PRÉCIS DE THÉOLOGIE DOGMATIQUE
Édition par JesusMarie.com – ce livre est placé en copyleft –
Paris 10 février 2020
Merci de prier pour la personne qui a travaillé deux ans pour réaliser cette nouvelle édition
PREMIÈRE
SECTION : L’Église, institution de salut
CHAPITRE 1 :
Notion, origine, fin, nécessité de l’Église
§ 137. Notion
de l’Église.
§ 138.
L’origine divine de l’Église
§ 139. But et
nécessité de l’Église
CHAPITRE 2 :
Les pouvoirs de l’Église
1. Le pouvoir
d’enseignement
§ 140.
L’existence du pouvoir d’enseignement.
§ 141.
L’infaillibilité du magistère
§ 142.
Dépositaires du pouvoir d’enseignement
2. Le pouvoir
de gouvernement de l’Église
§ 143.
L’existence du pouvoir de gouvernement
§ 144. La
primauté de l’Apôtre Pierre et de son successeur
§ 145. La
primauté du Pape
CHAPITRE 3 :
Propriétés et notes de l’Église
§ 146. Notion
et nombre.
§ 147. La
perpétuité et l’immutabilité de l’Église
§ 148. La
visibilité de l’Église
§ 149. L’unité
de l’Église
§ 150. La
sainteté de l’Église
§ 151. La
catholicité
§ 152.
L’apostolicité.
DEUXIÈME
SECTION L’Église en tant que communion des saints
§ 153. La communion
des saints.
§ 154. Le culte
des saints
§ 155. Le
culte des reliques
§ 156. Le
culte des images
A
consulter : Tertullien, De præscriptione hæreticorum. S. Cyprien, De unitate
ecclesiæ. S.
Augustin, De baptismo ; De unico baptismo ; Ep. ad catholicos. Chapman,
Prof. H. Koch on S. Cyprian. Tixeront, Histoire des dogmes. Bellarmin, De controversiis : De
Eccles. militante. Passaglia, De Ecclesia
Christi, 2 vol. Franzelin, Theses de Ecclesia Christi (1887). Murray, Tractatus de Ecclesia, 3 vol.
(1860-1863). De Brouwer, Tractatus de
Ecclesia Christi (1882). Palmieri, Tract. de Rom. Pontif. (1902). Mazella, De religione et Ecclesia (1892). Wilmers, De
Christi Ecclesia (1897). Billot, De Ecclesia Christi (1904). Segna, De Ecclesia Christi (1900). De San, De Ecclesia et Roma. Pontif., (1906). De
Groot, de Ecclesia catholica
(1906). Van Noort,
De Ecclesia Christi (1909). Schiffini, De vera
religione seu de Christi Ecclesia (1906). Tanquerey, De Ecclesia Christi
(1903). Ottiger,
Theologia fundamentalis,
2 : De Ecclesia Christi et infallibiti
revel. div. magistra
(1911). Straub, De Ecclesia Christi. Dict.
apol., v. Église. Dict. théol., 4, 2108-2224. Au sujet de la primauté : Codex juris canonici, 218-221. Bellarmin,
De Romano Pontif. Palmieri, Tractatus de Rom. Pontif. (1891). De Roscovany, Romanus Pontifex, 20 vol. (1867-1890). Marino, Il primato di San Pietro (1919). Cajetan, De divina
instit. Pontificatus R. Pont. (« Corpus cathol. »). J.
V. Bainvel, De Eccl.
Christi (1925). Reg. Schultes,
De Ecclesia cath. (1925). K. Adam, Le vrai visage du catholicisme
(traduction Ricard). Batiffol,
Le Siège apostolique (1924). Dict. théol.,
4, 1522 sq., 2100 sq. L’Église et l’État : Encycliques pontificales :
Diuturnum illud, 29 juin
1881 ; Sapientiæ christianæ,
10 janvier 1890 ; Immortale Dei, 1er novembre 1885.
Nécessité de l’Église. Bainvel,
Hors de l’Église pas de salut (1913). Hugon,
Hors de l’Église point de salut (1907). - Sur la hiérarchie. Michiels, L’origine de l’Épiscopat
(1900). Genouilhac,
L’Église chrétienne au temps de S. Ignace (1907). Léon XIII, Encycl. De unitate Ecclesiæ (1896). Dict. théol., 5, 1656-1725, v. Évêques.
Au
traité de la grâce se rattache parfaitement celui de l’Église. Dieu veut nous
communiquer sa grâce d’une manière ordinaire par l’intermédiaire de l’Église.
Il l’a établie pour en faire une institution de grâce qui opère parmi les
hommes pécheurs, afin de se préparer un peuple saint. On peut considérer l’Église
d’un double point de vue : comme institution
objective de salut et comme communauté subjective des saints.
Comme
l’Église, en tant que phénomène historique, est traitée aussi par l’apologétique et que sa constitution forme
une partie du droit canonique, il ne
reste à la dogmatique que la considération
surnaturelle. Or de cette conception,
à la lumière de la foi, l’Église n’a
jamais pu se passer ; aujourd’hui moins que jamais. Plus encore que jadis,
il faut insister sur l’article du Symbole de Nicée : « Je crois à l’Église
une, sainte, catholique et apostolique. »
Sommaire. La matière de la première section se divise en trois chapitres. Nous étudierons d’abord
la notion, l’origine et la fin de l’Église,
puis ses pouvoirs et enfin ses propriétés essentielles.
Le Catéchisme
romain décrit l’Église comme la réunion des fidèles qui ont été appelés à
la lumière de la vérité et à la connaissance de Dieu dans la foi et qui, après
avoir déposé les ténèbres de l’ignorance et de l’erreur, honorent pieusement et
saintement le Dieu véritable et vivant et le servent de tout leur cœur ;
ou bien, pour employer une expression concise de S. Augustin, comme le peuple des fidèles répandu sur toute la terre
(P. 1, c. 10, q. 2).
A l’époque posttridentine,
la définition objective de Bellarmin
est devenue d’usage courant : L’Église est la communauté de tous les
fidèles, unis par la profession de la même foi et la participation aux mêmes
sacrements, sous l’autorité des pasteurs légitimes et spécialement sous celle
du Pontife romain, vicaire de Jésus‑Christ
sur la terre (De eccl. milit., c. 2). Dans la première définition, on fait
ressortir davantage le caractère intérieur spirituel de l’Église ; dans la
seconde, on accentue davantage le caractère externe, juridique.
Étymologie. Les termes
employés par les langues romanes pour désigner l’Église viennent de ἐϰϰλησία (εϰϰαλεῖν, evocare ; ἐϰϰλησία,
réunion des ἔϰϰλητοι).
Les termes employés par les langues germaniques (Kirche,
church) viennent sans doute de ϰυριαϰή
(οἰϰία, ἐϰϰλησία). La
Bible connaît le mot ἐϰϰλησία,
dans l’Ancien Testament (Septante) comme dans le Nouveau, pour désigner des
assemblées profanes et religieuses. Pour des assemblées profanes : par
ex., Ps. 25, 5 ; Eccli., 23, 34. Le plus souvent
cependant, le mot est employé soit seul, soit avec des compléments : ϰυρίου, ἁγίων,
πιστῶν etc., pour
désigner des assemblées religieuses (hébr. kahal), de Juifs, dans l’Ancien Testament, de chrétiens,
dans le Nouveau. On peut citer ces attestations de l’Ancien Testament : Dt., 23, 1-3, 8. 2 Esdr., 13, 1.
Lament., 1, 10. Ps. 21, 23, 26 ; 39, 10 ; 88, 6 ; 106, 32 ;
149, 1. Eccli., 15, 5 ; 44, 15 ; 1 Macch., 3, 13 ; Joël, 2, 16. Dans le Nouveau Testament,
le mot apparaît pour désigner, dans le sens d’assemblée des fidèles, aussi bien
des communautés particulières que l’ensemble de l’Église : pour désigner
des communautés particulières, soit des communautés de maisons (Rom., 16, 5 ; Col., 4, 15 ; 1 Cor., 16, 19) ou
bien des communautés de ville. (Act. Ap., 8, 1 ; 11,
22 ; 15, 4 ; Église de Jérusalem. Act. Ap., 13, 1 ; 14, 26 ; 15, 3 : Église d’Antioche.
Act. Ap., 20, 17 :
Église d’Éphèse. Gal., 1, 2 ; cf. 1, 22 : Église de Galatie. Rom.,
16, 1 : Église de Cenchrée. 1 Cor., 16,
19 : Église d’Asie. 2 Cor., 8, 1 : Église de Macédoine). Mais d’ordinaire
le mot ἐϰϰλησία
sert à désigner toute l’Église de Dieu sur la terre (Math., 16, 18. Act. Ap., 5, 11 ; 8, 1,
3 ; 9, 31 ; 12, 1, 5 ; 20, 28 ; surtout chez S. Paul :
1 Cor., 10, 32 ; 11, 16 ; 14, 4 ; 15, 9. Gal., 1, 13. Eph., 1, 22 ; 5, 23, 29 ; Col., 1, 18. 1 Tim., 3,
15 ; cf. aussi Jacq., 5, 14). On trouve une fois ἐϰϰλησία πρωτοτοϰων
(Hébr. 12, 23) ; ce qui désigne sans doute l’Église
céleste qui apparaît aussi d’une manière très marquée dans l’Apocalypse de S.
Jean (7, 9 sq. ; 14, 1 sq. ; 15, 3 sq., etc.). La distinction entre l’Église
« militante » et l’Église « triomphante » a donc son
fondement dans l’Écriture.
Les
Pères emploient sans doute encore, au
début, ἐϰϰλησία
ecclesia, pour désigner l’Église particulière d’une
ville, d’une région ; mais le plus souvent, à partir de S. Clément de
Rome, de S. Ignace, de S. Irénée, de Tertullien, de S. Cyprien, ce mot désigne
l’Église universelle. Le Symbole des Apôtres dit, comme le Symbole de Nicée‑Constantinople : « Je crois en l’Église,
une, sainte, catholique et apostolique ». Les termes synonymes pour
désigner l’Église sont : « Royaume du ciel » (βασιλεία τῶν
ὀυρανῶν),
« royaume de Dieu » (βασιλεία
τοῦ θεοῦ)
dans les évangiles ; « temple de Dieu » (2 Cor., 6, 16),
« corps du Christ » (Eph., 4, 12 ; cf.
1, 22 sq. ; Rom., 12, 4), « les fidèles » (Act.
Ap., 2, 44), « maison de Dieu » (1 Tim., 3,
15 ; 1 Pier., 4, 17 ; Hébr., 10, 21), etc.,
dans les écrits apostoliques. L’Écriture désigne donc le caractère extérieur de
l’Église par ἐϰϰλησία
communauté, assemblée,
et son caractère intérieur par différentes expressions spirituelles.
Dans
l’Église grecque, il n’y a pas de
définition de l’essence de l’Église. D’après Florensky
(Christianisme oriental, 2, 38), c’est le corps du Christ « dont la
plénitude de vie divine ne se laisse pas renfermer dans le cadre d’une
définition logique ». Toutefois les théologiens modernes ont tenté une
définition. Ils se rattachent un peu aux Latins et rappellent surtout Moehler. « L’Église
n’est pas seulement une « union » ou une « société » ou une
« communauté » ou une « alliance » ou quelque chose de ce
genre. C’est un organisme ; c’est le corps du Christ dans le sens le plus
réel, bien que ce soit aussi dans un sens mystique impénétrable. De ce corps
mystique, nous ne connaissons que certaines parties et nous ne les connaissons
que par leur aspect extérieur ; la constitution intime de ce corps n’est
connue que du Christ » (Zankof, Chrétienté orthodoxe,
67). Dans le catéchisme de Gallinicos on lit :
« L’Église est le royaume du Christ sur la terre, qu’il a fondé il y a
deux mille ans et qu’il maintient depuis par son Esprit‑Saint, afin que tous ceux qui veulent faire
leur salut entrent dans cette Église comme dans une arche » (34).
Évolution
de la notion d’Église. Il n’est
pas rare de voir les Pères reporter le commencement de l’Église au‑delà du Christ jusqu’à Adam ; parfois même ils
le placent dans l’éternité, avant la création, afin de bien marquer sa dignité.
Ainsi
par ex. : S. Augustin (Civ., 16, 2, 3 ; 17, 16, 2), S. Thomas (S. th., 3, 8, 3), Bellarmin
(De Verbo, 4, 4). Il faut observer, à ce sujet, que l’Église exista pendant
environ quinze cents ans sans réfléchir sur sa nature et sans chercher à la
préciser par une définition logique. Et cela s’applique à l’Église d’Occident
comme à l’Église d’Orient.
En
admettant même, avec S. Augustin, que l’Église exista dès le commencement comme
communauté de ceux qui croyaient en Dieu, il ne faut cependant pas oublier les différences entre l’Église de l’Ancien
Testament et celle du Nouveau. La première, en effet, est en même temps un État
avec des buts politiques ; la seconde est une communauté purement
religieuse avec des fins et des moyens surnaturels. Dans la première, les
frontières de la religion et de la nation se confondent ; dans la seconde
elles sont distinctes ; dans la première, règne le particularisme ;
dans la seconde, l’universalisme ; dans la première, on fait partie de l’Église
par la naissance ; dans la seconde, on y entre par un acte sacramentel
libre ; dans la première, le but est la séparation extérieure des païens
impurs, et la pureté légale ; dans la seconde, la délivrance intérieure du
péché et la justice spirituelle. Par suite, dans la première, les moyens de
salut étaient des symboles religieux ; dans la seconde, ce sont des sacrements
efficaces ; dans la première, la vérité religieuse était en devenir,
imparfaite ; dans la seconde, elle est parfaite et absolue. Dans la
première, la vérité était encore exposée au destin de l’erreur, si bien que la
synagogue officielle, dépourvue du charisme de l’infaillibilité, rejeta le
Messie ; la seconde est introduite par l’Esprit divin dans toute vérité.
Jésus n’emploie le mot « Église » que deux fois, mais dans des circonstances
importantes. Il le fait une première fois quand il donne à son Église un chef
suprême dans la personne de Pierre (Math., 16, 18), et ensuite quand il
établit, d’une manière générale, les Apôtres pasteurs de son Église (Math., 18,
17 sq.). Les idées du Seigneur sur son Église doivent être recherchées dans son
enseignement du « royaume de Dieu ». Ce royaume a un double
aspect : un aspect extérieur et un aspect intérieur. Extérieurement on
entre dans ce royaume par l’acceptation de la foi et par le baptême (Math., 28,
19 ; Jean, 3, 5) ; dans ce royaume, on confesse le nom de Jésus
(Math., 10, 32), on observe les commandements de Dieu (Math., 19, 17), mais
aussi on obéit à Pierre et aux autres Apôtres qui ont reçu le pouvoir de lier
et de délier (Math., 16, 19 ; 18, 15-18).
Bien entendu, cette forme extérieure n’est
pas tout le royaume de Dieu, pas plus que le corps seul n’est tout l’homme. Il
a surtout un aspect spirituel, c’est la communauté de grâce avec Dieu.
« Ce royaume de Dieu est en vous »
(Luc, 17, 21). Par suite, il est essentiellement un mystère qui doit être révélé, (Math., 11, 25, 26 ; 13, 11) qu’on
saisit avec la foi (Marc, 1, 15, cf. Math., 13, 14). Les conditions d’entrée
sont spirituelles (Math., 5, 1-10). D’où la relation étroite entre le royaume
de Dieu et la justice (Math., 6, 33). A cause de l’identité objective entre ces
deux choses, il peut y avoir des degrés
parmi ceux qui appartiennent à ce royaume ; on peut y être un premier ou
un dernier, un grand ou un petit. (Math., 20, 26, 27 ; Luc, 7, 28 ;
9, 48). Ce royaume spirituel de Dieu est fondé objectivement par l’activité de
Jésus comme docteur et thaumaturge (Math., 13, 1-30 ; Marc, 4, 1-34 ;
Luc, 8, 1-18 ; 11, 20) et subjectivement par l’acceptation dans la foi et
l’appropriation morale (Math., 18, 2-4 ; 1, 13-26 ; cf. les paraboles
du semeur, du levain, de la semence qui croît).
Dans l’évangile de S. Jean, le Seigneur fait nettement ressortir le
caractère spirituel du royaume de Dieu. C’est le royaume de la vérité et de la
grâce, de la lumière et de la vie. Mais le caractère extérieur y est cependant
indiqué dans la parabole du seul troupeau et du seul pasteur (10, 1 sq.), ainsi
que dans l’établissement de Pierre comme pasteur (21, 15-17). Parmi les
propriétés et les caractéristiques de l’Église, ce que cet évangile met surtout
en lumière, c’est la charité (13, 35,
etc.) et l’unité (10 et 17).
S.
Paul décrit de préférence l’Église comme le corps mystique du Christ (Rom., 12, 4,
5. 1 Cor., 12, 27. Eph., 1, 22, 23 ; 5, 23.
Col., 1, 18 ; 2, 19). Mais Jésus lui‑même
avait employé (Jean, 15, 1-8), pour désigner l’union des fidèles avec lui, l’image
d’un organisme. S. Paul désigne
ensuite l’Église comme un édifice,
une maison de Dieu (Eph., 2, 22 ; 1 Tim., 3,
15 ; 1 Cor., 3, 9 ; 2 Cor., 6, 16). Mais Jésus lui aussi parle de la construction de son Église (Math., 16, 18).
Il reste encore une troisième image paulinienne de l’Église, celle du mariage (Eph.,
5, 30-32 ; 2 Cor., 11, 2) ; il veut caractériser par
là l’amour du Seigneur pour sa
communauté. Mais Jésus aussi a maintes fois employé ce symbole qui se trouve
déjà chez les Prophètes et se l’est appliqué à lui et aux siens (Math., 9,
15 ; Marc, 2, 19 ; Luc, 5, 34 ; cf. Jean, 3, 29 ; Apoc.,
21, 2, 9 ; 22, 17).
A côté de cet aspect spirituel du corps mystique du Christ, l’Apôtre n’a cependant
oublié l’organisation extérieure. Il en traite surtout dans ses Épîtres pastorales. On y trouve les
« chefs de l’Église », les « évêques, administrateurs de la
maison de Dieu » (Tit., l, 7 ; cf. 1 Cor., 4, 16, 17) et les
« diacres » (1 Tim., 3, 8, 12 ; Phil., 1, 1) qu’il connaît et
apprécie, à la tête des communautés. Comme les évêques étaient d’ordinaire des
chrétiens âgés et expérimentés, ils sont appelés aussi « presbytres »
ou anciens (1 Tim., 5, 17, 19 ; Tit., 1, 5-9 ; Act.
Ap., 20, 17, 28). Ils ont le droit de veiller sur la discipline
ecclésiastique et sur l’orthodoxie des membres de la communauté. Si l’on ajoute
que S. Paul fait usage (1 Cor., 5, 1-5) du droit d’exclusion de l’Église,
établi par le Christ (Math., 18, 17), nous aurons trouvé chez lui, sous une
forme développée, tous les traits principaux que nous avons déjà rencontrés
dans l’enseignement de Jésus. Paul et Apollo sont les « coopérateurs de
Dieu », les Corinthiens sont le « champ de Dieu », l’ « édifice de Dieu » (1 Cor., 3, 9 ; cf.1
Cor., 4, 1).
On trouve la même image que chez Jésus et
S. Paul dans les Actes des Apôtres.
On y voit une communauté de gens qui croient au Christ, sont baptisés en son
nom (2, 38, 41 ; 10, 47, 48), qui sont réunis par un amour mutuel étonnant (2, 44, 45 ; 4, 34-37), tout en étant
gouvernés par une hiérarchie (6, 2,
4 ; 8, 14-17 ; 11, 30 ; 14, 22 ; 15, 2, 6 ; 16,
4 ; 21, 18), dont le chef visible est sans conteste Pierre (1, 13,
15 ; 2, 14, 37 ; 3, 6, 12 ; 4, 8 ; 5, 3, 29 ; 15, 7).
Sans doute c’est le Saint‑Esprit
qui dirige l’Église, mais il le fait par les organes visibles (6, 1-7 ;
13, 1-4 ; 15, 6, 22, 28). Les Apôtres communiquent officiellement et
rituellement les dons du Saint‑Esprit
aux fidèles (8, 17 sq.). Bien que la jeune communauté ne soit pas encore
entièrement dégagée du judaïsme et aille encore au temple pour des prières et
des instructions (2, 46 ; 3, 1 ; 5, 12), elle manifeste cependant son
caractère particulier dans un culte qui lui est propre et qui a été ordonné par
le Seigneur : l’Eucharistie (2, 42, 46 ; 20, 7, 11). - Quant au
sacrifice du nazirat mentionné dans les Actes (21,
17-26), S. Paul ne l’offrit pas par besoin religieux, mais seulement pour
répondre aux reproches des Juifs qui l’accusaient de mépriser la Loi.
Trois grandes Églises nous
apparaissent dans les Actes : celle de Jérusalem, celle d’Antioche
et celle de Rome. Dans la première, c’est
l’élément juif qui domine ; dans les autres, c’est l’élément païen. Pour
parler plus précisément, les deux éléments, juif et hellénique, étaient partout
mêlés.
1.
L’Église de Jérusalem, partie d’un
petit commencement (120) (Act. Ap.,
1, 15) s’éleva rapidement à 3.000 (Act. Ap., 2, 41), à 5.000 (Act. Ap., 4, 4) et même finalement à des « myriades »
de fidèles (Act. Ap., 21,
20). Même une « multitude de prêtres » obéirent à la foi (Act. Ap., 6, 7). A cette
communauté primitive comme à sa souche, se rattachèrent les Églises de Samarie,
de Galilée et de Damas. Dans la « multitude », on voit toujours les
Apôtres, ou les douze, diriger la
communauté. Plus tard, le chef est Jacques seul ; puis c’est son cousin
Siméon. A côté d’eux apparaissent, comme aides pour les services inférieurs,
les « sept hommes » ou diacres.
Les douze s’adjoignent encore des presbytres. La vie intérieure de la
communauté est simple mais idéale : la foi au Christ, le baptême, l’Eucharistie,
une nouvelle moralité, l’amour du prochain porté jusqu’à la communauté des
biens sont ses caractéristiques principales.
2.
L’Église d’Antioche ne nous apparaît
pas dans une lumière historique aussi claire. Elle fut sans doute fondée par
des fidèles, Juifs hellénisants, qui s’étaient enfuis de Jérusalem au moment de
la persécution (Act. Ap.,
11, 19) et organisée par Barnabé qui
s’adjoignit le converti Paul. C’est
là que les fidèles reçurent pour la première fois le nom de « chrétiens »
(Act. Ap., 11, 26).
Antioche fut le berceau du christianisme gentil et le centre des missions dans
la gentilité. Comme il y avait aussi dans la communauté des chrétiens juifs, il
se produisit le conflit connu entre eux et les chrétiens gentils. Le conflit
fut déféré par Paul et Barnabé au « Concile des Apôtres » qui le
résolut (52). Les évêques célèbres d’Antioche furent Pierre, Ignace et l’apologiste
Théophile.
3.
L’Église de Rome a également des
commencements obscurs. Ce qui frappe en elle, c’est son origine inconnue et,
semble‑t‑il, simple
et modeste, sa croissance rapide, sa foi vivante, connue du monde entier (Rom.,
1, 8). Pierre fut son chef ; il mourut avec Paul durant la persécution de
Néron (67), alors qu’il y avait à Rome « une immense multitude de
chrétiens » (Tacite Ann., 15, 44). De même qu’Antioche, Rome a sa liste d’évêques
qui remonte aux temps les plus anciens. Rome était mûre pour devenir le centre
de la chrétienté, alors que Jérusalem ne pouvait plus l’être (Duchesne, Histoire ancienne de l’Église.
1 [1907], 65). S. Paul ayant trouvé l’Église de Rome déjà établie, il est
intéressant de remarquer qu’il peut y supposer sa propre foi : La foi de l’Église primitive était unique
(Jos. Pauels).
Constitution de l’Église biblique. Nous en
avons déjà parlé, mais il faut l’examiner ici d’une manière plus détaillée. C’est
sur ce point que les objections des adversaires
sont le plus bruyantes, mais aussi le plus contradictoires. D’après les
protestants libéraux, le Christ n’a rien établi de « statutaire »
dans sa communauté de disciples, n’a pas fondé d’« Église ».
D’après Sohm
et ses disciples, la chrétienté primitive n’avait « rien d’une
Église », elle n’avait pas de constitution ; l’Église était une
« notion religieuse » et non une notion « juridique ». La
chrétienté se sentait en possession des biens du « nouvel Israël », des
promesses et surtout de l’« Esprit » ;
c’est dans cette mesure seulement qu’on peut appeler les premiers temps une
Église. C’était une Église dominée et « régie » par le Pneuma et non
par une autorité extérieure. « L’Église est le peuple de Dieu, l’ensemble
de ceux que Dieu a appelés à son futur royaume » (notion eschatologique et
pneumatique de l’Église). Ce n’était pas une « démocratie » bien que
l’Esprit soufflât où il voulait ; c’est bien plutôt d’« en
haut » que venait la direction ; ce n’était pas cependant l’antique
« théocratie juive », mais, si on peut risquer un néologisme, la
« pneumatocratie » (Scheel). Hamack
est d’avis, lui aussi, que le Christ ne donna pas à sa communauté de normes
juridiques ; cependant il se rapproche de la conception catholique et
rejette la thèse de Sohm sur le christianisme
primitif dépourvu de caractère juridique. « Le catholicisme (il a en vue
sa constitution actuelle) est donc, si on examine sa forme embryonnaire, aussi
ancien que l’Église ; c’est à peine s’il manquait alors un élément ou
deux » (Origine et développement de la constitution de l’Église, 182). Et
dernièrement H.-V. Soden
avouait : « L’évolution du christianisme dans la direction du
catholicisme commence, en fait, à l’intérieur du Nouveau Testament et, si haut
qu’on place son point de départ, la question qui se pose est simplement de
déterminer la notion de « catholique ». Si on l’identifie, comme on
le fait ordinairement aujourd’hui, à peu près à celle d’« ecclésiastique »,
on ne trouvera pas d’époque où le christianisme ait été sans Église ( !)
(Du christianisme primitif au catholicisme, p. 9). Telle est d’ailleurs aujourd’hui
la « sententia communior »
des protestants. Il s’est donc produit, chez beaucoup, un revirement en faveur
de la conception catholique, surtout depuis une dizaine d’années.
Assurément
les catholiques doivent insister sur la « forme embryonnaire ». Au
début on « gouvernait » moins qu’aujourd’hui. Mais ce qui importe, ce
n’est pas le « combien », c’est le « comment » ou le
principe, et ce principe est sans aucun doute fermement établi dès le
commencement pour l’Église judaïsante comme pour l’Église
des Gentils.
L’autorité suprême est aux mains des
Apôtres.
Pour l’Église judéo‑chrétienne,
les chefs sont les premiers
Apôtres ; pour l’Église des Gentils, c’est spécialement S. Paul.
a)
Pour l’Église de Jérusalem cela est attesté par les Actes des Apôtres. Tous les Apôtres constituent la
« hiérarchie ». Ils sont souvent représentés par Pierre et la mention
qui en est faite est d’importance. « Pierre est sans discussion le premier
homme dans la communauté primitive » (Weizsäcker). Après sa fuite, au
moment de la première persécution (+ S. Étienne), « Jacques, le frère du
Seigneur » prend la direction avec « un pouvoir monarchique ». Harnack écrit : « Sa parenté
avec Jésus fut un motif déterminant (?) de l’élection (?) de Jacques. Il eut
pour successeur un autre parent de Jésus, son cousin Siméon. Ensuite une
antique tradition nomme encore treize évêques judéo‑chrétiens » (Mission, 2, 77). D’une
« élection » on ne trouve nulle part trace : Jacques était un
Apôtre de Jésus. Au sujet de son prestige, cf. Act. Ap., 15, 6 sq., où on le voit trancher le débat avec Pierre
et Paul.
b)
Pour les communautés pauliniennes, S. Paul reçut la direction suprême, comme en
témoignent ses Épîtres qui sont des « Épîtres officielles ». Citons
quelques passages : « C’est pourquoi je vous écris ces choses pendant
que je suis loin de vous, afin de n’avoir pas, une fois arrivé chez vous, à
user de sévérité selon le pouvoir que le Seigneur m’a donné » (2 Cor., 13,
10). « Pour le Christ nous faisons fonction d’ambassadeurs, Dieu vous
exhortant par nous » (2 Cor., 5, 20). « Si je retourne chez vous, je
n’aurai pas de ménagement » (2 Cor., 13, 2). « Voulez-vous que j’aille
chez vous avec la verge ? » (1 Cor., 4, 21). Qu’on suive « mes
voies dans le Christ, comme j’enseigne partout dans toutes les Églises »
(1 Cor., 4, 17). C’est donc bien là un « droit » que S. Paul revendique
en s’appuyant sur le Christ ; par conséquent, c’est un « droit
ecclésiastique divin ». S. Paul a coutume d’exprimer son autorité suprême
de la façon suivante : « Absent de corps, mais présent d’esprit »
(Cf. 1 Cor., 5, 3 ; 2 Cor., 10, 1, 2, 11 ; 13, 2, 10. Col., 2, 5.
Phil., 2, 12).
L’essence de l’apostolat consistait
en ce que l’Apôtre : 1° Avait vu le Seigneur ; 2° Avait reçu de lui
pouvoir et mission pour être le témoin de sa doctrine (1 Cor., 9, 1 ;
Gal., 1, 1, 11, 12, 15-17). « Pour que son nom soit reconnu, nous avons
reçu par lui grâce et mission d’Apôtre, afin d’amener à l’obéissance de la foi
toutes les nations païennes » (Rom., 1, 5). Par là-même il y a concordance
entre ce que rapporte l’Évangile et ce que rapporte l’Apôtre. (Marc, 3, 13 sq.
Jean, 17, 18 ; 19, 35 ; 20, 21, 30. Act. Ap. 1, 8, 21 sq. ; 9, 15 ; 13, 2. 1 Jean, 1,
1-3). Il n’est aucunement question d’« élection »
par la communauté, mais seulement de mission et de charge venant d’en‑haut. L’apostolat n’est donc pas non plus un
« charisme » accordé plus tard par le Pneuma. Il a son fondement dans
le choix du Christ et la possession de l’Esprit ; c’est une grâce, mais
aussi une « fonction » qui doit être revendiquée, même, si c’est
nécessaire, contre les « anges du ciel » (Gal., 1, 8-10).
La
critique a nié qu’il se rencontre, dans la vie de Jésus, des
« apôtres » en dehors des « disciples » ; Jésus n’aurait
appelé et envoyé ces « apôtres » qu’après la Résurrection. (Math.,
28, 16 sq.). Mais ils existent déjà auparavant et au nombre de douze (1 Cor.,
15, 5). Si c’était la dogmatique de communauté qui les avait créés, elle n’aurait
sûrement pas rangé Judas parmi eux. Il faut reconnaître cependant que, dans la
chrétienté primitive, on appelait aussi parfois « apôtres » de
simples disciples (Rom., 16, 7) qui exerçaient les fonctions de docteurs et on
les rangeait dans cet ordre : apôtres, prophètes, docteurs (Didachè, 11, etc). Les
« douze Apôtres » ont été appelés et envoyés par Jésus‑Christ lui‑même. D’où
la grande importance, dans l’Église ancienne, de tout ce qui est
« apostolique » (succession, canon, tradition apostoliques).
Les presbytres ou anciens. On les voit
apparaître dans toute l’Église apostolique et ils sont généralement attestés,
aussi bien pour l’Église judaïsante que pour l’Église
des Gentils. (Act. Ap., 11,
30 ; 14, 20-22. Tit., 1, 5. 1 Pier., 5, 15. Jacq., 5, 14). Ils sont cités
aussi chez S. Clément, S. Polycarpe et S. Ignace. Ils sont souvent nommés, à
côté des Apôtres, et avaient, sans contredit, un grand prestige. Traduire le
mot πρεσβύτεροι
par « prêtres » est inexact. De l’avis des chercheurs catholiques, il
faut les identifier avec les « episcopi »
ou surveillants (ἑπίσϰοποι).
On en trouve la preuve dans Act. Ap.,
20, 17, 28 ; Tit., 1, 5-8 ; 1 Pier., 5, 1-5. Le nom « presbyter » est plus courant que celui d’« épiscopus ». La
synagogue juive le connaissait bien et, dans l’État païen, on n’est pas sans en
trouver des traces ; le sanhédrin juif, le sénat romain et la gérousie
athénienne sont essentiellement la même chose, bien que les fonctions de ces
corps publics fussent différentes. En raison de l’union de la religion et de l’État,
les « anciens » juifs avaient une autorité très étendue. Il était
tout naturel que l’Église, dans la fondation de ses communautés, s’inspirât de
cette institution. La fonction des « anciens » chrétiens était doctrinale, législative (Act. Ap.,
15, 23-29 ; 16, 4 ; 21, 18, 25), liturgique,
sacramentelle (Jacq., 5, 14), pastorale, épiscopale (Act. Ap.,
20, 17-31).
Les episcopi. Le nom (ἑπίσϰοπος = surveillant, ἑπί
et σϰοπεῖν) est
connu dans les Septante (14 fois ; ἑπίσϰοπή,
47 fois). Les Grecs et les Romains employaient ce titre pour désigner les
surveillants des ouvrages profanes et même déjà dans un sens technique sacré.
Aussi ce mot pénétra‑t‑il dans l’usage chrétien. En tout cas, il
était uni à une certaine autorité. D’après S. Paul, cette autorité est très
étendue : « diriger l’Église de Dieu » (Act.
Ap., 20, 28). Ils ont été « établis par le Saint‑Esprit ». Comme ils se confondent avec
les presbyteri, leurs fonctions sont aussi les mêmes.
Ils n’étaient certainement pas de simples serviteurs liturgiques de la
communauté ou des administrateurs temporels comme le pensent Hatch‑Harnack et beaucoup d’auteurs libéraux.
L’ « épiscopat monarchique » n’apparaît
pas formellement dans la Bible. Les « episcopi »
et les « presbyteri » forment un collège à la tête de la communauté. L’unité
de direction est encore assurée provisoirement par les Apôtres : les
Apôtres primitifs et S. Paul. Comment on en est venu à l’épiscopat monarchique,
qui apparaît très nettement chez S.
Ignace, c’est une question très débattue. Nous ne pouvons plus retrouver
entièrement les traces de cette démarche ; mais qu’elle soit le résultat
de motifs purement naturels et historiques, parce qu’il fallait que finalement un seul ait la haute main dans chaque
communauté, comme le prétendent les adversaires, cela est faux. S. Clément de
Rome écrit que l’évêque a reçu dans l’Église la place des Apôtres : Les
Apôtres « ont connu par Notre‑Seigneur Jésus‑Christ (par conséquent instruits par lui) qu’il
s’élèverait des conflits au sujet de l’épiscopat. C’est pourquoi, munis d’une
prévision parfaite, ils ont établi
ceux qui étaient nommés d’avance et ils leur ont donné l’ordre que, lorsqu’ils
seraient eux‑mêmes disparus, d’autres hommes
éprouvés prennent leur fonction » (1 Cor., 44). Ainsi donc, à la mort des
Apôtres, la direction suprême passa à l’épiscopat et par là se produisit le
« pouvoir monarchique » de l’évêque unique au‑dessus des autres presbytres. C’est pourquoi
S. Ignace compare l’évêque à Dieu et le collège presbytéral au collège
apostolique. Il fallait que l’autorité du président grandît quand il n’y eut
plus d’Apôtres (Schanz, Apol.,
3, § 5). Par conséquent, d’après la tradition qui commence avec S.
Clément, l’épiscopat est une institution apostolique ; il est, selon l’expression
du Concile de Trente, « de droit divin », parce qu’il a été institué
par les Apôtres sur les instructions du Christ. « Les évêques sont les
successeurs des Apôtres ». Bainvel écrit d’une manière pertinente (Dict. théol., l,
1659), à la fin de l’article « Apôtre », qu’il y a, dans le passage
de l’Apôtre à l’évêque monarchique, « certains points obscurs », mais
qu’ils ne sont pas de nature à permettre de parler du « mythe de la
succession apostolique ». Dernièrement H.
Koch a essayé de prouver que, pendant les quatre premiers siècles, il
arrivait parfois « qu’une communauté fût gouvernée simultanément par deux
évêques légitimes ». Au début, en effet, « l’Église d’une ville aurait
compris souvent plusieurs communautés de maisons, faisant partie d’une unité
plus élevée ». S. Cyprien, en s’appuyant sur S. Ignace, a bien insisté sur
l’unité de direction : « Esse posse in uno
loco aliquis existimat aut multos pastores
aut greges plures ? » (De unit., 8 ; cf. 44, 3 ;
55, 3). Mais des « cas de force majeure » seraient toujours des cas
exceptionnels. Plus tard on y aurait pourvu par la création des coadjuteurs,
des évêques auxiliaires, des vicaires généraux.
Les
diacres sont nommés avec les évêques
dont ils sont les serviteurs, d’où leur nom. Leur fonction n’était pas
seulement de répartir les aumônes et veiller à la table (Act.
Ap., 6, 2 sq.), mais encore d’enseigner et d’assister
l’évêque dans la liturgie. Cf. le traité de l’Ordre.
Les pneumatiques. Ils sont
assez souvent nommés à côté des organes de la constitution qu’on vient de
citer. Leur situation dans la communauté était assez libre ; en eux
parlait et agissait le Saint‑Esprit dont
dépendait uniquement leur situation qui était analogue à celle des Prophètes à
côté du sacerdoce régulier de l’Ancien Testament. D’une manière générale, le
porteur de l’Esprit n’est jugé par personne, mais plutôt c’est lui qui juge
tout. A y regarder de plus près, ils étaient cependant limités par le jugement
public et la doctrine de la foi et des mœurs. Leur influence est exagérée par
les protestants qui voient en eux les guides proprement dits de la primitive
Église. A la vérité, leur possession de l’Esprit leur donnait un grand
prestige. Seulement S. Paul revendique à leur égard toute son autorité
apostolique. Et pour cela, il se réfère à « la parole du Seigneur ».
Il insiste, en face de l’« anarchie
pneumatique » à Corinthe, sur l’ordre, et place l’autorité au‑dessus du pneuma. Que les pneumatiques
fussent soumis à la conscience officielle et générale de la foi, et que leurs
« esprits » fussent « éprouvés » avant d’être acceptés, c’est
la doctrine claire de l’Écriture et de la Tradition. En tout cas, les
charismatiques, dans la chrétienté primitive, n’étaient qu’une institution
transitoire et non une institution durable. Il n’est pas possible, en
considération de ces charismes, de parler d’une « pneumatocratie »
aux débuts du christianisme. Au reste, il y avait aussi des pneumatiques dans
les fonctions d’autorité et ainsi une union durable entre le Pneuma et la
fonction. C’était, avant tout, les Apôtres eux‑mêmes, même
dans la fonction de direction (ϰυϐέρνησις,
1 Cor., 12, 28 ; cf. Rom., 12, 7 sq.). Même les apôtres, prophètes,
docteurs, évangélistes (Eph., 2, 20 ; 3,
5 ; 4, 11) sont des pneumatiques qui détiennent des fonctions officielles
et non des charismatiques de l’Ancien Testament, comme dans 1 Thes., 2, 15. Quelle autre formation que la formation
charismatique auraient pu avoir au début les chefs de
l’Église ?
Les Pères. Ils n’avaient
qu’à s’appuyer sur le Nouveau Testament, puisque Harnack lui‑même nous dit que, dans le Nouveau Testament,
« il manquait à peine un ou deux éléments ». Mais il est évident qu’au
cours des temps leur notion s’éclaircit. La polémique menée contre l’Église par
les Juifs, les gnostiques, les montanistes, les donatistes, etc., renforça et
accrut leur conscience pratique et théorique de l’Église ; aux diverses
époques et selon les diverses directions, ils insistèrent davantage sur tel ou
tel élément ; par ex., contre les hérétiques, on insista sur l’unité de la
profession extérieure et de la doctrine ; contre les schismatiques, on mit
plus en lumière l’unité intérieure de l’esprit et de la vie ; contre les
entreprises de la politique, on fit ressortir la puissance surnaturelle ;
contre les révolutionnaires intérieurs, on accentua la hiérarchie. Mais la
notion de l’Église resta essentiellement
identique ; elle le resta depuis les temps apostoliques jusqu’au Concile
du Vatican, bien que les adversaires, par leurs objections continuelles, aient,
pour ainsi dire, forcé l’Église à prendre une conscience plus actuelle de ses
éléments essentiels.
La
Didachè,
sans doute, témoigne encore d’une action libre des charismatiques dans les
communautés. Elle en donne l’ordre fixe : apôtres, prophètes, docteurs (11
et 13 ; cf. 1 Cor., 12, 28 ; Eph., 2,
20 ; 4, 11). Mais non seulement il y a en face d’eux, dans les
communautés, des évêques et des diacres stables
(15), mais encore ceux‑ci jugent de
l’orthodoxie et de la moralité des charismatiques (11). A côté de l’unité
ecclésiastique de la vraie doctrine, apparaît, dans la Didachè,
l’unité du culte, des sacrements et de la vie morale, d’une manière très nette.
On y voit régner partout des prescriptions
fermes et non des impulsions libres de l’Esprit. Ces impulsions ne sont
permises que dans la prière eucharistique
(10, 7).
L’Épître de S. Clément peut être
considérée comme la conclusion de l’évolution de la notion d’Église à l’âge
apostolique. Elle témoigne, en soi, d’une certaine prépondérance de l’Église romaine sur les communautés voisines. L’action
libre des charismatiques, dont il est tant question dans la première Épître de
S. Paul aux Corinthiens, a disparu. Seule règne, à Corinthe, la hiérarchie qui a son pendant dans les
institutions de l’Ancien Testament : grand‑prêtre,
prêtres, lévites. Ses membres s’appellent toujours « presbytres »,
une fois « évêques » et « diacres » (42). Ils s’opposent
aux laïcs. Si l’on ajoute que, d’après S. Clément, l’Église est ordonnée comme
une armée qui est « administrée par une certaine organisation » (37,
2-3), ou comme notre corps dont les membres « se soumettent tous à une unique direction, afin que tout le corps
reste sain et bien portant » (37, 5 ; cf. 46, 7) ; si l’on
ajoute ensuite que tous les membres sont réglés moralement par les
commandements de Dieu (2, 4) et qu’il est meilleur de se trouver petit et
honorable dans le troupeau du Christ que d’en être exclu à cause d’un orgueil
ténébreux » (57, 2), on saura quelle est la notion de l’Église représentée
par S. Clément de Rome vers l’an 100 ap. J.-C. :
c’est la conception de l’Église catholique actuelle. L’Église est l’unique
troupeau fidèle du Christ, régi par la hiérarchie. Cette hiérarchie vient de Dieu : « Les Apôtres ont reçu
leur Évangile, qu’ils nous annoncent, de Jésus‑Christ ;
Jésus‑Christ l’a reçu de Dieu. Ainsi Jésus‑Christ a reçu sa mission de Dieu ; les
Apôtres de Jésus‑Christ » (2, 1). La permanence de la hiérarchie est ramenée
par S. Clément, et cela pour la première fois, à l’ordonnance de Dieu. La
hiérarchie qui, de fait, est permanente, il n’en voit pas seulement le
fondement dans les instructions du Christ aux Apôtres (44, 1), mais encore dans
les prophéties de l’Ancien Testament (42, 4 sq.).
Hermas parle
souvent, et d’une manière importante, de l’Église. Il compare l’Église
terrestre à une matrone (Vis., 2, 4, 1 ; 3, 11, 12 sq.), l’Église
spirituelle et céleste à une tour qui doit s’achever (Vis., 3, 3, 3 ;
Sim., 9, 13, 1). Dans l’Église terrestre, dans laquelle on entre par le baptême
(Vis., 3, 7, 5 ; Sim., 9, 16, 1-4), il y a une hiérarchie de conducteurs
(Vis., 2, 3, 4) qui occupent les premières places (Vis., 3, l, 8 ; cf. 2,
2, 6) ; il y a aussi des apôtres, des évêques, des docteurs et des diacres
(Vis., 3, 5, 1), des évêques et des diacres (Sim., 9, 26, 2, 27, 2). - Il fait
communiquer sa prophétie à d’autres villes par Clément de Rome (le pape ?)
(Vis., 2, 4, 3). D’après la seconde
lettre de S. Clément, l’Église est antérieure au temps, d’abord invisible,
puis elle est devenue visible ; c’est la chair, la fiancée et l’image du
Christ (14, 1).
Chez
S. Ignace, l’autorité de l’évêque
local ressort fortement. « Ne faites rien sans l’évêque » : tel
est le mot d’ordre qu’il répète souvent. L’évêque représente Dieu dans la
communauté ; le presbyterium et les diacres se tiennent à ses côtés
(Phil., 4 ; Magn., 6, 1 ; Trall., 3, 1 ; Smyrn., 8,
1). Tous doivent être d’accord avec l’évêque « comme les cordes d’une
lyre » (Eph., 4, 1). La communauté doit être
unie avec l’évêque « comme l’Église avec Jésus‑Christ et comme Jésus‑Christ avec le Père » (Eph., 5, 2). L’Église particulière doit être une image de l’Église
générale et celle‑ci une image
de Dieu. S. Ignace fait donc dériver l’unité de l’Église, non pas
extérieurement de l’unité de l’apostolat, mais mystiquement de l’unité du Dieu en trois personnes (Jean, 17). De
cette notion de l’Église résulte, pour les laïcs, l’obligation de l’obéissance
envers la hiérarchie, formulée dans toutes les Épîtres. Mais la hiérarchie est,
pour lui, moins un corps juridique qu’un charisme pour l’Église, par le moyen
duquel ses membres doivent devenir saints et bienheureux. Il ne se contente pas
de se nommer lui‑même « théophoros »
ou porteur de Dieu ; mais, pour lui, tous les chrétiens particuliers sont
aussi « porteurs de Dieu, porteurs du Christ, porteurs du Saint » (Eph., 9, 2) et il exige pour tous « l’unité dans la foi et la charité avec le Christ et le Père, unité que rien ne surpasse et
qui est ce qu’il y a de plus magnifique » (Magn.,
1, 2 ; cf. Eph., 14, 1). Toutes les Églises
locales constituent ensemble l’Église générale à laquelle, pour cette raison,
S. Ignace donne le premier le nom de « catholique ». « Que là où
se trouve l’évêque se trouve aussi le peuple, de même que là où est le Christ
est aussi l’Église » (Smyrn., 8, 2). Le Christ
est, comme le font ressortir S. Paul et S. Jean, le chef mystique de toute son Église. Or que l’Église universelle (aussi
bien que l’Église locale) ait un chef visible,
cela se conclut de l’analogie épiscopale ; au reste, S. Ignace y fait tout
au moins allusion par la situation privilégiée qu’il attribue à l’Église
romaine en s’adressant à elle comme à la « présidente de l’alliance de
charité » (προϰαθημένη
τῆς ἀγἀπης ; ἀγἀπη
est l’Église particulière ; Trall., 13, 1 ;
Phil., 11, 2) et par ses autres épithètes dans l’adresse de l’Épître aux
Romains. De même l’expression : « Vous en avez instruit d’autres »
(3, 1) est remarquable et permet de conclure que, dès lors, l’Église romaine
avait exercé une certaine autorité
doctrinale.
Jusqu’à
quel point la conscience hiérarchique de l’Église s’était déjà renforcée vers
150, cela apparaît : 1° Dans la constitution officielle du canon
biblique ; 2° Dans l’affirmation de la succession apostolique des
évêques ; 3° Dans la tradition garantie par les évêques (charisma veritatis). Les Pères antignostiques (S. Irénée, Tertullien) insistèrent sur ces
trois points importants, contre la gnose, dont la philosophie émanationiste menaçait gravement la vérité ecclésiastique. S. Irénée écrit : « La vraie science (par opposition à la fausse) est la doctrine des Apôtres et l’antique
système de l’Église dans le monde entier, et la caractéristique du corps du
Christ dans les successeurs officiels des évêques auxquels ceux‑ci (les Apôtres) ont transmis l’Église
existant en tout lieu » (A. h., 4, 33, 8). La gnose veut détruire cet
organisme. « Mais il (le Seigneur) jugera les auteurs de divisions qui
sont vides d’amour de Dieu, qui songent à leur propre avantage mais non à l’unité
de l’Église et qui, pour des raisons futiles et occasionnelles, déchirent et
partagent le grand et glorieux corps du Christ » (Ibid., 7). L’aspect
spirituel de l’Église est bien marqué : « En elle est déposée la
communauté du Christ, c.‑à‑d. le Saint‑Esprit, le
gage de l’immortalité, le renforcement de notre foi et l’échelle qui nous fait
monter vers Dieu. Dans l’Église, en effet, comme il est dit dans 1 Cor., 12,
28, Dieu a établi des apôtres, des prophètes, des docteurs et tout le reste de
l’activité du Saint‑Esprit
auquel n’ont aucune part ceux qui ne se pressent pas vers l’Église, mais
perdent eux‑mêmes la vie par leurs mauvaises
dispositions et leurs très mauvaises actions. « Car là où est l’Église, là
est aussi l’Esprit de Dieu ; et là où est l’Esprit de Dieu, là est l’Église
et toute grâce. Et l’Esprit est Vérité ». Par conséquent, ceux qui n’ont
pas de part à l’Esprit ne puiseront pas la vie au sein de la Mère, ni ne
boiront aux sources limpides qui jaillissent du corps du Christ » (3, 24,
1 ; cf. 5, 20, 1). D’où vient l’Église,
sa doctrine, son ordre ? « Avec nos propositions concordent l’annonce
des Apôtres, les enseignements du Seigneur, la prédiction des Prophètes, la
prescription des Apôtres, la transmission de la législation et toutes ces choses
ont leur fondement dans un seul et même Dieu » (2, 35, 4). Et où se trouve la garantie de la pureté de
la tradition ? Dans la succession apostolique ininterrompue, à laquelle
est attaché le « charisme de vérité ». « La tradition des
Apôtres, en tant que manifeste dans le monde entier, est visible dans chaque
Église pour tous ceux qui veulent voir la vérité, et nous pouvons compter ceux
que les Apôtres ont établi évêques dans les Églises et leurs successeurs jusqu’à
nos jours » (3, 3, 1). Et où est la tête
de l’Église ? S. Irénée na pas posé cette
question, mais il donne sans conteste à l’Église romaine une prépondérance décisive. Elle garantit la vérité à
quiconque est incertain. « Il serait trop long dans un ouvrage comme celui‑ci (à savoir l’établissement de la succession
apostolique) d’énumérer la succession de charge dans toutes les Églises ;
c’est pourquoi nous ne parlerons que de l’Église la plus grande, la plus
antique et la plus connue, celle que les deux principaux Apôtres, Pierre et
Paul, fondèrent et établirent à Rome ;
en elle nous trouvons la tradition qui provient des Apôtres, la foi qui a été
annoncée par elle aux hommes ; cette foi qui, par la succession des
évêques, est venue jusqu’à nous... « car avec cette Église, en raison de
son origine plus excellente, doit nécessairement s’accorder toute Église, c’est-à-dire
les fidèles de partout, elle en qui toujours, au bénéfice de ces gens de
partout, a été conservée la Tradition qui vient des apôtres » (Adv. Haer., 3, 3, 2).
Tertullien défend contre
l’hérésie l’état de possession de l’Église, en recourant généralement à l’argument
d’autorité et de tradition apostoliques ; en cela il développe les pensées
de S. Irénée. Le Christ a fondé par ses Apôtres l’Église, laquelle sans doute
se divise en communautés particulières, mais en elle‑même est une.
« Il y a un très grand nombre d’Églises, mais cette Église apostolique et
originelle (l’Église primitive), de laquelle elles sont toutes, n’est qu’une seule. » (De præscipt.,
20). Le rattachement aux Apôtres
garantit la vérité de la doctrine de foi. « Toute doctrine qui est d’accord
avec ces Églises apostoliques qui sont le point de départ et d’origine de la
foi, doit être considérée comme vérité, car elle contient sans conteste ce que
l’Église a reçu des Apôtres, ce que les Apôtres ont reçu du Christ, ce que le
Christ a reçu de Dieu. » (Ibid., 21). Comme S. Irénée, Tertullien voit la
garantie de la règle de foi dans la succession apostolique. C’est pourquoi il
somme les hérétiques de prouver cette succession s’ils veulent qu’on les
croie : « Indiquez-nous les origines de vos Églises, déroulez la
liste de succession de vos évêques, montrez que, depuis le commencement, leur
succession s’est continuée, que le premier évêque a eu comme garant et
prédécesseur un des Apôtres, ou bien un des hommes apostoliques, en tout cas un
homme qui a persévéré avec les Apôtres. » (Ibid., 32). Comme S. Irénée,
Tertullien invite à se tourner, en cas de doute, vers une Église apostolique ou
la chaire d’enseignement est toujours à l’« ancienne
place ». Pour les peuples voisins, c’est tout spécialement Rome dont il
parle avec beaucoup d’enthousiasme. (Ibid., 36). Comme S. Irénée, il
caractérise la nature spirituelle de
l’Église en l’appelant le corps de Dieu. « Là où sont ces trois, le Père,
le Fils et l’Esprit, là aussi est l’Église qui est le corps de la
Trinité. » (De bapt., 6). La hiérarchie se
divise en trois degrés : évêques, prêtres, diacres ; en face d’eux
sont les laïcs. (Ibid., 17). Devenu montaniste,
Tertullien a défendu la notion purement spirituelle, anti‑hiérarchique
de l’Église : « Nonne et laïci sacerdotes sumus ? » La hiérarchie a été introduite par l’Église
elle‑même, chacun peut administrer les
sacrements. (De exhort. cast., 7). Il va encore plus loin dans De pud., 21 : « Ecclesia proprie et principaliter est ipse Spiritus non numerus episcoporum. »
S. Hippolyte de Rome exprime,
vers 230, sa notion de l’Église dans une image. Il la compare à un vaisseau
naviguant sur une mer agitée ; il est « ballotté, mais non détruit,
car il a à son bord le Christ comme pilote expérimenté ». Comme parties
principales de ce vaisseau, il nomme : la Croix qui est le signe de
victoire sur la mort, son extension vers les quatre points cardinaux, les deux
Testaments qui sont comme les rames, la charité du Christ qui est la corde qui
l’enserre, le Saint‑Esprit qui
est la voile, les commandements qui sont l’ancre solide, l’ange gardien qui
accompagne le voyage, la Croix qui est l’échelle qui mène au ciel où les
Prophètes, les martyrs et les Apôtres sont déjà arrivés « au repos dans le
royaume du Christ » (De Antichr., 59).
S. Cyprien a utilisé
les pensées de Tertullien dans son livre « De l’unité de l’Église »
et les a développées. Il insiste avant tout sur l’unité. L’Église est bâtie sur
un seul (Pierre). Bien que les autres
Apôtres aient eu la même puissance et le même honneur que Pierre, il fallait
cependant que l’origine de l’Église provienne d’un seul, afin que son unité fût reconnaissable extérieurement (De
Unit. Eccl., 4). Hors de l’Église pas de salut.
« Personne ne peut plus avoir Dieu pour Père s’il n’a pas l’Église pour
Mère. » L’Église est l’arche de Noé, en dehors de laquelle personne ne
peut être sauvé (Ibid., 6). L’Église est nécessairement une, parce qu’elle est l’image de la divinité. Le Seigneur a
dit : « Mon Père et moi nous sommes un ». Sa robe sans couture
est le symbole de cette unité (Ibid., 7). C’est pourquoi il faut avant tout
éviter le schisme. S. Cyprien enseigne avec Tertullien que c’est dans l’Église
seulement qu’on peut trouver les véritables sacrements.
S. Cyprien et la primauté. D’après les
jésuites Lainez (C. de Trente), Kneller, Wilmers, Ottiger, S. Cyprien est
strictement un « théologien curialiste ». Il enseigne, pour employer
les expressions de Kneller, « que tous les
pouvoirs ecclésiastiques, c.‑à‑d. les pouvoirs des évêques procèdent du seul
Pierre ». D’après H. Koch, S.
Cyprien considère tous les évêques comme égaux, Pierre était « primus inter pares » et non « primus
inter omnes ». D’après Rauschen, d’Alès, Tixeront,
Battifol, Poschmann, etc.,
S. Cyprien refusait au Pape toute juridiction sur les autres évêques, il
représentait la « conception strictement épiscopalienne de l’Église ».
Ernst juge qu’il est « un très
bon témoin » de la primauté. D’après le Bénédictin Chapman, S. Cyprien
« manque de philosophie et de théologie » ; d’après Bruders, en
raison de « son manque de clarté à propos du christianisme », on ne
peut pas l’interpréter avec certitude ; d’autres jugent qu’il parle
« d’une manière irrévérencieuse » du Pape et Bardenhewer prétend que, dans sa
controverse avec le Pape Étienne, il a été « jusqu’au bord du
schisme ». Il importe de savoir si S. Cyprien est l’auteur de la seconde
rédaction du « De unitate Ecclesiæ ».
Si oui, il enseigne alors, comme H. Koch lui‑même en
convient, nettement la primauté. Il est vrai que subsiste la contradiction
pratique avec son enseignement et cela fait qu’il n’est pas un « bon » témoin, car les faits sont plus vrais que
les paroles. Cependant, S. Cyprien lui‑même, du
point de vue particulier de l’Église d’Afrique, ne peut pas s’empêcher d’attribuer
à l’Église de Rome une situation
élevée et unique. Il l’appelle, dans une lettre au Pape S. Corneille :
« La racine et la mère de l’Église catholique » à laquelle il faut se
tenir sans condition (Ep. 48, 3) et il déclare, dans une autre lettre au même
Pape, que Rome est « l’Église principale de laquelle est sortie l’unité
sacerdotale » et dont ne peut approcher l’infidélité (Ep. 59, 14).
Les Pères grecs ont la même
conception de l’Église que les latins. Le montanisme, qui voulait établir une
Église pneumatique sans distinction de prêtres et de laïcs, fut écarté sans
bruit : c’est un signe qu’en Orient tout au moins il n’y avait pas de pneumatocratie. Cependant, ce qui demeure propre aux Grecs, c’est qu’ils insistent
plus sur l’aspect interne et pneumatique de l’Église que sur son aspect
extérieur et hiérarchique ; qu’ils connaissent certes la hiérarchie et sa
succession apostolique et même l’affirment, tout en ne la concevant pas dans le
sens juridique, mais dans le sens charismatique : elle garantit pour eux
la légitimité du culte et de la doctrine. D’après Clément d’Alex., l’Église est, avant tout, la dépositaire de la
vérité ; elle est la cité du Logos, le temple élevé par Dieu lui‑même (dans le Christ) dans lequel on est
nourri du Logos (veritas). Le gnostique chrétien est
le propre prêtre et diacre de Dieu. Bien entendu, il connaît la
hiérarchie : elle est une image de la hiérarchie céleste (Strom., 6, 13 ; cf. 3, 12 ; 4, 26). Mais l’aspect
extérieur de l’Église ne l’attache
pas (Strom., 4, 20 ; 6, 13 ; 7, 5. Pæd., 1, 6 ; 3, 12). Origène désigne également l’Église, d’une manière mystique, comme
la cité de Dieu (C. Cels., 3, 30) et il affirme,
comme S. Cyprien, ,que « hors de l’Église
personne n’est sauvé » (M. 12, 841) ; mais il parle aussi de la
hiérarchie, surtout dans la doctrine de la Pénitence. Le pécheur « indiget sacerdote », voire même « pontifice opus est, ut remissionem
peccatorum possit accipere ». (In Num. homil., 10, 1 : M. 12, 635). Les grands Grecs du 4ème siècle traitent
peu « ex professo » de l’Église, sauf quelque peu S. J. Chrysostome
dans son exégèse. S. Athanase, les Cappadociens, Didyme l’Aveugle se tiennent
essentiellement au point de vue de la notion mystique de l’Église (corps
mystique du Christ), bien qu’ils soient eux‑mêmes des
représentants concrets de la hiérarchie et, à l’occasion, témoins de la
primauté romaine (Tixeront, 2, 160 sq.).
S. Augustin représente
le terme de l’évolution de la notion d’Église. Il représente la conception occidentale
en face des donatistes. L’unité, pour lui, est la caractéristique
principale de l’Église. « Placé en dehors de l’Église et séparé de l’organisme
de l’unité et du lien de la charité, tu seras éternellement puni, quand bien
même tu te serais laissé brûler vivant pour le nom du Christ » (Ep. 173,
6). Il écrit un livre sur l’unité de l’Église. Il y a cependant, dans cette
unité, une dualité d’appartenance : l’Église est un corps mêlé de bons et
de mauvais. On peut faire partie du corps externe de l’Église sans appartenir à
son âme. La sainteté parfaite n’appartient qu’à l’Église de l’au‑delà. C’est pourquoi on peut aussi distinguer
une Église visible et une Église invisible. « Beaucoup qui semblent être
dehors sont dedans et d’autres qui sont dedans sont dehors » (De bapt. contra Donat., 5, 27, 38).
Il est facile de trouver chez lui des témoignages pour l’article de foi des propriétés de l’Église.
S. Augustin et la primauté. Comme pour
Tertullien, S. Cyprien, S. Optatus de Méla et tous les théologiens africains, Pierre est pour S.
Augustin d’abord un symbole, un
représentant de l’Église (cf. Sermo 46, 30 ;
245, 2 ; In Psalm., 108, 1, etc.). Cela tenait à
son platonisme. Mais, comme le remarque Adam,
pour les platoniciens, la fameuse « idée », « cause exemplaire »
est en même temps cause efficiente. Les idées sont les uniques forces
productives. D’où l’importance du symbole, de la figure, de la forme dans la
théologie africaine. Dans Pierre se
trouvait donc déjà la totalité complète, le commencement du devenir, la pleine
réalité et causalité. La primauté se développa, d’après Adam, durant ces
premiers stades, non pas en tant que juridiction, mais en tant qu’ordre. S.
Augustin écrit cependant, d’une manière réaliste et non symbolique :
« ...la chaire de Pierre à qui le Seigneur, après la résurrection, a
confié le soin de paître ses brebis » (C. ep. Fund., 4, 5). « ...uni de communion avec l’Église de
Rome où la chaire apostolique a toujours gardé sa forte primauté » (Ep.
43, 7). Les pensées de S. Augustin sur le « corpus permixtum »
(mélange des membres vrais et apparents), la nécessité de l’Église pour le
salut, de l’Église d’ici‑bas et de l’Église
de l’au‑delà furent maintenues dans l’Occident
et développées particulièrement par S. Léon 1er et par S. Grégoire
le Grand.
Les
Grecs, même dans les siècles
suivants, en sont restés à leur doctrine pneumatique mystique. L’unité pour eux
a son fondement dans la foi orthodoxe et la vie, et non dans la hiérarchie. D’après
eux, « le Christ est l’unique chef de l’Église » (Conf. orth). Le pseudo‑Denys ne voit pas
dans la hiérarchie une institution juridique, mais seulement un moyen de grâce
pour la sanctification des âmes et leur union avec Dieu (De eccl.
Hier., 5).
La
Scolastique ne consacre pas de traité
spécial à l’Église dont l’existence et l’activité étaient universellement
répandues et reconnues. Seule la primauté était l’objet d’attaques
hostiles : 1° A l’extérieur, de la part des schismatiques grecs ; 2° A l’intérieur, de la part des auteurs
au service des puissances séculières (Occam, Marsile de Padoue, Jean de Jandun,
14ème siècle). Contre les Grecs, S.
Thomas écrivit un ouvrage « Contra errores
Græcorum ». Il traite, en passant, de la nature de l’Église dans la
christologie, dans la doctrine de la grâce et des sacrements. Il la définit
« l’assemblée de tous les fidèles » (S. th, 1, 117, 2). Il exprime
une conception beaucoup plus profonde et qui touche la nature interne de l’Église
quand il l’entend comme la manifestation du Seigneur dans le temps et l’espace,
comme son Épouse mystique et sa corporalité mystérieuse dont Il est la tête
pleine de grâce. « Comme un corps naturel est une chose composée de
membres divers, de même toute l’Église, qui est le corps mystique du Christ,
est considérée comme une seule personne avec son chef, qui est le Christ »
(S. th., 3, 49, 1c). De même qu’il pouvait s’appuyer sur des auteurs précédents
(les Pères, S. Anselme, Hugues, Pierre Lombard, Guil. d’Auvergne,
Guil. d’Auxerre, Alexandre, S. Bonaventure, S.
Albert), de même il exerça une grande influence sur ceux qui le
suivirent ; particulièrement sur Ægidius Romanus (De eccl. potestate, pour Boniface VIII) et
sur Augustus Triumphus (De potestate
eccl.), tous deux Augustiniens. Dans les débats entre
la puissance ecclésiastique et la puissance séculière, les champions des deux
partis ne laissèrent pas d’exagérer, parce que des deux côtés le caractère de
politique ecclésiastique du conflit empêchait de voir la vérité objective. L’histoire
de l’Église raconte cette lutte fâcheuse entre les deux pouvoirs. Tous les
travaux précédents ont été résumés par le Cardinal Torquemada (de Turrecremata) dans sa « Summa de Ecclesia »,
Rome, 1489. C’est le premier exposé
systématique de l’ensemble de la doctrine concernant l’Église. (1° De universali Ecclesia ; 2° De Ecclesia romana et pontificis ejus primatu ; 3° De universalibus
conciliis ; 4° De schismaticis
et hæreticis). Par sa participation aux Conciles de
Constance, de Bâle et de Florence, Torquemada était particulièrement versé dans
les questions actuelles.
Les hérésies anti‑ecclésiastiques (Wiclef, Huss, les Réformateurs) obligèrent l’Église et la
théologie à traiter avec plus de précision et de netteté l’« ecclésiastique » ;
sur ce sujet dès lors parut une quantité de traités. Les Réformateurs
établirent, par aversion pour la hiérarchie, la théorie de l’Église invisible
et purement spirituelle (fides). Calvin ne pensait qu’aux
prédestinés. Luther écrit : « On a imaginé de nommer pape, évêques,
prêtres et moines, l’« état
ecclésiastique », et les princes, les seigneurs, les artisans, les
laboureurs, l’« état laïc ». Mais personne ne doit s’en
émouvoir ; car tous les chrétiens sont véritablement de l’état
ecclésiastique et il n’y a parmi eux aucune distinction en raison de l’office...
Cordonniers, forgerons, paysans, sont tous également consacrés (baptême)
prêtres et évêques » (Rept., 17, 153). La
Confession d’Augsbourg dit : « L’Église est la communauté des fidèles
dans laquelle l’Évangile est légitimement annoncé et les sacrements
légitimement administrés » (Art. 7). Mais comment peut‑on juger que cela se fait
« légitimement » dans la communauté des fidèles ? Que la théorie
communément admise aujourd’hui de l’expérience personnelle ne puisse avoir
aucune force constitutive d’Église, ses partisans même le reconnaissent ;
en effet, chacun a « son » expérience. De plus, on considère aujourd’hui
« tout élan jaillissant d’une sorte d’ivresse intérieure et dépassant le
monde ordinaire, comme une religion », dit le protestant Volkelt (Religion
et école, 9). Comme « Credo », on admet généralement (Suisse,
Allemagne, France) : « Jésus est le Seigneur » (1 Cor., 12, 3).
Certains cependant trouvent que ce « Credo » ressemble trop à une
profession de foi et surtout n’est pas assez « démocratique ».
Le
Concile de Trente ne donne pas de
définition de l’Église, mais il insiste, dans la doctrine des sacrements, sur l’institution
divine du sacerdoce et de la hiérarchie. Le Concile du Vatican définit la primauté.
On
garde toujours comme définition scolaire
de l’Église, la définition de Bellarmin. Mœhler essaie
d’unir la nature spirituelle de l’Église à sa nature extérieure en
disant : « Sous le nom d’Église sur la terre, les catholiques
entendent la communauté visible de tous les croyants, fondée par le Christ,
dans laquelle l’activité, exercée par lui durant sa vie terrestre pour la
réconciliation et la sanctification de l’humanité, est continuée jusqu’à la fin
du monde, sous la direction de son Esprit, au moyen d’un apostolat d’une durée
ininterrompue, institué par lui ; dans laquelle aussi, tous les peuples,
au cours des temps, sont ramenés à Dieu » (Symbolique, § 36). Dans cette
définition, le but de l’Église rentre
aussi dans sa notion. De même Thalofer décrit l’Église comme « la manifestation et la
multiplication du Christ au cours des siècles, dans le temps et l’espace »
(Manuel de liturgie, 1, 11). C’est à cette définition que se rattachent les évêques
allemands dans leur lettre circulaire contre le modernisme qui nie l’institution divine de l’Église :
« Nous reconnaissons, dans notre sainte Église, le Christ qui continue de
vivre et d’enseigner sur la terre, son « alter ego ». Il serait utile
que cette notion paulinienne, antique et mystique de l’Église, soit de nouveau
préférée, même dans les catéchismes, à la notion posttridentine
polémique et juridique. L’Église elle‑même ne
saurait qu’y gagner. L’aspect juridique est déjà suffisamment garanti par le Codex.
De
cet aperçu général, il résulte que l’Église
a un double caractère : elle n’est
pas purement divine, elle n’est pas purement humaine, elle est humano‑divine, comme son divin fondateur, le Christ.
« Le fondateur humano‑divin de l’Église
a confié, dès le commencement, aux hommes, les forces divines et célestes, afin
de les transmettre à l’humanité. C’est pourquoi, dans la vie de l’Église, il y
a non seulement le levain divin, mais encore la farine humaine » (Pfeilschifter,
Introduction à l’étude de la théologie (1921), 76).
THÈSE. Le Christ, l’Homme‑Dieu, a lui‑même
fondé l’Église en tant que Messie envoyé de Dieu et Sauveur du monde. De foi.
Explication. Il y a trois grands adversaires de l’Église :
le schisme grec qui sans doute ne nie pas la fondation divine, mais refuse d’admettre
la primauté du Pape ; le protestantisme qui ne veut reconnaître qu’une
Église invisible fondée par le Christ, laquelle permet le plus complet
individualisme religieux ; l’anglicanisme lequel sans doute admet la
fondation d’une Église organisée avec une hiérarchie, mais attribue son pouvoir
à l’ensemble de l’épiscopat (épiscopalistes, puseyistes, ritualistes) et rejette la primauté de l’évêque
de Rome ; il se considère lui‑même comme
une partie de l’Église du Christ (Denz., 1685). Il
faut ajouter à ces adversaires le modernisme, qui est un fruit du rationalisme
protestant ; d’après sa conception, le Christ ne songeait pas à la
fondation d’une Église, parce qu’il croyait la fin du monde imminente (Denz., 2091).
La
doctrine catholique enseigne que le
Christ « l’éternel Pasteur et Évêque de nos âmes, pour rendre durable l’œuvre
de salut de la Rédemption, a résolu de construire la sainte Église dans
laquelle, comme dans la maison du Dieu vivant, tous les fidèles seraient réunis
par le lien d’une seule foi et d’une seule charité » (Vatic.,
De Eccl. Christi, proœm).
Ici s’exprime la foi générale à la fondation divine de l’Église. L’Église
enseigne donc que le Christ lui‑même a posé
ses bases essentielles.
Preuve. Bien que
Jésus se soit adressé à tout le peuple d’Israël pour le relever moralement, il
a cependant entrepris, dès le début, consciemment et méthodiquement, de choisir
dans la foule de son peuple une petite troupe de disciples et de réaliser par
eux son idéal, la fondation d’une nouvelle
Alliance, d’une nouvelle communauté d’adorateurs
de Dieu. Le Christ a pensé, dès le commencement, à la fondation d’une Église
avec un nouveau culte en esprit et en vérité qui devait supprimer et remplacer
le culte cérémonial juif. Pour le démontrer nous alléguerons d’abord toute une série d’actions du Christ et ensuite
des paroles doctrinales expresses.
Il
rassemble dès le début autour de lui une troupe de disciples, un certain nombre
d’hommes qui l’honorent comme leur Maître
religieux (Jean, 13, 13) et se considèrent comme ses disciples. Ils entendent une nouvelle doctrine et y croient. Ils l’observent
dans leur vie et dans leurs mœurs. Ils apprennent une nouvelle manière de prier
et d’honorer Dieu. Comme leur Maître, ils n’ont aucun intérêt pour le culte
cérémonial. Ils ont tout quitté et l’ont suivi. Il est visible qu’une nouvelle conception religieuse a
supplanté leur conception antérieure ou plutôt l’a perfectionnée.
Leur
unité intérieure d’esprit se manifeste même extérieurement de telle sorte que
Jésus voit en eux une communauté séparée, délimitée, à laquelle il donne le nom
caractéristique « petit troupeau ». Ils ont éprouvé l’amour
miséricordieux du « Père » d’une façon si particulière qu’il leur a
donné « le royaume » (Luc, 12, 32).
Douze de ce
troupeau furent admis à des relations particulièrement étroites avec lui. Marc
raconte (3, 13 sq.) : « Il monta sur la montagne et il appela ceux
que lui‑même voulut et ils vinrent vers
lui : et il décida que douze
resteraient avec lui ; lesquels aussi il voulait envoyer prêcher ».
Cela est un acte d’autorité très personnel, accompli avec une intention
entièrement précise. Il avait déjà déclaré auparavant : « Je ferai de
vous des pêcheurs d’hommes » (Marc, 1, 17). Il consacre à ces douze tous
ses soins, il leur explique sa doctrine avec zèle (Marc, 4, 34), et il leur
montre les difficultés particulières qui résultent de leur situation de
disciples. « Le disciple n’est pas au‑dessus du
Maître » (Cf. Math., 10, 1-42). Parmi les douze, l’un d’entre eux, Pierre,
est placé, nettement, dès le début, au premier rang. Ces douze constituent le fondement de l’Église et cela dans un
double sens : ils sont l’Église
avec le Christ, mais aussi, par leur activité, ils doivent étendre l’Église et
fonder, avec autorité, parmi d’autres, leur doctrine et leur morale.
Dans
sa doctrine aussi apparaît l’intention
initiale du Christ de fonder une Église. Il est vrai qu’il n’emploie pas l’expression
Église, mais celle plus extensive de « royaume des cieux ». Cette
expression comprend l’ensemble de son œuvre, tant dans sa forme d’ici‑bas que dans sa forme de l’au‑delà. Il faut naturellement que l’accent
principal tombe sur la forme de l’au‑delà, car c’est
cette forme qui contient l’achèvement.
Mais c’est une conception trop étroite d’affirmer que le Christ n’a eu en vue
que le royaume des cieux eschatologique (Loisy). Les faits que nous avons cités
plus haut attestent nettement le caractère terrestre et présent. Les paraboles
du semeur, de l’ivraie dans le bon grain, du trésor dans le champ, de la perle,
du filet, du levain, du grain de sénevé, des ouvriers de la vigne, du festin
royal des noces, etc., doivent s’entendre presque uniquement de la forme
actuelle du royaume de Dieu. La preuve est encore renforcée par les marques
visibles de l’Église du Christ. Le monde considérera la communauté de Jésus
comme une ville sur la montagne (Math., 5, 14) ; il doit reconnaître son
unité (Jean, 17, 21) ; le baptême en est la porte (Jean, 3, 5 ;
Math., 28, 19) ; on y professe extérieurement et devant les hommes le nom
de Jésus (Math., 10, 32, 33).
Jésus
a aussi, dès le commencement, voulu et prévu l’admission des païens dans son Église. Dans la
population galiléenne fortement mêlée de païens il aurait été absolument
impossible de ne pas tenir compte d’eux. L’ordre
de mission dans le monde entier est une conséquence de la doctrine de Jésus
(Math., 28, 19 ; Cf. plus haut § 120).
Par
suite, c’est un pur arbitraire de suspecter d’interpolation le témoignage formel du Christ : « Sur cette
pierre, je bâtirai mon Église » (Math., 16, 18). Si, dès le commencement,
le Christ, par ses actions, a commencé la fondation de son Église, et par ses
enseignements nous a fait connaître une forme du royaume des cieux qui aurait
son cours sur la terre, dans le temps et l’espace, la parole formelle
« mon Église » se rattache à ces deux faits comme une conclusion
logique. Le mot, sans doute insolite, d’« Église »
a été emprunté par le Seigneur à l’Ancien Testament (kahal,
Septante : ἐϰϰλησια,
aram. kenischta).
Mais il bâtit « son » Église par ordre de son Père ; S. Paul dit
« l’Église de Dieu » (Cf. cependant Rom., 16, 16). On
trouve aussi, ailleurs, chez le Christ, une forte affirmation de son autorité (Math., 18, 18-20 ;
cf. 11, 27-30 ; 13, 41 ; 16, 28 ; 23, 37. Luc, 13, 34). Le
« rocher » donne à la bâtisse sa fermeté (Math., 7, 24). L’autre
passage où se trouve le mot Église (Math., 18, 17) se relie aussi logiquement à
la doctrine du Christ. Jésus sait que l’homme, dans l’état de voie, reste
soumis au danger du péché. C’est pourquoi il ordonne aux disciples de demander
chaque jour le pardon des péchés et la protection contre la tentation (Math., 6,
12 sq.). La parabole de l’ivraie dans le bon grain illustre la même vérité. Il
est donc logique que le Christ prenne des mesures pour le cas où se produira le
péché dans l’Église. Sa règle est double : Pour le mal indéracinable, la
semence silencieuse et secrète de Satan, qu’on le laisse croître jusqu’au temps
de la moisson (Math., 13, 30). Pour le mal public, qu’il soit châtié par l’Église,
même, s’il le faut, par l’exclusion (Math., 18, 15-18).
Le
protestant Lemme juge :
« Du fait que non seulement la communauté primitive s’est considérée comme
le reste saint d’Israël d’où devait sortir la communauté de Dieu, mais qu’encore
Jésus a clairement connu qu’Israël s’excluait lui‑même (Math.,
8, 11 sq. ; 23, 38 ; 21, 41) et de ce qu’il ne voyait de fondé en Israël
que les éléments de sa communauté (Jean, 10, 16), il résulte que rien ne
justifie les attaques contre la réalité historique de l’emploi du mot ἐϰϰλησια par
Jésus » (Doctrine de foi (1919), 100). Kattenbusch lui aussi aboutit à
un jugement positif, à la fin de ses recherches sur la « source de l’idée
d’Église » : « L’Église a été réellement, dès le début, de par l’interprétation
de Jésus lui‑même et de par sa volonté la plus profonde, ces deux choses à la fois, la
« communauté de la foi, ayant l’Esprit saint dans le cœur » (Égl. invisible) et la
« communauté des choses extérieures et des rites » (Égl. visible) » (P. 172).
« La Cène est l’acte de fondation de son ἐϰϰλησια »
(P. 169). Au sujet de Pierre, il écrit que Jésus, à la vérité, ne lui a pas
transmis une « situation de chef », mais il a l’assurance qu’il se
montrera toujours le soutien spirituel,
la légitime autorité pour la kenischta
(Église). Pierre a été « le » porte‑parole de la
communauté primitive. Il cite le témoignage de Wellhausen qui dit :
« Il a, en d’autres termes, une autorité doctrinale divine » (P.
168).
Les Apôtres
font remonter l’Église à l’action du Christ et non à la leur propre. Elle est
le corps du Christ lequel est la tête (Col., 1, 18 ; 1 Cor., 12, 12,
27). Elle est la propriété du Christ qui l’a acquise par son sang (Act. Ap., 20, 28 ; Eph., 5, 25). Il l’a purifiée et formée selon son bon
plaisir (Eph., 5, 26 sq.). Les Apôtres commencent,
après le départ du Maître, leur activité missionnaire, ils rassemblent les
fidèles, les ordonnent intérieurement et les réunissent dans la seule unité de
« l’Église de Dieu ». Ils font tout cela au « nom de
Jésus ». Jamais ils n’auraient osé cela sans une mission spéciale du
Christ. Ils l’auraient d’autant moins osé que l’Ancienne Alliance devait, être
considérée, et était considérée, dans sa fondation et son attestation
historiques, comme divine (Rom, 9, 4 sq.). Aucun fidèle ne brise d’un cœur
léger avec un passé comme celui l’Ancien Testament.
Que Jésus ait fondé l’Église, cela est
attesté aussi par la conscience perpétuelle de l’Église depuis les
commencements jusqu’à nos jours. Jamais l’Église n’a hésité par rapport à son
origine divine. Les différentes sectes chrétiennes elles‑mêmes admettaient comme un fait évident que le Christ
a fondé une Église ; seulement on essayait de s’identifier à cette
fondation et de représenter l’Église catholique comme fondée par elle‑même. Mais celui qui conteste à l’Église catholique
le privilège d’avoir été fondée par le Christ est tenu d’apporter la preuve. L’Église
fait valoir l’argument de prescription de Tertullien. Personne n’a réussi à
priver cet argument de sa force.
Dans
les prophéties, il est dit que le
Messie fondera sur la terre une nouvelle souveraineté divine, un royaume de
Dieu. Ce royaume est constitué par tous les peuples, comme un nouvel Israël,
dans lequel Jahvé est connu, adoré et honoré de tous (Is., 2, 2.4 ; 45,
14, 24 ; 54, 1-3 ; 60, 1-22. Mich., 4, 1-8. Zach., 8, 3-8 ; 14,
8-21). Ce royaume est impérissable (Dan., 2, 44 ; 7, 13, 14, 27. Agg., 2, 7 sq., 22-24). Le Messie lui‑même y sera Roi et Pasteur (Ps. 2, 6.
Is., 9, 6 sq. Ez., 34, 23 ; 37, 24-28). En tant
que Pasteur suprême, il établira d’autres pasteurs sur son peuple (Jér., 23, 3-6 ; Ps. 44, 17). De même, il exercera les
fonctions de Docteur dans ce nouveau
royaume (Deut., 18, 15-19. Cf. Math., 17, 5. Jean, 6,
14. Act. Ap., 3, 22
sq. ; 7, 37. Is., 2, 3 ; 54, 13. Jér., 3,
1 ; 31, 33 sq. ; 32, 38 sq. Joël, 2, 23. Zach., 8, 3 ; 7 sq.).
Enfin, dans ce nouveau royaume fleurira une nouvelle justice par le moyen d’un
nouveau sacerdoce (Ps. 39, 7 sq. ; 109, 4. Is., 4, 2 sq. ; 66, 18-21.
Jér., 23, 5 ; 33, 15-26. Zach., 3, 8 sq. ;
6, 11-15. Mal., 1, 11 ; 3, 3 sq.).
Objections. On affirme
que le Christ n’a jamais rompu extérieurement les liens entre lui et son peuple
et que la rupture n’a été accomplie que par S. Paul et les Apôtres. Il n’est
pas difficile de répondre. Ce n’est pas immédiatement et violemment que l’Alliance
conclue avec Jahvé devait être dénoncée, mais bien plutôt cette Alliance devait
être peu à peu transformée et transfigurée. Le respect du mosaïsme n’était pas
seulement une question de nécessité, c’était aussi une question de prudence,
afin de ne pas offrir une raison de scandale aux indécis en se montrant d’une
dureté inutile pendant la période de transition. Ni chez le Christ, ni chez ses
disciples, on n’observe de zèle dans l’observation des rites mosaïques. Jésus,
dans ces choses, manifeste une grande liberté intérieure, ce qui montre qu’il n’avait
pas l’intention de les conserver dans sa religion. En outre, il finit par
annoncer la destruction du temple et la ruine de la ville (Luc, 21,
5-33) ; il annonce de bonne heure qu’un temps viendra où on n’adorera Dieu
ni en Samarie seulement ni à Jérusalem uniquement (Jean, 4, 21) ; il fonde
une « nouvelle Alliance » (Math., 26, 28) et établit l’Apôtre Pierre
chef de son Église (Math., 16, 18). Par ces faits et ces paroles, le Christ a
accompli lui‑même nettement une séparation interne
réelle avec le mosaïsme et même une opposition directe. De très bonne heure, le Seigneur jugea que cette opposition serait
si grande qu’elle attirerait aux siens, de la part des Juifs, la persécution et
la mort (Math., 5, 10 ; 10, 16-42). Le Christ était donc d’avis qu’un
jour, et cela du vivant de ses Apôtres, une séparation avec le judaïsme se
produirait.
Au
sujet du quand et du comment de cette séparation, le Christ n’avait
pas donné d’indications précises ; c’est pourquoi il put y avoir parmi les
Apôtres des différences d’avis. Si les Apôtres se partagèrent dans ces
questions accidentelles et pratiques, Jacques à droite, Paul à gauche et Pierre
au centre, on n’a aucunement le droit d’en conclure qu’ils aient eu des doutes
sur la nature et la construction de l’Église elle‑même.
D’après
le modernisme, le Christ a partagé les rêveries des apocalypses juives et
annoncé le royaume eschatologique de Dieu qu’elles attendaient ; lui‑même a cru à son avènement, attendu de jour
en jour ; il est mort dans cette illusion et, après lui, est venue l’Église
constituée d’une manière purement naturelle par les Apôtres, laquelle n’est dès
lors qu’un simple résultat historique de l’évolution.
Contre
cette explication purement eschatologique du « royaume des cieux »
remarquons tout d’abord que les nombreux passages qui traitent de ce royaume se
rapportent à sa forme terrestre et non seulement à sa forme céleste.
Ensuite,
il faut signaler les textes multiples dans lesquels le royaume de Dieu est
annoncé comme déjà présent, comme
commencé (cf. Math., 11, 12-15 ; 12, 28. Luc, 16, 16 ; 17, 20 sq.),
où il est conçu comme une graine qui croît (Marc, 4, 30-32 ; Math., 13,
31-33 ; Luc, 13, 18-19), où, par suite de la parole de Dieu, il doit s’étendre peu à peu dans
le monde (Marc, 6, 7-13 ; 13, 9 sq. ; 14, 9 ; 16, 15. Math., 10,
5-42 ; 24, 14 ; 26, 13 ; 28, 19. Luc, 9, 1-6 ; 10,
1-20 ; 24, 47. Jean, 4, 21 ; 10, 16), où le transfert du royaume aux
païens est annoncé (Math., 21, 43 ; 22, 2-10. Marc, 12, 1-12. Luc, 21, 24.
Cf. Math., 8, 10-12). Dans tous ces textes, on suppose une forme terrestre actuellement commencée du royaume des
cieux.
Il
en est de même dans les passages où ce royaume comporte un mélange de bons et
de mauvais, comme dans la parabole de l’ivraie parmi le bon grain (Math., 13,
24-30, 36-43), du filet (Math., 13, 47-50), des vierges sages et des vierges
folles (Math., 25, 1-13) ; se rapportent aussi à ce sujet les textes qui
concernent les persécutions, et ceux qui ont trait à la prédication, ainsi qu’à
la manière dont on doit se comporter par rapport aux persécutions et à la
prédication.
Il
faut encore voir une preuve de l’existence d’une forme terrestre et durable du
royaume des cieux dans la distinction entre pauvres et riches qui, d’après les
paroles du Christ, doit toujours
exister, même après qu’il ne sera plus sur la terre (Math., 26, 11 ; Marc,
14, 7) ; Jésus loue la pauvreté des siens et les met en garde contre la
richesse (Math., 5, 3-7 ; 6, 2-4 et 19-34 ; 19, 16-30. Marc, 10,
17-31. Luc, 6, 20-25 ; 18, 18-30 ; cf. Luc, 16, 19-31).
Il
faut citer enfin tous les textes dans lesquels le Seigneur introduit un nouvel
ordre moral et exige une piété plus parfaite que celle des Juifs (Math.,
5-7 ; Luc. 6, 35). Cet ordre moral est toujours considéré comme perpétuel
et général. Le Christ ne connaît pas de « morale intérimaire ». Il
faut rappeler aussi les paraboles dans lesquelles le Seigneur se représente
comme un maître qui revient après une longue absence pour demander leurs
comptes à ses serviteurs et les récompenser selon leurs mérites (Math., 24,
43-51 ; 25, 1-40. Marc, 12, 1-9. Luc, 12, 35-48 ; 19, 12-27).
En
face de cette masse absolument écrasante d’arguments, le modernisme, qui est
abandonné sur ce point, même par Harnack et les théologiens protestants
libéraux, ne peut se maintenir qu’en affirmant que tous ces textes proviennent
d’un rédacteur postérieur, lequel, voyant que le royaume eschatologique se
faisait attendre, modifia les textes en y ajoutant des traits terrestres, leur
fit signifier une durée en ce monde et mit l’évangile eschatologique primitif
en harmonie avec la forme extérieure du christianisme qui se développait.
Mais
cette explication radicale enlève à
tout l’Évangile son caractère historique ; surtout, on rend la vie et l’action
du Seigneur, sans parler de sa mort dans laquelle les modernistes ne veulent
pas voir une mort rédemptrice, absolument inexplicables, en refusant à cette
vie et à cette action une importance pour l’avenir. Si le Christ s’était
considéré comme un Messie eschatologique et avait conçu le royaume annoncé par
lui, dans le sens des apocalypses juives, comme un royaume eschatologique
introduit soudain dans l’au‑delà, une simple annonce aurait suffi. On ne
voit pas pourquoi il aurait rassemblé sa communauté de disciples ; on ne
voit pas ce que signifieraient la nouvelle morale, les paraboles du jugement,
la mission des païens, la nouvelle foi et la nouvelle doctrine ; on ne
voit pas pourquoi le Christ et ses disciples se seraient attiré l’hostilité des
Juifs, à cause d’un tel royaume ; on ne comprend pas du tout pourquoi le
Seigneur aurait dépensé une énergie inlassable dans la fidélité à sa vocation,
si cette vocation avait consisté uniquement à annoncer un royaume imminent et
dont l’avènement ne dépendait pas de lui.
Envisagée du point de vue purement eschatologique, la vie du Christ est
incompréhensible. D’après tout ce que nous lisons dans l’Écriture, le Christ
était convaincu qu’avec lui, le royaume de Dieu, dans la mesure où il peut
exister sur la terre, était arrivé. C’est dans cette conviction qu’il commença
son œuvre : « Le temps est accompli et le royaume de Dieu s’est
approché ; faites pénitence, croyez à l’Évangile » (Math., 1, 15). C’est
à bon droit que Felder écrit :
« De deux choses l’une : ou bien l’eschatologie apocalyptique doit
pouvoir se soutenir et doit se soutenir de fait logiquement et sans réserve, ou bien
nous n’avons pas le droit d’introduire Jésus dans le cycle de l’apocalyptique
juive contemporaine. Poser ainsi nettement, résolument et logiquement la thèse
équivaut à une réfutation et à un rejet absolu de la thèse eschatologique‑apocalyptique. Un simple coup d’œil sur l’Évangile
d’une part et sur l’apocalyptique juive d’autre part suffit pour se rendre
compte de l’impossibilité d’interpréter logiquement la vie de Jésus d’une
manière eschatologique » (Jésus‑Christ, 1,
210).
D’après
Harnack, les raisons de la séparation
ultérieure d’avec le judaïsme sont les suivantes : La prédication de salut
des Apôtres s’adressait à toute l’humanité ; si on voulait accomplir cette
mission, il fallait abandonner le judaïsme ; mais, pour cela, il était
nécessaire de déclarer le judaïsme sans valeur ; cela n’était possible qu’en
déclarant que c’était depuis le début une conception religieuse inexacte ou en
considérant son rôle comme terminé. Dans les deux cas, on était obligé de mettre quelque chose à sa
place. « Le résultat (de ce processus historique) auquel conduisirent l’attitude
des Juifs incroyants et l’union sociale des disciples de Jésus que cette
incroyance favorisa, résultat que hâtèrent ensuite la destruction du temple et
la ruine de l’indépendance politique du peuple juif, s’imposa avec une force
irrésistible et fut celui‑ci :
les fidèles du Christ sont la communauté de Dieu, le véritable Israël ; l’Église
juive obstinée dans son incroyance est la synagogue de Satan. C’est de cette
conscience que naquit - d’abord comme une grandeur à laquelle on croyait, mais
qui immédiatement, bien que ce ne fût pas comme une communauté unitaire,
commença à se montrer efficiente - l’Église chrétienne » (H. D., 1, 51).
Il expose ensuite que l’Église emprunta au judaïsme l’Ancien Testament, à l’hellénisme
la philosophie, au romanisme les normes juridiques pratiques et qu’elle s’implanta
dans le monde comme une composition nouvelle formée de ces trois éléments.
« C’est sur le terrain de l’empire romain et de la civilisation grecque
que l’Église s’est développée et a développé sa doctrine en opposition avec l’Église
juive » (Ibid., 52). Quel était alors le contenu du message originel de
Jésus et des disciples ? L’espoir enthousiaste de la parousie du
Seigneur : « Nous trouvons une Église
en tant qu’union politique et institution culturelle, une foi formulée, une théologie ; mais il y a une chose que nous
ne trouvons plus : l’antique enthousiasme individualiste qui ne s’était
pas senti resserré par la soumission à l’Ancien Testament » (Ibid., 52).
Harnack découvre deux grands fossés
infranchissables dans l’évolution de l’Église : le premier sépare le
Christ et les Apôtres ; le second les Apôtres et l’Église catholique. Au reste,
l’Église s’est sans cesse modifiée jusque vers 250. « L’Église, vers les
années 30, 60, 90, 130, 160 et 190, a toujours été essentiellement autre, en
dépit de sa continuité », dit le même auteur.
Pesch (1, 207)
répond avec raison que nous reconnaissons volontiers une certaine influence
extérieure exercée sur l’Église : nous admettons qu’elle a fait plusieurs
emprunts à la philosophie et aux institutions politiques païennes et en a
profité, parce que justement ces emprunts étaient raisonnables et ne contredisaient pas sa propre nature. Mais c’est
une rêverie de prétendre que le christianisme était originairement un pur
enthousiasme et ne contenait pas de doctrine ferme (cf. t. 1er, p.
68) et que le Christ lui‑même n’a pas
fondé son Église, c’est-à-dire n’a pas posé ses bases essentielles. Harnack lui‑même est obligé d’avouer finalement que
« les éléments principaux du
catholicisme remontent jusqu’à l’âge apostolique
et que ce ne sont pas seulement des éléments de périphérie ».
Le Concile du Vatican dit que le Christ a fondé son Église « pour rendre l’œuvre
salutaire de la Rédemption perpétuellement durable » (De Eccl. proœm).
Si l’Église, d’après sa nature, est le Christ continuant son action dans le
temps et dans l’espace, son activité doit avoir le même but que celle de son
fondateur. Elle a la même mission que lui (Luc, 10, 16. Jean, 17, 18 ; 20,
21. Math., 28, 18-21. 1 Cor., 4, 1. 2 Cor., 5, 20). Le Christ a conquis les moyens de salut, l’Église
doit les appliquer. S. Paul appelle,
par suite, les Apôtres « serviteurs du Christ et dispensateurs des
mystères de Dieu » (1 Cor., 4, 1) et défend de poser dans l’Église un nouveau fondement autre que « celui
qui a été posé, à savoir le Jésus‑Christ »
(1 Cor., 3, 11).
Le but de l’Église étant religieux, les moyens, par lesquels elle doit atteindre ce but, sont aussi
religieux : vérité et grâce, doctrine et sacrements. La hiérarchie elle‑même n’a d’autre but que de conduire à Dieu le
troupeau qui lui a été confié (Math., 20, 25-28).
L’Église étant la dispensatrice des
mystères de Dieu, elle est d’abord une institution
de salut ; ce n’est qu’ensuite qu’elle est la communauté des fidèles. En tant qu’institution de salut, elle précède la communauté, elle la fonde et la maintient. Le Christ aussi, qui est le résumé de tout ce que nous
entendons par Église, était antérieur à sa communauté de disciples.
L’Église ayant à poursuivre son but en
vertu d’une mission divine et avec des moyens divins, il est clair que ce but
est principalement de promouvoir la gloire extérieure de Dieu et secondairement
de procurer le bonheur des hommes. La sanctification et la béatitude des hommes
sont le but prochain ; ce but prochain doit servir à son tour le but
dernier et suprême.
1.
L ’Église est une société religieuse,
spirituelle et surnaturelle. En tant que société religieuse, elle doit représenter
et soutenir les intérêts sublimes de la religion ; en que société
spirituelle, elle sert les biens éternels et impérissables des âmes immortelles
au moyen de l’enseignement et la collation de la grâce ; en que société
surnaturelle, elle puise sa force d’être et d’action dans le monde de l’au‑delà, elle est d’ailleurs finalement ordonnée
à ce monde. Il faut faire ici une réserve :
l’Église n’est pas spirituelle au point de n’avoir aucun droit de possession et
d’usage des biens temporels. L’Homme‑Dieu lui‑même ne pouvait pas vivre et agir sans aucune
espèce de possession temporelle (Jean, 12, 6 ; 13, 29) ; l’Église pas
davantage. Cependant elle ne doit pas rechercher cette possession temporelle
pour elle‑même, mais comme moyen pour atteindre
sa fin. Pie IX condamna la proposition qui prétendait que l’Église n’avait pas
le droit légitime aux biens terrestres (Denz:, 1726).
2.
Christianisme et Église. La religion
chrétienne doit, d’après la volonté du Christ, trouver dans l’Église son
développement, son activité et son perfectionnement. Les séparer, c’est les
détruire l’un et l’autre. Le christianisme, d’après les intentions de son fondateur,
doit être une religion de communauté sociale et non de pur individualisme. C’est
cette religion qui, doit conduire l’individu religieux à une vie personnelle
intense. C’est le cadre dont l’individu ne doit pas s évader.
De la sorte, il n’y a pas dans l’Église de tension entre la vie sociale
religieuse et l’individualisme religieux, mais une unité organique. L’Église ne
s’oppose pas, ainsi qu’on le lui reproche, comme un obstacle entre l’âme et
Dieu ; mais bien plutôt elle conduit l’âme à Dieu et la guide vers des
relations intimes et directes avec lui. Les saints mystiques qui vécurent dans
une union intense avec Dieu, comme François d’Assise, Catherine de Sienne,
Thérèse d’Avila, étaient animés, en même temps, de la plus parfaite soumission
envers l’Église.
3.
Bien que l’Église ait surtout un but religieux et surnaturel, elle remplit
cependant, en poursuivant ce but, une tâche naturelle, en ordonnant d’une
manière raisonnable et morale la vie terrestre des fidèles et en indiquant pour
la vie sociale, à laquelle l’homme est naturellement destiné, une quantité de
règles et de principes dont l’observation entraîne, pour ainsi dire d’elle‑même, le bien-être terrestre et le bonheur
temporel. L’Église n’est pas l’ennemie de la civilisation et du progrès (Cf.
Pie IX, Syll., prop. 40 et
Encycl. de Léon XIII du 1er novembre 1895 : Denz.,
1740, 1866). Le Concile du Vatican a expressément repoussé ce reproche (Denz., 1799).
4.
L’Église n’est liée à aucune forme précise de civilisation ; elle sait s’adapter
aux hommes à tout degré de culture et les conduire à Dieu. « En tant que
société parfaite, dit Benoît XV, dont l’unique but est la sanctification des
hommes de tous les temps, l’Église s’adapte à toutes les différentes formes de
gouvernement et accepte aussi, sans aucune espèce de difficulté, les légitimes
changements territoriaux et politiques des peuples » (Acta ap. Sedis, 1918, 478). Au reste,
l’Église n’a pas comme tâche formelle
de promouvoir la civilisation des hommes. Son but est plus haut. Le Christ lui‑même a tout au moins voulu ignorer ce qu’on
désigna plus tard sous le nom de « civilisation ». Son royaume n’était
pas de ce monde. Ainsi donc le problème posé par un certain nombre de catholiques
modernes, « christianisme et civilisation » est facile à résoudre
dans le sens de l’Évangile. Le seul fait de poser la question signifie déjà une
sécularisation du christianisme, quand on l’entend au sens d’une tâche de l’Église. Mais si on l’entend historiquement,
il faut dire que le christianisme, partout où il a saisi tout l’homme et
pénétré de son influence la vie publique, a eu, au cours des siècles, une
action civilisatrice. De même il a conservé et transmis ce qu’il y avait de
meilleur et de plus noble dans la civilisation antique des peuples devenus
chrétiens. Ce fut l’œuvre des moines et des missionnaires.
THÈSE. Il est nécessaire à tous les
hommes d’appartenir à l’Église pour obtenir le salut. De foi.
Explication. On distingue plusieurs
manières d’appartenir à l’Église : une appartenance purement extérieure à la communauté juridique
(corps visible), une appartenance purement intérieure
à la communauté de grâce (âme indivisible) et une appartenance complète à la
communauté intérieure et extérieure. Appartiennent a la communauté purement extérieure, tous ceux qui
ont la foi orthodoxe et le caractère baptismal, mais ne possèdent pas la grâce
sanctifiante. Certains théologiens étendent cette appartenance à tous les baptisés.
Pour ce qui est du manque de la foi orthodoxe, on doit distinguer entre l’hétérodoxie
intentionnelle (mauvaise foi) et l’ignorance (bonne foi). Seule l’hétérodoxie
intentionnelle peut être considérée comme coupable ; l’erreur de bonne foi
est involontaire et excusable. Notre thèse doit s’entendre tout au moins de l’appartenance
à la communauté de grâce qui n’exige que la grâce sanctifiante sans laquelle
personne ne peut être sauvé.
Contre les cathares du Moyen‑Age, le 4ème Concile de Latran a
défini : « Il n’y a qu’une seule Église, l’Église générale des
fidèles, en dehors de laquelle absolument personne ne peut être sauvé » (Denz., 430 ; cf. Decret. pro Jac. : Denz., 714 ; Encycl. Pii
IX : Denz., 1677).
Pour
comprendre cette thèse, il faut se rappeler la distinction entre nécessité de
précepte et nécessité de moyen. La nécessité de moyen ne comporte ni exception
ni excuse. Le moyen doit être saisi tout au moins en désir (in voto) par celui qui veut atteindre le but auquel est ordonné ce moyen. Cette nécessité
est sans exception pour tous, parce que, sans participation à la communauté de
grâce, personne ne peut être sauvé. Cette nécessité s’applique aussi à l’appartenance
à la communauté juridique de l’Église pour tous ceux qui ont une connaissance
suffisante de l’Église comme institution divine ou bien pourraient l’avoir,
mais restent à son égard dans une ignorance volontaire. Bien entendu, s’ajoute
à cette nécessité interne la nécessité externe du précepte. Il faut encore
remarquer que la question de la nécessité de l’Église est une question positive
et non spéculative. Nous n’avons pas à nous demander si Dieu ne pourrait pas
conduire l’humanité à la béatitude, même sans l’Église - il le pourrait - mais
s’il veut que normalement les hommes cherchent leur salut et l’obtiennent dans
son Église. Ainsi on écarte la question des voies extraordinaires de salut et
on s’abstient de tout jugement positif sur tous ceux que Dieu veut sauver en
dehors de son Église. Personne autre que Dieu ne connaît ceux qui sont en
dehors de l’Église sans leur faute, par suite d’une ignorance invincible. La
proposition : En dehors de l’Église point de salut, doit s’entendre comme
un principe et non comme une application pratique aux cas particuliers. Cette proposition veut dire que, d’après la
volonté de Dieu, quiconque reconnaît l’Église comme une institution divine a
aussi le devoir d’entrer dans cette Église et qu’il ne lui est pas loisible de
chercher son salut soit isolément soit dans une autre religion. Qu’en sera‑t‑il finalement
du salut de tous ceux qui, de fait, sont hors de l’Église ? L’Église ne
porte pas de jugement à ce sujet, mais laisse le soin de juger au Dieu
omniscient et souverainement juste. Telle est la manière de voir de tous les
théologiens et ils peuvent se référer à une déclaration publique de Pie IX (Denz., 1647). Plusieurs essaient aujourd’hui de fonder un
« christianisme interconfessionnel », ou bien une « catholicité
évangélique », un fédéralisme confessionnel : ils ne peuvent invoquer
le témoignage ni du Christ ni des Apôtres.
Preuve. Jésus a
exigé d’une manière aussi décisive que l’attachement à sa personne par la foi
(Jean, 10, 9 ; 14, 6, etc.) l’appartenance à son Église. « Si quelqu’un
n’écoute pas l’Église, qu’il soit pour vous comme un païen où un pécheur
public » (Math., 18, 17). « Celui qui croit et est baptisé sera
sauvé, celui qui ne croit pas sera condamné » (Marc, 16, 16 ; cf.
Math., 10, 14 sq. ; Luc, 10, 16). Il considère comme perdu le salut des
Juifs qui l’ont repoussé et prononce
« malheur » sur eux (Math., 23, 13-39). Sodome et Gomorrhe seront
mieux traitées au jugement que ceux qui ont repoussé la prédication chrétienne
(Math., 10, 15). Le monde entier doit entendre son Évangile, mais tous doivent
aussi être un avec lui dans la foi
comme lui‑même est un avec son Père (Jean, 17, 20-26).
Les Apôtres
prêchent la même nécessité. S. Pierre :
« Il n’a pas été donné aux hommes d’autre nom sous le ciel dans lequel ils
doivent être sauvés » (Act. Ap.,
4, 12). S. Paul : « Quand
nous‑mêmes, quand un ange du ciel vous prêcherait un autre
évangile que celui que nous vous avons prêché, qu’il soit anathème »
(Gal., 1, 8). Il recommande à Tite : « Pour celui qui fomente des
divisions, après un ou deux avertissements, évite‑le »
(Tit., 3, 10). S. Jean :
« Si quelqu’un vient à vous et n’apporte pas cette doctrine, ne le recevez
pas dans votre maison et ne lui dites pas : Salut ; car celui qui lui
dit : Salut, participe à ses œuvres mauvaises » (2 Jean, 10, 11).
Les Pères. On peut
faire valoir ici tous les témoignages qu’on a déjà cités, à propos de l’évolution
de la notion d’Église, en faveur de l’unité de l’Église contre les hérésies et
les schismes. De même, le zèle qu’apportait la primitive Église dans l’activité
missionnaire nous montre quelles étaient ses pensées au sujet de la nécessité
de l’Église. Un autre argument en faveur de cette nécessité, c’est l’héroïsme
des martyrs qui payaient de leur sang leur appartenance à l’Église. On ne donne
pas sa vie pour une chose d’une valeur médiocre.
Objections. Les adversaires
se réfèrent au Sermon sur la montagne et particulièrement aux huit béatitudes
dans lesquelles la vie éternelle est promise en soi à des œuvres morales, sans
que soit exigée l’appartenance à l’Église. Mais le Christ ne peut pas tout dire
en une seule fois. Dans le Sermon sur la montagne, le Seigneur traite d’abord
de l’aspect spirituel du royaume des cieux. Au reste, même dans cette
circonstance, le Seigneur a eu en vue l’activité des Apôtres ; il leur a
déclaré l’importance qu’aurait pour le monde leur renouvellement moral en les
désignant comme « le sel de la terre » et « la lumière du
monde » (Math., 5, 13 sq.).
On
élève contre l’Église « en dehors de laquelle il n’y a pas de
salut », le reproche de manquer de charité et de tolérance. Or ce n’est
pas manquer de charité que d’enseigner ceci : le Christ a fondé une seule Église et veut qu’elle soit
ouverte à tous les hommes, afin que, par elle, tous puissent faire leur salut,
et d’ajouter : pour ce qui est de la possibilité
de salut de tous les hommes, nous avons la plus entière confiance ; pour
ce qui est de la réalisation de leur
salut, nous nous abstenons de juger. Quant à la tolérance, les théologiens
distinguent entre la tolérance dogmatique et la tolérance civile ; ils
déclarent la première condamnable et la seconde obligatoire. La tolérance
dogmatique serait la plus grande prévarication contre le Christ qui n’a jamais
voulu entendre parler de cette tolérance et a donné sa vie plutôt que de renier
sa doctrine. Si le Christ avait été tolérant dans les matières religieuses, sa
vie aurait eu une tout autre fin et il n’aurait pas eu à prophétiser à ses
disciples les persécutions et la mort comme prix de leur prédication. Le Christ
est intolérant en face des Pharisiens dans la doctrine morale (Synoptiques)
comme dans la doctrine de foi (S. Jean). S. Paul est intolérant contre les judaïsants et les instigateurs d’hérésies ; il est
tolérant à l’égard de ceux qui sont égarés et trompés aussi longtemps qu’il
peut espérer les convertir. L’Église, qui affirme qu’elle a été fondée par le
Christ, n’a pas le droit d’exercer la tolérance dogmatique. Elle n’a qu’un droit : prêcher au monde
entier la vérité qui lui a été confiée. Dans quelle mesure, au cours des temps
et dans les circonstances changeantes, elle s’est rapprochée de cet idéal de
véritable tolérance et dans quelle mesure elle en est restée éloignée, c’est à
l’Apologétique de l’établir. Au reste, S.
Augustin dit au sujet de ceux qui sont en dehors de l’Église :
« Ceux qui défendent leur opinion, même fausse et funeste, sans esprit d’opiniâtreté,
surtout lorsqu’elle est, non pas le fruit de leur audace et de leur
présomption, mais l’héritage de parents séduits et tombés dans l’erreur, s’ils
cherchent la vérité avec une prudente sollicitude et sont prêts, quand ils l’auront
trouvée, à corriger leurs erreurs, ne doivent d’aucune façon être rangés parmi
les hérétiques » (Ep. 43, 1).
On
objecte encore que le fait d’appartenir à l’Église nuit au développement
complet de la religion. Le christianisme personnel, dit‑on, ne prospère convenablement que sur le sol
de l’individualisme. Religion et Église s’excluraient. Mais, tout d’abord,
Jésus a voulu une forme ecclésiastique pour sa religion. Au sujet de l’Évangile
de S. Jean, même le protestant Luetger écrit : « La religion du (quatrième)
évangile n’est pas individualiste... Et, de fait, la communauté que Jésus veut
établir est une communauté unique et non une multiplicité de communautés ou de
sectes. Tous doivent être un. » (Christologie johannique (1916), 201). Au
reste, l’histoire de l’Église montre
qu’aucune autre société n’a produit des personnalités aussi individuelles et
marquantes que celles que nous montrent le catalogue catholique des saints, l’histoire
des Ordres religieux, la longue série des Pères de l’Église, des papes, des
évêques et des prêtres. Il faut donc conclure que le catholicisme
ecclésiastique non seulement n’exclut pas un christianisme fortement
individuel, mais contribue précisément à le développer. Ces fortes
personnalités ne se sont pas formées et développées malgré leur appartenance à l’Église, mais à cause de cette appartenance.
Les
protestants eux‑mêmes se plaignent de l’individualisme
effréné qui se manifeste, particulièrement de nos jours, dans la multiplicité
des sectes. Or, toutes ces sectes
sont les filles authentiques de la Réforme, elles sont nées du libre examen.
Transition. Si l’Église
doit ramener tous les hommes à l’unité en Dieu, elle a besoin aussi pour cela des
pouvoirs et des moyens correspondants. Aussi le Christ a transmis aux Apôtres son pouvoir quand il leur a donné leur
mission dans le monde entier (Math., 28, 19 ; Jean, 20, 21). Le pouvoir de
l’Église vient de Dieu. Il est
surnaturel. Dans son contenu, il est identique au triple pouvoir de ministère
que le Christ a exercé sur la terre. Comme nous examinerons le pouvoir d’ordre
dans le traité des sacrements, nous ne parlerons ici que du pouvoir d’enseignement et du pouvoir de gouvernement. Les Réformateurs ont violemment combattu le
pouvoir de l’Église en s’appuyant sur la Bible ; par contre, ils ont mis
un zèle égal à prouver par la Bible le pouvoir de l’État (Calvin).
THÈSE. Le Christ a fondé dans son
Église un magistère vivant et l’a confié aux Apôtres. De foi.
Explication. Le Concile du Vatican
enseigne : « Afin que nous puissions satisfaire au devoir d’accepter
la véritable foi et de persévérer dans cette foi, Dieu a par son Fils unique
fondé l’Église et l’a munie de signes reconnaissables de sa fondation, afin qu’elle
puisse être reconnue par tous comme la dépositaire
et la maîtresse de la parole
révélée. » (Denz., 1793). Le Concile suppose,
dans la définition concernant la règle de foi, l’existence du magistère (cf. t.
1er, § 2), quand il déclare qu’on « doit croire d’une foi
divine et catholique tout ce qui est contenu dans la parole de Dieu, écrite ou
transmise, et ce qui est proposé par l’Église, soit par décision solennelle,
soit par le magistère ordinaire et universel, comme révélé de Dieu » (S.
3, c. 3 : Denz., 1792). Ce magistère est appelé vivant par opposition à un enseignement
au moyen de lettres mortes (2 Cor., 3, 6).
Preuve. Jésus lui‑même
exerça le pouvoir d’enseignement comme une portion spéciale de son activité
messianique (Cf. t. 1er, § 98). Il fit participer ses Apôtres, de
son vivant, à ce pouvoir d’enseignement et leur donna des prescriptions pour l’exercer
d’une manière indépendante (Math., 10, 5-42 ; Marc, 6, 7-13 ; Luc, 9,
1-6 ; 10, 1, 20). A la fin, il les établit solennellement dans leur
magistère : « Toute puissance m’a été donnée au ciel et sur la terre.
Allez donc et enseignez tous les peuples... et apprenez-leur à garder ce que je
vous ai ordonné. Et voici que je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin
du monde. » (Math., 28, 18-20 ; cf. Marc, 16, 15, 20 ; Luc, 24,
47-49). « Comme mon Père m’a envoyé, je vous envoie » (Jean, 20,
21 ; cf. 17, 18 ; Act. Ap.,
1, 2, 8).
Les Apôtres
ont conscience de cette tâche et, en vertu de cette mission, ils se présentent,
à partir de la Pentecôte, devant le monde entier comme docteurs de la
vérité ; ils sont prêts à subir la mort plutôt que de renoncer à ce
ministère (Act. Ap., 2, 14-40,
42 ; 3, 11-26 ; 4, 1-22 ; 6, 2, etc.). S. Paul en appelle, pour
justifier son magistère, au choix direct de Dieu (Act.
Ap., 22, 18-21 ; Gal., 1, 12) et il est reconnu
par les Apôtres primitifs (Gal., 11, 9 ; Act. Ap., 9, 27). C’est son magistère qu’il estime au‑dessus de tout (1 Cor., 1, 17 ; 9, 16).
Les Pères. Ils
attestent qu’il y a toujours eu dans l’Église un magistère dont on savait qu’il
dérivait de l’ordonnance divine et qui, par suite, était exercé avec la plus
grande conscience et même, s’il le fallait, avec la plus grande énergie et la
plus grande rigueur. Ce dernier cas se produisait partout où on refusait de
suivre les déclarations et les directions de ce magistère. Jamais on n’aurait
exclu de l’Église les représentants des doctrines hétérodoxes si on n’avait pas
cru qu’une telle mesure était autorisée par un droit divin et qu’elle était un devoir.
La raison juge que,
si le Christ voulait fonder une Église destinée à durer pendant des siècles, il
devait avant tout établir en elle un magistère. Car ce magistère constitue une
partie intégrante nécessaire d’une Église véritable, une et unique, telle qu’il
voulait que soit la sienne à l’imitation de la divinité unique (Jean, 17, 21).
Nature
du pouvoir d’enseignement. On la
trouve dans le fait que ce pouvoir d’enseignement est la continuation du
magistère du Christ : « Je suis né et je suis venu dans le monde pour
rendre témoignage à la vérité » (Jean, 18, 37). Cette vérité, il l’a
transmise à ses Apôtres : « J’ai manifesté ton nom aux hommes que tu
m’as donnés du milieu du monde... Ils savent à présent
que tout ce que tu m’as donné vient de toi, que les paroles que tu m’as
données, je les leur ai données. Et ils les ont reçues et ils ont vraiment
reconnu que je suis sorti de toi et ils ont cru que c’est toi qui m’as
envoyé » (Jean, 17, 6-8). Les Apôtres doivent donc être des
« témoins » de la vérité sur la terre (Act.
Ap., 1, 8). Recevoir
et annoncer la vérité, telles étaient
les deux premières tâches du magistère. Une troisième
en résulte d’elle‑même :
distinguer la vérité de l’erreur. Ainsi le magistère ne devait pas seulement
être témoin de la vérité, mais encore
juge de la vérité. Si, dans l’annonce
et l’utilisation de la vérité, le magistère peut se faire représenter par des
organes subalternes et dépendants, il doit exercer lui‑même la fonction de juge quand s’élèvent des
controverses.
C’est
ce qu’on voit déjà dans l’Église apostolique. Les Apôtres eux‑mêmes résolvent l’importante question de la
circoncision (Act. Ap., 15,
6-35). S. Paul résout les questions qui agitent l’Église de Corinthe et celles
qui troublent l’Église de Galatie. Nous rencontrons la même autorité suprême d’enseignements
dans la Didachè, la première Épître de S. Clément,
les Épîtres de S. Ignace, les écrits de S. Irénée. Partout, on entend parler d’une
autorité doctrinale élevée et venant de Dieu.
Objections. Toutes les
doctrines non catholiques repoussent un magistère vivant et autoritaire. Pour
cela, elles cherchent même des arguments scripturaires :
1° Jérémie a prophétisé au sujet de l’avenir
messianique : « Désormais un homme n’enseignera plus son prochain ni
un homme son frère, en disant : Connaissez le Seigneur. Car ils me
connaîtront tous du plus petit au plus grand, dit le Seigneur » (Jér., 31, 34). Ce n’est pas une connaissance directe par
Dieu qui est ici affirmée, mais une connaissance générale et c’est cette
connaissance qui doit être le privilège de l’avenir messianique. C’est pourquoi
le même Prophète écrit sans se contredire : « Je vous donnerai des
pasteurs selon mon cœur qui vous paîtront avec intelligence et sagesse »
(3, 15) ; 2° S. Jean appelle les
fidèles « instruits par Dieu » (θεοῦ
δίδαϰτοι) et
écrit : « Pour vous, l’onction que vous avez reçue de lui demeure en
vous et vous n’avez pas besoin que personne vous enseigne, mais comme son
onction vous enseigne sur toute chose, cet enseignement est véritable et ce n’est
point un mensonge, et selon qu’elle vous a enseignés, demeurez en lui » (1
Jean, 2, 27). L ’Apôtre ici, bien loin d’écarter le magistère ecclésiastique
ordinaire, l’exerce précisément dans
cette instruction qu’il donne. Celui qui désire approfondir des connaissances
religieuses doit demander cet approfondissement à Dieu lui‑même, lequel, comme dit S. Jacques, donne à
tous abondamment la sagesse (Jacq., 1, 5). C’est là une exhortation que S.
Augustin a sans cesse sur les lèvres. S.
Thomas, le défenseur du magistère, écrit : « Ceux qui ont la
grâce sanctifiante peuvent avoir l’esprit fermé pour des choses qui ne sont pas
nécessaires au salut, ils sont suffisamment instruit par l’Esprit‑Saint, d’après ces paroles de saint Jean (1
Jean, 2, 27) : Son onction vous enseigne toutes choses » (S. th., 2,
2, 8, 4, ad 1) ; 3° Mais le Christ n’a‑t‑il pas défendu lui‑même à ses Apôtres de se faire appeler
« maîtres » et Weizsacker
(L’ère apostolique (1886), 37) n’a‑t‑il pas raison quand il en conclut, avec d’autres,
qu’ils n’avaient pas à développer sa doctrine avec autorité, mais simplement à
l’annoncer ? Si cette interprétation était juste, il n’y aurait pas non
plus de paternité véritable, car il est également interdit aux Apôtres de se
faire appeler « pères ». Et pourtant le Seigneur enseigne l’obligation
du quatrième commandement (Marc, 7, 10-13). Le Christ interdit seulement aux
disciples d’exercer d’une manière dominatrice et orgueilleuse le magistère qu’il
leur a maintes fois expressément conféré ; ils ne doivent jamais l’exercer
comme un ministère indépendant et autonome, mais comme une mission qui leur a
été confiée. Car « un seul est votre Maître » et vis-à-vis de ce Maître, ils sont toujours disciples.
Mais ils ne le sont pas vis-à-vis de ceux vers lesquels ils ont été envoyés. C’est
là que s’applique la parole : « Qui vous écoute, m’écoute »
THÈSE. Le magistère ecclésiastique est
infaillible dans l’annonce de la vérité divine.
De foi.
Explication. L’infaillibilité du magistère ecclésiastique
consiste en ce que, dans ses actes essentiels, soit qu’il annonce simplement la
vérité soit qu’il décide judiciairement dans les controverses, il ne peut s’écarter
du « dépôt de foi » (depositum fidei) (1 Tim., 6, 20 ; 2 Tim., 1, 14), pas plus qu’il
ne peut ajouter ou enlever quoi que ce soit à ce dépôt. De cette infaillibilité
active du magistère ecclésiastique
résulte l’infaillibilité passive de l’ensemble
de l’Église, tous les fidèles étant subjectivement sûrs, dans la foi qu’ils ont
reçue de l’Église, qu’ils possèdent la vérité complète et que, dans cette
conviction, ils ne peuvent se tromper (inerrance). Ce dogme été contesté par
les protestants et, avec une violence particulière, par Calvin (les conciles =
les « oracles de Satan ») ; il l’a été aussi par les Grecs dont
nous parlerons à la fin du paragraphe.
L’infaillibilité active est essentielle ou participée. La première appartient à Dieu seul. On l’appelle aussi
infaillibilité absolue, parce qu’elle
a trait aux vérités de tout ordre. Elle a son fondement dans la science absolue
de Dieu. L’infaillibilité participée est un don de Dieu à son magistère établi
dans l’Église, un charisme. Elle s’appelle,
par opposition à l’infaillibilité absolue, infaillibilité relative, parce qu’elle
ne s’étend qu’au cercle de vérités que Dieu a révélées d’une manière
surnaturelle.
La nature de l’infaillibilité
ne consiste pas dans une qualité qui s’attache à l’âme et la rend capable de
déclarations doctrinales infaillibles, mais dans l’action d’une Providence
extérieure et tout à fait spéciale qui, dans l’énonciation des vérités
révélées, préserve de toute erreur
dans les doctrines concernant la foi et les mœurs. La théologie appelle cette
Providence particulière assistance
divine et, en raison de son action qui préserve de l’erreur, assistance négative. L’infaillibilité ne consiste
donc pas dans la révélation positive
de nouvelles vérités, mais plutôt elle est conférée pour l’enseignement des
vérités déjà révélées. De même, elle se distingue de l’inspiration qui était nécessaire pour la rédaction écrite des livres
saints contenant la Révélation ; par suite, elle ne consiste pas non plus
dans une illumination positive de l’Église telle que celle qui était exigée
pour les organes inspirés. Ce qui suffit pour l’infaillibilité, c’est une
assistance purement négative, dont l’unique
but est de garder exempt de toute erreur l’enseignement, dans l’Église, du
dépôt de la foi qui est complet depuis la mort des Apôtres et d’assurer aux
fidèles une certitude absolue de leur foi subjective. Cette explication de l’assistance
négative ne veut pas contester à Dieu la possibilité d’accorder aussi à son
Église son assistance positive, afin que notamment elle donne ses déclarations
en temps opportun, quand les
circonstances extérieures le demandent.
De
cette conception de l’infaillibilité, il résulte qu’elle ne garantit pas une
inerrance personnelle dans toutes les questions, même les questions naturelles
qui n’ont aucun rapport avec l’enseignement de la Révélation ; l’infaillibilité
signifie encore moins une intégrité morale personnelle, comme le prétend
parfois une polémique malhonnête ou égarée.
L’infaillibilité de l’Église fut affirmée
dès le début dans l’Église comme une vérité de foi. Aussi le Concile du Vatican la suppose dans sa définition de
l’infaillibilité particulière du Pape ; en effet il compare l’infaillibilité
du Pape à celle de l’Église et l’identifie avec elle. « Le Pontife
romain... jouit de cette infaillibilité dont le divin Rédempteur a voulu que
soit dotée son Église dans la décision des doctrines de foi et de mœurs »
(S. 4, c. 4 : Denz., 1839).
Preuve. Le Christ
a expressément promis l’infaillibilité à son Église. Il dit aux Apôtres :
« Voici que je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du
monde » (Math., 28, 20). L’expression « je serai avec toi » est
souvent placée par l’Écriture dans la bouche de Dieu et cela toujours quand il
veut confier à un homme ou à plusieurs une tâche importante et difficile (Par
ex. : Ex., 3, 10-12 ; Jug., 6, 14-16 ;
Jér., 1, 8, 19 ; cf. Gen.,
21, 22 ; 26, 3 ; 31, 3, 5. Jean, 3, 2. Act.
Ap., 10, 38). L’assistance de Dieu garantit alors le
succès de l’entreprise. Le Christ promet ensuite aux Apôtres l’assistance du
Saint‑Esprit : « Il vous enseignera tout et vous
rappellera ce que je vous ai dit » (Jean, 14, 26). « Il vous
enseignera toute vérité » (Jean, 16, 13). Ils ne doivent pas exercer leur
magistère avant d’avoir reçu le Saint‑Esprit
(Luc, 24, 49).
Cette
preuve est renforcée par tous les arguments que nous donnerons plus loin pour démontrer
la permanence de l’Église. Si, d’après l’intention du Christ, l’Église devait
être impérissable, il ne pouvait assurer ce résultat sans créer en elle une
institution, grâce à laquelle la foi, qui est le fondement de cette Église,
demeurât inébranlable et à l’abri de toute altération. L’erreur ne devait pas
pénétrer dans cette Église que les portes de l’enfer ne domineraient pas. De
même, la notion d’unité et d’unicité exige l’infaillibilité. Car cette unité ne
pourrait pas résulter extérieurement de l’accord accidentel de tous les fidèles
et cette unité pourrait moins encore, à supposer qu’un hasard la réalisât, être
de longue durée. Le Christ devait donc donner à cette unité un fondement
intérieur s’il voulait que son Église la possède.
Enfin
l’infaillibilité ressort de la rigueur avec laquelle le Christ exige l’obéissance
envers son Église : « Celui qui croit et est baptisé sera sauvé,
celui qui ne croit pas sera condamné » (Marc, 16, 16). Le Christ n’aurait
pas pu exiger la foi à la prédication de l’Église sous peine de perdre la vie
éternelle, si les auditeurs devaient avoir même la plus légère possibilité de
douter. Aussi, il ne craint pas de s’identifier totalement avec ses disciples
quand ils exercent leur magistère (Jean, 13, 20 ; Math., 10, 40 ;
Luc, 10, 16).
Les Apôtres
ont une pleine conscience de leur infaillibilité et, par suite, sont prêts à
mourir pour leur prédication. « Nous sommes témoins de ces choses, nous et
le Saint‑Esprit » dit S. Pierre, au nom des Apôtres,
devant le Grand conseil (Act. Ap.,
5 ; 32). Les décisions du Concile des Apôtres débutent ainsi :
« Il a plu au Saint‑Esprit
et à nous » (Act. Ap.,
15, 28). S. Paul a cette forte parole : « En moi parle le Christ »
(2 Cor., 13, 3). Écouter sa prédication c’est écouter le Christ et Dieu lui‑même. Le Christ « fait justice de ceux qui ne
connaissent pas Dieu et n’obéissent pas à l’Évangile de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ »
(2 Thess., 1, 8). « Nous ne cessons de rendre
grâces à Dieu de ce qu’ayant reçu la divine parole que nous vous avons fait
entendre, vous l’avez reçue non comme la parole des hommes, mais, ainsi qu’elle
l’est véritablement, comme la parole de Dieu » (1 Thess.,
2, 13 ; cf. 2, 15 ; 2 Cor., 10, 5, 6). « Son Évangile »
(Rom., 2, 16, etc.) est « l’Évangile de Dieu » (Rom., 1, 1) et c’est
de Dieu qu’il a reçu sa mission (Rom., 1, 5).
On peut encore renforcer cette preuve en
alléguant les miracles des Apôtres
qui donnèrent à leur enseignement la confirmation divine (Marc, 16, 20) ;
on peut alléguer de même la notion apostolique de l’Église ; les Apôtres
la considèrent comme le corps mystique du Christ ; toute erreur dans ce
corps serait aussi une erreur du Chef. Aussi S. Paul appelle l’Église « la
colonne et la base de la vérité » (1 Tim., 3, 15).
L’infaillibilité de S. Paul mérite un
examen particulier. Tout d’abord parce que S. Paul n’était pas un disciple
personnel du Christ et qu’on ne peut pas lui attribuer sans plus, la promesse
faite à tous les Apôtres, et ensuite parce que c’est précisément son
infaillibilité que les rationalistes mettent volontiers en doute. Son
infaillibilité est démontrée par les arguments suivants :
Immédiatement
après sa conversion, S. Paul reçut la vocation apostolique, celle de prêcher le
nom de Jésus dans le monde entier (Act. Ap., 9, 6, 15). Une même vocation demande une même
dotation. Au reste, l’Apôtre a une forte et profonde conscience de son autorité
infaillible. « Je crois que moi aussi j’ai l’Esprit de Dieu » (1
Cor., 7, 40). « Je vous le déclare, mes frères, l’Évangile que j’ai prêché
n’est pas de l’homme, car ce n’est pas d’un homme que je l’ai reçu ni appris,
mais par une révélation de Jésus‑Christ »
(Gal., 1, 11 sq.). Que celui qui enseigne autrement que lui, soit anathème !
(Gal., 1, 8 sq.). Ainsi donc l’Apôtre est personnellement convaincu que c’est
la doctrine de Jésus, pure et exempte d’erreur, qu’il prêche dans le monde.
Quand il écrit, dans la même Épître (Gal., 2, 2) : « Je leur exposai
(aux premiers Apôtres) l’Évangile que je prêche parmi les Gentils... de peur de
courir ou d’avoir couru en vain », cela ne signifie pas qu’il ait douté de
la vérité de son Évangile ou qu’il ait admis la possibilité qu’il s’y soit
glissé une erreur qui eût besoin d’être rectifiée par les Apôtres. Cela indique
simplement qu’il tenait prudemment compte des avis des autres qui pouvaient
être différent du sien sur l’opportunité de son action. Comme il le fait pour
les autres Apôtres, Dieu confirme l’enseignement de S. Paul par les miracles
qui l’accompagnent (Act. Ap.,
14, 7 sq. ; 13, 7 sq. ; 19, 11 sq.).
Objections tirées de l’Écriture. 1° Mais les
judéo‑chrétiens eux-mêmes considéraient S.
Paul comme faillible et le combattirent dans la question de la circoncision. Il
faut répondre que les judaïsants ne sont pas des
témoins des dogmes ; 2° Contre l’infaillibilité de S. Pierre, on allègue son hésitation dans la question de la mission
des païens, laquelle pourtant avait été tranchée par la mission d’enseignement
au moment de l’Ascension (Math., 28, 19). Mais, bien que la question eût été
résolue en principe par le Christ, son application laissait encore place à l’hésitation ;
3° On affirme que les Apôtres avaient des avis essentiellement différents dans
des questions dogmatiques importantes. Mais c’est une méthode antiscientifique
que de vouloir tirer d’un exposé différent de la doctrine de Jésus une
« notion dogmatique » différente, comme si le christianisme primitif
n’avait pas possédé l’unité de foi ; 4° Le conflit entre S. Paul et S. Pierre à Antioche (Gal., 2, 11-14)
avait trait à la question purement disciplinaire
des relations entre Juifs et chrétiens de la gentilité et ne touchait pas au
dogme ; 5° Enfin, on allègue une erreur de S. Paul qui avait déclaré à
Milet qu’on ne le reverrait plus (Act. Ap., 20, 25) et qui cependant revint encore une fois à
Milet (2 Tim., 4, 20). Mais le charisme de vérité ne garantit pas de toute
erreur naturelle ; il ne garantit de l’erreur que dans l’enseignement
officiel de l’Évangile.
Les Pères. Ils sont convaincus,
eux aussi, que l’Église est la colonne et la base de la vérité. Ainsi S. Théophile, le digne successeur de S.
Ignace (cf. plus haut, p. 149), écrit que, de même que les vaisseaux se brisent
quand sortant des ports ils entrent dans la mer déchaînée, ainsi les hommes
font naufrage quand ils quittent la « chaire de vérité » de l’Église
(Ad Autol., 2, 14). S. Irénée enseigne que là où est l’Église, là est le Saint‑Esprit (cf. plus haut, p. 154) et que vérité
ne peut se trouver que dans l’Église qui possède le « charisme de
vérité » (A. h., 3, 4). Tertullien
demande aux hérétiques s’ils peuvent bien croire que le Saint‑Esprit a abandonné sa mission et laissé l’Église
tomber dans l’erreur (Præscript., 28). S. Cyprien dit : « Tous ceux
qui abandonnent le Christ se perdent par leur faute ; mais l’Église, qui
croit au Christ et reste attachée à ce qu’elle a une fois connu, ne se sépare
jamais de lui » (Ep. 59, 7). Pour l’époque suivante, il suffit de citer
les conciles qui se réunirent avec la
conscience de posséder la vérité infaillible et frappèrent l’erreur d’anathème.
La
raison théologique juge que, si l’Église
a comme but de renouveler
continuellement le monde par la vérité et la grâce, elle doit être
perpétuellement et à travers toutes les vicissitudes de son existence terrestre
en possession de ces deux moyens. En soi, et sans assistance divine
particulière, une institution humaine n’est pas capable de maintenir la vérité
intacte pendant une longue période, surtout si cette vérité est venue « d’en
haut » et dépasse la raison humaine. Mais vérité et infaillibilité sont
une équation parfaite. « Le chrétien séparé est un hérétique, un membre
amputé et sans vie » (Aug.,
Sermon 267, 4).
L’Église grecque revendique l’infaillibilité
pour tout le corps mystique du Christ. « L’Église, en tant qu’ensemble,
est infaillible et non dans les particuliers... L’Église (orientale) ne reconnaît
pas une infaillibilité de l’épiscopat ou bien du clergé, mais elle reconnaît
une infaillibilité de tout le corps de l’Église » (Arseniew).
« Il ne peut pas y avoir d’autorité extérieure de l’infaillibilité
dogmatique dans l’Église orthodoxe et il ne doit pas y en avoir ».
« L’Église a toujours été un pléroma, une
plénitude, parce qu’elle possède la plénitude en elle et est guidée par le
Saint‑Esprit... et c’est pourquoi la vérité
de ses dogmes dépend de la plénitude de la vie de l’Église ». « C’est
pourquoi l’orthodoxie ne connaît pas d’organe absolu et ignore une autorité
extérieure et une « pars pro toto » (une partie pour le tout), mais
elle ne connaît qu’une « pars in toto » (une partie dans un tout). (Florenskij). « Dans les questions dogmatiques, l’accord
entre les évêques et les membres laïcs est requis » (Cf. Zankow, Le
christianisme orthodoxe de l’Orient, 34). C’est aussi sur ce ton que fut
rédigée la réponse des patriarches orientaux à l’Encyclique de Pie IX, en 1848.
THÈSE. Le pouvoir d’enseignement de l’Église
appartient à l’ensemble de l’épiscopat en union avec le Pape. De foi.
Explication. Notre thèse reproduit la conviction de foi constante
de l’Église. Le Concile de Trente enseigne que « les évêques ont remplacé
les Apôtres » (Denz., 960). Le Concile du Vatican dit : « De même que le Christ envoya les Apôtres
qu’il avait choisis du milieu du monde, comme il avait été envoyé lui‑même par son Père, de même il voulut qu’il y ait dans
son Église des pasteurs et des docteurs jusqu’à la fin du monde. Mais afin que
l’épiscopat soit un et indivis », il accorda à Pierre la primauté (Denz., 1821). L’essai du Synode de Pistoïe
d’introduire également les prêtres dans le corps enseignant de l’Église, comme juges dans les questions de foi, fut
rejeté comme étant « tout au moins erroné » et de nature à nuire à la
sûreté et à la fermeté des décisions doctrinales de l’Église (Denz., 1510).
Preuve. Jésus a confié le magistère à ses Apôtres et il leur a promis le Saint‑Esprit pour l’exercer convenablement. Les Apôtres ont
exercé ce magistère d’une manière autoritaire et absolument indépendante. Ces
propositions sont contenues dans les dogmes démontrés plus haut (§ 138-141). Il
s’agit encore de savoir si les évêques
sont les seuls successeurs des
Apôtres et les seuls détenteurs de leur pouvoir d’enseignement infaillible. Or
cette preuve peut s’établir nettement. S. Paul laisse Tite en Crète et le munit
de ses propres pouvoirs apostoliques : « Je t’ai laissé en Crète afin
que tu mettes en ordre ce qui est défectueux et que tu établisses des Anciens
dans chaque ville comme je te l’ai ordonné » (Tit., 1, 5). Timothée était
de même un représentant de l’Apôtre à Éphèse (1 Tim., 1, 3, 18 ; 4, 14).
Ce sont là des faits bibliques qui nous font connaître les conceptions
doctrinales des Apôtres (1 Tim., 5, 17, 19, 20, 22 ; cf. Act. Ap., 4, 22).
Les Pères. Le premier
parmi les Pères qui ait traité d’une manière doctrinale des évêques comme
successeurs des Apôtres est S. Clément de
Rome (Cor., 42, 44 ; cf. plus haut, p. 153). Si S. Ignace insiste si énergiquement sur l’attachement à l’évêque, c’est
qu’il voit en lui la garantie de la pure doctrine en face de la gnose
dissolvante. De même, S. Irénée et Tertullien s’appuient sur la succession
apostolique qui est pour eux le critérium extérieur de la vérité (Cf. plus
haut, p. 154 sq.). S. Cyprien
écrit : « Le Christ dit aux Apôtres et par là-même à tous les
supérieurs qui succèdent aux Apôtres dans leur fonction : Qui vous écoute,
etc. » (Ep. 66, 4). « Chez nous, les évêques occupent la place des
Apôtres », écrit S. Jérôme (Ep. 42, 3).
A
ces témoignages théoriques correspond la pratique de l’Église primitive. L’histoire
ecclésiastique enseigne nettement que l’évêque est le docteur proprement dit
dans son Église particulière. C’est lui qui donne l’enseignement aux néophytes
et règle la discipline pénitentielle ; bref, il dispose de la puissance
apostolique. Sa chaire est appelée « chaire apostolique » et son
Église « Église apostolique ». Les adversaires eux‑mêmes reconnaissent que l’idée de l’infaillibilité
apostolique est aussi vieille que l’Église » (Histor.
Ztschr. (Revue historique, 1913), 496).
Thèse. Bien que les évêques soient les successeurs des Apôtres, ils ne sont
pas cependant, chacun en particulier, les héritiers complets de leurs
charismes ; pour ce qui est de l’infaillibilité, ils ne la possèdent qu’en
tant qu’épiscopat collectif et non chacun personnellement.
La
différence entre l’apostolat et l’épiscopat peut se ramener aux points
suivants : 1° Les Apôtres reçoivent leur mission pour le monde entier (Math., 28, 19 sq. ; Marc,
16, 15) ; les successeurs des Apôtres furent établis pour des Églises particulières (Act.
Ap., 14, 22 ; cf. 20, 28. 1 Tim., 1, 3. Tit., 1,
5-9. 1 Pier., 5, 2) ; 2° Les Apôtres étaient les « témoins du
Christ », ceux qui reçurent immédiatement les révélations divines ;
par contre, les relations de leurs remplaçants par rapport au Christ et à la
Révélation n’étaient que des relations médiates, ceux‑ci devant annoncer ce qui leur avait été
communiqué par les Apôtres. S. Paul dit de lui‑même :
« Ce que j’ai reçu du Seigneur, je vous l’annonce » (cf. 1 Cor., 16,
23 ; 15, 3. Gal., 1, 12) ; par contre, quand il est question de ses
remplaçants, il dit : « Tiens‑toi à ce que
tu as appris et à ce qui t’a été attesté » (2 Tim., 3, 14 ; cf. 1,
13, 14 ; 2, 2 ; 3, 10) ; 3° Chacun des Apôtres possédait
personnellement le charisme de vérité ; par contre, les évêques
particuliers ne le possèdent pas personnellement, mais seulement en tant que membres
du collège épiscopal. Ce n’est pas l’évêque individuel, mais l’Église elle‑même, que S. Paul appelle « colonne et
base de vérité » (1 Tim., 3, 15).
Comme
argument théologique, on peut
alléguer que l’infaillibilité personnelle des évêques n’était pas nécessaire
pour que l’Église, dans son ensemble, demeure dans la possession immuable de la
vérité divine ; il suffisait pour cela de l’infaillibilité collective que
les évêques devaient exercer en union avec leur chef suprême.
L’histoire ecclésiastique prouve du reste,
que plusieurs membres de l’épiscopat ont commis des erreurs dans la doctrine ou
même s’en sont entièrement séparés. S. Paul prédisait déjà aux évêques de
Milet : « Il s’élèvera de votre milieu même des hommes qui
enseigneront des doctrines perverses pour entraîner les disciples après
eux » (Act. Ap., 20,
30). Il donne cet avertissement à l’évêque Timothée : « Rejette les
fables profanes et les contes de vieilles femmes... En attendant que je vienne,
applique‑toi à la lecture, à l’exhortation, à l’enseignement »
(1 Tim., 4, 7, 13). « Rejette les questions folles et qui n’ont pas de
rapport avec la doctrine » (2 Tim., 2, 23). Il fait des exhortations
semblables à l’évêque Tite : « Montre‑toi en tout
un modèle de bonnes œuvres, dans la doctrine, dans la conduite irréprochable,
dans la gravité » (Tit., 2, 7). « Évite les questions folles, les
généalogies, les querelles et les disputes relatives à la Loi, car elles sont
inutiles et vaines. Quant à celui qui fomente des divisions, après un ou deux
avertissements, éloigne‑le de
toi » (Tit., 3, 9 sq.). Ces exhortations n’ont de sens que si la foi de l’évêque
lui‑même peut être en danger. Que cette foi ait parfois succombé au danger,
nous en avons la preuve dans des exemples comme ceux de Paul de Samosate, de
Nestorius, des nombreux évêques de l’arianisme et des tenants des hérésies postérieures
Thèse. Bien que les évêques ne possèdent pas l’infaillibilité
personnelle, ils sont cependant les docteurs et les témoins authentiques de la
vérité dans leur diocèse, tant qu’ils conservent l’union ecclésiastique avec
leur chef suprême, le Pape, et annoncent la doctrine traditionnelle.
La
preuve biblique de cette thèse réside dans ce fait que les évêques, en tant que
successeurs des Apôtres, ont reçu du Seigneur un vrai pouvoir d’enseignement.
Les évêques Timothée et Tite étaient sans doute obligés de veiller à la pureté
de leur doctrine et demeuraient soumis à S. Paul ; ils n’en étaient pas
moins dans leurs communautés les
interprètes de la pure doctrine aussi longtemps qu’ils n’avaient pas besoin d’être
corrigés par l’Apôtre. Aussi l’Épître aux Hébreux indique comme devoir à tous
les fidèles : « Obéissez à vos chefs et soyez-leur soumis, car ils
veillent sur vos âmes comme devant en rendre compte un jour » (Hébr., 13, 17).
Cependant
cette activité doctrinale a pour objet la mise en valeur de la doctrine déjà
clairement exposée et fixée, mais non la définition d’une doctrine non encore
décidée. On a déjà dit que, dans l’activité doctrinale ainsi décrite, les
évêques peuvent recourir aux services des prêtres (Cf. Acta et decreta Concilii Provinc. Colon., p. l, c. 24).
Thèse. La forme dans laquelle l’ensemble de l’épiscopat exerce son
infaillibilité doctrinale est celle des conciles généraux.
La preuve
de cette thèse, que l’Église a mise en pratique plutôt qu’elle ne l’a défendue
théoriquement, se trouve d’abord dans tous les textes scripturaires que nous
avons cités pour démontrer l’existence d’un magistère infaillible en général.
Ces textes se rapportent aux Apôtres et, par suite, également à leurs
successeurs, les évêques. Ceux‑ci
ne possédant pas individuellement et personnellement l’infaillibilité, comme
nous l’avons prouvé, ils doivent tout au moins la posséder en tant que
collectivité. Autrement les paroles du Seigneur n’auraient pas d’effet durable,
l’Église s’écarterait de la vérité et la parole du Christ serait livrée à
Satan, le père du mensonge, ce qui est impossible.
L’ensemble de l ’épiscopat, à un concile,
représente toujours toute l’Église catholique. Or c’est de cette Église que le
Seigneur a dit que les portes de l’enfer ne prévaudraient pas contre elle
(Math., 16, 18). C’est d’elle aussi que S. Paul dit qu’elle est la
« colonne et la base de la vérité » (1 Tim., 3, 15). Si l’ensemble de
l’épiscopat, à un concile, n’était pas infaillible, l’Église entière s’écarterait
de la vérité et la parole du Christ serait livrée à Satan, le père du mensonge,
ce qui est impossible.
La
Tradition universelle atteste cette
doctrine de foi. Il n’est pas nécessaire de le prouver en détail, car l’activité
conciliaire constante de l’ensemble de l’épiscopat montre suffisamment qu’on a
toujours considéré les conciles comme infaillibles. Comment les conciles
auraient‑ils pu frapper d’anathème les doctrines dissidentes s’ils n’avaient eu la certitude
de porter un jugement infaillible sur la foi ? Il n’y a donc que l’expression
de la simple vérité et non des amplifications oratoires dans des paroles comme
celles de S. Athanase qui appelle les
décisions du Concile de Nicée « la parole du Seigneur » (Ep. ad Afr., 2 : M. 26. 1031), ou
dans celles de S. Léon Le G. qui dit
qu’il honore les quatre premiers conciles généraux comme les quatre évangiles
(Ep. 25 : M. 77, 478). Ils ne font qu’exprimer la foi générale de l’Église.
Au sujet de la doctrine des Pères, cf. Pesch, 1, 295 sq.
Harnack lui‑même est obligé d’admettre ce fait :
« On était fermement convaincu, à partir du troisième siècle, que la
représentation de l’Église se trouve dans l’épiscopat ». Mais cela était
également établi au temps d’Ignace, comme au temps des Épîtres pastorales et
des Actes des Apôtres. « On considérait les évêques, les successeurs des
Apôtres, comme les garants de la légitimité de l’Église. L’idée d’un concile
général est d’abord venue à Constantin. C’est lui aussi qui a attribué à un tel
concile la direction spéciale du Saint‑Esprit et,
par suite, l’inerrance » (H. D., 2, 92 sq.). Il faut répondre à Harnack
que le modèle de ces conciles se trouvait déjà dans la réunion dite
« Concile des Apôtres » (Act. Ap., 15, 6-35) et de plus que Constantin n’a affirmé l’inerrance
du Concile de Nicée dans sa lettre aux évêques (cf. Théodoret, H. E., 1, 9, in fine)
que parce qu’elle correspondait à la croyance de l’Église.
Ce
qui concerne la forme des conciles
est traité dans le droit canon. Signalons brièvement ici que pour qu’un concile
soit pleinement œcuménique, il faut un triple élément : 1° La convocation de tous les évêques
légitimes (c.‑à‑d. de tous
les évêques de l’Église ayant une juridiction actuelle), par le Pape
légitime ; 2° La tenue du
concile sous la présidence du Pape ou de ses représentants, les évêques restant
complètement libres de toute contrainte physique ou morale ; 3° Le caractère
obligatoire des décisions, opéré par la
confirmation du Pape.
Ad
1. Par rapport à la convocation, il
faut remarquer que, pour les huit premiers conciles, elle fut faite par l’empereur
d’Orient. Mais cela ne pouvait guère se faire que d’entente avec le Pape. On ne
peut prouver le défaut d’entente que pour le second concile ; aussi ce
concile n’eut‑il une
autorité générale qu’au 6ème siècle. Et même, au début, on ne le
considérait même pas comme un concile général. Le droit de convocation est
attribué au Pape seul par le 5ème Concile de Latran (1512-1517) (Denz., 740). Le Concile du Vatican attribue au Pape
« la pleine puissance de diriger et de régir toute l’Église » (Denz., 1826). Au sujet de la controverse concernant les
huit premiers conciles, cf. Pesch, 1, 299 sq.
Ad
2. La présidence a été exercée par le
Pape ou ses légats, sauf pour le premier et le cinquième
conciles. L’effet de cette présidence, c’est que la matière des
décisions est présentée et mise en délibération d’une manière autoritaire et
dans la forme convenable. Les empereurs et les princes ont eu maintes fois une
présidence d’honneur et de protection extérieure, mais non d’autorité
doctrinale. Pour ce qui est du nombre évêques assemblés, les théologiens disent
qu’il n’est pas nécessaire que tous les évêques soient présents, mais qu’ils
doivent cependant être assez nombreux pour représenter moralement l’ensemble de
l’Église. Cf. Batiffol,
Le règlement des premiers conciles et le règlement du sénat : Bull. d’ancienne lit. et
d’archéologie chrét. (1913), 1 sq.
Ad
3. La confirmation par le Pape est le
plus important des trois éléments formels ; c’est par elle que les
décisions d’un concile reçoivent leur caractère obligatoire général et absolu.
Dans ce cas, le Pape n’est pas lié à la majorité ; il peut aussi se
rattacher à la minorité (pars minor et sanior). Si
cette minorité se réduit à un nombre insignifiant, la décision du Pape, pense Saegemueller, est une décision « ex cathedra »,
ce n’est pas une décision conciliaire. L’isolement complet du Pape au milieu
des évêques est impossible, car le Christ a promis l’infaillibilité à l’ensemble
des évêques en tant que successeurs des Apôtres et cette infaillibilité doit
toujours subsister et s’affirmer, quand ce ne serait que dans une petite partie
qui doit alors nécessairement être unie au chef suprême de l’Église. Pour l’ensemble
cf. le droit canon : C. J. C., can. 222-229 ; Wernz,
Jus decretalium (4 vol., 1898-1904), 2, 1059
sq. ; Dict. apol.,v.
Conciles ; Dict. Théol., 3, 636-676.
THÈSE. L’évêque de Rome possède, en
tant que successeur de S. Pierre, sa qualité de chef suprême de l’Église, le magistère
suprême infaillible. De foi.
Explication. Le Concile du Vatican a déclaré : « Le
Pontife romain, lorsqu’il parle ex cathedra, c’est-à-dire lorsque, remplissant
sa charge de pasteur et de docteur de tous les chrétiens, il définit, en vertu
de sa suprême autorité apostolique, qu’une
doctrine sur la foi ou les mœurs doit être tenue par toute l’Église, jouit,
par l’assistance divine à lui promise en la personne de saint Pierre, de cette infaillibilité dont le
divin Rédempteur a voulu que fût pourvue son Église, lorsqu’elle définit la
doctrine sur la foi et les mœurs. Par conséquent, ces définitions du Pontife
romain sont irréformables par elles‑mêmes et non en vertu du consentement de l’Église »
(S. 4, c. 4 : Denz., 1839). Le terme « ex
cathedra » provient formellement de la théologie postérieure (Cano) ;
il fut ensuite dogmatisé par le Concile du Vatican (Dict. théol., 5, 1731 sq.).
Au reste, l’expression « cathedra Petri » se trouve chez les anciens
Pères. Pour comprendre la définition, il importe d’examiner d’abord les
conditions : 1° Le Pape doit agir comme docteur de la chrétienté entière,
s’adresser à l’Église entière ; 2° Son enseignement doit porter sur une
doctrine révélée concernant la foi ou les mœurs ; 3° Il doit agir avec la
volonté de donner une décision dogmatique et non un simple avertissement ou
seulement une instruction générale ; 4° La raison de son infaillibilité
réside dans une assistance officielle particulière du Saint‑Esprit qui écarte toute erreur, et non dans une
inspiration ou une révélation de la part de Dieu, encore moins dans la nature
humaine comme le prétendent les adversaires en interprétant abusivement
« en elles‑mêmes » ; 5° Les décisions prises dans ce
sens sont irréformables « d’elles‑mêmes »
et non par l’adhésion de l’ensemble de l’épiscopat (contre les gallicans).
Quand toutes ces conditions ne se trouvent pas réunies, l’assentiment que l’on
donne aux décisions pontificales n’est pas, à proprement parler, un assentiment
de foi, mais un assentiment disciplinaire.
Preuve. Jésus fait
de Pierre le fondement de son Église et promet en même temps à cette dernière
qu’elle ne pourra être détruite par les portes de l’enfer (Math., 16, 18). Mais
par là-même aussi, est garantie la permanence inébranlable du fondement, c.‑à‑d.
l’impossibilité pour Pierre d’errer dans la foi ; en effet, l’erreur
religieuse vient du diable, le père du mensonge (Jean, 8, 44). Le Christ fait
de Pierre le pasteur suprême de son troupeau : « Pais mes agneaux...
pais mes brebis » (Jean, 21, 15-17). Une erreur religieuse du pasteur
deviendrait immédiatement une erreur de tout le troupeau. Le Christ a fait à
Pierre la promesse personnelle et formelle suivante : « Simon, Simon,
voici que Satan vous a réclamés, pour vous cribler comme le froment ; mais
j’ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille pas ; et toi, lorsque tu
seras converti, affermis tes frères » (Luc, 22, 31 sq.). La prière du
Christ pour son vicaire ne pouvait pas ne pas être exaucée. Or le Christ prie
pour l’intégrité de sa foi. Dans la foi, Pierre demeura inébranlable. Il tomba
par défaillance dans l’amour et non par incrédulité. De là la triple question
émouvante que lui posera plus tard le Maître : « M’aimes‑tu ? » et non:
« Crois‑tu en moi ? ». La fermeté de l’Apôtre dans
la foi est un charisme pour l’Église entière : il doit affermir ses
frères.
De
ces trois textes classiques ressort l’infaillibilité personnelle de Pierre, de
la façon la plus probante ; le texte le
plus formel est Luc. 22, 31 sq. C’est pourquoi aussi le Concile du Vatican
s’y réfère spécialement. Les deux autres textes nous font reconnaître la même
vérité comme une conséquence immédiate. Pierre est le fondement de l’Église ;
il faut donc qu’il soit ferme dans la
foi, si l’Église doit l’être. Or l’Église doit l’être jusqu’à la fin du
monde ; son fondement doit donc l’être aussi. Pierre a reçu les clefs pour
lier et pour délier. Si ce pouvoir se rapporte également à bien d’autres
choses, il se rapporte aussi sûrement à la décision dans la doctrine. Si cette
doctrine était erronée, Dieu devrait ratifier au ciel des erreurs objectives
qui seraient annoncées sur la terre. Si le Christ n’avait pas possédé des
moyens efficaces de préserver son Église de défauts essentiels (non
personnels), il n’aurait pu, comme il l’a fait, s’identifier avec elle. Il en
est de même pour Jean, 21, 15-17. Là aussi il y a identification du Seigneur
avec son vicaire sur la terre. Il lui donne officiellement le droit de paître tout
le troupeau en son nom. Il confère ainsi la plus haute autorité à un homme. Or
cet homme, par lui‑même et
livré à lui‑même, est sujet à l’erreur ; de
plus, jusqu’à la fin du monde, il aura toute une série de successeurs ; il
en résulte la possibilité et même la probabilité que, dans ces conditions, l’un
de ces pasteurs conduira, un jour ou l’autre, son troupeau dans l’erreur. Le
Christ devait prévoir cela et avoir l’intention,
en conférant cette autorité, de lui assurer l’assistance d’en haut, pour la préserver
de toute possibilité de direction erronée et fausse qui constituerait pour le
troupeau un danger réel d’égarement. Cette garantie ne pouvait exister que s’il
accordait à son vicaire l’infaillibilité dans les actes essentiels de son
ministère. Or ces actes essentiels du ministère pastoral sont, d’après Math.,
28, 19 sq., la prédication de la foi et la vigilance sur l’observation des
commandements du Christ. C’est pourquoi l’infaillibilité se rapporte aux doctrines de foi et de mœurs.
Objections. On affirme
que, dans Luc, 22, 31 sq., le Seigneur n’a en vue que Pierre seul et
personnellement et non ses successeurs. Pierre devait, à l’époque de confusion
qui suivrait la mort du Maître et laisserait les disciples désemparés,
constituer pour eux un appui et un support et se faire leur point de
ralliement. Les paroles du Christ n’auraient pas d’autre signification et pas d’autre
intention. Mais il faut répondre que, de
fait, ce n’est que plus tard, au moment de la croissance de l’Église, qu’elles
ont développé leur effet. C’est précisément dans les jours de la Passion que
Pierre se montra faible ; il est vrai que ce ne fut pas dans la foi, mais dans la profession de sa foi.
C’est pourquoi aussi le Seigneur lui avait dit : « Quand tu seras
converti (la version « toi, à ton tour » est insoutenable) affermis
tes frères. » Satan avait demandé de « cribler » tous les
disciples « comme du froment ». Un certain nombre d’entre eux avaient
été pusillanimes dans leur foi. Pierre lui‑même avait
été faible, mais il avait rapidement surmonté sa faiblesse. Sa foi, de tout
temps ardente et prompte, ne l’avait pas « abandonné ». C’est
pourquoi il pouvait être un point d’appui pour les autres Apôtres. Mais Schanz dit avec
raison à propos de ce passage : « L’accomplissement est raconté par
les Actes des Apôtres. »
Il
faut aller plus loin et conclure que
la promesse du Seigneur a tout d’abord un sens entièrement personnel, mais que
cependant, à y regarder de plus près, elle vaut, aussi bien que Math., 16, 18,
pour l’Église entière ; bien mieux, qu’elle a en vue tous les successeurs
de Pierre dans sa fonction et est faite pour eux. Il s’agit, en effet, de
fortifier Pierre dans la foi, afin qu’il puisse affermir les autres Apôtres et,
par suite, la jeune Église. Or si la jeune Église, l’Église naissante, a besoin
d’un pareil affermissement, l’Église en voie de développement et d’extension en
a besoin elle aussi. Que l’Église doive être, à toutes les époques, menacée par
les portes de l’enfer, le Seigneur l’a prédit. Par suite, les catholiques ont
un droit authentique à appliquer également ces paroles aux successeurs de l’Apôtre
et à construire ce syllogisme :
Si l’Église, telle que le Seigneur l’a fondée, doit durer jusqu’à la fin du
monde, le fondement placé en Pierre doit lui aussi durer jusqu’à la fin et cela
avec le caractère et la qualité qu’il avait quand il a été posé. Des changements
dans le fondement menacent tout l’édifice.
On
objecte encore que, s’il faut entendre Luc, 22, 31 sq. littéralement et l’appliquer à tous les successeurs de Pierre, il
faudra aussi voir dans ce texte l’affirmation exagérée et insoutenable que
jamais un pape ne pourra, en particulier et personnellement, s’écarter de la
foi. Or le dogme ne veut rien enseigner de pareil. Il faut répondre que, sans
doute, Pierre a reçu l’affermissement dans la foi, personnellement du Seigneur,
comme une grâce particulière, obtenue par la prière de Jésus, mais qu’ensuite,
dans son effet, cette grâce doit être considérée surtout comme un charisme de ministère pour l’édification
de l’Église. Or c’est précisément comme charisme que l’infaillibilité est
attachée à la succession apostolique. Ce ne sont pas les avantages et les
privilèges personnels qui se transmettent, mais les avantages et les privilèges
ministériels. Et, à leur tour, ces privilèges ministériels ne sont pas transmis
à cause de la personne en fonction, mais à cause de l’office ecclésiastique.
Ces paroles n’ont donc pas promis aux papes qu’ils ne pourraient jamais
personnellement et en particulier tomber dans l’hérésie. Il est vrai qu’une
pieuse opinion représentée par Albertus Pighius,
Bellarmin, Suarez prétend que la Providence ne permettrait pas une telle
hérésie privée du Pape.
Les Pères. Notre dogme
est tout au moins indiqué dès le début de la primitive Église, bien qu’il ne
soit pas immédiatement formellement exprimé. Nous nous référons pour cela aux
témoignages allégués plus haut (Cf. ci‑dessus p.
153 sq.). S. Clément de Rome s’adresse,
avec sa haute autorité doctrinale, à l’Église de Corinthe. S. Ignace adresse de grands éloges à l’Église de Rome et il le
fait, sans aucun doute, à cause de son siège apostolique. S. Irénée demande l’union doctrinale avec l’Église de Rome. S. Cyprien voit dans l’Église romaine la
source de l’unité ecclésiastique. S.
Ambroise se réfère le premier à Math., 16, 18 : « C’est à Pierre
lui‑même qu’il dit : Tu es Pierre,
etc. Là donc où est Pierre, là est l’Église ; là où est l’Église, il n’y a
pas de mort, mais la vie éternelle » (In Ps. 40, 30 ; cf. De exces. fratris,
1, 47). Les paroles de grand respect de S.
Augustin pour Rome ont déjà été signalées (Cf. plus haut p. 157). Il juge
que Dieu « a établi la doctrine de la vérité dans la chaire de l’unité »
(Ep. 105, 16). S. Jérôme écrit au
Pape Damase qu’il sait qu’au milieu des troubles ariens la vérité se trouve
chez lui seul (Ep. 14 et 15 : M. 22, 355).
La
pratique nous enseigne que, dès le
début, les papes ont exercé une autorité doctrinale décisive. Ainsi Victor 1er (+ 199) dans la
décision de la question de Pâques avec Polycrate d’Éphèse, Zéphyrin (+ 217) et Calliste
(+ 222) dans la question de la pénitence en Occident, Étienne (+ 257) dans la controverse du baptême des hérétiques, Denys (+ 268) dans ses réprimandes
adressées au patriarche Denys d’Alexandrie qui avait employé des expressions subordinatianistes, Innocent
1er (+ 417) qui loue les évêques rassemblés au Concile de
Carthage de ce que, dans la recherche des choses divines, ils se sont,
conformément à l’antique tradition, adressés à la chaire romaine :
« Surtout quand il s’agit d’un objet de foi, j’estime que tous nos frères
les évêques doivent en référer à Pierre seul, c.‑à‑d. au successeur de son nom et de sa
dignité » (Ep. 30, 2 : M. 20, 590 ; cf. Denz.,
100).
Les
papes prescrivirent aux hérétiques et aux schismatiques des formules de foi,
quand ils demandèrent leur réunion à l’Église. Très célèbre est la formule que
le Pape Hormisdas (519) prescrivit
aux évêques orientaux qui avaient pris part au schisme d’Acacius,
et qui fut acceptée par 250 évêques. Cette formule n’est pas seulement en soi
un document important de la primauté doctrinale romaine, mais encore elle
défend cette primauté en faisant appel à Math., 16, 18 et elle contient cette
phrase capitale : « Sur la chaire apostolique la religion est
toujours demeurée pure » (Denz., 171) ; cf.
les anathématismes de Damase (Denz., 59-82) ; le
Symbole de Léon IX (Denz., 343) ; les formules
de foi prescrites aux métropolitains occidentaux par Pascal II (+ 1118) (Denz., 357).
La
haute Scolastique (S. Thomas, S.
Bonaventure, Scot) n’a donc pas, comme on le prétend, introduit l’infaillibilité
dans la doctrine de l’Église ; il es
vrai cependant qu’elle en a étudié d’une manière plus profonde les raisons et
en a délimité l’objet d’une manière plus précise. Se référant à Luc, 22, 32, S.
Thomas dit que c’est l’affaire du Pape de décider, dans les questions
controversées, ce qu’il faut croire, car il ne doit régner qu’une foi dans
toute l’Église (1 Cor., 1, 10 ; S. th., 2, 2, 1, 10).
Pour
ce qui est de la preuve de tradition, il faut avouer, avec Atzberger, « que d’ordinaire les témoignages allégués ne parlent pas
directement, formellement et en termes propres, de l’infaillibilité comme
telle ; ils enseignent la vérité en question, soit par des expressions et
des tournures équivalentes, soit en décrivant la primauté du Pape d’une manière
telle que l’infaillibilité est supposée ou bien ressort comme une conséquence évidente. »
(Scheeben‑Atzberger, 4,
451). On trouve un exposé presque complet de la preuve de Tradition dans Schrader, De unitate
romana, l. 2, c. 5 ; cf. aussi Palmieri, De
Romano Pontifice, thes.
25 ; Ottinger,
Theol. fundament.,
2, 526 sq.
Les
objections des « fallibilistes » contre l’infaillibilité
du Pape sont réfutées dans l’apologétique.
Elles se résolvent toutes facilement quand on observe que les décisions
pontificales qu’on attaque sont ou bien privées ou bien d’un caractère non
dogmatique mais disciplinaire et ne sont pas, par conséquent, des décisions
« ex cathedra » au sens strict. Seuls présentent une difficulté sérieuse
le cas d’Honorius et celui de Vigile. Dans le premier cas, il s’agit seulement
d’une faute de négligence et non d’une erreur positive dans la doctrine ;
dans le second cas, il s’agit d’une attitude incertaine et hésitante produite
par la pression extérieure et non d’une déclaration « ex cathedra »
erronée. Sur la question de Libère,
cf. Chapman, The contested
letters of Pope Liberius :
Rev. Bénédict. (1910), 22 sq. ; Keller, La question du Pape Libère.
A
ce sujet, Mausbach
fait une remarque critique sensée : « Du point de vue formel, il est
nécessaire de trouver dans chacune de ces décisions (des papes) le caractère
concluant et universel de la déclaration. Beaucoup de publications des papes,
malgré leur caractère religieux et leur solennité, ne sont pas des décisions
« ex cathedra » ; la plupart des encycliques contiennent des
enseignements, des avertissements, des exhortations paternelles, sans vouloir
définir des vérités déterminées... Il importe de faire ici des distinctions
claires. Ces distinctions sont nécessaires en soi, mais elles doivent aussi
rectifier les exagérations de certains théologiens aventureux qui, par suite d’une
connaissance insuffisante des faits de l’histoire de l’Église, semblent étendre
l’infaillibilité à toutes les mesures du pouvoir pontifical, même à celles du
pouvoir pastoral, sans réfléchir qu’en agissant ainsi ils nuisent à l’honneur
de l’Église et de la papauté plus qu’ils ne le servent. » (Religion,
christianisme et Église, 1, 91 ; cf. M. Cano. Loci
theol., 5, 5 ad 4). L’excommunication est un acte purement juridictionnel, ce n’est pas
un jugement infaillible de foi. C’est pourquoi elle peut être prononcée par un
évêque, lequel n’est pas infaillible.
THÈSE. Il y a dans l’Église un pouvoir
de gouvernement établi par le Christ lui‑même,
autrement dit une hiérarchie. De foi.
Explication. La hiérarchie fut d’abord attaquée par Aérius (4ème
siècle) et par les cathares (12ème siècle). Les Réformateurs l’écartèrent complètement ; ils nièrent toute
distinction de subordination entre les prêtres et les laïcs et se prononcèrent
pour le sacerdoce universel. Le Concile de Trente
se contenta d’opposer à cette attaque radicale l’affirmation dogmatique de
« la hiérarchie ecclésiastique comme ordonnance divine ». Il ne tint
pas compte de la distinction faite par les théologiens entre la hiérarchie d’Ordre
et la hiérarchie de juridiction. En nommant, comme degrés de la hiérarchie, les
évêques, les prêtres et les diacres (s. 23, can. 6), il envisage d’abord la
hiérarchie d’Ordre, parce que l’ordination est la source de tout pouvoir
ecclésiastique.
Dans
le chapitre 4, le Concile s’exprime avec plus de précision : « C’est
pourquoi le très saint Concile déclare qu’en outre des autres degrés
ecclésiastiques, les évêques, qui sont les successeurs des Apôtres,
appartiennent principalement à cet ordre hiérarchique et ont été établis, comme
dit l’Apôtre, par le Saint‑Esprit pour
régir l’Église de Dieu. » (Denz., 960). Le
pouvoir de gouvernement de l’Église se trouve donc principalement dans l’épiscopat
et non chez les prêtres et les diacres. L’expression « hiérarchie »
provient du pseudo‑Denys et
signifie « ordre sacré ». Le nom ἱηράρχης
est antérieur au christianisme et désignait l’administrateur de biens du
temple.
Preuve. Que Jésus ait conféré à ses Apôtres un pouvoir de
gouvernement, cela est clairement attesté dans l’Écriture. Cela résulte du fait qu’il a choisi, après une longue prière nocturne, douze Apôtres dans la
foule de ses disciples ; il le fit sûrement pour les distinguer de tous
les autres (Marc, 3, 13-19 ; Luc, 6, 12-16). Jésus insiste plus tard,
devant ses Apôtres, sur la liberté de ce choix (Jean, 15, 16). Il leur explique
clairement, dans une instruction particulière,
la nature de sa mission (Math., 13, 36 sq. ; Marc, 4, 34) et il leur donne
des prescriptions particulières pour leur propre mission (Math., 10,
16-42 ; cf. Luc, 10, 1-20).
Vers la fin de sa vie, il leur a
formellement conféré son propre
pouvoir. Il leur accorde le pouvoir de lier et de délier et garantit à l’usage
de ce droit la ratification du « ciel » (Math., 18, 17 sq.). Avant l’Ascension,
il renouvelle tous les pouvoirs donnés jusqu’ici et les réunit dans une mission
générale : « Toute puissance m’a été donnée dans le ciel et sur la
terre. Allez donc, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père,
et du Fils, et du Saint‑Esprit,
et leur enseignant à observer tout ce que je vous ai commandé » (Math.,
28, 18 sq.). Son pouvoir est, comme il le déclare toujours, la raison du pouvoir des Apôtres.
« Comme mon Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie » (Jean, 20,
21).
Les
Apôtres exercent en fait ce pouvoir.
Ils déclarent officiellement que la Loi juive n’est plus obligatoire et en même
temps ils établissent certaines lois pour régler les relations extérieures des
Juifs et des Gentils (Act. Ap.,
15, 28 sq.). S. Paul exhorte les communautés à observer les
« prescriptions » apostoliques (Act. Ap., 15, 41 ; 16, 4). Il rappelle aux Thessaloniciens
ses propres « prescriptions » (1 Thess., 4,
2) et il inculque aux évêques de Milet cette pensée qu’ils ont été établis par
l’Esprit‑Saint « pour régir l’Église de Dieu » (Act. Ap., 20, 28). Lui‑même gouverne énergiquement l’Église indisciplinée de
Corinthe (Cf. 1 et 2 Cor.). Il la menace même de la « verge » (1 Cor.
4, 21 ; cf. 11, Cor., 10, 4-11). Il transmet son propre pouvoir de
gouvernement à Timothée (1 Tim., 5, 17-20) et à Tite (Tit., 1, 13 ; 2,
15).
Il
est vrai que ces textes ne doivent pas être interprétés étroitement dans le
sens d’un pouvoir purement juridique, mais, en même temps, dans un sens charismatique.
S. Paul dit qu’il se glorifie de son « pouvoir », « lequel
(cependant) nous a été donné pour votre édification, non pour votre
destruction » (2 Cor., 10, 8). C’est ainsi également que le comprend S.
Augustin dans son magnifique « Sermo de ordinatione episcopi » :
« Nous sommes chefs et serviteurs. Nous présidons mais seulement si nous
sommes utiles » et, à ce sujet, il cite maintes fois Math., 20, 28.
Les Pères. Ils
attestent la permanence de la hiérarchie. Cette permanence, au reste, va de
soi, car elle ressort nécessairement de la notion et de la fin de l’Église.
Cela est prouvé par tous les textes de S. Clément de Rome, de S. Ignace, de
Tertullien, de S. Irénée, de S. Cyprien que nous avons cités plus haut (§ 137).
De ce qu’on a dit il résulte, avec une netteté parfaite, que la primitive
Église connaissait déjà une hiérarchie munie du pouvoir de gouvernement, lequel
se trouvait principalement aux mains des Apôtres et de leurs successeurs les évêques.
S. Jérôme estime, plus tard, que la
distinction entre prêtres et évêques provient de l’orgueil de certains prêtres,
mais c’est là une déclaration insoutenable, qui s’explique par des expériences
personnelles désagréables, sans manifester pour autant la foi dogmatique de l’auteur
(In Tit., 1, 5 ; Ep. 146, ad Evang.).
Les
théologiens expriment ce dogme en
disant que l’Église est une société inégale (societas inæqualis)
ou bien une communauté où il y a des gens qui commandent et d’autres qui
obéissent, des supérieurs et des inférieurs, dans laquelle par conséquent tous
les membres ne possèdent pas la même
situation et les mêmes pouvoirs (Ecclesia docens, Eccl. discens). Comme les Réformateurs opposent à ce dogme
le sacerdoce général, nous aurons à
en reparler dans le traité de l’Ordre (§ 202). Il suffit de savoir ici que la
pensée biblique du sacerdoce général (Ex., 19, 6 ; 1 Pier., 2, 5, 9 ;
Apoc., 1, 6 ; 5, 10 ; 20, 6) contredit si peu le sacerdoce
ecclésiastique qu’elle a même été développée avec prédilection par des
« hiérarques » comme S. Cyprien
(Ep. 76, 3), S. Augustin (Civ., 20, 10), S.
Léon le G. (Serm. 4 (alias 3), 1).
Des textes bibliques allégués il résulte,
pour ce qui est de la nature du
pouvoir ecclésiastique, que c’est sans doute un pouvoir religieux et qui se
rapporte au salut éternel des fidèles, mais que c’est aussi un pouvoir de
gouvernement véritable et proprement dit. Par conséquent, il renferme la triple autorité d’un pouvoir de
gouvernement : celle de faire des
lois, celle de prononcer
judiciairement sur leur signification et leur observation et enfin celle d’appliquer
des châtiments ecclésiastiques aux
transgresseurs éventuels.
La
base du pouvoir de gouvernement est le pouvoir législatif ; de ce pouvoir, le pouvoir judiciaire et le
pouvoir pénal résultent d’eux‑mêmes ;
ils sont contenus dans ce pouvoir fondamental. Or le pouvoir législatif est
compris dans les paroles de Math., 18, 18, par lesquelles le Seigneur accorde
aux Apôtres le pouvoir de lier et de délier. Ce pouvoir législatif est, dans sa
sphère, le plus élevé ; car ses
actes sont ratifiés par « le ciel », c’est-à-dire la plus haute
instance imaginable. Pour la même raison, c’est aussi un pouvoir très efficace,
car il impose la plus grave obligation. Enfin c’est un pouvoir absolument
universel ; car il n’est aucune affaire de nature religieuse qui en soit
exceptée.
De
tout cet ensemble il résulte que l’interprétation protestante, qui veut voir
dans « lier et délier » une simple déclaration, est insoutenable ;
car le ciel avec toute son autorité appuie ces actes. Au reste, le parallèle
avec Math., 16, 19 s’oppose à cette interprétation. S. Pierre n’a pas reçu les
clefs pour déclarer que les portes de l’Église sont ouvertes ou fermées, mais
pour les ouvrir ou les fermer lui‑même.
Le
pouvoir législatif des Apôtres résulte, en second
lieu, de tous les textes dans lesquels le Seigneur leur transmet sa propre mission. Comme son Père l’a envoyé il
envoie les Apôtres (Jean, 20, 21 ; Math., 10, 40 ; Luc, 10, 16 ;
Jean, 13, 20 ; cf. 2 Cor., 5, 20). Or le Christ fait acte de législateur
dans le Sermon sur la montagne et souvent dans d’autres circonstances (Math. 5,
17-43 ; 28, 20. Jean, 14, 21).
C’est
pourquoi les Apôtres, eux aussi, exercent le pouvoir législatif comme une chose
qui fait partie de leur mission. Ainsi, au Concile de Jérusalem (Act. Ap., 15, 28 sq.), S. Paul
fait observer ses décisions dans ses voyages apostoliques (Act.
Ap., 16, 4). En outre, il donne des prescriptions
particulières adaptées aux circonstances locales : à Corinthe, il règle l’attitude
à garder pendant le service religieux (1 Cor., 11, 1-17 ; 14, 34) ;
il interdit de porter les procès devant les juges païens (1 Cor., 6,
1-6) ; il prescrit les mesures sur la manière de célébrer les agapes (1
Cor., 11, 33 sq.) ; il déclare qu’il fera d’autres ordonnances oralement à
son arrivée. Il ne se contente pas de ces préceptes généraux, il formule aussi,
pour les évêques et les diacres, des lois spéciales à leur état (1 Tim., 3,
2-13). Et d’où S. Paul fait‑il dériver son pouvoir ? « Nous
faisons fonction d’ambassadeurs pour (représenter) le Christ, Dieu lui‑même exhortant par nous » (2 Cor., 5,
20). Il considère son pouvoir comme un pouvoir d’origine divine (juris divini).
La
fonction judiciaire de ce pouvoir est
incluse dans le pouvoir législatif. C’est pourquoi le Seigneur mentionne ces
pouvoirs ensemble ; Math., 18, 15-17 : « Que celui qui n’écoute
pas l’Église soit pour toi comme un païen et un publicain ». Dans le
langage postérieur de l’Église, on aurait dit : « Qu’il soit
excommunié ». Sous le nom d’Église, il ne faut pas entendre ici toute la
communauté, mais ses chefs, les Apôtres ; car c’est à eux seuls qu’au
verset 18 le Christ s’adresse personnellement et ce verset contient l’explication
des versets précédents. Il s’agit de cette Église qui, dans Math., 16, 18, sera
bâtie sur Pierre et dans laquelle les Apôtres avec Pierre exerceront le pouvoir
de lier et de délier. C’est ainsi déjà que S. Jean Chrysostome explique les
paroles du Christ (τῇ έϰϰλησία,
τουτέστι τοὶς προεδρεύουσιν :
M. 58, 586). Il ne faut pas voir une contradiction dans le fait qu’au moment où
le Christ prononçait ces paroles l’Église n’existait pas encore d’une manière
indépendante ; car le Seigneur envisage l’avenir. Pour le présent, alors que l’Église est composée des douze
et de quelques disciples, ces paroles n’ont pas encore de signification.
De
l’exercice de ce pouvoir judiciaire
par les Apôtres, l’Écriture donne de nombreux exemples précis : S. Pierre
condamne l’attitude mensongère et hypocrite d’Ananie
et de Saphire (Act. Ap., 5, 1-10). S. Paul exclut de la communauté l’inceste de
Corinthe (1 Cor., 5, 1-5). Il prononce un Jugement semblable sur Hyménée et
Alexandre, « que j’ai livrés à Satan pour leur apprendre à ne pas blasphémer »
(1 Tim., 1, 20).
Le
pouvoir de sanction est déjà exprimé
dans les textes cités plus haut. Une fonction judiciaire dépourvue de sanctions
correspondantes ne serait qu’une forme insignifiante. L’exclusion des
récalcitrants de la communauté (Math., 18, 17) est certainement un châtiment
spirituel, car elle comporte la perte des sacrements, de la prière commune et
du culte commun. Cette peine est d’autant plus sensible que, d’après l’enseignement
de la foi, seule l’Église de Jésus peut nous sauver. S. Paul écrit aux
Corinthiens, dans la pleine conscience de son pouvoir de gouvernement :
« Quelques‑uns, présumant que je n’irais plus
chez vous, se sont enflés (d’orgueil). Mais j’irai bientôt chez vous s’il plaît
au Seigneur et je prendrai connaissance non des paroles de ceux qui se sont enflés, mais de leur force... Que voulez-vous ? Que j’aille
chez vous avec la verge ou avec amour dans un esprit de douceur ? »
(1 Cor., 4, 18-21). « Nous assujettissons toute pensée à l’obéissance du
Christ et nous nous tenons prêts à punir
toute désobéissance » (2 Cor., 10, 5, 6). « Je l’ai déjà dit et je le
répète à l’avance : aujourd’hui que je suis absent comme quand j’étais
présent, je déclare à tous ceux qui ont péché et à tous les autres que, si je
retourne chez vous, je n’userai d’aucun ménagement. Cherchez-vous une preuve
que le Christ parle en moi, lui qui n’est pas faible envers vous, mais reste
puissant parmi vous ? » (2 Cor., 13, 2 sq.).
Objections. Jésus dit
aux Apôtres : « Vous savez que les chefs des nations leur commandent
en maîtres et que les grands exercent l’empire sur elles. Il n’en sera pas
ainsi parmi vous : mais quiconque veut être grand parmi vous, qu’il se
fasse votre serviteur, et quiconque veut être le premier parmi vous qu’il se
fasse votre esclave. C’est ainsi que le Fils de l’Homme est venu non pour être
servi mais pour servir » (Math., 20 ; 25-28). Ne peut‑on pas dire que, par ces paroles, le Seigneur
« n’a pas seulement recommandé aux Apôtres la douceur, l’indulgence et la
modestie dans l’exercice de leur pouvoir de gouvernement, mais encore leur a
lui‑même refusé tout pouvoir de gouvernement » ?
« A cette lettre d’affranchissement du Seigneur », dit‑on, « on ne peut opposer aucune
subtilité, aucune entorse au texte ».
Mais
il n’est aucunement besoin de subtilité. Les disciples se scandalisent d’une
démarche ambitieuse des fils de Zébédée. Le Christ reprend cette conception mondaine. Il ne doit pas y avoir dans
son royaume des grands et des petits, comme dans les royaumes des despotes
païens. Dans l’Église il n’y a que de vraies grandeurs mesurées à l’échelle de
la vertu et surtout de l’humilité serviable. Pour cela, le Christ invoque son
propre exemple. De cette allusion à lui‑même résulte
précisément qu’il n’écarte pas le pouvoir de gouvernement, en soi ; en
effet, il le possède dans sa communauté et, dans ce moment justement, il l’exerce
avec énergie : « Parmi vous il ne doit pas en être ainsi. » En
outre, dans les textes cités plus haut, il a expressément transmis à ses
Apôtres le pouvoir de gouvernement. Ce n’est donc pas l’usage, mais l’abus du
pouvoir de gouvernement que le Seigneur a proscrit.
Le
protestant Sohm
formule cette objection qui est devenue presque un leitmotiv : le droit
canonique s’oppose à la nature de l’Église de Jésus. On ne peut pas nier d’une
manière plus catégorique le pouvoir de gouvernement. Mais Harnack lui‑même combat
cette thèse qu’il trouve trop « unilatérale », « trop
étroite », « artificielle », et il demande : « Les
plus anciennes communautés n’avaient‑elles pas l’Ancien
Testament et les διατάξεις
(règlements, commandements) des Apôtres ? N’était‑ce pas là des
ordonnances juridiques ? » (H. D., 1, 339.)
Il
faut répondre à cette objection qu’il y a, en fait, dans l’Église, un
« droit ecclésiastique divin » et que ce droit est compris dans la
notion véritable de l’Église, telle que nous la présentent les évangiles. Le royaume de Dieu ne doit
pas être établi d’une manière purement spirituelle et, d’après Luc, 17, 21, il
a reçu du Seigneur une forme extérieure
et a été doté par lui d’une hiérarchie déterminée. Harnack fait, contre Sohm, cette remarque généralement juste : « On ne
voit pas comment des sociétés peuvent exister sur la terre, se propager,
éduquer des hommes, sans mesures d’ordre, et comment ces mesures d’ordre
peuvent exister sans avoir pour conséquence des institutions juridiques »
(Ibid). Mais s’il en est ainsi, est‑il possible d’attribuer au Seigneur si peu de
connaissance des conditions humaines qu’il aurait ignoré cela et fondé un
royaume de Dieu sur la terre, avec des fins, des doctrines et des mœurs très
déterminées, sans se préoccuper de lui donner une ordonnance, alors que la plus
simple société ne peut s’en passer ? La thèse de Sohm
est aussi fausse que celle de Luther sur l’Église invisible. Quand on se moque
du droit ecclésiastique « divin » et qu’on y voit une notion
contradictoire, il suffit, pour résoudre cette apparente antinomie, de
réfléchir que tout le droit ecclésiastique ne se ramène pas à Dieu, mais seulement une partie (jus divinum) et qu’on est tout prêt à reconnaître que l’autre
partie a une origine humaine (jus ecclesiasticum).
La dogmatique n’a à s’occuper que du premier.
La
nature et l’extension du pouvoir de
gouvernement ont pour norme et mesure la fin
de l’Église, et cette fin est religieuse, surnaturelle. L’Église n’a aucune
« puissance temporelle directe ». S. Thomas, François de Victoria (+
1546) et plus tard Bellarmin et les théologiens posttridentins
enseignent une « puissance indirecte ». Léon XIII appelle l’Église
« le guide des hommes vers le ciel ». « C’est pourquoi celui‑là calomnie l’Église qui l’accuse de vouloir
s’immiscer dans les affaires des États ou de s’arroger les droits des gouvernements »
(Encycl. « De Ecclesia », 1896, 48).
« Cela s’applique aussi à la royauté du Christ », dit Pie XI,
« d’une manière toute particulière : elle est de nature spirituelle
et a un objet spirituel » ; pour le prouver, il allègue à la fois les
paroles de Jésus et ses actions (Encycl. « Quam
primas », 11 décembre 1925). Il est vrai que les théologiens du Moyen‑Age jugeaient parfois d’une manière
différente. Innocent III écrit : « Jésus‑Christ a confié à saint Pierre le
gouvernement non seulement de toute l’Église, mais de tout le siècle » (Regest., 2, 209 : M. 214, 759, etc.). On insistait sur
le fait que le Pape est « vicaire de Dieu » et on en vint à la
théorie des deux épées, aux comparaisons du soleil et de la lune, de l’âme et
du corps. Cela commence déjà avec S.
Bède.
L’abus du pouvoir pénal est possible. S.
Augustin enseigne déjà qu’une excommunication injuste retombe sur son auteur et
que le Saint‑Esprit délie dans l’âme ce qui a été
injustement lié ; car il est l’Esprit d’amour et de vérité (M. 33, 1066).
Il blâme un évêque à cause de sa sévérité excessive (Ep. 250). Ces abus n’étaient
pas rares au Moyen‑Age ;
aussi le Concile de Trente (s. 25, c. 3 de ref.)
invite sérieusement à la modération.
THÈSE. Le Christ lui‑même a conféré le pouvoir de gouvernement aux
Apôtres de telle sorte que l’un d’entre eux, Pierre, reçut le premier rang ou
la primauté. De foi.
Explication. Le Concile du Vatican
a défini : « Si donc quelqu’un dit que le bienheureux Apôtre Pierre n’a
pas été constitué par le Christ Notre‑Seigneur
le prince des Apôtres et le Chef visible de toute
l’Église militante ; ou que le même Pierre n’a reçu directement et immédiatement
du Christ Notre‑Seigneur qu’une primauté d’honneur, et non de véritable et propre juridiction, qu’il soit anathème » (S. 4, can. 1 : Denz., 1823). Le Concile met l’accent sur
« directement » et « immédiatement », ce qui atteint l’opinion
des gallicans, d’après lesquels la
primauté avait été conférée d’abord à l’Église universelle, puis par celle‑ci
à Pierre. D’après cette conception,
le Pape ne serait pas le chef de l’Église,
établi par Dieu, mais le premier serviteur
choisi par l’Église ; il posséderait, il est vrai, en tant que tel, la
primauté d’honneur sur tous les autres. Cette conception fut admise en
Allemagne par les fébroniens et les joséphistes et en Italie par les membres
du Synode de Pistoïe.
Le Concile du Vatican mit fin à cette erreur. Cependant la Constitution
dogmatique « Auctorem fidei »
de Pie VI (Denz., 1501-1503) avait énergiquement
arrêté le mouvement gallican ; elle caractérisait directement comme hérésie, l’opinion d’après laquelle le Pape
ne serait que le chef ministériel de l’Église (caput ministeriale).
Le
mot primauté, en général, signifie la préséance
d’une personne sur d’autres. Comme la préséance a sa raison dans un privilège et qu’il y a divers
privilèges, on distingue aussi diverses primautés. La primauté d’honneur a son fondement dans une reconnaissance purement extérieure
et dans la collation d’un titre d’honneur particulier, auquel, à part certains
privilèges honorifiques dans les fonctions publiques, rien de réel ne correspond
et qui surtout ne confère aucune autorité (primus
inter pares). La primauté de direction (primatus ordinis, directionis) confère à
son titulaire certains droits dans le règlement des affaires communes (par
ex. : les présidents des Républiques). Cette primauté comprend l’autorité préceptive dans la communauté. A cette primauté est
apparentée la primauté d’inspection qui confère le droit de surveillance sur un
ordre donné. De toutes ces primautés se distingue la primauté de juridiction (pr. jurisdictionis). Elle confère à son titulaire la plénitude
du pouvoir suprême législatif, judiciaire et pénal sur ses subordonnés, si bien
qu’il est habilité et autorisé à les régir non seulement d’une manière
directive, mais encore d’une manière préceptive, en
vertu de sa primauté. Cette primauté est propre au Pape. Les théologiens ne
sont pas d’accord sur la relation du pouvoir doctrinal avec le pouvoir de
gouvernement. D’ordinaire on unit le pouvoir d’enseignement au pouvoir de
gouvernement (potestas juridictionis).
Aux
anciens adversaires de la primauté,
aux Grecs et aux Réformateurs, à Marsile de Padoue et à Jean de Janduno, à Wiclef et à Jean Huss se sont adjoints, dans les temps
modernes, les vieux catholiques qui,
après avoir rejeté l’infaillibilité pontificale, n’ont pas tardé à rejeter
aussi la primauté, et tout dernièrement les modernistes,
lesquels, avec la théologie libérale, ont nié, en s’appuyant sur l’Écriture, l’institution
de la papauté par Jésus et l’ont représentée comme un produit naturel de l’époque
postapostolique. Le décret « Lamentabili »
a condamné les deux propositions suivantes. Prop. 55 : « Simon Pierre
n’a jamais eu même l’idée que la primauté dans l’Église lui avait été conférée
par le Christ. » Prop. 56 : « L’Église romaine est devenue la
tête de toutes les Églises non par une ordonnance du Christ, mais par suite de
circonstances purement politiques. » (Denz.,
2055 sq.).
Preuve. Que le Christ ait conféré personnellement et
immédiatement à Pierre le premier rang dans le pouvoir de l’Église, c’est là l’enseignement
clair de l’Écriture, et les adversaires ne peuvent repousser ce témoignage qu’en
essayant de rendre suspects les textes en question. Aux subterfuges des
adversaires s’opposent fermement les faits bibliques suivants. Le Christ a de
bonne heure désigné Pierre et l’a formé pour sa situation primordiale. Dès le
moment de sa vocation, il change son nom « Simon » (Jean, 1, 42) en
celui de « Pierre ». « Et il donna à Simon le surnom de
Pierre » (Marc, 3, 16). D’après S. Jean, le Seigneur dit : « Tu
es Simon, le fils de Jonas ; tu seras appelé Képhas (le rocher). »
(Jean, 1, 42). Pierre porta plus tard ce nom (1 Cor., 15, 5). Le nom
« rocher » est un nom de fonction et il est expliqué dans Math., 16,
18. (Cf. 7, 24).
Pierre est placé dans toutes les listes d’Apôtres
au premier rang, alors que les autres
n’ont pas toujours la même place ; cela n’a pu se faire par hasard et ne s’explique
que par la primauté de Pierre (Math., 10, 2 ; Marc, 3, 16 ; Luc, 6,
14 ; Act. Ap., 1, 13).
Dans S. Mathieu, Pierre est appelé « le premier » (πρῶτος), sans qu’il soit question
d’un second et d’un troisième. Cela ne peut se rapporter qu’à une dignité de fonction, car au moment de la
vocation, André l’a précédé (Jean, 1, 40-42 ; cf. Math., 4, 18-20).
Le Christ fait de Pierre (avec Jacques et
Jean) le témoin de la résurrection de la fille de Jaïre
(Marc, 5, 37), de sa transfiguration (Math., 17, 1 sq.), de son agonie (Math.,
26, 37-46) ; il paie pour lui l’impôt du temple (Math., 17, 23-26) :
ce qui fait apparaître Pierre, ainsi que le remarque Wellhausen,
comme un « alter Ego » du Christ. On ne peut pas expliquer ce récit
comme une interpolation postérieure, mais il faut le placer avant la destruction de Jérusalem, au
moment où le temple et l’impôt du temple existaient encore.
La promesse
de la primauté se fit dans la scène de Césarée de Philippe. Pierre venait de
faire une profession de foi d’une netteté particulière. A cette profession, le
Seigneur répond : « Et moi, je te dis que tu es Pierre et que sur
cette pierre je bâtirai mon église et les portes de l’enfer ne prévaudront pas
contre elle. Et je te donnerai les clefs du royaume des cieux ; et tout ce
que tu lieras sur la terre sera lié aussi dans les cieux, et tout ce que tu
délieras sur la terre sera délié aussi dans les cieux. » (Math., 16, 18 sq.)
Ces paroles font clairement de Pierre le fondement de l’Église (cf. Math. 7,
24) et le détenteur des clefs, c.‑à‑d. l’intendant de Dieu dans l’Église (Is. 22, 22).
Le
Christ, selon son habitude, se sert d’images ;
mais il ne peut y avoir aucune espèce de doute sur leur sens : Pierre doit
être le chef suprême de l’Église. Selon l’expression employée plus tard, il
exercera la « primauté » dans l’Église. Il reçoit cette promesse,
comme le remarque expressément le Concile du Vatican, « directement »
et « immédiatement ». Si les Pères de l’Église, en expliquant ce
texte, insistent fortement sur la foi de l’Apôtre, cela ne veut pas dire que le
Christ a bâti l’Église sur la foi, mais qu’il a fait l’Apôtre fondement de l’Église
à cause de sa foi. Ce n’est pas la
foi abstraite qui reçoit le pouvoir des clefs, mais l’Apôtre croyant.
La collation
de la primauté se fit après la résurrection. Le Christ exige de Pierre la
triple assurance de son amour particulier, parce que l’Apôtre, par défaut d’amour,
l’avait renié trois fois. Alors il lui dit : « Pais mes agneaux...
pais mes brebis » (Jean, 21, 15-17).
Au
sujet du contenu du pouvoir transmis,
il ne peut pas non plus y avoir le moindre doute. Le Christ s’est désigné lui‑même comme le bon Pasteur (Jean, 10).
Désormais Pierre aura la charge, comme chef visible de l’Église, de paître le
troupeau du Christ sur la terre. Il s’agit du troupeau entier, composé de brebis et d’agneaux. Les paroles du Christ ne
sont pas, comme le prétendent les adversaires, un rétablissement de Pierre dans
son apostolat. En effet, tous les autres Apôtres s’étaient
« scandalisés » sans perdre l’apostolat. Pierre resta, même après sa
chute et avant la scène racontée par S. Jean (21, 15-17), le premier Apôtre
(Luc, 24, 12 ; Jean, 20, 2 ; 21, 1-15) pour le soutien de ses frères
plus faibles (cf. Math., 28, 16 sq. ; Marc, 16, 14) ; bien plus, il
avait été honoré auparavant d’une apparition spéciale du Seigneur (Luc, 24,
34 ; 1 Cor., 15, 5).
L’exercice
de la primauté ne doit pas être apprécié d’après les mesures d’aujourd’hui.
Néanmoins, Pierre manifeste son autorité, dans certaines circonstances, d’une
façon caractéristique : ainsi, au moment de l’élection de Mathias (Act. Ap., 1, 12-26), au jour de
la Pentecôte (Act. Ap., 2,
14-40), devant le Grand Conseil (Act. Ap., 4, 5-22), au moment de l’admission du premier païen (Act. Ap., 10), au concile des
Apôtres (Act. Ap., 15).
En raison des attaques violentes faites de nos jours contre la primauté, il est
nécessaire d’examiner les preuves avec plus de détails.
L’importance fondamentale de Math., 16, 18,
est évidente. Aussi a‑t‑on engagé, ces
dernières années, une lutte scientifique violente contre ce passage. On peut
signaler une triple
interprétation : l’interprétation catholique, l’interprétation du
protestantisme ancien, celle du néo‑protestantisme
et du modernisme.
L’interprétation catholique part de l’authenticité du passage qui ne peut être
ébranlée par aucun argument sérieux. Ce qu’on allègue contre cette authenticité
sera examiné plus loin. Les catholiques affirment, en s’appuyant sur le texte
et le contexte : 1° Que le Seigneur s’adresse directement et
personnellement à Pierre ; 2° Que le Seigneur lui a promis la primauté.
Ad
1. Le Christ s’adresse directement à
Pierre seul. Il interroge tous les Apôtres, mais Pierre seul répond.
Bellarmin (De Rom. Pontif., 1, 12) attire déjà l’attention
sur les particularités de la réponse de Jésus ; tout désigne Pierre :
« Simon, fils de Jonas... tu es Pierre ». A cela s’ajoute le jeu de
mots Képhas qui veut dire à la fois Πέτρος
(la pierre) et πέτρα (le
rocher) et qui désigne en même temps la personne et la fonction de l’Apôtre. La
fermeté de sa foi, solide comme le rocher, est la raison pour laquelle il reçoit, dès le début, ce changement de nom
(Jean, 1, 42 ; Marc, 3, 16). Si la promesse faite dans Math., 16, 18, ne
devait pas se réaliser, ces passages seraient incompréhensibles. Un changement
de nom signifie une mission particulière (Abraham, Sara, Jacob). Enfin il est
clair que le Christ entend récompenser Pierre de son témoignage. Pierre a
dit : Tu es le Christ ; Jésus à son tour dit « Moi je te dis, tu es Pierre ». Il est absolument
impossible de penser qu’en disant « sur cette pierre » le Christ se
soit désigné lui‑même. On ne peut alléguer pour cette
interprétation ni Jean, 2, 19, ni 1 Cor., 3, 11, où il est question d’une
« pierre de fondation principale ». A côté d’une fondation
principale, il y place pour des fondations secondaires importantes. De même, le
Christ se nomme lui‑même la
lumière du monde (Jean, 8, 12 ; 9, 5 ; 12, 46) et cependant il
désigne ses Apôtres comme la lumière du monde (Math., 5, 14).
Les Pères insistent
volontiers, à propos de Math., 16, 18, sur la foi comme fondement de l’Église,
mais ils entendent par là que la foi est la cause du
choix de Pierre. La foi est le fondement causal (causaliter) ;
l’Apôtre est le fondement formel (formaliter).
On
ne peut pas dire non plus que les Apôtres
en général, au nom desquels Pierre a fait sa confession, sont le fondement de l’Église,
car Jésus s’adresse à Pierre et non à tous. S’il y a eu, au Moyen‑Age, des théologiens qui ont entendu Math.,
16, 18, de tous les Apôtres, c’est justement parce qu’ils ont mal compris ce
passage.
On
ne peut pas davantage entendre ce passage de l’ensemble de tous les fidèles ; c’est aussi impossible
que de le rapporter à la foi. Bellarmin demande : Si tous sont le fondement, où seront les murs et le toit ? (De
Rom. Pontif., 1, 10).
Ad
2. Que Jésus ait promis à Pierre la primauté de juridiction, cela ressort des raisons suivantes.
Tout
d’abord Pierre est placé à la tête de toute
l’Église, car le Christ dit « mon Église », il a donc en vue toute l’institution
fondée par lui et non seulement une partie.
Ensuite
Pierre est établi fondement de l’Église.
Cela ne peut vouloir dire, si on dépouille l’expression de l’image, que ceci :
Il donnera à l’Église la consistance, la fermeté et, en outre, l’unité que le
fondement donne à l’édifice. Quand S. Paul plus tard fait dériver l’unité de l’Église
de l’unité de Dieu, du Christ et de son baptême (Eph.,
4, 5 sq.), il ne nie pas plus la primauté de Pierre que le Christ ne conteste
sa qualité de fondement en affirmant qu’il est lui‑même le fondement. Le Christ fait
manifestement allusion, dans Math., 16, 18, au fondement de rocher qu’il exige,
dans le Sermon sur la montagne, pour une bonne construction (Math., 7, 25).
La
seconde image, celle du détenteur des
clefs s’adapte aussi à la primauté ; cette image est même plus nette
et plus précise que la première. Pierre reçoit les clefs du royaume de Dieu sur
la terre, c.‑à‑d. de la
communauté ecclésiastique extérieure. Il reçoit les clefs, c.‑à‑d. le plein
pouvoir de laisser entrer et d’exclure. La remise des clefs d’une maison ou d’une
ville signifie, dans l’antiquité, la transmission du pouvoir sur cette maison
ou cette ville. D’ailleurs l’expression « les clefs » est synonyme d’autorité,
dans l’Écriture. (Cf. Is., 22, 22 : « Je mettrai sur son épaule la
clef de la maison de David : s’il ouvre, personne ne fermera ; s’il
ferme, personne n’ouvrira » ; Apoc., 1, 17 sq. ; 3, 7 ; 9,
1 ; 20, 1). On ne trouve qu’un exemple de l’emploi de « clefs »
au sens de connaissance, dans Luc, 11, 52. On ne peut pas attribuer
exclusivement cette signification à Math., 16, 18, car ici il est expressément
question des clefs du royaume des cieux et non des clefs de la science ou de la
prédication ; le premier sens est plus extensif.
Une
troisième image exprime la primauté de juridiction, c’est celle qui est
contenue dans les termes « lier » et « délier ». Cette
nouvelle métaphore renchérit encore sur le sens des deux précédentes, celle du
fondement et celle des clefs. Lier et délier indique le plus haut pouvoir dans
le royaume de Dieu sur terre. Et cela avec d’autant plus de certitude que l’expression,
dans sa forme même, se rapporte à toutes les affaires religieuses et à toutes
les personnes et que, d’autre part, Dieu ratifiera au ciel tous les actes
correspondants de Pierre, si bien qu’on ne peut pas en appeler de ses décisions
à une instance plus élevée.
Il
y a donc dans la triple image du
fondement, des clefs, et du pouvoir de lier et de délier, une gradation réelle.
L’image du fondement insiste sur le but de la primauté. Elle doit donner à l’Église
l’unité et la fermeté. Dans l’image des clefs, apparaît l’extension extérieure
de la primauté : elle s’étend à toute l’Église ; le détenteur des
clefs est maître dans toute la maison. La dernière image, celle du pouvoir de
lier et de délier, caractérise, d’une manière plus précise, le contenu réel de
la primauté : elle comprend non seulement le positif, mais encore le
négatif ; non seulement l’autorité dans la doctrine et les commandements,
la foi et les mœurs, mais encore la décision judiciaire sur tout ce qui s’oppose
à cette autorité positive.
Sous
l’influence du mouvement pour l’union des
Églises, la question de la primauté a été traitée, ces dix dernières
années, d’une manière intense. Sauf chez les Grecs schismatiques, on peut
parler d’une certaine atténuation de la polémique précédente. En particulier,
la haute Église anglaise s’est sensiblement rapprochée du point de vue
catholique, dans les conférences de Malines entre le cardinal Mercier et lord
Halifax. Dans l’examen du livre qui a été publié à ce sujet, « The
conversations of Malines » (1921-1925), Hirsch établit ce qui suit :
« Par rapport à la doctrine générale d’Église, de ministère et de
sacrement, par rapport à l’Écriture et à la Tradition, au baptême, à la
Pénitence, à l’Eucharistie, au sacrifice de la Messe, au sacrement de l’Ordre
et à l’Extrême‑Onction, la conception catholique peut
enregistrer des déclarations pleinement satisfaisantes de l’autre partie (anglaise).
Ce qui subsiste, en fait de différences, consiste uniquement dans les
divergences qui ont été discutées en dernier lieu, concernant la force
obligatoire des définitions romaines spéciales sur ces points. Les Anglicans
désireraient, dans l’intérêt surtout de l’union à réaliser aussi avec les
Orientaux, limiter le cercle des définitions de foi autant que possible à ce
qui est du catholicisme ancien ».
« La
seconde observation concerne la primauté. Les Anglicans l’ont concédée en
principe, du point de vue biblique, historique et dogmatique ; ils ont même déclaré par écrit qu’une union
de la chrétienté sans la reconnaissance de la primauté papale est, à leur avis,
impossible. Ils ont de plus avoué que cette primauté n’est pas simplement
une primauté d’honneur, mais une primauté de responsabilité, de direction
spirituelle de toute l’Église et justifie une situation particulière du Pape
par rapport à tous les évêques. Ils font cette réserve, que les droits inclus
dans cette primauté sont soumis à une évolution historique (ils espèrent
maintenant une évolution dans le sens de la « décentralisation » et
de l’acceptation de cette idée que l’autorité du Pape ne doit pas être séparée
de celle des évêques). » Hirsch appelle ces déclarations « un fait d’histoire
ecclésiastique d’une importance inappréciable ».
Le protestantisme
allemand a, par la plume d’un grand nombre de ses représentants, traité de
nouveau le célèbre passage de Math., 16, 18. Au sujet de l’authenticité de ce passage, les anciens
protestants sont d’accord avec nous. Récemment K.-L. Schmidt avouait que ni la « critique littéraire »,
ni la « critique des textes » ne sont capables d’ébranler ce texte.
« Nous n’avons aucun manuscrit grec, aucune version ancienne qui ne
contienne Math., 15, 17-19, ou du moins 16, 18. » Kattenbusch écrit :
« Que Math., 16, 18, soit une interpolation, voilà ce que je ne puis
admettre. Historiquement et psychologiquement, il me semble tout
a fait vraisemblable que Jésus, justement à ce
moment solennel, là, à Césarée de Philippe, ait manifesté sa volonté de former
avec ses disciples une έϰϰλησία.
De même K. Heim, Edgar Salin, Erich Caspar, etc., tiennent compte de l’authenticité
du texte. Sans doute, ils n’acceptent pas les conséquences et séparent Pierre
du Pape. D’après eux, le texte est, dans la pensée du Christ, personnel et non
attaché à la fonction. Heim s’oppose à l’exégèse catholique en disant :
« Il n’y a (dans cette construction) qu’une seule (et même) couche de
pierres fondamentales. Le rôle de ces pierres à l’intérieur de la construction
entière n’a lieu qu’une fois : au moment de la fondation. » Mais Heim
méconnaît complètement le caractère imagé des paroles de Jésus et identifie la
construction vivante de l’Église avec une maison de pierres. Un édifice vivant
exige un renouvellement continuel dans tous les membres et particulièrement
dans le fondement ; il va sans dire qu’un édifice matériel demeure dans
une identité complète, jusqu’à ce qu’il s’écroule. Harnack veut morceler le texte : il supprime les
paroles : « Sur cette pierre je bâtirai mon Église » et rapporte
les autres à Pierre auquel le Seigneur aurait promis une immortalité
personnelle : il ne devrait pas mourir. Harnack a trouvé peu d’échos avec
son exégèse qui est critiquée non seulement par des catholiques comme Sickenberger, Euringer, Fonk, mais encore par des protestants. Néanmoins il faut
prendre acte de ce qu’il ne voit pas dans ce texte, comme les libéraux
extrêmes, les modernistes et les vieux catholiques, l’interpolation postérieure
d’un évêque de Rome ambitieux de la primauté. Cette opinion, qui a souvent été
défendue avec fanatisme, tombe en lambeaux, ainsi que l’opinion parallèle
concernant le séjour historique de Pierre à Rome. Il faudrait alors tirer la
conséquence que tirait déjà J.-H. Holtmann. Il écrit : « Si Math., 16, 18, est
une parole historique de Jésus, alors comme elle se rapporte sans aucun doute
( !) à la personne de Pierre et
non à sa profession de foi ou à quelque autre abstraction, l’interprétation
catholique a tout au moins l’avantage, et si les clefs du royaume des cieux
(Math., 16, 19) sont remises à ce même Pierre devant la communauté (Math., 16, 18) (il faudrait dire :
devant les autres Apôtres), cette interprétation l’emporte doublement. Elle a un triple
avantage, si l’identification amenée par le contexte de la βασιλεία τῶν
οὐρανῶν (le
royaume des cieux) avec l’έϰϰλησία
exprime la pensée de Jésus : car ce serait alors précisément la pensée
exacte du catholicisme. ». O. Bauer
juge : « Que l’unanimité d’autrefois dans le jugement de la théologie
critique sur Math., 16, 18, revienne bientôt, je ne le crois pas. »
Le rang inégal de Pierre et de Paul ressort de
la doctrine de la primauté. L’opinion opposée des jansénistes a été condamnée
par Innocent XI (1647). (Denz., 1091). Après le
Concile du Vatican, cette erreur fut reprise par les vieux catholiques.
Le
vieux catholique Langen,
dans un livre en quatre volumes (Le dogme du Vatican sur l’épiscopat universel
et l’infaillibilité du Pape, dans ses relations avec le Nouveau Testament et l’exégèse
patristique, 1871-1876), a recueilli, pour combattre la primauté du Pape, tous
les textes des Pères dans lesquels il est question d’une égalité entre Pierre
et Paul. Mais les Pères, comme S. Ambroise, S. Augustin, l’Ambrosiastre,
S. Chrysologue, S. Maxime de Turin, S. Grégoire le G., S. Chrysostome, etc.,
établissent cette égalité, soit par rapport à l’apostolat, soit encore par
rapport à l’importance des deux Apôtres pour la ville de Rome où l’un et l’autre
subirent le martyre, soit en raison des services qu’ils rendirent à l’Église en
général. De ce dernier point de vue on peut même attribuer à Paul une
supériorité sur Pierre. Paul lui‑même ne dit‑il pas, comme le répète S. Grégoire le G. lui‑même, qu’il a plus travaillé que tous les
autres ? (1 Cor., 15, 10). On peut donc reconnaître à Paul, l’Apôtre des
Gentils, le zélé missionnaire, la primauté de l’activité extérieure et de la
prédication. Mais en reconnaissant cela, on n’enlève pas plus la primauté de
juridiction à Pierre qu’on ne l’enlève au Pape Zacharie, par exemple, en mettant
en regard de son activité celle de S. Boniface, l’« apôtre
de la Germanie ». S. Augustin écrit, au sujet de la controverse connue
entre S. Pierre et S. Paul, que cette controverse montre « que même des
subordonnés (Paul) peuvent, pour la défense de la vérité de l’Évangile,
résister à des supérieurs (Pierre), quoique sans blesser la charité (Ad Hieron., 82, 21). Il reconnaît donc la préséance de S.
Pierre.
On
résout de la même manière l’objection qu’on croit pouvoir tirer de la Scolastique (S. Albert le G., S. Thomas)
laquelle admet de même une égalité des deux Apôtres tout au moins par rapport à
la doctrine. Les deux Apôtres étaient naturellement des organes autorisés et
infaillibles de la prédication chrétienne et, sous ce rapport, égaux. Mais que
cette égalité ne supprimât pas la primauté de S. Pierre et ne l’éclipsât même
pas, cela ressort de l’enseignement de S. Thomas. Il écrit : « Il est
vrai que le pouvoir de lier et de délier fut donné communément à tous les Apôtres. Mais pour qu’il y ait
de l’ordre dans ce pouvoir, il fut d’abord donné à Pierre seul ; pour
manifester clairement que ce pouvoir avait ses racines en Pierre, le Seigneur
lui dit à lui seul : Luc, 22, 31 sq. et Jean, 21, 17. » (Suppl., q.
40, a, 6). C’est pourquoi les erreurs de Marsile
de Padoue et de Jean de Jandun n’eurent que « peu d’écho », au
Moyen‑Age ; sur l’ensemble, cf. Ottiger, Theologia fundamentalis, 2,
61-112 ; Karl Adam, Le vrai
visage du catholicisme (traduction Ricard).
THÈSE. D’après l’ordonnance du Christ,
Pierre devait perpétuellement avoir un successeur dans sa charge de pasteur
suprême, et ce successeur est l’évêque de Rome. De foi.
Explication. Le Concile du Vatican
a défini : « Si donc quelqu’un dit que ce n’est pas en vertu de l’institution
du Christ Notre‑Seigneur ou en vertu d’un droit divin que le bienheureux Pierre a perpétuellement un successeur
dans sa primauté sur toute l’Église ; ou bien que le Pontife romain n’est pas le successeur du bienheureux Pierre dans cette
primauté, qu’il soit anathème. » (S. 4, c. 2 : Denz.,
1825). Deux vérités sont exprimées ici : une vérité dogmatique, à savoir
que Pierre devait toujours avoir un successeur, et une vérité historique, à
savoir que ce successeur est le Pape en fonction. Les deux vérités sont
étroitement connexes. La thèse suppose le fait historique que Pierre a exercé
son ministère à Rome comme évêque et y est mort.
La
démonstration de ce fait incombe à l’histoire de l’Église. Au reste, il est
admis aujourd’hui presque unanimement par les adversaires protestants
(récemment encore par Lietzmann,
Pierre et Paul à Rome [1926]), bien que sa négation ait joué jadis un rôle en
tant qu’argument spécieux de prédilection contre « Rome ».
Preuve. Si le Christ voulait bâtir son Église sur Pierre
comme fondement, si d’autre part il voulait que cette Église, selon sa
promesse, persistât jusqu’à la fin du monde, la conséquence logique,
nécessaire, c’est que ce fondement, qui donne à l’ensemble solidité et
consistance, doit lui aussi persister. Autrement, l’Église serait sans
fondement et ainsi persisterait d une manière
entièrement différente de celle de sa fondation. Que Pierre ne dût pas être ce
fondement jusqu’à la fin du monde, le Christ l’avait prévu en lui annonçant qu’il
mourrait auparavant (Jean, 21, 19).
Les Pères. Leurs
témoignages en faveur de la primauté se confondent avec ceux qui attestent le
magistère suprême. C’est pourquoi nous pouvons renvoyer à ces témoignages.(Cf. 2ème vol., § 142). On peut
signaler ici quelques aveux de Harnack. « Il est très probable que Pierre
a été réellement à Rome ainsi que Paul (1 Clém.,
5 ; Ign. ad Rom.,
4). » (H. D., l, 488). Sohm a seulement exagéré
dans son « Droit ecclésiastique » en disant que « l’ensemble de
la constitution de l’Église, en tant qu’ordonnance divine, a d’abord été formé
à Rome pour se répandre de Rome dans les autres communautés » (P. 480).
« Aucune communauté dans l’histoire de l’Église ne s’est imposée d’une
manière plus brillante que celle de Rome par l’épître dite première de
Clément. » (P. 485). La seconde Épître de Clément, qui est attribuée par
Harnack au Pape Soter, « est accueillie à
Corinthe avec le plus grand honneur » (P. 486). Pour ce qui est d’Ignace, l’adresse de son Épître aux
Romains montre déjà « qu’il estimait cette communauté comme la plus importante
de la chrétienté ».(P. 486). Ignace offre un
important témoignage (pour Rom., II) : « D’autres vous ont
instruits. » (Ibid). « Après ces
témoignages, on ne peut pas trouver étrange qu’Irénée attribue le plus haut rang à l’Église romaine, parmi les Églises
fondées par les Apôtres. » (P. 486). Il cite du texte célèbre en faveur de
la primauté : « car avec cette Église, en raison de son origine plus
excellente, doit nécessairement s’accorder toute Église, c’est-à-dire les
fidèles de partout, elle en qui toujours, au bénéfice de ces gens de partout, a
été conservée la Tradition qui vient des apôtres » (A. h., 3, 3, 2 ;
cf. 3, 4, 1) ; on en trouve l’explication exacte dans Batiffol, 214 sq).
Il remarque à ce sujet que « la communauté romaine passait alors pour la
conservatrice de la tradition proprement dite et que, par suite, les
communautés manifestaient naturellement et effectivement leur orthodoxie par l’accord
avec cette communauté » (p. 488). Il oublie un mot : elles
« doivent » être d’accord avec elles. (Cf. Vatic.,
s. 4, c. 2 : Denz., 1824). Parmi les protestants
on discute encore actuellement sur ce passage de S. Irénée.
Au
sujet de Tertullien (Præscript., 36 ; cf. De bapt.,
17 ; De pud., 3), Harnack dit : « Mais
il remarque expressément que, pour l’Église de Carthage, l’Église romaine a une
autorité particulière. » (P. 491). Si Tertullien devenu montaniste
rabaisse la primauté, c’est pour faire place au Pneuma. « La nouveauté est
entièrement le fait de Tertullien », dit avec raison Batiffol
(p. 302) ; c’est lui le révolutionnaire et non le Pape Calliste. De même
Harnack avoue que les hérétiques,
comme Marcion, essayaient d’obtenir la faveur de Rome, que Victor et Étienne
exclurent l’Orient de la communion de l’Église, que « l’évêque de Rome
(vers 200) était en situation d’instituer et de déposer non seulement des
prêtres et des diacres, mais encore des évêques... Rome peut enlever aux autres
communautés leur évêque et leur envoyer un évêque choisi à Rome » (P.
491). Quand le patriarche Denys d’Alexandrie, malgré son prestige, fut repris
par le Pape Denys, « aucune objection ne s’éleva en raison de cette
manière de faire » (P. 493). Dans la « condamnation d’Origène, la
voix de Rome semble avoir eu une importance particulière » (Ibid). Ajoutons à ces aveux purement historiques d’un
adversaire qui rend justice à notre thèse quelques citations des Pères de la première époque.
Au
1er siècle nous avons le
témoignage de l’Épître de S. Clément
déjà citée. Ici le fait que l’Épître
ait été envoyée est déjà en soi une preuve importante de l’autorité de l’évêque
de Rome ; que S. Clément ait écrit cette Épître de sa propre initiative ou
qu’il y ait été déterminé par une instigation extérieure, la question qui ne
peut être résolue entièrement est d’une importance secondaire. Il est probable,
au reste, qu’il a agi de sa propre initiative (Cf. 1,1 ; 47, 6 sq.). L’hommage
que rend ensuite S. Ignace à l’Église
romaine est d’autant plus important qu’il insiste partout sur sa propre
autorité épiscopale.
Au
2ème siècle nous avons d’abord le texte célèbre de S. Irénée (A. h., 3, 3, 2). Le contexte
est déjà important. On peut sans doute trouver la doctrine orthodoxe dans toute Église apostolique, mais S. Irénée
ne donne que l’exemple de l’Église romaine. « Nous prendrons seulement l’une
d’entre elles, l’Église très grande, très ancienne et connue de tous, que les
deux très glorieux apôtres Pierre et Paul fondèrent et établirent à Rome ; en montrant que la Tradition
qu’elle tient des apôtres et la foi
qu’elle annonce aux hommes sont parvenues jusqu’à nous par des successions d’évêques,
nous confondrons tous ceux qui, de quelque manière que ce soit, ou par
infatuation, ou par vaine gloire, ou par aveuglement et erreur doctrinale,
constituent des groupements illégitimes : car avec cette Église, en raison
de son origine plus excellente, doit nécessairement s’accorder toute Église, c’est-à-dire
les fidèles de partout, elle en qui toujours, au bénéfice de ces gens de
partout, a été conservée la Tradition qui vient des apôtres » ; cela
seul nous indique déjà l’importance de l’Église romaine pour l’ensemble de l’Église ;
c’est tout simplement une importance décisive. Or ce n’est pas l’autorité de la
communauté romaine qui a cette
prépondérance décisive, ce sont ses évêques ;
en effet, c’est dans la succession
épiscopale que réside, d’après S. Irénée, la garantie de la pureté de la
doctrine. Viennent ensuite les paroles célèbres souvent commentées que nous
avons citées plus haut : avec cette Église, à cause de sa supériorité
dominante, tout le monde doit s’accorder. L’explication particulière du passage
difficile n’est pas une question essentielle : il est absolument certain
que, dans le sens de S. Irénée, on doit s’accorder avec l’Église de Rome, car
elle a sans aucun doute la véritable foi et tout le monde doit avoir cette foi. Ainsi donc l’Église de Rome est l’instance la
plus rapide et la plus sûre pour les questions de foi. Pour l’explication
particulière du texte, cf. Ottiger, 2, 530 sq. Il faut encore signaler au 2ème
siècle le voyage de S. Polycarpe (le
princeps Asiæ) à Rome pour aller trouver le Pape Anicet, afin de régler la question de la
fête de Pâques en Orient (cf. S. Irénée, A. h., 3, 3 sq. : Eusèbe, H. e., 5, 24), de même le voyage
d’Hégésippe à Rome (vers 180) (Eusèbe, H. e., 4, 22)
pour y apprendre la vraie tradition de la foi. Un peu plus tard se produisent
les négociations de Polycarpe d’Éphèse
et d’autres Orientaux avec le Pape Victor
1er au sujet de la fête de Pâques (189) : ces négociations
attestent le prestige de Rome.
Au
3ème siècle nous possédons d’abord le témoignage de Tertullien. Il indique l’état de fait
quand il appelle le décret de pénitence de Calliste 1er un
« édit péremptoire » (De pudic., 1 ;
cf. Denz., 43). D’après son exposé, Calliste a
invoqué Math., 16, 19, quand il a promulgué ses mesures d’adoucissement dans la
discipline pénitentielle : « Par rapport à ton affirmation, je te
demande : D’où vient‑il que tu t’arroges (toi Calliste), ce droit
de l’Église ? Si, parce que le
Seigneur a dit à Pierre : Sur
cette pierre je bâtirai mon Église, je t’ai donné les clefs du royaume des cieux,
ou bien : tout ce que tu lieras et délieras sur la terre sera lié et délié
dans le ciel, tu affirmes que le
pouvoir de lier et de délier est venu jusqu’à toi aussi, c.‑à‑d. jusqu’à
cette Église qui est apparentée à Pierre, qui es‑tu, toi qui
renverses et dénatures ce droit qui n’a été conféré qu’à Pierre
personnellement ? » (De pudic., 21). Ainsi
donc l’Église catholique dont Tertullien se séparait, croyait alors que le
Christ avait fondé son Église sur Pierre et que les Pontifes romains étaient
les successeurs de Pierre. Tertullien ne nie pas que Calliste, en tant qu’évêque
de Rome, soit le successeur de S. Pierre ; mais il voudrait, au moyen d’une
interprétation artificielle dont il use volontiers pour toute l’Écriture,
représenter la primauté de Pierre comme une primauté purement personnelle et
non transmissible.
S. Cyprien, malgré son
épiscopalisme très accusé, écrit : « Dieu est un et le Christ est un
et il y a une seule Église et une seule chaire fondée sur Pierre par la parole
du Seigneur » (Ep. 43, 5). Cependant, S. Cyprien n’est pas parvenu à une
conception parfaite de l’idée de primauté. Tel est l’avis de Pesch, 1,
250 ; de Batiffol,
370 sq. Peut-être l’influence de Tertullien devenu montaniste a‑t‑elle apporté
de la confusion dans sa pensée : l’un et l’ autre
interprètent artificiellement Math., 16, 18.
D’après
une lettre de Firmilien (dans Cypr., Ep. 75, 17), le Pape Étienne « affirme qu’il détient le
siège de Pierre par succession ». S. Jérôme répète souvent cette phrase
que Dieu a fondé l’Église sur Pierre (Ep. 41, 2 : M. 22, 475 ; Adv. Pelag., 1, 14 : M. 23, 506 ; cf. aussi Ep.
15 : M. 22, 355). De même S.
Ambroise (In Ps. 40, 30 : M. 14, 1082) ; il écrit au Pape Siricius avec neuf autres évêques, d’un Synode de Milan,
que lui et ses collègues adhèrent à son jugement sur l’excommunication de
Jovinien et d’Auxentius : « Dans la lettre
de votre Sainteté, nous avons reconnu la vigilance d’un bon berger, car vous
gardez fidèlement la porte qui vous a été confiée, et vous veillez avec une
pieuse sollicitude sur le troupeau du Christ, étant digne d’en être écouté et
suivi » (Ep. 42 : M. 16, 1124 sq.). S. Augustin interprète volontiers Math., 16, 18, dans le sens
général de la foi (cf. Ottiger,
2, 159 sq.) : mais il écrit cependant que « dans l’Église romaine, le
principat de la chaire apostolique a toujours existé » (Ep. 43, 7). Et en
comparant le martyre de S. Cyprien avec celui de S. Pierre, il dit de la chaire
de S. Pierre : « Qui ne sait que ce principat de l’apostolat doit
être placé avant tout épiscopat (De bapt. contra Donat., 2, 1, 2 : M 43, 127), que l’Église
romaine possède la cime de l’autorité et
que lui refuser la première place serait la plus grande impiété ou une
arrogance qui se perdrait elle‑même »
(De utili. cred.,
17, 35). Au sujet du pape de l’époque, Anastase, il dit qu’il occupe la même
chaire que possédait Pierre (Ep. 53, 1, 2 sq. ; cf. aussi Ep. ad Donat., 16.) Cf. cependant plus haut p.157.
Les Grecs. S. Grégoire
de Nysse, S. Grégoire de Naz., Eusèbe de Cés., S.
Jean Chrysostome entendent Math., 16, 18 dans le sens de la primauté de
Pierre ; un certain nombre tirent les conséquences et attestent leur foi à
la primauté des successeurs de Pierre à Rome. D’après S. Grégoire de Naz., l’Église romaine préside, à cause de sa
puissance religieuse, au monde entier (Carm., 2,
sect. 1 ; carm. 11 : M. 37, 1068) ; Théodoret de Cyrus écrit à un prêtre romain, Renatus, que ce très saint siège (de Rome) « possède
le principat sur les Églises du monde entier » (Ep. 116 : M, 83,
1324). Tyszkiewicz
objecte aux Russes orthodoxes, par rapport à S. Jean Damasc.,
que 1° pour ce qui est des principes sur lesquels ils s’appuient pour combattre
la primauté, ils s’écartent de S. Jean Damasc., et
que 2° celui‑ci reconnaît indirectement la primauté
(Revue d’Innsbr.,1919, 78-111). Ders (ibid., 1919, 443-550)
déclare : Cyrille atteste « sans aucun doute » la primauté. Au
sujet de S. Jean Chrysostome, cf. Jugie, Echos d’Orient (1908), 5 sq., 193 sq. Il faut
rappeler également ici l’autorité des pontifes romains sur les conciles tenus
dans l’Église orientale (Cf. Pesch., 1, 333). Dans la mesure où l’Église grecque s’émancipa
de la primauté religieuse des papes, elle tomba sous la « primauté »
politique des empereurs d’Orient, lesquels, conformément à l’antique conception
païenne, exercèrent le pouvoir absolu sur la religion comme sur la nation. Qu’on
songe à Constantin, à Constance « Ce que je veux doit servir de
canon », à Théodose, surtout à Justinien, « ce théologien passionné,
sur le trône » (Grisar), à l’ἀρχιερεὺς-βασιλεύς, et à tout ce qu’on
entend sous le nom de « byzantinisme ».
Le
Concile du Vatican pouvait invoquer
les témoignages formels des conciles précédents ; il cite à ce sujet le 4ème
Concile de Constantinople, le 2ème
Concile de Lyon et le Concile de Florence (S. 4, c. 4). Ainsi le Concile
de Lyon dit : « La sainte Église romaine elle‑même possède la
primauté et le principat suprêmes et complets sur toute l’Église
catholique » et il ajoute qu’elle les a reçus du Seigneur lui‑même dans la personne de Pierre (Denz., 466). Le Concile de Florence, dans son décret d’union,
déclare : « Nous définissons que le Saint‑Siège apostolique et le Pontife romain
possèdent la primauté sur tout l’univers et que, précisément, le Pontife romain
est le successeur de S. Pierre, le prince des Apôtres, le véritable vicaire de
Jésus‑Christ et le chef de l’Église entière,
le docteur et le père de tous les chrétiens, et que Notre‑Seigneur Jésus‑Christ lui a
conféré dans la personne de S. Pierre le pouvoir de régir et de conduire l’Église
entière ; comme cela est contenu dans les délibérations des conciles
généraux et dans les saints canons » (Denz.,
694).
Les
théologiens se demandent s’il est
nécessaire de croire fermement que la primauté doive rester attachée au siège
de Rome ou bien s’il serait possible que la décision du Pape attache cette
primauté à une autre Église. Il semble bien que les définitions citées s’opposent
à cette possibilité, car elles parlent de l’Église « romaine ». Alors
même que le Pape réside dans une autre ville, comme au temps où il résidait à
Avignon, il reste cependant le pontife romain, car il est le successeur de S.
Pierre.
Une
autre question connexe à celle‑ci, c’est de
savoir si la primauté a été unie à l’Église romaine par la volonté du Christ ou
bien pour des raisons purement historiques. Il suffit d’admettre que la
Providence divine a opéré cette union en tenant compte des circonstances
historiques. Il est inutile aussi de contester que l’Église et la primauté
aient tiré profit, à mainte reprise, des circonstances historiques du moment.
Il n’y a qu’une chose qui contredise le dogme, c’est d’expliquer la primauté d’une
manière purement naturelle et historique.
L’étude
détaillée de cette question est du domaine de l’histoire de l’Église et du droit
canonique. Le droit canonique traite aussi en détail les droits contenus
dans la primauté ainsi que les questions de l’élection du Pape et de la
légitimité du Pape dans les cas douteux.
Comme
la primauté est également traitée dans l’Apologétique,
on se contentera des preuves données plus haut. On trouvera d’autres
témoignages patristiques dans Tixeront, 1 et 2, Index, v. primauté ; Hurter, Comp.,
1, thes. 76 sq. ; Wilmers, De Eccl.
Christi, 1. 2, c. 2 a. 3. D’après ce qu’on a dit, il est faux de prétendre que
la doctrine de la primauté n’a été fondée que par la Scolastique, bien qu’il
soit vrai de dire que la doctrine du pouvoir divin a été développée
systématiquement pour la première fois par S. Thomas.
Au sujet de la nature et de l’étendue de
la primauté, le Concile du Vatican a encore précisé ce qui suit :
« Nous enseignons et déclarons donc que l’Église romaine, par l’ordonnance
du Seigneur, possède le principat du pouvoir ordinaire sur toutes les autres
Églises et que ce pouvoir de juridiction du Pontife romain, qui est vraiment
épiscopal, est immédiat : envers ce pouvoir, les pasteurs et les fidèles
de tout rite et de tout rang, tant en particulier et séparément que tous
ensemble, sont liés par un devoir de subordination hiérarchique et de véritable
obéissance, non seulement dans les choses qui ont trait à la foi et aux mœurs,
mais encore dans celles qui se rapportent à la discipline et au gouvernement de
l’Église répandue dans le monde entier… Telle est la doctrine de la vérité
catholique dont nul ne peut s’écarter sans préjudice pour sa foi et son
salut » (S. 4, c. 3. Denz., 1827).
1.
Le pouvoir de gouvernement du Pape est donc élevé
au‑dessus de tous les autres pouvoirs
ecclésiastiques. Il dépasse le pouvoir de tous les évêques en particulier comme
celui de tout l’ensemble de l’épiscopat. Par conséquent, l’opinion mise en
avant par les Conciles de Constance et de Bâle, de la supériorité du Concile
sur le Pape, est réprouvée.
2.
Ce pouvoir est véritablement épiscopal.
Il inclut tous les éléments qui constituent le pouvoir pastoral de l’évêque :
pouvoir législatif, judiciaire et pénal, comme on l’a expliqué plus haut (p.
187 sq.). L’expression « episcopalis » fut
considérée avec défiance par le gouvernement allemand et d’autres gouvernements
européens, car on y voyait une immixtion dans les droits de l’État ; mais
ces prétendus droits « épiscopaux » de l’État sur l’Église n’existent
pas (Cf. Act. A., 20, 28). Granderath, dans son « Histoire du Concile du Vatican, 3, 328
sq., et 359 sq., raconte que des Pères du Concile combattirent l’expression
« episcopalis » comme préjudiciable à l’autorité
des évêques et considéraient comme suffisantes les expressions « immediata et ordinaria ».
Certains Pères voulaient aussi qu’on traitât en même temps des droits des évêques.
3.
Ce pouvoir est un pouvoir immédiat.
Le Pape a le droit d’exercer son pouvoir sur les évêques individuellement ou
collectivement, sans intermédiaire ; et ce pouvoir n’est pas restreint,
comme le prétendait Fébronius, aux cas où les évêques
oublient leurs devoirs et négligent leurs obligations ministérielles dans leur
diocèse. Ainsi donc le Pape est l’ordinaire
de tous les fidèles de l’Église entière.
De
ce pouvoir épiscopal complet, universel, unique, résulte, dans la pratique, le
droit « d’entrer en relations avec tous les pasteurs et tous les troupeaux
dans l’exercice de cette fonction qui est la sienne ». Une autre
conséquence évidente c’est qu’il n’est pas permis de rejeter une décision
judiciaire du Pape et d’en appeler à un concile général. Un autre canon, dans
lequel on oblige une fois de plus, sous peine d’anathème, de reconnaître
« toute la plénitude du pouvoir suprême et son droit de s’exercer sur tout
le troupeau comme un pouvoir ordinaire et immédiat », achève l’examen de
la nature et de l’étendue de la primauté. Les détails concernant l’étendue de
la primauté et son mode d’exercice sont du ressort du droit canon.
Le
pouvoir pastoral des évêques.
La question se pose naturellement de
savoir quelle est l’importance du pouvoir épiscopal à côté du pouvoir papal.
Aussi le Concile donne encore à ce sujet une déclaration : « Ce
pouvoir du Souverain Pontife est bien loin de porter préjudice au pouvoir ordinaire et immédiat de la juridiction
épiscopale, en vertu de laquelle les évêques,
qui ont été institués par le Saint‑Esprit
et ont succédé aux Apôtres, paissent et conduisent chacun le troupeau qui leur
est assigné en tant que véritables pasteurs ; au contraire, leur pouvoir a
été affirmé, fortifié et défendu par le suprême Pasteur » (S. 4, c.
3 : Denz., 1828). D’après cette déclaration
authentique du Concile, la définition de la primauté n’a pas affaibli le
pouvoir épiscopal, mais au contraire l’a reconnu comme un pouvoir ordinaire et immédiat des évêques dans
leur diocèse. Ce pouvoir se rapporte, par conséquent, à la doctrine de la foi
et des mœurs comme à la discipline et
au culte. Il reste cependant, dans
son extension locale et son exercice, dépendant
du Pape qui possède le pouvoir suprême dans l’Église et dans chaque diocèse
particulier.
On
reconnaît expressément que le pouvoir épiscopal est un pouvoir ordinaire, c.‑à‑d. que l’évêque
le possède en vertu de sa charge que le Christ a instituée dans l’Église. Les
théologiens ont distingué, dans le « pouvoir épiscopal » désigné ici
d’une manière générale, le pouvoir spécial et, à propos de ce pouvoir spécial,
se demandent si l’évêque particulier le reçoit comme pouvoir ordinaire, de Dieu ou du Pape. Seulement le texte cité par le Concile (Act.
Ap., 20, 28) dit que le Saint‑Esprit a
établi les évêques pour régir l’Église de Dieu. Par conséquent, ils ont
reçu de Dieu, dans leur consécration, tout l’ensemble de leur pouvoir. Les
évêques régissent l’Église, c.‑à‑d. la portion de l’Église qui leur a été
assignée par le Pape, comme de vrais pasteurs ordinaires et non comme des
lieutenants du Pape. L’élection à l’épiscopat faite par des hommes et la
confirmation par le Pape ne leur donnent pas leur pouvoir, mais sont la
condition préalable de son exercice. Le Pape met seulement l’évêque en
possession de son diocèse, la juridiction épiscopale vient de Dieu (Saegmueller). Il la reçoit dans et avec l’Ordre par lequel il devient un évêque
incorporé à l’Église, un membre du collège épiscopal uni au chef qui est le
Pape, de même que le chrétien devient par le baptême un membre de l’Église.
A
consulter, outre les études générales citées plus haut, spécialement sur l’unité :
Bellarmin, De notis
Ecclesiæ, c. 9 sq. Tournély, De Ecclesia,
q. 2, a. 2. Thomassin, Traité de l’unité
de l’Église (1686). - Sur la sainteté : Bellarmin, c. 11-15. Tournély, q. 2. a. 3. - Sur la catholicité : Poulpiquet, La
notion de catholicité. - Sur l’apostolicité : Bellarmin, c. 8. Tournély, q. 2, a. 5. Batiffol, L’Église naissante, ch.
3 ; dans le Dict. Apol., v. Apôtres. Dic. théol., 1, 1618-1631, v. Apostolicité. Dieckmann, De Eccles., 1, 494 sq.
Sous le nom de propriétés de l’Église,
nous entendons ici les particularités qui sont essentielles à l’Église, qui, par conséquent, ne sont pas accidentelles, mais lui ont été
conférées par le Christ, son fondateur, et constituent son essence.
Au
sujet des propriétés essentielles, les indications des théologiens diffèrent.
La raison de ces différences ne se trouve pas dans une incertitude intérieure
et objective sur l’essence de l’Église, mais elle est plutôt de nature
extérieure et méthodique : certains aspects de l’Église, qui sont traités
par les uns comme des propriétés, comme par ex. l’infaillibilité, la nécessité,
la visibilité, sont examinés par d’autres sous d’autres points de vue et dans
une autre connexion. Le nombre quadruple
de ces propriétés est très antique et a un grand prestige dogmatique. On les
compte d’après le Symbole de Nicée‑Constantinople :
« Je crois à l’Église une, sainte, catholique et apostolique. »
(Denz., 86, 468).
Les notes
ou signes distinctifs de l’Église
sont également tout d’abord des propriétés essentielles de l’Église. Cependant,
elles ont ceci de particulier qu’elles rendent l’Église visible et par suite
reconnaissable pour ceux qui sont appelés à y entrer. Comme éléments
essentiels, par définition, d’une note, on doit exiger qu’elle soit visible et
extérieure, sûre et nécessairement unie à l’essence de la véritable Église par
Jésus, qu’elle soit absolument propre à cette Église et cela d’une façon
permanente pour tout le temps de son existence, qu’elle soit précise et claire
et non pas simplement générale et vague, et enfin pour toutes ces raisons facilement reconnaissable. Ce n’est qu’à ces
conditions qu’une note remplira son but, celui d’être pour tout le monde un
guide certain qui nous conduira à l’Église de Jésus.
Ainsi
donc, dans leur contenu et ontologiquement, les notes se confondent
avec les propriétés, mais formellement
et logiquement, elles s’en
distinguent. Elles sont des propriétés essentielles internes, en ce sens que la
véritable Église ne peut pas exister sans elles et que toute Église qui en est
dépourvue doit apparaître immédiatement comme une fausse Église. Elles sont en
même temps des marques extérieures, parce que leur but principal est non
seulement de constituer l’Église intérieurement et en soi, mais encore de la
manifester dans le monde entier. Ainsi donc toutes les notes de l’Église sont
des propriétés essentielles, mais toutes les propriétés essentielles ne sont
pas des notes.
Les
propriétés accidentelles, par
conséquent les propriétés qui appartiennent à l’Église, mais peuvent aussi
faire défaut, ne sont pas des notes, même quand ce sont des signes extérieurs
de l’Église. Il leur manque la durée constante ou tout au moins la sûreté et la
nécessité interne ; par suite, elles ne sont pas aptes à faire reconnaître
l’Église en tout temps.
Le nombre
des notes est presque unanimement limité aux quatre notes indiquées par le
Symbole de Nicée‑Constantinople. (Cf. Encyclique de Pie IX du 16
septembre 1864 : « Vera Jesu Christi Ecclesia quadruplici nota, quam in Symbolo credendam asserimus, auctoritate divina constituitur et dignoscitur et quælibet ex hisce notis ita cum aliis
cohæret, ut ab aliis nequeat sejungi. » (Denz., 1686). Bellarmin
compte quinze notes, mais il les ramène toutes aux quatre mots classiques. Que
ces quatre notes correspondent à la notion de note et par conséquent sont de
véritables signes distinctifs, l’examen qu’on en fera plus tard le démontrera.
Les
protestants enseignaient l’invisibilité
de l’Église, ce qui ne les empêchait pas d’établir des notes de la véritable
Église. Ils en fixaient deux : l’annonce
de la pure doctrine et l’administration légitime des sacrements. Mais ces
éléments, bien qu’essentiels à la véritable Église, ne sont cependant pas des
notes ; elles le sont moins encore dans la notion d’Église des protestants
qui excluent l’infaillibilité. Ces deux éléments sont visibles, mais où est le
critérium qui permettra de les reconnaître comme vrais et authentiques ?
Comment reconnaître ce qui est le principal, la légitimité de l’administration
des sacrements et la vérité de la prédication de la doctrine ?
L’Église a reçu de son divin fondateur la
promesse d’une durée indestructible jusqu’à la fin du monde. C’est pourquoi,
dans ce sens, elle est perpétuelle.
En
affirmant cette perpétuité de l’Église, on n’exprime, en soi et à proprement
parler, que son existence continuelle.
Elle ne périra jamais, son existence ne sera pas non plus interrompue. Cela est
déjà une perfection, mais qui n’exclut pas nécessairement toute imperfection.
Des royaumes terrestres et des religions non chrétiennes pourraient également
avoir une durée pareille. Mais ils éprouveraient au cours des temps, en raison
des circonstances et des influences étrangères, des changements intérieurs et
extérieurs, si bien que tout au moins en considérant ces changements, on ne
pourrait pas parler d’une durée continuelle. Si donc l’on veut parler de la
durée indestructible de l’Église, au sens parfait et strict, il faut
immédiatement ajouter un autre élément, l’immutabilité.
Il faut ces deux éléments pour constituer la notion d’indéfectibilité.
L’immutabilité ajoute à la perpétuité un
élément essentiel. C’est elle qui est la raison
de la durée continuelle ; bien plus, elle est la raison de toutes les
autres propriétés et caractéristiques de l’Église. Elle indique en effet que l’Église
est immuablement une, sainte, catholique et apostolique, telle qu’elle a été
établie au commencement par son fondateur.
L’Église est perpétuelle et immuable,
tant dans sa forme extérieure que dans sa forme intérieure. Elle l’est par rapport à sa constitution extérieure et
visible, à sa hiérarchie et à sa primauté. Elle l’est par rapport à son essence
interne, à sa foi et à sa doctrine. Ni sur un point ni sur l’autre, l’Église ne
peut se démentir. Cette indéfectibilité n’est pas seulement accidentelle et
effective ; elle est intérieurement nécessaire, en tant qu’elle a été
voulue par le Christ ; aussi, ce n’est pas une indéfectibilité que les
membres de l’Église peuvent présumer, c’est une donnée nécessaire de l’essence
de l’Église, garantie dans la foi.
La cause
de cette indéfectibilité est en premier lieu le Saint‑Esprit. Il a précisément été envoyé à l’Église, avec ce but
de constituer son principe intérieur et permanent de vie jusqu’à la fin du
monde. Les causes secondaires sont l’ordre hiérarchique institué par le Christ,
particulièrement la primauté, ainsi que les ordonnances immuables établies par
le Christ, concernant le culte commun (messe, sacrements). Si l’on résume la
vie intérieure complète de l’Église dans l’unique foi de l’Église universelle,
alors son indéfectibilité est causée et garantie par l’infaillibilité de son
magistère.
Il
faut faire les réserves
suivantes : cette perpétuité et cette immutabilité n’ont été données à l’Église
que par rapport à ses éléments essentiels, et, par suite, les changements
accidentels dans l’Église ne sont pas seulement possibles, mais encore
effectifs. Bien plus, ils sont d’une certaine manière
nécessaires, car l’Église est un organisme vivant et il est dans la
nature d’un organisme vivant de se développer et de se fortifier dans des
formes de vie changeantes. Et cela s’applique tant à la vie intérieure qu’à la
vie extérieure de l’Église : il suffit d’un coup d’œil sur l’histoire de l’Église
pour s’en convaincre.
Les
adversaires de cette vérité de la
durée immuable de l’Église sont toutes les sectes qui veulent établir une
nouvelle religion modifiée, à la place de l’Église, sous prétexte de la
perfectionner et de l’améliorer. Certaines de ces sectes, comme celle des
montanistes, rêvaient d’un troisième royaume, l’ère nouvelle du Saint‑Esprit ; d’autres utopistes du Moyen‑Age rêvaient d’un Évangile éternel ; d’autres
admettaient trois Églises successives : l’Église pétriniste (catholique) ; l’Église
pauliniste
(protestante) et l’Église johannique
(dans l’avenir). Cette dernière Église est d’ordinaire conçue comme une libre
Église de l’Esprit, sans aucun ordre hiérarchique. Il n’y a que quelques
protestants à admettre que l’Église johannique existe déjà dans l’Église
grecque.
Parmi
les décisions ecclésiastiques, il faut citer ici la condamnation d’une
proposition du Synode de Pistoïe
qui affirme que, dans les derniers siècles, il s’est produit dans l’Église un
obscurcissement général des vérités importantes de la foi et des mœurs, comme
le Christ l’a annoncé. Cette proposition a été déclarée hérétique (Denz., 1501). De même fut
condamnée une proposition de Quesnel,
dans laquelle il attribuait à l’Église des signes manifestes de sénilité (Denz., 1145). Dans ces derniers temps, il faut signaler des
erreurs semblables des modernistes
qui affirment une modification intérieure et extérieure de l’Église :
« La constitution organique n’est pas immuable, mais la société
chrétienne, comme toute société humaine, est soumise à une évolution
perpétuelle » (Denz., 2053). Il a déjà été
question (t. 1er) de la doctrine moderniste d’un changement
continuel du dogme (Denz., 2054, 2058, 2065).
La
preuve d’Écriture se trouve déjà dans
les Prophètes. Ils caractérisent la nouvelle alliance, que doit fonder le
Messie, comme éternelle, et son royaume, comme un royaume qui n’aura pas de fin
(Cf. Is., 9, 6 sq. ; 55, 3 sq. ; 61, 8 sq. ; Jér.,
31, 31-36 ; 32, 40. Dan., 2, 44 ; 7, 14. Os., 2, 19. Ps 88, 36-38).
Aussi cette durée perpétuelle de la Nouvelle Alliance est annoncée par l’Ange
au moment de l’entrée du Seigneur dans le monde : « Il régnera dans
la maison de Jacob éternellement et son royaume n’aura pas de fin » (Luc,
1, 32 sq. Cf Hébr., 12, 27 sq.)
Jésus lui‑même
a exprimé cette vérité sous différentes formes. « Les portes de l’enfer ne
prévaudront pas contre elle » (Math., 16, 18). « Voici que je suis
avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde » (Math., 28, 20).
« Il vous enverra un autre consolateur, l’Esprit de vérité, afin qu’il
demeure avec vous éternellement » (Jean, 14, 16). Dans la parabole de l’ivraie
parmi le bon grain, il dit que les deux semences doivent croître jusqu’au temps
de la récolte ; et ce temps, c’est la fin du monde (Math., 13, 24-43).
Les Apôtres exposent la même doctrine.
Déjà, dans l’image paulinienne de l’Église corps du Christ, se trouve cette
conception que, de même que le Christ éternel ne sera jamais dépourvu de son
corps mystique, de même le corps ne sera jamais privé de sa tête (Cf. 1 Cor., 12, 12 sq. Eph.,
1, 22 sq. ; 4, 13. Col., 1, 18 sq.) Dieu veut « que tous les hommes soient sauvés et
parviennent à la connaissance de la vérité » (1 Tim., 2, 4). Cette vérité
par laquelle tous les hommes doivent
être sauvés n’est autre que la vérité que le Christ a transmise à ses Apôtres
et par eux à son Église. « L’Église du Dieu vivant est la colonne et la
base de la vérité » (1 Tim., 3, 14 sq.).
Les
Pères sont aussi nets. S. Athanase écrit : « Sous le
nom de trône du Christ, comprends l’Église ; car c’est sur elle qu’il se
repose. Par conséquent, l’Église du Christ brillera et illuminera l’univers et
durera éternellement comme le soleil et la lune. » (Exp.
in Ps. 88, 38). S. Jean Chrysostome :
« Il est plus facile d’éteindre le soleil que de détruire l’Église. »
(Hom. 4 in illud : Vidi
Dominum, 2 : M. 56, 122). S. Augustin : « Personne ne détruit, au ciel, le plan de
Dieu ; personne ne détruit, sur la terre, l’Église de Dieu. » (Ep.
43, 9, 27). De son temps déjà, il y avait des gens qui disaient :
« Cette Église, qui se compose de tous les peuples, n’existe déjà plus,
elle est anéantie. C’est ce que disent ceux qui ne vivent pas en elle. Quelle
affirmation éhontée : Cette Église n’est plus, parce que tu n’es plus en
elle ? ». Il emploie ensuite les termes les plus durs pour
stigmatiser l’opinion de ceux qui prétendent que l’Église est anéantie :
« Cette voix abominable, détestable, pleine de présomption et de fausseté,
qui n’a pour base aucune vérité, qui n’est éclairée par aucune sagesse, ni
pondérée par aucune prudence, qui est vaine, qui est téméraire, qui est
précipitée, qui est pernicieuse, a été prévue par l’Esprit de Dieu » (In
Ps. 101, sermo 2, 8 : M. 37, 1309). De même S. Ambroise : « C’est Pierre
lui‑même à qui il a dit : Tu es
Pierre, etc. Par conséquent, là où est Pierre, là est l’Église : là ou est l’Église, il n’y a pas de mort, mais la vie
éternelle. Et c’est pourquoi il ajoute : et les portes de l’enfer ne
prévaudront pas contre elle. » (Enar. in Ps. 40, 30 : M. 14, 1082). D’après S. Jérôme, « l’Église
fondée sur le rocher ne sera ébranlée par aucune tempête, ne sera renversée par
aucun mauvais temps. » (In Is., 4, 6 : M. 24, 74). S. Léon Ier écrit :
« De même que demeure ce que Pierre a cru dans le Christ, de même demeure
ce que le Christ a institué en Pierre. » (Sermo
3, de natali Petri et Pauli, 2 : M. 54, 146).
La
raison théologique de la durée
immuable de l’Église est empruntée à la notion chrétienne de Dieu. Les
promesses de Dieu ne peuvent pas ne pas se réaliser. Cela ne veut pas dire qu’on
doive entendre cette réalisation au sens fataliste et que les membres de l’Église,
particulièrement les prêtres, doivent s’en remettre à Dieu seul du soin de
maintenir l’Église, sa foi et ses mœurs. Il en va ici comme dans les effets de
la Providence en général. Dieu les produit ordinairement par les causes
secondes. Sans doute l’Église universelle est certainement conservée par l’influence
de Dieu, mais la permanence des Églises particulières dépend, à un degré
important, de la coopération des fidèles. Des parties importantes de l’Église
ont été perdues par la faute des fidèles et par la faute des prêtres, dont la
part n’est pas la moindre.
Objections. Les Sociniens ont objecté contre la durée
perpétuelle de l’Église non seulement qu’elle n’a pas été promise par le
Christ, mais encore que, dans le cas où une pareille promesse existerait, elle
ne serait pas réalisable, car cela voudrait dire que les hommes devraient nécessairement appartenir à l’Église ;
mais alors leur foi et leur vie chrétienne ne seraient plus libres. Personne,
ajoutent‑ils, ne peut contester que la
méchanceté des hommes ne puisse amener un jour l’anéantissement de l’Église.
Les Réformateurs affirmaient que, de
fait, pendant une longue époque, du 4ème au 16ème
siècles, l’Église avait cessé d’exister et qu’elle avait été retrouvée et
sauvée par eux.
Il
faut répondre aux Sociniens que la grâce de Dieu qui maintient les hommes
dans l’Église ne détruit pas plus leur liberté qu’au moment où elle les y a
fait entrer. On peut objecter aux protestants que, d’après leurs propres
auteurs et surtout d’après Luther, leur doctrine fondamentale de la
justification par la foi seule est entièrement nouvelle et ne s’est jamais
rencontrée dans l’Église des Pères.
On
se réfère à la disparition de la synagogue,
à laquelle Jahvé avait promis une durée éternelle. « Ces promesses s’appliquaient »,
comme l’expose S. Augustin, « non pas aux ombres et aux figures, mais à ce
qui est indiqué et préfiguré. Pour qu’on ne crût pas que l’ombre elle‑même dût demeurer, il a fallu que sa
suppression fut prédite » (Civ., 17, 6, 1).
Contre
l’immutabilité de l’Église on fait encore valoir des raisons théoriques et
historiques. Du point de vue théorique, on affirme que tout est emporté dans un
flux perpétuel et change nécessairement, par conséquent l’Église également. A
cela il faut répondre que nous n’affirmons, au sujet de l’Église, qu’une
immutabilité essentielle.
Du
point de vue historique, on affirme
des modifications extérieures et intérieures. D’après les adversaires, la
hiérarchie « serait née automatiquement des circonstances de temps
ultérieures » ; le dogme, d’après eux, n’aurait pas de point d’appui
dans l’Évangile et, en outre, l’Église aurait sans cesse proposé aux fidèles de
nouveaux dogmes tout en affirmant obstinément qu’ils étaient anciens.
A
ces deux objections on n’a besoin ici que de faire une réponse générale. On ne
peut affirmer que la hiérarchie est une innovation postérieure que si « l’on
fait abstraction de l’historicité de quelques textes du Nouveau
Testament » (Harnack) ; bien entendu il s’agit de tous les passages
qui peuvent servir à prouver la hiérarchie. A la seconde objection concernant
les dogmes nouveaux proposés sans cesse à la foi comme des dogmes anciens, on a
répondu dans le paragraphe sur l’évolution dogmatique, où l’on a exposé que les
dogmes nouveaux étaient crus auparavant, implicitement, et qu’ils étaient déjà
contenus virtuellement ou directement dans l’Écriture et la Tradition (Cf. t. 1er,
§ 12).
Le
moderniste Heiler
(L’essence du catholicisme, 1920) affirme que, dans l’essence du catholicisme,
se trouvent trois corps
étrangers : le légalisme judaïque
dans la morale, l’hellénisme païen
dans le dogme, le juridisme de l’antique
Rome dans le droit ecclésiastique. Il faut répondre que ces trois éléments,
pour autant qu’ils existent, n’ont rien à faire avec l’essence du catholicisme.
Tous les arguments qu’on a pu tirer de la discipline et du gouvernement de l’Église
pour prouver que l’Église a subi des changements importants sont faciles à
réfuter. Il s’agit de traditions purement apostoliques (traditio
mere apostolica) ou d’origine
ecclésiastique (tr. Ecclesiastica) ; ce sont des
formes accidentelles que l’Église peut recevoir et voir disparaître. Ce sont
des formes qui sont nées des circonstances de temps et qui, par suite, ont eu
leur utilité. D’autres circonstances leur ont été contraires, elles ont disparu
et peut-être qu’une durée plus longue eût été nuisible. Dans ce nombre il faut
ranger déjà, par ex., les décisions du célèbre décret apostolique (Act. Ap., 15, 28 sq.). Et bien d’autres
décisions. L’Église reste maîtresse de ses propres décisions.
L’Église fondée par le Christ est essentiellement et nécessairement visible, de telle sorte qu’elle peut, en tout temps,
être, facilement et sûrement, reconnue
par tous, comme la vraie Église du Christ, et distinguée des fausses Églises.
Sous
le nom de visibilité de l’Église on entend certaines propriétés extérieures et
perceptibles par lesquelles elle peut être reconnue par tous comme la véritable
Église du Christ. On distingue une double visibilité de l’Église : une
visibilité matérielle et une visibilité formelle. La visibilité matérielle
consiste dans la foule extérieure de
ses membres. Cette visibilité matérielle n’est contestée par personne. La
visibilité formelle, par contre, concerne l’essence, la véritable forme de l’Église du Christ, et c’est de celle‑là qu’il est question ici.
Il
est clair que l’Église n’est pas visible entièrement et d’après son objet
complet. On peut comparer l’Église à un homme qui est visible, et cela
entièrement, dans son corps et dans sa vie. Cependant il n’est immédiatement
perceptible par les sens que dans sa vie corporelle. Pour ce qui est de l’âme,
il ne peut être connu que médiatement et spirituellement. Il y a en effet une
doublé visibilité : une visibilité sensible et une visibilité
intellectuelle. Il y a aussi, dans l’Église, plusieurs éléments essentiels,
comme la hiérarchie, la primauté, le culte, qui sont connus extérieurement et
sensiblement ; mais certains autres ne sont connus comme existant dans l’Église
que par la raison, comme par ex. l’infaillibilité
du magistère. Ces éléments sont connus avec l’appui de la grâce, parce qu’on en
connaît les raisons et les causes, bien que la chose elle‑même, de sa nature, doive rester invisible.
Nous entendons donc ici « voir » dans le sens de « connaître par
la raison et par la foi ».
Le
degré et l’intensité de la visibilité sont donc différents dans les divers
éléments essentiels, comme pour la visibilité de l’homme ; cependant, dans
son effet général, la visibilité est de telle sorte que, sans donner, il est
vrai, une pleine évidence de la vérité de l’Église, elle donne une pleine crédibilité qui n’exclut pas tout doute
déraisonnable de sa légitimité, mais tout doute raisonnable. Le Concile du Vatican dit : « Ceux qui ont reçu
la foi sous le magistère de l’Église ne peuvent jamais avoir un juste motif de
changer ou de douter de leur foi » (Denz.,
1794).
Il
y a eu, au cours des siècles, divers adversaires
de la visibilité de l’Église. Ainsi, au Moyen‑Age, les
Cathares et les Fraticelles (spirituels). Plus tard, Jean Huss établit cette
proposition : « Il n’y a qu’une seule sainte Église universelle, c’est
l’universalité des prédestinés » (Denz., 627).
De même Calvin, lequel tout en
insistant sur l’Église invisible admettait encore une Église visible. Luther quitta l’ancienne Église et,
comme il ne pouvait pas d’un seul coup lui opposer une autre communauté
religieuse, il fut, pour ainsi dire, forcé de ne parler que de l’Église
invisible. Cela d’ailleurs s’harmonisait avec son principe matériel du salut
par la foi seule. Mais les fanatiques « exaltés », qui en appelaient
à la voix intérieure du Saint‑Esprit pour
légitimer leurs tendances révolutionnaires, le forcèrent à se réfugier dans la
notion d’une Église autoritaire. Mélanchton sur ce sujet était toujours resté plus fidèle à
la conception traditionnelle.
D’après
la théologie moderne de l’expérience, il est complètement
impossible de parler d’une Église visible ; ce serait le nombre, connu de
Dieu seul, de ceux qui l’ont expérimentée religieusement. Un néo‑protestant écrit avec ironie que l’Église est
l’institution dans laquelle chacun fait son expérience religieuse personnelle.
La preuve
de la visibilité de l’Église se fait en démontrant que ses éléments essentiels sont visibles. Or, il y a, comme on l’a dit
plus haut (§ 137), une forme essentielle interne de l’Église et une forme
essentielle externe. La forme externe consiste dans sa hiérarchie extérieure.
Il existe ainsi dans l’Église une direction extérieure visible et à cette
direction correspond un ordre extérieurement perceptible. Cet ordre peut se
constater surtout dans la primauté que, pour cette raison, le Concile du
Vatican appelle un « fondement visible » (Denz.,
1821). Le ministère pastoral est donc visible, avec ses diverses ordonnances
pour le troupeau. Ensuite le sacerdoce est visible dans ses représentants
consacrés, comme dans l’exercice du culte (Trid., s.
23, c. 1 : Denz., 957). Est visible enfin le
magistère infaillible, sinon dans son caractère infaillible, du moins dans son
activité jusqu’à la fin du monde. Cependant, l’infaillibilité est connue spirituellement et non vue sensiblement ; elle est connue
par suite des promesses qui ont été faites au magistère par le Seigneur.
Même pour ce qui est de la forme essentielle interne de la foi, l’Église
est visible jusqu’à un certain degré. Sans doute, la foi en elle‑même, en tant qu’acte du fidèle particulier, n’est
pas vue, mais jugée par Dieu seul. Mais la foi, en tant que vérité objective,
acceptée généralement par la communauté ecclésiastique et exprimée dans des
formules particulières, manifestée par la participation au culte et aux sacrements
et surtout par la véritable vie chrétienne, prend elle
aussi un certain aspect visible.
Jésus veut une
Église visible. De même qu’il est lui‑même la
lumière du monde, il appelle ses disciples eux aussi la lumière du monde et une
ville sur la montagne (Math., 5, 14 sq.). Il faut rappeler ici les exhortations
que fait le Seigneur de confesser son nom, de recevoir ses sacrements, de
célébrer son nouveau culte, de réciter en commun sa prière, le « Notre
Père ». Dans tous ces actes importants doit se manifester non seulement
une visibilité matérielle quelconque, mais précisément la visibilité formelle
et essentielle. On ne doit pas seulement voir l’Église dans ses disciples, mais
encore on doit la reconnaître et la distinguer en eux, qui sont les siens,
comme la véritable Église. Le signe distinctif sera surtout la vie de charité : « Tout le
monde reconnaîtra à ceci que vous êtes mes disciples, si vous vous aimez les
uns les autres » (Jean, 13, 35).
S. Paul nous
représente sans doute l’Église comme le corps
mystique du Seigneur et nomme volontiers l’Église, à cause de son origine
surnaturelle, l’Église de Dieu ; mais il ne veut pas dire par là que les
fidèles ne sont unis que par un lien invisible avec Dieu et ne le sont pas
entre eux par un lien visible. Indépendamment de ses Épîtres pastorales que les
adversaires tiennent pour suspectes, il mentionne, dans ses Épîtres
indiscutées, les chefs visibles de la communauté ; ainsi dans Rom., 12,
8 ; 1 Cor., 16, 15-18 ; 1 Thess., 5,
12sq. ; Phil., 1, 1 ; cf. Act. Ap.,
14, 22 ; 20, 28.
De
nombreuses objections ont été élevées
contre la visibilité de l’Église. Mais ces objections ne prouvent qu’une
chose : c’est que l’Église a aussi un côté spirituel et idéal ; elles
ne prouvent pas qu’elle est entièrement invisible. On
explique ainsi Luc, 17, 20 sq. ; Eph., 5, 27 ; Hébr., 12, 22
sq. ; 1 Pier., 1, 4 sq. Cf. cependant 1 Pier., 5, 1 sq.
Mais,
objecte‑t‑on, le
Seigneur n’a‑t‑il pas dit
lui‑même que son royaume est caché aux
prudents et aux sages et qu’il n’est révélé qu’aux petits ? (Math., 11,
25). Et ne doit‑on pas croire à l’Église ? Or si on la voit, comment y croire ?
Il faut répondre que l’Église a aussi un côté purement spirituel et que surtout
la fin dernière de l’Église se trouve
dans l’au‑delà. L’Église est l’image de son
divin fondateur. Le Christ lui aussi était visible et légitima, pour toute
raison saine, son titre de Fils de Dieu. Cependant il exigea la foi surnaturelle en lui. (Cf. Bellarmin, De Ecclesia
milit., 3, 15 ad 6 ; Ottiger, 2, 492 sq. ; Pesch, 1, 218)
Les Pères. Leur
conception de l’Église visible résulte déjà de tout ce que nous avons exposé de
leur notion de l’Église. Quiconque affirme la hiérarchie, le magistère
extérieur infaillible, la profession de foi, le culte, les sacrements, comme
des éléments essentiels de l’Église, enseigne aussi implicitement sa
visibilité.
Les
Pères aiment à comparer l’Église, à cause de sa perceptibilité, à une lumière qui éclaire le monde
entier : S. Irénée (A. h., 5,
20, 1), S. Cyprien (De unitate Eccles., 5), S.
Athanase (In Ps. 88, 38), S. Jean
Chrysostome (Homilia antequam
iret in exilium, 2 :
M. 52, 429), S. Ambroise (In Ps. 118,
Sermo 5, 7 : M. 15, 1253), S. Jérôme (In Is., 9, 29 : M. 24, 330). Les adversaires citent
volontiers S. Augustin en faveur d’une Église purement invisible et
spirituelle. Or S. Augustin atteste nettement la visibilité de l’Église dont il
était un évêque : « Une ville placée sur une montagne ne peut être
cachée... Il arrivera, à la fin des jours, que la montagne de la maison du
Seigneur sera établie au sommet des montagnes. » (Is., 2, 2). « Qu’est‑ce qui est aussi manifeste qu’une
montagne ? Cependant il y a aussi des montagnes inconnues... Mais il n’en
est pas ainsi de cette montagne, parce qu’elle remplit toute la face de la
terre. » (In Ep. Joan., 1, 13 : M. 35, 1988 ; Cf. C. litt. Petil., 2, 32, 74 : M. 43, 284). Au sujet des objections qu’on aime à tirer
précisément de S. Augustin, cf. Ottiger, 2, 491 sq.
Conséquences. D’après ce
que nous venons d’exposer sur la visibilité de l’Église, on ne doit pas
distinguer deux formes de l’Église,
une forme visible et déficiente et une forme invisible et parfaite (Denz., 485). Mais bien plutôt il n’y a qu’une seule et même
Église sur la terre et cette Église est, dans le sens qu’on a expliqué, visible
jusqu’à la fin du monde. Mais elle sera un jour, comme S. Augustin l’affirme
souvent, élevée à une forme glorieuse, purement spirituelle et parfaite. Une
Église qui n’aurait pas toujours existé depuis les jours de Jésus et ne serait
pas visible, ne pourrait pas être la véritable Église de Jésus ; car la véritable Église de Jésus doit être
visible et reconnaissable en tout
temps. L’Église visible du Christ est antérieure aux membres qui y entrent.
L’unité est la propriété la plus
essentielle, ainsi que la note principale de l’Église. Grâce à cette note, sur
laquelle on a insisté dès le début, l’Église se distingue, de la manière la
plus caractéristique, de toutes les autres sociétés religieuses, et exerce sur
ceux qui sont en dehors d’elle la plus grande force d’attraction. Les
théologiens distinguent dans cette unité une unité de foi (unitas
fidei), une unité de culte et de sacrements (un. cultus, sacramentorum,
liturgica) et une unité de communauté ecclésiastique
(un. societatis, regiminis).
L’unité de foi est la plus importante.
Cette unité indique que les membres de l’Église ne se contentent pas de garder
la même foi intérieurement et d’en faire la norme de leur conduite personnelle,
mais encore la confessent dans des formules précises en certaines
circonstances, et, d’une manière générale, la manifestent par leurs actions.
Cette unité est opérée par le magistère infaillible, auquel tous les fidèles,
soutenus par la grâce de foi, se soumettent (Cf. t. 1er, § 7 et 10).
Par là est établie l’unité formelle de la foi dans l’Église, si bien qu’on peut affirmer que
tous les fidèles ont la même foi. Une
unité matérielle, en vertu de laquelle tous les fidèles posséderaient le même
contenu, la même matière de foi, dans une égalité et une
perfection identiques, ne peut pas être affirmée et n’est d’ailleurs pas
nécessaire. Dans ce sens il y a des inégalités, mais elles sont supprimées par
la foi implicite, en vertu de laquelle tous les fidèles, instruits ou
ignorants, se soumettent en principe
à tous les enseignements de l’Église dont ils pourront un jour ou l’autre avoir
connaissance. Il y a cependant aussi une certaine unité matérielle de foi dans
l’Église ; elle est obtenue dans la croyance aux vérités les plus
nécessaires, telles qu’elles sont contenues dans le Symbole des Apôtres. L’unité
de foi est détruite par l’hérésie.
L’unité
de gouvernement ecclésiastique
garantit d’abord l’accord extérieur dans la vie religieuse et morale, car la
hiérarchie propose d’une manière infaillible les vérités qui sont à la base de
cette vie et en exige l’observation
de la part des fidèles, et les fidèles, de leur côté, se soumettent à cette
exigence. De même que l’unité de foi est détruite par l’hérésie, l’unité de
gouvernement est détruite par le schisme
(1 Tim., 1, 19 sq.). Les Pères (S. Cyprien, S. Augustin) appellent cette unité
l’unité de charité (unitas caritatis ;
Jean, 15, 12, 17 ; Gal., 6, 9 sq.).
L’unité
de culte et de sacrements est
produite par la même doctrine de foi. Ainsi que par l’exercice pratique de la
foi divine dans l’adoration de Dieu, au moyen de l’offrande du sacrifice de la
messe, de l’accomplissement de la prière commune et publique (lex supplicandi statuit legem credendi), et enfin
par la participation aux sacrements, particulièrement à l’Eucharistie, le
« sacrement de l’unité » (S. Augustin).
La
visibilité et la perceptibilité de l’unité ecclésiastique se manifestent surtout dans la reconnaissance
extérieure de la primauté du Pape.
Par cette primauté se réalise même extérieurement la parole du Seigneur :
« Un seul bercail et un seul pasteur. » (Jean, 10, 16).
De
ce qu’on vient de dire il résulte qu’on doit comprendre l’unité de l’Église non
seulement dans le sens de l’unicité numérique, mais encore et surtout dans le
sens de l’union intérieure. L’unicité est surtout représentée par l’unicité de
la primauté, l’union l’est surtout par l’unité de la foi.
Décisions
ecclésiastiques. Il faut signaler
principalement le Symbole de Nicée (Credo unam... Ecclesiam), ensuite l’Encyclique de Pie IX du 16 septembre
1864 (Denz. 1685-1687), celle de Léon XIII du 29 juin
1896 « De unitate Ecclesiæ »
(Denz., 1954-1962) et la définition du Concile du Vatican sur la primauté.
Dans l’Écriture, l’unité de l’Église est annoncée de la manière la plus
solennelle. Jésus prêche l’Évangile du royaume de Dieu. Or, ce royaume
constitue, par définition, une unité. Un royaume ne peut pas être divisé contre
lui‑même (Math., 12, 25). Il parle de l’Église au singulier
et l’appelle « mon » Église (Math., 16, 18). Dans le quatrième
évangile, elle est « un troupeau sous un pasteur » (Jean, 10, 16).
Jésus lui‑même est l’unique vigne, avec laquelle les membres de
l’Église sont unis comme les sarments, dans une unité organique (Jean, 15, 1
sq.). D’une manière solennelle, dans sa prière sacerdotale, il demande à son
Père de conserver l’unité de ses disciples : « Je ne prie pas
seulement pour eux, mais aussi pour ceux qui, par leur parole, croiront en moi,
pour que tous ils soient Un, comme toi, mon Père, tu es en moi et moi en toi,
qu’ils soient aussi un en nous, afin que le monde croie que tu m’as
envoyé. » (Jean, 17, 20-21). Ici, l’unité demandée par Jésus apparaît
nettement comme étant en même temps une note de l’Église pour le monde entier.
S. Paul exprime l’unité de l’Église en
trois images, celle d’une construction,
d’un corps du Christ et d’un mariage (Cf. plus haut, 2, p. 147 sq.).
Il met expressément en garde contre la destruction de cette unité :
« Je vous exhorte, mes frères, au nom de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ,
à avoir tous un même langage ; qu’il n’y ait pas de scission parmi vous,
mais soyez parfaitement unis dans un même esprit et un même sentiment. »
(1 Cor., 1, 10). « Il n’y a qu’un
seul corps et un seul Esprit, comme aussi vous avez été appelés par votre
vocation à une seule espérance. Il n ’y
a qu’un Seigneur, une foi, un baptême,
un Dieu Père de tous, qui est au‑dessus
de tous, qui (agit) par tous, qui (est) en tous. » (Eph.,
4, 4-6). Ici S. Paul trouve, à bon droit, dans l’unité de Dieu, la raison la
plus profonde de l’unité de son Église.
Quant
aux témoignages de la Tradition, nous
n’avons pas besoin de les poursuivre plus longtemps. Ils apparaissent
suffisamment dans ce qu’on a exposé plus haut, notamment dans la notion d’Église. Il faut seulement
ajouter une chose : c’est que les trois unités distinguées plus haut n’ont
pas toujours été mises en évidence
avec une force égale. Au temps apostolique, l’élément spirituel de l’Église est
au premier plan. On se représentait l’unité de l’Église comme celle du corps
mystique du Christ qui est animé du même
Esprit de Dieu. Mais quand, plus tard, les hérétiques (gnostiques, montanistes)
menacèrent de détruire cette unité, on insista sur l’unité de la confession de foi et on fit de l’attachement
à cette confession un devoir particulier (regula fidei). Or il arriva une époque, dans l’Église, où les
membres de l’Église, tout en voulant conserver une orthodoxie formelle,
abandonnaient l’unité de la communauté ecclésiastique ou l’unité de charité.
Dans cette période, les Pères (S. Cyprien, S. Augustin) insistèrent sur la
soumission au pouvoir pastoral extérieur (unitas
societatis, caritatis). Cependant c’était chez eux
une insistance plus accentuée sur l’unité et non l’introduction d’un nouvel
élément d’unité. Dans les textes scripturaires cités plus haut, les trois
unités sont nettement nommées et exigées, particulièrement l’unité fondamentale
de la foi et de la charité (Cf. Gal.,1, 8 ; Tit., 3, 10 ; 1 Jean, 2,
22 ; 4, 1-3).
Objections. Les adversaires
eux‑mêmes se sont attachés parfois à une certaine unité. Il faut surtout citer
ici les théologiens anglicans, qui
enseignaient l’unité de l’Église
universelle, laquelle, de son côté, serait composée de plusieurs Églises particulières qui n’auraient pas
besoin d’être unies entre elles par une foi entièrement semblable, pas plus que
par un gouvernement unique. Du nombre de ces Églises particulières seraient l’Église
catholique, l’Église anglicane et l’Église schismatique grecque (Denz., 1685). Cette
conception de l’unité de l’Église est courante également chez des protestants
allemands.
La
théorie protestante des articles
fondamentaux procède de la même idée. Des sociniens, des ariminiens et des iréniques
protestants, particulièrement Georges Calixt, réunirent
certains articles principaux et ils admirent que ces articles, à cause de leur
importance pour le salut, devaient
être crus par tous ceux qui voudraient appartenir à l’Église chrétienne. Mais d’autres
articles devraient être laissés libres pour ne pas supprimer la communauté des
Églises. Or, à peine commençait‑on à mettre
en œuvre cette théorie dictée par l’indifférentisme, qu’on cessa d’être d’accord,
quand il s’agit de fixer le contenu
de ces articles fondamentaux. Il y eut toute une gradation de projets, depuis l’article
de l’existence de Dieu jusqu’au Symbole des Apôtres ou bien jusqu’à l’acceptation
de tout ce qui est clairement discernable comme texte de l’Écriture.
Ceci
juge toute la théorie. A moins d’admettre
un magistère infaillible, on ne peut pas arriver à l’unité, même sur le plus
minime article fondamental. D’après la conception catholique, tout article de foi doit être accepté à
cause de l’autorité de Dieu ; si on refuse cela pour le moindre dogme, tout le principe s’écroule.
Les
Pères ignorent tout d’une telle
conception large de la doctrine chrétienne de foi. Les luttes dogmatiques de l’époque
patristique prouvent que leur manière de voir était contraire ; ces luttes
auraient été impossibles si les Pères avaient admis cette conception large.
Par
rapport au grand schisme d’Occident,
il faut répondre aux adversaires que, dans ces tristes temps, la chrétienté se
partagea matériellement en deux et
même trois parties, mais que, par contre, elle garda formellement un attachement fidèle à l’unité et que, par suite,
cette unité fut effective dès que la question préalable de la légitimité de la
personne du Pape eut été réglée (Cf. Hurter,
1, 312 sq. ; Ottiger, 2, 403 sq., 880 sq.).
Que
seule, l’Église catholique possède la
triple unité que nous avons expliquée plus haut, cela est démontré en détail
dans l’Apologétique. L’Église qui se
rapproche le plus d’elle est l’Église grecque. Cependant cette Église est, dans
son ensemble, acéphale et, par suite, s’émiette en une série d’Églises
particulières indépendantes, sur l’unité doctrinale desquelles il est difficile
de porter un jugement. Le Catéchisme orthodoxe (Pétersbourg, 1887, p. 62)
déclare que « les Églises particulières sont des parties de la même Église
universelle... Leur unité se manifeste d’une manière visible dans une
profession de foi identique et dans la communauté de prière et de
sacrements ». Ce Catéchisme soutient lui aussi la thèse « hors de l’Église
point de salut ». Il est cependant remarquable que, d’après le rapport d’une
commission américaine envoyée récemment en Europe et en Orient, afin d’inviter
à une « conférence mondiale pour examiner les questions concernant la foi
et l’ordonnance des Églises » (1919), tous les évêques grecs orthodoxes
acceptèrent l’invitation. Ici et là, en Orient, on ne s’est pas contenté de
célébrer des offices interconfessionnels, mais on a encore admis des hôtes
étrangers à participer à la communion. On mettait de grands espoirs dans cette
participation. Le Pape Benoît XV a refusé poliment, mais nettement, l’invitation.
Pour arriver à l’union des Orientaux avec Rome, le Pape Benoît XV a : 1°
fondé un Institut oriental ; 2° permis le maintien de la liturgie ;
3° établi une Congrégation de cardinaux ; 4° excepté l’Orient des prescriptions
du Codex (Cf. l’Encyclique de Pie XI
« De studiis rerum orientalium provehendis » du
8 septembre 1928, « Rerum orientalium »).
La sainteté est la plus précieuse des
propriétés de l’Église. Or, on distingue une double sainteté : une
sainteté proprement dite et personnelle
et une sainteté improprement dite et réelle.
La sainteté personnelle s’attache aux
personnes saintes. Elle consiste, d’après la doctrine de la grâce, dans la
possession de la grâce sanctifiante. Elle admet des degrés différents. La
coutume s’est introduite plus tard de n’honorer sous le nom de
« saint » que ceux qui possèdent la sainteté à un degré héroïque. Mais ceux qui possèdent la
grâce sanctifiante au degré ordinaire
sont eux aussi véritablement saints et sont appelés de ce nom dans l’Écriture
(Épîtres pauliniennes). La sainteté réelle
est attachée à des objets saints. Cette sainteté peut être une sainteté passive, conférée par la consécration
(église, autel, vases sacrés), ou bien une sainteté active, en tant qu’elle doit produire la sainteté personnelle
(sacrements, doctrine de foi, sacramentaux). C’est dans ce double sens qu’on
peut appeler l’Église sainte. Elle
est sainte dans son être objectif et réel. Elle doit être sainte dans ses membres. Cependant, cette sainteté
personnelle ne peut être entièrement connue que de Dieu seul. Parfois cependant
il manifeste la sainteté héroïque par
des miracles et en fait ainsi une marque distinctive de l’Église.
Preuve. Est saint, tout d’abord, le Christ, le fondateur de l’Église (Jean, 10,
36 ; Act. Ap., 13, 34
sq., etc.) ; saint est son Évangile qu’on ne doit pas livrer aux impurs (Math.,
7, 6) ; sainte est sa vérité (Jean, 17, 17) ; sainte est la
connaissance du nom de Dieu (Math., 6, 9) ; sainte est la parole de
Dieu ; sainte est la prière comme est sainte la nourriture sur laquelle la
prière a été prononcée (1 Tim., 4, 4-5) ; bref, est sainte toute l’institution
objective de l’Église, car c’est « l’Église de Dieu » (Act. Ap., 20, 28 ; 1 Cor.,
1, 2, etc.).
L’Église doit être également sainte au
sens subjectif. Le Christ demande à
son Père : « Sanctifie‑les
(les Apôtres) dans la vérité ; ta parole est la vérité. » (Jean, 17,
17). Cette sainteté, chaque membre de l’Église la reçoit dans le baptême. Dans
le baptême est donné le Saint‑Esprit,
qui est en même temps le gage de la sainteté parfaite future. Pour ces deux
raisons, S. Paul appelle d’ordinaire les chrétiens « saints ». Il met
l’accent sur la sainteté subjective. « Le Christ a aimé l’Église et s’est
livré pour elle, afin de la sanctifier et de la purifier par le bain de l’eau,
dans la parole de vie, afin de faire paraître glorieusement devant lui cette
Église sans tache, sans ride ni rien de semblable, mais sainte et
immaculée » (Eph.. 5, 26-27. Cf. 1 Thess., 5, 23. Hébr., 2, 11 ; 9, 14 ; 10, 10-18. 1 Pier., 2,
9 ; 3, 15. 1 Jean, 3, 3). Cette sainteté subjective est un don du baptême,
reçu dans la foi, mais elle est
susceptible d’accroissement et elle reste d’ailleurs un devoir que l’on peut observer plus ou moins sérieusement. De là
aussi les exhortations à la sainteté
(1 Thess., 4, 3, etc.).
Les
Pères expriment leur foi à la sainteté
de l’Église par les éloges magnifiques qu’ils lui adressent. Ainsi ils l’appellent
la « Mère des vivants », ou bien le « paradis », l’« image de l’Église céleste », la
« Jérusalem céleste », l’« arche de Noé », le « temple
de Dieu ». Pour citer textuellement quelques Pères, S. Irénée écrit : « Là où est l’Église, là est aussi l’Esprit
de Dieu, et là où est l’Esprit de Dieu, là est aussi l’Église et toute
grâce. » (A. h., 3, 24, 1). S.
Cyrille d’Alexandrie explique aussi la catholicité de l’Église dans ce
sens : l’Église est appelée catholique « parce qu’elle guérit
universellement de toutes les espèces de péchés, de ceux qui sont commis avec l’âme
et de ceux qui sont commis avec le corps et que, de tout ce qui s’appelle vertu,
elle possède en elle toutes les formes, que cette vertu consiste en œuvres ou
en paroles ou en quelque autre don spirituel que ce soit » (Cat., 18, 23).
S. Augustin exhorte ainsi les
fidèles : « Honorez, aimez et célébrez la sainte Église votre Mère, comme
la sublime Jérusalem, comme la ville sainte de Dieu. Elle est l’Église du Dieu
vivant et, dans cette foi que vous recevez, elle est féconde et se répand sur
le monde entier : c’est la colonne et la base de la vérité, qui tolère
dans la communion des sacrements les méchants qui doivent être séparés à la fin
du monde et dont, en attendant, elle se distingue par des mœurs différentes des
leurs. » (Sermo 214, 11 : M.38, 1071).
La
sainteté subjective est la propriété la plus précieuse de l’Église.
Cependant, en tant que note, elle n’est
pas aussi facile à reconnaître que l’unité et l’apostolicité. Dieu seul peut
juger de l’état de grâce des membres particuliers de l’Église. Les théologiens
ne renoncent pas à toute sainteté subjective quand ils en parlent comme d’une note. Mais ils la limitent à son degré
héroïque entièrement manifeste et qui est attesté d’ordinaire par des miracles
visibles. On trouve surtout cette sainteté héroïque dans le martyre et aussi dans la virginité volontaire. La sainteté
héroïque a été manifestée par des membres de l’Église, dans tous les temps,
depuis le commencement jusqu’à nos jours. Les « canonisations »
ecclésiastiques sont l’expression extérieure de cette certitude et l’invitation
expresse à tous ceux qui sont en dehors, d’examiner la sainteté de l’Église.
Dans
la description de la sainteté objective,
on nomme d’abord la doctrine sainte,
la doctrine de foi comme la doctrine de mœurs ; ensuite le culte, surtout le sacrifice de la messe
et les sacrements ; puis la prière, les lois ecclésiastiques, les Ordres religieux,
le sacerdoce, les œuvres de charité, les instituts d’éducation et d’instruction,
le soin des malades et des indigents, des esclaves et des opprimés. Comme
vertus spécifiquement chrétiennes on
en nomme surtout trois : l’humilité,
la chasteté et la charité. Elles étaient inconnues du monde antique. C’est le
Christ le premier qui, par son exemple et son enseignement, en a fait la base
de la vie chrétienne.
L’histoire
de l’Église montre que la fécondité de l’Église en saints n’a jamais été entièrement
tarie, même aux époques de la plus grave décadence de la vie chrétienne. En
considération de ces états, S. Augustin appelle l’Église un « corps
mixte » (corpus permixtum).
De
même que l’Église possède, au sens complet,
la propriété de l’unité, elle possède aussi celle de la sainteté. Aucune autre
société religieuse ne peut, sur ce point, se comparer à elle. Cela ne veut pas
dire qu’en dehors de l’Église personne n’ait jamais vécu en état de grâce ou
bien qu’en dehors des sacrements, il n’y ait pas de moyens de sanctification.
Cela serait contredire la doctrine de l’Église sur la grâce et les sacrements.
Mais, bien qu’en dehors de l’Église existe la sainteté au sens ordinaire du
mot, on ne trouve pas cependant les signes extraordinaires de la sainteté et
surtout la confirmation miraculeuse par Dieu, que le Christ a promise à son
Église (Marc, 16, 17 sq. ; Jean, 14, 12 ; cf. 1 Cor., 12, 4-11). Au
sujet des saints russes, Solowjew écrit « que ce
sont tous des princes ou des moines, c.‑à‑d. des membres de l’aristocratie ».
On
ne peut pas élever des objections
contre la sainteté de l’Église en alléguant l’exemple de personnes
ecclésiastiques dont la vie ne fut pas sainte ; ce serait pire si on
pouvait leur reprocher des enseignements dépourvus de sainteté. Mais c’est en
vain qu’on s’efforcera de découvrir dans leur enseignement moral quelque chose
d’analogue aux descriptions voluptueuses que fait Mahomet du paradis ou aux
thèses de Luther sur les péchés nécessaires des chrétiens (« pecca fortiter sed crede fortius »
[pèche fermement, mais crois plus fermement encore], ou bien « nous devons
nécessairement nous résigner à demeurer dans le péché » ou bien
« maudit soit le mot « caritate formatum » [conformé par la charité]). (Grisar, Luther, 1,
253, 168). Quand des théologiens formulent des thèses morales trop relâchées ou
trop sévères, cela n’est pas imputable à l’Église qui a pris assez souvent des
mesures contre ces excès.
La catholicité est à la fois une
propriété intérieure de l’Église et une marque extérieure. Elle désigne, comme
l’indique le mot (ϰαθολιϰή
de ϰαθʹ ὅλον,
universalis), l’extension temporelle et surtout locale
de l’Église parmi tous les hommes et dans tous les pays. La catholicité suppose
l’unité ; car si les églises répandues sur la surface de la terre étaient
indépendantes, il ne pourrait pas être question de catholicité locale. Mais on
distingue l’extension actuelle de l’Église
dans le monde entier (catholicitas facti sive actualis),
de la destinée et de l’aptitude à cette extension actuelle (cath.
juris
sive virtualis). La catholicité de droit est naturellement plus
ancienne que la catholicité de fait dont elle est la cause. Quand on dit :
l’Église est catholique, cela signifie : elle a reçu de son fondateur la
faculté interne et la mission de se répandre dans tous les peuples du monde et
elle a, dès les premiers jours de son activité, fait consciemment effort, conformément à sa vocation qui est de faire
entrer et de réunir en elle tous les peuples, pour devenir une Église universelle. Son développement
ultérieur ne fut pas accidentel, mais il était voulu et conforme à sa nature.
On
distingue encore la catholicité en catholicité physique et catholicité morale.
La première voudrait dire qu’en tout lieu géographique de la terre il y aurait
un certain nombre de fidèles, ou même tout simplement que tous les habitants de
la terre appartiendraient à l’Église catholique. Il suffit à l’Église du Christ
d’avoir la catholicité morale, autrement dit une extension dans le monde qui
rende visible et perceptible sa force et sa grandeur, son aptitude à l’expansion
et sa puissance d’attraction. Il ne faut pas entendre cela dans ce sens que la
foule des fidèles serait déjà, par elle‑même, une preuve de la vérité de l’Église
et que des systèmes de religion erronés seraient incapables de posséder une
foule d’adhérents. Il faut entendre cela au sens positif et dire que l’Église,
d’après la volonté de son fondateur,
est catholique et que, par suite,
elle doit toujours posséder un grand nombre de fidèles.
Pour
mieux comprendre ces notions, il faut de nouveau distinguer, avec les
théologiens, la catholicité simultanée
et la catholicité successive. La catholicité
est simultanée quand l’Église possède, au
même moment, dans le monde, l’extension moralement universelle qui lui
convient. La catholicité est successive quand l’Église ne reçoit que peu à peu
cette universalité. C’est un sujet de controverse de savoir si la catholicité
successive suffit ou si la catholicité simultanée est nécessaire. Bellarmin et
Melchior Cano affirment que la catholicité successive suffit, mais la plupart
des théologiens sont d’avis contraire et prétendent que la catholicité morale s’est
réalisée du 1er au 5ème siècle, mais que depuis ce temps
elle est permanente et le sera jusqu’à
la fin du monde ; par conséquent, d’après ces théologiens, le maintien et
la diffusion de l’Église ne consistent pas dans son existence tantôt dans un pays
tantôt dans l’autre, mais elle doit désormais
se répandre simultanément dans tout l’univers.
Enfin
on distingue encore, par rapport au nombre
des adhérents, une catholicité absolue
et une catholicité relative. Au sens
absolu et en soi, sans comparaison avec les autres confessions religieuses, le
nombre des fidèles doit être très grand, afin que la notion d’universalité morale, ainsi que la qualité de signe
visible, se vérifient. Au sens relatif, c.‑à‑d. par rapport aux Églises dissidentes, on peut se représenter le
nombre des membres de l’Église comme plus grand ou comme plus petit que celui
de tous les schismatiques et de tous les hérétiques réunis. Mais là encore les théologiens se divisent : les uns
affirment que l’Église doit dépasser
toutes les sectes ensemble ; les autres, au contraire, prétendent qu’il
suffit qu’elle dépasse les sectes prises en particulier
et que jamais une secte ne puisse atteindre une diffusion telle qu’elle donne à
ceux qui sont en dehors l’impression de la catholicité. Mais sous aucun rapport
on n’a à comparer le nombre des fidèles avec celui des païens. La notion de
catholicité ne demande pas que l’Église surpasse en nombre les peuples païens.
Quelques‑uns pensent même que, d’après
certaines allusions de l’Écriture, le nombre des fidèles sera toujours
inférieur à celui des païens. En tout cas, la Révélation ne nous apprend rien
sur ces relations de nombre et toutes les questions dans ce sens doivent finalement
rester sans réponse. Il suffit que le Christ ait fondé et doté son Église pour
tous les peuples et tous les temps et que la catholicité, au sens moral, lui appartienne toujours comme
propriété essentielle. Au sujet de l’extension quantitative, on ne peut rien établir. L’apologétique fournit des
données statistiques.
Preuve. L’Écriture,
il est vrai, ne connaît pas l’expression « catholique », mais elle
connaît la chose : Les Patriarches (Gen., 12,
3 ; 18, 18 ; 22, 18 ; 26, 4 ; 28, 14) et les Prophètes
(Is., 11, 10 ; 45, 22, 23 ; 49, 1, 6 ; 55, 1-5 ; 56, 1-8.
Mal., 1, 11) avaient déjà prédit cette particularité du royaume messianique.
Jésus donne tout d’abord à son royaume la nature
intérieure de l’universalisme, en le fondant comme un royaume purement spirituel, transcendant, élevé au‑dessus de toute étroitesse de l’esprit et de toutes
les frontières des nationalités. Par contre, le royaume du diable constitue une
frontière ; vaincre ce royaume est la tâche de l’Église. C’est pourquoi le
Seigneur envoie ses Apôtres au monde entier, à toute créature (Math., 28,
19-20 ; Marc, 16, 15). Cf. le § 120, sur l’universalité de la grâce.
Les Apôtres s’efforcèrent de faire de l’universalité
virtuelle de l’Église une
universalité actuelle. S. Paul, dans
ses missions, parcourt presque tout le monde connu alors et les autres Apôtres
montrent une activité semblable. Mais que la catholicité de l’Église doive s’entendre,
non dans le sens physique, mais dans le sens moral, cela ressort de maint
passage de l’Écriture. D’après Math., 24, 14, la prédication de l’Évangile chez
tous les peuples ne doit être achevée qu’à la fin du monde. S. Paul écrit que
les Juifs n’entreront dans l’Église que lorsque « la plénitude des Gentils
y sera entrée » (Rom., 11, 25). De même, l’Apôtre juge qu’il y aura des
hérésies en tout temps (1 Cor., 11, 19 ; 2 Tim., 4, 3 ; cf. Luc, 18,
8).
Les Pères. S. Ignace est le premier qui donne à l’Église
le titre de « catholique ». « Là où est le Christ, là est aussi
l’Église catholique » (Smyrn., 8, 2). De même,
le rapport de l’Église de Smyrne sur le martyre de S. Polycarpe contient, dans son titre, la désignation « Église
sainte et catholique ». Dans le martyre lui‑même,
Polycarpe prie « pour toute l’Église catholique » (8, 1). Entré dans
l’éternité bienheureuse, Polycarpe glorifie le Christ, « le Pasteur de l’Église
catholique sur la terre » (19, 2). Ainsi donc le mot
« catholique » devint le prédicat le plus convenable de l’ « Église » ; ce fut une expression
classique qui a servi jusqu’à nos jours à distinguer l’Église de toutes les sectes.
Il est probable qu’au temps de S. Irénée
les hérétiques appelaient les membres de l’Église simplement les
« catholiques » (A. h., 3, 15, 2). Tertullien appelle l’Église purement et simplement
« catholique » (præsc., 3, 0). L’expression
se trouve dans une rédaction occidentale du Symbole des Apôtres (Denz., 6) ; de même que dans une rédaction orientale (Denz., 7) ; dans le Symbole de S. Epiphane (Denz., 14) ; dans une lettre du Pape S. Corneille à S.
Cyprien (Denz., 44) ; à la fin du Concile de
Nicée (Denz., 54) ; dans le Symbole de Nicée‑Constantinople (Denz.,
86). Depuis S. Cyprien le mot
« catholique » est employé pour désigner l’orthodoxie. Il blâme les
novatiens de s’attribuer le titre de « catholique », pour tromper et
séduire les gens (Ep. 73, 2). S. Pacien
de Barcelone a créé le mot connu : « Christianus
mi hi nomen, catholicus vero
cognomen. » [Mon nom est chrétien, mon surnom est catholique] (Ep. ad Symp. L, 4 : M. 13, 1055).
S. Cyrille de Jérus.
enseigne aux catéchumènes : « C’est pourquoi
la foi nous a transmis avec sagesse la confession de l’Église une, sainte,
catholique, afin que tu rejettes les communautés abominables et que tu t’attaches
à l’Église sainte, catholique... Et quand tu vas quelquefois dans les villes,
ne demande pas où est la « maison du Seigneur », car même les sectes
des impies ont le front de donner à leur cavernes le nom de « maison du
Seigneur » ; ne demande pas non plus simplement où est l’Église, mais
où est l’Église catholique. Car c’est là le nom propre de cette sainte Église,
notre Mère à tous. » (Cat., 18, 26). S. Cyrille explique la notion.
« Elle est appelée catholique, parce qu’elle est répandue sur toute la terre d’une extrémité à l’autre,
parce qu’elle enseigne universellement tous les dogmes que les hommes doivent connaître..., parce qu’elle conduit
et dirige toute la race humaine,
souverains et sujets, savants et ignorants, au vrai culte de Dieu ; parce
qu’elle guérit universellement de toutes les espèces de péchés, de ceux qui
sont commis avec l’âme et de ceux qui ont commis avec le corps et que, de tout
ce qui s’appelle vertu elle possède
en elle toutes les formes, que cette vertu consiste en œuvres ou en paroles ou
en quelque don spirituel de la grâce que ce soit. » (Ibid., 23). La
plupart des Pères s’en tiennent à l’extension locale sur laquelle insiste S.
Cyrille. S. Augustin demande aux
donatistes s’ils peuvent bien croire que la véritable Église se trouve dans le
petit coin qu’ils habitent (Ep. 49, 3). Presque tous les aspects de l’Église
prouvent que le Christ et l’Église sont répandus sur toute la terre. (Sermo de tempo 46, 33 : M. 38, 289). Aux hérétiques
qui voudraient entendre « catholique » dans le sens de possession de
tous les commandements et de tous les sacrements, il oppose simplement la
diffusion universelle et écrit à un donatiste : « Tu crois dire
quelque chose de très sensé, quand tu rapportes le mot « catholique »
non pas à l’union avec tout l’univers, mais à l’observation de tous les
commandements et à l’administration de tous les sacrements. » S. Augustin
ne veut pas nier que le nom « catholique » provienne peut-être de ce
que l’Église comprend tout cela, mais il affirme ensuite avec énergie que l’extension
locale a été prédite par les Prophètes et par le Christ : « Car il
nous a été transmis comme vérité, qu’en son nom la pénitence et le pardon des
péchés doivent être prêchés à tous les peuples, en commençant par
Jérusalem. » (Ep. 93, 23). Depuis S. Augustin, on conçoit d’ordinaire la
catholicité dans le sens de diffusion extérieure. Le mieux est d’unir l’explication
de S. Augustin et celle de S. Cyrille et d’insister très fortement sur la
catholicité qualitative qu’il faut placer avant la catholicité quantitative. La
première est originelle et immuable ; la seconde est accidentelle et
changeante (Cf. Poulpiquet, La notion de catholicité,
1910).
Les objections faites contre
la catholicité se résolvent facilement quand on explique cette catholicité
comme il faut, c.‑à‑d. quand on ne la conçoit pas comme
simplement mécanique et quantitative, mais plutôt comme spirituelle et qualitative.
On dit que la catholicité n’est pas une note essentielle originelle, mais un
accident postérieur. Le Christ nomme nettement son Église, pour la distinguer
du monde, un « petit » troupeau (Luc, 12, 32) et compare son royaume
à un grain de sénevé (Math., 13, 31). Il faut répondre qu’on doit distinguer
entre la catholicité de droit et la
catholicité de fait.
On
allègue l’apostasie qui, d’après les propres prédictions du Christ, doit s’accomplir
à la fin du monde (Math., 24, 12, 24 ; Marc, 13, 20 sq. ; Luc, 18,
8). Mais cette apostasie, sous la direction de l’« Antéchrist »,
ne supprime pas la catholicité de l’Église, puisque précisément c’est à la fin
de l’existence terrestre de l’Église qu’elle s’accomplira.
A
propos de la Tradition, on fait remarquer que les Pères, dans l’ignorance de la véritable grandeur du monde,
affirmèrent d’une manière très optimiste et prématurément la catholicité de l’Église.
On peut le concéder, mais cela ne prouve rien contre notre dogme.
S. Jérôme rapporte
que, de son temps, le nombre des ariens a été plus grand que celui des
catholiques et même que les ariens remplissaient « tout l’univers »
(Dial. adv. Lucif., 19 : M. 23, 172). Mais d’abord
la catholicité morale persistait encore, puisque, d’après Bellarmin, elle se
maintiendrait même dans l’existence d’une seule province ecclésiastique
(Hurter, 1, 324) ; ensuite il faut bien dire que l’arianisme régnait parmi
les évêques plutôt que parmi le peuple et même que la plus grande partie des
évêques n’étaient hérétiques que matériellement (Cf. Héfélé,
1, 706).
Sœderblom et Heiler essaient d’introduire
une nouvelle notion de la « catholicité ». D’après eux, les
protestants, les grecs, les anglicans et les catholiques romains formeraient
une seule Église malgré leur séparation. Mais c’est là du
« fédéralisme » et non du « catholicisme ».
L’apostolicité est une propriété essentielle de l’Église qui fut
mise en valeur de bonne heure comme note extérieure de sa légitimité. On
distingue une triple
apostolicité : l’apostolicité d’origine,
l’apostolicité de doctrine et l’apostolicité
de succession. C’est sur la troisième
qu’on insiste ; elle renferme les deux premières. L’apostolicité de
succession a été également utilisée dans l’Église, depuis S. Irénée, comme
argument historique contre l’hérésie et on en a fait la garantie et le
critérium de la légitimité, de la vérité et de la pureté de tout ce qui
appartient à l’essence de l’Église, et surtout de ses enseignements.
L’Église est apostolique en ce que ses
éléments essentiels proviennent des Apôtres et sont transmis et garantis par la
succession apostolique ininterrompue. Ces éléments sont : la doctrine, le
culte, les moyens de salut, les pouvoirs. Dans tous ces éléments essentiels, l’Église
est demeurée identique à elle‑même
dans tous les temps et a conservé son unité intérieure. En cela réside l’apostolicité
et, dans la mesure où cela est connu, cette propriété constitue une note de l’Église.
La preuve
d’Écriture, démontrant que Jésus a fondé son Église sur les Apôtres, est
contenue dans ce qu’on a dit plus haut (§ 138 et 144) sur la fondation de l’Église
par le Christ, ainsi que sur la primauté. Il suffit de faire ressortir ici que
le Christ a fondé son Église entière
sur Pierre et que, par suite, l’apostolicité est visible et reconnaissable en
lui et dans ses successeurs. L’apostolicité de succession est la plus facile à
prouver. Mais cette apostolicité seule est déjà suffisante et décisive. En
effet, là où est Pierre et sa succession, là est aussi toute l’Église, par conséquent
encore le magistère infaillible. Ce magistère infaillible garantit la pureté et
la vérité de la doctrine apostolique.
Par
rapport à l’origine (ratione originis), on doit
distinguer une apostolicité immédiate et une apostolicité médiate. Elle est immédiate,
quand une Église a été fondée par les Apôtres personnellement ; elle est
médiate, quand une Église a été fondée ou est encore fondée par leurs successeurs
proches ou éloignés. Sous cet aspect encore, l’apostolicité n’est
incontestablement reconnaissable que dans l’Église fondée sur Pierre et ses
successeurs, l’Église de Rome. Elle seule peut démontrer sa connexion
ininterrompue avec l’Apôtre S. Pierre. Toutes les autres Églises apostoliques
ont été, au cours des siècles, séparées de leur origine apostolique, soit qu’elles
aient été entièrement détruites, soit qu’elles aient perdu leur siège
épiscopal. Par suite, toutes les Églises qui prétendent au titre d’apostoliques
ne peuvent l’être qu’en se rattachant à l’Église qui remonte immédiatement aux
Apôtres, à l’Église de Rome. Et même s’il y a dans l’Église grecque des Églises
particulières qui ont maintenu leur connexion matérielle avec les Apôtres, elles
sont cependant dépourvues de l’apostolicité formelle, depuis qu’elles se sont
séparées de l’Église par le schisme de Photius et de Michel Cérulaire, parce
que, depuis ce temps‑là, elles
ont perdu la mission que leur avaient donnée les Apôtres et par là même l’infaillibilité
qui correspond à cette mission.
Toute
cette thèse suppose le fait que le
Christ a établi l’Apostolat dans l’Église comme un ministère spécial. Les
adversaires prétendent que ce que nous appelons apostolat est une fiction qui s’est
introduite plus tard dans l’Église. On aurait attribué, aux douze disciples qui
ont connu le Seigneur, une importance plus grande à mesure que l’importance du
Seigneur lui‑même s’accroissait.
Pour
prouver que l’apostolat est un
ministère institué par le Christ et non seulement une mission temporaire,
rappelons le choix des Apôtres et leur mission (Luc, 6, 13). Leur nom nouveau - le Christ les appela
« Apôtres » (Luc, 6, 13) - indique déjà un ministère nouveau qui les
distingue des autres disciples. On les appelle encore « les douze »
ou bien les « douze Apôtres » (Math., 10, 2. Marc, 6, 7. Luc, 9,
1 ; 17, 5 ; 22, 14 ; 24, 10. Jean, 20, 21). L’importance
singulière de l’apostolat se montre dans la forme solennelle de leur
institution par le Christ. Plus tard, dans sa prière sacerdotale, le Christ
rapporte ce choix à Dieu. Jusqu’à sept fois il revient sur cette pensée :
« Ils étaient tiens et tu me les as donnés » (Jean, 17, 6 sq.). Les
Apôtres ont conscience de cette situation unique dans l’Église. Nous le constatons
dans la solennité et le sérieux qu’ils apportent au choix d’un nouvel Apôtre
pour remplacer Judas (Act. Ap.,
1, 15 sq.). Dieu lui‑même doit
prendre la décision. On exige comme condition que le candidat ait connu
personnellement le Seigneur et qu’il ait été témoin de sa Résurrection. Son
rôle est de « recevoir dans ce ministère et cet apostolat la place que
Judas a laissée » (Act. Ap.,
1, 25).
S. Paul n’a pas
fondé le prestige de l’Apostolat, mais il a reconnu qu’il était revêtu de ce
prestige et s’en est glorifié. La raison et le signe distinctif du véritable
Apostolat - il y a aussi de faux apôtres (2 Cor., 11, 13) - se trouvent, pour
lui aussi, dans les relations directes avec le Christ vivant et dans la mission
reçue de lui. « Ne suis‑je pas
Apôtre, n’ai‑je pas vu le Seigneur ? » (1
Cor., 9, 1). Il reconnaît volontiers le prestige des premiers Apôtres, mais se
considère comme leur égal (Gal., 1, 1, 12 ; 2, 1-10). Il défend avec
énergie son Apostolat et aime à se désigner au début de ses Épîtres :
« Apôtre appelé par Notre‑Seigneur
Jésus‑Christ ». Il peut même, à l’occasion,
s’identifier avec l’Église entière (1 Cor., 11, 16). Ainsi donc, d’après S.
Paul, les Apôtres sont réellement « ceux qui sont considérés », les
« colonnes de l’Église » et il regarde le fait d’être connu d’eux et
de délibérer avec eux sur son évangile, comme son premier devoir, après sa
vocation (Gal., 2, 6-10). L’Église est bâtie « sur le fondement des
Apôtres et des Prophètes, Jésus étant lui‑même la pierre
suprême d’angle » (Eph., 2, 20).
En
présence de ces arguments clairs, il importe peu que, de temps en temps, d’autres personnages que S. Paul et les
douze soient appelés « Apôtres », comme les prédicateurs
charismatiques ambulants (1 Cor., 12, 28 ; Didachè,
11, 3), ou bien des hommes de l’entourage des Apôtres, sur lesquels tombait
comme un rayon du véritable Apostolat (Rom., 16, 7 ; 1 Thess.,
2, 7 ; 1 Cor., 4, 6, 9 ; 2 Cor., 8, 23 ; Phil., 2, 25). Mais ils
ne reçoivent jamais d’une manière indépendante l’appellation solennelle d’ « Apôtres de Jésus‑Christ ».
L’Église
est apostolique en tant qu’elle est bâtie sur le fondement des Apôtres et en
tant que ce fondement persiste dans la personne des successeurs des Apôtres
jusqu’à la fin du monde. Dans la primauté
et dans l’épiscopat, qui lui est
légitimement uni, cette propriété essentielle reçoit l’importance d’une note
visible et facilement discernable par tous.
Qu’aucune
autre Église que l’Église catholique romaine ne possède cette marque, ce que
nous venons de dire le montre déjà et l’Apologétique le prouve. ll a déjà été question à plusieurs
reprises de l’Église grecque schismatique.
Elle n’existe comme telle que depuis Photius. Elle a été fondée par les
Apôtres, mais, par sa séparation d’avec Rome, elle a perdu son apostolicité
formelle et pleine et ne peut la recouvrer que par son adhésion à Rome. Il en
est de même des autres sectes de l’Orient, dont quelques‑unes sont plus anciennes encore, comme les
nestoriens, les coptes, les jacobites. Les membres ne doivent pas se séparer de
leur chef.
L’Église
de Jésus‑Christ est une, sainte, catholique et
apostolique. Ces quatre notes ne sont pas pour elle quelque chose d’extérieur
et d’accidentel : elles lui sont nécessaires et essentielles. Elles
découlent de la notion d’un royaume visible de Dieu sur la terre.
L’Église
a toujours été en possession de ces
quatre notes essentielles. Mais c’est l’hérésie qui, au cours des siècles, l’a
forcée de les revendiquer d’une manière particulière. L’apostolicité fut
affirmée au temps de S. Irénée contre les gnostiques ; l’unité le fut au
temps de S. Cyprien et de S. Augustin contre les schismatiques ; la
sainteté fut en question au temps des controverses sur le Baptême et la
Pénitence ; la catholicité est la caractéristique particulière de l’Église
depuis la grande défection du 16ème siècle. Depuis cette époque, on
répète avec insistance : Chrétien est mon nom, catholique est mon surnom.
Les quatre notes constituent entre elles une unité essentielle. C’est pourquoi,
dans leur sens plein, elles ne peuvent se trouver que dans l’Église de Dieu.
On
doit toutefois remarquer, que les Grecs
eux‑mêmes revendiquent avec énergie, pour
leur Église, les quatre notes nommées dans leur symbole et tâchent de légitimer
leur revendication au moyen de textes de l’Écriture et des Pères.
A
consulter : S. Thomas, Suppl.,
q. 94. - Au sujet du culte des saints : Bellarmin, De cultu sanctorum.
Benoît XIV, De servorum
Dei beatificatione et canonisatione.
Trombelli,
De cultu sanctorum, 6 vol.
(1740 sq.). Pesch,
4, 314 sq. Rabeau,
Le culte des saints dans l’Afrique chrétienne. Duchesne, Origines du culte chrétien (1907). Delehaye, Les légendes
hagiographiques (1904), Les origines du culte des martyrs (1912). Joly, Psychologie des saints. H. Delehaye,
Sanctus (essai sur le culte des saints dans l’antiquité) (1927). L. Lercher,
Instit. théol. dogm., 3 (1925) : De cultu sanctorum. - Sur le culte
des reliques : Stengel, De reliquiarum cultu. Benoît XIV,
loc. cit., 4, p. 2, c. 22 sq. Mioni, Il culto
delle reliquie (1908). - Au sujet du culte des
images : Petau,
De Incarn., 14, 11-18. Garucci, Storia
dell’arte cristiana nei primi otto secoli
della Chiesa, 6 vol. (1873
sq.).
D’après
Delehaye,
le titre de saint (Sanctus), qui fut aussi employé dans un sens profane
(« honoré »), fut appliqué dans le christianisme : 1° Comme
titre d’honneur pour les vivants et les défunts, afin d’indiquer leur haut
degré de moralité ; 2° Dans un sens encore vague, il apparaît dans la
Bible pour désigner les choses consacrées à Dieu, pour les distinguer des
choses profanes ; 3° Dans un sens qualificatif, ce titre fut attribué aux
martyrs et plus tard à tous les personnages de vertu éminente. Bientôt, ceux
qui, tout d’abord, n’avaient jamais été honorés que par le peuple furent aussi
l’objet d’un culte public. Malgré cette généralisation, c’était cependant les
martyrs qui étaient spécialement « sancti ».
L’« authenticité » des saints se démontre
par les listes officielles, surtout pour Rome ; « mais le nombre des
documents anciens de cette nature est extrêmement
limité ». Plusieurs martyrs sont tombés dans l’oubli et quelques‑uns d’entre eux passent pour « des
saints qui n’ont jamais existé ».
Alors le culte revient à Dieu qui, comme le dit S. Augustin, est honoré dans tous les saints.
Tous
ceux qui sont justifiés par l’institution de salut qu’est l’Église, sont saints. Ils constituent ensemble la grande
communion des saints de l’Église. On
a pris l’habitude, depuis la Scolastique, d’entendre la notion d’Église au sens
large, en faisant rentrer dans l’Église, même les saints parfaits de l’au‑delà, soit qu’ils aient déjà la pleine
possession de la vision béatifique, soit qu’ils demeurent soumis, pendant un
certain temps encore, à la purification du purgatoire.
C’est
pourquoi on parle des trois états de l’unique Église, de l’Église militante, de l’Église souffrante et de l’Église triomphante. Toutes les trois forment
entre elles une communauté spirituelle. Cependant l’article du Symbole des
Apôtres (communion des saints) se rapporte d’abord à l’Église d’ici‑bas. Mais on l’applique aussi, à juste titre,
aux relations des trois parties de l’Église, d’une manière générale. Par suite,
on peut traiter également ici du culte des saints et des reliques. On parlera
encore avec plus de détails des relations entre l’Église d’ici‑bas et les trépassés à propos du sacrifice de
la messe et des indulgences (§ 189).
THÈSE. Tous les chrétiens vraiment
rachetés et sanctifiés ont, avec le Christ leur chef et entre eux, une
communauté de vie surnaturelle. De foi.
Explication. Notre thèse
reproduit la foi du Symbole des Apôtres
(je crois en la communion des saints).
Chez
les protestants, la doctrine de la
communion des saints ne peut pas arriver à une expression complète, parce que l’invisibilité de l’Église exclut une
communion. C’est pourquoi ils n’ont pas la foi qui découle de cette notion, la
croyance à l’intercession chrétienne, au culte de saints et à l’applicabilité
des mérites à d’autres. Néanmoins Luther
conserva l’article de la « communion des saints ». « Je crois
que, dans cette communauté ou chrétienté, toutes choses sont communes et que
les biens d’un chacun appartiennent à l’autre et que,
par conséquent, toutes les prières et les bonnes œuvres de la communauté
entière doivent m’aider, m’assister et me fortifier, moi et chaque fidèle, dans
la vie et dans la mort et que par suite chacun porte le fardeau de l’autre,
comme le dit S. Paul. »
Preuve. Dans l’Ancien Testament, on insistait fortement sur
la communauté religieuse du peuple élu : cette communauté, en soi, paraît
déjà une garantie de salut. Cela ne peut naturellement être possible que si le
salut est encore conçu d’une manière essentiellement externe. Il est souvent
question aussi de l’intercession des uns pour les autres, particulièrement de l’intercession
des « pères » avec qui Dieu a conclu l’Alliance, et d’appel au mérite des pères. Dieu veut bénir jusqu’à
la millième génération les enfants des parents pieux (Ex., 20, 6 ; Deut., 5, 10). Abraham (Gen., 18,
23-32) ; spécialement, Moïse (Ex., 32-34 ; Ps. 105, 23), Samuel (1
Rois, 7, 9 ; 8, 6 ; 12, 17 sq. ; 15, 11), David (2 Rois, 7, 18
sq.) sont les grands médiateurs et intercesseurs pour le peuple ou pour chaque
fidèle en particulier. La raison de l’espoir du salut, c’est l’appartenance au
peuple de Dieu : bref, l’alliance avec les pères.
Jésus rassemble les membres de son Église dans une unité
spirituelle (Jean, 17, 9-26) et s’appelle lui‑même
la vigne féconde, dans laquelle les disciples trouvent leur point d’appui comme
les sarments sur le tronc (Jean, 15, 1). Dans le « Notre Père », il recommande expressément aux disciples de
demander les uns pour les autres le royaume de Dieu (Math., 6, 10) et leur
apprend à s’aimer les uns les autres comme les enfants d’un même Père. Les
anges eux‑mêmes se réjouissent du progrès spirituel de l’Église
(Luc, 15, 10). Quand deux ou trois sont réunis au nom du Christ, il est au
milieu d’eux pour exaucer leur prière (Math., 18, 20).
S.
Paul est celui qui a saisi cette pensée de la
manière la plus vivante, comme on l’a déjà montré plus haut (p. 30 sq. et 161).
Le Christ est le chef mystique de son Église et les fidèles sont tous membres d’un
seul corps. « De même que nous
avons plusieurs membres dans un seul corps et que tous les membres n’ont pas la
même fonction, ainsi, nous qui sommes plusieurs, nous ne faisons qu’un seul
corps dans le Christ et, chacun en particulier, nous sommes membres les uns des
autres. » (Rom., 12, 4-5). « Qu’il n’y ait pas de division dans le
corps, mais que les membres aient également soin les uns des autres ; si
un membre souffre, tous les membres souffrent avec lui et si un membre est
honoré, tous les membres se réjouissent avec lui. Or, vous êtes le corps du
Christ et ses membres, chacun pour sa part. » (1 Cor., 12, 25-27).
« Il est la tête du corps de l’Église... il a pacifié par le sang de sa
croix ce qui est sur la terre comme ce qui est au ciel. » (Col., 1,
18-20). Par là, les cadres de l’Église sont assez
étendus pour qu’ils puissent renfermer même les habitants du ciel. Le Seigneur
en effet doit être loué et adoré par tous ceux qui sont au ciel, sur la terre
et sous la terre (Phil. 2, 10 sq.).
S. Paul tire aussi les conséquences pratiques de cette
doctrine. Les fidèles qui ont été dotés par Dieu de charismes s’en servent pour l’utilité d’autrui (1 Cor., 12, 28-30).
Avant tout, les fidèles doivent prier les uns pour les autres, afin d’obtenir
le salut (Rom., 15, 30. 2 Cor., 1, 11. Eph., 1,
15-16 ; 6, 18-19. Phil., 1, 19. Col., 4, 2-3. 1 Thess.,1, 2 ; 5, 25.
2 Thess., 1, 11 ; 3, 1. Hébr.,
13, 18. Cf. Jacq., 5, 16). Dans Hébr., 12, 12 sq., l’Église
triomphante apparaît sous un aspect brillant. Elle est plus magnifique
encore dans les visions de l’Apocalypse
(Cf. Apoc., 21, 10 sq.).
Les Pères. La foi des
chrétiens à la communion des saints se manifeste pratiquement dès le commencement dans les prières, particulièrement
dans la prière d’intercession
générale au sacrifice de la messe ; dans cette prière, on faisait mention
des différents fidèles ou des ordres de fidèles qui avaient besoin d’intercession,
et même on recommandait toute l’humanité. Nombreuses sont les recommandations
de prier les uns pour les autres. On en trouve chez S. Clément, dans son Épître aux Corinthiens (55, 6 ; 56,
1 ; 59, 2) ; chez S. Ignace,
dans presque toutes ses Épîtres ; dans la Didachè (10, 5). S. Justin rapporte qu’on avait coutume
de prier et de jeûner avec et pour les catéchumènes (Apol.,
1, 61, 65 ; cf. 15 ; Dial. 35). Tertullien
décrit les pénitents suppliant les fidèles, en pleurant à chaudes larmes, de
les assister de leurs prières au saint sacrifice (De pœnit.,
10, 9 ; De orat., 3). On rencontre les mêmes
témoignages chez S. Cyprien, Clément d’Alexandrie, Origène. Vers le milieu du 4ème
siècle, on rencontre pour la première fois l’expression « communion des
saints » comme formule de la foi ancienne, chez Nicétas de Rémésiana, dans son « Explanatio
symboli ». Cette expression était certainement
connue dans la Tradition (cf. Denz., 4) ; elle
fut bientôt après admise dans le Symbole des Apôtres.
C’est
encore S. Augustin qui, venant après
S. Hilaire et S. Ambroise, a, dans l’Église latine, exposé cette doctrine de la
manière la plus profonde, notamment dans sa « Cité de Dieu ». L’Église
est le royaume du Christ, le royaume du Saint‑Esprit. Nous
participions tous au Christ, nous sommes devenus le Christ (In Joan., 21, 8).
Il y a une double Église, « une Église ici‑bas et une
Église là-haut ; une Église ici‑bas composée
de tous les fidèles, une Église là-haut composée de tous les anges » (Enarr. in Ps. 137, 4). Le ciel et
la terre constituent une seule Église ; « ce que l’âme est dans le corps,
le Saint‑Esprit l’est dans l’Église »
(Sermon 267, 4). Le lien d’union est la charité,
que le Saint‑Esprit produit en tous ceux qui appartiennent
véritablement à l’Église. De cette charité découlent les prières pour tout le
corps de l’Église, pour tous les hommes amis et ennemis (Opus imperf., 6, 41). - Nombreux sont les témoignages des
antiques monuments chrétiens (Dict.
Théol., 3, 454-480).
La
Scolastique adopta cette doctrine des
Pères et de l’Église et continua de la développer. D’après S. Thomas, appartiennent à la communion des saints tous ceux qui
sont unis au Christ par la charité. Ils tirent de cette union un double
avantage : la participation aux mérites du Chef et la participation des
membres justes aux mérites des autres membres justes. « Les biens et les
richesses du Christ Jésus sont donc communiqués à tous les chrétiens, comme la vertu et les énergies de la tête le
sont à tous les membres du corps. Et cette communication s’effectue par les
sacrements de l’Église, dans lesquels agit la vertu de la passion du Christ et
elle y agit pour conférer la grâce en vue de remettre les péchés ». Ce n’est
pas tout, « non seulement la vertu de la passion du Christ nous est
communiquée, mais aussi le mérite de sa vie. Et tous ceux qui vivent dans la
charité entrent également en communication de tout ce que les saints ont opéré
de bien, parce que tous ceux qui ont la charité, qu’ils soient en ce monde ou
dans l’autre, tous sont un » (S. Th., Opusc. 6,
Commentaire du Credo, a. 10). On sait, par la doctrine des indulgences, que c’est
sur cette communion des saints que repose la doctrine théologique du trésor de
l’Église (thesaurus Ecclesiæ). Au sujet de la
Scolastique, cf. Dict. théol., 3, 443 sq.
L’essence de la communion des saints
consiste dans le fait que l’Église entière a le même Chef, le Christ, qui
envoie à tous ses membres son Esprit vivifiant et fécondant pour créer et
fortifier en eux la vie de sainteté et de charité. De cette communauté de Chef,
résulte ensuite la possession commune des moyens de sanctification et des
vérités confiées par le Christ à son Église, la possession commune du sacrifice
de la messe et des prières (1 Cor., 10, 16). Il en résulte enfin une
communication et une effusion des forces et de la sève spirituelles entre les
membres eux‑mêmes, une participation réciproque
aux mérites et aux œuvres satisfactoires. La raison dernière de la communion
des saints réside dans la sagesse éternelle de Dieu et dans son amour
éternel ; mais elle réside aussi dans l’essence de l’esprit de son Église,
qui est un esprit d’amour et d’union et non un esprit de séparation et d’égoïsme.
Le
Catéchisme romain (p. 1, c. l0, q. 21-24) dit à ce sujet : A ces fruits
spirituels qui proviennent du Chef commun participent donc tous les membres du
corps mystique : « Comme c’est un même esprit qui la gouverne [l’Église],
tout ce qu’elle a reçu devient commun à
tous, et le fruit de tous les sacrements se partage et se distribue à tous
les fidèles. Car les sacrements et surtout le baptême, qui est comme la porte
par laquelle ils entrent dans l’Église, sont comme des liens sacrés qui les
unissent tous et les attachent à Jésus‑Christ. »
Cependant jouissent de ces fruits ceux‑là seuls
« qui vivent chrétiennement et dans la charité, qui pratiquent la justice
et se rendent agréables à Dieu. Quant aux membres morts, c’est-à-dire, les
hommes souillés par le crime et privés de la grâce de Dieu, ils ne perdent pas,
à la vérité, l’avantage d’être encore membres du corps de l’Église ; mais,
comme ils sont morts, ils ne reçoivent pas les fruits spirituels auxquels
participent ceux qui sont vraiment justes et pieux. Cependant, comme ils sont
réellement dans l’Église, ceux qui ont la vie de l’esprit les aident à recouvrer la grâce qu’ils ont
perdue, et ils participent à plusieurs autres avantages » Mais cela ne s’applique
pas à ceux « qui sont tout à fait hors du sein de l’Église ».
Depuis
le début, l’Église a songé, dans ses prières, non seulement aux justes, mais
aussi aux pécheurs. Ainsi, l’Église a compris même les défunts dans sa communauté, surtout au sacrifice de la messe, comme on l’établira plus loin (§
189). Ces défunts en effet ont le même Chef que l’Église d’ici‑bas. « Les âmes des pieux défunts ne
sont pas séparées de l’Église... Autrement on ne ferait pas mention d’elles à l’autel
du Seigneur en présence du Corps du Christ », dit S. Augustin (Civ., 20, 9, 2). S.
Jean Chrysostome a un discours d’une précision et d’une beauté
extraordinaires sur « la communion des saints » (Bibl. des P. de l’E.,
1874, 274-278). Il explique l’idée de la communauté d’après Math., 18, 20.
On
fonde aujourd’hui des quantités d’associations et d’unions, même dans le
« corps mystique du Christ ». Pourtant ce serait un gain considérable
pour la vie spirituelle, si l’on songeait davantage à la communauté primaire
fondée par le Christ et si l’on renouvelait la foi en elle. Aucune société,
serait‑elle la plus pieuse, n’a la garantie,
la force et la fécondité de celle fondée par Jésus.
« Les saints qui vivent avec le
Christ offrent à Dieu les prières des fidèles et il est bon et utile d’invoquer leur intercession. »
C’est par ces paroles que le Concile de
Trente prend la défense de l’antique pratique du culte des saints dans l’Église
et il déclare que ceux‑là ont
une « pensée impie » qui repoussent le culte des saints et le
déclarent insensé (Denz., 984 ; cf. Professio fidei, Trid. : Denz., 998). En
outre, ces paroles précisent les relations entre l’Église militante d’ici‑bas et l’Église triomphante de là-haut : les
saints prient pour les fidèles sur la terre et ceux‑ci les honorent
et les invoquent.
L’honneur
qu’on accorde à quelqu’un doit reposer sur des motifs suffisants. Ces motifs
résident dans la valeur et la dignité de celui qui est honoré.
La
différence des motifs de culte entraîne la différence du culte. Les théologiens
établissent une différence essentielle
entre le culte rendu à Dieu et le
culte rendu aux saints. Le culte
rendu à Dieu convient à son Être absolu et lui est rendu à cause de sa perfection
infinie, et, comme aucune créature ne peut atteindre cette perfection, aucune
créature n’aura jamais part à ce culte. On lui donne le nom particulier d’« adoration ». Sans doute, les langues anciennes
ne font pas toujours cette distinction, mais emploient le même mot (adorare, adoratio) tant pour
signifier la vénération (veneratio) que pour signifier
l’adoration (adoratio). Cependant on a toujours eu
conscience, dans l’Église, d’une distinction essentielle entre le culte rendu à
Dieu et le culte rendu à ses saints. Déjà S.
Augustin fait ressortir une différence de terminologie, tout au moins pour
le grec, où l’on distingue très bien entre le culte de latrie dû à Dieu et le culte de dulie
dû aux saints. Dans le culte des saints, on a distingué encore le culte de tous les saints du culte d’hyperdulie rendu à la Sainte Vierge.
Le
culte des saints est un culte religieux ;
ce n’est pas un culte naturel, mais surnaturel.
Cependant il faut bien entendre cela. La raison dernière et décisive de notre
religion chrétienne est Dieu seul ; par conséquent, lui seul aussi est l’objet
principal de notre culte religieux. Mais le culte des saints peut être appelé,
lui aussi, un culte religieux ; tout d’abord, en tant que ce n’est pas un
culte purement naturel ensuite et humain (c. civilis) comme celui que l’on rend
aux personnages historiques ; ensuite parce finalement et médiatement ce
culte se rapporte à Dieu ; et enfin parce qu’il faut chercher la raison de
la sainteté des saints, en dernière analyse et principalement dans la grâce
libre de Dieu.
Enfin
on en distingue culte absolu et un
culte relatif. Le culte rendu à Dieu
est absolu, parce qu’il s’adresse à la perfection absolue et infinie de Dieu.
Le culte rendu aux saints est un culte relatif, parce qu’il a pour objet les
avantages que Dieu leur a accordés.
On
peut encore distinguer, dans un autre sens, un culte absolu et un culte relatif,
tant dans le culte rendu à Dieu que dans le culte rendu aux saints, selon que
la raison du culte est dans la personne honorée elle‑même ou en
dehors d’elle. Dans ce sens, le culte rendu à la personne même (Dieu et les
saints) est un culte absolu, le culte rendu aux choses saintes (reliques,
images) est un culte relatif.
D’après
ces explications, le culte des saints est non seulement permis, exempt de superstition et d’idolâtrie,
mais encore théologiquement fondé, recommandable, pieux et salutaire. Nous n’honorons
pas les saints du culte suprême d’adoration (c. supremus),
mais d’un culte inférieur et subordonné (c. inferior),
le culte de dulie. Nous honorons certes les saints d’un culte véritable et en
eux‑mêmes, mais à cause des avantages que
Dieu leur a conférés. C’est pourquoi ce culte retourne finalement à Dieu, qui
seul les a rendu dignes de vénération par ses dons surnaturels de grâce. Le
reproche qu’on nous fait d’adorer les saints (hagiolâtrie)
est non seulement insoutenable, mais encore insensé. « Nous honorons les
serviteurs, pour que l’honneur en revienne à Dieu » (Denz.,
342).
Remarquons
encore que le dogme se rapporte à la
licéité morale et à l’utilité du culte des saints et non à son obligation. A ce
sujet, nous renvoyons à la Théologie
morale. L’Église n’enseigne pas que le culte des saints est nécessaire au
salut (Hurter, 3, 643).
L’invocation
des saints repose sur une raison aussi solide. Cette invocation s’appuie
immédiatement sur l’union des saints avec Dieu et l’intérêt qu’ils ont à la
diffusion de son royaume sur la terre. Par suite, l’opposition des protestants
au culte et à l’invocation des saints est sans raison et contradictoire.
On ne peut guère citer d’attestations
directes de l’Écriture concernant le
culte des saints. Mais on trouve des traces et des allusions en assez grand
nombre. Déjà l’Ancien Testament parle avec un grand respect des Patriarches et
des pères. « Leur nom vit de génération en génération et les peuples
célèbrent leur louange. » (Eccli., 44, 14-15).
Sirach nous présente toute une série de saintes figures (Eccli.,
44-50). Le Catéchisme romain s’appuie,
à bon droit, sur ces passages (P. 3, c. 2, q. 12). Il est dit du grand‑prêtre Onias et du prophète
Jérémie, morts l’un et l’autre, qu’en tant qu’amis de leurs frères sur la terre
ils prient beaucoup pour le peuple et la ville sainte (2 Macch.,
15, 12-14).
Jésus et les Apôtres
n’ont pas donné d’instructions sur le culte et l’invocation des saints. Mais
Jésus parle avec une haute considération de Moïse (Math., 23, 2 sq. Marc. 7,
10 ; 10, 3 ; 12, 26. Jean, 5, 45-46 ; 7, 23), de David (Math.,
22, 42-43), des trois Patriarches (Math., 8, 11 ; 22, 32. Luc, 16, 22) et
suppose qu’ils sont toujours unis avec le Dieu vivant (Math., 22, 32). Le
« sein d’Abraham » est pour lui, comme pour son temps, un lieu de paix (Luc, 16,
22). Les Apôtres présentent souvent comme modèles
moraux : Abraham (Rom., 4 ; Gal., 3 ; Jacq., 2, 21 sq.), Noé (2 Pier.,
2, 5), Job (Jacq., 5, 11), les saints de l’Épître aux Hébreux (11).
Les Pères. Le culte
proprement dit des saints, dans le christianisme, commence au 2ème
siècle. Or on rend tout d’abord un culte à ceux qui ont été spécialement
semblables au Christ, soit dans leur vie, par la prédication et la fondation du
christianisme, comme les Prophètes et
les Apôtres, soit dans leur mort, par
l’attestation de la vérité de la foi, comme les martyrs qui ont « bu avec lui le calice » (Math. 20, 22
et Apoc., 6, 9 sq.).
Le
premier témoignage se trouve dans le « martyre de S. Polycarpe ». On y fait immédiatement une distinction
dogmatique claire : « Nous adorons ce Christ, parce qu’il est le Fils
de Dieu ; quant aux martyrs, qui sont les disciples et les imitateurs du Seigneur,
nous leur témoignons l’amour qui leur convient à cause de l’honneur
incomparable qu’ils ont rendu à leur propre Roi. » (17, 3 ; cf. 18,
2). On trouve une attestation semblable dans le « martyre d’Ignace » rédigé, il est vrai, un peu
plus tard. On prit peu à peu, dans l’Église, l’habitude de célébrer l’anniversaire
de la mort des martyrs (dies natalis, jour de
naissance pour le ciel). Les païens célébraient le jour de naissance de leurs
défunts, les chrétiens le jour de la mort ; mais l’ancien nom subsista :
natale (Laboure, Bulletin d’ancienne
litt. et d’archéol. chrét.
(1913), 64). Nous savons par Tertullien
(De coron., 3) et S. Cyprien (Ep. 39,
3) que les chrétiens offraient, sur les tombeaux des martyrs ou auprès de ces
tombeaux, des sacrifices d’action de grâces en l’honneur de Dieu. Prier pour
les martyrs fut considéré comme une injure à leur égard, parce que, par le
baptême de sang, ils avaient été entièrement purifiés et unis au Christ. S. Augustin écrit : « A l’autel,
nous ne pensons pas à ceux‑ci (les
martyrs) comme aux autres qui reposent dans la paix, pour prier pour eux, mais
bien plutôt nous leur demandons de prier pour nous, afin que nous suivions
leurs exemples parce qu’ils ont observé l’amour qui, comme le dit le Seigneur,
est le plus grand de tous (In Joan., 84, 1). « Le peuple chrétien célèbre
en commun, avec une solennité religieuse, la mémoire des martyrs, tant pour s’exciter
à les imiter que pour participer à leurs mérites et être soutenu par leurs
prières, de telle manière cependant que nous n’élevons d’autels à aucun martyr,
mais à Dieu lui‑même, le Dieu des martyrs, bien que ce
soit sur les tombes des martyrs » (C. Faust., 20, 21 ; cf. Civ., 8, 27).
L’invocation des saints, pour obtenir leur
intercession, commença vers le milieu du 3ème siècle. Origène est le
premier, qui l’atteste clairement. Il s’appuie pour cela sur 1 Cor., 12,
26 ; 2 Cor., 11, 28 sq. (De orat., 11, 2 ;
In Num. hom., 26, 6 ; In Cant., 3). La foi à l’intercession
des saints trouve son expression dans les inscriptions tumulaires des
catacombes, dans les liturgies (S. Cyril., Cat. Myst.,
5, 9), dans les actes des martyrs et dans les litanies des saints.
Dans
les images des Catacombes, le culte des saints apparaît en union avec le Christ
en tant que souverain Juge. Les saints, surtout les Apôtres et les martyrs,
sont les assistants du Seigneur. Les défunts se mettent sous la protection de
S. Pierre et de S. Paul ou bien sont accueillis joyeusement par les saints à
leur entrée au paradis. D’autres images montrent le Christ en relations
amicales avec les saints : les martyrs sont à genoux devant lui et
reçoivent la couronne de vie.
Le
culte des saints s’étendit peu à peu, à partir du 4ème siècle, aux
saints non martyrs, aux confesseurs et aux vierges, ainsi qu’aux anges.
Se
montrèrent adversaires du culte des saints, Aëtius, Eunomius et surtout Vigilantius, un prêtre gaulois du monastère de S. Jérôme. Il
ne se contenta pas de lutter contre quelques abus en Palestine, mais il s’en
prit à tout le culte des saints. Pour lui, il n’y a pas d’intercession des
saints pour les fidèles sur la terre. Il fut réfuté par S. Jérôme (C. Vigilant.
et Ep. 109, ad Ripar).
Au Moyen‑Age, le culte et l’invocation des saints
prirent une grande extension. Ici, il est inutile de poursuivre la démonstration.
S. Thomas s’oppose à certaines
exagérations en distinguant nettement le culte de latrie et le culte de dulie
(S. th., 2, 2, 103, 3). Nous pouvons aussi prier les saints. Dieu leur révèle
nos demandes, ils sont par conséquent en état de nous protéger, et « en
vertu de leur intercession et de leurs mérites, nos prières obtiennent leur
effet » (Ibid., q. 83, a. 4).
C’est
précisément au culte du Moyen‑Age pour les
saints, que la polémique protestante reproche d’ordinaire la plus grossière
superstition et le fétichisme païen. Mais on accepte à l’aveugle ce jugement
implacable et on le transmet sans se donner la peine d’étudier sérieusement les
sources, ni d’examiner les questions fondamentales de psychologie, de religion
et de culture qui sont liées à ce culte. Or quand, par exemple, on a lu la
monographie de Siebert
(Étude sur le culte des saints et des reliques avant la Réforme (1907)), on est
agréablement surpris de voir l’exactitude et la pondération que la théologie
apporte généralement à l’étude de ce sujet. Assurément on rencontre, dans les
ouvrages d’ascétisme populaire, des « déviations » : ainsi,
quand on attribue au culte de certains saints, particulièrement des saints
patrons, une influence toute spéciale
et qu’on attend, de même, de certaines prières qui leur sont adressées, une
efficacité spéciale contre tous les maux du corps et de l’âme. C’est pourquoi
le Concile de Trente a déclaré :
« Il faut écarter toute superstition dans l’invocation des saints, dans le
culte des reliques et dans le pieux usage des images » (S. 15, De invocatione, etc.).
A
l’époque posttridentine, ce sont les controversistes
qui ont défendu avec le plus de zèle le culte ecclésiastique des saints,
surtout Bellarmin. La distinction scolastique du culte de dulie et de latrie
leur offrit pour cela l’arme la plus efficace. Au sujet des saints non historiques, Bellarmin se montre un
peu trop optimiste dans son jugement, tout en avouant le caractère apocryphe et
légendaire de mainte légende hagiographique. Quant à la confiance particulière
attribuée aux saints patrons et aux saints invoqués dans les cas désespérés, il la défend en disant
que Dieu, d’une manière générale, a voulu communiquer ses bienfaits par ses
saints et qu’il a pu répandre certains bienfaits en se servant de saints
déterminés.
On
ne pourrait faire qu’une objection
avec une apparence de raison, en faisant remarquer que nous n’avons pas le
droit d’attribuer aux saints l’omniscience et l’omniprésence et que, par suite,
il n’est pas certain qu’ils aient connaissance de nos prières. S. Jérôme répond à Vigilantius :
« Ils suivent l’Agneau partout où il va. Or si l’Agneau est partout, on
peut considérer que ceux qui sont auprès de l’Agneau sont partout présents » (Cont. Vigil., 6). Cette idée est difficile à réaliser. Bien
que nous ne sachions pas de quelle
manière les saints ont connaissance de nos prières et de notre culte, cela
n’est pas une raison suffisante pour contester le dogme. On peut ici recourir à
l’analogie des anges. Si ceux‑ci, comme l’atteste
l’Écriture (Tob., 12, 12 ; Luc, 15, 7 ;
Apoc., 5, 8), connaissent les hommes et sont instruits de leur sort, un peut
admettre quelque chose de semblable au sujet des saints, car eux aussi
« se tiennent devant Dieu » et voient dans sa lumière ce qui
correspond à leur situation dans le plan divin du salut. Aussi les Pères
supposent, dans leur enseignement sur ce point, que les saints ont de nous une
connaissance suffisante. S. Thomas
expose à ce sujet ce qui suit : « Les saints connaissent nos prières
et cela en Dieu dans lequel ils voient tout. Sans doute ils ne saisissent pas
Dieu d’une manière complète (compréhensive) ; ils doivent cependant
connaître en Dieu tout ce qui a rapport à eux ». Ils veulent savoir cela, c’est donc une partie de leur bonheur. Leur
bonheur ne serait pas parfait si ce
désir n’était pas satisfait. « Ils connaissent donc dans le Verbe éternel
les désirs, la dévotion et les prières des hommes qui ont besoin de leur
secours. » (Supplem., q, 72, a. 1).
Il est également permis et utile d’honorer
les reliques des saints. Les reliques sont les corps des saints, conservés en entier ou en partie. Au sens large,
on entend encore par reliques les objets
dont les saints se sont servis pendant leur vie et qui ont été en contact avec
eux, comme les vêtements, les livres, les maisons, les ustensiles.
Il y eut des adversaires du culte des reliques dès l’antiquité chrétienne :
les gnostiques et les manichéens, en raison de leur opinion
par rapport à la matière ; ensuite, Vigilantius, qui réprouvait le
culte des saints en général ; de même les iconoclastes de l’Église grecque. C’est contre ces derniers que
prit position le 2ème Concile de Nicée. Il condamna ceux qui osent
« rejeter les saintes reliques des martyrs » (Denz.,
304). Les protestants renouvelèrent l’opposition aux reliques. Le Concile de
Trente se prononça en faveur de leur culte : « De même, les saints
corps des saints martyrs et des autres saints qui vivent avec le Christ, qui
furent des membres vivants du Christ et des temples du Saint‑Esprit et qui seront ressuscités par lui et glorifiés
pour la vie éternelle, doivent être honorés par les fidèles. » (Denz., 985).
L’Écriture
ne peut pas être alléguée pour démontrer le culte des reliques, car nous ne
rencontrons nulle part dans l’Écriture un culte
des reliques. Cependant, on peut apporter des exemples où Dieu répand ses bienfaits
au moyen de choses qui seront appelées plus tard « reliques ». Nous
voyons ainsi un mort ressuscité par les ossements d’Élisée (4 Rois, 13, 21). Il
est dit de S. Pierre que son
« ombre » guérissait les malades (Act, Ap., 5, 15) ; de S.
Paul que, par sa « main », il se faisait des miracles et qu’on
imposait aux malades ses « mouchoirs » et ses « ceintures »
(Act. Ap., 19, 11 sq.).
Les Pères. Il est naturel
que le culte des reliques ne pouvait commencer qu’après
le culte des saints en général. Mais nous le voyons apparaître comme
conséquence immédiate du culte des saints. Il faut remarquer, ici encore, le
« martyre de Polycarpe ».
On y lit : « Nous avons enseveli ses restes, qui sont plus précieux
pour nous que des diamants de prix, dans un lieu convenable. » (Martyr. Polyc., 18 ; cf. 17). On trouve d’autres témoignages
en grand nombre dans les Actes des
martyrs, ainsi que dans les écrits des Pères, par ex. chez S. Ambroise (Ep. 22, 2), chez S. Augustin (Civ.,
1, 13 ; Conf., 9, 7), chez S. Jérôme
(C. Vigil., 5). Au sujet des différentes manifestations du culte des reliques,
comme au sujet de leur déposition dans les autels, de leur exposition dans des
écrins et dans des reliquaires, de leur élévation des tombeaux, de leur
translation, des pèlerinages aux tombeaux des saints, etc., nous renvoyons à la
liturgie.
Qu’il
se soit introduit aussi des abus dans ce culte, il est à peine besoin de le
mentionner. Il est certain que le pieux désir de posséder des reliques ne
pouvait pas toujours être satisfait : de là vient qu’il y eut des falsifications. Ce fut principalement le
temps des croisades qui fut favorable à l’introduction des fausses reliques. On
aimait surtout posséder des reliques (des fragments) de la vraie Croix. L’Église
dut souvent employer la menace des plus graves peines pour s’opposer au commerce et au vol des reliques : mais il était difficile de faire
disparaître l’abus. Léon XIII dut encore prendre des mesures dans ce sens,
comme l’avait fait Innocent III avant le Concile de Trente (Denz.,
440).
Mais
la dogmatique du Moyen‑Age n’a rien à faire avec les exagérations et
les abus de cette époque. La pondération de S. Thomas sur ce sujet est remarquable.
D’après lui, la créature sans raison n’est pas susceptible de culte, mais
seulement la créature raisonnable. Or, quand des choses, serait‑ce même la vraie Croix, sont honorées, elles
ne le sont que dans la mesure où elles représentent des personnes saintes,
comme les images, ou dans la mesure où elles ont été unies à des personnes
saintes, comme les reliques. En soi et du point de vue purement matériel, ces
choses n’ont droit à aucun honneur. « Mais nous devons honorer les saints
de Dieu comme les membres du Christ, les enfants de Dieu, nos amis et nos
intercesseurs. Et, par suite, nous
devons honorer aussi leurs reliques, surtout leurs corps qui furent les temples
et les instruments de l’Esprit‑Saint
demeurant et opérant en eux et qui seront semblables au corps du Christ dans la
glorieuse résurrection. Dieu lui‑même honore
ces corps en faisant des miracles en leur présence. » (S. th., 3, 25,
6 ; cf. a. 3-5).
Il
est bon de remarquer encore expressément que l’authenticité des reliques n’est pas exprimée par le dogme, mais doit
être prouvée historiquement. Personne n’est obligé
de croire à l’authenticité d’une relique. « La relique unique et la
plus précieuse, qui est garantie par la parole même du Seigneur, de la vérité
et de l’authenticité de laquelle on ne peut pas douter sans cesser d’être
enfant de l’Église, c’est celle que le Fils de Dieu nous a laissée dans le Très
Saint Sacrement. » (De Waal, Roma sacra (1905), 327).
Étant
donné que l’Église est allée jusqu’à instituer une fête particulière pour quelques
reliques du Seigneur, on pourrait se demander quel jugement il faut porter au
cas non impossible où la relique serait fausse.
Le bollandiste Ch. de Smedt répond (Notre vie surnaturelle, 1 (1919), 256 sq.)
d’une manière satisfaisante : Le culte des saints et des reliques des
saints n’est pas un culte absolu, mais un culte relatif, c.‑à‑d. un culte
qui ne s’adresse aux créatures que dans la mesure où elles sont en relation
avec le Créateur. »
L’Église
a également protégé le culte des images contre les attaques et l’a déclaré permis et utile.
Contre
l’usage des images introduit de bonne heure dans l’Église s’éleva une
opposition déraisonnable qui prit parfois des formes brutales.
Il
y eut dans l’Église grecque une lutte
passionnée contre les images, sous les empereurs Léon III et Constantin Copronyme au 8ème siècle et sous Léon V au 9ème
siècle. A cette époque, les Papes Grégoire II et Grégoire III se prononcèrent
en faveur du culte des images dans des synodes romains (727 et 731) ; il
en fut de même au 2ème Concile de Nicée (787). Ce Concile déclara le
culte des images « vénérable » ; il l’ordonna et le régla (Denz., 302-304). Lorsque Léon V recommença le conflit des
images, l’Église renouvela son antique déclaration au 8ème Concile
de Constantinople (869-870 : Denz., 337). Le
quiétiste Molinos déconseilla l’usage des images dans la prière, comme opposé à
la piété (Denz., 1238). (Cf. Dudon, Revue d’ascétique et de
mystique (1920), 20-35).
Le Concile de Trente put s’appuyer sur ces conciles, lorsque les Réformateurs et
surtout Carlstadt, Calvin, Zwingli déchaînèrent une
nouvelle guerre des images et causèrent de grands ravages dans l’Église
allemande et plus encore dans l’Église néerlandaise. Le Concile déclare contre
ces zélotes : « On doit placer et conserver, surtout dans les
églises, les images du Christ, de la Vierge, Mère de Dieu, et des autres
saints, et leur témoigner l’honneur et la vénération qui leur sont dus. Ce n’est
pas que l’on croie qu’il y ait en elles quelque chose de divin ou une force en
vertu de laquelle il faille les honorer ou que l’on doive leur demander quelque
chose ou qu’on doive placer sa confiance dans les images, comme le faisaient
jadis les païens qui mettaient leur espérance dans les idoles, mais l’honneur que nous leur rendons se rapporte aux
prototypes qu’elles représentent. » Ensuite, on fait valoir l’utilité des
images pour le peuple qui en tire facilement et volontiers instruction et
édification. Enfin, on dut mettre sérieusement en garde contre les abus (S.
25 : Denz., 984-988).
L ’Ancien Testament contient, par suite
du danger d’idolâtrie païenne, mainte interdiction
sévère du culte des images (Ex., 20, 4 sq. ; Lév.,
26, 1 ; Deut., 5, 7-9) et une ironie mordante à
l’égard des idoles (Ps. 113, 12 sq. ; Is., 44, 9 sq. ; Sag., 13, 10 sq.). Cependant, le culte juif n’est pas
dépourvu d’ornement sculptural (Ex., 25, 18. 3 Rois, 6, 32 ; 7, 36). Dans
le Nouveau Testament, on ne trouve pas d’allusion à un culte des images.
Les Pères. On n’a pas
de témoignage en faveur d’un culte
des images, mais on en a en faveur de leur existence
et de leur utilisation didactique. On
trouve surtout des attestations dans les recherches faites dans les catacombes.
Cf. aussi Tert., De pud., 7
et 10. Mais on ne peut rien déduire de précis, des écrits des Pères, concernant
un culte des images, bien que les
Pères signalent parfois les images : ainsi S. Grégoire de Nys., S. Jean
Chrysostome, les deux S. Cyrille, S. Augustin, S. Jérôme. S. Basile est celui qui parle avec le plus d’enthousiasme de la
valeur didactique des images. Hugo Koch (La question des anciennes
images chrétiennes, d’après les sources littéraires [1917]), distingue :
1° L’art païen et idolâtre que les chrétiens détestaient avec raison ; 2°
L’art profane et neutre, envers lequel ils se montraient réservés ; 3° L’art
religieux que l’Église cultivait. D’après l’auteur, le culte commença assez
tard ; il s’imposa au moment de la guerre des iconoclastes.
Dans
l’Église grecque, l’image (peinte) a
une grande importance. Qu’on songe à l’iconostase liturgique (vers 600) qui
est, d’après K. Holl, « le proscenium de l’antique théatre ».
Au sujet du conflit des images, il dit qu’il a un précédent dans le
paganisme : sous l’empire notamment, les opinions à ce sujet s’affrontèrent
vivement. « Alors que Sénèque et Varron représentaient l’antique point de
vue des stoïciens, Dion Chrysostome surtout prit énergiquement fait et cause
pour les images ». Dans le christianisme, le conflit se poursuivit ;
il se forma deux partis qui empruntèrent leur mot d’ordre aux païens. Les
païens disaient que les images n’existaient que comme le portrait d’un ami ; les amis chrétiens des images
dirent de même. Par contre, les adversaires païens des images disaient, avec
les stoïciens Sénèque et Varron, qu’il est incompréhensible qu’on représente
Dieu avec de la matière ; les adversaires chrétiens des images, Epiphane
et Eusèbe, pensèrent de même. On trouva choquantes les images du Christ comme
celles des anges. Quand Epiphane dit qu’on doit porter le Christ dans son cœur,
il répète ce qu’avait dit Sénèque au sujet de Dieu. Les amis des images
triomphèrent d’autant plus que, vers 500, après le conflit dogmatique, l’intérêt
se porta vers le culte et que les partisans groupés autour des stylites
allèrent jusqu’à « admettre l’idée grossière qu’il y avait dans l’image la
vertu de la personne représentée » (K. Holl). Quand la sœur de Constantin
demanda à Eusèbe de Césarée une image du Christ, il lui répondit :
« Nous ne devons pas porter notre Dieu en image comme les païens. » (Rauschen, Patrol, (1901), 136).
L’Occident
se montra plus modéré que l’Orient par rapport au culte des images. Le Concile
d’Elvire (306) récuse tout culte des
images : « Il ne doit pas y avoir d’images dans l’Église, afin que ce
qu’on offre à la vénération ne soit pas peint sur les murs » (Can. 36).
Même à l’époque suivante nous entendons des voix semblables dans l’Église. Sérénus de Marseille, Agobard de Lyon, Claude de Turin, un
Synode de Paris se montrèrent adversaires des images et insistèrent pour qu’on
les fasse disparaître des églises. Sans aucun doute, cette attitude hostile a
comme raison une mauvaise dogmatique et un culte superstitieux de la part du
peuple et des prêtres. C’est pourquoi Charlemagne lui‑même se montra opposé aux images et les
interdit dans les livres « carolins » et au Synode de Francfort
(794). Il semble que la raison profonde de ces décisions fut d’ordre
dogmatique. S. Grégoire le G. soutint la valeur didactique des images dans une
lettre à Sérénus de Marseille.
Au
Moyen‑Age, le culte
des images fit des progrès comme le culte des saints. S. Thomas justifie le culte des images en disant que, dans l’image,
on honore la personne représentée (S. th., 3, 25, 3). Bellarmin a à combattre les objections protestantes et se montre
par suite un peu plus réservé. Sa manière de voir est aujourd’hui la plus courante.
Le culte qui convient aux images est un culte secondaire (cultus quidam inferior, imperfectus, analogicus). On ne leur accorde ni dulie ni hyperdulie. Il
faut en dire autant des instruments de la Passion du Christ, dont, au reste, il
faut démontrer l’authenticité. La principale valeur des images est sans
contredit une valeur didactique. Par rapport aux images dites miraculeuses, il faut appliquer les
mêmes principes qu’aux autres images : les prescriptions du Concile de
Trente sont obligatoires pour ces images aussi. Il n’y a aucun lien causal
entre l’image elle‑même et les
grâces qui peuvent être accordées. Dieu lui‑même est la
cause efficiente ; il unit d’une manière purement extérieure sa causalité
à l’image ; il le fait non pas à cause de l’image elle‑même, mais à cause de la confiance que l’on a
dans l’intercession du saint représenté et cette confiance ne peut être, en
dernière analyse, qu’une confiance en Dieu lui‑même, en sa
bonté et sa grâce (Jean, 4, 24).
Les
objections faites contre le culte des
images sont faciles à réfuter par la dogmatique qui s’appuie sur le Concile de
Trente. L’Église elle‑même n’a
jamais enseigné un culte superstitieux des images. Si le peuple et même, ici et
là, des prêtres et des évêques l’ont pratiqué par ignorance, ces abus n’atteignent
pas la doctrine de l’Église. Hurter
signale, par rapport au culte des images, trois
conceptions : Quelques‑uns
affirment que les images, en soi, en tant que matérielles, n’ont droit à aucun
honneur, mais que l’on doit seulement, à leur vue, honorer les saints
invisibles. Une conception directement opposée est celle qui affirme que l’image
a droit au même culte que son prototype,
avec cette différence que le culte rendu au prototype est absolu et celui rendu
à l’image, relatif (S. th., 3, 25, 3). L’opinion moyenne est celle de ceux qui,
avec S. Robert Bellarmin, n’admettent pour l’image qu’un culte secondaire et ne
rendent à aucune image (de Dieu) le culte d’adoration (3, 659 sq.). Le Concile
de Trente dit, d’une manière générale : « Au moyen des images que
nous baisons, devant lesquelles nous nous découvrons et nous agenouillons, nous
adorons le Christ et nous honorons les saints que ces images représentent. »
Conclusion pratique. l. De tout
le traité résulte l’importance de la
doctrine de l’Église pour notre temps. On peut résumer cette importance dans
les points suivants. D’après les protestants, l’Église est une institution humaine.
D’après les modernistes, elle est le produit de l’évolution naturelle de l’immanence
vivante et de la permanence vitale. Les deux conceptions sont objectivement
identiques. D’après la doctrine catholique, l’Église est une institution
divine. C’est le Christ, l’Homme‑Dieu, qui l’a
fondée ; le jour de la Pentecôte, le Saint‑Esprit l’a
unie d’une manière durable à son principe divin et l’a introduite dans le
monde. Depuis ce temps, elle remplit la mission qui lui a été confiée dans l’humanité.
2.
Cette vérité est un fait historique qui peut être connu naturellement, mais c’est
aussi une vérité révélée à laquelle il faut s’attacher par la foi. Elle se
trouve dans le Credo latin comme dans
le Credo grec (Symbole des Ap. et Symb. de Nicée‑Const.). L’origine
surnaturelle de l’Église, ainsi que ses institutions et ses propriétés essentielles, sont des dogmes. En tant
que tels, ils sont d’une importance extraordinaire, moins à cause de leur
contenu matériel qu’en raison de leur nature formelle ; en effet, quiconque nie le dogme de l’Église ne
pourra pas avoir estime et foi pour les vérités de salut qu’elle annonce et les
sacrements qu’elle administre.
3.
La dignité et l’excellence de l’Église résultent de son origine divine, de son union
permanente avec le Christ et le Saint‑Esprit, et
enfin de l’abondance des moyens divins de vérité et de grâce qui lui ont été
confiés.
4.
La piété des catholiques est une
piété ecclésiastique, parce qu’elle s’exerce
conformément aux prescriptions et aux coutumes de l’Église et surtout en union
avec le sacrifice qui est accompli dans l’Église, la maison de Dieu, par les prêtres de l’Église établis pour cela.
Mais ce serait une grave erreur d’entendre cela d’une manière mécanique et
étroite, comme s’il ne restait pas de place pour l’exercice purement personnel de la religion. L’Église
conduit le fidèle à Dieu, « elle ne s’interpose pas entre Dieu et
lui », elle l’unit à Dieu, elle ne le sépare pas de Dieu. La piété
ecclésiastique n’empêche personne d’adorer Dieu dans le « temple de la
Création ». Les prières de ses psaumes contiennent des actes de culte de
ce genre et nous invitent de la meilleure manière à faire de même. Ce qui est
proscrit, c’est une piété et un culte de Dieu qui se manifestent dans une forme
purement naturelle et en opposition avec l’Église, qui cherchent, dans la
divinisation panthéiste de la nature et dans une passion maladive pour les
arts, un supplément au culte prescrit par l’Église.
5.
Quand on examine l’Église avec les yeux de la foi, on doit faire abstraction de
tout ce qui est accidentel ou temporel, et fixer son regard sur ce qui est
essentiel et éternel sur ce qu’il y a d’immuable et de divin ; cet
élément, il est vrai, a été de tout temps représenté par des personnalités
passagères, mais il reste cependant en soi une puissance qui dépasse toute
personnalité, qui est garantie et conservée par Dieu.
6.
Pour le catholique, la formule « sentire cum Ecclesia » [penser, ressentir avec l’Église] dans le
sens de la foi (je crois en l’Église,
une, sainte, catholique et apostolique), est un devoir évident qui résulte
immédiatement du dogme de l’Église en tant que « corps du Christ ».
Il est inutile de faire de cette formule une devise, car les devises passent
comme la mode.
7.
Celui qui croit que le chemin du ciel est plus facile en dehors de l’Église, a
pour le moins une foi dépourvue de clarté. Personne ne préférera un chemin
tortueux à un chemin droit et pas un homme raisonnable n’abandonnera une
promesse sûre pour un sort incertain. Si les hommes pieux de l’Ancien Testament
s’estimaient heureux d’appartenir à la synagogue, à plus forte raison le
chrétien catholique aura‑t‑il raison de répéter la parole du
psalmiste : « Mieux vaut un jour dans tes parvis que mille en dehors
des tabernacles de Dieu. » (Ps. 83, 11 ; cf. Is., 2, 3).
[Suite :
livre 6 : les sacrements. Bernard Bartmann
PRÉCIS DE THÉOLOGIE
DOGMATIQUE]