LIVRE QUATRIÈME : INCARNATION DU VERBE.
Mystère de l’Incarnation. — Comment le Verbe fait chair dissipe
nos ténèbres, nous fait connaître la vérité,
rend la vie à notre âme et à notre corps. — Digression
sur le nombre six, qui, multiplié par quarante-six, exprime celui
des jours que le Sauveur demeura dans le sein de sa mère. — Tous
les fidèles ne forment en Jésus-Christ qu’un seul corps;
comment Jésus-Christ leur a mérité la gloire éternelle.
Au reste, quoique le Verbe ait été envoyé par le Père,
et qu’il lui soit inférieur comme homme, il n’en reste pas moins,
selon sa nature divine, égal, coéternel et consubstantiel
à son Père. Il faut en dire autant du Saint-Esprit, qui est
Dieu comme le Père et le Fils.
LIVRE QUATRIÈME : INCARNATION DU VERBE.
PRÉFACE.
CHAPITRE PREMIER.
IL EST BON DE CONNAÎTRE SES DÉFAUTS.
CHAPITRE II.
L’INCARNATION NOUS DISPOSE A CONNAÎTRE LA VÉRITÉ.
CHAPITRE III.
L’UTILITÉ DE LA MORT ET DE LA RÉSURRECTION DE JÉSUS-CHRIST.
CHAPITRE IV.
LE NOMBRE SIX.
CHAPITRE V.
LE NOMBRE SIX ET LE TEMPLE DE JÉRUSALEM.
CHAPITRE VI.
LES TROIS JOURS QUI PRÉCÉDÈRENT LA RÉSURRECTION.
CHAPITRE VII.
UNION DES FIDÈLES.
CHAPITRE VIII.
LE CHRIST VEUT CETTE UNION.
CHAPITRE IX.
MÊME SUJET.
CHAPITRE X.
LA VIE ET LA MORT.
CHAPITRE XI.
QUE PENSER DES PRODIGES OPÉRÉS PAR LE DÉMON?
CHAPITRE XII.
PRINCIPE DE VIE ET PRINCIPE DE MORT.
CHAPITRE XIII.
MORT VOLONTAIRE DE JÉSUS-CHRIST.
CHAPITRE XIV.
LE CHRIST EST LA PLUS PURE VICTIME.
CHAPITRE XV.
PRÉSOMPTION ET AVEUGLEMENT.
CHAPITRE XVI.
ETROITESSE DE L’ENSEIGNEMENT DES PHILOSOPHES.
CHAPITRE XVII.
LES PHILOSOPHES ET LA RÉSURRECTION.
CHAPITRE XVIII.
BUT DE L’INCARNATION.
CHAPITRE XIX.
ÉGALITÉ DU FILS DE DIEU AVEC SON PÈRE.
CHAPITRE XX.
MISSION DU FILS ET DU SAINT-ESPRIT.
CHAPITRE XXI.
REVÉLATIONS SENSIBLES DU SAINT-ESPRIT. — RÉSUMÉ.
PRÉFACE.
1. La science que les hommes estiment le plus, est celle qui a pour
objet le ciel et la terre ; mais une autre science bien plus estimable
est la connaissance de soi-même. Oui, l’homme qui connaît sa
propre faiblesse, mérite d’être loué au-dessus du philosophe
qui, tout bouffi d’orgueil, étudie le cours des astres ou pour y
faire des découvertes nouvelles, ou pour vérifier les anciennes.
Hélas ! il ignore quelle route peut le conduire au salut et à
l’éternel bonheur. Au contraire le vrai chrétien dont l’âme
s’élève vers Dieu, s’embrase facilement au contact des feux
de l’Esprit-Saint. Parce qu’il aime le Seigneur, il devient humble ses
propres yeux; et parce qu’il veut s’en approcher, et qu’il en est empêché,
il sonde sa conscience à la lueur des splendeurs célestes.
Il se rend donc compte de son état, et il reconnaît que son
âme est trop souillée pour qu’elle puisse réfléchir
l’éclat de la pureté divine. C’est pourquoi ce chrétien
répand devant le Seigneur de douces larmes, et le conjure d’avoir
de plus en plus compassion de lui, jusqu’à ce qu’enfin délivré
du poids de ses misères il puisse le prier avec une entière
confiance, et trouver l’assurance de son salut dans la médiation
du Verbe éternel, qui est venu éclairer et sauver tous les
hommes. Or toute science qui réunit ainsi la componction à
l’étude, n’est point la science qui enfle, mais la charité
qui édifie. Et en effet celui qui la possède a fait un choix
judicieux et il a préféré connaître sa propre
faiblesse, plutôt que de mesurer l’étendue de l’univers, les
profondeurs de la terre et la hauteurs des cieux. Mais surtout il est digne
d’éloges, parce qu’à cette science il joint la componction
du coeur, c’est-à-dire la tristesse de l’exil et le regret d’être
éloigné de la patrie céleste, et séparé
du Dieu souverainement heureux.
Et moi aussi, Seigneur, mon Dieu, je suis comme ce chrétien,
serviteur de votre Christ, et comme lui je gémis au milieu des pauvres
qui vous tendent la main. Donnez-moi donc quelques miettes de votre science,
afin que je puisse satisfaire aux demandes de ceux qui n’ont point faim
et soif de la justice, mais qui sont pleins et rassasiés de leurs
propres mérites. C’est l’orgueil qui les rassasie, et non votre
vérité, qu’ils repoussent dédaigneusement. Aussi tout
en voulant s’élever, retombent-ils dans l’abîme de leur vanité.
Certes, je n’ignore pas de combien d’illusions le coeur de l’homme est
le jouet! Et qu’est-ce que mon coeur sinon le coeur de l’homme? C’est pourquoi
je prie le Dieu de mon cœur de ne point permettre que l’erreur se glisse
sous ma plume, et qu’au contraire je donne à la vérité
en cet ouvrage tout le développement dont je serai capable. Sans
doute, je suis éloigné des regards du Seigneur, niais je
m’efforce de revenir à lui, quoique de bien loin, et je suis la
voie que nous a tracée son Fils unique qui s’est fait homme pour
notre salut. Aussi ai-je confiance que sa vérité suprême
daignera m’éclairer. Je la reçois, il est vrai, dans un esprit
muable et changeant , et toutefois je n’aperçois en elle rien qui
soit comme les corps, soumis aux lois de la durée et de l’espace.
Bien plus, elle est, plus encore que notre pensée, indépendante
du temps et des lieux, et semblable à certains raisonnements de
notre intelligence elle s’affranchit complètement de tout calcul
numérique, non moins que de toute image locale. C’est qu’elle repose
en l’essence divine, qui est souverainement immuable dans son éternité
comme dans sa véracité et sa volonté. Car en Dieu
la vérité est éternelle, de même que l’amour
est éternel; en lui tout ensemble l’amour est vérité,
et l’éternité est vérité l’éternité
est amour, et la vérité est amour. (403)
CHAPITRE PREMIER.
IL EST BON DE CONNAÎTRE SES DÉFAUTS.
2. L’homme par le péché s’est éloigné de
la joie suprême et incommunicable et toutefois il n’a pas entièrement
brisé avec elle tout rapport et toute relation. Aussi parmi toutes
les vicissitudes des temps et des lieux, cherche-t-il toujours l’éternité,
la vérité et le bonheur. Eh ! quel est l’homme qui voudrait
mourir, être trompé, ou être malheureux? C’est pourquoi
le Seigneur, condescendant aux besoins de notre exil, nous a révélé
certaines vérités qui nous avertissent que la terre ne peut
nous donner ce que nous cherchons, et que pour le trouver, il faut remonter
au ciel. Mais si nous n’étions tombés du ciel, nous n’y chercherions
pas le souverain bonheur. Au reste il fallait d’abord nous convaincre que
Dieu nous aimait bien tendrement, car sans cela nous n’eussions osé
nous rapprocher de lui. Mais il n’était pas moins nécessaire
qu’il nous démontrât toute la gratuité de son amour,
de peur que l’orgueil ne nous fit attribuer ses grâces. à
nos propres mérites, et que par là, nous éloignant
encore plus de lui, nous ne fussions faibles en notre force. C’est pourquoi
Dieu a agi envers nous avec tant de ménagement, que nous ne pouvons
attribuer nos succès qu’à son appui et à son concours.
Mais alors notre amour se fortifie dans la même proportion, que notre
faiblesse se reconnaît humble et impuissante. Aussi le psalmiste
s’écrie-t-il «Vous séparâtes, ô Dieu !
pour votre héritage une pluie toute volontaire il était affaibli,
mais vous l’avez fortifié (Ps. LXVII, 10 ) ». Or cette pluie
volontaire désigne la grâce divine, et on la nomme grâce,
parce qu’elle n’est point un salaire qui nous soit dû, mais un don
entièrement gratuit. Et en effet, Dieu nous la donne par sa pure
bonté, et non en vertu de nos mérites.
Convaincus de cette vérité, nous nous défions
de nous-mêmes, et en cela nous sommes faibles. Mais Dieu nous fortifiera
selon cette parole qui fut dite à l’Apôtre « Ma grâce
te suffit, car la force se perfectionne dans la faiblesse ( II Cor., XII,
9 ) ». Il fallait donc prouver d’abord à l’homme combien Dieu
l’aimait, et ensuite en quel état le trouvait cet amour. La première
chose était nécessaire pour que l’homme ne tombât pas
dans le désespoir, et la seconde, pour qu’il ne devînt pas
le jouet de l’orgueil. Au reste, c’est ce qu’explique très-bien
ce passage de l’épître aux Romains : « Dieu a fait éclater
son amour envers nous, en ce que, lorsque nous étions encore pécheurs,
Jésus-Christ est mort pour nous. Maintenant donc que nous sommes
justifiés par son sang, nous serons délivrés par lui
de la colère de Dieu. Car si lorsque nous étions ennemis
de Dieu, nous avons été réconciliés avec lui
par la mort de son Fils, à plus forte raison, réconciliés,
serons-nous sauvés par la vie de ce même Fils ». Après
cela que dirons-nous? « Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous?
S’il n’a pas épargné son propre Fils, et s’il l’a livré
à la mort pour nous tous, que ne nous donnera-t-il point, après
nous l’avoir donné (Rom., V, 8, 10, VIII, 31, 32. ) ?» C’est
cette rédemption qui était montrée de
loin aux anciens justes, afin que par la croyance au Messie futur ils
fussent tout ensemble humbles et faibles, forts et affermis.
3. Mais parce que le Fils de Dieu est unique, que ce Verbe divin a
fait toutes choses, et qu’il est la Vérité suprême
et immuable, nous devons le considérer comme le principe premier
et nécessaire de tous les êtres qui existent actuellement
dans le monde, et même de ceux qui ont été et qui seront.
Toutefois dans le Verbe rien n’a été, ni ne sera, mais tout
est; en lui encore tout est vie, et toutes choses sont un, ou plutôt
il est seul l’unité parfaite et la vie parfaite. Car si tout a été
fait par lui, il suit qu’il possède par lui-même la plénitude
de la vie, et qu’il ne l’a point reçue. Aussi l’évangéliste
ne nous dit-il pas que le Verbe a été fait au commencement,
mais « qu’au commencement le Verbe était avec Dieu, que le
Verbe était Dieu et que toutes choses ont été faites
par lui (Jean, I, 1,3 ) ». Or, comment le Verbe eût-il fait
toutes choses, si lui-même n’eût existé avant toutes
choses, c’est-à-dire s’il n’était incréé et
éternel? Et même les êtres bruts et insensibles n’eussent
point été faits par lui, si avant d’exister, ils n’eussent
possédé en lui la vie et le mouvement.
Et en effet, tout ce qui a été fait était déjà
vie dans le Verbe; mais non une vie quelconque. Car il y a d’abord l’âme
ou la vie des corps, qui est soumise aux lois du changement par cela seul
qu’elle a été faite. Eh! par qui a-t-elle été
faite, si ce n’est par le Verbe de Dieu, qui est immuable de sa nature?
Oui, « tout a été fait (404) par lui, et rien de ce
qui a été fait, n’a été fait sans lui ».
Il faut donc en conclure que tout ce qui a été fait, était
vie dans le Verbe. Mais ce n’était point une vie quelconque, puisque
« cette vie était la lumière des hommes », c’est-à-dire
la lumière des êtres doués de raison. C’est en effet
la raison seule qui élève l’homme au-dessus de l’animal,
et qui le constitue un homme. Cette lumière n’est donc point la
lumière matérielle et sensible qui nous luit des hauteurs
du ciel, ou qui se produit par les feux de la terre, lumière qui
éclaire tout ensemble l’homme, l’animal et l’insecte. Tous jouissent
indistinctement de cette lumière, tandis que la vie qui est dans
le Verbe, est exclusivement la lumière des hommes, et cette «
lumière n’est pas loin de o chacun de nous, car en elle nous avons
la vie, le mouvement et l’être ( Act., XVII, 27, 28 )».
CHAPITRE II.
L’INCARNATION NOUS DISPOSE A CONNAÎTRE LA VÉRITÉ.
4. Il est cependant des esprits qui ne reçoivent pas cette lumière,
parce qu’ils sont aveuglés par l’erreur ou la passion, et c’est
pour les guérir et les sauver que le Verbe, « par qui toutes
choses ont été faites, s’est fait chair, et qu’il a habité
parmi nous (Jean, I, 14 ) ». Nous ne pouvons en effet venir à
la lumière qu’autant que nous entrerons en participation de cette
vie du Verbe qui est la lumière des hommes. Or, la tache du péché
nous rendait impropres et inhabiles à cette participation. Il fallait
donc tout d’abord effacer cette tache. Mais le sang du juste et l’humiliation
d’un Dieu pouvaient seuls purifier l’homme pécheur et orgueilleux.
C’est pourquoi le Verbe s’est fait homme comme nous, à l’exception
du péché, afin de nous mériter la vision intuitive
de Dieu dont notre nature nous distingue. Car l’homme n’est point un Dieu
par sa nature, mais seulement un homme; et parce qu’il a péché,
il n’est point juste. Mais en se faisant homme , le Verbe demeure le juste
par excellence; aussi intercède-t-il auprès de Dieu pour
l’homme pécheur. Et en effet, si le pécheur ne peut s’approcher
du juste, l’homme peut s’approcher de l’homme. Ainsi, le Verbe en prenant
la ressemblance de notre nature, a effacé la dissemblance de notre
péché , et en se faisant participant de notre mortalité,
il nous a faits participants de sa divinité.
La mort que méritait le pécheur et qu’il devait nécessairement
subir, a donc été remplacée par la mort du juste qui
s’y est volontairement offert, et qui par ce seul acte a payé la
double dette de l’homme. Et en effet, quel n’est pas en toutes choses le
prix de la convenance, du rapport, de la consonance et de la jonction qui
unit deux objets entre eux? C’est ce que les Grecs, si je rends bien ma
pensée, nomment harmonie. Au reste, ce n’est pas ici le lieu de
prouver combien est agréable cette relation de l’unité à
la dualité. Il suffit de dire que le sentiment de cette harmonie
est essentiellement inné en nous, et qu’il ne peut nous venir que
du Dieu qui nous a créés. Aussi ceux-mêmes qui sont
étrangers à toute science musicale, ne laissent pas que d’y
être sensibles, soit qu’ils entendent chanter, soit qu’ils chantent
eux-mêmes. C’est en effet l’harmonie qui fait concorder entre eux
les divers tons de la musique, en sorte que notre oreille, bien plus que
l’art que plusieurs ignorent, est soudain grièvement offensée
lorsque ses règles sont violées. Mais cette démonstration
m’entraînerait trop loin, et d’ailleurs j’en abandonne le développement
à quiconque possède la théorie et la pratique du diapason..
CHAPITRE III.
L’UTILITÉ DE LA MORT ET DE LA RÉSURRECTION DE JÉSUS-CHRIST.
5. Ce qui m’importe en ce moment, c’est d’expliquer, du moins autant
que Dieu m’en fera la grâce, comment Jésus-Christ Notre-Seigneur
et notre Sauveur, étant une seule personne, a pu se mettre en rapport
avec la dualité humaine, et comment il a pu ainsi opérer
notre salut. Et d’abord nul catholique ne révoque en doute que nous
ne soyons soumis à la mort de l’âme et à celle du corps.
La première est un effet du péché, et la seconde est
la peine de ce même péché, qui devient ainsi l’auteur
de cette double mort. Il fallait donc que l’homme dans son ensemble, c’est-à-dire
en son âme et en son corps, s’appliquât un remède de
vie et d’immortalité, afin que tout ce qui avait été
détérioré en lui, fût renouvelé. Or,
la mort de l’âme est le péché mortel, et la mort du
corps est la corruption qui sépare l’âme d’avec le corps.
Ainsi, lorsque Dieu (405) s’éloigne de l’âme, elle meurt,
et lorsqu’ elle-même s’éloigne du corps, il meurt. Dans le
premier cas, l’âme devient insensée; et dans le second, le
corps devient cadavre. Mais l’âme ressuscite à la grâce
par la pénitence, et elle reprend dans un corps encore soumis à
la mortalité, une vie qui commence par la foi, parce qu’elle croit
en celui qui justifie l’impie, et qui s’augmente et se fortifie chaque
jour par la pratique des vertus et le renouvellement de plus en plus parfait
de l’homme intérieur.
Quant à l’homme extérieur , c’est-à-dire quant
au corps, plus son existence se prolonge, et plus il se corrompt par l’âge,
les maladies et les diverses épreuves de la vie, jusqu’à
ce qu’il arrive à cette dernière que nous appelons la mort.
Mais sa résurrection est différée jusqu’au dernier
jour, parce qu’alors seulement l’oeuvre de notre justification sera pleinement
consommée. Car « nous serons semblables à Dieu, parce
que nous le verrons tel qu’il est (Jean, III, 2 ) ». Aujourd’hui
au contraire, tandis que le corps qui se corrompt, appesantit l’âme,
et que sur la terre notre vie est une tentation continuelle, nul homme
vivant ne peut obtenir devant le Seigneur cette plénitude de justice
qui nous rendra égaux aux anges, et qui sera comme l’apogée
de notre gloire. Au reste, il serait ici bien inutile de prouver longuement
que nous devons distinguer la mort de l’âme de la mort du corps.
Car le Sauveur lui-même a nettement établi cette distinction
dans cette maxime évangélique : « Laissez les morts
ensevelir leurs morts (Matt., VIII, 22 ) ». Un cadavre doit être
enseveli; qui ne le comprend? c’est pourquoi en parlant de ceux qui s’occupaient
de ce triste ministère, Jésus-Christ s’est proposé
de nous désigner ces hommes dont l’âme est morte par le péché,
et que l’Apôtre veut ressusciter à la grâce, quand il
leur dit: « Levez-vous, vous qui dormez: sortez d’entre les morts,
et Jésus-Christ vous éclairera (Eph. V, 14 ) ».
Dans un autre passage , le même Apôtre signale encore avec
douleur ce même genre de mort, lorsqu’il dit de la veuve frivole
et mondaine que « vivant dans les délices, elle est morte,
quoiqu’elle paraisse vivante ( I Tim., V, 6 ) ». Ainsi on dit de
l’âme qui a perdu la grâce, que revenant à la justice
qui agit par la foi, elle ressuscite et reprend une nouvelle vie. Le corps,
au contraire, ne meurt réellement que par sa séparation d’avec
l’âme; mais en tant
qu’il coopère aux oeuvres de la chair et du sang, l’Apôtre
dit dans son épître aux Romains
qu’il est mort. Voici ses paroles: « Si Jésus-Christ est
en vous, quoique le corps soit mort à cause du péché,
l’esprit est vivant à cause de la justice». Or, cette vie
n’est autre que la vie de la foi, puisque, selon le même Apôtre,
« le juste vit de la foi (Rom., I, 17 ) ». Ensuite il
continue ainsi : « Mais si l’esprit de celui qui a ressuscité
Jésus, habite en vous, celui qui a ressuscité Jésus-Christ
rendra aussi la vie à vos corps mortels, à cause de son esprit
qui habite en vous (Rom., VIII, 10, 11 ) ».
6. C’est donc de cette double mort que le Sauveur Jésus nous
a rachetés en mourant une seule fois. Aussi nous a-t-il laissé
dans sa propre mort le mystère et l’exemple de notre double résurrection.
Et en effet, comme il était le Juste par excellence, il n’a pu ni
mourir à la grâce, ni avoir besoin de renouveler en lui-même
l’homme intérieur, ni être obligé de revenir par la
pénitence à la vie de la justice. Mais parce qu’il avait
pris une chair passible et mortelle, il est mort, et est ressuscité
en tant qu’homme; et il nous offre ainsi en sa personne le mystère
de notre résurrection spirituelle et l’exemple de notre résurrection
corporelle. C’est à la première, qui suppose la mort de l’âme,
que se rapportent ces paroles du Psalmiste, paroles que Jésus-Christ
a prononcées sur la croix: « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi
m’avez-vous abandonné? (Ps., XXI, 1 ; Matt., XXVII, 46 ) »De
son côté, l’Apôtre semble commenter ces mêmes
paroles, quand il nous dit «que notre vieil homme a été
crucifié avec Jésus-Christ, afin que le corps du péché
soit détruit, et que désormais nous ne soyons plus esclaves
du péché ». Et en effet, le pécheur est crucifié
en son âme par la douleur de la contrition, et il l’est encore en
son corps par les rigueurs d’une mortification salutaire. Mais en laissant
le pécheur sous cette double pression, Dieu lui facilite les moyens
de faire mourir en lui le péché. Voilà donc la croix
où expire le corps du péché, afin que nous «
n’abandonnions plus nos membres au péché « comme des
instruments d’iniquité ( Rom., VI, 6, 13 )».
D’un autre côté, s’il est vrai que l’homme intérieur
se renouvelle en nous de jour en jour, on ne saurait nier que d’abord il
n’ait été (406) le vieil homme. C’est en effet en l’intérieur
de l’âme que s’accomplit cette parole de l’Apôtre: «
Dépouillez-vous du vieil homme, et revêtez-vous de l’homme
nouveau ». Ce qu’il explique en disant que « nous devons renoncer
au mensonge, et parler selon la vérité (Eph., IV, 22-25 )
».Or, n’est-ce pas dans le secret de son âme que le juste renonce
au mensonge, afin que disant la vérité dans son coeur, il
habite sur la montagne sainte du Seigneur?
Bien plus, le mystère de cette résurrection spirituelle
est renfermé dans celui de la résurrection corporelle de
Jésus-Christ; et il nous en avertit lui-même, lorsqu’il dit
à Madeleine: « Ne me touchez pas, car je ne suis pas encore
remonté vers mon Père (Jean, XX, 17 ) ». C’est aussi
à ce même mystère que se rapportent ces paroles de
l’Apôtre : « Si vous êtes ressuscités avec Jésus-Christ,
recherchez les choses du ciel, où Jésus-Christ est assis
à la droite de Dieu; et n’ayez de goût que pour les choses
d’en-haut (Coloss., III, I, 2 ) ». Et en effet, ne point toucher
le Christ avant qu’il soit remonté vers son Père, c’est ne
se permettre à son égard aucune pensée basse et terrestre.
Quant à la mort corporelle que Jésus-Christ a daigné
subir comme homme, elle nous est un exemple de celle que nous devons souffrir
en notre chair. Car ses souffrances sont pour tous ses disciples une puissante
exhortation à ne pas craindre « ceux qui tuent le corps, et
«qui ne peuvent tuer l’âme (Matt., X, 28 )». Aussi l’Apôtre
dit-il dans le même sens « qu’il accomplit en sa chair ce qui
manque à la passion de Jésus-Christ (Coloss., I, 24 )».
Nous trouvons également dans la réalité de sa résurrection
corporelle le modèle et la certitude de notre propre résurrection,
puisqu’il a dit à ses apôtres : « Touchez et voyez,
car un esprit n’a ni chair ni os, comme vous voyez que j’en ai ( Luc, XXIV,
39 ) ». Bien plus, ce ne fut qu’après avoir touché
ses plaies, que l’un d’entre eux s’écria: « Mon Seigneur et
mon Dieu ( Jean, XX, 28 ) ! » Or, cette réalité si
évidente de la résurrection du Sauveur devenait pour les
apôtres la démonstration de cette parole : « Pas un
seul cheveu de votre tête ne périra ( Luc, XXI, 18 )».
Pourquoi donc disait-il à Madeleine : « Ne me touchez point,
car je ne suis « pas encore remonté vers mon Père »,
tandis qu’il permettait ensuite à ses apôtres de le toucher
avant son ascension? C’est qu’il avait en vue, dans la première
circonstance, le mystère de notre résurrection spirituelle,
et dans la seconde, celui de notre résurrection corporelle. Il serait,
en effet, par trop absurde et ridicule de soutenir avec quelques-uns qu’avant
son ascension Jésus-Christ permit aux hommes de le toucher, et aux
femmes, seulement après.
Au reste, l’Apôtre voyait en la résurrection du Christ
le type et le modèle de la nôtre, quand il disait : «
Chacun à son rang, Jésus-Christ d’abord, puis ceux qui sont
à Jésus-Christ ( I Cor., V, 25 ) » ; d’ailleurs, le
contexte de ce passage prouve qu’il s’agit ici de cette résurrection
des corps au sujet de laquelle le même Apôtre a dit que «
Jésus-Christ changera notre corps misérable, en le rendant
conforme à son corps glorieux ( Philipp., III, 21) ». Ainsi,
Jésus-Christ en mourant une seule fois, a remédié
à la double mort de l’homme; et en ressuscitant une seule fois,
il est devenu pour nous le divin exemplaire d’une double résurrection.
Et en effet, son humanité sainte nous présente dans sa mort
et dans sa résurrection le type sacré et le modèle
salutaire de notre résurrection spirituelle et corporelle.
CHAPITRE IV.
LE NOMBRE SIX.
7. Ce rapport de l’unité à la dualité nous ramène
au nombre trois, puisque deux et un font trois. Mais ce dernier nombre
multiplié par lui-même nous donne six, car un, plus deux,
et plus trois font six. Or, ce nombre six est dit un nombre parfait, parce
qu’il est complet en toutes ses subdivisions, savoir l’unité, le
tiers et la moitié; sans qu’on puisse le concevoir sous quelque
autre rapport. Ainsi l’unité donne six, le tiers, deux, et la moitié,
trois. Pareillement, un plus deux, et plus trois font six. L’Ecriture elle-même
nous indique cette perfection numérique, quand elle nous dit que
Dieu acheva l’oeuvre de la création en six jours, et qu’au soir
du sixième jour il créa l’homme à son image ( Gen.,
I, 27 ). Nous voyons également que le Fils de Dieu s’est incarné
au sixième âge du monde, et qu’il devint alors Fils de l’homme
pour réformer l’homme selon l’image et la ressemblance du Créateur.
Nous vivons en effet dans le sixième âge, soit (407) que l’on
distribue les siècles écoulés par période millénaire,
soit qu’on les divise par les grands événements de l’histoire
sainte. Ainsi, le premier âge s’étend d’Adam à Noé;
le second, de Noé à Abraham; le troisième, en suivant
l’ordre établi par saint Matthieu, d’Abraham à David; le
quatrième, de David à la captivité de Babylone; et
le cinquième, du retour de la captivité à l’enfantement
de la Vierge Marie. En admettant cette division chronologique, on trouve
que le sixième âge a commencé à la naissance
de Jésus-Christ pour se continuer jusqu’à ce jour qui nous
est inconnu, et après lequel il n’y aura plus de temps.
Sous un autre rapport, ce nombre six nous représente dans sa
triple division, celle des siècles écoulés. Car nous
comptons l’ère d’avant la loi, l’ère de la loi, et l’ère
de la grâce. C’est en cette dernière que l’homme a reçu
le sacrement de la réconciliation, afin que la résurrection
générale coïncidant avec le dernier jour de l’univers,
il soit alors entièrement renouvelé en la beauté de
son âme, et l’infirmité de son corps. Nous pouvons donc reconnaître
une figure de l’Eglise en la personne de cette femme que Jésus-Christ
guérit de l’infirmité par laquelle Satan la tenait courbée
( Luc, XIII, 16 ). Car, c’est de ce genre d’ennemis cachés et secrets
que se plaint le psalmiste, quand il dit : « Ils ont courbé
mon âme ( Ps., LVI, 7 ) ». Or, cette femme était infirme
depuis dix-huit ans, c’est-à-dire depuis trois fois six ans. De
plus, le nombre des mois qui composent cette période, depuis dix-huit
ans, forme un total de deux cent seize; et ce total lui-même est
le produit de six multiplié par trente-six. Nous lisons également
dans l’Evangile que depuis trois ans le figuier stérile ne portait
point de fruits, et que le jardinier obtint pour lui le délai d’une
année, après laquelle il devait être coupé,
s’il restait encore infructueux ( Luc, XIII, 6-17 ). Mais ici ces trois
années se rapportent aux trois périodes que j’ai signalées,
et le nombre des mois forme le carré de six,. c’est-à-dire
six fois six.
8. L’année civile elle-même avec son cycle de douze mois,
qui comprennent chacun trente jours, selon que les anciens en avaient réglé
le cours sur celui de la lune, l’année, dis-je, n’est qu’un multiple
du nombre six. Et en effet, de même que six plus quatre font dix,
soixante plus quarante font cent, en sorte que soixante est la sixième
partie de l’année. Car si nous multiplions ensuite soixante par
six, nous obtiendrons trois cent soixante, c’est-à-dire douze mois
de trente jours. Toutefois, si le cycle lunaire détermine le nombre
des mois, le cours du soleil règle celui de l’année. Or,
il reste en plus cinq jours et un quart pour que le soleil et l’année
terminent également leur révolution ; mais parce que ce quart
multiplié par quatre, donne un jour entier, on l’intercale chaque
cinquième année, et de là vient le nom de bis-sextile
qui lui est affecté. Enfin ces cinq jours et quart nous offrent
d’intimes relations avec le nombre six. D’abord, si nous voulons compter
par nombres ronds, nous trouverons six jours plutôt que cinq en prenant
le quart pour un jour entier. De plus ces cinq jours forment le sixième
du mois, de même que six heures nous donnent le quart du jour. Et
en effet un jour entier, c’est-à-dire le jour et la nuit, se compose
de vingt-quatre heures, dont le quart est six. Telle est la corrélation
du cours de l’année civile avec le nombre six.
CHAPITRE V.
LE NOMBRE SIX ET LE TEMPLE DE JÉRUSALEM.
9. On peut encore, et avec raison, appliquer ce même nombre à
la résurrection du Sauveur. Car il a dit lui-même, en faisant
allusion au temple de Jérusalem : « Détruisez ce temple,
et je le rebâtirai en trois jours ». Mais ici le jour est pris
pour l’année, selon que lui répondirent les Juifs : «
On a mis quarante-six ans à bâtir ce temple (Jean, II, 19,
20 )». Or, quarante-six fois six font deux cent soixante-seize, c’est-à-dire
neuf mois, et six jours qui sont eux-mêmes comptés pour un
mois entier. C’est ainsi que nous disons que la mère porte l’enfant
dans son sein pendant dix mois, quoique ce ne soit réellement que
neuf mois et quelques jours. Tous les enfants en effet ne naissent point
exactement au bout de neuf mois et six jours; mais cela arriva pour le
divin Sauveur, comme nous l’atteste la tradition que l’Eglise a sanctionnée.
Il fut donc conçu et il mourut le huit des calendes d’avril, en
sorte que le sépulcre neuf où il fut enseveli, et où
personne n’avait été mis, et qui depuis ne reçut personne,
est en parfait rapport avec le sein (408) qui l’avait porté, et
qui toujours resta vierge. On s’accorde également à mettre
la naissance de Jésus-Christ au huit des calendes de janvier, ce
qui nous donne à partir de sa conception le nombre de deux cent
soixante-seize jours, nombre où six est répété
quarante-six fois. Qui ne voit maintenant le rapport de ce nombre avec
les années que l’on mit à bâtir le temple, puisque
ce fut pendant un égal espace de jours que se forma dans le sein
de Marie ce corps du Sauveur Jésus qui devait mourir sur la croix
et puis ressusciter le troisième jour? Car l’évangéliste
saint Jean observe expressément que « Jésus-Christ
parlait du temple de son corps (Jean, II, 21 ) ». Nous entendons
encore dans saint Matthieu le divin Sauveur s’exprimer avec non moins de
force et d’évidence, quand il dit : « Comme Jonas fut trois
jours et trois nuits dans le ventre de la baleine, ainsi le Fils de l’homme
sera trois jours et trois nuits dans le sein de la terre (Matt., XII, 40
).
CHAPITRE VI.
LES TROIS JOURS QUI PRÉCÉDÈRENT LA RÉSURRECTION.
10. Mais ici encore nous ne trouvons point, selon le récit évangélique,
trois jours pleins et complets. Car le premier et le dernier sont comptés
chacun pour un jour entier, et toutefois l’un ne commença que vers
le soir, et l’autre n’embrassa que quelques heures de la matinée.
Le second seul fut complet, et dura vingt-quatre heures, douze de nuit,
et douze de jour. Et en effet, Jésus-Christ fut condamné
à mort, sur la demande des Juifs, le sixième jour de la semaine,
et à la troisième heure du jour. Il fut crucifié le
même jour à la sixième heure, et rendit le dernier
soupir à la neuvième. Mais « il était déjà
tard ». lorsqu’il fut enseveli; et cette expression de l’évangéliste
saint Marc signifie que la sépulture eut lieu au déclin du
jour (Marc., XV, 42-45). Ainsi, quand même vous suivriez le calcul
de saint Jean qui marque le crucifiement à la troisième heure,
vous ne trouveriez point un jour entier, et toujours vous seriez obligé
de n’y comprendre que quelques heures du soir, de même que le dernier
ne renfermera que quelques heures de la matinée. Et en effet, entre
le soir du second jour jusqu’au matin de celui qui vit s’accomplir la résurrection
du Sauveur, se placera le troisième jour. Ainsi le Dieu qui a dit
à la lumière de jaillir des ténèbres et qui
a voulu qu’en participant à la grâce du nouveau Testament,
et à la résurrection de Jésus-Christ, nous pussions
entendre dire « ayant été autrefois ténèbres,
nous sommes maintenant lumière en notre Seigneur ( Cor., IV, 6 ;
Eph., V, 8 )», nous fait en quelque sorte entendre par là
que le jour commence à la nuit.
Nous voyons encore par la Genèse, qu’en prévision de
la chute de l’homme, les jours furent d’abord comptés du matin au
soir, et de même ici, par allusion à sa rédemption,
ils sont comptés du soir au matin. De plus, observons que Je nombre
des heures, y compris la neuvième, qui s’écoulèrent
depuis la mort du Sauveur jusqu’à sa résurrection, est de
quarante. Or, c’est également pendant quarante jours qu’il resta
sur la terre après sa résurrection; et dans l’Ecriture ce
nombre quarante désigne souvent, par son rapport avec les quatre
éléments du monde, l’idée d’une perfection absolue.
Dix est en effet un nombre parfait, et quatre fois dix font quarante. D’un
autre côté nous comptons trente-six heures depuis le soir
de la sépulture du Sauveur Jésus, jusqu’au matin de sa résurrection,
c’est-à-dire six fois six. Au reste le rapport de l’unité
à la dualité est le principe de la plus belle harmonie; ajoutez
donc douze heures à vingt-quatre, et vous aurez trente-six, c’est-à-dire
tout un jour de vingt-quatre heures, et douze heures de nuit, ce qui ne
laisse pas, comme je l’ai déjà observé, d’être
un calcul mystérieux. Car il nous est bien permis de considérer
le jour comme symbole de l’âme, et la nuit comme symbole du corps,
puisque dans sa mort et dans sa résurrection, la sainte humanité
du Sauveur figurait la mort et la résurrection de notre âme
et de notre corps.
Tel est donc dans le nombre trente-six le rapport de l’unité
à la dualité, puisque douze ajouté à vingt-quatre
nous donne trente-six. Au reste chacun peut rechercher les motifs qui ont
conduit les écrivains sacrés à mentionner ces divers
nombres. J’en ai donné quelques raisons, mais d’autres peuvent en
apporter ou de meilleures, ou d’équivalentes. Seulement bien ignorant
serait celui qui ne voudrait voir dans ces nombres aucune raison secrète
et mystique. Pour moi, j’ai exposé celles que m’ont fournies la
tradition et (409) l’autorité de l’Eglise, le témoignage
des saintes Ecritures et la constante harmonie des nombres. Au reste, nul
n’est sage s’il contredit la raison, nui n’est chrétien s’il rejette
l’Ecriture, et nul n’est ami de la paix s’il combat l’Eglise.
CHAPITRE VII.
UNION DES FIDÈLES.
11. Nous reconnaissons donc en ces nombres mystérieux, non moins
que dans le sacrifice du Calvaire, le prêtre et le Dieu, qui avant
de paraître parmi nous et de naître de la femme, a voulu s’annoncer
mystiquement à nos pères, Et en effet ces diverses apparitions
d’anges , dont ils ont été favorisés, et les divers
prodiges qu’opérèrent ces esprits célestes, ne furent
que l’ombre et la figure du grand mystère de l’incarnation. C’est
ainsi que toute créature prédisait à sa manière
le futur avènement de celui qui devait être l’unique Sauveur
des hommes. Le péché nous avait séparés du
Dieu suprême, unique et véritable; et, entraînés
sur sa pente fatale, nous nous étions éloignés des
principes de la vie. Nous nous étions ainsi évanouis en nos
pensées, et brisant les liens qui nous rattachaient au ciel, nous
étions devenus les captifs volontaires du monde et du démon.
Il fallait donc, selon les conseils et les décrets d’un Dieu plein
de miséricorde, que toutes les créatures proclamassent l’arrivée
de notre unique Rédempteur, qu’il vint lui-même appelé
par les cris et les soupirs de toute l’humanité, et qu’au ciel comme
sur la terre tout attestât son heureux avènement. Il fallait
encore que l’homme délivré de ses nombreux ennemis, se jetât
aux pieds de son unique Libérateur, et que souillé de mille
péchés qui avaient donné la mort à son âme,
et même à son corps, il en vînt à aimer Celui
qui seul pur, saint et immaculé , a voulu mourir comme homme, pour
racheter l’homme. Enfin, il fallait que, croyant en sa résurrection,
nous puissions par la foi ressusciter avec lui en esprit, et être
justifiés en celui qui est le juste par excellence. Nous ressusciterons
donc nous-mêmes en notre chair, puisque celui qui est la tête
du corps dont rions sommes les membres, est ressuscité le premier.
C’est par la foi en ce divin Rédempteur qu’aujourd’hui nous sommes
purifiés; mais alors, confirmés en grâce par la vision
béatifique, et réconciliés avec le Seigneur notre
Dieu, par la médiation de Jésus-Christ, nous lui serons unis,
nous jouirons de lui, et nous demeurerons éternellement avec lui.
CHAPITRE VIII.
LE CHRIST VEUT CETTE UNION.
12. Telle est l’ineffable unité que dans le discours après
la Cène, le Sauveur demandait
pour nous à son Père, lui le Fils de Dieu, le Verbe de
Dieu qui, devenu Fils de l’homme, s’est constitué notre médiateur
auprès de Dieu, et qui, égal à son Père en
unité de nature divine, est notre frère par ressemblance
de la nature humaine. Voici donc ces paroles où Jésus-Christ
prie comme homme, mais où il rappelle aussi que comme Dieu il est
un avec son Père: « Je ne prie pas pour eux seulement, mais
encore pour ceux qui doivent croire en moi par leur parole, afin que tous
ils soient un, comme vous, mon Père, en moi, et moi en vous; qu’ils
soient de même un en nous, afin que le monde croie que vous m’avez
envoyé. Et je leur ai donné la gloire que vous m’avez donnée,
afin qu’ils soient un, comme nous sommes un (Jean, XVII, 20, 22. ) ».
CHAPITRE IX.
MÊME SUJET.
Observons ici que Jésus-Christ ne dit pas: Je prie, afin qu’eux
et moi soyons un, quoiqu’en qualité de chef du corps qui est l’Eglise,
il eût pu le dire, parce qu’en effet l’Eglise ne forme qu’un seul
corps avec Jésus-Christ, qui en est le chef. Mais il veut nous montrer
sa consubstantialité avec son Père; aussi de même que
dans un autre endroit il avait dit : « Le Père et moi sommes
un ( Id., X, 30 ) », c’est-à-dire qu’il y a entre nous une
parfaite égalité de nature, il prie ici pour que ses disciples
soient un en lui. Et en effet, ceux-ci ne pouvaient être un en eux-mêmes,
parce que les passions, les plaisirs coupables et le péché
les éloignaient les uns des autres. C’est pourquoi Jésus,
notre divin médiateur, nous purifie d’abord de nos souillures, et
puis nous fait un en lui-même. Mais cette admirable unité
n’est point seulement une unité de nature qui rendrait tous les
hommes égaux entre eux, ainsi que dans le ciel, les anges sont égaux;
elle est surtout une unité de volonté qui réunit comme
en un faisceau toutes les volontés, et les fait (410) converger
toutes ensemble vers la possession du même bonheur, parce qu’un seul
et même Esprit embrase tous les coeurs des feux du même amour.
Ainsi se réalise cette parole du Sauveur: « Père, qu’ils
soient un, comme vous et moi sommes un ». Et en effet, de même
que le Père et le Fils sont un par égalité de nature
et conformité de volonté, les Chrétiens qui reconnaissent
pour leur médiateur auprès de Dieu le Père, Jésus-Christ,
Fils de Dieu doivent être unis entre eux bien moins par les liens
de la chair et du sang que par les rapports de la charité. Au reste
le Sauveur nous indique lui-même cet heureux effet de sa médiation
divine et de notre réconciliation avec le Seigneur, quand il dit
: « Je suis en eux, et vous en moi, afin qu’ils soient consommés
dans l’unité (Jean, XVII, 23 ) ».
CHAPITRE X.
LA VIE ET LA MORT.
13. Notre véritable paix, et notre alliance forte et assurée
avec le Seigneur, reposent donc sur l’acte d’expiation et de réconciliation
que Jésus, médiateur de vie et de grâce, a daigné
accomplir. Et de même un médiateur de péché
et de mort nous avait ravi l’innocence, et nous tenait éloignés
de Dieu. Car le démon superbe et orgueilleux n’avait rempli le premier
homme d’orgueil et de présomption que pour le conduire à
la mort, tandis que Jésus-Christ, humble et humilié, l’a
ramené à la vie par l’humilité et l’obéissance.
Le démon vain et téméraire est tombé lui-même,
et a entraîné l’homme qui consentit librement à ses
suggestions. Mais Jésus-Christ en s’humiliant a mérité
d’être exalté, et il a relevé avec lui le fidèle
qui croît en lui. Sans doute Satan n’avait point été
assujetti à la mort du corps, puisqu’il n’a point de corps, et que
son péché n’était qu’un péché de pensée;
mais il n’en paraît pas moins à l’homme le prince de ces légions
infernales qu’il emploie pour régner sur le monde par le mensonge
et l’erreur. C’est par leur concours que tantôt il enorgueillit au
moyen d’une fausse philosophie l’homme qui n’est déjà de
lui-même que trop superbe, et qui ambitionne le pouvoir, bien plus
qu’il n’aime la justice. Tantôt aussi il flatte sa curiosité
non moins que son orgueil par l’appareil d’un culte sacrilège et
de pratiques magiques, en sorte que tout ensemble il trompe les esprits,
les précipite dans l’illusion et les tient captifs et assujettis.
Quelquefois aussi, se transformant en ange de lumière, il promet
à l’homme le pardon de ses fautes au moyen de certaines expiations,
et fait briller à ses yeux le faux éclat de prestiges mensongers.
CHAPITRE XI.
QUE PENSER DES PRODIGES OPÉRÉS PAR LE DÉMON?
14. Il est certainement facile aux esprits mauvais de produire à
l’aide des corps aériens bien des effets qui étonnent même
les meilleurs esprits, parce qu’ils sont unis à une chair qui les
affaiblit. C’est ainsi que sur nos théâtres l’art et l’habileté
des jongleurs exécutent avec des corps terrestres et matériels
des choses si surprenantes, qu’il faut les avoir vues pour y croire. Est-il
donc étonnant que Satan et ses anges opèrent, au moyen des
éléments qu’ils mettent en jeu par leurs corps aériens,
des prestiges capables de tromper les hommes? Bien plus, ils nous présentent
mille fantômes et mille imaginations qui font illusion à nos
sens, et qui, soit pendant notre sommeil, ou dans l’état de veille,
nous fascinent et nous rendent furieux. Mais de même qu’un homme
juste et honnête se permet de regarder de vils histrions qui dansent
sur la corde, ou qui exécutent des tours incroyables de prestidigitation,
sans qu’il ait en lui-même le moindre désir de les imiter,
ni qu’il les croie meilleurs que lui; ainsi le chrétien pieux et
fidèle qui est témoin des prestiges que produisent les démons,
et qui nième par suite de la faiblesse humaine, les admire, ne leur
envie point un tel pouvoir, et ne se juge point inférieurs à
eux. Eh ! comment pourrait-il le faire, puisqu’il appartient à cette
société de saints qui comprend les hommes justes et les bons
anges, et puisque ceux-ci, par la puissance souveraine du Seigneur, à
qui toutes choses sont soumises, opèrent de véritables miracles,
et des prodiges bien plus surprenants?
CHAPITRE XII.
PRINCIPE DE VIE ET PRINCIPE DE MORT.
15. Il est donc impossible qu’aucune cérémonie sacrilège,
non plus que nulle initiation impie, ou expiation magique puisse purifier
l’âme et la réconcilier avec Dieu. Et en (411) effet, le démon
qui se pose ici en faux médiateur, ne saurait élever l’homme
vers ses hautes destinées, et il ne cherche même qu’à
l’arrêter dans le noble essor qui l’y fait aspirer. C’est pourquoi
il corrompt ses affections, et il les rend d’autant plus perverses qu’il
le remplit lui-même de plus d’orgueil et de vanité. Mais alors
ces affections ainsi corrompues, loin de favoriser en nous les sublimes
élans de la vertu, nous entraînent vers l’abîme, par-ce
qu’elles doublent le poids de nos vices. Ainsi la gravité de notre
chute est en rapport avec la hauteur d’où nous sommes précipités.
La prudence nous conseille donc d’imiter les mages qu’une étoile
conduisit au berceau de l’Enfant-Dieu, et que les anges instruisirent par
un songe mystérieux. A leur exemple nous ne devons point revenir
en notre patrie par la même route que nous en sommes sortis, mais
suivre cet autre chemin que nous a tracé Jésus, ce Roi doux
et humble, et sur lequel Satan, son superbe ennemi, ne peut que nous tendre
d’inutiles embûches. D’ailleurs les cieux eux-mêmes nous invitent
à adorer le Dieu humble et caché dont ils racontent la gloire,
et dont ils proclament la grandeur dans l’univers entier et jusqu’aux extrémités
de la terre (Ps., XVIII, 2, 5 ).
Quant à la mort, elle a été introduite dans le
monde par le péché d’Adam, selon cette parole de l’Apôtre
: « Le péché est entré dans le monde par un
seul homme, et la mort par le péché. Ainsi la mort a passé
à tous les hommes par ce seul homme en qui tous ont péché
(Rom., V, 12 ) » . Or celui qui nous a ouvert cette triste voie,
c’est le démon qui, en nous persuadant de commettre le péché,
nous a précipités dans la mort. Mais cette mort qui est double
dans l’homme correspond en Satan à la perte unique de la grâce.
Et en effet, il était mort selon l’esprit par suite de sa révolte,
et non point selon la chair, tandis qu’en nous entraînant dans son
impiété, il nous a soumis à la mort de l’âme
et à celle du corps. Il semblait à l’homme qu’il ne s’exposait
qu’à la première en se laissant criminellement séduire,
et voilà qu’il s’est attiré la seconde par une juste condamnation.
Aussi l’Ecriture nous dit-elle que « Dieu n’a point fait la mort»,
parce qu’il n’en est ni l’auteur, ni le principe. Toutefois il a pu infliger
la mort au pécheur comme un châtiment juste et bien mérité.
C’est ainsi que le juge envoie un criminel au supplice, et que la cause
de ce supplice n’est point l’équité du juge, mais la faute
du coupable. Le démon nous a donc soumis à la mort du corps,
sans y participer lui-même; mais par une secrète disposition,
et une profonde justice du Seigneur, cette même mort que Jésus-Christ
quoique innocent a bien voulu subir, nous est devenue un remède
de vie et d’immortalité.
Et en effet, « comme c’est par un homme que la mort est venue,
c’est aussi par un homme que vient la résurrection (I Cor., XV,
21 ) ». Mais les hommes s’attachent bien plus à éloigner
la mort du corps que celle de l’âme, quoique la première soit
inévitable, et ils montrent ainsi qu’ils sont plus sensibles au
châtiment du péché, qu’à la malice même
du péché. Eh! ne les voyons-nous pas chaque jour s’appliquer
bien peu, et même nullement à éviter le péché,
au lieu qu’ils s’épuisent pour prévenir une mort qu’ils ne
peuvent éviter? C’est pourquoi Jésus-Christ, le vrai médiateur
de la vie, a voulu nous prouver qu’il ne faut point craindre la mort du
corps qui est une condition de notre nature, mais bien plutôt le
péché qui donne la mort à notre âme, et que
nous pouvons ne point commettre avec le secours de la foi. Il a donc atteint
lui-même la fin commune à tous les hommes, quoique par une
voie bien différente. Car nous sommes venus à la mort par
le péché, et lui par la justice et l’innocence. Aussi, de
même qu’en nous la mort est la peine du péché, elle
a été en Jésus-Christ l’expiation du péché.
CHAPITRE XIII.
MORT VOLONTAIRE DE JÉSUS-CHRIST.
16. L’âme qui est préposée au corps de l’homme,
meurt à la grâce, quand elle se sépare de Dieu, et
le corps lui-même meurt, quand l’âme l’abandonne. Mais parce
que cette dernière mort est un châtiment, il est juste que
l’âme qui s’est volontairement éloignée de Dieu, quitte
même involontairement le corps auquel elle est unie. Ainsi la mort
que nous subissons malgré nous, est la peine du péché
que nous avons librement commis. Car pour que l’âme quitte volontairement
le corps, il faut qu’elle-même lui fasse violence et lui donne un
coup mortel. Or, Jésus-Christ notre divin médiateur a voulu
subir librement la (412) mort pour nous prouver combien, en la subissant,
il était exempt de péché. Il est donc mort parce qu’il
l’a voulu, quand il l’a voulu, et de la manière dont il l’a voulu.
Et en effet, c’est en tant qu’uni au Verbe de Dieu qu’il a dit comme homme:
« J’ai le pouvoir de donner ma vie, et j’ai le pouvoir de la reprendre.
Nul ne me l’ôte, mais je la donne moi-même, et je la reprends
de nouveau (Jean, X, 18 ) ». Aussi voyons-nous par le récit
des évangélistes, que tous ceux qui furent présents
à la mort de Jésus-Christ, s’étonnèrent de
l’entendre pousser ce grand cri qui annonçait que notre péché
était effacé, et qui précéda immédiatement
son dernier soupir. Car d’ordinaire le supplice de la croix amenait une
longue agonie, comme le prouvent les deux voleurs auxquels il fallut rompre
les bras et les jambes afin de hâter leur mort, et pour que les corps
ne restassent pas exposés le jour du sabbat. La mort de Jésus
fut donc une sorte de miracle, et Pilate en jugea ainsi, quand on vint
lui demander la permission de rendre au corps du Sauveur les honneurs de
la sépulture (Marc, XV, 37 ; Jean, XIX, 30 ) ».
17. Mais cet esprit de mensonge qui a été pour l’homme
un médiateur de mort, voudrait en vain nous fermer les sources de
la vie par ses prétendues expiations, et ces cérémonies
impies et sacriléges, avec lesquelles il se joue de notre orgueil.
Exempt de la mort du corps, mais condamné aussi à ne jamais
recouvrer la vie de l’âme, il n’a été que trop heureux
d’avoir pu, n’étant lui-même blessé à mort que
dans l’âme, nous frapper de mort dans l’âme et dans le corps.
Quant au miracle de la résurrection, il passe évidemment
son pouvoir, puisqu’il est tout ensemble le sacrement de notre régénération,
et le modèle de la résurrection qui doit s’accomplir au dernier
jour. Au contraire, le vrai médiateur de la vie qui est toujours
vivant en son âme, est ressuscité en cette même chair
qui avait subi la mort, et il combat pour nous contre le démon.
De son côté, cet esprit rebelle, mort lui-même à
la grâce, et auteur de la double mort qui frappe l’homme, s’efforce
d’affermir son règne dans le coeur de tous ceux qui croient en lui.
Mais le Sauveur Jésus le chasse de ce royaume intérieur,
et ne lui permet que d’exercer au dehors sa rage et ses efforts impuissants.
Il voulut même souffrir que cet esprit mauvais le tentât,
afin de nous venir en aide pour surmonter la tentation, par sa grâce
et par son exemple. C’était vainement que d’abord il avait cherché
à le vaincre par des tentations intérieures, quand Jésus-Christ
après son baptême se fut retiré dans le désert,
et que le démon lui tendit les plus captieuses embûches. Sans
doute cet esprit mort à la grâce n’eut aucune prise sur celui
qui était vivant de la vie de l’Esprit-Saint; mais acharné
à frapper l’homme de la mort du péché, il essaya contre
le Christ toute sa malice, et l’attaqua, autant qu’il lui fut permis, dans
cette chair par laquelle le médiateur vivant et immortel était
devenu comme nous faible et mortel. Toutefois il ne réussit alors
en aucune de ses diverses suggestions; et lorsque, usant du pouvoir qu’il
avait reçu du dehors, il eut fait attacher le Sauveur à la
croix, il perdit tous ses droits à la domination intérieure
qui lui assujettissait nos âmes.
Et, en effet, la mort de Jésus-Christ, qui n’avait été
en lui précédée d’aucun péché, brisa
soudain les chaînes multipliées des nombreux péchés
de l’homme. Ainsi le Sauveur, en souffrant pour nous la mort qui ne lui
était point due, a fait que celle que nous subissons justement,
ne puisse nous nuire. Au reste, personne n’avait le pouvoir de lui ôter
la vie, et lui-même il s’en est dépouillé volontairement.
Car, puisqu’il pouvait ne point mourir, s’il l’eût voulu, il est
certain que la mort a été en lui un acte libre et spontané.
Aussi l’Apôtre nous dit-il que Jésus-Christ « a exposé
en spectacle avec une pleine autorité les principautés et
les puissances, après avoir triomphé d’elles en lui-même
(Coloss., II, 15 ) ». Sa mort a été, en effet, un vrai
sacrifice, dont les mérites nous sont appliqués, et qui a
racheté, expié et effacé entièrement nos péchés,
en sorte que les principautés et les puissances de l’enfer ne peuvent
plus réclamer notre condamnation. Et de plus, sa résurrection
est pour nous le modèle de cette vie nouvelle à laquelle
« il a appelé ceux qu’il a prédestinés; or,
ceux qu’il a appelés, il les a justifiés, et ceux qu’il a
justifiés, il les a glorifiés(Rom., VIII, 30 ) ». L’homme,
en consentant librement aux séductions du démon, était
en toute justice devenu son esclave; et cet esprit mauvais, affranchi lui-même
de la corruption de la chair et du sang, s’enorgueillissait de la victoire
que lui avait (413) procurée sur un être faible et infirme,
la fragilité d’une chair mortelle. Il se complaisait donc en ses
richesses et sa puissance, et insultait insolemment à notre misère
et notre malheur. Mais voilà que soudain la mort de l’Homme-Dieu
est venue détruire sa domination. Car s’il n’a point suivi le pécheur
dans l’abîme où il l’avait précipité, il n’a
point laissé d’y pousser celui qui devait être le Rédempteur
du monde.
C’est ainsi qu’en se soumettant comme nous à la mort, le Fils
de Dieu a daigné se faire notre ami, tandis que notre superbe ennemi,
en évitant cette même mort, croyait assurer au-dessus de nous
sa grandeur et sa prééminence. N’est-ce pas en effet ce divin
Rédempteur qui a dit: « Personne ne peut témoigner
un plus grand amour qu’en donnant sa vie pour ses amis (Jean, XV, 13 )
»? Aussi le démon se crut-il lui-même supérieur
à Jésus-Christ, parce que celui-ci parut dans sa passion
lui céder la victoire, et parce qu’alors s’accomplit en lui cette
parole du psalmiste : « Vous l’avez pour un peu de temps abaissé
au-dessous des anges (Ps., VIII, 6 ) ». Mais le Christ innocent,
qui a été injustement mis à mort, a vaincu justement
l’esprit mauvais qui nous tenait sous sa légitime domination. Il
nous a donc délivrés de la captivité où le
péché nous avait plongés, et il l’a chargée
elle-même de fers. En un mot, le sang du juste qui a été
injustement répandu, a effacé le décret de notre condamnation,
et il a mérité aux pécheurs la grâce du salut
et de la rédemption.
18. Cependant cette mort elle-même du Christ sert aujourd’hui
encore au démon pour tromper ses adeptes. Car jouant le rôle
de faux médiateur, il leur persuade qu’il les purifiera de leurs
péchés au moyen de certains rites qui n’ont d’autre efficacité
que de les plonger plus profondément. Et néanmoins l’orgueil
pousse alors ces malheureux à déverser tout d’abord l’ironie
et le mépris sur la mort de Jésus-Christ, et puis à
exalter au-dessus de lui la sainteté et la divinité de l’esprit
mauvais, parce qu’il ne s’est point soumis au supplice de la croix. Mais
le démon ne compte plus qu’un petit nombre d’adhérents, parce
que de toutes parts les gentils ouvrent les yeux, et qu’ils viennent humblement
boire aux sources du salut. Plus leur confiance au Christ rédempteur
s’accroît et s’affermit, et plus ils abandonnent le démon
pour accourir vers le divin Rédempteur. C’est qu’à l’insu
même de cet esprit mauvais, la sagesse divine sait excellemment faire
servir sa fureur et ses piéges au salut des fidèles. Et en
effet elle atteint avec force de l’extrémité supérieure
qui est la création de l’âme, à l’extrémité
inférieure qui est la mort du corps, et elle dispose toutes choses
avec douceur. Or, elle atteint ainsi d’une extrémité à
l’autre à cause de sa pureté, et parce que rien de souillé
n’est en elle (Sag., VIII, 1, VII, 24, 25 ).
Mais si le démon peut se glorifier de ne point être assujetti
à la mort du corps, et s’il s’en fait un titre d’honneur et de vanité,
il ne saurait éviter cette autre mort qui lui est réservée
dans les flammes éternelles de l’enfer. Car ces flammes ont la propriété,
et de torturer les âmes, et de faire souffrir tous les corps terrestres
et aériens. Quant à ces hommes orgueilleux qui méprisent
Jésus-Christ parce qu’il a été crucifié, quoique
ce supplice soit le prix inestimable dont il a payé notre rançon,
ils n’éviteront point cette première mort qui par suite du
péché originel est devenue le triste apanage de notre nature,
et de plus ils seront précipités avec le démon dans
la seconde mort des enfers. Ils préfèrent à Jésus-Christ
cet esprit mauvais qui les a perfidement soumis à une mort dont
la nature le préservait, et à laquelle le divin Sauveur a
daigné s’assujettir par un effet de sa grande miséricorde
à notre égard. Cependant ces mêmes hommes ne font aucune
difficulté de se croire meilleurs que les démons, et ils
ne cessent de les détester et de les poursuivre de leurs malédictions,
quoiqu’ils sachent que ces esprits mauvais n’ont jamais subi ce supplice
de la croix, qui est le principe et le motif de tous leurs mépris
envers Jésus-Christ. C’est qu’ils ne veulent point considérer
que le Verbe de Dieu, tout en restant ce qu’il est par sa divinité,
c’est-à-dire immuable en son essence, a bien pu souffrir en l’infériorité
de la nature humaine, qu’il avait daigné prendre, une mort dont
l’esprit impur est à l’abri, parce qu’il n’a point un corps terrestre
et mortel. Ainsi, malgré leur évidente supériorité
sur les démons, la chair qu’ils portent les soumet à la mort;
et de même les démons qui n’ont point un corps composé
de sang et de chair, sont exempts de la mort. (414) Mais ces hommes peuvent-ils
raisonnablement attendre quelque résultat efficace de diverses expiations
auxquelles ils s’assujettissent? Car ou ils ignorent qu’ils offrent ces
sacrifices à des esprits trompeurs et orgueilleux, ou s’ils le savent,
comment se persuadent-ils qu’ils feront utilement alliance avec des êtres
perfides et envieux, dont toute l’occupation est de ruiner l’oeuvre de
notre salut?
CHAPITRE XIV.
LE CHRIST EST LA PLUS PURE VICTIME.
19. J’observe en outre à l’égard de ces mêmes hommes
qu’ils devraient bien comprendre que malgré tout leur orgueil, les
démons ne pourraient prendre aucun plaisir aux sacrifices qui leur
sont offerts, si un vrai sacrifice n’était dû au Dieu véritable,
dont ils usurpent l’honneur et l’adoration. Or, d’abord ce sacrifice ne.
peut être légitimement offert que par un prêtre juste
et saint, et puis il est nécessaire que le Dieu auquel il est présenté,
le reçoive, et en applique les mérites à ceux qui
le lui font offrir. Il faut enfin que la victime soit elle-même pure
et immaculée, afin qu’elle puisse purifier l’homme de tout péché.
Certes, tel est le but que se proposent tous ceux qui font offrir un sacrifice
au Seigneur. Mais est-il un prêtre plus juste et plus saint que le
Fils unique de Dieu, qui n’a nul besoin de sacrifier pour l’expiation de
ses propres péchés, puisqu’en lui ne se trouve ni la faute
originelle, ni celles que nous commettons chaque jour? De plus, quelle
victime plus parfaite l’homme pouvait-il choisir que sa propre chair ?
et quelle chair plus propre à être immolée qu’une chair
mortelle? quelle victime pouvait encore en raison même de sa pureté
mieux purifier l’homme de toutes ses souillures, que la chair qui par un
miracle de chasteté a été formée dans le sein
d’une Vierge, est née de ses chastes entrailles? enfin quel sacrifice
serait plus agréable au Seigneur et plus propitiatoire à
notre égard, que celui où la victime n’est autre que le propre
corps de notre pontife? Ainsi l’on doit considérer quatre choses
dans tout sacrifice : celui à qui il est offert, celui qui l’offre,
celui qui s’immole, et celui au nom de qui il est immolé. Or, ces
quatre choses se rencontrent excellemment en Jésus-Christ, qui est
notre seul et véritable médiateur, et qui par son sacrifice
a ménagé avec Dieu notre paix et notre réconciliation.
Car il est Dieu comme celui à qui il l’offre, il ne fait qu’un avec
ceux pour qui il l’offre, et il est tout ensemble le prêtre qui l’offre
et la victime qui est offerte.
CHAPITRE XV.
PRÉSOMPTION ET AVEUGLEMENT.
20. Cependant il est des hommes qui pensent arriver par eux-mêmes
à un tel degré de pureté qu’ils pourront voir Dieu
et s’unir entièrement à lui. Hélas! ce grand orgueil
ne fait que les souiller davantage. Car il n’est point de péché
qui soit plus opposé à la loi divine, et qui affermisse mieux
à notre égard la cruelle domination du démon. Ce superbe
tyran ne cherche qu’à nous fermer le ciel, et à nous précipiter
dans l’enfer. C’est pourquoi nous devons éviter ses embûches
secrètes, et nous détourner de la voie qu’il nous trace.
Car, nouvel Amalec, ou il attaque de front un peuple abattu et découragé,
ou il contrarie et retarde l’entrée de ce même peuple dans
la terre promise. Mais voulons-nous le vaincre, appuyons-nous sur la croix
du Sauveur Jésus? croix que figurait Moïse en étendant
les mains. Au reste les orgueilleux dont je parle, ne présument
acquérir par eux-mêmes une entière et parfaite innocence
que parce que le génie de quelques sages a pu planer au-dessus de
ce monde grossier et terrestre, et percevoir un faible rayon de l’incommunicable
vérité. Aussi se plaisent-ils à prendre en pitié
ces nombreux chrétiens qui se contentent de croire, et qui n’essaient
pas même de s’élever à ces hauteurs. Mais à
quoi sert au sage orgueilleux, d’apercevoir de loin, et au-delà
des mers, les rivages de la patrie, s’il rougit par orgueil de monter sur
le navire qui pourrait l’y conduire? Et quel dommage au contraire reçoit
l’humble chrétien dont le regard est beaucoup moins étendu,
mais qui se confiant à ce même navire, arrive heureusement
au port?
CHAPITRE XVI.
ETROITESSE DE L’ENSEIGNEMENT DES PHILOSOPHES.
21. S’agit-il de la résurrection de la chair? ces mêmes
philosophes se moquent de notre croyance, et affirment que nous devons
nous ranger à leur opinion. Sans doute, ils ont pu par le spectacle
de ce monde visible s’élever (415) jusqu’à la connaissance
de l’Etre suprême et immuable ( Rom., I, 20 ); mais est-ce une raison
pour que nous les consultions exclusivement sur les modifications diverses
que peuvent subir des créatures mobiles et changeantes, et sur l’ordre
et la durée des siècles? Sans doute encore ils raisonnent
logiquement, et prouvent évidemment que le monde est l’ouvrage d’un
être éternel. Mais peuvent-ils par les seules lumières
de la raison découvrir et expliquer tous les mystères de
la nature: la création première des animaux et leurs espèces
si nombreuses; la conservation des genres et la multiplication des individus;
les divers phénomènes de leur reproduction, de leur vie et
de leur mort, et la sûreté de leurs instincts, en sorte que
chacun cherche ce qui lui est utile, et repousse ce qui lui serait nuisible?
Cependant, sans tenir aucun compte de la sagesse immuable d’un Dieu
créateur, ils tâchent de tout expliquer par l’influence des
climats, et la durée des siècles, et ils donnent une entière
adhésion à tout ce que d’autres ont avant eux observé
et écrit. Il n’est donc pas étonnant que leur regard n’ait
pu percer la nuit et la révolution des temps, ni se fixer sur ce
laps de siècles qui semblable à un fleuve rapide entraîne
le genre humain, et porte chaque individu vers sa fin particulière.
Car ici l’histoire nous fait complètement défaut, puisque
nul ne saurait connaître, ni révéler les secrets de
l’avenir. Les sages du paganisme, quoique bien supérieurs au vulgaire,
n’ont pu eux-mêmes pénétrer ces secrets par l’effort
de leur génie, ni les lire dans leurs sublimes conceptions de l’être
suprême et éternel. Autrement, loin de s’attacher, comme les
historiens, aux faits passés, ils ne se fussent occupés que
de l’avenir. C’est ce qu’ont fait ceux que les païens nomment devins,
et que les chrétiens appellent prophètes.
CHAPITRE XVII.
LES PHILOSOPHES ET LA RÉSURRECTION.
22. Néanmoins il faut avouer que le nom de prophètes
n’était pas entièrement inconnu aux païens. Mais quand
il s’agit de prophéties, il est important d’établir plusieurs
distinctions. Et d’abord on peut conjecturer l’avenir par la connaissance
du passé. Ainsi l’expérience aide beaucoup les médecins
dans leurs prévisions, et plusieurs en ont consigné par écrit
les résultats heureux. Ainsi encore le laboureur et le matelot énoncent
diverses prédictions, qui même, en raison du long intervalle
qui les voit se réaliser, passent pour de véritables prophéties.
En second lieu, les esprits répandus dans l’air, pressentent pour
ainsi dire les événements qui doivent prochainement s’accomplir;
et la subtilité de leur intelligence leur permet de les découvrir
de loin, en sorte qu’ils semblent les prédire. C’est à peu
près comme si du sommet d’une montagne, apercevant un voyageur,
je l’annonçais aux personnes qui stationneraient dans la plaine.
Mais ici tantôt c’est aux saints anges que le Seigneur révèle
ces évènements par son Verbe, ou sa Sagesse, en qui réside
le passé et l’avenir; et alors ils les découvrent eux-mêmes
aux hommes, ou bien ils n’en instruisent qu’un petit nombre, qui à
leur tour en répandent et en divulguent la connaissance. Tantôt
au contraire l’intelligence de l’homme, sans l’intermédiaire des
anges, est élevée par l’Esprit-Saint à un tel ravissement,
qu’elle contemple la cause et l’origine des futurs contingents dans la
source et le principe de toutes choses. Quant aux esprits de malice, qui
sont répandus dans l’air, ils ne connaissent ces divers événements
que par la prédiction qu’en font les anges et les hommes, et ils
ne les connaissent même qu’autant que le permet Celui qui est le
souverain Seigneur de tous les êtres. Enfin il peut arriver qu’un
homme prophétise même à son insu, et par une inspiration
secrète du Saint-Esprit. Ainsi Caïphe prophétisa, ne
parlant point de lui-même, mais parce qu’il était grand-prêtre
(Jean, XI, 51 ).
23. Nous ne saurions donc touchant la suite des siècles et la
résurrection des morts, nous en rapporter exclusivement même
à ceux des philosophes païens qui, autant qu’ils l’ont pu,
ont reconnu le Dieu éternel et créateur en qui nous avons
le mouvement et la vie (Act., XVII, 28 ). Car ayant connu Dieu par tout
ce qui a été fait, ils ne l’ont point glorifié comme
Dieu, et ne lui ont point rendu grâces. Mais en se disant sages,
ils sont devenus fous (Rom., I, 21, 22 ). C’est pourquoi ces philosophes
n’ont jamais pu contempler l’être spirituel, immuable et éternel,
d’un regard qui pénétrât jusque dans le sanctuaire
secret de la sagesse et de la providence où sont contenus les divers
événements que doit amener la suite des siècles. Là
par rapport à Dieu, ces (416) événements sont tout
ensemble présents, passés et futurs; mais sur la terre, et
eu égard à l’homme, ils sont seulement futurs et contingents.
De plus, ces mêmes philosophes étaient également incapables
d’apprécier les résultats heureux par lesquels toutes choses
coopèrent au bien et à la perfection de l’homme, en son corps
comme en son âme.
Pour suppléer en eux à cette impuissance personnelle
de percevoir l’avenir, il eût fallu que les saints anges vinssent
les en instruire. Mais Dieu les a jugés indignes de cette faveur,
et les esprits célestes ne leur ont rien fait connaître soit
par des signes extérieurs et sensibles, soit par des visions imaginatives
ou intellectuelles. Nos pères au contraire, les patriarches et les
prophètes, ont mérité par l’excellence de leur piété,
de recevoir la révélation de l’avenir: et par des miracles
opérés en preuve de leur inspiration, ou par la réalisation
des prophéties peu après accomplies, ils ont donné
à leurs prédictions d’événements éloignés
et lointains une autorité qui subsistera jusqu’à la fin du
monde. Quant aux esprits de malice, répandus dans l’air, esprits
orgueilleux et trompeurs, ils ont bien pu par la bouche de leurs prêtres
répéter sur la société sainte des élus
et sur le vrai Médiateur plusieurs des choses qu’ils en avaient
entendu dire aux anges, ou aux prophètes. Leur but en cela était
d’entraîner dans l’erreur, s’ils le pouvaient, les serviteurs de
Dieu, en les séduisant par l’énonciation de quelques vérités.
Mais le Seigneur, même à leur insu, a réalisé
parmi eux un tout autre dessein, et il a fait ainsi publier en tous lieux
la vérité, afin de fortifier les adorateurs et de confondre
les impies.
CHAPITRE XVIII.
BUT DE L’INCARNATION.
24. Ainsi l’homme est incapable de s’élever par lui-même
jusqu’aux choses éternelles. Car son esprit est courbé sous
le poids du péché, et enchaîné par l’amour des
biens de la terre, de même que son corps est assujetti à la
mort par suite de la souillure originelle. Il a donc besoin d’être
purifié. Or cette purification, qui doit nous mettre en communication
avec les choses éternelles, ne peut s’effectuer qu’au moyen des
mêmes affections terrestres qui captivent nos sens et obscurcissent
notre intelligence. Et en effet, la santé est tout l’opposé
de la maladie ; néanmoins nul ne peut amener la guérison,
s’il ne se met en rapport avec la maladie elle-même. C’est ainsi
que les mêmes préoccupations du temps et de la terre qui amusent
l’homme faible et malade, quand elles sont inutiles, le disposent à
un meilleur état, quand elles sont utiles, et le conduisent enfin
aux pensées éternelles, quand il est entièrement guéri.
Or, si notre âme, une fois purifiée, doit s’adonner à
la méditation des vérités éternelles, elle
ne peut cependant obtenir cette purification que par des moyens temporels.
Aussi un des sages de la Grèce a-t-il dit «que la vérité
est à la foi ce que l’éternité est à la création
».
Et cette sentence est bien vraie, puisque ce philosophe entend par
création tout ce qui est soumis à l’action du temps. Mais
n’est-ce point là le véritable état de l’homme? et
n’est-il point sujet au changement en son âme comme en son corps?
on ne saurait en effet nommer éternel rien de ce qui est tant soit
peu mobile et changeant. C’est pourquoi moins l’homme est fixe et stable,
moins il est éternel. Toutefois on nous promet de nous conduire
par la vérité à la vie éternelle; mais notre
foi s’éloigne autant de cette vérité que notre mortalité
est distante de l’éternité. Il faut donc que l’homme embrasse
fermement la croyance des mystères qui pour lui ont été
opérés dans le temps, afin que par cette croyance il soit
purifié de la tache du péché. Et puis, lorsqu’il sera
parvenu à la vision intuitive, la vérité succédera
à la foi, et l’éternité à la mortalité.
Ainsi- notre foi deviendra vérité pleine et entière,
quand nous posséderons cette vision parfaite qui nous est- promise;
et de même on nous promet une vie éternelle. Car la Vérité
, non la vérité qui grandira la foi , mais la Vérité
qui est souveraine et infaillible , parce qu’elle est éternelle,
la Vérité a dit : « La vie éternelle est de
vous connaître, vous le seul Dieu véritable, et Jésus-Christ
que vous avez envoyé (Jean, XVII, 3 ) ».
Ainsi lorsque notre foi deviendra vérité par la vision
béatifique, notre corps mortel sera transformé et rendu immortel.
Mais en attendant ces merveilleuses opérations de la grâce,
et même pour les réaliser, nous devons donner l’assentiment
de notre foi aux mystères qui se sont accomplis dans le temps, de
même (417) que nous espérons en posséder un jour dans
l’éternité la vision pure et distincte. C’est pourquoi le
Fils de Dieu, qui est la vérité suprême, et qui est
co-éternel au Père, a daigné venir parmi nous, afin
d’unir dans un rapport ineffable la foi qui est l’exercice de notre vie
mortelle, et la vérité qui sera l’apanage de notre vie immortelle.
Et en effet, il est venu se faisant Fils de l’homme, et s’il demande que
nous ayons foi en lui, c’est pour que cette foi nous conduise à
la possession de sa vérité propre et substantielle. Car en
prenant l’infirmité de notre chair mortelle, il n’a point dépouillé
son éternité. La vérité est donc à la
foi ce que l’éternité est à la création ; et
l’oeuvre de notre purification exigeait que le Dieu qui est éternel,
parût dans le temps, afin que notre foi n’eût point un objet
différent de celui qu’elle verra un jour dans tout l’éclat
de la vérité.
Néanmoins l’homme faible et mortel ne pourrait jamais arriver
par lui-même à l’éternité, site Fils de Dieu,
en prenant notre mortalité, ne nous eût attiré à
son éternité propre. Mais aujourd’hui notre foi pénètre
dans les cieux à la suite de Jésus-Christ, en qui elle croit
fermement, qui est né, qui est mort, est ressuscité , et
est monté aux cieux. De ces quatre faits, nous savons bien que deux
se réalisent à notre égard, car qui ignore que l’homme
naît et meurt? Quant aux deux derniers, c’est-à-dire la résurrection
et l’ascension, ils sont l’objet de notre espérance, parce que nous
croyons en Celui en qui ils se sont accomplis. La nature humaine a pris
en Jésus-Christ possession de l’éternité; c’est pourquoi
notre corps lui-même participera à cette éternité,
lorsque notre foi sera transformée en la plénitude de la
vérité. C’est ce que nous enseigne la parole suivante de
Jésus-Christ. Comme il voulait affermir ses apôtres en la
foi, afin de les amener à la vérité, et parla vérité
les délivrer de la mort et les conduire à l’éternité
bienheureuse, il leur disait : « Si vous persévérez
en ma parole, vous serez vraiment mes disciples ». Et puis il ajouta,
comme s’ils lui eussent demandé quel serait le fruit de cette persévérance
: « Vous connaîtrez la vérité ». Mais parce
qu’ils pouvaient encore se dire à eux-mêmes : eh ! quel besoin
un homme a-t-il de la vérité? le divin Sauveur conclut par
ces mots: « Et la vérité vous délivrera(Jean,
VIII, 31, 32 ). Or de quels maux la vérité pouvait-elle les
délivrer, si ce n’est de la mort, de la corruption et de l’instabilité?
car d’une part le propre de la vérité est d’être immortelle,
incorruptible et immuable, et de l’autre la véritable immortalité,
la véritable incorruptibilité et l’immutabilité véritable
ne sont que l’éternité.
CHAPITRE XIX.
ÉGALITÉ DU FILS DE DIEU AVEC SON PÈRE.
25. Voilà quel est l’objet de la mission du Fils de Dieu, ou
plutôt quelle est la mission du Fils de Dieu. Et en effet, tous les
mystères de la grâce n’ont pour but que d’affermir notre foi,
et par cette foi de nous purifier de nos péchés, afin de
nous conduire à la contemplation de là vérité.
Mais tous ces mystères, soit que nous les considérions arrêtés
en Dieu de toute éternité, pour se produire dans le temps,
soit que nous les étudiions réalisés dans le temps
et par rapport à l’éternité, ne se produisent devant
nos yeux que comme autant de faits qui rendent témoignage à
cette mission du Fils de Dieu, ou plutôt qui sont cette mission elle-même.
De plus, ces faits se divisent en deux classes ceux qui ont annoncé
l’avènement du Christ en la chair, et ceux qui prouvent que cet
avènement a eu lieu. Il convenait en effet que Celui par qui toute
créature a été faite, eût toutes les créatures
pour témoins de sa naissance mortelle ; et si le Rédempteur
unique du genre humain n’eût été annoncé par
un grand nombre d’envoyés, comment eût-il seul brisé
les fers d’un si grand nombre de captifs et d’esclaves? Ajoutons encore
que s’il ne s’était entouré de témoignages qui par
leur évidence et leur sublimité subjuguent nos esprits faibles
et infirmes, nous ne croirions pas en lui. Mais parce que nous y croyons,
celui qui est grand nous élève jusqu’à sa propre grandeur;
et c’est le même Dieu qui s’est fait petit pour descendre jusqu’à
la petitesse de l’homme. Sans doute le ciel, la terre et toutes les créatures
qui sont l’ouvrage du Fils de Dieu, rendent à sa puissance un témoignage
évidemment supérieur à celui des signes et des miracles
qui ont prédit ou qui ont attesté son avènement; et
toutefois les hommes faibles et petits n’ont considéré ce
premier témoignage comme véritablement grand, qu’en estimant
le second grand dans son infériorité.
26. « Lors donc que la plénitude des temps (418) fut arrivée,
Dieu envoya son Fils formé d’une femme, et assujetti à la
loi (Gal., IV, 4.) ». Ainsi le Fils de Dieu s’est abaissé
jusqu’à être formé, et il a été envoyé
dans le monde, puisqu’ il a été assujetti à la loi.
Mais s’il n’appartient qu’à un supérieur d’envoyer un inférieur,
nous devons ici avouer que le Fils de Dieu est inférieur à
Dieu le Père. Il lui est même d’autant plus inférieur
qu’il a été formé d’une femme et qu’il a été
assujetti à la loi. Oui, ce Fils que Dieu a envoyé, et qui
a été formé d’une femme, est le même par qui
toutes choses ont été faites. Il existait avant que d’être
envoyé et formé d’une femme, et nous le reconnaissons égal
au Père qui l’envoie. Toutefois sous ce dernier rapport nous n’hésitons
pas à dire qu’il lui est inférieur.
Mais comment les patriarches et les prophètes ont-ils pu le
voir par le ministère des anges avant que fût arrivée
cette plénitude des temps où il devait être envoyé,
puisque même après son avènement en la chair, il n’était
point connu comme égal à son Père ? Et en effet saint
Philippe, comme tous les autres, et comme les bourreaux eux-mêmes
qui crucifièrent Jésus-Christ, le voyait en sa chair, et
néanmoins il dit à ses apôtres: « Il y a si longtemps
que je suis avec vous, et vous ne me connaissez pas ? Philippe, celui qui
me voit, voit aussi mon Père ». Le Fils de Dieu était
donc vu, et il n’était pas vu. Il était vu en tant qu’il
était envoyé et formé d’une femme, et il n’était
pas vu en tant qu’il était le Verbe par qui toutes choses ont été
faites. Il disait encore: « Celui qui a mes commandements et qui
les garde, c’est celui-là qui m’aime. Or celui qui m’aime sera aimé
de mon Père ; je l’aimerai aussi, et je me manifesterai à
lui (Jean, XIV, 9, 21)». Mais comment eût-il pu tenir ce langage
lorsqu’il se montrait comme homme à tous les regards, si sous les
dehors de la chair il n’eût présenté
à la foi ce même Verbe qui dans la plénitude des
temps avait été formé de la femme ? Quant
à la divinité de ce Verbe par qui toutes choses ont été
faites , il la réserve pour être dans
l’éternité la vision de l’âme purifiée par
la foi.
CHAPITRE XX.
MISSION DU FILS ET DU SAINT-ESPRIT.
27. Et maintenant, si nous voulons dire qui le Fils a été
envoyé par le Père, en ce sens que l’un est Père et
que l’autre est Fils, rien mie peut s’opposer à ce que nous reconnaissions
le Fils consubstantiel et coéternel au Père, quoiqu’il en
ait reçu sa mission. Dans le dogme catholique le Père n’est
point supérieur au Fils, et le Fils n’est point inférieur
au Père; mais l’un est principe générateur et l’autre
est engendré; le Fils est envoyé par Celui qui l’engendre,
et le Père envoie Celui à qui il communique l’être.
Et en effet, le Fils procède du Père, et non le Père
du Fils. Aussi est-il facile de comprendre qu’on puisse dire que le Fils
a été envoyé, non parce que le Verbe s’est fait chair,
mais pour qu’il se fît chair, et qu’en prenant la nature il accomplît
les oracles de l’Ecriture. Dans ce sens le Fils de Dieu n’est pas seulement
envoyé comme homme, le Verbe même est envoyé pour se
faire homme. En effet le Fils est dit envoyé, non parce qu’il est
inférieur au Père en puissance et en nature, ou parce qu’il
lui est inégal en quelque chose, mais parce que comme Fils il est
engendré du Père, tandis que le Père ne procède
point du Fils.
Au reste le Verbe ou le Fils de Dieu est aussi appelé sa Sagesse.
Est-il donc étonnant qu’il soit envoyé non comme inégal
au Père, mais comme « une parfaite émanation de la
clarté du Tout-Puissant (Sag., VII, 25 ) »? Or ici le rayon
qui émane et le foyer d’où il se répand sont de la
même nature, car ce n’est point une source d’eau vive qui jaillit
des veines de la terre, ou des flancs d’un rocher, mais une lumière
qui s’échappe du sein de la lumière. Aussi lorsque nous disons
que le Verbe « est la splendeur de la lumière éternelle
», voulons-nous signifier qu’il est lumière de lumière
éternelle. Car la splendeur de la lumière n’est pas autre
que la lumière elle-même. C’est pourquoi elle est coéternelle
à la lumière dont elle est la splendeur. Seulement l’auteur
sacré a dit plutôt splendeur de lumière que lumière
de lumière, afin qu’on ne crût pas qu’il supposait quelque
infériorité entre la lumière et le rayon qui s’en
échappe. Et en effet, dès que celui-ci est la splendeur de
la lumière, il devient plus facile d’admettre qu’il lui doit son
éclat que de supposer qu’il lui soit inférieur.
Cependant il n’était pas à craindre que l’on en vînt
à regarder la lumière comme moindre que le rayon qu’elle
engendre, car (419) jusqu’ici aucun hérétique n’a avancé
un tel paradoxe, et il est probable que jamais on n’osera le faire. Mais
parce que nous pourrions peut-être penser que le rayon est moins
éclatant que la lumière qui le produit, l’Ecriture prévient
cette objection, et dissipe tous nos doutes en disant que le Verbe est
la splendeur du Père, c’est-à-dire de la lumière éternelle.
Elle affirme ainsi l’égalité parfaite du Père et du
Fils. Supposons en effet que le rayon soit inférieur à la
lumière, il en sera l’obscurcissement et non la splendeur. Si au
contraire il lui est supérieur, comment pourrait-il en être
la production, puisqu’alors l’effet serait plus grand que la cause? Mais
parce que le Verbe est le rayon qui émane de la lumière éternelle,
il ne lui est pas supérieur, et parce qu’il en est la splendeur
et non l’obscurcissement, il ne lui est pas inférieur; donc il lui
est égal. Au reste, ne nous troublons point en lisant que la sagesse
divine est « une émanation de la clarté du Tout-Puissant
», car presque immédiatement il est dit « qu’elle est
unique et qu’elle peut tout (Sag., VII, 25-27 )». Or, qui est le
Tout-Puissant, si ce n’est Celui qui peut tout?
Ainsi la Sagesse divine est envoyée par le Père de qui
elle émane. C’est ce que reconnaît Salomon dans la prière
suivante qu’il adressait au Seigneur. Epris d’amour pour cette Sagesse,
et désireux de la posséder, il s’écriait « Envoyez-là
du ciel, votre sanctuaire, et du trône de votre grandeur, afin qu’elle
soit avec moi, et qu’elle agisse avec moi (Id., IX, 10 )». C’est-à-dire
afin qu’elle m’enseigne à travailler utilement, car sans elle les
travaux de l’homme sont stériles et infructueux, tandis qu’avec
elle ils deviennent féconds en vertus et en bonnes oeuvres. Toutefois
l’envoi ou la mission de la Sagesse divine est bien différente selon
qu’elle est envoyée à l’homme ou qu’elle-même se fait
homme. C’est elle en effet qui « se répand dans les âmes
saintes, qui fait les amis de Dieu et les prophètes (Id., VII, 27
)», qui remplit les esprits célestes, et qui les emploie de
la manière la plus convenable à l’exécution de ses
volontés. Mais quand la plénitude des temps fut arrivée,
cette même Sagesse descendit sur la terre, non pour remplir les anges,
ni devenir elle-même un ange, si ce n’est en ce sens que le Verbe
nous a révélé les conseils éternels du Père,
qui sont aussi ses propres conseils. Ce n’était pas non plus pour
converser avec les hommes, ni s’épancher en eux, comme déjà
, elle l’avait fait à l’égard des patriarches et des prophètes;
mais c’était pour prendre la nature humaine, en sorte que le Verbe
divin devînt Fils de l’homme. Tel est ce mystère de l’Incarnation
dont la révélation, avant même qu’elle se réalisât
dans le sein virginal de Marie, a été le principe du salut
pour les saints et les justes qui ont vécu sous l’Ancien Testament,
et qui sont nés de la femme. Et aujourd’hui encore ce même
mystère accompli et publié dans l’univers entier, est la
sanctification de tous ceux qui en font l’objet de leur foi, de leur espérance
et de leur amour. Il est en effet « ce grand sacrement d’amour qui
s’est montré dans la chair, qui a été autorisé
par l’Esprit, manifesté aux anges, prêché aux nations,
cru dans le monde et élevé dans la gloire (I Tim., III, 16
)».
28. Le Verbe de Dieu est donc envoyé par Celui dont il est le
Verbe ; et le Fils est envoyé par le Père qui l’a engendré;
ainsi encore le Père qui engendre, envoie, et le Fils qui est engendré,
est envoyé. Bien plus, ce même Verbe est envoyé à
tout homme qui le connaît et qui le comprend, du moins, autant que
notre esprit peut le connaître et le comprendre en raison de ses
progrès et de son avancement dans les voies spirituelles. Il ne
serait pas exact de dire que le Fils est envoyé, en tant qu’il est
engendré du Père, mais en tant qu’il a paru dans le monde
revêtu de la nature humaine. C’est en ce sens qu’il a dit lui-même
: « Je suis sorti de mon Père, et je suis venu dans le monde
(Jean, XVI, 28 ) ». On peut aussi affirmer que le Verbe multiplie
dans le temps sa mission céleste, toutes les fois que notre esprit
le perçoit, selon cette parole de Salomon : « Envoyez, Seigneur,
votre Sagesse, ci afin qu’elle soit avec moi et qu’elle travaille avec
moi ».
Car le Verbe qui est engendré de toute éternité,
est lui-même éternel, puisqu’il est « la splendeur de
la lumière éternelle ».
Nous disons au contraire qu’il est envoyé dans le temps, parce
qu’il s’est fait connaître aux hommes; aussi cette mission du Fils
de Dieu ne s’est-elle véritablement réalisée que le
jour où, dans la plénitude des temps, il naquit de la femme
et se montra en la, nature humaine. « En effet, le monde avec sa
propre sagesse n’ayant pu connaître la sagesse de (420) Dieu, parce
que la lumière luit dans les ténèbres, et que les
ténèbres ne la reçoivent pas, il a plu à Dieu
de sauver par la folie de la prédication ceux qui croiraient en
lui ». C’est pourquoi « le Verbe s’est fait chair et a habité
parmi nous ( I Cor., I, 21 ; Jean, I, 5, 14 ) ». Cependant lorsque
ce même Verbe est perçu dans le temps par notre intelligence,
on peut bien dire tout ensemble qu’il est envoyé, et qu’il n’est
pas envoyé dans le monde, car il ne se montre point à nous
sous une forme sensible; c’est-à-dire qu’il n’est point aperçu
des yeux du corps. C’est ainsi que nous-mêmes ne sommes plus en quelque
sorte dans le monde, quand notre intelligence s’abîme, autant qu’elle
le peut, dans les profondeurs de l’éternité. C’est encore
dans le même sens que les justes ici-bas, quoique vivant en la chair,
ne sont plus du monde, parce que leur esprit est tout absorbé dans
les choses divines. Cependant, nous ne disons point que le Père
soit envoyé, quoique dans le temps il se révèle aux
hommes. La raison est qu’il est à lui-même son propre principe,
et qu’il ne procède d’aucune autre personne divine. Tout au contraire
la Sagesse, ou le Verbe dit: « Je suis sorti de la bouche du Très-Haut
»; et il est dit de l’Esprit-Saint « qu’il procède du
Père (Eccli. XXIV, 5 ; Jean, XV, 26 ) ». Mais le Père
ne procède d’aucune de ces deux personnes.
29. Ainsi le Père engendre et le Fils est engendré; et
de même le Père envoie et le Fils est envoyé. Mais
ici celui qui engendre et celui qui est engendré, celui qui envoie
et celui qui est envoyé ne sont qu’un, parce que le Père
et le Fils ne sont qu’un (Jean, X, 30 ). Ainsi encore le Saint-Esprit est
un avec le Père et le Fils, parce que les trois personnes divines
ne sont qu’un seul et même Dieu. Nous disons également que
le Fils est né du Père, parce qu’il a été engendré
du Père, et qu’il a été envoyé par le Père,
parce qu’il nous a fait connaître le Père ; de même
le propre de l’Esprit-Saint est qu’il procède du Père, et
il est dit envoyé par le Père, lorsqu’il nous fait connaître
celui dont il procède. Toutefois il serait inexact d’affirmer que
l’Esprit-Saint ne procède point du Fils, puisqu’il est appelé
dans l’Ecriture l’Esprit du Fils, non moins que l’Esprit du Père.
C’est d’ailleurs ce que Jésus-Christ lui-même voulut nous
faire entendre, quand il souffla sur ses apôtres, leur disant: «
Recevez le Saint-Esprit (Jean, XX, 22 ) ». Car ce souffle matériel
et sensible qui des lèvres du Sauveur se répandit sur le
visage des apôtres, n’était point la personne même du
Saint-Esprit; et nous ne devons y voir qu’un signe exprimant que cet Esprit
divin procède également du Fils, comme du Père.
Et en effet, qui serait assez insensé pour avancer que l’Esprit-Saint,
qu’ici Jésus-Christ donne en soufflant sur ses apôtres, n’est
pas le même que celui qu’il leur envoya après son ascension?
Car il n’y a qu’un seul Esprit de Dieu, qui est l’Esprit du Père
et du Fils; et c’est cet Esprit divin qui opère toutes choses en
tous (I Cor., XII, 6 ). Quant au mystère de ces deux missions, j’en
dirai plus tard quelque chose, selon que Dieu me l’inspirera: mais pour
le moment, il suffit d’observer que Jésus-Christ, en disant: «
L’Esprit que je vous enverrai de la part du Père ( Jean, XV, 26
) », veut prouver à ses apôtres que cet Esprit procède
du Fils non moins que du Père. Précédemment il leur
avait dit que « le Père l’enverrait au nom du Fils ( Id.,
XIV, 26 ) ». Mais il n’avait point dit que ce serait de la part du
Fils, comme il avait dit qu’il l’enverrait, lui, « de la part du
Père ». Ainsi faisait-il entendre que le Père est dans
les deux autres personnes divines le principe de la divinité, ou,
si l’on aime mieux, de la déité.
Ainsi l’Esprit-Saint, qui procède du Père et du Fils,
a pour principe le Père par qui le Fils est engendré : et
quant à cette parole de l’Evangéliste : « Le Saint-Esprit
n’était pas encore donné, parce que Jésus n’était
pas encore glorifié ( Id., VII, 39 ) », elle signifie seulement
que cette mission, ou envoi de l’Esprit-Saint, qui s’opérerait après
la glorification du Christ, serait plus éclatante que celles qui
déjà avaient eu lieu. Et en effet, l’Esprit-Saint avant cette
solennelle effusion, était souvent communiqué aux hommes,
mais non de la même manière. Car, dites-moi au nom de qui
les prophètes ont-ils parlé, s’ils n’ont point reçu
ce divin Esprit? Aussi, l’Ecriture dit souvent et expressément qu’ils
ont parlé par l’inspiration du Saint-Esprit. Elle l’assure spécialement
de Jean-Baptiste, dont elle dit « qu’il sera rempli du Saint-Esprit
dès le sein de sa mère »; et parce que Zacharie, son
père, fut également rempli du même Esprit, il prophétisa
l’avenir du saint précurseur. C’est encore par (421) l’inspiration
du Saint-Esprit, que Marie glorifia le Dieu qu’elle portait en son sein,
et que le vieillard Siméon et Amine la prophétesse reconnurent
le divin Enfant et en publièrent les grandeurs (Luc, I, 15-38.,
II, 25, 41-79 ).
Comment donc l’évangéliste a-t-il pu dire que «
l’Esprit-Saint n’était pas encore donné, parce que Jésus
n’était pas encore glorifié », si ce n’est dans le
sens qu’il devait, au jour de la Pentecôte, se répandre et
se donner avec une effusion et une solennité inconnues jusqu’alors?
Et en effet, l’Ecriture ne dit nulle part qu’avant ce jour, l’Esprit-Saint
ait communiqué le don des langues. Mais il le fit à l’égard
des apôtres, afin de leur donner un signe sensible de sa venue; il
voulut aussi montrer par là que tous les peuples, quoique divisés
de langage et de nationalité, devaient tous croire en Jésus-Christ
par la grâce de l’Esprit-Saint. Au reste, c’est cette unité
en la foi qu’avait annoncée le psalmiste, quand il s’écriait
: « Il n’est point de langues ni d’idiomes dans lesquels on n’entende
la voix du Seigneur. Son éclat s’est répandu dans tout l’univers,
et elle a retenti jusqu’aux extrémités de la terre ( Ps.,
XVIII, 4, 5 ) ».
CHAPITRE XXI.
REVÉLATIONS SENSIBLES DU SAINT-ESPRIT. — RÉSUMÉ.
30. Il y a donc eu dans le Verbe comme mélange et fusion de
la nature divine et de la nature humaine pour former une seule personne:
et ce mystère s’est accompli lorsque dans la plénitude des
temps le Fils de Dieu fut envoyé, afin que naissant de la femme,
il devînt pour le salut des hommes fils de l’homme. Sans doute l’ange
a bien pu avant l’incarnation annoncer et représenter ce divin Sauveur,
mais il ne lui a jamais été permis de se substituer à
sa personne. Et maintenant que dire de la colombe et des langues de feu
qui signalèrent la présence de l’Esprit-Saint? Ce n’étaient
que des symboles puisqu’il existe entre le Père, le Fils et l’Esprit-Saint
une entière égalité de nature, et une même éternité.
La créature se montra alors docile et obéissante pour représenter
par ses mouvements et ses formes cet Esprit divin et immuable, mais elle
ne lui fut point unie, comme dans l’incarnation la nature humaine l’a été
au Verbe fait chair. Je n’ose donc affirmer qu’avant le baptême de
Jésus-Christ et le jour de la Pentecôte de semblables apparitions
n’aient pu avoir lieu. Mais e dis en toute assurance que le Père,
le Fils et l’Esprit-Saint n’ont qu’une seule et même nature, qu’il
n’y a qu’un seul Dieu créateur, et que les oeuvres de la toute-puissance
divine appartiennent inséparablement aux trois personnes de la Sainte
Trinité. Toutefois ce mystère ne saurait être invinciblement
démontré par aucun des signes ou figures que nous empruntons
aux créatures sensibles et matérielles, tant celles-ci s’éloignent
de Dieu et lui sont inférieures.
Cette même impuissance se fait encore remarquer dans notre langage.
Car la parole, qui fait entendre un son matériel ne peut nommer
que séparément le Père, le Fils et le Saint-Esprit;
et elle est ainsi forcée de mettre comme quelque inégalité
entre les trois personnes divines, puisqu’elle n’en prononce le nom que
successivement, et à des intervalles plus ou moins rapprochés.
Cependant, parce que le Père, le Fils et l’Esprit-Saint n’ont qu’une
seule et même nature, ils ne sont qu’un seul Dieu, et ne peuvent
avoir avec les créatures aucun rapport de mobilité, ni d’espace
ni de durée. Les trois personnes divines existent de toute éternité,
et elles existeront éternellement, car en Dieu l’éternité
ne saurait se concevoir sans la vérité et sans l’amour. Lorsqu’au
contraire je nomme le Père, le Fils et le Saint-Esprit, je les nomme
séparément, et quand j’écris ces trois noms, je suis
contraint de les écrire séparément. Au reste la même
difficulté se présente au sujet des facultés de notre
âme. Et en effet, si je nomme la mémoire, l’intelligence et
la volonté, je rapporte chacun de ces noms à une faculté
spéciale de mon âme, quoiqu’en réalité cette
âme soit une et indivisible. Sans doute dans le langage, on distingue
la mémoire, l’intelligence et la volonté; mais dans l’opération,
ou action extérieure, on reconnaît que tout est commun à
ces trois facultés. Ainsi en est-il de la sainte Trinité.
Elle a parlé tout entière par le Père, s’est incarnée
par le Fils, et s’est montrée dans le Saint-Esprit sous la forme
d’une colombe. Toutefois nous ne laissons pas que de rapporter individuellement
à chaque personne ces différentes actions. Cette explication
:peut en quelque sorte nous faire comprendre comment les trois personnes
de la sainte Trinité, quoique réellement inséparables,
peuvent (422) néanmoins agir séparément par l’intermédiaire
des créatures visibles, et comment encore la même action,
qui au dehors se rapporte spécialement au Père, au Fils,
ou au Saint-Esprit, est cependant l’action commune et indivisible de la
Trinité entière.
31. Si vous me demandez maintenant quel fut avant l’incarnation l’agent
qui mettait en mouvement les paroles, les figures et les symboles qui annonçaient
ce mystère, je vous dirai que Dieu y employait le ministère
des anges, comme je pense l’avoir suffisamment prouvé par divers
passages des saintes Ecritures. Mais comment s’est accomplie l’Incarnation?
Je réponds à cette seconde question en affirmant que le Verbe
de Dieu s’est fait chair, c’est-à-dire qu’il s’est fait homme. Toutefois
la nature divine n’a point été changée, ni transformée
en la nature humaine; mais l’une et l’autre subsistent en une seule personne,
qui est tout ensemble Fils de Dieu et fils de l’homme. Comme tous les hommes,
le Verbe incarné a réellement un corps, et il possède
une âme raisonnable; et nous le nommons Dieu en raison de sa nature
divine, et homme en raison de sa nature humaine. Vous est-il difficile
de comprendre ce mystère? purifiez votre esprit par la foi, par
la fuite du péché et par le soin des bonnes oeuvres; joignez-y
encore la prière et les saints désirs de la piété,
et bientôt, soutenu parle secours divin de la grâce, vous arriverez
à l’amoureuse intelligence -de ces hautes vérités.
Mais après l’Incarnation, comment la voix du Père s’est-elle
fait entendre, et comment l’Esprit-Saint s’est-il montré sous une
forme corporelle? Tout d’abord j’affirme que ce prodige s’est opéré
à l’aide d’une créature. Cependant je n’ose assurer ni que
cette créature fut seulement un corps matériel, ni qu’elle
n’était point mise en mouvement par cet agent spirituel que les
Grecs nomment esprit, et qui sans être une âme, serait doué
d’intelligence et de raison. Mais même en ce sens, il n’y aurait
point eu unité de personne, comme dans le Verbe né d’une
Vierge. Car qui oserait dire que la créature, quelle qu’elle fût,
qui reproduisait la voix du Père, fût Dieu le Père,
et que la colombe ou les langues de feu qui symbolisèrent la présence
de l’Esprit-Saint, fussent cet Esprit lui-même? En toute hypothèse,
il ne s’agit ici que d’une figure et d’un signe que Dieu dirigeait selon
son bon plaisir. Au reste, il me paraît également difficile
d’assigner à ce miracle une meilleure explication, et téméraire
d’affirmer qu’on ne peut lui en trouver une autre. Toutefois je m’abstiens
en ce moment de prouver mon sentiment, et je le ferai plus tard, autant
que Dieu m’en donnera la force; car je dois auparavant discuter et réfuter
les diverses objections que les hérétiques tirent non pas
de nos livres saints, mais du raisonnement humain, et par lesquelles ils
accommodent à leurs erreurs les témoignages des Ecritures
qui établissent la divinité du Père, du Fils et du
Saint-Esprit.
32. Quant à l’égalité des trois personnes, je
crois avoir suffisamment prouvé que pour avoir été
envoyé par le Père, le. Fils n’est point inférieur
au Père, et que l’Esprit-Saint n’est inférieur ni au Père,
ni au Fils, quoiqu’il soit envoyé par le Père et par le Fils.
Ce terme de mission ou d’envoi doit s’entendre du corps humain qu’a pris
le Verbe, et de la créature sous laquelle l’Esprit-Saint s’est montré:
ou plutôt il nous rappelle que le Père est le principe des
deux autres personnes, et il ne désigne dans la Trinité aucune
inégalité de nature, ni aucune différence de perfection.
Et en effet, supposons que Dieu le Père ait voulu se faire voir
sous une forme corporelle, il n’en sera pas moins absurde de dire qu’il
a été envoyé par le Fils qu’il a engendré,
ou par l’Esprit-Saint qui procède de lui. Je termine donc ici ce
quatrième livre, et dans les suivants, avec la grâce de Dieu,
je me propose d’exposer et de réfuter les subtils arguments de mes
adversaires. (423)
source: http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin/index.htm