, 1.— 2. Luc,XXI, 32.— 3. II Tim. IV, 7, 8.
 
 
 
 
 
 

CINQUANTE-DEUXIÈME SERMON. SUR LA CONVERSION DE SAINT PAUL. (QUATRIÈME SERMON.)
 

ANALYSE. — 1. Les deux noms de saint Paul et sa conversion. — 2. Effet admirable de la grâce de Dieu dans cette conversion. — 3. De la grâce et des mérites dans la personne de saint Paul. —  4. Conclusion.
 
 
 
 

1. Mes frères, essayons de parler un peu de l'apôtre saint Paul. Arrêtons-nous d'abord à son nom; car il s'est appelé Saul avant de s'appeler Paul; le premier nom symbolisait l'orgueil, comme le second symbolise l'humilité; le,premier était bien le nom d'un persécuteur. Saul vient du mot Saül. Saül fut ainsi désigné parce qu'il persécuta David, figure de Jésus-Christ qui devait sortir de la famille de David, par la Vierge Marie, selon la chair. Saul remplit le rôle de Saül, lorsqu'il persécuta les chrétiens; il était animé d'une haine violente contre les disciples du Sauveur, comme il le prouva au moment du martyre de saint Etienne ; car il voulut garder les vêtements de ceux qui le lapidaient, comme pour faire entendre qu'ils n'étaient tous que ses propres instruments. Après le martyre de saint Etienne, les chrétiens de Jérusalem se dispersèrent portant partout la lumière et le feu dont le SaintEsprit les embrasait. Paul, voyant la diffusion de l'Evangile de Jésus-Christ, fut rempli d'un zèle amer. Muni de pleins pouvoirs de la part des princes des prêtres et des docteurs, il se mit en mesure de châtier sévèrement tous ceux qui lui paraitraient invoquer le nom de Jésus-Christ, et il allait respirant le meurtre et altéré de sang.

2. Ainsi désireux de s'emparer des chrétiens et de verser leur sang, il parcourait le chemin de Jérusalem à Damas, à la tête d'un (352) certain nombre de ses complices, lorsqu'il entendit une voix du ciel. Mes frères, quels mérites avait acquis ce persécuteur? Et cependant cette voix qui le frappe comme persécuteur, le relève apôtre; voici Paul après Saul; le voici qui prêche l'Evangile et il décline lui-même ses titres : « Je suis », dit-il, « le plus petit d'entre les Apôtres(1) ». Que ce nom de Paul est bien choisi ! Ce mot, en latin, ne signifie-t-il pas petit, modique, moindre? et cette signification, l'Apôtre ne craint pas de se l'appliquer à lui-même. Il se nomme le plus petit, rappelant ainsi la frange du vêtement de Jésus-Christ, que toucha une femme malade. Cette femme, affligée d'une perte de sang, figurait l'Eglise des Gentils; et c'est vers ces Gentils que Paul, le plus petit des Apôtres, a été envoyé, car il est la frange du vêtement, la partie la plus petite et la dernière. En effet, ce sont là les qualités que l'Apôtre se donne; il s'appelle le plus petit et le dernier. « Je suis le dernier des Apôtres (2) ; je suis le plus petit des Apôtres (3) ». Ce sont là ses propres paroles, et s'il en a prononcé d'autres, qu'il veuille bien nous les rappeler; car nous ne voulons pas lui faire injure, quoique ce ne soit pas faire injure à Paul que d'exalter la grâce de Dieu. Toutefois, écoutons-le : « Je suis », dit-il, « le plus petit des Apôtres, je ne suis pas digne d'être appelé apôtre », ; voilà ce qu'il était; « Je ne suis pas digne d'être appelé apôtre » ; pourquoi ? « Parce que j'ai persécuté l'Eglise de Dieu ». Et d'où lui est venu l'apostolat? « Mais c'est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis; et la grâce de Dieu n'a pas été vaine en moi , car j'ai plus travaillé que tous les Apôtres ».

3. Mais, ô grand Apôtre, voici que des hommes inintelligents se figurent que c'est encore Saul qui parle et qui dit: « J'ai plus travaillé qu'eux tous » ; il semble se louer, et cependant son langage est plein de vérité. Il a remarqué lui-même que ce qu'il venait de dire pouvait tourner à sa louange; aussi, après avoir dit : « J'ai plus travaillé qu'eux tous », s'empresse-t-il d'ajouter : « Non pas « moi, mais la grâce de Dieu avec moi a. Son humilité a connu, sa faiblesse a tremblé, sa parfaite charité a confessé le don de Dieu. O vous qui êtes rempli de grâce, qui êtes un
 
 

1. I Cor. XV, 9.— 2. I Cor. IV, 9.— 3. Id. XV, 9.
 
 

vase d'élection, et qui avez été élevé à un rang dont vous n'étiez pas digne, dites-nous les secrets de la grâce en votre personne; écrivez à Timothée et annoncez le jour de la justice. « Je suis déjà immolé », dit-il. Nous venons de lire l'épître de saint Paul; ce sont bien là ses propres paroles : « Je suis déjà immolé ». En d'autres termes: l'immolation m'attend, car la mort des saints est un véritable sacrifice offert à Dieu. « Je suis immolé, et le moment de ma dissolution approche; j'ai combattu le bon combat, j'ai consommé ma course, j'ai conservé la foi ; il ne me reste plus qu'à attendre la couronne de la justice, que Dieu me rendra en ce jour, en sa qualité de souverain juge ». Celui par qui nous avons mérité nous rendra selon nos mérites; Paul a été fait apôtre sans l'avoir mérité, et il ne sera pas couronné qu'il ne l'ait mérité. Parlant de la grâce qu'il avait reçue d'une manière absolument gratuite, il s'écrie : « Je ne suis pas digne d'être appelé apôtre, mais c'est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis ». Au contraire, quand il exige ce qui lui est dû, il s'exprime en ces termes : « J'ai combattu le bon combat; j'ai consommé ma course, j'ai conservé la foi, il ne me reste plus qu'à attendre la couronne de la justice ». Cette couronne m'est due; et afin que vous sachiez qu'elle m'est due, je déclare « que Dieu me la rendra ». Il ne dit pas : Dieu me la donne, ou m'en gratifie, mais : « Dieu me la rendra en ce jour, en sa qualité de souverain juge ». Il m'a tout donné dans sa miséricorde, il me rendra dans sa justice.

6. Je vois, ô bienheureux Paul, à quels mérites vous est due la couronne ; en regardant ce que vous avez été, reconnaissez que vos mérites eux-mêmes ne sont que des dons de Dieu. Vous avez dit : « Je rends grâces à Dieu, qui nous donne la victoire par Notre-Seigneur Jésus-Christ. J'ai combattu le bon combat; mais tout me vient de Dieu, qui fait miséricorde ». Vous avez dit : « J'ai conservé la foi » ; mais vous avez dit également : « J'ai obtenu miséricorde, afin que je sois fidèle ». Nous voyons donc que vos mérites ne sont que des dons de Dieu, et voilà pourquoi nous nous réjouissons de votre couronne.
 
 

 353

CINQUANTE-TROISIÈME SERMON. SUR LA CONVERSION DE SAINT PAUL. (CINQUIÈME SERMON.)
 

ANALYSE. — 1. Grâce admirable de Dieu dans la conversion de saint Paul. — 2. Effets prodigieux de conversion dans la personne de saint Paul. — 8. Conclusion.
 
 

1. La lecture que l'on vient de faire des Actes des Apôtres nous a rappelé que Paul avait été terrassé par une voix du ciel. Animé d'une rage insatiable, disposé à déchirer et à persécuter le troupeau de Jésus-Christ, il se rendait à Damas, lorsqu'il entendit cette voix du ciel : « Saul, Saul, pourquoi me persécutez-vous ? n Pourquoi vous êtes-vous attaqué à mon nom; pourquoi avez-vous lapidé mon martyr? Je devais vous perdre à jamais, mais Etienne a prié pour vous. Paul répond : « Qui étes-vous, Seigneur? » Le Seigneur : « Je suis Jésus de Nazareth, que vous persécutez ». Le Chef réclame du haut du ciel en faveur de son membre. Parce qu'on persécute son corps, Jésus-Christ intervient du haut du ciel. « Saul », dit-il, « Saul, pourquoi me persécutez-vous ? » Le ciel se montre en courroux, toute l'armée céleste réprouve la cruauté de Paul; mais n'est-ce pas afin que celui qui n'avait pas cru à la résurrection de Jésus-Christ se vît contraint de croire à son triomphe dans le ciel? En effet, il est dit à Ananie : Allez le trouver, et marquez-le de mon sceau. Ananie répondit : « Seigneur, il m'a été dit de cet homme qu'il a fait beaucoup de mal à vos saints ». Le Seigneur répliqua: « Allez, car il est pour moi un vase d'élection ». O bienheureux Ananie, vous vous laisseriez facilement aller à la crainte, si vous ne sentiez que vous devez combattre pour Jésus-Christ. L'orgueil est ainsi terrassé, afin que la sainteté se relève plus éclatante. Ananie vint donc trouver Saul, le baptisa et le changea en Paul ; il baptisa le loup, qui alors devint agneau, et celui qui était persécuteur se trouva changé en prédicateur et en Apôtre.

2. Après avoir persécuté Jésus-Christ, Paul prêcha hautement sa divinité; après avoir combattu contre lui, il se trouva disposé à tout souffrir pour lui ; Paul éprouva luimême ce que Saul faisait d'abord éprouver aux autres. Saul lapida, Paul fut lapidé; Saul frappa de verges les chrétiens, Paul reçut a pour Jésus-Christ cinq fois quarante coups de a verges, moins un » ; Saul persécuta l'Eglise de Dieu, Paul fut descendu de prison dans une corbeille; Saul enchaîna, Paul fut enchaîné; tandis que Saul cherche à diminuer le nombre des chrétiens, il se trouve adjoint lui-même au nombre des confesseurs; après avoir semé la mort dans les rangs des chrétiens, il reçoit lui-même la mort pour Jésus-Christ; après être entré comme un loup rapace dans la bergerie, il devient lui-même une brebis docile.

3. Quel homme pourrait donc désespérer à cause de la grandeur de ses crimes, ou de l'humiliation de sa naissance? Pierre n'était qu'un pêcheur, et les empereurs se prosternent aujourd'hui à ses pieds, dans les sentiments du plus profond respect; Paul n'avait été d'abord qu'un cruel persécuteur des chrétiens, et il est aujourd'hui honoré comme l'Apôtre des nations; tant est puissante la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ qui vit et règne avec le Père et le Saint-Esprit dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 
 

 354

CINQUANTE-QUATRIÈME SERMON. SUR L'APOTRE SAINT PAUL.
 

ANALYSE. — 1. Saint Paul, modèle du zèle pour le salut des âmes. — 2. Eloge de saint Paul. — 3. Paul prêche à tous le nom de Jésus-Christ. — 4. Il ne vit que pour ses frères, et pour le Sauveur.
 
 

1. Si nous voulons, mes frères, rester sans souillure, suivons la doctrine de Pierre et de Paul, qui, après avoir obtenu de Jésus-Christ la grâce de la parole, de la sagesse et de l'administration ecclésiastique, a se sont faits tout o à tous, afin de gagner tous les hommes à a Jésus-Christ (1) ». Or, pour nous, nous n'avons d'autre devoir que de nous laisser gouverner et conduire par ceux qui ont mission de le faire. Quand il s'agit du salut des âmes, nous pourrions.citer tous ceux qui y ont contribué par la législation, par la prophétie, par la lutte et le martyre ou de toute autre manière; nous aurions Moïse, Aaron, Josué, Elie, Elisée, les Juges, Samuel, Daniel, la multitude des Prophètes, saint Jean-Baptiste, les Apôtres, et tous ceux qui avec eux ou par eux ont travaillé à la sanctification des peuples. Toutefois, nous faisons en ce moment abstraction de tous ces personnages, et il nous suffira de nommer saint Paul pour nous faire une idée précise de ce que sont dans l'Eglise le soin et la sollicitude des âmes, et ce que cette sollicitude suppose de travail et de prudence, d'efforts et de dévouement.

2. Voyons donc ce que Paul dit de Paul, et étudions dans sa personne le sujet qui nous occupe. Je passe sous silence a les travaux et a les veilles dans la soif et la faim, les misères a supportées dans le froid et la nudité n, Je passe sous silence les embûches extérieures et les résistances intérieures. Je passe sous silence les persécutions, les complots judaïques, les prisons, les chaînes, les accusateurs, les jugements, les mortifications de chaque jour et de chaque moment . « J'ai été descendu le long du mur à l'aide d'une corbeille, j'ai été lapidé, j'ai été frappé de verges ». Je passe sous silence les pérégrinations
 
 

1. I Cor IX, 22.
 
 

si lointaines et si nombreuses, « les dangers sur la mer, les dangers sur terre, les dangers du jour et de la nuit, le naufrage, les périls sur les fleuves, les périls de la part des brigands, périls de tout genre, périls de la part des faux frères (1) » ; le travail manuel pour subvenir à son alimentation (2); la gratuité absolue de ses prédications évangéliques (3); il est donné en spectacle aux hommes et aux anges (4), lui qui se présentait comme intermédiaire entre Dieu et les hommes, supportant pour tous des luttes et des combats, afin de les ramener tous à Dieu. Outre ces merveilles, que pouvons-nous penser de sa vigilance continuelle sur les moindres détails, et de sa sollicitude pour toutes les Eglises ? A l'égard de tous il était plein de miséricorde et d'une affection véritablement fraternelle. Il ressentait le contre-coup de toutes les souffrances de ses frères; et si l'un d'eux était scandalisé, lui-même était brûlé (5).

3. Ce que je rappellerai surtout, c'est son zèle infatigable à enseigner, et toutes les richesses de sa prédication ; je rappellerai sa douceur à la fois et sa sévérité, ou plutôt l'heureuse alliance de ces deux qualités dans sa personne, de telle sorte qu'il n'ulcéra jamais par sa sévérité, et ne faiblit jamais par excès de douceur. Il trace les devoirs des serviteurs et des maîtres, des princes et des sujets, des hommes et des femmes, des parents et des enfants, des époux et des célibataires, des chastes et des voluptueux, des sages et des insensés, des circoncis et des incirconcis, de l'Eglise et du monde, des veuves et des vierges, de l'esprit et de la chair. Il se réjouit avec les uns et rend grâce pour eux; il châtie les autres et les reprend ; les uns sont sa joie
 
 

1. II Cor. XI, 26, 28. — 2. I Cor. IV, 12. — 3. Id. IX, 18.— 4. Id. IV, 9. — 5. II Cor. XI, 28, 29.
 
 
 
 

et sa couronne, tandis que les autres sont flétris du nom d'insensés ; il court avec ceux qui courent la bonne voie, tandis qu'il enchaîne et retient ceux qui se précipitent dans la voie du mal ; il sépare celui-ci de l'Eglise et y reçoit les autres et les confirme dans la charité ; il pleure sur les uns, il se réjouit sur les autres; tantôt sa doctrine est simple comme le lait pour les enfants, tantôt elle se plonge dans la profondeur. des mystères ; tantôt il s'abaisse et se rapetisse avec les simples, tantôt il élève et exalte les humbles; tantôt il fait preuve d'un grand esprit de mansuétude, tantôt il lève la verge de la puissance apostolique contre les orgueilleux et les arrogants ; tantôt il s'enflamme à l'égard des rebelles, tantôt, à l'égard des disciples soumis, il est bon « comme la nourrice qui réchauffe ses petits ». Tantôt il se dit le dernier des Apôtres, tantôt il affirme son autorité en s'appu.yant sur Jésus-Christ, qui parle dans sa personne; tantôt il demande à mourir et à être avec Jésus-Christ, tantôt il prouve qu'il lui est nécessaire de demeurer dans la chair à cause de ceux qui ont besoin de son secours. Car « il ne cherche pas son avantage personnel, mais l'avantage des enfants qu'il a engendrés en Jésus-Christ » par l'Evangile. Cette conduite doit être spécialement méditée par les supérieurs spirituels, dont l'abnégation doit leur faire négliger et mépriser leur intérêt personnel toutes les fois que le bien spirituel des peuples le réclame.

4. L'apôtre saint Paul se glorifie, mais dans ses infirmités et ses tribulations, et la mortification de Jésus-Christ lui paraît le plus bel ornement. Il s'élève au-dessus de tout ce qui est charnel ; les choses spirituelles forment tout son bonheur et toute sa gloire ; la science ne lui est pas étrangère, et cependant il déclare ne voir qu'à travers un miroir et en énigme. Il se confie à l'esprit, et cependant il afflige son corps qu'il traite comme un adversaire clandestin qu'il faut détruire. Quelle leçon, quel enseignement ne ressort pas de cette conduite ? L'Apôtre pouvait-il nous montrer plus clairement l'obligation de ne pas mettre notre confiance dans les choses de la terre, de ne pas nous enorgueillir de notre science et de ne pas laisser la chair se révolter contre l'esprit ? Saint Paul combat donc pour tous ; il prie pour tous ; le salut de tous le dévore; le zèle pour la gloire de Dieu l'embrase, et il donnerait son sang et sa vie pour ceux qui sont hors de la loi, comme pour ceux qui sont dans la loi. Etabli l'Apôtre des Gentils et le défenseur des Juifs, il plaide en leur faveur au-delà même de ce qui est permis ; c'est-à-dire, si j'ose pârler ainsi, il va au-delà du commandement de Dieu, car il aime son prochain, non pas autant que luimême, mais plus que lui-même. Ne demande-t-il pas à être anathème, si cela était nécessaire pour sauver les hommes? O grandeur d'âme vraiment sublime ! O feu céleste de l'Esprit-Saint ! Paul imite en cela Jésus-Christ qui « s'est fait malédiction pour nous (1) », qui « a porté nos infirmités et accepté nos langueurs (2) » . C'est ainsi que, poussant le dévouement au-delà de ses limites, l'Apôtre accepterait d'être anathématisé par Jésus-Christ, pourvu que les hommes fussent sauvés. Que dirai-je encore ? Il vit, non pas pour lui, mais pour Jésus-Christ et pour la prédication de la parole. Il proclame que le monde est crucifié pour lui et qu'il est crucifié pour le monde ; tout lui paraît vil et méprisable, tant est vif son désir de s'unir à Jésus-Christ. Depuis Jérusalem jusqu'à l'Illyrie il a semé l'Evangile dans toutes les contrées ; il a été ravi jusqu'au troisième ciel; il a été transporté au ciel et y a entendu des paroles qu'il n'est pas permis à l'homme de redire; et pourtant, malgré toutes ces faveurs, « il ne se glorifie que dans ses infirmités ». Tel est saint Paul, et tels sont aussi tous les hommes spirituels comme lui, si toutefois il en est sur la terre.
 
 

1. Gal. III, 13. — 2. Isaïe, LIII, 4.
 
 

 356

CINQUANTE-CINQUIÈME SERMON. SUR LA NATIVITÉ DE SAINT JEAN. (PREMIER SERMON.)
 

ANALYSE. — 1. Jésus-Christ est venu dans le monde nonobstant le prince du monde. — 2. Jésus-Christ a eu pour précurseur saint Jean. — 3. Saint Jean livré à une femme impudique. — 4. Miracle de la naissance de saint Jean. — 5. Cette naissance doit nous inspirer la joie la plus vive.
 
 

1. Notre Roi, avant de naître d'une Vierge, s'était fait précéder de l'armée des Prophètee, afin que le monde, jusque-là révolté contre les édits de son prince, acceptât enfin le joug de Dieu et ne pût envisager sans crainte l'arrivée de son souverain Juge. Mais le désespoir devint de l'audace, notre misérable humanité se mit en guerre ouverte contre Dieu, comme si elle ne dût avoir aucun juge de sa conduite, comme si elle n'eût aucun désir de se réconcilier avec son Créateur et qu'elle ne pût tenir aucun compte de ses ordres. C'est alors que le Verbe, s'enveloppant dans un secret impénétrable, descendit des hauteurs du ciel et vint s'incarner dans l'obscurité la plus profonde.

2. Mais auparavant, ce même Verbe avait envoyé pour son précurseur, saint Jean, avec mission de préparer les âmes à la venue du Messie. Ecoutez cette voix céleste, ce héraut terrible du grand Roi, cette trompette éclatante faisant retentir ces cris impétueux : « Je suis la voix de celui qui crie dans le désert : Préparez la voie au Seigneur, rendez droits les sentiers de notre Dieu. Toute vallée sera comblée, toute montagne et toute colline seront abaissées, les chemins courbes seront redressés, les sentiers escarpés seront aplanis, la gloire de Dieu apparaîtra, et toute chair verra le salut du Seigneur notre Dieu(1) ». A la naissance de saint Jean, Jésus-Christ était encore caché dans le sein de sa Mère ; Marie tenait renfermés dans ses entrailles, parmi les lis et les roses, les membres invisibles du Dieu fait homme. La voix apparaît la première, et
 
 

1. Luc, III, 4, 6.
 
 

bientôt le Verbe suivra. Saint Jean s'adresse donc aux hommes, il presse, il crie: « Préparez le chemin au Seigneur, rendez droits les sentiers de notre Dieu ». Arrachez des coeurs toute perversité, corrigez toutes ces perfidies tortueuses, aplanissez parles oeuvres de la simplicité et de la foi les collines anfraetueuses de l'iniquité, et les erreurs levant audacieusement leur front orgueilleux. Dieu nous arrive, Jésus-Christ approche; accueillez présent celui que vous avez méprisé absent. Quoique étant l'offensé, Dieu se donne de lui-même, parce qu'il désire être apaisé.

3. Mais le Précurseur fut, de la part des hommes, l'objet d'une horrible cruauté et d'un profond mépris, à tel point que sa tête fut le prix des danses voluptueuses d'Hérodiade ; l'innocence du saint Précurseur devint l'enjeu d'un combat entre la passion et la fureur; le roi, tout à coup aveuglé par la honteuse concupiscence qu'enflammaient à dessein les grâces impudiques d'une jeune danseuse, livre honteusement le sang innocent, non point à un guerrier armé, mais à une femme éhontée.

4. Mais je m'aperçois, mes frères, qu'au lieu de vous parler de la naissance même de saint Jean, je vous entretiens déjà de sa mort. Je reviens donc à mon sujet, car je ne veux pas m'étendre outre mesure ni m'exposer à faire naître le dégoût et l'ennui. La lecture même de l'Evangile a été d'une certaine étendue ; sous peine donc de mériter à bon droit le reproche d'oisiveté, j'expliquerai le mystère qui nous est proposé, en l'exposant comme Dieu m'en fera la grâce. Le père de saint Jean remplissait dans le temple les (357) fonctions de son sacerdoce, lorsque l'ange Gabriel, fendant l'espace et traversant les airs, se présenta devant Zacharie tremblant de crainte et de respect. Mais au nom du Seigneur l'envoyé céleste le rassure et lui dit : « Ne craignez pas, Zacharie : voici que votre prière a été exaucée ; votre épouse Elisabeth vous donnera un fils à qui vous imposerez le nom de Jean: il sera grand et beaucoup se réjouiront à sa naissance (1) ». Or, Zacharie était déjà accablé de vieillesse ; il sentait ses membres ployer sous le poids de l'âge et son corps tourner à la dissolution. Son épouse gémissait de sa stérilité ; depuis longtemps la fleur de la jeunesse était en eux desséchée, et ils se croyaient impuissants à laisser des héritiers de leur nom. Mais tout est possible à Dieu : ces vieillards croient toucher aux limites de la vie, et soudain le fils qu'ils désirent depuis longtemps leur est donné. Toutefois Zacharie, accablé sous le poids de la vieillesse judaïque, refuse de croire à la parole de l'ange. Gabriel lui reproche cette incrédulité et, pour le punir, lui retire l'usage de la parole.
 
 

1. Luc, I, 13, 14.
 
 

5. Cependant les promesses du Seigneur s'accomplissent; saint Jean met un terme à la stérilité de ses parents et, rendant à son père l'usage de la parole, annonce déjà par avance l'arrivée du souverain Juge. Nous célébrons aujourd'hui l'anniversaire de cette naissance. Saint Jean nait, comme Dieu l'avait promis, et en naissant, il délie la langue de son père, afin que selon la parole prophétique de l'ange, cette naissance fût réellement une cause de joie pour plusieurs. Prenons part à cette joie, mes frères, afin qu'après avoir reçu à coeur ouvert Jésus-Christ le souverain juge, nous entourions de respect :et de gratitude la naissance de son précurseur. Célébrons donc cette solennité, non pas en nous livrant aux honteux désordres des Gentils, mais en rendant à Dieu un culte simple et digne, et surtout en observant les règles de la chasteté chrétienne. Laissons aux temples païens leurs guirlandes et aux Gentils leurs folies et leurs danses voluptueuses; c'est dans le Saint des saints que doit briller et se faire le concours de tous les fidèles.
 
 
 
 

CINQUANTE-SIXIÈME SERMON. SUR LA NATIVITÉ DE SAINT JEAN. (DEUXIÈME SERMON.)
 

ANALYSE. — 1. Glorieuse nativité de saint Jean, foi d'Elisabeth, doute de Zacharie. — 2. Elisabeth devient mère, malgré sa vieillesse. — 3. Jean prophétise dès le sein de sa mère. — 4. Le précurseur montre celui que les Prophètes avaient annoncé.
 
 

1. Aujourd'hui se célèbre dans toute l'Eglise la naissance de saint Jean, du précurseur de la religion et de la foi chrétienne; après lui avoir offert nos voeux, appliquonsnous à exalter sa mémoire. En effet, en lui accordant le titre de prophète et en inspirant à l'Eglise la pensée de célébrer sa naissance, Dieu n'a pas voulu qu'une postérité ingrate pût oublier ses titres et sa gloire. Lorsque nous solennisons la fête des saints, à proprement parler, ce n'est point un bienfait que nous leur accordons, et le plus grand avantage est assurément pour nous. Mais parlons de saint Jean. Un ange vient annoncer sa conception ; il est sanctifié dans le sein de sa mère par la présence du Sauveur, et plus tard il sera choisi pour baptiser Jésus-Christ dans l'eau mystérieuse du Jourdain; car Dieu l'a député par la voix de l'ange, pour servir de précurseur à sou Fils, et Zacharie devra (358) avouer qu'il est lui-même le seul auteur de sa propre incrédulité. Qu'Élisabeth brille comme une lampe ardente, et que le prêtre Zacharie soit sévèrement puni. Elisabeth recevait la lumière, et Zacharie était condarrlné au silence; Elisabeth concevait par la foi et Zacharie incrédule devenait muet, en punition de ce doute qu'il avait émis : « Comment a croirais-je à cette parole? car je suis vieux et ma femme est très-avancée en âge (1) ». O mystère dans un prêtre ! Il offrait l'encens pour les autres, et il ne reconnaissait pas Dieu présent. Il sent quelle est la force de Dieu, et il refuse son acte de foi ; puisqu'il ne croit pas, c'est à juste titre qu'il reste muet.

2. Élisabeth, saisie de confusion, refusait de sortir et restait plongée dans l'admiration et l'étonnement que lui causaient toutes les merveilles dont sa fécondité miraculeuse était la suite. En effet, elle était très-avancée en âge et ne croyait plus à la possibilité naturelle de devenir mère. Elle resta stérile, quand elle eût voulu la fécondité, et elle engendra à un âge où la vieillesse ne lui laissait ni espoir ni désir. Après avoir été stérile dans sa jeunesse, elle allaita son enfant dans la vieillesse; à l'âge de quatre-vingt-dix ans, elle vit pour la première fois un enfant s'ébattre dans ses bras ; un tel prodige était l'oeuvre du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et le fruit de la promesse, en dehors de toutes les prévisions des époux. Ici encore, quand elle est abandonnée à elle-même, la volonté des hommes doit avouer sa complète impuissance. Or, Dieu voulait la naissance de celui qu'il appelait à la mission de prophète.

3. Bientôt s'opère cette naissance de saint Jean, impatiemment attendue par son père; car, depuis la promesse qui en avait été faite, il était resté muet en punition de son incrédulité à l'oracle divin. Depuis ce moment, Zacharie avait continué, à son tour, de remplir les fonctions de prêtre dans le temple, exhalantd'abondantes prières du fond de son coeur, mais dans une impuissance absolue de faire concourir sa langue et sa voix. Avant de naître, l'enfant avait tressailli dans le sein de sa mère, et y avait commencé sa mission
 
 

1. Luc, I,18.
 
 

prophétique. La mère du Sauveur était venue visiter Ellsabeth, mère de saint Jean; Élisabeth s'écria : « Sitôt que la voix de votre salutation a retenti à mes oreilles, l'enfant que je porte a tressailli de joie dans mon sein (1) ». Et quelle parole prophétique a-t-elle fait entendre? D'où me vient ce bonheur que la « Mère de mon Dieu ait daigné me visiter (2)? » O profonde humilité ! La mère du Sauveur est venue visiter la mère du Précurseur. Jean a salué Jésus-Christ, quand tous deux étaient encore renfermés dans l'obscurité des entrailles maternelles. En effet, le Sauveur habitait dans le sein de Marie, et saint Jean dans le sein d'Élisabeth. Il est donc bien vrai, cet oracle divin : « Avant que tu fusses dans le sein de ta mère, je te connaissais, et je t'ai sanctifié dans les entrailles maternelles (3)». Saint Jean n'était pas encore né, et déjà il avait prophétisé. Les nuits ont parlé, les jours se sont salués. De là cette parole: « Le jour annonce le jour au Verbe, et la nuit parle à la nuit (4) » de Jésus-Christ.

4. La prophétie est accomplie; ce qui était obscur se trouve révélé ; c'est-à-dire: saint Jean naît aujourd'hui, le nom de Jean est écrit sur les tablettes, et la langue de Zacharie est déliée. Heureux, mes frères, ceux qui reçoivent de tels gages; heureuses les mères de tels enfants; grand sera leur bonheur, puisqu'elles ont mérité de se voir élevées à un tel degré de gloire. Ce jour est la source d'une grande joie, parce qu'une femme, jusque-là stérile, a enfanté un fils, et parce qu'un père, frappé de mutisme, a recouvré la parole. Le flambeau est envoyé avant le soleil, le serviteur avant le maître, l'ami avant l'époux, le héraut avant le juge, la voix avant le Verbe. Voilà pourquoi saint Jean a dit de lui-même : « Je suis la voix de celui qui crie dans le désert (5) ». Les autres Prophètes n'ont annoncé que longtemps auparavant la venue du Messie; saint Jean, qui l'avait annoncé dans le sein de sa mère, l'a montré après sa naissance; il a proclamé la présence sur la terre de Celui à qui appartiennent la gloire et l'empire; dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 
 

1. Luc, I, 44. — 2. Id. 43. — 3. Jérém. I, 5. — 4. Ps. XVIII, 5. — 5. Matth. III, 33.
 
 

359

CINQUANTE-SEPTIÈME SERMON. SUR SAINT JEAN-BAPTISTE.
 

ANALYSE. — 1. Jésus-Christ supérieur à saint Jean, inférieur à son Père, comme homme, et égal à son Père comme Dieu. — 2. Jésus-Christ véritablement égal à son Père. — 3. Jésus-Christ, comme homme, est inférieur à son Père, mais reste supérieur à tous les hommes.
 
 

1. « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu (1) ». De quel homme le Seigneur a-t-il permis que l'on pût dire: « Toutes choses ont été faites par lui (2) ? » Le Verbe a retenu pour lui la divinité, et il nous a donné la grâce. Nous disons de Jésus-Christ qu'il est homme pour nous, et qu'il est Dieu au-dessus de nous; il est tout à la fois homme et Dieu. Or, vous avez devant vous deux personnages: saint Jean et Jésus-Christ; mais Jésus-Christ, qui, extérieurement, ne parait qu'un homme, est infiniment plus grand que saint Jean, qui a dû s'écrier: « Je ne suis pas digne de délier les cordons de sa chaussure (3) ». Proclamez donc sa supériorité, et sa supériorité si suréminente, que saint Jean lui est infiniment inférieur, quoiqu'il soit le plus grand de tous les justes. Jésus-Christ est plus grand que la terre et le ciel, plus grand que les anges, plus grand que les vertus, plus grand que les trônes, les puissances et les dominations. D'où lui vient cette supériorité? De ce que « toutes choses ont été faites par lui, et que rien n'a été fait sans lui (4) ». En tant que Dieu, il est égal à son Père; en tant qu'homme, il est inférieur à son Père. N'a-t-il pas dit luimême : « Moi et mon Père, nous sommes un (5)? »; et aussi: « Mon Père est plus grand que moi (6)? » Ces deux propositions semblent se contredire, et pourtant elles sont parfaitement vraies. Que votre coeur ne se révolte pas, car les paroles du Sauveur se concilient parfaitement. « Moi et mon Père nous soma mes un » ; ces mots expriment l'égalité « Mon Père est plus grand que moi » ; on ne peut mieux formuler l'inégalité.
 
 

1. Jean, I, 1.— 2. Ibid.— 3. Ibid. 27. — 4. Ibid. 3. — 5. Id. X,30.— 6. Id. XXIV, 28.
 
 

2. Sur ces paroles : « Moi et mon Père nous sommes un », écoutez l'Apôtre expliquant dans un seul passage ces deux propositions contradictoires: « Jésus-Christ étant dans la forme de Dieu, a pu se dire, sans injustice, égal à Dieu (1) » ; car il est Dieu et éternellement engendré de Dieu. L'injustice est le fait d'un usurpateur; tel fut Adam. Parce qu'il voulut devenir ce qu'il n'était pas, il se trouva déchu de ce qu'il était. Comment a-t-il voulu la rapine? Il se laissa séduire par le serpent qui lui-même était déchu, pour avoir dit : « Je placerai mon trône vers l'Aquilon, et je serai semblable au Très-Haut (2) ». Cette pensée fit du premier des anges un démon. Plus tard, il rendit l'homme participant de son orgueil. Lui qui était tombé, se prit de jalousie contre l'homme encore debout et le précipita d'où il était tombé lui-même. Si le démon et l'homme aspiraient à la divinité, c'était donc par rapine. Il n'en fut pas de même de Jésus-Christ, parce qu'il était, par nature, égal à son Père, il l'était de toute éternité, il ne le devint pas et ne le deviendra jamais. En parlant de Lui, on ne saurait dire Il a été, il est et il sera ; le présent seul lui convient : il est. Dire qu'il a été, c'est dire qu'il n'est plus; et dire qu'il sera, c'est dire qu'il n'est pas encore. C'est à Lui que Moïse adressa cette question: « Quel est votre nom? Que dirai-je aux enfants d'Israël? Le Seigneur répondit: Je suis Celui qui suis ; tu diras aux enfantsd'Israël : Celui qui est m'a envoyé vers vous (3) ». Ce qui est, voilà la vérité, la réalité, ce qui ne peut changer. Or, l'Etre par essence appartient au Père, appartient au Fils , appartient au Saint-Esprit. Voilà, mes frères, ce qui est au-dessus de tout
 
 

1. Phllipp. II, 6.— 2. Isaïe, XIV, 13, 14. — 3. Exod. III, 13, 14.
 
 
 
 

et ce qui prouve que le Fils est égal au Père; de là ces paroles de l'Apôtre : « Ce n'est point par une usurpation de sa part qu'il s'est dit égal au Père ».

3. Nous lisons : « Mon Père est plus grand que moi, mais il s'est anéanti lui-même (1) ». Voyez, pesez ces paroles : « Il a pris la forme d'esclave ». Quand il s'agit de la forme d'esclave, on se sert du mot : « il prit » ; mais quand il s'agit de la forme de Dieu, au lieu de dire : il prit, le texte porte: « Quoiqu'il fût dans la forme de Dieu, il prit la forme d'esclave, se rendant semblable aux hommes, a portant l'extérieur de l'homme; il s'est humilié, et s'est fait obéissant jusqu'à la mort et à la mort de la croix. Voilà pourquoi Dieu l'a exalté et lui a donné un nom qui est au-dessus de tout nom (2) ». En tant qu'il
 
 

1. Philipp. II, 7.— 2. Ibid. 7, 9.
 
 

était homme, il a été exalté. Son exaltation fut la conséquence de son humiliation, et en tant qu'il est mort, il est ressuscité. « Il lui a donné un nom qui est au-dessus de tout nom ». Jésus-Christ vint sur la terre, mais sans quitter le ciel; il ressuscita et monta au ciel, et cependant il n'avait pas quitté le ciel. Vous le regardez comme un homme, ce qu'à Dieu ne plaise. Voici l'homme: « Parmi les enfants des femmes, il n'en fut pas de plus grand ». Ecoutez cet homme parlant de sa propre personne: « Je ne suis pas digne de délier les cordons de sa chaussure ». Ne confondez pas ces deux personnages: l'un est Homme-Dieu, l'autre est un homme juste envoyé par Dieu ; l'Homme-Dieu, c'est Jésus-Christ ; l'homme juste, c'est saint Jean; le premier est la Vérité même, le second n'est que le héraut de la vérité.
 
 
 
 

CINQUANTE-HUITIÈME SERMON. SUR LE MARTYRE DES APOTRES SAINT PIERRE ET SAINT PAUL.
 

ANALYSE. — 1. Contraste entre la vocation de saint Pierre et celle de saint Paul. — 2. Interprétation mystique des circonstances de leur martyre.
 
 

1. Avec la grâce de Dieu, nous célébrons aujourd'hui le martyre de saint Pierre et de saint Paul; le monde entier solennise aujourd'hui leur mémoire, les unissant dans les mêmes cantiques, comme ils ont été unis par une même foi et couronwés par un même triomphe. C'est la fête de Paul; et, tous le proclament, c'est aussi la fête de Pierre. Comment garder le silence sur Pierre, quand on se rappelle avec quelle fermeté il a refoulé la rage de Simon le Magicien, lui a enseigné la saine doctrine et a confondu son orgueil? Par leur trépas glorieux, ces deux Apôtres ont prouvé combien la mort des saints est précieuse devant Dieu. Paul est un vase d'élection, Pierre tient les clefs de la maison du Seigneur ; l'un était pêcheur, l'autre a été

persécuteur. Paul a été frappé d'aveuglement, afin de mieux voir ; Pierre a renié, afin de croire. Paul, embrassant la foi de Jésus-Christ après la résurrection de l'Eglise, s'est montré le disciple d'autant plus glorieux de la vérité, qu'il avait été plus obstiné dans son erreur. Pierre pêcheur n'a pas déposé ses filets, mais les a changés, parce qu'honoré le premier du sacerdoce, il préféra désormais les sources à la mer, et chercha les poissons, non pas pour les détruire, mais pour les purifier. Tous deux furent heureux dans l'administration de la doctrine, mais la mort les confirma dans un bonheur plus grand encore. Sur la-terre, la gloire n'est qu'en désir; au ciel, elle a toute sa réalité. Sur la terre, les tribulations se succèdent, la mort met les saints en possession (361) de la véritable grandeur. La voix de ces Apôtres se fait entendre jusqu'aux confins de la terre. Partout s'élève en leur faveur un concert de louanges ; partout la voix des fidèles redit la magnificence de leur triomphe.

2. Comment appeler morts des hommes dont la foi est un principe de vie et de résurrection pour le monde entier? Pour arriver au glorieux séjour de l'éternelle lumière, que personne n'hésite à se confier en toute assurance à la direction de ces illustres docteurs; à leur suite la conquête du ciel n'est plus impossible. Paul est là pour seconder nos efforts, et Pierre pour ouvrir les portes de l'éternel séjour. Du reste, il ne peut que nous être utile de rappeler le glorieux martyre de ces Apôtres. Paul fut décapité, Pierre fut crucifié la tête en bas. Ce genre de mort est plein de mystère. Il convenait que Paul eût la tête tranchée, parce qu'il est pour les Gentils le chef ou la tête de la foi. Pierre avait reconnu que Jésus-Christ est la tête de l'homme, et comme Jésus-Christ était alors assis dans sa gloire, Pierre lui présenta d'abord sa tête, que les pieds devaient suivre, afin que dans ce nouveau genre de martyre, pendant que les pieds et les mains étaient enchaînés, la tête pût prier et prendre le chemin du ciel. Je ne suis pas digne, disait Pierre, d'être crucifié comme mon Seigneur. Par ce langage il ne refusait pas le martyre, mais il craignait de s'approprier le genre de mort du Sauveur, et ne se trouvait digne que de honte et de châtiment. Bienheureux Pierre, quand nous vous voyons suspendu à la croix, combien vous l'emportez à nos yeux sur le Magicien aspirant à prendre son vol dans les airs ! Il ne s'élève que pour tomber plus profondément, tandis que vous n'inclinez votre tête vers la terre que pour posséder le ciel après votre mort, par la grâce de Jésus-Christ qui vit et règne dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 
 
 
 

CINQUANTE-NEUVIÈME SERMON. DE LA PÊCHE DE SAINT PIERRE.
 

ANALYSE. — 1. La barque de Pierre est la figure de l'Église de Jésus-Christ. — 2. Pierre pécheur d'hommes.
 
 

1. La circonstance présente nous invite à méditer le chapitre de l'Évangile dont on vient de nous donner lecture, et où nous entendons le Sauveur porté sur la barque de Pierre dire à ce dernier . « Gardez-vous de craindre, car à partir de ce moment vous serez pêcheur d'hommes (1) ». Cette seule parole nous dévoile tout le mystère de ce passage de l'Évangile. Au moment même où les disciples contemplaient avec étonnement leurs barques remplies de poissons, quel motif avait le Sauveur de refuser à Pierre l'objet de sa demande et de lui faire une réponse à laquelle cet Apôtre ne pouvait rien comprendre? Quand
 
 

1. Luc, V, 10.
 
 

on est monté sur une barque, la plus ordinaire préoccupation n'est-elle pas de se maintenir en équilibre, au lieu de songer à convertir les hommes ? Comprenez donc déjà que cette barque confiée à la direction de Pierre, ce n'est pas une barque ordinaire, mais bien l'Église même de Jésus-Christ. L'Église, tel est ce vaisseau qui, s'élevant au-dessus des flots de l'Océan agité de ce monde, a pour mission, non pas de détruire ce qui surnage, mais de le vivifier.Le pêcheur, monté sur son léger esquif , sauve et conserve les petits poissons arrachés à l'abyme ; de même le vaisseau de l'Église abrite tous ceux qui veulent se soustraire à la corruption du (362) monde, et ils retrouvent dans ses flancs la liberté et la vie. Tel est, en effet, le sens du mot vivifier ; on ne vivifie que ce qui était en vie peu de temps auparavant. A tous ceux donc qui se sentaient meurtris par les tourbillons du monde et étouffés dans les flots du siècle, Pierre est appelé à rendre la vie; et s'il s'étonnait de la multitude de poissons qu'il venait de prendre, il s'étonnera bien plus encore de voir des multitudes d'hommes portés sur le vaisseau de l'Eglise.

2. Toute cette lecture que nous venons de faire doit donc recevoir une interprétation prophétique. Un peu plus haut nous voyons que le Sauveur, toujours assis dans la barque de Pierre, dit à celui-ci : « Dirigez vers la haute mer et jetez vos filets pour pêcher » ; le Sauveur lui apprend moins à jeter ses instruments en pleine mer, qu'à jeter au loin les paroles de la prédication. Saint Paul a saisi toute l'étendue de cette parole, lorsqu'il s'écrie : « O profondeur des richesses de la sagesse et de la science de Dieu (1) ! » et le reste. Il ne s'agit donc plus d'envelopper des poissons dans un filet, mais de rassembler les hommes sous la bannière de la foi. Ce que fait un filet dans les flots, la foi l'opère sur la terre. Les poissons enveloppés dans un filet ne peuvent plus errer en liberté; de même la foi protège contre toute erreur l'intelligence de ceux qui croient; le filet conduit à la barque les poissons saisis dans ses plis ; de même la foi conduit au repos ceux qui se laissent guider par sa lumière. Afin de nous faire mieux comprendre que le Seigneur parlait
 
 

1. Rom. XI, 33.
 
 

de la pêche spirituelle , Pierre s'écria: « Maître, nous avons fatigué toute la nuit sans rien prendre, mais sur votre parole je jetterai le filet (1) » ; comme s'il eût dit : Puisque la pêche que nous avons continuée toute la nuit est restée pour nous sans résultat, je pêcherai désormais, non plus avec un instrument, mais avec la grâce; non plus avec des moyens humains, mais avec tout le zèle de la dévotion. « Sur votre parole, je jetterai le filet ». Nous lisons dans l'Evangile que Notre-Seigneur est le Verbe incarné : « Au commen« cement était le Verbe (2) », et le reste. Quand donc, se confiant dans la parole, Pierre jette les filets, cela nous indique que c'est en Jésus-Christ qu'il pêche; pour se conformer aux ordres du Maître, il déroule ses enseignements et sa doctrine, mais toujours c'est au nom de Jésus-Christ qu'il parle, c'est son Evangile qu'il expose; car c'est à l'Evangile seul qu'il appartient de sauver les âmes. « Nous avons fatigué toute la nuit sans rien « prendre n. Pierre avait réellement travaillé toute la nuit, car en dehors de Jésus-Christ il était plongé dans des ténèbres qui ne lui permettaient pas de voir ce qu'il prenait. Mais dès que la lumière du Sauveur a brillé, les ténèbres ont disparu et Pierre, éclairé par la foi, put distinguer ceux qu'auparavant il ne voyait pas. Jusqu'à ce qu'il eut rencontré Jésus-Christ, Pierre n'avait connu que les ténèbres. De là cette parole de saint Paul « La nuit a précédé, mais le jour s'est approché (3)».
 
 

1. Luc, V, 10.— 2. Jean, I, 1.— 3. Rom. XIII, 12.
 
 
 
 

SOIXANTIÈME SERMON. SUR LA CHUTE DE SAINT PIERRE.
 

ANALYSE. — 1. Présomption de saint Pierre. — 2. Sa chute l'instruit de sa faiblesse.
 
 

1. Vous connaissez de saint Pierre la sublime profession de foi par rapport à la divi

nité de Jésus-Christ, vous savez aussi qu'à la voix d'une servante il renie Celui qu'il avait (363) adoré. Pour confondre sa présomption, le Sauveur lui avait dit : « Tu me renieras (1) » ; plus tard aussi, pour affermir son amour, Jésus-Christ lui posa cette question : « M'aimes-tu » . C'est donc au moment même où saint Pierre chancelait dans sa foi, qu'il présuma le plus de ses propres forces. Le Psalmiste avait depuis longtemps formulé ce reproche : « Ceux qui mettent leur confiance dans leur vertu (2) ». Pierre méritait donc qu'on lui fît l'application de ces autres paroles : « J'ai dit dans mon abondance: Jamais je ne me laisserai ébranler (3) ». Dans son abondance il avait dit au Sauveur : « Je suis avec vous jusqu'à la mort (4) » ; dans son abondance il avait dit : « Jamais je ne me laisserai ébranler ». Toutefois Jésus-Christ, en sa qualité de suprême Médecin, savait mieux que le malade lui-même ce que réclamait sa maladie. Ce que font les médecins dans les maladies du corps, Jésus-Christ peut le faire dans les maladies de l'âme. Qu'importe, après tout, au malade, que le médecin lui rende toujours raison du traitement qu'il lui applique? Le malade peut connaître les souffrances qu'il supporte ; mais quand il s'agit de décider si la maladie est dangereuse, d'en connaître les causes et de juger de l'efficacité des remèdes, c'est l'oeuvre propre du médecin qui, après avoir examiné le corps, reste libre de communiquer à son malade les raisons du traitement qu'il lui applique. Quand donc le Seigneur dit à Pierre : « Tu me renieras trois fois », il prouvait à Pierre qu'il avait sondé son coeur. Or, les
 
 

1. Matth. XXVI, 75.— 2. Ps. XLVIII, 7. — 3. Id. XXIX, 7. —  4. Luc, XXII, 33.
 
 

prévisions du médecin se réalisèrent, et la présomption du malade se trouva confondue.

2. Continuons à étudier dans le même psaume les révélations que nous fait le SaintEsprit. Après avoir dit : « Dans mon abondante je ne me laisserai jamais ébranler », le Psalmiste, se reprochant d'avoir ainsi présumé de ses propres forces, s'empresse d'ajouter : « Seigneur, par l'effet de votre volonté, vous avez ajouté la force à ma beauté; vous avez détourné votre face et je suis tombé dans le trouble et la confusion (1) ». Que dit- il? Ce que j'avais ne venait pas de vous, et je croyais ne le tenir que de moi; « mais vous avez détourné votre face » ; vous avez repris ce que vous m'aviez donné et « je suis tombé dans le trouble et la confusion » ; en vous retirant de moi, vous m'avez montré ce que je suis par moi-même. Ainsi donc, afin de lui inspirer une humilité salutaire, le Sauveur abandonna Pierre pour un temps. Jésus le regarda ensuite, et Pierre versa des larmes amères, comme parle l'Evangile ; c'est ainsi que s'accomplit la prédiction du Sauveur. Que lisons-nous ? « Le Seigneur regarda Pierre, et celui-ci se souvint (2) ». Si Jésus-Christ ne l'eût pas regardé, Pierre aurait tout oublié. « Le Seigneur regarda Pierre, et celui-ci se souvint que Jésus lui avait dit : Avant que le coq chante, vous me renierez trois fois, et, étant sorti, il pleura amèrement (3) ». Pour laver le crime de son reniement, Pierre avait donc besoin du baptême de larmes. Mais ce baptême lui-même il n'aurait pu l'avoir si Dieu ne lui en avait fait la grâce.
 
 

1. Ps. XXIX, 8. — 2. Luc, XXII, 61. — 3. Ibid. 62.
 
 
 
 

364
 
 

SOIXANTE ET UNIÈME SERMON. POUR LA FÊTE DES SAINTS MACHABÉES. (PREMIER SERMON.)
 

ANALYSE. — 1. Les martyrs Machabées sont un exemple pour tout sexe et tout âge. — 2. La mère des Machabées mérite tous les éloges pour l'éducation donnée à ses enfants. — 3. Martyre du premier de ces frères. — 4. Martyre des cinq autres frères. — 5. Mais le martyre le plus digne d'éloge est celui du jeune.
 
 

1. Vous venez d'entendre, mes frères, le récit du glorieux martyre des frères Machabées, et je pense qu'à cette occasion vous vous êtes rappelé cette parole de l'Apôtre, dont la lecture vous a été faite également : « Toutes ces choses ont été écrites pour notre édification, à nous qui nous trouvons à la fin des temps (1) » . En effet, tout ce qui a été écrit dans les livres saints, a été écrit pour notre édification et notre salut, afin que les exemples qui nous sont donnés par nos frères deviennent pour nous un principe de perfection, et que nous trouvions dans la lecture de leurs actions glorieuses un encouragement à la foi. Or, l'Eglise vient de dérouler à nos yeux le glorieux triomphe de ces heureux frères et de cette heureuse mère, afin de le proposer comme exemple à l'un et à l'autre sexe; les hommes doivent prendre pour modèle ces frères si pieux, et les femmes cette mère héroïque dans sa foi et son dévouement; puissent les femmes élever de cette manière leurs enfants; puissent les enfants obéir à d'aussi nobles enseignements. Que tous apprennent de quel amour ils doivent aimer leurs enfants.

2. La bienheureuse mère des martyrs avait commencé, dès leur berceau, à former ses enfants à la vertu, à leur enseigner les, saintes lois du Seigneur, et ses leçons, quoique d'une simplicité toute maternelle, ne laissaient pas de dévoiler les mystères les plus profonds. Grâce aux saints enseignements de la mère et à la pieuse docilité des enfants, cette famille réalisait au plus haut point cette sainte fraternité que la foi enseigne, et que scelle
 
 

1. I Cor. X, 11.
 
 

l'obéissance. Aussi fut-il donné à cette bienheureuse mère d'élever ses enfants à une grandeur que ne purent jamais atteindre de simples forces humaines; car, en révélant la religion à ses enfants, elle les conduisit au ciel. Dans ces réflexions qui s'appliquent à tous les frères, l'Eglise trouve déjà un grand sujet d'édification. Mais il me paraît utile de dire quelques mots du martyre de chacun de ces frères; car, outre ce vaste sujet de louange et d'admiration, la doctrine de l'Eglise y est solennellement confirmée.

3. Ecoutons d'abord le langage que tient l'aîné de ces frères. S'adressant au tyran, il lui dit : « Que cherchez-vous, que voulez-vous apprendre de nous? Nous mourrons mille fois plutôt que de profaner nos lois paternelles (1) ». Parlant au nom de tous ses frères, il ne craint pas de dire : « Nous soin« mes prêts à mourir n. Comprenons que sa pensée était comme le reflet de la pensée de tous les autres. Le tyran furieux ordonne de lui couper la langue. O l'infâme ressource d'une incrédulité féroce ! Il ordonne de couper la langue afin de rendre impossible toute profession de foi ; il ignore sans doute que la dévotion et la foi sont bien moins sur les lèvres qu'elles ne sont dans le coeur. Aussi le bienheureux martyr peut perdre l'usage de la parole, mais sa foi n'en souffre aucune atteinte. Il garde désormais le silence, mais sa fermeté d'âme n'en est nullement ébranlée.

4. Mais passons aux autres. On demande au second s'il consent à manger de la viande de porc : « Non », répond-il. « Et voilà pourquoi », dit l'Ecriture, « il fut tourmenté
 
 

1. II Mach. VIII, 2.
 
 

365
 
 

comme son aîné ». Cette égalité de supplices était naturelle, car sa foi égalait celle de son frère; pourquoi ses souffrances n'eussent-elles pas été égales, puisqu'elles devaient suppléer à l'infériorité de l'âge et l'élever au même rang queson frère? «Après cela» , dit l'Ecriture, «on couvrait d'outrages le troisième » . J'admire la justesse de cette expression employée par l'Ecriture pour désigner les embûches du démon ; car, lorsque la violence ne lui réussit pas, il sait recourir aux outrages et à la dérision. On tourmenta le quatrième, et pendant qu'on lui brisait les membres, il lance ce cri de confiance et de foi : « C'est du ciel que j'ai reçu ces membres ». O foi sublime du martyr ; ce qu'il perd sur la terre, il est assuré de le retrouver dans le ciel ! Pourquoi, dès lors, se troublerait-il du brisement de ses membres, puisqu'il y trouve un titre nouveau de bonheur au ciel? ce que la terre lui ravit, le ciel le lai rendra pour l'éternité. Dans le cinquième frère nous devons une égalé admiration à ses paroles et à son courage ; car, au moment où il était en proie aux plus horribles souffrances, il n'oublie pas de confesser sa foi et dit au tyran : « Sous avez l'empire sur les hommes, quoique vous ne soyez  vous-même que cendre et poussière ; toutefois gardez-vous de croire que votre peuple soit abandonné de Dieu ; attendez, et vous verrez notre Dieu déployer sa puissance et vous frapper rudement, vous et votre race ». O admirable sécurité de la foi parfaite ! elle ne cède ni n'est ébranlée devant les persécuteurs et les bourreaux. On le prive de ses membres, mais son courage reste supérieur à toutes les tortures. Il subit le joug de la force, mais il domine par sa foi ; les souffrances l'accablent, mais il compte encore sur les représailles divines. Ainsi donc, autant qu'il est en lui, il est martyrisé, et il menace du martyre; il est immolé, et il annonce la vengeance, sa foi s'élève bien au-dessus de la puissance de son bourreau; il souffre la persécution et il juge son persécuteur. Le sixième, sur le point d'aller triompher au ciel, adresse ces mots au tyran : « Ne vous trompez pas vous-même ; nous souffrons, parce que nous avons péché contre notre Dieu, et la conduite du Seigneur à notre égard est très-digne d'admiration ». Ce que nous devons admirer dans les martyrs, ce n'est pas seulement leur foi et leur courage, mais surtout la religieuse mansuétude de leur esprit et leur profonde humilité au sein des plus glorieux triomphes.

5. Venons maintenant à l'admirable et héroïque constance du plus jeune de ces frères. Il souffrit le dernier, mais sa foi brilla d'un tel éclat que, après les luttes victorieuses de ses frères, il put encore remporter une nouvelle victoire. C'est justice ; car, placé au dernier rang par l'âge, il s'éleva au-dessus des autres par les souffrances et par l'exemple. En effet, son héroïsme n'est-il pas d'autant plus grand que son enfance lui en permettait moins, et sa victoire ne paraît-elle pas d'autant plus belle, qu'on le croyait lui-même moins capable de combattre ? D'un autre côté, le persécuteur sut joindre à la violence toutes les ressources et les séductions de la ruse, de telle sorte que sescaresses devinrent plus dangereusesqueles tourments; car si la jeunesse est parfois courageuse, la prudence et la sagesse lui font toujours défaut. Le bourreau a donc recours à l'arme perfidede l'indulgence et de la pitié, et pour mieux persuader le fils, il fait appel à l'affection et au dévouement de la pieuse mère. Il savait toute la faiblesse de la piété maternelle dans les souffrances, et souvent il arrive qu'une mère ne puisse supporter dans la personne de son enfant ce qu'elle aurait bravé dans sa propre personne; car le coeur qui aime n'est pas toujours aussi fort que le membre qui souffre. Le cruel tyran s'attaque donc au coeur du fils dans l'affection de la mère, il essaie de vaincre le fils dans la personne de la mère, et la mère dans la personne du fils; raffinement de cruauté qui, n'attaquant qu'un ennemi, se propose d'en vaincre deux, soit celui qu'il veut séparer du choeur glorieux de ses frères, soit la mère elle-même, à qui il n'inspire tant de sympathie pour la vie du plus jeune de ses enfants, que pour lui faire perdre le mérite acquis par elle dans la mort des six premiers.
 
 

366
 
 

SOIXANTE-DEUXIÈME SERMON. SUR LA FÊTE DES SAINTS MACHABÉES. (DEUXIÈME SERMON.)
 

ANALYSE. —Eloge de la mère des Machabées qui en un seul jour met ses sept enfants en possession du bonheur éternel. — 2. Bonheur incomparable de cette mère.—  3. Elle a suivi courageusement le martyre de ses premiers enfants. — 4. Antiochus flatte le plus jeune et ordonne à la mère d'user de son influence pour sauver la vie à son fils. — 5. Cette mère, plus admirable encore qu'Abraham, exhorte au martyre son septième enfant. — 6. Celui-ci meurt, et après lui, sa mère. — 7. Nous devons tout supporter pour Jésus-Christ.
 
 

1. S'il nous fallait, mes frères, entreprendre le panégyrique de chacun de ces sept frères qui, en un même jour, en compagnie de leur glorieuse mère, souffrirent le martyre, nous succomberions à cette tâche, et vous ne pourriez nous suivre jusqu'au bout. D'ailleurs, fussiez-vous capables d'un tel effort, il me faudrait encore compter avec ma propre faiblesse. En effet, quelle langue humaine pourrait louer, exalter dignement ces martyrs qui naquirent le même jour, non pas pour la terre, mais pour le ciel? Le martyre a fait pour eux ce que n'aurait pu faire aucune fécondité humaine. La grâce divine a infiniment surpassé les forces de la nature humaine. Toute mère, en effet, doit s'avouer impuissante à engendrer à la fois sept enfants, tandis que cette glorieuse mère des Machabées, en un seul jour, a engendré à Jésus-Christ, par la foi, sept confesseurs martyrs. Réjouissonsnous, mes frères, de trouver à la foi plus de fécondité qu'à la nature. Réjouissons-nous à la vue des grandes merveilles opérées par le Seigneur, qui a réuni dans sa gloire, en un seul jour, ceux que la naissance avait séparés.

2. O bienheureuse mère, qui a engendré de tels enfants par la chair et par la charité, pour le monde et pour Dieu, pour la terre et pour le ciel ! Mais après les avoir une première fois enfantés dans la tristesse et les gémissements de la chair, elle les offre avec joie au Seigneur, sur l'autel de la foi, comme autant de victimes vouées à l'holocauste. O heureuse mère, qui n'eut à pleurer le reniement d'aucun de ses fils, à affermir aucune hésitation de leur part, ni à regretter aucune apostasie ! Cette mère combattait dans chacun de ses enfants, et dans leur victoire elle triomphait en son nom et au leur. O bonne mère qui est devenue l'arbre bon ! Le Seigneur a dit : « L'arbre bon porte de bons fruits (1) ». Les feuilles et les fruits de cet arbre, ce sont, mes frères, les paroles saintes et les bonnes actions. Le Prophète a dit de cet arbre saint : « Vos fils sont comme les rejetons de l'olivier autour de votre table (2) ». Prêtez encore ici, mes frères, toute votre attention ; les fruits de l'olivier se récoltent pendant l'hiver; pendant l'été, il produit un épais ombrage; il nourrit le laboureur pendant l'hiver, et pendant l'été il lui offre un abri contre les feux du soleil ; il offre l'huile pour oindre sa tête, et l'ombrage pour abriter le corps. De là ces autres paroles du Prophète. « Vous avez oint ma tête avec l'huile (3) »; et encore : « Je suis comme l'olivier fertile dans la maison du Seigneur (4) ». La colombe a trouvé un rameau de cet olivier, au temps du déluge, et l'a rapporté dans l'arche avec ses fruits. Les sept enfants dont nous parlons, étaient donc sept rameaux fertiles, qui ont pu s'incliner au temps de la persécution, mais qui n'ont pu être brisés.

3. La mère des Machabées vit alors ses fils torturés, déchirés, brûlés, pour la foi; elle put contempler leurs membres coupés, lacérés et jetés au vent; et toutefois elle ne craignit pas, elle ne sentit aucune faiblesse, aucune défaillance; elle se tenait debout
 
 

1. Matth. VII, 18.— 2. Ps. CXXVII, 3.— 3. Id. XXII, 5. — 4. Id. LI, 11.
 
 

367
 
 

avec une étonnante fermeté, et puisait dans l'assistance divine le courage avec lequel elle combattait pour la loi. O prodige admirable de la libéralité divine à l'égard de cette femme bienheureuse ! elle était la mère de ces enfants, elle leur fut associée dans la compagnie des anges; elle était leur mère, et elle devint leur sceur dans la lutte du martyre; elle était leur mère, et elle reçut avec eux la couronne du martyre et la récompense éternelle.

4. Des sept frères, il ne restait que le plus jeune. Le tyran l'appelle, lui prodigue les flatteries et les promesses, afin de le détourner de la voie droite et de le séparer de ses frères. Il lui promet des richesses, des honneurs, des dignités, de l'or, de l'argent, un royaume, un empire. Mais le jeune Machabée se rit de toutes ces promesses et les foule aux pieds, parce qu'il aime Dieu de tout son coeur. Bientôt succèdent les menaces et tous les genres de supplices; il reste'insensible aux menaces comme aux promesses, rien ne l'émeut, rien ne l'ébranle. Se voyant donc hautement vaincu, Antiochus appelle la mère de cet enfant et l'invite à user de toute son influence auprès de son fils, pour l'arracher aux tourments que les six autres frères avaient inutilement bravés. La mère promit d'exhorter son fils. Mais à celui qui restait, pouvaitelle tenir un autre langage que celui qu'elle avait tenu à ses autres enfants déjà parvenus au bonheur du ciel? Tout d'abord elle leur avait dit à tous : « Mes enfants, je ne sais comment vous avez été formés dans mon sein; ce n'est point moi qui vous ai donné l'esprit et l'âme ; ce n'est point moi qui ai construit vos visages et vos membres; Dieu qui a fait le ciel, la terre, la mer, et tout ce qu'ils renferment, Dieu qui est la source de tout ce qui existe, a pu seul vous donner l'esprit et l'âme; c'est lui qui a construit votre visage et vos membres; par respect pour ses lois saintes, vous livrez aujourd'hui vos corps, mais il vous les rendra dans sa miséricorde (1) ». Elle était mère, et comme elle aimait Dieu de tout son coeur, elle savait tenir à ses enfants ce généreux langage.

5. Mes frères, nous admirons Abraham, parce qu'il offrit courageusement son fils à Dieu; combien plus devons-nous admirer cette femme, qui en un seul jour sut faire au
 
 

1. II Mach, VII, 22, 23.
 
 

Seigneur le sacrifice de ses sept enfants inartyrs ? Au dernier survivant elle adressait ces paroles : Toi, mon fils, tu me restes; ta naissance a mis le comble à mes veaux; je t'en prie, je t'en conjure, ne laisse pas ma joie imparfaite. Mon fils, prends pitié de moi, qui t'ai porté dans mon sein pendant neuf mois. Ne permets pas qu'un seul instant ma vieillesse se couvre de honte; ne ternis pas l'éclat du triomphe de tes frères; ne quitte pas leur sainte phalange et marche sur leurs traces. « Mon fils, lève tes yeux au ciel », d'où te sont venus ton esprit et ton âme ; « regarde la terre », qui a fourni l'alimentation de ta vie; regarde tes frères qui t'appellent à leur suite ; regarde ta mère « qui t'a allaité pendant trois ans ». J'attends de toi la récompense de mon amour; ne te sépare pas de tes frères, ne te sépare pas de ta mère qui t'a nourri. Je t'en prie, ô mon fils; le roi Antiochus te promet des richesses temporelles, des honneurs temporels ; mais considère que tous ces biens sont passagers, vains et futiles; rien de tout cela n'est éternel. Dieu seul nous promet des biens éternels, et Dieu ne saurait nous tromper. Mon fils, souviens-toi des paroles du Seigneur ton Dieu; souviens-toi de ce que tu as lu et entendu; n'oublie pas ce qu'il nous dit par le Prophète : « Vanité des vanités, et tout est vanité (1) ». O mon fils, ne crains pas le roi Antiochus, alors même qu'il tue pour un temps ton propre corps; mais crains le Seigneur ton Dieu, qui réunira ton corps à ton âme, en compagnie de tes frères. Je vous ai reçus de Dieu comme la lumière de sept jours radieux. J'ai déjà fermé le sixième jour, parce que j'ai rendu à Dieu six de tes frères, et j'ai vu que tout était bien. Toi aussi tu dois suivre tes frères, afin qu'après avoir travaillé pendant six jours, je me repose le septième; comme donc le Seigneur qui vous attend, a travaillé six jours et s'est reposé le septième, moi aussi je veux trouver en toi le repos à toutes mes larmes.

6. Eclairé par cette exhortation maternelle, et rempli du Saint-Esprit, cet enfant s'écria « Qu'espérez-vous? qu'attendez-vous ? Je ne consens ni n'obéis aux ordres d'un roi trompeur, mais j'obéis à Dieu (2) ». Il ajouta d'autres paroles que vous avez entendues. C'est ainsi qu'il mourut lui-même innocent et pur. La mère fut martyrisée la dernière ;
 
 

1. Eccli. I, 4.— 2. II Mach. VII, 30.
 
 

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elle est morte pour le monde, mais elle vit en Dieu. Elle n'a pu mourir, celle qui, pour l'amour de Dieu, a porté au martyre ses sept enfants. Or, tous vivent sous l'autel des cieux, « car le Seigneur n'est pas le Dieu des morts, mais des vivants (1) ».

7. Si donc, mes frères, les anciens justes ont beaucoup souffert pour ces divins sacrements; si Daniel et ses trois compagnons sont dignes de toutes nos louanges, parce qu'ils n'ont pas voulu se souiller en participant à la table du roi; si nous célébrons le souvenir de ces saints Machabées qui n'ont pas voulu user de ces viandes, dont les chrétiens peuvent user aujourd'hui licitement;
 
 

1. Luc, XX, 38.
 
 

nous aussi, ne craignons pas, s'il le faut, de souffrir pour Jésus-Christ, pour le baptême de Jésus-Christ, pour l'Eucharistie de Jésus-Christ et pour la croix de Jésus-Christ; les justes de l'Ancien Testament ne connaissaient que les promesses et les figures, et nous, nous possédons la réalité. La foi pour eux était couverte de voiles et de ténèbres, tandis que pour nous elle brille dans toute sa splendeur. Tous les saints et les justes avaient la même foi et la même espérance. Sachons donc souffrir ce qu'ils ont souffert pour Dieu, méprisons ce qu'ils ont méprisé, afin que nous recevions avec eux la vie éternelle que nous espérons.
 
 
 
 
 
 

SOIXANTE-TROISIÈME SERMON. POUR LA SOLENNITÉ DES SAINTS MACHABÉES. (TROISIÈME SERMON.)
 

ANALYSE. — 1. Fête de la dédicace de l'Eglise et fête des martyrs. — 2. Les chrétiens ont toujours à combattre. — 3. La solennité des martyrs demande à être célébrée par la sainteté. — 4. Conclusion.
 
 

1. Je rends à Dieu d'abondantes actions de grâces, à la vue de ce vaste concours de peuples, qui suffirait seul à rappeler la grande solennité de ce jour, lors même que je garderais le silence. Dociles aux sentiments pieux qui vous animent, vous avez mis une sainte envie à vous réunir, et à proclamer, avant toute parole de ma part, la sainteté de ce jour. C'était justice, car votre joie a un double motif : la dédicace de cette église et le triomphe d'illustres martyrs dont la gloire rejaillit sur l'Eglise tout entière. Les saintes Ecritures, dont la lecture vient d'être faite, vous ont rappelé le grand événement que nous célébrons en ce jour, le martyre des sept frères et celui de leur mère qui, après avoir souffert en chacun de ses enfants a obtenu sa part dans leur triomphe. Grâce à ses pieuses exhortations, ses enfants, avant elle, se montrèrent invincibles dans la mort, et la précédèrent dans le triomphe, mais elle les suivit aussitôt. Bienheureuse mère, bienheureux enfants, bienheureuse famille, où le courage de ceux qui précèdent n'a d'égal que le courage de ceux qui suivent ! Habilement inspiré par son impiété et sa barbarie, le tyran s'était flatté d'effrayer les premiers par l'atrocité des supplices, et les derniers par l'affreux spectacle qu'ils auraient eu sous les yeux; mais il ne réussit qu'à multiplier les palmes des martyrs et à rehausser leur triomphe, car chacun d'eux resta vainqueur, non-seulement dans sa propre personne, mais aussi dans la personne de chacun de ses frères.

2. Il est toujours utile et agréable de rappeler de tels exemples. La science enfle, à moins que l'obéissance n'édifie; les leçons fatiguent à entendre, à moins qu'on n'entreprenne de les mettre en pratique. Les (369) persécuteurs et les bourreaux ont disparu; toutes les puissances combattent aujourd'hui pour Dieu, les occasions du martyre n'existent plus pour les chrétiens, et cependant ils ne laissent pas d'avoir encore à souffrir. « Mon fils », est-il dit, « en vous engageant au service de Dieu, tenez-vous dans la justice et la crainte, et préparez votre âme à la tentation (1) ». L'Apôtre dit également : « Tous ceux qui veulent vivre pieusement en Jésus-Christ, souffrent persécution pour la justice (2) ». Vous donc qui pensez que toute persécution a cessé et qu'aucun ennemi n'est là pour nous faire la guerre, sondez les derniers secrets de votre coeurs scrutez attentivement tous les replis de votre âme; voyez si aucune adversité ne vous tourmente, si aucun ennemi n'aspire à dominer dans la citadelle de votre âme; ne faites aucune paix avec l'avarice, et méprisez l'accroissement des gains iniques. Refusez toute alliance avec l'orgueil, et craignez plus d'être reçu avec honneur, que d'être foulé dans l'humilité. Rompez avec la colère , et que le désir de la vengeance n'aiguise jamais en vous l'aiguillon de l'envie; renoncez à la volupté, détournez-vous de l'impureté, repoussez la luxure, fuyez l'iniquité, abstenez-vous du mensonge; et quand vous reconnaîtrez que vous avez beaucoup de combats à soutenir, imitez les martyrs et multipliez vos victoires. Autant de fois nous mourons au péché, autant de fois les péchés meurent en nous : « Et la mort des saints est précieuse aux yeux du Seigneur (3) »; car l'homme y meurt au monde, non point par la destruction de ses
 
 

1. Eccl. II, 1. — 2. II Tim. III, 12. — 3. Ps. CXV, 15.
 
 

sens, mais par l'extinction de ses vices.

3. Si donc, mes frères, « vous ne portez « pas le joug avec les infidèles (1) » ; si vous cessez d'être pécheurs, si vous ne cédez à aucune tentation des cupidités charnelles, c'est en tonte justice que vous célébrez ce jour solennel ; on ne peut qu'applaudir aux honneurs que vous rendez non-seulement aux martyrs et à leur mère, mais aussi à cet homme généreux (2) qui, à la fête des martyrs, a joint la solennité de la dédicacé de cette église. Louons sa magnificence dans la construction de ses murs , mais surtout dans l'édification des âmes; à ce double titre ses oeuvres passeront avec gloire à la postérité ; nos descendants goûteront les fruits de ses belles institutions , soit en fréquentant le temple qu'il a bâti , soit en mettant en pratique les enseignements qu'il nous a laissés.

4. Ainsi donc que le spectacle toujours étalé sous vos yeux, et les souvenirs toujours présents à votre esprit se réunissent pour as surer votre avancement dans la vertu ; usez de cette église élevée par vos ancêtres, de manière à vous rappeler sans cesse que le temple de Dieu est fondé en vous-mêmes. Que dans cette construction il ne se mêle rien de mauvais, rien de faible; construisez avec des pierres vivantes et choisies, afin que, par leur union indissoluble, l'unité du corps de Jésus-Christ croisse et se manifeste ; qu'il en soit ainsi avec le secours de Dieu et de la pierre angulaire Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui vit et règne, avec le Père et le Saint-Esprit, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 
 

1. II Cor. VI, 14.— 2. Probablement le fondateur de l'église.
 
 

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SOIXANTE-QUATRIÈME SERMON. POUR LA FÊTE DES MARTYRS.
 

ANALYSE. — 1. La mort des saints martyrs, comme celle de Jésus-Christ, est précieuse en  raison de leurs souffrances. — 2. Tout doit être accepté pour Jésus-Christ, en vue dès biens futurs. — 3. Conclusion.
 
 

1. Nous chanterons avec amour le suave refrain du psaume spirituel; nous célébrerons en choeur la mort des saints; nous emprunterons au Prophète, au chantre du SaintEsprit, ses accents inspirés, et y joignant notre voix, nous dirons : « La mort des saints est précieuse devant Dieu (1) ». Que le démon par lui-même ou par ses complices suscite contre les saints de Dieu des supplices d'une cruauté inouïe, qu'il les frappe à coups de fouets, qu'il les déchire avec des ongles de fer, qu'il les broie sur le chevalet, qu'il les brûle tout vivants, qu'il s'acharne sur leurs membres carbonisés, qu'il élève des croix, qu'il plante des poteaux, qu'il appelle les bêtes féroces, qu'il construise des précipices; tout cela est vain, car ceux qui sont embrasés du désir des biens célestes, ceux qui attendent la récompense promise dans l'éternité, se montrent pleins de mépris pour les choses présentes ; la vie de la terre n'inspire que dégoût à ceux que possède l'amour de la vie éternelle. Celui qui porte sa croix et suit Jésus-Christ ne peut aimer le monde; car ce monde est le foyer de tous les vices. De là cette parole de Jésus-Christ dans l'Evangile : « Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il se renonce lui-même, qu'il porte sa croix et qu'il me suive (2) ». « Qu'il porte sa croix », comme si Jésus-Christ eût dit: Qu'il porte ma croix, car celui qui portera ma croix la fera sienne. Celui donc qui aura porté la croix du Sauveur, aura part également à sa récompense. Pour des âmes généreuses, la mort est comme l'abrégé de tous ces biens.

2. Viennent ensuite les persécutions extérieures, et la couronne du martyr sera complète quand arrivera le jour de la récompense. « Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il se renonce lui-même ». O précieuse
 
 

1. Ps. CXV, 15.— 2. Matth. XVI, 24.
 
 

jalousie de Dieu ! Selon cette parole : Notre Dieu est jaloux; il veut que vous l'aimiez jusqu'à commencer à vous haïr : aimez-moi, dit-il, et ne vous aimez pas vous-même; renoncez-vous à vous-même et conservez. vous pour moi ; soyez mien, ne soyez pas vôtre ; que votre vie soit suspendue à ma croix, parce que ma croix conserve votre vie. Je ne veux pas que vous vous aimiez; aimez-moi, car si vous m'aimez, vous vous aimerez; tandis que vous aimer sans moi, ce serait vous haïr. Aimez-vous cette vie ? Aimez plutôt celui qui vous a donné la vie elle-même. Aimez-vous votre corps ? Aimez plutôt votre Créateur qui a formé votre corps. Pourquoi aimeriez-vous ce qui doit périr ? Aimez ce qui est éternel. L'amour des choses présentes est un amour périssable; l'amour des choses futures est un amour éternel ; l'amour des choses présentes finit avec le temps présent, tandis que c'est par la mort elle-même que nous parvenons à la récompense de l'immortalité. C'est ainsi que les saints Prophètes en aimant le Seigneur ont haï le monde. C'est ainsi que ces trois enfants invincibles ont méprisé leur propre vie et ont triomphé de la flamme de la fournaise. C'est ainsi que Daniel, par l'empire de sa sainteté, a vaincu les bêtes féroces. Le vieillard Eléazar, malgré. son grand âge, a pu montrer un courage héroïque, parce que dans sa jeunesse il avait foulé aux pieds le monde. La bienheureuse mère des Machabées, souffrant dans sa propre personne, après avoir souffert dans la personne de chacun de ses sept enfants, a surmonté son amour et son sexe, et a sacrifié les impulsions les plus naturelles de son coeur. Les Apôtres nous ont enseigné et ont prouvé par leur propre conduite qu'ils préféraient mourir pour Jésus-Christ plutôt que de vivre pour la terre ; leurs enseignements et leurs (371) exemples rappellent sans cesse aux fidèles le bonheur de souffrir. Enfin les saints martyrs ont donné leur vie pour Jésus-Christ, et se sont renoncés eux-mêmes afin de se donner tout entiers à leur Créateur. Ils ont méprisé les supplices, les tourments, les croix, le feu, le gibet, les bêtes féroces ; aucune souffrance ne peut faire fléchir le courage de ceux dans le coeur desquels l'amour de Dieu régnait en souverain.

3. Les saints ont toujours méprisé cette misérable vie de la terre, et se montraient disposés à embrasser pour Dieu toutes les souffrances ; voilà pourquoi l'on peut dire de leur mort qu'elle « est précieuse devant Dieu » ; de toutes les choses du monde, aucune ne leur paraissait digne d'occuper leur coeur. Qu'ils soient suspendus à la croix, qu'ils soient jetés à la dent des bêtes féroces, leur mort, quelle qu'elle soit, est précieuse, parce qu'elle est la possession solennelle de leur foi. C'est d'eux que Salomon a dit ; « Quoiqu'ils aient souffert toute sorte de tourments devant les hommes, leur espérance est pleine d'immortalité; et après des souffrances d'un moment ils seront comblés de bonheur pendant l'éternité (1) ». De là aussi ces belles paroles de l'Apôtre : « Qui nous séparera de la charité de Jésus-Christ ? sera-ce l'affliction, les déplaisirs, la faim, la nudité, les périls, la persécution, le fer ? Selon qu'il est écrit : On nous fait mourir tous les jours pour l'amour de vous, Seigneur; on nous regarde comme des brebis destinées à être égorgées. Mais, parmi tous ces maux, nous demeurons victorieux par Celui qui nous a aimés. Car je suis assuré que ni la a mort, ni la vie, ni les anges, ni les principautés, ni les puissances, ni les choses présentes, ni les choses futures, ni la violence, ni tout ce qu'il y a de plus haut ou de plus profond, ni aucune autre créature, ne pourra jamais nous séparer de l'amour de Dieu, en Jésus-Christ Notre-Seigneur (2) ».
 
 

1. Sages. III, 4, 5.— 2. Rom. VIII, 35, 38.
 
 

source: http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin/index.htm

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