Édition par JesusMarie.com – ce livre est placé en copyleft –
Paris 10 février
2020
Merci de
prier pour la personne qui a travaillé deux ans pour réaliser cette nouvelle
édition
PREMIERE PARTIE : L’unité de Dieu
PREMIERE SECTION : L’existence de Dieu
CHAPITRE 1 : La connaissance naturelle de
Dieu
§ 18. Sa réalité
§ 19. Caractéristiques de la connaissance
naturelle de Dieu
CHAPITRE 2 : La connaissance surnaturelle de
Dieu
§ 20. La foi en Dieu
§ 21. La vision de Dieu
DEUXIEME SECTION : L’Être de Dieu.
CHAPITRE 1 : L’Être de Dieu d’après la
Révélation
§ 22. La notion de Dieu dans la Bible
§ 23. Les noms bibliques de Dieu
CHAPITRE 2 : La notion de Dieu d’après la
raison éclairée par la foi
§ 24. L’essence physique et métaphysique de
Dieu
§ 25. Les relations entre l’essence et les
attributs
TROISIEME SECTION : les attributs de Dieu
CHAPITRE 1 : Les attributs de Dieu en général
§ 26. Notion et division
§ 27. La perfection de Dieu
CHAPITRE 2 : Les attributs de Dieu en particulier
A) Les attributs de l’Être divin
§ 28. L’unité de Dieu
§ 29. La simplicité de Dieu
§ 30. L’immutabilité de Dieu
§ 31. L’éternité de Dieu
§ 32. L’immensité et l’omniprésence de Dieu
B) Les attributs de l’activité divine
1. La science divine
§ 33. Réalité, perfection et division de la
science divine
§ 34. L’objet de la science divine
§ 35. Le moyen de la science divine
2. La volonté divine
§ 36. Réalité, perfection, division
§ 37. Objet de la volonté divine
§ 38. La liberté de la volonté divine
§ 39. La puissance de la volonté divine
§ 40. La sainteté de la volonté de Dieu
§ 41. La volonté juste de Dieu
§ 42. La volonté bonne et miséricordieuse de
Dieu
§ 43. La véracité de la volonté divine
DEUXIEME PARTIE : La Trinité
PREMIÈRE SECTION : La Trinité dans
l’enseignement de l’Église
CHAPITRE 1 : Le dogme trinitaire en soi
§ 44. Le contenu du dogme
§ 45. La terminologie trinitaire
CHAPITRE 2 : Les hérésies antitrinitaires
§ 46. Le monarchianisme et le
subordinatianisme
§ 47. Le trithéisme
DEUXIEME SECTION : La preuve de la Trinité
CHAPITRE 1 : La preuve de la Trinité en
général
§ 48. La preuve par l’Écriture
§ 49. La preuve de Tradition
CHAPITRE 2 : La preuve de la Trinité en
particulier
§ 50. Dieu le Père
§ 51. Le Fils
§ 52. Le Saint‑Esprit
TROISIEME SECTION. L’évolution doctrinale
dans la Tradition
CHAPITRE 1 : Les Processions en Dieu
§ 53. La Procession du Fils
§ 54. La Procession du Saint‑Esprit
CHAPITRE 2 : Les Relations
§ 55. Les Relations des Personnes entre elles
§ 56. Les rapports des personnes avec notre
connaissance : Les Notions
§ 57. Les rapports surnaturels des Personnes
avec le monde. Les missions. Les appropriations
CHAPITRE 3 : L’unité absolue de vie en Dieu
§ 58. L’unité de l’action divine à
l’extérieur
§ 59. L’unité d’inhabitation
CHAPITRE 4 : La Trinité et la raison
§ 60. La Trinité n’est pas une vérité de
raison
§ 61. Explication analogique de la Trinité
suprarationnelle
L’étude de Dieu constitue la
partie la plus importante de la dogmatique (Sag., 15, 3 ; Jér., 9, 23
sq. ; Jean, 17, 3). On peut considérer Dieu sous un double aspect, dans
son Être et dans sa personnalité. L’étude, par suite, se
divise en deux parties : Dieu unique
et Dieu en trois personnes. Dans la première partie, il y a trois
questions à examiner : 1° La possibilité
de connaître Dieu ; 2° Son essence ;
3° Ses attributs.
L’existence de Dieu, comme on l’a
dit plus haut, est supposée dans la
dogmatique comme « condition préalable à la foi » et démontrée dans
l’apologétique ; néanmoins elle est un article de foi et le Concile du
Vatican a défini comme dogme la possibilité de connaître Dieu naturellement.
L’existence de Dieu appartient donc à un double titre à la dogmatique. D’après ce qu’on a dit, il s’agit d’une
double connaissance de Dieu ou d’une double possibilité de le connaître, l’une
naturelle, l’autre surnaturelle. Dans les deux cas, il s’agit de déterminer à
la fois l’étendue et le genre de cette connaissance.
A Consulter : S. Thomas, S. th., 1, q. 1‑26 ; C. Gent., 1, 10 sq. Les traités De Deo uno de Suarez, Petavius, Thomassin. Lessius, De perfectionibus moribusque
divinis. Frassen, Scotus academicus :
De Deo. Billot, De Deo uno et trino. Ders, De ipso Deo. Franzelin, De Deo uno. De San,
De Deo uno (1894). Stentrup, De Deo
uno. Janssens, De Deo uno, 2 vol.
(1900). Pesch, 2. Paquet, Comm. in Summam theol. div.
Thomæ, 1 (1906). Van Noort, De Deo
uno et trino (1907). Belmond, Dieu,
Études sur la philosophie de Duns Scot (1913).
D’après la doctrine de la foi
catholique, il y a deux manières de connaître Dieu, une manière naturelle et
une manière surnaturelle.
A consulter: S. Thomas, S. th., 1, q. 2, a. 1 et 2, 2, 175 ; De veritate,
q. 13 ; C. Gent, 1, 12‑14. Granderath, Const. dogm. S. Concil. Vaticani (1892), 32 sq. De Munninck, Prælectiones de Dei existentia (1904). Bittremieux, De analogica nostra
cognitione et prædicatione Dei (1913). Dict. théol., 4, 874‑948, v. Création. De Tonquédec,
Immanence (1913). Penido, Le rôle de
l’analogie en théologie dogmatique (1931).
THÈSE. Dieu, le commencement et la fin de toutes choses, peut être
connu par les lumières naturelles de la raison, au moyen de la Création. De
foi.
Explication. Le Concile du Vatican a
défini : « Si quelqu’un dit que Dieu unique et véritable, notre Créateur
et Maître, ne peut pas être connu avec
certitude par la lumière naturelle de la raison humaine, au moyen des
choses qui ont été créées ; qu’il soit anathème » (S. 3, De revel.,
can. 1 ; Denz., 1806 ; cf. c. 2). Le Dieu connaissable est le Dieu
unique, vrai, personnel, le Dieu créateur et non un Être premier panthéiste. Le
Concile indique les deux principes de connaissance : le principe objectif, les choses créées ; le
principe subjectif, la raison
humaine, et il entend par là la raison concrète de l’homme tombé à laquelle
Dieu n’accorde pas d’autre secours que le concours physique général. Le Concile
exprime seulement la possibilité physique,
en principe, et non la réalité
générale ou même la nécessité morale. Il ne nie pas que la plupart des hommes
arrivent à connaître Dieu, non pas par la considération rationnelle du monde et
d’eux‑mêmes, mais au moyen de l’instruction et de l’éducation données par d’autres. Le Concile a en vue l’athéisme qui, après avoir reçu la connaissance de Dieu, en nie l’existence, plutôt que l’état de nature simple, qui n’est
pas encore parvenu à la pleine connaissance de Dieu. Il faut observer encore
qu’à la possibilité physique d’une connaissance naturelle de Dieu, on doit
joindre une nécessité morale de la
révélation surnaturelle. En effet,
dans l’état général de la nature tombée, par suite du péché, les hommes ne
pourraient s’élever que difficilement, lentement et d’une manière incertaine à
la connaissance pure de Dieu (Vatic., S. 3, c. 2 ; Denz., 1786 ;
S.th., 2, 2, 2, 4).
Preuve. L’Ancien Testament
avait à peine besoin pour lui‑même d’insister sur la connaissance naturelle de
Dieu ; son Dieu était le Dieu connu
surnaturellement par la Révélation, qu’il saisissait dans la foi, qu’il avait maintes fois expérimenté dans l’histoire sainte et
dont l’existence est déjà attestée dans les premières lignes de l’Écriture.
Mais plus tard, Israël entra en contact avec l’incrédulité païenne, et les
livres grecs de l’Écriture, pour
résister à cette incrédulité, affirment aussi la connaissance naturelle de
Dieu. « Insensés sont tous les hommes qui ont ignoré Dieu, dans lesquels
ne se trouve pas la science de Dieu et qui n’ont pas su par les biens visibles
s’élever à la connaissance de Celui qui est, ni par la considération de ses
œuvres reconnaître l’Ouvrier... car la grandeur et la beauté des créatures font
connaître par analogie Celui qui en est le Créateur » (Sag., 13, 1‑5). En même temps, on insiste sur la culpabilité de l’idolâtrie (Sag., 13, 9‑14 ; 21). Peut‑être même que certains passages des psaumes (cf. Ps. 13, 1 ; 18, 2‑7 ; 72, 96, de même 12, 7) qui expriment les mêmes pensées que la Sagesse ont aussi une pointe contre l’incrédulité dans Israël même.
Cette incrédulité devait, sans doute, se manifester comme un athéisme pratique
et une négation effrontée de la loi divine.
Jésus rappelle souvent l’action miséricordieuse de Dieu dans la
Création (Math., 6, 26‑32). Mais ailleurs il suppose la
Révélation « le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob » (Math., 22, 32). Israël croyait
en Dieu. Il n’en est pas de même chez S.
Paul ; son regard est dirigé surtout vers les païens. Il leur reproche
sans cesse leur connaissance insuffisante de Dieu, dont ils sont eux‑mêmes responsables. Ainsi, dans l’Épître aux Romains : « Or la colère de Dieu se révèle du
haut du ciel contre toute impiété et contre toute injustice des hommes qui, par
leur injustice, font obstacle à la vérité. En effet, ce que l’on peut connaître
de Dieu est clair pour eux, car Dieu le leur a montré clairement. Depuis la
création du monde, on peut voir avec l’intelligence, à travers les œuvres de
Dieu, ce qui de lui est invisible : sa puissance éternelle et sa divinité.
Ils n’ont donc pas d’excuse » (Rom., 1, 18‑20).
C’est le développement des
pensées de la Sagesse (13, 15) :
La vérité de Dieu est manifeste, mais
elle est injustement opprimée, si
bien qu’elle ne peut plus se rétablir. Depuis la Création, ce qui est invisible
en Dieu peut être perçu. On le voit
avec les yeux de l’esprit, on voit
son éternité, sa puissance et sa divinité. C’est pourquoi un juste jugement est
réservé à ceux qui nient Dieu. L’athéisme des païens est donc volontaire et ils
pourraient en sortir sans révélation surnaturelle.
Cela résulte aussi d’un passage moral : « Quand des païens qui
n’ont pas la Loi pratiquent spontanément ce que prescrit la Loi, eux qui n’ont
pas la Loi sont à eux‑mêmes leur propre loi. Ils montrent ainsi que
la façon d’agir prescrite par la Loi est
inscrite dans leur cœur, et leur conscience
en témoigne, ainsi que les arguments par lesquels ils se condamnent ou
s’approuvent les uns les autres. Cela apparaîtra le jour où ce qui est caché
dans les hommes sera jugé par Dieu conformément à l’Évangile que j’annonce par
le Christ Jésus. » (Rom., 2, 14‑16).
Ce n’est pas seulement la
connaissance de l’existence de Dieu, mais encore celle de sa volonté, telle
qu’elle est perceptible dans la loi morale, qui est possible aux païens ;
elle s’impose dans les dispositions morales naturelles et dans le jugement de
la conscience qui est comme une
anticipation du jugement général.
Enfin l’Apôtre se réfère aux
traces générales que Dieu a laissées dans l’histoire et à la Providence. Il rappelle aux païens de
Lystres « le Dieu vivant qui a fait le ciel, la terre, la mer et tout ce
qu’ils renferment. Ce Dieu dans les siècles passés a laissé tous les peuples
suivre leurs voies, sans que toutefois il ait cessé de se rendre témoignage à
lui‑même, faisant du bien, dispensant du ciel les pluies et les temps
fertiles, nous donnant la nourriture avec abondance et remplissant nos cœurs de
joie » (Act. Ap., 14, 14‑16). Il parle de même à Athènes. Le Dieu inconnu qui y est honoré est le Dieu créateur. Il n’habite pas dans des temples faits
de main d’homme, mais il remplit l’univers de sa puissance vitale.
« D’un seul homme il a fait sortir tout le genre humain, pour peupler la
surface de toute la terre, ayant déterminé pour chaque nation la durée de son
existence et les bornes de son domaine, afin que les hommes le cherchent et le
trouvent comme à tâtons ; quoiqu’il ne soit pas loin de nous, car c’est en
lui que nous vivons, que nous nous mouvons et que nous sommes » (Act. Ap.,
17, 26‑28). S. Paul indique ainsi trois moyens de
connaître naturellement Dieu : 1° Celui de l’ordre
physique ; 2°
Celui de l’ordre moral ; 3°
Celui de l’ordre historique. On peut
dire aussi : d’après l’Apôtre, on trouve Dieu par le moyen de la réflexion
sur le monde et sur soi‑même.
Les Pères. Tant qu’ils eurent à combattre le paganisme avec son polythéisme,
ils se trouvèrent dans la même situation que l’auteur du livre de la Sagesse et se servirent des mêmes
motifs. Les apologistes en appellent
au fait de la Création et particulièrement à la sagesse, à l’ordre et à la
raison qui se manifestent dans la Création. Elle est justement l’œuvre du Logos
qui partout dans le monde et dans l’humanité a laissé des traces manifestes
(λόγος
σπερματιϰός, S. Justin, Apol., 1, 18‑20 ; 2, 10‑13). Tertullien aborde,
en plus des motifs extérieurs, les motifs intérieurs psychologiques. Notre âme tend naturellement vers Dieu, elle porte
le pressentiment de l’éternité et l’exprime involontairement (De testimonio
animæ). Athénagore tire la preuve de
l’unité de Dieu de la notion même de Dieu. Deux dieux se limiteraient
mutuellement et, par conséquent, se supprimeraient ; car le vrai Dieu doit nécessairement renfermer en lui
toute perfection (Legatio, 5‑8). S. Théphile montre comment le cours naturel des choses annonce
l’existence de Dieu. « Quand on voit un vaisseau naviguer en mer et se
diriger vers la rive, on ne doute pas qu’il y ait dans le bateau un pilote qui
le guide. De même, il faut admettre un Dieu comme conducteur de toutes les
choses, bien qu’on ne le voie pas avec des yeux de chair » (Ad Autol., 1,
1, 5). Il affirme cependant, comme S. Paul (Rom., 1, 24‑32) et la plupart des Pères, que la condition pour arriver à la connaissance de Dieu est la
pureté du regard, c.‑à‑d. du cœur ; un aveugle ne peut voir la lumière du soleil, si claire soit elle
(Math., 5, 8).
S. Augustin a une preuve de Dieu personnelle. Conformément à son point de vue
platonicien, il considère le spirituel comme plus réel que le corporel et le
spirituel, comme le temporel, doit avoir son fondement. Chez les hommes, les
principes suprêmes d’un royaume idéal de la vérité s’imposent à l’esprit et
c’est d’après eux que nous jugeons, d’une manière générale et égale, le vrai,
le beau, le bien et leurs contraires. Ces mesures suprêmes ont été créées en
nous par Dieu. Il en est lui‑même le premier modèle, la lumière en nous, dans laquelle nous
connaissons et apprécions toutes les valeurs spirituelles. Mais, de même que
Dieu est le soleil des esprits, nous sommes des images, des miroirs de son
Être. De là les exhortations fréquentes à chercher Dieu en nous :
« Ne va pas au dehors, rentre en toi‑même, c’est dans l’homme intérieur qu’habite la vérité » (De vera relig., 39, 72). Il y a même en nous un désir naturel de Dieu qui, par
suite de l’imperfection et de l’insuffisance morale de notre être, nous fait aspirer à la perfection et à l’achèvement dans Celui qui est
le Très Haut et l’Immuable. « Notre cœur est sans repos tant qu’il ne se
repose pas en toi » (Conf., 1, 1). Cette pensée, Kant l’a reprise à sa manière et en a fait une preuve de
l’existence de Dieu, comme postulat de la raison ».
La Scolastique. S. Thomas dit : « Les créatures n’éloignent pas de Dieu
par elles‑mêmes, mais elles y ramènent, parce que, comme le dit l’Apôtre (Rom., 1, 20) : Ce qu’il y a d’invisible en Dieu est devenu
visible par la connaissance que ses créatures nous en donnent. Or, si elles
détournent de Dieu, c’est par la faute de ceux qui en font mauvais usage. C’est
ce qui fait dire à la Sagesse (14, 11) que les créatures sont un filet où les
pieds des insensés se prennent. D’ailleurs, par là même qu’elles éloignent de
Dieu, c’est une preuve qu’elles en viennent. Car elles n’éloignent de Dieu les
insensés qu’en les séduisant par ce qu’il y a de bon en elles, et ce qu’elles
ont de bon ne peut avoir une autre origine que Dieu lui‑même » (S. th., 1, 65, 1 ad 3). A propos de Hébr.,
1, 5, il dit avec autant de vérité que de profondeur : « Les
créatures nous manifestent Dieu, mais elles nous le cachent aussi » (Cf.
S. Thom., In Rom., 50, 17). « Tout homme a la faculté naturelle de
connaître Dieu et de l’aimer et cette faculté est fondée « dans la nature
même de l’esprit qui est commun à tous les hommes » » (S. th., 1, 93, 4).
Les preuves de l’existence de Dieu d’après S.
Thomas
Il y en a cinq et elles reposent toutes sur la loi de causalité.
1. La preuve tirée du mouvement. Nous voyons toutes les choses,
vivantes et non vivantes, raisonnables et sans raison, en mouvement, en
changement. Or le mouvement n’est autre chose que le passage de la possibilité
(potentia) à la réalité (actus). Or ce passage ne peut se faire que par le
moyen d’une autre réalité : « tout ce qui est mû reçoit d’un autre le
mouvement ». En effet aucune chose ne peut, par elle‑même, passer de la puissance à l’acte, car elle ne peut pas, en même temps et sous le même rapport, être à la fois en puissance et en acte.
Mais si une chose est mue par l’autre, il faut nécessairement admettre une
chose immobile comme cause du mouvement. Or on ne peut pas remonter
indéfiniment dans la série des causes. S’il n’y a pas de premier moteur, il n’y
a pas d’autre moteur, il n’y a donc pas de mouvement. Or le premier moteur qui
n’est mu par aucun autre est par conséquent l’« être en mouvement »
immobile. Cette preuve tirée du mouvement apparaît à S. Thomas comme la plus
claire et la plus probante. C’est à cette preuve que se ramènent toutes les
autres.
2. La preuve par la cause efficiente. Aucun être ne se produit lui‑même, aucun n’est « sa propre cause », car la cause est antérieure à l’effet ; il est nécessairement produit par un autre. De
nouveau, la saine raison doit remonter à une cause première, car
« remonter indéfiniment de cause en cause » est encore impossible. Le
premier est la cause du moyen et celui‑ci la cause du dernier. Or, le
moyen peut être unique ou constituer une longue série. Mais si le premier fait
défaut, il n’y aura ni moyen ni dernier, il faut donc admettre une cause
première (causa prima).
3. La troisième preuve est tirée de la contingence des choses. Ces choses sont en particulier, comme en
général, accidentelles. Elles peuvent
sans contradiction exister ou ne pas exister. Mais si quelque chose existe,
cela a été amené à l’existence par une cause. Si toute la Création est
accidentelle, puisqu’elle ne porte nulle part la marque de la nécessité
interne, il faut qu’elle ait été appelée à l’existence par une cause, et il
faut que cette cause existe nécessairement, d’une nécessité interne. Autrement
il faudrait lui chercher une cause et nous tomberions ainsi dans
l’« enchaînement infini des causes ». Par conséquent, il y a un
« être nécessaire ».
4. La quatrième preuve est tirée des degrés des choses. On trouve en elles le bien, le vrai, le noble à
des degrés différents. Mais cette gradation n’est possible que dans la mesure
où ces choses se rapprochent plus ou moins de l’Être qui possède la perfection
au plus haut degré, qui est le très parfait. Il communique à chaque chose la
perfection qui lui convient et les fait toutes participer à la sienne. Il faut
donc conclure de ces choses à l’existence d’un « Être parfait au plus haut
degré ».
5. La cinquième preuve est tirée de la conduite des choses. Toutes les choses, depuis le globe du soleil
jusqu’au brin d’herbe, possèdent une tendance
vers une fin (téléologie). Bien qu’elles ne connaissent pas elles‑mêmes le but de leur mouvement,
elles tendent néanmoins vers ce but et cherchent
à l’atteindre comme leur souverain bien. Il faut donc nécessairement admettre une
cause pensante qui ordonne ces choses, à leur insu, vers leur fin, et leur
donne leur tendance vers cette fin. Cette cause doit être très sage, un
« Être parfait au plus haut degré ». Cette preuve est la plus facile
à manier, car elle repose sur des constatations qui sont à la portée de tous.
Ainsi donc la raison, en
s’appuyant sur la considération du monde et d’elle‑même, démontre l’existence d’un premier moteur, d’une cause
première, d’un Être nécessaire,
d’un Être possédant la sagesse et la
perfection au plus haut degré. Nous l’appelons Dieu (Cf. S. th., 1, 2,
3 ; C. Gent., 50, 13).
A ces cinq preuves l’Apologétique en ajoute deux autres. D’abord la preuve de S. Augustin tirée des vérités éternelles
nécessaires, par ex. : celle des principes premiers de la
connaissance. Étant donné qu’ils doivent avoir un fondement, ils ne peuvent
l’avoir qu’en Dieu, la source première de tout être et de toute vérité. La seconde preuve est de nature morale
et est perçue par la conscience. S. Paul déjà l’expose (Rom., 2, 14). Elle
s’appuie sur l’obligation générale existant en toute conscience de pratiquer le
bien et d’observer l’ordre moral. Cette obligation, indépendante de l’homme
particulier comme de l’humanité en général, ne peut être fondée que sur le
Créateur de toute l’humanité.
Appendice : La preuve
ontologique de S. Anselme (Proslogium) est rejetée aujourd’hui par la
plupart des philosophes, à la suite de S. Thomas ; elle n’est défendue que
par quelques‑uns à la suite de S. Bonaventure, de Descartes, de
Spinoza, de Leibnitz, de Hegel, de Fichte, de Lotze. Elle conclut de la notion
idéale à l’existence réelle
(μετάβασις εἰς ἀλλο
μένος), et dans ce fait réside un vice incurable.
Dieu, dit S. Anselme, est d’après sa notion un être si parfait qu’on ne peut
pas en imaginer de plus grand. Dans ses perfections, il faut comprendre
l’existence, autrement il lui manquerait une perfection importante. A ceci S.
Thomas répond que nous ne pouvons pas nous faire une idée de Dieu a priori mais seulement a posteriori. Il est vrai qu’il est
« en soi la vérité », mais il ne l’est pas « par rapport à
nous » ; il ne nous est connu que « par les créatures »,
nous en concluons, avec raison, son existence et quelques perfections qui en
sont inséparables, comme l’aséité et l’absolu (S. th., 1, 2, 1 ; 1, 12,
12 ; C. Gent., 1, 10‑39).
Objections. Pour attaquer les preuves de l’existence de Dieu, on allègue
surtout la sublimité absolue de Dieu et la distance infinie qui le sépare de la
Création. Le 4ème Concile de Latran lui‑même dit : « Si grande que soit la ressemblance entre le
Créateur et la créature, on doit encore noter une
plus grande dissemblance entre eux » (Denz., 432). Nous devons donc avouer
la grande différence d’être entre Dieu et le monde. Mais nous devons cependant, dans notre pensée,
établir un pont entre les deux. La loi de causalité nous y force pour expliquer l’existence du monde. En le faisant, nous
avons certes conscience que nous devons conclure à un autre être chez Dieu que
celui que nous trouvons chez les créatures. Nous abandonnons l’être contingent
et nous nous élevons vers l’Être absolu. Néanmoins cet Être nous est
inaccessible dans son essence et nous ne sommes certains que de son
existence ; nous pressentons le reste par analogie transcendante plutôt
que nous ne le connaissons.
On peut insister encore avec plus
de force sur l’instinct du bonheur
inné à tous les hommes et qui est général,
indestructible et fondamental. Or, chez aucun homme, cet instinct ne peut
être satisfait par le monde et ses biens. Ainsi donc, à moins d’admettre que
c’est là un instinct naturel
illusoire, ce qui serait absurde, il faut qu’il y ait un bien éternel capable
de le satisfaire. « Notre cœur est sans repos » (S. Augustin).
Limitation. S. Thomas dit lui‑même que la connaissance naturelle de Dieu
reste imparfaite (S. th., 1, 13, 5 ; C. Gent., 1, 34), mêlée d’erreurs (C. Gent., 3, 38), chargée de
beaucoup de points d’interrogation (C. Gent., 3, 39) et obscure, étant donné
que la créature n’est qu’une image très imparfaite de Dieu, et qu’en outre,
depuis la chute, cette image n’est plus perçue par l’homme que faiblement (C.
Gent., 3, 38 sq.). Il pense cependant que les anciens philosophes « ont
connu Dieu comme fin ultime » (In Rom., 1, 6).
Opinions erronées
1. L’athéisme nie l’existence de Dieu et affirme explicitement ou
implicitement l’impossibilité de la connaître, ou tout au moins considère les
preuves de son existence comme insuffisantes (athéisme, agnosticisme,
criticisme). Historiquement l’athéisme est ancien. Cependant il ne fut pas
toujours représenté dans la forme absolue de la négation de Dieu, mais il
consista le plus souvent à rejeter le polythéisme ou bien les divinités
reconnues officiellement, sans pourtant nier la divinité elle‑même. C’est ce qui explique que les païens et les chrétiens pouvaient se jeter réciproquement l’accusation d’athéisme. Ce n’est que dans les temps modernes qu’apparut
l’athéisme pur.
L’agnosticisme affirme que la raison humaine est incapable
d’atteindre les vérités transcendantes, telles que l’existence et l’essence de
Dieu (agnosticisme, philosophique de Kant), ou bien que, par suite du péché
originel, elle a été tellement affaiblie qu’elle ne possède plus la faculté
d’atteindre ces vérités (agnosticisme religieux des Réformateurs,
suprarationalisme protestant). C’est contre les deux tendances, celle de Kant
et celle de Luther, qu’est dirigée la définition du Concile du Vatican.
L’agnosticisme a été renouvelé par le modernisme
(Denz., 2072, 2073) ; cf. Apologétique.
Pour expliquer la diffusion de l’agnosticisme dans notre temps, on signale
comme causes : « L’éducation, l’exemple, les préjugés, l’abus et la
déformation de la religion, la trop grande estime de soi et les dépravations
morales, la spécialisation excessive des études et des occupations »
(Schanz‑Koch, Apol., 1, 106). La Russie des Soviets
est « officiellement » athée.
2. Le traditionalisme a voulu combattre les objections de la raison
contre Dieu et la Révélation et a pris un moyen radical. Il a dénié à la raison
la faculté et le droit de juger de ces choses. C’est pourquoi il fonde toute
vraie connaissance de Dieu sur la tradition de la Révélation surnaturelle
(Bonald, Bautain, Lamennais). Au commencement était la Parole (Jean, 1, 1), c.‑à‑d. la révélation, l’enseignement de Dieu ; sans cette Parole, aucune
connaissance de Dieu n’aurait été possible. De même que la tradition de cette Révélation est nécessaire, elle est aussi
suffisante. Lamennais considère la
raison individuelle comme incapable d’arriver à la connaissance naturelle de
Dieu. Il place, par contre, le critérium de vérité absolue dans le consentement
universel de tous les hommes et il voit dans la diffusion universelle de la
notion de Dieu une confirmation opportune de la Révélation à laquelle se ramène
en dernière analyse ce consentement universel. Ce traditionalisme rigide a été condamné par l’Église
(Denz., 1617). Elle s’est prononcée d’une manière aussi énergique contre le
professeur Bonnetty qui soutenait le
traditionalisme dans ses Annales de
philosophie chrétienne. Il dut, entre autres, souscrire la proposition
suivante : « La raison peut prouver (probare), avec certitude, l’existence
de Dieu, la spiritualité de l’âme, la liberté de l’homme ». Il dut avouer
que contre l’athéisme on ne pouvait pas raisonnablement en appeler à la
révélation divine (Denz., 1649‑1652). Le traditionalisme
oubliait que ce n’est pas la parole (le langage) qui est l’élément primordial, mais
que c’est l’idée qu’elle exprime. Quand on insiste sur l’éducation et
l’instruction, on ne doit pas attribuer une moindre importance aux dispositions
et aux facultés de l’intelligence. Toutes les connaissances ne viennent pas de
l’enseignement, l’intelligence aussi en découvre souvent.
Le traditionalisme mitigé (Beelen,
Laforêt, Ubaghs, etc.) ne nie pas la faculté naturelle qu’a la raison de
connaître Dieu, mais il prétend qu’elle a besoin d’une formation théorique par
l’instruction. Les hommes des bois et
les sauvages n’arriveraient pas par eux‑mêmes à une telle connaissance. Au reste, il faut
remarquer que la Révélation ayant eu lieu au début de l’humanité et s’étant perpétuée dans toute la race humaine en tant que Révélation primitive, il ne s’est,
en fait, jamais développé de religion purement naturelle, mais que chaque
religion comporte partout des « restes » de la Révélation primitive.
« Il n’est pas douteux que chaque homme reçoit un riche héritage de
conquêtes spirituelles », dit Schanz, mais il ajoute que nous devons
acquérir de nouveau cet héritage et que nous devons appuyer l’élément
traditionnel de motifs internes, si nous voulons qu’il prenne consistance en
nous (Schanz‑Koch, Apol., 168 sq., 186 sq.). Sous cette
forme mitigée, le traditionalisme n’a pas été inquiété par l’Église. On ne doit
cependant pas prétendre que la révélation est nécessaire absolument pour
parvenir à la connaissance naturelle de Dieu : on irait ainsi contre le Concile
du Vatican (Denz., 1786).
3. L’idée innée de Dieu. Les Pères, les latins comme les grecs,
parlent souvent d’une idée de Dieu mise en nous par la nature, d’une idée innée
(idea Dei innata). On se demande comment ils ont compris cela. Depuis Descartes,
Malebranche, Leibnitz, un certain nombre de théologiens de tendance platonisante comme Drey, Kuhn, Klee,
Staudenmaier, Thomassin, etc., ont
affirmé avec tant d’insistance la théorie de l’idée innée de Dieu qu’ils
semblent admettre une immanence de Dieu antérieure à tout acte raisonnable, une
illumination spontanée de Dieu dans notre esprit. La notion de Dieu basée sur
la pensée rationnelle ne paraît plus conciliable avec cette idée innée ;
le plus souvent on l’ignore pratiquement ou tout au moins on ne lui accorde que
peu d’importance. Cette opinion n’a pas été condamnée. Cependant elle ne doit
pas déclarer impraticable le chemin indiqué par le Concile du Vatican, quand il affirme qu’une
considération rationnelle du monde conduit à la connaissance de Dieu. Au reste,
les partisans de cette théorie s’efforcent en vain de la rendre plausible, car
chaque idée, comme l’indique sa notion même, est formée par l’intelligence,
tirée de l’extérieur par l’abstraction. Des idées complètes a priori ne sont pas conciliables avec
l’essence de la pensée humaine discursive.
Cette théorie ne peut être
soutenue que dans sa forme mitigée, en entendant sous le nom d’idée innée de
Dieu, nos dispositions naturelles innées, notre aptitude et notre inclination à
connaître Dieu. En vertu de ces dispositions innées, l’âme se sent portée, dans
sa considération du monde, vers Dieu, la cause première et la fin dernière du
monde, et immédiatement, sans longues recherches scientifiques, elle arrive à
la conviction certaine de l’existence de Dieu. C’est ainsi que l’explique S.
Thomas et c’est ainsi sans doute que l’ont compris les Pères. Leurs
déclarations ne peuvent pas être entendues comme l’affirmation d’une idée
complète de Dieu apportée en naissant, quand ce ne serait qu’en raison de leur
opinion générale sur la difficulté de connaître Dieu comme il faut et sur
l’imperfection constante de cette connaissance.
4. Le sentiment en tant que source de l’idée de Dieu. Depuis Jacobi et surtout depuis Schleiermacher, le protestantisme fait
dériver ses conceptions religieuses et particulièrement l’idée de Dieu, du
sentiment. On sent Dieu, on ne le connaît pas. De même, d’après Kant, on ne connaît pas Dieu, mais son
existence est un postulat de la raison. Toute la « théologie »
protestante moderne est, depuis Schleiermacher, une théologie du
sentiment : elle repose sur l’expérience religieuse individuelle. Mais
l’« expérience de Dieu » est dénuée de vérité objective ; c’est
une « expérience personnelle », subjective. Ainsi parle Jean
Müller : « Rien de ce qui existe ne peut être prouvé, on ne peut en avoir que l’expérience, il en est de même pour Dieu ».
L’orthodoxie grecque rejette, elle aussi, la raison comme moyen de
connaître Dieu naturellement. Quelques théologiens seulement, comme Svetlov,
l’admettent, tout au moins comme source secondaire de connaissance, à côté de
la source première, qui est le sentiment. C’est ainsi que s’explique le
mysticisme obscur des Russes. Contre tout mysticisme exclusif, faisons cette
remarque de principe : il ne trouvera nulle part un critérium qui lui
permette de tirer du subjectif l’objectif, Dieu.
5. Le néo‑platonisme s’en tint modestement à une
connaissance de Dieu purement négative.
Il ne reconnaissait pas l’analogie entre le Créateur et la créature ou ne
l’admettait que dans la mesure où elle enseigne ce que Dieu n’est pas. Cependant cette théologie négative
s’efforçait d’atteindre des buts positifs. Elle cherchait ce résultat par la
voie de l’ascension mystique. Cette
ascension se réalisait par les trois
étapes connues : la purification
(via purgativa), l’illumination (via
illuminativa) et l’union (via
unitiva). Cette théorie pénétra dans la théologie patristique et dans la
Scolastique (les Cappadociens, S. Cyrille de Jérus., S. Chrysostome, Denys
l’Aréopagite, Hugues de S. Victor, S. Bonaventure, S. Albert le G., S. Thomas).
6. Il faut signaler également ici
le mouvement théosophique ; il
est caractérisé par deux aspects principaux : 1° L’expérience de Dieu par
les voyants dirigeants ; 2° La
foi d’autorité des non voyants
dirigés. La théosophie est un mélange d’idées hindoues et de conceptions
occultes spirites avec une teinte de christianisme. La théosophie repousse
l’expérience intime, aussi bien que les preuves théoriques de l’existence de
Dieu ; mais elle prétend saisir directement l’essence divine dans une
contemplation interne de l’esprit. Elle y prépare par un entraînement ascétique
et notamment par la technique de la contemplation du Yoga. La morale est
bouddhiste. Il faut mettre sur le même pied l’anthroposophie de R. Steiner qui part de l’homme. Tous les hommes,
d’après lui, ont des dispositions de voyants ; mais ils doivent être
éduqués et pour cela s’abandonner à l’autorité qui les amènera à contempler,
avec la partie la plus élevée de leur esprit « l’œil de l’esprit » et
« l’oreille de l’esprit », la « sagesse de l’homme » et de
toute l’évolution de l’humanité qu’il se représente comme panthéistique.
Steiner enseigne la métempsychose, le karma, et affirme que son anthropologie
est un « christianisme ésotérique ». Pour lui, toute la terre est le
corps mystique du Christ et la rédemption est l’incorporation substantielle et
non morale au Christ. Pie XI a
interdit de participer à ce mouvement moderne (Acta Apost. Sedis, 1919).
7. N’y a‑t‑il donc
aucune expérience de Dieu ? Demandent beaucoup de catholiques. Il y en a une certainement. Le
Sauveur l’enseigne expressément (Jean, 14, 21) : « Celui qui observe
mes commandements, c’est celui‑là qui m’aime, celui‑là sera aussi aimé de mon Père et je l’ aimerai
et je me manifesterai à lui ».
Bien entendu, il y a une révélation de Dieu dans l’homme, mais en vertu de la
foi à l’Église qui l’annonce et encore plus par la grâce conférée à l’homme ou
par l’amour du Saint‑Esprit (Rom., 5, 5). « Dieu
a révélé son Fils en moi » (Gal., 1, 16 ; cf. Math., 16, 17). Telle
est la voie naturelle de l’expérience de Dieu. Toute voie extraordinaire, quand
elle est véritable, se ramène à celle‑ci et se termine, comme chez S.
Paul, dans l’Église (Act. Ap., 9, 17‑19). C’est d’une expérience de Dieu semblable que parle S. Augustin dans ses Confessions :
« Tard je t’ai aimé… tu m’as appelé à haute voix et tu as détruit ma surdité,
tu as éclairé et brillé et tu as fait disparaître mon aveuglement. Tu as
répandu un doux parfum et je l’ai aspiré et je soupire vers toi ; je t’ai
goûté et maintenant j’ai faim et soif de toi. Tu m’as touché et je suis embrasé
du désir de ta paix (L. 10, c. 27). On trouve des textes semblables dans S. Bernard (In Cant. Serm., 1, 11 ;
74, 7), dans S. Bonaventure
(Itinerarium, 7, 6).
Notre connaissance naturelle de
Dieu est : 1° D’après sa forme, une connaissance médiate ; 2° D’après son contenu, une connaissance analogique ; 3° D’après sa
perfection, une connaissance inadéquate ;
4° Mais, d’après sa valeur de connaissance, une connaissance vraie.
C’est une connaissance médiate : « par ses
créatures » (Vatic). Nous ne trouvons nulle part sur la terre l’essence
même de Dieu, mais toujours seulement ses actions, les idées créatrices
réalisées, lesquelles, selon S. Paul, portent en elles le sceau de la puissance
éternelle et de la divinité. D’après la Sagesse,
elles nous permettent de connaître Dieu par « mode de comparaison »,
d’une manière analogique ; ce n’est donc pas dans sa forme propre (per speciem
propriam), mais dans une forme étrangère empruntée aux choses (per species
alienas).
Étant donné que nous n’avons pas
de voie directe pour saisir l’Être
divin, nous ne pouvons y parvenir que par des voies détournées. La Scolastique
a indiqué trois de ces voies ou plutôt un triple procédé pour arriver à la
connaissance de Dieu : la voie d’affirmation (via affirmationis aut
causalitatis), la voie de négation (via negationis), et la voie de
transcendance (via eminentiæ). Elle veut dire que, par les choses créées, nous
connaissons que Dieu existe comme leur cause, mais qu’il n’est pas identique
aux choses, qu’il en diffère au contraire essentiellement, qu’il n’y a en lui
absolument aucune imperfection et
qu’on ne peut le concevoir que comme possédant à un degré infini les
perfections des créatures. De là résulte le caractère médiat, inadéquat et
imparfait de notre connaissance de Dieu
L’ontologisme. Il rejette cette simple constatation de fait. Il est aux
antipodes du traditionalisme. Ses fondateurs sont Vincent Gioberti (+1852) et
le religieux prêtre Antoine Rosmini (+1855). Il se répandit dans les pays
latins et surtout en Italie. D’après lui, nous ne connaissons pas Dieu
médiatement mais immédiatement ;
nous ne le connaissons pas par abstraction, mais par intuition. La connaissance de Dieu est même la première de toutes les connaissances et en même temps la lumière
dans laquelle nous voyons toutes choses. Au lieu de monter, comme le demande le
Concile du Vatican, de la créature à Dieu, il descend de Dieu à la créature.
D’après Gioberti, l’ordre de la connaissance
doit correspondre à l’ordre de l’être.
Or Dieu est le premier dans l’ordre de l’être (in ordine ontologico), il l’est
aussi dans l’ordre de la connaissance (in ordine logico). C’est de cette considération
que vient le nom d’ontologisme, car
Dieu, l’être pur (τὸ ὄντως ὄν, ὁ
ὤν), et sa connaissance sont à la base de ce système philosophique.
Nous percevons immédiatement la vérité divine, d’une manière intuitive et non
par abstraction dans les choses. Celles‑ci peuvent seulement nous faire
passer de la connaissance directe, mais encore plus inconsciente et imprécise,
à une connaissance réfléchie et claire. Nous percevons sans doute toute
l’essence divine, mais seulement dans la mesure où, dans l’acte de la Création,
elle se manifeste à nous comme l’Être créateur, et, par là‑même, elle est limitée aux attributs d’absolu, de
vérité, de beauté et de bonté.
Rosmini partit d’abord de l’idée innée de Dieu. Il ne la concevait pas
comme une forme de connaissance de notre esprit, mais comme l’Être absolu lui‑même qui se révèle dans notre esprit, et cela en tant qu’idée de l’être
général que nous percevons immédiatement et dans lequel nous voyons toutes
choses. Manifestement on confond ici l’être abstrait, vide et général, avec
l’Être absolu, parfait et éminemment concret de Dieu ; ce qui donne à
l’ontologisme une teinte de panthéisme,
bien qu’il se défende énergiquement de tirer cette conséquence.
Condamnation ecclésiastique. Le Concile de Vienne (1311‑1312) avait déjà condamné les Bégards qui enseignaient qu’on peut contempler Dieu sans la
lumière de gloire. Seulement les ontologistes ne se sentaient pas atteints par
cette condamnation. On ne connaît pas parfaitement toute la divinité, disaient‑ils, on ne connaît pas, par conséquent, la Trinité, et à cette connaissance n’est pas unie la béatitude éternelle pour
laquelle la lumière de gloire est nécessaire absolument. Une forme ancienne de
l’ontologisme, celle de Malebranche (+1715), et du cardinal Gerdil (+1802),
n’avait pas été inquiétée par l’Église. Il en fut de même pour le nouvel
ontologisme à ses débuts. Mais, le 18 septembre 1861, un décret du Saint‑Office censura (tuto tradi non passe), sans nommer personne, sept
propositions parmi lesquelles trois au moins appartenaient à l’ontologisme (Denz., 1659‑1661). De même, le 14 décembre 1887, quarante propositions de
Rosmini furent condamnées parmi lesquelles ses propositions ontologistes
(Denz., 1894 sq.).
La critique de l’ontologisme résulte de ce que nous avons dit plus
haut du caractère médiat de notre connaissance terrestre de Dieu et elle est
confirmée par l’Écriture et la Tradition. Philosophiquement,
l’ontologisme menace partout de dégénérer en panthéisme. Il confond l’Être
absolu et par soi avec l’être créé abstrait, l’Être simple, en raison de sa
perfection infinie, avec l’être vide, par suite du défaut de détermination.
C’est en vain qu’il en appelle à S.
Augustin. D’abord celui‑ci n’enseigne nulle part une
connaissance directe et intuitive de Dieu dans ce monde ; il affirme assez souvent, comme
tous les Pères, que nous savons mieux ce que Dieu n’est pas que ce qu’il est
(verius enim cogitatur Deus quam dicitur, et verius est quam cogitatur) (De
Trin., 7, 4 ; cf. 1, 8). Il appelle Dieu la lumière dans laquelle nous
voyons toutes choses, parce que les choses sont créées à l’image de Dieu et que
c’est sa lumière dont nous voyons en elles le reflet. Leur intelligibilité
procède de son éternelle intelligence (illuminatio nostra participatio Verbi
est) (De Trin.,7, 2 ; cf. 12, 24) ; il en est de même des notions
qui, en soi, sont éternelles et partout les mêmes, du vrai, du bien et du beau.
Mais jamais il n’a identifié ces
choses avec Dieu, comme le fait l’ontologisme, même pas dans ses premiers
écrits où sa doctrine de la connaissance dépend encore fortement de Platon. S.
Augustin passa de la doctrine platonicienne de la « réminiscence » à
une théorie personnelle de « l’illumination divine de l’âme » ;
mais, d’après sa théorie, nous ne voyons pas Dieu lui‑même, pas plus que la lumière divine en tant que telle ; mais nous voyons les choses intelligibles illuminées par cette
lumière.
Une théorie apparentée à
l’ontologisme est la « vision de
l’essence » de M. Scheler. Switalski juge ainsi cette
théorie : « La vision de l’essence comme moyen de connaître Dieu
manque des caractéristiques fondamentales que nous exigeons de toute
connaissance : la précision claire et la valeur objective générale. Elle
nous paraît être une projection artificielle, dans la réalité, de la
contemplation de l’idée de Dieu par conséquent une projection expressionniste
plutôt qu’une opération consistant à tirer par un examen prudent l’existence et
l’essence divines des traces de leur action, répandues partout dans la
réalité » (Revue de l’Union des
Universitaires catholiques, 1922). D’après Geyser, l’ontologisme de Gratry a été une des sources de Scheler.
Au dire du même auteur, quand l’homme qui cherche véritablement Dieu a trouvé
la vérité, la lumière propre à cette vérité l’assure qu’il la possède.
Conclusion pratique. La
connaissance de Dieu est possible pour tous les hommes normaux, bien que
chacun ait sa propre voie pour y parvenir. Mais, pour que cet acte de
connaissance se produise, il faut, comme pour la vision corporelle, que trois
conditions soient remplies : 1° Il faut un œil sain ; 2° Il faut que
l’œil soit dirigé vers l’objet ; 3° Il faut que l’objet soit visible,
qu’il soit éclairé par la lumière. Il en est de même ici. Sur le premier point,
les Pères, à la suite de Math., 5, 8, nous donnent de nombreux et sérieux
avertissements. Des yeux impurs ne voient pas clair. Ces yeux ne trouvent aussi
guère le temps de diriger leur regard vers Dieu. Ils ont, leur semble‑t‑il, mieux à faire que de s’occuper de questions transcendantes. La
religion d’ici‑bas, et non la religion médiévale de l’au‑delà, tel est le mot d’ordre. Les questions de la
connaissance de Dieu doivent être éclairées de la lumière de la grâce pour
qu’elles soient distinctes et solubles. C’est pourquoi il est écrit du
centurion Corneille, dans les Actes,
qu’il « priait continuellement
Dieu » (10, 2). Si Dieu s’est manifesté à nous dans la Création et se
manifeste continuellement, il veut que nous fassions
attention à cette manifestation. C’est pourquoi Jésus nous avertit :
« Considérez‑les » (les corbeaux, les lis) (Luc, 12, 24, 27).
La considération sérieuse et réfléchie de la nature est une occupation
religieuse, une méditation du dimanche, un approfondissement de la connaissance
de Dieu pour chacun, un renouvellement de la foi. C’est parce que le divin a son image dans la
nature que Jésus y revient sans cesse dans ses paraboles et illustre par leurs
tableaux particuliers les vérités de l’invisible. Les prédicateurs et les
catéchistes feront bien de l’imiter.
THÈSE. On doit croire à l’existence et à l’essence de Dieu en
vertu de la Révélation surnaturelle.
De foi.
Explication. Tous les symboles ecclésiastiques ont en tête l’article :
« Je crois en Dieu. » Par conséquent, la foi en Dieu est
l’enseignement le moins douteux de l’Église. Personne n’a le droit de refuser
cette foi, quand la Révélation surnaturelle lui est devenue connue. Personne
n’a le droit de vouloir la remplacer par une connaissance naturelle de Dieu.
Preuve. Dans l’Ancien Testament, la foi en un Dieu unique était nettement
dirigée contre le polythéisme ; elle était sans cesse affirmée de nouveau
dans la prière quotidienne : « Écoute, Israël : le Seigneur notre
Dieu est l’Unique » (Dt., 6, 4). Jésus
prend à son compte cette profession de foi : « Voici le
premier : Écoute, Israël : le Seigneur notre Dieu est l’unique
Seigneur » (Marc, 12, 29). Il
recommande à ses disciples : « Vous croyez en Dieu, croyez aussi en
moi » (Jean, 14, 1). S. Paul :
« Or, sans la foi, il est impossible d’être agréable à Dieu ; car,
pour s’avancer vers lui, il faut croire qu’il existe et qu’il récompense ceux
qui le cherchent » (Hebr., 11, 6).
Les Pères. Ils prêchent la foi en Dieu, en son existence et en ses
attributs, indépendamment de la vérité de la connaissance naturelle de Dieu. Il
fallait donc qu’ils fussent convaincus que les deux vérités appartiennent à un
ordre différent et que l’une n’exclut pas l’autre.
S. Thomas trouva ici un problème. Il se demande si une chose sue peut être
également crue et il répond : « Il est impossible qu’une seule et
même personne ait sur un seul et même objet la science et la foi... Cependant
une seule et même personne peut avoir sur un seul et même objet la science et
la foi sous un certain aspect (de différents
points de vue) si bien que l’on peut, à propos d’un seul et même objet,
connaître d’une manière précise une qualité ou une relation et n’avoir, d’une
autre qualité ou d’une autre relation, qu’une croyance. De cette manière, on
peut savoir aussi que Dieu est unique
et croire qu’il est en trois
Personnes » (S. th., 2, 2, 1, 5). Le plus grand nombre des théologiens est
de cet avis. D’autres affirment que la foi est possible non seulement à l’égard
de l’essence de Dieu, mais encore à l’égard de son existence. Ils donnent comme
raison que les preuves de l’existence de Dieu sont constituées par une série
d’arguments dépendant les uns des autres et assez difficiles, et que la
conclusion finale de ces arguments n’est pas assez évidente pour n’avoir pas
besoin d’être renforcée par la
lumière et la force de la foi, pour devenir convaincante. La certitude de foi
est une certitude surnaturelle, celle de la science une certitude naturelle. En
tout cas, la conclusion à l’essence de Dieu qui, dans la pensée concrète, ne
peut guère se séparer de son existence, a grand besoin du secours de la foi,
comme l’enseigne S. Thomas lui‑même. Enfin on peut dire que le premier article
de foi : « Je crois en Dieu », garde toute sa valeur, en dépit des preuves de raison. En effet, il
n’affirme pas seulement la connaissance théorique de l’existence d’un Dieu
(credo Deum esse), il n’affirme pas non plus seulement sa véracité (credo Deo),
vérités qui pourraient n’être que des vérités de raison ; mais il renferme
l’adhésion de tout l’homme à Dieu (credo in Deum). Ces distinctions ont été
mises en lumière pour la première fois, avec clarté et insistance, par S.
Augustin (Cf. S. Thomas, S. th., 2, 2, 2, 2).
Thèse. La connaissance surnaturelle de Dieu est plus étendue, plus
parfaite et plus sûre que la connaissance naturelle.
Une simple comparaison, entre les
professions de foi ecclésiastiques et le contenu de la théodicée naturelle,
nous montrera, dans quelle mesure la Révélation a étendu et perfectionné notre
connaissance naturelle de Dieu. Ensuite, la connaissance surnaturelle de Dieu
est beaucoup plus sûre ; elle ne s’appuie pas en effet sur l’instrument
fragile de la faculté de connaissance individuelle, pas même sur le témoignage
d’ailleurs plus précieux de la raison humaine universelle, mais sur l’autorité
de Dieu qui ne peut ni se tromper ni tromper personne.
S. Thomas enseigne l’imperfection
de notre connaissance surnaturelle de Dieu avec des expressions très fortes
(Cf. p. 102 et 104). D’après lui, Dieu est pour les croyants eux‑mêmes un « Dieu inconnu », bien que, à la lumière de la foi, ils le connaissent
beaucoup mieux qu’à la lumière de la raison. Au reste, en vertu de la
révélation de la grâce, nous ne connaissons pas de Dieu ce qu’il est et ainsi nous sommes unis avec Dieu comme avec un
inconnu (quasi ignoto). Cependant nous le connaissons d’une manière plus
parfaite, dans la mesure où des actions plus nombreuses et plus éminentes nous
sont manifestées et dans la mesure où nous lui attribuons plusieurs choses, à
la connaissance desquelles la raison naturelle ne ne saurait parvenir (S. th.,
1, 12, 13). « Aucun philosophe, avant
l’avènement du Christ, par tous ses efforts, ne put en savoir autant sur Dieu
et les vérités nécessaires à la vie éternelle, qu’une vieille femme après l’avènement du Christ au moyen de
sa foi » (Exp. S. Symb. Apost., 1).
Thèse. Les formes de connaissance de la connaissance surnaturelle et de
la connaissance naturelle de Dieu sont semblables ; nous saisissons les
vérités surnaturelles elles‑mêmes dans des notions naturelles.
Une connaissance de Dieu
entièrement libre de l’anthropomorphisme et de l’anthropopathisme n’existe pas
ici‑bas. Même dans la foi, nous voyons Dieu « comme dans un miroir et une énigme » et pas encore « face à face » (1 Cor., 13, 12).
On n’a pas le droit de nous
opposer un anthropomorphisme naïf. Nous savons que nous ne pouvons appliquer
les multiples notions, telles que nous les rencontrons, à l’Être simple et
absolu de Dieu et que, même après leur épuration et leur transcendance, nous ne
pouvons avoir de l’Être de Dieu et de ses perfections qu’une idée imparfaite.
Car cette transcendance doit s’élever jusqu’à l’infini et l’infini reste pour nous une notion négative,
irréalisable. Néanmoins nous avons la conviction que quelque chose, dans l’Être
divin, correspond à chaque notion que nous en avons et que c’est justement dans
l’Être divin que ces notions, qui ont en lui leur source première, trouvent
leur perfection et leur vérité définitive. On doit donc distinguer la
connaissance imparfaite de la
connaissance fausse et vaine. Nous
reconnaissons comme vrai ce que nous connaissons imparfaitement et
incomplètement, car ce que nous
connaissons et dans la mesure où nous
le connaissons correspond à la vérité. Si l’on voulait ne considérer comme vrai
que ce que nous connaissons d’une manière adéquate et compréhensive, il n’y
aurait dans nos connaissances que peu de choses vraies ou même rien du tout.
Quand nous attribuons à Dieu des perfections créées, nous le faisons
d’après une méthode logique prudente. Par contre, le panthéisme et le monisme
entendent ces perfections immédiatement et formellement comme divines et
attribuent à « Dieu » une foule de qualités et d’états souvent
contradictoires, l’éternité et le temps, l’absolu et le contingent,
l’immutabilité et le changement, l’infini et le fini, l’unité et la
multiplicité, la ressemblance et la différence, l’esprit et la matière ;
tout est un, tout est Dieu.
A consulter : S. Thomas, S. th., 1, 5 et 12 ; C.
Gent., 3, 50. Commer, Visio
beat. : D. Thom. (1918), 339‑364. Maréchal, Nouvelle Rev. théol. (fév. 1930).
THÈSE. La connaissance intuitive de Dieu est en soi absolument
impossible pour tout esprit créé et par conséquent strictement surnaturelle. De foi.
Explication. A l’encontre de la tendance constante de la fausse mystique à
confondre la nature et la surnature, l’Église dut, au Concile de Vienne (1311‑12), condamner la théorie des Béguins et des Bégards : « Toute âme intellectuelle est en elle‑même naturellement bienheureuse et
l’âme n’a pas besoin de la lumière de la gloire qui l’élève pour voir Dieu et en jouir dans la béatitude » (Denz., 475). Bien que la thèse contraire n’ait été d’abord définie que par rapport à l’âme humaine, les théologiens l’étendent avec
raison même aux anges, et non seulement aux anges, mais à toute intelligence
créée possible, afin de conserver à Dieu son rang d’Être surnaturel unique,
absolu et primordial, et de caractériser toute élévation de la créature vers
lui comme une grâce. La thèse contient ainsi le fondement de la doctrine de la
grâce.
Preuve. L’idée de la vision divine a, comme plusieurs idées, subi une
évolution et atteint une clarté de plus en plus grande. Dans l’Ancien
Testament, la règle fondamentale est celle‑ci : Jahvé est absolument invisible. Il dit à Moïse : « Tu ne pourras pas voir mon visage, car un être humain ne peut pas me voir et
rester en vie » (Ex., 33, 20). Jésus confirme cette doctrine, et
n’admet, comme le fait remarquer S. Jean, qu’une exception, celle de sa propre vision divine : « Dieu,
personne ne l’a jamais vu ; le Fils unique, lui qui est Dieu, lui qui est
dans le sein du Père, c’est lui qui l’a fait connaître » (Jean, 1, 18
sq. ; cf. 1 Jean, 4, 12). « Certes, personne n’a jamais vu le Père,
sinon celui qui vient de Dieu : celui‑là seul a vu le Père » (Jean, 6, 46 ; Math., 11, 27). S. Paul reconnaît, malgré ses extases, qui l’élevèrent au troisième
ciel (2 Cor., 12, 1‑6) : « Lui seul possède l’immortalité, habite une lumière inaccessible ; aucun homme ne l’a jamais vu, et nul ne peut le voir » (1 Tim., 6,
16 ; cf. 13, 12).
Les Pères. Ils ont le plus souvent affirmé l’invisibilité,
l’incompréhensibilité et la sublimité de Dieu en des expressions très fortes.
Ainsi Minucius Felix : « On
ne peut le voir, parce qu’il est plus éclatant que la lumière ; le
toucher, parce qu’il est plus subtil que le tact ; le comprendre, parce
qu’il est au‑dessus des sens. Il est immense, infini,
connu seulement de lui‑même : notre esprit est trop borné pour le
concevoir » (Oct. 18). Dans l’enseignement des Pères, trois passages de la
Bible jouent un grand rôle : Ex., 33, 20 ; Jean, 1, 18, en raison de
l’impossibilité de voir Dieu, et Math., 18, 10 où il est dit que les anges
voient toujours la face du Père. Cependant les deux premiers sont prépondérants
chez eux. S. Irénée écrit à propos de
Ex., 33, 20 : « Par lui‑même, en effet, l’homme ne pourra jamais voir Dieu » (Ad. h., 4,
20, 5). Origène s’exprime de
même : « Notre intelligence ne peut voir par elle‑même Dieu tel qu’il est » (De princ., 1, 1, 6). Au sujet de Jean,
1, 18, il remarque que S. Jean « déclare clairement, à tous ceux qui
peuvent comprendre, qu’il n’existe pas de
nature à qui Dieu soit visible. Il ne faut pas comprendre qu’il serait
visible de nature et échapperait à la vue de la créature trop faible, mais
qu’il est naturellement impossible de le voir. » (Ibid., 1, 1, 8) (Cf. S.
Athanase, Orat. c. gent., 35 : M. 25, 69 ; S. Hilaire, Tract. super, Ps. 118, 8, n° 7 : M. 9, 554). Les
Pères grecs expriment avec une rigueur presque égale cette pensée de
l’impossibilité de voir Dieu, quand ils l’affirment même des anges au ciel, en
dépit de Math., 18, 10. Ainsi S. Basile dit que la connaissance des anges est
une connaissance « grossière » en comparaison de la vision face à
face (Ep. 8, 7 : M. 32, 256). Didyme
l’Aveugle estime que Dieu est tellement invisible que les anges eux‑mêmes ne peuvent pénétrer son intérieur (De Trin., 3, 16 : M. 39, 873) ; de même S. Épiphane (Hær., 70, 7 : M. 42, 349). C’est S. Jean Chrysostome qui traite le plus
souvent cette question. Il a écrit un ouvrage spécial « De
incomprehensibili » (M. 48, 701 sq.) où il dit que, malgré leur élévation
au‑dessus de nous, les anges ne connaissent pas
l’essence de Dieu, mais seulement
les trois divines Personnes (3, 1 : M. 48, 720 In Joa. hom., 15 : M.
59, 98).
Il faut interpréter S. Jean
Chrysostome et les autres Pères grecs d’une manière bénigne et remarquer :
1° Qu’ils polémiquent contre la théorie de la compréhensibilité complète de
Dieu soutenue par Eunomius ; 2° Qu’ils expriment la pensée juste de
l’incompréhensibilité de Dieu d’une manière un peu rigoureuse ; la
dogmatique n’attribue qu’à Dieu seul une connaissance compréhensive et adéquate
de Dieu. Quand S. Jean Chrysostome ne polémique pas, il reconnaît la
« visio Dei » (Ad Theod. lap., 1, 11 : M. 47, 292 :
« Il nous sera donné de contempler le roi lui‑même, non plus au travers d’une énigme ou d’un miroir, mais face à face, mais par la vue claire et
immédiate »)
La raison reconnaît l’impossibilité de voir Dieu quand elle songe que Dieu
est l’Être absolu, sans relation nécessaire avec l’extérieur, et que, par
conséquent, il n’est connaissable que dans la mesure où il s’ouvre et se
communique à nous librement par la grâce ; la créature ne peut pas
s’emparer violemment de lui, puisqu’elle ne le connaît que dans la mesure où
elle en est rendue capable. Au reste, elle ne connaît que dans la mesure de la
faculté de connaissance qui est en elle et Dieu dépasse infiniment cette
mesure : « Tout ce qui est reçu est reçu selon le mode de celui qui
reçoit » et « Dieu est plus grand que notre cœur » (1 Jean, 3,
20).
THÈSE. Si l’esprit créé est incapable par nature de voir Dieu, il
peut en être rendu capable par la grâce. De
foi.
Explication. Cette thèse a été définie par Benoît XII, à l’occasion d’une
controverse qui s’éleva au sujet d’un sermon des morts de son prédécesseur Jean
XXII. Les bienheureux « depuis la Passion et la mort du Seigneur Jésus
Christ, ont vu et voient l’essence divine d’une vision intuitive et même face à face — dans la médiation d’aucune créature
qui serait un objet de vision ; au contraire l’essence divine se manifeste
à eux immédiatement à nu, clairement
et à découvert —, et que par cette vision ils jouissent de cette même essence
divine » (Constitution Benedictus Deus, Denz., 530). Le Concile de Florence s’exprime d’une manière un peu
plus précise encore : « leurs âmes... sont aussitôt reçues au ciel et
contemplent clairement Dieu trine et un lui‑même, tel qu’il est » (Denz., 693 ;
cf. Dict. théol., 2, 653‑696).
Preuve. L’Ancien Testament
insiste avec force sur l’invisibilité de Dieu ; mais aussi, il a une
eschatologie assez pauvre. Il contient cependant les germes de la « vision
béatifique ». Un certain nombre de textes parlent d’une vision
merveilleuse de Dieu dans les théophanies (Gen., 16, 33 ; 32, 30. Ex., 3,
6 ; 24, 11. Jug., 6, 22 sq. ; 13, 22. 3 Rois, 19, 11‑13. Is., 6, 1 sq.), ou bien dans la « gloire » qui l’entoure (Ex., 16, 10. Lév., 9, 6, 23. Nomb., 14,
10 ; 16, 19 ; 17, 7 ; 20, 6. Ps. 101, 17), sous la figure des
anges (Jug., 6, 12, 22 ; 13, 3, 21). Souvent Jahvé se « laisse
voir », se manifeste devant son peuple par des conclusions d’alliance et
des actions extraordinaires (feu du ciel, etc.) (Gen., 17, 1 sq. ; 35,
9 ; 48, 3. Ex., 6, 3. Lév., 9, 4 ; 16, 2. Deut., 5, 1‑4). Mais, à côté de ces apparitions merveilleuses de Dieu, on
trouve, particulièrement dans les psaumes, toute une série d’expressions d’où ressort la pensée vraiment religieuse
d’une « vision de Dieu ». Cela est dit des hommes justes et pieux et
s’entend du présent terrestre. Ainsi, certains textes parlent d’une recherche
de la face de Dieu, d’une vision du Seigneur dans son sanctuaire, dans sa
lumière (Ps. 10, 8 ; 16, 15 ; 23, 6 ; 26, 8, 13 ; 33, 5
sq. ; 35, 10 ; 62, 3 ; 104, 4). Il faut entendre ces passages
d’un rapprochement local de Jahvé dans son sanctuaire
terrestre ; mais, comme on insiste sans cesse sur la « justice »
comme moyen de la vision, ces textes indiquent aussi une vision spirituelle de
Dieu, une harmonie intime avec lui et, par suite, le sentiment de son aide.
Parfois apparaît aussi déjà, mais faiblement, l’idée de la vision eschatologique, de la vision béatifique,
mais seulement comme un des fruits de salut du temps messianique futur (Is.,
52, 8 ; 60, 2, 20 ; Ps. 101, 17).
Le Nouveau Testament seul reçoit la révélation explicite de la vision béatifique : « Heureux les cœurs
purs, car ils verront Dieu » (Math., 5, 8). « Nous voyons
actuellement de manière confuse, comme dans un miroir ; ce jour‑là, nous verrons face à face. Actuellement, ma
connaissance est partielle ; ce jour‑là, je connaîtrai parfaitement, comme j’ai été connu » (1 Cor., 13, 12 sq. ; cf. 9 sq.). A la connaissance de Dieu « comme dans un miroir », « énigmatique », « partielle »,
« maintenant », s’oppose la connaissance « face à face »,
« alors ». S. Paul insiste sur le changement entre maintenant et
alors ; S. Jean sur le motif ontologique de la vision de Dieu : elle
se trouve en germe dans l’état de grâce possédé actuellement et elle sera la
manifestation de ce qui existe actuellement dans notre filiation divine :
« Bien‑aimés, dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu,
mais ce que nous serons n’a pas encore été manifesté. Nous le savons : quand cela sera manifesté, nous
lui serons semblables car nous le verrons tel qu’il est » (1 Jean, 3, 2).
Les Pères. S. Irénée montre que Dieu
s’est manifesté aux hommes d’une manière différente : « vu autrefois
par l’entremise de l’Esprit selon le mode prophétique, puis vu par l’entremise
du Fils selon l’adoption, il sera vu
encore dans le royaume des cieux selon la paternité, l’Esprit préparant
d’avance l’homme pour le Fils de Dieu, le Fils le conduisant au Père, et le
Père lui donnant l’incorruptibilité et la vie éternelle, qui résultent de la
vue de Dieu pour ceux qui le voient » (A. h., 4, 20, 5). S. Cyprien célèbre le bonheur des
martyrs qui ferment les yeux ici‑bas, mais les ouvrent immédiatement là‑haut : « Quelle joie... de fermer en un
moment les yeux aux hommes et au monde, et de les ouvrir aussitôt pour voir
Dieu et Jésus‑Christ » (De exh. martyrum, 13). S. Augustin se rattache (Civ., 22, 29, 1) à 1 Cor., 13, 9‑13, et continue : « Cette vision nous est réservée pour récompense de notre foi, et saint
Jean parle ainsi : Lorsqu’il paraîtra, nous serons semblables à lui, parce
que nous le verrons tel qu’il est » (1 Jean, 3, 2). Dans la polémique
contre Eunomius, les Cappadociens s’expriment avec beaucoup de réserve.
La Scolastique ne peut trouver aucun motif de raison pour le mystère
absolu de la vision béatifique, mais elle sait réfuter les objections qu’on lui
oppose. (A ce sujet, cf. S. Thomas, C. Gentes, 3, 39‑54). C’est dans 3, 54 que sont réfutés les arguments contraires. Il ne faut pas
insister à l’extrême sur la distance entre Dieu et l’intelligence créée, comme
s’ils étaient absolument étrangers et sans aucune relation, tels que par
exemple le son pour l’œil et la couleur pour l’oreille. L’Être divin est au
contraire connaissable en soi, et si la capacité de la vision béatifique fait
complètement défaut à l’intelligence, elle peut lui être conférée par l’élévation surnaturelle de ses aptitudes
existantes et cela se fait, comme nous allons le montrer, par la lumière de
gloire. « La divine substance ne dépasse pas à ce point l’intelligence
créée qu’elle lui soit totalement
étrangère, comme le son pour la vue, ou une substance immatérielle pour le
sens ; la divine substance est en effet le premier intelligible et le
principe de toute connaissance intellectuelle » (Cf. S. th., 1, 12, 4 ad
3).
THÈSE. L’élévation de l’esprit créé à la vision béatifique se fait
par la lumière de gloire. De foi.
Explication. Au sujet de la définition de la thèse, v. p. 111. L ’expression
« lumière de gloire » est une expression scolaire technique empruntée
littéralement à l’Écriture (Ps.
35, 10) et employée au sens dogmatique.
Preuve. La nécessité de la lumière de gloire résulte de ces deux
prémisses : l’homme est par nature entièrement incapable de vision
béatifique et, d’autre part, cette vision béatifique lui est de fait destinée
par Dieu comme fin dernière. Ainsi donc sa nature doit être élevée par la
grâce, s’il doit parvenir à sa fin dernière, la vision de Dieu. D’après S.
Jean, la vision de Dieu doit être le développement de la filiation divine. Or,
d’après l’évangéliste, la filiation divine est ontologiquement surnaturelle,
fondée sur la « renaissance » spirituelle. A plus forte raison la
vision béatifique.
Les Pères. Ils affirment avec force l’impossibilité pour notre raison de
connaître Dieu et, par suite, le caractère de grâce de la vision
béatifique ; seulement ils ne connaissent pas encore le terme de lumière
de gloire. « Ce n’est que chez S. Thomas et chez S. Bonaventure que
s’accomplit peu à peu la création de ce mot » (Stockmann).
Nature de la lumière de gloire. Le mot « lumière » est, dans
l’Ancien Testament et encore plus dans le Nouveau, une image de la
divinité : elle est lumière et elle crée la lumière (Is., 60, 19. Jean, 8,
12 ; 9, 5. 1 Jean, 1, 5. 1 Tim., 6, 16, etc.). La lumière est en soi ce
par quoi Dieu est visible, perceptible, connaissable par d’autres, par les
anges et les hommes. C’est pourquoi la grâce par laquelle la vision béatifique
est rendue possible est appelée « lumière » et, comme elle fonde en
même temps l’éternelle béatitude, on l’appelle « lumière de gloire ».
Qu’est en elle‑même cette lumière ? Il est certain qu’elle est, comme toute grâce, une réalité mystérieuse. Comme elle produit la vision de Dieu, c’est l’intelligence qui en est le sujet. Étant
donné le caractère de mystère total, l’explication doit recourir aux analogies. La faculté naturelle de
connaissance s’appelle « lumière » (de la nature), la connaissance de
foi repose sur la « lumière » (de la foi) ; dans les deux cas,
il s’agit d’une dotation permanente
de l’intelligence. C’est en effet le fondement d’un ordre de vie complet et non
d’un état transitoire comme la prophétie. La lumière de gloire crée donc un
état stable dans l’âme. On le nomme « habitus »
et, par analogie avec la grâce sanctifiante, on le caractérise comme une qualité
permanente inhérente à l’âme et, d’une manière plus précise, comme un
« habitus operativus » qui rend l’intelligence apte aux actes vitaux
(actus vitales) permanents de la vision béatifique. Pour les mêmes motifs que
pour la grâce sanctifiante, il faut admettre que cette lumière de gloire est,
en soi et dans son principe, Dieu lui‑même dans sa nature lumineuse parfaite (Dieu
est lumière ; 1 Jean, 1, 5), mais que, en tant que grâce
possédée par l’homme, elle ne peut être que quelque chose de créé (gratia
creata et non gratia increata). Si la grâce sanctifiante est déjà une
participation à l’Être de Dieu (participatio divinæ naturæ), à plus forte
raison la lumière de gloire, qui rend l’âme déiforme au plus haut degré
possible. On peut donc définir la lumière de gloire une faculté de connaissance surnaturelle et créée, infusée dans l’âme,
qui, en tant que qualité surnaturelle, est inhérente d’une manière permanente à
l’intelligence « per modum habitum operativi » et la rend capable de
la vision intuitive de l’Être divin, sans action d’un troisième élément entre
Dieu et l’intelligence comme moyen ou comme image.
Annexe. Est‑ce que Dieu, dans la gloire,
pourra être vu des yeux du corps ? S. Augustin a maintes fois essayé de
scruter cette question (Civ., 22, 29 : 2 Retr. 41 ; Ép. 148). Mais
l’opinion commune la résout négativement, en raison de la différence entre
l’esprit et l’œil corporel même glorifié.
Thèse. Mais la vision intuitive de Dieu elle‑même reste bien loin derrière son objet ; elle n’est pas compréhensive. « Dieu incompréhensible » (Later. 4, Vat.; Denz., 428,
1782). Cela reste vrai, même pour la gloire.
C’est dans ce sens qu’il faut
comprendre les Pères grecs cités plus haut. La raison reconnaît que le principe philosophique « tout ce qui
est reçu est reçu selon le mode de celui qui reçoit » a une application
générale même pour la gloire. Dieu seul se connaît d’une manière infinie et
compréhensive, toutes les créatures ne peuvent le connaître que dans une mesure
finie. Pour résumer en une phrase concise cette double vérité : que les
bienheureux voient Dieu d’une manière immédiate et intuitive, mais non d’une
manière compréhensive, on dit : « Beati vident Deum totum sed non
totaliter », c.‑à‑d. aucune particularité des attributs, des Personnes, des actions et des relations n’est exclue de cette
connaissance pas même la Trinité
mais toute la plénitude de l’Être divin, dans son étendue et sa profondeur, n’est
comprise d’aucune intelligence créée. Un être fini ne peut faire un acte
infini. « Personne ne connaît ce qu’il y a en Dieu, sinon l’Esprit de
Dieu » (1 Cor., 2, 11).
Conclusion pratique. La vision
divine est le but de notre pèlerinage terrestre. Le voyageur regarde
souvent, avec un ardent désir, vers le but final de son voyage. II y a aussi un
désir religieux de notre fin
dernière. Nous devons l’exciter et l’entretenir en nous et dans autrui ;
c’est un fils de l’espérance chrétienne. Déjà le pieux Israélite soupirait
après le voisinage de Jahvé et de ses sanctuaires à Jérusalem. Jésus exprime
son attente religieuse dans la prière ; surtout dans la prière où il
demande sa glorification (Jean, 17, 5). Il essaie de faire partager cet ardent
désir à ses disciples. S. Paul entretient ce désir en lui‑même et dans ses communautés chrétiennes. Il s’entend à merveille à l’exciter dans l’âme des fidèles, en éloignant avec force leur regard de ce qui est
terrestre pour les tourner vers les choses célestes : « recherchez les réalités d’en haut :
c’est là qu’est le Christ, assis à la droite de Dieu (Col., 3, 1 sq.). S.
Augustin a exprimé cet ardent désir dans les paroles connues : « Tu
nous as faits pour toi, Seigneur, et notre cœur est inquiet jusqu’à ce qu’il
repose en toi » au début de ses Confessions
(1, 1). Ce désir est toujours le même dans la vie, par ailleurs si variée, des
saints. Ils éprouvent comme une mystérieuse et sainte nostalgie, lorsque, dans
la méditation, ils détournent leurs regards du monde pour les porter vers le
ciel. L’accent principal de toute vie chrétienne parvenue à sa maturité devrait être celui‑ci : je voudrais bien quitter l’agitation du monde pour entrer
dans la paix de Dieu, sortir des ténèbres de la foi pour entrer dans
la lumière de la vision. C’est ce
sentiment qui anime les discours d’adieu de Jésus, particulièrement ceux dans
lesquels il veut consoler ses disciples (Jean, 14‑17). Celui qui s’établit d’une manière stable sur la terre n’aura guère le désir de changer sa résidence. Tout son désir est de demeurer, il voudrait bien ne jamais
partir.
Transition. Malgré la proposition « Dieu est incompréhensible » qui
vaut même pour l’au‑delà, ni la Révélation, ni l’enseignement de l’Église n’ont renoncé à scruter l’Être de Dieu, car, étant donnée la sublimité de l’objet,
même une mesure modeste de connaissance est infiniment précieuse et
bienfaisante. Déjà la connaissance de l’existence de Dieu nous donne
nécessairement une certaine intelligence de son Être, car son existence et son
essence sont inséparables. C’est pourquoi on parle d’une « notion de
Dieu » sans vouloir entendre par là une notion complète.
A consulter : Hetzenhauer, Theologia biblica, 1 :
Vetus Test. (1908). Kortleitner, De
Hebræorum ante exilium babyl. monotheismo (1910). Lagrange, La paternité de Dieu dans l’Ancien Testament (Revue
bibl., 1908, 481 sq.). Dict. théol.,
4, 948‑1023 : Dieu, sa nature d’après la Bible. Vigouroux, La Bible et les découvertes modernes, 4 (1896), 423‑496 et 3, 1220‑1341. Prat, Jéhovah. Tixeront, 1,
35 sq., 63 sq., 82 sq., 107 sq. J.
Lebreton, Les origines du dogme de la Trinité, 1 (1910). Prat, La théologie de S. Paul, 1 (1910).
Israël ne puise pas sa notion de Dieu dans la philosophie ou dans la
considération du monde et de la conscience ; il ne l’a pas non plus
empruntée au monde païen qui l’entourait ; au contraire, elle lui a été révélée par Dieu. Sa notion de Dieu est,
dès le principe, un monothéisme pratique (non scientifique). Il est vrai qu’au
cours des temps, par l’expérience de
l’histoire sainte, cette notion s’est développée
et a atteint une clarté de plus en plus grande. Au reste, Dieu lui‑même, en se révélant, n’a pas donné du premier coup une révélation
complète ; mais, avec une prudence pédagogique, il a révélé une vérité
après l’autre et même la Trinité resta, provisoirement, complètement dans
l’ombre. On rencontre des différences caractéristiques dans la notion de Dieu à
l’époque primitive, à l’époque de la Loi, à l’époque du prophétisme et à l’époque qui suivit l’exil.
1. Dans l’histoire de la Création, l’image de Dieu apparaît sous une forme
d’une clarté et d’une majesté étonnantes. L’existence de Dieu est supposée
connue et reconnue. Immédiatement se manifeste sa distinction d’avec le monde,
lequel a eu un commencement. Lui‑même est avant tout ; la Création est son œuvre. Il l’a produite sans effort, par sa
seule volonté et par une simple parole. Il a
tout ordonné dans la Création et tout obéit
d’une manière permanente à ses lois.
L’homme étant l’objet d’un acte
créateur particulier, il est aussi soumis à un ordre particulier. Il a été créé
« à l’image » de Dieu et rattaché d’une manière ferme à son Créateur
par un ordre moral ; le Créateur veille lui‑même au maintien de cet ordre et en punit sévèrement la violation (Gen., 3, 6, 7, 8, 11).
Mais ce n’est pas seulement la puissance,
la sagesse et l’énergie morale que nous voyons se
manifester dans cette image primitive de Dieu, nous y voyons apparaître aussi
la bonté, l’indulgence, la miséricorde : il crée et orne le paradis
terrestre pour le premier homme et la première femme ; il s’occupe d’eux
après la chute originelle ; il les punit, mais il les relève immédiatement
par l’espérance de la Rédemption. L’image de Dieu de Noé et des patriarches,
mais surtout d’Abraham, présente les mêmes traits. Le Dieu de l’époque
primitive est donc le Dieu créateur unique, puissant et sage ; le Seigneur
bon, clément, patient et miséricordieux de l’humanité, le gardien saint et
juste de la loi morale. Quelques anthropomorphismes
se remarquent (Gen., 3, 8 ; 7, 16 ; 8, 21 ; 11, 5), mais on peut
les interpréter comme une manière imagée de présenter des idées religieuses et
ils ne détruisent pas l’impression d’ensemble essentielle. Le caractère mystérieux de Dieu apparaît rarement
dans l’Ancien Testament (Cependant cf. Is., 45, 15 ; 55, 8 sq. Eccli, 43,
30‑36. Job., 38‑41). Israël a l’expérience quotidienne de Dieu, c’est pour lui une personnalité réelle et non un pâle
« Être suprême ».
2. Moïse introduit ensuite, par l’idée du Dieu de l’alliance, un trait plus mesquin dans l’image du Dieu de
l’univers. Comme tous les peuples, il faut qu’Israël ait son Dieu d’alliance. Jahvé
veut être exclusivement le Dieu d’Israël ; Israël doit être exclusivement
le peuple de Jahvé. Ceci donne une certaine relativité à la notion de Dieu,
Jahvé ne s’intéresse qu’à son peuple ; dans la mesure où il reste fidèle à
Israël, il doit se détourner des autres peuples. « Je serai l’ennemi de
tes ennemis et je frapperai ceux qui te frappent » dit Jahvé (Ex., 23,
22 ; cf. Deut., 30, 7, etc.). Le caractère universaliste de l’époque
primitive disparaît et est remplacé par un caractère particulariste. Cela ne
doit pas faire oublier les traits transcendants. Jahvé est le Dieu unique,
invisible et indépendant ; il doit se révéler pour se faire
connaître ; il promulgue une loi morale explicite (Décalogue) et veille à
son accomplissement par les châtiments et les récompenses (Lév., 17, 1‑5 ; 20, 26 ; 22, 31‑33). Le monothéisme apparaît de la manière la plus parfaite dans le Deutéronome (6, 4 ; cf. 4, 19). Le
culte de Dieu ne comporte pas d’images
(Deut., 4, 16 sq). ; il s’accomplit par l’effet de la crainte : cependant l’amour
n’est pas oublié (Deut., 6, 5 ; 7, 8). Malgré tout, dans le mosaïsme,
règne la pensée que Dieu est le seul et unique Dieu d’Israël (hénothéisme). S’écarter de lui et servir les dieux des
autres peuples serait commettre un adultère spirituel.
3. Les Prophètes élèvent le culte unique de Jahvé au « plus pur
monothéisme universel » (L. Dürr). Prétendre que les Prophètes ont imposé
à leur peuple le monothéisme et par là‑même chassé « l’antique monolâtrie nationale » est une affirmation fausse de la critique.
Jamais ils n’indiquent qu’ils annoncent un nouveau Dieu et une nouvelle
morale ; ils s’appuient toujours sur l’ancienne religion. D’après la
Bible, on trouve le monothéisme au début ; il précède le polythéisme qui
apparaît comme une décadence de la pureté primitive de l’idée de Dieu. Mais les
Prophètes ont expliqué et approfondi la doctrine de Dieu en Israël
ainsi que la morale, en transportant la moralité du culte extérieur dans la vie
intérieure, en montrant le Dieu très saint comme le modèle et le Dieu
omniscient comme le gardien de la moralité. Ils atténuent l’idée du Dieu de
l’alliance, en proclamant l’importance d’Israël même pour les païens et par là‑même une certaine universalité du salut. Par suite, ils se
rattachent au Dieu Créateur, au Dieu du monde entier (Is., 37, 16 ; 44, 6. Jér.,
32, 27). Jonas et son histoire sont un exemple concret de cette idée. De même,
presque dans chaque psaume, nous rencontrons une conception transcendante de
Dieu. On ne la rencontre pas moins dans le livre de Job, surtout au chap. 28.
Toute une série d’attributs
divins apparaissent maintenant explicitement. S’ils ne sont pas toujours
nouveaux, ils sont du moins affirmés avec énergie : la justice (Am., 5, 22‑24), l’amour (Os., 2, 24), l’omniscience (Jér., 17, 9 sq. ; cf. 11, 20 ; 20, 12), la sanction individuelle (Ez., 18,
25, 29 ; 33, 17, 20 : chacun reçoit ce qu’il a mérité, les enfants ne
répondent pas des pères), la transcendance et l’incompréhensibilité (Is., 40, 8‑28 ; 45, 15 ; 55, 8 sq. Cf. 6, 3. Jér., 23, 23. Dan., 2, 18, 19, 37,
etc.), la sainteté (le « saint d’Israël » : Is., 5, 19,
24 ; 12, 6 ; 17, 7 ; 29, 23, etc.).
4. L’époque d’après l’exil (traditions juives) ne
réussit pas à maintenir complètement la hauteur transcendante de l’idée de Dieu
telle que l’avaient créée les Prophètes et les Psaumes. L’ère de la
Restauration (Esra) tend de nouveau, pour des motifs politiques, à revenir au
particularisme. Une pieuse erreur d’interprétation de l’Exode (20, 7) et du Lévitique
(19, 12 : 24, 16) amena à ne plus donner à Dieu son nom de Jahvé, mais à
l’appeler Adonaï (Seigneur). L’influence grecque dans la diaspora se montra
bienfaisante en aidant à spiritualiser la notion de Dieu, à insister fortement
sur son unité et à écarter les anthropomorphismes trop accentués que les
Septante avaient déjà commencé à éliminer. Peut‑être alla‑t‑on un peu trop loin : la transcendance de Dieu fit
oublier son immanence ; en le plaçant au‑dessus du monde, on oublia qu’il était dans le monde ; on prenait ainsi le contre‑pied de l’antiquité qui parlait surtout de l’action de Dieu à l’intérieur du monde.
Une des manifestations de la crainte de l’anthropomorphisme consiste dans
l’emploi de noms subsidiaires pour
désigner Dieu : le Très‑Haut (très souvent), le Vivant, l’Éternel, le Tout‑Puissant, l’Ancien des jours, le Béni, la Gloire, la Majesté ; toutes les
fois qu’on le pouvait, on évitait le vrai nom de Dieu.
Récapitulation. Au début de l’histoire d’Israël
apparaît le Dieu de la Révélation, le Dieu unique du ciel et de la terre. Son
unité est affirmée d’une manière religieuse et pratique et non d’une manière philosophique et spéculative. Ce qu’il faut interpréter, non dans le sens du
prétendu hénothéisme, mais dans le
sens d’un véritable monothéisme. De
même les attributs de Dieu sont considérés du point de vue pratique,
conformément à la Révélation, tels qu’ils se manifestent dans l’histoire
sainte ; ils ne sont pas métaphysiquement déduits de l’Être absolu de
Dieu. Pour le peuple élu, Jahvé est le Dieu‑Roi, le Seigneur et le Législateur, le Juge, le Rémunérateur et le
Vengeur. Parmi ses attributs apparaissent surtout la puissance, la sagesse, la
justice et la sainteté. On l’honore par l’obéissance et la soumission. La
crainte de Dieu est le commencement de la sagesse et de la piété, c’en est
souvent aussi la fin. Malgré les faiblesses
de la conception israélite de Dieu (le Dieu d’alliance particulariste qui
conduit son peuple uniquement au bien‑être temporel ‑ les anthropomorphismes et les anthropopathismes souvent fortement
accentués ‑ arbitraire qui intervient
parfois dans des actes de sanction ‑ certaines choses encore qui seront signalées plus loin quand on parlera des
attributs en particulier), cette notion est cependant absolument unique dans le
monde ancien ; elle domine de très haut toutes les autres
conceptions. Par conséquent, en dépit des tendances nivelantes des historiens
des religions, on ne peut pas la ravaler et la dégrader au rang de notion empruntée au monde environnant.
Gressmann prétend, sans aucune preuve, que Moïse a emprunté la religion de
Jahvé au prêtre Jéthro de Madian dont il fut « l’élève ». Mais Kneischke démontre, en s’appuyant sur
les données des fouilles, le caractère absolument primitif du monothéisme
israélite. Par contre, « on ne rencontre jamais le nom de Jahvé dans les
fouilles chananéennes ; ce nom ne se trouve que sur des lèvres juives.
Partout où nous nous trouvons en face de la religion chananéenne, nous voyons
qu’elle porte un caractère spécifiquement païen, c’est une puissance des
ténèbres et de la superstition (amulettes, scarabées, sphinx, astartés) ».
Israël fit plusieurs fois défection au monothéisme qu’il avait
juré au pied du Sinaï. Les Livres saints nous le racontent souvent et
ouvertement. Le culte de Baal, de Moloch, l’adoration du veau d’or à Bethel et
à Dan, le culte sur les hauteurs, sont des chapitres sombres dans l’histoire du
temps des Juges et des Rois. Mais que Samuel (1 Rois, 28, 9), dans les temps
anciens, et les Prophètes, dans les temps postérieurs, aient réussi à faire
triompher de nouveau le monothéisme, cela prouve que sa force n’était pas
encore épuisée.
Jésus accepte consciemment et formellement la notion de Dieu de
l’Ancien Testament. Il le prie comme tous les Israélites. Il prêche le
« Dieu des pères » (Math., 22, 32), tel que Moise l’avait connu dans
la vision du buisson ardent. Aussi, depuis Adam, les Patriarches, Moise, les
Prophètes, jusqu’à Jésus, règne une seule et même foi en Dieu. Il annonce aussi
le Dieu créateur (Marc, 13, 19 ; 10, 6), ainsi que le schéma de l’antique
Israël (Marc, 12, 29). Ajoutons encore la notion du Père de famille, celles du Roi
et du Juge, tirées des paraboles et
nous reconnaîtrons que le Christ ne laisse de côté aucun trait véritable de
l’image de Dieu dans l’Ancien Testament. Le Christ nous montre lui‑aussi Dieu comme le Maître absolu de ses serviteurs, qui ne
renonce à aucun de ses droits, qui exige l’accomplissement complet de ses
ordres et ne veut partager sa dignité avec aucun autre : Personne ne peut
servir deux maîtres. Craignez celui qui peut précipiter le corps et l’âme dans
l’enfer. Dans cette conception un peu rude, le Christ a introduit, dès le
commencement, un trait de douceur et de bonté, en ajoutant la notion de Père et d’amour paternel. Non pas que la révélation de la notion de Dieu‑Père par Jésus ait été une révélation
absolument nouvelle. On la rencontre déjà, un petit nombre de fois il est vrai,
dans l’Ancien Testament (Deut., 32, 6. Is., 63, 16 ; 64, 8. Jér., 3, 4,
19. Mal., 1, 6 ; 2, 10. Ps. 67, 6 ; 88, 27 ; 102, 13. 2 Rois, 7,
14) ; mais ce qui est absolument nouveau, c’est l’énergie avec laquelle Jésus fait de la notion de Dieu‑Père le centre de sa religion et de sa morale : Dieu est notre Père,
nous sommes les enfants de Dieu et nous sommes mutuellement frères, telle est
la pensée fondamentale de sa doctrine. Seul le péché trouble l’harmonie de
cette pensée. Le Dieu‑Père nous apparaît extrêmement consolant et réconfortant dans la parabole de
l’enfant prodigue. Jésus nous a appris que Dieu est notre Père et il peut dire
dans sa prière : « J’ai révélé ton nom aux hommes » (Jean, 17,
6).
Sur quoi se fonde cette
paternité ? D’abord, d’une manière générale, sur la Création (Math., 11, 25 ; 5, 45) ; mais, en dernier lieu
et spécialement, sur la grâce. C’est par la grâce qu’il « a donné le
royaume aux siens » (Luc, 12, 32) ; il est vrai que tous ne font pas
partie de ce royaume ; il n’appartient provisoirement qu’au « petit
troupeau ». Le petit troupeau récite avec un sentiment particulier le
« Notre Père ». Ce n’est pas par hasard que dans tous les livres du Nouveau Testament, on rencontre le nom du Dieu‑Père. Le « Père » se rencontre particulièrement chez S. Jean.
S. Paul professe aussi la doctrine de « Dieu le Père », mais il
emploie une formule particulière : « Le Dieu et Père de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ » (Rom., 15, 6. 2 Cor., 1, 3 ; 11, 31. Col., 1, 3. Éph., 1, 3. Cf. 1 Cor., 15, 24).
La traduction exacte est : « Le Dieu‑Père » à cause du seul article, c.‑à‑d. le Dieu que le Christ nous a annoncé comme notre Père (Cf. Math., 11, 25 sq.). La
parole de S. Paul ne veut pas dire seulement que Dieu est le Père du Christ, mais encore qu’il est le Dieu‑Père, que le Christ a prêché au
monde. La théologie de l’Apôtre des nations consiste principalement à prêcher un
Dieu‑Sauveur qui a livré son Fils pour le
salut du monde (Rom., 3, 24 sq.). Cela ne l’empêche pas d’accentuer un peu
fortement la justice de Dieu qui exige une rançon pour le péché. Devant les
païens, il insiste sur l’unité de Dieu, sur son caractère de créateur et de
juge (Act. Ap ., 14, 10‑17 ; 17, 16‑31). S. Jean résume sa notion de Dieu dans ces
courtes formules : « Dieu est lumière » (1 Jean, 1, 5), « Dieu est amour » (1 Jean, 4,
16). Dieu est la pure Vérité et le pur Amour.
Récapitulation. Le Christ a donné à l’humanité une notion plus parfaite de Dieu : le Dieu‑Père. Personne ne connaît le Père si ce n’est le Fils et celui à qui le Fils veut le révéler. (Math., 11, 27 ; cf. Jean, 14, 9).
En employant l’expression « votre Père des cieux » il unit la
transcendance de Dieu avec son immanence, il écarte de la notion de Dieu toute
abstraction et tout naturalisme et lui donne comme contenu un Être d’une
personnalité extrêmement vivante. Il serait faux cependant de se représenter,
avec Ritschl et son école, le Dieu‑Père, comme un Dieu « seulement aimant » ou de voir, comme Harnack, dans
l’idée du Dieu‑Père, l’unique enseignement de Jésus. Dans la notion de Dieu que
présente Jésus, deux aspects
importants se contrebalancent : Dieu est un Père plein de grâce et de miséricorde, mais aussi un Juge plein de justice.
A consulter : Corluy, Spicilegium dog.‑bibl. (1884), 97 sq.
Il n’est pas nécessaire que Dieu
soit désigné par un nom ; il
l’est encore moins qu’il en porte plusieurs.
Cependant, dans l’Écriture, il porte un nom et il en porte même plusieurs. Il
semble pourtant, puisque Dieu est pour nous l’incompréhensible, que toute dénomination de son Être soit
impossible et, si on la tente, arbitraire. On peut citer plusieurs témoignages
de la Tradition qui nous montrent que les Pères appelaient Dieu « Celui
qui est sans nom », parce qu’il leur paraissait incompréhensible. S.
Augustin trouve contradictoire la possibilité d’exprimer
« l’Inexprimable ». S. Thomas se fait cette objection : Il
semble que Dieu ne puisse avoir de nom. Il répond en disant que Dieu nous est
connu par ses actions et non dans son essence intime. Alors, il peut avoir même
plusieurs noms (S. th., 1, 13, 1‑2).
Dans l’Écriture on trouve toute
une série de noms pour désigner Dieu. On a essayé de les classer. Nous
essaierons de dire ici l’essentiel sur la signification de ces noms, mais nous
le ferons du point de vue de la dogmatique et de la révélation juive, sans
tenir compte des questions linguistiques. Nous en tiendrons d’autant moins
compte que les exégètes de l’Ancien Testament ne sont pas fixés sur
l’étymologie première des noms de Dieu les plus importants et ne peuvent nous
donner que des hypothèses. On peut cependant, avec Scheeben, distinguer sept noms sacrés dans l’Ancien Testament
et répartir ces noms en trois groupes.
Dans le premier groupe, on fait rentrer les noms qui caractérisent les
relations de Dieu avec l’homme : El, Élohim, Adonaï ; dans le second,
les trois noms qui désignent sa perfection interne : Schaddaï, Eliôn,
Kadosch ; enfin le dernier groupe est formé du nom propre essentiel de
Dieu, Jahvé.
On traduit d’ordinaire El par
« le Fort », « le Puissant » (Septante, ὁ ἰσχυρός,
παντοϰράτωρ). Mais ce
nom apparaît aussi de bonne heure pour désigner les dieux étrangers.
Le pluriel Élohim se rencontre, comme nom du vrai Dieu, au premier verset de
l’Écriture : « Au commencement, Élohim créa ». Mais ce nom qu’on
traduit également par « le Fort » se rencontre également pour
désigner des faux dieux (Ex., 12, 12) et même des hommes (Ps. 81, 1, 6 ;
Jean, 10, 34). La forme pluriel est presque toujours entendue au sens du
pluriel de majesté ; l’interprétation trinitaire est forcée, et
l’interprétation polythéiste entièrement arbitraire et tendancieuse. Élohim
n’est donc pas un nom propre, mais un nom commun qui, employé attributivement,
peut convenir aussi aux anges et aux hommes.
Adonaï est le nom qui fut employé plus tard par les Juifs pour remplacer
le nom de Jahvé que l’on évitait, par respect religieux, de prononcer. Les
Septante le traduisent par « Seigneur » (ϰύριος,
Vulgate : Dominus). Ce nom désigne le Dieu unique et véritable et équivaut
à « Seigneur et Souverain de l’univers ».
Jahvé est la dénomination la plus solennelle de Dieu. Il signifie le
Dieu de l’alliance juive. L’histoire critique des religions affirme que Jahvé,
sous sa forme Jau, est un antique nom de Dieu antérieur à Moïse et que Moïse
l’a adopté et solennisé pour désigner le Dieu juif. La scène de la révélation
de Dieu par lui‑même à Moise (Ex., 2, 13 sq.) devrait être entendue comme l’acceptation d’un nom païen antique de Dieu, dans la
religion juive primitive, pour fonder l’idée de l’alliance.
L’explication théologique de ce
nom peut se faire de deux manières. On peut recourir à une explication
philosophique et dogmatique : Dieu est celui qui est (Les Septante rendent
ce sens avec précision en traduisant : ἐγώ εἰμι
ὁ ὤν), celui qui a tout l’Être par lui‑même ; il est l’aséité. C’est un sens élevé, peut‑être trop élevé, pour cette époque primitive. Ou bien on
entend ce nom historiquement, en tenant compte de l’étape de la Révélation, et il semble bien que le contexte nous demande de l’entendre
ainsi. En effet les versets qui encadrent la Révélation du nom de Jahvé
contiennent l’explication de ce nom. « Je serai avec toi, dit Dieu à
Moïse, comme j’étais le Dieu de vos pères, le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de
Jacob » ; car « je suis celui qui suis », Je suis toujours
le même Dieu qui ai gardé la fidélité
envers vos pères, qui vous assisterai dans une fidélité d’alliance immuable, si vous aussi me restez
fidèles et observez mes commandements. Ainsi l’explication historique rentre
dans l’explication religieuse et a sur l’explication métaphysique un avantage
d’une importance pratique.
Schaddaï, « le Puissant », est adjectival et, par suite, le plus
souvent employé avec « El » et renforcé par l’article
(Septante : παντοϰράτωρ,
Vulgate : Omnipotens). Il caractérise l’idée fortement accentuée dans
l’Ancien Testament, surtout au début, de la puissance
de volonté de Dieu qui réalise ses projets en dépit de tous les obstacles
extérieurs.
Éliôn, « le Très‑Haut » (Septante : ὀ ὔψιστος, Vulgate : Altissimus) est réservé exclusivement au vrai Dieu. Dieu
est El‑Éliôn, parce qu’il est le Dieu le plus haut élevé au‑dessus des prétendus autres dieux, de même qu’Israël est élevé au‑dessus des autres peuples (Deut.,
26, 19 ; 28, 1). Ce nom se trouve déjà dans l’histoire des patriarches
(Gen., 14, 18, 19, 20, 22). Son emploi devient plus fréquent dans les psaumes
et il semble qu’à l’époque qui suivit l’exil, alors qu’on éprouvait le besoin
d’affirmer avec une énergie extraordinaire l’éminence et la transcendance
philosophique de Jahvé, ce nom fut employé de préférence pour désigner Dieu,
parce que, à côté de la grandeur considérée d’abord du point de vue religieux,
il caractérisait aussi la transcendance entendue métaphysiquement.
Kadosch, « le Saint », est un nom moral de Dieu. Aussi, c’est d’abord dans la prédication prophétique
(Isaïe qui insista avec énergie sur le caractère moral dans la notion de Dieu
et la religion en général) que ce nom apparaît comme nom de Dieu indépendant.
Le sens de ce nom ne peut pas, lui aussi, être approfondi étymologiquement.
Peut‑être Israël comprenait‑il « Kadosch » au sens de séparé « segregatus » par opposition au profane (ϰοινόν) et envisageait‑il la majesté de Dieu qui se couvre de son inaccessibilité et de son
intangibilité. Jahvé est séparé de
tous les dieux comme de tout ce qui est créé. Aussi Israël doit être
« saint » comme son Dieu est « saint » (Lév., 11, 44, 45.
Ex., 15, 11 ; 19, 6) ; il doit être séparé et désormais être un
peuple qui n’appartienne qu’à Jahvé. Mais ceci comporte aussi un sens moral. Car on ne peut appartenir à Jahvé
qu’en accomplissant fidèlement les devoirs de l’alliance tels qu’ils sont fixés
dans le décalogue.
Il faut tout au moins citer
quelques noms utilisés surtout à l’époque qui suivit l’exil. Dieu s’appelle
« Roi du monde » (2 Macch., 7, 9), « Créateur du monde » (2
Macch., 13, 14). Une autre désignation, mais très solennelle, est
« Seigneur Dieu des armées » ; elle se rencontre chez les
prophètes Isaïe (6, 3) et Jérémie (11, 20). Dans ces textes, il faut entendre
par armées soit les esprits célestes, soit les hommes d’armes d’Israël. C’est
l’attribut de Jahvé, Dieu de l’alliance. Une gradation du nom « Roi »
est « Roi des rois » (Dan., 2, 47 : on rencontre aussi chez
Daniel « Dieu des dieux » dans la bouche de Nabuchodonosor),
« Dieu du ciel », (Neh., 1, 4 ; 2, 4, 20. Judith, 5, 12). Un
terme équivalent est « Seigneur du ciel », « Roi du ciel ».
Le roi règne par la législation et le jugement ; par conséquent Dieu est
aussi « Juge » (1 Rois, 24, l3, 16). Chez les prophètes, le Messie
est souvent Jahvé, juge et vengeur.
On a déjà dit que les Juifs
d’après l’exil comprirent le texte du Lévitique
(24, 16) : « Celui qui blasphème le nom de Jahvé doit mourir de
mort », comme une défense de prononcer le nom de Jahvé et, par suite,
évitèrent de le prononcer en choisissant des noms subsidiaires. Ces noms dont on peut trouver facilement des
attestations dans le Nouveau Testament sont surtout les suivants :
« Le Béni » (ό εὐλογητός),
« la Force » (ἡ ὂὔναμις),
« la Voix » (ἡ φωνἠ ἐϰ τῶν
οὐρανῶν) : « jurer par le
ciel » au lieu de « jurer par Dieu », « avoir des trésors
dans le ciel » au lieu de « chez Dieu », « devant
Dieu » (ἐνώπιον τοῦ
θεοῦ) ; être « lié, délié dans le ciel »,
« le ciel » pour « Dieu », « du ciel » pour
« de Dieu », « Hosannah dans les hauteurs », « des
hauteurs ».
A consulter : S. Thomas, S. th., 1, 13, 11 ; C.
Gent., 1, 21‑24. Thomassin,
De Deo. l. 3, 21‑24. Petau,
De Deo, 3, 6. Gillius, De essentia
atque unitate Dei, tr. 1, c. 1‑15. Franzelin, thes. 22‑24. Janssens, De Deo uno, 1, 229 sq. Garrigou‑Lagrange, Dieu son existence et sa nature
(4° éd., 1924). Dict. théol., 1, v.
Aséité et Acte pur.
La raison naturelle a, elle aussi, au cours de l’histoire, développé sa
notion de Dieu. Cette notion ne coïncide pas complètement avec celle de la
raison éclairée par la foi. Le
Concile du Vatican n’a défini que la question théorique de la possibilité de la
connaissance naturelle de Dieu et non la question pratique de sa réalité.
Néanmoins, la théologie juge souvent avec faveur la notion qu’ont eue de Dieu
les philosophes païens. La plus haute vérité qu’on puisse attendre de ces
philosophes est l’idée d’un Dieu personnel.
Le polythéisme connaît la
personnalité de Dieu, mais la multiplicité détruit le caractère unique et
absolu. Le panthéisme et le monisme maintiennent l’unité d’Être,
mais abandonnent la personnalité. Le christianisme tient le milieu entre le
polythéisme et le panthéisme, il unit la personnalité et l’unité d’Être.
L’histoire des religions nous
montre que tous les peuples et toutes les religions ont une notion de Dieu. Le
bouddhisme seul fait apparemment exception, en remplaçant la divinité par le
nirwana ; mais Bouddha reçoit des honneurs divins. Les Hindous (Védas, Upanischads) voient dans
Brahma, qui entre en contact avec l’homme dans l’atman (l’âme), une force
divine élémentaire. Les Chinois la
voient dans Tao. Les anciens philosophes
grecs caractérisent Dieu comme la cause matérielle ou idéale du monde et
parfois affirment énergiquement son unité (εἴς θεὸς
ἔν τε θεοισι ϰαὶ
ανθρώποισι μεγἰστος :
Xénophane). Socrate comprenait Dieu
comme la Raison agissant dans l’univers, Platon
comprend Dieu (d’une manière morale) comme l’« Idée du bien », placée
en dehors du monde, complètement transcendante. Il agit au moyen des démiurges
(artisans du monde). D’ après Aristote, Dieu est en soi la forme (εἷδος)
simple, immatérielle, impassible, la pensée consciente (ἡ
νόησις, et même
νοήσεως
νόησις), l’intelligence absolue, le moteur
immobile ; il agit sur le monde en ce que les choses du monde tendent à
s’unir à lui comme à la forme la plus haute. Au sujet de la personnalité
théiste chez Platon et Aristote, les théologiens discutent. Le Portique considère Dieu comme la Raison
du monde (πνεῦμα, matériel, mais de la matière
la plus fine). Le néo‑platonisme caractérise Dieu comme l’Être primitif un et absolument simple,
entièrement transcendant, au‑dessus de tout être, de toute connaissance et de
toute détermination. Cet être n’a ni raison ni volonté, ni être, ni vie, ni
énergie, ni vertu, et est, par conséquent, innommable, inconnaissable, sans
attribut. Ce n’est que par des déterminations négatives qu’on peut en comprendre
quelque chose. Il laisse jaillir de lui le monde et ses choses, comme le feu
laisse jaillir la flamme, le soleil, la lumière. Quant à lui, il reste dans un
calme complet (Émanation ? Création ? Panthéisme ?
Théisme ?)
La notion chrétienne de Dieu fut formée par la raison éclairée des lumières
de la foi, au moyen de la philosophie de l’époque, les Pères s’appuyant surtout
sur Platon et la Scolastique sur Aristote. Deux
pensées principales apparaissent partout dans la doctrine patristique : 1°
L’existence de Dieu peut être connue par la raison ; 2°
L’Être de Dieu est incompréhensible.
Ces deux pensées sont placées par S. Aristide au début de son Apologie (1, 1 sq.). Ensuite il définit
Dieu comme Aristote « une forme qui est par elle‑même » (1, 4). Les autres Pères se rattachent de
préférence à la théodicée de Platon qu’ils remanient au moyen des données de la
Révélation : Dieu est transcendant, non engendré, sans nom, éternel,
incompréhensible ; il n’a pas besoin de nos sacrifices. Ainsi S. Justin, Apol., 1, 10, 13, 25, 49,
53 ; Dial. 127. Athenagore,
Suppl., 10, 13 ; 16, 21. S.
Théophile, Ad Autol., 1, 1‑4. Les Pères antignostiques sont obligés de défendre le Dieu‑Créateur : S. Irénée, Ad. h., 1, 22, 1 ; 33, 3 ; 2, 10, 2, etc. « Sans Dieu, Dieu n’est pas connu » (4, 64). Tertullien : « Si Dieu n’est
pas un, Dieu n’est pas » (Ad. Marc, 1, 3). Origène : Dieu est une personnalité spirituelle, « intellectualis natura » (De
princ., 1, 1, 1‑6), « incompréhensible, inconcevable » (Ibid., 1, 1, 5, etc.). S. Augustin comprend volontiers Dieu
d’une manière platonicienne et morale comme le « summum du bien »
puis comme l’Être pur et parfait,
« summa essentia, ens realissimum ». « Ô Seigneur, pour
qui être et vivre est tout un, parce que l’Être par excellence et la souveraine
vie, c’est vous‑même » (Conf., 1, 6, 10). Il insiste
fortement sur l’unité et l’immutabilité de Dieu. La Trinité elle‑même, comme on le verra plus tard,
est tirée de l’unité de l’Être ‑ il ne dit pas volontiers substance (Trin., 7, 10 ; cf. Ép. 120, 17) ‑ qui subsiste dans les trois Personnes, si bien que le Dieu unique
est la Trinité même, « la Trinité elle‑même est un Dieu unique » (C. Serm. Arian. 3).
Le pseudo‑Denys reprend (De div.
nominibus ; de myst. theol.) la théodicée négative des néo‑platoniciens, mais il l’amène par la « via eminentiæ » à
une certaine conception positive et il fait monter l’âme par l’extase mystique
jusqu’au contact immédiat de la divinité. S.
Jean Damascène se rattache au pseudo‑Denys, mais aussi à Aristote, dans son livre
« De fide orthodoxa ». S.
Anselme écrit dans un esprit tout spéculatif son Monologium (De essentia divinitatis) et son Proslogium (De existentia divinitatis). Dieu est « ens per
se » ; il est l’« ens per seipsum » tel « qu’on ne
peut rien imaginer de plus grand ». C’est pourquoi aussi (selon lui) son
existence peut se déduire pour nous de son essence. S. Bernard se rattache à S. Anselme (Consid., 5, 7, 15) ; au
reste il est plus mystique que philosophe ; il blâme « le vain babil
des philosophes » et saisit Dieu plutôt par l’amour que par
l’intelligence. P. Lombard est ici
d’une importance particulière, parce qu’il n’a pas seulement conservé la
théodicée des Pères, mais encore fourni la terminologie au 4ème
Concile de Latran ; il a emprunté à Tertullien et à S. Augustin les
expressions « substantia, essentia, natura » (Sent., 1, dist. 2 et
5). Le Concile de Latran caractérise par ces trois expressions qui, dans leur
notion, présentent quelque différence, l’Être de Dieu, en les identifiant. Il
décrit Dieu comme « cette chose, substance, essence ou nature divine, qui
est le seul principe de tout ce qui existe, et hors de laquelle il n’y a
rien » (Denz., 432). ‑ Panthéistes de cette époque : Scot Érigène, Amalric de Bena,
David de Dinant, les Arabes, peut‑être aussi Eckhart.
Dans la haute Scolastique, S. Thomas résout la question de la possibilité de connaître Dieu
d’une façon définitive. Il distingue avec force la science et la foi, la
connaissance naturelle et la connaissance surnaturelle. L’existence de Dieu
peut être connue aussi par la raison et cela médiatement, comme on l’a exposé
plus haut. Par contre, l’Être de Dieu reste un mystère, non seulement devant la
raison mais encore dans la foi. Ce n’est que par analogie et imparfaitement, en
transportant les perfections créées et humaines à son Être absolument parfait,
que nous pouvons arriver à une certaine notion de son Être. Cette connaissance
analogique dirige aussi notre dénomination ; les noms que nous employons pour désigner l’Être de Dieu sont eux aussi
analogues. Ces noms ne doivent pas être entendus au sens univoque ; ils ne
doivent pas non plus l’être au sens équivoque ; mais justement au sens
analogue ; c’est‑à‑dire qu’en Dieu lui‑même, mais d’une manière éminente, quelque chose correspond à ce que nous disons. Or le nom le
plus parfait, celui qui désigne le mieux l’essence de Dieu en soi est l’Être
(esse, ipsum esse). Il embrasse toutes les perfections et fait apparaître Dieu,
ainsi que le remarquent déjà les Pères, à propos de Ex., 3, 14, comme une
« profusion de substance immense ». Tout autre nom désigne seulement
une perfection ; le nom « l’Être » dit de Dieu tout ce qu’est un
Être. Dieu est « l’acte pur », l’activité pure et simple (S. th., 1,
q. 13). Si on veut désigner Dieu du point de vue de ses relations avec le monde, par conséquent d’une
manière relative et non absolue, aucune désignation ne convient mieux que
« premier moteur immobile ». En l’appelant « premier
moteur » , on affirme, à l’encontre de l’athéisme, son immanence et son
action dans le monde ; en ajoutant « immobile », on affirme sa
transcendance, on déclare que Dieu n’est pas entraîné avec son Être dans la
marche du monde. Dieu est ce par quoi
se fait le développement du monde et non pas ce qui se développe dans le monde. Le mot « immobile »
indique ensuite également que Dieu n’est pas un corps et n’a pas de corps ‑ un être corporel ne peut mouvoir que s’il se meut lui‑même – qu’il est un esprit. Par suite, Dieu est une personnalité douée d’intelligence et de
volonté, d’une perfection infinie. S. Thomas résume brièvement cette notion de
Dieu de la façon suivante : « De tout ce qui a été dit auparavant
nous pouvons conclure à l’unité de Dieu, à sa simplicité, à sa perfection et
qu’il est infini, intelligent et volontaire » (Comp. th., 35).
Le Concile du Vatican a défini
cette notion de Dieu de la Scolastique : « Dieu vrai et vivant,
Créateur et Seigneur du ciel et de la terre, tout‑puissant, éternel, immense, incompréhensible, infini en intelligence
et en volonté et en toute perfection ; qui, étant une substance
spirituelle unique, absolument simple et immuable, doit être proclamé comme
réellement et par essence distinct du monde, très heureux en soi et de soi, et
indiciblement élevé au‑dessus de tout ce qui est et peut
se concevoir en dehors de lui » (Denz., 1782).
L’expression « substance
spirituelle », etc., exprime l’idée que Dieu, bien loin de se confondre
avec la cause inconsciente du monde, est une personnalité spirituelle
entièrement distincte du monde, absolument parfaite et parfaitement heureuse en
soi‑même.
Notions modernes de Dieu. Les jugements qu’on porte sur Dieu sont ou
bien théistes ou bien panthéistes et monistes, ou bien encore, renonçant à toute détermination
intellectuelle, purement émotionnels, sentimentaux.
Est panthéiste Spinoza : Dieu
est la substance absolue du monde (natura naturans) ; les choses particulières
en sont les « modes » (natura naturata). « Dieu est la cause
immanente, mais non transcendante de
toutes choses ». Spinoza et Mendelssohn sont responsables des tendances
panthéistes du judaïsme moderne réformé. Sont théistes : Descartes (la notion de Dieu dans son
contenu essentiel nous est innée) ; Leibnitz
(Dieu est l’absolu, l’acte pur, la monade la plus élevée) ; Gœthe : Dieu est l’éternel dans le
changement des choses, la nature est « de la divinité le vivant
vêtement » (panthéisme naturel ?). Kant renonce à une notion théorique et rationnelle de Dieu, mais le
considère comme un postulat éthique de la raison pratique. Celle‑ci l’impose comme l’esprit et la volonté infinis ; il doit être omniscient, saint, tout‑puissant et juste (théisme moral). Pour Fichte, dont l’idée de Dieu est
panthéiste, Dieu est le Moi absolu, infini. Pour Schelling, Dieu est une personnalité, un esprit dans une
intelligence éminente et absolue. Pour Hegel,
Dieu est l’absolu, la Raison du monde, l’éternel processus dialectique
(panlogisme). Ses partisans se divisent en deux tendances : la droite qui
est théiste et la gauche qui est panthéiste. D’après Schopenhauer l’absolu est la volonté alogique ; d’après E. v.
Hartmann, c’est l’esprit impersonnel et inconscient. D’après D.‑F. Strauss le Dieu impersonnel devient
personnel dans l’homme. Pour Lotze,
Dieu est l’esprit conscient personnel, absolu. Pour Paulsen, Dieu est l’unité de tout ce qui est spirituel. D’après Kaftan, Dieu est la plus haute énergie
de la volonté personnelle. D’après Wundt,
Dieu est la volonté créatrice, la volonté du monde. Sont athées : Feuerbach (les dieux sont des
« êtres de désir » humains), Hœckel
(Dieu est la somme de toutes les forces naturelles), Nietzsche (le vieux Dieu est mort, le nouveau est la « volonté
de puissance »).
Schleiermacher est le père du néo‑protestantisme, d’après lequel Dieu est la cause dernière de
certains sentiments religieux qui sont indépendants de la raison, mais
reçoivent d’elle ultérieurement une expression concrète. L’ « anti
intellectualisme » est si accentué chez les néo‑protestants et a tellement la valeur d’un principe que toute
activité rationnelle dans la formation de la notion de Dieu demeure exclue. Or
ici se pose, comme ils le disent eux‑mêmes, le « problème capital de la dogmatique ». Si Dieu est ce que chacun « sent » comme Dieu et si la religion
doit être et rester irrationnelle, comment alors peut‑on arriver à une notion de Dieu ? Bien plus comment peut‑on arriver à une « théologie de la conscience » que l’on veut par principe opposer à l’intellectualisme abhorré ? Cela est d’autant plus impossible qu’on ne
fait pas son expérience religieuse en s’appuyant sur le texte objectif de la
Bible, mais qu’on s’en tient à une expérience « passive », en éprouvant Dieu « présent », lequel
entre spontanément et par lui‑même en contact intime avec l’âme qui le sent et en prend conscience. ‑ L’étymologie du mot « deus » et de ses dérivés dans les langues romanes, renferme l’idée de « briller ». La même racine se retrouve dans les langues
germaniques (anglais tues‑day, mardi ; allemand Diens‑tag) (Cf. Dictionnaire étym. latin de Bréal et Bailly). Les mots
Gott et God signifient d’après Wimmer « l’être invoqué par le
sacrifice ».
L’essence physique et métaphysique de Dieu
Nous savons que toute application
de notions créées à Dieu, doit être entendue d’une manière non pas adéquate,
mais analogue. Il en est ainsi pour l’application qu’indique le titre ci‑dessus. Or dans la connaissance des créatures nous distinguons : 1° La chose dans sa réalisation extérieure et dans sa nature, telle
qu’elle existe en elle‑même, sans relations avec
l’intelligence humaine, et 2° La chose telle qu’elle est connue et comprise par
nous dans son être. Nous considérons donc la chose dans son être réel ou
physique et dans son être perceptible ou métaphysique. Nous appliquons aussi cette
distinction à Dieu.
L’essence physique de Dieu est définie par la théologie : la somme
des attributs que la raison (et la Révélation) nous font connaître en Dieu et
tels que le 4ème Concile de Latran et le Concile du Vatican les ont
énumérés (essentia Dei physica sive realis). L’ensemble de toutes ces
perfections constitue le contenu de notre idée chrétienne de Dieu.
Quant à l’essence métaphysique de Dieu, la théologie essaie de la scruter
en s’efforçant de trouver dans la somme des perfections une perfection qui soit
comme la base fondamentale de toutes les autres, qui caractérise le mieux la
notion de l ’Être de Dieu et le fasse connaître, qui, en quelque sorte, le
résume. Il lui semble que la perfection qui réunit le mieux ces conditions est
l’aséité [état d’un être ou une chose
qui existe pour soi‑même et par soi‑même] (sent. communior).
Historiquement le terme aséité fait son apparition pour la première fois chez S.
Anselme (Monol. 6). Il montre que la « summa natura Dei » n’est pas
« ex aliquo », à partir de quelque chose, pas plus que « ex
nihilo, par elle‑même et à partir d’elle‑même ». Par le mot aséité (ens a se, esse per se subsistens) la Scolastique désigne ce
que les Pères grecs appellent αὐτουσία.
Le mot Agénésie bien compris (non
αγεννησία = le fait de n’être pas
engendré), c’est‑à‑dire le non devenir a le même sens. Denys d’Alex. dit déjà que l’« essence (de Dieu) est pour ainsi dire l’αγενησία ». Plus tard, par suite de l’abus qu’en firent les ariens, le mot
tomba en discrédit.
L’aséité a tout d’abord un sens négatif : elle veut dire que
l’« ens a se » [Être en soi] est en opposition directe avec
l’« ens ab alio » [qui tire son existence d’un autre], qu’il n’est
d’aucune manière « ab alio », qu’il n’est ni créé, ni produit, ni
dérivé, qu’il n’a aucun commencement quel qu’il soit ; qu’il n’est par
suite d’aucune manière dépendant d’un autre, comme de sa cause ou de son
principe ; qu’il est sans origine, indépendant et inconditionné, d’où les
expressions des Pères grecs : ἀγένητος,
ᾄναρχος, αὐτογενητος,
αὑτοφυής.
Cette conception purement
négative de l’aséité n’a pas suffi aux théologiens, comme on peut s’en rendre
compte déjà en lisant S. Anselme (Monol.) ; on a essayé de lui ajouter un
sens positif. Cela était plus difficile et les théologiens n’ont pas toujours
parfaitement réussi dans leur entreprise. La Scolastique ancienne et surtout la
Scolastique moderne se contentaient d’expliquer que l’expression « ens a
se » voulait dire au sens positif que Dieu a son existence par lui‑même, en vertu de la propre
perfection de son essence ; que l’existence est incluse dans son
essence ; que l’essence et l’existence sont en réalité identiques ;
qu’il est l’Être pur et simple (ipsum esse) sans aucune potentialité ou pouvoir
de devenir, dans la réalité pure (actus purus) ; qu’il est l’Être en soi
et par soi (esse perse subsistens) et, par conséquent, existant de toute
éternité nécessairement (ens necessarium). A la question : quelle est la raison (ratio) de son existence, pourquoi existe‑t‑il ? on répond que la formule « Jamais rien
n’arrive sans qu’il y ait une raison
suffisante » s’applique à Dieu et qu’on peut dire par conséquent que cette
raison se trouve purement et simplement dans l’essence divine parfaite.
Peu satisfait de cette
interprétation de l’aséité positive qu’il considérait comme trop faible, Schell (+1906) a tenté de s’en faire une
conception plus ferme. Il a appliqué à Dieu la loi de causalité et posé la
formule : « Dieu est sa propre cause ». Il comprenait l’aséité
comme « la réalisation divine par soi », « la production par
soi ». Plus tard, il est vrai, il atténua ces expressions. Schell
prétendait que l’aséité scolastique correspondait au premier moteur immobile
d’Aristote qui permet d’expliquer tout être contingent mais non l’Être
proprement absolu. C’est pourquoi il se tourna vers la notion de Dieu de Platon
et du néo‑platonisme, dans laquelle il voyait la conception
de l’activité et du mouvement purs. Des idées philosophiques modernes
(Hegel) sur la réalisation de Dieu par soi ont pu
aussi l’influencer. Seulement la notion « Dieu est sa cause » ne peut
pas sérieusement et dans le sens de la loi de causalité (causa efficiens) être
acceptée quand il s’agit de Dieu. 1° La cause est essentiellement et réellement
différente de ce qu’elle produit ; 2° Elle est antérieure à l’effet, sinon
dans le temps, au moins naturellement ou logiquement ; elle introduit par
conséquent une dépendance et une composition dans l’Être absolu et simple de
Dieu ; 3° Elle suppose nécessairement une potentialité en Dieu et détruit
par conséquent l’« actus purissimus » [Dieu est de manière parfaite
et complète, il ne comporte aucun défaut ni lacune] ; 4° Il est
contradictoire pour notre esprit habitué à la loi de causalité de parler d’une
« causa sui », car un être ne peut pas agir ‑ à plus forte raison faire un acte
aussi parfait que la réalisation de Dieu par soi ‑ avant d’exister, « il faut être pour agir » ; 5° L’application de la loi de causalité à la cause première supprime cette notion d’après laquelle la cause première n’est précisément que
« causa » et non « causée ». On ne peut pas reprendre d’une
main ce qu’on donne de l’autre ; 6° Cette notion de la « causa
sui » conduit irrémédiablement au panthéisme hégélien dont le principe est
sans doute « l’absolu », mais un absolu qui doit « se
réaliser ». « Le commencement comprend donc ces deux choses, l’être
et le non‑être, c’est l’unité (non encore distinguée) de l’être et du non‑être » (cité par Kleutgen). S. Augustin dit : « Il n’y a
rien en effet qui s’engendre soi‑même » ( Trin., 1, 1, 1).
Preuve. L’Écriture, il est
vrai, ne parle pas le langage de la métaphysique, mais elle dit cependant
explicitement que Dieu a toujours été, qu’il a existé avant toute créature, de
toute éternité. Il est l’alpha et l’oméga, le premier et le dernier (Gen.,1, 1.
Is., 41, 4 ; 44, 6 ; 48, 12. Ps. 89, 2, etc.). Dieu désigne
solennellement son Être du nom de Jahvé (ό ὤν), celui qui est
(Ex., 3, 14). Quand même on verrait d’abord dans ce nom la fidélité durable et
constante à l’alliance, il y a cependant au fond de cette idée la conception
d’une divinité toujours existante, subsistant d’une manière indépendante en soi
et par soi : Jahvé est « capable d’alliance » parce qu’il est
celui qui est par lui‑même. S. Augustin dit : « Je
m’appelle l’Être… parce que je subsiste éternellement sans pouvoir changer
(Serm. 6, n° 4). De même dans Malachie, 3, 6 : « Moi, le Seigneur, je
ne change pas ».
Les Pères. On peut facilement relever une série de passages dans lesquels
ils saisissent avec enthousiasme le nom de Jahvé et voient dans ce nom le nom
adéquat de l’Être divin. Ainsi S. Hilaire
admire cette désignation de Dieu par lui‑même qui contient tant de lumière pour nous : « Il n’y a pas d’attribut qui convienne mieux à Dieu que
l’Être, parce que ce qui est ne peut s’entendre ni de ce qui finira un jour, ni
de ce qui a commencé » (De Trin., 1, 5). S. Grégoire de Naz. explique de la même manière Ex., 3, 14 (Orat.,
30, 18, theol. 4) et dit : « Dieu était, est et sera toujours ou
plutôt il est toujours. Car était et sera sont des sections de notre temps et
de la nature éphémère ; quant à lui, il est celui qui est toujours (ό
δὲ ὤν αεί) et c’est ainsi qu’il se nomme
quand il parle à Moïse sur la montagne. Car contenant tout en lui, il a l’être
(τὸ εῖναί), l’être sans commencement et
sans fin, comme un océan infini et sans limite de l’être »
(πέλαγος
ούσίας ᾄπειρον
ϰαὶ αόρ στον. Orat., (ILV,
3 : M. 36, 625) (Cf. S. Grég. de Nys., C. Eumon., 8 : M. 45,
768 ; Ambr., Enarr. in Ps. 43,
19 : M. 14, 1100 ; S. Jérôme,
In Ep. ad Eph., 2, 3, 14 (M. 26, 488) : « Dieu qui est toujours, qui
n’a d’autre principe que lui‑même, et qui est sa propre origine, et la cause
de sa propre substance ». S. Augustin remarque
au sujet de Ex., 3, 14 : « Dieu est, en effet, de telle sorte que
toutes ses créatures comparées à lui ne sont point. Hors de là, elles sont,
puisqu’il les a faites. Mais comparées à lui, elles ne sont point : car
être véritablement, être sans changement, il n’y a que Dieu qui soit
ainsi » (Enarr. in Ps. 134, 4 : M. 37, 1741). Il appelle Dieu
« L’Être vrai, l’Être pur, l’Être réel » (Serm. 7, 7 : M. 38,
66). S. Jean Damascène répète le mot
de S. Grégoire de Naz. sur le πέλαγος οὑσὶας
(De fide orth., 1, 9).
De même que l’Écriture et les
Pères reconnaissent à Dieu l’aséité, la raison
elle‑même juge que c’est là qu’il faut chercher la caractéristique principale de son Être, l’essence métaphysique. En effet : 1° L’aséité est la perfection par laquelle l’Être divin se présente d’abord et de la façon la plus primordiale aux recherches
de notre intelligence ; 2° C’est par là qu’il se distingue le plus de tout ce qui n’est pas Dieu. En effet les
autres attributs peuvent, tout au moins à un degré inférieur, appartenir aux
créatures ; quant à l’aséité, elle ne peut leur appartenir d’aucun point
de vue et d’aucune manière ; 3° L’aséité est justement la caractéristique
de l’Être divin dont on peut dériver
les autres attributs absolus, si bien qu’elle paraît être leur source et leur
origine. C’est pourquoi S. Bernard écrit : « Si vous avez dit de Dieu
qu’il est bon, qu’il est grand, qu’il est bienheureux, qu’il est sage, ou toute
autre chose semblable, tout cela se trouve reproduit dans le seul mot que
voici : Il Est » (De la considération, 5, 6).
Un certain nombre de thomistes,
tout en se rangeant à l’opinion commune, préfèrent au terme d’aséité celui d’
« esse subsistens » [acte pur subsistant], parce que le premier terme
désigne plutôt un attribut, tandis que le second désigne le sujet des attributs.
D’autres thomistes voient l’essence métaphysique dans l’intellectualité absolue, soit comme « radix sive potentia
intelligendi », soit comme connaissance actuelle « intellectio
subsistens sive actualis ». Les scotistes
placent l’essence métaphysique de Dieu dans l’infinité actuelle, les nominalistes dans la somme de toutes les
perfections.
Sans doute l’« intellectio
subsistens » [intelligence qui demeure] accentue bien la personnalité
spirituelle de Dieu contre tout monisme, mais quand on la ramène comme activité
à l’essence, elle ne la constitue pas. Scot reproche à l’aséité
(incausabilitas) d’être plutôt attribut de l’existence que de la nature, que
celle‑ci serait bien mieux expliquée par le « conceptus entis simpliciter
infiniti » [concept d’un étant infini] ; cependant
il semble, quand on explique les deux
notions, qu’elles se rapprochent plus que les termes. Quant aux nominalistes,
avec leur « cumulus omnium perfectionum » [comble de toutes les
perfections], ils atteignent l’essence physique
et non l’essence métaphysique.
Conclusion pratique. Israël reconnaissait dans l’aséité, dans la continuité immuable, ce
qui rendait Dieu apte à être le Dieu de l’alliance. Aujourd’hui encore Dieu est
apte à l’alliance. Notre alliance, nous l’avons conclue avec lui dans le
Baptême, comme Israël au Sinaï, après l’heureuse sortie d’Égypte, le pays du
dur esclavage. Alors Moïse dit au peuple ces paroles remarquables :
« Conservez le souvenir de ce jour (de votre délivrance), et vous le
célébrerez comme un jour de fête du Seigneur : vous le célébrerez de
génération en génération, c’est une institution perpétuelle » (Ex., 12,
14). Tout naturellement ce devoir de souvenir perpétuel s’applique à notre
alliance à nous. Nous autres chrétiens, nous avons la belle coutume de
renouveler nos « promesses du Baptême ». Tous les dimanches, quand le
prêtre fait l’aspersion, l’Église veut nous rappeler la grâce et les promesses
de notre baptême. Chaque dimanche, l’Église veut renouveler et affermir les
relations étroites du fidèle avec son Dieu d’alliance.
Dans l’Ancien Testament,
l’alliance de Jahvé avec Israël avait le caractère d’un lien matrimonial :
Dieu veille jalousement sur la fidélité du peuple qu’il a épousé. Dans le
Nouveau Testament, l’alliance chrétienne avec Dieu prend le caractère de
tendres relations de fiançailles.
Cela correspond à l’intimité spirituelle et surnaturelle de l’union de l’âme
particulière avec Dieu et le Christ son Rédempteur. Tout manquement envers
notre Dieu d’alliance n’est pas seulement une faute contre la fidélité, mais
encore contre l’amour que nous devons à Dieu. Le péché du chrétien n’est pas
seulement une infidélité, mais encore une injure à celui qui nous a dit au
baptême : « Je t’ai aimé d’un amour éternel » (Jér., 31, 3). « Ce
jour‑là sera pour vous un mémorial » (Ex., 12, 14).
A consulter : S. Thomas, S. th., 1, 13, 4, 5,
12 ; Contra Gent., 1, 31‑36. Suarez, De div. Subst. ejusque attributis, 1, 10‑14. Petavius, De Deo, 1,
7‑13. Gillius,
De essentia Dei, tr. 6, c. 6 sq. Franzelin,
thes. 13.
Il y a en Dieu une distinction virtuelle entre l’essence et les
attributs. (Sententia
communis)
Cette thèse nous conduira à la
section suivante sur les attributs divins. Nous avons déjà signalé plus haut
que nous ne pouvons avoir de l’Être divin, qui est absolument simple (omnino
simplex, Later. 4), une notion simple, mais seulement une notion synthétique. Nous
connaissons donc Dieu « par parties » (1 Cor., 13, 12) et nous
réunissons ensuite les parties pour en faire une unité. Mais par là nous
introduisons des distinctions dans
l’Être absolument simple de Dieu. Nous distinguons l’essence des attributs et
les attributs les uns des autres ; ainsi nous entendons autre chose par
omniscience que par toute‑puissance. Or, la question se
pose de savoir si ces distinctions sont justifiées et, si elles le sont, avec quelle force il
convient de les affirmer.
Pour comprendre cette question
difficile, il est nécessaire de faire quelques remarques préalables. La
distinction est en général la négation de l’identité. Mais on peut la
considérer comme une distinction réelle
(distinctio realis), qui a son fondement dans les choses elles‑mêmes indépendamment de notre pensée, ou
bien comme une distinction logique
(d. mentalis rationis), qui est faite par notre esprit dans une seule et même
chose. Cette dernière peut à son tour être envisagée comme une distinction purement mentale (d. pure mentalis,
rationis ratiocinantis) ou bien comme une distinction virtuelle (d. virtualis cum fundamento in re). La distinction
purement mentale a son fondement uniquement dans notre esprit et consiste, par
ex., à distinguer une chose de sa définition ; la distinction virtuelle a
aussi son fondement dans la chose elle‑même et non seulement dans notre esprit, par
ex., la distinction entre l’intelligence et la raison. La distinction virtuelle peut à son tour être de deux sortes, parfaite et imparfaite. La distinction
virtuelle est parfaite quand les éléments distingués peuvent exister dans des
choses séparées, ainsi par ex., la raison et la sensibilité existent chacune
séparément dans l’ange et dans l’animal. La distinction virtuelle est
imparfaite quand les éléments distingués se confondent plus ou moins par leur
contenu, ainsi l’être et ses déterminations transcendantales (unité, vérité,
bonté). C’est cette distinction virtuelle
imparfaite que les théologiens admettent entre l’essence de Dieu et ses attributs
ainsi qu’entre chaque attribut.
1 Négation de toute distinction. Dans l’antiquité, Aétius, Eunomius, les anoméens
contestaient la possibilité de toute distinction en Dieu, en s’appuyant sur sa
parfaite simplicité. Nous ne connaissons, disaient‑ils, que son essence nue (nuda essentia) et, comme elle est
absolument simple, nous la connaissons complètement et nous la connaissons dans
l’agénésie, le non‑devenir.
A l’époque scolastique, les nominalistes soutinrent la même opinion
tout en s’appuyant sur d’autres raisons, et en l’affirmant d’une manière moins
radicale. Ils avouent que Dieu est la somme de toutes les perfections, mais ils
contestent à notre intelligence la possibilité d’atteindre cet Être parfait et
de le définir par des notions distinctes. Comme nous sommes obligés de nous
faire de Dieu des notions distinctes, ces notions ne peuvent avoir que la
valeur de concepts purement subjectifs auxquels rien ne correspond en Dieu. Ce
ne sont que des noms (nomina) que nous donnons à Dieu, ils n’ont aucun contenu
et aucun point d’appui en Dieu (Guillaume d’Occam, Gabriel Biel, et même
Grégoire de Rimini).
2. Exagération de la distinction. Une distinction complètement opposée
à cette distinction purement logique est la distinction réelle qui ne distingue pas seulement l’essence de Dieu des
attributs, mais encore la sépare
comme une chose d’une autre chose. Gilbert
de la Porrée, évêque de Poitiers, admettait une distinction réelle, d’abord
entre l’essence et la personne ; il enseignait que la divinité est réellement
distincte de Dieu et que Dieu est Dieu par la divinité comme l’homme est homme
par l’humanité. Il n’est plus possible de savoir si Gilbert établissait une
distinction réelle entre l’essence et les attributs, mais cela est considéré
comme vraisemblable. Grégoire Palamas,
chef, vers 1350, d’une secte hérétique de moines grecs, affirmait que les
attributs divins rayonnent de l’essence comme une énergie divine ; ces
attributs sont sans doute divins, mais, par rapport à l’essence, ils sont
secondaires et par suite peuvent même, sous l’aspect
de lumière terrestre, être perçus par l’œil, comme cela arriva aux
disciples sur le Thabor et comme cela arrive aux ascètes dans la contemplation.
Les palamites appelés aussi hésychastes et par dérision les « contemplateurs
du nombril » (ὀμφαλόφυχοι)
introduisirent ainsi un faux mysticisme,
comme il en apparut d’ailleurs de différentes sortes dans l’Orient d’alors (Cf.
Irén. Hausherr, La méthode d’oraison hésychaste (1927), dans « Orient.
Christiana »).
Réfutation. Si Dieu est un composé réel d’essence et de personnalité,
d’essence et d’attributs, il constitue justement un assemblage et, par conséquent, il a été composé par un autre ;
il n’est donc plus l’Être parfait. En outre, il n’est plus la cause première et
il ne possède pas toute la réalité de l’Être, tout au moins il ne la possède
pas par lui‑même. S. Bernard,
l’adversaire de Gilbert, estime, non sans raison, que si l’on admettait le
point de vue de Gilbert, il faudrait soutenir qu’il y a une quaternité et même
une centenéité, en un mot, le polythéisme complet (De consid., 5, 7 ; cf.
§ 29.)
3. Distinction virtuelle. La distinction réelle contredit l’absolue
simplicité de l’Être divin. La théologie a donc surtout à combattre l’opinion
nominaliste qui confond tout en Dieu. Bien entendu, elle ne doit d’aucune
manière porter atteinte au dogme de la simplicité
de Dieu ; elle n’y touche aucunement et fonde son opinion de la façon
suivante : Nous savons que l’Être divin est absolument simple, mais qu’il
n’est pas abstrait et vide de contenu, qu’au contraire il doit renfermer une
richesse infinie de perfection. Nous connaissons un certain nombre de ces
perfections par la raison, les autres nous sont indiquées dans la Révélation.
Mais justement la manière dont Dieu nous parle en se révélant lui‑même nous montre que nous ne
pouvons nous faire aucune idée de ces perfections qui, objectivement, se confondent en Dieu, si
nous n’employons pas des distinctions.
Dieu, en nous parlant, emploie
des notions distinctes, par ex. : il nous parle de sa toute‑puissance, de sa sagesse, de sa bonté, de sa science, de sa volonté et il le fait dans l’intention de nous donner par là une révélation différenciée et non de simples noms, de pures
tautologies. Or, comme nous l’enseignent les Pères depuis S. Irénée et S. Hilaire,
c’est de Dieu qu’il nous faut apprendre comment nous devons parler de Dieu.
Même dans la révélation naturelle de Dieu, nous nous trouvons placés en face de
la différence des perfections divines. Nous remarquons dans la Création une
foule de perfections divines, mais toutes sont différentes. Sa puissance nous
apparaît autre chose que sa bonté et sa bonté autre chose que sa sagesse.
Notre distinction n’est pas
purement arbitraire et sans fondement, mais au contraire elle a un fondement en
Dieu lui‑même. Et de même que les nombreuses et diverses entités créées correspondent au seul être indivisible comme à leur source commune, ainsi
toutes les différentes notions d’attributs
divins, que nous nous sommes formées par la révélation naturelle comme par la
révélation surnaturelle, correspondent à une notion unique d’Être qui est celle avec laquelle Dieu comprend son propre
Être. Il est vrai qu’elles n’y correspondent pas d’une manière complète,
adéquate et parfaite, mais seulement d’une manière inadéquate et imparfaite.
Néanmoins ce sont des notions au contenu vrai et non pas des représentations
purement subjectives et vaines. C’est ainsi que pensaient déjà S. Grégoire de Nys. (C. Eunom.,
12 : M. 45, 957) ; S. Augustin
(Trin., 6, 7) ; S. Bernard
(Cons., 5, 7).
A consulter : S. Thomas, S. th., 1, 13. Petau, 1, 7 sq. La Fosse, De Deo ac divinis attributis, q. 2, a. 2. Migne, Cursus completus, 7, 84. Billuart, De Deo, diss., 2, a. 2. Diekamp, 1, 130 sq. Scheeben, 1, 505 sq. Paquet,
1, 50 sq. Dict. théol., 1, v.
Attributs divins.
Notion. On a déjà signalé plusieurs fois que l’Être absolu de Dieu ne peut pas, en soi, avoir des attributs proprement
dits. Chez les créatures, les attributs s’ajoutent à l’être, se développent en
lui et avec lui, le complètent et l’achèvent. L’Être de Dieu n’étant capable
d’aucun perfectionnement, il ne peut pas non plus posséder d’attributs au sens
propre. Par ailleurs, nous savons que Dieu est la plénitude des perfections.
Mais aussi nous reconnaissons que dans l’Être absolument simple de Dieu, ces perfections ne peuvent pas être séparées les
unes les autres et qu’elles doivent former avec cet Être et entre elles une
unité complète. Cette considération ne laisse pas de place pour les attributs.
Ils supposeraient la composition en
Dieu, laquelle à son tour entraînerait la potentialité et, en admettant la
potentialité, on ferait disparaître la notion de cause première et d’Être
pur. Cependant, nous sommes forcés d’admettre des attributs en Dieu
et nous y sommes autorisés. Nous
l’avons montré plus haut et nous avons indiqué en même temps comment nous
devons comprendre cette considération particulière et cette explication de
l’Être divin. Sans doute l’Être divin se tient à une distance infinie de toute créature, cependant il
a laissé dans la Création des traces (vestigia, similitudines) de ses
perfections, si bien que nous pouvons y trouver, non certes Dieu lui‑même, mais ses images, tout
obscures qu’elles soient. « Il y a quelque chose en Dieu qui
correspond à toutes ces conceptions » dit S. Thomas (In 1 Sent., D. 2,
q. 1, ad 7).
Au sens le plus large, on peut entendre sous le nom d’attributs toutes les
caractéristiques qui nous permettent de connaître Dieu et de le distinguer des
autres êtres. Mais il faudrait faire rentrer dans ce nombre bien des
caractéristiques que les théologiens n’ont pas coutume de ranger parmi les
attributs divins au sens strict. Avant tout, on considérerait comme attribut de
Dieu son Être particulier et indépendant, son aséité et ensuite toutes les perfections qui ne sont qu’un
développement logique ou une description de cette aséité. Son absence
d’origine, sa nécessité, sa perfection complète, son inconditionnalité, son
indépendance ne peuvent pas être considérées comme des attributs
indépendants ; ce sont plutôt des désignations différentes de son Être
particulier, de son aséité. Toutes ces perfections, d’après notre connaissance analogique de Dieu, sont plutôt un
développement de l’Être et de l’essence divine que des attributs qui s’ajoutent à cette essence.
En outre, on ne peut pas compter
au nombre des attributs les relations
« ad extra » qui résultent de la libre action de Dieu dans la Création. Dieu est Créateur,
Rédempteur, Sanctificateur, Juge, Rémunérateur et Vengeur, et tout cela
constitue certainement des perfections, mais ce sont plutôt des effets extérieurs libres des perfections
divines, que ces perfections en elles‑mêmes. Aussi nous les laisserons de côté dans l’étude proprement dite de Dieu et nous les
traiterons ailleurs.
Enfin nous ne pouvons pas faire
entrer en ligne de compte les hautes perfections trinitaires que nous
reconnaissons dans chacune des trois divines Personnes, comme la Paternité, la
Filiation et la Spiration. Il est vrai que ce sont des attributs ou des
caractéristiques divines, mais dans chacune des divines Personnes et non dans
l’essence divine.
Après avoir écarté toutes les
perfections que nous venons de nommer, soit l’Être particulier de Dieu, son
aséité, soit ses relations avec la Création, soit les relations immanentes des
trois Personnes entre elles, il nous reste toutes les qualités divines qui nous
indiquent comment l’Être absolu de Dieu
est constitué en soi. Ainsi, nous comprenons sous le nom d’attributs divins
toute perfection pure (perf. simplex ou pura) qui, d’après notre manière
analogique de connaître Dieu, appartient d’une nécessité interne à l’Être divin
déjà constitué dans notre pensée par l’aséité, et qui, connue par la
considération des choses créées, particulièrement de la personne humaine, est
transportée en Dieu. Il est évident que nous ne pouvons pas indiquer la somme complète de tous ces attributs
absolus ou essentiels. Leur énoncé complet exigerait la connaissance complète
de l’Être. On a déjà signalé que les plus importants, pour notre considération
analogique, ont été énumérés par le 4ème Concile de Latran et par le
Concile du Vatican. Cette énumération sert généralement de base à l’exposé
dogmatique.
Division 1 . Les Pères connaissaient déjà la distinction entre attributs
négatifs et attributs affirmatifs ou positifs
(p. 124) (théologie apophatique et cataphatique). Les attributs positifs
expriment une ressemblance entre l’Être divin et les créatures et comprennent
toutes les perfections qui sont connues par la voie d’affirmation (via
causalitatis). Les attributs négatifs désignent ce qui distingue Dieu des
choses créées. Ils sont négatifs dans la forme, mais positifs dans leur
contenu. Les attributs négatifs sont ceux qui correspondent le plus à l’Être
absolu de Dieu parce qu’ils caractérisent cet Être en lui‑même dans son entité sans relation, comme l’Être absolu. Ils sont compris dans
l’attribut d’infinité. On les obtient par la voie de la négation (via
negationis) ; car dans la considération de l’Absolu en lui‑même, nous devons partir aussi des
créatures.
2. Les attributs communicables (attr. communicabilia) et
incommunicables (attr. incommunicabilia). Ils se confondent objectivement avec
les attributs qu’on vient de nommer. Les attributs positifs peuvent à un certain degré ‑ non pas comme ils sont en Dieu ‑ être communiqués : les attributs négatifs, par leur notion même excluent une telle
participation. L’ aséité, l’infinité et tout ce qui en découle sont incommunicables à tout égard et à tout degré.
3. Les attributs de repos (attr. quiescentia) et les
attributs d’opération (attr.
operativa). Les attributs de repos décrivent l’Être considéré dans son entité calme et absolue ; les
attributs d’opération caractérisent son activité,
les manifestations de sa vie dans la Création. Au nombre des attributs
d’opération on compte aussi les attributs moraux connus par la Révélation et
qui ont une si grande importance pour notre Rédemption (sainteté, justice,
bonté).
4. Les attributs absolus et attributs relatifs. Les attributs absolus conviennent
en soi éternellement et nécessairement à l’Être absolu. Les attributs relatifs
résultent des relations des choses avec Dieu, ils sont donc relatifs et libres
et ne conviennent à Dieu que depuis la Création (omniprésence, amour et
connaissance des créatures).
5. Les attributs de l’Être et ceux de la Vie ou de l’Activité. Ils
se confondent avec ceux qu’on vient de nommer. Toutes les divisions se ramènent
en définitive à la division en attributs positifs et négatifs.
Dans l’exposé de la doctrine des
attributs divins, les théologiens choisissent tantôt un principe de division
tantôt un autre. On use même d’un autre schéma : les attributs de la
notion rationnelle de Dieu et les attributs de la notion révélée, ou bien les
attributs de la notion philosophique et ceux de la notion biblique ; les
uns sont importants pour la spéculation théistique, les autres pour la moralité
individuelle. Nous suivrons la division ordinaire en attributs de l’Être et en attributs de l’Activité et nous rattacherons à ces
derniers les attributs moraux.
A consulter : S. Thomas, S. th., 1, 4 ; C. Gent.,
1, 28 sq., 43. Petau, De Deo, 6, 7. Lessius, De perf. Belmond, Dieu, 147 sq. Kleutgen,
De ipso Deo, 163 sq.
THÈSE. Dieu est l’Être infiniment parfait. De foi.
Explication. Le Concile du Vatican enseigne contre le panthéisme, pour qui la
divinité est dans un perpétuel devenir, que Dieu est d’une perfection infinie
(un seul Dieu vrai et vivant, Créateur et Seigneur du ciel et de la terre, tout‑puissant, éternel, immense, incompréhensible, infini en intelligence et en volonté et en toute perfection, S. 3, c.
1 ; Denz., 1782). Bien loin de se développer pour atteindre la
perfection, il possède dans son essence toute perfection réelle et concevable,
d’une manière constante, sans augmentation et sans diminution. C’est pourquoi
la perfection divine ne doit pas être considérée comme un seul attribut distinct.
Au contraire, cet attribut contient une vérité générale qui concerne toute
l’essence divine aussi bien que ses attributs : c’est que toutes les
perfections concevables qui peuvent et doivent appartenir à la divinité lui
appartiennent de fait et qu’elles lui appartiennent d’une manière infiniment
parfaite. Sur ce dernier point, nous aurons encore une remarque à faire à la
fin.
Preuve. L’Écriture exprime la
perfection de Dieu non pas d’une manière métaphysique, mais d’une manière
objective par l’abondance des attributs qu’elle lui donne, de même que par
l’affirmation de la grandeur, de la puissance et de la transcendance de son
Être qui reste incompréhensible et mystérieux pour les hommes. « Le
Seigneur est grand et digne de toute louange et sa grandeur est sans
limites » (Ps. 144, 3). « Grand est notre Seigneur et grande est sa
puissance et insondable est sa sagesse » (Ps. 146, 5).
Jésus appelle le Père des cieux « parfait », au sens moral
(Math., 5, 48) ; il le reconnaît comme le « seul bon » (Luc, 18,
19), c.‑à‑d. comme la source et la somme de
tout bien. S. Paul prêche à Athènes un Dieu qui ne reçoit rien des hommes et
n’a aucunement besoin d’eux (Act. Ap., 17, 25). Et il conclut son exposé
dogmatique sur la grâce par cet hymne connu sur l’indépendance et la plénitude
d’Être de Dieu : « O profondeur de la richesse, de la sagesse et de
la science de Dieu !... Qui a connu la pensée du Seigneur ou qui a été son
conseiller ? Ou bien qui lui a donné le premier pour qu’il ait à recevoir
en retour ? De lui, par lui et pour lui sont toutes choses » (Rom.,
11, 33‑36). Dieu ne peut que donner, il ne peut rien
recevoir. L’Être de Dieu est si riche qu’il ne peut être compris que de Dieu lui‑même : « Car ce que Dieu est, personne ne le connaît, si ce n’est l’Esprit de Dieu ». Lui seul pénètre « les
profondeurs de la divinité » (1 Cor., 2, 10‑11).
Les Pères. L’idée de la perfection infinie de Dieu est déjà comprise dans
leur doctrine de son incompréhensibilité, mais elle est souvent aussi exprimée
formellement. S. Irénée oppose
l’homme et Dieu et conclut : « Dieu est parfait en toutes choses,
égal et semblable à lui‑même, tout entier Lumière, tout entier Pensée, tout entier Substance et
Source de tous biens, tandis que l’homme reçoit progrès et croissance vers Dieu » (Ad. h., 4, 11, 2). « Il est parfait en
tout et possède toute espèce de perfection au même degré », dit S. Cyrille de Jér. (Cat., 4, 5).
« Comme il est selon sa nature infini, il ne peut pas être compris et
exprimé en parole », dit S. Grégoire
de Nys. (C. Eunom., 3 : M. 45, 601). S. Ambroise : « Dieu est juste en tout, sage et parfait
en tout et par‑dessus tout » (De off., 3, 2, 11 : M. 16, 148). S. Augustin : « On ne saurait
dire que le mode s’applique à Dieu, dans la crainte qu’on ne lui suppose une
fin » (De nat. boni, 22, M. 42, 558). « La divinité, dit S. Cyrille d’Alex., possède en soi toute
espèce de perfection et rien ne lui manque » (De s. Trin. Dial. 1 :
M. 75, 673), ce que répète en termes philosophiques S. Jean Damascène (De fide
orth., 1, 5).
La Scolastique. S. Thomas dit dans sa S. cont. Gent., 1, 28 : « Si donc
il existe une chose à qui appartiennent toutes
les virtualités de l’être, aucune des noblesses qui convient à une chose ne
peut lui manquer. Mais la chose qui est son être possède l’être selon toutes ses virtualités ». C’est‑à‑dire en résumé : tout ce qui a un être le puise dans la source
absolue de l’être qui est la somme de tout être ou l’absolue perfection. Dans la Somme théologique S. Thomas consacre une
question particulière à la perfection divine. La perfection et l’être sont des
notions concordantes. Or comme la notion de Dieu est celle d’Être pur (ipsum
esse), il faut qu’il soit aussi la perfection même. La même conclusion se tire
de la notion de cause première, car il doit en tant que tel posséder au moins
la somme de toutes les perfections créées, mais il doit les posséder éminemment
et leur manière d’être doit être absolue. S. Thomas répond alors à l’objection
qui prétend que la perfection chez Dieu comme chez les créatures est un but
atteint par une évolution. Dieu a toujours été en possession de toutes ses
perfections (S. th., 1, 4). De l’identité de la perfection de Dieu et de son
Être, il résulte que la perfection équivaut à l’aséité positive et s’exprime, elle
aussi, objectivement par la formule : « Dieu est un acte pur, car un
être est plus ou moins parfait selon qu’il est plus ou moins en acte ».
Mais « le premier principe actif doit être absolument en acte et, par
conséquent, aussi parfait que possible » (Ibid., a. 1). On comprend
facilement que Dieu est le premier parfait et qu’en même temps il est d’une
manière absolue (αὐτοτελής) élevé
au‑dessus de toute participation à son Être des créatures parfaites (ὐπερτελής).
Dieu est infini. Cette proposition n’est qu’une autre manière d’exprimer la même
pensée. Le scotisme trouva dans l’infinité l’essence métaphysique de Dieu. On
comprend que cette École insiste sur cette perfection. Mais S. Thomas aussi
traite de l’infinité comme perfection ou plutôt comme précision de la
perfection. Il exclut l’infinité de la quantité
et du nombre qui se tire de la matière, du principe de mesure et de
limitation, infinité qui est en fait toujours finie, bien qu’elle soit d’une
possibilité infinie (indéfinie) et puisse s’augmenter sans fin. Il n’envisage
que l’infinité de perfection
(infinitas perfectionis et non magnitudinis et multitudinis). Il constate alors
l’identité objective de la perfection absolue avec le dogme de l’« actus
purus » et de l’« ipsum esse ». La matière est le principe du
fini, de la limitation, mais Dieu est immatériel. La forme est limitée par la
matière, reçue dans la matière, mais elle est le principe de la perfection, car
elle est le principe de l’être ; or Dieu n’est reçu par rien en tant que
forme, il n’a pas non plus reçu l’être d’une manière limitée comme les esprits
créés, mais il est son Être même entièrement et complètement, dans une mesure
infinie, sans limitation par la matière ni par une essence d’esprit créé.
« L’être de Dieu n’étant point un être reçu ou communiqué, mais Dieu étant
lui‑même son être subsistant, comme nous l’avons démontré (quest. 3, art. 4), il est évident qu’il est infini et parfait » (S. th., 1, 7, 1). De même que Dieu est
l’unique Être absolu, il est aussi le seul infini. « L’être de Dieu
subsistant par lui‑même et n’étant pas reçu dans un autre être, il se distingue en tant qu’infini de tous les autres, et les autres
diffèrent de lui » (Ibid., ad 3). C’est pourquoi Dieu n’est pas relativement
infini comme s’il dépassait simplement les créatures, mais il est complètement
absolu et unique. C’est pourquoi on ne peut pas se demander si Dieu et le monde
constituent plus de perfection que Dieu sans le monde ; les deux ne
peuvent pas s’additionner. La cause première contient formellement et
virtuellement tout l’être de la cause seconde. On n’additionne pas davantage le
savoir d’un livre à celui de son auteur. Il faut également écarter un autre
malentendu. Dieu est l’infini et non pas l’indéfini (infinitum non
indefinitum). La plénitude réelle d’être du Dieu infiniment parfait est
exactement le contraire de l’être général, abstrait, vide et indéfini des
logiciens. Quand on dit que, pour éviter le danger d’anthropomorphisme, on ne
doit donner aucune détermination de l’infini (Hegel, Renan, etc.), il faut
répondre que la notion de Dieu doit être celle de l’Être toujours parfait et
que les anthropomorphismes, quand ils sont entendus dans le sens d’identité, sont naturellement de
grossières erreurs, mais que, lorsqu’ils sont entendus dans le sens d’analogie, ils sont à la fois nécessaires
et vrais (Cf. aussi § 19).
Difficultés. Mais comment pouvons‑nous attribuer à Dieu les perfections créées de l’être, de l’essence, de l’activité, de la personnalité, de la spiritualité, de la matérialité, de la sagesse, de la
durée, du devenir, etc. ? Certaines de ces perfections sont naturellement
contradictoires à l’Être divin, comme la matérialité ; certaines
s’excluent réciproquement, comme la spiritualité et la matérialité. Cependant,
elles nous apparaissent toutes comme de vraies perfections, car elles ont
toutes un être et tout ce qui est être est bon et parfait. Or tout ce qui a un
être l’a par Dieu, la cause première ; cet être doit donc, d’une certaine
manière, être contenu dans la cause première et lui être attribué.
Pour résoudre ces difficultés
logiques, les théologiens recourent aux trois voies qu’on a déjà indiquées plus haut (§ 19), par lesquelles nous
partons des perfections créées pour déterminer les perfections divines :
la voie de causalité (via
causalitatis), la voie de négation
(via negationis, sive remotionis), la voie d’éminence (via eminentiae). Par la voie de causalité on arrive
d’abord à affirmer l’existence des
perfections créées en Dieu leur cause, en vertu de l’axiome : tout ce qui
est dans l’effet doit se trouver aussi dans la cause. Mais immédiatement la
raison se rend compte que les choses créées sont chargées de nombreuses
imperfections ; aussi, arrivée à ce second stade de sa réflexion, la
raison voit en Dieu le contraire absolu
des créatures ; on doit donc lui dénier
les perfections des créatures. Néanmoins, dans cette voie qui consiste à
écarter tout ce qui est fini et limité, on ne va pas comme le néo‑platonisme jusqu’à la négation complète, mais on conserve la pensée de causalité à laquelle on est
parvenu par la première voie et on aborde ainsi une voie positive, la
troisième, qui consiste à purifier, à élever, à transfigurer les perfections
créées et à les appliquer ainsi à Dieu. S.
Thomas : « Il y a trois manières dont les perfections créées
peuvent être attribuées à Dieu ; d’abord d’une manière affirmative (affirmative). Ainsi on
dit : Dieu est sage, ce qu’on doit dire de lui parce qu’il y a en lui une
ressemblance (similitudo) de la sagesse qui découle de lui. Cependant comme en
Dieu la sagesse n’est pas telle que nous la connaissons et la nommons, elle
peut véritablement être niée (vere
negari), si bien qu’on dit : Dieu n’est pas sage. Mais comme par ailleurs on ne peut pas dénier la sagesse
à Dieu, parce qu’il en est dépourvu, mais parce qu’elle est plus éminente en lui (supereminentius)
qu’elle n’est connue et nommée (par nous) on doit dire que Dieu est d’une
sagesse suréminente
(supersapiens) » (De pot., q. 7, a. 5, ad 2). Les trois voies se
rencontrent depuis le pseudo‑Denys (De myst. Theol., 1, 2 et
De div. nom., 7, 3 : M. 3, 999 sq., 869 sq.) chez les Pères (Cf. S. Jean Damascène, De fide orth., 1, 4).
Les théologiens donnent des
déterminations plus précises encore sur l’application des perfections créées à
Dieu. Ils distinguent ces perfections en deux catégories : 1° Les
perfections pures ou absolues (perfectiones purae,
simplices) ; 2° Les perfections mixtes
ou relatives (p. mixtae, secundum
quid). Les premières excluent par leur notion même toute imperfection et sont
par conséquent absolument meilleures que leur contraire, par ex. : la
sagesse, la bonté, la justice. Il est toujours meilleur de les avoir que de ne
pas les avoir, dit S. Anselme (Monol., 15). Les autres, par contre,
comprennent, dans leur notion, une déficience ; elles ne sont des
perfections que relativement, en comparaison de ce qui est au‑dessous d’elles ; mais, en comparaison de ce qui est au‑dessus d’elles, elles sont des imperfections. Ainsi la faculté du mouvement local et de la
perception sensible est une perfection par rapport aux corps sans mouvement ni
sensibilité, mais par rapport aux esprits c’est une imperfection. La pensée
discursive par rapport aux êtres sans raison est une perfection, mais c’est une
imperfection en comparaison de la connaissance immédiate et intuitive de Dieu.
Or voici quelle est la
règle : Toutes les perfections pures,
absolues, peuvent être attribuées à Dieu formellement,
d’après leur notion propre, bien entendu, après les avoir élevées de la manière indiquée plus haut (perfectiones simplices
sunt in Deo formaliter et eminenter). Aucune des perfections
mixtes, par contre, ne peut être attribuée à Dieu purement et simplement et d’une
manière formelle, parce que, dans leur notion même, elles contiennent quelque
chose de déficient qu’on ne peut pas appliquer à Dieu : on ne peut les lui
attribuer que virtuellement, et bien
entendu encore en les élevant
infiniment (perfectiones mixtæ sunt in Deo virtualiter
et eminenter tantum).
Par cette expression (virtualiter
et eminenter) on veut dire que les perfections créées déficientes, par
ex. : la matérialité, la sensibilité, sont produites et maintenues
par lui, non comme leur cause univoque, mais comme leur cause équivoque, et
qu’il peut produire, sans ces choses, les effets de ces choses, aussi bien et
d’une manière infiniment plus élevée.
De ce que nous avons dit, il
résulte que le reproche des adversaires : « Dieu a créé l’homme à son
image » ne veut pas dire autre chose que « l’homme s’est créé Dieu à son image », n’atteint pas la doctrine
catholique de Dieu. Il faut également considérer comme vaine une autre
objection : « Si les créatures possèdent de vraies perfections, alors
la somme des perfections divines et des perfections créées est plus grande que
celles des perfections divines seules ».
Les perfections créées sont justement les effets
permanents des perfections divines et elles sont ou formellement ou
virtuellement, mais dans les deux cas d’une manière suréminente, en Dieu leur
auteur. On ne peut pas plus les ajouter aux perfections divines qu’on ne peut
ajouter la somme de la lumière terrestre à la source de lumière du soleil, la
force de nos pensées à celle de notre intelligence.
Annexe. Dieu étant l’Être infiniment parfait, il ne sera jamais parfaitement connu par nous qui
resterons toujours des créatures finies. « Dieu est incompréhensible ». « Ce qui est fini ne peut comprendre
l’infini ». C’est ce qu’enseigne le 4ème
Concile de Latran et le Concile du Vatican
répète cet enseignement (Denz., 428, 1782). La Révélation nous enseigne cette
incompréhensibilité dans l’Ancien Testament (Ex., 33, 20‑23. Eccli., 43, 29‑35 ; 11, 7. Is., 45, 15 ; cf. 55, 8‑11. Jér., 32, 19), ainsi que dans le Nouveau (Math., 11, 27. Jean, 1, 18 ; 4, 24 ; cf. 6, 46. Rom., 11, 33. 1
Tim., 6, 16). L’incompréhensibilité de Dieu est (avec la possibilité naturelle de le connaître) le
grand thème de tous les Pères, tant
dans leur enseignement positif que dans leur polémique.
Conclusion pratique. Dieu est parfait
par nature. Et nous devons le devenir, avec le secours de la grâce, dans la
voie de notre développement moral. La parole de Jahvé dans l’Ancien
Testament : « Soyez saints comme je suis saint » (Lév., 11, 44)
a été reprise par Jésus sous cette forme : « Soyez parfaits comme
votre Père céleste est parfait » (Math., 5, 48). Être parfait correspond à l’Être de Dieu, devenir parfaits correspond à l’être de l’homme. Nous éprouvons
tous au fond de nous‑mêmes un besoin de devenir, mais ce devenir
doit suivre la véritable voie et tendre au vrai
but, sous peine d’aboutir à une déformation et à un amoindrissement de notre être. La tendance du devenir ne peut
se déployer avec chance de succès durable que dans le rude travail de la
culture de notre personnalité spirituelle et morale, dans le combat pour
devenir grand dans le royaume de Dieu
(Luc, 22, 24 sq.). Toute grandeur qui n’est pas accompagnée de celle‑là ou, ce qui est pire, qui est
opposée à celle‑là, ne peut être qu’une fausse grandeur. ‑ Ce développement moral, dont on vient de parler, doit se poursuivre, sans interruption et sans
diminution d’intensité, éternellement. Car 1° Notre but, la ressemblance avec
Dieu, est infini ; 2° Le réservoir de forces nécessaires pour cela est
inépuisable, car il est identique avec la force de grâce qu’est le Saint‑Esprit ; 3° Notre âme, d’après sa nature aspire à l’infini, à l’éternel, au divin. Ainsi parle S. Thomas (S.
th., 2, 2, 24, 7, sq.). Faisons en sorte que les « grands pas » que
nous fait faire notre tendance au devenir, ne soient pas « en dehors du chemin » (S. Augustin).
A consulter : S. Thomas, S. th., 1, 11 ; C.
Gent., 1, 42. Paquet, 1, 108 sq. Petau, 1, 3 et 4. Cf. § 18. Lercher, 2, 64 sq. Diekamp, 1, 149.
THÈSE. Il n’y a qu’un seul Dieu, qu’un seul Être divin.
De foi.
Explication. Bien que notre thèse soit une vérité de raison, la Révélation l’a
enseignée et l’Église l’a définie contre les dualistes, les polythéistes
et les athées (Credo in unum Deum, Symb. Nic., Later. 4,
Vatic. ; Denz., 54, 428, 1782). La notion d’unité pouvant avoir plusieurs
sens, remarquons qu’ici, en Dieu, elle est prise au sens d’unité numérique, d’unité de l’individu
et non de l’espèce (unité spécifique, par ex. de l’humanité) et de nouveau non
pas au sens positif (unus, unitas
affirmativa), mais au sens négatif, exclusif,
au sens d’unicité (unicus, unitas negativa, exclusiva, singularitas). Il faut remarquer
en outre que cette unité elle‑même est une unité parfaite, qu’elle est en dehors de tout nombre (numero non
capitur). L’unité mathématique de nombre demande par sa
notion même une pluralité, en tant que
relation avec d’autres grandeurs semblables. Or, Dieu est tellement un Être un
et unique en lui‑même qu’il n’est pas concevable dans la pluralité.
Philosophiquement on distingue une unité qui résulte de la catégorie de quantité,
l’unité mathématique, et l’unité qui est essentiellement différente de celle‑ci, l’unité transcendentale qui est une propriété de l’être. L« unum transcendentale » se définit : « Etre indivisé en lui‑même et séparé de tout autre être ». Cette unité transcendantale de l’être s’applique à Dieu
au sens éminent, unique et exclusif, si bien que l’on ne peut songer à une
mixtion ou unification panthéiste. S. Thomas appelle Dieu « maxime unus » parce qu’il est
« maxime ens et maxime indivisum ». Il est donc tellement un qu’il
n’est pas concevable dans la pluralité ; son unité est une nécessité
métaphysique.
Preuve. Le monothéisme, d’abord
pratique et plus tard également théorique, est la caractéristique de l’Ancien
Testament, par opposition au polythéisme païen. Il apparaît dès le début avec
clarté et précision, si bien qu’il est à peine nécessaire de donner des
témoignages détaillés. Les prétentions de l’histoire des religions, tirées des
théories darwinistes de l’évolution, sont arbitraires. Ni par la Bible ni par
les inscriptions cunéiformes, on ne peut démontrer qu’Israël s’est élevé
successivement de l’animisme au totémisme, puis au fétichisme, au culte des
ancêtres, au polythéisme et enfin au monothéisme.
Au commencement apparaît le seul Dieu‑Créateur. C’est le Dieu des Patriarches
et plus tard le Dieu d’alliance d’Israël : « Écoute, Israël, le
Seigneur notre Dieu est seul le Seigneur » (Deut., 6, 4).
« Reconnaissez maintenant que je suis l’unique et qu’il n’y a pas d’autre
Dieu en dehors de moi » (Deut., 32, 39). « En dehors de moi, il n’y a
pas de Dieu » (Is., 54, 6). Ce qui est vrai, c’est qu’Israël a progressé
et connu de mieux en mieux l’unique et vrai Dieu dans son essence et ses
attributs, ce progrès s’est accompli surtout par la prédication des Prophètes.
Jésus a répété solennellement cette affirmation fondamentale :
« Écoute, Israël, le Seigneur ton Dieu est seul Dieu » (Marc, 12,
29). Pour lui, la « vie éternelle », c’est « qu’ils te
connaissent toi, le seul et vrai Dieu » (Jean, 17, 3). Étant donnée
l’intelligence lente de ses auditeurs, ainsi que la difficulté de la chose, la
Trinité devait d’abord rester à l’arrière‑plan, derrière le monothéisme. S. Paul, malgré sa doctrine de la divinité du Fils et du Saint‑Esprit, affirme avec des expressions énergiques le dogme fondamental de
l’unité de Dieu. Les dieux païens n’existent pas : « Une idole n’est
rien dans le monde et il n’y a de Dieu que le seul » (1 Cor., 8, 4) et
celui‑ci est la cause du commencement, du milieu et
de la fin de l’évolution du monde. S. Jean, de son côté, affirme l’unité de
l’essence divine en nommant le Logos, Dieu. Dans ses écrits, il dit soixante‑quatre fois « le Dieu » (ὁ θεός) et l’article défini désigne le « seul » Dieu connu.
Les Pères. Ils donnent déjà leur avis dans la question de la possibilité de
connaître Dieu naturellement. On a signalé à cet endroit leurs arguments
principaux en faveur de l’existence de Dieu et d’un seul Dieu. Cela ressort pour eux de l’unité de l’ordre du monde
(les apologistes), ainsi que de la notion de Dieu en tant qu’il est l’Être le
plus élevé (Tertullien) (Cf. p. 102 sq.).
La raison. Elle juge avec les Pères et la Scolastique que l’unité de Dieu
résulte a posteriori de l’unité de
l’ordre du monde. Si l’on ne veut pas reconnaître cette conclusion comme
probante et admettre que la possibilité de plusieurs mondes serait conciliable
avec l’unité de Dieu, il reste toujours la preuve irréfutable tirée de l’idée
de Dieu cause première qui, en tant que cause première, renferme nécessairement
en lui toutes les perfections ; et celle tirée de l’attribut de simplicité
absolue de l’Être divin, lequel ne peut exister qu’une fois. En effet, s’il y
avait plusieurs dieux, ils seraient ou bien d’une perfection semblable ou bien
d’une perfection différente. S’ils étaient d’une perfection égale, il y aurait
plusieurs Êtres infinis, ce qui est une contradiction dans les termes. S’ils
étaient d’une perfection différente, il manquerait à une essence ce par quoi
elle se distingue de l’autre, elle ne serait donc pas en possession de la
perfection complète qui convient nécessairement à la cause première. Au reste,
la simplicité divine ne souffre pas que l’Être divin puisse être partagé comme
son infinité s’oppose à la multiplication. L’essence divine est absolument
incommunicable. Aussi toute raison saine devrait reconnaître avec Tertullien : Il n’y a qu’un Dieu ou
bien il n’y en a pas (Deus, si non unus est, non est) (Ad. Marc, 1, 3 ;
cf. S. th., 1, 11, 4).
Le dualisme (platonisme, parsisme, gnosticisme, manichéisme) et le polythéisme de l’antiquité sont réfutés
par ce que nous venons de dire. Platon conçoit Dieu comme l’architecte du monde
auquel s’oppose la matière existant de toute éternité et qui est le principe du
mal (Cf. traité de la Création).
Un besoin extrême et déraisonnable d’unité se manifeste dans le monisme, d’après lequel tout ce qui est,
est déclaré essentiellement un. Critique :
1° Il s’oppose à la conscience personnelle et en général à
l’individualité ; 2° Il supprime la loi de causalité, en faisant sortir,
d’une manière purement mécanique et spontanée,
le parfait, l’organisation, la vie, la raison, de ce qui est imparfait,
inorganique, sans vie, sans raison ; 3° Il ne peut pas plus expliquer
d’une manière satisfaisante l’ordre physique
du monde (lois, finalité) que l’ordre moral
(conscience, sentiment du devoir, bien et mal, liberté).
Le dualisme chrétien ne doit pas être confondu avec le dualisme
hérétique. 1° L’Église enseigne que tout procède d’un seul principe (Later. 4,
unum universorum principium), mais que le monde existant est essentiellement distinct de Dieu (Vatic., re et
essentia a mundo distinctus). C’est le dualisme métaphysique de Dieu et du monde ; 2° L’Église enseigne que
l’homme est composé d’un corps et d’une âme, mais elle n’établit pas entre eux,
comme Platon, une violente opposition ; avec Aristote, au contraire, elle
considère l’âme comme la forme d’être du corps ou bien encore comme son
principe de vie, si bien que tous les deux constituent une entité (humanitas)
(Concile de Vienne). C’est le dualisme psychologique ;
3° L’Église enseigne une différence essentielle entre le bien et le mal, mais
elle ne les ramène pas à deux principes différents ; au contraire, elle
considère le mal comme une privation du bien et l’attribue à la chute libre de
la créature. C’est le dualisme moral
de forme mitigée opposé à la forme extrême du manichéisme et du gnosticisme.
Conclusion pratique. De la foi à l’unité de Dieu résultait, dans l’Ancien Testament, le
commandement : « Tu n’auras pas de dieu étranger à côté de moi ». Nous méprisons aujourd’hui l’antique
polythéisme et nous le considérons comme entièrement vaincu. Mais il faut
distinguer : le polythéisme ne constitue plus de danger pour nous,
cependant, alors que l’idolâtrie grossière est aujourd’hui hors d’usage, il y a
encore des « idoles subsidiaires » qui n’en ont que plus d’influence.
Le Sauveur nous parle de deux maîtres que certains essaient de servir en même
temps. S. Paul parle de ceux dont le « dieu est le ventre » (Phil., 3,
19 ; Rom., 16, 18) et il appelle l’avarice « une idolâtrie »
(Col., 3, 5). Pour l’orgueilleux, son propre moi est une idole à laquelle il
offre des sacrifices. Nous le voyons, l’idolâtrie grossière a disparu, mais
l’idolâtrie délicate, pire, parce qu’elle est incorrigible, est restée. Il y a
toujours eu, mais rarement autant qu’aujourd’hui, des gens qui sacrifient à la
richesse, à la volupté, à l’honneur du monde, sans même essayer de servir deux
maîtres, parce qu’ils n’en connaissent qu’un.
A consulter : S. Thomas, S. th., 1, 3 ; C. Gent.,
1, 265. Paquet, 1, 33 sq. Petau, 2, 1. Thomassin, De Deo Deique proprietatibus, 4, 1‑2. Minges, 1. 65 sq.
THÈSE. L Être de Dieu est absolument simple. De foi.
Explication. Cet attribut divin a été à plusieurs reprises défini par
l’Église : Latran 4 : « Dieu est… une seule essence, une
substance et une nature très simple »
(Denz., 428) ‑ Vatic., S. 3, c. 1 : « une substance spirituelle unique, absolument simple » (Denz., 1782).
Par là, toute composition est niée en
Dieu. Or, on distingue une double
composition : la composition physique et la composition métaphysique. La
composition physique se trouve dans
les choses dans lesquelles diverses parties physiques forment par leur réunion
une unité. Ex. : les choses (matière et forme), l’homme (corps et âme),
l’organisme (avec ses différents membres), la substance (comme sujet
d’accidents réellement différents, absolus, comme la quantité et la qualité).
Les adversaires de cette simplicité physique sont tous ceux qui, comme
toujours, se représentent Dieu en composition avec un corps ou bien avec le
monde matériel, comme les anthropomorphistes
de l’âge patristique et les panthéistes.
Le 4ème Concile de Latran avait en vue, dans sa définition, le
panthéisme d’Amalric de Bena ; le Concile du Vatican, le panthéisme
moderne.
La composition métaphysique se trouve dans toutes les
unités d ’essences créées. Même là où l’on ne peut trouver de composition
physique, on distingue cependant logiquement des parties métaphysiques ou des
éléments d’être, comme l’essence et l’existence, la puissance et l’acte, etc.
Le dogme nie même cette composition métaphysique en Dieu, car la forme tranchante
de l’expression « absolument simple » (simplex omnino) exclut aussi cette composition.
L’adversaire de cette simplicité est Gilbert de la Porrée que nous avons déjà cité. Sa doctrine fut
condamnée par Eugène III, dans la
profession de foi du Synode de Reims : « Nous croyons et nous
confessons que la nature simple de Dieu est Dieu et que, d’après la conception
catholique, on ne peut pas nier que la divinité est Dieu et que Dieu est la
divinité » (Denz., 389). La divinité n’est donc pas la forme supérieure par laquelle Dieu est.
Preuve. Personne n’aura l’idée d’aller chercher une preuve formelle de la
simplicité absolue de Dieu dans l’Écriture. L’Écriture n’a pas coutume de juger
l’Être divin d’après les catégories des philosophes.
Au contraire, le point de vue
inférieur de l’Ancien Testament et le besoin de comprendre Dieu d’une manière
entièrement personnelle et concrète, expliquent qu’on ait parlé de lui au début
d’une façon humaine et imagée. On lui
attribue toutes les parties de l’homme extérieur et intérieur et on ne craint
même pas de lui imputer tous les anthropopathismes. Mais c’est là un expédient
linguistique qui n’a rien de philosophique. L’Ancien Testament manque justement
de la notion de la pure spiritualité.
Il cherche cependant, à sa manière, surtout dans le prophétisme, à exprimer
objectivement la simplicité de Dieu. Dieu est élevé au‑dessus de la matière, puisqu’il l’a créée et ordonnée en cosmos. Il donne aux créatures la vie et la nourriture, mais il est
lui‑même celui qui est toujours vivant, dont l’être et la vie ne
dépendent d’aucune matière. Il est Jahvé, celui qui est toujours. En lui est le
souffle de vie, la « Ruach » pour chaque créature. Toutes les créatures
et particulièrement l’homme sont par rapport à Dieu « chair », une
nature palpable et visible, mais Dieu n’est pas
« chair », il est aussi complètement invisible, bien qu’il remplisse le ciel et la terre. Il faut, par
suite, qu’il soit honoré sans images.
Ainsi Israël cherche à suppléer au défaut de notions philosophiques et
théologiques de la simplicité de Dieu, par des considérations pratiques et
religieuses.
Jésus conserve cette façon de parler religieuse et anthropopathique.
Lui aussi parle de Dieu d’une manière concrète. Par la « notion de
Père », il semble même humaniser Dieu ; mais en lui attribuant en
même temps un état et une demeure célestes, transcendants, il l’élève de
nouveau au‑dessus de tout ce qui est matériel. Dans l’évangile de S. Jean, il explique
formellement la spiritualité de Dieu : « Dieu est esprit » (Jean, 4,
24). Au reste, dans cet évangile, il parle de Dieu d’une manière presque
métaphysique. Ainsi, quand il lui attribue la vitalité pure (Jean, 5, 26) et
l’activité permanente (Jean, 5, 17). Tout ceci fait déjà songer à
l’« actus purus » des scolastiques.
Les Pères. Ils défendent d’abord la simplicité physique de Dieu contre la doctrine gnostique de l’émanation. S. Irénée répond à ces hérétiques que ce
serait humaniser Dieu que de faire sortir de lui des êtres indépendants, des
séries d’Éons. Dieu, dit‑il, est « simple et sans composition » (A. h., 2, 13, 3). Origène, en s’appuyant sur des motifs
philosophiques, en arrive à définir Dieu comme une nature
intellectuelle sans aucune composition (De princ., 1, 1, 6 ; « intellectualis natura simplex »).
La raison. Quand Gilbert de la Porrée eut été écrasé par S. Bernard, la
Scolastique consacra à l’approfondissement spéculatif de la doctrine de Dieu,
le meilleur de ses ressources. S. Thomas
apporte dans sa Somme philosophique
une longue série d’arguments pour démontrer cet attribut. On peut tous les
ramener à un point central : Dieu est l’Être pur (actus purus) ; il
n’y a en lui que de l’activité, aucune potentialité. Or la composition suppose
la potentialité, la possibilité de devenir, l’aptitude au perfectionnement.
C’est pourquoi Dieu est absolument simple et ne peut être uni ni avec un corps
individuel, ni avec l’ensemble des choses, ni subir dans son Être purement
spirituel une composition métaphysique. La composition métaphysique elle‑même a une cause, or la cause
première ne peut avoir aucune espèce de cause. De même Dieu n’a pu produire de
lui‑même une distinction d’être, en lui, comme le veut le panthéisme, car ces êtres supprimeraient son être nécessaire et détruiraient l’attribut de la perfection
infinie : « Si donc Dieu était composé, il requerrait un agent de
composition : il ne pourrait l’être à lui‑même, car rien n’est sa propre cause, puisque rien ne peut être antérieur à soi‑même. Par ailleurs l’agent de composition est cause
efficiente du composé. Dieu aurait donc une cause efficiente. Ainsi il ne
serait pas la cause première » (C.
Gent., 1, 18). De même l’infinité s’oppose à la composition ; car avec des
parties finies on ne fait pas une somme infinie, et une composition de
plusieurs parties infinies est un non‑sens. De ce qui vient d’être dit, il résulte que la simplicité ne doit pas être conçue comme la simple négation de la composition, mais
comme une perfection absolument positive de pureté, de subtilité, de spiritualité et de force, qui exclut
complètement une composition résultant de la matérialité et de la potentialité,
de la déficience et de la limitation. S.
Anselme : « Tout ce qui est simple, par sa simplicité, est
supérieur à ce qui est composé » (De incarn., 6 ; cf. Aug., De Quant. Animæ, 55).
Si l’on objecte que l’unité et la
simplicité introduisent dans l’Être divin une solitude et un vide intolérables,
que l’on songe que l’unité reçoit son complément par la Trinité et que la
simplicité n’est pas un vide et une pauvreté, mais renferme une plénitude
infinie d’être et de perfection.
Corollaires. Si Dieu est l’Être absolument simple, il en résulte une série de
corollaires qui ont à peine besoin d’une démonstration spéciale (S. Thom., C.
Gent., 1, 20‑26).
1. Il n’y a en Dieu aucune
composition métaphysique de matière
et de forme ; car la matière est
l’indéterminé, le potentiel ; la forme est le déterminant, le réel. Dans
l’Être pur, il n’y a aucune espèce de potentialité. Si l’on veut appliquer le
terme « forme » à Dieu, on le nomme la forme pure, absolue. A proprement parler, il faut dire que l’Être
de Dieu est au‑dessus de toutes les catégories et ne peut être déterminé d’une manière précise par aucune d’entre elles. Par conséquent, Dieu n’est pas un être corporel ; il n’est ni une matière, ni un composé
de matière et d’esprit. Par suite, il est impossible que le monde soit l’aspect
extérieur de l’Être divin. Dieu est
esprit, pur esprit. Il est immatériel et, ni dans son Être ni dans son
action, il ne dépend de la matière. ‑ Dieu est pur esprit sans aucune
composition ; l’esprit créé est
tout au moins métaphysiquement
composé : essence et existence, nature et personne, substance et accident.
S. Bonaventure, entre autres, va même jusqu’à penser à une « composition
de matière et de forme » chez l’ange (Cf. § 69).
2. Dieu n’est pas composé de substance et d’accidents. L’accident détermine et perfectionne la substance ;
celle‑ci est, par rapport à chaque accident, en puissance.
Comment l’Être de Dieu pourrait‑il recevoir de tels accident ? Du dehors, l’Absolu ne peut
pas recevoir d’accroissement ; du dedans, l’Être absolument simple ne peut
pas produire en soi des accidents. C’est pourquoi S. Augustin dit : « Dieu est
ce qu’il a » (Civ., 11, 10).
3. Dieu n’est pas composé d’essence et d’existence (essentia et existentia). D’où l’essence de la cause
première pourrait‑elle recevoir son existence, si
elle ne la possède pas en vertu de sa propre
perfection ? Elle ne peut pas se la donner à elle‑même comme sa propre cause (causa
sui), pas plus qu’elle ne peut la recevoir de l’extérieur : il faut donc
que l’essence et l’existence soient objectivement identiques. Seuls les êtres
contingents portent en eux une potentialité de réalisation, mais non l’Être
absolu.
4. En Dieu il n’y a pas de
composition de faculté et d’activité (facultas et actus). L’acte s’ajouterait
comme un état accidentel à la faculté ; il y aurait en Dieu une allée et
venue d’états d’activité. Cela ferait disparaître l’« actus purus »
ainsi que l’immutabilité. Par suite, la composition d’activité et d’activité (actus et actus) est impossible. Dieu
accomplit tout dans un acte absolument indivisible, tant son activité immanente
que son activité extérieure. Si incompréhensible
que cela nous paraisse, c’est cependant une déduction nécessaire de la raison.
La théologie protestante moderne, idéaliste et panthéisante, est absolument
dénuée de philosophie quand elle rejette cette conséquence et, croyant dépasser
la Scolastique, attribue immédiatement à Dieu les événements de l’histoire du
monde et de l’œuvre rédemptrice comme la succession et la somme de son
activité.
5. En Dieu il n’y a pas de
composition de nature et de subsistance ou de personnalité (natura et hypostasis). Ce sujet a déjà été touché à
propos de l’erreur de Gilbert de la Porrée. Que la personne et la nature soient
réellement distinctes dans les êtres contingents, cela résulte du dogme
christologique de l’union hypostatique et sera examiné plus tard, dans la
christologie. Par contre, une telle séparation est impossible en Dieu ;
entre la divinité et Dieu, il y a identité complète.
6. Enfin il n’y a pas en Dieu de
composition de genre et de différence spécifique (genus et
differentia). En effet le genre et l’espèce se comporteraient comme la
puissance et l’acte, car le genre est précisé, déterminé et complété par les
caractéristiques de l’espèce. Il n’y a donc pas non plus, en stricte logique,
de définition proprement dite de Dieu, car la définition se fait par le genre
prochain et la différence spécifique. « Or Dieu n’est contenu, dit S. Thomas, dans aucun genre à
l’intérieur de l’être » (Deus non est in genere) (S. th., 1, 3, 5).
Objection. Si Dieu est absolument simple, on ne peut non plus faire en lui
aucune distinction virtuelle comme on
l’a fait plus haut. Il faut répondre qu’en faisant ces distinctions on n’admet
pas que l’essence et les perfections et les perfections entre elles, se
comportent comme des parties par rapport à des parties qui se complètent
mutuellement, comme des notions incomplètes, imparfaites. Au contraire, on a
remarqué expressément que ces distinctions sont accomplies d’abord par notre pensée, mais qu’à chaque notion
distincte correspond chez Dieu tout l’Être parfait.
Conséquence. Si Dieu est une substance spirituelle absolument simple, il est
également évident qu’il est absolument invisible,
qu’il ne peut être ni vu par l’œil
corporel, ni entendu par l’oreille
humaine, ni perçu par aucun sens que
ce soit. Pour notre connaissance spirituelle mêlée de sensation, il demeure
l’« Invisible », celui qui habite une « lumière
inaccessible » (1 Tim., 1, 17 ; 6, 16). Quand l’Écriture raconte que
des hommes « ont vu » Dieu ou bien « entendu ses paroles »,
on ne peut l’entendre que dans le sens d’une manifestation faite aux hommes,
par Dieu, de sa présence, au moyen de
symboles et de vision et non dans le sens d’une perception proprement dite.
C’est ainsi que pensent aussi les Pères (Aug., Civ., 22, 29 ; Ép. 92, 147,
148). « L’invisible ne peut être vu ici‑bas par les hommes qu’au moyen de signes
sensibles » (Pesch).
C’est de cette façon qu’il faut
expliquer les théophanies de l’Ancien
Testament où l’on nous raconte des « fonctions corporelles » de Dieu,
comme marcher, parler, manger, voir, entendre, etc. Ce ne sont pas des
manifestations vitales de la substance divine, mais des effets produits par Dieu dans les créatures. « Et s’il a voulu
se montrer quelquefois aux yeux corporels de ses saints, ce n’est point dans sa nature même, c’est dans une forme visible,
sensible, qui peut réellement tomber sous nos sens. Tantôt c’est une voix qui
retentit aux oreilles, c’est tantôt le feu qui brille aux regards, c’est
quelquefois un ange qui se révèle
sous quelque visible apparence et qui fait le personnage de Dieu même »
(Aug., Serm. 6, 1). S. Thomas dit
même au sujet des esprits angéliques : « Les anges ne parlent pas par les corps qu’ils
prennent, ils forment seulement dans l’air des sons semblables à la voix
humaine et produisent ainsi quelque chose d’analogue à la parole... L’action de
manger ne convient pas, à proprement
parler, aux anges. Car cette action suppose que l’on prend des aliments pour
être convertis ensuite dans la substance
de celui qui les mange » (S. th., 1, 51, 3 ; cf. S Augustin, Civ., 16, 29). On peut appliquer cela à Dieu. Il en résulte en outre que dans
les apparitions de Dieu et des anges, la conviction de la réalité de ces
apparitions est produite, en dernière
analyse et principalement, par la lumière intérieure de la foi et non par
le caractère corporel ou la perception sensible de l’être qui apparaît.
Conclusion pratique. « Dieu est esprit et ceux qui l’adorent doivent l’adorer en esprit et en
vérité » (Jean, 4, 24). Cela nous semble difficile à nous qui sommes
attachés au sensible. S. Augustin
nous indique comment nous pouvons, malgré nos liens avec la matière, trouver le
chemin qui nous conduit au Dieu‑Esprit. A la question de l’incroyant : « Où est ton Dieu ? » il répond : Le païen me montre son idole ou le soleil ; je pourrais également lui montrer mon Dieu,
mais il n’a pas d’yeux pour voir. Je suis
capable de voir la Création, mais non le Créateur. J’admire la Création, mais
ma soif n’est pas étanchée, elle n’en devient que plus ardente. Je me détourne
de la Création extérieure et je reviens vers moi ; je scrute mon propre
être et je trouve que mon âme dépasse mon corps. Elle est spirituelle, mais non
pas comme Dieu, car elle est changeante. C’est pourquoi mon âme s’élève au‑dessus d’elle‑même et arrive ainsi, à la lumière de la raison et de la foi,
jusqu’au tabernacle de Dieu. Là elle
entend les harmonies des êtres célestes et s’enivre de leur douceur et de leur
béatitude. Mais c’est une fête à laquelle elle n’assiste pas comme un être
céleste, mais encore comme un être terrestre : dans les larmes et les tentations. Ce fut en une heure de recueillement et de méditation
sur les profondeurs de l’autre monde qu’elle trouva Dieu. Mais elle est
affligée et triste, parce qu’elle ne trouve Dieu que « en passant et
seulement comme l’éclair » et pas encore dans une possession complète, éternelle
(Enarr. in Ps. 41, 10).
A consulter : S. Thomas, S. th., 1, 9. Petau, 3, 1‑6. Lessius, De perf.
Div., 3, 1‑4. Janssens,
De Deo uno, 1, 399 sq. Billuart,
Disp. 3. De San, 163 sq. Kleutgen, De Deo, 190 sq.
THÈSE. Dieu est absolument immuable dans son Être comme dans son
action. De foi.
Explication. La doctrine de l’Église appelle Dieu
« immuable » : elle dit qu’il est une « substance
spirituelle immuable » ; Later. 4 : « Nous croyons
fermement et confessons avec simplicité qu’il y a un seul et unique vrai Dieu,
éternel et immense, tout‑puissant, immuable » (Denz., 428) ; Vatic. (Denz., 1782). Dans les
êtres créés, le changement est substantiel
ou accidentel. Ou bien il se forme
une nouvelle substance par la perte de la forme précédente et la réception
d’une nouvelle, ou bien la substance reçoit de nouveaux accidents. On ne doit
attribuer à Dieu ni un changement substantiel ni un changement accidentel. Il
ne passe ni d’un état de l’être à un autre état, ni d’une activité à une autre,
pas même d’une résolution à une autre. Il n’y a en Dieu qu’une permanence
éternelle dans l’Être et l’activité, une identité éternelle de l’intention et de l’action. Cette vérité est déjà contenue objectivement dans la
simplicité de Dieu ; elle mérite cependant, en raison de son importance
dogmatique et des difficultés qu’on élève contre elle, d’être traitée à part.
Les adversaires de l’immutabilité divine sont tous ceux qui contestent aussi la
simplicité divine, avant tout les panthéistes et les monistes, mais aussi
beaucoup de théologiens protestants orthodoxes, ainsi que les sociniens par
rapport à l’action et à la science de Dieu.
Preuve. Dans l’Ancien Testament, l’immutabilité divine apparaît d’abord
sous l’aspect d’une personnalité toujours égale à soi‑même, qui demeure inébranlable dans ses desseins et
ses sentiments bienveillants pour son peuple, qui garde une fidélité inaltérable, une sainteté et une justice toujours
égales. « Dieu n’est pas un homme pour mentir, un fils de l’homme pour
changer » (Nomb., 23, 19). A côté de cette affirmation de l’immutabilité
des sentiments, on trouve aussi des
allusions à l’immutabilité de l’Être et des expressions qui la supposent. C’est
le cas, sans aucun doute, dans la comparaison entre Dieu et les créatures
particulières changeantes, ainsi qu’entre Dieu et la création en général. A cet
égard, l’immutabilité se confond avec l’éternité et l’aséité. Le ciel et la
terre « passeront, mais toi tu demeures et tous vieillissent comme un
vêtement. Et comme un vêtement tu les changes et ils sont changés. Mais toi, tu
es le même et tes années n’ont pas de fin » (Ps. 101, 27‑28 ; cf. Ex., 3, 14).
De ces deux textes, il résulte,
d’une manière irréfutable, que les diverses expressions concernant les changements de sentiments chez Dieu,
doivent s’entendre dans un sens imagé, pratique et religieux et non au sens
propre et rigoureux. Malgré les nombreux textes de ce genre, la vérité que Dieu
se tient au‑dessus de toute mutabilité créée, dans une éternelle égalité, dans un calme et une permanence absolus,
apparaît au premier plan dans l’Ancien Testament et notamment
chez les Prophètes (Mal., 3, 6).
Jésus lui‑même, dans son apparition et son action, est
une confirmation réelle de l’immutabilité des sentiments divins. Il est en effet l’accomplissement d’une promesse
qui fut faite au commencement du monde et répétée pendant tous les siècles
suivants. S. Paul désigne Dieu comme
le « seul immortel » (1 Tim., 6, 16), qui a réalisé ses desseins
formés éternellement, par son Fils sur la terre, malgré tous les obstacles et
les empêchements humains (Eph., 1, 4‑5). Sa prédication est une immense
variation sur ce thème : La volonté de Dieu subsiste
éternellement (Rom., 8, 28 ; 11, 36). Dans l’Épître aux Hébreux, tout le
texte cité plus haut (Ps. 101, 27‑28) est répété (Hébr., 1, 10‑12). Elle attribue aussi à Dieu l’ « immutabilité de ses desseins » par conséquent de ses sentiments (6, 17). S. Jacques nie de Dieu, avec l’accent
des psaumes, toute « vicissitude » et toute « ombre de
changement » (1, 17).
Les Pères. Plus importantes que leurs témoignages positifs, sont chez eux
leurs explications des passages difficiles de l’Ancien Testament, dans lesquels
il est question de « repentir », de « mobilité » et
d’« excitation ». Naturellement ces passages sont expliqués comme des
manières de parler analogiques, comme
des jugements humains, et non comme des états et des mouvements qui affectent
l’Être de Dieu. Ainsi Origène, à
l’encontre des stoïciens qui attribuaient à Dieu toute espèce de changement,
désigne comme « doctrine des Juifs et des chrétiens, l’invariabilité et
l’immutabilité de Dieu » (C. Cels., 1, 21). L’invariabilité de Dieu est le
grand thème de S. Augustin. La divine
vérité lui atteste que « sa substance
ne varie point dans le temps et que sa volonté
n’est point hors de sa substance » que Dieu ne veut pas tantôt ceci tantôt
cela, « car le caprice, c’est le changement, et ce qui change n’est pas
éternel. Or, notre Dieu est l’éternité même » (Conf., 12, 15).
S. Thomas se réfère de nouveau à l’« actus purus », qui ne peut
pas être dans l’état de potentialité ; à la simplicité, qui ne peut
recevoir un nouveau devenir par la composition ; à la perfection, qui ne
peut plus rien désirer et obtenir. Tout changement en Dieu ne pourrait être
qu’une diminution, une perte, une déficience, un glissement
vers un degré inférieur d’être. Ce serait une disparition de Dieu, car alors
l’Être absolu cesserait. Il faut donc que Dieu soit immobile. A la vérité cela
ne doit pas être entendu comme un état de rigidité de l’être, comme un manque
de vie et une paresse, mais au contraire comme une activité et une vitalité
infinies. Dans ce sens Dieu peut être dit dans l’Écriture « plus mobile
que toutes les choses mobiles » (Sag., 7, 24). Il est de même plus vivant
que toute vie créée, plus actif que toute activité.
L’immutabilité de Dieu et son action temporelle
Cette proposition, si nécessaire
et vraie qu’elle soit en elle‑même, contient pour nous un mystère impénétrable. Hurter l’appelle une « difficultas admodum gravis, si vis, indissolubilis » (2, 46). La
liberté nous semble nécessairement liée au changement dans les sentiments et
l’activité. Nous ne pouvons pas nous rendre compte comment l’action libre de
Dieu se concilie avec l’Acte éternellement pur (actus purus), pour former une
unité indivise et indivisible ; nous voyons cependant qu’il en est ainsi
et qu’il ne peut pas en être autrement. De même il est évident et d’une
nécessité logique que l’essence parfaite de Dieu se tienne complètement à
l’écart du flux des choses du monde qui naissent et disparaissent, et pourtant
ces choses dans leur origine et leur subsistance sont l’œuvre de Dieu. La cause libre divine est éternelle et
immuable, l’effet est temporel et changeant. Il faut aussi expliquer de
même l’Incarnation : le
changement réside uniquement dans la nature humaine de Jésus et non dans le
Logos immuable (Nicæn ; Denz., 54). « Il est évident qu’il y a ici
(dans l’Incarnation) un changement qui non seulement part de Dieu, mais d’une
certaine manière se termine en Dieu (in ipso terminatur) ou a rapport à Lui. Intérieurement le changement ne se
fait que dans la créature » écrit Scheeben
(1, 541) et il cite S. Augustin : « le Verbe n’a subi aucun
changement en revêtant la nature humaine » (Lib. 83, Quæst., q. 73). Il
faut en dire autant naturellement aussi de la Rédemption. Quand le rationalisme reproche à la doctrine catholique
de la satisfaction le grossier théopathisme de la réconciliation de Dieu, par
conséquent de son changement de
sentiments, cette objection n’atteint pas le dogme de Dieu. Sans doute, il
est vrai que « Dieu dans son action et dans sa volonté même tient compte
des changements survenus dans la créature par son propre fait » continue Scheeben (1, 541) et dirige d’après cela
son attitude et ses sentiments, et il
nous semble, par suite, que de tels changements, dans la créature, passent
en Dieu et même dans sa vie intérieure qu’ils affectent et modifient. Or le
compte que tient Dieu de ces changements, dans sa volonté et son action, ne
constitue jamais le motif dernier et proprement dit, lequel se trouve toujours
en Dieu lui‑même. S. Augustin écrit : « Incompréhensible est dès lors
(Rom., 5, 8 sq.) l’amour dont Dieu nous aime et il n’est pas changeant. Car ce
n’est pas seulement au moment où nous avons été réconciliés avec lui par le
sang de son Fils qu’il a commencé à nous aimer, mais c’est avant la
constitution du monde qu’il nous a aimés » (In Joa., tr. 110, 6 ; cf.
De Trin., 13, 11, 15 ; 5, 16, 17, etc.). Ainsi le même soleil amollit la
cire et durcit la glaise, réjouit l’œil sain et fait souffrir l’œil malade. La
variété, le changement se trouve du côté des créatures et non en Dieu. Toute
l’action rédemptrice part de Dieu et est dérivée vers nous par le Christ :
« La mort de Jésus‑Christ nous a été profitable non seulement comme cause méritoire, mais comme cause efficiente ; car, l’humanité
du Christ étant en quelque sorte l’instrument
de sa divinité, comme l’a dit saint Jean Damascène, toutes les souffrances
et toutes les actions de cette humanité en Jésus‑Christ ont été pour nous une cause de salut, en tant qu’elles procédaient de la vertu de la divinité (S. Thom., in Rom., 4, 25). « Si
mutaris mutatur » [si tu changes, il change (la sentence)] dit S. Augustin, en une formule aussi brève
que pertinente (Serm. 22, 6) (Cf. § 102).
Conclusion pratique. « Ils ont changé la majesté du Dieu incorruptible pour l’image de l’homme
corruptible », voilà ce que S. Paul reproche aux païens (Rom.,1, 23). Dans
l’image de Dieu de S. Augustin aucun trait ne revient plus souvent que celui‑ci : Dieu est immuable, impérissable ; la Création, par contre, est
changeante et périssable : Tout s’écoule, change, fuit, s’échappe ;
Dieu seul est et reste le même. Ne t’attache pas, nous avertit‑il, à ce qui passe, puisque tu peux avoir et posséder celui qui ne passe pas. N’aime pas la créature instable, mais élève‑toi jusqu’au Créateur lui‑même. Admire la créature, mais plus encore celui qui
l’a faite. ‑ Rien n’est plus consolant pour nous que le fait que Dieu est immuable.
Nous sommes du moins certains qu’il reste tel qu’il s’est
révélé à nous au commencement. Nous
savons maintenant ce qu’il est pour nous dans les bons et les mauvais jours. Il
y a toujours eu des gens croyant en Dieu qui ont essayé de le remodeler d’après
leur état moral actuel, de le rabaisser vers eux. En vain. Dieu reste ce qu’il
est, sans se changer lui‑même et sans se laisser changer par les hommes.
Laissons‑lui sa transcendance et transformons‑nous à son image, au lieu de le transformer à la nôtre.
A consulter : S. Thomas, S. th., 1, 10. Paquet, 1, 98 sq. Franzelin, thes. 31 sq. Lessius,
De perf. div., 4. Thomassin, De Deo,
5, 11‑15. Petau,
De Deo, 3, 3‑6. Diekamp,
1, 146. Minges, 1, 57. Gillius, 5, 1‑18. Tepe, Inst. theol.,
2, 90 sq.
THÈSE. Dieu est éternel. De foi.
Explication. L’éternité est affirmée par le 4ème Concile de Latran,
le Concile du Vatican et le symbole de S. Athanase (Denz., 39). Si
l’immutabilité est la négation, en Dieu, de tout changement substantiel et
accidentel, et si le temps, le contraire de l’éternité, est justement ce
changement même, on comprend comment ces deux attributs se confondent
objectivement. La doctrine de l’immutabilité envisage plutôt l’état de l’essence divine ; celle de
l’éternité étend sa considération au commencement
et à la fin de cette essence, et nie l’un et l’autre. Mais cette négation des
limites ne donne pas encore la notion complète l’éternité. Il faut introduire
un élément positif dans
l’explication, la vie aséitaire complète. Dieu
possède son Être vivant, entier, infini, parfait, dans sa grandeur et son
intensité immuable, de lui‑même et par lui‑même, à tout moment concevable de son existence éternelle. L’éternité est objectivement
identique à l’immutabilité et à l’aséité.
La célèbre définition de Boëce dit que « l’éternité est la
possession toujours complète et parfaite d’une vie en soi illimitée » (De
cons. phil., 5, 6). L’essentiel de l’éternité est pour lui dans le « nunc
stans » [demeurant maintenant]. Nous ne devons pas concevoir ceci comme un
présent créé, mais précisément comme la durée incréée de Dieu. Plotin :
L’éternité est la « vie qui demeure identique, qui a toujours présent
l’ensemble » (Enn., 2, 7, 3). « Le temps est changement, dit S.
Augustin, et l’éternité est sans changement » (Cf. Civ., 11, 4, 6 ;
Conf., 11, 11). Par là on distingue le mieux l’éternité, du temps, et Dieu, de
ce qui est temporel. Alors même que le temps serait conçu comme prolongé
infiniment vers le commencement et la fin, il serait cependant essentiellement distinct de l’éternité.
Le temps est par définition le changement ; l’éternité est le contraire.
Toute vie créée est non seulement une lutte continuelle pour son maintien, mais
encore elle est intérieurement et nécessairement si faible qu’elle ne peut pas,
alors même que son cours ne rencontrerait aucun obstacle, épuiser, à quelque
moment que ce soit, tout son contenu emprunté. Elle s’écoule nécessairement
d’une manière successive. L’éternité et le temps sont aussi peu comparables que
l’aséité et la contingence. Au reste, le temps lui‑même est mystérieux pour nous : le passé n’est plus, le futur n’est pas
encore et le présent est un point qui
fuit sans cesse. Le temps est un perpétuel devenir ; ce n’est pas un
être durable, c’est un « être qui
s’écoule ». Au sujet de l’éternité, S. Jean dit : « Du
temps, il n’y en aura plus » (Apoc., 10, 6).
En ce qui concerne la terminologie, il n’y a pas d’expression
adéquate pour désigner l’éternité, en tant qu’elle est le résumé d’un être
vivant toujours subsistant et toujours identique à soi‑même. On ne pense guère d’ordinaire qu’à la durée et on l’envisage du point de vue de l’avenir (a parte post). Les
expressions : durée (illimitée), éternité, siècles, ne signifient, en soi, qu’un très long temps et ont, par
conséquent, moins de force que le contexte, dans lequel elles sont appliquées à
Dieu par opposition aux créatures, ou bien à des institutions terrestres, comme
le sacerdoce juif, le temple, qui sont appelés également
« éternels ».
La coutume s’est introduite de
désigner par « éternité », l’éternité au sens strict et d’appliquer
par contre « sempiternel », « durée infinie » à une très
longue durée, par ex. celle des anges et des hommes bienheureux (Cf. p. 149
sq).
Les adversaires de l’éternité de Dieu sont tous les hérétiques nommés
ci‑dessus qui ne veulent pas non plus admettre l’immutabilité, tels que les sociniens, les
arminiens et les panthéistes. De même, quelques théologiens catholiques peu nombreux, comme Auréolus, s’écartaient de la notion d’éternité stricte et attribuaient à
Dieu une éternité successive.
Preuve. L’Écriture attribue à Dieu l’éternité comme durée sans
commencement et sans fin. Tout a eu un commencement ; mais Dieu se tient avant le commencement (Gen., 1, 1).
« Celui qui appelle les générations depuis le commencement, moi, le
Seigneur, je suis le premier et le dernier » (Is., 41, 4). « Le
Seigneur est un Dieu éternel, qui a créé les extrémités de la terre, qui ne se
fatigue ni ne se lasse » (Is., 40, 28). « Avant que naissent les
montagnes, que tu enfantes la terre et le monde, de toujours à toujours, toi,
tu es Dieu » (Ps. 89, 2 ; cf. 101, 26‑28). L’éternité de Dieu est si sûre qu’il jure par elle : « Je dis aussi vrai que je vis éternellement » (Deut., 32, 40). Dieu est le « Roi de l’éternité », le
« Seigneur de l’éternité » (Tob., 13, 6, 12).
Éternelle est la vie que Jésus promet à ses fidèles au nom de son
Père. Mais cette vie n’est éternelle que parce que le Père l’a d’abord
« en lui‑même » (Jean, 5, 26) d’une manière suréminente. S. Paul reprend le mot de l’Ancien Testament sur le « Roi de
l’éternité » (1 Tim., 1, 17) et appelle le Seigneur « le Dieu
incorruptible » (Rom., 1, 23). S.
Pierre caractérise d’une manière plus précise la vie de Dieu comme une vie
au‑dessus du temps, en disant : « Qu
’un jour pour le Seigneur est comme mille ans et mille ans comme un jour »
(2 Pier., 3, 8 ; cf. Ps. 89, 4).
Les Pères. « Notre Dieu n’a pas son commencement dans le temps, lui
seul est sans origine, mais il est lui‑même le principe de tout... Dieu était (déjà)
au commencement » (Tatien, Adv.
Græc., 4 sq.). « Nous démontrons que l’Être divin n’a pas pris naissance
et est éternel, qu’il n’est saisissable que par l’esprit pensant ; la
matière, par contre, a pris naissance et est périssable » dit Athénagore (Leg. 4). Nous ne sommes pas
des athées, « car celui‑là seul est notre Dieu qui n’a pas eu d’origine et qui est éternel, invisible, immuable,
incompréhensible, insaisissable,
connaissable seulement par l’intelligence et la raison » (Ibid., 10). S. Irénée soutient l’éternité comme vérité de raison à l’encontre
de l’émanation des gnostiques (Ad. h., 2, 34, 2 ; 3, 8, 3) ; de même Tertullien (Adv. Marc, 1, 3, 28). Novatien écrit : « Dieu le
Père est le maître et le créateur de tout ; il n’a aucune origine, est
invisible, immense, immortel, éternel, le seul Dieu ; rien ne peut être
préféré à sa grandeur, à sa majesté, à sa puissance » (De Trin., 31 :
M. 3, 949). Lact., Inst., 2, 8,
8 : M. 6, 297. S. Cyrille de Jér.,
Cat., 4, 4. S. Hilaire, De Trin., 2,
6. S. Grégoire Naz., Orat., 45, 3. S. Fulgence, De fide, 3, 25. S. Augustin : « L’éternité de
Dieu, c’est la substance de Dieu qui n’a rien de changeant ; en lui il n’y
a rien de ce passé qui ne serait déjà plus, ni de cet avenir qui ne serait
point encore, il n’y a en lui rien autre que Il est ; il n’y a ni Il fut, ni Il sera ; car ce qui fut
n’est plus, ce qui sera n’est point encore : mais en Dieu tout est »
(Enarr. in Ps. 101, 2, 10). Comme il n’y a pas de temps, il n’y a pas non plus
d’« alors », de « à cette époque » (Conf., 11, 10,
13 ; De Ver. rel., 99, 97). Cependant, nous transportons analogiquement en Dieu le passé (il
fut), le futur (il sera) et le présent (il est) (In Joan., 99, 5).
La raison. Elle conclut l’éternité de l’aséité ;
car si Dieu est l’Être existant par lui‑même d’une nécessité absolue, il ne peut jamais être conçu comme n’existant pas. De même l’éternité est une autre manière d’exprimer l’immutabilité ; car l’essence du temps est le changement des choses.
L’éternité est donc l’Être divin conçu dans sa durée et dans son immutabilité. ‑ Le temps et l’éternité ne sont apparentés que d’une manière analogue ; ils ne se confondent d’une certaine manière que dans le moment de la durée, mais ils se distinguent
immédiatement comme être absolu et contingent. La perfection de la durée temporelle
se trouve dans la durée éternelle d’une manière infiniment éminente. Le temps
est un effet créé de l’éternel ; il prit son origine, comme le dit S.
Augustin et les théologiens postérieurs, avec la Création. L’action de Dieu
tombe dans le temps ; quant à lui, il est élevé au‑dessus du flux des choses.
Les créatures coexistent‑elles à l’éternité ? Étant donné que l’éternité est
indivisible, on dit que les choses coexistent à l’éternité tout entière, sans
vouloir affirmer qu’elles sont elles‑mêmes éternelles. « Le maintenant de l’éternité est présent inchangé à toutes les parties du temps », dit S. Thomas (In 1 Sent., d. 37, q. 2, a. 1, ad 4). Si donc les choses
existent réellement, elles coexistent à l’éternité tout entière ; car
celle‑ci est indivisible (cœxistunt toti æternitati (indivisibili), sed non totaliter). Il est évident
que les choses, par suite, ne sont pas elles‑mêmes éternelles. Sans doute on peut attribuer aux
choses une existence idéale éternelle
telles qu’elles la possèdent éternellement
dans le plan créateur de Dieu. Mais dans leur être réel elles ne
« coexistent » à l’éternité qu’autant qu’elles « existent »
en fait (actu). Exemple : Parce
que l’âme est coexistante à toutes les parties du corps, il ne s’ensuit pas que
chaque partie du corps soit partout où est l’âme.
La sempiternité (sempiternitas) est le nom de l’éternité par rapport à
la puissance et à la plénitude avec lesquelles elle renferme en elle, comme sa
cause, tout le temps. ‑ « Ævum » (éviternité) est le nom qui désigne la durée spéciale des
créatures qui, par la volonté de Dieu, persistent dans leur être substantiel et
ne changent qu’accidentellement ; par conséquent, l’être des substances
spirituelles. La Scolastique ne s’accorde pas sur la notion de
l’« ævum ». S. Thomas le rapproche de l’éternité, parce qu’il est
tout entier à la fois et sans succession de temps ; il a un commencement
mais pas de fin. Mais Dieu peut l’éterniser « a parte ante », comme
il peut le rendre temporel « a parte post » (S. th., 1, 10, 5 ad 2 et
6 corp.). D’après S. Bonaventure, l’ « ævum » comporte la succession.
S. Albert a les deux opinions. D’après S. Thomas (S. Albert), il n’y a qu’un « ævum » ; d’après S.
Bonaventure, il y a plusieurs « æva ».
Conclusion pratique. « D’éternité
en éternité ». Cette pensée nous donne le vertige. Nous ne pouvons pas
nous la représenter. Méditons‑la tout au moins lentement et
profondément pour nous former quelque
sentiment de sa grandeur. Pour nous qui sommes des êtres temporels et
transitoires, ce qui nous frappe d’abord, c’est l’élément de durée. Nous avons l’ardent désir de nous
assurer à nous mêmes et à nos œuvres, la durée, sans pouvoir y réussir. Nous
nous sommes rendus compte depuis longtemps que, dans l’état qui est le nôtre
ici‑bas, cela est une impossibilité absolue : tout se précipite, sous nos yeux, dans la
mer du passé, dans le néant d’où il était sorti. Il en est de même des hommes qui nous entourent.
Et pourtant rien ne nous répugne davantage, rien ne nous semble plus contre nature que
l’anéantissement de notre être dont nous sommes menacés. Dans cette profonde
misère spirituelle, l’Éternel nous tend la main et nous dit : Prenez cette
main, tenez‑la, je vous soulève au‑dessus de l’abîme où tout s’enfonce et je vous donne
la durée. Je vous communique mon éternité et je vous fais participer à ma vie
impérissable. Et si on ne peut dire de nous : depuis l’éternité, l’on peut dire néanmoins : pendant toute l’éternité. Celui qui ne
saisit pas la main que lui tend l’Éternité aura, il est vrai, une durée
éternelle, mais pas la vie éternelle ; car sa vie sera la mort. ‑ Cette pensée de l’éternité bienheureuse a déterminé les martyrs et les saints à ne voir, dans les plus violentes souffrances
et dans les sacrifices les plus pénibles, que de courtes épreuves (Rom., 8,
18).
A consulter : S. Thomas, S. th., 1, 8 ; C. Gent.,
3, 68. Paquet, 1, 74 sq. Lessius, De perf. div., 2, 1‑4. Gillius, 4, 1‑22. Froget, De
l’habitation du Saint‑Esprit (1901). Franzelin, thes. 33 sq. Petau, 3, 7‑10. Thomassin, 5, 1‑5. Diekamp, 1, 143. Minges, 1, 60.
Thèse. Dieu est immense. De
foi.
Explication. Le 4ème Concile
de Latran enseigne : « Nous croyons fermement et confessons avec
simplicité qu’il y a un seul et unique vrai Dieu, éternel et immense... » (Denz., 428) et le Concile du Vatican répète cette
déclaration (Denz., 1782). De même que l’éternité de Dieu est la négation du
temps, son immensité est la négation de l’espace.
Il nous faut de nouveau, pour donner une explication plus précise, partir des
créatures. Or les créatures peuvent avoir avec l’espace une double relation. Elles sont dans
l’espace ou bien d’une manière circonscriptive
comme les corps, de sorte que chacune de leurs parties remplisse un espace
particulier, ou bien d’une manière définitive,
comme les âmes dans les corps qui sont présentes avec leur essence complète
dans chaque partie du corps comme dans le corps tout entier. Aucune de ces deux
présences ne peut être dite de Dieu, bien que sa relation particulière avec
l’espace puisse, d’une certaine manière, être comparée à la présence des âmes
dans les corps. En effet, comme celles‑ci dans les corps, Dieu est
présent partout dans l’espace, et complètement et avec toute son essence. Mais
l’immensité exclut de lui toute localisation, car il est élevé au‑dessus de tout espace et ne peut être contenu dans aucun espace. Cependant,
comme sa relation avec l’espace n’est pas une relation négative ‑ autrement il ne se trouverait nulle part dans l’espace ‑ mais une relation positive, parce qu’il crée l’espace et le maintient et par conséquent se trouve en lui, on dit qu’il est d’une manière réplétive dans l’espace ; il remplit l’espace, sans que celui‑ci le limite ou exerce sur lui aucune espèce d’action. Dieu n’existe pas plus dans la
juxtaposition de l’espace que dans la succession du temps. De même qu’on ne peut pas considérer l’éternité comme un temps très long, on ne
peut pas non plus considérer l’immensité comme une extension infinie de
l’espace. Dieu n’a, par rapport au temps et à l’espace, qu’une relation de
Créateur et de cause ; il n’est pas mesuré par eux. Mais, bien entendu, en
tant que cause, il n’est pas séparé de l’effet.
On demande si Dieu est réellement
dans un espace imaginaire. Mais
comment peut‑il être dans des espaces qui n’existent pas ou qui, plutôt, n’existent qu’idéalement en lui ? Dieu avant la Création n’était pas dans un espace
imaginaire ; il n’y est pas davantage après la Création. Tout ce qu’on
peut dire, c’est que, de même qu’il s’adapte à tout temps possible, même au
temps infini, il s’adapte aussi à tout espace possible, même à l’espace infini,
en raison de sa perfection, de telle sorte que, partout où il se produirait un
espace réel, il le remplirait immédiatement de son immensité, d’une manière
réplétive. ‑ On a également posé cette question : Où Dieu existait‑il, alors qu’il n y avait pas encore d’espace, avant la Création ? Réponse : Dieu
n’a pas besoin d’espace pour lui‑même ; en tant que forme spirituelle pure, il existe sans espace,
et, comme le dit S. Augustin, en lui‑même. Il avait alors avec l’espace une relation négative ; l’espace, dans son modèle idéal, était en Dieu, mais Dieu n’était
pas dans l’espace.
L’immensité doit être conçue
comme une perfection de Dieu en soi.
Par contre, l’omniprésence est la relation de cette perfection avec
l’espace réel. Dieu, par suite, a
toujours été immense, mais l’omniprésence n’a pu être dite de lui que depuis la
Création. L’immensité est un attribut absolu,
l’omniprésence un attribut relatif.
L’immensité convient nécessairement à
Dieu, l’omniprésence ne lui appartient qu’hypothétiquement,
en supposant la Création. L’immensité est une notion plus étendue que
l’omniprésence. L’omniprésence ne s’applique qu’au monde limité ;
l’immensité s’applique en outre en dehors du monde et dans toute son intensité.
C’est pourquoi aussi il faut distinguer les deux notions, bien que les preuves
tirées de la Révélation soient les mêmes pour les deux.
L’omniprésence de Dieu dans
l’espace réel a été expliquée faussement par un certain nombre d’hérétiques
comme les sociniens et quelques calvinistes (Vorstius) qui la limitent à
l’activité omniprésente (præsentia operativa per potentiam). Aussi les
théologiens, en s’appuyant sur S. Grégoire le Gr., l’expliquent d’une manière
plus précise comme présence substantielle
(pr. per essentiam), dynamique (pr.
per potentiam), idéale ou
intellectuelle (pr. per scientiam).
Il est clair que la présence substantielle ou essentielle est la plus
importante. Elle est en effet la base et la condition préalable des deux
autres. Il faut cependant se garder de la conception panthéiste, dans laquelle
il est facile de tomber, mais qui est absolument fausse, d’après laquelle Dieu
avec sa substance remplit partout l’espace d’une manière quantitative, comme
une grandeur diffusive. Il remplit tout l’espace comme un esprit absolu et pur,
et non par la forme corporelle accidentelle de la quantité.
De la présence essentielle
découle la présence dynamique. Mais
il serait faux de conclure, de ce que Dieu est présent partout essentiellement
avec sa même substance, qu’il opère aussi partout la même chose. Les relations
de Dieu avec l’espace, comme avec la Création en général, sont des relations libres. Il n’agit pas, comme une force
naturelle, à la manière des choses qui ne sont pas maîtresses d’elles‑mêmes. Dieu possède sa force, parce que son Être se possède lui‑même, comme une personnalité
infiniment parfaite. Un regard sur le royaume de la nature, comme sur celui de
la grâce, nous montre que son activité, malgré son omniprésence essentielle,
est variée. Il agit d’une manière différente dans la pierre, dans la plante,
dans l’animal, dans l’homme ; il agit d’une manière différente dans le
pécheur et dans le juste, d’une manière différente sur la terre et dans le ciel
des bienheureux. ‑ Parmi les présences de grâce, la présence ordinaire est l’habitation divine
dans l’âme du juste (doctrine de la grâce) ; la plus intensive et la plus
spéciale est la présence du Logos divin
dans le Christ ; elle est en effet, comme nous le montre la doctrine
de l"union hypostatique, une présence essentielle (secundum esse) d’une
manière toute particulière et, par suite, également dynamique. Elle éclaire, à
son tour, la présence dans l’Eucharistie
qui en est une continuation modifiée.
La présence idéale existe avec la présence essentielle, parce que là où Dieu
est, il est aussi comme esprit conscient, comme intelligence infinie, devant le
regard duquel tous les espaces et tout ce qui les remplit sont ouverts.
De ce que nous venons de dire il
résulte clairement que nous aussi nous plaçons la divinité dans l’au‑delà et non seulement, comme on nous
le reproche, ici‑bas. Mais nous affirmons, à côté de l’immanence, la transcendance : car Dieu ne disparaît pas dans ce monde, il est réellement distinct du monde,
il a existé et existe avant le monde
et sans le monde. ‑ Ceci doit s’appliquer aussi à Jésus :
le Logos en lui est infini ; l’humanité est finie et limitée. Les modernes
cénotiques protestants prétendent que le Logos pénétra dans l’humanité de telle
sorte qu il se soumit librement à la limitation (Phil., 2, 6) et qu’ensuite il
se développa d’une manière embryonnaire comme un esprit humain. C’est un non‑sens.
Preuve. Dans la preuve, nous réunissons les deux aspects de l’attribut
unique. L’Écriture insiste sur l’omniprésence
et non sur l’immensité. Baruch : « O Israël, qu’elle
est grande la maison de Dieu ! qu’il est vaste le lieu de son domaine. Il
est grand et n’a point de limites ; il est élevé et immense » (3, 24‑25). Job :
« Prétends‑tu sonder les profondeurs de Dieu et arriver
jusqu’à la perfection du Tout‑Puissant ? Il est plus élevé que le ciel, que feras‑tu ? Plus profond que le séjour des morts et d’où veux‑tu (le) connaître ? Sa mesure est plus longue que la terre et
plus large que la mer » (11, 7‑9). Salomon, au moment de la dédicace du temple : « Le ciel
et le ciel des cieux ne peuvent te contenir, combien moins cette maison que
j’ai bâtie ! » (3 Rois, 8, 27).
L’omniprésence est mise en lumière dans l’Écriture pour procurer de
la consolation, pour produire l’édification religieuse et pour exciter le
respect en présence de la majesté de Dieu. Israël peut s’abandonner à lui.
« Sache donc en ce jour, dit Moïse, et grave dans ton cœur que c’est le
Seigneur qui est Dieu dans le ciel là‑haut et sur la terre, en bas, et
qu’il n’y en a pas d’autre » (Deut., 4, 39). Il peut nous
aider partout : « Ne suis‑je donc qu’un Dieu de près et ne suis‑je pas aussi un Dieu de loin ? Un homme peut‑il se cacher dans une cachette,
sans que je le voie ? dit le Seigneur. N’est‑ce pas moi qui remplis le ciel et la terre ? dit le Seigneur » (Jér.,
23, 23‑24). « Où donc aller, loin de ton souffle ? où m’enfuir, loin de ta face ? Je gravis les cieux : tu es là ; je descends chez les morts : te voici. Je prends les ailes
de l’aurore et me pose au‑delà des mers : même là, ta main me conduit, ta main droite me
saisit (Ps. 138, 7‑10). « Le ciel est mon trône, et la terre, l’escabeau de mes pieds. Où donc me bâtiriez‑vous une maison ? Où serait le lieu de mon repos ? » (Is., 66, 1).
Le Christ répète solennellement les paroles sur le ciel, trône de
Dieu, et la terre, escabeau de ses pieds (Math., 5, 34 sq.). Il nous enseigne à
adresser nos prières sur la terre au Père dans les cieux (Math., 6, 9). Il
détache le culte de Dieu du sanctuaire juif et le rend indépendant de tout lieu
(Jean, 4, 24). S. Paul à
Athènes : « Comme ce (Dieu) est le Seigneur du ciel et de la terre,
il n’habite pas dans des temples qui sont faits de main d’hommes... Car c’est
en lui que nous avons la vie, le mouvement et l’être » (Act. Ap., 17, 24‑28). D’après ces paroles, les choses sont
plutôt en Dieu que Dieu n’est dans les choses. La présence idéale nous est
enseignée par l’Épître aux Hébreux : « Aucune créature n’est cachée
devant lui, mais tout est à nu et à découvert aux yeux de celui à qui nous
devons rendre compte » (Hébr., 4, 13).
Les Pères. Ils comparent l’omniprésence de Dieu à celles de l’âme dans le
corps, de la lumière et de l’air dans l’espace. Ils avaient discuté sur ce
point de doctrine avec les stoïciens.
Ceux‑ci concevaient Dieu comme l’esprit universel
d’où tout émane, d’une manière panthéiste, par conséquent, comme l’âme
omniprésente du monde. Les Pères qui combattaient cette opinion allèrent même
jusqu’à dire que Dieu n’était pas dans les substances corporelles. Par là ils
voulaient seulement nier que Dieu ait une unité d’être avec les choses comme le
corps et l’âme. Le plus profond de tous est encore S. Augustin. Il a composé une Épître doctrinale spéciale sur
l’omniprésence divine (Ép. 187 ; cf. Ép. 147, 29 ; Civ., 22,
29 ; Conf., 1, 2 et 3). D’après lui, Dieu est partout présent et partout
entier, entier en lui‑même sans que rien le renferme. Seule l’habitation de la grâce et de l’amour est particulière et locale. Sous ce rapport,
Dieu est d’une manière particulière au ciel, c’est
pour cela que nous prions : Notre Père qui es au cieux. De même dans les
justes. Dans ce sens, les méchants sont très loin de Dieu comme les aveugles du
soleil qui les éclaire. Pour S. Thomas,
l’omniprésence doit être déduite de la causalité universelle et de l’infinité de Dieu. La cause doit avoir un
contact intime avec l’effet. Une « action
à distance » est logiquement impossible pour toute cause ; en effet aucune force ne peut agir si elle n’est
pas appliquée à son objet « ce qui met en mouvement et ce qui est mis en
mouvement doivent exister simultanément »,
dit S. Thomas avec Aristote. Et même ceux qui voudraient admettre l’action à
distance avec Scot (Frassen, De Deo,
1, d. 3, a. 3, q. 2) doivent déduire nécessairement l’omniprésence de l’infinité
et de la perfection absolues ; car autrement Dieu serait local, limité,
déterminé par des bornes. De même, son action est objectivement identique à son
Être : là où il opère il est. L’omniprésent ne connaît pas de
« distance ». Minges nous
rapporte l’objection de Scot : « Thomas (S. th., 1, 8, 1 ad 3) in
demonstranda omnipræsentia Dei dicit actionem in distans non esse possibilem et
ideo Deum ibi præsentem esse debere, ubi operatur, et sic, ex concursu generali
Dei cum creatura omnipræsentiam secundum essentiam
sequi. At Scotus ejusmodi
ratiocinationem reprobat disserens, saltem quoad Deum, actionem in distans
admittendam esse, quia alioquin non creare posset res, ubi nihil est, ubi ergo
et ipse non est, quia sic creatio ex nihilo impossibilis esset ». Mais
tout cela est plus subtil que probant.
Par suite, le déisme est également faux parce qu’il
insiste trop sur la transcendance de Dieu aux dépens de l’immanence et croit,
comme Éliphaz le reproche à Job (22, 13‑14), pouvoir assigner à Dieu sa place au‑delà des mondes. Le monisme moderne attribue à la doctrine
catholique, qu’il déforme, des tendances déistes ; il est donc nécessaire
de montrer que la Scolastique affirme
avec une clarté et une précision complètes l’immanence de la présence divine, sans oublier, bien entendu, la transcendance de l’essence. S. Thomas se réfère pour la triple
présence de Dieu à S. Grégoire le Gr., lequel a employé ces expressions le
premier (S. th., 1, 8, 3). Depuis, on dit que Dieu est partout « avec son
essence », « avec sa toute‑puissance », « avec sa connaissance, sa vision ». Cependant il remplit l’univers comme un esprit ; il ne le remplit pas comme une
grandeur corporelle (l’air, l’éther), mais par l’intensité d’être de l’esprit absolument pur. Mais
spirituellement veut dire intérieurement. La plus importante et la première
présence est la présence « par son essence », c’est d’elle que
résultent les deux autres. Ainsi donc l’Église a toujours eu une conception vraiment grande et compréhensive de
l’omniprésence de Dieu. Elle ne l’a pas, d’une manière naïve ou déiste,
renfermé dans l’« au‑delà », mais elle l’a connu et reconnu aussi dans l’« en‑deçà ». Le christianisme n’a donc pas « vidé le monde de Dieu » ; mais il a seulement détrôné les faux dieux naturalistes païens et restitué le sanctuaire
purifié au seul et vrai Dieu. A la vérité, il n’a pas, comme le panthéisme,
entendu la présence divine d’Être
dans le monde, comme un mélange
d’être avec le monde. Il a ainsi, d’une manière très discrète, uni la
transcendance et l’immanence et introduit dans le monde une notion de Dieu
d’une élévation extraordinaire.
Conclusion pratique. L’omniprésence
de Dieu nous permet d’entrer en relations spirituelles avec lui en tout temps,
dans toute situation et en tout lieu. Nous n’avons pas besoin de monter au ciel
pour l’en faire descendre, ni de descendre aux enfers pour l’en faire
remonter ; au contraire, il est toujours tout près de nous (Cf. Rom., 10,
6‑10). Mais de quoi nous sert‑il que Dieu soit près de nous si nous ne sommes pas près de lui ? Il ne nous
impose pas son omniprésence : nous devons la chercher, la chercher
continuellement, même quand nous l’avons trouvée. « Cherchez le Seigneur
et sa puissance, recherchez sans trêve sa face » (Ps. 104, 4). Par la foi
nous l’avons trouvé, par l’espérance nous le saisissons déjà, par la charité
nous continuerons de le posséder et de le chercher. Car chacun le possède dans
la mesure de son amour croissant. C’est pourquoi l’un le trouve plus que
l’autre et Dieu est plus pleinement dans un seul juste que dans un grand nombre
de tièdes. La présence de Dieu grandit en nous quand nous grandissons en lui.
L’un trouve facilement la face de Dieu, l’autre la trouve difficilement,
certains ne la trouvent jamais ; et pourtant Dieu est également proche de
tous. ‑ Dans le bonheur nous sommes très entourés, dans le malheur on nous laisse
facilement seuls. Mais nous pouvons dire avec Jésus : « Il vient une heure où vous (les hommes) me laissez
seul. Cependant je ne suis pas seul, car le Père est avec moi » (Jean, 16, 32). ‑ Grand est le mérite de ceux qui apprennent
aux autres à chercher Dieu et à le trouver (Rom., 1, 14 sq.).
A l’essence correspond l’opération.
Après avoir considéré l’essence divine, nous passons par conséquent à l’examen
de son activité. L’essence divine a
été caractérisée plus haut comme une substance
spirituelle absolue, comme une personnalité parfaite. Mais, d’après notre
conception analogique, la personnalité absolue, comme toute personnalité, doit
être douée des puissances spirituelles de la connaissance et de la volonté.
La connaissance et la volonté sont donc les principes
immanents de l’activité divine. C’est, par conséquent, de ces deux
principes qu’il faut d’abord s’occuper. A côté de ces deux principes
d’activité, la puissance apparaît
plutôt comme principe transitoire
d’activité. Il est commode cependant de l’unir, dans notre examen, avec la
volonté, comme puissance de la volonté. Ainsi la matière se divise en deux sections. On doit ensuite unir à la
volonté les attributs qu’on appelle moraux
et que nous fait connaître la Rédemption.
L’importance de la doctrine de la connaissance et de la volonté
divines est très grande, tant du point de vue théorique que du point de vue pratique.
La doctrine de Dieu en général est le fondement de toute la dogmatique, et
particulièrement la considération des principes d’action de Dieu éclaire
naturellement de vastes domaines de son activité : la Création, la
Rédemption, la grâce, les fins dernières. Les thèses établies ici sont en même
temps des thèses directives pour les
traités suivants. Du point de vue pratique et religieux, la discussion que nous
allons commencer est d’une grande valeur. Dans l’examen de l’essence ou de la
substance absolue, Dieu est resté pour nous une grandeur trônant dans une
élévation majestueuse et à une hauteur inaccessible. Nous avions peine à
trouver quelle est notre véritable relation avec lui. D’une manière générale,
c’était une relation négative, car on nous disait partout que Dieu est quelque
chose de complètement différent des hommes. Mais ici nous considérons Dieu comme
une Personnalité avec laquelle il nous est facile d’avoir des relations personnelles, à qui nous pouvons nous
adresser comme à un Toi qui répond à notre moi, qui a une volonté sainte, bonne
et aimante, qui veut vivre avec nous une vie spirituelle, consciente,
personnelle, de grâce et de béatitude. Aussi la Révélation, particulièrement celle qui nous a été faite dans le Christ, est beaucoup plus
explicite au sujet de cet aspect personnel
qu’au sujet de la substance parfaite de
Dieu. Cette substance absolue, si parfaite soit‑elle, ne correspond à notre besoin de foi que lorsqu’elle nous est connue douée de
raison et de volonté, de connaissance et d’amour. « Dieu est
lumière », « Dieu est amour ».
La vitalité de Dieu est la condition préalable de l’activité divine.
Il est à peine besoin de la discuter spécialement, car elle est une donnée de
sa personnalité spirituelle et elle lui est identique. L’esprit est intériorité
et possession de soi‑même, immanence et mouvement par soi‑même ; or, ce sont là les deux caractéristiques de la vie.
La vie repose sur un principe
interne de mouvement par soi‑même (à l’opposition de l’être sans vie qui ne peut être mu que de l’extérieur) et consiste à saisir et à s’assimiler les choses extérieures, précisément par cette activité immanente (operatio immanens).
La perfection de la vie pour l’Être vivant n’est pas une qualité accidentelle,
mais plutôt elle a son fondement, dans sa nature, en lui‑même : « Vivre n’est rien autre chose que
d’exister dans une nature de ce genre ; et c’est ce que signifie le mot vie, mais d’une manière abstraite, comme
le mot course signifie d’une manière abstraite l’action de courir » (S.
th., 1, 18, 3). Dans l’être vivant, matériel et animal, cette vie est encore, à
bien des égards, une activité transitoire ; mais elle est tout à fait
interne dans la vie intellectuelle de l’esprit ; car l’esprit se possède
et se domine lui‑même, ainsi que toute son objectivité vitale, alors même qu’il est, dans sa vie, dépendant du monde extérieur. Or Dieu étant un Esprit absolu, il en résulte l’indépendance parfaite et la perfection infinie de
sa vie. Cette perfection de vie consiste aussi en ce qu’il vit avec toute sa
substance spirituelle dans une plénitude éternelle, sans progrès et sans
changement, sans passage de la puissance à l’acte, étant le pur mouvement par
soi‑même, la vie complète par soi. « Dieu possède la vie au souverain degré » (S. th., 1, 18, 3).
L’Écriture attribue la vitalité à
Dieu en plusieurs passages (Deut., 32, 40 sq. Is., 49, 18. Jer., 5, 2. Ps. 35,
10 ; 41, 3. Hebr., 9, 14 ; 10, 31 ; 12, 18, sq. 1 Tim., 4,
10 ; 3, 15. 1 Pier., 1, 23. Apoc., 4, 9 ; 10, 6 ; 15, 7. Jean,
5, 26). Il est, en tant que cause première, la source de tout ce qui vit :
« Dieu, par qui toute chose vit ». Les êtres vivants participent graduellement à sa vie absolument
parfaite : les plantes, les animaux, l’homme, l’esprit. « Car c’est
en lui que nous avons la vie, le mouvement et l’être » (Act. Ap., 17, 28).
Les phrases connues de S. Augustin : « Dieu est la vie de l’âme de
même que la vie du corps » et « Dieu est la vie de tout » sont
exactes et d’un contenu très riche, mais, naturellement, il ne faut pas les
entendre dans un sens panthéiste. Dieu n’est pas plus la vie universelle des
créatures qu’il n’est leur être universel. ‑ D’après la conception
mécanique de la nature, la vie consiste dans des processus physico‑chimiques, dont une partie « est accompagnée de conscience ». On n’oublie qu’une chose, c’est d’expliquer ce qui donne à ces forces la direction vers soi‑même pour constituer l’organisme.
A consulter : S. Thomas, S. th., 1, 14, 15 ; C.
Gent., 1, 44‑71 ; De verit., 2, 10 sq. Didacus Ruiz, De scientia, de ideis, de veritate ac de vita Dei
(Paris, 1629). Petau, 4, 1‑2. Franzelin, thes. 40‑46. Kleutgen, 251 sq. Janssens, 2. Diekamp, 1, 163. Minges,
1, 77.
THÈSE. Dieu possède une force infinie de connaissance. De foi.
Explication. Le Concile du Vatican a
dû définir cette doctrine contre le panthéisme moderne pour lequel Dieu est en
majeure partie inconscient, dans la
mesure où, comme une plante ou comme un corps animal, il tend à sa perfection,
jusqu’à ce qu’il l’ait atteinte dans la conscience personnelle humaine. De là
la définition : « Il y a un seul Dieu vrai et vivant... infini en
intelligence » (S. 3, c. 1 ; Denz., 1782). Nous montrerons plus loin
en quoi consiste la perfection de la connaissance divine ; ici, il s’agit
d’abord de sa réalité.
Preuve. Que Dieu soit un Être intelligent, cela est supposé dans la notion
même de Révélation et est annoncé par chaque mot du contenu de la Révélation.
Partout Dieu apparaît comme un Maître et un éducateur de l’humanité, qui juge
personnellement et agit consciemment. Nulle part on ne rencontre la trace d’un
Dieu agissant inconsciemment ou instinctivement et comme une pure force
naturelle. Le Dieu de la Révélation a créé le monde avec liberté et réflexion,
dans la sagesse et l’ordre. Il est également la source de la connaissance pour
les hommes (Eccli., 17, 5‑6), particulièrement pour les Prophètes (Num., 11, 24‑25 ; 1 Rois, 10, 6 ; Is., 11, 2‑3).
L’Écriture indique la perfection
de la connaissance divine en la représentant comme une connaissance qui
embrasse tout, qui pénètre tout, mais aussi comme une connaissance absolument
transcendante, impénétrable, mystérieuse. Isaïe :
« Mes pensées ne sont pas vos pensées et mes voies ne sont pas vos
voies » (55, 8). Job :
« Un homme peut‑il être comparé à Dieu, même si une science parfaite lui appartient ? » (22, 2). « Le Seigneur est un Dieu de science et les
pensées sont ouvertes devant lui », dit Anne au moment de la
naissance de Samuel (1 Rois, 2, 3 ; cf. Esth., 14, 14 ; Eccli., 42, 19‑20 ; Ps. 146, 5). S. Paul : « O profondeur de la
richesse de la sagesse et de la science de Dieu ! » (Rom., 11, 33).
La sublimité de la connaissance divine se montre particulièrement par ce fait
qu’il nous a manifesté les mystères éternels de notre Rédemption par les
Patriarches et les Prophètes, et surtout par son Fils, « dans lequel sont
cachés tous les trésors de la sagesse et de la science » (Col., 2, 3).
« Dieu est plus grand que notre cœur et il sait tout » (1 Jean, 3,
20).
Les Pères. Ils expriment notre dogme dans la doctrine de la Providence et du gouvernement du monde. Ici la science de Dieu est traitée
principalement comme prescience. Ce fut un grave problème religieux pour S. Augustin, quand il l’appliqua aussi
au péché. Sur ce point, il ne cesse de répéter que la prescience de Dieu n’est
pas la cause du péché. Les Pères vantent la sagesse de Dieu dans ses œuvres et
dans l’ordre du monde, ainsi que son omniscience en toutes choses. Ils sont
tellement persuadés de la science de Dieu qu’ils donnent à son nom le sens de
« connaissant, voyant » (θεός de θεᾶσθαι)
et cette opinion a été acceptée par S. Thomas (C. Gent., 1, 44 in fine).
La raison. Que Dieu soit un Être intelligent, cela est déjà une vérité de
raison. L’Écriture elle‑même le fait remarquer. « Celui qui a créé l’oreille n’entendrait pas (lui‑même), ou bien celui qui a créé l’œil ne verrait pas (lui‑même) ? » (Ps. 93, 9). Celui qui a créé des êtres intelligents ne peut pas lui‑même être dépourvu d’intelligence ; bien plus, il doit la posséder dans une
mesure privilégiée, car il la possède
absolument. La Scolastique a discuté avec beaucoup de soin cette preuve de
raison. La science de Dieu dans son origine, son mode et son extension a été
pour elle un thème privilégié qu’elle a traité en détail (Cf. S. Thomas).
Thèse. La science de Dieu doit nécessairement être un acte absolument
simple et substantiel, une intuition éternelle, immuable, immédiate.
La Révélation ne nous apprend
rien sur le mode de la connaissance divine, elle nous enseigne seulement sa
réalité. Cependant elle indique son caractère mystérieux (1 Cor., 2, 11). Il nous faut, par conséquent, encore
déterminer la connaissance de Dieu d’une manière analogue, d’après notre mode
de connaître, en en écartant toutes les imperfections. Comme base de cet examen
nous avons les points fermes suivants :
1. La science de Dieu est un acte
substantiel. Dieu connaît avec toute
son essence spirituelle et non au moyen d’une faculté ou d’une puissance. Son
activité de connaissance n’est donc rien d’accidentel ; ce n’est pas une
chose qui va et vient. Ce par quoi Dieu est, est aussi ce par quoi il
connaît ; de même qu’il est l’Être absolu, il est aussi la connaissance
absolue. Par suite, cette connaissance est aussi nécessairement une
connaissance absolument actuelle,
sans passage de la puissance à l’acte (actus purus, Deus est intellectio
suhsistens).
2. Cette science est un acte absolument simple, sans aucune composition. Notre connaissance est
essentiellement et nécessairement discursive, c’est un passage à travers une
série de pensées, de représentations, de souvenirs, de notions, de jugements,
de conclusions. La connaissance de Dieu étant identique à son Être, elle est
absolument simple. « En Dieu, l’intelligence qui comprend, l’objet qui est
compris, l’espèce intelligible, le comprendre lui‑même, sont absolument une seule et même chose » (S. th., 1, 14, 4). La multitude
des idées du créé ne contredit pas la simplicité de la connaissance ; car dans cette connaissance
tout est renfermé dans une idée.
3. Pour ce motif, la divine
science est éternelle et immuable. Sans doute les objets connus ne sont pas éternels et
immuables ; ils sont sujets, au contraire, à un perpétuel
changement ; mais la connaissance de Dieu n’est pas influencée par eux.
4. La connaissance de Dieu est
précisément indépendante des choses
connues, parce que tout son être est absolu. Si l’homme, dans son activité
spirituelle, est sans cesse ramené au monde extérieur dont il reçoit
l’impulsion et les éléments de sa connaissance, cette activité chez Dieu a son
fondement unique dans son Être propre. Il ne peut aucunement être influencé ou
déterminé par l’extérieur. La connaissance de Dieu est absolue, immédiate, non
causée.
5. C’est une science intuitive et, par suite, infaillible. Chez les hommes la
connaissance directe est appelée « intuition ». C’est pourquoi nous
attribuons ce nom à la connaissance de Dieu pour en caractériser le caractère
immédiat. Bien entendu, nous ne pensons pas, en agissant ainsi, à un
« œil » ou à un « organe » spirituel de Dieu. De cette intuition
immédiate résulte ensuite la netteté,
la clarté, la précision et la sûreté de la connaissance divine (Hébr., 4, 13).
6. La science de Dieu n’est efficace (efficax) qu’en union avec la
volonté, non par elle‑même ; mais elle éclaire sa volonté, comme chez l’artiste et lui indique par avance
les idées et les fins. Dieu ne veut et n’opère pas tout ce qu’il sait ;
il n’opère pas tous les possibles, il n’opère pas le mal. Sa connaissance est plus étendue que sa volonté.
Division. La science de Dieu est absolument simple et absolue. Cependant, à
l’égard des objets auxquels elle se rapporte, on la divise. On distingue :
1. La science nécessaire et la science libre (scientia necessaria et libera).
La première se rapporte à ce qui existe nécessairement, par conséquent à Dieu
et à ses idées éternelles ; la seconde se rapporte à ce qui a été
librement voulu, par conséquent, aux choses créées, ainsi qu’à leurs
changements et à leurs développements.
2. Le science spéculative et la science pratique
(sc. speculativa et practica). La première est la contemplation calme de
l’essence divine et des idées éternelles ; la seconde se rapporte à la
réalisation d’une partie des idées de Dieu dans la Création. La science
pratique de Dieu est, en quelque sorte, le sommaire du plan créateur qui doit se réaliser. En tant que connaissance qui a
présidé à la Création, elle s’appelle la sagesse
divine (Ps. 24 ; Sag., 7, 21) (S. Thomas, S. th., 1, 14, 16).
3. La science d’approbation et la science de réprobation, ou la science du bien et celle du mal (sc. approbationis et reprobationis). La première se rapporte à
Dieu, principe de tout bien et à tout ce qui se fait par d’autres d’après sa
volonté (Gen., 1, 31 ; Sag., 9, 9) ; la seconde est dirigée contre le
mal que Dieu ne veut pas et même dans ce sens ne connaît pas (Math., 7,
23 ; 25, 12), ne reconnaît pas. Comment
Dieu connaît le mal, nous l’examinerons plus loin (P. 161 ; cf. § 40).
4. La science de simple savoir et la science de vision (sc. simplicis intelligentiæ et
sc. visionis). La première a pour objet ce qui est simplement possible, par
conséquent ce qui a un être non contradictoire, idéal, dans l’intelligence
divine, mais ne sera jamais réalisé par la volonté de Dieu. La science de
vision comprend tout ce qui existe une fois ou l’autre réellement. Il n’y a que
ce qui est réel que Dieu puisse voir ; ce qui n’est pas réel, Dieu le sait
simplement. Bien que Dieu appartienne au réel et soit même la réalité suprême,
on l’excepte cependant ici, parce qu’il n’est pas un être réalisé. Sa science,
à son sujet, s’appelle la science de contemplation (sc. contemplationis).
Depuis 1600, un certain nombre de
théologiens distinguent encore avec Molina
la science moyenne (sc. media) et la
placent entre la science de vision et la science de simple savoir. On considère
comme son objet ce qui, tout en appartenant au domaine du simple possible, est
cependant tout près d’être réalisé
parce que cette réalisation dépend de certaines conditions qui, au reste, ne seront jamais remplies, mais qui, si
elles étaient remplies, la rendraient certaine. Avec cette science moyenne on
espère triompher de certaines difficultés qui se présentent dans la doctrine de
la grâce (efficace). Son nom de science moyenne veut dire que son acte, et particulièrement son objet, se trouvent entre les deux
sciences qu’on vient de nommer. Cette espèce de prescience des vérités futures conditionnelles constitue un point de
discussion célèbre entre les thomistes et les molinistes. Les thomistes
refusent d’admettre la science moyenne et rangent toutes les vérités soit sous
la science de simple savoir, soit sous la science de vision. Pour plus de
détails, cf. § 124.
THÈSE. Dieu sait, d’une manière parfaite, tout ce qui, de quelque
manière, peut être objet de connaissance ; il est omniscient. De foi.
Explication. Le Concile du Vatican déclare : « Il y a un seul Dieu
vrai et vivant... infini en
intelligence » et étend expressément la science de Dieu même aux
« actions libres futures » (Denz., 1784). Partout donc où il y a un
être ou une vérité, Dieu les connaît.
Preuve. Que Dieu soit doué, d’une manière générale, d’une force de
connaissance parfaite, nous l’avons déjà démontré d’après la Révélation. Il ne
nous reste plus maintenant qu’à réunir les preuves qui démontrent que Dieu
connaît même ce qui est difficilement
connaissable, comme les pensées et les sentiments du cœur humain, les
événements de l’avenir obscur et même
ce qui est possible.
Dieu connaît immédiatement le
grand changement intérieur survenu dans nos premiers parents (Gen., 3, 9), le
sacrifice de Noé après le déluge (Gen., 8, 21), la prière d’Agar fuyant dans le
désert (Gen., 16), celle d’Éliézer dans la terre étrangère (Gen., 24). Il
connaît les faits et gestes des habitants de Babel (Gen., 11), les crimes de
Sodome (Gen., 18), l’oppression d’Israël en Égypte (Ex., 3, 9). S’il semble
parfois, au commencement, que la science de Dieu repose sur l’expérience, les Prophètes affirment aussi la connaissance de l’avenir qui est la base de toute prophétie. « Je suis Dieu, il
n’en est pas d’autre, il n’est de dieu que moi ! Dès le commencement,
j’annonce la fin, et depuis longtemps, ce qui n’est pas accompli » (Is.,
46, 9 sq.). « Avant même de te façonner dans le sein de ta mère, je te
connaissais » (Jér., 1, 5). « Car le Seigneur Dieu connaissait toutes
choses avant de les créer, et il les voit encore maintenant qu’il les a
faites » (Eccli., 23, 29). « Son regard s’étend de siècle en siècle,
et rien n’est merveilleux devant Lui » (Eccli., 39, 25). C’est sur sa
science que repose l’ordre du monde (Job, 28, 23‑28 ; ps. 146, 4). On trouve traité le thème de l’omniscience dans le ps. 138
et dans Eccli., 42, 18‑26. La science des cœurs, connaissance inaccessible,
est attribuée expressément à Dieu (Job, 42, 2 ; Prov., 16, 2 ; Eccli., 23, 28). Jérémie nomme Dieu celui qui scrute « les reins et les cœurs »
(11, 20 ; 17, 10 ; 20, 12), expression qui, dans la suite, devint
tout à fait courante (Cf. Luc, 16, 15. Act. Ap., 1, 24 ; 15, 8. Rom., 8,
27). Dieu est « le Père qui voit dans le secret » (Math., 6, 4, 6),
devant les yeux duquel « tout est à nu et découvert » (Hébr., 4, 13).
Il connaît ce qui est le plus insondable : « L’Esprit (de Dieu)
scrute tout, même les profondeurs de la divinité » (1 Cor., 2, 10).
Les Pères. Leurs témoignages ne peuvent guère compléter les arguments tirés
de la Bible. S. Ignace :
« Rien n’est caché au Seigneur, mais même nos secrets sont sous ses
yeux » (Éph., 15, 3). « Il examine tout, dit S. Polycarpe, et rien ne lui est inconnu ni les résolutions, ni les
pensées, ni quoi que ce soit des secrets du cœur » (Phil., 4, 3). S. Irénée expose que la science de Dieu
s’étend à tout nombre, à tout ce qui est fait et se fait, « si bien que
rien de ce qui a été, de ce qui est et de ce qui va être n’échappe à la
connaissance de Dieu, mais que chaque chose reçoit et a reçu par sa Providence
figure et ordre, nombre et grandeur » (Ad. h., 2, 26, 3). On connaît le
mot de Tertullien : Dieu a
autant de témoins de son omniscience qu’il a suscité de prophètes (Adv. Marc,
2, 5). En raison de l’indépendance et de la clarté avec lesquelles Dieu connaît
également l’avenir comme une chose présente,
les Pères lui refusent même la prescience
et disent qu’il a une science simple, c.‑à‑d. qu’il ne connaît pas quelque chose d’avance comme les hommes, mais il le voit toujours comme présent devant lui. Ainsi S.
Augustin répond à une question où on lui demande si Dieu a du
« repentir » bien qu’il sache tout « d’avance », que cela
n’a été dit dans l’Écriture que d’une manière humaine. On ne peut même pas dire
qu’il a une prescience, parce que pour lui rien n’est futur (Ad Simplic., 2,
2).
La raison déduit l’omniscience de Dieu d’abord de sa causalité universelle.
En effet, si Dieu a tout ordonné en poids, mesure et nombre (Sag., 11, 21), il
faut que lui, le Créateur conscient, connaisse aussi son œuvre, dans son être
et son entité, dans ses forces et ses qualités, jusqu’aux plus petits détails.
Ensuite elle s’appuie sur l’omniprésence
de Dieu dans les choses. L’activité de Dieu est aussi parfaite que son Être : « En Dieu la faculté de connaître
est aussi étendue que l’actualité de son existence » dit S. Thomas (S.
th., 1, 14, 3 c ; cf. 1, 14, 5 c). Par conséquent, toute opinion, toute
hésitation est chez lui impossible.
Dieu seul est omniscient, et son omniscience est absolument
incommunicable, parce qu’elle est identique à l’Être divin. L’âme du Christ
elle‑même était incapable de cet attribut et
on ne doit pas la dire « omnisciente » ; on ne peut le dire que du Logos divin ; c’est en
considération du Logos que l’on dit du Christ
qu’il est omniscient.
Détermination théologique plus précise. Dieu lui‑même est l’objet primaire et formel de sa
science, tout le reste n’est qu’un objet secondaire
et matériel.
1. La science que Dieu a de lui‑même. Dieu se connaît lui‑même, et d’une manière parfaite, compréhensive ou complète, c.‑à‑d. autant qu’il est connaissable ; il se connaît immédiatement, par lui‑même, et il est faux qu’il ne prenne conscience de lui‑même que par les créatures et dans les créatures. Cette connaissance de soi‑même s’accomplit comme un acte
absolument nécessaire et éternel (scientia
necessaria).
L’Écriture atteste cette vérité à plusieurs reprises (Cf. Math., 11,
27 ; Jean, 10, 15 ; 1 Cor., 2, 10). La raison l’exige par suite de sa notion de Dieu, l’Être parfait,
absolu, à qui aucune perfection ne peut manquer ; la perfection qui peut
le moins manquer à la Personnalité spirituelle absolue, c’est la conscience personnelle (S. th., 1, 14, 2
et 3). Or que Dieu seul puisse se connaître compréhensivement, nous l’avons
déjà exposé plus haut. La connaissance personnelle, compréhensive, n’entraîne
pas le caractère fini de Dieu ; de même que son être, sa science de lui‑même, sa propre pénétration par sa pensée, est infinie. Bien que Dieu se
connaisse par lui‑même, les choses peuvent être
aussi, pour lui, des miroirs de son Être. Il se connaît dans les choses, pour
autant que les choses sont la fin et
l’objet matériel et non la cause
formelle de sa science, et parce que, créées d’après ses idées éternelles,
elles sont les images créées de son
essence. « Dieu se voit en lui‑même parce qu’il se voit par son essence. Pour les choses
différentes de lui il ne les voit pas
en elles‑mêmes, mais en lui, puisque son essence renferme leur image » (S. th., 1, 14, 5).
2. Ce qui est en dehors de Dieu. a) Le réel. Dieu connaît toute réalité finie. Sa connaissance du monde
s’étend à tout et à chaque chose dans la Création, à l’ensemble comme aux
détails, aux plus grandes choses comme aux plus petites. Il connaît toutes ces
choses sous tous leurs aspects et relations, avec toutes leurs puissances et
qualités, avec toutes leurs lois et productions. Et il les connaît comme des
choses qui lui sont éternellement
présentes, sans distinction de passé, de présent et de futur. Cette
connaissance divine du monde porte le nom spécial d’omniscience.
La prescience divine et la liberté humaine. Mais si Dieu prévoit tout d’une
manière absolument infaillible, n’est‑il pas nécessaire alors que tout arrive d’après les lois immuables de la prédestination ? Pour ce qui est des événements naturels non libres (necessario futura), on peut l’admettre
sans difficulté, cela s’impose même. Mais qu’en est‑il des événements libres (libere futura) ? Il semble qu’il ne
reste plus aucun choix à la créature
libre, si Dieu sait d’avance le résultat de la décision. Pour résoudre cette
grave objection, on a tenté jusqu’ici trois
voies dont une seule, la moyenne, est acceptable pour nous. Les uns ont rejeté
la prescience divine, comme Cicéron
(cf. S. Augustin, Civ., 5, 9), Marcion
(Tertul., Adv. Marc, 2, 5), les sociniens ;
ces derniers prétendaient que la connaissance de Dieu est successive. D’autres,
par contre, rejetaient la liberté humaine, comme les prédestinatiens. Or, la prescience divine et la liberté humaines
sont des vérités intangibles. Déjà, les Pères, comme Origène (C. Cels., 2, 20), S.
Augustin (De. lib. Arb., 3, 3 sq.), S.
Jérôme (In Jér., 26, 3), ont donné la vraie solution et la seule possible
en comparant la prescience divine, qui est en réalité une intuition actuelle,
éternelle, à la connaissance intuitive humaine et en lui donnant le caractère
de concomitance et non de causalité. Ils enseignent : Dieu sait d’avance nos actions libres parce
qu’ elles se passeront dans le futur, mais elles n’arrivent pas parce qu’il les
a connues d’avance.
Les théologiens donnent une
explication plus précise et disent : lorsque quelqu’un accomplira dans
l’avenir une action libre, par ex. : la trahison de Judas, Dieu alors la
connaît de toute éternité et elle doit nécessairement
se produire ; mais cette nécessité sera une nécessité conséquente
(necessitas consequens) ou bien la suite logique de la succession historique,
et non une nécessité antécédente (n.
antecedens) ou un événement imposé par une contrainte physique. Notre mémoire, dit S. Augustin, n’impose pas
une nécessité aux événements du passé, la prescience divine n’en impose pas
davantage à ceux de l’avenir.
Il est vrai qu’avec ces formules,
les Pères n’ont pas entièrement résolu le problème et les Écoles se sont
efforcées plus tard de l’éclairer encore davantage. Avant tout, on ne doit pas
donner à la formule des Pères ce sens, que Dieu connaît les actes libres de
quelque façon dans leur réalisation effective, en eux‑mêmes et que c’est d’eux qu’il a tiré sa connaissance. Par là, sa science serait mise en dépendance des créatures et perdrait son caractère absolu. De plus, elle ne dépasserait guère un savoir conjectural, probable et n’aurait plus rien, en elle‑même, de la clarté et de la sûreté infaillibles de l’omniscience. Au contraire, il
faut que Dieu connaisse les actes libres éternellement, avant leur réalisation, indépendamment de ces actes et de
leurs causes créées. Mais comment cela se fait‑il et où réside le principe de cette connaissance ? Nous remettons à plus tard la
réponse des Écoles. Remarquons seulement que tous les théologiens défendent
avec S. Augustin les deux vérités (utrumque amplectimur) : la prescience
divine et la liberté humaine. Ce sont des vérités qui nous sont connues par la
Révélation aussi bien que par la raison, bien que leur conciliation présente
pour nous des difficultés sérieuses.
b) Le possible. Tout réel a été autrefois un possible. Le fondement de la possibilité se trouve
dans le caractère concevable et sans contradiction des choses. Le fondement prochain
de la possibilité est leur essence concevable, en tant que celle‑ci se compose d’éléments compatibles ; son fondement suprême se trouve en Dieu qui, dans la
notion compréhensive qu’il a de lui‑même, ne connaît pas seulement ses infinies perfections,
mais encore le fait que ces perfections sont imitables dans une infinité de choses qui peuvent à tout moment
être réalisées par sa toute‑puissance. En tant que la possibilité est considérée comme fondée dans
l’Être de Dieu, elle possède ses attributs, elle est immense et nécessairement
connue de Dieu. Elle constitue la somme des idées
éternelles de Dieu. Dieu a voulu réaliser une partie de ces idées dans la
Création, laquelle constitue le domaine du réel.
Mais dans le réel lui‑même se trouvent, en puissance, des milliers de
possibilités qui résultent des mille relations des
choses entre elles. Cette puissance active et passive des créatures fonde la possibilité que
nous envisageons ici. Mais l’être qui en résulte n’est qu’un être idéal et non
réel, un être potentiel et non actuel ; il est absolument distinct de
l’Être divin. Il est cependant, dans un certain sens, infini, en tant que, dans
les créatures, il y a une possibilité
infinie de devenir et de changement. Or Dieu connaît le nombre des choses,
ainsi que la possibilité infinie de changement et de renouvellement qui se
trouve en elles. Il connaît donc une quantité ou un nombre infini. Mais la
question de savoir si ce nombre infini représente, dans l’intelligence divine,
une infinité actuelle ou seulement potentielle, est un sujet de controverse.
Comme Dieu connaît tout dans un seul
acte éternel et par conséquent tout à la fois, cette infinité doit être, elle
aussi, une infinité actuelle (Cf. Pohle, 1‑189 sq.).
Les futurs conditionnels (conditionate
futura). De même que tout à l’heure, à propos du réel, nous avons traité à part
les actions humaines libres réelles, nous étudierons spécialement, à propos du
possible, le futur conditionnel. Ce qui est purement possible ne passera jamais
du domaine de la potentialité à celui de la réalité, autrement il compterait
dans ce qui sera un jour réel. Dans la domaine de ce possible, on distingue
encore une classe spéciale, celle des actions
libres possibles qui se réaliseraient sûrement dans l’avenir si certaines
conditions extérieures étaient remplies, mais par suite du défaut de ces
conditions ne se réaliseront jamais et n’auront jamais qu’un être possible et
une vérité idéale. Ayant cet être, ces actions sont connaissables et, étant connaissables, elles sont nécessairement connues de Dieu. L’Écriture et la
Tradition nous l’enseignent d’une manière précise. Rappelons seulement Sag., 4,
10 sq. où Dieu enlève le juste par une mort prématurée, afin qu’il ne soit pas
entraîné plus tard dans la tentation qui le ferait tomber dans la perdition
(Cf. aussi 1 Rois., 23, 10‑13 ; Jér., 28, 14‑17). Le Christ prévoyait que Tyr et Sidon se
seraient converties en voyant ses miracles, si son action s’était exercée dans
les villes (Math., 11, 21‑22). ‑ Les Pères ont eu
plusieurs fois l’occasion de s’expliquer spécialement
sur cette prescience de Dieu. Ils le firent d’abord pour répondre aux dualistes qui se scandalisaient que Dieu
ait créé l’homme, alors qu’il aurait dû savoir nécessairement, s’il avait été
le Dieu bon, que, dans certaines
conditions, il pécherait. Tertullien, S. Irénée, S. Grégoire de Nysse
affirmaient, à l’encontre de cette objection, à la fois la prescience divine et
la liberté humaine, ainsi que la faute. Il y avait ensuite l’élection de Judas à l’apostolat qui constituait une
grave énigme. Enfin S. Augustin eut à
défendre cette prescience divine contre les semi‑pélagiens. Il les somma de répondre à cette question : Pourquoi n’a‑t‑il pas alors retiré du monde les bons qui devaient
devenir mauvais, comme ce disciple ? (Sag., 4, 11). « Est‑ce qu’il ne l’a pas su ? Ou bien est‑ce qu’il n’a pas prévu leurs
méfaits futurs ? Or on ne peut faire aucune de ces deux affirmations sans
la plus grande aberration et la plus grande folie (De corrept. et grat., 8,
19). Ainsi donc, d’après S. Augustin, Dieu pouvait empêcher les actions libres
futures ; il les connaissait d’avance comme futurs conditionnels. Lorsque
les adversaires voulurent ensuite tirer de fausses conséquences de la
prescience divine, en disant que Dieu récompense
et punit comme réelles les actions
futures conditionnelles, en accordant ou en refusant la grâce du Baptême aux
enfants, la grâce de la persévérance aux adultes en raison des mérites et des
démérites prévus, il montra seulement que cette conclusion était déraisonnable,
sans attaquer la prescience (De anima et ejus orig., 1, 12, 15). Au sujet de S.
Augustin : Tournely, De Deo et
divin. attr., q. 16, a. 2, c. 3. ‑ La raison déduit cette prescience de la perfection de Dieu, de la
nécessité du gouvernement du monde où tout doit être sagement prévu et ordonné
et où rien ne doit être laissé au hasard, si l’on veut maintenir la foi
chrétienne à la Providence.
La plus haute connaissance humaine s’appuie sur trois moyens :
le medium sub quo (lumen intellectus
agentis) qui, comme la lumière du soleil, rend les choses visibles, éclaire les
images sensibles (phantasmata) et fait reconnaître ce qu’il y a en elles
d’intelligible ; le medium quo
(species intelligibilis) où l’image intelligible par laquelle notre intelligence
saisit la chose extérieure et la fait rentrer en soi ; enfin le medium in quo (m. cognitum) ou une chose par
laquelle nous acquérons comme dans une image la connaissance d’un autre objet.
La doctrine générale des
théologiens est que Dieu a l’intuition immédiate
de lui‑même, qu’il se connaît en lui‑même et par lui‑même. Après ce que nous avons dit plus haut, cela n’a pas besoin d’être motivé davantage. Ils affirment ensuite
qu’il connaît tout le créé médiatement, non pas dans les choses et par les choses, mais par sa
propre essence, si bien que, si l’on veut tenir compte des moyens de
connaissance qu’on vient d’indiquer, il a
tous ces moyens en lui‑même dans son essence.
L’Être absolu de Dieu doit être
indépendant des créatures, aussi bien dans son activité que dans son
entité ; il est impossible que l’intelligence divine soit déterminée à la
connaissance par l’extérieur. Il n’y a en Dieu aucune espèce de potentialité, à
plus forte raison n’y a‑t‑il pas de potentialité qui serait
actualisée par l’extérieur. Dieu connaît tout le créé médiatement, c.‑à‑d. : il ne le connaît pas par les choses et dans les
choses, mais il le voit en lui‑même. Il est lui‑même l’objet
primaire et formel de sa connaissance ; tout le reste n’est que l’objet secondaire et matériel, en ce sens que, logiquement, il n’est connu qu’en second
lieu comme une chose qui ne détermine pas formellement son intelligence à la
connaissance, mais n’est que le but
et l’objet matériel de sa
connaissance. S. Thomas : « Dieu
se connaît lui‑même premièrement et par soi » (C. Gent., 1, 48). « Pour les choses différentes de lui il ne les voit pas
en elles‑mêmes, mais en lui, puisque son essence renferme leur image » (S. th., 1, 14, 5). Dieu connaît tout, se connaît lui‑même et connaît tout ce qui n’est pas Dieu, par un seul et unique acte indivisible
de son intelligence absolue, alors même que l’objet fini serait d’une multitude
innombrable et d’une variété infinie.
Pour lumineuse que soit cette
vérité, son application aux classes spéciales d’objets de connaissance, et
particulièrement aux actions libres
futures, ne laisse pas de présenter des difficultés sérieuses. Il s’agit du
moyen (m. in quo) de la connaissance
divine. « Dans cette question embrouillée, difficile et obscure. . .
presque tout est controverse » (Pohle). Aussi nous nous contenterons de
faire ressortir les points suivants.
1. Dieu connaît le réel en soi‑même comme cause première exemplaire et efficace.
Il le connaît tant dans son Être idéal éternel que dans son Être réel temporel.
Cependant au sujet de ce dernier point il s’est formé trois opinions : a) Dieu connaît l’être réel créé, en soi‑même seulement et par conséquent d’une manière médiate seulement (les thomistes et
un certain nombre de molinistes célèbres) ; b) Il le connaît immédiatement
dans les choses elles‑mêmes, cependant sans m. in quo ainsi que sans « species propria » des choses,
mais dans sa propre essence qui est comme la « species intelligibilis »
de toutes les choses (Scot, Occam, Biel, Bécan, Vasquez) ; c) Il le
connaît immédiatement, aussi bien dans les choses que dans son essence
(scotistes et molinistes). Il est à remarquer aussi que la plupart des
molinistes trouvent le « medium quo » de la connaissance de l’être
contingent dans l’essence divine seule et par conséquent, ici, enseignent le
caractère médiat de la connaissance de Dieu. De même, d’après eux, il n’y a,
sans Dieu, pas d’être et pas de vérité. La première de ces trois opinions est
celle de la plupart des théologiens et la mieux fondée.
Le moyen de connaissance pour les actes libres. Ici aussi les actions libres
demandent à être traitées à part. On a déjà dit que Dieu les connaît d’avance
de toute éternité. On se demande ici comment cela se fait, par quel moyen Dieu
les connaît d’avance. On se rend tout de suite compte qu’il y a là une
difficulté, quand on songe que la volonté est libre, que les motifs extérieurs
ne la contraignent pas à l’action, mais que, malgré l’inclination intérieure et
les motifs pressants, elle se détermine librement. L’homme lui‑même ne sait pas par avance
comment, dans certaines circonstances, il se décidera. Comment un autre peut‑il le savoir ? Où se trouve le moyen qui pourra donner la
certitude absolue du choix réel futur ? Une certitude probable et conjecturale ne conviendrait pas à
l’Être parfait de Dieu et le mettrait dans la dépendance de l’événement créé.
C’est dans la solution de ce problème que s’opposent
les Écoles célèbres qu’on a désignées du nom de thomisme et de molinisme.
Nous retrouverons cette controverse dans la doctrine de la grâce. Ici il s’agit
de l’acte libre naturel de la volonté
en général ; dans le Traité de la
grâce, il s’agira de l’acte libre surnaturel
tel qu’il se produit sous l’influence de la grâce efficace. Dans le Traité de la grâce nous étudierons les
différents systèmes qui se présentent pour résoudre le problème ; ici nous
nous contenterons de caractériser brièvement les deux systèmes principaux.
Le thomisme. Le théologien Dominicain Baňez (+1604) passe
généralement pour être le fondateur
de ce système, mais l’École se réclame de S. Thomas. Le système part de la volonté de Dieu qui dans des décrets éternels, immuables, libres, a fixé
d’avance à quels actes libres l’être raisonnable serait mu dans l’avenir. Dans cette éternelle prédétermination, Dieu possède alors un moyen infaillible de
connaître avec certitude ces actions futures libres. Les péchés eux‑mêmes sont connus de Dieu de cette façon ; cependant Dieu ne les veut pas, il les
permet seulement. C’est pourquoi on distingue un décret permissif par lequel Dieu tolère
la malice de l’acte libre et un décret positif
par lequel il prédétermine l’être
naturel de cet acte, l’acte comme tel dans son essence physique.
Le molinisme. Il a été fondé par le Jésuite espagnol Molina (+1600). Il part de la science de Dieu (sa connaissance).
D’après ce système, ce n’est pas dans la volonté divine qu’on peut trouver la
dernière explication, parce que, avec les décrets physiques, la liberté ne
pourrait pas exister et que, par rapport au péché, de tels décrets sont
inconcevables, étant donné qu’ils feraient de Dieu l’auteur du péché. Il faut
plutôt dire que Dieu connaît d’avance les futurs libres par la science dite
moyenne (sc. media), d’une manière certaine. En vertu de cette science moyenne ‑ tel est l’enseignement de l’ancienne École représentée par Molina,
Bellarmin, Bécan ‑ Dieu pénètre et saisit toute volonté créée et sait éternellement à quoi elle se décidera. A cette théorie de la supercompréhension de la volonté créée, les molinistes postérieurs
en substituèrent une autre, celle de l’éternelle
vérité objective de tous les actes libres futurs. On disait, par exemple,
que c’était une vérité objective existant de toute éternité que Pierre
renierait Notre‑Seigneur et que Judas le trahirait. Dieu
connaît tout ce qui est vrai et par conséquent cela aussi, car sa connaissance
ne serait pas parfaite si quelque chose lui échappait. « Cardo totius controversiæ in quæstione
vertitur, utrum futuribilia in se veritatem determinatam habeant et sic termini
divinæ scientiæ esse possint dependenter an independenter a quibusdam decretis
divinis, quæ voluntatem liberam prædeterminent » (Lercher, 1, 124).
Les thomistes objectent que tout ce qui est vrai doit avoir une cause. Le futur Pierre ne peut causer la vérité objective éternelle et cette vérité éternelle
n’existe pas indépendamment de Dieu. Le Pierre temporel et réel est un Pierre
possible éternel ; mais des hommes possibles, des idées des hommes, ne
peuvent poser aucune action réelle. Il n’est pas non plus possible de mettre
Dieu en relation avec une vérité qui n’a pas son fondement en lui comme sa
cause première. S. Augustin dit que c’est un « sacrilegium » de
rendre Dieu dépendant dans sa connaissance.
2. Le possible conçu comme purement
possible (mere possibile), qu’il ait son fondement dans l’Être de Dieu ou
dans la puissance active ou passive des créatures, est connu par Dieu de toute
éternité, dans sa propre essence. Sous cette dénomination ne tombe, à
proprement parler, que le possible extra‑divin qui demeurera toujours dans
l’état de simple possibilité. Sur la possibilité de sa connaissance par Dieu il n’y a, en général, dans la mesure où il s’agit de la créature non libre, aucune diversité d’opinions. Par contre, la controverse
signalée plus haut reparaît immédiatement dès qu’il s’agit des actions libres possibles du futur. Sous
ce rapport, la question a un intérêt tout particulier, car elle touche de très
près le problème qui concerne notre salut éternel ou notre damnation.
S’il était vrai de toute éternité
que, dans l’ordre actuel du salut,
Pierre se convertirait et que Judas ne le ferait pas, et si, dans l’hypothèse
d’un autre ordre possible de salut que Dieu connaissait et pouvait réaliser, Judas
lui aussi aurait été sauvé, on sent immédiatement la gravité et l’importance du
problème et que sa solution ait mis vivement les théologiens aux prises. La
question devient surtout capitale quand on la rapporte aux actes surnaturels de salut des hommes.
Si la question de la connaissance
des actions libres réelles est déjà
voilée d’une obscurité
extraordinaire, à plus forte raison celle de la connaissance des actions
futures conditionnelles. Quand il
s’agit du possible non libre, nous
trouvons dans l’Être de Dieu, ainsi que dans la nature et les dispositions de
la créature, un certain point d’appui pour notre connaissance. Les actions
libres futures ont tout de même, une fois qu’elles sont réalisées, un être propre qui peut d’une certaine
manière nous servir de point d’appui pour expliquer qu’elles peuvent être
connues. Quant aux actions libres conditionnellement
possibles, elles ne seront jamais réalisées, pas plus que leurs conditions
temporelles ; aussi elles n’appartiennent pas au cercle du possible qui
comprend les vérités éternellement nécessaires,
car ce n’est que sous une condition,
qui ne sera jamais réalisée, qu’elles reçoivent un caractère d’être et de
vérité. Et pourtant l’intelligence divine doit les pénétrer jusque dans les
plus minimes détails, si elle est en soi
parfaite et constitue la lumière éclatante de la Providence. Mais comment, dans
quel moyen, Dieu connaît‑il ces actes libres possibles ?
Le thomisme admet généralement aujourd’hui la réalité de cette
connaissance et répond d’une manière conséquente : Dieu connaît aussi ces
actions dans les éternels décrets de sa
volonté. Naturellement ces décrets ne sont pas les décrets absolus dont on a parlé ci‑dessus, autrement les actions libres seraient réelles. On conçoit plutôt ces décrets comme des décrets hypothétiques, conditionnels. Le décret
absolu est une décision d’agir sans considération du sujet et de l’objet, par
ex. : je veux écrire. Mais cette décision peut être accompagnée d’une
condition et ensuite l’accomplissement de cette condition peut dépendre soit du
sujet agissant soit d’un autre, par ex. : j’écrirai si je suis rentré à la maison ou bien si tu es revenu me trouver. Dans ce dernier
cas, la volonté d’écrire est subjectivement
absolue, objectivement conditionnelle. C’est de ce genre que doivent être
les décrets hypothétiques de la volonté de Dieu (decreta absoluta ex parte
subjecti, conditionata ex parte objecti), ou plus brièvement « objective
conditionata ». Les décrets de la volonté de Dieu sont subjectivement
absolus, en tant qu’ils contiennent une décision réelle, avec la force d’une prédétermination effective ; mais
ils sont objectivement conditionnés, en tant qu’ils sont liés à une condition
que Dieu ne veut pas accomplir, bien qu’il le puisse, ce qui fait que la force
de la prédétermination ne peut se réaliser. Il ne faut pas confondre ces
décrets avec celui de la volonté absolue de salut de Dieu, lequel est lié
objectivement à la condition de la coopération humaine avec sa grâce.
Les molinistes critiquent cette théorie, comme plus haut, en affirmant
qu’elle met en danger la liberté humaine et fait paraître Dieu comme l’auteur
du péché. C’est pourquoi ils insistent encore, et particulièrement à ce sujet,
sur le caractère inutile et superflu de pareils décrets, ainsi que
sur la nécessité d’admettre un nombre
infini de pareils décrets qui n’auraient d’autre but que d’étendre la science
divine. Dieu décréterait pour savoir ce qu’il décrète, ce qui est un cercle
vicieux.
Le molinisme développe précisément sur ce terrain sa théorie de la
science moyenne et repousse toute espèce de prédétermination physique. Dieu
voit d’avance avant tous les décrets de
sa volonté, lesquels naturellement ne sont pas rejetés en eux‑mêmes, mais sont placés au second plan, ce que feraient
les êtres libres particuliers dans les
divers ordres possibles du monde et dans les diverses circonstances naturelles
et surnaturelles possibles ; il voit ceux qui collaboreraient librement
avec son concours et ceux qui refuseraient de le faire. Alors il décide, dans
un second acte de volonté, de réaliser par la création un plan déterminé du
monde dans lequel tels et tels êtres libres seront sauvés librement, tels
autres perdus librement. Par là la science moyenne se confond avec la science
de vision.
Naturellement l’embarras
recommence doublement quand il s’agit du moyen dans lequel Dieu possède cette connaissance précise. Il n’y a pas
de vérité éternelle sans cause éternelle de la vérité. Et s’il y en avait une,
Dieu serait déterminé par elle de l’extérieur, ce qui est absurde. Devant la
difficulté de faire ici une déclaration inattaquable, un certain nombre de
molinistes modernes se contentent de s’en tenir au fait de la science moyenne
qui leur paraît exigée par la Révélation comme par la raison ; quant à la
question du fondement dernier de
cette science, quant au comment, ils
la déclarent insoluble et la laissent sans réponse. ‑ On pourrait croire qu’il ne s’agit ici que d’une controverse toute théorique. On aurait peut‑être raison, s’il ne s’agissait que de la théodicée ; mais cette question se
présentera de nouveau, avec toute son importance, dans la doctrine de la grâce. ‑ Une question toute spéculative, et sans aucune
importance pratique et religieuse, est celle de savoir si Dieu connaît une multitude « actu infinita ». Plusieurs théologiens considérables
l’affirment. La question est claire pour ceux qui admettent la possibilité
d’une création infinie.
A consulter : S. Thomas, S. th., 1, 19 sq. ; C.
Gent., 1, 79‑96 ; De verit., 22 sq. Ruiz, De voluntate divina. Janssens,
2, 228 sq. Kleutgen, 326 sq. Hontheim, Inst. th., 661 sq. Diekamp, 1, 191.
THÈSE. Dieu possède une volonté infiniment parfaite. De foi.
Explication. Le Concile du Vatican :
« Il y a un seul Dieu vrai et vivant... infini en intelligence et en
volonté » (S. 3, c. 1). On fait ressortir particulièrement la volonté
libre de Dieu dans la création (Ibid. ; Denz.. 1782 sq.). La volonté des créatures raisonnables consiste dans la
faculté qu’a l’esprit de se déterminer lui‑même. A l’essence de la volonté appartient la liberté. Les créatures sans volonté sont
régies par les lois nécessaires de la nature placées en elles. L’intelligence
est la lumière de la volonté ; la volonté elle‑même est aveugle. Elle saisit le bien que lui présente la connaissance.
Il est vrai que la volonté spirituelle est dominée par une loi interne de nécessité, en tant que la volonté de bonheur est l’acte
fondamental nécessaire et immuable de sa nature (voluntarium necessarium).
Cependant, dans la considération de l’objet dans lequel elle cherche le bonheur
qui est sa fin, ainsi que par rapport
aux moyens par lesquels elle cherche a atteindre ce bonheur, elle reste libre.
L’intelligence et la liberté constituent la noblesse de la personnalité créée.
Elles constituent aussi la noblesse de la personnalité absolue de Dieu.
Il n’y a pas de pire dégradation
de l’Être divin que celle que représente le panthéisme,
en attribuant à cet Être absolu une tendance inconsciente et purement naturelle
vers des buts inconnus. Il détruit par là‑même la notion d’un Dieu personnel et supprime toute religion
véritable. Un être qui est dominé par une
poussée naturelle aveugle qui le porte à évoluer et à se former, qui est le
jouet d’une force aveugle du devenir, est dépourvu de toutes les
caractéristiques de la divinité. Il est absolument impossible d’avoir avec lui
des relations religieuses personnelles. Que l’on admire, si l’on veut, sa force
infinie d’évolution, son être nous sera, au fond, indifférent. La volonté de
Dieu doit être une volonté spirituelle consciente, libre, personnelle. C’est
aussi ce que nous atteste la Révélation et nous démontre la raison.
Preuve. L’Ancien Testament commence par des actes extraordinaires de la
volonté de Dieu, dans la Création, dans les grandes sanctions, dans la conduite
d’Israël. En somme, on affirme, dès le début, la force illimitée de la volonté
plus que celle de la connaissance. Dieu fait ce qu’il lui plaît :
« Notre Dieu, il est au ciel ; tout
ce qu’il veut, il le fait » (Ps. 113 b, 3 ; cf. 134, 5‑6 ; Job, 41, 1‑2 ; Jér., 27, 5). La sainte volonté de Dieu est la norme décisive de la moralité. Il donne les commandements et veille à leur observation
(Ex., 20 ; Deut., 5).
Le Christ a sans doute un peu atténué la sévérité de la volonté divine
en faisant ressortir la bonté et la sagesse qui l’accompagnent (Math., 5,
45 ; 6, 25‑34) ; mais il a affirmé sa souveraineté et son
indépendance. « Que ta volonté soit faite sur la terre comme au
ciel » (Math., 6, 10) est la loi fondamentale de sa prédication ;
c’est aussi la loi fondamentale de sa vie (Jean, 4, 34 ; 6, 38. Math., 26,
39). Les Apôtres font de
l’enseignement de Jésus sur la volonté salvatrice de Dieu l’objet principal de
leur prédication. Cependant, S. Paul
apporte de nouveau dans cette volonté de salut qui, de par sa notion même, est
la bonté, un élément pris à l’Ancien
Testament, un élément de sévérité, en affirmant son indépendance qui ne doit de
comptes à personne. À l’objection : « Qui peut résister à sa volonté ? »
il répond : « O homme, qui es‑tu pour contester avec Dieu ? » (Rom., 9, 19‑20 ; cf. les chap. 9‑11).
Les Pères. En raison de la clarté de la question, il n’est pas nécessaire
d’entendre leurs témoignages sur la volonté
de Dieu en général. Dans leur polémique, ils ont soutenu la liberté de la
volonté de Dieu contre le fatalisme
des païens. Remarquons encore que, comme S. Paul, ils ont traité à part la
volonté de salut (S. Augustin, S. Jean Chrysostome, S. Jean Damascène) et que,
pour la solution des difficultés, ils ont introduit dans la théologie la
distinction entre la volonté antécédente,
absolue, avec laquelle Dieu veut le salut de tous et la volonté conséquente,
conditionnelle, avec laquelle il veut le salut de ceux qui sont réellement
sauvés.
La raison. Elle reconnaît que Dieu doit posséder lui‑même, et d’une manière éminente, une perfection qu’il a donnée aux créatures. Sans volonté divine
libre, il n’y aurait pas de Création ni de gouvernement du monde. D’après la
philosophie, la volonté suit la connaissance, le connu devient immédiatement un
objet d’appétit. La tendance inconsciente dans les créatures impersonnelles ne
peut dériver que d’une volonté libre et consciente comme dernière cause et ne
peut pas se comprendre par elle‑même comme le prétendent Schopenhauer, Hartmann, les panthéistes. Dominant et précédant toute tendance et toute volonté créées, dépendantes, limitées, il doit y avoir, comme leur
cause suprême, une volonté existant par elle‑même, absolue, infiniment forte et libre.
Perfection de la volonté divine
Thèse. C’est un acte substantiel, simple, éternel, immuable,
indépendant, car la volonté divine est objectivement identique avec l’Être
divin.
En Dieu, il n’y a pas de
différence réelle entre l’Être, l’essence et l’action. Surtout, sous aucun de
ces aspects, il n’y a en Dieu de potentialité. La volonté de Dieu n’est pas,
elle non plus, une puissance, mais un acte éternel et pur, l’activité absolue
qui, de toute éternité, n’a son fondement qu’en soi et par soi et ne peut être
déterminée de l’extérieur.
C’est pourquoi la volonté divine
trouve à peine une analogie dans la volonté humaine et c’est ce qui la rend si
difficile à comprendre. On ne doit pas la concevoir comme un désir d’une chose qu’on n’a pas ;
pas davantage comme une victoire
remportée sur des difficultés ; mais bien plutôt c’est un éternel repos dans la possession, une jouissance parfaite de ce qui, en tant
que vrai bien, peut être l’objet de la volonté. La volonté humaine ne présente
une analogie avec la volonté divine que dans la mesure où elle est arrivée à
son but et possède désormais pour toujours ce qu’elle a voulu et veut toujours.
La volonté de Dieu étant, comme
son Être et son essence, éternellement parfaite, elle n’est pas non plus causée, elle ne s’appuie sur aucun motif, elle n’est mue et
influencée par rien ; mais elle a son fondement absolu en elle‑même et plane dans une uniformité éternelle au‑dessus de tous les biens et de
tous les états passagers. Quand l’Écriture
cependant parle d’excitations et de mouvements qui se produisent en Dieu,
d’émotions, de colère et de passions, d’amour et de haine, de joie et de
tristesse, ce qui arrive très souvent, surtout dans l’Ancien Testament où l’on
attribue à Dieu tous les anthropopathismes,
cela tient à une conception encore inférieure, à un exposé fortement
analogique, qui ne peut pas convenir entièrement à l’Être absolu de Dieu. Même
l’exposé le plus parfait de la volonté de Dieu ne peut se dispenser de recourir
à des anthropopathismes. Il faudra parler tout au moins de l’« amour » et de la
« haine » de Dieu, de sa « colère » et de son
« contentement », tout en sachant bien qu’il ne faut pas songer à une
émotion, à une excitation, à une impression de la volonté et de l’Être de Dieu,
mais se rappeler qu’avec tous ces « sentiments » l’actualité pure de
son Être demeure.
En Dieu, l’Être, la connaissance
et la volonté sont réellement identiques. Néanmoins, d’après notre manière
analogique de penser, la volonté se distingue virtuellement de l’Être et de la connaissance, comme on l’a
expliqué plus haut. Il y a aussi une autre distinction à considérer ici. L’Être
divin et sa connaissance sont réellement identiques ; l’étendue de l’Être
divin est aussi celle de sa connaissance. On peut appliquer immédiatement ceci
à la volonté également et dire : l’étendue de l’Être divin est celle de sa
volonté. Or il y a des êtres qui sont en dehors de l’Être divin, les êtres
créés. Ces êtres, Dieu les connaît et
cela d’une manière primaire, dans son essence ; il les veut aussi, mais
pas tous ou plutôt il ne veut pas « tout » en eux, il ne veut pas le mal. Il le connaît, mais ne le veut
aucunement. Ensuite, il connaît aussi
le possible, mais il ne le veut pas ; autrement, il le réaliserait. Ainsi
donc, par rapport à l’objet, la
connaissance est plus étendue que la volonté. En soi, il est vrai, en tant qu’acte divin, la volonté est
réellement identique à l’Être et à la connaissance. Le motif de cette
différence, par rapport à l’objet, réside dans la liberté de la volonté à l’égard de cet objet. D’après notre manière
analogique de juger ‑ et nous ne pouvons pas le faire
d"une manière absolue – ceci introduit quelque chose d’accidentel. Dieu ne
veut pas tout ce qu’il peut vouloir et tout ce qu’il connaît comme
réalisable ; il veut moins qu’il ne connaît ; sa connaissance va plus
loin que sa volonté par rapport à son objet.
Division. Comme pour la connaissance, on fait des distinctions d’après l’objet ; en Dieu lui‑même, en raison de son absolue
simplicité, on ne peut faire aucune
distinction et aucune composition d’actes.
1. Volonté nécessaire et volonté libre. La première se rapporte à
l’Être nécessaire de Dieu et au domaine du possible qui a son fondement dans
l’essence divine (idées éternelles) ; la seconde se rapporte à ce qui est
accompli librement dans la Création.
2. La volonté antécédente et la volonté
conséquente. C’est la volonté
divine de salut qui, en tant qu’antécédente, a trait au salut de tous et en tant que conséquente a trait
au salut de ceux qui sont réellement sauvés. Dans le même ordre d’idées, les
Pères distinguent la volonté de bonté et la volonté de justice.
3. La volonté absolue et la volonté conditionnée.
Dieu veut conduire la créature non libre, sans condition, vers sa fin ;
par contre, il veut n’y conduire la créature libre qu’à condition qu’elle
coopère à son action.
4. La volonté efficace et la volonté
inefficace. La volonté absolue est toujours efficace ; la volonté
conditionnée n’est pas efficace quand la créature libre ne coopère pas. Il n’y
a cependant pas en Dieu de volonté sans force, de velléité, de vain désir. Il
faut plutôt juger, par rapport à la volonté inefficace, que de toute éternité
Dieu a voulu le salut de ceux qui ne coopèrent pas mais que sa volonté a
consisté seulement à les inviter, à leur donner l’impulsion et à les soutenir
suffisamment, sans aller cependant jusqu’à triompher efficacement de leur
paresse morale ou de leur répugnance. Dans ce sens, même dans le second cas, la
volonté de Dieu est efficace. En Dieu lui‑même, il est impossible qu’il y ait une volonté qui n’arrive pas à son but, parce qu’elle serait empêchée de l’extérieur. Si la volonté de l’homme s’oppose à celle de Dieu, elle lui sera
sûrement soumise dans un autre ordre opposé. Si elle n’est pas l’objet de la
volonté rémunératrice de Dieu, elle sera l’objet de sa volonté punitive.
5. La volonté de Dieu en soi et la manifestation de la volonté (v. beneplaciti et v. signi). Cette
manifestation peut se faire de cinq manières :
1° Par le commandement ; 2° Par la défense ; 3° Par le conseil ;
4° Par l’action, et 5° Par la permission. La manifestation la plus forte se
fait par l’action, c’est sa volonté
propre ; la plus faible se fait par la permission,
elle s’étend même au mal. Le commandement, la défense, le conseil peuvent être
appelés la volonté improprement dite de Dieu. La volonté de Dieu en soi
s’accomplit toujours ; la volonté signifiée est présentée aux créatures
pour qu’elle devienne leur volonté. C’est en considération de cette volonté que
le Christ dit : « Que ta
volonté soit faite ». Quand cette volonté s’accomplit, on le doit à la
grâce de Dieu ; quand elle ne s’accomplit pas, cela s’explique par sa
permission. Nous demandons que la volonté de Dieu soit faite, à cause de nous,
non à cause de lui (Cf. S. th., 1, 19, 12).
Thèse. Dieu lui‑même est l’objet primaire et formel de sa volonté, tout le reste n’est qu’objet secondaire et matériel.
L’objet primaire est celui vers
lequel la volonté se dirige par elle‑même (per se) ; l’objet secondaire est celui vers lequel elle
ne se dirige que dans la mesure où cet objet est en connexion avec le premier
(per accidens). L’objet formel est le motif de la volonté ; l’objet
matériel est simplement matière, terme de la volonté. Ainsi donc, le sens de la
thèse est celui‑ci : Dieu se veut et s’aime lui‑même comme premier objet de son
inclination ; logiquement, il n’aime et ne veut tout ce qui est
créé qu’ensuite ; car son essence est l’origine première et le modèle premier du créé, et sa volonté, en embrassant cette divine
essence, trouve sa pleine satisfaction. Néanmoins, il aime et veut le
créé ; cela est si vrai que le créé n’existe, comme il existe, que par sa
volonté. L’essence de Dieu est ensuite l’objet formel, le motif de sa volonté
et de son amour ; c’est dans cette essence, non pas précisément en tant
qu’essence, mais en tant que bien (bonum), que réside la raison du vouloir
(ratio volendi) qui fait qu’en dehors de lui‑même il veut encore autre chose ; ces autres choses (alia a se)
sont simplement le terme de son vouloir et non le motif, l’objet formel ;
cet objet formel est précisément la bonté de son essence (bonitas). C’est ce
qu’exprime S. Thomas avec concision : « Dieu se veut donc lui‑même, et il veut aussi les autres
choses. Il se veut comme fin, et il veut les autres êtres comme se rapportant à
cette fin » (S. th., 1, 19, 2).
L’amour de Dieu pour lui‑même est une conséquence nécessaire de la connaissance
absolue qu’il a de lui‑même. Étant donné qu’il se connaît comme le bien souverain et unique, il doit
aussi s’aimer comme tel. Il ne peut être
déterminé et mu dans son vouloir par ce qui n’est pas Dieu ; seule son
essence est capable de cet effet et y suffit. L’amour que Dieu a pour lui‑même s’appelle « amor complacentiæ » ; rapporté aux trois Personnes, il s’appelle « amor amicitiæ ». L’amour de
Dieu s’étend aux créatures comme « amor benevolentiæ ». Dans la
créature raisonnable, quand celle‑ci correspond librement et moralement aux intentions du Créateur, les théologiens parlent, dans un sens dérivé, de l’amour de bienveillance
et de l’amour d’amitié. On emploie
aussi, eu égard à la volonté générale de salut de Dieu, l’expression analogique
d’amour de désir (a. concupiscentiæ).
Thèse. Cet amour de Dieu pour lui‑même a, comme sa connaissance de soi, tous les
attributs parfaits de son Être ; il est éternel, immuable, indépendant, substantiel, nécessaire. Cela est
clair, d’après ce que nous avons dit plus haut.
Que Dieu aime aussi, d’une
manière libre, les créatures, c’est
un enseignement de l’Écriture et une vérité de raison. Il aime le monde né de
sa parole créatrice, de l’amour de complaisance, car, à ses yeux le monde est
« bon » (Gen., 1, 10, 12, 18, 21, 25), « très bon » (Gen.,
1, 31). « Tu aimes tout ce qui
est et tu ne hais rien de ce que tu as fait » (Sag., 11, 25). Le Christ
décrit cet amour pour toutes les créatures comme un souci constant pour leur
existence, leur vie et leur bien‑être (Math., 6, 26‑33 ; 10, 29 sq.). Le motif, d’après S.
Paul, réside dans ce fait que « toute créature est bonne » (1
Tim., 4, 4), car elle est une image de sa vérité et de sa bonté éternelles, un
témoignage de sa puissance et de sa sagesse. Ceci constitue en même temps la
preuve de raison de l’amour de Dieu
pour les créatures.
Cet amour cependant, à la
différence de l’amour que Dieu a pour lui‑même, est un amour entièrement libre, dans la mesure tout
au moins où cet amour, en tant que décret éternel, précède logiquement la Création. Cet amour n’était pas déterminé par sa propre essence ni par les images de
son essence au point qu’il lui fût nécessaire de
produire la Création. Au contraire, il était vis‑à‑vis de ces êtres complètement indépendant. Ce n’est qu’après sa libre décision qu’il aime ces êtres de cet
amour nécessaire qui est fondé sur leur ressemblance avec son Être. S.
Thomas : « La bonté de Dieu étant parfaite et pouvant se passer de
tout ce qui est en dehors d’elle, puisque rien ne peut ajouter à sa perfection,
il n’est pas absolument nécessaire que Dieu veuille d’autres choses que
lui ; mais il faut qu’il les veuille d’une nécessité hypothétique »
(S. th., 1, 19, 3).
Thèse. Parce que Dieu aime les créatures librement, il les aime aussi
inégalement.
L’amour de Dieu n’est pas une
émotion, mais un acte pur, une force agissante. Il aime les créatures dans la
mesure où il les réalise dans leur existence et les dote dans leur essence.
Cela se produit manifestement dans une mesure très variée. Dieu aime ses créatures à des degrés différents, parce
qu’il agit en elles avec une force
différente, depuis la pierre inanimée jusqu’à la plante vivante, l’animal
sensible, l’homme doué d’intelligence et de volonté ; et dans l’homme lui‑même, depuis l’action surnaturelle de la grâce jusqu’à la consommation dans la gloire,
depuis le païen jusqu’au fidèle, depuis le simple
fidèle jusqu’au martyr héroïque, depuis la grâce sanctifiante du chrétien
jusqu’à l’union hypostatique de l’Homme‑Dieu.
Cette inégalité de ce qui est
voulu et aimé ne produit cependant, dans
l’acte même de volonté de Dieu, aucune espèce de multiplicité et de
différence. Les créatures sont distinctes entre elles, mais il n’y a pas des
actes d’amour multiples, différents, particuliers dirigés vers elles. La
volonté de Dieu est absolument simple.
C’est pourquoi elle est aussi immuable,
bien que ses objets puissent changer. S. Thomas : « Sa substance [de
Dieu] aussi bien que sa science sont absolument immuables ; nous devons
donc conclure que sa volonté l’est aussi ». Remarquons à ce sujet que
« il y a de la différence entre changer de volonté et vouloir le
changement de quelque chose » (S. th., 1, 19, 7).
Dieu aime le possible d’un amour de simple complaisance. Il le connaît et l’aime
dans son essence où il a un être idéal et, comme tel, est aimable. Les hommes
eux‑mêmes sont capables d’éprouver, à l’égard de représentations
purement idéales du vrai, du beau et du bien, une grande joie et une vive
sympathie. En Dieu cet amour doit être d’autant plus vrai qu’il a la puissance
de réaliser son objet à tout moment. ‑ Par contre, l’impossible n’est objet ni de la connaissance divine ni de la volonté divine
et par suite il n’est pas non plus objet de sa toute‑puissance. Dieu ne peut pas réaliser ce
qui est intérieurement contradictoire, car il ne peut pas vouloir ce qui ne peut pas être.
Si l’impossible contredit sa vérité,
le mal contredit sa sainteté. Il y a
cependant ici une différence. L’impossible ne peut, d’aucune manière, être
objet de connaissance ; par contre, il faut que Dieu connaisse le mal
jusque dans les derniers détails de sa causalité, parce qu’il doit l’apprécier comme juge. D’après les
thomistes, Dieu connaît le mal dont il n’a pas d’idée en lui‑même et qui d’ailleurs ne possède pas d’être propre, dans son opposition au bien dont il est le
défaut. Bien que, par sa connaissance, il embrasse d’une certaine manière le
mal, il ne le fait aucunement avec sa volonté ; le mal est totalement
exclu de cette volonté.
Le mal physique n’est pas aussi opposé à l’Être de Dieu. C’est pourquoi
Dieu peut le vouloir ; il ne le veut pas en soi et à cause de ses qualités, mais en raison d’une fin plus
élevée, comme moyen pour le bien,
pour l’amélioration et la punition des méchants.
A consulter : De San, De Deo, 179‑194. Diekamp, 1, 197. Lercher, 2, 145.
THÈSE. Dieu est libre dans son activité à l’extérieur. De
foi.
Explication. Comme l’activité volontaire de Dieu, dans la mesure où nous la
considérons à l’extérieur comme liberté de choisir, est d’une importance
particulière, comme d’autre part elle a été limitée à différentes reprises par
des théologiens même catholiques depuis Abélard
(Denz., 374 ; cf. 586, 1620) jusqu’à Günther
(Denz., 1655), le Concile du Vatican
a frappé d’anathème celui qui dit : « Dieu n’a pas créé avec une
volonté libre de toute nécessité (voluntate ab omni necessitate libera), mais
aussi nécessairement qu’il s’aime lui‑même » (Denz., 1805 ).
La liberté de l’homme consiste négativement dans l’absence de
contrainte extérieure et de toute nécessité intérieure,
positivement dans la détermination et la décision autonomes, sur la base des motifs qui se présentent. La
volonté est libre dans la mesure où elle passe à l’acte par sa propre décision,
mais aussi dans la mesure où elle peut par son propre choix déterminer l’objet de son activité. Pour déterminer d’une
manière plus précise l’essence de la liberté, la philosophie distingue, en
tenant compte de l’objet du choix libre, la liberté : 1° De choisir entre
agir et ne pas agir ou bien entre vouloir et ne pas vouloir (libertas
exercitii, lib. contradictionis) ; 2° De choisir entre le bien et le mal
(lib. contrarietatis) ; 3° De choisir entre divers objets particuliers
dans le domaine du bien et du mal (lib. specificationis).
Si l’on applique cette
classification à Dieu, il est bien clair que la seconde catégorie, en tant que
choix du mal, ne peut lui convenir. Dieu ne peut que permettre le mal, il ne
peut le vouloir positivement. Cependant, cela n’est pas une déficience, mais
plutôt une perfection de sa liberté. Cette liberté de choisir le mal fait
également défaut aux anges et aux saints. Par contre, la liberté de choix, dans
le sens bien compris, lui appartient et d’une manière éminente. Toute détermination, même la détermination par des
motifs, qu’ils paraissent hors de Dieu ou en Dieu, disparaît : Dieu est
complètement et parfaitement libre. Il veut, parce qu’il se détermine librement
à cela. « Il veut parce qu’il veut » (S. Augustin). « On ne peut
assigner aucune cause à la volonté de Dieu » (S. Thomas, S. th., 1, 19,
5).
Preuve. La liberté de la volonté divine apparaît dans la Création comme puissance de la volonté, parce que toute la force de la décision
réside dans la volonté elle‑même : « Il a dit et ce fut fait, il a ordonné et ce
fut créé » (Ps. 32, 9). « Tout ce qu’il veut, le Seigneur le fait au
ciel et sur la terre » (Ps. 134, 6 ; cf. ps. 113 b, 3). Alors que la Genèse et les psaumes insistent sur la
liberté de l’acte de Création, le livre de Job,
conformément au caractère de théodicée de ce livre, fait ressortir surtout la
liberté dans le gouvernement du monde. « Il est l’unique et personne ne
peut détourner ses desseins, et ce que désire son cœur, il l’accomplit »
(Job, 23, 13). De même dans Sag., 12, 12 : « Qui pourrait te
dire : Qu’as‑tu fait ? Ou bien qui pourrait s’opposer à ton jugement ? Ou bien qui pourrait paraître devant ta face pour plaider
la cause d’hommes impies ? Ou bien qui pourrait t’accuser d’avoir fait périr les nations que tu as faites ? » Mais on ajoute aussitôt que cette liberté
n’est pas un arbitraire : « Mais toi, ô Seigneur de la force, tu
juges avec douceur et tu nous conduis avec beaucoup de ménagement, car le
pouvoir est toujours à tes ordres quand tu le veux » (Sag., 12, 18). Il
donne à qui il veut la domination sur ses créatures (Jér., 27, 5), il lui
accorde royauté et empire (Dan., 7, 22 ; 5, 21). « Comme des
ruisseaux d’eau est le cœur du roi dans la main du Seigneur ; il le
conduit où il veut » (Prov., 21, 1).
Dans le Nouveau Testament, c’est naturellement la liberté de la Rédemption qui apparaît davantage. C’est
avec cette liberté qui ne manque pas de pouvoir que Jésus console ses disciples : « Ne craignez pas, petit
troupeau, car il a plu à votre Père de vous donner le royaume » (Luc, 12,
32). Mais « l’Esprit souffle où il veut » (Jean, 3, 8). De même S. Paul : « Je ferai miséricorde
à qui je veux faire miséricorde et j’aurai compassion de qui je veux avoir
compassion » (Rom., 9, 15 ; Traité de la grâce, § 121). « Mais
c’est le même Esprit qui produit tous ces dons, les distribuant à chacun en
particulier, comme il lui plaît »
(1 Cor., 12, 11 ; cf. Eph., 1, 5‑11 ; Jacq., 1, 18).
Les Pères. Ils trouvèrent l’occasion de s’exprimer sur la liberté divine en
combattant le déterminisme et le fatalisme des païens dans la doctrine de
la Création (par ex. : S. Irénée, les apologistes) ; en combattant l’arianisme dans la doctrine de la
Trinité ; en distinguant entre la volonté nécessaire dans la génération du
Fils et la volonté libre dans la création du monde (S. Athanase) ; dans la
doctrine de la grâce en affirmant la liberté de la prédestination divine (S. Augustin).
La Scolastique trouva dans l’optimisme
représenté par Abélard une nouvelle impulsion à traiter le problème de l’unité
de la volonté intérieure et de la volonté extérieure, ou de la nécessité et de
la liberté, problème qui a occupé les esprits jusque dans ces derniers temps,
tant à l’intérieur de l’Église (Günther, Hermès) qu’au dehors (panthéisme) et
qui a déterminé le Concile du Vatican à faire une définition.
La raison déduit la liberté de Dieu dans son œuvre à l’extérieur,
d’abord de l’Être de Dieu qui, étant absolu, ne peut être mu par les biens
extérieurs et à plus forte raison ne peut l’être nécessairement, puis de l’être
des créatures dans lesquelles on ne peut trouver nulle part l’élément de
nécessité absolue d’être, mais dans
lesquelles au contraire se manifeste, de toute part et sans exception, le
caractère d’accidentalité et de possibilité. S. Thomas dit : Dieu veut une
seule chose nécessairement et le reste librement. « Dieu veut donc
nécessairement sa bonté comme nous voulons nécessairement le
bonheur » ; sa bonté est « l’objet propre de sa volonté »
il veut toutes les choses qui sont en dehors de lui « suivant qu’elles se
rapportent à sa bonté comme à leur fin ». Mais « la bonté de Dieu
étant parfaite et pouvant se passer de tout ce qui est en dehors d’elle,
puisque rien ne peut ajouter à sa perfection, il n’est pas absolument
nécessaire que Dieu veuille d’autres choses que lui » (S. th., 1, 19, 3).
(Sur l’optimisme, cf. § 64).
Nécessité et liberté. Dieu s’aimant lui‑même d’une nécessité absolue et aimant tout le reste
avec une liberté également absolue, la nécessité et la liberté se réunissent dans un acte
simple, unique, indivisible.
1. Mais la compénétration et
l’unicité de ces deux aspects sont mystérieuses. L’obscurité s’éclaire un peu
quand on considère que la nécessité de l’amour dont on est soi‑même l’objet n’est pas ressentie comme une
contrainte, mais comporte en même temps cette liberté qui accompagne l’amour.
Dieu doit nécessairement s’aimer parce qu’il se connaît comme l’unique bien absolu. Il s’aime avec une vue parfaite
de la bonté de son Être (Cf. Scheeben, 1, 693 sq.). Nous trouvons une analogie
de ce fait dans notre volonté nécessaire de bonheur. Nous sommes obligés de
vouloir ce bonheur et pourtant nous le voulons avec la plus grande joie de
notre volonté.
2. Si l’acte de volonté qui a
pour objet la Création est un acte éternel,
ne s’ensuit‑il pas que l’effet voulu
est éternel lui aussi ? L’effet et sa cause, pour mériter véritablement ce
nom, ne doivent‑ils pas être contemporains ?
Et Dieu ne produit‑il pas de fait, maintenant encore, des effets directs
qui sont une émanation de l’acte éternel ? Les choses ne sont‑elles pas de telle sorte que la contingence et la succession de l’effet doivent être transportées dans la volonté de Dieu lui‑même ? Bien plus, cela n’est‑il pas exigé par la notion même de la liberté qui énonce la possibilité constante de vouloir aussi autre chose
même encore maintenant, après la réalisation
effective du plan de la Création ?
A cela il faut répondre que, tout
en ne comprenant pas complètement la compénétration de la liberté et de la
nécessité, nous devons cependant nous y tenir fermement, que Dieu a voulu
éternellement le temporel, mais comme temporel et non comme éternel ; ce
qui, d’ailleurs, d’après S. Thomas, aurait été également possible. Dieu reste toujours libre après s’être décidé pour un
ordre déterminé du monde ; mais cette liberté se manifeste maintenant par
le fait qu’il veut constamment ce monde et ne veut pas d’autres mondes
possibles. Il n’a aucun motif de
choisir autrement, parce que, à cause de sa connaissance parfaite, il n’a pas
de nouvelles « raisons » pour cela. La liberté de Dieu est également
parfaite parce qu’elle est conseillée par l’intelligence la plus parfaite. La
mutabilité ne fait aucunement partie de l’essence
de la liberté ; au contraire, la libre décision actualisée parfaitement est immuable. Une fois que
Dieu a voulu librement le monde, il est nécessaire
(necessitate consequenti) qu’il le veuille aussi toujours et toujours librement. Quand l’acte subjectif de volonté
et son objet ne sont pat réellement distincts, comme dans l’acte immanent de la
volonté de Dieu dont il est lui‑même l’objet, il est nécessaire que l’acte et l’objet coexistent ; c’est le cas
pour Dieu en tant qu’il se veut et s’aime lui‑même. Mais si l’acte et l’objet sont réellement distincts, il doit être possible en principe que l’acte et l’objet ne coexistent
pas en même temps. L’acte alors embrasse en même temps le vouloir de l’objet,
son mode d’existence (comme le temps et l’espace) et le détermine. Ainsi quelqu’un peut vouloir dans un seul acte de
volonté que son serviteur fasse un certain travail et qu’il le fasse demain. Or ce qui est possible à la
liberté humaine, ne peut pas être impossible à la liberté divine infiniment
parfaite. Cela ne veut pas dire qu’on a dissipé toute l’obscurité qui enveloppe le problème de la nécessité et de
la liberté divines. Cependant, il faut que cette séparabilité du vouloir et du
voulu soit un privilège de la liberté divine, modèle souverain de la liberté
créée.
3. Il y a également une
difficulté logique dans le fait que le vouloir de Dieu n’est pas causé. Par là il apparaît comme
aveugle et arbitraire et en quelque sorte comme un danger pour le voulu. Mais
si le vouloir de Dieu est sans cause,
cela ne veut pas dire qu’il soit sans
raison. Sa volonté correspond à son Être ; or dans son Être, tout est
harmonie, unité, ordre. La volonté de Dieu est en union avec sa connaissance
dans laquelle il n’y a rien de contradictoire, rien d’arbitraire. Il en résulte
cette vérité que, si le vouloir de Dieu est sans cause, il est cependant
nécessaire que règne, dans le voulu, la plus haute raison et le plus grand ordre.
Dieu ne peut pas avoir de motifs pour lui‑même, mais il peut vouloir que telle créature se rapporte à l’autre,
par ex. : que le soleil existe pour les plantes. Pour lui‑même, Dieu veut dans un seul et unique acte la fin et le moyen ;
mais pour le voulu, la fin et le
moyen se distinguent. Il veut donc que telle chose soit motivée par une autre, mais lui ne veut pas une chose à cause d’une autre (il veut la chose
pour le motif, mais ce n’est pas à cause du motif qu’il la veut » (S. th.,
1, 19, 5).
A consulter : S. Thomas, S. th., 1, 25 ; C.
Gent., 2, 7 sq. Petau, 5, 6 sq. Lessius, De perf. div., 5, 12. Paquet, 1, 322 sq. Diekamp, 1, 208. Minges,
2, 96.
THÈSE. Tout ce que Dieu peut vouloir, il peut l’accomplir, il est
tout‑puissant. De foi.
Explication. Le Symbole des Apôtres
connaît déjà l’article concernant Dieu, le Créateur tout‑puissant, article que les autres symboles
ont ou reproduit ou supposé (Later. 4 ; Denz., 428. Vatic.; Denz., 1782).
La toute‑puissance ne doit pas être conçue comme une potentialité de la volonté qui, par suite d’une décision, passe en
acte. Au contraire, elle est identique à l’Être même de Dieu. La toute‑puissance de Dieu est l’activité et l’efficacité pure, mais seulement dans la mesure où elle est dirigée vers l’extérieur. Ce n’est pas au sujet de l’action interne de Dieu que la
Révélation et la théologie emploient l’expression toute‑puissance, mais dans la mesure où cette toute‑puissance apparaît comme le principe de la Création, et cette expression s’emploie au sens analogique. C’est pourquoi les
théologiens disent que la puissance de Dieu est formellement immanente et
virtuellement transitoire (formaliter immanens et virtualiter transiens), parce
qu’elle est la cause interne des effets extérieurs. Si la connaissance et la
volonté sont des actes purement
immanents de Dieu, la toute‑puissance (potentia) est sans
doute un principe immanent, mais le principe des effets qui se trouvent en dehors de Dieu (Cf. Traité de la
Trinité, § 56).
On s’est demandé si la puissance
divine est formellement distincte de
la connaissance et de la volonté. S.
Thomas répond : « En Dieu, il n’y a pas de principe d’action
(potentia) entendu dans ce sens que ce principe serait réellement distinct de
la science et de la volonté, mais seulement logiquement, en ce sens que la
« puissance » signifie un « principe exécutif » de ce que
la volonté a commandé et de ce à quoi la science a conduit... Ou bien on peut
encore dire que la science et la volonté divines elles‑mêmes sont une puissance dans la
mesure où il en procède un effet » (secundum quod est principium
effectivum) (S. th., 1, 25, 1).
Preuve. En raison de sa puissance de volonté, l’Ancien Testament appelle
Dieu : « Le Dieu grand et puissant et terrible » (Deut., 10, 17
). On en dérive même certains noms divins, comme El et Schaddaï
(Septante : omnipotens). La toute‑puissance de Dieu se manifeste
particulièrement dans la Création. « Il dit et ce fut
fait » (Ps. 32, 9 ; cf. ps. 103, 134, 6 ; Eccli., 1, 8‑11 ; 43). Elle se manifeste aussi
dans les sanctions contre le péché
(Déluge, Babel, Sodome) ; dans la conduite puissante des Juifs, d’Égypte
en Chanaan, comme Dieu d’alliance
d’Israël. Les Prophètes et les Psaumes rappellent ces œuvres puissantes de Dieu
pour inspirer au peuple confiance et consolation dans les temps difficiles.
« Mes desseins demeurent et toute ma volonté sera accomplie », dit
Dieu dans Isaïe (46, 10). « Sa puissance est une puissance éternelle et sa
domination (s’étend) de génération en génération... Et il n’y a personne qui
résiste à sa main et lui dise : Pourquoi l’as‑tu fait ? » (Dan., 4, 31‑32). « Quand Dieu envoie sa parole, elle
exécute ce qu’il a voulu et elle ne revient
jamais vide vers lui » (Is., 55, 10). « Sa main n’est jamais trop courte pour nous aider » (Is., 59, 1). C’est ce que répète sous une forme philosophique le livre de
la Sagesse (11, 18 ; 12,
18 ; 13, 4).
Les Psaumes signalent souvent les
miracles de Dieu dans la Création.
« Lui seul accomplit des œuvres merveilleuses » (Ps. 71, 18 ;
cf. 9, 2 ; 25, 7 ; 39, 6 ; 67, 36 ; 70, 17 ; 74,
2 ; 76, 15, etc.). Une des caractéristiques de la notion de Dieu dans
Israël est d’affirmer d’abord la grande puissance de Dieu dans les actions
extérieures. Mais plus tard on voit apparaître la pensée que cette puissance
divine est aussi une puissance morale
de rédemption. L’Esprit de Dieu, qui
accomplit tout, accomplira aussi un jour dans l’homme la purification du péché
et la grâce, la sainteté et la justice, la vérité et la bonté (Jér., 31, 31‑34 ; 33, 14‑16. Ez., 36, 26‑27).
Jésus célèbre la puissance salvatrice de son Père qu’il présente
surtout comme Dieu rédempteur. A la question pusillanime des disciples :
« Qui pourra donc être sauvé si le riche entre si difficilement dans le
royaume des cieux ? » il répond : « Pour les hommes, cela
est impossible ; mais pour Dieu, tout est possible » (Math., 19, 25‑26). Il songe à cette puissance dans son agonie : « Père, tout t’est possible » (Marc, 14, 36 ; cf. Luc, 1, 37 ; Rom., 9, 19 ; Éph., 1, 5‑13 ; 3, 2).
Les Pères. Ils eurent l’occasion d’affirmer la toute‑puissance dans la doctrine de la Création, en combattant les
païens comme les manichéens qui faisaient dépendre Dieu d’une manière
éternelle. S. Théophile pense même
que le nom de « Dieu » vient de sa toute‑puissance (Ad Aut., 1, 4). Le « Pater omnipotens », πατὴρ παντοϰράτωρ, dans le Symbole des Apôtres est
de la plus haute antiquité (Denz., 115). De là vient que l’on traite aussi
cette vérité dans la catéchèse. Enfin
on trouve cette affirmation dans la doctrine difficile de la prédestination. Dieu trouve des limites, dit‑on, pour sa toute‑puissance comme pour sa liberté dans sa vérité et sa sainteté. Ce qui constitue une contradiction interne
avec sa vérité, il ne peut ni le vouloir ni l’accomplir. Il ne peut pas
davantage accomplir ce qui s’oppose à sa sainteté et à sa justice. De même, la sagesse règle son vouloir et son pouvoir,
si bien qu’il ne peut rien accomplir qui soit fantastique, sans but et sans
règle. Qu’il y ait plusieurs choses que Dieu ne puisse accomplir à cause de sa
vérité et de sa justice, cela est une perfection et non un défaut. C’est
pourquoi S. Augustin dit :
« Dieu est tout‑puissant, et parce qu’il est tout‑puissant il ne peut mourir, il ne peut être trompé, il ne peut mentir, et selon la
parole de l’Apôtre, « il ne peut se renier lui‑même ». Que de choses il ne peut pas, quoiqu’il
soit tout‑puissant ; ou plutôt, il est tout‑puissant parce qu’il ne peut pas toutes ces choses » (De symb., éd. Morin, 3 ; cf. Civ., 5, 10, 1). S. Thomas : « Il serait, par
conséquent, plus convenable de dire qu’elles ne peuvent être faites, que de
dire que Dieu ne peut les faire » (S. th., 1, 25, 3 c).
Puissance ordonnée et puissance absolue (p. ordinata, p.
absoluta). Cette
distinction était déjà faite par la haute Scolastique, mais on peut la
dénaturer et lui donner un sens hérétique. Au sens catholique, la puissance absolue est la puissance conçue comme
antécédente au décret de création et qui aurait pu être appliquée par Dieu à
autre chose ; la puissance ordonnée est la puissance qui s’exerce en
conséquence du décret de création. D’autres appellent aussi la puissance
miraculeuse puissance absolue (il vaudrait mieux dire extraordinaire), et la
puissance qui agit régulièrement, puissance ordonnée (ordinaire). Est hérétique l’explication qui fait de la
puissance absolue une puissance détachée de la justice et de la sagesse, en
vertu de laquelle Dieu pourrait par ex. condamner un juste aux peines
éternelles de l’enfer, et de la puissance ordonnée une puissance en vertu de
laquelle Dieu ne peut réaliser ce que lui permettrait sa puissance absolue,
parce que sa sagesse et sa justice limitent sa puissance (Luther, Calvin). Les nominalistes commencèrent à abuser de
cette distinction. Ils prouvaient d’abord le dogme « potentia
ordinata », mais ensuite ils essayaient de montrer que par la puissance
absolue un grand nombre de choses auraient pu être entièrement différentes. Ils
détruisaient ainsi la nécessité logique et la convenance du dogme qu’on avait
toujours admises fermement depuis S. Anselme ; ils préparaient ainsi la
voie au fantôme de la double vérité et de l’irrationabilité dogmatique que
soutinrent les Réformateurs (Denifle, 1, 591 sq.).
Conclusion pratique. La toute‑puissance est la première et la plus importante révélation de Dieu. C’est
pourquoi S. Augustin peut écrire : « Deus potestate Deus est »
(Ed. Morin, 2). La toute‑puissance est le grand thème des Psaumes et des Prophètes. On reproche à notre piété de fuir la contemplation de la nature
sensible et de considérer cette contemplation comme un romantisme vain. Si ce reproche
était vrai, notre piété serait en contradiction avec le dogme et la Bible. Au
contraire, celui qui a déjà trouvé Dieu dans la foi, aime aussi à le chercher
dans la nature et l’y trouve dans la grandeur comme dans la petitesse. Il se
sent envahi par la pensée de la toute‑puissance, quand, le regard levé vers le ciel étoilé, il contemple l’immensité de l’univers. Au bout d’un moment de cette contemplation,
on passe facilement à l’adoration de la grandeur et de la
toute‑puissance de Dieu. Qui a appelé à l’existence tous ces corps célestes, les plus
proches, les plus éloignés et les très lointains ? Qui leur a donné leurs
attributs et leurs forces ? Qui les a dirigés dans leur immense
orbite ? Qui leur a assigné leur terme et leur but ? Qui les a
ordonnés dans une coopération et une harmonie réciproques ? Comment ne pas
se laisser ranger dans cette harmonie ? Comment pourrais‑je même tenter de poursuivre mes propres buts par mes propres chemins,
loin de la grande route que suivent toutes les créatures dociles, pour tendre à leur fin ?
C’est cette reconnaissance de la souveraineté
de Dieu parmi les hommes que Jésus annonce dans l’Évangile comme le
« royaume du ciel ». C’est dans ce sens compréhensif qu’il appelle
Dieu le « Seigneur du ciel et de la terre » (Math., 11, 25). Si nous
nous soumettons à l’autorité de Dieu, nous recevons par sa grâce autorité sur nous‑mêmes et sur les créatures. « Servir Dieu, c’est régner ».
A consulter: S. Thomas, S. Th., 2, 2, 81, 8. Diekamp,
1, 199. Minges, 1, 100. Lucher, 2, 162. Lessius, De perf. div. 8, 1‑2.
THÈSE. Dieu est la sainteté substantielle ; il est
souverainement saint. De foi.
Explication. La notion de sainteté ne peut s’appliquer à Dieu qu’en vertu
d’une forte analogie, car c’est à peine si l’on peut parler de sainteté en tant
que moralité, à propos de Dieu. On ne peut pas en parler au sens négatif comme purification acquise du
mal, ni au sens positif comme effort
vers le bien. La sainteté est un don communiqué d’en haut, la suppression d’un
état non saint. Cela non plus ne peut s’appliquer à Dieu.
On explique la sainteté de Dieu
comme l’accord entre sa volonté et son Être.
C’est en cela que réside, négativement, l’opposition de principe à tout ce qui
n’est pas saint et, positivement, la somme de tout bien, en tant qu’affirmation
de ses perfections infinies. La volonté de Dieu étant identique avec son Être,
il en résulte qu’il est saint par son essence même ; sa sainteté est une
sainteté substantielle, une donnée de son Être même, une sainteté absolue et
non une qualité accidentelle acquise.
En tant que mesure de toute
sainteté, Dieu est ensuite également le Saint pour nous, il est le Saint par excellence qui communique aux
autres la force et la dignité de la sainteté : la véritable sainteté de la
volonté à la créature spirituelle et la sainteté dérivée, relative, que confère
la consécration aux objets de culte qui lui sont destinés. La sainteté de Dieu
est contestée par le manichéisme et
le prédestinatianisme.
Preuve. La sainteté de Dieu apparaît objectivement,
dès le début, comme attribut principal, à côté de la toute‑puissance. Elle se manifeste dans la loi morale, dans l’histoire
de la chute, dans les sanctions contre le péché, dans la proclamation des commandements,
particulièrement dans le précepte de la sainteté : « Vous serez donc
saints car moi, je suis saint » (Lév., 11, 45 ; cf. 18‑26). Les Prophètes surtout ont, en conformité avec leur notion de Dieu, exalté la sainteté divine. Le « Saint ! Saint ! Saint, le
Seigneur de l’univers ! » (Is., 6, 3) est passé dans la liturgie. Dieu est le « le Saint d’Israël » (Is., 1, 4) qui ne peut pas supporter un
peuple qui ne soit pas saint (Ex., 19, 6). Il n’est pas seulement saint en lui‑même, mais encore ses opérations le sont : sa loi (Ps.
18, 8), sa voie (Ps. 76, 14), son bras (Ps. 97, 1), toutes ses œuvres (Ps. 144,
17).
Cette affirmation postérieure de
la sainteté est en connexion avec la question qui apparaît à l’époque qui suit l’exil : Pourquoi
le juste doit‑il souffrir (Job, Eccl.) ? Dieu peut‑il lui faire du mal sans qu’il le mérite ? De cette question sortit le
problème général : Dieu peut‑il d’une façon quelconque faire le mal ? Ne peut‑on pas tout au moins lui attribuer la tentation ? La réponse générale de l’Écriture est : non. « Car Dieu hait le mal, le châtie et le punit » (Ps. 5, 5‑7 ; 10, 68. Sag., 14, 9). « Ne dis pas : c’est lui qui
m’a égaré ; car il n’a pas besoin des pécheurs » (Eccli., 15, 12).
« Il ne donne à personne l’ordre d’agir d’une manière impie et à personne
il ne permet de pécher » (Eccli., 15, 21).
Le Christ prêche la notion morale de Dieu. « Soyez donc parfaits,
comme votre Père des cieux est parfait » (Math., 5, 48). Parce qu’il est
saint, il nous fait demander : « Que ton nom soit sanctifié » (Math., 6, 9). Il s’adresse ainsi à
lui : « Père saint » (Jean, 17, 11), et il le conjure de
sanctifier aussi ses disciples : « Sanctifie‑les dans la vérité, ta parole est vérité... je me sanctifie pour eux, afin qu’ils soient eux aussi sanctifiés dans la vérité » (Jean, 17, 17‑19).
S. Jacques repousse énergiquement l’objection que combattait la Sagesse (14, 9) : « Que
personne ne dise, quand il est tenté, qu’il est tenté par Dieu ; car Dieu
n’est pas tenté par le mal et quant à lui il ne tente personne » (1, 13). S. Paul dit, sans doute, que la loi de
Dieu a été « occasion de péché », mais il affirme qu’en soi « le
commandement est saint et juste » (Rom., 7, 11‑12). L ’homme pécheur doit se transformer en un « homme nouveau qui a été créé selon Dieu dans la justice et la sainteté de la vérité » (Éph., 4, 24). S. Pierre répète le précepte de sainteté : « Vous serez
saints, car moi, je suis saint » (1 Pier., 1, 16). « Mais vous, vous
êtes une race élue, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple racheté,
afin que vous annonciez les vertus de celui qui vous a appelés des ténèbres à
son admirable lumière » (1 Pier., 2, 9).
Dieu auteur du mal ? On peut recueillir dans l’Écriture une foule
de textes dans lesquels il semble que le mal soit ramené directement à Dieu. Il endurcit l’homme dans le péché (Ex., 4,
21 ; 7, 3 ; 9, 16. Rom., 9, 17) ; il envoie des esprits
trompeurs (3 Rois, 22, 23 ; Ez., 14, 9 ; 2 Thes., 2, 10‑11) ; il ordonne de maudire (2 Rois,
16, 10) ; il donne occasion de tuer afin
de faire mourir (1 Rois, 2, 25).
Toutes les difficultés contenues
dans ces passages se résolvent, si on se réfère à la justice de Dieu qui punit
le méchant par le mal. Le péché
devient le châtiment du péché ;
il se punit lui‑même. Cela est souvent, dans la conception plastique de la causalité universelle de Dieu, ramené à
cette causalité. On trouve normal que le mensonge et la tromperie, surtout
l’infidélité envers Dieu, soient punis au moyen de l’envoi par Dieu de faux
prophètes. Mais l’interprétation humaine de faits historiques réels et
l’intention divine sont deux choses distinctes. On ne connaissait pas encore la
notion de volonté permissive.
Mais n’en est‑il pas de même dans le Nouveau Testament ? Le Christ
ne dit‑il pas que Dieu « a caché (l’Évangile) aux sages et aux prudents et l’a révélé aux petits » ? (Math., 11, 25). Il faut bien
que le fait de cacher soit aussi vrai que le fait de révéler. Et dans S. Marc
(4, 11) : « A vous il a été donné de comprendre les mystères du
royaume de Dieu ; mais à ceux qui sont dehors, tout est offert en
paraboles, afin qu’en voyant ils ne voient pas et qu’ils périssent dans leurs
péchés » (Cf. aussi Luc, 8, 10). La solution nous est donnée par Math.,
13, 14‑15, où ces paroles apparaissent comme une citation
libre d’Isaïe (6, 9‑10). Cette prophétie, dit Jésus, trouve aujourd’hui son accomplissement. Le
Christ donne l’exégèse d’Isaïe et doit, par suite, s’en tenir
au texte. Dieu ne veut pas l’endurcissement d’Israël : il le permet
seulement. L’Écriture appelle cela une opération
de Dieu, parce qu’elle n’a pas encore la notion de sa volonté permissive. L’Écriture juge d’une
manière pratique ; elle rapporte, une fois pour toutes, tout à Dieu et de
même elle rapporte toutes les actions des hommes aux hommes eux‑mêmes, mais elle ne pense pas
encore à la compénétration de la cause première et de la cause seconde. « Il endurcit qui il veut » (Rom., 9, 18). Pour Pharaon,
l’endurcissement était un châtiment, il n’était pas voulu en tant
qu’endurcissement, mais à cause de sa méchanceté. S. Pierre dit que les Juifs
ont crucifié Notre‑Seigneur « d’après les desseins déterminés de Dieu » (Act. Ap., 2, 23). Tous les
Apôtres disent, dans une prière commune, que dans Jérusalem, Hérode et Pilate,
païens et Juifs, font rage contre l’Église, « pour faire ce que ta main et
ton conseil avaient décidé d’avance » (Act. Ap., 4, 27 sq.). Dans cet
examen de la Providence divine, les
Apôtres ont, pour ainsi dire, sur les lèvres la notion de permission ;
mais ils ne peuvent pas encore la formuler, il leur manque le mot propre. Aussi
ils s’expriment d’une manière pratique et nomment les deux causes en donnant la prépondérance à la cause divine, comme cela se fait toujours dans
la Bible. La notion de permission est encore, pour nous, une notion difficile,
il suffit de réfléchir pour s’en rendre compte. Quand il s’agit du péché d’omission, on peut facilement
l’expliquer comme une privation, comme une déficience d’être et de bien ;
par contre, il semble à un certain nombre de théologiens que le péché de
commission est une énergie positive qui ne signifie pas simplement un défaut.
Quoi qu’il en soit et quelle que soit la manière logique dont on explique le
péché, la sainteté essentielle de Dieu ne peut pas être souillée par lui. Pour
ce qui est des psaumes de malédiction
(34, 51, 53, 54, 57, 58, 108, 136), ainsi que des terribles formules de malédiction (Deut., 28), ils
ne remontent pas à Dieu ; ils sont inspirés
dans la mesure où il est vrai que le zèle humain pour Dieu et sa cause s’est
exprimé là d’une manière très forte, mais imparfaite. Ou bien on peut répondre avec
S. Grégoire de Nysse :
« Quand le psalmiste dit que le pécheur et l’impie doivent disparaître de
la terre en sorte qu’ils ne soient plus, il demande que le péché et l’impiété
cessent sur la terre » (De orat., 1 : M. 44, 1131).
Conclusion pratique. La sainteté donne de la dignité et de la
majesté intérieures. La sainteté de Dieu est infinie ; c’est pourquoi elle a droit à un honneur infini, que
nous ne pouvons cependant lui rendre que sous la forme finie de l’adoration. Dans l’adoration se trouve la
reconnaissance de l’aséité de Dieu
qui le distingue de toutes les
créatures et lui donne une majesté infinie ; c’est aussi la reconnaissance
de la bonté et de la perfection morale de
Dieu qui le rend à nos yeux infiniment digne et inaccessible. De là l’attitude extérieure d’humilité dans l’adoration, de la part
des hommes qui sont si dépourvus à la fois de l’aséité et de la sainteté. «Toi
seul est saint, Toi seul est Seigneur, Toi seul est le très‑haut » ‑ « Je suis saint,vous devez devenir saints » (Lév., 11, 45). « Je suis l’Éternel, qui vous sanctifie » (Lév., 22, 32). Il n’est pas
d’attribut divin dont on affirme que nous pouvons y participer aussi expressément que de la sainteté. Ce n’est que par
la grâce de la Rédemption que la sanctification a pu parvenir à son achèvement intérieur complet. Elle n’est pas
seulement possible, elle est obligatoire : « Ce que Dieu veut, c’est votre
sanctification » (1 Thes., 4, 3).
A consulter : S. Thomas, S. th., 1, 21. Paquet, 1, 263 sq. Diekamp, 1, 201. Minges,
1, 102. Lessius, De perf. div., 13, 1‑30. Ruiz, De vol. div.
disp., 55 sq. Hontheim, Inst., 717
sq.
THÈSE. Dieu est juste. De
foi.
Explication. La justice, au sens strict, est la volonté constante de compenser
tout bien reçu par une prestation équivalente (justitia commutativa : perpetua
et constans voluntas jus suum cuique tribuendi). Cette notion n’est pas
applicable à Dieu, parce que, à l’égard de l’Absolu, nous ne pouvons être que
parties prenantes et non parties donnantes. Il manque l’égalité des sujets et
des objets respectifs (Rom., 11, 35). La justice que la Révélation attribue à
Dieu est celle de la sanction dans le
domaine moral, comme récompense (just. remunerativa) et comme châtiment (just.
vindicativa). Bien que la justice de châtiment, en tant que purement
vindicative, ne soit pas très facile à comprendre, on ne doit pas cependant
contester à Dieu, avec l’École alexandrine et récemment avec Hermès, le droit
d’appliquer la peine purement vindicative (pœna vindicativa). La peine
vindicative apparaît quand la peine médicinale ne peut plus atteindre son but. S. Anselme a exagéré dans l’autre sens
avec l’axiome : « La peine, ou la satisfaction » (Cf. Doctrine
de la Rédemption, § 82).
Preuve. L’Écriture prêche, en même temps que la sainteté de Dieu, sa
justice dans la sanction de toute moralité et de toute culpabilité créées.
Jahvé est l’origine et le refuge de toute justice et de tout ordre. Celui qui
observe la justice et l’ordre ‑ et la possibilité de le faire est partout supposée
‑ reçoit bénédiction et récompense : c’est ce que montre la vie de tous
les hommes de Dieu. Celui qui les viole reçoit malédiction et châtiment (Deut., 27, 12‑28, 68 ; 32, 4. Ps. 146, 6) et là encore nous trouvons de nombreux exemples.
Rappelons seulement Adam, Caïn, Noé, Joseph, Moïse, Saül et David.
Personne n’a mis en lumière la
justice de Dieu d’une manière plus explicite que Jésus, malgré sa notion de Dieu‑Père. Dieu est le juste rémunérateur des bons, celui qui sanctionnera un
jour publiquement ce qui se fait en secret (Math., 5‑7) ; il punira le mal avec la même justice (Math., 23‑24). Pour les deux
points, nous avons le témoignage des paraboles du jugement (Math., 25, 31‑46). « Et alors il rendra à chacun selon ses œuvres » (Math., 16, 27). La justice et l’amour paternel se contredisent
si peu pour Jésus qu’il prie ainsi Dieu : « Père juste » (Jean,
17, 25). Les Apôtres enseignent la
même doctrine. On estimera peut‑être que S. Paul n’annonce que le Dieu des dons de la grâce, qui ferme avec
bienveillance les yeux sur nos péchés, mais quiconque tient compte de tout S. Paul doit avouer que c’est
précisément lui qui insiste avec le plus de force sur les récompenses et les
châtiments de Dieu d’après la justice : « Je n’ai plus qu’à recevoir
la couronne de la justice : le Seigneur, le juste juge, me la remettra en ce
jour‑là » (2 Tim., 4, 8). « Qui rendra à chacun selon ses œuvres » (Rom., 2, 6). « Car il nous faudra tous apparaître à découvert devant le tribunal du Christ, pour
que chacun soit rétribué selon ce qu’il a fait, soit en bien soit en mal »
(2 Cor., 5, 10 ; cf. 2 Thes., 1, 6‑10) (Cf. Eschatologie, § 211 et 217).
Les Pères. Leurs témoignages pour cet attribut sont innombrables. Ils
s’expriment, à ce sujet, tant à l’occasion d’avis pratiques pour la vie morale
que dans l’examen du problème ancien et toujours nouveau : Pourquoi les
méchants réussissent‑ils souvent si bien et les bons
si mal ? Ils le résolvent en faisant appel à la sanction parfaite, lorsque Dieu jugera « sans faire acception des
personnes ».
La raison. Elle ne peut prouver strictement la justice de Dieu. Cependant
les païens déjà ont vu en elle un postulat de la raison et se sont fait, sur
son action après la mort, des idées qui, pour manquer de clarté, ne laissent
pas d’avoir un fond exact. On sait que c’est sur ce postulat que Kant fonde sa preuve de l’immortalité.
Notre conscience est une œuvre de la justice divine, un tribunal divin qui
siège à l’intérieur de l’homme (Rom., 2, 14 sq.).
Théodicée de la justice. La mesure dont Dieu se sert pour apprécier
la moralité humaine n’est pas une mesure humaine, mais une mesure divine.
Vérifier ses mesures et ses jugements est impossible sur la terre ; aussi
la Bible nous recommande de ne pas contester contre Dieu. Cependant, sa justice
et notre sentiment de justice doivent avoir des traits de parenté. Or il
semblerait souvent qu’elles sont d’un caractère diamétralement opposé. On fait,
du point de vue de la justice humaine, des objections contre les manières d’agir
de Dieu.
Objections tirées de l’Écriture. Dieu frappe le Pharaon et sa maison à cause
de Sara, bien que celle‑ci ait fait croire au roi, par un
mensonge, qu’elle était libre (Gen., 12) ; il menace également le roi Abimélech (Gen., 20). Mais Dieu, en
protégeant Abraham, n’entend pas
récompenser le mensonge officieux d’Abraham ; il veut seulement lui
prouver sa fidélité. On cite le vol égyptien (Ex., 3, 21‑22 ; 11, 2 ; 12, 32‑38) ; mais d’après l’Écriture, les objets soustraits sont considérés comme une compensation pour le dur travail
de corvée accompli par les Israélites, dont Dieu voulait qu’ils soient payés,
par ruse, mais justement. D’autres considèrent la chose comme un butin de
guerre légitime.
Dieu veut récompenser jusqu’à la
millième génération et punir jusqu’à la quatrième (Ex., 20, 5‑6 ; 34, 7. Num., 14, 18. Deut., 5,
9‑10). D’après la conception terrestre de la récompense, les enfants portent
naturellement les conséquences des actions de leurs parents ; Israël ancien interpréta ceci à sa façon. Cette conception mécanique
fut plus tard corrigée par l’établissement de la loi de l’individualisme
religieux. Chaque individu doit porter la responsabilité de ses actes, les
enfants n’ont plus à répondre pour les parents (Jér., 31, 29‑30 ; Ez., 18, 20‑32). On craint que Dieu ne punisse par courroux et par jalousie
(Ps. 6, 2 ; 37, 2. Jér., 10, 24). Mais ce ne sont là que des expressions
humaines pour indiquer la sévérité du jugement ; ce ne sont pas des
preuves de son arbitraire. La plus grave
objection est faite par la philosophie
qui signale la disproportion entre les peines éternelles et les fautes
temporelles. Mais il faut répondre que l’objection est mal posée. La peine éternelle est une conséquence du péché éternel.
Comment un tel péché éternel peut exister, nous l’examinerons dans l’Eschatologie. L’affirmation du psalmiste
reste vraie dans tous les cas : « Dieu est vainqueur quand il est
jugé » (Ps. 50, 6 ; Rom., 3, 4). Il n’y a pas non plus de violation
de la justice quand Dieu, dans la répartition de ses dons, n’agit pas d’une
façon égale, car il peut faire ce qu’il veut de ce qui est à lui, et notre œil
ne doit pas être envieux parce qu’il est bon (Math., 20, 15). C’est pourquoi
Dieu n’est pas non plus injuste en s’occupant du peuple d’alliance plus que des
peuples païens. Il en résulte, il est vrai, dans sa Providence, une apparence
de partialité ; mais les Prophètes, le Baptiste, Jésus et S. Paul ont
écarté cette apparence (Act. Ap., 14, 16 ; 17, 26‑31).
Au sujet de la nature de la
justice, S. Augustin (Prosper, Sent.
12) : « Non concupiscit
Deus pœnam reorum tamquam saturari desiderans ultione, sed quod justum est, cum
tranquillitate decernit et recta voluntate disponit ». Et S. Thomas :
« Car si Dieu eût voulu délivrer l’homme du péché absolument sans
satisfaction, il n’aurait pas agi contre la justice » (S. th., 3, 46, 2 ad
3, contre S. Anselme). Ceci est également la réfutation de Tournély qui pensait que Dieu ne pouvait pas accorder son pardon
sans punition (Parabole de l’enfant prodigue).
Conclusion pratique. Nous craignons
la justice de Dieu. Avec raison. Jésus ne nous a pas enlevé cette crainte, il
l’a plutôt renforcée en nous rappelant que Dieu peut nous condamner corps et
âme à l’enfer (Math., 10, 28). Il est inutile aussi que nous appelions, comme
voulaient le faire les disciples en Samarie, le feu de la justice sur d’autres
(Luc, 9, 54) ; car rien ne lui échappera. Nous n’avons pas besoin de
demander à Dieu d’agir selon sa nature, car il ne peut pas faire autrement. Au
reste, nous vivons tous de la miséricorde de Dieu plus que de sa justice.
Souvent nous nous arrogeons le droit qui n’appartient qu’à Dieu de juger nos
semblables. Cela nous est interdit
non seulement dans l’Ancien Testament, mais encore, à plusieurs reprises et
d’une manière expresse, dans le Nouveau.
A consulter : S. Thomas, S. th., 1, 21, 3, 4. Paquet, 1, 263 sq. Lessius, De perf. div. 12, 1‑21. Lercher, 2, 162.
THÈSE. Dieu est d’une bonté infinie à l’égard des créatures.
De foi.
Explication. Le Concile du Vatican
indique comme raison (ratio et non causa) de la Création la bonté de Dieu
(Denz., 1783). Il ne s’agit pas ici de la bonté de Dieu en soi (bonitas essentialis, absoluta), qui est identique à son
essence (§ 27) ; il ne s’agit pas non plus de sa bonté morale (b. moralis)
ou de sa sainteté, mais de sa bonté par rapport aux créatures (b. relativa,
respectiva : benignitas, benevolentia, gratia, misericordia, etc.). Par
rapport à ceux qui souffrent de maux physiques ou moraux, elle se manifeste
comme miséricorde ; par rapport à ceux qui sont endurcis dans le péché,
elle se manifeste comme longanimité ou patience. Mais tout cela doit encore
s’entendre d’une manière analogique. En Dieu, la bonté n’est pas une
disposition sentimentale, mais un acte procédant de lui (actus purus) ; ce
n’est pas une émotion, mais une action (non affectus sed effectus).
Preuve. Les arguments objectifs
qui prouvent la bonté de Dieu par la Création et l’histoire de la Révélation
sont connus. Ses œuvres portent la marque de sa bonté (Gen., 1, 1‑31). « Tu aimes tout ce qui est et ne hais rien de ce que tu as fait » (Sag., 11, 24) (Cf. Ps. 24, 10 ; 32, 5 ; 35, 6 ; 85, 15 ; 99, 5 ; 102, 8 ; 103, 28 ;
105, 1 ; 110, 4 ; 117, 1 sq. ; 144, 15 sq. Les Prophètes eux‑mêmes sont des hérauts de la bonté de Dieu, surtout Osée, Jérémie et Jonas).
Jésus ne se lasse pas de louer la bonté paternelle de Dieu dans la
Création : « Il fait lever son soleil sur les méchants et sur les
bons » (Math., 5, 45), comme la doctrine de la Providence l’explique plus loin. « Personne n’est bon, sinon
Dieu seul » (Marc, 10, 18). Mais le Christ et les Apôtres insistent encore
davantage sur la bonté de Dieu dans la mesure où elle se manifeste comme bonté rédemptrice ou comme volonté de
sauver l’homme.
Il est facile de comprendre que
cette bonté relative que Dieu
communique aux créatures se ramène à sa bonté ontologique, essentielle. C’est ainsi également que toute vérité
que Dieu nous communique en se révélant lui‑même (veritas in dicendo) a son fondement dans
la vérité qui est identique à son Être (veritas in essendo), c.à‑d. à la vérité de l’entité qui constitue un Dieu vrai. Par conséquent, l’essence parfaite de Dieu est le fondement
de sa bonté comme elle est le fondement de sa vérité. Et comme Dieu retrouve
dans les créatures ses idées éternelles qu’il a réalisées en elles par la
Création, il y trouve aussi les effets de sa bonté qu’il leur a communiquée.
Toutes les choses existent par leur participation à l’Être divin et sont vraies
et bonnes dans la mesure où, par la Création, il les a faites vraies et bonnes.
Mais dans cette mesure aussi, elles sont ensuite l’objet de l’amour de Dieu. La
bonté de Dieu est une action ordonnée et réglée dans les créatures, par la
communication de ses attributs communicables. Ainsi la bonté de Dieu, comme son
amour pour les choses, a encore son fondement en lui‑même ; elle est indépendante, libre, sans fondement extérieur ; elle repose en elle‑même.
Tel est le sens de la parole que
nous avons citée : « Tu aimes tout ce qui est et ne hais rien de ce
que tu as fait » (Sag., 11, 24). Dieu se retrouve, pour ainsi dire, lui‑même dans les créatures. « Personne ne hait sa propre
chair » dit S. Paul, dans un contexte différent. Nous sommes, par rapport
à l’Homme‑Dieu, surtout si nous ne nous considérons pas seulement comme des êtres naturels, mais encore comme
des êtres surnaturels, des membres qui
lui sont incorporés, la chair de sa chair et l’os de ses os (Éph., 5, 29 sq.).
Ainsi, chez les hommes, la bonté ontologique de Dieu passe normalement et
d’elle‑même à l’ordre moral, de l’ordre naturel à l’ordre surnaturel. Et à son tour, la bonté de Dieu est la cause de cette
bonté accrue dans les créatures. C’est ce qui amène S. Augustin à une
explication plus précise de la parole profonde du Christ : Dieu seul est bon. « Dieu est bon
d’une manière qui lui appartient à lui seul et cela il ne peut pas le perdre.
Car il n’est pas bon par la participation à quelque chose de bon, mais le bien
par lequel il est bon est lui‑même. Quand l’homme est bon, cela vient de Dieu,
parce que l’homme ne peut pas l’être par lui‑même. Car c’est par l’Esprit de Dieu que deviennent bons tous ceux
qui le sont » (Ép. 153, 12).
De même qu’on distingue en Dieu
une triple vérité (veritas Dei in essendo, in cognoscendo, in dicendo), on
distingue aussi une triple bonté
(bonitas Dei in essendo, in agendo, in communicando). On songe surtout ici à sa
bonté dans la communication de sa nature. C’est ce qu’on exprime souvent dans
la formule connue : « Cujus natura
bonitas est », la bonté constitue son Être. « Il est dans la nature
du bien de se donner, de se communiquer ». Il y a là un double sens.
Cela veut dire tout d’abord que
tout bien, en tant que tel, est communicable, qu’un autre peut le percevoir, le
recevoir en soi, en jouir. Tout ce qui n’est pas communicable n’est pas un
bien, si parfait qu’il soit en lui‑même ; tout au plus peut‑il être objet d’étonnement,
d’admiration. « Le bon est ce que tout le monde recherche », dit S.
Thomas (S. th., 1, 5, 1) après Aristote. Le bien doit être appétible, désirable,
comme la vérité est connaissable. Cette « appétibilité » est
manifestement la conséquence et non
la raison du bien. La raison réside
plutôt dans l’essence du bien en soi. En soi la bonté est identique à la
perfection essentielle d’une personne ou d’une chose : elle lui ajoute
seulement la relation avec une volonté douée de tendance et de désir. Le bien
est en effet l’objet de la volonté, comme le vrai est l’objet de
l’intelligence. Quand la perfection d’une chose diminue, son appétibilité
diminue en même temps ; si la perfection croît, l’appétibilité croît
aussi. Toute perte d’essence est une perte de bonté : « Le bien
provient d’une cause intégralement bonne, le mal du moindre défaut ». Nous comprenons maintenant quel grand bien,
quel bien impérissable Dieu souverainement parfait est pour les hommes et
combien il est nécessaire, comme le dit S. Augustin, de détacher les désirs de
notre volonté des biens éphémères
(bona) pour les tourner vers le seul bien
immuable (summum bonum).
Dans la phrase « Il est dans
la nature du bien de se donner » se trouve exprimée la seconde idée, à
savoir que le bien a une tendance à la bonté, à la communication : de même
que la lumière tend à éclairer, la vie à vivifier, le bien a une tendance
intérieure à la « diffusion ». De même que la lumière renie sa nature
si elle n’éclaire pas, de même le bien renie son caractère essentiel s’il ne se
communique pas. Naturellement cela ne doit pas s’entendre d’une diffusion
naturelle et nécessaire, mais de la communication d’une bonté et d’une
bienveillance complètement libres et souveraines, dans une possession de soi
absolue. Et c’est ce qui rend la bonté de Dieu si aimable et si adorable. Platon, comme on l’expliquera plus loin
dans le traité de la Création, fait ressortir, comme on le sait, cette idée de
la communication de la bonté de Dieu aux choses créées ; maie il dégrade
cette idée par le relent panthéiste qu’il y ajoute en représentant la diffusion
de la bonté de Dieu comme une émanation naturelle de son Être. Or le Concile du
Vatican s’exprime avec clarté et
précision à ce sujet : « Ce seul vrai Dieu, par sa bonté et sa vertu toute‑puissante, non pas pour augmenter
son bonheur, ni pour acquérir sa perfection, mais pour
la manifester par les biens qu’il distribue aux créatures, et de sa volonté
pleinement libre, a créé de rien, dès le commencement du temps, l’une et
l’autre créature, la spirituelle et la corporelle » (S. 3, c. 1 :
Denz., 1783).
Dans un contexte semblable, S.
Thomas attire notre attention sur la différence
qu’il y a, non seulement entre la bonté essentielle de Dieu et la bonté
communiquée aux hommes, mais encore entre l’amour
de Dieu qui repose sur cette bonté et notre amour. Comme l’amour est la volonté
du bien (amor est velle bonum) et que Dieu ne peut obtenir de nous aucun bien
pour lui par ce qu’il possède tout, sa bonté et son amour pour les créatures
n’ont pas leur fondement dans les
perfections des créatures, comme c’est le cas pour notre amour humain et nos
inclinations humaines ; au contraire, c’est sa bonté qui fonde ces perfections ; elle les
précède au lieu d’en découler : « Dieu veut quelque bien à tout ce
qui existe, et comme aimer n’est rien autre chose que de vouloir du bien à
quelqu’un, il est évident que Dieu aime tout ce qui existe, mais il l’aime d’une autre manière que nous.
Car notre volonté n’est pas cause de ce qu’il y a de bon dans les êtres, mais
elle est seulement mue par cette bonté comme par son objet. L’amour qui nous
fait vouloir du bien à quelqu’un n’est pas cause de la bonté de cette personne ;
c’est au contraire la bonté réelle ou supposée du sujet que nous aimons qui
provoque notre amour et qui nous porte à lui conserver le bien qu’il a, et à y
ajouter celui qu’il n’a pas ou du moins à travailler a le faire. Mais l’amour de Dieu infuse et crée la bonté
dans les êtres qui existent » (S. th., 1, 20, 2). Dans ce sens S.
Thomas dit avec S. Augustin : « Sa bonté enferme toutes les bontés. Il est ainsi le bien de tout bien »
(C. Gent., 1, 40). A ce sujet, il se réfère avec raison à la Bible : « Tous
les biens me sont venus avec elle » (Sag., 7, 11). « Je ferai passer
devant toi toute ma bonté » (Ex., 33, 19).
Objections. Le monisme fait des
objections précisément contre cette bonté et cette bienveillance de Dieu, du
point de vue de l’expérience naturelle. On affirme qu’on peut trouver dans la
nature de nombreuses traces de l’intelligence, de la sagesse et de la toute‑puissance de Dieu, mais que nulle part on ne trouve de trace de cette
bonté et de cette bienveillance qu’exalte le Concile du Vatican. Or
ce jugement respire, si l’on peut dire, l’air pessimiste d’un cabinet d’étude plutôt qu’il ne s’inspire d’une
considération large et libre de la nature. Assurément il y a bien des souffrances
dans le monde, il est inutile d’y insister ici ; mais ce serait une
exagération monstrueuse de ne voir que les souffrances sans voir la joie et
il faudrait n’avoir ni sens ni cœur pour méconnaître dans la nature, dans le
monde animal et dans l’humanité, les mille traits d’amour et d’inclination
portés souvent jusqu’aux formes et aux expressions les plus étonnantes, les
plus admirables. Rappelons seulement le soin et le dévouement de chaque bête
pour ses petits ; Jésus fait même, de l’amour naturel de la poule pour ses
poussins, le symbole de son amour surnaturel de Sauveur pour Israël (Math., 23,
37). Qu’on songe ensuite à l’amour purement naturel des fiancés et des amis, à
l’amour des époux, à l’amour du prochain, inné, jusqu’à un certain point, au cœur
de l’homme, et surtout à l’amour maternel, cet amour aux mille formes et qui
s’élève parfois jusqu’au sacrifice complet. Que de forces de charité fait
naître la guerre elle‑même, qui pourtant, dans sa forme extérieure, est de nature à favoriser le pessimisme ! Nous pouvons aussi évoquer ici l’océan d’amour qui vivifie et remplit le domaine de la
surnature, rappeler les œuvres de
charité surnaturelle, car l’amour surnaturel lui aussi pousse ses racines dans
le sol de notre être créé : « La grâce suppose la nature ».
Le pessimisme exagère tellement le mal qu’il laisse à peine subsister
quelque bien ou tout au moins n’en admet qu’un minimum. Il est aveugle en face
du bien relatif (Schopenhauer, Hartmann). Assurément il ne faut pas concevoir
le monde d’une manière panthéiste, comme la manifestation de l’Absolu lui‑même, car alors il ne pourrait y
avoir aucune espèce de mal dans le monde. Mais le
monde est justement l’effet fini de la libre bonté de Dieu qui lui a distribué
des dons dans la mesure qui lui a plu. Aucune créature n’a un droit absolu à
l’existence par rapport à Dieu. C’est pourquoi il peut subordonner la vie d’un
animal à celle d’un autre, sans manquer à sa bonté. ‑ Quant à la réalisation d’un monde absolument bon, ce serait une contradiction en soi, et par
conséquent une impossibilité pour la sagesse et la toute‑puissance de Dieu, car ce monde serait un Dieu créé.
Conclusion pratique. Si Dieu, comme on la montré plus haut, nous
a déjà infusé sa bonté par la Création, nous ne devons pas cependant, dans le
christianisme, agir en vertu de cette bonté naturelle seulement, mais nous
efforcer d’ atteindre la bonté libre et spirituelle des enfants de Dieu et en
faire la règle fondamentale de notre activité morale. Cette bonté élevée au‑dessus des inclinations naturelles est plus difficile, demande
plus de sacrifices et est plus méritoire. Cette bonté suprême nous a été conquise par Jésus dans sa prière au jardin des
Oliviers et sur la Croix.
THÈSE. Dieu est d’une infinie miséricorde.
De foi.
Explication. Cette thèse n’est pas définie, mais c’est la doctrine claire de
l’Écriture, de la Tradition et de l’Église. Il faut dire encore ici que la
miséricorde n’est pas une émotion, mais une action de la volonté divine. La
miséricorde de l’homme supprime la justice dans la mesure où elle renonce à une
sanction légitime ; mais en Dieu, la miséricorde et la justice doivent se
confondre dans une unité supérieure et toutes deux doivent se trouver chez lui
d’une manière éminente car la
Révélation nous annonce l’une et l’autre.
Preuve. On voit apparaître au premier plan la miséricorde envers les
misères morales. Ex. : Adam,
Caïn, Israël. Moïse et les Prophètes doivent sans cesse annoncer de nouveau au
peuple, la miséricorde de Dieu. Il est vrai que cette miséricorde n’est pas
sans condition, mais suppose la conversion. Dans les psaumes, Israël célèbre
son Dieu « parce que sa miséricorde est éternelle » (Ps. 135 ;
cf. ps. 102, 105, 117).
Le Christ est, en tant que « Sauveur des pécheurs », le
représentant de la divine miséricorde. Cette miséricorde se manifeste
pratiquement dans le pardon que Jésus accorde et théoriquement dans les
magnifiques paraboles de l’Enfant prodigue, de la drachme perdue, du bon
pasteur (Luc. 15, 1 sq. ; Jean, 10, 1 sq.) ainsi que dans ses
enseignements (Math., 12, 7 ; Luc, 6, 36, etc.). S. Paul, conformément à son expérience et à sa doctrine de la
Rédemption, donne à Dieu ce nom sublime : « Le Père de notre Seigneur
Jésus Christ, le Père plein de tendresse, le Dieu de qui vient tout réconfort »
(2 Cor., 1, 3). S. Pierre écrit de
même : « Béni soit Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus
Christ : dans sa grande miséricorde, il nous a fait renaître pour une
vivante espérance grâce à la résurrection de Jésus Christ d’entre les
morts » (1 Pier., 1, 3). « Mais Dieu est riche en miséricorde ;
à cause du grand amour dont il nous a aimés, nous qui étions des morts par
suite de nos fautes, il nous a donné la vie avec le Christ », etc. (Eph.,
2, 4). Comme exemples de la
miséricorde, citons la Samaritaine (Jean, 4), Marie‑Madeleine (Luc, 7, 37 sq.), Zachée (Luc, 19, 2 sq.), le bon larron (Luc, 23,
42 sq.), etc.
La miséricorde et la justice. Ce serait une erreur néfaste de dire, avec
l’École de Ritschl et de Harnack, que le Christ nous a révélé un « Dieu
qui n’est qu’aimant et bon » (Cf. p. 119). Il y a toujours eu des interprétations fausses de cet attribut
divin. C’était déjà le cas chez les Alexandrins et notamment chez Origène qui
ne voulait admettre de la part de Dieu qu’une peine médicinale et, par suite,
prétendait qu’il y aurait une rédemption universelle et un relèvement général
des créatures tombées. Mais S. Jean
Chrysostome affirme avec insistance la bonté de Dieu tout en reconnaissant
les peines éternelles. « Dieu est‑il l’ami des hommes ? Oui, mais il est aussi un juste
juge. Pardonne‑t‑il les péchés ? Oui, mais il rend aussi à chacun selon ses œuvres. Oublie‑t‑il l’injustice ? Oui, mais il la punit aussi. N’y a‑t‑il là aucune contradiction ? Il n’y en a pas, si nous séparons ces faits d’après le temps. Il efface les fautes ici‑bas par le Baptême et la Pénitence ; mais il punit les forfaits dans l’autre monde par le feu et les tourments » (Hom. in Epist. ad Eph., 4, 10).
C’est ainsi que parlent presque tous les Pères grecs sur le problème de l’union
de la miséricorde et de la justice ; ils affirment que la peine infligée
au pécheur impénitent ne peut être qu’une correction et que, en raison de la
méchanceté humaine, la bonté, qui se trouve aussi dans le châtiment et tend à
améliorer, à sauver, ne réalise pas son effet.
Au temps de S. Augustin, il fallut combattre des opinions fausses répandues à
l’intérieur de l’Église et dont les partisans s’intitulaient les
« miséricordieux ». Ils contestaient, en s’appuyant sur la divine
miséricorde, l’éternité des peines de l’enfer et admettaient la béatitude
générale pour tous les hommes, tout au moins pour tous les baptisés. Ils se
référaient pour cela à des textes de l’Écriture, par exemple au ps. 76, 9
sq. : « Sa bonté est‑elle épuisée pour jamais ? Ou bien Dieu oublie‑t‑il d’avoir pitié ? A‑t‑il dans sa colère retiré sa miséricorde ? » ou Rom., 11, 32 : « Car Dieu a renfermé tous les hommes dans l’incrédulité, et il a permis
qu’ils soient touts tombés, afin de pouvoir exercer sa miséricorde envers
tous ». Par contre, S. Augustin cite les textes qui démontrent la divine
justice et d’après lesquels les pécheurs impénitents
sont menacés de châtiments éternels. Il rejette l’apocatastase avec cette
remarque pertinente : « non pas que nous portions envie au démon et
aux esprits mauvais... Mais nous ne devons pas avoir la présomption de rien
ajouter à la sentence définitive du
Juge suprême et très‑véridique » (Ad Oros., 5 : M. 42, 672) (Cf.
Eschatologie, § 212).
L’essence de la divine miséricorde ne doit pas être conçue comme une
faiblesse ou comme une souffrance causée par le malheur d’autrui : il
faut, au contraire, l’interpréter dans le sens de l’« acte pur ».
L’élément formel dans la miséricorde
divine est la volonté de relever la misère d’autrui : l’impression
sensible qui se produit alors chez l’homme est un élément purement matériel et n’existe pas chez Dieu. S. Thomas dit que « la miséricorde
convient à Dieu au plus haut degré ; elle ne lui convient cependant pas au
sens d’émotion sensible, mais en tant qu’action (secundum effectum, non secundum passionis affectum)... S’affliger sur la misère d’autrui ne convient pas à
Dieu ; mais agir pour que cette
misère disparaisse lui convient au plus haut degré. Et nous comprenons ici sous
le nom de misère toute déficience. Mais une déficience (defectus) n’est
supprimée que par l’accomplissement d’une certaine bonté. Or Dieu est la racine
de toute bonté, donc... » Il montre ensuite comment Dieu manifeste dans toutes ses œuvres sa miséricorde et sa
justice. La miséricorde de Dieu complète sa justice dans la mesure où elle
triomphe de ses exigences (Jacq., 2, 13 ; S. th., 1, 21, 3 sq.).
La miséricorde de Dieu envers les animaux est célébrée à diverses reprises
dans l’Écriture. « La terre est remplie de son amour » (Ps. 32, 5).
« Le Seigneur est bon envers tous et les témoignages de sa miséricorde
s’étendent à toutes ses œuvres… Les yeux de tous espèrent en toi Seigneur et tu
leur donnes la nourriture en temps opportun » (Ps. 144, 9 et 15 ; cf.
103, 24‑30 ; 146, 9. Luc, 12, 24). Dieu ordonne aussi
aux hommes d’avoir pitié des animaux (Deut., 25, 4 ; Eccli., 7, 24 ; Prov., 12, 10). Mais il a donné aux hommes la chair des animaux
pour nourriture (Gen., 9, 2‑5) et s’il est cruel de torturer les
animaux, il est permis de les tuer.
Conclusion pratique. Comme l’amour, la miséricorde, sa fille, est un des attributs que Dieu veut communiquer de préférence à ses
créatures raisonnables. Il le fait dans une double intention, afin qu’en tant
que pécheurs nous vivions
continuellement de la miséricorde et par la miséricorde, mais aussi afin que
nous l’exercions envers nos semblables. Ces deux intentions sont étroitement
unies et Jésus le rappelle avec insistance et le répète maintes fois. Dans le Pater, il nous enseigne à invoquer la
miséricorde du Père céleste ; mais il nous impose en même temps la
promesse de notre propre miséricorde : « Pardonnez‑nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont
offensés » (Math., 6, 12). Si nous nous soustrayons à l’obligation de
faire miséricorde, nous n’avons pas de miséricorde à attendre. « Méchant
serviteur, je t’ai remis toute ta dette, parce que tu m’en as prié ; ne devais‑tu pas toi aussi avoir pitié de ton compagnon comme j’ai eu pitié
de toi ? » (Math., 18, 33). Pendant des siècles, dans l’ancienne
Église, on a beaucoup insisté sur la cinquième
demande du Pater, demande régulative
de la rémission des péchés ; c’est une perte pour notre vie religieuse
qu’on ne le comprenne plus aussi bien (Cf. le sacrement de Pénitence, § 196).
S. Jacques écrit : « Le jugement est sans miséricorde pour celui qui
n’a pas de miséricorde, mais la miséricorde triomphe du jugement » (2, 13).
Il est question ici des œuvres de miséricorde. Peut‑être n’était‑on pas alors aussi impitoyable
que dans notre siècle. Le mammonisme moderne est le fils légitime du manque de miséricorde et de la dureté de cœur.
L’amour, essence du christianisme. C’est une phrase souvent
entendue, mais aussi souvent mal comprise, que l’amour est la véritable essence
du christianisme tel que Jésus l’a annoncé au monde. L’abus du mot, dans la
mesure où il sert la théologie adogmatique contre la foi, ou comme on dit,
contre la « rigide » orthodoxie, ne doit pas nous empêcher de lui
donner toute sa valeur, d’une manière juste et universelle, et d’y voir la
perfection dernière et suprême qui nous permettra de ressembler à Dieu, notre
souverain modèle. L’Ancien Testament, avec son point de vue particulariste, n’a
pu parvenir à des relations chaleureuses entre les hommes. Mais le représentant
de l’amour divin (Jean, 3, 16 ; 1 Jean, 4, 9 : Voici comment l’amour de Dieu s’est manifesté parmi nous :
Dieu a envoyé son Fils unique dans le monde pour que nous vivions par lui), le Christ, a proclamé, de la manière la
plus expresse et la moins douteuse, que l’essence de sa religion est l’amour. A
ce sujet, il importe de remarquer, ce qui, en connexion avec les déclarations
antérieures, est particulièrement important, que le Christ ne présente pas le
commandement de l’amour comme une simple expression de la volonté divine, comme
par ex. « Tu ne tueras pas, tu ne commettras pas d’adultère, tu ne voleras
pas », mais comme une effusion de l’Être divin lui‑même, si bien que les hommes qui
sont ses enfants deviendront semblables à Dieu leur Père, précisément par
l’accomplissement du commandement de l’amour.
Plus tard, une partie de la Scolastique devait assimiler
objectivement l’amour et la grâce qui fait du justifié un enfant de Dieu. En
cela elle se laissait guider par une pensée nettement biblique, qui plus est,
par la pensée fondamentale du Nouveau Testament. Citons maintenant brièvement
quelques preuves de cette double pensée : l’amour est le commandement
principal du christianisme et c’est précisément par l’accomplissement de ce
commandement que, dans l’imitation de l’Être divin ou, comme le dit la doctrine
de la grâce, dans la participation de la nature divine, nous sommes appelés et
nous sommes « enfants de Dieu ».
Le Christ donne le commandement
de l’amour : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de
toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force. C’est là le premier commandement. Et un second
commandement, qui lui est semblable, est : Tu aimeras le prochain comme
toi‑même. Il n’y a pas de
commandement plus grand que celui‑là (Marc, 12, 30 sq.). S. Mathieu
ajoute encore : « De ces deux commandements dépendent la Loi et les
prophètes » (Math., 22, 40). S. Jean : « C’est là mon commandement (c.à‑d. le commandement spécifiquement chrétien) que vous vous aimiez les uns les autres, comme je vous ai
aimés. Il n’y a pas de plus grand amour que
de donner sa vie pour ses amis » (Jean, 15, 12 sq.). « Je vous donne un commandement
nouveau : que vous vous aimiez les uns les autres, que, comme je vous ai
aimés, vous vous aimiez aussi les uns les autres. C’est à cela que l’on reconnaîtra que vous êtes mes disciples, si vous avez
de l’amour les uns pour les autres » (Jean, 13, 34 sq.). Notons que Jésus
veut aussi qu’on renferme les ennemis
dans l’amour du prochain : « Aimez vos ennemis » (Luc, 6, 27,
etc.). Dans l’amour, nous manifestons que la nature de Dieu nous remplit, que
nous portons, comme enfants de Dieu, les traits de son essence :
« Aimez vos ennemis, faites du bien et prêtez sans rien espérer en retour,
et votre récompense sera grande et vous serez les fils du Très Haut qui lui
aussi est bon pour les ingrats et les méchants. Soyez donc miséricordieux comme
votre Père dans le ciel est miséricordieux » (Luc, 6, 35 sq. ; cf.
Math., 5, 44 sq.). Il serait facile aussi d’établir que la conception des Apôtres est la même. L’Apôtre de
l’amour, S. Jean, suffira à
l’attester brièvement : « Celui qui n’aime pas n’a pas connu
Dieu, car Dieu est amour (1 Jean, 4, 8).
« Celui qui n’aime pas demeure dans la mort » (1 Jean, 3, 14).
« Celui qui dit qu’il est dans la lumière (de la vraie foi) et hait son
frère, celui‑là est encore dans les ténèbres » (1 Jean, 2, 9) (Pour S. Paul, cf. 1 Cor., 13, 1 sq.).
L’essence de l’amour consiste dans la libre bonté avec laquelle
quelqu’un va le premier vers un autre. « L’amour consiste en ceci :
ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, mais lui qui nous a aimés le premier et
a envoyé son Fils, comme victime de propitiation pour nos péchés. Bien‑aimés, si Dieu nous a aimés ainsi, nous devons aussi nous aimer les uns les autres » (1
Jean, 4, 10 sq.). « Si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure
en nous et son amour est parfait en
nous » (1 Jean, 4, 12), c.à‑d. l’amour de Dieu prend en nous
une nouvelle forme, une forme créée et humaine. Dans l’amour réside l’assurance
contre le jugement : « La
perfection de l’amour en nous, c’est que nous ayons une confiance assurée au
jour du jugement, car tel est (Jésus‑Christ) (c.à‑d. amour), tels nous sommes aussi dans ce monde » (1 Jean, 4, 17). « Si quelqu’un dit : j’aime Dieu et qu’il haïsse son frère, c’est un menteur ; comment celui qui n’aime pas son frère qu’il voit, peut‑il aimer Dieu qu’il ne voit pas ? Et nous avons reçu de Dieu ce
commandement : que celui qui aime Dieu aime aussi son frère » (1
Jean, 4, 20 sq.). Nous devons donc aimer Dieu dans nos frères. Mais l’inverse
aussi est vrai : Nous devons aimer nos frères en Dieu, c.à‑d. les aimer parce qu’ils sont les enfants de Dieu : « Quiconque croit que Jésus est le Christ, est né de
Dieu et quiconque aime celui qui l’a
engendré, aime aussi celui qui est né de lui. Nous connaissons à cette marque
que nous aimons les enfants de Dieu,
si nous aimons Dieu et si nous observons ses commandements. Car c’est aimer
Dieu que de garder ses commandements » (1 Jean, 5, 1 sq.).
Relations entre l’amour et la vérité. On se rend compte immédiatement
qu’il s’agit là d’un problème beaucoup moins difficile que celui de la
coordination entre l’amour et la justice. En effet, si la justice et l’amour
entrent en concurrence de telle sorte que l’un menace de supprimer l’autre, il
n’y a pas de tension de ce genre dans l’union de la vérité et de l’amour. Un
regard sur la Trinité nous l’enseigne
immédiatement. De Dieu procèdent à la fois la Vérité personnelle dans le Logos
et l’Amour personnel dans le Saint‑Esprit. Et entre les deux
subsiste la plus merveilleuse unité. C’est là l’idéal vers lequel il faut tout au moins tendre, bien que dans la
réalité nous devions toujours en rester très loin. Les deux phrases :
« Dieu est amour » et « Dieu est vérité » se trouvent chez
le même disciple de Jésus, dictées par le même Esprit.
Conclusion pratique. Dans leur origine première, Dieu, comme dans
leur essence, il n’y a pas de conflit entre la vérité et l’amour. La vérité est
inséparable de l’amour et l’amour est inséparable de la vérité et tous deux sont inséparables de Dieu.
Quand ils apparaissent séparés, quand
l’amour est mêlé de dédain ou de mépris pour la vérité (indifférentisme), ou
bien inversement, quand la vérité est mêlée d’offenses et d’injures
(fanatisme), ces deux enfants de Dieu ne portent plus les traits brillants de
leur sublime origine. S. François de
Sales, qui a travaillé avec tant de succès pour le triomphe de la vérité,
écrit : « La vérité qui n’est pas charitable procède d’une charité
qui n’est pas véritable ». L’auteur, à qui nous empruntons cette citation,
remarque à ce sujet : « Il n’est pas rare que tout en reconnaissant
l’autorité du principe, on n’en
tienne que fort peu de compte dans la pratique » (Lesêtre, « Vérité
et charité », Revue du Clergé français, avril 1912, 22). Rien n’est plus
contradictoire que de voir un serviteur de la religion de l’amour, montrer de
l’inimitié et de la méchanceté, de la rancune et de la haine, contre ses
semblables. Par contre, rien n’est plus divin que la charité.
A consulter : Kleutgen, De ipso Deo, 397 sq. Suarez, De fide disp., 3, s. 5. Lugo, De fide disp., 4. Diekamp, 1, 208. Minges, 1, 105.
THÈSE. Dieu est infiniment vrai et fidèle. De foi.
Explication. La véracité et la fidélité sont deux aspects du même attribut.
Dieu est vrai dans ses paroles
(révélations), il est vrai dans ses actions.
Parce qu’il l’est, il mérite une confiance
absolue. Ces deux attributs sont déjà contenus dans la connaissance et dans la
sainteté parfaites. Dieu est omniscient, et par conséquent ne peut pas se
tromper lui‑même. Il est saint, et par conséquent il ne peut pas nous tromper. Il ne peut pas manquer à
sa parole, comme il ne peut pas être empêché de l’accomplir. Dieu est l’absolue
vérité, « in essendo, in cognoscendo, in dicendo » (Cf. p. 184). Pour
la vie chrétienne, les deux attributs ont une importance fondamentale. Sur la
véracité de Dieu repose notre foi ;
sur sa fidélité se fonde notre espérance
(Cf. p. 73 sq).
Preuve. La raison dernière de
la véracité de Dieu est son essence. Dans la mesure où une chose a de l’être,
elle est une vérité. Dieu est l’Être absolu, il est donc en soi la Vérité
absolue (prima veritas in essendo). L’Écriture indique cette idée ontologique
(Jér., 10, 10 ; Jean, 17, 3). Mais on voit apparaître avec plus de
précision la véracité (prima veritas in cognoscendo et dicendo) et la fidélité.
C’est la condition préalable pour l’idée de Révélation, comme pour celle
d’alliance. « Toutes tes œuvres sont vérité et tous tes jugements sont
vrais » (Dan., 3, 27 ; 4, 34). « Il dit ce qui est juste, il
annonce la vérité » (Is., 45, 19). Tout passe, « mais la parole du
Seigneur subsistera à jamais » (Is., 40, 8). « Jahvé est un rocher
éternel » (Is., 26, 4 ; Num., 23, 19).
Le Nouveau Testament est une
preuve de la véracité et de la fidélité de Dieu, car il est l’accomplissement
de l’Ancien. Cette idée ressort surtout dans l’histoire de l’enfance de Jésus,
qui est « celui qui a été promis » par le Père. C’est ce qu’on voit
dans l’Annonciation de l’ange (Luc, 1, 32), dans la Visitation de Marie (Luc,
1, 45, 50, 54 sq.), dans le « Benedictus » (Luc, 1, 68‑79), dans le cantique de Siméon (Luc, 2, 29‑32).
Jésus est, d’après l’évangile de
S. Jean, le représentant de la vérité divine. Dieu est son dernier et
principal témoin (Jean, 3, 33 ;
5, 19 sq. ; 5, 30‑47 ; 18, 37, etc.). Dieu est la source de la vérité et de la vie ; le diable est le père du mensonge (Jean, 8). Le
Christ parle de lui‑même comme du héraut de la vérité divine : « Le
ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront pas » (Luc, 21,
33). « Tout s’accomplira jusqu’au dernier iota et au dernier petit
trait » (Math., 5, 17 sq.). Il encourage ses disciples à s’abandonner dans
leurs prières à la véracité et à la fidélité de Dieu. Ainsi, dans la parabole
de l’ami importun (Luc, 11, 5‑13) et de la veuve opprimée (Luc, 18, 1‑8). Lui‑même nous donne le plus bel exemple de la
confiance en son Père (Jean, 11, 41 sq.).
Les Apôtres appuient sur le dogme de la véracité et de la fidélité de
Dieu, leur preuve par les prophéties. Ils disent souvent que tout ce qui avait
été prédit devait s’accomplir et c’est là une pensée que le Christ a souvent
exprimée lui‑même (Math., 11, 3‑5 ; Luc, 24, 27 ; Jean, 5, 39, etc.). S. Paul examine le problème de la fidélité divine dans l’Épître aux
Romains, problème qui avait été soulevé par ce fait que les Juifs, bien
qu’appelés, n’étaient pas entrés dans le royaume de Dieu (Rom., 9‑11). Sa conclusion est : « Dieu est véridique et tout homme
menteur » (Rom., 3, 4) ; c’est d’après cette maxime que se résout
aussi l’énigme de la réprobation des Juifs. Cependant un « reste »
doit être sauvé. L’endurcissement des Juifs ne rendra pas vaines les promesses
de Dieu : « Ce n’est pas que la parole de Dieu ait failli »
(Rom., 9, 6 ; cf. 3, 3). « Il ne peut se rejeter lui‑même » (2 Tim., 2, 13), cela est contraire à son essence. « Il est impossible que Dieu ait menti » (Hébr.,
6, 18). Comme le Christ, S. Paul encourage les fidèles à s’abandonner à Dieu
dans les tentations et les combats de la vie (1 Cor., 1, 8) : il ne nous
éprouve pas au‑dessus de nos forces (1 Cor., 10, 13) ; il nous a promis la vie et il
ne ment pas (Tit., 1, 2). Il nous pardonnera dans la fidélité et la justice tous nos péchés (1 Jean, 1, 9
sq.).
Les Pères. La preuve par les prophéties
joue chez eux un grand rôle. Ce qui donna lieu à un examen théorique de cet
attribut, ce fut l’erreur des priscillianistes,
en Espagne. Ils prétendaient que le mensonge et le reniement de la foi étaient
permis, quand on pouvait en attendre des avantages. Ils se référaient à
l’exemple des Patriarches des Prophètes, des Apôtres, du Christ et de Dieu lui‑même. S. Augustin proteste contre ces erreurs dans un livre : Contre le mensonge à Consentius. Il le
fait d’autant plus volontiers que, dans un ouvrage antérieur (De mendacio), il
s’était exprimé avec moins de clarté. Dans une lettre à S. Jérôme, il défend
l’inerrance absolue de la Révélation divine contenue dans l’Écriture et blâme
S. Jérôme d’avoir interprété Gal., 2, 14, comme une fausseté objective (Ep.
28).
Dans la basse Scolastique, se produisirent les erreurs des théologiens
nominalistes comme Gabriel Biel, Pierre d’Ailly, etc. Interprétant mal des
expressions difficiles de l’Écriture, ils en arrivèrent à une opinion qui n’est
pas sans danger bien qu’elle soit formulée d’une manière purement spéculative
et hypothétique. Ils prétendaient que la tromperie n’était pas opposée à l’Être
de Dieu et que, dans un autre ordre du monde (potentia absoluta), elle lui
serait permise, bien que, dans l’ordre du monde actuel, on n’ait pas le droit
de l’affirmer (Cf. p. 176). Même à l’époque postérieure, Eusèbe Amort (+1775) peut raconter (De fide disp. 2) « quod a
theologis, præsertim neotericis agitatur quæstio erubescenda atque impia an
Deus possit uti restrictione mentali,
facere miracula in confirmationem falsi ? vel saltem infundere errorem
speculativum ? » était assurément un égarement de la spéculation, qui
ne peut trouver une apparence de justification que dans la mauvaise exégèse de
passages obscurs de la Bible.
Conclusion pratique. Peut‑être sommes‑nous autorisés à demander une religion et une piété plus théocentriques.
Quand S. Thomas dit : « Dans la science sacrée, on envisage tout par
rapport à Dieu » (S. Th., 1, q. 1 , a. 7), cela ne concerne pas
seulement la théologie, mais encore la pratique. La piété de l’Écriture et des
Pères est entièrement et absolument conforme à cette norme. Plus tard, beaucoup
d’autres éléments sont entrés dans la pratique qui ne doivent avoir qu’une
importance secondaire. Que ne pouvons‑nous pas apprendre, dans les
psaumes, par rapport à la piété théocentrique ! Comme l’âme est placée immédiatement devant la sainteté de Dieu et portée à s’occuper directement de lui et de ses
adorables attributs ! Assez souvent, le chrétien qui récite les psaumes se
plonge entièrement dans un seul attribut divin. S. Augustin aiderait considérablement nos méditations avec les
pensées si tendres et si profondes de son Commentaire
sur les psaumes ou tout au moins avec celles des Confessions. Alors la parole du Seigneur : « Voici que le
règne de Dieu est au milieu de vous » (Luc, 17, 21) recouvrerait son
importance si nécessaire et si essentiellement chrétienne. On parle
aujourd’hui, en dépit du malheur des temps, d’un retour à la religion
intérieure. Nous autres catholiques, nous ne perdrions certainement rien, à
quitter énergiquement la périphérie pour rentrer au point central. Toute
extériorité, tout exercice, ne peuvent, en définitive, être que des moyens, mais non constituer le but dernier. Le royaume de Dieu ne se
réalise qu’au‑dedans de nous. Dieu n’a pas besoin de nos biens (Ps.
15, 2), mais il exige expressément notre cœur et toute la force de notre esprit. Notre piété doit redevenir, comme chez S. Paul et les
vrais mystiques, une union immédiate et personnelle avec Dieu. Dieu et le
Christ en moi, et moi en Dieu et le Christ. Le juste vit de Dieu ; dans le
combat de la vie, il se sent continuellement disputé intérieurement entre Dieu
et le monde ; mais il fait en sorte que sa vie religieuse ne s’écarte
jamais de Dieu. Ainsi se produit le véritable équilibre entre la religion d’ici‑bas et celle de l’autre monde. Le Christ enleva à ses Apôtres sa présence extérieure pour que le Saint‑Esprit puisse faire son entrée intérieure en eux (Jean, 16, 7).
Vue sommaire. La doctrine de la Trinité complète celle de Dieu unique. Dieu est
véritablement Un dans son
essence ; il est aussi véritablement Trois
dans les Personnes. L’exposé de la
première vérité doit toujours tenir compte de la seconde et vice‑versa. Pas plus qu’on ne sépare la nature de la Personne, on ne doit séparer la doctrine de la nature et
celle de la Personne. La Trinité et l’unité sont les deux aspects du même dogme
dont Dieu est l’objet.
Importance. Le dogme de la Trinité contient la somme de toutes les vérités de
la foi chrétienne (S. Grég. de Naz. : τὸ ϰεφάλαιον
τῆς πίστεως), c’est pourquoi
il est à la base de tous les symboles chrétiens. Toutes les autres vérités se
groupent autour de ce noyau central : la Création, la Rédemption, la
sanctification sont des révélations de l’essence
de Dieu, mais aussi des Personnes.
C’est pourquoi aussi l’utilité
religieuse et la valeur morale de cette vérité sont considérables. Nulle part,
dit S. Augustin, on ne trouve des
fruits plus abondants pour l’intelligence et la volonté que dans l’étude de ce
dogme : « De tous nos mystères, il n’en est pas où l’erreur soit plus
aisée et plus dangereuse, ni où le travail soit plus difficile. Mais aussi,
plus que tout autre, il est fécond en fruits de salut » (De Trin. Livre 1,
c 3). Sa lumière se reflète sur toutes les autres vérités. Grâce à ce dogme,
nous pouvons dès ici‑bas jeter un regard lointain sur
l’essence et la vie intime de Dieu
et pressentir le bonheur dont Dieu jouit et fait jouir ceux qui lui sont unis
dans la vie. Il est vrai qu’il nous manifeste aussi, plus qu’aucun autre, la grandeur de Dieu dont le
mystère nous écrase. En tant que révélation de l’essence, de la vie, de la
grandeur de Dieu, la Trinité est l’objet le plus éminent de notre vénération,
de notre adoration. C’est pourquoi il en est sans cesse fait mention dans tous
les actes cultuels de l’Église. Dans la liturgie on entend continuellement
retentir les chants et les prières en l’honneur des trois noms saints. Dans la
prière d’action de grâces de la messe
(préface), le peuple répète le triple « Sanctus » d’Isaie (6,
3) : « Saint ! Saint ! Saint, le Seigneur de
l’univers ! Toute la terre est remplie de sa gloire » (Trishagion).
Le Baptême se confère au nom des
trois divines Personnes. Les prières consécratoires
dans l’ordination de l’évêque, du prêtre, du diacre ont une conclusion
trinitaire. La maison de Dieu elle‑même doit être un symbole de la Trinité ; elle doit avoir trois portes.
Étymologiquement le mot « trinité » est la traduction du mot grec
τριάς et désigne d’abord un nombre ternaire. S.
Isidore de Séville songea à « triunitas » parce que « totum unum
ex quibusdam tribus constat ». Pierre Lombard songea à « trium
unitas ». Les mots τριάς et
« trinitas » se trouvent déjà chez Théophile et Tertullien. Le
disciple de Tertullien, Novatien,
écrivit « De Trinitate » : M. 3, 911‑982.
A consulter : S. Thomas, S. th., 1, 27‑43 ; C. Gent., 4, 1‑26. S. Bonaventure,
Breviloquium ed. da Vicenza (1881), 1, 1‑6. Ruiz, De Trinitate (Lyon, 1625). Salmanticenses, Curs. th., 3. Franzelin,
De Deo trino (1883). Janssens, De Deo
trino (1900). Stentrup, De SS.
Trinitatis mysterio (1898). Kleutgen,
Inst. theol., 427 sq. Paquet, 1, 329
sq. Petau, Dogmata theologica, 2,
3 : De Trinitate (Paris, 1865). Thomassin,
Tournely, Pralectiones dogm. :
De myst. SS. Trin. Diekamp, 1, 106. J. van der Mersch, De Deo uno et trino
(2ème éd., 1928). A. d’Alès,
Prima lineamenta, de Deo trino (1934). Régnon,
Etudes de théologie positive sur la S. Trinité, 3 vol. (1892 sq.). Lebreton, Les origines du dogme de la
Trinité, 1 (1910) ; Histoire du dogme de la Trinité, 2 vol. (1927‑1928). S. Augustin, De
Trinitate libri, 15. Bardy, Didyme
l’Aveugle (1910). Hugon, Le mystère
de la T. S. Trinité (1912). Catoire,
Philosophie byzantine et phil. scol. ; Échos d’Or (1909), 193 sq. (opposé
à Régnon).
THÈSE Dans l’unique Être divin, il y a trois Personnes, et ces
trois Personnes sont le Dieu unique. De
foi.
Explication. Le dogme de la Trinité fut exprimé formellement pour la première fois dans le Symbole de S. Athanase, à la fin des controverses
trinitaires (vers 400) : « Voici la foi catholique : nous
vénérons un Dieu dans la Trinité et la Trinité dans l’Unité » (Denz.,
39 ; cf. 48‑51, 54, 78‑82, 85‑87, 213, 254, 275‑281, 343‑346, 389‑391, 420, 432, 462, 463, 703‑705, 1596, 1655, 1915).
Quand, au Moyen‑Age, la notion de Dieu fut obscurcie
par Roscelin et Gilbert de la Porrée, qui furent immédiatement réfutés (Denz., 389 sq.) (cf. p. 130), et par Joachin de Flore (p. 202), le 4ème
Concile de Latran exprima l’antique foi (Denz., 428, 431 sq.). Les Conciles d’union durent, eux aussi, à
l’encontre des Grecs qui s’écartaient de la doctrine commune sur le
« Filioque », renouveler le décret du 4ème Concile de
Latran. Le dogme trinitaire fut examiné d’une manière particulièrement
détaillée au 11ème Concile de Tolède (Denz., 275‑281).
I. Unité dans la Trinité. C’est une unité de l’essence, des attributs et de l’activité.
1. L’unité d’essence est l’unité fondamentale ; elle exige que
nous nous gardions de nous représenter l’Être divin comme partagé ou multiplié,
en raison de la Trinité de Personnes ; il nous faut plutôt le concevoir
comme une unité numérique absolue.
Les trois Personnes sont un seul
Dieu, non pas parce que chacune est d’égale
essence divine (æqualis substantiæ), mais parce que les trois Personnes sont d’une seule et même essence (unius ejusdem
substantiæ). Elles ne sont pas d’essence
égale, mais d’essence unique. 11ème
Concile de Tolède : « Nous n’affirmons pas trois substances comme
nous affirmons trois personnes, mais une
seule substance et trois personnes » (Denz., 278). 4ème
concile de Latran : « Bien que le Père soit autre, autre le Fils, autre le Saint‑Esprit, il n’a cependant pas une autre réalité,
mais ce qu’est le Père, le Fils l’est et le Saint‑Esprit, absolument la même chose, en sorte que, conformément à la foi
orthodoxe et catholique, nous croyons qu’ils sont consubstantiels » (Denz., 432). Bien que chaque Personne soit
véritablement Dieu, toutes les trois
cependant ne sont qu’un seul Dieu.
Symbole d’Athanase : « Ainsi le Père est Dieu, le Fils est Dieu, le
Saint‑Esprit est Dieu ; et cependant ils ne sont pas trois Dieux,
mais un Dieu ». Decret. pro Jacob. : « Les trois personnes sont une substance, une
essence, une divinité » (Denz., 703).
2. L’unité des attributs suit nécessairement l’unité d’essence, les
attributs étant inséparables de l’essence. Si l’essence n’est pas multipliée
par la Trinité de Personnes, les perfections
de l’essence ne le sont pas davantage. Symbole
de saint Athanase : « Comme est le Père, tel est le Fils, tel le
Saint Esprit : incréé est le Père, incréé le Fils, incréé le Saint
Esprit ; immense est le Père, immense le Fils, immense le Saint
Esprit ; et cependant, ils ne sont pas trois éternels, mais un éternel ; ni non plus trois incréés, ni trois
immenses, mais un incréé et un
immense », etc. De même Tolède 11.
3. L’unité d’activité à l’extérieur résulte de l’unité d’essence. Car
là où se trouve un seul principe (pr.
quo) d’activité il ne peut y avoir
aussi qu’une seule action. Ainsi
donc, même à l’extérieur, l’Être divin nous apparaît comme le seul Dieu et
Seigneur. « (Ces trois personnes) sont inséparables
en effet aussi bien en ce qu’elles sont
qu’en ce qu’elles font » (Tolède
11 : Denz., 281). « Chacune des trois personnes est cette réalité,
c’est‑à‑dire la substance, l’essence et la nature divine. Elle
seule est le principe de toutes choses,
en dehors duquel aucun autre principe ne peut être trouvé » (Latran 4).
II. La Trinité dans l’unité. Bien qu’on doive affirmer de Dieu une
véritable unité, il est également vrai qu’on doive affirmer de lui la Trinité.
Cette Trinité suppose une distinction réelle
en Dieu, car sans cette distinction, une Trinité ne peut pas sérieusement
exister. Cette distinction se rapporte aux Personnes,
aux Processions et à la manière de posséder l’essence divine.
1. La Trinité des Personnes doit être entendue au sens positif et exclusif, et non, au sens modaliste, comme trois manières dont se
manifeste le Dieu unique. « [L’Église] condamne Sabellius qui confond les
personnes et ôte complètement la distinction
réelle entre elles » (Decr. pro Jacob. ; Denz., 705). Le Nouveau
Testament enseigne une Trinité et ne connaît pas la dualité (Dyas) qu’on lui
attribue. Il ne connaît pas non plus de quaternité comme si, à côté des
Personnes, subsistait l’essence par
laquelle les Personnes seraient Dieu. « Il y a en Dieu seulement Trinité et non pas quaternité » (Latran 4 ; Denz., 432). « Nous ne
confondons pas les personnes… autre
est en effet la Personne du Père, autre
celle du Fils, autre celle du Saint‑Esprit » (Symb. Athanase). « Nous
distinguons en effet les personnes, mais nous ne divisons pas la divinité » (Tolède 11 ; Denz.,
280).
2. Cette distinction réelle des
Personnes équivaut à la manière distincte
dont est possédée l’essence unique par les trois Personnes, par suite de la
procession distincte d’une Personne
de l’autre : la première Personne possède cette essence comme une essence
non communiquée, sans principe, la
seconde la reçoit, par génération, de
la première ; elle est communiquée à la troisième par spiration commune de la première et de la seconde. C’est pourquoi
la première Personne s’appelle le Père,
la seconde le Fils et la troisième le
Saint‑Esprit. Symb. Athan. : « Le
Père n’a été fait par personne et il
n’est ni créé ni engendré ; le Fils n’est issu que du Père, il n’est ni
fait, ni créé, mais engendré ;
le Saint‑Esprit vient du Père et du Fils, il n’est ni fait,
ni créé, ni engendré, mais il procède ».
Latran 4 : « Le Père, en engendrant
le Fils de toute éternité, lui a donné sa substance » (Denz., 432).
« Le Saint‑Esprit est éternellement du Père et du Fils, il tient son
essence et son être subsistant du Père et du Fils à la fois, et il procède
éternellement de l’un et de l’autre comme
d’un seul principe et d’une spiration unique » (Florence ; Denz.,
691). « Tout ce que le Père est ou a, il l’a non pas d’un autre, mais de
soi et il est principe sans principe.
Tout ce que le Fils est ou a, il l’a du Père, et il est principe issu d’un principe. Tout ce que le Saint‑Esprit est ou a, il l’a à la fois du Père et du Fils. Mais le Père et le Fils ne sont pas deux
principes du Saint‑Esprit, mais un seul principe, de même que le Père, le Fils et le Saint‑Esprit ne sont pas trois principes de la créature, mais un seul principe » (Decret. pro Jacob. ; Denz., 704).
Il faut donc concevoir une Trinité réelle et l’on n’a pas le droit
de voir dans les dénominations Père, Fils
et Saint‑Esprit de simples noms ou des modes de
manifestation ou des étapes de la
Révélation. Ce sont trois détenteurs, trois possesseurs réellement
distincts de la divine essence. Cette unique essence divine subsiste en trois
Personnes réellement distinctes. Chacune des trois Personnes possède l’unique
substance divine, est cette divine substance même.
3. Ce par quoi les trois
Personnes se distinguent l’une de l’autre ne doit pas être cherché dans l’essence, ne doit pas être cherché non
plus, d’abord, dans la Personne en
elle‑même, étant donné que chacune des trois Personnes est également parfaite et éternelle, mais doit se trouver
dans la manière différente de posséder l’essence et, plus précisément, dans les relations entre les Personnes, qui en résultent. La Personne reçoit
uniquement sa personnalité par sa relation particulière avec les autres
Personnes. C’est pourquoi ce ne sont pas des Personnes absolues, subsistant par elles‑mêmes, mais des Personnes constituées par relation dont l’être est uniquement
fondé sur la relation avec les autres Personnes et qui sans cette relation ne
subsisteraient pas (Denz., 278).
III. Unité et Trinité. Étant donné que les trois Personnes sont réellement distinctes, mais par l’Être
ne le sont que virtuellement (§ 25), on doit dire d’elles non seulement
qu’elles procèdent l’une de l’autre, mais encore qu’elles sont l’une dans
l’autre. Même indépendamment de leur infinité, de leur immensité et de leur
perfection absolue, on ne peut, en raison de leur unité d’essence, les
concevoir que comme existant l’une dans l’autre, se compénétrant mutuellement
(περιχωρεῖν,
circumincedere).
« En raison de cette unité
le Père est tout entier dans le Fils, tout entier dans le Saint‑Esprit, le Fils est tout entier dans le Père, tout entier dans le
Saint‑Esprit, le Saint‑Esprit tout entier dans le Père, tout entier dans le Fils » (Decr. pro Jacob. ; Denz., 704).
On peut donc, en s’appuyant sur les formules ecclésiastiques,
présenter le dogme, dans sa substance, de la façon suivante : L’Être divin
numériquement un est si parfait et si infini que trois Personnes réellement
distinctes le possèdent, à un titre distinct sans doute, mais dans une
perfection entièrement égale. Le Père, le Fils et le Saint‑Esprit sont chacun véritablement Dieu et cependant un seul Dieu.
L’unité est si parfaite qu’elle
n’est pas détruite par la Trinité et la Trinité est si réelle qu’elle n’est pas
supprimée par l’unité. Si l’unité est élevée au‑dessus de tout nombre (§ 28), il
faut en dire autant de la Trinité. « Cette sainte Trinité, qui est un seul
vrai Dieu, n’est pas hors du nombre mais
elle n’est pas enfermée dans le nombre. Dans les relations des personnes,
le nombre apparaît ; dans la
substance de la divinité, on ne peut saisir quelque chose qu’on puisse
dénombrer. Il y a donc indication de nombre uniquement
dans les rapports qu’elles ont entre elles, mais il n’y a pas pour elles de
nombre, en tant qu’elles sont référées à elles‑mêmes » (Tolède 11 ; Denz., 279 sq.).
Tout ce qui va suivre sera
l’explication détaillée de cet exposé sommaire du dogme. Bien entendu ce que
nous exposons ici, comme dogme ecclésiastique, ne se trouve pas, dès le début,
dans la conscience de l’Église avec une terminologie aussi claire et aussi
précise. La doctrine de la Trinité, elle aussi, (non la Trinité elle‑même), a eu son évolution, comme tous les dogmes. Le langage de la Bible, au sujet du dogme
de la Trinité, est différent de celui de la dogmatique postérieure. Le Christ, S. Paul et S. Jean
parlèrent de la Trinité autrement que les Apologistes,
le Concile de Nicée, les Pères contemporains, le Symbole d’Athanase et la Scolastique. Cela tient, pourrait‑on dire, à la révélation successive de la Trinité et à l’enseignement de la foi qui se rattacha
d’abord à cette révélation successive. Le Père fut révélé le premier, puis le Fils, puis le Saint‑Esprit. Celui qui suit atteste celui qui précède et est attesté à son tour par celui qui précède. Il en résulte une certaine juxtaposition dans l’ordre des Personnes qui se retrouve
logiquement, dans la pensée comme dans l’expression du dogme trinitaire. Il
faut ajouter que la divinité de chacune des personnes, sauf le Père, dut être
défendue par l’Église et les Pères, selon une succession historique. De cela aussi résultèrent une certaine juxtaposition et
une certaine séparation. Ce sont les Personnes qui sont d’abord placées au
premier plan, selon qu’elles apparaissent successivement dans l’histoire de la
Révélation, prennent part à l’œuvre de la Rédemption et sont jugées suivant
leur action rédemptrice extérieure.
C’est là le point de vue de l’histoire de la Révélation dans la
doctrine trinitaire. D’après ce point de vue, la seconde Personne est le Fils,
en tant que le Père l’envoie sur la terre pour notre Rédemption (Jean, 3,
16) ; la troisième Personne est le Saint‑Esprit, en tant qu’elle doit, comme Esprit de Dieu,
achever notre sanctification (S. Paul). En les présentant de ce point de vue, on ne méconnaît aucunement leur existence éternelle et leur nature divine
(Jean, 1, 1‑14).
A côté de ce point de vue, il y
en a un autre dans la doctrine de la Trinité, c’est le point de vue spéculatif qui part de l’essence divine.
A ce point de vue, le premier se ramène d’une nécessité interne. On ne se
demande plus quel est le rôle du Fils, du Père et de l’Esprit du Père et du
Fils dans la révélation de la Rédemption – et c’est de cela surtout qu’il
s’agit dans le premier point de vue, bien que S. Paul et S. Jean (Prologue)
fassent aussi rentrer le Fils dans la révélation de la Création ‑ mais on se demande quel est leur état antérieur à toute histoire, dans leur existence éternelle par rapport au Père. Davantage encore, on se
demande comment le Père, le Fils et le
Saint‑Esprit se sont comportés réciproquement et par rapport à l’essence divine, éternellement, longtemps avant toute révélation
temporelle. C’est
moins le point de vue pratique de la foi à la Rédemption, que le point de vue
spéculatif de la foi en Dieu. Mais on voit que, logiquement, le second point de
vue doit suivre historiquement le premier et que, d’une manière aussi logique,
la Révélation étant achevée, le
second doit prendre le pas sur le premier. Il y a donc une évolution, mais une évolution logique et imposée par les lois de la
pensée. L’évolution de la substance du dogme a entraîné aussi celle de la
terminologie extérieure. Il serait déraisonnable, aujourd’hui, d’employer, dans
la doctrine de la Trinité, le langage de la théologie non évoluée et de méconnaître
le langage de la théologie évoluée. Ce serait une singularité scientifique qui
ne se retrouve dans aucune autre science.
A consulter : S. Thomas, Sent., 1, d. 23, q. 1. a.
1 ; S. th., 1, 29, 1‑3 ; De pot., 9, 1‑2. S. Bonaventure, Brev., 1, 2‑4. Petau, De Trin., 4, 4. Nottebaum,
De personæ vel hypostasis apud Patres theologosque notione et usu (1853). Dict. théol., 7, 369 sq.
Les expressions doctrinales
créées au cours des siècles se rapportent soit à l’unité, soit à la Trinité,
et se divisent par conséquent en deux
groupes. Au premier appartiennent les expressions essence, substance,
nature (essentia, substantia, natura, οὐσία,
φύσις) ; au second, les expressions subsistance,
hypostase, personne.
Les Latins furent plus heureux, dès le début, dans la terminologie
trinitaire que les Grecs. Tertullien
leur avait fourni les mots « nature » et « substance »
auxquels s’ajouta plus tard le synonyme « essence », pour désigner ce
qui est commun aux trois Personnes, c.‑à‑d. l’essence. De même, il avait introduit l’expression « personne » pour désigner ce qui est particulier, en tant que l’essence doit être conçue comme être individuel
subsistant en soi. Il avait employé cette expression distinctement pour le Père
et pour le Fils. Aussi on prit l’habitude, qui demeura, de parler de « trois
personnes » et de « une nature » ou « substance », ou
« essence ».
Chez les Grecs, on ne trouve pas
cette précision dans la terminologie. Pour désigner ce qui est commun ils
employaient φύσις et οὐσία ;
mais, tout au moins au début, οὐσία fut employé aussi
pour désigner la personne, par conséquent avec le même sens que ὑπόστασις.
Pour désigner la Personne, ils avaient deux expressions à leur disposition,
πρόσωπον et ὑπόστασις ;
mais toutes les deux pouvaient être mal interprétées. On vient de remarquer que
ὑπόστασις était au début synonyme
de οὐσία. Quant à
πρόσωπον = masque, on pouvait
l’entendre comme un simple mode extérieur de manifestation, et c’est en effet
l’interprétation hérétique que lui donna Sabellius : pour lui, comme pour
le néo‑protestantisme, il n’y avait plus qu’une apparence, un semblant de
Trinité. Comme on cherchait à éviter,
pour ces raisons, le mot πρόσωπον il ne
resta plus que le mot ὑπόστασις,
que l’on distingua strictement de οὐσία, pour
désigner l’existence individuelle. Et l’on parla désormais de
μία οὑσία ἑντρισὶν
ὑποστάσέσιν ou même
encore προσώποις. Celui qui
contribua le plus à clarifier cette terminologie et à l’introduire dans la
théologie fut S. Basile (Cf. Bardy, Didyme l’Aveugle, 60 sq.).
Les expressions
« essence », « substance », « nature » sont
employées par l’Église au 4ème Concile de Latran comme synonymes (p.
124 et 194). Cependant, la philosophie les distingue d’une manière plus
précise.
1 . Essence, substance, nature.
a) L’essence désigne le fond intérieur d’une chose, ce par quoi elle est
précisément ce qu’elle est. On applique ce mot à tout ce qui est de quelque
manière un être (ens), qu’il soit réel ou possible, existant en soi ou dans un
autre. « L’essence se trouve proprement et vraiment dans les substances, relativement
et d’une certaine manière dans les accidents », dit S. Thomas (De ente et
essentia, c. 2).
b) La substance est l’essence, en tant qu’elle est dans une chose
subsistant en soi et pour soi. Elle
s’oppose à l’accident qui ne subsiste
pas en soi, mais dans un autre. On distingue la substance première (substantia prima. Aristote : οὐσἰα
πρώτη), l’être individuel existant réellement, la substance par excellence,
et la substance seconde (subst. secunda, οὐσἰα
δευτέρα), la notion de la chose individuelle,
la notion générale. Exemple : Socrate dans son être déterminé (id quod
est) et l’humanité en tant que c’est ce par quoi il est homme (id quo est).
« La substance est un être qui subsiste par lui‑même » (S. th., 1, 3, 5 ad 1) ; cf. C. Gent., 1, 25 : « La substance est une chose à qui il convient d’exister en dehors d’un sujet ».
La nature est le plus souvent considérée comme synonyme
d’essence ; néanmoins, d’une manière plus précise, ce mot désigne
l’essence en tant qu’elle est le principe
des modifications et de l’activité (natura de nasci,
φύσις de φύομαι, je
nais). La raison dernière de
l’activité réside dans l’essence particulière à la chose ; la raison
prochaine, dans les facultés et les forces qui sont en elle. D’où l’axiome :
L’activité suit l’être (agere sequitur esse). S. th., 1, 39, 2 ad 3 :
« La nature désigne le principe de l’acte ». « Ce qui procède
fait voir aussi que les natures intellectuelles sont des formes subsistantes et
non des formes existant dans la matière, comme si leur être dépendait
d’elle » (C. Gent., 2, 51). « Nous disons des êtres qui existent en
eux‑mêmes, et non dans un autre sujet, qu’ils subsistent » (S. th., 1, 29, 2 c).
2. Hypostase, subsistance, personne.
a) L’hypostase est la substance quand elle n’est pas partie d’un tout (main, bras), mais est
une substance individuelle complète, existant en soi et pour soi. Trois
caractéristiques déterminent son être : l’intégrité, l’existence en soi, l’existence pour soi. L’existence
en soi peut appartenir à une substance partielle, incomplète ; l’existence
pour soi ne peut appartenir qu’à une substance complète. Entre l’existence en
soi et l’existence pour soi, il y a au moins une distinction virtuelle.
L’existence pour soi est une propriété plus parfaite que l’existence en soi.
L’hypostase (suppositum) est la substance individuelle parfaite qui existe de
telle sorte qu’elle est non seulement une seule chose en soi (indivisum in se),
mais encore qu’elle est distincte de
toute autre (divisum ab omni alio). Elle est le sujet (principium quod) de l’activité (actiones sunt
suppositi) ; la nature, par contre, n’en est que le principe prochain
(principium quo).
b) On appelle subsistance la manière d’exister propre
à la substance ainsi décrite. Ce mot désigne l’existence en soi et pour soi de
l’hypostase (subsistentia, subsistere, sub esse
suo).
c) La personne est le nom qu’on donne à l’hypostase quand elle possède la
perfection d’être raisonnable
(spirituel). C’est la substance la plus parfaite qui, non seulement possède
l’existence en soi et pour soi, mais encore a conscience de cette possession
individuelle. C’est dans cette caractéristique que réside la différence
spécifique de la notion. La définition courante dans l’École est celle‑ci : La personne est la substance, existant individuellement et pour soi,
d’une nature raisonnable (persona est naturæ rationalis individua substantia). (Boëce).
S. Thomas : « Le mot personne exprime ce qu’il y a de plus
parfait dans toute la nature, c’est‑à‑dire l’être qui subsiste avec une nature raisonnable. Or, comme toute
perfection possible convient à Dieu puisqu’il est dans son essence de réunir tout ce qui est parfait, il est
convenable d’employer ce mot en parlant de lui, non pas cependant dans le même
sens que quand nous parlons des créatures, mais dans un sens plus élevé »
(S. th., 1, 29, 3).
Étant donné que le monisme affaiblit la notion de
personnalité en voulant n’y voir que la conscience
de soi, l’indépendance, dans le sens de caractère accusé et fort, il est
nécessaire d’insister particulièrement sur l’élément fondamental, ontologique, sur l’existence pour soi. ‑ C’est mutiler la personnalité que de la placer uniquement, comme fait Günther, dans la
conscience. La conscience est une activité
et a son fondement dans la nature.
Comme il n’y a en Dieu qu’une nature, il n’y aurait aussi, d’après cette
théorie, qu’une Personne, car il n’y
a en Dieu qu’une conscience. En outre, le Christ ayant une double conscience, il y aurait en lui deux Personnes. L’enfant qui
n’a pas encore conscience de lui‑même ne serait pas encore une personne.
L’application de ces notions à Dieu ne peut, comme toujours, se
faire que d’une manière analogique. Dieu n’est ni nature, ni Personne dans le
sens créé ; il l’est dans un sens semblable, mais éminent, qui exclut
toute imperfection (Cf. p. 135 et sq.).
Par suite, Dieu n’est pas une substance générale (substantia
secunda) ; en lui, la divinité n’est pas réalisée de telle sorte que ce
serait par elle qu’il serait Dieu,
mais il est la divinité même (Deus est ipsa Deitas, Deus est quod habet).
Ensuite, Dieu est une substance réalisée, une essence particulière (subst.
prima), mais non pas dans le sens de support d’accidents (substare
accidentibus, hypostasis, suppositum) qui complètent une substance imparfaite, car il est parfait.
Cependant, il est substance et même la substance absolue, en ce sens qu’il
existe complètement en lui‑même avec une force absolue, qu’il possède son Être indépendant. Il
est une substance individuelle, par
opposition à la substance générale qui peut être réalisée en plusieurs êtres individuels distincts. La divine substance n’existe
qu’une fois, dans une unité numérique
absolue, et dans une identité absolue avec soi‑même. Par contre, elle s’oppose à la substance individuelle en ce que, malgré son unité,
elle appartient d’une manière commune
à trois Personnes distinctes, sans pour autant être multipliée. Dieu est
Personne en ce qu’il unit l’existence en soi et pour soi au plus haut degré
avec la raison et la spiritualité parfaites. Mais là encore, il ne l’est pas au
sens créé. La divine substance ne se possède pas comme la substance spirituelle
créée d’une seule manière, mais de trois manières et est, par suite, tripersonnelle. L’objet de possession,
l’essence, est un seul et même objet, mais le titre de possession est triple.
Le fondement de cette triple manière
de posséder réside dans les Processions.
Il nous faut donc, en appliquant
ces notions à Dieu, les limiter sur tous
les points. Aucune, au sens que nous pouvons fixer expérimentalement, ne peut convenir à Dieu. C’est la vérité qui
domine toute la doctrine de Dieu. Nous ne pouvons pas concevoir Dieu avec des
notions adéquates, nous ne le pouvons qu’avec des notions analogiques. Les
notions : existence, essence, attribut, substance, nature, personne,
activité, sont toutes analogiques ; cependant, dans un sens éminent, elles sont vraies. Dieu est
véritablement tripersonnel. La notion de personne se réalise d’abord en lui et
par excellence ; ce n’est que d’une manière dérivée et limitée qu’elle
s’applique aux êtres raisonnables créés (S. th., 1, 29, 3).
La suréminence et la perfection de Dieu, au‑dessus de la personne créée, résident en ce que la nature divine unique est
en possession absolue d’elle‑même et par conséquent personnelle, et cependant ne se possède pas comme la substance
spirituelle créée d’une seule manière, mais de trois manières distinctes. Cela existe
d’une nécessité interne et la Trinité de Personnes n’est pas quelque chose
d’accidentel ou de simplement convenable ; au contraire, elle est aussi
nécessaire que l’unité absolue de l’Être. Seulement, nous reconnaissons d’une
façon plus claire la nécessité de l’unité que celle de la Trinité ;
l’unité est une vérité de raison, la
Trinité est un grand mystère.
Transition. L’hérésie pouvait attaquer le dogme sur plusieurs points. Du
point de vue de la Révélation, on pouvait discuter les relations des Personnes
entre elles. Sur ce sujet, à l’époque patristique, l’hérésie connut ces deux
extrêmes : le monarchianisme et
le trithéisme ; une tentative
malheureuse de conciliation fut le subordinatianisme.
Les premières erreurs provenaient donc d’une fausse christologie et d’une
fausse pneumatologie. Du point de vue de la raison, la Trinité fut attaquée
dans son principe ; elle le fut surtout par le rationalisme.
A consulter : Petau, De trinitate lib., 1, c. 3 sq.
Les histoires de l’Église.
1. Le monarchianisme affirme l’unité de Dieu conçue d’une manière
abstraite dans laquelle, disent‑ils, il n’y a pas de place pour la pluralité (monarchiam tenemus). Selon qu’il considère cette unité en relation avec la Personne du Christ, il se divise en
monarchianisme ébionite ou dynamique et en monarchianisme modaliste ou patripassien.
La branche dynamique n’admet pas dans le Christ une Personne divine, mais lui
attribue une force divine, impersonnelle
(δύναμις). Le Christ, en soi, est un homme
pur et simple. Ce fut la doctrine des deux Théodote,
de Bérylle de Bostra, de Paul de Samosate. La tendance modaliste admet, il est vrai, une
Trinité, mais une Trinité apparente et non véritable. La Personne pour les
modalistes est le mode de manifestation extérieure
(πρόσωπον = masque) d’un seul Dieu
(μονάς). Ce Dieu unique s’est manifesté comme Père
dans la Création, comme Fils dans la Rédemption, comme Saint‑Esprit dans la sanctification. On enseignait une Incarnation de
Dieu, mais on l’attribuait à la Personne du Père, d’où le nom de « Patripassiens ».
Les représentants de cette hérésie sont : Noëtius de Smyrne, Praxeas,
son disciple à Rome et dans l’Afrique du Nord, Cléomène à Rome et surtout Sabellius.
Condamnations ecclésiastiques. Le Pape
S. Victor excommunia Théodote le Tanneur. Un Synode d’Antioche déposa Paul de Samosate qui employait, au sujet du Fils,
le mot ομοούσιος τῷ
πατρί dans un sens monarchianiste. Le Fils, disait‑il, est consubstantiel au Père, même comme Personne,
parce qu’il est la manifestation terrestre du Père. Le Pape S. Félix confirma le Synode. Il n’y avait pas encore, alors,
de conciles généraux.
Le modalisme fut combattu par Tertullien qui était déjà montaniste
(Ad. Praxeam), par S. Hippolyte (Adv.
Noëtum), par S. Denys d’Alexandrie.
Ce dernier, en réfutant Sabellius,
alla trop loin dans l’affirmation de la distinction du Père et du Fils :
il nommait le Fils une œuvre (ποἱημα) du Père.
Cependant, dans sa justification auprès du Pape S. Denys, il affirma qu’il
n’avait voulu parler que de la Procession
du Fils par laquelle le Père est le principe du Fils. Le Pape S. Denys fit
paraître à ce sujet une lettre dogmatique (260) dans laquelle il réfutait à la
fois le monarchianisme et le subordinatianisme qui apparut plus tard. Cette
lettre a été reproduite (Denz., 48‑51).
2. Le subordinatianisme est une mauvaise tentative de conciliation :
il veut unir la monarchie avec une certaine Trinité ; il emploie le mot
θεός au sens propre et au sens impropre ; il sépare essentiellement le Fils et le Saint‑Esprit, du Père, et il en fait les créatures
du Père, tout en affirmant qu’ils sont des créatures d’un genre plus élevé et
existant avant tous les temps.
Arius met à part le Dieu unique et très‑haut (ὁ ἐπὶ πάντων θεός) que sa perfection rend
absolument inaccessible et place au‑dessus du monde, et il le sépare du Fils qui est un être divin de second ordre et qui,
par suite du défaut de ces attributs absolus, était capable d’accomplir la Création et l’Incarnation. Cet être intermédiaire, Dieu le produit librement, non pas de toute éternité,
mais avant tous les temps, comme sa créature. « Il fut un temps où il
n’était pas » (ἧν ποτε, ὄτε
οὐϰ ἧν ‑ ἐξ οὐϰ
ὄντων ἐστίς). Le Christ est Fils de Dieu par
grâce et non par nature. Il était sans péché par le bon usage de ses facultés, comme
tous les fils moraux de Dieu. Les ariens se partagèrent en ariens stricts (ἀνόμοιος)
et en semi‑ariens (ὀμοιούσιος).
Les uns et les autres juraient par leur mot d’ordre et se combattaient violemment
entre eux.
Condamnations ecclésiastiques. Aux chefs hérétiques : Arius, prêtre d’Alexandrie (écrit
principal « Thalia », dans Athan., Contr. Arian. orat., 1, 9), Eusèbe, évêque de Nicomédie
(« Eusebiens »), Eusèbe, évêque de Césarée, s’opposèrent du côté de
l’Église orthodoxe, Alexandre, évêque
d’Alexandrie qui excommunia Arius ; au Concile de Nicée (325), les évêques
Eustathius d’Antioche et Marcel d’Ancyre, mais surtout l’ardent
diacre Athanase. Au Concile de Nicée
l’hérésie fut condamnée, le Fils fut déclaré consubstantiel au Père (ὁμοούσιος
τῷ πατρί) et le second article du Symbole
des Apôtres fut augmenté de cette addition importante (Denz., 54). Le Symbole
de Nicée lui‑même eut pour origine un projet d’Eusèbe de Césarée que le Concile accepta sous une forme
modifiée. La victoire du Concile de Nicée
fut assurée après de longs combats par S. Athanase, les trois Cappadociens, S.
Éphrem, S. Ambroise, S. Augustin, S. Jérôme et l’empereur Théodose Ier.(Décret
de 380 en faveur de ὁμοούσιος).
Le macédonianisme étendit l’hérésie arienne au Saint‑Esprit également. Il enseigna que le Saint‑Esprit était une créature du Fils comme le Fils était une créature du Père
(Pneumatomaques).
Condamnations ecclésiastiques. Macedonius,
évêque semi‑arien de Constantinople, fut déposé en 360 par un synode tenu
dans cette ville. Le Pape S. Damase
condamna plus tard l’hérésie dans un synode tenu à Rome. Bientôt après,
l’empereur Théodose convoqua un concile général à Constantinople (381). Ce concile formula la doctrine de l’Église en
déclarant que le Saint‑Esprit est « Seigneur et vivificateur » et qu’il
« procède du Père » (Jean, 15, 26), qu’il est « adoré et glorifié avec le Père et le
Fils », qu’il a « parlé par les Prophètes ». Ces décisions
furent ajoutées au Symbole de « Nicée » (Denz., 86). Le second
concile ne fut pas aussi catégorique que le premier. Il manquait le terme ὁμοούσιος
ou bien encore ό θεός. C’est ce qui explique la
réserve que montrèrent ensuite certains Pères (S. Basile) dans leur terminologie.
Les principaux défenseurs de la divinité du Saint‑Esprit furent particulièrement S. Athanase, S. Grégoire de Nysse, Didyme, S.
Ambroise. La plupart composèrent des écrits à ce sujet.
Antitrinitaires modernes. Dès le temps de la Réforme au 16ème
siècle, on voit apparaître des négateurs isolés de la Trinité comme Ludwig
Hetzer, Jean Denke, en Suisse ; Jean Campanus à Wittenberg, David Joris en
Hollande, Michel Serveda (Servet), médecin espagnol ; Gribaldi, juriste de
Padoue ; Blandatra du Piémont, Lelio
et Fausto Sozzini dits Socin (Socinianisme
« unitarisme » ; Denz., 993). Mais aujourd’hui tout le
protestantisme libéral est tombé dans l’antitrinitarisme et lutte pour faire
disparaître les formules trinitaires, des symboles et des rituels. Là où l’on
maintient encore la Trinité, la conception qu’on en a se distingue peu de
l’antique modalisme (Shelling, Hegel,
Schleiermacher). Dans de larges sphères du protestantisme, la Filiation divine
de Jésus est conçue au sens éthique et adoptianiste ou, avec Serveda, on la
fait dater de la conception ou du baptême : « Le divin était en
lui »
Le trithéisme sépare non seulement les Personnes, mais encore l’essence. Sans doute, l’expérience nous
fait formuler ce jugement : autant de personnes, autant de natures, et
vice‑versa. Mais le dogme nous enseigne que ce
jugement d’expérience ne trouve pas d’application en Dieu.
Jean Philopone (vers 550) est le premier trithéiste connu. Dans l’intérêt du
monophysisme dont il était partisan, il identifia les notions
« personne » et « nature ». D’après lui, les trois
Personnes ont une substance divine abstraite comme trois hommes qui possèdent
l’humanité. Leur unité est une unité spécifique
et morale et non une unité numérique
d’essence. Joachin de Flore (+1202),
un moine exalté de Flore (Calabre), apocalyptique et nominaliste, reprocha à
Pierre Lombard d’avoir introduit une quaternité dans la Trinité. C’était lui
plutôt qui s"était laissé prendre au trithéisme. Les trois Personnes,
d’après lui, ne constituaient pas une unité numérique, mais une unité collective et morale. Il partage toute
l’histoire du monde d’une manière trinitaire en trois périodes : la
première, celle du Père ; la seconde, celle du Fils, et la troisième,
celle du Saint‑Esprit : le judaïsme, le christianisme et l’âge futur. Cette théorie fut reprise dans un sens
panthéiste par Amalric de Bena et David de
Dinant, professeurs à l’Université de Paris (vers 1200). D’après les
amalriciens, la divinité s’est faite homme trois fois, dans Abraham (le Père),
dans le Christ (le Fils), et dans le croyant (le Saint‑Esprit). Le trithéisme se trouve encore, dans ses conséquences, sinon dans sa forme, chez le
nominaliste Roscelin, chanoine de
Compiègne (+ vers 1120) et chez le réaliste extrême Gilbert de la Porrée (+1154). Pour les nominalistes, seuls les
individus existent ; toute expression qui désigne une entité commune est
dépourvue de vérité complète. Les trois Personnes seules sont ce qui existe
réellement, les trois réalités véritables qui constituent, au reste, une unité logique. Pour les réalistes extrêmes, au
contraire, le général en soi existe.
L’essence divine a, par conséquent, son existence particulière en vertu de
laquelle chaque Personne est Dieu ; ils admettent une distinction réelle
entre la Personne et l’essence. Ainsi il résultait de cette théorie, d’abord le
trithéisme, chacune des Personnes possédant individuellement et proprement
l’essence, puis une quaternité puisque l’essence à son tour aurait son
existence propre.
Condamnations ecclésiastiques. Toutes ces doctrines erronées et hérétiques,
plus ou moins clairement et logiquement exposées, furent condamnées
solennellement au 4ème Concile de Latran (1215) dont les décisions sont d’une importance capitale
pour la doctrine de Dieu.
« En Dieu il n’y a qu’une Trinité et pas de quaternité, parce que
chacune des trois Personnes est cette chose (divine), c.‑à‑d. cette substance ou cette
essence ou cette nature, qui est seule le principe de tout, en dehors duquel il
ne s’en trouve aucun autre » (Denz., 432). Cette Trinité des Personnes ne
détruit pas l’unité de l’essence, parce que « le Père engendre de toute
éternité le Fils en lui communiquant sa substance, comme lui‑même l’atteste quand il dit : Ce que le Père m’a donné est
plus grand que tout. Et l’on ne peut pas dire qu’il (le Père) lui a donné (au
Fils) une partie de sa substance et
qu’il en a gardé une partie pour lui‑même, car la substance du Père est indivisible et absolument simple.
Mais on ne peut pas dire davantage que le Père a transmis sa substance au Fils
par génération, de telle sorte qu’il l’aurait donnée au Fils sans la garder
pour lui‑même, car il aurait cessé d’être lui‑même substance. Il est donc clair
que le Fils a reçu par sa naissance la substance
du Père sans aucune diminution, qu’ainsi le Père et le Fils ont la même substance et que, par conséquent,
le Père et le Fils, ainsi que le Saint‑Esprit qui procède de tous les deux, sont la même chose » (eadem res = eadem substantia)
(Denz., 432).
Pie VI a condamné une expression
trompeuse du Synode de Pistoïe,
lequel plaçait la distinction en Dieu au lieu de la placer dans les Personnes (Deus in tribus personis distinctus au lieu de distinctis) (Denz., 1596). De même Pie
IX réprouva la théorie trithéiste d’Antoine
Günther. D’après Günther, les Personnes individuelles sont aussi des
substances individuelles. Il essaie de sauvegarder leur unité en les faisant
sortir l’une de l’autre (unité organique),
en les faisant enfin se référer l’une à l’autre par leur conscience et
constituer ensemble une personnalité absolue
(unité formelle) (Denz., 1655).
Faiblesses de la doctrine des Pères. Autre chose est d’exprimer le
dogme trinitaire dans le cadre de la simple profession de foi de l’Église et
autre chose de l’exposer d’une manière spéculative. Sous le premier rapport, la
doctrine de l’Église est simple et nette, mais sous le second rapport on peut
avouer tranquillement des oscillations et des imperfections dans l’évolution
théologique. Ce serait demander une chose inouïe dans l’histoire des dogmes que
de vouloir que les Pères aient trouvé immédiatement
les termes convenables pour caractériser les relations entre la nature et la
personne, ou que de leur demander, d’une manière générale, une théologie
parfaite sur toute l’entité mystérieuse de ce dogme. Personne ne songera à
ranger les Pères, en raison de leur insuffisance philosophique, parmi les
hérétiques formels. Mais il faut, là aussi, leur appliquer ce que disait d’eux
S.Augustin, à propos de la doctrine de la grâce : avant les hérésies
« on parlait avec moins de précaution ». Ils ne parlent guère avec
précaution et précision que dans leur polémique avec les adversaires.
Les historiens protestants du dogme accusent les Pères de modalisme
comme de trithéisme. A leurs yeux, Tertullien
était trithéiste ainsi que la plupart des Grecs ; cependant, au dire d’Harnack, S. Jean Damascène fit passer le
subordinatianisme (d’Origène) au modalisme. « Là où le traité d’Augustin
« De Trinitate » fut étudié et suivi, s’établit à peu près partout un
délicat modulisme » (Histoire des Dogmes, 3, 5.127). R. Seeberg va jusqu’à découvrir chez les Pères une quadruple conception de la
Trinité : « On a : 1° tout d’abord essayé de s’accommoder de la
théorie de l’être intermédiaire selon la manière de voir des Grecs : Dieu
et son Logos (les apologistes), ou bien, 2° de se débarrasser de toutes les spéculations :
le Dieu unique se révèle précisément comme Père, Fils et Saint‑Esprit (Irénée, mais aussi Sabellius !). Ou
bien on a pu, 3° interpréter la Trinité d’une manière essentiellement
œcuménique. En raison du besoin des hommes, le Père n’a pas seulement agi comme
tel, mais encore il a fait sortir de lui le Fils et l’Esprit comme médiateurs
de la Révélation, si bien que la substance divine unique se manifeste ou
s’actualise en trois Personnes (Tertullien, Novatien). Ou bien enfin, 4° on a
interprété la divinité selon le système néo‑platonicien, à la manière de cercles concentriques, dont
le plus petit par rapport à celui qui précède est en même temps plus profond, c.‑à‑d. qu’on a songé à rapprocher peu à peu l’absolu abstrait, du monde
concret, au moyen d’êtres inférieurs mais divins » (Hist. des Dogmes, 2, 135).
Une explication complète des
faiblesses qui se trouvent de fait dans l’enseignement des Pères ne peut pas
encore être donnée ici. Nous nous contenterons de quelques indications. Il est
clair que la doctrine de la Trinité est en connexion étroite avec la doctrine
du Christ, du Logos divin et du Saint‑Esprit. L’évolution de ces
parties de la doctrine devait nécessairement exercer son influence sur celle de
la Trinité. C’est pourquoi les faiblesses se rencontrent surtout dans la
période anténicéenne. En outre, il y
a pour la spéculation trinitaire deux
points de départ. Si elle part de la Personne (du Père) et poursuit par la
procession du Fils et de l’Esprit, elle risque de contracter l’apparence du
trithéisme. C’est ce qui arriva chez les Grecs. Si elle part de l’unique
essence divine et essaie d’expliquer les Personnes par la vie divine interne, elle prendra facilement une teinte modaliste,
monarchianiste. C’est le cas de la spéculation de S. Augustin. Dans les deux sens, l’Église évite les extrêmes, comme on le verra au § 53 sq.
A consulter : Lagrange, Le Messianisme chez les Juifs
(150 av. J.‑C.‑200 ap. J.‑C).(1909). Lepin, Jésus,
Messie et Fils de Dieu, d’après les Évangiles synoptiques (1906). Jos. Slipyi, De principio spirationis in
S.S. Trinitate (1926).
L’Ancienne Alliance est fondée
sur le monothéisme (§ 22). Cependant,
dès le début, l’unité n’est pas une unité abstraite, rigide ; mais une
unité concrète, vivante, pleine de mouvement et d’abondance, si bien qu’au
cours des temps elle s’anime de plus en plus et semble évoluer vers une pluralité. Les Pères cherchent déjà la
Trinité dans l’Ancien Testament et aiment l’y trouver. Les théologiens ne sont
pas d’accord sur le degré où l’on peut l’y reconnaître. Mais tous trouvent des insinuations. On peut distinguer en tout
quatre groupes de preuves.
1. Allusions pluralistes. Il y a allusion à une pluralité, sinon à une Trinité,
dans ces paroles de la Genèse :
« Faisons l’homme » (1,
26 ; cf. 3, 22 ; 9, 6 ; 11, 7). La plupart des Pères entendent
ces paroles comme un discours du Père au Fils, d’autres y ajoutent le Saint‑Esprit ; d’autres y voient un monologue des
trois Personnes. Origène pense à une allocution aux anges. Un certain nombre de scolastiques
rappellent le pluriel Elohim avec le verbe au singulier (Gen., 1, 1), ainsi que
le triple « Sanctus »»
d’Isaïe (6, 3) et la triple
invocation de Jahvé dans la bénédiction du grand‑prêtre (Nomb., 6, 22‑26), ou bien le Ps. 66, 7‑8. Les Juifs pensent ici aux anges, ou aux éléments, ou à un pluriel de
majesté. Les rationalistes voient
dans la forme plurielle un reste du polythéisme auquel Israël était attaché
dans les temps primitifs. Par contre, les Pères
de l’Église, pour donner toute sa plénitude à la preuve par les prophéties,
ont de bonne heure fait attention à ces tournures et leur ont donné un sens
trinitaire. Des exégètes catholiques modernes comprennent Gen., 1, 26, d’une
manière simplement grammaticale ; d’après eux, le pluriel du sujet exige
le pluriel du prédicat (Göttsberger, Adam et Ève).
2. Les théophanies. Il en est question dans les temps les plus anciens (Pentateuque). On se
demande si elles contiennent une allusion à la pluralité des Personnes divines. On voit apparaître, comme
représentant de l’invisible Jahvé, son « envoyé » ou son
« ange », le Maleach‑Jahvé. Celui‑ci est donc distinct de
Jahvé ; il porte cependant le nom de Jahvé (Cf. Gen., 16, 7‑14 ; 21, 17‑19 ; 18, 2. Ex., 14, 19). Les Pères qui précèdent S. Augustin ont vu dans ce Jahvé‑Ange le Logos. Lorsque les ariens eurent abusé de cette interprétation dans
un sens subordinatianiste, on la trouva choquante. S. Augustin explique ce
théophanies comme « angelophanies ». Jugent de même S. Athanase, S.
Basile, S. Jérôme, S. Cyrille d’Alexandrie. S. Léon le Gr. est encore de
l’ancienne opinion.
3. La spéculation sur l’hypostase. A partir de l’époque de Jérémie
commence, dans Israël, d’une manière originale,
sans emprunts au monde extérieur, le processus de la personnalisation de la
divine Sagesse. Job (28) et Baruch (3, 9 ; 4, 4) la conçoivent encore
« comme une chose ». L’auteur des Proverbes
la conçoit le premier (Prov., 1‑9) comme une « personnalité consciente et agissante » (les chap. 8 et 9 constituent le
point culminant). Beaucoup plus tard (2ème siècle av. J.‑C)., Sirach (l’Ecclésiastique) poursuit l’évolution en puisant principalement dans les Proverbes (Eccli., 1, 1‑10 ; 4, 11‑22 ; 14, 20‑15, 10 ; surtout 24, 1‑29). Alors que Sirach se place
encore entièrement au point de vue juif, le
livre de la Sagesse « naquit en
plein centre de la sagesse alexandrine », dans une ville où le judaïsme
s’appuyait à la civilisation grecque (6, 12‑9, 18). D’après ce livre, la Sagesse se trouvait « au commencement » près de Dieu ; c’est en lui qu’elle a son origine, puisqu’elle sort de sa bouche ; elle est la claire
effusion de son essence, le reflet de sa lumière de connaissance. Sa fonction est double : cosmique et éthique. Elle a pris part à la création du monde ; mais elle
avait le grand désir de paraître sur la terre parmi les hommes, de pénétrer en
eux et de créer la vie divine. Une spéculation semblable sur l’hypostase se
trouve dans la Memra ( = Parole)
postérieure à l’exil et dans la doctrine
du Logos. De même que la divine Sagesse (σοφὶα),
la Parole divine ( λόγος) est aussi personnifiée. Cela
se fit d’abord à l’époque postérieure des Targums, mais en se rattachant à une
série d’anciens textes bibliques où la Parole de Dieu avait une efficacité
cosmique et aussi rédemptrice. Cf. Gen., 15, 1. Nomb., 12, 6 ; 23, 5. 1
Rois, 3, 21. Am., 5, 1‑18 où il est question d’une parole de Dieu aux hommes,
Patriarches, Prophètes. Ps. 32, 6, 9 ; 147, 18 ; 148, 8 ; 118, 89. Is., 9, 8 ; 55, 10 sq. Eccli., 42, 15.
Sag., 9, 1 ; 18, 15. 3 Rois, 3, 9 où il est question d’une action créatrice de la Parole. Sag., 16, 12 ; surtout 18, 14‑25, où la Parole semblable à un glaive accomplit une action éthique, judiciaire. Dans la formation de la
notion johannique du Logos, dans sa
relation avec Jésus‑Messie, il semble qu’on doive trouver une influence
hellénique, car le judaïsme manquait d’une notion complète du Logos.
La spéculation est continuée dans
le Nouveau Testament dans la mesure
où elle se réfère à la Personne du Christ. Le Christ est, d’après S. Jean (Prologue), le Logos créateur du
monde, la Lumière religieuse qui éclaire tout homme venant en ce monde ;
d’après S. Paul, il est « la
Force de Dieu et la Sagesse de
Dieu » (1 Cor., 1, 24), la tête cosmique
de tous les êtres raisonnables, des anges comme des hommes (Col., 1, 15‑20 ; 2, 10‑23), en qui Dieu veut réunir tous les habitants de ce
monde et de l’autre, comme sous une seule tête (Eph., 1), le reflet du
Père « par lequel Dieu a aussi créé le monde » (Hébr., 1, 2). On
voit, d’après ces allusions sur lesquelles il nous faudra encore revenir dans
la christologie, la grande importance et la vaste influence de la spéculation
sur le Logos et la Sagesse dans l’Ancien Testament.
L’Esprit de Dieu ne paraît pas
dans l’Ancien Testament comme hypostase particulière. Il est plutôt la force dans le cosmos, par laquelle Dieu
organise et anime tout (Gen., 1, 2 ; 26, 13 ; 33, 4. Jdt., 16, 17).
En tant qu’Esprit charismatique, il
confère l’inspiration et l’illumination prophétique ;
comme Esprit éthique, il est le don
de l’avenir messianique (Joël, 2, 28. Is., 44, 3. Ez., 11, 19 ; 36, 26.
Cf. Act. Ap., 2, 16 sq. 2 Pier., 1, 21).
4. Le Messie Dieu. Le messianisme de l’Ancien Testament est une question
particulière et difficile. Il n’a pas
une orientation trinitaire. Mais,
tout d’abord, le Messie est une Personne,
et ensuite, cette Personne est quelquefois appelée Dieu. D’une manière générale, Jahvé
est lui‑même le Sauveur d’Israël. Mais il
l’est dans la mesure où le salut est opéré par son Oint. Ce dernier est parfois
envisagé comme « rejeton de David ». Il est ensuite envisagé comme Souverain. Mais il apparaît aussi comme Serviteur souffrant de Dieu (Is., 53), dans un état d’abaissement et de service obéissant.
Enfin comme Fils de l’homme, il
reçoit de nouveau un trait de sublimité supra‑terrestre (Dan., 7). Isaïe
l’appelle l’Emmanuel (Dieu avec nous)
qui doit être enfanté par la Vierge (7, 14 ; cf. Math., 1, 23). « Son
nom sera appelé : L’Admirable, le Conseiller, le Dieu fort (El gibôr), le
Père du siècle futur, le Prince de la paix » (Is., 9, 6). Dieu s’adresse à
lui comme Fils au Ps. 2, 7 :
« Tu es mon Fils, je t’ai engendré aujourd’hui » (cf. Hébr.,
1, 5), et au Ps. 109, 3 : « Du sein maternel, avant l’étoile du
matin, je t’ai engendré » (Cf. Math., 22, 44‑45). Il n’est pas facile de préciser le
sens exact de ces expressions que l’on ne rencontre que rarement dans l’Ancien
Testament. Les théologiens catholiques eux‑mêmes discutent pour savoir si on doit les
entendre au sens absolu métaphysique
ou bien au sens relatif et moral.
Ceux‑là même qui par « Fils » n’entendent pas Israël mais le Messie, ne rapportent
pas, par ex., la génération à la Procession éternelle, mais, comme S. Augustin
(Enchir., 49), au Baptême du Christ, ou bien, comme S. Paul, à la Résurrection et à l’Ascension (Act. Ap., 13,
33 ; Hébr., 1, 5 ; Rom., 1, 4).
Résultat. Les notions de la spéculation sur l’hypostase : la Sagesse, la Parole, l’Esprit, le Fils de Dieu n’ont pas rencontré dans
l’Ancien Testament une manière de voir unanime. Chaque notion existe et se
développe pour elle‑même, sans tenir compte des autres. Il n’est pas encore paru, celui qui doit les
unir toutes d’une unité réelle dans sa Personne : le Christ, le Fils de
Dieu et le Messie de son peuple. Nous ne trouvons jamais dans l’Ancien
Testament une affirmation claire de la Trinité. La Trinité est préparée, surtout par la notion de la
Sagesse ; elle n’est pas révélée.
Israël reste monothéiste dans le sens de la personnalité unique de Dieu.
Dans le Nouveau Testament se trouvent les fondements fermes de la doctrine
trinitaire, et l’affirmation de la théologie libérale, d’après laquelle là
aussi régnerait le strict monothéisme, ne tient pas. Ce qui est vrai, c’est que
dans le Nouveau Testament, l’unité de Dieu est partout supposée et expressément
affirmée (§ 28). Mais il est vrai également que la Trinité des Personnes ressort partout, et en certains endroits est
exprimée clairement, dans la formule trinitaire.
L’Annonciation fait déjà reconnaître les trois Personnes d’une
certaine manière : « Le Saint‑Esprit descendra sur toi et la vertu du Très‑Haut te couvrira de son ombre ; aussi l’Être saint qui naîtra de toi sera appelé le Fils de Dieu » (Luc. 1, 35).
De même, on peut observer, dans
le Baptême du Christ, une révélation
effective des trois Personnes (Math., 3, 13‑17 ; Marc, 1, 9‑11 ; Luc, 3, 21 sq. ; Jean, 1, 32). La « voix du ciel » est celle du Père qui parle ; elle s’adresse au « Fils », et l’« Esprit de Dieu » descend sous la forme d’une colombe, attestant pour l’œil ce que la voix fait entendre à
l’oreille. Que le mot « Fils » doive être pris ici au sens naturel,
métaphysique, et non au sens moral, cela résulte de Jean, 1, 32‑34.
Dans le discours d’adieu (Jean, 14‑16), le Fils du Père se distingue de l’« autre Paraclet » qui est l’Esprit de vérité et qui procède
du Père. « Moi, je prierai le Père, et il vous donnera un autre Défenseur
qui sera pour toujours avec vous » (14, 16 ; cf. 14, 26 ; 15,
26). Dans ces textes, la Personnalité du Saint‑Esprit est mise sur le même pied que celle du Christ. Or,
celle‑ci est bien établie.
L’ordre de baptiser contient l’expression classique et claire de la
doctrine trinitaire chrétienne (Math., 38, 19) : « Allez ! De toutes
les nations faites des disciples : baptisez‑les au nom du Père, et du Fils, et du Saint‑Esprit ».
Ce texte important, contenant la
doctrine de la Trinité, du Baptême, de la mission chez les Gentils, de l’apostolat
et de la direction divine de l’Église, le rationalisme cherche à
l’atténuer ; cet ordre, dit‑on, a pour origine le Christ de
la foi et non le Christ de l’histoire ; le Christ ne connaissait encore
aucune formule trinitaire ; au reste, il ne connaissait rien de statutaire
et de dogmatique. Ce sont là des affirmations fortes, mais elles sont cependant
trop faibles pour renverser le texte. D’après Harnack, c’est la communauté chrétienne consolidée qui a forgé
cette formule pour se créer une attitude ferme et distincte en face du
judaïsme. Mais ce ne sont là que des défaites. Autant il est certain que la
Trinité est inconnue dans l’Ancien Testament, autant elle apparaît clairement
dans S. Paul (1 Cor., 12, 4‑6 ; 2 Cor., 13, 13 ; Éph., 5, 18‑20 ; Hébr., 10, 29), dans S. Pierre (1 Pier., 1, 2)et dans la Didachè (7). Où trouver la raison de ces textes ? Dans le
caractère historique de Math., 28, 19. Au reste, ce texte est attesté par tous
les manuscrits et toutes les versions.
L’exégèse catholique. Les trois Personnes apparaissent nettement
sous les noms : Père, Fils et Saint‑Esprit. On ne dit pas « au nom » en parlant de choses. Chaque nom désigne une Personne.
Pour le Père et le Fils, c’est évident. Mais le Saint‑Esprit ne peut pas être ici une force impersonnelle, car il est mis sur le même rang que les autres et sur un
pied d’égalité pour former une unité formelle. Cette unité apparaît
clairement dans le singulier « nom » (τὸ ὄνομα)
qui est placé avant les trois Personnes et désigne la même essence, la même
divinité. C’est « en » ce nom (εἰς τὸ ὄνομα)
que se fait le Baptême ; c’est de lui que lui vient la grâce
conférée ; c’est envers ce nom, comme envers son autorité future, que le
baptisé est engagé ; c’est en lui qu’il a la ferme espérance du bonheur
futur. Ce qui s’est révélé dans le Baptême du Christ se répète d’une manière
invisible dans le Baptême de tout chrétien.
S. Paul conclut ainsi la 2ème Épître aux Corinthiens (13, 13)
par ce souhait et cette bénédiction : « Que la grâce du Seigneur
Jésus Christ, l’amour de Dieu et la communion du Saint‑Esprit soient avec vous tous ». L’Apôtre souhaite à ses lecteurs en trois expressions
équivalentes : la grâce, la charité et la communication de la grâce de
Dieu que le Père donne, que le Fils mérite, que le Saint‑Esprit communique. Tous les trois apparaissent également comme les auteurs de
notre salut. Que le Saint‑Esprit soit représenté comme personnel,
cela ressort du parallèle avec le Père et le Fils, au rang desquels il est
placé et sur un pied d’égalité (Cf. 1 Cor., 12, 4‑6 ; Eph., 5, 18‑20 ; Hébr., 10, 29).
S. Pierre commence sa 1ère Épître par un souhait
trinitaire : « A ceux qui sont choisis... qui sont désignés d’avance
par Dieu le Père, et sanctifiés par l’Esprit, pour entrer dans l’obéissance et
pour être purifiés par le sang de Jésus Christ. Que la grâce et la paix vous
soient accordées en abondance ». De nouveau, Dieu est invoqué comme auteur
du salut dans son activité de grâce tripersonnelle.
Le comma joanneum (1 Jean, 5, 7) fournirait une attestation formelle de la Trinité. Il s’exprime
ainsi : « Ils sont trois qui rendent témoignage, l’Esprit, l’eau et
le sang, et les trois n’en font qu’un ». Mais il est suspect du point de
vue critique, car il ne paraît qu’au 8ème siècle dans les manuscrits
latins et n’est attesté par aucun manuscrit grec
avant le 15ème siècle. Aucun Père grec ou oriental ne le signale,
malgré l’extrême importance qu’il aurait eu dans les controverses
christologiques. Néanmoins, dit Lercher,
2, 246, il reste un témoignage pour la foi de l’Église qui l’utilisa dans sa
liturgie. Au reste, son interprétation n’est pas facile, « quia non facile
intelligitur, quid sit testimonium trium personarum » (Cf. Pesch, Præl.,
114, n. 467). C est aussi un témoignage de la Tradition.
Synthèse. Si nous parcourons l’ensemble de la preuve tirée du Nouveau
Testament, nous voyons apparaître clairement et nettement le dogme
trinitaire : la Trinité des Personnes, l’unité de la divinité ou la
divinité des trois Personnes. Le Père reçoit, sans aucun doute, une certaine préséance, parce qu’il a été connu le premier, dans l’Ancien Testament comme
le Dieu unique et dans le Nouveau comme Père du Christ. Le Père a une histoire extérieure plus ancienne que les deux
autres Personnes. Ensuite, en raison de notre manière analogique de parler, le Père reçoit une certaine
prérogative. Du point de vue de la pensée humaine, le Père est avant le Fils ; il est l’auteur et l’origine des deux autres Personnes. ‑ L’unité et la Trinité apparaissent donc d’une manière claire et précise dans l’Écriture. Ce qui est moins
clairement exprimé, c’est la relation des trois Personnes entre elles et le comment de leur unité
dans la Trinité.
La foi trinitaire s’exprime dans
les simples professions de foi, dans
les actions cultuelles, comme dans
les exposés théoriques.
1. La plus ancienne profession de foi, en dehors de la
formule du Baptême est le Symbole des
Apôtres (Denz., 1‑14).
La Trinité apparaît dans le
Symbole des Apôtres plutôt en connexion avec le fait du salut que sous la forme
d’un exposé trinitaire ; au sujet des relations réciproques des trois
Personnes que nomme le symbole, on ne donne aucune précision. Les règles de foi, elles aussi (Regula
fidei, ϰανὼν τῆς
πίστέως) contiennent le dogme trinitaire,
bien qu’elles ne fassent que l’énoncer. Ainsi la règle de Tertullien (De
præscript., 13), celle de S. Irénée (A. h., 1, 10, 1), celle d’Origène (De
princip., 1, præf).
2. Quant à la formule du Baptême, on peut la
considérer comme une profession de foi trinitaire ou comme un acte du culte
trinitaire, selon qu’on l’interprète comme une action du baptisé ou comme une
action rituelle de l’Église.
La mention la plus ancienne et la plus précise de cette formule se trouve dans
la Didachè (7), ensuite dans S. Justin (Apol., 1, 61), dans Tertullien (De bapt., 13), dans S. Cyprien (Ep. 73, 5). Ce qui est
également important, c’est la triple immersion
ou la triple infusion exigée par la
Didachè et considérée comme un symbole de la Trinité (Cf. traité du Baptême, §
168).
Il faut ajouter ici les formes
cultuelles et les doxologies ou
formules de glorification de la Trinité. Dans ces doxologies, le Père est loué par le Fils dans le Saint‑Esprit (Rom., 11, 36), ou bien avec le Fils en même temps que le Saint‑Esprit, ou bien, à l’encontre des ariens, on
affirme l’égalité des Personnes : le Père et le Fils et le Saint‑Esprit. On n’est pas nettement fixé sur l’origine des doxologies, mais elles sont très anciennes. S. Justin : Dans la célébration de l’Eucharistie, le prêtre
« fait monter louange et hommage vers le Père de toutes choses par le nom
du Fils et du Saint‑Esprit » (Apol., 1, 65 ; cf. 1, 6). Plus tard les
doxologies devinrent d’un usage plus fréquent.
Les professions de foi des martyrs. Une des plus anciennes se trouve
dans le martyre de S. Polycarpe (14, 3) : « Dieu véritable... je te
loue par l’éternel et céleste Pontife Jésus‑Christ, ton Fils bien‑aimé, par lequel soit à toi et à lui et au Saint‑Esprit, tout honneur maintenant et dans l’éternité ».
Les Pères. Les Pères apostoliques expriment la foi pure et simple ; les
apologistes essaient d’expliquer la relation entre le Père et le Fils par la notion du Logos ; Tertullien
commence déjà une certaine spéculation contre les monarchiens ; S. Irénée
évite la spéculation et s’en tient aux expressions bibliques, car il est mis en
défiance par la doctrine émanationiste des gnostiques ; on rencontre une
clarté étonnante chez S. Théophile et S. Grégoire le Thaumaturge. Origène manie
hardiment la spéculation ; tous les Pères anténicéens attestent les trois
Personnes et leur divinité, mais ils ne sont pas toujours heureux dans la
spéculation sur les relations des personnes qu’ils conçoivent le plus souvent
d’une manière subordinatianiste.
Le témoignage de la Didachè a déjà été signalé à propos de
la formule du Baptême. S. Clément de Rome
demande aux Corinthiens : « N’avons‑nous pas un seul Dieu et un seul
Christ ; n’est‑il pas vrai qu’un seul Esprit de grâce a été répandu sur nous ? » (Cor., 46, 6). S. Ignace compare les chrétiens à des « pierres montées en
haut pour construire le temple du Père,
au moyen de l’élévateur qui est Jésus‑Christ grâce à la croix, avec l’aide du Saint‑Esprit qui est comme une corde »
(Eph., 9, 1 ; cf. 7, 2 ; Magn., 13, 1 ; Phil., inscript.). Athénagore repousse ainsi l’accusation
d’athéisme : « Qui ne s’étonnerait pas d’entendre appeler athées ceux
qui enseignent un seul Dieu, Père et Fils et Saint‑Esprit, dans lesquels ils reconnaissent aussi bien la puissance
dans l’unité (τὴν ἐν ἐνώσει
δύναμιν) que la distinction dans l’ordre
(τὴν ἐν τάξει
διαίρεσιν) ? » (Leg.,
10). S. Justin a déjà été signalé à
propos de la doxologie. S. Irénée
oppose au dualisme gnostique sa règle de foi et déclare « qu’il y a un
seul Dieu tout‑puissant qui a tout créé… par sa Parole
(λόγος) et son Esprit (πνεῦμα) »
(A. h., 1, 22 ; cf. 4, 20 ; 2, 30, 9). Tertullien écrit : « Praxeas ne veut pas croire
autrement à un seul Dieu qu’en le nommant à la fois Père, Fils et Saint‑Esprit, comme si ce Dieu unique n’était pas tout, puisque tout procède d’un seul
par l’unité de la substance, alors que l’on conserve néanmoins le mystère de l’économie qui réparti l’unité en Trinité
(custodiatur œconomiæ sacramentum quæ Unitatem in Trinitatem disponit) en
affirmant ces trois : le Père et le Fils et le Saint‑Esprit. Ils sont trois non selon l’état, mais selon le degré, ni selon la substance mais
selon la forme, non selon la puissance mais selon la propriété ; car il n’y a qu’une substance, qu’un état, qu’une puissance, parce qu’il n’y a qu’un Dieu d’où dérivent
ces degrés, ces formes, ces propriétés, sous les noms de Père, de Fils et de
Saint‑Esprit » (Adv. Prax., 2). Tertullien a les formules précises « trois personnes, une
substance » (Ad. Prax., 2) ; « Il y a une Trinité d’un seul
Dieu, Père, Fils et Saint‑Esprit » (De pudic., 21). L’expression économie signifie chez lui les relations particulières des trois
Personnes entre elles ; on trouve ce terme chez S. Paul, où il veut dire
dessein du salut. Les Pères l’emploient aussi volontiers dans le sens de
« soterologia » qu’ils distinguent de « theologia » (= de
Deo). On le trouve chez S. Ignace, S. Justin, S. Aristide, Clément, Alex., S.
Hippolite, S. Irénée, etc. Tertullien enseigne donc l’unité absolue qu’il
appelle « substantia » et la Trinité qu’il désigne par
« persona ». « Un seul est tout, quand tout dérive d’un seul, en
gardant néanmoins le sacrement de
l’économie qui divise l’Unité en Trinité, où nous distinguons trois personnes,
le Père, le Fils et l’Esprit Saint » (Adv. Prax., 2). Il dit du
Fils : « Je ne fais sortir le Fils d’aucune autre origine que la
substance du Père ». Cela s’applique aussi au Saint‑Esprit : « Je ne fais sortir l’Esprit d’aucune autre origine que du Père par le Fils », mais aussi : « L’Esprit est troisième par rapport au Père et au Fils » (Ibid.,
4 et 8). S. Hippolyte défend contre Noêtus la « trias » (c. Noet.,
14 ; cf. 10) et décrit la naissance du Logos engendré par le Père :
« Ce Dieu unique élevé au‑dessus de tout a tout d’abord engendré de soi‑même le Logos en pensant »,
c’est‑à‑dire pour tout créer par lui (Philos., 10, 33 : M. 16, 3, 3447). Origène est comme souvent à double
face ; il est subordinatianiste, mais il revient cependant à un
enseignement parfaitement orthodoxe : « Il n’y a pas d’autre baptême
que celui qui est conféré au nom de la Trinité » ; et « Il nous
a été montré clairement (1 Cor., 8, 6) que la Trinité a une nature et une
substance » (M. 14, 1039 et 1041). Novatien, dans son « De
Trinitate », parle surtout du Père et du Fils ; au chap. 29 il parle
du Saint‑Esprit.
La réaction de l’Église (Papes S. Calliste et S. Denys) contre les
doctrines antitrinitaires d’alors est la meilleure preuve de la fermeté de sa
foi trinitaire. La lettre dogmatique du Pape S. Denys (+268) à l’évêque S. Denys d’Alexandrie a une importance
capitale. Il condamne d’abord le modalisme, puis le trithéisme, et enfin le
subordinatianisme (Denz., 48‑51). Voici la conclusion : « Il faut croire en Dieu le Père tout‑puissant et en son Fils Jésus Christ et au Saint‑Esprit : le Verbe est uni au Dieu de l’univers. Car il dit : « Moi et le Père, nous sommes un » (Jn 10, 30) et « Je suis dans le Père et le Père est en moi » (Jn 14,10). C’est ainsi que la Trinité divine et la sainte prédication de la monarchie seront
sauvegardées. ».
S. Grégoire le Thaumaturge professe : « Un seul Dieu, le Père de la Parole vivante, de la Sagesse
personnelle, de la force et de l’image éternelle, le générateur parfait du
parfait, le Père du Fils unique. Un seul Seigneur, l’unique de l’unique, Dieu de
Dieu... Un seul Saint‑Esprit, qui tient de Dieu sa
substance. Une Trinité parfaite dans la gloire... Jamais
le Fils n’a manqué au Père, ni le Saint‑Esprit au
Fils, mais c’est toujours la même Trinité immuable et invariable » (Expos. Fidei : M. 10, 984). C’est
là un témoignage important pour l’éternité de la naissance du Fils et de la
procession du Saint‑Esprit.
Les Pères anténicéens montrent de
la faiblesse quand ils essaient de
préciser spéculativement les relations internes des Personnes entre elles et
d’établir la véritable unité d’essence. Il se glisse souvent dans leur exposé
des expressions subordinatianistes qui, chez certains, sont si fortes qu’on a
mis en doute toute leur doctrine trinitaire. Il y a des expressions
subordinatianistes chez presque tous ces Pères. On pourrait abandonner Hermas qui identifie le Fils avec le
Saint‑Esprit, ainsi que S. Hippolyte, comme dithéistes, et Origène comme subordinatien. Il faut cependant remarquer, à leur
décharge, que la polémique contre l’unité exagérée pouvait facilement conduire
à l’autre extrême, celui de la distinction complète.
De plus un certain subordinatianisme est enseigné par le dogme lui‑même, le subordinatianisme des
Personnes, en tant que le Père est le principe des
deux autres. De même, la mission du
Fils et du Saint‑Esprit, qui est en connexion avec ce fait,
peut facilement prendre un aspect subordinatianiste (Cf. § 53‑61).
Ce qui est plus grave, c’est que
les Apologistes et d’autres Pères essayèrent de faire comprendre la procession du Fils au moyen de la notion
du Logos de Platon, en la représentant comme une émission libre du Logos par le Père, en vue de la création du monde. Par là
le Fils devenait temporel dans son existence et jusqu’à un certain degré il
était rabaissé dans le complexus mondial. Quant à l’Église, non seulement elle n’a jamais entretenu cette spéculation,
mais encore elle l’a entièrement repoussée au Concile de Nicée. (Cf. Tixeront, 1, 233 sq. ; Franzelin, Thes., 10 sq. ; Régnon, 1 ; Duchesne, Les témoins anténicéens du dogme de la Trinité(1883)).
Le Concile de Nicée (325) affirma d’abord contre
Arius, dans un symbole, l’unité d’essence du Père et du Fils. Pour cela, il se
servit d’un terme qui, il est vrai, n’est pas biblique, mais qui est très
précis du point de vue philosophique et était depuis longtemps en usage dans
l’Église, le terme essence (οὐσία)
et il déclara : « Nous croyons aussi en un seul Seigneur Jésus‑Christ, le Fils de Dieu, qui a été engendré par le Père comme Fils unique, c.‑à‑d. de l’essence (ἐϰ τῆς οὐσίας)
du Père, Dieu de Dieu, lumière de lumière, vrai Dieu de vrai Dieu, engendré non
créé (γεννηθέντα, οὐ
ποινθέντα) de la même essence que
le Père (όμοούσιον τῷ
πατρί) ».
Parce qu’on pouvait rapporter
« du Père » à la création (ϰτίσμα)
arienne du Fils, on choisit deux déterminations plus précises : « de
l’ essence » et « de même essence ». Ainsi il ne restait plus à
l’hérésie aucune échappatoire : le Fils n’est pas une créature du Père, mais il a été engendré
de l’essence du Père comme Fils unique.
Puis le Concile alla plus loin et
condamna formellement les propositions d’Arius en déclarant : « Ceux‑là sont anathématisés par l’Église catholique qui disent qu’il y eut un temps où il (le Fils) n’était pas ; qu’avant sa naissance il n’était pas et affirment que le Fils
de Dieu a été fait de rien, ou bien d’une substance ou essence étrangère ou
disent encore que le Fils de Dieu est une substance changeante ou modifiable
(Denz., 54).
Le terme
όμοούσιος pour caractériser la
relation du Fils et du Père a son origine dans la théologie alexandrine. C’est avec ce mot d’ordre
que le diacre Athanase combat aux côtés de son évêque Alexandre, à Nicée. C’est
à la défense de ce mot qu’il consacre, pour ainsi dire, toute sa vie. Le même
combat sera mené par les célèbres Pères de son temps, les Cappadociens, Cyrille de Jérus., Amphilochius, Didyme, Théodore de
Mopsueste, Épiphane, Chrysostome, Hilaire, Ambroise, Augustin (Cf.
Tixeront, 2, 19 sq., 261 sq.).
Le 1er Concile de Constantinople (381) ajouta à son
symbole des précisions dogmatiques sur le Saint‑Esprit : « Nous croyons aussi au Saint‑Esprit, le Seigneur, le vivificateur, qui procède du Père (τὸ ἐϰ τοῦ
πατρὸς ἐϰπορευόμενον)
qui, en même temps que le Père et le
Fils, est adoré et glorifié, qui a parlé par les Prophètes » (Denz.,
86). Les macédoniens affirmaient que
le Saint‑Esprit procédait du Fils seul comme sa créature, ainsi que toutes les
autres créatures. C’est pourquoi le Concile affirma
son union intime et consubstantielle avec le Père, dont la divinité n’était mise en doute par personne, et il
enseigna formellement, d’une manière biblique, qu’il procédait du Père. Ainsi la communauté d’essence de
la troisième Personne avec la première
était établie et on indiquait la raison profonde de l’honneur égal qui lui
était rendu, mais on ne traitait pas encore sa relation avec le Fils. La
consubstantialité du Saint‑Esprit est ensuite caractérisée par des expressions spécifiquement divines : « Seigneur » et « vivificateur », mais ces
expressions désignent ses relations avec
nous et non avec les autres Personnes.
Tous les Pères que nous avons
cités plus haut défendent la divinité du
Saint‑Esprit. Au lieu de citer ici des témoignages particuliers, nous
préférons nommer les Pères qui ont composé des traités spéciaux sur la
Trinité : S. Athanase (Contra
Arian. orationes, 4, sur le Fils, et Ad Serap. ep., 4, sur le Saint‑Esprit), S. Basile (Contra
Eunom., libri 5, sur le non engendré, sur l’engendré et sur le Saint‑Esprit, et De Spiritu S., au sujet de la consubstantialité des trois Personnes pour démontrer que la doxologie : « Gloire au Père avec
le Fils et avec le Saint‑Esprit » préserve mieux le dogme que celle
dont abusaient les ariens : par
le Fils dans le Saint‑Esprit), S. Grégoire de Nysse (Contra Eunom., libri 12) et S. Grégoire de Naz. (Orationes,
5) : l’un et l’autre traitent du Fils et du Saint‑Esprit ; Didyme (De Trinitate,
libri 3, sur le Fils et le Saint‑Esprit et De Spiritu S. ; cf. à son sujet : Bardy, Didyme l’Aveugle, 59‑109), S. Cyrille d’Alex. (Thesaur. de s. Trinitate ; d’une manière
presque scolastique il propose 33 thèses ; il expose les objections et les
réfute), S. Ambroise (De fide, libri
5, sur le Fils, et De Spiritu S.), S.
Hilaire (De Trinit. libri 2). « C’est l’œuvre littéraire la plus
complète que puisse nous offrir l’histoire du combat contre l’arianisme »
(Bardenhewer). ‑ La liturgie
donna dès le début une conclusion trinitaire à ses prières.
Le mérite des Pères consiste dans
l’élaboration de la preuve d’Écriture
et de Tradition, ainsi que dans la création d’une langue ecclésiastique doctrinale.
Le mot οὐσία qui, au moment du Concile de Nicée,
était encore l’équivalent de ὑπόστασις,
reçut des Cappadociens sa signification ferme d’essence, alors que celui de ὑπόστασις
était réservé à la personne. Aussi on parla désormais de τρεἰς
ὑποστάσεις ἐν
μιᾷ οὐσίᾳ. Cette manière de parler
fut introduite en Occident par S. Hilaire ;
Tertullien d’ailleurs avait déjà
préparé les voies. Enfin les Pères s’efforcèrent, depuis S. Athanase, de donner
une certaine explication du dogme. Pour cela, ils se rattachèrent aux
expressions bibliques Père, Fils et Saint‑Esprit et aux termes qui indiquent
les Processions : naissance et spiration ; ou bien encore ils cherchèrent
des points de comparaison dans la nature : la source, le courant,
l’embouchure ; la racine, le tronc, la couronne ; le soleil, les
rayons, la chaleur. S. Augustin, à la
suite de Tertullien, part de l’esprit humain. On examinera plus loin en détail son explication et celle des Grecs (Cf. § 53 et 54).
Origine des symboles. Le Symbole de Nicée (Denz., 54) est un
projet d’Eusèbe de Césarée modifié dans le sens trinitaire ; il devint
plus tard un symbole baptismal anti‑arien. Le Symbole de
Constantinople (Denz., 86) n’est pas un développement de celui de Nicée, mais
le Symbole baptismal de Jérusalem (Cyrille de Jér.) revu dans le sens nicéen.
A consulter : Au sujet du
Fils, voir la christologie. Franzelin,
De Verbo incarnato thes. 2 sq. Prat,
S. Paul, 165‑226. Dict.
théol., 5, v. Fils de Dieu. De Mester,
Le Filioque : Rev. Bénédictine (1907), 86 sq. Lebreton, Les théories du Logos (Études, 1906). Au sujet du S.
Esprit : Dict. théol., Esprit‑Saint (riche bibliographie ainsi que sur le Filioque). Sur la
doctrine des Pères : S.
Athanase, Ep. ad Serap. : M. 26, 252 sq. S. Basile, C. Eunom. : M. 29, 709 sq. ; De Sp. S. ;
M. 39, 1033 sq. S. Ambroise, De Sp.
S. : M. 16, 703 sq. Petau et Thomassin, De Trinitate. Franzelin et Régnon, 3. A. Verriel, « La théorie trinitaire chez les Pères
grecs », Rev. Apol. (1929), 540 sq.
La divinité du Père, ainsi que sa personnalité,
est admise par tous les théistes ; c’est pourquoi nous n’avons pas à nous
arrêter longtemps sur ces deux points. Observons seulement ici la relation
trinitaire interne par rapport spécialement à la seconde Personne, à l’égard de
laquelle il est appelé « Père ». Cette paternité est une paternité
proprement dite, vraie, physique et non une paternité impropre, morale,
métaphorique. Ceci apparaîtra nettement au paragraphe 51, au sujet du
« Fils », car père et fils sont deux notions réciproques. Il est vrai
que l’Écriture appelle aussi Dieu, au sens impropre, le Père des créatures, parce qu’il les a produites
de rien, et maintient en elle l’existence et la vie ainsi que la permanence
dans l’existence et la vie. Ainsi en est‑il dans l’Ancien Testament qui ne connaît pas encore le Père trinitaire ; mais aussi chez le Christ et
les Apôtres (Math., 6, 25‑32 ; cf. 6, 7‑9 ; 7, 7‑11 ; 8, 11‑13). De même sa miséricorde est
une raison de paternité (Math., 6, 14 sq. ; Marc, 11, 25 sq. ; Luc,
15, 11‑32) ; de même la régénération
par la grâce (Luc, 12, 32 ; Jean, 3, 5‑8 ; cf. 1, 12 sq., etc.). Aucun de ces
« enfants » créés ne possède la même nature que le Père : cela
est réservé au seul « Fils unique » (Filius Dei unigenitus :
Jean, 1, 14, 18 ; 3, 16, 18), dont la naissance du Père est par conséquent
unique en son genre ; le Concile de Nicée dit : ἐϰ τῆς
οὐσίας τοῦ
πατρός. C’est par rapport à cet
« unigenitus » que la première Personne est véritablement
« Père ».
L’Écriture parle de cette paternité toutes les fois qu’elle parle de
la filiation de la seconde Personne par rapport à la première. C’est pourquoi
nous renvoyons les preuves au paragraphe suivant. Les Juifs se scandalisaient
du « Pater proprius Filii ». « Les Juifs cherchaient à le tuer,
car non seulement il ne respectait pas le sabbat, mais encore il disait que
Dieu était son propre Père, et il se faisait ainsi l’égal de Dieu » (Jean,
5, 18). Cette paternité trinitaire est la paternité originelle ; toute
autre est dérivée, dit S. Paul : « C’est pourquoi je tombe à genoux
devant le Père, de qui toute paternité
au ciel et sur la terre tient son nom » (Éph., 3, 14 sq.). La grande et
unique prérogative du Fils est d’être le « propre Fils » de ce Dieu‑Père : « En effet, Dieu déclara‑t‑il jamais à un ange : Tu es mon Fils, moi, aujourd’hui, je t’ai engendré ? Ou bien encore : Moi, je serai pour lui un père,
et lui sera pour moi un fils ? » (Hébr., 1, 5). Dieu est l’unique
« Père de notre Seigneur Jésus Christ » (2 Cor., 1, 3 ; cf.
Rom., 8, 32).
Le Père a, dans l’Écriture et la Tradition, une prépondérance extérieure et intérieure sur les deux autres
Personnes. Une prépondérance extérieure, en tant qu’il apparaît souvent comme
l’équivalent de Dieu. Ainsi le Christ dit : « Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu » (Jean, 20,
17 ; cf. Math., 27, 46). S. Paul
dit de son côté : « le Dieu de notre Seigneur Jésus Christ, le Père
dans sa gloire » (Eph., 1, 17) (Cf. encore Act. Ap., 2, 33 ; 24, 14.
Rom., 15, 6. 1 Cor., 1, 3. Gal., 1, 1. Éph., 1, 3 ; 4, 6. Col., 2, 2.
Jacq., 1, 27. 1 Pier., 1, 13. 2 Pier., 1, 17. Jud., 1. 1 Jean, 1, 2 ; 2,
22 sq. ; 4, 14 ; 5, 7. 2 Jean, 9. Apoc., 1, 6 ; 2, 28). Par
appropriation, on peut très bien lui attribuer toute l’œuvre de la divinité à
l’extérieur. Il est plus difficile de comprendre comment il apparaît même ad intra « origine et source de toute
déité ».
Le Père, première Personne en tant que principe. En raison de ce caractère de
source, l’Église a nommé le Père le principe
des autres Personnes et, comme il est lui‑même sa propre source et n’a son principe dans aucun autre,
elle l’appelle « principium sine principio »
(principe source). Le mot principe est plus général et plus étendu que la
cause. Il désigne ce dont une autre chose (principiatum) procède de quelque
manière ; de plus, la notion de principe n’exige pas, comme celle de
cause, la distinction réelle du « principium » et du
« principiatum » ; il convient par suite à la terminologie
trinitaire. Le mot principe ne doit pas être entendu dans le sens de
cause ; il ne doit pas non plus être compris dans ce sens que le Père
était d’abord en lui‑même l’ensemble de la Trinité et que les deux
autres Personnes ne sont que les termes de son activité, comme les
créatures ; mais il faut l’entendre dans ce sens qu’il est le principe
d’où procèdent les deux autres Personnes, sans aucune dépendance ou infériorité
essentielle. Cela apparaîtra plus clairement quand nous examinerons la doctrine
trinitaire des Grecs. Quand les Grecs
appellent le Père « causa », αἰτία, des
deux autres Personnes, cela doit s’entendre au sens très large, comme
l’expliqua Bessarion à Florence. Les Latins
évitent le mot « causa » et emploient seulement
« principium » (Denz., 691 ; S. th., 1, 33, 1 ad 1). Let Pères
grecs appellent par suite le Père αὐτόθεος,
c.‑à‑d. qu’il n’a reçu sa nature d’aucune autre Personne (non ab
alio) ; ils le nomment avec S. Grégoire de Naz. ὰναρχος
ou bien ό θεὸς ἐπὶ
πάντων, non pas « essentialiter » et
« exclusive » mais « personaliter » et
« originaliter ». C’est dans ce
sens que l’Église adresse ses prières
au Père « par le Fils », etc. Le « principium » latin se
trouve déjà chez Tertullien (Adv. Prax, 19). Le Fils n’est pas principe d’une
manière aussi intense que le Père, car il est « principium de
principio ». Il a reçu du Père ce par quoi il est Principe ; quant au
Saint‑Esprit, il n’est principe que pour les œuvres ad extra et il l’est avec les deux autres Personnes. Il est
vrai que par appropriation, l’œuvre de la grâce lui est attribuée à lui seul,
comme la Rédemption est attribuée au Fils seul. Pour les détails voir plus
loin. De même pour le titre « innascibilis », (ἀγέννητος),
que le Père possède seul, cf. § 56 sq.
Synthèse. La première Personne est le Père de la seconde sans le concours
d’une autre Personne associée à la génération du Fils ; il est dans, le même
sens le principe de cette personne. Par rapport à la troisième Personne, Il
n’est pas Père (γεννητωρ,
πατήρ), mais Spirateur
(πνεύστης) ; mais il est
Spirateur, comme on le verra plus loin, en union avec le Fils.
1. Sa personnalité a été niée par les monarchiens (§ 46). Il est vrai que
l’Écriture ne donne pas le nom de « Personne » à la seconde Personne,
mais elle l’appelle « Fils » et ce nom, comme celui de
« Père », est un nom d’hypostase ; une force, une chose, un
effet pourrait tout au plus être appelé Fils au sens impropre et ce nom ne
serait pas aussi courant dans l’Écriture qu’il l’est. Mais il n’est pas
seulement appelé Fils ; il est encore appelé Fils unique (Jean, 1, 1, 14 :
μονογενὴς παρὰ
πατρός ; 1, 18 : ὁ
μονογ υἱός ; 3, 16,
18 ; 1 Jean, 4, 9). Il faut aussi entendre au sens personnel le nom Logos
(λόγος) ; depuis la Vulgate (Jean, 1, 1, 14 ; 1 Jean, 5, 7 ; Apoc., 19, 13)
et S. Augustin, on dit d’ordinaire « Verbum » ; on disait
auparavant « Sermo ». Le Logos était nié par la secte des aloges. Les conciles emploient « Verbum »
(λόγος) depuis le Concile d’Éphèse (Denz., 113‑124, etc.), de même que la liturgie
(Verbum supernum prodiens ; hymn. Offic. ss. Rosar. 1 Vesp). Pour plus de
détails, cf. les « Processions » (§ 53 et 54) ; de même pour les
termes « imago », etc.
2. La divinité du Fils doit être considérée ici du point de vue
trinitaire et non du point de vue christologique, c’est‑à‑dire en tenant compte de la révélation du Fils préexistant et non du Fils incarné. La préexistence n’est traitée
que dans un petit nombre de textes, mais qui sont catégoriques. Le Christ ne parle de sa filiation
éternelle, dans les Synoptiques, qu’une seule fois et en passant (Math., 22, 42
sq.), mais il laisse entendre que sa filiation n’est pas une filiation accordée
ou moralement conquise, que par conséquent elle n’est communicable à personne,
mais immuable. Dans S. Jean, par
contre, son langage a presque la précision métaphysique. « Jésus leur
déclara : « Mon Père est toujours à
l’œuvre, et moi aussi, je suis à
l’œuvre ». De ces paroles, les Juifs tirent la conclusion exacte :
« C’est pourquoi, de plus en plus, les Juifs cherchaient à le tuer, car
non seulement il ne respectait pas le sabbat, mais encore il disait que Dieu
était son propre Père, et il se faisait ainsi l’égal de Dieu » (Jean, 5,
17 sq.) ; sur quoi le Christ affirme de nouveau l’unité d’opération,
insistant par conséquent sur la même pensée. Sa filiation est donc une
filiation proprement dite ; il participe aux opérations du Père et par
suite, comme le concluent les Juifs, à son essence aussi. Au reste, il a avec
le Père une existence avant tous les temps : « avant qu’Abraham fût, moi, JE SUIS » (Jean, 8, 58) ; ce qui rappelle presque l’aséité
de Jahvé (Ex., 3, 14). « Je suis sorti du Père, et je suis venu dans le
monde ; maintenant, je quitte le monde, et je pars vers le Père »
(Jean, 16, 28). Ainsi donc, son état d’existence proprement dit, son état
primaire est son existence auprès du Père, et son existence sur la terre est
secondaire, intérimaire. C’est
pourquoi les hommes ne peuvent pas à proprement parler être ses témoins (Jean,
5, 34). Il n’y a que lui et son Père qui se connaissent et s’attestent
mutuellement (Math., 11, 27) : « Celui qui m’a vu a vu le Père »
(Jean, 14, 9).
Les Apôtres « ont véritablement connu que je suis sorti de toi »
(Jean, 17, 8) ; ils peuvent donc rendre un témoignage de foi à son sujet.
C’est ce que fait S. Jean (1, 1) dans le « Prologue » :
« Au commencement était le Verbe (ὁ
λόγος), et le Verbe était auprès de Dieu
(πρὸς τὸν θεόν), et le
Verbe était Dieu (ϰαὶ θεὸς ὁ
λόγος) ». Le Prologue suit un mouvement
circulaire : la fin revient au commencement. Le Logos préexistant est
Dieu. Il était au commencement, par
conséquent éternellement, « près de Dieu » ; cependant il
n’était pas étranger à côté de lui,
non, il était en lui (in sinu Patris, εὶς τὸν ϰόλπον),
par conséquent dans la communauté d’essence (θεὸς ῆν
ὁ λόγος) et puis également dans la communauté de
vie et d’amour. Mais ce n’est pas seulement le Logos révélé dans la Création
(λόγος ἄσαρϰος)
et dans l’Incarnation (λόγος ἕνσαρϰος),
c’est le Logos immanent. Ce Logos éternel s’est incarné et naturellement, dans
cet état, il faut affirmer de lui la divinité, aussi bien que précédemment dans
sa préexistence : « Et le Verbe s’est fait chair, il a habité parmi
nous, et nous avons vu sa gloire, la gloire qu’il tient de son Père comme Fils
unique, plein de grâce et de vérité » (Jean, 1, 14) ; si bien que
« Tous nous avons eu part à sa plénitude, nous avons reçu grâce après
grâce » (Jean, 1, 16). Les Épîtres
de S. Jean sont en harmonie avec ce Prologue : « Ce qui était depuis
le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux,
ce que nous avons contemplé et que nos mains ont touché du Verbe de vie, nous
vous l’annonçons » (1 Jean, 1, 1 sq.). « Quiconque refuse le Fils n’a
pas non plus le Père ; celui qui reconnaît le Fils a aussi le Père »
(1 Jean, 2, 23). « Dieu a envoyé son Fils unique dans le monde pour que
nous vivions par lui » (1 Jean, 4, 9).
« Le Père a envoyé son Fils comme Sauveur du monde » (1 Jean,
4, 14). S. Paul n’est donc pas le
premier, comme l’affirment les adversaires, à enseigner la préexistence :
« Le Christ Jésus, ayant la condition de Dieu, ne retint pas jalousement
le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’est anéanti, prenant la condition de
serviteur, devenant semblable aux hommes » (Phil., 2, 6 sq.). Ici se font
pendant (comme dans Jean, 1, 1 et 14) l’égalité éternelle avec Dieu et
l’abaissement à la forme d’esclave dans l’Incarnation. « Il n’a pas
épargné son propre Fils, mais il l’a livré pour nous tous » (Rom., 8,
32 ; cf. 8, 3). « Car en lui [le Christ], dans son propre corps,
habite toute la plénitude de la divinité »
(σωματιϰῶς, c.‑à‑d. depuis l’Incarnation. Col., 2, 9). « Il est l’image du Dieu invisible » (Col., 1, 15). « C’est de leur race que le Christ est né, lui qui est (en soi et éternellement) au‑dessus de tout, Dieu béni pour les siècles » (Rom., 9, 5). « Attendant que se
réalise la bienheureuse espérance : la manifestation de la gloire de notre
grand Dieu et Sauveur, Jésus Christ » (τοῦ
μεγάλου θεοῦ ϰαὶ
σωτῆρος ἡμῶν ϰ.τ.λ.,
Tit., 2, 13). « En ces jours où nous sommes, il nous a parlé par son Fils
qu’il a établi héritier de toutes choses et par qui il a créé les
mondes », etc. (Hébr., 1, 2 sq.).
Les Pères. Ils connaissent le Fils de Dieu incarné (Luc, 1, 32, 35), mais
aussi le Fils préexistant dont il est question ici. S. Clément de Rome l’appelle « le reflet de sa majesté »
(de Dieu) auquel s’applique la parole : « Tu es mon Fils, je t’ai
engendré aujourd’hui » (Cor., 36, 2 et 4). L’écrit dit seconde lettre de Clément commence
ainsi : « Nous devons penser du Christ ce que nous pensons de
Dieu ». S. Ignace adresse cette
prière aux Romains : « Laissez‑moi imiter les souffrances de mon
Dieu » (Rom., 6, 3) et il appelle
souvent le Seigneur « Dieu ». Il « était avant tous les temps auprès du Père » (Mag., 6), « celui qui procède
d’un seul Père » (Mag., 7).
« Le Fils unique de Dieu », « notre Dieu » (Rom. titul).
« Je loue Jésus‑Christ, le Dieu qui vous a rendus
si sages » (Smyrn., 1, 1 ; cf. Ad Polyc., 3). D’après Barnabé, Dieu a dit au Fils : « Faisons l’homme », le Fils était avant
tous les temps (Ép. 5, 5 : 6, 12) ; il est apparu dans la chair afin
que son éclat ne nous éblouisse pas (5, 10). La christologie de S. Justin se résume ainsi : Dieu a
un Logos qui est lui‑même Dieu et qui est devenu homme dans le
temps. Le Logos s’appelle, parce qu’il est né de Dieu,
γέννημα
(les créatures sont
ποιήματα) ; en de nombreux
passages, il est nommé « Fils de Dieu » et le « seul véritable
Fils de Dieu » (ὀ μόνος ἰδἰῶς
υἱός; ὀ μόνος
λεγόμενος ϰυρίως
υἱός ; Apol., 1, 23 ; 2, 6). S. Irénée repousse la double notion du
Logos (λ. ἐνδιάθετος et
λ. προφοριϰός) (Ad. h.,
2, 13, 2 et 8), il affirme son identité d’essence avec Dieu et son éternité. Il
est « Le Verbe de Dieu, ou plutôt Dieu lui‑même, qui est le Verbe » (2, 13, 8). « Il a toujours auprès de lui le Verbe et la
Sagesse, le Fils et l’Esprit » auxquels il a dit : « Faisons
l’homme » (4, 20, 1 ; 5, 1, 3). Tertullien :
« Dieu a proféré cet esprit (le Logos), et en le proférant l’a
engendré ; pour cette raison, Il est appelé Fils de Dieu, et Dieu même à
cause de l’unité de substance » (Apol., 21). La règle de foi est :
« Nous croyons en un seul Dieu, mais avec la dispensation ou l’économie,
comme nous l’appelons, que ce Dieu unique ait un Fils, son Verbe, procédant de
lui‑même » ; les trois Personnes sont « une seule et même substance, une seule et même nature, une seule et même puissance, parce qu’il n’y a qu’un seul Dieu » (Adv. Prax., 2 ; cf. Adv. Marc, 2, 27).
Cependant, tout en enseignant l’égalité, il retombe dans une doctrine subordinatianiste :
« Le Père est la substance tout entière, Le Fils est la dérivation et la partie de ce tout, ainsi qu’il le déclare lui‑même : Mon Père est plus grand que moi » (Jean, 14, 28 ; Adv. Prax., 9). Clément d’Alexandrie dit :
« Ils sont tous les deux une seule chose, « le Dieu », c.‑a‑d. Dieu et son Logos (Prœd., 1, 8, 62, 3). Origène : « Il est engendré de
la substance même de Dieu » (Fragm. : M. 14, 1308). « Nous
n’adorons donc qu’un seul Dieu, comme nous l’avons déjà déclaré, le Père et le
Fils » (Contra Cels., 8, 12). Le Concile de Nicée pouvait ainsi s’appuyer sur une doctrine ferme de l’Écriture
et de la Tradition, quand il fit de
l’όμοούσιος le maître‑mot de l’orthodoxie. Et quand il précisa que le Fils procédait du Père par génération
(γεννηθείς), il pouvait en
appeler, comme on le verra à propos des « Processions », à un
enseignement clair de l’Écriture, bien que sur ce point précis la doctrine des
Pères présente des faiblesses. La détermination « engendré non créé »
(γεννηθἐντα, οὑ
ποιηθέντα) mit également fin aux
confusions. On fera appel aux témoignages des autres Pères à propos des
« Processions ». Leur orthodoxie trinitaire va de soi : tout
enseignement subordinatianiste après le Concile aurait été une violation de la
doctrine de l’Église et on ne pourrait plus compter sur l’indulgence qu’on
accorde aux Pères anténicéens.
Objections ariennes. L’Écriture contient plusieurs expressions
qui semblent aller contre l’égalité d’essence du Père et du Fils. Ces
difficultés se résolvent quand on se rappelle que Jésus n’est pas et n’était
pas seulement auprès du Père, dans sa nature divine, mais qu’il a aussi habité
parmi nous dans sa nature humaine. 1° Ainsi s’explique Jean, 14, 28 :
« le Père est plus grand que moi » ; Jésus parle comme homme.
Certains Pères montrent moins d’exactitude quand ils entendent ces paroles de
la filiation par laquelle le Fils procède du Père et disent que le Fils est
« en raison de son origine postérieure, moins grand que le Père ».
Cette explication cependant conserve encore un sens orthodoxe ; ‑ 2° Jean, 5, 19 : « Le Fils ne peut rien faire de lui‑même, il fait seulement ce qu’il voit faire par le Père » (cf. aussi 5, 26 ; 8, 28 ; 17, 7) ; ces paroles bien comprises ont
trait à l’union interne d’opération et par conséquent à l’unité
d’essence et ne signifient pas du tout une subordination d’essence ; ‑ 3° A maintes reprises, on dit du
Christ qu’il est devenu (γενόμενος) ; ainsi Rom., 1, 3 ; Gal., 4, 4 ; Hébr., 1, 4. Le Christ n’est « devenu » que selon l’humanité, par l’union
hypostatique, sans que la divinité ait subi aucun changement. Il importe de
remarquer Jean, 1, 15, où « après moi » dans la bouche du Baptiste se
rapporte à l’humanité, alors que « avant moi » a trait à la
divinité ; ‑ 4° Jean, 17, 3 : « Or, la vie éternelle,
c’est qu’ils te connaissent, toi le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé,
Jésus Christ ». Ce passage ne constitue pas une difficulté, quand on
considère que Jésus veut opposer le μόνος
θεός avec ἀληθινός
au polythéisme païen et se présente lui‑même comme celui qui le révèle et le manifeste sur la terre et qui
accorde le salut à ceux qui croient en lui.
La connaissance de Dieu est indissolublement liée à la connaissance du Christ
et conditionnée par elle. Le passage est à la fois monothéiste et
sotériologique, de même Math., 11, 27. ‑ 5° Dans l’expression « Fils de l’homme », il y a une subordination à l’égard du Père ; par ex., Jean, 5, 27 : « (Le Père) lui a donné pouvoir d’exercer le jugement, parce qu’il est le Fils de l’homme »,
allusion à Dan., 7, 13 sq. Il faut interpréter de même Math., 26, 64 ; ‑ 6° Quand S. Paul appelle le Christ πρωτότοϰος πάσης ϰτίσεως [le premier‑né de toute créature (Col., 1, 15)], il y a dans
l’expression un triple élément : a) la relation du Christ avec la Création
comme Créateur ; b) sa préexistence à tout ϰτίσμα ;
c) sa naissance du Père qui eut lieu avant tout ϰτίσμα,
par conséquent de toute éternité ; ‑ 7° En raison de l’usage traditionnel, on insista d’abord spécialement sur le « Père » ; il était Dieu par antonomase
(αυτόθεος) ; aussi la chrétienté
primitive lui adressa encore longtemps nommément ses prières. Il faut également
entendre comme une profession de foi sous forme de prière, 1 Cor., 8, 6.
Il s’agit encore ici de démontrer
à la fois la personnalité et la divinité complète.
1. La personnalité est, cette fois, plus difficile à établir que pour le
Logos, parce que Pneuma (τὸ πνεῦμα)
est neutre et que le plus souvent, même dans l’Écriture, il désigne une force
impersonnelle (δύναμις) et une action dans
le monde et l’humanité ; et cela non seulement dans l’Ancien Testament (p.
205), mais encore dans le Nouveau. De plus, Pneuma est un nom commun pour
désigner la divinité en général.
On a déjà fait allusion à
l’Esprit dans l’Ancien Testament. II
y apparaît comme ruach Élohim, une force impersonnelle qui produit la vie naturelle cosmique (Gen., 1, 2 ; 2,
7 ; 6, 3. Is., 32, 15. Ez., 37, 8‑10. Zach., 12, 1. Ps. 103, 29
sq. ; cf. 32, 6 ; 145, 4‑6. Job, 12, 10 ; 34, 14 sq. 2 Mach., 7, 23 ; 14, 46. Judt, 16, 17) ; comme une force surnaturelle charismatique : dans
Joseph (Gen., 41, 38), dans les 70 vieillards (Nomb., 11, 17), dans Samson
(Jug., 14, 6 sq.), dans Gédéon (Jug., 6, 34), dans Saül (1 Rois, 11, 6), dans
tous les Prophètes (lumen propheticum) ; parfois un saisissement et une
élévation physiques accompagnent cette inspiration (Ez., 3, 12‑14 ; 8, 3; 11, 1‑24 ; 43, 5. Cf. 4 Rois, 2, 16, etc.) ; le but dernier de ces
phénomènes est là aussi un but religieux. Cet Esprit charismatique est conféré
abondamment au Messie futur (Is., 11, 1 sq. ; 42, 1‑4) et à sa société (Is., 32, 15 ; 44, 1‑3. Joel, 2, 28 sq. Zach., 12, 10). Enfin on attribue à l’Esprit une action morale, l’observation des commandements (Ez., 11, 19 ; 36,
26 ; 37, 14 ; 39, 29. Cf. Ps. 50, 12 sq. ; 142, 10) ; c’est
pourquoi il est appelé quelques rares fois le « Saint‑Esprit » (Ps. 50, 13 ; 142, 10 ; 70 ; Is., 63, 10 sq. Cf. Dan., 4, 5, 6,
15 ; 5, 11). En tant que principe éthique,
il est un don réservé à l’avenir du salut. Jamais,
dans l’Ancien Testament, l’Esprit n’est un moi indépendant, une Personne.
L’Esprit apparaît dans le Nouveau Testament comme un principe de
force divine et impersonnelle, mais presque toujours comme esprit
charismatique : dans le Baptiste (Luc, 1, 15 ; Marc, 1, 8 ;
Math., 3, 11 ; Luc, 3, 16), Élisabeth (Luc, 1, 41), Zacharie (Luc, 1, 67),
Siméon (Luc, 2, 27), dans l’Annonciation de Marie (Luc, 1, 35) ; cf.
Math., 1, 18, 20). Dans la vie synoptique de Jésus, il inaugure la mission du
Seigneur (Math., 3, 13‑17 ; Marc, 1, 9‑11 ; Luc, 3, 21), le conduit au désert (Math., 4, 1 ; Marc, 1, 12 ; Luc, 4, 1), l’en fait revenir (Luc, 4, 14) ; il le fortifie et le réjouît dans l’exercice de sa mission (Luc, 10,
21). Jésus invoque son témoignage dans l’Ancien Testament (Marc, 12, 36 ;
Math., 22, 43) et caractérise son œuvre comme une œuvre guidée par le Saint‑Esprit à laquelle on ne peut résister sans commettre un péché irrémissible (Math., 12, 31 sq. ; Marc, 3,
28‑30 ; Luc, 12, 10 ; cf. Math., 12, 28). ‑ Chez les Synoptiques et surtout chez S. Luc, c’est le Saint‑Esprit qui bâtit le royaume de Dieu, c’est l’esprit charismatique de mission ; S. Paul prêche surtout l’Esprit qui nous sanctifie
personnellement.
Mais le Saint‑Esprit apparaît comme Personne divine
dans la péricope concernant le péché contre le Saint‑Esprit ; dans ce texte il est mis en parallèle avec le Fils, et le péché au sens fort où il est employé ici ne peut être commis, d’après la doctrine du Christ,
que contre le Dieu personnel. « Quiconque dira une parole contre le Fils
de l’homme, cela lui sera pardonné ; mais si quelqu’un blasphème contre
l’Esprit Saint, cela ne lui sera pas pardonné » (Luc, 12, 10 sq.).
Immédiatement suit sa promesse faite aux disciples : quand on vous
conduira devant les tribunaux, ne soyez pas en peine de ce que vous
répondrez : « l’Esprit Saint vous enseignera
à cette heure‑là ce qu’il faudra dire » ; il exerce par là même l’activité personnelle du Paraclet. Ainsi la formule
trinitaire par laquelle se termine le premier Synoptique est préparée et ne paraît pas aussi
incompréhensible que l’affirme la critique. Elle le paraîtra encore moins, si
l’on tient compte aussi de l’évangile de
S. Jean. Là encore le Saint‑Esprit est tout d’abord une grâce charismatique (Jean, 4, 10), symbolisée par le vent et l’eau (Jean,
3, 8 ; 4, 10 ; 7, 38‑40. Apoc.,7, 17 ; 22, 1), comme principe de la
vie nouvelle (Jean, 3, 5 ; 7, 38‑40). Le Christ accomplit son œuvre avec lui (Jean, 1, 33 ;
3, 34 ; 6, 64). La chrétienté reçoit la plénitude de cet Esprit après la
mort du Christ (Jean, 7, 39).
Mais la Personnalité est
nettement affirmée dans Jean, 14, 16 sq. 26 : « Moi, je prierai le
Père, et il vous donnera un autre Défenseur qui sera pour toujours avec vous,
l’Esprit de vérité… le Défenseur, l’Esprit Saint que le Père enverra en mon
nom, lui, vous enseignera tout, et il vous fera
souvenir de tout ce que je vous ai dit ». Ce sont bien là des actes
personnels d’intelligence et de volonté. « Quand viendra le Défenseur, que
je vous enverrai d’auprès du Père (il demeure donc auprès du Père dans le
ciel), lui, l’Esprit de vérité qui procède du Père, il rendra témoignage en ma
faveur » (Jean, 15, 26). « Quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité,
il vous conduira dans la vérité tout entière. En effet, ce qu’il dira ne viendra pas de lui‑même : mais ce qu’il aura entendu,
il le dira ; et ce qui va venir, il vous le fera connaître. Lui me
glorifiera, car il recevra ce qui
vient de moi pour vous le faire connaître »
(Jean, 16, 13‑14).
Observons, contre toute tentative
antitrinitaire, binitaire ou modaliste : 1° Le mot Saint‑Esprit est grammaticalement neutre, mais l’évangéliste continue logiquement au masculin (15, 26 ; 16, 13
sq. ; 14, 26) ; 2° Les actions qui lui sont attribuées sont personnelles :
il enseigne, parle, rappelle, console, témoigne, conduit, annonce,
entend ; toutes actions strictement personnelles ; 3° Il est
l’« autre Paraclet » (ό ἃλλος
παρ.), mis en parallèle personnel avec le Christ, avec lequel il
alterne et dont la personnalité est aussi réelle que celle du Christ ; 4°
Le Saint‑Esprit apparaît comme personnellement distinct du Père et du Fils dans Jean, 14, 16,
où le Fils le demande au Père ; 14, 26, où il est dit que le Père
l’enverra au nom du Fils ; 15, 26, où il est dit qu’il procède du Père et
rend témoignage au Fils ; ce sont là des représentations trinitaires. Si,
14, 18 sq., le Fils lui aussi promet son retour, il ne faut pas plus en
conclure son identité avec le Saint‑Esprit qu’on ne conclut de 14, 23, l’identité du Fils avec le Père parce qu’ils doivent venir ensemble. Dans
Jean, 20, 22, il est question de l’Esprit charismatique de ministère, pour l’exercice de la rémission des péchés. Les Actes des Apôtres parlent eux aussi à
chaque chapitre de l’« Évangile du Saint‑Esprit » et, dans plusieurs chapitres
nomment de nouveau le Saint‑Esprit, mais il s’agit presque toujours de l’Esprit charismatique qui opère
dans l’Église. Cependant les Pères insistent sur 5, 3 sq., où S. Pierre
reproche à Ananie d’avoir « menti au Saint‑Esprit » et conclut : « Tu n’as pas menti aux hommes, mais à Dieu » (τῷ θεῷ).
S. Paul unit la doctrine du Saint‑Esprit avec la Rédemption. Le Saint‑Esprit est le principe de la vie nouvelle de la grâce, l’Esprit éthique (comme dans Ézéchiel). Les passages sont extrêmement nombreux et seront utilisés dans le Traité de la grâce (§ 112 et 130). En tant qu’Esprit éthique, il
est l’opposé de la chair, de la sensualité mauvaise. Dans S. Jean, cet Esprit
éthique est le principe de la régénération, le remède à la faiblesse
ontologique de la créature qui est par elle‑même incapable de la vie divine. S. Paul connaît‑il l’Esprit personnel, trinitaire ? On l’a souvent contesté. Ce qui permet de répondre
affirmativement, ce sont : 1° Tout d’abord, les formules trinitaires
citées p. 203 ; 2° Les nombreux parallèles entre le Christ exalté et le
Saint‑Esprit.
Le Saint‑Esprit apparaît tout d’abord, comme chez S. Jean, dans un parallèle tout à fait personnel
avec le Christ exalté, que S. Paul nomme aussi un « esprit » (2 Cor., 3, 17). De même
que le Christ demeure en nous (Rom., 8, 10), ainsi le Saint‑Esprit (Rom., 8, 9, 11 ; 1 Cor., 3, 16) ; de même que nous sommes justifiés dans
le Christ (Gal., 2, 17), nous le sommes dans le Saint‑Esprit (1 Cor., 6, 11) ; de même que nous sommes sanctifiés dans le Christ (1 Cor., 1, 2),
nous le sommes aussi dans le Saint‑Esprit (Rom., 15, 16) ; nous sommes marqués dans le Christ (Eph., 1, 13) et
dans le Saint‑Esprit (Eph., 4, 30) ; circoncis dans le Christ (Col.,
2, 11) et dans le Saint‑Esprit (Rom., 2, 29) ; nous avons part au Christ (1
Cor., 1, 9) et au Saint‑Esprit (2 Cor., 13, 13 ; Phil., 2, 1) ; tous les deux habitent en nous
(Rom., 8, 9‑11) ; nous sommes les temples de Dieu (2 Cor., 6,
16) et les temples du Saint‑Esprit (1 Cor., 6, 19). Ce parallélisme montre que le Pneuma qui
nous est « donné » est l’action d’un Pneuma personnel qui accomplit avec la Personne du Fils
les mêmes fonctions éthiques.
On ne peut pas interpréter le
Pneuma comme une simple personnification
analogue aux personnifications de la conscience, de la loi, de la mort, du
péché, dans S. Paul. En effet, les expressions personnelles qui le désignent
sont trop nombreuses, trop fermes et trop personnelles pour qu’on puisse le
faire. Jamais on n’attribue aux notions ci‑dessus une « action libre » comme au Pneuma, et du reste,
derrière ces abstractions, se tiennent
des facteurs personnels (Dieu, l’homme, Satan). Au reste, il est très difficile de séparer ici
nettement l’effet de la cause, l’Esprit personnel de l’Esprit impersonnel, car
si l’on voulait prendre comme critérium que cet
Esprit qui entre dans l’homme y demeure, etc., est impersonnel, il faudrait admettre aussi que le Christ et le Père
sont impersonnels, car ils entrent aussi en nous et y demeurent.
2. La divinité ainsi que la personnalité
indépendante du Saint‑Esprit est particulièrement attestée par trois textes : « L’Esprit scrute le fond de toutes choses, même les profondeurs de
Dieu » (1 Cor., 2, 10). « Ne savez‑vous pas que vous êtes un sanctuaire de Dieu, et que
l’Esprit de Dieu habite en vous ? » (1 Cor., 3, 16, où Deus = Spiritus). Et 1 Cor., 12,
4‑11 : « Les dons de la grâce sont variés, mais c’est le même Esprit...
c’est le même Seigneur... c’est le même Dieu qui agit en tout et en tous »
où le Saint‑Esprit apparaît, dans une conception trinitaire, dominant
souverainement toute la chrétienté et distribuant librement ses dons aux particuliers : « Mais celui qui agit en
tout cela, c’est l’unique et même Esprit : il distribue ses dons, comme il
le veut, à chacun en
particulier ».
Synthèse. Le Saint‑Esprit est, d’après le Christ et les Apôtres, une personnalité indépendante, qui est Dieu avec le Père et le Fils, tellement
Dieu qu’il entre en parallèle alternativement avec le Père et le Fils :
bien plus, de même que l’esprit de l’homme constitue ce qu’il y a de plus
intime en lui, l’Esprit‑Saint pénètre les profondeurs
de la divinité et connaît Dieu par lui‑même et non par les créatures. Il est vrai que dans la Révélation il apparaît en dernier lieu.
Les disciples de Jean, qui ont entendu la prédication des Prophètes comme celle
du Baptiste, ne connaissent pas encore le Saint‑Esprit (Act. Ap., 19, 2). C’est
un phénomène particulier que les trois Personnes apparaissent l’une après
l’autre et s’attestent mutuellement : le Père atteste le Fils, le Fils
atteste le Père ; le Fils atteste le Saint‑Esprit et le Saint‑Esprit atteste le Fils. « L’un est toujours l’exégète de l’autre ». ‑ Dans la théologie
protestante moderne, Tosetti compte cinq
conceptions différentes du « Saint‑Esprit » : un effet de la force divine,
Dieu lui‑même (sens modaliste), l’esprit de la communauté, une personnification, le Christ lui‑même.
Les Pères. La foi trinitaire des Pères anténicéens est nette, mais par
contre leur théologie est encore peu claire. Ceci concerne la troisième
Personne encore plus que la seconde. Presque tous parlent des effets du Saint‑Esprit et répètent alors les paroles de
l’Écriture : on le reçoit dans le baptême, il a parlé par les Prophètes et
agit encore dans les spirituels (Didachè, Pères apostoliques, S. Clément, S.
Ignace, Barnabé, Hermas ; les apologistes, S. Hippolyte, S. Irénée ;
cf. Tixeront, 1). Le premier qui ait
saisi l’Esprit trinitaire dans sa
divinité personnelle est Tertullien.
Il est aussi le seul jusqu’à S.
Athanase ; on peut cependant lui adjoindre Origène malgré sa double face. Tertullien affirme contre Sabellius
la distinction des personnes à côté de l’unité de l’essence. Ensuite, il
établit (Adv. Prax.) cette proposition au sujet du Saint‑Esprit : « (Sa) doctrine se vante de posséder la vérité pure, en s’imaginant que la seule manière légitime de croire à l’unité de Dieu, c’est de confondre dans une seule et même
personne et le Père et le Fils et l’Esprit saint » (2). Au sujet de la Procession : « L’Esprit ne
procède pas d’ailleurs que du Père par le
Fils » (4). « Il recevra de ce qui est à moi, comme moi‑même de ce qui est à mon Père (Jean, 16, 14). Ainsi l’union du Père dans le Fils et du Fils
dans le Paraclet, forme trois personnes indissolubles,
produites l’une de l’autre, de manière que trois sont une seule et même
chose, mais ne sont pas un seul » (25). « Dieu a produit le Verbe
hors de lui, ainsi que l’enseigne le Paraclet lui‑même, comme l’arbre sort de la racine, le ruisseau de la
fontaine, le rayon du soleil » (8). Au sujet des effets : « (Le Christ) a envoyé à sa place le Saint‑Esprit pour éclairer et conduire son Église (Des Prescriptions, 13)…
pour être le docteur de la vérité » (28). Il peut se faire que son point
de vue montaniste ait contribué à lui faire accentuer fortement la personnalité
du Saint‑Esprit. Origène
range les questions qui concernent le Saint‑Esprit parmi celles que l’Église
n’a pas encore tranchées. Il ne trouve guère de réponses convenables à ces
questions et penche lui‑même vers le parti adverse, tout en disant qu’il n’est pas clair que le Saint‑Esprit soit une créature du Fils ou bien le Fils de Dieu. Cependant, comme tout est
fait par le Fils, le Saint‑Esprit devrait, à proprement parler, être son œuvre (In Joa., 2, 6 : M. 14, 132 ; cf. De princ., 1, Praef. 4 ; 1, 3, 3 et 4 ; 2, 2, 1 et 7 ; 3 ; 4, 28 ; 5, 35. Tixeront,
1, 288 sq.). Le Concile de Nicée avait à s’occuper du Logos‑Dieu, non du Pneuma‑Dieu. C’est pourquoi il se borna à la courte phrase de la règle de foi : « Et au Saint‑Esprit ». La théologie précédente du Saint‑Esprit continua donc avec ses
faiblesses subordinatianistes. Cependant. le Concile de Nicée dut lui donner
une impulsion active. Le όμοούσιος
concernant le Fils portait à aller plus loin. Et de fait, nous voyons que l’idée
ne tarde pas à se développer : Comme le Fils, le Saint‑Esprit n’est pas seulement une personnalité, mais encore véritablement Dieu. Et ce fut encore S. Athanase qui fit triompher la
théologie du Saint‑Esprit ; il ne le fit pas d’une manière absolument spontanée, mais pour lutter contre l’évêque Macedonius de Constantinople et sa secte
qui appliquaient l’arianisme à la troisième Personne, hérésie qui avait fait son apparition en
Égypte aussi. S. Athanase défendit résolument dans trois lettres à son ami l’évêque
Sérapion de Thmuis (Ép. 1, 2, 4) la
divinité du Saint‑Esprit. Il s’appuie sur l’Écriture (Ad Serap., 1, 4‑6), la Tradition (1, 28) et la raison. Il donne une preuve tout à
fait simple, la preuve théologique :
Il résulterait, si on n’admettait pas la divinité du Saint‑Esprit, « que la Trinité ne serait plus une seule chose, mais se composerait elle‑même de deux natures différentes à
cause de la différence d’essence de l’Esprit… Qu’est‑ce donc alors que cette notion de Dieu qui serait un composé de créateur et de créature ? (Ép. 1, 2). « Aucun élément étranger n’est mêlé à la Trinité, mais elle est indivisible et égale en elle‑même. Cela suffit aux croyants ». Mais qu’on ne cherche pas au‑delà, cela dépasse le regard des chérubins (1, 17). Néanmoins il y a des images qui
aident à expliquer, comme « la représentation, le reflet, la source » (1, 20), mais « qui veut séparer l’éclat de la lumière ou la
sagesse du sage ? » (Ibid.). L’Esprit n’est pas non plus un des
anges : il y en a des myriades et l’Esprit est unique (1, 27). L’Esprit de
Dieu nous divinise : il doit d’abord être Dieu lui‑même, il ne peut pas être une créature (1, 23). Au sujet de sa
procession, il dit « qu’il procède du Père en tant qu’il rayonne de la
Parole (Logos) qui est du Père, et est envoyé et donné par la Parole » (1,
20). Comme le Fils est de l’essence du Père,
« il faut donc que l’Esprit aussi qui est, comme on a dit, de Dieu,
soit d’après l’essence, l’Esprit propre du Fils »
(διον εἰναι οὐσίαν
τοῦ υἱοῦ [1, 25 ; cf. 1, 20 et
21 ; 3, 2]. « La relation particulière dans laquelle, comme nous le
savons, se trouve le Fils par rapport au Père, sera aussi, comme nous le
trouverons, celle de l’Esprit par rapport au Fils. Et de même que le Fils dit :
« Tout ce que le Père a est mien », de même nous trouverons que tout
cela est aussi, par le Fils, dans le Saint‑Esprit » (3, 1). « Dans l’Écriture, l’Esprit n’est pas nommé Fils, afin qu’on ne
le tienne pas pour un frère (du Fils) ; il n’est pas davantage nommé Fils du
Fils, afin qu’on ne puisse pas considérer le Père comme un grand‑père, mais le Fils est appelé Fils du Père et l’Esprit Esprit du Père ; et ainsi la divinité de la Sainte Trinité
est une, et la foi est une » (1, 16). Après S. Athanase, c’est à peine si
la théologie grecque a fait des progrès essentiels, bien que S. Basile et
surtout S. Grégoire de Nazianze aient créé des formules meilleures encore. ‑ Remarquons en passant que l’Église a interdit de représenter le
Saint‑Esprit sous une forme humaine.
Les anciens et les nouveaux nicéens ? Les théologiens protestants ont
voulu faire cette distinction ; ils affirment que S. Athanase aurait
entendu le όμοούσιος dans le sens
de l’unité d’essence (à la manière
des sabelliens) et que les Cappadociens l’auraient entendu non au sens d’unité
mais au sens d’égalité d’essence. Par
contre, Bardenhewer montre que par ex. : S. Basile, que l’on suspecte le
plus souvent, apporte un soin presque scrupuleux à enseigner avec précision
l’unité numérique : « Afin que la distinction des Personnes te soit
bien claire, compte le Père spécialement et le Fils spécialement ; mais
afin de ne pas tomber dans le polythéisme, confesse l’unité de l’essence
(μίαν τὴν οὐσἰαν)
dans les deux ; de cette façon s’écroule Sabellius et l’Anoméen est
également battu » (Serm. 24, c. Sab. et Ar., c. 3).
Transition. Le dogme ne comprend pas seulement la Trinité des Personnes dans
l’essence unique, mais encore les relations réciproques des Personnes entre
elles, telles qu’elles sont précisées par les Processions.
A consulter : Hurter, 2, thes. 107. Franzelin, De Deo trino, thes. 30 sq. Kleutgen, Inst., 590 sq. Tepe, Inst., 2, 293 sq. Diekamp, 1, 259. Minges, 1, 137. Sur la Procession du S. Esprit : S. Thomas, S. th., 1, 27 ; De
verit., 4 ; Comp. th., 52 sq. ; Opusc., 3 ; C. Gent., 4, 24 sq. S. Anselme, De processione Sp. S. contra
Graecos. Ruiz, De Trinitate disp.,
67. Petau, De Trin., 7. Tournely, De myst. S. Trin., q. 26.
Remarques préliminaires
1. Le mot procession (processio,
emanatio, ἐϰπόρευσις,
προβολή) désigne en général l’origine
(origo) d’un être venant d’un autre. Ce dont une chose provient s’appelle principium, ce qui en provient principiatum (Cf. S. th., 1, 84,
2 ; C. Gent., 2, 11). Le dernier terme n’a pas d’équivalent français. La raison de la procession est une activité
(operatio) qui peut être intérieure ou extérieure. Quand la procession a son
terme en dehors du principe, elle
s’appelle « pr. transiens, ad. extra » (fils et père, fruit et
plante) ; quand le procédant reste dans le principe, la procession est
« immanens, ad intra » (pensée et esprit, vouloir et volonté). En
Dieu se trouvent les deux espèces de procession : la « processio
transiens » à laquelle les créatures doivent leur existence et la
« pr. immanens », le principe d’origine du Fils et du Saint‑Esprit. Il n’y a en Dieu, selon l’enseignement du dogme, que deux processions. Les gnostiques en
admettaient un nombre incalculable (les Éons), les modalistes niaient toute
procession et les subordinatianistes les expliquaient comme « processiones
ad extra », ou comme des actes de création.
2. Qu’il y ait en Dieu des
processions, c’est un dogme. L’Écriture l’atteste clairement. Jean, 8,
42 : « Moi, c’est de Dieu que je suis sorti et que je viens ».
Jean, 15, 26 : « Quand viendra le Défenseur, que je vous enverrai
d’auprès du Père, lui, l’Esprit de vérité qui procède du Père, il rendra
témoignage en ma faveur ». Que ces processions soient immanentes, cela
ressort de la spiritualité de Dieu et est d’ailleurs enseigné par
l’Écriture : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était
auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au commencement auprès de
Dieu ».
3. Entre les processions
immanentes en Dieu et celles qui ont lieu dans les créatures spirituelles, il y
a des différences essentielles : a) Dans les créatures, ce sont des
accidents, d’existence faible et fugitive. En Dieu, elles sont, comme
l’enseigne le dogme de la Trinité, substantielles, et leur terme est chaque
fois une Personne divine ; b) Dans les créatures, le procédant reçoit l’être
du principe qui le produit d’abord.
En Dieu, l’Être n’est pas produit, mais communiqué
(non causatum sed communicatum). C’est pourquoi on n’appelle pas le Père causa Filii, mais
« principium ». Les Grecs montrent ici une certaine imprécision dans
leurs expressions ; ils emploient αἰτία
pour ἀρχή. Les
Latins firent parfois de même au début ; c) Dans les créatures, le
« principium » et le « principiatum » se séparent, car le
premier est cause du second. En Dieu, ils coïncident absolument ; par une unique procession, le Père est Père et
le Fils est Fils ; d) La procession divine consiste donc dans l’origine
éternelle d’une Personne d’une autre par la communication de l’essence divine
numériquement une.
4. L’Écriture n’assigne aucune
origine au Père. C’est pourquoi le
Concile de Florence enseigne :
« Tout ce que le Père est ou a, il l’a non pas d’un autre, mais de soi et
il est principe sans principe » (Denz., 704). Parce qu’il ne procède
aucunement, on ne doit pas se le représenter comme tenant sa Paternité de son
essence ; car « cette réalité (essence) n’engendre pas, n’est pas
engendrée et ne procède pas, mais c’est le Père qui engendre, le Fils qui est
engendré et le Saint‑Esprit qui procède, en sorte qu’il y a distinction dans les
personnes et unité dans la nature », etc. (Latran, 4 : Denz., 432). « Le Père n’a été fait par personne et il n’est ni créé ni engendré » (Athanasian). C’est pourquoi le Père a en propre
l’« innascibilitas » ; il est ἀγέννητος.
5. Sur la question de la nécessité ou de la liberté des processions, S.
Thomas dit : « La nécessité
naturelle, selon laquelle on dit que la volonté veut quelque chose par
nécessité, comme le bonheur, ne s’oppose pas à la liberté de la volonté, comme
Augustin l’enseigne (la Cité de Dieu, 5, 10). La liberté de la volonté, en
effet, s’oppose à la violence et à la contrainte. Il n’y a ni violence, ni
contrainte dans le fait que quelque chose est mis en mouvement selon l’ordre de
sa nature, mais il y a plus si le mouvement naturel est empêché : comme
quand ce qui est lourd est empêché de descendre en son juste milieu ;
c’est pourquoi la volonté cherche librement le bonheur, qu’elle désire
nécessairement. Mais ainsi Dieu s’aime lui‑même librement
par sa volonté, bien qu’il s’aime nécessairement. Et il est nécessaire qu’il
s’aime autant qu’il est bon, comme il se comprend autant qu’il est. Donc l’Esprit saint procède librement du
Père, non cependant selon le possible mais par nécessité. Et il ne lui a pas été possible de procéder moindre que
le Père ; mais il a été nécessaire qu’il soit égal au Père, comme le Fils
qui est le Verbe du Père » (De potent., 10, 2 ad 5).
6. L’explication spéculative des processions remonte à S. Augustin. Il pense avec raison que
l’image de Dieu brille moins dans toute la Création que dans l’esprit humain.
Dieu a dit en effet qu’il voulait faire l’homme à son image et à sa
ressemblance. La Scolastique a repris
sa psychologie de la Trinité et l’a complétée.
a) S. Augustin, dans cette
spéculation, insiste sur le mystère proprement dit ; ce mystère ne
s’éclaircira pour nous que dans l’au‑delà. Dieu reste pour nous « inexprimable » (Serm. 117). Sa spéculation
n’est jamais indépendante, elle se rattache toujours à la foi. Au commencement,
il utilisait lui aussi les images tirées de la nature matérielle. Depuis S.
Justin et Tertullien, on connaît l’image du soleil et du rayon, de la lumière
de lumière, de la source et du fleuve, de la racine et de la plante :
images auxquelles s’ajouta plus tard un troisième élément : racine, tronc,
fleur ; source, courant, embouchure ; lumière, éclat, rayon. Ces
images permettaient de bien indiquer deux choses : 1° La procession ; 2° La connexion
interne ou l’unité d’essence. Quand
on employait l’image de souffle et de parole, on comprenait également d’une
manière sensible le souffle comme une émission d’air et la parole comme
« vox ex ore prolata », ou bruit d’air.
S. Augustin employa donc lui
aussi de ces images sensibles en se référant à l’Écriture (Rom., 1, 17
sq. ; Sag., 13, 1 sq.), bien qu’il n’y vît qu’un faible reflet de la
Trinité. Son premier nombre ternaire
est par conséquent : « mesure,
nombre, poids » (Sag., 11, 21), ou bien « règle, beauté, ordre ». Cette trinité se constate dans toute
la Création. Ces trois choses constituent aussi une certaine unité ou sont en
connexion interne. Cependant le fondement qui les porte est la matière. Or Dieu
est un Esprit absolu.
b) Par suite, S. Augustin préfère
les images qu’il découvre dans l’esprit humain. « En nous‑mêmes nous reconnaissons une image
de Dieu, c.‑à‑d. de cette très haute Trinité. Sans doute, ce n’est pas une image de même valeur, mais au contraire une
image qui reste très loin du modèle ; ce n’est pas non plus une image du
même genre et, pour tout dire d’un mot, ce n’est pas une image de la même
essence que Dieu ». « En effet, nous existons, nous connaissons notre
être et nous aimons cet être et cette science ». Et de plus, je suis
absolument certain de cette trinité, parce que ma conscience me l’atteste
immédiatement : « Je suis par moi‑même très certain que je suis, que je connais et que
j’aime mon être ». Être,
savoir et aimer constituent donc le nombre ternaire spirituel (Civ., 11, 26
sq.). Mais S. Augustin trouve dans ce nombre ternaire des difficultés. Il
n’arrive pas à expliquer la nécessité de leur connexion ; car la notion
d’être est une notion plus extensive que les deux autres et ces dernières ne
peuvent se déduire strictement de la première. S. Augustin n’accorde pas
d’importance à cette analogie. Il ne sait pas si elle correspond à la Trinité
(Conf., 13, 11). Elle ne paraît pas dans le « De Trinitate ».
c) Mais on arrive à cette ferme
connexion dans le nombre ternaire suivant : « Mens, notitia, amor » [âme, connaissance, amour]. En effet,
l’analyse de la notion « mens » donne nécessairement les deux autres
éléments de connaissance et d’amour. Ici « mens » = substance de
l’esprit ou esprit en soi. Que « mens » soit une substance, S.
Augustin peut l’affirmer simplement ; mais il l’affirme aussi pour
« notitia » et « amor » et ne peut le prouver qu’au moyen
d’une conception assez vague de la substance. L’esprit (mens) se connaît lui‑même immédiatement. De la connaissance que
l’esprit a de soi résulte l’amour qu’il a pour lui‑même. « L’âme ne peut s’aimer, si elle ne se connaît pas » (Trin., 9, 3). Il examine à fond la conscience immédiate du moi, qu’il distingue de la connaissance
discursive que l’âme a d’elle‑même. Ces trois éléments sont en relation réciproque et constituent aussi une
réelle unité. Ce sont des notions relatives,
sans être des accidents ; elles ne perdent pas leur
caractère substantiel : « L’amour et la connaissance ne sont pas dans l’âme comme accidents dans un sujet,
mais ils sont substantiels comme l’âme, elle‑même ; et s’ils ont un sens relatif l’un vis‑à‑vis de l’autre, ils n’en sont pas moins substance, pris
en eux‑mêmes » (Trin., 9, 4, 5). Les actes de
la propre connaissance et du propre amour s’accomplissent complètement à
l’intérieur de l’esprit humain, c’est pourquoi il faut qu’ils soient trois
membres de la même essence (ejusdem substantiœ) (Trin., 11, 4, 7). Aussi doit‑on affirmer des trois une existence des uns dans les autres et une
cohabitation, en dépit d’une certaine indépendance et d’une certaine réalité
propres. « Mais dans ces trois choses, quand l’âme se connaît et s’aime,
on trouve une trinité, l’âme, l’amour et la connaissance, sans aucun mélange,
sans aucune confusion, bien que chacune des trois soit une en soi, et, par
rapport aux autres, se trouve tout entière dans toutes les trois, ou chacune
dans les deux autres, ou les deux autres dans chacune. Ainsi toutes sont dans
toutes » (Trin., 9, 5). Une triplicité se manifeste clairement dans cette
ternarité : les trois éléments constituent une unité inséparable ;
ils sont cependant chacun un être propre et sont ensemble dans une relation
interne. « Aussi est‑ce d’une manière admirable que ces trois choses
sont inséparables les unes des autres,
bien que pourtant chacune des trois, prise à part, soit une substance, et que
toutes les trois prises ensemble soient une substance ou une essence
puisqu’elles sont dites toutes les trois relativement l’une aux autres »
(Trin., 9, 5). ‑ On peut, avec S. Augustin, admirer dans l’homme cette image, formant un
tout, de la Trinité ; mais on ne doit pas oublier que « mens » occupe une position plus importante dans la
construction que « notitia » et « amor », est « substance » d’une manière plus intense que les deux
autres et, par suite, représente non seulement le Père, mais la divinité
complète.
d) S. Augustin propose une autre
ternarité : « Memoria,
intelligentia, voluntas ». Là encore il fait appel pour la certitude à
la conscience humaine immédiate. Au sujet du contenu des trois éléments, on
peut à peine avoir un doute, Ils sont réellement distincts et constituent
cependant une unité sur la base de l’unique essence de l’âme. L’esprit, en tant
qu’il se souvient, s’appelle mémoire ; en tant qu’il connaît intelligence
et en tant qu’il veut, volonté. Dans l’unité de l’essence ces trois éléments
sont une unité substantielle ; car dans chacun se trouve toute la
substance de l’âme. Ils sont également tous les trois en rapport dans une relation
interne et c’est par cela qu’ils sont trois : « Mais elles sont trois
choses, quand on les considère dans leurs rapports mutuels » (Trin., 10,
11, 18.) S. Augustin enseigne aussi la complète égalité des membres ;
chaque membre est égal à l’autre, de même qu’à tous ensemble, si bien que leur
somme n’est pas plus de réalité que chaque membre en particulier :
« si elles n’étaient pas égales, non‑seulement l’une vis‑à‑vis de l’autre, mais chacune vis‑à‑vis de toutes, elles ne se
contiendraient évidemment pas mutuellement »
(Trin., 10, 11, 18). La mémoire, en effet, se perçoit et s’embrasse elle‑même et en même temps le contenu de l’intelligence et de la volonté ; l’intelligence, à son tour, a conscience d’elle‑même, ainsi que de la mémoire et de la volonté ; la volonté se veut elle‑même et veut aussi les deux autres
en les mettant à son service, en en « usant ». Voici donc le résultat : « puisque chacune de ces facultés comprend toutes les autres,
chacune d’elles est égale à chacune en particulier et à toutes ensemble ; et par
conséquent les trois sont une seule vie, une seule âme et une seule
essence » (Trin., 10, 11, 18). Cette trinité psychologique est ainsi
conditionnée et fondée intérieurement, parce que les trois membres s’exigent
réciproquement.
e) Si nous comparons ces deux
dernières ternarités, la seconde a l’avantage ; aussi S. Augustin
l’emploie plus souvent. Dans « mens, notitia, amor »,
« mens » a la prépondérance ; la substance s’oppose à ses deux
activités. Il n’y a pas d’égalité stricte. Mais cette égalité apparaît
nettement dans le ternaire : « Memoria, intelligentia,
voluntas ». C’est pourquoi il est plus propre à servir d’image de la
Trinité divine dans laquelle l’Être unique absolu de Dieu subsiste dans trois
Personnes distinctes constituées par des Relations internes. S. Augustin ne
sépare pas toujours nettement les deux ternaires, mais il a une prédilection
visible pour le second. Remarquons en passant que ce ternaire éclaire aussi la thèse
augustinienne : « Les œuvres de Dieu à l’extérieur de lui‑même (ad extra) sont indivises ».
THÈSE. La seconde Personne procède de la première par génération
et est par conséquent son Fils. De foi.
Explication. Symbole de S. Athanase : « Le Fils n’est issu que du
Père, il n’est ni fait, ni créé, mais engendré ».
Tous les symboles de foi : « Credo in Filium ». Nicée :
« Engendré, non pas créé ».
Preuve. Objectivement, la
procession du Fils est affirmée dans tous les passages où le Logos‑Dieu est nommé Fils (§ 51). Il est
Fils au sens propre ; les déclarations du Christ et des Apôtres le
distinguent intentionnellement des fils improprement dits ou adoptifs. Il est
Fils par nature (φύσει) et non par adoption
(θέσει). Cette affirmation est particulièrement claire
dans Jean, 5, 18, où il s’agit du « Pater proprius Filii » et dans Rom., 8, 32, où, à l’inverse, il est
question du « Filius proprius
Patris ». Dans les deux cas, on trouve ἲδιος. Il
est donc vraiment né du Père. Par conséquent, sa Procession est véritablement
une génération (generatio, γέννησις).
Et comme le Père n’a pas d’autre Fils naturel, celui‑ci s’appelle « Fils unique » (μονογενὴς παρὰ πατρος, ὁ μον. υἱός, Jean, 1, 14, 18), ou encore
« Filius proprius » (Rom., 8, 32). La notion « génération »
ressort clairement de μονογενὴς ;
cependant, certains théologiens lui cherchent encore des preuves dans les
psaumes : « Tu es mon fils ; moi, aujourd’hui, je t’ai engendré » et « Comme la rosée
qui naît de l’aurore, je t’ai engendré »
(Ps. 2, 7 [cf. Hébr., 1, 5] et 109, 3 [cf. Math., 22, 43 sq.]) ainsi que dans
Prov., 8, 22 sq. et Eccli, 24, 5, où la Sagesse hypostasiée est décrite comme
« engendrée de toute éternité » et « première‑née de toute créature ». Dans
l’interprétation que font les Pères, de l’Ancien Testament comme prophétie du
Nouveau, ces textes jouent un grand rôle au temps des controverses
trinitaires ; ils constituent en tout cas la source de la preuve de Tradition. Ainsi donc,
l’Écriture enseigne deux choses importantes au sujet de la seconde
Personne : 1° Elle est le Fils du Père, de la première Personne ; 2°
Elle est née du Père, engendrée et par conséquent Fils au sens naturel du mot.
Le Fils est Fils au sens propre du mot à la différence des fils adoptifs devenus tels par la grâce dont il est question dans
Jean, 1, 14.
Les Pères. Que le Fils procède du Père, ils le disent tous ; mais sur le
comment, ils ont, jusqu’au Concile de
Nicée, leurs opinions propres. Les apologistes
nomment la procession, selon la terminologie alexandrine‑platonicienne, émission (προβολή), Tertullien l’appelle « prolatio ». Mais on trouve aussi à côté de ces expressions les termes bibliques de naissance et de génération. Si les apologistes voulaient unir
cette procession à une spéculation cosmogonique, ils auraient dû se rattacher
étroitement à Jean, 1, 1 sq. S. Jean ne conçoit pas d’abord le Logos à la
manière des néo‑platoniciens comme un attribut divin
(Sagesse, λόγος ἐνδιάθετος) et ensuite comme Personne
divine (λόγος
προφοοιϰός), mais il le
montre comme personnel et éternel auprès de Dieu. Clément d’Alexandrie et
Origène repoussent l’expression émission ou émanation
(προβολή) des apologistes, parce qu’elle
peut signifier séparation et temporalité. Ils s’en tiennent à la
« naissance » et « Père » et cela leur réussit mieux, car
ils déduisent de la paternité éternelle la génération éternelle (Clément, Adumbr. : M. 9, 734 ;
Origène, In Jer. hom., 9, 4 : ἀεὶ
γενναται ό σωτὴρ
ύπὸ τοῦ
πατρός : M. 13, 357). Tertullien emploie
(Adv. Prax.) plusieurs expressions : « ce Dieu unique a un Fils, son
Verbe, procédant de lui‑même » (2) ; « Dieu a produit le Verbe hors de lui, ainsi
que l’enseigne le Paraclet lui‑même, comme l’arbre sort de la racine, le
ruisseau de la fontaine, le rayon du soleil. Ces différentes espèces sont les
émanations des substances dont elles dérivent » (8). « Le Père est la
substance tout entière ‑ Le Fils est la dérivation et la partie de ce tout » (9). « Verbe de celui qui l’a fait son Fils, en l’engendrant de sa substance » (Adv.
Marc, 2, 27). Il est évident qu’après la controverse arienne le langage des
Pères fut plus précis et plus uniforme, d’autant plus que le Concile de Nicée
avait fixé le terme γεννᾶσθαι. A
la question mordante des ariens qui demandaient si la génération avait été
volontaire ou nécessaire, S. Athanase répond : elle ne s’est pas produite
par la volonté, ni par la nécessité, mais par la nature » (Orat., 4, c. Arian., 3,
61 : M. 26, 452). S. Grégoire de Naz. :
« Non par la volonté, mais avec la volonté » ; S. Thomas : « Il n’y a pas de
volonté précédente, ni chronologiquement, ni selon l’intellect, mais seulement
une volonté concomitante » (Sur la puissance de Dieu, 2, 3).
1. L’explication spéculative de la génération. Elle repose sur la
spéculation augustinienne du Logos‑Verbum. En raison de Jean, 1, 1, elle commença de bonne heure et se
répandit. Mais avant S. Augustin, les Grecs comme les Latins comprenaient le
mot d’une manière matérielle et l’expliquaient comme une révélation divine aux
hommes : « Le Logos ne les fait pas penser à caractériser
formellement la génération comme un acte de pensée divine » (Schmaus.). S. Augustin lui‑même comprit au début le mot « Verbum » dans le sens de l’économie du salut, comme une
manifestation de Dieu aux hommes. De ce point de vue on peut dire beaucoup de
belles choses au sujet de la Parole comme le font non seulement l’Ancien
Testament, mais encore le Nouveau et Jésus lui‑même (Cf. Math., 4, 4, etc.). Mais S. Augustin
ne tarde pas à distinguer de la parole extérieure la parole intérieure, le
« verbum mentis », et cela
lui sert à expliquer la génération du Fils. « Il y a aussi une parole dans
l’homme lui‑même, qui demeure à l’intérieur ; car ce n’est qu’un son qui sort de la bouche. Il y a une
parole qui est prononcée d’une manière véritablement spirituelle » (Jean,
1, 8). Il distingue donc entre la parole intérieure et la parole extérieure,
comme l’avaient déjà fait le Portique et les apologistes
(λόγος ἐνδιαθετος
et λόγος προφοριϰός).
« De même que ton âme est esprit, de même l’est aussi la parole que tu
t’es représentée ; car elle n’a pas encore reçu le son qui doit la diviser
en syllabes, mais elle reste dans la représentation du cœur et dans le miroir
de l’intelligence ; c’est ainsi que Dieu a produit sa Parole, c.‑à‑d. engendré le Fils » (In Joa., 14, 7). Ainsi S.
Augustin s’assure deux points importants : 1° La distinction entre le Père qui parle et le Fils qui est
parlé ; 2° La relation entre les deux ; il entend la Parole comme
relation avec le Père. De même que le Fils suppose et inclut le Père, de même
la Parole suppose et inclut celui qui parle ; la Parole ne se rapporte
jamais qu’à une personne : « C’est dans un sens relatif que la
première personne de la sainte Trinité est nommée Père et principe ; mais
elle est Père par rapport au Fils, et principe par rapport à toutes les
créatures. Le même terme s’affirme également du Fils, et en outre ceux de Verbe
et d’image ; et parce qu’ils expriment tous la relation du Fils avec le
Père, ils ne peuvent s’appliquer à celui‑ci » (Trin., 5, 13, 14). Ainsi, pour S. Augustin,
le Parole est le nom propre de la seconde Personne. Le Père n’est pas pensable sans sa Parole,
sans laquelle il ne parlerait ni ne penserait. De même que le Père ne peut pas être
αλογος, il ne peut pas être sans Verbe.
« Proinde tamquam seipsum dicens Pater genuit Verbum ». « Le
fait que le Père parle et se pense lui‑même, est la génération du Fils. De plus : La Parole est (comme le Fils) une relation ; cependant ce n’est pas
une relation accidentelle, comme dans l’homme qui parle, mais une relation substantielle. Le Fils est la Parole du
Père : il n’en est pas le détenteur.
En Dieu il n’y a pas d’accident. En lui tout est substance et spécialement sa
Parole, l’expression de lui‑même. Bien entendu, cette parole n’est pas temporelle, elle est immuable,
car la Parole est Dieu. « Dieu a engendré avant tous les temps sa Parole,
par laquelle il a créé tous les temps » (In Joa., 14, 7). La Parole est un
terme de relation, et comme la personnalité en Dieu est une relation,
« Verbum » est une hypostase divine comme « Filius ». Entre
le Père et le Fils, entre celui qui parle et celui qui est parlé, il y a une
parfaite égalité d’essence. « Le
Père, comme en s’exprimant lui‑même, a engendré le Verbe qui lui est égal en tout » (Trin., 15, 14). Et pourquoi
cela ? « Il ne se serait pas exprimé lui‑même entièrement et parfaitement, s’il y avait en son Verbe quelque
chose de plus ou de moins qu’en lui ». Et c’est pourquoi la Parole est « réellement la vérité, parce que
tout ce qui est dans la science qui l’engendre est aussi en lui, et qu’il n’a
rien de ce qui n’y est pas ». D’où la conclusion : « Dieu le
Père connaît donc toutes choses en lui‑même, il les connaît dans son Fils ; dans lui‑même, comme lui‑même, dans le Fils comme son Verbe,
qui comprend tout ce qui est en lui » (Trin., 15, 14, 23 ; cf. 7, 1, 1). Ainsi S. Augustin
trouve une identité complète entre le Fils et le Logos : « Il est Fils par là même qu’il est Verbe, et il est Verbe par là même
qu’il est Fils » (Trin., 7, 2, 3). L’égalité complète entre le Fils et le
Père se fonde sur la connaissance parfaite que le Père a de lui‑même. Comme cette connaissance est
adéquate, son expression personnelle
est aussi égale au Père connaissant.
2. On peut aussi se demander
quels objets embrasse la connaissance que le Père a de lui‑même et qui s’exprime dans le Fils. Réponse : « Dieu le Père et Dieu le Fils, c’est‑à‑dire le Dieu engendrant, a exprimé en quelque sorte tout ce qu’il a substantiellement dans son
Verbe qui lui est coéternel » (Trin., 15, 21, 40). Elle comprend aussi par
conséquent la création : « Le mot Logos exprime non‑seulement le rapport du Fils au Père, mais encore celui de la puissance créatrice aux œuvres qui ont été faites par le Verbe » (De div. quaest.,
83, q. 63). Le contenu de la création était de toute éternité en Dieu,
« idealiter ». Il constitue la somme des « idées
éternelles », mais les idées éternelles du monde ne sont pas une nécessité
en Dieu, d’après laquelle il aurait dû
créer, elles sont plutôt le contenu de son libre vouloir et, sous cet aspect
spécial, elles trouvent leur expression dans le Fils ; mais elles ne sont
pas un élément constitutif, comme si elles avaient contribué à le déterminer,
le rendant par suite dépendant d’elles ; elles sont simplement objet de la
connaissance divine. De fait, dans la doctrine trinitaire panthéiste du néo‑platonisme, le Logos était dépendant de la Création et conditionné par elle. Mais S. Augustin est si peu panthéiste qu’il distingue nettement
Dieu et la Création ; et il place le Logos chrétien si haut au‑dessus de la Création qu’il le présente comme égal au Père et qu’il reconnaît comme principe de la Création les trois Personnes en même temps et d’une manière égale (Cf. Traité de la Création).
3. S. Thomas développe la méditation de S. Augustin avec toute sa
précision scolastique. Il explique dans son « Compendium » (37)
comment il peut être question d’une Parole
(Verbum) en Dieu. « Pour le comprendre », explique‑t‑il d’abord, « nous devons savoir par la
théodicée que Dieu se connaît lui‑même et s’aime ; nous devons savoir de même que la connaissance et l’amour en lui ne sont autre chose
que son Être entier et son essence même. Or, comme Dieu se connaît lui‑même et que le connu est dans le
connaissant, il faut que Dieu soit en lui‑même comme le connu dans le connaissant. Mais
le connu, en tant qu’il est dans le connaissant, est, pour ainsi dire, la parole de l’intelligence (de l’esprit connaissant) ; car avec la parole extérieure
nous ne faisons que désigner ce que nous comprenons intérieurement par
l’intelligence ». « Il faut donc mettre en Dieu son propre
Verbe ». Ensuite, il explique « verbum » par « generatio »
laquelle se définit : « La génération est l’origine d’un sujet
vivant, d’un autre vivant, conjoint en ressemblance de nature ; c’est à
proprement parler la naissance ». Le « principium » et le
« principiatum » doivent être vivants, car la génération est un acte
vital. Dans « conjuncto » se trouve exprimée la communication de la
propre nature du « principium » au « principiatum ». Il
ajoute ensuite que l’engendré doit procéder « par ressemblance, et exister
dans la même nature » par conséquent dans une essence égale et comportant
la ressemblance. Cette procession n’a rien de commun avec la production, par
exemple, des cheveux ou des vers internes qui n’ont aucune ressemblance avec la
nature qui les produit, mais elle se fait « sicut homo procedit ab homine ».
Ainsi comprise, la procession de la « Parole » a le caractère d’une
génération (d’un acte vital). « Le Verbe, en effet, procède par mode
d’activité intellectuelle : et c’est là une opération vitale, il procède
d’un principe conjoint » (car entre la pensée et son contenu pensé existe
l’union la plus intime) « selon une ressemblance de nature » (car la
conception de l’intelligence est la ressemblance de l’objet conçu). Et enfin
l’engendré est avec l’engendrant « in eadem natura existens ; quia in
Deo idem est intelligere et esse » (en Dieu la connaissance et l’Être sont
objectivement la même chose) (S. th., 1, 87, 2). Pour que nous n’attachions pas
au mot génération un sens charnel, l’Écriture emploie le mot
« Parole » qui a une signification spirituelle. De même, quand on
prononce le mot Parole, il faut penser à une substance et non à un accident qui va et vient, comme dans la
parole d’un homme ; « intelligere », « intellectum »
et « esse » sont en effet objectivement identiques en Dieu; tout ce
qui est en Dieu est substance. La « Parole » est avec le Père qui la
prononce « de même substance » ou « de même nature », ce
qui est aussi la définition de l’Église : « Consubstantialem
Patri » [consubstantiel au Père]. Cette définition est la synthèse de tout
ce que nous avons dit.
4. De la nature de la génération
divine qui est la connaissance que Dieu a de lui‑même, il résulte immédiatement que la génération est un acte éternel, permanent nécessaire. La théodicée nous montre clairement
qu’en Dieu il n’y a pas passage de la force potentielle à l’activité, de la
puissance à l’acte, mais qu’en lui tout est un « actus purus », une
activité permanente. De même qu’en Dieu la vie intellectuelle est éternelle,
nécessaire et actuelle, de même la génération spirituelle est en lui éternelle,
nécessaire et actuelle. Il ne cesse pas d’être éternellement complet et parfait
en lui‑même ‑ il n’est pas dans un perpétuel devenir, comme le prétend Hégel. Si l’acte n’était pas éternel, Dieu ne serait pas Dieu ; s’il cessait de l’être, Dieu ne serait plus Dieu, car il
manquerait de vie intérieure et de fécondité. Aussi les Pères citent continuellement
contre Arius, qui admettait une création temporelle du Fils, le psaume 2 :
« Tu es mon fils ; moi, aujourd’hui,
je t’ai engendré » et ils comprenaient « aujourd’hui » comme un
éternel « existant ». Ils étaient persuadés que le Fils n’a jamais
manqué au Père, lequel n’a jamais été ἀλογος.
C’est une pure controverse
verbale quand, dans la Scolastique primitive et même plus tard, certains
auteurs pensent qu’on doive dire : « Filius semper natus est »
et les autres : « Filius semper nascitur ». Les uns et les autres
n’envisageaient qu’un aspect de la question et avaient raison, de leur point de
vue. Le 4ème Concile de Latran dit : « Le Père ne vient de
personne, le Fils vient du seul Père et le Saint‑Esprit également de l’un et de l’autre, toujours, sans
commencement et sans fin. Le Père engendrant, le Fils naissant et le Saint‑Esprit procédant » (Denz., 428). On ne doit donc pas se représenter une Personne comme
antérieure ou postérieure aux autres. Car « dans cette Trinité il n’est rien qui soit avant ou après, rien qui soit plus grand ou plus petit,
mais les Personnes sont toutes trois également éternelles et semblablement
égales » (Symbole d’Athanase). Il ne faut donc pas non plus se représenter
le Père comme antérieur au Fils. Il n’y a pas en Dieu de Paternité sans
Filiation ; Père et Fils sont des notions relatives. La Filiation est
aussi nécessaire au Père pour être une Personne que la Paternité l’est au Fils
pour être une Personne. Humainement parlant, l’existence de chaque personne est
liée à celle des autres.
5. Signalons encore, pour
conclure, ce qu’écrit S. Paul aux Éphésiens, à savoir que du Père trinitaire
dérive « toute paternité au ciel et sur la terre ». Nous jugeons Dieu d’après nos notions
analogiques, parce que nous n’en avons pas d’absolues ; mais il faut bien
nous garder de considérer la vérité connue par voie d’analogie comme la vérité
absolue proprement dite et d’en faire la mesure de cette vérité absolue. Au
contraire, avant nos notions analogues et imparfaites, les vérités
correspondantes existent en Dieu dans toute leur perfection et dans toute leur
grandeur. C’est pourquoi S. Jean Damascène dit : « Il faut remarquer
que les noms de Paternité, de Filiation et de Procession n’ont pas été
transportés par nous dans la divinité, mais sont descendus de la divinité vers
nous » (Fid. orth., 1, 8).
6. « Imago », εἰϰών, image est, avec
« Verbum », une désignation de la seconde Personne, qui se trouve
dans l’Écriture, que les Pères ont souvent employée et que S. Augustin examine
à fond. Le Christ est appelé, Hébr., 1, 3 : « Rayonnement de la
gloire de Dieu, expression parfaite de son être » ; 2 Cor., 4,
4 : « qui est l’image de Dieu » ; Col., 1, 15 :
« qui est l’image du Dieu invisible ». Faisant la synthèse, S. Thomas
dit : Dans l’expression « Verbum » se trouve la même propriété
que dans « Filius ». Cependant la naissance éternelle du Fils qui est
la propriété du Fils est exprimée par différents noms pour désigner d’une
manière différente l’unique perfection. « Nous le nommons Fils pour montrer sa connaturalité avec
le Père, Image pour montrer qu’Il Lui
est absolument semblable, Splendeur
pour montrer sa coéternité, Verbe pour montrer sa génération
immatérielle » (Commentaire de l’Évangile de Jean, ch. 1). Un nom ne
suffit pas, dit S. Thomas, pour désigner tout cela. La théologie postérieure
essaie, en analysant les notions image et splendeur, d’apporter encore plus de
lumière dans la personnalité du Fils et d’expliquer sa convenance (Cf. Pesch,
414, 312, sq.). La notion d’image comprend un triple élément : La
ressemblance avec ce dont elle est l’image. Modèle et image doivent se correspondre.
C’est pourquoi ; 2° L’image doit être une véritable imitation du modèle et
non une concordance accidentelle. S.
Augustin : « Toute image est ressemblante à celui dont elle est
l’image ; et néanmoins tout ce qui ressemble à quelqu’un n’est pas pour
cela son image... une image véritable, c’est la copie immédiate de celui
qu’elle imite ». S. Augustin exige encore une troisième condition :
« Si de deux objets l’un ne résulte pas de l’autre, aucun d’eux ne peut
être dit l’image de l’autre » (De la Genèse au sens litt., 57). Toute
ressemblance d’une chose avec une autre et toute dérivation d’une chose d’une
autre ne constituent pas la notion stricte d’’image ; il faut, 3° Que le
mode de dérivation ait pour objet formel
la production d’une image. C’est pourquoi il ne peut se produire d’image naturelle que par la génération, et c’est pourquoi le fils
est, au sens propre et strict, l’image du père. Il est l’image du père, non
seulement par la possession de la même nature, mais encore en vertu de son mode d’origine. Les Pères grecs nomment
parfois le Saint‑Esprit l’image du Fils. Ce mot d’image a tout de même un sens en raison
des deux premiers éléments, mais le troisième fait défaut. En parlant de la
sorte, les Grecs veulent exprimer le fait que le Saint‑Esprit procède du Fils.
THÈSE. La troisième Personne procède par spiration de la première
et de la seconde, comme d’un seul principe. De
foi.
Explication. La première définition de la Procession, à Constantinople (381)
(Denz., 86 ; cf. 83), affirme que le Saint‑Esprit procède du Père (τὸ πνεῦμα, τὸ ἄγιον... τὸ ἐϰ τοῦ πατρὸς ἐϰπορευόμενον), afin de s’opposer à l’hérésie qui prétendait que le Saint‑Esprit est une créature du Fils. Athanasianum :
« L’Esprit Saint est du Père et du Fils, non pas fait, ni créé, ni
engendré, mais il procède » (Denz., 39). 11è concile de
Tolède : « Car il ne procède pas du Père vers le Fils ni ne procède
du Fils pour sanctifier les créatures, mais il apparaît bien comme ayant
procédé à la fois de l’un et de l’autre, parce qu’il est reconnu comme la
charité ou la sainteté de tous deux » (Denz., 277). De même aussi le
Symbole de Léon IX (+1054, Denz., 345) et le Latran 4 (Denz., 428). Contre les Grecs qui rejetaient le
Filioque sont dirigées les définitions suivantes du Concile de Lyon
(1274) : « Le Saint‑Esprit procède éternellement du Père et du Fils, non pas comme deux
principes, mais comme d’un seul principe
(comme les Grecs le reprochaient à l’Église), non pas par deux spirations (car
deux spirations auraient comme conséquence deux « spirati »), mais
par une seule et unique spiration »
(Denz., 460 ; cf. 463). Concile de Florence : « Le Saint‑Esprit est éternellement du Père et du Fils, il tient son essence et son être subsistant du Père et du Fils
à la fois, et il procède éternellement de l’un et de l’autre comme d’un seul principe et d’une spiration unique ».
On dit encore que le « Filioque » a été ajouté « licite ac
rationabiliter » au Symbole (Denz., 691 ; cf. 703, 994, 1084).
Preuve. Le Christ enseigne tout
d’abord que le Saint‑Esprit procède du Père : « Quand viendra le Défenseur, que je vous enverrai d’auprès du Père, lui, l’Esprit de vérité qui
procède du Père, il rendra témoignage en ma faveur » (Jean, 15, 26).
Les Grecs voient dans ce passage la procession du Père ; les Latins y
voient aussi la procession du Fils ; les protestants l’entendent
d’ordinaire de la mission temporelle.
Schanz exprime l’avis suivant : « La relation trinitaire au
sens des Occidentaux est présupposée,
car le Saint‑Esprit, qui est considéré, sans aucun doute, comme un Personne, est
placé dans une même relation avec le Père et le Fils ». Mais le Christ veut, en répétant « du Père », indiquer la raison profonde de la vérité de son témoignage et dire par conséquent que l’Esprit
dira la vérité, car il est
« de » Dieu, « du » Père. Il faut tenir compte, en plus, de
la conception traditionnelle. Le Concile de Constantinople (381) voulait
démontrer la divinité du Saint‑Esprit et son adoration, et c’est pourquoi il se réfère à ce
passage.
On a dit avec raison que S. Jean
place sa théologie sur un plan qui domine les temps et l’espace, et que, par
suite, il décrit les choses comme elles se passent en Dieu et dans l’éternité,
plutôt que comme elles paraissent dans le monde et le temps. Cela est vrai non
seulement pour le Fils et sa relation personnelle avec le Père, mais encore
pour le Saint‑Esprit. Quand il parle de lui, l’expression « Esprit du Père » (τὸ πνεῦμα τοῦ πατρός, Math., 10, 20), se trouve
renforcée ; le Père le donne (Jean, 14, 16), l’envoie en mon nom (Jean,
14, 26), je l’envoie d’auprès du Père (Jean, 15, 26). Sans aucun doute, ces
expressions concernent la relation personnelle du Saint‑Esprit avec le Père. S. Jean ne veut pas dire qu’un Paraclet qui existe encore par hasard sera envoyé ; il veut
bien plutôt affirmer son origine divine
et la source de son origine, dans
lesquelles se trouve précisément la garantie de son action efficace sur la
terre. Enfin le Christ met le Saint‑Esprit en parallèle avec lui : de même qu’il
dit du Fils qu’il agit comme il voit et entend de son Père (Jean, 8, 26,
28 ; cf. 7, 16 ; 12, 49 sq. ; 5, 19 sq.), de même il dit du
Saint‑Esprit : « ce qu’il dira ne viendra pas de lui‑même : mais ce qu’il aura entendu, il le dira » (Jean, 16,
13) ; « il recevra ce qui vient de moi » (16, 14). Il faut donc,
sans aucun doute, entendre ce passage dans un sens trinitaire immanent et non
dans un sens transitoire affectant l’histoire du salut, et y voir tout au moins
l’enseignement de la procession « du Père ».
Le Filioque n’apparaît en Occident que depuis S. Augustin. Il ne se
trouve pas formellement dans l’Écriture. On peut cependant en tirer les
éléments de preuves suivants. Tout d’abord l’Esprit est souvent uni au
Fils : « Arrivés en Mysie, ils essayèrent d’atteindre la Bithynie,
mais l’Esprit de Jésus s’y
opposa » (Act. Ap., 16, 7), surtout dans S. Paul ; il est vrai que
c’est d’ordinaire l’Esprit de Dieu (par ex. : Rom., 8, 9, 11, 14. 1 Cor.,
2, 11, 14 ; 3, 16 ; 6, 11 ; 7, 40 ; 12, 3. 2 Cor., 3, 3.
Éph., 3, 16. Phil., 3, 3). A ce sujet, il convient de remarquer qu’on lit (1
Cor., 2, 12) τὸ πνεῦμα τὸ ἐκ
τοῦ θεοῦ et que, par conséquent, S. Paul a
toujours en vue le génitif d’origine.
Mais S. Paul parle aussi du πνεῦμα
χριστοῦ (Rom., 8, 9 ; Phil., 1, 19),
πνεῦμα κυρίου (2
Cor., 3, 17 sq.), πνεῦμα τοῦ
υἱοῦ (Gal., 4, 6) et par suite, on doit penser là aussi
au génitif d’origine et tout au moins y trouver la « trace » de la
procession « du Père et du Fils ».
Nous connaissons le parallèle
entre le Fils et le Saint‑Esprit dans S. Jean : le Fils atteste le Père (Jean, 6, 46 ; 8, 26,
38 ; 18, 37), l’Esprit atteste le Fils (15, 26) ; le Fils glorifie le
Père (17, 4), l’Esprit glorifie le Fils (16, 14) ; le Fils ne dit que ce
qu’il entend et voit du Père (12, 49 ; 7, 16), l’Esprit dit tout ce qu’il
entend : « .. il le prendra du mien » (16, 13 sq.). De même que
le Fils est envoyé par le Père, de même l’Esprit est envoyé par le Fils (15,
26 ; 16, 7). Ceci cependant ne doit pas s’entendre d’une manière
unilatérale, en ce sens que l’Esprit ne serait dépendant que du Fils et Fils du
Fils ; au contraire la part que le Père a à l’Esprit est exprimée d’une
manière aussi explicite et avant
celle du Fils : le Fils l’envoie d’auprès du Père (15, 26). L’Esprit
prendra « du mien », mais « tout ce que le Père a est
mien ; c’est pourquoi je dis qu’il prendra du mien » (16, 14 sq.).
D’où la formule abrégée : « lui, l’Esprit de vérité qui procède du
Père » (15, 26). Le Père est le principe du Fils aussi : c’est
pourquoi l’Esprit vient du Père « au nom » du Fils (14, 26) ou à la
prière du Fils (14, 16). L’Apocalypse
exprime cette pensée d’une manière symbolique en disant que l’ange « me
montra un fleuve d’eau de la vie (symbole de l’Esprit, Jean, 7, 38 sq.), clair
comme du cristal, qui sortait du trône de
Dieu et de l’Agneau » (ἐκπορευόμενον
ἐκ τοῦ θρόνου
τοῦ θεοῦ καὶ τοῦ
ἀρνίου, 22, 1).
Les Pères. L’Écriture ne parlant que de « qui procède du Père »,
les Pères n’osent pas, au début, aller plus loin. Le « et du Fils »
se fait jour pour la première fois chez S. Augustin. Objectivement cependant il
est plus ancien. Tertullien et Origène
l’emploient, mais dans un sens subordinatianiste (P. 216, cf. p. 209). Dans S. Hilaire on trouve « On doit
professer le Saint‑Esprit avec le Père et le Fils comme auteurs » (De Trin., 2, 29) ; dans Marius Victorinus : « L’Esprit reçoit ce qui vient du Christ »
(Jean, 16, 15 : M. 8, 1048), et ceci fut maintes fois répété. S. Ambroise explique ce même passage
(Jean, 16, 15) de l’essence que
l’Esprit reçoit du Fils (In Luc, 8, 66 ; cf. De Spir. Sancto, 2, 118).
Cependant il entend la formule qu’il emploie « qui procède du Père et du
Fils » de la procession temporelle et non de la procession éternelle (De
Spir. Sancto, 1, 20 ; Tixeront,
2, 271). S. Augustin : « il
serait inexact d’affirmer que l’Esprit‑Saint ne procède pas du Fils, puisqu’il est appelé dans l’Écriture
l’Esprit du Fils, non moins que l’Esprit du Père » (Trin., 4, 20,
29 ; cf. C. Maxim., 2, 14, 1 ; In Joa., 99, 7). « Le Saint‑Esprit procède principalement du
Père, et, sans aucun intervalle de temps, tout
à la fois du Père et du Fils » (Trin., 15, 26, n. 47). Mais il ne
procède pas comme « Fils ». « L’Esprit des deux n’a donc pas été
engendré par les deux, mais il procède des deux » (Ibid.). Mais est‑ce qu’on n’introduit pas par là deux principes en Dieu, le Père et le Fils ? « Si donc l’Esprit‑Saint qui est donné, a pour principe celui qui le
donne, parce qu’il ne procède que de lui, il faut avouer qu’à l’égard de ce divin Esprit le Père et le Fils
sont un seul et unique principe, et non
deux principes » (Trin., 5, 14, 15). Par suite, le Saint‑Esprit procède du Père « principalement », parce que le Père communique au Fils en même temps que sa substance la « force de spiration de
l’Esprit » (Trin., 15, 17, 29 ; cf. 47 et 48). Quant à savoir comment
cette « procession de l’Esprit » se distingue de la « génération
du Fils », c’est là pour le saint docteur un mystère qui ne sera dévoilé
que dans la vision béatifique (Trin., 15, 25, 45 ; cf. 9, 12 sq.) Les successeurs de S. Augustin demeurent
sous sa forte influence et il est inutile de les citer (Tixeront, 3, 335). A partir de 400, le « Filioque » est
accepté généralement et passe dans la liturgie (Denz., 86).
Les Grecs. Origène le premier a
enseigné que le Saint‑Esprit procède du Père et du Fils, mais il donne à son enseignement une teinte subordinatianiste.
« Nous estimons, par conséquent, qu’il est plus conforme à la piété et plus vrai d’affirmer que, puisque tout a été fait par le
Logos, le Saint‑Esprit est plus excellent que tout et
surpasse tout ce qui vient du Père par le Christ » (In Joa., 2, 6 : M. 14, 128). S. Athanase défend contre les ariens la divinité du Saint‑Esprit (p. 220), en le mettant en relation, en même temps que le
Logos, avec la Rédemption temporelle.
Mais le saint docteur entend aussi la procession au sens immanent : « Le Saint‑Esprit, émanation (ἐϰπόρευμα) du Père, est toujours dans les mains du Père qui l’envoie et du Fils qui
l’apporte » (Expos. Fidei, 4). Le Saint‑Esprit, « qui procède du Père, appartient au Fils, fut donné aux disciples » (Ad Ser., 1, 2). C’est pourquoi le Saint‑Esprit est « l’image » du Fils comme celui‑ci est l’image du Père (Ibid., 1, 20). « Le Saint‑Esprit prend du Fils » (Ibid.). « Le Fils qui est près du
Père est la source (πηγή) du Saint‑Esprit » (De Incarn., 9). Mais il faut remarquer que, d’après S. Athanase, le Père est la source dernière
du Saint‑Esprit. S. Athanase fut le maître des Cappadociens. Ceux‑ci affirment, avant tout et toujours, que le Père est la source
des autres Personnes et que le Fils communique l’essence au Saint‑Esprit. On peut entendre cette idée de deux
façons : le Père est la source primordiale, en ce sens qu’il
communique sa substance d’une manière, pour ainsi dire, instrumentale par le
Fils, ou bien en ce sens que, co‑principe avec le Fils, il communique la substance au Saint‑Esprit. La première conception est la conception grecque, la seconde est la
conception latine. D’où la formule grecque « a
Patre per Filium », ἐϰ τοῦ
πατρός, comme « cause », διὰ
τοῦ νἱοῦ comme médiateur. Ainsi S. Grégoire de Nysse emploie l’image des
trois flambeaux : le Père donne sa lumière au second et par celui‑ci (διὰ τοῦ μἐσου) au troisième (De Spiritu Sancto, 3 :
M. 45, 1308). S. Grégoire de Naz.
affirme seulement la procession « ex Patre » et ne parle pas de la
relation avec le Fils. S. Basile
insiste sur le Père comme source de la divinité et fait dériver le Saint‑Esprit de lui, pour prouver sa divinité ; cependant il le met quelquefois
en relation avec le Fils sans être très constant avec lui‑même et il emploie la formule « a Patre per Filium » (C. Eun., 3, 1‑29) ; quant au célèbre passage cité par le Concile de Florence, Bardenhewer le considère comme une
« interpolation ultérieure », Nager
le défend. Le « Filioque » se trouve chez les Grecs postérieurs. S.
Épiphane l’emploie souvent et dans une forme si latine que Tixeront se demande s’il n’est pas sous la dépendance des Latins.
De même, on le trouve souvent équivalemment chez S. Cyrille d’Alexandrie
(Tixeront, 3, 198 sq.).
Synthèse. Le « Filioque » existe matériellement chez les Latins
depuis Tertullien. S. Augustin l’emploie formellement et le justifie par la
Bible et la spéculation. Les autres le suivent presque sans exception. Les
Grecs insistent davantage sur le Père comme source des autres Personnes et
préfèrent la formule « a Patre per Filium ». Ils mettent dans le
« per Filium » (δἰ υἱοῦ) quelque
chose de causal (αἰτία), mais ils pensent surtout à
une simple transmission de la substance reçue du Père. Les Antiochiens, Théodore de Mops. et Théodoret soutiennent
énergiquement cette conception contre S. Cyrille d’Alex. et estiment que s’en
écarter c’est commettre un blasphème (Tixeront, 3, 199). On peut affirmer que
S. Augustin tient compte de la pensée grecque en disant que le Saint‑Esprit procède « principaliter » du Père et qu’il n’y a pas deux principes, mais un
seul principe. Il est donc d’accord avec les Grecs pour
l’essentiel bien que sa méthode soit différente. La discussion sur le
« Filioque » était inconnue dans l’ancienne Église et ne commença
qu’avec Photius. Il est vrai que
depuis ce temps les Grecs rejettent le « Filioque » comme une hérésie
et enseignent la procession du Père seul. Ils défigurent le
« Filioque » en prétendant que, d’après les Latins, le Fils produit
le Saint‑Esprit d’une manière indépendante, bien que recevant tout du Père, et comme second principe. Au sujet de la violente opposition des deux points
de vue et de la médiocre tentative de conciliation des vieux catholiques qui,
pour réaliser une union avec le schisme, voulaient sacrifier le
« Filioque », cf. Palmieri dans le Dict. théol., 5, 773‑830 et 2309‑2343.
1. Explication spéculative de la Spiration. On se rappelle que, dans
la spéculation trinitaire psychologique de S.
Augustin, le troisième membre de son ternaire analogique est constitué par
la volonté et l’amour. Cet élément psychologique devait lui servir à expliquer la
procession, la relation et la propriété de la troisième Personne. Mais sa
tentative se heurtait à de grosses difficultés. Ces difficultés tenaient
d’abord au caractère de cette puissance de l’âme et ensuite au fait que S.
Augustin, par suite de toute sa construction trinitaire, avait à mettre le S.
Esprit en relation non seulement avec le Père, mais encore avec le Fils, s’il
ne voulait pas placer l’Esprit purement et simplement à côté du Fils sans
relation avec ce dernier. Il a lutté sincèrement et sérieusement avec ces
difficultés, mais il reconnaît lui‑même qu’il ne les a pas toutes surmontées. Il
sentait d’ailleurs partout et reconnaissait l’insuffisance de toute analogie.
Nous ne le suivrons pas dans toutes ses démarches psychologiques et nous ne
retiendrons que ce qui est ferme et durable et que nous retrouverons dans la
construction scolastique.
S. Augustin fait procéder le Fils
du Père, « per modum intellectus », par une opération intellectuelle
du Père, c.‑à‑d. par la connaissance que le Père a de lui‑même, dont l’expression et le terme immanent
est le Fils, sa génération (generatio) ou sa naissance (nativitas). Dans la
psychologie humaine la connaissance est suivie de la volonté ou de l’amour du
connu. L’un résulte nécessairement de l’autre (voluntas sequitur intellectum).
Et même, continue S. Augustin, quand la haine et l’antipathie résultent de la
connaissance, comme c’est souvent le cas parmi les hommes, ceci est encore, du
point de vue du sujet, de l’amour, car il veut et désire cette aversion, il y
trouve sa satisfaction et sa joie. Ainsi, d’après S. Augustin, tout acte de
connaissance est accompagné d’un amour correspondant pour le connu. Il applique
ensuite cela à Dieu. « Ce Verbe est conçu par amour, soit du Créateur,
soit de la créature » (Trin., 9, 7, 13). Naturellement, de même qu’il y a
une différence entre la créature et le Créateur, il y en a aussi une entre leur
amour ; cet amour dans la créature peut n’être que concupiscence, mais en
Dieu il est toujours amour pur. Or la connaissance est suivie de la
complaisance. Le Père accompagne donc la génération de son Fils de sa divine
complaisance et de son amour parfait. Il se réjouit de reconnaître dans son
Fils sa propre essence, son expression complètement adéquate. « Il aime le
Fils en tant que Dieu, parce qu’il l’a engendré semblable à lui » (In
Joa., 110, 5). Cet amour est la troisième Personne, le Saint‑Esprit. Il est l’unique et total amour divin, l’amour du Père pour le Fils, l’amour du Fils pour le Père. C’est l’amour mutuel entre les deux. « L’Esprit‑Saint est donc, quel qu’il soit, commun au Père et au Fils ». Quant à cette « communauté
de substance et éternelle, qu’on l’appelle amitié, si on juge l’expression
convenable ; mais celle de charité
vaut mieux » (Trin., 6, 5). Naturellement cette charité n’est pas un
accident, « l’amour du Père, qui est dans sa nature d’une ineffable
simplicité, n’est autre chose que sa nature même et sa substance » (Trin.,
15, 19, 37). « Comme l’amour par lequel le Père aime le Fils et le Fils
aime le Père montre l’ineffable communauté des deux Personnes, le terme amour
est celui qui convient le mieux pour désigner cette Personne qui est l’Esprit commun des deux autres »
(Trin., 15, 19, 37).
2. Dans cette spéculation, S.
Augustin pouvait invoquer l’Écriture, comme il l’avait fait auparavant pour la
procession du Fils. S. Paul n’a‑t‑il pas dit : « La charité a été répandue dans nos cœurs par le Saint‑Esprit qui nous a été donné » (Rom., 5, 5). Ainsi donc la
charité est dans une relation
particulière avec le Saint‑ Esprit, si bien qu’on peut dire « que le Saint‑Esprit est l’Amour » (In Joa. 9, 8). En faisant l’exégèse du verset parallèle 1 Jean., 4, 8, et de son contexte, S. Augustin déduit la conclusion que le Saint‑Esprit est Dieu = Caritas. Sans doute la déclaration
répétée : « Deus caritas
est » (1 Jean, 4, 8 et 1 Jean, 4, 16) crée une difficulté pour appeler
Amour l’Esprit‑Saint seul, comme précédemment pour appeler « Parole » le Fils seul. S. Augustin la résout en admettant, à côté du sens général d’amour
divin qu’a le mot « caritas », un autre sens particulier qui est
propre au Saint‑Esprit seul et a ainsi un caractère personnel. Le Saint‑Esprit n’est pas seulement l’amour de Dieu pour nous, mais encore l’amour divin immanent entre le
Père et le Fils.
3. Et ainsi il apparaît comme le lien (vinculum) entre le Père et le
Fils. C’est déjà ainsi que le désigne Marius Victorinus dans un hymne
trinitaire ; il l’appelle « connexio » et « complexio
duorum » [le lien des deux] (M. 8, 1146). S. Épiphane s’exprime de même : « Trinitatis nexus »
(σύνδεσμος τῆς
Τριάδος) [le lien de la Trinité] (M. 41,
1024). S. Augustin dit lui aussi
qu’il est, dans la divinité, le lien d’union et qu’en elle « tous trois
sont unis dans l’Esprit‑Saint » (De doctr. Christ., 1, 5, 5).
4. S. Augustin trouve encore une
troisième notion qui lui permet de déduire dialectiquement le caractère
essentiel du Saint‑Esprit : Le Saint‑Esprit est appelé ainsi, dans Jean, 7, 38 sq., où il est dit que des fleuves d’eau vive jailliront du sein de
ceux qui croient en lui : « En disant cela, il parlait de l’Esprit
Saint qu’allaient recevoir ceux qui croiraient en lui. En effet, il ne pouvait
y avoir l’Esprit, puisque Jésus n’avait pas encore été glorifié ». S. Paul
dit en parlant du Baptême : « Nous avons tous été abreuvés d’un seul
Esprit » (1 Cor., 12, 13). Or cette eau est un don de Dieu : Jésus en
effet l’appelle, dans son entretien avec la Samaritaine, « Don de
Dieu » (Jean, 4, 7‑14). Une autre fois l’Esprit apparaît, chez S. Paul, comme don de
Dieu (Éph., 4, 7 sq.). « A chacun d’entre nous la grâce été donnée selon
la mesure du don fait par le Christ ». Dans sa prédication de la
Pentecôte, S. Pierre promet aux croyants le « don de l’Esprit Saint »
(Act. Ap., 2, 38). Simon le Magicien croit pouvoir acquérir à un prix d’argent
le « don de l’Esprit Saint » (Act. Ap., 8, 20). Au moment du baptême
du centurion Corneille, on s’étonne que les païens eux‑mêmes aient reçu le don de Dieu (Act. Ap., 10,
45, de même 11, 17). Ainsi, en alléguant plusieurs passages, S.
Augustin montre que le Saint‑Esprit est désigné comme « don ». Il en conclut : « Le nom de don de Dieu n’est donné qu’au Saint‑Esprit » (Trin., 15, 17, 29). Ensuite, S.
Augustin élève son regard du « don », que Dieu confère aux fidèles dans l’économie du salut,
jusqu’à la Trinité et essaie de comprendre le Saint‑Esprit dans la Trinité même, comme « don ». Comme le Saint‑Esprit procède du Père et du Fils, « per modum amoris », il est par suite le « donum caritatis » que le Père fait au Fils et que le Fils
rend au Père « diligendo ». « De même le propre de l’Esprit‑Saint est qu’il procède du Père, et il est dit envoyé par le Père, lorsqu’il nous fait connaître celui dont il procède » (Trin., 4, 20, 29). Il obtient ainsi la
relation nécessaire entre le don et le donateur : « C’est donc
relativement aux deux premières personnes de la sainte Trinité que nous nommons
la troisième Don de Dieu, quoiqu’elle ne soit pas elle‑même étrangère à cette donation » (Trin., 5, 11). Le Saint‑Esprit est de toute éternité « don », il est coéternel
au Père et au Fils ; dans le temps, il est ensuite « don donné »
pour les hommes. Ceci n’est pas un « devenir » dans le sens d’un
changement, mais, comme l’explique la théologie postérieure, c’est seulement
une relation logique par rapport à l’homme favorisé de la grâce ; par
contre, du côté de l’homme, il y a une relation réelle fondée sur l’effet très
réel produit en lui.
S. Augustin laisse pendantes
beaucoup de questions qui se présentaient à lui, tant dans l’ensemble de sa
construction trinitaire que pour chaque membre de ses ternaires et leurs noms,
dans la mesure où il leur donne un sens hypostatique. Il s’en rend parfaitement
compte lui même et le dit, quand il parle de la valeur de connaissance des
analogies pour le mystère impénétrable.
5. S. Thomas traite de la procession du Saint‑Esprit principalement dans le Compendium,
45 sq., dans la Somme, 1, 36‑39, et dans le S. C. Gentes,
4, 15‑26. Il dit : « De même que l’objet connu est dans le sujet connaissant en
tant qu’il est connu, de même l’objet aimé est dans le sujet aimant en tant
qu’il est aimé. Le sujet aimant est en effet amené par l’objet aimé à une
certaine motion. Or comme l’objet qui meut entre en contact avec le sujet mu,
il est nécessaire que le sujet aimé soit intérieurement
dans le sujet aimant. Mais de même que Dieu se connaît lui‑même, il s’aime aussi lui‑même nécessairement. En effet le bien
connu est en soi aimable. Il s’ensuit donc que Dieu est en lui‑même comme l’objet aimé dans le sujet aimant » (Comp.,
45 ; cf. S. th., 1, 27, 1‑3 ; C. Gent, 4, 23). Cependant il faut
remarquer, d’après S. Thomas, que l’union spirituelle n’est pas la même dans l’amour que dans la connaissance ; dans la connaissance cette
union est une image de la chose
connue, dans l’amour l’unification se fait dans ce sens que « l’objet aimé
tire à soi le sujet aimant ; c’est pourquoi l’acte d’amour ne trouve pas
sa conclusion dans une image de l’objet aimé... mais bien plutôt dans ce fait
qu’il tire le sujet aimant vers
l’objet aimé. D’après l’Écriture, la troisième Personne s’appelle
« Spiritus » (souffle). Le sens de ce mot comporte une certaine
impulsion (impulsus) et une certaine motion. Nous appelons
« spiritus » le vent et le souffle. Mais c’est le propre de l’amour
de pousser et d’entraîner la volonté vers l’objet aimé (S. th., 1, 36, 1).
C’est pourquoi la troisième Personne s’appelle avec raison Esprit et que la foi confesse : « Je crois au Saint‑Esprit ». Cet Esprit est « Saint », parce qu’une chose est sainte par sa conformité au
bien, but qui met la volonté en mouvement. « Il faut donc nécessairement
que cet Amour par lequel le Souverain Bien s’aime lui‑même ait en lui une bonté tout à fait exceptionnelle que nous
caractérisons par le nom de sainteté ». « Il est tout à fait convenable que l’Esprit
par lequel l’amour nous est montré, par lequel Dieu s’aime lui‑même, soit appelé Saint. Aussi la règle de foi catholique appelle Saint cet
Esprit » (Comp., 47). S. Thomas affirme ensuite avec S. Augustin que
l’amour en Dieu n’est pas quelque chose d’accidentel, mais est identique avec
la substance divine. « De même que la pensée en Dieu est son être ainsi
aussi est son amour. Dieu donc ne s’aime pas lui‑même selon quelque chose survenant à son essence, mais selon son
essence » (Comp., 48). Par là se trouve exprimée l’éternité de la Procession, ainsi que sa nécessité. Ainsi le Saint‑Esprit est « réellement subsistant dans l’essence divine, comme le sont le
Père et le Fils » et par suite la foi exige qu’il soit « adoré et glorifié » en même temps
que le Père et le Fils.
Il reste encore un dernier point,
un point très difficile à examiner. L’Écriture dit du Saint‑Esprit : « Qui procède du Père » (Jean, 15, 26). S. Thomas savait que
les Grecs, dans leur polémique, entendaient ce texte au sens exclusif et
combattaient l’Église romaine qui, depuis le 8ème siècle, avait
introduit le « Filioque » dans sa liturgie. C’est pourquoi il établit
sa thèse conformément au symbole liturgique : Le Saint‑Esprit procède du Père et du Fils. Il l’explique en répétant d’abord : « Le
Fils procède du pouvoir de l’entendement et lui est immanent », en tant
que « Verbe ». Or l’objet aimé résulte « du pouvoir d’aimer de
l’amant et du bien aimable pensé en acte » (en tant que le bien est
réellement connu). « Le fait que l’objet aimé est dans le sujet aimant
provient donc d’une double source, c.‑à‑d. du principe aimant (le pouvoir
d’aimer) et de l’objet conçu intellectuellement, à savoir de la parole (la notion)
qu’on conçoit de l’objet aimable ». En appliquant ce raisonnement à
Dieu, S. Thomas continue : « En Dieu qui se connaît et s’aime lui‑même, la Parole est le Fils, mais
celui qui produit la Parole est le Père de la Parole, comme cela résulte clairement de ce qui a été dit précédemment ; par suite, « il est nécessaire que l’Esprit Saint, qui appartient à
l’amour selon que Dieu est en lui‑même comme l’aimé dans l’amant, procède du Père et du Fils ; d’où on dit dans le Symbole : procède
du Père et du Fils" (Comp., 49).
« Il tient son essence et
son être subsistant du Père et du Fils à la fois, et il procède éternellement
de l’un et de l’autre comme d’un seul
principe et d’une spiration unique ». C’est ainsi que le Concile de
Florence (1439), conformément au Concile de Lyon (1274), avait défini la
procession du Saint‑Esprit contre les Grecs. S. Thomas avait rédigé les travaux
préparatoires et S. Augustin avait déjà donné la formule : « à
l’égard de ce divin Esprit le Père et le Fils sont un seul et unique principe,
et non deux principes » (Trin., 5, 14). S. Thomas dit dans sa Somme (1, 36, 4) que le Père et le Fils
sont en tout une seule chose, pour
autant qu’il n’y a pas entre eux opposition de relation. Or une telle opposition n’existe que par rapport à la
génération, mais non par rapport à la spiration ; ainsi donc le Père et le
Fils sont un seul principe de ce Saint‑Esprit. Que faut‑il entendre par « un seul principe » ? On pourrait croire que ce terme
désigne ou une nature, ou une
propriété. Mais ni l’un ni l’autre sens ne paraît acceptable. En effet, dans le
premier cas, le Saint‑Esprit qui a la même nature que le Père et le Fils procéderait de lui‑même, ce qui serait contradictoire.
Le second sens est également inacceptable. En effet, ou bien cette propriété serait une propriété personnelle, alors le Père et le Fils
seraient, par rapport à la spiration, une seule Personne, ce qui est encore contradictoire (deux suppôts ne peuvent
avoir la même propriété). Il en
résulterait aussi que le Père serait deux principes, un par rapport au Fils et
un autre par rapport au Saint‑Esprit ; ou bien on peut encore penser à une propriété de la nature,
mais là encore, le Saint‑Esprit procéderait de lui‑même. Par conséquent, le principe unique que
constituent le Père et le Fils dans la spiration
du Saint‑Esprit ne doit pas être considéré : 1°
Comme l’union de leur personnalité (union morale, double principe) ; 2° Ni
comme la nature divine en tant que telle ;
3° Mais comme la nature divine, en tant que possédée en commun par le Père et le Fils, pour la communiquer au Saint‑Esprit par un seul acte commun de spiration. Ainsi le Père est le principe du Fils, c.‑à‑d. la nature divine, en tant qu’elle est la nature du Père, est le principe du Fils, « per modum generationis ». Et la même nature, en tant qu’elle est possédée communément par le Père et le Fils, est le
principe du Saint‑Esprit, « per modum processionis ». Il y a donc deux Personnes
spirantes (« duo spiratores » ou mieux spirantes, on n’emploie que l’adjectif au pluriel à cause de la pluralité des Personnes et non le
substantif à cause de l’unité de l’essence), et une seule spiration
(« unica spiratio », à causa de l’unité de la « virtus
spirativa »), et par suite un seul terme de cette spiration : Le
Saint‑Esprit (Denz., 460, 1084).
D. Petau rapporte sur ce sujet difficile dix opinions différentes (7, 13).
N’est dogme strict que la Procession (processio) et non la Spiration
(spiratio) ; cependant ce dernier terme se rencontre souvent dans les
documents ecclésiastiques (Lugd., 2 ; par une seule et unique
spiration ; Denz., 460 ; cf. 1084).
Est‑ce le Fils ou le Saint‑Esprit qui est la Personne intermédiaire (medius, μέσος) ? D’après l’ordre
logique interne des « Processions », ainsi que d’après l’ordre
extérieur ordinaire de la désignation dogmatique, c’est le Fils qui est la
seconde Personne. Cependant on conçoit parfois le Saint‑Esprit comme la Personne intermédiaire et cela quand on l’entend comme le lien (copula) et
le don (donum) de l’amour divin. (Épiphane, Grégoire de Naz., Jean Damasc.). S. Thomas dit au sujet de la
situation intermédiaire du
Fils : « Mais comme dans la spiration le Père et le Fils sont deux
agents de spiration, selon qu’Ils sont un dans la puissance de spiration, nous
pouvons parler de l’acte de spiration par rapport aux agents eux‑mêmes ou par rapport au principe de spiration comme à la puissance d’où vient la spiration. Mais
si nous considérons le principe lui‑même, à savoir la puissance de spiration, puisqu’en cela le Père et le
Fils ne se distinguent pas, on ne peut dire que la spiration vient du Père par l’intermédiaire du Fils. Mais si
nous considérons ceux‑là même qui posent cette opération et qui sont distincts, et qui en cela fournissent un suppôt à la
spiration, alors il y a là une médiation
selon qu’il y a là un ordre de nature :
car le Fils vient du Père et l’Esprit‑Saint vient simultanément du Père et du Fils. C’est pourquoi Richard dit (5 De la
Trinité, ch. 6 et
7) que la génération dans les
Personnes divines vient immédiatement du Père, mais que la procession de l’Esprit‑Saint est en un sens médiate et en un autre sens immédiate. Elle est immédiate quant à la
puissance de spiration qui est une
seule spiration du Père et du Fils et aussi quant au suppôt même du Père qui est immédiatement le principe de la
procession car c’est Lui et le Fils qui posent simultanément cette opération.
Mais elle est médiate en tant que le Fils, qui pose cette opération, vient du
Père (Commentaire des Sentences, Livre 1, d. 12, q. 1, a. 3 ; cf. S. th., 1,
36, 4).
Une
union est‑elle possible entre la doctrine
grecque de la Trinité et la doctrine latine ? Quand on lit dans Palmieri la
polémique récente, on serait tenté de répondre négativement. Mais quand on lit
les remarques sensées et pénétrantes des théologiens grecs au Concile de
Florence, on doit répondre affirmativement. C’est du reste ce que font les
Grecs uniates auxquels d’ailleurs l’Église n’a pas imposé la formule latine (Filioque)
tout en exigeant d’eux qu’ils professent le dogme. Loofs lui‑même pense qu’avec de la bonne volonté une union aurait été
possible, car la formule « par le Fils » ne manque pas de fondement
dans la Tradition, bien qu’elle commence à disparaître chez S. Jean Damascène.
On trouve cependant, chez ce dernier théologien classique des Grecs, à maintes
reprises, le « per Filium » ‑ la critique qu’exerce S. Thomas à son égard repose sur une connaissance
insuffisante de ses écrits et de ses habitudes de langage ‑ et quand il écrit : « L’Esprit n’est pas du Fils » (M. 95, 420 D ; 96, 605 B), il l’entend simplement dans le sens de
source, de principe (αἰτία) comme l’expliqua
Bessarion, et non dans le sens de cause commune et il veut, avant tout,
sauvegarder le caractère de source du Père. Il est vrai que les partis
s’affrontaient violemment. Roland (Alexandre III) écrit vers 1150 :
« Istas nostras auctoritates
Græci non admittunt sicut et nos e converso illorum
auctoritates, in hac parte non recipimus » (Gietl, 36). Et pourtant
les uns et les autres auraient pu interpréter les auteurs du parti opposé dans
leur sens, c.‑à‑d. dans un sens commun. La
formule de S. Augustin, avec l’expression « principaliter a Patre procedit », respectait la pensée grecque, et les Pères grecs avec leur δἰ υἱοῦ ont sûrement voulu exprimer une
certaine relation « causale » du Fils par rapport au Saint‑Esprit, comme Bessarion et sa
suite l’exposèrent à Florence, ainsi que le démontrent aussi objectivement la
comparaison courante chez les Grecs des trois flambeaux et leur expression : lumière de lumière. En effet, chacun des
flambeaux s’allume au flambeau précédent. Les Latins donnent une autre tournure
à cette pensée et disent : Le Fils reçoit
du Père avec sa nature la puissance de spiration et « souffle » le
Saint‑Esprit en même temps que le Père : « Un principe, une unique spiration ».
On doit ici, dit S. Thomas,
distinguer la nature et la Personne ; par rapport à la nature, la
spiration par le Père et le Fils est immédiate, parce qu’elle se fait en vertu
d’une seule puissance (de spiration). Par rapport à la Personne, elle est de la
part du Père immédiate et
médiate ; de la part du Fils elle est immédiate. « La procession de
l’Esprit‑Saint est en un sens médiate et en un autre sens immédiate.
Elle est immédiate quant à la puissance
de spiration qui est une seule spiration du Père et du Fils et aussi quant
au suppôt même du Père qui est
immédiatement le principe de la procession car c’est Lui et le Fils qui posent simultanément cette opération. Mais elle
est médiate en tant que le Fils, qui
pose cette opération, vient du Père » (Sent., 1. d. 12, a. 1, q. 3).
Ainsi, même dans l’explication latine, le caractère du Père en tant que source
(πηγή, ρίζα, ἀρχή,
αἰτία) reste sauvegardé. S. Bonaventure dit :
« Dicendum quod Spiritus Sanctus dicitur procedere a Patre principaliter
(S. Augustin) et per se : principaliter quia auctoritas est in
Patre ; per se, quia non tantum mediante Filio sed etiam
immediate » (Sent., 1, d. 12, a. 1,
q. 3). En plus le Scholion dans l’édition de Quaracchi.
Transition. On peut considérer les Personnes dans leur rapport entre elles,
d’où le concept de relation ;
par rapport à notre connaissance, d’où le concept de notion, et par rapport au monde, d’où le concept de mission et d’appropriation.
A consulter : S. Thomas, De potentia, q. 8, a. 8
sq. ; S. th., 1, 28, 1 sq. ; De verit., 4, 5. Doctrine des
Pères : Petau, 3, 18 sq. Régnon, Le mystère de la T. S. Trinit.,
331 sq., plus les auteurs cités plus haut.
Thèse. Par suite du fait que la seconde Personne procède réellement et
éternellement de la première et que la troisième procède aussi réellement et
éternellement des deux autres, il y a également des relations réelles
(relationes reales) entre ces deux membres respectifs ; il y a donc quatre
relations de ce genre.
Notion. La notion de relation (σχέσις,
relatio), a été empruntée par la théologie grecque du 4ème siècle à
la théorie des catégories d’Aristote. Aristote définit la relation τὁ
πρός τι, « ad aliquid » ou simplement
« ad ». « Relatio est ordo seu habitudo unius ad alterum ».
Il faut distinguer : 1° Ce qui est en relation avec un autre
(subjectum) ; 2° A quoi la
relation aboutit (terminus) ; 3° Le fondement
de la relation ; 4° La relation elle‑même. Quand on envisage les deux membres seuls,
on appelle appelle l’un « terminus a quo » et l’autre « terminus ad quem ». Le développement de la théorie des relations dans la
Trinité est l’œuvre des Cappadociens et de S. Jean Damascène chez les
Grecs ; de S. Augustin et de son disciple S. Fulgence, ainsi que de Boëce
et de S. Anselme, chez les Latins. A ces derniers se joignirent plus tard les
théologiens de la haute Scolastique.
Il résulte pour la Trinité les
quatre relations suivantes :
1. Paternitas seu generatio
activa : Pater generans.
2. Filiatio seu generatio
passiva : Filius unigenitus.
3. Spiratio activa : Pater
Filiusque spirans.
4. Spiratio passiva (sive
processio) : Spiritus Sanctus procedens.
L’existence des Relations est indéniable, bien qu’elle ne soit pas
définie (Denz., 703, A. 2). Le Concile de Florence a emprunté à S. Anselme la phrase : « Tout
est un (en eux) là où l’on ne rencontre pas l’opposition de relation » (De
proc. Spir. Sancti, 2, et Boëce : « Sola relatio multiplicat
Trinitatem » ; De Trin., l). Il n’aurait pas dû être difficile
d’amener les Grecs à souscrire à cette thèse ; car les Cappadociens ont
développé la théorie de la σχέσις même avant S.
Augustin. C’est pourquoi Bessarion
dit : « Quod personalia nomina Trinitatis relativa sunt, nullus
ignorat » (Hardouin, 9, 339 ; Denz., 703, A. 2). Le Concile enseigne,
dans la même phrase, l’existence des Relations dans la Trinité et leur
importance constitutive pour les personnes. Le 11ème Concile de
Tolède (675) dit déjà : « Dans les relations des personnes, le nombre
apparaît ; dans la substance de la divinité, on ne peut saisir quelque
chose qu’on puisse dénombrer. Il y a donc indication de nombre uniquement dans
les rapports qu’elles ont entre elles, mais il n’y a pas pour elles de nombre,
en tant qu’elles sont référées à elles‑mêmes » (Denz., 280). Le Concile pouvait s’appuyer sur les Pères
grecs comme sur les Pères latins de l’époque postnicéenne. S. Augustin : « Ces désignations (les trois noms divins)
marquent les rapports entre les personnes, et non pas la substance par laquelle
les trois personnes ne font qu’un seul Dieu. Car l’idée de père comprend l’idée
de fils, et l’idée de fils celle de père, et quand nous disons esprit, nous
avons l’idée de celui qui souffle, et celui qui souffle l’esprit (Ep.
238 , 2, n. 14 ; cf. Civ., 11, 10 ; Trin., 5, 4‑6). Déjà S. Hilaire qui subit l’influence des Grecs écrit :
« Invicem autem sunt cum unus ex uno est » (De Trin., 7, 32). S. Basile dit : « Celui qui
parle du Fils pense au Père, car cette expression, en tant que relative,
indique en même temps le Père » (Ep. 38, 7). Or ces relations et les
propriétés personnelles qui en résultent sont « des signes par lesquels
est constituée l’existence individuelle des Personnes
(πρόσωρα) » (Ep. 38, 7). On trouve
déjà, comme le montre Nager, la
substance de la proposition de S. Anselme : « tout est un (en
eux) », etc. dans S. Basile (cf.
Eunom., 1, 19). S. Grégoire de Naz.
écrit : « Père n’est pas un nom d’essence, vous qui vous croyez si
prudents, ni un nom d’énergie, mais de
relation (σχἐσις) indiquant le rapport du
Père au Fils et du Fils au Père » (Or., 29, 16 : M. 36, 96 ; cf.
Or., 31, 8 ; 39, 12). S. Cyrille
d’Alex. dit que les relations se correspondent et s’expliquent mutuellement
comme droite et gauche. Il en est de même dans la Trinité : « Le nom
de Père est un nom relatif, comme aussi celui de Fils… celui (par conséquent)
qui nie le Fils n’a pas non plus le Père » (De Trin., 4 : M. 75,
868). S. Jean Damasc. :
« Tous les noms en Dieu sont identiques, sauf les noms personnels ;
ceux‑ci ne désignent pas l’essence, mais la relation
réciproque et, pour ainsi dire, le mode d’existence » (ό τῆς
ὑπάρξεως
τρόπος ; De fide orth., 1, 10). ‑ Ces témoignages prouvent que la doctrine des Relations se trouve
nettement dans la Tradition. Il nous faut maintenant répondre à deux questions : Quel est le rôle des relations par rapport
aux personnes ? Quel est leur rôle par rapport à l’essence ?
1 . Les Relations constituent et distinguent les Personnes. Le dogme
nous indique qu’il y a en Dieu deux Processions ; chacune de ces
Processions est le fondement d’une relation réelle entre le
« principium » et le « principiatum ». Pour préciser, il y
a d’abord une relation entre le Père et le Fils. Le Père est « principium
(terminus a quo), le Fils « principiatum » (terminus ad quem) ;
le fondement réel (fundamentum) de la relation est la génération (generatio
activa). Les noms de cette relation sont paternité et filiation et, comme il
n’y a pas en Dieu de propriétés abstraites, le Père (Pater generans) et le Fils
(Filius genitus). Or le Père donne au Fils par génération toute l’essence, la
même essence, et cependant le dogme nous dit qu’ils sont distincts. La distinction
ne peut être conçue que comme « opposition de relation », car, dans
tout le reste, ils sont complètement identiques. « Puisque tout ce qui est
du Père, le Père lui‑même l’a donné à son Fils unique en l’engendrant, sauf le fait
d’être Père » (Florent. ; Denz., 691). Il faut en dire autant,
« servatis servandis », du Saint‑Esprit.
Ainsi le Père n’a pas son Être
pour soi, sa personnalité d’une manière absolue, sans relation, avant le
Fils ; mais il l’a d’une manière relative, en relation avec le Fils. La
paternité est sa propriété personnelle (proprietas personalis, ἰδιότής) ;
elle le distingue du Fils et le fait lui‑même Père. La paternité est le fondement en
vertu duquel il possède, d’une manière propre, incommunicable, la nature divine
commune aux trois Personnes. Ceci constitue la personnalité du Père, son
individualité immédiate, par opposition au Fils, et réciproquement la relation
réelle, résultant de la génération passive, constitue la personnalité de la
seconde Personne par rapport à la première. Le Fils possède la même nature que
le Père, seulement le fondement de la possession est autre ; il possède la
nature en tant que reçue par génération ; ceci constitue sa propriété
personnelle, la filiation.
L’explication est un peu plus
difficile quand il s’agit de la troisième Personne. Là encore il résulte deux
membres de relation, de la Procession par spiration. D’un côté il y a le Père
et le Fils comme principe unique de
spiration, et de l’autre le Saint‑Esprit comme « Persona spirata ou procedens » ; la spiration passive est sa
propriété personnelle, laquelle constitue sa
personnalité et le distingue des deux autres
Personnes. Le Saint‑Esprit lui aussi est une Personne
constituée par relation et qui existe par
son opposition au principe unique de
spiration. Mais, d’un autre côté, la spiration active constitue sans doute une
propriété personnelle du Père et du Fils, ainsi que l’opposition qu’on vient de
signaler avec la troisième personne, mais elle ne constitue pas une
personnalité propre, une quatrième Personne. La preuve concluante de cette
affirmation, c’est le dogme de la
Sainte Trinité. Par suite, la spéculation en arrive à cette conclusion que le
principe actif de spiration doit être impersonnel ;
il manque en effet la « relationis oppositio » entre ce principe
d’une part et le Père et le Fils d’autre part ; cette opposition n’existe
qu’entre le principe et le Saint‑Esprit. Si nous appliquons ici la
proposition de S. Anselme, cette opposition de relation existe : 1° Entre « paternitas » et « filiatio » ; 2° Entre « spiratio activa » et « sp. Passiva » ; elle n’existe pas entre « paternitas » et « spiratio
activa », pas plus qu’entre « filiatio » et « spiratio
activa ». En d’autres termes, « le principium generativum » et
le « pr. spirativum » ne s’excluent pas ; la génération passive
et l’acte substantiel d’amour de la spiration ne s’opposent pas. Il ne reste
donc comme membres de relation constituant la personnalité que : « paternitas,
filiatio et spiratio passiva ».
Synthèse. 1° La Paternité, qui est objectivement identique à la Spiration
active dans le Père et s’oppose à la Filiation et à la Spiration passive,
constitue la Personne du Père ; 2° La Filiation qui est objectivement
identique à la Spiration active dans le Fils et s’oppose à la Paternité ainsi
qu’à la Spiration passive, constitue la Personne du Fils ; 3° La Spiration
passive, qui s’oppose à la Spiration active et par là à la Paternité et à la
Filiation, constitue la Personne du Saint‑Esprit.
2. Les Relations et l’essence. Les Relations, bien que réellement
distinctes entre elles, sont cependant réellement identiques à l’essence dont
elles ne se distinguent que virtuellement. De même, elles sont identiques entre
elles quand elles ne sont pas opposées, comme le sont aussi les attributs
divins absolus (§ 25).
Comme on l’a exposé plus haut,
elles sont, quand elles sont opposées, réellement distinctes entre elles, comme
le sont les trois Personnes qu’elles constituent. Le nier serait tomber dans
l’hérésie sabellienne. Elles sont objectivement identiques à l’essence divine,
et c’est pourquoi elles s’appellent relations substantielles ou encore réelles
(relationes reales). Les relations d’ordinaire sont des accidents d’une entité
faible, mais en Dieu il n’y a pas d’accidents, il n’y a que la plénitude de
l’Être (ipsum esse). Ces relations ne sont donc pas des propriétés
accidentelles, encore moins des relations purement
logiques. Les relations ne doivent pas être considérées comme des
accidents, tels qu’on en trouve dans les créatures, dans lesquelles ils sont
inhérents comme dans leur sujet ; les relations trinitaires n’ont pas de
sujet dans lequel elles soient inhérentes, mais elles existent comme relations subsistantes. Elles sont objectivement
identiques à l’essence, tout en étant réellement distinctes entre elles. 11ème
Concile de Tolède : « Quand on parle des trois personnes en
considérant les relations, on croit
cependant qu’ils sont une seule nature ou substance... Dans les relations des
personnes, le nombre apparaît ;
dans la substance de la divinité, on ne peut saisir quelque chose qu’on puisse
dénombrer » (Denz., 278, 280). Gilbert de la Porrée contesta l’identité
objective des relations avec l’essence et admit entre les deux une distinction
réelle : d’après lui, le Père est Dieu en raison de l’essence qui serait
réellement distincte de lui, comme s’il pouvait y avoir en Dieu une composition
réelle (§ 29). Cela serait une quaternité et non une Trinité, dit S. Bernard (De
cons., 5, 7 sq.). « Il y a en Dieu seulement Trinité et non pas
quaternité, parce que chacune des trois personnes est cette réalité, c’est‑à‑dire la substance, l’essence et la nature divine » (Denz., 432). Il est vrai qu’une
Personne tient son origine d’une autre, mais ce n’est pas la substance qui est
« generans » ou « generata », « spirans » ou
« spirata » (Denz., 432), elle subsiste dans une unité absolue, dans
une simplicité absolue et une identité absolue avec elle‑même dans les trois Personnes : « Un seul Dieu est Trinité ». On élève une objection :
Si les Relations sont identiques à l’essence, elles doivent être aussi
identiques entre elles. On y répondra plus loin (p. 252 sq.). L’unique Être
divin est, par conséquent, absolu et relatif : absolu en soi en tant
qu’essence une et absolue ; relatif, c.‑à‑d. comportant des relations, en tant qu’il subsiste dans le Père, le Fils et le Saint‑Esprit (Cf. S. th., 1, 28, 2 et 3 ; C. Gent., 4, 14 ; De pot., 8, 2).
A consulter : S. Thomas, S. th., 1, 32, 2‑4. Janssens, De Deo
trino. Petaus, De Deo, 1, 7.
1. Les Relations qui constituent
et distinguent les Personnes peuvent être également considérées comme des caractéristiques et des notes qui nous permettent de connaître
les Personnes et alors on les appelle Notions (notiones, ἔννοιαι,
γνωρίσματα). « On appelle
notion la raison propre qui nous fait connaître chacune des personnes
divines » (S. th., 1, 32, 3 ; cf. a. 2 in Comp. th. 59). Comme les
Personnes se distinguent par leur origine, on compte d’après le « terminus
a quo » et le « t. ad quem », ou bien d’après le principe a quo alius et qui ab alio, cinq
Notions : la Paternité et l’absence d’origine (innascibilitas, ἀγεννησἰα
= qui a nullo) pour la première
Personne ; la Filiation (qui a Patre) pour la seconde ; la Spiration active (sp. activa communis = a qua
Spiritus Sanctus) pour la première et
la seconde ; la Spiration
passive (sp. passiva = qui a Patre Filioque) pour la troisième.
D’après ce que nous avons dit, on
comprendra facilement la distinction des Notions en notions qui constituent
activement la Personne et notions simplement personnelles :
« notiones personificæ » ou « constituentes » (ἰδιώματα
ὑποστατιϰά) et
« notiones personarum » (ἰδιώματα
διαϰριτιϰά). Sont des
notions constitutives, la Paternité, la Filiation et la Spiration passive. Sont
des notions purement personnelles, l’Innascibilité et la Spiration active. On
comprend aussi facilement la distinction entre « notiones relativæ »
(ἰδιώμασα
σχετιϰά), identiques aux relations et
« pura notio relationis expers » (ἰδιώμα
συστατιϰόν), l’ἀγεννησἰα
ou « innascibilitas ».
2. Les propriétés personnelles (proprietates personales, ἰδιώματα
ὑποστατιϰά) sont les
Notions, en tant qu’elles sont considérées comme étant chacune la marque
distinctive dans les Personnes. Au sens strict
(la terminologie n’est pas fixe), il ne peut y en avoir que trois : la
Paternité, la Filiation et la Spiration passive. Elles sont précisément
constitutives de la Personne (prop. Personificæ) ; les deux autres sont
des propriétés simplement
personnelles (prop. personales). La notion de Spiration active peut à peine
être considérée comme une propriété, car elle n’est pas propre à une Personne. Au
sujet des trois propriétés proprement dites, le Later. IV dit :
« Cette sainte Trinité, indivise selon son essence commune et distincte
selon les propriétés des personnes ».
3. Actes notionnels et actes essentiels en Dieu. Dieu est l’acte pur.
Néanmoins, la distinction des Personnes, fondée sur les Processions distinctes,
demande également une distinction entre les actes qui sont à la base de ces
Processions et les actes essentiels communs aux trois Personnes. « Chacune
des trois personnes est cette réalité, c’est‑à‑dire la substance, l’essence et la nature divine. Elle seule est le principe de toutes
choses, en dehors duquel aucun autre principe ne peut être trouvé. Et cette
réalité n’engendre pas, n’est pas engendrée et ne procède pas, mais c’est le
Père qui engendre, le Fils qui est engendré et le Saint‑Esprit qui procède, en sorte qu’il y a distinction dans les personnes et unité dans la nature » (Denz.,
432). Nous trouvons ici la distinction entre les actes personnels ou notionnels
et les actes essentiels.
Les actes notionnels sont
objectivement identiques aux propriétés personnelles qui reposent sur ces
actes. D’après ce que nous avons dit plus haut, on doit considérer comme actes
notionnels et, par conséquent, distincts des actes essentiels communs aux trois
Personnes, la connaissance de soi qui est propre au Père en tant qu’acte de
génération, ainsi que l’Amour commun au Père et au Fils en tant qu’acte de
Spiration. Cette distinction apparaît clairement dans les points suivants.
Les actes essentiels (actus essentiales).
1° Le principe (pr. quo) est la nature divine ; 2° Le terme (t. ad
quam) se trouve en dehors de Dieu
(création) ; 3° Le sujet (pr. quod) ce sont les trois Personnes en commun (actiones Dei ad extra sunt
indivisæ). Les actes essentiels sont formellement immanents, virtuellement transitoires
(transeuntes) ; affirmer qu’ils sont aussi formellement transitoires
serait professer le panthéisme.
Les actes personnels (actus personales, notionales).
1° Le principe (pr. quo) est la
nature divine en tant qu’elle est
possédée à un titre particulier ; 2° Le terme (t. ad quam) est immanent,
se trouve en Dieu (Fils, Esprit) ; 3° Le sujet (pr. quod) est uniquement le Père et, par rapport au
Saint‑Esprit, le Père et le Fils. Les actes personnels sont
incommunicables (le Saint‑Esprit n’accomplit aucun acte immanent
personnel). La nature de ces actes
notionnels doit être conçue, en dépit du mot « procession » qui
indique un mouvement, comme une
attitude éternelle, égale et calme, de la Personne qui procède par rapport à
son principe. Avant tout, il faut écarter toute séparation, ou toute division,
comme on le verra plus clairement dans la doctrine de la circuminsession.
Synthèse. D’après la terminologie ecclésiastique et théologique, qui, sans
avoir toujours un caractère strictement dogmatique, ne laisse pas de
représenter une tradition vénérable et d’être d’une grande utilité pour
l’explication des mystères, on peut dresser le tableau synoptique
suivant :
1. Un seul Dieu, un seul Être
divin et un seul acte d’essence.
2. Deux Processions et deux actes
notionnels.
3. Trois Personnes, trois
relations opposées, trois propriétés personnelles.
4. Quatre relations réelles.
5. Cinq notions. Quelques
théologiens élargissent encore le domaine des Notions en réservant pour la première Personne ces noms :
« Principium », « Pater »,
« Innascibilitas » ; pour la seconde :
« Filius », « Verbum », « Imago » ; pour la troisième : « Spiritus »,
« Sanctus », « Donum », « Amor »
Transition. Pour conclure, la doctrine de la Trinité doit se ramener à
l’unité. L’unité est pour nous la
vérité primaire, la Trinité la vérité secondaire. Mais, comme nous avons traité
de l’unité dans la théodicée, il suffira d’examiner ici l’unité d’action et la
circumincession.
1. La notion de mission divine contient un double élément : la procession éternelle d’une Personne
d’une autre et une activité temporelle
d’une Personne qui procède, dans le monde. Le premier élément est fondamental.
Il indique que la Personne envoyée procède
de l’Être de l’autre et, en tant que telle, est dans une relation permanente de dépendance envers celle
qui l’envoie. Le second élément est en quelque sorte la continuation de cette procession éternelle. Il inclut une nouvelle présence en un lieu et, comme
Dieu est présent partout, cette présence ne peut être entendue que comme une
nouvelle activité (« La mission
implique une procession éternelle et
y ajoute un effet temporel » :
S. th., 1, 43, 2 ad 3). Dans le premier sens, la mission est donc éternelle, immanente, nécessaire :
dans le second sens, temporelle,
transitoire (transiens), libre.
Les Pères traitent souvent de la mission du Fils et du Saint‑Esprit, en particulier les Pères grecs. Ils y voient une continuation du
mouvement commencé avec les processions éternelles, sans confondre, bien
entendu, missions et processions ; les processions en effet sont
éternelles et nécessaires, les missions, temporelles et libres. S. Grégoire le G. : « On dit
du Fils qu’il est envoyé par le Père en ce qu’il est engendré par le Père… La
« mission » [du Saint‑Esprit] [missio : le fait d’être envoyé] est la procession en vertu de
laquelle il procède du Père et du Fils » (In Evang. hom., 26, 2 : M. 76, 1198). Les théologiens
affirment ensuite que la mission doit s’entendre conformément à l’égalité
parfaite des Personnes ; on ne doit pas l’entendre dans le sens d’une
relation d’autorité d’une Personne
envers une autre ou bien d’un ordre,
d’une charge de la part d’un
supérieur, mais simplement comme procession éternelle avec une efficacité
temporelle dans les créatures, ce qui sauvegarde l’égalité comme dans la
procession éternelle elle‑même (Cf. S. th., 1, 43).
De la notion de mission résultent
les vérités suivantes, lesquelles au reste sont attestées positivement par
l’Écriture : 1° Sont envoyés
seulement le Fils et le Saint‑Esprit, mais non le Père. Il est dit du Père qu’il vient indépendamment vers l’homme, « venire ad hominem » (Jean, 14, 23) ; 2° Ne peuvent envoyer que le Père et le Fils et non le
Saint‑Esprit ; 3° Aucune Personne ne peut s’envoyer elle‑même (Jean, 8, 42). Pour ce qui est du second point, on peut dire que
le Fils, en tant qu’Homme, a aussi
été envoyé par le Saint‑Esprit, parce que celui‑ci, en union avec le Père et le Fils dans l’unité de la Trinité, a opéré l’Incarnation. C’est pourquoi l’Écriture nous montre l’Homme‑Dieu lui‑même sous la conduite du Saint‑Esprit (Math., 4, 1 ; Marc, 1, 12 ; Luc, 4, 1, 18‑21). Par contre, en tant que Dieu,
il est envoyé par le Père seul. Ainsi dans S. Jean (3, 16‑17 ; 6, 58 ; 8, 16). Le Saint‑Esprit est envoyé par le Père (Jean, 14, 26) ainsi que par le Fils (Jean, 15, 26 ; 16, 7). De ce que nous venons
de dire résulte l’importance de la notion de mission, pour la doctrine de la Trinité qu’elle
exprime de nouveau, pour ainsi dire, dans un seul mot, ainsi que pour la
doctrine de la Rédemption et du salut.
2. Mission visible et mission invisible. La mission visible (missio externa sive visibilis) se manifeste
extérieurement. Elle s’opère par l’union de la Personne divine invisible et
d’une forme sensible. Cette union s’est faite d’une manière substantielle par l’Incarnation du Logos
qui a pris une nature humaine subsistante d’une manière permanente dans sa
Personne (missio substantialis). C’est la mission
la plus parfaite. Dans la mission du Saint‑Esprit au jour de la Pentecôte, l’union avec les langues de feu était seulement accidentelle, transitoire (missio
repræsentativa). De même aussi pour l’apparition du Saint‑Esprit sous forme de colombe au Baptême de Jésus, de même aussi pour les théophanies de l’Ancien Testament, s’il ne faut pas y voir des
angelophanies.
La mission invisible (m. interna seu invisibilis) s’opère sans
apparition sensible comme un effet purement spirituel.
C’est ainsi qu’elle s’opère dans les hommes (et les anges) pour les sanctifier
et en faire les temples de Dieu.
3. Le but de la mission est purement surnaturel (m. secundum gratiam).
La création et le gouvernement du monde ne demandent pas de mission. Comme la
sanctification ne s’opère que par la grâce sanctifiante, cette mission ne
s’opère que par la communication de cette grâce et par l’infusion de la charité
parfaite. L’habitation du Saint‑Esprit dans l’âme du justifié est
liée à la présence de la grâce et de la charité parfaite.
4. Les appropriations sont en connexion avec les missions. Toutes les actions
extérieures de Dieu, nous enseigne l’Église avec S. Augustin, sont communes aux
trois Personnes (unum universorum principium). Néanmoins, dans les symboles et
les liturgies, certains noms, attributs et activités sont attribués à une
Personne particulière. « Approprier, ce n’est pas autre chose qu’attirer
le commun vers le propre » (S.
Thomas, De veritate, 7, 3). Le but
des appropriations est de caractériser, de la manière la plus claire pour nous,
chacune des Personnes dans ses propriétés personnelles. En effet, certains
attributs de l’essence ont une
parenté et une ressemblance avec les propriétés des Personnes et, par conséquent, sont de nature à éclairer et à nous
faire comprendre ces dernières. C’est de ce but que résultent les deux règles à
suivre dans l’appropriation. Elle ne doit pas être arbitraire ni exclusive
en écartant formellement les autres Personnes.
Elle ne doit pas être arbitraire, mais doit avoir un motif raisonnable. Ce motif
doit toujours être cherché dans le caractère particulier de la Personne, dans
sa propriété. Ainsi par ex. : la Toute‑Puissance a une certaine
similitude avec la Paternité, en tant que cette Paternité est le principe des
deux autres Personnes ; la Sagesse a une certaine parenté avec le
Logos ; la Bonté avec le Saint‑Esprit, l’amour divin personnel. Il est
vrai que les attributs de l’essence, appartenant d’une manière absolument égale aux trois Personnes, il en résulte une
certaine variation dans l’appropriation. Ainsi, dans l’Écriture et dans la
doctrine des Pères, les mêmes attributs ne sont pas toujours appropriés aux
mêmes Personnes. Néanmoins l’appropriation ne doit pas se faire d’une manière
arbitraire ; autrement elle manquerait complètement son but, qui est de
caractériser d’une manière plus claire chacune des Personnes.
L’appropriation ne doit pas être exclusive. Étant donné en effet
qu’elle se rapporte aux attributs de l’essence, en excluant les autres
Personnes, on blesserait le dogme de l’unité dans la Trinité. Il faut donc se
garder de faire, des appropriations, des propriétés
et d’identifier appropriations et propriétés. C’est dans un sens exclusif et
par conséquent faux qu’Abélard et ses disciples (Roland, etc.) attribuaient au
Père la Puissance (potentia), au Fils la Sagesse (sapientia) et au Saint‑Esprit la Bonté (bonitas), et considéraient ces noms comme des déterminations de l’essence, des propriétés constitutives de la Personne. Cette
conception était sabellienne, ou tout au moins excessivement confuse, car ces
attributs sont des attributs de l’essence.
Les appropriations peuvent se ramener à quatre classes :
1. Les noms substantiels de Dieu ont été, d’une manière à peu près
constante, répartis de la manière suivante : On attribue de préférence au
Père le nom de Dieu (Deus,
θεός), au Fils le nom de Seigneur (Dominus, ϰύριος), au Saint‑Esprit le nom d’Esprit (Spiritus, πνεῦμα).
Ces noms sont également attribués indistinctement aux trois Personnes.
2. Les attributs de l’Être et de l’action sont souvent attribués
d’après l’origine éternelle de chacune des Personnes. Le Père est le Principe sans origine, l’Être, l’Éternité, l’Unité, la
Puissance. Le Fils est la Parole,
l’image du Père, la Splendeur, la Vérité, la Beauté, l’Égalité, la Sagesse. Le Saint‑Esprit est entre les deux le Lien et le
Gage ; pour nous, le Don, la Bonté, la Grâce, les Délices.
3. Les actes divins à l’extérieur sont propres aux trois Personnes.
Cependant la causalité en est répartie ainsi entre les trois Personnes. On
approprie au Père la décision, au Fils l’exécution, au Saint‑Esprit l’achèvement et le perfectionnement. En
s’appuyant sur Rom., 11, 36, on dit
que le Père fait tout par son Fils dans le
Saint‑Esprit. S. Thomas explique ainsi Rom., 11, 36 : « Ces trois attributs, à savoir : la puissance, la sagesse et la
bonté, sont communs aux trois
Personnes ; par conséquent, ce que dit l’Apôtre : « De Lui, et par Lui, et en Lui », peut être attribué à chacune de ces
Personnes. Toutefois la puissance, qui a le caractère de principe, est
spécialement attribuée au Père, qui est le principe de toute divinité ; la
sagesse, au Verbe, qui procède comme Verbe, parce qu’il n’est autre chose que
la Sagesse engendrée ; la bonté, au Saint Esprit, qui procède par amour,
dont l’objet est la bonté ; et par suite, en spécialisant, nous pouvons
dire : De Lui, c’est‑à‑dire du Père ; par
Lui, c’est‑à‑dire le Fils ; en Lui, c’est‑à‑dire le Saint Esprit, sont toutes choses » (Commentaire de la
lettre aux Romains, 11, 33‑36). Quand on envisage toute l’activité divine dans l’humanité et qu’on met à la base de cette activité cette division tripartite, on
attribue au Père l’établissement de l’humanité dans la Création ; au Fils son rétablissement dans
la Rédemption ; au Saint‑Esprit sa vivification et son
perfectionnement dans la sanctification. D’une manière spéciale, dans l’œuvre du salut, on attribue au Père, en tant que cause première suprême la grâce, au Fils l’illumination, au Saint‑Esprit l’infusion de la charité.
4. L’appropriation cultuelle et liturgique conçoit le Père comme celui
qui reçoit nos hommages et nos adorations, le Fils et le Saint‑Esprit sont considérés plutôt comme médiateurs de ce culte. C’est pourquoi l’Église adresse le
plus souvent ses oraisons au Père par le Fils dans l’unité du Saint‑Esprit (Per Dominum nostrum Jesum Christum in unitate Spiritus
Sancti). (Cf. Jean, 17, 1 ; Rom., 8, 34 ; Hébr., 7, 25).
A consulter : Franzelin, De Deo trino, thes. 12. Petau, De Trin., 4, 15.
THÈSE. A l’extérieur Dieu agit comme un principe unique d’action.
Ses actes sont des actes d’essence. De
foi.
Explication. A l’encontre des tendances trithéistes et dualistes, il a été
maintes fois défini qu’à l’extérieur, Dieu est un principe unique d’action.
« Unique principe de toutes choses, créateur de toutes les choses visibles
et invisibles » (4ème concile de Latran ; Denz., 428).
11ème concile de Tolède : « Elles sont inséparables en effet aussi
bien en ce qu’elles sont qu’en ce
qu’elles font » (Denz., 254 ; cf. 77, 78, 284, 429, 703). Il
s’agit de l’ensemble de l’action
extérieure : dans l’ordre de la nature (Création, conservation et
gouvernement du monde), comme dans l’ordre de la surnature (miracles, infusion
de la grâce, Incarnation active, jugement, rémunération et punition,
béatitude). Au sujet de l’Incarnation, nous aurons à faire, en terminant, une
remarque particulière. La thèse : « Les œuvres de Dieu à l’extérieur
de lui‑même (ad extra) sont indivises » ou bien « communes à
toute la Trinité » est très ancienne.
Preuve. Le Christ affirme l’unité d’opération avec le Père pour démontrer
l’unité de puissance et de nature : « Le Père qui demeure en moi fait
ses propres œuvres » (Jean, 14, 10) parce que « C’est par lui que
tout est venu à l’existence » (Jean, 1, 3 ; cf. 1 Cor., 8, 6) ;
« Mon Père est toujours à
l’œuvre, et moi aussi, je suis à
l’œuvre » (Jean, 5, 17). A cela s’ajoute l’unité d’intention :
« le Fils ne peut rien faire de lui‑même, il fait seulement ce qu’il voit
faire par le Père ; ce que fait celui‑ci, le Fils le fait pareillement » (Jean, 5, 19).
S. Augustin : « De même donc que non seulement le Père et le Fils,
mais aussi le Saint‑Esprit sont égaux et inséparables dans leurs Personnes (en
raison de l’unité d’essence), ils sont aussi inséparables dans leurs œuvres ». Que le Fils ne puisse rien
par soi, c’est l’expression négative de cette vérité : par suite de la
communauté d’essence avec le Père, il doit tout faire en commun avec lui ; cela ne résulte pas de son infériorité,
mais de sa procession éternelle : il est
du Père (ex Patre) et ne peut dès
lors que ce qu’il a reçu du Père, en Être comme en puissance (In Joa., 20, 3 et
4). Cette explication vaut aussi pour le Saint‑Esprit, bien que l’Écriture sainte ne contienne pas
d’attestation directe à son sujet.
Les Pères. Il est vrai que les Grecs, conformément à leur construction
trinitaire que nous exposerons plus loin, considèrent le Père comme la source
de la Trinité, dans sa vie immanente comme dans son économie, dans sa vie
intime comme dans son aspect révélé et que S.
Augustin et les Latins voient surtout l’essence unique. Mais les Grecs sont
tellement d’accord avec les Latins sur l’unité d’action à l’extérieur qu’ils en
concluent même expressément l’unité d’essence. Les anténicéens, comme les
apologistes, placèrent à la base de leur spéculation l’idée que Dieu fait tout
par son Logos, mais ils unissent trop étroitement l’activité immanente et
l’activité extérieure, créatrice. S.
Irénée et Tertullien opposèrent
la même vérité au dualisme des gnostiques et des manichéens ; les Cappadociens
utilisèrent le même principe pour démontrer l’unité d’essence des trois
Personnes. Il est facile d’accumuler les témoignages (Cf. Irénée, Ad. h., 1,
22 ; 4, 20. Athanase, Ad Ser., 1, 28 : M. 26, 596. Basile, De Spir. S., 16, 38 : M.
32, 136. Hilaire, De Trin., 2, 1). S. Grégoire de Naz. se réfère à Rom.,
11, 36, avec les trois prépositions de, par, en. S. Grégoire de Nys. affirme, avec une énergie particulière, que
l’activité part du Père, est continuée par le Fils et achevée par le Saint‑Esprit. Les Latins sont ici évidemment plus précis, parce qu’ils s’appuient, avec S. Augustin, sur
le principe de l’unité d’essence. Si, chez les Grecs, on a parfois l’impression qu’ils confondent
appropriation et propriété, cette confusion n’apparaît pas chez les Latins. La
différence des deux conceptions se reflète dans les formules employées pour
désigner l’« ordo operandi ». Les uns caractérisent ainsi
l’activité : « a Patre (principium deitatis) per Filium et Spiritum
Sanctum » ou « per F. in Sp. S. ». Par contre, S. Augustin dit : « Vis‑à‑vis de la création, le Père, le Fils et l’Esprit‑Saint sont un seul principe, un seul Créateur et un seul Seigneur » (Trin., 5, 14, 15). D’après
Gen., 1, 1 sq., il prouve que « les œuvres de la Trinité sont inséparables »
et pose cette thèse : « les opérations sont indivisibles là où il y a
non‑seulement égalité, mais encore confusion de nature » (Contre la doctrine des Ariens,
9, etc.). Les Latins postérieurs, de l’époque carolingienne, reproduisent
l’enseignement de S. Augustin et de S. Fulgence (+533, De Trin). : ainsi
Alcuin, Raban, Hincmar, Paschase, Radbert et d’autres contemporains moins
importants. Il est à peine besoin de citer la Scolastique. Quand, chez les Pères, on invoque, par suite de
l’unité d’action, les « personnes inséparables », il faut voir là la
manière de penser grecque. Mais S. Fulgence, qui emploie ces termes, en donne
la raison profonde : « étant unies de façon inséparable par l’unité de nature, les trois personnes ne peuvent être séparables ».
On objecte que les trois Personnes, en tant qu’agissantes, produisent
aussi trois actes, en vertu de l’axiome : « actiones sunt
suppositorum » [les actions sont actions des suppôts]. Mais cette
objection est sans valeur, parce que les trois Personnes agissent par une seule
nature. Chez l’homme, au contraire, les actions se multiplient selon les
puissances actives, en dépit de l’unité de personne, par ex. : penser,
vouloir, voir, entendre. Quand l’Écriture et les Pères attribuent parfois une
œuvre à une seule Personne, cela doit s’entendre non pas absolument, mais d’une
manière appropriative.
L’Incarnation constitue ici une exception remarquable. Au sens actif
(incarnare), elle est l’œuvre commune des trois Personnes ; au sens passif
(incarnari), elle est propre au Logos seul : « Le Fils seul a pris la
forme d’esclave dans la particularité de sa personne » (Tolet. 11 ;
Denz., 284 ; Later. IV ; Denz., 429). L’union hypostatique formelle
avec la nature humaine n’est propre qu’au Logos, de même que les œuvres
accomplies dans cette nature, les
souffrances endurées et la mort rédemptrice. Par contre, la création et la
formation de cette nature, dans le corps et l’âme, ainsi que l’ornement de la
grâce dont elle est munie, est une œuvre commune de la Trinité, laquelle est
aussi le principe actif des actions qui servent au but de la Rédemption et
dépassent les forces humaines de la nature humaine du Christ. (Cf.
Christologie, § 90 et 92).
A consulter : S. Thomas, 1, 42, 5. Petau, De Trin., 4, 16. Franzelin, thes. 15.
THÈSE. Les trois Personnes se compénètrent mutuellement et
demeurent l’une dans l’autre. De foi.
Explication. « En raison de cette unité le Père est tout entier dans le
Fils, tout entier dans le Saint‑Esprit, le Fils est tout entier
dans le Père, tout entier dans le Saint‑Esprit, le Saint‑Esprit tout entier dans le Père,
tout entier dans le Fils » (Decret. pro Jac. ; Denz., 704 ; cf.
281). L’importance de la périchorèse
(ou circumincession) réside en ce qu’elle précise le dogme sous ses deux
aspects et le répète clairement, réfutant ainsi le monarchianisme, ainsi que le
trithéisme. Là aussi, la conception des Grecs et celle des Latins diffèrent par
une nuance. Les Grecs emploient le terme
περιχώρησις
(circumincessio) et interprètent le dogme dans le sens d’un mouvement par
lequel la personne qui procède revient à son principe. Les Latins, par contre,
emploient le terme circuminsessio et
donnent à entendre par là qu’il s’agit plutôt d’un état de repos, d’une
existence des Personnes les unes dans les autres, d’une inhabitation. Les uns
comme les autres se conforment à leur construction trinitaire.
Preuve. S. Jean rapporte ces paroles de Jésus : « Tu ne crois
donc pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi ! » (14, 10).
« Le Père et moi, nous sommes UN » (10, 30). « Ainsi vous
reconnaîtrez, et de plus en plus, que le Père est en moi, et moi dans le
Père » (10, 38). Pour l’existence de la troisième Personne dans les deux
autres, S. Paul donne ce témoignage : « L’Esprit scrute le fond de
toutes choses, même les profondeurs de Dieu… Personne ne connaît ce qu’il y a
en Dieu, sinon l’Esprit de Dieu » (1 Cor., 2, 10 sq.).
Les Pères. Au début, ils n’emploient pas encore
περιχώρησις,
περιχωρεῖν, cela ne se
produit que dans la terminologie ferme de S. Jean Damascène. A l’imitation de
l’expression grecque, on créa « circumincessio » qui fut remplacé
plus tard par « circuminsessio ». S. Athanase et les Cappadociens
emploient ένύπαρξις,
ένύπάρχειν, ἐνοίϰησις
φυσιϰή et même aussi ἔνωσις,
συνάφεια, termes empruntés à la
christologie qui connaît aussi
περιχώρησις (Petau,
Trin., 4, 16). S. Athanase dit :
« Le Fils est dans le Père, autant qu’on peut le connaître, parce que tout
l’Être du Fils est propre à l’Être du Père, de même que l’éclat est de la
lumière... Mais aussi le Père est dans le Fils parce que (l’Être) propre au
Père l’est aussi au Fils, comme le soleil est dans l’éclat, l’intelligence dans
la parole, la source dans le fleuve... Car, comme la forme et la divinité du
Père sont l’Être du Fils, il en résulte
que le Fils est dans le Père et le Père dans le Fils » (Orat., 3, c.
Arian., 3 ; cf. S. Cyrille Alex.,
Thesaur. assert., 12). S. Hilaire
dit, à propos de Jean, 10, 38 : « Ce qui est dans le Père est aussi
dans le Fils. Ce qui est dans l’« Ingenitus » est aussi dans
l’« Unigenitus » ; l’un est de l’autre et tous les deux sont une
seule chose (unum) et non un seul (unus), « L’un est dans l’autre, car en
l’un et en l’autre il n’y a rien d’autre » (Trin., 3, 4). S. Augustin se réfère à l’âme et à ses
actes où l’on trouve aussi une « inexistentia » et une pénétration
réciproque, et il explique par là comment, en Dieu « [chaque Personne] est
dans chacune, et toutes sont dans chacune, et chacune est dans toutes, et
toutes sont dans toutes, et toutes ne font qu’un » (Trin., 6, 10,
12 ; cf. S. Maxime Conf., Cap.
Theol., 2, 1 ; S. Fulgence de Ruspe,
De fide, 1, 4). Mais S. Augustin affirme, à mainte reprise, l’indépendance de
la Personne malgré la compénétration : l’individualité persiste sans
confusion. Il était plus nécessaire de signaler cela dans la conception latine
que dans la conception grecque, car ici il fallait défendre
l’« inexistentia » contre la confusion. De plus si, pour les Latins,
l’« inexistentia » allait de soi, elle était pour les Grecs un besoin
théologique, car après la séparation, commencée par la première procession,
c’était pour eux une nécessité de pensée de rétablir l’union.
Les scolastiques examinent les raisons spéculatives de
l’« inexistentia ». On peut en donner trois. La consubstantialité, l’origine,
les relations. Sans aucun doute, le
motif le plus profond se trouve dans la consubstantialité, car les deux autres
motifs, par leur notion, indiquent plutôt le contraire : la séparation,
non l’unité. Ce n’est que si le premier motif, le fondement, est vrai, que les
deux autres peuvent être allégués. C’est pourquoi S. Thomas place ce premier
motif en tête. Ensuite la procession est probante elle aussi, parce qu’elle est
immanente, spirituelle. Vient enfin la relation, parce qu’elle indique non
seulement un « vers l’autre », mais encore un « être
mutuellement » et qu’ainsi une Personne est logiquement dans l’autre (S.
th., 1, 42, 5 ; cf. Tolet. 11 : Denz., 281).
THÈSE. Les trois Personnes sont complètement
égales en perfection. De foi.
Explication. Athanasianum : « Et
dans cette Trinité rien n’est antérieur ou postérieur, rien n’est plus grand ou
moins grand, mais toutes les trois
personnes sont coéternelles et coégales » (Denz., 39 ; cf.
279).
Preuve. Cela résulte de ce que nous avons dit sur l’unité de la substance
et l’éternité des processions. Toute perfection est en Dieu identique à
l’essence ; et comme cette essence est, en Dieu, non seulement égale, mais
encore la même, il en résulte
nécessairement une perfection égale au sens absolu. S. Augustin :
« Le Père seul, ou le Fils seul, ou le Saint‑Esprit seul étant aussi grand que le Père, le Fils et le Saint‑Esprit réunis » (Trin., 6, 7, 9).
Difficultés. Il y a, dans cette question, une difficulté théologique qui se pose. Le Père,
en raison de son caractère de source, n’a‑t‑il pas une prépondérance sur les deux autres
Personnes ? Il nous semble que la paternité est quelque chose de plus grand
que la filiation. Il faut répondre à cette objection que le Père, bien qu’il ne procède pas d’une autre Personne et soit « principium sine principio », n’est cependant
pas une Personne absolue, mais une Personne constituée par relation, c.‑à‑d. qu’il a besoin du Fils pour sa
paternité, pour son individualité, comme le Fils a besoin du Père. Et s’il nous semble que la notion de
Père a un contenu plus noble que celle de Fils, cette illusion disparaît quand
nous lisons dans S. Thomas : « La même essence est dans le Père
paternité et dans le Fils filiation » (S. th., 1, 42, 6 a. 3). Ou
bien : « La dignité est quelque chose d’absolu (non relatif) et, par
suite, elle appartient à l’essence » et cette essence est la même dans les
trois Personnes (S. th., 1, 42, 4 ad 2). Quand les Grecs caractérisent la
Paternité comme principe ϰατἐξοχήν,
on peut entendre cette formule dans
un sens subordinatianiste ; mais ce serait leur faire manifestement tort,
car ils protestent contre le subordinatianisme et enseignent l’égalité positive
des Personnes. Il est vrai qu’ils enseignent, en même temps, que les Personnes
sont dans une dépendance personnelle
du Père : la constitution des Personnes part logiquement et réellement du
Père. Mais S. Augustin lui‑même, et avec lui la Scolastique, enseignent la
« principalitas personalis » du Père (§ 54). Les
Grecs d"ailleurs enseignent que toutes les Personnes sont égales en tout (ϰατὰ
πάντα ἔν., S. Jean Damasc.). ‑ Les ariens ont soulevé une seconde difficulté en alléguant plusieurs textes de la Bible
qui rendent un son subordinatianiste. Le plus connu est : « Le Père
est plus grand que moi » (Jean,
14, 28) ; il y a aussi d’autres textes qui affirment la science, la
puissance et la bonté unique du Père (Marc, 10, 18). La difficulté est moins
difficile à résoudre, si l’on suit les Pères. Les Latins rapportent d’ordinaire
ces expressions au Logos fait chair ( λόγος ἔνσαρϰος) ;
les Grecs les rapportent au Logos trinitaire (λόγος
ασαρϰος) et pensent à la dépendance personnelle par rapport au Père, dont il
a été question plus haut (Petau, De Trin., 2, 2). Une dépendance personnelle et purement relative est donc un dogme, une
subordination essentielle est une hérésie.
Règles de langage. En raison de l’égalité complète de perfection des Personnes dans
l’unité de l’essence, la règle suivante s’établit dès le temps des Pères :
ne nommer qu’au singulier tous les
attributs qui se rattachent à l’essence : « ils ne sont pas trois
éternels, mais un éternel » (Symb. d’Athanase).
A consulter : S. Thomas, S. th., 1, 32, 45, 7.
THÈSE. La Trinité n’est pas une vérité de raison. De foi.
Explication. L’Église a repoussé toutes les prétendues explications
rationnelles de la Trinité : celle de Rosmini (Denz., 1915), celle de
Günther (Denz., 1655), celle de Lamennais (Denz., 1616). En affirmant qu’il y a
des mystères fermés à la raison, le Concile du Vatican pensait surtout à celui
de la Trinité (Denz., 1795 ; cf. 1675, 1642, 1645, 1671, 1673, 1682,
1709). Le Concile provincial de Cologne, confirmé par le Pape, rejeta, en
s’appuyant sur S. Thomas, l’explication purement rationnelle (Acta et Decreta Conc. Prov. Col., 1862, 21). Tout ceci
doit s’entendre au sens intensif, en ce sens que la raison, même après la
Révélation, ne peut pas connaître les motifs internes de la Trinité.
Preuve. Le Christ déclare aux Juifs monothéistes que lui seul connaît le Père, c.‑à‑d. comme « Père », dans ses relations avec le
« Fils ». « Personne ne connaît le Fils, sinon le Père, et
personne ne connaît le Père, sinon le Fils, et celui à qui le Fils veut le révéler » (Math., 11, 27). De même
S. Paul, d’une manière générale : « Personne ne connaît ce qu’il y a
en Dieu, sinon l’Esprit de Dieu » (1 Cor., 2, 11 : cf. 1 Tim., 6,
16).
Les Pères. D’après tout ce que nous avons dit, il n’est plus guère besoin de
les entendre. On connaît universellement leur humilité en face du
« mysterium » et la crainte qu’ils avaient de donner des explications
purement rationnelles, notamment sur les processions éternelles de la génération
et de la spiration (S. Irénée, A. h.,
2, 28, 6 ; Eusèbe Cs., Demonst.
Evang., 4, 3 ; S. Athanase, Ad
Ser., 1, 20 ; S. Cyrille de Jérus.,
Cat., 4, 7, 16, 24 ; S. Basile,
Ép. 38, 4 ; Didyme, De Trin., 2,
4 ; S. Cyrille Alex., De S.
Trin., 3 ; Ps. Denys, De div.
nom., 2, 4). La position de S. Augustin est connue : « La foi précède
l’intelligence » ; si c’est vrai partout, c’est vrai surtout ici.
« Seule est droite l’intention qui part de la foi ». Et « Il faut chercher avec une foi
inébranlable » (Trin., 9, 1). « Si tu comprenais, ce ne serait pas Dieu » Serm. 117,
3, 5). D’une manière générale, les Pères nous enseignent que l’Être de Dieu
nous reste inaccessible, dans l’état de voie, même après la Révélation.
La Scolastique. Elle se place généralement au point de vue de l’Écriture et des
Pères. Si quelques scolastiques primitifs
‑ on nomme S. Anselme, Abélard, Robert, Alain, Hugues,
Richard ‑ ont des expressions
moins heureuses, il n’est pas certain qu’ils aient tous porté réellement
atteinte au dogme. La chose est sûre
pour Scot Érigène, moins sûre pour Abélard ; il est difficile de
l’affirmer pour les autres qui sont nommés ici. S. Anselme a essayé, en supposant tacitement la doctrine de foi de
la Trinité, de déduire rationnellement
la vérité de la Trinité. « Si on ne peut comprendre que plusieurs hommes
individuels contiennent en eux quelque autre chose que ce qui les distingue, et
que, dans ces différents hommes, il y a une seule humanité, comment pourrait‑on comprendre que les trois personnes de la Trinité, dont chacune est Dieu, ne
constituent qu’une seule et même divinité ? » (De fide Trin., 2). C’était là une pensée grecque (Cf. S. Grégoire de Nys). Les victorins
Hugues et Richard, Alain et d’autres ne parlent pas seulement de
« similitudes », mais même de « raisons », voire de raisons
« nécessaires et astreignante » (rationes necessariae ;
Richard). Néanmoins, aucun d’eux, à l’exception d Abélard, n’a voulu, malgré
ces mots un peu forts, considérer ces raisons comme apodictiques. Un examen
attentif nous montre que, chez eux, « rationes » était une expression
outrée pour « similitudines ».
La haute Scolastique fut très
frappée par la phrase attribuée à l’Hermès
Trismegistos : « Monas gignit monadem et in se suum reflectit ardorem »
[L’unité ou la monade a engendré la monade et a réfléchi son ardeur sur elle‑même]. A cause du son trinitaire qu’elle rend, Alexandre de Halès voyait, dans cette phrase, une
révélation. Par contre, S. Albert le Grand et S. Thomas inclinaient à y voir la
connaissance naturelle de la Création et l’amour que Dieu a pour lui‑même : « Ces paroles ne se rapportent ni à la génération du Fils, ni à la procession du Saint‑Esprit, mais à la production du monde » (S. Thomas, s. th., 1, q. 32, 1). Et il s’en tient à sa thèse : « Il est impossible de parvenir par les lumières naturelles de la raison à la connaissance de la Trinité des personnes divines », et il donne comme motif que
nous ne pouvons connaître Dieu que par la Création : « La puissance
créatrice de Dieu est commune à toute
la Trinité ; elle se rapporte conséquemment à l’unité d’essence et non à la distinction
des personnes. D’où il suit que la raison peut connaître en Dieu ce qui a
rapport à l’unité de son essence et non ce qui regarde la distinction des
personnes » (S. th., 1, 32, 1). S. Thomas cite encore quelques
« témoignages » païens et les récuse de la même manière. Il va sans
dire que de nos jours, à l’époque de l’histoire des religions, où l’on veut expliquer
tout le christianisme « historiquement », dans ses dogmes principaux
et dans ses dogmes secondaires, on recherche partout des « témoignages
trinitaires » en dehors du christianisme, à l’époque antérieure comme à
l’époque contemporaine, et qu’ensuite on les « trouve ». Mais il est
bien certain qu’il est impossible de faire dériver le dogme trinitaire chrétien
des conceptions juives philosophiques, pas plus que des conceptions religieuses
païennes ou des conceptions philosophiques religieuses. On a scruté les religions orientales, examiné Laotse,
Confucius, Bouddha, les anciens Perses ; on a interrogé les Hindous et les
Égyptiens et dernièrement l’hellénisme, dans la philosophie de Platon et
d’Aristote, du Portique, des néo‑pythagoriciens et des néo‑platoniciens. On prétend avoir trouvé la Trinité dans sa forme pré‑chrétienne. Ce qu’on a trouvé en réalité doit être regardé comme un panthéisme évolutioniste plus ou moins raffiné, avec une tendance au nombre ternaire ou comme une
grossière translation de la famille
humaine avec père, mère et fils dans la divinité. Le Logos juif‑philonien « n’a guère de commun que le nom » avec le Logos johannique (Harnack). C’est une force naturelle,
impersonnelle et panthéistique. Quant à la tendance au nombre ternaire qui se trouve aussi
chez Aristote, S. Thomas est d’avis qu’elle s’explique naturellement :
« De même que la nature accomplit tout selon le nombre trois, de même ceux qui ont institué le culte divin, voulant
attribuer à leur dieu tout ce qui est parfait,
lui ont attribué aussi le nombre trois » (In Arist., De cœlo et mundo, 1,
1, 2, lect. 2, n. 5).
On peut dire cela sans songer à
une déduction naturelle de la Trinité chrétienne. Usener affirme pourtant cette déduction dans son article célèbre,
« Trinité » (Rheinisches Museum (1903)). Il essaie de démontrer que
toutes les trinités sacrées, y compris la Trinité chrétienne, sont nées
« avec une force naturelle irrésistible » de la contrainte du nombre
ternaire. Il cite de nombreux exemples, mais « il est visible qu’il n’a
rien compris à l’importance de cette doctrine. Son hypothèse a rencontré peu
d’adhérents » (Diekamp, 16). S. Cyrille d’Alex. attribue déjà une certaine
doctrine trinitaire à Hermès Trismegistos. J.
Kroll, dans son livre Les doctrines d’Hermès Trismegistos (p. 93 sq.),
trouve qu’il est « déplacé » de faire dériver la Trinité chrétienne
de l’hermétisme, mais il ajoute : « Il peut cependant y avoir, à la
base de cette doctrine, une certaine tendance à une triade (les termes
τριάς, μόνος se présentent
souvent). Nous connaissons au reste la tendance vers une trinité des principes
suprêmes d’après les « Oprhica », elle se retrouve aussi dans les
« oracula chaldaïca » qui construisent la chaîne
πατήρ (ύπάρξεως),
δύναμις, νοῦς. Mais que
les membres de la trinité rappellent de si près le christianisme, cela me
paraît tout à fait remarquable et ne se trouve pas ailleurs à ma
connaissance ». Il semble que van
Noort donne une explication satisfaisante. Lui aussi appelle ce fait
« satis mirum, quod pleraeque
religiones antiquae ens absolutum, diversa licet ratione, ut triplex aut trinum conceperint ». Quant à la tentative apologétique de
faire dériver ce fait de la Révélation primitive, il la récuse avec raison. En
effet, il serait alors inexplicable que les Juifs n’aient pas enseigné eux
aussi la Trinité. Lui‑même indique certains motifs généraux pour les « fundamentales triades, ut v. g. principium,
medium et finis quae in omnibus distinguntur ; triplex respectus unitatis, veritatis,
bonitatis, trina dimensio corporum, triplex habitudo cunctarum rerum ad Deum ut
causam efficientem, exemplarem, finalem, dehinc tria attributa praecipua
deitatis : potentia, sapientia, bonitas ». Ainsi le nombre ternaire
est devenu un « numerus perfectionis » et a été transporté en Dieu,
comme le dit déjà S. Thomas (De Deo
uno et trino, 199 sq.). Cependant ces considérations n’ébranlent aucunement le
dogme catholique du « mysterium stricte dictum Trinitatis ». Malgré
toutes ces « harmonies », il y a toujours une grande différence entre
la « trinité » païenne, naturaliste et panthéiste d’une part, et le
dogme chrétien d’un Dieu en trois personnes dans l’unité de l’essence.
En raison du caractère
strictement mystérieux de la Trinité, des théologiens comme Hettinger, Hugon,
etc., citent, après Leibnitz (Théodicée, 1), à propos de l’insuffisance de
l’explication spéculative, un mot de la reine Christine de Suède sur la
couronne qu’elle avait méprisée : « Non mi bisogna e non mi basta ‑ Je n’en ai pas besoin et elle ne me suffit pas ». On peut aussi
citer un mot de Dante : « Matto è chi spera che nostra ragione ‑ Possa trascurar la infinita via ‑ Che tiene una sustanzia in tre
persone ‑ State contenti, umana gente al quia. ‑ Il est fou de penser que l’humaine raison ‑ Pourra jamais parcourir la voie infinie ‑ Qu’occupe la substance en trois
Personnes ‑ Contentez‑vous, race humaine, de rester au
quia » (Purg., 3, 34 sq.).
Appendice. Il est également impossible
de prouver que la Trinité est contraire à la raison ; les objections qu’on
élève contre elle reposent sur une connaissance incomplète de la doctrine.
Le reproche de contradiction a
été formulé d’abord par les ariens, les eunoméens, les monarchiens, et, plus
tard, par les sociniens. Aujourd’hui l’argument courant des rationalistes est
que trois ne peut pas être égal à un et que, par suite, celui qui admet la
Trinité a renoncé au bon sens (Strauss). La réponse catholique est que, d’après
le dogme, trois ne font pas un sous le
même rapport, mais sous un rapport différent :
trois sous le rapport des Personnes, un sous le rapport de l’essence.
On insiste : Deux grandeurs
qui sont identiques à une troisième sont aussi identiques entre elles. Il faut
répondre que cet axiome qui opère avec des chiffres rigides et vides de
contenu, ne trouve jamais, en dehors des mathématiques, son application
complète quand il s’agit d’êtres vivants. En effet, des personnes vivantes
peuvent, en raison de leurs aspects et de leurs relations différentes, être
identiques sous un rapport et être distinctes sous un autre. Ainsi les trois
divines Personnes sont identiques entre elles pour ce qui est de l’essence,
elles sont distinctes par les processions, les relations et les propriétés.
Aussi l’axiome contraire se formule ainsi : « La relation comporte,
par définition, un rapport à autre que soi, rapport qui oppose relativement la
chose à cet autre. Dès lors, puisqu’en Dieu il y a réellement relation, comme
on l’a dit, il doit y avoir aussi réellement opposition. Mais l’opposition
relative inclut dans sa définition même une distinction. Il doit donc y avoir
en Dieu distinction réelle, affectant, non pas sans doute, la réalité absolue
qu’est l’essence, où se trouve la plus haute unité et simplicité, mais la
réalité relative » (Cf. S. th., 1, 28, 3). De plus, l’objection
rationaliste part des mesures terrestres et les transporte telles quelles et non d’une manière analogique en Dieu, ce que la
théologie ne peut jamais permettre. Le rationalisme pourrait peut‑être affirmer qu’il connaît les possibilités de l’ordre naturel, mais il doit avouer, s’il est prudent et honnête, que les
possibilités de l’ordre surnaturel
lui sont inconnues et que, par suite, il ne peut rien dire de la possibilité et
de l’impossibilité des choses dans cet ordre transcendent, ni dans le sens
positif, ni dans le sens négatif. Néanmoins, la raison éclairée par la foi
fait un pas de plus et confesse, avec le Concile du Vatican, que la vérité
naturelle et la vérité surnaturelle ne peuvent se contredire, parce qu’elles
découlent d’une source unique de
vérité.
On fait une autre objection
importante : la Trinité de Personnes détruit la simplicité absolue de l’Être. Cette objection ne peut atteindre la
foi trinitaire. Au contraire, la pensée trinitaire rend vivante notre foi à la
simplicité qui, autrement, nous apparaîtrait rigide, indifférente et immobile.
« Deus est quod habet ». La
simplicité exclut la composition, mais elle ne signifie pas vide et
pauvreté ; elle ne nie pas les perfections ; elle dit seulement que
ces perfections sont objectivement identiques à l’Être divin et ne s’en
distinguent que virtuellement. L’essence divine est (dans une identité objective)
l’éternité, l’immensité, l’infinité, l’immutabilité ; elle est
intelligence et volonté, pensée et vouloir ; elle est origine et
relation ; Paternité, Filiation, Procession ; elle est Personne et
subsistance. Tout cela est l’unique Être divin considéré comme absolu. Cet Être doit aussi, d’une
manière impénétrable pour nous, et cela est le cœur du mystère, être considéré,
conformément au dogme, comme relatif,
c.‑à‑d. non seulement comme existant
en soi, mais encore comme subsistant en trois Personnes, d’une manière particulière, si bien que ces trois
Personnes sont réellement distinctes entre elles. Ainsi Dieu est un du point de
vue absolu et distinct du point de vue relatif. Le motif en réside
nécessairement dans son infinité et sa fécondité qui dépassent notre
connaissance. « Sufferat paulisper (homo aliquid, quod intellectus ejus
penetrare non possit, esse in Deo
(scil. quod in aliis rebus non videt). (S. Anselme, De Trin., 7).
La foi trinitaire, même après la
Révélation, ne peut se démontrer positivement par la raison. Néanmoins, on peut
non seulement, comme on l’a vu, la défendre contre les objections, mais encore,
au moyen de la raison éclairée par la foi, selon les déclarations de l’Église,
l’exposer et la concevoir, ce qui permet à la raison de savoir ce qu’elle doit
croire. En outre, certaines analogies permettent d’éclairer un peu ce dogme.
La preuve de cette thèse se trouve dans tout ce que nous avons dit
jusqu’ici sur la Trinité. Tout le traité de la Trinité, qu’on a tant de fois
écrit après les quinze livres de S. Augustin et dans lequel la haute
Scolastique a réalisé sa plus belle œuvre, n’aurait jamais été possible si
notre thèse n’était pas fondée. Quand on lit les exposés si longs et si
détaillés des conciles sur la Trinité, on doit se persuader que l’Église ne se
contente pas d’un simple fidéisme, mais veut donner un certain exposé, une
certaine conception intelligible de ce mystère qui est à la base de la vie et
du culte chrétiens. Il nous faut, à ce sujet, examiner ici deux points :
la terminologie trinitaire spéciale et le
mode d’explication psychologique.
1. Les règles pratiques de la terminologie trinitaire. Nous avons déjà
dit, au début, en expliquant les principales notions trinitaires, qu’on ne peut
et qu’on ne doit exposer et expliquer ce dogme, comme tout dogme en général,
qu’en se servant du langage consacré par la Tradition. Nous ne pouvons pas, dit
S. Augustin, parler à notre gré comme les philosophes : « Nous sommes
obligés de soumettre nos paroles à une règle précise, de crainte que la licence
dans les mots n’engendre l’impiété dans les choses » (Civ., 10, 23). Tous
les grands théologiens, depuis S. Augustin et les Cappadociens, se sont
appliqués à créer cette terminologie trinitaire et ont rendu de grands
services.
Pour la pratique, il faut faire ces remarques : a) Toutes les
expressions et tournures, qui ne sont appliquées aux Personnes que par rapport
à la nature, doivent être employées au singulier seulement (par ex. : Pater
æternus, Filius æternus, etc., sed unus
æternus, non tres æterni). Par contre, les expressions qui ne s’appliquent
qu’aux Personnes doivent être mises au pluriel, ou tout au moins, si on les met
au singulier, sans exclure le pluriel, comme cela ressort clairement de la
doctrine des Processions, des Relations, des Notions et des Propriétés ;
b) Les adjectifs et adverbes numéraux ne doivent pas être employés pour
désigner la nature, par ex. : « Deus triplex, ter Deus » ;
on permet cependant « Deus trinus ». 11ème concile de
Tolède : « Voici comment parler de la sainte Trinité : on doit
dire qu’elle n’est pas triple mais trine. On ne peut dire justement que la
Trinité soit en un seul Dieu mais qu’un seul Dieu est Trinité » (Denz.,
278) ; c) Les substantifs doivent, parce qu’ils désignent l’essence, être
employés au singulier ; les adjectifs peuvent être employés au sens
substantif ou au sens adjectival et se trouver, conformément au sens que l’on a en vue en les employant, au
singulier ou au pluriel (S. th., 1, 39, 3). Ainsi, par ex.,
l’Athanasianum : « Ils ne sont pas trois éternels, mais un éternel »
(au sens substantif) et ensuite : « Les trois personnes sont coéternelles et coégales » (sens adjectival). De même 4ème concile
de Latran : « Les trois personnes sont consubstantielles et coégales,
également toutes‑puissantes et coéternelles » ; d) L’essence étant objectivement
identique aux Personnes, les expressions de distinction ne sont permises que
lorsqu’elles se rapportent à la propriété personnelle ; c’est pourquoi
l’Église censure l’expression « Dieu distinct en trois personnes »
(Syn. Pistoïe) ; e) Il est clair que tous les termes notionnels ne peuvent être appliqués qu’à la Personne en question
et non à l’essence ou à une autre Personne, par ex. : « Pater
generat », etc. Par contre, les termes essentiels peuvent être attribués à
chaque Personne, mais, là encore, sans exclusion formelle des autres Personnes,
par ex. : « Filius est Deus, est sapiens », mais non
« Filius solus est
sapiens ».
2. Les raisons de convenance. La raison éclairée par la foi peut en
apporter après la Révélation. a) On peut citer d’abord l’axiome « bonum
est diffusivum », il est dans la nature de tout être bon de communiquer sa bonté à d’autres ; c’est donc
aussi dans la nature de Dieu. Il lui convient de se communiquer d’une manière
parfaite, sans limite, d’une manière éternelle et de ne pas se contenter de la
communication limitée de la Création. Une communication infinie de son Être
nous paraît plus conforme à la grandeur et à la gloire de Dieu qu’une
communication imparfaite.
b) Une seconde raison nous est
présentée par S. Grégoire de Naz.
sous différentes formes. Comme les ariens voulaient prouver la grandeur de Dieu
par la Création seule, il leur répondait : « Il est plus glorieux
d’être le Père d’un Fils unique que de commander à une multitude
d’esclaves » (Orat., 23, 7 : M. 35, 1160). Et s’il donne la paternité
à d’autres, il ne doit pas en être dépourvu lui‑même.
c) Jouir de la vie, en commun
avec un égal, semble plus grand que de mener une vie solitaire. Richard de
Saint‑Victor donne à cette pensée plusieurs tournures. Il part de la charité et dit d’abord que, parce qu’elle est tendue vers autrui, elle
exige une pluralité de personnes,
mais pour une charité parfaite il
faut trois personnes aimantes, car
lorsqu’il n’y en a que deux, existe une « dilection » (vice‑versa), mais non une « con‑dilection », il n’y a pas d’amour commun ; par suite, il y a en Dieu trois Personnes
aimantes (De Trin., 3, 19) ; la félicité et la gloire en Dieu exigent la
Trinité. « Communio amoris non potest esse omnino minus quam in tribus
personis » (Ibid., 3, 14).
d) L’argument psychologique de S. Augustin est le meilleur. Les points principaux de la construction
augustinienne sont les suivants. Alors que les Grecs font dériver la Trinité du
Père, S. Augustin commence par la rattacher à l’unique essence et dit que les
trois Personnes sont cette unique essence, le Dieu unique, le seul Tout‑Puissant : « la Trinité elle‑même est un Dieu unique » (C. serm. Arian., 3 ; Trin., 5, 8, 9). L’analogie, l’image humaine de l’unique essence est l’« una mens » une notion compréhensive ; au lieu de
« mens » on trouve aussi « vita ». Dans cette « una
mens » ou « vita intellectualis », il découvre la mémoire,
l’intelligence et la volonté, et les trois images des divines personnes dans la
conscience immédiate de soi, la connaissance consciente de soi et l’amour de
soi. Il montre que cette « unitas » et cette « trinitas »
se trouvent dans la psychologie de l’enfant, comme dans celle du sage, dans
tout esprit humain. Mais il montre ensuite que cette trinité n’est pas
seulement une trinité de fait, mais
qu’elle est d’une nécessité interne, parce que les trois éléments se postulent réciproquement : le même
sujet se souvient (memoria) qu’il
pense (intellectus) et veut (voluntas) ; il pense qu’il se souvient et veut ; il veut se souvenir et penser : « Non seulement, une
contient l’autre, mais une les contient toutes » (Trin., 10, 11, 18).
C’est ce second point qui avait et qui a le plus d’importance.
Dans la dérivation logique des Personnes, S. Augustin part du Père en tant
qu’existant par lui‑même, comme le « principium sine principio ». Mais il ne fait pas comme les
Grecs qui considèrent le Père, en tant que source de la divinité, presque comme
une Personne absolue et semblent trouver son caractère personnel plutôt dans
l’agennésie que dans la personnalité. S. Augustin, conséquent avec ses
principes, voit au contraire, cette personnalité dans la relation, comme pour
les deux autres Personnes. Le Père est une Personne constituée par relation et
est précisément constitué, comme personne distincte, par sa relation avec le
Fils, comme le Fils réciproquement l’est par sa relation avec le Père.
« C’est dans un sens relatif que la première personne de la sainte Trinité
est nommée Père et principe ; mais elle est Père par rapport au Fils, et
principe par rapport à toutes les créatures » (Trin., 5, 13, 14). S.
Augustin repousse aussi cette manière de voir qui représente le Père comme
résultant de l’essence considérée comme une chose plus haute, élevée au‑dessus des Personnes. Car, dès que l’essence est placée à côté des Personnes, elle produit une quaternité et détruit la Trinité. Au contraire, la conscience que
Dieu a de lui‑même, la compréhension qu’il a de lui‑même, l’amour qu’il a de lui‑même sont nécessairement simultanés à la vie de l’essence divine spirituelle, sans aucune prérogative ou prépondérance de part ou d’autre. Et, par suite, il y a une
égale relativité des Personnes, une égale perfection et une parfaite égalité,
ce que S. Augustin ne se lasse pas d’affirmer : « ils sont toujours
ensemble et jamais séparés » (Trin., 6, 7, 9 ; 7, 1, 2, etc.). Dans
le Fils, le Père exprime toute son essence de la manière la plus parfaite. En
effet, son essence divine est infinie, mais sa puissance de connaissance est
également infinie, si bien que tout ce qui, comme essence, est vrai et
connaissable trouve aussi dans le Verbe son expression entière. Et c’est
pourquoi il n’y a en Dieu qu’un
Verbe, un Fils, et non plusieurs.
Dans les créatures, il n’y a qu’une
participation limitée à l’Être de Dieu, mais il y a dans le Fils l’expression
complète, exhaustive, l’essence dans l’égalité, dans l’identité numérique. Il
faut juger absolument de même pour la troisième Personne. La force de l’amour
est aussi grande que l’essence et la connaissance, si bien qu’elle exprime
toute la bonté de Dieu dans toute son infinité ; cette bonté n’est pas
plus grande que l’amour et l’amour n’est pas plus petit qu’elle. Si l’on
considère encore que les résultats de la connaissance et de l’amour que Dieu a
de lui‑même ne sont pas des images fugitives et des existences instables, à la manière des actes spirituels humains,
qu’ils n’ont pas un caractère accidentel, mais un caractère substantiel, qu’ils
sont l’unique substance divine et,
comme celle‑ci, éternels, permanents, ininterrompus, nécessaires, et que, par suite, on
ne peut jamais penser une Personne sans penser les deux autres, on a tous les
éléments de la doctrine trinitaire de S. Augustin.
Chez les Grecs et les Russes, la
Trinité préoccupe de nouveau beaucoup les théologiens et les philosophes. On en
trouve déjà la preuve dans les longs exposés de ces doctes théologiens et
philosophes que sont Florenskij
(Mosocou) et Bulgakow (actuellement à
Prague). D’autres auteurs sont cités par Zankow (Christianisme orthodoxe, 42
sq.). Il écrit lui‑même : « Dans la doctrine de la Sainte Trinité, le christianisme orthodoxe,
depuis les temps antiques, montre une forte originalité. Cette doctrine a
toujours été sa gloire et il lui est resté fidèle ». « Deux points de
la doctrine de la Trinité attirent particulièrement l’attention des
orthodoxes : 1° Le problème de l’unité dans l’amour, en connexion avec la
vie intérieure unique de la divine Trinité, et, 2° L’importance théorique et
pratique (théologique et populaire) de la Trinité dans sa relation avec la
doctrine de la Rédemption, par l’action unique de la Justice (le Père, juge),
de l’Amour (le Fils, rédempteur), et de la Sainteté (le Saint‑Esprit, consommateur), ainsi que dans la vie intérieure du Dieu un et trine, en
tant que se manifestant aussi à l’extérieur parmi les hommes » (p. 42 sq.). En ce qui concerne
spécialement le Saint‑Esprit, il dit : « L’Église orthodoxe a aussi une idée vivante et un sentiment ardent
du Saint‑Esprit ». Elle veut être en effet « une Église pneumatique » et elle l’est « par sa foi au Saint‑Esprit ». Il est « le principe vivant, l’âme de l’Église. Il est en elle le Paraclet,
le représentant du Christ. Il est le consommateur de l’appropriation de l’œuvre
de la Rédemption, de la régénération et de la sanctification de l’homme. Dans
l’Église et par les mystères, viennent tous les dons du Saint‑Esprit, tous les flots de la grâce de Dieu. C’est du Saint‑Esprit aussi que nous recevons
immédiatement les forces divines pour
notre vitalité spirituelle et créatrice, personnelle et sociale.
Ainsi la caractéristique et l’importance de la conception
orthodoxe du Saint‑Esprit consiste en ceci : Elle se tient rétrospectivement sur le terrain
antique de la Révélation (et de la primitive Église), mais aussi elle regarde
vers l’avenir et possède l’assurance de l’action créatrice du Saint‑Esprit dans tous les temps futurs ». Il pense ici à
l’évolution de l’Église vers une Église purement johannique du Saint‑Esprit. C’est une idée qui a permis à l’Église orientale de prendre part
aux Conférences de Stockholm (1926) et de
Lausanne (1927). « Dans les conceptions religieuses de l’Orient, le « troisième
royaume », le royaume du Saint‑Esprit joue un grand rôle. D’après cette manière de voir, l’époque qui va jusqu’à la naissance du Christ est
particulièrement attribuée au Père ; l’époque qui va de la naissance du Christ à nos
jours, à la seconde Personne divine ; le temps futur, au Saint‑Esprit. Au reste, une conception semblable eut cours assez
longtemps chez des théologiens d’Occident, notamment chez les mystiques ».
Dans le catéchisme grec‑orthodoxe de Const. Gallinicos (1928, p. 15), on lit :
« Ce n’est pas au sens moral, comme dans le « Notre Père », mais
au sens dogmatique, comme Père naturel de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ son Fils unique, que Dieu
est appelé « Père ». D’après la foi chrétienne, Dieu est l’unique dans l’essence et
n’a personne en dehors de lui qui lui soit égal ou semblable ; mais
envisagé en lui‑même il est un et trine par rapport aux Personnes ou substances ( !). « J’adore Père, Fils et Saint‑Esprit, une Trinité consubstantielle et indivisible », chantons‑nous dans notre liturgie. C’est le fondement sur lequel s’appuie tout l’édifice dogmatique de notre foi ». Le « Filioque » est rejeté comme une interpolation humaine
dans la doctrine de l’Écriture. Mais alors on devrait rejeter aussi le ὀμοούσιος
qu’on défend pourtant avec opiniâtreté. La tendance de quelques catholiques qui
sont portés à admettre, avec Scot contre S. Thomas, que le Saint‑Esprit se distinguerait encore personnellement du Fils, s’il ne procédait pas de lui (cf. Minges,
Comp., 1, 1, 142 sq.) n’est pas admise par Jos. Slipyi qui s’y oppose
énergiquement dans son ouvrage : « Num Spiritus Sanctus a Filio
distinguatur, si ab eo non procederet ? » (1927).
Il se présente une difficulté
particulière, pour l’intelligence de la foi en la Trinité, si on admet le point
de vue de la « théologie de
l’expérience ». Si l’on peut encore comprendre une expérience
religieuse générale, une expérience de la Trinité est absolument impossible.
Aussi on ne comprend pas que W. Wollrath ait pu écrire, dans son ouvrage sur la
théologie anglicane contemporaine : « Sa doctrine sur la Trinité
n’est pas satisfaisante parce que ses distinctions sont difficiles à saisir et
ne sont pas vérifiables par l’expérience » (p. 292). Les deux choses sont
vraies assurément, mais si rien ne doit subsister que ce qui est saisissable et
compréhensible, que restera‑t‑il ?
Conclusion pratique. S. Augustin termine son livre sur la Trinité
par un remerciement profond envers Dieu et une humble prière pour obtenir de
nouvelles lumières. Là où Dieu s’est ouvert à lui, il est entré : là où il
se ferme encore mystérieusement, Augustin frappe avec supplication et lui
demande d’ouvrir. C’est le refrain constant dans toutes ses œuvres, quand il se
trouve en présence de difficultés intellectuelles : « Fais‑moi comprendre ce que tu as révélé ». Il confesse sa foi, qu’avec l’aide de la grâce il a suivie jusqu’ici et qu’il continuera de suivre : « Faites, Seigneur, que je me souvienne de vous, que je vous connaisse, que je vous aime ». Par là il donne à toute sa
vie chrétienne une empreinte trinitaire :
que cette vie soit : « Mémoire de Dieu, intelligence de Dieu, amour
de Dieu ». S. Anselme répète cette pensée : « Il résulte (du
dogme) que la créature raisonnable ne doit rien rechercher autant que la
formation de cette image naturelle (de la Trinité) en soi par son activité
libre... que d’employer tout son pouvoir et sa volonté à la mémoire, à l’intelligence et à l’amour du Souverain Bien » (Monol.
68).
Et si l’on a dit de la Trinité immanente : « Il faut la
vénérer, plus que l’analyser », le chrétien doit cependant s’efforcer
d’acquérir une relation particulièrement intime de foi et de vie avec chacune
des trois Personnes, en tant qu’elles se sont révélées extérieurement. Envers le Père qui, par la force de sa Toute‑Puissance, nous a tirés du néant et qui, dans la détermination éternelle de sa sagesse, nous a
ordonnés à lui comme tout ce qui existe dans la Création. Envers le Fils qui a rétabli et renouvelé, par son
amour rédempteur, notre union avec Dieu brisée par le péché. Envers le Saint‑Esprit qui est l’Esprit du Fils et qui,
par l’opération de sa grâce, a fait passer le Christ et son œuvre du lointain
historique dans notre possession immédiate et vivante, et ainsi nous conduit
vers le Père. L’Église nous invite à ces considérations dans ses offices de
tous les dimanches, dans l’administration des sacrements et, de la manière la
plus saisissante, dans la « recommandation de l’âme » : « Âme
chrétienne, partez de ce monde au nom de Dieu le Père tout‑puissant, etc. ».
Il n’est peut‑être pas inutile de rappeler que le divin mystère de la Sainte Trinité doit être souvent l’objet de notre enseignement en
chaire et au catéchisme. Il semble que les prédicateurs des premiers temps du
christianisme et de l’âge apostolique nous aient dépassés de beaucoup.
[La suite est le livre 2 : la doctrine de la création. Mgr
Bernard Bartmann
PRÉCIS DE THÉOLOGIE DOGMATIQUE]