Table des matières

LIVRE 6 La doctrine des sacrements

PREMIÈRE SECTION La doctrine des sacrements en général.

§ 157. Notion du sacrement

§ 158. Le signe sacramentel. Matière et forme

§ 159. Les effets des sacrements

§ 160. L'efficacité objective des sacrements. L' « opus operatum »

§ 161. Le mode d'efficacité des sacrements

§ 162. Le ministre des sacrements

§ 163. Le sujet des sacrements

§ 164. L'institution des sacrements par le Christ et leur nombre septénaire

§ 165. Les sacrements de l'Ancien Testament. Les sacramentaux

§ 166. Les sacrements et les mystères antiques

DEUXIEME SECTION : La doctrine des sacrements en particulier

CHAPITRE 1 : Le baptême

§ 167. Notion, désignation, importance, institution

§ 168. Le signe sensible du baptême

§ 169. Effet et nécessité

§ 170. Ministre et sujet

CHAPITRE 2 : La confirmation

§ 171. Notion, désignation, institution

§ 172. Le signe sensible de la Confirmation

§ 173. Ministre et sujet

§ 174. Effets et nécessité de la Confirmation

CHAPITRE 3 : L'Eucharistie

§ 175. Notion, désignation, importance

1. La présence réelle

§ 176. Controverses et hérésies

§ 177. La présence réelle d'après l'Écriture

§ 178. La présence réelle dans la Tradition

§ 179. La Transsubstantiation

§ 180. La nature de la transsubstantiation

§ 181. Totalité et durée de l'Eucharistie

LIVRE 6  La doctrine des sacrements

 

Le Christ, notre Rédempteur, en tant que Chef mystique, fait couler sans cesse dans les membres de son corps, les forces de grâce de la vie surnaturelle. Il le fait principalement et ordinairement par les sacrements : « C’est par eux que la justice chrétienne commence, par eux qu’on la conserve, qu’on l’augmente, et qu’on la recouvre si elle est perdue ». (Conc. De Trente, s. 6, c. 16 et proœm). Ces paroles résument brièvement toute l'économie interne du traité que nous abordons. Les sacrements constituent l'objet principal du ministère sacerdotal. On a pris l'habitude, avec le Concile de Trente, de faire précéder l'étude particulière des sacrements d'une étude générale. (Cf. Denz., 844 sq.). Le traité se divise ainsi en deux parties.

PREMIÈRE SECTION  La doctrine des sacrements en général.

A consulter : S. Thomas, S. th., 3, 60 sq. et ses commentateurs. S. Bonaventure, Breviloquium, p. 6. S. Bellarmin, De sacramentis in genere (De controv., 4, Venet., 1721). Suarez, De sacramento (18 sq., ed. Venet., 1747). Cano, Relectio de sacram. in genere (3 ed. Rom., 1890, 203 sq.). Lugo, De sacram. in genere (Lyon, 1652). Tournely, Prælect. theol. de sacram. in genere (Paris, 1739). Salmant, Cursus theolog. (17 sq., éd. Paris, 1880). Gonet, Clypeus theolog. (5, éd. Paris, 1875). Frassen, Scotus academicus (9 sq., éd. Rom., 1991). Drouven, De re sacramentaria contra perduelles hæreticos (Venet., 1756) ; cf. aussi Migne, Cursus complet. (20, 1154 sq.). Juenin, Comment. histor. et dog. de sacram. (Venet., 1740). Merlin, Traité historique et dogmatique sur les paroles ou les formes des sept sacrements (Migne, loco cit., 21, 121 sq.). Chardon, Histoire des sacrements (ibid., 20, 1 sq.). Franzelin, De sacram. in gen. (4è éd., Rome, 1901). De Augustinis, De re sacrament., 2 vol. ( éd., Rome, 1889). Besson, Les sacrements ou la grâce de l'Homme-Dieu (1879). Sasse, De sacram. Eccles., 2 vol. (1897 sq.). Stentrup, De sacramentis in genere (1900). Noldin, De sacramentis (17è éd., 1925). Lahousse, De sacramentis (1900). Paquet, Comment. in S. th. d. Thomæ de sacrament., 1 (2è éd., 1909). Tepa, Instit. Theol., 4 (1896). Billot, De Ecclesiæ sacramentis (6è éd., 1924). Gihr, Les sacrements, 2 vol. (trad. Ph. Mazoyer). Pourrat, La théologie sacramentaire (4è éd., 1910). - Au sujet du pouvoir de l'Église sur les sacrements : Dict. théol., l, 2416-2432. A. de Smedt, De sacramentis in gen. de baptismo et confirmatione (2è éd., 1925). Lépicier, Tractatus de sacramentis in communi (1921). Van Noori, De Sacramento (3è éd., 1919). Verhelst, Les sacrements (1923). Bittremieux, L'institution des sacrements d'après S. Bonaventure (1924). Capello, Tractatus canonico-moralis de sacramentis (1926). De Ghellinck, Pour l'histoire du mot « sacramentum » (Paris, 1924)

§ 157. Notion du sacrement

A consulter : Pourrat, 1 sq. Orion, Étude historique sur la notion du sacrement depuis la fin du 1er scle jusqu’au Concile de Trente. Em. de Backer, Sacramentum. Le mot et l'idée représentée par lui dans les œuvres de Tertullien (1911).

Le Catéchisme Romain décrit le sacrement comme un signe sensible qui possède, en vertu de l'institution divine, la puissance de signifier et de produire la sainteté et la justice, « Il faut donc dire, pour donner une idée plus complète et plus juste des sacrements, que ce sont des choses sensibles auxquelles Dieu a donné la vertu de signifier et de produire en même temps la justice et la sainteté. » (P. 2, c. 1, q. 11 ; cf. Trid., s. 13, c. 3).

L'explication du mot n'éclaire guère la notion. Sacrement, sacramentum (de sacer, sacrare) est employé par la Vulgate comme traduction du mot grec μυστήριον. Ce mot signifie, en général, dans l’Écriture, mystère. (Sag., 2, 22 ; 6, 24. Tob., 12, 7, 11. Dan., 2, 18 ; 30, 47 ; 4, 6). Dans le Nouveau Testament, il sert à caractériser l'ensemble du fait divin de la Rédemption. En général, la Vulgate latinise μυστήριον en « mysterium », mais elle le traduit seize fois par « sacramentum », sans qu'on puisse reconnaître dans ce changement de traduction la moindre différence de sens. Pour le Nouveau Testament, cf. Eph., 1, 9 ; 3, 3 ; 3, 9 ; 5, 32. Col., l, 27. 1 Tim., 3, 16. Apoc., 1,20 ; 17, 7. La signification principale du mot μυστήριον demeure secretum (secret, mystère), pour désigner une vérité ou un fait qui étaient cachés jusque-là, surtout par rapport à notre salut. (Rom., 16, 25 ; Eph., 1, 9 ; 3, 3 ; 3, 9). Très apparenté à ce sens est celui de symbole, de type, dont il est assez difficile de déterminer la signification. Le pluriel μυστήρια est employé, dans le langage religieux antique, comme on le sait, pour désigner les rites d'initiation au culte des mystères. (Cf. Dict. Apol., 3, 964-1014 : Les Mystères).

Chez les premiers Pères, μυστήριον se rencontre assez peu. On ne peut guère citer que S. Ignace et S. Justin qui l'emploient dans le sens qu'on vient d'indiquer. Il est plus courant chez les Grecs, bien que sa notion ne soit pas ferme et qu'on l'emploie plutôt dans le sens de connaissance des mystères, depuis Clément d'Alexandrie. Celui-ci, comme on sait, insiste plus fortement sur la vérité religieuse (γνῶσις) que sur les signes rituels des sacrements et la hiérarchie. (Cf. Prat. La théologie de S. Paul (4è éd., (1913), 393 sq.).

Dans la littérature profane, « sacramentum » signifie soit une somme d’argent déposée, à l'occasion d'un procès, dans un lieu saint et que la partie perdante doit abandonner pour une cause pieuse, ou bien le serment de fidélité des soldats. C'est en souvenir de ce serment que Tertullien appelle la promesse de fidélité du baptisé « sacrement ». (Ad mart., 3). D'autres affirment que « sacramentum » est déjà, vers l'an 150, la traduction de μυστήριον et signifie « rite sacré » ou « vérité sacrée » et que le serment des soldats n'a exercé aucune influence sur ce mot.

La notion de sacrement n'est pas encore traitée pour elle-même chez les Pères. Mais il est cependant facile de montrer quelle fut leur conception à ce sujet en examinant leurs exposés sur la nature et les effets de chaque sacrement. Cela est facile à établir pour le principal sacrement, le Baptême, et même pour l'Eucharistie. Par contre, on ne peut pas tirer grand profit de l'emploi du mot « sacrement » par les Pères ; en effet, ce mot, chez eux, a un sens très large et on peut entendre par là toute chose sainte et toute fonction rituelle.

Ainsi Tertullien appelle sacrement la doctrine chrétienne (Præscript., 20), la doctrine de la Trinité (Adv. Prax., 2), toute la religion chrétienne (ibid., 30), la foi (De bapt., 13). Mais, au sens intensif, le baptême est pour lui un sacrement, un « heureux sacrement » (De bapt., 1), parce qu’il est l'expression extérieure et le signe distinctif de la foi. Sous son aspect extérieur, le baptême est le « sceau du Saint-Esprit » (Ibid., 13). Il est le « sacrement de la foi » (De pudic., 18, 19), parce qu'il renferme en lui l’acceptation de la foi et de la vie de foi. A côté du baptême, l'Eucharistie est un sacrement (sacramentum Eucharistiæ ; de cor. mil., 3). Tout sacrement consiste en rite extérieur auquel correspond un effet intérieur : « Le corps est lavé, afin que l'âme soit purifiée ; le corps est oint, afin que l'âme soit sanctifiée, le corps est signé, afin que l'âme soit fortifiée ; le corps est couvert par l'imposition des mains, afin que l'âme soit éclairée par le Saint-Esprit ; le corps mange la chair et le sang du Christ, afin que l'âme soit nourrie de Dieu. » (De res. Carn., 8). Cependant la réception des sacrements demande une préparation ; Dieu ne donne pas sa grâce aux indignes (De pœn., 6). De même, la vraie foi est nécessaire ; par suite, les hérétiques n'ont pas le même baptême que l'Église ; ils ne peuvent pas donner ce qu'ils n'ont pas (De bapt., 15.). S. Cyprien juge comme Tertullien. Il emploie le mot sacrement au sens large pour désigner les institutions les plus diverses du christianisme, mais principalement pour désigner le baptême. Lui aussi exige la vraie foi. (Ep. 69, 12 ; 75, 7, 9-11). Cependant les enfants eux-mêmes doivent recevoir le baptême, parce qu'ils en ont besoin (Ep. 64, 5). Il mentionne, parmi les sacrements proprement dits, en dehors du baptême, la Confirmation, l'Eucharistie, la Pénitence, l'Ordre.

S. Cyrille de Jérus. trouve maintes fois l'occasion de parler des sacrements devant les catéchumènes. L'homme étant composé de corps et d'âme, il a besoin d'une double purification : « L'eau lave le corps, marque l'âme de son sceau… Ne regarde pas seulement l'élément de l'eau, mais reçois le salut dans la vertu du Saint-Esprit » (Cat., 3, 4). Il consacre aux trois premiers sacrements ses catéchèses mystagogiques. S. Ambroise adresse aux catéchumènes un livre sur les « mystères » (De mysteriis), dans lequel il traite également des trois premiers sacrements. Lui aussi distingue l'élément et la vertu divine : « L'eau ne purifie pas sans l'Esprit qui donne la grâce... Car qu'est l'eau sans la Croix du Christ ? Un élément ordinaire sans aucune espèce d'effet salutaire. » (De myst., 4).

S. Augustin est celui de tous les Pères qui a fait le plus pour préciser la notion de sacrement. Il y fut déterminé par la controverse contre les donatistes qui faisaient dépendre l'efficacité des sacrement de la sainteté du ministre (celui qui n’a pas, que donne-t-il, comment le donne-t-il ?), et surtout par la controverse contre les pélagiens. Dans cette lutte, il se fit une idée plus claire de la nature du sacrement, dans lequel il reconnut un moyen objectif de grâce. Jusque-là il avait insisté surtout, comme Tertullien et S. Cyprien, sur les dispositions subjectives ; de plus en plus, dès lors, il mit l'accent sur le sacrement objectif. Sans doute, il conserve au mot « sacrement » son sens large, mais il place au premier plan les sacrements proprement dits ; il leur donne d'ailleurs ce nom sauf à la Pénitence et à l'Extrême-Onction.

Un sacrement est pour lui, d’une manière générale, « un signe sensible de la grâce invisible » (visibile signum invisibilis gratiæ), « un signe d'une chose sacrée » (signum rei sacræ). Il part donc du signe extérieur ; mais ce signe doit être un symbole du spirituel et lui être semblable. « Si les sacrements n'avaient pas une certaine ressemblance avec les choses dont ils sont les sacrements (les signes, les symboles), ils ne seraient pas du tout sacrements. A cause de cette ressemblance ils reçoivent le nom de ces choses elles-mêmes. (Ep. 98, 9). Sous cette notion il fait rentrer tous les rites saints, y compris ceux de l’Ancien Testament. Ce serait cependant erroné d'attribuer à S. Augustin, en raison de sa forte insistance sur le « signe » (similitudo), une notion symbolique des sacrements ; les sacrements du Nouveau Testament, tout au moins, sont pour lui des signes efficaces. Il accentue sans doute la « significatio sanctitatis », mais connaît aussi l’« efficacia gratiæ ».

Un sacrement est, pour lui, un signe religieux ; mais ce n'est pas un signe vide : il contient en lui la grâce, qu'il porte et garantit invisiblement. « Une chose est de recevoir le sacrement, autre chose est d’en recueillir les fruits. » (ln Joan., 26, 11). La grâce est la vertu des sacrements : « les mystères étaient communs à tous, mais la grâce qui est la force des sacrements, n’était pas commune à tous. » (Enarr. in Ps. 77, 2 ; cf. In Ep. Joan. 6, 10 ; De unit. Eccl., 3). Autre chose est l'apparence extérieure, autre chose le contenu des sacrements : « les sacrements montrent une réalité, et en font comprendre une autre. Ce que nous voyons est une apparence corporelle, tandis que ce que nous comprenons est un fruit spirituel » (Sermo 272 ; cf. De doct. Christ., 2, 1, 1).

Bien que l’Ancienne Alliance ait eu des sacrements, ils ne se confondent pas avec ceux de la Nouvelle Alliance. Ceux-là promettaient le salut, ceux-ci le donnent. (Enarr. in Ps. 73, 2). « Les sacrements sont changés : ils sont devenus plus faciles, moins nombreux, plus salutaires, plus heureux. » (Ibid). Nous aurons à signaler plus loin d'autres points importants dans la doctrine sacramentaire de S. Augustin. On peut dire, pour conclure, que, dans la pensée de S. Augustin, le sacrement est un signe objectif de la grâce divine. Cela s'applique tout au moins aux sacrements chrétiens. Ce qui est moins accentué, c'est l'institution par Jésus-Christ. La raison de ce fait, c'est la notion encore large du sacrement.

S. Isidore de Séville (+ 636) insiste, dans le sacrement, sur l'effet mystérieux. « Ob id dici sacramenta, quia sub tegumento rerum corporalium virtus divina secretius operatur, nempe a secretis virtutibus vel sacris. » (Etym., 6, 19, 40 : M. 82, 255). Cette définition plutôt linguistique est purement et simplement reproduite par les théologiens de l'époque carolingienne, par ex. par Raban Maur. (De universo, 5, 11 : M. 111, 133). A côté, on connaît aussi une explication formée d'après S. Augustin. (Ep. 55, 2). Paschase Radbert la donne en ces termes : « Sacramentum igitur est quidquid in aliqua celebratione divina quasi pignus salutis traditur, cum res gesta visibilis longe aliud invisibile operatur, quod sancte accipiendum sit ; unde et sacramenta diéuntur aut a secreto (S. Isidore) eo quod in re visibili divinitas intus aliquid ultra secretius efficit per speciem corporalem (S. Augustin), aut a consecratione sanctificationis, quia Spiritus Sanctus manens in corpore Christi latenter hæc omnia sacramentorum mystica sub tegumento visibilium pro salute fidelium operatur. » (De corp. et sang. Dom., 3, 1 : M. 120, 1275). Trois éléments apparaissent dans cette description : le signe extérieur (res gesta visibilis), la grâce intérieure (pignus salutis invisibile), la vertu divine de l'Esprit-Saint. Il compte comme sacrements : le baptême, la Confirmation, l'Eucharistie ; ensuite l'Incarnation, le serment, toute l'œuvre de la Rédemption et enfin la Sainte Écriture.

La Scolastique primitive fut déjà excitée, par l’hérésie de Bérenger qui comprenait le « signum » augustinien d'une manière trop étroite (figura), à examiner de plus près la vraie notion du sacrement et, ce faisant, à insister non seulement sur le signe, mais encore sur l’efficacité. A ce sujet, Hugues de Saint-Victor mérite particulièrement d'être signalé. Il ne se contente pas de distinguer, dans l'Eucharistie, d'une manière précise, « species visibilis, veritas corporis » et « virtus gratiae spiritualis » (De sacr., 2, 8, 7) - c'était la doctrine de S. Augustin, mais améliorée dans le sens anti-bérengiste - il donne encore la définition souvent citée du sacrement, dans laquelle il fait ressortir l'élément, le signe, l’institution et la grâce sanctifiante : « Sacramentum est corporale vel materiale elementum foris sensibiliter propositum, ex similitudine repræsentans, ex. institutione significans et ex sanctificatione continens aliquam invisibilem et spiritualem gratiam. » (De sacr., 1, 9, 3). De leur nature déjà, le signe et la grâce ont une certaine ressemblance (par ex. dans le baptême), mais cela ne suffit pas : il faut que l'un et l'autre soient unis ensemble par l'institution - qu'il est le premier à introduire dans la définition. En effet, le naturel ne peut pas, à proprement parler, désigner le surnaturel ; tout au plus peut-il l'insinuer. Il faut observer ensuite qu'Hugues unit intimement sacrement et grâce. Avec les Grecs, avec S. Léon et S. Isidore, il trouve que la vertu sanctifiante existe par la bénédiction dans l'élément. Il réunit une fois les points suivants : « Deus medicus, homo ægrotus, sacerdos minister, gratia antidotum, vas sacramentum. » (De sacr., 1, 9, 4 : M. 176, 323). Hugues voit, dans le baptême et l'Eucharistie, les sacrements principaux, mais il désigne sous le nom de sacrement à peu près tout ce que l'Église contient et possède. Sa conception extérieure, d'après laquelle les sacrements consistent « in rebus, factis, dictis », est reprise par d'autres théologiens. P. Lombard signale, à côté du signe, la causalité : le sacrement n'est pas seulement signe, mais encore cause de la grâce. « Sacramentum proprie dicitur quod ita signum est gratiæ Dei et invisibilis gratiæ forma ut ipsius imaginem gerat et causa existat. » (Sent. 4, dist. 1, n. 2). Il est le premier scolastique qui applique cette notion aux sept sacrements de la Nouvelle Alliance. Étant donné son prestige comme « magister », cela est d'une grande importance. Guillaume d'Auxerre (+ 1232) répète la définition de Hugues : « Le sacrement est la forme visible de la grâce invisible, de telle sorte que cette forme exprime la ressemblance avec la grâce et est cause de cette grâce. « Forme » a encore ici le sens qu'avait ce mot avant l'aristotélisme et désigne tout le rite extérieur du sacrement.

S. Thomas donne cette définition : « le sacrement proprement dit... est le signe d’une chose sacrée en tant qu’elle sanctifie l’homme. » (S. th., 3, 60, 2). Les sacrements sont des signes, plus précisément des signes sacrés, mystérieux. Mais tous les signes saints ne sont pas des sacrements ; un signe n'est sacrement que dans la mesure où il sanctifie les hommes (differentia specifica). S. Thomas fait rentrer l'effet (de grâce) dans la notion : « Tout signe d’une chose sacrée n’est pas un sacrement… on ne donne ce nom qu’aux choses qui signifient la perfection de la sainteté de l’homme » (S. th., 3, 60, 2 ad 3). A ce signe s'unissent aussi les paroles. Signe et paroles constituent le sacrement, qui, en tant que symbole, signifie la grâce et, en tant que cause instrumentale, de par la volonté et l'intention de Dieu, opère aussi cette grâce (S. th., 3, 60 et 62).

S. Bonaventure se rattache à S. Augustin, à S. Isidore et Hugues, et unit leurs déclarations. « Sacramenta sunt signa sensibilia divinitus instituta tamquam medicamenta, in quibus sub tegumento rerum sensibilium divina virtus secretius operatur, ita quod ipsa ex similitudine naturali repræsentant, ex institutione significant, ex sanctificatione conferunt aliquam spiritualem gratiam, per quam anima curatur ab infirmitatibus vitiorum. et ad hoc principaliter ordinantur tamquam ad finem ultimum ; valent tamen ad humiliationem, eruditionem et exercitationem, sicut ad finem, qui est sub fine. (Brevil., p. 6, c. 1).

Scot insiste fortement, dans sa notion de sacrement, sur le signe, que suit parallèlement la communication de la grâce opérée par Dieu. « Sacramentum signum, sensibile, gratiam Dei vel effectum Dei gratuitum ex institutione divina efficaciter significans, ordinatum ad salutem hominis viatoris. » (In 4, dist. l, q. 2, n. 9). Ce n'est pas dans le sacrement lui-même qu'il trouve la vertu divine, mais seulement dans la volonté de Dieu : « Susceptio sacramenti est dispositio necessitans ad effectum signatum per sacramentum, non quidem per aliquam formam intrinsecam... sed tantum per assistentiam Dei causantis illum effectum non necessario absolute sed necessitate respiciente potestatem ordinariam. Disposuit enim Deus universaliter et de hoc Ecclesiam certificavit, quod suscipienti tale sacramentum ipse confert et effectum signatum. » (In 4, dist. 1, q. 5, n. 13).

Le Concile de Trente tient compte, sans doute, de la doctrine générale des sacrements, mais c'est plutôt pour réfuter les objections protestantes que pour donner un exposé positif. Il dit cependant de l'Eucharistie qu'elle surpasse les autres sacrements, mais leur est conforme en ce qu'elle « est le symbole d'une chose sainte et une forme visible de la grâce invisible » (S. 13, c. 3). II n'y a pas d'autre définition officielle ; celle du Catéchisme romain a été citée plus haut (p. 230). S. Robert Bellarmin en fait le plus grand éloge. Des théologiens récents voudraient l'améliorer en y ajoutant l’élément de durée.

La définition métaphysique comprend le genre prochain et la différence spécifique. Selon le genre prochain, les sacrements de l'Ancien comme du Nouveau Testament sont des signes (S. Thomas). La différence spécifique des sacrements du Nouveau Testament réside dans le fait qu'ils peuvent aussi produire ce qu'ils signifient ; ce qui ne s'applique pas aux sacrements de l’Ancien Testament (ils ne communiquaient pas la grâce, mais la figuraient : Denz., 695).

Les Réformateurs n'avaient plus de place, dans leur système de justification par la foi seule, pour un moyen extérieur et efficace de grâce. Luther voulait même au début repousser le mot de sacrement. Si l'on garda quelques sacrements, ce fut en raison de leur importance historique, mais en contradiction avec le système tout entier. Tout au plus, le sacrement peut-il être une garantie extérieure ou une déclaration de la justice juridique (forensis).

« D'après Luther, la grâce est la disposition paternelle de Dieu, qui, à cause du Christ, appelle à lui l'homme pécheur et l'adopte en obtenant sa confiance par la foi au Christ souffrant. A quoi peut servir dès lors le sacrement ? » demande Harnac (H. D., 4è éd., 3, 852). D'après la Confession d'Augsbourg (p. 1, art. 13), les sacrements sont des moyens d’éveiller et de favoriser la foi, en donnant à celui qui les reçoit l'assurance des promesses divines, dont il a d'ailleurs la garantie dans sa foi fiduciaire et l'Évangile qui lui parle de l’amour miséricordieux du Père. Lemme lui-même se demande s'il ne faut pas un degré plus élevé de foi pour pouvoir se passer de cette assurance que donne le sacrement. (Doctrine de foi, 2 (1919), 156).

Le Concile de Trente opposa nettement à la conception protestante des sacrements la conception catholique : « Si quelqu’un dit que ces sacrements n’ont été établis que pour nourrir la foi, qu'il soit anathème » (S. 7, De sacram. in gen., can. 5). « Si quelqu'un dit que les sacrements de la nouvelle Loi ne contiennent pas en eux la grâce qu'ils signifient, ou bien qu'ils ne confèrent pas la grâce elle-même à ceux qui ne s'y opposent pas, ou bien qu'ils ne sont que des signes extérieurs de la grâce ou de la justice reçue par la foi, et des marques de la profession de foi chrétienne, par lesquelles les fidèles se distinguent, devant les hommes, des infidèles, qu'il soit anathème » (Ibid., can. 6 : Denz., 848 sq.).

R. Seeberg raconte à ses lecteurs que, dans la Scolastique, « la doctrine sacramentaire, telle qu'elle fut acceptée sans changement par le Concile de Trente, eut deux motifs d'évolution : la matérialisation de la grâce et la notion hiérarchique de l'Église. Dans les sacrements s'écoule la grâce, mais ce sont les prêtres qui font les sacrements. » Or c'est ce qu'enseigne déjà S. Pierre dans son discours de la Pentecôte (Act. Ap., 2, 38). Au sujet du « caractère impérieux » de la grâce, cf. § 112 et 126.

Dans les négociations très actives de nos jours pour l'union des Églises, les Grecs et les Russes conservent toujours la manière de voir de l'ancienne Église. On peut l'affirmer aussi des anglicans d'Angleterre et d'Amérique.

L'« Église orientale » garde pour désigner le sacrement le mot biblique « mysterium » et en donne (Gallinicos, 38) une définition semblable à la nôtre. « Les mystères sont des cérémonies saintes qui nous ont été transmises par le Christ et les Apôtres, et dans lesquelles, sous des signes visibles, nous est communiquée la grâce divine invisible. » « Ces mystères sont au nombre de sept. » Pour administrer légitimement ces mystères, il faut : « 1° Un ministre régulièrement ordonné et qui accomplisse l'action sainte ; 2° La matière prévue pour chaque sacrement ; 3° Les paroles appropriées, car c'est quand elles sont prononcées que la matière devient le conducteur de la grâce spécifique de chaque sacrement. » Les Orientaux ne connaissent pas formellement l'« opus operatum », mais il se trouve dans les trois points que nous venons de citer. Ils insistent beaucoup, comme nous d'ailleurs, malgré l’« opus operatum », sur les dispositions subjectives.

§ 158. Le signe sacramentel. Matière et forme

On a distingué dès le commencement deux aspects dans le sacrement : l'aspect extérieur ou le signe et l'aspect intérieur ou la grâce. Mais depuis S. Augustin, le signe seul est appelé sacrement (cf. plus haut, p. 231) et ce signe lui-même est divisé en deux composants, un composant matériel et un composant formel ; autrement dit, l'élément et la parole. La Scolastique ramène ces composants aux catégories aristotéliciennes de la matière (materia) et de la forme (forma). C'est la traduction en langage métaphysique de ce qu'avait exprimé S. Augustin dans sa célèbre formule : « La parole se joint à l'élément, et aussitôt se fait le sacrement » (ln Joan., 80, 3).

On distingue encore, depuis environ 1250, la matière sacramentelle en matière éloignée et en matière prochaine (materia remota et m. proxima). La matière est éloignée quand on envisage l'élément en soi et pour soi (substantia materialis). Elle est prochaine dans son application sacramentelle (applicatio seu usus). Ainsi, par ex., dans le baptême, l'eau est la matière éloignée, l'ablution faite avec l'eau est la matière prochaine.

Cette terminologie n'a pas été dogmatisée, mais elle est d'usage général et a été prise en considération par le Concile de Trente, de même que par Eugène IV et le Catéchisme romain. Les différentes interprétations et les diverses applications du schéma de la matière et de la forme seront expliquées quand on traitera de chaque sacrement en particulier.

L’Écriture nomme tout d'abord, d'une manière très nette, un élément à propos des sacrements principaux, le baptême et l'Eucharistie ; pour le baptême, l'eau (Jean, 3, 5 ; Math., 28, 19 ; Eph., 5, 26) et, pour l'Eucharistie, le pain et le vin. (Math., 26, 26-28 ; 1 Cor., 11, 23-26). On trouve ensuite un élément pour l'Extrême-Onction. (Jacq., 5, 14). Dans la Confirmation, on peut considérer l'imposition des mains comme élément. (Act. Ap., 8, 17).

Chez les Pères, c'est surtout le baptême qui permet de faire cette distinction. C'est à propos du baptême que S. Augustin écrit cette phrase souvent citée. « Enlevez la parole, que sera l'eau, sinon de l'eau ? La parole s'ajoute à l'eau pour faire un sacrement. » (In Joan., 80, 3). « Ôte l’eau, il n’y a plus de baptême ; ôte la parole, le baptême n’existe plus » (In Joan., 15, 4).

La Scolastique adopta d'abord la formule augustinienne de l'élément et de la parole ; elle appela l'élément la « matière » et la parole la « forme ». Cependant elle n'entendait pas la « forme » au sens philosophique, mais en tant que « forma verborum » (les mots de la formule d’administration). Après l'introduction de l’aristotélisme, la signification du mot forme devint peu à peu celle que nous lui connaissons aujourd'hui et on se représenta les sacrements comme constitués parles deux composants que sont la matière et la forme : la matière est l'élément sacramentel à déterminer, la forme est l'élément déterminant. La priorité de l'usage courant aujourd'hui est d'ordinaire attribuée à Guillaume d'Auxerre. A la fin du 13ème siècle, c'est une expression commune de l'Ecole. S. Thomas dit : « dans les sacrements les paroles remplissent le rôle de la forme, et les choses sensibles celui de la matière » (S. th., 3, 60, 7). Eugène IV se rattache à la Scolastique et emploie sa terminologie dans son instruction pour les Arméniens : « Hæc omnia sacramenta tribus perficiuntur, videlicet rebus tamquam materia, verbis tamquam forma, et personna ministri conferentis sacramentum, cum intentione faciendi quod facit Ecclesia. » (Denz., 695 ; cf. aussi Trid., s. 14, c. 3 : Denz., 986). Cette formule se trouve aussi dans le Catéchisme romain. On peut donc parler d'un usage dogmatique général qui exige qu'on en tienne compte.

Le sens de la formule est figuré, analogique et non philosophique. De même que, d'après la philosophie aristotélicienne-scolastique, les choses naturelles sont constituées par un élément indéterminé, la matière, et un élément déterminant, la forme, de même aussi le sacrement est composé d'une action indéterminée en soi et comportant plusieurs sens, et de paroles qui la déterminent. Ainsi, par ex., une ablution peut avoir en soi plusieurs fins ; mais, dans le baptême, sa nature sacramentelle est nettement déterminée par la forme, par les paroles. Les deux éléments constituent, par suite, nécessairement une unité. Mais alors que dans les choses naturelles la matière et la forme constituent une unité physique, elles constituent dans les sacrements une unité extérieure, morale. C'est pourquoi aussi, dans le sacrement, elles peuvent admettre une séparation temporelle, comme c'est le cas, parfois, dans la Pénitence et le mariage, pourvu que leur connexion morale reste reconnaissable. Cependant, dans le baptême, la Confirmation, l'extrême-onction, l'Ordre, elles doivent rester étroitement unies, parce que, dans ces sacrements, la forme exige et suppose la présence de la matière. Dans l'Eucharistie, la forme doit être conçue comme un élément constitutif essentiel du sacrement, en tant qu'elle cause le sacrement, et ensuite persévère moralement dans le sacrement (comme sacramentum permanens). S. Thomas se réfère, pour marquer l'importance de la forme et de la matière, au Christ, le sacrement vivant de l'humanité, dans lequel se trouve également une union de la Parole divine et de la nature humaine visible ; ensuite à la nature humaine qui est composée de corps et d'esprit : la matière sacramentelle touchant le corps et la forme ou la parole portant la foi dans l'âme ; et enfin au signe lui-même qui sans la parole ne serait pas suffisamment clair. (S. th., 3, 60, 6).

Les paroles « consacrent », « sanctifient » tant le signe que le sujet du sacrement lui-même : 1° Le signe, en tant qu'elles élèvent l'action naturelle du sacrement à l'être surnaturel d'un moyen de grâce ; 2° Le sujet du sacrement, en produisant en lui, précisément en tant que forme, l'effet sanctifiant de la grâce. D'après la doctrine sacramentaire protestante, les paroles, comme tout le sacrement, n'ont qu'une importance didactique, en tant qu'elles assurent le sujet de la promesse divine de la rémission des péchés (verba concionalia, promissoria).

Thèse. Les paroles de la forme ont, d'après la doctrine catholique, une vertu sanctifiante, consécratoire (verba sacramenti sunt consecratoria).

L’Écriture indique la conception catholique en attribuant aux paroles de bénédiction un effet absolument objectif. Ainsi S. Paul parle du « calice de bénédiction que nous bénissons » comme d'une participation au sang du Seigneur (1 Cor., 10, 16). Le calice est donc élevé par la bénédiction à un être surnaturel. Quant aux paroles de l'administration du baptême, il les appelle des « paroles de vie », en considération du sujet dans lequel elles produisent la vie. « D'où vient une telle vertu de l'eau », demande S. Augustin, « qu'elle touche le corps et purifie le cœur, si ce n'est de l'effet de la parole ? » (ln Joan., 80, 3). Il ajoute que la parole n'a pas cette vertu comme simple parole matérielle, mais à cause de son contenu saisi par la foi (non quia dicitur sed quia creditur). C'est ainsi également que S. Thomas explique l'importance de la parole. (S. th., 3, 60, 7 ad 1 ; 60, 4 ad 3). Bellarmin et les théologiens controversistes se servirent de la proposition formulée ci-dessus pour combattre la théorie protestante. Bellarmin dit : « Verbum, quod cum elemento sacramentum fecit, non est concionale, sed consecratorium » (De sacr., 1, 19). Il est à peine nécessaire de dire que les paroles n'ont pas leur vertu consécratoire par elles-mêmes, mais uniquement par l'ordonnance divine.

Au sujet du contenu de la forme, on ne trouve chez les Pères que des indications générales. D'ordinaire, on la désigne comme une prière. Au début, elle était déprécative. Par contre, l'évolution de la doctrine sacramentaire lui fit donner dans la Scolastique (vers 1250) une conception indicative. La forme déprécative considère davantage l'origine divine de l'efficacité des sacrements ; la forme indicative signifie davantage l'efficacité des sacrements dans la main du ministre. Plusieurs prières sacramentelles nous ont été conservées dans les anciennes liturgies et ordonnances ecclésiastiques.

Les paroles sacramentelles ayant une valeur objective, elles peuvent aussi être prononcées dans une langue étrangère. Cependant les prêtres ont le devoir d'expliquer au peuple ces saintes paroles, afin qu'il puisse suivre avec profit l'administration des sacrements. La conception catholique des paroles sacramentelles n'exclut aucunement leur but édifiant ; elle le favorise plutôt mais le place seulement au second rang. L'Église évite le caractère mécanique de la réception des sacrements par la préparation psychologique. Elle a connu depuis le début (Act. Ap., 2, 38 : 8, 29-38) l'usage de l'instruction baptismale. Nous parlons d'« instructions » sur le baptême, sur la Confirmation, sur la confession, sur la communion, sur le mariage.

Par rapport à la valeur significative du signe sacramentel, la Scolastique souligna encore un triple élément : Le signe sacramentel indique, par rapport au passé, la source des grâces, dans la Passion du Christ (signum rememorativum) ; par rapport au présent, la grâce intérieure elle-même (s. demonstrativum), et, par rapport à l'avenir, le but de la grâce, la gloire éternelle (s. prænuntiativum ; S. th., 3, 60, 3). Cf. l'antienne eucharistique : « (ln ea) recolitur memoria Passionis ejus, mens impletur gratia et futuræ gloriæ nobis pignus datur. »

La matière et la forme produisent l'effet du sacrement ensemble, cet effet n'est pas produit par la forme seule. Cela résulte d'abord de l’Écriture, qui nomme les deux éléments ensemble, mais aussi des relations entre la matière et la forme qui, dans l'ordre physique, n'existent pas et n'agissent pas séparément, mais toujours dans leur union.

L'importance de la matière elle-même pour le sacrement résulte de ce fait que, depuis les temps anciens, on ne l'emploie pas dans son état naturel, mais on la consacre préalablement. Cela est solidement établi surtout pour le baptême et la Confirmation (consécration de l'eau et de l'huile vers 200). Au reste, la Scolastique considère cette consécration, sauf pour le baptême, comme très importante, voire même essentielle. L'évêque consacre l'huile des infirmes et le saint chrême, entouré d'une assistance solennelle, le Jeudi-Saint. Quant à l'eau, elle est consacrée par le prêtre aux jours où, dans l'ancienne Église, on conférait le baptême, à Pâques et à la Pentecôte.

La Scolastique a cherché une autre manière d'éclairer la nature des sacrements : cette méthode commence déjà chez Hugues. (S. 6, 3). Elle distingue dans le sacrement lui-même, dans le sacrement complet et non seulement dans le signe extérieur, trois parties métaphysiques essentielles : le signe extérieur en soi (sacramentum tantum), la grâce intérieure (res tantum) et un moyen terme qui est aussi bien le signe que la grâce signifiée (sacramentum et res).

L'explication de la première et de la seconde parties essentielles est simple et s'applique à tous les sacrements. Il n'y a une certaine difficulté que dans l'application de la dernière. Pour les sacrements qui impriment un « caractère », ce caractère est l'élément moyen qui est le signe de la grâce et est en même temps, en soi, déjà une grâce. Cela sera précisé plus tard (§ 159) dans la doctrine du caractère. Dans l'Eucharistie, la réalité sacramentelle du corps du Christ peut être considérée comme ce moyen terme. Dans la Pénitence, l'Extrême-Onction et le Mariage, il est difficile de trouver un élément qui soit à la fois signe et grâce. Dans l'Extrême-Onction et le Mariage, quelques théologiens pensent à un « quasi-caractère » ou à un « ornement de l'âme » (ornatus animæ) que l'on pourrait entendre comme une disposition à la grâce. Dans la Pénitence, on ne trouve aucun point d'appui pour une telle détermination. Cette formule n'a cependant pas seulement une simple valeur théorique : elle a aussi une importance pratique pour la reviviscence des sacrements qu'elle servira plus loin (§ 163) à expliquer. Schultes (Contrition et Pénitence (1907), 36 sq.), démontre que, d'après l'opinion de S. Thomas, cet élément intermédiaire pour la Pénitence se trouve dans la contrition, en tant qu'elle est opérée par le sacrement lui-même.

Remarquons enfin que, depuis la Scolastique, on entend parfois par matière du sacrement tout le rite extérieur et par forme la grâce et qu'on parle, par suite, d'un sacrement formé (sacramentum formatum) et d’un sacrement informe (s. informe). Dans le premier cas, le sacrement est administré validement et reçu dignement ; dans le second cas, il est administré validement, mais reçu indignement si le sujet est de mauvaise foi, et sans communication de grâce, si le sujet est de bonne foi.

Noldin établit les règles pratiques suivantes concernant la matière et la forme : 1° debent esse certæ ; si certæ desunt, on doit, in casu necessitatis (baptême), se servir d'une materia dubia ; in casu utilitatis, on peut s'en servir (l'extrême-onction avec l'huile des catéchumènes) ; 2° simul unitæ ; 3° ab eodem ministro applicatæ quia actio una ; en cas de nécessité, certains théologiens soutiennent la validité du sacrement administré par deux ministres (Suarez, loc. cit., disp. 2, s. 2, n. 6) ; autrement quand plusieurs personnes font les fonctions de ministres, l'administration, sauf dans l'ordination, serait illicite, mais valide ; 4° sine mutatione substantiali. » (De sacram., 11è éd. (1914), 12 sq.)

Remarquons encore que, parmi les sacrements, six ne reçoivent une existence réelle que dans le sujet (sacramentum fit in homine). Cela est important pour comprendre la « matière éloignée » et la « matière prochaine ». Ce n'est que dans l'Eucharistie que la confection (confectio) et l'administration (administratio) peuvent être séparées, le sacrement reçoit alors une indépendance objective.

§ 159. Les effets des sacrements

A consulter : S. Thomas, S. th. 3, 63, 1-6. Pourrat, 185 sq. Holder, Le caractère sacramentel (Rev. August., 1909, 25 sq.), La causalité instrumentale dans l'ordre surnaturel (2e éd., 1924). Revue thomiste 1931, 219-233 et 289-302. Eu. Hugon, De Sacramentis et de Novissimis (Tract. dogmat., vol. 3). Bell et Ad. Dejssmann, Mysterium Christi (1931), v. « sacramentalismus ».

THÈSE, Tous les sacrements confèrent à celui qui les reçoit dignement la grâce sanctifiante.             De foi.

Explication. En face de la conception protestante qui vidait le sacrement de son contenu, le Concile de Trente affirma sa relation ferme avec la grâce et déclara que, par les sacrements, toute vraie justice est ou commencée ou augmentée ou rétablie : « toute vraie justice commence par les sacrements, est augmentée par eux quand elle existe ou rétablie par eux quand elle est perdue » (S. 7 proœm). Il frappe d'anathème celui qui dit que « les sacrements de la Nouvelle Alliance ne sont pas nécessaires au salut, mais superflus, et que les hommes obtiennent de Dieu, sans les sacrements ou sans le désir des sacrements, par la foi seule, la grâce de la justification. » Le Concile ajoute que cependant « les sacrements ne sont pas tous nécessaires à chacun en particulier » (Can. 4). Le Concile définit ensuite : « Si quelqu’un dit que les sacrements de la nouvelle Loi, ne contiennent pas la grâce qu'ils signifient ; ou qu'ils ne conférent pas cette grâce à ceux qui n'y mettent point d'obstacle ; comme s'ils étaient seulement des signes extérieurs de la justice ou de la grâce qui a été reçue par la Foi… qu’il soit anathème » (Can. 6). « Si quelqu’un dit que la grâce, quant à ce qui est de la part de Dieu, n'est pas donnée toujours, et à tous, par ces sacrements, encore qu'ils soient reçus avec toutes les conditions requises ; mais que cette grâce n'est donnée que quelquefois, et à quelques-uns : Qu'il soit anathème » (Can. 7 : Denz., 847, 849, 850).

Preuve. L'efficacité de grâce sera prouvée en détail à propos de chaque sacrement. Il suffit de citer ici quelques passages. D'après Jésus, la régénération se produit « de l'eau et du Saint-Esprit » (Jean, 3, 5). Au sujet de l'Eucharistie, il enseigne : « celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle » (Jean, 6, 55). Les Apôtres, par l'imposition des mains et la prière, confèrent le Saint-Esprit (Act. Ap., 8, 17 sq.)

S. Pierre annonce, le jour de la Pentecôte : « Faites pénitence et que chacun se fasse baptiser au nom de Jésus pour la rémission des péchés et vous recevrez le don du Saint-Esprit. » (Act. Ap., 2, 38). Le disciple Ananie dit à Saul : « Lève-toi, reçois le baptême et purifie-toi de tes péchés, en invoquant son nom. » (Act. Ap. 22, 16). S. Paul écrit : « Dieu nous a sauvés selon sa miséricorde par le bain de la régénération et en nous renouvelant par le Saint-Esprit. » (Tit., 3, 5 ; cf. 1 Cor., 6, 11). Dans tous ces passages, les sacrements sont les moyens par lesquels Dieu communique sa grâce.

Les Pères. Leur manière de voir sur l'effet des sacrements comme moyen de grâce ressort des textes que nous avons cités pour exposer leur notion du sacrement. On s'en rendra plus clairement compte quand nous traiterons de chaque sacrement en particulier. Comme ils unissent intimement le sacrement et la grâce, ils cherchent à supprimer l'hésitation que peut avoir la foi devant un simple élément en faisant appel à la toute-puissance de Dieu. « D'où vient cette si grande vertu de l'eau ? », s'écrie S. Augustin. Ils insistent, en même temps, sur le caractère mystérieux des sacrements. Ils insistent aussi fortement sur les dispositions personnelles du sujet. Mais il faut se rappeler que, chez les adultes, le défaut de dispositions peut empêcher l'effet de grâce. Et précisément S. Augustin écrit : « Ce n'est pas par les mérites de celui qui l'administre, ni par les mérites de celui à qui il est administré que le baptême existe, mais par sa propre sainteté et vérité, à cause de celui qui l'a institué » (C. Cresc. Donat., 4, 16).

La Scolastique avait une haute conception de la nature de la grâce ; elle y voyait avec raison quelque chose de divin. Or elle déduisait de cette nature élevée de la grâce que les sacrements n'étaient pas capables de la produire, car un être créé n'est pas capable d'une action aussi sublime. Les Pères avaient établi cette thèse biblique que Dieu seul produit et peut produire la grâce. D'un autre côté, les Pères enseignaient, conformément à l’Écriture, que les sacrements confèrent l'Esprit-Saint, la grâce. On ne sut pas tout d'abord mettre en harmonie les deux vérités établies. Le respect que l’on avait, à juste titre, pour la première, lui faisait donner la prédominance et l’on affaiblissait la seconde. On disait en effet que la grâce est produite par Dieu seul directement et par mode de création, sans possibilité de coopération de la part des créatures, et que les sacrements n'avaient d'autre rôle que de préparer l'âme en la disposant ontologiquement à la réception de la grâce, au moyen du « caractère » sacramentel (character indelebilis) qui lui est imprimé dans trois sacrements, ou de ce qu'on appelait l'« ornement de l’âme » (ornatus animæ) dans les autres sacrements, lesquels ne comportent pas de caractère (Alexandre, S. Bonaventure, S. Albert, S. Thomas). S. Thomas abandonna plus tard l’« ornatus » et Scot alla même jusqu'à le combattre, en déclarant que cet « ornatus » était lui aussi une forme surnaturelle et qu’ainsi, d'après l'ancienne théorie, une cause créée ne saurait la produire. Billot reprend presque textuellement la théorie de l'efficacité dispositive des sacrements, comme on le verra au paragraphe 161.

L'effacement sacramentel des péchés véniels. S. Thomas dit qu'il n'a pas été institué de sacrement spécial pour effacer les péchés véniels. Il n'entend pas dire par là que les péchés véniels eux-mêmes ne peuvent pas être effacés par les sacrements. Il enseigne même expressément qu'ils peuvent l'être (S. th., 3, 87, 3). « Les péchés véniels sont effacés par l’infusion de la grâce... C’est de la sorte qu’ils sont effacés par l’eucharistie, l’extrême-onction et en général par tous les sacrements de la loi nouvelle qui confèrent la grâce ». Le Concile de Trente caractérise l'Eucharistie comme « une antidote, par laquelle nous sommes délivrés de nos fautes journalières » (s. 13, c. 2) et, dans l'administration de l'extrême-onction, le ministre demande à Dieu de pardonner à celui qui la reçoit « tous les péchés qu’il a commis ». Cependant il faut, comme dans tous les cas, d'après la doctrine de S. Thomas, un certain degré de contrition.

Sacrements des vivants et sacrements des morts. Tous les sacrements de la Loi nouvelle produisent en nous la grâce sanctifiante, mais ils ne la produisent pas tous de la même manière. Quelques-uns sont institués pour conférer cette grâce une première fois, pour produire la justification première ; d'autres, par contre, ont comme but d'augmenter la grâce déjà existante, de produire la justification seconde. D'après cette distinction, on partage les sacrements en sacrements des vivants (spirituellement) et des morts (spirituellement). Le Baptême et la Pénitence sont des sacrements des morts ; les autres sont des sacrements des vivants.

Le Concile de Trente ayant dit que toute vraie justice commence par les sacrements, est augmentée par eux quand elle existe ou rétablie par eux quand elle est perdue (s. 7 proœm.), la théologie postérieure a tenu compte de ces précisions et distingué entre les sacrements des morts qui établissent ou rétablissent la justice qui fait défaut et les sacrements des vivants qui augmentent la justice existante (Cf. Salmant, De Sacram. in communi, disp. 4, dub. 7, n. 118 ; cf. n. 104).

Dans certaines circonstances subjectives. il peut arriver parfois (per accidens), d'après une opinion répandue qui s'appuie sur S. Thomas. que les sacrements des vivants confèrent la justification première. Il faut pour cela une double condition, que le sujet ne sache rien de son état réel de péché mortel, qu'il soit à ce sujet dans la bonne foi (bona fide) et que, d’autre part, il ait, de ses péchés graves en général, une contrition imparfaite. Il est clair que personne n'a le droit de recevoir avec une mauvaise conscience (mala fide, « fictio », dit-on, depuis S. Augustin) un sacrement des vivants ; il commettrait un sacrilège. De même, on comprend que le sujet doive avoir la contrition imparfaite de ses péchés graves, car, en aucun cas, on ne peut espérer le pardon sans cette contrition. Mais pour admettre, dans le cas supposé, que seule la contrition imparfaite soit nécessaire, on s'appuie sur la vérité dogmatique que le sacrement opère toujours la grâce quand il n'y a pas d'empêchement (du péché) ; or, par l'attrition, cet empêchement est suffisamment écarté, car le sujet n'est pas attaché actuellement au péché, à cause de sa bonne foi, et il n'y est pas attaché habituellement à cause de son attrition. Les théologiens appliquent cette théorie à tous les sacrements des vivants. Lugo voudrait excepter l'Eucharistie ; mais c'est justement à propos de l'Eucharistie que S. Thomas explique la théorie (S. th.. 3, 79, 3).

On comprend plus facilement l'envers de cette proposition, à savoir que les sacrements des morts produisent parfois (per accidens) la justification seconde. C'est le cas dans la Pénitence, quand ce sacrement est reçu en état de grâce, et dans le baptême, quand un adulte le reçoit avec la contrition parfaite. Tous les théologiens admettent cette efficacité pour je baptême ; ne l'admettent pour la Pénitence que les théologiens qui se rattachent à S. Thomas (Gihr, Les sacrements, 1, § 15).

On a déjà signalé dans le traité de la grâce (cf. plus haut p. 123 sq.) que, d'après le Concile de Trente, les trois vertus théologales sont unies à la grâce de justification et que, d'après beaucoup de théologiens, y sont unis également les dons du Saint-Esprit. (S. 6, c. 7.) On a indiqué aussi que la mesure de grâce dépend non seulement de la libre bonté de Dieu, mais encore des dispositions humaines.

La grâce sacramentelle. Les théologiens enseignent généralement que les sacrements, chacun selon sa fin spéciale, produisent, outre la grâce sanctifiante commune à tous, des grâces particulières, qu'on appelle, parce qu'elles sont propres à chaque sacrement, des « grâces sacramentelles ». Le Concile de Trente ne touche pas ce point, mais il déclare anathème celui qui dit « que les sept sacrements sont tellement égaux entre eux que, sous aucun rapport, l'un n'est pas plus élevé que l'autre » (s, 7, can. 3), et il signale ensuite l'Eucharistie comme un sacrement qui surpasse les autres, en ce qu'il contient l'auteur de la grâce lui-même. (S. J 3, can. 3 : Denz., 846, 876.)

Les sacrements ne sont donc pas identiques entre eux : ils ont des signes différents, une matière et une forme différentes et, bien qu'ils produisent tous la grâce générale de justification, ils ont d'autres effets de grâce différents. Autrement on ne pourrait pas justifier suffisamment leur pluralité : un seul suffirait.

Quand on demande en quoi consiste la grâce sacramentelle, les théologiens donnent des réponses différentes. Quelques-uns pensent seulement à des grâces actuelles ; d'autres ajoutent des effets différents de la grâce habituelle, c.-à-d. des « habitus » unis à la grâce sanctifiante et qui diffèrent entre eux conformément au but de chaque sacrement. D'ordinaire, sous le nom de grâce sacramentelle, on n'entend que des grâces actuelles. S. Thomas dit, d'une manière générale, que la grâce sacramentelle ajoute à la grâce sanctifiante une certaine assistance divine (quoddam divinum auxilium) pour atteindre le but du sacrement (S. th., 3, 62, 2.).

On se demande encore comment on peut concevoir ces grâces actuelles comme unies au sacrement. D'ordinaire, au moment de la réception du sacrement, le besoin de ces grâces n'existe pas et ne se produit que plus tard. On admet donc qu'avec la grâce habituelle du sacrement, est conféré un droit durable aux grâces actuelles correspondantes et que ces grâces sont accordées plus tard, au moment convenable (tempore opportuno), en tenant compte de la coopération fidèle du sujet. La prière aussi est particulièrement nécessaire pour obtenir la grâce, car Dieu, même indépendamment des sacrements reçus, a promis d'exaucer nos demandes. A plus forte raison, accordera-t-il le secours de sa grâce à celui qui a déjà, dans un sacrement reçu, notamment dans un sacrement qui crée un état (Ordre, mariage), un certain droit à cette grâce.

La plupart des théologiens estiment que les grâces sacramentelles et extra sacramentelles ne sont pas différentes dans leur essence interne, mais seulement dans leur collation extérieure. On trouve des attestations de grâces extra sacramentaires dans Act. Ap., 10, 47 ; 11, 17. Les protestants ne sont pas le moins du monde fondés à reprocher à la doctrine catholique d'enseigner que toutes les grâces sont conférées uniquement par les sacrements. La doctrine catholique ne se contente pas d'admettre, mais encore elle indique positivement que les grâces actuelles et même la justification peuvent parvenir à l'homme par des voies extra sacramentelles. S. Thomas dit : « Dieu n’a pas attaché sa vertu aux sacrements au point de ne pouvoir sans eux produire leur effet » (S. th., 3, 64, 7). La proposition janséniste qui prétend que les Juifs et les païens ne recevraient aucune grâce a été expressément condamnée (Denz., 1295). La grâce étant nécessaire pour la préparation au baptême, il résulterait de la proposition janséniste que la conversion au christianisme serait intérieurement impossible ; ce serait la mort de toute idée missionnaire.

THÈSE. Trois sacrements : le Baptême, la Confirmation et l'Ordre, ont comme effet particulier d’imprimer dans l'âme un caractère ineffaçable, c'est pourquoi on ne peut les réitérer.          De foi.

Explication. Caractère (de χαράσσειν, imprimer) signifie en général une marque distinctive. Dans la dogmatique, en raison de l’âme dont il est la marque distinctive, on l'entend comme un « sceau spirituel » qui, comme l'âme elle-même, est indestructible. Le caractère fut nié par Wiclef et les Réformateurs ; ces derniers le considéraient comme une invention des scolastiques. Aussi le Concile de Trente a défini : « Si quelqu’un dit que par les trois sacrements, du baptême, de la confirmation, et de l'ordre, il ne s'imprime pas dans l’âme de caractère, c'est-à-dire, une certaine marque spirituelle, et ineffaçable ; d'où vient que ces sacrements ne peuvent être réitérés : Qu'il soit anathème. (S. 7, can. 9 : Denz., 852).

Preuve. On ne peut tirer de l'Écriture que des insinuations en faveur du caractère : on les trouve dans S. Paul. Étant donnée sa tendance à opposer le Nouveau Testament à l 'Ancien comme la réalité à la figure, il compare le baptême, qui est l'incorporation dans la Nouvelle Alliance, à la circoncision qui était le signe de l'appartenance à l’Ancienne Alliance. C'est à la lumière de ce parallèle qu'il faut entendre les textes suivants : « Celui qui vous affermit avec nous dans le Christ et qui nous a oints, c'est Dieu, lequel nous a aussi marqués d'un sceau et nous a donné le gage de l'Esprit dans nos cœurs » (2 Cor., 1, 21-22). « C'est en lui que vous avez cru et que vous avez été marqués du sceau de l'Esprit-Saint qui vous avait été promis » (Eph.,1, 13). « Ne contristez pas le Saint-Esprit de Dieu dans lequel vous avez été marqués d'un sceau pour le jour de la rédemption » (Eph., 4, 30). Le baptême est, d'après Col., 2, 11, la circoncision chrétienne.

Les points suivants ressortent avec une précision égale de ces trois passages. Le chrétien, dès qu'il a cru et reçu le baptême, a été marqué par Dieu et a reçu le sceau qui marque son appartenance à Dieu. L'impression du sceau a été faite dans le Saint-Esprit ; celui-ci est la garantie que désormais le chrétien est la propriété de Dieu. Le sceau lui-même est considéré comme spirituel et doit persister jusqu'au jour de la rédemption complète.

Les Pères. Ils s'en sont tenus au début à cet exposé général de l’Écriture. Ainsi S. Cyprien écrit qu'à la fin du monde, « ceux-là seuls » échapperont au jugement « qui ont été régénérés et marqués du sceau du Christ » (Ad Dem., 22). En se référant à Eph., 1, 13, S. Jean Chrysostome expose : « Les Israélites furent marqués du sceau, mais par la circoncision, comme les troupeaux et les animaux sans raison ; nous avons été marqués du sceau nous aussi, mais comme des fils avec l'Esprit » (M. 62, 18). Cf. S. Ambroise (De Spir. Sancto, l, 78 sq. : M. 16, 752 sq. ; De Myst.,7, 42 : De sacram., 3, 28) ; S. Cyrille de Jérus. (Procat., 16).

On peut encore citer une série de témoignages de l'ère patristique antique pour l'usage chrétien du mot σφραγίς (caractère) et du mot χαραϰτήρ qui lui est objectivement identique. On peut citer S. Ignace (Magnes., 5, 2), d'après lequel les fidèles et les infidèles sont semblables à deux monnaies différentes, qui portent chacune une empreinte (χαραϰτῆρα) différente. Le chrétien reçoit son empreinte dans le baptême. Dans le baptême il reçoit un nouveau type (ἀλλον τύπον) et est, pour ainsi dire, créé de nouveau, dit le pseudo-Barnabé (Ep. 6, 11). On rencontre des pensées semblables chez S. Irénée (A. h., 4, 34, 1 ; 5, 6, 1 ; 5, 16, 1), chez Tertullien (Adv. Marc., 1, 27 ; De carn. resurr., 49 ; De bapt., 5), chez S. Methodius d'Olympe (Orat., 8 : M. 18, 149), chez S. Basile (De Spir. Sancto, 26, 64 : M. 32, 185). D'après ces Pères, Dieu imprime par le caractère son image ou celle de son Fils dans l'âme du chrétien ; il en est alors du chrétien comme du Fils de Dieu lui-même, lequel, selon l'expression paulinienne, est déjà « l’image de la divine substance » (Hébr., 1, 3). Mais pour notre doctrine spéciale du caractère, ces expressions ne sont pas entièrement probantes ; en effet, elles contiennent, comme presque tous les textes antérieurs à S. Augustin qu'on peut citer, la croyance patristique à l'effet complet du baptême et surtout à la communication du Saint-Esprit, autrement dit de la seconde image surnaturelle et divine : c'est ce que l'on appelle, depuis S. Athanase, la θείωσις du chrétien. Cependant la doctrine du caractère, en partant de ces pensées, s'est peu à peu développée en Occident. Elle ne se développa pas en Orient ; les Grecs n'ont pas de doctrine du caractère. Il leur a manqué l'influence de S Augustin et de la Scolastique.

S. Augustin est le premier qui ait traité le caractère d'une manière théologique. Ce qui l'y amena, ce fut la question qui se posait pendant la controverse donatiste : Que produisent les sacrements en dehors de l'Église ? Dans la controverse du baptême des hérétiques, S. Cyprien avait répondu avec Tertullien que les sacrements en dehors de l'Église n'ont aucun effet. Ce point de vue était inacceptable pour S. Augustin après la décision du Pape S. Étienne (254-257). Cependant il ne reconnaissait pas la pleine efficacité aux sacrements administrés par les schismatiques. Il s'agissait du Baptême et de l'Ordre. S. Augustin distingue entre le sacrement et son effet, ce que S. Cyprien n'avait pas fait, et il dit que le sacrement administré en dehors de l'Église peut être très validement administré, mais ne produit pas l'effet salutaire de charité (caritas). Le schisme et la charité, dit-il, sont des choses opposées. Cependant le sacrement reçu dans le schisme a provisoirement un effet, il produit dans celui qui le reçoit le caractère (character dominicus regius). Ce caractère est inaliénable. « Est-ce que par hasard les sacrements chrétiens s'imprimeraient moins que les marques corporelles (d'un soldat) ? Nous voyons pourtant que les apostats eux-mêmes ne sont pas dépourvus du baptême, car quand ils font retour à l'Église dans la pénitence, on ne le leur administre pas de nouveau ; on le juge donc inamissible. » (C. Ep. Parm. 2, 13, 29 ; cf. Ep. 173, 3). Il faut en dire autant de l'Ordre. « Chacun des deux, en effet, est un sacrement et chacun est conféré à l'homme par une certaine consécration, dans le premier cas, quand l'homme est baptisé, dans le second cas, quand il est ordonné ; c'est pourquoi il n'est pas permis dans l'Église de réitérer ces deux sacrements. » (Ibid., 28.) Même un prêtre déposé conserve son caractère. (De bono conjug., 24 : « lors même qu'en punition de quelque faute un clerc mériterait d'être interdit des fonctions de son ordre, il conserve toujours le caractère du sacrement et il le portera au jugement dernier ». Cf. C. Ep. Parm. 2, 13, 30 ; C. Cresc. Donat., 1, 30, 35).

La Scolastique n'eut donc pas besoin d' « inventer » le caractère, il était connu depuis longtemps dans l'Occident. Il est vrai qu'Innocent III employa le terme pour la première fois en 1200 dans un document officiel (Denz., 410). Il constituait, depuis S. Augustin, un point d'appui pour expliquer la reviviscence des sacrements (baptême). « Par S. Augustin, dit d'Alès, la doctrine du caractère pénétra dans la théologie chrétienne » (92). Il faut signaler, dans l'argumentation scolastique, trois points : la doctrine de l'impossibilité de réitérer certains sacrements, la division tripartite du sacrement qu'on a signalée plus haut (sacramentum tantum, res tantum, sacramentum et res), et enfin l'exposé formel du caractère.

1. On expliqua l'impossibilité de renouveler les sacrements, au sujet du baptême, de la Confirmation et de l'Ordre (P. Lombard, 4, dist. 7, c. 5 ; dist. 23, c. 4). Comme raison on n'indiqua pas tout de suite le caractère, mais la mort du Christ qui n'a eu lieu qu'une fois ; on indiqua aussi l'honneur du sacrement auquel la réitération donnerait une apparence de faiblesse. Par contre, la haute Scolastique donne le caractère comme raison prochaine et la volonté de Dieu comme raison dernière. (S. Bon., Brevil., p. 6, c. 6, n. 3 ; S. Thomas, S. th.. 3, 63, 5). Pour l'Ordre, on hésita longtemps : On considérait l'Ordre lui-même comme inamissible, mais on pensait qu'un jugement ecclésiastique faisait perdre les pouvoirs. Alexandre de Halès et S. Thomas distinguèrent mieux entre l'exercice illicite et l'exercice valide de l'Ordre. (S. th. 3, 64, 9 ; 82, 7 et 8).

2. Quant à la division métaphysique tripartite, en usage depuis Hugues et P. Lombard, elle servit à la doctrine du caractère en ce sens qu'on appliqua l'élément moyen (sacramentum et res) au caractère, lequel est en soi une grâce (charisme) et en même temps signifie et exige la grâce sanctifiante.

3. En ce qui concerne l'exposé formel du caractère, au début on employa aussi ce mot (character) pour désigner la Croix, la foi, le signe de croix, le sacrement extérieur. On le trouve pour la première fois comme terme technique chez Innocent III qui dit, dans une instruction à l'archevêque d'Arles, que quiconque reçoit volontairement le baptême reçoit aussi le caractère (Denz., 410). A partir de là,nous trouvons régulièrement dans les Sommes des scolastiques des exposés sur le caractère. Leur opinion sur l'essence du caractère n'est pas unanime. Et cela se comprend, étant donnée sa nature mystérieuse. Au début, on insista presque uniquement sur le caractère du Baptême, mais on y ajouta bientôt le caractère de l'Ordre et enfin celui de la Confirmation.

Parmi les scolastiques antérieurs à S. Thomas, Guillaume d'Auvergne (+ 1249), Guillaume d'Auxerre (+ ap. 1230), Hugues de Saint-Cher (+ 1263) et surtout Alexandre de Halès (+ 1245) ont examiné le caractère. Alexandre est le premier à étudier la nature du caractère, son but, son sujet, le nombre des sacrements qui le comportent,son inamissibilité, son effet. A lui se rattachent S. Bonaventure et même S. Albert le Grand. D'après ces trois scolastiques, le caractère est un habitus. C'est pour cela qu'il est ineffaçable. D'après Alexandre, il a un quadruple but : 1° il signifie ; 2° il dispose ; 3° il produit une ressemblance ; 4° il distingue. Il signifie la grâce, il y dispose l'âme ; il fait ressembler à Dieu ; il distingue celui qui est marqué du caractère, de tous les autres. Que le caractère soit une disposition pour la grâce, on l'a déjà dit ; on a dit de même qu'il distingue celui qui le porte. Seulement on précisait mieux maintenant le caractère dans les trois sacrements qui le comportent et chaque fois on lui attribuait l’établissement d’un nouvel état de foi (status fidei). Ce n’est pas seulement le caractère du Baptême qui crée un nouvel état de foi (st. fidei genitæ), mais encore le caractère de la Confirmation (st. fidei robustæ) et le caractère de l'Ordre (st. fidei multiplicatæ). Le troisième point, à savoir que le caractère rend semblable à Dieu, plus précisément à l'Homme-Dieu, était nouveau. On considérait l'âme comme sujet du caractère. Le caractère de l'Ordre était attribué aux sept Ordres. Pour ce  caractère, on ne signale guère, comme effet, que le pouvoir spirituel, par conséquent on insiste sur l'importance liturgique, cultuelle et non sur les dispositions sacramentelles.

S. Thomas s'écarte des trois grands scolastiques en donnant non seulement au caractère de l'Ordre, mais encore aux deux autres, une importance cultuelle. Tout caractère habilite directement à des actes cultuels et indirectement aussi à la grâce, sans laquelle ces actes cultuels ne peuvent être accomplis dignement. Le caractère est en soi moralement indifférent : il peut être bien ou mal employé ; ce n'est donc pas un « habitus » qui ne peut être que bien employé, mais seulement une puissance pour le culte divin. Or ce culte consiste à recevoir ou à conférer du divin. Dans un cas comme dans l'autre, il faut une puissance ; dans le premier, une puissance passive, dans le second, une puissance active. « C’est pourquoi le caractère implique une puissance spirituelle qui se rapporte à ce qui appartient au culte divin ; toutefois il est à remarquer que cette puissance spirituelle est instrumentale, comme nous l’avons dit plus haut (quest. préc., art. 4) au sujet de la vertu qui existe dans les sacrements » (s. th. 3, 63, a. 2). La cause et le modèle du caractère, c'est le Christ, comme l'avaient déjà expliqué Alexandre, S. Bonaventure et S. Albert. S. Thomas approfondit davantage la question et voit une ressemblance avec le Christ non seulement dans le caractère de l'Ordre, mais encore dans celui du Baptême et dans celui de la Confirmation. C'est par ce triple caractère qu'on participe au sacerdoce du Christ. Le siège du caractère est la puissance de l’intelligence (d'après Scot, c'est celle de la volonté ; d'après Suarez, c'est la substance de l'âme). La nature indestructible du caractère résulte de la permanence de son prototype, le Christ. Même dans l'au-delà, le caractère demeure pour l'honneur des bons et pour la confusion des mauvais. Le Christ lui-même ne possédait pas de « caractère », mais plutôt les pleins pouvoirs essentiels dont le caractère ne confère qu'une participation incomplète (S. th., 3, 63, 5). Les théologiens de Salamanque ont suivi S. Thomas : « Character est potestas spiritualis configurans homines sacerdotio Christi ad divina suscipienda vel agenda. »

La théologie postérieure en est restée à cette interprétation du caractère. Il n'y a que Scot et surtout Durand qui aient exposé des opinions différentes sans pouvoir trouver de partisans. D'après Durand, le caractère serait une relation purement extérieure et non un accident réel dans l’âme. Suarez dit : « Characterem esse (existimo) qualitatem primæ speciei, scil. dispositionem seu habitum convenientem ipsi animæ et perficientem illam sine ullo ordine ad operationem (contre S. Thomas) sicut pulchritudo vel sanitas, vel bona corporis dispositio. »

Dans son essence la plus intime, le caractère sacramentel est quelque chose d'absolument caché et mystérieux, encore bien plus éloigné des recherches et de la connaissance humaines que la grâce sanctifiante, écrit Gihr (Sacrements, l, 83.) Cela est parfaitement jugé. En effet, la grâce sanctifiante se manifeste davantage dans ses effets extérieurs et est décrite, dans la Révélation, d'une manière plus précise et plus déterminée.

Par rapport à la fonction ou au but, les théologiens modernes appellent le caractère un signe distinctif, dispositif, configuratif et imposant des obligations (signum distinctivum, dispositivum, configurativum, obligativum). Seule la dernière détermination a encore besoin d'une explication : en tant que signe imposant des obligations, le caractère indique en effet que celui qui a reçu le caractère est au service du culte divin dont il doit observer fidèlement les prescriptions et exercer avec zèle les pouvoirs. - Au sujet des relations réciproques des trois caractères, les théologiens estiment que le caractère suivant complète à chaque fois le caractère précédent et se fond avec lui dans une unité.

Il faut encore remarquer ce qui suit : 1° Le caractère est toujours imprimé quand le sacrement est administré et reçu validement ; 2° Il est indépendant des qualités morales du sujet et, par suite, égal chez tous ; 3° La grâce s'accroît et diminue, le caractère reste immuablement le même, dans les bons comme dans les mauvais.

Au sujet de la possibilité de réitérer les sacrements, Noldin fait les remarques pratiques suivantes: 1° Peuvent en soi être réitérés la Pénitence (et, en certaines circonstances, elle doit l'être) et l'Eucharistie (qui est un sacramentum permanens en soi et pour les fidèles) ; 2° Peut être réitéré tout sacrement douteux, pourvu que le doute soit un « dubium prudens et rationabile ». Quelques-uns doivent être réitérés, surtout le baptême (la Pénitence), même si « dubium sit tantum tenue » (27 sq.) ; il en est de même de la consécration, afin que les fidèles ne commettent pas une idolâtrie matérielle « in venerando » et de l'Ordination, pour assurer l'administration valide des sacrements.

Remarque. Le Concile de Trente distingue le « sacramentum in voto » du « sacramentum in re ». (S. 7, can. 4 ; s. 13. c. 18). Le sacrement reçu seulement in voto obtient son effet, la grâce sanctifiante, non pas « ex opere operato », mais « ex opere operantis » (contrition). Il ne confère pas non plus la grâce particulière du sacrement, ni ne peut imprimer le caractère. (S. th., 3, 69, 4 ad 2 ; Wiggers, De sacram., q. 62, a. 2, dub. 1.)

§ 160. L'efficacité objective des sacrements. L' « opus operatum »

A consulter, outre les ouvrages déjà signalés : Gihr, Les sacrements. Billot, l, 107 sq.

THÈSE. Les sacrements produisent leur effet par eux-mêmes, ils agissent « ex opere operato ».                 De foi.

Explication. C'est dans l’« opus operatum » que s'exprime de la manière la plus nette et la plus précise l'essence des sacrements telle que l'explique la doctrine catholique. Les sacrements sont des moyens de salut objectifs et non de simples cérémonies édifiantes. Contre la conception protestante, qui vide le sacrement de son contenu, le Concile de Trente déclare : « Si quelqu’un dit que par les mêmes sacrements de la nouvelle loi, la grâce n'est pas conférée par la vertu et la force qu'ils contiennent ; mais que la seule foi aux promesses de Dieu suffit, pour obtenir la grâce : Qu'il soit anathème » (S. 7, can. 8 : Denz. , 851 ; cf. can. 6 et 7).

L'expression « opus operatum » provient de la Scolastique primitive. Elle fut préparée par Hugues (+ 1141) qui souligna l' « efficacia » des sacrements et par P. Lombard (+ 1164) qui en fit ressortir la « causa ». La distinction entre les sacrements de l'ancienne Loi (et les sacramentaux) et ceux de la Loi nouvelle amena à ce résultat que formula le premier Guillaume d'Auxerre (+ vers 1230) : on attribua aux premiers une « efficacia ex opere operantis » (activité subjective de celui qui les reçoit) et aux seconds une « efficacia ex opere operato » (accomplissement objectif du sacrement). On trouve auparavant l'expression chez Pierre de Poitiers (+ 1161), mais il entend par « opus operantis » l'activité du ministre. Après Guillaume d'Auxerre, l'expression est fixe et le Concile de Trente l'a dogmatisée, parce qu'elle exprime très bien la doctrine catholique concernant la causalité des sacrements. On désigne donc par « opus operatum » l'accomplissement du sacrement ou de l'action sacerdotale par l'union de la matière et de la forme selon les prescriptions de l'Église. A l'« opus operatum » objectif s'oppose l'« opus operantis » subjectif, qui consiste dans les dispositions personnelles du sujet et surtout dans sa foi et sa contrition. Ces dispositions rendent le sujet apte à recevoir la grâce et sont, par conséquent, la condition préalable de sa collation effective ; mais la grâce elle-même est conférée par le sacrement qui est efficace en vertu de l'ordonnance divine. Tout ce qui est exigé du sujet, c'est qu'il ne mette pas d'« obstacle », qu'il ne « ferme pas la porte à l'entrée de la grâce (gratiam ipsam non ponentibus obicem conferunt : Trid., 2. 7, can. 6). Cet « obex » consiste dans la permanence librement voulue des sentiments d'incrédulité et d'impénitence. On voit donc revenir dans la doctrine des sacrements ce qu'on a exposé plus haut dans le traité de la grâce (§ 127), sur la préparation du pécheur à la justification. L'homme ne mérite pas la grâce, mais il écarte par la pénitence les obstacles à la grâce. L'auteur de la grâce (causa principalis) est Dieu, qui, à cause des mérites du Christ (causa meritoria), communique par les sacrements (causa instrumentalis) la grâce de la justification. (trid., s. 6, c. 7.) - Les Grecs ne connaissent pas l’« opus operatum », mais ils croient à l'efficacité des sacrements quand la préparation est convenable.

Preuve. Notre thèse peut s'appuyer sur tous les textes scripturaires et patristiques que nous avons cités pour démontrer en général l’efficacité de grâce des sacrements. Ces deux vérités, que les sacrements sont cause de la grâce et qu'ils la produisent par eux-mêmes, sont si connexes intérieurement et objectivement qu'on ne peut pas parler de l'une sans toucher à l’autre.

Sans doute, ni l’Écriture ni les Pères ne connaissent le terme « opus operatum », mais ils connaissent la chose. Il était naturel que l'efficacité objective des sacrements fût discutée dans la controverse avec les donatistes. Ces derniers, en effet, faisaient dépendre l'efficacité des sacrements de la sainteté du ministre. C'est pourquoi S. Optat de Méla écrit : « Les sacrements sont saints en eux-mêmes, non du fait des hommes » (De schism. Donat., 5, 4) « La sainteté de l’Église est liée aux sacrements, et non à la renommée des personnes » (Ibid., 2, 1). S. Augustin : «  l'efficacité du baptême ne dépend ni des mérites du ministre ni de ceux du sujet, mais de la sainteté et de la vertu qui lui ont été communiquées par celui qui a institué ce sacrement » (C. Cresc. Donat., 4, 16, 19). Cela est tout à fait en harmonie avec sa notion de la grâce. Le Saint-Esprit, d'après les Pères, agit dans l'élément ; ils le disent surtout avec précision du baptême ; par ex. S. Ambroise, De Spir. Sancto, 1,6, 77 ; De myst., 3, 8 ; de la Confirmation : « Et si nous sommes marqués extérieurement dans nos corps, en vérité nous le sommes dans nos cœurs, pour que l'Esprit Saint exprime en nous la ressemblance à une image céleste » (De Spir. Sancto, l, 6, 79). Il en est de même des Grecs dont dépend S. Ambroise.

La Scolastique insista beaucoup au début (Hugues), à la suite des Pères (S. Léon 1er, S. Isidore, les Grecs), sur la bénédiction des éléments, comme si c'était par elle qu'ils devenaient les porteurs et les détenteurs de la grâce. Mais on savait bien que Dieu est l’auteur de la grâce et qu'il la communique par les sacrements. Hugues écrit : « Sacramenta gratiæ primum per benedictionem virtutem in se sanctificationis suscipiunt, ac deinde quam continent in se sanctificationem conferunt, ut sint ex sanctificatione sanctificantia, atque hæc ex sua sibique cœlitus indita sanctificatione conferunt. » (Sacr., 1, 11, 2). « Continent », dit aussi le Concile de Trente, mais il entend ce mot « virtualiter » et non « formaliter ». S. Thomas introduisit dans la théologie le terme très juste de « cause instrumentale » emprunté à S. Jean Damascène ; par là il écarta tout danger de malentendus. Il se demande si les Sacrements contiennent la grâce et il répond : « On ne dit pas que la grâce est dans le sacrement comme dans un support ou comme dans un récipient (Hugues) en entendant que le sacrement est un lieu, mais en entendant qu'il est un instrument pour l’accomplissement d'une action quelconque. » (S. th., 3, 62, 3). Il explique cela de la façon suivante : « Dans tout sacrement se trouve une vertu appropriée qui produit l'effet sacramentel. Cette vertu se trouve, par rapport à la vertu parfaite dont l'action est indépendante et principale, dans la relation d'un instrument. Un instrument, en effet, n'agit que tant qu'il est mis en mouvement par la cause principale, laquelle est indépendante. » (S. th., 3, 62, 3). Il décrit le cheminement complet de la grâce de la façon suivante : La cause principale de la grâce (principalis causa efficiens) est Dieu lui-même ; c'est comme un instrument uni à lui (instrumentum conjunctum) qu'agit l'humanité du Christ ; c'est comme un instrument séparé (instr. separatum) qu'agit le sacrement. » (S. th., 3, 62, 5).

Bien que le Concile de Trente insiste, dans la doctrine des sacrements, sur l« opus operatum », il fait aussi ressortir, dans la doctrine de la grâce, l'opus operantis (s. 6, c. 6), en exigeant la foi, l'espérance, la crainte de Dieu, l'amour initial et la pénitence, comme dispositions. D'après l’Écriture, celui qui croit et est baptisé sera sauvé. (Marc, 16, 16). D’après les Pères, le baptême doit être précédé d'une pénitence et d'une conversion sérieuses pour être le commencement d'une vie nouvelle. Les scolastiques, malgré leur insistance sur l' « opus operatum », ne connaissent pas d'autre doctrine.

Quelques scolastiques et, plus tard, Moehler ont essayé d'introduire dans la formule de l’« opus operatum » un sens qui, en soi, est exact, mais qui ne convient pas ici. Ils pensaient à l'œuvre que le Christ a accomplie en nous rachetant. Sans doute, c'est de la Rédemption que les sacrements reçoivent leur efficacité, mais ce n'est pas ce que veut dire la formule  « opus operatum ». Quelques scolastiques, surtout Scot et le nominaliste G. Biel, ont exposé cette doctrine : « Non requiritur bonus motus in suscipiente. » Mais ils voulaient surtout insister sur la causalité divine à laquelle ils attachent tant de prix et dire que Dieu donne la grâce « gratis » et non à cause des « merita suscipientis » ; en effet, ils ajoutent au « bonus motus » : « quo de condigno vel de congruo gratia mereatur » (Schanz, 133 sq.)

Le terme « obex » [barrière, obstacle] provient de S. Augustin. Il dit que l'enfant que l'on baptise n'a sans doute pas la foi mais « s'il n'a pas encore la foi dans sa pensée, du moins il ne lui oppose pas l'obstacle d'une pensée contraire, ce qui suffit pour recevoir avec fruit le sacrement » (Ep. 98, 10). La scolastique se rattache à cette conception. Aujourd'hui la théologie distingue l'« obex sacramenti », qui, par suite du défaut d'une partie essentielle, ne permet pas l'existence du sacrement et l'« obex gratiæ », qui empêche la grâce d'entrer par suite du manque des dispositions nécessaires (fictio, dit S. Augustin), mais n'empêche pas l'impression du caractère.

Une conséquence pratique importante résulte de la thèse principale. Les sacrements peuvent être administrés à des enfants qui n'ont pas l'usage de la raison et à des personnes sans connaissance, pourvu qu'il n'y ait pas d'« obex ».

Ce qui ressort tout d'abord du dogme, c'est la licéité du baptême des enfants. Inversement la pratique antique de ce baptême peut servir à démontrer le dogme. Ensuite, il n'y a aucun abus des sacrements à les administrer, en cas de nécessité, à des adultes sans connaissance ; on peut donc administrer le baptême à un catéchumène sans connaissance et surtout on peut donner l'absolution et l'extrême-onction à des adultes sans connaissance. Même dans ces cas, qui sont des cas anormaux, on peut encore espérer un usage profitable des sacrements ; en effet, ils produisent la grâce par eux-mêmes, quand il n'y a pas d'obstacle. « Par les sacrements, la grâce est toujours conférée et à tous, en tant que cela dépend de Dieu » (s. 7, can. 7) : tout ce qui est nécessaire du côté de l'homme c'est donc l'aptitude à les recevoir. On étudiera les détails à propos de chaque sacrement.

Il est intéressant de remarquer que la théologie libérale, bien que ce soit « suo modo », marche sur les traces de la théologie catholique. Ainsi l'histoire des religions fait remarquer que Paul a déjà la notion « magique" des sacrements et proclame l'« opus operatum », parce  qu'il croit à la présence réelle du Christ dans l'Eucharistie (1 Cor., 10, 14 sq.) et à la communication du Saint-Esprit par le baptême (Rom., 6, 1 sq.). « Il développe une foi sacramentaire dont le caractère naturaliste est indéniable », écrit Bousset (Kyrios, 146 et passim.). Jean lui aussi est un théologien sacramentaire, car chez lui « l'Esprit apparaît en relation déterminée avec le sacrement » (Ibid., 197). Weinel va même plus loin : « Paul croit encore à l'efficacité des sacrements, quand il s'agit de procurer « ex opere operato » la vie éternelle à un cher mort (Il songe à 1 Cor., 15, 29). On ne peut pas avoir une conception plus magique du sacrement. » (Théol. bibl., 386 et passim.). On pourrait multiplier les citations de ce genre. En tout cas, S. Paul et S. Jean ont enseigné l'« opus operatum ».

La polémique protestante contre l'« opus operatum » est connue. « On ne pourrait jamais s'imaginer, ni écrire, ni dire assez tous les abus et toutes les erreurs causés par la doctrine odieuse, honteuse, impie de l'« opere operato » qui dit que, lorsque j'use des sacrements, l'œuvre accomplie me rend pieux pour Dieu et m'obtient la grâce, bien que le cœur n'ait aucune bonne pensée pour cela. Car c'est de là aussi qu'est venu l’abus indicible, innombrable, horrible de la messe. Et ils ne peuvent pas nous citer un titre, une lettre des Pères, pour prouver cette opinion des scolastiques. Bien plus, Augustin dit directement là-contre que c'est la foi dans l'usage du sacrement et non le sacrement qui nous rend pieux pour Dieu » (Apol., Confess., art. 14). S. Augustin ne dit nulle part ce qui est affirmé dans la dernière phrase. De même les scolastiques n'ont jamais exposé la doctrine insensée qu'on leur attribue. Le mot « opus operatum » doit être entendu historiquement, il veut simplement protéger l'efficacité objective des sacrements contre la conception protestante qui les vide de leur contenu. Dire que le sacrement opère « magiquement » par lui-même et impose la grâce sans préparation à celui qui le reçoit est une imputation calomnieuse. La foi catholique est si étrangère à cette manière de voir que, bien loin d'attribuer la moindre utilité à un sacrement reçu de cette manière, elle appelle cette réception un sacrilège. La préparation à la réception des sacrements est nettement et expressément exposée par le Concile de Trente, comme on l'a montré dans la doctrine de la justification ; il exige non seulement la foi, mais encore toute une série d'actes de disposition. (S. 6, c. 6 ; cf. plus haut § 128)

Les sacrements n'agissent donc pas à la manière d'une force naturelle « magiquement » ; mais ils sont conditionnés moralement, c.-à-d. que la grâce n'est conférée « ex opere operato » que lorsque les dispositions existent - dans les sacrements des morts, la foi et la pénitence ; dans les sacrements des vivants, la grâce sanctifiante. Aussi les théologiens exposent la loi de leur efficacité en disant : les sacrements sont, objectivement ou bien « in actu primo », efficaces par eux-mêmes en vertu de la force qui leur est conférée par Dieu ; subjectivement ou « in actu secundo », ils le sont à cause des dispositions du sujet. Avec cette conception, un malentendu qui pourrait s'attacher à l'« opus operatum » n'est plus possible.

Les Anglicans présentèrent à la Conférence des Églises, à Lausanne, en 1927, par rapport aux sacrements, les quatre propositions suivantes : 1° « Ce qui est décisif dans un sacrement, c'est une action de Dieu. » Accordé, car dans le sacrement c'est Dieu qui agit ; 2°  L'action de Dieu n'est pas liée au sacrement ». Accordé, car il y a une action extra sacramentelle de la grâce de Dieu (cf. plus haut p. 241) ; l'Église a condamné la proposition qui affirmait que les Juifs et les païens ne reçoivent pas de grâce (Denz., 1295, 1379) ; 3°  Le sacrement ne peut pas opérer « ex opere operato », il a besoin de l'acceptation pénitente et croyante de la part de l'homme ». Explication : La pénitence et la foi sont nécessaires pour que le sacrement produise la grâce, mais ces vertus n'ont qu'une importance dispositive et non causale. Le sacrement ne se produit pas et n'existe pas (sauf l’Eucharistie) sans le sujet qui le reçoit : « sacramentum fit in homine » ; 4° « Dans le sacrement, l'âme reçoit plus qu'elle n'est capable de connaître ». Accordé, la gce est dans son essence un mystère. La doctrine catholique se résume ainsi : « Dieu opère sa grâce, dans l'âme de l'homme disposé, par les sacrements en tant que causes instrumentales.

§ 161. Le mode d'efficacité des sacrements

Bien que les théologiens répètent unanimement l’« opus operatum » du Concile de Trente, ils se divisent quand il s'agit d'expliquer comment les sacrements produisent la grâce « ex opere operato ». On distingue, à cet égard, trois théories : celle de l'efficacité physique, celle de l'efficacité morale et celle de l'efficacité intentionnelle.

Les Pères n'ont encore pas de théorie sur le mode d'efficacité des sacrements ; il est à peine besoin de le dire après l'exposé rapide que nous avons fait de l'évolution de la notion de sacrement. C'est la Scolastique, la première, qui, partant de sa notion plus ferme des sacrements, en vint à se demander comment les sacrements produisent la grâce ou la justification. Ses tentatives de solution se ramènent à trois : l'efficacité dispositive, l’efficacité morale, l'efficacité physique. Ces trois théories reviennent dans la théologie postérieure. On a sans doute essayé de les améliorer et Reinhold compte, en tout, seize formules différentes ; mais, au fond, elles se réduisent aux trois qu'on vient de nommer ; on peut même si l’on veut les réduire à deux, comme le fait Reinhold lui-même.

1. L'efficacité physique est d’ordinaire soutenue par les thomistes et en outre par Bellarmin, Suarez et des modernes, comme Schælzer, Oswald, etc. Une cause agit physiquement quand elle produit son effet immédiatement et directement, et non pas extérieurement en déterminant une autre cause à agir. D'après cette théorie, Dieu met dans le sacrement, en raison de la « puissance obédientielle » de ce dernier, une vertu telle que, par cette vertu divine devenue vivante en lui, il produit la grâce dans l'âme du sujet par un contact physique avec cette âme.

Comme arguments, les tenants de cette opinion allèguent tous les textes scripturaires et patristiques qui expriment la causalité des sacrements et ils expliquent ensuite que cette causalité est précisément physique. Ils invoquent, de plus, l'autorité de S. Thomas, dont la conception du sacrement, en tant que cause instrumentale, ne peut guère s'entendre que dans le sens de la causalité physique. Il dit : « L’instrument a deux actions : l’une instrumentale d’après laquelle il opère, non d’après sa vertu propre, mais d’après la vertu de l’agent principal ; l’autre est son action propre qui lui convient d’après sa propre forme ». Exemple : L'artisan fabrique une caisse avec une scie, en agissant en même temps que la scie. « De même les sacrements corporels produisent leur action instrumentale sur l’âme, d’après la vertu divine, au moyen de leur opération propre qu’ils exercent sur le corps qu’ils touchent. Ainsi l’eau du baptême en purifiant le corps selon sa propre vertu, purifie l’âme selon qu’elle est l’instrument de la vertu divine ; car l’âme et le corps ne font qu’un. Et c’est ce qui fait dire à saint Augustin (Sup. Gen., liv. 12, chap. 16) qu’elle touche le corps et purifie le cœur » (S. th., 3, 62, 1 ad 2). « La vertu de l'agent principal a un être stable et achevé dans sa nature ; quant à la vertu instrumentale, son être passe d'un terme à l'autre, c'est un être en devenir » (S. th., 3, 62, 4). On se réfère aussi au Concile de Trente qui appelle le sacrement cause et non condition de la justification (ils confèrent, donnent, contiennent la grâce).

2. L'efficacité morale est soutenue par les scotistes et par plusieurs jésuites. Une cause produit moralement l'effet quand elle ne le produit pas immédiatement, mais seulement médiatement en agissant sur une cause raisonnable et en la déterminant à produire l'effet. Appliquée aux sacrements, cette théorie veut dire que les sacrements ne produisent pas par eux-mêmes la grâce, mais qu'en raison de leur qualité d'institutions et d'actions divino-humaines du Christ, ils possèdent une telle dignité et une telle sainteté intérieure que Dieu, lorsqu'il voit que le ministre confère en son nom et par son ordre un sacrement, y joint infailliblement la grâce spirituelle.

On se réfère aussi pour cette théorie à la doctrine de l’Écriture et des Pères. Les Pères entendraient la causalité au sens moral. Ainsi S. Augustin écrit : « C'est lui (le Christ) qui baptise ; que Pierre ou Judas baptise, c'est à proprement parler le Christ qui baptise. Comme les Pères, la Scolastique, - et surtout S. Thomas - insiste sur ce fait que Dieu est la cause principale (c. principalis) et atteste ainsi la causalité morale. De plus, on signale encore un certain nombre d'absurdités que comporterait la causalité physique. Tout d'abord, le sacrement devrait constituer un tout physique pour produire physiquement la totalité de la grâce. Or ce ne serait pas le cas ; le sacrement présenterait plutôt une série d'actes souvent très éloignés les uns des autres. On ne pourrait pourtant pas admettre que le sacrement se produit avec la dernière syllabe de la formule d'administration et ainsi le réduire à un point qui n'est pas essentiel. Ensuite, comment comprendre qu'un signe sensible opère la grâce spirituelle ? L'instrument et la grâce opérée sont des choses complètement disparates. Où serait la vertu opérante ? Dans la parole, dans l'élément ou dans le ministre ? Quand y entrerait-elle ? Combien de temps demeurerait-elle ? Comment expliquer la reviviscence des sacrements, si les sacrements produisent physiquement la grâce ? Ce sont des actions passées depuis longtemps : elles ne peuvent donc pas, puisqu'elles n'ont plus d'être physique, produire des effets physiques. Si, dans ce cas, elles ont une action morale, elles l'ont toujours et dans tous les cas. Dans la Pénitence, la matière et la forme sont très éloignées l'une de l'autre ; de même dans le mariage, quand il est conclu par procuration. Or la justification est un acte instantané. Enfin les thomistes eux-mêmes avouent que l'efficacité morale suffirait ; à quoi bon alors l'efficacité physique ? On ne doit pas sans nécessité introduire des théories difficiles dans la théologie. S. Thomas ne connaîtrait pas l'efficacité physique : c'est Cajetan qui l'aurait imaginée.

3. Mécontent des deux théories, Billot en a récemment proposé une troisième qui, dans son essence, se trouve déjà dans la Scolastique primitive et même encore dans le Commentaire de S. Thomas sur les sacrements : l'efficacité intentionnelle. D'après les anciens scolastiques, les sacrements ne produisent pas la grâce, mais la disposition, l’« ornatus animæ » quant à la grâce : la grâce est produite par Dieu. C'est à cette conception de la Scolastique primitive que se rattache Billot. Il enseigne que le sacrement, en soi, ne produit tout d'abord dans l'âme que la disposition à la grâce (sacramentum et res), après quoi Dieu infuse la grâce. Il rejette l'efficacité morale, parce qu'il est inconcevable qu'une causalité extra divine puisse exercer sur Dieu une influence motrice, Dieu étant lui-même le premier moteur. En outre, le Concile de Trente appelle les sacrements causes instrumentales de la grâce (s. 6, c. 7) : or cela exigerait nécessairement l'efficacité physique.

Les arguments de Billot en faveur de l'efficacité intentionnelle (sacramenta sunt causæ gratiæ non instrumentaliter perfective, sed solum instrumentaliter dispositive) sont les suivants : Souvent les sacrements sont reçus d'une manière simplement valide ; ils produisent par conséquent tout ce que désigne leur être symbolique, sans cependant communiquer la grâce, parce qu'il y a un « obex ». Donc ils ne produisent pas la grâce par eux-mêmes, mais seulement « dispositive ». En outre, le Concile de Trente dit que les sacrements contiennent toujours la grâce (continent gratiam) et cependant ne la confèrent pas toujours ; ils ne la contiennent donc que dispositivement (non immediate secundum se, sed in dispositione quæ sit gratiæ exigitiva quantum ex parte ipsius, id est nisi impletio exigentiæ per obicem impediatur). Dans la reviviscence du sacrement, ce dernier ne suffit certainement pas lui-même à produire la grâce, il ne produit que l'effet moyen (sacr. et res) ; il ne produit donc, dans ce cas, que la disposition, laquelle, après la conversion du pécheur, est suivie immédiatement de la grâce de Dieu. L'explication de ce cas particulier peut être généralisée. Il est au reste inadmissible de parler d'un double mode d'opération des sacrements. Comme exemple du mode intentionnel de causalité, on cite l'exemple de la génération de l'homme par les parents : dans la génération la matière est produite avec une disposition pour la réception de l'âme ; mais l'âme elle-même est créée par Dieu. Cette efficacité s'appelle intentionnelle par opposition à l'efficacité physique, parce que la grâce n'en résulte qu'indirectement et cela à cause de l'intention et de l'ordonnance du Christ. On objecte à cette théorie qu'elle se ramène, en dernière analyse, à l'efficacité morale. (Billot, De sacram. in gen., 3e éd. (1900), th. 7).

Il nous semble qu'aucune théorie ne satisfait complètement notre besoin d'explication. Cela tient au processus mystérieux de l'acte de justification que le Christ signale déjà (Jean, 3, 6-8). Les Pères eux-mêmes mettent en garde contre toute tentative d'exprimer l'inexprimable. Voici l'avis du Catéchisme romain: « Si quelqu'un désire connaître de quelle manière une si grande vertu, une vertu divine, est communiquée à l'eau, qu'il sache que cela dépasse la raison humaine. » (P. 2, c. 1, q. 18).

§ 162. Le ministre des sacrements

A consulter : S. Thomas, S. th, 3, 64, 1-10 ; 3, 78, 4 et 84, 3 ;  Suppl., qq. 17-20 et 34-40. - Au sujet de l’intention : S. Thomas, 3, 64, 8. Ambroise Catharin, De necessaria intentione in perficiendis sacramentis (Rome, 1552). Serry, De necessaria intentione in sacramentis conficiendis (Patav., 1727). Billuart, De intentione ministri, d. 5, a. 7.

THÈSE. Les ministres des sacrements sont ordinairement les prêtres, lesquels, dans leur ordination, ont reçu les pouvoirs nécessaires pour cela.  De foi.

Explication. Le Concile de Trente dut définir contre les Réformateurs : « S. q. d. que tous les Chrétiens ont l'autorité et le pouvoir d'annoncer la parole de Dieu et d'administrer tous les Sacrements : Qu'il soit Anathème » (S. 7, can. 10 : Denz., 853). Le baptême dans le cas de nécessité fait exception, comme on le verra plus loin (§ 170) ; de même le mariage, d'après la doctrine de la plupart des théologiens. D'après la doctrine protestante du sacerdoce général, tout le monde peut administrer les sacrements. Luther ne voulait même pas refuser ce pouvoir au diable.

Le Christ, l'Homme-Dieu, est le ministre principal des sacrements (minister primarius principalis) ; le prêtre est le ministre suppléant (m. secundarius, instrumentalis).

Preuve. On insiste sur le ministre humain, suppléant, car c'est le seul qui ait été contesté par les Réformateurs. Que le Christ ait confié à ses Apôtres et non à tous les hommes ou à tous les fidèles l'administration de ses sacrements, cela ressort très nettement de l'examen de chaque sacrement, comme le Baptême (Math., 28, 19), l'Eucharistie (Luc, 22, 19 sq. ; 1 Cor., 11, 24 sq.), la pénitence (Jean, 20, 22 sq.). Seuls les Apôtres sont les « dispensateurs des mystères de Dieu » (1 Cor., 4, 1). De même que le Christ a fondé son Église sur les Apôtres, il leur a confié ses réalités essentielles : la doctrine et les sacrements. Il dit dans la même phrase : « Enseignez-les et baptisez-les » (Math., 28, 19).

Les Pères. La preuve patristique se confond avec celle du sacerdoce particulier dans l’Église. De même que le triple ministère, l'administration des sacrements était, au début, aux mains de l'évêque. C'était le cas pour les trois premiers sacrements et, en outre, pour la Pénitence et l'ordination. Quand le nombre des fidèles augmenta, l'évêque se fit suppléer par des prêtres et, quand c'était possible, par des diacres. Seuls les montanistes revendiquèrent le droit d'administrer les sacrements, comme le droit d'enseigner, pour les charismatiques.

La Scolastique se divisa dans la question du ministre, quand il s'agit de déterminer son rôle dans la production de la grâce interne. Eugène IV fait rentrer le ministre dans l'ensemble du sacrement. D'après les thomistes, le ministre ne pose pas seulement le signe extérieur, mais, par ce signe, il en produit aussi à sa manière l'effet intérieur. Les scotistes doivent, conformément à leur opinion de l'efficacité morale, limiter l'influence du ministre à l'accomplissement du signe extérieur. L'antique forme déprécative de l'administration des sacrements n'est pas en faveur d'une influence physique du ministre. S. Thomas explique les relations du ministre divin et du ministre humain par la notion connue de la cause principale et de la cause instrumentale. « Un effet peut être produit de deux manières : d'abord à la manière d'une cause principale (per modum principalis agentis) et ensuite à la manière d'un instrument (per modum instrumenti). Selon la première manière, Dieu seul accomplit l'effet intérieur du sacrement. En effet, d'un côté Dieu seul pénètre dans l'intérieur de l'âme où l'effet du sacrement a son siège ; or aucun être ne peut agir où il n'est pas ; d'un autre côté, la grâce qui est l'effet interne du sacrement procède de Dieu seul. Le caractère sacramentel lui-même, qui est un effet interne du sacrement, n'est une force qu'à la manière d'un instrument qui provient de la cause principale qui est Dieu. Mais selon la seconde manière (scil. per modum instrumenti), l'homme (le ministre) peut coopérer à l'effet interne du sacrement. Car le ministre, en tant que tel, a le rang d'un instrument (nam eadem ratio est ministri et instrumenti). En effet, l'activité de l'un et de l'autre provient du dehors et a une efficacité interne uniquement en vertu de la cause principale » (S. th., 3, 64, 1).

La Scolastique se demanda aussi si quelqu'un peut s'administrer à lui-même un sacrement et répondit négativement. Le ministre et le sujet doivent être deux personnes réellement distinctes. Il n'y a d'exception que pour le prêtre qui se communie lui-même. Cf. cependant le baptême administré à soi-même, § 170.

THÈSE. La validité du sacrement ne dépend pas de l'orthodoxie du ministre.    De foi.

Explication. Le Concile de Trente définit par rapport au baptême : « S. q. d. dit que le Baptême donné même par les Hérétiques au Nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, avec intention de faire ce que fait l’Église, n'est pas un véritable Baptême : Qu'il soit Anathème » (S. 7, can. 4 : Denz., 860). Il n'y a donc de définition que par rapport au baptême ; mais ce qui vaut pour le baptême doit aussi, de l'avis des théologiens, s'étendre aux autres sacrements. Le ministre hérétique ou schismatique validement ordonné peut administrer validement tous les sacrements. La Pénitence seule est exceptée par les théologiens, parce que, pour son administration, il faut la juridiction ecclésiastique (Cf. à ce sujet le sacrement de Pénitence, § 197).

Preuve. L’Écriture ne juge que de l'administration normale et suppose pour cela les dispositions subjectives parfaites et surtout la foi. Mais nulle part elle ne fait dépendre l'efficacité des sacrements de ces dispositions du ministre. Or, il ressort de raisons théologiques que les sacrements ne dépendent pas des qualités morales du ministre. Et ces raisons théologiques ont leurs racines, comme on l'a montré plus haut (cf. § 159), dans l’Écriture. Par conséquent, notre thèse est contenue virtuellement dans la Révélation.

Les Pères. Le dogme ne fut mis clairement en lumière que dans la polémique sur le baptême des hérétiques. Déjà Tertullien contestait toute valeur à ce baptême, en s'appuyant sur Eph., 4, 4-6 (De bapt., 15). S. Cyprien soutient énergiquement, contre S. Étienne ler, le même principe et le défend violemment en se référant à la tradition africaine et à l'interprétation raisonnable de l'Écriture (Ep. 73). Mais S. Étienne décida en faisant appel à la Tradition contre S. Cyprien : « Si qui a quacumque hæresi venient ad vos, nihil innovetur nisi quod traditum est, ut manus illis imponatur in pœnitentiam » (Denz., 46). Cyprien critiqua vivement la décision du Pape et chercha à entrer en liaison avec l'Asie Mineure ; il y réussit auprès de l'évêque Firmilien (Cyprien, Ep. 75). On n'en vint cependant pas à la rupture avec l’Église. Cyprien mourut martyr pendant la persécution et les évêques africains se soumirent à la pratique romaine. Dans un ouvrage sur la réitération du baptême (Liber de rebaptismate), un auteur inconnu défend la doctrine de l’Église contre S. Cyprien. Cependant on discute encore sur la conception de S. Cyprien. D'après certains, elle est orthodoxe ; d'après d'autres, il n'attribue au baptême des hérétiques que la valeur cérémonielle, dépourvue de force, du baptême d'eau, qui doit être complété par l'imposition des mains de l'évêque, dans la communication du Saint-Esprit, au moment du retour à l’Église. Cf. le traité du baptême (§ 170).

S. Augustin a plus tard défendu, d'une manière générale, la validité du sacrement administré en dehors de l’Église. Au sujet du baptême des hérétiques et de sa validité, il écrit contre le donatiste Cresconius, qui le sommait de donner des preuves bibliques, en se référant à la pratique de l’Église : « Bien que, sur cette affaire, on ne puisse pas citer un exemple certain dans les Écritures canoniques, on peut, sur ce point aussi, faire valoir la vérité de ces Écritures, car nous agissons selon l'usage de l'Église entière dont l’autorité est garantie par l’Écriture. Aussi, comme l'Écriture ne peut pas tromper, celui qui, dans cette question obscure, craint de se tromper n'a qu'à interroger l'Église, laquelle est attestée par l’Écriture sans aucune équivoque » (C. Cresc. Donat., 1, 33 : M. 43, 466).

S. Augustin juge de même sur l'Ordre. Même si celui qui est ordonné se trouve en dehors de l’Église, il peut exercer efficacement son pouvoir sacerdotal, mais ce sera pour sa propre condamnation. Son caractère sacerdotal reste attaché à lui ; il est inamissible, et c'est pourquoi il ne peut pas être réitéré : « De même que le baptisé, quand il se sépare de l'unité, ne perd pas le sacrement de baptême, de même celui qui a été ordonné, quand il se sépare de l'unité, ne perd pas le sacrement de l'administration du baptême (c.-à-d. par conséquent, le pouvoir sacerdotal) » (C. Donat., 1. 1). Dans ce livre, l'Ordre est traité d'une manière complètement analogue au baptême. Cf. encore C. Ep. Parm. 2, 28 : « On ordonne un clerc pour diriger une réunion de fidèles ; supposé que cette réunion n'ait pas lieu, le sacrement de l'ordre reste validement conféré. Bien plus, lors même qu'en punition de quelque faute ce clerc mériterait d'être interdit des fonctions de son ordre, il conserve toujours le caractère du sacrement et il le portera au jugement dernier ».

Au reste, S. Augustin ne met pas du tout les sacrements administrés dans l'Église et ceux qui sont administrés dehors sur le même pied. Il distingue deux effets des sacrements de baptême et d'Ordre : le caractère et la grâce. Seul le caractère est reçu en dehors de l'Église ; le second effet, la charité, ne peut être conféré que par le sacrement administré dans l’Église.

S. Augustin distingue constamment, dans sa polémique contre les donatistes, une double possession des sacrements : une possession stérile et une possession fructueuse : « que peuvent donc espérer ceux qui, n’appartenant à l’unité que par jalousie ou par malveillance, sont évidemment privés de la charité, selon la pensée de saint Paul, développée par Cyprien ; et cependant, ils peuvent recevoir et conférer le véritable baptême. « Hors de l’Église, dit-il, point de salut ». Qui pourrait en douter ? Par conséquent, les biens de l’Église, conférés hors de l’Église, ne peuvent rien pour le salut. Mais une chose est de ne point posséder ces biens, autre chose est de les posséder inutilement  » (De bapt. c. Donat., 4, 17, 24).

Les théologiens appliquent également aux autres sacrements le principe établi dans l'Église des Pères, au sujet des sacrements de baptême et d'Ordre reçus en dehors de l'Église. Mais la condition préalable pour qu'on puisse reconnaître de tels sacrements est un sacerdoce véritable remontant aux Apôtres, comme c'est le cas dans l'Église grecque schismatique. Léon XIII dut, après un examen minutieux, refuser de reconnaître la validité des Ordres dans l'Église anglicane. (Denz., 1963 sq. ; cf. 1685).

Cependant, ce que l'on reconnaît tout d'abord en cas de validité du sacerdoce, c'est seulement la validité du sacrement ; on n'affirme pas immédiatement sa pleine efficacité. S. Augustin faisait déjà une distinction importante qui avait échappé à S. Cyprien. L'hérétique formel et conscient reçoit bien le sacrement et le caractère, mais il ne reçoit pas la grâce sanctifiante. Quant à l'hérétique inconscient qui est de bonne foi, il reçoit aussi la grâce. L'hérétique formel ne la reçoit que lorsqu'il se repent et revient à l'Église.

La Scolastique suivit, sur ce point aussi, son maître S. Augustin. Elle se tint, d'une manière générale, à ce principe que seul le prêtre administre les sacrements. Cependant, dans la question spéciale de sa coopération elle-même, les opinions divergeaient. On y voyait d’ordinaire plus qu’une coopération extérieure et ministérielle ; puis S. Thomas la réunit au sacrement lui-même dans l'unité physique de la causalité instrumentale. Pourvu que le ministre eût le caractère sacerdotal, on considérait l'administration comme objectivement sûre, si par ailleurs le rite était accompli convenablement. Au sujet de l'administration hérétique, S. Thomas dit, d'une manière absolument générale, sans exclure de sacrements particuliers, que le ministre n'est qu'un instrument entre les mains du Christ, lequel demeure, de son côté, le principal ministre de ses sacrements. C'est pourquoi les sacrements administrés par les hérétiques sont, eux aussi, valides. Mais il distingue, avec plus de précision, le cas où l'incroyance a pour objet le sacrement lui-même et celui où elle a pour objet un autre point de foi. Dans le second cas, l'incroyance ne nuit pas, en soi, à la validité du sacrement ; dans le premier cas, le ministre incroyant doit tout au moins avoir l'intention de faire ce que fait l'Église en administrant un sacrement. Si l'hérétique emploie une fausse formule, le sacrement est alors complètement nul. S'il emploie la forme prescrite, il accomplit le sacrement (sacramentum tantum), bien qu'il ne communique pas la grâce (res sacramenti). Ce dernier cas s'applique, d'après S. Thomas, aux hérétiques malveillants. Car il dit au même endroit : « Le pouvoir d'administrer les sacrements appartient au caractère sacramentel du sacerdoce qui est un caractère ineffaçable. Et ainsi le prêtre excommunié, suspens, déposé, ne perd pas le pouvoir sacerdotal lui-même, mais il perd le droit d'en user. Par suite, il pèche quand il administre un sacrement : quant au sacrement, il existe dans sa pleine validité. Et celui qui le reçoit pèche et ne reçoit pas ainsi la chose ou l'effet du sacrement ; à moins qu'il n'y ait ignorance de sa part »  (S. th., 3, 64, 9). Cette ignorance peut exister chez le prêtre lui-même, s’il ne s’est pas séparé lui-même de l’Église, mais est né, a été élevé et ordonné dans l’hérésie ou le schisme, comme c’est le cas, par ex., de l’Église grecque. De fait, l’Église reconnaît, elle aussi, tous les sacrements administrés validement en dehors d’elle ; elle manifeste ainsi sa foi à leur valeur objective, par la pratique.

Il faut encore remarquer que tous les prêtres ne peuvent pas administrer tous les sacrements et que quelques-uns ne sont administrés que par l’évêque. Cette ordonnance vaut également pour les sacrements administrés en dehors de l’Église. Cf. cependant chaque sacrement en particulier.

THÈSE. Pour la validité de l’administration, la dignité morale du ministre n’est pas requise.   De foi.

Explication. Cette thèse a été définie d’une manière tout à fait générale par rapport à tout sacrement. Le concile de Trente déclare : « s. q. d. que le Ministre du Sacrement qui se trouve en péché mortel, quoique d'ailleurs il observe toutes les choses essentielles qui regardent la confection, ou la collation du Sacrement, ne fait pas, ou ne confère pas le Sacrement : Qu'il soit anathème » (S. 7, c. 12) : Denz., 855). Cette décision mettait fin à une vieille erreur qui, depuis Tertullien et les montanistes, a toujours été renouvelée par les rigoristes et, en dernier lieu, par Wiclef et Huss. Le dogme n’entend pas enseigner que la moralité du ministre est indifférente ; au contraire, l’Église oblige gravement le ministre à posséder cette moralité et sait très bien que le ministre lui-même tire de nombreux avantages accidentels d’une administration digne.

Preuve. Le Christ et les Apôtres ont supposé en général les dispositions morales du ministre. Mais nulle part ils n’ont fait dépendre de ces dispositions l’efficacité du sacrement. Le Christ sait qu’il y a des indignes qui, en son nom, ont prophétisé et chassé le démon (Math., 7, 22). S. Paul enseigne aux Corinthiens : « Ce n’est pas celui qui plante qui est quelque chose, ni celui qui arrose, mais celui donne la croissance, Dieu » (1 Cor., 3, 7). « Qu’est donc Apollo, qu’est Paul ? Des serviteurs de celui à qui vous croyez » (1 Cor., 3, 4 sq.). « Est-ce que par hasard Paul a été crucifié pour vous ? » (1 Cor., 1, 13).

Les Pères. Dans la lutte contre les donatistes, qui n’admettaient pas la consécration de Cécilianus de Carthage, parce que son consécrateur, Félix d’Aptunga, était un « traditor », S. Augustin apporta les vraies raisons théologiques pour la solution de la question. Il réfuta les objections donatistes tirées de l’Écriture (Lév. 19, 2 ; Jér., 2, 13 ; Prov., 9, 18 ; Ez., 36, 25 ; Ps. 140, 5 ; Jean, 9, 35 ; Luc, 11, 32 ; 1 Jean, 2, 18), il leur opposa des preuves bibliques proprement dites (1 Cor. 1, 3 ; 3, 6. Jean, 1, 33) et fit ressortir que, d’après l’Écriture, c’est le Christ qui baptise ; que ce soit Jean ou Paul ou Pierre ou Judas qui le fasse, c’est en définitive une action du Christ (In Joan., 5, 18). Personne ne pourrait, dit avec raison S. Augustin, porter un jugement certain sur la moralité intérieure du ministre. Si, par ailleurs, on ne considère comme nécessaire et suffisant qu’une justice extérieure, on enlève au principe tout entier son importance et sa force. Il est donc complètement insoutenable. La nourriture saine, dit-il, est toujours utile, qu’elle soit mangée dans un plat d’or ou dans un plat de terre. « Nous sommes bons, nous sommes ministres ; nous sommes mauvais, nous sommes ministres ». Mais, bien entendu, cela n'est pas indifférent pour le prêtre : « Mais bons et fidèles ministres, véritables ministres » (Morin, p. 150).

S. Cyprien et ses partisans avaient allégué deux arguments contre la validité des sacrements administrés hors de l'Église, contre le ministre hérétique ou indigne : 1° « Personne ne donne ce qu’il n’a pas ». S. Augustin répond : « C’est le Christ qui baptise) (que le ministre soit Pierre ou Judas) ; 2° « Extra Ecclesiam non potest recipi gratia Spiritus Sancti vel caritas ». S. Augustin répond : « le bienheureux Cyprien... ne sut pas distinguer le sacrement de son effet ou de son usage » (De bapt. c. Donat., 6, 1, 1). Cela était plus clair que les raisons que S. Etienne 1er exposait contre S. Cyprien en se référant à la valeur constante de la formule trinitaire (Denz., 47).

C'est dans le sens d'Augustin et de son temps que décida plus tard le Pape Nicolas 1er (+ 867). A une question des Bulgares il répondit que le baptême administré par des Juifs et des païens est administré validement s'ils emploient la forme convenable. (Denz., 335). Il décide à ce propos qu'on n'a pas à s'inquiéter de la qualité morale du prêtre tant qu'il n'a pas été déposé par l'évêque. Il emploie ensuite, pour expliquer le dogme, une image utilisée déjà par Anastase II (+ 498) : De même que les rayons du soleil ne sont pas souillés en tombant dans un cloaque, de même les sacrements divins ne peuvent pas l'être par des ministres mauvais (Denz., 169).

Comme raison théologique, S. Thomas fait valoir que le prêtre n'agit que comme cause instrumentale et demeure, par conséquent, dépendant de Dieu, lequel peut accomplir ses œuvres même par le moyen de ministres morts spirituellement, pourvu que le sacrement en soi soit administré comme il faut (S. th., 3, 64, 5 ; cf. 2, 2, 39, 3).

Au Moyen-Age, les Albigeois et les Vaudois reprirent les anciens principes rigoristes. Mais Innocent III (+ 1216) les condamna (Denz., 424) ; Jean XXII (+ 1334) condamna des opinions semblables des fraticelles (Denz., 488), et le Concile de Constance réprouva les propositions de Wiclef et de Huss (Denz., 584, 672).

Au sujet de l'Ordre, il y eut, jusqu'à l'époque de la Scolastique, même parmi les théologiens, beaucoup d’incertitude. On procéda souvent à des réordinations, quand l'Ordre avait été conféré par un évêque hérétique, schismatique ou simoniaque. Tout cela se fit pour des raisons de politique religieuse et parce qu’on subissait encore l'influence des idées exprimées déjà par S. Cyprien : « Mais comment celui-là pourrait-il purifier et sanctifier l'eau, qui est lui-même impur ? » (Ep. 69, 8). « Personne ne peut donner ce qu'il n'a pas. » Et pourtant ces principes ne valent que d'une manière générale et dans le domaine naturel : là encore ils ne valent pas toujours ; autrement un médecin malade ne pourrait guérir personne. Mais ils n’ont aucune valeur dans l'ordre surnaturel, quand Dieu lui-même est la cause principale de l'action et que le ministre n'est qu'un instrument.

L'administration indigne est jugée par la théologie morale avec S. Thomas comme un péché grave, parce qu'elle est une offense faite à Dieu et déshonore subjectivement le sacrement (S. th., 3, 64, 6). Pour l'administration en cas de nécessité urgente, les théologiens recommandent de produire un acte de contrition parfaite. Cependant, pour la célébration de l'Eucharistie, le Concile de Trente exige, en cas de péché mortel, la confession (S. 13, can. 11 ; cf. c. 7). En cas de nécessité, il est également permis de recevoir un sacrement d'un ministre indigne (Trid., s. 14, c. 7). C'est déjà ainsi que juge S. Augustin (De bapt., l, 2 sq.).

THÈSE. Pour l'administration valide des sacrements, le ministre doit avoir, en plus des pouvoirs, l'intention de faire comme fait l'Église.               De foi.

 Explication. Comme les Réformateurs ne voyaient dans les sacrements que des moyens d'exciter la foi, l'intention du ministre leur était indifférente. C'est pourquoi le Concile de Trente définit : « S. q. d. que l'intention, au moins celle de faire ce que l’Église fait, n'est pas requise dans les Ministres des Sacrements, lors qu'ils les font, et les conférent : Qu'il soit Anathème (S. 7, can. 11 : Denz. 854 ; cf. 424, , 672, 695). L'intention est l'acte de volonté déterminé d'atteindre un certain but par un certain moyen, comme, par ex., d'obtenir la guérison en prenant une médecine (S. th., 1, 2, 12, 1 et 4). Le ministre doit avoir l 'intention précise de faire par son action ce que fait l'Église quand elle entreprend la même action. C'est par l'intention que le ministre s'unit au Christ et à l'Église et que son action devient une action sacramentelle et surnaturelle. Il se fait alors consciemment et librement cause instrumentale dans la main du Christ ; car « C’est le Christ qui baptise », dit S. Augustin. On ne doit pas confondre l'intention avec l'attention qui est un acte de l'intelligence qui suit et remarque l'administration dans ses détails.

Preuve. L’Écriture ne mentionne pas formellement l'intention. Mais notre thèse ressort de la mission qu'a donnée le Christ d'administrer les sacrements, par ex. le Baptême, l'Eucharistie. En effet, on ne peut pas remplir cette mission par un accomplissement accidentel ou arbitraire du rite extérieur ; on ne peut le faire qu'en s'appropriant de quelque manière l'intention du Christ. S. Paul dit : « Que chacun nous tienne pour les serviteurs du Christ et les dispensateurs des mystères de Dieu. » (1 Cor., 4, 1). Or le serviteur doit vouloir faire ce que le maître lui commande. Maître et serviteur doivent, par la même intention, ne faire pour ainsi dire qu'une personne. Les Actes des Apôtres racontent plusieurs fois que les disciples administraient le baptême « au nom de Jésus », c.-à-d. d'après l'ordre et l'intention de Jésus. De même ils rattachent la rémission des péchés à son nom (Act. Ap., 2, 38 ; Jacq., 5, 14) et célèbrent l'Eucharistie en mémoire de lui. (1 Cor., 11, 25).

Les Pères. Dès le début, on supposait l'intention convenable, toutes les fois que l’action extérieure était accomplie comme il faut. Le premier qui fasse allusion à l’intention est S. Augustin. Il examine la question de la validité du baptême administré « par plaisanterie et d'une manière mimique » ; il ne veut pas donner de décision définitive et préfère attendre le jugement d'un concile général. (De bapt., 7, 53, 102 : M. 43, 242 sq.).

La Scolastique reprit la question que les Pères avaient laissée en suspens et essaya de la résoudre. Cela n’alla pas, au début, sans divergences d'opinions. D'après les recherches de Gillmann, qui se rapportent aux théologiens et aux canonistes, presque toutes les opinions possibles furent représentées dans la Scolastique primitive. La question de l'intention du ministre se mêla à celle de l'intention du sujet. Naturellement c'est l'intention du ministre qui entre surtout en ligne de compte à l'occasion du baptême et de la consécration ; on examine celle du sujet à propos du baptême, de l'ordination et du mariage. C'est par rapport à ces sacrements que la question est d'ordinaire discutée entre les auteurs. Hugues de Saint-Victor (+ 1141) a de bonne heure une conception correcte : il exige d’une manière générale l'intention, repousse les opinions opposées et fonde, comme aujourd’hui, la nécessité de l'intention sur cette raison que l'œuvre du service de Dieu doit se faire d'une façon raisonnable ; mais après lui les avis sont parfois très différents.

Au sujet du contenu de l'intention exigée, on trouve pour la première fois chez Petius Cantor (+ 1197) les linéaments de la formule postérieure : « l'intention de faire ce que l’Église fait ». Guillaume d'Auxerre (+ vers 1231), dans sa « Summa aurea » qui appartient déjà à l'époque de transition qui mène à la haute Scolastique, déclare au sujet du baptême : « Si nullus crederet, tamen si aliquis uteretur forma debita verborum et haberet intentionem faciendi quod facit Ecclesia (ici le terme « Église » est pris dans un sens indéterminé) baptismus esset. »

La haute Scolastique, là encore, pouvait prendre possession d'un héritage ferme du passé et n'avait qu'à lui donner une expression plus précise et à le fonder sur de bonnes raisons. La doctrine de l'intention est, en général, la même chez tous, malgré des différences dans l'explication des détails. Alexandre signale que c'est l'intention qui fait, de l'administration, un acte raisonnable. S. Bonaventure remarque que c'est elle qui unit la matière et la forme et les rapporte à leur vraie fin. S. Thomas indique que l'intention fait du signe en soi indéterminé, un signe sacramentel, soumet le ministre au Christ, la cause principale, et le met à sa disposition. Le ministre est mû par Dieu pour qu'il se meuve lui-même, reçoive en lui l'action divine et la communique. (S. th., 3, 64, 8). « L’intention bouffonne ou moqueuse exclut la première espèce de droiture qui rend le sacrement valide » (3, 64, 10 ad 2).

De ce qu'on vient de dire, il résulte que tous ceux qui ne peuvent pas avoir l'intention requise, parce qu'ils ne peuvent pas accomplir un acte vraiment humain (enfants qui n'ont pas l'âge de raison, déments, personnes sans connaissance, personnes ivres), comme tous ceux qui ne veulent pas se faire de quelque manière les instruments du Christ et de son Église, ne peuvent pas être ministres d'un sacrement.

Ce texte de Luther caractérise sa manière de voir sur l'intention : « S'il était possible que quelqu'un se confesse sans contrition ou bien qu'un prêtre par légèreté ou en plaisantant l'absolve, si bien qu'il croie être absous, il serait certainement absous. » Ed. Clemen 2, 95.

Nature de l'intention. On peut considérer l'intention d'après son aspect subjectif comme d'après son aspect objectif.

A) Du point de vue subjectif, les théologiens distinguent l'intention actuelle, virtuelle et habituelle : L'intention actuelle est le dessein, conçu auparavant et persistant pendant l'action, d'accomplir le sacrement, uni à l'attention portant sur tous les éléments de l'action ; 2° L'intention virtuelle a bien été formée auparavant, mais elle ne persiste pendant l'administration que dans sa vertu de telle sorte que l'on peut considérer l'action comme émanant d'elle ; 3° L'intention est habituelle quand l'acte de volonté correspondant a bien été produit avant, mais n'existe plus et ne persiste pas pendant l'administration, sans avoir non plus été formellement révoqué, de telle sorte que cette intention n'exerce aucune influence efficace sur l'action.

Il ne peut être question, dans l'administration des sacrements, que de l'intention actuelle et virtuelle. La première est sans doute désirable, mais en raison de la difficulté qu'elle comporte, les théologiens se contentent de la seconde.

B) Du point de vue objectif, ou d'après son contenu, l'intention doit tout au moins contenir la volonté de faire ce que fait l'Église, car cela est expressément exigé par la définition ecclésiastique.

Les théologiens essaient d'expliquer avec plus de détails cette décision générale. Ils excluent seulement l'administration faite « par plaisanterie », comme dans le cas qu'on raconte, sans garantie, de l'enfance de l'évêque Athanase (Schanz, 173), mais que les scolastiques ont discuté sérieusement. (Roland, Gietl, 205 sq. ; Gillmann, Intention, passim). Ils exigent, en général, une intention sérieuse du ministre. Cette intention doit avoir pour but de faire ce que fait l’Église. Mais il n’est pas nécessaire qu'elle ait comme but précis d'envisager l'effet particulier du sacrement. Ensuite, par « Église », il n'est pas nécessaire non plus d'entendre l'Église catholique ; il suffit de se représenter d'une manière générale l'Église du Christ. Le ministre n'est obligé de croire ni à cette Église ni à ses sacrements. Cela a déjà été examiné plus haut (§ 162). En tant que positive, l’intention doit tendre a appliquer la matière et la forme au sujet, de telle sorte que l'action sacramentelle qui en résulte soit vraiment reconnaissable.

S. Thomas : « Par conséquent comme il n’est pas nécessaire pour la perfection des sacrements que le ministre ait la charité… de même il n’est pas nécessaire qu’il ait la foi pour que le sacrement soit valide » (S. th., 3, 64, 10). Même quand l'incroyance a pour objet le sacrement lui-même, pourvu que le ministre sache que, par le rite qu'il accomplit, l'Église « veut administrer le sacrement », il peut sans aucun doute avoir l'intention de faire ce que fait l'Église, même s'il pense personnellement que l'Église a tort et que ce qu'elle fait est nul. Et une telle intention suffit. (S. th., 3, 64, 9).

Intention interne ou intention externe. Schanz dit, au sujet de la controverse concernant l'intention interne et l'intention externe, qu'elle tend, en dernière analyse, à savoir si une administration faite avec une hypocrisie interne est encore valide. Mais une action mensongère n'est pas une administration de sacrement. Les partisans de l'intention interne exigent que le ministre ne se contente pas d'accomplir l’action extérieure, mais encore qu'il la veuille intérieurement comme une action sainte, religieuse, sacramentelle. Par contre, les partisans de l'intention externe estiment suffisant que le ministre accomplisse l'action sacramentelle d'une manière convenable, alors même que ses dispositions intérieures seraient indifférentes et même négatives, si bien qu'il ne voudrait pas accomplir le rite religieux professé dans le christianisme (intent. mere externa). Un des principaux tenants de l'intention externe fut le dominicain Ambrosius Catharinus (+ 1553). II eut beaucoup de partisans au 18ème siècle. Mais aujourd'hui, la plupart des théologiens défendent, avec raison, l'intention interne. (Specht, 2, 183 s.q.).

Pour écarter les troubles que pourraient éprouver ceux qui reçoivent les sacrements, les théologiens font remarquer qu'en dernière analyse c'est le Christ qui administre les sacrements et que l'Église supplée les déficiences possibles du ministre. Schanz écrit : « Il faut, dans les cas de nécessité comme dans toute l'œuvre du salut, tenir compte de la sagesse et de l'amour de Dieu, qui ont trouvé une expression formelle dans le « supplet Ecclesia ») (p. 183). « Le ministre du sacrement agit au nom de toute l’Église, dont la foi supplée à ce qui manque à la foi du ministre » (S. th., 3, 64, 9). Dans les paroles (extérieures) que prononce le ministre, s'exprime l'intention de l'Église et cette intention suffit pour l'accomplissement du sacrement, quand le contraire n'a pas été manifesté d'une manière expresse et discernable de la part du ministre ou du sujet. (S. th., 3 ; 64, 8 ad 2). A ceux qui, pour la tranquillité des consciences, voudraient se contenter de l'intention externe, Stentrup répond qu'il faut s'en tenir à l'intention interne, mais qu'il faut en appeler à l'efficacité de la cause principale plutôt qu'à celle de la cause seconde, par conséquent au Christ et au Saint-Esprit qui sont présents dans l’Église tous les jours jusqu'à la fin du monde. « Dato igitur, solis causis secundis consideratis, ancipites hærere nos de ministrorum intentione ideoque de valore ordinationum posse, omnis tamen dubitatio præciditur, si animum ad principem causam erigamus. » Puis il rappelle qu'en dehors de la certitude stricte, métaphysique et physique, il y a encore une certitude morale qui exclut tout doute prudent (De sacram. in genere (1888), 112 sq.).

Disons encore que l'intention doit être déterminée « quoad materiam » (dans l'Eucharistie) et « quoad personas » (dans les autres sacrements). Et enfin elle doit être absolue, sans condition et appliquée à l'acte d'administration actuel ; car ce n'est que de cette façon que l’uni du signe et de l'intention sera réalisée. Si l'on fait dépendre l’administration d’une circonstance qui ne se produira que dans l'avenir, l'administration est invalide. Si, par contre, on la fait dépendre d’une condition qui se trouve dans le passé ou dans le présent l'administration est valide si la condition est actuellement remplie, elle est invalide si la condition n'est pas remplie. Une administration avec une « intentio de futuro » est toujours nulle, car dans l’avenir le sacrement n’a plus d'être et dans le présent il lui manque l'intention. Il en est du sacrement comme de tout être : il ne peut agir que là où il existe, ni avant ni après.

La nature particulière du mariage qui est un contrat bilatéral, fait que les contractants peuvent lier leur consentement (intentio) à une « condition suspensive » de futuro. Dans ce cas, l'effet sacramentel du contrat n'a lieu que dans l'avenir avec l'accomplissement de la condition, ou bien l'acte entier est invalide, précisément parce que la condition ne se réalise pas. Si avant la réalisation de la condition se produit une « copula carnalis » librement voulue, elle supprime la condition et et opère « ipso facto » le mariage complet. Cf. Droit matrimonial.

Remarque. En général, chacun doit administrer et recevoir les sacrements dans son rit. (C. j. C., 733, § 2. Cf. cependant can. 851, § 2 et can. 866).

§ 163. Le sujet des sacrements

Concernant le sujet des sacrements, l'Église a eu rarement l’occasion de se prononcer. On peut cependant établir et fonder théologiquement les thèses suivantes.

Ne peut être sujet des sacrements qu'une personne humaine dans l'état de voie. Les anges, les défunts, les créatures sans raison ne peuvent pas recevoir de sacrement.

La preuve se trouve dans la notion du sacrement qui est un moyen de grâce destiné à l'homme sur cette terre. Les anges n'appartiennent pas à l'Église de la terre. Les morts ne peuvent pas recevoir de sacrement, car l'âme qui reçoit la grâce n'est plus là. Si le zèle pieux des chrétiens a administré même à des morts le baptême (cf. 1 Co., 15, 29 ; Tertull., De resurr., 48) et, pendant longtemps, l'Eucharistie également, cela s'est fait contre la volonté de l'Église et, pour ce qui est de l'Eucharistie, malgré les interdictions répétées des conciles. (Cf. Héfélé, 2, 52 ; 3, 41, 547). Les indulgences et le sacrifice de la messe ne sont pas des sacrements, mais sont appliqués par mode de suffrage aux trépassés ; nous n'avons donc pas à en parler ici. Les créatures sans raison ne peuvent pas recevoir la grâce (cf. ci-dessus § 114) parce qu'il leur manque l'aptitude pour cela et parce que leur fin étant purement naturelle, le sacrement serait sans but. La Scolastique s'est tourmentée inutilement en se posant ce problème : Que recevrait une bête si elle mangeait une hostie consacrée ? On répondait : Elle ne recevrait pas le corps du Seigneur, mais les accidents du pain (Alanus). Il y a des problèmes absurdes et on n'en a que trop posé.

Tous les hommes ne peuvent pas recevoir tous les sacrements.

Toutes les personnes humaines peuvent recevoir le baptême et ensuite la Confirmation et l'Eucharistie. Les quatre derniers sacrements sont liés à des conditions morales et physiques déterminées que l’on examinera en détail à propos de chaque sacrement. La Pénitence a été établie pour l'état de péché et l'extrême-onction pour la maladie. L'Ordre ne peut être reçu que par des personnes de sexe masculin et le mariage que par des personnes qui possèdent les aptitudes physiques pour cela. Cf. les sacrements en particulier.

Pour la validité de la réception, l'intention de recevoir le sacrement est nécessaire.

La preuve réside déjà dans ce fait qu'un sacrement ne peut pas être imposé ; il doit être reçu librement et pour cela il faut, de quelque manière, une intention positive. D'après le Concile de Trente, la justification a lieu « par la libre acceptation de la grâce et des dons. » (S. 6, c. 7). Certains sacrements imposent des obligations spéciales, comme l'Ordre et le mariage. Le baptême peut être administré à des enfants qui n'ont pas encore la raison et qui sont incapables d'intention, parce qu'il n'impose que les devoirs généraux du chrétien. Pour les autres sacrements, on n'exige qu'une intention générale. Nous devons réserver les détails pour l'étude spéciale des sacrements.

Pour la réception valide, ni la foi orthodoxe, ni les dispositions morales ne sont nécessaires.

La preuve se trouve dans ce qu'on a dit plus haut (§ 162) sur l'administration en dehors de l’Église. En cas de « bonne foi » (bona fides), le sacrement opère la grâce ; faute de dispositions morales (fictio), il ne produit que le caractère et n'opère la grâce que lorsque l’« obex » est écarté. Il n'est permis d'administrer les sacrements aux hérétiques et aux schismatiques que lorsqu'ils ont abjuré leurs erreurs et se sont réconciliés avec l'Église (C. J. C. can. 731, § 2) ; quand ils sont sans connaissance et qu'on peut supposer qu’ils renonceraient maintenant à leurs erreurs, on peut leur donner sous condition  l'absolution et l'extrême-onction.

Pour la réception digne des sacrements, les dispositions morales du sujet sont nécessaires.

Le Concile de Trente enseigne expressément l’efficacité objective des sacrements, mais il demande aussi des dispositions positives pour leur réception. Cela a déjà été exposé dans le traité de la grâce (ci-dessus § 127 sq.). Le Concile de Trente fait dépendre l'effet de grâce du sacrement, de l'éloignement ou de l'absence de l’« obex ». Les théologiens distinguent un « obex » physique (obex sacramenti) et un « obex » moral (obex gratiæ). Le premier empêche l'existence du sacrement, le second, la production de la grâce par le sacrement. Le premier rend le sacrement invalide, le second rend la réception du sacrement objectivement illicite et, quand le sujet en a conscience, sacrilège. Il n'est question ici que de l’« obex » qui s'oppose à la grâce. Il consiste, pour les sacrements des morts, dans le défaut de contrition et, pour les sacrements des vivants, dans l'absence de grâce sanctifiante.

Quand un sacrement a été reçu avec un « obex », l'effet de grâce ne se produit qu'après l'éloignement de cet « obex », alors le sacrement revit (reviviscentia sacramenti).

On trouve déjà, chez S. Augustin, sinon l'expression au moins la chose. Sa doctrine du « character indelebilis » (p. 243) doit expliquer la « reviviscentia sacramenti » au cas où le sacrement a été reçu sans pénitence (il écrit d'après Sag., 1, 5 : « ficte » ou bien en dehors de l'Église). S. Thomas écrit : « Le sacrement de baptême est l’œuvre de Dieu et non de l’homme. C’est pourquoi ce n’est pas une œuvre morte dans celui qui dissimule et qui reçoit ce sacrement sans la charité (S. th., 3, 69, 10 ad 1). La condition préalable pour la reviviscence, c'est l'administration valide. Alors le sacrement a déjà reçu dans l'homme son être surnaturel, mais n'a pu, en raison du « verrou », exercer son effet complet dans l’âme et y a seulement imprimé le caractère. Par suite, dans son être physique, il est déjà disparu, mais dans son effet prochain (s. et res), il existe encore dans l'âme. Dans cette production du caractère réside un droit concédé à la grâce correspondante et il suffit d'écarter le « verrou » pour que le caractère opère son effet et entraîne après lui la grâce. Certains théologiens admettent aussi une reviviscence pour l’extrême-onction et le mariage, parce que, à certains égards, ces sacrements ne peuvent être reçus qu'une fois et que le sujet perdrait à jamais l'effet sacramentel si cet effet ne devait pas se produire en raison de la pénitence ultérieure et de l'éloignement de l’« obex ». Cependant il est assez difficile d'expliquer théologiquement cette reviviscence, à moins d'admettre, avec certains théologiens, comme effet sacramentel prochain (s. et res), un « quasi-caractère ». Il est absolument impossible de concevoir une reviviscence pour la Pénitence et on ne le peut guère pour l'Eucharistie. Quand on reçoit ces sacrements d'une manière indigne, on les reçoit aussi d'une manière invalide. Cela est certain pour la Pénitence. Pour l'Eucharistie, on pourrait songer à une reviviscence tant que les saintes Espèces ne sont pas corrompues.

La question de l'administration du baptême sous condition aux enfants trouvés a déjà été examinée par la Scolastique primitive, qui s'est prononcée pour l'affirmative en se référant à S. Léon 1er. (Roland, Gietl, 208).

Synthèse. L'administration et la réception d'un sacrement peuvent être : 1° Valides, quand du côté du ministre comme du côté du sujet se trouve tout ce qui appartient à l'essence du sacrement ; 2° Invalides quand il y a un « defectus » ; 3° Licites quand des deux côtés on observe toutes les prescriptions du Christ et de l'Église à ce sujet ; 4° Dignes quand, chez le ministre comme chez le sujet, se trouvent les dispositions nécessaires. Un « defectus » ici est ordinairement un péché grave, à moins qu'il n'y ait des « causes excusantes ». Les dispositions du sujet seront examinées à propos de chaque sacrement. Du ministre il est exigé : 1° L'état de grâce ; 2° L'observation des rites, d'après le rituel ecclésiastique ; 3° L'autorisation d'administrer (sauf cas de nécessité) ; 4° L'exemption de censures. Le ministre officiel est obligé « sub gravi » d'administrer les sacrements « rationabiliter petentibus » et même, éventuellement, la Pénitence et l'extrême-onction, en s'exposant au danger de mort. Cf. Théologie pastorale. - Le plus ancien rituel pour l'administration des sacrements se trouve dans l'ordonnance ecclésiastique dite égyptienne.

L'ensemble de la législation concernant les sacrements a été confiée par Pie X à la « Congrégation des sacrements » créée par lui. Sont exceptées les questions de foi et de mariage, qui sont du ressort de la S. Congrégation du Saint-Office et les questions rituelles qui relèvent de la Congrégation des Rites. (Cf. C. J. C., can. 249).

§ 164. L'institution des sacrements par le Christ et leur nombre septénaire

A consulter : Bittner, De numero sacramentorum septenario (1859). Schanz, 192 sq. Pourrat, 232 sq. Sertillanges, Les sept sacrements de l'Église (1911). E. Dhanis, Quelques anciennes formules septénaires des sacrements (Rev. d'hist. eccl., 1930, 578-608). Hahn (protest)., Doctrinæ romanæ de numero sacramentorum rationes historicæ (1859).

THÈSE, Le Christ, en vertu de son pouvoir divin, a institué tous les sacrements de la Loi nouvelle.             De foi.

Explication. D'après leur notion même, les sacrements ne peuvent être institués que par Dieu. Bien que des hommes puissent ordonner des signes religieux, Dieu seul peut y unir sa grâce. Il est l'auteur proprement dit du sacrement (auctor principalis) ; lui seul a le pouvoir d'ordonner des sacrements (potestas principalis). Le Christ possède cette puissance, absolument, comme Dieu. Mais, en tant qu’homme, il a mérité les sacrements et, par suite, possède sur eux une puissance d'autorité (p. auctoritatis) ou d'excellence (p. excellentiæ). Il a institué les sacrements comme homme en vertu de la puissance divine.

Le Concile de Trente définit, contre les protestants qui voulaient voir dans la plupart des sacrements une « invention humaine » : « S. q. d. que les Sacrements de la nouvelle Loi n'ont pas été tous institués par notre Seigneur Jésus-Christ... Qu'il soit anathème (S. 7, can. 1 : Denz., 844). Au sujet de l'Eucharistie et de la Pénitence, le Concile affirme encore spécialement l'institution par le Christ (s. 13, c. 2 ;  s. 14, c. 1 : Denz., 875, 894) ; de même pour l'Extrême-Onction (S. 14, can. 1 : Denz., 926). Une conception apparentée à celle des protestants est la conception moderniste. D'après les modernistes, les sacrements sont apparus plus tard dans l'Église, comme une évolution historique tirée de la pensée générale du Christ : « Les sacrements tirent leur origine de ce que les Apôtres et leurs successeurs ont interprété une certaine idée du Christ, sous l'influence mouvante des circonstances et des événements » (Lamentabili, prop. 40 : Denz., 2040 ; cf. prop. 39).

Preuve. Il suffit ici de quelques éléments généraux de preuves : les preuves particulières seront apportées pour les sacrements particuliers. On ne doit pas attendre de l'Écriture un jugement d'ensemble attestant que tous les sacrements ont été institués par le Christ. Les sacrements sont attestés chacun en particulier, il n'y a pas de jugement systématique. Mais le Christ a remis aux Apôtres l'Église constituée et complète dans ses institutions essentielles, afin qu'ils l'administrent et non afin qu'ils la fondent ou l'achèvent. C'est bien ainsi d'ailleurs que les Apôtres l'ont compris ; ils se sont considérés comme les « dispensateurs des mystères de Dieu » (1 Cor., 4, 1) et non comme des gens chargés d'améliorer une institution ; dans tous les points importants, ils se réfèrent au Christ. « Car personne ne peut poser un autre fondement que celui qui a été posé, lequel est Jésus-Christ » (1 Cor., 3, 11).

Les Pères. Étant donnée leur conception large des sacrements, ils ne devaient pas examiner spécialement l'institution par le Christ. Bien entendu, ils ramènent les sacrements principaux au Christ. C'est ce que nous verrons plus tard en détail. Au sujet du baptême, S. Augustin dit que le Christ aurait pu, sans doute, le faire instituer par des hommes. « Mais il ne voulait pas qu'un homme mette sa confiance dans un homme » (ln Joan., 5, 7).

De même, la Scolastique insista très peu, avant S. Thomas, sur l'institution par le Christ. Au sujet de Guillaume d'Auvergne (+ 1149), Ziesché porte ce jugement : « De tout l'exposé une chose ressort avec certitude, c'est que les sacrements doivent leur origine de quelque façon à une ordonnance divine, car personne, pas même l’Église, ne peut par soi-même disposer des trésors de grâce de Dieu... Nulle part Guillaume n'entre dans plus de détails. » (P. 19). Quelques scolastiques eurent à ce sujet des idées peu claires. On jugeait d’une manière sûre par rapport au baptême et à l'Eucharistie. Quant au mariage et à la Pénitence, P. Lombard les trouvait déjà dans l'ancienne Loi. Cela n'est pas inexact, si l'on considère le mariage comme une institution naturelle et la pénitence comme une vertu. Quant à l'Ordre et à l'Extrême-Onction, il voudrait les rapporter aux Apôtres. Alexandre de Halès (+ 1245) pense que la Confirmation a été instituée dans son signe extérieur à un Concile de Meaux (829) et l'a été « sous la motion du Saint-Esprit ». Au sujet de l'Extrême-Onction, de la Pénitence et de l'Ordre, il juge comme P. Lombard. Petrus Cantor (+ 1197) et Jacques de Vitry (+ 1240) font dériver l'imposition des mains, dans la Confirmation, des Apôtres, et l'onction, de l'Église. (Cf. Gillmann, Guillaume d'Auxerre, 22).

S. Albert et S. Thomas soutiennent pour tous les sacrements l'institution par le Christ. S. Thomas dit : « Comme toute la vertu du sacrement provient de Dieu seul, il en résulte que Dieu a institué tous les sacrements » (S. th., 3, 64, 2). Et comme le Christ est l'Homme-Dieu, il pouvait comme Dieu instituer les sacrements, mais comme Homme il en est la cause méritoire et instrumentale et le ministre principal, qui a sur eux un pouvoir d'excellence (S. th., 3, 64, 3). (Cf. Schanz, 112 sq).

Dans la théologie posttridentine, les théologiens sont unanimes pour affirmer que tous les sacrements ont été institués par le Christ. On ne différait d'avis que sur la question de savoir s'ils avaient été établis dans les détails, quant aux parties intégrantes extérieures, la matière et la forme (in specie), ou bien si le Christ n'en a institué quelques-uns que d'une manière générale (in genere), laissant à ses Apôtres le soin de préciser le signe extérieur. Les deux opinions sont représentées par des théologiens considérables. Pour l'opinion la plus rigide, on cite S. Bellarmin, Vasquez, Becanus, etc. ; pour l'opinion plus large, Dom. Soto, Suarez, Estius, Tournely, Gotti, etc. Or il semble qu'il serait difficile de prouver d'une manière apodictique que la détermination de la matière et de la forme de tous les sacrements doit être ramenée au Christ. Schanz juge à ce sujet : « A l'exception du baptême et de l'Eucharistie, on ne peut pas établir par l'Écriture une ordonnance spéciale du Christ. De même, la Tradition n'est pas unanime dès le commencement » (P. 114). Billot est du même avis (3è éd., 1, 161). Nous examinerons de plus près cette question à propos de chaque sacrement.

L'explication moderniste des sacrements est exactement conforme à celle de la théologie libérale. D'après Hamack, qui ne fait pas même remonter le baptême au Christ, l'Église a elle-même institué tous les sacrements et les a habilement adaptés à toutes les situations particulières des fidèles. D'après Loisy, c'est absolument de cette manière que les choses se sont passées ; seulement l'évolution n'est pas achevée, mais elle est dans un flux et un progrès perpétuels. « Sans programme fait d'avance, une institution a pris vie, qui enveloppe l'homme d'une atmosphère divine et qui, sans aucun doute, par l'harmonie interne de toutes ses parties et par son influence puissante, représente la plus admirable création qui soit jamais sortie spontanément d'une religion vivante. L'époque où l'Église a fixé le nombre des sacrements n'est qu'un stade particulier de cette évolution et n'en caractérise ni le commencement ni la fin. Le point de départ est celui qu'on a déjà indiqué, c'est-à-dire le baptême de Jésus et la Cène ; la fin n'est pas encore venue, car l'évolution sacramentelle, qui dans son ensemble suit la même marche que l'Église elle-même, ne peut cesser qu'avec celle-ci. » (Évangile et Église (1904), 169 sq.).

THÈSE. Il y a sept sacrements de la Loi nouvelle.        De foi.

Explication. Dans le même premier canon, dans lequel le Concile de Trente définit l'institution des sacrements par le Christ, il enseigne aussi leur nombre septénaire en déclarant : « S. q. d. que les Sacrements de la nouvelle Loi n'ont pas été tous institués par notre-Seigneur Jesus-Christ ; ou qu'il y en a plus ou moins de sept, savoir, LE BAPTEME, LA CONFIRMATION, L'EUCHARISTIE, LA PENITENCE, L'EXTREME-ONCTION, L'ORDRE, et LE MARIAGE ; Ou que quelqu'un de ces sept, n'est pas proprement et véritablement un Sacrement : Qu'il soit anathème » (S. 7, can. 1 ; Denz., 844). Déjà avant les Réformateurs, les sectes spirituelles du Moyen-Age (Vaudois, Cathares) avaient rejeté tous les sacrements ; Wiclef et Huss en avaient rejeté une partie. Luther conserva au commencement trois sacrements : le Baptême, l'Eucharistie et la Pénitence ; Mélanchton en admit d'abord deux, puis quatre : le Baptême, l'Eucharistie, l'absolution et l'ordination. L'ordre suivi par le Concile de Trente dans l'énumération des sacrements a une raison dogmatique : les trois premiers sacrements fondent et complètent la vie nouvelle ; la Pénitence et l'Extrême-Onction la rétablissent lorsqu'elle est perdue ; les deux derniers sacrements constituent un état.

Preuve. L'Écriture ne traitant pas systématiquement des sacrements, on ne doit pas s'attendre à y trouver le nombre septénaire formel. Il suffit que nous puissions prouver par l’Écriture l'existence de chaque sacrement.

Il n'est pas possible non plus de tirer de la Tradition une preuve formelle du nombre septénaire. L’Église posséda et utilisa pendant des siècles les sacrements sans se prononcer sur leur nombre. On peut donner comme raison de cette manière d'agir la discipline de l'arcane qui avait pour but de préserver les saints mystères de la moquerie des infidèles ; on peut alléguer aussi le silence de l’Écriture sur le dénombrement des sacrements, mais aussi et surtout le défaut de théologie sacramentaire et le flottement dans la notion de sacrement en général.

La discipline de l'arcane (disciplina arcana) est une expression créée depuis les controverses posttridentines (pour la première fois par le protestant Dallaeus, + 1670) pour désigner la coutume, en usage dans l'ancienne Église, qui consistait à cacher certaines vérités et institutions chrétiennes importantes, aux infidèles et même aux catéchumènes. Bien que les anciens cultes des mystères païens aient gardé secrets, pour les non initiés, leurs rites religieux, ce n'est pas à eux, quoi qu'en pensent Harnack et d'autres, qu'on a emprunté, au 4ème siècle, la discipline de l'arcane ; mais on s'est appuyé sur certaines assertions du Seigneur (Math., 7, 6) et des Apôtres (1 Cor., 3, 2 ; Hébr., 5, 12-14), et on a été guidé par l'esprit de foi et le respect des mystères. La discipline de l'arcane régna du 2ème au 5ème siècle ; en Occident, son dernier témoin est Innocent 1er (+ 417). On doit reconntre l'existence de la discipline de l'arcane, mais il ne faut pas en exagérer l'influence. En tout cas, Battifol ne lui attribue pas assez d'importance, quand il ne voit en elle qu'une simple méthode pédagogique destinée uniquement à exciter le zèle des catéchumènes dans leur préparation aux trois premiers sacrements. Funk attaque sa manière devoir (Revue de Tubingue, 1903, 69 sq.) et soutient l'importance dogmatique de la discipline de l'arcane : elle avait sa raison d'être dans l'esprit de foi et le respect des sacrements dont on jugeait que les catéchumènes n'étaient pas encore dignes de connaître la nature complète. (Cf. Dict. théol., 1, 1738-1758 (Battifol) ; Pesch, 6, 36).

La raison la plus profonde de la déficience des sources patristiques et chrétiennes antiques, dans la question du nombre septénaire des sacrements ou même d'une numération quelconque des sacrements, réside manifestement dans le fait que la doctrine sacramentaire générale n'était pas encore constituée ; cette œuvre ne fut entreprise que par les scolastiques. Tant que régna la notion large de sacrement et qu'on entendit par sacrement les rites et les exercices les plus divers de la religion, il ne pouvait pas être question d'un compte ferme. De là, les nombres si différents avant P. Lombard. A cette époque, outre les sacrements proprement dits, on compte encore comme « sacrements » : la consécration des églises, le sacre des rois, la bénédiction des moines, des moniales, des chanoines, les cérémonies des sépultures, l'eau bénite et d'autres choses du même genre, en un mot, ce qu'on a désigné plus tard sous le nom de « sacramentaux ».

On comprend facilement que la détermination plus nette de la notion de sacrement devait entraîner une délimitation plus précise et, par là même, un dénombrement des sacrements, surtout à partir d'Hugues et d'Abélard. On peut dire qu'à partir de cette époque nos sept sacrements se dessinent d'une manière de plus en plus distincte ; mais on ne peut pas établir quel fut le premier auteur d'une énumération formelle. Comme première attestation on peut citer les Sentences de P. Lombard (+ 1164) qui suppose cette énumération universellement reconnue : « Jam ad sacramenta novæ legis accedamus, quæ sunt Baptismus, Confirmatio, Panis benedictio (Eucharistia), Pœnitentia, Unctio Extrema, Ordo, Conjugium. » (Sent., 4, d. 2, c. 1). On trouve ensuite un livre de Sentences de l’École de Gilbert, et un ouvrage intitulé « De sacramentis » d'un Maître Simon. Mais la date de ces trois écrits est incertaine : on peut donner comme date approximative 1150. D'autres témoignages plus anciens ne sont pas authentiques. (Cf. Geyer, Th. Gl., 1918, 325-348). Sur l'ordre de succession des sacrements, on a hésité dans la Scolastique primitive (Cf. Gillmann, Guillaume d'Auxerre, 23 sq.). Gillmann constate, d'après la littérature canoniste, que « la plupart des anciens glossaires enseignent le nombre septénaire des sacrements principaux » (Siebenzahl (Septénaire), 41). L'influence de P. Lombard sur les scolastiques dut servir à l'affirmation du nombre septénaire. Il y a cependant encore des hésitations même chez Innocent III (Denz., 424) et dans les conciles. Le second Concile de Lyon (1274) compte « sept sacrements » (Denz., 465). L'ordre de succession en usage aujourd'hui se trouve chez Eugène IV (Denz., 695 sq.).

Si nous ne pouvons pas prouver formellement le nombre septénaire par l’Écriture et la Tradition, nous pouvons cependant le fonder, d'une certaine manière, objectivement, par l'argument de prescription juridique, par le fait historique de l'accord des Grecs avec l’Église latine et par l'argument théologique de l'infaillibilité ecclésiastique.

L'argument de prescription a été utilisé pour la première fois par Tertullien. C'est une sorte de preuve de tradition. Ce qui se trouve d'une manière unanime dans l’Église est une doctrine traditionnelle (Præscript., 28 : S. Augustin, De bapt., 5, 24, 31). C'est aux adversaires de prouver qu'un nouveau sacrement a pu, à un moment quelconque, être introduit dans l’Église. Or, pour ce qui est des sacrements ou d’un sacrement quelconque, cette preuve ne peut pas être apportée.

Une preuve d'une grande importance, est celle qui est tirée de l'accord de l’Église grecque avec l’Église latine. Les Grecs schismatiques eux-mêmes, comme on l'a montré plus haut, ont la même notion des sacrements que nous et admettent le nombre septénaire. « Dans l’Église orthodoxe on admet universellement les sept mystères connus ou sacrements de l’Église catholique romaine, et de ces mystères, le plus sacré est le mystère de l'Eucharistie » (Zankow, 103). Bien qu'ils n'aient pas plus trouvé que les Latins le nombre septénaire formel dans leur tradition et qu'au contraire ils l'aient emprunté à l’Église occidentale (à partir des 12ème et 13ème siècles), il est cependant certain qu'ils ont constaté dans cette énumération l'expression adéquate de leur foi propre. Aussi ce point ne constitua pas de difficulté aux Conciles d'union. De même, les sectes orientales (Coptes, Jacobites, arméniens) reconnaissent ordinairement les sept sacrements. Au sujet de petits écarts, cf. Schanz, 200. Cet accord est d’autant plus important qu’étant donné l'antagonisme des deux Églises il ne faut pas songer à une influence exercée par Rome sur les Grecs, et que les Sectes qu'on vient de nommer s'étaient séparées de bonne heure de l’Église (5ème siècle). Quand les protestants tentèrent de gagner les Grecs à la Réforme, le patriarche Jérémie de Constantinople (1576) s'y opposa énergiquement et fit valoir, à ce propos, le nombre des sacrements. Quand, environ cinquante ans plus tard, le patriarche Cyrille Lucaris se montra prêt à des concessions sur ce sujet, les Grecs le déposèrent aux Synodes de Constantinople et de Jérusalem. À ceux qui passent d'une secte protestante à l’Église grecque on pose une question nettement formulée, à ce sujet, dans le rite d'admission.

La raison théologique en faveur du nombre septénaire n'a de poids que pour ceux qui admettent l'infaillibilité de l’Église. Au moment où les protestants rejetèrent le nombre septénaire, il se trouvait au moins depuis trois siècles dans la conscience de l’Église, dans son usage et sa doctrine. Or dans ce que l’Église considère pendant des siècles comme une partie essentielle du christianisme, elle ne peut pas errer. Il faut alors admettre qu'elle a reçu objectivement les sept sacrements de la Tradition apostolique.

Les Réformateurs, étant donnée leur notion vague du sacrement, ne pouvaient arriver à établir un compte ferme. La Bible ne contenait rien à ce sujet ; quant à la Tradition, ils la rejetaient. On fut donc obligé de laisser libre le compte des sacrements et d'insister sur les « sacrements principaux ». L'Apologie de la Confession d'Augsbourg dit : « Là encore ils (les catholiques) veulent que nous confessions nous aussi qu'il y a sept sacrements ni plus ni moins. A ceci nous disons qu'il faut conserver les cérémonies et sacrements que Dieu a institués par sa parole, dans la quantité et le nombre qu'ils ont : Mais, au sujet de ce nombre de sept sacrements, on trouve que les Pères eux-mêmes ne les ont pas comptés également ; aussi ces sept cérémonies ne sont pas également nécessaires. Des signes institués sans l'ordre de Dieu ne sont pas des signes de la grâce, bien que par ailleurs ils puissent apporter un souvenir aux enfants et aux grandes personnes, comme une Croix peinte. Ainsi ne sont véritables sacrements que le baptême, la Cène du Seigneur et l'absolution. Car ceux-là ont l'ordre de Dieu, ils ont aussi la promesse des grâces. (Art. 13).

La nécessité des sacrements sera examinée dans l'étude de chaque sacrement. Le Concile de Trente l'a définie d'une manière générale contre les Protestants, lesquels ne voyaient pas, dans ces sacrements, un moyen nécessaire de salut, mais seulement des appuis occasionnels de la foi qui, seule, garantit le salut : « S. q. d. que les Sacrements de la nouvelle Loi, ne sont pas nécessaires à Salut : mais qu'ils sont superflus ; et que sans eux, ou sans le désir de les recevoir, les hommes peuvent obtenir de Dieu, par la seule Foi, la grâce de la Justification ; bien qu'il soit vrai que tous ne soient pas nécessaires à chaque particulier : Qu'il soit anathème » (S. 7, can. 4, De sacram. in gen. : Denz., 847).

D'après les modernistes, « les sacrements n’ont, à proprement parler, d'autre but que de rappeler à l'homme la présence toujours bienfaisante du Créateur » (Lamentabili, prop. 41). Quand on n'a pas de notion juste de la grâce surnaturelle, on ne peut pas comprendre la nécessité des sacrements. D'après Loisy, c'est « la communauté chrétienne qui a introduit la nécessité du baptême » (Prop. 42).

Distinctions. Il est certain que tous les sacrements ne sont pas nécessaires à tous les hommes, comme cela apparaîtra clairement plus tard. Déjà, chez les Pères, se placent au premier rang, comme dans l’Écriture, le Baptême, la Confirmation et l'Eucharistie, comme actes d'initiation. Les premiers scolastiques sont déjà plus précis et distinguent entre les « sacramenta necessitatis » et les « s. voluntatis » (libertatis), ou bien en partant de leur notion large du sacrement, entre les « s. præparatoria » (sacramentaux), les « s. veneratoria » (les fêtes) et ministratoria (les offices des clercs), ou bien plus brièvement, avec Hugues, entre « s. principalia et minora » (sacramentaux) ; et puis encore : « Tria genera sacramentorum : 1° Sunt enim quædam sacramenta, in quibus principaliter salus constat et percipitur (Baptême et Eucharistie) ; 2° Alia sunt quæ, et si necessaria non sunt ad salutem...proficiunt tamen ad sanctificationem (eau bénite, imposition des cendres) ; 3° Sunt rursum sacramenta, quæ... ad præparationem constituta esse videntur (offices des clercs, consécration des églises et des vases sacrés). » On peut signaler encore ici un schéma très usité, celui de la « quadriformis species sacramentorum » des théologiens et des canonistes de la Scolastique primitive. « Les quatre colonnes du tabernacle » (cf. Ex., 36, 36) symbolisent les quatre espèces de sacrements : « Alia enim sunt salutaria, alia ministratoria, alia veneratoria, alia præparatoria » (Cf. Ghellinck, Mouvement théologique, 359-369).

Conclusions pratiques. A) Le Catéchisme romain avertit les pasteurs d'instruire les fidèles : 1° De la vénération et du respect qu'ils doivent aux sacrements ; 2° De l'usage pieux et religieux qu'ils doivent en faire ; 3° De leur importance pour toute la vie chrétienne dont ils sont le fondement et la pierre d'angle ; c'est pourquoi, lorsque leur réception et la prédication de la divine Parole disparaissent, la vie chrétienne s' éteint. - B) Il faut rappeler aux prêtres qu'ils doivent administrer les sacrements avec zèle pastoral, avec pureté d'intention, et de conscience. S. Grégoire le Gr. fait déjà ces exhortations et interdit aux évêques et aux prêtres, dans les termes les plus énergiques, « de vendre la grâce spirituelle »

§ 165. Les sacrements de l'Ancien Testament. Les sacramentaux

A consulter : Dict. Théol. 2, 2518-2527, v. Circoncision. Arendt, De sacramentalibus disquisitio scholastico-dogmatica (2e éd., 1900).

S. Augustin s'est fait une notion si large du sacrement (sacramentum tantum) qu'il peut y faire rentrer les rites religieux de l'Ancien Testament. Cependant, il met une différence essentielle entre ces rites et les sacrements du Nouveau Testament. (Cf. plus haut, p. 231). A la suite de S. Augustin et des Pères, la Scolastique, aussi, et non seulement la Scolastique primitive avec sa notion large du sacrement, mais encore la haute Scolastique, parle des sacrements de l'Ancien Testament. D'après la doctrine générale des théologiens, les sacrements de l'Ancienne Alliance n'opéraient cependant pas la grâce par eux-mêmes (exopere operato), mais seulement par la foi à la Rédemption, incluse en eux (ex opere operantis).

Le Concile de Trente prend, par rapport aux sacrements de l’Ancienne Alliance, une attitude purement négative. Parce que Calvin les mettait sur le même rang que ceux de la Nouvelle Alliance, le Concile frappa d'anathème ceux qui disent que les sacrements de la Nouvelle Alliance ne sont pas différents des sacrements de l'Ancienne Alliance, si ce n'est seulement dans les cérémonies : « S. q. d. que les Sacrements de la nouvelle Loi ne sont différents des Sacrements de la Loi ancienne, qu'en ce que les cérémonies, et les pratiques extérieures sont diverses : Qu'il soit anathème. » (S. 7, can. 2, De sacram. in gen. : Denz., 845). Eugène IV répète les pensées de S. Augustin sur l'importance purement symbolique des sacrements de l'Ancien Testament : « Illa enim non causabant gratiam, sed solum per passionem Christi dandam esse figurabant » (Decret, pro Armen. : Denz., 695).

Les Prophètes, comme on sait, placent très bas les rites de l'Ancienne Alliance quand ils ne sont pas l'expression de la foi vivante. C'est au même point de vue que se placent le Baptiste (Math., 3, 7-12), le Christ (Sermon sur la montagne) et S. Paul. (Rom., 1-4 ; Gal., 1-5 ; Hébr., 10, 1-9). Les sacrifices et la circoncision même ne sont pas exceptés de la critique paulinienne. Tout l'Ancien Testament n'est qu'une « ombre » des biens à venir (Hébr., 10, 1) ; il n'a qu'une valeur extérieure, éducative (Gal., 3, 24), pas de vertu justifiante interne (Rom., 3, 10, 20 ; cf. Rom., 2, 25-29 ; 4, 9-12. 1 Cor., 7, 18-20. Gal., 2, 3 ; 5, 1, 2, 6, 11 ; 6, 12-15. Phil., 3, 3-9. Col., 3, 11. Act. Ap., 15, 1-27). Moïse a seulement donné une loi, mais la grâce et la vérité ne viennent que par le Christ (Jean, 1, 17). D'après S. Augustin, les « sacrements » de l'Ancienne Alliance étaient des promesses symboliques de la grâce et non des causes de cette grâce (De pecc. Orig., 32, 37 ; Enarr. in Ps. 73, 2 ; c. Faust., 19, 11).

Les scolastiques primitifs mettent souvent sur le même pied le baptême et la circoncision : « Plerique tamen concedunt, quod circumcisio infusionem gratiæ operabatur », écrit Etienne Langton dans sa « Summa theologiæ ». (Gillmann, Doctrine sacramentaire de Guillaume d'Auxerre, 8).

La Scolastique en resta à l'opinion exposée ci-dessus ; mais on attribua parfois à la circoncision la rémission du péché originel « ex opere operato ». (P. Lombard, Alexandre, S. Bonaventure, Scot, Estius). Mais S. Thomas assimile avec raison la circoncision aux autres rites (S. th., 3, 62, 6 ad 3). Cependant il admet que, chez les enfants, la foi des parents agit par représentation (S. th., 3, 70, 4). Peut-être aurait-il été plus exact de prouver d'abord que l'Ancien Testament croyait au péché originel avant de parler d’un moyen de l’effacer (Cf. t. 1er, p. 337). Il est nécessaire d’appliquer à l’Ancien Testament ses propres mesures et non celles d'une théologie bien postérieure. Seul le Nouveau Testament, en tant qu’accomplissement de l’Ancien, peut porter à ce sujet un jugement décisif ; or, sur sa manière de voir, il ne peut pas y avoir de doute. Le Nouveau Testament n'attribue aux rites de l'Ancien aucune vertu objective de justification. Abraham fut justifié par la foi et non par la circoncision. « Il reçut le signe de la circoncision comme sceau de la justice de la foi qu'il avait avant la circoncision, afin qu'il fût le père de tous ceux qui ont la foi sans être circoncis » (Rom., 4, 11).

Au sujet des négociations entre les Pères du Concile de Trente, Ehses raconte (Concilium Tridentinum, 5, 834-995) : Une partie des voix était plus favorable aux sacrements de l'Ancien Testament ; une autre était d'avis qu'on devait passer les questions sous silence ; une troisième demandait qu'on rejetât l'égalité entre les sacrements de l'Ancien et du Nouveau Testament, parce que le Concile de Florence avait déjà déclaré : « Illa enim non causabant gratiam, sed solum per passionem Christi dandam esse figurabant : hæc vero nostra et continent gratiam, et ipsam digne suscipientibus conferunt » (Denz., 695). On finit par s'entendre sur le canon ci-dessus.

Les sacramentaux.

Les sacramentaux sont certaines actions cultuelles, avec lesquelles l’Église accompagne l'administration des sacrements et le service religieux, afin de les rendre plus solennels et plus impressionnants, ou bien qu'elle accomplit indépendamment et d'elle-même, pour préparer les fidèles à la réception des sacrements, les rendre plus accessibles à la grâce, les fortifier contre les tentations et donner à toute leur vie un éclat et une consécration surnaturels. - On divise d'ordinaire les sacramentaux en bénédictions et en conjurations ou exorcismes. Les bénédictions, à leur tour, sont de deux sortes : dans le premier cas, leur but est de mettre d'une manière permanente sous la protection de Dieu l'objet à bénir (personnes ou choses) : on les appelle bénédictions constitutives, consécrations ; dans le second cas, leur but est de demander pour une certaine circonstance des bienfaits corporels ou spirituels, naturels ou surnaturels : on les appelle bénédictions invocatives, simples bénédictions. Comme le nom l'indique, les sacramentaux sont essentiellement un signe extérieur. En cela ils ressemblent aux sacrements. Mais ils s'en distinguent par les deux autres éléments essentiels : ils sont ordonnés par l’Église et non par le Christ ; ensuite, ils produisent leurs effets en vertu des prières de l’Église et du pieux usage (ex opere operantis) et non en vertu de l'ordonnance divine (ex opere operato). On ne peut guère préciser le nombre des sacramentaux ; ils pénètrent toute la vie chrétienne, la vie commune comme la vie particulière et n'ont pas toujours été les mêmes, surtout pans leur application privée. D'une manière générale, leur nombre s'est beaucoup augmenté au Moyen-Age.

On parle des sacramentaux dans la théologie depuis la Scolastique. Hugues distingua le premier les grands et les petits sacrements (sacramenta principalia et s. minora). P. Lombard (+ 1164) emploie l'expression « sacramentalia » pour désigner « catechismus et exorcismus neophytorum » (Gillmann, Guillaumed'Auxerre,12). Rufin (+ vers 1190) distingue des sacrements une série de cérémonies qu'il appelle « sacramentalia, sacramentis adjuncta et de eis pendentia ». Guillaume d'Auvergne (+ 1249) emploie, pour désigner les « petits » sacrements, le terme « sacramentaux », qui devient désormais courant. Il désigne surtout sous ce nom cinq rites : les cérémonie du baptême, la tonsure, la consécration de l'évêque, la bénédiction des abbés et des abbesses, le sacre des rois, et voit dans ces rites une sorte de complément de la grâce du baptême. S. Thomas dit : « L'eau bénite et les consécrations semblables ne sont pas désignées comme sacrements, parce qu'elles n'ont pas comme conséquence l'effet propre des sacrements, la collation de la grâce, mais ne sont que certaines dispositions pour la réception des sacrements ; ces dispositions consistent, soit à écarter les obstacles à la réception des sacrements, ainsi l'eau bénite est dirigée contre les attaques du diable et contre les péchés véniels, soit à faciliter l'accomplissement et l'administration du sacrement, ainsi l'autel et les vases sont consacrés par respect pour l'Eucharistie » (S. th., 3, 65, 1 ad 6). « Et parce que de telles choses n'appartiennent pas en soi à la grâce intérieure nécessaire au salut, le Seigneur a abandonné leur institution aux fidèles selon leurs convenances » (S. th., l, 2, 108, 2 ad 2). D'après S. Thomas, les sacramentaux n'ont donc avec le salut qu'une relation médiate ; ils n'opèrent pas eux-mêmes la grâce, ils y préparent seulement d'une manière éloignée. C. J. C., can. 1145 : « Seul le Saint-Siège peut constituer de nouveaux sacramentaux, interpréter authentiquement ceux déjà en usage, abolir ou changer quelques uns d'entre eux. ». C’est pourquoi, dans l’usage des sacramentaux, on doit s'en tenir aux prescriptions de l’Église. (C. J. C., can. 1148, § 1 et 2).

Le Concile de Trente ne traite pas des sacramentaux dans les détails, mais il défend contre les Réformateurs les cérémonies de la messe qu'il fait dériver des besoins religieux de l'homme et qu'il ramène aux ordonnances de l’Église. Ces cérémonies rendent le culte divin plus digne et plus édifiant (S. 22, c. 5) : ce sont des « manifestations de la piété » (Can. 7 ; Denz., 943, 954). Dans un autre endroit, le Concile se prononce en faveur des cérémonies qui accompagnent l'administration des sacrements. Elles ne doivent être ni méprisées, ni omises, ni changées (S. 7, can. 13 : De sacram. in gen., Denz., 856). Il ne donne aucun détail sur les autres sacramentaux ; il vient justement de signaler les plus importants. Par rapport à leur importance, le Concile s'appuie sur S. Thomas.

Les théologiens posttridentins, en raison des objections protestantes, s'étendent plus longuement sur les sacramentaux que les scolastiques. Cependant ils ne sont pas entièrement d'accord dans leurs vues. On peut, en général, signaler deux tendances :  l'une distingue essentiellement les sacramentaux des sacrements et ne parle que d'une utilité subjective (opus operantis) ; l'autre, par contre, tout en affirmant la différence essentielle, parle cependant d'un effet objectif (op. operatum) et s'efforce de rapprocher les sacramentaux des sacrements. Mais Simar dit avec raison : « ils ne transmettent la grâce qui leur est attachée par la prière de l’Église qu'« ex opere operantis », c.-à-d. en raison des dispositions et de l'activité morales de celui à qui ils sont administrés ou qui les utilisent » (Dogmatique, 2, 802).

Au sujet du grand nombre de sacramentaux en usage tant officiellement que privément au Moyen-Age, A. Franz a écrit un ouvrage important : Les bénédictions ecclésiastiques au Moyen-Age (1909). A côté du bon usage, Franz est obligé de signaler un certain nombre d'abus. Il y avait des usages, par ex. au sujet de l'Agnus Dei, dans lesquels la dogmatique ne trouve pas son compte. Les auteurs qui concluraient volontiers, de la formule de prière, à l'efficacité des sacramentaux, feront bien d'observer ce que dit Franz : « Ce n'est pas la formule qui a créé l'usage, mais c'est l'usage depuis longtemps enraciné dans le peuple qui a déterminé à introduire ces tournures dans la formule ». S. Augustin dut déjà s'élever contre des rites superstitieux (Ep. 55, 35). Au sujet de la réforme dans ce domaine, Franz dit que « ce ne fut ni un concile, ni une ordonnance épiscopale, mais l'édit de réforme de l'empereur Charles-Quint, qui en prit l'initiative. Cet édit fut publié le 9 juillet 1584 à Augsbourg. De même qu'il donna la première impulsion à la suppression des abus qui s'étaient glissés dans la célébration de la messe, il posa les premiers principes qui devaient amener une réforme par rapport aux bénédictions » (1, 644). Cette réforme fut achevée par l'édition du Rituel romain ordonnée par Paul V en 1614. Mais, même aujourd'hui, tous les abus n'ont pas été supprimés dans les cercles privés.

Parmi les sacramentaux indépendants, l'exorcisme, le signe de croix et l'eau bénite sont d’une très grande antiquité. L'exorcisme, en tant que rite indépendant, est maintes fois attesté dans l’Écriture. Il fut plus tard (vers 200) uni au baptême et fut également administré d'une manière indépendante aux baptisés. Il y eut un Ordre spécial d'exorcistes. Le signe de croix et l'eau bénite sont signalés vers l'an 200. Le signe de croix est déjà attesté par Tertullien (De cor. mil., 3 ; cf. De carn. resurr., 8), et, pour la bénédiction de l'eau, on trouve déjà, dans les Constitutions apostoliques, un formulaire spécial (8, 29). Le but de ces deux sacramentaux, c'est la protection contre le démon. Dans la Scolastique primitive, on attribuait parfois à l'exorcisme une efficacité « ex opere operato » « qui diminue le péché et affaiblit la puissance du démon » (Gillmann, Guillaume d'Auxerre).

Si c'est le devoir du prêtre de s'opposer à un abus privé possible des sacramentaux, l'usage convenable de ces sacramentaux est louable. Quand l'antique usage chrétien du signe de croix et de l'eau bénite règne encore, il n'y a guère à craindre d'abus dans les autres choses essentielles. Les « ligues populaires » modernes qui se préoccupent tant de conserver les vieux usages feraient bien de ne pas oublier les usages religieux.

§ 166. Les sacrements et les mystères antiques

A consulter : Pinard de la Boullaye, Étude comparée des religions, 2 vol. (1925). Dict. apol., 3 : Mystères, 964-1014.

Comme les antiques religions païennes à mystères employaient, au temps du christianisme primitif, des moyens sensibles, eau, sang, pain, huile, pour se mettre en possession de forces surnaturelles et entrer en relation avec la divinité, l' histoire libérale des religions affirme assez souvent, que les sacrements chrétiens contiennent non seulement des analogies avec les mystères païens, mais encore des emprunts faits à ces mystères. Ce serait S. Paul qui aurait introduit, dans la « communauté dépourvue de sacrements, de Jésus », la « magie des sacrements païens », et ainsi, à peu, le christianisme primitif, pauvre de rites et de culte, serait peu devenu de plus en plus l’Église avec son personnel cultuel très développé et son cérémonial liturgique. Ces affirmations sont souvent faites avec beaucoup d'assurance, mais les arguments qu'on apporte laissent beaucoup, laissent même tout à désirer.

Appréciation. Les points suivants sont certains:

1. Il y avait en Orient, au temps du christianisme primitif, un grand nombre de cultes à mystères, dans lesquels on honorait des divinités particulières par des rites religieux spéciaux. Mithra, Jupiter (Zeus), Attis, Dionysos, Osiris, Sérapis, Isis, Baal, Aphrodite, Géa, Cybèle, pour nommer les principaux, étaient des dieux et des déesses qui étaient honorés, les uns par les hommes et les autres par les femmes, avec des intentions précises.

2. Les exercices religieux étaient des cultes secrets, des « mystères », et consistaient en ablutions, repas, onctions, jeûnes, processions, chants, musiques, extases, absorption d'alcool, danses, macérations, mutilations.

3. Les initiés s'appelaient « mystes » (μύστης de μύω fermer (la bouche et garder le silence sur le mystère) : μυέομαι être initié aux mystères). Ils étaient introduits par des « mystagogues », avec des rites particuliers. Toutes les différences de condition étaient supprimées parmi eux. On trouvait parmi les mystes des hauts fonctionnaires et des marchands, à côté de soldats, d'esclaves et d'ouvriers.

4. Il est incontestable que la morale de ces communautés cultuelles était souvent très sujette à caution et que l'ascèse dégénérait souvent en orgies et même en scènes de prostitution sacrée ; cependant on ne doit pas oublier, dans l'appréciation des mystères, que tous n'avaient pas le même caractère et que certains, parmi eux, répondaient à des besoins religieux réels et élevés. Leurs moyens d’expiation tendaient à une certaine suppression de la faute et à l'apaisement de la conscience ; ils essayaient d'exciter et de satisfaire le désir et l'espoir d'une immortalité bienheureuse et d'une participation à la vie de la divinité honorée.

5. Les catholiques qui jugent objectivement, n'apprécient plus le Paganisme avec la même sévérité qu'autrefois et n'entendent plus sous ce nom l'abîme de toutes les ténèbres et de toute la corruption ; il ne fut jamais cela, bien que l'apologétique parle parfois un autre langage que la prédication missionnaire. L'apologétique veut défendre le christianisme, et c'est pourquoi elle met davantage en lumière les faiblesses du paganisme ; la prédication missionnaire veut convertir les païens, c'est pourquoi elle se rattache à ce qu'il y a de bon chez eux. C'est ce qu'on peut déjà observer dans l'attitude de S. Paul. Quand il parle personnellement aux païens, son langage est doux, attirant, plein d'estime (Act. Ap.) ; mais quand il parle à des païens convertis, à des chrétiens, il les met en garde contre une rechute dans les péchés et les vices qu'il décrit sous les plus noires couleurs (Ep). C'est ainsi également qu'agissent les Pères. Nous ne voyons pas aujourd'hui, comme Tertullien, dans ces mystères païens, des contrefaçons des sacrements - quand ce ne serait que pour cette raison qu'ils sont souvent bien plus anciens que ceux-ci et qu'ils sont nés en dehors de la sphère d'influence chrétienne - nous y voyons plutôt des manifestations de la religion naturelle et de la conscience morale. Ce n'étaient pas des consciences oblitérées qui criaient ainsi vers le pardon ; ce n'étaient pas des regards obscurcis qui voyaient dans l'homme de nombreux péchés et de multiples impuretés. La Providence n'abandonna pas ces générations à elles-mêmes et elle les guida à sa manière. « Après le péché jusqu’au temps de la grâce, les plus grands étaient tenus d’avoir explicitement la foi au Rédempteur ; mais les plus petits implicitement, soit dans la foi des patriarches et des prophètes, soit dans la divine providence » dit S. Thomas avec générosité, et il compte parmi ces « petits » les sages païens (De verit., 14, 11, in corp. et ad 5.)

6. Par rapport aux rites religieux des cultes à mystères, nous n'avons que des renseignements très pauvres, si bien que des jugements apodictiques à leur sujet sont à peine permis et qu'une identification pure et simple avec les sacrements chrétiens est insensée. Cumont, qui est une autorité de premier ordre dans la question, écrit : « La documentation littéraire est peu étendue et souvent peu digne de foi... Par conséquent, les documents épigraphiques et archéologiques qui augmentent de jour en jour n'en ont que plus de valeur » (Les religions orientales dans le paganisme romain (1910), 19). Par conséquent, ce ne sont pas des écrits mais des inscriptions et des fragments de phrases qui constituent les sources. « L'épigraphie ne nous livre que peu d'indications sur la liturgie et presque rien sur les doctrines » (P. 20). « Les livres qui contenaient les prières qui étaient récitées ou chantées pendant l'office (des mystères), le rituel des initiations et le cérémonial des fêtes sont disparus presque sans laisser de trace. Un vers altéré qui provient d'une hymne inconnue est presque tout ce qui reste de collections autrefois très riches » (Cumont, Les mystères de Mithra (1910), 136 sq.). « Le myste passait par sept initiations, mais nous ne connaissons ces initiations que d'une manière insuffisante » (P. 144). Malgré cette réserve qui s'impose aux chercheurs réfléchis, parmi lesquels il faut compter aussi Clemen et d'autres, on voit des historiens inconsidérés se lancer dans des constructions fantaisistes, affirmer que les sacrements chrétiens sont des emprunts faits au paganisme. On aime à donner comme exemples le baptême et l'Eucharistie et l'on affirme effrontément les ressemblances qu’on désire trouver. On parle de «  baptême », de « baptême de sang », de « sacrements de nourriture », de « liturgie », comme si ces termes et autres termes semblables se trouvaient dans les documents antique et l’on se garde bien de dire que tout cela a été emprunté artificiellement et arbitrairement à la doctrine chrétienne des sacrements. De cette manière, il est facile de trouver de nombreux parallèles.

7. Le « baptême », dans les cultes à mystères, était une ablution religieuse telle que celles qui étaient très répandues dans le judaïsme et le paganisme. Le « baptême de sang » était un rite sanglant répugnant, par lequel le candidat à l'initiation, debout dans une fosse, faisait couler sur lui le sang d’un taureau immolé au-dessus de la fosse et par là était « divinisé » (taurobole). Les « sacrements de nourriture » étaient de simples repas religieux, dans lesquels on mangeait la victime offerte à la divinité - et non la divinité elle-même. Or ce serait de ces rites, tantôt très grossiers, tantôt conçus comme ayant une efficacité magique, que dériveraient nos sacrements dans la conception plus noble et plus intérieure de S. Paul et de S. Jean.

Contre cette interprétation, indépendamment de tout le reste, s'opposent surtout les raisons suivantes : 1° Les mystères, dans leur approfondissement et leur spiritualisation néo-platonicienne, ne datent que du 2ème siècle. Weinel, qui pourtant incline trop à constater une influence des mystères sur les sacrements, écrit cependant : « Des témoignages montrant que les religions à mystères ont revêtu une forme plus spirituelle et plus intérieure, nous n'en avons malheureusement pas avant l'époque chrétienne » (Théol. Biblique, 37) ; - 2° La communauté primitive pré-paulinienne connaît une doctrine du baptême, d'après laquelle le baptême opère une union mystique avec le Christ (Luc, 12, 50). D'après J. Weiss, on ne peut plus affirmer « que cette conception mystique du baptême a été étrangère à l'entourage de Jésus et à la communauté primitive » (Archives pour la science rel., 1913, 442). La doctrine catholique du baptême de l'Esprit (non seulement du baptême d'eau) doit donc reposer sur des bases solides ; - 3° On ne tient pas assez compte, ou même on ne tient pas compte du tout, des protestations énergiques de l'Apôtre des nations, contre le paganisme, dans presque toutes ses Épîtres, surtout dans ses quatre Épîtres principales qu'on reconnaît généralement comme « authentiques ». Le paganisme est pour lui erreur, ténèbres, vice, abandon de Dieu et tout au plus sagesse humaine (1 Cor). Et l'on voudrait qu'en même temps il ait emprunté à ce paganisme ainsi décrit, pour ainsi dire ce qu’il a de meilleur, l'appropriation de la mort du Christ dans le baptême ! (Rom., 6, 3 sq.). Dans son récit de l'institution de l'Eucharistie, il va jusqu'à en appeler, car il n'était pas présent lui-même, au « Seigneur » comme source de sa science (1 Cor., 11, 23). Et c'est lui qui, en contradiction avec lui-même, aurait introduit ce sacrement dans « la communauté dépourvue de sacrements, de Jésus » ; - 4° Les Actes des Apôtres, qu'Harnack place vers 60, racontent qu'à Jérusalem - par conséquent sur une terre opposée au paganisme et nettement juive, - dès le jour de la Pentecôte, pour ainsi dire au premier jour officiel du christianisme, Pierre s'adressa de la façon suivante à la foule qui se pressait autour de lui : « Faites pénitence et que chacun de vous se fasse baptiser au nom de Jésus-Christ pour obtenir le pardon de vos péchés, ensuite vous recevrez le don du Saint-Esprit » (2, 38). Or c'est là la véritable doctrine mystique du baptême de l’Église postérieure; - 5° Dans les sacrements chrétiens, il s'agit toujours de conditions morales préalables avant leur réception et d'effets moraux après leur réception ; par contre, dans les mystères, il n'y a qu'une simple réception du divin, par un contact purement physique avec lui, dans le rite, sans effort moral avant ni après. Dans les sacrements, un service de Dieu en esprit et en vérité ; dans les mystères, une magie et une théurgie grossière et souvent brutale.

Le protestant P. Feine dit : « Nous devons aux recherches de l'histoire des religions concernant l'antiquité finissante, un enrichissement du matériel scientifique. On a essayé de faire rentrer le christianisme et surtout les personnalités dirigeantes de la communauté primitive, dans le vaste courant de la vie religieuse d'alors et de démontrer des tendances, des alliances, des analogies, ainsi que des connexions historiques communes, là où, auparavant, on ne voyait qu'une construction chrétienne propre. Mais le gain réel pour les recherches sur le Nouveau Testament est plus mince que ne semblaient le promettre les recherches de l'histoire des religions ».

Dans ces derniers temps, on voit se multiplier le nombre des auteurs protestants qui désespèrent d'arriver à une explication plausible des origines du christianisme primitif par les voies suivies jusqu'ici. Ainsi Lietzmann écrit dans la recension de l'ouvrage d'un théologien anglican auquel il se rallie : « En insistant sur l'élément juif, Rawlison trouvera certainement de la compréhension chez nous ; car les temps où l'on voulait expliquer le christianisme le plus ancien par l'hellénisme sont passés aussi en Allemagne » (Z. N. W., 1927, 247). Harnack n'a jamais rien voulu savoir de cette « méthode de pêche en eau trouble ». De même l'autre historien berlinois E. Meyer. Un troisième professeur Berlinois, le théologien Jules Kaftan exprime ainsi sa répugnance : « Pour le dire franchement, je sens que c’est une barbarie quand des documents comme les Épîtres de Paul sont lus et expliqués ainsi » (selon la méthode de l'histoire des religions) (Ntl. Theologie, 1927, 13). Et cependant l'histoire des religions continuera longtemps encore à faire prime. Il est vrai qu'elle a ses mérites incontestables, surtout parce que c'est elle qui nous a montré comment, partout dans l'humanité, la notion de Dieu est vivante, ainsi que la conscience qu'à l'homme de dépendre d'un être supra-humain et divin. Elle a bien mérité encore, parce qu’elle nous fait voir que partout les Apôtres ont pu rattacher leur enseignement à quelque chose d'apparenté et ainsi verser le vin nouveau dans de vieilles outres. Nous nous inclinons sans réserve devant les faits établis par la recherche sérieuse. Mais nous ne nous inclinons pas de même devant leur explication et leur interprétation. Cela, nous nous le réservons. Nous ne jugeons pas le christianisme à l'échelle de l'histoire des religions ; nous faisons l'inverse. C'est pourquoi nous protestons, quand on considère comme naturel de mettre aux réalités de la religion païenne une étiquette chrétienne.

DEUXIEME SECTION : La doctrine des sacrements en particulier

CHAPITRE 1 : Le baptême

A consulter: S. Thomas, S. th., 3, 66-7l et ses commentateurs, comme les théologiens de Salamanque, Billuart, Suarez. Bellarmin, De sacramento baptismi (De controv., 3, Venet., l721). Tournely, Prælect. dogm., 7 (Migne, Cursus compl., 21, 287 sq.). Bertieri, De sacramentis in genere, baptismo et confirmatione (Vindob., 1774). Corblet, Histoire dogmatique, liturgique et archéologique du sacrement de baptême, 2 vol. (1881). Ermoni, Le baptême dans l’Église primitive (1904) Dict. théol., 2, 167-360. - Au sujet du baptême « au nom de Jésus »: Orsi, De baptismo in nomine Jesu (Florence, 1733). Drouven, De baptismo in solius Christi nomine nunquam consecrato (Patav., 1734). Lépicier, De baptismo, de confirmatione (1923). Al. de Smet, De Sacram in genere. de Bapt. et Confirmat., 1925. Dict. théol., v. Baptême. Dict. d'archéol., v. Baptême. Mangenot, Le baptême pour les morts  (Dict. théol., v. Baptême), Caractère sacramentel (ibid.). Martène, De antiquis Ecclesiæ ritibus (1700). Vacant, Baptême. Dict. de la Bible, 1, 1433 sq. D'Alès, Baptême et confirmation (1928). Schuster, Liber sacramentorum, 4 (1929), 1 sq. J. Delazer, De baptismo pro mortuis (1 Cor., 15, 29), dans Antonianum (1931), livraison d'avril. B.-H. Merkelbach, Questiones de embryologia et de ministratione baptismatis (1927). A. Dondeyne, La discipline des scrutins dans l’Église lat. avant Charlemagne (Revue d’hist. Eccl., 1932, 5, t. 1). - Au sujet du catéchuménat : Dict. théol., v. Catéchèse, 2, 1877-1895 (riche bibliographie). Théoph. Spaeil, Doctrina theol. Orientis separati de baptismo (1926).

§ 167. Notion, désignation, importance, institution

Notion. Le baptême est le sacrement par lequel l'homme, au moyen de l’eau et de la parole de Dieu, renaît spirituellement et est admis dans le royaume de Dieu. Le Catéchisme romain donne une définition du baptême en unissant Jean, 3, 5 et Eph., 5, 26 : « Le sacrement de la régénération dans l’eau par la parole » (P. 2, c. 2, q. 5).

Les scolastiques varient dans leurs définitions. Hugues ayant nommé l'eau, en tant que consacrée auparavant, le « baptême » (sacramentum permanens), S. Thomas l'attaque et dit que le baptême « n'est pas accompli dans l'eau, mais dans l'ablution avec la forme prescrite » (actio transiens: S. th., 3, 66, 1). Il se tient par conséquent à la matière et à la forme. D'autres, comme Suarez, ajoutent encore l'effet. Les théologiens modernes, comme Simar, tiennent compte également, et avec raison, de l’admission dans l'Église.

Désignation. L'action religieuse de baptiser (lat. tingere, lavare, abluere, baptizare du grec βαπτίζειν) porte dans le langage des Pères et de l'Église, en raison de son importance capitale, un grand nombre de désignations. En dehors de sa signification naturelle de plonger dans l'eau, baigner, laver, le baptême s'appelle encore, en raison de son aspect religieux : sacramentum aquæ, fons sacer, unda genitalis, aqua vitalis, sacramentum fidei, sacramentum Trinitatis, lavacrum regenerationis, ablutio peccatorum, sigillum, λουτρὀν παλιγγενεσίας (Tit., 3, 5), σφραγίς (Hermas, Simil., 9, 16, 3-5 ; 17, 4. Clem. Rom., 7, 6 ; 8, 5), φῶς, φωτισμός (cf. Hébr., 6, 4 ; Justin, Apol., 1, 61).

En raison de son importance religieuse, le Catéchisme romain (p. 2, c. 2, q. 1) recommande vivement aux catéchistes l'étude du baptême. Le baptême donne la vie nouvelle et ouvre la porte de l'Église et de ses trésors sacramentaires ; sans lui, aucun autre sacrement ne peut être reçu validement, C'est pourquoi il est placé en tête des sacrements. (Denz., 696 ; S. Thomas, C. Gent., 4, 58). Il en est de même dans la doctrine des Pères à partir de la Didachè et de S. Justin. Tertullien consacre au baptême sa première monographie. S. Cyprien discute à son sujet avec S. Étienne 1er. Les catéchèses contiennent sur le baptême de longs exposés ; chez S. Cyrille de Jér., S. Grégoire de Nys. (Oratio magna, 33-40), S. Ambroise (De myst., 1-5), S. Augustin (De bapt. ; C. Crescon. ; C. Ep. Parm. ; De unico bapt. Enchir., 42-53), S. Basile (Homil. de s. bapt. : M. 31, 425), S. Grégoire de Naz. (Orat., 40).

La pratique du baptême des enfants fit plus tard perdre au sacrement un peu de son prestige primitif, ce dont se plaint déjà un Concile de Paris (829) ; cf. Héfélé, 4, 56. Dans le christianisme primitif, le baptême signifiait une rupture libre et complète avec le passé. On quittait la voie des ténèbres et de la mort pour entrer dans celle de la lumière et de la vie. Maintenant que nous recevons le baptême alors que nous ne sommes encore que des enfants sans raison, nous ne savons rien des actes de pénitence qui le précédaient jadis, ni des obligations sérieuses et graves que nos parrains ont acceptées en notre nom. Il est d'autant plus nécessaire que les fidèles connaissent à fond le premier, le plus important et le plus nécessaire des sacrements. Quels désastres peuvent entraîner la négligence et le peu d'estime du baptême, on le voit par le protestantisme qui, dans ce sacrement, combat précisément pour l'existence de son « Église ».

On peut établir facilement l'existence de « baptêmes » en dehors du christianisme non seulement chez les Juifs et les Esséniens, mais encore chez les païens. Les Babyloniens, les Iraniens, les Hindous, les Égyptiens, les Romains, les Grecs et surtout les Mandéens connaissaient des ablutions religieuses. En parlant des « contrefaçons » du sacrement chrétien, les Pères indiquent déjà les « baptêmes » païens. Ainsi Tertullien (De præscript., 40 ; De bapt., 5), S. Justin (Apol., 1, 62). L'usage de ces baptêmes était bien plus répandu que ne le soupçonnaient les Pères et on doit expliquer cet usage par le besoin religieux général qu'avait la nature humaine de la pureté morale qui est symbolisée par la pureté physique. L'eau a été et est considérée par les peuples primitifs comme procédant du voisinage de la divinité, que ce soit l'eau de pluie ou l'eau de source.

Les ablutions rituelles des Juifs s'appellent tabal (Septante : βαπτζειν ; 2 Rois, 5, 14 ; Judt., 12, 7 ; Eccli., 34, 30.) Elles opéraient la pureté légale (Lév., 11-15 ; Nomb., 19). Les pharisiens appréciaient beaucoup ces purifications (Marc, 7, 4 ; Math., 15, 2 ; Luc, 11, 38 ; Hébr., 9, 10). Plus tard, s'établit une nouvelle ablution, le baptême des prosélytes (tébilah) pour les païens qui passaient complètement au judaïsme. Mais « il faut descendre jusqu'au 2ème siècle de notre ère, pour rencontrer dans les oracles sibyllins, chez Arrien et dans la Mishna, deux ou trois allusions plus ou moins distinctes à ce baptême des prosélytes » (D'Alès, 19). Le rite extérieur du baptême était connu au temps de Jésus, comme le prouve déjà le baptême de Jean.

La théologie libérale voudrait faire dériver le baptême chrétien de ce rite de purification généralement répandu. « Que Jésus ait institué le baptême, on ne peut pas le démontrer », dit Harnack. « On peut sans doute admettre que, par suite de l'appréciation élogieuse que fait Jésus, de Jean et de son baptême, la pratique du baptême fut conservée même après la disparition de Jean. » (H. D., 1, 88 sq.) Nous prouverons plus loin l’institution du baptême par Jésus, mais nous remarquerons seulement ici, que la similitude du rite extérieur ne démontre pas du tout la similitude des baptêmes. Le « baptême » païen n'était pas conditionné moralement, mais opérait comme un moyen de purification magique d'une manière physique. Il suffisait d'avoir le moyen pour avoir l'effet. Il faut en dire autant du baptême juif, quand il ne correspond pas aux prescriptions morales des Prophètes. (Is., l, 16 ; Ps. 50, 9, 12).

Le baptême de Jean avait, dans l'intention du Baptiste lui-même, un caractère moral ; c'était un « baptême de pénitence », afin d'obtenir la rémission des péchés (Math., 3, 11 ; Marc, l, 4 ; Luc, 3, 3 ; cf. Act. Ap., 13, 24 ; 19, 4). Le Christ le juge comme une ordonnance divine (Marc, 11, 30 ; Math., 21, 25 ; Luc, 20, 4) que les Pharisiens avaient rendue vaine par leur faute (Luc, 7, 29 sq.). D'ailleurs, il l'avait reçu lui-même ainsi que quelques-uns de ses Apôtres, comme Pierre, André, Philippe et Nathanaël, qui étaient des disciples de Jean (Jean, 1, 35-51). Mais Jean fait une distinction essentielle entre son baptême et celui du Seigneur, le sien étant un « baptême d'eau » et celui de Jésus un « baptême dans l'Esprit » (Math., 3, 11 : cf. Marc, l, 8 ; Luc, 3, 16 ; Jean, l, 26, 30 sq.) ; de même S. Paul (Act. Ap., 19, 4 sq.) et S. Pierre (Act. Ap., 11, 16). Les Pères, comme Tertullien, S. Basile, S. Cyrille de Jér., S. Optat, S. Augustin, attribuent au baptême de Jean, à cause de Marc, 1, 4, la « rémission des péchés » ; mais cette rémission était opérée par la pénitence subjective dont le baptême était le symbole. C'est ainsi en effet que les Pères précisent leur pensée (Tournely, De sacram. bapt., 5). S. Augustin se plaint que, le jour de la fête de S. Jean, des fidèles qui ont déjà reçu le baptême chrétien, se précipitent vers la mer et y reçoivent le baptême de Jean auquel ils attribuent un effet spécial (Sermo 146, 4 ; De die nat. ; C. litt. Pét., 32, 75).

La Scolastique primitive hésitait dans son appréciation du baptême de Jean et se demandait si c'était un sacrement de l'Ancien Testament, un sacrement du Nouveau Testament, ou bien un intermédiaire entre les deux (Gillmann, Guillaume d'Auxerre 15). S. Thomas le conçoit comme une disposition au baptême de Jésus. (S. th, 2, 38, 1 ad 1). Le Concile de Trente déclara contre les Réformateurs : « Si quelqu'un dit que le baptême de Jean a eu le même effet que le baptême du Christ, qu'il soit anathème » (S. 7, de bapt., can. 1). La différence essentielle entre les deux baptêmes ressortira plus clairement des exposés qui vont suivre.

THÈSE. Le sacrement de baptême a été ordonné par le Christ dans l'Église.   De foi.

Explication. Le dogme de l'institution du baptême n'a pas été nié avant la théologie libérale à laquelle se rattache le modernisme. Le Concile de Trente définit l'institution de tous les sacrements par l'Église (cf. plus haut, § 164) et distingua le baptême du Christ de celui de S. Jean. Pie X condamna cette proposition des modernistes : « La communauté chrétienne a introduit la nécessité du baptême en l'adoptant comme usage nécessaire et en lui unissant les obligations de la profession de foi chrétienne » (Denz., 2042 ; cf. 2088).

Preuve. Il est vrai que le Christ lui-même n'a pas administré le baptême (Jean, 4, 2) et celui qu'administrèrent ses disciples pour continuer le mouvement baptismal de son Précurseur, n'était sans doute que le baptême de Jean (Jean, 3, 22 sq.) ; mais il a enseigné la nécessité du baptême et donné l'ordre de baptiser. Il dit à Nicodème : « Jésus répondit : En vérité, en vérité, je te le dis, aucun homme, s'il ne renaît de l'eau et de l'Esprit‑Saint, ne peut entrer dans le royaume de Dieu » (Jean, 3, 5). Ici, l'eau est le rite baptismal et l'Esprit son effet de grâce (Math., 3, 11 ; Marc, 1, 8). La nécessité du baptême est enseignée d’une manière universelle ; c’est d’une manière universelle aussi qu’est promulgué l’ordre de baptiser, au jour de l’Ascension : « Toute puissance m’a été donnée dans le ciel et sur la terre. Allez donc, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, et du Fils, et du Saint‑Esprit » (Math., 28, 18). De même dans Marc : « Allez dans le monde entier, et prêchez l’Évangile à toute la création. Celui qui croira et qui sera baptisé, sera sauvé ; mais celui qui ne croira pas sera condamné » (Marc, 16, 17 sq.). D'après ces passages qu'on essaie en vain de rejeter comme interpolés, le Christ fonde théoriquement la nécessité du baptême et en ordonne l'usage dans son Église. Il donne déjà au baptême, dans son enseignement, une relation mystique avec sa mort : « J’ai à être baptisé d’un baptême, et comme je me sens pressé jusqu’à ce qu’il s’accomplisse ! » (Luc, 12, 50).

C'est pourquoi les Apôtres ont administré le baptême dès le jour de la Pentecôte (Act. Ap., 2, 41) et l'ont annoncé comme un moyen nécessaire de salut. A cette question qu'on lui adresse : « Que devons-nous faire ? » Pierre répond : « Faites pénitence et que chacun de vous se fasse baptiser au nom de Jésus-Christ pour la rémission de vos péchés » (Act. Ap., 2, 38 ; cf. 8, 12, 36 ; 16, 15, 33 ; 18, 8 ; 19, 5 ; 22, 16). Il n'est pas concevable que les Apôtres aient pu, d'une manière si générale, si déterminée et si formelle administrer le baptême « au nom de Jésus », s'ils n'en ont pas reçu du Seigneur la doctrine et l'ordre. On administre le baptême à ceux-là même que Dieu conduit d'une manière miraculeuse à l'Église, comme Cornélius (Act. Ap., 10, 47 sq.) et Paul (Act. Ap., 9, 15, 18). S. Paul unit le baptême, comme l'Eucharistie, avec la mort du Christ (Rom., 6, 3) et dit que nous avons été baptisés dans le Christ (Gal., 3, 27. 1 Cor., 1, 12-16 ; 6, 11 ; 12, 13). Il l'appelle la « circoncision du Christ » : « En lui, vous avez reçu une circoncision... telle est la circoncision qui vient du Christ... Dans le baptême, vous avez été mis au tombeau avec lui »  (Col., 2, 11 sq.). S'il l'appelle ainsi, c'est bien parce qu'il a été institué par le Christ, et, du reste, tous les textes pauliniens indiquent que le Christ est l'auteur du baptême. Le baptême apparaît immédiatement non seulement comme un rite, mais accompagné de la doctrine sur son efficacité.

Le moment de l'institution fut débattu pour la première fois dans la Scolastique (S. Bernard : M, 182, 1031 sq. ; Hugues de S.V.: M. 176, 449 ; Roland, Gietl, 199) et on le fixa de façons différentes. Il y eut, et il y a encore, à ce sujet, une triple conception. D'après certains, le Seigneur institua le baptême au moment où il fut lui-même baptisé dans le Jourdain (Math., 3, 13). Certains Pères croyaient même que l'eau avait reçu par là une vertu purifiante et avait été, pour ainsi dire, consacrée pour sa fin sacramentelle ; ainsi S. Ambroise (ln Luc, 2, 83 : M. 15, 1665), S. Jean Chrysostome (ln Matth. hom., 12, 3 : M. 57, 206). De même, un certain nombre de scolastiques, avec S. Thomas, pensaient à ce moment. (S. th.. 3, 66, 2 ; Cat. Rom., p. 2, c. 2, q. 20). Mais S. Thomas ne datait le devoir du baptême que depuis Math., 28, 19. (S. th., 3, 73, 5 ad 4). Cette opinion n'est plus guère admise aujourd'hui. D'après d'autres, le Seigneur institua le baptême dans son entretien avec Nicodème (Jean, 3, 1-21). Ils s'appuient, avec Scot, sur le fait que les disciples administrèrent le baptême (Jean, 3, 22 ; 4, 2) et considèrent ce baptême comme sacramentel. Mais d'abord il ne convient guère de fixer l'origine du baptême dans un entretien privé et, d'autre part, le baptême administré par les disciples était sans doute le baptême de Jean. Plus tard, on ne trouve pas trace dans la vie du Seigneur de cette collation du baptême ; même dans la mission d'essai confiée aux Apôtres, l'ordre de baptiser fait défaut chez tous les évangélistes (Math., 10, 1-42 ; Marc, 6, 7-13 ; Luc, 9, 16). Un autre groupe de théologiens s'en tient à l'ordre de baptiser (Math., 28, 19) et trouve là le moment de l'institution. Il est à recommander de ne pas s'appuyer exclusivement sur l'un de ces trois points, mais de les unir et de dire : Le Christ, par son propre baptême passif, par le baptême actif des disciples, par son enseignement sur le baptême a préparé de telle sorte ce sacrement qu'au moment de quitter la terre il pouvait en faire un devoir. S. Bonaventure écrit (Comment, in Joan) : « Quando institutus fuit baptismus ? Dicendum materialiter cum baptizatus fuit Christus ; formaliter cum resurrexit et formam dedit, Math., 28, 19 ; effective cum passus fuit, quia inde habuit virtutem ; sed finaliter cum ejus necessitatem prædixit et utilitatem, Joa., 3, 5 ».

C'est une entreprise insensée de la part du modernisme de vouloir expliquer Math., 28, 19, comme provenant du « Christ de la foi » et, par suite, comme non historique. Les Apôtres ont pu expérimenter historiquement le Christ ressuscité et, au reste, le Christ « historique » de l'activité publique est pour eux le Christ « de la foi ». Math., 28, 19, s'accorde parfaitement avec le reste de l’Évangile et même est exigé par lui, car le baptême a été suffisamment préparé.

L'histoire libérale des religions estime qu'on ne peut absolument pas nier l'usage du baptême dans le christianisme le plus ancien, mais que son importance a sûrement varié. Au début, le baptême aurait été un pur symbole assurant au chrétien entré dans la nouvelle religion, que ses péchés lui avaient été remis du haut du ciel par le Christ, en raison de sa pénitence ; c'est ainsi que le Baptiste avait déjà uni le symbole de l'ablution à sa prédication de pénitence. Les premiers chrétiens auraient simplement emprunté cet usage qu'ils auraient continué. Le baptême primitif n'aurait donc été qu'une simple cérémonie d'entrée dans l'état de chrétien produit par la foi et la pénitence. Plus tard, dans les pays pagano-chrétiens, Paul, pour faire contrepoids au culte des mystères établis dans ces pays, aurait transformé le baptême en un moyen de salut magique en y associant l'Esprit, le saint Pneuma, et en en faisant, d'une manière profondément mystique, un renouvellement et une application de la mort et de la résurrection du Christ dans le néophyte. C'est ainsi que le « baptême d'eau » primitif serait devenu avec Paul le « baptême dans l’Esprit ».

D'autres formulent d'une manière un peu différente cette connexion avec le baptême de Jean. Jésus avait reçu ce baptême dans le Jourdain et reçu, à cette occasion, la révélation de l'Esprit. L'Église aurait ensuite appliqué l'expérience du Christ à tous les chrétiens, d'autant plus qu'au jour de la Pentecôte, le Saint-Esprit était descendu sur la jeune communauté. On aurait donc uni l'« enthousiasme impétueux » de la Pentecôte avec le baptême d'eau connu depuis longtemps et c'est ainsi que serait né notre sacrement sans « institution » spéciale. De cette manière la communauté sans rites fondée par Jésus serait « retombée immédiatement non seulement à la légalité et aux préceptes de purification de l'Ancien Testament, mais encore au bain de purification du Baptiste » (A. Meyer, La résurrection du Christ (1905), 151 sq.). Ce qui est intéressant dans ces constructions arbitraires, c'est que, si elles nient que le Christ soit l'auteur du baptême, elles sont cependant obligées de placer l'origine du sacrement dans son très proche voisinage.

Comment les protestants résolvent-ils cette objection ? Elle est particulièrement embarrassante pour eux. En effet, depuis la Réforme, S. Paul a été pour eux le principal témoin biblique de leur doctrine, d'après laquelle la foi seule fait le chrétien et lui assure le salut. D'après eux, il ne saurait rien de « l'Église sacramentelle » catholique et de son  « néfaste opus operatum ». Et voici que tout le chœur des historiens modernes des religions vient annoncer unanimement le contraire. Heinrici, un protestant orthodoxe, fait cette réponse : Paul « voit dans le baptême et dans la Cène non pas le fondement de l'état de chrétien, mais il les présente comme un usage de communauté. Il ne pense pas à un effet naturel (!) de ces sacrements, à un effet « ex opere operato » ( !), mais il fait appel pour leur appréciation à la conscience morale de la communauté... La communauté de foi n'est donc pas fondée par la magie des sacrements (!), mais par la foi professée et la conduite morale » (Paulin, Problème (1914), 79). De même, Schreiner nous affirme avec assurance que « le baptême n'agit pas « ex opere operato », mais oblige d'une manière éminemment morale » (Sacrements et parole de Dieu, 29). Comme si les deux choses ne pouvaient pas parfaitement s'unir.

Nous autres catholiques nous répondons aux objections de l'histoire des religions de la manière suivante : L'histoire des religions et la théologie libérale ont raison quand elles trouvent dans S. Paul et S. Jean l’« opus operatum » du baptême. Mais elles ont tort quand elles y voient un emprunt fait aux antiques mystères ; car l'Église pré-paulinienne, établie sur le sol juif entièrement étranger au culte des mystères, connaît déjà le baptême comme baptême dans l’Esprit et non seulement comme baptême d'eau. Pierre demande à Jérusalem, le jour de la Pentecôte, à la foule ébranlée par son discours : « Faites pénitence et que chacun de vous se fasse baptiser au nom de Jésus-Christ pour la rémission de vos péchés, alors vous recevrez le don du Saint-Esprit » (Act. Ap., 2, 38). D'après les synoptiques, Jean annonce déjà le baptême par Jésus dans l'eau et le Saint-Esprit (Math., 3, 11 ; Marc, 1, 8 ; Luc, 3, 16). D'après S. Jean, le Seigneur enseigne, dans un entretien avec Nicodème, la nécessité de renaître « de l'eau et du Saint-Esprit » (3, 5) ; d'après le même disciple, le Seigneur fit déjà administrer par ses disciples un certain baptême (4, 1 sq. ; cf. 3, 22). Ensuite vient l'ordre de baptiser (Math., 28, 19 et Marc, 16, 16). L'Église de Jérusalem administra le baptême non seulement le jour de la Pentecôte, mais encore plus tard par les mains de Philippe en Samarie (Act. Ap., 8, 12 sq.), par les assistants de Pierre dans la maison de Cornélius (Act. Ap., 10, 48), à Paul converti (Act. Ap., 9, 18 ; cf. 17. 1 Cor., 12, 13. Rom., 6, 3), aux disciples de Jean-Baptiste à Éphèse (Act. Ap., 19, 1-6). Presque toujours le baptême et la communication de l'Esprit sont en étroite connexion ; le baptême produit cette communication « ex opere operato ». Il en est de même dans les Épîtres de l'Apôtre primitif Pierre. D'après lui, le baptême « sauve », comme au temps de Noé « les huit âmes furent sauvées à travers l'eau ». Ce n’est « pas une ablution qui ôte les impuretés de la chair, mais une demande faite à Dieu (d'autres traduisent : la promesse) d'une bonne conscience, par la Résurrection de Jésus-Christ » (1 Pier., 3, 20 sq. ; cf. 2 Pier., 1, 9). D’après l’Épître aux Hébreux, nous sommes dans la plénitude de la foi « le cœur purifié (des souillures) d'une mauvaise conscience et le corps lavé dans une eau pure » (Hébr., 10, 22).

D'après ce que nous venons de dire, l'Église sacramentaire avec la foi à l'« opus operatum » existait dès les commencements et déjà sur le sol judéo-chrétien, palestinien. Le christianisme primitif n'a pas emprunté le baptême au Précurseur du Seigneur, bien qu'il soit attesté que celui-ci s'est rattaché à l'activité baptismale de Jean. Le Christ est l’auteur du baptême chrétien, en tant qu'il a prescrit pour son Église l'usage du baptême bien connu dans le monde antique et particulièrement chez les Juifs, mais tout en l'élevant par l'union à la communication de l'Esprit, à la dignité d'un sacrement du Nouveau Testament. Ce n'est pas l'usage du baptême très connu dans l'antiquité qui importe, mais c'est le bien réel de salut que le Christ y a attaché. Ce n’est pas la « dogmatique de communauté », ni « le premier théologien sacramentaire » Paul qui ont uni le rite et l'Esprit - ils n'avaient pour cela ni l'autorité extérieure, ni le pouvoir interne - c'est le Seigneur lui-même. Pour se rendre compte de l'incertitude des convictions des adversaires malgré l'assurance des affirmations, il suffit de comparer les assertions d'un historien des religions, Weinel. Il raconte d'abord d'une manière catégorique : « Mathieu rapporte pour la première fois l'ordre de baptiser comme une parole du ressuscité... Jésus ne s’intéressait qu'à la pureté du cœur, le reste lui était indifférent » (Théol. Bibl., 73). Ensuite nous apprenons : « Comment le baptême est entré dans le christianisme, cela n'est plus absolument clair. Une seule chose est certaine, c’est que cela se fit immédiatement après la mort de Jésus. Peut-être qu'ici encore Mathieu est fort bien renseigné sur le fait que, dans une apparition quelconque du ressuscité, on aurait entendu son ordre de baptiser, bien que l’ordre du baptême avec sa formule trinitaire ne puisse pas être placé si tôt. Nous ne retrouvons plus cette formule que dans la Didachè. » (P. 249). Si nos adversaires traitent des origines du baptême avec tant de « peut-être », s'ils sont obligés de reculer notre baptême jusqu'aux environs « immédiats » de la mort de Jésus, on a bien le droit de dire que c'est une obstination de principe, de nier la doctrine baptismale de Jésus et de la reconnaître dans la communauté aussitôt après sa mort.

§ 168. Le signe sensible du baptême

THÈSE. La matière du baptême est l'eau naturelle.            De foi.

Explication. Quelques sectes ayant employé pour le baptême, au cours des siècles, des éléments différents de l'eau, le Concile de Trente définit : « Si quelqu'un dit que l'eau réelle et naturelle n'est pas nécessaire pour le baptême et, par conséquent, dénature dans un sens imagé quelconque les paroles de Notre-Seigneur Jésus-Christ : « Si quelqu'un ne renaît pas de l'eau et du Saint-Esprit) », qu'il soit anathème. » (S. 7, De bapt., can. 2 : Denz., 858 ; cf. 412, 696). Les sectes spirituelles de l'époque patristique et de l'époque médiévale évitaient tout élément comme impur en soi. Certaines faisaient passer le néophyte entre des cierges allumés ou entre des feux en vertu d'une interprétation erronée de Math., 3, 11 ; d'autres se servaient d'huile, de vin ou de lait. Calvin entend l'eau (Jean, 3, 5) au sens figuré, du sang du Christ.

Preuve. Des textes déjà allégués, il résulte nettement que l'eau naturelle est l'élément du baptême. Cela est déjà indiqué par les noms bibliques cités. L'eau est expressément nommée dans Jean, 3, 5, à propos du baptême de l'eunuque (Act. Ap., 8, 36, 38), de Cornélius (Act. Ap., 10, 47), dans les textes pauliniens (Tit., 3, 5 ; Eph., 5, 26 ; Hébr., 10, 22. Cf. 1 Cor., 6, 11 ; Act. Ap., 22, 16). S. Paul compare le baptême au passage à travers la Mer Rouge (1 Cor., 10, 2). S. Pierre le compare au sauvetage par l'Arche (1 Pier., 3, 20 sq.)

Les Pères. Il est inutile de les citer pour attester cette claire doctrine de l’Écriture. Cf. Didachè (7), S. Justin (Apol., 1, 61), Tertullien (De bapt., 1), S. Augustin(ln Joan., 15, 4). La pratique ecclésiastique, depuis le commencement, ne connaît que l'eau comme matière du baptême.

La matière prochaine (materia proxima) consiste dans l'ablution de celui qui va être baptisé, que ce soit sous forme d’immersion, d'aspersion ou d'infusion.

La manière de baptiser la plus ancienne est l'immersion. S. Paul compare le baptême à la sépulture du Seigneur (Rom., 6, 4 sq. ; Col., 2, 12). Cela est encore attesté par le baptême de Jean qui se faisait dans le Jourdain et dans « beaucoup » d'eau (Jean, 3, 23 ; cf. Math., 3, 16 ; Marc, 1, 8, 10 ; Luc, 3, 16 ; Jean, l, 26, 33). Il est dit de l'eunuque qu'il descendit avec Philippe « dans l'eau » et qu'il « sortit de l'eau » (Act. Ap., 8, 38 sq.). Celui qui allait être baptisé descendait nu dans l'eau, il dépouillait préalablement le vieil homme (Col., 2, 11 ; 3, 8. Eph., 4, 22 sq.). Dans les anciens vêtements « il pouvait demeurer encore quelque chose de diabolique » (Schermann). On comprend facilement le revêtement d'un habit blanc comme symbole de l'« homme nouveau » (Col., 3, 10 sq. ; Eph., 6, 11). Dans le fait de se plonger dans l'eau et d'en ressortir se trouvait le symbole de la sépulture et de la Résurrection avec le Christ (Rom., 6, 3 sq. ; Eph., 4, 23). Pour la plongée à trois reprises, on ne peut cependant apporter aucune preuve scripturaire. Néanmoins la Didachè demande déjà qu'on verse l'eau à trois reprises sur la tête (8, 3). L'immersion fut prédominante pendant toute la période patristique et médiévale. S. Thomas la considère comme plus sûre en pratique (S. th., 3, 66, 7). Tertullien est le premier à attester qu'en l'honneur de la Trinité cette immersion se faisait à trois reprises (Adv. Prac., 26). S. Léon 1er la met en relation avec le repos de trois jours dans le tombeau (Ep. 16, 3). Cependant l'immersion unique est aussi attestée et elle fut prescrite en Espagne contre les Ariens à cause de la consubstantialité des Personnes. Au reste, il n'y avait pas d'unanimité dans l'interprétation de la triple immersion : les uns y voyaient, comme Tertullien, un symbole de la Trinité ; les autres, avec S. Léon, un symbole du repos de trois jours du Christ dans le tombeau ; d'autres encore, avec S. Grégoire le G., P. Lombard et S. Thomas unissaient les deux interprétations.

Un rite spécial était en usage dans l'antiquité pour le baptême des malades. Le malade était placé dans une baignoire et on le baptisait en versant de l'eau sur lui (Schermann, 291), ou bien, en cas de nécessité, on se contentait de lui verser de l'eau sur la tête (ibid., 299). Cet usage est à peu près identique avec l'usage aussi ancien de l'infusion ou de l'aspersion. S. Cyprien dut s'élever contre des doutes sur la validité de ces modes de baptême (Ep. 69, 12 sq.). D'après S. Augustin, le baptême purifie même lorsqu'il « mouille un tout petit peu » l'enfant (ln Joan., 80, 3). Peut-être même, le fait que le jour de la Pentecôte, 3.000 personnes furent baptisées témoigne aussi en faveur du baptême par infusion. On peut citer encore, en faveur de ce rite, les baptêmes faits à la maison (Act. Ap., 10, 47 sq. ; 16, 33). La Didachè se contente de la triple infusion au cas où l'on n'a pas assez d'eau. « Quand tu n'as pas d'eau courante, baptise dans d'autre eau. S'il n'est pas possible de le faire dans l'eau froide, prends de l'eau chaude. Si tu n'as ni l'une ni l'autre, verse trois fois de l'eau sur la tête au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit » (7, 2 sq.). Ce rite de l'infusion, qui nous est aujourd'hui prescrit, se recommande par plusieurs raisons telles que la facilité d'emploi, la santé, la décence. Alexandre de Halès est le premier qui ait déclaré l'infusion valide même en dehors du cas de nécessité. Dans l’Église grecque, on emploie encore aujourd'hui dans les cas normaux, l'immersion (Maltzew, 14 sq.). Le scolastique primitif Guillaume d'Auxerre ne signale que l'immersion et en cas de nécessité demande tout au moins l'immersion de la tête qui est la « partie principale » (Strake, 75). L 'Église reconnaît les trois modes de baptême et ordonne de conserver celui qui est maintenant le plus usité dans une Église. Le baptême par aspersion n'est plus en usage.

La bénédiction de l'eau baptismale est très ancienne. Tertullien l'atteste déjà (De bapt., 5, 9) et S. Cyprien justifie l'usage existant en disant que Dieu, dans Ezechiel (36, 25), demande l’eau pure (Ep. 70, 1 ; cf. S. Ambroise, De myst., 3, 14 et 5, 18 ; S. Augustin, De bapt., 5, 20, 28 ; 6, 25, 47).

Au sujet de la nécessité de la bénédiction, les Pères ont des avis différents. Ce qu'ils considèrent surtout,comme le fait remarquer Schermann, c'est la sanctification de l'eau par la présence salutaire de l'Esprit-Saint qui a été appelé par la prière de consécration (Frühchristl. Liturgie, 292 sq.) ; mais on voyait aussi sans aucun doute, dans cette bénédiction, un exorcisme de l'eau, destiné à écarter l'influence du démon, comme cela ressort de Tertullien, De bapt., 5. Tertullien expose cette idée que toutes les eaux de l'univers sont sanctifiées par le fait que l'Esprit-Saint a plané sur les eaux à l'origine (De bapt., 4). Il croit qu'au moment de la bénédiction de l'eau baptismale, un ange descend et sanctifie l’eau pour le salut de l'âme, comme autrefois un ange descendait dans la piscine de Béthesda et lui donnait la vertu de guérir les corps (Ibid.). D'après les conceptions populaires antiques, les sources et les eaux étaient particulièrement exposées aux influences diaboliques. L'exorcisme tient compte de ces idées populaires (Cf. Dict. théol., 2, 181 sq.). S. Cyprien considère la bénédiction de l'eau comme si importante qu'il croit pouvoir en tirer un argument contre la validité du baptême des hérétiques : « Celui qui est lui-même impur et ne possède pas le Saint-Esprit, comment peut-il purifier et sanctifier l’eau ? » (Ep. 70, 5). Le rite de la bénédiction était varié ; mais l'usage de l'insufflation qui doit faire venir le bon Esprit dans la créature et en chasser le mauvais est très ancien. Honorius d'Autun : « L’insufflation annonce la venue de l’Esprit Saint, et l’expulsion de l’esprit immonde » (Gemma animæ, 3, 3 : M. 172, 673). En Orient, il est moins question de bénédiction et d'exorcisme de l'eau baptismale. On pensait que l’eau avait été suffisamment sanctifiée par le baptême du Seigneur dans le Jourdain et par sa Passion (S. Ignace, Eph., 18 ; S. Cyrille de Jér., Cat., 3, 11). Cependant l'usage de l'exorcisme s'introduisit et est encore en usage aujourd'hui dans les rites copte, grec et slavon (Doelger, 166 ; Staerk, 83). Les Réformateurs conservèrent tout au moins l'exorcisme du baptisé.

Pour la validité, l'eau ordinaire suffit toujours, bien que, pour l'usage normal, l'eau baptismale soit prescrite. La bénédiction se faisait autrefois au moment du baptême. Aujourd'hui la bénédiction des fonts se fait aux deux anciens jours de baptême, Pâques et la Pentecôte (Cf. Kieffer, Précis de Liturgie, p. 344). La Scolastique connaissait déjà des questions de casuistique au sujet de l'administration du baptême (Cf. Lechner, Richard de Med., 123 sq.).

THÈSE. La forme du baptême consiste dans l'invocation des trois noms divins, accompagnée des paroles qui manifestent l'action baptismale.   De foi.

Explication. Eugène IV prescrit cette forme aux Arméniens (Denz., 696). Le Concile de Trente affirme la validité du baptême des hérétiques quand il est administré avec cette forme et l'intention convenable (De bapt., can. 4 ; cf. can. 3 : Denz., 859 sq.). Alexandre III (1159-1181) condamne l'opinion de ceux qui prétendent que la forme du baptême suffit, même quand elle ne contient pas l'acte baptismal (ego te baptizo) (Denz., 398). Cette condamnation a été répétée par Alexandre VIII, en 1690, contre les jansénistes (Denz., 1317.) L'effet (ἄφεσις, πνεῦμα) n'a pas été admis dans la formule.

Preuve. L’Écriture n'est pas absolument claire par rapport à la forme du baptême. Elle contient tout d'abord l'attestation de la formule trinitaire (Math., 28, 19). Peut-être cette formule est-elle indiquée également dans Eph., 5, 26, où il est dit que le baptême se fait « dans la parole de vie ». Il est souvent dit dans l’Écriture que le baptême se faisait « au nom de Jésus-Christ », ou « du Seigneur Jésus », ou bien « dans le Christ », « dans le Christ Jésus » (Act. Ap., 2, 38 ; 8, 16 ; 10, 48 ; 19, 5. Cf. Rom., 6, 3. 1 Cor., 1, 13 ; 10, 2. Gal., 3, 27).

Doit-on comprendre ces textes en ce sens que le nom de Jésus ou du Christ était prononcé seul ? Cette opinion était celle de S. Ambroise, de S. Maxime de Turin, de S. Hilaire, de S. Basile. S. Ambroise déclare, en s'appuyant sur S. Irénée et S. Basile (De Spir. S., 12, 28) : « Celui qui nomme un seul nom désigne toute la Trinité (De Spir. S., l, 44 ; cf. 3, 42. Tixeront, 2, 113 sq.). S. Nicolas 1 s'appuie sur lui et se range à son avis dans sa réponse aux Bulgares (Denz., 335). Les scolastiques se rangent d’ordinaire à la même opinion. D'après S. Thomas, cette formule était un privilège réservé expressément au Christ et aux Apôtres et ce privilège était particulièrement opportun, parce qu'il fallait, au commencement, insister avec une force particulière sur le nom de Jésus qui est le fondement du christianisme. Plus tard, la formule trinitaire complète serait devenue la seule valide (S. th., 3, 66, 6 ; Cat. rom., p. 2, c. 2, q. 15). Mais on peut aussi, avec Cano et Bellarmin, expliquer autrement la formule, c.-à-d. comme une formule qui servait à distinguer le baptême chrétien (nomen auctoris) du baptême de Jean et du baptême des païens. La formule « au nom » signifie très naturellement, dans le langage biblique, l'autorité de la personne nommée, ainsi qu'une obligation envers cette personne. Les Apôtres baptisaient au nom de Jésus, sans doute en nommant auparavant le nom du Seigneur et en indiquant à celui qui allait être baptisé le caractère obligatoire de sa doctrine. La mention du nom de Jésus, par conséquent, est narrative et non liturgique. D' Alès dit de cette opinion : « Elle dispense de recourir à une conjecture hasardeuse (la première opinion) ».

Les Pères. Ils attestent, dès le début, la formule trinitaire du baptême.

La Didachè est, du chapitre 7 au chapitre 10, un ouvrage liturgique, c.-à-d. elle donne des prescriptions pour les actions liturgiques de l'Église. Or elle dit au sujet de notre sacrement : « Au sujet du baptême: Baptisez ainsi : Après avoir tout communiqué (à savoir, l’enseignement des catéchumènes), baptisez au nom du Père », etc. On a l'impression que la Didachè veut indiquer, à côté de la matière du baptême « dans l'eau vivante », c.-à-d. dans l'eau courante), la forme de ce sacrement. Pour l'Eucharistie d'ailleurs, elle donne ensuite des formules achevées. D'après S. Justin, les catéchumènes sont régénérés dans le baptême « car au nom de Dieu le Père et Seigneur de toutes choses, et au nom de notre Sauveur Jésus-Christ et du Saint-Esprit, ils prennent alors le bain dans l'eau ». Cela est même exposé deux fois dans Apol., l, 61. Il en résulte tout au moins que l'Église prononçait les trois noms pendant le rite. S. Irénée rapporte lui aussi le même mode de baptême (Epid., 3, 7 et 12). Tertullien écrit : « la nécessité du baptême a été imposée, et la forme en a été prescrite. Allez, dit le Seigneur aux apôtres, enseignez toutes les nations, baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit » (De bapt., 13). Il expose ici l'ordre de baptiser et la forme du baptême. A ce sujet, il s'exprime nettement dans Adv. Prax. 26, in fine : « L'immersion a lieu, non pas une fois, mais trois, autant qu'il y a de noms et de personnes ». Ainsi donc on prononçait ou on invoquait, à chacune des immersions, un des noms trinitaires sur la personne immergée. S. Irénée rend le même témoignage quand il écrit : « Nous avons été purifiés, dans le baptême, par l'eau et l'invocation » (Fragm. 35 : M. 7, 1247) ; de même Firmilien de Césarée : « il n'y a pas à savoir quel est celui qui a baptisé, parce que celui qui a été baptisé a pu recevoir la grâce par l'invocation de la Trinité des Noms du Père, du Fils et du saint Esprit » (Ep. 75 à Cyprien). D'après S. Cyprien (Ep. 69, 7), les Novatiens eux aussi baptisaient, comme les catholiques, au nom de la Trinité. « Cependant, ajoute S. Cyprien, ils n'ont pas la même règle de foi que nous ; car quand ils demandent : Crois-tu à la rémission des péchés et à la vie éternelle par la sainte Église ? ils mentent avec cette question, car ils n’ont pas d'Église ». Ensuite on leur faisait réciter tout le symbole (Cf. aussi Ep. 70, 2). D'après S. Cyprien, le baptême « au seul nom de Jésus » ne suffit pas, car le Christ lui-même ordonne de baptiser les peuples dans la Trinité complète et unie (in plena et adunata Trinitate, Ep. 73, 18). D'autres témoignages pour une invocation ou mieux pour une proclamation de la Trinité se trouvent dans Origène : « Il n’y a de baptême légitime que sous le nom de la Trinité » (ln Rom, 5, 8 : M. 14, 1039 ; cf. ln Jean., 6, 17 : M. 14, 257) ; les Constitutions apostoliques, 3, 16, 4 (éd. Funk, 1, 211) ; les Didascalia, 3, 16, 3 (éd. Funk, 1, 211) ; S. Basile (De Spir. S., 15, 35 : M. 32, 130 sq.) ; S. Grégoire de Nysse (Orat. In bapt. Christi : M. 46, 585) ; Théodoret de Cyrus (Hær. fabul. compend., 4, 3 : M. 83, 420) ; Procope de Gaza (ln Gen., l, 9 : M. 87, 77) ; S. Jean Chrysostome ln Ep. ad Gal. 4, 28 : M. 61, 663). (Cf. de Puniet, col. 292 et 337.)

Comment peuvent s'accorder les témoignages en faveur d'une formule du baptême avec ceux qui parlent d'interrogations sur la foi et ne parlent pas d'une formule particulière du baptême ? Quand les écrits s'adressent de préférence aux fidèles ou aux catéchumènes qui vont être baptisés, ils leur rappellent ce qu'il sont à faire pour le baptême - et cela est beaucoup. On leur demande la foi orthodoxe trinitaire. Quant à la formule que l'Église devra employer dans le baptême, l'Église ou l'autorité ecclésiastique n’a pas besoin de se la rappeler elle-même, à moins qu'elle ne recherche précisément une instruction liturgique. Et cela d'autant moins que cette formule était, en tout cas, très simple : après l'interrogation sur la foi, on plongeait trois fois le catéchumène dans l'eau et l'on prononçait successivement, à chaque fois, le nom de l'une des divines Personnes ; c'était, en quelque sorte, un écho ou une répétition de la formule de foi du baptisé. Prononçait-on alors une formule d’introduction qui désignait l'acte baptismal, dans la forme active : « Ego te baptizo » [je te baptise] ou dans la forme passive, βαπτίζεται ὁ δοῡλος [untel est baptisé au nom du Père, etc.], nous n’oserions répondre affirmativement ou négativement, car alors on ne connaissait pas encore, dans la doctrine sacramentaire, la théorie philosophique de la forme qui détermine tout et donne l'être à tout. Par les paroles on entendait plutôt exprimer la foi nécessaire pour le sacrement qu'opérer directement l'être sacramentel. Bien que S. Augustin, à l'encontre de S. Cyprien, estime valide le baptême administré par les schismatiques, il dit cependant de la « parole » qui s'ajoute à l'élément qu'elle opère « non parce que l'on prononce cette parole, mais parce que l'on y croit » (ln Joan., 80, 3). Toute la Scolastique primitive a considéré comme valide cette courte formule « Au nom du Père », etc. Cf. plus bas. Au reste, on rencontre aussi la formule : « Je te baptise au nom du Père », etc., par ex. dans les canons d'Hippolyte, dans le rite baptismal éthiopien (Cf. de Puniet, loc. cit., col 268 et 341).

Il faut donc maintenir que, dans le baptême, le « sacramentum fidei », tant du côté du ministre que du sujet, ce qui importait essentiellement, c'était l'expression de la foi trinitaire sous quelque forme que ce soit, et que le noyau central inaltérable de cette forme était le nom des trois divines Personnes. Un regard sur l’évolution du rite baptismal nous montre que toutes les additions et extensions, tout en demeurant dans le cadre trinitaire, furent variables.

La mention orale de l'acte baptismal (Je te baptise) doit désigner suffisamment l’action comme une ablution sacramentelle ; ce qui, d’après S. Thomas, ne peut se faire d'une manière assez précise par la seule invocation de la Trinité (S. th., 3, 66, 5). Les Pères connaissent déjà de légères additions et modifications dans la formule ; elles ne changent pas le sens. La formule grecque est celle-ci : « βαπτίζεται ό δοῡλος τοῦ θεοῦ είς τὀ ὄνομα του πατρός ϰτλ ». Elle se trouve pour la première fois (5ème siècle) dans le « Pratum spirituale » de J. Moschus : M. G., 87, 3046 (Cf. Dict. d'archéol. chrét. et de liturgie, 2, 1, col. 282). Alexandre VIII a condamné l'opinion de ceux qui prétendent que le baptême est valide sans « ego te baptizo » (Denz., 1317). Mais c'était là l'opinion générale de la Scolastique primitive. Præpositinus écrit : « Nos maîtres nous ont tous enseigné qu’il suffit de dire : au nom du Père », etc. Etienne Langlon (+ 1229) considère le baptême « au nom de Dieu » comme valide, parce que les trois Personnes ne sont qu'un seul Dieu (Cf. Gillmann, Le baptême au nom de Jésus, 19, 21).

L'explication très répandue dans la Scolastique primitive, d'après laquelle toute la Trinité est déjà nommée dans « au nom du Christ » (Roland, Hugues, etc.), se trouve déjà en germe dans S. Irénée : « dans  le  nom  de « Christ » est sous-entendu Celui qui a oint, Celui-là même qui a été oint et l'Onction dont il a été oint : celui qui a oint, c'est le Père, celui qui a été oint, c'est le Fils, et il l'a été dans l'Esprit, qui est l'Onction » (Traité contre les hérésies,  livre 3, 18, 3 ; cf. 3, 1). Didyme l'Aveugle connaît, lui aussi, cette explication (Bardy, Didyme, 150), ainsi que S. Basile (De Spir. S., 12, 28) qui se réfère à Act. Ap., 10, 38. Il est l'inspirateur de S. Ambroise et celui-ci l'est de la Scolastique. D'après Hugues, on peut baptiser au nom de chacune des trois Personnes de la Trinité ; qui en nomme une nomme les deux autres en même temps. Gillmann fait remarquer que ce n'est que peu à peu que « au nom de Jésus » devint « au nom du Christ » et qu'ainsi un nom humain sembla entrer dans le cercle divin des trois Personnes pour les représenter. Au reste, toute cette explication est artificielle et ne résout pas le problème biblique. D'après Scot, le baptême administré au nom de Jésus doit être réitéré sous condition ; d'après d'autres, il faut le réitérer sans condition (Gillmann, 2528, 29).

Étant donnée la connaissance insuffisante du latin chez les simples prêtres au Moyen-Age, un problème qui revient constamment dans la Scolastique primitive est celui de savoir si une formule d'administration en latin déformé est valide. Et la réponse unanime est affirmative, pourvu que la déformation (naturellement dans la désinence des mots) ne soit pas trop énorme.

Une autre question qui se pose dès le commencement et se poursuit à travers la Scolastique est celle-ci : La formule baptismale : « Baptizo te in nomine Genitoris et Geniti et Flaminis almi » suffit-elle ? On répondit ordinairement négativement. Suarez, entre autres, répond affirmativement, mais avec hésitation ; Pesch et d'autres répondent d'une manière affirmative absolue (Strake, 72 sq.).

Signalons encore que le Symbole des Apôtres est le développement de la formule baptismale. C'était la coutume que le catéchumène fût obligé, avant le baptême, de réciter de mémoire un symbole pendant le scrutin (redditio symboli). (Cf. A. Dondeyne, La discipline des scrutins dans l'Église latine avant Charlemagne : Rev. d'hist. eccl., 1932, 5, t. 1er). Au début, le catéchumène était interrogé par l'évêque sur sa foi, sans doute d'une manière moins officielle. A partie de 150, cela se fit au moyen d'un symbole divisé en trois parties, à peu près le même partout et sur lequel on interrogeait le catéchumène.

§ 169. Effet et nécessité

THÈSE. Le baptême est le sacrement de la rémission des péchés et de la régénération.      De foi.

Explication. La première déclaration officielle de l'Église sur le baptême et la rémission des péchés se trouve dans le Symbole de Nicée-Constantinople : « Confiteor unum baptisma in remissionem peccatorum ») (Denz., 86.). Le Concile de Vienne déclare que le baptême est, pour les adultes comme pour les enfants, un « moyen de salut parfait » (Denz., 182) et considère comme l'opinion plus probable que, dans les deux cas, par conséquent dans le baptême des enfants aussi, non seulement la rémission des péchés est opérée, mais encore la sanctification par l'infusion de la grâce (Den., 483). Le Concile de Trente signale surtout, dans ses décisions sur le baptême des enfants, la suppression du péché (S. 5, can. 4 : Denz., 791) ; dans sa doctrine de la justification, il mentionne surtout la sanctification (S. 6, c. 7 : Denz., 799). Enfin, le même Concile enseigne que, par le baptême, les enfants sont vraiment admis dans l'Église et, par suite, n'ont pas besoin d'être rebaptisés plus tard (S. 7, can. 13 de bapt. : Denz., 869).

Preuve. Le Christ indique comme effet du baptême la régénération spirituelle et l'admission dans le royaume de Dieu (Jean, 3, 5). L'adverbe ᾄνωθεν peut se traduire par « de nouveau » ou par « d'en haut, des hauteurs ». La première traduction s'accorde mieux avec la réponse de Nicodème ; la seconde convient mieux au ton élevé de l'évangile de S. Jean. La première indique une nouvelle vie, la seconde l'origine divine de cette vie. S. Paul fait ressortir l'effet négatif de la rémission des péchés dans une comparaison, qui lui est propre, du baptême avec la mort du Christ : « Ne savez-vous pas que nous tous qui avons été baptisés en Jésus-Christ, c'est dans sa mort que nous avons été baptisés. Nous avons été ensevelis avec lui par le baptême en sa mort, afin que, comme le Christ est ressuscité des morts par la gloire du Père, nous aussi nous marchions dans une vie nouvelle. Si en effet nous avons été greffés sur lui par la ressemblance de sa mort, nous le serons aussi par celle de sa résurrection » (Rom., 6, 3-5). Au sujet de l'effet positif, il écrit : « Il nous a sauvés par le bain de la régénération et du renouvellement du Saint-Esprit » (Tit., 3, 5). « Vous tous qui avez été baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ » (Gal., 3, 27). « Mais vous avez été lavés, vous avez été sanctifiés, vous avez été justifiés au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ et dans l'Esprit de notre Dieu » (1 Cor., 6, 11). Le Christ a « sanctifié et purifié » toute l'Église « par le bain de l'eau, dans la parole de vie » (Eph., 5, 26). S. Pierre trouve le point essentiel de l'effet du baptême dans la rémission des péchés (Act. Ap., 2, 38) et dans la préservation de la perdition (1 Pier., 3, 21). L'admission dans l'Église est signalée par Act. Ap., 2, 41 ; 8, 12 ; 1 Cor., 12, 13. De l'effacement du péché originel seul il n'est pas question dans l'Écriture.

Les Pères. Ils enseignent, eux aussi, et célèbrent hautement les mêmes effets du baptême. D'après la Didachè, seuls les baptisés sont assez purs pour recevoir l'Eucharistie (9, 5). D'après Hermas, le baptême est si nécessaire que les Apôtres et les Docteurs durent le prêcher même dans l'autre monde et l'administrer aux anciens Pères (Sim., 9, 16, 5-7). On descend spirituellement mort dans l’eau et on en sort vivant (Ibid., 3-7). S. Ignace nomme plusieurs fois le baptême sans parler de ses effets ; il dit cependant que le Christ « par sa Passion a purifié l'eau » (Ad. Eph., 18, 2). D'après Barnabé, nous descendons dans l'eau, couverts de la boue des péchés, et nous en sortons, portant comme fruits, dans le cœur, la crainte de Dieu et l'espérance en Jésus, dans le Saint-Esprit (11, 1-8).

S. Justin explique, le premier, le nom de baptême en l'appelant « illumination » (φωτισμός) (Apol., 1, 61). Cette appellation sera plus tard de plus en plus usitée. Les Juifs sont, d'après lui, φωτιζόμενοι ὑπὸ τοῦ νόμον (Dial., 122) ; mais les chrétiens le sont par le Logos, par sa vérité et sa grâce (Cf. 1 Cor., 4, 5 ; 2 Cor., 4, 6 ; 2 Tim., 1, 10 ; Jean, 1, 9 ; Hébr., 6, 4 ; 10, 32). Justin n'avait pas besoin d'emprunter l'expression φωτίζεσθαι (Apol., 1, 61, 18 ; Dial, 122, etc.) au langage des mystères ; cette expression se trouvait objectivement dans S. Paul et, au cas où il n'aurait pas lu S. Paul, il l'aurait trouvée dans Isaïe, 49, 7 sq. Au reste, il connaissait (Dial., 88) l'antique tradition chrétienne, d'après laquelle, au moment du baptême de Jésus, une grande lumière avait brillé au-dessus du Jourdain. Quant à l'effet du baptême, Justin le décrit comme une « régénération et une ablution ». Il serait facile de multiplier ces témoignages. Cf. S. Théophile (Ad Autol., 2, 16), Tertullien (De bapt., 1 et 5), S. Irénée (A. h., 3, 17, 2), Clément l'Alex. (Pæd., l, 6 ; Strom., 2, 13 : M. 8, 995), Origène (ln Joan., 6, 17 : M. 14, 255). « Le vêtement de l'immortalité » était, dans l'antiquité chrétienne, une expression courante pour désigner le baptême (Cf. Dœlger, Sol salutis (1920), 285). Il faut signaler que les Pères grecs de l'époque suivante, les deux Grégoire, S. Basile, S. Jean Chrysostome, S. Cyrille de Jérus. annoncent en termes magnifiques la communication du Saint-Esprit par le baptême et essaient de réfuter les pneumatomaques, en disant que, si le Saint-Esprit n'était pas véritablement Dieu, la conséquence serait l'inefficacité du baptême. D'une manière générale, la communication du Saint-Esprit s'adaptait parfaitement à la théologie grecque, parce que cette dernière insistait moins que la théologie latine sur le péché originel et, par suite, mettait naturellement l'accent sur le saint Pneuma. D’Alès écrit, d'une manière concise et pertinente : « Le don de l'Esprit-Saint qui fait les enfants de Dieu, telle est la grâce propre du baptême » (81).

Les scolastiques présentent, par rapport à l'effet négatif comme par rapport à l'effet positif du baptême, la même unanimité que les Pères. Il n'y avait de divergence entre eux qu'au sujet de l'appréciation du baptême des enfants dont nous parlerons tout à l'heure. Après ce qui a été exposé plus haut sur le « caractère », il est à peine besoin de remarquer que tous les scolastiques, à la suite de S. Augustin, l'attribuent au baptême.

Il y a aussi des auteurs patristiques qui, à propos du baptême, insistent surtout sur  l’ablution et réservent le Saint-Esprit pour la Confirmation. Rauschen écrit, au sujet de l'ouvrage « De rebaptismate » : «II est dit, aussi, expressément que la Confirmation est plus élevée que le baptême. (C. 6). Que le Saint-Esprit soit communiqué par la Confirmation et non par le baptême, c'était l'opinion générale au 3ème siècle. » II donne les preuves dans la Rev. D'Innsbruck, 1917, 88.

De la notion du baptême comme sacrement de la régénération complète, il résulte qu'il remet également toutes les peines dues au péché, les peines éternelles comme les peines temporelles : « Si quelqu'un nie que par la grâce de notre Seigneur Jésus-Christ, qui est conférée dans le Baptême, l'offense du péché Originel soit remise : Ou soutient que tout ce qu'il y a proprement, et véritablement de péché, n'est pas ôté, mais est seulement comme rasé, ou n'est pas imputé : Qu'il soit anathème » (Trid., S. 5, can. 5).

S. Paul compare le baptême à la mort de Jésus, parce que le vieil homme du péché est complètement enseveli et anéanti, et il est créé comme un homme entièrement nouveau (Rom., 6, 3-6). « Désormais il n'y a plus de condamnation pour ceux qui sont dans le Christ Jésus » (Rom., 8, 1). Pénétrée de cette conviction, l'ancienne Église n'imposait plus aux baptisés aucune pénitence après leur en avoir imposé avant, car, bien entendu, sans repentir ni pénitence, la rémission des péchés n'est pas possible. S. Augustin écrit à ce sujet : « Le baptême lave tous les péchés, absolument tous, les œuvres coupables, paroles et actes, que ce soit le péché originel, que ce soient les péchés personnels, qu'ils aient été commis consciemment ou inconsciemment ; mais la faiblesse contre laquelle le régénéré combat, en tant qu'il mène le bon combat, n'est pas enlevée. » II ajoute ensuite la conclusion nécessaire : Quand le baptisé quitte la vie immédiatement après le baptême, il n'y a plus absolument aucun empêchement qui le retienne : tout ce qui le retenait a été rompu » (C. duas ep. Pelag., 3, 3, 5 : M. 44, 591). Eugène IV répète cette doctrine dans le décret pour les Arméniens (Denz., 696). Le Concile de Trente, lui aussi, définit, contre la doctrine d'imputation des protestants, la purification véritable qui fait disparaître tout ce qui est digne de damnation (S. 5, can. 5). Mais il s'oppose à la doctrine exagérée des Réformateurs, d'après lesquels le baptême aurait une valeur telle que tous les péchés futurs seraient effacés par le souvenir du baptême reçu (S. 7, can. 6, 10 : Denz., 862, 866).

Les peines de cette vie temporelle demeurent comme moyens d'épreuve et occasions de pratiquer la vertu ; elles nous font ressembler au Christ, notre Chef couronné d'épines (S. th., 3, 69, 3). Quant aux dons præternaturels, Dieu n'a pas voulu les unir de nouveau à l'état de grâce.

Des effets exagérés du baptême ont été enseignés par Jovinien (400). D'après lui, le baptisé ne pourrait plus pécher. Il s'appuyait sur 1 Jean, 3, 9 et 18. Mais, lui répond S. Jérôme, on ne doit pas comprendre l'Apôtre dans ce sens, car autrement il se contredirait lui-même puisqu'il écrit : « Si nous disons que nous n'avons pas de péché, nous nous trompons nous-mêmes » (1 Jean, 1, 8-10 ; 2, 1-3). Luther enseignait une doctrine semblable en s'appuyant également à tort sur S. Paul : « C'est pourquoi le baptême subsiste toujours et, bien que quelqu'un s'écarte et pèche, nous avons toujours un moyen d'y revenir, si bien qu'on peut toujours soumettre de nouveau le vieil homme... De même, la pénitence n’est pas autre chose qu'un retour au baptême, par lequel on reprend à faire ce qu'on avait commencé auparavant et qu'on avait cependant abandonné. Je dis cela pour qu'on n'adopte pas l'opinion dans laquelle nous avons été longtemps, à savoir que le baptême serait passé, qu'on ne pourrait plus s'en servir après être retombé dans le péché » (Dans Müller, 497). Ces paroles nous font comprendre la définition du Concile de Trente : « Si quelqu'un dit que tous les péchés qui sont commis après le baptême sont ou bien remis ou bien ramenés à des péchés véniels seulement par le souvenir du baptême reçu et la foi à ce baptême, qu'il soit anathème » (S. 7, de bapt., can. 10).

THÈSE. D'après l'ordonnance divine, le baptême est absolument nécessaire à tous les hommes pour leur salut.             De foi.

Explication. Cette nécessité a été niée par les pélagiens, comme on l'a déjà montré dans le traité de la grâce (§ 116). Les Réformateurs, étant donnée leur doctrine du salut par la foi seule, ne pouvaient maintenir la nécessité absolue du sacrement et ils l'abandonnèrent, tout au moins Zwingli et Calvin, ainsi que les sociniens ; Wiclef l'avait déjà abandonnée avant eux. C'est pourquoi le Concile de Trente définit : « Si quelqu’un dit que le Baptême est libre, c'est à dire, qu'il n'est pas nécessaire au salut : Qu'il soit anathème » (S. 7, de bapt., can. 5 : Denz., 861 ; cf. S. 6, c. 4, Denz., 796 ; Syllabus de Pie X, prop. 42 : Denz., 2042).

Preuve. Le Christ a clairement exprimé la nécessité du baptême. Jean, 3, 5, peut être entendu surtout d'une nécessité intérieure ; Math., 28, 19, plutôt d'une nécessité extérieure, positive ; Marc, 16, 16, des deux nécessités à la fois, d'une nécessité de moyen et d'une nécessité de précepte.

Les Pères. La nécessité du baptême, étant donnés les textes si clairs de l’Écriture et la pratique de l'Église, allait de soi pour les Pères. D'après Hermas, les justes de l'ancienne Loi eux-mêmes devaient être baptisés dans l'autre monde (Sim., 9, 16, 3-8). La lutte de S. Augustin contre les pélagiens est connue. Bien que la pratique de l'Église ait établi des jours de baptême fixes pour les catéchumènes, on baptisait cependant, en cas de maladie ou de danger de mort, en tout temps. De même, en cas de nécessité, toute personne pouvait baptiser. Ces deux faits nous montrent la conception sérieuse que l'Église avait de notre dogme.

La Confession d'Augsbourg dit au sujet de la nécessité du baptême : « Au sujet du baptême, il est enseigné qu'il est nécessaire (le texte latin porte : nécessaire au salut) et que par là la grâce est offerte ; qu'on doit aussi baptiser les enfants, lesquels, par un tel baptême, sont confiés à Dieu et lui deviennent agréables » (Art. 10). Il faut comparer avec ce texte avec ce que Luther écrit : « Tous les sacrements doivent être libres pour chacun. Si quelqu'un ne veut pas être baptisé, qu'on le laisse » (Œuvres, Erlangen, 28, 343). Comme on nie aujourd'hui l'institution par le Christ, on nie aussi la nécessité.

A partir de quel moment le baptême devint-il obligatoire ? Les Pères n'ont pas répondu de la même manière à cette question. Aux païens qui n'avaient pas entendu parler du Christ on accorda le bénéfice de l'ignorance invincible. Mais y eut-il réellement longtemps de tels païens ? Le Psalmiste ne dit-il pas : « sur toute la terre en paraît le message et la nouvelle, aux limites du monde ? » (Ps 18, 5). D'après Origène et S. Jean Chrysostome, cette prophétie est déjà accomplie par rapport à l’Évangile. S. Augustin est plus réservé (De nat. et grat., 2, 2). Le Moyen-Age vécut dans la conception erronée que tous les peuples avaient entendu parler du Christ ; par conséquent, le baptême était depuis longtemps obligatoire. Mais, au 16ème siècle, au moment des grandes découvertes, on se rendit compte qu'il y avait de nombreux peuples qui n'avaient jamais entendu parler du Christ. La théologie dut changer ses positions. C'est pourquoi le Concile de Trente dit que la justification « depuis la publication de l’Évangile, ne se peut faire sans l'eau de la régénération, ou sans le désir d'en être lavé » et cite Jean, 3, 5. (S. 6, c. 4). Ici intervient la question du supplément du baptême.

On a considéré comme supplément du baptême (baptismus fluminis) dans l'Église, depuis les temps anciens, le martyre pour le Christ ou baptême de sang (bapt. sanguinis), ainsi que le désir du baptême accompagné de la contrition parfaite ou baptême de désir (bapt. flaminis). Cependant, le baptême de sang et le baptême de désir ne confèrent que la grâce sanctifiante, mais non les effets attachés particulièrement au sacrement, le caractère et les grâces spéciales.

La notion de martyre comprend, d'après les théologiens, les trois éléments suivants : une souffrance mortelle, endurée à cause de la foi chrétienne, supportée patiemment à cause de Dieu. S. Thomas fait dériver la perfection du martyre du don complet de la vie en soi et particulièrement de son motif, l'abandon complet au Christ (S. th., 1, 2, 124, 3). Cependant il n'est pas nécessaire que le martyre produise un acte parfait d'amour de Dieu ; si on exigeait la charité parfaite, le « baptême de sang » se confondrait avec le « baptême de désir ».

Tertullien : « Nous avons cependant encore un second baptême, lui aussi unique et identique, à savoir celui du sang dont le Seigneur dit : « Je dois être baptisé d'un baptême », bien qu'il fût déjà baptisé. C'est le baptême qui supplée le baptême d'eau non reçu et le rend quand il est perdu » (De bapt., 16). On lit dans l'ordonnance ecclésiastique d'Hippolyte (c. 44) : « Si un catéchumène était tué pendant la persécution, il est justifié, ayant reçu le baptême dans son propre sang ». S. Cyprien dit des catéchumènes qui sont martyrisés : « Qu'eux-mêmes ne sont pas privés du sacrement de baptême, puisqu'ils ont été baptisés du plus glorieux et du plus grand baptême, celui de leur sang, dont le Seigneur lui-même a parlé »» (Luc, 12, 50 ; Ep. 72, 22). Et S. Augustin écrit, en s'appuyant sur Math., 10, 32 ; 16, 25 ; Ps. 115, 15 : « Chez tous ceux qui, sans avoir reçu le bain de la régénération, meurent pour la confession du Christ, cela a le même effet pour la rémission des péchés, que s'ils avaient été lavés dans la sainte fontaine du baptême. » (Civ., 13, 7). C'est aussi la manière de voir des Pères grecs comme S. Cyrille de Jérus. (Cat., 3, 10), S. Jean Chrysostome (Hom. in mart, Lucian., 2 : M. 50, 522 sq).

S. Thomas : « La passion du Christ opère dans le baptême d’eau parce qu’il en est la représentation figurative ; elle opère dans le baptême de feu ou de pénitence par l’affection, et elle opère dans le baptême de sang, parce qu’il en est une imitation » (S. th., 3, 66, 12).

« La mort que l’on endure pour le Christ a la vertu du baptême, comme nous l’avons dit (quest. 66, art. 11). C’est pourquoi elle purge de toutes les fautes vénielles et mortelles, à moins qu’elle ne trouve la volonté actuellement attachée au péché. » (S. th., 3, 87, 1 ad 2).

Le jugement de l'Église sur le baptême de sang résulte de la fête des saints Innocents, comme en général des fêtes des martyrs, dans lesquelles elle ne fait pas de distinction entre les martyrs déjà baptisés et les catéchumènes. Les théologiens posttridentins discutent la question de savoir si le martyre, en outre de son effet subjectif (ex opere operantis), a aussi un effet objectif (ex opere operato). Il semble qu'il faille admettre l'efficacité objective, à cause des saints Innocents (non loquendo sed moriendo confessi sunt, dit l'Office de la messe). « Des nourrissons vagissants le confessent par le martyre », dit S. Ambroise (In Luc, 2, 36). Le baptême de sang, même avec une charité imparfaite, efface toujours (chez les adultes) toutes les peines du péché et sans doute « ex opere operato » ; c'est un effet qui fait défaut au baptême de désir avec la charité parfaite.

Dans la théologie protestante, la notion de martyre a fait, dernièrement, l'objet d'une controverse. Les uns affirment que ce qui fait le martyr (μάρτυς), c'est que le témoin de la foi a contemplé en mourant Dieu ou le Christ, ce qui le rend surtout capable de témoigner (μαρτυρεῖν) pour lui et sa résurrection (Kattenbusch). Les autres disent que, d'après les anciennes sources (Martyrium Polycarpi, Mart. Lugdunense ; Eusèbe, 5, 3, 2), celui-là est considéré comme martyr qui, comme le Christ, souffre la mort et qui, à cause de cette mort même, apparaît comme πιστὸς ϰαὶ αληθινὸς μάρτυς. « Par là on a fait une distinction essentielle entre les témoins par l'acte et les témoins par la parole, ou bien entre les martyrs (μάρτυρες) et les confesseurs (ομόλογοι et όμολογηταί). S. Cyprien, le premier, fait sciemment cette distinction. (Ep. 6, 4 ; 10, 2 et 10 ; 12, 1 ; 36, 37, 3). Cette opinion soutenue par Krüger est plus conforme à la conception catholique que la première nommée.

Une question, qui s'est posée sous l'influence de la guerre et qui a été vivement discutée, est celle de savoir si la mort à la guerre est un martyre. Cette question doit se résoudre à la lumière de l'histoire et de la théologie et non à celle de la politique. Le martyr a joui dans l'Église d'un si haut prestige qu'il passait vraiment pour un « alter Christus ». Or le Christ est mort non seulement innocent, mais encore sans défense et avec patience. Celui donc qui : 1° est mort pour le Christ ; 2° avec patience et sans résister aux souffrances et à la mort, a toujours passé pour un martyr dans l’Église, mais celui-là seulement. Les scolastiques disaient brièvement : Ce n'est pas la souffrance qui fait le martyr, mais le motif, l'intention de celui qui souffre. Ce jugement est conforme à 1 Cor., 13, 3 : « J’aurais beau distribuer toute ma fortune aux affamés, j’aurais beau me faire brûler vif, s’il me manque l’amour, cela ne me sert à rien ». S. Thomas écrit : « quand on meurt pour un bien général qui ne se rapporte pas au Christ, on ne mérite pas l’auréole ; mais si ce bien se rapporte au Christ, il méritera l’auréole et on sera martyr ; comme si l’on défend l’État contre les attaques d’ennemis qui veulent corrompre la foi du Christ, et qu’on vienne à mourir dans cette guerre. » (S. th., suppl. 96, 6 ad 11). Cf. Delehaye, Les origines du culte des martyrs (1912).

Le baptême de désir est le désir du baptême résultant de la charité et de la contrition parfaites, quand la réception sacramentelle est physiquement ou moralement impossible. D'après le Concile de Trente, on ne peut être justifié que par les sacrements ou par leur désir (votum) (S. 7, De sacram. in gen., can. 4 : Denz., 487 ; S. 6, c. 4 : Denz., 796).

L’Écriture promet, à maintes reprises, en raison de l'amour repentant, la justification ou les dons du Saint-Esprit, sans exiger une autre condition préalable. « J'aime ceux qui m'aiment » (Prov., 8, 17). « Celui qui m'aime, sera aimé de mon Père, et je l'aimerai et je me révélerai à lui. » (Jean, 14, 21). « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, etc. Fais cela et tu vivras. » (Luc, 10, 27, 28). « Il lui sera pardonné beaucoup de péchés parce qu'elle a beaucoup aimé » (Luc, 7, 47). Le publicain s'en retourne « justifié » chez lui. (Luc, 18, 14). « L'amour est de Dieu et quiconque aime est né de Dieu. » (1 Jean, 4, 7). S. Pierre atteste, au sujet de Cornélius, que celui-ci a reçu le Saint-Esprit avant d'avoir reçu le baptême. (Act. Ap., 10, 47 ; cf. 44). S. Paul enseigne : « L'accomplissement de la loi est donc la charité. » (Rom., 13, 10).

Les Pères. Ils s'indignent maintes fois contre l'abus largement répandu de reculer le baptême jusqu'au lit de mort et de se contenter du simple baptême de désir. S. Grégoire de Naz. estime que celui qui se contente ici-bas du désir du baptême, doit se contenter là-haut du désir de la béatitude (Orat., 40, 23). S. Augustin propose sans doute Cornélius comme exemple du baptême de désir, mais il rappelle qu'immédiatement après il reçut le baptême d'eau et il ajoute que personne, si avancé soit-il intérieurement, n'a le droit de mépriser ce baptême. Le Christ lui-même, par humilité et pour nous donner l'exemple, l'a reçu. (De bapt., 4, 22 ; cf. ln Joan., 4, 13 et 13, 7).

Mais quand il y a une véritable nécessité et qu'on n'a pas à accuser une négligence, ils reconnaissent au baptême de désir une vertu justifiante. Ainsi S. Ambroise dit, dans l'oraison funèbre de Valentinien II qui était mort en Gaule encore catéchumène (392) : « J'entends dire que vous vous affligez de ce qu'il n'a pas reçu le sacrement de baptême. Dites-moi, qu'avons-nous en nous sinon la volonté, sinon la prière ? Or il avait depuis longtemps le désir d'être initié avant son retour en Italie, il avait manifesté sa volonté d'être baptisé par moi prochainement et c'est cela surtout, pensait-il, qui hâterait ma venue. N'aurait-il donc pas la grâce qu'il a désirée, la grâce qu'il a demandée ? Assurément, puisqu'il l'a demandée, il l'a obtenue. » (De obitu Valent., 51 : M. 16, 1374).

La Scolastique reçut des Pères la doctrine du baptême de désir et la développa. S. Bernard la défendit contre Abélard. Il se réfère à S. Ambroise et à S. Augustin et croit que « par la simple foi et le désir du baptême, l'homme peut être justifié » (Ep. 77, 8). Il est suivi par Hugues. L'expression « baptismus flaminis » vient de Laurentius Hispanus. (Gillmann, Ministre de la Confirmation, 30). Innocent III déclare que, sans doute, il n'est pas possible, en cas de nécessité, de se baptiser soi-même, mais qu'on peut cependant, dans une telle situation, être sauvé par la foi au sacrement, bien que ce ne soit pas par le sacrement de la foi. (Schwane, 3, 616). S. Thomas écrit : « Quand l'adulte refuse par mépris de recevoir le baptême, il ne peut pas être sauvé. Au contraire, quand le baptême n'a pas été réellement administré, mais a été désiré et n'a pu être administré parce que la mort est arrivée trop tôt. le salut peut être atteint par le désir du baptême, qui vient de la foi et opère par la charité ». Il cite ensuite S. Ambroise. (S. th., 3, 68, 2). Le Concile de Trente, lui aussi, enseigne que la justification doit se faire par le bain de la régénération ou par le désir de ce bain. (S. 6, c. 4 : Denz., 796 ; cf. S. 7, de sacram. in gen., can. 4 ; S. 14, c. 4 ; Denz., 847, 898).

L'effet du baptême de désir, tel qu'on vient de l'exposer, est enseigné généralement aujourd'hui par les théologiens comme doctrine sûre. Néanmoins il est plus difficile d'établir que ce baptême a été reçu que pour les deux autres baptêmes : le baptême d'eau et le baptême de sang. Ceux qui ont reçu le baptême de désir ne sont pas d'ordinaire considérés comme appartenant à l'Église extérieure ; ils ne reçoivent pas le caractère que ne confère pas non plus le martyre. Cela nous fait comprendre la discipline un peu rigoureuse, d'après laquelle, dans l'Église romaine et dans l'Église espagnole, pendant les cinq premiers siècles, les catéchumènes et les pénitents, quand ils étaient morts avant le baptême ou la réconciliation, étaient exclus des prières publiques. Il importe encore de remarquer que même celui qui à déjà été justifié avant le baptême par la charité parfaite, s'il peut ensuite recevoir le sacrement, est tenu de le recevoir ; s'il omet de le faire, il pèche gravement et par là perd de nouveau la grâce.

Le Moyen-Age admit, dans un certain sens, un autre supplément du baptême, le baptême monastique ou l'entrée dans un ordre religieux, dans le cas où cela se faisait avec une intention parfaite. S. Thomas considère comme raisonnable l'opinion d'après laquelle « celui qui entre dans un ordre reçoit la rémission de tous ses péchés ». Il invoque ensuite la « vie des Pères pour établir que « ceux qui entrent dans un ordre religieux reçoivent la même grâce que les baptisés » (S. th., 2, 2, 189, 3). S. Thomas pense sans doute à la remise de toutes les peines temporelles dues au péché, qui ont été encourues dans la vie antérieure. Au sujet des sarcasmes de Luther contre ce baptême monastique et de toutes les déformations et de tous les malentendus causés par la polémique, cf. Denifle, Luther (l, 220 sq., traduction Pasquier). D'après la doctrine grecque, la bénédiction monacale rentre même parmi les « mystères ». Le pseudo-Denys écrit : « L'état le plus élevé parmi ceux qui sont jugés dignes des Ordres est la sainte classe des moines » (De eccl. hier., 6, 3). D'après Théodore Studites, la bénédiction monacale remonte au Christ comme le baptême. « Le vêtement des moines est identique au baptême ». Le pseudo-Denys fut un des maîtres de la Scolastique.

§ 170. Ministre et sujet

THÈSE. Le ministre ordinaire du baptême est le prêtre qui a mission de l'évêque ; le ministre extraordinaire, en cas de nécessité, est toute personne humaine.   De foi.

Explication. Eugène IV déclare dans son décret pour les Arméniens : « Minister hujus sacramenti est sacerdos cui ex officio competit baptizare. ln causa autem necessitatis non solum sacerdos vel diaconus, sed etiam laicus vel mulier, immo etiam paganus et hæreticus baptizare potest dummodo formam servet Ecclesiæ et facere intendat quod facit Ecclesia. » (Denz., 696). D'une manière tout-à fait générale, le 4ème Concile de Latran dit que le baptême convenablement administré par n'importe qui est valide. (Denz., 430). Enfin, le Concile de Trente a défini encore une fois l'antique doctrine de la validité du baptême des hérétiques (S. 7, de bapt., can. 4 : Denz., 860).

Preuve. L'Écriture ne parle que de cas ordinaires et non de cas extraordinaires et enseigne que les Apôtres et leurs aides, dans l'œuvre missionnaire, administraient le baptême. Mais on ne peut guère admettre que les Apôtres seuls administrèrent le baptême aux trois mille personnes le jour de la Pentecôte. Ils durent s'adjoindre des disciples au sens large pour les aider dans cette administration. Plus tard, nous lisons que le diacre Philippe baptise (Act. Ap., 8, 12). A Corinthe également, c'était d'autres personnes, qu'on ne nomme pas, qui administraient le baptême pendant que S. Paul était dans cette ville (1 Cor., 1, 14 sq.). S. Pierre fit baptiser Cornélius et sa maison par d'autres (Act. Ap., 10, 48). Paul reçut le baptême d'un « disciple, Ananie », qui était peut-être un laïc chrétien (Act. Ap., 9, 10, 17 sq.).

Les Pères. Il résulte des plus anciens écrits patristiques que l'administration du baptême, comme au reste celle de tous les sacrements, appartenait à l'évêque. S. Ignace écrit : « Il n'est pas permis, sans l'évêque, de baptiser ou de célébrer les agapes. » (Smyrn., 8, 2). Tertullien envisage aussi des cas extraordinaires quand il écrit : « Le droit de baptiser appartient au plus haut prêtre, c.-à-d. à l'évêque ensuite au prêtre et au diacre, mais non sans l'autorisation de l'évêque, à cause de l'honneur de l'Église dont le maintien assure la paix en elle. Par ailleurs, les laïcs ont également le droit d'administrer le baptême ». Mais ce n'est que dans le cas de nécessité. Par contre, il exclut les femmes du droit de baptiser, comme le font aussi les Constitutions apostoliques (3, 9) et les conciles particuliers, à cause de 1 Cor., 14, 34. (De bapt., 17 : M1, 1218). C'est aussi l'enseignement de S. Cyprien. (Ep. 73 7). Les diacres, qui avaient dans l'ancienne Église une situation considérable, se sont vu refuser plusieurs fois le droit de baptiser ; ainsi par S. Epiphane, S. Jérôme, S. Gélase, S. Isidore de Séville. Quant à la question de savoir si un non baptise peut administrer le baptême en cas de nécessité, aucun Père n'ose y répondre affirmativement. S. Augustin attend la décision d'un concile général. (C. Ep. Perm., 2, 13, 30 : M. 43, 72). Il exprime une fois son opinion privée sur l'utilité d'un bon ministre. « Chacun - doit-on penser - reçoit un don d'autant meilleur que celui dont il le reçoit semble lui-même meilleur » (ln Joan., 6, 8). Il n'est question que d'un laïc chrétien chez Tertullien, S. Jérôme, S. Augustin, etc., ainsi que dans le can. 38 du Concile d'Elvire (306 ?). Les Grecs jusqu'ici se sont exprimés d'une manière très réservée sur le baptême administré par des laïcs et ils exigent la foi du ministre. Le Concile d'Elvire demande que le ministre laïc n'ait pas violé son propre baptême et qu'il n'ait pas été marié deux fois.

Le Pape S. Nicolas 1er (+ 867) tira les conséquences de l'évolution précédente de la doctrine sacramentaire en déclarant que même le Juif et le païen pouvaient baptiser. (Denz., 335). Mais il s'agit toujours de ministre masculin. Ce n'est qu'après l'an 1000 que l'on reconnaît aux femmes le droit de baptiser. D'après Roland (Gietl, 206), tout le monde peut baptiser validement, même la mère ; seulement ce n'est pas licite. S. Thomas reconnaît avec raison à la femme l'aptitude à baptiser, parce que le ministre principal, comme l'avait déjà exposé S. Augustin, demeure le Christ lui-même. (S. th., 3, 67, 4). La question du ministre extraordinaire du baptême a donc subi une forte évolution, mais elle a été résolue peu à peu et d'une manière très logique.

Le baptême des hérétiques au nom de Jésus est déjà considéré par l'auteur du « De rebaptismate » comme valide, même quand il y a une hérésie Christologique ; mais il est sans effet salutaire. S. Cyprien exige la foi orthodoxe pour le ministre comme pour le sujet. (Ep. 69, 12). Il attribue au Pape S. Étienne cette opinion que le baptême des hérétiques remet lui aussi les péchés.

La question du baptême par soi-même, que la Scolastique recommande plusieurs fois tout au moins et en cas de nécessité (Gillmann, « Katolik », 1912, l, 380 sq. ; 1914, l, 306) a été tranchée négativement par Innocent III, parce que, conformément aux paroles du Seigneur, il y a une différence entre le baptisant et le baptisé, qui doit être observée. (Denz., 413).

Le baptême solennel est réservé au curé ; en cas de nécessité, un autre prêtre peut l'administrer. Le diacre peut l'administrer avec la permission de l'évêque, qui peut être présumée en cas de nécessité. Le baptême sans cérémonie, en cas de nécessité, peut être administré par n'importe qui. Les enfants baptisés, en cas de nécessité, sur la tête « in utero matris » ne doivent pas être rebaptisés ; ceux qui ont été baptisés sur une autre partie du corps, doivent être rebaptisés sous condition. Cf. les manuels de droit canonique et de morale.

THÈSE. Le baptême peut être reçu validement par toute personne humaine. De foi.

Explication. Il n'y a pas de définition générale sur le sujet du  baptême ; mais notre thèse est la doctrine claire de l’Écriture et de la Tradition. Elle résulte aussi, comme conséquence immédiate, de la nécessité définie du baptême. En effet, si le baptême est nécessaire à tous pour le salut, il faut qu'il puisse être reçu par tous sans exception. Enfin le baptême des enfants a été défini à maintes reprises par l'Église. (Denz., 424, 869).

Preuve. L'ordre de baptiser (Math., 28, 19), ainsi que les paroles concernant la nécessité du baptême (Jean, III, 5), sont des expressions absolument générales. De même que personne ne peut être sauvé sans le baptême, personne n'est dépourvu de l'aptitude naturelle à le recevoir. « Vous tous, dit S. Paul, qui avez été baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ. Il n'y a plus ni Juif, ni Grec, ni homme, ni femme, mais vous êtes tous un dans le Christ Jésus. » (Gal., 3, 27 sq.).

Les Pères. Ils ont suivi, dans la doctrine et la pratique, ces textes clairs de l’Écriture. On insiste parfois davantage sur la foi que sur le sacrement. (S. Cyprien, Ep. 69, 12 ; 73, 4 ; 75, 9 ; De rebapt., 5 et 11). Il ne pouvait y avoir de controverse que sur le baptême des malades, des déments et des enfants au-dessous de l'âge de raison. Pour ce qui est des catéchumènes malades, on a déjà dit que le baptême des malades (b. clinicorum) était usité, bien que le fait de reculer le baptême jusqu'à la mort ou au danger de mort fût sévèrement blâmé. Les païens étaient baptisés en danger de mort, quand ils avaient les connaissances religieuses essentielles et qu'ils désiraient le baptême. De même, on pouvait baptiser les personnes atteintes de maladies mentales et les déments. C'est ainsi qu'en décide le premier Concile d'Orange (can. 13 et 15) de l'an 441. (Cf. Héfélé, 2, 276). Innocent III (+ 1216) décide que des personnes « endormies » ou « démentes » peuvent être baptisées quand, dans leur état normal, elles avaient l'intention de recevoir le baptême. (Denz., 411). C'est aussi l'enseignement de la Scolastique primitive. (Gillmann, Intention, passim). Bien entendu, on doit attendre les « moments lucides », quand il peut s'en produire et qu'il n'y a pas danger de mort. C'est également la prescription du Codex, dont nous parlerons à la fin du paragraphe.

THÈSE. Même les enfants qui n'ont pas l'usage de la raison peuvent et doivent être baptisés. De foi.

Explication. Nous ne rencontrons guère, dans l'antiquité, de protestation contre le baptême des enfants (pædobaptismus). Les pélagiens en niaient seulement la nécessité absolue, mais non la possibilité. Au Moyen-Age, les Vaudois et plus tard les anabaptistes et les sociniens mirent en doute la valeur du baptême des enfants. Les Réformateurs le conservèrent à cause de la coutume, mais, dans leur système du salut par la foi seule, il demeure un problème insoluble.

Le Concile de Trente a déclaré pour la première fois la nécessité et le caractère obligatoire du baptême des enfants, mais des conciles précédents l'avaient exigé maintes fois. Il enseigne « que les enfants nouveau-nés sortis du sein maternel, doivent être baptisés même s'ils sont nés de parents baptisés » (S. 5, can. 4 : Denz., 791). Ensuite, il condamne l'opinion des anabaptistes, d'après laquelle le baptême ne devrait être administré qu’à trente ans, l'âge du Christ, ou bien même seulement à l'heure de la mort (S. 7, de bapt., can. 12 : Denz., 868) ; de même, il condamne l'opinion anabaptiste, qui prétend que les enfants baptisés ne sont pas vraiment du nombre des fidèles et qu'il faut les baptiser de nouveau quand ils atteignent l'âge de discrétion, et même qu'il serait mieux de reculer le baptême jusque-là (S. 7, can. 13 : Denz., 869). On n'a pas non plus à interroger plus tard les enfants, comme l'affirmait Erasme, pour leur demander s'ils veulent garder les promesses que leurs parrains ont faites en leur nom, mais on doit les considérer comme des chrétiens complets et les exhorter à mener une vie chrétienne. (S. 7, cap. 14 : Denz., 870). Récemment, le Syllabus de Pie X a dû condamner l'opinion des modernistes, d'après laquelle « l'usage du baptême des enfants serait une évolution de la discipline et une des causes qui auraient amené la division de ce sacrement en deux parties : le baptême et la pénitence » (Denz., 2043).

Preuve. On peut tirer de l’Écriture des présomptions en faveur du fait du baptême des enfants. Il semble qu'on peut admettre que, dans les baptêmes de familles entières racontés dans les Actes des Apôtres, comme celui de la famille de Cornélius (10, 44-48), de Lydia (16, 14 sq.), du gardien de la prison de Philippe (16, 33), du chef de synagogue Crispus (18, 8 sq.), de Stéphanas à Corinthe (1 Cor., 1, 16), il y avait aussi des enfants parmi les personnes baptisées. Cette hypothèse est d'autant moins contestable que l'ordre de baptiser du Christ, ainsi que Jean, 3, 5, s'exprime d'une manière absolument générale.

Les Pères. Schermann prononce, à propos du baptême des enfants dans les premiers siècles, ce jugement pour l’époque la plus ancienne : « Nous pouvons admettre qu'on ne les portait (les enfants) au baptême qu'exceptionnellement ». (Liturgies chrétiennes primit., 268). Le baptême d'enfants est signalé pour la première fois par S. Irénée : il expose que le Christ est venu pour sauver tout le monde, « tous ceux, dis-je, qui sont régénérés en Dieu par lui, les très jeunes enfants, les petits, les jeunes et les seniors ». (A. h., 2, 22, 4). Tertullien exhorte à retarder le baptême des enfants en raison de l’instruction nécessaire qui doit précéder, mais il atteste par cette polémique que d'autres baptisaient avant. (De bapt., 14, 18). Origène dit : « L'Église a reçu des Apôtres la tradition de baptiser aussi les enfants. » (ln Ep. ad Rom., 5, 9 : M. 14, 1047). S. Cyprien peut appuyer ses insistances énergiques, pour qu'on baptise les enfants dans les trois premiers jours, sur la décision d'un concile de Carthage : « Les enfants sont, en tant qu'images de Dieu, capables de recevoir la grâce et, à cause du péché originel, ils en ont besoin ; c'est pourquoi il faut les baptiser immédiatement et ne pas attendre huit jours, comme on le faisait pour la circoncision. L'âge enfantin n'est pas un empêchement, « autrement la grâce elle-même, qui est communiquée aux baptisés, serait plus ou moins grande selon l’âge de celui qui reçoit le baptême, alors que le Saint-Esprit n'est pas accordé selon une mesure, mais selon la bonté et la bienveillance du Père, à tous également. Car de même que Dieu ne fait pas acception de personne, il ne fait pas acception de l’âge » (Ep. 64, 2 sq.). S. Hippolyte de Rome, 217, dans son « ordonnance ecclésiastique », donne cette instruction : « Les petits enfants doivent être baptisés avant (avant les adultes, le jour de Pâques). Et s'ils peuvent parler, ils doivent parler ; s'ils ne le peuvent pas encore, alors les parents ou l'un des proches doit prendre la parole à leur place » (O. E., cap. 21, a). D'Alès (67 sq.) mentionne Hippolyte et continue ainsi : « Néanmoins on ne peut parler, au temps des Pères, d'une coutume universelle et constante. S. Grégoire de Nazianze conseille d'attendre l'aurore de la raison, par exemple la troisième année, afin que l’enfant puisse garder quelque souvenir de son baptême ; lui-même constate que d'autres attendent plus longtemps, et les homélies des Pères contre les délais du baptême montrent que l’usage du baptême des enfants eut quelque peine à triompher. S. Augustin lui-même, pourtant si ferme quant à la doctrine du péché originel, hésita quelque temps. Peu à peu il s'affermit en face même de l'erreur pélagienne, dans la pensée que le don divin ne doit pas être différé ; lui aussi fait appel à une tradition apostolique ». S. Augustin répond à Pélage en s'appuyant sur la pratique : « Pourquoi baptisons-nous les enfants s'il y a pas de péché originel ? Même les enfants de parents baptisés sont baptisés ; car par la génération et la naissance se transmet le péché originel et non la grâce » (Ep. 166, 7, 21 ; cf. Ep. 98, 10 ; De pecc. mer. et rem., l, 26 ; Enchir., 43-47). S'appuyant sur S. Augustin, le Concile de Méla (416) condamne l'opinion de ceux qui disent qu'on ne doit pas baptiser les enfants au sortir du sein maternel. (Denz., 102).

Les Pères grecs ne sont pas aussi décisifs que S. Augustin au sujet du baptême des enfants ; cela dépend de leur conception du péché originel. Ainsi S. Grégoire de Naz. conseille d’attendre la troisième année (Or 40, 28 ; cf. S. Grégoire de Nysse). (Tixeront, 2, 142. Au sujet de S. Jean Chrysostome, voir S. Augustin, C. Julian., 4, 21, 22). Ils pensent plutôt au châtiment qu'au péché originel. (Cf. t. 1er, p. 326).

La Scolastique n'a plus qu'à expliquer l'usage répandu universellement. Cela n'est pas difficile quand on a une vraie notion du péché originel, lequel ne consiste pas dans une peine qui nous a été transmise par Adam, mais dans un péché avec lequel nous naissons. Il n'y a qu'au sujet des effets du baptême des enfants que les scolastiques ne sont pas entièrement d'accord. Les Pères ne faisaient pas de distinction entre le baptême des adultes et celui des enfants. S. Augustin enseigne que les enfants eux-mêmes ont déjà reçu le Saint-Esprit. (Ep. 187, 26). P. Lombard connaît cependant des scolastiques qui prétendent que le baptême des enfants efface seulement le péché originel sans conférer la grâce. Lui aussi est de cet avis. D'autres prétendent qu'il y a aussi un effet de grâce, ainsi Alexandre, S. Bonaventure et S. Thomas. Scot qui, comme on l'a montré plus haut (p. l23), sépare le pardon de la sanctification et estime le pardon possible sans la sanctification, se rangea à l'avis de P. Lombard (Schwane, 3, 608 sq).

Le Concile de Vienne déclare : « Nous tenons l’opinion, d'après laquelle la grâce informante et les vertus sont communiquées, dans le baptême, aux enfants aussi bien qu'aux adultes, comme plus probable et plus conforme aux assertions des saints (Pères) et à la théologie des nouveaux docteurs » (Denz., 483). Le Concile de Trente envisage sans doute le baptême des adultes, quand il le signale comme moyen objectif de justification et lui attribue la rémission des péchés et la sanctification (S. 6. c. 7 : Denz., 799 sq.) ; mais il considère cependant les enfants baptisés comme des chrétiens complets qui appartiennent vraiment à l'Église et comptent au nombre des fidèles ; il faut donc leur reconnaître aussi la génération complète de l'eau et du Saint-Esprit (Jean, 3, 5 ; S. 7, de bapt., can. 13). Au sujet du baptême des enfants, cf. Bellarmin, De bapt., c. 8 sq. ; Risi, De baptismo parvulorum in primitiva Ecclesia (Romæ, 1870).

Justification du baptême des enfants. Du point de vue catholique, elle n'est pas difficile. Si sa validité ne peut pas se prouver par la Bible d'une manière apodictique, il est cependant « si peu opposé à la Bible qu'au contraire il correspond parfaitement à l'esprit de la Bible », dit Pohle avec raison, en se référant à Math., 19, 14 et Jean, 3, 5. Le Christ fait venir à lui les petits enfants et déclare qu'ils sont mûrs pour le royaume des cieux. « C'était un usage allemand particulier de lire, au moment du baptême des enfants, le passage de Marc (10, 13-16) où Jésus bénit les enfants » (Hauck, Hist. de l'Église all., 5, 1 (1911), 358). On avait donc conscience que le baptême des enfants avait son fondement dans la Bible et le dogme. Sans doute, chez les adultes, on faisait précéder le baptême d'un examen précis et d'une instruction sérieuse, qui étaient suivis d'une profession de foi personnelle. S. Augustin s'est déjà prononcé, dans une lettre (Ep. 98), sur cette difficulté et les autres difficultés qui résultaient du fait particulier que les baptisés n'avaient pas l'âge de raison. Les parents et les parrains et enfin l'Église représentaient ces enfants et garantissaient leur foi. « Ces enfants sont moins amenés à la réception des dons de l'Esprit par les mains de ceux qui les portent sur leurs bras (bien qu'ils le soient également par eux s'ils sont de bons fidèles) que par l'ensemble de la communion des saints et des fidèles » (Ibid., n. 5). Ainsi l'enfant devient un fidèle, non pas par la foi qui a son fondement dans la volonté du croyant, mais par le sacrement de la foi lui-même... Quand l'enfant arrive à l'usage de la raison, il ne reçoit pas ce sacrement une seconde fois, mais il le comprend et se soumet par la décision de sa volonté à ses exigences. » Mais même s'il meurt avant d'avoir atteint l'âge de raison, le baptême le sauve et lui assure la béatitude. « Celui qui ne croit pas cela et le considère comme impossible, celui-là est manifestement infidèle. » (Ibid., n. 10).

La seconde raison principale de la licéité, de la validité, de l'utilité, voire même de la nécessité du baptême des enfants, réside dans la notion de la grâce nettement exposée par S. Augustin. La grâce est une réalité divine objective que l'âme de l'enfant est déjà apte à recevoir elle aussi. L'enfant reçoit réellement par le baptême la justification : « Cela est produit par le seul Esprit, par lequel le baptisé est régénéré... Quand donc l'eau communique extérieurement le sacrement de la grâce et que le Saint-Esprit répand intérieurement la grâce, dénoue les liens du péché et rétablit la bonté naturelle (originelle), l'homme issu d'un seul Adam est régénéré dans un seul Christ. L'Esprit de régénération est donc, dans les adultes qui portent l'enfant au baptême et dans le petit baptisé régénéré, un seul et même Esprit... Il peut se faire que, dans tel et tel être humain, l'unique Esprit se trouve, alors même que tous les deux ignorent par qui ils ont reçu la même grâce » (Ibid., n. 2).

On objecte contre la foi représentée par l'Église (parrains, parents) que c'est une foi étrangère et qu'elle ne peut pas lier le baptisé, toute sa vie, sans son consentement. Harnack appelle cette foi - à laquelle Luther lui-même se rattachait pour défendre le baptême des enfants contre les anabaptistes, tout en insistant simplement sur le commandement de Dieu au sujet du baptême - « la pire forme de la fidei implicita ». (H. D., 3, 882). Pour ce qui est de la foi, il faut répondre que l'enfant, (et l'homme en général), ne reçoit pas la grâce sacramentelle en vertu de ses dispositions, mais uniquement par le sacrement en tant que tel (ex opere operato), pourvu qu’'il n’oppose pas d'« obex » : or l'enfant ne peut pas en opposer. La foi des parrains garantit l’éducation religieuse de l’enfant et le développement normal de sa foi personnelle, en vertu de la grâce de foi qu'il a reçue (habitus fidei). Pour ce qui est de l'autre point, à savoir que l'enfant sans raison qui a été baptisé est lié par une volonté étrangère, il faut répondre qu'il serait sans doute injuste de lier un autre, sans son consentement, à des devoirs d'état tout à fait particuliers du christianisme, comme à l'état de prêtrise, à l'état de mariage ou à la virginité ; mais, par contre, on peut très bien être engagé, avant l'âge de raison, par la volonté des parents (des parrains, de l'Église), aux devoirs généraux des chrétiens. Et la raison c'est que ces devoirs sont imposés à tous les hommes par Dieu, la plus haute autorité. Celui qui croit et est baptisé, sera sauvé ; celui qui ne croit pas sera condamné. (Marc, 16, 16).

Flügge a pu réunir « les témoignages de cent théologiens » du néo-protestantisme contre le baptême des enfants (1921). On comprend que, dans ces conditions, le néo-paganisme se développe de lui-même.

La nécessité de dispositions pour le baptême ressort de ce qui a été dit plus haut de la préparation à la justification. Pour les enfants, on ne demande qu'une profession de foi, pas d'actes de pénitence ; la profession de foi est faite par les parrains. Il reste donc les adultes. L’Écriture exige d'eux, d'une manière très nette, des dispositions : la foi (Math., 28, 19 ; Marc. 16, 16 ; Act. Ap., 8, 37) et la pénitence (Act. Ap., 2, 38 ; 3, 19 ; 19, 18). C'est pourquoi on faisait précéder le baptême de l'instruction chrétienne. (Act. Ap., 2, 22-38 ; 8, 12, 35 ; 10, 34-44 ; 16, 14 sq., 31 sq. ; 18, 8 sq.).

Parmi les œuvres de pénitence, on comptait surtout la prière et le jeûne. On a pour cela le témoignage de la Didachè (7, 4), de S. Justin (Apol., 1, 61), de Tertullien (De bapt., 20). A cela s'ajoutait une confession des péchés comme pour le baptême de Jean (Math., 3, 6) et cela se faisait déjà pour le baptême chrétien au temps des Apôtres (Act. Ap., 2, 38 ; 19, 18) ; on a pour cela le témoignage de Tertullien (De bapt., 20), de S. Ambroise (ln Luc, 6, 2 sq.), de S. Cyrille (Cat., 1, 5). Tertullien apprécie beaucoup la pénitence avant le baptême (De pœn., 6). S. Thomas considère une confession générale comme suffisante et veut qu'une confession particulière soit laissée au gré du baptisé (S. th., 3, 68, 6). Le Concile de Trente décrit la préparation de l'adulte à la justification de la manière qu'on a exposée ci-dessus (S. 6, c. 6).

Que l'adulte doive manifester l'intention de recevoir le baptême, cela a déjà été dit plus haut (§ 163). Cette intention résulte déjà des actes de préparation. La conséquence, c'est que le baptême doit être reçu librement et que personne ne doit être forcé à le recevoir (S. th., 3, 68, 7 et 10). Les premiers Scolastiques n'avaient pas encore sur ce sujet des notions bien claires. Ainsi Gratien juge qu'un juif baptisé malgré lui est validement baptisé et Sicard de Crémone pense que, pour le baptême, ni le ministre, ni le sujet ne sont tenus d'avoir une intention (Cf. § 162).

Le « baptême de feu » (Math., 3, 11 ; Luc, 3, 16) fut entendu à la lettre par les hérétiques gnostiques. Des Pères de l'Église (S. Hilaire, S. Ambroise, S. Jérôme, Raban, etc.) l'entendent, avec Origène, des châtiments purificateurs du jugement dernier (purgatoire), par lesquels les pécheurs seraient encore sauvés. Origène dit : « Le saint, il le baptise dans le Saint-Esprit ; quand à celui qui, après avoir accepté la foi et reçu le Saint-Esprit, a péché de nouveau, il le baptise dans le feu » (Dict. théol., 2, 355-360). Le feu, dans l’Écriture, est d'ordinaire le symbole de la séparation, de l'examen, du jugement (Cf. l'Eschatologie, § 213 sq).

Le baptême pour les morts, dont parle S. Paul (1 Cor., 15, 29), a été interprété de diverses manières : 1° La critique libérale affirme que l'Apôtre manifeste ici sa croyance à la magie sacramentaire païenne, à l'« opus operatum » mécanique ; 2° Quelques catholiques prétendent qu'il y avait réellement, à Corinthe, un baptême pour les morts et que S. Paul, sans l'approuver ni le désapprouver, en tire simplement un argument « ad hominem » ; 3° D'autres catholiques comprennent les « morts » au sens spirituel et appliquent l'état de mort à ceux qui se font baptiser ; on ne se fait baptiser en effet que pour la résurrection. - Le baptême des morts a d'ailleurs toute une histoire, chez les catholiques, surtout en Afrique, même encore au temps de S. Augustin (Op. Imperf., 6, 38 : M. 45, 1597) et de S. Fulgence (Ep. 11, 4 et 12, 20 :M. 65, 379 et 383), et en Allemagne, au temps de Burchard de Worms (1000-1025 : De mortuis non baptizandis, 4, 37 : M. 140, 734), de même que chez les hérétiques ; chez les premiers, il fut combattu comme un abus ; chez les seconds, il fut entretenu comme un sacrement (Dict. théol., 2, 360-364).

Le baptême « in utero matris » est considéré par S. Augustin et S. Thomas comme impossible (S. th., 3, 68, 11). Suarez le considère comme possible (Comm. in hunc locum). L'enfant ne doit être baptisé « in utero matris » que lorsqu'il n'y a pas moyen de faire autrement ; si l'enfant a été baptisé sur la tête, on n'aura ensuite qu'à compléter les cérémonies ; sinon on devra le rebaptiser sous condition, parce qu'il n'a pu être baptisé sur une autre partie que conditionnellement. Ceux qui sont « nés prématurément » doivent être baptisés sans condition, « si certe vivant », et sous condition, « si dubie ». Cela s'applique également aux « monstra ». Les enfants trouvés doivent être rebaptisés sous condition, si on ne peut pas acquérir la certitude de leur baptême. Les déments et les idiots doivent être baptisés s'ils sont tels depuis leur naissance, sinon on ne peut les baptiser que si, dans leurs « moments lucides », ils le désirent. En danger de mort, on doit les baptiser s'ils l'ont désiré auparavant (Cf. C. J. C., can. 746 sq.).

L'habitude de donner au baptisé un nouveau nom ne s’introduisit que peu à peu. Au début, on continuait à porter les noms païens souvent empruntés aux dieux, même là où on identifiait ces dieux avec les démons. C'est que l'usage avait fait perdre plus ou moins à ces noms leur sens primitif. Caracalla permit, en 212, aux citoyens romains de choisir de nouveaux noms et les chrétiens, eux aussi, profitèrent de cette permission. Ils choisirent souvent des noms qui indiquaient des particularités chrétiennes, tels qu'on en avait déjà portés parfois auparavant d'une manière privée : Theophoros (Ignatius), Victor, Gaudentius, Théodore, Théophane, Théodule, Irénée, Credula, Renata, Bonifatia, Dorothea, etc. Mais on rencontre aussi des noms de mauvais goût dans les signatures d'actes chrétiens, même des noms de bêtes. Enfin le Rituel romain, qui se réfère au Concile de Trente, prescrivit de donner au baptisé un nom de saint qu'il devra imiter.

Le droit de donner un nom appartient aux parents et non au baptiseur. Quand les parents donnent un nom qui n'est pas chrétien, le curé doit ajouter un nom chrétien et l'inscrire (C. J. C., can. 761).

Baptême et Confirmation vers l'an 200 : Aperçu général.

On peut suivre la connexion historique et liturgique entre le baptême et la Confirmation depuis les Actes des Apôtres. Il en est de même de la connexion théologique : On enseigne que les deux sacrements ont comme effet la communication du Saint-Esprit. Bien plus, ils portent souvent le même nom dans la doctrine de l’Écriture et des Pères.

S. Justin décrit, vers 150, l'administration du baptême (Apol., 1, 61 et 65). Il était déjà précédé d'un enseignement religieux, de jeûnes et de prières, avec le concours de toute la communauté. Le catéchumène était conduit « vers un endroit où il y avait de l'eau » ; il y était plongé au nom de la Trinité, recevait la « régénération » conformément à Jean, 3, 3, et était lavé de tous ses péchés. Ensuite commençait la messe de baptême. Nous trouvons des renseignements plus détaillés dans l'O. E. d'Hippolyte de Rome (217), dont on doit rapprocher Tertullien (De bapt.), S. Cyrille de Jérus. (Cat. myst., 1-3) et quelques prières de Sérapion. Le simple bain d'eau du temps des Actes et de S. Justin est devenu une riche cérémonie liturgique, rehaussée encore par son union avec la fête de la Résurrection du Seigneur. Pâques est le grand jour de baptême de l'antiquité chrétienne ; ce n'est que plus tard qu'on y adjoignit la Pentecôte et l’Épiphanie (Noël). La grande affluence qui se produisit bientôt obligea l'Église à examiner et à trier sérieusement les candidats (scrutin) L'« instruction » signalée par S. Justin s'étendit et devint un enseignement de trois ans : ainsi se forma l'institution du catéchuménat. Le catéchuménat, comme la discipline pénitentielle, était entièrement soumis à la direction de l'évêque. Il se divisait en deux parties : le catéchuménat au sens large et le photisoménat (competentes). Le premier, en règle générale, durait trois ans et ne pouvait être abrégé qu'en raison d'un grand zèle et d'une pénitence singulière ; le second s'étendait, par delà le Carême, jusqu'à Pâques. Pour entrer parmi les catéchumènes, il fallait se présenter à l'évêque, assisté de témoins ; l'évêque, après avoir examiné les raisons de la demande, inscrivait le candidat sur un registre. On excluait les tenanciers de maisons publiques, les prostituées, les souteneurs, les eunuques, les pédérastes, les fabricants d'idoles, les comédiens, les magiciens, les astrologues, les interprètes des songes, les gladiateurs, les prêtres des idoles. Quand il s'agissait d'adultes, on examinait leur situation matrimoniale. Les concubinaires devaient se marier, ou bien ils étaient renvoyés. L'avortement était considéré comme un meurtre. Il n'était pas permis, en entrant au catéchuménat, de donner de l'argent au prêtre ; Hippolyte appelle cela de la simonie. Des prières spéciales étaient faites pour les catéchumènes par les catéchètes et par les fidèles. Ils assistaient à la messe jusqu’à l'offertoire (messe des catéchumènes). Dans le photisoménat, il y avait chaque jour des exorcismes. Quelques jours avant le baptême (dimanche des Rameaux), l’évêque transmettait aux « competentes » du photisoménat la profession de foi. Il la prononçait devant eux et ils devaient la graver dans leur mémoire (traditio symboli) ; il était rigoureusement interdit de la transcrire. Au moment du baptême, ils devaient réciter cette profession de foi (redditio symboli). Le Vendredi-Saint était célébré dans la tristesse et le jeûne ; le Samedi-Saint, l'évêque priait avec les candidats au baptême, les instruisait encore une fois sur les saints mystères auxquels désormais ils participeraient et conjurait de nouveau les mauvais Esprits. A cette conjuration était unie la renonciation solennelle au diable (abrenuntiatio satanæ). On veillait ensuite toute la nuit avec les futurs baptisés jusqu'à l'aurore baptismale du jour de Pâques, qui commençait « au premier chant du coq ». Alors l'évêque bénissait les fonts baptismaux, afin de chasser les démons de l'eau. « Il faut que l'eau soit purifiée et sanctifiée d'abord par l'évêque, afin qu'elle puisse effacer à son contact les péchés » (S. Cyprien, Ep. 70, 1). L'évêque procédait alors au baptême dans le baptistère, aidé par des prêtres et des diacres (et des diaconesses, à cause des femmes qui étaient baptisées). On baptisait d'abord les enfants, puis les hommes et enfin les femmes. Une femme qui aurait eu ses règles devait être baptisée un autre jour. La personne qui allait être baptisée descendait nue dans l'eau ; on lui posait la triple interrogation sur la foi et après chaque réponse on la plongeait dans l'eau (Tert., De corona, 3). Un prêtre oignait ensuite le nouveau baptisé qui pouvait alors revêtir ses habits et entrer dans l'Église où il recevait le baiser de paix de l'évêque (S. Cyprien, Ep. 64, 4) et était admis dans la communauté.

Ensuite suivait immédiatement l'administration de la Confirmation par l'imposition des mains, la prière et l'onction. L'évêque faisait couler de l'huile bénite par lui dans sa main et la mettait sur la tête du confirmand en disant : «  Je t’oins d’huile sainte en Dieu le Père tout-puissant et dans le Christ Jésus et dans l’Esprit Saint ». Cette onction devait être faite par l'évêque lui-même. Il n'est pas dit dans l'O. E. qu'on pouvait la confier à un prêtre. « Et en le signant sur le front (consignans in frontem) qu'il (l'évêque) offre le baiser et dise : Le Seigneur soit avec toi. Et que celui qui est signé (signatus) dise : Et avec ton esprit. ». Quand tous les baptisés avaient été confirmés, ils priaient pour la première fois, comme chrétiens complets, avec toute l'Église. Et alors commençait la messe de baptême.

La messe de baptême. S. Justin la distingue déjà de la messe du dimanche (Apol., 1, 65). Elle contenait des prières spéciales pour les néophytes ; ils recevaient, pour la première fois et de la main de l'évêque, l'Eucharistie. Après l'administration de l'Eucharistie, les néophytes recevaient immédiatement un vase contenant du lait et du miel, lequel, d'après l'O. E. (c. 23), signifiait que le nouveau chrétien était entré dans le Chanaan spirituel où coulent le lait et le miel, « car c'est aussi comme du lait et du miel que le Christ a donné sa chair par laquelle les fidèles sont nourris comme des enfants à la mamelle, alors que, par la douceur de sa parole, il adoucit les amertumes du cœur ». Clément d'Alexandrie explique un peu différemment le lait et le miel. Mais ce lait et ce miel ne furent jamais considérés comme des « éléments de la Cène » et disparurent au 6ème siècle. A la fin de la cérémonie, l'évêque révélait et expliquait complètement les mystères reçus sous l'effet d'une impression religieuse puissante et, à ce sujet, Hippolyte se réfère manifestement à Apoc., 2, 17. Les nouveaux chrétiens portaient les habits blancs qu'ils avaient reçus au baptême jusqu'au « dimanche blanc » (Dominica in albis). Cf. D'Alès, Baptême et confirmation (1928).

CHAPITRE 2 : La confirmation

 

A consulter: S. Thomas, S. th., 3, 72, 1-12. S. Bellarmin, De sacram. confirmationis, c. 1-27 (De controv. fidei, 3, Venet., 1721, 156 sq.). Orsi, De chrismate confirmatorio (Rome, 1733). Vitasse, De sacram. confirm. (Migne, Cursus complet., 201, 546 sq.). Gerbert, De sacramentis præsertim de confirmatione (S. Blasii, 1764). Bertieri, De sacram. in gen. baptismo et confirm. (Vindob., 1774). Janssens, La confirmation, exposé dogmatique, historique et liturgique (1888). Galtier, La consignation dans les Églises d'Occident (Rev. d'hist. ecclés., 1912, 257-301). De Puniet, Onction et confirmation (ibid., 450-466). Jugie, La réconfirmation des apostats dans l'Église gréco-russe (Écho d'Orient, 1906, 65 sq.). Coppens, L'imposition des mains et les rites connexes dans le Nouveau Testament et dans l’Église ancienne (1925). Vacant, Confirmation (Dict. de la Bible, 2, 919 sq.). D'Alès, Baptême et Confirmation (1928). C. J. C., can. 780-800.

§ 171. Notion, désignation, institution

Notion. La Confirmation est un sacrement dans lequel le baptisé reçoit le Saint-Esprit pour être fortifié dans sa vie intérieure de foi, encouragé et enflammé pour la profession extérieure de cette foi.

Il n'y a pas de définition concordante des théologiens ; pour la pratique, il faut s'en tenir au catéchisme diocésain. S. Thomas appelle la Confirmation le « sacrement de la plénitude des grâces », de l’« achèvement du salut » (S. th., 3, 72, 1) et la définit « le sacrement par lequel une force spirituelle est conférée au régénéré et qui, d'une certaine manière, l'arme en vue des combats pour la foi du Christ » (C. Gent., 4, 60). Les théologiens n'étant pas d'accord sur le signe sensible, ce signe n'est pas mentionné dans la définition. Cf. Eugène IV dans son décret pour les Arméniens (Denz., 697). Le sens de la définition résulte des effets.

Les désignations du sacrement varient dans l'Église. Le mot confirmation vient de « firmare », « confirmare ». D'après ses relations avec le baptême, dont elle est le complément, la Confirmation s'appelle τό τέλειον, ἡ τελείωσις, « perfectio, consummatio » et aussi, comme le baptême  σφραγίς « signaculum, sigillum » [marque distinctive, sceau]. D'après le signe extérieur, elle est appelée imposition des mains ἐπίθεσις χειρῶν, χειροθεσια, Act. Ap., 8, 17 ; Hébr., 6, 2) et onction (τό μύρον, τὸ μυστήριον τοῦ μύρου, sacramentum chrismatis, unctionis). Cf. aussi 2 Cor., 1, 21 sq. : « Celui qui nous rend solides pour le Christ dans nos relations avec vous, celui qui nous a consacrés, c’est Dieu ; il nous a marqués de son sceau, et il a mis dans nos cœurs l’Esprit ». D'après le rite, la Confirmation s'appelait au début « imposition des mains » (Tertul., Cypr.). Vers 220 (Hippolyte, O. E.) apparaît à Rome l'onction et le nom « consignatio » (de l'onction « in fronte »). Ce rite est prédominant à partir de 400. Par contre, à l'époque de la renaissance carolingienne, se produit une réaction et la « manus impositio » prévaut. C'est alors que se répand le nom Confirmation qui se trouve déjà chez S. Léon 1er. En Orient dominait l'onction, parfois, comme en Syrie, exclusivement, comme c'est encore le cas aujourd'hui chez les Grecs schismatiques : « Leur sentiment reflète celui de l'Église grecque avant le schisme » (D'Alès, 153). - Il n'existe pas de monographie sur la Confirmation à l'époque patristique ; on l'étudie théoriquement et pratiquement avec le baptême. Pendant longtemps on n'a pas songé à une preuve d’Écriture selon notre manière. La Scolastique accepta purement et simplement le sacrement tel qu'il était proposé par l'usage et la foi de l'Église et examina sa nature. Umberg dit à propos de ce point : « Malheureusement il s’est passé beaucoup de temps avant que la théologie catholique se rendît compte de cette tâche et encore plus, avant qu'elle ne s’y consacrât. » (p. 13). S. Bellarmin fut le premier à l'entreprendre. « Un regard sur le 17ème et le 18ème siècles nous montre que les théologiens, pendant tout ce temps, n'ont guère fait avancer la question de la nature sacramentelle de la Confirmation » (P. 43).

THÈSE. La Confirmation  est un véritable sacrement de la Nouvelle Alliance, institué par le Christ.      De foi.

Explication. Comme les Réformateurs rejetaient la Confirmation - Calvin la traite avec une haine particulière (Bellarmin, De sacram. Confirm., c. 1) - le Concile de Trente définit : « S. q. d. que la Confirmation, en ceux qui sont baptisés, n'est qu'une cérémonie vaine et superflue ; au lieu que c'est proprement, et en effet, un véritable Sacrement ; ou qu'autrefois ce n'était autre chose qu'une espèce de Catéchisme, où ceux qui étaient prêts d'entrer dans l'adolescence, rendaient compte de leur créance, en présence de l’Église : Qu'il soit anathème.) (S. 7, de confirm., can. 1 : Denz., 871) et : « S. q. d. que ceux qui attribuent quelque vertu au Saint Chrême de la Confirmation font injure au Saint Esprit : Qu'il soit anathème » (Can. 2). L'institution par le Christ est contenue dans la définition concernant tous les sacrements. (S. 7. can. 1 : Denz.. 844). Pie X a condamné la proposition des modernistes affirmant qu'au temps apostolique la confirmation n'était pas encore un sacrement indépendant, distinct du baptême. (Denz., 2044).

Preuve. Le Christ a promis à maintes reprises aux Apôtres l'envoi du Saint-Esprit. (Jean, 14, 26 ; 16, 7, 13). Il leur a donné cet avis : « Demeurez dans la ville jusqu'à ce que vous soyez revêtus de la force d'en haut » ( Luc, 24, 49), et il leur a assuré : « Vous serez baptisés dans l'Esprit-Saint sous peu de jours. » (Act. Ap., l, 5). Or cela ne devait pas s'entendre seulement de l'Esprit charismatique pour l'activité missionnaire, mais de l'Esprit sanctifiant qu'il avait promis à tous les fidèles comme principe de la vie nouvelle. « Celui qui croit en moi, des fleuves d'eau vive couleront de son cœur, comme dit l’Écriture. Il dit cela de l'Esprit que devaient recevoir ceux qui croyaient en lui ; car l'Esprit n'avait pas encore été donné, parce que Jésus n'était pas encore glorifié » (Jean, 7, 38 sq.). L'accomplissement de cette promesse se fit au jour de la Pentecôte (Act. Ap., 2, 1-4). Après cette communication merveilleuse du Saint-Esprit, nous apprenons bientôt que les Apôtres le communiquaient à leur tour aux baptisés, d'une manière ordinaire, par l'imposition des mains. Les Actes nous rapportent : « Les Apôtres, restés à Jérusalem, apprirent que la Samarie avait accueilli la parole de Dieu. Alors ils y envoyèrent Pierre et Jean. À leur arrivée, ceux-ci prièrent pour ces Samaritains afin qu’ils reçoivent l’Esprit Saint ; en effet, l’Esprit n’était encore descendu sur aucun d’entre eux : ils étaient seulement baptisés au nom du Seigneur Jésus. Alors Pierre et Jean leur imposèrent les mains, et ils reçurent l’Esprit Saint » (8, 14 sq.). Nous avons ici tous les éléments de la notion du sacrement : le signe extérieur, l'imposition des mains, la grâce intérieure du Saint-Esprit et le caractère habituel de l'administration. (Cf. Act. Ap., 8, 18 sq.).

Que faut-il penser de l'institution par le Christ ? Pour cela, nous n'avons pas de témoignage formel. On peut ou bien rappeler les lacunes de l’Évangile et voir dans Act. Ap., l, 3, au moment des instructions sur le royaume de Dieu, le moment de l'institution, ou bien soutenir que, par sa promesse, le Christ a suffisamment préparé et précisé le sacrement et qu'il a laissé à ses Apôtres le soin d'en ordonner le rite. Les deux conceptions sont admissibles.

Mais il est certain que les Apôtres n'ont pas, de leur propre autorité et sans mission du Christ, accompli un rite qui conférait le bien le plus élevé qui distinguât le christianisme primitif du judaïsme et qui ne pouvait être administré que par un Apôtre. L'ordre donné par Jésus est également démontré par l'assurance et le caractère habituel de l'administration. S. Luc en parle encore une seconde fois. Des disciples de Jean, à Éphèse, se font « baptiser au nom de Jésus ». Et quand Paul leur eut imposé les mains, le Saint-Esprit vint sur eux (Act. Ap., 19, 5 sq.). L'Apôtre administre la Confirmation, qui se distingue nettement du baptême, bien qu'elle soit en étroite relation avec lui. Elle est, visiblement, le complément du baptême. C'est ce qu'indique, en tout cas, son ministre supérieur, apostolique. La nature sacramentelle de la confirmation est donc établie par l’Écriture. S. Luc peut écrire d'une manière générale « que par l'imposition des mains des Apôtres le Saint-Esprit était conféré » (Act. Ap., 8, 18). L’Épître aux Hébreux nomme l'« imposition des mains » à côté du baptême, parmi les actes d'initiation du chrétien (6, 1 sq.).

Les protestants critiquent vivement les textes où il est question de la Confirmation et cherchent à leur enlever leur force. Luthardt écrit à ce sujet : « Sans doute Act. Ap. (8, 14-17) passait, dans l'ancienne Église, depuis le 3ème siècle, pour le texte biblique qui fonde le sacrement de confirmation ». Sans doute ! Que prouverait alors ce passage ? Il prouve si nettement la Confirmation que la théologie libérale le reconnaît ouvertement (Holtzmann : « Nous avons ici le point de départ du « sacramentum confirmationis » ultérieur » Manuel de la théologie du N. T., 1, 382). C'est pourquoi elle en place l'origine au 2ème siècle, à l'époque où il y aurait eu, pour la première fois, des degrés hiérarchiques, dont les « sources » chrétiennes primitives, c.-à-d. les textes mutilés, ne sauraient rien. Mais Harnack place les Actes vers l'an 60. (Nouvelles recherches sur les Act. Ap. (1911), 63 sq.). D'autres, comme Feine, Clemen, Jüngst, considèrent le passage comme une « interpolation », selon la méthode connue, qui consiste à déclarer « interpolé » tout ce qui gêne. C'est la « science sans préjugé », distincte de la science catholique qui est liée au dogme. Behm met en garde contre ce procédé radical : « On s'embrouille dans un enchevêtrement inextricable et tout terrain historique se dérobe sous les pieds » (Imposition des mains, 26 sq.). « La considération du baptême et de l'Esprit présente de réelles difficultés que reflète Act. Ap., 8, 14 sq. », dit encore Behm (Ibid). « Il reste que le récit est très singulier et étrange : l'entrée normale et unique dans le christianisme se divise nettement en deux actes, distincts l'un de l'autre par le temps et le changement des personnes qui agissent. » (Ibid). Behm ne croit pas qu'il faille « renoncer » complètement à l'explication et pense, « avec Feine, Clemen et Harnack, remarquer nettement dans le v. 14 une suture », c.-à-d. que les sources auraient été brouillées et il en résulterait cette difficulté regrettable et insoluble. On ne pourrait pourtant pas admettre, ni chez Philippe, ni chez les Samaritains, une déficience du baptême qui aurait eu besoin d'être complété.

Quant aux catholiques, ils admettent cette « déficience » du baptême. Sans doute le baptême de Philippe était en soi parfait et produisait, comme c'est dit partout dans les sources du Nouveau Testament, la rémission des péchés et la communication du Saint-Esprit. Mais il y avait et il y a précisément des degrés dans la communication du Saint-Esprit, et sa plénitude n'était conférée que par l'imposition des mains des Apôtres ; c'était véritablement une « fonction apostolique réservée ». La déficience n'était pas chez ceux qui avaient reçu le baptême, comme si leur foi avait été faible, car il est dit justement qu’ils avaient « accepté » la parole de Dieu. Avec ce passage concorde Act. Ap., 19, 5 sq. : Le baptême de Jean n'est pas le baptême chrétien. On ne nous dit pas qui leur administra le baptême chrétien, mais on dit expressément ensuite que Paul, l'Apôtre, leur imposa les mains et « l’Esprit Saint vint sur eux et ils parlaient en langues et ils prophétisaient ». Mais ces derniers dons n'étaient que des effets accidentels. L'essentiel pour l'Apôtre, c'est qu'ils étaient devenus des chrétiens complets. On objecte que les Actes ne connaissent encore pas le saint Pneuma comme principe interne de vie, mais seulement comme charisme merveilleux et que ce sont les Épîtres pauliniennes qui ont enseigné, les premières, la doctrine éthique du Pneuma. On peut répondre à cette objection en alléguant les passages suivants des Actes des Apôtres : 2, 38 ; 5, 32 ; 9, 17 sq. ; 10, 44 sq. ; dans ces textes, les Actes enseignent que tous les chrétiens normaux ont, en tant que tels, l'Esprit ; l'Esprit en fait des chrétiens et non des thaumaturges.

De même, le texte de l’Épître aux Hébreux (6, 1 sq.) compte l'imposition des mains (έπίθεσις χειρῶν) avec le baptême (βάπτισμα) parmi les actes d'initiation du christianisme en général et non parmi les moyens charismatiques. L'un et l'autre posent le fondement (θεμέλιον) de l'état chrétien. C'est ce que reconnaissent parfois les protestants eux-mêmes (Behm, 40 sq.). D'après ce passage, l'enseignement préparatoire à la Confirmation constitue, avec l'enseignement préparatoire au baptême, une des parties les plus anciennes de la doctrine chrétienne.

Synthèse. D’après l’Écriture, l’Ancien Testament (Joël, S. Jean-Baptiste) a déjà promis l’Esprit ; le Christ l’a directement promis à ses Apôtres et à tous ses disciples comme bien de la Rédemption. L’Esprit descendit d’une manière merveilleuse au jour de Pentecôte et parfois encore sur les fidèles ; d’une manière ordinaire, il fut conféré par les Apôtres, à côté du baptême qui le communiquait lui aussi comme don initial, et cette collation se faisait par le rite séparé de l’imposition des mains, par laquelle on recevait l’Esprit comme don complet et dans sa plénitude. Ils le conféraient pour une fin éthique et non pas, même en premier lieu, pour une fin charismatique. A l’imposition des mains était unie la prière. C’était donc un rite sacramentel.

Les Pères. Ce rite, largement et clairement exposé dans le Nouveau-Testament, de la communication du Saint-Esprit par l’imposition des mains, demeura naturellement dans l’usage universel de l’Église. Il est vrai qu’il faut attendre environ 150 ans pour entendre de nouveau quelque chose de précis à ce sujet. Ni la Didachè ni S. Justin, qui s’étendent assez longuement sur le baptême et l’Eucharistie, ne parlent d’une manière nette de l’imposition des mains. Cela tient à ce que, au début, alors que l’évêque administrait tous les sacrements, la Confirmation était administrée en même temps que le baptême. Mais, dès que l’administration du baptême par les prêtres se généralisa (depuis environ 200 à 250), nous entendons parler, d’une manière précise, de la Confirmation administrée désormais séparément, comme un sacrement réservé à l’Évêque. S. Irénée dit d’une manière générale : « Ceux à qui ils (les Apôtres) imposaient les mains recevaient le Saint-Esprit qui est le pain de vie » (A. h., 4, 38, 2). Mais Tertullien fait connaître que l’imposition des mains sacramentelle était d’un usage général dans l’Église : « Au sortir du bain baptismal, nous sommes oints de l’onction sacrée, selon l’ancienne coutume… Ensuite vient l’imposition des mains, au moyen de laquelle, par une parole de bénédiction, le Saint-Esprit est appelé et invoqué sur nous » (De bapt., 7 sq. ; cf. De resurr. carn. 8, voir plus haut p. 231, et De præscr., 36). S. Cyprien écrit à propos du texte des Actes (8, 17) : « Cela se fait encore chez nous ; on présente ceux qui ont été baptisés aux chefs de l’Église, afin que, par notre prière et l’imposition de nos mains, ils reçoivent le Saint-Esprit et, par le signe du Seigneur, ils obtiennent l’achèvement » (Ep. 73, 9). Quand il nomme (Ep. 63, 5) le baptême et l’Eucharistie comme sacrements d’initiation, il songe aussi à la Confirmation en parlant du baptême. Avec les Pères, bien que ce ne soit pas d’une manière exclusive, il attribue au baptême l’ablution et à la Confirmation la communication de l’Esprit. D’après Clément d’Alexandrie, on reçoit avec le baptême « le don complet » de l’Esprit (Pæd., 1, 6). Origène juge de même (In Lev. Hom. 8, 11). S. Cyrille de Jérus. consacre à la confirmation une catéchèse : « De la même manière (que le Christ dans le Jourdain) vous aussi, quand vous êtes sortis de l’eau du bain sacré, vous avez reçu l’onction qui est l’image de celle dont le Christ fut oint, à savoir le Saint-Esprit (Cat. Myst. 3, 1). Cf. le pseudo-Ambroise (De sacram., 3, 2), S. Ambroise (De myst., 6), S. Augustin (C. litt. Pet., 2, 104, 239), S. Jean Chrysostome (In Act. Ap., 18, 3) et la preuve complète de Tradition dans Doelger. S. Augustin n’aurait eu que peu d’estime pour la « manus impositio » (Behm, 81), pourtant il écrit nettement : « L'onction spirituelle n'est autre que le Saint-Esprit, et son sacrement consiste dans l'onction extérieure ». (In Joan., tr. 3, n. 5 ; cf. n. 12). Le Christ a été oint du Saint-Esprit « non certes avec de l’huile visible, mais par le don de la grâce, symbolisé par le parfum dont l’Église oint les baptisés » (De Trin., 15, 26, 46). « Ils priaient pour faire descendre (l’Esprit-Saint) sur ceux à qui ils imposaient les mains, mais ils ne le donnaient pas. Et cet usage, l’Église le maintient encore par ses pontifes » (Ibid.).

La Scolastique n’était pas unanime sur la sacramentalité de la Confirmation. Dans la question de l’institution, que les Pères n’avaient pas posée d’une manière précise, les opinions étaient divergentes. Abélard et son École prétendaient que la Confirmation avait été instituée par les Apôtres ; d’autres attribuaient l’institution à l’Église. S. Thomas signale ces opinions et les repousse pour se rattacher à une troisième qui est aussi celle de son maître S. Albert le Gr. D’après lui, la Confirmation a été instituée par le Christ lui-même. Il dit : Le Christ a institué ce sacrement, non pas en le présentant effectivement, mais en le promettant, d’après Jean XVI… Car dans ce sacrement est donnée la plénitude de l'Esprit, plénitude qui ne devait pas être conférée avant la Résurrection et l'Ascension du Christ, d'après Jean VII : L'Esprit n'avait pas encore été donné parce que Jésus n'avait pas encore été glorifié » (S. th., 3, 72, 1).

Les Réformateurs prétendirent, en rejetant la Confirmation, revenir à la foi des Premiers siècles. Les témoignages cités, et qui proviennent des deux Églises, de l’Église d'Orient comme de l’Église d'Occident, et que nous aurions pu multiplier, nous montrent ce qu'il faut penser de cette affirmation des adversaires. Luther comptait encore en 1520 la Confirmation au nombre des sacrements (Baptême,Confirmation, Pénitence, Onction, etc.) ; plus tard, il abandonna son institution divine. Mélanchton, Chemnitz et d'autres la considérèrent comme une cérémonie catéchétique, et d'ailleurs les protestants actuels ont encore une « confirmation » qui consiste dans le renouvellement des promesses du baptême et dans une instruction sur la foi. La Confession d'Augsbourg dit : « La Confirmation et l'Extrême-Onction sont des cérémonies qui nous viennent des anciens Pères et que l'Église elle-même n'a jamais considérées comme nécessaires au salut. Car elles n'ont ni l'ordre ni le commandement de Dieu » (Art. 13 ; Muller, 203).

Au sujet de l'origine de la Confirmation, les protestants modernes ne sont pas d'accord. Harnack pense que ce sacrement a acquis son indépendance par ce fait qu'en Occident il était administré par l'évêque (H. D., 3, 471). On pourrait lui demander comment il a acquis son indépendance en Orient où il est administré par le prêtre. D'autres disent que l'Église primitive a fait du rite de la communication des charismes le rite sacramentel de la communication du Saint-Esprit. A cette conception s'opposent toutes les Épîtres pauliniennes et même les Actes des Apôtres ; cf. 2, 38 ; 5, 32 ; 9, , 17 sq. ; 10, 44 sq. L'Église primitive ne connaissait pas de rite de communication des charismes ; les charismes reposaient sur l'action spontanée et absolument incontrôlable de l'Esprit. D'autres disent que ce sacrement a été emprunté aux impositions des mains de l'Ancien Testament. Sans doute, le rite en soi a pu être emprunté à l'Ancien Testament, mais l'effet qui est la communication du Saint-Esprit procède uniquement de Dieu. Enfin on cherche, dans l'histoire des religions, des parallèles et des emprunts. Clément d'Alex. sait que les gnostiques usaient de l'imposition des mains au moment du baptême (Excerpta ex Theod., 22, 5), mais c'était là une imitation de l'usage chrétien vers 150. Les Mandéens, eux aussi, connaissaient une imposition des mains après le baptême. Behm fait, à ce sujet, cette remarque contradictoire : « Au sujet du sens, nous ne savons rien ; mais il y avait sûrement là un parallèle avec les cérémonies baptismales du christianisme primitif » (144). D'autres notent une « consignatio » dans le culte de Mithra. Mais si cette « consignatio » n'est pas un emprunt chrétien, comme plusieurs le prétendent, ce n'est qu'un simple parallèle extérieur, les deux cérémonies ayant un contenu essentiellement différent. Tertullien dit que Mithra lui aussi « plonge dans l'eau ses adorateurs, et leur fait croire qu'ils trouveront dans ce bain l'expiation de leurs crimes ; il marque au front les soldats de Mithra lorsqu'on les initie ; il célèbre l'oblation du pain » (De præscript., c. 40), par conséquent imite le Baptême, la Confirmation, l'Eucharistie. La « signatio », comme le suppose Cumont, se faisait avec un fer rouge, ce qui produisait une marque distinctive divine et en même temps une marque de protection. On a signalé aussi un certain nombre d'usages de consignation dans les tribus païennes au moment de la puberté (rites de consécration de la puberté). Seulement la Confirmation n'entendait pas être un « sacrement de la jeunesse », mais conduire les mineurs spirituels à la majorité complète. Tout ce qu'on a signalé ne comporte que des similitudes lointaines.

§ 172. Le signe sensible de la Confirmation

Thèse. La matière de la Confirmation consiste dans une imposition des mains et une onction par l'évêque.

Cette thèse a été formulée comme doctrine générale de foi au Concile d'union de Lyon, en 1274 (Denz., 465). Le Concile de Trente a condamné l'opinion qui prétend que « ceux-là font injure au Saint-Esprit qui attribuent une vertu quelconque au saint-chrême de la Confirmation » (S. 7, de confirm., can. 2 : Denz., 872). II n'y a donc pas de décision ferme sur la matière. C'est ce qui explique que les théologiens ont des opinions différentes à ce sujet. D'une manière générale, on compte deux opinions principales. D'après les uns, l'imposition des mains est la seule matière suffisante (Aureolus, Petau, etc). A cette opinion s'oppose celle qui prétend que l'onction seule constitue cette matière (S. Thomas, Eugène IV, S. Bellarmin). A ces deux opinions s'ajoute, comme presque toujours, une opinion moyenne qui les concilie : les deux actions doivent être unies. Cette dernière opinion, quand ce ne serait qu'en raison de la pratique de l'Église, est celle qu'on admet ordinairement.

D'Alès écrit que, d'après de nombreuses décisions des Congrégations romaines, l'onction avec le saint chrême « renferme tout l'essentiel du sacrement » et que, si la première imposition générale des mains, pour une raison quelconque, fait défaut à quelque confirmand, on n'a pas besoin de suppléer le sacrement (P. 156).

Le savant chercheur juge aussi que l'Église du 3ème siècle était manifestement en possession de la confirmation. Cela est attesté, pour l’Occident, par Tertullien et S. Cyprien. Le rite en Afrique est l’imposition des mains ; c’est la tradition apostolique. De même, en Asie Mineure (Firmilien), en Espagne (Elvire, 300) et en Gaule (Arles, 314). Par contre, l'onction est attestée, à Rome, par S. Hippolyte (217), S. Corneille (250), S. Sylvestre (330) ; à Alexandrie, par Origène et, en Orient, par plusieurs témoins comme S. Cyrille de Jér., S. Basile, etc. D'après S. Innocent Ier (416), c'est une prérogative des évêques « pour qu’ils signent, ou donnent l’Esprit-Saint » et pour cela il cite Act., Ap., 8, 14-17. Or l'évêque signe le confirmand sur le front et en même temps l'oint avec de l'huile bénite par lui (Denz., 98) Ainsi donc, même dans l'Occident, l'onction était en usage ; elle régnait en Orient auparavant. On pense qu'en Orient l'imposition des mains fut de temps en temps entièrement laissée de côté. Cependant une certaine imposition des mains est toujours unie à l’onction. L'onction a sans doute été établie par imitation des rites d'onction de l’Ancien Testament. Tertullien lui-même y fait allusion (De bap., 7).

La bénédiction du chrême est en tout cas très ancienne. Tertullien déjà l'atteste (De bapt., 7), ainsi que S. Cyprien (Ep. 70) et S. Cyrille de Jérus. compare cette bénédiction à la consécration eucharistique (Cat. Myst., 3, 3). S. Basile la considère comme une tradition apostolique (De Sp. S., 27, 66). Le ministre de cette bénédiction est l'évêque seul et il doit y procéder le Jeudi-Saint. Une magnifique prière de bénédiction, extraite de l'eucologe de Sérapion de Thmuis (+ vers 358), a été reproduite par Doelger (104). Les scolastiques étaient d'ordinaire d'avis que cette bénédiction était nécessaire pour la validité du sacrement (S. th., 3, 72, 3) ; seuls les scotistes le niaient et des auteurs modernes les suivent. Il y eut également des controverses sur la composition naturelle de l'huile. La pratique ecclésiastique exige de l'huile d'olive et du baume ; l'usage du baume est attesté pour la première fois par S. Grégoire Ier. Les Grecs emploient encore une quantité d'autres ingrédients (Cf. pseudo-Denys, De eccl. hier., 4, 3).

L'onction (materia proxima) se fait, dans l’Église latine, uniquement sur le front ; dans l'Église grecque, on la fait également sur la poitrine, sur les pieds, sur les oreilles, sur les yeux, sur le nez. D'autres cérémonies sont le soufflet qui indique qu’il faut supporter les affronts dans les combats pour la foi et le bandeau de chrême qu'on portait autrefois pendant trois jours autour de la tête et qu'ensuite on enlevait selon un rite (Héfélé, 6, 182). Les jours de confirmation coïncidaient, pour des raisons analogues, avec les Jours de baptême. Quand le baptême et la confirmation étaient séparés, la Pentecôte était le jour le plus opportun pour cette dernière. Le lieu de la Confirmation était, comme pour le baptême, l'Église. De même qu'il y eut plus tard des baptistères spéciaux, il y eut aussi des chapelles spéciales pour la confirmation, des « consignatoria » ou « charismaria ».

La forme de la Confirmation varia selon les Églises et les époques. Dans l'Église romaine, la forme actuelle est celle-ci : « Signo te signo crucis et confirmo te chrismate salutis in Domine Patris, etc.» [Je te marque par le signe de la croix, et je te confirme par le chrême du salut, au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit] (Eugène IV. Decret. pro Arm. : Denz., 697).

L'Écriture nomme seulement d'une manière générale la prière (προσηύξαντο περί αὐτῶν, Act. Ap., 8, 15 sq. ; cf. 2 Cor., 1, 21 sq.). La formule grecque est dépourvue des trois noms divins, la voici : « σφραγὶς δωρεᾶς πνεύματος ἁγίου » (Héfélé, 2, 26). Dans l'Église latine, la formule trinitaire a sans doute été introduite par analogie avec le baptême. On trouvera toute une série d'antiques formules dans Martène, De antiquis Ecclesiæ ritibus, 1. 1er, c. 2, a. 4. La formule latine actuelle est en usage depuis environ 1250. Scherman décrit, en s'appuyant sur les sources les plus anciennes, le rite de l'administration de la façon suivante : « Après que tous sont sortis de l'eau et sont oints, ils se lavent, se vêtent et vont dans l'église. Là l’évêque étend sa main sur eux et récite une prière dans laquelle il mentionne la rémission des péchés dans le bain de la régénération du Saint-Esprit et demande la grâce de la persévérance. Ensuite il fait couler de l'huile bénite dans sa main, la place sur la tête du confirmand en prononçant cette formule : « Unguo te sancto oleo in Domino Patre omnipotente et Christo Jesu et Spiritu Sancto », le signe avec cette huile au front, lui donne le baiser de paix avec le salut : « Dominus tecum ».

Les Pères parlent simplement d'une prière. Ainsi Tertullien écrit : « Après cela (après le baptême et l'onction) on nous impose les mains en invoquant et attirant sur nous le Saint-Esprit par la prière qui accompagne cette sainte cérémonie » (De bapt., 7, 8 ; cf. De carn. Resurr., 8). De même, d'après S. Cyprien, le Saint-Esprit est conféré « par notre prière » (Ep. 73, 9 ; cf. plus haut p. 304). L'ordonnance de l'Église d’Égypte (c. 19) contient la prière citée plus haut par Scherman.

La difficulté de retrouver une forme traditionnelle ferme dans la doctrine sacramentelle existe aussi pour la Confirmation. Aussi la Scolastique montre dans cette question une grande hésitation. Le canoniste Huguccio (+ 1210) pensait même que, pourvu que la matière soit convenablement bénite, la Confirmation pourrait être administrée validement sans aucune forme exprimée en paroles. (Gillmann, dans « Katholik » [1910], 1, 477). L'opinion de Huguccio est grecque ; c'est également celle du pseudo-Denys. Notre forme se trouve déjà chez Sicard de Crémone. (Gillmann, Guillaume d'Auxerre, 23).

Remarquons encore qu'à cause des différences d'opinion sur le rite en général, les avis diffèrent aussi sur la forme. On peut en effet distinguer une double imposition des mains, celle qui a lieu au début de la cérémonie, qui est une extension des mains générale (χειροτονία) et la seconde pendant l'onction (χειροθεσία) ; cette dernière est une imposition de la main proprement dite. D’ordinaire, on considère cette imposition de la main comme essentielle et ensuite aussi la forme citée plus haut. Les théologiens qui considèrent comme essentielle la première extension des mains doivent logiquement considérer aussi comme forme sacramentelle la prière qui l'accompagne. D'ordinaire cependant, on voit, dans la première extension des mains, une partie intégrante, mais non l'essence du sacrement.

Les Églises orientales n'ont que l'onction et la prière. Gallinicos écrit (41) : « Avec le chrême bénit par l'évêque, l'Église (le prêtre) oint les membres du baptisé avec ces paroles :  « Le sceau du don du Saint-Esprit. Amen » (σφραγὶς δωρεᾶς πνεύματος ᾁγίου).

§ 173. Ministre et sujet

THÈSE. Le ministre ordinaire de la Confirmation est l'évêque.   De foi.

Explication. Comme dans l'Église grecque schismatique le ministre ordinaire est le prêtre, le Concile de Trente a défini : « S. q. d. que l’évêque seul n'est pas le ministre ordinaire de la Sainte Confirmation, mais que tout simple prêtre l'est aussi : Qu'il soit anathème ) (S. 7, de confirm., can. 3 : Denz., 873 ; cf. 960 et 697).

Preuve. L'Écriture atteste tout d'abord d'une manière positive que les Apôtres Pierre et Jean administrèrent la Confirmation (Act. Ap., 8, 14-17). Elle indique aussi que cela doit s'entendre d'une manière exclusive ; car pourquoi Pierre et Jean se seraient-ils hâtés de se rendre en Samarie si Philippe lui aussi avait pu confirmer ? De même pour les disciples de Jean à Éphèse, S. Paul est nommé expressément comme le ministre de la Confirmation ; par contre, il n'est pas le ministre du baptême (Act. Ap., 19, 5 sq.).

Les Pères. Au début, l’administration des sacrements en général était aux mains de l’évêque. Quand plus tard il se fit remplacer par les prêtres pour le baptême, il est attesté, précisément pour la Confirmation, qu'il s'en réservait l'administration. C'est ce qu'on voit dans les textes de S. Cyprien cités plus haut (p. 304). Ensuite cela est attesté par le Concile d'Elvire, en Espagne (vers 300). C'est également ce que rapporte S. Jérôme qui pense, au reste, que cela est plus conforme à l’« honneur » de l'évêque que réclamé par la loi de la nécessité. (Adv. Lucif., 8 et 9 : M. 23, 172 ; cf. Ep. 146 ad Evang. 1 : M. 22, 1194). S. Innocent 1er revendique le droit de la « consignation » pour les évêques seuls, en s'appuyant sur Act. Ap., 8, 14. (Denz., 98). On trouve également des témoignages qui montrent que, dans l'Église grecque, le ministre, au début, était l'évêque ; ainsi le témoignage de Firmilien dans S. Cyprien (Ep. 75, 8), des Constitutions apostoliques (2, 32) et de S. Jean Chrysostome (ln Act. Hom., 18, 3 : M. 60, 144).

La Scolastique admet généralement le principe que l’évêque est le ministre ordinaire. S. Thomas se réfère pour cela aux Actes et au fait que la Confirmation est le sacrement de l'achèvement. S. Bonaventure ajoute cette raison : Par l’administration de ce sacrement l'évêque entre personnellement en contact avec chaque membre de son troupeau et exerce à son égard un acte pastoral. (Sent., 4, dist. 7, a. 1, q. 3)

Le ministre extraordinaire de la Confirmation est le prêtre.

Cela est attesté nettement par la Tradition tant de l’Église orientale que de l'Église occidentale. Dans l'Église grecque, le prêtre est même, depuis les temps anciens, le ministre ordinaire. Photius reprochait même à l'Église romaine de réitérer la Confirmation administrée par des prêtres grecs (Hergenroether, Photius, 1, 644). Cependant le point important dans le sacrement, c'est le « myron » bénit par l'évêque, sans lequel aucun prêtre ne peut administrer la Confirmation (Ps. Denys, De eccl. Hier., 5, 1, § 5). Mais, en Occident également, les prêtres administrèrent parfois la Confirmation. Cela est attesté par le pseudo-Ambroise pour l’Égypte, « quand l’évêque était absent ». (ln Eph., 4, 17 : M. 17, 388). S. Grégoire Ier voulut forcer les prêtres de Sardaigne, où cette coutume régnait, à suivre la pratique romaine, mais il les autorisa, quand les évêques feraient défaut. à conserver l'antique usage de la confirmation par les prêtres (Epp., l. 4 : Ep. 26 : M. 17, 696). On a également des témoignages pour l'Espagne et les Gaules. En vertu de la coutume, la Confirmation était encore administrée, au Moyen-Age, par des prêtres, dans le diocèse de Wurzbourg, en France, à l'abbaye d'Einsideln, à Constance, à Kempten, au Mont-Cassin et à Saint-Paul près de Rome (Schanz, 313 sq.).

Dans la Scolastique, la question du ministre extraordinaire de la Confirmation est très débattue et reçoit des solutions différentes, Voici quelques opinions : Dans la primitive Église, les évêques et les prêtres étaient égaux et, par suite, les prêtres confirmaient eux aussi ; mais plus tard cela fut défendu. S. Grégoire le G. le permit de nouveau à des prêtres grecs, c.-à-d, il les autorisa à faire ce qu'ils pouvaient faire en vertu de leur Ordre. Le Pape pourrait permettre à tout laïc confirmé, tout au moins à tout clerc confirmé, d'administrer la Confirmation. En vertu des pouvoirs accordés par le Pape, chacun pourrait donner ce qu'il a. D'autres jugent plus sévèrement. Ainsi Fr. Mayron estime que le Pape ne pourrait pas accorder à un prêtre le pouvoir de confirmer. Au sujet de ces différences d'opinions très tranchées, cf. Gillmann, Ministre de la Confirmation.

D'après le C. j. C., est ministre extraordinaire de la Confirmation tout prêtre qui y est autorisé en vertu du droit général ou d'un induit apostolique spécial. Sont autorisés par le droit général les cardinaux qui ne sont pas évêques, les abbés et prélats nullius, les vicaires et préfets apostoliques, mais seulement pour la durée de leur fonction et pour leur territoire. Les prêtres latins qui sont autorisés à confirmer ne peuvent administrer validement la confirmation qu'aux fidèles de leur rit, à moins que l'induit ne porte une clause différente. Par contre, il est interdit aux prêtres grecs, qui possèdent le pouvoir ou le privilège d'administrer la Confirmation en même temps que le baptême aux enfants de leur rit, de confirmer des enfants latins. Dans ce dernier cas, la Confirmation est donc valide bien qu'illicite. Cette distinction s'explique par l'histoire. - Le chrême doit toujours être bénit par l'évêque. Un prêtre qui confirme sans en avoir reçu le pouvoir doit être suspendu. S'il dépasse ses pouvoirs, il les perd.

L’explication théologique de la Confirmation administrée par les prêtres peut partir du pouvoir d’Ordre ou du pouvoir de juridiction. Il est clair que pour administrer un sacrement il faut le pouvoir d'Ordre. Comme ce pouvoir ne peut être conféré par un acte de juridiction, le prêtre le possède déjà dans son Ordre. Mais son exercice est encore lié. Son pouvoir d'Ordre est délié par la délégation pontificale.

 D'autres disent que le pouvoir d'Ordre n'est tout d'abord qu'une « potestas inchoata » et qu'elle devient une « potestas completa » par la délégation juridictionnelle (Bellarmin, c. 12 ; Tournely, q. 3, a. 2). On a déjà remarqué plus haut que l'Église romaine reconnaît la validité des sacrements de l'Église grecque (Cf. Benoit XIV, De syn. diœces. 7, q. 3 et Vitasse dans Migne, Cursus compl., 21, 988 sq.).

Le sujet de la Confirmation est tout baptisé ; ne sont pas exceptés les enfants au-dessous de l’âge de raison.

L'Écriture atteste (Act. Ap., 8, 14-17 ; 19, 1-7) que le baptême précédait toujours la Confirmation. L'exemple de Cornélius (Act. Ap., 10, 44, 48) n'infirme pas ces témoignages, car la communication du Saint-Esprit dont il est question est une communication merveilleuse.

Nulle part, dans la Tradition, on n'exige un âge déterminé. Comme on administrait toujours aux adultes les trois premiers sacrements en même temps, quand l'usage du baptême des enfants s'introduisit, l'usage analogue de la Confirmation des enfants dut s'introduire aussi. Cet usage est d'ailleurs attesté pour l'Orient comme pour l'Occident. Aujourd'hui encore, l'Église grecque administre la Confirmation aussitôt après le baptême. Pour la pratique latine, on fixa plus tard différents âges ; on fixait volontiers la septième année (Cat. rom., p. 2, c, 3, q. 18). De même aussi le C. J. C. D'après lui, l'évêque doit mettre les enfants à même d'être confirmés tous les cinq ans.

La nature des dispositions du sujet résulte de la situation de la Confirmation par rapport au baptême, en tant que sacrement des vivants, il exige l'état de grâce.

Dans le cas où, comme cela arrive d'ordinaire aujourd'hui, le baptême et la Confirmation sont séparés l'un de l'autre par un temps assez long, l'état de grâce, s'il a été perdu, doit être rétabli par le sacrement de Pénitence ou tout au moins par la contrition parfaite. La préparation éloignée à la Confirmation comporte une instruction sur la Confirmation. Cet enseignement faisait partie autrefois de l'enseignement donné aux catéchumènes. Le Catéchisme romain recommande vivement de donner cette instruction avec zèle (P. 2, c. 3, q. 1). Il est également conseillé d'être à jeun pour recevoir ce sacrement. Au début, alors que le baptême, la Confirmation et l'Eucharistie se donnaient simultanément, le jeûne allait de soi. S. Thomas se montre déjà plus large et juge qu'il est plus convenable que ce sacrement « soit administré et reçu à jeun » (S. th., 3, 72, 12 ad 2). Les parrains de Confirmation sont déjà signalés dans des Conciles du haut Moyen-Age, par ex. le Concile de Compiègne, en 757, etc. (Cf. Gillmann, Ministre de la Confirmation). Aujourd'hui on est obligé « sub gravi » d'en avoir. Comme pour le baptême, ils contractent une « parenté spirituelle » avec leurs filleuls, mais non avec leurs parents. Le parrain de Confirmation met la main sur l'épaule droite du confirmand pendant l'administration du sacrement ; il est choisi par l'évêque, par le confirmand ou par ses parents et doit être lui-même confirmé. Dans les pays de missions, on peut se passer de parrains jusqu'à ce qu'il y ait quelques personnes de confirmées qui pourront servir de parrains aux autres. Il est également prescrit qu'il n'y ait qu'un parrain, du même sexe que le confirmand et distinct du parrain du baptême et qu'il n'ait qu'un ou deux filleuls « à moins qu'il en semble autrement au ministre, pour un juste motif » (C. J. C., can. 794)

§ 174. Effets et nécessité de la Confirmation

Par la Confirmation, le baptisé reçoit le Saint-Esprit et ses sept dons, pour l'affermir dans la foi et dans les combats pour le bien. La Confirmation confère l'Esprit de sainteté et de force.

Il n'y a pas de définition de l'Église sur les effets de la Confirmation. Mais on peut dire que l'effet qu'on vient de signaler correspond à la foi générale de l’Église. « Or l’effet de ce sacrement est qu'en lui le Saint-Esprit est donné pour fortifier, comme il fut donné aux Apôtres au jour de la Pentecôte, à savoir, afin que le chrétien confesse courageusement le nom du Christ. » (Decret. pro Arm. : Denz., 697). Le Concile de Trente prend une attitude purement négative en repoussant les objections des Réformateurs qui prétendent que la Confirmation n'est qu'une « cérémonie oisive » (S. 7, de conf., can. 1 sq.). Le Catéchisme romain déclare : « Outre ce que ce sacrement a de commun avec les autres, on attribue comme propriété à la Confirmation de compléter la grâce du baptême. Ceux, en effet, qui sont devenus chrétiens par le baptême, ont encore, comme des enfants nouveau-nés, une certaine délicatesse et faiblesse ; mais ensuite, par le sacrement du saint chrême, ils sont fortifiés contre toutes les attaques de la chair, du monde et du démon et leur esprit est entièrement affermi dans la foi pour confesser et glorifier le nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ. C'est de là, sans aucun doute, que vient le nom lui-même (Confirmation). » (P. 2, c. 3, q. 20).

L'Écriture et la Tradition attestent cette doctrine de l'Église abondamment et nettement. C'est un Esprit de force et de courage que les Apôtres reçurent le jour de la Pentecôte et cet Esprit fit de ces hommes, auparavant si hésitants, des défenseurs décidés du Christ et de sa doctrine. C'est le même Esprit que S. Pierre promet, dans sa première prédication, à tous les fidèles. Cet Esprit était d'autant plus nécessaire à la jeune Église que les fidèles, en acceptant le baptême, s'exposaient aux plus grandes difficultés intérieures et extérieures. C'est pourquoi l'imposition des mains avait lieu, autant que possible, immédiatement après le baptême. Le Christ avait promis : « Celui qui croit en moi, de son sein, comme dit l'Écriture, couleront des fleuves d'eau vive. Or il disait cela de l'Esprit que recevraient ceux qui croiraient en lui ; car l'Esprit n'avait pas encore été donné, parce que Jésus n'avait pas encore été glorifié. » (Jean, 7, 38, 39). Dans ce texte, l'Esprit est promis en abondance, en torrents, et cela expressément pour le temps de la Pentecôte, quand le Christ sera dans la gloire de son Père et pourra envoyer d'en-haut son Esprit, comme un don entièrement nouveau pour ceux qu'il aura rachetés. Or cette abondance de l'Esprit est toujours, d'après l'Écriture et la Tradition, communiquée par l'imposition sacramentelle des mains.

Les Pères désignent comme effet du sacrement de Confirmation le Saint-Esprit (πνεῦμα ἅγιον) et caractérisent en même temps cet effet comme le complément du baptême. Depuis S. Ambroise, ils se sont souvent rattachés, dans leurs explications détaillées, à Is., 11, 1-3. « Souviens-toi », dit le saint docteur en s'adressant aux baptisés et aux confirmés, « que tu as reçu le sceau spirituel, l'Esprit de conseil et de force, l'Esprit de science et de piété, ainsi que l'Esprit de la sainte crainte ». (De myst., 7, 42 ; De sacram., 3, 2, 8). « Par l'onction visible, le corps est oint ; mais par l'Esprit vivant et vivifiant, l'âme est sanctifiée » dit S. Cyrille de Jérus. Ensuite il décrit les effets en particulier : « Et d'abord vous avez été oints au front, afin que vous soyez délivrés de l'opprobre (du péché) que le premier homme, en tant que violateur du précepte, a porté partout avec lui, et afin qu'avec un visage dévoilé, vous contempliez la gloire du Seigneur, pour ainsi dire, comme dans un miroir. Ensuite vous avez été oints aux oreilles, afin que vous receviez l'ouïe pour les mystères divins, comme dit Isaïe : Et le Seigneur m'a donné des oreilles pour entendre, et comme dit le Seigneur Jésus dans l’Évangile : Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende. Ensuite vous avez été oints sur le nez, afin qu'après avoir reçu l'onction vous disiez : Nous sommes une bonne odeur du Christ devant Dieu parmi ceux qui sont sauvés. Ensuite vous avez été oints sur la poitrine, afin que, munis de la cuirasse de la justice, vous demeuriez fermes contre les attaques du démon. Car, de même que le Christ, après son baptême et la descente du Saint- Esprit, s'en alla et vainquit l'adversaire, vous aussi, après le saint baptême et l'onction mystique, revêtus de l'armure du Saint-Esprit, vous vous opposez à la puissance ennemie et en êtes vainqueurs en disant : je peux tout en celui qui me fortifie. » (Cat. Myst., 3, 3, 4). D'après S. Augustin, nous autres chrétiens nous sommes oints comme le Christ, parce que nous sommes des combattants. « Le nom de Christ vient de chrisma, mais le mot grec chrisma veut dire en latin onction. Il nous a oints parce qu'il nous a faits des combattants contre le démon » (ln Joan., 33, 3). Le pseudo-Ambroise écrit : «  Car après la fontaine (après le baptême), il reste encore à rendre parfait, quand à l’invocation du prêtre l’Esprit-Saint est répandu, l’Esprit de sagesse et d’intelligence, l’Esprit de conseil et de force, l’Esprit de connaissance et de piété, l’Esprit de la sainte crainte, qui sont comme les sept vertus de l’Esprit. » (De sacram., 3, 2, 8). S. Cyrille d'Alex. célèbre la Confirmation comme le sacrement de l'achèvement : Nous avons reçu, comme dans une pluie, l'eau vivante du saint baptême, comme dans du froment, le pain de vie et comme dans du vin, le sang. A cela s'est ajouté encore l'emploi de l’huile, par laquelle, déjà justifiés dans le Christ par le saint baptême, nous avons été conduits à l'achèvement (ln Joel., 32 : M. 72, 452). A ce sujet, il attribue, selon la doctrine de S. Paul et comme les autres Pères, au baptême seul, la purification des péchés, la communication du Saint-Esprit et la participation à la divine nature (ln Luc, 3, 21 : M. 72, 524). Cf. les preuves de l'existence du sacrement.

Rauschen écrit, au sujet de l'ouvrage « De rebaptismate » (c. 6), que, d'après ce livre, « la Confirmation est plus élevée que le baptême » et continue ainsi : « Que le Saint-Esprit soit conféré par la Confirmation et non par le baptême, c'était l'opinion générale au 3ème siècle ». Il se réfère à Tertullien (De bapt., 6), au Pape S. Corneille (Eusèbe, H. E., 6, 43, 14,15) et à S. Cyprien (Ep. 74, 7). Rev. D'Innsb., 1917, 98 sq. Sans doute on a toujours fait ressortir, à propos du baptême, l'effet négatif, purificateur et, à propos de la Confirmation, l’effet positif, sanctificateur ; mais jamais d'une manière exclusive, comme le prétendent Rauschen et d'autres. Presque tous les Pères signalent, comme effet du baptême, la régénération et la vie nouvelle. S. Irénée (A. h., 3, 17, 2 et Epideix., 42) et S. Justin (Dial. 29) indiquent expressément comme fruit du baptême le « Saint-Esprit ». Tertullien, il est vrai, écrit : « Non pas que nous recevions dans l’eau le Saint-Esprit mais dans l’eau nous sommes purifiés parmi les anges et préparés pour le Saint-Esprit » (De bapt., 6) ; mais il juge aussi (ibid., 10), que, si le baptême de Jean avait été du ciel (comme celui de Jésus), il aurait donné « et l’Esprit-Saint et la rémission des péchés ». On rencontre la même manière de voir chez Hippolyte (can. 19), d'après lequel le Saint-Esprit, au moyen de l'ablution par l'eau baptismale bénite, se communique au baptisé (Cf. Tertull., De bapt., 4). S. Cyprien écrit brièvement et nettement : « c'est par le baptême que l'on reçoit le saint Esprit » (Ep. 63, 8), « le baptême ne peut être sans l'Esprit » (Ep. 74, 5). Il faut donc en rester à l'ancienne conception des théologiens et dire que, pour le baptême, on insista davantage sur un effet et que pour la Confirmation on insista davantage sur un autre.

Ceci permet de résoudre l'objection que fait encore Harnack à S. Augustin : « II y a dans le système d'Augustin une grave déficience que les pélagiens ne manquèrent pas de signaler, c'est que, pour lui, le baptême efface seulement la faute du péché originel ; car chez lui l'effacement du péché est au fond quelque chose de peu important ;en tout cas, ce n'est pas la chose principale (H. D., 3, 206) ; il entend, par la chose principale, la renaissance à la vie nouvelle. Or S. Augustin reproche précisément aux pélagiens, de n'attribuer au baptême que la rémission des péchés et non la vie nouvelle de l’esprit. « Vous enseignez que la grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur est tellement renfermée dans la seule rémission des péchés, qu'elle ne nous est d'aucun secours pour éviter le péché et pour triompher de nos désirs charnels, quoiqu'elle répande dans nos cœurs la charité par le Saint-Esprit qui nous a été donné » (C. Jul. Pel., 6, 72). « Nous disons donc que le Saint-Esprit habite dans les enfants baptisés, quoiqu'ils ne le sachent pas » (Ep. 187, 26). Que, malgré cet effet positif attribué au baptême par S. Augustin, il reste encore place pour la confirmation, c'est ce que nous enseignent les passages cités p. 304 et 309.

S. Thomas expose, au sujet des effets de la Confirmation, que, dans ce sacrement, « le Saint-Esprit est donné pour conférer la force spirituelle. Mais cette mission ou cette collation du Saint-Esprit ne peut se faire sans la grâce sanctifiante ; par conséquent, il est manifeste que, dans la Confirmation aussi, la grâce sanctifiante est accordée... Le premier effet de la grâce sanctifiante est la rémission des péchés. Mais elle est aussi donnée pour rendre ferme et fort et pour faire grandir dans la justice. Et c'est ainsi qu'elle découle de la Confirmation. Mais, comme le sacrement n'est conféré qu'à des chrétiens déjà justifiés, elle ne peut effacer les péchés que dans le cas où l'adulte qui s'en approche sans fiction, ne connaît pas les péchés qui sont dans sa conscience ou bien n'en a pas une contrition suffisante ». C'est précisément par la grâce sacramentelle, qui est surtout adaptée et mesurée pour le combat contre des ennemis extérieurs, que la Confirmation se distingue du baptême. Le baptême confère sans doute, lui aussi, la grâce sanctifiante, mais c'est pour constituer l'être saint ; dans la Confirmation, c'est en vue du saint combat ; dans l'Eucharistie, c'est pour réaliser l'union sainte avec Dieu. Ainsi se distinguent, se complètent et s'achèvent les trois premiers sacrements (S. th., 3, 72, 7 ; cf. 72, 1 ; 65, 1).

C'est un dogme défini que la Confirmation imprime un caractère ineffaçable. (Trid., s. 7, de sacram. in gen., can. 9 ; cf, plus haut, § 159)

Le caractère de la Confirmation disparaît un peu, à l'âge patristique et scolastique, derrière le caractère du baptême et celui de l'Ordre. Mais, à partir d'Alexandre et surtout de S. Thomas, il ressort avec la même netteté et est examiné théologiquement. S. Thomas l'explique, selon sa théorie cultuelle et liturgique du caractère, comme une investiture et une charge en vue de la profession publique et de la défense de la foi. (S. th., 3, 72, 5 et 6)

La Confirmation, en tant que sacrement de l'achèvement de la vie spirituelle, n'est pas absolument nécessaire au salut, mais cette vie peut, même sans elle, subsister en raison du baptême.

Dès que, dans l'ancienne Église, la Confirmation fut séparée du baptême, il dut se trouver des cas où des baptisés moururent avant d'avoir reçu la Confirmation. Nous lisons que de tels cas se produisirent assez souvent ; on les regrettait, mais on n'en concluait pas que les fidèles qui mouraient sans la Confirmation étaient, à cause de cela, privés du salut éternel (De rebapt., 4 : M. 3, 1188). Le Concile d'Elvire (306?) dit que ceux qui meurent sans la bénédiction de l'évêque, immédiatement après avoir reçu le baptême des mains d'un diacre, peuvent être sauvés en vertu de la foi professée dans le baptême (Can. 77). Mais il y a aussi un certain nombre d'autres conciles qui insistent d'une manière pressante pour que la Confirmation soit reçue. Le Concile de Trente ordonne au sujet des clercs : « On ne doit pas admettre à la première tonsure ceux qui n'ont pas encore reçu le sacrement de Confirmation. » (S. 23, De ref., c. 4).

Mais personne n'admettra une nécessité de salut absolue (necessitas medii) ; ce serait porter atteinte à la valeur du baptême, lequel nous purifie véritablement et nous rend enfants de Dieu. Il n'en résulte assurément pas que le sacrement de Confirmation n'ait absolument aucune nécessité ; car alors Dieu aurait établi dans son Église quelque chose de complètement superflu, ce qui ne correspondrait sûrement pas à sa sagesse. S. Thomas écrit : « De quelque manière, tous les sacrements sont nécessaires au salut. Mais il y a des sacrements sans lesquels le salut ne peut pas exister et d'autres qui coopèrent à l'achèvement du salut. C'est donc ainsi que le sacrement de Confirmation est nécessaire au salut, bien qu'on puisse obtenir le salut sans ce sacrement ; mais on ne sera pas sauvé si on omet, par mépris, de recevoir la Confirmation » (S. th., 3, 72, 1 ad 3). Cf. C. J. C., can. 787.

S. Thomas déclare aussi que la Confirmation n'est pas nécessaire en vertu d'un précepte (necessitas prœcepti) et déclare qu'on ne peut établir, à ce sujet, ni un précepte divin ni un précepte ecclésiastique. II est suivi par la majorité des théologiens ; une minorité, par contre, voudrait faire dériver un précepte divin du fait de l'institution. Le nouveau droit canon a mitigé l'ancienne conception, d'après laquelle il y avait obligation grave de recevoir la Confirmation. En tout cas, la négligence à recevoir ce sacrement atteste une indifférence inquiétante pour le salut. S. Thomas recommande même aux malades de recevoir la Confirmation, sinon en vue des combats extérieurs pour la foi, du moins pour augmenter la grâce et, par conséquent, la gloire dans l'autre monde (S. th., 3, 72, 8 ad 4 ; cf. Cat. rom., p. 2, c. 3; q. 16).

II est vrai qu'il y a déjà une sorte de supplément de la Confirmation dans le baptême, surtout quand ensuite s'y ajoute le désir de la Confirmation. « La force divine n'est pas liée uniquement aux sacrements. C'est pourquoi l'homme peut obtenir la force spirituelle pour confesser publiquement la foi du Christ sans sacrement, de même qu'il peut obtenir la rémission des péchés sans recevoir le baptême. Cependant, de même que personne ne peut recevoir la grâce du baptême sans le désir du baptême, personne ne peut recevoir l'effet de la Confirmation sans la désirer ; mais on peut avoir ce désir même avant de recevoir le baptême (S. th., 3, 72, 6). Il faudrait inviter les baptisés souvent, surtout au temps de la Pentecôte, à désirer la descente du Saint-Esprit, s'ils ne sont pas encore confirmés et, s'ils sont confirmés, à unir fermement ce désir à la rénovation de leurs promesses du baptême. Quand on songe à la grande importance que le Christ, particulièrement dans les discours d'adieu rapportés par S. Jean, attribue au « Paraclet » qui doit venir après lui, on est convaincu qu'on ne saurait trop favoriser l'invocation et le culte du Saint-Esprit, que ce soit à propos du baptême ou à propos de la Confirmation ; c'est le même Esprit.

CHAPITRE 3 : L'Eucharistie

A consulter : S. Thomas, S. th., 3, 73-83. S. Bellarmin, De sacram. Eucharistiæ. De Lugo, De sacram. Eucharistiæ (Migne, Cur. compl., 23, 9 sq.). Tournely, De aug. Eucharistiæ sacramento. Rosset, De Eucharistiæ mysterio (1876). Franzelin, De ss. Eucharistiæ sacramento et sacrificio (4e éd., 1887). Jourdain, La sainte Eucharistie, 2 vol. (1897). Lahousse, De ss. Eucharistiæ mysterio (1899). Gasparri, Tractatus canonicus de ss. Eucharistia (1897). Batiffol, L’Eucharistie, la présence réelle et la transsubstantiation (5e edit., 1913). M. Lepin, L'idée du sacrifice de la messe d'après les théologiens, depuis l'origine jusqu'à nos jours (1926). D' As, La doctrine euchar. de S. Irénée (Recherches de science rel., 1923, n. 1). Cagin, L’Eucharistie. Canon primitif de la messe (1912). Dict. théol., v. Eucharistie, 5, 989-1452 (hist. et spécul.). Hugon, La sainte Eucharistie. Werner Goosens, Les origines de l’Eucharistie, sacrement et sacrifice (1931). Rongy, L’abus des Corinthiens dans la célébration de l'Eucharistie (Revue eccl., 1929, 272-293, 421-434).

§ 175. Notion, désignation, importance

Notion. L'Eucharistie est le sacrement du vrai corps et du vrai sang de Jésus-Christ sous les apparences du pain et du vin pour la nourriture des fidèles et comme sacrifice de l'Église.

Le sens de cette définition ne se précisera que par la suite. Mais on voit déjà apparaître la différence entre l'Eucharistie et les autres sacrements. Cette différence consiste surtout en ce que, dans l’Eucharistie, n'est pas seulement contenue la grâce divine, mais encore l'auteur de la grâce lui-même. Ensuite l'Eucharistie n'est pas seulement un sacrement de nourriture spirituelle pour les fidèles, mais encore un sacrifice de l'Église pour Dieu. Par l'acte cultuel du sacrifice, le sacrement est préparé et ensuite administré aux fidèles. La confection et l'administration ne coïncident pas comme dans les autres sacrements mais sont séparés, et le sacrement préparé subsiste objectivement en soi, bien que, pour atteindre son but, il doive être reçu.

Désignation. En raison de son importance dogmatique et culturelle, comme de l'abondance des grâces mystiques et morales qu'il contient, ce sacrement a une quantité de noms devenus usuels.

Le nom le plus courant est Eucharistie (εὐχαριστία, εὐχαριστεῖν, remercier, bénir). L'Écriture emploie encore εὐλογεῖν, louer (Cf. Luc, 22, 17, 19 ; 1 Cor., 11, 24 ; Math., 26, 26 sq. ; Marc, 14, 22 sq.). Plus tard, cette dernière expression reçut un sens particulier : on désigna sous le nom d'eulogie (εὐλογία) le pain simplement bénit qu'on donnait en place de l'Eucharistie (ἀντἱδώρον) à ceux qui ne se jugeaient pas dignes de communier. L'eulogie est encore en usage aujourd'hui dans l'Église grecque et dans des parties de l'Église romaine. A l'âge patristique, les Églises épiscopales s'envoyaient des eulogies en signe de communion des Églises. Le mot fraction du pain (ϰλάσις τοῦ ἄρτου, fractio panis, etc.) apparaît surtout à l'âge apostolique pour désigner l'Eucharistie. (Act. Ap., 2, 42, 46 ; 20, 7 ; 27, 35. Cf. 1 Cor., 10, 16 ; Didachè, 9, 34, à côté d'εὐχαριστία, 9, 15). La Cène du Seigneur (κυριακὸν δεῖπνον, cœna dominica), tel est le nom que S. Paul (1 Cor., 11, 20) donne au sacrement.

D'après la matière, on nomme l'Eucharistie le sacrement du pain ou du pain et du vin, en ajoutant des attributs particuliers pour marquer le caractère surnaturel de ce pain (d’ἄρτος, panis (Jean, 6, 52), et de panis de cœlo, ἄρτος ἐϰ τοῦ οὐρανοῦ (Jean, 6, 31, 32) on tira « p. cœlestis, p. mysticus, p. dominicus, p. supersubstantialis » (cf. Math., 6, 11), « p. angelorum, p. Christi »).

D'après son contenu très saint, le sacrement est nommé : corps du Seigneur, mystère du corps et du sang du Christ (corpus Christi, corpus Domini, sacrementum corporis et sanguinis Christi, mysterium sanctum, augustissimum, tremendum, etc). D'après son effet, on l'appelle de préférence communion (ϰοινωνία, communio, pax, caritas, sacramentum gratiæ, viaticum, ἐφόδιον). D'après le lieu et le temps, l'institution et la célébration, on l'appelle la table du Seigneur (τρἁπεζα ϰυρίου, 1 Cor., 10, 21), le sacrement de l'autel, la Cène, la Cène de la nuit (1 Cor., 11, 23 : ἐν τῇ νυκτὶ ἔλαβεν ἄρτον).

Le caractère sacrifical de l'Eucharistie est désigné par les mots : messe, sacrifice de la messe (missa, sacrificium missæ, collecta, σύναξις, προσφορἁ, θυσία). La piété chrétienne a trouvé en outre, au cours des siècles, une foule de désignations pieuses pour désigner le plus grand des sacrements (Saint Sacrement, Très Saint Sacrement, summum sacrum, sacrum convivium, venerabile sacramentum, etc.). Il faut sans cesse expliquer toutes ces expressions, les maintenir vivantes dans l'enseignement du peuple chrétien.

Importance. Le Christ fait déjà, de la foi à l'Eucharistie, le critérium qui permet de reconnaître ses vrais disciples (Jean, 6, 52-69). C'est par la célébration de l'Eucharistie que la jeune Église se distingue tout de suite, même extérieurement, du judaïsme, avec lequel sans doute on prie encore en commun (Act. Ap., 3, 1), mais avec lequel on se sacrifie pas. Au contraire, les chrétiens accomplissent seuls, dans l'Eucharistie, le culte proprement dit de la Nouvelle Alliance (Act. Ap., 2, 46).

Les Pères s'occupent de l'Eucharistie dans de nombreux exposés théoriques et pratiques. La Didachè donne déjà une direction pour sa célébration : Elle doit avoir lieu le dimanche, ne doivent y prendre part que des chrétiens qui ont été purifiés par le baptême ou qui, s'ils se sont souillés plus tard par de nouveaux péchés, ont recouvré par la pénitence leur pureté première. Le Seigneur a dit : Ne donnez pas les choses saintes aux chiens. De même que dans la Didachè, on voit dans les écrits de S. Ignace, de S. Justin, de S. Irénée, de Clément, d'Origène, d'Hippolyte, de Tertullien, de S. Cyprien, etc., que l’Eucharistie a toujours été le centre de la foi et de la vie chrétiennes. Elle devait surpasser par son éclat le baptême pourtant si estimé, quand ce ne serait que pour cette raison que le baptême n'était reçu qu'une fois dans la vie alors qu'elle était renouvelée continuellement et était vraiment le pain quotidien des chrétiens. En outre, le baptême n'était, par rapport à l'Eucharistie, que comme la préparation par rapport à l'achèvement ; car la fin et le point suprême de la fête d'initiation pour les jeunes chrétiens était la réception du corps du Seigneur, la participation aux « mystères redoutables ». De là l'importance particulière qu'on donnait à l'Eucharistie dans l'enseignement des catéchumènes. Elle était le dernier mystère révélé. On ne trouve, sans doute, que plus tard quelques monographies consacrées à ce mystère (Paschase Radbert ; cependant cf. S. Cyprien, Ep. 63) ; mais les Pères traitent ce sujet avec enthousiasme dans les catéchèses (S. Cyrille de Jérus., S. Ambroise, S. Augustin), ou bien en parlent occasionnellement dans leurs commentaires sur l'évangile de S. Jean (Origène, S. Jean Chrysostome, S. Cyrille d'Alex., S. Augustin) ou à propos d'autres circonstances. Ils le font seulement pour des raisons pratiques et didactiques et non pour des raisons apologétiques, car il n'y eut pas d'hérésie proprement dite sur l'Eucharistie avant le Moyen-Age (Béranger). S. Jean Chrysostome est appelé le docteur de l'Eucharistie (doctor Eucharistiæ), comme Augustin est celui de la grâce, parce qu'il en parle fréquemment dans ses nombreuses homélies et ses autres écrits (De sacerdotio), dans lesquels il fait ressortir avec force la présence réelle et les grands effets de ce sacrement. Il passe aussi pour l'auteur d'une liturgie qui porte son nom.

Les anciennes liturgies chrétiennes doivent nous dédommager du défaut de monographies patristiques sur l'Eucharistie. Ce sont les formulaires ecclésiastiques pour la célébration de l'Eucharistie ; ils se composent essentiellement d'une lecture de l'Écriture avec prédication, d'une intercession générale de la préface eucharistique avec l'action de grâces pour les dons de la création et de la Rédemption et d'une nouvelle prière d'intercession générale. Bien que ces formulaires liturgiques, dans la forme que nous possédons, ne datent que d'une réforme qui s'accomplit du 4ème au 7ème siècle, ils remontent cependant, dans leurs parties fondamentales, jusqu'aux temps apostoliques ; tout au moins on peut établir déjà cette forme fondamentale chez S. Justin (Apol., 1, 65, 67) et la Didachè montre qu'on était habitué à célébrer l'Eucharistie d'après des règles et des textes fixes. La « Bibliothèque des Pères grecs » contient les liturgies de S. Jacques, de S. Marc, de S. Basile et de S. Jean Chrysostome. (Cf. aussi Rauschen, Florilegium patristicum, 7 : Monumenta eucharistica et liturgica vetustissima, 1909). On trouvera les détails dans les ouvrages de liturgie.

Le culte du Saint Sacrement peut déjà se constater à l'époque patristique. Tertullien, S. Cyrille et S. Augustin parlent du respect qu'on doit avoir dans le maniement des saintes Espèces. Mais ce respect s'est beaucoup augmenté au cours des siècles. L'occasion du progrès fut la polémique de Béranger et, plus tard, la Réforme, mais aussi la foi intérieure de l'Église. En France, après la controverse de Béranger, on introduisit l'élévation et l'adoration du Saint Sacrement et cet usage devint bientôt général. Batiffol ne le fait pas dériver de Béranger, mais d'une « lis domestica » qui eut lieu en France vers la fin du 12ème siècle (Revue du clergé, 1908, 523). Urbain V établit, sur l'initiative de Ste Julienne de Liège, la fête du Saint Sacrement. A cette fête s'ajouta bientôt l'usage de l'exposition de la sainte Hostie et celui des processions théophoriques. A l'époque contemporaine, on a vu naître toute une série de formes nouvelles de culte, comme la coutume de l'adoration perpétuelle des Quarante-Heures, des Ordres religieux d'adoration, des confréries du Saint Sacrement, le « mouvement eucharistique » des « Congrès eucharistiques internationaux » avec leurs manifestations grandioses, à la fois pratiques et scientifiques. Il ne faut pas oublier les efforts de Pie X pour promouvoir la réception fréquente de ce sacrement (Cf. Décrets du 20 décembre 1905 et du 8 août 1910 : Denz., 1981 sq. et 2137 sq.).

Division de la matière. Toute la matière de la doctrine eucharistique peut se ramener à trois points : on examine d'abord la présence réelle du Seigneur, puis l'Eucharistie comme sacrement et enfin comme sacrifice.

1. La présence réelle

§ 176. Controverses et hérésies

A consulter : Heurtevent, Durand de Troarn et l'hérésie bérangarienne (1912). Dict. Théol., 2, 722-742. Béranger de Tours.

Ce qui arrive si souvent dans la doctrine de foi se produit aussi dans le dogme eucharistique : il est passé par trois phases d'évolution. La première phase est caractérisée par la possession tranquille et incontestée  ; la seconde, par une polémique ou une négation plus ou moins violente  ; la troisième par la paix péniblement acquise, après l'élimination de l'erreur, par la définition dogmatique.

L'époque patristique ne laisse apparaître nulle part une attaque directe de l'Eucharistie. Et pourtant les docètes, les gnostiques et les manichéens auraient dû, en vertu de leurs principes, en venir à repousser ce sacrement. S. Irénée montre aux gnostiques que c'est une contradiction de leur part de considérer la matière comme pernicieuse et cependant de célébrer l'Eucharistie : « Ou bien ils doivent changer leur doctrine ou bien ils doivent renoncer à l'offrande des choses nommées ». Par contre, « l'Eucharistie confirme notre doctrine » (catholique). (A. h., 4, 18, 5). Nestorius lui-même admettait la réalité de l'Eucharistie. Mais, avec les Antiochiens, il niait la transsubstantiation et enseignait l'impanation ou la simple coexistence du pain, en conformité parfaite avec sa christologie, selon laquelle la divinité et l'humanité existent côte à côte. (Cf. Jugie, Nestorius et la controverse nestorienne [1912], 252-270).

Il y eut une controverse concernant la doctrine traditionnelle de l'Eucharistie, à l'intérieur de l'Église, pendant l'époque carolingienne. Elle fut déchaînée par un ouvrage de Paschase Radbert (de Corbie, en France) dédié à Charles le Chauve. L'ouvrage traitait du corps du Seigneur (De corpore et sanguine Domini). Il composa cet ouvrage parce que Warinus Placidus, le premier abbé de Neu-Corvey, abbaye fondée en 822 sur la Weser, lui avait demandé une base pour instruire les Saxons. Le livre représentait, pour cette époque, une œuvre remarquable ; mais il fit scandale, parce qu'il insistait sur l'identité parfaite du corps né de Marie et du corps sacramentel. Les deux corps sont identiques, mais il est manifeste qu'ils ne le sont que selon la substance et non selon les accidents. La distinction entre accidents et substance n'était pas encore très courante ; cette distinction ne s'accusa qu'à la suite de la controverse bérangarienne et ne fut formellement établie que par l'archevêque Guimond d'Aversa, vers 1073, dans son ouvrage dirigé contre Béranger : « De corporis et sanguinis Christi veritate in Eucharistia ». Paschase trouva des adversaires dans Raban Maur, archevêque de Mayence ; dans Haymo, évêque de Halberstadt ; dans le théologien de cour de Charles le Chauve, Scot Erigène, à Paris, et dans le moine Ratramne, de Neu-Corvey. Il est à remarquer que, dans ce conflit, Paschase pouvait se réclamer pour son langage réaliste de S. Ambroise (De myst., 9, 53) et que ses adversaires pouvaient appuyer leur langage plus spiritualiste de l'autorité de S. Augustin.

Cette polémique entra dans un stade dangereux par le fait de Béranger de Tours (+ 1088). Comme chef de l'école de Tours, il était l'adversaire de Lanfranc du Bec. Or ce dernier, dans la doctrine eucharistique, était un partisan de Paschase. Béranger combattit cette tendance et, dans la polémique, alla jusqu'à une conception symbolique du corps du Seigneur. Il dut répondre de ses erreurs devant les conciles de Rome (1050), de Paris et de Tours ; il dut ensuite, à Rome, sous Nicolas II (1059), admettre par serment une formule rigoureusement réaliste rédigée par le cardinal Humbert ; plus tard, sous Grégoire VII, (1079) il dut faire une nouvelle profession de foi, d'une rédaction plus mitigée : Le pain et le vin sont changés en chair et sang du Seigneur (substantialiter converti) (Denz., 355).

Durant ces controverses eucharistiques, il fut écrit une quantité de livres sur le corps et le sang du Seigneur, dans lesquels on traita des relations entre le corps historique, le corps céleste et le corps sacramentel du Christ et où, pour la première fois, on examina théoriquement la doctrine de la transsubstantiation. Certains auteurs croyaient pouvoir admettre que les apparences ou espèces (species) faisaient partie de la corporalité si bien que le Seigneur serait saisissable et qu'il pouvait être reçu et touché par les sens des fidèles. Cependant cette conception capharnaïte n'eut pas de partisans qui puissent compter. La doctrine catholique ne tarda pas à trouver, au 4ème Concile de Latran, sa formule brève et officielle dans le mot « transsubstantiation » créé par Hildebert de Lavardin (Denz., 430). Qu'il y ait eu aussi, au Moyen-Age, des sectes spirituelles opposées à la messe et au sacerdoce, comme aux sacrements en général, on l'a déjà signalé.

Les Réformateurs conservèrent sans doute la Cène, mais ils en vinrent à des conceptions entièrement différentes sur la présence réelle. Zwingle et ses partisans, parmi lesquels il faut compter aussi Carlostadt, Butzer et Œcolampade, admettaient le symbolisme pur : le pain et le vin « signifient » le corps et le sang du Seigneur, ne sont que des « signes » de son corps et de son sang. D'après Carlostadt, le Seigneur se montrait lui-même quand il dit : Ceci est mon corps. La Cène est une pure commémoration de la mort du Seigneur. Luther se plaçait au point de vue opposé ; il admettait la présence réelle tout en rejetant la transsubstantiation et en admettant une impanation, dont il avait déjà été question au temps de Béranger, d'après laquelle le corps du Seigneur serait présent dans et avec le pain. Calvin soutenait une opinion moyenne ; d'après lui, au moment où le fidèle communie, il reçoit du Christ céleste et glorifié, une vertu fortifiante qui lui communique d'en haut le Saint-Esprit. Il admet donc une présence dynamique. Mélanchton, lui aussi, penchait vers cette conception. Il y avait donc, au sujet de la présence réelle, un abîme entre la conception des luthériens et celle des réformés ; plus tard, Frédéric-Guillaume III essaya de le combler en fondant l’« union prussienne ». Aujourd'hui, c'est à peine si on trouve encore trace des anciennes différences si accentuées jadis. - La réaction catholique contre l’hérésie protestante eut lieu au Concile de Trente.

La Confession d'Augsbourg est encore assez proche de la doctrine catholique sur l'Eucharistie : « Au sujet de la Cène du Seigneur, on enseigne que le vrai corps et le vrai sang du Christ sont vraiment présents sous les espèces du pain et du vin à la Cène (texte latin : « Quod corpus et sanguis Christi vere adsint » - il manque ici la formule primitive :  « Sub specie panis et vini » et y est distribué et reçu. C'est pourquoi aussi la doctrine contraire est réprouvée » (Art. 10). C’est ce que répète l’Apologie (Mélanchton), qui se réfère pour cela à l’Église romaine et à l’Église grecque, notamment à S. Cyrille d'Alex., tout en déclarant qu'elle n'apporte ces témoignages que pour montrer que la doctrine protestante de la Cène est conforme à celle de toute l'Église (nos defendre receptam in tota Ecclesia sententiam  ; Muller, 164). Les articles de Smalkade ajoutent que le corps et le sang du Christ « ne sont pas seulement présentés et reçus par des chrétiens pieux, mais encore par des mauvais chrétiens » (Art. 6 ; Muller, 320). Mais alors que l'Apologie mentionne encore avec sympathie la transsubstantiation dans le texte latin, Luther, dans le grand catéchisme, expose la doctrine de l'impanation. « Le sacrement de l'autel est le vrai corps et le vrai sang du seigneur Christ, dans et sous le pain et le vin (texte latin : « In et sub pane et vino ») et nous autres chrétiens nous avons reçu l’ordre par la parole du Christ de manger et de boire ce corps et ce sang ».

Pour appuyer sa théorie de l'impanation, Luther imagina la doctrine absolument insoutenable de l'omniprésence (ubiquité) de l'humanité du Christ et spécialement de son corps.

Le rejet de la transsubstantiation et l'affirmation de l'impanation, la limitation de la présence réelle à l'usage (usus, actio) et l'ubiquité du corps du Christ, telles étaient donc les trois erreurs principales de la doctrine protestante orthodoxe concernant l'Eucharistie ; Calvin et Zwingle enseignèrent, après Luther, une doctrine hétérodoxe en s'en tenant à de purs symboles.

D'après les conceptions libérales modernes des protestants, il faut abandonner totalement le caractère historique de la Cène dans le sens de la Tradition. Le Christ aurait sans doute célébré la Cène, mais n'aurait pas ordonné son renouvellement, lequel n'aurait été ordonné que par S. Paul (1 Cor., 11, 25) pour en faire une commémoration de la mort du Seigneur ; ou bien le Christ n'aurait pas fait de la Cène un repas pascal, mais le symbole d'un repas qui devait se célébrer dans le royaume de Dieu dont la venue était imminente (Math., 26, 29) ; de ce symbole, Paul aurait fait le symbole de la mort sur la Croix ; ou bien le corps du Seigneur serait l'Église (1 Cor., 10, 17) et l'Eucharistie le symbole de la communauté ecclésiastique ; ou bien l'Eucharistie serait simplement un repas fraternel des chrétiens primitifs, analogue aux agapes ; ou bien, d'après une conception plus radicale encore, ce serait un emprunt postérieur au culte de Mithra, par lequel on aurait voulu obvier à la pauvreté primitive du culte. On le voit, ce sont toujours les mêmes protestants qui, comme s'en plaignait déjà Luther, « comprennent de dix façons les paroles du Seigneur et pas un seul n'a la même interprétation que l'autre » ( Ed. Clemen III, 356). Le modernisme, lui aussi, a des conceptions très embrouillées au sujet de l'Eucharistie : « On ne doit pas prendre au sens historique tout ce que Paul raconte (1 Cor., 11, 23-25) de l'institution de l'Eucharistie » (Syll. de Pie X, prop. 45 ; Denz., 2045).

§ 177. La présence réelle d'après l'Écriture

A consulter : Werner Goossens, Les origines de l'Eucharistie, sacrement et sacrifice (1931). Dict. théol. v. Eucharistie, 5, 1121 sq. D'Alès, Eucharistie : Biblioth. cath., 1931.

THÈSE. Le Christ est vraiment, réellement et substantiellement présent dans l'Eucharistie avec sa chair et son sang, avec son corps et son âme, avec son humanité et sa divinité.   De foi.

Explication. Le premier canon du Concile de Trente au sujet de l'Eucharistie s'exprime ainsi : « Si quelqu’un nie que le Corps et le Sang de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec son âme, et la Divinité, et par conséquent Jésus-Christ tout entier, soit contenu véritablement, réellement, et substantiellement au Sacrement de la Très Sainte Eucharistie ; mais dit qu'il y est seulement comme dans un signe, ou bien en figure, ou en vertu : Qu'il soit anathème » (S. 13, can, 1 : Denz., 883).

Deux points sont ici définis : 1° La présence réelle ; 2° L'intégrité de cette présence (corps, âme, divinité). On n'entendait pas par les mots « signe », « figure », « vertu », désigner chaque fois une hérésie, mais par ces trois expressions, on voulait condamner l'ensemble de l'hérésie. De même, les trois termes « véritablement », « réellement », « substantiellement », se complètent et se renforcent et ne condamnent pas chacun une hérésie, bien qu'ils fassent pendant aux trois termes « signe », « figure », « vertu » (Dict. théol., 5, 1344). Plusieurs Pères désiraient, au reste, qu'on ajoutât encore « sacramentaliter ". Mais ce mot se trouve dans le premier chapitre de la session ; le Concile y enseigne (docet) deux choses : 1° Le mode de présence (il nous est présent en sa substance sacramentellement : mais ce n'est pas selon la manière naturelle d’exister) ; 2° La preuve d’Écriture.

Preuve. Comme dans tous les grands mystères, on doit distinguer dans l'Eucharistie une promesse préparatoire et l'institution effective. La promesse se trouve dans Jean, 6, 52 sq. Elle a comme introduction et comme conclusion un récit historique. Le premier récit raconte la multiplication miraculeuse des pains, par laquelle Jésus nourrit cinq mille hommes. Le dernier récit rapporte comment plusieurs disciples se scandalisèrent d'un discours doctrinal de Jésus. Ce discours doctrinal se divise en deux sections nettement distinctes. La première section traite de la foi (6, 27-52 a). Le Christ demande, comme l'a fait si souvent Jean, qu'on se détourne des biens terrestres et périssables (pain terrestre) pour se tourner vers les biens éternels (pain céleste) qu'il doit apporter au monde : vérité et grâce. Il est lui-même la somme de ces biens. « Je suis le pain de vie ». On doit le manger, c.-à-d. croire en lui. Il passe ensuite, à partir de 6, 52 b, d'une manière très nette à un mystère de foi tout à fait spécial, à un pain qu'il ne donnera que dans l'avenir. « Et le pain que je vous donnerai (ὃν ἐγὼ δώσω) est ma chair pour la vie du monde ».

L'interprétation catholique universelle entend ces paroles comme la promesse de l'Eucharistie. Elle peut s'appuyer sur les raisons exégétiques suivantes : 1° Le Christ, en face de l'incrédulité des Juifs, répète, sous la forme négative et sous la forme positive, qu'il faut manger sa chair ; 2° II renforce encore la notion de chair par la notion parallèle de sang ; 3° Il insiste sur la réalité et la vérité de la nourriture et du breuvage ; 4° Il attribue au fait de manger et de boire un effet réel tout à fait particulier ; 4° Le scandale des Juifs résulte de la conception littérale de ses paroles ; il lui aurait été facile, s'il avait voulu être entendu au sens figuré, de supprimer ce scandale. Or il ne le fit pas, malgré son habitude d'expliquer les malentendus comme avec Nicodème (Jean, 3, 4-6), avec la Samaritaine (Jean, 4, 11-16), avec les Juifs (Jean, 8, 56-58), avec ses disciples (Jean, 11, 11-14) ; 6° Le Christ aurait eu le devoir de supprimer un scandale inutile ; étant donné qu'il ne l'a pas fait, c'est qu'il était, de son côté, innocent de ce scandale ; 7° Le pain de vérité et de doctrine, dont il vient de parler aux Juifs, leur était présenté auparavant par le « Père » dans le Fils ; le pain promis pour l'avenir sera donné par le Christ aux siens ; c'est « ma chair », « mon sang »  ; 8° Manger la chair et boire le sang d'un homme signifiait d'une manière imagée dans la langue juive, poursuivre quelqu'un jusqu'à la mort (Ps. 26, 2 ; 13, 4. Job., 19, 22 ; cf. Is., 49, 26 ; Apoc., 16, 6) ; cette manière de parler n'aurait donc pas du tout convenu pour figurer la foi au Christ.

On ne peut pas objecter contre ces raisons la parole du Seigneur : « C'est l'Esprit qui vivifie, la chair ne sert à rien » (6, 64), car par là il ne donne pas un sens symbolique à ses paroles, mais écarte seulement la conception grossière du manger charnel. Il remontera là où il était auparavant et recevra un mode d'être spirituel dans lequel il pourra être mangé. La chair pour la chair, entendue et mangée au sens matériel, ne sert de rien ; elle doit être entendue dans la foi, comme un moyen spirituel de grâce, comme la chair du Seigneur élevé et glorifié, cf. Bartmann, Indications pour la lecture de S. Jean, Th. Gel, 1907, 89-97.

Cette interprétation de la péricope johannique n'est sans doute pas dogmatisée ; elle n'est pas non plus admise par tous les Pères, bien qu'elle le soit par la plupart  ; mais on ne peut guère la repousser et le Concile de Trente en tient compte (S. 21, c. 1, 2 et 13). L'exégèse de la théologie libérale se rencontre encore ici avec celle des catholiques. Holtzmann donne un bon aperçu de l'état de l'exégèse quand il écrit : « Bien que l'application directe du passage (Jean, 6, 51-58) à la Cène du Seigneur ait été, jusqu'ici, surtout le fait des catholiques ou bien encore des néo-luthériens d'une part, et de l'école critique d'autre part, un rapport plus large avec cette Cène est de plus en plus admis et l'on reconnaît presque généralement qu'on ne peut pas éviter de penser au legs de Jésus » (Théol. du N. T., 2, 499 sq.).

Au sujet de l'institution, il y a dans l’Écriture quatre récits qui peuvent se ramener à deux groupes. On parle d'un récit paulinien et d'un récit pétrinien. S. Paul (1 Cor., 11, 23-25) et S. Luc (22, 19-20) racontent la Cène sous une forme un peu différente, mais qui est substantiellement concordante ; il en est de même du récit de S. Mathieu (26 26-28) et de celui de S. Marc, le disciple de S. Pierre (14, 22-24).

Math., 26, 26 sq. : « 26Or, pendant qu’ils dînaient, Jésus prit du pain, le bénit, le rompit, et le donna à ses disciples, en disant : Prenez et mangez ; ceci est mon corps. 27Et, prenant le calice, il rendit grâces, et le leur donna, en disant : Buvez-en tous ; 28car ceci est mon sang, le sang de la nouvelle alliance, qui sera répandu pour beaucoup, pour la rémission des péchés. »

Luc, 22, 19 sq. : « 19Puis, ayant pris du pain, il rendit grâces, le rompit, et le leur donna, en disant : Ceci est mon corps, qui est donné pour vous ; faites ceci en mémoire de moi. 20Il prit de même le calice, après qu’il eut soupé, en disant :Ce calice est la nouvelle alliance en mon sang, qui sera répandu pour vous. »

 

Marc, 14, 22sq : « 22Pendant qu’ils mangeaient, Jésus prit du pain, et l’ayant béni, il le rompit et le leur donna, en disant : Prenez, ceci est mon corps. 23Et ayant pris le calice et rendu grâces, il le leur donna, et ils en burent tous. 24Et il leur dit : Ceci est mon sang, le sang de la nouvelle alliance, qui sera répandu pour un grand nombre. »

1 Cor., 11, 23 sq. : « La nuit où il était livré, le Seigneur Jésus prit du pain, puis, ayant rendu grâce, il le rompit, et dit : « Ceci est mon corps, qui est pour vous. Faites cela en mémoire de moi. » Après le repas, il fit de même avec la coupe, en disant : « Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang. Chaque fois que vous en boirez, faites cela en mémoire de moi. »

 

Ajoutons l’essentiel des paroles de l’institution en grec :

Math., 26, 26 : τοῦτό ἐστιν τὸ σῶμά μου.

26, 28 : τοῦτο γάρ ἐστιν τὸ αἷμά μου,  τῆς καινῆς διαθήκης, τὸ περὶ πολλῶν ἐκχυνόμενον  εἰς ἄφεσιν ἁμαρτιῶν

Luc, 22, 19 :  Τοῦτό ἐστιν τὸ σῶμά μου, τὸ ὑπὲρ ὑμῶν διδόμενον

22, 20 : Τοῦτο τὸ ποτήριον ἡ καινὴ διαθήκη ἐν τῷ αἵματί μου, τὸ ὑπὲρ ὑμῶν ἐκχυνόμενον.

Marc, 14, 22 :  τοῦτό ἐστιν τὸ σῶμά μου

14, 24 : Τοῦτό ἐστιν τὸ αἷμά μου, τῆς καινῆς διαθήκης, τὸ ἐκχυννόμενον ὑπὲρ πολλῶν

 1 Cor., 11, 24 : Τοῦτό μού ἐστιν τὸ σῶμα τὸ ὑπὲρ ὑμῶν

11, 25 : Τοῦτο τὸ ποτήριον ἡ καινὴ διαθήκη ἐστὶν ἐν τῷ ἐμῷ αἵματι

Explication. Pendant que Jésus célébrait avec les siens le repas pascal, il prit du pain (τὸν ἀρτον) et prononça sur ce pain une prière d'action de grâces ou une bénédiction et le rompit (ευλογἠσας ἔϰλασεν), en faisant peut-être de cette rupture le symbole de sa mort qu'il mentionne expressément d'après le récit paulinien. Il présenta ce pain aux Apôtres, en leur ordonnant de le manger et en leur disant : Ceci est mon corps. On s'est demandé, depuis la Scolastique primitive, ce que signifie Τοῦτό. Si on répond : le corps du Christ, il y a une tautologie. Si on répond : le pain, ce n'est plus la vérité, car le pain n'est pas le corps du Christ, mais du pain. Le Christ d’ailleurs aurait dû dire : Ce pain est mon corps, c.-à-d. son symbole. Certains rapportent Τοῦτό à  σῶμα = ce corps est mon corps, ou bien l'entendent dans le sens de « ecce », ιδού, voici. Les deux interprétations sont dans le sens de la présence réelle. Une dernière interprétation est encore plus générale : Τοῦτό = Ce que j'ai ici dans les mains, ce que vous voyez, ce que je vous présente est mon corps.

On s'est demandé aussi quel est le sens de ἐστὶν. C'est, sans aucun doute, la copule du sujet et du prédicat. « Toute autre explication doit d'abord prouver sa légitimité » (Schanz, 331). Certes il s'est livré et il se livre encore des « batailles théologiques » autour de ce petit mot. D'après les « symbolistes », le sens de ce mot serait : signifie. Mais, dans les textes qu'ils allèguent pour justifier leur interprétation, ce sont deux substantifs qui sont unis : le Christ est la porte, le rocher, la vigne. Zwingle se réfère à Gen., 41, 26 sq. ; Ex., 12, 11 ; Dan., 7, 17, 24 ; Math., 13, 38 ; 1 Cor., 10, 4 ; Gal., 4, 24 ; Apoc., 1, 20. Dans ces textes, le sens figuré du discours résulte du discours lui-même et non de ἐστὶν. Dans notre phrase,  par contre, c'est Τοῦτό qui est encore indéterminé qui reçoit son contenu de σῶμά μου. D'ordinaire, on ajoute immédiatement le sens figuré, comme dans le cas que fait tant valoir Zwingle  ; Ex., 12, 11 : C'est la Pâque de Jahvé ; ici on décrit d'abord, d'une manière précise, le rite dont il est dit que c'est la Pâque de Jahvé et on ajoute immédiatement : le sang de l'agneau sera « un signe » pour l'avantage et l'utilité d'Israël. Les « symbolistes » disent encore que, dans l'araméen, la langue maternelle de Jésus, il n'existe pas de mot pour rendre le sens de « signifier », « désigner ». Or Wisemaft a découvert 65 termes de ce genre dont le Seigneur aurait pu se servir pour exprimer le sens purement symbolique. Au reste, comme le remarque avec raison Schanz, les Apôtres sont les meilleurs interprètes des paroles du Seigneur. Or ils écrivent « est » et non « signifie ». Œcolampade, qui est partisan de Zwingle, cherche le symbolisme dans le dernier mot σῶμα. Mais le pain n'est, ni naturellement ni d'après les conceptions juives, le symbole du corps humain.

Les paroles d'institution concernant le calice sont rapportées par S. Mathieu et S. Marc d'une manière assez semblable. Jésus prit le calice, c.-à-d. le calice rempli de vin (continens pro contento ; cf. aussi Math., 26, 29), rendit de nouveau grâces et dit aux disciples, d'après Mathieu : « Buvez-en tous »  ; on a, en place de ces mots, dans Marc : « Tous en burent ». Et il dit : « Ceci est mon sang » (τοῦτό ἐστιν τὸ σῶμά μου). Ici encore on trouve l'identité absolue du contenu du calice avec le sang. Dans les deux cas, le sens littéral est celui qui s'impose et toutes les interprétations symbolistes sont artificielles.

Les mots ajoutés à « calice » ou à « sang » sont les mêmes d'après Mathieu et Marc : le sang τῆς διαθήκης (Cf. Ex., 24, 8 ; Hébr., 9, 18, 22). C'est un sang d'alliance, bien entendu d'une « nouvelle » alliance ; καινῆς est secondaire et fait défaut dans les manuscrits les plus importants ; il a peut-être été introduit d'après S. Paul. Ensuite ce sang est désigné comme « versé » (ἐκχυνόμενον). La critique estime que cette expression va contre la présence réelle, car à ce moment le sang du Christ coulait dans ses veines et que, par suite, la parole est prise au sens figuré. Seulement le Seigneur unit par là - dans S. Paul il le dit formellement - l'Eucharistie avec sa mort sacrificale qu'il subira le lendemain. Les deux constituent une unité morale dans une coïncidence objective sinon strictement temporelle. On peut encore, avec la Vulgate, entendre ἐκχυνόμενον au sens futur (effundetur). Il y a des théologiens qui pensent à une effusion quelconque, présente au sens strict, afin de pouvoir faire ressortir l'indépendance du sacrifice eucharistique. Les théologiens libéraux sont parfois d'avis que le Christ aurait réellement versé la coupe, ce qui, sans parler des autres raisons, aurait absolument empêché les Apôtres de boire. Une dernière addition est : περὶ πολλῶν … εἰς ἄφεσιν ἁμαρτιῶν ; Marc : ὑπὲρ πολλῶν. Ces paroles indiquent, bien que l'expression formelle manque, que le sang versé est un sacrifice dont le but est la rémission des péchés. Le Christ avait dit, auparavant, qu'il était venu « pour donner sa vie comme la rançon d’un grand nombre » (Marc, 10, 45). « Beaucoup » s'oppose à « un », celui qui se sacrifie et non pas dans le sens prédestinatien à tous les hommes ; le Christ est mort pour tous. Cf. t. 1er, § 120.

Examinons maintenant les deux autres textes. Pour ce qui est du texte paulinien, nous possédons beaucoup d'autres paroles de l'Apôtre qui peuvent servir à l’explication du texte de l'institution.

Luc rattache plus fortement que Mathieu et Marc l'Eucharistie à la mort du Christ, en mentionnant le grand désir de Jésus : « J’ai désiré d’un grand désir de manger cette Pâque avec vous, avant de souffrir » et son impression eschatologique (Luc, 22, 15 sq.) ; de même, par les additions à « corps » (σῶμά μου, τὸ ὑπὲρ ὑμῶν διδόμενον) et à sang (αἵματί μου, τὸ ὑπὲρ ὑμῶν ἐκχυνόμενον) qui caractérisent, sans aucun doute, le repas comme un repas sacrifical. L'essentiel des formules concorde avec Mathieu et Marc et doit s'entendre comme on l'a dit précédemment. II y a une difficulté particulière dans Luc, à propos des deux coupes. On peut la résoudre en admettant, avec Batiffol, que Luc a mêlé deux relations de l'institution, une plus courte (22, 15-18) et une plus longue qui est en harmonie avec Marc (22, 19 sq.), d'où il serait résulté une certaine confusion, malgré la clarté de la forme centrale. « Ne disons donc pas que 15-18, d'une part, et 19, 20, d'autre part, sont deux Cènes distinctes : ce sont deux récits distincts mais concentriques de la même Cène. » (L'Eucharistie, 129). On peut encore, avec Schanz et Berning, admettre deux cènes différentes : 15-18, la cène juive ; 19, 20, l'Eucharistie. S. Luc concorde presque entièrement avec S. Paul, si bien qu'on peut admettre qu'ils ont utilisé une source commune. S'il est certain que S. Luc ne connaissait pas les Épîtres de S. Paul quand il composa les Actes, il est certain, également, qu'il ne les connaissait pas quand il écrivit son Évangile (Τὸν μὲν πρῶτον λόγον, Act. Ap., 1, 1). S. Paul se réfère à une donnée « reçue du Seigneur » (1 Cor., 11, 23), ce qui doit sans doute s'entendre d'une révélation indirecte (par l'Église primitive) ; l'Eucharistie, en effet, était connue et célébrée depuis le commencement. Dans S. Paul, la remarque μετὰ τὸ δειπνῆσαι est moins fondée que chez S. Luc qui raconte auparavant la Passah = δεῖπνον. L'un et l'autre contiennent l'ordre de faire de même en mémoire du Christ, c.-à-d. de sa mort. Sans doute, ces paroles manquent dans S. Mathieu et S. Marc, mais d'abord, même ailleurs, S. Luc est plus complet dans son évangile, et ensuite, S. Mathieu et S. Marc ont tout au moins indiqué objectivement le renouvellement de la Cène en racontant plus tard aux fidèles comment Jésus a conclu sa Nouvelle Alliance, c.-à-d. une institution permanente, en disant à ses Apôtres : « Prenez, mangez, buvez ». Ce qui valait pour les premiers fidèles de l'Alliance doit avoir, pour ceux qui viendront après, le même caractère obligatoire et la même importance. Il est donc inadmissible de prétendre que c'est S. Paul qui a introduit, de son chef, la liaison entre l'Eucharistie et la mort de Jésus dans la doctrine eucharistique primitive, en se référant pour cela à une révélation divine (παρέλαβον) ; il aurait, par conséquent, opposé sa révélation à la révélation primitive ; il aurait été le premier « réformateur » dans la doctrine eucharistique.

Luther lui-même se laissa guider, dans l'explication des paroles de l'institution, par son sens exégétique ; il écrit : « Je vois des paroles tranchantes, claires et puissantes de Dieu, qui me forcent de confesser que le Christ est avec son corps et son sang dans le sacrement. » (Seeberg, Doctrine de Luther [1917], 328 sq.).

L'Histoire des religions se réfère au terme (παρέλαβον) cité plus haut pour prouver que Paul a emprunté sa doctrine au culte des mystères où cette expression se rencontre (Norden, Agnostos Theos, 288 sq.). Ou bien elle signale les mystères d'Eleusis (Déméter) qui se célébraient non loin de Corinthe, qui était le siège de la communauté paulinienne. Heitmüller rappelle même les usages des Aztèques au Mexique. A quels subterfuges faut-il recourir pour échapper à la vérité !  

Il est certain que S. Paul a fait des emprunts, mais seulement au judaïsme, pour expliquer d'une manière typique l'Ancien Testament : il n'en a jamais fait au paganisme. C'est dans le judaïsme qu'il avait été élevé, qu'il avait vécu jusqu'à sa conversion, d'une manière religieuse, c'est dans le judaïsme qu'il trouva les éléments qui lui permirent d'édifier son christianisme personnel fondé sur la tradition. C'est pourquoi nous le voyons souvent faire allusion aux rites juifs, quand il a à parler des rites chrétiens. Sacrifice, circoncision, agneau pascal, alliance, rites d'expiation, ce sont là pour lui autant d'images et d'exemples dont il sait faire un usage abondant. Quant au paganisme, il ne le signale que comme un exemple horrible et repoussant. « Voilà ce qu’étaient certains d’entre vous » (1 Cor., 6, 11). « Quelle communauté y a-t-il entre la lumière et les ténèbres ? Qu'a à faire le Christ avec Bélial ? » (2 Cor., 6, 14 sq.).

Les confirmations bibliques de la doctrine eucharistique catholique abondent. Nous ne pouvons ici que les résumer, nous aurons à en reparler en particulier. Dans les Actes des Apôtres, cf. 2, 42-47 ; cette péricope s'applique de la façon la plus exacte à l'Eucharistie et ne doit pas s'entendre des agapes. Ensuite on trouve des allusions à l'Eucharistie dans la littérature johannique. Sans doute, Jean, 13, 1 sq., n'atteste pas l'institution, comme Belser le pense, mais ce que l'évangéliste raconte, « Et après le dîner... » (13, 2), le lavement des pieds, l'avertissement à Judas, à Pierre, tout cela est parfaitement conforme aux impressions de la Cène eucharistique, telle que la racontent les synoptiques. Que Judas ait communié, on ne peut pas le prouver et, par conséquent, on ne peut pas non plus l'affirmer. Il y a toute une littérature à ce sujet. La faute du malheureux est déjà assez grande sans ajouter celle-là. Et que Jésus, qui, d'après S. Jean, sait tout, lui ait sciemment présenté les saintes espèces, c'est là une pensée peu supportable. On trouve d'autres échos eucharistiques dans l'Apocalypse ; cf. 2, 7, 17 ; 3, 20. Dans les Épîtres de S. Paul, 1 Cor., 10, 15-22, sera examiné à propos du sacrifice de la messe ; mais cf. aussi l Cor., 10, 1-4 ; 11, 17-34. Gal., 2, 11-14. Act. Ap., 20, 7 sq. (S. Paul en Troade) ; 27, 35 (Paul rompt le pain sur le bateau) : ces trois derniers textes sont entendus, par un certain nombre, de l'Eucharistie. Hébr., 13, 7-13 sera examiné à propos du sacrifice de la messe.

Synthèse. Il y a des attestations de l'Eucharistie dans le Nouveau Testament, que ce soit des paroles prononcées ad hoc ou que ce soit des paroles occasionnelles. Il résulte particulièrement des paroles de l'institution, rapportées par quatre récits essentiellement concordants, que Jésus a voulu donner à ses disciples sa vraie chair et son vrai sang. Que les Apôtres aient reçu comme tel le don de Jésus et continué de s'en nourrir dans des repas religieux, cela ressort d'autres textes, surtout de 1 Cor., 10, 20 sq. et 11, 26-30. La réception du corps et du sang du Christ a des conséquences morales réelles ; le bon obtient la « participation au corps du Seigneur » (1 Cor., 10, 16), le mauvais se rend « coupable envers le corps et le sang du Seigneur », il encourt « le jugement », « la faiblesse, la maladie et la mort » (1 Cor., 11, 27-30). De purs symboles, des images et des paraboles, n'ont pas ces effets-là. Le Christ, sans doute, avait souvent parlé en paraboles, mais, vers la fin de sa vie, il parle « ouvertement » et ne dit « plus de paraboles » (Jean, 16, 29). On ne rédige pas un testament en style figuré, mais en termes clairs ; un traité d'alliance ne doit pas être équivoque. On doute que les Apôtres aient compris Jésus. Pourquoi ne l'auraient-ils pas compris ? Ils étaient préparés au don de Jésus par Jean, 6, 52 sq.. Au reste, une compréhension complète est aussi impossible ici que pour les mystères de l'Incarnation et de la Trinité. Et cependant ils ont cru et annoncé ces mystères. Au reste, les additions à « corps » et à « sang » ne laissaient pas d'autre possibilité que d'admettre que le Christ voulait être compris au sens littéral.

§ 178. La présence réelle dans la Tradition

A consulter : La perpétuité de la foi de l'Église catholique touchant l'Eucharistie, 5 vol., les trois premiers des jansénistes Arnauld et Nicole (Paris, 1669-1674), les deux derniers de Renaudot (Paris, 1711-1713). Hurter, Nomenclat. 4, 437 sq. 975. Franzelin, De Eucharistia thes., 8 sq. Ermoni, L'Eucharistie dans l'Église primitive (3e éd., 1905), L'agape dans l’Église primitive (éd., 1904). Béguinot, La très sainte Eucharistie. Exposition de la foi des douze premiers siècles, 2 vol. (Paris, 1903). Chollet, La doctrine de l'Eucharistie chez les Scolastiques (1905). Dict. apol. et Dict. théol., v. Eucharistie. Marucchi, Le dogme de l’Eucharistie dans les monuments des premiers siècles (1910). Rauschen, Florilegium patristicum, 7 : Monumenta eucharistica et liturgica vetustissima (1909). Tixeront, Schwane, félé.

Le Concile de Trente est parfaitement autorisé à invoquer le témoignage unanime des Pères ; car tous ceux qui parlent de l'Eucharistie - et ce sont de beaucoup les plus nombreux - expriment à ce sujet la foi à la présence réelle. Leurs témoignages ont été maintes fois réunis par les théologiens catholiques et d'une manière si complète et si scientifique qu'il suffira ici d'entendre les principaux représentants de toutes les Églises anciennes.

La Didachè atteste la célébration régulière de l'Eucharistie le dimanche. Elle désigne l'Eucharistie comme un « aliment spirituel », un « breuvage spirituel » (10, 3). Cependant le texte obscur n'est pas probant pour la présence réelle. S. Ignace emploie, il est vrai, les mots chair et sang du Seigneur au figuré pour désigner la vérité, la charité et la foi. Mais, dans un endroit, il est un témoin absolument clair de notre dogme. Il écrit au sujet des docètes : « Ils s'abstiennent de l'Eucharistie et de la prière, parce qu'ils ne confessent pas que l’Eucharistie est la chair de notre Rédempteur Jésus-Christ, laquelle a souffert pour nos péchés et que le Père, dans sa bienveillance, a ressuscitée » (Smyrn., 7, 1). Ici la double relative ajoutée à « chair » ne permet aucun doute.

S. Justin se propose de réfuter les soupçons païens contre les chrétiens et notamment contre leur culte tenu secret ; c'est pourquoi il lève délibérément le voile de la discipline de l’arcane et décrit toutes les cérémonies. Il fait voir, à ce sujet, tout le grand respect qu'on a pour l'Eucharistie. Pour justifier ce respect il écrit : « Car ce n'est pas comme un aliment ordinaire et comme un breuvage ordinaire que nous recevons ceci, mais, de même que Jésus-Christ notre Sauveur, lorsque par la parole de Dieu (διὰ λόγου θεοῦ) il s'est fait chair, a pris, pour notre salut, la chair et le sang, ainsi nous avons été instruits que la nourriture bénite par une parole de prière venant de lui, en rendant grâces, avec laquelle notre chair est nourrie, au moyen d'une transformation (ϰατἀ μεταβολήν) est la chair et le sang de ce Jésus fait chair. » (Apol., l, 66). Il faut remarquer les points suivants : S. Justin manifeste l'enseignement général de l'Église : « C'est ainsi que nous avons été instruits » (dans la catéchèse). Il identifie la chair et le sang du Christ historique avec la chair et le sang du Christ eucharistique. La production, la préparation du corps eucharistique, se fait par une parole de bénédiction reçue du Seigneur. L'effet de ce corps dans l'homme, c'est une union spirituelle et une transformation de l'humain en divin.

S. Irénée parle, à maintes reprises, de l'Eucharistie. Signalons les points suivants. Les gnostiques, comme les docètes, ont horreur de la matière. Or S. Irénée écrit : « Comment peuvent-ils croire que le pain sur lequel est prononcé l'action de grâces est le corps du Seigneur et que le calice contient son sang, s'ils ne le reconnaissent pas comme le Fils du Créateur du monde ? » (A. h., 4, 18, 4). Il estime que le Seigneur ne pourrait pas faire du pain, qui est une partie de la création, son corps, si ce pain ne lui appartenait pas comme sa propriété. Mais, ce qui est important pour nous, c'est la foi commune aux chrétiens et aux gnostiques, dans la présence réelle du Seigneur. Il atteste cette présence réelle dans un autre passage polémique : « Il a déclaré que le calice, qui est pris des choses créées, est son propre sang (αῖμα ἴδιον) avec lequel il pénètre notre sang, et que le pain, qui appartient à la création, est son propre corps (ἴδιον σῶμα) avec lequel il élève nos corps (αὔξει). Le pain et le vin « deviennent, par la parole de Dieu, l’Eucharistie qui est le corps et le sang du Christ » (A. h., 5, 2, 2-3). D'après les trois Pères qu'on vient de nommer, S. Justin, S. Ignace et S. Irénée, toute l’Église, celle d'Orient comme celle d'Occident, croit, dès cette époque primitive, à la présence réelle.

Tertullien ajoute à ces témoignages celui de l'Afrique du Nord. Il est vrai qu'il a été le premier à désigner l'Eucharistie par l'expression « figure » (figura corporis Christi) et les adversaires en font volontiers un « symboliste ». Seulement il atteste notre dogme avec une précision indiscutable. Ainsi il écrit : « Nous prenons bien garde pour qu'il ne tombe rien de notre calice et de notre pain par terre » (De cor. mil., 3). Il dit aux artisans chrétiens qui fabriquent des idoles pour les païens : « C'est un crime déplorable quand un chrétien vient des idoles à l'église, quand il touche le corps du Seigneur (on le mettait dans les mains des communiants) avec les mêmes mains qui construisent des corps aux démons... Quel crime ! Les Juifs n'ont porté qu'une fois la main sur le Christ ; ceux-là saisissent tous les jours son corps. Ces mains-là devraient être coupées » (De idol., 7). Ces fortes expressions ne sont compréhensibles que si Tertullien admet la présence réelle. Les expressions suivantes rendent un son aussi réaliste : « La chair (du chrétien) est nourrie de la chair et du sang du Seigneur, afin que l'âme aussi soit nourrie de Dieu » (De resurr. carn., c. 8 ; cf. plus haut p. 304). C'est d'après ces passages clairs que doivent s'expliquer les passages douteux qui le font soupçonner d’être symboliste. Hippolyte de Rome donne ces avis dans son ordonnance ecclésiastique (cap. 59, Schermann, 1, 91 sq.) : « Que chacun fasse bien attention qu'aucun infidèle ne mange de l'Eucharistie ou bien qu'une souris, une autre créature, ou quoi que ce soit n'y tombe. C'est en effet le corps du Christ dont les fidèles (seulement) doivent manger et il ne doit pas être méprisé. »

S. Cyprien est le seul Père qui consacre à l'Eucharistie un assez long exposé. (Ep. 63). Rauschen considère la doctrine exposée par S. Cyprien comme « difficile à déterminer » (p. 14). La difficulté consiste en ce qu'il dit, à plusieurs reprises, que le vin est présenté comme le sang du Christ (ostenditur, potest videri ; c. 13) ; et on voudrait déduire de ces paroles son symbolisme. Mais il a également prononcé des paroles réalistes sur l'Eucharistie. Ainsi il dit, au sujet de ceux qui communient indignement : « Il font violence à son corps et à son sang et ils sont coupables maintenant envers le Seigneur avec leur main et leur bouche d'une manière plus grave que lorsqu'ils l'ont renié » (De laps., 16). Il exige la plus extrême pureté et dignité pour la réception de l’Eucharistie (ibid., 15, 16, 26 ; De dom. Orat., 18 ; Test., 3, 94 ; Ep. 15, 1 ; 16, 2sq.; 17, 2) et parle comme S. Paul de châtiments inopinés quand on ne reçoit pas dignement l'Eucharistie (De laps., 25, 26). De tout cela il ressort que S. Cyprien n'est pas plus un symboliste étroit que son maître Tertullien.

Les Alexandrins s'expriment volontiers d'une manière symbolique sur les apparences externes et cherchent à utiliser l'Eucharistie pour des fins didactiques. Dans l'Eucharistie est reçu le divin Logos de la vérité éternelle. Mais Clément trouve cependant des expressions réalistes au sujet de ce mystère : « Le mélange du breuvage et du Logos est appelé « Eucharistie », un don de grâce précieux et magnifique ; ceux qui y participent avec foi sont sanctifiés selon le corps et selon l'âme, alors que la volonté du Père unit l'homme, ce divin mélange (de corps et d'âme), avec l'Esprit et le Logos, d'une manière merveilleuse ; car l'Esprit est vraiment uni très intimement avec l'âme qui est portée par lui, et la chair, à cause de laquelle le Logos s’est fait chair, l'est avec le Logos » (Pæd., 2, 2). Origène atteste la simple foi de l'Église quand il dit : « Quant à nous, nous rendons grâces au Créateur de l’univers et c'est pourquoi aussi nous mangeons les pains qui nous sont offerts au milieu de l'action de grâces et de la prière pour les dons reçus ; ces pains sont devenus auparavant un certain corps, lequel, à cause de la prière (prononcée sur les pains), est saint et sanctifie ceux qui en mangent avec une conscience saine (pure) » (C. Cels., 8, 33). « Nostis qui divinis mysteriis interesse consuestis, quomodo, cum suscipitis corpus Domini, cum omni cautela et veneratione servatis, ne ex eo parvum quid decidat, ne consecrati muneris aliquid dilabatur » (Hom., 13, in Ex. : M. 12, 391 A).

Les Pères grecs postnicéens sont sans doute influencés, dans leur théologie, par Origène ; mais ce sont justement eux qui sont les plus énergiques défenseurs de la présence réelle. Naturellement, c'est dans leurs écrits catéchétiques que leur foi s'exprime de la manière la plus nette. S. Athanase écrit : « Nous sommes divinisés, non pas en participant au corps d'un homme, mais en recevant le corps du Logos lui-même. » (Ad Maxim. Philos., 2 : M. 26, 1087). S. Grégoire de Nys. dit dans sa catéchèse (Orat. Cat., 37) : « Nous croyons donc à bon droit que, maintenant encore, le pain sanctifié par la parole de Dieu est changé au corps du Logos de Dieu ». S. Cyrille de Jérus. renvoie, pour prouver la présence réelle, à la parole du Christ : « Puisqu'il a dit lui-même du pain « ceci est mon corps », qui oserait hésiter ? Et puisque lui même a assuré « ceci est mon sang », qui voudrait douter que ce ne soit son sang ? » Ensuite il en appelle à la toute-puissance de Dieu qui a transformé les éléments terrestres dans la substance plus élevée du corps du Christ (Cat. myst., 4, 1 sq.). S. Jean Chrysostome, le « doctor eucharistiæ », en vient souvent, dans ses écrits, à parler de la présence réelle et il le fait parfois d'une manière très réaliste : « Nous devons boire le sang salutaire, comme si, avec les lèvres, nous le sucions du côté divin et immaculé » (De pœn. hom., 9, 1). « O combien disent maintenant : Je voudrais voir son aspect, sa figure, ses vêtements, ses chaussures ! C’est lui-même que tu vois, lui-même que tu touches, lui-même que tu manges » (ln Math. Hom., 82, 4 : M. 58, 743). « C'est son corps transpercé par les clous qu'il nous a donné, afin que nous puissions le tenir dans nos mains et le manger, en preuve de son amour; car ceux-que nous aimons, nous avons souvent coutume de les mordre » (ln Ep. 1 ad Cor. Hom., 24, 4). Les autres Grecs également, non seulement les prosaïques Antiochiens, comme Théodore de Mopsueste, Macaire de Magnésie, qui repoussaient énergiquement les expressions « symbole » et « image », mais encore les Alexandrins plus mystiques (Sérapion de Thmuis, S. Athanase, Macaire d’Égypte), qui aimaient certes revêtir leur foi de ces expressions (ὁμοίωμα, αντίτυπόν, σὐμβολον = aspects, formes d'apparence) expriment la même vérité. De S. Cyrille d’Alexandrie, il suffit de citer sa réfutation de Nestorius qui, sans doute, admettait la présence réelle, mais séparait la divinité de l'humanité et prétendait que l'humanité seule était reçue dans le sacrement : « Nous ne mangeons pas, comme si nous dévorions la divinité - loin de nous une telle impiété - mais nous mangeons la propre chair du Logos qui est devenue une chair vivifiante, parce qu’elle appartient à celui qui vit pour le Père » (Adv. Nest., 4, 5).

Les Pères latins des 4ème et 5ème siècles sont d'une grande clarté et d'une grande précision : seule la conception de S. Augustin présente quelques difficultés. S. Hilaire se réfère à la parole du Christ (Jean, 6, 56 sq.) et dit : « Il ne reste pas de place pour le doute concernant la vérité de la chair et du sang » (De Trin., 8, 14). S. Ambroise traite à fond l'Eucharistie dans son ouvrage catéchétique (De mysteriis), il exprime d'une manière très nette la doctrine de la transsubstantiation ; il l’explique et la prouve par les miracles bibliques. Nous aurons, plus loin, l'occasion de l’entendre encore. Il faut citer également ici l'ouvrage du pseudo-Ambroise (De sacramentis, 4, 14-16). S. Ambroise a été, à cause de sa phrase célèbre sur l'identité du Christ historique et du Christ eucharistique (« ce que nous produisons, c'est le corps né de la Vierge. Pourquoi chercher ici l'ordre de la nature dans le corps du Christ, alors que le Seigneur Jésus lui-même a été enfanté par une Vierge en dehors du cours de la nature ? C'est la vraie chair du Christ qui a été crucifiée, qui a été ensevelie. C'est donc vraiment le sacrement de sa chair » De myst., 9, 53), le docteur eucharistique préféré de l'Occident (Paschasius Radbertus).

S. Augustin semble ne pas avoir connu le livre de son maître sur les mystères. Tout au moins on ne trouve pas trace d'une influence de ce livre sur lui. Les protestants le rangent presque unanimement parmi les « symbolistes ». Les catholiques, sans méconnaître son langage spiritualiste, le reconnaissent pourtant pour l’un des leurs. Schanz écrit à son sujet : « S. Augustin n'est donc pas un spiritualiste et un symboliste, mais il enseigne la présence réelle du Christ dans l'Eucharistie. » Rauschen dit à propos de cette citation : « Je dirais plutôt : S. Augustin penche vers l'explication symboliste de l'Eucharistie, mais il n'a pas voulu par là exclure la présence réelle » (P. 24). Pour comprendre S. Augustin, il faut se rappeler sa notion du sacrement : Autre chose est ce qu'on voit dans le sacrement et autre chose ce qu'on connaît spirituellement : « Ce que vous voyez est du pain et une coupe, comme vos yeux vous l'annoncent ; mais la foi vous dit : Le pain est le corps du Christ et la coupe le sang du Christ. » (Sermo 272 : M. 38, 1246 ; cf. serm. 217 et 132). « Ce qu'on voit sur la table du Seigneur est du pain et du vin ; mais ce pain et ce vin sont, par la parole qui est survenue, le corps et le sang du Logos » (Sermo 6 : M. 46, 834). « Et il (le Christ) se portait lui-même dans ses mains quand il nous dit : ceci est mon corps. » (Enarr. in Ps. 33, 10 : M. 36, 306). En tant que néo-platonicien, il distingue, il est vrai, l'être et le paraître et de là viennent ses nombreuses expressions spiritualistes au sujet de l'Eucharistie que nous aurons à examiner plus loin en connexion avec les autres Pères. On peut, avec S. on 1er, clore la série des Pères. Il exhorte ainsi les fidèles : « Puisque le Seigneur dit : Si vous ne mangez pas, etc. (Jean, 6, 54), vous devez participer à la sainte table sans avoir le moindre doute sur la vérité du corps et du sang du Christ » (Sermo 91, 3 : M. 54, 452).

Pour bien comprendre la doctrine des Pères sur l'Eucharistie, il faut la comparer à leur doctrine sur la messe. Il est clair que les deux doctrines se conditionnent mutuellement. Or comme nous le préciserons plus tard, la conception de l'Eucharistie comme sacrifice de la Nouvelle Alliance est très ancienne et exprimée d'une manière très réaliste, précisément chez les Pères qu'on accuse d'être symbolistes, comme Origène, Tertullien, S. Cyprien, S. Augustin. Mais s'ils croient que le sacrifice de la messe est l'offrande réelle du Christ à Dieu, leur foi eucharistique ne peut pas s'en tenir à un pur symbole.

A côté des témoignages patristiques, il faut ranger les prières liturgiques. Sont particulièrement précieuses les paroles de l'épiclèse, ou prière pour demander la transformation des substances terrestres. Ainsi on lit dans la formule la plus ancienne qui nous soit connue, celle du canon de Sérapion de Thmuis : « Dieu de vérité que ton saint Logos descende sur ce pain, afin que le pain devienne le corps du Logos, et sur cette coupe, afin que cette coupe devienne le sang de la vérité ». On trouvera tout le canon dans Rauschen, 100-102. Les autres épiclèses qui nous ont été conservées s'expriment de même. A ces formules correspondent tout à fait les exhortations des liturgies qui recommandent de participer avec pureté à l'Eucharistie, et la profession de foi à la présence réelle immédiatement après la Consécration. Signalons enfin l'accord de l’Orient et de l'Occident. Maltzew écrit : « Le Seigneur est présent dans le sacrement de l'Eucharistie non seulement avec son corps et son sang, mais encore avec tout son être c.-à-d. non seulement avec son âme qui est inséparablement unie à son corps, mais encore avec sa divinité qui est hypostatiquement et inséparablement unie à son humanité. » (§ 89 et 90). Ainsi donc toute l’ancienne Église croit à la présence réelle : en Asie Mineure, en Égypte, en Afrique, en Italie, en Gaule.

L'Eucharistie est encore illustrée par les trois séries d'images des catacombes (Résurrection, pénitence, Cène). Le jour de la mort d'un chrétien et au jour anniversaire, les fidèles célébraient la Cène auprès des tombeaux, souvent en union avec un repas donné aux pauvres. D'où les images eucharistiques : la multiplication des pains, les noces de Cana, l'eau jaillissant du rocher et la manne. Ces repas donnés par Dieu caractérisent bien le sens du repas eucharistique. L'image des présents des mages devait exciter le zèle des fidèles pour les œuvres de miséricorde de la charité fraternelle (agapes).

Difficultés patristiques. On ne peut pas contester que toute une série de Pères, peut-être la plupart, dans leurs exposés sur l'Eucharistie, emploient, à l'occasion, des expressions symboliques (τύπος, σύμβολον, ὁμοίωμα, ἀντίτυπος, signum, similitudo, figura). Pour bien les comprendre, il faut remarquer ce qui suit. Ces expressions se trouvent précisément chez des Pères dont le réalisme strict ne peut être mis en doute, comme chez S. Athanase, S. Cyrille de Jérusalem, S. Grégoire de Nazianze, S. Jean Chrysostome, S. Ambroise. Par conséquent, on ne doit pas entendre ces expressions dans un sens absolument symboliste. On comprendra facilement d'ordinaire le sens et l'importance de ces termes en se rappelant que l'Eucharistie, dans son ensemble, peut être envisagée de bien des points de vue. On peut : 1° Envisager les espèces sensibles, la manière dont elles apparaissent et dire qu'elles sont une image, un signe, un type du corps du Seigneur. On peut : 2° Considérer le corps sacramentel du Seigneur par opposition à son corps céleste et l'appeler une image, une manifestation de ce corps céleste. On peut aussi : 3° Voir dans l'Eucharistie, avec S. Paul (1 Cor., 10, 17), un symbole de l'Église, comme le fait déjà la Didachè (9, 4) et comme le feront plus tard le canon de Sérapion et S. Augustin (Sermon 272 etc.). On peut enfin : 4° Parler d'une manducation multiple du corps du Christ. La foi éclairée sait que, sous les apparences sensibles mais non pas précisément dans ces apparences en tant que telles, on reçoit le corps sacramentel du Christ. On doit rappeler à la foi non éclairée qu'il ne s'agit pas de « remuer les dents et l'estomac », comme dit S. Augustin, mais d'une manducation spirituelle. On exhorte les négligents à ne pas manger et boire la chair et le sang du Christ « seulement dans le sacrement, ce que font aussi beaucoup de méchants, mais à manger et à boire pour participer à l'Esprit, afin que nous demeurions dans le corps du Seigneur, afin que nous soyons nourris de son Esprit » (In Joan., 27, 11). « Avant la bénédiction, si on les mange, on remplit son ventre ; mais après, si on les mange, on nourrit son esprit. » (Morin, p. 25). S. Augustin, comme les autres « spiritualistes », insiste plus sur le caractère de grâce que sur la présence réelle, plus sur le sacrement pour nous que sur le sacrement en soi, car le but dernier, même dans l'Eucharistie, est manifestement sacramentel : elle doit produire la grâce spirituelle. Quand on admet cela, il est facile de comprendre même les « spiritualistes ».

On sait que les Pères, en raison de leur tendance à l'interprétation allégorique de l’Écriture, aimaient trouver plusieurs sens dans une même chose. Mais on ne trouvera pas dans toute l'Église ancienne un seul « spiritualiste » dans le sens de Zwingle (signum tantum), même pas chez Origène et ses partisans. Théodore de Mopsueste a formellement réprouvé ce langage figuré en déclarant que le Christ a dit : ceci est mon corps, mon sang, et non : ceci est la figure de mon corps, de mon sang (M. 66, 713) ; cf. S. Jean Damasc., De fide orth., 4, 13.

Il est vrai qu'on peut constater très nettement un progrès chez les Pères dans la doctrine sacramentaire. Mais ce progrès ne concerne pas la foi au mystère, il a trait à sa théologie. Ce progrès se réalisa par ce fait qu'on mit l'Eucharistie en parallèle avec d'autres grands mystères apparentés avec elle, ce qui permit de l'éclairer davantage. On peut établir facilement les parallèles suivants : on compare la Consécration avec la création ; ce sont deux actes de la puissance divine qui peut tout, même ce qui est incompréhensible aux hommes, et de la bonté divine qui comble de bénédiction tout ce qui vit. Une comparaison qui se présentait d'elle-même à l'esprit était la comparaison entre la Consécration et l'Incarnation ; ce parallèle apparaît souvent dans l'épiclèse ; ce sont deux œuvres du Saint-Esprit (Luc, 1, 35). Mais ce n’est pas de cette comparaison, comme on le prétend, qu'est sortie la foi à la présence réelle ; cette foi est antérieure à toute comparaison et c'est d'elle qu'est sorti le parallèle qui, sans cette foi, serait inconcevable. Le parallèle entre l’Eucharistie et la mort sur la Croix était déjà suggéré par les paroles de l'institution, ainsi que par l'ordre de Jésus de célébrer la Cène en mémoire de sa mort. A ce sujet, on fait ressortir à la fois l'idée de l'identité du corps du Seigneur (S. Ignace, S. Justin) et celle du but de l'Eucharistie en tant que représentation de la mort du Seigneur. De là la citation continuelle de Mal., 1, 11. Une autre explication du mystère résultait de ses relations avec la Rédemption considérée comme la divinisation de la nature humaine. L'Eucharistie était précisément « le remède de l'immortalité », l'aliment de la vie éternelle (S. Ignace, S. Grégoire de Nys., les Grecs postérieurs).

Ce qui contribua beaucoup au dévéloppement de la doctrine eucharistique, ce furent les controverses entre Radbert et Ratramne (9ème siècle), ainsi qu'entre Béranger et ses adversaires (10ème siècle). On parvint spécialement à une distinction nette de l'être et du paraître, de la substance et des accidents. D'une manière générale, on constitua une langue doctrinale eucharistique ferme. La formule rédigée par le cardinal Humbert et prescrite la première fois à Béranger, dans laquelle il était dit que : « après la consécration, le pain et le vin qui se trouvent sur l'autel ne sont pas seulement sacrement, mais aussi le corps et le sang véritables de Notre Seigneur Jésus-Christ, et de manière sensible et non pas seulement en tant que sacrement sont brisés par les mains des prêtres et écrasés par les dents des fidèles » fut répétée par plusieurs d'une manière étroite, bien que la dernière formule (1079) ait été considérablement atténuée. Dans cette dernière formule, le mode de présence était pour la première fois précisé officiellement. On y disait que, par la Consécration, le pain et le vin « sont changés substantiellement en la chair véritable, propre et vivifiante, et au sang de notre-Seigneur Jésus-Christ ». Le terme transsubstantiation n'existait pas encore, mais la chose était exprimée sans équivoque et d'une manière claire. Cependant, après la mort de Béranger (1088), sa doctrine continua d'être soutenue par ses partisans et combattue par ses adversaires. Presque tous les défenseurs de la doctrine de l'Église étaient bénédictins. Bientôt Hildebert de Lavardin, un ancien élève de Béranger, trouva la formule technique transsubstantiation (d'après Loofs elle aurait été créée par un scolastique anonyme plus ancien) ; cette expression devint courante. Il y avait alors, il est vrai, dans l'Église, deux tendances dont l'une inclinait de préférence vers S. Ambroise et l'autre vers S. Augustin. Toutes les deux tenaient à la présence réelle, mais différaient dans leurs explications (Dict. théol., 5, 1222). On trouve encore un peu cette dualité dans la Scolastique primitive. Cependant c'est la doctrine de la transsubstantiation qui exprime le mieux les tendances de la Scolastique. Une question d'école, discutée dans la Scolastique, était celle de savoir si le Christ avait présenté à ses disciples son corps terrestre ou son corps glorifié. Hugues de Saint-Victor prétendait qu'il leur avait donné son corps glorifié ; P. Lombard, Richard de Med., Alexandre de Halès, S. Albert, S. Thomas, prétendaient qu'il leur avait donné son corps terrestre. (S. th., 3, 81, 3).

§ 179. La Transsubstantiation

A consulter : S. Thomas, S. Th. 3, 75. I.Franzelin, thes. 14sq. Pesch, 6, 307 sq. Paquet, De sacram., 1, 248 sq. Ghellinck, A propos du premier emploi du mot « Transsubstantiatio » (Recherches de science rel., 1911, 466 sq., 570 sq.). Dict. théol., v. Eucharistie. D'Alès, Eucharistie : Biblioth. Cath., 1930.

THÈSE. Le Christ est présent dans l'Eucharistie par la conversion de la substance du pain et du vin en son corps et en son sang.                 De foi.

Explication. Le Concile de Trente a défini non seulement la présence réelle, mais encore la manière dont cette présence se produit. Il déclare : « Si quelqu’un dit que, dans le très saint sacrement de l’eucharistie, la substance du pain et du vin demeure avec le Corps et le Sang de notre Seigneur Jésus Christ, et s’il nie ce changement admirable et unique de toute la substance du pain en son Corps et de toute la substance du vin en son Sang, alors que demeurent les espèces du pain et du vin, changement que l’Église catholique appelle d’une manière très appropriée transsubstantiation : qu’il soit anathème » (S. 13, can. 2 ; Denz., 884 ; cf. can. 4).

Il y a quatre choses à signaler : 1° La substance du pain et du vin ne demeure pas quand l'Eucharistie est produite. Il n'y a donc pas dans l'Eucharistie coexistence de deux substances, la substance naturelle et la substance surnaturelle. Cela est la condamnation de la doctrine de l'impanation et de la consubstantiation de Luther ; 2° Il est dit des substances naturelles qu'elles sont converties. Cela exprime le cœur même du mystère : par cette conversion au corps et au sang du Christ, le Christ est présent dans l'Eucharistie ; 3° Il est dit, au sujet de l'extension de la conversion, qu'elle s'étend à toute la substance. C'est le fait tout spécial et merveilleux. Des conversions dans des formes substantielles, nous en voyons tous les jours. Nous constatons aussi souvent des changements accidentels. Mais nous ne voyons jamais de processus naturel dans lequel s'accomplisse non seulement une conversion des formes, mais encore de la matière qui est à leur base. Il y a, dans l'Eucharistie, une conversion substantielle toute particulière qui s'étend à la matière et à la forme ; 4° Il est enseigné que les espèces ou accidents demeurent. Comment ils demeurent, on ne l'explique pas ; cependant, en disant que la conversion est tout à fait spéciale et merveilleuse, on indique que le maintien de ces accidents, aussi bien que la conversion de la substance qui les soutenait auparavant, doit être attribué à la toute-puissance de Dieu. Par conséquent, pour la perception sensible, la conversion n'a pas lieu, ici la foi seule juge. S. Thomas : « La vue, le goût, le toucher, en toi font ici défaut, mais t’écouter seulement fonde la certitude de foi. ».

Preuve. Nous ne pouvons pas apporter une preuve formelle de la transsubstantiation, par l’Écriture. Le Christ a donné à ses Apôtres son corps et son sang sous les apparences du pain et du vin, mais il ne ne leur a pas expliqué expressément comment il était présent. La conversion n'est exprimée que virtuellement et implicitement dans les paroles de l'institution. Car si le Christ prit les substances naturelles du pain et du vin, les bénit et les donna à ses Apôtres, en leur assurant que c'était son corps et son sang, il fallait précisément que ces substances aient été converties en son corps et en son sang. Autrement le Seigneur aurait dit : Prenez et mangez, sous ce pain, avec lui est ma chair. Or, comme le Christ n'a pas employé cette formule, on ne peut le comprendre que dans le sens de la conversion. C'est pourquoi aussi le Concile de Trente dit : « Étant donné que le Christ, notre Rédempteur, a dit que ce qu'il présentait sous l'espèce du pain était vraiment son corps, ce fut toujours la conviction de l'Église de Dieu et maintenant cette sainte assemblée déclare de nouveau que, par la consécration du pain et du vin, il se fait une conversion complète de toute la substance du pain dans la substance du corps du Christ et de toute la substance du vin dans la substance de son sang » (C. 4).

Les Pères. Ils confessent la présence réelle du Seigneur opérée par la Consécration et par là-même ils admettent aussi le fait d'un changement des éléments ; mais les Pères manquaient, en général d'une terminologie eucharistique ferme et, en particulier, d’une notion métaphysique bien nette de la conversion. Pour exprimer la conversion, les Latins employaient les expressions « panem sanctificare », « transfigurari », « conficere corpus Christi », « mutare species » ou « elementum » (toutes ces expressions se trouvent chez S. Ambroise) ; les Grecs employaient les verbes μεταποιεῖσθαι, ἀγιαζεσθαι, μεταβάλλεσθαι, μετασϰευἁζεσθαι et les substantifs μεταβολή, μεταποίησις, μεταρρίθμισις, μετασϰευή, etc.

Les premiers témoins clairs de la doctrine patristique de la conversion se trouvent à partir du 4ème siècle. Ce sont, chez les Grecs, S. Cyrille de Jér., S. Grégoire de Nys., S. Jean Chrysostome, S. Cyrille d'Alex. ; il faut y ajouter encore les Antiochiens, comme Théodore de Mopsueste, Macaire de Magnésie. Parmi les Latins, il faut citer avant tout S. Ambroise. Il est parmi les Pères le docteur de la transsubstantiation en Occident.

On rencontre une déviation de la doctrine générale chez l'antiochien Théodoret de Cyrus et chez Nestorius au 5ème siècle. La raison, c'est leur christologie. De la distinction tranchée de la nature divine et de la nature humaine dans le Christ, on en vint à séparer complètement les deux natures en deux personnes et, par suite, logiquement, à admettre de même une essence double de l'Eucharistie : elle aurait été composée du pain et du Seigneur céleste qui se serait uni avec le pain dans la Consécration, pour former un « corps du Seigneur ». Chaque nature conserverait son essence, même après la Consécration. C'est là le dyophysisme eucharistique que Théodoret expose dans son Eraniste (Cf. l, 2 et 3 : M. 83, 56, 165-169, 269-292). Il eut des partisans, mais qui sont moins connus. Il a déjà été question de Nestorius (ci-dessus § 176). La vive réaction contre le monophysisme dans la christologie, ainsi que l'accentuation trop accusée de l'antique parallèle entre la Consécration et l'Incarnation, amenèrent ces hommes, qui avaient la foi orthodoxe à la présence réelle, à s’égarer dans l’explication du comment. Nous verrons apparaître, dans la Scolastique même, ici et là, des tentatives d'explication analogue qui rappellent de dyophysisme. Dans l'Église grecque, on vit triompher, vers 550, la doctrine de la conversion qui avait reçu son orientation de S. Cyrille d'Alex. et de ses prédécesseurs, et à laquelle S. Jean Damascène (De fide orth., 4, 13) donna une expression technique.

Comme cause efficiente de la conversion, on voit apparaître, chez les Pères, trois éléments. Elle est attribuée : 1° Au Saint-Esprit ; 2° Au Christ, au Seigneur ; 3° Aux paroles de bénédiction du prêtre. Cela, naturellement, doit s'entendre au sens collectif et non au sens exclusif. « L’offrande ne peut être sanctifiée, où l’Esprit Saint n’est pas » est une pensée à laquelle on revient souvent depuis S. Cyprien (Ep. 64, 4), même et surtout dans l'Église grecque (épiclèse). Si on nommait en même temps le Christ, c'est justement parce que l'on pensait que c'était précisément le Christ qui devait descendre dans les éléments naturels. Et si on mentionnait les paroles de bénédiction, c'est que l'on précisait par là le moment de cette descente et particulièrement sa production par l'intermédiaire du prêtre. « le sacrement est produit par la parole du Christ », dit S. Ambroise (De myst., 9, 50-54). Mais nous traiterons ceci plus en détail à propos de la forme du sacrement (§ 183). Écoutons maintenant les Pères en particulier.

S. Cyrille de Jérus., pour expliquer le processus de la conversion, rappelle à ses catéchumènes le miracle de Cana et dit : « Il a autrefois, à Cana en Galilée, changé (μεταβέβληϰεν) l'eau en vin par sa simple volonté et il ne serait pas digne de foi, quand il change le vin en son sang ? » (Cat. myst., 4, 2). Au sujet de la Consécration elle-même, il écrit : « Après nous être sanctifiés par les chants spirituels de louange, nous invoquons le Dieu ami des hommes, afin qu'il envoie le Saint-Esprit sur les dons présents pour faire du pain le corps du Christ... car tout ce que touche le Saint-Esprit est sanctifié et transformé » (μεταβέβληται, Cat. myst., 5, 7). S. Grégoire de Nys. Dit : « Nous croyons à bon droit que maintenant encore le pain sanctifié par la parole de Dieu est changé au corps du Logos » (μεταποιεῖσθαι, Orat. Cat., 37). S. Jean Chrysostome rappelle la puissance créatrice de Dieu : « Ce n'est pas un homme qui fait que les dons présents deviennent le corps et le sang du Christ, mais c'est le Christ qui a été crucifié pour nous et dont le prêtre tient la place quand il prononce ces paroles ; par contre, la force et la grâce viennent de Dieu. Ceci est mon corps, dit-il. Cette parole change les dons présents » (μεταρρυθμίζει, De prod. Judæ hom., J, 6 : M. 49, 380). S. Jean Damascène pénètre, d’une certaine manière, dans le mystère lui-même : « Le corps est vraiment uni à la divinité et c'est le corps qui est né de la Sainte Vierge, mais ce n'est pas comme si le corps qu'il prend redescendait du ciel ; c'est le pain et le vin eux-mêmes qui sont transformés (μεταποιοῦνται) dans le corps et le sang de Dieu » (De fide orth., 4, 13). L'évêque Théodore Abou-Sourra (+ vers 820) rattache la transsubstantiation à la tradition apostolique, bien qu'on ne puisse pas la prouver par une parole de l’Écriture. Cette tradition contient beaucoup de choses que nous croyons : « La première est cette parole que nous prononçons sur nos offrandes (qurbân) et par laquelle elles deviennent la chair et le sang du Christ » (Graf, 288 ; cf. 313).

Parmi les Latins, il faut nommer d'abord S. Ambroise. Il rassemble, dans son ouvrage catéchétique sur les mystères, plusieurs exemples pour expliquer le processus de la conversion. Il rappelle, comme les Pères le font si souvent, l'acte divin de la création, l'Incarnation, le changement de la verge de Moïse en serpent, le changement de l'eau en sang, le flottement de la hache d’Elisée, le passage de la Mer Rouge, l'arrêt des flots du Jourdain. Tout cela lui prouve la possibilité de la conversion. « Si la parole d’Élie eut assez de puissance pour faire descendre le feu du ciel, la parole du Christ n'est-elle pas assez puissante pour transformer (mutet) la nature (species = naturam) des éléments ?.. La parole du Christ, qui a pu produire de rien ce qui n'était pas, ne serait-elle pas capable aussi de transformer ce qui est en ce qu'il n'était pas auparavant. Il est en effet aussi difficile de donner aux choses leur essence par la création que de changer cette essence » (De myst., 9, 52).

De même, le pseudo-Ambroise écrit : « Ce pain est pain avant les paroles du sacrement (ante verba sacramentorum) ; mais, dès que la Consécration a eu lieu, ce pain est devenu la chair du Christ » (de pane fit caro Christi ; De sacram., 4, 4). Ici il applique le mot de S. Augustin au sujet de la parole qui s'ajoute à l'élément. Dans un autre passage, il se réfère à la parole toute-puissante du Christ, qui est capable de changer la nature des choses (« Tout d’abord, tout ce que j’ai dit provient de la parole du Christ qui agit pour pouvoir changer et modifier ce qui est né et a été formé dans la nature », 6, 3). S. Augustin : « Accedit sanctificatio (ad panem et vinum) et panis ille erit corpus Christi et vinum illud erit sanguis Christi. Hoc fecit nomen Christi, hoc fecit gratia Christi » (Morin, p. 25).

Ainsi donc, depuis le 4ème siècle, la transsubstantiation est attestée dans l’Église orientale et dans l'Église occidentale. Elle est également attestée par les liturgies, lesquelles, il est vrai, dans la forme que nous possédons, appartiennent pour la plupart au 5ème siècle, mais qui, dans leurs éléments essentiels, sont encore plus vieilles. Dans leur épiclèse, on prie toujours le Saint-Esprit de descendre sur les dons présents et d'en faire le corps et le sang du Seigneur.

Paschase Radbert emploie, pour décrire le processus de la conversion, des mots comme « convertere », « vertere », « transfundere », « transferre », « facere », etc. Il distingue la substance des apparences extérieures et écrit : « Les substances du pain et du vin se transforment véritablement en corps et sang du Christ » (De corp., 8, 2). Il dit plus loin : « Ce pain et ce vin sont véritablement créés chair et sang » (Ernst, 45). On voit que l'expression n'est pas encore fixe.

Ces tâtonnements à la recherche du terme exact persistent encore immédiatement après la controverse avec Béranger (+1088), jusqu'à ce que Hildebert de Lavardin (+ vers 1133) ait trouvé l'expression technique « transsubstantiation » qui est peut-être d'un auteur inconnu et plus ancien. A partir de là, le mot se trouve fréquemment chez les théologiens comme chez les canonistes. Innocent III tient compte de ce terme dans sa célèbre explication de la messe et l'admet dans son symbole dirigé contre les Albigeois (Denz., 430). Le mot se retrouve encore dans les négociations avec les Grecs (Denz., 465), bien que ce ne soit pas d'une manière polémique, car les Grecs étaient d'accord avec les Latins sur ce dogme. Ils ont purement et simplement traduit le terme latin et, depuis cette époque (1267), ils emploient formellement μετουσίωσις. Comme les Arméniens avaient une doctrine purement spiritualiste (Denz., 544), Eugène IV leur prescrivit d'admettre la doctrine de la transsubstantiation (converti; Denz., 698). Le Concile de Trente termina l'évolution complète de la doctrine. Il y avait encore, même indépendamment des hérétiques comme les Albigeois, Wiclef, Huss, des représentants des conceptions les plus diverses ; c'est pourquoi le Concile insista intentionnellement sur la conversion de « toute la substance ». L'impanation (impanatio, sans doute aussi companatio) est une expression qui imite littéralement celle d'Incarnation ; on la trouve dans la Scolastique primitive, qui parle parfois de « Christus impanatus et invinatus » et elle est signalée, pour la première fois, chez Guimond d'Aversa (+ vers 1095). Devenue plus tard « consubstantiatio », elle trouva encore ici et là, bien que rarement, des partisans parmi les théologiens et dut être combattue par Alexandre, S. Albert et S. Thomas. Là, comme toujours, S. Thomas fut le premier dont les explications apportèrent la clarté, autant que la chose est possible en face de ce mystère, et il reçut une confirmation officielle de sa doctrine par la mission qui lui fut donnée de composer l'office de la Fête du Saint Sacrement (corp. Christi). Au reste, au sujet des questions principales, les grands scolastiques sont d'accord entre eux : 1° Sur l'interprétation de la transsubstantiation ; 2° Sur le mode de l'existence sacramentelle du Christ ; 3° Sur la permanence des accidents sans sujet naturel. Pour cela, presque tous ont recours, avec plus ou moins d'habileté, aux catégories d'Aristote. Sur l’histoire de la transsubstantiation, cf. Ghellinck dans Recherches de science relig., 1911 et 1912.

Au sujet des orthodoxes (Russes, Grecs), Stéph. Zankow rapporte (Christianisme orient. [1928], 107) : « On met hors de doute, dans l'Église orthodoxe, ce dogme que le Christ est encore présent dans les dons bénits et que, dans ces dons, au moment de la Consécration, il se produit une « conversion » ou, pour mieux dire, comme l'enseignaient les antiques docteurs de l'Église orientale, que les dons consacrés sont le vrai corps et le vrai sang du Christ. Mais on n'affirme que cela. Il n'y a pas de proposition généralement posée et imposée sur la « manière » dont cela se fait. Tout ce qu'on dit à ce sujet n'est pas un dogme, mais une opinion. » Il cite toute une série d'auteurs pour ou contre.

La raison de cette manière de voir a déjà été indiquée plus haut. Les Grecs n'ont pas eu de controverse analogue à celle de Béranger concernant la conversion ; ensuite ils n'ont pas eu de théologie scolastique ; enfin, depuis S. Jean Damascène, ils n'ont plus la force spirituelle qui permettrait le progrès de la tradition et du dogme. Mais si, au sens strictement officiel, ils sont dépourvus du terme « le plus approprié » dont parle le Concile de Trente (cette conversion est appelée par l’Église Catholique du nom très approprié de Transsubstantiation), ils ont cependant l'antique terme traditionnel μεταποίησις auquel s'ajouta plus tard μετουσίωσις. L'époque patristique elle-même n'avait pas de meilleur terme ; elle exprimait cependant, avec ceux qu'elle avait, sa foi à la conversion. « Ad fidem explicitam hujus veritatis (la trans-substantiation) sufficit notio confusa conversionis, quam omnes habent », dit Franzelin. (De Euch., thes. 12). Où irions-nous si nous voulions demander aux fidèles l'analyse métaphysique de la dogmatique !

C'est pourquoi aussi le Concile de Trente pouvait dire que le dogme de la transsubstantiation avait toujours existé dans l'Église (persuasum semper in Ecclesia fuit, s. 13, c. 4). Cela ne doit pas s'entendre de la terminologie formelle du 4ème Concile de Latran, mais du langage signalé plus haut et qui est objectivement identique à cette terminologie. Dans les premiers siècles, la croyance à la conversion était incluse dans la croyance à la présence réelle. C'est ainsi également que juge Suarez, au sujet du progrès dogmatique que nous trouvons ici (De Euchar., disp. 1, sect. 1 ; éd. Vivès, 21, 142). Mais la terminologie, avant 1215, était souvent plus ou moins obscure, dit Franzelin (loc. cit), et Batiffol dit qu'elle était « plus ou moins diphysite » (Loc. cit., 494). Il n'y eut à enseigner consciemment et formellement le diphysisme eucharistique que Nestorius, Eutherius et Théodoret. Au sujet de Nestorius, cf. Jugie (loc. Cit).

Ce qui est vrai, en outre, c'est que, chez les Grecs, la conversion, comme au reste tous les mystères, fut toujours traitée avec une certaine réserve. Ils ont sans doute admis, dans leur théologie, la traduction pure et simple de transsubstantiatio (μετουσίωσις) extraite de la « professio fidei Michælis Paleologi » (Batiffol, 497, Denz. 465) -les Russes eux-mêmes ont un terme analogue : presuschtschetolonie - mais la réserve respectueuse est demeurée. S. Jean Damascène écrit, à la suite des paroles que nous avons citées plus haut, au sujet de la conversion : « Si tu demandes comment cela se passe (πῶς γίγνεται), qu'il te suffise d'apprendre que cela se fait par le Saint-Esprit, de même que du sein de la sainte Mère de Dieu, par la vertu du Saint-Esprit, le Seigneur, par lui-même et en lui-même, donna existence à la chair ; et nous ne savons rien de plus, si ce n'est que la parole de Dieu est vraie et efficace et toute-puissante, mais le mode est impénétrable. » (De fide orth., 4, 13). Au reste, dans la Scolastique elle-même, des théologiens avaient pour devise : « Il faut croire en ce mystère et le vénérer, plus que l’analyser de façon contradictoire ».

« Au sein de l’Église anglicane, on peut ramener à trois les conceptions différentes de la Cène : Un groupe évangélique a les idées de Calvin ; un second a les idées de Luther (le Christ n'est pas seulement dans les fidèles qui le reçoivent, mais aussi dans les éléments) ; un troisième groupe, très « haute Église », dont les membres se nomment « Anglo-Catholics », enseigne la présence réelle objective jusqu'à la transsubstantiation et l'adoration » (Voliarath, 264 sq.).

§ 180. La nature de la transsubstantiation

L'explication théologique de la transsubstantiation distingue, avec la Scolastique, dans les choses, la substance et les accidents ; ensuite, dans la substance, la matière et la forme, et admet alors, conformément au dogme ecclésiastique, que, dans la conversion, la substance, toute la substance, matière et forme, perd son être propre et passe dans l'être du Christ, alors que les accidents (species) demeurent dans leur état d'être originaire.

Pour donner une intelligence plus précise, on distingue ensuite entre la conversion passive des éléments et l'opération active de transformation, de Dieu ; on montre ce qui se passe dans les éléments et ce que Dieu fait pour les convertir.

La conversion passive se fait de telle sorte que toute la substance des éléments passe dans la substance du corps du Christ. Si l'on comprend cela d'après l'analogie des processus naturels de conversion, on distingue un point de départ de la conversion (terminus a quo), un point final ou d'arrivée (t. ad quem) et un terme commun permanent (t. manens, commune tertium) par lequel la relation interne et la continuité qu'exigent la notion de conversion sont garanties. Dans la conversion eucharistique, l'élément terrestre est le point de départ, le corps du Seigneur le point d'arrivée, et les espèces sont le terme intermédiaire et commun (commune tertium).

La transsubstantiation appartient donc aux changements (mutationes, conversiones). On exclut la conversion accidentelle, parce que, dans les accidents, il ne se produit aucune espèce de changement (accidentia remanent). Mais on ne pense pas non plus à la conversion substantielle, dans laquelle la forme seule est changée et qu'on appelle transformation. On affirme, par contre, la conversion substantielle dans laquelle la matière aussi entre dans le processus de la conversion, si bien qu'il y a un changement complet (secundum totam substantiam) et qui, pour cela, « est appelée du nom très approprié de transsubstantiation ». (Trid., can. 2). « Un tout est converti en un tout, car le pain devient le corps du Christ, et les parties aussi sont converties, car la matière du pain devient la matière du corps du Christ ; de même, la forme substantielle devient cette forme qu’est le corps du Christ » (S. Thomas, Sent. 4 : d. 11, q. 1, a. 3, s. 1).

Les deux termes, aussi bien le terme « a quo » que le terme « ad quem », doivent s'entendre positivement et on ne peut pas en concevoir un d'une manière purement négative. Si on faisait commencer le processus de la conversion dans le néant (t. a quo), il y aurait alors une création (ex nihilo sui et subjecti). (Cf. t. 1er § 62). Si l'on faisait terminer le mouvement au néant (t. ad quem), il y aurait un anéantissement (annihilatio). Si l'on abandonnait, dans l'explication, le terme intermédiaire (tertium manens), les deux termes extrêmes seraient sans relation entre eux, ils seraient séparés ; ils ne seraient que juxtaposés extérieurement, nous n'aurions plus rien dans le « t. ad quem » du « t. a quo » et nous ne pourrions plus parler des éléments à propos du « terminus ad quem », au sujet de sa présence, de sa manducation, de son adoration. La présence sacramentelle du Christ consiste, en effet, dans une union formelle du Christ avec les accidents. (Salmant., De Euchar., disp. 4. dub. 2, n. 12).

Le caractère unique du processus. La notion de la conversion sacramentelle ne peut pas se comparer d'une manière adéquate avec des processus naturels. C'est pourquoi aussi le Concile de Trente appelle la conversion eucharistique une « conversion admirable et singulière » (Can. 2). Il est à peine besoin de faire une remarque sur la première expression (admirable). C'est un processus absolument surnaturel, dans lequel la toute-puissance de Dieu, pour parler comme S. Augustin, est la seule « ratio facti ». Par là, nous touchons déjà au caractère unique (singulier) du fait. S. Thomas fait remarquer que la conversion eucharistique se distingue de tous les changements naturels pour les trois raisons suivantes : - 1° Elle touche non seulement la forme, mais pénètre, jusqu'à la matière, le sujet qui porte les formes successives qu'elle peut recevoir et qui, dans les conversions naturelles, sert, pour ainsi dire, de pont permanent entre le « terminus a quo » (par ex. le vin) et le « t. ad quem » (vinaigre) ; c'est la même matière qui d'abord, sous la forme de vin, ensuite sous la forme de vinaigre, possède son être substantiel. « cette conversion n’a pas de sujet, comme les autres en ont » ; - 2° Dans les conversions naturelles, la forme se corrompt et disparaît : elle n'entre pas dans la nouvelle forme qui naît ; mais ici l’ancienne forme se convertit dans la nouvelle. « la forme non plus n’est pas convertie, car l’une disparaît et une autre est introduite. Mais ici, un tout est converti en un tout, car le pain devient le corps du Christ, et les parties aussi sont converties, car la matière du pain devient la matière du corps du Christ ; de même, la forme substantielle devient cette forme qu’est le corps du Christ. » Dans les conversions naturelles sans doute, le « totum » est converti, dans la forme ; mais non toutes les « partes », pas la matière ; -3° Enfin, dans les conversions naturelles, ce n'est pas seulement le « t. a quo », mais aussi le « t. ad quem » qui est changé, soit par un nouveau devenir (omnis corruptio est generatio et vice-versa), soit par l'augmentation (augmentum), soit par le complément des parties corrompues ; au contraire ici a lieu, dans le « t. a quo », le plus profond changement, mais il n'y en a absolument aucun dans le « t. ad quem », parce que le corps du Christ préexiste déjà avant la conversion, est impassible, inconvertible et permanent. « Aussi ce en quoi la conversion trouve son terme n’est-il aucunement transformé, à savoir, le corps du Christ, mais seulement le pain qui est converti. » (Sent. 4, d. 11, q. l, a. 3, s. 1).

La théologie postérieure apporte encore des distinctions dans les termes particuliers eux-mêmes. On peut, dit-elle, considérer le point de départ comme un tout ou bien dans sa détermination formelle et, de même, le point d'arrivée ; par suite, il faut distinguer entre le « terminus a quo totalis », qui est constitué par le pain et le vin, avec les accidents et le « terminus a quo formalis », qui ne comprend que la substance du pain et du vin. N'est converti que le terme formel, c’est-à-dire la substance des éléments ; leurs accidents sont exclus du processus de la conversion. Ils demeurent. Pour ce qui est du point d'arrivée, on peut distinguer également le « t. ad quem totalis », qui comprend le corps du Seigneur avec les accidents du pain et du vin, et le « t. ad quem formalis », qui comprend seulement le corps sacramentel du Seigneur.

La transsubstantiation active est l'acte de toute-puissance divine, par lequel le processus qu'on vient de décrire est produit sur des éléments terrestres, d'une manière surnaturelle.

Ce que nous pouvons dire avec certitude, au sujet de l'acte mystérieux de Dieu, c'est, tout d'abord, que par cet acte le pain et le vin (t. a quo formalis) ne sont pas anéantis. La conversion n'est pas un anéantissement (annihilatio). Autrement, en effet, il faudrait que le corps du Seigneur soit créé de nouveau (ex nihilo) et les deux termes (t. a quo et t. ad quem) seraient intérieurement étrangers, juxtaposés par hasard et sans relation entre eux. Il faut, au contraire, que la causalité divine agisse sur la substance des éléments, pour que cette substance devienne le corps du Seigneur (comme t. ad quem formalis). Ce n'est que de cette manière que peut se réaliser la notion de conversion. Nous aurons à examiner plus loin les explications particulières des Écoles. Remarquons seulement encore ici que l'action de Dieu porte aussi sur les accidents, en tant que, pour des raisons que nous exposerons plus loin, elle les empêche de participer à la conversion et les maintient positivement dans leur être primitif (« ne restant seulement que les espèces du pain et du vin », can. 2).

La Scolastique se divisa dans l'explication détaillée du terme final (t. ad quem formalis). S. Thomas admet un « devenir » (fieri) du corps « ex pane », si bien que ce corps est produit, pour ainsi dire, par mode de création « ex pane ». Il remarque cependant que ce n'est pas une création proprement dite, car les espèces demeurent ; « mais la Consécration a ceci de commun avec la création qu'il n'existe pas de sujet commun qui porte les deux termes extrêmes, comme cela existe dans les conversions naturelles » (S. th., 3, 75, 8).

Les thomistes postérieurs évitent l'expression « création » et emploient le terme plus adapté de « production », ou bien, comme le corps du Christ existe déjà d'une manière complète, celui de « reproduction » (reproductio, replicatio). - Scot prétend, au contraire, que le corps du Christ est amené extérieurement du ciel sur l'autel, sous les espèces ; il conçoit le terme final comme une « adduction » (adductio). Les deux explications ont leurs difficultés. S. Thomas insiste trop sur le « devenir » du corps du Christ, lequel cependant ne peut « devenir » substantiellement, puisqu'il existe déjà. Scot abandonne, à proprement parler, le terme final et, par suite, met en danger la notion de conversion. On ne peut pas éclairer complètement ce processus mystérieux ; mais il semble qu'on doive expliquer le terme final comme une nouvelle présence du corps du Christ. La Consécration opère un nouveau mode d'existence du Christ, l'existence sacramentelle.

§ 181. Totalité et durée de l'Eucharistie

THÈSE. En vertu des paroles de la Consécration, il n'y a de présent sous l'espèce du pain que le corps, et, sous l'espèce du vin, que le sang du Christ ; mais, en raison de l'union naturelle et surnaturelle de toutes les parties essentielles, le Christ tout entier est présent sous chaque espèce.    De foi

Explication. Le Concile de Trente déclare déjà, dans le canon sur la présence réelle, « que le corps et le sang de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec son âme et sa divinité, par conséquent le Christ tout entier, est présent ». Ensuite il définit, avec plus de précision encore, cette présence sous chaque espèce. « Si quelqu’un nie que dans le vénérable Sacrement de l'Eucharistie, Jésus-Christ tout entier soit contenu sous chaque espèce ; et sous chacune des parties de chaque espèce, après la séparation : qu'il soit anathème » (S. 13, can. 3 : Denz., 885). Dans le troisième chapitre, auquel se rattache ce canon, le Concile le commente et dit que « le corps est présent sous l'espèce du pain et le sang sous celle du vin en vertu des paroles (ex vi verborum) ; mais le corps lui-même est présent sous l'espèce du vin, et le sang sous l’espèce du pain, et l'âme sous les deux espèces en vertu de la connexion et jonction naturelle (vi naturalis connexionis et concomiantiæ), par suite de laquelle les parties composantes du Christ Notre-Seigneur, qui est désormais ressuscité des morts et ne meurt plus, sont unies entre elles ; en outre, la divinité est présente à cause de son union merveilleuse avec le corps et l'âme (propter unionem hypostaticam). C'est pourquoi chacune des espèces contient autant que les deux » (Denz., 876). Cette déclaration est dirigée contre les « utraquistes » ou « calixtins », dont nous aurons encore à parler. Ces  hérétiques prétendaient qu'il était nécessaire de recevoir la communion sous les deux espèces.

Preuve. L’Écriture ne se prononce pas (Jean, 6, 52, 57 ; 1 Cor., 11, 27) formellement sur ce point. Mais le dogme résulte purement et simplement de la présence réelle et de l'indivisibilité du Christ glorifié. Ces deux vérités sont de nature strictement dogmatique ; est donc également dogmatique la conclusion. Pour ce qui est de la seconde vérité, il est clair que le Christ ne peut plus mourir (Rom., 6, 9). Par conséquent, là où il est présent il est toujours présent tout entier. Là où le corps est présent, le sang y circule et réciproquement. Puisque le Christ ne peut pas mourir, l'âme est toujours unie au corps. Parce que, enfin, l'union hypostatique est indissoluble (t. 1er, p, 380), la divinité, en vertu de cette union, est partout et toujours unie à l'humanité.

Les Pères. Sans doute à l'époque patristique et même plus tard, la règle était encore de communier sous les deux espèces ; cependant il y avait aussi des cas où on ne donnait la communion que sous une seule espèce. Ainsi il est établi que les malades, les prisonniers, les ermites au désert communiaient sous l'espèce du pain. C'est sous l'espèce du vin seule qu'on communiait de bonne heure les petits enfants. Cela est attesté par S. Cyprien (De laps., 25) ; cf. S. Augustin (Ep. 186, 30). Aujourd’hui encore, dans l'Église grecque, les enfants reçoivent la communion sous l’espèce du vin immédiatement après le baptême.

Du 11ème au 12ème siècle, la communion sous une seule espèce devint peu à peu l'usage liturgique. La foi à la totalité du Seigneur sous chaque espèce était la foi générale de l'Église. La Scolastique n'avait qu'à expliquer l'usage. Déjà Guimond et Alger avaient soutenu la totalité sous chaque espèce contre Béranger (Dict. théol., 5, 1238). S. Anselme est, autant qu'on sache, le premier qui ait traité doctrinalement la pratique de l'Église quand il écrit : « Nous recevons Jésus-Christ tout entier, vrai Dieu et vrai homme, soit en ne recevant que son Sang, soit en ne recevant que son Corps. » (Epistol., 4 ; Ep. 107) ; cf. S. Thomas, S. th., 3, 76, 1. Les Hussites eux-mêmes, quand on leur eut accordé le calice, confessèrent l'antique foi à la totalité (Funk, Histoire de l'Église, § 143).

Sur les très longues négociations au sujet du calice et des grandes différences d'avis au Concile de Trente, cf. Ehses, Concilium Trid., 8 (1919), 529-909.

THÈSE. Même sous chaque partie de chaque espèce, après la division, le Christ tout entier est présent.      De foi.

Explication. Dans le canon que nous avons cité plus haut, la définition de l'Église va plus loin et dit « que le Christ tout entier est contenu sous chaque partie de la même espèce, après la division ». Le canon parle de parties réelles (separatione facta) et non de parties possibles. C'est pourquoi seul le cas des parties réelles est dogmatisé...  (à suivre)