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Saint Bernard de Clairvaux
Les 12 Prérogatives de la Bienheureuse Vierge Marie
édition numérique par Michel Perrin et www.JesusMarie.com - septembre 2002
Sermon pour l'Octave de l'Assomption.

D'après ce texte de l'Apocalypse : Un signe grandiose apparut dans le ciel : une femme qu'enveloppait le soleil, la lune sous les pieds et douze étoiles en couronne sur sa tête.

1. Mes très chers frères, un homme et une femme nous ont causé le plus grand dommage; mais, grâce à Dieu, tout a été réparé par un autre homme et une autre femme, dans une merveilleuse surabondance de grâces. Le don n'est pas proportionné à la faute, et la grandeur du bienfait passe de loin le dommage subi. L'artisan très habile et très bon n'a pas brisé le vase fêlé, il l'a remodelé à notre usage et nous l'a rendu plus parfait. Du vieil Adam il en a tiré un nouveau, et il a transfiguré Ève pour former Marie. Certes, le Christ pouvait nous suffire, puisque, aujourd'hui encore, toute notre capacité vient de lui ; mais il n'était pas bon pour nous que l'homme restât seul. Il fallait, au contraire, que l'un et l'autre sexes prissent part à notre régénération, puisque l'un et l'autre avaient contribué à notre chute. Certes l'homme, le Christ Jésus est un médiateur fidèle et tout-puissant entre Dieu et les hommes, mais nous redoutons en lui la majesté divine. Son humanité s'est comme résorbée dans sa divinité, non pas que sa nature ait changé, mais parce que son rôle a été déifié. On ne célèbre pas seulement sa miséricorde, mais aussi son jugement, : bien que sa passion lui ait appris la compassion, qui le rend miséricordieux, il a le pouvoir de juger. Notre Dieu est un feu dévorant. Le pécheur redoute, en s'en approchant, de périr sous le regard de Dieu comme la cire fond en présence de la flamme.

2. Dès lors, la femme bénie entre les femmes n'intervient pas inutilement; elle a sa place nécessaire dans cette réconciliation. Nous avons besoin d'un médiateur pour aller au grand Médiateur, et nous ne saurions en trouver de plus efficace que Marie. Médiatrice, Ève le fut également, mais médiatrice de malheur, puisque c'est par son intermédiaire que l'antique serpent put inoculer à l'homme son venin pestilentiel. Marie, au contraire, est une médiatrice fidèle, qui apporte aux hommes comme aux femmes l'antidote du salut. L'une fut l'instrument de la séduction ; l'autre l'est de l'apaisement. La première fut l'instigatrice de la transgression, la seconde inaugure la rédemption. Pourquoi l'humaine faiblesse craindrait-elle d'approcher Marie ? Il n'y a en elle rien de dur ou d'effrayant ; toute douceur, elle offre à tous le lait et la laine. Repassez dans votre mémoire tout le cours de l'histoire évangélique; si vous trouvez en Marie le moindre signe d'acrimonie, de dureté ou de colère, vous pourrez vous défier d'elle et redouter son approche. Si au contraire - et c'est ce qui ne peut manquer de se produire - vous ne voyez dans tout ce qu'elle fait que bonté et grâce, douceur et compassion, remerciez la Providence de vous avoir donné, dans sa pitié infinie une médiatrice de qui vous n'avez rien à craindre. Elle s'est faite toute à tous, et dans l'excès de sa charité, elle a voulu être la débitrice des sages et des insensés. Elle ouvre à tous le sein de sa miséricorde, afin que tous participent de sa plénitude ; le captif y trouvera sa délivrance, le malade sa guérison, l'affligé sa consolation, le pécheur son pardon ; le juste y puisera la grâce, l'ange la joie, la Trinité entière y trouvera la gloire et le Fils une chair humaine. Ainsi, personne ne sera privé de sa chaleur.

3. N'est-elle pas la femme de l'Apocalypse qu'enveloppe le soleil ? Je veux bien que la suite de cette vision prophétique prouve qu'il s'agit là de l'Église actuelle ; mais on peut sans inconvénient l'appliquer à Marie. Elle est éminemment celle qui s'est revêtue d'un autre soleil. De même que l'astre de notre monde créé se lève également sur les bons et les méchants, Marie, sans peser nos mérites antérieurs, se montre à tous pareillement accessible, clémente, infiniment tendre et prête à prendre en pitié toutes les misères humaines. Tout ce qui est imparfait est au-dessous d'elle ; elle surpasse de très loin tout ce qui est entaché de faiblesse ou de corruption, et sa supériorité infinie domine à une très grande distance toutes les autres créatures; on peut donc dire d'elle aussi qu’elle a la lune sous ses pieds. Sinon, ce ne serait pas un très grand éloge à faire à celle qui surpasse incontestablement les choeurs des Anges, des Chérubins et des Séraphins. La lune est communément prise pour symbole de la corruption ou de la sottise, mais souvent elle désigne aussi l'Église du temps présent ; la première comparaison s'attache au caractère changeant de la lune, la seconde au fait qu'elle reçoit d'ailleurs sa lumière. Or, si j'ose m'exprimer ainsi, la lune en ses deux acceptions est sous les pieds de Marie, mais de façon différente dans les deux cas. L'insensé, dit l'Écriture, change comme la lune, tandis que le sage demeure comme le soleil. La chaleur et la splendeur du soleil sont constantes ; la lune ne donne aucune chaleur, et son éclat, toujours changeant, ne reste jamais pareil à lui-même. C'est donc à juste titre que l’on nous montre Marie revêtue de soleil, elle qui a pénétré les abîmes de la Sagesse divine à des profondeurs presque incroyables et qui, dans toute la mesure où la chose est possible à une créature en dehors de 1'unionpersonnelle avec Dieu, paraît immergée au sein de la lumière inaccessible. Le feu divin a purifié les lèvres du Prophète, il embrase les Séraphins, mais il agit sur Marie d'une façon bien plus extraordinaire. Car elle a mérité de n'en être pas seulement effleurée, mais bien enveloppée de toutes parts, baignée tout entière et comme enfermée dans ses flammes. Le vêtement de cette femme n'est pas seulement d'une éclatante blancheur, il en émane aussi une chaleur extraordinaire ; les rayons du soleil divin l'ont si bien pénétrée qu'il ne demeure en elle rien qui soit, je ne dis pas dans la nuit, mais même dans la pénombre ou dans une lumière tant soit peu atténuée, et rien non plus qui soit tiède, tout au contraire étant brûlant.

4. Toute folie est si loin au-dessous de ses pieds qu'elle n'a rien de commun ni avec la foule des femmes insensées ni avec la petite troupe des vierges folles. Mieux encore : le grand Insensé, l'unique prince de toute folie qui se montra versatile comme la lune lorsqu'il perdit la sagesse qui faisait toute sa beauté, est foulé aux pieds par Marie, et misérablement réduit en esclavage. Elle est bien cette femme, jadis annoncée par Dieu, qui est venue broyer la tête de l'antique serpent ; et c'est en vain que le monstre aux mille ruses a tenté de la mordre au talon. A elle seule, elle a écrasé toutes les entreprises perverses des hérétiques. L'un enseignait comme un dogme quelle n'avait pas formé le Christ de sa propre substance charnelle ; un autre sifflait comme un serpent quelle ne l'avait pas mis au monde et que c'était un enfant trouvé ; un troisième, blasphémant, prétendait qu'après la naissance du Christ elle avait connu l'homme ; un quatrième, ne pouvant supporter de l'entendre appeler la Mère de Dieu, tournait en dérision ce beau nom de Théotocos. Mais ces fraudeurs ont été brisés, ces usurpateurs foulés aux pieds, ces maîtres d'erreur confondus, et toutes les générations proclament Marie bienheureuse. A l'heure où elle enfantait le Christ, le Dragon n'a pas manqué de lui tendre un piège, en se servant d'Hérode, afin de dévorer son fils nouveau-né, car il n'oubliait pas la vieille inimitié qui dure toujours entre sa race et celle de la femme.

5. Si maintenant nous choisissons de voir dans cette image de la lune le symbole de l'Église, qui ne luit pas de son propre éclat mais l'emprunte à celui qui a dit : Sans moi, vous ne pouvez rien faire, nous trouvons là, clairement désignée, cette Médiatrice dont nous parlions tout à l'heure. Une femme revêtue de soleil, la lune sous ses pieds. Attachons-nous, mes frères, aux pas de Marie et prosternons-nous à ses pieds pour une instante supplication. Retenons-la, empêchons-la de s'éloigner avant de nous avoir bénis, car elle est puissante. Elle est la toison interposée entre le ciel et l’aire, la femme à mi-distance entre le soleil et la lune, Marie enfin, médiatrice entre le Christ et l'Église. Mais une toison imprégnée de rosée étonne moins vos esprits qu'une femme vêtue de soleil. C'est en effet une union très étroite, et ce rapprochement entre le soleil et une femme a bien de quoi nous surprendre. Comment une nature aussi frêle peut-elle subsister dans une pareille fournaise ? Moïse n'a pas tort de demander à voir les choses de plus près, mais avant de s'approcher, il convient qu'il quitte ses chaussures et se débarrasse de toute pensée charnelle. J'irai, dit-il, et je considérerai cette grande vision. C'est, en effet, une grande vision que celle d'un buisson qui brûle sans se consumer. Mais c'est un signe très grand aussi qu'une femme qui demeure intacte quand son corps est pris dans le feu du soleil. Il n'est pas dans la nature du buisson d'être incombustible au milieu des flammes ; mais il n'est pas au pouvoir d'une femme de porter sans dommage une tunique de soleil ! Ni l'homme ni l'ange n'en sont capables, il y faut une tout autre puissance. L'Esprit-Saint, dit l'ange, surviendra en toi. Et, comme si Marie lui avait répondu : " L'Esprit-Saint est Dieu, et notre Dieu est un feu dévorant, " l'ange poursuit : La Force, non pas la mienne, ni la tienne, mais celle du Très-Haut te couvrira de son ombre. Sous la protection de cette ombre ne nous étonnons plus qu'une femme puisse supporter un vêtement de feu.

6. Une femme vêtue de soleil, dit le texte : c'est-à-dire enveloppée de lumière comme d'un vêtement. Un esprit charnel ne saurait comprendre ; il ne voit que sottise dans des choses toutes spirituelles. Ce n'était pas le sentiment de l'Apôtre qui disait : Revêtez-vous du Seigneur, le Christ Jésus. Comme tu es devenue l'intime du Seigneur, ô Notre-Dame! tu lui es toute proche, étroitement unie à lui, quelle grâce tu as trouvée à ses yeux ! Il est en toi, tu es en lui ; tu es son vêtement, il est le tien. Tu t'habilles de ta nature charnelle. Il te revêt de gloire. Tu enveloppes le soleil d'une nuée, et le soleil t'enveloppe de ses feux. Car le Seigneur a fait sur terre cette chose inouïe : une femme a environné un homme, et cet homme n'est autre que le Christ, dont il est écrit : Voici l'homme, son nom est Orient. Il a fait au ciel aussi une chose inouïe : une femme a été vêtue de soleil. Enfin, elle a couronné le Seigneur, et elle a mérité d'être couronnée par lui. Sortez, filles de Sion, et voyez le roi Salomon sous le diadème dont l'a couronné sa mère. Mais j'en parlerai ailleurs. Pour l'instant, approchez un peu, et venez voir la Reine sous le diadème dont l'a couronnée son Fils.

7. Sur la tête, douze étoiles en couronne. Ce front est bien digne d'être ceint d'étoîles, d'autant qu'il brille d'un éclat plus vif qu'elles, et qu'ainsi c'est lui qui est leur parure. Pourquoi les étoiles ne couronneraient-elles pas la femme que le soleil a vêtue ? Comme au jour du printemps, les roses et les lis des vallées l'entouraient. Le bras gauche de l'Époux soutient sa tête et du bras droit il l'étreint. Nul ne peut estimer ces joyaux, dire le nom de ces étoiles qui sont serties dans le diadème de Marie. Déchiffrer les signes et la composition de cette couronne passe l'entendement humain. Pour ma part, sans perdre la notion de ma petitesse et en me gardant de vouloir sonder les divins arcanes, je crois pouvoir dire que ces douze étoiles figurent les douze prérogatives qui sont réservées à Marie. On peut, en effet, distinguer en elle des prérogatives célestes, charnelles et du coeur. S'il y a quatre prérogatives de chaque espèce, la multiplication me donne nos douze étoiles dont reluit le diadème de notre Reine. J'y vois étinceler d'un éclat particulier d'abord la naissance de Marie, deuxièmement la salutation de l'ange, troisièmement la survenue de l'Esprit, quatrièmement l'ineffable conception du Fils de Dieu. Et je trouve encore un rayonnement extraordinaire au premier voeu de virginité, à la maternité immaculée, à la grossesse sans fatigues, à l'enfantement sans douleurs. Enfin, il y a une lumière particulière dans la douceur pleine de réserve, la pieuse humilité, la foi magnanime, le martyre du coeur. Je laisse à votre zèle la méditation attentive de chacune de ces prérogatives, et je me contenterai ici de les expliquer brièvement.

8. Quel éclat sidéral trouvons-nous donc dans la naissance de Marie ? Elle est de royale extraction, de la race d'Abraham et de la noble lignée de David. Si cela vous paraît insuffisant, ajoutez que, par un privilège accordé en vue de sa sainteté future, cette descendance fut, comme on le sait, l'effet de la volonté divine : bien avant de naître, elle avait été promise à Abraham et à David, préfigurée par des signes mystérieux, et annoncée par les Prophètes, C'est elle que symbolisaient, en effet, la verge d'Aaron qui fleurissait même coupée de sa racine, la toison de Gédéon imbibée de rosée sur une terre sèche, la porte d'Orient, dans la vision d'Ézéchiel, qui ne s'ouvrit jamais à personne. C'est elle encore qu'Isaïe annonçait plus clairement que tous les autres, quand il parlait de la tige qui surgirait un jourde la racine de Jessé, ou de la Vierge qui enfanterait. Aussi l'Écriture dit-elle avec raison qu'un grand signe apparut auciel, puisque nous savons que le ciel avait depuis si longtemps prédit sa venue. Le Seigneur dit : Il vous donnera lui-même un signe. Voici qu'une Vierge concevra. Ce signe fut grand, comme celui qui l'a donné. Cette première prérogative ne peut donc qu'éblouir tous les regards.

Le mérite sans pareil de notre Vierge et la grâce unique dont elle fut l'objet apparaissent de même dans la salutation de l'archange : il lui témoigna tant de respect et de déférence qu'il semblait l'apercevoir déjà sur son trône royal, au-dessus de toutes les légions célestes, et il s'en fallut de peu qu'il n'adorât une femme, lui qui avait coutume d'être, sans étonnement, adoré des hommes.

9. Et voici, brillant du même éclat, le mode inouï de sa conception : au lieu de concevoir dans le péché, comme les autres femmes, Marie seule conçut en toute sainteté, par la survenue du Saint-Esprit. Quant au fait que Marie ait mis au monde le Fils de Dieu, vrai Dieu lui-même, afin qu'il fût tout ensemble fils de Dieu et de l'homme et qu'il naquît de lui homme et Dieu à la fois, c'est un gouffre de lumière, et je ne crois pas que même les yeux des anges puissent le contempler sans en être aveuglés.

Quant à la virginité de son corps et à la résolution qu'elle avait prise de la conserver, la nouveauté même d'un tel voeu en rehausse assez la splendeur : car c'est en dépassant les prescriptions de la loi mosaïque par l'esprit de liberté, qu'elle promit à Dieu de préserver ensemble la pureté de sa chair et de son âme. La preuve qu'elle s'en tint à ce voeu irrévocable, c'est qu'à l'ange qui lui promettait un fils, elle répondit fermement : Comment cela se fera-t-il, Puisque je ne connais pas d’homme ? C'est pourquoi, sans doute, elle fut d'abord troublée par les paroles de l'ange et se demanda ce que voulait dire cette salutation qui la proclamait bénie entre les femmes, alors que son désir était de rester toujours bénie entre les vierges. Et de ce fait, la salutation lui paraissait déjà sujette à caution. Mais dès que la promesse d'un fils lui parut mettre en péril sa virginité, elle ne put cacher plus longtemps ses soupçons. Comment cela se fera-t-il ? dit-elle, je ne connais pas d'homme. Elle a donc mérité la bénédiction qui revient à la mère, sans perdre celle que revendique à juste titre la vierge. La gloire s'accroît d'être vierge, par la maternité, et d'être mère, par la virginité : ce sont deux étoiles qui se renvoient mutuellement leurs rayons. C'est un grand honneur d'être vierge, mais infiniment plus grand d'être vierge et mère. Il est donc juste que, seule à concevoir sans péché, elle ait été seule ensuite à ne pas connaître ces sensations de dégoût qui accablent les autres femmes durant leur grossesse. Dans les premiers temps de la sienne, c'est-à-dire à l'époque où ces épreuves sont les plus pénibles, on la vit gravir d'un pas léger les montagnes pour aller offrir ses services à Élisabeth. Et on la vit pareillement, à la veille de ses couches, monter à Bethléem, portant le précieux dépôt qui lui était confié, fardeau léger et qui la portait plus qu'il n'était porté. Quelle lumière encore dans l'enfantement même qui ne fut pour elle qu'un surcroît de joie, au lieu de ces souffrances qui sont une malédiction pour les femmes en couches. Si nous mesurons à leur rareté le prix des choses, il n'est rien de plus rare que tout cela, en quoi elle n'a eu ni devancière ni émule. Méditons bien ces privilèges, qui doivent nous inspirer plus encore que de l'admiration : la vénération, la piété, la consolation.

10. Mais les quatre dernières prérogatives requièrent de nous, en outre, l'imitation. Il ne nous a été donné ni d'être annoncés, avant notre naissance, par tant de prophéties et de divines promesses, ni d'être salués avec ce respect inouï par l'archange Gabriel. Et nous avons moins de part encore aux deux prérogatives qui restent le secret absolu de la Vierge. D'elle seule il est écrit : Ce qui est né en elle est du Saint-Esprit, à elle seule il est dit: Le Saint qui naîtra de toi s'appellera Fils de Dieu. Qu'on présente des vierges au Roi, mais après elle, à qui revient le premier rang . Seule, elle a conçu sans péché, porté l'enfant sans fatigue, enfanté sans douleur. Aussi rien de tel n'est-il exigé de nous. Mais ce qui nous est demandé n'est pas rien. Si nous manquions, en effet, de douceur pudique, d'humilité, de foi généreuse, de compassion, pourrions-nous nous excuser sur ce que ces vertus sont réservées à Marie ? La rougeur qui monte au front d'un homme pudique est certes un joyau de son diadème et une étoile de sa couronne, car on ne saurait supposer que cette grâce fasse défaut à celle qui est pleine de grâce. Marie fut réservée, l'Évangile en fait foi. On ne l'y voit jamais ni bavarde ni présomptueuse. Cherchant son fils, elle se tenait à la porte , et elle n'usa pas de son autorité maternelle pour interrompre sa prédication ou pour entrer dans la maison où il parlait. Dans le texte entier des quatre Évangiles, si j'ai bonne mémoire, on ne nous rapporte pas plus de quatre fois des paroles de Marie. La première fois elle s'adresse à l'ange, mais seulement après que lui-même lui a parlé par deux fois. Ensuite, c'est chez Élisabeth, lorsque sa voix fait tressaillir Jean dans le ventre de sa mère et que, louée par sa cousine, elle s'empresse de louer elle-même le Seigneur. La troisième fois, elle parle à son Fils, alors âgé de douze ans, et se plaint qu'elle-même et son père inquiets, aient dû le chercher. La dernière fois, aux noces de Cana, elle s'adresse à son Fils et aux serviteurs, et cette fois-là ses propos portent la marque la plus certaine de sa bonté native et de sa réserve virginale. Faisant sien l'embarras d'autrui, elle ne peut y tenir et elle avertit son Fils que le vin va manquer; lorsque son Fils la réprimande, la douceur et l'humilité l'empêchent de lui répondre, et pourtant, sans se laisser déconcerter, elle engage les serviteurs à faire ce que dira son Fils.

11. Et dès le début, ne nous dit-on pas que les Bergers trouvèrent Marie la première ? Ils trouvèrent Marie et Joseph, et l'enfant déposé dans la crèche. Les Mages à leur tour, souvenez-vous, ne trouvèrent pas l'enfant sans Marie, sa mère. Quand elle alla présenter le Seigneur du Temple au temple du Seigneur, elle s'entendit prédire par Siméon bien des choses qui concernaient son enfant et elle-même. Et toujours nous la voyons lente à parler, prompte à écouter. Marie conservait toutes ces paroles et les repassait dans son coeur. Mais dans toutes ces occasions vous ne l'entendez pas prononcer un seul mot touchant le mystère de l'Incarnation. Pauvres de nous, qui avons toujours les narines frémissantes d'impatience, prêtes à lâcher tout leur souffle d'un coup et qui, comme dit le poète comique, fuyons par mille fentes. Tant de fois, Marie a entendu son Fils parler en paraboles aux foules, ou bien, dans le petit groupe des disciples, leur révélant les mystères de Dieu ! Elle l'a vu faire des miracles, elle l'a vu cloué à la croix, expirant, ressuscité, elle l'a vu monter au ciel. A tous ces moments-là, combien de fois a-t-on entendu la voix de cette vierge, de cette pudique tourterelle ? On lit dans les Actes des Apôtres que revenant du mont des Oliviers ils persévéraient tous dans la prière. Mais qui, tous ? Si Marie était là, il faut la nommer la première, car elle est au-dessus de tous et comme mère du Sauveur et par sa propre sainteté. C'étaient Pierre et André, dit le texte, et Jacques et jean, puis viennent les autres noms. Eux tous persévéraient dans la prière, ainsi que les femmes, et Marie, mère de jésus Se montrait-elle donc au dernier rang parmi les femmes, pour être nommée ainsi après tout le monde ? Les disciples étaient encore tout charnels - l'Esprit ne leur était pas encore donné, puisque jésus n'était pas encore dans la gloire - lorsque s'éleva entre eux une dispute pour la première place. Marie, elle, en raison même de sa grandeur, se mettait toujours au rang le plus humble. Elle mérita d'être appelée à la première place, précisément parce que, y ayant droit, elle avait occupé la dernière. Pour s'être montrée la servante de tous, elle devint leur souveraine. Et elle fut élevée au-dessus des anges parce qu'elle s'était abaissée, dans son indicible bonté, au-dessous des veuves, des pénitentes, et même de cette femme dont on avait expulsé sept démons. Je vous en conjure, mes petits enfants, si vous aimez Marie, imitez cette vertu et si vous voulez lui plaire, soyez modestes comme elle. Rien ne sied mieux à un homme, à un chrétien, et très spécialement à un moine.

12. Cette douceur fait assez ressortir la vertu d'humilité chez la Vierge. Douceur et humilité sont deux soeurs de lait, très particulièrement unies en celui qui disait : Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur. De même que la superbe est mère de la présomption, la douceur ne peut naître que de la véritable humilité. On observe l'humilité de Marie, non seulement dans sa propension au silence, mais plus distinctement encore dans ses paroles. L'ange lui avait dit : Le Saint qui naîtra de toi sera appelé Fils de Dieu; elle lui répond simplement qu'elle est sa servante. Puis elle se rend chez Élisabeth, à qui l'extraordinaire faveur accordée à la Vierge avait été révélée par le Saint-Esprit et qui s'écrie, surprise de la voir arriver -. Comment se fait-il que la Mère de Dieu me rende visite ? Et, bénissant la voix qui vient de la saluer, Élisabeth ajoute: Dès que mes oreilles ont entendu tes paroles de salutation, mon enfant a tressailli de joie dans mon sein; elle bénit encore la foi de Marie : Tu es heureuse d'avoir cru, car tu verras s'accomplir en toi les choses qui t'ont été dites de la part du Seigneur. Voilà de grands éloges, mais l'humilité de Marie lui interdit d'en rien garder pour elle-même et elle reporte tout sur celui dont on loue en elle les grâces, " Tu magnifies la mère du Seigneur, dit-elle, mais mon âme magnifie le Seigneur. Tu dis qu'à ma voix ton fils a tressailli de joie, mais mon esprit a tressailli en Dieu, auteur de mon salut, et comme l'ami de l'Époux il se réjouit à sa voix. Tu me déclares heureuse d'avoir cru, mais ma foi comme mon bonheur ont pour seule cause le regard bienveillant de Dieu, car c'est parce qu'il a baissé les yeux vers son humble petite servante que toutes les générations me proclameront bienheureuse."

13. Devons-nous croire, mes frères, que sainte Élisabeth se soit trompée, alors qu'elle était inspirée par le Saint-Esprit ? C'est impossible. Marie est bienheureuse, parce que Dieu l'a regardée et parce qu’elle a cru. Sa foi est le fruit du regard dîvin. Grâce à l'opération ineffable du Saint-Esprit survenu en elle, une extraordinaire grandeur d'âme s'ajouta, dans le secret de son coeur de Vierge, à une si étonnante humilité ; et ces deux vertus, comme tout à l'heure la virginité et la maternité, devinrent deux étoiles se renvoyant leurs feux. Ni l'excès d'humilité ne diminue la grandeur, ni l'excès de grandeur n'entame l'humilité. Si humblement qu’elle se jugeât elle-même, Marie accueillit sans mesquinerie la promesse de l'ange; elle qui se considérait comme une pauvre petite servante, elle ne douta pas qu’elle ne fût réellement choisie en vue de ce mystère incompréhensible, de cette merveilleuse union, de ce secret impénétrable. Elle admit aussitôt qu’elle serait en effet la vraie mère de Dieu et de l'homme. C'est la grâce divine qui, dans le coeur des élus, réussit ce prodige d'une humilité sans petitesse d'âme et d'une générosité sans orgueil; ces deux vertus s'allient si bien que la grandeur d'âme, non seulement n'ouvre la porte à aucune superbe, mais soutient les progrès de l'humilité ; en sorte que les élus sont les plus pénétrés de crainte du Seigneur et de gratitude pour ses largesses. Réciproquement, aucune lâcheté ne se glisse dans leur âme à la faveur de l'humilité : moins un homme a coutume de présumer de sa force dans les petites choses, et plus il lui est facile, dans les grandes, de s'en remettre à la puissance divine.

14. Quant au martyre de la Vierge (qui était, si vous vous en souvenez, la douzième étoile de son diadème), l’Écriture y attire notre attention aussi bien dans la prophétie de Siméon que dans le récit de la Passion du Seigneur. Cet enfant est venu, dit le vieillard en voyant le petit Jésus, comme un signe de contradiction. Et, s'adressant à Marie, il ajouta : Toi-même, un glaive te transpercera l'âme. Et en vérité, Bienheureuse Mère, un glaive a percé ton âme; il n'aurait pu, sinon, sans te percer, atteindre le corps de ton Fils. Lorsque ton Jésus (il est à tous, mais plus spécialement à toi) eut rendu le dernier souffle, la lance, cruelle ouvrit son flanc, sans ménager un corps qui ne pouvait plus souffrir, mais c'est ton âme qu’elle transperça. L'âme de ton Fils déjà n'était plus dans ce corps, mais la tienne ne pouvait s'en arracher, et c'est elle que poignit la douleur. Il faut donc t'appeler plus que martyre, puisque, en toi, la souffrance de compassion l'a emporté si totalement sur la douleur du corps.

15. Pour toi, ce fut plus qu'un glaive que cette parole qui, perçant ton âme, atteignit jusqu'au point de division de l'âme et de l'esprit : Femme, voici ton fils. Quel échange! Jean t'est donné en échange de Jésus, le serviteur en place du Seigneur, le disciple au lieu du Maître ; le fils de Zébédée doit remplacer le Fils de Dieu, un homme rien qu'homme se substituer au vrai Dieu! Comment ces mots, à les entendre prononcer, n'auraient-ils pas transpercé ton âme si aimante, quand nos coeurs de pierre et de fer se fendent en les entendant rapporter. Ne vous étonnez pas, mes frères, si on dit que Marie subit le martyre en son âme. Pour s'en étonner, il faudrait avoir oublié que saint Paul compte le manque d'affection au nombre des plus odieux crimes dont les Gentils se soient rendus coupables. Cette faute est bien loin du coeur de Marie et devrait l'être aussi du coeur de ses petits serviteurs. Mais on dira peut-être ; " Ne savait-elle pas d'avance que son Fils devait mourir ? - Assurément. - N'espérait-elle pas qu'il ressusciterait bientôt ? - De toute son âme. Et malgré cela, elle pleurait au pied de la croix ? A chaudes larmes. Mais qui es-tu, mon frère, et d'où te vient cette sagesse que la compassion de Marie trouble davantage que la passion de son Fils ! Jésus a pu mourir dans son corps, et vous voulez que Marie ne soit pas en même temps morte dans son coeur ? Il a subi la mort du corps, par l'effet d'une telle charité que personne n'en eut jamais de plus grande; et Marie endura la mort du coeur par une charité telle qu'il n'y en aura plus jamais de semblable.

Et maintenant, Mère de miséricorde, par cette même compassion de ton âme si pure, la Lune (c'est l'Église, je l'ai dit) se prosterne à tes pieds et t'adresse de pieuses supplications, parce que tu es devenue sa médiatrice auprès du Soleil de justice. Que dans ta lumière elle voie la lumière et que par ton intercession elle obtienne la grâce de ce Soleil qui t'a vraiment aimée plus que toutes les créatures, qui t'a parée, revêtue d'une étole de lumière, et qui a ceint ta tête d'une couronne de beauté ! Tu es pleine de grâce, pleine de rosée céleste, appuyée sur ton bien-aimé, inondée de délices. Nourris aujourd'hui tes pauvres, ô Notre-Dame, fais que les petits chiens aussi aient leur part de miettes; de ta cruche qui déborde, ne donne pas à boire seulement au serviteur d'Abraham, abreuve aussi ses chameaux. Car tu es vraiment la Vierge élue dès l'origine et destinée au Fils du Très Haut, qui est au-dessus de toutes choses, Dieu béni à jamais. Ainsi soit-il.

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