BASILE - LIBANIUS
BASILE A LIBANIUS. CCCXXXV—CXLII.
Saint Basile avait étudié à Constantinople sous
le rhéteur Libanius, qui était né dans le paganisme
, et qui y resta toujours attaché. Ce rhéteur avait beaucoup
de réputation et de mérite. Ils demeurèrent toujours
unis , malgré la différence de religion, et ils entretinrent
un commerce de lettres , comme ou le voit par celles qui suivent. Saint
Basile avait tant de confiance dans la probité de Libanius , qu'il
lui envoyait le plus de Cappadociens qu'il pouvait pour être instruits
à son école. Il lui en envoie , et lui en recommande un dans
la lettre suivante.
J'AI honte de vous envoyer les Cappadociens les uns après les
mitres, de ne pouvoir persuader tous nos jeunes gens à la fois de
s'appliquer à l’étude
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de l'éloquence et des lettres, et de se mettre sous votre discipline
pour profiter de vos instructions. Mais comme il est impossible de les
trouver tous ensemble disposés à choisir ce qui leur convient,
je vous les envoie à mesure que je les persuade, et je crois leur
rendre le même service qu'à un homme pressé par la
soif que je conduirais à une fontaine d'eau pure. Celui qui va maintenant
vous joindre, ne tardera pas à être recommandable par lui-même
, quand il aura été quelque temps à votre école.
Il n'est maintenant connu que par son père, à qui la régularité
de ses moeurs, les grandes places qu'il occupe, ont fait un nom parmi nous.
C'est un de mes plus chers amis. Je ne puis mieux reconnaître l'amitié
qu'il a pour moi, que de rendre son fils votre disciple, avantage que ne
peut trop estimer quiconque sait distinguer le mérite.
LIBANIUS A BASILE. CCCXXXVI—CXLIII.
Cette lettre est la réponse à la précédente.
Libanius annonce à saint Basile l'arrivée de son Cappadocien
: il le félicite de la sagesse et des talons qu'il a montrés
dès son jeune âge, et du genre de vie qu'il a embrassé.
Il y a déjà quelque temps que le jeune Cappadocien est
arrivé. C'est un avantage qu'il soit né en Cappadoce, et
de la plus illustre famille : mais il m'a apporté une lettre de
l’incomparable Basile ; qu'est-ce qui pouvait plus m'intéresser
? moi qui vous ai oublié, à ce que vous dites, je vous respectais
quoique vous fussiez encore l'ont jeune, quand je vous voyais le disputer
aux vieillards en
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sagesse, et cela dans une ville le centre des plaisirs; quand je vous
voyais avoir fait déjà de grands progrès dans l'éloquence
Depuis que vous crûtes nécessaire de faire un voyage à
Athènes, et que vous eûtes déterminé Celse à
vous y suivre, je félicitais celui-ci de son étroite amitié
avec vous. Lorsque vous fûtes retourné dans votre patrie,
je me disais à moi-même : Que fait maintenant Basile ? quel
genre de vie a-t-il embrassé ? suit-il le barreau à l’exemple
des anciens orateurs ? où enseigne-t-il l'éloquence aux enfants
des premières familles? On m’apprit que vous étiez entré
dans une bien plus excellente route , que vous songiez à plaire
à Dieu sans penser à amasser des richesses: j'enviai votre
bonheur et celui des Cappadociens; je vous estimai heureux, vous d'avoir
su prendre un tel parti, et les Cappadociens de posséder un citoyen
de votre mérite.
Nota. J'ai supprimé la seconde partie de cette lettre, comme
étant obscure et peu intéressante.
BASILE A LIBANIUS. CCCXXXVII—CXLIV.
C'est pour recommander deux Cappadociens aux soins de Libanius que saint
Basile lui écrit. La lettre est pleine de cette politesse ingénieuse
qui loue finement et sans fadeur celui qui le mérite.
VOICI un autre Cappadocien que je vous envoie, qui est aussi un de nies
enfants: la place où je suis les rend tous mes enfants adoptifs.
Sur ce pied-là il doit être regardé comme frère
du précédent, et nous devons en prendre le même soin,
moi qui lui tiens lieu de père, et vous qui serez son maître,
s'il est possible que vous ayez des égards particuliers
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pour ceux qui viennent de ma part. Je dis s'il est possible; car je
suis persuadé que vous êtes le même pour tous ceux qui
écoutent vos leçons, et que là-dessus vos plus anciens
amis n'ont aucun privilège. Il suffira au jeune homme, avant que
l’âge lui ait donné de l’expérience, d’être compté
parmi vos disciples. Renvoyez-le-nous tel, qu'il remplisse notre attente
et qu’il réponde à votre réputation dans l'art de
la parole. Il amène avec lui un jeune homme de son âge, qui
a la même passion pour l’éloquence. Il est de bonne famille,
et m'est également cher. Je me flatte que vous le traiterez aussi
bien que les deux autres, quoiqu’il soit beaucoup moins riche.
LIBANIUS A BASILE. CCCXXXVIII—CXLV.
Cette lettre est la réponse de Libanius à saint Basile:
elle renferme une louange très-fine et très-délicate
de la lettre de celui-ci. Le rhéteur annonce le plus noble désintéressement
, en disant qu'il prend autant de soin des pauvres qui ne donnent rien
, que des riches.
JE sais que vous m'écrirez souvent: Voici un autre Cappadocien
que je cous envoie. Vous m'en enverrez , je suis sûr, un bon nombre,
parce que vous faites de perpétuels éloges de moi, et que
par-là vous excitez les pères et les enfants. Mais je ne
dois pas vous taise ce qui est arrivé à votre agréable
lettre. J'avais avec moi plusieurs personnages distingués qui ont
été dams les charges, entr'autres l’admirable Alypius, cousin.
du fameux Hiéroclès. Quand on meut remis votre lettre, et
que je l'eus parcourue tout bas : Je suis vaincu, disais-je tout haut d'un
air riant et satisfait.
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De quelle défaite parlez-vous, me demandèrent ceux qui
étaient présents, et pourquoi n’êtes-vous pas fâché
si vous êtes vaincu. J'ai été vaincu, leur répondis-je,
en fait de lettres gracieuses: Basile est le vainqueur; Basile est mon
ami, et c'est ce qui cause ma joie A ces mots, ils témoignèrent
qu'ils voulaient être eux-mêmes juges de la victoire. Alypius
lut votre lettre, les autres l’écoutèrent: il fut décidé
d'une voix unanime, que je ne m'étais pas trompé. Le lecteur
gardait votre lettre, il voulait l'emporter, sans doute pour la faire voir
à d’autres, et il ne la rendit qu'avec peine. Ecrivez-moi donc toujours
de pareilles lettres, et soyez toujours vainqueur. Une telle défaite
sera pour moi une victoire. Au reste, vous avez raison de penser que nos
leçons ne s'achètent pas avec de l’argent. Quand on ne peut
pas donner, il suffit qu'on puisse recevoir. Pour moi, si je rencontre
quelqu'un qui suit pauvre, mais passionné pour l’éloquence,
je le préfère aux riches. Quand j'étuis jeune, je
n'ai pas trouvé des maîtres de ce caractère; mais rien
n'empêche que je ne vaille mieux de ce côté. Qu'aucun
pauvre n'hésite donc à venir ici, pourvu qu'il possède
l'envie et la facilité du travail.
BASILE A LIBANIUS. CCCXXXIX-CXLVI.
St. Basile badine agréablement sur les louanges que Libanius
a prodiguées a sa dernière lettre : il prétend ne
point mériter ces louanges. Il lui envoie un nouveau disciple.
QUE ne peut point dire un rhéteur, et un rhéteur tel que
vous ? On sait que le propre de son art est
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de faire paraître petit ce qui est grand, et de donner une granule
idée des plus petites choses. C’est ainsi que vous venez d'en user
à mon égard. Une lettre misérable, telle que vous
devriez la traiter vous autres qui écrivez avec tant de délicatesse.
une lettre qui ne vaut pas mieux que celle que vous avez entre les mains,
vous la vantez au point de vous dire vaincu par elle, et de me céder
la gloire de bien écrire ! Vous faites à peu-près
comme ces pères qui, pour se divertir, laissent leurs enfants s'applaudir
de la victoire qu'ils leur ont cédée. Par cet artifice, ils
ne se font point tort à eux-mêmes, et ils entretiennent l'émulation
de leurs enfants. En vérité, on ne peut tien imaginer de
plus agréable que ce que vous en avez écrit pour vous amuser.
C'est à peu-près comme si Polydamas ou Milon (1) n'osaient
entrer en lice avec moi pour la lutte ou pour le pugilat. J'ai eu beau
chercher, je n'ai pu trouver d'exemple qui exprime bien ma faiblesse. Ceux
qui aiment les hyperboles admireront plus le jeu que vous vous êtes
permis en vous abaissant jusqu'à moi, que si vous aviez fait naviguer
un Xerxès sur le mont Athos (2). Pour nous, nous n'avons de commerce
qu'avec Moïse, Elie, et d'autres saints hommes, qui nous présentent
leur doctrine dans un langage barbare. Nous prêchons leurs maximes,
dont le
(1) Polydamas et Milon , deux athlètes fameux dont il est parlé dans le discours sur la lecture des livres profanes.
(2) Athos , montagne de Thrace , les autres disent de Macédoine.
On sait que Xerxès, dans son expédition contre les Grecs
, la fit percer pour y faire entrer la mer et y faire passer sa flotte.
Cette entreprise exécutée avait laissé une grande
idée de la puissance de ce prince. Un Xerxès , le grec dit
un barbare . Personne n'ignore que les Grecs appelaient barbare tout ce
qui n'était pas grec.
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sens est aussi admirable que les expression, en sont grossières.
Vous pouvez le remarquer par ce que je vous écris; car le temps
m'a fait oublier ce que j'ai appris de vous. Ecrivez-moi toujours, mais
choisissez des sujets qui, en faisant paraître votre habileté,
ne me fassent pas rougir. Je vous ai envoyé le fils d'Anysius, que
je regarde comme mon propre fils. Or , s'il est mon fils , il ressemble
à son père, c'est-à-dire qu'il est aussi pauvre que
moi. Vous devez m'entendre , étant un rhéteur aussi habile.
LIBANIUS A BASILE. CCCXL-CXLVII.
Libanius répond à la lettre de saint Basile : il lui dit
que tous ses efforts pour décrier la lettre précédente
, n'out fait que produire une lettre qui ne lui est pas inférieure
; que, quoi qu'il fasse, il n'est pas en lui de mal écrire.
QUAND vous auriez médité longtemps sur le meilleur moyen
d'appuyer ce que je vous ai écrit touchant votre lettre, vous n'auriez
pu mieux réussir qu'en m'écrivant ce que vous venez de m’écrire.
Vous me donnez le nom de rhéteur, et vous dites que l'art du rhéteur
est de faire paraître petit ce qui est grand, et grand ce qui est
petit; que j'ai voulu par ma lettre montrer que la vôtre est belle,
quoiqu'elle ne soit pas belle, quoiqu’elle ne vaille pas mieux que la dernière;
qu’en général vous n'avez aucun talent pour l'éloquence,
avant oublié ce que vous en aviez appris auparavant, et les livres
que vous avez à présent entre les mains ne pouvant la donner:
et tout en voulant nous persuader cela, vous avez fait une lettre
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dont vous dites beaucoup de mal, mais qui est si belle , que ceux qui
étaient avec moi sautaient de joie en la lisant. Je suis donc étonné
que, voulant détruire votre première lettre par la dernière,
vous l'ayez même embellie par la ressemblance qu'on a trouvée
entre toutes les deux. Avec le dessein que vous aviez, vous auriez dît
faire une lettre inférieure, afin de décrier la précédente.
Mais, sans doute, il n'était pas dans votre nature de blesser la
vérité: or, vous l'auriez blessée en affectant d'écrire
mal, et en ne suivant pas votre talent. Prenez donc garde aussi de blâmer
ce qui mérite d'être loué, de crainte qu'on ne vous
mette au nombre des rhéteurs, si vous vous efforcez de faire paraître
petit ce qui est grand en effet. Continuez de lire ces livres dont le sens,
dites-vous, est aussi admirable que la diction en est grossière
; personne ne votes en empêche: mais les traces de nos livres, qui
étaient autrefois les vôtres, sont encore et seront toujours
gravées dans votre mémoire, tant que vous vivrez; et quoique
vous en négligiez l'étude, le temps ne pourra jamais les
effacer de votre esprit.
LIBANIUS A BASILE. CCCXLI—CXLVIII.
Libanius se plaint du silence de saint Basile , qui avait interrompu
leur commerce épistolaire : il le prie de lui écrire, en
lui témoignant l'estime qu'il faisait de ses lettres.
Vous ne m'avez pas encore pardonné ma faute, ce qui me fait trembler
en vous écrivant. Que si vous m'avez pardonné, pourquoi ne
m’écrivez-vous pas, ô le meilleur des hommes si vous conservez
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quelque chagrin, ce qui est fort éloigné de tout caractère
raisonnable, et principalement du. vôtre , pourquoi vous qui prêchez
aux autres qui il ne faut point garder sa colère jusqu'au coucher
du soleil, la gardez-vous pendant plusieurs soleils ? Peut-être que
vois avez voulu me punir, en me privant de vos paroles plus douces que
le miel. N’en usez pas de la sorte, ô mon généreux
ami ! soyez plus complaisant à mon égard, et faites-moi jouir
de vos lettres, qui me sont plus précieuses que l'or.
BASILE A LIBANIUS. CCCXLII—CXLIX.
Toute cette lettre roule sur une allégorie: de la rose , et des
épines dont elle est environnée. Saint Basile compare les
lettres de Libanius à des roses, et les reproches qu'il y insère
à des épines.
CEUX qui aiment les roses, comme font tous ceux qui aiment ce qui est
beau, ne se fâchent point contre les épines dont la rose est
accompagnée. Il me souvient d’avoir entendu quelqu’un, soit qu'il
parlât sérieusement ou pour se divertir, qui disait que, comme
les peines légères ne font que réveiller l'amitié,
les épines dont la nature a environné les roses, sont autant
d'aiguillons qui ne font que redoubler l'ardeur qu'on a de les cueillir.
Il n'est pas nécessaire que je fasse l’application de ces épines
et de ces roses à votre lettre, qui par sa douceur a été
pour moi la fleur de la rose, m'a fait goûter tout le charme du printemps,
et dont les plaintes et les reproches sont comme autant d'épines.
Mais ces épines me font plaisir ; elles ne font qu'enflammer davantage
mon amitié pour vous.
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LIBANIUS A BASILE. CCCXLIII—CL.
Libanius fait un bel éloge de l'éloquence de saint Basile
, en disant que cette éloquence lui était naturelle, tandis
que lui , Libanius , était obligé, pour entretenir la sienne
, de lire tous les jours les grands modèles.
SI ce que vous m'écrivez n'est que l'expression d'un talent brut
, que serait-ce donc si vous vouliez le polir ? Nuls ruisseaux ne sont
comparables aux fleuves d'éloquence qui coulent naturellement de
votre bouche. Pour nous, si nous n'étions arrosés tous les
jours, il ne nous resterait qu'à garder le silence.
BASILE A LIBANIUS. CCCLIV—CLI.
Il s'excuse sur la crainte et sur le défaut d'habileté
, de ce qu'il lui écrit rarement : il se plaint de la paresse de
Libanius, qui écrivant si bien , et à qui les lettres coûtaient
si peu.
Si je vous écris rarement, la crainte et mon défaut d’habileté
en sont cause. Mais vous, comment pourrez-vous justifier votre silence
opiniâtre? Quand on se rappelle que vous passez votre vie dans l'exercice
de l’éloquence, peut-on ne pas attribuer à de l'oubli pour
moi votre paresse à m'écrire ? Celui qui parle aisément
doit écrire aisément ; et si avec le talent de parler il
n'écrit pas, il est clair qu'il ne le fait que par dédain
ou par oubli. Je me vengerai de votre silence par un salut. Je vous salue
donc, ô mon respectable ami: écrivez-moi, si vous le jugez
à propos; ne m'écrivez point, si vous le trouvez plus commode.
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LIBANIUS A BASILE. CCCXLV —CLII.
On voit par cette lettre toute l'estime que Libanius faisait de saint
Basile, de ses discours et de ses lettres : il lui fait un reproche obligeant
, de ce que, dans une circonstance , il avait refusé de l'instruire.
J'Ai plus besoin de m'excuser de n'avoir pas commencé depuis longtemps à vous écrire, que de commencer aujourd'hui. Je suis toujours le même qui accourcis avec tant d'empressement lorsque vous parliez en public, qui prêtais l'oreille avec tant de plaisir aux paroles qui coulaient de votre bouche, qui étais si charmé de vous entendre, qui ne me retirais qu'avec peine, en disant à mes amis: Cet homme est bien supérieur aux filles d'Achélaüs (1); il charme comme elles, et il ne nuit pas comme elles: ou plutôt, ses beaux discours, loin d'être nuisibles, sont fort utiles à ceux qui les écoutent. Puisque je pense ainsi de vous, que je suis persuadé de votre amitié, et que je passe pour avoir quelque facilité à parler, ce serait une extrême paresse de ne pas vous écrire avec confiance, d autant plus que ce serait me faire tort à moi-même. Car le ne doute nullement que, pour une lettre courte et mal faite, je n'en reçoive de vous une aussi longue qu'agréablement écrite, et que vous ne craigniez à l'avenir
de me faire une nouvelle injure. Cette parole, j'en suis sûr,
va soulever bien des personnes, qui me réfuteront par des faits,
et qui s'écrieront:
(1) Filles d'Achélaüs , ou sirènes , connues dans
la fable pour perdre les navigateurs qu'elles charmaient par leurs chants.
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Basile a-t-il jamais fait injure à qui que ce soit? c'est comme
si l'on accusait Eaque, Minos et son frère (1). Pour moi, je consens
que vous me surpassiez dans tout le reste; mais peut-on vous connaître
sans ressentir des mouvements de jalousie, et n'est-il pas évident
que vous avez fait une faute à mon égard? Si je vous la rappelle,
empêchez les personnes de s'indigner et de crier. On ne vous a jamais
demandé une grâce facile à accorder; qu'on ne l'ait
obtenue; et moi je vous ai demandé une grâce sans pouvoir
l'obtenir. Que vous demandais-je donc ? nous promenant souvent ensemble
dans le prétoire, je vous priais de m’aider de vos lumières
pour saisir la profondeur de l'enthousiasme d'Homère. S’il n'est
pas possible, vous disais-je, de pénétrer tout son art, faites-m'en
du moins comprendre une partie. Je vous marquais l'endroit où, les
Grecs étant malheureux , Agamemnon cherche à adoucir par
ses présents celui qu'il a offensé. Ce discours vous faisait
rire; et ne pouvant disconvenir que vous pouviez t'obliger si vous vouliez,
vous ne le vouliez pas. Trouvez-vous que j'aie tort de me plaindre, vous
et tous ceux qui sont fâchés que je vous reproche de m'avoir
fait injure?
(1) Eaque , Minos et Rhadamanthe son frère étaient recommandables
pendant leur vie par une grande équité, et furent choisis,
après leur mort, pour être juges des enfers,
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LIBANIUS A BASILE. CCCXLVI—CLIII.
Libanius renvoie à saint Basile quelques disciples qu'il lui
avait confiés : les sentiments de sa lettre suffisent pour montrer
qu'il était parfaitement honnête homme.
Vous jugerez par vous-même si les jeunes gens que vous m'avez
envoyés ont profité avec moi pour l'éloquence. Quelque
peu. de fruit qu'ils aient retiré de mes leçons, votre amitié
pour moi, j'en suis sûr, vous le fera paraître considérable.
Il est un avantage que vous préférez à l'éloquence,
je veux dire la sagesse, et l'attention de ne pas se livrer à des
plaisirs déshonnêtes ; vous verrez qu'ils ont eu grand soin
de se le procurer, et que dans leur conduite ils ont songé, comme
il convenait, à ne pas faire honte à celui qui les a envoyés.
Recevez donc votre bien, et applaudissez à des jeunes gens dont
la pureté des moeurs fait votre gloire et la mienne. Vous exhorter
à les chérir , ce serait exhorter un père à
chérir ses enfants.
LIBANIUS A BASILE. CCCXLVII—CLIV.
Libanius avait besoin d'un certain nombre de petites poutres; il les
demande d'un ton agréable à St. Basile qui pouvait les lui
fournir.
TOUT évêque est d'un tel caractère qu'il est fort
difficile d'en rien tirer. Connue vous êtes plus
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prudent que les autres, cela me fait d'autant plus craindre de ne pas
obtenir ma demande. J'ai besoin d'un certain nombre de petites poutres:
un autre rhéteur se serait servi d'un terme plus magnifique; il
aurait moins cherché à se faire entendre qu'à se faire
admirer. Pour moi je n'exprime tout simplement, et je vous dis que, si
vous ne m'envoyez pas les poutres dont j'ai besoin, je serai exposé
aux injures de l'air.
BASILE A LIBANIUS. CCCXLVIII—CLV.
Saint Basile accorde à Libanius sa demande ; mais il lui prouve
agréablement que la définition qu'il avait donnée
d'un évêque convenait beaucoup mieux à un rhéteur.
SI le verbe (1) dont vous avez forgé le mot avec lequel vous
caractérisez un évêque, et que vous avez puisé
dans les sources abondantes de Platon, si ce verbe, dis-je, signifie faire
du gain, examinez, je vous prie, si le mot nous convient plus à
nous que vous percez d'un trait si piquant dans votre lettre, qu’à
la nation des rhéteurs qui font métier de vendre des paroles.
Quel est l'évêque qui ait jamais trafiqué de discours,
qui ait exigé un salaire de ses disciples ? Vous mettez en vente
des paroles, comme on y met des gâteaux et d'autres marchandises.
Vous voyez que vous avez donné de l'humeur à un vieillard
qui se venge. Au reste, j'envoie à un rhéteur pompeux autant
(1) Ce verbe était gripizein, d'où Libanius avait forgé
l’adjectif dusgripistos.
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de poutres (1) qu'il y avait de Spartiates qui ont combattu aux Thermopyles.
Elles sont toutes d'une bonne longueur, et capables, comme dit votre Homère,
de donner beaucoup d'ombre. Le fleuve Alphée s'est engagé
à me les rendre (2).
LIBANIUS A BASILE. CCCXLIX—CLVI.
Libanius badine sur les jeunes Cappadociens que lui envoyait saint Basile
; il les représente comme un peu bruts; mais il s'engage à
les polir par ses leçons.
Tous ne cesserez donc jamais, mon cher Basile, de remplir le temple
des Muses de vos Cappadociens, qui se sentent fort des frimas et des neiges
de leur pays. Peu s'en faut qu ils ne m'aient rendu Cappadocien moi-même,
en me chantant sans cesse ces paroles: Je vous adore. Mais il faut le souffrir
puisque Basile le veut. Au reste, soyez persuadé que j'étudie
bien le caractère de vos jeunes gens , et que, par le langage noble
et poli de ma Calliope, je les changerai au point que des ramiers sauvages
vous paraîtront comme des colombes.
(1) Autant de poutres.... Sans doute trois cents ; car on sait que les Spartiates qui périrent tous au passage des Thermopyles , étaient au nombre de trois cents.
(2) Le fleuve Alphée s'est engagé à me les rendre.
Tour agréable pour dire qu'il les lui envoie sans exiger qu'il les
lui rende.
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BASILE A LIBANIUS. CCCL—CLVII.
Saint Basile répond à Libanius sur le même ton de
plaisanterie. Il représente la Cappadoce comme très-incommode
pendant l'hiver, puisque la neige oblige tous les habitants de s'enterrer
dans leurs maisons.
VOTRE chagrin est un peu passé; souffrez que ce soit là
le début de ma lettre. Je vous permets de vous railler de notre
pays: mais pourquoi n'avoir fait mention que des neiges et des frimas,
lorsque vous aviez contre nous tant d'autres matières à raillerie
? Je vous dirai, mon cher Libanius, pour vous faire bien rire, que j'ai
écrit cette lettre sous une couverture de neige. En la recevant,
vous sentirez combien elle est froide : elle vous exprimera assez bien
l'état de celui qui vous l'envoie, qui est maintenant renfermé
dans son repaire sans oser jeter les yeux au dehors. Nos maisons ressemblent
à des sépulcres : nous y sommes enterrés jusqu'à
ce que revienne le printemps , qui rendra des morts à la vie, et
nous redonnera, comme aux plantes, une nouvelle existence.
BASILE A LIBANIUS. CCCLI—CLVIII.
Libanius avait prononcé, dans un grand concours de monde, une
harangue qui avait été fort applaudie : saint Basile le prie
de la lui envoyer ; il marque la plus grande envie de la lire.
PLUSIEURS de ceux qui viennent de votre part et que j'ai vus, admirent
votre talent; pour l’éloquence.
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Ils m'ont dit que vous aviez paru avec le plus grand éclat ;
qu'on ne songeait dans toute votre ville qu'a Libanius qui devait parler
; que tout le monde accourait en foule; que tous les âges et toutes
les conditions montraient le plus vif empressement pour vous entendre;
que les hommes les plus constitues en dignité, que les militaires
occupant les premiers grades , que les simples artisans, que les femmes
mêmes ne voulaient pas être privées du plaisir d'assister
à votre harangue. Quel est donc le sujet du discours qui a attiré
tant de monde , qui a réuni une assemblée si brillante? On
m'a rapporté que vous aviez fait le portrait du fâcheux (1).
Envoyez-moi, je vous conjure, un chef-d'oeuvre qui a été
si applaudi, afin que j'y applaudisse moi-même. Moi qui loue Libanius
sans voir ses ouvrages, que ne ferai-je pas quand j'aurai entre les mains
ce qui lui a mérité tant de louanges?
LIBANIUS A BASILE. CCCLII—CLIX.
Libanius envoie sa harangue à saint Basile , et témoigne
combien il redoute le jugement d'un aussi grand orateur.
JE sue de tout mon corps en vous envoyant le discours que vous m'avez
demandé. Eh! comment n'éprouverais-je pas une extrême
inquiétude en soumettant mon ouvrage à la critique d'un homme
(1) Libanius , dans sa harangue, fait parler un homme d'une humeur fâcheuse
, qui se plaint amèrement d'avoir épousé une femme
babillarde.
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qui, par ses talons rares pour l'éloquence, est capable d'effacer
l'abondance de Platon et la force de Démosthène ? Pour moi,
je ne me regarde auprès de vous que comme un moucheron comparé
à un éléphant. Je pense clone et je frémis
quand je pense au jour où vous examinerez ma production : peu s'en
faut que mon esprit ne s'égare.
BASILE A LIBANIUS. CCCLIII—CLX.
Nous avons encore , parmi les ouvrages de Libanius , la harangue dont
St. Basile fait un grand éloge dans cette lettre. Je l'ai lue; elle
m'a paru agréablement écrite. Il y a de l'action et des pensées
ingénieuses ; mais, ainsi que dans ses autres ouvrages, point de
grands traits d'éloquence. Libanius avait plus d'esprit que de génie
; il ne montre jamais cette abondance de Platon et cette force de Démosthène
qu'il admirait avec raison dans saint Basile.
J'Ai lu, ô le plus habile des hommes! la harangue que vous m'avez
envoyée, et je l'ai admirée au-delà de tout ce que
je saurais dire. O muses et écoles d'Athènes, que vous enseignez
de grandes choses à vos élèves ! quels fruits ne recueille-t-on
point, pour peu qu'on ait de commerce avec vous ô source intarissable,
quels hommes ne deviennent point ceux qui y puisent ? Il me semblait, en
vous lisant, voir votre fâcheux lui-même s'entretenir avec
une babillarde. Il n'y a que Libanius sur la terre qui ait le talent de
composer un discours plein d'âme et de chaleur , qui puisse animer
et vivifier la parole.
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LIBANIUS A BASILE. CCCLIV—CLXI
Libanius annonce combien il est sensible aux louanges de saint Basile
; il le prie de lui envoyer son discours contre l'ivrognerie : c'est l'homélie
que j'ai traduite , et qui se trouve dans ce volume.
JE crois maintenant mériter toutes les louanges qu'on me donne
; et puisque Basile me loue, il me semble que je suis au-dessus de tout
le monde. Fier de votre suffrage , je puis marcher la tête haute
, et montrer l'orgueil d'un présomptueux qui méprise le reste
du genre humain. Je désire fort de voir votre discours contre l’ivrognerie.
Je ne prétends pas en faire un grand éloge d'avance; je dis
seulement que, quand je le verrai, il m'apprendra l'art d’écrire.
LIBANIUS A BASILE. CCCLV—CLXII.
Cette lettre est la réponse à la précédente.
Saint Basile avait envoyé à Libanius le discours qu'il lui
avait demandé. Ce rhéteur l'avait lu avec tant de plaisir,
l'éloquence lui avait paru si attique, qu'il demande à saint
Ensile s'il était à Césarée ou à Athènes
: il représente la rhétorique même qui fait l'éloge
du discours et de l'orateur.
HABITEZ-VOUS Athènes, mon cher Basile, et vous êtes-vous
oublié vous-même ? Les citoyens de Césarée n'ont
pu, sans doute, vous entendre. La Rhétorique dont j’ai dicté
les leçons n'était pas
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accoutumée à ces prodiges de l'art. Frappée de
la beauté et de la nouveauté de vos expressions , comme si
elle eut parcouru des routes escarpées et nouvelles , elle semblait
me dire : Mon père , ce n'est pas là ce que vous avez enseigné.
Cet homme est Homère, c'est Platon, c'est Aristote, c'est Susarion
(1) qui savait tout. Voilà ce que me dit de vous la Rhétorique.
Je voudrais mériter de votre part d'aussi belles louanges.
BASILE A LIBANIUS. CCCLVI—CLXIII
Saint Basile loue délicatement Libanius , et montre combien il
était embarrassé de répondre à ses lettres.
C'EST un vrai plaisir pour moi de recevoir de vos lettres, mais c'est
une vraie peine quand vous exigez que j'y réponde. Eh ! que pourrais-je
écrire à un homme qui parle si bien le pur langage d'Athènes
? sinon que je fais profession et que je m'applaudis d'être le disciple
de simples pêcheurs.
(1) Je n'ai trouvé nulle part quel était ce Susarion dont
Libanius fait un si grand éloge.
282
LIBANIUS A BASILE. CCCLVII.
Les trois lettres suivantes sont tirées des monuments de l'Eglise
grecque , t. 2, p. 96 et 97 , et ne se trouvent pas dans les anciennes
éditions. La première , qui n'est qu'un fragment, est de
Libanius. Il loue le badinage noble et grave de son ami. On ne sait pas
la peine que lui avait causée une de ses lettres, et qu'il le prie
de dissiper.
POURQUOI Basile a-t-il été fâché d'écrire
une lettre que je puis dire être un vrai modèle de bonne philosophie?
C'est vous-même qui nous avez appris à badiner, mais à
user d'un badinage noble et grave , tel qu'il convient à un vieillard.
Je vous en conjure au nom de l'amitié et de nos études communes,
dissipez la peine que m'a causée votre lettre
LIBANIUS A BASILE. CCCLVIII.
Il regrette d'être séparé de son cher Basile. Il
le plaint d'avoir été abandonné par Alcimus , abandon
que lui fera supporter la douceur de son caractère.
O TEMPS heureux, où nous étions tout l'un pour l'autre
? Maintenant nous sommes cruellement séparés. Pour vous,
vous avez retrouvé une société qui vous convient ;
mais moi, je n'ai rencontré personne qui vous ressemble. J'apprends
qu'Alcimus montre dans la vieillesse l'audace du jeune âge, qu'il
vole à Rome, et qu'il vous laisse
283
l’embarras d'être avec des enfants. Comme vous êtes naturellement
doux , vous le supporterez sans peine, puisque même vous ne vous
êtes pas fait une peine, de m'écrire le premier.
BASILE A LIBANIUS. CCCLIX.
St. Basile témoigne combien il désirerait d'aller trouver
son cher Libanius. Il se plaint agréablement de son silence et l'invite
à lui écrire.
Vous qui avez renfermé dans votre esprit tout l’art des anciens,
vous vous taisez, et vous ne daignez pas même nous faire part dans
des lettres de ce que vous savez. Pour moi, si l'art de Dédale était
sûr, je me ferais des ailes comme à Icare pour voler vers
vous (1). Mais, comme il ne serait pas sage d'exposer de la cire au soleil,
au lieu des ailes d'Icare, je vous envoie des paroles écrites, qui
vous témoignent toute mon amitié. La nature de la parole
est de manifester au-dehors les sentiments du coeur. Vous faites de la
parole ce que vous voulez ; et avec un si grand talent vous gardez le silence
! Faites passer jusqu'à nous, je vous en conjure, les sources abondantes
qui coulent de votre bouche.
(1) Personne n'ignore la fable de Dédale, qui fit pour lui et
pour son fils Icare des ailes qu'il attacha avec de la cire , et la chute
malheureuse d'Icare, qui s'approcha trop près du soleil.
A SAINT GREGOIRE DE NAZIANZE. XIX— III.
AU MÊME. XIV—XIX.
A OLYMPIUS. IV—CLXIX.
AU MÊME. XII—CLXXI
A THÉODORA , QUI FAISAIT PROFESSION D'UNE VIE RETIRÉE
ET RÉGULIÈRE. CLXXIII—CCCII.
A PALLADIUS. CCXCII.—CCCLXXXVI.
ATHANASE, ÉVÊQUE D'ALEXANDRIE. LXXXII — LI
A HÉLIE , GOUVERNEUR DE PROVINCE. XCIV—CCCLXXXII.
A EUSÈBE, ÉVÈQUE DE SAMOSATE. XXX—VII.
AU MÊME. CXXXVIII—VIII.
A L'ÉGLISE DE NÉOCÉSARÉE. XXVIII — LXII.
A AMPHILOQUE , NOMMÉ ÉVÊQUE. CLXI—CCCXCIII.
A EUSÈBE , ÉVÊQUE DE SAMOSATE. CLXVI—CCLI.
AUX PRÊTRES DE NICOPOLIS. CCXL—CXCII.
284
A SAINT GREGOIRE DE NAZIANZE. XIX— III.
Saint Basile s'excuse d’avoir tardé à répondre
à la lettre de son ami ; il s'en prend au porteur même de
la lettre qui était parti avec trop de précipitation : il
se plaint que ses lettres sont trop courtes.
Il m'est venu dernièrement une lettre de vous , qui est bien
de vous. Je l'ai reconnue moins au caractère de l'écriture
qu'au style de la lettre. Elle renfermait peu de mots et beaucoup de sens.
Je ne vous ai pas fait aussitôt réponse, parce que j'étais
absent pour lors, et que votre messager, après avoir donné
la lettre à un de mes amis , est parti sans m'attendre. Pierre vous
entretiendra de ma part. Il acquittera pour moi une dette de l'amitié
; et ce sera une occasion pour vous engager à me récrire.
Cela ne doit pas vous coûter infiniment ; car en général
toutes les lettres que vous m'envoyez sont fort laconiques.
AU MÊME. XIV—XIX.
Il apprend à son ami la résolution qu'il a prise de renoncer
au commerce et au bruit du inonde , pour vivre désormais dans la
retraite. Belle description d'une solitude propre pour la vie contemplative.
MON frère Grégoire m’ayant écrit qu'il désirait
depuis longtemps de me rejoindre, et ayant ajouté que vous aviez
pris la même résolution , je
285
me suis vu si souvent trompe par vous, que je n'ose plus croire que
vous avez une véritable envie de venir. D'ailleurs, mille raisons
m'ont empêché de rester pour vous attendre. Il faut que je
parte pour le Pont (1), où, s'il plaît à Dieu, je mettrai
fin à mes courses. J'ai enfin renoncé aux vaines espérances
que j'avais de vous voir, ou plutôt aux songes s'il faut dire la
vérité : car j'approuve fort celui qui a dit que les espérances
étaient les songes d'un homme qui veille. Je me retire clone dans
le Pont pour y trouver un genre de vie particulier. Dieu m'y au fait découvrir
une demeure parfaitement conforme à mon caractère ; une demeure
réellement telle que nous l'imaginions dans nos moments de loisir
pour nous amuser. C'est tine montagne fort élevée, couverte
d'une vaste et sombre forêt , arrosée vers le Septentrion
par des eaux fraîches et limpides. Au pied de la montagne , s'étend
une grande plaine , continuellement engraissée par les eaux qui
viennent des hauteurs. La forêt qui l'entoure naturellement par une
infinité d'arbres de toute nature, forme une espèce de palissade.
L'île de Calypso, tant vantée par Homère , n'est rien
en comparaison. Peu s'en faut que ce ne soit une île, puisqu'elle
est enfermée de toutes parts. Elle est coupée dans deux de
ses côtés par des vallées profondes. Un fleuve qui
tombe d'un précipice, coule à son troisième côté,
et lui sert d'un rempart inaccessible. De l'autre, une spacieuse montagne,
jointe à la vallée par des chemins tortueux et impraticables,
en interdit l'entrée. Il n'y a qu'un seul endroit, dont nous sommes
les maîtres, par
(1) Le Pont , province de l'Asie mineure aussi bien que la Cappadoce.
286
où l'on puisse approcher. L'habitation est sur une éminence,
laquelle est une sorte de tour ou de guérite, d'où la plaine
se découvre à la vue, et d'où l’on aperçoit
le fleuve dont les eaux se répandent tout autour. Cet aspect, à
mon avis, cause autant de plaisir que le fleuve du Strymon (1) aux Amphipolitains.
Encore ce dernier coule si tranquillement, ses eaux font si peu de bruit,
qu'on a de la peine à lui donner le nom de fleuve: au lieu que le
nôtre est plus rapide qu'aucun des fleuves que je connaisse. Son
cours est rendu plus impétueux par un rocher voisin, d'où
il se précipite dans un gouffre profond. C'est pour moi et pour
tout autre un spectacle des plus agréables , outre que les habitants
en retirent de grands avantages, et qu'il nourrit une quantité prodigieuse
de poissons. Pourquoi parler des douces vapeurs qui sortent de la terre
, ou du bon air que le fleuve fait respirer ? Un autre admirerait peut-être
la variété des fleurs ou le concert des oiseaux ; mais moi
je n'ai pas le temps de m'occuper de pareilles bagatelles. Le plus grand
avantage de ce lieu, c'est qu'outre qu'il produit , par son heureuse situation
, toutes sortes de fruits en abondance, le plus flatteur pour moi est le
repos et la tranquillité qu'on y goûte. J'y trouve une retraite
entièrement éloignée du tumulte de la ville, où
l'on ne rencontre absolument que quelques chasseurs qui se joignent quelquefois
à nous : car ce pays offre encore le plaisir de la chasse. On n'y
voit cependant, comme dans le vôtre, ni ours, ni loups, ni autres
bêtes féroces ; il ne
(1) Le Strymon séparait la Macédoine de la Thrace. Il
prenait sa source au mont Hémus, et allait se rendre dans un golfe
de la mer Egée, auprès d'Amphipolis , ville de Thrace, sur
les confins de la Macédoine.
287
nourrit que des cerfs , des chèvres sauvages, des lièvres,
et autres animaux semblables. Croyez-vous que je sois assez dépourvu
de raison , pour préférer à un séjour si délicieux
votre retraite de Tibérine (1) qui n'est qu'une horrible fondrière
? Pardonnez-moi donc le désir que j'ai de m'y fixer. Alcméon
mit fin à ses courses lorsqu'il eut rencontré les Echinades.
A OLYMPIUS. IV—CLXIX.
Olympius avait envoyé des présents considérables
à saint Basile, qui faisait profession d'une pauvreté austère.
Il les refuse d'une manière fine et agréable.
Que faites-vous , ô mon admirable ami ? vous voulez bannir de
ma solitude la pauvreté qui m'est chère, la pauvreté
mère de la sagesse. Si elle pouvait parler , elle vous accuserait
de violence, et vous dirait : Je voulais demeurer avec un homme qui applaudit
à Zénon (2), lequel ayant tout perdu dans un naufrage, ne
proféra que des paroles généreuses : Courage , dit-il,
Fortune, tu nous réduis à porter un simple manteau; avec
un homme qui fait un grand mérite à Cléanthe
(1) Tibérine , pays de Cappadoce , dans lequel était situé le bourg d'Arianze , où St. Grégoire avait un bien. Arianze était voisin de la ville de Nazianze.
(2) Zénon , de la ville de Citium dans l'île de Cypre,
chef de la secte des Stoïciens : jeté à Athènes
par un naufrage , il regarda toute sa vie cet accident comme un grand bonheur.
Cléanthe , fils de Phanias et natif d'Epire , fut son disciple ;
Diogène, de la ville de Sinope, philosophe cynique fort connu.
288
de s'être loué pour tirer de l'eau d'un puits, afin de
gagner de quoi vivre et de quoi payer ses maîtres ; avec un homme
qui ne cessa jamais d'admirer Diogène, lequel était si jaloux
de se borner à ce que demande la nature, qu'il jeta sa tasse, en
voyant un enfant qui se baissait pour puiser de l'eau dans le creux de
sa main. Voilà les reproches que vous adresserait la Pauvreté,
notre bonne arme, que vous voudriez bannir par vos présents magnifiques.
Elle ajouterait même quelques menaces : Si je vous surprends encore
ici , dirait-elle, je me vengerai de vous avec mes armes, je ferai voir
que vous avez mené par le passé la vie voluptueuse des Siciliens
et des Romains. En voilà assez sur ce chapitre. Je suis bien aise
d'apprendre que vous vous occupez de votre santé, que vous prenez
des remèdes. Je souhaite qu'ils vous soulagent: vous avez une âme
si belle, qu'elle mérite bien le secours d'un corps sain et exempt
d'infirmités.
AU MÊME. XII—CLXXI
Il reproche agréablement à Olympius sa paresse , et le
prie de lui écrire plus souvent.
A U P A R A V A N T VOUS nous écriviez quelques mots, maintenant
vous ne nous écrivez plus rien. trous parliez peu d'abord, avec
le temps vous êtes devenu absolument muet. Reprenez, je vous prie,
votre ancienne méthode. Nous ne nous plaindrons plus du style laconique
de vos lettres. Les plus courtes nous seront infiniment précieuses,
comme étant le gage d'une grande affection. Écrivez-nous
seulement.
289
A THÉODORA , QUI FAISAIT PROFESSION D'UNE VIE RETIRÉE
ET RÉGULIÈRE. CLXXIII—CCCII.
Cette lettre contient les plus belles maximes de morale , et peut servir
de modèle à ceux qui aspirent à la perfection évangélique.
L'INCERTITUDE où je suis si mes lettres parviennent jusqu'à
vous, me rend paresseux à vous écrire. La perfidie des messagers
fait tomber les lettres en mille autres mains, surtout au milieu des troubles
qui agitent à présent le monde. J'attends donc que vous me
fassiez de vives plaintes, et que vous me pressiez de vous écrire,
pour m'assurer si mes lettres vous sont rendues. Mais , soit que je vous
écrive ou que je garde le silence, je me fais une loi de conserver
au fond de mon cœur le souvenir de votre personne, et de demander pour
vous à Dieu la grâce que vous puissiez achever votre carrière
, et arriver au but que vous vous êtes proposé. Ce n'est pas
une petite entreprise que de remplir avec fidélité tous ses
engagements. Tout le monde peut embrasser un état de vie conforme
aux maximes évangéliques ; mais je connais peu de personnes
qui remplissent exactement jusqu'aux plus simples devoirs de leur profession,
et qui ne négligent aucune des règles de l’Evangile. Parler
avec sobriété, avoir les yeux purs comme Jésus-Christ
le demande, travailler des mains pour plaire à Dieu, se servir de
ses pieds et des autres membres de son corps selon l'ordre que le Créateur
a établi, être modeste
290
dans ses vêtements, circonspect dans le commerce des hommes, manger
uniquement pour le besoin, retrancher le superflu dans ses possessions:
des préceptes , ainsi présentés , paraissent peu de
chose; mais l'expérience nous apprend que la pratique exige de grands
efforts. Et cette humilité parfaite, qui nous fait oublier l'éclat
de notre naissance, qui empêche de nous applaudir des avantages naturels
du corps ou de l'esprit, d'être fiers de la bonne opinion que les
autres ont de notre mérite: cette vertu n'est-elle pas essentielle
à la vie évangélique , aussi bien qu'une tempérance
soutenue , l'assiduité dans la prière , la compassion pour
les maux de ses semblables, l'empressement à soulager les pauvres,
la modeste des sentiments, la contrition du cœur, la pureté de la
foi, l'égalité d'âme dans la mauvaise fortune, le souvenir
perpétuel des jugements de Dieu et de son tribunal redoutable, devant
lequel nous paraîtrons tous bientôt, et dont peu de personnes
songent à se représenter les suites ?
A PALLADIUS. CCXCII.—CCCLXXXVI.
Il le félicite de ce qu'il s'était, fait baptiser depuis
peu : il lui parle des avantages du baptême, et l'exhorte à
en profiter par une vie régulière.
DIEU a rempli la moitié de mes désirs en me faisant voir
notre chère soeur votre épouse; il ne tient qu’à lui
de suppléer le reste et de mettre le comble à ses dons en
m'accordant la faveur de vous voir vous-même. Je le désire
plus que jamais depuis que j'ai appris de quel honneur insigne
291
vous avez été gratifié, en vous revêtant
de cette robe immortelle qui couvre notre nature, qui détruit la
mort dans notre chair, qui absorbe ce qu'il y a en nous de mortel. Puis
donc que le Seigneur par sa grâce vous a admis dans sa famille, qu'il
a effacé tous vos péchés, qu'il vous a ouvert le royaume
des cieux, qu'il vous a montré le chemin qui conduit à la
béatitude céleste, je vous exhorte, vous qui vous distinguez
de tous les autres par votre prudence, d'estimer cette race autant que
vous le devez , de garder fidèlement ce trésor spirituel
, de conserver avec tout le soin possible le dépôt du Roi
suprême, afin que vous puissiez un jour le lui rendre tout entier,
paraître devant lui brillant dans la splendeur des justes, n'ayant
ni tache, ni ride, sans avoir souillé en aucune manière votre
habit d'immortalité, sanctifié dans tous vos membres, comme
doit l'être celui qui s'est revêtu de Jésus-Christ.
Vous tous, dit saint Paul, qui avez été baptisés en
Jésus-Christ, vous avez été revêtus de Jésus-Christ
(Gal. 3. 27.). Que tous vos membres soient donc saints, clignes de recevoir
une robe sainte et brillante.
ATHANASE, ÉVÊQUE D'ALEXANDRIE. LXXXII — LI
Belle comparaison de la mer agitée avec l'Eglise divisée
par un schisme qui la déchire. Saint Basile propose à Athanase
un moyen de réunir plusieurs évêques orthodoxes qui
étaient en division.
LORSQUE j'envisage l'état présent des affaires, et que
je vois les embarras qui retiennent comme
292
dans des entraves toute ardeur porte le bien, je désespère
absolument de nous-mêmes mais lorsque je pense à votre fermeté
et a votre sagesse, lorsque je fais attention que le Seigneur vous a placé
au milieu de nous comme un médecin pour remédier aux maux
des Eglises, je reprends courage, je me rassure, et je conçois de
meilleures espérances. Toute l’Eglise est en désordre: votre
prudence ne petit l'ignorer. Du haut de votre esprit sublime, comme d'une
tour, vous voyez tout ce qui se passe ; vous voyez, comme sur une vaste
mer, des navires qui voguent ensemble, poussés par les flots qui
sont violemment agités, faire naufrage, et parce qu'une cause étrangère
soulève la mer avec violence, et parce que les navigateurs dans
leur trouble s'embarrassent mutuellement et se brisent eux-mêmes.
Je n'entreprends pas d'expliquer la comparaison: vous êtes trop éclairé
pour qu'il soit besoin que j'en dise davantage, et d'ailleurs les circonstances
ne me permettent point de parler librement. Où trouverons-nous un
pilote assez habile pour nous diriger dans une navigation aussi périlleuse
, un homme qui ait assez de crédit auprès du Seigneur pour
le réveiller et obtenir de lui qu’il commande aux vents et à
la mer? peut-on en choisir un autre que celui qui s'est exercé dès
son enfance dans les combats pour la foi ? Puis donc que tous les partisans
de la vérité désirent sincèrement que les orthodoxes
communiquent ensemble et se réunissent, je vous exhorte à
écrire à tous une lettre qui nous marque ce que nous devons
faire. Les évêques souhaitent que vous ouvriez les conférences
sur la réunion des orthodoxes: lisais comme leur conduite passée
pourrait vous les rendre suspects, voici le parti que je vous propose,
293
mon très-religieux père. Envoyez-moi les lettres que vous
écrirez aux évêques, soit par quelque personne sûre,
soit par le ministère de notre cher frère Dorothée.
Je ne remettrai vos lettres qu'autant que je serai sûr qu'on y fera
réponse. Si j'y manque, je consens que vous ne me le pardonniez
jamais (Gen. 43. 9.). Or cette promesse n'engageait pas plus fortement
le fils de Jacob qui la faisait à son père, que moi qui vous
la fais à vous notre père spirituel. Si vous désespérez
de réussir, permettez-moi du moins de m'en charger, puisque je le
fais à bonne intention, par un pur motif de la paix, et pour réunir
entre eux tous les orthodoxes, puisque c'est-là uniquement ce qui
m'engage à prendre cet emploi et cette médiation.
A HÉLIE , GOUVERNEUR DE PROVINCE. XCIV—CCCLXXXII.
Saint Basile avoir commencé de construire dans Césarée
un grand édifice qui pouvait être utile à l'état
et à l'Eglise; ses ennemis voulaient l'empêcher de continuer
cet ouvrage : il écrit au gouverneur de la province pour se justifier
sur ce bâtiment ; il le prie de ne pas écouter les autres
calomnies qu'on débitait à son sujet.
J'AURAIS bien voulu me rendre auprès de votre personne, afin
que mes calomniateurs ne se prévalussent pas de mon absence : mais
puisque mes maux, redoublant plus que jamais , m’en ont empêché,
je me vois forcé de vous écrire. Il y a quelque temps que
me trouvant près de vous, j’avais fort envie de vous faire le détail
de ma conduite, et de vous entretenir des affaires de
224
l'Eglise. Je me retins , croyant que ce serait une chose inutile et
un zèle déplacé , d'aller donner de nouvelles inquiétudes
à un homme déjà accablé de tant d'affaires.
D'ailleurs, je dirai la vérité, je craignais de me voir réduit
à blesser la délicatesse de votre conscience par le récit
de nos disputes , à vous scandaliser, vous qui servez Dieu avec
une piété si exemplaire , et qui attendez la récompense
du zèle que vous montrez pour la Religion. Oui , si nous vous engagions
dans nos affaires, à peine auriez-vous le temps de respirer et de
vaquer à celles de l'état. Ce serait obliger le pilote qui
conduit un navire, neuf au milieu d'une violente tempête, de le charger
de nouvelles marchandises, au lieu de le soulager d'une partie de sa charge.
C’est pour cela, à ce qu’il me semble, que notre grand prince nous
abandonne le gouvernement de l’Eglise; il sait que ce soin nous regarde
particulièrement. Je demanderais volontiers à ceux qui vous
obsèdent et qui abusent de votre bonne foi , quel tort nous faisons
à l'état , et si ses intérêts sont lésés
le moins du monde par le gouvernement ecclésiastique : à
moins qu’on ne dise que c’est offenser les droits de l'empire, de bâtir
et d'orner une église magnifique en l’honneur de Dieu , d’y joindre
une demeure honnête pour l’évêque, et des logements
moins considérables pour les autres ministres des autels , logements
dont vous pouvez vous servir vous-même vous et votre suite. Quel
mal faisons-nous en bâtissant des hospices pour les étrangers
qui passent, ou qui, tombant malades , ont besoin d’être secourus
en leur procurant , dans leurs maladies , des personnes pour les servir,
des médecins, des bêtes de somme, des conducteurs ? Il faut
absolument ajouter les arts, ceux qui sont nécessaires
295
pour vivre, et ceux qui aident à passer la vie avec quelque douceur.
Il faut encore des ateliers pour diverses manufactures. Tous ces bâtiments
embellissent la ville et font honneur au gouverneur lui-même, à
qui on en attribue la gloire. Ce n'est point , sans doute , par ce motif
que vous avez enfin consenti à nous gouverner. Vous pouvez, sans
le secours de personne , rétablir des édifices que le temps
a démolis , remplir d’habitants les déserts, et changer les
solitudes en des villes peuplées. Toutefois ne doit-on pas honorer
et considérer , plutôt que persécuter et outrager,
celui qui Vous seconde dans ces opérations ? Et ne croyez pas que
je vous parle de desseins chimériques : nous avons delà mis
la main à oeuvre, et on apporte de toutes parts des matériaux.
Dans ce qui précède, je me suis justifié envers le
gouverneur. Je ne parlerai pas de ce que j'aurais pu vous dire comme à
un chrétien et à un ami qui s'intéresse à ce
qui me regarde je ne répondrai pas aux reproches de mes adversaires
, parce que ma lettre est déjà trop longue, et qu’il n’y
aurait pas de sûreté à confier mes raisons au papier.
Cependant, de peur qu'avant que nous ayons pu vous joindre, vous ne vous
laissiez ébranler par la calomnie , et que votre amitié pour
moi ne se ralentisse, je vous conseille de faire ce que fit un jour Alexandre.
On accusait un de ses amis ; il écoutait d'une oreille les accusations,
et il bouchait l’autre avec le doigt, mesurant par-là qu'un juge
équitable ne devait point se laisser prévenir par les calomniateurs
, mais qu'il fallait réserver une parti; de son attention pour écouter
l'apologie des absents.
96
A EUSÈBE, ÉVÈQUE DE SAMOSATE. XXX—VII.
Il lui expose les raisons qui l'ont empêché de l'aller
trouver, quelqu'envie qu'il en eût, la rigueur du froid , les maladies
, les affaires , la mort de sa mère. Les Eglises étaient
toujours dans l'agitation : il reconnaît que c'est aux prières
d'Eusèbe que celles de Néocésarée et d'Ancyre
devaient leur tranquillité.
SI je voulais vous mander un détail de toutes les raisons qui m'ont empêché de vous voir jusqu’à ce jour , quelque envie que j'en eusse, il faudrait vous écrire une longue histoire. Je ne parle ni de mes maladies fréquentes , ni de la rigueur de la saison , ni de l’embarras continuel des affaires, causes qui ne vous sont pas inconnues et dont je vous ai déjà fait part. Ma mère était mon unique consolation ; je viens de la perdre pour mes péchés. Et n'insultez pas à ma faiblesse en me voyant gémir à mon âge sur l'état d'orphelin ; mais pardonnez-moi d’être inconsolable de la perte d’une personne que rien ne peut remplacer dans le monde. Je suis donc retombé malade, condamné de nouveau à garder le lit, abandonné de presque toutes mes forces, et attendant, pour ainsi dire, ma dernière heure à chaque instant, La situation des Eglises n'est guère meilleure que la mienne ; elles ne voient luire aucun rayon d'espérance , et les choses vont tous les jours de mal en pis. Néocésarée et Ancyre ont vu enfin des successeurs de leurs évêques morts ; jusqu'à présent elles sont
tranquilles. Ceux qui ne nous veulent pas de bien n’ont pu rien entreprendre
contre nous
297
de ce que, leur haine et leur animosité leur suggéraient.
Nous en attribuons visiblement la cause à vos prières pour
ces Eglises. Ainsi ne vous lassez point de prier pour elles et de fléchir
le Seigneur. Saluez de ma part ceux qui ont été jugés
dignes de seconder votre zèle.
AU MÊME. CXXXVIII—VIII.
IL lui fait une vive peinture de l'état où la maladie
l'avait réduit: il lui parle des affaires de plusieurs Eglises,
sur lesquelles il lui demande réponse: il finit par se recommander
à ses prières.
DANS quels sentiments croyez-vous que j'aie été en recevant
soue lettre ? Si j'avais voulu suivre le premier mouvement qu'elle m'inspirait,
j'aurais volé vers vous; mais la faiblesse qui m'attachait au lit
était si grande, que, bien loin de voler, je ne pouvais pas même
me remuer. Il y avait cinquante jours que j'étais malade, lorsque
j’ai été visite par notre très-cher et excellent frère
Elpictius. La fièvre m'a entièrement usé ; le peu
de matière qu'elle trouvait dans un corps décharné,
qui ressemble à une mèche desséchée par le
feu, m'a fait tomber dans une longue faiblesse et dans une langueur importune.
Le foie, mon ancien mal, se joignant à tous les autres, m'a empêché
de prendre aucune nourriture, a chassé le sommeil de mes yeux, m'a
conduit jusque sur les bords du tombeau, et ne m'a laissé qu’autant
de vie qu’il en fallait pour sentir mes douleurs. J’ai usé d’eaux
naturellement chaudes, et j'ai employé les remèdes des médecins:
le mal
298
a été supérieur à tout. Peut-être
que l’habitude rendra supportable, mais il n'est pas d homme. assez ferme
pour résister à ses premières violences. Le plus grand
chagrin que me cause ma longue maladie, c'est qu'elle me prive de l'avantage
d'aller vous joindre. Or je sais par moi-même de quel plaisir je
suis privé, quoique l'année précédente je n'aie
fait que goûter du bout du doigt le miel si doux de votre Eglise
(1. Rois. 14. 27.). J’avais bien des choses importantes à vous communiquer;
et je souhaitais avec passion de vous voir pour m'éclaircir sur
mes doutes. Il m'est impossible de trouver ici un ami sincère, un
ami qui ait vos lumières et cette expérience acquise par
de longs travaux dans l'Eglise, pour me donner des conseils dans les conjonctures
présentes. Ce que je pourvois vous mander d’ailleurs n’est pas de
nature à être mis dans une lettre; voici seulement ce que
je puis vous écrire en toute sûreté. Le prêtre
Evagre, fils de Pompeianus d'Antioche, qui s’était transporté
dans l’Occident avec le bien-heureux Eusèbe, est revenu de Morne.
Il nous demande une lettre entièrement conforme à l'écrit
dont on l'a chargé, nous rapportant la nôtre. comme si elle
ne plaisait pas aux docteurs de ce pays: il demande encore qu'on y envoie
au plutôt des hommes de confiance, afin qu'on ait occasion de se
voir réciproquement. Ceux de Sébaste, qui pensent comme nous,
et qui ont découvert le poison caché dans la doctrine d’Eustathe,
implorent notre assistance. Icone était autrefois la première
ville de Pisidie après la capitale; elle est maintenant métropole
d’une province composée des débris de plusieurs autres. Elle
m’invite à me rendre chez elle pour y nommer un évêque,
parce que Faustin est mort. J’aurais donc
299
en besoin d'aller moi-même vous consulter, pour savoir si je dois
me charger d'ordinations étrangères, la réponse que
je dois donner aux habitants de Sébaste, et ce que je dois penser
des conseils d'Evagre: mais ma mauvaise santé m'empêche de
pouvoir vous joindre, Si vous avez quelqu'un qui doive bientôt venir
ici, envoyez-moi, je vous conjure , des réponses sur tous ces chefs
: sinon, demandez à Dieu qu'il m'inspire ce qui peut lui être
le plus agréable; priez pour moi et engagez le peuple à joindre
ses prières aux vôtres, afin que les jours ou les heures qui
restent de mon pèlerinage soient entièrement consacrés
au service et à la gloire du Seigneur.
A L'ÉGLISE DE NÉOCÉSARÉE. XXVIII — LXII.
L'Eglise de Néocésarée , qu'avait gouvernée
St. Grégoire surnommé le Thaumaturge , venait de perdre son
évêque : saint Basile écrit à cette Eglise pour
la consoler de la perte de son pasteur , et pour l'engager à en
choisir un autre digne de le remplacer, qui maintienne son peuple dans
la foi orthodoxe. Il fait un assez long et très-bel éloge
du pontife qui venait de mourir.
LA perte que vous venez: d'essuyer, demanderait que je fusse dans votre
ville pour rendre au saint prélat les derniers devoirs avec vous
qui teniez de si près à son coeur, pour participer à
votre tristesse par le spectacle même des objets tristes, et pour
vous donner les conseils dont vous avez besoin. Mais comme beaucoup de
raisons m'empêchent d'aller vous joindre, il me reste à vous
témoigner par une lettre la part que je prends
300
votre douleur. Les actions et les vertus distinguées de celui que nous pleurons, lesquelles nous rendent sa perte si sensible, ne pourraient être renfermées dans une lettre, et d'ailleurs il ne serait pas à propos d'en. parcourir les détails lorsque notre âme est accablée par l'affliction. Ces actions et ces vertus sont telles qu'il est impossible d’en perdre la mémoire, et qu'on ne doit point les passer sous silence: mais elles sont en si grand nombre que je ne pourrais parvenir à les rapporter toutes, et si j’en omettais quelques-unes je craindrais de trahir la vérité.
La mort nous a enlevé l'homme de notre siècle qui était
doué des plus grandes qualités naturelles, le soutien de
sa patrie, l'orneraient des Eglises, la colonne de la vérité,
l'appui le plus ferme de la foi en Jésus-Christ , gardien sûr
de ses enfants, ennemi redoutable des ennemis de Dieu, attaché aux
anciennes coutumes , opposé aux nouveautés, montrant dans
sa personne la ligure de l’Eglise primitive, et réglant sur ce modèle
l'Eglise particulière confiée à ses soins; de sorte
rime les fidèles qu'il gouvernait semblaient avoir vécu avec
les chrétiens qui ont brillé il y a deux cents ans et au-delà:
tant le pontife dont nous parlons ne disait rien de lui-même, ne
produisait aucune imagination nouvelle, mais savait,, selon la bénédiction
de Moise, tirer du fond de son coeur, comme d'un excellent trésor,
ce qu'il y avait de plus ancien préférablement à ce
qui était nouveau. C'est pour cela que parmi ses égaux, sans
avoir égara à son gage, tous d'un accord unanime lui déféraient
la première place, parce qu'il se distinguait entre tous pat une
sagesse vraiment antique. Pour comprendre combien l'attachement aux anciennes
maximes est utile, il suffit de jeter
301
les yeux sur vous. Vous êtes les seuls des peuples que nous connaissons,
ou du moins avec très-peu d'autres, qui, grime à son gouvernement,
avez. joui du calme le plans paisible au milieu des orages et des tempêtes
qui apitoient le monde chrétien. Les vents violons des hérésies
ne vous ont point troublés , ces vents dangereux qui n'ont subir
tant de naufrages aux aunes inconstantes. Puissent-ils ne vous troubler
jamais ! je le demande au souverain Seigneur, qui avait choisi son serviteur
fidèle pour être l'appui de l’Eglise, et pour y maintenir
le plus long temps possible la tranquillité. Ne l'exposez pas, cette
tranquillité,dans la circonstance présente ; et en vous livrant
à uns douleur excessive, à des lamentations immodérées,
ne fournissez pas à ceux qui veulent vous nuire l'occasion de vous
surprendre. Que si vous voulez absolument verser des pleurs, ce que je
ne vous conseille pas dans la crainte que vous ne ressembliez à
ceux qui n'ont pas d'espérance, pleurez du moins d'une manière
qui convienne au digne pasteur que la mort vient de vous ravir. Quoiqu'il
ne soit point parvenu jusqu'à l'extrême vieillesse, cependant
il a eu assez de vie pour vous bien gouverner. Il ne s'intéressait
à son corps qu'autant qu'il lui donnait sujet de montrer la force
de son âme dans les douleurs de la maladie. Quelqu'un de vous pensera
peut-être que le temps et l’habitude de vivre avec les personnes,
loin de nous rassasier pour elles, augmentent en nous le plaisir de les
voir, et redoublent notre tendresse; de sorte que plus vous avez joui longtemps
d’un grand bien, plus vous en sentez la privation. Peut-être penserez-vous
aussi que les cendres d'un juste doivent être honorées par
tout ce qu'il y a d’hommes vertueux. Je désire moi-même que
vous soyez
302
tous dans ces sentiments; car je ne dis pas qu'on doive négliger la mémoire de votre pontife, mais je vous conseille de supporter votre douleur avec une modération raisonnable. Je n'ignore pas ce que peuvent dire ceux qui pleurent leur évêque. Elle est muette cette bouche dont les paroles se répandaient comme les eaux d’un fleuve abondant. Ce coeur immense, dont personne ne pouvait mesurer l'étendue, s'est évanoui, du moins pour les hommes, comme un vain songe. Qui jamais eut plus de pénétration pour prévoir l'avenir ? qui jamais eut une âme plus ferme et plus décidée pour entreprendre avec promptitude les affaires? O ville infortunée, tu as déjà éprouvé bien des malheurs ; mais celui-ci t'a porté le coup le plus sensible. Ton plus bel ornement est absolument flétri, un morne silence règne dans ton église, tes grandes assemblées sont obscurcies par la douleur, le clergé regrette son chef, les Ecritures Saintes n'ont plus et interprète , les enfants ont perdu leur père, les anciens leur égal , les magistrats leur maître, le peuple un prélat qui le gouvernait, les pauvres un ami compatissant qui les nourrissait. Tous lui donnent les noms les plus tendres, et chacun regarde sa perte par l'endroit qui le touche davantage.
Mais où m'emporte le plaisir que j'ai moi-même à
pleurer ? Ne nous réveillerons-nous pas ? Ne rentrerons-nous pas
en nous-mêmes ? ne nous résignerons-nous pas à la volonté
du Maître commun, qui rappelle à lui ses saints après
qu'ils ont fourni leur carrière ? Souvenez-vous, dans la conjoncture
présente , des paroles de l'Apôtre que votre pontife vous
répétait sans cesse dans ses discours : Gardez-vous des chiens
, gardez-vous des mauvais ouvriers (Phil. 3. 2.). Il est
303
beaucoup de chiens. Que dis-je ? toute la terre est pleine de loups
ravisseurs qui , cachant leur malignité sous la peau de brebis,
déchirent le troupeau du Fils de Dieu. Mettez-vous à d'abri
de ces loups, en vous mettant sous la conduite de quelque vigilant pasteur.
C'est à vous à le demander avec un esprit soumis, sans dispute
et sans intrigue : c'est à dieu à vous le désigner
, lui qui , depuis votre illustre évêque Grégoire ,
jusqu'au pontife que vous venez de perdre , les a tous choisis les uns
après les autres , et les a disposés comme des pierres précieuses
pour l'ornement de votre Eglise. Ne désespérez donc point
pour l'avenir; le Seigneur connaît les siens , et il en peut produire
que nous n'attendons pas. Il y a longtemps que j'aurais voulu finir cette
lettre , la douleur que j'éprouve m'en empêche. Je vous conjure,
au nom des pères , au nom de la foi orthodoxe, au nom de l'évêque
dont vous regrettez la perte , de penser sérieusement au choix de
son Successeur, de croire que ce soin vous regarde chacun particulièrement,
et, quel que soit le succès de la chose bon ou mauvais, que chacun
de vous sera le premier à en ressentir les effets. Que personne
comme ce n'est que trop l'ordinaire, ne rejette sur son voisin le soin
des affaires publiques : car tandis que chaque particulier les néglige
pour sa part, tous , sans y prendre garde , s'attirent à eux-mêmes
un malheur qui leur est propre. Soif, que mes avis soient ceux d'un homme
qui s'intéresse à ses voisins , ou qui communique avec vous
de sentiments, ou, ce qui est le plus véritable , qui, selon la
loi de charité , craint et encourir le blâme d'avoir gardé
le silence , recevez-les avec bienveillance , je vous prie, persuadés
que vous êtes ma gloire comme nous sommes la votre pour le
304
jour du Seigneur , et que d'après le choix du pasteur que vous
allez élire , ou nous serons unis davantage, ou qu'une séparation
totale… Je n'achève pas, je ne veux point présager un malheur
que Dieu éloignera par sa grâce, je l'espère. Au reste,
et c'est par oit je finis, si le pontife que nous pleurons n'a pas travaillé
de concert avec nous pour la paix de l’Eglise, à cause de certaines
préventions (1) , comme il l'assurait lui-même , je prends
à témoins Dieu et tous ceux qui me connaissent, que je ne
cessai jamais de penser comme lui , et de l'inviter à prendre part
aux combats que je livrais aux hérétiques.
A AMPHILOQUE , NOMMÉ ÉVÊQUE. CLXI—CCCXCIII.
Amphiloque s'était caché de peur qu'on ne l'élût
évêque
: saint Basile le félicite après son élection, et
l'exhorte à remplir dignement toutes les fonctions de son ministre,
dans un temps surtout où l'Eglise était désolée
par l'erreur des Ariens.
BÉNI soit Dieu qui , dans tous les temps, choisit ceux qui lui
plaisent, qui connaît ses vases d'élection et les emploie
au service de ses saints. C'est lui qui, quand vous cherchiez, non pas
à nous fuir, comme vous le dites vous-même, mais à
vous dérobe, à l'élection qui devoir, se faire par
nous , vous a arrêté par les liens inévitables de sa
grâce , vous a placé au milieu de la Pisidie, pour lui conquérir
des âmes, et pour ramener des
(1) Je n'ai trouvé, ni dans l'histoire ecclésiastique,
ni dans la vie de saint Basile , la vraie cause de ces préventions.
305
ténèbres à la lumière des hommes dévoués
au démon. Dites donc avec le Roi-Prophète : Où irai-je
pour me cacher de votre présence , et pour me dérober à
votre esprit (Ps. 138. 7.) ? Voilà les prodiges que le Seigneur
a coutume d'opérer dans sa miséricorde. Des ânesses
s'égarent afin qu'Israël ait un roi (1. Rois. 9.). Ce roi donné
à Israël était israélite : pour vous , ce n'est
pas la patrie qui vous a nourri et qui vous a conduit a un si haut degré
de vertu , qui vous possède; mais elle voit une ville voisine parée
de ses ornements. Au reste, puisque tous ceux qui croient en Jésus-Christ
ne font qu'un peuple , et que tous les chrétiens composent la même
Eglise, quoiqu'elle soit dispersée partout , votre patrie se réjouit
et s'applaudit de contribuer à l'exécution des décrets
divins; elle ne croit pas avoir perdu un homme seul, mais par un seul homme
s'être acquis toutes les Eglises. Nous ne demandons à Dieu
que la grâce de vous voir et d'entendre parler des progrès
que vous faites pour l'avancement de l'Evangile et la prospérité
des Eglises. Armez-vous donc de force et de courage; et, gouvernant le
peuple que le Très-Haut a confié à vos soins , mettez-vous,
comme un habile pilote, au-dessus de la tempête qu’a excitée
le vent des hérésies. Empêchez que le vaisseau ne soit
submergé par les flots amers des doctrines perverses. Attendez le
calme que ramènera bientôt le Seigneur , quand il aura trouvé
quelqu'un capable de commander de sa part aux vents et à la mer.
Si vous voulez visiter un ami que ses longues infirmités conduisent
en hâte à sa dernière fin , n'attendez pas un temps
plus commode, ni que je vous donne le signal : c'est toujours le temps
pour un père d'embrasser un fils qu il chérit, et l'affection
du coeur triomphe de tous les
306
obstacles. Ne vous plaignez point que le fardeau q’on vous a imposé
soit au-dessus de vos forces; même alors il ne serein pas insupportable,
et vous ne succomberiez pas sous le faix : mais, si le Seigneur le porte
avec vous , jetez dans son sein toutes vos inquiétudes (Ps. 54.
23.), et il vous soulagera lui-même. Permettez-moi seulement de vous
donner cet avis : prenez garde de vous laisser entraîner à
la corruption du siècle ; servez-vous de la sagesse que Dieu vous
a donnée pour réformer les vices que vous trouverez établis.
Jésus-Christ vous a envoyé, non pour suivre ceux qui se perdent,
mais pour guider ceux qui se sauvent. Priez pour moi le Seigneur , afin
que , si je dois vivre encore quelque temps, il me fasse la grâce
de vous voir dans votre Eglise; ou, si je dois bientôt sortir de
ce monde , je voie en Dieu , votre Eglise comme une vigne fleurissante
de bonnes oeuvres , et vous , comme un vigneron habile , comme un excellent
serviteur, qui distribue dans le temps la nourriture à ses compagnons
, et qui reçoit la récompense d'un prudent et fidèle
économe. Ceux qui sont avec moi vous saluent. Portez-vous bien et
réjouissez-vous dans le Seigneur. Que les dons de l'esprit et de
la sagesse vous comblent de gloire.
A EUSÈBE , ÉVÊQUE DE SAMOSATE. CLXVI—CCLI.
Il loue le zèle d'un de ses amis qui avait eu le courage d'aller
visiter dans sou exil Eusèbe, exilé par les Ariens; il félicite
Eusèbe des maux qu'il a soufferts pour la défense de la vérité
; il lui en promet la récompense dans le ciel; il se recommande
à ses prières.
J' AVAIS toujours eu beaucoup de vénération pour notre
très-honoré frère Eupraxius, et je Pavais mis au nombre
de mes plus intimes amis ; mais j'ai redoublé mon estime et ma tendresse
depuis qu'il vous a témoigné une si vive affection. Il est
allé vous trouver avec le même empressement, pour me servir
des paroles de David, qu'un cerf pressé par la soif court à
une fontaine pure pour se désaltérer ( Ps. 41. 2. ). Je le
trouve heureux de pouvoir jouir de votre société ; mais vous
êtes bien plus heureux, vous, d'avoir couronné de la sorte
les maux. que vous avez soufferts pour Jésus-Christ, les travaux
que vous avez endurés pour la défense de la vérité
: peu d’hommes craignant Dieu ont eu cet avantage. Votre vertu a été
mise à l'épreuve : ce n'est pas seulement dans le calme que
vous avez navigué, que vous avez gouverné habilement les
autres ; mais vous vous êtes distingué au milieu des plus
violentes tentations , et vous vous êtes élevé au-dessus
de vos persécuteurs, en vous retirant en exil avec courage. Que
les autres habitent paisiblement la terre où ils sont nés;
pour nous, notre patrie est le ciel. Ils ont peut-être envahi notre
siége épiscopal , mais nous avons toujours avec
308
nous Jésus-Christ. Heureux commerce ! quelles richesses nous
acquérons pour des bagatelles que nous méprisons ! Nous avons
passe par l'eau et par le feu, j'espère que nous serons mis dans
un lieu de rafraîchissement. Le Seigneur ne nous abandonnera pas
juqu'à la fin , il ne souffrira pas que la vérité
demeure opprimée , il proportionnera ses consolations à nos
douleurs. C'est-là ce que nous espérons et ce que nous lui
demandons. Je vous conjure de prier pour moi et de me donner votre bénédiction
toutes les fois que vous m'écrirez. Fortifiez mon courage en m'apprenant
de vos nouvelles, comme vous avez eu la complaisance de le faire.
AUX PRÊTRES DE NICOPOLIS. CCXL—CXCII.
Il les remercie de la lettre qu'ils lui ont écrite et de celui
qu'ils ont chargé de la lettre. Il les exhorte à tenir ferme
dans les persécutions : il déplore l'infortune d'un mauvais
prêtre qui avait renoncé à la bonne doctrine pour devenir
évêque par le crédit et par les cabales des Ariens.
Il proteste qu'il ne reconnaît point pour évêque un
homme installé de la sorte ; qu'il rompra tout commerce avec ceux
qui ne seront point dans ce sentiment, et avec tous ceux qui se feront
ordonner prêtres par un tel pontife.
Vous avec fort bien fait de m'écrire , et de m'écrire
par un homme qui, sans aucune lettre, était capable de me délivrer
de mes inquiétudes, et de m'instruire exactement des choses. Il
y avait mille objets que je désirais d'apprendre d'une personne
bien informée, parce qu'on avait répandu beaucoup de nouvelles
incertaines. Notre très-cher et vénérable frère
Théodose m'a parfaitement
309
bien éclairci sur tout. Ce que je me conseille à moi-même,
je vous l'écris dans cette lettre. Les maux que vous souffrez sont
arrivés à beaucoup d'autres. Le temps passé et le
temps présent fournissent une infinité d'exemples semblables,
que nous connaissons par la tradition ou par l'histoire ; ils nous apprennent
que les serviteurs de Dieu, villes et particuliers, ont toujours été
persécutés pour le nom du Seigneur. Mais ces persécutions
passent, et les maux ne sont pas éternels. Les grêles, les
torrents, et autres calamités semblables, attaquent et détruisent
tout ce qui ne résiste point , mais perdent toutes leurs forces
contre les corps durs et solides : ainsi les persécutions violentes
qui s'élèvent contre l’Eglise ne peuvent rien contre la fermeté
de la foi en Jésus-Christ. Comme donc le nuage de grêle passe
et fait place au beau temps ; comme le torrent s'écoule et laisse
la campagne à sec , de même les tempêtes qui nous tourmentent
maintenant disparaîtront bientôt, pourvu que, sans envisager
le présent, nous portions nos pensées et nos espérances
jusque dans l'avenir. Quoique la tentation soit rude, accoutumons-nous
à supporter ce qu'il y a de plus pénible. Si nos disgrâces
ne sont que des jeux du démon, et si nos persécuteurs nous
paraissent incommodes parie qu'ils sont ses ministres, mais sont très-méprisables
parce que Dieu a joint l'impuissance à leur malice, prenons garde
qu'on ne nous reproche de nous affliger trop pour des peines médiocres.
Il n'y a de vraiment affligeant que la perte de celui même qui, pour
une gloire passagère ( si l'on doit appeler gloire de se déshonorer
soi-même ), s'est privé de la splendeur éternelle des
justes. Vous êtes les enfants de confesseurs, les enfants de martyrs
qui ont
310
répandu leur sang pour s'opposer au péché. Que
chacun se serve de ses exemples domestiques pour être ferme dans
la piété. On ne nous a point encore déchirés
de coups, on n a point confisqué nos maisons, on ne nous a point
condamnés à l'exil, on ne nous a point traînés
en prison. Quel niai avons-nous souffert ? à moins que nous ne nous
affligions de n'avoir pas été jugés dignes de souffrir
pour Jésus-Christ. Si vous vous chagrinez parce qu'on s'est emparé
de votre église, et que vous êtes contraints de prier en pleine
campagne le Seigneur du ciel et de la terre, songez que les Apôtres
restaient renfermés dans le cénacle, tandis que ceux qui
avaient crucifié le Seigneur célébraient les sacrifices
de la loi judaïque dans un temple célèbre. Judas, qui
aima mieux s'étrangler lui-même que de vivre avec infamie,
est peut-être préférable à ceux qui ont endurci
leur front contre tous les reproches, et qui commettent; avec la dernière
impudence les actions les plus honteuses. Prenez garde seulement de vous
laisser séduire par leurs mensonges , et de prendre pour dogme de
foi tout ce qu'ils vous proposent. Ce ne sont pas des chrétiens,
ce sont des traîtres à Jésus-Christ, qui ne cherchent
que leurs intérêts, et qui ne se mettent guère en peine
de la vérité. Lorsqu'ils ont cru pouvoir obtenir une vaine
puissance, ils se sont attachés aux ennemis de Jésus-Christ
; lorsqu'ils voient les peuples soulevés contre l'erreur, ils feignent
de reprendre des sentiments orthodoxes. Je ne reconnais point pour évêque,
et je ne mets point au rang des prêtres de Jésus-Christ, celui
que de profanes mains ont installé pour la destruction de la foi.
Voilà ce que je pense ; et sans doute vous pensez de même,
si vous communiquez avec moi de sentiments.
311
Si vous avez une opinion à part, chacun est maître de croire
ce qu’il veut , nous sommes du moins purs de votre sang. Si je vous écris
de la sorte, ce n'est pas que j'aie de vous aucune défiance, mais
c'est pour fixer l'irrésolution de certaines personnes en leur déclarant
nettement ce que je pense : c'est pour les empêcher d'entrer dans
la communion d'un hérétique, et de s'ingérer aux fonctions
sacerdotales, après que la paix sera rendue à l’Eglise, si
elles permettent qu'il leur impose les mains. Je salue tout le clergé,
celui de la ville et des environs, avec tous les fidèles qui craignent
Dieu.
A SAINT AMBROISE , ÉVÊQUE DE MILAN. CXCVII—LV.
A ASCHOLIUS, ÉVÊQUE DE THESSALONIQUE. CLXIV—CCCXXXVIII.
A JULIEN. CCXCIII—CLXVI.
A MODESTE , PRÉFET DU PRÉTOIRE. CCLXXIX—CCLXXIV.
AU MÊME. CXI—CCLXXVI.
AU MÊME. CXI—CCLXXVII.
A JOVIN, ÉVÊQUE DE PERRHE. CXV III—CCCXVIII.
A SOPHRONIUS, INTENDANT DU PALAIS. LXXVII—CCCXXXI.
A PERGAMIUS. LVI—CCCLIV.
A ABURGE. LXXV—CCCLXI
AU GOUVERNEUR DE NÉOCÉSARÉE. LXIII—CCCLXXI.
A TRAJAN. CXLVIII—CCCLXXVI.
AU MÊME. CXLIX — CCCLXXVII.
A MÉLÈCE, MÉDECIN. CXCIII—CCCLXIX.
AU COMTE JOVIN. CLXIII—CCCLXXVIII.
A SAINT AMBROISE , ÉVÊQUE DE MILAN. CXCVII—LV.
Saint Ambroise avait envoyé à St. Basile des prêtres
pour demander qu'on lui rendit le corps du bienheureux Denys de Milan.
Saint Basile lei écrit cette lettre pour féliciter l'Eglise
de l'élection d'un pontife tel qu'Ambroise, dont il fait un bel
éloge. Il loue la conduite édifiante des prêtres qu'il
a envoyés; il raconte comment on leur a remis le corps du bienheureux
Denys ; il assure que les reliques sont véritables.
QU'ELLES sont grandes, qu'elles sont multipliées les grâces
dont le Seigneur nous comble ! Il est impossible, et d'en mesurer la grandeur,
et d'en compter la multitude. Mais une des plus considérables, c'est
que, malgré la distance des lieux qui nous séparent, nous
pouvons nous réunir par des entretiens tacites confiés au
papier. Dieu nous donne deux manières pour converser ensemble, lune
par la liberté de nous joindre , l'autre par le commerce des lettres.
Pais donc que je vous ai
312
connu par vos paroles écrites, et grue je vous ai connu, non en gravant dans ma mémoire les traits de votre visage, mais en jugeant de la beauté de l’homme intérieur par la variété des discours, car c'est de l'abondance du coeur que chacun de nous s'exprime ( Matth. 12, 34. ), j'ai glorifié Dieu qui , dans tous les siècles, se choisit des serviteurs fidèles. Il prit autrefois un simple berger pour gouverner son peuple. Amos qui gardait des chèvres , il le remplit de son esprit et l’éleva à la dignité de prophète. Il tire aujourd'hui de la ville royale, pour conduire le troupeau de Jésus-Christ, le gouverneur de toute une nation, recommandable par l'élévation de ses sentiments , par la splendeur de sa naissance, par l'éclat de sa vie, par la force de son éloquence , par tous les avantages qui nous distinguent ici-bas. Ces avantages, cet homme illustre distinguent a foulés aux pieds ; et n'en tenant aucun compte pour gagner Jésus-Christ, il a pris le gouvernail dune grande Eglise, d'une Eglise célèbre par sa foi dans la divinité. Pais donc, homme de Dieu, que ce ne sont point les leçons des hommes qui vous ont appris les maximes de l'Evangile, mais que le Seigneur lui-même vous a tiré du milieu des juges de la terre pour vous placer star la chaire des apôtres , combattez en guerrier généreux, réformez les erreurs de votre peuple ; et si par hasard il était infecté du poison de l'hérésie arienne , remettez-le sur la voie de nos pères : entretenez toujours par vos lettres le commerce de charité que vous avez commencé avec moi ; car par-là nous serons toujours unis l'un et l'autre en esprit, quoique nous soyons séparés par un immense intervalle.
votre empressement et votre zèle pour les reliques du bienheureux
évêque Denys, attestent
313
votre amour pour le Seigneur, votre respect pour vos prédécesseurs
dans l'épiscopat, votre attachement à la foi ; oui, l'affection
pour les serviteurs de Dieu se rapporte à Dieu lui-même ,
et celui qui honore les athlètes de la foi, montre qu'il est enflammé
de la même ardeur pour la foi. Ainsi, une seule démarche décèle
en vous bien des vertus. Je crois devoir vous apprendre que les prêtres
vertueux qui ont été chargés par vous d'une pieuse
commission, ont mérité les éloges de notre clergé
par la pureté de leurs moeurs, et ont annoncé par leur sagesse
particulière quelle pouvait être la décence de votre
Eglise en général. De plus, avec autant de douceur que de
force , après avoir bravé les rigueurs de la saison , ils
ont persuadé aux possesseurs du corps bienheureux de leur abandonner
ce qu'ils regardaient comme leur sûreté et leur défense.
Or, il est bon que vous sachiez que ni magistrats, ni puissances dans le
monde, n'auraient pu les y contraindre, si la constance édifiante
de vos prêtres ne les eût touchés et gagnés.
Ils ont été secondés dans leur projet , surtout par
notre très-cher fils et très-religieux prêtre Thérasius,
qui, s'étant exposé volontairement à la fatigue du
voyage, a fait renoncer les possesseurs du corps à la disposition
où ils étaient de ne pas s'en dessaisir, et qui, ayant persuadé
par ses discours les plus opposés à l'entreprise, a recueilli
les reliques avec le respect convenable, en présence de prêtres,
de diacres, d'autres hommes craignant Dieu, et les a remises à vos
envoyés. Vous les avez reçues avec autant de joie qu'ont
témoigné de tristesse en les reconduisant ceux qui en étaient
les maîtres. Que nul de vous n'ait de doute et d’inquiétude
: c'est vraiment l'athlète invincible que vous
314
demandez. Le Seigneur connaît ces os qui ont combattu avec une
âme bienheureuse , il les couronnera avec elle dans ce jour où
sa justice rendra à chacun ce qui lui est dû. Nous devons
tous comparaître, dit saint Paul, devant le tribunal de Jésus-Christ,
afin que chacun reçoive ce qui est dû aux actions qu'il aura
faites étant revêtu de son corps ( 2. Cor. 5. 10. ). Le corps
vénérable a été renfermé dans un sépulcre
à part ; aucun autre n'était près de lui. La sépulture
était remarquable ; on lui a rendu les honneurs qu'on rend à
un martyr. Ce sont les chrétiens qui lui as oient, donné
l'Hospitalité, qui ont recueilli eux-mêmes ses dépouilles
et qui viennent de les transférer. Ils ont pleuré comme s'ils
étaient privés d'un père et d'un protecteur. Ils l'ont
reconduit et vous l'ont livré, préférant votre satisfaction
à leur consolation propre. Ceux qui ont remis le dépôt
sont des hommes pieux, ceux qui l'ont reçu sont exacts. Il n'y a
nulle part de fraude et de mensonge; nous vous l'attestons : c'est une
vérité certaine et incontestable.
A ASCHOLIUS, ÉVÊQUE DE THESSALONIQUE. CLXIV—CCCXXXVIII.
Il le remercie des lettres qu'il lui avait écrites , et des nouvelles
qu'il lui avait apprises. Il compare les fidèles d'Orient affligés
pour la , aux premiers chrétiens : il témoigne la joie qu'il
ressent en apprenant avec quel courage ils souffrent la persécution
: il se plaint cependant de la faiblesse de quelques-uns et du peu d'accord
qui régnait parmi eux.
JE n'ai point de termes pour vous exprimer la satisfaction que m'a causée
votre lettre: vous pouvez
315
le conjecturer vous-même par la beauté des choses que vous
m'avez écrites. Eh! que ne présente pas la lettre dont vous
m'avez honoré ? ne respire-t-elle pas l'amour pour le Seigneur ?
ne peint-elle pas le merveilleux courage et les admirables combats des
martyrs, avec des traits si frappants, que l'on pense voir les faits se
passer sous les yeux ? n'offre-t-elle pas encore des marques d'estime et
d'affection pour moi ? n'y voit-on pas enfin tout ce qu'on peut imaginer
de plus agréable ? En lisant votre lettre à plusieurs reprises
, et en remarquant la grâce de l'Esprit-Saint qui éclate à
chaque ligne , il me semblait qu'elle avait été écrite
dans les premiers temps du christianisme , où les Eglises fleurissaient
affermies par la foi et unies par la charité , où les fidèles
agissaient tous de concert comme les divers membres d'un même corps
; où les persécuteurs et les persécutés étaient
bien connus, où l'on voyait le nombre des chrétiens croître
à mesure qu'on leur faisait la guerre; le sang des martyrs arroser
et féconder les Eglises, produire une foule de défenseurs
de la vérité, l'exemple et l'ardeur des premiers excitant
les autres à combattre. Alors les chrétiens vivaient en paix
les uns avec les autres; cette paix que Jésus-Christ nous a laissée
régnait parmi eux: on n'en voit plus maintenant aucun vestige; l'aigreur
qui altère les esprits l'a bannie entièrement. Toutefois,
les lettres pleines de charité qu'on nous a envoyées de si
loin , nous ont ramenés au bonheur des premiers temps. Le corps
d'un martyr apporté chez nous des pays d'au-delà du Danube,
annonce par lui-même l'intégrité de la foi qui domine
dans ces contrées. Qui pourrait décrire la joie que nous
ont causée ces nouvelles ? quelle éloquence assez vive pourrait
dépeindre les sentiments que ce récit
316
a fait naître au fond de nos coeurs ? En voyant le corps d'un
généreux athlète, nous avons trouvé heureux
celui qui l'a exhorté à combattre, et qui recevra lui-même
du juste Juge la couronne de justice, parce qu il en a fortifié
plusieurs dans les combats pour la religion. En nous rappelant la mémoire
du bienheureux Eutychès, et en faisant honneur à notre patrie
d'avoir produit elle-même des semences de piété , vous
nous avez comblés de joie par le souvenir des temps anciens, et
pénétrés de douleur par la comparaison avec ce qui
se passe de nos jours. Non , il n'est personne parmi nous gui approche
de la vertu d’Eutychès : nous sommes si éloignés d'adoucir
les Barbares par la puissance de l'Esprit-Saint et par l'efficacité
de ses opérations , que nos crimes set oient capables de rendre
féroces les peuples les plus tranquilles. C'est à nos péchés
qu'il faut attribuer les grands succès des hérétiques
, et cette puissance qui s'étend si loin , qu'à peine pourrait-on
trouver sur toute la terre un endroit oii ils n'aient porté le feu.
Vos récits offrent des combats de généreux athlètes
, des corps déchirés pour la foi, des coeurs intrépides
qui méprisent la fureur des Barbares, divers genres de supplices
, le courage et la constance des martyrs au milieu des tourments de toute
espèce. Et chez nous que voit-on ? la charité refroidie ,
la doctrine des pères ravagée, de fréquents ravages
dans la foi, les bouches des personnes pieuses réduites au silence,
le peuple chassé des églises et contraint d'élever
les mains en pleine campagne vers le Maître suprême des cieux,
par tout des persécutions cruelles, mille part l'honneur du martyre
, parce que ceux qu nous tourmentent portent comme nous le nom de chrétien.
Priez le Seigneur pour qu'il dissipe nos maux , et
317
joignez à vos prières celles des généreux
défenseurs du nom de Jésus-Christ ; afin que, si le monde
doit durer encore quelque temps, et si l'univers ne tend pas vers sa dissolution,
Dieu réconcilié avec ses Eglises , les ramène à
leur ancienne tranquillité.
A JULIEN. CCXCIII—CLXVI.
Il lui demande des nouvelles de sa santé , lui donne quelques
préceptes de morale , s'excuse de ce qu'il ne l'a pas été
voir, et le prie de lui écrire souvent.
COMMENT vous êtes-vous porté tout ce temps passé
? avez-vous recouvré parfaitement l'usage de votre main ? comment
vont toutes vos affaires ? s'arrangent-elles selon vos désirs, ainsi
que je le souhaite , et d'après votre plan de vie ? Ceux qui ont
l'esprit changeant et volage ne peuvent guère mener une vie réglée
; mais les personnes qui ont une âme solide et ferme vont toujours
à leur but d'un pas égal , sans jamais varier dans leur conduite.
Un pilote ne peut ramener le calme quand il veut ; au lieu qu'il nous est
fort aisé de nous établir dans une vie tranquille, si nous
apaisons le tumulte que font naître au-dedans de nous les passions,
et si nous nous élevons au-dessus de tous les accidents extérieurs.
Les pertes de biens, les maladies , les autres disgrâces dont notre
vie est traversée, n'altéreront pas l'homme vertueux, qui,
tenant sa volonté soumise à celle du souverain Maître,
surmonte aisément les tempêtes qui s'excitent de la terre.
Ceux qui sont trop occupés de soins terrestres ressemblent à
ces volatiles trop
318
grasses , à qui leurs ailes deviennent inutiles, et qui se traînent
en bas avec les animaux broutants. Les affaires dont je suis accablé
ne m'ont point permis de vous voir que comme des navigateurs qui se rencontrent.
Mais , comme par un seul ongle on connaît le lion tout entier, il
n'a pas été besoin que je vous pratiquasse beaucoup pour
juger de ce que vous êtes. Je suis donc très-flatté
que vous preniez quelque intérêt à ce qui me regarde,
que je ne sois pas absent de votre esprit , et que je vive un peu dans
votre souvenir. Vos lettres me sont une preuve que vous ne m'oubliez pas.
Aussi plus vous m'écrirez, plus vous me ferez de plaisir.
A MODESTE , PRÉFET DU PRÉTOIRE. CCLXXIX—CCLXXIV.
Saint Basile recommande une personne à Modeste , en le louant
sur son penchant à obliger , et en montrant combien il s'intéresse
à cette personne. C'est le même Modeste avec lequel saint
Basile avait eu de si vifs démêlés pour la foi , et
avec lequel il s'était réconcilié. On voit par cette
lettre et par les deux suivantes, combien ce génie ferme et inébranlable
dans les grandes conjonctures, était doux et humble dans le cours
ordinaire de la vie.
JE vous ai déjà écrit plusieurs lettres de recommandation
; cependant vous me traitez avec tant d'égard, que je ne crains
pas de vous fatiguer en vous écrivant toujours. L'est pour cela
que j'ai remis cette lettre avec confiance à un de nos frères,
persuadé que vous lui accorderez ce qu'il désire, et que
vous me mettrez au nombre de ceux qui cous obligent, parce que je vous
procure les occasions de faire du bien. Il vous dira lui-
319
même en quoi il a besoin de votre secours , pourvu que vous daigniez
jeter sur lui un regard favorable , et lui permettre de s'expliquer avec
vous librement. Je fais ce qui dépend de moi en vous le recommandant
, et je regarderai comme m'étant rendus à moi-même
les bons offices que vous lui rendrez ; d'autant plus qu'il est venu de
Tyanes tout exprès, dans ridée qu'une lettre de recommandation
de ma part lui serait fort avantageuse. Afin donc qu'il ne soit pas frustré
dans son espérance , que moi je sois traité par vous avec
les égards ordinaires, et que vous, Modeste, vous puissiez satisfaire
votre penchant à obliger, accueillez-le avec bonté, je vous
en conjure, mettez-le au rang de vos meilleurs amis.
AU MÊME. CXI—CCLXXVI.
C'est encore ici une lettre de recommandation. Il le supplie pour quelqu'un
qui était accusé; il le prie , ou de lui rendre justice s'il
est innocent , ou de le traiter avec indulgence s'il est coupable.
JE n'aurais jamais osé me permettre de vous importuner, moi qui
connais si bien ce que je suis et le rang que vous occupez: mais voyant
l'embarras d'un de mes amis qui a été cité pour comparaître,
je me suis hasardé de lui donner une lettre de recommandation ,
afin que vous le traitiez avec quelque indulgence. Quand ma lettre ne mériterait
aucun égard, le motif seul de bonté suffirait pour fléchir
le plus humain des préfets , et pour m'obtenir la grave que je lui
demande. Si cet homme n'a fait aucun mal, sauvez-le pour
320
l'intérêt de la vérité même : s'il
a commis quelque faute, pardonnez-lui à cause de L'asile qui vous
en conjure. Qui peut mieux connaître que vous l'état de nos
affaires? Rien n'échappe à vos connaissances, et vous réglez
toutes choses avec une prudence merveilleuse.
AU MÊME. CXI—CCLXXVII.
Il craint de l'importuner par sa recommandation ; mais il ne peut s'empêcher
de lui écrire encore en faveur de malheureux habitants de la campagne
, qui avaient besoin d'être soulagés.
JE prie le Dieu bon d'augmenter pendant toute votre vie l'éclat de votre gloire, en proportion de l'honneur que vous nous faites en vous abaissant jusqu'à nous avec tant de bonté. Quelque envie que j'eusse de vous écrire et d'user de la liberté que vous m'avez accordée , j'en ai été empêché
par une certaine pudeur, et par la crainte d'abuser de votre complaisance. Mais la permission de vous écrire que vous m'avez donnée vous-même , et le besoin de quelques personnes qui souffrent, suffisent pour m'enhardir. Si les supplications des faibles sont de quelque poids auprès des hommes puissants , laissez-vous fléchir par mes prières.
Jetez un regard favorable sur de malheureux habitants de la campagne, qui travaillent sur le mont Taurus, où sont des forges de fer : n'exigez d'eux qu'un tribut supportable pour le fer qu'ils façonnent, de peur qu'ils ne succombent sous le poids, et qu'ils ne soient à l'avenir hors d'état de pouvoir servir le public. Je suis persuadé qu'ayant l’âme
aussi bonne, vous prenez fort à coeur cette affaire.
321
A JOVIN, ÉVÊQUE DE PERRHE. CXV III—CCCXVIII.
Il le prie d'une manière fort agréable de venir le voir.
Vous m'êtes débiteur d'une dette que j'estime infiniment.
Je vous ai donné mon amitié, et il faut que vous me la rendiez
avec usure, puisque le Seigneur ne défend point une usure de cette
espèce. Acquittez-vous donc , ô vous qui m'êtes si cher,
en venant visiter notre pays. Venez; voilà le principal. Et quelle
est l'usure venez au plus tôt, et amenez-nous un homme qui nous surpasse
autant que les pères surpassent leurs enfants.
A SOPHRONIUS, INTENDANT DU PALAIS. LXXVII—CCCXXXI.
Il lui recommande instamment sa patrie , dont il décrit l'état
déplorable d'une manière fort pathétique.
LA grandeur des maux qui affligent ma patrie m'eût obligé
de me rendre au camp , pour vous exposer, à vous et à tous
ceux qui ont une grande influence dans les affaires publiques , l'affliction
et le deuil où est plongée notre ville. Mais puisque je suis
retenu par ma mauvaise santé et par le soin des Églises,
je m'empresse de vous écrire pour déplorer devant vous nos
infortunes. Un navire agité de la tempête en pleine mer et
322
englouti par les flots , ne disparaît pas plus subitement ; une
ville ébranlée par des tremblements de terre , ou inondée
par le débordement des eaux, n'est pas renversée en 'noms
de temps, que ne fa été la nôtre par une nouvelle administration
qui a causé sa destruction totale. Elle est ruinée de fond
en comble , et il n'en reste plus que l'ombre et le nom. La forme de l'ancien
gouvernement est abolie : les sénateurs effrayés par les
excès des nouveaux chefs qui gouvernent, ont abandonné leurs
incisons et la ville ; personne ne s'occupe des affaires les plus importantes.
Cette grande cité, remplie autrefois de tant d'hommes habiles et
de tout ce qui rend les villes florissantes, n'offre plus qu'un spectacle
déplorable. La seule ressource qui nous reste dans nos malheurs,
c'est de gémir devant vous sur nos maux, et de vous conjurer de
tendre , s'il est possible, une main secourable à notre patrie qui
se prosterne à vos genoux. Je ne puis vous suggérer les moyens
que vous devez prendre pour rétablir nos affaires : votre prudence
vous les suggérera elle-même; et quand vous les aurez trouvés
, vous pourrez vous servir de toute l'autorité que Dieu vous a donnée.
A PERGAMIUS. LVI—CCCLIV.
Pergamius s'était plaint à saint Basile qu'il n'avait
pas répondu à une de ses lettres : saint Basile s'excuse
sur le défaut de mémoire et sur l'embarras des affaires :
il l'invite agréablement à lui écrire, en le priant
de n'attribuer son silence à aucun motif d'orgueil.
J'AI naturellement peu de mémoire, et la multitude des affaires
augmente encore dans moi cette
323
infirmité naturelle. Quoique je n'aie nulle idée que vous
m'avez écrit, je n’ai point de peine à croire que vous l'ayez
fait, et je ne saurais vous soupçonner de mentir. Si je ne vous
ai pas répondu, ce n'est nullement ma faute ; il faut s'en prendre
à celui qui a négligé de me demander la réponse.
La lettre que je vous envoie servira d'excuse à ma faute passée;
ce seront aussi des avances pour en obtenir de vous une seconde. Quand
vous m'écrirez , ne croyez pas que vous commenciez un second. tour
; comptez plutôt que c'est vous acquitter pour ma lettre présente.
Quoiqu'elle soit un acquit du passé, comme elle est de moitié
plus longue que la vôtre , elle duit suffire pour deux. Vous voyez
que la paresse me rend un peu sophiste. Cessez, mon cher ami , de me faire
de grands reproches en peu de paroles, d'autant plus que ma faute n'est
pas un crime énorme. Oublier ses amis ou les mépriser, lorsqu'on
se voit élevé à quelque dignité nouvelle ,
est ce qu'il y a au monde de plus indigne. Si nous n'avons point de charité,
comme le Seigneur nous ordonne d'en avoir, nous ne sommes pas marqués
au sceau de ses catins. Si nous nous laissons enfler par un vain faste
et par des sentiments d'arrogance, nous ne pouvons nous soustraire à
la peine dont a été châtié l'orgueil du démon.
Si vous m'avez fait des reproches bien persuadé que je les mérite,
priez lieu qu'il me fasse éviter le défaut que vous avez
remarqué dans mon caractère. Mais si, comme il n’arrive que
trop souvent, votre langue a parlé avant que votre esprit ait assez
réfléchi , je me consolerai moi-même, et je vous prierai
d’appuyer vos reproches sur des faits. Soyez persuadé que l'oubli
prétendu dont vous me faites un crime , est la suite d'une foule
de soins qui m'accablent ,
324
et que je ne vous oublierai que quand je pourrai m’oublier moi-même.
N'imputez donc pas à un défaut de caractère ce qui
est l'effet de toutes les affaires qui m'occupent.
A ABURGE. LXXV—CCCLXI
La ville de Césarée, par une suite de la persécution
arienne, était réduite à un état déplorable
; Aburge devait sa naissance à cette ville : saint Basile le conjure
de sauver sa propre patrie, et d’employer pour cela tout le crédit
qu'il avait à la cour.
ENTRE plusieurs belles qualités qui vous relèvent au-dessus du reste des hommes, celle qui vous distingue surtout c'est l'affection pour votre patrie. Vous l’avez déjà payée de ses soins par la gloire chie vous vous êtes acquise , qui rend votre nom illustre dans tonte la terre. Cette même patrie qui vous a donné la naissance et qui vous a élevé, éprouve maintenant des infortunes qui paraissent aussi incroyables flue les fables anciennes. Si ceux qui ont le plus fréquenté notre ville y revenaient à présent , ils auraient de la peine à la reconnaître, tant elle est déserte et désolée. On lui as oit déjà enlevé tin grand nombre de ses citoyens;
presque tous les autres viennent de se réfugier à Podande
(1). Ceux qui restent, se voyant abandonnés de ceux qui ont fui
, sont tombés eux-mêmes dans un si grand désespoir
et ont causé un découragement si général, que
la ville, dépourvue
(1) Podaude, petite ville ou place de la Cappadoce , que saisi Basile,
dans une des lettres qui suivent , représente comme un lieu fort
malsain.
325
vue d'habitants et changée en une affreuse solitude, n'offre
plus qu'un spectacle aussi affligeant pour nos amis, qu'agréable
et satisfaisant pour ceux. qui conspirent depuis longtemps notre perte.
Qui donc nous tendra une main secourable, ou qui trouverons-nous qui compatisse
à nos maux ? Vous êtes le seul à qui nous puissions
nous adresser , vous qui seriez touché du sort , même d’une
ville étrangère aussi malheureuse que la nôtre , et
qui le serez à plus forte raison du désastre de votre patrie.
Si vous avez quelque pouvoir, raites-le paraître dans la conjoncture
actuelle. Vous pouvez compter sur le secours de Dieu qui ne vous abandonna
jamais , et qui vous a déjà donné de grandes marques
de sa bonté. veuillez seulement vous occuper enfin de nous , et
vous servir de tout votre crédit pour tirer de l'abyme vos compatriotes.
AU GOUVERNEUR DE NÉOCÉSARÉE. LXIII—CCCLXXI.
Il lui demande son amitié de la manière la plus honnête
et la plus engageante.
JE mets au nombre de mes amis l'homme sage, quand il habiterait aux
extrémités du inonde, et que je ne l'aurais jamais vu de
mes yeux: c’est la pensée d'Euripide le tragique. C'est ainsi que
je m'annonce comme votre ami, quoique je ne vous connaisse point particulièrement,
et que je n'aie jamais eu le bonheur de vous voir. Ne regardez pas ce discours
comme une flatterie. La renommée qui publie avec éclat vos
vertus par
326
toute la terre, m'avait déjà inspiré de l'amitié
peur vous : mais depuis que je nie suis entretenu avec notre vénérable
frère Elpidius, je vous connais aussi parfaitement , et je suis
aussi touché de votre mérite , que si nous eussions vécu
longtemps ensemble, et que si une longue expérience m'eût
fait connaître vos grandes qualités. Elpidius n'a point cessé
de me raconter en détail vos vertus, votre grandeur dame, vos sentiments
nobles, votre douceur, votre habileté dans les affaires , votre
rare prudence, votre gravité naturelle mêlée de gaîté
, votre éloquence peu commune ; en un mot, il m'a rapporté
de vous dans un long entretien ce qu'il serait impossible de redire dans
une lettre, à moins que de l'étendre outre mesure. Après
cela, pourrais-je me défendre de vous aimer? pourrais-je m'empêcher
de publier ce que je sens pour vous au-dedans de moi-même ? Recevez
donc, personnage admirable , recevez mon salut , comme la marque d'une
amitié véritable et sincère ; car rien n'est plus
éloigné que moi dune Flatterie basse et servile. Mettez-moi
au nombre de vos meilleurs amis, et écrivez-moi souvent pour me
consoler de votre absence.
327
A TRAJAN. CXLVIII—CCCLXXVI.
Un ami de saint Basile, nommé Maxime , qui avait été
gouverneur de Césarée, était tombé dans des
malheurs affreux dont il fait une description touchante; il intercède
pour lui auprès de Trajan, afin qu'il le soulage dans ses maux.
C'EST une grande consolation pour les malheureux de pouvoir déplorer
leurs maux , surtout devant des hommes qui ont assez de sensibilité
pour y compatir. Le très-honoré frère Maxime, qui
a gouverné notre patrie, est tombé dans une disgrâce
telle qu'on n'en éprouva jamais. Dépouillé de tous
les biens qu'il avait hérités de ses ancêtres ou qu'il
avait acquis par son industrie , il a souffert mille insultes en sa personne
; il erre depuis longtemps , et l'on n'a pas même épargné
sa réputation, le plus grand de tous les biens , pour lequel un
homme qui pense ne craint pas de s'exposer à tout. Il m'a fait un
récit déplorable de ses infortunes tragiques , et m'a prié
de vous les mettre sous les yeux. Comme je ne pouvais le soulager autrement
dans ses malheurs, et que la honte l'empêche de vous en offrir le
détail, je me suis chargé au moins fort volontiers de vous
exposer une partie de ce que j'ai su de lui-même. Quand ses disgrâces
annonceraient des torts et des fautes , elles sont toujours de nature à
lui donner droit à notre compassion. Tomber tout-à-coup dans
des maux extrêmes, c'est une preuve en quelque sorte que l'on est
condamné à l'infortune. En regard favorable de votre pari
suffira pour consoler
328
Maxime. Qu'il sente lui-même les effets de cette douceur inépuisable
que vous témoignez à tout le inonde. On est généralement
persuadé que votre crédit peut beaucoup dans le jugement
de cette affaire. Celui qui vous remettra ma lettre , et qui a cru qu'elle
lui serait utile, mérite bien que vous le soulagiez dans ses maux.
J'espère que nous le verrons joindre sa voix à celle de tant
d'autres pour publier votre sagesse et votre équité.
AU MÊME. CXLIX — CCCLXXVII.
Le sujet de cette lettre est le même que celui de la précédente.
Saint Basile invite plus instamment Trajan à prendre sous sa protection
un malheureux, victime d'une persécution cruelle.
Vous avez été vous-même le témoin des infortunes
de Maxime , dont la condition était auparavant si brillante , et
qui est maintenant le plus misérable des hommes. Il a été
gouverneur de notre patrie; eh ! plût à Dieu qu'il ne l'eût
jamais été ! Non , on ne trouvera personne à l'avenir
qui veuille prendre des gouvernements , s'ils ont une issue aussi malheureuse.
Qu'est-il besoin que je vous raconte en détail ce que j'ai vu et
ce que j'ai entendu , à vous dont la pénétration est
si vive , que , pour peu qu'on vous donne d'ouverture , vous comprenez
aisément tout le reste ? Il ne sera cependant pas inutile de vous
dire que, quoiqu'on ait accablé d'outrages Maxime avant votre arrivée,
ces outrages seraient regardés comme des faveurs, si on les comparaît
aux maux qu'on lui a faits depuis que vous êtes venu. Il n'est point
d'insultes,
329
il n'est point de mauvais traitements dans la personne et dans les biens,
que le préfet actuel n'ait imaginés contre lui. Il vient
à présent avec des satellites pour mettre le comble à
ses malheurs, à moins que vous ne daigniez tendre une main secourable
à cet infortuné. Je sais qu'il n'est nullement nécessaire
de vous exciter à la compassion; mais comme je veux soulager un
malheureux dans ses peines, je vous conjure d'ajouter quelque chose pour
l'amour de moi à votre bonté naturelle , afin qu'il sache
que ma sollicitation ne lui a pas été inutile.
A MÉLÈCE, MÉDECIN. CXCIII—CCCLXIX.
Saint Basile était fort malade : il mande le détail de
sa maladie à Mélèce d'une manière expressive
en même temps et agréable, qui annonce le mauvais état
de sa santé et la sérénité de son âme.
JE n'ai pu me garantir des rigueurs de l'hiver comme font les grues.
Je ne le cède peut-être pas à ces oiseaux en prévoyance
de l'avenir ; mais pour la liberté de la vie, je suis aussi éloigné
d'eux que je suis loin de la faculté de voler. D'abord, je me suis
trouvé arrêté par des affaires domestiques ; ensuite
une fièvre violente et continue nia tellement épuisé
que je crois avoir perdu de ma substance. La fièvre s'est tournée
en quarte, et j'en ai eu plus de vingt accès. Je suis maintenant
saut fièvre, mais si exténué et si faible que je ressemble
à une araignée. Tout chemin est pour moi impraticable, et
le moindre souffle de vent m'est aussi périlleux que le dixième
coup
330
de mer à ceux qui naviguent. Je suis contraint de me renfermer
dans mon logis et d'attendre le printemps, si je puis aller jusque-là
et résister ait mal qui dévore mes entrailles. Si Dieu. ma
conserve par sa toute-puissance, je me transporterai avec joie dans votre
solitude, et j'embrasserai de bon coeur un excellent ami. Demandez à
Dieu qu'il dispose de ma vie comme il le jugera à propos pour le
salut de mon âme.
AU COMTE JOVIN. CLXIII—CCCLXXVIII.
Il le remercie de l'excellente lettre qu'il lui a écrite : il
le prie de lui écrire souvent, d'autant plus que sa mauvaise santé
le fait désespérer d'être jamais en état de
l'aller voir.
J'AI vu votre âme dans votre lettre. Non, un peintre habile ne
saisit pas mieux les traits du visage que les paroles représentent
les secrets de l’âme. La fermeté de votre caractère,
la justesse de votre discernement, la pureté de votre foi, étaient
dépeintes au naturel dans toutes les lignes de votre lettre. Aussi
m'a-t-elle fort consolé de votre absence. Ne négligez donc
aucune occasion de m'écrire et de vous entretenir avec moi de loin,
puisque je suis dans un état de faiblesse à ne plus espérer
de vous aller parler moi-même en personne. Le saint évêque
Amphiloque vous dira combien ma santé est mauvaise. Comme nous nous
sommes pratiqués longtemps, il me connaît assez, et il a un
talent merveilleux pour raconter ce qu'il a vu. Je ne souhaite que vous
connaissiez l'état pitoyable où je sais, qu'afin que vous
331
m'excusiez à l'avenir, et que vous ne me taxiez point de paresse
si je ne vais pas vous visiter. Au lien de m'obliger faire des excuses,
il faut plutôt que l'on me console de cette privation. S'il était
possible d'aller vous trouver, je l'aurais fait avec plus d'empressement
que les autres ne recherchent ce qu'ils souhaitent davantage.
A L'ÉPOUSE DU GÉNÉRAL ARINTHÉE. CCLXIX—CLXXXVI.
A NECTAIRE. V — CLXXXVIII.
A L'EPOUSE DE NECTAIRE. VI — CLXXXIX.
A UN PÈRE QUI AVAIT PERDU SON FILS ENVOYÉ AUX ECOLES
POUR ETUDIER L'ELOQUENCE. CCC-CCI.
A LA VEUVE DE BRISON. CCCII—CCCXLVIII.
A MARTINIEN. LXXIV—CCCLXXIX.
A UN GUERRIER. CVI—CCCCVII.
A L'ÉPOUSE DU GÉNÉRAL ARINTHÉE. CCLXIX—CLXXXVI.
Arinthée, grand général ,venait de mourir: saint
Basile écrit à la veuve à laquelle il offre les plus
grands motifs de consolation , en mêle temps qu'il fait un bel éloge
de l'illustre époux qu'elle avait eu le malheur de perdre.
IL eût été à propos dans l'état où
vous êtes que j'eusse été présent, afin de partager
avec vous la perte que vous venez d'essuyer. Par-là, j'aurais adouci
mes chagrins, et j'aurais rempli à votre égard l'office de
consolateur. Mais comme je suis trop faible pour supporter la fatigue d'un
long voyage, je m'entretiens avec vous par lettre, pour que vous ne me
jugiez pas étranger à vos peines. Qui est-ce qui n'a pas
gémi sur la mort de votre époux ? quel coeur assez dur pourrait
s'empêcher de pleurer amèrement la perte d'un aussi grand
homme ? Pour moi, elle me pénètre d'une douleur particulière,
lorsque je me rappelle les égards dont il m'honorait, et la protection
qu'il accore doit aux Eglises. Cependant je fais réflexion qu'il
était homme , et qu'après avoir fourni sa carrière,
il a été rappelé par le souverain Modérateur
des choses humaines dans le temps que ses décrets
332
avaient marqué. Je vous exhorte à vous consoler par cette
même pensée, et à vous en servir pour supporter votre
affliction avec courage. Le temps peut ralentir votre douleur ; mais la
tendresse que vous aviez pour votre époux, et votre coeur naturellement
bon et sensible, nie font craindre que vous ne vous abandonniez trop à
la tristesse , que cette tristesse ne fasse en vous des blessures trop
profondes. Les maximes de l'Ecriture sont utiles dans toutes les circonstances,
et principalement dans des occasions pareilles. Rappelez-vous donc la sentence
que le Créateur a prononcée contre nous ( Gen. 3. 19. ),
laquelle nous condamne à retourner dans la terre nous qui sommes
tous sortis de la terre, sans qu'on puisse, quelque grand qu'on soit, se
mettre au-dessus de cette loi de dissolution. Votre époux était
aussi admirable par les qualités de l’âme que par les forces
du corps, qui répondaient parfaitement à ses vertus. Il ne
le cédait à personne dans ces deux parties ; mais enfin il
était homme , et il est mort aussi bien qu'Adam, qu'Abel, que Noé,
qu'Abraham, que Moïse, que tant d'autres qui participaient à
la même nature. Il ne faut donc point nous affliger outre mesure
parce qu'il nous a été enlevé, mais remercier Dieu
de la grâce qu'il nous a faite de vivre avec lui. Avoir perdu votre
époux, cela volis est commun avec toutes les femmes ; mais je ne
crois pas qu'une seule pût se vanter d'avoir été unie
à un homme tel que le vôtre. Il semblait que Dieu l'eût
fait naître pour servir de modèle au genre humain. Tous les
yetis se réunissaient sur lui, toutes les bouches s'ouvraient pour
le louer. Les peintres et les statuaires ne pouvaient atteindre à
la dignité de ses traits. Les historiens qui racontent ses actions
guerrières
333
tombent dans le merveilleux de la fable. Plusieurs ne sauraient encore
ajouter foi au bruit qui a répandu une triste nouvelle ; ils ne
peuvent se persuader qu'Arinthée ne soit plus. Mais il est passé,
cet illustre personnage , comme le ciel, le soleil et la terre passeront.
Il est mort glorieusement, n'étant pas encore affaissé par
l'âge et n'ayant rien perdu de sa célébrité.
Il était grand dans ce monde, il est grand dans l'autre, et la gloire
présente chez lui n'a fait aucun tort à la gloire future,
parce qu'en mourant il a effacé les taches de son âme dans
le bain de la régénération. C'est pour vous un grand
motif de consolation de ce que vous ayez tant contribué à
lui procurer cette grâce. Détachez-vous des choses temporelles
pour rie penser qu'aux éternelles, afin de mériter par vos
bonnes oeuvres d'obtenir le même lieu de repos. Conservez-vous pour
une mère âgée et pour une fille encore jeune, qui n'ont
que vous seule pour consolation. Soyez pour les autres femmes un modèle
de force ; modérez tellement votre douleur, que, sans la bannir
de votre âme, vous ne vous y laissiez pas abattre. Songez à
la récompense magnifique dont le Fils de Dieu a promis de payer
notre patience, lorsqu'il viendra nous récompenser des bonnes oeuvres
que nous aurons faites pendant notre vie.
A NECTAIRE. V — CLXXXVIII.
Nectaire avait perdu un fils, l'héritier et l'espérance
de sa maison : saint Basile lui écrit cette lettre, dans laquelle
il le console par tous les motifs que peut fournir nie philosophie chrétienne.
A PEINE s'était-il écoulé trois ou quatre jours
depuis que la nouvelle de l'accident le plus fâcheux m'avoir alarmé,
je ne pouvais me résoudre à la croire, parce que celui qui
l'apportait ne disait rien de positif, et parce que d'ailleurs je désirais
qu'elle fût fausse : j'ai reçu la lettre d'un évêque
qui ne m'a que trop confirmé la vérité d'unie nouvelle
aussi affligeante. Est-il besoin de vous dire combien j'ai poussé
de gémissements , combien j'ai versé de larmes ? Pourrait-on
avoir un coeur assez dur, assez étranger à la nature humaine
, pour être insensible à un événement pareil,
ou pour n'en ressentir qu'une douleur médiocre ? L’héritier
d'une maison illustre, l'appui de sa famille, l’espérance de la
patrie, le sang de parents si vertueux, l'objet de tous leurs voeux et
de tous leurs soins, a doue été arraché de leurs bras
dans la fleur de son âge ! Un accident aussi déplorable pourrait
émouvoir un coeur d'airain et l'exciter à la compassion;
faut-il s'étonner qu'il m'ait touché si vivement, moi qui
vous fus toujours si dévoué, et qui partageai toujours vos
sujets de joie et de tristesse ? Jusqu'alors vous n'aviez éprouvé
que des afflictions légères, et tout paraissait s'arranger
selon vos désirs : voilà que tout-à-coup, par la malice
du démon, tout le bonheur
335
de votre maison s'est éclipse, toute la satisfaction de vos âmes
s'est évanouie, et vous êtes devenus un triste exemple des
misères humaines. Toute notre vie ne pourront suffire à déplorer
ce malheur comme il le mérite. Quand tous les hommes joindraient
leurs gémissements aux nôtres, leurs plaintes ne pourraient
égaler l'étendue dune pareille disgrâce. Quand l'eau
des fleuves se convertirait en pleurs, ce ne seront pas encore assez pleurer
une perte aussi désolante. Toutefois, si nous voulons nous servir
de ce don précieux que Dieu a renfermé au fond de nos coeurs,
je veux dire une raison sage, qui sait modérer nos âmes dans
la prospérité, et qui, dans les conjonctures fâcheuses,
nous fait ressouvenir de la condition humaine, nous rappelle ce que nous
avons vu et entendu, que notre vie est pleine de semblables infortunes,
qu'elle en offre mille exemples , qu'outre cela Dieu nous défend
de nous affliger pour ceux qui sont morts dans la foi en Jésus-Christ,
à cause de l'espérance de la résurrection, qu'enfin
le souverain Juge nous réserve des couronnes de gloire proportionnées
à notre patience ; si, dis-je, nous voulons permettre à notre
raison de faire retentir ces maximes à nos oreilles, nous pourrons
peut-être adouci: l'amertume de nos chagrins. Je vous exhorte donc
à supporter en généreux athlète un coup aussi
rude, à ne pas vous laisser abattre par la douleur, persuadé
que, quoique nous ne pénétrions pas dans les secrets de Dieu,
nous devons cependant nous soumettre à ses ordres suprêmes,
quelque affligeants qu'ils nous paraissent , parce qu'il est infiniment
sage et qu'il nous aime. Il sait comment il dispose ce qui nous est utile
à chacun, et pourquoi il nous a marqué à tous un terme
de vie
336
différent. Les hommes ne peuvent comprendre pour quelle raison
les uns sortent plus tôt de ce monde, tandis que les autres sont
exposes plus longtemps au maux de cette vie misérable. Nous devons
donc adorer en tout la bonté de Dieu, et ne pas nous affliger de
ce qui nous arrive, nous rappelant cette parole aussi magnanime que célèbre,
qu'a prononcée Job, cet athlète fameux, lorsqu'il eut appris
que ses dix enfants avaient été écrasés à-la-fois
sous les ruines d'une maison dans un festin. Le Seigneur, dit-il, me les
a donnés, le Seigneur me les a ôtés ; il est arrivé
ce que le Seigneur a voulu ( Job. I. 21. ). Adoptons cette admirable parole.
Le juste Juge récompense également celui qui montre un égal
courage. Vous n'avez point perdu votre fils, vous l'avez rendu à
celui qui vous l'avait prêté. Sa vie n'est pas éteinte,
elle est changée en une meilleure. La terre ne couvre point votre
enfant chéri , le ciel l'a reçu. Attendons encore quelque
temps, et nous rejoindrons bientôt celui que nous regrettons. Nous
n'en serons pas longtemps séparés : nous marchons tous dans
cette vie, comme dans une route qui nous conduit au même terme. Les
uns y sont déjà arrivés, les autres en approchent,
d'autres y tendent à grands pas. La même fin nous attend tous.
Votre fils a terminé sa carrière avant nous ; mais nous marchons
tous dans la même voie, et nous arriverons tous au même domicile.
Puissions-nous seulement égaler par nos vertus la pureté
de son âme, afin que la simplicité de nos moeurs nous mérite
le repos que Jésus-Christ accorde à ses enfants.
A L'EPOUSE DE NECTAIRE. VI — CLXXXIX.
Après avoir écrit au père , St. Basile écrit
à la mère pour la consoler de la mort de son fils. Entre
autres
motifs, il lui rappelle l'exemple de la mère des Macchabées.
En général toutes ces lettres de consolation sont pleines
d'un pathétique naturel.
J'AVAIS résolu de ne vous point écrire et de garder le
silence, parce que sans doute, comme les remèdes les plus doux causent
de la douleur à un oeil enflammé, ainsi les paroles les plus
consolantes sont importunes à une âme abîmée
dans la tristesse , si on les lui adresse lorsque lai plaie est encore
toute saignante. Mais quand j'ai fait réflexion que j'avais à
parler à une chrétienne, versée depuis longtemps dans
les choses divines, et disposée à souffrir les accidents
de cette vie mortelle, je me suis cru obligé de m'acquitter de mon
devoir. Je sais quelles sont les entrailles d'une mère; et quand
je pense combien vous avez de douceur et de bonté pour tout le monde,
je n'ai point de peine à comprendre que vous devez être sensiblement
touchée du malheur qui vous arrive. Vous avez perdu un fils qu'admiraient
pendant sa vie toutes les mères, qui auraient désiré
en avoir un pareil, et quelles ont pleuré après sa mort,
comme si toutes elles eussent été privées de leur
propre enfant. Sa mort est aussi affligeante pour notre patrie que pour
la Cilicie. Une maison illustre dont il était le soutien est comme
renversée avec lui. O fatal effet de la malice du démon !
quel coup douloureux il nous a porté! O terre
338
malheureuse, exposée à subir une si cruelle disgrâce
! Si le soleil a du sentiment, il a chi frémir d'un si désolant
spectacle. Où trouver des expressions qui puissent égaler
les angoisses de notre âme Mais nous sommes gouvernes par une sage
providence, comme nous l'apprenons de l'Evangile , qui nous dit que même
un passereau ne tombe point sans la volonté du père céleste
(Matth. 10. 33.) C'est donc par la volonté du Créateur que
nous est arrivé l'accident qui nous fait gémir. Or, qui peut
résister à la volonté de Dieu ? Recevons les peines
qu'il nous envoie. "Notre impatience, sans réparer le mal, ne fait
que nous perdre nous-mêmes. Ne condamnons pas le juste jugement de
Dieu. Nous sommes trop peu instruits pour pouvoir pénétrer
dans les secrets de sa justice. Le Seigneur veut éprouver maintenant
votre amour pour lui. Voici le temps de mériter par votre patience
la récompense des martyrs, La mère des Machabées vit
la mort de ses sept enfants sans gémir, sans répandre d'indignes
larmes : elle rendait grâces à Dieu en voyant ses fils délivrés
des liens du corps par le feu, le fer , et les autres instruments des plus
cruels supplices. Aussi s'est-elle acquis une gloire immortelle devant
Dieu et devant les hommes. Votre affliction est grande, je l'avoue; mais
les récompenses que Dieu réserve aux hommes patients sont
bien plus grandes encore. Lorsque vous êtes devenue mère,
et que vous voyant un fils vous avez rendu grâces à Dieu,
vous saviez qu'étant mortelle, vous aviez donné la naissance
à un homme mortel. Or, qu'y a-t-il d'étonnant qu'un homme
mortel soit mort? Mais ce qui nous afflige, c'est sa fin prématurée.
Nous ne saurions décider s'il était avantageux qui il ne
mourût pas sitôt: nos
339
lumières sont trop courtes pour savoir choisir ce qui convient
aux âmes, et pour mesurer les bories de la vie humaine. Jetez les
yeux sur ce inonde que vous habitez, et songez due tout ce que vous voyez
est périssable, sujet à la corruption. Regardez le ciel;
il sera détruit un jour. Le soleil lui-même ne subsistera
pas éternellement. Tous les astres, les animaux aquatiques et terrestres,
les ornements qui embellissent la terre, la terre elle-même, tout
est corruptible, tout disparaîtra dans peu de temps. Que ces réflexions
adoucissent le chagrin que vous cause votre perte. Ne considérez
pas votre malheur en lui-même, car il vous paraîtrait insupportable;
mais comparez-le avec toutes les misères humaines, et cette comparaison
adoucira votre tristesse. En des motifs les plus torts que je puisse vous
offrir , c'est que vous devez ménager la douleur de votre époux.
Consolez-vous l'un l'autre, et n'aggravez pas ses peines en vous abandonnant
trop à votre affliction. En général , je crois que
les paroles ne sont pas suffisantes pour votre consolation, il faut avoir
recours à la prière dans une conjoncture aussi fâcheuse.
Je prie donc le Seigneur de toucher votre âme par son ineffable puissance,
et d'éclairer votre esprit par des réflexions utiles, afin
que vous puissiez trouver en vous-même de quoi vous consoler.
340
A UN PÈRE QUI AVAIT PERDU SON FILS ENVOYÉ AUX ECOLES POUR
ETUDIER L'ELOQUENCE. CCC-CCI.
Un père avait perdu son jeune fils qui donnait les plus grandes
espérances : saint Basile entre d'abord dans sa peine qu'il partage,
et ensuite il lui présente tous les motifs capables de le consoler.
PUISQUE le Seigneur en nous donnant le soin de former à la piété
les enfants de ceux qui croient en lui, nous en a faits comme les seconds
pères, j'ai regardé la perte de votre bienheureux fils comme
m'étant personnelle. Sa mort prématurée m'a fait gémir,
surtout par un sentiment de compassion pour vous; j'ai considère
combien la douleur d'un père par la nature devait être accablante,
puisque j'en ressentais une si vive, moi qui ne suis père que par
adoption. Ce n'est pas celui qui n'est plus, qui doit exciter notre tristesse
et nos larmes; ce sont ceux qui voient tout d'un coup s'évanouir
leurs espérances, qui sont vraiment à plaindre. On ne saurait
trop accorder de pleurs et de gémissements à leur disgrâce:
ils avaient éloigné leur fils dans la fleur de la jeunesse,
ils l'avaient envoyé aux écoles pour étudier l'éloquence;
et on le leur rend muet , condamné à un silence éternel.
Ces tristes réflexions d'abord m ont vivement ému, j'ai senti
que j'étais homme, j’ai versé des pleurs en abondance, j'ai
poussé du fond de mon coeur des soupirs que condamnait ma raison,
mais que justifiait le malheur imprévu qui, comme un nuage, venait
envelopper mon
341
âme. Mais lorsque je suis un peu revenu à moi, et que j'ai
considéré des yeux de l'esprit la nature des choses humaines
, je nie suis justifié devant le Seigneur de m'être laissé
transporter dans un événement fâcheux par la vivacité
du sentiment; je me suis dit à moi-même qu'il fallait souffrir
avec modération ces disgrâces auxquelles l'homme a été
anciennement condamné par la justice divine. Il n'est plus cet enfant
qui était dans la fleur de l'âge, qui devait vivre encore
si longtemps, qui se distinguait parmi ses égaux, qui était
chéri de ses maîtres, qui du premier abord se conciliait les
caractères les plus durs, qui av oit un esprit si vif pour les sciences,
un naturel si doux, une sagesse au-dessus de son âge, auquel on ne
peut donner d'éloges sans reste au-dessous de la vérité,
mais qui enfin était homme et engendré par un homme. Otto
doit penser le père d'un tel enfant ? Ne doit-il pas se souvenir
que son père est mort aussi? qu'y a-t-il donc détonnant que
le fils d'un père mortel ait été pure d'un fils mortel
? Mais il est mort avant le terme ordinaire, avant que d'avoir été
rassasié de la vie, avant que d’avoir pu se luire connaître
et laisser un héritier de sou none. Ces réflexions, à
mon avis, sont plutôt des motifs de consolation qu'un surcroît
de douleur. ll faut remercier la divine Providence de ce qu'il ne laisse
pas après lui d'orphelins, ni une femme veuve, exposée à
une longue suite de peines, qui s’unirait peut-être à un autre
époux, et qui négligerait ses premiers enfants. Peut-on être
assez peu raisonnable pour ne pas convenir que c'est pour lui un avantage
d’avoir peu vécu, pour ne pas reconnaître qu’une vie plus
longue ne fait que nous exposer à plus de maux. Il n'a point fait
le mal, il n'a point tendu de piége à son prochain, il ne
s'est point
342
trouvé mêlé dans les intrigues du barreau, il ne
s’est point vu tans la nécessite d’avoir commerce avec les méchants
et de commettre le péché ; il n'a été ni menteur,
ni ingrat, ni cupide, ni livré aux plaisirs, ni esclave des mouvements
de la chair qui ont coutume d'asservir les âmes faibles. Son âme
n'a été souillée d'aucun vice; il est sorti pur du
monde pour jouir d'une meilleure destinée. La terre ne couvre point
notre cher enfant, le ciel l’a reçu. Le Dieu qui gouverne les choses
humaines, qui règle le cours de notre vie, et qui l’avait mis dans
ce monde, l'en a retiré. Nous avons une leçon et une ressource
pour adoucir nos disgrâces extrêmes, dans cette parole célèbre
du généreux Job: Le Seigneur me l'a donné, le Seigneur
me l'a ôté; il est arrivé ce que le Seigneur a voulu:
que le nom du Seigneur soit béni dans tous les siècles (Job.
I. 21.).
A LA VEUVE DE BRISON. CCCII—CCCXLVIII.
Grandeur de la perte et motifs de consolation , tel est l’ordre naturel
de cette lettre adressée à la veuve d'un personnage illustre
et vertueux que regrettait tout l'empire.
IL n'est pas besoin que je vous dise combien j'ai été
touché en apprenant la mort de Brison, du plus excellent des hommes.
Quand on l'a pratiqué, quand on a été à portée
de le connaître, et qu'on le voit enlevé subitement, de ce
inonde , peut-on avoir le coeur assez dur pour ne point regarder sa perte
comme une calamité publique ? Ma douleur a été suivie
aussitôt de l’inquiétude pour ce
343
qui vous regarde. Je me disais à moi-même : Si ceux qui
ne tenaient à Brison par aucun lien de parenté sont si affligés
de son trépas, dans quelle profonde tristesse ne doit pas être
plongée celle qui a une âme si douce , un coeur si sensible,
une compassion si tendre pour les maux d'autrui, et qui , séparée
de son époux, doit souffrir autant que si une violence cruelle ,
la divisant en deux parts , lui arrachait une moitié d'elle-même
! Si , suivant la parole du Seigneur , le mari et la femme ne sont plus
deux, mais une même chair (Matth. 19. 6.) , une telle séparation,
sans doute , n'est pas moins douloureuse qui si l'on divisait le même
corps. Tels sont , sans parler de beaucoup d'autres , vos sujets de douleur
; et les motifs de consolation, quels sont-ils ? D'abord l'ordre établi
par Dieu dès l'origine , que tout ce qui vient au monde par la voie
de la génération doit en sortir après un certain temps.
Si depuis Adam jusqu’à nous les choses humaines ont été
soumises à cet: ordre , pourquoi nous révolter contre les
lois communes de la nature, plutôt que de nous résigner aux
décrets de Dieu , qui a voulu qu'une âme généreuse
et invincible sortit de ce monde sans que la maladie ait affaibli son corps,
sans que les années l'aient flétri dans toute la force de
l'âge, après avoir acquis par les armes une gloire immortelle
? Ne nous affligeons point de nous voir séparés d'un si grand
homme; remercions Dieu de la grâce qu'il nous a faite de vivre quelque
temps avec un illustre personnage dont tout l’empire sont la perte, que
regrette le prince, que les soldats pleurent , pour lequel tous les hommes
constitués en dignité s'affligent connue s'ils avaient perdu
leur enfant. Le souvenir qu’il vous a laissé de sa vertu pourrait
suffire pour vous
344
consoler. N'oubliez pas non plus que celui qui ne succombe pas à
l’affliction, qui en supporte le poids par l'espérance qu’il a en
Dieu, sera récompensé magnifiquement de sa patience. Selon
le précepte de l’Apôtre, il ne nous est pas permis de nous
attrister comme les infidèles touchant ceux qui dorment du sommeil
de la mort ( I Thess. 4. 13. ). Que vos enflais qui sont une image vivante
de l'époux que vous regrettez , vous consolent de son absence ,
et que les soins de leur éducation vous distraient de votre douleur.
Enfin songez uniquement à plaire à Dieu pendant le temps
qui vous reste à vivre ; et il n'en faudra pas davantage pour ramener
le calme dans votre esprit. L'ardeur avec laquelle nous nous disposerons
à paraître devant le tribunal du Fils de Dieu, et à
nous rendre dignes d être comptés an nombre de ses amis ,
est fort propre à étourdir nos chagrins et à nous
empêcher d'y succomber. Que l'esprit de Dieu vous console , et consolez-moi
vous-même en me donnant de vos nouvelles. Donnez à toutes
les femmes de votre siècle et de votre condition l'exemple d'une
vertu courageuse.
345
A MARTINIEN. LXXIV—CCCLXXIX.
Martinien était un homme d'un grand mérite, et avait du
crédit auprès du prince : saint Basile lui fait une vive
peinture des malheurs affreux où les persécutions des Ariens
avaient jeté la ville de Césarée; il le conjure de
mettre ses maux sous les yeux de l'empereur , et d'intercéder pour
elle auprès de lui.
QUE ne donnerais-je pas pour que nous mussions nous joindre, pour que j'eusse le bonheur de vous entretenir quelque temps ! Si c'est un grand témoignage de doctrine d avoir vu les villes et d'avoir connu les moeurs de beaucoup de peuples, je crois que votre commerce pourrait procurer cet avantage à peu de frais. Lequel est préférable de voir en détail beaucoup d hommes, ou d'entretenir un seul homme qui sait tout ce que les autres savent? Pour moi, je préfèrerais le dernier, d'autant plus qu'alors on parvient sans peine à connaître tout ce qu'il y a de bon, et qu'on apprend la vertu sans le mélange d'aucun mal. Alcinoüs désirait d’être une année à écouter Ulysse; moi, je voudrais employer toute ma vie à vous entendre , et je souhaiterais qu'elle me fût prolongée, quoique je ne la trouve pas fort agréable.
Pourquoi donc ne fais-je que vous écrire, lorsque je devrais
me transporter auprès de vous c'est que notre patrie, dans le plus
déplorable état, m'appelle à son secours. Vous n'ignorez
pas tout ce qu'elle a souffert, vous savez que de vraies Ménades
l'ont mise en pièces comme Penthée (1).
(1) On connaît l'histoire ou la fable de Penthée, roi de
Thèbes, qui, ayant montré du mépris pour Bacchus ,
fut déchiré et mis en pièces par les Ménades
ou Bacchantes.
346
Elle est coupée et déchirée par des médecins malhabiles, dont l'ignorance aggrave le mal et envenime les plaies. Puis donc qu'elle est démembrée et fort malade , il faut lui apporter tous les remèdes que nous pourrons. Les citoyens ont envoyé vers moi et me pressent ; il faut que je me rende à leurs désirs. Ce n'est pas que je me flatte de leur être utile , mais je veux éviter le reproche de les abandonner. Les malheureux , vous le savez, sont aussi prompts à espérer que prêts à se plaindre, s'en prenant toujours à ce qu'on a oublié de faire. C'est pour cela même que j’aurais dû vous joindre , et vous conseiller, ou plutôt vous conjurer, de prendre un parti généreux et digne de vos sentiments , de ne point dédaigner notre ville qui se prosterne à vos genoux , mais de vous rendre à la cour , d'y parler avec votre liberté accoutumée, de leur faire comprendre qu'ils se trompent s'ils prétendent avoir deux provinces pour une. Non, ils n'en ont point introduit une seconde , transportée de quelque pays éloigné ; mais ils ont fait à-peu-près comme celui qui ayant un boeuf ou un cheval , croirait en avoir deux après l'avoir coupé par la moitié: il n'en aurait point deux , mais il aurait détruit le seul qu'il avoir. Vous ferez entendre à ceux qui gouvernent sous le prince , que ce n'est pas là fortifier l'empire, que la puissance ne se mesure point par le nombre, nais par les forces réelles.
Au reste , les désordres que nous voyons arrivent , si je ne
me trompe, de ce que d'autres n'osent parler de peur d offenser personne,
de ce que d'autres enfin laissent aller les choses parce
347
qu'ils ne s'en embarrassent guère. Le meilleur parti , ce serait d'aller vous-même trouver l'empereur sil était possible; c'est ce qu'il y aurait de plus utile aux affaires et de plus conforme à vos principes. Si la saison , et votre âge qui , comme vous dites , a pour compagne la paresse , ne vous le permettent point , quelle peine auriez-vous à écrire ? Si vous donnez à votre patrie ce secours par lettres , d’abord vous aurez la satisfaction d'avoir fait ce qui était en vous ; ensuite vous aurez consolé suffisamment des malheureux en paraissant compatir à leurs maux. Que ne pouvez-vous venir vous-même sur les lieux pour être témoin de nos infortunes ! la vue même des objets ne pourvoit que vous émouvoir, vous engager à élever la voix d'une manière qui réponde aux sentiments de votre âme et aux infortunes de notre, ville. Mais enfin ne refusez pas de croire mon récit. Nous aurions vraiment besoin d'un Simonide (1), ou de quelque autre autre poète qui excelle dans les poèmes élégiaques et plaintifs. Que dis-je , Simonide ? il nous faudrait un Eschyle, ou quelque autre qui s'entendrait également à déplorer d’une voix forte et pathétique les grandes calamités de la vie humaine.
Les assemblées , les discours et les entretiens des personnes
instruites , qu'on voyait et qu'on entendait dans la grande place de notre
ville , en un mot, tout ce qui rendait notre ville célèbre
a disparu. On voit maintenant dans notre place publique moins de savants
et d'orateurs qu'on ne voyait jadis dans celle d'Athènes d'hommes
diffamés en justice ou souillés d'un meurtre. La barbarie
(1) Simonide et Eschyle, poètes grecs; l'un élégiaque,
et l’autre tragique, tous deux assez connus.
348
grossière de quelques Scythes et de quelques Massagètes
a pris la place des sciences : on n'entend plus que la voix des exacteurs
cruels , et les cris des malheureux due l'on fait payer et que l’on déchire
à coups de fouet. Les portiques retentissent de toutes parts de
lamentations auxquelles ils semblent mêler leurs gémissements
et leurs plaintes, comme s'ils étaient sensibles aux malheurs des
habitants. Les gymnases sont fermés , les nuits ne sont plus éclairées
; mais les soins que nous cause l’embarras de conserver notre vie , ne
nous permettent pas de songer à ces désordres. ll est fort
à craindre, après qu'on a enlevé les principaux de
la ville, que tout ne croule, les colonnes qui soutiennent l’éditer:
étant ôtées. Quel discours assez fort pourrait exprimer
notre désastre ? La partie la plus saine du sénat a pris
la fuite , préférant à sa patrie un exil perpétuel
à Podande. Quand je dis Podande , imaginez-vous cet affreux abîme
où l'on précipitait les criminels à Lacédémone
: ou, si vous avez vu quelques-uns de ces gouffres formés par la
nature qui exhalent un air infect, vous aurez une juste idée du
séjour, ou plutôt de la prison de Podande. Les citoyens sont
divisés en trois parts. Les uns ont fui avec leurs femmes et ont
abandonné leurs maisons ; les autres , parmi lesquels sont presque
tous les principaux, sont emmenés connue des prisonniers: spectacle
aussi douloureux pour leurs amis, que satisfaisant pour leurs ennemis,
si toutefois il est lut coeur assez barbare pour nous avoir souhaité
tant, de maux. La troisième partie est demeurée dans la ville
; mais ne pouvant soutenir l'absence de leurs amis et de leurs proches
, ni fournir à leur subsistance, ils trouvent la vie odieuse et
insupportable.
349
Voilà les disgrâces que je vous exhorte à mettre
sous les yeux du prince ou de ses ministres avec votre voix ordinaire,
avec cette juste assurance que doit vous inspirer votre vertu. Fuites-leur
sentir que, s'ils ne changent de système, ils ne trouveront bientôt
personne sur qui ils puissent exercer leur humanité. Par-là,
ou vous secourrez la patrie, ou du moins vous ferez ce que fit autrefois
Solon, lequel ne pouvant sauver la liberté de ses concitoyens qui
étaient demeurés dans la ville, parce qu'on s’était
emparé de la citadelle, se revêtit de ses armes et s'assit
à sa porte, témoignant par cette contenance qu'il n'approuvait
en aucune sorte ce qui se passait (1). Je suis très-convaincu que
si on désapprouve main-tenant os représentations et vos démarches,
elles vous feront par la suite une grande réputation de bonté
et de prudence , quand on verra vos conjectures justifiées par l'événement.
A UN GUERRIER. CVI—CCCCVII.
Saint Basile écrit à un guerrier; il le loue de ce qu'il
remplit les devoirs de chrétien dans une profession où il
n'est pas facile de les remplir.
JE mets au rang des plus grandes faveurs que j'ai reçues d'un
Dieu plein de bonté la grave qu'il m'a faite de vous connaître
dans le cours de mes
(1) Plutarque rapporte la chose un peu différemment. Pisistrate,
dit-il, s'étant emparé de la souveraine puissance, Solon
prit les armes et exhorta les citoyens à faire de même. Pisistrate
lui lit demander sur quoi il comptait en agissant de la sorte : Sur ma
vieillesse , lui fit-il répondre.
350
voyages. J'ai trouvé en vous un homme qui justifie par sa conduite
qu'on peut aimer Dieu parfaitement dans la profession militaire, et que
ce n'est pas l'extérieur et l'habit, mais l'esprit et les moeurs
qui font le chrétien. Je vous voyais alors avec un plaisir extrême,
et encore aujourd'hui j'éprouve la plus vive satisfaction toutes
les fois que je me souviens de vous. Agissez donc toujours avec force et
avec courage ; ne négligez rien pour conserver l'amour de Dieu dans
votre coeur, et pour l'augmenter chaque jour , afin qu'il vous comble de
plus en plus de ses bienfaits. Je ne demande point une autre preuve que
vous vous souvenez de Basile : vos actions le prouvent assez.
source: http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/basile/index.htm