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Paris 10 février 2020
Merci de
prier pour la personne qui a travaillé deux ans pour réaliser cette nouvelle
édition
INTRODUCTION : Aperçu général
CHAPITRE 1 : Dogmatique et dogme
§ 1. Dogmatique et théologie
§ 2. Notion et division du dogme.
§ 3. Les vérités catholiques
CHAPITRE 2 : Les principes de la science dogmatique
A) Le principe objectif : La Révélation
§ 4. La Révélation divine.
§ 5. L’Écriture source dogmatique
1. Étendue de l’Écriture : Le Canon
2. L’inspiration de l’Écriture
L’usage de l’Écriture
§ 6. La Tradition
1. Réalité de la Tradition
2. Sources de la Tradition
3. Relations entre l’Écriture et la Tradition
§ 7. Le magistère ecclésiastique : « Propositio Ecclesiæ »
§ 8. Degrés de certitude théologique et censures
B) Le principe subjectif de la science théologique : La foi
§ 9. La science avant la foi
§ 10. La foi théologale en soi
1. Notion de la foi
2. Principes de la foi
§ 11. La science dans la foi
§ 12. Le progrès dogmatique
CHAPITRE 3 : Méthode et tâche de la dogmatique
§ 13. La méthode dogmatique
§ 14. Tâche de la dogmatique
CHAPITRE 4 : Aperçu général de l’histoire de la dogmatique
§ 15. L’époque patristique
§ 16. L’époque scolastique
§ 17. L’époque moderne
L’introduction doit traiter
surtout des sources de la science
dogmatique. A cela viennent s’ajouter quelques questions secondaires. Nous
divisons la matière habituelle en quatre chapitres : 1° Dogmatique et
dogme ; 2° Les principes de la science dogmatique ; 3° Méthode et
tâche de la dogmatique ; 4° Aperçu général de l’histoire de la dogmatique.
Le premier qui ait écrit une
introduction formelle à la dogmatique fut Melchior Cano (+ 1560). Il y fut
déterminé par l’humanisme et surtout par le protestantisme. Il le fit
dans les loci theologici souvent
cités. A la manière d’Aristote dans ses Topiques,
il traite des sources des vérités dogmatiques. Il en nomme dix :
l’Écriture, la Tradition, l’Église catholique, le Concile, l’Église romaine,
les Pères, la Scolastique, la Raison, la Philosophie, l’Histoire. Les principes
sur lesquels il s’appuie se trouvent déjà chez les Pères (Irén., Tert., Aug.,
Vinc. de L.). S. Thomas met en tête
de sa Somme une brève et importante
introduction. De même S. Bonaventure
(Prœm. in 1. Sent.). Au sujet des autres Scolastiques, on donnera des détails
plus loin. Néanmoins Melchior Cano a eu le mérite de traiter, dans leur
ensemble et en tenant compte de leurs différences, des sources jusqu’alors
dispersées.
A consulter : Petau, Dogm. theol. proleg., § 1er.
Schrader, De theologia generatim
(1861). Schwets, Theologia fundamentalis
(1867). Schoetzer, Introductio in s.
theol. dogm. (1882). Kleutgen,
Institutiones theol. in usum scholarum : Introductio generalis et de ipso
Deo (1881). Minges, Compendium theol.
dogm. generalis (1923). Egger,
Enchiridion theol. dogm. gen. (1913).
Propedeutica philosophico‑theologica (1912). Hontheim, Institutiones theodiceæ
(1893). Ottiger, Theologia
fundamentalis, 1 (1897). Wilmers, De religione revelata (1897). Reinhold, Prælectiones de theol. fund.
(1905). Vacant‑Mangenot, Dictionnaire theol., v. Dogmatique et Dogme, 4 (1522‑1573 et 1574‑1650), avec une très riche
bibliographie.
La dogmatique est aujourd’hui une partie spéciale de la théologie. Les deux expressions sont
apparentées et on les confond souvent. Le nom « dogmatique » est
relativement récent (17ème siècle), le nom « théologie »
est ancien.
L’antiquité abusait du titre
θεολόγος. Elle le donnait aux chanteurs
et aux poètes, aux grands maîtres de la philosophie : Platon, les
stoïciens (Aristote ne voulait pas faire de théologie, il la considère comme
une science pré‑philosophique), les pythagoriciens, les néoplatoniciens, les prêtres qui
rendaient des oracles, les théologiens du culte de l’empereur. Leurs
déclarations sur Dieu et les choses divines s’appelaient :
θεολογία
(θεολογεῖν)
Chez les Pères, sont considérés comme théologiens : les dépositaires de
la Révélation et les hagiographes de l’Ancien et du Nouveau Testament,
particulièrement Moïse, les Prophètes, S. Jean, S. Paul et surtout le
Christ ; parmi les Pères eux‑mêmes, les défenseurs de l’orthodoxie, comme S. Athanase, S. Basile, S.
Grégoire de Naz., en outre des
docteurs et des prédicateurs remarquables.
Est théologie pour eux tout enseignement concernant Dieu et les choses
divines en général, la Révélation divine ; l’enseignement concernant la
Trinité, la divinité du Christ et du Saint‑Esprit, la Création ; les enseignements particuliers
concernant la foi, les louanges de Dieu et les prières.
S. Augustin dit : « Sous le nom grec de « théologie »,
nous entendons toute science ou tout enseignement concernant la divinité »
(Civ., 8, 1). Le pseudo‑Denys comprend dans la notion de théologie tout le contenu de l’Ancien
et du Nouveau Testament (De myst. théol., 3). Or S. Augustin et le pseudo‑Denys sont les maîtres principaux des Scolastiques ; on
comprend dès lors que ceux‑ci aient accepté leur terminologie. On employait
en outre les termes « sacra doctrina, scientia divina » pour insister sur le caractère surnaturel de la théologie. La Scolastique voit dans
la science de Dieu le principe et la fin de toute théologie. S. Thomas : « Dans la science
sacrée, on envisage tout par rapport à Dieu, soit qu’il s’agisse de Dieu lui‑même, soit parce que toutes les
choses qu’on y traite se rapportent à lui comme à leur principe et à
leur fin. D’où il suit que Dieu est véritablement le sujet de cette
science » (S. th. 1a, q. 1, a. 7, resp.). S. Bonaventure : « La sainte doctrine, c’est‑à‑dire la théologie, parle principalement du
premier principe, Dieu trois et un », etc. (Brevil., 1, 1).
Théologie naturelle et surnaturelle. Déjà S. Augustin distingue la science païenne de la divinité qu’il
appelle « theologia naturalis » de la science chrétienne (Civ., 8, 1.
Trin., 14, 1, 3). Les notions de « theologia naturalis, rationalis »
et de « theologia supernaturalis, revelata » sont particulièrement
accentuées dans la Scolastique : « La théologie qui appartient à la
science sacrée n’est pas du même genre que la théologie qui est une des parties
de la philosophie » (S. th. 1, 1, 1 ad 2). Les principes sont chez l’une
et l’autre essentiellement différents. L’une s’appuie sur la raison pure,
l’autre sur la révélation divine. De nos jours, on appelle la théologie
naturelle théodicée et on réserve le nom de théologie à la théologie
surnaturelle. On distingue la théologie
systématique, la théologie historique
et la théologie pratique.
Notion de la dogmatique. Sous le nom de « dogmatique, théologie
dogmatique », on désigne aujourd’hui l’exposé scientifique des
vérités surnaturelles et des faits concernant le salut contenus dans la
Révélation divine, exposé présenté dans un ensemble organique et une unité
systématique. Elle suppose l’unité objective et la connexion logique de la
Révélation. Si cette Révélation était un chaos, la science théologique serait
hors d’état d’en tirer un système cohérent ; tout au plus pourrait‑elle essayer un arrangement artificiel.
Pour ce qui est des relations de
la dogmatique avec les autres disciplines théologiques, il faut tenir compte
surtout de ses rapports avec la morale
et l’exégèse.
Jusqu’au Concile de Trente, dans
l’enseignement de l’Écriture et des Pères comme dans la Scolastique, la
théologie dogmatique et la théologie morale furent traitées ensemble. Les
besoins des temps modernes exigeront que ces deux disciplines fussent séparées.
Mais on ne doit pas perdre de vue leur connexion historique et surtout
théologique.
La dogmatique doit s’occuper des
enseignements spéculatifs de la loi, la théologie
morale traite des règles pratiques pour la vie chrétienne ; l’une
s’adresse surtout à la raison, l’autre à la volonté. Mais toutes deux recourent
à la même source surnaturelle, emploient d’ordinaire la même méthode et enfin
ont le même but. Malgré tout, la dogmatique garde le rôle directeur. C’est à
elle de prouver les principes surnaturels sur lesquels s’appuie la théologie
morale ‑ qu’on songe aux enseignements sur Dieu, la grâce, l’Église, les vertus ‑ et elle exige, de la discipline sœur, le même esprit de foi. C’est avec raison qu’on parle des « dogmata morum » comme on parle du « dogma fidei ». Une séparation interne, telle qu’on la voulait au « siècle des lumières », enlèverait à la morale elle‑même tout prestige.
Les relations de la dogmatique
avec l’exégèse sont semblables.
L’exégèse fournit des matériaux sains pour la construction dogmatique. Mais,
malgré une certaine autonomie, elle reste dépendante de la dogmatique, comme on
le montrera plus tard, en étudiant l’Écriture sainte. Chacune cependant suit sa
propre méthode. L’exégèse s’attache aux détails ; la dogmatique considère
plutôt les grands ensembles, sans pourtant, bien entendu, se séparer de
l’exégèse, quand il s’agit d’argumentation précise. La « méthode locale
antihistorique », qui consiste à retirer les textes probants de leur
contexte, ne peut plus être reprochée à bon droit à la dogmatique moderne.
Cette méthode n’est pas scientifique.
Objet de la théologie. C’est la Scolastique qui la première s’est
demandée quel était l’objet (subjectum) de la théologie. S. Thomas répondit que
c’était essentiellement Dieu, le
principe et la fin dernière de toute autre chose ; que, par
conséquent, tout doit être considéré par rapport à lui (S. th., 1, 1, 7).
La théologie ou dogmatique est‑elle une
science ? S. Thomas, après avoir distingué d’une
manière approfondie la foi et la science — « il n’est pas possible que l’on
voie et que l’on croie tout à la fois la même chose » (S. th., 2, 2, 1, 5)
— répond que la théologie est bien une science, mais une science subalterne et
non absolue, puisqu’elle ne prouve pas elle‑même ses principes, mais les reçoit d’une science plus élevée « la science de Dieu et des bienheureux » (S. th., 1, 1, 2). Scot, sous réserve de quelques petites
divergences, est d’accord avec lui.
La dogmatique, après avoir trouvé
ses principes assurés dans la foi, procède à la manière d’une science
naturelle ; elle cherche, au moyen de syllogismes, d’opérations logiques,
d’enchaînements et d’analogies, à étendre son domaine, à réaliser une unité
rigoureuse et une connexion parfaite, sans oublier cependant jamais qu’elle est
une science de la foi. Dans ce sens,
la théologie est la première et la plus haute de toutes les sciences. Elle
l’est à cause de son objet, qui est
Dieu lui‑même ; à cause de sa certitude, qui est garantie par l’éternelle Vérité ; par sa
valeur, puisque son rôle est de nous transmettre les vérités qui assureront
notre salut et notre béatitude (S. th., 1, 1, 2 et 5). On sait que d’autres
sciences reposent sur des postulats. La science mathématique moderne,
précisément, affirme qu’elle ne peut prouver ses principes.
Ce n’est donc pas de l’insolence
quand la dogmatique réclame le rang de science principale et fondamentale parmi
les disciplines théologiques. Elle n’entend pas par là contester à ces autres
disciplines leur indépendance ou les considérer comme des sciences auxiliaires.
Mais elle demande qu’on lui rende autant que possible le tribut d’hommage
auquel elle a droit et que, à l’encontre des tendances modernes centrifuges, on
l’aide à sauvegarder l’unité de la théologie.
A consulter en plus des auteurs
signalés plus haut : Pesch,
Præl. dogm., 1, 355 sq. Van Noort, De
fontibus revelationis, 190 sq. Specht,
Dogm., 1, 4 sq. Veronius, Regula fidi
catholicæ. Holden, Analysis fidei
divinæ et Christmann qui s’appuie sur
les deux précédents ; Regula fidei catholicæ (Migne, Cursus theologiæ, 1 et 6). Palmieri, Theologia dogm. orth. (1911). L. de Grandmaison, Le dogme chrétien (1928).
Notion. Un dogme (dogma catholicum) est toute vérité religieuse révélée
surnaturellement par Dieu et proposée
comme telle à notre croyance par l’Église.
Tout dogme catholique a donc un double caractère distinctif : un caractère
interne et objectif, le fait d’être contenu dans la Révélation, et un
caractère externe et juridique, la proclamation par l’Église.
Le Concile du Vatican : « On doit croire d’une foi divine et
catholique tout ce qui est contenu dans les saintes Écritures et dans la
tradition, et tout ce qui est proposé par l’Église comme vérité divinement
révélée, soit par un jugement solennel, soit par son magistère ordinaire et
universel » (S. 3, c. 3 ; Denz., 1792). Les Grecs ont objectivement la même manière de voir.
La proclamation ordinaire s’est faite depuis le début
par les prédications continuelles, par l’injonction de la règle de foi avant le
baptême (profession de foi du baptême, Symbole des Apôtres, « Regula fidei »),
par les paroles et les actes de la liturgie, par l’introduction des
catéchismes. La proclamation extraordinaire
se limite d’ordinaire à certaines vérités de foi importantes, menacées par
l’hérésie. Alors l’Église définit la vérité de foi dans un jugement
solennel (solemni judicio). Ainsi par ex. : la divinité du Christ au
Concile de Nicée en 325. Cependant les vérités proposées par l’enseignement
ordinaire, comme celles qui sont définies par l’enseignement
extraordinaire, sont de vrais dogmes au sens propre du mot. À ce sujet, le C.
J. C. donne une règle précieuse (can. 1323, § 3) : « Aucune chose ne
doit être tenue pour déclarée ou définie dogmatiquement, en l’absence de preuve manifeste ».
Étymologiquement
δόγμα, de δοϰεῖν,
signifiait pour les anciens une résolution ferme ou une décision
d’autorité soit dans le domaine de la science, soit dans la vie de l’État. On
trouve ce mot avec ce dernier sens dans la Bible elle‑même (Septante : Esth., 3, 9. Dn., 2, 13 ; 6, 8. Luc, 2, 1. Act. Ap., 16,
4 ; 17, 7. Eph., 2, 15. Col., 2, 14 ; cf. Heb., 11, 23). ‑ Les Pères devaient être tout naturellement portés à désigner sous le nom de dogmes les principes
fermes de l’enseignement chrétien de la foi et des mœurs. Ils le firent de bonne heure
(Ign., Mag., 13, 1 : δόγματα
τοῦ ϰυρίου ϰαὶ
τῶν ὰποστὸλων ;
Barn., Ep. 1, 6 : τρία οῦν
δόγματα ἑστιν ϰυρίου ;
cf. Clem. 1 Cor., 20, 4 ; Ep. ad Diog., 5, 3). Les Alexandrins désignaient
sous le nom de δόγμα toute la doctrine chrétienne
(Clem. Strom, 7. M., P. gr., 9, 544 ; Orig., De princ., 4, 1 : M. 11,
344 ; C. Cels, 1, 7 : « dogma nostrum »). — À partir du 4ème
siècle, on commence peu à peu à réserver de préférence le terme
δόγμα aux enseignements de la foi (Denz., au mot
« dogmata ». Cyr. Hier. Cat., 4, 2. Greg. Nyss., Ep. 24. M. 46,
1089). On appelle parfois les hérésies « nefaria dogmata » ou
« impiissima » (Denz., 161, 272).
Conséquences. Étant donné que le dogme, au sens strict, exige la Révélation
surnaturelle, il s’ensuit que les vérités, que l’Église, dans ses déclarations,
ne puise pas à cette source, ne sont pas des dogmes proprement dits.
Par conséquent, les
« vérités catholiques » qu’on examinera tout à l’heure ne sont pas
des dogmes, au sens strict, même quand elles sont définies, parce qu’il
leur manque le caractère complet de la Révélation. Tel est l’avis de presque
tous les théologiens, à l’encontre de Lugo (de fide divina, d. 1, n° 272
sq.) et de Suarez (de fide divina 3, s. 11, n° 11), car l’autorité de
l’Église ne peut pas suppléer à
l’élément essentiel qui fait défaut.
La révélation privée ne peut pas non plus être une source du dogme.
Une approbation qu’a pu donner l’Église n’a qu’un caractère disciplinaire et
non dogmatique. Elle ne contient que l’autorisation d’éditer et de lire. Ce
jugement ecclésiastique n’est pas infaillible, comme le prétend Straub (De Ecclesia Christi, 2 (1912),
250) en s’appuyant sur les apparitions de la Sainte Vierge à Lourdes et sur la
fête de ces apparitions célébrée dans l’Église universelle.
Le protestantisme ancien était encore attaché à la Révélation, bien
qu’il prétendît qu’elle fût contenue uniquement dans l’Écriture. En conservant
les trois antiques symboles de l’Église (Symb. des Ap., d’Athan., de Nicée‑Const.), ils se trouvait lié d’une certaine manière à la
proclamation de l’Église et montrait ainsi un certain intérêt dogmatique. Le néo‑protestantisme y a complètement renoncé :
il repousse tout « lien dogmatique ». C’est pourquoi le
« mouvement œcuménique » actuel est sans issue. La recherche libre
est incompatible avec les liens dogmatiques. Le terrain d’entente le plus
facile est encore la croyance à « Dieu ». Martin Rade connaît a
quinze « systèmes » différents. Lui‑même veut établir « ce qui aujourd’hui ( !) possède encore, dans la
chrétienté évangélique, vie et valeur comme doctrine de foi ». À ce sujet,
il remarque que, dans le protestantisme, les idées et les opinions que l’on
professe au sujet du Christ présentent la plus grande confusion. Mais il en
était déjà ainsi ( !) dans le Nouveau Testament et « une doctrine de
foi peut‑elle nous dire autre chose que : Dieu ? ». « Et nous prétendons que cette doctrine de Dieu contient
tout le christianisme. Celui qui a ce Dieu est chrétien ». Y a‑t‑il donc « un Christianisme, une foi chrétienne
sans Christ ? Eh ! bien oui, cela existe. Plus souvent que ne le
pense et ne l’avoue le théologien ordinaire ».
Il faut encore remarquer que le
dogme, d’après ce qu’on a dit, ne s’identifie pas purement et simplement
avec la Révélation, comme le pensent les Grecs. Le dogme est la formule
ecclésiastique de la Révélation divine. Pour les Grecs, la Révélation est un
nombre déterminé de dogmes fixé de toute éternité. C’est ce qui exclut
chez eux le progrès dogmatique.
Le modernisme, comme le protestantisme moderne, s’écarte de la « conception intellectuelle »
scolastique du dogme. Sans doute, il ne veut pas arracher complètement le dogme
à la connaissance et en faire une pure affaire de sentiment ; il affirme,
au contraire, que l’expérience religieuse doit être formulée en idées et en
paroles. Au début, cela se ferait d’une manière spontanée et naturelle, mais
vague. Plus tard, cette opération serait plus réfléchie et plus distincte
grâce à une élaboration pénible. Le rôle décisif dans la rédaction de ces
formules appartiendrait finalement à l’Église qui leur donnerait le
caractère d’un dogme. Ainsi on distinguerait dans le dogme trois stades :
un stade intérieur et religieux, un
stade philosophique et intellectuel,
et un stade ecclésiastique et autoritaire.
— Bien que la vie religieuse intérieure demeure en soi immuable dans l’Église,
ses manifestations extérieures, et partant les vérités dogmatiques, seraient en
perpétuelle évolution. Ces formules, en tant que symboles, ne sauraient prétendre
atteindre la vérité ; cependant, avec leur caractère ecclésiastique, il
faut les accepter avec respect, car elles contribuent merveilleusement à
propager et à perfectionner le sens religieux. Étant donné que nous sommes
incapables d’atteindre la vérité absolue, les dogmes gardent cependant une
grande importance comme règles de vie pratique, parce qu’on se conduit à leur
égard comme s’ils étaient
l’expression de la vérité (dogmatisme moral). Ainsi donc on prierait Dieu comme
s’il était une personne, on traiterait l’Eucharistie comme si elle contenait la
Présence réelle, tout en ignorant le comment
de ces vérités (Cf. Encyclique « Pascendi », Décret
« Lamentabili », Motu proprio « Præstantia », Denz., 2071
sq. Le Roy, Dogme et critique
(1907)).
Essence du dogme. Après avoir repoussé la conception moderniste du dogme, nous
pouvons établir, au sujet de l’essence du dogme, cette thèse sûre : Le dogme n’est pas de nature purement
symbolique, mais il a une valeur réelle de connaissance ; il n’est pas en
premier lieu une règle des mœurs, bien qu’il ait indirectement une grande
influence même sur la vie morale.
Le dogme veut nous communiquer
des connaissances religieuses, objectivement sûres, généralement
compréhensibles et s’imposant obligatoirement. Il est vrai que ces vérités
ayant trait à Dieu, à son Être et à sa vie, cachés pour nous, ne peuvent être
des vérités adéquates ou absolues, mais seulement des vérités analogiques,
relatives. Néanmoins, ce sont des vérités réelles. Le point de vue catholique
se place entre deux extrêmes : l’agnosticisme
aveugle et l’anthropomorphisme naïf.
On abuse beaucoup aujourd’hui des mots vérité absolue et relative. Pesch remarque à ce sujet avec
raison : « Cela peut vouloir dire : « Les dogmes ne sont
que l’expression d’une conception subjective à laquelle ne correspond pas une
valeur objective » — et cela est faux ; — ou bien cela peut vouloir
dire : « Les dogmes ne sont pas une expression exhaustive de la
réalité divine et admettent des précisions ultérieures » — et cela est
exact (Foi et dogme, l68). — Il en
est de même pour l’autre point. Les dogmes sont tout d’abord des vérités pour
la foi et non des règles pour la vie ; mais cela ne veut pas dire qu’ils
sont de pures conceptions intellectuelles, ils s’adressent aussi au cœur. Le
protestantisme nous reproche de faire une « théologie de luxe »
(Kattenbusch) et d’agir avec les dogmes comme avec l’Écriture : « On
la possède comme si on ne la possédait pas, la soumission aux formules
suffit ». Ces reproches ne méritent pas qu’on leur réponde.
Division des dogmes. Malgré leur ressemblance formelle, on a
coutume de diviser les dogmes d’après les points de vue suivants :
1. D’après leur contenu, en dogmes généraux et en dogmes spéciaux. Les premiers sont les
grandes vérités fondamentales concernant Dieu, la Création, la Rédemption et
les fins dernières ; les autres sont les vérités particulières
contenues dans ces grandes vérités.
2. D’après leur relation avec la
raison, on les divise en dogmes purs
et en dogmes mixtes. Les premiers
sont les mystères incompréhensibles ; les autres les vérités que la raison
peut atteindre d’une certaine manière, par exemple l’existence de Dieu,
quelques‑uns de ses attributs.
3. Par rapport à leur
proclamation par l’Église, on les divise en dogmes formels (d. formalia quoad nos, revelata et proposita) et en dogmes
matériels (d. materialia, in se
revelata sed non proposita). Dans ces derniers manque le second élément
essentiel. Ce ne sont donc pas des dogmes proprement dits. Mais celui qui
serait convaincu de leur existence dans la Révélation serait tenu de les croire
d’une foi divine (fide divine seu theologica, différente de la fides
catholica)
A consulter : Dict. théol., 5, 1870 sq. et 4, 1576 sq.
Franzelin, De div. Trad. thes. 23 n.
4. Straub, De Ecclesia Christi, 2,
thes. 25.
Essentiellement différentes des
dogmes, dans le sens strict que nous venons d’expliquer, sont les vérités catholiques (veritates
catholicæ). L’Église propose aussi dans son enseignement ordinaire, ainsi que
dans ses déclarations scientifiques sur la foi, des vérités qui ne possèdent
pas la première caractéristique du dogme. Elles ne sont pas contenues dans la
Révélation et ne sont pas non plus proposées comme telles. On les appelle
simplement « enseignement ecclésiastique » (doctrinæ ecclesiasticæ) à
la différence de « l’enseignement divin » de la Révélation. Ces
vérités comprennent trois groupes : l° Les conclusions théologiques (conclusio théologica) ; 2° Les vérités philosophiques qui sont en
relation étroite avec les vérités révélées ; 3° Les faits dogmatiques (facta dogmatica). Ces vérités catholiques, elles
aussi, sont garanties par l’infaillibilité
(Cf. § 7).
Ad 1. Notion. La conclusion théologique est une vérité religieuse déduite
de deux prémisses dont l’une est formellement révélée et l’autre n’est connue
que naturellement. Comme ces vérités plongent par une racine dans la Révélation, on les appelle virtuellement révélées (virtualiter revelata).
Pour ce qui est de la
détermination du mode de révélation, on distingue les degrés suivants :
une vérité peut être révélée : a) immédiatement
et formellement (revelatio immediata
et distincta), par ex. : la Création (Gen. 1, 1), l’Incarnation (Jean, 1,
14), la Trinité (Math., 28, 19) ; b) immédiatement
mais d’une manière obscure (rev.
immediata sed obscura, quasi implicita), comme la partie dans le tout, le
particulier dans le général, par ex. : la procession du Saint‑Esprit du Père et du Fils, l’infaillibilité du Pape ; c) d’une manière virtuelle et implicite (rev. virtualis et implicita),
de telle sorte qu’on ne peut découvrir cette vérité que par la voie du
syllogisme. Dans les deux premiers cas, nous avons un véritable dogme ;
dans le dernier cas, une conclusion théologique. Quand les deux prémisses sont
révélées, la conclusion est un dogme ; quand les deux prémisses sont des
vérités naturelles, nous n’avons qu’un syllogisme philosophique. Exemples de
conclusions théologiques : Le Christ est, même comme Homme, le Fils
naturel de Dieu et non son Fils adoptif ; l’unité de l’action divine à
l’extérieur ; l’unité de procession de la troisième Personne divine ;
le pouvoir d’enseignement de l’Église concernant les vérités catholiques.
Pour la dogmatique, les
conclusions théologiques sont d’une grande importance. Elles permettent
d’approfondir d’une manière scientifique les vérités révélées, de les
relier entre elles, de les systématiser. Elles permettent de découvrir de
nouvelles vérités et de répondre à mainte question dont la Révélation ne donne
pas la solution précise. C’est l’Église qui décide, en dernière analyse, quelles sont les vérités que nous devons
considérer comme conclusions théologiques. Pour ce qui est de l’obligation que
nous avons de les croire ou de leur caractère de certitude, la plupart des
thomistes, avec beaucoup d’autres théologiens, déclarent que ce n’est pas la
foi divine, mais seulement la loi ecclésiastique qu’on peut et, partant, qu’on
doit leur accorder. On trouve des exemples de déclarations officielles sur les
conclusions théologiques dans la Constitution « Auctorem fidei »
de Pie VI contre le synode de Pistoie. Dans les 35 propositions, il condamne le
plus souvent de fausses conclusions (Denz., 1501 sq.).
Ad 2. L’Église, en tant que
maîtresse de tous les temps et de tous les peuples, a le devoir de ne pas
conserver le dépôt de la Révélation comme une lettre morte, mais de le proposer
sous une forme qui soit adaptée à la culture et aux besoins individuels et qui
réponde aux exigences de chaque époque. En agissant ainsi, elle doit mêler à
l’élément surnaturel un élément naturel. Dans ses discussions scientifiques
notamment, il n’est pas rare que l’Église s’appuie sur les données de la saine
philosophie (philosophia perennis) ; elle lui a même emprunté plusieurs
termes dans ses définitions dogmatiques, comme transsubstantiation,
consubstantiel, personne, nature, substance, etc.
Ensuite l’Église touche une série
de vérités naturelles dans les préambules qu’elle doit faire, quand elle veut
parler des vérités révélées (Præambula fidei ; S. th., 1, 2,
2 ; De ver., 14, 9 ad 8). De ce nombre sont surtout les vérités concernant
l’existence de Dieu et ses attributs absolus, que la raison naturelle peut elle‑même reconnaître. Beaucoup font aussi rentrer
dans ce nombre l’immortalité, la spiritualité de l’âme, le libre arbitre, la morale
naturelle et le fait de la Révélation.
L’Église peut aussi prendre vis‑à‑vis de la philosophie une
attitude négative, quand celle‑ci s’attaque directement aux vérités de foi ou bien formule des thèses qui, dans leurs conséquences, peuvent devenir
dangereuses pour la foi. Le jugement porté sur une telle philosophie fait partie des
vérités ecclésiastiques. Le Concile du Vatican
déclare expressément que, pour protéger le dépôt de la foi, « l’Église
tient aussi de Dieu le droit et la charge de proscrire la fausse science »
(S. 3, c. 4 ; Denz., 1798).
Ad 3. En plus des vérités
naturelles, il y a encore des faits
naturels qui sont présupposés par le dogme ou bien lui sont intimement ou
historiquement connexes. C’est pourquoi on les appelle les faits dogmatiques. Il ne faut pas les confondre avec les faits
purement surnaturels qui ont trait à notre salut comme l’Incarnation, la
Résurrection et l’Ascension du Christ. L’expression provient de la théologie
posttridentine et désigne, au sens large, les faits qu’on vient d’indiquer,
comme l’épiscopat de S. Pierre à Rome, la légitimité des conciles en
particulier, la validité des proclamations « ex cathedra » du Pape,
le fait que la parole de Dieu est contenue dans la Vulgate. Toutes ces vérités sont en soi naturelles, mais d’elles
dépendent, historiquement, une foule de vérités strictement dogmatiques. Qu’on
songe seulement à l’existence et à la validité du Concile de Trente, à
l’historicité du pontificat de Pierre à Rome !
Au sens strict, on désigne, par cette expression, des « textes dogmatiques ». L’Église juge
si un écrit ou une thèse est conforme ou non au dogme. L’Église s’est de tout
temps prononcée, d’une manière décisive, sur ces textes dogmatiques. Quand les
jansénistes lui contestèrent ce droit, avec leur distinction de la question de
droit et de la question de fait, elle le revendiquera dans les deux sens. A ce
sujet, elle déclara que, dans son jugement, elle s’en tenait au sens objectif
de l’exposé, elle laisse donc de côté l’intention subjective de l’auteur
(Denz., 1350 ; cf. 1098 et 1099). Signalons parmi les exemples de textes
dogmatiques l’écrit « Thalia », d’Arius ; les « Trois
Chapitres » de Luther ; l’« Augustinus », de Jansénius.
L’Église exige expressément, pour son jugement sur ces textes, l’assentiment
interne et ne se contente pas du silence respectueux.
Sommaire logique des paragraphes suivants. D’après le Concile du Vatican,
il faut que le dogme soit contenu dans la Révélation.
Cette Révélation se trouve, comme l’affirmait déjà le Concile de Trente, dans l’Écriture et la Tradition. A ces deux sources doivent puiser les vérités de foi,
d’après l’ordre voulu par Dieu, non seulement les fidèles eux‑mêmes, mais encore le magistère ecclésiastique. Ainsi, en
traitant du principe objectif de la
dogmatique, nous aurons à parler de l’Écriture, de la Tradition et du magistère
ecclésiastique.
À consulter : Pesch, Prael. dogm., 1, 151 sq. Tanquerey, Synopsis theol. fund., 106
sq. Hetzenhauer, Theologiea biblica
(1908). Zschokke, Historia sacra
Veteris Testamenti (1920). Ottiger,
De revelatione supernaturali. Garrigou‑Lagrange, De revelatione (1920). Dict.
theol., 1, 1524 sq. H. Dickmann,
De revelatione christiana (1930).
Notion. La Révélation divine est un acte libre de la grâce de Dieu par
lequel il se manifeste lui‑même aux hommes et leur fait connaître son existence et son essence,
sa volonté et ses œuvres. Cela se fait : 1° Par la voie de la nature (relatio naturæ ; theologia naturalis) ; 2° Par la
voie de la foi (revelatio
fidei : theologia fidei sive viatorum) ; et 3° Par la voie de la gloire (relatio gloriæ : theologia
scientia gloriæ sive beatorum). La première est une révélation naturelle, les
deux autres sont des révélations surnaturelles. La « revelatio
gloriæ » n’est pas une source de la dogmatique.
Le concile du Vatican commence par la « revelatio
naturalis » : « Dieu,
principe et fin de toutes choses, peut être certainement connu par les lumières
naturelles de la raison humaine, au moyen des choses créées ». Puis il
passe à la « revelatio supernaturalis » :
« Cependant il a plu à la sagesse et à la bonté de Dieu de se révéler lui‑même à nous et de nous révéler les décrets éternels de sa volonté par une autre voie surnaturelle ». Enfin il rappelle la
« bonté infinie de Dieu » qui a révélé surnaturellement des vérités
connaissables naturellement, pour assurer leur certitude générale, à cause de
leur importance pour la fin de l’homme : « C’est bien à cette révélation
divine que l’on doit que tous les hommes puissent promptement connaître, même
dans l’état présent du genre humain, d’une certitude incontestable et sans
aucun mélange d’erreur, celles des choses divines qui ne sont pas de soi
inaccessibles à la raison humaine ». Il ajoute encore :
« Cependant, ce n’est pas à cause de cela, que l’on doit dire la
révélation absolument
nécessaire » (S. 3, c. 2 ; Denz., 17885 sq.).
La distinction entre la
révélation naturelle et la révélation surnaturelle remonte jusqu’à S. Paul. Le
païen peut toujours suffisamment connaître Dieu par la Création (Rom., 1, 18
sq.), par les mouvements de la conscience (Rom. 2, 14 sq.). Par contre, on
reçoit la révélation chrétienne par Dieu, par le Christ et par son Esprit (1
Cor., 2, 10 sq. ; Eph., 1, 17 sq. ; Col., 2, 2 sq., etc.). S.
Augustin connaît cette distinction et dans la Scolastique elle est constante
(S. th., 1, 1, 1 ; 2, 2, 2, 3. C. Gent., 1, 3‑6). On sait que les rationalistes de tous les temps ont repoussé la révélation surnaturelle : Averroës, Maimonides, Spinoza, le
judaïsme réformiste, la « philosophie » du 18ème siècle,
le libéralisme, le modernisme.
D’après les modernistes, « la révélation n’est autre que la conscience que
prend l’homme de ses relations avec Dieu » (Denz., 2020). Ce ne serait
donc qu’un phénomène psychologique tout naturel qui se limiterait au sentiment
de dépendance à l’égard de Dieu. Le modernisme insiste extrêmement sur
l’élément purement psychologique, par opposition à la conception mécanique
d’après laquelle les vérités seraient « tombées du ciel » toutes
prêtes. Or les modernistes auraient pu voir déjà dans les Pères que, loin de
négliger les égards pédagogiques et psychologiques que Dieu témoigne, en tenant
compte de la mentalité de celui qui reçoit la Révélation, ils y insistent au
contraire avec force, à l’occasion. Ainsi S. Grégoire de Naz. dit :
« L’Ancien Testament contient la révélation du Père, le Nouveau la
révélation du Fils ; après l’Ascension du Christ, la troisième Personne se
manifesta pour la première fois afin de ne pas tout « imposer »
d’abord aux fidèles (Orat. Theol., 5, 27. M. 36, l61). « Il ne fallait pas que nous soyons
écrasés par la Révélation, mais persuadés... car celui qui emploie la violence
n’a que peu de durée... C’est ainsi aussi qu’il (Dieu) agit, comme un pédagogue
ou un médecin, en détruisant quelques‑unes des anciennes traditions et
en en tolérant encore un peu d’autres » (Ibid, n. 25). Il faut se
rappeler aussi la doctrine patristique du λόγος σπερματιϰός qui, en tant
que Logos de la révélation, agissait
déjà dans le paganisme. S. Augustin trouve tant de ressemblances entre ses deux
modes d’action qu’il dit que la religion chrétienne se trouvait déjà
objectivement chez les Anciens. « Car ce qui se nomme aujourd’hui religion
chrétienne, existait dans l’antiquité et dès l’origine du genre humain »
(Retr., 13, 3). Il faut cependant se rappeler ici que S. Augustin, même si, dans ce texte, il songe non
seulement aux Juifs mais encore aux païens, se garde bien de supprimer la
différence entre la nature et la surnature, la raison et la foi. C’est lui
justement qui, à propos de la grâce, insiste fortement sur cette différence. Mais,
par contre, ces citations des Pères nous autorisent à reconnaître purement et
simplement le parallélisme, les analogies, les ressemblances formelles avec les
institutions et les enseignements du christianisme, que l’histoire moderne des
religions nous a montrés, sans pour autant, bien entendu, excuser l’intention
de tout niveler, de nos adversaires. Nous n’acceptons plus aujourd’hui sans
examen, dans le jugement du paganisme, l’attitude rude et violemment hostile
des Pères, dont les paroles se rapportaient souvent à des abus particuliers et
concrets ou bien avaient pour but d’éviter l’apostasie et constituaient des
exhortations de missionnaires. Cependant nous nous gardons aussi d’une
interprétation trop large du λόγος σπερματιϰός
chez S. Justin et d’autres. Nous restons dans le juste milieu et nous unissons
les deux points de vue, car tous les deux correspondent à la vérité. Les
exagérations de l’histoire des religions concernant l’emprunt, et le
développement de conceptions païennes
par l’Église des Pères, seront combattues au moment de l’étude particulière de
chaque dogme ; mais nous ferons déjà ici ces remarques de principe :
1° Des ressemblances ne prouvent pas une dépendance interne :
« Analogia non est genealogia » ; 2° L’identité formelle dans
certains termes religieux ne témoigne pas d’une identité objective :
« Si duo dicunt idem, non est idem ». Ces deux points sont assez
souvent admis par des historiens des religions jugeant sans passion. Cependant
la tendance à les nier est aujourd’hui très répandue.
Tout en reconnaissant l’action du
λόγος σπερματιϰός
dans le paganisme, nous n’en sommes pas moins autorisés à établir les thèses
suivantes concernant la Révélation
surnaturelle.
1. Elle s’est adressée seulement aux anciens Patriarches (Adam jusqu’à Abraham),
à Israël et au christianisme.
Heb. (1, 1) : « À bien
des reprises et de bien des manières, Dieu, dans le passé, a parlé à nos pères
par les prophètes ». Mahomet, Bouddha, Zarathoustra et d’autres hommes de
ce genre n’ont pas reçu cette « parole de Dieu » et ne devraient pas
être assimilés au Christ et aux Prophètes.
2. Elle s’est produite dans un développement historique avec me clarté
progressive.
La Révélation a grandi : cumulativement et qualitativement. L’Écriture elle‑même l’exprime clairement (Héb., 1, 1 et Jean, 1, 1‑14). Surtout, le Nouveau Testament nomme l’Ancien un pédagogue qui mène au Christ (Gal., 3, 24).
L’Ancien Testament ne donne nulle part l’impression d’une perfection
achevée ; il invite partout à le dépasser, comme le Nouveau Testament se
réclame de l’Ancien. Ce progrès de la Révélation fut un progrès substantiel. On
s’en rendra compte plus tard, d’une manière claire, à propos des quelques
dogmes de l’Ancien Testament : Dieu, la Création, le messianisme,
l’eschatologie.
Les Pères et la Scolastique
reconnaissent ce progrès. Celle‑ci se réfère volontiers à S.
Grégoire le G. : « Avec le progrès du temps, la connaissance des
pères spirituels grandit ; car, dans la science de Dieu, Moïse était plus
instruit qu’Abraham, les prophètes plus que Moïse, et les Apôtres plus que les
prophètes » (Homélie sur Ézéchiel,
2, 4, 12. M. 76, 890). Cf. Grég. Naz.,
plus haut, p. 28 ; Bern., Ep.
77 ; Thom., S. th. 2, 2, 174, 6
et 2, 2, 1, 7).
Les Pères commencent déjà non
seulement à distinguer l’histoire de la Révélation d’après l’Ancien et le
Nouveau Testament, mais encore à la diviser en époques. On connaît la division en trois époques que S. Augustin a
empruntée à Tertullien (De virg. vel., 1) et que la Scolastique a généralement acceptée :
l’époque de la religion naturelle (ante legem), l’époque de la loi (sub lege)
et l’époque de la grâce (sub gratia). (S.
August., de Trinitate, 4, 7 :
M. 42, 893 ; De div. quæst., 66, 7 : M. 40, 66 ; Enchir,
78 ; Hug, De Sacr., 1, 11,
1 ; Thom., S. th., 2, 2, 174,
6). Mais S. Augustin connaît aussi six époques ou même huit d’après les jours
de la Création (Civ., 22, 30, 5).
3. Elle a été close avec les Apôtres.
Cette thèse est conforme à
l’enseignement traditionnel de l’Église et a été encore confirmée par la
condamnation des modernistes (Denz., 2074, 2020, 1806). On peut encore formuler
cette thèse d’une autre manière, en reconnaissant généralement le Christ comme
la conclusion de la Révélation et en disant que la Révélation faite en lui est
la dernière et la plus parfaite que le monde pouvait recevoir et que, par
conséquent, elle est d’une valeur et d’une durée immuables : Caractère absolu, indéfectibilité et
immutabilité de la Révélation. Parmi les adversaires de cette thèse, il faut nommer, outre les montanistes
qui réclamaient tout au moins un complément de la loi des mœurs (pénitence) et
les rêveurs du Moyen‑Âge qui attendaient un nouvel « evangelium aeternum », les modernistes et les néo‑protestants qui se déclarent pour un « développement » de la religion ou « du christianisme ». Le caractère absolu du christianisme est
nié particulièrement par Troeltsch.
Le christianisme est pour lui, comme pour l’école historique religieuse, non
pas la religion absolue, mais une religion à côté de beaucoup d’autres, bien
qu’elle soit jusqu’ici la meilleure, c’est‑à‑dire la plus parfaite relativement.
La preuve de cette troisième thèse se présente clairement dans
l’Écriture et la Tradition. Le Christ se considère lui‑même comme la parole finale et décisive de Dieu au monde. Il est
venu pour accomplir la Loi (Math., 5, 17). « Vous n’avez qu’un seul
Maître, le Christ » (Math., 23, 8‑10). Avec son affirmation
solennelle : « Mais moi je vous le dis », il décida les plus hautes questions de
vie (Math., 5, 17‑43). « Le Fils demeure pour toujours ; si donc le Fils vous fait
libres vous serez vraiment libres » (Jean, 8, 35 sq.). « Personne ne
vient vers le Père si ce n’est par moi » (Jean, 14, 6). Il est l’unique
porte qui mène à Dieu (Jean, 10). « Lui seul a vu Dieu » (Jean, 1,
18 ; 5, 19) et tout ce qu’il a entendu, il l’a communiqué (Jean, 15, l5).
« La vérité complète » (Jean, 16, 13). Après lui viendra sans doute
« l’autre Paraclet », le Saint‑Esprit, cependant ce ne sera pas
pour le compléter, mais pour l’expliquer. « Il recevra ce qui vient de moi pour vous le faire
connaître » (Jean, 14, 16‑18, 26 ; 16, 12‑15). De même qu’il a reçu lui‑même mission pour le monde entier il la donne à d’autres (Math., 28, 19). Quand il quitta le
monde, il déclara qu’il avait tout « consommé » (Jean, 19, 30). Son retour pour le jugement dernier, voilà
tout ce que l’humanité a encore à attendre de lui.
Les Apôtres nous enseignent la même chose. « De sa plénitude nous
avons tous reçu » dit S. Jean (1, 16) ; ils ne sont que ses
disciples. Ce n’est qu’après avoir été instruits par lui qu’ils ont pu devenir
les docteurs du monde. Il est le commencement et la fin (Apoc, 1, l7
sq. ; 3, l4. 1 Jean, 5, 11). Personne ne confesse avec plus d’humilité
cette prééminence du Christ que S. Paul
(Notamment : Éph., 1‑3, et Col., 1‑2). Le Christ est venu comme la dernière révélation de Dieu (Éph.,
1, 10, et Héb., 1, 1 ; Act. Ap., 2, 17). Le temps fixé par Dieu a
atteint en lui son terme (Gal, 4, 4 ; Eph., 1, 10). De même que l’Ancien
Testament est ordonné vers lui, il trouve en lui sa fin et sa
consommation (Rom., 10, 4). Toute sagesse et toute science ont été versées en
lui sur nous (Éph., 1, 8). Cette parole résonne comme un leit‑motiv : « La pierre de fondation, personne
ne peut en poser d’autre que celle qui s’y trouve : Jésus Christ » (1 Cor., 3, 11). Ces paroles
expriment aussi la conviction des Pères.
Comme motif de convenance, on peut affirmer que, dans le Logos‑Dieu et son Saint‑Esprit, se sont manifestés en réalité les plus hauts facteurs de la Révélation et partant les derniers. Le
christianisme, dans son expression authentique, est donc la religion absolue,
insurpassable. L’Église elle‑même, malgré l’assistance du Saint‑Esprit qui lui a été promise, ne se sent ni la
puissance ni le droit de changer quoique ce soit à ses traits essentiels (Vatic., S. 3, c.
4 ; Denz., 1800).
Remarques complémentaires. 1° L’affirmation du libéralisme, d’après
laquelle l’Église primitive aurait immédiatement défiguré le pur
enseignement du Christ par des conceptions religieuses venues d’ailleurs, et y
aurait ajouté la prétendue « dogmatique de communauté » qui aurait
constitué une addition essentielle, contredit les propres affirmations de
l’Écriture citées plus haut et est absolument impossible à prouver ; 2°
Dans les Pères, on rencontre parfois des expressions qui semblent indiquer une
continuation de la révélation et de l’inspiration dans l’Église. Ces
expressions ne sont pas rares non plus dans la Scolastique (Ghelinck, Mouvement théologique, 320 sq.).
Cependant leurs déclarations ne doivent pas être prises au sens strict :
elles signifient une illumination divine accordée à certains Pères
particulièrement pieux, comme S. Grégoire le G., qui ont écrit sur des sujets
théologiques, moraux et cultuels.
Conclusion pratique. La Révélation
divine exige la foi et la confiance, qu’elle soit communiquée directement
aux hommes (Patriarches, Prophètes, Apôtres) ou indirectement (tous les
autres). « Parle, Seigneur, ton serviteur écoute » (1 Rois, 3, 10).
Écouter, prêter l’oreille, être attentif et silencieux, c’est le devoir du fidèle
quand Dieu lui parle dans ses révélations. La Révélation ecclésiastique générale a été close à la mort du
dernier Apôtre, mais son application
à chacun en particulier dure jusqu’à la fin des temps. La Révélation
générale ressemble à une source qui jaillit continuellement dans l’Église et
dont chaque chrétien doit s’approcher pour y puiser. Le vase est déterminé par
sa foi et ses besoins. Plus grand est le vase, plus riche est le don. Dieu
n’accorde ses présents et sa grâce qu’à ceux qui ont soif. C’est pourquoi Jésus les proclame bienheureux. Celui qui
trouve sa satisfaction ailleurs n’est plus apte à recevoir les dons de Dieu. S.
Paul dit que la Révélation s’est faite « par des moyens nombreux et
différents » (Hébr., 1). Il en est de même pour son application
individuelle. Celui‑ci la rencontre dans la
souffrance, celui‑là dans la joie ; elle s’offre à quelques‑uns dans leur jeunesse, à d’autres dans leur vieillesse ; certains la trouvent dans la
vie extérieure, d’autres dans la vie intérieure. Il est d’une importance décisive que
chacun reconnaisse son temps et son heure et en profite pour ne
pas rester sourd à l’appel du Seigneur (Hebr., 4, 7). La Révélation générale a
été donnée par Dieu de telle sorte qu’elle contient des obscurités et des lacunes.
Ces obscurités et ces lacunes ne disparaîtront que dans la vision
béatifique ; il faut jusque là les supporter et les surmonter dans la foi.
Vouloir perfectionner la religion
révélée par ses propres forces naturelles est une entreprise sans issue et
opposée à Dieu. Dieu ne se laisse pas arracher ses dons, mais « tout homme est menteur ». Vouloir
perfectionner la Révélation, c’est s’éloigner d’elle.
A consulter : Franzelin, De div. Trad. et Script. J. V. Bainvel, De Scriptura sacra
(1910). Ch. Pesch, De inspiratione S.
Scripturæ. F. Schmid, De
inspirationis bibliorum vi et ratione (1885). Crets, De divina bibliorum inspiratione dissertatio dogmatica
(1886). Humbert, Les origines de la
théologie moderne (1911). Merkelbach,
L’inspiration des divines Écritures. Encyclique « Spiritus
Paraclitus » de Benoît XV (Denz., 2186 sq.).
Font partie des Écritures divines
révélées tous les livres de l’Ancien et du Nouveau Testament tels qu’ils ont
toujours été transmis dans l’Église catholique et, à plusieurs reprises, en
dernier lieu au Concile de Trente, énumérés nommément (Trid., S. 4 ;
Vatic., S. 3, c. 2 ; Denz., 783, 1787).
Au sens étymologique, canon signifie une barre de bois, une mesure,
une règle, puis une liste, un catalogue. On trouve ce mot appliqué en 350 aux
livres de la sainte Écriture ; d’abord au sens passif : les livres saints sont canoniques parce qu’ils ont
été accueillis par l’Église dans la collection officielle des livres
donnés par Dieu ou inspirés par lui. On les distingue ainsi des livres
apocryphes. Le mot canon ne tarda pas à recevoir un sens actif : quand les livres saints eurent été canonisés, reçus
dans le canon. Ils devinrent eux‑mêmes, après avoir reçu une règle, une règle pour la foi. Isidore de Péluse (+ ca. 440) appelle la Bible « règle de
vérité » (M. 78, 1185). S. Augustin
écrit : « Le canon entier des Écritures, auquel se rapportent les
considérations que nous venons d’exposer, se compose de ces livres » (De
doctr. Christ., 2, 8, 13). (Cf. Exégèse)
Notion. On entend donc par Canon la collection des livres que l’Église a
admis officiellement dans la liste des Écritures inspirées et qui ensuite,
comme tels, lui ont servi, dans l’instruction des fidèles, de règle de vérité
et de foi.
On peut distinguer dans la
canonicité de l’Écriture un double élément : un élément divin et un élément ecclésiastique. Les livres sont canoniques parce qu’ils sont
inspirés ; ils le sont aussi parce qu’ils sont reconnus comme tels par
l’Église. L’inspiration est la condition préalable de la canonicité. La
théologie moderne dit : les livres sont canoniques « in actu
primo » et « quoad se », parce qu’ils sont inspirés ;
« in actu secundo » et « quoad nos », parce que l’Église
les a admis comme inspirés dans le Canon. L’acte divin les rend aptes à la
canonicité ; l’acte ecclésiastique leur reconnaît formellement ce
caractère. Il est faux de prétendre, avec Loisy,
que, pour l’époque ancienne, l’autorité divine a été seule valable et que, pour
l’époque moderne, surtout après le Concile de Trente, l’autorité ecclésiastique
l’a seule été. Néanmoins, depuis le Concile de Trente, on s’est toujours
référé, en premier lieu, dans la polémique avec les protestants, à la définition
ecclésiastique du Canon.
Dans le protestantisme, le Canon est, depuis l’origine, sans base. Le
protestantisme ancien s’appuie uniquement sur des motifs purement internes.
Seuls les livres qui « s’occupent du Christ » doivent être considérés
comme canoniques. Mais de cela chacun est juge avec l’aide du « spiritus
sanctus privatus ». Aujourd’hui c’est la critique qui détermine ce qui
« doit être canonique ». L’Église grecque‑schismatique a, en fait, le Canon tridentinien. Il est vrai qu’elle appelle
les livres « deutérocanoniques » livres « non canoniques »,
mais dans la pratique, elle s’en sert
comme des canoniques. « Chez nous », se plaint Svetlov, « on n’a
jamais songé à faire une édition populaire
de la Bible ».
Le Concile de Trente s’appuya,
pour sa définition, sur la Tradition. « Suivant l’exemple des Pères
orthodoxes, il (le Concile) reçoit avec le même pieux empressement et le même
respect tous les livres de l’Ancien comme du Nouveau Testament ». Puis il
énumère les livres. Il n’était pas possible d’attendre du Concile un jugement
d’ensemble embrassant toute l’Écriture dans les différents livres successifs.
Aussi le Concile ne pouvait s’appuyer que sur le Tradition et la croyance
ininterrompue dans l’Église. Cette preuve de Tradition, il ne la fournit pas
lui‑même, mais il pouvait la présupposer et la laisser à la théologie qui l’expose aujourd’hui dans l’Exégèse. Des décisions conciliaires concernant le Canon s’étaient
produites avant le Concile de Trente, au Concile de Florence (Denz., 706 ;
pour l’époque plus ancienne cf. Denz., 162, 96, 92, 84, 32).
Décisions du Concile de Trente : 1° Les livres de la sainte Écriture ont la
même autorité et doivent être
acceptés « pari pietatis affectu » [avec un même sentiment de foi].
Les objections qui s’étaient manifestées, ainsi que les désirs d’établir une
distinction entre les livres historiques et les livres dogmatiques, furent
repoussées ; 2° Intégrité du Canon :
« Si quelqu’un ne reçoit pas pour sacrés et canoniques ces livres entiers avec toutes leurs parties, comme
on a coutume de les lire dans l’Église catholique, et tels qu’ils sont dans
l’ancienne édition Vulgate latine, ou
méprise avec connaissance et de propos délibéré les traditions dont nous venons
de parler, qu’il soit anathème » (S. 4 ; Denz., 784).
Les théologiens ont interprété
cette formule de diverses façons. Les anciens, particulièrement les auteurs
espagnols, l’appliquaient à toutes les paroles de la Bible ; d’autres aux
écrits deutérocanoniques contestés par les protestants ; d’autres encore
avec Franzelin (thesis l9) voudraient la restreindre aux textes contenant une
doctrine de foi et de morale. Égalité d’autorité ne signifie pas égalité
d’importance théologique.
Le caractère dogmatique de la formule est entendu, par la quasi‑unanimité des théologiens, dans le sens strict, non seulement parce que le Concile,
à la différence des Conciles précédents, ajoute pour la première fois à sa définition l’anathème,
mais encore parce que la vérité des sources de la Révélation est liée à la
vérité de l’existence de la Révélation, si bien que nous ne pouvons connaître
l’une sans l’autre. Ces deux vérités restent cependant distinctes en droit.
C’est donc une hérésie et non seulement une erreur de rejeter le Canon. Le Concile
du Vatican a de nouveau formulé ce dogme.
Critérium de la canonicité dans la primitive Église. Les théologiens donnent une
double explication. D’après la conception spéculative, l’Église reçut pour
l’acceptation d’un livre biblique dans l’usage officiel et liturgique une
inspiration concernant son caractère divin. D’après la conception historique,
une telle inspiration spéciale était inutile, mais le Canon de l’Ancien
Testament étant garanti par le Christ et les Apôtres, il suffisait pour le
Nouveau Testament qu’on eût la persuasion et la certitude de l’origine apostolique de chacun des
écrits. Cela garantissait leur caractère divin.
Aussi S. Paul signe ses lettres
de sa propre main, pour en assurer l’authenticité, la « canonicité »
(Gal., 6, 11 ; 2 Thes, 3, 17), il ne s’en remet pas à un charisme
d’inspiration de l’Église. Du reste, quand le temps apostolique est clos,
l’Église primitive n’attend plus d’Écritures inspirées. Quelle que soit la
manière de voir que l’on adopte, il est certain que l’Église primitive, en
constituant son Canon, était infaillible
dans son jugement. Chez les néo‑protestants, le Canon, par suite de la négation de l’inspiration, n’a plus de
consistance ; il comprend, avec les livres bibliques, ceux des anciens
Pères en tant que documents du christianisme primitif.
THÈSE. Les Écritures admises par l’Église dans le Canon sont
inspirées, ont été écrites sous l’influence du Saint‑Esprit et ont par suite Dieu pour auteur.
De foi.
Explication. L’expression « inspiratio »
θεοπνευστία,
θεόπνευστος = qui a reçu
le souffle de Dieu, provient de la Bible. On la trouve dans les Septante (Is.,
8, 1 ; Jér., 29, 1 sq. ; Hab., 2, 2). S. Paul l’emploie formellement
(2 Tim., 3, l6) ; S. Pierre équivalemment (2 Pier., 1, 21). Il n’était
donc pas besoin d’emprunter cette expression au langage païen qui la contient
également.
Le Concile de Trente ne traite
l’inspiration qu’incidemment et sans polémique, parce que les protestants ne la
niaient pas. « C’est le même Dieu
qui est l’auteur de l’Ancien et du Nouveau Testament » (Denz., 783).
Mais, au cours des temps, des erreurs s’étant produites concernant l’essence de
l’inspiration, le Concile du Vatican
l’a définie avec plus de précision. « Si quelqu’un ne reçoit pas
dans leur intégrité, avec toutes leurs parties, comme sacrées et canoniques, les Livres de l’Écriture, comme le saint
concile de Trente les a énumérés, ou nie qu’ils soient divinement inspirés ; qu’il soit anathème » (S. 3, de la
révélation, canon 4 ; Denz., 1809). D’après cette définition, toute
la Bible est inspirée.
Preuve. L’inspiration de l’Ancien
Testament ne peut pas être prouvée par l’Ancien Testament lui‑même, mais elle peut l’être par le Nouveau. Nous y
trouvons en effet une preuve concluante, objective et formelle.
1. Une preuve objective : Le Christ a cité
souvent l’Ancien Testament comme la Parole de Dieu, d’une autorité unique et
très haute (Math., 19, 4‑6 ; 21, 42 ; 22, 29 ; 26, 54. Luc, 24, 25‑27. Jean, 5, 39 ; 7, 38 ; 19, 28) et d’une obligation inéluctable (Math., 5, 18. Luc, 24,
44 sq. ; Jean, 10, 34). De même les Apôtres (Act. Ap., 1, 16 ; 18,
28. Rom., 1, 2 ; 4, 3 ; 9, 17 ; 10, 11. Gal., 3, 6, 8, 22 ;
4, 30 ; 2 Tim., 3, 15). Il est dit du psalmiste qu’il a prophétisé dans
l’Esprit (ἐν πνεύματι)
(Math., 22, 43 ; Marc, 12, 36 ; Act. Ap., 1, 16). D’après le Christ
et les Apôtres, on peut, en invoquant l’Ancien Testament, prouver d’une manière
décisive des questions de foi et de mœurs.
2. Une preuve formelle : S. Paul (2 Tim., 3, 16)
dit au sujet de l’Ancien Testament : « Toute l’Écriture est inspirée
par Dieu ; elle est utile pour enseigner, dénoncer le mal, redresser, éduquer
dans la justice ». Peu importe qu’il faille entendre « toute
l’Écriture » d’une manière collective (l’Écriture entière) ou bien
distributive (toute Écriture). Toute l’Écriture sainte a, d’après S. Paul, un
but religieux et didactique. Pourquoi ? Elle est inspirée, écrite sous le
souffle de Dieu
(θεόπνευστος, de
θεός et de πνέω). Cette parole peut, il
est vrai, s’employer au sens actif
(respirer Dieu), mais de fait elle a toujours été comprise par les Pères grecs
au sens passif ; c’est pourquoi
aussi les Pères latins et la Vulgate
la traduisent par « divinement (par Dieu) inspirée ». — S. Pierre écrit (2 Pier., 1, 21), en
parlant du prophétisme, qu’aucune prophétie n’a pu se faire par la volonté
humaine (c‑à‑d. naturellement). « Ce n’est jamais par la volonté d’un homme qu’un message prophétique a été porté : c’est portés par l’Esprit Saint que des hommes ont parlé de la part de Dieu ». Leur discours, leur
enseignement, leur prédication provenaient de l’inspiration dont ils étaient remplis et
qui les portait. Sous le nom de « discours », il faut entendre aussi
les écrits, car ce n’est que par leurs écrits que les prophètes étaient encore
connus et agissaient.
L’inspiration du Nouveau Testament résulte objectivement du don du Saint‑Esprit que les Apôtres reçurent d’une manière générale pour annoncer la doctrine de
Jésus (Math., 10, 19. Jean, 14, 26 ; 15, 26 ; 16, 13). Sans doute, il faut
penser d’abord à la forme orale d’enseignement, mais la forme
écrite ne doit pas être exclue, tout l’enseignement repose sur un seul Esprit
qui opère tout. Et cela est d’autant plus certain que les Apôtres eux‑mêmes ne distinguent pas entre les
deux formes d’enseignement (2 Thes., 2, 14). Si
les Apôtres, pour leur enseignement
spécial écrit, n’en appellent pas au Saint‑Esprit (1 Cor., 7, 40), il faut
dire qu’il n’est pas nécessaire, pour le caractère objectif d’inspiration de l’Écriture, que les écrivains aient conscience de ce charisme. Pour les
auteurs non Apôtres, Marc et Luc, leur dépendance de Pierre et de Paul leur
donne un supplément de garantie. S. Jean a une conscience distincte de son
inspiration personnelle (Apoc., 1, 10 sq. ; 22, 18 sq.) et S. Pierre
semble admettre l’inspiration des Épîtres pauliniennes (2 Pier., 3, 15 sq.).
Pour l’inspiration du Nouveau Testament (comme de l’Ancien), le témoignage de
la Tradition est net et décisif.
Les Pères nous montrent la foi catholique à l’autorité divine égale des
deux Testaments. Ils honorent en eux les « oracles de l’Esprit Saint, les
dictées de Dieu, les paroles de Dieu, les écrits de Dieu », etc. Les
Écritures sont « divines ». En raison de la preuve célèbre du
Christianisme par les prophéties que relève déjà le Nouveau Testament, l’Ancien
Testament était même, au début, placé au premier rang. Au reste, leur
enseignement se fait de plus en plus clair après la séparation gnostique de
l’Ancien et du Nouveau Testament que combat S. Irénée : « Le même
Seigneur, le même maître de la maison a produit les deux Testaments... ils sont donc d’une et même substance »
(Adv. h., 4, 9). Cela ne les empêche pas d’insister sur la distinction entre
« Loi » et « Évangile ». Témoignages particuliers des
Pères :
S. Clément Rom. appelle les Écritures : « Les véritables expressions
du Saint‑Esprit » (Cor., 14, 2). Il dit de S. Paul que, lorsqu’il a envoyé ses Épîtres aux Corinthiens, il était « vraiment inspiré » (Ibid, 17, 1). S. Polycarpe cite Ps. 4, 5 ; Eph.,
4, 26 et les appelle « saintes Écritures » (Ep. 12, 1). D’après S. Théophile, les auteurs des saintes
Écritures étaient des « hommes remplis de l’Esprit de Dieu » (Ad
Autol., 2, 22, 9). D’après S. Irénée,
les saintes Écritures sont « parfaites », parce qu’elles ont été
exprimées par le Logos de Dieu et son Esprit (Adv. h., 2, 28, 2). Tertullien voit la
« divinité » des Écritures dans « l’accomplissement des
prophéties » (Apol., 20). Le pseudo‑Justin se représente même les auteurs sacrés comme des instruments
passifs du Saint‑Esprit, auxquels il s’offre comme l’archet d’une cithare ou d’une lyre
(Cohort., 8, vers 250‑300). Athénagore emploie l’image d’une flûte (Leg., 7‑9). Si les plus anciens témoins ne parlent que de l’existence de l’inspiration, les témoins postérieurs traitent aussi de sa
nature et de son extension. C’est
pourquoi il faudra revenir à leur témoignage. On peut dire, en abrégé, que,
concernant l’existence de l’inspiration, il n’y a jamais eu de controverse
sérieuse dans l’Église ; on n’a discuté que sur sa nature.
Les Grecs tiennent ferme à
l’inspiration. Cependant ils cherchent volontiers à prouver cette inspiration
par les effets sanctifiants de
la sainte Écriture sur les peuples. Ils insistent aussi sur l’accomplissement
des prophéties. Or, ces arguments ne peuvent servir qu’à confirmer la
preuve. Le théologien russe Svetlov regrette, au reste, vivement le
« mécanisme » de son Église, qui considère comme une révélation
divine non seulement le texte original de la Bible, mais jusqu’aux fautes
d’impression. Exactement comme les anciens protestants.
Nature de l’inspiration. Léon XIII dit : Dieu a « lui‑même, par une force surnaturelle,
poussé et déterminé les écrivains à écrire et, pendant qu’ils écrivaient, les a assistés de telle sorte qu’ils ont conçu comme il faut et voulu écrire tout ce que Dieu voulait et
cela seulement, et qu’ils l’ont exprimé comme il faut, avec une vérité
infaillible ; autrement il ne serait pas lui‑même l’auteur de toute l’Écriture » (Denz., 1952).
Bien que la sainte Écriture ait
deux auteurs, un auteur divin et un
auteur humain, il faut cependant, étant donné que l’inspiration est un charisme
surnaturel, placer l’auteur divin au premier rang. Dieu n’est pas cependant
l’auteur exclusif. Cela ressort de la
conception catholique de la grâce, des relations entre la cause première et la
cause seconde, entre la cause principale et la cause instrumentale ; cela
ressort aussi du fait que les écrivains sacrés ne sont pas des instruments sans
vie, mais des individus vivants, pensants et libres. C’est pourquoi Léon XIII
s’est efforcé de décrire la coopération
des deux causes d’après l’analogie de la grâce. Dieu exerce, préalablement à
toute activité propre de l’écrivain, une influence sur sa volonté, afin
qu’elle se décide à écrire ; sur l’intelligence, afin qu’elle
comprenne comme il convient ce qu’il faut écrire et l’exprime avec une
exactitude correspondante, de telle sorte que l’Écriture soit d’une vérité
infaillible. Cette définition qui se rattache à Franzelin peut être
considérée comme la définition spéculative ; les adversaires l’appelaient
une définition a priori. Elle
laisse de côté l’auteur humain et son œuvre, elle s’en tient à l’expression
« Dieu auteur des Écritures » et l’analyse. On doit cependant la
considérer comme la définition traditionnelle, car elle remonte, dans ses
éléments, comme le Pape le remarque, au moins jusqu’à S. Augustin.
L’école exégétique oppose à cette notion de l’inspiration une autre notion qu’on
peut appeler la notion historique, a posteriori. Elle part de l’Écriture, par conséquent de l’effet de l’inspiration, et cherche à
déterminer cette inspiration préalablement
dans les livres particuliers, au moyen d’un examen critique, pour donner ensuite, après avoir fait la synthèse
des découvertes particulières, une analyse ou une description de l’inspiration
qui tâche de tenir compte des faits donnés et des circonstances concrètes. Cet
essai de tenir compte du facteur humain libre et conscient est très
ancien ; L’Écriture elle‑même le met en évidence (2 Macch., 2, 24 ; Luc, 1, 1‑4). Certaines expressions peu correctes des plus anciens Pères
« insouciants dans leur langage » pouvaient prêter à des malentendus
et, dans le montanisme de Tertullien, on apercevait le danger de confondre le
« délire sacré » de la doctrine platonicienne de Philon avec
l’inspiration. Aussi les Pères de la grande époque firent front contre ce
danger et défendirent avec énergie la coopération individuelle des auteurs
inspirés. Ainsi Origène :
« Il n’est pas vrai, comme quelques‑uns le pensent, que les Prophètes ont parlé sans conscience et sous la
pression de l’Esprit : ils l’ont fait avec pleine liberté » (M. 13,
1410). Mais plutôt la touche de l’Esprit rendait « le regard de leur
intelligence plus clair et la vision de leur âme plus pénétrante » (C.
Cels, 7, 3 et 4). S. Jérôme appelle la divination montaniste un rêve déraisonnable et
se réfère à la première Épître aux Corinthiens (14, 32) : « Les
esprits prophétiques sont soumis aux prophètes et ceux‑ci les ont en leur pouvoir quand ils veulent se taire et quand ils
veulent parler » (Prol. in Is. : M. 24, 19 sq.). Du rôle actif
des auteurs inspirés, S. Jérôme déduit la différence du style biblique. Il loue
Isaïe de l’« urbanité de son éloquence » (In Is. Præf. : M. 28,
771) ; par contre, il place Amos moins haut à cet égard (Prol. : M.
25, 990). Il en est de même pour S.
Augustin mais il comprend le problème d’une manière plus profonde. C’est
sur le facteur divin qu’il insiste surtout. Les saints livres sont l’œuvre des
mains de Dieu : « les livres saints sont l’ouvrage des doigts de
Dieu, puisqu’ils sont écrits par le Saint‑Esprit qui animait les saints et
agissait en eux » (Enarr. in Ps. 8, 8).
Il décrit avec plus de précision
l’action divine quand il insiste particulièrement sur les trois Éléments suivants : Dieu déterminait les auteurs sacrés
à écrire, les renseignant sur ce qu’ils devaient écrire et les dirigeait dans
le choix de la matière. Il compare la relation des deux facteurs à celle de la
tête et des membres : « Quand les disciples ont écrit sa vie et ses
discours, on ne peut prétendre que lui‑même n’a rien écrit, puisque les membres n’ont
agi en cela que sous l’inspiration et suivant la volonté du chef. Car il leur a
commandé comme à ses mains d’écrire
ce qu’il a voulu nous faire lire de ses actes et de ses paroles » (De
cons. Evang., 1, 35, 54). L’influence divine sur l’intelligence que la Vulgate
exprime par « inspirer », il l’appelle « dire » comme S.
Irénée déjà (Adv. h., 2, 28, 2) et même « dicter ». Comment il faut
entendre cette « dictée », nous le voyons dans le même ouvrage (2,
66, 128) où S. Augustin écrit : « Ne croyons‑nous pas que la vérité est, pour ainsi dire, protégée par des accents sacrés, comme si Dieu nous
recommandait les mots comme la vérité elle‑même à cause de laquelle ils ont été prononcés ? ». Il distingue donc le mot matériel de la vérité spirituelle. Il
distingue aussi entre l’auteur divin parfait et l’auteur humain
inférieur : « Peut ‑être Jean n’a‑t‑il pas dit la chose comme elle est, mais seulement comme il pouvait,
car c’était un homme qui parlait sur
Dieu, sans doute un homme inspiré de Dieu, mais un homme. Parce qu’il était
inspiré, il a dit quelque chose. S’il n’avait pas été inspiré, il n’aurait rien
dit ; mais comme il était un homme éclairé, il n’a pas tout dit ce qui
est, mais il a dit ce qu’un homme pouvait dire » (In Joa., 1, 1). « Dieu s’accommode au
langage des hommes » (Civ., 17, 6, 2).
Mais, dans toutes les explications
du grand docteur, on retrouve toujours la thèse ferme et immuable : La Bible est exempte d’erreur ;
elle ne contient aucune affirmation fausse ou erronée et encore moins des
mensonges. Ce point, S. Augustin a eu à le défendre contre S. Jérôme qui avait
des opinions plus libres. Il écrit que même si un mensonge obligatoire s’était
produit, toute l’Écriture serait sujette au doute (Ép. 28, 3). Quand l’aspect
extérieur semble indiquer une erreur, il s’agit ou bien de transcription
défectueuse, ou bien de mauvaise traduction du texte original ou bien de
malentendu subjectif (Ép. 82, 1, 3).
Les pensées de S. Augustin sont
reproduites par S. Grégoire le G.
Seulement ce dernier conçoit la relation entre Dieu et l’auteur sacré d’une
manière plus étroite. Il ne se contente pas d’appeler l’Écriture « rien de
moins que les propres lettres de Dieu tout‑puissant à sa créature » (M. 77, 706) et d’employer le mot
« dicter » (mais peut‑être dans le sens de commander),
mais encore il écrit qu’on n’a pas à se préoccuper de l’auteur humain quand l’auteur divin est certain ; il n’envisage ici, il est vrai que les
livres « d’auteur incertain » et d’autres plus tard, par ex. Bellarmin,
adopteront ces vues comme principe (Praef. in Ps. cf. Theodoreti, Præf. in
Ps. : M. 80, 862). Il semble aussi attribuer aux Prophètes une certaine
extase (ceux que Dieu a choisis pour écrire ses paroles sacrées étant remplis
de son Esprit‑Saint sortent d’une certaine façon d’eux‑mêmes ; c’est pourquoi ils parlent d’eux comme ils parleraient d’un autre) (In Tob. Præf. : M. 75, 515 sq.). Peut‑être ne veut‑il par là que décrire le caractère surnaturel de l’état prophétique.
Étant donnée la situation de S.
Augustin comme docteur de l’âge postérieur, il est inutile d’entendre d’autres
témoins patristiques. Pesch, qui
expose très abondamment la preuve patristique, en réunit les conclusions en six
points dont nous extrayons ce qui suit : Dieu est l’auteur de l’Écriture,
mais il se sert d’organes humains qu’il excite et pousse à écrire ce qu’il veut
qu’ils écrivent et comme il veut qu’ils l’écrivent, si bien que ce qu’ils
écrivent est vraiment « la parole de Dieu ». De ceci les Pères
déduisent l’inerrance constante de l’Écriture et la foi absolue que nous devons
avoir en elle. Nous ajoutons que, malgré leur insistance décisive sur le
facteur divin, ils ne perdent aucunement de vue le facteur humain, mais à
l’occasion le mettent fortement en relief, pour expliquer la différence des
livres bibliques dans le style ainsi que dans le contenu. C’est que le langage
est le véhicule de la pensée. S. Augustin estime, à ce sujet, que le divin peut
difficilement être exprimé par des paroles, même quand l’auteur est un S. Jean.
La question de l’inspiration verbale ou réelle ne peut pas être étudiée
formellement chez les Pères ; ils ne la connaissaient pas encore eux‑mêmes et ne pouvaient donc pas y répondre. Mais le résultat le plus important de notre
enquête est l’inerrance de l’Écriture.
Les anciens Scolastiques ajoutent peu de notions personnelles aux
pensées de S. Augustin. Ils affirment la divinité de l’Écriture et sa
profondeur ; ils affirment, par suite, comme les Pères, qu’elle possède un
sens multiple (triple, septuple) et avertissent les dialecticiens parmi eux de
respecter l’inerrance de l’Écriture.
S. Thomas met l’inspiration en relation avec la prophétie et distingue les
Prophètes des (autres) écrivains sacrés. Les premiers n’ont exprimé que des
vérités surnaturelles et par conséquent au nom du Seigneur. Les autres ont
parlé le plus souvent de choses naturellement connaissables et par conséquent
en leur propre nom tout en jouissant cependant de l’illumination divine (S.
th., 2, 2, 174, 2 ad 3). L’inspiration au sens strict se confond, pour lui,
avec la révélation ; cependant, dans un sens plus large, elle concerne
aussi les écrivains sacrés qui rapportent des vérités naturelles, mais dont la
certitude est connue par les auteurs dans une plus haute lumière. ‑ La relation entre Dieu et l’écrivain est caractérisée par lui par les notions de cause principale et de cause instrumentale :
« L’auteur principal de la Sainte Écriture est l’Esprit Saint... l’homme a
été l’auteur instrumental »
(Quodl., 7, 6, 14 ad 5 ; cf. S. th., 1, 1, 10). Ainsi que les Pères, il
enseigne l’inerrance de l’Écriture, même dans les choses qui, par ex. dans
l’histoire, sont racontées incidemment, ainsi quand il est dit que Samuel était
le fils d’Elcana (S. th., 1, 32, 4) et dans les choses qui concernent les
sciences naturelles. Ici le théologien doit s’en tenir à deux principes :
La véracité de l’Écriture et une interprétation raisonnable qui ne doit pas
fournir un sujet de moquerie aux incrédules (S. th., 1, 68, 1). C’est ainsi
également que jugeait S. Augustin.
Il y aurait peu d’intérêt à
recenser les autres Scolastiques ; ils présentent essentiellement, comme
on peut le voir dans Pesch et Holzhey, la même doctrine. Malgré leurs
nombreuses remarques particulières, on ne trouve pas chez eux de traité systématique et complet de la
question. On n’en trouve pas non plus au Concile de Trente : il se contente de répéter les anciennes formules
brèves affirmant que Dieu est l’auteur de l’Écriture, auteur de l’un et de l’autre
Testament.
Après le Concile de Trente, on commença à discuter la question d’une
manière plus active. On y fut obligé déjà par la polémique. Il est vrai que ce
ne fut tout d’abord que d’une façon indirecte, car des deux côtés on admettait
l’autorité surnaturelle de la Bible, pour les livres tout au moins qui étaient
communs aux deux partis. Nous ne tiendrons pas compte des jugements nombreux et
souvent contradictoires de Luther. Le néo‑protestantisme l’a de beaucoup dépassé. Une tendance qui se rattache à K. Barth veut réintroduire la notion
d’inspiration, mais parle d’une « exégèse pneumatique » qui se ramène
à l’ancien « Spiritus privatus » et dépouille de nouveau le contenu
biblique de toute autorité divine objective. Remarquons encore que les discussions
protestantes sur l’inspiration, avec leurs variations, n’ont pas été sans
affecter de quelque manière la théologie catholique. Le Concile du Vatican en
tint compte et résuma ainsi la doctrine :
« Ces livres, l’Église les
tient pour saints et canoniques, non point parce que, composés par la seule
habileté humaine, ils ont été ensuite approuvés par l’autorité de
l’Église ; et non pas seulement parce qu’ils contiennent la révélation
sans erreur, mais parce que, écrits sous l’inspiration de l’Esprit saint, ils
ont Dieu pour auteur et qu’ils ont été livrés comme tels à l’Église elle‑même » (S. 3, c. 2 ; cf. Denz., 1787, cf. can. 4).
1° Une approbation et une
acceptation ultérieure, dans le Canon par l’Église ne peut pas conférer à un
livre d’origine purement naturelle, le caractère d’inspiration (dite :
inspiratio subsequens : Haneberg), car l’Église ne peut que déclarer le caractère surnaturel, elle
ne peut pas le créer.
2. Même la seule assistance du
Saint‑Esprit (assistentia negativa) ne correspond
pas à la notion stricte d’inspiration, car elle ne comporte que l’absence
d’erreur sans postuler l’origine surnaturelle (insp. concomitans : Jahn,
Holden, Christmann). Il faut au contraire que l’Écriture ait été soumise dès
son origine à l’influence de Dieu ; autrement le dogme : « Dieu
est l’auteur de l’Écriture » n’aurait pas de sens (insp. antecedens). Les
livres étaient déjà inspirés quand l’Église les reçut dans son Canon. Cette
même affirmation a été répétée plus tard par Léon XIII (cf. p. 35) et présupposée
par Pie X dans sa condamnation de la proposition moderniste : « Ceux‑là font preuve de trop grande
simplicité ou d’ignorance qui croient que Dieu
est vraiment l’Auteur de la Sainte Écriture » (Décret Lamentabili sane exitu, prop. 9 ;
Denz., 2009).
Quand on veut préciser
théologiquement l’inspiration, il faut avoir ces déclarations ecclésiastiques
devant les yeux. Dans ces déclarations, le terme « Deus auctor
Scripturae » est dès le début un point fixe. On est donc lié par ce terme.
Sans doute, comme les expressions analogues qui se rencontrent dans la
Tradition, telles que « parole de Dieu », « lettre de
Dieu », on peut l’expliquer diversement. Mais l’interprétation donnée par
S. Thomas de cause principale et de cause instrumentale est celle que l’Église a
eue en vue, bien qu’il soit possible de l’expliquer par les principes du
thomisme et par ceux du molinisme. L’inspiration est une grâce, une charisme
et, par conséquent, la doctrine de la grâce confère, pour ainsi dire, sa
lumière à cette question, mais aussi sa difficulté. Il s’agit en effet de la
collaboration de la cause première et de la cause seconde, collaboration qu’on
ne peut jamais scruter à fond.
Les théologiens distinguent
l’inspiration en tant qu’activité, en Dieu (insp. activa), dans l’homme (insp. passiva)
et dans son effet (insp. terminativa).
En Dieu, c’est une « actio Dei ad extra » propre à toute la Trinité,
mais appropriée au saint‑Esprit. Dans l’homme inspiré, elle s’adresse à ses puissances spirituelles et
détermine par mode d’autorité la rédaction de l’écrit. Ceci exige : 1° Une
certaine poussée de la volonté (impulsus ad scribendum). C’est ce qui résulte
de 2 Pier., 1, 21 et 2 Tim., 3, 16, et c’est ce que déclare Léon XIII (ad
scribendum excitavit et movit) ; 2° Une certaine illumination de
l’intelligence (illuminatio intellectus), c’est pourquoi les prophètes
caractérisent leur discours comme parole de Jahvé ; 3° Enfin, il
faut que Dieu soutienne l’écrivain pendant qu’il écrit, soit par une simple
assistance ou, plus encore, en influant directement sur la rédaction, de sorte
que l’écrit contienne tout ce que Dieu, en tant qu’autour de l’Écriture, a
l’intention de transmettre à l’Église, et ne contienne que cela.
L’influence divine dans
l’inspiration, d’après les principes de la doctrine de la grâce, comme d’après
la psychologie, ne doit pas s’entendre comme quelque chose d’extérieur et de
mécanique, ni comme quelque chose d’uniforme, mais comme une influence interne,
adaptée aux individus concrets, à leurs dispositions et à leur condition de vie
et comportant des degrés différents.
Ad 1. C’est pourquoi l’impulsion
à écrire peut se manifester d’une manière différente, soit dans un ordre direct
(par ex. : Ex., 17, 14 ; Is., 8, 1 ; Jér., 36, 2), soit dans des
dispositions de la Providence et des circonstances voulues par elle, ainsi S.
Paul, pour la plupart de ses Épîtres, trouva une occasion extérieure ;
soit dans la production de sentiments ou d’élévations de piété qui poussent à
s’exprimer sous forme de prière ou de poésie religieuse. L’impulsion peut donc
se produire d’une manière directe ou indirecte ou bien des deux manières à la
fois.
Ad 2. De même l’influence sur
l’intelligence peut être différente. Elle peut consister dans la manifestation
pure et simple de vérités et de mystères surnaturels, et alors elle se confond
avec la révélation. C’est alors l’inspiration dans son sens plein. Cependant S. Thomas a déjà remarqué que
l’inspiration est une notion plus étendue que la révélation, parce qu’elle
s’étend aussi à des « non revelata ». Aujourd’hui les théologiens
distinguent d’une manière encore plus précise : ils disent au sujet de la
vérité, que sa connaissance ne tombe pas formellement sous l’inspiration, mais
doit au moins logiquement être supposée avant ; cette connaissance peut
découler surnaturellement de la Révélation ou bien peut résulter de
l’expérience ou des recherches personnelles et naturelles. L’inspiration, en
tant que telle, produit ensuite dans l’intelligence de l’inspiré un jugement
pratique prononçant que cette vérité (connue précédemment de la manière
ordinaire) doit être exposée par écrit de telle sorte que l’ensemble est
couvert et garanti par la même autorité divine. Cette distinction nous permet
de résoudre mainte difficulté. Elle nous explique comment il est possible que
les écrivains sacrés, malgré leur inspiration, se réfèrent si expressément à
leurs propres efforts pour atteindre la vérité (2 Macch., 2, 20‑33 ; 15, 38‑40. Luc, 1, 1‑4) ; pourquoi ils annoncent parfois une
incertitude personnelle (1 Cor., 1, 16
etc.) ; pourquoi ils ne donnent parfois que des renseignements
approximatifs (Jean, 6, 19. Act. Ap., 2, 41 ; 5, 36 etc.) ; c’est de
cette façon aussi qu’il faut envisager les psaumes dits de malédiction (Ps. 34,
51 etc.). Sous l’inspiration ne tombe
formellement que le jugement pratique sur sa rédaction écrite et non le
jugement spéculatif sur son origine et son degré de vérité, sur son caractère
naturel ou surnaturel. Inspiration n’est pas synonyme de révélation.
Ad 3. L’influence divine pendant
la rédaction doit être conçue tout au moins comme une assistance qui préserve
de l’erreur. Jadis on allait plus loin et on admettait aussi une communication
du vocabulaire, une inspiration verbale
(inspiratio verborum). Mais depuis les Jésuites de Louvain (Lessius), depuis
Suarez et Bellarmin, on abandonna davantage cette théorie et on enseigna la
théorie commune de l’inspiration réelle
(insp. realis, rerum). De cette façon on explique plus facilement la différence
de style biblique, ainsi que les variantes dans l’exposé du même sujet
(« Pater Noster », institution de l’Eucharistie), des mêmes épisodes
historiques (Crucifiement, Résurrection, Ascension). Cependant certains
théologiens modernes, particulièrement les thomistes, soutiennent encore, en
maintenant l’ancienne terminologie, la théorie de l’inspiration verbale. Mais
ils l’expliquent autrement en étendant l’influence divine à toute
l’action de l’écrivain, y compris la rédaction écrite : un style
caractéristique est propre à chacun, mais chaque écrivain est soutenu,
« mu », en écrivant, par Dieu qui l’inspire. Le texte biblique est
par suite complètement l’œuvre de Dieu et complètement l’œuvre de l’auteur.
Le terme de l’inspiration est le texte
concret de la Bible dans son caractère de « parole de Dieu ». A la
vérité, on peut faire une distinction entre « texte biblique » et
« parole de Dieu » et se demander ce qui doit, dans la Bible où tant
d’auteurs « prennent la parole », être considéré formellement comme
« parole de Dieu ». Il est difficile d’établir un critérium à ce
sujet ; cependant on peut fixer quelques principes :
1. Ce que les auteurs inspirés
affirment ou nient eux‑mêmes, est, dans cette forme, parole de Dieu.
2. L’expression de la parole de
Dieu varie avec le genre littéraire (historique, poétique, didactique,
prophétique, parabolique, symbolique).
3. Les discours des hommes non
inspirés dans la Bible ne sont pas parole de Dieu ; l’auteur inspiré peut approuver ces discours et les faire
siens (Tit., 1, 12 sq.), ou bien les réprouver
(Jér., 28, 15 sq.), ou simplement les rapporter.
Il faut donc rechercher attentivement quelle a été son intention (Cf. Ex., 1,
15 sq., 13 sq. ; Judith, 10, 12 sq. ; 2 Rois, 7, 2 sq. ; Job.,
42, 3, 7 ; Dan., 9, 2 sq. ; Héb., 1, 14). Il faut observer que
l’Écriture, quand il s’agit des phénomènes naturels, emploie le langage commun
et non le langage scientifique conforme à la réalité des choses.
Extension. L’inspiration s’étend, d’après le Concile du Vatican et les
déclarations des Papes récents, à toute la sainte Écriture. Les essais faits
par certains auteurs pour la limiter aux « res fidei et morum » ou
bien aux « res revelatæ tantum », en excluant les objets purement
historiques, ceux qui concernent les sciences de la nature ou ceux qui n’ont
été traités qu’incidemment (obiter dicta : Newman), n’ont pas eu
l’approbation de l’Église (Denz., 1950 sq.).
C’est pourquoi aujourd’hui, tous
les théologiens catholiques rapportent l’inspiration à l’Écriture tout entière.
Cependant l’ancienne discussion reprend maintenant sur un autre point. La
nouvelle école exégétique se place, si l’on peut dire, à l’opposite de l’école
dogmatique. Elle affirme que la Bible, parce qu’elle n’est pas révélée absolument
dans toutes ses parties, contient, surtout dans les sujets historiques et
scientifiques, des lacunes et même des inexactitudes, étant donné que
dans ces choses les auteurs se conforment aux conceptions naïves de leur temps,
basées sur la simple apparence, et ne peuvent atteindre le niveau de notre
science moderne. Dans l’astronomie, la physique et les autres sciences, le
peuple d’Israël aurait été à peu près au même niveau inférieur que par ex. les
indigènes d’Australie de nos jours. Sur ces sujets, la Bible ne contiendrait
que des vérités relatives et non absolues. Si l’on répond que, de nos jours, il
nous arrive souvent à nous‑mêmes de nous exprimer d’après la simple apparence (lever et coucher du
soleil), ils rétorquent que nous le faisons avec
la conscience d’employer un langage impropre,
tandis que la Bible le fait avec la persuasion naïve d’exprimer une vérité
absolue.
La réponse incombe à
l’apologétique : nous ferons cependant ces courtes remarques :
D’après S. Augustin, Dieu a voulu
nous communiquer des vérités de salut et non pas nous instruire des sciences
humaines : « Il voulait faire des Chrétiens et non des
mathématiciens » (M. 42, 525 ; cf. De Gen. ad lit., 7, 28, 42 ;
2, 5, 9 ; 2, 9, 20. M. 34). D’après S.
Thomas, on doit distinguer : Les vérités éternelles de salut, qui
doivent nous conduire directement au salut, doivent être crues en première
ligne, en elles‑mêmes et pour elles‑mêmes (principaliter et secundum se) ; telles sont la Trinité, l’Incarnation, etc. ; le reste, par contre, n’appartient qu’indirectement et secondairement à
la Révélation (indirecte, per accidens et secundario), par ex. : les
miracles d’Élisée. Ces vérités secondaires ne sont communiquées que pour
expliquer les premières vérités. Celui qui refuserait de croire à ces choses
secondaires qui sont indirectement rattachées aux vérités révélées risquerait
de manquer à la foi surnaturelle envers la Bible qui repose sur l’inspiration,
car de cette manière d’agir on pourrait tirer la conclusion :
« L’Écriture divine est fausse » (S. th., 1, 32, 4 ; 2, 2, 1 6
et 2, 5). Leur rattachement indirect à la révélation garantit leur caractère
véridique. Sans doute toutes les vérités ne sont pas vraies de la même manière.
S. Thomas distingue trois classes de vérités : celle de la connaissance
naturelle, celle de la connaissance prophétique et celle de la connaissance
céleste. La plus haute est la dernière, car elle repose sur la vision béatifique ;
les autres se ramènent à une certaine illumination divine, mais très
différente. La lumière dans laquelle Salomon parle du cèdre du Liban et de
l’hysope de la muraille est tout autre que celle dans laquelle Isaïe
écrit : « J’ai vu le Seigneur assis sur son trône » (S. Th., 2,
2, 174, 3). C’est pourquoi le Concile du Vatican insiste surtout sur l’inerrance
dans les vérités révélées (revelarionem sine errore contineant) (Denz., 1787).
Les vérités naturelles doivent être appréciées d’après leur but. Leur but n’est
pas de compléter substantiellement le dogme, les vérités révélées, mais de les
expliquer et de les rendre plus claires ; elles n’ont pas de but propre,
mais sont subordonnées aux vérités révélées qu’elles doivent servir. Aussi Dieu
a pu permettre qu’elles soient exprimées, non pas d’après le niveau élevé des
dernières recherches scientifiques, mais d’après le jugement et la mesure
de connaissance de l’époque. Bien plus, il était nécessaire d’adopter cette manière imparfaite de parler des
phénomènes naturels pour que le langage fût intelligible et utile aux
contemporains. En effet, quand, par exemple, le récit de la création s’appuie
sur une astronomie incomplète, le récit est cependant suffisant pour faire comprendre que Dieu est le créateur du ciel et
de la terre. Et pour atteindre ce but, notre science plus développée de
l’astronomie est à peine plus utile. Il en est de même pour les vérités
historiques. On peut se demander si parmi les hommes une histoire complète et
parfaite est possible. Les histoires purement naturelles remplissent pourtant,
malgré leurs imperfections, leur but religieux d’édification. Au reste,
l’Église a concédé aux exégètes savants un certain domaine où leurs
appréciations peuvent se donner plus libre carrière, en leur permettant
d’admettre les citations implicites et les récits qui ne sont pas de l’histoire « proprement dite », quand ils
peuvent justifier ces allégations par des arguments solides (Denz.,
1979). Pour déterminer la vérité, il est utile également de considérer le genre
littéraire du livre.
On cite également, à propos de
l’inspiration biblique, des lacunes même pour ce qui est des doctrines
concernant la foi et les mœurs. Mais
ceci est encore moins important, car l’inspiration n’est pas la même chose que
la révélation. Au reste, cette dernière, comme le remarquent déjà les Pères,
fait des progrès. La doctrine morale de l’Ancien Testament est sans aucun doute
très inférieure à celle du Nouveau. Jésus l’a fait remarquer (Math., 5‑7, Sermon sur la montagne ; 19, 1‑8), ainsi que S. Paul (lex et
gratia) et les Pères (l’ancienne Loi est charnelle,
temporelle, terrestre, la nouvelle est spirituelle, éternelle, céleste).
Conclusion. Les objections de l’exégèse moderne ne sont pas seulement des
constructions artificielles, mais elles reposent le plus souvent sur des
observations justes. Les Pères eux‑mêmes furent impressionnés par les difficultés bibliques.
Ils les résolurent en invoquant le sens
multiple de l’Écriture par le moyen de l’allégorèse. Cela ne nous est plus possible aujourd’hui, en un temps
où nous suivons la méthode historique et philologique. Cependant l’exégèse
moderne donne à sa manière de voir une expression trop tranchante, parce que
négative, en affirmant que l’Écriture n’est pas exempte d’erreurs et contient au contraire plusieurs erreurs. Sans
vouloir préjuger de la décision de l’Église, on peut présumer que, conformément
à la Tradition, elle sera affirmative : l’Écriture est exempte d’erreur.
Quant à l’explication de la manière et du degré, elle la laissera comme
toujours aux théologiens. Il est bien entendu aussi qu’il faut tenir compte de
la différence entre l’original et la version ; cette dernière peut
contenir des fautes, comme S. Augustin le remarque déjà et comme l’Église le
reconnaît en théorie et en pratique.
Interprétation. Le Concile du Vatican
exige que, pour l’interprétation « dans les matières de foi et de
mœurs », chacun s’en tienne au vrai sens de l’Écriture sainte qu’a établi
et que maintient notre sainte Mère l’Église, à qui il appartient de décider sur
le vrai sens et l’interprétation des Écritures et entend qu’il ne soit permis à
personne d’expliquer la sainte Écriture contre ce sens ou encore contre
l’interprétation unanime des Pères (S. 3, c. 2 ; Denz., 1788). Les règles
d’interprétation doivent être d’après Pie X : « Tradition de
l’Église, conformité à la foi et aux normes du Siège Apostolique » (Denz.,
2146). Ces dernières sont toujours décisives.
Étant donné que l’Écriture est
une révélation surnaturelle dont l’expression est souvent difficile, elle a
besoin d’interprétation et, de fait, dès le début on l’a interprétée. Le Christ
et S. Paul interprètent l’Ancien Testament, le premier dans le Sermon sur la
montagne et occasionnellement, le second, en maint endroit de ses Épîtres,
surtout en ce qui concerne la Loi et l’Évangile (la grâce). Toute la théologie
des Pères est une interprétation de l’Écriture. La profondeur interne de la
vérité et l’influence extérieure de Philon (ainsi que de Platon concernant
le double monde, celui de l’apparence et celui de la réalité spirituelle)
déterminèrent de bonne heure les Pères (Barn., Just., Clém., Alex.) à affirmer,
à côté du sens historique ou littéral, le sens typique, spirituel ou mystique,
et même à y chercher la vérité proprement dite. De cette méthode exégétique S. Paul avait déjà montré la voie avec
éclat. Ainsi, dans l’histoire d’Ismaël et d’Isaac, il voit, au moyen de cette
interprétation, l’image des deux Testaments (Gal., 4, 22‑31 ; cf. Rom., 5, 14 ; 1 Cor., 10, 1‑11 ; Hebr., 9, 24, etc.). Origène fit un usage abusif de cette
méthode ; l’exagération se remarque surtout chez les Alexandrins opposés à l’école d’Antioche
qui s’en tenait au sens littéral. Le désir de posséder une preuve par les
prophéties aussi abondante que possible poussa un grand nombre de Pères à une
allégorèse beaucoup trop accentuée. On se plut, conformément à Jean (5, 39), à
appliquer les Psaumes et même tout l’Ancien Testament au Christ. S. Augustin lui‑même connaît un double sens, mais il cherche
à éviter l’étroitesse de vue et s’efforce de trouver une voie moyenne en unissant les deux sens (Civ.,
17, 3, 2). Pour lui, la prophétie s’applique toujours directement au
Christ : « Tout cela... doit s’entendre de Jésus‑Christ » (Civ., 17, 9, 2). Les scolastiques,
eux aussi, parlent d’un sens multiple, d’ordinaire quadruple. Cependant S. Thomas fait cette restriction de bon
sens en se référant à S. Augustin : le dogme ne peut être prouvé que par
le sens littéral (S. th., 1, 1, 10 ad 1). Il garda cette position même plus
tard, malgré l’usage qu’on faisait du sens mystique pour des fins d’édification
(Cf. Bellarmin, De Verbo Dei, 2, 3).
Pour la première fois, le Concile
de Trente a décidé officiellement, en
raison des troubles de l’époque, comment il faut interpréter l’Écriture. Il ne
faut pas le faire « contre l’interprétation que lui a donnée et lui donne
notre mère la sainte Église », ni « contre le sentiment unanime des
Pères » (Denz., 786). Comme, en raison de cette rédaction négative,
certains théologiens trouvaient le moyen de se soustraire aux intentions vraies
du Concile, le Concile du Vatican
donna la formule positive qu’on a lue plus haut. En le faisant, le Concile n’a
rien décidé de nouveau. En effet, depuis les premiers temps des Pères, malgré
la liberté de mouvement qui régnait alors, l’Église a toujours exigé que
l’Écriture fût interprétée par elle d’une manière définitive et
décisive ; elle a voulu qu’on s’en tienne absolument, dans
l’interprétation scripturaire, à la Règle
de foi, aux symboles de la foi et aux enseignements de l’Église. S. Paul
lui‑même veut déjà que le « prophète » fasse ses déclarations d’après l’analogie de la foi (Rom., 12, 6). D’après S. Irénée, seuls les évêques apostoliques ont le
« charisme de vérité ». Ce sont eux qui protègent la foi, augmentent
la charité et interprètent les écritures sans danger (Adv. h., 4, 26, 5). On
trouve comme la formule d’un Canon de l’Église dans ce qu’écrit S. Vincent de Lérins : « Il
est nécessaire... que l’interprétation de la Doctrine prophétique et
apostolique soit déterminée par la règle du sens ecclésiastique et
catholique » (Commonit, 2, 2). On trouve des expressions semblables dans
S. Épiphane (Hær, 55, 3). Ceci n’enlève pas à l’exégèse privée son travail et son importance ; les protestants le
reconnaissent eux‑mêmes. Il lui reste encore une double tâche :
1. Les nombreux passages qui ne
sont pas strictement dogmatiques.
2. La défense de toute l’exégèse ecclésiastique.
2. Authenticité de la Vulgate. Le Concile de Trente a lié
l’interprétation non seulement au sens traditionnel fixé par lui, mais
encore à la Bible traditionnelle recommandée par lui. Cette Bible était pour
Rome la Vulgate latine :
« Il (le Concile) décide et déclare que cette édition antique et répandue
qui a été appréciée par le long usage de plusieurs siècles dans l’Église, soit
considérée comme authentique dans les leçons publiques, les controverses, les
prédications et les commentaires et que personne n’ait l’audace ou la témérité de
la repousser sous quelque prétexte que ce soit » (Denz., 785). Le Concile
s’appuie sur la Tradition et sur la pratique liturgique et non sur la
Révélation. L’assentiment qu’on doit donner à sa décision est la « foi de
l’Église ».
L’histoire de la Vulgate est du domaine de l’exégèse.
Elle remonte à S. Jérôme qui alors avait à sa disposition de meilleurs
manuscrits que ceux que nous possédons aujourd’hui. Les avantages de cette
traduction sont reconnus même des adversaires. Elle contient cependant, ainsi que
la nouvelle impression qu’ordonna le Concile, un certain nombre de fautes.
L’Église en convient, aussi Pie X a‑t‑il chargé une Commission de Bénédictins de préparer une nouvelle édition revue qui devra se tenir
le plus près possible du texte de S. Jérôme. L’élément essentiel de la
définition conciliaire se trouve dans le sens du mot
« authentique ». En soi, il ne signifie pas la conformité avec le
texte de la Bible, mais il signifie : reconnu par l’Église, valable
et d’usage officiel, prescrit par là‑même aux organes officiels de l’enseignement et
d’une valeur démonstrative décisive. Si cette authenticité est d’abord
extérieure, elle ne se fonde cependant pas sur une acceptation arbitraire mais
sur la persuasion que nous possédons dans la Vulgate la parole inspirée de Dieu. Il est nécessaire qu’il y ait
une certaine conformité avec le texte original, quand ce ne serait
« qu’une conformité morale et substantielle » (Scheeben, 1, 134) et
par là même l’intégrité dogmatique. Les textes douteux de la Vulgate continuèrent de jouir d’une
considération moindre, par ex. : le « comma johanneum » (1 Jean,
5, 7). Le Concile pensait d’abord à une Vulgate
idéale qui ne serait réalisée que par une nouvelle édition. Au sujet des autres
versions et notamment du texte original, rien ne fut décidé. « L’usage
privé et scientifique (de ces textes) n’est pas interdit » malgré
l’avis contraire de certains théologiens rigoristes (Espagnols). Ces
théologiens demandaient même que l’on corrige ces textes d’après la Vulgate, affirmant qu’elle ne contient
aucune faute et présente l’image fidèle de la Bible primitive (Cf. Léon
XIII ; Denz., 1941).
Sur le caractère du décret concernant la Vulgate, il y a controverse. Les théologiens rigoristes l’identifiant
purement et simplement avec le décret concernant le canon et le considèrent
comme strictement dogmatique.
D’autres affirment qu’il n’est que disciplinaire
et n’engage pas la foi, mais impose seulement un usage pratique. C’est pourquoi
il ne menace pas la désobéissance de l’anathème, mais seulement de peines
ecclésiastiques et ne s’appuie pas sur des motifs dogmatiques, mais sur des
raisons d’utilité pratique. L’Église pourrait à tout moment substituer à la Vulgate un autre texte biblique ;
en le faisant, elle constaterait un nouveau « fait dogmatique » qui
n’enlèverait rien de sa vérité au premier. Au Concile, on manifesta le désir de
déclarer authentiques un texte hébreu et un texte grec. (Ehses. Trid., 5, 29
sq., 65 sq.).
Conclusion pratique. S.
Jérôme raconte (Ép. ad Eustoch., 30) comment un songe le détourna des
lectures païennes et fit de lui
un ami de la sainte Écriture. Il lui
sembla qu’il était mort et qu’il paraissait devant le tribunal de Dieu :
« Interrogé sur mon état, je répondis que j’étais chrétien. Mais celui qui
présidait me répondit : « Tu mens, tu es un cicéronien et non pas un
chrétien, car là où est ton trésor, là aussi est ton cœur ». Cette sévère
admonestation le convertit, et réveillé de son songe il devint un lecteur
fervent de la sainte Écriture. Il ne se contenta pas de manifester son amour
par une étude zélée, il communiqua encore son amour à d’autres personnes. Tout
prêtre est tenu par devoir d’état d’aimer la sainte Écriture qu’il doit
enseigner aux autres. Les premiers chrétiens connaissaient sans aucun doute
l’Écriture sainte mieux que nous, car ils en vivaient. Nous devrions lire moins
de livres sur l’Écriture et lire davantage l’Écriture elle‑même. En dehors des Prophètes et des Psaumes ‑ et ces derniers nous devons les lire quand ce ne serait qu’en raison de leur adaptation à
tous nos besoins religieux individuels et de leur usage dans notre prière
quotidienne ‑ nous devrions toujours avoir sur notre
bureau un des synoptiques, S. Jean ou l’une des quatre grandes Épîtres pauliniennes et en faire l’objet de nos lectures et de nos méditations continuelles. « Heureux
celui que tu enseignes par ta loi » (Ps. 93, 12). « Je brûle du désir
de méditer ta loi et de te confesser ma science et mon ignorance, les
commencements de ton illumination et les restes de mes ténèbres, jusqu’à ce que
ta force fasse disparaître ma faiblesse. Rien d’autre ne doit occuper les
heures qui me restent libres après le repos nécessaire du corps et les efforts
de l’esprit et après les services dont nous sommes redevables à autrui ou que,
sans les lui devoir, nous lui rendons » (S. August., Confes., 11, 2). Origène demande même à chaque fidèle
de consacrer une ou deux heures à la lecture quotidienne de l’Écriture,
accompagnée de prière (Hom. 2 in Num.). Léon XIII appelle la sainte Écriture
« l’âme de toute la théologie ainsi que de toute la prédication
chrétienne ».
A consulter : J‑V. Bainvel, De magisterio vivo et
Traditione (1905). L. de San, De
divina Traditione et Scriptura (1903). Billot,
De s. Traditione (1904) ; De immutabilitate Traditionis (1907). Rouët de Journel, Enchiridion
patristicum (1913). Servière,
Bellarmin (1908). Minges, Dogm.
Généralis (1923).
THÈSE. En dehors de l’Écriture, la Tradition doit être acceptée
comme une source propre de la foi.
De foi.
Explication. Le Concile de Trente
déclare que la Révélation est contenue non seulement dans l’Écriture, mais
encore dans les Traditions non écrites. Si le Concile parle de traditions au
pluriel, c’est qu’il entend par là les éléments particuliers, les enseignements
et les institutions. Il décrit la Tradition comme « les traditions qui,
reçues de la bouche de Jésus‑Christ même par les Apôtres, ou transmises comme par les
mains des Apôtres sous l’inspiration du Saint‑Esprit, sont venues jusqu’à nous » (S. 4, d. 1). Mais il en limite ensuite l’extension à la foi et aux mœurs : nous devons accepter « les Traditions, soit qu’elles
regardent la Foi, ou les mœurs, comme dictées de la bouche même
de Jésus‑Christ, ou
par le Saint Esprit, et conservées dans l’Église Catholique par une succession
continue » (S. 4 ; Denz., 783).
Malgré de nombreuses propositions
qui furent faites, le Concile ne voulut pas donner de décisions particulières
plus précises sur la tradition dogmatique,
en la distinguant des nombreuses
traditions qui existent dans l’Église (Ehses,
Trid., 5, 7‑50). Les théologiens s’efforcent de scruter cette notion
difficile. Ils distinguent entre la « traditio
divina » et la « traditio
ecclesiastica ». Seule la tradition divine est une source dogmatique,
tout ce qui est d’origine humaine, même si on peut le faire remonter aux
Apôtres en tant que chefs et organisateurs de l’Église (tr. mere apostolica),
ou bien aux chefs postérieurs de l’Église (tr. ecclesiastica), n’entre pas en
ligne de compte, quelle que soit l’importance de ces traditions pour la
discipline, le culte, la liturgie et le droit ecclésiastique. La Tradition
divine remonte soit à « la bouche du Christ » (tr. dominica), soit
aux « communications du Saint‑Esprit » faites aux Apôtres après l’Ascension du Seigneur (tr.
divino‑apostolica). Ainsi nous comprenons sous le
nom de Tradition dogmatique, les vérités
révélées que les Apôtres ont reçues du Christ ou du Saint‑Esprit et que l’Église depuis ce temps a transmises sans altération.
Preuve. Le judaïsme connaissait, à côté de la Loi écrite (Thora) une
tradition orale (Massora) qui en était l’interprétation. Le Christ la rejeta
comme « institution humaine » (Math., 15 ; Marc, 7). Par contre,
l’enseignement chrétien reposa, à son début, uniquement sur l’enseignement
oral ; il ne fut pas une religion « livresque » et ne l’a jamais
été. Personne ne conteste que le Christ
ait eu un enseignement purement oral et n’ait laissé aucun écrit. La
« lettre d’Abgar » est aussi apocryphe que les portraits du Christ. A
ses disciples il donna mission de prêcher et non d’écrire (Math., 28, 18
sq. ; Marc, 16, 15 ; Luc, 24, 47 ; Jean, 17, 14, 17‑19) ; si plus tard, au bout de trente
à quarante ans, ils eurent l’idée de raconter par écrit les enseignements et les
actes du Seigneur, cela se fit assurément sous la conduite de la divine
Providence, dans l’intention d’édifier les fidèles et de montrer la
divinité du Christ et de son œuvre (Jean, 20, 31) ; mais cela ne se fit
pas par l’ordre de Jésus et n’eut pas comme but de décrire tout son
enseignement et toute son action, mais seulement de mettre en lumière certains
points principaux.
S. Paul, celui qui a le plus écrit, exprime cependant comme un
axiome : « La foi naît de ce que l’on entend » (Rom., 10, 17).
« Ainsi donc, frères, tenez bon, et gardez ferme les traditions que nous
vous avons enseignées, soit de vive voix, soit par lettre » (2 Thes., 2,
15 ; cf. 3, 6) ; « sermo » et « epistola » ont
une situation parallèle, l’ensemble s’appelle alors encore « Tradition ».
Lui‑même, parce qu’il a été appelé le dernier, se sent lié à la Tradition qui remonte aux premiers
Apôtres : « Je vous ai transmis ceci, que j’ai moi‑même reçu » (1 Cor., 15, 3) et cela dans la doctrine de la loi et des
mœurs. Et il en fonde une semblable partout dans les communautés (1 Cor, 4,
17 ; 7, 17 ; 11, 2, 16, 17. Rom., 6, 17. Col., 2, 6 sq. 1 Tim., 3,
15 ; 4, 6, 11 ; 6, 3. 2 Tim., 1, 13 ; 2, 2) ‑ S. Jean :
« J’ai bien des choses à vous écrire ; je n’ai pas voulu le faire
avec du papier et de l’encre, mais j’espère me rendre chez vous et vous parler
de vive voix, pour que notre joie soit parfaite » (2 Jean, 12 ; cf. 3
Jean, 13 sq.). Et de même que les Apôtres ont reçu mission de prêcher, ils
donnent une mission semblable à leurs disciples. S. Paul exhorte
Timothée : « Proclame la Parole, interviens à temps et à contretemps,
dénonce le mal, fais des reproches, encourage, toujours avec patience et souci
d’instruire... fais ton travail d’évangélisateur » (2 Tim., 4, 1‑5). « Ce que tu m’as entendu dire en présence de nombreux témoins, confie‑le à des hommes dignes de foi qui seront capables
de l’enseigner aux autres, à leur tour » (2 Tim., 2, 2). — L’Écriture
n’indique nulle part qu’elle soit la seule source de loi ou qu’elle doive
l’être après la mort des disciples. Cette pensée est complètement étrangère à
l’époque primitive. Au reste, étant données les conditions de lecture et
d’écriture d’alors, elle ne pouvait y songer.
Les Pères. La controverse avec les protestants concernant l’âge de la
Tradition peut être considérée comme finie. Harnack
dit : « L’idée de la tradition apostolique, qui est en soi très
ancienne et qui ne manque pas d’un noyau historique, a été condensée et
systématisée d’abord à Rome » (Mission etc., 2, 293 sq.). « Il y
avait déjà une foi chrétienne et une Église chrétienne avant qu’il n’y eût un
Nouveau Testament », dit le même auteur avec Lessing (Sur l’usage privé de
la sainte Écriture). R. Seeberg écrit
au sujet de la période qui va de 90 à 140 : « On possédait en ce
temps‑là une tradition non écrite, une doctrine ecclésiastique qu’on faisait remonter jusqu’au Christ. Cette
tradition fournissait la base de l’enseignement et de la prédication, ainsi que
de la direction pastorale des communautés ». Il appelle l’enseignement
oral du Christ ressuscité « Evangelium quadraginta dierum » (H. D.,
1, 60‑63). Cette tradition n’aurait pas eu seulement comme
objet des pensées générales comme le pardon, la paix, le salut, la
justice (Harnack), mais des enseignements dogmatiques et moraux formulés d’une manière concrète (Ibid., 1, 169 sq.). Alfred Seeberg a même
composé un « catéchisme de la chrétienté primitive » (1903) et des
catholiques l’ont approuvé.
Papias exprime cet avis : « Je ne crois pas avoir tiré tant
d’utilité des livres que des paroles vivantes d’hommes qui vivent encore »
(Euseb., H. e., 3, 40). La Didachè
insiste d’abord sur les doctrines stables et ajoute : « Quiconque
viendra et vous enseignera ce qui a été rapporté plus haut, recevez‑le. Mais si le docteur lui‑même est pervers et que son enseignement mène à la dissolution, ne le recevez pas »
(11, 1 sq.). S. Ignace loue les
chrétiens d’Éphèse de ce que « ayant eu une mauvaise doctrine » ils
l’ont rejetée (Eph., 9, 1 ; cf. Smyr., 5).
Il indique les sources de la doctrine chrétienne, mais il veut qu’elles
soient garanties par l’épiscopat. Il
exhorte les Magnésiens à s’attacher fermement aux « dogmes du Seigneur et
des Apôtres » (13, 1) et les Tralliens à « ne pas se séparer de
l’évêque et des prescriptions des Apôtres » (7, 1). Barnabé nomme comme points de l’enseignement chrétien :
« Sa parole de la foi, sa vocation à la promesse, la sagesse de ses
institutions, les commandements de sa doctrine » (16, 9). S. Clément écrit :
« Conduisons‑nous d’après le glorieux et noble Canon de la Tradition » (7, 3). S. Polycarpe témoigne nettement en faveur de la Tradition qu’il
appelle « la parole qui nous a été transmise depuis le commencement »
(Phil., 7, 2 ; cf. 3, 2 ; 4, 2). Au onzième chapitre, d’ailleurs
contesté de la lettre à Diognète, on lit : « Depuis que je suis
devenu disciple des Apôtres, je suis docteur du peuple. Ce qui m’a été
transmis, je l’offre aux disciples qui sont dignes de la vérité » (Hippolyte?).
Ainsi donc la pensée de la
Tradition n’a pas attendu la polémique de S. Irénée contre la Tradition secrète des gnostiques pour se
faire jour, c’est un article de foi de l’âge apostolique. Toutefois S. Irénée distingue avec plus de
précision ces points importants : Écriture, Tradition, épiscopat et, le
premier, invoque formellement la Tradition dogmatique : « Qu’en
serait‑il si les Apôtres ne nous avaient pas laissé
d’écrits ? Ne devrait‑on pas suivre l’ordonnance de la tradition qu’ils ont transmise à ceux auxquels ils ont confié l’Église ? Cette ordonnance est suivie par beaucoup de
peuples barbares qui croient au Christ sans papier et sans encre alors qu’ils
possèdent le salut inscrit dans leur cœur par le Saint‑Esprit et qu’ils conservent soigneusement l’antique tradition (A. h., 3, 4, 2). Or cette
tradition (tr. apostolica) n’est pas une tradition secrète, mais une tradition annoncée publiquement dans toutes les
Églises (A. h., 3, 1‑4 ; Epid., 3). De même Tertullien : « Là où se montrent la véritable doctrine et
la véritable foi chrétienne, on trouvera aussi en même temps la véritable
Écriture sainte, sa véritable explication et les véritables traditions
chrétiennes » (De Præscr., 19 ; cf. 37). L’Écriture, la Tradition,
l’Église opèrent donc normalement ensemble, d’après S. Irénée et Tertullien,
comme fondement de la foi. Comme contenu de la tradition, Tertullien énumère
les cérémonies du baptême, de la messe, de la communion et la pratique du jeûne
(De cor. mil., 3 et 4). Origène
établit comme principe : « Il ne faut croire que la vérité qui ne
s’écarte en rien de la tradition ecclésiastique et apostolique » (De
princ. præf, 2). S. Épiphane exalte
la Tradition comme complément de la Bible : « La Tradition, elle
aussi, est nécessaire, car on ne peut pas tout rendre dans l’Écriture ;
c’est pourquoi les saints Apôtres nous ont laissé une partie de leur
enseignement dans les Écritures, le reste au moyen des traditions » (Hær.,
61, 6 : M. 41, 1057).
Un champion énergique de la
Tradition, c’est S. Basile dans ses
deux écrits : « Contre Eunomius » (1, 1‑3) et « Sur le Saint‑Esprit » (29, 71) : « Je considère comme apostolique de s’attacher fermement même aux
traditions qui ne sont pas contenues dans l’Écriture » (Cf. 27, 66 :
M. 32, 188). S. Augustin juge :
« Il y a beaucoup de choses auxquelles l’Église est fermement attachée et
qu’on est autorisé par conséquent à regarder comme ordonnées par les Apôtres,
bien qu’elles ne nous aient pas été transmises par écrit » (De bapt. 5,
23, 31 ; cf. 2, 7, l2 ; 4, 24, 31) ; S. Athanase (Ép. 1 ad Serap., 28) ; S. Hilaire (Ad Const., 2, 9) ; S. Jérôme (C. Lucif. : M. 23, 168) ; S. Grégoire de N. (C. Eunom., 4 : M. 45, 653) ; S. Chrysostome (In Ep. Thess. Hom., 4,
2 : M. 62, 488) ; S. Jean
Damascène (Homil. in dorm. Mariæ, 2, 18 : M. 96, 748).
La Scolastique connaît naturellement la Tradition, bien que, sur ce sujet, comme
sur l’Écriture et l’Église, elle n’ait pas de développements particuliers. Le terme ne joue aucun rôle : S.
Thomas l’emploie à peine (Cf. cependant S. th., 3, 64, 2 ad 1). Mais on connaît
la chose. Dans la dogmatique on recourt aussi aux arguments tirés des Pères,
mais pas de la même manière qu’aux arguments tirés des Écritures canoniques (S.
th., 1, 1, 8). Ce n’est qu’à partir du Concile de Trente qu’on commença à
traiter d’une manière théologique la notion de Tradition et son importance.
Alors se présentèrent dans la polémique de Bellarmin, de Stapleton, de Cano
etc., une série de questions nouvelles, surtout concernant l’authenticité de la
Tradition « apostolique » et la possibilité de la reconnaître. On
établit donc des « critères », des « caractéristiques »,
des « signes » et on s’occupe de plus près de sa nature et de sa
transmission fidèle. Nous en parlerons tout à l’ heure.
Des objections ont toujours été présentées par les protestants.
1. On combat la tradition
complémentaire, alors qu’on admet la tradition explicative. Mais on a maintenu
cette première elle‑même jusqu’à l’avènement du néo‑protestantisme, en acceptant les
trois symboles et les premiers conciles généraux.
2. On dit que Cyprien,
Tertullien, Augustin sont devenus les adversaires de la tradition représentée
par eux. Mais Tertullien l’est devenu comme montaniste et non comme catholique.
Quant à S. Cyprien, un certain nombre de catholiques l’abandonnent, d’autres au
contraire le défendent, malgré sa question irrespectueuse à Étienne Ier :
« Qu’est‑ce que la coutume (tradition) ? » S. Augustin repousse les
« traditions » qui foisonnent sur le sol impur de la superstition
populaire, mais non les traditions universellement reconnues par l’Église.
3. On dit aussi qu’il y avait
beaucoup de traditions pseudo‑apostoliques (const. apost.,
doctrina apost., etc.). Il est certain que le grand prestige des Apôtres poussa
à cette « méprise pieuse » et même « impie ». Mais ces
« traditions » apostoliques n’ont pas été des sources de dogme et de
morale.
4. Personne ne connaîtrait le
contenu de la Tradition que seul l’avenir dévoilerait. Mais dire :
« tradition future », c’est supprimer la notion de tradition. Il faut
répondre à ceci : « L’Église ne sait pas toutes les formes que
prendra l’erreur future, mais elle se sent à
tout moment en état de la réfuter en s’appuyant sur l’Écriture et la
Tradition. Au reste, son regard ne se dirige pas uniquement vers l’avenir, elle
sait, par contre, que la tradition apostolique été close avec la mort des
Apôtres et elle voit son bien traditionnel dans le passé ; elle n’attend
de l’avenir que les possibilités d’utiliser sous de nouveaux aspects et
d’appliquer aux besoins des fidèles les vérités immuables et son trésor
spirituel toujours vivant. C’est l’Église qui décide définitivement ce
qui est Tradition, comme c’est elle qui décide du vrai sens de l’Écriture. Cela
ne veut pas dire que l’Église ou même le Pape soit la Tradition même, comme on
l’a reproché à Pie IX en lui attribuant à tort la phrase : « La
Tradition, c’est moi ».
Chez les Grecs, la Tradition joue un plus grand rôle encore que l’Écriture.
Elle dépasse même les cadres étroits de la tradition dogmatique et comprend,
comme chez les Pères, tout ce qui est liturgie et cérémonies, les coutumes de
prière etc. « La preuve tirée des coutumes
ecclésiastiques fut alors d’une manière générale fortement accentuée »,
dit Lang (p. 117). Le Concile du Vatican
apporta la clarté.
1. Il n’y a pas de contradiction
à parler de sources de la Tradition, quand on considère cette dernière comme
une transmission orale. Comme telle, on ne la rencontre que dans les premières
décades du christianisme, mais dans les pays de missions on la rencontre encore
aujourd’hui. Sans distinguer d’une manière précise entre les vérités d’Écriture
et de Tradition, l’Église apostolique et particulièrement l’Église
postapostolique établit une « règle de foi » générale qui, comme
résumé des vérités et des faits capitaux du salut, avait une double
importance : servir, à l’extérieur, de barrière contre les hérétiques et,
à l’intérieur, fournir aux fidèles une base de foi et de vie. Dans ce
dernier sens, on lui donna plus tard, dans le symbole, la forme d’un abrégé de la doctrine. Le symbole fut
d’abord transmis oralement aux néophytes au moment du baptême (traditio
symboli), puis on le leur fit apprendre de mémoire (redditio symboli).
Les évêques, ou leurs
représentants, expliquèrent ensuite les différents points de ce symbole dans la
Catéchèse, selon l’esprit de la
Tradition. Nous ne connaissons pas ces catéchèses des évêques ; leur
parole vivante s’est évanouie, mais l’esprit qui les fit naître et les
propagea vit toujours. Pourtant quelques‑unes de ces catéchèses nous ont été transmises par écrit. Elles contiennent, comme la règle de foi,
avec laquelle elles s’identifient objectivement, des vérités tirées de
l’Écriture et de la Tradition. Nous avons donc ici pour la première fois, d’une
manière précise, une source écrite de la Tradition dans le symbole et la
catéchèse (Cf. S. Irénée,
Epideixis ; S. Cyrille de Jér.,
Catéchèses ; S. Ambroise, De
mysteriis ; Ps. Ambroise, De
sacramentis ; S. Augustin, De
symbolo ad catechumenos : M. 40, 181 sq. ; De symbolo (édit. Morin),
1 sq.).
De très bonne heure, s’ajouteront
au symbole et à la catéchèse les
liturgies de la messe qui, selon les Églises particulières (Alexandrie,
Jérusalem, Constantinople, Rome, etc.), présentaient quelques différences.
Quiconque les étudie dans leurs débuts sait que, dans leur évolution, on trouve
des témoignages extrêmement intéressants concernant la foi, l’espérance et la
vie chrétiennes. Ces liturgies, elles aussi, dans leur brièveté primitive,
étaient sans doute le plus souvent orales, mais à partir de la Didachè, elles devinrent des formulaires
liturgiques écrits et sans cesse étendus. Là encore ce sont des sources écrites
de la Tradition.
Non moins intéressants, et en
même temps d’une haute valeur éducative, sont les Actes des martyrs (Martyrologium). Ces actes parurent de très bonne
heure (martyre de Polycarpe) et furent rédigés pour des raisons historiques et
d’édification. Les professions de foi des martyrs devant leurs juges
jettent souvent une vive lumière sur le dogme.
Comme documents capitaux de la
Tradition, il faut citer ensuite les Conciles
et leurs considérants théologiques (Trente, Vatican). L’enseignement des Pères
est d’une grande richesse et aucune source ne lui est comparable. C’est cet
enseignement qu’on utilise le plus souvent pour établir la Tradition. Citons
ensuite les décrets des Papes, les conciles provinciaux ; pour
l’époque plus récente : les catéchismes,
les formules de prière, les bréviaires, les images, les statues, l’architecture chrétienne et surtout les inscriptions chrétiennes dont
l’importance croît de jour en jour (Dict. théol, 5, 300‑358, Épigraphie chrétienne).
2. Critères de la Tradition. Il doit en exister pour distinguer la
Tradition dogmatique de toute autre tradition. S. Vincent de Lérins (434) en donne trois : « Dans cette
Église catholique, il ne faut admettre en matière de foi que ce qui a été cru en tous temps, en tous lieux, et par tous
les fidèles. Cela est en effet vraiment et proprement catholique »
(Commonit., c. 2).
Dans les controverses de foi,
nous devons décider d’après l’universalité,
l’antiquité, la concordance. Une vérité sur laquelle tous les fidèles, en
tout temps, en tout lieu, sont d’accord est une doctrine véritablement
catholique. Cependant cette règle n’est pas absolument précise. Elle ne dit pas
clairement si ces trois points essentiels ont de la valeur conjointement ou
disjonctivement, si une concordance absolue on morale est nécessaire, si
l’antiquité s’entend de la doctrine explicite ou implicite. En définitive,
il faut encore que l’Église décide par son jugement si tous les éléments se
rencontrent dans un cas déterminé. Cette règle avait été formulée pour l’usage privé à une époque où il n’était
pas encore facile de consulter la papauté concernant les nouveautés.
Parmi les symboles, trois jouissent
d’une haute considération. Le plus célèbre est le symbole des Apôtres. Il remonte dans sa substance jusqu’aux Apôtres
bien qu’il n’y remonte pas dans sa forme ni dans ses « articles ». Il
y a une forme du symbole plus ancienne et plus brève (textus antiquior) (Denz.,
‑4) ; la forme actuelle date de 350‑400 (textus receptus). Sa base est la formule trinitaire du baptême (Math., 28, 20). Il parle
surtout du Fils. Mais il passe immédiatement de l’Incarnation, en laissant de côté la vie et la doctrine, à la Passion, sans en marquer le caractère
salutaire ; il relie bien au Saint‑Esprit l’Église et le baptême, sans parler d’autres sacrements (Eucharistie)
et termine par quelques mots d’eschatologie. Le symbole
baptismal romain est, d’après les plus récentes recherches, un composé d’un
schéma monarchique‑christologique (où les points importants de la Rédemption sont signalés) et d’un schéma trinitaire qui apparaît déjà achevé vers 150, mais se présente encore en forme séparée.
Le Symbole de Nicée‑Constantinople était à la base des deux
Conciles d’où il tire son nom (325 et 381) ; il fut confirmé au
Concile d’Éphèse et reçut, du 10ème au 11ème siècle, sa
conclusion par l’addition du « Filioque » (Denz., 54, 86). C’est le
symbole officiel des Grecs, mais sans le « Filioque ». Le
symbole de S. Athanase porte ce nom à tort, car il provient d’un inconnu
(Ambr. ?). Il est signalé pour la première fois au Concile de Tolède (633)
et n’a pas pu, en raison de sa doctrine développée de la Trinité et de
l’Incarnation, être composé avant le Concile de Chalcédoine (451). Il est probable
qu’il prit naissance dans l’Église d’Espagne ou dans celle des Gaules ; il
pénétra dans la liturgie et le bréviaire et, entre le 9ème et le 12ème
siècles, trouva l’approbation tacite de l’Église romaine. Quand Harnack
remarque que, de cette façon, les trois symboles sont d’origine incertaine,
cela n’enlève rien à leur prestige dogmatique. En effet s’ils n’ont pas reçu
l’approbation solennelle de l’Église,
ils ont reçu celle du magistère ordinaire,
par suite de l’usage pratique.
Les professions de foi sont des symboles étendus ; elles
développent certains « articles » qui ont été mis en doute ou violés
par les hérétiques. La profession de foi la plus connue et la plus usitée est
la « p. fidei Tridentina » prescrite par Pie IV, augmentée de
quelques additions par Pie IX (Denz.,
994‑1000). Cf.
d’autres professions de foi dans
Denz., 1083‑1085, 1459‑1473, 2145‑2147.
Au sujet des Pères comme source de Tradition, l’Église s’est prononcée
solennellement. Elle a déclaré expressément, d’une manière négative et
positive, non seulement qu’on ne devait pas interpréter l’Écriture contre le sentiment unanime des Pères,
mais encore qu’on devait l’interpréter conformément
à ce sentiment. Ainsi donc, cet accord des Pères dans les vérités surnaturelles
est un critère de la Tradition divine.
Sous le nom de Pères de l’Église (Patres), au sens
strict (auctoritas Patrum), on entend les écrivains de l’antiquité chrétienne
qui se distinguent par leur ancienneté, la sainteté de leur vie, la pureté de
leur doctrine et l’approbation de l’Église. Les écrivains ecclésiastiques n’ont que la caractéristique de
l’ancienneté (Orig., Lact., etc.). Le nom de docteur de l’Église est un titre
d’honneur que les papes ont conféré depuis environ 1300 (Bonif. VIII) à des
saints remarquables par leur science, dont plusieurs ne sont pas des
Pères : Ambr., Aug., Jérôme, Grég . le G., Athan., Basile, Greg. de Naz.,
Chrysost., Thomas (1567), Bonaventure (1588), Anselme (1720), Alphonse, Franc.
de Sales, les deux Cyrilles, Jean Dam., Bède (1899). Plus tard Éphrem (1921),
Pierre Canisius (1925), Jean de la Croix (1926), Bellarmin, Albert le Grand
(1932).
Pour apprécier convenablement les
Pères en tant que témoins de la Tradition, il faut observer que leurs talents
intellectuels sont très différents et que, selon le mot de S. Augustin,
« il faut peser leurs voix et non les compter » (C. Jul., 2, 35),
qu’ils sont des chaînons dans la transmission de la doctrine, mais n’en
constituent pas la fin, qu’ils ne sont pas inspirés et exempts d’erreur
(S. th., 2, 2, 12, 2), que, dans la polémique, ils parlent souvent « sans
précaution » et que, par conséquent, il faut les interpréter dans le sens
le meilleur (in partem meliorem). Tout le monde connaît l’interprétation
dogmatique rectificative de S. Augustin
par S. Thomas dans le sens de la
doctrine ecclésiastique de son temps (Cf. Schultes, De Eccles., 692‑704 ; Pie X, Motu proprio « Doctoris angelici » (1914)). Il s’agit de son autorité « en matière de foi et de mœurs ».
1. L’Écriture et la Tradition
sont deux sources propres, juxtaposées de la foi ; on doit les recevoir
avec le même respect.
Cela ne veut pas dire qu’elles
ont un contenu étranger l’une à l’autre ; on affirme seulement leur
existence différente et leur infaillibilité indépendante. Aucune de ces deux
sources n’a besoin de l’appui de l’autre pour établir son caractère de
révélation. Il en résulte que toutes les deux doivent être accueillies avec le
même respect et la même estime. Il en résulte, en outre, que sur chacune des
deux peut se fonder une doctrine catholique de la foi (2 Thess., 2, 14).
2. Cependant l’Écriture conserve,
dans son contenu et sa forme, un avantage sur la Tradition.
Le contenu de l’Écriture est plus
riche, plus précis, plus accessible que celui de la Tradition qui est d’un
caractère plus spirituel, plus général, plus extensible. L’Écriture et la
Tradition se distinguent aussi dans la forme. L’Écriture a été transmise à
l’Église par des organes inspirés et conserve par là la marque permanente de
l’inspiration. La Tradition, par contre, bien que procédant au début de
porteurs inspirés de la Révélation n’a pu se transmettre plus tard qu’avec
l’assistance su Saint‑Esprit.
3. L’une et l’autre contenant une
révélation divine, il faut aussi que dans l’appréciation et l’attestation des
vérités révélées, elles se prêtent un appui mutuel. Dans ce sens, on parle de
la Tradition déclarative et de la
Tradition complétive ou constitutive.
Quand la Tradition est propre à
éclairer l’Écriture, elle s’appelle déclarative. Quand elle enrichit de vérités
entièrement nouvelles le contenu révélé de l’Écriture, elle s’appelle complétive. Parmi ces compléments on
cite : le Canon, l’inspiration, le baptême des enfants, le nombre
septénaire des sacrements ; au sujet de la doctrine de l’ange gardien, du
Purgatoire, de l’Immaculée‑Conception qu’on cite parfois parmi les
compléments traditionnels, cf. les traités ultérieurs. La Tradition complétive est donc peu riche.
4. Ici s’établit la controverse avec les protestants. Ceux‑ci admettent une Tradition déclarative, mais non une Tradition
constitutive. Ils s’opposent à la doctrine catholique en affirmant la clarté, le caractère complet et l’efficacité
de l’Écriture. Dans la réfutation, la théologie catholique doit prendre une
voie moyenne.
a) À la doctrine protestante de la clarté de
l’Écriture nous n’opposons pas une doctrine catholique de son obscurité, pas
plus que nous ne prétendons affirmer la clarté complète de la Tradition.
L’Écriture et la Tradition contiennent l’une et l’autre des mystères
surnaturels (1 Cor., 2, 7 ; Vatic., S. 3‑4) et cela comporte une obscurité
relative chez toutes les deux. Cependant l’esprit vivant de la Tradition, la
conscience qui s’en est transmise depuis les Apôtres indiquent, pour
l’explication de ces mystères (Trinité, Incarnation, Rédemption, etc.) les
points fermes auxquels se réfèrent les textes de l’Écriture. Plusieurs textes
des saints livres ne sont pas tellement clairs qu’on ne puisse pas, avec une
apparence de raison, leur donner une autre interprétation. C’est pourquoi les
Pères, depuis Irénée et Tertullien, exigent qu’on les interprète d’après l’esprit
vivant de la « règle de foi ». Ils insistent sur ce que les
théologiens appellent aujourd’hui « tradition déclarative ».
Par contre, si l’on devait
considérer la Bible comme un livre scellé de sept sceaux, on ne pourrait guère
approuver la lecture privée qui a toujours été en usage, pas plus que son
emploi pratique dans l’enseignement et on n’apprécierait guère le caractère
pédagogique de la Révélation. S. Augustin
dit : « Certaines choses dans la Bible sont si claires qu’elles
demandent plutôt un auditeur qu’un commentateur » (In Joa., 50, 1).
b) La question de la clarté de
l’Écriture est étroitement liée avec celle de son caractère complet. Depuis le
Concile de Trente, on insiste surtout sur la Tradition complétive, parce que
certains théologiens ne croyaient pas pouvoir admettre les prétentions de leurs
adversaires qui voulaient tout prouver par la Bible. Il en est encore de même
aujourd’hui ; mais en fait, la méthode dogmatique consiste à partir de
l’Écriture et à y chercher les germes de la doctrine, quand bien même le terme
du développement se trouve dans la Tradition. De même, les Pères insistaient sur la « tradition déclarative » et
nous rencontrons chez eux, même chez les représentants les plus clairs de la
Tradition, l’affirmation que l’Écriture se suffit à elle‑même. S. Vincent de Lérins demande : « Le Canon de l’écriture
étant complet et suffisant lui seul pour tout, qu’est‑il besoin d’y joindre l’autorité de la tradition Ecclésiastique ? C’est parce que tout le monde
n’explique pas l’Écriture dans un seul et même sens, à cause de sa
profondeur ; mais les mêmes passages reçoivent des uns et des autres
diverses interprétations de sens : autant il y a d’hommes, autant il
serait possible d’en tirer d’explications » (C. 2). La question principale
n’était pas de savoir si l’Écriture était matériellement complète ‑ elle l’était ‑ mais comment on pourrait s’opposer à une fausse interprétation.
Bellarmin lui‑même répond affirmativement, malgré Luther, à la question de savoir si la
Bible contient tous les dogmes. Elle contient, dit‑il, « des choses dans la doctrine de la foi et des mœurs qui sont, pour tous,
absolument nécessaires au salut, comme ce qui
est enseigné dans le symbole des apôtres » (De Verbo Dei, 4, 11, objectio
1, 14). Mais cette affirmation, chez les Pères et les scolastiques, a un sens
positif et non exclusif ; elle ne nie pas l’Église et la Tradition. Au
reste, l’expression « suffisante » est très extensive. Si on
l’applique subjectivement à l’individu, on peut dire d’elle « complète et
suffisante » ; on peut même le dire parfois du contenu d’Hebr., 11,
6. Si on l’applique objectivement à l’ensemble de l’Église, il faut dire
« insuffisante ». L’Écriture est une lettre morte et a besoin d’une
interprétation juste ; elle contient l’enseignement chrétien, mais non
dans sa forme achevée ; elle ne tranche pas elle‑même les controverses qui s’élèvent sur elle et son texte. Dieu nous a fait
dépendre des deux sources : nous n’avons pas à nous demander si une seule
suffit. La Révélation en général nous a été donnée d’une manière positive,
d’après la mesure de la libre volonté divine et non d’après nos besoins
subjectifs de connaissance (Cf. Ex., 33, 13‑23 ; Is., 65, 15 ; 1 Tim., 6, 16). Elle suffit pour notre pèlerinage dans la foi ; le
« suffisant et complet » ne se réalisera pleinement que lorsque le
Seigneur nous montrera son visage (Ex., 33). Au sujet du caractère complet,
ajoutons encore que des documents de l’Écriture et de la Tradition concernant
la révélation ont été entièrement perdus, comme la patrologie le regrette
souvent et comme des textes scripturaires (par ex. : 1 Par., 29, 29 ;
2 Macch., 2, 1 ; 1 Cor., 5, 9 et 15, 7 ; Col., 4, 16 etc.) le
laissent entendre.
c) De même, l’efficacité interne
de l’Écriture peut s’entendre d’une manière vraie et d’une manière fausse.
L’Écriture étant une valeur objective, elle possède, comme tout écrit, une
certaine efficacité ; l’Écriture étant la parole de Dieu, cette efficacité
est bonne, très bonne. La parole de Dieu est « vivante, elle est efficace,
plus acérée qu’aucune épée à deux tranchants ; elle pénètre jusqu’à la
suture de l’âme et de l’esprit, jusque dans les jointures et dans les
moelles » (Hebr., 4, 12). Il serait facile de multiplier de telles
citations et d’en trouver beaucoup de semblables chez les Pères. Il n’est même
pas difficile d’établir d’après les Pères la théorie d’un certain
« spiritus privatus » qui rend plus aisée l’interprétation. Presque
tous demandent, conformément à Matthieu (5, 8), qu’on ait un cœur pur si on
veut voir Dieu dans l’Écriture et S.
Augustin met toute son insistance à affirmer l’existence d’un maître
intérieur à côté du maître extérieur (In Joa., 16, 7).
Mais S. Augustin n’entend
nullement baser son acceptation de l’Évangile sur son jugement privé. On le
voit, c’est encore d’une manière positive, catholique, que les Pères
comprennent le « témoignage divin » dans l’Écriture ; ils ne
entendent pas d’une manière protestante, en opposition avec l’autorité
ecclésiastique. En outre, il ne faut pas trop généraliser le « témoignage
divin », ni l’exagérer. Il est facilement reconnaissable dans les
Évangiles, les Épîtres de S. Paul. Mais, au sujet de S. Paul lui‑même, S. Pierre déclare qu’il est parfois difficile à comprendre. Que faudra‑t‑il dire, alors, du témoignage divin dans les
livres historiques de l’Ancien Testament, dans l’Apocalypse, dans l’Ecclésiaste,
l’Ecclésiastique, Judith, etc ? Ce qui est certain,
c’est que l’efficacité des saints livres est très inégale. Et même quand
cette inégalité serait moindre, comment pourrait‑on être certain, sans l’Église, de la divinité de la Bible et de ses livres ? Et qu’en est‑il, en fait, de ce « témoignage » ? On devrait croire que c’est un esprit d’union (1 Cor., 6, 17 ; Éph., 4, 4 ; Phil., 1, 27, etc.) ; mais en réalité
c’est un esprit de séparation et de division
(1 Cor., 12, 25). Cet esprit ne serait‑il pas souvent l’esprit propre de l’homme, un esprit d’erreur ? (1 Tim., 4, 1). Il ne faut
nullement nier cependant que le seul usage privé de l’Écriture peut de lui‑même conduire à Dieu, quand le chercheur est de bonne foi ; parmi les moyens
extraordinaires, il est sûrement le meilleur et il faut espérer que beaucoup le
trouvent. Mais nous ne reconnaissons pas pour autant le principe de la
« seule Écriture ». Même dans le cas de la bonne foi, si cette bonne
foi est religieuse, elle est poussée à tirer la conséquence et à se soumettre à
l’Église, « car il est impossible que ceux qui aiment Dieu ignorent l’Église,
pour autant qu’elle est connue » (Pascal).
Conclusion pratique. La Tradition
a sa quintessence dans la « règle de foi » ; mais son vêtement
extérieur est variable. Goethe dit que la nature est comme « le vêtement
vivant de la divinité ». On peut dire d’une manière analogue que la
Tradition est le vêtement vivant de l’esprit de foi chrétien. Certaines de ses
formes sont essentielles et nécessaires ; d’autres sont accidentelles et
libres, différentes selon les pays et les temps, les peuples et les individus.
Ces formes accidentelles ne sont imposées à personne. Mais quand l’esprit de
foi de l’Église crée, en son temps, certaines formes dans les usages, la piété
et les pratiques, il est bon que chacun, dans la mesure où son individualisme
peut le supporter, s’attache avec sincérité et ferveur à cet esprit vivant
opérant. C’est ainsi que pense S. Paul ( Rom., 1, 11‑12), la vie chrétienne consiste à s’exhorter mutuellement « par notre foi, la vôtre et la mienne ». Un arbre qui se tient seul
prospère rarement. Il semble qu’aujourd’hui, par défaut d’adhésion complète à la Tradition, le christianisme de plusieurs, même de
chrétiens cultivés, tende vers la décadence. La vie religieuse chrétienne a
toujours été très individuelle (Dieu et l’âme), mais aussi et depuis le
commencement, une vie commune (Église, édification, sacrements). Ce que Dieu a
uni, l’homme ne doit pas le séparer.
A consulter les auteurs de
théologie générale cités plus haut. En outre : Dict. apol., v. Église. Dict.
théol., 3, 636‑676. Bellarmin, De conciliis et Ecclesia. R. Schultes, De Ecclesia cath. (1925), 605 sq. J. Rivière, Le modernisme dans l’Église (1929).
1. Le pouvoir d’enseigner. Le Concile du Vatican enseigne que la foi doit puiser ses vérités dans l’Écriture
et la Tradition ; mais elle ne doit pas le faire directement et immédiatement,
elle doit le faire au moyen d’une institution extérieure : l’Église (S. 3,
c. 3). L’Écriture et la Tradition sont la règle de foi éloignée, l’Église est la règle de foi prochaine.
On exposera plus tard la preuve
de ce dogme dans le Traité de l’Église. Rappelons cependant ici : Matthieu
(28, 19) ; Marc (16, 15) ; Luc (24, 47) ; Jean (21, 15 sq.).
L’inerrance de la parole de Dieu ne comporte pas notre inerrance. Nous ne sommes à l’abri de l’erreur que lorsque
nous recevons la parole de Dieu sans altération et nous la procurer ainsi est
la tâche de l’Église. L’Église de son côté est liée à la Révélation en tant que « règle de foi ».
L’Écriture et l’Église. Luther reprocha à l’Église de revendiquer un
pouvoir sur l’Écriture : « Ils se vantent que le Pape et son Église
sont au‑dessus de la sainte Écriture. Il aurait le pouvoir de
la changer, de la supprimer, de l’interdire, de l’interpréter à sa
guise ». Ce reproche était assurément mal fondé. Seul S. Bernard écrit une fois que l’Église, en tant qu’épouse du
Christ, a le Saint‑Esprit et peut verser dans les
lettres un nouveau sens (M. 183, 94). L’Église elle‑même ne s’est jamais attribué cette autorité et S. Bernard est seul de son avis. — La relation
est plutôt la suivante : L’Église a reçu de Dieu l’Écriture par
l’intermédiaire des Apôtres, elle la transmet et, en vertu du charisme qui lui
a été confié « en matière de foi et de mœurs », elle
l’interprète d’une manière décisive. Elle n’a pas le droit de la négliger,
encore moins de se séparer d’elle. L’Église ne donne pas d’autorité à l’Écriture qui possède son autorité par
l’inspiration, mais elle représente
son autorité auprès des fidèles. Bellarmin :
Seule son « autorité à notre égard »
et non son « autorité en soi »
dépend de l’Église. Et c’est ainsi qu’il faut comprendre S. Augustin : « Je ne croirais pas à l’Évangile si l’autorité
de l’Église ne m’y poussait ». Et quand Calvin enseigne (Inst., 1, 7), en
s’appuyant sur S. Paul (Eph., 2, 20), que l’Église est bâtie sur l’Écriture,
son affirmation n’est vraie que dans le sens de l’« autorité en
soi », dans le sens où l’Église elle‑même ne peut se passer du témoignage de la
Révélation. Il faut dire cependant que, lorsqu’on parle des relations entre
l’Écriture et l’Église, c’est à l’Église qu’on pense le plus souvent à cause de
la « règle de foi » établie par elle. C’est par l’Église que nous
croyons à l’Écriture et c’est par l’Écriture que nous pouvons nous persuader de
la divinité de l’Église. Le point de vue de l’apologétique est le
contraire ; l’apologétique considère d’abord l’Écriture et l’Église du
point de vue purement naturel. L’apologétique prouve que la dogmatique a raison
dans ses exigences de la foi.
2. Dépositaire du pouvoir d’enseigner. L’apostolat fondé par le
Christ, dans son union organique avec la primauté de Pierre, ou, en d’autres
termes, l’ensemble des évêques, en tant que successeurs des Apôtres, en union
avec le Pape, successeur de S. Pierre, constitue la magistère ecclésiastique.
Cette thèse s’établit historiquement
et dogmatiquement, elle est de foi.
On en donnera la preuve dans le traité de l’Église (Cf. Vatic., S. 4, c. 1‑4).
Le pouvoir d’enseignement a son
point culminant dans le Pape ; il ne se confond cependant pas avec la
primauté. Les évêques eux aussi sont dans leur union organique avec le Pape,
bien que ce soit d’une manière subordonnée à lui, de véritables dépositaires de
ce pouvoir. En tant que docteurs envoyés par Dieu (jure divino), ils ont le
droit et le devoir de participer à la tâche du magistère ecclésiastique, de
conserver le « dépôt de la foi », de le transmettre et de le mettre
en valeur. « Quoique individuellement ou réunis en concile particuliers
ils ne jouissent pas de l’infaillibilité dans leur enseignement, les évêques
sont aussi, sous l’autorité du pontife romain, les vrais docteurs et les vrais
maîtres des fidèles confiés à leurs soins » (C. J. C., 1326). La primauté
fonde et garantit l’unité de
l’organisme d’enseignement. Cette unité correspond à son tour à l’unité de
vérité et au but commun qui est de tout réunir en un (Jean., 10 et 17). Il en
résulte pour les membres de l’épiscopat la nécessité de rester en liaison avec
leur chef d’une façon vivante.
« Le Pape, dit Straub, est le seul dépositaire d’une
infaillibilité ecclésiastique immédiate ou indépendante. Le corps des évêques
est sans doute infaillible dans son enseignement et cette infaillibilité, comme
toute véritable infaillibilité, est l’effet elle aussi d’une assistance divine
immédiate, mais elle présuppose la norme infaillible que doit poser le Pape et
elle est, par suite, médiate et subordonnée ». Cette déclaration était
dirigée contre Spaeil qui déclare admissibles trois conceptions : l° Il y
a a deux sujets différents et adéquats de l’infaillibilité, le Pape seul et le
collège des évêques sans le Pape » ; 2° « Deux sujets différents
et inadéquats, le Pape et l’ensemble des évêques avec le Pape » ; 3°
« Un dépositaire unique, le Pape seul ». Les théologiens n’admettent
que la seconde et la troisième conceptions.
Les simples prêtres ne participent pas à ce pouvoir d’enseignement et à
son infaillibilité active. L’opinion
contraire du synode de Pistoïe fut rejetée (Denz., 1510). Le Concile de Trente
n’appelle que les évêques « successeurs des Apôtres » (S. 23, c.
4 ; Denz., 960). Aujourd’hui cependant les évêques exercent surtout leur
ministère d’enseignement par l’intermédiaire des prêtres qui ont reçu mission
d’eux. Il en résulte pour ceux‑ci une haute dignité et une grave responsabilité. On peut admettre que, pour ce
ministère, ils ont reçu dans leur ordination une grâce spéciale ainsi qu’un certain pouvoir d’ailleurs lié. Les protestants objectent le récit d’Eusèbe (H. e., 4,
19) qui raconte que des laïcs
enseignaient même en présence de l’évêque. Cette objection ne prouve rien. Cela
arrive encore souvent aujourd’hui et on trouve en grand nombre des maîtres
laïcs qui enseignent la religion (catéchistes dans les missions, maîtres et
maîtresses dans les écoles, etc.). La prédication permise par l’Église au Moyen‑Âge aux moines laïcs était une prédication morale, une « prédication de pénitence » et non un enseignement de la foi.
3‑ L’infaillibilité est la principale prérogative du magistère
ecclésiastique. Elle est propre à tout le corps enseignant, mais de telle sorte
cependant que l’ensemble de l’épiscopat n’en jouisse que dans son union avec le
principal dépositaire et que chaque membre ne la possède pas pour son propre
compte ; par contre, le Pape la possède pour lui seul, comme charisme
personnel de sa fonction, lorsque, en sa qualité de docteur suprême de la
chrétienté, il prononce du siège apostolique une décision, concernant la
doctrine de la foi et des mœurs, qui doit être obligatoire pour toute l’Église.
L’infaillibilité de l’ensemble de
l’épiscopat a toujours été la foi universelle de l’Église, celle du Pape a été
définie spécialement. Remarquons brièvement ici, au sujet de l’infaillibilité
du Pape, qu’elle ne signifie pas l’intégrité morale, pas même la fermeté
personnelle dans la foi, qu’elle ne s’applique qu’aux actes d’enseignement
donnés ex cathedra et qu’elle se
limite aux doctrines de foi et de mœurs ; elle ne doit pas s’étendre à son
enseignement en général et encore moins à son enseignement privé ; elle ne
s’appuie pas sur une inspiration positive, mais seulement sur une assistance
négative, laquelle, comme le nom (ad‑sistere) l’indique, suppose l’activité humaine de l’étude et de la recherche dans les
sources de la Révélation, ainsi que l’explique clairement le Concile du Vatican
lui‑même (S. 4, c. 4 ; Denz., 1836) : « Car le Saint Esprit n’a pas été promis aux successeurs de Pierre pour qu’ils fassent connaître, sous sa révélation, une
nouvelle doctrine, mais pour qu’avec son assistance ils gardent saintement et
exposent fidèlement la révélation transmise par les Apôtres, c’est‑à‑dire le dépôt de la foi ». L’étude naturelle nécessaire des autres sources de la
foi n’est pas négligée ; nous en
avons pour preuve l’histoire des conciles et pour garantie l’Esprit‑Saint promis à l’Église. Des imperfections
possibles qui peuvent se présenter sont corrigées à un concile suivant. Ces
imperfections ne suppriment pas l’infaillibilité des doctrines réellement définies ; ces
doctrines sont seulement complétées. Remarquons enfin qu’il n’y a qu’une infaillibilité, bien qu’elle se
manifeste de plusieurs manières. Ceci est tout au moins indiqué par le Concile
du Vatican (le Pontife romain… jouit… de cette infaillibilité) (Denz., 1839).
4. Les formes d’enseignement sont au nombre de deux : la forme solennelle et la forme ordinaire et universelle (S. 3, c. 3 ; Denz., 1792). La forme solennelle
est exercée aux conciles généraux, à l’occasion des controverses sur la
foi ; le magistère les tranche judiciairement ; ses membres sont ici
des juges en matière de foi. C’est le
plus solennel exercice du pouvoir d’enseignement, qui n’admet pas de délégation.
La seconde forme solennelle comprend les décisions ex cathedra du Pape.
L’enseignement ordinaire se fait par les évêques dans
leurs diocèses et cela de multiples façons : dans les enseignements écrits
et oraux adressés aux diocésains, dans la tenue synodes diocésains, dans la
composition ou l’approbation des catéchismes et des livres de religion, dans la
surveillance de l’enseignement religieux. En outre, ce magistère se manifeste
dans la pratique et la surveillance de la pratique ecclésiastique (sacrifice
de la messe, sacrements, prière liturgique).
Les conciles ont toujours eu dans l’Église le prestige d’une autorité
infaillible. Le Pape S. Gélase les nomme immédiatement après l’Écriture (Denz.,
164). Harnack, malgré sa critique, ne
peut nier leur prestige : « Il était fermement établi depuis le 3ème
siècle (ce ne l’était pas depuis les Apôtres, depuis Clément et Ignace) que la
représentation de l’Église se trouvait dans l’épiscopat…, que l’on considérait
les évêques successeurs des Apôtres comme les garants de la légitimité de
l’Église. L’idée que l’évêque, en particulier, est infaillible n’est apparue
nulle part ; par contre, on attribuait déjà aux conciles provinciaux une
certaine inspiration (?)... L’idée d’un concile général est venue d’abord à Constantin
(?) et c’est lui aussi qui a attribué à un tel concile la direction par le
Saint‑Esprit et par suite l’inerrance » (H. des dogmes, 114, 93).
Concernant l’origine, les catholiques invoquent à bon droit le « Concile des
Apôtres » (Act. Ap. 15) et Harnack remarque lui‑même que les conciles qui ont
précédé le concile de Nicée ont « préparé » l’idée d’un concile
général. Le laïc Constantin n’eut donc pas besoin de communiquer cette idée à
l’Église. Elle la connaissait, car elle se connaissait elle‑même et connaissait son pouvoir d’enseignement. Que S. Grégoire de Naz. s’exprime avec
« mépris » au sujet des conciles, cela ne supprime pas la
considération accordée aux conciles généraux. S. Grégoire manifestait
simplement sa mauvaise humeur contre les éternelles discussions des conciles à
propos de l’ὁμοούσιος. Quand S. Augustin dit qu’un concile peut
améliorer un concile antérieur : « Les conciles particuliers qui se
tiennent dans les provinces doivent évidemment céder devant l’autorité des
conciles universels ; ces derniers enfin reçoivent parfois des conciles
postérieurs certains développements à mesure que la vérité se fait jour et se
développe selon le besoin des époques et des siècles » (De bapt. c. Donat.
2, 3, 4), les catholiques n’ont pas besoin, comme le pense Harnack (2, 94),
d’atténuer le sens de cette parole. Au contraire, ils enseignent aujourd’hui
encore la même chose, quand ils disent que les conciles ne reçoivent aucune
inspiration, mais s’appuient sur l’activité naturelle de recherche et que leur
intelligence peut s’accroître par l’« expérience », comme dit S.
Augustin. Ainsi le Concile de Trente put définir ce que le Concile de Vienne
n’avait présenté que comme probable (Denz., 483 et 800). C’est là le progrès
dogmatique que les adversaires eux‑mêmes devraient connaître (Sur le point de vue
canonique, cf. C. J. C. can. 222‑229).
Les conciles particuliers ne sont pas infaillibles et ils ne furent
jamais considérés comme tels, mais ils peuvent recevoir totalement ou en partie
le caractère de l’infaillibilité, quand le magistère ecclésiastique les reçoit,
pratiquement et de fait ou bien formellement dans la foi générale de l’Église
et les fait ainsi entrer en quelque sorte dans le magistère solennel.
Exemples : le 2ème Concile de Méla, le 2ème concile
d’Orange. Mais la simple approbation ordinaire du Pape ne suffit pas pour cela.
Les décisions des Congrégations romaines ont, comme telles, de l’autorité, mais ne sont pas infaillibles ; nous devons nous y
soumettre intérieurement, mais nous pouvons faire des réserves et des
objections, comme en fit avec succès le cardinal Vaughan concernant le
« comma johanneum » déclaré authentique par la Congrégation de
l’Inquisition (13 janvier 1897). La plus importante des Congrégations est celle
du Saint‑Office (elle veille à la doctrine de la
foi et des mœurs, cf. C. J. C., can. 247, 1). Ses décisions doctrinales ne
peuvent pas, d’après leur nature, être infaillibles, pas plus que celles de la Commission biblique ; elles
considèrent moins la vérité spéculative en soi que son caractère de sûreté
(sent. tuta, non tuta), si bien que l’interdiction d’une opinion dit
seulement : « Cette doctrine ne peut pas, dans l’état actuel de la
question, être professée sans danger pour la foi ». Il peut donc se faire
qu’une décision soit retirée, parce que les motifs qu’on lui oppose sont
apparus plus forts (Galilée). Il peut se produire aussi des cas où, « par
suite de motifs nouveaux incontestables et probants en faveur d’une opinion
déclarée non sûre par la
Congrégation, l’assentiment interne réclamé en soi, se réduise pour un savant
spécialiste au silence respectueux ‑ plus tard, un nouvel examen des
motifs par la Congrégation décidera » (Braun, Dict. de la dogmatique, 178 et 272) (Cf. Lamentabili,
Denz., 2007).
Les évêques ne sont pas infaillibles dans leur magistère ordinaire,
mais l’ensemble de l’épiscopat uni à son chef est infaillible. Avec leur chef,
les évêques sont les témoins, transmetteurs de la vérité chrétienne en matière
de foi et de mœurs. Leur enseignement privé, personnel est, par contre,
faillible.
Remarquons, pour conclure, qu’on
peut distinguer une double infaillibilité : L’infaillibilité active du magistère ecclésiastique et
l’infaillibilité passive des fidèles
qui est produite par l’infaillibilité
active. Ainsi normalement toute l’Église est infaillible, car elle est éclairée
et unie par un seul esprit de vérité.
L’unité formelle interne et externe de foi, que ne peut réaliser la seule unité
matérielle de la même confession, est la première et la plus célèbre des notes
de l’Église.
5. Objet et extension de l’infaillibilité. On doit déterminer cet
objet et cette extension d’après le but
que le Christ a assigné à son Église, qui est de conduire tous les peuples à la
vérité qu’il a annoncée et, par là, à la béatitude éternelle. Les vérités
surnaturelles de salut sont donc l’objet de l’infaillibilité. D’une manière
plus spéciale, on peut distinguer un double
objet de l’infaillibilité : l’objet direct
proprement dit et l’objet indirect ou
bien les dogmes proprement dits et les vérités catholiques. Par rapport aux
dogmes cette thèse est de foi, par rapport aux vérités catholiques elle n’est
que certaine. Les dogmes doivent être
crus d’une foi divine, les vérités catholiques d’une foi ecclésiastique.
« La Foi ecclésiastique » ‑ le terme apparaît à Paris en 1650 – est l’« assentiment » par lequel nous adhérons au jugement de l’Église infaillible sur les choses « liées à ce qui est révélé ». La « raison formelle » de cet « assentiment » est donc l’infaillibilité de
l’Église. La « foi divine et ecclésiastique » se distingue donc de la
« foi ecclésiastique » en ce que la première a pour objet les choses
« révélées par Dieu » et la seconde ce qui est « lié à ce qui est
révélé » ; ces deux espèces de foi se distinguent, en outre, en ce
que la première s’appuie sur l’« autorité de Dieu qui se révèle » et
la seconde sur l’autorité de l’Église. Elles se distinguent donc matériellement
et formellement. A propos d’une opinion plus rigoureuse qui ne veut faire ici
aucune distinction, cf. Schultes, De Eccl., 514 sq. L’Église doit annoncer et
défendre les vérités surnaturelles ; pour être en état de le faire
parfaitement, il faut qu’elle puisse reconnaître tout ce qui s’y oppose et tout
ce qui s’en écarte, par conséquent l’hérésie et l’erreur. Le Saint‑Esprit doit la conduire en « toute vérité » (Jean, 16, 13). Concernant la philosophie,
ceci est affirmé dans l’Écriture (1 Tim., 6, 20 ; Col., 2, 8 ; Eph., 4, 14). Cf. aussi Pie IX,
Syllabus (Denz., 1722) et le Concile
du Vatican (S. 3, c. 4) : « l’Église, qui a reçu, avec la mission
apostolique d’enseigner, le mandat de garder le dépôt de la foi, tient aussi de Dieu le droit et la charge de
proscrire la fausse science, afin que nul ne soit trompé par la philosophie et
la vaine sophistique ». De plus (can. 2) : « Si quelqu’un dit
que les sciences humaines doivent être traitées avec une telle liberté que l’on
puisse tenir pour vraies leurs assertions, quand même elles seraient contraires
à la doctrine révélée, et que l’Église ne peut les proscrire, qu’il soit
anathème ». (Cf. Denz., 1820).
Pour ce qui est du domaine indirect, les théologiens affirment,
avec un assez grand accord, que l’infaillibilité de l’Église porte sur la canonisation des saints, l’approbation des Ordres religieux et les
prescriptions générales de discipline
ecclésiastique.
Il est facile de dirimer la
controverse sur les deux derniers points. L’Église enseignant d’une manière
sûre la morale chrétienne, elle reconnaît aussi facilement si des règles d’Ordre
religieux qui lui sont soumises sont conformes ou non à cette morale. Elle
n’est pas infaillible concernant l’opportunité extérieure de ces règles, c’est pourquoi elle pourrait
prononcer plus tard un autre jugement. L’Église ne peut se tromper non plus
dans ses décisions sur le culte, les dévotions, les livres liturgiques, les
obligations spéciales de certains états (célibat, bréviaire), pas plus que dans
ses prescriptions disciplinaires générales (précepte du jeûne, repos dominical,
institution et suppression des jours de fêtes). Il est impossible que, dans ce
domaine, l’Église fasse une ordonnance ou donne une approbation qui contredise
la loi morale. Par contre, son jugement sur l’opportunité n’est pas
infaillible. L’Église ne peut pas non plus se tromper dans les formules dogmatiques de ses décisions
solennelles sur la foi. Le contenu objectif de ces formules est une vérité
immuable. Par contre, il peut arriver que l’Église crée, à un autre moment, des
formules encore meilleures, plus compréhensives, plus efficaces pour le vérités
définies. La décision à ce sujet appartient, bien entendu, au magistère
ecclésiastique. On trouve de nombreux exemples de ces modifications de formules
dogmatiques dans les symboles et les définitions des conciles. Que l’on
considère les formules du Concile de Chalcédoine à côté de de celles du Concile
d’Éphèse, le symbole des Apôtres à côté de celui de S. Athanase.
La question de l’infaillibilité
dans la canonisation est historique
et théologique. Les premiers saints furent, en dehors des Apôtres et des
Prophètes, les martyrs dont les noms étaient inscrits par l’évêque sur la liste
des martyrs reconnus par l’Église. Dans le jugement qui déterminait cette
inscription, on considérait la vie antérieure et on n’inscrivait pas n’importe
qui. Au sujet des trois premiers siècles, le protestant H. Achelis dit que les évêques exerçaient un contrôle sévère et
n’admettaient pas de faux martyrs (Le
christianisme dans les trois premiers siècles, 2, 356). Plus tard
s’ajoutèrent aux saints martyrs les saints « confesseurs » :
d’abord S. Antoine, S. Paul, S. Athanase, S. Éphrem, S. Martin de Tours. Il
était plus facile de constater le martyre que la sainteté des confesseurs. Pour
ces derniers, le peuple prenait part au jugement et l’évêque prononçant en
dernier ressort sur l’admission dans les diptyques.
Au sujet de la « vision
bienheureuse » des non martyrs, Benoît XII prononça le premier un jugement
définitif en 1336 (Denz., 530) (Cf. l’eschatologie). Le culte des saints passait d’un diocèse à
l’autre et se généralisait ainsi dans toute l’Église.
A partir de l’an 1000, l’Église
s’efforça de régler peu à peu, au moyen de formules fixes, le culte des
saints, mais elle n’y réussit définitivement que vers l’an 1600. Enfin, à
l’époque du Concile de Trente, Thomas
Badis, maître du Sacré Palais, soutint contre Ambroise Catharin que l’Église pouvait se tromper dans l’honneur
rendu aux saints. D’après lui, le devoir de la foi était de croire à la gloire
des saints en général, mais non dans chaque cas particulier : il fallait
distinguer entre « credere ex
pietate » et « credere ex
necessitate fidei ». L’Église dans la canonisation ne peut pas
s’appuyer sur la Révélation, mais seulement sur les témoignages humains
concernant la vie et les miracles, témoignages examinés avec soin. Ce jugement de l’Église est considéré
aujourd’hui par la quasi‑unanimité des théologiens
comme infaillible, mais la thèse même de l’infaillibilité de l’Église dans ce cas comporte des degrés. Pesch dit que, d’après certains, c’est une « sententia
pia » et que, pour d’autres comme Benoit XIV, elle est « de
foi ». Lui‑même se prononce pour la note « theologice certa » (théologiquement certain). On peut
voir dans cette opinion la voie moyenne et l’adopter.
Les difficultés qui se présentent
ici sont les suivantes : D’abord il n’est pas absolument clair que
l’Église veuille définir le fait que le saint en question est parvenu à
la vision béatifique. Ensuite le jugement de
l’Église pourrait ne s’appliquer qu’au petit nombre des saints canonisés
par le magistère ecclésiastique et non au grand nombre de ceux qui, avant
l’introduction de la pratique de la canonisation solennelle, ont été déclarés
saints par les évêques particuliers, par les ordres religieux et peu à peu ont
été reconnus généralement, sans qu’on ait examiné de près les raisons en faveur
de leur sainteté. Enfin ‑ et c’est là la difficulté principale – il est impossible, sans révélation divine, d’acquérir une certitude de foi sur l’état de grâce d’un homme (Trid., S. 6, c. 2). Il
faut ajouter que l’Église, depuis la mort des Apôtres, ne reçoit plus aucune
révélation destinée à l’Église entière. Dans la révélation close avec les
Apôtres se trouve bien la promesse générale de la vie éternelle aux élus, mais
cette vie éternelle n’est pas attribuée d’une façon définitive à chaque personne concrète honorée comme sainte
par l’Église. La prédestination est un mystère impénétrable. Dans les
recherches sur la vie des saints, l’Église ne s’appuie par sur un témoignage divin, mais sur des renseignements
humains et des données naturelles qui peuvent toujours être subjectifs. Les
saints ont pu recevoir de Dieu de nombreux témoignages par le moyen des
miracles, mais ces miracles, pas plus que la canonisation elle‑même, ne sont en relation interne
directe avec les vérités révélées. Ajoutons que ces miracles eux‑mêmes, en tant que faits
surnaturels, ne peuvent être reconnus que par ceux qui y croient, mais cette foi n’est pas obligatoire. L’ancienne controverse où l’on se demandait si l’on pouvait prouver un dogme par
un miracle devenu notoire dans l’Église a été tranchée théologiquement d’une
manière négative. Il est difficile de réfuter ces arguments quand on les
examine sérieusement. Quand Eusèbe Amort écrit « le caractère douteux de la
révélation est levé par les miracles indubitables », il ne maintient pas dans sa
proposition la notion stricte de Révélation.
On ne devra donc pas parler de la plus haute certitude dogmatique.
C’est ainsi que juge Scheid dans un
article de la Revue d’Innsbruck (1890) : L’infaillibilité du Pape dans la
canonisation des saints. « La difficulté de la question consiste à trouver
une preuve vraiment satisfaisante de l’infaillibilité dans la canonisation dont
on affirme l’existence. La canonisation se trouve justement à l’extrême limite
du domaine des décisions infaillibles. Il n’est donc pas facile d’établir,
d’une manière claire et probante, que la canonisation, dans toute son étendue,
rentre encore dans les attributions de l’infaillibilité de l’Église » (p.
509). Le plus souvent, à la suite de Melchior Cano, on renonce aux arguments
particuliers et péremptoires et on s’appuie sur le « faisceau
d’arguments », le nombre devant suppléer, de quelque façon, à la faiblesse
de chaque argument. Scheid lui‑même s’efforce en plus de montrer que l’Église veut
obliger tous les fidèles à croire à la canonisation. Assurément une déclaration
de l’Église disant que telle est sa volonté serait beaucoup plus sûre.
Néanmoins, le jugement de l’Église sur la sainteté d’un mort mérite, sans aucun
doute, une grande considération, tant en raison de son autorité infaillible que
de la manière sévère et minutieuse dont elle examine les titres à la
canonisation. Mais en tout cas, les actes de canonisation ne peuvent être acceptés
qu’avec une foi générale ecclésiastique et non avec une foi divine. Le fidèle
ne fait sans doute pas un acte de foi spécial à la canonisation, mais il y
croit par un acte de foi général, l’acte par lequel il accepte dans son
ensemble le culte de l’Église. Si dans le rang des saints, il se présente
parfois un « faux » saint comme Barlaam et Josaphat, le culte relatif
qui lui est rendu tend finalement à Dieu. Un roi est honoré dans un faux
ambassadeur, Dieu aussi dans un faux saint (Cf. C. J. C., 1999‑2141).
6. Les sources des décisions doctrinales de l’Église sont
particulièrement les symboles de la foi et les collections des définitions
dogmatiques de l’Église.
Les symboles de foi (symbolum
fidei, σύμβολον) sont des résumés des
vérités de la foi. Les définitions dogmatiques de l’Église (conciles, sentences
ex cathedra) tendent à expliquer les
vérités particulières. Dans ces définitions l’Église n’est pas liée à une
forme déterminée ; elle peut donner ses décisions dans des constitutions,
des décrets, des chapitres et des canons. Mais la forme doit indiquer qu’une
définition concernant la foi a été portée (dogma catholicum, dogma fidei,
doctrina de fide tenenda, doctrine revelata, doctr. in Sacra Scriptura
contenta, etc). Les formules les plus claires sont les canons. Les explications
et les considérants ne font pas partie strictement de la définition
dogmatique. Il faut cependant tenir compte de ces explications et des
considérants, surtout des derniers, particulièrement quand ils sont introduits
dans la définition, comme cela, par exemple, s’est fait plusieurs fois au
Concile de Trente (Cf. M. Cano, De locis theologicis, 5, 5, 4 ; Straub, De
Ecclesia, 2, l92).
Des collections de conciles ont été publiées entre autres par Hardouin (Paris, 1714) ; on trouve
de nouveaux conciles dans la « collectio Lacensis » (1870) ; une
collection plus complète, mais moins correcte, allant jusqu’à 1439, a été
publiée par Mansi et continuée depuis 1900 par Martin. On connaît aussi l’histoire
des conciles d’Héfélé continuée par
Hergenroether. Pour l’usage ordinaire, il est indispensable d’avoir
l’« Enchiridion Symbolorum » de Denzinger,
13è édition de Bannwart. Le « Catechismus Romanus », de
tendance strictement thomiste, fut édité sur l’ordre du Concile de Trente sous
la surveillance de S. Charles Borromée. Il a un grand poids mais n’est pas
décisif.
Conclusion pratique. L’infaillibilité de l’Église n’est autre
chose que la conséquence objective de sa possession de la vérité. Une vérité
qui ne donne pas la certitude n’est pas une vérité et ne mérite pas de
confiance. On se réfère à la facilité
qu’ont tous les hommes à se tromper et on trouve que l’infaillibilité de
l’Église constitue une exception choquante et incompréhensible. Mais c’est justement
parce que les hommes ont une tendance générale à se tromper que Dieu a voulu
garantir sa Révélation d’erreur, tant dans sa première apparition dans le monde
que dans la longue voie qui la conduit à chaque fidèle. Si Dieu se révèle, il
doit prendre soin que sa vérité demeure vérité. C’est pourquoi le Christ a dit
que le ciel et la terre passeraient, mais que ses paroles ne passeraient pas.
Il a promis la même immutabilité à son Église. La parole et l’Église, la
Révélation et son interprétation par l’Église sont permanentes, immuables, à l’abri
de l’erreur. L’infaillibilité est le phare brillant qui attire à lui tous ceux
qui cherchent vraiment la vérité. Elle est, pour la plupart des convertis, la
porte brillante qui les conduit à l’Église de Dieu. Maintenant nous comprenons
S. Paul : Être dans l’Église signifie pour lui s’appuyer sur la colonne et
la base de la vérité (1 Tim., 3, 15), être en dehors de l’Église c’est pour lui
« être ballotté par tout vent de doctrine à travers la méchanceté des
hommes » (Éph., 4, 14). Voici ce qu’il peut attendre des chrétiens :
« Tenez‑vous fermes, mes Frères, et attachez‑vous aux traditions » (2 Thess., 2, 14) ; elles sont bien fondées.
À consulter : Montagne, De censuris. Migne, Cursus compl., 1, 1154. Cano, De locis theologicis libr. 12, c.
9 sq. Franzelin, De div. Trad. thes.
l2.
1. Degrés de certitude théologique. La comparaison entre les dogmes
stricts et les vérités catholiques nous montre que tout ce que l’Église nous
enseigne n’appartient pas au même ordre, n’est pas garanti par la même autorité
et n’est pas cru avec le même assentiment de foi (Cf. § 2 et 3).
Le plus haut degré de certitude
est produit par les vérités révélées.
Le fidèle, en les acceptant, s’appuie immédiatement sur l’autorité de Dieu. Le
fait qu’elles sont contenues dans la Révélation lui est garanti par l’Église,
laquelle propose ces vérités à tous les fidèles, de telle sorte que tous ont
une seule foi commune. Cette foi est la foi divine et catholique (fides divina
et catholica). Les dogmes eux‑mêmes sont « de fide » [de foi] ou « de fide catholica » [de foi catholique]. Quand ils
sont promulgués solennellement, ils sont « de fide definita », « propositiones de fide »,
« veritates definitae » [de foi définie, propositions de foi, vérités
définies].
Les vérités catholiques sont acceptées sur l’autorité de l’Église
seule, laquelle en les proclamant s’appuie sur des motifs surnaturels et
naturels. Elles sont crues de la foi ecclésiastique. Il est vrai que là aussi
la sûreté exclut également le doute, est infaillible. Aussi l’opinion qui se fit jour au
temps de la querelle des jansénistes, d’après laquelle on ne devait à l’Église
sur ce point que la soumission extérieure (silentium obsequiosum) et non la
soumission intérieure, est à rejeter. Relativement aux faits dogmatiques, cela
a été déclaré expressément par Clément XI (Denz., 1350). Néanmoins, dans les deux cas [celui des
vérités révélées et celui des vérités catholiques], le motif de certitude est différent. Les vérités catholiques ne sont
garanties par l’infaillibilité qu’en vertu d’un motif externe, indirectement et d’une manière participative ; elles
ne le sont pas intérieurement et « principaliter » [principalement]
comme les vérités révélées.
C’est pourquoi il est impossible
d’admettre avec [Francisco] Suarez [1548‑1617 ; jésuite de l’École de Salamanque] et [Juan de] Lugo [y de
Quiroga] [1583‑1660 ; jésuite, cardinal] que les conclusions théologiques, par suite d’une proclamation formelle de
la part du magistère ecclésiastique, recevraient le caractère de dogmes
révélés. Le caractère objectif de vérité ne peut être que déclaré par
l’Église ; il ne peut pas être créé. Le magistère de l’Église est
subordonné à la vérité, la vérité ne lui est pas subordonnée. Ainsi pensent les
thomistes.
On parle ensuite de propositions
théologiques qui sont proches de la foi
(sententia fidei proxima), quand il n’est pas encore établi complètement
qu’elles sont contenues dans la Révélation surnaturelle ou proclamées par
l’Église d’une manière vraiment universelle. Des conclusions théologiques qui,
comme on vient de l’expliquer, sont intérieurement connexes à la foi, on dit
qu’elles sont garanties dans et avec la foi (sententia ad fidem spectans,
s[ententia] fide certa, theologice certa) [proposition visant la foi,
proposition de foi certaine, théologiquement certaine].
D’une nature assez subjective
sont les jugements théologiques privés
sur des vérités, quand ils sont présentés comme « probables », comme
des « opinions théologiques » (sententia probabilis, opinio
theologica) [proposition probable, opinion théologique], comme des vues bien
fondées (s[ententia] bene fundata), comme des opinions pieuses ou des croyances
pieuses (s[ententia] pia). On parle aussi des opinions « libres »
(s[ententiae] liberae disputationis) [propositions en libre discussion], les
propositions « tolérées » (s[ententia] tolerata), ainsi appelées
parce que, tout en ne s’appuyant que sur des arguments faibles, elles ne sont
pas réprouvées par l’Église.
2. Censures théologiques. Les propositions qui s’écartent d’un dogme
ou d’une doctrine de l’Église sont caractérisées par un jugement ecclésiastique
de blâme ou de réprobation qu’on appelle censure théologique (nota ou censura
theologica).
Quand une proposition contredit
directement un dogme proprement dit, la censure théologique la qualifie d’hérésie (propositio ou sententia
haeretica). On distingue entre l’hérésie formelle
et l’hérésie matérielle selon qu’elle
s’oppose à un dogme formel ou à un dogme matériel (p. 25). La théologie morale
comprend cette expression dans un autre sens. Quand l’opinion réprouvée
concerne une vérité catholique, la censure la qualifie d’erreur
(sententia erronea, error in fide, error catholicus). La « sententia
hæresi proxima, hæresim sapiens » est opposée à la « sententia fidei
proxima ». L’hérésie a sa base dans une volonté mauvaise ; l’erreur
dans une intelligence faible.
Remarquons que la censure doctrinale théologique, dont il
est question ici, ne doit pas être confondue avec la censure pénale ecclésiastique (censura disciplinaris) qui est
prononcée contre ceux violent les lois
ecclésiastiques, l’excommunication, la suspense, l’interdit (C. J. C., can.
2241 sq.).
Les autres censures sont moins
importantes et s’expliquent d’elles‑mêmes (sententia temeraria, s. falsa
(historiquement fausse), s. male sonans, s. captiosa, s. piarum aurium
offensiva, s. scandalosa, etc). Il est d’une importance décisive que les censures soient
prononcées par le magistère ecclésiastique. Quand elles sont prononcées par un
institut scientifique (universités, écoles monastiques), on les appelle
censures doctrinales (c. doctrinalis). Un certain prestige s’attachait, au
Moyen‑Âge, à la Sorbonne
de Paris, mais elle le devait à l’approbation générale de l’Église et non à
elle‑même.
Mais dans les censures officielles elles‑mêmes, il peut y avoir des degrés. Elles peuvent être infligées par le magistère infaillible lui‑même, soit par le Pape, soit par un
concile général. Dans ce cas, c’est un jugement
infaillible de foi qui est prononcé. On trouve alors l’expression exacte de
la doctrine positive en prenant la contradictoire
de la proposition condamnée. La proposition censurée peut être rédigée sous
forme de négation ou d’affirmation. Alors on trouve la doctrine de l’Église,
dans le premier cas, en affirmant et, dans le second cas, en niant la
proposition en question.
Les censures théologiques sont
essentiellement différentes, quand elles ne sont pas infligées par le
magistère infaillible lui‑même, mais par des organes qui le suppléent, par ex. : par des conciles provinciaux,
des évêques, des congrégations romaines (Congregatio S. Oficii), ou bien encore par des
commissions établies spécialement pour examiner des
questions théologiques. Ces décisions ne sont pas irrévocables ; elles peuvent
au contraire être objectivement fausses. Cependant elles valent, provisoirement
au moins, comme des règles disciplinaires ecclésiastiques auxquelles
l’intéressé doit se soumettre. Les propositions censurées ne peuvent plus être
enseignées ni défendues. Au reste, il est bien entendu que l’auteur censuré
« dans la mesure où le caractère erroné
du jugement en question n’est pas évident »,
doit donner son assentiment de foi interne. Quand la contradiction avec la
doctrine de l’Église ne peut être établie clairement, l’auteur peut, d’une
manière modeste et privatim, faire valoir ses raisons auprès de l’autorité
compétente, mais il doit être prêt à se soumettre au jugement définitif.
La forme de la censure n’est pas toujours également claire. Elle
atteint la plus grande précision quand la proposition condamnée est reproduite
textuellement ou en terme équivalent et marquée de la note méritée (damnatio
categorica, specialis). Mais la précision est moins grande quand plusieurs
propositions sont réunies et frappées de différentes censures dont chacune doit
atteindre une des propositions, sans qu’on sache bien cependant quelle
proposition mérite telle censure (d. in globo).
L’histoire nous montre pour la première fois les censures dans la
condamnation par l’Église des fausses doctrines d’Eckhart (1329). De ses 28 propositions incriminées, les 15
premières et les 2 dernières furent qualifiées d’« articuli
hæretici » et les autres furent déclarées « male sonantes, temerarii
et suspecti de hæresi » (Denz., 501‑529). Le Concile de Constance,
dans la condamnation de 45 propositions de Wiclef
et de 30 de Huss, a ajouté de
nouvelles censures (7). (Denz., 581‑625 et 627‑656). Pie V (1567) emploie, dans la condamnation de 79
propositions de Baïus, 6 censures
différentes (Denz., 1001 sq. ; Dict. théol., 2, 64‑110). Innocent X (1653) emploie 9 censures différentes dans la condamnation des 5
propositions de Jansénius (Denz.,
1092 sq.). Viennent plus tard (1687) les censures de 68 propositions de Molinos par Alexandre VIII (Denz., 1221
sq.) et (1690) de 33 erreurs jansénistes et baïanistes (Denz., 1289 sq.), et enfin
(1794) de 98 propositions du Synode de Pistoïe
par Pie VI (Denz., 1501 sq.). En faisant le compte des différentes censures
employées dans les documents cités, on arrive à la somme d’environ vingt‑huit, mais les plus importantes sont
celles que nous avons nommées ci‑dessus.
La mise à l’Index est une mesure purement disciplinaire qui ne contient
aucunement un jugement de foi. On ne peut tirer qu’une conclusion de cette
mesure : c’est que le livre mis à l’Index est de quelque manière opposé a la foi ou aux mœurs, ou dangereux pour
la foi ou les mœurs, ou bien qu’il peut le devenir pour les gens moins instruits.
Le droit qu’a l’Église d’établir un
Index ressort logiquement de son pouvoir d’enseignement tel que nous l’avons
établi plus haut. Sa nécessité
résultait du danger que la diffusion de mauvais livres, par suite de invention
de l’imprimerie, faisait courir à la foi et aux mœurs.
Bien entendu il peut se faire,
dans ce cas, que l’on signale le caractère anti‑dogmatique ou anticatholique du
livre, ou de quelques‑unes de ses propositions et qu’on le frappe de censures déterminées. On se trouve alors en présence d’une censure expresse et d’un jugement précis de l’Église sur la foi.
Il arrive que l’Église protège la doctrine de particuliers ou
d’écoles entières contre les censures privées au moyen d’une interdiction. Il
n’y a pas là de jugement positif sur la foi, mais un avertissement qui doit
prémunir contre le zèle théologique outré et le manque de charité fraternelle.
La doctrine en question est « liberae disputationis ».
Les protestants, étant donné leur principe du libre examen et de leur
adogmatisme, ne peuvent comprendre la manière d’agir de l’Église dans ses
censures doctrinales et l’Index ; ils ne comprennent pas davantage qu’on
fasse précéder les écrits théologiques de l’imprimatur. Ils savent pourtant,
comme historiens de la théologie, que les Juifs déjà avaient leur excommunication (cherem) et que S. Paul
se sert de l’anathème (1 Cor., 12, 3 ; 16, 22. Gal., 1, 8 sq. Rom., 9, 3).
La conséquence de leur liberté de doctrine est la confusion actuelle de leur
théologie qui en fait une véritable Babel. La liberté de doctrine dans l’Église
catholique est limitée par l’engagement que prennent les prêtres et les
professeurs ecclésiastiques, en faisant la « professio fidei », de
maintenir l’unité de la foi et de la vie de l’Église.
Le jugement de l’hérésie dans le christianisme primitif. Les protestants (Harnack, 14‑439) affirment volontiers que l’Église primitive montrait beaucoup de tolérance envers les hérésies, comme si elle n’avait pas connu son
dogme proprement dit, ou bien comme si elle n’en possédait pas encore. A cette
affirmation s’oppose toute une série de témoignages où l’on voit l’Église
mettre en garde avec insistance contre les hérésies (gnosticisme, judaïsme). On
en a la preuve dans : S. Paul (Col., 2, 4‑23 (philosophie). Éph., 4, 13 sq. (« vent de doctrine » opposé à l’unité de l’Église). 1 Tim., 1, 4, 7 ; 6, 20. 2 Tim., 2, 18 ; 4, 4. Tit., 1, 10, 14 ; 3, 9 sq. : ἄνθρωπος
αἱρετιϰός. 2 Pier., 2 :
ψευδοδιδάσϰαλοι),
les deux Épîtres de S. Pierre, l’Épître de S. Jude et tous les écrits de S.
Jean (Ex. : 1 Jean, 2, 26, etc.). Pour l’époque postapostolique, on a le
témoignage : de S. Ignace (Smyrn., 2, 4, 6, 2. Trall., 10, 11 ;
Philad., 6, 1 ; 8, 2. Mag., 8, 1 ; 10, 3), Barnabé (Ep., 19,
12 : Schisma), de la Didachè (11, 2 : ἄλλην
διδαϰήν), d’Hermas (Vis., 3, 6, 3 ; 3,
7, 1. Sim., 8, 9, 4 ; 9, 1, 7 ; 9, 8, 1 : Schisma), de S.
Clément (1 Cor., 2, 6 ; 46, 9 ; 49, 5 : Schisma). Alors même que
l’Église primitive, dans les premiers siècles, ne pouvait pas encore tenir des
conciles généraux pour se défendre, elle opposait cependant aux hérésies le
« dogma » ou « kerygma » conservé et annoncé avec une unité
et un accord complets et qui était familier à ceux qui avaient reçu l’instruction
baptismale. Et la force de ce canon de la foi était encore alors une protection
efficace et suffisante pour assurer et garder ceux qui étaient de bonne
volonté.
A consulter : Bainvel, La foi et l’acte de foi (1908).
Gardeil, La crédibilité et
l’apologétique (1908). Pesch., Præl.
dogm, 8, 126 sq.
Si la Révélation est la parole de
Dieu à l’humanité, la foi est la réponse de l’homme. La foi saisit, affirme
subjectivement la vérité que Dieu nous présente objectivement. Cette foi est,
comme on l’établira plus tard, un acte surnaturel. Mais la surnature présuppose
généralement la nature. Et ainsi la foi elle‑même est précédée d’une activité de raison naturelle ; elle a des « préambules ». Avant la foi se place une connaissance de l’existence de Dieu et de sa Révélation. Avant d’être convaincu d’une manière ou d’une autre que Dieu existe et qu’il a parlé, on ne peut pas croire à ce qu’il a dit. Le Concile du
Vatican dit que « l’assentiment de la foi n’est nullement un mouvement
aveugle de l’esprit », mais qu’il est au contraire « un assentiment
véritablement rationnel » (Rom.,
12, 1). Le fidèle ne peut pas arriver à la foi par la raison, mais il
peut se convaincre qu’il est raisonnable
de croire les mystères. Dans ce sens, le Concile du Vatican
dit : « La droite raison démontre les fondements de la foi ». Le
Concile indique ensuite par quelle voie
on doit arriver à cette conviction. Cela se fait par l’examen rationnel des
témoignages et des signes en faveur du fait de l’existence de Dieu et de celui
de la Révélation. La théologie appelle ces signes « motifs de crédibilité » (Ps. 92, 5) (et non motifs de foi). Le
Concile du Vatican a défini : « Si quelqu’un dit que la
révélation divine ne peut devenir croyable par des signes extérieurs, et que, par conséquent, les hommes ne peuvent être
amenés à la foi que par la seule expérience intérieure de chacun d’eux, ou par
l’inspiration privée : qu’il soit anathème » (Denz., 1812). Le
Concile appelle ces signes : « des signes certains et à la portée de
toutes les intelligences ». Les motifs internes
(les raisons du cœur), de l’expérience religieuse particulière ne sont pas
niés, mais étant différents selon l’âge, la culture, le sexe, les besoins et
l’expérience, ils ne sont pas saisissables. C’est pourquoi le Concile se borne
aux motifs externes : les miracles, les prophéties, l’existence, la durée
et l’action de l’Église (S. 3, c. 3).
Science ou foi naturelle des « préambules de la
foi » ? Il n’est pas nécessaire, et l’Église ne l’exige pas, que chaque fidèle
parvienne par des recherches personnelles
à se convaincre de l’existence de Dieu et de sa Révélation ; il peut, au contraire, recevoir d’autrui
(de l’Église), par une foi naturelle, ces deux vérités de raison et passer
ensuite à la foi surnaturelle. C’est sans doute le cas pour les fidèles
les plus simples, et même pour la plupart, et cela pour les deux vérités qui
sont connexes, la seconde dépendant de la première. On dira donc :
Personne ne peut croire avant de savoir
d’un manière ou d’une autre que Dieu a parlé. L’Église, au reste, n’exige pas
de chaque converti une telle science personnelle avant la foi, elle se contente
de l’acceptation de ces deux faits sur lesquels est bâtie la foi, mais elle
maintient en principe la possibilité
d’une preuve rationnelle tout en laissant la réalité pratique suivre sa propre voie (Cf. S. th., 2, 2, 1, 4 ad 2
et 5 corp.).
Il y a deux jugements dont le fidèle doit se rendre compte
auparavant, d’une manière ou d’une autre : la vérité divine est croyable
(judicium credibilitatis) et elle doit être crue (judicium credentitatis).
Quelle est la certitude de ces deux
jugements ? La réponse varie. Les uns parlent d’une « evidentia
credibilitatis » (qu’il ne faut pas entendre comme « evidentia fidei »
ou « mysteriis » = rationalisme) ; d’autres parlent d’une
certitude morale ; Mausbach cite Newman
d’après lequel il suffit d’une « somme de probabilités » et
ajoute : « L’intention
expresse de Pie X n’a été que de condamner la déformation moderniste de cette
pensée (Lament., 25). D’après S. Thomas (Quodlib., 2 ad 6), le Christ lui‑même a agi d’une manière décisive sur la foi de ses
auditeurs, non seulement par ses miracles, mais encore par l’impression que faisait sa prédication, l’attrait intime de sa personne, la
miséricorde qu’il témoignait aux pécheurs. Combien de conversions à
la foi ont été opérées par des motifs personnels saisissants, par l’héroïsme
d’un martyr, l’impression que produit le culte catholique, la parole et
l’exemple d’un seul missionnaire ! » (Relig., Christianisme, Église,
1, 100). Néanmoins tout théologien doit avouer que les chrétiens croyants eux‑mêmes sont fortifiés dans leur foi par la discussion des motifs de
crédibilité, surtout à notre époque où l’on parle et où l’on écrit tant contre
la valeur de la foi.
La volonté elle‑même, et non seulement l’intelligence, joue un
rôle important dans l’examen des motifs de crédibilité.
La volonté doit faire disparaître
les obstacles naturels, la paresse et la légèreté, l’orgueil et l’esprit
mondain, la passion et l’immoralité qui s’opposent au travail sérieux du
commencement de la foi. Même dans l’examen
de ces motifs, sa collaboration est puissante, car l’intelligence ne mènera pas
à bout son travail sérieux et pénible sans la décision de la volonté.
L’ensemble de ce travail est déjà si important que les théologiens considèrent
d’ordinaire comme nécessaire le secours d’une grâce médicinale (gratia
medicinalis). Par contre, il est défini que la « pieuse inclination
de la volonté à la foi » (pius credulitatis affectus), qui vient en
dernier lieu, ne peut se produire qu’avec la grâce élevante (gratia elevans)
(Denz., 178).
La preuve que l’homme doit examiner les motifs de crédibilité et
préparer rationnellement l’acte de foi peut se tirer de l’Écriture et de la
Tradition. Déjà dans l’Ancien Testament
les porteurs de la Révélation étaient accrédités par Dieu au moyen de signes
extérieurs. On devait se protéger contre les « faux prophètes » en
observant leur conduite (Dt. 13 ; Math., 7, l5‑22 ; Didachè, 11). Le Christ se montre favorable à la « recherche dans
l’Écriture » de la preuve par la prophétie (Jean, 5, 39) ; il invite
à faire l’épreuve de sa doctrine, dans sa conduite (Jean, 7, 17). Ses
« œuvres » doivent rendre témoignage de sa « doctrine »
(Jean, 10, 37‑38). Ses disciples aussi reçurent de lui le don des miracles
qui devaient leur servir à donner plus de force à leurs paroles. S. Paul exhorte à tout éprouver (1
Thess., 5, 21) ; notre service de Dieu doit être « raisonnable »
(Rom., 12, 1). S. Jean demande qu’on « éprouve les esprits » et qu’on
ne croie pas à la légère à tout le monde ; car « de faux prophètes se
sont répandus dans le monde » (1 Jean, 4, 1). D’après S. Pierre, le chrétien doit « rendre compte de son espérance à
tous ceux qui le demandent » (1 Pier., 3, 15). La foi ne doit donc pas
être un acte aveugle.
Les Pères n’ont pas manqué d’exiger l’examen des motifs de crédibilité.
S. Justin raconte comment il est arrivé a la foi par la lecture des prophètes
(Dial. 7). Les Pères apologistes
défendent le christianisme par des motifs rationnels. Origène ajoute à la preuve des prophéties la preuve des miracles,
la « preuve de la force », pour « confirmer la doctrine de
sainteté » (C. Cels., 3, 28). S.
Hilaire de Poit. fait de même (De Trin., 3, 13). Tertullien en appelle au
témoignage de l’âme (De test. animæ). Clément
d’Alex. tire du contenu de vérité et de moralité du christianisme un
argument en faveur de sa divinité. S.
Augustin ajoute à cet argument le témoignage de l’Église : « Je
ne croirais pas à l’Évangile si l’autorité de l’Église ne m’y poussait »
(C. ep. Man. Fund., 5, 6). Il reconnaît avec la même clarté le droit de la
raison : « La raison précède la foi » (Ép. 120, 3) ;
« Il faut comprendre pour croire et croire pour comprendre » (Serm.
43, 9).
La Scolastique a le même point du vue. Nous en trouvons déjà la preuve
dans la seule Somme de S. Thomas.
« L’homme ne croirait pas, dit‑il, s’il ne voyait que cela est croyable, soit à cause de l’évidence des
miracles, soit à cause de quelque chose de semblable (S. th., 2, 2, 1, 4 ad 2).
Les théologiens ne sont pas
d’accord sur la question de savoir si la certitude de foi déjà acquise peut
(par accidens) se perdre, même une seule fois, sans faute grave, par suite
d’une erreur invincible. Ce qui est certain, c’est qu’il faut, à ce propos,
insister sur le grave devoir des pasteurs de présenter sans cesse, de nouveau,
aux chrétiens dont la foi est en danger, des motifs de crédibilité adaptés au
temps et à leur situation.
A consulter : Billot, De virtibus infusis (1905). Schiffini, De virtutibus infusis (1904).
Martin, De necessitate credendi et
credendorum (1906). Lefebvre, L’acte
de foi (d’après S. Thomas) (1904). Charles,
La foi (1910). Dict. théol., v. Foi
et Crédibilité (6, 55‑514 ; 3, 2308 sq.). R. Schultes, Fides implicita (1920).
Le Concile du Vatican dit : L’homme dépendant
totalement de Dieu son Créateur et son Seigneur, et la raison créée étant
complètement soumise à la vérité incréée, nous sommes tenus, quand Dieu se
révèle, de lui donner la pleine obéissance de l’intelligence et de la volonté,
dans la foi. « Cette foi, qui est le commencement du salut de l’homme,
l’Église catholique professe que c’est une vertu surnaturelle, par laquelle,
avec l’aide de la grâce de Dieu aspirante, nous
croyons vraies les choses révélées, non pas à cause de la vérité intrinsèque
des choses perçue par les lumières naturelles de la raison, mais à cause de
l’autorité de Dieu lui‑même, qui nous les révèle et qui ne peut ni être trompé ni tromper » (S. 3, c. 3 ; Denz., 1789).
Explication. Faisons ressortir brièvement les éléments principaux. La foi est
la conviction de la vérité de la
Révélation produite sous l’influence du secours de la grâce de Dieu ; son
objet est le vrai, il est perçu d’abord par l’intelligence, non pas en vertu de
sa propre connaissance, mais à cause de l’autorité de Dieu révélant, lequel ne
peut ni se tromper ni tromper. D’après le Concile de Trente, le pécheur doit,
pour sa justification, croire que ce que Dieu a révélé et promis est vrai
(Denz., 798). Même la foi sans charité est encore une vraie foi (vera fides)
(Denz., 838). Le serment anti‑moderniste exige cette profession
de foi contre l’agnosticisme : « Je tiens très certainement et professe sincèrement que la foi n’est pas un sentiment religieux aveugle qui émerge des ténèbres du subconscient
sous la pression du cœur et l’inclination de la volonté moralement informée,
mais qu’elle est un véritable assentiment
de l’intelligence à la vérité reçue du dehors, de l’écoute, par lequel nous
croyons vrai, à cause de l’autorité de Dieu souverainement véridique, ce qui a
été dit, attesté et révélé par le Dieu personnel, notre Créateur et notre
Seigneur » (Denz., 2145).
La preuve de cette notion catholique de la foi est facile à tirer de
l’Écriture et de la Tradition. Quand on dit que cette notion se réfère
uniquement au texte de l’Épître aux Hébreux (11, 1) : « La foi est
une façon de posséder ce que l’on espère, un moyen de connaître des réalités
qu’on ne voit pas », l’expression est vraie, si l’on veut dire que la Tradition
se rattache à cette « définition » ; elle n’est pas vraie,
si l’on veut dire que la Bible présente par ailleurs la notion moderne de la
foi. Quand on dit : Le Christ n’a pas établi et prouvé des thèses
scolastiques, il a demandé dans sa prédication la pure foi sentimentale, on se
trompe. La première partie de l’affirmation est vraie, mais la dernière est
fausse. Il est certain que le Christ a voulu éveiller des sentiments religieux,
mais il n’en est pas moins vrai qu’il a maintenu fermement son enseignement de
foi, même quand il n’obtenait pas ce
résultat. Il est vrai qu’il n’a pas donné à son enseignement le cadre des
notions philosophiques, mais il n’en est pas moins vrai qu’il ne l’a pas fondé
sur les sentiments religieux, insaisissables, ondoyants et divers. Le Christ
joignit à son enseignement des représentations intellectuelles adaptées à la
connaissance de la foi, en parlant dans son Évangile de Dieu le Seigneur, de
Dieu le Père, de Dieu Créateur, de Dieu Providence ; en parlant de
l’avènement du royaume de Dieu, comme du temps de grâce et de rédemption, de la
rémission des péchés et du jugement ; en parlant de lui, comme Fils de
Dieu, et en défendant cette appellation comme l’expression de la vérité et non
comme un titre vide, jusqu’à la mort ; en traitant du Saint‑Esprit et de sa consolation, des fins dernières et de la sanction éternelle. L’important n’est pas qu’il ait mis cet enseignement en « thèses », mais qu’il l’ait compris comme des « vérités » qui doivent être crues, reconnues et observées. Il est faux
de dire que le « Christ n’a voulu nous introduire que dans le monde de
l’au‑delà ouvert au sentiment et à l’imagination » (Wohlrab). « Ta parole est vérité » (Jean, 17, 17) et non impression et
sentiment.
La preuve ressort aussi du sens grammatical du mot biblique qui veut
dire croire (πίστις,
πιστεύω) ; bien que ce mot, comme
presque tous les vocables de l’Écriture, prenne aussi parfois un autre sens, sa
signification principale et dominante est cependant celle de la foi au
sens dogmatique. Il a déjà ce sens chez les synoptiques et pas seulement chez
S. Jean. Et, en effet, l’objet de la foi
chez les trois premiers évangélistes est, en dehors du royaume de Dieu, la
personne du Seigneur, sa messianité et sa mission divine. Les Juifs ont refusé
leur adhésion (πίστις) à sa doctrine ; mais
lorsqu’il meurt, ils disent : « Qu’il descende maintenant de la croix
afin que nous voyions et que nous croyions » (Marc, 15, 32 ;
Math., 27, 42). Le Christ demande s’il trouvera encore de la foi sur la terre
au moment de son second avènement (Luc, 22, 66 sq.). Il parle des petits
« qui croient en moi » (Math., 18, 6). « Le ciel et la terre
passeront, mais mes paroles ne passeront pas » (Math., 24, 35). Maintes
fois il reproche aux Juifs de n’avoir cru ni à Jean ni à lui (Math., 21, 26,
32). Il avertit les siens qu’il viendra de faux Christs : « Ne croyez
pas » (Math., 24, 23, 26 ; cf. 27, 43). D’une importance capitale
pour la notion de foi qu’avait le Christ, est le texte connu de la confession
de S. Pierre (Math., 16, l6 sq.), parce que là la foi est rattachée
formellement à une révélation divine.
Sans cesse il est question de la foi à l’Évangile (déjà Marc, 1, 15 ; cf.
Luc, 8, 12 sq.). Le contraire de la foi
est l’incrédulité (Marc, 6, 6 ; Math., 13, 58 ; cf. Luc, 9, 41 ;
12, 46).
D’après S. Jean, deux grands royaumes s’opposent : le royaume de Dieu,
de la vérité, de la lumière, de la vie ; le royaume de Satan, du menteur,
des ténèbres, de la mort. La foi au Logos est le seul pont qui permette de
passer de la mort à la vie. S. Jean emploie cent fois le mot
« croire » (πιστεύειν. 1
Jean, 5, 4 4, on trouve πίστις), c’est toujours
la foi dogmatique au Christ et au christianisme : à tout le nouvel ordre
du salut tel qu’il a été manifesté dans le Logos‑Dieu. On croit à Dieu et à son
Logos dans un seul et même acte,
« vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi » (Jean, 14, 1). A la fin
de sa vie, le Christ félicite ses Apôtres de ce qu’ils ont cru que tu m’as
envoyé » (Jean, 17, 8). L’incrédulité est, dans le quatrième Évangile, le
grand péché qui mène à la mort, tandis que la foi est la voie qui mène à la
vie. « Je suis le chemin, la vérité et la vie » (Jean, 14, 6).
S. Paul aurait, dit‑on, une notion personnelle de la
foi qui ne serait que l’expression de la miséricorde de Dieu prête à nous pardonner nos péchés. Il faut avouer
d’abord que, de même que chez les synoptiques, les mots
πίστις,
πιστεύειν expriment souvent, mais
secondairement, la confiance dans la puissance miraculeuse de Jésus, ils
expriment de même souvent chez S. Paul la confiance dans la miséricorde
de Dieu. Mais, dans les deux cas, la foi dans ce sens se fonde sur la foi
dogmatique à la puissance surnaturelle du Christ et à l’amour miséricordieux de
Dieu. Non seulement dans les Épîtres pastorales, mais encore dans les Épîtres
les plus anciennes, πίστις,
πιστεύειν sont employés au sens de
foi dogmatique. Quand, à ce sujet, S. Paul affirme qu’on croit « dans le
cœur », c’est là un hébraïsme qui veut dire que la vraie foi est
intérieure, sincère, non extérieure et hypocrite. Mais cette expression n’a
jamais le sens de la foi sentimentale moderne. Au reste, pour les Juifs, le
cœur est l’organe central de la vie psychologique et, par conséquent, de la
religion. La foi, d’après S. Paul, est une « foi à la vérité » (2
Thess., 2, 13), « une foi à Dieu » (1 Thess., 1, 8 sq.), une
connaissance, mais une connaissance obscure : « Nous voyons actuellement de manière confuse, comme dans un
miroir ; ce jour‑là, nous verrons face à face. Actuellement, ma connaissance est partielle ; ce
jour‑là, je connaîtrai parfaitement,
comme j’ai été connu » (1 Cor., 13, 12). « En effet, nous cheminons
dans la foi, non dans la claire vision » (2 Cor., 5, 7,
ειδος cf. εῖδον, j’ai vu).
« Car c’est avec le cœur que l’on croit pour devenir juste, c’est avec la
bouche que l’on affirme sa foi pour parvenir au salut » (Rom., 10, 10). La
foi est annoncée de l’extérieur dans la prédication et acceptée par les fidèles
comme parole du Christ (Rom., 10, 14‑17). « Et pourtant, tous n’ont pas obéi à la Bonne Nouvelle » (Rom., 10, 16), se
plaint l’Apôtre (et S. Augustin explique « Personne ne croit, à moins
qu’il ne le veuille »), c‑à‑d. tous ne s’inclinent pas devant lui. Mais il fait cette promesse : « Si de ta bouche, tu affirmes que Jésus est Seigneur, si, dans ton
cœur, tu crois que Dieu l’a ressuscité d’entre les morts, alors tu seras
sauvé » (Rom., 10, 9). Dans tout le chapitre, il s’agit de la foi
professée qu’on entretient dans son cœur et qu’on annonce de sa bouche, la foi
qui nous fait chrétiens et nous garantit le salut.
Dans les Épîtres pastorales, les adversaires eux‑mêmes reconnaissent cette notion de
foi qui consiste dans l’acceptation de l’Évangile (1 Tim., 1, 4, 5, 19 ; 2, 15. 2 Tim., 1, 5 ; 3, 8. Tit., 1, 13 ; 2, 2). On ne refuse même pas de reconnaître que le mot
foi est déjà employé, comme plus tard, dans le sens de « règle de foi
ecclésiastique » (1 Tim., 4, 1, 16 ; 6, 21. Tit., 1, 1) et, par
conséquent, que le christianisme est caractérisé comme une
« doctrine », comme « une doctrine saine » (Tit., 1, 9. 2
Tim., 1, 13 ; 2, 2 ; 2, 7, 8, 10. 1 Tim., 4, 6, 16 ; 6, 3, 4. 2
Tim., 4, 3), comme « vérité » (1 Tim., 2, 4, 7 ; 3, 15 ; 4,
3 ; 6, 5. 2 Tim., 2, 15, 18, 25 ; 3, 7, 8 ; 4, 4. Tit., 1, 1,
14) que l’on a apprise dans une prédication (2 Tim., 3, 14 ; 1, 5,
13 ; 4, 2), comme un bien confié (1 Tim., 6, 20 ; 2 Tim., 1,
12, 14). Cette vérité est (au moment du baptême) attestée dans la profession de
foi par l’Église de laquelle on l’a reçue (1 Tim., 6, 12 ; cf. Rom., 10,
9 ; Phil., 2, 11). L’enseignement de S.
Pierre est absolument semblable. La foi est une connaissance (ἑπίγνωσις)
de Jésus‑Christ et de son œuvre (Cf. 1 Pier., 1, 12, 25 ; 2 Pier., 1, 2, 3, 8, 16 ; 2, 20 ; 3, 18 ; cf. 1, 15 sq.).
Y avait‑il déjà alors une profession de foi
formelle avant le baptême ? Les articles du symbole des Apôtres se
retrouvent presque mot à mot dans le Nouveau Testament. La formule achevée
n’existe pas encore. Il y a cependant d’autres professions de foi analogues.
Conclusion. Dans le Nouveau Testament, la foi est objectivement la somme de
plusieurs vérités particulières qu’on réunit plus tard dans une unité qu’on
désigne d’un seul mot : « foi », « vérité »,
« confession », « doctrine ». Subjectivement elle est
produite par : l’audition, l’enseignement, la confession ; elle est
reçue de l’extérieur, de Dieu, des Apôtres, des disciples, de l’Église. De même
qu’elle existe objectivement, est enseignée et reçue, on peut de nouveau la
perdre, lui faire défection (2 Tim., 4, 4. 1 Tim., 1, 19 ; 4,1 ; 6,
10, 21), passer à une doctrine étrangère (1 Tim., 1, 3 ; 6, 3).
Même des protestants
reconnaissent ces faits. Ainsi Erwin
Wissmann établit dans son livre : Les
relations entre πίστις et la piété envers le Christ dans Paul (1926, p. 67) : « πίστις
est pour lui l’acceptation du message de mission et contient comme telle la
profession de la religion chrétienne ». On doit croire à l’Évangile, c.‑à‑d. au Kerygma, on doit tenir pour
vraie la « vérité » qu’il contient. Cela s’appelle « croire », πιστεύειν et non avoir confiance, c’est croire dans le sens pur et simple
de l’appropriation affirmative et de l’assentiment. Il montre que cette notion
de foi est aussi celle de l’Ancien Testament, comme du judaïsme
postérieur ; bien plus, que les religions païennes de ce temps‑là attachaient un sens semblable à
πίστις (p. 43).
Cette foi biblique est aussi un
acte de la volonté ; elle
n’exclut pas plus la volonté que l’assentiment ; au contraire, elle les
inclut. Ce n’est pas une simple croyance théorique et de tête : mais c’est
aussi une foi pratique du cœur, une activité qui remplit tout l’homme
intérieur, qui l’excite, le meut et l’anime. D’après le Christ, la semence doit
tomber sur une « bonne terre » : « Ce sont ceux qui entendent
la parole avec un cœur bon et excellent, la gardent et portent du fruit par la
persévérance » (Luc, 8, 15). On peut accepter sa parole, mais aussi la
repousser comme Jérusalem : Tu n’as pas voulu (Luc, 13, 34). Ceux dont
« le cœur est lent » croient difficilement (Luc, 24, 25).
On insiste particulièrement sur
le « manque de volonté » dans le quatrième évangile (Jean, 5,
40 ; 6, 68 ; 7, 17 ; 10, 38). Au sujet de S. Paul, il est
inutile de discuter ici toute la question de la foi et des œuvres. Il suffit
de savoir qu’il présente parfois la foi comme un acte d’obéissance envers Dieu,
telle la foi exemplaire d’Abraham (Rom., 4, 20‑22) et aussi la nôtre (Rom., 1, 5 ; 2, 8 ; 15, 18. 2 Cor., 10, 4‑6) ; l’incrédulité est pour lui une méchanceté punissable : « tous n’ont pas obéi à la Bonne Nouvelle » (Rom., 10, 16 ; 10, 21 ; 16, 26).
« Car, dans le Christ Jésus, ce qui a de la valeur, ce n’est pas que l’on
soit circoncis ou non, mais c’est la foi, qui agit par la charité » (Gal.,
5, 6). Ce passage est d’autant plus remarquable qu’ici les trois grandes
conceptions religieuses sont caractérisées d’une manière concise et dans leurs
traits essentiels : le judaïsme (circoncision), le paganisme
(incirconcision), le christianisme (la
foi). Sans les œuvres, la foi est « morte », c’est même une foi de
démons dit Jacques (2, 14 sq.).
Les Pères. Les preuves de leur conception catholique de la foi se trouvent
dans les faits historiques
suivants : 1° Dans l’établissement de la « Regula fidei »
ecclésiastique ; 2° Dans le fait connexe avec celui‑ci, qu’on a travaillé d’une façon ininterrompue depuis les
Apôtres à rédiger des symboles de foi ; 3° Dans l’institution du
catéchuménat et de la catéchèse ; 4° Dans la manière dialectique et
polémique de traiter les vérités particulières de la foi, manière déjà employée
par les apologistes ; 5° Dans les questions posées aux martyrs sur leur
foi par les juges païens et le fait que les martyrs meurent pour attester leur
foi ; 6° Dans la manière dont on traitait avec les hérétiques : on
devait les éviter, les repousser ; 7° On voit dans Tit. (1, 9) qu’on
exigeait déjà de l’évêque qu’il soit attaché à la parole digne de foi, afin
d’être aussi capable d’enseigner dans la vraie doctrine et de confondre les
contradicteurs (1 Tim., 1, 3, 10 ; 4, 6 ; 6, 3. 2 Tim., 1, 13 ;
2, 15 ; 4, 3. Cf. 1 Pier., 3, 15) ; 8° Enfin il faut signaler
que les Pères avaient eu conscience de bonne heure du problème des relations de
la foi et de la science.
Le rôle de la volonté dans la foi trouve son expression chez les Pères
dans les faits suivants : 1° La charité est toujours placée à côté de la
foi ; 2° La morale est toujours rattachée à la foi, on y rattache le
décalogue, la doctrine des « deux voies » : celle de la vie et
celle de la mort (Didachè, Barnabé, etc.) ; 3° On souffre pour la foi la
persécution, les mépris et la mort ; 4° Les Pères combattent la foi sans
les œuvres.
En raison de son influence
sur la Scolastique, il faut nommer spécialement S. Augustin. Au sujet de la science avant la foi, de l’examen des motifs de crédibilité, il dit :
« N’est‑il pas évident qu’il faut penser avant de croire ? Peut‑on croire quelque chose, avant d’avoir pensé que l’on doit croire ?... Du reste, croire, ce n’est pas autre chose qu’adhérer à sa pensée » (De præd. sanct., 2, 5). Le « penser » est l’audition, la réception de la vérité dans la prédication ;
l’« adhérer » est l’adhésion à la vérité, déterminée par la volonté.
« Croire c’est admettre comme vrai ce qui nous est proposé, et ce
consentement est essentiellement un acte de la volonté » (De spir. et lit,
31, 54 ; cf. In Joa., 26, 2 ; Retract., 1, 23, 3). La foi est le
fondement du salut : « C’est par la foi en Jésus‑Christ que nous obtenons le salut » (De spir. et lit., 30, 51). Retenons de S. Grégoire le G. la phrase souvent
citée : « Notre foi n’aurait pas de mérite, si elle n’était fondée
que sur le résultat d’un raisonnement humain » (M. 76, 1202). Les Grecs ont la même notion de la foi que
les Latins. Il suffit pour s’en convaincre de se rappeler que c’est chez eux
que se sont produites les controverses religieuses les plus violentes.
La Scolastique. Elle est influencée par le texte de S. Paul (Hébr., 11, 1)
et S. Augustin. La connaissance et la volonté sont les deux piliers de sa
notion de foi. Hugues : « Il y a deux choses dans lesquelles consiste
la Foi : la connaissance et l’affection, c’est‑à‑dire la confiance et la fermeté à croire. Elle consiste dans l’une, parce qu’elle est l’une ; elle consiste dans l’autre, parce qu’elle est dans l’autre. La foi trouve sa substance
dans l’affection, et sa matière dans la connaissance » (Sacr., 1, 10, 3). « La
foi est une certitude concernant des choses absentes, au‑dessus de l’opinion et en‑dessous de la science » (Ibid., 1, 10, 2). La mesure de
la connaissance est différente. Guillaume de Thierry, ami de S. Bernard, écrit : « La foi résulte de l’accord volontaire de
notre esprit, sous l’inspiration divine » (Speculum fidei : M.
180, 370). La haute Scolastique est
substantiellement d’accord sur la notion de foi. On peut cependant avec Espenberger distinguer un triple
courant. Les uns insistaient surtout sur la volonté
(Alexandre, S. Bonaventure, S. Albert le G., Scot, etc.) ; d’autres
insistaient davantage sur l’intelligence
tout en essayant parfois de faire rentrer partiellement les motifs de
crédibilité naturels dans la foi (S. Thomas, Henri de Gand, Mathieu
d’Aquasparta, etc.) ; d’autres enfin adoptent une voie moyenne ou
même tout à fait nouvelle. Chez tous cependant la notion de foi est au fond la
même. S. Thomas dit : « La foi est un acte de l’entendement qui
adhère à la vérité divine sous l’empire de la volonté mue de Dieu par la grâce » (S. th., 2, 2, 2, 9).
Seul le nominalisme, bien qu’il s’attachât au Credo orthodoxe, porta une atteinte sensible à la notion de foi. Il
la considérait presque entièrement comme une chose de la volonté et la séparait
de l’intelligence ; il a considérait simplement comme une acceptation fidéiste des dogmes, et, du
contenu de ces dogmes, le croyant ne pourrait posséder que des notions
subjectives, faites à son propre usage, sans valeur objective de connaissance.
Cette tendance sceptique aboutit finalement à sa conception extrême, à la
foi de volonté et de sentiment des Réformateurs.
Calvin, le doctrinaire de la Réforme, Luther, Kant, Jacob, Schleiermacher sont
tous également des fidéistes. Ce ne fut qu’un nom nouveau pour une chose
ancienne quand les modernistes
rejetèrent, en agnostiques, la « conception intellectuelle » et
cherchèrent la source de la « foi », de l’« expérience
religieuse », dans l’immanentisme affectif qui était le « spiritus
privatus » des Réformateurs.
Le catéchisme de l’Église orthodoxe (Pétersbourg, 1887)
dit, p. 2 : « La science
appartient proprement à l’intelligence, bien qu’elle puisse agir aussi sur le
cœur ; la foi appartient
principalement au cœur, bien qu’elle ait son principe dans les pensées ».
Ainsi donc une notion mystique de la foi ! Zankow : « La foi est
moins un travail de pensée qu’une véritable expérience » (Christianisme
orthodoxe, 40).
Distinctions que la terminologie rend déjà claires : 1° « Fides
divina » quand elle s’appuie sur l’autorité de Dieu et « f. catholica » quand elle est en outre
prescrite universellement par l’Église ; 2° « F. informis », la
simple foi sans la charité et « f. caritate formata », la loi avec la
charité. S. Thomas : « Il est nécessaire que l’intellect soit
perfectionné par la lumière de la foi et que la volonté soit perfectionnée par
l’habitus de la charité. C’est pourquoi la foi informe n’a pas un acte parfait,
et c’est pourquoi elle ne peut pas être une vertu » (In 3 Sententiarum, S.
d. 23, q. 3, ad 1, sol. 2) ; 3° « Fides mortua » et « f.
viva » objectivement identiques aux précédentes (Gal., 5, 6 ; 6, 15.
1 Cor., 7, 19. Jacq., 2, 14‑26. Math., 7, 20‑23) ; 4° « F. actualis », l’acte de foi et « f. habitualis », son habitude infuse ; 5° « F. explicita » et « f.
implicita » ; la première saisit son objet en tant que formellement
connu, l’autre en tant qu’inclus dans un acte général de foi : Je crois
tout ce que l’Église enseigne ; 6° « F. quæ creditur », la foi
objective, et « f. qua creditur », la foi subjective ; 7°
« F. theologica » et « f. ecclesiastica » ; 8° « F.
per se » et « f. per accidens ».
Pour mieux connaître la nature de
la foi, on a pris l’habitude, dans la théologie posttridentine, de la ramener à
ses principes et_à ses causes
(analysis fidei). On trouve dans la foi les éléments de causalité
suivants : 1° La causalité divine de la grâce ; La causalité humaine de la liberté ; 3° La matière
de la foi, ou son objet matériel ; 4° Le motif de la foi, ou son objet formel.
l. La foi est une grâce. Le Concile du Vatican appelle la foi :
« Une vertu surnaturelle par laquelle, sous l’influence et avec le
secours de la grâce de Dieu, nous croyons comme vrai ce qu’il a révélé »
(S. 3, c. 3). Même la foi informe, morte, est, aux yeux du Concile, un don de
Dieu, et son acte est salutaire : « La foi en elle‑même, alors même qu’elle n’opère pas par la charité, est un don de Dieu, et son acte
est une œuvre qui se rapporte au salut » (Denz., 1789, 1791). La foi en
soi, même quand elle n’est pas encore une foi vivante, est déjà une certaine
union de l’âme avec Dieu. Une telle union n’est pas possible sans la grâce.
L’Église a défendu le caractère surnaturel de la foi et la nécessité de la
grâce pour croire, contre les pélagiens
et les semi‑pélagiens, ainsi que contre les rationalistes
de tous les temps.
Preuve. La question devant être traitée à fond dans le Traité de la grâce, nous nous
contenterons de donner ici, comme preuve, les propositions suivantes :
« Personne ne peut venir à moi, si le Père qui m’a envoyé ne l’attire...
Ils seront tous instruits par Dieu lui‑même. Quiconque a entendu le Père et reçu son enseignement vient à
moi » (Jean, 6, 44 sq.). « C’est bien par la grâce que vous êtes
sauvés, et par le moyen de la foi. Cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu » (Éph., 2,
8). « Tout cela vient de Dieu qui, pour le Christ, vous a fait la grâce
non seulement de croire en lui mais aussi de souffrir pour lui » (Phil.,
1, 29).
Plus tard, le caractère de grâce
de la foi fut le thème principal de S.
Augustin, dans sa lutte contre les semi‑pélagiens qui attribuaient le commencement du salut, par conséquent la foi,
à la force de la volonté libre. S. Augustin ne cessa de répéter en y insistant,
les textes bibliques que nous venons de citer. Le 2ème Concile
d’Orange (529) donne à sa doctrine la sanction de l’Église (Denz., 178, 180) et
achève ainsi une évolution doctrinale pendant laquelle certains Pères anciens
s’étaient parfois exprimés d’une manière trop peu claire.
La grâce confère à la foi son
caractère surnaturel et cela d’une
manière objective, en communiquant
des vérités auxquelles la raison humaine ne saurait parvenir (Denz.,
1795) ; d’une manière subjective
par la collation d’une grâce intérieure
qui élève surnaturellement l’intelligence, et lui donne la capacité et
l’inclination nécessaires pour accorder l’assentiment de foi à Dieu qui se
révèle et pour adhérer à la « prima veritas ». Le Concile d’Orange
appelle déjà la pieuse inclination à
croire (pius credulitatis affectus) qui résulte de l’examen des motifs de
crédibilité, une grâce (C. 5 ; Denz., 178). De même le Concile de Trente
(S. 6, can. 3 ; Denz., 813) : « Si quelqu’un dit que sans
l’inspiration prévenante du Saint‑Esprit et sans son secours, un
homme peut faire des actes de foi, d’espérance, de charité et de repentir, tels qu’ils doivent être faits pour obtenir la grâce
de la justification, qu’il soit anathème ». Mais les théologiens admettent
généralement que le mouvement antérieur vers la foi, qui se manifeste dans l’examen
des motifs de crédibilité, est déjà lui aussi, en raison des difficultés qu’il
comporte, soutenu de quelque manière par la grâce (gratia medicinalis) (Cf. le
Traité de la grâce, particulièrement le § 117).
La grâce d’intelligence, le « lumen fidei » est une illumination surnaturelle conférée à
l’âme, dans laquelle elle connaît la vérité révélée, la juge comme divine, se
l’approprie et devient capable de participer dès maintenant, d’une manière
adaptée à l’état obscur de voie, à la vie de connaissance divine qui ne sera
complète que dans la gloire. Cette grâce de connaissance n’est pas définie
d’une manière aussi explicite que la grâce de volonté dont dépend la décision finale,
mais elle est affirmée clairement dans l’Écriture et la Tradition. Le Christ
l’enseigne à plusieurs reprises : « Ce ne sont pas la chair et le
sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est aux cieux » (Math., 16,
17). « Ils seront tous instruits par Dieu lui‑même. Quiconque a entendu le Père et reçu son enseignement vient à moi » (Jean, 6, 45). S. Paul : «Et si nous avons une telle confiance en Dieu
par le Christ, ce n’est pas à cause d’une capacité personnelle que nous
pourrions nous attribuer : notre capacité vient de Dieu » (2 Cor., 3, 5). « Or nous, ce n’est pas
l’esprit du monde que nous avons reçu [science humaine naturelle], mais l’Esprit qui vient de Dieu, et ainsi nous
avons conscience des dons que Dieu nous a accordés » (1 Cor., 2, 12).
« Celui qui met sa foi dans le Fils de Dieu possède en lui‑même ce témoignage » (1 Jean, 5, 10).
S. Augustin demande, en dehors de la prédication extérieure, une illumination
intérieure pour comprendre : « Il y a donc, à l’intérieur, un maître
qui instruit : c’est le Christ, c’est son inspiration. Là où son
inspiration et son onction font défaut, les paroles se font inutilement
entendre à l’extérieur » (In 1 Joan, 3, 13). « Si donc celui qui est
à l’intérieur ne révèle pas, que sont mes paroles, que sont mes discours ?
Celui qui cultive l’arbre travaille à l’extérieur, mais à l’intérieur est le
Créateur » (1 Cor., 3, 7 ; In Joan, 26, 7). S. Thomas : « Le Christ est l’auteur de la foi de deux
manières. D’abord en l’enseignant par
la parole... Secondement, en l’imprimant
dans le cœur » (In Hebr., 12, 2).
La raison déduit la nécessité du « lumen fidei » tant
de la faiblesse de l’intelligence résultant du péché que de l’ordre absolument
supérieur de la vérité pour laquelle toute
nature créée manque des forces nécessaires. Cela ne veut pas dire qu’on ne peut
pas croire naturellement Dieu ‑ la chose est très certaine – mais qu’on ne peut pas y croire d’une manière conforme à l’ordre surnaturel du salut. C’est pourquoi le
2ème Concile d’Orange dit (can. 7) que l’homme ne peut pas
« par la seule force de la nature concevoir, comme il convient, une bonne pensée touchant le salut de la vie
éternelle » (c‑à‑d. d’une manière surnaturelle).
La grâce de volonté est encore plus nécessaire, parce qu’elle
détermine d’une manière décisive l’intelligence à donner son assentiment aux
vérités divines. La foi est en effet « un acte de l’intelligence commandé
par la volonté ». L’intelligence adhère à la vérité révélée, non par suite
de son évidence, mais parce que la volonté le lui ordonne. Or la volonté ne
trouve en elle‑même, dans sa nature, ni l’inclination ni la décision nécessaires pour adhérer d’une manière ferme et persévérante à la vérité en dépit de toutes les difficultés,
particulièrement des difficultés pratiques. La volonté doit être aidée
surnaturellement pour cela. C’est pourquoi la grâce de foi est avant tout une
grâce de volonté.
L’Église exprime ceci de manières
différentes : elle dit que « avec l’aide de la grâce de Dieu
aspirante, nous croyons vraies les choses révélées » (Vatic., Dei Filius,
c. 3) ; que nous sommes « excités
et aidés par la grâce de Dieu,
concevant la foi par l’ouïe » (Trid., S. 6. c. 6 : cf. can. 3 et
4) ; que « l’accroissement de la foi comme aussi son commencement, et
l’attrait de la croyance » est un don de la grâce par lequel notre volonté
est convertie de l’incroyance à la foi (2ème Concile d’Orange, can.
5 ; cf. can. 6).
Le Christ parle d’une « traction » de la grâce vers la
foi : « Personne ne peut venir à moi, si le Père qui m’a envoyé ne l’attire » (Jean, 6, 44). S. Augustin
remarque à ce sujet : « Et cependant personne n’est attiré, s’il ne
le veut. On est donc admirablement attiré
à vouloir par celui qui sait agir dans le cœur même des hommes, non pas
pour amener les hommes à croire malgré eux, ce qui serait impossible, mais pour
faire que, n’ayant pas voulu, ils
veuillent sérieusement » (C. deux lettres de Pélage, 1, 19, 37).
« Dieu en nous éclairant et en nous persuadant, agit en effet pour nous
faire vouloir et nous faire croire... Il opère dans l’homme la volonté de
croire » (De spir. et lit., 34, 60).
La raison reconnaît que justement la volonté qui a été grièvement
blessée par le péché originel a besoin de la grâce médicinale et élevante, si
elle veut accomplir d’une manière convenable et durable son rôle important dans
la foi.
2. La foi, acte libre, moral, méritoire. C’est un acte de
connaissance, mais non un acte nécessaire imposé par l’évidence de la vérité.
C’est, au contraire, un acte libre et par conséquent méritoire. Le Concile du
Vatican eut l’occasion de définir ceci expressément contre Hermès :
« Si quelqu’un dit que l’assentiment à la foi chrétienne n’est pas libre,
mais qu’il est produit nécessairement par les arguments de la raison
humaine ; ou que la grâce de Dieu n’est nécessaire que pour la foi
vivante, qui opère par la charité ; qu’il soit anathème (S. 3, can. 5 de fide ;
Denz, 1814).
Hermès distinguait entre la « foi de l’intelligence » et la
« foi du cœur ». Il considérait la première comme le résultat des
arguments naturels, l’autre comme étant seule l’œuvre de la grâce. Le Concile
de Trente avait déjà proclamé la liberté de la foi (S.6, can. 4 :
« le libre‑arbitre... peut refuser son consentement s’il
le veut »).
L’Écriture enseigne que la foi sera récompensée et que l’incrédulité
sera punie ; il faut donc que la foi soit un acte libre :
« Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé ; celui qui refusera de
croire sera condamné » (Marc, 16, 16). « Sans la foi, il est
impossible d’être agréable à Dieu » (Hebr., 11, 6. Cf. Jean, 6, 28
sq. ; 3, 18 sq. 1 Jean, 3, 23 ; 5, 10. Rom., 1, 5 sq. ; 10, 16.
2 Cor., 9, 13 ; 10, 5. Act. Ap., 6, 7, etc.).
S. Irénée écrit : « Ce n’est pas seulement dans les actes, mais
jusque dans la foi, que le Seigneur a sauvegardé la liberté de l’homme et la maîtrise
qu’il a de soi‑même : « Qu’il te soit fait selon ta foi », dit‑il, déclarant ainsi que la foi appartient en propre à l’homme par là même que celui‑ci possède sa décision en propre. Et
encore : « Tout est possible à celui qui croit ». Et
encore : « Va, qu’il te soit fait selon ta foi ». Et tous les
textes analogues qui montrent l’homme libre sous le rapport de la foi. Et c’est
pourquoi « celui qui croit en lui a la vie éternelle, tandis que celui qui
ne croit pas au Fils ne verra pas la vie, mais la colère de Dieu demeure sur
lui » (Ad. h. 4, 37, 5). S. Augustin
juge que la foi sans liberté ne peut pas se produire : « Un homme
peut entrer à l’église, s’approcher de l’autel, recevoir le sacrement, sans
aucun consentement de sa part ; mais, pour croire, il faut nécessairement
le libre concours de la volonté » (In Joa., 26, 2). Il se fait cette
objection : « Si je suis entraîné, comment pourrai‑je avoir une foi parfaitement libre ? » et il
répond : « Remarquez bien la manière dont le Père nous attire :
il nous instruit, et, par là, il nous délecte, mais il ne nous force pas »
(Ibid., 26, 4‑7). La volonté détermine l’intelligence à l’assentiment, mais non d’une manière aveugle ; au contraire,
elle est instruite par l’intelligence,
que, dans la foi, il s’agit du bien
le plus nécessaire et le plus grand pour l’homme, son salut.
Inversement, la volonté peut
rendre service à l’intelligence dans la foi ; elle peut l’aider à obtenir
plus de connaissance, plus de clarté, une conviction et une décision plus
grandes. Le Christ dit : « Mais celui qui fait la vérité vient à la
lumière » (Jean, 3, 21). « Si quelqu’un veut faire sa volonté (de Dieu), il saura si ma doctrine est de
Dieu » (Jean, 7, 17). Une vérité acceptée avec une connaissance
provisoire, puis observée et accomplie avec zèle se développera toujours en une
connaissance de foi plus complète. S. Augustin a souvent insisté sur cette
pensée, en faisant dépendre la mesure de notre connaissance de Dieu, de notre
amour. Ceci correspond à sa notion de Dieu « summum bonum ».
« La charité connaît [la vérité] » (Conf., 7 , 16).
« L’amour est la plénitude de la science » (De Gen. c. Man., 2, 35).
« Eique inquantum caritate cohæsit, intantum (anima) ab eo, lumine illo
intelligibili pere fusa est » (De div., q. 83, q. 46, 2). « Que
devons‑nous donc faire, je le demande, si ce n’est tout d’abord d’aimer d’une charité entière Celui que nous désirons
connaître? » (Des mœurs de l’église catholique, l. 1, c. 25, 47). C’est
pour cela qu’on a voulu faire de S. Augustin un adversaire de
l’« intellectualisme ». Trœltsch
remarque à ce sujet : « La controverse sur la question de savoir si
Augustin a été volontariste ou intellectualiste est aussi dénuée d’objet que
toute l’opposition du volontarisme et de l’intellectualisme en général. Il ne
peut pas y avoir de volontarisme absolu, on peut l’apprendre de ceux qui se
sont placés le plus violemment aux antipodes de l’antique
intellectualisme : Kant, Fichte et Schopenhauer. » (Augustin, 1915,
80 ; Cf. Vansteenberghe, Autour de
la docte ignorance, 1915).
3. Objet de la foi (objectum materiale). C’est tout ce que Dieu a révélé et cela seulement. Ce n’est que
pour cela que l’autorité de Dieu intervient directement comme témoin et
garantie. Toute vérité qui ne remonte pas à cette source purement divine ne
peut pas non plus être crue de foi divine.
L’objet primaire de la foi, c’est Dieu lui‑même, en soi, sur lequel repose en dernière analyse toute foi ; l’objet secondaire
ce sont ses œuvres dans la Création, la Rédemption, la grâce, la béatitude. S.
Thomas fait encore une autre distinction : les « revelata per se » et les « revelata per accidens ». En réunissant ces
deux divisions, on obtient la division tripartite suivante : 1° L’objet
primaire et principal est Dieu ; 2° L’objet secondaire, ce sont les
vérités de salut ; 3° L’objet accidentel
sont les vérités révélées en même temps,
ou plutôt inspirées et relatées en même
temps que les premières ; elles n’ont pas de relation avec notre salut
et sont crues en même temps que les autres dans un acte de foi général, et non
pas d’une manière expresse comme les dogmes (fides per accidens non per se).
Des révélations privées il a déjà été question. Elles ne font pas
partie de l’objet matériel de la foi. Eusèbe
Amort rapporte que, sur ce point, les scotistes avaient autrefois une
opinion différente ; quant aux thomistes, ils suivaient S. Thomas qui
écrit : « Car notre foi repose sur la révélation faite aux apôtres et
aux prophètes qui ont écrit nos livres saints, mais non sur les révélations
qu’ont pu avoir les autres docteurs » (S. th., 1, 1, 8 ad 2).
Les définitions dogmatiques n’appartiennent pas formellement à l’objet
matériel de la foi, car elles ne sont pas révélées, ni même inspirées ;
mais elles y appartiennent par leur contenu, car elles sont la rédaction en
formules dogmatiques, faite par l’Église, mais d’une manière infaillible, des
vérités révélées.
4. Le motif de la foi (objectum formale). Le Concile du Vatican enseigne que nous tenons pour
vraies les vérités révélées « à cause de l’autorité de Dieu lui‑même, qui nous les révèle et qui ne peut ni être trompé ni tromper ». Les théologiens appellent cette autorité
infaillible, qui revient dans tous les articles de foi, objet formel, parce qu’elle leur donne, pour
ainsi dire, leur forme d’existence, leur caractère distinctif. Cette autorité
divine est le seul motif de foi,
parce que c’est le plus haut et qu’auprès de lui aucun autre ne peut avoir
d’importance.
Aussi on ne doit pas introduire
les motifs éloignés (motifs de crédibilité) dans l’acte de foi, comme cela
s’est fait quelquefois (Espenberger, cf. plus haut). On ne doit pas non plus y
introduire l’autorité de l’Église.
L’Église est règle de foi et non
motif de foi. Elle propose, au nom de Dieu, la matière de la foi ; elle
l’atteste autoritativement et la rend uniforme, en l’imposant d’une manière
universelle et en l’exigeant d’une manière unique des siens (fides catholica),
mais elle n’est pas le motif final décisif. C’est pourquoi S. Léon 1er
interdit le « croire en l’Église » de l’ancien symbole des Apôtres et
S. Thomas justifie ce texte en disant qu’objectivement il est l’équivalent de
« Je crois au Saint‑Esprit sanctifiant l’Église » (S. th., 2, 2, 1, 9 ad 5).
La preuve que Dieu lui‑même est le motif de la foi ressort clairement
de l’Écriture et de la Tradition. Ce n’est pas aux Prophètes et aux Apôtres qu’on croit, mais à Dieu lui‑même et au Logos dans le Christ.
Textes en faveur de la foi par l’intermédiaire des Apôtres : Jean, 1,
7 ; 17, 20 ; 20, 21. Luc, 24, 48. Act. Ap., 1, 8, 22 ; 3, 41
sq. ; en eux parle le Saint‑Esprit (Math., 10, 20. Jean, 14,
26 ; 16, 12 sq.). S. Paul tient son évangile de Dieu (Gal., 1, 11. 1
Thess., 2, 13. 1 Cor., 2, 1 ; 4, 5. 2 Cor., 12, 12) ; il ne se base
pas sur la sagesse humaine (1 Cor., 1, 20, 22). L’obéissance de la foi
s’adresse à Dieu (Rom., 1, 5 ; 16, 25. 2 Cor., 10, 5) ; c’est un
sacrifice à Dieu (Phil., 2, 17) ; son contenu est la sagesse de Dieu (1
Cor., 2, 7‑9, 10‑13 ; cf. Math., 11, 27 ; Jean, 1, 18). La foi d’Abraham est son modèle ; il rend honneur à Dieu et croit contre toute
apparence (Rom., 4, 1 sq.). Dans l’évangile de S. Jean, le Christ renvoie les
Juifs aux « témoignages » et aux « signes », mais il
renvoie ceux qui ont la foi complète à son Père et à sa propre divinité (Jean,
2, 11 sq. ; 3, 11‑18 ; 3, 31 sq.). Le motif dernier est partout : parce que Dieu « est vérité » (Jean, 8, 26). Et son disciple parle de
même : « Nous acceptons bien le témoignage des hommes ; or, le
témoignage de Dieu a plus de valeur, puisque le témoignage de Dieu, c’est celui
qu’il rend à son Fils » (1 Jean, 5, 9).
Les Pères, dans leur foi, s’appuyaient sur Dieu et non sur la raison et
l’Église ; il est facile de le prouver : 1° Par la distinction très
accusée entre la foi et la science, à partir de Clément d’Alexandrie ; 2°
Par l’insistance sur les mystères (Dieu, Trinité, Incarnation) ; 3° Par le
soin qu’ils mettent à prouver la foi par la Révélation et non par d’autres
autorités, surtout en face de l’hérésie ; 4° On pourrait en outre apporter
une foule de témoignages particuliers. Ainsi S. Augustin dit :
« Crois ce que Dieu voit » (Enarr. in Ps. 36, 2, 2).
La Scolastique fut en général unanime dans cette doctrine. S.
Thomas : « À l’égard de la foi, si nous considérons la raison
formelle de l’objet, elle n’est rien autre chose que la vérité première »
(S. th., 2, 2, 1, 1). La théologie
posttridentine met en lumière une citation d’Eusèbe Amort : « Nec auctoritas Ecclesiæ, nec auctoritas
Scripturæ Sacræ, nec revelatio Dei s. verbum divinum, nec ipsa veracitas Dei in
loquendo, nec omnipotentia Dei, nec fidelitas in servandis promissis, nec ipsa
omniscientia divina, nec aliud attributum divinum moveret intellectum humanum
ad firmum assensum, nisi in Deo intelligeretur veritas prima ex se subsistens ac perennis seu in essendo » (De fide, disp. 11, q. 1).
Connaissance de l’objet formel. Elle présente une difficulté. Si tout doit
être cru à cause de l’autorité de Dieu, comment sera‑t‑on certain de cette autorité et d’une certitude telle que cette
autorité pourra supporter l’acte surnaturel de foi, ainsi que
la somme des actes de foi ? On répond : par la connaissance naturelle ; alors le caractère surnaturel
de l’acte est menacé ; si on exige une connaissance surnaturelle, on sauve
le caractère surnaturel de l’acte, mais on risque de tomber dans le
« regressus in infinitum ». En effet, cette connaissance surnaturelle
en exigera une autre comme condition et ainsi de suite. Des différents essais
de solution de cette « analysis
actus fidei », qui ont opposé dans une controverse célèbre Suarez et
Lugo, nous devons retenir particulièrement trois points.
D’après Suarez, il faut que la connaissance de l’objet formel soit, elle
aussi, surnaturelle. L’autorité de Dieu est non seulement le motif de foi, elle est aussi objet de foi. On croit parce que Dieu a révélé, ce qu’il a révélé et qu’il a révélé. La « prima
veritas », aussi bien que le « factum revelationis », doit être
connue surnaturellement ». « Sola evidens cognitio, quod Deus sit
prima veritas, non sufficit pro fundamento et objecto formali fidei, sed
necessaria est fides infusa hujus veritatis ». Et : « Revelatio
Dei dicentis res fidei, credenda est fide divina et infusa » (De fide, d.
3, s. 6, s. 12 et 7).
Lugo combat cette opinion parce que, ou bien elle exige une série
infinie, ou bien présente un cercle vicieux (De virt. fidei, d. 1, s. 6 et 7).
Il propose une solution d’après laquelle les motifs de crédibilité sont
introduits dans la foi elle‑même. Ils ne sont pas seulement la condition de
l’« actus fidei », ils concourent à le produire. Ils ne sont pas
seulement des « motifs de crédibilité », mais encore des « motifs de foi ». Il explique ainsi sa
conception. La première vérité « Deus verax est » est connue
immédiatement, comme une conclusion évidente de la notion de Dieu. Quant à la
seconde : « Deus locutus est », le croyant l’apprend encore lui‑même d’une manière immédiate : on doit en effet distinguer la
Révélation et les signes qui l’attestent ; ces derniers, par les miracles
et les effets moraux exercés, se perpétuent toujours pour les fidèles et ceux‑ci se rendent compte du fait même de la Révélation, d’une manière concrète bien qu’un peu obscure. Ces témoignages sont, d’après Franzelin, autant de rayons qui font briller devant nous la parole
divine et manifestent son origine divine. De même qu’on reconnaît un ami à sa
voix, un prince à son sceau, ainsi on reconnaît la Révélation à ces motifs de
crédibilité. Sur toute cette question concernant ce qu’on appelle dans la
dogmatique, depuis Grégoire de Valence, « analysis actus fidei » ou
bien « resolutio assensus fidei in sua principia », c.f. Franzelin,
De d. trad. et s. Script., append., c. 4 sq.
Une nouvelle solution représentée
par Pesch, Billot, Schiffini, van Noort
peut se résumer comme il suit : 1° L’autorité de Dieu qui se révèle n’est
connue que par les motifs de crédibilité, par conséquent d’une manière
médiate ; 2° L’acte de foi n’est pas un acte discursif, une conclusion
logique dans laquelle une proposition serait connue et acceptée à cause de la
proposition précédente. Cet acte saisit immédiatement tout l’objet de la foi
dans un seul assentiment. Ainsi, par
exemple, celui qui croit à la Trinité ne croit pas d’abord à l’autorité divine
et ensuite au dogme de la Trinité, mais, dans un seul et simple assentiment, il
croit à la Trinité et à l’autorité de Dieu qu’il a connue auparavant d’une connaissance naturelle. De cette façon l’autorité
de Dieu n’est pas conservée comme objet matériel
de foi ‑ on n’a donc pas à se demander pourquoi on y croit ‑ mais comme motif (ut quo,
propter quod) dont on est déjà convaincu par ailleurs. Par là, on écarte le point le plus difficile
dans l’analyse de la foi ; 3° Le motif de foi est l’autorité de Dieu mais
l’autorité de Dieu en soi et non la
connaissance que nous en avons. Alors même que nous ne connaissons l’autorité
divine que naturellement, nous la connaissons en tout cas comme une autorité
qui possède le plus haut prestige moral et devant laquelle nous avons purement
et simplement à nous incliner quand elle parle (Vatic., S. 3, c. 2). C’est
pourquoi aussi la volonté lui soumet l’intelligence immédiatement et
complètement. Notre adhésion à l’objet de la foi peut donc dépasser toute autre
adhésion en fermeté, bien que notre conviction de la véracité de Dieu et du
fait de la Révélation ne soit que simplement certaine. Et cependant cet acte
d’adhésion a Dieu seul pour motif ; 4° Par là‑même, la question de l’origine de notre connaissance de l’autorité
de Dieu n’a plus à nous préoccuper ; elle ne concerne plus le motif de la foi, mais les conditions préalables de la foi. Je
demande à quelqu’un : Pourquoi croyez‑vous à la Trinité ; il me répond : Parce que Dieu l’a
révélée et qu’il mérite absolument mon adhésion. Demander ensuite pourquoi Dieu
mérite créance, est une question insensée pour celui qui connaît Dieu. Mais si
je demande : Comment connaît‑on Dieu ? ma question ne porte plus sur l’objet formel de la foi, mais sur
ses conditions préalables. Il en est de même pour la foi humaine. Je crois à
une thèse défendue par S. Augustin ou S. Thomas à cause de leur autorité, non à
cause des motifs que la critique peut apporter en faveur de cette thèse. Mais
d’où peut‑on tirer le caractère surnaturel du motif de foi ? La grâce ne peut pas le produire objectivement. On répond : La connaissance de l’autorité de Dieu est
naturelle, mais l’autorité de Dieu elle‑même est en soi quelque chose de
surnaturel ; car le fait de la Révélation et l’utilisation de la vérité et
de la véracité divine ne sont pas dues à notre nature, de même que leur but
n’est pas un but naturel mais un but surnaturel (G. van Noort, De fontibus, 222‑244 ; Pesch, 8, 144‑162 ; Schiffini, De virtut. inf., 195
sq. ; Straub, De analysi fidei, 1922 (contient un aperçu général, de la Scolastique
à nos jours).
A consulter : Hurter, 1, 500 sq. Pesch, 8, 87 sq. Lépicier,
De stabilitate et progressu dogmatis (1910). Ders, Theologia dogmatica orthodoxa (ecclesiæ græco‑russicæ, 1911) 31 sq.
De même qu’il y a une science qui
prépare la foi et l’introduit, il y a aussi une science après et dans la foi, sur la base de la foi. Entre ces deux sciences, il y a
une différence essentielle. La première est une science purement naturelle (p.
77), l’autre est une science surnaturelle, dans la mesure tout au moins où ses
principes doivent être connus et maintenus dans la foi. Il y a ainsi, comme
l’explique le Concile du Vatican, un
double ordre de connaissance (S. 3, c. 3) : un ordre naturel et un ordre
surnaturel. Mais dans les deux cas, on se trouve en présence d’une véritable
connaissance ; même dans le second cas. La connaissance dans le second cas
s’appelle la science de la foi. Deux
questions : 1° Comment peut‑on arriver à cette science de la foi ? et 2° Quelles sont ses relations avec
la raison ?
L’Écriture déjà demande une certaine intelligence de la foi. Cela
ressort nettement de la notion de foi dans la Bible examinée p. 66‑70, ainsi que du § 12.
L’Église primitive tenait compte de ce devoir dans son enseignement
donné aux catéchumènes avant le baptême. Mais la Connaissance de la foi se
différencia bientôt. La plupart des fidèles se contentaient d’accepter
bonnement et simplement l’objet de la foi. D’autres, d’une culture scientifique
plus élevée, voulurent pénétrer dans les profondeurs de cette foi et
s’efforcèrent de rechercher la connexion de ses grandes vérités particulières.
Ils y furent déterminés par l’exhortation de L’Écriture, leurs propres besoins
scientifiques, les attaques de la philosophie, les hérésies qui naquirent dans
le sein même de l’Église. On en parlera plus loin en détail.
Deux adversaires extrêmes se présentent ici : les fidéistes (traditionalistes) qui
affirment qu’on peut seulement croire les vérités de la foi et non les
approfondir davantage à la manière d’une science, et les semi‑rationalistes (Hermès, Günther), d’après lesquels on ne doit croire les
vérités de la foi que d’une manière provisoire, mais qu’on peut ensuite les
réduire à des vérités de raison.
L’Église a condamné les deux adversaires. Elle a reconnu le droit et
le devoir de la raison dans la foi,
et non seulement, par conséquent, avant
la foi ; elle en a donné les précisions et les normes ; par là elle a
caractérisé, d’une façon plus nette, la science de la foi et, d’une manière
générale, délimité les relations entre la foi et la science. Le Concile du Vatican s’exprime ainsi à ce
sujet : « Quand donc la raison, éclairée par la foi, recherche avec
zèle, piété et modestie, elle obtient, avec l’aide de Dieu, quelque
intelligence des mystères et une intelligence très fructueuse, en partie par la
comparaison avec ce qu’elle connaît naturellement, en partie par la connexion
des mystères entre eux et avec la fin dernière de l’homme (S. 3, c. 4 ;
Denz., 1796).
Ceci nous permet de déterminer le
caractère de la science de la foi. La
foi et la théologie sont de genres différents. La première est une vertu
conférée par Dieu qui appartient à tous les chrétiens croyants ; la
seconde est une spéculation théorique, au moyen des facultés naturelles, sur les vérités de la foi.
La foi sauve, la théologie fait des savants.
La foi et la science ne peuvent jamais se contredire. « Mais, bien que la foi
soit au‑dessus de la raison, il ne peut cependant
jamais y avoir de véritable désaccord entre la foi et la raison, car le même Dieu qui révèle les mystères et infuse la foi, a mis dans l’esprit la lumière de la raison.
Mais Dieu ne peut pas se renier lui‑même et la vérité ne peut jamais contredire la vérité. La fausse apparence d’une telle contradiction vient le
plus souvent de ce que les dogmes n’ont pas été compris et exposés dans le sens de l’Église, ou
bien de ce que l’on a pris des opinions et des imaginations pour des exigences
de la raison. Nous définissons donc que toute affirmation contraire à la vérité
de la foi éclairée est complètement fausse » (Vatic., S. 3, c. 4 ; Denz.,
1797 ; C. Gent., 1, 7). S. Thomas :
« Puisque la foi repose sur la vérité infaillible, il est impossible qu’on
puisse véritablement démontrer une proposition qui lui est opposée. Il est
évident que tous les arguments que l’on peut élever contre elle ne sont pas des
démonstrations, mais des objections solubles » (S. th., 1, 1, 8 ; cf.
C. Gent., 2, 4).
Le Concile indique ensuite que la
raison elle‑même peut recevoir de la foi beaucoup d’aide et de lumière dans son propre domaine. « La foi garde et protège la raison d’erreurs et
l’enrichit de multiples connaissances ». On se rend compte immédiatement
de la justesse de cette affirmation, quand on compare, par exemple, la
philosophie thomiste avec la philosophie aristotélicienne dont elle procède
pourtant, et spécialement si on examine, à côté de la philosophie thomiste, la
philosophie moderne. On doit souligner aussi que la doctrine de foi catholique
ne nuit pas, comme on l’affirme souvent, au progrès culturel. L’Église a
maintes fois repoussé ce reproche (Denz., 1799).
Certains catholiques ayant pris
au sérieux ce reproche, on imagina la théorie contradictoire de la double vérité : Une chose peut être
vraie philosophiquement et fausse théologiquement. Ainsi pensèrent, à la
suite d’Averroës, certains membres de
l’Université de Paris (1300) et des humanistes avec Pierre Pomponace (+ 1524). Le 5ème Concile de Latran les
condamna (1512‑1517) (Denz., 738). Dans les temps modernes,
cette erreur a été reprise par Frohschammer et condamnée de nouveau par le Concile du
Vatican ; puis par Loisy qui
distingue entre le Christ de la foi et le Christ de l’histoire, les déclare
inconciliables et veut qu’on les sépare purement et simplement (Denz., 2084,
2085, 2109, 2106).
On demande quelle est la nécessité de la science de la foi. Les
théologiens répondent qu’elle n’est pas nécessaire aux particuliers pour leur
salut, mais que, pour l’ensemble de
l’Église, elle est très avantageuse et très utile. Elle sert tant à la vie
commune et intérieure de la vie de foi qu’à la défense extérieure de la foi.
Conclusion pratique. L’acte fondamental de notre religion est la foi. Ce que dit S. Paul de la vie
naturelle en Dieu vaut à plus forte raison de la vie surnaturelle. « C’est
en lui que nous vivons, que nous nous mouvons, que nous sommes » (Act.
Ap., 17, 28). C’est par la foi que nous saisissons Dieu et que nous le
conservons. Toutes les fois que nous voulons nous mouvoir dans la direction de
Dieu, nous avons besoin de la foi. Aucune prière, aucun empire sur soi‑même, aucun sacrifice, aucun acte
de patience, aucune réception de sacrement, aucune aumône ne peuvent être
accomplis par nous d’une manière convenable, sans que cet acte fondamental de
foi leur prête vie et élan. Plus encore : tous ces actes, dans leur
intensité et leur extension, dépendent de la mesure de la foi. La foi est la
puissante racine portante de toute la vie surnaturelle. C’est pourquoi S. Paul
peut écrire brièvement : « Le juste vit de la foi ». Quand cette
racine est saine, la sève circule ; quand elle est malade, toutes les
sources de vie se tarissent. Mais la foi est l’œuvre de la grâce de Dieu et de
la volonté de l’homme ; elle doit donc puiser sa substance dans deux
mondes. La volonté, nous l’avons dans notre main ; quant à la grâce, elle
se trouve dans la main de Dieu. S. Thomas donne aux croyants le conseil
important d’exciter souvent leur foi et pour cela de respecter surtout, par
motif de foi, la véracité divine. Si quelqu’un repoussait consciemment et
opiniâtrement un seul article de foi, il perdrait toute la grâce de la foi et,
par rapport aux vérités conservées, il n’aurait pas une véritable foi, il ne
pourrait plus avoir qu’une autre conviction quelconque (S. th., 2, 2, 5, 3).
A consulter : Dict. théol., 4, 1624‑1650. Tixeront, Histoire
des dogmes, 1, 1‑17. Maupréaux,
Faut‑il « remettre au point » les formules dogmatiques ? (Revue augustinienne, 1909, 232
sq.). Gardeil, Le développement du
dogme (Revue des sciences philos. et théol., 1908, 447 sq.).
Le Concile du Vatican termine son enseignement sur les
relations de la foi et de la science par des décisions sur le progrès dogmatique. Tout d’abord, il
rejette une fausse conception d’après laquelle ce progrès serait un changement
substantiel de la vérité, une continuation de la Révélation. A cette erreur, il
oppose la déclaration de l’immutabilité
et de l’indéfectibilité essentielles
de la doctrine de foi.
« La doctrine de foi, en
effet, que Dieu a révélée, n’a pas été proposée à l’esprit humain comme une
invention philosophique pour être complétée, mais elle a été remise comme un
dépôt divin à l’Épouse du Christ pour le garder fidèlement et l’annoncer
infailliblement. C’est pourquoi il faut toujours garder le sens des dogmes
sacrés que notre sainte Mère l’Église a une fois déclaré et ne jamais s’écarter
de ce sens sous le prétexte et le nom d’une plus haute science » (Denz.,
1800). Dans un canon qui se rapporte au même sujet, cette conception erronée du
progrès dogmatique, qui a été souvent soutenue dans ces derniers temps, a été
frappée d’anathème (can. 3 ; Denz., 1818). La raison théologique de cette doctrine se trouve dans le fait que la
Révélation a été close avec les Apôtres, ainsi que dans l’infaillibilité de
l’Église qui ne peut pas se tromper dans ses affirmations qui sont, par suite,
irréformables (Cf. § 7). Le Christ a
donné mission aux Apôtres d’enseigner ce qu’il leur avait ordonné (Math., 28,
20). S. Paul ne veut pas même
reconnaître à un ange du ciel le pouvoir de changer l’Évangile (Gal., 1,
8 ; cf. 2 Tim., 1, 14) ; le Christ est « à l’origine et au terme
de la foi » (Hebr., 12, 2). C’est aussi l’enseignement constant de la
Tradition (Cf. p. 29).
Le vrai progrès dogmatique. Ainsi donc, il n’y a pas de changement substantiel du dogme, pas de progrès absolu dans le dogme ; mais il y a
un progrès accidentel, relatif. Ce progrès consiste en ce que
l’Église connaît, d’une manière toujours plus profonde et plus précise, les
vérités du « dépôt de la foi », qu’elle les explique d’une manière
toujours plus claire, qu’elle les exprime et les propose dans des formules
toujours plus parfaites. Ce progrès dans la connaissance subjective des vérités
et dans leur formule objective, l’Église le désire et le favorise :
« Il est donc nécessaire que l’intelligence, la science, la sagesse de
chacun comme de tous, d’un seul homme comme de l’Église entière, suivant l’âge
et le siècle, croissent et grandissent beaucoup, mais toutefois en leur
espèce ; c’est‑à‑dire, en conservant la même doctrine, le même sens, la même pensée » (C. 4 : Denz., 1800).
Preuve. S. Paul déjà demande un
progrès dans la connaissance de la foi jusqu’à une certaine perfection (1 Cor.,
2, 6‑16 ; 3, 1 sq. Phil., 1, 9. Col., 1, 6, 9
sq. ; 2, 2, sq. Éph., 1, 17‑19 ; 3, 3 sq. ; 3, 18 sq. ; 4, 13 sq. ; 5, 9‑14). Il traduit les vérités chrétiennes dans la langue grecque usuelle d’alors et crée une série de termes théologiques (χάρίς, χάρισμα, άποϰάλυψις,
πνεῦμα, διϰαιοσύνη,
πίστις). On peut en dire autant de S. Jean qui se
sert de la langue grecque pour exposer les doctrines évangéliques annoncées en
araméen par Jésus et crée pour cela un certain nombre de termes fixes
(λόγος, φῶς, ἀλήθεια,
ζωἠ, etc.). Mais il faut affirmer ici, contre l’histoire
libérale, que le contenu de ces termes est un contenu chrétien original et non
celui du culte des mystères païens.
Alors qu’à l’époque
postapostolique on se contentait de la simple répétition des vérités révélées
et de leur application pratique, on commence, dès le 2ème siècle, à
défendre certains dogmes, comme celui du Logos, de la Résurrection en recourant
à des pensées et à des expressions philosophiques et théologiques. Au 2ème
siècle, S. Irénée et Tertullien fixèrent la doctrine de la « Règle de
foi » et de la Tradition contre la Gnose. S. Cyprien développe la doctrine
de l’Église contre le schisme ; en même temps on traite la question du
Baptême, de la Pénitence et de l’Eucharistie. L’époque de S. Augustin s’occupe
des problèmes de la grâce, des sacrements, de l’Église. Les questions
trinitaires et christologiques discutées au Concile de Nicée, sont poursuivies
jusque dans leurs dernières conséquences. Dans la Scolastique, on examine à
fond le « Filioque », la transsubstantiation, la « visio
beata », les questions sacramentaires, etc. Dans la dernière période qui
va du Concile de Trente à nos jours, on s’occupe de la controverse avec les
protestants, des questions modernes sur la foi et la science, sur l’Église et
la primauté du Pape. A cette évolution objective
du dogme en correspond une autre dans le langage et les formules. La langue ecclésiastique latine a été créée par
Tertullien et S. Cyprien. Il n’y en a encore pas trace chez Minucius Felix. Les
termes créés par Tertullien : « persona, natura, trinitas,
substantia » continuent toujours de vivre dans la théologie. S. Augustin
enrichit encore cette langue (verbum, elementum. sacramentum et res, character).
La Scolastique, avec la floraison postérieure de la théologie posttridentine,
compléta encore cette terminologie. Qu’on se rappelle seulement la terminologie
sacramentaire, les termes comme : « Satisfactio (S. Anselme),
transsubstantiatio, infallibilitas », etc. Il en fut de même dans l’Église
grecque. Celle‑ci possédait dès le début une terminologie fixe dans la Bible
grecque, elle pouvait partir de là pour développer cette terminologie.
« Alexandrie, la capitale de la culture intellectuelle profane, fut le
berceau naturel de la théologie ecclésiastique » (Bardenhe Yer). Athènes y
eut par conséquent peu de part. Les grands Alexandrins furent avant tout
Clément et Origène. Signalons les termes : οὐσία,
ὑπόστασις,
φύσις, ὁμοούσιος,
τριάς, μονάς,
ενάς,
θεάνθρωπος, ἐνανθρώπησις,
ἐνσωμάτωσις, ἔνσαρϰος,
παρουσία,
θεοτόϰος.
Les Pères avaient nettement conscience du droit et du devoir de
collaborer au développement dogmatique. Un témoin classique de cette conscience
est S. Vincent de Lérins auquel se
réfère le Concile du Vatican lui‑même. Mais ce qu’il a dit au c. 28 et 32 se trouve déjà dans Tertullien : « Elle (la règle
de vérité) ne doit jamais souffrir d’atteinte, quoi que vous cherchiez, que
vous discutiez, quelque essor que vous donniez à votre curiosité »
(Præsc., 14, cf. 12 ; de même Origène, De princ., 1, præf. 3). Les Apôtres
ont transmis « manifestissime » tout ce qui est nécessaire à tous
pour le salut ; pour d’autres choses, ils ont seulement indiqué le
« quia sint » et non le « quomodo sint » et ces choses, les
amis de la sagesse chrétienne doivent l’expliquer selon leurs capacités (Hugo
de S. V.). « Crevit itaque per tempora fides in omnibus ut major esset,
sed mutata non est, ut alia esset » (De sacr., 1, 10, 6).
Raisons du progrès. 1° Le Saint‑Esprit qui opère dans l’Église doit l’introduire dans toute vérité
(Jean, 16, 13) ; 2° Les hérésies
forcèrent d’expliquer d’une manière plus claire les dogmes attaqués. S.
Augustin l’affirme et excuse les anciens Pères qui s’exprimaient encore d’une
manière moins précise : « Avant que vous ne commenciez à nous
quereller, nous pouvions utiliser ces termes sans souci » (Chrysost.), dans la question de la grâce (Cont.
Jul., 1, 6, 26 ; cf. Civ., 16, 2, 1). Avec beaucoup de pénétration, il
rappelle ce qu’on appela plus tard « virtualiter revelata » et dit
que l’hérésie en a amené l’éclaircissement en suscitant des hommes spirituels
compétents dans l’Église (Enarr. in Ps. 54, 22) ; 3° La conception individuelle de la Révélation chez les
Pères particuliers, comme chez les peuples chrétiens. Les Grecs sont portés à
la spéculation, les Latins à l’étude des question pratiques de l’Église et de
la vie chrétienne ; 4° La philosophie
et la culture profane ont eu aussi
leur influence sur l’évolution dogmatique. Rappelons le platonisme,
l’aristotélisme, l’humanisme (philologie, histoire, critique),
l’historisme ; 5° Pour le progrès personnel dans la connaissance de la
foi, les Pères et particulièrement S. Augustin, d une manière fréquente,
recommandent non seulement l’étude,
mais encore la prière et la pureté du cœur (petere, pulsare,
orare : S. Aug.).
Le Concile du Vatican a en vue aussi, en parlant du
progrès dogmatique, l’activité théologique
privée des particuliers, comme celle de l’ensemble des théologiens. Les
initiés savent comment des maîtres particuliers ou des écoles particulières ont
favorisé le progrès scientifique. De même pour la théologie. Qu’on songe à S.
Athanase, à S. Augustin, à la Scolastique, au Concile de Trente. Léon XIII
renouvelle l’invitation du Concile du Vatican à la collaboration :
« Il peut se faire, grâce à un bienveillant dessein de la Providence de
Dieu, que le jugement de l’Église se trouve pour ainsi dire mûri par une étude préparatoire » (Encycl.
« Providetisimus). Déjà Vincent de L. s’adresse aux savants et dit :
« Ton explication rendra plus clair ce qui était cru auparavant d’une
manière plus obscure... Cependant enseigne la même chose que ce que tu as
appris, de telle sorte que si tu le dis d’une manière nouvelle tu ne dises
cependant rien de nouveau » (Common., 27).
Le comment du progrès dogmatique. On peut distinguer trois ou
quatre espèces d’explications. 1. On fait appel à l’analogie d’un organisme. C’est ce que fait S.
Vincent : La religion de l’esprit doit imiter la manière d’être du corps,
lequel, bien qu’il développe ses membres au cours des années, reste cependant
le même qu’il était. Il y a une grande différence entre la fleur de la jeunesse
et la maturité de la vieillesse et pourtant les vieillards sont les mêmes
qu’ils étaient quand ils étaient encore jeunes. Ces lois de la croissance
doivent s’appliquer aussi à la doctrine de foi de la religion chrétienne (c.
29). Il rappelle ensuite l’image de la semence dont le Christ lui‑même s’est servi pour décrire le développement du royaume de Dieu
(Marc, 4, 26). On en est resté longtemps à cette explication, sans éprouver le besoin de la développer. « Le
Moyen‑Age manquait trop de sens historique et de
science biologique pour se sentir porté vers un mode d’exposition si complètement orienté vers l’histoire et la biologie » pense Rademacher.
2. Newman insiste sur le caractère spirituel de l’évolution, parce que
les vérités ne se développent pas comme des plantes. C’est pourquoi il dit que
le progrès dogmatique se comporte comme celui d’une idée vivante qui, dans le combat avec d’autres idées concurrentes,
se développe, se fortifie, se change, se perfectionne, en détruisant d’autres
éléments, mais aussi en les absorbant sans perdre son identité, comme la verge
d’Aaron absorbait les bâtons des sorciers égyptiens. Il pense, en parlant de
l’absorption d’idées étrangères, au culte, aux cérémonies, à l’honneur rendu aux
saints, à la philosophie. Les points principaux de son exposé sont les
suivants : a) La permanence de l’idée
fondamentale essentielle (du « typ ») ; b) La stabilité des
principes directeurs (Écriture et règle de foi) ; c) La force
d’assimilation de l’idée fondamentale (processus éclectique, conservatif,
assimilatoire) ; d) La suite logique (culte de Marie, culte des images,
purgatoire, baptême des enfants, Pénitence) ; e) Les compléments
mainteneurs (le culte de Marie appuie le culte du Christ, les rites protègent
les vérités). Il semble que Newman ait été déterminé à son exposé par Mœhler et
ait subi son influence, du moins sa théorie est identique à celle de
Mœhler : « Le livre de Newman n’apporte rien de bien nouveau et
original » (Vermeil, Jean‑Adam Mœhler, 1913, 454). Ces deux grands hommes sont tombés un peu en discrédit par suite de l’usage que les modernistes ont
fait de leur nom. Néanmoins la manière dont ils insistent sur l’identité dogmatique, ainsi que sur la règle de foi,
montre qu’il y a une différence essentielle entre eux et leurs prétendus
disciples.
3. Franzelin, dans les temps modernes, a donné une troisième
explication : le développement de l’idée principale dans ses idées
secondaires les plus lointaines et les plus délicates. Cette explication est en
accord avec une déclaration occasionnelle de S. Thomas sur cette question. Il
dit que, dans la doctrine de l’être divin, est comprise toute la doctrine de
Dieu, dans la foi à la Providence toute la doctrine du salut, dans la
Rédemption, l’Incarnation : « Il faut dire que quant à la substance des articles de foi leur
nombre n’a pas augmenté avec la succession des temps ; parce que tout ce
que les générations postérieures ont cru était compris dans les générations
antérieures, quoique implicitement.
Mais le nombre des articles a augmenté explicitement, parce que ceux qui sont
venus les derniers ont connu d’une manière explicite ce que ne connaissaient
pas de la même manière ceux qui les ont précédés » (S. th., 2, 2, 1,
7 ; Franzelin, De div. trad., sect. 4). Cependant, d’après Schultes, S. Thomas, dans ce passage,
traite du développement de la Révélation et ne parle de celui du dogme que dans
les deux articles suivants.
4. Il sera bon d’unir ces trois
explications et de ne pas en accepter une exclusivement, car toutes les trois
ont leur raison d’être. L’évolution s’est faite à la manière d’un être vivant,
mais sans suivre toujours ou même seulement à certaines époques, le même type
rigide. Si l’on se range à l’avis de S. Vincent, il ne faut pas oublier que le
dogme n’est pas un organisme physique qui, en vertu d’une force interne, se
développe régulièrement, mais un être spirituel dont le progrès est
intermittent et n’est jamais terminé. Si l’on accepte l’opinion de Newman, il
ne faut pas oublier que l’évolution n’a pas toujours eu ce cours mystique, doux
et peu didactique, mais qu’il s’est assez souvent effectué dans des combats de
pensée durs et passionnés. Si l’on se range à l’avis de Franzelin, il ne faut
pas oublier que l’évolution du dogme n’est pas seulement influencée par des
syllogismes et des explications de notions, mais encore par l’action vitale du
culte et de la vie morale, et aussi par l’action immanente du Saint‑Esprit dans l’Église comme dans les individus. C’est pourquoi il est bon d’unir les trois opinions. On a
songé qu’il valait mieux, pour expliquer cette évolution, choisir une nouvelle
image, celle du levain (Luc, 13, 21). Mais peut‑être ferait‑on mieux de renoncer à toute image et d’essayer de comprendre la
chose dont une seule image ne peut
donner la notion complète. Il est vrai que l’image du levain rend mieux le
développement moral qui est loin
d’être sans importance pour l’évolution dogmatique. Disons pour finir que le
développement dogmatique, dans la mesure où il comprend en même temps la
systématisation, est presque exclusivement dû au travail logique de la
scolastique sur le dogme. Aussi la haine de la scolastique va de pair avec
celle du dogme.
Fausses explications. D’après Günther,
le dépôt primitif de la foi ne contenait que peu de vérités fondamentales et
quelques faits historiques dont on a tiré plus tard le développement de tout le
système de la foi. Le principe de l’évolution est le Saint‑Esprit ; la cause principale est la philosophie. C’est
pourquoi les formules dogmatiques changent avec les progrès de la science.
Elles ne sont que relativement vraies. Cette opinion a été rejetée par le
Concile du Vatican.
D’après Harnack, l’Évangile simple et non dogmatique s’unit à l’hellénisme
et devint ainsi peu à peu le christianisme dogmatique. Dans la suite, celui‑ci n’a jamais cessé d’augmenter ses dogmes, tout en
affirmant toujours que ce n’était que la même ancienne doctrine. La substance de l’Évangile ne se perdit pas
entièrement dans ce mélange avec la philosophie ; il n’en est pas moins
vrai que le progrès continuel du dogme ne fut autre qu’une corruption
continuelle du christianisme primitif. L’idéal du développement doit être un
retour à l’ancien état non dogmatique.
Dans cette opinion, l’influence
de la philosophie est très exagérée : cette influence fut seulement formelle et non matérielle. De plus elle méconnaît la nécessité de la croissance de
la vérité vivante. Au reste, l’idéal proposé est impossible, comme il serait
impossible de ramener un état à ses commencements, un homme à l’enfance, un
arbre à son germe.
D’après Loisy, l’évolution dogmatique est naturelle et logique. Mais il
ramène la substance de la doctrine
chrétienne non pas au Christ de l’histoire, mais au Christ de la foi ; en
outre, il considère les dogmes comme l’expression, à un moment donné, de la
Révélation qui se poursuit dans l’humanité et il admet leur modification
constante. Par suite, il abandonne toute la notion d’évolution et lui substitue
celle de création absolument
nouvelle. Il n’y a qu’un dogme dans le devenir (dogma in fieri) et non un dogme
dans l’être (d. in esse). Cette opinion représentée par Loisy, Le Roy etc., a
été condamnée par Pie X (Denz., 2058, 2065, 2079, 2080).
L’Église schismatique grecque limite artificiellement et
arbitrairement l’évolution dogmatique, qu’elle explique comme l’Église
catholique, aux sept premiers conciles généraux. Le motif de cet arbitraire et
de cette inconséquence réside sans doute dans ce fait que son état d’Église acéphale ne lui permet plus de continuer
l’évolution. Elle reproche à l’Église romaine d’avoir introduit des dogmes
entièrement nouveaux, alors que les Grecs sont en possession de la pure
doctrine ancienne (Sur ce sujet, cf. Palmieri, Theologia dogmatica orthodoxa,
1, 31 sq. et 2, Progresso dommatico, 67 sq.). Cependant des théologiens
judicieux jugent aujourd’hui qu’il est « nécessaire que l’Église (grecque)
reprenne son activité dogmatique qui a cessé avec la séparation des
Églises » (Revue d’Insbruck, 1918, 135). Svetlov se plaint amèrement : « L’Église se tait ou, ce
qui est pire, dans les questions de science et de conscience, elle nous renvoie
à l’époque lointaine des sept conciles, pour y trouver une réponse, alors que
ce sont de tout autres questions qui nous occupent… Il nous faut absolument un
nouveau, un huitième concile œcuménique. Il faut que l’union des Églises se
fasse » (Ibid.). Mais comment faire de pareils « conciles » sans
le Pape ? Personne n’ose le dire.
Les Réformateurs acceptèrent, comme les Grecs, une évolution dogmatique
jusqu’à une certaine époque qui fut fixée aux trois premiers symboles : le
symbole des Apôtres, le symbole de Nicée‑Constantinople et celui de S.
Athanase. Le protestantisme libéral moderne repousse tout dogme et tend vers un christianisme sans
dogme. Au sujet du christianisme primitif, il parle de différents types de doctrine (Synoptiques, S. Paul,
S. Jean, S. Jacques).
Une méthode tout à fait nouvelle
consiste à expliquer le christianisme primitif uniquement du point de vue de l’histoire des religions, comme un mélange
d’idées chrétiennes et d’antiques religions à mystères. On examine
particulièrement S. Paul et S. Jean, de ce point de vue.
A consulter : Petau, Opus. de théol. dogm. Prol. Scheeben, 1, 358 sq. Minges, 1.
La méthode scientifique d’une
discipline ne peut pas être établie a
priori. Elle dépend non seulement des règles et des principes
scientifiques, mais encore de la matière à traiter. Autre est la méthode de la
philosophie, autre est celle de l’histoire, des sciences naturelles, de la
théologie. La dogmatique est une science positive. Sa matière est donnée, elle
n’a pas à chercher, elle n’a qu’à l’ordonner, à la systématiser, à la scruter
spéculativement.
La dogmatique n’est pas dépourvue
de données préalables ; elle ne l’est ni par rapport à sa matière, ni par
rapport à la manière de la traiter. Le premier point ressort évidemment de ce
que nous avons dit jusqu’ici. La dogmatique veut exposer les vérités révélées
d’une manière ordonnée. Ces vérités existent déjà dans leur ensemble complet.
Il n’est donc pas de son rôle d’augmenter
sa matière, par exemple par des recherches scientifiques, par des enquêtes de
psychologie ou d’histoire religieuses ; pas plus que d’étendre son examen
à un domaine entièrement étranger à celui de la Révélation positive.
Les analogies tirées de
l’histoire des religions, telles qu’on aime à en chercher aujourd’hui dans les
antiques religions à mystères, n’ont pour la dogmatique qu’une importance
extérieure ; elles montrent que le culte chrétien répond à un besoin
général et humain de rédemption, mais que ces religions non chrétiennes, même
dans les cas les plus favorables, ne sont qu’une ombre de la religion
chrétienne. Ce n’est pas l’ombre qui peut donner de la clarté à la lumière. La
Trinité chrétienne, par exemple, n’a rien de commun avec celle de Plotin ;
le Logos chrétien n’a rien de commun avec celui du Portique ou de Philon ;
la rédemption chrétienne n’a rien de commun avec celle de la Gnose ou de
Bouddha ; les sacrements chrétiens n’ont rien de commun avec ceux des
antiques mystères. Le dogme chrétien procède de la Révélation ; le dogme
non chrétien des besoins religieux de l’humanité.
Même quand la Révélation a été
acceptée, la manière de la traiter dogmatiquement est essentiellement positive.
Il n’est, par conséquent, pas possible de développer son contenu général d’une
manière purement rationnelle ou bien de le déduire logiquement d’une ou
plusieurs idées générales ou vérités
fondamentales. S. Thomas semble voir
dans l’idée de Dieu une idée fondamentale de ce genre, quand il dit qu’on doit
tout considérer dans la théologie « par rapport à Dieu » (S. th., 1,
1, 7). Mais cela ne veut pas dire que toute la matière de la dogmatique peut
être déduite de cette idée. Dieu est assurément, en soi et dans son œuvre,
l’ordre, la logique et l’harmonie suprêmes ; mais son œuvre dépend non
seulement de sa liberté, mais encore, d’une certaine manière, des actions de
l’homme libre. De ce fait, l’activité révélatrice de Dieu reçoit un caractère accidentel,
indéterminable, particulier, et un contenu imprévisible. La Révélation nous
semblera souvent contenir des lacunes ; il nous manque parfois les
intermédiaires logiques. C’est pourquoi la Scolastique, dans son exposé philosophique des dogmes, doit souvent
recourir aux motifs de convenance. Le
théologien n’est pas capable de reprendre, pour ainsi dire, par la base, dans
la matière donnée, le développement spéculatif d’une idée fondamentale. Ni
l’idée de Dieu, ni l’idée du royaume de Dieu, ni l’idée de l’Église ne s’y
prêtent.
Un second lien qui rattache le
théologien à sa matière, c’est qu’il doit croire tout l’ensemble des vérités
qu’il a à traiter. Il travaille la matière d’une manière personnelle, mais il
ne peut la traiter que dans un sens fixé par l’Église. Plus que dans toute
autre discipline, la manière de traiter la dogmatique est
« ecclésiastique », parce qu’elle correspond à la foi professée par l’Église et que, même
dans les points secondaires, elle est partout en étroit contact avec elle.
Une discussion libre et
rationnelle des dogmes, sans tenir compte des donnée préalables, s’opposerait
au caractère propre et intime des dogmes, ainsi qu’à l’importance de l’Église,
en tant que règle prochaine de foi. C’est pourquoi le Concile du Vatican a interdit la méthode du doute positif. Les théologiens ne parlent que
du doute méthodique, lequel d’ailleurs n’est pas seulement permis, mais encore
très utile pour mieux approfondir le dogme et pour le défendre.
Répartition de la matière. La dogmatique est la science de Dieu et de son œuvre. Par suite, l’ensemble de sa matière se divise en deux parties principales : la
première considère l’être de Dieu en lui‑même et la seconde les actions particulières de Dieu dans le monde.
En tête des actions divines se
place le fait fondamental de la création, dont le produit principal est l’homme
avec sa destinée éternelle et surnaturelle. Mais, dans l’épreuve que Dieu
imposa à sa liberté, l’homme s’écarta de sa destinée primitive et tomba dans le
péché. Dieu voulant cependant lui restituer cette destinée, la Rédemption était
nécessaire. En admettant que cette rédemption dût être parfaite, elle exigeait,
quant à elle, l’Incarnation. La rédemption objective ne suffisait pas, il
fallait que ses effets soient appliqués subjectivement aux hommes en
particulier. Cela se fait par la justification et la sanctification
personnelles de l’homme tombé, dans l’institution de salut qu’est l’Église, par
les sacrements qui sont les moyens de salut qui lui ont été confiés. Mais le
dernier terme de l’œuvre divine de la Rédemption est l’accomplissement de la
destinée humaine par la sanction personnelle. Ainsi, sans division
artificielle, apparaissent les parties suivantes :
1. Dieu, unité et Trinité.
2. La création du monde et
l’épreuve de la créature libre.
3. La rédemption du monde dans
son accomplissement objectif.
4. La grâce, forme subjective de
la rédemption.
5. L’Église, institution de
sanctification et communion des saints.
6. Les sacrements, moyens de
sanctification.
7. La fin de l’homme racheté ou
les fins dernières.
Tous ces sept points peuvent être
considérés comme autant d’articles
fondamentaux qui contiennent chacun une série de vérités particulières. Le
système dogmatique de la foi catholique ressemble à une tour dont les pierres sont emboîtées les unes dans les autres pour
constituer un ensemble cohérent. Si on enlève une seule pierre, tout l’édifice
ne tardera pas à s’écrouler sur celui qui a enlevé la pierre. Nous en trouvons
la preuve dans l’histoire de toutes les hérésies et de tous les schismes. Au
reste, le rejet même d’une seule
vérité nous sépare de l’Église et cela signifie la perte du principe d’unité.
Seul le catholicisme a un système, une synthèse.
Elle a : 1° A extraire le
dogme des sources symboliques, 2° A
le démontrer par l’Écriture et la Tradition ; 3° Autant que possible,
à l’approfondir spéculativement.
Ad 1. La première tâche consiste
à établir le dogme et à l’exprimer
dans sa réalité. Avant de prouver le dogme, il faut en avoir une idée bien
nette, sous peine d’enlever à la preuve sa force et sa plénitude. A cette fin,
le théologien dogmatique doit s’adresser aux écrits symboliques de l’Église.
Dans ces écrits, le dogme se trouve d’ordinaire exprimé en courtes formules
qu’il est facile d’extraire et qui, reproduites textuellement, fournissent
souvent l’énoncé d’une thèse. Comme la dogmatique expose aussi les vérités
catholiques, ainsi que diverses opinions ou explications de théologiens privés,
il est à conseiller d’indiquer à la suite des thèses leur valeur dogmatique.
Ceci est particulièrement important de nos jours où des adversaires, comme Harnack,
raillent les moitiés, les tiers, les quarts de dogme des catholiques. Il est
utile aussi, en face du zèle exagéré de certains théologiens, de fixer
nettement les limites entre les vérités particulières.
L’Église emploie, pour ses
décisions, une terminologie particulière et souvent, même dans ses définitions,
elle se laisse guider par les objections des hérétiques ; aussi il est
nécessaire d’ajouter à la proposition dogmatique une explication dans laquelle
les expressions techniques sont éclaircies et les contestations possibles des
hérétiques fixées. L’usage d’un langage théologique fixe a été, à maintes
reprises, recommandé par les Papes (Denz., 159‑161, 442 sq.). Si chaque théologien particulier voulait, à cet égard, suivre son goût particulier, il en résulterait nécessairement une confusion de
Babel. S. Paul met déjà en garde
contre la « nouveauté profane des mots » (1 Tim., 6, 20). S. Augustin explique que le philosophe
peut se servir de mots à sa guise, « mais nous, nous devons nous exprimer
d’après une règle fixe, de peur que
l’emploi arbitraire des mots ne détermine une opinion impie sur les choses
qu’ils désignent » (Civ., 10, 23).
Ad 2. Une seconde tâche de la
dogmatique consiste dans la preuve
positive des dogmes par l’Écriture et la Tradition. La preuve par l’Écriture vient en tête. La raison en ressort de
l’importance de l’Écriture comme source de la Révélation, dont nous avons déjà
parlé. De même, on a déjà signalé que la Vulgate
a été déclarée par le Concile de Trente, la Bible de l’Église latine et que
l’interprétation doit se faire dans le sens traditionnel. Pour extraire les
dogmes des textes de l’Écriture, il est nécessaire de le faire selon les règles
scientifiques en usage aujourd’hui dans l’exégèse et maintes fois recommandées
dans les temps modernes par l’Église. D’après ces règles, il faut apprécier le
livre d’où est tiré le texte d’après l’étape de Révélation à laquelle il
appartient. Une méthode anti‑historique de citation qui, sans
tenir compte des étapes de la Révélation, aligne les textes d’une manière purement extérieure était autrefois en usage,
mais elle ne suffit plus aujourd’hui, parce qu’elle n’est pas historique et ne
jouit, par conséquent, d’aucune considération. Il faut en dire autant pour la
littérature de prédication et d’édification.
Enfin, il est d’une grande
importance apologétique, pour notre temps, de citer, autant que possible, les
textes probants en entier. Si l’on se
contentait autrefois de quelques textes « classiques », cela
suffisait alors, car la vérité des dogmes était généralement admise. Mais
depuis que le protestantisme et, à sa suite, le modernisme ont utilisé la
critique biblique pour attaquer les dogmes catholiques, il ne suffit
certainement plus pour les prouver de se borner à citer quelques textes. Sans
doute, on ne pourra pas, du moins le plus souvent, être absolument
complet ; car c’est là la tâche de la théologie biblique. En tout cas, la
dogmatique peut, dans les temps modernes, apprendre beaucoup de cette
discipline traitée du point de vue catholique. Il faut aussi, dans
l’établissement des preuves, remonter jusqu’à l’Ancien Testament, bien qu’on n’y trouve d’ordinaire que les germes du dogme chrétien. Les décisions doctrinales de l’Église ne
peuvent pas prouver le dogme, mais seulement le faire connaître. C’est ce dont
certains théologiens ne tiennent pas assez compte. Mais on peut parfois, par
les décisions doctrinales, connaître le vrai sens d’un texte de la Bible ou de
la Tradition. Cela arrive particulièrement pour des passages au sujet desquels
la dernière décision appartient à l’Église.
La preuve patristique a pour but de montrer pour chaque dogme particulier
l’accord des Pères. Elle a une double importance. Tout d’abord elle présente
les principaux témoignages de la Tradition. Ensuite elle fait connaître, pour
tous les dogmes, l’état de l’évolution. C’est pourquoi il est indispensable de
suivre, autant que possible, dans la preuve patristique, l’ordre chronologique,
de faire connaître les tendances communes, les traditions d’école, les thèses
contraires des hérétiques, les étapes de l’évolution du dogme. Il faut aussi
tenir compte aujourd’hui de la différence entre les Grecs et les Latins. Les
Orientaux sont généralement portés à la spéculation, les Occidentaux à l’exposé
positif ; les uns s’appuient volontiers sur la philosophie, les autres de
préférence sur l’Écriture. Les uns traitent de la théologie proprement dite,
les autres s’occupent davantage des questions pratiques de la Rédemption, telles
qu’elles se rencontrent dans l’administration des sacrements et l’œuvre de
l’Église ; les uns se demandent ce que sont Dieu, le Christ, le Saint‑Esprit en eux‑mêmes, les autres ce qu’ils sont pour
nous. Il faut se rappeler en outre que, pas plus chez les Pères que dans
l’Écriture, on ne doit chercher le dogme dans son aspect formel ; il suffit qu’on puisse en reconnaître chez eux le
sens. Et enfin on se rendra compte que le témoignage « ininterrompu »
de la Tradition n’exige pas, pour chaque dogme, une attestation chez chaque
Père. Toute la littérature patristique n’y suffirait pas. Les écrits des Pères
eux aussi doivent leur apparition, le plus souvent, à des occasions
accidentelles et extérieures : ce sont des écrits de circonstance et non
des exposés systématiques des vérités de foi.
Ad 3. L’exposé spéculatif. On se demande si les vérités surnaturelles
peuvent être soumises à des considérations rationnelles, à un traitement
dialectique et logique, ou même l’exigent, comme c’est le cas pour les vérités
philosophiques. Il s’agit de l’application technique de la philosophie aux
dogmes. La question ne peut se poser que pour son emploi formel en théologie et non pour son emploi matériel. Il est évident que la dogmatique ne reçoit pas, comme l’affirment
les historiens protestants du dogme, une matière purement philosophique pour la
transformer en dogme. Il n’est question que d’une application des catégories
philosophiques aux vérités révélées. Et la légitimité de cet emploi formel ne
peut pas raisonnablement être discutée.
Il est vrai, assurément, que les
premiers organes de la Révélation s’exprimèrent d’une manière immédiatement
connexe à la vie et à ses événements divers et changeants ; que le
christianisme est entré dans le monde non
comme une philosophie, mais comme une révélation immédiate et personnelle de
Dieu, comme une religion ; que
le Christ et les Apôtres, S. Paul un peu excepté, n’ont pas employé le langage
philosophique, mais se sont appliqués à parler un langage religieux
simple ; que l’Église, en tant que dépositaire de la Révélation, n’a pas
reçu la mission d’approfondir et d’ordonner scientifiquement les vérités
éternelles, mais simplement de les annoncer et de les maintenir. Cependant une
nécessité interne devait l’amener à donner aussi des vérités révélées, une
conception et une systématisation rationnelle et philosophique.
Mais les principes, pour cette
manière de traiter les vérités dogmatiques, sont les suivants : le point
de départ, le fil directeur et le but de toute spéculation c’est toujours la foi ; de la foi, la spéculation ne
doit jamais s’éloigner. Ce n’est pas toute philosophie, mais seulement une saine philosophie qui peut s’allier dans
une certaine mesure à la théologie. Aussi, il faut être prudent dans le choix
du système philosophique en question. C’est pourquoi l’Église a proposé et
imposé au théologien sa philosophie, en recommandant officiellement l’aristotélisme scolastique (Encycl.
« Æterni Patris » de Léon XIII, août 1879).
D’après S. Thomas (Quodlib., 4,
a. 18), on peut donner à la « disputatio » le but d’établir la réalité de la vérité (an ita sit), et
alors on insiste sur les autorités (Écriture et Pères) ; ou bien on peut
en rechercher le comment (quomodo sit
verum), et alors on insiste sur les motifs de raison, dans la mesure où ils
découvrent les racines de la vérité. La première méthode lui paraît, à bon
droit, insuffisante par elle‑même, parce que le disciple « n’acquerra aucune science ni intelligence et se
retirera vide ». On pourrait pourtant, à ce sujet, faire les remarques
suivantes : 1° Pour les grands mystères, il est très important, et même décisif, de les extraire des
sources de la Révélation ; 2° La preuve positive, quand elle est bien
conduite, nous donne déjà un certain éclaircissement sur le sens du
dogme ; 3° De plus, la seule science des sources et du développement du
dogme a par elle‑même un grand charme. L’homme moderne s’intéresse autant au devenir
qu’à l’être.
II y a des limites que la spéculation ne doit pas dépasser sans danger pour le
dogme. Ces limites résident surtout d’abord dans ce fait que la théologie
s’occupe de mystères, qu’il n’est pas possible de ramener entièrement à des
vérités de raison, puis dans cet autre fait, que le christianisme a aussi un
caractère historique et que les événements historiques sont plus durs à plier à
la spéculation que les vérités générales. Les faits historiques, comme
l’Incarnation, la Passion, la mort et la Résurrection du Christ, doivent être
purement et simplement acceptés et crus ; on ne doit donc pas les
présenter comme des faits logiquement nécessaires. Cependant ils offrent des
aspects appréciables à la spéculation qui montrera la liaison réciproque de ces
faits, leur relation avec Dieu leur auteur, ainsi qu’avec les besoins de
l’homme et la fin dernière de la Rédemption. La raison éclairée par la foi est
sans doute incapable de démontrer, à part l’existence de Dieu, les vérités
révélées, mais elle est capable de montrer l’inanité et l’illogisme des objections, que fait l’incrédulité au
nom de la raison. A cet avantage négatif se joint encore un avantage
positif : la raison peut aussi, comme s’exprime le Concile du Vatican,
« quand elle cherche avec zèle, piété et modestie, obtenir avec le secours
de Dieu, une certaine intelligence,
et une intelligence très profitable, des mystères, soit au moyen de l’analogie
des choses qu’elle connaît naturellement, soit par suite de la connexion des
mystères entre eux et avec la fin dernière de l’homme. Elle ne deviendra
cependant jamais capable de les comprendre à la manière des vérités qui
constituent son propre objet (S. 3, c. 4 ; Denz., 1796).
Remarquons encore qu’un des
défauts principaux de la dogmatique russe
est l’absence complète d’une explication positive et précise des dogmes. Chez
les Grecs, le christianisme tout entier est devenu rituel. Dans la mesure où il
ne se reflète pas dans les rites, il n’a pas d’existence publique. Dans une
grande dogmatique composée par un évêque, onze ( !) lignes sont consacrées
à la doctrine de la Rédemption. Les coryphées eux‑mêmes ne distinguent pas entre dogmes, théologie et opinions privées. Tolstoï va plus loin encore : il affirme que l’orthodoxie est
dépourvue de toute vie intérieure et ne connaît que « temples, icônes,
brocart et cloches ». Svetlov signale deux tendances dans
l’orthodoxie : le juridisme
(dans la hiérarchie) et l’anomisme
(dans le parti de l’intelligence).
A consulter : Harter, Nomenclator litterarius, 5 vol.
(1903). Tixeront, Histoire des
dogmes. Humbert, Les origines de la
théologie moderne (1911). De Wall,
Histoire de la philosophie médiévale. A.
Legendre, introduction à l’Étude de la Somme théologique de S. Thomas (1923).
M. Pègues, S. Thomæ Aquinatis, Summa
theologica (1926). Ghellinck, Le
mouvement théologique du 12ème siècle (1914) (riche bibliographie). Du Cange, Glossarium mediæ et infimæ
latinitatis (N. E. 1883‑1888). Ders, Glossarium mediæ et infimæ græcitatis. Bertoni, Le B. Jean Duns Scot, sa vie, sa doctrine (1917).
La dogmatique, comme toute
discipline scientifique, a son histoire
qui montre comment on l’a traitée à
chaque époque ; comment elle a pris naissance, s’est développée et
perfectionnée. Il ne faut pas confondre cette histoire avec celle des dogmes.
L’histoire des dogmes s’occupe des vérités éternelles ; l’histoire de la
dogmatique, de la technique extérieure et de la méthode de leur exposé. On y
distingue, comme dans l’histoire de l’Église, trois périodes :
1. La période patristique, jusque vers l’an
700.
2. La période scolastique, jusque vers l’an
1500.
3. La période moderne, du Concile de Trente à
nos jours.
Durant les trois premiers
siècles, l’Église lutta pour son existence matérielle et, au milieu des
persécutions sanglantes, elle trouva peu de loisir pour s’occuper de travail
théologique.
Les Pères apostoliques répètent les paroles de l’Écriture et les appliquent à
la vie et, en le faisant, soulignent tantôt une chose tantôt une autre. Les apologistes interprètent la doctrine
philosophique du Logos et la rattachent à la christologie pour faire mieux
accepter cette dernière dans les cercles cultivés. Les Pères anti‑gnostiques (S. Irénée, Tertullien, S.
Hippolyte) luttent contre l’intrusion de la fausse sagesse profane. A ce moment
apparaît à Alexandrie la première école
théologique dont les chefs sont Clément et Origène. Ils subissent fortement
l’influence platonicienne. Clément
écrivit sa trilogie : « Protrepticus, Pædagogus, Stromata »,
pour séparer nettement le christianisme du judaïsme, de l’hellénisme et de
l’hérésie. Clément a plus de goût pour la morale que pour le dogme, et n’a pas
le sens de la systématisation. Origène
est le principal théoricien de l’antiquité ; son système se trouve dans
son ouvrage « De principiis », qui nous est parvenu dans sa
traduction latine avec des fragments grecs. L’ouvrage est divisé en quatre
livres : 1° De Dieu, du Logos, du Saint‑Esprit, des anges, de la chute
des anges ; 2° De la Création, de la liberté et de la destinée de
l’homme (il y rattache l’Incarnation, l’effusion du Saint‑Esprit et l’eschatologie) ; 3° Une sorte de philosophie morale ; 4° Doctrine de l’Écriture et de son inspiration. Bardenhewer
appelle cet ouvrage « un moyen terme entre la dogmatique et la philosophie, une sorte de
philosophie religieuse positive ». Les doctrines à réprouver dans cet ouvrage étaient : le subordinatianisme
dans la Trinité, l’éternité (nécessité) de la Création, la chute des esprits
avant le temps, la résurrection spirituelle, l’apocatastase.
On trouve des tendances à la théologie systématique
chez Lactance (Divinæ Institutiones,
libri 7) dont le livre fut très lu et souvent commenté ; chez S. Cyrille de Jérul. (Catéchèses) et S. Grégoire de Nysse (Magna catechesis).
Les autres Pères, même les grands, écrivent des monographies sur la Trinité, la christologie, le Saint‑Esprit, mais on ne trouve pas de système. S. Augustin lui‑même, malgré sa fécondité, n’en a pas livré. Il faut cependant citer de lui son manuel
(Enchiridion ad Laurentium sive de fide, spe et caritate), la doctrine
chrétienne (Doctrina christiana), de la foi et du symbole (De fide et symbolo),
ainsi que son livre de la Trinité (De Trinitate) ; sa Cité de Dieu (De
Civitate Dei) a aussi un caractère historique religieux. S. Fulgence de Ruspe, un disciple médiat de S. Augustin, écrivit un
ouvrage sur la foi (De fide, sive de regula veræ fidei ad Petrum) qui contient
en 85 numéros la somme de la doctrine de la foi.
Le théologien systématique, parmi
les Pères grecs, est S. Jean Damascène ; c’est le
dernier des Pères grecs ; il représente le plus haut point de la théologie
grecque et de la systématisation patristique. Son œuvre principale :
« Exposé de la foi orthodoxe » (De fide orthodoxa) traite en quatre
livres : 1° Dieu et ses attributs, la Trinité ; 2° La Création et la
chute originelle ; 3° L’Incarnation et la christologie ; 4° La gloire du
Christ et son adoration, le Baptême et l’Eucharistie, le Canon, le culte de la
Croix et des saints, l’origine du mal, la virginité, l’antéchrist, la parousie
du Seigneur. Traduit par Jean Burgundio (Pise), sur l’ordre d’Eugène III, il
devint au même titre que S. Augustin un docteur de l’Église, par excellence,
pour les scolastiques. Dans son ouvrage manquent la doctrine de l’Église, de la
grâce ; beaucoup de choses sur la Rédemption, sur la plupart des
sacrements, sur le sacrifice de la messe. Un théologien comparable à S. Jean
Damascène fut l’évêque de Haran, Théodore Abû Kurra (+ vers 820) ; ses
écrits ont été en partie traduits.
Appartiennent encore à l’époque
des Pères les premières collections de
Sentences que l’on composait pour avoir à la fois sous la main tous les
éléments de la preuve patristique. Parmi les « maîtres de
Sentences », citons : Gennade de Marseille (De ecclesiasticis
dogmatibus), S. Isidore de Séville (Libri tres sententiarum, tirées de S. Augustin
et de S. Grégoire le G.), Junilius Africanus (Instituta regularia divinæ
legis), S. Prosper d’Aquitaine (Liber sententiarum ex operibus S. Augustini
delibatarum), Taïus de Sarragosse (Sententiarum, libri 5). Les « maîtres
de Sentences » patristiques sont moins importants que les scolastiques
(Pierre Lombard, etc.). Les premiers ont cependant servi d’une certaine manière
de modèles aux seconds.
La pré‑Scolastique (700‑1000). Elle est caractérisée par l’épuisement dans la production. Le
sentiment de l’infériorité, ainsi que l’estime exagérée que l’on avait, dans le
haut Moyen‑Age, pour l’« auctoritas » préférée à la « ratio », porta à rassembler les grandes pensées des vieux maîtres. L’autorité principale est toujours S.
Augustin. On voit fleurir alors le genre littéraire des chaînes
et des florilèges. Il y eut des
florilèges moraux, ascétiques et dogmatiques. Le plus important de ces derniers
a été édité par Diekamp (Doctrina Patrum de Incarnatione Verbi, 1907) ; il
fut probablement composé vers 700 par Anastasius Sinaïta. Beaucoup de
florilèges sont encore inédits (Ghellinck,
Mouvement, 76 sq.).
On parle d’une renaissance de la théologie à l’époque
carolingienne (Charlemagne et son petit‑fils Charles le Chauve), où des hommes comme Alcuin, Raban
Maur, Agobard de Lyon, Paschase Radbert, Loup de Ferrières dit Servatus Lupus, Hincmar
de Reims, etc., se distinguèrent dans la théologie. Mais leur but était une
résurrection du passé et non une création originale. Scot Érigène, théologien de la cour de Charles le Chauve, est un
penseur indépendant (De divina prædestinatione, De divisione naturæ). Comme
commentateur de Boêce et comme traducteur du pseudo‑Denys, il a une importance immédiate pour la théologie ; son monisme idéaliste emprunté au néo‑platonisme n’a pas causé de dommage à la Scolastique, mais du point de
vue formel, sa méthode dialectique, spéculative, a été pour elle d’une grande
utilité (Grabmann).
Après la renaissance
carolingienne, il se produisit bientôt une assez grande sécheresse
intellectuelle qui eut comme pendant de tristes désordres dans la vie
ecclésiastique. C’est pour ces raisons qu’on a appelé le 10ème
siècle « le siècle obscur ». Cependant des recherches récentes et
approfondies ont prouvé qu’il ne mérite pas ce nom. Le protestant W. Schultz, tout en faisant de nombreux
reproches à ce siècle, conclut ainsi son jugement : « Dans son
ensemble, le siècle porte le nom de « siècle obscur », mais ce nom
lui est attribué à tort ; ce fut une époque où l’on rassembla ses
forces » (Cf. Ghellinck,
Mouvement, 29‑41 ; Heurtevent,
Durand de Troarn, [1912], 1‑69).
Origine de la Scolastique. A la fin du 11ème siècle,
commence le mouvement scientifique qui porte le nom de Scolastique. On désigne
de ce nom la théologie telle qu’elle était enseignée par les chefs d’école
(scholastici) dans les écoles (scholæ), au Moyen‑Age ; c’est donc la théologie scolaire du Moyen‑Age. Parmi les motifs généraux qui expliquent la renaissance de la théologie, signalons : les réformes ecclésiastiques, les croisades, l’affermissement de l’esprit monastique.
Le « père » de la
Scolastique est S. Anselme de Cantorbéry
que ses services rendus à la théologie placent entre S. Augustin et S. Thomas,
bien qu’il ne soit que le trait d’union entre les deux. Il a composé
d’importantes monographies. La
théodicée, la Trinité, la liberté et la grâce, l’Incarnation, la Rédemption
sont ses thèmes préférés (Au sujet de l’influence de S. Jean Damascène sur la Scolastique, cf. Ghellinck, 245‑275).
Essence de la Scolastique. Elle consiste : 1° Dans l’application
formelle, méthodique et générale de la philosophie à la théologie ; 2°
Dans une certaine technique extérieure employée dans la discussion des
questions importantes ; 3° Dans le principe méthodique que la foi doit
précéder les argumentations de la raison et les déterminer constamment.
Ad 1. Les racines de la Scolastique se trouvent dans la patristique. La prédilection des Pères grecs pour l’alliance de la
philosophie avec la doctrine de la foi est connue par les controverses
christologiques. S. Augustin avait fourni à la théologie occidentale, dans son
traité sur la Trinité, un modèle illustre pour cette méthode. La philosophie
préférée par les Pères, pendant les cinq premiers siècles, fut le platonisme. Il leur offrait plusieurs
points de contact, tant du point de vue objectif (doctrine des idées, éthique)
que du point de vue formel. Au 6ème siècle, il fut remplacé par l’aristotélisme. Les aristotéliciens les
plus importants parmi les Pères sont : Léonce de Byzance (+ vers 543) et
S. Jean Damascène (+ vers 750). Le romain Boëce,
homme d’État et philosophe de la cour de Théodoric le Gr., versé dans la langue
grecque comme dans la langue latine (+ vers 525), avait mis les écrits
philosophiques d’Aristote, par ses traductions et ses commentaires, à la portée
de l’Occident. Il devint par là une source de l’aristotélisme et un docteur de
philosophie pour le haut Moyen‑Age. Dans ses écrits personnels, il avait donné ensuite d’excellentes indications pour la
technique de la question et de la solution. Ainsi les germes d’une méthode scientifique de traiter la
théologie, se trouvaient épars dans le passé ; ils devaient porter leurs
fruits au 11ème siècle, au moment où commençait la renaissance de la
vie ecclésiastique. Aussi S. Anselme
ne fut pas absolument novateur, quand il formula le programme de la Scolastique
en déclarant que la foi devait tendre à l’intelligence (je crois pour que je
comprenne) et que cette intelligence devait s’acquérir par les moyens de la
philosophie.
Ad 2. La technique scolastique n’est pas unique. Il y a différentes formes
d’exposés : les dialogues (Platon), la dissertation, les monologues, les
commentaires et même les prières dogmatiques (S. Anselme). Le procédé le plus
connu est le schéma à trois membres,
dans lequel on énumère d’abord les objections,
puis on expose les raisons opposées
et on donne enfin la solution
(réponse). On trouve aussi les débuts de ce procédé dans la pré‑Scolastique. Les « écrits oui et non » (sic et non) d’Abélard firent connaître généralement cette méthode d’exposition. Aussi les grands
sommistes n’eurent qu’à la compléter. Mais on n’a pas le droit de parler d’un
« formalisme scolastique » rigide et sec. Tout d’abord les
scolastiques connaissaient une forme d’exposé plus souple. Citons simplement le
« Breviloquium » et l’« Itinerarium » de S. Bonaventure et
la Somme philosophique, ainsi que le
« Compendium » théologique de S. Thomas. En second lieu, il suffit de
lire, même superficiellement, les écrits composés selon le schéma à trois
membres, pour se convaincre que les scolastiques se réservaient une grande
liberté de mouvement dans l’emploi de ce procédé. Notre temps moderne aurait
beaucoup à apprendre de l’exposé « dépouillé », vraiment objectif,
des grands scolastiques. Cela nous épargnerait la lecture de tant d’œuvres
petites et grandes, œuvres de pure rhétorique, et qui ne méritent que de
disparaître. Cela ne pourrait être qu’à l’avantage de la théologie.
Ad 3. Le principe fondamental, inébranlable de la Scolastique était la
règle, formulée déjà par Clément
d’Alexandrie et plus tard S. Augustin,
que la foi doit avoir le pas sur les considérations de la raison et doit
toujours être considérée comme normative. La philosophie n’est pas une
maîtresse, mais une servante à l’égard de la théologie. Cette proposition avait
déjà été formulée par Clément d’Al. (Strom., 1, 5, 1) et plus tard par S. Jean
Damascène. S. Anselme donne au
principe de S. Augustin, d’après lequel la foi précède l’intelligence (fides
præcedit intellectum), l’interprétation suivante : la foi cherche l’intelligence, a pour but l’intelligence (fides quærens intellectum ; credo ut intelligam). Mais il ne veut pas dire
par là que la foi, pour le chercheur, se résout finalement en vérités de
raison ; il veut dire que la foi est de nature intellectuelle, qu’elle
repose sur des vérités et que, lorsqu’on l’exerce comme il faut, elle procure
une certaine intelligence. Au reste, il considère cet effort pour arriver à la
connaissance comme un devoir moral.
« Je ne cherche pas, Seigneur, à pénétrer tes profondeurs, parce que ma
puissance de connaître ne peut en aucune façon se comparer à la tienne ;
mais je désire arriver à comprendre jusqu’à un certain degré (aliquatenus) ta
vérité qui remplit mon cœur de foi et d’amour. Et je ne cherche pas à
comprendre pour croire, mais je crois pour comprendre. Car je crois également
ceci, c’est que je ne comprends pas quand je ne crois pas » (Proslogium
1). Sur l’obligation de cette
recherche, il s’exprime de la manière suivante : « De même que
l’ordre légitime demande que nous croyions les mystères de la foi avant
d’essayer de les comprendre, il me semble que ce serait une négligence, quand
nous nous sommes fortifiés dans la foi, de ne pas nous efforcer de comprendre
ce que nous croyons » (Cur Deus homo, 1, 2). Si l’on compare S. Augustin
et S. Anselme, par rapport à leur principe méthodique fondamental, on se rend
compte que S. Augustin conçoit le problème de la science et de la foi d’une
façon plus complète que S. Anselme. S. Augustin tient compte aussi de la
science avant la foi (comprends pour
croire, crois pour comprendre) (serm. 43, 9 ; cf. 7) ; S. Anselme, au
contraire, ne parle que de la science après
la foi (Je ne cherche pas à comprendre pour croire, mais je crois pour
comprendre). Il s’intéresse peu à la science avant la foi ou à la genèse de la
foi.
B. Geyer (Ueberweg‑Geyer 152 sq.) s’écarte un peu, dans son exposé de la méthode scolastique, de Grabmann
dont nous venons de résumer les idées. Pour lui, son essence consiste : 1° Dans l’application de la philosophie à la théologie (= Grabmann), mais on ne
traite la philosophie que pour la théologie ; 2° Dans les méthodes
scientifiques ou logiques, d’après lesquelles la Scolastique traite la
théologie comme la philosophie ; 3° Dans la technique particulière
d’enseignement qui est également commune à la philosophie et à la théologie.
Ad 1. L’emploi de la philosophie
dans la théologie commence déjà à l’époque des Pères ; mais, comme le
remarque aussi Grabmann, dans la Scolastique, cet usage est plus exact et plus
ferme.
Ad 2. On considérait comme but
suprême en théologie, comme en philosophie, la « construction d’un
système ». Dans les livres de
sentences du 12ème siècle et dans les sommes de théologie et de philosophie du 13ème siècle,
l’effort de systématisation a trouvé son expression classique et imposante. On
se servit pour cela de la méthode d’Aristote et de Boëce, la méthode de la
logique déductive (définition, division, distinction, classification,
argumentation tirée des définitions et des axiomes premiers).
Ad 3. Un troisième caractère
essentiel de la Scolastique consiste dans certaines formes techniques
extérieures dans lesquelles se manifestait le travail scientifique. Ces formes
sont au nombre de trois : La lectio, la disputatio et le maniement des autorités
(en théologie : les sentences de la Bible, les Pères et les décisions
ecclésiastiques ; en philosophie : les axiomes et les sentences
philosophiques). La méthode des autorités conduisait nécessairement à des
efforts d’harmonisation et au système connu du schéma à trois membres (Cf. par
ex. la Somme de S. Thomas).
La première période de la Scolastique (1100‑1200). Elle commence avec S.
Anselme de Cantorbéry (+ 1109). Ses principaux écrits sont : 1° Cur Deus homo, son œuvre capitale. C’est
un dialogue entre l’auteur et son disciple Boso sur la nécessité et le but de
l’Incarnation. C’est là que se trouve
la célèbre théorie de la satisfaction, dite de S. Anselme ; 2° Le Monologium contient sa doctrine sur Dieu
et, 3° Le Proslogium contient la
preuve de l’existence de Dieu.
S. Bernard de Clairvaux (+ 1153), le dernier Père de l’Église, fut
plutôt un mystique qu’un théologien spéculatif (in tantum cognoscitur in
quantum amatur), il ne laissa pas cependant d’avoir de l’influence sur la
Scolastique. Il en eut d’abord par ses commentaires pénétrants de l’Écriture et
ensuite par la manière énergique dont il combattit le réalisme extrême de Gilbert de la Porrée, ainsi que le
rationalisme d’Abélard. Les erreurs
théologiques d’Abélard sont multiples ; elles s’étendent nécessairement,
en vertu de son principe fondamental erroné, à presque toutes les parties de la
dogmatique. Ce fut un maître très recherché et un écrivain fécond (Dialectica,
De unitate et trinitate divina, Theologia christiana, Introductio ad
theologiam, Sic et non). Les victorins,
professeurs à l’école claustrale de S.
Victor, près de Paris, ont, en tant qu’augustiniens, une parenté
intellectuelle avec S. Anselme. Hugues de
Saint‑Victor, un ami de S. Bernard, appelé « la bouche d’Augustin »
et le « second Augustin », fut le premier des scolastiques à composer
un exposé complet des vérités de la foi. Il le nomme Doctrine des sacrements (mystères) (De sacramentis christianæ
fidei). La Somme des Sentences (Summa
Sententiarum) n’est pas de lui. Hugues a pris une grande importance dans la
Scolastique, car c’est lui qui le premier essaya de donner une doctrine des
sacrements. Le maître le plus influent de la Scolastique primitive fut Pierre Lombard, le « maître des
Sentences » (+ vers 1160). Il fut d’abord professeur à l’école épiscopale
de Paris, puis évêque de cette ville. Son œuvre principale est Les quatre livres des Sentences
(Sententiarum libri 4). Il avait été élève d’Abélard, mais s’écarta de son
rationalisme, tout en subissant son influence ainsi que celle de Hugues. Son
ouvrage a un caractère positif ; il donne les opinions (sentences) pour ou
contre et laisse le jugement au lecteur. Il ne s’occupe pas de spéculation. Son
livre se divise en quatre parties : 1° Dieu ; 2° La Création et la
chute ; 3° La christologie et la doctrine des vertus ; 4° Les
sacrements. Le livre de Pierre Lombard devint le manuel de théologie des
scolastiques. Commenté des centaines de fois, même par les grands Scolastiques,
il eut une prédominance incontestée jusqu’au 16ème siècle. Il fut
alors supplanté par la Somme théologique
de S. Thomas. D’autres théologiens, d’une influence moindre, méritent cependant
d’être nommés. Ce sont : Guillaume
d’Auxerre (+ 1230), Richard de Saint‑Victor (+ 1173), Alain de Lille
(+ 1203), Guillaume d’Auvergne (+
1249).
La haute Scolastique (1200‑1300). Aux motifs généraux qui amenèrent un relèvement de la vie ecclésiastique et de
la science théologique : réformes ecclésiastiques, croisades, réveil et
affermissement de l’esprit monastique, s’ajoutèrent, vers le milieu du 12ème
siècle, des motifs particuliers : contact de l’Occident avec la science
des Arabes en Espagne et en Orient, et la connaissance des écrits d’Aristote,
dont la traduction par les Arabes avait livré toute l’œuvre logique,
métaphysique et physique (Cf. Dict. théol., 4, 1202 sq.).
L’usage des écrits d’Aristote
présenta, au début, des difficultés. L’Église dut d’abord les interdire (Synode
de Paris), car les traductions avaient été dénaturées par le rationalisme arabe
et juif. Il y eut bientôt des traductions faites directement sur le grec.
L’Église renonça alors peu à peu à son opposition. Du point de vue de la
logique formelle, l’autorité d’Aristote ne fut jamais contestée (« en
logique, il n’a pas d’égal »). Les erreurs théologiques de l’arabisme que
les scolastiques eurent à combattre étaient représentées par Alfarabi (+ 950),
Avicenne (+ 1037), Algazel (+ 1111) en Orient ; par Averroës (+ 1198) en
Espagne ; elles le furent aussi par les juifs Avicebron (+ 1070) et Moïse
Maimonide (+ 1204), qui fondèrent, en se rattachant à l’aristotélisme arabe,
une école spéciale de philosophie juive. Ces erreurs sont : la doctrine de
l’éternité du monde, la doctrine néoplatonicienne de l’émanation, la série ascendante
des intelligences astrales, la négation de l’âme individuelle et de son
immortalité (unité de l’intellect agent), la limitation de la Providence au
gouvernement général, à la manière du déisme postérieur, et le fatalisme. Il
faut tenir compte de ces dangers pour comprendre l’opposition initiale de
l’Église à l’égard d’Aristote, ainsi que le zèle que mirent les grands
scolastiques à écrire des traités pour combattre ces erreurs.
Maîtres de la haute Scolastique :
Alexandre de Halès (+ 1245). Il naquit en Grande‑Bretagne ; il fut élevé au monastère de Halès et, devenu Franciscain, il enseigna à
Paris. Il contribua à faire monter dans les chaires académiques les membres des
Ordres mendiants dont jusqu’alors l’activité avait consisté dans le ministère
pratique. On l’avait surnommé le « docteur incontestable ». Parmi les
nombreuses œuvres qui lui sont attribuées, une est sûrement authentique :
c’est la Somme théologique (Summa
universalis theologiæ), la plus considérable du Moyen‑Age, bien qu’elle soit inachevée. Elle va jusqu’au milieu du sacrement de Pénitence (satisfactio) et est le « type
de la véritable théologie franciscaine » dit Scheeben (Nouvelle édition:
Quaracchi, 1924 sq. ; cf. Dict. théol., 2, 30).
S. Albert le Grand (+ 1280). Il était de la famille des comtes de Bollstaet. Il
naquit à Lauingen, en Souabe ; il étudia à Padoue, à Bologne, à
Paris ; il enseigna à Cologne et à Paris, et fut pendant deux ans évêque
de Ratisbonne. Il résigna volontairement sa charge et mourut à Cologne, dans
l’Ordre des Dominicains, dont il faisait partie depuis 1223. C’est en tant que
Dominicain qu’il avait eu comme élève S. Thomas d’Aquin. Il fit triompher
l’aristotélisme. Il est, au reste, plus philosophe que théologien et son
importance théologique est inférieure à celle d’Alexandre et surtout à celle de
S. Thomas. Son exposé est diffus et sa manière de voir dans les questions de
théologie est souvent peu critique. Parmi ses nombreux écrits, plusieurs sont
apocryphes. Ses principales œuvres théologiques sont, en dehors des
commentaires de l’Aéropogite et de Pierre Lombard, la Somme théologique (Summa theologiæ) qui correspond aux livres des
Sentences de Pierre Lombard et dont il n’acheva que la moitié (pars 1 et 2). Il
composa cette Somme vers la fin de sa
vie. Il composa encore une autre Somme (Summa de creaturis).
S. Bonaventure (+ 1274). Franciscain, général de son Ordre et cardinal ; il
mourut au second Concile de Lyon. Il était versé dans la spéculation comme dans
la mystique (« le Docteur séraphique »). Il garda une certaine
réserve à l’égard d’Aristote. Il était partisan de S. Augustin (théorie de
l’illumination, il n’était cependant pas ontologiste). Il représente l’apogée
de l’ancienne École franciscaine. Le but de toute théologie est pour lui
« l’union avec Dieu par la charité » (Opera omnia, Quaracchi, 1882‑1902 ; cf. Gilson, La philosophie
de S. B., 1924). Ses œuvres principales sont : le commentaire de Pierre Lombard, le Breviloquium et l’Itinerarium
mentis ad Deum. Le Breviloquium « est une Somme condensée qui
contient, à proprement parler, la quintessence de la théologie d’alors »
(Scheeben). L’Itinerarium traite de
la montée de l’âme fidèle vers Dieu, quand elle rapporte tout à lui, son
dernier principe.
S. Thomas d’Aquin naquit en 1225 au château de Rocasecca, dans le royaume de
Naples ; il entra de bonne heure chez les Dominicains, fut élève d’Albert
le Grand à Cologne, prit ses grades à Paris ; il y enseigna, puis à
Cologne, à Bologne, à Naples. Il tomba malade en se rendant au second Concile
de Lyon et mourut au couvent de Fossanova, près de Terracine (Italie moyenne).
C’est le plus grand théologien systématique, le « prince des
scolastiques ». Il se distingue par la pénétration de son intelligence,
par sa spéculation géniale, par la clarté et la sérénité de sa conception et de
son exposé. L’Église l’a toujours tenu en grand honneur : elle a
ordinairement adhéré à sa doctrine et l’a maintes fois recommandé de la manière
la plus expresse aux écoles théologiques, comme le maître qu’il faut suivre
(« Docteur angélique »). Parmi ses nombreux ouvrages, signalons la Somme théologique (Summa theologica) et
son complément la Somme philosophique
(Summa contra Gentiles), le Compendium
théologique (inachevé) et les Commentaires
d’Aristote et de Pierre Lombard. La Somme théologique est destinée aux
commençants (incipientes) ; comme celle d’Alexandre, elle va jusqu’au
milieu du sacrement de Pénitence. La lacune fut comblée, au moyen d’emprunts à
ses ouvrages précédents, par son fidèle disciple Réginald de Piperno
(Supplementum).
La Somme se divise en trois parties principales, dont la première
(pars prima) traite de Dieu, de son unité et de la Trinité, ainsi que de la
Création. Puis vient, comme seconde partie, l’éthique qui est, à son tour,
divisée en deux parties (prima secundæ et seconda secundæ) ; la troisième
partie (pars tertia) contient la christologie, la sotériologie et la doctrine
des sacrements jusqu’à la Pénitence. Cette Somme
théologique devrait être dans les mains de tous les théologiens. Son étude
n’est pas difficile et on peut en commencer directement la lecture. Au reste,
cette lecture est facilitée par plusieurs livres qui l’expliquent ou la
commentent, par ex. : Pègues, La
Somme de S. Thomas en forme de catéchisme (1918).
S. Thomas eut plus tard des
adversaires scientifiques parmi les théologiens franciscains, ainsi que parmi
les professeurs de théologie. On compte parmi ces derniers Henri de Gant (+ vers 1293), qui fait songer souvent à Duns Scot,
le critique de S. Thomas. Gilles de Rome
prit parti pour S. Thomas (+ 1316). Le Franciscain Richard de Middletown se rattache à S. Thomas comme S. Bonaventure.
Duns Scot fut le fondateur de la
nouvelle École franciscaine. Il était originaire de Dunstan (Northumberland),
il enseigna à Paris, Oxford et Cologne, où il mourut de bonne heure et après
une activité de brève durée (1308). Parmi ses ouvrages citons : Le Commentaire des Sentences (Opus
oxiense), sa reproduction abrégée, Le
Commentaire de Paris (Reportata parisiensia) et son livre sur les questions
particulières (Quæstiones quodlibetales) analogue aux « Quæstiones
disputatæ » de S. Thomas. Scot fut le docteur de son Ordre et, comme on
l’a dit, le fondateur de la nouvelle
École franciscaine (Doctor noster) ou du scotisme. A l’encontre de la méthode
platonicienne de l’ancienne École
franciscaine (Alexandre de Halès, S. Bonaventure), Scot s’attache aux notions
plus rigides de la méthode aristotélicienne. Il fit échec dès lors à l’autorité
absolue du thomisme. Son influence s’est continuée jusqu’à notre époque.
La basse Scolastique. Elle débute, en quelque sorte, avec la
critique aiguë de Scot, laquelle est parfois très subtile (« le Docteur
subtil »). La décadence commence peu à peu. Elle se caractérise par
l’accentuation exagérée des différences d’écoles, par les distinctions logiques
et les analyses de notions poussées jusqu’aux plus minimes détails, par la
manie effrénée et insatiable de poser des questions, par un goût déréglé de la
spéculation qui ne se soucie plus de la Révélation et de la doctrine des Pères
(potentia ordinata, p. absoluta), par la reprise du vieux nominalisme
(Guillaume d’Occam, + 1347), l’ennemi mortel de toute science.
Les théologiens dont les noms
sont les plus connus sont : les Dominicains Hervé Noël (+1323), Pierre de
la Pallu (+1459), Johannes Capreolus
(+1444), Antonin de Florence (+1459),
Johannes Turrecremata (Torquemata,
+1468), le Chartreux Denys de Ryckel
(+1471), l’évêque Alphonse Tostatu
(+1455), le cardinal Dominicain Cajetan
(+1534), commentateur de la Somme
Théologique de S. Thomas, et François
de Ferrare (+1528), commentateur de sa Somme
philosophique ; le nominaliste Gabriel
Biel (+1495), le dernier scolastique. Signalons encore qu’à partir du 16ème
siècle la Scolastique passa par les Ruthènes uniates aux Ruthènes schismatiques
et par ceux‑ci aux théologiens russes moscovites, mais elle dégénéra chez eux au point de devenir presque une caricature (Revue d’Innsbruck, 1918, 115).
La décadence de la Scolastique,
au 14ème et au 15ème siècle, fut une des causes de la
grande défection qui marque la fin du Moyen‑Age. L’influence de la critique, souvent
très subtile, de Scot (le Docteur subtil), concernant la
position de l’Église et surtout de la théorie de l’atonisme appliqué aux êtres
inorganiques soutenue par le nominalisme
se fait très nettement sentir chez les premiers Réformateurs. Le résultat final
c’est cette idée qu’entre Dieu et l’homme, les sacrements et la grâce, le dogme
et la raison, l’idéal moral et la réalité pratique, il y a un abîme qu’on ne
peut combler que par un rapprochement moral des deux facteurs, et non par une
fusion intime, une perception réciproque, une pénétration physique, comme
l’avait enseigné S. Thomas. L’Église possède toujours en elle‑même la force, même après une grave décadence morale et théologique, de se réformer. Nous le voyons d’abord dans la renaissance
catholique ou « contre‑Réforme » et ensuite dans l’essor que prit
la théologie après le Concile de Trente. Les causes de cet état florissant de
la théologie sont l’invention de l’imprimerie et l’avènement de l’humanisme.
L’humanisme, en se référant sans cesse aux sources historiques de la théologie
et en attaquant ce qui était jusqu’alors l’enseignement de l’Église et de la
théologie, obligea les théologiens à le défendre et souvent aussi à réviser
leurs opinions antérieures. Ce qui obligea surtout la théologie à déployer
toutes ses forces, ce fut le combat impitoyable que la Réforme livra a
l’Église.
Le Concile de Trente développe la force morale aussi bien que la force
théologique de l’Église d’une manière merveilleuse, tant par ses décrets
réformateurs que par ses décisions dogmatiques. Ces décisions dogmatiques sont,
pour l’intérieur, un inventaire sérieux de la doctrine de l’Église, dont le but
est d’affirmer l’unité dogmatique essentielle, en se plaçant au‑dessus de toutes les opinions d’école, et, pour l’extérieur, une défensive énergique. L’Église n’hésite pas à frapper
d’anathème tout ce qui contredit cette unité dogmatique. Plusieurs points de
doctrine, notamment celui qui concerne la justification, furent pour la
première fois fixés jusque dans les détails. Cette activité officielle de
l’Église ne pouvait manquer de servir aussi à la théologie scientifique.
Citons d’abord Melchior Cano (+1560). C’est lui qui le
premier écrivit une introduction à la dogmatique, une théorie de la
connaissance théologique. Il reconnaît la valeur de la Scolastique, mais il en
critique les défauts et préconise, en répondant aux besoins de son temps, un
exposé positif des dogmes que les Réformateurs attaquaient en s’appuyant sur
l’Écriture et la Tradition. Ces principes se retrouvent dans la théologie de controverse, dont les
représentants s’efforcent d’établir les fondements des dogmes d’une manière
plus précise, et en recourant plus aux sources que ne l’avaient fait
d’ordinaire les scolastiques. Il faut nommer tout d’abord le savant Bellarmin (+1621) qui a traité presque
toute la doctrine de la foi, dans ses controverses d’un style coulant et clair
(Disputationes de controversiis christianæ fidei adversus hujus temporis
hæreticos). Dans cet ouvrage sont traités des problèmes tout à fait nouveaux,
amenés par les objections du protestantisme, tels que l’inspiration, l’autorité
des conciles, la fondation et la notion de l’Église (Cf. La théologie de Bellarmin, par J. de la Servière, S. J., 1908).
Parmi les autres controversistes, citons Thomas
Stapleton (+1598), André Vega
(+1560), Grégoire de Valence (+1603),
Martin Bécan (+1624), Adam Tanner (+1632), Jacques Gretser (+1625), les frères Adrien et Pierre de Wallenburch (+1669 et 1675). Nommons aussi Bossuet (Histoire des variations des Églises protestantes, Exposition de la foi
catholique), ainsi que le janséniste Arnauld,
à cause de son œuvre très importante sur l’Eucharistie (La perpétuité de la foi de l’Église catholique touchant l’Eucharistie).
La controverse avec les Grecs fut
menée par le custode grec de la Bibliothèque du Vatican, Léon Allatius.
La Scolastique proprement dite prit un nouvel essor et sa renaissance
se manifesta de nouveau dans les Ordres religieux. Comme on se rattachait aux
anciens maîtres, il fallait naturellement que leurs antiques différences se
renouvelassent, opposant les Dominicains et les Franciscains. De plus, un Ordre
qui se développa rapidement, l’Ordre des Jésuites,
se montra un rival puissant. Lui aussi commenta les vieilles Sommes, tout en se réservant la liberté
d’exposer ses opinions propres, en prétendant trouver une union et une
conciliation des anciens, et en élevant le débat. Dans la question nouvelle de
la grâce, l’Ordre des Jésuites prit une position qui s’écartait du thomisme et
entra ainsi avec les Dominicains dans une controverse violente qui n’est pas
encore dirimée (Thomisme, Molinisme ; Baňez, Molina). Une autre
controverse violente se déroula en France entre les Jésuites et les
jansénistes, en raison de nombreuses questions morales connexes à
l’augustinisme, ainsi que du problème de la grâce et de la liberté. Des
représentants d’un augustinisme reconnu par l’Église se trouvèrent dans l’Ordre
des Augustins, dans celui des Bénédictins, dans celui des Oratoriens et dans
celui des Mauristes. Ils se rattachèrent à S. Augustin, mais se tinrent
éloignés des excès des jansénistes. Les diverses tendances s’affrontèrent à
l’Université de Louvain (Baïus, +1589 ; Lessius, +1623).
Les représentants de la nouvelle
Scolastique sont très nombreux et ils atteignirent presque la renommée des
vieux maîtres. Nommons dans l’Ordre des Jésuites, les commentateurs de la Somme théologique de S. Thomas qui
continuait d’être le manuel dans les écoles : François Suarez (+1617, il composa aussi un grand ouvrage sur la
grâce : De divina gratia), François Tolet (+1596, il est également
célèbre comme exégète), Grégoire de
Valence (+1603), Gabriel Vasquez
(+1604), Adam Tanner (+1632). Des
monographies célèbres furent écrites par Léonard Lessius (+1623. De
perfectionibus moribusque divinis, De gratia efficaci, De decretis divinis, De
summo bono et beatitudine hominis) ; par Jean Martinez de Ripalda (+1648. De ente supernaturali, De fide,
spe et caritate) ; par Jean de Lugo
(+1660. De Incarnatione dominica, De virtute divinæ fidei, De virtute et
sacramento pænitentiæ). Les théologiens célèbres de l’Ordre Dominicain
sont : Barthélemy Medina
(+1581), Dominique Baňez
(+1604), Didace Alvarez (+1653), Jean de Saint‑Thomas (+1644), Contenson (+1674), Gonet
(+1681). Dans l’Ordre des Carmes, le thomisme strict est représenté par les
théologiens dits de Salamanque qui composèrent un commentaire célèbre de la Somme théologique (Cursus theologicus
Collegii Salmanticensis, souvent réédité en 12 et même en 20 volumes). Les
théologiens importants de Louvain sont Guillaume
Estius (+1613, ce fut aussi un exégète remarquable), François Sylvius (+1649) et Joseph
Wigers (+1639). Ce furent des commentateurs distingués de toute la Somme thomiste. Parmi les autres grands
théologiens thomistes, signalons le sorbonniste André Duval (+1637), Nicolas
Isembert (+1642), le Bénédictin Augustin
Reding, prince‑abbé d’Einsiedeln.
Représentants de l’École scotiste
au 16ème siècle : Jean
Poncius, Pierre Coninck, François de Ovando, François Herrera, Barthélemy
Mastrius, Jean de Rada, Théodore Smising ; au 17ème
siècle : Philippe Faber, Antoine Hiquœus, Angelus Vulpes, Gaspard
Sghema, Gabriel Boyvin et Claude Frasen (+1711). Ce dernier
composa l’ouvrage capital de la nouvelle École scotiste (Scotus academicus,
dernière édition en 12 volumes, Rome, 1900‑1902).
Les théologiens qui, sous
l’influence de l’humanisme, traitèrent le dogme du point de vue historique et complétèrent ainsi la méthode
spéculative scolastique sont : le Jésuite Denys Petau (Petavius, +1652) et l’Oratorien Louis Thomassin (+1695). L’ouvrage de Petau (Opus theologicorum
dogmatum) devait comprendre dix traités. Malheureusement, l’auteur, dont la
méthode fut parfois attaquée, ne put en achever que cinq (De Deo ejusque
proprietatibus, De Trinitate, De angelis, De mundi opificio, De Incarnatione).
Il manque particulièrement la doctrine de la grâce. L’ouvrage de Thomassin en
resta aux premiers traités (De Deo uno, De Incarnatione). Une monographie
historique célèbre du sacrement de Pénitence fut composée par Jean Morin. Isaac Hubert combattit la doctrine janséniste de la grâce
(Theologiæ græcorum patrum circa universam materiam gratiæ libri 3).
Des œuvres théologiques appréciées
furent composées au 18ème siècle par les deux Dominicains Billuart (+1757) ‑ 19 volumes et un extrait en 6 volumes ‑ et le cardinal Gotti
(+1742) ‑ 16 volumes ‑ ; par les sorbonnistes Honorat Tournely (+1729) et Abely (+1691) ; par les théologiens
Jésuites de Wurzbourg, Th. Holtzclau, H. Killer, etc. ‑ 14 volumes (1766‑1771).
Mais déjà, depuis 1750,
s’annonçait une nouvelle décadence de la théologie causée par le jansénisme, le
gallicanisme, le joséphisme, le fébronianisme d’une part, et, d’autre part, par
l’invasion du rationalisme, du déisme, du philosophisme venus d’Angleterre
(Cherbury, +1648) et de France (Bayle, +1706), et dont l’action fut vivement
favorisée et propagée par les auteurs spirituels de la Révélation.
Les études théologiques prirent un nouvel essor quand les orages de la
Révolution se furent apaisés et que l’ordre se fut rétabli. Cette renaissance
consista dans le retour à la doctrine des Pères (Mœhler, +1838), ainsi qu’à la
philosophie antique et à la Scolastique (Kleutgen, +1883). Le Concile du Vatican put déjà recueillir les fruits
de ce renouveau.
La renaissance de la dogmatique
fut en quelque sorte inaugurée par le professeur Liebermann, à Mayence (+1844), qui, dans son œuvre maîtresse
(Institutiones dogmaticæ, 1869), reprit l’antique méthode et exerça une vaste
influence. Nous mentionnerons seulement ici le nom de Mœhler, afin de rappeler les services qu’il a rendus en renouvelant
la patristique et la symbolique. La dogmatique ne tarda pas à être menacée par
la philosophie idéaliste allemande, qui pénétra dans la théologie protestante
(Hegel) et séduisit certains théologiens catholiques qui tentèrent de s’en
servir pour traiter le dogme (Günther, Hermès). Le Concile du Vatican, dont les décisions furent en
grande partie rédigées par Kleutgen,
s’efforça, dans sa première partie, pour combattre les infiltrations
dangereuses du rationalisme, de souligner d’une façon catégorique le caractère
surnaturel des dogmes, de donner les normes des relations entre la philosophie
et la théologie, et d’affirmer, avec toute la précision dogmatique, l’autorité
de l’Église. Pour opposer une barrière au kantisme et à l’hégélianisme
allemands, qui avaient déjà imprégné toute la théologie positive protestante et
menaçaient aussi la théologie catholique, et, d’une manière générale, pour
rappeler la théologie aux fondements fermes de la tradition, Léon XIII prescrivit l’étude de la
philosophie thomiste (Encycl. « Æterni Patris », 4 août 1874). Pie X renouvela cette prescription
(Encycl. « Pascendi », 8 septembre 1907). Il exprime son jugement sur
la méthode théologique, en tenant prudemment compte des circonstances de temps,
de la façon suivante : « Assurément la théologie positive (c.‑à.d. historique) demande plus d’attention que jadis, mais elle ne doit
pas nuire à la théologie scolastique ».
Le scotisme eut aussi sa
renaissance et devint le néo‑scotisme. Minges, qui contribua
lui‑même beaucoup à cette renaissance, en fait l’histoire dans les Études franciscaines allemandes (1914, p. 137‑165). Il fait surtout ressortir que « pas une seule proposition du scotisme n’a jamais subi une censure
quelconque ».
C’est particulièrement en France
que la renaissance du scotisme trouve de solides appuis (Longpré, Gilson,
etc.) ; les congrès d’étude tenus annuellement, tant en France qu’en
Allemagne, concourent au même but. Enfin, il convient de ne pas oublier le nom
de Gemelli, à Milan.
Nous possédons des traités
complets de dogmatique, dont les
auteurs sont : Klee, Perrone, Kenrick, Dieringer, Bulsano, Berlage,
Oswald, Hurter, Glossner, Katschthaler, Bautz, Schell, Chr. Pesch, Tepe, Simar,
Egger, Einig, Diekamp, Pohle, Specht‑Bauer, Minges, Lercher, Herrmann,
Tanquerey, Souben, Paquet, Heinrich‑Gutberlet, Scheeben‑Atzberger. Des traités
dogmatiques ont été rédigés par : Studenmaier, Kuhn, Jungmann, Franzelin,
Palmieri, Wilmers, Stentrup, Mazella, Satoli, Lépicier, Morgott, Schanz, Sasse,
Billot, Janssens, del Prado, de San, Goudin, Lahousse, Pignatora, Schiffini,
van Noort, van der Meersch, etc. Des histoires
des dogmes ont été rédigées par : Bach, Klee, Zohl, Schwane,
Tixeront ; des études patrologiques
par : Mœhler, Fessler, Alzog, Nirschl, Kihn, Berdenhewer, Rauschen.
Il faut mentionner
particulièrement l’ouvrage considérable, ordinairement
au point pour les questions les plus modernes, qu’est le Dictionnaire de
théologie catholique de Vacant‑Mangenot (Paris, 1909 sq., Letouzey et Ané, jusqu’ici 12 volumes (lettre
P), de chacun 3.000 colonnes). On trouve presque toujours à la fin de chaque
article une riche bibliographie, contenant les auteurs scolastiques, les
auteurs modernes français, anglais et même allemands (protestants). L’ouvrage
eut pour origine les exhortations et les recommandations de Pie X concernant
les études théologiques modernes. Les Français possèdent en outre : le Dictionnaire de la Bible de F.
Vigouroux, le Dictionnaire apologétique
de la foi catholique d’Alès, le Dictionnaire
d’archéologie chrétienne et de liturgie de D. Cabrol. Toutes ces œuvres
sont en cours de publication. Les Allemands n’ont que peu d’ouvrages
comparables à ceux‑là. Signalons cependant le Lexique ecclésiastique de Hergenrœther‑Kaulen, paru chez Herder (13 volumes). Il y a aussi l’ouvrage plus court de Buchberger,
Lexique manuel ecclésiastique, en
cours de publication chez Herder (9 fascicules parus) et désigné en style
bibliographique par l’abréviation L. Th. K.
L’évolution du protestantisme. Elle passe par les phases suivantes : 1°
L’époque de la révolution ecclésiastique,
où la haine contre la papauté constitue le lien d’union de toutes les
tendances ; 2° Le commencement de la systématisation dans l’orthodoxie, au moyen de la philosophie
scolastique aristotélicienne (Melanchton, Loci communes, vers 1550 ;
Calvin, Institutio religionis christianæ ; Chemnits, Examen Conc. Trid.,
1565‑1573 ; Gerhard, Loci comm. theol., 1620‑1621) ; 3° Le piétisme : vie de foi sans formules de foi, piété de petite
chapelle (Spener, +1705 ; Testeegen, Granke, Zinzendorf et sa
« communauté de frères ») ; 4° Le rationalisme du temps de l’Encyclopédie : seulement Dieu, la
liberté et l’immortalité (Semler, +1791) ; 5° Le rationalisme avec l’historisme : la théologie expérimentale
(Schleiermacher, etc.) ; 6° Le mysticisme
moderne détaché de toute histoire et de toute Écriture :
expérimentation religieuse, théologie de l’immanence ; le nouveau
protestantisme adogmatique ; l’histoire des religions fait disparaître
plus ou moins tous les éléments fermes de l’Évangile ; 7° Le mouvement en faveur de la haute Église
sur le modèle de l’anglicanisme ; 8° Le mouvement pour l’union générale des Églises :
Concile mondial « for life and work », à Stockholm, en 1925 ;
l’Assemblée des Églises, à Lausanne, en 1927 (cent « Églises »
étaient représentées). L’union « in faith and ordre » dans la foi et
la constitution ne fut pas réalisée ; 9° Les tentatives de rattachement à
l’Église orientale.