2018 02 09 21h27 début
LIVRE TROIS
L’ÉGLISE DISPERSEE SUR TOUTE LA TERRE
CHAPITRE 1
Le nom église
La controverse sur l’église militante a plusieurs parties.
On parlera d’abord de l’église elle-même; ensuite, de ses membres
: les clercs, les moines, les laïcs. Au sujet de l’église
considérée en elle-même, dont nous entreprenons actuellement la dispute,
il y a trois controverses principales. La première porte sur
le nom et la définition de l’église; la deuxième sur sa qualité,
ou sa visibilité; la troisième, sur les notes qui la font connaître
avec certitude.
Indiquons d’abord les noms des auteurs qui ont écrit sur l’église,
ou plutôt ceux dont nous avons lu les livres. Saint Augustin
(le livre de l’unité de l’église), saint Cyprien (le livre du même
titre), et Optatus (six livres contre Parmenianus). Parmi les auteurs
récents, Thomas Waldensis (tome 1, livre 2, doctrine de la foi, chapitres
8,9 10), Jean Driedo (livre 4, chapitre 2 sur les dogmes ecclésiastiqiues),
Albert Pighius (controverse 3), le cardinal Hosius (dans la confession,
l’explication du symbole, livre 5 contre les prolégomènes de Brentius),
Pierre a Soto (partie 1 de sa défense contre Brentius), Jean a Dauentria
(dans réfutation 7 article de la confession augustinienne), Jean Cochlaeus
(Philipique 4, et dans son livre sur l’autorité de l’Écriture et
de l’église), Jean Eckius (au début de son enchiridion), Alfonsus a
Castro (livre 6 contre les hérétiques), Melchior Cano (les lieux),
Jean de Louvain (explication du symbole), et tous les autres qui ont expliqué
le symbole. François de Tours (dans ses deux livres sur l’Église,
et sur l’ordination des ministres). Après eux, au cours de l’année
1577, nous avons disputé dans les écoles, de ces choses que nous mettons
maintenant en lumière. À la même époque, écrivit aussi
sur ce sujet Grégoire de Valence, (dans son analyse de la foi catholique,
partie 6), ainsi que d’autres. Mais nos nombreuses occupations
ne nous ont pas permis de les lire tous.
J’en viens maintenant à la dispute annoncée.
D’abord le nom, en suite la chose. Le mot église, ecclesia,
est un mot grec, qui vient d’un verbe qui signifie appeler. L’Église
est donc une convocation, ou une assemblée d’appelés. On appelle
le peuple de Dieu assemblée d’appelés, parce que nul ne
se joint à ce peuple de lui-même, ou par une démarche personnelle,
mais tous ceux qui y viennent sont prévenus par un appel de Dieu. Car,
l’appel ou la vocation est le premier bienfait que les saints reçoivent
de Dieu. « Ceux qu’il a appelés, a dit l’apôtre, il les a justifiés,
et ceux qu’il a justifiés, il les a glorifiés. » Et saint
Luc (actes 2) : « Tout ce que notre Dieu a appelé. » Voilà pourquoi
les apôtres, dans leurs lettres, appelle souvent les chrétiens des appelés.
Il y a trois choses à noter au sujet de ce mot.
Le mot église, quant il est employé avec un autre mot, peut être pris
dans un bon ou dans un mauvais sens. Car, on dit aussi « l’église des
méchants » (psaume 25) comme on dit « l’église des saints », (psaume
88). Mais quand il est employé seul et sans qualificatif,
il ne signifie que l’église du Christ, à l’exception d’un seul
endroit (actes 19) où l’on parle d’un peuple de païens : « car c’était
une église confuse. » En second lieu, notons, avec saint
Augustin (psaume 81) : « Dieu s’est assis dans la synagogue des dieux.
» Même si l’église de l’ancien testament et du nouveau est
essentiellement la même, cependant, parce que le statut du nouveau testament
est de loin plus excellent, les noms eux-mêmes sont distincts. Car,
le nom propre du peuple de l’ancien testament est synagogue, c’est
à-dire congrégation. Mais le peuple du nouveau testament
n’est jamais appelé synagogue, mais église, assemblée. Le rassemblement
est quelque chose qui est commun aux hommes et aux bêtes, mais la vocation
est propre à l’homme. Il importe peu que le peuple des Juifs dans
l’ancien testament soit parfois appelé église, car, en hébreu, ces
deux mots synagogue et église viennent du même verbe : rassembler.
Ce que nous traduisons synagogue vient du mot rassembler. Semblablement,
kahal, c’est-à-dire église, vient de kahal être rassemblé.
Deux mots différents, donc, qui signifient la même chose.
Comme une cité signifie, pour nous, tantôt un rassemblement
d’hommes, tantôt un lieu où habite ce rassemblement, de la même manière,
dans les Écritures, l’église signifie tantôt une assemblée
d’hommes, (Romains 16 : « toutes les églises d’Asie vous saluent
»), ou tantôt un lieu (Judith 6 : « Tout le peuple pria dans l’église
pendant toute la nuit. ». Mais, maintenant, nous ne parlons
de l’église qu’au sens d’assemblée des fidèles.
CHAPITRE 2
Définition de l’église
Voilà pour le nom. Au sujet de la chose elle-même,
il y a cinq sentences hérétiques. La première, que l’église
soit le rassemblement des prédestinés, de sorte que tous les prédestinés
et eux seuls sont de l’église. C’est ce qu’on enseigné Jean
Wyclif d’après Waldensem ( tome 1, livre 2, chapitres 8 et 9),
et Jean Hus (articles 1, 2,3, 5, 6, concile de Constance, session 15) :
« Le réprouvé, même s’il se trouve parfois dans la grâce selon
la justice présente, ne fait, cependant, jamais partie de la sainte église.
Le prédestiné demeure toujours membre de l’église, même si
parfois il sort de la grâce adventice, sans jamais sortir
de la grâce de la prédestination. » La deuxième définition.
L’église est un rassemblement d’hommes parfaits, une multitude de
fidèles qui n’ont aucun péché. C’est ainsi que la définirent
certains pélagiens, comme le rapporte saint Augustin (dans son livre sur
les hérésies, chapitre 88) : « Ils vont jusqu’à dire que la vie des
justes dans ce siècle n’a absolument aucun péché, et que c’est d’eux
que dans ce monde mortel, l’église est constituée. » Calvin
attribue la même chose, en notre siècle, aux anabaptistes (livre 4, chapitre
1, verset 13 de ses institutions ».
La troisième est que l’église est le rassemblement des justes,
ou plutôt de ceux qui n’ont pas failli dans la confession de la
foi. Cette définition se distingue de la précédente en ce
que la première exclut tous les pécheurs, tandis que l’autre
n’exclut que les pécheurs insignes. C’est ce qu’ont pensé
autrefois les novatiens, (Cyprien livre 4, épitre 1), et les donatistes
(Saint Augustin livre sur les hérésies, chapitre 69). Je pense,
personnellement, que Calvin s’et trompé ainsi que ceux qui pensent que
les novatiens et les donatistes excluaient tout genre de péchés.
Car, saint Cyprien dit explicitement (livre 4, épitres 1 et2) ainsi qu’Épiphane,
qu’ils ont gardé dans l’église les fraudeurs, les adultères
et les débauchés, et d’autres semblables. Les seuls qu’ils
ont expulsés sont ceux qui, pendant la persécution, ont apostasié.
Cette rectification n’est pas contredite par ce qu’enseignent saint
Ambroise (livre 1 de la pénitence, chapitres 1 et 2) et Théodoret
(livre 3 sur les fables des hérétiques), à savoir « que les novatiens
ont enlevé le pouvoir de remettre tous les péchés, sauf les plus légers.
» Car, même s’ils ne leur donnaient pas l’absolution pour leurs
péchés graves, ils les retenaient quand même dans leur assemblée, à
moins qu’ils n’aient péché contre la foi. Et saint Augustin
(dans son livre 3, chapitre 2 contre Parmenianus) enseigne que les
donatistes n’avaient pas horreur de tout, mais seulement des plus grands
crimes, comme celui qu’ils reprochaient aux catholiques : d’avoir accueilli
en leur sein ceux qui ont livré les livres divins.
La quatrième définition est celle des Confessionistes,
qui, même s’ils condamnent verbalement les pélagiens, les donatistes
et les novatiens , ont tiré leur sentence de leur hérésie. Car
les confessionistes les pélagiens, --non tous les luthériens et
les calvinistes--enseignent non seulement qu’aucun péché n’est
véniel par sa nature, mais que tous sont d’eux-mêmes mortels, mais
véniels à cause de la miséricorde de Dieu, qui ne les impute pas
aux croyants. C’est ce qu’ont enseigné Luther ( assert. article
31), Mélanchton (article 7, sur la différence entre un péché mortel
et véniel), et Calvin (livre 2 des institutions, chapitre 8, versets 58,
59). Deuxièmement, la confession augustinienne (article 7)
enseigne que l’église est la congrégation des saints, qui croient véritablement
et obéissent à Dieu. Et, dans son apologie, Philippe s’efforce
de montrer que les pécheurs n’appartiennent que nominalement à l’Église.
Brentius (dans son prolégomène contre Pierre a Soto) enseigne la même
chose. Ne s’oppose pas à ce que nous venons de dire ce que Brentius
et Philippe enseignent aussi , à savoir que les bons sont mêlés aux
méchants, car ces auteurs imaginent deux églises. Une vraie
à laquelle appartiennent les privilèges décrits dans l’Écriture,
la congrégation des saints, qui croient vraiment et obéissent à Dieu,
laquelle n’est visible qu’aux yeux de la foi. Une autre externe qui
n’est l’église que de nom, et en qui se rassemblement ceux qui
ont en commun la profession de la foi et la pratique des sacrements, mais
dans laquelle se trouvent les bons et les méchants. Voilà pourquoi
les mauvais ne peulent jamais faire partie de la vraie église, et voilà
pourquoi Philippe ne dit pas que l’Église est formée de bons et de
mauvais, mais que les mauvais s’immiscent dans l’église. Et
voilà pourquoi Brentius dit que les mauvais sont, en quelque sorte, dans
l’église, mais non de l’Église.
Luther (dans son livre sur l’église et les conciles, troisième
partie) dit que « l’église est le peuple saint des chrétiens ».
Et pour montrer qu’il parle de la sainteté de chacun des membres, il
donne la preuve suivante : le pape et les cardinaux ne sont pas de l’église,
parce qu’ils ne sont pas saints. Si donc seuls les justes font
partie de l’église, et si tous les péchés, même les imperfections,
sont des péchés mortels et rendent l’homme injuste, il s’ensuit
que seuls les parfaits, qui ne sont entachés d’aucun péché, sont de
l’église. Et c’est ce qu’enseignaient les pélagiens.
Troisièmement, les confessionistes disent, d’accord en cela avec tous
les luthériens, que toutes les œuvres des hommes, même des justifiés,
sont des péchés mortels. C’est ce qu’enseigne la confession
augustinienne (articles 6-10), mais plus clairement Luther (assert
art 32), de quoi il semble s’ensuivre qu’aucun homme n’est de l’église.
Car, si seuls les justes sont de l’église, nul homme n’est de l’église.
En effet, si seuls les justes sont de l’église, et s’il n’y a dans
le monde aucun juste, puisque les œuvres de tous les hommes sont des péchés,
quels sont ceux, je le demande, qui font l’église ? Mais ils expliquent
la chose facilement, eux, quand ils disent que les œuvres de l’homme
juste sont toutes des péchés mortels, mais qu’elles ne sont pas imputées,
si la foi est présente. En conséquence, celui qui a la foi est
en même temps très juste, et pécheur dans chacune de ses actions.
Les confessionistes ressemblent aux donatistes et aux novatiens d’une
autre façon. Car, comme ils n’excluaient pas, eux, de l’église
tous les pécheurs, mais seulement ceux qui avaient commis l’idolâtrie,
les luthériens n’excluent pas tous les pécheurs, mais seulement ceux
qui ne croient pas vraiment. Car, ils pensent, comme nous l’avons
dit, qu’aucun crime n’est imputé aux croyants.
La sixième définition est comme composée de toutes celles-là.
Car, elle enseigne que l’église n’est formée que des seuls justes
prédestinés. Comme Calvin, qui enseigne trois choses. La
première. Quand on a déjà eu la foi, on ne peut pas la perdre
pendant toute l’éternité. Et, en conséquence, tous ceux qui
ont la foi sont nécessairement prédestinés. C’est ce qu’il
dit dans ses institutions (livre 3, chapitre 2, versets 8, 9, 10,
11). Or, c’est exactement ce qu’avait enseigné autrefois
Jovinien (saint Jérome, livre 2, contre Jovinien). Il enseigne,
ensuite, que la vraie église ne peut être connue que par Dieu seul, et
que son fondement est l’élection divine, qu’elle est formée des fidèles,
qui sont nécessairement au nombre des élus (livre 4, chapitre 1, verset
2, et dans la petite institution, chapitre 8, verset et suivants).
Il enseigne ensuite qu’il y a, en plus, une autre église externe, dans
laquelle sont les bons et les mauvais, comme ont dit, plus haut, les confessionistes.
Il l’enseigne cela dans le même livre et chapitre, et en plusieurs endroits.
Bucer semble penser de la même façon, car (dans le livre du règne du
Christ, chapitre 5), il définit le royaume de Dieu comme étant la procuration
du salut des élus de Dieu, que Dieu recueille sur la terre. De même Tilmann
Heshusius, (livre des erreurs des souverains pontifes, lieu 12; et
livre 1 sur l’église, chapitre 3).
Notre sentence à nous est la suivante. Il y a une seule église,
et non pas deux. Elle est l’unique, vraie assemblée d’hommes
réunis par la profession de la vraie foi chrétienne, par la communion
dans les mêmes sacrements, sous le régime de pasteurs légitimes, et
principalement du vicaire du Christ sur la terre, le pontife romain.
De cette définition on peut facilement déduire quels sont les hommes
qui appartiennent à l’église, et quels sont ceux qui ne lui appartiennent
pas. Il y a, en effet, trois parties dans cette définition : la
profession de la vraie foi, la communion dans les sacrements, et la soumission
à un pasteur légitime, le pontife romain. La première partie exclut
tous les infidèles, tant ceux qui n’ont jamais été dans l’Église,
comme les Juifs, les turcs, les païens, que ceux qui l’ont
été et en sont sortis, comme les hérétiques et les apostats.
La deuxième partie exclut les catéchumènes et les excommuniés, car
ils ne sont pas admis à la communion des sacrements. La troisième
exclut les schismatiques qui ont la foi et les sacrements, mais qui ne
sont pas soumis au pasteur légitime, et qui professent donc la foi
et reçoivent les sacrements à l’extérieur de l’église. Tous
les autres sont inclus, même les réprouvés, les criminels et les impies.
La différence existant entre notre opinion et celle de nos adversaires
consiste en ceci : tous les autres requièrent des vertus internes pour
insérer quelqu’un dans l’église, et c’est pour cela qu’ils font
de la vraie église une église invisible. Quant à nous, nous croyons
qu’on trouve, dan s l’église, toutes les vertus, la foi, l’espérance,
la charité et toutes les autres. Mais, toutefois, pour qu’on dise
de quelqu’un qu’il fait partie de la vraie église, dont parlent les
Écritures, nous pensons que n’est requise aucune vertu intérieure,
mais seulement la profession externe de la foi, la communion
dans les sacrements, qui est perçue par les sens. Car, l’église
est une assemblée d’hommes aussi visible et palpable que l’assemblée
du peuple romain, le royaume de France ou la république de Venise.
Il faut noter, à la suite de saint Augustin (collation 3), que l’église
est un corps vivant, dans lequel nous nous tenons corps et âme.
Dans l’âme, sont les dons internes du Saint Esprit, et les vertus théologales;
et dans le corps, la profession externe de la foi, la communion dans les
sacrements. De là vient que certains sont de l’âme et du corps
de l’église, et donc unis au Christ-tête intérieurement et extérieurement.
Et ceux-là sont parfaitement de l’église. Ils sont comme des
membres vivants dans le corps, chacun participant plus ou moins à la vie.
D’autres n’ont que le commencement de la vie, comme s’ils avaient
la sensation sans avoir le mouvement, comme ceux qui ont la foi sans la
charité, ce qui peut arriver. D’autres sont du corps
et non de l’âme, comme ceux qui n’ont aucune vertu interne, ou qui,
mus par la crainte ou l’espérance, professent la vraie foi pendant un
certain temps, et qui participent aux sacrements sous la direction des
pasteurs. De tels membres ressemblent aux cheveux, ou aux ongles,
ou aux humeurs malignes du corps humain.
Notre définition comprend seulement cette dernière façon
d’être dans l’église, car c’est le minimum qu’on peut requérir
pour pouvoir de dire de quelqu’un qu’il fait partie de l’église.
Il faudra donc prouver, par ordre, que ne font pas partie de l’église
les non baptisés, les hérétiques, les apostats, les excommuniés et
les schismatiques; et qu’appartiennent à l’église les non prédestinés,
les non parfaits, les pécheurs même manifestes, les infidèles occultes,
s’ils ont la profession de la vraie foi, la communion dans les sacrements
et la soumission aux pasteurs.
CHAPITRE 3
Les non baptisés
C’est surement des infidèles non baptisés que parle
saint Paul, quand il dit ((1 Cor 5) : « Car, qu’ai-je à voir
avec ceux qui sont à l’extérieur ? » Il dit là que sont à l’extérieur
tous ceux qui n’ont pas donné leurs noms au Christ par le baptême,
mais suivent d’autres religions. Parler des catéchumènes est
chose un peu plus difficile, car ils sont fidèles, et peuvent être sauvés
s’ils meurent dans cet état. Et pourtant, hors de l’église,
nul n’est sauvé, comme nul ne l’a été hors de l’arche de Noé,
selon le concile du Latran, c.1 : « Il y a une seule église universelle
des fidèles, en dehors de laquelle absolument personne n’est sauvé.
» Or, il est certain que les catéchumènes ne sont pas dans l’église
en acte et au sens propre du terme, mais seulement en puissance, comme
un homme qui a été conçu, mais n’est encore ni formé ni né ne s’appelle
un homme qu’en puissance. Car, nous lisons (actes 2) : « Ceux
qui ont reçu la parole ont été baptisés, au nombre d’environ trois
mille. » De même, le concile de Florence, dans son introduction,
enseigne que les hommes deviennent membres du Christ et sont incorporés
à l’Église quand ils sont baptisés. » Et c’est ce que les
pères enseignent.
Saint Grégoire (dans son panégyrique d’un saint) dit « qu’un
catéchumène est un vestibule de piété, et qu’il ne peut pas être
appelé un fidèle tant qu’il n’entrera pas à l’intérieur par le
baptême. » Saint Jean Chrysostome (homélie 14 sur saint Jean)
dit « qu’un catéchumène est étranger à un fidèle, et n’a rien
avec lui en commun, ni la cité ni la table. » Et Tertullien
(dans le livre des prescriptions) reproche aux hérétiques de ne pas distinguer
les fidèles des catéchumènes. Saint Cyrille (livre 12 sur saint
Jean, chapitre 50) enseigne que « les catéchumènes sont pour les chrétiens
ce qu’étaient, pour les Juifs, les incirconcis qui, à cause de cela,
ne pouvaient pas se nourrir de l’agneau pascal. » Saint Augustin
(traité 4 sur saint Jean, et ailleurs) distingue les catéchumènes des
fidèles. Ce que font aussi d’autres pères. Il apparait
donc clairement que l’église est la congrégation des fidèles.
De plus, les catéchumènes n’ont droit à aucun sacrement, ni même
à ceux qui sont communs à l’église universelle. Les catéchumènes
ne sont donc pas proprement de l’église en acte. Comment
se sauvent-ils, demanderas-tu, s’ils sont à l’extérieur de l’Église
? L’auteur du livre sur les dogmes ecclésiastiques (chapitre 74)
répond que les catéchumènes ne sont pas sauvés. Mais cela parait
un peu fort. Saint Ambroise, dans son sermon sur la mort de Valentinien,
affirme que peuvent être sauvés les catéchumènes, dont faisait partie
Valentinien, quand il émigra de cette vie.
Il faut donc chercher ailleurs une solution. Melchior Cano
affirme que les catéchumènes peuvent être sauvés car, même s’ils
ne sont pas de l’église chrétienne proprement dite, ils font partie
de l’église qui comprend tous les fidèles, d’Abel jusqu’à
la fin du monde. Mais cette explication ne semble pas satisfaisante,
car, après l’avènement du Christ, il n’y a de vraie église que celle
du Christ. Si donc les catéchumènes ne sont pas de celle-là,
Ils ne sont d’aucune. Je réponds donc que quand on dit que hors
de l’église, personne ne peut se sauver, il faut l’entendre de ceux
qui ne sont de l’église ni réellement, ni par le désir, comme
l’enseignent communément les théologiens. Les catéchumènes
peuvent donc être sauvés, car s’ils ne sont pas de l’église réellement,
ils le sont par le désir. L’image de l’arche de Noé ne contredit
pas cet enseignement, car comme on dit, toute comparaison cloche.
Voilà pourquoi saint Pierre lui-même qui compare le baptême à l’arche
de Noé, reconnait que, sans le baptême, quelques-uns ont été
sauvés. Mais, tu demanderas. Comment se fait-il que saint
Augustin (traité 4 sur saint Jean) admette que les catéchumènes sont
dans l’Église ? C’est vrai qu’il dit cela, mais, au même
endroit, il les sépare des fidèles. Ce qu’il a voulu dire c’est
ceci : ils sont dans l’église non en acte, mais en puissance.
Et c’est ce qu’il a expliqué au début de son second livre sur le
symbole, où il compare les catéchumènes à des hommes conçus,
mais non encore nés.
CHAPITRE 4
L’hérésie et l’apostasie
Alphonse de Castro (dans son livre sur la juste punition des
hérétiques, chapitre 24) enseigne que sont membres et parties de l’église
même ceux qui professent publiquement une fausse doctrine.
Comme la fausseté de cette sentence saute aux yeux, il sera facile
de la réfuter. Car, d’abord, l’Écriture, parlant de ce
sujet (1 Tim 1), emploie le mot naufrage de la foi. Par cette comparaison,
elle fait comprendre que, par la partie du navire de l’Église
qui a été brisée, les hérétiques se sont engouffrés dans les flots.
Il y a aussi la parabole du filet qui se déchirait à cause de la multitude
des poissons (Luc 5). Ensuite, saint Paul à Tite (3)
: « Après une première et une deuxième réprimande faite à un hérétique,
évite-le, sachant que celui qui se comporte ainsi est un orgueilleux
et un délinquant, condamné qu’il est par son propre jugement. »
Dans ce passage, l’apôtre ordonne à un évêque d’éviter un hérétique,
ce qu’il ne ferait certes pas s’il le croyait dans l’église.
Car, le pasteur ne doit pas éviter mais guérir ceux qui appartiennent
à son troupeau. Et il en ajoute la raison : c’est parce qu’un
tel hérétique est opiniâtre, et déjà condamné par son propre jugement.
Ce qui veut dire, comme l’explique saint Jérôme, qu’il n’est pas
expulsé de l’église par l’excommunication, comme plusieurs
autres pécheurs, mais qu’il s’expulse lui-même de l’Église.
De même, saint Jean 11 : « Ils sont sortis de nous, mais ils n’étaient
pas de nous. » C’est-à-dire : ils sont sortis de nous parce qu’ils
étaient avec nous dans la même église, mais qu’ils n’étaient
pas de nous selon l’élection divine, comme saint Augustin l’expose
dans son livre sur la bonne persévérance, chapitre 8.
On prouve cela ensuite à partir du concile de Nicée (chapitres
8. Et 19). Il dit qu’on peut recevoir les hérétiques dans l’église,
s’ils veulent revenir, avec, toutefois, certaines conditions. Nous
avons aussi le concile du Latran (chapitre firmiter, de summa trinitate
et de fide catholica) qui dit que « l’église est la congrégation des
fidèles. » Il est évident que les hérétiques ne sont en aucune
façon des fidèles. On peut le prouver aussi par l’enseignement
des pères de l’église. Saint Irénée (livre 3, chapitre 3) dit
que Polycarpe avait converti à l’Église beaucoup d’hérétiques.
Ce qui suppose qu’ils étaient auparavant sortis de l’église.
Tertullien (au livre de la prescription) dit que si Marcion voulait revenir
à l’église, il ne le pourrait qu’ à la condition d’accepter
que ceux qu’il avait pervertis retournent à l’église. Saint Cyprien
(dans son épitre à Jubaianum, dit que, bien qu’ils ne soient pas dans
l’église, les hérétiques revendiquent l’autorité de l’église
à la façon des singes, qui, bien qu’ils ne soient pas des hommes, veulent
être vus comme des hommes. Saint Jérôme (dans son dialogue contre
les lucifériens, vers la fin) : « Comme tu l’as toi-même entendu,
ceux qui se disent du Christ non par le nom de Jésus Christ, mais
par n’importe lequel autre nom, comme les marcionites, les valentiniens,etc
sache qu’ils ne sont pas l’église du Christ, mais la synagogue de
l’antichrist. Saint Augustin (livre 4, chapitre 10, contre les
donatistes) dit « qu ’il arrive parfois qu’un hérétique
qui est à l’extérieur de l’église, n’agisse pas contre l’Église,
et qu’un catholique qui est à l’intérieur, agisse contre ».
Et, dans le livre de l’unité de l’Église (chapitre 4) : « Ceux qui
ne croient pas que le Christ venu dans la chair de la vierge Marie,
de la semence de David, est ressuscité avec le corps dans lequel il avait
été crucifié, ne sont vraiment pas dans l’Église. »
Il arrive, enfin, que, comme l’église est une multitude unie
(un seul peuple, un seul règne, un seul corps), cette union consiste principalement
dans la profession de la vraie foi, des mêmes lois, et des mêmes
rites. Aucune raison ne permet donc de dire que sont du corps
de l’église ceux qui n’ont avec elle aucun lien.
Mais d’autres enseignent le contraire. D’abord, parce
que Matthieu 13, dans la parabole de la zizanie, dit qu’on trouve dans
le même champ du grain, de la paille et de la zizanie, lesquels représentent
les bons catholiques, les mauvais et les hérétiques, comme l’exposent
saint Augustin (question 2 sur Matthieu), saint Jérôme et saint Jean
Chrysostome dans leurs commentaires de ce passage. Que ce champ soit
l’église, l’enseignent saint Cyprien (livre 3, épitre 3), et saint
Augustin (livre 1, chapitre 34 contre Cresconium). Je réponds que
par zizanie, certains n’entendent pas les hérétiques mais les mauvais
hommes qui sont dans l’Église, comme saint Cyprien (lieu cité, et livre
4, épitre 2), et saint Augustin, quand il ne parlait pas selon son opinion
mais selon celle de saint Cyprien. Que par zizanie, saint Cyprien
n’entend pas les hérétiques, on peut le déduire de ce
que dans les endroits où il dit que la zizanie est dans l’église, il
affirme que les hérétiques ne sont pas dans l’église; et aussi de
son intention. Ces textes il les écrivait contre les novatiens qui
ne voulaient pas admettre à la pénitence ceux qui avaient apostasié
pendant les persécutions, parce qu’ils craignaient de communier aux
péchés des autres. C’est à ceux-là que saint Cyprien
montre, par une parabole du Seigneur, que, dans l’Église, il n’y a
pas seulement des hommes forts, mais même des imbéciles qui tombent de
temps en temps, comme dans un champ où il y a à la fois du froment
et de la zizanie. Mais même si cette explication ne mérite
pas d’être condamnée, et ne nous est pas contraire, il me semble
préférable de répondre avec saint Augustin (question 11 sur Matthieu),
que le champ ne signifie pas l’église, mais le monde universel.
Et, en ce qui a trait au mot zizanie, même si on a de bonnes raisons
d’y voir des hérétiques, il serait plus juste d’y reconnaitre des
méchants de toutes sortes, qu’ils soient hérétiques ou pas. Car, le
but de la parabole est de nous enseigner qu’il y aura toujours
des mauvais dans le monde, et qu’il ne sera pas possible au zèle
humain d’en purger complètement la terre avant le jour du jugement.
Notre Seigneur dit, d’ailleurs, que la zizanie représente les hommes
méchants, c’est-à-dire tous ceux qui seront finalement jetés dans
le feu éternel.
Ils font ensuite l’objection suivante (1 Timothée 1) : «
Dans une grande maison, il y a des vases d’or, d’argent, de bois, et
de terre. » Par le nom de maison, Paul semble entendre l’église,
et par les vases de bois et de terre les hérétiques. Car, il avait
dit un peu auparavant : « Dont le discours se développe comme un cancer.
Hymmeneus est un de ceux-là. Et Philetus, qui sont sortis de la vérité.
» Que le nom de maison signifie l’église c’est ce qu’enseignent
saint Cyprien (livre 3, épitre 3, et livre 4, épitre 2) et saint Ambroise
(en commentant ce passage) et saint Augustin (livre 2, chapitre 12, le
baptême.) Je réponds que les anciens ont donné des interprétations
différentes de ce passage. Celle des grecs, Chrysostome, Theophylacte
qui, par le nom de maison n’entendent pas l’église, mais le monde,
comme nous l’avons dit pour le champ où se trouve de la zizanie.
Une autre est celle des latins, de saint Cyprien, de saint Ambroise, de
saint Augustin, qui entendent l’église par le mot maison. Et bien
que saint Augustin et saint Ambroise veuillent voir des hérétiques dans
les vases de bois et de terre. Et Augustin explique là
(livre 3, chapitre 19 du baptême) qu’ils sont bien dans l’église
quand il dit qu’ils sont dans l’église avant qu’ils en soient séparés
par l’obstination et l’opiniâtreté, et que c’est ce temps que l’apôtre
considérait, de sorte que ce ne sont pas tant des hérétiques que des
errants qui sont dans l’église. Il ajoute aussi qu’on peut dire
qu’ils sont dans l’église après en être sortis, à cause de l’administration
des sacrements, parce que même eux aussi administrent validement certains
sacrements. Ce qui revient à dire qu’ils sont dans l’église à un
certain point de vue, mais pas absolument parlant. Saint Ambroise
donne au mot église un sens large, et beaucoup plus étendu que le sens
strict, c’est-à-dire celle qui comprend tous ceux qui, de quelque façon
sont nommés chrétiens. A ce sujet, les païens ont coutume de dire que,
dans l’assemblée des croyants, il y a beaucoup d’opinions différentes
et de sectes. Et, selon Cyprien (dont je crois l’explication plus
proche de la vérité) les vases de bois et de terre ne représentent pas
les hérétiques, mais les fidèles infirmes et débiles, qui sont
facilement séduits. Ce que l’apôtre dit au sujet des différents
vases qui sont dans une maison ne se rapporte pas à Hymenus et et Philetus,
qui étaient sortis de la vérité, mais à cette autre phrase : « et
ils faussèrent la foi de certains. » Car, l’apôtre veut dire
que le fait que certains ont été séduits ne signifie pas que tous sont
en danger d’être séduits, car, dans l’église, il y a les forts et
les faibles.
Mais, tu diras qu’Augustin, qui voit dans les vases de bois
et de terre des hérétiques, affirme avoir été amené à penser ainsi
par les paroles de Cyprien dans l’épitre à Antonien, qui est la seconde
(livre 4). Je réponds que saint Augustin a estimé que c’était
par Cyprien que ces paroles de l’apôtre avaient été référées à
l’église : « dans une grande maison, il y a des vases ….et ces autres
: « le discours desquels se développe comme un cancer », comme lui-même
l’avait référé. Mais, du reste, les paroles de Cyprien n’expriment
rien de tel. Et que saint Cyprien n’a pas voulu dire que
les hérétiques sont dans l’église, la même épitre nous le fait comprendre,
où il écrit en toutes lettres : « Le novatien, du fait qu’il est hérétique,
est en dehors de l’Église »
Le troisième argument. L’Église peut juger et punir les hérétiques.
Ils sont donc dedans. « Car, dit l’apôtre, qu’est-ce qui me permet
de juger ceux qui sont à l’extérieur ? » De plus, les hérétiques
retiennent le caractère du baptême et du sacerdoce. Ils sont chrétiens
et prêtres. Je réponds que, bien qu’ils ne soient pas dans
l’église, les hérétiques doivent quand même être, comme des brebis,
du bercail duquel ils se sont échappés, et donc lui appartenir. Comme
on a l’habitude dire que cette brebis est de ce troupeau, même
quand elle se promène loin de son troupeau. L’église peut
juger ceux qui sont réellement à l’intérieur, ou qui doivent l’être,
comme un pasteur peut contraindre à retourner au troupeau une brebis qui
erre dans les montagnes loin du bercail. Et un empereur peut forcer
à revenir à son camp ou même suspendre un transfuge qui est passé à
l’ennemi. L’apôtre, lui, parle de ceux qui sont en dehors au
point de ne jamais avoir été en dedans.
Et au sujet du caractère, je dis que les hérétiques retiennent,
en dehors de l’église, les caractères indélébiles, comme retiennent
les brebis perdues le caractère imprimé dans le dos, et les déserteurs
de l’armée les marques militaires. Mais, ils ne sont pas, pour
cela, de l’église, car ces caractères ne suffisent pas pour inclure
quelqu’un dans l’église. Car, dans le cas contraire, l’église
serait présente même dans l’enfer. Et cependant saint Thomas
(3 p. q. 8, article 13) dit que les damnés ne sont membres du Christ ni
en acte ni en puissance. De plus, le rôle du caractère n’est
pas d’unir l’homme avec la tête mais d’être le signe d’une certaine
puissance, et d’une certaine union. Voilà pourquoi, dans l’enfer,
ceux qui ont été membres du Christ sont connus par ce signe. Qu’il
n’unisse pas, la chose est évidente, car il n’unit pas à l’extérieur,
puisqu’il est invisible; et il n’unit pas non plus à l’intérieur,
car il n’est ni un acte ni un habitus opératoire. Voilà pourquoi
saint Thomas place l’union interne dans la foi.
CHAPITRE 5
Les schismatiques
Quelques catholiques se demandent si les schismatiques sont dans
l’Église. Qu’ils sont dans l’église, c’est ce qu’affirme
Alphonse de Castro, au lieu cité. Mais il est facile d’enseigner
le contraire, au moyen des saintes lettres et de la tradition des pères.
Car, d’abord, quand dans Luc 5 on dit que les filets se rompaient, par
la scission du filet et la sortie des poissons du filet, on entend un schisme
ecclésial, et la sortie des hérétiques et des schismatiques de l’église,
comme l’expose saint Augustin (traité 122 sur saint Jean).
De plus, l’Écriture parle d’une seule bergerie, (Jean 10), un
seul corps (Romains, 12), une épouse, une amie, une colombe (cantique
des cantiques, 6). Car le schisme scinde ce qui étaie un,
et fait d’un tout des parties, comme le mot lui-même l’indique.
Car skizôn est séparer, et skisma est une fissure. Les schismatiques
ne sont donc ni dans ni de l’Église, car une partie séparée du corps
n’est plus une partie du corps. Voilà pourquoi saint Cyprien,
dans son livre sur l’unité de l’église, dit splendidement que
l’église est représentée par la robe sans couture du Christ,
qui n’a pas été découopée, pour que nous comprenions que l’Église
peut être divisée, mais pas de la façon dont le sont les vêtements,
pour que toutes les parties demeurent également les parties d’un même
tout. Quand on coupe une branche d’un arbre, elle meurt instantanément,
tandis que l’arbre continue à vivre. Si on sépare un ruisseau
d’une source, le ruisseau tarit bientôt, pendant que la source continue
à couler. Un rayon qui se sépare du soleil s’éteint instantanément,
pendant que le soleil continue à briller. Mais, si tu prétends
qu’une portion de l’église séparée est quand même l’église,
tu crées plusieurs églises, ce qui est contraire à l’Écriture.
On le prouve, ensuite, avec les décrets du pape Pélage. Il
affirme explicitement que les schismatiques ne sont pas de l’Église
(14, q. 1, le canon sur les choses honteuses, et celui sur le schisme).
Se présente aussi le témoignage de toute l’Église qui, à Pâque,
prie pour les hérétiques et les schismatiques, pour que Dieu daigne les
rappeler à l’église catholique. Ce qu’elle ne ferait certainement
pas si elle croyait qu’ils sont dans l’église catholique. S’Impose
ici aussi le témoignage du catéchisme romain, qui n’a pas une mince
autorité dans l’église de Dieu. En expliquant le symbole des
apôtres, le dit catéchisme, en paroles très claires, sépare les schismatiques
de l’Église. On le prouve, de plus, par les témoignages
de pères de l’Église. Saint Irénée (livre 4, chapitre 62),
après avoir dit dans les chapitres précédents, que l’homme spirituel
juge tous les hérétiques et les schismatiques, il passe en revue
plusieurs hérésies, et parle même du schisme proprement dit. Il
conclut en disant : « Il jugera tous ceux qui sont en dehors de la vérité,
c’est-à-dire de l’église. » Saint Cyprien (livre 4,
chapitre 9 à Florentin Papianus), dit : « L’Église est le peuple réuni
au prêtre, le troupeau adhérant à son pasteur. Voilà pourquoi
tu dois savoir que l’évêque est dans l’église, et l’église dans
l’évêque, et que ceux qui ne sont pas avec l’évêque ne sont pas
dans l’église. » Or, il est certain que les schismatiques ne
sont pas avec l’évêque. Ils ne sont donc pas dans l’église.
Saint Jean Chrysostome (dans son homélie 3 sur la première épitre
aux Corinthiens), écrit : « La signification du mot schisme les blâme
suffisamment, et le nom même suffit pour les confondre.
Car ce ne sont pas plusieurs parties intègres qui sont faites, mais une
seule, car plusieurs églises intègres formeraient plusieurs églises.
» Et (dans son homélie 2 sur la lettre aux Éphésiens) il enseigne que
les schismatiques ressemblent à une main coupée du corps, qui se dessèche
bientôt. Et, ailleurs, il dit que les schismatiques sont dans une autre
église, même s’ils acceptent la foi et les dogmes de la vraie église.
Saint Jérôme (chapitre 1 sur Amos), écrit : « Les schismatiques séparent
de l’église de Dieu une multitude trompée. Mais ils ne le font
pas cela avec la même cruauté que les hérétiques. » Et (au chapitre
3, sur l’épitre à Tite) : « Entre l’hérésie et le schisme, voici
ce nous pensons être la différence. L’hérésie a un dogme pervers;
le schisme sépare pareillement de l’Église à cause d’une dissension
épiscopale. » Noter le mot : également. Saint
Augustin (dans le livre sur la foi et le symbole, chapitre 10) écrit :
« Nous croyons dans l’église, c’est-à-dire la catholique, car les
hérétiques et les schismatiques appellent aussi églises leurs
assemblées. En pensant des choses fausses de Dieu, les hérétiques violent
la foi elle-même; les schismatiques, eux, par leurs dissensions, se séparent
de la charité fraternelle, même s’ils croient ce que nous croyons.
Voilà pourquoi, l’hérétique n’appartient pas à l’église catholique
qui aime Dieu, et le schismatique n’appartient pas non plus à l’église
qui aime le prochain. »
Optatus (dans le livre 1 contre Parménien) dit, en parlant des
schismatiques : « Après avoir déserté la mère catholique, comme vous
avez fait, les fils impies sortent en courant et se séparent. Amputés,
par l’envie, de la racine de la mère de l’Église, ils se transforment
en rebelles errants. » Et, au livre 2, il compare les schismatiques
à des branches séparées de l’arbre, à des ruisseaux séparés de
la source, à des rayons séparés du soleil. Fulgence (sur la foi,
à Pierre, chapitres 38 et 39) : « Tiens très fortement, ne doute en
aucune façon que non seulement les païens, mais même les Juifs, les
hérétiques et les schismatiques qui finiront la vie présente en dehors
de l’église, iront au feu éternel. » Enseignent aussi la même
doctrine Thomas Waldensis (tome 1, livre 2, chapitre 9), Jean Driedo
(livre 4 sur les Écritures et les dogmes ecclésiastiques), et d’autres
plus récents. On le prouve par cette dernière raison.
Car, c’est de la nature de l’église qu’elle soit une union des membres
entre eux et avec leur tête. Cette union, le schisme l’enlève,
quand quelqu’un se sépare de la tête et des autres membres. Que
cette unité, essentielle à l’église, consiste dans l’union des membres
entre eux et avec la tête, on le prouve ainsi. Car, on trouve diverses
sortes d’unité dans l’Église, La première est l’unité
en raison du principe, qui est le Dieu appelant (Jean 6 : « personne ne
peut venir à moi si mon Père ne l’attire »). La seconde, en
raison de la fin dernière, ce qui est signifiée en Matthieu 20, par ce
denier unique promis à tous les ouvriers. La troisième, en raison
des mêmes moyens, c’est-à-dire, la foi, les sacrements, les commandements,
selon ce texte de saint Paul (Éphésiens 4) : « une foi, un baptême.
» La quatrième, en raison du même Esprit Saint, par lequel l’Église
universelle est gouvernée comme par un recteur externe séparé ( 1 Corn
12) : « Il y a une division des grâces, mais le même Esprit ».
La cinquième, en raison de la tête, qui est un recteur conjoint interne.
Car, toute l’église obéit au même Christ, et à son vicaire.
Éphésiens 1 : « Il a donné une tête à toute son église. »
Et saint Jean : pais mes brebis. La sixième, en raison de la connexion
des membres entre eux, et surtout avec la tête, qui est le membre principal.
Romains 12 : « Nous sommes un seuls corps, et nous sommes chacun membres
les uns des autres. »
Or, entre ces unités, celles qui font tout particulièrement que l’Église
est une, ce sont les deux dernières. Car, par la première,
l’Église n’est pas une, mais d’un. Par la deuxième elle est
plus vers un, qu’une. Par la troisième, elle n’est pas
une, mais plutôt par un. Par la quatrième, elle est plutôt sous
l’un qu’une. Mais par la cinquième et la sixième, elle est
proprement une, c’est-à-dire un corps, un peuple, une société.
Or, le schisme s’oppose à ces deux dernières unités. Car, il
y a un schisme quand un membre ne veut plus être membre du corps, ni
être sous sa tête. En agissant ainsi, il enlève l’unité essentielle,
et l’église elle-même. Le schismatique n’est donc pas de l’Église.
Mais on objecte à cela que l’Église est une congrégation de catholiques,
comme le pape Nicolas l’a définit (dans la consécration, dist 1, canon
de l’église) : « les schismatiques sont catholiques, ils sont donc
de l’Église. » Je réponds d’abord que, même s’ils
ont la foi catholique, les schismatiques ne peuvent pas être appelés
catholiques, à moins que cette foi, ils la professent dans l’église
catholique, comme le montrent saint Augustin, et Optatus, dans les citations
déjà données. En second lieu, je dis que la définition donnée
par le pape Nicolas, n’est pas complète; et que son intention
n’était pas de définir l’église, mais seulement d’exclure de l’église
les hérétiques. Comme le pape Innocent l’a fait aussi quand il
dit que l’Église « est la congrégation des fidèles » (chapitre fermement,
la sainte trinité et la foi catholique).
En second lieu, on objecte que les schismatiques, même s’ils ne
veulent pas se soumettre au pape, veulent se soumettre au Christ, tête
suprême de l’église; et que, même s’ils ne veulent pas communier
avec cette église qui est sur terre, ils veulent quand même communier
à l’église qui est dans le ciel, laquelle est la meilleure part de
l’Église. Ils n’enlèvent donc pas l’unité de l’Église,
et ne sont pas tout à fait en dehors de l’église. Et on confirme
cet argument par un semblable. Car, même si quelqu’un ne voulait
pas demeurer sous son évêque particulier, ni communiquer avec l’église
particulière, qui est sous son évêque, il peut vouloir être sous
le pontife romain, et communiquer avec l’église universelle. Comment
pourrait-on dire qu’ un tel est en dehors de l’Église ?
Je réponds que personne ne peut, même s’il le voulait, se soumettre
au Christ et communier avec l’église céleste, s’il n’est pas soumis
au pontife, et ne communie pas avec toute l’église militante.
Car, le Christ a dit (Luc 10) : « Celui qui vous écoute, m’écoute
» Et de plus, comme le Christ est la tête suprême quant à l’influx
intérieur, puisque c’est lui qui insuffle dans ses membres le sentiment
et le mouvement, c’est-à-dire la foi et la charité; dans l’église
militante, c’est le pape qui est la tête suprême quant à l’influx
extérieur de la doctrine de la foi et des sacrements. L’église
triomphante est donc unie avec l’église militante, ou plutôt elle ne
forme qu’une seule église avec elle. Et, en conséquence, personne
ne peut vouloir se séparer de l’une sans se séparer de l’autre.
Je réponds à sa confirmation que celui qui se sépare de l’église
et d’un évêque particulier, se sépare nécessairement de l’église
et de l’évêque universel, à moins qu’il ne se sépare d’une église
ou d’un évêque hérétiques ou schismatiques. Saint Cyprien a
donc raison de dire (livre 4, lettre 9) : « C’est en vain que ceux qui
n’étant pas en paix avec leurs évêques, se
vantent d’être en communion avec l’église, qui est une et catholique,
qui ni n’est ni morcelée, ni divisée, mais qui est un tout organique,
unifié par la colle des prêtres agencés ensemble. »
CHAPITRE 6
Les excommuniés
Que les excommuniés ne sont pas dans l’église, l’enseignent le
catéchisme romain, dans l’explication du symbole, Thomas Waldensis
(l livre 2, chapitre 9 de la doctrine de foi antique), Jean
de Turrecremata (livre 1, chapitre 3, sommes de l’église), Jean Driedo
(livre 4, chapitre 2, par 2 sur l’écriture et les dogmes ecclésiastiques),
et quelques autres. On le prouve d’abord par ce passage de
Matth 18 : «S’il n’écoute pas l’église, qu’il soit pour toi
comme un païen et un publicain. » Selon les commentaires de tous,
le Seigneur parle là des excommuniés. » Or, les païens ne sont
pas de l’église. De même ce passage de saint Paul (1 Cor, 5)
: « Pourquoi ne vous êtes-vous pas affligés au point d’enlever de
votre assemblée celui qui a fait cela ? » Et plus bas : « Ne savez-vous
pas qu’un petit peu de ferment corrompt toute la masse ? » De même
« Enlevez le mal de chez vous ! » Par toutes ces paroles,
saint Paul explique ce qu’est l’excommunication. Car il a obligé
d’excommunier celui qui avait couché avec la femme de son père.
Deuxièmement. On le prouve avec l’aide du droit canon. Le
canon canonica , 11, q. 3) : « Suivant les canons institués, et les exemples
des saints pères, par l’autorité de Dieu et le jugement du Saint-Esprit,
nous éliminons les violateurs des églises de Dieu du sein de la sainte
mère de l’église et de la compagnie de toute la chrétienté. »
En troisième lieu, à l’aide des pères de l’église. Eusèbe
(livre 5, chapitre 24 de son histoire de l’église), racontant
comment le pape Victor avait excommunié tous les asiatiques, écrit :
« Il envoie des lettres par lesquelles il les sépare tous ensemble de
l’alliance ecclésiastique. » Et, plus bas, il ajoute : « Irénée
dit à Victor, par manière de reproche, qu’il ne faisait pas bien
de couper de l’unité du corps de si nombreuses et de si grandes églises
de Dieu. » Épiphane (hérésie 42, qui est celle de Marcion), parlant
de Marcion qui, avant d’avoir été hérétique, avait été un promoteur
de la virginité, et qui avait quand même corrompu une femme qui avait
voué la virginité perpétuelle, et qui fut, pour cela, excommunié par
son père, écrit : « Il a été éjecté de l’église par son propre
père. Car son père était illustre par son excellente piété,
et il persévérait dans la foi en vivant honnêtement dans le ministère
épiscopal. » Saint Hilaire (chapitre 18) dans son commentaire de
: « qu’il soit pour toi comme un païen », dit que Dieu a agi envers
son peuple comme le Christ nous enjoint d’agir. Car, d’abord
il a resserré les rangs de son peuple, et de lui seul, quand il apparut
aux Juifs avec majesté sur le mont Sinaï. Ensuite, il s’adjoignit
deux témoins, c’est-à-dire la loi et les prophètes. De plus,
il l’a dit à l’église, c’est-à-dire il a envoyé le Christ, le
chef suprême de l’Église, qui prêcherait aux Juifs. Enfin, comme ils
n’écoutaient pas le chef de l’église, il les a négligés et abandonnés
comme des païens et des publicains ». Par ces paroles, il montre
que devenir un païen et un publicain, --ce qui se fait par l’excommunication—c’es
être rejeté du peuple de Dieu, ne plus être gouverné par une providence
divine toute particulière, par laquelle il gouverne l’église.
Saint Jean Chrysostome et Theophylactus, dans leurs commentaires de
ce passage, expliquent qu’être dit païen et publicain c’est
être expulsé de l’église. Saint Jérôme (dans le chapitre 3
à Tite), écrit que les autres pécheurs sont chassés de l’église
par l’excommunication, mais que les hérétiques et les schismatiques
sortent d’eux même de l’église. Saint Augustin (dans son livre sur
l’unité de l’église, chapitre ultime) dit que par l’excommunication,
on sépare la brebis malade des brebis saines, pour qu’elle ne contamine
pas les autres. Saint Augustin cite aussi cette sentence (11
q,.3, canon omnis) : « Tout chrétien qui est excommunié par les prêtres,
est livré à Satan. Comment ? Car le diable est en dehors de l’église
comme le Christ est dans l’Église. » Saint Anselme (chapitre
5, 1 aux corinth) dit, lui aussi, qu’être livré à Satan c’est
être expulsé de l’église par l’excommunication.
On le prouve, enfin, par la raison. D’abord, par l’excommunication,
les hommes sont privés des rapports spirituels que les hommes d’église
ont entre eux, comme l’enseigne Tertullien (apologie, chapitre 39); et
ils ne sont donc plus dans l’assemblée des fidèles. Car, qu’est-ce
que priver un citoyen de sa ville si ce n’est le priver de toutes
les sortes de relations qui existent entre les hommes d’une même cité
? Ensuite, l’excommunication, tient, dans l’église, la place
que la peine de mort tenait dans l’ancien testament, et dans les républiques
temporelles. Saint Augustin enseigne que le « tu enlèveras
le mal de chez toi », (Deutéronome 24) correspond au : « tu enlèveras
le mal de chez vous », de saint Paul (1 Corinth 5). Troisièmement.
Parmi les peines que l’Église peut infliger, il n’y en a pas de plus
grande que l’excommunication. Car, être chassé de l’église
est une peine plus lourde que toutes celles que peuvent subir ceux qui
demeurent dans l’église. Quatrièmement. On ne peut lancer
une excommunication que sur les contumaces et les incorrigibles, comme
l’enseigne saint Augustin (dans la vraie religion, chapitre 6.)
Et c’est ce que tous les théologiens déduisent de Matthieu 18 : «
S’il n’écoute pas l’église, qu’il soit pour toi comme un païen
ou un publicain. » L’excommunication est donc une éjection
de l’église, Car, si l’excommunication était une peine
qui n’allait pas jusqu’à l’éjection, on s’en servirait parfois
contre les homicides, les adultères, et d’autres criminels, même non
contumaces. Ajoutons que quand on absout les excommuniés, on dit
: « Je te rends à l’unité de l’église et à la communion des membres.
» Ce qui signifie clairement que l’excommunié est séparé de
l’unité de l’Église.
Mais on objecte qu’un excommunié peut retenir le baptême, la profession
de foi, et la soumission aux prélats légitimes, et être donc ami de
Dieu. Et s’il a été injustement excommunié, il peut, tout
excommunié qu’il est, faire pénitence, et avoir les trois choses (dont
nous avons parlé plus haut) avant d’être absous. Il sera
donc dans l’église tout en étant excommunié. Je réponds qu’un
tel est dans l’église en esprit, ou en désir, ce qui suffit pour le
salut, mais qu’il ne l’est pas corporellement, ou dans la communication
externe, ce qui fait qu’un homme est proprement dans l’église visible,
qui est sur la terre. Saint Augustin (dans son livre sur la
vraie religion, chapitre 6), écrit : « La divine providence permet souvent
que même des bons hommes soient expulsés de l’assemblée chrétienne.
Quand ils supportent très patiemment ce déshonneur et cette injustice
pour la paix de l’Église, sans rien innover qui soit hérétique ou
schismatique, ils enseigneront aux hommes avec quelle affection, avec quelle
sincérité de charité il faut servir Dieu. Le père qui voit
ce qui est secret couronne ceux-là dans le secret. »
Ils objectent, en second lieu, que saint Augustin (dans son livre contre
les donatistes, chapitre 20) dit : « Car, nous ne séparons pas du peuple
de Dieu ceux que, en les dégradant ou en les excommuniant,
nous réduisons à un lieu plus humble, pour les punir. »
Je réponds que ce passage a été corrompu, et qu’on doit le lire ainsi
: « Et quand le bien de la paix et de la tranquillité de l’église
ne nous permet pas de faire cela nous ne négligeons
pas pour autant l’église. Mais, nous tolérons ce que nous ne
voulons pas, pour pouvoir parvenir à ce que nous voulons, en nous
servant de la prudence du précepte du Seigneur, de peur que, si nous voulons
avant le temps arracher la zizanie, nous arrachions en même temps
le froment. » Mais, supposons que le texte n’a pas été
corrompu. On pourrait répondre que, dans ce passage,
par peuple de Dieu on n’entend pas la seule église militante, mais la
multitude de tous ceux qui doivent être sauvés (les élus), qu’ils
soient dans l’église, ou qu’ils puissent l’être. Car, par
l’excommunication, les pasteurs n’entendent pas séparer les
hommes du nombre des élus (de ceux qui doivent être sauvés), mais plutôt
à chercher à assurer leur salut par la punition.
Troisièmement. L’excommunication est une médecine spirituelle
instituée dans l’intérêt de ceux qui sont excommuniés.
C’est ce qui fait dire à l’apôtre (2 thess) : « Si quelqu’un
n’obéit pas à notre parole exprimée par la lettre, prenez-en
note, et ne communiquez pas avec lui, pour sa plus grande confusion.
Ne le considérez pas comme un ennemi, mais corrigez-le comme un frère.
» Je réponds que même si l’excommunication sépare un homme
de l’église, elle n’enlève pas à celui qui a été expulsé
la capacité de revenir à l’église, s’il veut faire pénitence.
L’église, par l’excommunication, sépare quelqu’un de son corps,
mais pour son plus grand bien, parce qu’elle espère que la honte
lui donnera l’humilité, et que l’ humilité l’ incorporera
de nouveau à l’église.
CHAPITRE 7
Les prédestinés
Que non seulement les prédestinés, mais aussi les réprouvés
peuvent appartenir à l’église, contrairement à ce qu’enseignent
Wiclif, Hus et Calvin, on le prouve, d’abord, par des paroles très claires
du Seigneur. Car, en Matthieu 3, il compare l’église à un terrain
; « Il nettoiera son aire, et engrangera le froment dans son fenil,
et il brûlera la paille dans un feu inextinguible. » Par le nom
d’aire, on ne peut entendre que l’église, dans laquelle, cependant,
se trouve de la paille, qui ne représente surement pas les élus, puisqu’elle
sera brulée dans un feu inextinguible. De même, dans Matthieu 13,
on donne comme comparaison, des filets jetés dans la mer, remplis
de poissons de toutes sortes, dont quelques-uns, qui n’étaient
surement pas des prédestinés, sont jetés dans la fournaise ardente.
De même, en Matthieu 12, on présente l’image d’un festin de noces,
où entrèrent les bons et les mauvais, et où sont projetés dans les
ténèbres extérieures ceux qui n’avaient pas la robe nuptiale.
Et le Seigneur conclut par ces mots : « Il y a beaucoup d’appelés,
et peu d’élus. » C’est-à-dire que beaucoup sont dans l’église,
qui est une convocation ou l’assemblée des appelés, sans faire
partie des élus. De même, en Matthieu 25, le Seigneur présente
la comparaison de dix vierges, dont cinq étaient prudentes.
Les vierges prudentes entreront au jour du jugement dans la salle des noces
avec l’époux, mais les cinq écervelées seront exclues. Au même
endroit, est présentée la comparaison d’un troupeau, dans lequel sont
des brebis et des béliers. Selon l’explication même du Seigneur,
les brebis représentent les élus, et les béliers les réprouvés.
Saint Paul (1 Cor 5) ordonne de chasser de l’église un inceste, mais
il ne pouvait ni ne voulait faire d’un élu un réprouvé.
Car, il l’a expulsé pour qu’après s’être humilié, il retourne,
et soit sauvé au jour du Seigneur, comme il est dit au même endroit.
De même (2 Timothée 2) : « Dans une grande maison, il y a des vases
en or, en argent, en bois, et en terre, quelques-uns pour la gloire,
d’autres pour le déshonneur. » Il n’y a aucune raison de douter
que les vases faits pour la gloire ne soient les élus, et les autres
les réprouvés, même s’ils sont dans la même maison.
On confirme cela par saint Cyprien (livre 3, épitre 3, et livre
4, épitre 2). Il enseigne ouvertement que dans la même église
il y a du blé, et de la zizanie, et qu’il est certain
que la zizanie sera brulée, et que les vases de bois seront déshonorés.
On lit la même chose chez saint Augustin (traité 45 sur Jean) : « Selon
la prescience et la prédestination, combien de brebis à l’extérieur,
et combien de réprouvés à l’intérieur ! » Il dit là
que beaucoup de prédestinés sont à l’extérieur de l’église, et
beaucoup de réprouvés à l’intérieur. Il répète la même chose
dans son livre 2 contre Cresconium (chapitre 34). Se présentent,
en plus, des exemples de Paul et de Judas. Car, Jean Hus disait que
Paul avait toujours été de l’église, et que Judas ne l’avait jamais
été. Paul lui-même (1 Tim 1, Galates 11, Cor 15) affirme avoir
persécuté l’église du Christ, et Luc affirme la même chose de lui
(Actes 9). Je demande donc : cette église que Saul persécutait,
était-elle, oui ou non, la vraie église de Dieu ? Si c’était
la vraie, il fut donc un temps où saint Paul n’était pas membre
de la vraie église. Car comment aurait-il pu être de l’église
qu’il persécutait de toutes ses forces ? Si ce n’était pas
la vraie, saint Paul et saint Luc mentent donc quand ils l’appellent
l’église de Dieu tout court. Voilà pourquoi saint Augustin
(sermon de la conversion de saint Paul) enseigne correctement que même
s’il avait été prédestiné, saint Paul a été un loup avant
d’être un agneau. Et saint Jean Chrysostome (homélie 6 sur Timothée
2) dit que saint Paul a été un vase de terre, qui a été transformé
en or, et que Judas a été un vase d’or transformé en terre. Or, Judas
était un réprouvé (actes des apôtres 1) qui a fait partie, pendant
un certain temps, de la vraie église. Car, comme il est dit, au
même endroit, Judas fut un des douze apôtres, et il a été
appelé évêque par le prophète David (psaume 108), choses qui ne peuvent
pas être vraies s’il n’était pas dans l’église. Voilà
pourquoi saint Augustin (psaume 3) dit que Judas a été un fils
du Christ qui a persécuté son parent, comme Absalon a persécuté David.
Et, dans le livre de l’unité de l’église, chapitre 13, il dit : «
Judas fut dans l’église où se trouvaient les autres apôtres. »
Se présente aussi un raisonnement. Si la prédestination à
elle seule fait qu’un homme est dans l’église, il s’ensuit que,
s’ils ont été prédestinés, les turcs, les juifs, les hérétiques
et les autres impies sont de l’Église, et des membres vivants du Christ.
Et que, au contraire, les saints et les pieux baptisés ne sont pas de
l’Église, s’ils n’ont pas été prédestinés, ni ne sont des membres
vivants du corps du Christ. L’une et l’autre affirmation sont
archifausses, et contraires à l’Écriture. Car, que les non baptisés
et les hérétiques ne sont pas dans l’église, nous l’avons montré
plus haut. Que les impies ne sont pas des membres vivants de l’église,
c’est saint Paul qui le dit (Rom 8) : « Celui qui n’a pas l’esprit
du Christ, n’est pas à lui. », c’est-à-dire un de ses membres. Que
les impies n’aient pas l’esprit du Christ, mais l’esprit du diable,
on le voit par leurs œuvres, car ils ne sont pas patients et chastes (toutes
les œuvres de l’esprit) etc, mais adultères, homicides, blasphémateurs,
qui sont les œuvres de la chair (Galates 6). Au contraire, que tous
les hommes baptisés pieux sont membres du Christ, saint Paul l’enseigne
(1 Cor 12) : « Nous avons tous été baptisés par un seul Esprit en un
seul corps. » Et Galates 3 : « Car vous êtes tous fils de Dieu
par la foi dans le Christ Jésus. » Et pourtant, il n’est pas
croyable que tous ces Galates et tous ces Corinthiens aient été prédestinés.
Ensuite, saint Augustin dans son épitre à Dardanum : « Dans le corps
du Christ, comme dans la vigne fertile du temple de Dieu qu’est l’église,
des hommes sont nés non par les oeuvres de la justice qu’ils ont faites,
mais en renaissant par la grâce, ils sont transportés des grabats
de la ruine au sommet de l’édifice. » Et, dans le livre 2 contre
Cresconium : « Loin de nous l’idée qu’ils puissent franchir les limites
du jardin fermé, dont le gardien ne peut pas erre. Mais s’ils
avouent leurs péchés, et s’ils se corrigent, alors ils entrent, alors
ils sont purifiés, alors ils sont comptés parmi les arbres du jardin
fermé, et les membres de l’unique colombe. »
On le prouve enfin par les inconvénients. Car, si seuls les
prédestinés étaient de l’église, toutes choses seraient incertaines,
car personne ne connaitrait ses frères, et les pasteurs ne connaitraient
pas leurs ouailles, ni ne seraient connus d’elles. Comme personne
ne sait quels sont ceux qui sont prédestinés, personne non plus ne saurait
quelles sont les véritables écritures, les vrais sacrements, la vraie
foi. Car, toutes ces choses dépendent du témoignage de la
vraie église. Mais, ils objectent à cela d’abord le cantique
des cantiques (4) : « Jardin fermé, fontaine scellée, puits d’eau
vivante. », choses, qui, sans aucun doute, sont dites de l’église.
Mais, saint Augustin applique tout cela aux seuls élus (livre 5, chapitre
27, le baptême). Je réponds que l’Écriture, par une figure de
style, attribue souvent au tout ce qui ne convient qu’à une partie.
En Matthieu 27, on dit des larrons qui étaient crucifiés avec Jésus
qu’ils avaient blasphémé contre lui, alors qu’un seul (Luc 13) avait
blasphémé. Saint Paul (Philippiens 2) : « Tous recherchent leur
propre intérêt. » Et pourtant plusieurs n’étaient pas tels
parmi les nombreux saints qui vivaient alors, comme, par exemple, le diacre
Philippe. Je dis, ensuite, que ce qui est dit dans le cantique des
cantiques, ne se rapporte pas nécessairement à l’église. Certains
textes se rapportent à la sainte vierge, d’autres à l’église, d’autres,
et c’est ce qui est le plus probable, à une âme parfaite.
Car, dans le chapitre 6 il est dit : « Soixante sont les reines, quatre-vingt
les concubines, et innombrables les adolescentes. Mais unique est
ma colombe, ma parfaite, elle est la seule de sa mère, son élue.
» En ce lieu, si, par l’unique épouse tu entends
l’église, qu’entendras-tu par reines, concubines et adolescentes,
qui sont toutes chéries et aimées par l’époux ? Par mère, donc,
on entend l’église, par reines, concubines et adolescentes, les âmes
imparfaites, mais fidèles et bonnes. Car, il est dit au chapitre
1 : « À cause de quoi les adolescentes t’ont aimé. » Et par
la colombe unique, parfaite, l’épouse et la colombe, l’âme parfaite.
C’est dans ce sens qu’il est dit aussi (chapitre 2) : « Comme
le lys parmi les épines, ainsi est mon amie parmi les filles. »
Si par amie tu entends l’église, qu’entendras-tu par les autres filles
? L’assemblée des infidèles ? Absolument pas. On parle
donc de l’âme parfaite, qui demeure dans le même jardin
de l’église, parmi des femmes pécheresses. Saint
Augustin (dans son épitre 48), écrit : « On les appelle épines à cause
de la méchanceté de leurs mœurs; on les appelle filles à cause de leur
participation commune aux sacrements. »
Le deuxième argument. L’arche de Noé fut une image
de l’Église, comme l’enseigne saint Augustin (livre 5 du baptême,
chapitre ultime). Or, dans l’arche ne furent que ceux qui ont été
sauvés du déluge. Dans l’église, il n’y a donc que les
prédestinés. Je réponds que les comparaisons ne s’appliquent
pas en tout point. Autrement, tout baptisé serait aussi prédestiné,
parce que saint Pierre (1 Pierre 3) compare le baptême avec l’arche
de Noé. Et non seulement les bons, mais les mauvais aussi seraient
sauvés, parce que dans l’arche ont été sauvés les animaux purs
et impurs. L’arche se rapporte à l’église en ce que, en dehors
de l’arche nul ne pouvait être sauvé, comme en dehors de l’église
nul ne peut être sauvé, comme saint Augustin l’explique au livre cité,
saint Cyprien (dans son livre sur l’unité de l’Église), et saint
Jérôme (dans son épitre à Damase sur les trois hypostases). Et il n’y
a pas à chercher d’autre image.
Troisième argument. Le Christ n’est la tête que de
l’église qu’il sauvera, et qu’il exhibera dans la gloire, au jour
du jugement, n’ayant ni ride, ni tache, comme il est dit dans Ephésiens
5. Or, seul les prédestinés seront sauvés et glorifiés.
Donc, seuls les prédestinés appartiennent à l’église du Christ.
Je réponds que quand on dit que le Christ n’est la tête que de cette
église qu’il sauvera, ce « son église » peut signifier cette
partie de l’Église qu’il sauvera, et alors la proposition est
fausse. Car, il est la tête de tout son corps, même si certains
membres cesseront d’être membres, et périront éternellement.
Ce « son église » peut aussi signifier toute l’église en tant qu’elle
se distingue des autres assemblées d’infidèles, et alors la proposition
est vraie. Car, parce que quelques membres de cette église
ne se sauveront pas, il ne s’ensuit pas que le Christ ne sauve
pas son église dont il est la tête.
Quatrième argument. Le corps mystique ressemble à un
vrai corps. Or, le vrai corps entier du Christ, avec toutes
ses parties, est sauvé et glorieux. Donc le corps mystique
doit être sauvé dans tous ses membres et parties. Je réponds d’abord
que toute comparaison cloche. J’ajoute que comme le vrai corps
du Christ est sain et sauf, et glorieux dans toutes ses parties formelles,
mais non dans toutes ses parties matérielles, car les parties matérielles
changeaient, comme on le constante en nous; de la même façon le
corps mystique sera sauvé dans ses parties principales, qui sont
les prophètes, les apôtres, les pasteurs, les docteurs etc. Car,
de toutes les sortes d’hommes quelques-uns seront sauvés, non cependant
toutes les parties matérielles que sont les hommes individuels.
Cinquième argument. L’Église est un seul troupeau (Jean
10). Les brebis ne sont que des prédestinés, comme saint Augustin
l’enseigne (au traité 45), là où sont séparées les brebis des béliers.
Et Jésus (Jean 10) : « Mes brebis écoutent ma voix. » Mais il
arrive aussi de temps en temps que les brebis signifient autant les mauvais
que les bons qui sont dans l’église, comme au dernier chapitre de l’évangile
de saint Jean : « Pais mes brebis. » Et au psaume 73 : « Ta fureur
s’est irritée sur tous tes pâturages. » Et Ézéchiel (34).
On y décrit toutes les brebis de Dieu. Les unes sont grasses, d’autre
maigres. Il y en a qui sont saines et d’autres malades etc.
Si on prend le mot brebis dans ce sens, l’argument perd toute sa force.
Et nous répondons à la seconde que dans un bercail il n’y a pas seulement
des brebis, mais aussi des béliers, comme l’indique Matthieu (25).
Car, en ce passage, on sépare les brebis des béliers, alors qu’auparavant
ils étaient ensemble dans le même bercail. Le bercail (ovile) tire
son nom du mot brebis (oves), car, même s’il ne contient pas que des
brebis, la plus grande partie en est. Semblablement, on appelle Rome une
cité, même s’il s’y trouve un grand nombre de non citoyens.
Le sixième argument. Jésus a dit en saint Jean 10 : «
J’ai d’autre brebis qui ne sont pas de ce bercail ». Et en Jean 11
: « Jésus avait à mourir pour les Gentils. Mais, pas seulement pour
la gentilité. Pour réunir en un seul corps les fils de Dieu qui étaient
dispersés. » Dans ces passages, on donne le nom de prédestinés
aux brebis et aux fils de Dieu, même quand ils étaient plongés
dans les erreurs des païens, parce que les prédestinés sont toujours
de l’église. De même 2 Timothée 2 : « Le Seigneur connait ceux
qui sont siens. » Et en 1 Jean 2 : « Ils sont sortis de nous, mais
ils n’étaient pas des nôtres, car s’ils avaient été des nôtres,
ils seraient demeurés avec nous. » Donc, même avant qu’ils sortent,
ils n’étaient pas des nôtres, mais faisaient semblant de l’être.
Et on le confirme par un texte de saint Augustin (livre sur la réprima
de et la grâce, chapitre 9) où, en commentant ce passage, il dit : «
Certains fils de Dieu, à cause d’une grâce reçue pour un temps, sont
considérés comme étant de nous, mais ne sont cependant pas de Dieu.
» Et plus bas : « Ils sont sortis de nous, mais ils n’étaient
pas de nous, c’est-à-dire que quand ils vivaient parmi nous, ils n’étaient
pas des nôtres. De même, ils n’étaient pas des fils, même quand
ils paraissaient l’être par leur profession et leur nom de fils. »
Et plus bas : « Parce qu’ils n’ont pas eu la persévérance, à la
façon de ceux qui ne sont pas de vrais disciples du Christ, ils n’ont
pas été non plus de vrais fils de Dieu, même quand ils semblaient l’être,
et qu’ils étaient appelés ainsi. » De plus (dans le livre
3 de la doctrine chrétienne, chapitre 32), réfutant Triconius qui avait
appelé le corps mystique du Christ, l’église, un corps bipartite, il
dit : « Ce n’est pas ainsi qu’il doit être appelé, car il n’est
pas vraiment le corps du Seigneur celui qui ne sera pas avec lui pendant
toute l’éternité »
Je réponds que pour expliquer comme il faut ces textes, il faut faire
deux distinctions. La première, un homme peut être appelé brebis
du Christ, fils, membre de deux façons. Une, selon la prédestination;
une autre selon la justice présente. Cette distinction, on la trouve
chez saint Paul (Romains 8), où il dit : « Celui qui n’a pas l’esprit
du Christ, n’est pas un des siens. » Et, cependant en 2 Timothée 2,
il dit au sujet des prédestinés : « Le Seigneur connait ceux qui sont
siens. » Le même peut donc être membre du Christ, et ne pas l’être.
Il sera son membre s’il est prédestiné; et il ne le sera pas, si, à
tel moment de sa vie, il n’a pas son esprit. Saint Augustin
enseigne la même chose (livre 4, chapitre 3, sur le baptême) : « Selon
la préscience, plusieurs qui sont ouvertement en dehors, et qu’on
appelle hérétiques, sont meilleurs que plusieurs bons catholiques.
» Et (au traité 45 sur saint Jean), il écrit : « Selon
la préscience ou la prédestination, combien de brebis à l’extérieur
! Combien de loups à l’intérieur ! » Voyez des choses
semblables dans le bien de la persévérance (chapitre de la réprimande
et de la grâce, chapitre 9).
La différence qu’il y a entre brebis et brebis est que celles qui
sont brebis, fils ou membres seulement selon la prédestination, ne le
sont pas en acte, mais en puissance seulement. La prédestination,
en effet, ne place rien dans l’homme, car elle est un acte qui
demeure en Dieu seul. Or, ceux qui sont tels selon la justice présente,
le sont actuellement et au sens fort du terme, car ils sont vraiment comme
on les appelle. C’est ce qu’enseigne saint Augustin (traité
45 sur saint Jean) : « Qu’ai-je donc dit quand je me suis exclamé :
comme elles sont nombreuses les brebis à l’extérieur ! Combien
de luxurieux seront chastes ! Combien de blasphémateurs croiront dans
le Christ ! Maintenant ils entendent une autre voix, ils suivent
d’autres ! Semblablement, combien de ceux qui louent
maintenant à l’intérieur deviendront des blasphémateurs !
Combien de chastes deviendront des adultères ! Combien tomberont parmi
ceux qui se tiennent debout présentement ! Ils ne sont
pas des brebis, si nous parlons de la prédestination ». Vois comment
en disant que ceux qui sont luxurieux maintenant seront chastes
demain, il dit aussi que ceux qui sont à l’extérieur seront dedans.
Et cette distinction répond suffisamment aux textes allégués.
Car, on dit là que certains sont des brebis et des fils, alors qu’ils
n’étaient pas encore dans l’église, parce qu’ils étaient tels
selon la prédestination, et qu’Ils l’étaient en puissance, et non
acte ou au sens fort du terme.
Pour une raison semblable, quand saint Paul dit (2 Timothée 2) : «
Le Seigneur connait les siens », on parle de ceux qui sont tels
par la prédestination, non de toute l’église. Car, au même endroit,
il ajoute : « dans une grande maison, il y a des vases d’or, d’argent,
de bois et de terre. » Et semblablement, on dit qu’ils sont réprouvés
ceux qui sont sortis de l’église, qu’ils n’ont pas été des nôtres,
parce qu’ils ne l’ont pas été selon la prédestination, même s’ils
l’ont été selon la participation aux sacrements avec la communauté.
Comment doit-on entendre ce qu’a dit l’auteur d’un ouvrage imparfait
(dans l’homélie 21 sur Matthieu), où il affirme que celui qui tombe
ne fut jamais un chrétien ? Selon la prédestination.
L’autre distinction est la suivante. On peut dire de quelqu’un
qu’il est vrai fils de Dieu ou un membre du corps du Chris de deux façons.
La première, selon la vérité de l’essence ou de la forme.
L’autre, selon la vérité de la fin, ou de la permanence, comme
disent certains. Selon la vérité de l’essence, est fils de Dieu
celui qui a la charité (1 Jean 4) : « Tout homme qui aime est de Dieu
». Et, semblablement, par la vérité de l’essence, il est membre
du Christ celui qui vit du même Esprit (1 Corinth 12) : « Par un
même esprit, vous avez tous été baptisés dans un seul corps. »
Mais, par la vérité de la fin est dit fils de Dieu celui qui obtient
l’héritage. Celui qui n’obtient pas l’héritage semble être
un fils, mais il n’en est pas un. Car, la fin de la filiation
est l’héritage. « Car, s’il est fils il est héritier par Dieu. (Galates
4) » De même, est membre par la vérité de la fin celui qui sera
sauvé, car c’est pour cela que le Christ s’est uni à son église,
comme un corps à sa tête, pour la sauver, comme saint Paul le dit
aux Éphésiens (4). En conséquence, celui qui est en état de grâce
mais qui n’est pas prédestiné, est un vrai fils, et un membre selon
la vérité de l’essence. Mais, selon la vérité de la fin, il n’est
ni membre ni fils, Inversement, celui qui n’est pas en état
de grâce, mais qui est prédestiné n’est ni membre ni fils, selon la
vérité de l’essence, mais il est l’un et l’autre selon la vérité
de la fin. À la première vérité se rapporte ce texte : « Celui
qui conserve sa parole, c’est vraiment en lui que la charité de Dieu
est parfaite. » À la deuxième se rapporte cet autre texte (Jean 8) :
« Si vous demeurez dans ma parole, vous serez vraiment de mes disciples.
»
Après ces précisions, il est facile de comprendre les paroles de
saint Augustin qui disent que les justes non prédestinés ne sont ni de
vrais fils, ni de vrais membres. Car, il parle de la vérité de
l’essence, non de celle de la fin. Il s’explique lui-même en
d’autres endroits. Par exemple, au livre de la réprimande et de
la grâce (chapitre 9), après avoir dit que les gens honnêtes non prédestinés,
ne sont pas de vrais fils, il ajoute : « Non parce qu’ils ont simulé
la justice, mais parce qu’ils ne demeurèrent pas en elle. »
Et (au livre 3 de la doctrine chrétienne, chapitre 32), expliquant pourquoi
il a dit que n’appartenaient pas vraiment au corps du Christ ceux qui
ne seront pas avec lui éternellement, il écrit : « Ils sont maintenant
en un seul, mais ils ne le seront pas toujours. Car c’est ce serviteur
que décrit l’évangile, dont se séparera le maître à son retour,
et qu’il joindra aux hypocrites. »
CHAPITRE 8
Ceux qui ne sont pas parfaits
Que, contrairement à la sentence des pélagiens et des anabaptistes,
les non parfaits peuvent être dans l’Église, il est facile de le prouver.
Car, s’ils n’étaient pas dans l’Église ceux qui ont une imperfection
quelconque, il n’y aurait jamais eu d’église, il n’y en aurait pas
aujourd’hui, ni non plus dans le futur, sur cette terre. Car, à
l’exception du Christ et de la sainte Vierge, qui, à eux seuls, ne font
pas l’église, il n’y a jamais eu personne, si saint soit-il
dans cette vie, qui n’ait pas commis de péché véniel, qui n’enlève
pas la justice et qui ne fait pas de l’homme un ennemi de Dieu, comme
les pélagiens le pensaient. C’est ce qu’attestent les divines
Écritures. Le psaume 31 : « Tu as remis l’impiété de
mon péché, à cause de quoi te priera tout saint en temps opportun. »
Que signifie le « à cause de quoi » si ce n’est à cause
de la rémission du péché. Il est donc saint, et il a quand même
quelque chose à se faire pardonner. (3 Rois 8) « Il n’y a pas
d’homme qui ne pèche pas. » Proverbe 24 : « Le juste tombe sept
fois par jour, et se relève. » Ecclésiast 7 : « Il n’y a pas
d’homme juste sur la terre, qui fasse le bien et qui ne pèche
pas. » En Matth 6. Tous sont obligés de dire : « Pardonnez-nous
offenses ». Jacques 3 : « Nous offensons Dieu, nous tous, en beaucoup
de choses. » 1 Jean 1 : « Si nous disons que nous n’avons pas de péché,
nous nous trompons, et la vérité n’est pas en nous. » Ces témoignages
sont tellement clairs qu’ils n’ont besoin d’aucune explication.
Le concile de Milet l’atteste aussi (canons 7 et 8), où il
est défini que les justes ne disent pas « pardonnez-nous nos péchés
» seulement par humilité, mais en toute vérité, et non seulement pour
les autres, mais aussi pour eux. Les anciens pères de l’Église
disent la même chose. Saint Cyprien, dans son sermon sur l’aumône
: « Celui qui dit qu’il n’a pas commis de faute est soit orgueilleux
ou stupide. » Saint Grégoire de Naziance (discours 2 contre Julien)
: « Être absolument sans péché c’est quelque chose qui est au-dessus
de la nature humaine que Dieu a créée. » Saint Ambroise (sermon
16 sur le psaume 118) : « Un juste ne peut pas nier que personne n’est
sans péché. » Saint Jean Chrysostome (sur le psaume39) : « L’Église
universelle n’est pas composée de parfaits. Elle a aussi ceux
qui s’adonnent à leurs aises et aux choses sordides. » Saint
Jérôme (livre 2 contre les pélagiens) : « Je concède qu’ils soient
justes, mais je n’accepte pas qu’ils soient sans aucun péché. »
Et presque dans tout le livre 3, il prouve la même chose, même s’il
admet qu’un homme peut, pendant un court laps de temps, être sans aucun
péché, mais pas longtemps. Saint Augustin (au livre
de l’esprit et de la lettre, dernier chapitre) enseigne qu’il est possible
à un homme, par un privilège singulier de Dieu, de vivre sans aucun péché.
Mais, en fait, il n’y a personne qui vive ainsi, ou qui a
vécu ainsi, sauf Jésus-Christ. Il dit la même chose (dans le livre
sur la nature et sur la grâce (chapitre 16), où il excepte, toutefois,
la sainte Vierge. Et (dans les épitres 89 et 95, dans tout le livre
de la justice parfaite, et dans le livre 1, chapitre 14, contre les deux
épitres de Pélage) : « Aucun ministre ne pourrait être licitement ordonné
dans l’église si l’apôtre avait dit : si quelqu’un est sans
péché, là où il a dit : si quelqu’un est sans crime, ou s’il avait
dit ceux qui n’ont pas de péchés, là où il a dit : ceux qui
n’ont pas de crimes. Car, je dirais que, dans cette vie, personne
ne peut être sans péché. » Saint Grégoire (livre
1 sur la morale de Job, chapitre 9) : « Dans cette vie il est permis à
plusieurs d’être sans crime, mais sans péché, à personne. »
Il y a beaucoup d’arguments pour prouver le contraire. Mais
tous n’ont pas à être réfutés. Or, que quelqu’un puisse traverser
cette vie sans péché, c’est une chose impossible. Ceux
qu’on met de l’avant pour démontrer que par n’importe lequel péché
on per la justice, ou que l’homme peut vivre sans commettre aucun péché
d’aucune sorte, n’ont pas besoin maintenant de réfutation, puisque
plus tard nous montrerons que, dans l’église, il y a les meilleurs et
les pires. Un exemple tiré des cantiques : « Tu es toute
belle mon amie, et il n’y a pas de tache en toi », et un autre des Éphésiens
(5) : « Pour qu’il se présente à lui-même une église glorieuse sans
tache ni ride. » Ce passage le concile de Tolède 6 l’a appliqué
à l’église catholique de ce temps, expliquant que c’est par la confession
de la foi qu’elle est sans tache ni ride. Je réponds à la première
objection que cela s’applique soit à l’église par rapport à une
partie seulement, c’est-à-dire les âmes justes, soit à l’âme
parfaite, (ce qui me plait davantage). On dit, en effet, que l’âme juste
est toute belle, ou par hyperbole, parce qu’elle est familière aux amants,
ou parce qu’une âme juste et parfaite n’est pas entachée de péchés
mortels, qu’elle évite les véniels, en autant que le peut la
fragilité humaine. Surtout si elle met tout son soin à effacer
tout de suite les péchés qu’elle commet. Même si ce n’est
pas être totalement immaculé, ça l’est quand même selon la condition
humaine, comme l’explique saint Augustin dans la perfection de la justice.
Personne, dans cette vie, n’est totalement parfait, et pourtant l’Écriture
donne à beaucoup le nom de parfaits, qui étaient tels en tenant compte
de la condition humaine (Genèse 6) : « Noé fut un homme juste
et parfait. » Saint Paul (Philippiens 3) : « Nous tous qui
sommes parfaits, mettons-nous bien cela dans la tête. » On appelle
même immaculés ceux qui ont surement commis des péchés véniels :
« Et je serai immaculé avec lui » (psaume 118). « Heureux les immaculés
dans la voie » (Ephésiens 1) : « Il nous a élus en lui-même pour que
nous soyons saints et immaculés dans la vérité. »
À la deuxième je réponds qu’on peut entendre ce passage de l’Église,
non pas telle qu’elle est maintenant, mais comme elle sera après
la résurrection, comme l’expliquent saint Jérôme (chapitre 31 de Jérémie,
vers la fin), saint Augustin (livre de la perfection de la justice, et
ailleurs), sain Bernard (sermon 3 sur la fête de tous les saints).
Le concile de Tolède n’enseigne rien de contraire. Car même si
le concile a appliqué ce texte à l’église de son temps, il n’a pas
défini qu’il fallait l’entendre dans ce sens. Je dis ensuite
qu’il est probable que l’Apôtre parle de l’église de ce temps,
mais que, par synecdoque, il applique à toute l’Église ce qui ne convient
vraiment qu’à une partie. Car, ceux qui, maintenant, sont justes
dans l’église, sont glorieux par la beauté de la grâce, qui est la
gloire par anticipation et préparation, comme saint Paul l’avait expliqué
avant. Ils sont sans rides parce qu’ils ont été renouvelés par
le baptême, et qu’après avoir rejeté le vieil homme, ils ont revêtu
l’homme nouveau. Car les rides sont des signes de vieillesse.
En plus du concile de Tolède, saint Jean Chrysostome, saint Jérôme,
et Théophylactus commentent ce texte dans ce sens.
CHAPITRE 9
Les grands pécheurs
Dans l’unique et vraie église de Jésus Christ, on trouve non seulement
des imparfaits, mais aussi de grands pécheurs, non seulement occultes,
mais manifestes, contre l’erreur des novatiens, des donatistes, et des
confessionistes. On le prouve d’abord par les paraboles de l’aire,
du filet, du banquet de noces, des dix vierges, et du bercail, déjà citées.
C’est par ces paraboles que les catholiques confondirent autrefois les
donatistes, qui demeurèrent bouche bée, comme le rapporte saint Augustin.
De plus, il y a d’autres passages aussi convaincants, comme celui de
Matthieu 18 : « Si ton frère pèche contre toi, reprends-le…..Dis-le
à l’église, et s’il n’écoute pas l’Église qu’il soit pour
toi comme un païen ou un publicain. » On ne peut pas nier
que c’est à la vraie église que cette sentence s’applique, car, c’est
de son église que parle le Christ. Et il s’avère, que, dans cette
église, se trouvent des pécheurs, et des pécheurs tels que la correction
fraternelle ne les convertit pas, même avec le témoignage de deux témoins.
Mais ils demeurent quand même dans cette église tant qu’ils n’en
ont pas été chassés par la sentence d’un prélat. De même Matthieu
23. Au sujet des mauvais supérieurs, le Seigneur nous ordonne de
faire ce qu’ils disent, mais non ce qu’ils font. Et, au chapitre
24, il décrit un mauvais serviteur qui frappe les autres serviteurs,
qui s’empiffre et qui s’enivre avec les ivrognes, et il dit : « Son
maître viendra à un jour qu’il n’aura pas prévu. Il le congédiera,
et le placera avec les hypocrites. » C’est des préposés de l’Église
du Christ qu’il s’agit ici, comme l’enseignent saint Hilaire, saint
Jérôme, saint Jean Chrysostome, et d’autres commentateurs de
ce passage. De même (dans l’épitre 1 aux Corinthiens, chapitre
1), saint Paul dit qu’il écrit à l’église de Dieu qui est à Corinthe.
Et, il ajoute un peu après : « On m’a fait connaitre qu’il
y a des dissensions parmi vous. » Et, au chapitre 5 : « On entend
dire que parmi vous on trouve de la fornication, et une fornication telle
qu’on ne la trouve pas parmi les païens : quelqu’un a pour épouse
la femme de son père. » Que diront-ils de ce passage ? Que
ce n’est pas la vraie église? Que celle que l’apôtre appelle
l’église de Dieu ne l’est pas vraiment ? Que ce ne fut pas un
grand pécheur, ou pas un pécheur public ? L’apôtre lui-même le dit.
Qu’il n’était pas dans l’Église ? Or, l’apôtre ordonne
qu’on expulse de tels hommes par l’excommunication : « Qu’il soit
enlevé de parmi vous. »
De plus, dans l’Apocalypse (2 et 3), saint Jean écrit aux sept églises
d’Asie, et leur fait des reproches au sujet de choses qui ne sont pas
légères. Comme le note saint Augustin (livre 2, chapitre 10 contre
Parmentien), Ce ne sont pas seulement les églises qu’il
blâme, mais aussi un préposé symbolisé par l’ange de l’église
de Sardes : « Tu as le nom d’un vivant, mais tu es mort. Sois vigilant.
» Ajoutons que, au temps de l’ancien testament, ne manquèrent
jamais de grands péchés dans le peuple de Dieu. Et pourtant, nous
ne lisons jamais que Moïse, ou Samuel ou les autres prophètes qui
vécurent à diverses époques, comme Marie, Anne, Élisabeth, Siméon.
Zacharie, Jean-Baptiste, et d’autres justes que le Seigneur rencontra
dans le peuple des Juifs, nous ne lisons donc jamais qu’ils se
soient séparés des autres méchants hommes pout ce qui est du temple,
de l’autel, des sacrifices, etc,. C’est donc dans la même assemblée
des fidèles que demeuraient les bons et les méchants. Saint Augustin
s’est servi avantageusement de cet argument dans son débat. On
le prouve, en second lieu, par le témoignage de l’Église catholique,
qui vivait au temps de saint Augustin. Saint Augustin rapporte, dans
son livre sur les colloques, un débat célèbre qui eut lieu à Carthage
entre 306 évêques catholiques, dont lui-même, et 296 évêques
donatistes. Et cela, dès le premier jour. Au troisième jour,
les donatistes ont été forcés de reconnaître qu’il y avait dans l’Église
des bons et des mauvais, après que les catholiques aient mis en
preuve les paraboles d’un filet qui contient de bons et de mauvais poissons.
Mais les donatistes répliquèrent qu’il n’y avait dans l’Église
que des mauvais occultes, car, tant que le filet est dans la mer, on ne
peut pas faire la distinction entre les bons et les mauvais, mais ce n’est
que sur le littoral qu’on les voit et qu’on les sépare.
Le même saint Augustin dit que les catholiques ont répondu que c’est
précisément à cause de cela que l’église est comparée à une aire
dans laquelle on distingue la paille du froment, d’autant plus qu’on
voit davantage la paille que le forment. Elle est aussi comparée
à l’arche de Noé, dans laquelle, après la sortie du corbeau,
qui représente les hérétiques, demeurèrent bien visibles les animaux
purs et impurs.
Saint Augustin ajoute aussi que les donatistes calomniaient les
catholiques en les accusant de faire deux églises, une sur la terre, qui
contiendrait des bons et des mauvais, et une autre dans le ciel qui
n’aurait que des bons. Les catholiques répondirent
qu’ils ne faisaient pas deux églises, mais qu’ils distinguaient deux
époques de l’Église. Ils dirent que la même unique et sainte
église existe autrement aujourd’hui, et existera autrement dans le futur.
Elle a dans son sein des mauvais qui sont associés aux bons. Plus
tard, elle ne les aura plus. Il n’y a pas non plus deux Christ
parce qu’il fut un temps où le Christ qui est immortel fut mortel.
Cela vaut pour nos confessionistes et nos calvinistes qui imaginent
deux églises.
On le prouve, en troisième lieu, par les témoignages des pères de
l’Église. Saint Cyprien (livre 3 de l’épitre 3 à Maximin)
: « Notre foi ou notre charité ne doivent pas empêcher de les
expulser de l’église, du fait que nous voyons qu’il y a de la zizanie
dans l’Église. » Saint Grégoire de Naziance (dans son apologie,
avant le milieu) compare l’église à un gros animal composé de diverses
bêtes, c’est-à-dire de grandes, de petites, de sauvages, de domestiques,
pour montrer la grandeur du travail d’un évêque qui doit guider
toutes ces sortes d’hommes, les parfaits, les imparfaits, les bons
et les mauvais. Saint Jean Chrysostome dit plusieurs choses semblables
des péchés de ceux qui régissent l’Église, (livre 3 sur le sacerdoce).
Il dit la même chose dans son commentaire de cette phrase du psaume 39
: « Ils se sont multipliés plus que les cheveux de ma tête. »
« Ce n’est pas, non plus, de parfaits que l’église se compose,
mais elle a aussi ceux qui prennent leurs aises et se livrent à la débauche,
ceux qui mènent une vie relâchée et dissolue, qui se font les esclaves
des voluptés. Les uns et les autres sont en elle, puisqu’elle est un
seul corps, une seule personne. » Saint Jérôme (dans son
dialogue contre les lucifériens, un peu passé le milieu) : « L’arche
de Noé a été le type de l’Église, pour qu’en elle, soient les genres
de tous les animaux, et dans l’église, des hommes de tous les pays et
de toutes les mœurs. Et comme là cohabitaient les léopards et
les chèvres, les loups et les brebis, ici les justes et les pécheurs,
c’est-à-dire des vases en or, en argent, en bois et en terre.
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Et saint Augustin (traité 6 sur saint Jean) : « Nous admettons, nous,
que, dans l’Église catholique il y a des bons et des mauvais, comme
le froment et la paille de la parabole. Il dit la même chose
dans rétractations (2, chapitre 18), dans sont récit d’un débat, (chapitres
7 et 20), dans son livre sur l’unité de l’Église (chapitre 13, livre
18), dans la cité de Dieu (chapitre 49), et ailleurs.
Saint Fulgence (livre sur la foi, à Pierre, chapitre 43) écrit
: « Tiens fermement, et ne doute en aucune façon que l’arche de Dieu
est l’Église catholique, et qu’elle contiendra, jusqu’à la fin,
du froment mêlé à la paille, c’est-à-dire que des bons et des
mauvais communieront ensemble dans les sacrements. » Saint Grégoire
(homélies 11 et 38) enseigne, et prouve par plusieurs arguments, qu’il
y a des méchants dans l’Église.
On le prouve, enfin, par la raison. Car, s’il n’y avait
que des bons dans l’Église, le sacrement de pénitence aurait été
institué pour rien, puisqu’il n’est administré qu’à ceux qui sont
dans l’église. De plus, personne ne saurait avec certitude quels
sont ceux qui sont dans l’église, car on ne sait pas qui sont les vrais
bons et les vrais méchants. De même, dès que des prélats tomberaient
dans un péché, ils ne feraient plus partie de l’église, ils ne seraient
donc plus prélats, et on ne serait plus obligés de leur obéir.
On peut dire la même chose de ceux qui leur sont soumis : dès qu’ils
pècheraient, ils ne feraient plus partie du troupeau, et il serait
donc permis aux pasteurs de ne plus s’occuper d’eux. On peut
facilement imaginer la confusion et l’anarchie qui en résulteraient.
Ils nous objectent d’abord un texte d’Isaïe 52 : « Il n’ira
pas plus loin, et il ne passera pas au travers de toi l’incirconcis ou
l’impur. » Et, ce qui est ajouté : « Reculez, sortez», doit
s’entendre de la séparation qui se fait obligatoirement par l’âme,
les mœurs, mais non d’une sortie corporelle du temple et d’un
éloignement des sacrements. Saint Cyrille semble donner une meilleure
explication, qui pourtant ne diffère pas tellement de celle de saint Jérôme.
Il enseigne qu’il faut l’entendre de la persécution temporelle qu’ont
subie les Juifs, de sorte que le sens serait celui-ci : quand tu
reviendras de la captivité, il n’ajoutera pas d’autre chose, c’est-à-dire
que pendant longtemps un persécuteur infidèle parcourra tes terres en
les dévastant. Mais, au sens mystique, il s’agit de l’église,
et de la prédiction d’Isaïe que les portes de l’enfer ne prévaudront
pas contre elle. Car, les incirconcis et les hôtes immondes
sont d’abord et avant tout des démons. Pour une raison semblable,
le Reculez, sortez, on l’entend des Juifs, selon le sens
historique, qu’Isaïe exhorte à sortir de Babylone quand sera
fini le temps de leur captivité. Mais selon le sens mystique, on
l’entend des chrétiens, qui, après le baptême, doivent se séparer
des assemblées d’infidèles, des temples, des sacrifices, des mariages,
et de tout ce qui se rapporte à la religion. C’est ainsi que saint
Paul a compris ce passage, et qu’il l’a cité dans 2 Corinthiens 6,
non de relations avec un pécheur quelconque, avec les seuls
infidèles : « Ne vous mariez pas avec des infidèles. Car quelle par
a un fidèle avec un infidèle ? Quelle entente y a-t-il entre le
temps de Dieu et les idoles ? »
Et au sujet du seul pain qui n’est fait que du froment, je
réponds que les comparaisons clochent. La ressemblance qu’il y
a entre un pain et l’église, comme l’expliquent saint Cyprien (épitre
6, livre 1, à Magnum), et saint Irénée (livre 3, chapitre 19), consiste
en ceci : comme de plusieurs grains est fait un pain par l’eau, de la
même manière, de plusieurs hommes par l’eau du baptême, ou par l’Esprit
Saint, qui est aussi appelé eau (Ezéchiel 36, et ailleurs) est fait un
seul peuple de Dieu. Car, personne n’est dans l’église
sans avoir été baptisé, et jusqu’à ce moment, nul ne participe aux
dons internes et externes du Saint-Esprit. Il n’est pas vrai, toutefois,
que le vrai pain soit toujours boulangé seulement avec du blé.
Il arrive, de temps en temps, par la négligence ou par la malice de ceux
qui font du pain, que le blé soit mélangé avec de la graine de
nielle, comme la malice des vendeurs ajoute souvent de l’eau dans
le vin. On montre la même chose des paroles de saint Paul : « Un
seul pain, et nous qui participons à un seul pain, nous sommes un seul
corps. » Or, de ce seul pain participent les bons et les mauvais,
autrement saint Paul ne ferait pas de reproches à ceux qui communient
indignement (1 Corinth 11).
Je dis, enfin, que les mauvais ne sont pas des membres vivants du corps
du Christ, et que c’est ce que signifient ces textes de l’Écriture.
Et à ce qui est ajouté « ils sont donc membres de façon équivoque
», plusieurs semblent concéder que les méchants ne sont pas de vrais
membres du corps du Christ, mais seulement d’une certaine manière, de
façon équivoque. C’est ainsi que parle Jean de Turrecremata
(livre 1, chapitre 57), où il le prouve avec des citations d’Alexandre
Ales, de Hugues de Saint Victor, et de saint Thomas. Enseignent
la même chose Pierre a Soto, Melchior Cano et d’autres. Même
s’ils disent que les mauvais ne sont pas de vrais membres de l’église,
ils enseignent quand même qu’ils sont dans l’église ou dans le corps
de l’église, et qu’ils sont des fidèles et des chrétiens.
Car les membres ne sont pas les seuls à être dans le corps, les humeurs
le sont aussi, les dents et les poils, et tout ce qui n’est pas membre.
On ne les appelle pas fidèles ou chrétiens à cause de la charité, mais
de la foi, ou de la profession de foi. Et s’il en ainsi,
il s’ensuit qu’un mauvais pape n’est pas la tête de l’Église,
et que les autres évêques, s’ils sont mauvais, ne sont pas les têtes
de leurs diocèses respectifs. Car, la tête n’est pas un poil
ou une humeur, mais un membre, et même le principal. Et cela est
contraire au concile de Constance (session 15) dans lequel est condamnée
l’erreur XX11 de Jean Hus qui voulait qu’un mauvais pasteur soit un
pasteur équivoque, et qu’un mauvais prélat ne soit pas un vrai
pasteur (erreur XXX).
Je réponds qu’on peut considérer un pasteur de deux façons.
Une première. Comme sont les choses en elles-mêmes, selon leur
essence ou substance. Une deuxième. En tant qu’elles sont
des instruments opératifs. Car, par exemple, l’œil d’un
homme et celui d’un bœuf sont semblables quand à la substance, et différents
quant à l’espèce, en raison de la diversité des âmes.
Mais, en tant qu’instrument opératifs ils sont de la même espèce,
ayant le même objectif. Je dis donc qu’un mauvais évêque ou
un mauvais prêtre ou un mauvais docteur sont des membres morts, non de
vrais membres du corps du Christ, en ce qui a trait à la notion de membre,
ou une partie d’un corps vivant. Mais ils sont de vrais
membres en tant qu’instruments, et le pape, l’évêque ou le
prêtre sont de vraies têtes de l’église, les docteurs sont de vrais
yeux, ou la vraie langue de ce corps. Et la raison en est
que leurs membres demeurent vivants par la charité, que les impies
ne possèdent pas. Ils sont des instruments opératifs par
le pouvoir d’ordination, de juridiction qui peut exister sans la grâce.
Car, même si, dans un corps naturel, un membre mort ne peut pas
être un véritable instrument d’opération, dans le corps mystique,
il le peut. Car, dans un corps naturel, les œuvres dépendent de
la bonté de l’instrument, puisque l’âme ne peut bien opérer
que par de bons instruments, ni produire des œuvres sans instruments vivants.
Mais dans le corps mystique, les œuvres ne dépendent pas de la
bonté ou de la vie de l’instrument, puisque l’âme de ce corps
est le Saint-Esprit, qui est capable de bien opérer par des instruments
bons, mauvais, vivants et morts.
La deuxième objection. Dans le symbole, on dit que
l’église est sainte. Elle n’est donc formée que de saints.
Ne suffit pas la réponse de ceux qui disent que l’église est sainte,
parce qu’une partie est sainte, car on pourrait tout aussi bien dire
qu’elle est scélérate, puisqu’une partie l’est. Je
réponds que l’église est appelée sainte et qu’elle l’est vraiment,
car tous les matériaux utilisés pour sa construction sont saints.
Il faut trois choses pour instituer une église. D’abord, le baptême,
que personne ne peut nier qu’il est saint. En deuxième lieu, la
profession chrétienne, c’est à-dire les dogmes doctrinaux et moraux
et les préceptes chrétiens. Il est certain que cette profession
la rend sainte, et elle seule. Car, la profession de foi des Turcs,
des Juifs, des païens, des hérétiques, n’est pas sainte. Seule
la profession chrétienne l’est. Troisièmement, l’union
des membres et entre eux et avec la tête, au moins externe, en ce qui
se rapporte à la religion. Cette union, sans aucun doute possible,
est sainte. Elle est dite sainte, aussi, à cause des saints qu’elle
contient, sans être obligée pour autant d’être appelée aussi scélérate,
car cette dénomination se fait à partir du meilleur. Et de plus,
avoir des saints est quelque chose qui est propre à l’église, car elle
est la seule à avoir de vrais saints. Or, contenir aussi des mauvais,
ce n’est pas quelque chose qui est propre à l’église, puisque cela
convient aussi à d’autres. On peut dire aussi qu’elle
est sainte, parce qu’elle est entièrement consacrée à Dieu, et parce
que sa tête, le Christ, est le Saint des saints.
Troisième objection. « N’a pas Dieu pour père celui qui
n’a pas l’église pour mère », comme saint Cyprien l’enseigne dans
son livre sur l’unité de l’église; et semblablement n’a pas
l’église pour mère celui qui n’a pas Dieu pour père.
Mais les méchants n’ont pas Dieu pour père : « Car ceux qui sont mus
par l’Esprit de Dieu, ceux-là sont fils de Dieu (Romains 8), et en Jean
8 : « Vous, c’est le diable qui est votre père ! » Et en saint
Jean 1 : « C’est en cela que sont manifestés les fils de Dieu et les
fils du diable, celui qui n’est pas juste n’est pas de Dieu ».
Or, seuls les bons ont l’église pour mère, et donc seuls les
bons sont dans l’église. » Je réponds avec saint Augustin (dans
son livre contre Adimantus, chapitre 5) qu’on peut entendre le nom de
fils de trois façons dans l’Écriture. Une première. En
raison de la production, que ce soit proprement une production ou génération,
ou régénération. Ainsi, le Christ Seigneur est dit proprement
fils de Dieu parce qu’il a été engendré par son Père; et tous sont
dits fils de Dieu en raison de la création. Deutéronome 32 : «
N’est-il pas ton père celui qui t’a fait et créé ? » Et aussi,
en raison de la nouvelle régénération, sont dits fils tous les justes,
et seulement les justes, comme dans Romains 6. 1, et Jean 111. La
deuxième. Certains sont fils en raison de l’imitation, comme en
Galates 4, aux Romains 4. Car l’apôtre appelle ici fils d’Abraham
ceux qui imitent la foi d’Abraham. Et Matthieu 5 : « Aimez vos
ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent, pour que vous puissiez
être les fils du votre Père. » Et, de cette façon, seulement
les bons sont fils de Dieu, et les mauvais sont fils du diable, comme il
est dit dans saint Jean 8. 1, et 3, aux lieux cités. La troisième.
Certains sont dits fils en raison de la doctrine, comme en 1 Cor 4,
où l’apôtre appelle les Corinthiens mes fils, parce qu’il leur avait
enseigné l’évangile. Et en Galates 4 : « Mes petits fils, que
j’enfante de nouveau, jusqu’à ce que soit formé le Christ en vous.
» Et, de cette façon, tous ceux qui sont dans l’église sont
fils de Dieu et de l’église, parce qu’ils tiennent la vraie
doctrine de Dieu et de l’Église. Mais, ils peuvent, cependant,
être bons ou mauvais. D’où, Isaïe 1 : « J’ai nourri des fils,
et je les ai exaltai. Mais eux m’ont opprimé. » Et
cantiques 2 : « Comme le lys entre les épines, ainsi est mon amie entre
les fleurs. » Les filles dont on parle ici sont des âmes chrétiennes,
mais mauvaises.
Après avoir précisé ces choses, on répond ainsi à l’argument.
S’il s’agit de fils de la doctrine, fausse est la déduction.
Car il n’est pas vrai que seuls les justes sont fils de Dieu, si on ne
tient compte que de la doctrine. Si on parle de fils de Dieu par
la régénération, ou l’imitation, mauvaise est la conclusion suivante
: donc seuls les bons sont dans l’église. Car, dans l’Église
il n’y a pas seulement des fils, mais des serviteurs, même si, à la
différence des fils, ils ne demeurent pas dans la maison éternellement
(Jean V111). Et c’est ce que pensait saint Cyprien. Car,
il n’a jamais voulu dire qu’il n’y avait dans l’église que des
fils, mais que, en dehors de l’église, il n’existe pas d’autres
fils. Comme il n’y a aucun bon en dehors de l’église, même
s’il y a des mauvais à l’intérieur. Car, il voulait terrifier
les hérétiques et les schismatiques, et leur faire comprendre qu’il
leur est impossible d’être bons ou fils à l’extérieur de l’église.
Le quatrième argument. « Dans l’église de Dieu (saint Cyprien,
livre 1, épitre 6 à Magnum), n’habitent que ceux qui sont d’un même
cœur et d’une même pensée, comme le dit l’Esprit Saint dans les
psaumes : « Dieu qui les fait habiter dans sa maison d’un seul cœur
et d’une seule âme. » Donc, les pécheurs qui suscitent des rixes,
qui fomentent des rébellions, ne sont pas dans l’église. »
Je réponds que saint Cyprien ne parle pas de n’importe laquelle
concorde ou unanimité, mais de celle qui s’oppose à un schisme.
Car, il est question ici des schismatiques novatiens. Des dissensions,
des rixes, des échaufourrées, il peut y en avoir dans l’église,
et il s’en trouve souvent, comme l’atteste saint Cyprien dans son sermon
sur ceux qui ont apostasié dans les persécutions, où, au nombre des
autres péchés qui étaient dans l’église, il indique la méfiance
réciproque nourrie par des haines invétérées. Le cinquième argument
est tiré de saint Jean Chrysostome et de Theophylacte, dans leurs commentaires
de 2 Tim 2 (dans une grande maison, il y a des vases en or etc…)
Ils disent que cette grande maison ne signifie pas l’église, mais le
monde, parce que dans l’église, il n’y a que des vases d’or et d’argent.
Je réponds qu’ils ne nient pas que les mauvais puissent être dans l’église,
mais ils disent qu’il n’est pas nécessaire qu’ils soient dans l’église;
que c’est dans une grande maison que toutes ces choses son nécessaires.
De peur que quelqu’un pense que l’Église ne peut pas subsister sans
mauvais, ces pères disent que, par maison, ils n’entendent pas l’église,
mais le monde. Car l’Église n’a pas un besoin essentiel de mauvais.
En effet, quand elle sera dans son state le plus avancé, au ciel, elle
n’aura plus de méchants dans son sein. Or, le monde est entaché
par les mauvais, non par lui-même, mais par accident. Car, s’il
n’y avait pas de méchants dans le monde, les justes n’auraient pas
où exercer leur patience, et Dieu sa justice.
Le sixième argument vient de saint Jérôme qui dans son commentaire
aux Éphésiens 5, dit ceci au sujet des mots : l’église est sujette
au Christ : « C’est une chose glorieuse pour le Christ le fait de n’avoir
ni tache, ni ride, ni rien de cette sorte. Donc, celui qui est pécheur,
ou qui est entaché de quelque saleté, ne peut pas être dit
de l’église du Christ, ou soumis au Christ ». Je réponds.
Saint Jérôme veut dire qu’on ne peut appeler mauvais ceux qui sont
dans la partie de l’Église qui ne contient que les parfaits. Car,
(Galates, chapitre 1), en expliquant « Paul apôtre et Église de
Galtatie », et voulant expliquer comment concordent entre elles
les paroles de l’apôtre, qui tantôt loue toutes les églises, tantôt
les critique vertement et les réprimande, saint Jérôme dit qu’on
peut entende le mot église dans deux sens, plutôt qu’y voir deux
églises : une seule église dont l’Écriture parle différemment.
Car, c’est à toute l’église que l’Écriture attribue ce qui est
propre aux parfaits : n’avoir ni tache ni ride; et ce qui
est propre aux imparfaits : de pécher et d’avoir besoin de correction.
Quand donc on loue l’église, il faut concentrer son attention sur cette
partie qui contient les parfaits, et quand on la réprimande, il faut regarder
celle qui contient les imparfaits.
Le septième argument. Pacianus, dans son épitre
3 à Sympronianum, dit que dans l’Église, il n’y a ni tache, ni ride,
parce que, tant qu’ils ne se repentent pas de leur vie antérieure,
les pécheurs ne sont pas dans l’église, car, quand ils s’en repentent,
ils sont déjà saints. Je réponds qu’il ne parle pas de
tous les pécheurs, mais seulement de ceux qui tombent dans l’hérésie,
car, il avait dit auparavant que la raison pour laquelle l’église était
sans tache et sans ride, c’est qu’elle ne contenait pas d’hérétiques.
Le huitième argument est tiré de saint Augustin (livre 2, chapitre 21,
contre Cresconium ) : « Et à cause de cela, même à l’insu de l’église,
ceux qui sont condamnés par le Christ à cause de leur mauvaise conscience,
ne sont plus dans le corps du Christ qui est l’Église, car le Christ
ne peut avoir de membres damnés. » Il dit des choses semblables
dans le livre 2, dernier chapitre de contre Pétilien, dans le livre 4
du baptême, chapitre trois, dans le livre 6, chapitre 3, livre 7, chapitres
49 et 50, 51, dans le livre de l’unité de l’église, dernier
chapitre, dans le livre 3 de la doctrine chrétienne, chapitre 32, et ailleurs.
Je réponds que, à cause de ces textes, non seulement Brentius
et Calvin, mais même quelques catholiques imaginent deux églises.
Mais ce n’est que de l’imagination. Car ni les Écritures,
ni saint Augustin n’ont gardé de souvenir de deux églises, mais d’une
seule seulement. Il est certain que, dans le récit du troisième
débat, quand les donatistes accusaient les catholiques de faire deux églises,
une qui ne contient que les bons, et une autre qui contient des bons et
des mauvais, les catholiques ont répondu qu’ils n’avaient jamais pensé
à deux églises, mais pas en rêve. Mais ils distinguaient des parties
et des époques. Des parties, parce que les bons et les mauvais appartiennent
différemment à l’église, les bons étant la partie intérieure, et
comme l’âme de l’église, et les pécheurs, comme la partie extérieure,
et le corps de l’église. Et ils donnaient des exemples de l’homme
intérieur et de l’homme extérieur, qui ne sont pas deux hommes,
mais deux parties du même homme.
Ils distinguaient aussi des époques, l’église étant autre
maintenant qu’elle sera après la résurrection. Car, actuellement,
elle a des bons et des mauvais, et alors elle n’aura que des bons.
Et ils donnaient comme exemple le Christ lui-même qui, bien qu’il
ait toujours été le même, était, avant la résurrection, mortel et
passible, et ensuite, immortel et impassible. Cette doctrine saint
Augustin la confirme en plusieurs endroits, et l’explique par plusieurs
comparaisons. Car, dans le livre 7 contre les donatistes, chapitre
51, il dit que les bons sont dans la maison de Dieu qui est l’église
de façon à être eux-mêmes la maison, qui est construite de pierres
vivantes; et que les mauvais sont dans la même maison, mais cependant
comme n’étant pas eux-mêmes la maison. Et, dans le livre sur
l’unité de l’église, dernier chapitre, il dit que les mauvais
sont séparés de l’âme de l’Église, mais non du corps, ce qui veut
dire qu’ils appartiennent à « l’homme extérieur » de l’Église,
mais non à « l’intérieur. » Et, dans le livre 3 de la doctrine
chrétienne (chapitre 32), il explique ce passage du cantique des cantiques
: « Je suis noire mais belle, comme les tentes de Cédar, comme la peau
de Salomon. » Notons qu’on ne dit pas qu’elle a été noire
et qu’elle est belle, mais je suis noire et belle, parce que c’est
une seule et même église, qui est tantôt noire comme les tentes de Cédar,
à cause des pécheurs qui sont en elle, et tantôt belle à cause des
peaux de Salomon, c’est-à-dire des bons qu’elle a en elle.
Le même saint Augustin (dans le traité 3 sur l’épitre de
saint Jean), enseigne que les mauvais sont dans le corps de l’Église,
« non comme des membres, mais comme des humeurs fétides qui demeurent
dans la poitrine, lesquelles sont vraiment dans le corps, mais qui
sont vraiment séparées des membres du corps ». Ces paroles nous
permettent de comprendre que quand saint Augustin dit que les mauvais ne
sont pas dans l’église, il faut comprendre qu’ils ne le sont pas
comme le sont les bons, c’est-à-dire qu’ils ne le sont pas comme des
membres vivants du corps. Mais tu objecteras que (dans le livre
3 du baptême, chapitre 18, et dans le livre 1, chapitres 32 et 22, dans
le livre 6, chapitre 3, et dans le livre 7, chapitre 51), il enseigne
que seuls les saints sont dans l’Église qui est fondée sur la pierre,
et à qui sont données les clefs du royaume, et de laquelle il est dit
: s’il n’écoute pas l’église, qu’il soit pour toi comme un païen
ou publicain. Je réponds que saint Augustin ne voulait dire rien
d’autre que tous les privilèges, qui sont concédés par Dieu
à l’église universelle, l’ont été à cause des seuls saints, c’est-à-dire
pour l’utilité et l’avantage de ceux qui obtiennent le salut éternel.
Car le même saint Augustin répète souvent que même les mauvais chrétiens
administrent validement les sacrements, et régénèrent donc les hommes,
les délient et les lient etc. C’est pourquoi, (dans le traité
5 sur saint Jean) il compare les mauvais ministres à un tuyeau par lequel
circule l’eau, et il ajoute que même s’ils n’en tirent aucun profit,
il est quand même la cause que des herbes et des fleurs poussent.
Il enseigne la même chose dans le livre contre Marmenianus, chapitres
10 et 11.
La neuvième objection est celle des magdebourgeois (centurie
1, livre 1, chapitre 4, colonne 171), où, à l’aide de textes de l’Écriture,
ils prouvent qu’il y a deux églises, une des bons, et une des mauvais.
Car si, (dans Matth 5) on distingue la justice des disciples de celle des
pharisiens, les pieux des hypocrites (Matth 6), la troupe de ceux qui marchent
par la voie étroite, de ceux qui vont par la voie large, une maison fondée
sur le sable, et une maison fondée sur le roc, il apparait clairement
que l’église des mauvais n’est pas l’église du Christ sainte et
unique, car la vraie église ne contient que des bons. Je réponds
qu’en aucun de ces passages, on ne distingue deux églises, mais seulement
des qualités différentes de ceux qui sont dans la seule et même église.
Car, dans Matthieu 13, on distingue des bons et des mauvais poissons.
Mais les uns et les autres étaient dans le même filet qui est l’Église.
Dans la même église, qui est constituée par la profession de la
même foi, la communion des mêmes sacrements, il y en a qui marchent
par la voie large des vices, d’autres par la voie étroite des vertus.
Il y en a qui sont très pieux, d’autres hypocrites. Certains
ont la justice pharisaïque, d’autres l’apostolique.
Ensuite, quelques-uns sont comme une maison fondée sur le roc, d’autres,
comme une maison fondée sur le sable. Ces deux maisons ne représentent
donc pas deux églises, à moins que nous voulions faire autant d’églises
qu’il y a d’hommes. Voici ce que dit le Seigneur : « Tout homme qui
écoute ces miennes paroles et les met en pratique, sera semblable au sage
qui a construit sa maison sur la pierre. »
Dixième objection. Si l’Église est le corps du Christ, ne
peuvent être ni parties ni membres de ce corps ceux dans lesquels le Christ
n’opère rien. Car, dans les impies et les hypocrites, il n’opère
rien. Ceux qui sont de cette sorte ne peuvent donc pas appartenir
à l’Église du Christ. De même. Il faut absolument
distinguer le royaume du Christ de celui du démon. Or, comme
tous les impies appartiennent au royaume du démon, seuls les pieux appartiennent
au royaume du Christ, qui est l’église. Je réponds qu’il
n’est pas nécessaire que le Christ opère quelque chose dans chacun
de ses membres, car il y a quelques membres qui sont morts et arides, et
qui n’adhèrent aux autres que par une union externe. Et même
si le royaume du Christ est différent de celui du démon, les mêmes hommes
peuvent appartenir aux deux. Car ceux parmi les pécheurs qui persévèrent
dans la foi catholique et la communion avec les autres fidèles, appartiennent
au royaume du Christ, par leur profession de foi, et au royaume du
démon par la perversité de leurs mœurs. Voilà pourquoi saint
Augustin dit (psaume 47) que les impies qui sont dans l’église,
sont à la fois des fils et des étrangers. Des fils, à cause de
leur profession de foi, des étrangers, à cause de leur carence
de vertus.
CHAPITRE 10
Les infidèles occultes
Il reste encore les infidèles occultes, c’est-à-dire qui
n’ont ni vertu chrétienne, ni foi interne, mais qui, pendant un certain
temps, professent extérieurement la foi chrétienne, et qui sont mêlés
aux vrais fidèles dans la communion des sacrements. Ceux-là non
seulement les confessionistes et les calvinistes enseignent qu’ils n’appartiennent
en aucune façon à la vraie église, mais même quelques catholiques,
comme Jean de Turrecramata (livre 4 sur l’église, p. 2, chapitre 20).
Mais cet auteur semble n’ avoir dit rien d’autre que la foi est requise
pour que quelqu’un soit uni d’une union interne avec le corps du Christ,
qui est l’église, -- ce qui est vrai.
Mais nous, nous suivons la façon de parler du grand nombre des
docteurs. Ils enseignent que ceux qui sont unis aux autres fidèles
par la seule profession externe de foi, sont de vraies parties externes,
et donc, des membres, même si ce sont des membres morts et arides du corps
de l’Église. Voir Thomas Waldensem (tome 1, livre 2, chapitre
9, numéro 10, et chapitre 11, numéro 5), Jean Driedonem (livre
4 sur les écrits ecclésiastiques et les dogmes, chapitre 2, page 2),
Pierre a Soto (dans la confession catholique qu’il opposa à la confession
de Vittemberg, chapitre de l’église, et chapitre des conciles;
et dans l’apologie pour la même confession, page chapitre 11.), le cardinal
Hosius (lkvre 3, contre les prolélgomènes de Brentius), et Melchior Cano
(livre 4 des lieux théologiques, chapitre ultime, à l’argument 12).
On peut d’abord démontrer cette sentence par les paroles suivantes
de saint Jean (1 Jean 2) : « Et maintenant, plusieurs sont devenus des
antichrist. Ils sont sortis de nous, mais ils n’étaient pas de
nous, car s’ils avaient été de nous, ils seraient demeurés avec nous.
» En ce passage, saint Jean parle des hérétiques qu’il appelle
antichrist, et il dit que, avant de sortir, ils n’étaient pas
vraiment de nous, c’est-à-dire qu’ils n’étaient pas catholiques
par l’âme et la volonté, mais qu’ils étaient des hérétiques, des
antichrist. Ils sont cependant sortis de nous, car même s’ils
n’étaient parmi nous ni par l’âme ni par la volonté, ils étaient
quand même parmi nous par la profession externe de la foi.
Mais après qu’ils nous eurent quittés, et qu’ils s’établirent
à part en un schisme ouvert, ils cessèrent d’être de nous de toutes
les façons possibles. Et bien que saint Augustin applique parfois
ces mots (pas de nous) à la prédestination, cependant, dans son commentaire
de ce texte il y voit les hérétiques occultes : « Tous les hérétiques,
tous les schismatiques sortirent de nous, c’est-à-dire sortent de l’Église.
Mais ils ne seraient pas sortis s’ils avaient été des nôtres.
Avant de sortir, ils n’étaient donc pas des nôtres, si avant qu’ils
sortent ils n’étaient pas de nous. Car, plusieurs sont à l’intérieur
qui ne sont pas sortis, et qui sont quand même des antichrist. »
Et plus bas : « Et ceux qui sont à l’intérieur sont surement
dans le corps de notre seigneur Jésus-Christ, qui a encore besoin
de soins, et dont la santé ne sera parfaite qu’à la résurrection
des morts. Ils sont dans le corps du Christ comme des
mauvaises humeurs. Quand elles sont vomies, le corps recouvre sa
santé. De la même façon, quand les mauvais sortent, l’Église
se relève. » Et il dit : » Quand il les vomit, et que le corps
se redressa, c’est de moi que sont sorties ces humeurs, mais elles n’étaient
pas de moi. Qu’est-ce donc : elles n’étaient pas de moi ?
Elles n’ont pas été coupées de ma chair, mais elles oppressaient ma
poitrine quand elles étaient à l’intérieur. » C’est de cette
façon qu’il l’explique dans le livre 3 sur le baptême, chapitre
19, et dans le traité 61 sur saint Jean.
On démontre la même chose avec les témoignages des pères
de l’Église. Ils enseignent à l’unanimité que ceux qui sont
à l’extérieur de l’Église n’ont aucune juridiction, aucune autorité
dans l’Église. Voir Cyprien (livre 1, épitre 6). Optatus
(livre 1 contre Parminianum), saint Ambroise (livre 1, chapitre 2, sur
la pénitence), saint Jérôme dans son dialogue contre les lucifériens.
Saint dans l’enchridion (chapitre 65), Célestin pape (dans son épitre
aux clercs de Constantinople, et dans une autre à Jean d’Antioche, que
l’on trouve dans le tome 1 de concile d’Éphèse, chapitres 18, et
19.) Elles sont citées aussi par Nicolas 1 à l’empereur Michel.
Et ce fait bien attesté pose clairement la question suivante : comment
peut-on penser ou imaginer que celui qui a la juridiction soit tête de
l’église sans être membre de l’église ? Car ne fut jamais
tête qui ne fut jamais membre. Il est certain aussi, quoi qu’en
pense l’un ou l’autre, qu’un hérétique occulte, fut-il pape ou
évêque, ne perd ni sa juridiction ni sa dignité, ni son
nom de tête dans l’église, tant qu’il ne se sépare pas lui-même
publiquement de l’église, ou qu’il n’en est pas séparé,
après avoir été convaincu d’hérésie. Voilà pourquoi Célestin
et Nicolas, aux lieux cités, disent qu’un évêque hérétique, dès
qu’il commence à prêcher son hérésie, ne peut lier ni délier personne;
mais qu’avant qu’il commence à prêcher son hérésie publiquement,
même s’il couvait déjà l’hérésie dans son cœur, il pouvait encore
lier et délier. Ce qui est confirmé par le canon audivimus, 24,
qu 1, où nous lisons : « S’il tirait de son cœur une nouvelle hérésie,
dès qu’il commence à la prêcher, il ne peut plus condamner personne.
» Ajoutons que si les hérétiques occultes ne pouvaient avoir aucune
juridiction, seraient rendus incertains tous les actes qui dépendent de
la juridiction, ce qui perturberait grandement l’église universelle.
Si donc celui qui n’est pas dans l’église ne peut pas avoir d’autorité
dans l’église, et si un hérétique occulte peut en avoir, et si de
fait il en a, un hérétique occulte peut certainement être dans l’église.
On prouve la même chose avec Origène, Augustin et Grégoire.
Origène (homélie sur Josué) : « Même ici, à Jérusalem, c’est-à-dire
dans l’Église, il y a des Jébuséens, qui sont pervertis dans la foi
et les actions. » Il n’y a aucun doute qui parlait des hérétiques
occultes, car, il ajoute tout de suite après : « Car, nous ne disons
pas cela de ceux qui sont manifestement et ouvertement des criminels..
» Saint Augustin (livre 3, chapitre 19 sur le baptême) : « Les
ennemis de cette charité fraternelle, qu’ils soient ouvertement à l’extérieur,
ou qu’ils semblent être à l’intérieur, sont des pseudos chrétiens,
et des antichrist, car, une fois découvertes leurs actions, ils sortent
à l’extérieur de l’église. Mais même si les occasions
font défaut, quand ils semblent être à l’intérieur, ils sont
séparés de cette compagnie invisible de charité. » En disant
des hérétiques occultes qu’ils paraissent être dans l’église, il
ne veut pas dire qu’ils ne le sont pas réellement, mais pas de la façon
dont ils le paraissent. Car ils semblent être unis aux autres
membres par une union externe et interne, alors qu’ils ne le sont que
par une union purement externe. Car, s’ils n’étaient en aucune
façon réellement à l’intérieur, mais ne l’étaient qu’en apparence,
ils ne sortiraient pas vraiment quand ils s’en vont ouvertement, mais
sembleraient sortir. Or, saint Augustin dit que, que quand
ils trouvent une occasion, ils sortent à l’extérieur de l’église.
Et il ajout que, même avant de sortir, ils étaient
séparés de la charité invisible, non de la communion externe de
l’Église. C’est ainsi qu’on doit entendre aussi ce que dit
saint Augustin au livre 4, chapitre 16, où il enseigne qu’on doit juger
que les hérétiques occultes sont séparés, même s’ils ne sortent
pas. Il parle, évidemment, de la séparation interne, non externe.
Et pour, Augustin, ce n’est pas une chose propre aux hérétiques occultes
de ne pas être dans le corps du Christ, cela vaut aussi pour tous les
pécheurs, comme on le voit dans les lieux cités au chapitre précédent.
Saint Augustin continue, au lieu cité : « Voilà pourquoi saint Jean
a dit qu’ils étaient sortis de nous, mais qu’ils n’étaient pas
des nôtres. Ce n’est pas parce que, en sortant, ils sont devenus
étrangers, mais c’est parce qu’ils étaient étrangers qu’il
a déclaré qu’ils sont sortis. » L’apôtre Paul dit aussi de
ceux qui ont erré dans foi qu’ils étaient dans une grande maison.
J’ai donc de bonnes raisons de penser qu’ils n’étaient pas
encore sortis.
Même chose aux chapitres 4 et 10 : « Or, on appelle zizanie
seulement ceux qui ont persévéré dans leur erreur jusqu’à la fin.
À l’extérieur, il y a beaucoup de froment, et à l’intérieur, beaucoup
de zizanie. » Le sens de ces paroles semble être celui-ci : à
l’extérieur de l’Église, il y a beaucoup d’hérétiques manifestes
qui se convertiront à la vraie foi. Et dans l’église elle-même,
il y a de nombreux hérétiques occultes qui ne se convertiront jamais.
Il dit la même chose dans le livre 1, chapitre 35 de la cité de Dieu
: « Qu’elle se souvienne toujours que dans ses ennemis se cachent des
citoyens futurs, car, de leur nombre , la cité de Dieu en a aussi
qui lui sont associés dans la communion des sacrements. » Il faut
observer là que, des ennemis qui sont en dehors de l’Église,
saint Augustin dit qu’ils sont des citoyens futurs, parce qu’ils ne
sont pas encore citoyens. Mais ils le seront en leur
temps. Or, des ennemis qui se cachent dans l’Église, il
ne dit pas qu’ils sont des ennemis futurs, mais présents, car ils sont
dans la sainte église, même s’ils appartiennent au groupe des ennemis.
De plus, dans le traité 61, sur Jean, où nous lisons que, quand Judas
sortit, Jésus fut troublé, il dit : « Par son trouble, le Seigneur
a daigné nous faire comprendre qu’il est nécessaire de tolérer les
faux frères, la zizanie du champ du Seigneur, jusqu’au temps de la moisson,
pour que, quand une cause urgente exige une séparation avant la moisson,
cela se fasse sans perturbation de l’église. Annonçant d’avance
ce trouble des saints causé par les schismatiques et les hérétiques,
quand un homme mauvais sortira de la masse du froment, dans laquelle il
a été longtemps toléré, et qu’il sera abandonné par une séparation
ouverte. Le seigneur s’est troublé non dans sa chair, mais dans
son esprit. » Et, plus bas, il déclare comment Judas, qui était
un des disciples du Seigneur, est le type des hérétiques : « Un par
le nombre, non le mérite; un par l’espèce, non par la vertu. Par une
association corporelle, non par un lien spirituel. Un compagnon par la
proximité de la chair, non par l’unité du cœur. » Et plus bas
: « Est-il vrai qu’il est de nous et qu’il n’est pas de nous ? Qu’il
est de nous selon un aspect, et qu’il n’est pas de nous selon un autre.
Selon la communion aux sacrements, il est de nous, mais selon la nature
des crimes qui lui sont propres, il n’est pas de nous. » De même,
dans le livre sur les choses faites avec Emericus, chapitre 1 : « Quelques-uns
qui sont toujours donatistes de cœur, exhibent une présence toute corporelle.
Ils sont à l’intérieur par la chair, et à l’extérieur par l’esprit.
»
Ensuite, dans le livre sur l’enseignement aux illettrés, chapitre
17, il distingue trois genres de chrétiens, les hérétiques occultes,
les mauvais catholiques et les bons catholiques. « Il y en a qui
veulent être chrétiens pour plaire aux hommes de qui ils attendent de
grands avantages, ou parce qu’ils ne veulent pas offenser ceux qu’ils
craignent. Mais ceux-là sont réprouvés, même si l’église les
porte pendant un certain temps, comme un champ la zizanie, jusqu’au temps
de la moisson. S’ils ne se corrigent pas, et ne commencent pas
à être chrétiens pour obtenir le repos éternel, ils seront séparés
à la fin. Et qu’ils n’aillent pas s’imaginer qu’ils peuvent
être dans l’arche avec le peuple de Dieu, car ils ne seront pas engrangés
avec le blé, mais ils sont destinés au feu futur. Il y en a d’autres
qui sont meilleurs par l’espérance, mais qui n’ont pas un péril moins
grand, ceux qui craignent déjà Dieu, ne se moquent pas du nom chrétien,
et n’entrent pas dans la maison de Dieu en hypocrites, mais attendent
dans cette vie la félicité. » Tu vois que les premiers de ces
deux sortes d’hommes ne craignent pas Dieu, se moquent du nom chrétien,
entrent en hypocrites dans l’église, mais sont pourtant à l’intérieur
et y demeurent, et sont comptés parmi les chrétiens, jusqu’à ce qu’ils
soient séparés de l’église par une dissension publique. Saint
Grégoire (livre 13, morale, chapitre 4), expliquant ces versets de Job
16 : « mes rides témoignent contre moi » : « Que faut-il entendre par
rides, si ce n’est la duplicité. Dans la sainte église, ces rides
sont ceux qui vivent une double vie, qui proclament ouvertement leur foi,
mais la renient par leurs œuvres. En temps de paix, se rendant
compte que cette foi est honorée par les puissants de ce monde.
Ils font semblant d’être croyants. Mais quand une tempête soudaine
d’adversités frappe la sainte église, ils montrent tout de suite
ce qu’ils cachaient dans leur âme perfide. » Et plus bas : «
Mais parce qu’elle garde dans le sein de la foi plusieurs réprouvés,
quand éclatera le temps de la persécution, elle aura à supporter
comme ennemis ceux qu’elle semblait nourrir auparavant des paroles de
la prédication. Qu’il dise donc que mes rides témoignent
contre moi, c’est-à-dire ceux qui m’accusent en me suivant, eux qui
placés dans mon corps par leur duplicité, n’enlèvent pas la
malice qui est en eux. » Et plus bas : « Même en temps de paix,
l’église souffre des fausses paroles, du fait qu’il y en a en elle
beaucoup qui n’ont pas foi dans les promesses de la vie éternelle,
et qui ont le front de se dire fidèles. Mais quand le temps de la
malice sévira, celui qui, par crainte, se refuse à contredire,
se montrera au grand jour, et s’opposera ouvertement et publiquement
aux paroles de la vraie foi. »
Quatrièmement. On le prouve par la raison. Une comparaison
avec le corps humain nous persuadera peut-être. Car, l’église
est semblable à un corps humain, comme l’enseigne saint Paul aux Romains
(12), et 1 Cor 12. Dans le corps humain, nous voyons des genres
nombreux et variés de parties, de façon à ce que certaines vivent et
sentent, d’autres vivent mais ne sentent pas, d’autres ne vivent
ni ne sentent, come tout chacun le sait. Il n’y a rien
donc qui empêche que, dans l’église, il y en ait qui aient la foi et
la charité, d’autres la foi seulement, et d’autres qui n’ont même
pas la foi, mais seulement l’union externe. Ensuite, si ceux qui
sont privés de la foi ne sont pas dans l’église, et ne peuvent pas
y être, il n’y aura plus, entre nous et les hérétiques, de question
sur la visibilité de l’église; vaines donc tant de débats célèbres
d’érudits, qui continuent encore à se produire. Car
tous ceux qui ont écrit jusqu’ici reprochent aux luthériens et
aux calvinistes de faire une église invisible. On n’aura plus
d’autre question à se poser. Les luthériens et les calvinistes
admettent certains signes visibles, comme la prédication de la parole
de Dieu, l’administration des sacrements, et enseignent constamment que
là où on aperçoit ces signes, là se trouve la véritable église du
Christ. Mais parce qu’ils veulent que seuls les justes et
les pieux appartiennent à la vraie église, personne ne peut savoir avec
certitude quels sont les vrais justes et les vrais pieux, parmi les si
nombreux qui paraissent justes et pieux à l’extérieur, alors qu’il
est certain qu’un bon nombre ne sont que des hypocrites et des faux frères.
Voilà pourquoi les nôtres ont raison de conclure que c’est une église
invisible qu’ils font. De plus, pour les luthériens et les
calvinistes, la justice consiste dans la seule foi. C’est comme
s’ils disaient que l’église est une assemblée de justes et de pieux,
qu’elle est la congrégation des vrais croyants. Qui donc ne voit
pas que nous sommes tout à fait d’accord avec eux quand nous excluons
de l’église ceux qui n’ont pas la vraie foi dans leur cœur?
Il est donc nécessaire que nous apparaisse avec une certitude
infaillible quelle est l’assemblée des fidèles qui est la vraie
église. Car, comme les transmissions des écritures, et tous les
dogmes dépendent du témoignage de l’église, si nous ne savons pas
avec certitude quelle est la vraie église, tout le reste sera incertain.
Et on ne pourra pas déterminer en toute certitude quelle est la vraie
église, si la foi interne est requise dans un membre, ou une partie
de l’église. Car, qui sait avec certitude dans quelles personnes
se trouve cette foi. Pour que quelqu’un appartienne à l’église
n’est donc requise ni la foi, ni rien d’invisible ou d’occulte.
À cet argument, ils répondent de deux façons. Le premier. On peut
connaître l’assemblée des fidèles avec assez de certitude, de façon
qu’on dise même qu’on la voit quand on aperçoit l’effet de la foi,
lequel est la profession de foi. Car, on dit qu’on voit un homme
véritablement, même que quand on ne voit son âme que dans les effets.
Ils ajoutent ensuite qu’il n’est pas nécessaire qu’on sache
distinctement quels sont ceux qui font l’église, mais qu’il suffit
que soit assigné un rassemblement dans lequel nous croyons que tous ceux
qui s’y trouvent font partie de l’église. Si on montrait à
quelqu’un tout le peuple romain rassemblé dans le forum ou dans un théâtre,
même si quelques étrangers s’y trouvent mêlés, on pourrait
dire qu’il a vraiment vu le peuple romain.
Mais aucune de ces réponses n’est satisfaisante. Il
est facile de réfuter la première. Car la connaissance par les
effets n’est pas une connaissance certaine, mais conjecturale.
L’exemple de l’homme ne convainc pas, non plus, car les effets de la
vie dans l’homme sont naturels, et nécessaires, tandis que les effets
de la foi sont volontaires, et donc moins certains. De plus,
ce n’est pas l’homme lui-même que nous voyons, de façon à ce que
nous soyons absolument surs que l’homme est celui que nous voyons.
Car, il se peut que quand nous pensons voir un homme, nous voyions un ange
ou un démon en forme humaine. Il est certain qu’Abraham, Loth
et Tobie ont cru qu’étaient des hommes ceux qui étaient des anges.
Nous, c’est une certitude infaillible que nous désirons au sujet de
l’église, celle que nous avons non de l’homme lui-même, mais de sa
figure, de ses couleurs externes, de son empreinte digitale et de son ADN,
toutes choses qui ne peuvent tromper. La deuxième réponse est insuffisante
pour plusieurs raisons. Car il peut arriver que croisse le nombre
des hypocrites à un point tel qu’ils deviennent plus nombreux que les
catholiques vrais et parfaits. Personne alors ne pourrait dire vraiment
que cette congrégation est l’église du Christ, du fait que, dans cette
assemblée que l’on montre, la plus grande partie n’appartient pas
l’église. Nul ne sait, non plus, quels sont les peu nombreux qui
font l’église. Et même s’il est préférable de croire que
la plus grande partie de ceux qui professent la foi sont sincères, on
ne peut en être certain.
Deuxième raison. Jamais toute l’église ne se rassemble
en un seul lieu, de façon à ce qu’on puisse dire : c’est cette assemblée
qu’est l’église. Mais elle est éparpillée par divers
lieux, et d’aucune partie nous ne saurons avec certitude si elle
n’est pas totalement sans foi. Nous nous demanderons toujours
: communie-t-elle vraiment avec la vraie église du Christ.
Ne répugne pas à ceci ce que j’ai affirmé ailleurs, à savoir que
l’église romaine particulière ne peut pas être totalement privée
de la vraie foi. Car même cette église romaine particulière ne
peut être assemblée en entier à quelque part. Elle est répartie
en plusieurs basiliques, qui sont dans la ville de Rome. Et nous
ne savons certainement pas, de certitude infaillible, si dans cette assemblée
où nous nous dirigeons, il n’y a pas des brebis sans foi dans le cœur.
Deuxième raison. Car il peut aussi arriver qu’un concile
général entier soit à l’extérieur de l’église. Quoi
d’étonnant si, parmi les milliers qui professent la foi chrétienne,
trente ou quarante hommes présents au concile, sont privés de la vraie
foi ? De cette façon, des choses très connues par ailleurs,
qui ont besoin d’être tout à fait sures, seront mises en doute.
Comme nous l’avons noté dans la dispute sur les pontifes, il est certain
que la raison pour laquelle Brentius nie toute autorité aux conciles,
c’est que nous ne sommes pas certains que chacun de ces pères ait la
vraie foi dans le cœur, et donc, soit de l’église. Car ce n’est
pas une fausse église qui est une colonne et un firmament de vérité,
mais la vraie.
Quatrièmement. Parce que si nous ne savons pas clairement
quels sont ceux qui constituent l’église, nous ne saurons pas
tellement ce que fait l’église, mais où elle le fait, ou plutôt
où elle se cache. Ce qui ne suffit pas pour sauver la visibilité
de l’église, dont nous parlerons dans le prochain chapitre. Mais
voyons déjà ce qu’on objecte. Ils objectent d’abord,
que le fondement et la quasi forme de l’église est la foi, comme le
dit saint Paul (1 Cor 3) : « Comme un bon architecte, j’ai posé le
fondement. » Et : « Personne ne peut poser un fondement autre que celui
qui a été posé, le Christ Jésus. » Et aux Éphésiens
2 : « Sur édifiés sur le fondement des apôtres et des prophètes, la
pierre angulaire étant le Christ Jésus. » Et, aux Éphésiens
: « Un Dieu, une foi, un baptême. » Je réponds que la forme de
l’église n’est pas la foi interne (à moins de vouloir avoir une église
invisible), mais la foi externe, c’est-à-dire la profession externe
de la foi. Ce qu’enseigne ouvertement saint Augustin (libre
19, chapitre 1, contre Faustus), l’expérience aussi l’atteste
: sont admis à l’église ceux qui professent la foi. Dans les
textes allégués, la foi n’est pas appelée forme, ou fondement de l’Église,
mais fondement de la justice ou de la doctrine qui est dans l’église.
Ajoutons qu’en même temps que les Écritures posent la foi, elles
posent aussi la charité, et tous les dons du Saint-Esprit. Et pourtant,
aucun catholique n’enseigne que ne sont pas dans l’église
ceux qui n’ont ni charité ni dons du Saint-Esprit.
Ils nous objectent en second lieu, la définition du concile
du Latran (que l’on trouve dans le canon firmiter, de la sainte trinité
et de la foi catholique) : « L’église universelle des fidèles est
une, en dehors de laquelle personne ne se sauve. » Cette définition
est semblable à celle du pape Nicolas (consécration, dist 1, canon de
ecclesia) : « L’église est une réunion de catholiques. Car ne sont
pas des fidèles ceux qui n’ont pas la foi dans le cœur, même s’ils
la professent de bouche. » Je réponds que ce ne sont pas des définitions
de l’Église, car tout ce que le concile du Latran a voulu affirmer c’est
que l’église est une. Il n’a pas cherché à définir avec précision
ce qu’est l’église. Il l’a appelée l’église des fidèles,
parce que c’est par ce non que l’on distingue les baptisés de ceux
qui sont manifestement infidèles, ainsi que des catéchumènes.
Car les anciens ne donnaient pas aux catéchumènes le nom de fidèles,
comme nous l’avons montré plus haut. Voilà pourquoi c’est comme
si le concile avait dit : il n’y a qu’une seule église de chrétiens,
non plusieurs. Ajoutons, en second lieu, qu’on peut entendre aussi
le mot fidèle au sens de celui qui professe sa foi publiquement, comme
nous le dirons bientôt du mot catholique. Ajoutons, en troisième
lieu, qu’on aurait pu dire, en toute vérité : une est l’église
des fidèles, au sens de ceux qui ont la vraie foi dans le cœur.
Car l’église n’a l’intention de réunir que les fidèles.
Quand des chrétiens fictifs qui ne croient pas vraiment, se mêlent aux
vrais, cela arrive sans qu’elle le veuille vraiment. Car, si elle
les connaissait, elle ne les admettrait pas, et elle les exclurait immédiatement,
s’ils entraient frauduleusement.
Au sujet de la définition du pape Nicolas : l’église est
une assemblée de catholiques, nous sommes forcés de dire qu’il appelle
catholiques ceux qui professent la foi catholique, quoi qu’il en
soit de la foi interne. Car il ordonne qu’on ne fasse pas d’églises,
(des congrégations de fidèles, comme il explique), sans l’autorisation
du siège apostolique. Il est évident qu’on ne peut avoir d’assemblées
de catholiques sans que soient appelés dans un même lieu ceux qui sont
catholiques, c’est-à-dire ceux qui professent publiquement qu’ils
sont chrétiens. Ils nous objectent, en troisième lieu,
des témoignages de pères de l’église qui disent que « les hérétiques
ne sont pas de vrais chrétiens. » Comme Tertullien (livre
de la pudeur), saint Cyprien (livre 4, épitre 2), saint Athanase (sermon
2 contre les Ariens), saint Augustin (livre de la grâce du Christ, chapitre
2). Et « que l’église du Christ ne peut être composée que de
chrétiens. » N’appartiennent donc pas à l’église ceux qui
n’ont pas la vraie foi. Je réponds que ces pères parlent
des hérétiques manifestes, qui n’ont la foi du Christ ni dans le cœur
ni dans la bouche. Car le mot chrétien est un mot de profession,
et sont dits chrétiens ceux qui témoignent publiquement de la loi et
la foi du Christ, et qui la suivent.
Ils objectent, quatrièmement, qu’avant la venue du Christ,
appartenaient à l’église du Christ non seulement la synagogue, mais
tous les Gentils, qui, dispersés ici et là, rendaient un culte
sincère à un seul Dieu. Il semble suivre de là que la foi soit
le lien de l’église, et que, en conséquence, celui qui ne l’a pas
ne fait pas partie de l’église. Je réponds que, pendant tous
les siècles, les seuls à avoir constitué l’église de Dieu sont ceux
qui étaient réunis dans la confession et la protestation d’une seule
foi dans un seul Dieu, créateur du ciel et de la terre, soit par des sacrifices,
soir par d’autres moyens. Ils objectent enfin ceci.
La principale raison pour laquelle ne sont pas inclus dans l’église
des hérétiques occultes, semble être la suivante : on doit savoir d’une
certitude infaillible quelle assemblée d’hommes est l’église.
Or, cette certitude on ne peut l’avoir, si l’on dit que les hérétiques
occultes font partie de l’église. Ce que l’on confirme par les
arguments suivants. Le premier. Ne sont pas membres de l’église
ceux qui n’ont pas été baptisés. Or, personne ne sait avec certitude
quels sont ceux qui ont été vraiment baptisés, parce que le caractère
est invisible, et parce que, même quand ils est administré en public,
peu sont présents qui voient ce qui se passe vraiment; et parce que les
autres devraient se contenter d’une foi humaine. La deuxième.
L’Église ne peut pas exister sans évêques et sans prêtres, comme
l’enseigne saint Jérôme contre les lucifériens. Or, qui connait
avec certitude ceux qui sont les vrais évêques et les vrais prêtres,
comme cela dépend de l’intention de l’ordinant et d’un caractère
invisible ? La troisième. Les excommuniés ne
sont pas dans l’église, comme nous l’avons enseigné plus haut.
Or plusieurs sont excommuniés de façon occulte, car, selon le code de
droit canonique, ils sont excommuniés par le fait même, même si leur
excommunication n’est pas proclamée publiquement. Ce qui nous
force à nous demander anxieusement quand nous voyons quelqu’un : est-il
dans l’Église ou pas ? La quatrième. Il arrive souvent,
ou il est certain que cela peut arriver, que des hérétiques manifestes
se fassent passer pour des catholiques, et qu’ils se mêlent aux fidèles,
comme les Juifs, les Turcs, les païens. Ou nous disons que ces gens-là
ne sont pas de l’Église, ou nous dirons que l’église est une assemblée
d’hérétiques et de païens hypocrites.
Je réponds à la première. Pour que quelqu’un
soit du corps de l’église, seul le baptême externe est requis, non
le caractère. Le baptême externe n’est pas non plus requis pour
que soit considéré et soit de l’église, mais seulement pour qu’il
y soit admis. Car, si quelqu’un demande d’être admis à l’église,
cela ne peut pas se faire sans le baptême. Cependant, si quelqu’un
affirme avoir été baptisé, et qu’on n’a pas de preuve du contraire,
il sera admis aux autres sacrements, et il sera, par là, du corps de l’Église.
Et le signe en est que si, par après, on apprend qu’il n’a pas été
baptisé, on l’expulse de la congrégation, s’il en est personnellement
responsable. Mais si c’est sans faute de sa part, on ne le
repousse pas, mais om lui donne les connaissances qui lui font défaut.
Et on ne jugera pas qu’il n’a pas été dans l’église, mais qu’il
y est entré autrement que par la porte ordinaire. Voilà pourquoi
Innocent 111 (canon apostolicam), a porté le jugement suivant sur un prêtre
non baptisé. Le prêtre non baptisé a vraiment été dans l’église,
et il a été ordonné d’offrir pour lui le sacrifice comme pour les
autres fidèles.
Et saint Denys d’Alexandrie, (livre 7, chapitre 8 de l’histoire
de l’église), a jugé qu’était vraiment dans l’église quelqu’un
qui n’avait pas été baptisé, mais qui participait aux autres sacrements
en tant que baptisé. Cela semble être la sentence de Jean Driedon
( llivre 4, de l’écriture et des dogmes, chapitre 2, part 2) : « Tous
ceux qui sont inscrits visiblement comme membres de l’église par le
sacrement de la foi, qui conservent corporellement la paix avec le peuple
chrétien, sont dits être dans l’église, tant qu’ils n’ont pas
été séparés d’elle par une condamnation, ou tant qu’ne sortent
pas d’eux-mêmes en méprisant et persécutant l’église. »
Il dit assez clairement que sont dans l’église non seulement les baptisés,
mais tous ceux qu’on considère avoir été baptisés. On pourrait
aussi répondre, et mieux, que ceux qui n’ont pas été baptisés mais
qui sont considérés comme des baptisés, sont dans l’église selon
l’apparence extérieure seulement, c’est-à-dire de façon putative,
mais non vraiment. Il ne s’ensuit pas, cependant, que l’église
soit invisible, car même si quelques-uns ne peuvent pas prouver qu’ils
ont été baptisés, la très grande majorité le peut. Et le baptême,
par sa nature, est visible.
À la deuxième confirmation, je réponds qu’on peut considérer
deux choses dans les évêques. La première. Ils tiennent
la place du Christ, et c’est pourquoi nous leur devons obéissance; et
ils ne peuvent pas nous tromper dans les choses qui sont nécessaires au
salut. La seconde. Ils ont le pouvoir d’ordre et de juridiction.
Si on les considère de la première façon, nous sommes certains
d’une certitude infaillible, que ceux que nous voyons sont de vrais évêques,
et nos pasteurs. Car, à cela ne sont requis ni la foi, ni le caractère
d’ordre, ni l’élection légitime, mais qu’ils soient considérés
tels par l’église. Car, ils sont évêques pour l’église,
non contre. Dieux assiste ceux qui sont tels pour qu’ils n’errent
pas dans l’enseignement de la doctrine. Ils sont donc de vrais
évêques et pasteurs, non absolument parlant, mais par rapport aux trois
choses dont nous avons parlé. Ce qui est comme si nous aurions dit
qu’ils ne sont pas en eux-mêmes de vrais évêques, mais que tant qu’ils
sont considérés comme tels par l’église, nous leur devons obéissance,
puisque même la conscience erronée oblige. De même.
Ils tiennent la place du Christ de fait, non de droit, quand ils régissent
réellement le peuple au nom du Christ. L’Église ne peut pas être trompée
par eux, puisque l’église ne peut pas errer. Et il faut suivre
ceux que l’église présente comme de vrais pasteurs. On peut prendre
cela dans un bon sens : si ces évêques s’entendent tous sur une doctrine,
ou s’ils sont des souverains pontifes. Car, il n’est pas douteux
qui certains évêques particuliers peuvent se tromper s’ils se séparent
des autres. Si on les considère de la deuxième manière, nous n’avons
qu’une certitude morale qu’ils soient de vrais évêques, bien qu’ils
soient certains, d’une certitude infaillible, que quelques-uns au moins,
sont vrais. Autrement, le Christ aurait abandonné son église.
Mais suffit la première considération pour tenir que l’église est
certaine et visible, en ce qui a trait à la tête et aux membres.
Je répons à la troisième confirmation, qu’il
est difficile d’imaginer que ces sortes d’hommes ne soient pas détectés
sur-le-champ. Même s’ils trompent l’église pendant une longue
période de temps, elle ne pourra pas en recevoir de dommage, car l’église
ne les range parmi les siens qu’à cause de la profession externe, (car
elle ne juge pas des intentions). Or, cette profession externe est
en elle-même très sainte, même si elle été usurpée par eux.
Ils sont donc du corps de l’église, tant qu’ils sont joints aux fidèles
par le lien de la profession et de l’obéissance, qui lie l’église
universelle, et la réduit en un seul corps. Il ne s’ensuit
pas qu’elle soit, pour autant, une assemblée d’hérétiques et de
païens hypocrites. Car, même si quelques-uns sont tels dans
l’église, nous sommes certains d’une certitude de foi divine, que
dans la même église, il y a un grand nombre de vrais fidèles,
pieux et élus. Même dans le corps humain on trouve des ongles et
des cheveux qui n’ont pas la vie, mais personne ne déduit de cette constatation,
que dans un corps humain il n’y a que des ongles et des cheveux.
Cela a été dit selon la sentence de Driedon. Car, selon
l’autre sentence, que nous venons tout juste de considérer plus vraie,
il faudra répondre que les Juifs, les Turcs, les païens et les hérétiques
manifestes qui feignent d’être chrétiens et catholiques, ne sont de
l’église que selon son apparence externe, ou d’une façon putative,
mais pas véritablement. Et il ne s’ensuit pas que l’église
devienne invisible. Car, même s’il arrivait qu’il soit nécessaire
de savoir si, oui ou non, des hommes de cette sorte sont des membres
de l’église catholique, on pourra les forcer à montrer leur admission
à l’église, c’est-à-dire ou qu’ils ont été baptisés, ou réconciliés,
toutes des choses qui sont visibles et accessibles aux sens externes.
L’autre raison porte sur la foi, et les autres vertus internes qui sont
requises dans tous les membres de l’église. Ces membres font une église
purement invisible, et connue par Dieu seul, comme Petrus a Solo a eu raison
de l’objecter aux brentiens.
CHAPITRE 11
On propose une autre controverse. L’église est-elle
toujours visible, peut-elle errer ?
Nous avons expliqué ce qu’est l’église. Nous allons
dire maintenant quelle elle est. La dissension entre nous et les
hérétiques consiste en trois choses. La première.
Ils disent que la vraie église est invisible et connue de Dieu seul.
Frederic Staphylus nous explique (dans sa première apologie, part
3) que les luthériens avaient fait, au début, l’église invisible,
mais que, quand ils virent les conséquences absurdes qui en résulteraient,
ils ont statué dans un concile secret qu’il fallait dire que l’église
était visible, mais de façon telle qu’elle soit visible de nom, et
invisible réellement. Et d’abord, Luther, dans son
livre sur le serf arbitre, répondit à Érasme qui lui opposait
qu’il n’est pas croyable que Dieu ait abandonné si longtemps son église,
que Dieu n’avais jamais déserté son église; que ce n’était
pas la vraie église celle qu’on appelait communément église c’est-à-dire
le pape, les évêques, les clercs et les moines, et la grande multitude
des catholiques; mais que la vraie église était certains hommes pieux
que Dieu conservait comme des reliques. Et il est toujours arrivé
dans le monde que la vraie église n’était pas celle qu’on disait
être la vraie église, mais seulement quelques homes pieux. Et (dans
son livre contre Carharin), il dit que l’église est spirituelle, et
qu’elle n’est perceptible que par la foi. Dans son livre sur
l’abrogation de la messe (partie 1), le même Luther parle ainsi : «
Qui nous montrera l’église puisqu’elle est cachée dans l’Esprit,
et qu’on ne peut que croire ? Comme quand on dit je crois
en l’église sainte.
Les magdebourgeois (centurie 1, livre 1, chapitre 4, colonne
170), définissent l’église une assemblée visible. Cependant,
à la colonne 171, ils distinguent deux églises, et à la colonne 178,
ils ajoutent que la véritable église est la plupart du temps un groupe
restreint, et que la fausse est très achalandée, car à la vraie,
seuls participent ceux qui entrent pas la porte étroite, c’est-à-dire
ceux qui sont vraiment pieux, et que, par conséquent, l’église est
invisible. À la colonne 181, ils disent que, au temps du Christ,
il y a eu, dans la vraie église, les pasteurs, les mages, Zacharie, Siméon,
Marie, Anne, mais non les pontifes et les prêtres, car les premiers étaient
pieux, et les autres, impies. Philippe Mélanchton (dans les lieux,
au lieu 12 qui est de l’église), il répète plusieurs fois que l’église
est visible, mais il dit, cependant, au même endroit, que, dans les controverses,
il faut soutenir que le verbe de Dieu est auprès de la confession de la
vraie église; que cette vraie église n’est ni le pape, ni les évêques,
ni la majorité du concile, mais quelques hommes pieux et élus, illuminés
par Dieu. Au même endroit, il dit que, au temps d’Élie,
la vraie église était Élie, Élisée, et le petit groupe de ceux qui
les suivaient, mais non la multitude des Juifs restante; et que, au temps
du Christ, l’église a été Siméon, Zacharie, les pasteurs, parce
qu’ils étaient pieux.
Brentius, (dans la confession de Vittemberg, chapitre sur les
conciles), dit que l’église de Dieu a la promesse, mais qu’il ne faut
pas s’en tenir aux jugements des conciles, parce que les élus y sont
peu nombreux, et parce que souvent la plus grande partie l’emporte sur
la meilleure. Et, dans les prolégomènes : « Vois (en parlant à
Petrus a Soro) ce qui fait l’église visible et perceptible aux sens.
Il faudra donc effacer cet article du symbole apostolique : je crois en
l’église catholique sainte, et le reformuler ainsi : je vois et je sens
l’église catholique. » De même Calvin (livre 4, c.1 , verset
7 des institutions) : « Les saintes lettres parlent de l’église de
deux façons. Car, de temps en temps, quand ils se remémorent l’église,
ils pensent à celle qui est vraiment devant Dieu. » Et plus bas,
parlant d’elle, il dit : « Il est nécessaire que nous croyions que
l’église invisible n’est perceptible qu’aux yeux du seul Dieu.
» Et, au verset 3 : « Du reste, pour percevoir l’unité de l’église,
il n’est nul besoin de l’apercevoir avec les yeux de notre corps, ou
de la palper avec nos mains. »
En second lieu, ils enseignent que l’église visible
a erré dans la foi et les mœurs au point d’être presque totalement
détruite. C’est ce que dit Calvin, dans la préface de ses institutions.
« Il ne dévient pas peu du vrai quand ils ne reconnaissent, en fait d’église,
que celle qu’ils voient avec leurs yeux de maintenant. »
Et, plus bas : « Ils frémissent à moins que l’église ne leur
soit montrée du bout du doigt. » Et plus bas : « Pourquoi ne pas
plutôt permettre à Dieu, puisqu’il est le seul à savoir quels sont
les siens, d’enlever de la vue des hommes, la connaissance
extérieure de son église ? » Ils enseignent en troisième lieu,
que la vraie église, c’est-à-dire, l’invisible, ne peut ni dévier
ni errer dans les choses qui sont nécessaires au salut, mais qu’elle
peut errer dans le reste. C’est ce qu’enseigne Calvin (livre
4, chapitre 8, verset 13, des institutions, et ailleurs. » Nous
autres, nous affirmons le contraire, et nous le prouverons par des arguments
appropriés.
CHAPITRE 12
L’église est visible
Que l’église est visible, on le prouve par toutes les Écritures.
Vous aussi vous avez trouvé le nom de l’église, et toujours par le
nom de l’église, une assemblée visible est signifiée. Et Calvin
n’a pas pu et ne pourra jamais citer un seul texte où ce nom soit donné
à une congrégation invisible. Quand on dit dans Nombres 20
: « Pourquoi avez-vous fait sortir l’église dans le désert ? », il
est certain que le mot église signifie ici ce peuple d’Israël très
connu qui était sorti d’Égypte. Même chose 3 rois 8, c’est
manifestement de l’église visible que parle l’Écriture, quand elle
dit : « Le roi tourna sa face et bénit toute l’église d’Israël,
tandis que toute l’église d’Israël se tenait debout. » Matthieu
16 : « Sur cette pierre, je bâtirai mon église. » Que par le
mot pierre on entende le Christ ou la confession de foi, comme le veulent
les hérétiques, ou Pierre, comme nous le croyons, nous, le
fondement d’un édifice est toujours quelque chose de sensible, et l’église
est donc sensible, ou visible. Car, même si, maintenant, nous ne
voyons ni le Christ ni Pierre, l’un et l’autre s’est autrefois
offert à la vue, et chacun des deux est vu, aujourd’hui, non en
lui-même, mais en son vicaire ou son successeur. Exemple.
Le roi de Naples n’est pas invisible même s’il est éloigné, car
il est vu dans son pro roi. Matthieu 18 : « Dites-le à l’église.
S’il n’écoute pas l’église, etc. »
Il est sur que ni l’un ni l’autre ne pourrait être conservé
si l’église était invisible (actes des apôtres 28) : « Prenez grand
soin du troupeau universel, dans lequel l’Esprit Saint vous a placés
en tant qu’évêques pour régir l’église du Christ. » Comment
auraient-ils pu régir une église qu’ils ne connaissaient pas ?
Actes 15 : « Mis à part par l’église, ils parcouraient la Phénicie.
» Et, au même endroit : « Quand ils arrivèrent à Jérusalem,
ils furent reçus par l’église. » Et, au chapitre 18 : « Pierre
monta et salua l’église. » Comment ces textes pourraient-ils
convenir à une église invisible ? Saint Paul (1 Col 15, Galat 1,Philip
3) dit qu’il a persécuté l’église du Christ, (actes ,chapitre
9). Ensuite (1 Timothée 3) : « Je t’écris ces choses, fils Timothée,
pour que tu saches comment tu dois te comporter dans la maison de Dieu,
qui est l’église du Dieu vivant. » Et pour le faire, il devait
savoir ce qu’elle était. En second lieu, on le prouve par d’autres
textes bibliques, où l’église n’est pas nommée explicitement,
mais seulement décrite. Psaume 18 : « Il a placé son tabernacle
dans le soleil. » Selon saint Augustin (traité 2 sur l’épitre
de saint Jean,), c’’est au grand jour qu’il a placé son église,
car comme le soleil ne peut pas se cacher, l’église ne peut pas être
cachée. De même, dans Isaïe (2), Daniel 2) et Michée (4), l’église
est comparée à une montagne haute et imposante, qui ne peut en aucune
façon se dissimuler. Voir le commentaire qu’en donnent saint Jérôme
et saint Augustin dans le traité un de l’épitre de saint Jean.
De même, dans Matthieu 5 : « Une ville construite sur une montagne ne
peut pas être cachée. » Saint Augustin (dans le livre sur l’unité
de l’église, chapitre 14 et ailleurs) applique souvent cette image à
l’église. Ensuite, les paraboles du terrain, du filet, du troupeau
montrent toutes que la vraie église, qui est le royaume des cieux, est
visible.
On le prouve, ensuite, par la naissance et la croissance de l’église.
Car, sans parler de l’ancien testament où l’église était si
visible que l’on portait dans sa chair le signe visible de la circoncision,
il est certain que, dans le nouveau testament, l’église chrétienne
était, au début, tout entière dans les apôtres et dans les disciples
du Christ, qui étaient visibles au point où l’Esprit saint a
pu descendre sur eux le jour de la pentecôte. Ensuite, à
ceux-ci se sont adjoints visiblement, en un seul jour, trois mille hommes,
et de nouveau cinq mille hommes, par la confession de la foi et le baptême,
comme on le voit dans les actes (1, 2, 3, 4), et, par la suite, seuls furent
comptés parmi les membres de l’église ceux qui, par le baptême et
la profession de foi, rejoignirent les premiers, ceux qui ne se sont
pas éloignés par le schisme ou l’hérésie, ou qui ne furent
pas expulsés par l’excommunication. Quatrièmement, on le
prouve par la nature elle-même de l’église. L’Église n’est
pas une société d’anges ou d’animaux, mais d’hommes. On ne
peut pas parler de société d’homme à moins qu’elle ne se manifeste
par des signes externes et visibles. Car il n’y pas d’association
à moins que ne se reconnaissent ceux qui se disent associés. Et ils ne
peuvent se connaitre que si les liens de la société sont visibles et
externes. Et on le confirme par la façon de faire de toutes
les sociétés humaines, car ce n’est que par des signes visibles que
les hommes s’inscrivent à ces sociétés. Voilà pourquoi saint
Augustin dit contre Faust, chapitre 11 : « Les hommes ne peuvent s’associer
sous aucun nom religieux, vrai ou faux, sans signe quelconque ou sacrement
visible. »
Cinquièmement. Au temps du Christ, comme le veulent
Philippe et Illyricus, l’église n’était que dans Zacharie, Siméon,
Anne et Marie, et dans autres personnes pieuses, mais non dans les pontifes,
ou la multitude des Juifs. Or, il appert que Zacharie, Siméon et les autres
communiaient avec les pontifes dans le temple et les sacrifices (Anne ne
sortait pas du temple; Marie allait à toutes les années au temple.
Le Christ lui-même envoyait les lépreux guéris aux prêtres, et
ils disaient : faites ce qu’ils disent. Ou ils faisaient mal, eux,
en communiant avec une fausse église, ou les luthériens agissent mal
en ne communiant pas avec nous, en n’obéissant pas au souverain pontife.
Sixièmement. On le prouve pas la nécessité. Car nous
sommes tous tenus, sous peine de mort éternelle de nous adjoindre à la
vraie église, et d’y persévérer, c’est-à-dire d’obéir à sa
tête, et de communiquer avec les autres membres. (Cyprien, la simplicité
des prélats, saint Augustin, livre 4 du baptême, chapitre 1). Mais on
ne peut pas faire cela si l’église est invisible. Septièmement.
À partir de ce que nous avons dit dans une question précédente.
Si l’église est une congrégation d’hommes qui se servent de sacrements,
et qui professent la foi du Christ, sous la conduite de pasteurs légitimes,
il s’ensuit nécessairement qu’elle est invisible. Et pour finir,
les témoignages des anciens. Origène (homélie 30 sur Matthieu)
: « L’église est pleine d’éclairs de l’orient à l’occident
». Saint Cyprien (livre sur l’unité de l’église) : « L’église,
perfectionnée par la lumière du Seigneur, répand ses rayons sur toute
la terre. » Saint Jean Chrysostome (homélie 4, chapitre 6 d’Isaïe)
: « Il est plus facile au soleil de s’éteindre qu’à l’église
de s’obscurcir. » Saint Augustin (livre 3, chapitre 5, contre
l’épitre de Parmenius) : « Il n’y a pas d’autre assurance de l’unité
que les promesses du Dieu qui déclare qu’une maison établie sur le
sommet d’une montagne ne peut pas être cachée. » Traité 1 sur
la lettre de saint Jean : « Offensons-nous l’église en la montrant
du doigt ? N’est-elle pas perceptible par tous ? » Et, au traité
2 : « Que dire de plus aux aveugles qui ne voient pas une montagne si
haute ? Qui devant une chandelle posée sur un candélabre,
ferment les yeux ? »
CHAPITRE 13
L’église visible ne peut pas faire défaut
Qu’une vraie église visible ne puisse pas faire défaut, on
peut facilement le prouver. Il est à noter que plusieurs des nôtres ne
prennent pas le temps de prouver que l’église ne peut absolument pas
faire défaut. Car, Calvin et les autres hérétiques l’admettent
cela, même s’ils disent qu’il faut l’entendre de l’église invisible.
Nous voulons donc prouver que l’église visible ne peut pas faire défaut.
Par le mot église nous n’entendons pas un ou l’autre des chrétiens,
mais la multitude unie des chrétiens, dans laquelle sont les prélats,
et leurs sujets.
On le montre cela, d’abord, par les écritures, où l’on
parle explicitement de l’église. Matth 16 : « Sur cette pierre
j’édifierai mon église, et les portes de l’enfer ne prévaudront
point contre elle. » Saint Paul dit quelque chose de semblable (1
Timothée 3) : « Pour que tu saches comment te comporter dans la maison
de Dieu, qui est l’église du Dieu vivant, la colonne et le firmament
de la vérité. » Dans les deux passages, il s’agit de l’église
visible, comme nous l’avons montré, et, cependant c’est la vérité
elle-même que nous avons entendue affirmer que les portes de l’enfer
ne prévaudront point contre l’église. » En second lieu, à partir
d’autres passages, où la promesse est clairement exprimée,
mais sans le mot église. Matthieu (dernier chapitre) : « Je suis avec
vous jusqu’à la consommation du siècle. » Ces paroles sont dites
à l’église visible, les apôtres et les autres disciples, ceux
à qui il a parlé le jour de son ascension. Mais comme ces hommes
ne sont pas demeurés dans leurs corps jusqu’à la fin du monde, il est
nécessaire que cette promesse ait été faite aussi à leurs successeurs.
C’est de la durée perpétuelle de l’église qu’entend ce passage
saint Léon (épitre 31 à Pulchérie Auguste, et dans l’épitre à Constantin
Auguste.) De plus, saint Paul (Ephes 4) : « Lui-même en a
fait quelques-uns apôtres, d’autres prophètes, d’autres évangélistes,
pasteurs, docteurs, pour le perfectionnement des saints dans le travail
du ministère, pour l’édification du corps du Christ, jusqu’à
ce que nous accourrions tous dans l’unité de la foi, et de la
connaissance du Fils de Dieu, jusqu’à la taille de l’homme parfait,
et à la mesure de l’âge de la plénitude du Christ. »
L’Apôtre enseigne là que demeureront dans l’église ces ministères
de pasteurs et de docteurs, la construction continuelle du corps
du Christ, et donc une église visible, jusqu’au jour du jugement.
Car, s’il n’y avait que la seule église invisible, on ne trouverait
pas ces ministères, qui ne peuvent être exercés que si les pasteurs
et les agneaux se connaissent. Et il faut noter que même si
certains pères de l’église voient dans ce passage la mesure spirituelle
du corps mystique, et certains plus récents la mesure corporelle des corps
bienheureux (qui disent qu’ils seront de la taille qu’ils avaient à
l’âge parfait ), tous entendent ce passage des derniers temps, quand
sera complété le nombre des élus. Voir Saint Autustin (livre 22,
chapitres 15, 17, 18 de la cité de Dieu) où il touche à l’une et l’autre
des explications.
De plus, au psaume 47 : « Dieu l’a fondée pour l’éternité.
» C’est-à-dire son église qui est sa cité, comme l’explique saint
Augustin, et comme la chose elle-même le proclame. Car tout le psaume
porte sur la fondation de l’église chrétienne, en tant que connue,
une cité visible, car elle commence ainsi : « Grand est le Seigneur et
digne de louanges, dans la cité de notre Dieu, dans son saint mont : elle
est fondée dans l’exultation de toute la terre. » Et, de nouveau,
en Isaïe, 61. Que ce chapitre s’entend de l’église du nouveau
testament le Christ l’a enseigné (Luc 4) quand il le cita dans la synagogue,
et appliqua à sa venue le commencement de ce chapitre : « L’Esprit
du Seigneur est sur moi. » Le voici : « Je ferai avec eux une alliance
perpétuelle, et on connaitra parmi les Gentils leur semence, et leur germe
au milieu des peuples. Tous ceux qui les verront les connaitront,
car ce sont eux qui sont la semence qu’a bénie le Seigneur. »
Ce texte parle si clairement qu’il n’a pas besoin d’explication.
Car, comment sera invisible l’assemblée de laquelle il est dit : «
Tous ceux qui les verront les connaitront, car ils sont la semence que
le Seigneur a bénie. »
Se présentent, en troisième lieu, des témoignages tirés de
paraboles, qui, de l’avis de tous, signifient l’église. Car,
l’aire où se trouvent le grain et la paille, le filet dans lequel
sont les bons et les mauvais poissons, le champ où se trouvent le
froment et la zizanie, le festin où sont attablés les bons
et les mauvais convives, et le bercail où se trouvent les brebis et les
béliers, signifient l’église visible, comme les hérétiques
eux-mêmes le reconnaissent. Car l’église invisible n’a pas
de bons et de mauvais, mais seulement des bons, selon leur opinion.
Et ces mêmes paraboles enseignent que l’église visible ne périra jamais
jusqu’au jour du jugement. Car, en Matthieu 3, on lit : « Il nettoiera
son aire, il ramassera le froment dans son fenil, et les pailles,
il les brulera dans un feu inextinguible. », ce qui ne peut arriver avant
le jour du jugement. Et (Matth 13) il est dit : « Laissez-les croitre
tous deux jusqu’à la moisson. » Et plus bas : « La moisson c’est
la consommation des siècles. » Et plus bas : « C’est ce qui
arrivera à la consommation des siècle : les anges sortiront et
sépareront les mauvais du milieu des justes. » Quatrièmement,
on le prouve pas les textes de l’écriture qui parlent du royaume du
Christ. Le psaume 88 : « Son trône est comme le soleil devant mon
regard, et comme la lune éternellement parfaite, et un témoin fidèle
dans le ciel. » Au même endroit : « Et je placerai dans les siècles
des siècles sa semence, et son trône comme un jour céleste. »
Daniel 2 : « Dans les jours de ces règnes. Dieu suscitera un royaume
du ciel qui ne disparaitra jamais pendant toute l’éternité. Et
son royaume ne sera pas livré à un autre peuple. » Et Luc 1 :
« Et son règne n’aura pas de fin. » On ne peut entendre ces
textes que d’une vraie visible église du Christ qui ne passera jamais.
Car la vraie église est surement le royaume de Dieu. Et on ne peut
pas appeler église quelques hommes occultes, dispersés ici et là,
séparés les uns des autres, et qui ne se connaissent pas, comme est l’église
invisible de Luther. Car, un royaume est une multitude
d’hommes rassemblés qui se connaissent les uns les autres. De
plus, dans le psaume 88 où il est question du règne éternel du Christ,
on dit aussi qu’en lui il y a des bons et des mauvais, et que,
en conséquence, l’église est visible : « Si ses fils l’abandonnent,
ne gardent pas ma loi et mes jugements, je les visiterai avec la
verge de leurs iniquités, et avec des coups de fouet leurs péchés.
Mais je n’éloignerai pas d’eux ma miséricorde. » Ce passage
saint Cyprien l’applique aux châtiments que l’église impose aux apostats.
Et aussi le chapitre 2 de Daniel où il est dit que le royaume du Christ
est perpétuel, nous lisons aussi que son royaume est une haute montagne,
qui remplit toute la terre, qu’Isaïe (chapitre 2) et Michée (chapitre
4) ont appelé un mont manifeste, selon les septante.
Cinquièmement, on le prouve par les témoignages des anciens.
C’est ce qu’affirment Origène et saint Jean Chrysostome, aux lieux
cités, mais plus clairement saint Augustin et saint Bernard. Saint
Augustin (préface, 101 débat 2), disputant contre les donatistes qui
prétendaient que toute l’église visible avait péri, et était demeurée
dans les seuls justes de l’Afrique, leur répondit : « Mais cette église
qui fut celle de toutes les nations, n’est plus et a péri, disent
ceux qui ne sont plus en elle. O parole impudente ! Elle n’est
pas parce que tu n’es pas dedans ? Vois à ce que ce ne soit pas pour
cela que tu n’y es pas, car elle sera, même si tu n’y
es pas. » Et plus bas, il fait parler l’église ainsi :
« Combien de temps serai-je dans ce siècle ! Annonce-le-moi à cause
de ceux qui disent qu’elle a été et qu’elle n’est plus. Elle
a apostasié et a péri chez toutes les nations. Elle me l’a annoncé,
et ne fut pas vaine cette voix. Qui me l’annoncera si ce n’est
la Voie elle-même ? Quand l’a-t-elle annoncé ? « Je serai
avec vous jusqu’à la consommation du siècle. » Il dit
des choses semblables dans son commentaire du psaume 147, et dans son livre
sur l’unité de l’église, chapitres 13 et 20, et ailleurs.
On ne peut pas répondre que saint Augustin parle de l’église
invisible, car elle n’a pas péri et ne périra pas, comme l’admettent
les donatistes eux-mêmes, car ils s’appliquaient à eux-mêmes ces mots
du Seigneur Jésus : « Je serai avec vous jusqu’à la consommation du
siècle. », comme saint Augustin le rapporte dans le lieu cité au psaume
101. Saint Bernard (sermon 79 sur le cantique des cantiques)
: « Il en est ainsi. Alors et jusqu’à aujourd’hui n’ont pas
fait défaut les chrétiens, ni la foi de la terre, ni la charité de l’église.
Les inondations, les ouragans sont venus et ils se sont rués sur elle
avec impétuosité, mais elle n’a pas tombé, parce qu’elle est fondée
sur la pierre, la pierre qui était le Christ. C’est pourquoi ni
les discours des philosophes, ni les insinuations perfides des hérétiques,
ni les glaives des persécuteurs, n’ont pu ni ne pourront la séparer
de la charité du Christ. » On ne peut pas entendre cela non plus
de l’église invisible. Car les glaives des tyrans ne peuvent pas
la persécuter, ni la verbosité des philosophes, ni les subtilités des
hérétiques. L’église visible ne fera donc jamais défaut.
Que se présente Vincent de Lérins qui, dans son avertissement, reprend
comme une grave erreur la sentence de Nestorius qui disait que « toute
l’église s’était trompée dans le mystère de l’incarnation, parce
qu’elle avait suivi des maîtres aveugles »
On le prouve, enfin, par la raison naturelle. S’il ne restait
dans le monde qu’une église invisible, deviendrait aussi
impossible le salut pour ceux-là qui se trouvent en dehors de l’église.
Car, ils ne peuvent être sauvés que s’ils entrent dans l’église,
comme au temps de Noé, périssaient ceux qui n’allaient pas s’abriter
dans l’arche. Or, on ne peut pas entrer dans une église qu’on
ne connait pas. Ils n’ont donc aucun remède. De plus,
c’est de la nature d’une vraie église qu’elle soit visible.
Si donc l’église visible périt, il n’en restera plus d’autre.
Que dire d’autre ? Ces hommes occultes qui constituent l’église
invisible professent ouvertement la vraie foi et s’abstiennent du culte
des idoles ou non ? S’ils professent la foi, l’église n’est
donc pas invisible, mais tout à fait visible, comme elle était au temps
des martyrs. S’ils ne professent pas la foi, il n’y a pas d’église,
car il n’y a pas d’église vraie, dans laquelle ceux qui s’y trouvent
ne sont pas bons, mais sont sauvés quant même. Ils ne sont
pas bons et ne sont pas sauvés ceux qui ne confessent pas la foi; qui
y sont présents de cœur, mais qui, à l’extérieur, professent la perfidie
et l’idolâtrie, comme le dit saint Paul aux Romains (10) : « Quand
on croit de cœur pour être justifié, la confession orale apporte le
salut. » Et Matt 10 : « Celui qui me reniera devant les hommes,
je le renierait devant mon père. » Ce sont donc des propos contradictoires
qui affirment en même temps que l’église existe, et qu’elle
manque de forme visible, à moins qu’on ne la place en dehors du monde,
là où il n’a jamais été nécessaire de professer la foi.
CHAPITRE 14
L’Église ne peut pas errer
Il nous reste à prouver que l’église ne peut pas errer du tout.
Il faut d’abord expliquer les sentences des adversaires et la nôtre.
Cette proposition de Calvin : l’église ne peut pas errer, est vraie
si on la comprend en faisant deux restrictions. La première. Si
l’église ne propose pas de dogmes en dehors de l’Écriture, par exemple,
si elle rejette les traditions orales et ne présente comme objet de foi
que ce qui se trouve dans l’Écriture. Il répond que l’église
propose toujours fidèlement ce qui se trouve dans les Écritures,
dans les choses nécessaires au salut, mais pas dans les autres, et par
conséquent, demeurent toujours dans l’église, certains nuages d’erreur.
La seconde restriction est la suivante. Si on n’étend pas l’inerrance
de l’église aux évêques qui sont les représentants de l’église,
comme le disent les nôtres. Car chaque évêque tient la place de
son église particulière, ce que font tous les évêques. C’est
ce qu’enseigne Calvin (livre 4, chapitre 8, versets 11-15 de son institution
majeure; et chapitre 8, versets 146, 148, 149, 150 de l’institution
mineure.) À cet endroit, il explique notre doctrine d’une façon
mensongère et frauduleuse, en nous faisant dire que l’église
ne peut pas errer, qu’elle se serve de la parole de Dieu ou pas.
Car, il n’est pas sans ignorer que nous ne parlons pas de la parole de
Dieu tout court, mais seulement de celle qui se trouve dans l’Écriture,
et que nous disons que l’église ne peut pas errer soit qu’elle explique
ce qui se trouve dans l’Écriture, soit qu’elle définisse des dogmes
en dehors de l’Écriture. Notre sentence est donc que
l’égalise ne peut pas du tout errer, ni dans les choses absolument nécessaires,
ni dans les autre qu’elle nous présente comme devant être crues ou
mises en pratique, qu’elles soient dans l’Écriture ou pas.
Quand nous disons que l’Église ne peut pas errer, nous l’entendons
autant de l’universalité des fidèles que de l’universalité des évêques,
de sorte que le sens de cette proposition est que ce que tous les fidèles
considèrent comme de foi est nécessairement vrai et de foi.
Et, semblablement, ce qu’enseignent tous les évêques comme faisant
partie de la foi, est nécessairement vrai et de foi.
Après ces explications, prouvons cette vérité.
L’église universelle, en tant qu’elle contient tous les fidèles,
comme le dit saint Paul (1 Tim 3) : « L’église de Dieu est une colonne
et un firmament de la vérité. » Calvin répond que l’église
s’appelle une colonne et un firmament de vérité parce qu’elle conserve,
comme un gardien très fidèle, la prédication de la parole de Dieu écrite,
et non parce qu’elle ne peut errer en rien. Mais, au contraire,
c’est de cette façon que les librairies sont des colonnes de vérité,
celles qui conservent avec soin les écritures. Mais, dans ce passage,
l’apôtre ne pensait pas aux Écritures, mais disait tout simplement
qu’elle est une colonne et un firmament de vérité. De plus, être
une colonne est plus important qu’être un simple gardien, car c’est
sur une colonne que s’appuie une maison, et si on l’enlève, la maison
s’écroule. Quand l’apôtre appelle l’église une colonne de
vérité, il veut signifier que, pour nous, la vérité de la foi s’appuie
sur l’autorité de l’Église; qu’est vrai ce que l’église approuve,
et faux ce qu’elle réprouve.
Ajoutons que l’église a été aussi une colonne quand n’existaient
pas les Écritures. D’où il suit qu’on ne dit pas colonne à
cause de la garde des Écritures. De plus, s’il est question de
garde, saint Paul préfère comparer l’église à une arche plutôt qu’à
une colonne. Ensuite, en second lieu, l’Église est gouvernée
par le Christ, comme sa tête et son époux, et par l’Esprit-Saint,
comme par son âme, comme on le voit dans Éphésiens (4) : « Un corps,
et un Esprit. » Et aux Éphésiens 5 : « L’homme est la tête
de la femme, comme le Christ est la tête de l’Église. » Donc,
si l’Église errait dans les dogmes de la foi et des mœurs, il faudrait
attribuer cette erreur au Christ et à son Esprit. Voilà pourquoi
Jésus dit en saint Jean dit (16) : « L’Esprit de vérité vous enseignera
toute vérité. » Calvin répond que le Christ et l’Esprit Saint
enseignent à l’église toute vérité absolument nécessaire, mais qu’il
laisse toujours un certain flou. Il ne suit pas de cela qu’il faille
attribuer l’erreur au Christ ou à l’Esprit Saint, comme on ne leur
attribue pas l’ignorance qui est certainement dans l’Église.
Je réponds. Comme l’homme qui est la tête de la femme,
n’est pas tenu d’enlever à son épouse toute forme d’ignorance,
mais il est tenu d’enlever toute erreur de laquelle résulterait un grand
mal, même si la femme aurait l’ignorance pour excuse. De
la même façon, le Christ est tenu à enlever de son église toute erreur
qui engendrerait un grand mal, une erreur dans les choses de la foi.
Car, ce serait un grand malheur et un grand mal que l’église rende un
culte à Dieu avec une fausse foi, puisque le culte divin consiste principalement
dans la foi, l’espérance et la charité, comme saint Augustin l’enseigne
dans l’enchiridion.
Troisièmement, nous sommes obligés sous peine d’anathème,
de croire tout ce que l’Église enseigne, comme on le voit en Matth 18
: « S’il n’écoute pas l’Église, qu’il soit pour toi comme un
païen ou un publicain. » Tous les conciles disent anathème
à ceux qui n’adhèrent pas aux décrets de l’Église. Ce serait
une grande iniquité d’obliger, sous peine grave, de croire à des choses
incertaines ou fausses. Calvin répond que la raison pour laquelle
il a ordonné d’écouter l’église, c’est parce qu’il savait qu’elle
n’enseignerait jamais rien qui se trouve en dehors de la parole de Dieu.
Mais, au contraire, (en omettant les nombreuses choses que j’ai dites
dans la dispute sur les traditions), la vraie église enseigne que l’épitre
aux Romains est la parole de Dieu, que l’épitre aux Laodicéniens n’est
pas la parole de Dieu. Et il en est de même des évangiles
de Marc et de Nicodème. Et on peut dire la même chose d’enseignements
qui n’ont jamais été écrits. Ce n’est donc pas vrai que l’église
n’enseigne rien en dehors de la parole écrite. Quatrièmement.
Que l’Église soit sainte, le symbole des apôtres l’enseigne.
Or, cette sainteté consiste proprement dans la profession des dogmes.
Donc, la profession chrétienne ne contient que ce qui est saint, c’est-à-dire
vrai par rapport à la doctrine de la foi, et juste, par rapport
aux préceptes moraux. C’est en cela surtout qu’elle excelle
sur toutes les professions des philosophes, des païens, des Juifs
et des hérétiques. Tous ont des dogmes faux mêlés aux vrais.
Cinquièmement. Si la sentence de Calvin était vraie, la plus
grande partie des dogmes de foi pourrait être remise en doute. Car,
il y a plusieurs choses de foi qui ne sont pas absolument nécessaires
au salut. C’est une bonne chose de croire que les histoires de
l’Ancien Testament et les évangiles du nouveau, comme ceux de Marc et
de Luc, sont des écrits canoniques, et même des écritures divines.
Mais, ce n’est pas absolument nécessaire au salut, car, sans cette foi,
plusieurs ont été sauvés, avant que les Écritures n’aient été écrites,
et même après, au temps du nouveau testament, plusieurs nations barbares,
dont parle saint Irénée (livre 3, chapire 4). C’est une chose
absurde, et que Calvin n’admettrait pas, qu’on puisse douter
des Écritures. Ce n’est donc pas vrai que l’Église ne puisse
errer que dans les choses qui sont nécessaires au salut.
On le prouve enfin avec les Pères de l’église, qui, comme nous
l’avons démontré dans la question du juge des controverses, réfèrent
tout le monde à l’église dans toutes les questions de foi, ce qu’ils
ne feraient certainement pas, s’ils pensaient qu’elle peut se tromper.
Tertullien (livre de la prescription) : « Toutes les églises qui ont
erré, le Saint-Esprit n’a regardé aucune d’entre elles. »
Saint Augustin ( 1 contre Cresconium, c. 33) : « La vérité des Écritures
est tenue par nous quand nous faisons ce qui a plu à l’église
universelle, que l’autorité des Écritures recommande, de façon
à ce que comme la sainte Écriture ne peut pas errer, tout homme qui craint
de faillir à cause de l’obscurité d’une question, consulte
l’église , que sans ambiguïté l’Écriture démontre. »
Et, dans l’épitre 118 : « Disputer contre ce que pense l’église
universelle, c’est à ce qu’il dit, une infamie d’une grande insolence.
» Et même que l’église, dans ses représentants, ne puisse
pas errer, on le prouve ainsi. Si tous les évêques erraient,
toute l’église errait, parce que le peuple est tenu de suivre ses pasteurs,
comme l’a dit le Seigneur en Luc 10 : « Qui vous écoute m’écoute
», et en matth 23 : « Faites ce qu’ils vous disent. » On le
prouve aussi par l’épitre du concile d’Éphèse à Nestorius, où
est forcé Nestorius, s’il veut satisfaire à l’Église, de confirmer
par serment qu’il pense ce que pensent là-dessus les évêques d’Orient
et d’Occident. Et même par saint Augustin qui, (dans le livre
1 du baptême, chapitre 18), donne à un décret d’un concile général
le nom de consentement de l’église universelle. Et, avec raison,
car l’Église n’enseigne ou ne décerne quelque chose que par des pasteurs,
comme chaque corps par sa tête. Voilà pourquoi, même dans 3 Rois
8, toute l’église d’Israël est appelée congrégation de saints,
et d’anciens. Et saint Jean Chrysostome explique ainsi ce passage
de saint Matth : « Dis-le à l’église, c’est-à-dire au prélat.
» Mais nous avons parlé de cela plus longuement dans les
chapitres sur les conciles.
CHAPITRE 15
On réfute les arguments des promoteurs de l’église invisible
Il nous reste à détruire les arguments de nos adversaires.
Voici par quels arguments ils prouvent que l’église est invisible.
Saint Jérôme 31 : « Je donnerai ma loi dans leurs cœurs, je serai Dieu
pour eux, et ils seront pour moi un peuple. »
Dieu distingue là l’église de l’ancien testament de celle du nouveau,
la première étant une congrégation externe, et ayant, pour cela, des
lois écrites sur des tables de pierre externes. La seconde fut celle
d’un peuple intérieur qui, à cause de cela, avait sa loi écrite dans
son cœur. On voit la même chose en Luc 17 : « Le royaume de Dieu
ne vient pas avec ostentation; et ils ne diront pas : le voici, ou voici
l’église. Car, le royaume de Dieu est à l’intérieur de vous.
» Et Jean 4 : « L’heure viendra, et elle est déjà là, quand
les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité. »
L’église du nouveau testament ne consiste donc pas dans un signe
extérieur, ni n’est liée par des lieux, et des cérémonies corporelles.
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Hébreux 12 : « Car vous n’avez accédé ni à une montagne escaladable,
ni à un feu accessible, mais au mont Sion, et à la cité du Dieu vivant.
» Il compare ici à la synagogue du mont Sinaï, visible et tangible,
à l’Église du mon Sinaï spirituel. De même 1 Pierre 2
: « Et ils sont, eux, comme des pierres vivantes d’une maison spirituelle,
un sacerdoce saint, offrant des hosties spirituelles à Dieu. » Cette
maison c’est l’église. Enfin, l’existence de l’église est
un article de foi. On ne la voit donc pas, mais on y croit.
Je réponds à la première partie de l’objection. Jérémie ne compare
pas l’église avec la synagogue, mais le nouveau testament avec
l’ancien. Le nouveau testament est d’abord et avant
tout la charité, qui est une loi écrite dans le cœur; l’ancien
testament a été d’abord et avant tout une loi extérieure, ou
une loi écrite sur la pierre. Cela est vrai. Mais, il ne s’ensuit
pas que l’Église du nouveau testament soit invisible. Comme le
corps de n’importe lequel animal est visible, mais a plusieurs organes
à l’intérieur que nous ne voyons pas, comme le cœur, le foie, les
esprits vitaux, de la même façon l’Église visible a plusieurs parties
invisibles, comme la foi, l’espérance et la charité. Et bien
que ces parties invisibles soient nécessaires à l’église, et seulement
à elle, elles ne le sont pas dans toutes les parties.
C’est comme pour le sens. Même s’il est nécessaire à l’animal,
et seulement à l’animal, il n’est cependant pas présent dans
toutes les parties.
À la deuxième je dis que par royaume de dieu (en Luc 17), il faut
entendre ou la grâce, par laquelle Dieu règne maintenant dans le cœur
des hommes, comme l’explique Theophylactus, ou le Christ lui-même,
comme l’enseigne Bède le vénérable. Car, le Christ
parle, en ce passage, de ses deux avènements. Les pharisiens
lui avaient demandé : « Quand viendra le royaume de Dieu ? », c’est-à-dire
le royaume du Messie. Le Seigneur leur a répondu que le Messie
était déjà venu, et qu’il viendra de nouveau au jour du jugement.
Au sujet du premier avènement, il dit : « Le royaume de Dieu ne vient
pas avec ostentation, car le royaume de Dieu est à l’intérieur
de vous. » Ce qui veut dire que le Messie est déjà venu, qu’il
est présent. Au sujet du second, il ajoute : « Et on vous
dira : il est ici, il est là. Ne sortez pas. Car comme un
éclair dans le ciel sera l’avènement du fils de l’homme. »
À la troisième partie, je dis qu’on enseigne là que le culte
principal de l’église sera intérieur. Mais on ne
peut pas déduire de cela que l’église sera invisible, comme nous
l’avons déjà dit. Il ne s’ensuit pas non plus qu’il faille
rejeter tout culte extérieur, et détruire les temples externes.
En ce passage, ce n’est pas tant du lieu de prière que parle le Seigneur
que de la façon de prier, et du rite. Car, s’il avait voulu dire
que les vrais adorateurs n’adoreront Dieu ni à Jérusalem ni sur
le mont Garizim, il aurait dit une fausseté. Car, il est avéré
que, après avoir reçu le Saint-Esprit, Pierre et Jean sont montés au
temple de Jérusalem à l’heure neuvième de la prière, comme on le
lit dans les actes des apôtres, 3. Il est avéré aussi qu’il
y a toujours eu en Palestine des chrétiens qui ont adoré Dieu à Jérusalem
et sur le mont Garizim, et partout où cela leur convenait.
Le sens est donc que ce n’est ni sur ce mont, ni à Jérusalem que vous
adorerez le Père, c’est-à-dire ni dans le rite des samaritains,
ni dans le rite des Juifs, mais dans le rite des Chrétiens. Ce rite
consiste à adorer le Père en esprit et en vérité. Ce qu’on
peut entendre de deux façons.
Saint Jean Chrysostome, saint Cyrille et Euthymius opposent
le « en esprit » aux cérémonies des Juifs, en tant qu’elles
étaient corporelles. Et le « en vérité » aux mêmes cérémonies
en tant que figures et ombres des choses futures. Théophylacte,
saint Thomas et Cajetan opposent le « en esprit » au rituel des Juifs
qui portait surtout sur des choses externes et corporelles; et le « en
vérité » au rituel des samaritains, qui était faux et erroné.
Ils adoraient, eux, simultanément le vrai Dieu et les faux Dieux.
Voilà pourquoi le Seigneur dit que le rite du peuple chrétien sera principalement
spirituel, et en même vrai et pur de toute erreur, même si un rite spirituel
n’exclut pas des cérémonies corporelles, dans la mesure où elles servent
à promouvoir un culte spirituel. À la quatrième, je
dis avec saint Jean Chrysostome, saint Thomas, et Theophylactus et d’autres,
que par le mont spirituel et la cité du Dieu vivant l’Apôtre n’entend
pas l’église militante, mais triomphante, qui est composée d’esprits
bienheureux. Car, il compare la synagogue avec l’Église, et il
dit que les hommes de l’ancien testament ont accédé au mont Sinaï
corporel, ont vu Dieu en quelque façon, par des images corporelles;
mais que les hommes du nouveau testament ne sont pas montés réellement,
mais dans l’espérance, vers le mont Sion spirituel, c’est-à-dire
à la gloire des bienheureux, où l’on voit Dieu face à face.
Voilà pourquoi on a ajouté : « Et le nombre de milliers d’anges, et
les esprits des justes et des parfaits. »
À la cinquième, je réponds qu’on peut dire, de deux façons, que
quelque chose est spirituel. Une première, selon la substance, quand
on parle (Éphèse 6) d’esprits mauvais dans le ciel. Une
deuxième, selon l’ordination à l’Esprit, car on oriente quelque chose
en direction de l’Esprit, ou l’esprit est dominé par cette chose.
C’est ainsi que Paul (1 Cor 2) parle d’homme spirituel, et (1 Cor 15),
de corps spirituel. Et, en 1 Pierre 2, sont appelées hosties spirituelles
toutes les bonnes œuvres, les aumônes et les jeûnes. Quand
Pierre dit que l’église est une maison spirituelle, il entend
le mot dans le deuxième sens. Car, il veut que l’église ne soit
pas seulement une maison formée de bois et de pierres, mais d’hommes
consacrés à Dieu. À la sixième, on peut dire que dans le symbole,
on ne trouve pas seulement je crois dans l’église, mais « dans la sainte
église. » Or, sans doute possible, la sainteté de l’Église
est invisible. Mais on s’exprimerait mieux en disant que, dans
l’Église, il y a quelque chose que l’on voit, et quelque chose qui
n’est perçu que par la foi. Car, nous voyons l’assemblée des
hommes qui est l’église, mais que cette assemblée soit la vraie église
du Christ, nous ne le voyons pas, mais nous le croyons. Car la vraie
église du Christ est celle qui professe la foi du Christ. Nous le
croyons cela, d’une foi ferme et très certaine. Mais autre est
croire, autre est voir. Bien plus, ce « croire » est défini par
l’Apôtre un argument de choses non apparentes.
Pour mieux nous faire comprendre, il faut noter que toute sentence
sur la foi nait soit de deux propositions de foi, et alors la conclusion
est évidente, ou de l’une qui est de foi et d’une autre qui n’est
qu’ évidente, et la conclusion est alors en partie évidente, et en
partie non évidente. Comme la conclusion suivante : Les hommes qui
professent maintenant la foi, sous le pontife romain, sont l’église
du Christ. Car, cette conclusion provient du syllogisme : l’église
du Christ est une assemblée d’hommes professant la foi du Christ, sous
la conduite des pasteurs légitimes. Or, ceux qui, maintenant, sont
soumis au souverain pontife, sont cette assemblée. Donc, ils
sont l’église du Christ. Dans ce syllogisme, la majeure est de
foi, et donc non évidente; et la mineure est évidente, car nous
n’avons rien mis dans la mineure qui ne soit pas perceptible par les
yeux ou par les oreilles. On est donc en droit de conclure que la
conclusion est en partie évidente, et en partie non évidente. Ensuite,
la chose elle-même ou (pour parler comme les logiciens), ce « non
complexe » duquel est prédiquée la raison ou la définition, est quelque
chose de visible. Et le « complexe », ou la connexion du prédicat
avec son sujet, n’est tenu que par la seule foi. Il ne manque pas
d’exemples qui illustrent cela. Cet homme qui est le Christ, Fils
de Dieu, les apôtres le voyaient, mais qu’il était le Christ,
le Fils de Dieu, ils ne le voyaient pas, ils le croyaient. Voilà
pourquoi il a été dit à Thomas, en Jean 20 : « Tu crois parce que tu
m’as vu. » Et, dans le symbole, nous disons : « Je crois en un
seul baptême », c’est-à-dire dans l’aspersion de l’eau, et l’expression
des paroles. Car, nous ne voyons pas, mais nous croyons que
cette aspersion et que cette formule sont le baptême du Christ, un sacrement.
CHAPITRE 16
On réfute les arguments dont se servent les adversaires pour prouver
que l’église peut faire défaut.
Que l’Église peut faire défaut et qu’elle a déjà fait défaut,
ils le prouvent par les arguments suivants. D’abord, au commencement
du monde, toute l’Église ne consistait que dans Adam et Ève.
Or, l’un et l’autre perdirent la foi, et renièrent Dieu, comme l’attestent
la Genèse (3) et les pères de l’église, comme saint Ambroise (livre
sur le paradis, chapitre 6), saint Augustin (enchiridion, chapitre
45), et Prospère (au livre de la grâce de Dieu, avant le milieu).
Deuxièmement. Au temps de Moïse, toute l’église a apostasié.
Car, c’est le grand prêtre Aaron qui a proposé qu’on adore un veau;
et c’est tout le peuple qui a crié : « Voici ton Dieu, Israël. »
(Exode 32). Troisièmement. Au temps d’Élie, toute l’église
visible est disparue. Car (3 Rois 19), Élie a dit : « Je
suis resté seul. Et le Seigneur lui a répondu : je m’en suis
réservé sept mille en Israël qui n’ont pas fléchi le genou devant
Baal » Il ne fait aucun doute qu’ils étaient occultes puisque
Élie ne les connaissait pas. Quatrièmement, par Isaïe :
« Le bœuf connait son maître, et l’âne la crèche de son Seigneur.
Mais Israël ne me connait pas. De la plante des pieds jusqu'au
sommet de la tête, il n’y a rien en eux de sain. » Et Jérémie
2 : « Ils sont confus les hommes de la maison d’Israël, leurs rois,
leurs princes, leurs prêtres, et leurs prophètes. Ils disent au
bois : tu es mon père. Pourquoi voulez-vous entrer avec moi en procès
? Tous, vous m’avez abandonné, dit le Seigneur. » Et en
paral 15 : « Ils passeront plusieurs jours, en Israël, sans le Dieu vrai,
sans prêtre, sans docteur et sans loi. »
Cinquièmement, il a été prédit que cette église visible
cessera (Daniel 9) : « Manqueront l’hostie et le sacrifice. »
Saint Luc 18 : « Quand le Fils de l’homme viendra, penses-tu qu’il
trouvera de la foi sur la terre ? » Et (2 Thess 2) : « À moins
que ne vienne l’apostasie d’abord, et ne soit révélé l’homme du
péché. » Voilà pourquoi Calvin pense qu’il a été dit ce que
nous lisons dans Jérémie 7 : « Ne vous confiez pas dans les paroles
des menteurs qui disent : le temple du Seigneur, le temple du Seigneur
». Comme les anciens Juifs ne crurent pas aux prophètes qui
prêchaient la désolation, parce qu’ils avaient le temple
de Dieu et les cérémonies externes, de la même façon nous nous glorifions
d’avoir des temples anciens, les successions d’évêques, la foi apostolique,
et, pendant ce temps là, nous ne faisons pas attention aux Écritures
qui nous prédisent ouvertement la désolation.
Sixièmement. Le concile de Bâle déposa Eugène comme hérétique,
et tous ses adhérents, et élut Félix. Et, à la fin
du concile, ce même Eugène retourna au siège apostolique sans élection
canonique. Et c’est de lui que sont nés toux ceux qui, par après, furent
papes, cardinaux et évêques. À partir de ce moment, au moins,
l’église qui adhère au souverain pontife n’a pas été la vraie
église. Comme il n’y avait plus d’église visible, il
s’ensuit forcément que l’église avait péri. Dans son institution,
Calvin place cet argument en dernier, comme étant très fort. Et
il ajoute ces paroles : « Il est nécessaire qu’ils soient ici pris
en faute. Qu’ils définissent donc une autre église, ou qu’ils
soient tous considérés par nous comme schismatiques ! » Septièmement.
Ils présentent des textes des pères de l’église, et d’abord, le
livre de saint Hilaire contre Auxence, vers la fin : « L’amour des murs
vous séduit vainement, vous vénérez l’église de Dieu dans des toits
et dans des édifices, vous inscrivez y le mot paix. À moi
sont plus surs les monts, et les cavernes. » Il dit là qu’en
son temps, la vraie église a été obscurcie au point où on ne pouvait
la trouver que dans les antres et les cavernes. Ensuite, saint Jérôme,
dans son dialogue contre les lucifériens, dit, parlant de ce temps : «
Toute la terre gémit, et s’est étonnée d’être devenue arienne.
» De même saint Basile (épitres 69 et 70). Saint Bernard
(sermon 3 sur les cantiques) déplore les vices des prélats de ce temps,
montrant suffisamment que, à cette époque, chacun avait suivi sa
propre voie, et qu’il n’y avait plus d’église visible. Ensuite,
saint Jean Chrysostome (homélie 49 sur Matth) enseigne qu’il n’y a
pas de signe visible qui fasse reconnaitre la véritable église, et qu’on
ne peut que recourir à l’Écriture.
Je réponds à la première objection. Si le péché de nos premiers
parents signifie la disparition de l’église, ce n’est pas seulement
l’église visible qui a fait alors défaut, mais aussi l’église invisible,
ce qui est contre nos adversaires. Je dis, ensuite, que l’église
n’existait pas encore, que deux être humains ne formaient pas une église.
Ils ne furent que le début de l’église, un commencement aussi matériel
que formel. Car, Adam fut le principe de l’église matérielle,
puisqu’ il fut le premier à en faire partie. Il fut aussi
un principe formel, parce qu’il fut tête, ou docteur ou recteur du peuple
de Dieu, tant qu’il vécut. Or, la tête ne peut pas errer en enseignant
une fausse doctrine; mais, elle pouvait errer en vivant mal, et en pensant
mal, en tant qu’homme privé. Et c’est cela seulement que
nous voyons arrivé à Adam. Car, s’il a mal vécu, s’il
a mal pensé de Dieu, il n’a pas mal enseigné.
À la seconde, au sujet du péché d’Aaron et de tout le peuple, je dis
qu’à ce moment, ni la tête ni le corps de l’église n’ont fait
défaut. Car, la tête n’était que Moïse, qui n’a surement
pas erré. Aaron n’était pas encore prêtre, et c’est près
cela qu’il l’est devenu, comme nous le montre Exode 40.
Le corps, non plus, n’a pas fait défaut, car tous les lévites furent
immunes de ce péché, comme on le voit dans le chapitre 32, où
Moïse dit : « Si quelqu’un est du Seigneur, qu’il se joigne à moi.
Et tous les fils de Lévi se sont réunis à lui. » À la
troisième, au temps d’Élie, je nie le conséquent et l’antécédent
de cet argument. La conséquence qu’on en tire, parce que le peuple
des Juifs et le peuple des chrétiens ne sont pas du même ordre.
Le peuple des Juifs, en effet, n’était pas une église universelle,
comme l’est le peuple des chrétiens, mais particulière, et, pour cette
raison, même en dehors de ce peuple se trouvaient des fidèles et
des justes, comme Melchisédech et Job, et ensuite le centurion Corneille,
et l’eunuque de la reine de Candie, et d’autres. Donc,
même si l’entière synagogue des Juifs avait cessé de vivre, l’église
ne serait pas disparue pour autant sur toute la terre. Mais on nie
aussi l’antécédent, car on ne peut démontrer que la synagogue des
Juifs ait jamais fait défaut au complet jusqu’à la venue du Christ.
Après quoi, elle n’est pas tant disparue, que changée en
mieux.
Au sujet d’Élie, je dis qu’Élie ne parle pas de tout le peuple
des Juifs, mais seulement de cette partie qui était soumise au roi de
Samarie. Car, on lit dans 3 Rois qu’au temps d’Élie, ont régné
à Jérusalem d’excellents rois, Asa et Josaphat. Il est évident
que, sous ces rois, il y a eu à Jérusalem des prêtres et un peuple qui
persévéraient dans la vraie religion. Voilà pourquoi quand Yahvé
dit : je me suis laissé sept mille vivants, il ajouta : en Israël.
On appelait alors Israël ceux qui étaient sous le roi de Samarie, comme
on appelait Judas ceux qui étaient sous le roi de Jérusalem.
Il est donc clair que Philippe s’est trompé quand il affirme, dans les
lieux communs, au mot église, qu’au temps d’Élie, l’église n’était
que dans Élie, Élisée, et quelques prêtres. Et c’est
cette erreur qu’a suivie Calvin dans la préface de ses institutions,
lui qui base son argumentation principalement sur cet exemple. À
la quatrième, répond saint Augustin (dans le livre sur l’unité de
l’église, chapitre 12, et dans son livre contre les donatistes, après
le débat, chapitre 10). Il enseigne que les prophètes et les apôtres
ont réprimandé tout le peuple, comme si tous étaient mauvais, alors
que beaucoup étaient bons. Et, inversement, ils consolent tout le
monde, comme si tous étaient bons, alors que beaucoup étaient mauvais.
En Ézéchiel 3, il est dit : « Toute la maison d’Israël est effrontée
et dure de cœur. » Et cependant, on lit au chapitre 9 : « Mets
le signe du tau sur le front de ceux qui gémissent et s’attristent à
cause de toutes les abominations qui se trouvent parmi eux. » Et,
aux Galates 3 : « O Galates insensés, qui vous a fascinés pour
vous faire désobéir à la vérité ? » Et, pourtant, au chapitre
6, il dit : « Frères, même si un homme est angoissé par un délit,
vous qui êtes spirituels, instruisez-le dans un esprit de douceur. »
Et au texte des Paralipomènes, je réponds d’abord qu’il n’est
question là que du royaume d’Israël, non du royaume de Judas.
Et ensuite, que l’Écriture parle peut-être de ce qui arrivera
après la venue du Messie, car, maintenant ils passent les jours sans Dieu,
sans prêtre, sans loi.
À la cinquième, je dis que nous ne nous glorifions pas dans
les temples, dans la succession des apôtres et dans le siège apostolique
à cause de qu’ils sont en eux-mêmes, mais à cause de la promesse du
Christ : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon église.
» Cette promesse, les Juifs ne l’ont jamais eue. Ce n’est
pas vrai, non plus, que, à quelque part dans les Écritures, ait été
prédite la ruine de l’église, mais plutôt le contraire.
Et, au sujet du texte de Daniel, même si saint Hilaire (canon 25 dans
Matthieu), Hyppolite, et Apollinaire (selon saint Jérôme, chapitre
9 de Daniel) appliquent cette prophétie au temps de l’antichrist,
il n’en est pas moins certain qu’ils se sont trompés. Car Daniel
parle clairement de la destruction de Jérusalem, et de la cessation du
sacrifice des Juifs. Et c’est ainsi que l’expliquent saint Jean
Chrysostome, Theophylacte, saint Jérôme dans leurs commentaires du chapitre
24 de Matthieu. Saint Augustin (épitre 80 à Ésichius) et Eusèbe
(livre 8 de la démonstration évangélique, chapitre 2), Clément d’Alexandrie,
(livre 1 des Stromates), Tertullien (livre contre les Juifs, chapitre 5,
et ailleurs,) et la commune opinion des Hébreux, ainsi que Julius
Africanus, selon saint Jérôme, au chapitre 9 de Daniel. »
C’est cette solution que les hérétiques sont forcés d’admettre,
car ne disent-ils pas que l’époque d’aujourd’hui est celle de l’antichrist,
et qu’elle l’a été de plusieurs siècles, et que, cependant, n’ont
pas cessés l’hostie et le sacrifice ? S’ils sont logiques
avec eux-mêmes, ils doivent donc entendre ce passage de Daniel non du
temps de l’antichrist, mais de la destruction de Jérusalem, ce qu’on
peut facilement déduire de l’évangile. Car, on lit en Matth
(chapitre 24) : « Quand vous verrez l’abomination de la désolation,
prédite par le prophète Daniel, dans le saint des saints, que ceux qui
sont en Judée fuient dans les montagnes. » Saint Luc le présente
de la même façon au chapitre 21 : « Quand vous verrez Jérusalem investie
par une armée, sachez, alors, qu’approche sa désolation. Alors, que
ceux qui sont en Judée fuient dans les montagnes ! » Au sujet des
paroles de Jésus en Luc 20 : « Penses-tu qu’il trouvera de la foi sur
la terre ? » Je dis que le Seigneur ne parle pas de la foi en elle-même,
mais de la faible qualité de la foi, que l’on trouvera en peu de personnes.
C’est ainsi que l’expliquent saint Jérôme, dans son dialogue contre
les lucifériens, et saint Augustin, dans son livre sur l’unité de l’église
(chapitre 13). Et, si nous disons avec Theophylacte, que le
Seigneur Jésus parle de la foi elle-même, et qu’il veut dire que peu
de personnes seront fidèles aux temps de l’antichrist, il est question
de peu de personnes et non d’aucune personne. Peu de personnes
font quand même l’église. À la citation de saint Pau,
je dis que, par le mot apostasie, il entend l’antichrist lui-même, comme
l’expliquent saint Jean Chrysostome, Theodoret, Clément, Theophylactus,
et saint Augustin (livre 20, chapitre 19 de la cité de Dieu). Cette
dissension ou séparation est employée par métonymie, car elle sera la
cause que beaucoup se sépareront du Christ.
Elle sera ou une dissolution de l’empire romain, comme l’expliquent
saint Ambroise, Sedulius et Primasiius, c e qui est une sentence très
probable. Ou une défection de l’église non générale, mais particulière;
non de tous, mais de beaucoup, des hérétiques occultes. Car comme
l’ont expliqué plusieurs anciens que cite saint Augustin dans la cité
de Dieu (livre 20, chapitre 19) : plusieurs qui se trouvaient dans l’église
en feignant la foi, en sortiront ouvertement pour professer publiquement
l’hérésie. De la même façon, quand viendra l’antichrist,
tous les hérétiques occultes qui se trouveront alors dans l’église,
se sépareront de l’église, et rejoindront l’antichrist.
À la sixième, je dis que le concile de Bâle fut légitime au commencement,
car étaient présents le légat de l’évêque de Rome, et plusieurs
évêques. Au moment où il déposa Eugène et élut Félix,
il n’était plus un concile de l’Église, mais un conciliabule de schismatiques,
de séditieux, et n’avait aucune autorité. C’est le nom qu’on
lui donne dans le dernier concile du Latran (session 11). On peut
donc affirmer qu’Eugène a toujours été le vrai pontife. Et
Calvin ment effrontément quand il ose affirmer que ce concile a eu la
même autorité et la même dignité jusqu’à la fin. Car, tout
d’abord, au moment où le concile a osé porter un jugement sur le pape,
le légat du pape n’était plus présent, et les principaux évêques
étaient sortis. C’est un certain cardinal d’Arles qui s’est attribué
à lui-même le pouvoir de présider, et qui, voyant que les évêques
étaient trop peu nombreux, fit entrer dans le concile une multitude de
prêtres, de sorte que, contrairement aux règles formelles des conciles
anciens, ce pseudo concile en fut un de prêtres et non d’évêques.
Ensuite, au même moment, un autre concile se tenait à Florence,
présidé par le souverain pontife, et où siégeaient des évêques
latins et grecs incomparablement plus nombreux que ceux de Bâles.
Avec tous ces évêques, étaient présenta aussi l’empereur des Grecs,
et le légat de l’empire des latins. Il était donc impossible
de douter où se trouvait le vrai concile. Troisièmement, voulant
lui aussi prononcer sa sentence, Dieu infligea à Bâle une si horrible
peste que la plus grande partie des pères qui s’y trouvaient moururent,
ou furent forcés de fuir. C’est ce que rapporte Énée Sylvius
dans son histoire du concile de Bâle, auquel il participa, et aussi les
hérétiques de Bâle. Ils pensent en faire un récit qui leur est
favorable, à cause de la condamnation du pape Eugène, mais il leur
est plutôt nuisible. Ajoutons que le concile de Bâle continué
à Lausanne, se soumit à Nicolas, comme le montre la lettre du pape Nicolas.
Passons, maintenant, aux citations des pères. Je
réponds d’abord à saint Hilaire ce que saint Augustin a répondu aux
donatistes (épitre 48). Les donatistes lui faisaient la même
objection, à savoir que l’église s’était obscurcie par la multitude
des scandales, mais tout en brillant dans ses membres plus fermes.
En effet, au temps de Jule, brillaient comme des étoiles Athanase,
Hilaire, Eusèbe Vercellensis, et au temps de Damase, saint Ambroise, saint
Basile, saint Grégoire de Naziance, saint Grégoire de Nysse, et d’autres
en petit nombre, mais qui furent de fermes et constantes colonnes de la
foi. Je réponds que saint Ambroise ne parle, dans ce passage, que
de l’église de Milan, dont beaucoup, parmi les simples, voyaient un
catholique dans l’arien Auxence. Il connaissait si bien l’art
de jouer sur les mots qu’il paraissait arien aux ariens, et catholique
aux catholiques. Saint Hilaire veut donc dire qu’il ne faut pas
croire Auxence, même s’il siège comme évêque, et prêche dans le
temple. Car, dit-il, il est préférable d’être dans des antres
et des cavernes avec la vraie foi, que dans un temple de Dieu avec des
hérétiques. Et ce qui est dit d’une seule cité, d’une seule
basilique, d’un seul évêque ne peut pas s’entendre de l’église
universelle. Car, il peut arriver, qu’un évêque, dans une ville
et dans un temple, enseigne une hérésie, mais pas que tous les
évêques, dans toutes les villes et dans tous les temples du monde enseignent
une hérésie.
Au sujet du texte de saint Jérôme, je dis que, dans ses paroles,
il y a deux figures. Une d’intellection, quand il dit : «
il gémit à cause de ces paroles », il appelle toute la terre une partie
de la terre. Une autre figure : un abus de termes, quand il dit :
« toute la terre fut surprise d’être devenue arienne. » Car,
il appelle improprement ariens tous ceux qui, par ignorance, appuyaient
les hérétiques. Il parle, en effet, de cette multitude d’évêques
qui se réunirent de partout à Ariminium, qui, trompés par les ariens,
ont décrété qu’il fallait enlever le mot omoousios (consubstantiel),
ne comprenant pas ce qu’il signifiait vraiment. Ils ne furent surement
pas des hérétiques, ils n’errèrent certainement pas dans la foi, sinon
matériellement. C’est comme si quelqu’un d’entre nous proférait
un blasphème dans une langue étrangère, en pensant exprimer une pieuse
pensée. On ne pourrait pas dire qu’il a vraiment blasphémé.
Quand on fit comprendre à ces mêmes évêques leur erreur, ils
en ont reconnu la fausseté, ils rejetèrent immédiatement ce qu’ils
avaient décrété, et, avec des larmes, demandèrent pardon pour leur
blasphème. Toute la terre n’était donc pas arienne, mais semblait
l’être. Au sujet du concile de Bâle, je dis qu’il n’a
pas déploré dans ses épitres les vices des catholiques, mais la misère
de l’église, causée par l’influence néfaste des hérétiques.
Et ce qui est dit, au même endroit, contre les évêques, ne s’applique
pas aux évêques catholiques, comme le pense Brentius, mais aux évêques
ariens.
On a de bonnes raisons de croire que Brentius n’a pas péché par
ignorance, mais par malice. Car, au même endroit, là où
il enseigne que les évêques catholiques ne sont pas de vrais évêques,
il nous renvoie à l’histoire ecclésiastique de Ruffin (livre 11, chapitre
6) : un saint ermite, du mon de Moïse, n’a pas voulu être ordonné
par l’évêque d’Alexandrie, car il était premier patriarche après
le pontife romain. Or, dans le même livre et chapitre, Ruffin dit
que cet évêque d’Alexandrie était arien et un persécuteur acharné
de catholiques, et que c’est pour cette raison que Moïse n’a pas voulu
être ordonné par lui, mais par un autre catholique. La fraude et
l’impudence de Brentius ne sont donc pas excusables. Au sujet de
saint Bernard, je dis qu’il réprouve les vices des mœurs, non les vices
de doctrine; et qu’il n’a pas pensé qu’à cause de cela, ces mauvais
évêques n’étaient pas évêques. A saint Jean Chrysostome, la
réponse a déjà été donnée plus haut. Ces paroles sont tirées
d’une œuvre imparfaite qui a été composée par un hérétique, ou
qui a été corrompue par un hérétique. Voir l’homélie
48, où il appelle ouvertement hérétiques les consubstantialistes.
CHAPITRE 17
On réfute les arguments des adversaires avec lesquels ils prouvent
que tous les pasteurs de l’église peuvent tous simultanément errer.
Que l’Église, ou que du moins tous les pasteurs de l’église
peuvent errer tous ensemble, ils le prouvent d’abord, parce que, au temps
de Michée, tous les prophètes qui étaient au nombre de 400, errèrent,
à l’exception de Michée, comme on le lit dans 3 Rois, 12.
En conséquence de quoi, l’église qui les suivait, comme elle le devait,
fut donc par eux induite en erreur. Ensuite, Isaïe 56 : « Leurs
guetteurs étaient aveugles, ils ne surent rien. » Troisièmement,
dans la passion du Seigneur, le grand prêtre, avec tous les autres prêtres,
ainsi que les anciens du peuple condamnèrent le Christ à la peine de
mort (Marc 14.) Et, séduit par les prêtres, tout le peuple cria
qu’il fallait le crucifier (Marc 15). Au même moment, les apôtres
avaient perdu la foi, car le Seigneur, en Marc, fin, « leur reprocha leur
incrédulité, et la dureté de leurs coeurs. » Et en Marc 26 : « Je
serai pour vous tous un objet de scandale. » Ajoutons
que ne manquent pas les catholiques qui disent que l’église n’a
eu la vraie foi pendant la passion du Seigneur, que dans la seule
sainte Vierge, ce qui signifie qu’ils croient dans la seule chandelle
qui demeure allumée dans l’office nocturne, pendant le triduum
d’avant Pâque. C’est ce que disent Alexandre Alensis, ( 3 p.
q. ultime, art 2) et Jean de Turrecremata (livre 1, chapitre 30, et livre
3, chapitre 61 sur l’église). Mais ces arguments n’ont pas beaucoup
de poids, et ne demandent pas de gros efforts pour être réfutés.
À la première affirmation, je dis d’abord que ces 400 prophètes
étaient manifestement de faux prophètes, ce que n’ignorait pas le roi
Achab, qui les avait consultés, car, quand le roi Josaphat lui demanda
: « N’y a-t-il donc point ici de prophète du Seigneur, par qui nous
pourrions interroger le Seigneur ? », le roi Achab répondit : «
Il en reste un, mais je le hais, car il ne me prophétise que du mal. »
Il est certain que si quelqu’un consultait, aujourd’hui, dans la Saxonie,
400 ministres luthériens sur la foi justifiante, et ensuite un seul catholique,
il n’y aurait pas de quoi s’étonner si la plus grande partie errait.
Et comme, aujourd’hui, il ne s’ensuivrait pas que toute l’église
a erré, même si erraient 400 ministres luthériens, parce que, à part
la Saxonie, il y a beaucoup d’endroits où la vraie foi est prêchée,
de même, au temps d’Achaz, on ne peut conclure que tous les docteurs
des Juifs ont erré, même si 400 d’entre eux ont erré. Il y avait
aussi beaucoup de prophètes en Judée, et de prêtres à Jérusalem auxquels
incombait le devoir de répondre aux consultations sur la loi du Seigneur.
À la seconde, je dis que les paroles des prophètes sont des
images, et son destinées à tous. Ce qui ne veut pas dire qu’elles
doivent être comprises par tous, mais par plusieurs, comme nous l’avons
déjà dit. À la troisième, je réponds que les prêtres
et les pontifes n’ont pas reçu le privilège de non errance pour l’enseignement
du peuple, du moins jusqu’au temps du Christ, car, quand le Christ fut
présent dans le temple et enseigna, leur erreur n’eut plus les mêmes
conséquences. Cela semble même avoir été prédit par Jérémie
(chapitre 18), quand il a dit : « La loi périra par le prêtre, la parole
par le prophète, et le conseil par le savant. » Mais, à cause
de l’honorabilité de la fonction de pontife, Dieu a pourvu à
ce que la sentence du pontife Caïphe soit dans un certain sens,
même si non voulu par lui, vraie et juste. Car, en Jean 11,
il est dit qu’il a prophétisé parce qu’il était le grand-prêtre
de cette année-là. Nous avons dit beaucoup plus de choses, là-dessus,
plus haut, dans le livre sur les conciles.
En ce qui a trait au peuple qui a crié : crucifie-le, je dis que ce
peuple ne fut pas composé uniquement de Juifs, mais de quelques-uns, seulement,
et peut-être de la minorité d’entre eux. Car, dans cette même
ville, se trouvait un Nicodème, et un Joseph d’Arimathie, et beaucoup
d’autres, à qui cela déplaisait. Et en dehors de Jérusalem,
dans tout le reste de la Judée, et dans tous les pays, il y avait un grand
nombre de Juifs dispersés, qui ne savaient rien de la mort du Christ,
et qui demeuraient donc, dans la vraie foi, et dans la religion.
Et, au sujet des apôtres, je dis que les apôtres n’étaient ni des
apôtres, ni des nominés, mais seulement des parties de l’église matérielle,
qui peuvent errer; et qui n’étaient pas les seuls à constituer
l’église. Car, le statut de l’église du Christ, avec l’obligation
d’entrer en elle, commença le jour de la pentecôte quand, après l’accomplissement
de tous les mystères de notre sainte religion, les apôtres commencèrent
à prêcher publiquement la foi du Christ et le baptême.
Voilà pourquoi même si, au temps de la passion du Christ, tous les apôtres
avaient erré dans la foi, leur erreur n’aurait affecté en rien l’église
universelle.
Je dis, en second lieu, qu’il n’est pas probable que les apôtres
aient perdu la foi. Car on lit qu’on ne leur a reproché que la
foi dans la résurrection. Cette foi, ils n’ont pas pu la perdre,
puisqu’ils ne l’ont eue vraiment qu’ après la résurrection du Christ.
Même s’il leur avait souvent prédit avant qu’il ressusciterait, ils
pensaient qu’il parlait en figure; ils ne comprirent pas ce qu’il
voulait dire, et ils n’y crurent donc pas. C’est bien ce
que dit saint Luc. Après avoir rapporté les paroles du Seigneur
: « Ils le tueront, et le troisième jour, il ressuscitera », il
ajoute : « Mais ils ne comprirent pas ce qu’il voulait dire. »
Et nous lisons dans Jean 20 que, après avoir entendu Marie- Madeleine
raconter que le corps de Jésus avait été enlevé du sépulcre, Pierre
et Jean ont couru vers le monument, et, en voyant les lignes et le
suaire, ils crurent que le corps avait été enlevé par quelqu’un.
Car, dit Jean, « ils ne connaissaient pas encore les écritures
qui annonçaient qu’il devait ressusciter des morts. » Ce qui
veut dire qu’ils crurent que quelqu’un l’avait enlevé, parce qu’ils
ne savaient pas qu’il devait ressusciter. De plus, Jésus a dit
à Pierre (Luc, 22) : « J’ai prié pour toi, pour que ta foi ne défaille
pas. » Comment est-il donc crédible que la foi de Pierre ait, cette
nuit-là, chaviré complètement, au point où il n’en serait plus
rien resté dans le cœur ? De plus, Marie Madeleine brûlait
d’une intense charité pendant ce triduum, (Jean 19, 20), et sans foi,
il ne peut y avoir de charité. Elle n’avait donc pas perdu
la foi dans le Christ qu’elle avait auparavant. Ce n’est donc
pas dans la seule Vierge Marie qu’est demeurée la foi.
Ce qu’on lit dans Marc : « Il leur reprocha leur incrédulité »,
ne signifie pas qu’ils avaient perdu la foi qu’ils avaient, mais
qu’ils ont été lents à comprendre. Le fait qu’ils n’aient
pas cru, c’était certes, un certain péché, mais non celui de
l’infidélité au sens strict. Et, cet autre passage (Matt
16) : « Je serai pour vous tous un objet de scandale, » signifie le péché
que les apôtres ont commis en fuyant, et en hésitant au sujet de la foi,
à l’occasion de la passion de Notre Seigneur. Or, toute hésitation
n’est pas un péché d’infidélité. Seulement quand elle est
délibérée. Turrecremata m’étonne. À cause d’un
argument bien peu convaincant sur la chandelle, il dit que c’est
contre la foi de l’Église universelle de ne pas croire que la foi soit
demeurée dans la seule Vierge Marie. Car, Rupert (livre 5, chapitre
26 sur l’office divin), dit que la dernière chandelle s’éteignait
elle aussi, en son temps. Et il ajoute (chapitre 28), que, pendant
ces trois nuits, après que toutes les lumières aient été éteintes,
on avait coutume d’allumer un nouveau feu d’un batte-feu. Et
que, par toutes ces lumières qui s’éteignaient peu à peu, on
signifiait les prophètes, que les Juifs ont tués en divers endroits;
et que, en les tuant, ils faisaient des ténèbres pour leur esprit.
Et par la dernière, ils signifiaient le Christ. Et en le tuant, ils amassé
pour eux des ténèbres extrêmement épaisses. Par la nouvelle lumière
que, à chacune de ces trois nuits, ils tiraient d’un batte-feu,
ils signifiaient la nouvelle lumière des Chrétiens, qui, de la pierre
Christ frappée par les Juifs, a jailli de nos esprits.
Si, sans tenir compte de la tradition de l’église antique,
ils veulent tirer un argument en leur faveur de l’usage actuel de la
chandelle qui ne s’éteint pas, on peut répondre comme Abulanse (question
14, prologue sur saint Matthieu) : par cette chandelle, on signifie la
sainte Vierge Marie dans laquelle seule, comme on le croit pieusement,
fut explicitement, pendant tout ce triduum, la foi dans la résurrection.
Mais il ne s’ensuit pas que, dans les autres, il n’y ait eu qu’erreur
et infidélité, car ils n’étaient tenus à croire explicitement
à la résurrection qu’après sa promulgation et les preuves qui en furent
données. Surtout ceux qui vivaient loin de Jérusalem, et
qui n’avaient rien entendu du Christ. Il semble donc périlleux
de dire que la vraie foi soit demeurée dans la seule Vierge Marie,
parce que, alors, l’église aurait péri. Car, une seule
personne ne peut pas faire l’église, puisque l’Église est un peuple
et le royaume de Dieu. Et aussi, parce que ceux qui demeuraient loin
de Jérusalem et qui avaient, jusqu’à ce moment, conservé la vraie
foi, ne pouvaient pas la perdre si tôt, sans faute de leur part.
2018 02 18 17h09 fin
FIN de l'Eglise dispersée sur toute la terre.
Suite = les Notes de la véritable Eglise de Jésus Christ (qui est
la sainte Eglise catholique romaine et aucune autre)
Fichier
placé sous le régime juridique du copyleft avec seulement l'obligation
de mentionner l'auteur de la première édition de cette première traduction
en français des Controverses de Saint Robert Bellarmin : JesusMarie.com,
France, Paris, 2019.