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Saint Augustin d'Hippone
Sermons Inédits suite (3)
N°1 à 12

PREMIER SERMON. SUR LA CHAIRE DE L'APÔTRE SAINT PIERRE.
 

ANALYSE.- Souveraine autorité de la chaire de saint Pierre.
 
 

La sainte Eglise célèbre aujourd'hui, avec une pieuse dévotion, l'établissement de la première chaire de l'apôtre saint Pierre. Remarquez-le bien, la foi doit trouver place en nos âmes avant la science ; car les points de foi catholique proposés à notre respect, loin d'être inutiles pour nous, sont, au contraire, et toujours, et pour tous, féconds en fruits de salut. Le Christ a donné à Pierre les clefs du royaume des cieux, le pouvoir divin de lier et de délier; mais l'Apôtre n'a reçu en sa personne un privilège si étonnant et si personnel, que pour le transmettre d'une manière générale, et en vertu de son autorité, à l'Eglise de Dieu. Aussi avons-nous raison de regarder le jour où il a reçu de la bouche même du Christ sa mission apostolique ou épiscopale, comme celui où la chaire lui a été confiée; de plus, cette chaire est une chaire non de pestilence (1), mais de saine doctrine. Celui qui s'y trouve assis, appelle à la foi les futurs croyants; il rend la santé aux malades, donne des préceptes à ceux qui n'en connaissent pas et impose aux fidèles une règle de vie; l'enseignement tombé du haut de cette chaire, de notre Eglise, c'est-à-dire de l'Eglise catholique, nous le connaissons, nous y puisons notre joie; c'est l'objet de notre croyance et de notre profession de foi; c'est sur cette chair qu'après avoir pris des poissons, le bienheureux Pierre est monté pour prendre des hommes et les sauver.
 
 

1. Ps. I, 1.
 
 

DEUXIÈME SERMON. POUR LA NAISSANCE AU CIEL DE SAINT VINCENT. (TROISIÈME SERMON.)
 

ANALYSE. — 1. L'éloge d'un pareil martyr est vraiment difficile à faire. — 2. Inutiles efforts de Dacien pour vaincre sa fermeté .— 3. Reproches à Dacien.
 
 

1. Je l'avoue, le silence seul serait à la hauteur du courage déployé par Vincent dans le cours de sa passion glorieuse, et remplacerait dignement tout ce qu'on pourrait dire de mieux pour la raconter. Je serais heureux de suivre ce conseil si sage donné en ces termes (523) par Salomon : « O pauvre, ne cherche point à a atteindre jusqu'au riche (1) ». Puisque tu ne peux arriver jusqu'à lui, arrête-toi dans les limites de ta faiblesse naturelle. Que dire après de si hauts faits? Quelles paroles employer après de tels actes ? Quand raconterai-je ces merveilles? Comment parviendrai-je à en finir ? Enfin, pourquoi répéter ce que vous avez naguère entendu? Il est bon, néanmoins, de vous présenter à nouveau une image de ce spectacle grandiose ; par là,votre admiration se soutiendra, et le courage du martyr ne tombera pas en oubli. En effet, « le chemin qui conduit à la vie est étroit; il y en a beaucoup pour entendre parler de lui, mais il y en a bien peu pour le suivre (2) » . Au chrétien qui va souffrir, on ne propose rien autre chose que les exemples de courage donnés parles martyrs. Puissent les exemples des saints nous servir de leçon ! Puissions-nous au moins imiter la foi de ceux que nous ne pouvons suivre dans la voie des souffrances !

2. Le tyran ne s'est point borné à menacer le martyr, comme l'eût fait un ennemi : il a encore employé la flatterie vis-à-vis de lui, comme s'il l'aimait; nous avons, en effet, remarqué dans la même personne, en Dacien, le persécuteur et l'endormeur ; car n'a-t-il pas cherché à inspirer l'épouvante? N'a-t-il pas aussi fait des promesses? D'abord il a voulu, parla terreur, éteindre dans l'âme de Vincent le flambeau de la foi ; puis, dans le même but, il l'a caressé, puis il en est revenu aux tourments, pour quitter bientôt les moyens violents, et mettre encore une fois en oeuvre ceux de la persuasion, changeant ainsi de rôle, comme un personnage de théâtre comique. Dans l'un, diversité de figures, dans l'autre, inébranlable solidité de sentiments. Celui-ci se trouvait suspendu, celui-là était assis; Vincent subissait la peine du martyre, Dacien l'infligeait; mais le tyran se fatiguait, et le supplicié remportait la victoire. Ce lion rugissant, ce chien affamé, ce serpent cauteleux, ce loup rusé, ce renard cousu de malice, à quoi a-t-il réussi ? Il a longtemps sué à la besogne; néanmoins, Vincent l'a vaincu. Enfin, le martyr endure des tourments qui exercent sa patience; on le frappe, et il n'en devient que plus solide ; il s'instruit à l'école de la flagellation il se
 
 

1. Eccli. IV, 32. — 2. Matth. VII, 14.
 
 

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purifie au milieu des flammes, et toujours il domine son bourreau. Dacien le combat pendant qu'il respire encore, et l'insulte même quand il a succombé, et dans la personne d'un mort il trouve sa propre condamnation.

3. Le tyran s'irrite et fait cet aveu : Je ne puis venir à bout même d'un mort. De quel mort? C'est, sans aucun doute, de Vincent. Tu lui as enlevé la vie de ce monde, mais, après sa mort, as-tu pu le priver de la gloire éternelle ? Si tu as dompté son corps, as-tu été capable de te rendre maître de son esprit? Au surplus, as-tu seulement triomphé de son corps? Non, peut-être; car ce corps, jeté à la mer partes ordres, se retrouvait sur le rivage avant même qu'on t'apprît sa submersion : « Il est donc inutile à toi de regimber contre l'aiguillon (1) ». Vincent n'a pas lutté contre un homme; en ta personne il a vaincu le diable, et toi, tu n'as pu l'emporter en lui sur le Christ. Il a compris qu'il devait vaincre en toi, et à toi n'est pas venue l'idée de celui qui devait triompher en lui. Quelle comparaison humaine ajouter? A quoi bon unir la chair au sang? « Toute chair n'est que de l'herbe, et toute la beauté de la chair ressemble à la fleur des champs »; en toi, « l'herbe a séché et la fleur est tombée, mais la parole du Seigneur est éternellement demeurée » en Vincent (2). Tu te tenais solidement assis, et lui, dépouillé de ses vêtements, se trouvait debout en ta présence. Tu le jugeais, il subissait ton jugement; tu ne triomphais pas de lui, et il triomphait de toi. Etablis une comparaison entre vous deux. Descendu de ton tribunal, où es-tu maintenant ? Sorti de son épreuve, où est-il? Dis-le moi, si tu en as l'idée; ou si, à défaut de l'idée, tu en as le sentiment; et si tu n'en as pas même le soupçon, écoute-moi. Tu as quitté ton siège pour descendre dans la tombe; eh bien ! où es-tu aujourd'hui ?Je n'en sais rien. En effet, si tu es resté tel que tu étais alors, tu es perdu pour le ciel, et si tu as changé de dispositions, peut-être es-tu sauvé. Au témoignage de quelques-uns, Dacien serait devenu croyant. Voilà donc ce qu'on dit de lui, ce qu'on en rapporte, ce qu'on affirme à son sujet, c'est qu'il a été jusqu'à se soumettre à la règle de la foi. Ne nous étonnons point de ce que « la grâce ait surabondé là où avait
 
 

1. Act. IX, 5. — 2. Isai. XL, 6-8.
 
 

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abondé le péché (1) ». Mais enfin, où est Dacien? Supposez vrai ce qu'on dit de lui, nous n'en savons rien; si vous le regardez comme incertain, notes en savons encore moins. Mais quant à notre Vincent, ignorons-nous d'où il est sorti, où il est allé? Comme il a couru, avec quelle dignité il a fourni sa carrière, de quelle manière il a persévéré, de quelle gloire il est environné depuis sa mort, nous le savons parfaitement, on nous l'a dit. Aussi
 
 

1. Rom. V, 20.
 
 

nous sommes-nous réjouis de ce que nous avons combattu avec lui, de ce qu'en sa personne nous avons tous triomphé, sans avoir faibli devant les insultes du tyran, et même après avoir ri de sa défaite; aussi nous sommes-nous félicités d'avoir appris qu'après la lutte, celui qui avait soutenu le combattant a couronné le vainqueur. N'est-il pas dit, en effet : « La mort de ses élus est précieuse aux yeux du Seigneur (1) ».
 
 

1. Ps. CXV, 5.
 
 

TROISIÈME SERMON. POUR LA NAISSANCE AU CIEL DU MARTYR QUADRAT (1).
 

ANALYSE. — 1. Le bienheureux docteur est réjoui à la vue des fidèles, qu'il regarde comme ses compagnons de voyage.— 2. Dieu déteste trois classes de personnes : celles qui restent à la même place, celles qui retournent en arrière, et celles qui suivent de faux chemins. — 3. Nécessité de faire des progrès démontrée par l'exemple de Paul. — 4. Cet apôtre l'explique en faisant connaître le chemin de la perfection. — 5. Perfection du martyr Quadrat, indiquée par son nom même. — 6. A Dieu nous devons au moins le même dévouement qu'au péché. — 7. Nous devons faire mieux, à l'exemple de Quadrat. — 8. Il faut confesser le Christ publiquement. — 9. Le respect humain est à mépriser. — 10. Cette crainte ridicule du monde empêche la conversion des païens. — 11. Nous devons,craindre Dieu par-dessus tout, car il rougira de celui qui n'osera pas se déclare pour lui.
 
 

1. Tous ensemble nous rendons grâces au Seigneur notre Dieu de ce qu'il accorde la faveur, à nous de vous contempler, et à vous de nous voir. S'il suffit de nous apercevoir les uns les autres dans cette chair mortelle, pour que « notre bouche pousse des cris de joie » et que « notre langue chante des cantiques d'allégresse (1) », quel sera le sentiment de notre bonheur, lorsque nous nous rencontrerons dans ce séjour où nous ne craindrons point de nous voir séparés. L'Apôtre a dit « Réjouissons-nous dans notre espérance (2) ». Par conséquent, l'objet de notre joie, nous ne le possédons encore qu'en espérance, et nullement en réalité. « L'espérance qui verrait ne serait plus de l'espérance; car comment espérer ce qu'on voit déjà? Si nous espérons
 
 

1. Ps. CXXV, 2. — 2. Rom. XII, 2.
 
 

ce que nous ne voyons pas encore, nous l'attendons par la patience (1) ». Si les voyageurs qui fournissent ensemble leur course se réjouissent de se trouver en compagnie les uns des autres, quel bonheur ils posséderont quand ils se verront tous réunis dans la patrie ! Les martyrs ont lutté pendant le cours de cette vie ; en luttant ils ont marché et ne se sont point arrêtés dans leur marche; ceux qui aiment Dieu s'avancent vers lui, et pour courir à lui, nous nous servons, non de nos jambes, mais de nos coeurs.

2. Le chemin que nous avons à parcourir exige que nous marchions; or, trois sortes de personnes lui sont insupportables: celles qui restent à la même place, celles qui reculent, celles qui suivent une fausse voie. Puisse
 
 

1. Rom. VIII, 24, 25.

(1) Prononcé par saint Augustin le XII des calendes de septembre, et où le saint docteur explique ces paroles de l'Apôtre : « Je parle humainement, à cause de la faiblesse de votre chair ». (Rom. VI, 19.)
 
 

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notre marche, avec le secours d'en haut, ne point se ressentir de l'un de ces trois défauts ! Puisse-t-elle ne point s'en trouver paralysée ! Quand deux hommes marchent, l'un va plus lentement et l'autre plus vite ; mais enfin, ils marchent tous les deux. Aussi faut-il exciter ceux qui restent en place, rappeler ceux qui retournent en arrière, ramener dans le bon chemin ceux qui l'ont perdu, ranimer ceux qui ne marchent pas assez vite, imiter les voyageurs agiles. Quiconque ne fait pas de progrès, s'arrête en route ; il retourne en arrière l'homme qui, négligeant d'accomplir ses bonnes résolutions, retombe dans les défauts dont il s'était précédemment débarrassé; enfin, on s'éloigne de la bonne voie dès qu'on s'écarte des vraies croyances.

3. Qui est-ce qui ne fait pas de progrès ? Celui qui se croit sage et dit : « Ce que je suis me suffit» ; celui qui ne fait pas attention à ces paroles de l'Apôtre : « Oubliant ce qui est derrière moi, et m'avançant vers ce qui est devant moi, je m'efforce d'atteindre le but,  pour remporter le prix auquel Dieu m'a appelé d'en haut par Jésus-Christ (1) ». A l'entendre, Paul courait, il suivait son chemin, sans s'arrêter, sans regarder derrière lui. Oh ! qu'il était loin de s'être trompé de route! N'indiquait-il pas, en effet, par ses leçons, la véritable voie? N'y marchait-il pas ? Ne la montrait-il point par son exemple ? Pour imprimer à notre course la rapidité de la sienne, il nous dit: « Imitez-moi comme j'imite Jésus-Christ (2) ». Nous supposons donc, nos très-chers frères, que nous suivons avec vous le même chemin. Si nous sommes lents à marcher, précédez-nous, nous n'en serons nullement jaloux; car nous cherchons qui nous pourrons suivre; mais si, à votre avis, notre course vers le but est rapide, courez avec nous. Le terme que nous avons hâte d'atteindre est le même pour nous tous, et pour ceux dont le pas est plus preste, et pour ceux dont la démarche est plus lente. L'Apôtre lui-même en convient : « Je n'ai qu'un but », dit-il; « oubliant ce qui est derrière moi, et m'avançant vers ce qui est devant moi, je m'efforce de l'atteindre pour a remporter le prix auquel Dieu m'a appelé d'en haut par Jésus-Christ ». Voici dans quel ordre doivent se trouver ces paroles : Il n'y a qu'un but, je ne poursuis que celui-là.
 
 

1. Philipp. III, 13, 14. — 2. I Cor. IV, 16.
 
 

Avant de s'exprimer ainsi, qu'avait-il dit « Moi, je ne pense pas être encore arrivé au but (1) ». Cet apôtre ne reste pas en place, et pourtant, il reconnaît n'être pas encore parvenu au but; il ne voyage point en pays étranger, il ne s'est pas écarté de sa route, il se réjouira au sein de la patrie. « Moi », dit-il; qui, moi? Moi, « qui ai travaillé plus que tous les autres ». Après avoir dit : « J'ai travaillé plus que tous les autres », il n'ajoute pas : « Moi, je ne pense pas être encore arrivé au but » ; mais il place à propos le mot « moi », quand il s'agit de s'humilier et non de se flatter. « Moi », dit-il, en ce qui me concerne, « je ne pense pas être encore arrivé « au but ». A la suite de ces paroles : « J'ai travaillé plus que les autres », viennent celles-ci : « Mais ce n'est pas moi, c'est la grâce de Dieu avec moi (2) ». La grâce de Dieu n'a-t-elle pas atteint le but? Paul a donc raison de dire ici : « Moi », car le propre de notre faiblesse est de ne pas atteindre le but; mais y parvenir, c'est l'effet de la grâce divine qui nous aide, et non celui de l'infirmité humaine.

4. Nous n'avons rien en propre que le péché ; impossible de trouver autre chose en nous; voilà une vérité incontestable, hors de doute; mais qui nous en montrera, qui nous en enseignera et nous en fera clairement voir l'évidence ? Il est une chose que notre piété doit savoir, que notre faiblesse doit avouer, que notre charité doit chercher à faire disparaître , « c'est que je n'ai pas encore atteint le but et que je ne suis point encore parvenu à la perfection ». A cela l'Apôtre ajoute : « Je ne pense pas être encore arrivé au but ». Pour nous exciter à marcher vite et à nous avancer vers ce qui est devant nous, il nous dit : « Que ceux d'entre nous qui sont parfaits, le comprennent ». D'abord il avait dit : « Non que j'aie encore atteint le but et que je sois déjà parfait »; puis il ajoute : « Que ceux d'entre nous qui sont parfaits, le comprennent (3)». Il y a donc perfection et perfection, et il y a un voyageur parfait. ,Avant d'être arrivé au terme final, on est un voyageur parfait quand on marche devant soi, quand on ne s'arrête pas , quand, enfin, on suit la bonne voie; mais quoi qu'on fasse, on n'est point encore arrivé au but, puisqu'on voyagé encore. Il faut bien le
 
 

1. Philipp. III, 13. — 2. I Cor. XV, 10. — 3. Philipp. III, 15.
 
 
 
 

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reconnaître, en effet; puisqu'on marche, et qu'on marche dans la voie, on va quelque part, on s'efforce de parvenir à un but quelconque. Où donc l'Apôtre essayait-il d'arriver? Il n'avait pas encore atteint le but; il exhorte les parfaits à reconnaître leur imperfection, car la perfection du voyageur consiste à savoir le chemin qu'il a déjà parcouru et celui qui lui reste à parcourir encore. Sachons-le donc; si parfaits que nous soyons, nous ne sommes pas encore arrivés à la perfection; cette pensée nous empêchera de demeurer imparfaits.

5. Que dire, mes frères? le martyr Quadrat est parfait, car y a-t-il rien de plus parfait que le carré? Tous ses côtés sont égaux, il se ressemble sur toutes ses faces; n'importe comment vous le tourniez, il pose solidement et ne tombe pas. O nom vraiment beau ! il indique une figure de géométrie et présage un événement à venir ! Quadrat s'appelait ainsi de prime abord, c'est-à-dire avant d'être couronné, avant de subir l'épreuve de la tentation qui devait faire de lui un carré; dès lors que, préalablement à ce qui devait avoir lieu plus tard, il portait ce nom-là, c'était le signe qu'il avait été prédestiné dès avant la constitution du monde; il a souffert pour que se vérifiât en lui l'annonce faite par son nom; et pourtant il marchait encore, et néanmoins il se trouvait toujours à suivre la voie, et tant qu'il était encore en ce monde, il y avait à craindre pour lui, ou de rester à la même place, ou de retourner en arrière, ou de quitter le bon chemin. Il a maintenant parcouru sa carrière, il a fourni sa course, il est solidement assis, il a été employé par l'architecte de l'arche du Seigneur, figure de la Jérusalem céleste, à la construction de laquelle ne devaient servir que des bois écarris. Maintenant, il n'a plus aucune épreuve à redouter; il a entendu la voix du Très-Haut; il l'a entendue, et s'est rendu à son appel; il a suivi son Sauveur, et il porte le Dieu qui habite la sainte cité ; il a méprisé les caresses du monde, triomphé de ses menaces, échappé à ses fureurs. Qu'elle est grande, mes frères, la gloire des martyrs ! elle prime dans l'Eglise ; quelles qu'elles soient, toutes. les autres ne viennent qu'après elle, car ce n'est pas sans raison qu'il a été dit à quelques-uns « Vous n'avez pas encore résisté jusqu'à répandre votre sang (1) ». Quand on est capable
 
 

1. Hébr. XII, 4.
 
 

de supporter et d'endurer les persécutions du monde, ne peut-on pas en mépriser les flatteries ?

6. Le même Apôtre a dit : « Je parle humainement à cause de la faiblesse de votre chair; comme vous avez fait servir vos corps à l'impureté et à l'injustice de l'iniquité, ainsi faites-les servir maintenant à la justice pour votre sanctification (1) ». Le conseil qu'il semble nous avoir donné par ces paroles, est d'une singulière importance; que chacun de nous se mesure sur elles ; et, pour cela, qu'on ne se tâte point d'une manière flatteuse; qu'on se pèse au juste et qu'on se dise la vérité comme on attend que je la dise. Qu'on se dise : J'ai le dessein de placer en public un miroir où chacun soit à même de se regarder. Je ne suis pas ce miroir; je rien ai pas le brillant pour refléter les traits de qui se regarde ; je ne parle pas, bien entendu, de ces traits qui se peignent sur le visage, mais de ceux de notre âme ; par mes paroles, je puis les amener à se faire représenter par la glace, mais il m'est impossible de les contempler. Voilà un miroir, je le mets devant vous ; que chacun s'y regarde et s'y compare à l'idéal tracé par l'Apôtre dans le passage que j'ai cité. Recevez-le de la main de Paul « Je parle humainement à cause de la faiblesse de votre chair. Comme vous avez fait servir vos corps à l'impureté et à l'injustice de l'iniquité, ainsi faites-les servir maintenant à la justice pour votre sanctification ». Qu'est-ce à dire : « Ainsi? » C'est une comparaison. Quand , de tes membres, tu faisais au péché des armes d'iniquité pour la corruption, te plaisait-elle ? Je te le demande, fais-y attention , réponds-moi. La corruption te plaisait-elle ? Ton silence me tient lieu de réponse; si l'impudicité ne t'offrait pas d'agréments, jamais tu ne t'y abandonnerais. Donc, « comme vous avez fait servir vos corps à l'impureté et à l'in« justice de l'iniquité ». Tu as trouvé du plaisir à agir ainsi ; que la justice t'offre enfin des attraits pareils ! N'agis point sous l'impression de la crainte, je ne le veux pas, te dit Dieu; la crainte était-elle le mobile de ta mauvaise conduite ? « Comme, ainsi ». Comme vous avez fait servir vos corps à l'impureté « et à l'injustice de l'iniquité, ainsi faites-les servir maintenant à la justice pour votre
 
 

1. Rom. VI, 19.
 
 

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Sanctification ». Il faut employer la terreur pour te faire pratiquer la justice, et l'amour te faisait courir après l'impureté ! Et pourtant, y a-t-il rien de plus beau que la sagesse? Je vous le demande : N'est-elle pas aussi digne que l'impureté, de posséder vos affections? Quand tu courais au vice impur, on voulait t'arrêter, et tu allais toujours; tu offensais ton père, n'importe, tu courais; tu aimais mieux être déshérité que te priver de tes honteux plaisirs. Que diras-tu à cela ? La justice exige de toi ce que tu as fait pour l'immoralité. Vous avez entendu ce passage de l'Evangile : « Je suis venu sur la terre pour t'apporter, non pas la paix, mais la guerre (1)». Le Sauveur a déclaré qu'il séparerait les enfants de leurs parents. Voici un exemple de cette guerre apportée par le Christ; remarque-le bien. Peut-être veux-tu servir Dieu et peut-être aussi ton père s'y oppose-t-il. Quand tu aimais le vice impur, ton père avait beau te le défendre, tu y courais malgré lui; aujourd'hui que tu aimes la justice, elle ne veut pas que tu deviennes l'esclave de l'impureté; elle tient donc, auprès de toi, la place de ton père, elle veut t'arrêter ; rends donc ta liberté complètement indépendante, comme tu as rendu indépendantes tes honteuses convoitises. Tu étais alors tout disposé, même à perdre ton héritage plutôt que de renoncer à tes passions dépravées ; sois maintenant disposé à perdre ton héritage, plutôt que de souiller en toi l'éclat de la justice. C'est un grand effort à t'imposer, mais il le faut. Y aurait-il un homme pour oser dire : On doit préférer l'impureté à la justice ?

7. Quoiqu'il en soit, la justice t'élève; il est positif, te dit-elle, que je ne ressemble nullement à l'impureté : grande est la différence qui se trouve entre ses ténèbres et mon lumineux éclat, entre son discrédit et l'honneur dont je suis en possession. Oui, encore une fois, il existe une énorme différence entre nous : j'y établis un degré de supériorité, ainsi le veux-je, car ma supériorité m'oblige et m'oblige à beaucoup; plus je m'éloigne du mal, plus impérieux deviennent mes devoirs. Néanmoins, je parle humainement, plus tard, je parlerai d'une manière divine. Pourquoi ne point parler ainsi dès maintenant ? « Je parle humainement à cause de la faiblesse
 
 

1. Matth. X, 34.
 
 

de votre chair » . Le motif qui dicte ma conduite, c'est que je veux être indulgent pour la faiblesse de votre chair ; par conséquent, « comme vous avez fait servir vos membres à l'impureté et à l'injustice de l'iniquité , ainsi ». A cette heure, vous êtes obligés à plus, mais je vous demande seulement de vous conduire de même manière : faites au moins cela, puis vous irez plus loin. En attendant, « je n vous « parle d'une façon humaine ». Agissez aujourd'hui comme vous l'avez fait autrefois. Est-ce à cela que Quadrat s'est borné? Oh ! non, évidemment ; il a fait davantage, et bien davantage. Portez votre attention sur le caractère et l'étendue de vos impuretés, et voyez ce qu'exigent de vous, en surplus, la piété, la charité, la justice parfaite et le bonheur que l'on goûte à devenir saint. Ce qu'ils exigent de vous en surplus, le voici remarquez-le bien.

8. Tout homme esclave du vice impur ne désire pas, à beaucoup près, que son inconduite vienne à la connaissance du public ; il a peur de se voir condamné, il redoute la prison, le juge, le bourreau. Pour porter atteinte à la pudeur d'une femme qui n'est pas la sienne, il trompe le mari de cette femme, il recherche les ténèbres, il serait au désespoir d'être aperçu n'importe par qui, la seule pensée du juge le fait trembler. La crainte du châtiment lui inspire la crainte d'être connu pour ce qu'il est. La perfection de la justice exige de toi bien plus que cela ; je vais t'en convaincre. L'Apôtre ne t'en parle pas encore dans ce passage : « Je parle humainement à cause de la faiblesse de votre chair ». Mais le Sauveur va le dire : « Ce que je vous dis dans les ténèbres », c'est-à-dire, en secret, « dites-le à la lumière, et ce que vous entendez à l'oreille, prêchez-le sur les toits (1) ». L'adultère va-t-il sur les toits prêcher son crime ? Non-seulement il ne monte pas sur un toit pour le prêcher, mais il se cache sous un toit pour le commettre. Pourquoi agit-il ainsi ? C'est que l'amour du vice honteux le pousse jusque-là ; il craint d'être découvert et puni. Quant aux amateurs de cette beauté invisible, de cet éclat dont il est question en ce passage : « Vous surpassez en beauté les plus beaux des enfants des hommes (2) » ; quant aux amateurs de cette beauté, pourquoi ne craignent-ils pas de prêcher sur les toits ce
 
 

1. Matth. X, 27. — 2. Ps. XLIV, 2.
 
 
 
 

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qu'on leur a dit à l'oreille ? Remarque, d'une part, le motif qui porte l'adultère à craindre d'être reconnu et puni, et, d'autre part, le motif qui inspire la confiance à l'amateur de l'invisible beauté. Le Sauveur lui-même te le fait connaître par la suite de son discours. En effet, après avoir dit: « Ce que je vous dis dans les ténèbres, dites-le à la lumière, et ce que vous entendez à l'oreille, prêchez-le sur les toits », il ajoute: « Ne craignez point ceux qui tuent le corps ». Par là, ce que vous entendez dans les ténèbres, vous le direz à la lumière, et ce qu'on vous dit à l'oreille, vous le prêcherez sur les toits. « Ne craignez pas ceux qui tuent le corps ». L'adultère peut et doit craindre ceux qui tuent le corps, car son corps une fois perdu, adieu la source de toutes les voluptés ! Oui, qu'il craigne de perdre son corps celui qui mène une vie toute matérielle, puisque le corps lui sert d'instrument pour satisfaire toutes ses convoitises. Pour un pareil homme, ce n'est pas assez d'avoir des passions ; il les attise, et à force d'en entretenir le feu dévorant, il arrive à la dégoûtante satisfaction de ses instincts brutaux.

9. Homme de Dieu, as-tu les yeux du coeur pour contempler la splendide beauté de la piété et de la charité ? Si tu les as, remarque bien ce qui peut te mettre en possession de ton âme : pour en jouir, tu n'as pas à te servir de tes membres corporels. Que l'amateur de sales voluptés craigne devoir mourir son corps. Mais « que la paix soit aux hommes de a bonne volonté sur la terre (1) ». O chrétien, que tu es encore loin de ressentir cet amour ! Si seulement tu parvenais à cet « humainement » de l'Apôtre ! si seulement tu trouvais du plaisir à faire le bien, comme tu en trouvais jadis à commettre l'iniquité ! Car, si lu éprouves du bonheur à bien faire, à croire au Christ, à jouir de son infinie sagesse en dépit de ta misérable insuffisance, à écouter et à pratiquer ses commandements, alors commence à se vérifier en toi cette parole de Paul « Je parle humainement à cause de ton infirmité » ; tu es entré en possession « du don parfait », mais tu n'es point encore parvenu à la perfection du carré. Comme je l'ai dit, tu as pris le dessus ; marche donc, car tu as encore du chemin à parcourir ; ne reste pas à la même place, car il te reste encore quelque
 
 

1. Luc, II, 13.
 
 

chose à faire ; ne crains rien : ne dérobe pas aux regards d'autrui tes bonnes couvres, comme si tu avais à craindre des critiques et des reproches. Que te dit le grand Apôtre ? Est-ce pour toi une honte d'être du ciel ? On te demande d'où tu viens, et tu as peur de répondre que tu viens de l'église ! Et tu as peur qu'on te dise : « Tu portes la barbe, et tu n'es pas honteux d'aller où vont les veuves et les vieilles femmes ! » N'écoute pas de pareilles gens. Tu trembles de dire : Je suis allé à l'église. Une insulte t'inspire la plus vive horreur ; comment donc supporteras-tu la persécution ? Mais, aujourd'hui, nous sommes en paix ; nul doute à cet égard. Ce devrait être aux hérétiques à rougir : ils sont en si petit nombre dans leur parti, et ils ne rougissent pas ! et les nombreux adhérents de la vraie foi baissent les yeux ! Où ceux-ci en sont-ils arrivés ? Où sont restés ceux-là ? Les premiers sont parvenus à la lumière de la paix, les seconds sont restés au milieu des ténèbres de la confusion. Vous ne rougissez pas de rougir de ce qui devrait faire votre gloire ! Les païens ne rougissent pas de choses honteuses, et vous rougissez de choses glorieuses ! Que sont donc devenues ces paroles dont on vous a fait la lecture : « Approchez-vous de lui, et vous serez éclairés, et la honte ne sera plus sur votre visage (1) ».

10. J'ai ainsi parlé, mes frères, car, je le sais et j'en gémis amèrement, on craint la langue de quelques païens qui ne persécutent pas, mais qui vomissent des insultes ; des hommes qui voudraient croire sont paralysés dans leurs désirs, puisqu'ils ne se rendent point aux exhortations des chrétiens. Que dire de plus ? Que dirai-je moi-même ? Tu vois qu'on fait tout pour empêcher le premier païen venu de se faire chrétien : et toi, qui es chrétien, tu gardes le silence ! L'essentiel, à tes yeux, est qu'on t'épargne, c'est-à-dire qu'on ne t'insulte pas ! Quand on détourne de la foi le païen, tu te dis en secret : Dieu soit loué ! on ne m'a rien dit. Tu prends la fuite, non de corps, mais en esprit ; tu restes en place et tu t'esquives ; tu crains d'entendre une méchante langue invectiver contre toi, et tu abandonnes à sa propre faiblesse un homme que tu devrais gagner au Christ ; tu ne lui viens pas en aide, tu gardes le silence ! Je le répète, tu prends la fuite, non de corps, mais en esprit.
 
 

1. Ps. XXXIII, 6.
 
 

529
 
 

Tu n'es qu'un mercenaire, puisqu'à la vue du loup tu te sauves.

11. Que dire de plus ? Nous avons, tout à l'heure , entendu la parole du Sauveur ; qu'elle nous remplisse d'épouvante, car si nous devons l'aimer, nous n'avons pas moins à le craindre. « Celui », dit-il, « qui aura  rougi de moi devant les hommes ». Remarquez à quel moment Jésus parlait ainsi ; c'était au moment où le monde, au lieu de croire, frémissait de rage contre la foi. « Celui a qui aura rougi de moi devant les hommes, je rougirai de lui devant mon Père qui est dans les cieux (1) » . « Mais celui qui m'aura confessé devant les hommes, je le confesserai aussi moi-même devant mon Père qui est aux cieux (2) ». Veux-tu que le Christ te renie ? Veux-tu qu'il te confesse ? Ah ! elles dureront longtemps les insultes que tu recevras, quand une fois le Christ aura déclaré ne pas te
 
 

1. Marc, VIII, 38. — 2. Luc, III, 8.
 
 

529
 
 

connaître. N'en doute pas, ce qu'il annonce se réalisera. Celui qui a fait tant de prophéties manquera-t-il à sa parole seulement en ce qui concerne le jour du jugement? Non. Que ses contempteurs conservent pour eux-mêmes leur mauvaise foi, ou plutôt, qu'ils s'en débarrassent. Présentez-vous à eux comme les modèles d'une foi courageuse ; n'allez pas leur donner l'exemple de gens que la crainte réduit au silence. S'ils rencontraient des chrétiens plus fermes, plus solides pour défendre les faibles, pour rendre librement témoignage de leur croyance, pour instruire prudemment les autres, pour les secourir charitablement, ils garderaient le silence, soyez en sûrs, car ils n'auraient plus rien à dire. Les accents de leur voix se perdraient dans le vide, car ils ne seraient plus que des cymbales retentissantes. Ce qui a cessé d'être dans leurs temples se trouve aujourd'hui sur leurs lèvres.
 
 
 
 

QUATRIÈME SERMON. POUR LA NAISSANCE DE JEAN-BAPTISTE.
 

ANALYSE. — Petit exorde. — 2. Apparition de l'ange et son allocution à Zacharie. — 3. Grossesse d'Elisabeth et son accouchement. — 4. Tressaillement de Jean dans le sein de sa mère. — 5. Parallèle entre l'enfantement de Marie et celui d'Elisabeth. — 6. Humilité de Jean. — 7. Martyre de Jean en faveur de la vérité, et son humilité jusque dans son martyre.
 
 
 
 

1. Frères bien-aimés, nous rendons grâces au Seigneur notre Dieu de ce que sa miséricordieuse bonté nous a procuré la faveur de contempler votre sainteté, et le bonheur dont notre mutuelle affection est la source. Celui, au nom duquel nous vous saluons, nous inspirera les paroles de notre discours, car c'est lui qui est l'auteur de notre salut. Pourrions-nous vous parler d'un autre ? N'est-ce point une nécessité de vous entretenir du Dieu qui vous adressait, tout à l'heure, la parole de l'Evangile ?

2. Un jour qu'il remplissait en son rang les fonctions du sacerdoce, Zacharie, grand-prêtre de Dieu, entra dans le Saint des saints, et le peuple le suivit dans le temple, afin de prier le Seigneur conjointement avec lui. Au moment où il était près du saint autel, et offrait dévotement à Dieu des présents, un ange du Tout-Puissant lui apparut à la droite de l'autel, pendant le cours de sa prière. A sa vue, Zacharie fut saisi de crainte, mais l'ange lui dit : « Ne crains rien, Zacharie, ta prière est exaucée : ta femme Elisabeth concevra et te donnera un fils, et tu lui donneras le nom de Jean. Et Zacharie répondit : Comment cela (530) pourra-t-il se faire pour moi? Je suis vieux, a et ma femme est stérile et avancée en âge (1) ». Un ange envoyé de Dieu annonce à Zacharie qu'Elisabeth lui donnera un fils ; mais le grand-prêtre sait qu'il est, comme sa femme, avancé en âge, et il doute de la réalité de l'événement. En même temps qu'il refuse de croire à la puissance de son âge, il nie le pouvoir de la souveraine majesté, oubliant que rien n'est impossible à Dieu. L'ange lui répond en ces termes : « Puisque tu n'as pas cru à ma parole, qui s'accomplira en son a temps, tu seras muet et tu ne pourras parler, jusqu'au jour où ces choses arriveront (2) » . Que devons-nous penser, mes très-chers frères ? Devons-nous croire que ce prêtre soit entré dans le Saint des saints avec l'intention de demander à Dieu un fils? Non. Où en est la preuve, me dira quelqu'un ? La voici en deux mots. Si Zacharie avait demandé un fils, il aurait évidemment cru à la parole de l'ange du Seigneur, qui venait le lui annoncer : or, quand cet esprit céleste lui dit qu'il lui naîtrait un fils, il refusa d'ajouter foi à cette nouvelle. Quand on prie, n'espère-t-on pas ? Celui qui espère ne croit-il pas au résultat final ? Si tu n'as aucun espoir, pourquoi pries-tu ? et si tu espères, pourquoi ne pas croire ?

3. Néanmoins, Elisabeth portait dans son sein l'enfant qu'elle avait conçu : le sentiment de honte pudique que lui inspirait sa grossesse l'empêchait de se montrer en public; car elle rougissait de son état. Ce sentiment lui rappelait le souvenir de son âge avancé : au temps de sa vieillesse, elle produisait le fruit de la jeunesse : elle n'avait pas enfanté à l'époque où elle aurait désiré le faire et, maintenant qu'elle n'y aspirait plus, elle mettait au monde un enfant. Stérile pendant sa jeunesse; elle allaita quand elle eut vieilli. Ce ne fut point chez elle l'effet d'une affection réciproque et charnelle, mais le résultat de la promesse faite par la Toute. Puissance divine ; car Zacharie ne croyait pas qu'il pût lui naître un fils, et, d'autre part, Dieu se préparait à envoyer un Prophète. C'est donc par l'esprit de l'homme, mais aussi par l'ordre de Dieu, que Jean est venu au monde: le Prophète est né, mais non sans inspirer une secrète envie à son père, à ce père dont l'incrédulité paralysa la langue.
 
 

1. Luc, I, 8-18. — 2. Ibid. 19-20.
 
 

Pour n'avoir pas cru au commandement de Dieu, il vit sa langue condamnée au silence.

4. L'enfant tressaillit dans le sein de sa mère, et, du fond des entrailles maternelles, il prophétisa. « D'où me vient que la Mère de mon Seigneur s'approche de moi  (1)? » Mes frères, quelle profonde humilité chez la Mère du Sauveur ! Elle s'approche de la mère du Précurseur ! Jean salue le Christ, et pourtant ni l'un ni l'autre ne se montrent aux yeux. En effet, le Christ ne résidait-il pas dans le sein de Marie, et Jean dans celui d'Elisabeth ? Enfin, une voix prophétique, venue de la personne du Christ, a dit de Jean . «  Avant de t'avoir formé dans les entrailles de ta mère, je t'ai connu ; avant que tu fusses sorti de son sein, je t'ai sanctifié, je t'ai établi prophète parmi les nations (2) ». Qu'elles sont heureuses, les mères de tels personnages, puisqu'elles ont mis au monde, l'une un saint, et l'autre son Seigneur ! Elles seront toujours heureuses, puisqu'elles ont mérité d'être appelées les mères de si grands personnages.

5. Examinons attentivement la naissance de l'un et de l'autre, et nous remarquerons le caractère distinctif de chacun de ces admirables enfantements. Jean est né d'une femme stérile, et le Christ d'une vierge. Chez Elisabeth, la stérilité est devenue féconde en Marie, la fécondité a laissé intacte la virginité. La femme stérile a engendré le héraut, la vierge a enfanté le Juge. Elisabeth a mis au monde Jean, le baptiseur, Marie a donné le jour à Jésus-Christ, le Sauveur. De Jésus-Christ et de Jean, l'un est Seigneur et l'autre est esclave ; en celui-ci l'humilité, en celui-là la grandeur; d'un côté, un Dieu humble dans sa grandeur; de. l'autre, un homme humble dans sa faiblesse; ici, un Dieu humilié à cause de l'homme ; là, un homme plongé dans la bassesse à cause de l'infirmité de sa propre nature. De fait, bien s'est anéanti pour faire du bien à l'homme, et l'homme s'est abaissé pour ne pas se faire de mal à lui-même.

6. Que le serviteur reconnaisse son état d'humiliation, et que le Tout-Puissant manifeste sa grandeur. Que le même Jean profère ces paroles : « Je ne suis pas digne de dénouer le cordon de ses souliers (3) ». S'il avait dit : Je suis digne, il se serait déjà profondément humilié; car à dire: Je suis digne,
 
 

1. Luc, 1, 43. — 2. Jérém. I , 5. — 3 Luc, III, 16.
 
 

531
 
 

qu'aurait-il gagné? Aurait-ce été pour lui un titre pour s'asseoir à l'heure du jugement à la droite du Père? Aurait-il été en droit de venir alors juger les vivants et les morts? Mais que dit-il ? «  Il faut qu'il croisse, et moi, que je diminue (1) ». « Celui qui vient après moi a été fait avant moi (2) ». « Je ne suis pas a digne de délier les cordons de ses souliers (3) ». Profonde humilité ! Ah, voilà bien le digne ami de l'Époux ! Ne devait-il pas effectivement se déclarer l'ami de l'Époux? A l'entendre parler, un imprudent supposera peut-être qu'ici ami veut dire égal ; mais non : car Jean ne se dit l'ami de l'Époux qu'en raison de son affection pour lui, et la crainte le porte à se prosterner à ses pieds.

7. II nous est facile de voir, dans la différence de leur dernier supplice, le sens de ces paroles : a Il faut qu'il croisse, et moi, que je a diminue n. Nous lisons que Jean a souffert, qu'il a enduré le martyre pour soutenir la vérité, et non à cause du Christ. Non, il n'est pas mort à cause du Christ; non, il n'a point subi la peine de la décollation, pour avoir
 
 

1. Jean, III, 30. — 2. Id. I, 15. — 3. Luc, III, 16.
 
 

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confessé le nom du Sauveur ou s'être refusé à le renier : s'il a terminé sa vie au milieu des souffrances, c'est qu'il a rappelé Hérode au respect de la tempérance et de la justice ; c'est qu'il a dit à ce prince : « Il ne t'est point a permis d'épouser la femme de ton frère (1) ». Bien qu'il ne soit pas mort à cause du Christ, il a cependant perdu la vie pour soutenir la vérité de la loi, parce que la vérité n'est autre que le Christ. Voici donc le langage tenu par les deux genres de mort qu'ont subis Jésus et le Précurseur : « Il faut qu'il croisse, et moi, que je diminue (2) ». L'un à été élevé sur la croix, l'autre a eu la tête coupée. Celui-ci a été raccourci par le glaive, celui-là s'est allongé sur le bois de la croix : voilà ce que disent leurs morts différentes. Nous trouvons dans les jours eux-mêmes l'explication du mystère qui nous occupe; car les jours grandissent au moment de la naissance de Jésus, et ils diminuent à la nativité de Jean. Que la gloire de l'homme diminue donc, et que celle de Dieu s'accroisse, afin que la gloire de l'homme tourne à celle de Dieu.
 
 

1. Marc, VI, 18. — 2. Jean, III, 30.
 
 

CINQUIEME SERMON. POUR LA NAISSANCE DE JEAN-BAPTISTE.
 

ANALYSE. — 1. Jean, voix du Seigneur dans le désert. — 2. Voix qui prêche vigoureusement la préparation des sentiers de Dieu. — 3. Condamné au mutisme en raison de son incrédulité, Zacharie recouvre l'usage de la parole à la naissance de la voix. — 4. Mystère de la synagogue et de l'Église.
 
 

1. « Voix du Seigneur pleine de force, voix du Seigneur pleine de gloire (1) ». La voix du Seigneur, qui brise les cèdres de la sagesse humaine, s'est échappée des entrailles rétrécies d'une vieille femme, d'un sein brûlé par le mal de la stérilité : elle a retenti aujourd'hui dans le désert, pour vibrer avec force jusque dans les âges les plus reculés ; aussi, le monde atteint de surdité, et la terre gangrenée parla corruption, ont-ils entendu ses sons harmonieux ;
 
 

1. Ps. XXVIII, 4.
 
 

aussi se sont-ils laissés éveiller par ses échos puissants. Cette voix n'est autre que Jean, dont le Prophète a dit par avance : « C'est la voix de celui qui crie dans le désert (1) ». Oh ! quel immense désert que ce monde ! Pour ceux qui le parcourent, quelle solitude partout semée de dangers effrayants ! En effet, la terre des Hébreux, nul patriarche, aucun Prophète ne la foulait plus aux pieds. Le Juif, tout prêt à faire le mal, se tenait en
 
 

1. Isaïe, XL, 3.
 
 
 
 

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observation dans des gorges étroites, sur des chemins ensanglantés, où il avait maintes fois surpris les voyageurs qui marchaient à la recherche de la vérité. N'ayant jamais eu ni le Christ pour roi, ni le Verbe pour habitant, le monde des Gentils se trouvait en entier rempli de bois stériles et de pierres rocailleuses, car autres n'étaient pas ses dieux. Une forêt de vices l'enveloppait de toutes parts; ses crimes, toujours et partout croissants, formaient autour de lui comme une ceinture de rochers ; couverte des aspérités et des épines de la corruption, la terre faisait mal à voir ; jamais la faux de la loi n'y avait passé ; jamais la charrue du céleste agriculteur n'y avait tracé de droits sillons ; aucune main laborieuse n'y avait jeté la semence de la grâce de Jésus Sauveur, et d'elle on pouvait dire ce qu'avait dit autrefois le Psalmiste

« C'est une terre déserte, sans chemins et sans eaux (1) ». Avant le Christ, il n'y avait en effet, parmi les Gentils, ni sources ni voies; car les hommes y étaient en proie à la fausseté, à l'erreur; ils s'y voyaient sans cesse confondus au milieu d'une foule d'opinions toujours incertaines, toujours changeantes ; nulle pluie bienfaisante ne venait éteindre, par ses ondées, l'ardent brasier des crimes publics.

2. Une voix, piquante comme un buisson d'épines, retentit donc en ce désert habité par les Juifs et les Gentils : le héraut du Juge qui allait paraître se présenta, annonçant le Sauveur à l'exemple duquel il devait lui-même mourir, et exhortant les hommes à suivre désormais une règle de vie plus sévère et plus pure. « Préparez la voie du Seigneur », dit-il, « rendez droits ses sentiers : toutes les vallées seront remplies , toutes les montagnes et toutes les collines seront abaissées (2) ». C'est-à-dire : tout homme humble sera exalté, et tout orgueilleux sera brisé; car « quiconque s'élève sera humilié, et quiconque s'humilie sera exalté (3) ». « Et les sentiers tortueux seront redressés, et les chemins montueux seront aplanis (4 )». En d'autres termes : Tout ce qu'il peut y avoir d'anfractueux et de glissant dans les erreurs semées par le cauteleux serpent, tout ce qu'une nature couverte d'aspérités peut cacher sous sa dure et inégale enveloppe, se verra parfaitement nivelé dans la surface unie d'une voie où l'on ne rencontrera
 
 

1.  Ps. LXII, 3. — 2. Luc, III, 4, 5. — 3. Id. XIV, 11. — 4. Id. III, 5.
 
 

ni pierres ni détours, et d'un sentier où le pied du voyageur se posera sans crainte. « Préparez la voie du Seigneur, rendez droits ses sentiers (1) ». Déjà Marie avait conçu du Saint-Esprit ; déjà la Vierge avait grossi, sans avoir néanmoins connu le contact de l'homme, sans que sa pureté eût subi la moindre atteinte ; déjà le char des évangélistes, conduit par tout le monde, suivait la route du siècle qui tombait sous le poids du Dieu dont il était rempli, et ce char faisait entendre les louanges du Christ. La voix précédait le juge, la trompette annonçait le roi, pour attirer le monde, pour fixer l'attention du genre humain tout entier et ouvrir, par ses sons terrifiants et ses graves modulations, les oreilles assourdies des hommes.

3. Comme prêtre, Zacharie se tenait donc près de l'autel : comme père, il refusa de croire à la parole de l'ange qui lui. annonçait le héraut du Christ, et aussitôt il fut condamné à se taire. La voix naturelle apprit à connaître le silence, et la vieille langue des Juifs ne se fit plus entendre. Après avoir offert son sacrifice, le prêtre Zacharie revint frappé de mutisme, parce que le véritable Prêtre allait bientôt venir au monde. Chez lui, l'organe de la parole s'endormit dans son lit; la voix se dessécha, coupée qu'elle était dans sa racine, et, paralysée dans ses inutiles efforts, elle expira : de sa bouche ouverte ne s'échappait aucun son, car la parole, se trouvant interceptée à son passage et retenue dans le noir cachot de sa source, prête à s'épancher, s'éteignait avant de naître. La voix naquit avant le Verbe. Aussi la Judée perdit-elle la parole des pères, et la force de faire entendre une voix nouvelle devint-elle l'apanage du fils, puisque Jean devait se mettre au service du Christ. Pour le père incrédule, qui n'avait point voulu ajouter foi aux prédictions venues d'en haut par l'intermédiaire de Gabriel, sa voix s'était trouvée emprisonnée dans la vaste profondeur de son gosier, et retenue captive dans la ténébreuse solitude de ses entrailles ; mais dès que la mère du Précurseur eut brisé les liens de la nature, dénoué les inextricables noeuds qui tenaient son sein fermé, donné la vie à la voix, Zacharie recouvra la parole. Au moment où cette femme âgée et stérile mettait au monde d'une manière toute nouvelle, la langue du père se
 
 

1. Luc, III, 4.
 
 

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déliait. O l'admirable changement des choses et de la nature ! Un reste de chaleur ranime des entrailles que l'âge avait déjà privées de la vie : ici une langue se dessèche, là, une voix est engendrée. A peine cette voix engendrée vient-elle au monde, que se brisent les liens qui retenaient la langue captive.

4. Revenons à notre mystère. Dans les premiers temps, l'Eglise était donc stérile, puisque c'est d'elle qu'il est écrit : « Réjouis-toi, stérile qui n'enfantes pas. Chante des cantiques de louanges, jette des cris de joie, toi qui n'avais pas d'enfants : l'épouse abandonnée est devenue plus féconde que celle qui a un époux (1) ». Remplie du don divin, elle a enfanté l'Esprit du salut, car il est dit dans nos saints Livres : « Parce que nous
 
 

1. Isaïe, LIV, 1.
 
 
 
 

avons craint, nous avons conçu et enfanté l'Esprit du salut (1) ». Alors, la langue qui avait engendré se tut, c'est-à-dire, le langage prophétique de la synagogue cessa de se faire entendre. C'est pourquoi le Juif, que l'incrédulité avait rendu muet, a donné naissance à une voix qui conduit au Verbe; ainsi peut reconnaître, dans son fruit, la vraie foi, celui qui s'est refusé à reconnaître la promesse, à lui faite, du Dieu Sauveur. Qu'à partir de là les jours deviennent plus courts et les nuits plus grandes. Que Dieu s'humilie en s'incarnant, et que, du haut de sa croix, il reçoive dans ses bras les Juifs aveugles. Il est nécessaire que le jour reparaisse et s'épanouisse de nouveau à la lumière, et que la nuit vaincue reste plongée dans ses ténèbres.
 
 

1. Isaïe, XXVI,18.
 
 
 
 

SIXIÈME SERMON. POUR LA NATIVITÉ DE SAINT JEAN-BAPTISTE: III.
 

ANALYSE. — 1. Pourquoi ne célèbre-t-on pas la naissance des Patriarches et des Prophètes ? — 2. Jean, que les chrétiens honorent, est la fin de l'ancienne loi et le commencement de la loi nouvelle. — 3. Le peuple des Gentils est un désert où les saints ont fleuri, pareils à des lis. — 4. L'Eglise a commencé par la parole de Dieu placée dans la bouche de Jean, le prédicateur de la pénitence. — 5. Exhortation pour faire embrasser la pratique de la pénitence.
 
 

1. L'Eglise du Christ entoure d'une sainte vénération la mémoire des Patriarches, des Prophètes, et, en général, de tous les saints qui ont vécu sous l'ancienne loi : il convient donc, mes bien-aimés, que vous sachiez pourquoi le peuple chrétien ne célèbre que la fête d'un seul prophète, de Jean-Baptiste. En effet, n'est-il pas évident que beaucoup de prophètes ont souffert et subi le dernier supplice pour la gloire du nom de Dieu? Le Sauveur lui-même, parlant par l'organe d'Etienne, n'a-t-il pas adressé aux Juifs ce sanglant reproche : « Où est le prophète que n'ont point persécuté vos pères (1) ? » Nous l'avouons
 
 

1. Act. VII, 52.
 
 

donc : du temps de l'ancienne loi, les saints de Dieu ont aussi enduré la persécution et le martyre; pourquoi, alors, l'Eglise du Christ ne solennise-t-elle pas le jour où sont nés des hommes dont elle reconnaît et admire les suprêmes souffrances ? En voici le motif, mes très-chers frères : les peuples persécuteurs n'ont pas voulu vouer au culte et au souvenir de la postérité les jours où ils ont torturé et fait mourir les Prophètes, parce qu'ils craignaient de perpétuer, parmi les personnes religieuses, le mépris et l'horreur de leur propre crime, en même temps que le respect pour la courageuse conduite des saints : en oblitérant les jours illustrés par les martyrs; (534) ils ont donc empêché la mémoire de la nativité des saints de durer` toujours, afin que celle de leurs propres méfaits ne se conservât pas éternellement. Néanmoins, la précaution qu'ils ont prise est devenue inutile. A quoi leur sert, en effet, que nous ignorions le jour où les saints personnages ont souffert, puisque nous les reconnaissons pour des martyrs? Ils n'ont, par conséquent, réussi à rien. Impossible à nous de savoir quel jour sont nés les saints qui ont souffert pour Jésus-Christ; mais, tous les jours, ne rendons-nous pas hommage aux Prophètes qui ont versé leur sang pour défendre la cause de Dieu? Ainsi le léger dommage causé à leur mémoire se trouve-t-il largement compensé, puisque, au lieu d'un jour dérobé à leur souvenir par l'oubli, on leur consacre tous les jours par les honneurs qu'on leur rend.

2. Les choses étant ainsi, pourquoi les fidèles n'ont-ils pas subi l'effet de la haine ou de la négligence des Juifs, à l'égard de saint Jean? Pourquoi ne se souviennent-ils que de la nativité de lui seul? Le voici. Au moment du martyre et de la mort du bienheureux Jean, le peuple chrétien était déjà formé, et si l'impiété des Juifs a négligé la culte de ce témoin du Sauveur, la piété des chrétiens l'a consacré. En effet, bien que le Christ l'ait envoyé sous l'empire de l'ancienne loi, il l'a fait connaître plutôt comme sort propre témoin que comme un prophète des Juifs ; la raison en est facile à saisir: c'est que, en prêchant la foi chrétienne, il a vraiment confessé celui qu'il avait précédé en qualité de précurseur. C'est que, en commençant de prime abord à faire connaître la doctrine évangélique, il a, en réalité, souffert le martyre pour la cause de celui dont il avait annoncé la venue. Nos livres saints font, à juste titre, courir le temps de la loi et des Prophètes jusqu'à celui de Jean-Baptiste; car en lui s'est terminé le règne de l'ancienne loi, comme en lui a commencé le règne de la prédication nouvelle. Voulez-vous saisir plus parfaitement encore ma pensée? Eh bien ! remarquez-le.: l'Evangéliste, dont on vous a lu tout à l'heure les écrits, fait partir son récit de l'époque où le bienheureux saint Jean a commencé à prêcher. Quel motif singulièrement plausible pour faire aller jusqu'à Jean le règne de la loi? C'est à bon droit qu'on le reconnaît comme ayant mis fin à la loi ancienne, puisqu'il a établi, le premier, le règne de l'Evangile. Et non-seulement cela, car qu'est-ce qu'ajoute l'Evangéliste ? « Jean était dans le désert, baptisant et prêchant (1) ».

3. Ce que, au rapport de l'Ecriture, saint Jean a prêché dans le désert, vous le savez tous parfaitement, bien-aimés frères. Par désert, par lieu caché, on entend le peuple Gentil, qui, on ne saurait le révoquer en doute, était encore à cette époque plongé dans la solitude, marchant loin de Dieu en de fausses voies, et vivant à l a manière des brutes et des animaux sauvages. Jean y fut donc envoyé pour prêcher le Verbe de Dieu et annoncer la foi du Christ; aussi abandonna-t-il les villes des Juifs, selon cette parole de l'Ecriture : « Le désert se réjouira et fleurira comme un lis (2) ». Comme nous l'avons dit, mes chers frères, le désert est l'emblème des Gentils, et les lis, celui des hommes saints et agréables au Très-Haut. Voilà pourquoi le Prophète a dit : « Le désert se réjouira et fleurira comme un lis ». Cette comparaison, faite par l'Ecriture, des saints avec les lis, est très juste, puisque leur persévérance dans le bien leur en donne la blancheur et la suavité. Les saints n'ont-ils pas, en effet, mes bien-aimés, la blancheur la plus éclatante? Ne répandent-ils pas autour d'eux un parfum d'agréable odeur? La vivacité de leur éclat vient de leur pureté, et l'odeur qu'ils répandent a pour principe leur suavité; car l'Apôtre l'a dit : « Nous sommes devant Dieu la bonne odeur de Jésus-Christ (3) ». Plantés par la main des Prophètes et des Apôtres dans le désert, c'est-à-dire dans l'Eglise, unis ensemble par les liens de la paix et d'une charité mutuelle, les lis ont servi à tresser au Christ une couronne toute blanche, suivant ce passage où l'Apôtre dit aux saints qu'ils sont sa couronne : « Mes frères, ma joie et ma couronne, maintenez-vous fermes dans le Seigneur (4) ».

4. « Jean fut donc prêchant dans le désert ». Oui, et c'est ce que dit, en d'autres termes, un autre Evangéliste : « La parole du Seigneur se fit entendre sur Jean, fils de Zacharie, dans le désert (5) » . Pour nous faire toucher du doigt le berceau de l'Eglise naissante, et bien qu'il eût dit que Jean prêchait près du Jourdain, l'Ecrivain sacré nous a fait connaître avec
 
 

1. Marc, I, 4. — 2. Isaïe, XXXV, 1. — 3. II Cor. II, 15. —  4. Philipp. IV,1.— 5. Luc, III, 2.
 
 

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 raison que le Verbe divin était venu inspirer le prédicateur : de là, il nous est facile de conclure que l'Eglise a eu pour fondateur, non pas tant un homme, que la Divinité même : « La parole du Seigneur se fit entendre sur Jean ». Si, alors, Jean a prêché, la source de sa prédication n'a été autre que le Verbe : c'est la preuve que l'Eglise a eu pour fondement le Verbe divin et la foi chrétienne. « Jean fut donc prêchant le baptême de la pénitence ». Ici, mes bien-aimés, se montre plus clairement et d'une manière plus parfaite l'emblème de l'Eglise. « Jean prêchait le baptême de la pénitence, et il baptisait ceux qui confessaient leurs péchés ». Tout ceci, très-chers frères, se passait visiblement parmi les Juifs, et semblait n'avoir lieu que pour eux : néanmoins, ce n'était que la figure de ce qui devait s'accomplir réellement dans l'Eglise. Quels sont, en effet, les vrais pénitents? Ce sont les seuls enfants de l'Eglise, les chrétiens qui se sont éloignés de la voie de l'erreur. A ton avis, la pénitence a-t-elle été profitable pour les Juifs? Mais non; car, loin de se repentir de leurs fautes passées, ils en comblent encore chaque jour la mesure. De bonne foi, font-ils pénitence de leurs péchés, les hommes qui persécutent aujourd'hui le Christ? Donc « il baptisait ceux qui confessaient leurs péchés ». Alors le peuple juif recevait le baptême, mais alors aussi se purifiait le terrain de l'Eglise.

5. II est donc facile de le voir, mes bien-aimés : tout ceci s'applique exclusivement aux chrétiens et aux saints qui confessent leurs péchés au moment où ils reçoivent le baptême, et qui, après l'avoir reçu, mettent tous leurs soins à se corriger : aux hommes qui travaillent à faire pénitence, et dont toute l'existence est une continuelle confession, parce que, se purifiant sans cesse, ils se plongent tous les jours dans le bain du baptême. Agissez de même, je vous y exhorte et vous en conjure : c'est comme votre chef que je vous prie de le faire, c'est dans le sentiment d'une affection toute paternelle que je voudrais vous y décider.
 
 

SEPTIÈME SERMON. POUR LA NATIVITÉ DE SAINT JEAN-BAPTISTE. IV.
 

ANALYSE. — 1. Superstitions en usage à la nativité de saint Jean-Baptiste. — 2. La conception du Christ et celle de Jean ont lieu au temps de l'équinoxe, et leur naissance à l'époque du solstice. — 3. Invitation aux païens de recevoir le baptême. — 4. Et aux chrétiens de célébrer l'anniversaire de leur régénération.
 
 

1. Jusqu'ici, des erreurs d'une antiquité suspecte ont cru devoir singer la religion venue de Dieu, établir des usages presque pareils aux siens, la déshonorer d'une manière raisonnée, j'ajouterai même, protéger la vérité à l'aide de mensonges qui en ont l'apparence. En effet, comme la nuit succède au jour, et qu'à son tour le jour, empiétant sur la nuit, la chasse et la fait disparaître entièrement; ainsi l'erreur, pareille aux profondes ténèbres qui accompagnent les astres de la nuit, prend la place de la vérité dont l'éclat s'est peu à peu affaibli, pour envelopper l'esprit humain de ses ombres épaisses. Mais quand le flambeau de la raison a repris le dessus, la vérité chasse l'erreur devant elle. Ainsi en est-il ici, et surtout au jour anniversaire de la naissance de Jean-Baptiste ; ce jour se trouve, en effet, souillé par la pratique de telles erreurs , une crédulité si (536) païenne et si ridicule le déshonore, que l'eau des étangs et des fleuves eux-mêmes a besoin d'être purifiée par l'eau toute pure du saint baptême. O renommée, quel appoint tu as apporté à la foi ! Tu as couru, comme une inconnue, dans le monde, et tu as fait connaître aux nations le jour où saint Jean-Baptiste a reçu la vie, et tu l'as fait célébrer par ceux-là mêmes qui n'étaient pas encore chrétiens! Que te dirai-je, ô renommée? Je n'en sais rien ; car tu forces l'apparence de la vérité à rendre témoignage à la vérité même. De fait, au point du jour, quand le soleil ne s'est pas encore montré à l'Orient, nous voyons les jeunes gens revenir de la fontaine après s'être baignés; nous voyons des mères superstitieuses, la tête voilée et les bras tendus, rapporter leurs enfants plongés dans l'eau. Catéchumènes, est-ce ainsi que vous profanez ce qui est saint ! Chrétiens fidèles, est-ce ainsi que vous tombez dans l'erreur ! Passe pour les païens, car ils ne sont pas instruits; mais vous, chrétiens, vous qui connaissez parfaitement votre devoir, je ne puis vous pardonner. Les païens contrefont ce qu'ils ne savent pas; mais vous, vous profanez l'objet de votre culte. Voici ce que dit l'Apôtre Paul : « Lorsque les Gentils, qui n'ont point de loi, font naturellement les choses que la loi commande, n'ayant point de loi, ils sont à eux-mêmes la loi, et ils font voir que ce que la loi ordonne est écrit dans leur coeur, par le témoignage que leur rend leur propre conscience (1) ». Quant au peuple chrétien, il le reprend ainsi de ses erreurs : « Toi qui as en horreur les idoles, tu fais des sacrifices; toi qui te glorifies d'avoir la loi, tu déshonores Dieu par la violation de la loi; car vous êtes cause que le nom de Dieu est blasphémé parmi les Gentils (2) ».

2. Mais afin de mieux vous instruire sur la naissance, en ce jour, de Jean-Baptiste, il me faut vous dire un mot sur le partage et la durée des saisons. Tous les ans, il y a deux solstices, séparés, à égale distance l'un de l'autre, par deux équinoxes: l'un de ces deux solstices a lieu aujourd'hui, l'autre au huit des calendes de janvier; quant aux équinoxes, la première tombe le huit des calendes d'octobre, et la seconde le huit des calendes d'avril; l'année se trouvant ainsi divisée en quatre parties égales, nous disons que Jean et Notre-Seigneur Jésus-Christ ont été conçus,
 
 

1. Rom. II, 14, 15. — 2. Ibid. 22, 24.
 
 

l'un au moment d'une équinoxe, l'autre à l'époque de la seconde. En effet, puisque Jean est né à pareil jour, il doit avoir été conçu le huit des calendes d'octobre ; pour le Christ, Fils de Dieu, et afin que sa naissance eût lieu régulièrement au huit des calendes de janvier, sa conception s'est faite le huit des calendes d'avril, par l'union du Verbe avec la nature humaine. Le temps de leur naissance s'est ainsi trouvé d'accord avec tes mérites de chacun d'eux, car Jean est venu au monde à l'époque où les jours commencent à décroître, et le Christ, Fils de Dieu, au moment où ils commencent à devenir plus grands : d'accord, en cela, avec les paroles du précurseur : « Il faut qu'il croisse, et moi que je diminue (1) ». C'est avec raison que Jean a comparé le Christ au jour, car David l'avait déjà désigné sous cet emblème en écrivant l'un de ses psaumes « C'est ici le jour que le Seigneur a fait; réjouissons-nous en lui et tressaillons d'allégresse (2) ». Le jour dont le saint roi fait ici mention n'est autre que le Christ, qui est né et qui, après avoir été mis à mort, est sorti vivant de son tombeau.

3. Sages vulgaires, écoutez ceci . Si vous avez une autre manière de vous rendre compte de saisons, acceptez, du moins, la manière dont nous rendons compte de notre foi. Aujourd'hui, nous célébrons la naissance de Jean-Baptiste, et vous, vous vous extasiez de voir le soleil arrêté dans sa course par les lois de l'équilibre; que si, au contraire, aucune manière de calculer les époques ne s'accorde avec votre raison, si aucune religion ne cadre avec vos sentiments religieux, eh bien ! écoutez-moi encore, vous qui, au moment de l'aurore, plongez vos corps dans l'eau des rivières, pour les purifier. N'agissez point ainsi pour aboutir à l'inutilité; ne singez pas ce que vous ignorez; mais, si vous avez tant soit peu de confiance en ces sortes de bains, demandez à l'Eglise qu'elle répande sur vous son eau sainte, renoncez à vos erreurs, embrassez la vérité.

4. Pour vous, chrétiens, considérez ce jour comme l'anniversaire, non-seulement de la naissance de Jean-Baptiste, mais aussi de l'origine du baptême ; car si Jean est né à pareil jour, il a aussi baptisé le Christ: puisqu'il a donné le baptême, il était donc bien grand, mais plus grand encore était celui qui
 
 

1. Jean, III, 30. — 2. Ps. CXVII, 24.
 
 

l'a reçu. Enfin, remarquez bien l'humilité de celui qui le donnait, afin de pouvoir reconnaître la vérité de celui qui le recevait; car voici ce que Jean disait: « Celui qui vient après moi est au-dessus de moi, et je ne suis pas digne de délier les courroies de sa chaussure. Moi, je vous baptise dans l'eau, mais lui vous baptisera dans l'Esprit-Saint (1)». Après que le Christ fut venu auprès de Jean, celui-ci parla ainsi : « Voici l'Agneau de Dieu, qui efface les péchés du monde. C'est lui dont je disais: Après moi, vient un homme qui est au-dessus de moi, car il est plus ancien que moi (2) ». Et quand Jésus fut arrivé près du Jourdain, où Jean devait le baptiser, celui-ci s'écria : « C'est moi qui dois être baptisé par vous, et vous venez à moi ! Et Jésus lui répondit : Fais maintenant ce que je te
 
 

1. Luc, III, 16.— 2. Jean, I, 29, 30.
 
 

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dis, car il nous faut accomplir toute justice (1) ». Alors Jean fit descendre Jésus dans l'eau, « et aussitôt qu'il fut baptisé, Jésus sortit de l'eau, et les cieux lui furent ouverts, et il vit l'Esprit de Dieu descendant comme une colombe et venant sur lui, et tout à coup une voix vint du ciel: Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j'ai mis toutes mes complaisances (2)». Ce jour est donc l'anniversaire de la naissance de Jean, qui a donné le saint baptême, et, à coup sûr, il est juste que tous les chrétiens honorent un pareil jour. Tenez ferme, mes frères, à cet article de nos croyances, et, pour ne jamais douter en quoi que ce soit, restez soumis à la foi chrétienne. Que le Dieu unique en trois personnes, qui vit et règne dans les siècles des siècles, daigne vous en faire la grâce ! Ainsi soit-il.
 
 

1. Matth. III, 14, 15. — 2. Ibid. 16,17.

HUITIÈME SERMON. POUR LA FÊTE DES SAINTS APOTRES PIERRE ET PAUL. I.
 

ANALYSE. — 1. Foi de Pierre. — 2. Pierre et Paul, le premier et le dernier des Apôtres, sont couronnés le même jour. — 3. Leurs corps sont à Rome, mais leur nom se rencontre partout.
 
 

1. Mes frères bien-aimés, écoutons le pêcheur devenu prince des Apôtres : par la réponse que sa foi lui a dictée, il a mérité de devenir le portier du royaume des cieux ; il a reçu le pouvoir de lier et de délier, parce qu'en dépit des apparences il a reconnu en Jésus la grandeur divine. En tant qu'homme, le Seigneur Christ interroge ses disciples ; il leur demande quelle opinion le vulgaire a de lui : « Que dit-on du Fils de l'homme? Pour qui le prend-on ? (1) » Enflammé par l'Esprit de Dieu, Pierre répond, non pas suivant ce qu'on lui demandait, mais d'accord avec l'inspiration qu'il avait reçue d'en haut: « Vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant (2).
 
 

1. Matth. XVI, 13. — 2. Ibid. 16.
 
 

« Tu es bien heureux, Simon, fils de Jona, « parce que ce n'est ni la chair ni le sang qui te l'ont révélé, mais mon Père qui est dans les cieux (1) ». A moins d'avoir reçu de Dieu une révélation spéciale, le sens de l'homme est incapable de rien voir dans le mystère de l'Incarnation, la sagesse charnelle ne peut rien comprendre à cette incompréhensible vérité. Mes frères, voilà qu'un humble et pauvre Apôtre a sondé l'abîme impénétrable des richesses de l'Eternel; il en a sondé les incommensurables profondeurs en confessant le nom du Christ, et, pour cela, il n'a pas discuté, il s'est contenté de croire. En effet, il a toujours cru, jamais il n'a engagé
 
 

1. Matth. XVI, 17.
 
 
 
 

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la moindre discussion, et sa foi lui a obtenu une grâce tellement privilégiée, qu'il a marché même sur les eaux pour suivre son Sauveur. Aurait-il jamais pu fouler à ses pieds l'élément liquide, s'il avait traîné derrière lui sa raison humaine? Aurait-il pu appuyer solidement ses pieds sur les ondes fugitives de la mer, s'il n'avait pas cru à la parole du Seigneur? Au lieu de discuter, il a cru; c'est pourquoi lui ont été révélés les impénétrables secrets de Dieu. Le Seigneur a dévoilé aux yeux de ses disciples les ineffables mystères de la foi; c'est pourquoi il leur a fait sentir l'odorante suavité de sa connaissance. Il s'est fait connaître à des pêcheurs, afin qu'ils pussent prendre l'univers entier dans les filets de l'Evangile. Et voilà que les pêcheurs prêchent partout la sagesse, tandis que des grammairiens et des orateurs, devenus disciples de l'erreur, se font les prédicateurs de la sottise. Mes frères, cherchons Dieu dans la simplicité de notre coeur, et croyons à son avènement comme s'il devait avoir lieu d'un moment à l'autre; par là, nous nous corrigerons de nos vices, nous laisserons de côté les vaines espérances de ce monde, et nous mériterons de parvenir à la couronne de la destinée céleste.

2. Nous célébrons donc la naissance du premier et du dernier des saints Apôtres. Vous avez, j'en suis sûr, compris ce que je viens de dire; mais parce que vous l'avez compris, est-ce pour nous un motif de nous taire ? S vous faites en ce jour votre devoir, avons-nous le droit de demeurer inoccupés ? Vous avez fait une profession solennelle , nous devons donc vous adresser un discours quelconque, afin que nous acquittions tous, publiquement, notre dette de dévotion. Pierre est donc le premier des Apôtres, et Paul en est le dernier. Le Dieu qui les a sanctifiés tous deux en les appelant, les a, de même, couronnés après leur martyre; car il est le premier et le dernier (1).  Il est le premier, puisque rien n'existait avant lui, et comme rien n'existera après lui, il est le dernier; personne avant lui, personne après lui, car il n'a ni commencement ni fin : voilà pourquoi celui qui, en raison de sa perpétuelle éternité, s'est déclaré le premier et le dernier, a couronné également et le premier et le dernier
 
 

1. Apoc. XXI, 16.
 
 

de ses Apôtres. Leur vie respire la charité, et leur mort imprime à cette solennité le sceau de la consécration. Un même jour a vu leur couronnement, dans une même cité retentissent leurs louanges. Sur la terre, leurs corps ne se trouvent point séparés, et leurs mérites sont égaux dans le ciel. Au cours de leur vie, pendant les jours de leur vie mortelle, leur parole a fondé l'Eglise; ils en ont arrosé les racines avec leur sang, en mourant pour le Christ, et maintenant qu'ils prient pour nous dans le ciel, ils viennent à notre aide par leurs mérites. Ils se sont rencontrés à point le même jour pour évangéliser ensemble la même ville, et partager aussi ensemble le sort que leur avait préparé une charité mutuelle. Evidemment, nous gardons à cet égard les données de la tradition. Le bienheureux Pierre a souffert le premier d'après l'ordre de sa vocation, il devait marcher le premier même pour mourir; ensuite devait venir le bienheureux Paul; c'était le dernier des Apôtres , mais aussi c'était le docteur des nations. Paul était donc petit on eût dit la frange du vêtement du Sauveur, mais frange qu'il suffisait de toucher pour être guéri.

3. Ils choisirent tous deux, pour résidence, la ville de Rome, la capitale du nom romain; Pierre, pour y exercer la primauté apostolique; Paul, pour y remplir l'office de docteur des nations : ils n'y établirent que leurs corps; pour leurs mérites, ils les répandirent de toutes parts, comme nous l'avons chanté tout à l'heure : « L'éclat de leur voix s'est a répandu dans tout l'univers (1) ». Partout où ils n'ont point corporellement pénétré pendant leur vie, ils y sont allés après leur mort par leurs lettres; de ces écrits nous viennent tous les jours leurs paroles, et ces paroles instruisent les chrétiens et réfutent les ennemis de leur foi. Il a été impossible à tous les pays de la terre de jouir de leur présence, mais, à cause de cela précisément, nous possédons leurs discours. On devait nécessairement ne trouver leurs corps qu'en un seul endroit, mais partout leur puissance s'exerce au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ, Dieu, qui vit et règne avec le Père, dans l'unité du Saint-Esprit, dans les siècles des siècles. Ainsi soit il.
 
 

1. Ps. XVIII, 3.
 
 
 
 

NEUVIÈME SERMON. POUR LA FÊTE DES SAINTS APOTRES PIERRE ET PAUL. II
 

ANALYSE. — 1. Egaux en mérites, Pierre et Paul ont souffert le martyre le même jour, mais non la même année. — 2. Puissance et grandeur admirables de Pierre. — 3. Conversion et mérites de Paul. —  4. Conclusion.
 
 

1. Le puissant et le faible, le plus grand et le plus petit, le chef et le dernier, Pierre et Paul, ont, par l'égalité de leurs mérites, partagé le même sort et l'honneur de l'apostolat; en prêchant l'Evangile; ils ont engendré le peuple chrétien, ils sont devenus les pasteurs du troupeau du Seigneur, et d'accord dans leur foi et leur prédication, semblables l'un à l'autre par la vertu, ils ont cueilli dans le champ de la mort les- palmes du triomphe. Je n'en veux d'autre preuve que celle-ci c'est qu'ayant souffert persécution en des années différentes (1), ils se trouvent néanmoins réunis pour recevoir les honneurs d'un même jour de fête. En effet, le même jour qui a conduit l'un à la couronne éternelle, a conduit l'autre au combat, afin de lui procurer là victoire; ainsi, après s'être tous deux couronnés de gloire, ils se sont dédié un jour commun, celui où ils ont vaincu le monde et marché sur les traces de Jésus-Christ, leur roi.

2. Admirable puissance, grâce ineffable du Sauveur ! Aurait-on jamais pu croire que le persécuteur Saul deviendrait un martyr ? Aurait-on jamais supposé qu'un homme sorti des rangs de la populace, un pêcheur, deviendrait le chef du collège apostolique, qu'il résisterait aux rois, sanctifierait les princes, gouvernerait tous les empires, guérirait le monde par ses lois, foulerait aux pieds les démons, dominerait les vertus, ouvrirait le ciel aux hommes quand il le voudrait, le leur fermerait quand il lui semblerait bon, accorderait aux convertis le royaume éternel, le refuserait aux méchants, jugerait des mérites du monde et pardonnerait à. ses semblables leurs fautes et leurs crimes ? O puissance
 
 

1. On croit généralement qu'ils ont souffert la même année.
 
 

sans prix et sans bornes ! Un homme placé sur la terre, tenir le ciel entre ses mains ! Voilà que maintenant s'ouvrent, à un signe de Pierre, les portes du royaume de Dieu ! Il a, en effet, reçu du Christ les clefs du royaume des cieux, afin de l'ouvrir aux croyants, après avoir brisé les chaînes de leurs péchés. Quels mystérieux remèdes nous sont offerts, et comme ils sont à notre portée ! Le monde a tout 'près de lui le royaume de Dieu, s'il veut avoir recours à Pierre; pas n'est besoin de machines pour monter vers les nues; la foi seule suffit à nous élever si haut; inutile à ceux qui prient de fournir une longue course pour se faire entendre de Dieu, parce que le Christ est devenu la voie des croyants. Pour tenir sa place sur la terre et porter les clefs du royaume des cieux, il a établi l'apôtre Pierre, afin que personne ne se crût incapable d'y parvenir.

3. Paul a été renversé à terre par une voix d'en haut, quand il s'élançait avec fureur contre la bergerie, et quand, pareil à un loup enragé, il poursuivait le nom de l'innocent agneau, qu'il ne pouvait supporter; il cherchait à tourmenter et à disperser le troupeau, et à ce moment-là même, il a été frappé; puis, comme il se relevait, il a été aveuglé et ensuite éclairé par le Dieu qui « relève ceux ic qui tombent et éclaire les aveugles (1) ». De loup qu'il était, il est tout à coup devenu un agneau, de persécuteur un apôtre, de brigand un prisonnier. Il a commencé à prêcher le Christ, auquel il résistait précédemment, à souffrir pour celui qu'il combattait jadis, à être frappé de verges, cruellement lapidé, exposé aux bêtes, jeté dans les flammes,
 
 

1 Ps. CXLIV, 14.
 
 

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chargé de chaînes, emprisonné, et, enfin mis à mort pour celui à cause de qui il faisait autrefois mourir les autres; au moment où il cherchait à diminuer le nombre des chrétiens, il est venu lui-même se placer dans les rangs des confesseurs; à l'heure même où il pénétrait dans l'étable d'un tranquille troupeau pour y porter le ravage, il est subitement devenu une brebis.

4. La bassesse de son origine et la grandeur de ses crimes peut-elle être maintenant, pour n'importe quel homme, un sujet de désespoir ? Ne voit-il pas devant lui une source si pure de grâces célestes, que, pour s'y être plongé, un pêcheur est devenu supérieur aux monarques, et qu'un persécuteur est devenu égal aux Apôtres ? Tout en cherchant un soulagement à sa misère, tout en demandant chaque jour à la mer de quoi se sustenter, Pierre a trouvé un trésor de richesses dans Jésus-Christ, puisqu'en ce monde les rois et les nations lui obéissent. Quant à Paul, tandis qu'il poursuivait à la pointe de l'épée les membres de l'assemblée des Saints, il s'est soumis à porter le joug de la foi, il est devenu le docteur des nations, le modèle des martyrs, la terreur des démons, un pardonneur de crimes et une source de vertus. Pierre et Paul ont donc mérité ici-bas la palme du triomphe, et, dans le ciel, la couronne de la gloire.
 
 

DIXIÈME SERMON. POUR L'OCTAVE DES SAINTS APOTRES PIERRE ET PAUL. III.
 

ANALYSE.—1. La foi de Pierre n'a point failli sur les eaux de la mer. — 2. Attachement à la foi.— 3. Conversion de Paul.
 
 

1. Frères bien-aimés, il y a erreur ou péché de la part de celui qui attribue un manque quelconque de foi à Pierre, c'est-à-dire au fondement de l'Église ; comme il est téméraire d'accuser d'incrédulité celui qui , en récompense de ses mérites, a reçu du ciel le pouvoir de pardonner et de retenir les péchés. Y aura-t-il jamais un seul homme à même de ne pas trembler devant la justice de Dieu, si l'on suppose dans un Apôtre l'existence d'une faute, si l'on reproche un péché à Pierre surtout, puisque le Sauveur lui-même lui a rendu témoignage? Ne voulant rien comprendre, ne comprenant rien à ce qui s'est passé, plusieurs se jettent dans les entraves d'une bien grande faute, lorsqu'ils s'imaginent que la foi de Pierre a manqué d'assurance et de solidité dans la circonstance où le Sauveur lui a dit. « Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté (1) ? » En voilà bien la preuve; ils n'ont pas fait attention à cette foi vive qui avait fait dire à Pierre: « Seigneur, si c'est vous, commandez-moi de venir à vous sur les eaux (2) ». L'Apôtre a évidemment cru à la puissance de Celui à qui il disait : « Commandez ». Il lui a fallu une foi ardente pour s'élancer sans hésitation hors de sa barque, pour en descendre sans trembler, pour s'aventurer sur les abîmes de l'élément liquide, pour s'engager dans un chemin que le pied de l'homme n'avait pas encore foulé, et ne pas craindre de voir les eaux se dérober sous ses pas et sous le poids trop lourd d'un corps humain. Il avait, en effet, conçu une si grande confiance en entendant cette parole du Sauveur: « Viens (3) », que, dans son idée, il avait sous lui, non point une mer perfide par
 
 

1. Matth. XIV, 31. — 2. Ibid. 28.— 3. Ibid. 29.
 
 

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sa mobilité, mais un terrain vraiment solide; car, pendant que le Sauveur marchait sur les eaux, l'élément placé sous ses pieds lui était si docile, qu'il ne s'écartait nullement de sa personne, et ne touchait pas même et respectait la plante de ses pieds. Mes bien-aimés, il n'y a rien de surprenant à ce que les flots se soient montrés à tel point soumis au Christ, puisqu'ils dépendent entièrement de sa puissance et de son bon plaisir. A lui seul appartenait le droit de marcher sur les eaux à pieds secs, et la faiblesse de la raison humaine exigeait que le vent et la pluie vinssent jeter Pierre dans le désarroi. Si donc il enfonça en partie dans l'eau, ce fut pour empêcher toute différence entre Dieu et l'homme de disparaître; s'ils avaient vu l'Apôtre marcher sur la mer comme le Christ, les hommes auraient conçu les doutes les plus graves à l'égard du Sauveur, et ils n'auraient plus rendu à Dieu l'honneur qu'ils lui doivent; car il n'y eût plus eu merveille à voir faire à Dieu ce qu'aurait fait l'un d'entre eux.

2. Nous sommes en ce monde comme sur une sorte de mer, puisque nous nous y trouvons exposés aux tempêtes que soulèvent nos passions: Mettons donc tous nos soins à éviter le naufrage; tenons-nous fermes et solides sur les pieds de notre foi, afin de ne point tomber, de ne point nous engloutir dans les abîmes de ce monde que Notre-Seigneur Jésus-Christ a foulé aux pieds par la vertu de son Incarnation. Si quelque tentation vient à fondre sur nous et à nous jeter dans le danger de périr, crions comme les Apôtres; comme eux, disons au Christ: « Seigneur, sauvez-nous, parce que nous périssons (1) ». Ne vaut-il pas mieux, pour nous, appeler Dieu à notre secours et nous voir délivrer, que
 
 

1. Matth. XIV, 29.
 
 

nous déguiser le danger, ne pas prier et nous exposer ainsi à mourir. Mais revenons-en à ce que nous disions tout à l'heure: Quel champ libre ouvert à l'orgueil de l'homme, s'il commençait à posséder une puissance égale à celle de Dieu ! L'Apôtre Pierre s'enfonçant dans les flots, nous a semblé manquer de foi, pour nous apprendre que nous ne devons nous attribuer à nous-mêmes aucun mérite, mais que nous devons rapporter à la puissance divine tout le bien que nous faisons.

3. Il est juste et convenable, mes frères, que nous partagions nos joies avec les saints Apôtres et que nous fassions part de la glorieuse résurrection du Sauveur à ceux qui partagent ses suprêmes souffrances. Celui que le Christ a daigné choisir comme un vase d'élection et donner aux nations comme leur docteur, ne se contentait pas de détourner des devoirs de la piété les âmes des fidèles; il allait jusqu'à lapider les disciples qui ne voulaient point se séparer de leur Dieu. Le Sauveur nous l'a donné pour Apôtre: de Saut il a fait Paul; d'apostat, celui-ci s'est changé en Apôtre, et de persécuteur de l'Eglise, il en est devenu le docteur. Après avoir fait endurer aux autres la persécution, il s'est pris d'amour pour les souffrances et, après avoir mis sa joie à voir souffrir les autres, il a mis son bonheur à souffrir lui-même, Le Dieu, qui a jadis opéré ce prodige de puissance dans la personne de l'Apôtre, vient d'arracher nos âmes de la prison de l'enfer, de la gueule des démons, et après nous avoir fait passer des ténèbres à la lumière, il nous a ouvert les portes de la vie éternelle. C'est là l'effet de la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ: à lui soient l'honneur, la louange et la gloire pendant les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 
 

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ONZIÈME SERMON. SUR LA CHUTE DE PIERRE.
 

ANALYSE. — 1. Pierre entraîné, comme Adam, par une femme. — 2. Pierre secouru plus vite que. notre premier père. — 3. Larmes de Pierre. — 4. Son amour pour Jésus-Christ.
 
 

7 . Nous le savons, mes frères, l'histoire d'Eve s'est renouvelée à l'égard de Pierre; une femme, une portière l'a aussi trompé; comme Adam, cet Apôtre s'est laissé circonvenir par une femme : c'est l'usage que le sexe s'emploie à tromper, et le diable a dû reconnaître dans cette portière. un vase rempli de sa ruse. Il est habitué à ne triompher de la vertu des hommes fidèles que par l'intermédiaire d'une femme. Pour vaincre Adam, Eve lui a servi d'instrument; une servante lui a suffi pour triompher de Pierre. Le diable, comme nous l'avons lu, s'était glissé dans le Paradis de délices, et il nous est facile de le comprendre, le prétoire des Juifs ne se trouvait pas à l'abri de ses influences. Dans l'Eden, Satan, déguisé en serpent, attaqua le premier homme; au tribunal de Caïphe, Judas remplaçait l'animal rampant. Donc, similitude complète entre la séduction de Pierre et celle d'Adam, parce que, dans un cas comme dans l'autre, il y eut similitude entre le commandement donné à Adam et les ordres intimés à Pierre. Tous deux, en effet, avaient reçu du Seigneur la défense, celui-ci de le renier, celui-là de toucher au fruit de l'arbre: le premier, de porter la main sur l'arbre de la science; le second, d'abandonner la sagesse de la croix. L'un goûta du fruit défendu ; l'autre prononça des paroles qui ne devaient point sortir de sa bouche; et, toutefois, il était plus facile à Pierre de renier son maître, qu'à Adam de prévariquer.

2. Aussi la grâce vint-elle plus vite au secours de Pierre qu'à celui d'Adam. Au moment où celui-ci se cachait, sur le soir, Dieu alla à sa recherche, et le Sauveur jeta les yeux sur celui-là au moment où il le reniait, au chant du coq. Devenu coupable d'une mauvaise action, notre premier père vit qu'il était nu, et il rougit; intérieurement troublé à la pensée de ses paroles, réprimandé par sa conscience, l'Apôtre gémit amèrement. Pris comme en flagrant délit, Adam chercha un, refuge dans la solitude ; corrigé de sa faute, Pierre fondit en larmes. Le premier homme se cacha pour se dérober aux regards de l'Eternel ; Dieu lui dit: « Adam où es-tu (1)?» Il n'avait pu fuir la présence du Tout-Puissant, mais sa conscience coupable ne trouvait plus de retraite assurée contre les remords; c'est pourquoi il tremblait. Le Seigneur le regarda, et lui ayant ouvert les yeux, dissipa son erreur. Ce fut aussi en regardant Pierre qu'il le corrigea ; car il est écrit: « Les yeux du Seigneur sont ouverts sur les justes : ses oreilles sont attentives à leurs cris (2) ».

3. Pierre s'en prit donc à ses yeux, mais aucune prière ne tomba de ses lèvres. Je lis dans l'Evangile qu'il pleura, mais, nulle part, je ne lis qu'il prononça un mot de prière ; je vois couler ses larmes, mais je n'entends pas l'aveu de sa faute. Oui, Pierre a pleuré et il s'est tû : c'était justice, car, d'ordinaire, ce qu'on pleure ne s'excuse pas, et ce qu'on ne peut excuser peut se pardonner. Les larmes effacent la faute que la honte empêche d'avouer. Pleurer, c'est donc, tout à la fois, venir en aide à la honte et obtenir indulgence : par là, on ne rougit pas à demander son pardon, et on l'obtient en le sollicitant. Oui, les larmes sont une sorte de prière muette : elles ne sollicitent pas le pardon, mais elles le méritent; elles ne font aucun aveu, et pourtant elles obtiennent miséricorde. En réalité, la prière
 
 

1. Gen. III, 9. — 2. Ps XXXIII, 16.
 
 

de larmes est plus efficace que celle de paroles, parce qu'en faisant une prière verbale, on peut se tromper, tandis que jamais on ne se trompe en pleurant. A parler, en effet, il nous est parfois impossible de tout dire, mais toujours nous témoignons entièrement de nos affections par nos pleurs. Aussi Pierre ne fait-il plus usage de sa langue, qui avait proféré le mensonge, qui lui avait fait commettre le péché et perdre la foi; il a peur qu'on ne croie pas à la profession de foi sortie d'une bouche qui a renié son Dieu : de là sa volonté bien arrêtée de pleurer sa faute , plutôt que d'en faire l'aveu, et de confesser par ses larmes ce que sa langue avait déclaré ne pas connaître. Si je ne me trompe, voici encore pour Pierre un autre motif de garder le silence: demander son pardon sitôt après sa faute, n'était-ce pas une impudence plus capable d'offenser Dieu, que de l'amener à se montrer indulgent? Celui -qui rougit en sollicitant son pardon, n'obtient-il pas ordinairement plus vite la grâce qu'il demande? Donc, en tout état de faute, mieux vaut pleurer d'abord, puis prier. Nous apprenons ainsi, par cet exemple, à porter remède à nos péchés, et il s'ensuit que si l'Apôtre ne nous a pas fait de mal en reniant son Naître, il nous a fait le plus grand bien
 
 

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par la manière dont il a fait pénitence de son péché.

4. Enfin, imitons-le relativement à ce qu'il a dit en une autre occasion. Le Sauveur lui avait, trois fois de suite, adressé cette question : « Simon , m'aimes-tu (1)? » et, chaque fois, il avait répondu : « Seigneur, voles le savez, je vous aime. Et le Seigneur lui dit : « Pais mes brebis ». La demande et la réponse ont eu lieu trois fois pour réparer le précédent égarement de Pierre. Celui qui, à l'égard de Jésus, avait proféré un triple reniement, prononce maintenant une triple confession, et autant de fois sa faiblesse l'avait entraîné au mal, autant de fois, par ses protestations d'amour, il obtient la grâce du pardon. Voyez donc combien il a été utile à Pierre de verser des larmes : avant de pleurer, il est tombé ; après avoir pleuré , il s'est relevé: avant de pleurer, il est devenu prévaricateur; après avoir pleuré, il a été choisi comme pasteur du troupeau, il a reçu le pouvoir de gouverner les autres, bien qu'il n'ait pas su, d'abord , se diriger lui-même. Telle fut la grâce que lui accorda Celui qui , avec Dieu le Père et le Saint-Esprit, vit et règne dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 
 

1. Jean, XXI, 13. — 2. Ibid. 1.
 
 
 
 

DOUZIÈME SERMON. POUR LA FÊTE DES MARTYRS MACHABÉES.
 

ANALYSE. — 1. Ceux que la nature n'a pu mettre au monde en même temps, la foi les a engendrés le même jour pour le ciel. — 2. Boudeur de la mère des Machabées. — 3. Sa force d’âme dépeinte dans les paroles qu'elle adressa à ses enfants.— 4. et plus encore, dans l'offrande qu'elle fit du dernier d'entre eux. — 5. Conclusion.
 
 

1. Frères bien-aimés, si nous voulions faire l'éloge de chacun de ces sept frères, de ces saints et bienheureux enfants qui ont souffert le martyre en un même jour avec leur glorieuse mère, nous ne finirions pas de parler, et vous vous fatigueriez à nous entendre. Je dirai plus, mes frères,-lors même que votre avidité pour la parole de Dieu vous donnerait la force de toujours nous écouter, notre faiblesse succomberait nécessairement à la tâche. Comment, en effet, mes bien-aimés, louer d'une manière digne d'eux ces martyrs, que le même jour n'a pas vus naître, mais auxquels leur confession a mérité, le même jour, la couronne éternelle? Comment parler d'eux convenablement? La sainte profession (544           ) de leur foi a opéré en eux un prodige que la fécondité de leur mère n'avait pu accomplir; en d'autres termes, la grâce divine a été plus puissante que la nature humaine. Une femme, si féconde que vous la supposiez, n'a jamais été capable de donner en même temps le jour à sept enfants; mais cette heureuse et glorieuse Machabée a, par la foi, engendré au Christ, et dans le même jour, sept confesseurs martyrs. Réjouissons-nous, mes très-chers frères, de ce que la foi opère un prodige inouï et bien supérieur aux forces génératrices de l'homme. Réjouissons-nous en face des merveilles accomplies par Dieu et des preuves de sa toute-puissance : ces enfants n'ont pu sortir à la fois du sein qui les a conçus, mais le Dieu de majesté les a tous couronnés aujourd'hui.

2. O combien elle est heureuse la mère qui a donné le jour à ces enfants, c'est-à-dire qui les a engendrés dans son corps et par sa charité, au monde et à Dieu, au siècle et au Christ, à la terre et au ciel ! D'abord, elle leur avait donné la vie matérielle, au milieu des angoisses et des pleurs; aujourd'hui, marchant sur les traces d'Abraham qui offrit son fils à Dieu comme un holocauste sur l'autel de la foi, elle offre joyeusement à l’Eternel chacun de ses enfants, comme une victime. O l'heureuse mère ! Elle n'a entendu aucun d'eux renier son Dieu; car ils ont tous confessé le Christ; elle n'en a vu aucun chanceler dans le chemin et nul n'ayant sacrifié aux démons, elle n'a pas eu à gémir de leur apostasie. Elle a ressenti les douleurs de chacun d'eux, mais comme ils ont tous remporté la victoire, elle s'est réjouie pour eux et pour elle-même. O l'excellente femme ! Elle est devenue un bon arbre, car voici ce que dit le Sauveur: « Un bon arbre donne de bons fruits (1) ». Mes frères, les feuilles et les fruits de cet arbre ne sont autres que les paroles saintes et les bonnes oeuvres. Au sujet de ce saint arbre, le Prophète s'est exprimé ainsi: « Tes enfants, comme de jeunes oliviers, entoureront ta table (2) » . De plus, remarquez bien ceci, mes frères : En hiver, l'olivier porte des fruits et en été des feuilles; en hiver, il nourrit celui qui le cultive, et, en été, il lui procure un rafraîchissant ombrage; avec l'huile de l'olive, l'agriculteur oint sa tête, et il se repose à l'ombre de l'olivier; car, dit le Psalmiste: « Vous avez répandu a l'huile sur ma tête (3) ». Puis il prie et ajoute
 
 

1. Matth. VII, 17. — 2. Ps. CXXVII, 3. — 3. Id. XXII, 5.
 
 

« Pour moi, je suis dans la maison du Seigneur, comme un olivier fertile (1) ». C'est une branche d'olivier garnie de fruits, que la colombe a trouvée et rapportée dans l'arche au moment du déluge. Les sept enfants de la Machabée sont donc autant de rameaux d'olivier chargés de fruits, qu'on n'a pu faire pliera l'heure de la persécution.

3. Quelle fut la contenance de leur mère, lorsqu'elle les vit torturés, rôtis, brûlés, et qu'en sa présence chacun de leurs membres fut séparé du tronc, coupé en morceaux, puis jeté au vent? A l'abri de la crainte et de l'épouvante, elle ne sembla pas même pâlir: elle se tenait à côté d'eux, et ne faiblissait pas ; car Dieu lui-même la soutenait dans sa lutte. Ne livrait-elle pas, en effet, combat pour le maintien des lois de l'Eternel? Mes frères, quelle grâce le Seigneur a faite à cette bienheureuse femme ! Dans l'ordre des temps, elle avait reçu le jour avant ses enfants, et, le même jour qu'eux, elle s'est trouvée réunie aux esprits angéliques ! Elle les avait mis au monde, et voilà qu'elle est devenue leur soeur pour être entrée avec eux dans l'arène ! Ses yeux avaient, plus tôt que les leurs, aperçu les rayons du soleil, et voilà qu'après avoir souffert au même temps qu'eux, elle est admise, le même jour, à contempler la gloire de son Sauveur! Quand, de ces sept frères, il ne resta plus que le plus jeune, le roi maudit l'appela comme les autres : caresses, ruses, promesses, tout lui sembla de bon usage pour détourner l'enfant du chemin droit et le séparer adroitement de ses frères. D'abord, il fit miroiter à ses yeux l'espérance de richesses , d'honneurs et de dignités: il offrit de lui donner de l'or, de l'argent, un royaume, un empire; mais le martyr se moqua de tout, méprisa tout, parce que son coeur était rempli de l'amour de Dieu. Alors, on employa les moyens d'intimidation: on fit approcher toutes sortes d'instruments de tortures; l'enfant resta insensible à la crainte : ni les présents, ni les menaces du cruel monarque ne furent à même de l'ébranler. Toujours vaincu, condamné à avoir le dessous avec tous, Antiochus fait venir leur mère et l'engage à décider son fils, afin de lui éviter des tourments encore plus affreux que ceux que ses frères ont subis. Il recommande à la mère de l'influencer; mais à ce dernier pouvait-elle persuader autre chose que ce
 
 

1. Ps. CXXVII, 10.
 
 

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qu'elle avait persuadé à ceux qu'elle avait déjà envoyés au ciel ? Voici ce qu'elle avait dit de « prime abord à ses enfants: Mes amis, je ne sais comment vous êtes apparus dans mon sein, je ne vous ai donné ni la vie ni l'esprit, ce n'est point moi qui ai formé votre visage et vos membres. Le Créateur du ciel, de la terre, de la mer et de tout, ce qu'ils renferment, « Celui qui a donné le commencement à toutes choses, Dieu seul vous a donné le souffle et l'intelligence, et pétri votre visage et vos membres: aujourd'hui vous faites le sacrifice de vos corps pour maintenir ses saintes lois, mais il vous les rendra dans sa miséricorde ». Cette femme était leur mère, et voilà ce qu'elle savait leur dire, car elle aimait Dieu de tout son coeur.

4. Le saint patriarche Abraham nous semble digne d'admiration pour avoir offert son fils à Dieu : combien plus admirable cette femme doit nous apparaître, puisqu'en un seul et même jour elle a généreusement envoyé au martyre et au ciel ses sept enfants ! Au plus jeune et au dernier de tous, elle disait : Mon enfant, tu es le seul qui me restes ; après avoir autrefois mis le comble à mes veaux, puisque tu es sorti le dernier de mes entrailles, mets aujourd'hui le comble à ma joie: je t'en supplie, je t'en conjure. Sois bon pour moi, mon enfant; car je t'ai porté de longs mois dans mon sein : ne flétris pas ma vieillesse en un instant, ne souille pas l'éclat du triomphe de tous tes frères, ne te sépare point de leur société, ne renonce point à en faire partie. O mon fils, lève les yeux vers le ciel d'où te sont venus la vie et l'esprit; porte tes regards vers la terre qui t'a fourni une nourriture abondante ; contemple tes frères, ils t'appellent à partager leur sort; considère celle qui t'a allaité l'espace de trois ans, après t'avoir donné le jour ! Que ta piété filiale me récompense; renonce à la vie, suis tes frères, écoute la voix de ta débile mère, de celle qui t'a mis au monde. Le roi Antiochus te promet les richesses et les honneurs de la terre : je t'en conjure, cher enfant, remarque-le bien, sois-en convaincu : tout cela n'est que vanité, parce que tout cela est assujéti aux vicissitudes et à la caducité du temps, et que rien de cela n'est éternel. Dieu seul promet l'éternité; seul, il ne se trompe pas et n'induit personne en erreur. Mon enfant, souviens-toi du Seigneur ton Dieu; rappelle-toi ces paroles venues d'en haut, qu'un prophète a prononcées, et que tu as lues ou entendues: « Vanité des vanités, tout est vanité (1) ». O mon fils ! ne crains pas le roi Antiochus; il te ravira pour un temps la vie du corps, c'est vrai ; mais crains ton Dieu, car il te réunira corps et âme, au sein de la vie éternelle, avec tes frères. Le Seigneur vous a donnés à moi comme sept beaux jours : six d'entre eux ont déjà fini, parce que j'ai déjà envoyé ton sixième frère vers le Tout-Puissant, et qu'à mes yeux leurs oeuvres ont paru bonnes; puisque tu es le septième, il faut que je me repose en toi des travaux auxquels je me suis livré dans les six autres. Le Seigneur Dieu, vers lequel vous dirigez votre course et vos pas, ne s'est-il point reposé de toutes ses oeuvres le septième jour? Moi aussi, après avoir versé tant de larmes, je me reposerai. Soutenu par cette exhortation de sa mère, inspiré par l'Esprit-Saint, le jeune martyr s'écria: «Qu'espérez-vous, qu'attendez-vous de moi ! de ne consens ni ne me rends aux ordres d'un faux roi, je n'obéis qu'à Dieu ! » Vous savez le reste de sa réponse. Il rendit donc l'esprit comme ses frères, sans avoir souillé la robe de son innocence. Après tous ses enfants la mère mourut aussi: oui, elle est morte pour le monde, mais elle vit pour Dieu; car pouvait-elle vraiment mourir, après avoir, par amour pour Dieu, excité ses enfants à souffrir le martyre? Evidemment, non. Ils vivent tous sous l'autel des cieux, car le Seigneur est le Dieu, non des morts, mais des vivants.

5. Mes frères, les justes de l'ancienne loi ont donc souffert pour la défense des divines figures de la loi nouvelle. Nous faisons l'éloge des trois enfants hébreux et de Daniel, nous exaltons leur mémoire, parce qu'ils n'ont point voulu se souiller en mangeant des mets royaux ; nous avons dit, en l'honneur des Machabées, de bien belles choses, et nous venons de payer à leur souvenir le tribut de notre vénération profonde, parce qu'ils n'ont point voulu accepter une nourriture et des aliments dont les chrétiens font aujourd'hui un usage autorisé; alors, que devons-nous souffrir nous-mêmes, que devons-nous endurer pour le Christ, pour le Baptême, pour l'Eucharistie, pour le signe de la Croix? Autrefois, les aliments précités n'étaient que l'indice de l'avenir; aujourd'hui, le Christ,
 
 

1. Eccl. I, 2.
 
 

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le Baptême, l'Eucharistie, le signe de la Croix, nous disent que les promesses divines sont accomplies. Jadis l'objet de la foi ne se voyait pas : on le connaît maintenant. Partout et toujours les saints et les justes ont eu la même foi et nourri les mêmes espérances.

    Donc, mes frères, supportons nous-mêmes pour Dieu ce qu'ils ont supporté, méprisons ce qu'ils ont méprisé, et, comme eux, nous recevrons en partage la vie éternelle que nous espérons.
 
 
 

source: http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin/index.htm

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