Édition par JesusMarie.com – ce livre est placé en copyleft – Paris 10 février 2020
Merci de prier pour la personne qui a travaillé deux ans pour réaliser cette nouvelle édition
PREMIÈRE
SECTION : La doctrine des sacrements en général.
§ 157. Notion
du sacrement
§ 158. Le
signe sacramentel. Matière et forme
§ 159. Les
effets des sacrements
§ 160.
L’efficacité objective des sacrements. L’ « opus operatum »
§ 161. Le mode
d’efficacité des sacrements
§ 162. Le
ministre des sacrements
§ 163. Le
sujet des sacrements
§ 164.
L’institution des sacrements par le Christ et leur nombre septénaire
§ 165. Les
sacrements de l’Ancien Testament. Les sacramentaux
§ 166. Les
sacrements et les mystères antiques
DEUXIEME
SECTION : La doctrine des sacrements en particulier
CHAPITRE 1 :
Le baptême
§ 167. Notion,
désignation, importance, institution
§ 168. Le signe
sensible du baptême
§ 169. Effet
et nécessité
§ 170.
Ministre et sujet
CHAPITRE 2 :
La confirmation
§ 171. Notion,
désignation, institution
§ 172. Le
signe sensible de la Confirmation
§ 173.
Ministre et sujet
§ 174. Effets
et nécessité de la Confirmation
CHAPITRE 3 :
L’Eucharistie
§ 175. Notion,
désignation, importance
1. La présence
réelle
§ 176.
Controverses et hérésies
§ 177. La
présence réelle d’après l’Écriture
§ 178. La
présence réelle dans la Tradition
§ 179. La
Transsubstantiation
§ 180. La nature
de la transsubstantiation
§ 181.
Totalité et durée de l’Eucharistie
§ 182. L ’Eucharistie
et la raison
2.
L’Eucharistie en tant que sacrement
§ 183. Le
signe sensible
§ 184.
Ministre et sujet
§ 185. Effets
et nécessité de l’Eucharistie
3.
L’Eucharistie en tant que sacrifice
§ 186. Le
sacrifice en général
§ 187. Réalité
du sacrifice de la messe
§ 188.
L’essence du sacrifice de la messe
§ 189. Les
effets du sacrifice de la messe.
CHAPITRE 4 :
La Pénitence
§ 190. Notion,
désignation, pénitence et péché, institution
§ 191.
L’universalité du pouvoir de remettre les péchés
§ 192. La
forme judiciaire de la rémission des péchés
§ 193. Le
signe sensible du sacrement de Pénitence
§ 194. La
contrition
§ 195. La
confession
§ 196. La
satisfaction
§ 197.
Ministre et sujet
§ 198. Effets
et nécessité
APPENDICE Les
indulgences
CHAPITRE 5 :
L’Extrême‑Onction
§ 199. Notion,
désignation, institution
§ 200. Le
signe sensible.
§ 201.
Ministre, sujet, effets
CHAPITRE 6 :
L’Ordre
§ 202. Notion,
désignation, institution
§ 203. Le signe
sensible
§ 204.
Ministre et sujet
§ 205. Effets
de l’ordination
CHAPITRE 7 :
Le mariage
§ 206. Notion,
désignation, institution
§ 207.
Ministre, sujet, signe sensible et effets
§ 208. Les
propriétés du mariage
Le Christ,
notre Rédempteur, en tant que Chef
mystique, fait couler sans cesse dans les membres de son corps, les forces de
grâce de la vie surnaturelle. Il le fait principalement et ordinairement par
les sacrements : « C’est par eux que la justice chrétienne commence,
par eux qu’on la conserve, qu’on l’augmente, et qu’on la recouvre si elle est
perdue » (Conc. De Trente, S. 6, c. 16 et proœm).
Ces paroles résument brièvement toute l’économie interne du traité que nous abordons.
Les sacrements constituent l’objet principal du ministère sacerdotal. On a pris
l’habitude, avec le Concile de Trente,
de faire précéder l’étude particulière
des sacrements d’une étude générale (Cf. Denz., 844
sq.). Le traité se divise ainsi en deux parties.
A
consulter : S. Thomas, S. th.,
3, 60 sq. et ses commentateurs. S.
Bonaventure, Breviloquium, p. 6. S. Bellarmin, De sacramentis
in genere (De controv., 4,
Venet., 1721). Suarez, De sacramento (18 sq., ed. Venet.,
1747). Cano, Relectio
de sacram. in genere (3 ed. Rom., 1890, 203
sq.). Lugo, De sacram.
in genere (Lyon, 1652). Tournely, Prælect. theol.
de sacram. in genere (Paris, 1739). Salmant, Cursus theolog. (17 sq., éd. Paris, 1880). Gonet, Clypeus
theolog. (5, éd. Paris, 1875). Frassen, Scotus
academicus (9 sq., éd. Rom., 1991). Drouven, De re sacramentaria contra perduelles hæreticos (Venet., 1756) ; cf. aussi Migne, Cursus complet. (20, 1154 sq.). Juenin, Comment. histor. et
dog. de sacram. (Venet.,
1740). Merlin, Traité historique et
dogmatique sur les paroles ou les formes des sept sacrements (Migne, loco cit.,
21, 121 sq.). Chardon, Histoire des
sacrements (ibid., 20, 1 sq.). Franzelin, De sacram. in gen. (4è éd., Rome, 1901). De Augustinis,
De re sacrament., 2 vol. (2° éd., Rome, 1889). Besson, Les sacrements ou la grâce de l’Homme‑Dieu (1879). Sasse, De sacram. Eccles., 2 vol. (1897 sq.).
Stentrup,
De sacramentis in genere
(1900). Noldin,
De sacramentis (17è éd., 1925). Lahousse, De sacramentis
(1900). Paquet, Comment. in S. th. d. Thomæ de sacrament.,
1 (2è éd., 1909). Tepa, Instit. Theol., 4 (1896). Billot,
De Ecclesiæ sacramentis (6è
éd., 1924). Gihr,
Les sacrements, 2 vol. (trad. Ph. Mazoyer). Pourrat,
La théologie sacramentaire (4è éd., 1910). - Au sujet du pouvoir de l’Église
sur les sacrements : Dict. théol.,
l, 2416-2432. A. de Smedt, De sacramentis in gen. de baptismo et confirmatione
(2è éd., 1925). Lépicier,
Tractatus de sacramentis in communi
(1921). Van Noori,
De Sacramento (3è éd., 1919). Verhelst,
Les sacrements (1923). Bittremieux,
L’institution des sacrements d’après S. Bonaventure (1924). Capello, Tractatus canonico‑moralis
de sacramentis (1926). De Ghellinck, Pour l’histoire du mot
« sacramentum » (Paris, 1924)
A
consulter : Pourrat, 1 sq. Orion, Étude historique sur la notion du
sacrement depuis la fin du 1er siècle jusqu’au Concile de Trente. Em. de Backer,
Sacramentum. Le mot et l’idée représentée par lui dans les œuvres de Tertullien
(1911).
Le Catéchisme Romain décrit le sacrement
comme un signe sensible qui possède, en vertu de l’institution divine, la
puissance de signifier et de produire la sainteté et la justice. « Il faut
donc dire, pour donner une idée plus complète et plus juste des sacrements, que
ce sont des choses sensibles auxquelles Dieu a donné la vertu de signifier et
de produire en même temps la justice et la sainteté. » (P. 2, c. 1, q.
11 ; cf. Trid., s. 13, c. 3).
L’explication du mot n’éclaire guère la
notion. Sacrement, sacramentum (de sacer, sacrare) est employé par la Vulgate comme traduction du mot grec μυστήριον.
Ce mot signifie, en général, dans l’Écriture, mystère (Sag.,
2, 22 ; 6, 24. Tob., 12, 7, 11. Dan., 2,
18 ; 30, 47 ; 4, 6). Dans le Nouveau Testament, il sert à caractériser
l’ensemble du fait divin de la Rédemption. En général, la Vulgate latinise μυστήριον en
« mysterium », mais elle le traduit seize
fois par « sacramentum », sans qu’on puisse reconnaître dans ce
changement de traduction la moindre différence de sens. Pour le Nouveau
Testament, cf. Eph., 1, 9 ; 3, 3 ; 3,
9 ; 5, 32. Col., 1, 27. 1 Tim., 3, 16. Apoc., 1,20 ; 17, 7. La
signification principale du mot μυστήριον
demeure secretum
(secret, mystère), pour désigner une vérité ou un fait qui étaient cachés
jusque‑là, surtout par rapport à notre salut (Rom., 16, 25 ; Eph., 1, 9 ; 3, 3 ; 3, 9). Très apparenté à ce
sens est celui de symbole, de type, dont il est assez difficile de déterminer
la signification. Le pluriel μυστήρια
est employé, dans le langage religieux antique, comme on le sait, pour désigner
les rites d’initiation au culte des mystères (Cf. Dict. Apol.,
3, 964-1014 : Les Mystères).
Chez
les premiers Pères, μυστήριον se
rencontre assez peu. On ne peut guère citer que S. Ignace et S. Justin qui l’emploient
dans le sens qu’on vient d’indiquer. Il est plus courant chez les Grecs, bien
que sa notion ne soit pas ferme et qu’on l’emploie plutôt dans le sens de
connaissance des mystères, depuis Clément
d’Alexandrie. Celui‑ci, comme on
sait, insiste plus fortement sur la vérité religieuse (γνῶσις)
que sur les signes rituels des sacrements et la hiérarchie (Cf. Prat. La
théologie de S. Paul (4è éd., (1913), 393 sq.).
Dans
la littérature profane,
« sacramentum » signifie soit une somme
d’argent déposée, à l’occasion d’un procès, dans un lieu saint et que la
partie perdante doit abandonner pour une cause pieuse, ou bien le serment de fidélité des soldats. C’est en
souvenir de ce serment que Tertullien appelle la promesse de fidélité du
baptisé « sacrement » (Ad mart., 3). D’autres
affirment que « sacramentum » est déjà, vers l’an 150, la traduction
de μυστήριον
et signifie « rite sacré » ou « vérité sacrée » et que le
serment des soldats n’a exercé aucune influence sur ce mot.
La notion
de sacrement n’est pas encore traitée pour elle‑même chez les Pères. Mais il est cependant facile de
montrer quelle fut leur conception à ce sujet en examinant leurs exposés sur la
nature et les effets de chaque sacrement. Cela est facile à établir pour le
principal sacrement, le Baptême, et même pour l’Eucharistie. Par contre, on ne
peut pas tirer grand profit de l’emploi du mot « sacrement » par les
Pères ; en effet, ce mot, chez eux, a un sens très large et on peut
entendre par là toute chose sainte et toute fonction rituelle.
Ainsi
Tertullien appelle sacrement la
doctrine chrétienne (Præscript., 20), la doctrine de
la Trinité (Adv. Prax., 2), toute la religion
chrétienne (ibid., 30), la foi (De bapt., 13). Mais,
au sens intensif, le baptême est pour lui un sacrement, un « heureux sacrement »
(De bapt., 1), parce qu’il est l’expression
extérieure et le signe distinctif de la foi. Sous son aspect extérieur, le
baptême est le « sceau du Saint‑Esprit »
(Ibid., 13). Il est le « sacrement de la foi » (De pudic., 18, 19), parce qu’il renferme en lui l’acceptation
de la foi et de la vie de foi. A côté du baptême, l’Eucharistie est un
sacrement (sacramentum Eucharistiæ ; de cor.
mil., 3). Tout sacrement consiste en rite extérieur auquel correspond un effet
intérieur : « Le corps est lavé, afin que l’âme soit purifiée ;
le corps est oint, afin que l’âme soit sanctifiée, le corps est signé, afin que
l’âme soit fortifiée ; le corps est couvert par l’imposition des mains,
afin que l’âme soit éclairée par le Saint‑Esprit ;
le corps mange la chair et le sang du Christ, afin que l’âme soit nourrie de
Dieu. » (De res. Carn.,
8). Cependant la réception des sacrements demande une préparation ; Dieu
ne donne pas sa grâce aux indignes (De pœn., 6). De
même, la vraie foi est nécessaire ; par suite, les hérétiques n’ont pas le
même baptême que l’Église ; ils ne peuvent pas donner ce qu’ils n’ont pas
(De bapt., 15.). S.
Cyprien juge comme Tertullien. Il emploie le mot sacrement au sens large
pour désigner les institutions les plus diverses du christianisme, mais principalement
pour désigner le baptême. Lui aussi exige la vraie foi (Ep. 69, 12 ; 75,
7, 9-11). Cependant les enfants eux‑mêmes
doivent recevoir le baptême, parce qu’ils en ont besoin (Ep. 64, 5). Il
mentionne, parmi les sacrements proprement dits, en dehors du baptême, la
Confirmation, l’Eucharistie, la Pénitence, l’Ordre.
S. Cyrille de Jérus. trouve maintes fois l’occasion de parler des sacrements
devant les catéchumènes. L’homme
étant composé de corps et d’âme, il a besoin d’une double purification :
« L’eau lave le corps, marque l’âme de son sceau… Ne regarde pas seulement
l’élément de l’eau, mais reçois le salut dans la vertu du Saint‑Esprit » (Cat., 3, 4). Il consacre aux
trois premiers sacrements ses catéchèses mystagogiques. S. Ambroise adresse aux catéchumènes un livre sur les
« mystères » (De mysteriis), dans lequel il
traite également des trois premiers sacrements. Lui aussi distingue l’élément et la vertu divine : « L’eau ne purifie pas sans l’Esprit qui
donne la grâce... Car qu’est l’eau sans la Croix du Christ ? Un élément
ordinaire sans aucune espèce d’effet salutaire. » (De myst.,
4).
S. Augustin est celui
de tous les Pères qui a fait le plus pour préciser la notion de sacrement. Il y
fut déterminé par la controverse contre les donatistes qui faisaient dépendre l’efficacité
des sacrement de la sainteté du ministre (celui qui n’a
pas, que donne‑t‑il, comment
le donne‑t‑il ?),
et surtout par la controverse contre les pélagiens. Dans cette lutte, il se fit
une idée plus claire de la nature du sacrement, dans lequel il reconnut un
moyen objectif de grâce. Jusque‑là il avait insisté surtout, comme Tertullien
et S. Cyprien, sur les dispositions subjectives ;
de plus en plus, dès lors, il mit l’accent sur le sacrement objectif. Sans
doute, il conserve au mot « sacrement » son sens large, mais il place
au premier plan les sacrements proprement dits ; il leur donne d’ailleurs
ce nom sauf à la Pénitence et à l’Extrême‑Onction.
Un
sacrement est pour lui, d’une manière générale, « un signe sensible de la
grâce invisible » (visibile signum
invisibilis gratiæ),
« un signe d’une chose sacrée » (signum rei
sacræ). Il part donc du signe extérieur ; mais
ce signe doit être un symbole du spirituel et lui être semblable. « Si les sacrements n’avaient pas une certaine
ressemblance avec les choses dont ils sont les sacrements (les signes, les
symboles), ils ne seraient pas du tout sacrements. A cause de cette
ressemblance ils reçoivent le nom de ces choses elles‑mêmes (Ep. 98, 9). Sous cette notion il fait
rentrer tous les rites saints, y compris ceux de l’Ancien Testament. Ce serait
cependant erroné d’attribuer à S. Augustin, en raison de sa forte insistance
sur le « signe » (similitudo), une notion
symbolique des sacrements ; les sacrements du Nouveau Testament, tout au
moins, sont pour lui des signes efficaces.
Il accentue sans doute la « significatio sanctitatis », mais connaît aussi l’« efficacia gratiæ ».
Un
sacrement est, pour lui, un signe religieux ; mais ce n’est pas un signe
vide : il contient en lui la grâce,
qu’il porte et garantit invisiblement. « Une chose est de recevoir le
sacrement, autre chose est d’en recueillir les fruits. » (In Joan., 26,
11). La grâce est la vertu des sacrements : « les mystères étaient
communs à tous, mais la grâce qui est la force des sacrements, n’était pas
commune à tous. » (Enarr. in
Ps. 77, 2 ; cf. In Ep. Joan. 6, 10 ; De unit. Eccl.,
3). Autre chose est l’apparence extérieure, autre chose le contenu des
sacrements : « les sacrements montrent une réalité, et en font
comprendre une autre. Ce que nous voyons est une apparence corporelle, tandis
que ce que nous comprenons est un fruit spirituel » (Sermo
272 ; cf. De doct. Christ., 2, 1, 1).
Bien
que l’Ancienne Alliance ait eu des
sacrements, ils ne se confondent pas avec ceux de la Nouvelle Alliance. Ceux‑là promettaient
le salut, ceux‑ci le donnent (Enarr. in
Ps. 73, 2). « Les sacrements sont changés : ils sont devenus plus
faciles, moins nombreux, plus salutaires, plus heureux. » (Ibid). Nous aurons à signaler plus loin d’autres points
importants dans la doctrine sacramentaire de S. Augustin. On peut dire, pour
conclure, que, dans la pensée de S. Augustin, le sacrement est un signe
objectif de la grâce divine. Cela s’applique tout au moins aux sacrements
chrétiens. Ce qui est moins accentué, c’est l’institution par Jésus‑Christ. La
raison de ce fait, c’est la notion encore large du sacrement.
S. Isidore de Séville (+ 636)
insiste, dans le sacrement, sur l’effet mystérieux. « Ob id dici sacramenta, quia sub tegumento rerum
corporalium virtus divina secretius operatur, nempe a secretis virtutibus vel sacris. » (Etym., 6, 19, 40 : M. 82, 255). Cette
définition plutôt linguistique est purement et simplement reproduite par les
théologiens de l’époque carolingienne, par ex. par Raban Maur (De universo, 5, 11 : M.
111, 133). A côté, on connaît aussi une explication formée d’après S. Augustin. (Ep. 55, 2). Paschase Radbert la donne en ces termes :
« Sacramentum igitur est quidquid
in aliqua celebratione divina quasi pignus salutis traditur, cum res gesta visibilis
longe aliud invisibile operatur, quod sancte accipiendum sit ; unde et sacramenta diéuntur aut a secreto (S. Isidore) eo quod in re visibili divinitas intus aliquid ultra secretius efficit per speciem corporalem (S. Augustin), aut a consecratione sanctificationis,
quia Spiritus Sanctus manens
in corpore Christi latenter
hæc omnia sacramentorum mystica sub tegumento visibilium
pro salute fidelium operatur. » (De corp. et
sang. Dom., 3, 1 : M. 120, 1275). Trois
éléments apparaissent dans cette description : le signe extérieur (res gesta visibilis),
la grâce intérieure (pignus salutis
invisibile), la vertu divine de l’Esprit‑Saint. Il compte comme sacrements : le
baptême, la Confirmation, l’Eucharistie ; ensuite l’Incarnation, le
serment, toute l’œuvre de la Rédemption et enfin la Sainte Écriture.
La
Scolastique primitive fut déjà
excitée, par l’hérésie de Bérenger qui comprenait le « signum »
augustinien d’une manière trop étroite (figura), à examiner de plus près la
vraie notion du sacrement et, ce faisant, à insister non seulement sur le
signe, mais encore sur l’efficacité. A ce sujet, Hugues de Saint‑Victor mérite
particulièrement d’être signalé. Il ne se contente pas de distinguer, dans l’Eucharistie,
d’une manière précise, « species visibilis, veritas
corporis » et « virtus gratiae spiritualis » (De sacr., 2,
8, 7) - c’était la doctrine de S. Augustin, mais améliorée dans le sens anti‑bérengiste - il donne
encore la définition souvent citée du sacrement, dans laquelle il fait
ressortir l’élément, le signe, l’institution et la grâce sanctifiante :
« Sacramentum est corporale vel
materiale elementum foris sensibiliter propositum, ex similitudine repræsentans, ex. institutione significans et ex sanctificatione
continens aliquam invisibilem et spiritualem gratiam. » (De sacr., 1, 9,
3). De leur nature déjà, le signe et la grâce ont une certaine ressemblance
(par ex. dans le baptême), mais cela ne suffit pas : il faut que l’un et l’autre
soient unis ensemble par l’institution
- qu’il est le premier à introduire dans la définition. En effet, le naturel ne
peut pas, à proprement parler, désigner le surnaturel ; tout au plus peut‑il l’insinuer. Il faut observer ensuite qu’Hugues
unit intimement sacrement et grâce. Avec les Grecs, avec S. Léon et S. Isidore,
il trouve que la vertu sanctifiante existe par la bénédiction dans l’élément.
Il réunit une fois les points suivants : « Deus medicus,
homo ægrotus, sacerdos minister, gratia antidotum, vas
sacramentum. » (De sacr., 1, 9, 4 : M.
176, 323). Hugues voit, dans le baptême et l’Eucharistie, les sacrements
principaux, mais il désigne sous le nom de sacrement à peu près tout ce que l’Église
contient et possède. Sa conception extérieure, d’après laquelle les sacrements
consistent « in rebus, factis, dictis », est reprise par d’autres théologiens. P. Lombard signale, à côté du signe, la
causalité : le sacrement n’est pas seulement signe, mais encore cause de
la grâce. « Sacramentum proprie dicitur quod ita signum est gratiæ Dei et invisibilis gratiæ forma ut ipsius imaginem gerat et causa existat. »
(Sent. 4, dist. 1, n. 2). Il est le premier
scolastique qui applique cette notion aux sept
sacrements de la Nouvelle Alliance. Étant donné son prestige comme
« magister », cela est d’une grande importance. Guillaume d’Auxerre (+ 1232) répète la définition de Hugues :
« Le sacrement est la forme visible de la grâce invisible, de telle sorte
que cette forme exprime la ressemblance avec la grâce et est cause de cette
grâce. « Forme » a encore ici le sens qu’avait ce mot avant l’aristotélisme
et désigne tout le rite extérieur du sacrement.
S. Thomas donne cette
définition : « le sacrement proprement dit... est le signe d’une
chose sacrée en tant qu’elle sanctifie l’homme. » (S. th., 3, 60, 2). Les
sacrements sont des signes, plus précisément des signes sacrés, mystérieux.
Mais tous les signes saints ne sont pas des sacrements ; un signe n’est
sacrement que dans la mesure où il sanctifie les hommes (differentia
specifica). S. Thomas fait rentrer l’effet (de grâce) dans la notion :
« Tout signe d’une chose sacrée n’est pas un sacrement… on ne donne ce nom
qu’aux choses qui signifient la perfection
de la sainteté de l’homme » (S. th., 3, 60, 2 ad 3). A ce signe s’unissent
aussi les paroles. Signe et paroles
constituent le sacrement, qui, en tant que symbole, signifie la grâce et, en
tant que cause instrumentale, de par la volonté et l’intention de Dieu, opère
aussi cette grâce (S. th., 3, 60 et 62).
S. Bonaventure se rattache
à S. Augustin, à S. Isidore et Hugues, et unit leurs déclarations. « Sacramenta sunt signa sensibilia divinitus instituta tamquam medicamenta, in quibus sub tegumento rerum
sensibilium divina virtus secretius operatur, ita quod ipsa ex similitudine naturali repræsentant, ex institutione significant, ex sanctificatione conferunt aliquam spiritualem gratiam, per quam anima curatur ab infirmitatibus vitiorum. et ad hoc principaliter ordinantur tamquam ad finem ultimum ; valent tamen ad humiliationem, eruditionem et exercitationem, sicut ad finem, qui est sub fine » (Brevil., p. 6,
c. 1).
Scot insiste fortement, dans sa notion de
sacrement, sur le signe, que suit
parallèlement la communication de la grâce opérée par Dieu. « Sacramentum signum, sensibile, gratiam Dei vel effectum Dei gratuitum ex institutione divina efficaciter significans, ordinatum ad salutem hominis viatoris. » (In 4, dist. 1, q. 2,
n. 9). Ce n’est pas dans le sacrement lui‑même qu’il
trouve la vertu divine, mais seulement dans la volonté de Dieu : « Susceptio sacramenti est dispositio necessitans ad effectum signatum per
sacramentum, non quidem per aliquam
formam intrinsecam... sed tantum per assistentiam Dei causantis
illum effectum non necessario absolute sed necessitate respiciente potestatem ordinariam. Disposuit enim Deus universaliter et de hoc
Ecclesiam certificavit,
quod suscipienti tale sacramentum ipse
confert et effectum signatum. » (In 4, dist. 1,
q. 5, n. 13).
Le
Concile de Trente tient compte, sans
doute, de la doctrine générale des sacrements, mais c’est plutôt pour réfuter
les objections protestantes que pour donner un exposé positif. Il dit cependant
de l’Eucharistie qu’elle surpasse les autres sacrements, mais leur est conforme
en ce qu’elle « est le symbole d’une chose sainte et une forme visible de
la grâce invisible » (S. 13, c. 3). Il n’y a pas d’autre définition
officielle ; celle du Catéchisme
romain a été citée plus haut (p. 230). S. Robert Bellarmin en fait le plus
grand éloge. Des théologiens récents voudraient l’améliorer en y ajoutant l’élément
de durée.
La
définition métaphysique comprend le
genre prochain et la différence spécifique. Selon le genre prochain, les
sacrements de l’Ancien comme du Nouveau Testament sont des signes (S. Thomas). La différence spécifique des
sacrements du Nouveau Testament réside dans le fait qu’ils peuvent aussi produire ce qu’ils signifient ; ce qui ne s’applique pas aux sacrements de l’Ancien
Testament (ils ne communiquaient pas la grâce, mais la figuraient : Denz., 695).
Les Réformateurs n’avaient plus de place,
dans leur système de justification par la foi seule, pour un moyen extérieur et
efficace de grâce. Luther voulait même au début repousser le mot de sacrement.
Si l’on garda quelques sacrements, ce fut en raison de leur importance
historique, mais en contradiction avec le système tout entier. Tout au plus, le
sacrement peut‑il être une garantie extérieure ou une déclaration de
la justice juridique (forensis).
« D’après
Luther, la grâce est la disposition
paternelle de Dieu, qui, à cause du Christ, appelle à lui l’homme pécheur et l’adopte
en obtenant sa confiance par la foi au Christ souffrant. A quoi peut servir dès
lors le sacrement ? » demande Harnac (H.
D., 4è éd., 3, 852). D’après la Confession d’Augsbourg (p. 1, art.
13), les sacrements sont des moyens d’éveiller et de favoriser la foi, en
donnant à celui qui les reçoit l’assurance des promesses divines, dont il a d’ailleurs
la garantie dans sa foi fiduciaire et l’Évangile qui lui parle de l’amour
miséricordieux du Père. Lemme lui‑même se demande s’il ne faut pas un degré plus élevé de foi pour pouvoir se passer
de cette assurance que donne le sacrement (Doctrine de foi, 2 (1919), 156).
Le
Concile de Trente opposa nettement à
la conception protestante des sacrements la conception catholique :
« Si quelqu’un dit que ces sacrements n’ont été établis que pour nourrir
la foi, qu’il soit anathème » (S. 7, De sacram. in gen., can. 5). « Si quelqu’un
dit que les sacrements de la nouvelle Loi ne contiennent pas en eux la grâce qu’ils
signifient, ou bien qu’ils ne confèrent pas la grâce elle‑même à ceux qui ne s’y opposent pas, ou bien
qu’ils ne sont que des signes extérieurs de la grâce
ou de la justice reçue par la foi, et des marques de la profession de foi
chrétienne, par lesquelles les fidèles se distinguent, devant les hommes, des
infidèles, qu’il soit anathème » (Ibid., can. 6 : Denz.,
848 sq.).
R. Seeberg raconte à
ses lecteurs que, dans la Scolastique, « la doctrine sacramentaire, telle
qu’elle fut acceptée sans changement par le Concile de Trente, eut deux motifs d’évolution : la matérialisation
de la grâce et la notion hiérarchique de l’Église. Dans les sacrements s’écoule
la grâce, mais ce sont les prêtres qui font les sacrements. » Or c’est ce
qu’enseigne déjà S. Pierre dans son discours de la Pentecôte (Act. Ap., 2, 38). Au sujet du
« caractère impérieux » de la grâce, cf. § 112 et 126.
Dans
les négociations très actives de nos jours pour l’union des Églises, les Grecs et les Russes conservent toujours la manière de voir de l’ancienne Église.
On peut l’affirmer aussi des anglicans
d’Angleterre et d’Amérique.
L’« Église
orientale » garde pour désigner le sacrement le mot biblique « mysterium » et en donne (Gallinicos,
38) une définition semblable à la nôtre. « Les mystères sont des
cérémonies saintes qui nous ont été transmises par le Christ et les Apôtres, et
dans lesquelles, sous des signes visibles, nous est communiquée la grâce divine
invisible. » « Ces mystères sont au nombre de sept. » Pour
administrer légitimement ces mystères, il faut : « 1° Un ministre
régulièrement ordonné et qui accomplisse l’action sainte ; 2° La matière
prévue pour chaque sacrement ; 3° Les paroles appropriées, car c’est quand
elles sont prononcées que la matière devient le conducteur de la grâce
spécifique de chaque sacrement. » Les Orientaux ne connaissent pas
formellement l’« opus operatum »,
mais il se trouve dans les trois points que nous venons de citer. Ils insistent
beaucoup, comme nous d’ailleurs, malgré l’« opus operatum », sur les dispositions subjectives.
On a distingué dès le commencement deux aspects dans le sacrement : l’aspect
extérieur ou le signe et l’aspect
intérieur ou la grâce. Mais depuis S.
Augustin, le signe seul est
appelé sacrement (cf. plus haut, p. 231) et ce signe lui‑même est divisé en deux composants, un composant
matériel et un composant formel ; autrement dit, l’élément et la parole.
La Scolastique ramène ces composants aux catégories aristotéliciennes de la
matière (materia) et de la forme (forma). C’est la
traduction en langage métaphysique de ce qu’avait exprimé S. Augustin dans sa
célèbre formule : « La parole se joint à l’élément, et aussitôt se
fait le sacrement » (In Joan., 80, 3).
On distingue encore, depuis environ 1250,
la matière sacramentelle en matière éloignée
et en matière prochaine (materia remota
et m. proxima). La matière est éloignée quand on
envisage l’élément en soi et pour soi (substantia materialis). Elle est prochaine dans son application
sacramentelle (applicatio seu
usus). Ainsi, par ex., dans le baptême, l’eau est la matière éloignée, l’ablution
faite avec l’eau est la matière prochaine.
Cette
terminologie n’a pas été dogmatisée, mais elle est d’usage général et a été
prise en considération par le Concile de Trente,
de même que par Eugène IV et le Catéchisme romain. Les différentes
interprétations et les diverses applications du schéma de la matière et de la
forme seront expliquées quand on traitera de chaque sacrement en particulier.
L’Écriture nomme tout d’abord, d’une
manière très nette, un élément à propos des sacrements principaux, le baptême
et l’Eucharistie ; pour le baptême, l’eau (Jean, 3, 5 ; Math., 28,
19 ; Eph., 5, 26) et, pour l’Eucharistie, le
pain et le vin (Math., 26, 26-28 ; 1 Cor., 11, 23-26). On trouve ensuite
un élément pour l’Extrême‑Onction
(Jacq., 5, 14). Dans la Confirmation, on peut considérer l’imposition des mains
comme élément (Act. Ap., 8,
17).
Chez
les Pères, c’est surtout le baptême
qui permet de faire cette distinction. C’est à propos du baptême que S.
Augustin écrit cette phrase souvent citée. « Enlevez la parole, que sera l’eau,
sinon de l’eau ? La parole s’ajoute à l’eau pour faire un
sacrement. » (In Joan., 80, 3). « Ôte l’eau, il n’y a plus de
baptême ; ôte la parole, le baptême n’existe plus » (In Joan., 15,
4).
La
Scolastique adopta d’abord la formule
augustinienne de l’élément et de la parole ; elle appela l’élément la
« matière » et la parole la « forme ». Cependant elle n’entendait
pas la « forme » au sens philosophique, mais en tant que « forma
verborum » (les mots de la formule d’administration).
Après l’introduction de l’aristotélisme, la signification du mot forme devint
peu à peu celle que nous lui connaissons aujourd’hui et on se représenta les
sacrements comme constitués par les deux composants que sont la matière et la
forme : la matière est l’élément sacramentel à déterminer, la forme est l’élément
déterminant. La priorité de l’usage courant aujourd’hui est d’ordinaire
attribuée à Guillaume d’Auxerre. A la fin du 13ème siècle, c’est une
expression commune de l’École. S. Thomas
dit : « dans les sacrements les paroles remplissent le rôle de la
forme, et les choses sensibles celui de la matière » (S. th., 3, 60, 7).
Eugène IV se rattache à la Scolastique et emploie sa terminologie dans son
instruction pour les Arméniens : « Hæc omnia sacramenta tribus perficiuntur,
videlicet rebus tamquam materia, verbis tamquam forma, et personna ministri conferentis sacramentum,
cum intentione faciendi
quod facit Ecclesia. »
(Denz., 695 ; cf. aussi Trid.,
S. 14, c. 3 : Denz., 986). Cette formule se
trouve aussi dans le Catéchisme romain.
On peut donc parler d’un usage dogmatique général qui exige qu’on en tienne compte.
Le
sens de la formule est figuré, analogique
et non philosophique. De même que, d’après la philosophie aristotélicienne‑scolastique, les choses naturelles sont
constituées par un élément indéterminé, la matière, et un élément déterminant,
la forme, de même aussi le sacrement
est composé d’une action indéterminée en soi et comportant plusieurs sens, et
de paroles qui la déterminent. Ainsi, par ex., une ablution peut avoir en soi
plusieurs fins ; mais, dans le baptême, sa nature sacramentelle est
nettement déterminée par la forme, par les paroles. Les deux éléments
constituent, par suite, nécessairement une unité. Mais alors que dans les
choses naturelles la matière et la forme constituent une unité physique, elles
constituent dans les sacrements une unité extérieure, morale. C’est pourquoi
aussi, dans le sacrement, elles peuvent admettre une séparation temporelle,
comme c’est le cas, parfois, dans la Pénitence et le mariage, pourvu que leur
connexion morale reste reconnaissable. Cependant, dans le baptême, la
Confirmation, l’extrême‑onction, l’Ordre,
elles doivent rester étroitement unies, parce que, dans ces sacrements, la forme
exige et suppose la présence de la matière. Dans l’Eucharistie, la forme doit
être conçue comme un élément constitutif essentiel du sacrement, en tant qu’elle
cause le sacrement, et ensuite persévère moralement dans le sacrement (comme
sacramentum permanens).
S. Thomas se réfère, pour marquer l’importance
de la forme et de la matière, au Christ, le sacrement vivant de l’humanité, dans
lequel se trouve également une union de la Parole divine et de la nature
humaine visible ; ensuite à la nature humaine qui est composée de corps et
d’esprit : la matière sacramentelle touchant le corps et la forme ou la
parole portant la foi dans l’âme ; et enfin au signe lui‑même qui sans la parole ne serait pas
suffisamment clair (S. th., 3, 60, 6).
Les
paroles « consacrent », « sanctifient » tant le signe que le sujet du sacrement lui‑même :
1° Le signe, en tant qu’elles élèvent l’action naturelle du sacrement à l’être
surnaturel d’un moyen de grâce ; 2° Le sujet du sacrement, en produisant
en lui, précisément en tant que forme, l’effet sanctifiant de la grâce. D’après
la doctrine sacramentaire protestante,
les paroles, comme tout le sacrement, n’ont qu’une importance didactique, en
tant qu’elles assurent le sujet de la promesse divine de la rémission des
péchés (verba concionalia, promissoria).
Thèse. Les paroles de la forme ont, d’après la
doctrine catholique, une vertu sanctifiante, consécratoire
(verba sacramenti sunt consecratoria).
L’Écriture
indique la conception catholique en attribuant aux paroles de bénédiction un
effet absolument objectif. Ainsi S. Paul parle du « calice de bénédiction
que nous bénissons » comme d’une participation au sang du Seigneur (1
Cor., 10, 16). Le calice est donc élevé par
la bénédiction à un être surnaturel. Quant aux paroles de l’administration du
baptême, il les appelle des « paroles de vie », en considération du
sujet dans lequel elles produisent la vie. « D’où vient une telle vertu de
l’eau », demande S. Augustin, « qu’elle touche le corps et purifie le
cœur, si ce n’est de l’effet de la parole ? » (In Joan., 80, 3). Il
ajoute que la parole n’a pas cette vertu comme simple parole matérielle, mais à
cause de son contenu saisi par la foi (non quia dicitur
sed quia creditur). C’est
ainsi également que S. Thomas
explique l’importance de la parole (S. th., 3, 60, 7 ad 1 ; 60, 4 ad 3). Bellarmin et les théologiens
controversistes se servirent de la proposition formulée ci‑dessus pour combattre la théorie protestante.
Bellarmin dit : « Verbum, quod cum elemento sacramentum fecit, non
est concionale, sed consecratorium » (De sacr.,
1, 19). Il est à peine nécessaire de dire que les paroles n’ont pas leur vertu consécratoire par elles‑mêmes, mais
uniquement par l’ordonnance divine.
Au sujet du contenu de la forme, on ne trouve chez les Pères que des
indications générales. D’ordinaire, on la désigne comme une prière. Au début,
elle était déprécative. Par contre, l’évolution de la doctrine sacramentaire
lui fit donner dans la Scolastique (vers 1250) une conception indicative. La
forme déprécative considère davantage l’origine divine de l’efficacité des
sacrements ; la forme indicative signifie davantage l’efficacité des
sacrements dans la main du ministre. Plusieurs prières sacramentelles nous ont
été conservées dans les anciennes liturgies et ordonnances ecclésiastiques.
Les
paroles sacramentelles ayant une valeur objective,
elles peuvent aussi être prononcées dans une langue étrangère. Cependant les prêtres ont le devoir d’expliquer au
peuple ces saintes paroles, afin qu’il puisse suivre avec profit l’administration
des sacrements. La conception catholique des paroles sacramentelles n’exclut
aucunement leur but édifiant ;
elle le favorise plutôt mais le place seulement au second rang. L’Église évite
le caractère mécanique de la réception des sacrements par la préparation
psychologique. Elle a connu depuis le début (Act. Ap., 2, 38 : 8, 29-38) l’usage de l’instruction
baptismale. Nous parlons d’« instructions »
sur le baptême, sur la Confirmation, sur la confession, sur la communion, sur
le mariage.
Par
rapport à la valeur significative du signe sacramentel, la Scolastique souligna
encore un triple élément : Le signe sacramentel indique, par rapport au
passé, la source des grâces, dans la
Passion du Christ (signum rememorativum) ;
par rapport au présent, la grâce
intérieure elle‑même (s. demonstrativum), et, par rapport à l’avenir, le but de la grâce, la gloire éternelle (s.
prænuntiativum ; S. th., 3, 60, 3). Cf. l’antienne
eucharistique : « (In ea) recolitur memoria Passionis ejus, mens impletur gratia et futuræ gloriæ nobis pignus
datur. »
La
matière et la forme produisent l’effet du sacrement ensemble, cet effet n’est pas produit par la forme seule.
Cela résulte d’abord de l’Écriture, qui nomme les deux éléments ensemble, mais
aussi des relations entre la matière et la forme qui, dans l’ordre physique, n’existent
pas et n’agissent pas séparément, mais toujours dans leur union.
L’importance
de la matière elle‑même pour le sacrement résulte de ce fait
que, depuis les temps anciens, on ne l’emploie pas dans son état naturel, mais
on la consacre préalablement. Cela est solidement établi surtout pour le
baptême et la Confirmation (consécration de l’eau et de l’huile vers 200). Au
reste, la Scolastique considère cette consécration, sauf pour le baptême, comme
très importante, voire même essentielle. L’évêque consacre l’huile des infirmes
et le saint chrême, entouré d’une assistance solennelle, le Jeudi‑Saint. Quant à l’eau, elle est consacrée par
le prêtre aux jours où, dans l’ancienne Église, on conférait le baptême, à
Pâques et à la Pentecôte.
La
Scolastique a cherché une autre manière d’éclairer la nature des
sacrements : cette méthode commence déjà chez Hugues (S. 6, 3). Elle
distingue dans le sacrement lui‑même, dans
le sacrement complet et non seulement dans le signe extérieur, trois parties
métaphysiques essentielles : le signe extérieur en soi (sacramentum tantum), la grâce intérieure (res
tantum) et un moyen terme qui est aussi bien le signe
que la grâce signifiée (sacramentum et res).
L’explication
de la première et de la seconde parties essentielles est simple et s’applique à
tous les sacrements. Il n’y a une certaine difficulté que dans l’application de
la dernière. Pour les sacrements qui impriment un « caractère », ce
caractère est l’élément moyen qui est le signe de la grâce et est en même
temps, en soi, déjà une grâce. Cela sera précisé plus tard (§ 159) dans la
doctrine du caractère. Dans l’Eucharistie, la réalité sacramentelle du corps du
Christ peut être considérée comme ce moyen terme. Dans la Pénitence, l’Extrême‑Onction et le Mariage, il est difficile de
trouver un élément qui soit à la fois signe et grâce. Dans l’Extrême‑Onction et le Mariage, quelques théologiens
pensent à un « quasi‑caractère »
ou à un « ornement de l’âme » (ornatus animæ) que l’on pourrait entendre comme une disposition à
la grâce. Dans la Pénitence, on ne trouve aucun point d’appui pour une telle
détermination. Cette formule n’a cependant pas seulement une simple valeur théorique :
elle a aussi une importance pratique pour la reviviscence des sacrements qu’elle
servira plus loin (§ 163) à expliquer. Schultes (Contrition et Pénitence (1907), 36 sq.), démontre
que, d’après l’opinion de S. Thomas,
cet élément intermédiaire pour la Pénitence se trouve dans la contrition, en tant qu’elle est opérée
par le sacrement lui‑même.
Remarquons
enfin que, depuis la Scolastique, on entend parfois par matière du sacrement
tout le rite extérieur et par forme la grâce et qu’on parle, par suite, d’un
sacrement formé (sacramentum formatum) et d’un sacrement informe (s. informe). Dans le premier cas, le sacrement est
administré validement et reçu dignement ; dans le second cas, il est
administré validement, mais reçu indignement si le sujet est de mauvaise foi,
et sans communication de grâce, si le sujet est de bonne foi.
Noldin établit les
règles pratiques suivantes concernant
la matière et la forme : 1° debent esse certæ ; si certæ desunt, on doit, in casu necessitatis (baptême), se servir d’une materia
dubia ; in casu utilitatis, on peut
s’en servir (l’extrême‑onction avec
l’huile des catéchumènes) ; 2° simul unitæ ; 3° ab eodem ministro applicatæ
quia actio una ; en cas de nécessité, certains
théologiens soutiennent la validité du sacrement administré par deux ministres
(Suarez, loc. cit.,
disp. 2, s. 2, n. 6) ; autrement quand plusieurs personnes font les fonctions
de ministres, l’administration, sauf dans l’ordination, serait illicite, mais
valide ; 4° sine mutatione substantiali. »
(De sacram., 11è éd. (1914), 12 sq.)
Remarquons
encore que, parmi les sacrements, six ne reçoivent une existence réelle que dans le sujet (sacramentum fit in homine).
Cela est important pour comprendre la « matière éloignée » et la
« matière prochaine ». Ce n’est que dans l’Eucharistie que la
confection (confectio) et l’administration (administratio) peuvent être séparées, le sacrement reçoit
alors une indépendance objective.
A
consulter : S. Thomas, S. th. 3,
63, 1-6. Pourrat, 185 sq. Holder, Le caractère sacramentel (Rev. August., 1909, 25 sq.), La causalité instrumentale
dans l’ordre surnaturel (2e éd., 1924). Revue
thomiste 1931, 219-233 et 289-302. Eu.
Hugon, De Sacramentis et de Novissimis
(Tract. dogmat., vol. 3). Bell et Ad. Dejssmann, Mysterium Christi (1931), v. « sacramentalismus ».
THÈSE,
Tous les sacrements confèrent à celui qui les reçoit dignement la grâce
sanctifiante. De foi.
Explication. En face de la conception protestante qui vidait le
sacrement de son contenu, le Concile de Trente
affirma sa relation ferme avec la grâce et déclara que, par les sacrements,
toute vraie justice est ou commencée
ou augmentée ou rétablie : « toute vraie justice commence par les
sacrements, est augmentée par eux quand elle existe ou rétablie par eux quand
elle est perdue » (S. 7 proœm). Il frappe d’anathème
celui qui dit que « les sacrements de la Nouvelle Alliance ne sont pas
nécessaires au salut, mais superflus, et que les hommes obtiennent de Dieu,
sans les sacrements ou sans le désir des sacrements, par la foi seule, la grâce
de la justification. » Le Concile ajoute que cependant « les
sacrements ne sont pas tous nécessaires à chacun en particulier » (Can.
4). Le Concile définit ensuite : « Si quelqu’un dit que les
sacrements de la nouvelle Loi, ne contiennent pas la grâce qu’ils
signifient ; ou qu’ils ne conférent pas cette grâce à ceux qui n’y mettent
point d’obstacle ; comme s’ils étaient seulement des signes extérieurs de
la justice ou de la grâce qui a été reçue par la Foi… qu’il soit
anathème » (Can. 6). « Si quelqu’un dit que la grâce, quant à ce qui
est de la part de Dieu, n’est pas donnée toujours, et à tous, par ces
sacrements, encore qu’ils soient reçus avec toutes les conditions
requises ; mais que cette grâce n’est donnée que quelquefois, et à
quelques‑uns : Qu’il soit anathème » (Can. 7 : Denz., 847, 849, 850).
Preuve. L’efficacité de grâce sera prouvée en détail à
propos de chaque sacrement. Il suffit de citer ici quelques passages. D’après Jésus, la régénération se produit
« de l’eau et du Saint‑Esprit »
(Jean, 3, 5). Au sujet de l’Eucharistie, il enseigne : « celui qui
mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle » (Jean, 6, 55). Les
Apôtres, par l’imposition des mains et la prière, confèrent le Saint‑Esprit (Act. Ap., 8, 17 sq.)
S.
Pierre annonce, le jour de la Pentecôte :
« Faites pénitence et que chacun se fasse baptiser au nom de Jésus pour la
rémission des péchés et vous recevrez le don du Saint‑Esprit. » (Act. Ap., 2, 38). Le disciple Ananie
dit à Saul : « Lève‑toi,
reçois le baptême et purifie‑toi
de tes péchés, en invoquant son nom. » (Act. Ap. 22, 16). S. Paul
écrit : « Dieu nous a sauvés selon sa miséricorde par le bain de la
régénération et en nous renouvelant par le Saint‑Esprit. »
(Tit., 3, 5 ; cf. 1 Cor., 6, 11). Dans tous ces passages, les sacrements
sont les moyens par lesquels Dieu
communique sa grâce.
Les Pères. Leur
manière de voir sur l’effet des sacrements comme moyen de grâce ressort des textes que nous avons cités pour exposer
leur notion du sacrement. On s’en rendra plus clairement compte quand nous
traiterons de chaque sacrement en particulier. Comme ils unissent intimement le
sacrement et la grâce, ils cherchent à supprimer l’hésitation que peut avoir la
foi devant un simple élément en faisant appel à la toute‑puissance de Dieu. « D’où vient cette si
grande vertu de l’eau ? », s’écrie S. Augustin. Ils insistent, en
même temps, sur le caractère mystérieux des sacrements. Ils insistent aussi
fortement sur les dispositions personnelles du sujet. Mais il faut se rappeler
que, chez les adultes, le défaut de dispositions peut empêcher l’effet de
grâce. Et précisément S. Augustin écrit : « Ce n’est pas par les
mérites de celui qui l’administre, ni par les mérites de celui à qui il est
administré que le baptême existe, mais par sa propre sainteté et vérité, à
cause de celui qui l’a institué » (C. Cresc.
Donat., 4, 16).
La
Scolastique avait une haute
conception de la nature de la grâce ; elle y voyait avec raison quelque
chose de divin. Or elle déduisait de cette nature élevée de la grâce que les
sacrements n’étaient pas capables de la produire, car un être créé n’est pas
capable d’une action aussi sublime. Les Pères avaient établi cette thèse
biblique que Dieu seul produit et
peut produire la grâce. D’un autre côté, les Pères enseignaient, conformément à
l’Écriture, que les sacrements confèrent l’Esprit‑Saint, la
grâce. On ne sut pas tout d’abord mettre en harmonie les deux vérités établies.
Le respect que l’on avait, à juste titre, pour la première, lui faisait donner
la prédominance et l’on affaiblissait la seconde. On disait en effet que la
grâce est produite par Dieu seul directement et par mode de création, sans possibilité de
coopération de la part des créatures, et que les sacrements n’avaient d’autre
rôle que de préparer l’âme en la
disposant ontologiquement à la réception de la grâce, au moyen du
« caractère » sacramentel (character indelebilis) qui lui est imprimé dans trois sacrements, ou
de ce qu’on appelait l’« ornement de l’âme » (ornatus
animæ) dans les autres sacrements, lesquels ne
comportent pas de caractère (Alexandre, S. Bonaventure, S. Albert, S. Thomas).
S. Thomas abandonna plus tard l’« ornatus » et Scot alla même jusqu’à le combattre, en
déclarant que cet « ornatus » était lui
aussi une forme surnaturelle et qu’ainsi, d’après l’ancienne théorie, une cause
créée ne saurait la produire. Billot
reprend presque textuellement la théorie de l’efficacité dispositive des
sacrements, comme on le verra au paragraphe 161.
L’effacement sacramentel des péchés
véniels.
S. Thomas dit qu’il n’a pas été
institué de sacrement spécial pour effacer les péchés véniels. Il n’entend pas
dire par là que les péchés véniels eux‑mêmes ne
peuvent pas être effacés par les sacrements. Il enseigne même expressément qu’ils
peuvent l’être (S. th., 3, 87, 3). « Les péchés véniels sont effacés par l’infusion
de la grâce... C’est de la sorte qu’ils sont effacés par l’eucharistie, l’extrême‑onction et en général par tous les sacrements
de la loi nouvelle qui confèrent la grâce ». Le Concile de Trente caractérise
l’Eucharistie comme « une antidote, par laquelle
nous sommes délivrés de nos fautes journalières » (S. 13, c. 2) et, dans l’administration
de l’extrême‑onction, le ministre demande à Dieu de
pardonner à celui qui la reçoit « tous les péchés qu’il a commis ».
Cependant il faut, comme dans tous les cas, d’après la doctrine de S. Thomas,
un certain degré de contrition.
Sacrements
des vivants et sacrements des morts.
Tous les sacrements de la Loi nouvelle produisent en nous la grâce
sanctifiante, mais ils ne la produisent pas tous de la même manière. Quelques‑uns sont institués pour conférer cette grâce une
première fois, pour produire la justification première ; d’autres, par contre, ont comme but d’augmenter la
grâce déjà existante, de produire la justification seconde. D’après cette distinction, on partage les sacrements en
sacrements des vivants
(spirituellement) et des morts
(spirituellement). Le Baptême et la Pénitence sont des sacrements des
morts ; les autres sont des sacrements des vivants.
Le
Concile de Trente ayant dit que toute
vraie justice commence par les sacrements, est augmentée par eux quand elle
existe ou rétablie par eux quand elle est perdue (s. 7 proœm.),
la théologie postérieure a tenu compte de ces précisions et distingué entre les
sacrements des morts qui établissent ou rétablissent la justice qui fait défaut
et les sacrements des vivants qui augmentent la justice existante (Cf. Salmant, De Sacram. in communi, disp.
4, dub. 7, n. 118 ; cf. n. 104).
Dans
certaines circonstances subjectives. il peut arriver parfois (per accidens),
d’après une opinion répandue qui s’appuie sur S. Thomas, que les sacrements des
vivants confèrent la justification première. Il faut pour cela une double condition, que le sujet ne sache
rien de son état réel de péché mortel, qu’il soit à ce sujet dans la bonne foi
(bona fide) et que, d’autre
part, il ait, de ses péchés graves en général, une contrition imparfaite. Il
est clair que personne n’a le droit de recevoir avec une mauvaise conscience (mala fide, « fictio », dit‑on, depuis
S. Augustin) un sacrement des vivants ; il commettrait un sacrilège. De
même, on comprend que le sujet doive avoir la contrition imparfaite de ses
péchés graves, car, en aucun cas, on ne peut espérer le pardon sans cette
contrition. Mais pour admettre, dans le cas supposé, que seule la contrition
imparfaite soit nécessaire, on s’appuie sur la vérité dogmatique que le
sacrement opère toujours la grâce quand il n’y a pas d’empêchement (du
péché) ; or, par l’attrition, cet empêchement est suffisamment écarté, car
le sujet n’est pas attaché actuellement au péché, à cause de sa bonne foi, et
il n’y est pas attaché habituellement à cause de son attrition. Les théologiens
appliquent cette théorie à tous les
sacrements des vivants. Lugo voudrait excepter l’Eucharistie ; mais c’est
justement à propos de l’Eucharistie que S. Thomas explique la théorie (S. th.,
3, 79, 3).
On
comprend plus facilement l’envers de cette proposition, à savoir que les sacrements
des morts produisent parfois (per accidens) la justification
seconde. C’est le cas dans la Pénitence, quand ce sacrement est reçu en état de
grâce, et dans le baptême, quand un adulte le reçoit avec la contrition
parfaite. Tous les théologiens admettent cette efficacité pour le
baptême ; ne l’admettent pour la Pénitence que les théologiens qui se
rattachent à S. Thomas (Gihr, Les sacrements, 1, §
15).
On
a déjà signalé dans le traité de la grâce (cf. plus haut p. 123 sq.) que, d’après
le Concile de Trente, les trois
vertus théologales sont unies à la grâce de justification et que, d’après
beaucoup de théologiens, y sont unis également les dons du Saint‑Esprit (S. 6, c. 7). On a indiqué aussi que
la mesure de grâce dépend non seulement de la libre bonté de Dieu, mais encore
des dispositions humaines.
La
grâce sacramentelle. Les
théologiens enseignent généralement que les sacrements, chacun selon sa fin spéciale,
produisent, outre la grâce sanctifiante commune à tous, des grâces
particulières, qu’on appelle, parce qu’elles sont propres à chaque sacrement,
des « grâces sacramentelles ». Le Concile de Trente ne touche pas ce point, mais il déclare anathème celui qui
dit « que les sept sacrements sont tellement égaux entre eux que, sous
aucun rapport, l’un n’est pas plus élevé que l’autre » (S. 7, can. 3), et
il signale ensuite l’Eucharistie comme un sacrement qui surpasse les autres, en
ce qu’il contient l’auteur de la grâce lui‑même
(S. 13, can. 3 : Denz., 846, 876).
Les
sacrements ne sont donc pas identiques entre eux : ils ont des signes
différents, une matière et une forme différentes et, bien qu’ils produisent
tous la grâce générale de justification, ils ont d’autres effets de grâce
différents. Autrement on ne pourrait pas justifier suffisamment leur pluralité : un seul suffirait.
Quand
on demande en quoi consiste la grâce sacramentelle, les théologiens donnent des
réponses différentes. Quelques‑uns pensent
seulement à des grâces actuelles ;
d’autres ajoutent des effets différents de la grâce habituelle, c.‑à‑d. des
« habitus » unis à la grâce sanctifiante et qui diffèrent entre eux
conformément au but de chaque sacrement. D’ordinaire, sous le nom de grâce sacramentelle,
on n’entend que des grâces actuelles. S.
Thomas dit, d’une manière générale, que la grâce sacramentelle ajoute à la
grâce sanctifiante une certaine assistance divine (quoddam
divinum auxilium) pour
atteindre le but du sacrement (S. th., 3, 62, 2).
On
se demande encore comment on peut concevoir ces grâces actuelles comme unies au
sacrement. D’ordinaire, au moment de la réception du sacrement, le besoin de
ces grâces n’existe pas et ne se produit que plus tard. On admet donc qu’avec
la grâce habituelle du sacrement, est conféré un droit durable aux grâces actuelles correspondantes et que ces
grâces sont accordées plus tard, au moment convenable (tempore
opportuno), en tenant compte de la coopération fidèle
du sujet. La prière aussi est
particulièrement nécessaire pour obtenir la grâce, car Dieu, même
indépendamment des sacrements reçus, a promis d’exaucer nos demandes. A plus
forte raison, accordera‑t‑il le secours de sa grâce à celui qui a déjà,
dans un sacrement reçu, notamment dans un sacrement qui crée un état (Ordre,
mariage), un certain droit à cette grâce.
La
plupart des théologiens estiment que
les grâces sacramentelles et extra sacramentelles ne sont pas
différentes dans leur essence interne, mais seulement dans leur collation
extérieure. On trouve des attestations de grâces extra sacramentaires dans Act. Ap., 10, 47 ; 11, 17.
Les protestants ne sont pas le moins du monde fondés à reprocher à la doctrine
catholique d’enseigner que toutes les
grâces sont conférées uniquement par
les sacrements. La doctrine catholique ne se contente pas d’admettre, mais
encore elle indique positivement que les grâces actuelles et même la
justification peuvent parvenir à l’homme par des voies extra sacramentelles. S. Thomas dit : « Dieu n’a pas
attaché sa vertu aux sacrements au point de ne pouvoir sans eux produire leur effet » (S. th., 3, 64, 7). La proposition
janséniste qui prétend que les Juifs et les païens ne recevraient aucune grâce
a été expressément condamnée (Denz., 1295). La grâce
étant nécessaire pour la préparation au baptême, il résulterait de la
proposition janséniste que la conversion au christianisme serait intérieurement
impossible ; ce serait la mort de toute idée missionnaire.
THÈSE. Trois sacrements : le
Baptême, la Confirmation et l’Ordre, ont comme effet particulier d’imprimer
dans l’âme un caractère ineffaçable, c’est pourquoi on ne peut les réitérer. De
foi.
Explication. Caractère (de χαράσσειν,
imprimer) signifie en général une marque distinctive. Dans la dogmatique, en
raison de l’âme dont il est la marque distinctive, on l’entend comme un
« sceau spirituel » qui, comme l’âme elle‑même, est indestructible. Le caractère fut nié par Wiclef et les Réformateurs ; ces derniers le
considéraient comme une invention des scolastiques. Aussi le Concile de Trente a défini : « Si quelqu’un
dit que par les trois sacrements, du baptême, de la confirmation, et de l’ordre,
il ne s’imprime pas dans l’âme de caractère,
c’est-à-dire, une certaine marque spirituelle, et ineffaçable ; d’où vient
que ces sacrements ne peuvent être réitérés : Qu’il soit anathème »
(S. 7, can. 9 : Denz., 852).
Preuve. On ne peut tirer de l’Écriture que des insinuations en faveur du caractère : on les
trouve dans S. Paul. Étant donnée sa tendance à opposer le Nouveau Testament à
l ’Ancien comme la réalité à la figure, il compare le baptême, qui est l’incorporation
dans la Nouvelle Alliance, à la circoncision qui était le signe de l’appartenance
à l’Ancienne Alliance. C’est à la lumière de ce parallèle qu’il faut entendre
les textes suivants : « Celui qui vous affermit avec nous dans le
Christ et qui nous a oints, c’est Dieu, lequel nous a aussi marqués d’un sceau et nous a donné le
gage de l’Esprit dans nos cœurs » (2 Cor., 1, 21-22). « C’est en lui
que vous avez cru et que vous avez été marqués
du sceau de l’Esprit‑Saint
qui vous avait été promis » (Eph., 1, 13).
« Ne contristez pas le Saint‑Esprit
de Dieu dans lequel vous avez été marqués
d’un sceau pour le jour de la rédemption » (Eph.,
4, 30). Le baptême est, d’après Col., 2, 11, la circoncision chrétienne.
Les
points suivants ressortent avec une précision égale de ces trois passages. Le
chrétien, dès qu’il a cru et reçu le baptême, a été marqué par Dieu et a reçu le sceau
qui marque son appartenance à Dieu. L’impression du sceau a été faite dans le
Saint‑Esprit ; celui‑ci est la garantie que désormais le chrétien
est la propriété de Dieu. Le sceau lui‑même est
considéré comme spirituel et doit
persister jusqu’au jour de la rédemption complète.
Les Pères. Ils s’en
sont tenus au début à cet exposé général de l’Écriture. Ainsi S. Cyprien écrit qu’à la fin du monde,
« ceux‑là seuls » échapperont au
jugement « qui ont été régénérés et marqués du sceau du Christ » (Ad Dem., 22). En se référant à Eph.,
1, 13, S. Jean Chrysostome
expose : « Les Israélites furent marqués du sceau, mais par la
circoncision, comme les troupeaux et les animaux sans raison ; nous avons
été marqués du sceau nous aussi, mais comme des fils avec l’Esprit » (M.
62, 18). Cf. S. Ambroise (De Spir. Sancto, 1, 78 sq. : M.
16, 752 sq. ; De Myst., 7, 42 : De sacram., 3, 28) ; S.
Cyrille de Jérus. (Procat.,
16).
On
peut encore citer une série de témoignages de l’ère patristique antique pour l’usage
chrétien du mot σφραγίς
(caractère) et du mot χαραϰτήρ
qui lui est objectivement identique. On peut citer S. Ignace (Magnes., 5, 2), d’après lequel les fidèles et les
infidèles sont semblables à deux monnaies différentes, qui portent chacune une
empreinte (χαραϰτῆρα)
différente. Le chrétien reçoit son empreinte dans le baptême. Dans le baptême
il reçoit un nouveau type (ἀλλον
τύπον) et est, pour ainsi
dire, créé de nouveau, dit le pseudo‑Barnabé (Ep. 6, 11). On rencontre des pensées
semblables chez S. Irénée (A. h., 4,
34, 1 ; 5, 6, 1 ; 5, 16, 1), chez Tertullien
(Adv. Marc., 1, 27 ; De carn. resurr., 49 ; De bapt., 5), chez S. Methodius d’Olympe (Orat.,
8 : M. 18, 149), chez S. Basile
(De Spir. Sancto, 26,
64 : M. 32, 185). D’après ces Pères, Dieu imprime par le caractère son
image ou celle de son Fils dans l’âme du chrétien ; il en est alors du
chrétien comme du Fils de Dieu lui‑même, lequel,
selon l’expression paulinienne, est déjà « l’image de la divine
substance » (Hébr., 1, 3). Mais pour notre
doctrine spéciale du caractère, ces expressions ne sont pas entièrement
probantes ; en effet, elles contiennent, comme presque tous les textes antérieurs
à S. Augustin qu’on peut citer, la croyance patristique à l’effet complet du
baptême et surtout à la communication du Saint‑Esprit,
autrement dit de la seconde image surnaturelle et divine : c’est ce que l’on
appelle, depuis S. Athanase, la θείωσις
du chrétien. Cependant la doctrine du caractère, en partant de ces pensées, s’est
peu à peu développée en Occident. Elle ne se développa pas en Orient ; les
Grecs n’ont pas de doctrine du caractère. Il leur a manqué l’influence de S.
Augustin et de la Scolastique.
S. Augustin est le
premier qui ait traité le caractère d’une manière théologique. Ce qui l’y
amena, ce fut la question qui se posait pendant la controverse donatiste :
Que produisent les sacrements en dehors de l’Église ? Dans la controverse
du baptême des hérétiques, S. Cyprien avait répondu avec Tertullien que les
sacrements en dehors de l’Église n’ont aucun effet. Ce point de vue était
inacceptable pour S. Augustin après la décision du Pape S. Étienne (254-257).
Cependant il ne reconnaissait pas la pleine efficacité aux sacrements
administrés par les schismatiques. Il s’agissait du Baptême et de l’Ordre. S.
Augustin distingue entre le sacrement et son effet, ce que S. Cyprien n’avait
pas fait, et il dit que le sacrement administré en dehors de l’Église peut être
très validement administré, mais ne produit pas l’effet salutaire de charité (caritas). Le schisme et la charité, dit‑il, sont des choses opposées. Cependant le
sacrement reçu dans le schisme a provisoirement un effet, il produit dans celui
qui le reçoit le caractère (character dominicus regius). Ce caractère
est inaliénable. « Est‑ce que par
hasard les sacrements chrétiens s’imprimeraient moins que les marques
corporelles (d’un soldat) ? Nous voyons pourtant que les apostats eux‑mêmes ne sont pas dépourvus du baptême, car
quand ils font retour à l’Église dans la pénitence, on ne le leur administre
pas de nouveau ; on le juge donc inamissible. » (C. Ep. Parm. 2, 13, 29 ; cf. Ep. 173, 3). Il faut en dire
autant de l’Ordre. « Chacun des
deux, en effet, est un sacrement et chacun est conféré à l’homme par une
certaine consécration, dans le premier cas, quand l’homme est baptisé, dans le
second cas, quand il est ordonné ; c’est pourquoi il n’est pas permis dans
l’Église de réitérer ces deux sacrements. »
(Ibid., 28.) Même un prêtre déposé conserve son caractère. (De bono conjug., 24 :
« lors même qu’en punition de quelque faute un clerc mériterait d’être
interdit des fonctions de son ordre, il conserve toujours le caractère du
sacrement et il le portera au jugement dernier ». Cf. C. Ep. Parm. 2, 13, 30 ; C. Cresc.
Donat., 1, 30, 35).
La
Scolastique n’eut donc pas besoin d’ « inventer » le caractère, il était connu
depuis longtemps dans l’Occident. Il est vrai qu’Innocent III employa le terme
pour la première fois en 1200 dans un document officiel (Denz.,
410). Il constituait, depuis S. Augustin, un point d’appui pour expliquer la
reviviscence des sacrements (baptême). « Par S. Augustin, dit d’Alès, la
doctrine du caractère pénétra dans la théologie chrétienne » (92). Il faut
signaler, dans l’argumentation scolastique, trois points : la doctrine de
l’impossibilité de réitérer certains sacrements, la division tripartite du sacrement qu’on a signalée
plus haut (sacramentum tantum, res
tantum, sacramentum et res),
et enfin l’exposé formel du caractère.
1.
On expliqua l’impossibilité de renouveler les sacrements, au sujet du baptême,
de la Confirmation et de l’Ordre (P. Lombard, 4, dist.
7, c. 5 ; dist. 23, c. 4). Comme raison on n’indiqua
pas tout de suite le caractère, mais la mort du Christ qui n’a eu lieu qu’une
fois ; on indiqua aussi l’honneur
du sacrement auquel la réitération donnerait une apparence de faiblesse. Par
contre, la haute Scolastique donne le caractère comme raison prochaine et la
volonté de Dieu comme raison dernière (S.
Bon., Brevil., p. 6, c. 6, n. 3 ; S. Thomas, S. th., 3, 63, 5). Pour l’Ordre,
on hésita longtemps : On considérait l’Ordre lui‑même comme inamissible, mais on pensait qu’un
jugement ecclésiastique faisait perdre les pouvoirs.
Alexandre de Halès et S. Thomas distinguèrent mieux
entre l’exercice illicite et l’exercice
valide de l’Ordre (S. th. 3, 64,
9 ; 82, 7 et 8).
2.
Quant à la division métaphysique
tripartite, en usage depuis Hugues et P. Lombard, elle servit à la doctrine du
caractère en ce sens qu’on appliqua l’élément moyen (sacramentum et res) au caractère, lequel est en soi une grâce (charisme) et
en même temps signifie et exige la grâce sanctifiante.
3.
En ce qui concerne l’exposé formel du
caractère, au début on employa aussi ce mot (character)
pour désigner la Croix, la foi, le signe de croix, le sacrement extérieur. On
le trouve pour la première fois comme terme technique
chez Innocent III qui dit, dans une instruction à l’archevêque d’Arles, que
quiconque reçoit volontairement le baptême reçoit aussi le caractère (Denz., 410). A partir de là, nous trouvons régulièrement
dans les Sommes des scolastiques des
exposés sur le caractère. Leur opinion sur l’essence du caractère n’est pas unanime. Et cela se comprend, étant
donnée sa nature mystérieuse. Au début, on insista presque uniquement sur le
caractère du Baptême, mais on y ajouta bientôt le caractère de l’Ordre et enfin
celui de la Confirmation.
Parmi
les scolastiques antérieurs à S. Thomas, Guillaume d’Auvergne (+ 1249),
Guillaume d’Auxerre (+ ap. 1230), Hugues de Saint‑Cher (+ 1263) et surtout Alexandre de Halès
(+ 1245) ont examiné le caractère. Alexandre est le premier à étudier la nature
du caractère, son but, son sujet, le nombre des sacrements qui le comportent,son inamissibilité, son
effet. A lui se rattachent S. Bonaventure
et même S. Albert le Grand. D’après
ces trois scolastiques, le caractère est un habitus.
C’est pour cela qu’il est ineffaçable. D’après Alexandre, il a un quadruple
but : 1° il signifie ; 2° il dispose ; 3° il produit une ressemblance ; 4° il distingue. Il signifie la grâce, il y
dispose l’âme ; il fait ressembler à Dieu ; il distingue celui qui
est marqué du caractère, de tous les autres. Que le caractère soit une
disposition pour la grâce, on l’a déjà dit ; on a dit de même qu’il
distingue celui qui le porte. Seulement on précisait mieux maintenant le
caractère dans les trois sacrements qui le comportent et chaque fois on lui
attribuait l’établissement d’un nouvel état de foi (status
fidei). Ce n’est pas seulement le caractère du
Baptême qui crée un nouvel état de foi (st. fidei genitæ), mais encore le caractère de la Confirmation (st. fidei robustæ) et le caractère de
l’Ordre (st. fidei multiplicatæ).
Le troisième point, à savoir que le caractère rend semblable à Dieu, plus
précisément à l’Homme‑Dieu, était
nouveau. On considérait l’âme comme sujet du caractère. Le caractère de l’Ordre
était attribué aux sept Ordres. Pour ce caractère, on ne signale guère, comme
effet, que le pouvoir spirituel, par conséquent on insiste sur l’importance
liturgique, cultuelle et non sur les dispositions sacramentelles.
S. Thomas s’écarte
des trois grands scolastiques en donnant non seulement au caractère de l’Ordre,
mais encore aux deux autres, une importance cultuelle.
Tout caractère habilite directement à
des actes cultuels et indirectement
aussi à la grâce, sans laquelle ces actes cultuels ne peuvent être accomplis
dignement. Le caractère est en soi moralement indifférent : il peut être
bien ou mal employé ; ce n’est donc pas un « habitus » qui ne
peut être que bien employé, mais seulement une puissance pour le culte divin.
Or ce culte consiste à recevoir ou à conférer du divin. Dans un cas comme dans
l’autre, il faut une puissance ; dans le premier, une puissance passive,
dans le second, une puissance active. « C’est pourquoi le caractère
implique une puissance spirituelle qui se rapporte à ce qui appartient au culte
divin ; toutefois il est à remarquer que cette puissance spirituelle est instrumentale, comme nous l’avons dit
plus haut (quest. préc., art. 4) au sujet de la vertu qui existe dans
les sacrements » (S. th., 3, 63, a. 2). La cause et le modèle du
caractère, c’est le Christ, comme l’avaient déjà expliqué Alexandre, S.
Bonaventure et S. Albert. S. Thomas approfondit davantage la question et voit
une ressemblance avec le Christ non seulement dans le caractère de l’Ordre,
mais encore dans celui du Baptême et dans celui de la Confirmation. C’est par
ce triple caractère qu’on participe au sacerdoce du Christ. Le siège du
caractère est la puissance de l’intelligence (d’après Scot, c’est celle de la
volonté ; d’après Suarez, c’est la substance de l’âme). La nature indestructible du caractère résulte de
la permanence de son prototype, le Christ. Même dans l’au‑delà, le caractère demeure pour l’honneur des
bons et pour la confusion des mauvais. Le Christ lui‑même ne possédait pas de
« caractère », mais plutôt les pleins pouvoirs essentiels dont le
caractère ne confère qu’une participation incomplète (S. th., 3, 63, 5). Les
théologiens de Salamanque ont suivi
S. Thomas : « Character est potestas spiritualis configurans homines sacerdotio Christi ad divina suscipienda vel agenda ».
La
théologie postérieure en est restée à cette interprétation du caractère. Il n’y
a que Scot et surtout Durand qui aient exposé des opinions
différentes sans pouvoir trouver de partisans. D’après Durand, le caractère
serait une relation purement extérieure et non un accident réel dans
l’âme. Suarez dit : « Characterem esse (existimo) qualitatem primæ speciei, scil. dispositionem seu habitum
convenientem ipsi animæ et perficientem illam sine ullo ordine ad operationem (contre S. Thomas) sicut
pulchritudo vel sanitas, vel bona
corporis dispositio ».
Dans son essence la plus intime, le caractère
sacramentel est quelque chose d’absolument caché et mystérieux, encore bien
plus éloigné des recherches et de la connaissance humaines que la grâce
sanctifiante, écrit Gihr (Sacrements, 1, 83). Cela
est parfaitement jugé. En effet, la grâce sanctifiante se manifeste davantage
dans ses effets extérieurs et est décrite, dans la Révélation, d’une manière
plus précise et plus déterminée.
Par
rapport à la fonction ou au but, les
théologiens modernes appellent le caractère un signe distinctif, dispositif, configuratif et imposant des obligations (signum distinctivum, dispositivum, configurativum, obligativum). Seule la dernière détermination a encore
besoin d’une explication : en tant que signe imposant des obligations, le
caractère indique en effet que celui qui a reçu le caractère est au service du
culte divin dont il doit observer fidèlement les prescriptions et exercer avec
zèle les pouvoirs. - Au sujet des relations
réciproques des trois caractères, les théologiens estiment que le caractère
suivant complète à chaque fois le caractère précédent et se fond avec lui dans
une unité.
Il
faut encore remarquer ce qui suit : 1° Le caractère est toujours imprimé
quand le sacrement est administré et reçu validement ;
2° Il est indépendant des qualités morales du sujet et, par suite, égal chez tous ; 3° La grâce s’accroît
et diminue, le caractère reste immuablement
le même, dans les bons comme dans les mauvais.
Au
sujet de la possibilité de réitérer les
sacrements, Noldin
fait les remarques pratiques suivantes : 1° Peuvent en soi être réitérés
la Pénitence (et, en certaines circonstances, elle doit l’être) et l’Eucharistie (qui est un sacramentum permanens en soi
et pour les fidèles) ; 2° Peut être réitéré tout sacrement douteux, pourvu
que le doute soit un « dubium prudens et rationabile ».
Quelques‑uns doivent être réitérés, surtout le
baptême (la Pénitence), même si « dubium sit tantum tenue » (27
sq.) ; il en est de même de la consécration, afin que les fidèles ne
commettent pas une idolâtrie matérielle « in venerando »
et de l’Ordination, pour assurer l’administration valide des sacrements.
Remarque. Le Concile
de Trente distingue le « sacramentum in voto »
du « sacramentum in re » (S. 7, can. 4 ; S. 13. c. 18). Le
sacrement reçu seulement in voto obtient son effet, la grâce sanctifiante, non pas
« ex opere operato »,
mais « ex opere operantis » (contrition). Il
ne confère pas non plus la grâce particulière du sacrement, ni ne peut imprimer
le caractère (S. th., 3, 69, 4 ad 2 ; Wiggers,
De sacram., q. 62, a. 2, dub. 1).
A
consulter, outre les ouvrages déjà signalés : Gihr, Les sacrements. Billot, 1, 107 sq.
THÈSE. Les sacrements produisent leur
effet par eux‑mêmes, ils
agissent « ex opere operato ».
De foi.
Explication. C’est dans l’« opus operatum » que s’exprime de la manière la plus nette
et la plus précise l’essence des sacrements telle que l’explique la doctrine
catholique. Les sacrements sont des moyens de salut objectifs et non de simples
cérémonies édifiantes. Contre la conception protestante, qui vide le sacrement
de son contenu, le Concile de Trente déclare : « Si quelqu’un dit que
par les mêmes sacrements de la nouvelle loi, la grâce n’est pas conférée par la vertu et la force qu’ils contiennent ;
mais que la seule foi aux promesses de Dieu suffit, pour obtenir la
grâce : Qu’il soit anathème » (S. 7, can. 8 : Denz. , 851 ; cf. can. 6 et
7).
L’expression
« opus operatum » provient de la
Scolastique primitive. Elle fut préparée par Hugues (+ 1141) qui souligna l’ « efficacia » des
sacrements et par P. Lombard (+ 1164) qui en fit ressortir la
« causa ». La distinction entre les sacrements de l’ancienne Loi (et
les sacramentaux) et ceux de la Loi nouvelle amena à ce résultat que formula le
premier Guillaume d’Auxerre (+ vers
1230) : on attribua aux premiers une « efficacia
ex opere operantis »
(activité subjective de celui qui les reçoit) et aux seconds une « efficacia ex opere operato » (accomplissement objectif du sacrement). On
trouve auparavant l’expression chez Pierre
de Poitiers (+ 1161), mais il entend par « opus operantis »
l’activité du ministre. Après Guillaume d’Auxerre, l’expression est fixe et le
Concile de Trente l’a dogmatisée, parce qu’elle exprime très bien la doctrine catholique
concernant la causalité des sacrements. On désigne donc par « opus operatum » l’accomplissement du sacrement ou de l’action
sacerdotale par l’union de la matière et de la forme selon les prescriptions de
l’Église. A l’« opus operatum »
objectif s’oppose l’« opus operantis »
subjectif, qui consiste dans les dispositions personnelles du sujet et surtout
dans sa foi et sa contrition. Ces dispositions rendent le sujet apte à recevoir
la grâce et sont, par conséquent, la condition préalable de sa collation
effective ; mais la grâce elle‑même est
conférée par le sacrement qui est efficace en vertu de l’ordonnance divine.
Tout ce qui est exigé du sujet, c’est qu’il ne mette pas d’« obstacle »,
qu’il ne « ferme pas la porte à l’entrée de la grâce (gratiam
ipsam non ponentibus obicem conferunt : Trid., 2. 7, can. 6). Cet « obex » consiste dans
la permanence librement voulue des sentiments d’incrédulité et d’impénitence.
On voit donc revenir dans la doctrine des sacrements ce qu’on a exposé plus
haut dans le traité de la grâce (§ 127), sur la préparation du pécheur à la
justification. L’homme ne mérite pas la grâce, mais il écarte par la pénitence
les obstacles à la grâce. L’auteur de
la grâce (causa principalis) est Dieu, qui, à cause
des mérites du Christ (causa meritoria), communique
par les sacrements (causa instrumentalis) la grâce de
la justification (trid., S. 6, c. 7). - Les Grecs ne
connaissent pas l’« opus operatum »,
mais ils croient à l’efficacité des sacrements quand la préparation est
convenable.
Preuve. Notre thèse peut s’appuyer sur tous les textes
scripturaires et patristiques que nous avons cités pour démontrer en général l’efficacité
de grâce des sacrements. Ces deux vérités, que les sacrements sont cause de la
grâce et qu’ils la produisent par eux‑mêmes,
sont si connexes intérieurement et objectivement qu’on ne peut pas parler de l’une
sans toucher à l’autre.
Sans
doute, ni l’Écriture ni les Pères ne connaissent le terme
« opus operatum », mais ils connaissent la
chose. Il était naturel que l’efficacité objective des sacrements fût discutée
dans la controverse avec les donatistes.
Ces derniers, en effet, faisaient dépendre l’efficacité des sacrements de la
sainteté du ministre. C’est pourquoi S. Optat de Méla écrit :
« Les sacrements sont saints en eux‑mêmes, non
du fait des hommes » (De schism. Donat., 5, 4)
« La sainteté de l’Église est liée aux sacrements, et non à la renommée
des personnes » (Ibid., 2, 1). S. Augustin : «
l’efficacité du baptême ne dépend ni des mérites du ministre ni de ceux
du sujet, mais de la sainteté et de la vertu qui lui ont été communiquées par
celui qui a institué ce sacrement » (C. Cresc.
Donat., 4, 16, 19). Cela est tout à fait en harmonie avec sa notion de la
grâce. Le Saint‑Esprit, d’après les Pères, agit dans l’élément ;
ils le disent surtout avec précision du baptême ; par ex. S. Ambroise, De Spir.
Sancto, 1, 6, 77 ; De myst.,
3, 8 ; de la Confirmation : « Et si nous sommes marqués
extérieurement dans nos corps, en vérité nous le sommes dans nos cœurs, pour
que l’Esprit Saint exprime en nous la ressemblance à une image céleste »
(De Spir. Sancto, 1, 6,
79). Il en est de même des Grecs dont dépend S. Ambroise.
La
Scolastique insista beaucoup au début
(Hugues), à la suite des Pères (S. Léon 1er, S. Isidore, les Grecs),
sur la bénédiction des éléments,
comme si c’était par elle qu’ils devenaient les porteurs et les détenteurs de
la grâce. Mais on savait bien que Dieu est l’auteur de la grâce et qu’il la
communique par les sacrements. Hugues
écrit : « Sacramenta gratiæ
primum per benedictionem virtutem
in se sanctificationis
suscipiunt, ac deinde quam continent in se sanctificationem
conferunt, ut sint ex sanctificatione sanctificantia, atque hæc ex sua sibique cœlitus indita sanctificatione
conferunt. » (Sacr.,
1, 11, 2). « Continent », dit aussi le Concile de Trente, mais il
entend ce mot « virtualiter » et non
« formaliter ». S. Thomas introduisit dans
la théologie le terme très juste de « cause instrumentale » emprunté
à S. Jean Damascène ; par là il écarta tout danger de malentendus. Il se
demande si les Sacrements contiennent la grâce et il répond : « On ne
dit pas que la grâce est dans le sacrement comme dans un support ou comme dans
un récipient (Hugues) en entendant que le sacrement est un lieu, mais en
entendant qu’il est un instrument pour l’accomplissement d’une action
quelconque. » (S. th., 3, 62, 3). Il explique cela de la façon
suivante : « Dans tout sacrement se trouve une vertu appropriée qui
produit l’effet sacramentel. Cette vertu se trouve, par rapport à la vertu
parfaite dont l’action est indépendante et principale, dans la relation d’un
instrument. Un instrument, en effet, n’agit que tant qu’il est mis en mouvement
par la cause principale, laquelle est indépendante. » (S. th., 3, 62, 3).
Il décrit le cheminement complet de la grâce de la façon suivante : La
cause principale de la grâce (principalis causa efficiens) est Dieu lui‑même ;
c’est comme un instrument uni à lui (instrumentum conjunctum)
qu’agit l’humanité du Christ ; c’est comme un instrument séparé (instr. separatum)
qu’agit le sacrement. » (S. th., 3, 62, 5).
Bien que le Concile de Trente insiste, dans la doctrine des
sacrements, sur l’« opus operatum »,
il fait aussi ressortir, dans la doctrine de la grâce, l’opus operantis (S. 6, c. 6), en exigeant
la foi, l’espérance, la crainte de Dieu, l’amour initial et la pénitence, comme
dispositions. D’après l’Écriture,
celui qui croit et est baptisé sera sauvé (Marc, 16, 16). D’après les Pères, le
baptême doit être précédé d’une pénitence et d’une conversion sérieuses pour
être le commencement d’une vie nouvelle. Les scolastiques, malgré leur insistance sur l’ « opus
operatum », ne connaissent pas d’autre doctrine.
Quelques
scolastiques et, plus tard, Moehler ont essayé
d’introduire dans la formule de l’« opus operatum » un sens qui, en soi, est exact, mais qui ne
convient pas ici. Ils pensaient à l’œuvre que le Christ a accomplie en nous
rachetant. Sans doute, c’est de la Rédemption que les sacrements reçoivent leur
efficacité, mais ce n’est pas ce que veut dire la formule « opus operatum ».
Quelques scolastiques, surtout Scot
et le nominaliste G. Biel, ont exposé
cette doctrine : « Non requiritur bonus
motus in suscipiente. » Mais ils voulaient
surtout insister sur la causalité divine à laquelle ils attachent tant de prix
et dire que Dieu donne la grâce « gratis » et non à cause des « merita suscipientis » ;
en effet, ils ajoutent au « bonus motus » : « quo de condigno vel de congruo gratia mereatur » (Schanz, 133
sq.).
Le
terme « obex » [barrière, obstacle] provient de S. Augustin. Il dit que l’enfant que l’on baptise n’a sans doute
pas la foi mais « s’il n’a pas encore la foi dans sa pensée, du moins il
ne lui oppose pas l’obstacle d’une pensée
contraire, ce qui suffit pour recevoir avec fruit le sacrement » (Ep.
98, 10). La scolastique se rattache à cette conception. Aujourd’hui la
théologie distingue l’« obex sacramenti », qui, par suite du
défaut d’une partie essentielle, ne permet pas l’existence du sacrement et l’« obex
gratiæ »,
qui empêche la grâce d’entrer par suite du manque des dispositions nécessaires
(fictio, dit S. Augustin), mais n’empêche pas l’impression
du caractère.
Une conséquence pratique importante
résulte de la thèse principale. Les sacrements peuvent être administrés à des
enfants qui n’ont pas l’usage de la
raison et à des personnes sans connaissance, pourvu qu’il n’y ait pas d’« obex ».
Ce
qui ressort tout d’abord du dogme, c’est la licéité du baptême des enfants. Inversement la pratique antique de ce baptême
peut servir à démontrer le dogme. Ensuite, il n’y a aucun abus des sacrements à
les administrer, en cas de nécessité, à des adultes sans connaissance ; on peut donc administrer le baptême à un
catéchumène sans connaissance et surtout on peut donner l’absolution et l’extrême‑onction à des adultes sans connaissance. Même
dans ces cas, qui sont des cas anormaux, on peut encore espérer un usage profitable des sacrements ;
en effet, ils produisent la grâce par eux‑mêmes, quand
il n’y a pas d’obstacle. « Par les sacrements, la grâce est toujours
conférée et à tous, en tant que cela dépend de Dieu » (S. 7, can.
7) : tout ce qui est nécessaire du côté de l’homme c’est donc l’aptitude à les recevoir. On étudiera les
détails à propos de chaque sacrement.
Il
est intéressant de remarquer que la théologie
libérale, bien que ce soit « suo
modo », marche sur les traces de la théologie catholique. Ainsi l’histoire
des religions fait remarquer que Paul a déjà la notion « magique" des
sacrements et proclame l’« opus operatum », parce
qu’il croit à la présence réelle du Christ dans l’Eucharistie (1 Cor.,
10, 14 sq.) et à la communication du Saint‑Esprit par
le baptême (Rom., 6, 1 sq.). « Il développe une foi sacramentaire dont le
caractère naturaliste est indéniable », écrit Bousset (Kyrios,
146 et passim.). Jean lui aussi est
un théologien sacramentaire, car chez lui « l’Esprit apparaît en relation
déterminée avec le sacrement » (Ibid., 197). Weinel va même plus loin :
« Paul croit encore à l’efficacité des sacrements, quand il s’agit de
procurer « ex opere operato »
la vie éternelle à un cher mort (il songe à 1 Cor., 15, 29). On ne peut pas
avoir une conception plus magique du sacrement. » (Théol. bibl., 386 et
passim.). On pourrait multiplier les citations de ce genre. En tout cas, S.
Paul et S. Jean ont enseigné l’« opus operatum ».
La
polémique protestante contre l’« opus operatum » est
connue. « On ne pourrait jamais s’imaginer, ni écrire, ni dire assez tous
les abus et toutes les erreurs causés par la doctrine odieuse, honteuse, impie
de l’« opere operato » qui dit que, lorsque j’use des sacrements, l’œuvre
accomplie me rend pieux pour Dieu et m’obtient la grâce, bien que le cœur n’ait
aucune bonne pensée pour cela. Car c’est de là aussi qu’est venu l’abus
indicible, innombrable, horrible de la messe. Et ils ne peuvent pas nous citer
un titre, une lettre des Pères, pour prouver cette opinion des scolastiques.
Bien plus, Augustin dit directement là-contre que c’est la foi dans l’usage du
sacrement et non le sacrement qui nous rend pieux pour Dieu » (Apol., Confess., art. 14). S.
Augustin ne dit nulle part ce qui est affirmé dans la dernière phrase. De même les
scolastiques n’ont jamais exposé la doctrine insensée qu’on leur attribue. Le
mot « opus operatum » doit être entendu
historiquement, il veut simplement protéger l’efficacité objective des
sacrements contre la conception protestante qui les vide de leur contenu. Dire
que le sacrement opère « magiquement » par lui‑même et impose la grâce sans préparation à
celui qui le reçoit est une imputation calomnieuse. La foi catholique est si
étrangère à cette manière de voir que, bien loin d’attribuer la moindre utilité
à un sacrement reçu de cette manière, elle appelle cette réception un
sacrilège. La préparation à la
réception des sacrements est nettement et expressément exposée par le Concile
de Trente, comme on l’a montré dans la doctrine de la justification ; il
exige non seulement la foi, mais encore toute une série d’actes de disposition
(S. 6, c. 6 ; cf. plus haut § 128).
Les
sacrements n’agissent donc pas à la manière d’une force naturelle
« magiquement » ; mais ils sont conditionnés moralement, c.‑à‑d. que la grâce n’est conférée « ex opere operato » que lorsque
les dispositions existent - dans les sacrements des morts, la foi et la
pénitence ; dans les sacrements des vivants, la grâce sanctifiante. Aussi
les théologiens exposent la loi de leur efficacité en disant : les
sacrements sont, objectivement ou
bien « in actu primo »,
efficaces par eux‑mêmes en
vertu de la force qui leur est conférée par Dieu ; subjectivement ou « in
actu secundo », ils le sont à cause des dispositions du sujet. Avec
cette conception, un malentendu qui pourrait
s’attacher à l’« opus operatum »
n’est plus possible.
Les
Anglicans présentèrent à la Conférence des Églises, à Lausanne, en 1927, par
rapport aux sacrements, les quatre propositions suivantes : 1° « Ce
qui est décisif dans un sacrement, c’est une action de Dieu. » Accordé,
car dans le sacrement c’est Dieu qui agit ; 2° « L’action de Dieu n’est pas liée
au sacrement ». Accordé, car il y a une action extra sacramentelle de la
grâce de Dieu (cf. plus haut p. 241) ; l’Église a condamné la proposition
qui affirmait que les Juifs et les païens ne reçoivent pas de grâce (Denz., 1295, 1379) ; 3° « Le sacrement ne peut pas opérer
« ex opere operato »,
il a besoin de l’acceptation pénitente et croyante de la part de l’homme ».
Explication : La pénitence et la foi sont nécessaires pour que le
sacrement produise la grâce, mais ces vertus n’ont qu’une importance
dispositive et non causale. Le sacrement ne se produit pas et n’existe pas
(sauf l’Eucharistie) sans le sujet qui le reçoit : « sacramentum fit
in homine » ; 4° « Dans le sacrement,
l’âme reçoit plus qu’elle n’est capable de connaître ». Accordé, la grâce
est dans son essence un mystère. La doctrine catholique se résume ainsi :
« Dieu opère sa grâce, dans l’âme de l’homme disposé, par les sacrements
en tant que causes instrumentales.
Bien que les théologiens répètent
unanimement l’« opus operatum »
du Concile de Trente, ils se divisent quand il s’agit d’expliquer comment les sacrements produisent la
grâce « ex opere operato ».
On distingue, à cet égard, trois
théories : celle de l’efficacité physique,
celle de l’efficacité morale et celle
de l’efficacité intentionnelle.
Les
Pères n’ont encore pas de théorie sur le mode d’efficacité des
sacrements ; il est à peine besoin de le dire après l’exposé rapide que
nous avons fait de l’évolution de la notion de sacrement. C’est la Scolastique,
la première, qui, partant de sa notion plus ferme des sacrements, en vint à se
demander comment les sacrements
produisent la grâce ou la justification. Ses tentatives de solution se ramènent
à trois : l’efficacité dispositive,
l’efficacité morale, l’efficacité physique. Ces trois théories reviennent
dans la théologie postérieure. On a sans doute essayé de les améliorer et Reinhold compte, en tout, seize formules
différentes ; mais, au fond, elles se réduisent aux trois qu’on vient de
nommer ; on peut même si l’on veut les réduire à deux, comme le fait
Reinhold lui‑même.
1.
L’efficacité physique est d’ordinaire
soutenue par les thomistes et en outre par Bellarmin, Suarez et des modernes, comme
Schælzer, Oswald, etc. Une cause agit physiquement
quand elle produit son effet immédiatement
et directement, et non pas
extérieurement en déterminant une autre cause à agir. D’après cette théorie,
Dieu met dans le sacrement, en raison de la « puissance
obédientielle » de ce dernier, une vertu telle que, par cette vertu divine
devenue vivante en lui, il produit la grâce dans l’âme du sujet par un contact
physique avec cette âme.
Comme
arguments, les tenants de cette
opinion allèguent tous les textes scripturaires et patristiques qui expriment
la causalité des sacrements et ils expliquent ensuite que cette causalité est
précisément physique. Ils invoquent, de plus, l’autorité de S. Thomas, dont la
conception du sacrement, en tant que cause instrumentale, ne peut guère s’entendre
que dans le sens de la causalité physique. Il dit : « L’instrument a
deux actions : l’une instrumentale d’après laquelle il opère, non d’après
sa vertu propre, mais d’après la vertu de l’agent principal ; l’autre est
son action propre qui lui convient d’après sa propre forme ».
Exemple : L’artisan fabrique une caisse avec une scie, en agissant en même
temps que la scie. « De même les sacrements corporels produisent leur
action instrumentale sur l’âme, d’après la vertu divine, au moyen de leur
opération propre qu’ils exercent sur le corps qu’ils touchent. Ainsi l’eau du
baptême en purifiant le corps selon sa propre vertu, purifie l’âme selon qu’elle
est l’instrument de la vertu divine ; car l’âme et le corps ne font qu’un.
Et c’est ce qui fait dire à saint Augustin (Sup. Gen.,
liv. 12, chap. 16) qu’elle touche le corps et purifie le cœur » (S. th.,
3, 62, 1 ad 2). « La vertu de l’agent principal a un être stable et achevé
dans sa nature ; quant à la vertu instrumentale, son être passe d’un terme
à l’autre, c’est un être en devenir » (S. th., 3, 62, 4). On se réfère
aussi au Concile de Trente qui appelle le sacrement cause et non condition de la justification (ils confèrent, donnent,
contiennent la grâce).
2.
L’efficacité morale est soutenue par
les scotistes et par plusieurs jésuites. Une cause produit
moralement l’effet quand elle ne le produit pas immédiatement, mais seulement médiatement en agissant sur une cause raisonnable et en la déterminant à
produire l’effet. Appliquée aux sacrements, cette théorie veut dire que les
sacrements ne produisent pas par eux‑mêmes la
grâce, mais qu’en raison de leur qualité d’institutions et d’actions divino‑humaines du Christ, ils possèdent une telle
dignité et une telle sainteté intérieure que Dieu, lorsqu’il voit que le
ministre confère en son nom et par son ordre un sacrement, y joint
infailliblement la grâce spirituelle.
On
se réfère aussi pour cette théorie à la doctrine de l’Écriture et des Pères.
Les Pères entendraient la causalité au sens moral. Ainsi S. Augustin
écrit : « C’est lui (le Christ) qui baptise ; que Pierre ou
Judas baptise, c’est à proprement parler le Christ qui baptise. Comme les
Pères, la Scolastique, - et surtout S. Thomas - insiste sur ce fait que Dieu
est la cause principale (c. principalis) et atteste
ainsi la causalité morale. De plus, on signale encore un certain nombre d’absurdités
que comporterait la causalité physique. Tout d’abord, le sacrement devrait
constituer un tout physique pour produire physiquement la totalité de la grâce.
Or ce ne serait pas le cas ; le sacrement présenterait plutôt une série d’actes
souvent très éloignés les uns des autres. On ne pourrait pourtant pas admettre
que le sacrement se produit avec la dernière syllabe de la formule d’administration
et ainsi le réduire à un point qui n’est pas essentiel. Ensuite, comment comprendre
qu’un signe sensible opère la grâce spirituelle ? L’instrument et la grâce
opérée sont des choses complètement disparates. Où serait la vertu opérante ?
Dans la parole, dans l’élément ou dans le ministre ? Quand y entrerait‑elle ? Combien de temps demeurerait‑elle ? Comment expliquer la reviviscence
des sacrements, si les sacrements produisent physiquement la grâce ? Ce
sont des actions passées depuis longtemps : elles ne peuvent donc pas,
puisqu’elles n’ont plus d’être physique, produire des effets physiques. Si,
dans ce cas, elles ont une action morale, elles l’ont toujours et dans tous les
cas. Dans la Pénitence, la matière et la forme sont très éloignées l’une de l’autre ;
de même dans le mariage, quand il est conclu par procuration. Or la justification
est un acte instantané. Enfin les
thomistes eux‑mêmes avouent que l’efficacité morale
suffirait ; à quoi bon alors l’efficacité physique ? On ne doit pas
sans nécessité introduire des théories difficiles dans la théologie. S. Thomas
ne connaîtrait pas l’efficacité physique : c’est Cajetan qui l’aurait imaginée.
3.
Mécontent des deux théories, Billot
en a récemment proposé une troisième qui, dans son essence, se trouve déjà dans
la Scolastique primitive et même encore dans le Commentaire de S. Thomas sur
les sacrements : l’efficacité
intentionnelle. D’après les anciens scolastiques, les sacrements ne
produisent pas la grâce, mais la disposition,
l’« ornatus animæ » quant à la grâce : la grâce est produite
par Dieu. C’est à cette conception de la Scolastique primitive que se rattache
Billot. Il enseigne que le sacrement, en soi, ne produit tout d’abord dans l’âme
que la disposition à la grâce (sacramentum et res),
après quoi Dieu infuse la grâce. Il rejette l’efficacité morale, parce qu’il
est inconcevable qu’une causalité extra divine puisse exercer sur Dieu une
influence motrice, Dieu étant lui‑même le
premier moteur. En outre, le Concile de Trente
appelle les sacrements causes instrumentales de la grâce (S. 6, c. 7) : or
cela exigerait nécessairement l’efficacité physique.
Les
arguments de Billot en faveur de l’efficacité
intentionnelle (sacramenta sunt
causæ gratiæ non instrumentaliter perfective, sed
solum instrumentaliter
dispositive) sont les suivants : Souvent les sacrements sont reçus d’une
manière simplement valide ; ils produisent par conséquent tout ce que
désigne leur être symbolique, sans cependant communiquer la grâce, parce qu’il
y a un « obex ». Donc ils ne produisent pas la grâce par eux‑mêmes, mais seulement
« dispositive ». En outre, le Concile de Trente dit que les
sacrements contiennent toujours la grâce (continent gratiam)
et cependant ne la confèrent pas toujours ; ils ne la contiennent donc que
dispositivement (non immediate
secundum se, sed in dispositione
quæ sit gratiæ
exigitiva quantum ex parte ipsius,
id est nisi impletio exigentiæ per obicem impediatur). Dans la reviviscence du sacrement, ce dernier
ne suffit certainement pas lui‑même à
produire la grâce, il ne produit que l’effet moyen (sacr.
et res) ; il ne produit
donc, dans ce cas, que la disposition, laquelle, après la conversion du
pécheur, est suivie immédiatement de la grâce de Dieu. L’explication de ce cas
particulier peut être généralisée. Il est au reste inadmissible de parler d’un
double mode d’opération des sacrements. Comme exemple du mode intentionnel de causalité, on cite l’exemple de la
génération de l’homme par les parents : dans la génération la matière est
produite avec une disposition pour la réception de l’âme ; mais l’âme elle‑même est créée par Dieu. Cette efficacité s’appelle
intentionnelle par opposition à l’efficacité physique, parce que la grâce n’en
résulte qu’indirectement et cela à cause de l’intention et de l’ordonnance du
Christ. On objecte à cette théorie qu’elle se ramène, en dernière analyse, à l’efficacité
morale (Billot, De sacram. in
gen., 3ème éd. (1900), th. 7).
Il
nous semble qu’aucune théorie ne satisfait complètement notre besoin d’explication.
Cela tient au processus mystérieux de l’acte de justification que le Christ
signale déjà (Jean, 3, 6-8). Les Pères eux‑mêmes
mettent en garde contre toute tentative d’exprimer l’inexprimable. Voici l’avis
du Catéchisme romain: « Si quelqu’un désire connaître
de quelle manière une si grande vertu, une vertu divine, est communiquée à l’eau,
qu’il sache que cela dépasse la raison humaine. » (P. 2, c. 1, q. 18).
A
consulter : S. Thomas, S. th.,
3, 64, 1-10 ; 3, 78, 4 et 84, 3 ; Suppl., qq. 17-20 et 34-40. - Au sujet
de l’intention : S. Thomas, 3,
64, 8. Ambroise Catharin,
De necessaria intentione in
perficiendis sacramentis
(Rome, 1552). Serry,
De necessaria intentione in
sacramentis conficiendis (Patav., 1727). Billuart, De intentione ministri, d. 5, a. 7.
THÈSE. Les ministres des sacrements
sont ordinairement les prêtres, lesquels, dans leur ordination, ont reçu les
pouvoirs nécessaires pour cela. De
foi.
Explication. Le Concile de Trente dut définir contre les
Réformateurs : « S. q. d. que tous les Chrétiens ont l’autorité et le
pouvoir d’annoncer la parole de Dieu et d’administrer tous les
Sacrements : Qu’il soit Anathème » (S. 7, can. 10 : Denz., 853). Le baptême
dans le cas de nécessité fait exception, comme on le verra plus loin (§
170) ; de même le mariage, d’après la doctrine de la plupart des
théologiens. D’après la doctrine protestante du sacerdoce général, tout le
monde peut administrer les sacrements. Luther ne voulait même pas refuser ce
pouvoir au diable.
Le Christ, l’Homme‑Dieu, est le ministre
principal des sacrements (minister primarius principalis) ; le
prêtre est le ministre suppléant (m. secundarius, instrumentalis).
Preuve. On insiste sur le ministre humain, suppléant, car c’est
le seul qui ait été contesté par les Réformateurs. Que le Christ ait confié à
ses Apôtres et non à tous les hommes ou à tous les fidèles l’administration de
ses sacrements, cela ressort très nettement de l’examen de chaque sacrement,
comme le Baptême (Math., 28, 19), l’Eucharistie (Luc, 22, 19 sq. ; 1 Cor.,
11, 24 sq.), la pénitence (Jean, 20, 22 sq.). Seuls les Apôtres sont les
« dispensateurs des mystères de Dieu » (1 Cor., 4, 1). De même que le
Christ a fondé son Église sur les Apôtres, il leur a confié ses réalités
essentielles : la doctrine et les sacrements. Il dit dans la même
phrase : « Enseignez-les et baptisez-les » (Math., 28, 19).
Les Pères. La preuve
patristique se confond avec celle du sacerdoce particulier dans l’Église. De
même que le triple ministère, l’administration des sacrements était, au début,
aux mains de l’évêque. C’était le cas
pour les trois premiers sacrements et, en outre, pour la Pénitence et l’ordination.
Quand le nombre des fidèles augmenta, l’évêque se fit suppléer par des prêtres
et, quand c’était possible, par des diacres. Seuls les montanistes
revendiquèrent le droit d’administrer les sacrements, comme le droit d’enseigner,
pour les charismatiques.
La
Scolastique se divisa dans la question
du ministre, quand il s’agit de déterminer son rôle dans la production de la
grâce interne. Eugène IV fait rentrer le ministre dans l’ensemble du sacrement.
D’après les thomistes, le ministre ne
pose pas seulement le signe extérieur, mais, par ce signe, il en produit aussi
à sa manière l’effet intérieur. Les scotistes doivent, conformément à leur
opinion de l’efficacité morale, limiter l’influence du ministre à l’accomplissement
du signe extérieur. L’antique forme déprécative de l’administration des sacrements
n’est pas en faveur d’une influence physique du ministre. S. Thomas explique
les relations du ministre divin et du ministre humain par la notion connue de
la cause principale et de la cause instrumentale. « Un effet peut être
produit de deux manières : d’abord à la manière d’une cause principale
(per modum principalis agentis) et ensuite à la manière d’un instrument (per modum instrumenti). Selon la
première manière, Dieu seul accomplit
l’effet intérieur du sacrement. En effet, d’un côté Dieu seul pénètre dans l’intérieur
de l’âme où l’effet du sacrement a son siège ; or aucun être ne peut agir
où il n’est pas ; d’un autre côté, la grâce qui est l’effet interne du
sacrement procède de Dieu seul. Le caractère sacramentel lui‑même, qui est un effet interne du sacrement,
n’est une force qu’à la manière d’un instrument qui provient de la cause
principale qui est Dieu. Mais selon la seconde manière (scil.
per modum instrumenti), l’homme
(le ministre) peut coopérer à l’effet interne du sacrement. Car le ministre, en
tant que tel, a le rang d’un instrument (nam eadem ratio est ministri et instrumenti). En effet, l’activité de l’un et de l’autre
provient du dehors et a une efficacité interne uniquement en vertu de la cause
principale » (S. th., 3, 64, 1).
La
Scolastique se demanda aussi si
quelqu’un peut s’administrer à lui‑même un
sacrement et répondit négativement. Le ministre et le sujet doivent être deux
personnes réellement distinctes. Il n’y a d’exception que pour le prêtre qui se
communie lui‑même. Cf. cependant le baptême
administré à soi‑même, § 170.
THÈSE. La validité du sacrement ne
dépend pas de l’orthodoxie du ministre.
De foi.
Explication. Le Concile de Trente
définit par rapport au baptême :
« S. q. d. dit que le Baptême donné même par les Hérétiques au Nom du Père, et du Fils, et du Saint‑Esprit, avec intention de faire ce que fait l’Église,
n’est pas un véritable Baptême :
Qu’il soit Anathème » (S. 7, can. 4 : Denz.,
860). Il n’y a donc de définition que par rapport au baptême ; mais ce qui
vaut pour le baptême doit aussi, de l’avis des théologiens, s’étendre aux
autres sacrements. Le ministre hérétique ou schismatique validement ordonné
peut administrer validement tous les sacrements. La Pénitence seule est exceptée par les théologiens, parce que, pour
son administration, il faut la juridiction ecclésiastique (Cf. à ce sujet le
sacrement de Pénitence, § 197).
Preuve. L’Écriture ne juge que de l’administration normale et suppose pour cela les
dispositions subjectives parfaites et surtout la foi. Mais nulle part elle ne
fait dépendre l’efficacité des sacrements de ces dispositions du ministre. Or,
il ressort de raisons théologiques que les sacrements ne dépendent pas des
qualités morales du ministre. Et ces raisons théologiques ont leurs racines,
comme on l’a montré plus haut (cf. § 159), dans l’Écriture. Par conséquent,
notre thèse est contenue virtuellement dans la Révélation.
Les Pères. Le dogme ne
fut mis clairement en lumière que dans la polémique sur le baptême des hérétiques. Déjà Tertullien
contestait toute valeur à ce baptême, en s’appuyant sur Eph.,
4, 4-6 (De bapt., 15). S. Cyprien soutient énergiquement, contre S. Étienne Ier,
le même principe et le défend violemment en se référant à la tradition
africaine et à l’interprétation raisonnable de l’Écriture (Ep. 73). Mais S.
Étienne décida en faisant appel à la Tradition contre S. Cyprien :
« Si qui a quacumque hæresi
venient ad vos, nihil innovetur
nisi quod traditum est, ut manus illis imponatur in pœnitentiam » (Denz., 46).
Cyprien critiqua vivement la décision du Pape et chercha à entrer en liaison
avec l’Asie Mineure ; il y réussit auprès de l’évêque Firmilien
(Cyprien, Ep. 75). On n’en vint cependant pas à la rupture avec l’Église.
Cyprien mourut martyr pendant la persécution et les évêques africains se
soumirent à la pratique romaine. Dans un ouvrage sur la réitération du baptême
(Liber de rebaptismate), un auteur inconnu défend la
doctrine de l’Église contre S. Cyprien. Cependant on discute encore sur la
conception de S. Cyprien. D’après certains, elle est orthodoxe ; d’après d’autres,
il n’attribue au baptême des hérétiques que la valeur cérémonielle, dépourvue
de force, du baptême d’eau, qui doit être complété par l’imposition des mains
de l’évêque, dans la communication du Saint‑Esprit, au
moment du retour à l’Église. Cf. le traité du baptême (§ 170).
S. Augustin a plus tard
défendu, d’une manière générale, la validité du sacrement administré en dehors
de l’Église. Au sujet du baptême des hérétiques et de sa validité, il écrit contre
le donatiste Cresconius, qui le sommait de donner des
preuves bibliques, en se référant à la pratique de l’Église : « Bien
que, sur cette affaire, on ne puisse pas citer un exemple certain dans les
Écritures canoniques, on peut, sur ce point aussi, faire valoir la vérité de
ces Écritures, car nous agissons selon l’usage de l’Église entière dont l’autorité
est garantie par l’Écriture. Aussi, comme l’Écriture ne peut pas tromper, celui
qui, dans cette question obscure, craint de se tromper n’a qu’à interroger l’Église,
laquelle est attestée par l’Écriture sans aucune équivoque » (C. Cresc. Donat., 1, 33 : M. 43, 466).
S.
Augustin juge de même sur l’Ordre.
Même si celui qui est ordonné se trouve en dehors de l’Église, il peut exercer
efficacement son pouvoir sacerdotal, mais ce sera pour sa propre condamnation.
Son caractère sacerdotal reste attaché à lui ; il est inamissible,
et c’est pourquoi il ne peut pas être réitéré : « De même que le
baptisé, quand il se sépare de l’unité, ne perd pas le sacrement de baptême, de
même celui qui a été ordonné, quand il se sépare de l’unité, ne perd pas le
sacrement de l’administration du baptême (c.‑à‑d. par conséquent, le pouvoir
sacerdotal) » (C. Donat., 1. 1). Dans ce livre, l’Ordre est traité d’une
manière complètement analogue au baptême. Cf. encore C. Ep. Parm.
2, 28 : « On ordonne un clerc pour diriger une réunion de
fidèles ; supposé que cette réunion n’ait pas lieu, le sacrement de l’ordre
reste validement conféré. Bien plus, lors même qu’en
punition de quelque faute ce clerc mériterait d’être interdit des fonctions de
son ordre, il conserve toujours le caractère du sacrement et il le portera au
jugement dernier ».
Au
reste, S. Augustin ne met pas du tout les sacrements administrés dans l’Église
et ceux qui sont administrés dehors sur le même pied. Il distingue deux effets
des sacrements de baptême et d’Ordre : le caractère et la grâce.
Seul le caractère est reçu en dehors de l’Église ; le second effet, la
charité, ne peut être conféré que par le sacrement administré dans l’Église.
S.
Augustin distingue constamment, dans sa polémique contre les donatistes, une
double possession des sacrements : une possession stérile et une possession fructueuse :
« que peuvent donc espérer ceux qui, n’appartenant à l’unité que par
jalousie ou par malveillance, sont évidemment privés de la charité, selon la
pensée de saint Paul, développée par Cyprien ; et cependant, ils peuvent
recevoir et conférer le véritable baptême. « Hors de l’Église, dit‑il, point de salut ». Qui pourrait en douter ?
Par conséquent, les biens de l’Église, conférés hors de l’Église, ne peuvent
rien pour le salut. Mais une chose est de ne
point posséder ces biens, autre chose est de les posséder inutilement
» (De bapt. c. Donat., 4, 17,
24).
Les
théologiens appliquent également aux autres sacrements le principe établi dans
l’Église des Pères, au sujet des sacrements de baptême et d’Ordre reçus en
dehors de l’Église. Mais la condition préalable pour qu’on puisse reconnaître
de tels sacrements est un sacerdoce
véritable remontant aux Apôtres, comme c’est le cas dans l’Église grecque
schismatique. Léon XIII dut, après un examen minutieux, refuser de reconnaître
la validité des Ordres dans l’Église anglicane (Denz.,
1963 sq. ; cf. 1685).
Cependant,
ce que l’on reconnaît tout d’abord en cas de validité du sacerdoce, c’est
seulement la validité du
sacrement ; on n’affirme pas immédiatement sa pleine efficacité. S.
Augustin faisait déjà une distinction importante qui avait échappé à S.
Cyprien. L’hérétique formel et conscient
reçoit bien le sacrement et le caractère, mais il ne reçoit pas la grâce
sanctifiante. Quant à l’hérétique inconscient
qui est de bonne foi, il reçoit aussi la grâce. L’hérétique formel ne la reçoit
que lorsqu’il se repent et revient à l’Église.
La
Scolastique suivit, sur ce point
aussi, son maître S. Augustin. Elle se tint, d’une manière générale, à ce
principe que seul le prêtre
administre les sacrements. Cependant, dans la question spéciale de sa
coopération elle‑même, les opinions divergeaient. On y
voyait d’ordinaire plus qu’une coopération extérieure et ministérielle ;
puis S. Thomas la réunit au sacrement lui‑même dans l’unité
physique de la causalité instrumentale. Pourvu que le ministre eût le caractère
sacerdotal, on considérait l’administration comme objectivement sûre, si par
ailleurs le rite était accompli convenablement. Au sujet de l’administration
hérétique, S. Thomas dit, d’une
manière absolument générale, sans exclure de sacrements particuliers, que le
ministre n’est qu’un instrument entre les mains du Christ, lequel demeure, de
son côté, le principal ministre de ses sacrements. C’est pourquoi les
sacrements administrés par les hérétiques sont, eux aussi, valides. Mais il distingue, avec plus de précision, le cas où l’incroyance
a pour objet le sacrement lui‑même et
celui où elle a pour objet un autre point de foi. Dans le second cas, l’incroyance
ne nuit pas, en soi, à la validité du sacrement ; dans le premier cas, le
ministre incroyant doit tout au moins avoir l’intention de faire ce que fait l’Église
en administrant un sacrement. Si l’hérétique emploie une fausse formule, le
sacrement est alors complètement nul. S’il emploie la forme prescrite, il
accomplit le sacrement (sacramentum tantum), bien qu’il
ne communique pas la grâce (res sacramenti).
Ce dernier cas s’applique, d’après S. Thomas, aux hérétiques malveillants. Car il dit au même
endroit : « Le pouvoir d’administrer les sacrements appartient au
caractère sacramentel du sacerdoce qui est un caractère ineffaçable. Et ainsi
le prêtre excommunié, suspens, déposé, ne perd pas le pouvoir sacerdotal lui‑même, mais il perd le droit d’en user. Par
suite, il pèche quand il administre un sacrement : quant au sacrement, il
existe dans sa pleine validité. Et celui qui le reçoit pèche et ne reçoit pas
ainsi la chose ou l’effet du sacrement ; à moins qu’il n’y ait ignorance de sa part » (S. th., 3, 64, 9).
Cette ignorance peut exister chez le prêtre lui‑même, s’il
ne s’est pas séparé lui‑même de l’Église,
mais est né, a été élevé et ordonné dans l’hérésie ou le schisme, comme c’est
le cas, par ex., de l’Église grecque. De fait, l’Église reconnaît, elle aussi,
tous les sacrements administrés validement en dehors d’elle ; elle
manifeste ainsi sa foi à leur valeur objective, par la pratique.
Il
faut encore remarquer que tous les prêtres ne peuvent pas administrer tous les
sacrements et que quelques‑uns ne sont
administrés que par l’évêque. Cette
ordonnance vaut également pour les sacrements administrés en dehors de l’Église.
Cf. cependant chaque sacrement en particulier.
THÈSE. Pour la validité de l’administration,
la dignité morale du ministre n’est pas requise. De foi.
Explication. Cette thèse a été définie d’une manière tout à fait
générale par rapport à tout sacrement. Le concile de Trente déclare :
« S. q. d. que le Ministre du Sacrement qui se trouve en péché mortel, quoique d’ailleurs il observe toutes les choses
essentielles qui regardent la confection, ou la collation du Sacrement, ne fait
pas, ou ne confère pas le Sacrement : Qu’il soit anathème » (S. 7, c.
12) : Denz., 855). Cette décision mettait fin à
une vieille erreur qui, depuis Tertullien et les montanistes, a toujours été
renouvelée par les rigoristes et, en
dernier lieu, par Wiclef et Huss. Le dogme n’entend pas
enseigner que la moralité du ministre est indifférente ; au contraire, l’Église
oblige gravement le ministre à posséder cette moralité et sait très bien que le
ministre lui‑même tire de nombreux avantages accidentels d’une administration digne.
Preuve. Le Christ et les Apôtres ont supposé en général les
dispositions morales du ministre. Mais nulle part ils n’ont fait dépendre de
ces dispositions l’efficacité du sacrement. Le Christ sait qu’il y a des
indignes qui, en son nom, ont prophétisé et chassé le démon (Math., 7, 22). S.
Paul enseigne aux Corinthiens : « Ce n’est pas celui qui plante qui
est quelque chose, ni celui qui arrose, mais celui donne la croissance,
Dieu » (1 Cor., 3, 7). « Qu’est donc Apollo, qu’est Paul ? Des
serviteurs de celui à qui vous croyez » (1 Cor., 3, 4 sq.). « Est‑ce que par hasard Paul a été crucifié pour
vous ? » (1 Cor., 1, 13).
Les Pères. Dans la
lutte contre les donatistes, qui n’admettaient
pas la consécration de Cécilianus de Carthage, parce
que son consécrateur, Félix d’Aptunga, était un
« traditor », S. Augustin apporta les
vraies raisons théologiques pour la solution de la question. Il réfuta les
objections donatistes tirées de l’Écriture (Lév. 19,
2 ; Jér., 2, 13 ; Prov., 9, 18 ; Ez., 36, 25 ; Ps. 140, 5 ; Jean, 9, 35 ;
Luc, 11, 32 ; 1 Jean, 2, 18), il leur opposa des preuves bibliques
proprement dites (1 Cor. 1, 3 ; 3, 6. Jean, 1, 33) et fit ressortir que, d’après
l’Écriture, c’est le Christ qui
baptise ; que ce soit Jean ou Paul ou Pierre ou Judas qui le fasse, c’est
en définitive une action du Christ (In Joan., 5, 18). Personne ne pourrait, dit
avec raison S. Augustin, porter un jugement certain sur la moralité intérieure
du ministre. Si, par ailleurs, on ne considère comme nécessaire et suffisant qu’une
justice extérieure, on enlève au
principe tout entier son importance et sa force. Il est donc complètement
insoutenable. La nourriture saine, dit‑il, est
toujours utile, qu’elle soit mangée dans un plat d’or ou dans un plat de terre.
« Nous sommes bons, nous sommes ministres ; nous sommes mauvais, nous
sommes ministres ». Mais, bien entendu, cela n’est pas indifférent pour le
prêtre : « Mais bons et fidèles
ministres, véritables
ministres » (Morin, p. 150).
S. Cyprien et ses
partisans avaient allégué deux arguments contre la validité des sacrements
administrés hors de l’Église, contre le ministre hérétique ou indigne : 1°
« Personne ne donne ce qu’il n’a pas ». S. Augustin répond :
« C’est le Christ qui baptise » (que le ministre soit Pierre ou
Judas) ; 2° « Extra Ecclesiam non potest recipi gratia
Spiritus Sancti vel caritas ». S. Augustin répond : « le
bienheureux Cyprien... ne sut pas distinguer le sacrement de son effet ou de
son usage » (De bapt. c. Donat., 6, 1, 1). Cela
était plus clair que les raisons que S. Étienne 1er exposait contre
S. Cyprien en se référant à la valeur constante de la formule trinitaire (Denz., 47).
C’est
dans le sens d’Augustin et de son temps que décida plus tard le Pape Nicolas 1er (+ 867). A une
question des Bulgares il répondit que le baptême administré par des Juifs et des païens est administré validement s’ils emploient la forme
convenable (Denz., 335). Il décide à ce propos qu’on
n’a pas à s’inquiéter de la qualité morale du prêtre tant qu’il n’a pas été
déposé par l’évêque. Il emploie ensuite, pour expliquer le dogme, une image
utilisée déjà par Anastase II (+ 498) : De même que les rayons du soleil
ne sont pas souillés en tombant dans un cloaque, de même les sacrements divins
ne peuvent pas l’être par des ministres mauvais (Denz.,
169).
Comme
raison théologique, S. Thomas fait
valoir que le prêtre n’agit que comme cause instrumentale et demeure, par
conséquent, dépendant de Dieu, lequel peut accomplir ses œuvres même par le
moyen de ministres morts spirituellement, pourvu que le sacrement en soi soit
administré comme il faut (S. th., 3, 64, 5 ; cf. 2, 2, 39, 3).
Au
Moyen‑Age, les Albigeois et les Vaudois reprirent les anciens principes rigoristes. Mais Innocent
III (+ 1216) les condamna (Denz., 424) ; Jean
XXII (+ 1334) condamna des opinions semblables des fraticelles (Denz., 488), et le Concile
de Constance réprouva les propositions de Wiclef et de Huss (Denz., 584, 672).
Au
sujet de l’Ordre, il y eut, jusqu’à l’époque
de la Scolastique, même parmi les théologiens, beaucoup d’incertitude. On
procéda souvent à des réordinations,
quand l’Ordre avait été conféré par un évêque hérétique, schismatique ou
simoniaque. Tout cela se fit pour des raisons de politique religieuse et parce
qu’on subissait encore l’influence des idées exprimées déjà par S.
Cyprien : « Mais comment celui‑là pourrait‑il purifier et sanctifier l’eau, qui est lui‑même impur ? » (Ep. 69, 8).
« Personne ne peut donner ce qu’il n’a pas. » Et pourtant ces
principes ne valent que d’une manière générale et dans le domaine
naturel : là encore ils ne valent pas toujours ; autrement un médecin
malade ne pourrait guérir personne. Mais ils n’ont aucune valeur dans l’ordre
surnaturel, quand Dieu lui‑même est la
cause principale de l’action et que le ministre n’est qu’un instrument.
L’administration
indigne est jugée par la théologie
morale avec S. Thomas comme un péché grave, parce qu’elle est une offense faite
à Dieu et déshonore subjectivement le sacrement (S. th., 3, 64, 6). Pour l’administration
en cas de nécessité urgente, les
théologiens recommandent de produire un acte de contrition parfaite. Cependant,
pour la célébration de l’Eucharistie,
le Concile de Trente exige, en cas de péché mortel, la confession (S. 13, can. 11 ; cf. c. 7). En cas de nécessité,
il est également permis de recevoir
un sacrement d’un ministre indigne (Trid., S. 14, c.
7). C’est déjà ainsi que juge S. Augustin (De bapt.,
1, 2 sq.).
THÈSE. Pour l’administration valide
des sacrements, le ministre doit avoir, en plus des pouvoirs, l’intention de
faire comme fait l’Église. De foi.
Explication. Comme les Réformateurs ne voyaient dans les
sacrements que des moyens d’exciter la foi, l’intention du ministre leur était
indifférente. C’est pourquoi le Concile de Trente
définit : « S. q. d. que l’intention, au moins celle de faire ce que
l’Église fait, n’est pas requise dans les Ministres des Sacrements, lors qu’ils
les font, et les conférent : Qu’il soit Anathème (S. 7, can. 11 : Denz. 854 ; cf. 424, , 672,
695). L’intention est l’acte de volonté
déterminé d’atteindre un certain but
par un certain moyen, comme, par ex., d’obtenir la guérison en prenant une
médecine (S. th., 1, 2, 12, 1 et 4). Le ministre doit avoir l ’intention
précise de faire par son action ce
que fait l’Église quand elle entreprend la même action. C’est
par l’intention que le ministre s’unit au Christ et à l’Église et que son
action devient une action sacramentelle et surnaturelle. Il se fait alors consciemment
et librement cause instrumentale dans la main du Christ ; car « C’est
le Christ qui baptise », dit S. Augustin. On ne doit pas confondre l’intention
avec l’attention qui est un acte de l’intelligence
qui suit et remarque l’administration dans ses détails.
Preuve. L’Écriture ne mentionne pas formellement l’intention.
Mais notre thèse ressort de la mission qu’a donnée le Christ d’administrer les
sacrements, par ex. le Baptême, l’Eucharistie. En effet, on ne peut pas remplir
cette mission par un accomplissement accidentel ou arbitraire du rite
extérieur ; on ne peut le faire qu’en s’appropriant de quelque manière l’intention
du Christ. S. Paul dit : « Que chacun nous tienne pour les serviteurs
du Christ et les dispensateurs des mystères de Dieu. » (1 Cor., 4, 1). Or
le serviteur doit vouloir faire ce que le maître lui commande. Maître et
serviteur doivent, par la même intention, ne faire pour ainsi dire qu’une personne. Les Actes des Apôtres racontent plusieurs fois que les disciples
administraient le baptême « au nom de Jésus », c.‑à‑d.
d’après l’ordre et l’intention de Jésus. De même ils rattachent la rémission
des péchés à son nom (Act. Ap.,
2, 38 ; Jacq., 5, 14) et célèbrent l’Eucharistie en mémoire de lui (1
Cor., 11, 25).
Les Pères. Dès le
début, on supposait l’intention convenable, toutes les fois que l’action
extérieure était accomplie comme il faut. Le premier qui fasse allusion à l’intention
est S. Augustin. Il examine la question de la validité du baptême administré
« par plaisanterie et d’une manière mimique » ; il ne veut pas donner
de décision définitive et préfère attendre le jugement d’un concile général (De
bapt., 7, 53, 102 : M. 43, 242 sq.).
La
Scolastique reprit la question que
les Pères avaient laissée en suspens et essaya de la résoudre. Cela n’alla pas,
au début, sans divergences d’opinions. D’après les recherches de Gillmann, qui se
rapportent aux théologiens et aux canonistes, presque toutes les opinions
possibles furent représentées dans la Scolastique primitive. La question de l’intention
du ministre se mêla à celle de l’intention du sujet. Naturellement c’est l’intention
du ministre qui entre surtout en ligne de compte à l’occasion du baptême et de
la consécration ; on examine celle du sujet à propos du baptême, de l’ordination
et du mariage. C’est par rapport à ces sacrements que la question est d’ordinaire
discutée entre les auteurs. Hugues de Saint‑Victor (+
1141) a de bonne heure une conception correcte : il exige d’une manière
générale l’intention, repousse les opinions opposées et fonde, comme aujourd’hui,
la nécessité de l’intention sur cette raison que l’œuvre du service de Dieu
doit se faire d’une façon raisonnable ; mais après lui les avis sont
parfois très différents.
Au
sujet du contenu de l’intention exigée, on trouve pour la première fois chez Petius Cantor (+ 1197) les linéaments de la formule
postérieure : « l’intention de faire ce que l’Église fait ».
Guillaume d’Auxerre (+ vers 1231), dans sa « Summa aurea »
qui appartient déjà à l’époque de transition qui mène à la haute Scolastique,
déclare au sujet du baptême : « Si nullus crederet, tamen
si aliquis uteretur forma debita verborum et haberet intentionem faciendi quod facit Ecclesia (ici le terme
« Église » est pris dans un sens indéterminé) baptismus
esset. »
La
haute Scolastique, là encore, pouvait
prendre possession d’un héritage ferme du passé et n’avait qu’à lui donner une
expression plus précise et à le fonder sur de bonnes raisons. La doctrine de l’intention
est, en général, la même chez tous, malgré des différences dans l’explication
des détails. Alexandre signale que c’est l’intention qui fait, de l’administration,
un acte raisonnable. S. Bonaventure remarque que c’est elle qui unit la matière
et la forme et les rapporte à leur vraie fin. S. Thomas indique que l’intention fait du signe en soi indéterminé,
un signe sacramentel, soumet le ministre au Christ, la cause principale, et le
met à sa disposition. Le ministre est mû par Dieu pour qu’il se meuve lui‑même, reçoive en lui l’action divine et la
communique (S. th., 3, 64, 8). « L’intention bouffonne ou moqueuse exclut
la première espèce de droiture qui rend le sacrement valide » (3, 64, 10
ad 2).
De
ce qu’on vient de dire, il résulte que tous ceux qui ne peuvent pas avoir l’intention
requise, parce qu’ils ne peuvent pas
accomplir un acte vraiment humain (enfants qui n’ont pas l’âge de raison,
déments, personnes sans connaissance, personnes ivres), comme tous ceux qui ne veulent pas se faire de quelque manière
les instruments du Christ et de son Église, ne peuvent pas être ministres d’un
sacrement.
Ce
texte de Luther caractérise sa manière de voir sur l’intention : « S’il
était possible que quelqu’un se confesse sans contrition ou bien qu’un prêtre
par légèreté ou en plaisantant l’absolve, si bien qu’il croie être absous, il
serait certainement absous. » Ed. Clemen 2, 95.
Nature
de l’intention. On peut considérer
l’intention d’après son aspect subjectif comme d’après son aspect objectif.
A) Du point de vue subjectif, les théologiens distinguent l’intention actuelle,
virtuelle et habituelle : 1° L’intention actuelle est le dessein, conçu
auparavant et persistant pendant l’action, d’accomplir le sacrement, uni à l’attention
portant sur tous les éléments de l’action ; 2° L’intention virtuelle a bien été formée auparavant,
mais elle ne persiste pendant l’administration que dans sa vertu de telle sorte que l’on peut considérer l’action comme
émanant d’elle ; 3° L’intention est habituelle
quand l’acte de volonté correspondant a bien été produit avant, mais n’existe
plus et ne persiste pas pendant l’administration, sans avoir non plus été
formellement révoqué, de telle sorte que cette intention n’exerce aucune
influence efficace sur l’action.
Il ne peut être question, dans l’administration
des sacrements, que de l’intention actuelle et virtuelle. La première est sans
doute désirable, mais en raison de la difficulté qu’elle comporte, les
théologiens se contentent de la seconde.
B) Du point de vue objectif, ou d’après son contenu,
l’intention doit tout au moins contenir la volonté de faire ce que fait l’Église, car cela est expressément exigé par la
définition ecclésiastique.
Les
théologiens essaient d’expliquer avec plus de détails cette décision générale.
Ils excluent seulement l’administration faite « par plaisanterie », comme
dans le cas qu’on raconte, sans garantie, de l’enfance de l’évêque Athanase (Schanz, 173), mais que les scolastiques ont discuté
sérieusement (Roland, Gietl,
205 sq. ; Gillmann,
Intention, passim). Ils exigent, en général, une intention sérieuse du ministre.
Cette intention doit avoir pour but de faire
ce que fait l’Église. Mais il n’est
pas nécessaire qu’elle ait comme but précis d’envisager l’effet particulier du
sacrement. Ensuite, par « Église », il n’est pas nécessaire non plus
d’entendre l’Église catholique ; il suffit de se représenter d’une manière
générale l’Église du Christ. Le ministre n’est obligé de croire ni à cette
Église ni à ses sacrements. Cela a déjà été examiné plus haut (§ 162). En tant
que positive, l’intention doit tendre
à appliquer la matière et la forme au sujet, de telle sorte que l’action
sacramentelle qui en résulte soit vraiment reconnaissable.
S. Thomas :
« Par conséquent comme il n’est pas nécessaire pour la perfection des
sacrements que le ministre ait la charité…
de même il n’est pas nécessaire qu’il ait la foi pour que le sacrement soit valide » (S. th., 3, 64, 10).
Même quand l’incroyance a pour objet le sacrement lui‑même, pourvu que le ministre sache que, par
le rite qu’il accomplit, l’Église « veut administrer le sacrement »,
il peut sans aucun doute avoir l’intention de faire ce que fait l’Église, même
s’il pense personnellement que l’Église a tort et que ce qu’elle fait est nul.
Et une telle intention suffit (S. th., 3, 64, 9).
Intention interne ou intention externe. Schanz dit, au sujet de la controverse concernant l’intention
interne et l’intention externe, qu’elle tend, en dernière analyse, à savoir si
une administration faite avec une hypocrisie interne est encore valide. Mais
une action mensongère n’est pas une administration de sacrement. Les partisans
de l’intention interne exigent que le ministre ne se contente pas d’accomplir l’action
extérieure, mais encore qu’il la veuille
intérieurement comme une action sainte, religieuse, sacramentelle. Par
contre, les partisans de l’intention externe estiment suffisant que le ministre
accomplisse l’action sacramentelle d’une manière convenable, alors même que ses
dispositions intérieures seraient indifférentes et même négatives, si bien qu’il
ne voudrait pas accomplir le rite religieux professé dans le christianisme (intent. mere externa).
Un des principaux tenants de l’intention externe fut le dominicain Ambrosius Catharinus (+
1553). Il eut beaucoup de partisans au 18ème siècle. Mais aujourd’hui,
la plupart des théologiens défendent, avec raison, l’intention interne (Specht,
2, 183 sq.).
Pour
écarter les troubles que pourraient
éprouver ceux qui reçoivent les sacrements, les théologiens font remarquer qu’en
dernière analyse c’est le Christ qui administre les sacrements et que l’Église
supplée les déficiences possibles du ministre. Schanz écrit : « Il
faut, dans les cas de nécessité comme dans toute l’œuvre du salut, tenir compte
de la sagesse et de l’amour de Dieu, qui ont trouvé une expression formelle
dans le « supplet Ecclesia »)
(p. 183). « Le ministre du sacrement agit au nom de toute l’Église, dont
la foi supplée à ce qui manque à la foi du ministre » (S. th., 3, 64, 9).
Dans les paroles (extérieures) que prononce le ministre, s’exprime l’intention
de l’Église et cette intention suffit pour l’accomplissement du sacrement,
quand le contraire n’a pas été manifesté d’une manière expresse et discernable
de la part du ministre ou du sujet (S. th., 3 ; 64, 8 ad 2). A ceux qui,
pour la tranquillité des consciences, voudraient se contenter de l’intention
externe, Stentrup
répond qu’il faut s’en tenir à l’intention interne, mais qu’il faut en appeler
à l’efficacité de la cause principale plutôt qu’à celle de la cause seconde,
par conséquent au Christ et au Saint‑Esprit qui
sont présents dans l’Église tous les jours jusqu’à la fin du monde. « Dato igitur, solis
causis secundis consideratis, ancipites hærere nos de ministrorum intentione ideoque de valore ordinationum posse, omnis tamen dubitatio
præciditur, si animum ad principem causam erigamus. » Puis il rappelle qu’en dehors de la
certitude stricte, métaphysique et physique, il y a encore une certitude morale
qui exclut tout doute prudent (De sacram. in genere (1888), 112 sq.).
Disons
encore que l’intention doit être déterminée
« quoad materiam »
(dans l’Eucharistie) et « quoad personas » (dans les autres sacrements). Et enfin elle
doit être absolue, sans condition et
appliquée à l’acte d’administration actuel ;
car ce n’est que de cette façon que l’unité
du signe et de l’intention sera réalisée. Si l’on fait dépendre l’administration
d’une circonstance qui ne se produira que dans l’avenir, l’administration est invalide. Si, par contre, on la fait
dépendre d’une condition qui se trouve dans le passé ou dans le présent
l’administration est valide si la condition est actuellement remplie, elle est
invalide si la condition n’est pas remplie. Une administration avec une « intentio de futuro » est
toujours nulle, car dans l’avenir le sacrement n’a plus d’être et dans le
présent il lui manque l’intention. Il en est du sacrement comme de tout
être : il ne peut agir que là où il existe, ni avant ni après.
La
nature particulière du mariage qui
est un contrat bilatéral, fait que les contractants peuvent lier leur
consentement (intentio) à une « condition
suspensive » de futuro.
Dans ce cas, l’effet sacramentel du contrat n’a lieu que dans l’avenir avec l’accomplissement
de la condition, ou bien l’acte
entier est invalide, précisément parce que la condition ne se réalise pas. Si
avant la réalisation de la condition se produit une « copula carnalis » librement voulue, elle supprime la
condition et et opère « ipso facto » le
mariage complet. Cf. Droit matrimonial.
Remarque. En général,
chacun doit administrer et recevoir les sacrements dans son rit. (C. J. C.,
733, § 2. Cf. cependant can. 851, § 2 et can. 866).
Concernant le sujet des sacrements, l’Église
a eu rarement l’occasion de se prononcer. On peut cependant établir et fonder
théologiquement les thèses suivantes.
Ne
peut être sujet des sacrements qu’une personne humaine dans l’état de voie. Les anges, les défunts, les créatures sans raison
ne peuvent pas recevoir de sacrement.
La
preuve se trouve dans la notion du sacrement qui est un moyen de grâce destiné
à l’homme sur cette terre. Les anges n’appartiennent pas à l’Église de la
terre. Les morts ne peuvent pas recevoir de sacrement, car l’âme qui reçoit la
grâce n’est plus là. Si le zèle pieux des chrétiens a administré même à des
morts le baptême (cf. 1 Co., 15, 29 ; Tertull.,
De resurr., 48) et, pendant longtemps, l’Eucharistie
également, cela s’est fait contre la volonté de l’Église et, pour ce qui est de
l’Eucharistie, malgré les interdictions répétées des conciles. (Cf. Héfélé, 2, 52 ; 3, 41, 547). Les indulgences et le sacrifice
de la messe ne sont pas des sacrements, mais sont appliqués par mode de
suffrage aux trépassés ; nous n’avons donc pas à en parler ici. Les
créatures sans raison ne peuvent pas recevoir la grâce (cf. ci‑dessus § 114) parce qu’il leur manque l’aptitude
pour cela et parce que leur fin étant purement naturelle, le sacrement serait
sans but. La Scolastique s’est tourmentée inutilement en se posant ce
problème : Que recevrait une bête si elle mangeait une hostie
consacrée ? On répondait : Elle ne recevrait pas le corps du
Seigneur, mais les accidents du pain (Alanus). Il y a
des problèmes absurdes et on n’en a que trop posé.
Tous
les hommes ne peuvent pas recevoir tous les sacrements.
Toutes
les personnes humaines peuvent recevoir le baptême
et ensuite la Confirmation et l’Eucharistie. Les quatre derniers
sacrements sont liés à des conditions morales
et physiques déterminées que l’on
examinera en détail à propos de chaque sacrement. La Pénitence a été établie
pour l’état de péché et l’extrême‑onction pour la maladie. L’Ordre ne peut être reçu que par des personnes de sexe
masculin et le mariage que par des personnes qui possèdent les aptitudes physiques
pour cela. Cf. les sacrements en particulier.
Pour
la validité de la réception, l’intention de recevoir le sacrement est
nécessaire.
La
preuve réside déjà dans ce fait qu’un
sacrement ne peut pas être imposé ; il doit être reçu librement et pour
cela il faut, de quelque manière, une intention positive. D’après le Concile de
Trente, la justification a lieu
« par la libre acceptation de la grâce et des dons. » (S. 6, c. 7).
Certains sacrements imposent des obligations spéciales, comme l’Ordre et le mariage. Le baptême peut être
administré à des enfants qui n’ont pas encore la raison et qui sont incapables
d’intention, parce qu’il n’impose que les devoirs généraux du chrétien. Pour
les autres sacrements, on n’exige qu’une intention générale. Nous devons réserver les détails pour l’étude spéciale des
sacrements.
Pour
la réception valide, ni la foi orthodoxe, ni les dispositions morales ne sont
nécessaires.
La
preuve se trouve dans ce qu’on a dit
plus haut (§ 162) sur l’administration en dehors de l’Église. En cas de
« bonne foi » (bona fides),
le sacrement opère la grâce ; faute de dispositions morales (fictio), il ne produit que le caractère et n’opère la grâce
que lorsque l’« obex » est écarté. Il n’est
permis d’administrer les sacrements aux hérétiques et aux schismatiques que
lorsqu’ils ont abjuré leurs erreurs et se sont réconciliés avec l’Église (C. J.
C. can. 731, § 2) ; quand ils sont sans connaissance et qu’on peut
supposer qu’ils renonceraient maintenant à leurs erreurs, on peut leur donner sous condition l’absolution
et l’extrême‑onction.
Pour
la réception digne des sacrements, les dispositions morales du sujet sont
nécessaires.
Le
Concile de Trente enseigne
expressément l’efficacité objective des sacrements, mais il demande aussi des
dispositions positives pour leur
réception. Cela a déjà été exposé dans le traité de la grâce (ci‑dessus § 127 sq.). Le Concile de Trente fait
dépendre l’effet de grâce du sacrement, de l’éloignement ou de l’absence de l’« obex ». Les théologiens distinguent un
« obex » physique (obex sacramenti) et un « obex » moral (obex gratiæ). Le premier empêche l’existence
du sacrement, le second, la production de la grâce par le sacrement.
Le premier rend le sacrement invalide, le second rend la réception du sacrement
objectivement illicite et, quand le sujet en a conscience, sacrilège. Il n’est
question ici que de l’« obex » qui s’oppose
à la grâce. Il consiste, pour les sacrements des morts, dans le défaut de
contrition et, pour les sacrements des vivants, dans l’absence de grâce
sanctifiante.
Quand
un sacrement a été reçu avec un « obex », l’effet de grâce ne se
produit qu’après l’éloignement de cet « obex », alors le sacrement
revit (reviviscentia
sacramenti).
On
trouve déjà, chez S. Augustin, sinon l’expression au moins la chose. Sa
doctrine du « character indelebilis »
(p. 243) doit expliquer la « reviviscentia sacramenti » au cas où le sacrement a été reçu sans
pénitence (il écrit d’après Sag., 1, 5 : « ficte » ou bien en dehors de l’Église). S. Thomas écrit : « Le
sacrement de baptême est l’œuvre de Dieu et non de l’homme. C’est pourquoi ce n’est
pas une œuvre morte dans celui qui dissimule et qui reçoit ce sacrement sans la
charité (S. th., 3, 69, 10 ad 1). La condition préalable pour la reviviscence,
c’est l’administration valide. Alors
le sacrement a déjà reçu dans l’homme son être surnaturel, mais n’a pu, en
raison du « verrou », exercer son effet complet dans l’âme et y a
seulement imprimé le caractère. Par suite, dans son être physique, il est déjà
disparu, mais dans son effet prochain (s. et res), il
existe encore dans l’âme. Dans cette production du caractère réside un droit
concédé à la grâce correspondante et il suffit d’écarter le
« verrou » pour que le caractère opère son effet et entraîne après
lui la grâce. Certains théologiens admettent aussi une reviviscence pour l’extrême‑onction et le mariage, parce que, à certains égards,
ces sacrements ne peuvent être reçus qu’une fois et que le sujet perdrait à
jamais l’effet sacramentel si cet effet ne devait pas se produire en raison de
la pénitence ultérieure et de l’éloignement de l’« obex ».
Cependant il est assez difficile d’expliquer théologiquement cette
reviviscence, à moins d’admettre, avec certains théologiens, comme effet
sacramentel prochain (s. et res), un « quasi‑caractère ». Il est absolument
impossible de concevoir une reviviscence pour la Pénitence et on ne le peut
guère pour l’Eucharistie. Quand on reçoit ces sacrements d’une manière indigne,
on les reçoit aussi d’une manière invalide. Cela est certain pour la Pénitence.
Pour l’Eucharistie, on pourrait songer à une reviviscence tant que les saintes
Espèces ne sont pas corrompues.
La
question de l’administration du baptême sous
condition aux enfants trouvés a déjà été examinée par la Scolastique
primitive, qui s’est prononcée pour l’affirmative en se référant à S. Léon 1er
(Roland, Gietl, 208).
Synthèse. L’administration
et la réception d’un sacrement peuvent être : 1° Valides, quand du côté du
ministre comme du côté du sujet se trouve tout ce qui appartient à l’essence du
sacrement ; 2° Invalides quand il y a un « defectus » ;
3° Licites quand des deux côtés on observe toutes les prescriptions du Christ
et de l’Église à ce sujet ; 4° Dignes quand, chez le ministre comme chez
le sujet, se trouvent les dispositions nécessaires. Un « defectus » ici est ordinairement un péché grave, à
moins qu’il n’y ait des « causes excusantes ».
Les dispositions du sujet seront examinées à propos de chaque sacrement. Du
ministre il est exigé : 1° L’état de grâce ; 2° L’observation des
rites, d’après le rituel ecclésiastique ; 3° L’autorisation d’administrer
(sauf cas de nécessité) ; 4° L’exemption de censures. Le ministre officiel
est obligé « sub gravi » d’administrer les
sacrements « rationabiliter petentibus »
et même, éventuellement, la Pénitence et l’extrême‑onction, en s’exposant au danger de mort. Cf.
Théologie pastorale. - Le plus ancien
rituel pour l’administration des sacrements se trouve dans l’ordonnance
ecclésiastique dite égyptienne.
L’ensemble
de la législation concernant les sacrements a été confiée par Pie X à la
« Congrégation des sacrements » créée par lui. Sont exceptées les
questions de foi et de mariage, qui sont du ressort de la S. Congrégation du
Saint‑Office et les questions rituelles qui
relèvent de la Congrégation des Rites (Cf. C. J. C., can. 249).
A
consulter : Bittner,
De numero sacramentorum septenario (1859). Schanz, 192 sq. Pourrat,
232 sq. Sertillanges,
Les sept sacrements de l’Église (1911). E.
Dhanis, Quelques anciennes formules septénaires
des sacrements (Rev. d’hist. eccl.,
1930, 578-608). Hahn (protest)., Doctrinæ romanæ de numero sacramentorum rationes historicæ (1859).
THÈSE, Le Christ, en vertu de son
pouvoir divin, a institué tous les sacrements de la Loi nouvelle. De foi.
Explication. D’après leur notion même, les sacrements ne peuvent
être institués que par Dieu. Bien que
des hommes puissent ordonner des signes religieux, Dieu seul peut y unir sa
grâce. Il est l’auteur proprement dit du sacrement (auctor
principalis) ; lui seul a le pouvoir d’ordonner
des sacrements (potestas principalis). Le Christ possède cette puissance,
absolument, comme Dieu. Mais, en tant qu’homme, il a mérité les sacrements et, par suite, possède sur eux une puissance
d’autorité (p. auctoritatis) ou d’excellence (p. excellentiæ). Il a institué les sacrements comme homme en
vertu de la puissance divine.
Le Concile de Trente définit, contre les protestants qui voulaient voir dans la
plupart des sacrements une « invention humaine » : « S. q.
d. que les Sacrements de la nouvelle Loi n’ont pas été tous institués par notre
Seigneur Jésus‑Christ... Qu’il soit anathème (S. 7, can. 1 : Denz., 844). Au sujet de l’Eucharistie et de la Pénitence,
le Concile affirme encore spécialement l’institution par le Christ (S. 13, c.
2 ; S. 14,
c. 1 : Denz., 875, 894) ; de même pour l’Extrême‑Onction (S. 14, can. 1 : Denz.,
926). Une conception apparentée à celle des protestants est la conception moderniste. D’après les modernistes, les
sacrements sont apparus plus tard dans l’Église, comme une évolution historique
tirée de la pensée générale du Christ : « Les sacrements tirent leur
origine de ce que les Apôtres et leurs successeurs ont interprété une certaine
idée du Christ, sous l’influence mouvante des circonstances et des
événements » (Lamentabili, prop.
40 : Denz., 2040 ; cf. prop.
39).
Preuve. Il suffit ici de quelques éléments généraux de
preuves : les preuves particulières seront apportées pour les sacrements
particuliers. On ne doit pas attendre de l’Écriture
un jugement d’ensemble attestant que tous les sacrements ont été institués par
le Christ. Les sacrements sont attestés chacun en particulier, il n’y a pas de
jugement systématique. Mais le Christ a remis aux Apôtres l’Église constituée
et complète dans ses institutions essentielles, afin qu’ils l’administrent et
non afin qu’ils la fondent ou l’achèvent. C’est bien ainsi d’ailleurs que les
Apôtres l’ont compris ; ils se sont considérés comme les
« dispensateurs des mystères de Dieu » (1 Cor., 4, 1) et non comme
des gens chargés d’améliorer une institution ; dans tous les points importants,
ils se réfèrent au Christ. « Car personne ne peut poser un autre fondement
que celui qui a été posé, lequel est Jésus‑Christ »
(1 Cor., 3, 11).
Les Pères. Étant
donnée leur conception large des
sacrements, ils ne devaient pas examiner spécialement l’institution par le
Christ. Bien entendu, ils ramènent les sacrements principaux au Christ. C’est
ce que nous verrons plus tard en détail. Au sujet du baptême, S. Augustin dit que le Christ aurait pu,
sans doute, le faire instituer par des hommes. « Mais il ne voulait pas qu’un
homme mette sa confiance dans un homme » (In Joan., 5, 7).
De
même, la Scolastique insista très
peu, avant S. Thomas, sur l’institution par le Christ. Au sujet de Guillaume d’Auvergne (+ 1149), Ziesché porte ce
jugement : « De tout l’exposé une chose ressort avec certitude, c’est
que les sacrements doivent leur origine de quelque façon à une ordonnance divine,
car personne, pas même l’Église, ne peut par soi‑même
disposer des trésors de grâce de Dieu... Nulle part Guillaume n’entre dans plus
de détails. » (P. 19). Quelques scolastiques eurent à ce sujet des idées
peu claires. On jugeait d’une manière sûre par rapport au baptême et à l’Eucharistie.
Quant au mariage et à la Pénitence, P. Lombard les trouvait déjà dans l’ancienne
Loi. Cela n’est pas inexact, si l’on considère le mariage comme une institution
naturelle et la pénitence comme une vertu. Quant à l’Ordre et à l’Extrême‑Onction, il voudrait les rapporter aux
Apôtres. Alexandre de Halès
(+ 1245) pense que la Confirmation a été instituée dans son signe extérieur à
un Concile de Meaux (829) et l’a été « sous la motion du Saint‑Esprit ». Au sujet de l’Extrême‑Onction, de la Pénitence et de l’Ordre, il
juge comme P. Lombard. Petrus Cantor
(+ 1197) et Jacques de Vitry (+ 1240)
font dériver l’imposition des mains, dans la Confirmation, des Apôtres, et l’onction,
de l’Église (Cf. Gillmann, Guillaume d’Auxerre, 22).
S. Albert et S. Thomas soutiennent pour tous les
sacrements l’institution par le Christ. S. Thomas dit : « Comme toute
la vertu du sacrement provient de Dieu seul, il en résulte que Dieu a institué
tous les sacrements » (S. th., 3, 64, 2). Et comme le Christ est l’Homme‑Dieu, il pouvait
comme Dieu instituer les sacrements, mais comme Homme il en est la cause
méritoire et instrumentale et le ministre principal, qui a sur eux un pouvoir d’excellence
(S. th., 3, 64, 3). (Cf. Schanz,
112 sq.).
Dans
la théologie posttridentine,
les théologiens sont unanimes pour affirmer que tous les sacrements ont été
institués par le Christ. On ne différait d’avis que sur la question de savoir s’ils
avaient été établis dans les détails, quant aux parties intégrantes extérieures, la matière et la forme (in specie), ou bien si le Christ n’en a institué quelques‑uns que d’une manière générale (in genere), laissant à ses Apôtres le soin de préciser le
signe extérieur. Les deux opinions sont représentées par des théologiens
considérables. Pour l’opinion la plus rigide, on cite S. Bellarmin, Vasquez, Becanus, etc. ; pour l’opinion plus large, Dom. Soto, Suarez,
Estius, Tournely, Gotti, etc. Or il semble qu’il serait difficile de prouver
d’une manière apodictique que la détermination de la matière et de la forme de
tous les sacrements doit être ramenée au Christ. Schanz juge à ce sujet :
« A l’exception du baptême et de l’Eucharistie, on ne peut pas établir par
l’Écriture une ordonnance spéciale du Christ. De même, la Tradition n’est pas
unanime dès le commencement » (P. 114). Billot est du même avis (3è éd., 1, 161). Nous
examinerons de plus près cette question à propos de chaque sacrement.
L’explication
moderniste des sacrements est
exactement conforme à celle de la théologie
libérale. D’après Hamack, qui ne fait pas même
remonter le baptême au Christ, l’Église a elle‑même
institué tous les sacrements et les a habilement adaptés à toutes les
situations particulières des fidèles. D’après Loisy, c’est absolument de cette manière que les choses se sont
passées ; seulement l’évolution n’est pas achevée, mais elle est dans un
flux et un progrès perpétuels. « Sans programme
fait d’avance, une institution a pris vie, qui enveloppe l’homme d’une
atmosphère divine et qui, sans aucun doute, par l’harmonie interne de toutes
ses parties et par son influence puissante, représente la plus admirable
création qui soit jamais sortie spontanément d’une religion vivante. L’époque
où l’Église a fixé le nombre des sacrements n’est qu’un stade particulier de
cette évolution et n’en caractérise ni le commencement ni la fin. Le point de
départ est celui qu’on a déjà indiqué, c’est-à-dire le baptême de Jésus et la
Cène ; la fin n’est pas encore venue, car l’évolution sacramentelle, qui
dans son ensemble suit la même marche que l’Église elle‑même, ne peut cesser qu’avec celle‑ci. » (Évangile et Église (1904), 169
sq.).
THÈSE. Il y a sept sacrements de la
Loi nouvelle. De foi.
Explication. Dans le même premier canon, dans lequel le Concile
de Trente définit l’institution des
sacrements par le Christ, il enseigne aussi leur nombre septénaire en
déclarant : « S. q. d. que les Sacrements de la nouvelle Loi n’ont
pas été tous institués par notre‑Seigneur
Jésus‑Christ ; ou qu’il y en a plus ou moins de sept,
savoir, LE BAPTEME, LA CONFIRMATION, L’EUCHARISTIE, LA PENITENCE, L’EXTREME‑ONCTION, L’ORDRE, et LE MARIAGE ; Ou que quelqu’un
de ces sept, n’est pas proprement et véritablement un Sacrement : Qu’il
soit anathème » (S. 7, can. 1 ; Denz.,
844). Déjà avant les Réformateurs, les sectes spirituelles du Moyen‑Age (Vaudois, Cathares) avaient rejeté tous les
sacrements ; Wiclef et Huss en avaient rejeté
une partie. Luther conserva au
commencement trois sacrements : le Baptême, l’Eucharistie et la
Pénitence ; Mélanchton
en admit d’abord deux, puis quatre : le Baptême, l’Eucharistie, l’absolution
et l’ordination. L’ordre suivi par le Concile de Trente dans l’énumération des
sacrements a une raison dogmatique : les trois premiers sacrements fondent
et complètent la vie nouvelle ; la Pénitence et l’Extrême‑Onction la rétablissent lorsqu’elle est perdue ;
les deux derniers sacrements constituent un état.
Preuve. L’Écriture
ne traitant pas systématiquement des sacrements, on ne doit pas s’attendre à y
trouver le nombre septénaire formel.
Il suffit que nous puissions prouver par l’Écriture l’existence de chaque
sacrement.
Il n’est pas possible non plus de tirer
de la Tradition une preuve formelle
du nombre septénaire. L’Église posséda
et utilisa pendant des siècles les
sacrements sans se prononcer sur leur nombre. On peut donner comme raison de
cette manière d’agir la discipline de l’arcane qui avait pour but de préserver
les saints mystères de la moquerie des infidèles ; on peut alléguer aussi
le silence de l’Écriture sur le dénombrement des sacrements, mais aussi et
surtout le défaut de théologie sacramentaire et le flottement dans la notion de
sacrement en général.
La
discipline de l’arcane (disciplina arcana) est une
expression créée depuis les controverses posttridentines
(pour la première fois par le protestant Dallaeus, +
1670) pour désigner la coutume, en usage dans l’ancienne Église, qui consistait
à cacher certaines vérités et institutions chrétiennes importantes, aux
infidèles et même aux catéchumènes. Bien que les anciens cultes des mystères
païens aient gardé secrets, pour les non initiés,
leurs rites religieux, ce n’est pas à eux, quoi qu’en pensent Harnack et d’autres,
qu’on a emprunté, au 4ème siècle, la discipline de l’arcane ;
mais on s’est appuyé sur certaines assertions du Seigneur (Math., 7, 6) et des
Apôtres (1 Cor., 3, 2 ; Hébr., 5, 12-14), et on
a été guidé par l’esprit de foi et le respect des mystères. La discipline de l’arcane
régna du 2ème au 5ème
siècle ; en Occident, son dernier témoin est Innocent 1er (+ 417). On
doit reconnaître l’existence de la discipline de l’arcane, mais il ne faut pas
en exagérer l’influence. En tout cas, Battifol ne lui attribue pas assez d’importance, quand il ne
voit en elle qu’une simple méthode pédagogique destinée uniquement à exciter le
zèle des catéchumènes dans leur préparation aux trois premiers sacrements. Funk attaque sa manière de voir (Revue
de Tubingue, 1903, 69 sq.) et soutient l’importance
dogmatique de la discipline de l’arcane : elle avait sa raison d’être dans
l’esprit de foi et le respect des sacrements dont on jugeait que les
catéchumènes n’étaient pas encore dignes de connaître la nature complète (Cf.
Dict. théol., 1, 1738-1758 (Battifol) ; Pesch, 6, 36).
La
raison la plus profonde de la déficience des sources patristiques et
chrétiennes antiques, dans la question du nombre septénaire des sacrements ou
même d’une numération quelconque des sacrements, réside manifestement dans le
fait que la doctrine sacramentaire générale n’était pas encore
constituée ; cette œuvre ne fut entreprise que par les scolastiques. Tant
que régna la notion large de
sacrement et qu’on entendit par sacrement les rites et les exercices les plus
divers de la religion, il ne pouvait pas être question d’un compte ferme. De
là, les nombres si différents avant P. Lombard. A cette époque, outre les
sacrements proprement dits, on compte encore comme
« sacrements » : la consécration des églises, le sacre des rois,
la bénédiction des moines, des moniales, des chanoines, les cérémonies des
sépultures, l’eau bénite et d’autres choses du même genre, en un mot, ce qu’on
a désigné plus tard sous le nom de « sacramentaux ».
On
comprend facilement que la détermination plus nette de la notion de sacrement
devait entraîner une délimitation plus précise et, par là même, un dénombrement
des sacrements, surtout à partir d’Hugues et d’Abélard. On peut dire qu’à
partir de cette époque nos sept sacrements se dessinent d’une manière de plus
en plus distincte ; mais on ne peut pas établir quel fut le premier auteur
d’une énumération formelle. Comme première attestation on peut citer les Sentences de P. Lombard (+ 1164) qui suppose cette énumération universellement
reconnue : « Jam ad sacramenta novæ legis accedamus, quæ sunt Baptismus,
Confirmatio, Panis benedictio
(Eucharistia), Pœnitentia, Unctio Extrema, Ordo, Conjugium. »
(Sent., 4, d. 2, c. 1). On trouve ensuite un livre de Sentences de l’École de
Gilbert, et un ouvrage intitulé « De sacramentis »
d’un Maître Simon. Mais la date de ces trois écrits est incertaine : on
peut donner comme date approximative 1150. D’autres témoignages plus anciens ne
sont pas authentiques (Cf. Geyer, Th. Gl., 1918,
325-348). Sur l’ordre de succession des sacrements, on a hésité dans la
Scolastique primitive (Cf. Gillmann, Guillaume d’Auxerre,
23 sq.). Gillmann constate, d’après la littérature
canoniste, que « la plupart des anciens glossaires enseignent le nombre
septénaire des sacrements principaux » (Siebenzahl
(Septénaire), 41). L’influence de P. Lombard sur les scolastiques dut servir à
l’affirmation du nombre septénaire. Il y a cependant encore des hésitations
même chez Innocent III (Denz., 424) et dans les
conciles. Le second Concile de Lyon (1274) compte « sept sacrements »
(Denz., 465). L’ordre de succession en usage aujourd’hui
se trouve chez Eugène IV (Denz., 695 sq.).
Si nous ne pouvons pas prouver
formellement le nombre septénaire par l’Écriture et la Tradition, nous pouvons
cependant le fonder, d’une certaine manière, objectivement, par l’argument de prescription juridique, par le fait
historique de l’accord des Grecs avec
l’Église latine et par l’argument théologique
de l’infaillibilité ecclésiastique.
L’argument de prescription a été utilisé
pour la première fois par Tertullien. C’est une sorte de preuve de tradition.
Ce qui se trouve d’une manière unanime dans l’Église est une doctrine
traditionnelle (Præscript., 28 : S. Augustin, De bapt.,
5, 24, 31). C’est aux adversaires de prouver qu’un nouveau sacrement a pu, à un
moment quelconque, être introduit dans l’Église. Or, pour ce qui est des
sacrements ou d’un sacrement quelconque, cette preuve ne peut pas être
apportée.
Une
preuve d’une grande importance, est celle qui est tirée de l’accord de l’Église grecque avec l’Église
latine. Les Grecs schismatiques eux‑mêmes, comme
on l’a montré plus haut, ont la même notion des sacrements que nous et
admettent le nombre septénaire. « Dans l’Église orthodoxe on admet
universellement les sept mystères
connus ou sacrements de l’Église catholique romaine, et de ces mystères, le
plus sacré est le mystère de l’Eucharistie » (Zankow,
103). Bien qu’ils n’aient pas plus trouvé que les Latins le nombre septénaire
formel dans leur tradition et qu’au contraire ils l’aient emprunté à l’Église
occidentale (à partir des 12ème et 13ème siècles), il est
cependant certain qu’ils ont constaté dans cette énumération l’expression
adéquate de leur foi propre. Aussi ce point ne constitua pas de difficulté aux
Conciles d’union. De même, les sectes orientales (Coptes, Jacobites, arméniens)
reconnaissent ordinairement les sept sacrements. Au sujet de petits écarts, cf.
Schanz, 200. Cet accord est d’autant plus important
qu’étant donné l’antagonisme des deux Églises il ne faut pas songer à une
influence exercée par Rome sur les Grecs, et que les Sectes qu’on vient de
nommer s’étaient séparées de bonne heure de l’Église (5ème siècle).
Quand les protestants tentèrent de gagner les Grecs à la Réforme, le patriarche
Jérémie de Constantinople (1576) s’y
opposa énergiquement et fit valoir, à ce propos, le nombre des sacrements.
Quand, environ cinquante ans plus tard, le patriarche Cyrille Lucaris se montra prêt à des
concessions sur ce sujet, les Grecs le déposèrent aux Synodes de Constantinople
et de Jérusalem. À ceux qui passent d’une secte protestante à l’Église grecque
on pose une question nettement formulée, à ce sujet, dans le rite d’admission.
La
raison théologique en faveur du
nombre septénaire n’a de poids que pour ceux qui admettent l’infaillibilité de
l’Église. Au moment où les protestants rejetèrent le nombre septénaire, il se
trouvait au moins depuis trois siècles dans la conscience de l’Église, dans son
usage et sa doctrine. Or dans ce que l’Église considère pendant des siècles
comme une partie essentielle du christianisme, elle ne peut pas errer. Il faut
alors admettre qu’elle a reçu objectivement
les sept sacrements de la Tradition apostolique.
Les
Réformateurs, étant donnée leur
notion vague du sacrement, ne pouvaient arriver à établir un compte ferme. La
Bible ne contenait rien à ce sujet ; quant à la Tradition, ils la
rejetaient. On fut donc obligé de laisser libre le compte des sacrements et d’insister
sur les « sacrements principaux ». L’Apologie de la Confession d’Augsbourg dit : « Là encore
ils (les catholiques) veulent que nous confessions nous aussi qu’il y a sept
sacrements ni plus ni moins. A ceci nous disons qu’il faut conserver les
cérémonies et sacrements que Dieu a institués par sa parole, dans la quantité
et le nombre qu’ils ont : Mais, au sujet de ce nombre de sept sacrements,
on trouve que les Pères eux‑mêmes ne les
ont pas comptés également ; aussi ces sept cérémonies ne sont pas
également nécessaires. Des signes institués sans l’ordre de Dieu ne sont pas
des signes de la grâce, bien que par ailleurs ils puissent apporter un souvenir
aux enfants et aux grandes personnes, comme une Croix peinte. Ainsi ne sont
véritables sacrements que le baptême, la Cène du Seigneur et l’absolution. Car
ceux‑là ont l’ordre de Dieu, ils ont aussi
la promesse des grâces (Art. 13).
La nécessité
des sacrements sera examinée dans l’étude de chaque sacrement. Le Concile de Trente l’a définie d’une manière
générale contre les Protestants, lesquels ne voyaient pas, dans ces sacrements,
un moyen nécessaire de salut, mais seulement des appuis occasionnels de la foi
qui, seule, garantit le salut : « S. q. d. que les Sacrements de la
nouvelle Loi, ne sont pas nécessaires à Salut : mais qu’ils sont
superflus ; et que sans eux, ou sans le désir de les recevoir, les hommes
peuvent obtenir de Dieu, par la seule Foi, la grâce de la Justification ;
bien qu’il soit vrai que tous ne soient pas nécessaires à chaque
particulier : Qu’il soit anathème » (S. 7, can. 4, De sacram. in gen. :
Denz., 847).
D’après
les modernistes, « les
sacrements n’ont, à proprement parler, d’autre but que de rappeler à l’homme la
présence toujours bienfaisante du Créateur » (Lamentabili,
prop. 41). Quand on n’a pas de notion juste de la
grâce surnaturelle, on ne peut pas comprendre la nécessité des sacrements. D’après
Loisy, c’est « la communauté
chrétienne qui a introduit la nécessité du baptême » (Prop. 42).
Distinctions. Il est
certain que tous les sacrements ne sont pas nécessaires à tous les hommes, comme
cela apparaîtra clairement plus tard. Déjà, chez les Pères, se placent au premier rang, comme dans l’Écriture, le
Baptême, la Confirmation et l’Eucharistie, comme actes d’initiation. Les
premiers scolastiques sont déjà plus précis et distinguent entre les « sacramenta necessitatis » et les « s. voluntatis » (libertatis), ou bien en partant de leur notion large du
sacrement, entre les « s. præparatoria » (sacramentaux), les « s. veneratoria »
(les fêtes) et ministratoria
(les offices des clercs), ou bien plus brièvement, avec Hugues, entre « s.
principalia
et minora »
(sacramentaux) ; et puis encore : « Tria genera sacramentorum :
1° Sunt enim quædam sacramenta, in quibus principaliter salus constat et percipitur (Baptême et Eucharistie) ; 2° Alia sunt quæ, et si necessaria non sunt ad salutem… proficiunt tamen ad sanctificationem (eau
bénite, imposition des cendres) ; 3° Sunt rursum sacramenta, quæ... ad præparationem constituta esse videntur (offices
des clercs, consécration des églises et des vases sacrés). » On peut
signaler encore ici un schéma très usité, celui de la « quadriformis species sacramentorum » des théologiens et des canonistes de
la Scolastique primitive. « Les quatre colonnes du tabernacle » (cf.
Ex., 36, 36) symbolisent les quatre espèces de sacrements : « Alia enim sunt salutaria,
alia ministratoria, alia veneratoria,
alia præparatoria » (Cf. Ghellinck,
Mouvement théologique, 359-369).
Conclusions pratiques. A) Le Catéchisme romain avertit les pasteurs d’instruire
les fidèles : 1° De la vénération et du respect qu’ils doivent aux
sacrements ; 2° De l’usage pieux et religieux qu’ils doivent en
faire ; 3° De leur importance pour toute la vie chrétienne dont ils sont
le fondement et la pierre d’angle ; c’est pourquoi, lorsque leur réception
et la prédication de la divine Parole disparaissent, la vie chrétienne s’éteint.
- B) Il faut rappeler aux prêtres qu’ils doivent administrer les sacrements
avec zèle pastoral, avec pureté d’intention, et de conscience. S. Grégoire le
Gr. fait déjà ces exhortations et interdit aux évêques et aux prêtres, dans les
termes les plus énergiques, « de vendre la grâce spirituelle »
A
consulter : Dict. Théol. 2, 2518-2527, v. Circoncision. Arendt, De sacramentalibus
disquisitio scholastico‑dogmatica
(2e éd., 1900).
S. Augustin s’est fait une notion si
large du sacrement (sacramentum tantum) qu’il peut y
faire rentrer les rites religieux de l’Ancien Testament. Cependant, il met une
différence essentielle entre ces rites et les sacrements du Nouveau Testament
(Cf. plus haut, p. 231). A la suite de S. Augustin et des Pères, la Scolastique, aussi, et non seulement la
Scolastique primitive avec sa notion large du sacrement, mais encore la haute
Scolastique, parle des sacrements de l’Ancien Testament. D’après la doctrine
générale des théologiens, les sacrements de l’Ancienne Alliance n’opéraient
cependant pas la grâce par eux‑mêmes
(exopere operato), mais seulement
par la foi à la Rédemption, incluse en eux (ex opere operantis).
Le Concile de Trente prend, par rapport aux sacrements de l’Ancienne Alliance,
une attitude purement négative. Parce
que Calvin les mettait sur le même
rang que ceux de la Nouvelle Alliance, le Concile frappa d’anathème ceux qui
disent que les sacrements de la Nouvelle
Alliance ne sont pas différents des sacrements de l’Ancienne Alliance, si ce n’est seulement dans les cérémonies :
« S. q. d. que les Sacrements de la nouvelle Loi ne sont différents des
Sacrements de la Loi ancienne, qu’en ce que les cérémonies, et les pratiques
extérieures sont diverses : Qu’il soit anathème. » (S. 7, can. 2, De sacram. in gen. :
Denz., 845). Eugène IV répète les pensées de S.
Augustin sur l’importance purement symbolique des sacrements de l’Ancien
Testament : « Illa enim
non causabant
gratiam, sed solum per passionem Christi dandam esse figurabant » (Decret, pro Armen. : Denz., 695).
Les
Prophètes, comme on sait, placent
très bas les rites de l’Ancienne Alliance quand ils ne sont pas l’expression de
la foi vivante. C’est au même point de vue que se placent le Baptiste (Math.,
3, 7-12), le Christ (Sermon sur la
montagne) et S. Paul. (Rom.,
1-4 ; Gal., 1-5 ; Hébr., 10, 1-9). Les
sacrifices et la circoncision même ne sont pas exceptés de la critique
paulinienne. Tout l’Ancien Testament n’est qu’une « ombre » des biens
à venir (Hébr., 10, 1) ; il n’a qu’une valeur
extérieure, éducative (Gal., 3, 24), pas de vertu justifiante interne (Rom., 3,
10, 20 ; cf. Rom., 2, 25-29 ; 4, 9-12. 1 Cor., 7, 18-20. Gal., 2,
3 ; 5, 1, 2, 6, 11 ; 6, 12-15. Phil., 3, 3-9. Col., 3, 11. Act. Ap., 15, 1-27). Moïse a
seulement donné une loi, mais la grâce et la vérité ne viennent que par le
Christ (Jean, 1, 17). D’après S. Augustin,
les « sacrements » de l’Ancienne Alliance étaient des promesses
symboliques de la grâce et non des causes de cette grâce (De pecc. Orig., 32, 37 ; Enarr. in Ps. 73, 2 ; c.
Faust., 19, 11).
Les
scolastiques primitifs mettent
souvent sur le même pied le baptême et la circoncision : « Plerique tamen concedunt, quod circumcisio infusionem gratiæ operabatur », écrit
Etienne Langton dans sa « Summa theologiæ ».
(Gillmann,
Doctrine sacramentaire de Guillaume d’Auxerre, 8).
La
Scolastique en resta à l’opinion
exposée ci‑dessus ; mais on attribua parfois
à la circoncision la rémission du péché originel « ex opere
operato » (P. Lombard, Alexandre, S.
Bonaventure, Scot, Estius). Mais S. Thomas assimile avec raison la circoncision aux autres rites (S.
th., 3, 62, 6 ad 3). Cependant il admet que, chez les enfants, la foi des
parents agit par représentation (S. th., 3, 70, 4). Peut-être aurait‑il été plus exact de prouver d’abord que l’Ancien
Testament croyait au péché originel avant de parler d’un moyen de l’effacer
(Cf. t. 1er, p. 337). Il est nécessaire d’appliquer à l’Ancien
Testament ses propres mesures et non celles d’une théologie bien postérieure.
Seul le Nouveau Testament, en tant qu’accomplissement de l’Ancien, peut porter
à ce sujet un jugement décisif ; or, sur sa manière de voir, il ne peut
pas y avoir de doute. Le Nouveau Testament n’attribue aux rites de l’Ancien
aucune vertu objective de justification. Abraham fut justifié par la foi et non
par la circoncision. « Il reçut le signe de la circoncision comme sceau de
la justice de la foi qu’il avait
avant la circoncision, afin qu’il fût le père de tous ceux qui ont la foi sans
être circoncis » (Rom., 4, 11).
Au
sujet des négociations entre les Pères du Concile de Trente, Ehses
raconte (Concilium Tridentinum,
5, 834-995) : Une partie des voix était plus favorable aux sacrements de l’Ancien
Testament ; une autre était d’avis qu’on devait passer les questions sous
silence ; une troisième demandait qu’on rejetât l’égalité entre les sacrements
de l’Ancien et du Nouveau Testament, parce que le Concile de Florence avait
déjà déclaré : « Illa enim
non causabant gratiam, sed solum per passionem
Christi dandam esse figurabant : hæc vero nostra
et continent gratiam,
et ipsam digne suscipientibus
conferunt »
(Denz., 695). On finit par s’entendre sur le canon ci‑dessus.
Les
sacramentaux.
Les sacramentaux
sont certaines actions cultuelles, avec lesquelles l’Église accompagne l’administration
des sacrements et le service religieux, afin de les rendre plus solennels et
plus impressionnants, ou bien qu’elle accomplit
indépendamment et d’elle‑même,
pour préparer les fidèles à la réception des sacrements, les rendre plus
accessibles à la grâce, les fortifier contre les tentations et donner à toute
leur vie un éclat et une consécration surnaturels. - On divise d’ordinaire les
sacramentaux en bénédictions et en conjurations ou exorcismes. Les bénédictions, à leur tour, sont de deux
sortes : dans le premier cas, leur but est de mettre d’une manière
permanente sous la protection de Dieu l’objet à bénir (personnes ou
choses) : on les appelle bénédictions constitutives,
consécrations ; dans le second cas, leur but est de demander pour une
certaine circonstance des bienfaits corporels ou spirituels, naturels ou
surnaturels : on les appelle bénédictions invocatives, simples bénédictions.
Comme le nom l’indique, les sacramentaux sont essentiellement un signe
extérieur. En cela ils ressemblent aux sacrements. Mais ils s’en distinguent
par les deux autres éléments essentiels : ils sont ordonnés par l’Église
et non par le Christ ; ensuite, ils produisent leurs effets en vertu des
prières de l’Église et du pieux usage (ex opere operantis) et non en vertu de l’ordonnance divine (ex opere operato). On ne peut guère
préciser le nombre des sacramentaux ; ils pénètrent toute la vie chrétienne,
la vie commune comme la vie particulière et n’ont pas toujours été les mêmes,
surtout pans leur application privée. D’une manière générale, leur nombre s’est
beaucoup augmenté au Moyen‑Age.
On
parle des sacramentaux dans la théologie depuis la Scolastique. Hugues distingua le premier les grands
et les petits sacrements (sacramenta principalia et s. minora). P. Lombard (+ 1164) emploie l’expression « sacramentalia »
pour désigner « catechismus et exorcismus neophytorum » (Gillmann, Guillaumed’Auxerre, 12). Rufin (+ vers 1190) distingue des sacrements une série de
cérémonies qu’il appelle « sacramentalia, sacramentis adjuncta et de eis pendentia ». Guillaume d’Auvergne
(+ 1249) emploie, pour désigner les « petits » sacrements, le terme
« sacramentaux », qui devient désormais courant. Il désigne surtout
sous ce nom cinq rites : les cérémonie du
baptême, la tonsure, la consécration de l’évêque, la bénédiction des abbés et
des abbesses, le sacre des rois, et voit dans ces rites une sorte de complément
de la grâce du baptême. S. Thomas
dit : « L’eau bénite et les consécrations semblables ne sont pas
désignées comme sacrements, parce qu’elles n’ont pas comme conséquence l’effet
propre des sacrements, la collation de la grâce, mais ne sont que certaines
dispositions pour la réception des sacrements ; ces dispositions
consistent, soit à écarter les obstacles à la réception des sacrements, ainsi l’eau
bénite est dirigée contre les attaques du diable et contre les péchés véniels,
soit à faciliter l’accomplissement et l’administration du sacrement, ainsi l’autel
et les vases sont consacrés par respect pour l’Eucharistie » (S. th., 3,
65, 1 ad 6). « Et parce que de telles choses n’appartiennent pas en soi à
la grâce intérieure nécessaire au salut, le Seigneur a abandonné leur
institution aux fidèles selon leurs convenances » (S. th., 1, 2, 108, 2 ad
2). D’après S. Thomas, les sacramentaux n’ont donc avec le salut qu’une
relation médiate ; ils n’opèrent pas eux‑mêmes la
grâce, ils y préparent seulement d’une manière éloignée. C. J. C., can.
1145 : « Seul le Saint‑Siège peut
constituer de nouveaux sacramentaux, interpréter authentiquement ceux déjà en
usage, abolir ou changer quelques uns d’entre
eux. ». C’est pourquoi, dans l’usage des sacramentaux, on doit s’en tenir
aux prescriptions de l’Église (C. J. C., can. 1148, § 1 et 2).
Le
Concile de Trente ne traite pas des
sacramentaux dans les détails, mais il défend contre les Réformateurs les cérémonies de la messe qu’il fait
dériver des besoins religieux de l’homme et qu’il ramène aux ordonnances de l’Église.
Ces cérémonies rendent le culte divin plus digne et plus édifiant (S. 22, c.
5) : ce sont des « manifestations de la piété » (Can. 7 ; Denz., 943, 954). Dans un autre endroit, le Concile se
prononce en faveur des cérémonies qui accompagnent l’administration des
sacrements. Elles ne doivent être ni méprisées, ni omises, ni changées (S. 7,
can. 13 : De sacram. in
gen., Denz., 856). Il ne
donne aucun détail sur les autres sacramentaux ; il vient justement de
signaler les plus importants. Par rapport à leur importance, le Concile s’appuie
sur S. Thomas.
Les
théologiens posttridentins,
en raison des objections protestantes, s’étendent plus longuement sur les
sacramentaux que les scolastiques. Cependant ils ne sont pas entièrement d’accord
dans leurs vues. On peut, en général, signaler deux tendances : l’une distingue essentiellement les
sacramentaux des sacrements et ne parle que d’une utilité subjective (opus operantis) ; l’autre, par contre, tout en affirmant la
différence essentielle, parle cependant d’un effet objectif (op. operatum) et s’efforce de
rapprocher les sacramentaux des sacrements. Mais Simar dit avec raison :
« ils ne transmettent la grâce qui leur est attachée par la prière de l’Église
qu’« ex opere operantis », c.‑à‑d. en raison des dispositions et de l’activité
morales de celui à qui ils sont administrés ou qui les utilisent »
(Dogmatique, 2, 802).
Au
sujet du grand nombre de sacramentaux en usage tant officiellement que
privément au Moyen‑Age, A. Franz a écrit un ouvrage
important : Les bénédictions
ecclésiastiques au Moyen‑Age (1909). A
côté du bon usage, Franz est obligé
de signaler un certain nombre d’abus. Il y avait des usages, par ex. au sujet
de l’Agnus Dei, dans lesquels la
dogmatique ne trouve pas son compte. Les auteurs qui concluraient volontiers,
de la formule de prière, à l’efficacité des sacramentaux, feront bien d’observer
ce que dit Franz : « Ce n’est pas la formule qui a créé l’usage, mais
c’est l’usage depuis longtemps enraciné dans le peuple qui a déterminé à
introduire ces tournures dans la formule ». S. Augustin dut déjà s’élever
contre des rites superstitieux (Ep. 55, 35). Au sujet de la réforme dans ce
domaine, Franz dit que « ce ne
fut ni un concile, ni une ordonnance épiscopale, mais l’édit de réforme de l’empereur
Charles‑Quint, qui en prit l’initiative. Cet
édit fut publié le 9 juillet 1584 à Augsbourg. De même qu’il donna la première
impulsion à la suppression des abus qui s’étaient glissés dans la célébration
de la messe, il posa les premiers principes qui devaient amener une réforme par
rapport aux bénédictions » (1, 644). Cette réforme fut achevée par l’édition
du Rituel romain ordonnée par Paul V en 1614. Mais, même aujourd’hui,
tous les abus n’ont pas été supprimés dans les cercles privés.
Parmi
les sacramentaux indépendants, l’exorcisme,
le signe de croix et l’eau bénite sont d’une très grande
antiquité. L’exorcisme, en tant que rite indépendant, est maintes fois attesté
dans l’Écriture. Il fut plus tard (vers 200) uni au baptême et fut également
administré d’une manière indépendante aux baptisés. Il y eut un Ordre spécial d’exorcistes.
Le signe de croix et l’eau bénite sont signalés vers l’an 200. Le signe de croix
est déjà attesté par Tertullien (De cor. mil., 3 ; cf. De carn. resurr.,
8), et, pour la bénédiction de l’eau, on trouve déjà, dans les Constitutions
apostoliques, un formulaire spécial (8, 29). Le but de ces deux sacramentaux, c’est
la protection contre le démon. Dans la Scolastique primitive, on attribuait
parfois à l’exorcisme une efficacité « ex opere operato » « qui diminue le péché et affaiblit la
puissance du démon » (Gillmann, Guillaume d’Auxerre).
Si
c’est le devoir du prêtre de s’opposer à un abus privé possible des
sacramentaux, l’usage convenable de ces sacramentaux est louable. Quand l’antique
usage chrétien du signe de croix et de l’eau bénite règne encore, il n’y a
guère à craindre d’abus dans les autres choses essentielles. Les « ligues
populaires » modernes qui se préoccupent tant de conserver les vieux
usages feraient bien de ne pas oublier les usages religieux.
A
consulter : Pinard de la Boullaye, Étude comparée des religions, 2 vol. (1925). Dict. apol.,
3 : Mystères, 964-1014.
Comme les antiques religions païennes à
mystères employaient, au temps du christianisme primitif, des moyens sensibles,
eau, sang, pain, huile, pour se mettre en possession de forces surnaturelles et
entrer en relation avec la divinité, l’histoire
libérale des religions affirme assez souvent, que les sacrements chrétiens
contiennent non seulement des analogies
avec les mystères païens, mais encore des emprunts
faits à ces mystères. Ce serait S. Paul qui aurait introduit, dans la
« communauté dépourvue de sacrements, de Jésus », la « magie des
sacrements païens », et ainsi, à peu, le christianisme primitif, pauvre de
rites et de culte, serait peu devenu de plus en plus l’Église avec son
personnel cultuel très développé et son cérémonial liturgique. Ces affirmations
sont souvent faites avec beaucoup d’assurance, mais les arguments qu’on apporte
laissent beaucoup, laissent même tout à désirer.
Appréciation. Les points suivants sont certains:
1.
Il y avait en Orient, au temps du christianisme primitif, un grand nombre de
cultes à mystères, dans lesquels on honorait des divinités particulières par
des rites religieux spéciaux. Mithra, Jupiter (Zeus), Attis, Dionysos, Osiris,
Sérapis, Isis, Baal, Aphrodite, Géa, Cybèle, pour
nommer les principaux, étaient des dieux et des déesses qui étaient honorés,
les uns par les hommes et les autres par les femmes, avec des intentions
précises.
2.
Les exercices religieux étaient des cultes secrets, des « mystères »,
et consistaient en ablutions, repas, onctions, jeûnes, processions, chants,
musiques, extases, absorption d’alcool, danses, macérations, mutilations.
3.
Les initiés s’appelaient « mystes » (μύστης
de μύω fermer (la bouche et garder le
silence sur le mystère) : μυέομαι
être initié aux mystères). Ils étaient introduits par des
« mystagogues », avec des rites particuliers. Toutes les différences
de condition étaient supprimées parmi eux. On trouvait parmi les mystes des
hauts fonctionnaires et des marchands, à côté de soldats, d’esclaves et d’ouvriers.
4.
Il est incontestable que la morale de
ces communautés cultuelles était souvent très sujette à caution et que l’ascèse
dégénérait souvent en orgies et même en scènes de prostitution sacrée ;
cependant on ne doit pas oublier, dans l’appréciation des mystères, que tous n’avaient
pas le même caractère et que certains, parmi eux, répondaient à des besoins
religieux réels et élevés. Leurs moyens d’expiation tendaient à une certaine
suppression de la faute et à l’apaisement de la conscience ; ils
essayaient d’exciter et de satisfaire le désir et l’espoir d’une immortalité
bienheureuse et d’une participation à la vie de la divinité honorée.
5.
Les catholiques qui jugent objectivement, n’apprécient plus le Paganisme avec
la même sévérité qu’autrefois et n’entendent plus sous ce nom l’abîme de toutes
les ténèbres et de toute la corruption ; il ne fut jamais cela, bien que l’apologétique
parle parfois un autre langage que la prédication missionnaire. L’apologétique
veut défendre le christianisme, et c’est pourquoi elle met davantage en lumière
les faiblesses du paganisme ; la prédication missionnaire veut convertir
les païens, c’est pourquoi elle se rattache à ce qu’il y a de bon chez eux. C’est
ce qu’on peut déjà observer dans l’attitude de S. Paul. Quand il parle
personnellement aux païens, son langage est doux, attirant, plein d’estime (Act. Ap.) ; mais quand il
parle à des païens convertis, à des chrétiens, il les met en garde contre une
rechute dans les péchés et les vices qu’il décrit sous les plus noires couleurs
(Ep). C’est ainsi également qu’agissent les Pères. Nous ne voyons pas aujourd’hui,
comme Tertullien, dans ces mystères païens, des contrefaçons des sacrements - quand ce ne serait que pour cette
raison qu’ils sont souvent bien plus anciens que ceux‑ci et qu’ils sont nés en dehors de la sphère
d’influence chrétienne - nous y voyons plutôt des manifestations de la religion
naturelle et de la conscience morale. Ce n’étaient pas des consciences
oblitérées qui criaient ainsi vers le pardon ; ce n’étaient pas des
regards obscurcis qui voyaient dans l’homme de nombreux péchés et de multiples
impuretés. La Providence n’abandonna pas ces générations à elles‑mêmes et elle les guida à sa manière.
« Après le péché jusqu’au temps de la grâce, les plus grands étaient tenus
d’avoir explicitement la foi au Rédempteur ;
mais les plus petits implicitement,
soit dans la foi des patriarches et des prophètes, soit dans la divine providence » dit S. Thomas
avec générosité, et il compte parmi ces « petits » les sages païens
(De verit., 14, 11, in corp. et
ad 5.)
6.
Par rapport aux rites religieux des cultes à mystères, nous n’avons que des
renseignements très pauvres, si bien
que des jugements apodictiques à leur sujet sont à peine permis et qu’une
identification pure et simple avec les sacrements chrétiens est insensée. Cumont, qui est une autorité de premier
ordre dans la question, écrit : « La documentation littéraire est peu
étendue et souvent peu digne de foi... Par conséquent, les documents
épigraphiques et archéologiques qui augmentent de jour en jour n’en ont que
plus de valeur » (Les religions orientales dans le paganisme romain
(1910), 19). Par conséquent, ce ne sont pas des écrits mais des inscriptions et
des fragments de phrases qui constituent les sources. « L’épigraphie ne
nous livre que peu d’indications sur la liturgie et presque rien sur les
doctrines » (P. 20). « Les livres qui contenaient les prières qui
étaient récitées ou chantées pendant l’office (des mystères), le rituel des
initiations et le cérémonial des fêtes sont disparus presque sans laisser de
trace. Un vers altéré qui provient d’une hymne inconnue
est presque tout ce qui reste de collections autrefois très riches »
(Cumont, Les mystères de Mithra (1910), 136 sq.). « Le myste passait par
sept initiations, mais nous ne connaissons ces initiations que d’une manière
insuffisante » (P. 144). Malgré cette réserve qui s’impose aux chercheurs
réfléchis, parmi lesquels il faut compter aussi Clemen et d’autres, on voit des historiens inconsidérés se lancer
dans des constructions fantaisistes, affirmer que les sacrements chrétiens sont
des emprunts faits au paganisme. On aime à donner comme exemples le baptême et l’Eucharistie et l’on affirme effrontément les ressemblances qu’on
désire trouver. On parle de « baptême », de
« baptême de sang », de « sacrements de nourriture », de
« liturgie », comme si ces termes et autres termes semblables se
trouvaient dans les documents antique et l’on se garde bien de dire que tout
cela a été emprunté artificiellement et arbitrairement à la doctrine chrétienne
des sacrements. De cette manière, il est facile de trouver de nombreux
parallèles.
7.
Le « baptême », dans les
cultes à mystères, était une ablution religieuse telle que celles qui étaient
très répandues dans le judaïsme et le paganisme. Le « baptême de
sang » était un rite sanglant répugnant, par lequel le candidat à l’initiation,
debout dans une fosse, faisait couler sur lui le sang d’un taureau immolé au‑dessus de la fosse et par
là était « divinisé » (taurobole). Les « sacrements de
nourriture » étaient de simples repas religieux, dans lesquels on mangeait
la victime offerte à la divinité - et non la divinité elle‑même. Or ce serait de ces rites, tantôt très
grossiers, tantôt conçus comme ayant une efficacité magique, que dériveraient
nos sacrements dans la conception plus noble et plus intérieure de S. Paul et
de S. Jean.
Contre
cette interprétation, indépendamment de tout le reste, s’opposent surtout les
raisons suivantes : 1° Les mystères, dans leur approfondissement et leur
spiritualisation néo‑platonicienne,
ne datent que du 2ème siècle. Weinel, qui pourtant incline trop
à constater une influence des mystères sur les sacrements, écrit
cependant : « Des témoignages montrant que les religions à mystères
ont revêtu une forme plus spirituelle et plus intérieure, nous n’en avons
malheureusement pas avant l’époque chrétienne » (Théol. Biblique, 37) ;
- 2° La communauté primitive pré-paulinienne connaît une doctrine du baptême, d’après
laquelle le baptême opère une union mystique avec le Christ (Luc, 12, 50). D’après
J. Weiss, on ne peut plus affirmer
« que cette conception mystique du baptême a été étrangère à l’entourage
de Jésus et à la communauté primitive » (Archives pour la science rel.,
1913, 442). La doctrine catholique du baptême de l’Esprit (non seulement du baptême d’eau) doit donc reposer sur des bases solides ; - 3° On ne tient
pas assez compte, ou même on ne tient pas compte du tout, des protestations
énergiques de l’Apôtre des nations, contre le paganisme, dans presque toutes
ses Épîtres, surtout dans ses quatre Épîtres principales qu’on reconnaît
généralement comme « authentiques ». Le paganisme est pour lui
erreur, ténèbres, vice, abandon de Dieu et tout au plus sagesse humaine (1
Cor). Et l’on voudrait qu’en même temps il ait emprunté à ce paganisme ainsi
décrit, pour ainsi dire ce qu’il a de meilleur, l’appropriation de la mort du
Christ dans le baptême ! (Rom., 6, 3 sq.). Dans son récit de l’institution
de l’Eucharistie, il va jusqu’à en appeler, car il n’était pas présent lui‑même, au « Seigneur » comme source
de sa science (1 Cor., 11, 23). Et c’est lui qui, en contradiction avec lui‑même, aurait introduit ce sacrement dans
« la communauté dépourvue de sacrements, de Jésus » ; - 4° Les
Actes des Apôtres, qu’Harnack place vers 60, racontent qu’à Jérusalem - par
conséquent sur une terre opposée au paganisme et nettement juive, - dès le jour
de la Pentecôte, pour ainsi dire au premier jour officiel du christianisme,
Pierre s’adressa de la façon suivante à la foule qui se pressait autour de
lui : « Faites pénitence et que chacun de vous se fasse baptiser au
nom de Jésus‑Christ pour obtenir le pardon de vos
péchés, ensuite vous recevrez le don du Saint‑Esprit »
(2, 38). Or c’est là la véritable doctrine mystique du baptême de l’Église postérieure; - 5° Dans les sacrements chrétiens, il s’agit toujours
de conditions morales préalables avant leur réception et d’effets moraux après
leur réception ; par contre, dans les mystères, il n’y a qu’une simple
réception du divin, par un contact purement physique avec lui, dans le rite,
sans effort moral avant ni après. Dans les sacrements, un service de Dieu en
esprit et en vérité ; dans les mystères, une magie et une théurgie
grossière et souvent brutale.
Le
protestant P. Feine
dit : « Nous devons aux recherches de l’histoire des religions
concernant l’antiquité finissante, un enrichissement du matériel scientifique.
On a essayé de faire rentrer le christianisme et surtout les personnalités
dirigeantes de la communauté primitive, dans le vaste courant de la vie
religieuse d’alors et de démontrer des tendances, des alliances, des analogies,
ainsi que des connexions historiques communes, là où, auparavant, on ne voyait
qu’une construction chrétienne propre. Mais le gain réel pour les recherches
sur le Nouveau Testament est plus mince que ne semblaient le promettre les
recherches de l’histoire des religions ».
Dans
ces derniers temps, on voit se multiplier le nombre des auteurs protestants qui
désespèrent d’arriver à une explication plausible des origines du christianisme
primitif par les voies suivies jusqu’ici. Ainsi Lietzmann écrit dans la recension
de l’ouvrage d’un théologien anglican auquel il se rallie : « En
insistant sur l’élément juif, Rawlison trouvera
certainement de la compréhension chez nous ; car les temps où l’on voulait
expliquer le christianisme le plus ancien par l’hellénisme sont passés aussi en
Allemagne » (Z. N. W., 1927, 247). Harnack
n’a jamais rien voulu savoir de cette « méthode de pêche en eau
trouble ». De même l’autre historien berlinois E. Meyer. Un troisième professeur Berlinois, le théologien Jules Kaftan exprime ainsi sa
répugnance : « Pour le dire franchement, je sens que c’est une
barbarie quand des documents comme les Épîtres de Paul sont lus et expliqués
ainsi » (selon la méthode de l’histoire des religions) (Ntl. Theologie, 1927, 13). Et
cependant l’histoire des religions continuera longtemps encore à faire prime.
Il est vrai qu’elle a ses mérites incontestables, surtout parce que c’est elle
qui nous a montré comment, partout dans l’humanité, la notion de Dieu est
vivante, ainsi que la conscience qu’à l’homme de dépendre d’un être supra‑humain et divin. Elle a bien mérité
encore, parce qu’elle nous fait voir que partout les Apôtres ont pu rattacher
leur enseignement à quelque chose d’apparenté et ainsi verser le vin nouveau
dans de vieilles outres. Nous nous inclinons sans réserve devant les faits
établis par la recherche sérieuse. Mais nous ne nous inclinons pas de même
devant leur explication et leur interprétation. Cela, nous nous le réservons.
Nous ne jugeons pas le christianisme à l’échelle de l’histoire des
religions ; nous faisons l’inverse. C’est pourquoi nous protestons, quand
on considère comme naturel de mettre aux réalités de la religion païenne une
étiquette chrétienne.
A
consulter: S.
Thomas, S. th., 3, 66-71 et ses commentateurs, comme les théologiens de Salamanque, Billuart,
Suarez. Bellarmin, De sacramento baptismi (De controv., 3, Venet., l721). Tournely, Prælect.
dogm., 7 (Migne, Cursus compl.,
21, 287 sq.). Bertieri,
De sacramentis in genere, baptismo et confirmatione (Vindob., 1774). Corblet,
Histoire dogmatique, liturgique et archéologique du sacrement de baptême, 2
vol. (1881). Ermoni,
Le baptême dans l’Église primitive (1904) Dict. théol., 2, 167-360. - Au sujet
du baptême « au nom de Jésus »: Orsi, De baptismo in nomine Jesu
(Florence, 1733). Drouven,
De baptismo in solius
Christi nomine nunquam consecrato
(Patav., 1734). Lépicier, De baptismo,
de confirmatione (1923). Al. de Smet, De Sacram in genere.
de Bapt. et
Confirmat., 1925. Dict.
théol., v. Baptême. Dict. d’archéol., v. Baptême. Mangenot, Le baptême pour les morts (Dict. théol.,
v. Baptême), Caractère sacramentel (ibid.). Martène, De antiquis
Ecclesiæ ritibus (1700). Vacant, Baptême. Dict. de la Bible, 1, 1433 sq. D’Alès,
Baptême et confirmation (1928). Schuster,
Liber sacramentorum, 4 (1929), 1 sq. J. Delazer, De
baptismo pro mortuis (1
Cor., 15, 29), dans Antonianum
(1931), livraison d’avril. B.-H. Merkelbach, Questiones de embryologia et de ministratione baptismatis (1927). A.
Dondeyne, La discipline des scrutins dans l’Église
lat. avant Charlemagne (Revue d’hist. Eccl., 1932, 5,
t. 1). - Au sujet du catéchuménat : Dict.
théol., v. Catéchèse, 2, 1877-1895 (riche bibliographie). Théoph. Spaeil,
Doctrina theol. Orientis separati de baptismo (1926).
Notion. Le baptême est le sacrement par lequel l’homme, au
moyen de l’eau et de la parole de Dieu, renaît spirituellement et est admis
dans le royaume de Dieu. Le Catéchisme
romain donne une définition du baptême en unissant Jean, 3, 5 et Eph., 5, 26 : « Le sacrement de la régénération
dans l’eau par la parole » (P. 2, c. 2, q. 5).
Les scolastiques
varient dans leurs définitions. Hugues
ayant nommé l’eau, en tant que consacrée auparavant, le « baptême »
(sacramentum permanens), S. Thomas l’attaque et dit que le baptême « n’est pas accompli
dans l’eau, mais dans l’ablution avec la forme prescrite » (actio transiens:
S. th., 3, 66, 1). Il se tient par conséquent à la matière et à la forme. D’autres,
comme Suarez, ajoutent encore l’effet. Les théologiens modernes, comme Simar, tiennent compte également, et avec raison, de l’admission
dans l’Église.
Désignation. L’action
religieuse de baptiser (lat. tingere, lavare, abluere, baptizare du grec βαπτίζειν)
porte dans le langage des Pères et de l’Église, en raison de son importance
capitale, un grand nombre de désignations. En dehors de sa signification naturelle de plonger dans l’eau,
baigner, laver, le baptême s’appelle encore, en raison de son aspect religieux : sacramentum aquæ, fons sacer, unda genitalis, aqua vitalis, sacramentum fidei,
sacramentum Trinitatis, lavacrum
regenerationis, ablutio peccatorum, sigillum, λουτρὀν παλιγγενεσίας
(Tit., 3, 5), σφραγίς
(Hermas, Simil., 9, 16, 3-5 ; 17, 4. Clem. Rom., 7, 6 ; 8, 5), φῶς, φωτισμός
(cf. Hébr., 6, 4 ; Justin, Apol., 1, 61).
En
raison de son importance religieuse,
le Catéchisme romain (p. 2, c. 2, q.
1) recommande vivement aux catéchistes l’étude du baptême. Le baptême donne la
vie nouvelle et ouvre la porte de l’Église et de ses trésors
sacramentaires ; sans lui, aucun autre sacrement ne peut être reçu
validement, c’est pourquoi il est placé en tête des sacrements. (Denz., 696 ; S. Thomas, C. Gent., 4, 58). Il en est de
même dans la doctrine des Pères à partir de la Didachè
et de S. Justin. Tertullien consacre au baptême sa première monographie. S.
Cyprien discute à son sujet avec S. Étienne 1er. Les catéchèses
contiennent sur le baptême de longs exposés ; chez S. Cyrille de Jér., S. Grégoire de Nys. (Oratio
magna, 33-40), S. Ambroise (De myst., 1-5), S.
Augustin (De bapt. ; C. Crescon. ;
C. Ep. Parm. ; De unico
bapt. Enchir., 42-53), S.
Basile (Homil. de s. bapt. : M. 31, 425), S. Grégoire de Naz. (Orat., 40).
La
pratique du baptême des enfants fit plus tard perdre au sacrement un peu de son
prestige primitif, ce dont se plaint déjà un Concile de Paris (829) ; cf. Héfélé, 4, 56. Dans le christianisme primitif, le baptême
signifiait une rupture libre et
complète avec le passé. On quittait la voie des ténèbres et de la mort pour
entrer dans celle de la lumière et de la vie. Maintenant que nous recevons le
baptême alors que nous ne sommes encore que des enfants sans raison, nous ne
savons rien des actes de pénitence
qui le précédaient jadis, ni des obligations
sérieuses et graves que nos parrains ont acceptées en notre nom. Il est d’autant
plus nécessaire que les fidèles connaissent à fond le premier, le plus
important et le plus nécessaire des sacrements. Quels désastres peuvent
entraîner la négligence et le peu d’estime du baptême, on le voit par le
protestantisme qui, dans ce sacrement, combat précisément pour l’existence de
son « Église ».
On
peut établir facilement l’existence de « baptêmes » en dehors du christianisme non seulement
chez les Juifs et les Esséniens, mais encore chez les païens. Les Babyloniens, les Iraniens,
les Hindous, les Égyptiens, les Romains, les Grecs et surtout les Mandéens connaissaient
des ablutions religieuses. En parlant des « contrefaçons » du
sacrement chrétien, les Pères indiquent déjà les « baptêmes » païens.
Ainsi Tertullien (De præscript., 40 ; De bapt.,
5), S. Justin (Apol.,
1, 62). L’usage de ces baptêmes était bien plus répandu que ne le soupçonnaient
les Pères et on doit expliquer cet usage par le besoin religieux général qu’avait
la nature humaine de la pureté morale
qui est symbolisée par la pureté physique.
L’eau a été et est considérée par les peuples primitifs comme procédant du
voisinage de la divinité, que ce soit l’eau de pluie ou l’eau de source.
Les
ablutions rituelles des Juifs s’appellent
tabal (Septante : βαπτζειν ; 2 Rois, 5, 14 ; Judt., 12, 7 ; Eccli., 34,
30.) Elles opéraient la pureté légale
(Lév., 11-15 ; Nomb.,
19). Les pharisiens appréciaient beaucoup ces purifications (Marc, 7, 4 ;
Math., 15, 2 ; Luc, 11, 38 ; Hébr., 9, 10).
Plus tard, s’établit une nouvelle ablution, le baptême des prosélytes (tébilah) pour les
païens qui passaient complètement au judaïsme. Mais « il faut descendre
jusqu’au 2ème siècle de notre ère, pour rencontrer dans les oracles
sibyllins, chez Arrien et dans la Mishna, deux ou trois allusions plus ou moins
distinctes à ce baptême des prosélytes » (D’Alès, 19). Le rite extérieur
du baptême était connu au temps de Jésus, comme le prouve déjà le baptême de
Jean.
La
théologie libérale voudrait faire
dériver le baptême chrétien de ce rite de purification généralement répandu.
« Que Jésus ait institué le baptême, on ne peut pas le démontrer »,
dit Harnack. « On peut sans
doute admettre que, par suite de l’appréciation élogieuse que fait Jésus, de
Jean et de son baptême, la pratique du baptême fut conservée même après la
disparition de Jean » (H. D., 1, 88 sq.). Nous prouverons plus loin l’institution
du baptême par Jésus, mais nous remarquerons seulement ici, que la similitude du
rite extérieur ne démontre pas du tout la similitude des baptêmes. Le
« baptême » païen n’était pas conditionné moralement, mais opérait
comme un moyen de purification magique d’une manière physique. Il suffisait d’avoir
le moyen pour avoir l’effet. Il faut en dire autant du baptême juif, quand il
ne correspond pas aux prescriptions morales des Prophètes (Is., 1, 16 ;
Ps. 50, 9, 12).
Le
baptême de Jean avait, dans l’intention
du Baptiste lui‑même, un caractère moral ; c’était
un « baptême de pénitence », afin d’obtenir la rémission des péchés
(Math., 3, 11 ; Marc, 1, 4 ; Luc, 3, 3 ; cf. Act.
Ap., 13, 24 ; 19, 4). Le Christ le juge comme
une ordonnance divine (Marc, 11, 30 ; Math., 21, 25 ; Luc, 20, 4) que
les Pharisiens avaient rendue vaine par leur faute (Luc, 7, 29 sq.). D’ailleurs,
il l’avait reçu lui‑même ainsi
que quelques‑uns de ses Apôtres, comme Pierre,
André, Philippe et Nathanaël, qui étaient des disciples de Jean (Jean, 1,
35-51). Mais Jean fait une distinction essentielle entre son baptême et celui
du Seigneur, le sien étant un « baptême d’eau » et celui de Jésus un
« baptême dans l’Esprit » (Math., 3, 11 : cf. Marc, 1, 8 ;
Luc, 3, 16 ; Jean, 1, 26, 30 sq.) ; de même S. Paul (Act. Ap., 19, 4 sq.) et S. Pierre
(Act. Ap., 11, 16). Les
Pères, comme Tertullien, S. Basile, S. Cyrille de Jér.,
S. Optat, S. Augustin, attribuent au baptême de Jean,
à cause de Marc, 1, 4, la « rémission des péchés » ; mais cette
rémission était opérée par la pénitence subjective dont le baptême était le symbole. C’est ainsi en effet que les
Pères précisent leur pensée (Tournely, De sacram. bapt., 5). S. Augustin se plaint
que, le jour de la fête de S. Jean, des fidèles qui ont déjà reçu le baptême
chrétien, se précipitent vers la mer et y reçoivent le baptême de Jean auquel
ils attribuent un effet spécial (Sermo 146, 4 ;
De die nat. ; C. litt. Pét.,
32, 75).
La
Scolastique primitive hésitait dans
son appréciation du baptême de Jean et se demandait si c’était un sacrement de
l’Ancien Testament, un sacrement du Nouveau Testament, ou bien un intermédiaire
entre les deux (Gillmann,
Guillaume d’Auxerre 15). S. Thomas le
conçoit comme une disposition au baptême de Jésus (S. th, 2, 38, 1 ad 1). Le
Concile de Trente déclara contre les Réformateurs : « Si quelqu’un
dit que le baptême de Jean a eu le même effet que le baptême du Christ, qu’il
soit anathème » (S. 7, de bapt., can. 1). La
différence essentielle entre les deux baptêmes ressortira plus clairement des
exposés qui vont suivre.
THÈSE. Le sacrement de baptême a été
ordonné par le Christ dans l’Église.
De foi.
Explication. Le dogme de l’institution du baptême n’a pas été nié
avant la théologie libérale à
laquelle se rattache le modernisme.
Le Concile de Trente définit l’institution
de tous les sacrements par l’Église
(cf. plus haut, § 164) et distingua le baptême du Christ de celui de S. Jean.
Pie X condamna cette proposition des modernistes : « La communauté
chrétienne a introduit la nécessité du baptême en l’adoptant comme usage
nécessaire et en lui unissant les obligations de la profession de foi
chrétienne » (Denz., 2042 ; cf. 2088).
Preuve. Il est vrai que le
Christ lui‑même n’a pas administré le baptême (Jean, 4, 2) et
celui qu’administrèrent ses disciples pour continuer le mouvement baptismal de
son Précurseur, n’était sans doute que le baptême de Jean (Jean, 3, 22
sq.) ; mais il a enseigné la nécessité du baptême et donné l’ordre de
baptiser. Il dit à Nicodème : « En vérité, en vérité, je te le dis,
aucun homme, s’il ne renaît de l’eau et de l’Esprit‑Saint, ne peut entrer dans le royaume de Dieu »
(Jean, 3, 5). Ici, l’eau est le rite baptismal et l’Esprit son effet de grâce
(Math., 3, 11 ; Marc, 1, 8). La nécessité du baptême est enseignée d’une
manière universelle ; c’est d’une manière universelle aussi qu’est
promulgué l’ordre de baptiser, au
jour de l’Ascension : « Toute puissance m’a été donnée dans le ciel
et sur la terre. Allez donc, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom
du Père, et du Fils, et du Saint‑Esprit »
(Math., 28, 18). De même dans Marc : « Allez dans le monde entier, et
prêchez l’Évangile à toute la création. Celui qui croira et qui sera baptisé,
sera sauvé ; mais celui qui ne croira pas sera condamné » (Marc, 16,
17 sq.). D’après ces passages qu’on essaie en vain de rejeter comme interpolés,
le Christ fonde théoriquement la nécessité du baptême et en ordonne l’usage
dans son Église. Il donne déjà au baptême, dans son enseignement, une relation
mystique avec sa mort : « J’ai à être baptisé d’un baptême, et comme
je me sens pressé jusqu’à ce qu’il s’accomplisse ! » (Luc, 12, 50).
C’est pourquoi les Apôtres ont administré le
baptême dès le jour de la Pentecôte (Act. Ap., 2, 41) et l’ont annoncé comme un moyen nécessaire de
salut. A cette question qu’on lui adresse : « Que devons‑nous faire ? » Pierre répond :
« Faites pénitence et que chacun de vous se fasse baptiser au nom de Jésus‑Christ pour la rémission de vos péchés » (Act. Ap., 2, 38 ; cf. 8, 12,
36 ; 16, 15, 33 ; 18, 8 ; 19, 5 ; 22, 16). Il n’est pas
concevable que les Apôtres aient pu, d’une manière si générale, si déterminée
et si formelle administrer le baptême « au nom de Jésus », s’ils n’en
ont pas reçu du Seigneur la doctrine et l’ordre. On administre le baptême à
ceux‑là même que Dieu conduit d’une manière miraculeuse à
l’Église, comme Cornélius (Act. Ap.,
10, 47 sq.) et Paul (Act. Ap.,
9, 15, 18). S. Paul unit le baptême, comme l’Eucharistie, avec la mort du
Christ (Rom., 6, 3) et dit que nous avons été baptisés dans le Christ (Gal., 3,
27. 1 Cor., 1, 12-16 ; 6, 11 ; 12, 13). Il l’appelle la
« circoncision du Christ » : « En lui, vous avez reçu une
circoncision... telle est la circoncision qui vient du Christ... Dans le
baptême, vous avez été mis au tombeau avec lui » (Col., 2, 11 sq.). S’il l’appelle
ainsi, c’est bien parce qu’il a été institué par le Christ, et, du reste, tous
les textes pauliniens indiquent que le Christ est l’auteur du baptême. Le
baptême apparaît immédiatement non seulement comme un rite, mais accompagné de la doctrine
sur son efficacité.
Le
moment de l’institution fut débattu
pour la première fois dans la Scolastique (S. Bernard : M, 182, 1031
sq. ; Hugues de S.V.: M. 176, 449 ; Roland, Gietl, 199) et on le fixa de façons différentes. Il y eut,
et il y a encore, à ce sujet, une triple conception. D’après certains, le
Seigneur institua le baptême au moment où il fut lui‑même baptisé dans le Jourdain (Math., 3, 13).
Certains Pères croyaient même que l’eau avait reçu par là une vertu purifiante
et avait été, pour ainsi dire, consacrée pour sa fin sacramentelle ; ainsi
S. Ambroise (In Luc, 2, 83 : M.
15, 1665), S. Jean Chrysostome (In Matth. Hom., 12, 3 : M. 57, 206). De même, un certain
nombre de scolastiques, avec S. Thomas,
pensaient à ce moment (S. th., 3, 66, 2 ; Cat. Rom., p. 2, c. 2, q. 20).
Mais S. Thomas ne datait le devoir du
baptême que depuis Math., 28, 19. (S. th., 3, 73, 5 ad 4). Cette opinion n’est
plus guère admise aujourd’hui. D’après d’autres, le Seigneur institua le
baptême dans son entretien avec Nicodème (Jean, 3, 1-21). Ils s’appuient, avec Scot, sur le fait que les disciples
administrèrent le baptême (Jean, 3, 22 ; 4, 2) et considèrent ce baptême
comme sacramentel. Mais d’abord il ne convient guère de fixer l’origine du
baptême dans un entretien privé et, d’autre part, le baptême administré par les
disciples était sans doute le baptême de Jean. Plus tard, on ne trouve pas
trace dans la vie du Seigneur de cette collation du baptême ; même dans la
mission d’essai confiée aux Apôtres, l’ordre de baptiser fait défaut chez tous
les évangélistes (Math., 10, 1-42 ; Marc, 6, 7-13 ; Luc, 9, 16). Un
autre groupe de théologiens s’en tient à l’ordre de baptiser (Math., 28, 19) et
trouve là le moment de l’institution. Il est à recommander de ne pas s’appuyer
exclusivement sur l’un de ces trois points, mais de les unir et de dire : Le Christ, par son propre baptême passif,
par le baptême actif des disciples, par son enseignement sur le baptême a
préparé de telle sorte ce sacrement qu’au moment de quitter la terre il pouvait
en faire un devoir. S. Bonaventure écrit (Comment, in Joan) : « Quando institutus fuit baptismus ? Dicendum materialiter cum baptizatus fuit Christus ; formaliter cum resurrexit et formam dedit, Math., 28, 19 ; effective cum passus fuit, quia inde habuit virtutem ; sed finaliter
cum ejus necessitatem prædixit et utilitatem, Joa., 3, 5 ».
C’est
une entreprise insensée de la part du modernisme
de vouloir expliquer Math., 28, 19, comme provenant du « Christ de la
foi » et, par suite, comme non historique. Les Apôtres ont pu expérimenter
historiquement le Christ ressuscité et, au reste, le Christ
« historique » de l’activité publique est pour eux le Christ
« de la foi ». Math., 28, 19, s’accorde parfaitement avec le reste de
l’Évangile et même est exigé par lui, car le baptême a été suffisamment
préparé.
L’histoire libérale des religions estime qu’on
ne peut absolument pas nier l’usage du baptême dans le christianisme le plus
ancien, mais que son importance a
sûrement varié. Au début, le baptême aurait été un pur symbole assurant au chrétien
entré dans la nouvelle religion, que ses péchés lui avaient été remis du haut
du ciel par le Christ, en raison de sa pénitence ; c’est ainsi que le
Baptiste avait déjà uni le symbole de l’ablution à sa prédication de pénitence.
Les premiers chrétiens auraient simplement emprunté cet usage qu’ils auraient
continué. Le baptême primitif n’aurait donc été qu’une simple cérémonie d’entrée
dans l’état de chrétien produit par la foi et la pénitence. Plus tard, dans les
pays pagano‑chrétiens, Paul, pour faire
contrepoids au culte des mystères établis dans ces pays, aurait transformé le
baptême en un moyen de salut magique en y associant l’Esprit, le saint Pneuma,
et en en faisant, d’une manière profondément mystique, un renouvellement et une
application de la mort et de la résurrection du Christ dans le néophyte. C’est
ainsi que le « baptême d’eau » primitif serait devenu avec Paul le
« baptême dans l’Esprit ».
D’autres
formulent d’une manière un peu différente cette connexion avec le baptême de
Jean. Jésus avait reçu ce baptême dans le Jourdain et reçu, à cette occasion,
la révélation de l’Esprit. L’Église aurait ensuite appliqué l’expérience du
Christ à tous les chrétiens, d’autant plus qu’au jour de la Pentecôte, le Saint‑Esprit était descendu sur la jeune
communauté. On aurait donc uni l’« enthousiasme
impétueux » de la Pentecôte avec le baptême d’eau connu depuis longtemps
et c’est ainsi que serait né notre sacrement sans « institution »
spéciale. De cette manière la communauté sans rites fondée par Jésus serait
« retombée immédiatement non seulement à la légalité et aux préceptes de
purification de l’Ancien Testament, mais encore au bain de purification du
Baptiste » (A. Meyer, La résurrection du Christ (1905), 151 sq.). Ce qui
est intéressant dans ces constructions arbitraires, c’est que, si elles nient
que le Christ soit l’auteur du baptême, elles sont cependant obligées de placer
l’origine du sacrement dans son très proche voisinage.
Comment
les protestants résolvent‑ils cette objection ? Elle est
particulièrement embarrassante pour eux. En effet, depuis la Réforme, S. Paul a
été pour eux le principal témoin biblique de leur doctrine, d’après laquelle la
foi seule fait le chrétien et lui assure le salut. D’après eux, il ne saurait
rien de « l’Église sacramentelle » catholique et de son « néfaste
opus operatum ». Et voici que tout le chœur des
historiens modernes des religions vient annoncer unanimement le contraire. Heinrici, un protestant
orthodoxe, fait cette réponse : Paul « voit dans le baptême et dans
la Cène non pas le fondement de l’état de chrétien, mais il les présente comme
un usage de communauté. Il ne pense pas à un effet naturel (!) de ces
sacrements, à un effet « ex opere operato » ( !), mais il
fait appel pour leur appréciation à la conscience morale de la communauté... La
communauté de foi n’est donc pas fondée par la magie des sacrements (!), mais
par la foi professée et la conduite morale » (Paulin, Problème (1914),
79). De même, Schreiner nous affirme
avec assurance que « le baptême n’agit pas « ex opere
operato », mais oblige d’une manière éminemment
morale » (Sacrements et parole de Dieu, 29). Comme si les deux choses ne
pouvaient pas parfaitement s’unir.
Nous
autres catholiques nous répondons aux
objections de l’histoire des religions de la manière suivante : L’histoire
des religions et la théologie libérale ont raison quand elles trouvent dans S.
Paul et S. Jean l’« opus operatum »
du baptême. Mais elles ont tort quand elles y voient un emprunt fait aux
antiques mystères ; car l’Église pré-paulinienne, établie sur le sol juif
entièrement étranger au culte des mystères, connaît déjà le baptême comme
baptême dans l’Esprit et non
seulement comme baptême d’eau. Pierre
demande à Jérusalem, le jour de la Pentecôte, à la foule ébranlée par son
discours : « Faites pénitence et que chacun de vous se fasse baptiser
au nom de Jésus‑Christ pour la rémission de vos
péchés, alors vous recevrez le don du Saint‑Esprit »
(Act. Ap., 2, 38). D’après
les synoptiques, Jean annonce déjà le baptême par Jésus dans l’eau et le Saint‑Esprit (Math., 3, 11 ; Marc, 1, 8 ;
Luc, 3, 16). D’après S. Jean, le Seigneur enseigne, dans un entretien avec
Nicodème, la nécessité de renaître « de l’eau et du Saint‑Esprit » (3, 5) ; d’après le même
disciple, le Seigneur fit déjà administrer par ses disciples un certain baptême
(4, 1 sq. ; cf. 3, 22). Ensuite vient l’ordre de baptiser (Math., 28, 19
et Marc, 16, 16). L’Église de Jérusalem administra le baptême non seulement le
jour de la Pentecôte, mais encore plus tard par les mains de Philippe en
Samarie (Act. Ap., 8, 12
sq.), par les assistants de Pierre dans la maison de Cornélius (Act. Ap., 10, 48), à Paul
converti (Act. Ap., 9,
18 ; cf. 17. 1 Cor., 12, 13. Rom., 6, 3), aux disciples de Jean‑Baptiste à Éphèse (Act.
Ap., 19, 1-6). Presque toujours le baptême et la
communication de l’Esprit sont en étroite connexion ; le baptême produit
cette communication « ex opere operato ». Il en est de même dans les Épîtres de l’Apôtre
primitif Pierre. D’après lui, le
baptême « sauve », comme au temps de Noé « les huit âmes furent
sauvées à travers l’eau ». Ce n’est « pas une ablution qui ôte les
impuretés de la chair, mais une demande faite à Dieu (d’autres traduisent :
la promesse) d’une bonne conscience, par la Résurrection de Jésus‑Christ » (1 Pier., 3, 20 sq. ; cf.
2 Pier., 1, 9). D’après l’Épître aux
Hébreux, nous sommes dans la plénitude de la foi « le cœur purifié
(des souillures) d’une mauvaise conscience et le corps lavé dans une eau
pure » (Hébr., 10, 22).
D’après
ce que nous venons de dire, l’Église sacramentaire avec la foi à l’« opus operatum »
existait dès les commencements et déjà sur le sol judéo‑chrétien, palestinien.
Le christianisme primitif n’a pas emprunté le baptême au Précurseur du
Seigneur, bien qu’il soit attesté que celui‑ci s’est
rattaché à l’activité baptismale de Jean. Le Christ est l’auteur du baptême
chrétien, en tant qu’il a prescrit pour son Église l’usage du baptême bien
connu dans le monde antique et particulièrement chez les Juifs, mais tout en l’élevant
par l’union à la communication de l’Esprit, à la dignité d’un sacrement du
Nouveau Testament. Ce n’est pas l’usage du baptême très connu dans l’antiquité
qui importe, mais c’est le bien réel de salut que le Christ y a attaché. Ce n’est
pas la « dogmatique de communauté », ni « le premier théologien
sacramentaire » Paul qui ont uni le rite et l’Esprit - ils n’avaient pour
cela ni l’autorité extérieure, ni le pouvoir interne - c’est le Seigneur lui‑même. Pour se rendre compte de l’incertitude
des convictions des adversaires malgré l’assurance des affirmations, il suffit
de comparer les assertions d’un historien des religions, Weinel. Il raconte d’abord d’une
manière catégorique : « Mathieu rapporte pour la première fois l’ordre
de baptiser comme une parole du ressuscité... Jésus ne s’intéressait qu’à la
pureté du cœur, le reste lui était indifférent » (Théol. Bibl., 73).
Ensuite nous apprenons : « Comment le baptême est entré dans le
christianisme, cela n’est plus absolument clair. Une seule chose est certaine,
c’est que cela se fit immédiatement après la mort de Jésus. Peut-être qu’ici
encore Mathieu est fort bien renseigné sur le fait que, dans une apparition
quelconque du ressuscité, on aurait entendu son ordre de baptiser, bien que l’ordre
du baptême avec sa formule trinitaire ne puisse pas être placé si tôt. Nous ne
retrouvons plus cette formule que dans la Didachè. » (P. 249). Si nos
adversaires traitent des origines du baptême avec tant de « peut-être »,
s’ils sont obligés de reculer notre baptême jusqu’aux environs
« immédiats » de la mort de
Jésus, on a bien le droit de dire que c’est une obstination de principe, de
nier la doctrine baptismale de Jésus et de la reconnaître dans la communauté aussitôt
après sa mort.
THÈSE. La matière du baptême est l’eau
naturelle. De foi.
Explication. Quelques sectes ayant employé pour le baptême, au
cours des siècles, des éléments différents de l’eau, le Concile de Trente définit : « Si quelqu’un
dit que l’eau réelle et naturelle n’est pas nécessaire pour le baptême et, par
conséquent, dénature dans un sens imagé quelconque les paroles de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ :
« Si quelqu’un ne renaît pas de l’eau et du Saint‑Esprit) », qu’il soit anathème. » (S. 7, De
bapt., can. 2 : Denz.,
858 ; cf. 412, 696). Les sectes
spirituelles de l’époque patristique et de l’époque médiévale évitaient tout élément
comme impur en soi. Certaines faisaient passer le néophyte entre des cierges
allumés ou entre des feux en vertu d’une interprétation erronée de Math., 3,
11 ; d’autres se servaient d’huile, de vin ou de lait. Calvin entend l’eau (Jean, 3, 5) au sens
figuré, du sang du Christ.
Preuve. Des textes déjà allégués, il résulte nettement que l’eau
naturelle est l’élément du baptême. Cela est déjà indiqué par les noms
bibliques cités. L’eau est expressément nommée dans Jean, 3, 5, à propos du
baptême de l’eunuque (Act. Ap.,
8, 36, 38), de Cornélius (Act. Ap.,
10, 47), dans les textes pauliniens (Tit., 3, 5 ; Eph.,
5, 26 ; Hébr., 10, 22. Cf. 1 Cor., 6, 11 ; Act. Ap., 22, 16). S. Paul
compare le baptême au passage à travers la Mer Rouge (1 Cor., 10, 2). S. Pierre le compare au sauvetage par l’Arche
(1 Pier., 3, 20 sq.).
Les Pères. Il est
inutile de les citer pour attester cette claire doctrine de l’Écriture. Cf. Didachè (7), S. Justin (Apol., 1,
61), Tertullien (De bapt., 1), S. Augustin(In
Joan., 15, 4). La pratique ecclésiastique, depuis le commencement, ne connaît
que l’eau comme matière du baptême.
La matière
prochaine (materia proxima)
consiste dans l’ablution de celui qui va être baptisé, que ce soit sous forme d’immersion, d’aspersion ou d’infusion.
La
manière de baptiser la plus ancienne
est l’immersion. S. Paul compare le baptême à la sépulture du Seigneur (Rom.,
6, 4 sq. ; Col., 2, 12). Cela est encore attesté par le baptême de Jean
qui se faisait dans le Jourdain et dans « beaucoup » d’eau (Jean, 3,
23 ; cf. Math., 3, 16 ; Marc, 1, 8, 10 ; Luc, 3, 16 ; Jean,
l, 26, 33). Il est dit de l’eunuque qu’il descendit avec Philippe « dans l’eau »
et qu’il « sortit de l’eau » (Act. Ap., 8, 38 sq.). Celui qui allait être baptisé descendait
nu dans l’eau, il dépouillait préalablement le vieil homme (Col., 2, 11 ;
3, 8. Eph., 4, 22 sq.). Dans les anciens vêtements
« il pouvait demeurer encore quelque chose de diabolique » (Schermann). On
comprend facilement le revêtement d’un habit blanc comme symbole de l’« homme nouveau » (Col., 3, 10 sq. ; Eph., 6, 11). Dans le fait de se plonger dans l’eau et d’en
ressortir se trouvait le symbole de la sépulture et de la Résurrection avec le
Christ (Rom., 6, 3 sq. ; Eph., 4, 23). Pour la
plongée à trois reprises, on ne peut
cependant apporter aucune preuve scripturaire. Néanmoins la Didachè demande déjà qu’on verse
l’eau à trois reprises sur la tête (8, 3). L’immersion fut prédominante pendant
toute la période patristique et médiévale. S.
Thomas la considère comme plus sûre en
pratique (S. th., 3, 66, 7). Tertullien est le premier à attester qu’en l’honneur
de la Trinité cette immersion se faisait à trois reprises (Adv. Prac., 26). S. Léon 1er la met en relation avec
le repos de trois jours dans le tombeau (Ep. 16, 3). Cependant l’immersion unique est aussi attestée et elle fut
prescrite en Espagne contre les Ariens à cause de la consubstantialité des
Personnes. Au reste, il n’y avait pas d’unanimité dans l’interprétation de la
triple immersion : les uns y voyaient, comme Tertullien, un symbole de la
Trinité ; les autres, avec S. Léon, un symbole du repos de trois jours du
Christ dans le tombeau ; d’autres encore, avec S. Grégoire le G., P. Lombard
et S. Thomas unissaient les deux interprétations.
Un
rite spécial était en usage dans l’antiquité pour le baptême des malades. Le malade était placé dans une baignoire et on
le baptisait en versant de l’eau sur lui (Schermann, 291), ou bien, en cas
de nécessité, on se contentait de lui verser de l’eau sur la tête (ibid., 299).
Cet usage est à peu près identique avec l’usage aussi ancien de l’infusion ou de l’aspersion. S. Cyprien dut
s’élever contre des doutes sur la validité de ces modes de baptême (Ep. 69, 12
sq.). D’après S. Augustin, le baptême
purifie même lorsqu’il « mouille un tout petit peu » l’enfant (In
Joan., 80, 3). Peut-être même, le fait que le jour de la Pentecôte, 3.000
personnes furent baptisées témoigne aussi en faveur du baptême par infusion. On
peut citer encore, en faveur de ce rite, les baptêmes faits à la maison (Act. Ap., 10, 47 sq. ; 16,
33). La Didachè
se contente de la triple infusion au cas où l’on n’a pas assez d’eau.
« Quand tu n’as pas d’eau courante, baptise dans d’autre eau. S’il n’est
pas possible de le faire dans l’eau froide, prends de l’eau chaude. Si tu n’as
ni l’une ni l’autre, verse trois fois
de l’eau sur la tête au nom du Père
et du Fils et du Saint‑Esprit »
(7, 2 sq.). Ce rite de l’infusion, qui nous est aujourd’hui prescrit, se
recommande par plusieurs raisons telles que la facilité d’emploi, la santé, la
décence. Alexandre de Halès
est le premier qui ait déclaré l’infusion valide même en dehors du cas de
nécessité. Dans l’Église grecque, on
emploie encore aujourd’hui dans les cas normaux, l’immersion (Maltzew, 14 sq.).
Le scolastique primitif Guillaume d’Auxerre
ne signale que l’immersion et en cas de nécessité demande tout au moins l’immersion
de la tête qui est la « partie principale » (Strake,
75). L ’Église reconnaît les trois modes de baptême et ordonne de conserver
celui qui est maintenant le plus usité
dans une Église. Le baptême par aspersion n’est plus en usage.
La
bénédiction de l’eau baptismale est
très ancienne. Tertullien l’atteste
déjà (De bapt., 5, 9) et S. Cyprien justifie l’usage
existant en disant que Dieu, dans Ézéchiel (36, 25), demande l’eau pure (Ep.
70, 1 ; cf. S. Ambroise, De myst., 3, 14 et 5, 18 ; S. Augustin, De bapt., 5, 20, 28 ;
6, 25, 47).
Au
sujet de la nécessité de la
bénédiction, les Pères ont des avis différents. Ce qu’ils considèrent surtout,
comme le fait remarquer Schermann,
c’est la sanctification de l’eau par la présence salutaire de l’Esprit‑Saint qui a été appelé par la prière de
consécration (Frühchristl. Liturgie, 292 sq.) ;
mais on voyait aussi sans aucun doute, dans cette bénédiction, un exorcisme de
l’eau, destiné à écarter l’influence du démon, comme cela ressort de Tertullien, De bapt.,
5. Tertullien expose cette idée que toutes les eaux de l’univers sont
sanctifiées par le fait que l’Esprit‑Saint a
plané sur les eaux à l’origine (De bapt., 4). Il
croit qu’au moment de la bénédiction de l’eau baptismale, un ange descend et
sanctifie l’eau pour le salut de l’âme, comme autrefois un ange descendait dans
la piscine de Béthesda et lui donnait la vertu de
guérir les corps (Ibid.). D’après les conceptions populaires antiques, les
sources et les eaux étaient particulièrement exposées aux influences
diaboliques. L’exorcisme tient compte de ces idées populaires (Cf. Dict.
théol., 2, 181 sq.). S. Cyprien
considère la bénédiction de l’eau comme si importante qu’il croit pouvoir en
tirer un argument contre la validité du baptême des hérétiques : « Celui
qui est lui‑même impur et ne possède pas le Saint‑Esprit, comment peut‑il purifier et sanctifier l’eau ? »
(Ep. 70, 5). Le rite de la bénédiction était varié ; mais l’usage de l’insufflation
qui doit faire venir le bon Esprit dans la créature et en chasser le mauvais
est très ancien. Honorius d’Autun :
« L’insufflation annonce la venue de l’Esprit Saint, et l’expulsion de l’esprit
immonde » (Gemma animæ, 3, 3 : M. 172,
673). En Orient, il est moins
question de bénédiction et d’exorcisme de l’eau baptismale. On pensait que l’eau
avait été suffisamment sanctifiée par le baptême du Seigneur dans le Jourdain
et par sa Passion (S. Ignace, Eph., 18 ; S.
Cyrille de Jér., Cat., 3, 11). Cependant l’usage
de l’exorcisme s’introduisit et est encore en usage aujourd’hui dans les rites
copte, grec et slavon (Doelger,
166 ; Staerk,
83). Les Réformateurs conservèrent tout au moins l’exorcisme du baptisé.
Pour
la validité, l’eau ordinaire suffit toujours, bien que, pour l’usage normal, l’eau
baptismale soit prescrite. La bénédiction se faisait autrefois au moment du
baptême. Aujourd’hui la bénédiction des fonts se fait aux deux anciens jours de
baptême, Pâques et la Pentecôte (Cf. Kieffer,
Précis de Liturgie, p. 344). La Scolastique connaissait déjà des questions de
casuistique au sujet de l’administration du baptême (Cf. Lechner, Richard de Med., 123 sq.).
THÈSE. La forme du baptême consiste
dans l’invocation des trois noms divins, accompagnée des paroles qui
manifestent l’action baptismale.
De foi.
Explication. Eugène IV
prescrit cette forme aux Arméniens (Denz., 696). Le
Concile de Trente affirme la validité
du baptême des hérétiques quand il est administré avec cette forme et l’intention
convenable (De bapt., can. 4 ; cf. can. 3 :
Denz., 859 sq.). Alexandre
III (1159-1181) condamne l’opinion de ceux qui prétendent que la forme du
baptême suffit, même quand elle ne contient pas l’acte baptismal (ego te baptizo) (Denz., 398). Cette
condamnation a été répétée par Alexandre VIII, en 1690, contre les jansénistes
(Denz., 1317.) L’effet (ἄφεσις,
πνεῦμα) n’a pas été
admis dans la formule.
Preuve. L’Écriture n’est pas absolument claire par rapport à
la forme du baptême. Elle contient tout d’abord l’attestation de la formule
trinitaire (Math., 28, 19). Peut-être cette formule est‑elle indiquée également dans Eph.,
5, 26, où il est dit que le baptême se fait « dans la parole de
vie ». Il est souvent dit dans l’Écriture que le baptême se faisait
« au nom de Jésus‑Christ »,
ou « du Seigneur Jésus », ou bien « dans le Christ »,
« dans le Christ Jésus » (Act. Ap., 2, 38 ; 8, 16 ; 10, 48 ; 19, 5. Cf.
Rom., 6, 3. 1 Cor., 1, 13 ; 10, 2. Gal., 3, 27).
Doit‑on comprendre ces textes en ce sens que le
nom de Jésus ou du Christ était prononcé seul ? Cette opinion était celle
de S. Ambroise, de S. Maxime de Turin, de S. Hilaire, de S. Basile. S. Ambroise déclare, en s’appuyant sur
S. Irénée et S. Basile (De Spir. S., 12, 28) :
« Celui qui nomme un seul nom
désigne toute la Trinité (De Spir. S., 1, 44 ;
cf. 3, 42. Tixeront, 2, 113 sq.). S. Nicolas 1 s’appuie sur lui et se
range à son avis dans sa réponse aux Bulgares (Denz.,
335). Les scolastiques se rangent d’ordinaire à la même opinion. D’après S. Thomas, cette formule était un
privilège réservé expressément au Christ et aux Apôtres et ce privilège était
particulièrement opportun, parce qu’il fallait, au commencement, insister avec
une force particulière sur le nom de Jésus qui est le fondement du
christianisme. Plus tard, la formule trinitaire complète serait devenue la
seule valide (S. th., 3, 66, 6 ; Cat. rom., p. 2, c. 2, q. 15). Mais on
peut aussi, avec Cano et Bellarmin, expliquer autrement la formule, c.‑à‑d. comme une
formule qui servait à distinguer le baptême chrétien (nomen auctoris)
du baptême de Jean et du baptême des païens. La formule « au nom »
signifie très naturellement, dans le langage biblique, l’autorité de la personne nommée, ainsi qu’une obligation envers cette
personne. Les Apôtres baptisaient au nom de Jésus, sans doute en nommant
auparavant le nom du Seigneur et en indiquant à celui qui allait être baptisé
le caractère obligatoire de sa doctrine. La mention du nom de Jésus, par
conséquent, est narrative et non liturgique. D’ Alès dit de cette
opinion : « Elle dispense de recourir à une conjecture hasardeuse (la première opinion) ».
Les Pères. Ils
attestent, dès le début, la formule trinitaire du baptême.
La
Didachè
est, du chapitre 7 au chapitre 10, un ouvrage liturgique, c.‑à‑d. elle
donne des prescriptions pour les actions liturgiques de l’Église. Or elle dit
au sujet de notre sacrement : « Au sujet du baptême:
Baptisez ainsi : Après avoir tout communiqué (à savoir, l’enseignement des
catéchumènes), baptisez au nom du Père », etc. On a l’impression que la Didachè veut indiquer, à côté de la matière du baptême « dans l’eau vivante », c.‑à‑d. dans l’eau
courante), la forme de ce sacrement.
Pour l’Eucharistie d’ailleurs, elle donne ensuite des formules achevées. D’après
S. Justin, les catéchumènes sont
régénérés dans le baptême « car au nom de Dieu le Père et Seigneur de
toutes choses, et au nom de notre Sauveur Jésus‑Christ et du
Saint‑Esprit, ils prennent alors le bain
dans l’eau ». Cela est même exposé deux fois dans Apol.,
1, 61. Il en résulte tout au moins que l’Église prononçait les trois noms
pendant le rite. S. Irénée rapporte
lui aussi le même mode de baptême (Epid., 3, 7 et
12). Tertullien écrit :
« la nécessité du baptême a été
imposée, et la forme en a été
prescrite. Allez, dit le Seigneur aux apôtres, enseignez toutes les nations,
baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint‑Esprit » (De bapt.,
13). Il expose ici l’ordre de
baptiser et la forme du baptême. A ce sujet, il s’exprime nettement dans Adv. Prax. 26, in fine : « L’immersion a lieu, non pas
une fois, mais trois, autant qu’il y a de noms et de personnes ». Ainsi
donc on prononçait ou on invoquait, à chacune des immersions, un des noms
trinitaires sur la personne immergée. S.
Irénée rend le même témoignage quand il écrit : « Nous avons été
purifiés, dans le baptême, par l’eau et l’invocation » (Fragm. 35 : M. 7, 1247) ; de même Firmilien de
Césarée : « il n’y a pas à savoir quel est celui qui a baptisé, parce
que celui qui a été baptisé a pu recevoir la grâce par l’invocation de la Trinité des Noms du Père, du Fils et du saint
Esprit » (Ep. 75 à Cyprien). D’après S.
Cyprien (Ep. 69, 7), les Novatiens eux aussi baptisaient, comme les
catholiques, au nom de la Trinité. « Cependant, ajoute S. Cyprien, ils n’ont
pas la même règle de foi que nous ; car quand ils demandent : Crois‑tu à la rémission des péchés et à la vie
éternelle par la sainte Église ? ils mentent avec cette question, car ils
n’ont pas d’Église ». Ensuite on leur faisait réciter tout le symbole (Cf.
aussi Ep. 70, 2). D’après S. Cyprien, le baptême « au seul nom de
Jésus » ne suffit pas, car le Christ lui‑même ordonne
de baptiser les peuples dans la Trinité complète et unie (in plena et adunata Trinitate, Ep. 73, 18). D’autres témoignages pour une
invocation ou mieux pour une proclamation
de la Trinité se trouvent dans Origène : « Il n’y a de baptême
légitime que sous le nom de la Trinité » (In Rom, 5, 8 : M. 14,
1039 ; cf. In Jean., 6, 17 : M. 14, 257) ; les Constitutions apostoliques, 3, 16, 4 (éd. Funk, 1, 211) ;
les Didascalia,
3, 16, 3 (éd. Funk, 1, 211) ; S.
Basile (De Spir. S., 15, 35 : M. 32, 130
sq.) ; S. Grégoire de Nysse (Orat. in bapt. Christi : M. 46,
585) ; Théodoret de Cyrus (Hær.
fabul. compend., 4, 3 : M. 83, 420) ; Procope de Gaza (In Gen.,
1, 9 : M. 87, 77) ; S. Jean
Chrysostome In Ep. ad Gal. 4, 28 : M. 61,
663). (Cf. de Puniet,
col. 292 et 337.)
Comment
peuvent s’accorder les témoignages en faveur d’une formule du baptême avec ceux
qui parlent d’interrogations sur la foi et ne parlent pas d’une formule
particulière du baptême ? Quand les écrits s’adressent de préférence aux
fidèles ou aux catéchumènes qui vont être baptisés, ils leur rappellent ce qu’il sont à faire pour le baptême - et cela est beaucoup.
On leur demande la foi orthodoxe trinitaire. Quant à la formule que l’Église devra employer dans le baptême, l’Église
ou l’autorité ecclésiastique n’a pas besoin de se la rappeler elle‑même, à moins qu’elle ne recherche
précisément une instruction liturgique. Et cela d’autant moins que cette
formule était, en tout cas, très simple : après l’interrogation sur la
foi, on plongeait trois fois le catéchumène dans l’eau et l’on prononçait successivement,
à chaque fois, le nom de l’une des divines Personnes ; c’était, en quelque
sorte, un écho ou une répétition de la formule de foi du baptisé. Prononçait‑on alors une formule d’introduction qui
désignait l’acte baptismal, dans la
forme active : « Ego te baptizo » [je
te baptise] ou dans la forme passive, βαπτίζεται
ὁ δοῡλος [untel
est baptisé au nom du Père, etc.], nous n’oserions répondre affirmativement ou
négativement, car alors on ne connaissait pas encore, dans la doctrine
sacramentaire, la théorie philosophique de la forme qui détermine tout et donne
l’être à tout. Par les paroles on entendait plutôt exprimer la foi nécessaire pour le sacrement qu’opérer
directement l’être sacramentel. Bien que S. Augustin, à l’encontre de S.
Cyprien, estime valide le baptême administré par les schismatiques, il dit
cependant de la « parole » qui s’ajoute à l’élément qu’elle opère
« non parce que l’on prononce cette parole, mais parce que l’on y
croit » (In Joan., 80, 3). Toute la Scolastique primitive a considéré
comme valide cette courte formule « Au nom du Père », etc. Cf. plus
bas. Au reste, on rencontre aussi la formule : « Je te baptise au nom
du Père », etc., par ex. dans les canons d’Hippolyte, dans le rite
baptismal éthiopien (Cf. de Puniet, loc. cit., col 268 et
341).
Il
faut donc maintenir que, dans le baptême, le « sacramentum fidei », tant du côté du ministre que du sujet, ce qui
importait essentiellement, c’était l’expression de la foi trinitaire sous
quelque forme que ce soit, et que le noyau central inaltérable de cette forme
était le nom des trois divines Personnes. Un regard sur l’évolution du rite
baptismal nous montre que toutes les additions et extensions, tout en demeurant
dans le cadre trinitaire, furent variables.
La
mention orale de l’acte baptismal (Je
te baptise) doit désigner suffisamment l’action comme une ablution sacramentelle ; ce qui, d’après S. Thomas, ne peut se faire d’une
manière assez précise par la seule invocation de la Trinité (S. th., 3, 66, 5).
Les Pères connaissent déjà de légères additions et modifications dans la
formule ; elles ne changent pas le sens. La formule grecque est celle‑ci : « βαπτίζεται ό δοῡλος τοῦ
θεοῦ είς
τὀ ὄνομα
του πατρός
ϰτλ ». Elle se trouve pour la
première fois (5ème siècle) dans le « Pratum
spirituale » de J. Moschus : M. G., 87, 3046 (Cf.
Dict. d’archéol. chrét. et de liturgie, 2, 1, col. 282). Alexandre VIII a condamné l’opinion
de ceux qui prétendent que le baptême est valide sans « ego te baptizo » (Denz., 1317).
Mais c’était là l’opinion générale de la Scolastique primitive. Præpositinus
écrit : « Nos maîtres nous ont tous enseigné qu’il suffit de
dire : au nom du Père », etc. Etienne
Langlon (+ 1229) considère le baptême « au
nom de Dieu » comme valide, parce que les trois Personnes ne sont qu’un seul Dieu (Cf. Gillmann, Le baptême au nom de
Jésus, 19, 21).
L’explication
très répandue dans la Scolastique
primitive, d’après laquelle toute la
Trinité est déjà nommée dans « au nom du Christ » (Roland,
Hugues, etc.), se trouve déjà en germe dans S.
Irénée : « dans le nom de
« Christ » est sous‑entendu
Celui qui a oint, Celui‑là même qui
a été oint et l’Onction dont il a été oint : celui qui a oint, c’est le
Père, celui qui a été oint, c’est le Fils, et il l’a été dans l’Esprit, qui est
l’Onction » (Traité contre les hérésies,
livre 3, 18, 3 ; cf. 3, 1). Didyme
l’Aveugle connaît, lui aussi, cette explication (Bardy,
Didyme, 150), ainsi que S. Basile (De
Spir. S., 12, 28) qui se réfère à Act.
Ap., 10, 38. Il est l’inspirateur de S. Ambroise et
celui‑ci l’est de la Scolastique. D’après Hugues, on peut baptiser au nom de chacune des trois Personnes de la
Trinité ; qui en nomme une nomme les deux autres en même temps. Gillmann fait
remarquer que ce n’est que peu à peu que « au nom de Jésus » devint
« au nom du Christ » et qu’ainsi un nom humain sembla entrer dans le cercle divin des trois Personnes pour les représenter. Au reste, toute
cette explication est artificielle et ne résout pas le problème biblique. D’après
Scot, le baptême administré au nom de
Jésus doit être réitéré sous condition ; d’après d’autres, il faut le
réitérer sans condition (Gillmann, 2528, 29).
Étant
donnée la connaissance insuffisante du latin chez les simples prêtres au Moyen‑Age, un problème qui revient constamment dans
la Scolastique primitive est celui de savoir si une formule d’administration en
latin déformé est valide. Et la
réponse unanime est affirmative, pourvu que la déformation (naturellement dans
la désinence des mots) ne soit pas trop énorme.
Une
autre question qui se pose dès le commencement et se poursuit à travers la
Scolastique est celle‑ci : La
formule baptismale : « Baptizo te in nomine
Genitoris et Geniti et Flaminis almi » suffit‑elle ? On répondit ordinairement
négativement. Suarez, entre autres, répond affirmativement, mais avec
hésitation ; Pesch et d’autres répondent d’une
manière affirmative absolue (Strake, 72 sq.).
Signalons
encore que le Symbole des Apôtres est
le développement de la formule baptismale. C’était la coutume que le
catéchumène fût obligé, avant le baptême,
de réciter de mémoire un symbole pendant le scrutin (redditio
symboli). (Cf. A.
Dondeyne, La discipline des scrutins dans l’Église
latine avant Charlemagne : Rev. d’hist. eccl., 1932, 5, t. 1er). Au début, le
catéchumène était interrogé par l’évêque sur sa foi, sans doute d’une manière
moins officielle. A partie de 150, cela se fit au moyen d’un symbole divisé en
trois parties, à peu près le même partout et sur lequel on interrogeait le
catéchumène.
THÈSE. Le baptême est le sacrement de
la rémission des péchés et de la régénération. De foi.
Explication. La première déclaration officielle de l’Église sur
le baptême et la rémission des péchés se trouve dans le Symbole de Nicée‑Constantinople : « Confiteor unum baptisma
in remissionem peccatorum »)
(Denz., 86.). Le Concile de Vienne déclare que le baptême est, pour les adultes comme pour les
enfants, un « moyen de salut parfait » (Denz.,
182) et considère comme l’opinion plus probable que, dans les deux cas, par
conséquent dans le baptême des enfants aussi, non seulement la rémission des
péchés est opérée, mais encore la sanctification par l’infusion de la grâce
(Den., 483). Le Concile de Trente
signale surtout, dans ses décisions sur le baptême des enfants, la suppression
du péché (S. 5, can. 4 : Denz., 791) ; dans
sa doctrine de la justification, il mentionne surtout la sanctification (S. 6,
c. 7 : Denz., 799). Enfin, le même Concile
enseigne que, par le baptême, les enfants sont vraiment admis dans l’Église et,
par suite, n’ont pas besoin d’être rebaptisés plus tard (S. 7, can. 13 de bapt. : Denz., 869).
Preuve. Le Christ
indique comme effet du baptême la régénération spirituelle et l’admission dans
le royaume de Dieu (Jean, 3, 5). L’adverbe ᾄνωθεν
peut se traduire par « de nouveau » ou par « d’en haut, des
hauteurs ». La première traduction s’accorde mieux avec la réponse de
Nicodème ; la seconde convient mieux au ton élevé de l’évangile de S.
Jean. La première indique une nouvelle vie, la seconde l’origine divine de
cette vie. S. Paul fait ressortir l’effet
négatif de la rémission des péchés
dans une comparaison, qui lui est propre, du baptême avec la mort du
Christ : « Ne savez-vous pas que nous tous qui avons été baptisés en
Jésus‑Christ, c’est dans sa mort que nous avons été
baptisés. Nous avons été ensevelis avec lui par le baptême en sa mort, afin
que, comme le Christ est ressuscité des morts par la gloire du Père, nous aussi
nous marchions dans une vie nouvelle. Si en effet nous avons été greffés sur
lui par la ressemblance de sa mort, nous le serons aussi par celle de sa
résurrection » (Rom., 6, 3-5). Au sujet de l’effet positif, il écrit : « Il nous a sauvés par le bain de la
régénération et du renouvellement du Saint‑Esprit »
(Tit., 3, 5). « Vous tous qui avez été baptisés dans le Christ, vous avez
revêtu le Christ » (Gal., 3, 27). « Mais vous avez été lavés, vous avez
été sanctifiés, vous avez été justifiés au nom de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ
et dans l’Esprit de notre Dieu » (1 Cor., 6, 11). Le Christ a
« sanctifié et purifié » toute l’Église « par le bain de l’eau,
dans la parole de vie » (Eph., 5, 26). S. Pierre
trouve le point essentiel de l’effet du baptême dans la rémission des péchés (Act. Ap., 2, 38) et dans la
préservation de la perdition (1 Pier., 3, 21). L’admission dans l’Église est
signalée par Act. Ap., 2,
41 ; 8, 12 ; 1 Cor., 12, 13. De l’effacement du péché originel seul
il n’est pas question dans l’Écriture.
Les Pères. Ils
enseignent, eux aussi, et célèbrent hautement les mêmes effets du baptême. D’après
la Didachè,
seuls les baptisés sont assez purs pour recevoir l’Eucharistie (9, 5). D’après Hermas, le baptême est si nécessaire que
les Apôtres et les Docteurs durent le prêcher même dans l’autre monde et l’administrer
aux anciens Pères (Sim., 9, 16, 5-7). On descend spirituellement mort dans l’eau
et on en sort vivant (Ibid., 3-7). S.
Ignace nomme plusieurs fois le baptême sans parler de ses effets ; il
dit cependant que le Christ « par sa Passion a purifié l’eau » (Ad. Eph., 18, 2). D’après Barnabé,
nous descendons dans l’eau, couverts de la boue des péchés, et nous en sortons,
portant comme fruits, dans le cœur, la crainte de Dieu et l’espérance en Jésus,
dans le Saint‑Esprit (11, 1-8).
S. Justin explique,
le premier, le nom de baptême en l’appelant « illumination » (φωτισμός) (Apol., 1, 61). Cette appellation sera plus tard de plus en
plus usitée. Les Juifs sont, d’après lui, φωτιζόμενοι
ὑπὸ τοῦ νόμον (Dial., 122) ; mais les
chrétiens le sont par le Logos, par sa vérité et sa grâce (Cf. 1 Cor., 4,
5 ; 2 Cor., 4, 6 ; 2 Tim., 1, 10 ; Jean, 1, 9 ; Hébr., 6, 4 ; 10, 32). Justin n’avait pas besoin d’emprunter
l’expression φωτίζεσθαι
(Apol., 1, 61, 18 ; Dial, 122, etc.) au langage
des mystères ; cette expression se trouvait objectivement dans S. Paul et,
au cas où il n’aurait pas lu S. Paul, il l’aurait trouvée dans Isaïe, 49, 7 sq.
Au reste, il connaissait (Dial., 88) l’antique tradition chrétienne, d’après laquelle,
au moment du baptême de Jésus, une
grande lumière avait brillé au‑dessus du
Jourdain. Quant à l’effet du baptême, Justin le décrit comme une
« régénération et une ablution ». Il serait facile de multiplier ces
témoignages. Cf. S. Théophile (Ad Autol., 2, 16),
Tertullien (De bapt., 1 et 5), S. Irénée (A. h., 3, 17, 2), Clément l’Alex. (Pæd.,
l, 6 ; Strom., 2, 13 : M. 8, 995), Origène (In Joan., 6, 17 : M. 14,
255). « Le vêtement de l’immortalité » était, dans l’antiquité
chrétienne, une expression courante pour désigner le baptême (Cf. Dœlger, Sol salutis (1920), 285).
Il faut signaler que les Pères grecs de l’époque suivante, les deux Grégoire,
S. Basile, S. Jean Chrysostome, S. Cyrille de Jérus. annoncent en termes magnifiques la communication du Saint‑Esprit par le baptême et essaient de réfuter
les pneumatomaques, en disant que, si le Saint‑Esprit n’était
pas véritablement Dieu, la conséquence serait l’inefficacité du baptême. D’une
manière générale, la communication du Saint‑Esprit s’adaptait
parfaitement à la théologie grecque,
parce que cette dernière insistait moins que la théologie latine sur le péché
originel et, par suite, mettait naturellement l’accent sur le saint Pneuma. D’Alès écrit, d’une manière concise et
pertinente : « Le don de l’Esprit‑Saint qui
fait les enfants de Dieu, telle est la grâce propre du baptême » (81).
Les
scolastiques présentent, par rapport
à l’effet négatif comme par rapport à l’effet positif du baptême, la même
unanimité que les Pères. Il n’y avait de divergence entre eux qu’au sujet de l’appréciation
du baptême des enfants dont nous parlerons tout à l’heure. Après ce qui a été
exposé plus haut sur le « caractère »,
il est à peine besoin de remarquer que tous les scolastiques, à la suite de S.
Augustin, l’attribuent au baptême.
Il
y a aussi des auteurs patristiques qui, à propos du baptême, insistent surtout sur l’ablution et
réservent le Saint‑Esprit pour
la Confirmation. Rauschen
écrit, au sujet de l’ouvrage « De rebaptismate » : «Il est dit, aussi, expressément que la Confirmation est
plus élevée que le baptême. (C. 6). Que le Saint‑Esprit soit
communiqué par la Confirmation et non par le baptême, c’était l’opinion
générale au 3ème siècle. » Il donne les preuves dans la Rev. D’Innsbruck, 1917, 88.
De la notion du baptême comme sacrement
de la régénération complète, il résulte qu’il remet également toutes les peines
dues au péché, les peines éternelles comme les peines temporelles :
« Si quelqu’un nie que par la grâce de notre Seigneur Jésus‑Christ, qui est conférée dans le Baptême, l’offense
du péché originel soit remise : Ou soutient que tout ce qu’il y a
proprement, et véritablement de péché, n’est pas ôté, mais est seulement comme
rasé, ou n’est pas imputé : Qu’il soit anathème » (Trid., S. 5, can. 5).
S. Paul compare le
baptême à la mort de Jésus, parce que le vieil homme du péché est complètement enseveli et anéanti, et il
est créé comme un homme entièrement nouveau (Rom., 6, 3-6). « Désormais il
n’y a plus de condamnation pour ceux qui sont dans le Christ Jésus »
(Rom., 8, 1). Pénétrée de cette conviction, l’ancienne Église n’imposait plus
aux baptisés aucune pénitence après leur en avoir imposé avant, car, bien
entendu, sans repentir ni pénitence, la rémission des péchés n’est pas possible.
S. Augustin écrit à ce sujet :
« Le baptême lave tous les péchés, absolument tous, les œuvres coupables,
paroles et actes, que ce soit le péché originel, que ce soient les péchés
personnels, qu’ils aient été commis consciemment ou inconsciemment ; mais
la faiblesse contre laquelle le régénéré combat, en tant qu’il mène le bon
combat, n’est pas enlevée ». Il ajoute ensuite la conclusion
nécessaire : Quand le baptisé quitte la vie immédiatement après le
baptême, il n’y a plus absolument aucun empêchement qui le retienne : tout
ce qui le retenait a été rompu » (C. duas ep. Pelag., 3, 3, 5 : M. 44,
591). Eugène IV répète cette doctrine
dans le décret pour les Arméniens (Denz., 696). Le
Concile de Trente, lui aussi,
définit, contre la doctrine d’imputation des protestants, la purification
véritable qui fait disparaître tout ce qui est digne de damnation (S. 5, can.
5). Mais il s’oppose à la doctrine exagérée des Réformateurs, d’après lesquels le baptême aurait une valeur telle
que tous les péchés futurs seraient effacés par le souvenir du baptême reçu (S.
7, can. 6, 10 : Denz., 862, 866).
Les
peines de cette vie temporelle
demeurent comme moyens d’épreuve et occasions de pratiquer la vertu ;
elles nous font ressembler au Christ, notre Chef couronné d’épines (S. th., 3,
69, 3). Quant aux dons præternaturels, Dieu n’a pas
voulu les unir de nouveau à l’état de grâce.
Des
effets exagérés du baptême ont été
enseignés par Jovinien (400). D’après
lui, le baptisé ne pourrait plus pécher. Il s’appuyait sur 1 Jean, 3, 9 et 18.
Mais, lui répond S. Jérôme, on ne doit pas comprendre l’Apôtre dans ce sens,
car autrement il se contredirait lui‑même puisqu’il
écrit : « Si nous disons que nous n’avons pas de péché, nous nous
trompons nous‑mêmes » (1 Jean, 1, 8-10 ;
2, 1-3). Luther enseignait une
doctrine semblable en s’appuyant également à tort sur S. Paul : « C’est
pourquoi le baptême subsiste toujours
et, bien que quelqu’un s’écarte et pèche, nous avons toujours un moyen d’y
revenir, si bien qu’on peut toujours soumettre de nouveau le vieil homme... De
même, la pénitence n’est pas autre chose qu’un retour au baptême, par lequel on
reprend à faire ce qu’on avait commencé auparavant et qu’on avait cependant
abandonné. Je dis cela pour qu’on n’adopte pas l’opinion dans laquelle nous
avons été longtemps, à savoir que le baptême serait passé, qu’on ne pourrait
plus s’en servir après être retombé dans le péché » (Dans Müller, 497). Ces paroles nous font
comprendre la définition du Concile de Trente :
« Si quelqu’un dit que tous les péchés qui sont commis après le baptême
sont ou bien remis ou bien ramenés à des péchés véniels seulement par le
souvenir du baptême reçu et la foi à ce baptême, qu’il soit anathème » (S.
7, de bapt., can. 10).
THÈSE. D’après l’ordonnance divine, le
baptême est absolument nécessaire à tous les hommes pour leur salut. De foi.
Explication. Cette nécessité a été niée par les pélagiens, comme on l’a déjà montré dans
le traité de la grâce (§ 116). Les Réformateurs,
étant donnée leur doctrine du salut par la foi seule, ne pouvaient maintenir la
nécessité absolue du sacrement et ils l’abandonnèrent, tout au moins Zwingli et
Calvin, ainsi que les sociniens ; Wiclef l’avait
déjà abandonnée avant eux. C’est pourquoi le Concile de Trente définit : « Si quelqu’un dit que le Baptême est
libre, c’est à dire, qu’il n’est pas nécessaire au salut : Qu’il soit
anathème » (S. 7, de bapt., can. 5 : Denz., 861 ; cf. S. 6, c. 4, Denz.,
796 ; Syllabus de Pie X, prop. 42 : Denz., 2042).
Preuve. Le Christ a clairement exprimé la nécessité du
baptême. Jean, 3, 5, peut être entendu surtout d’une nécessité
intérieure ; Math., 28, 19, plutôt d’une nécessité extérieure,
positive ; Marc, 16, 16, des deux nécessités à la fois, d’une nécessité de
moyen et d’une nécessité de précepte.
Les Pères. La
nécessité du baptême, étant donnés les textes si clairs de l’Écriture et la
pratique de l’Église, allait de soi pour les Pères. D’après Hermas, les justes de l’ancienne Loi eux‑mêmes devaient être baptisés dans l’autre
monde (Sim., 9, 16, 3-8). La lutte de S.
Augustin contre les pélagiens est connue. Bien que la pratique de l’Église
ait établi des jours de baptême fixes pour les catéchumènes, on baptisait
cependant, en cas de maladie ou de danger de mort, en tout temps. De même, en
cas de nécessité, toute personne pouvait baptiser. Ces deux faits nous montrent
la conception sérieuse que l’Église avait de notre dogme.
La
Confession d’Augsbourg dit au sujet
de la nécessité du baptême : « Au sujet du baptême, il est enseigné
qu’il est nécessaire (le texte latin
porte : nécessaire au salut) et
que par là la grâce est offerte ; qu’on doit
aussi baptiser les enfants, lesquels, par un tel baptême, sont confiés à Dieu
et lui deviennent agréables » (Art. 10). Il faut comparer avec ce texte
avec ce que Luther écrit :
« Tous les sacrements doivent être libres pour chacun. Si quelqu’un ne
veut pas être baptisé, qu’on le laisse » (Œuvres, Erlangen, 28, 343).
Comme on nie aujourd’hui l’institution par le Christ, on nie aussi la
nécessité.
A
partir de quel moment le baptême
devint‑il obligatoire ?
Les Pères n’ont pas répondu de la même manière à cette question. Aux païens qui
n’avaient pas entendu parler du Christ on accorda le bénéfice de l’ignorance
invincible. Mais y eut‑il
réellement longtemps de tels païens ? Le Psalmiste ne dit‑il pas : « sur toute la terre en
paraît le message et la nouvelle, aux limites du monde ? » (Ps 18,
5). D’après Origène et S. Jean Chrysostome, cette prophétie est déjà accomplie
par rapport à l’Évangile. S. Augustin est plus réservé (De nat.
et grat., 2, 2). Le Moyen‑Age vécut dans la conception erronée que tous
les peuples avaient entendu parler du Christ ; par conséquent, le baptême
était depuis longtemps obligatoire. Mais, au 16ème siècle, au moment
des grandes découvertes, on se rendit compte qu’il y avait de nombreux peuples
qui n’avaient jamais entendu parler du Christ. La théologie dut changer ses
positions. C’est pourquoi le Concile de Trente
dit que la justification « depuis la publication de l’Évangile, ne se peut
faire sans l’eau de la régénération, ou sans le désir d’en être lavé » et
cite Jean, 3, 5 (S. 6, c. 4). Ici intervient la question du supplément du
baptême.
On a considéré comme supplément du baptême (baptismus fluminis) dans l’Église, depuis les temps anciens, le martyre pour le Christ ou baptême de
sang (bapt. sanguinis),
ainsi que le désir du baptême
accompagné de la contrition parfaite ou baptême de désir (bapt.
flaminis). Cependant, le
baptême de sang et le baptême de désir ne confèrent que la grâce sanctifiante,
mais non les effets attachés particulièrement au sacrement, le caractère et les
grâces spéciales.
La
notion de martyre comprend, d’après les théologiens, les trois éléments
suivants : une souffrance mortelle, endurée à cause de la foi chrétienne,
supportée patiemment à cause de Dieu. S.
Thomas fait dériver la perfection du martyre du don complet de la vie en
soi et particulièrement de son motif, l’abandon complet au Christ (S. th., 1,
2, 124, 3). Cependant il n’est pas nécessaire que le martyre produise un acte
parfait d’amour de Dieu ; si on
exigeait la charité parfaite, le « baptême de sang » se confondrait
avec le « baptême de désir ».
Tertullien :
« Nous avons cependant encore un second baptême, lui aussi unique et
identique, à savoir celui du sang dont le Seigneur dit : « Je dois
être baptisé d’un baptême », bien qu’il fût déjà baptisé. C’est le baptême
qui supplée le baptême d’eau non reçu et le rend quand il est perdu » (De bapt., 16). On lit dans l’ordonnance ecclésiastique d’Hippolyte (c. 44) : « Si un
catéchumène était tué pendant la persécution, il est justifié, ayant reçu le
baptême dans son propre sang ». S.
Cyprien dit des catéchumènes qui sont martyrisés : « Qu’eux‑mêmes ne sont pas privés du sacrement de
baptême, puisqu’ils ont été baptisés du plus glorieux et du plus grand baptême,
celui de leur sang, dont le Seigneur lui‑même a
parlé »» (Luc, 12, 50 ; Ep. 72, 22). Et S. Augustin écrit, en s’appuyant sur
Math., 10, 32 ; 16, 25 ; Ps. 115, 15 : « Chez tous ceux
qui, sans avoir reçu le bain de la régénération, meurent pour la confession du
Christ, cela a le même effet pour la rémission des péchés, que s’ils avaient
été lavés dans la sainte fontaine du baptême. » (Civ.,
13, 7). C’est aussi la manière de voir des Pères grecs comme S. Cyrille de Jérus.
(Cat., 3, 10), S. Jean Chrysostome
(Hom. in mart, Lucian.,
2 : M. 50, 522 sq.).
S.
Thomas : « La passion du Christ opère dans le baptême d’eau parce qu’il
en est la représentation figurative ; elle opère dans le baptême de feu ou
de pénitence par l’affection, et elle opère dans le baptême de sang, parce qu’il
en est une imitation » (S. th., 3, 66, 12).
« La
mort que l’on endure pour le Christ a la vertu du baptême, comme nous l’avons
dit (quest. 66, art. 11). C’est pourquoi elle purge
de toutes les fautes vénielles et mortelles, à moins qu’elle ne trouve la
volonté actuellement attachée au péché. » (S. th., 3, 87, 1 ad 2).
Le
jugement de l’Église sur le baptême
de sang résulte de la fête des saints Innocents, comme en général des fêtes des
martyrs, dans lesquelles elle ne fait pas de distinction entre les martyrs déjà
baptisés et les catéchumènes. Les théologiens posttridentins
discutent la question de savoir si le martyre, en outre de son effet subjectif
(ex opere operantis), a
aussi un effet objectif (ex opere operato).
Il semble qu’il faille admettre l’efficacité objective, à cause des saints
Innocents (non loquendo sed
moriendo confessi sunt, dit l’Office de la messe). « Des nourrissons
vagissants le confessent par le martyre », dit S. Ambroise (In Luc, 2, 36). Le baptême de sang, même avec une
charité imparfaite, efface toujours (chez les adultes) toutes les peines du
péché et sans doute « ex opere operato » ; c’est un effet qui fait défaut au
baptême de désir avec la charité parfaite.
Dans
la théologie protestante, la notion
de martyre a fait, dernièrement, l’objet d’une controverse. Les uns affirment
que ce qui fait le martyr (μάρτυς),
c’est que le témoin de la foi a contemplé en mourant Dieu ou le Christ, ce qui
le rend surtout capable de témoigner (μαρτυρεῖν)
pour lui et sa résurrection (Kattenbusch). Les autres
disent que, d’après les anciennes sources (Martyrium Polycarpi,
Mart. Lugdunense ; Eusèbe, 5, 3, 2), celui‑là est considéré comme martyr qui, comme le
Christ, souffre la mort et qui, à cause de cette mort même, apparaît comme πιστὸς ϰαὶ αληθινὸς μάρτυς. « Par là on a
fait une distinction essentielle entre les témoins par l’acte et les témoins par la parole,
ou bien entre les martyrs (μάρτυρες) et les confesseurs (ομόλογοι
et όμολογηταί).
S. Cyprien, le premier, fait sciemment
cette distinction (Ep. 6, 4 ; 10, 2 et 10 ; 12, 1 ; 36, 37, 3).
Cette opinion soutenue par Krüger est plus conforme à la conception catholique
que la première nommée.
Une
question, qui s’est posée sous l’influence de la guerre et qui a été vivement
discutée, est celle de savoir si la mort
à la guerre est un martyre. Cette question doit se résoudre à la lumière de
l’histoire et de la théologie et non à celle de la politique. Le martyr a joui
dans l’Église d’un si haut prestige qu’il passait vraiment pour un « alter
Christus ». Or le Christ est mort non seulement innocent, mais encore sans
défense et avec patience. Celui donc qui : 1° est mort pour le
Christ ; 2° avec patience et sans résister aux souffrances et à la mort, a
toujours passé pour un martyr dans l’Église, mais celui‑là seulement. Les scolastiques disaient
brièvement : Ce n’est pas la souffrance qui fait le martyr, mais le motif,
l’intention de celui qui souffre. Ce jugement est conforme à 1 Cor., 13,
3 : « J’aurais beau distribuer toute ma fortune aux affamés, j’aurais
beau me faire brûler vif, s’il me manque l’amour,
cela ne me sert à rien ». S. Thomas écrit : « quand on
meurt pour un bien général qui ne se rapporte pas au Christ, on ne mérite pas l’auréole ;
mais si ce bien se rapporte au Christ, il méritera l’auréole et on sera
martyr ; comme si l’on défend l’État contre les attaques d’ennemis qui veulent corrompre la foi du Christ,
et qu’on vienne à mourir dans cette guerre. » (S. th., suppl. 96, 6 ad
11). Cf. Delehaye,
Les origines du culte des martyrs (1912).
Le baptême
de désir est le désir du baptême résultant de la charité et de la contrition
parfaites, quand la réception sacramentelle est physiquement ou moralement
impossible. D’après le Concile de Trente,
on ne peut être justifié que par les sacrements ou par leur désir (votum) (S. 7, De sacram. in gen., can. 4 : Denz., 487 ; S. 6, c. 4 : Denz.,
796).
L’Écriture
promet, à maintes reprises, en raison de l’amour repentant, la justification ou
les dons du Saint‑Esprit, sans
exiger une autre condition préalable. « J’aime ceux qui m’aiment »
(Prov., 8, 17). « Celui qui m’aime, sera aimé de mon Père, et je l’aimerai
et je me révélerai à lui » (Jean, 14, 21). « Tu aimeras le Seigneur
ton Dieu, etc. Fais cela et tu vivras » (Luc, 10, 27, 28). « Il lui
sera pardonné beaucoup de péchés parce qu’elle a beaucoup aimé » (Luc, 7,
47). Le publicain s’en retourne « justifié »
chez lui (Luc, 18, 14). « L’amour est de Dieu et quiconque aime est né de
Dieu » (1 Jean, 4, 7). S. Pierre atteste, au sujet de Cornélius, que celui‑ci a reçu le Saint‑Esprit avant d’avoir reçu le baptême (Act. Ap., 10, 47 ; cf. 44).
S. Paul enseigne : « L’accomplissement de la loi est donc la
charité » (Rom., 13, 10).
Les Pères. Ils s’indignent
maintes fois contre l’abus largement répandu de reculer le baptême jusqu’au lit
de mort et de se contenter du simple baptême de désir. S. Grégoire de Naz. estime que celui qui
se contente ici‑bas du désir du baptême, doit se
contenter là-haut du désir de la béatitude (Orat.,
40, 23). S. Augustin propose sans doute
Cornélius comme exemple du baptême de désir, mais il rappelle qu’immédiatement
après il reçut le baptême d’eau et il ajoute que personne, si avancé soit‑il intérieurement, n’a le droit de mépriser
ce baptême. Le Christ lui‑même, par
humilité et pour nous donner l’exemple, l’a reçu (De bapt.,
4, 22 ; cf. In Joan., 4, 13 et 13, 7).
Mais
quand il y a une véritable nécessité et qu’on n’a pas à accuser une négligence,
ils reconnaissent au baptême de désir une vertu justifiante. Ainsi S. Ambroise dit, dans l’oraison funèbre
de Valentinien II qui était mort en Gaule encore catéchumène (392) :
« J’entends dire que vous vous affligez de ce qu’il n’a pas reçu le
sacrement de baptême. Dites‑moi, qu’avons‑nous en nous sinon la volonté, sinon la
prière ? Or il avait depuis longtemps le désir d’être initié avant son
retour en Italie, il avait manifesté sa volonté d’être baptisé par moi
prochainement et c’est cela surtout, pensait‑il, qui
hâterait ma venue. N’aurait‑il donc pas
la grâce qu’il a désirée, la grâce qu’il a demandée ? Assurément, puisqu’il
l’a demandée, il l’a obtenue. » (De obitu
Valent., 51 : M. 16, 1374).
La
Scolastique reçut des Pères la
doctrine du baptême de désir et la développa. S. Bernard la défendit contre Abélard. Il se réfère à S. Ambroise
et à S. Augustin et croit que « par la simple foi et le désir du baptême,
l’homme peut être justifié » (Ep. 77, 8). Il est suivi par Hugues. L’expression « baptismus flaminis » vient
de Laurentius Hispanus. (Gillmann, Ministre
de la Confirmation, 30). Innocent III
déclare que, sans doute, il n’est pas possible, en cas de nécessité, de se
baptiser soi‑même, mais qu’on peut cependant, dans
une telle situation, être sauvé par la foi au sacrement, bien que ce ne soit
pas par le sacrement de la foi (Schwane, 3, 616). S.
Thomas écrit : « Quand l’adulte refuse par mépris de recevoir le
baptême, il ne peut pas être sauvé. Au contraire, quand le baptême n’a pas été
réellement administré, mais a été désiré et n’a pu être administré parce que la
mort est arrivée trop tôt, le salut peut être atteint par le désir du baptême,
qui vient de la foi et opère par la charité ». Il cite ensuite S. Ambroise
(S. th., 3, 68, 2). Le Concile de Trente,
lui aussi, enseigne que la justification doit se faire par le bain de la
régénération ou par le désir de ce bain (S. 6, c. 4 : Denz.,
796 ; cf. S. 7, de sacram. in
gen., can. 4 ; S. 14, c. 4 ; Denz., 847, 898).
L’effet
du baptême de désir, tel qu’on vient de l’exposer, est enseigné généralement
aujourd’hui par les théologiens comme doctrine sûre. Néanmoins il est plus
difficile d’établir que ce baptême a été reçu que pour les deux autres
baptêmes : le baptême d’eau et le baptême de sang. Ceux qui ont reçu le
baptême de désir ne sont pas d’ordinaire considérés comme appartenant à l’Église
extérieure ; ils ne reçoivent pas le caractère que ne confère pas non plus
le martyre. Cela nous fait comprendre la discipline un peu rigoureuse, d’après
laquelle, dans l’Église romaine et dans l’Église espagnole, pendant les cinq
premiers siècles, les catéchumènes et les pénitents, quand ils étaient morts
avant le baptême ou la réconciliation, étaient exclus des prières publiques. Il
importe encore de remarquer que même celui qui à déjà
été justifié avant le baptême par la charité parfaite, s’il peut ensuite
recevoir le sacrement, est tenu de le recevoir ; s’il omet de le faire, il
pèche gravement et par là perd de nouveau la grâce.
Le
Moyen‑Age admit, dans un certain sens, un autre supplément du
baptême, le baptême monastique ou l’entrée dans un ordre religieux, dans le cas
où cela se faisait avec une intention parfaite. S. Thomas considère comme raisonnable l’opinion d’après laquelle
« celui qui entre dans un ordre reçoit la rémission de tous ses
péchés ». Il invoque ensuite la « vie des Pères pour établir que
« ceux qui entrent dans un ordre religieux reçoivent la même grâce que les
baptisés » (S. th., 2, 2, 189, 3). S. Thomas pense sans doute à la remise
de toutes les peines temporelles dues
au péché, qui ont été encourues dans la vie antérieure. Au sujet des sarcasmes
de Luther contre ce baptême
monastique et de toutes les déformations et de tous les malentendus causés par
la polémique, cf. Denifle,
Luther (l, 220 sq., traduction Pasquier). D’après la doctrine grecque, la
bénédiction monacale rentre même parmi les « mystères ». Le pseudo‑Denys
écrit : « L’état le plus élevé parmi ceux qui sont jugés dignes des
Ordres est la sainte classe des moines » (De eccl.
hier., 6, 3). D’après Théodore Studites, la bénédiction
monacale remonte au Christ comme le baptême. « Le vêtement des moines est
identique au baptême ». Le pseudo‑Denys fut un
des maîtres de la Scolastique.
THÈSE. Le ministre ordinaire du
baptême est le prêtre qui a mission de l’évêque ; le ministre
extraordinaire, en cas de nécessité, est toute personne humaine. De foi.
Explication. Eugène IV
déclare dans son décret pour les Arméniens : « Minister
hujus sacramenti est sacerdos cui ex officio competit baptizare. In causa autem necessitatis non solum sacerdos vel diaconus,
sed etiam laicus vel mulier, immo etiam paganus
et hæreticus baptizare potest dummodo formam servet Ecclesiæ
et facere intendat quod facit Ecclesia. » (Denz., 696). D’une manière tout-à fait générale, le 4ème
Concile de Latran dit que le baptême convenablement administré par n’importe
qui est valide (Denz., 430). Enfin, le Concile de
Trente a défini encore une fois l’antique doctrine de la validité du baptême
des hérétiques (S. 7, de bapt., can. 4 : Denz., 860).
Preuve. L’Écriture
ne parle que de cas ordinaires et non de cas extraordinaires et enseigne que
les Apôtres et leurs aides, dans l’œuvre missionnaire, administraient le
baptême. Mais on ne peut guère admettre que les Apôtres seuls administrèrent le baptême aux trois mille personnes le jour
de la Pentecôte. Ils durent s’adjoindre des disciples au sens large pour les
aider dans cette administration. Plus tard, nous lisons que le diacre Philippe baptise
(Act. Ap., 8, 12). A
Corinthe également, c’était d’autres personnes, qu’on ne nomme pas, qui
administraient le baptême pendant que S. Paul était dans cette ville (1 Cor.,
1, 14 sq.). S. Pierre fit baptiser Cornélius et sa maison par d’autres (Act. Ap., 10, 48). Paul reçut le
baptême d’un « disciple, Ananie », qui
était peut-être un laïc chrétien (Act. Ap., 9, 10, 17 sq.).
Les Pères. Il résulte
des plus anciens écrits patristiques que l’administration du baptême, comme au
reste celle de tous les sacrements, appartenait à l’évêque. S. Ignace
écrit : « Il n’est pas permis, sans l’évêque, de baptiser ou de
célébrer les agapes. » (Smyrn., 8, 2). Tertullien envisage aussi des cas
extraordinaires quand il écrit : « Le droit de baptiser appartient au
plus haut prêtre, c.‑à‑d. à l’évêque ensuite au prêtre et au diacre, mais
non sans l’autorisation de l’évêque, à cause de l’honneur de l’Église dont le
maintien assure la paix en elle. Par ailleurs, les laïcs ont également le droit d’administrer le baptême ». Mais
ce n’est que dans le cas de nécessité. Par contre, il exclut les femmes du droit de baptiser, comme le
font aussi les Constitutions apostoliques
(3, 9) et les conciles particuliers, à cause de 1 Cor., 14, 34 (De bapt., 17 : M1, 1218). C’est aussi l’enseignement de S. Cyprien (Ep. 73 7). Les diacres, qui
avaient dans l’ancienne Église une situation considérable, se sont vu refuser
plusieurs fois le droit de baptiser ; ainsi par S. Epiphane, S. Jérôme, S.
Gélase, S. Isidore de Séville. Quant à la question de savoir si un non baptisé
peut administrer le baptême en cas de nécessité, aucun Père n’ose y répondre
affirmativement. S. Augustin attend la décision d’un concile général (C. Ep.
Perm., 2, 13, 30 : M. 43, 72). Il exprime une fois son opinion privée sur
l’utilité d’un bon ministre. « Chacun - doit‑on penser -
reçoit un don d’autant meilleur que celui dont il le reçoit semble lui‑même meilleur » (In Joan., 6, 8). Il n’est
question que d’un laïc chrétien chez
Tertullien, S. Jérôme, S. Augustin, etc., ainsi que dans le can. 38 du Concile
d’Elvire (306 ?). Les Grecs jusqu’ici se sont exprimés d’une manière très
réservée sur le baptême administré par des laïcs et ils exigent la foi du
ministre. Le Concile d’Elvire demande que le ministre laïc n’ait pas violé son
propre baptême et qu’il n’ait pas été marié deux fois.
Le
Pape S. Nicolas 1er (+
867) tira les conséquences de l’évolution précédente de la doctrine
sacramentaire en déclarant que même le Juif et le païen pouvaient baptiser (Denz., 335). Mais il s’agit toujours de ministre masculin. Ce n’est qu’après l’an 1000
que l’on reconnaît aux femmes le droit de baptiser. D’après Roland (Gietl, 206), tout le monde peut baptiser validement, même la mère ;
seulement ce n’est pas licite. S. Thomas
reconnaît avec raison à la femme l’aptitude à baptiser, parce que le ministre
principal, comme l’avait déjà exposé S. Augustin, demeure le Christ lui‑même (S. th., 3, 67, 4). La question du
ministre extraordinaire du baptême a donc subi une forte évolution, mais elle a
été résolue peu à peu et d’une manière très logique.
Le
baptême des hérétiques au nom de
Jésus est déjà considéré par l’auteur du « De rebaptismate »
comme valide, même quand il y a une hérésie Christologique ; mais il est
sans effet salutaire. S. Cyprien
exige la foi orthodoxe pour le ministre comme pour le sujet (Ep. 69, 12). Il
attribue au Pape S. Étienne cette opinion que le baptême des hérétiques remet
lui aussi les péchés.
La
question du baptême par soi‑même, que la Scolastique recommande
plusieurs fois tout au moins et en cas de nécessité (Gillmann,
« Katolik », 1912, 1, 380 sq. ; 1914,
1, 306) a été tranchée négativement par Innocent III, parce que, conformément
aux paroles du Seigneur, il y a une différence entre le baptisant et le
baptisé, qui doit être observée (Denz., 413).
Le
baptême solennel est réservé au curé ; en cas de nécessité, un autre prêtre peut l’administrer.
Le diacre peut l’administrer avec la
permission de l’évêque, qui peut être présumée en cas de nécessité. Le baptême
sans cérémonie, en cas de nécessité, peut être administré par n’importe qui.
Les enfants baptisés, en cas de nécessité, sur la tête « in utero matris » ne
doivent pas être rebaptisés ; ceux qui ont été baptisés sur une autre
partie du corps, doivent être rebaptisés sous condition. Cf. les manuels de
droit canonique et de morale.
THÈSE. Le baptême peut être reçu
validement par toute personne humaine. De foi.
Explication. Il n’y a pas de définition générale sur le sujet du baptême ;
mais notre thèse est la doctrine claire de l’Écriture et de la Tradition. Elle
résulte aussi, comme conséquence immédiate, de la nécessité définie du baptême.
En effet, si le baptême est nécessaire à tous pour le salut, il faut qu’il puisse
être reçu par tous sans exception. Enfin le baptême des enfants a été défini à
maintes reprises par l’Église (Denz., 424, 869).
Preuve. L’ordre de baptiser (Math., 28, 19), ainsi que les
paroles concernant la nécessité du
baptême (Jean, III, 5), sont des expressions absolument générales. De même que
personne ne peut être sauvé sans le baptême, personne n’est dépourvu de l’aptitude
naturelle à le recevoir. « Vous tous, dit S. Paul, qui avez été baptisés
dans le Christ, vous avez revêtu le Christ. Il n’y a plus ni Juif, ni Grec, ni homme, ni femme, mais vous êtes tous un dans le
Christ Jésus. » (Gal., 3, 27 sq.).
Les Pères. Ils ont
suivi, dans la doctrine et la pratique, ces textes clairs de l’Écriture. On
insiste parfois davantage sur la foi que sur le sacrement (S. Cyprien, Ep. 69,
12 ; 73, 4 ; 75, 9 ; De rebapt., 5 et
11). Il ne pouvait y avoir de controverse que sur le baptême des malades, des déments et des enfants au‑dessous de l’âge de raison. Pour ce qui est des catéchumènes malades, on a déjà dit que
le baptême des malades (b. clinicorum) était usité,
bien que le fait de reculer le baptême jusqu’à la mort ou au danger de mort fût
sévèrement blâmé. Les païens étaient baptisés en danger de mort, quand ils
avaient les connaissances religieuses essentielles et qu’ils désiraient le
baptême. De même, on pouvait baptiser les personnes atteintes de maladies
mentales et les déments. C’est ainsi qu’en décide le premier Concile d’Orange
(can. 13 et 15) de l’an 441. (Cf. Héfélé, 2, 276).
Innocent III (+ 1216) décide que des personnes « endormies » ou
« démentes » peuvent être baptisées quand, dans leur état normal,
elles avaient l’intention de recevoir le baptême (Denz.,
411). C’est aussi l’enseignement de la Scolastique primitive (Gillmann,
Intention, passim). Bien entendu, on doit attendre les « moments
lucides », quand il peut s’en produire et qu’il n’y a pas danger de mort.
C’est également la prescription du Codex,
dont nous parlerons à la fin du paragraphe.
THÈSE. Même les enfants qui n’ont pas
l’usage de la raison peuvent et doivent être baptisés. De foi.
Explication. Nous ne rencontrons guère, dans l’antiquité, de
protestation contre le baptême des enfants (pædobaptismus).
Les pélagiens en niaient seulement la
nécessité absolue, mais non la possibilité. Au Moyen‑Age, les Vaudois et plus tard les anabaptistes et les sociniens mirent en doute la valeur du baptême des enfants. Les Réformateurs le conservèrent à cause de
la coutume, mais, dans leur système du salut par la foi seule, il demeure un
problème insoluble.
Le Concile de Trente a déclaré pour la première fois la nécessité et le caractère
obligatoire du baptême des enfants, mais des conciles précédents l’avaient exigé
maintes fois. Il enseigne « que les enfants nouveau‑nés sortis du sein maternel, doivent être baptisés
même s’ils sont nés de parents baptisés » (S. 5, can. 4 : Denz., 791). Ensuite, il condamne l’opinion des
anabaptistes, d’après laquelle le baptême ne devrait être administré qu’à
trente ans, l’âge du Christ, ou bien même seulement à l’heure de la mort (S. 7,
de bapt., can. 12 : Denz.,
868) ; de même, il condamne l’opinion anabaptiste, qui prétend que les
enfants baptisés ne sont pas vraiment du nombre des fidèles et qu’il faut les
baptiser de nouveau quand ils atteignent l’âge de discrétion, et même qu’il
serait mieux de reculer le baptême jusque‑là
(S. 7, can. 13 : Denz., 869). On n’a pas non
plus à interroger plus tard les enfants, comme l’affirmait Erasme, pour leur
demander s’ils veulent garder les promesses que leurs parrains ont faites en
leur nom, mais on doit les considérer comme des chrétiens complets et les
exhorter à mener une vie chrétienne (S. 7, cap. 14 : Denz.,
870). Récemment, le Syllabus de Pie X a dû condamner l’opinion des modernistes, d’après laquelle « l’usage
du baptême des enfants serait une évolution de la discipline et une des causes
qui auraient amené la division de ce sacrement en deux parties : le
baptême et la pénitence » (Denz., 2043).
Preuve. On peut tirer de l’Écriture des présomptions en
faveur du fait du baptême des
enfants. Il semble qu’on peut admettre que, dans les baptêmes de familles
entières racontés dans les Actes des
Apôtres, comme celui de la famille de Cornélius (10, 44-48), de Lydia (16,
14 sq.), du gardien de la prison de Philippe (16, 33), du chef de synagogue Crispus (18, 8 sq.), de Stéphanas
à Corinthe (1 Cor., 1, 16), il y avait aussi des enfants parmi les personnes
baptisées. Cette hypothèse est d’autant moins contestable que l’ordre de baptiser du Christ, ainsi que
Jean, 3, 5, s’exprime d’une manière absolument générale.
Les Pères. Schermann
prononce, à propos du baptême des enfants dans les premiers siècles, ce
jugement pour l’époque la plus ancienne : « Nous pouvons admettre qu’on
ne les portait (les enfants) au baptême qu’exceptionnellement ».
(Liturgies chrétiennes primit., 268). Le baptême d’enfants
est signalé pour la première fois par S.
Irénée : il expose que le Christ est venu pour sauver tout le monde,
« tous ceux, dis‑je, qui sont
régénérés en Dieu par lui, les très jeunes enfants, les petits, les jeunes et
les seniors » (A. h., 2, 22, 4). Tertullien exhorte à retarder le baptême
des enfants en raison de l’instruction nécessaire qui doit précéder, mais il
atteste par cette polémique que d’autres baptisaient avant (De bapt., 14, 18). Origène dit : « L’Église a reçu
des Apôtres la tradition de baptiser aussi les enfants. » (In Ep. ad Rom., 5, 9 : M. 14, 1047). S. Cyprien peut appuyer ses insistances énergiques, pour qu’on
baptise les enfants dans les trois premiers jours, sur la décision d’un concile
de Carthage : « Les enfants sont, en tant qu’images de Dieu, capables
de recevoir la grâce et, à cause du péché originel, ils en ont besoin ; c’est
pourquoi il faut les baptiser immédiatement
et ne pas attendre huit jours, comme
on le faisait pour la circoncision. L’âge enfantin n’est pas un empêchement,
« autrement la grâce elle‑même, qui
est communiquée aux baptisés, serait plus ou moins grande selon l’âge de celui
qui reçoit le baptême, alors que le Saint‑Esprit n’est
pas accordé selon une mesure, mais selon la bonté et la bienveillance du Père,
à tous également. Car de même que Dieu ne fait pas acception de personne, il ne
fait pas acception de l’âge » (Ep. 64, 2 sq.). S. Hippolyte de Rome, 217, dans son « ordonnance
ecclésiastique », donne cette instruction : « Les petits enfants
doivent être baptisés avant (avant les adultes, le jour de Pâques). Et s’ils
peuvent parler, ils doivent parler ; s’ils ne le peuvent pas encore, alors
les parents ou l’un des proches doit prendre la parole à leur place » (O.
E., cap. 21, a). D’Alès (67 sq.)
mentionne Hippolyte et continue ainsi : « Néanmoins on ne peut
parler, au temps des Pères, d’une coutume universelle et constante. S. Grégoire
de Nazianze conseille d’attendre l’aurore de la
raison, par exemple la troisième année, afin que l’enfant puisse garder quelque
souvenir de son baptême ; lui‑même
constate que d’autres attendent plus longtemps, et les homélies des Pères
contre les délais du baptême montrent que l’usage du baptême des enfants eut
quelque peine à triompher. S. Augustin lui‑même,
pourtant si ferme quant à la doctrine du péché originel, hésita quelque temps.
Peu à peu il s’affermit en face même de l’erreur pélagienne, dans la pensée que
le don divin ne doit pas être différé ; lui aussi fait appel à une
tradition apostolique ». S. Augustin répond à Pélage en s’appuyant sur la
pratique : « Pourquoi baptisons‑nous les
enfants s’il y a pas de péché originel ? Même les
enfants de parents baptisés sont baptisés ; car par la génération et la
naissance se transmet le péché originel et non la grâce » (Ep. 166, 7,
21 ; cf. Ep. 98, 10 ; De pecc. mer. et rem., 1, 26 ; Enchir., 43-47). S’appuyant sur S. Augustin, le Concile de Méla
(416) condamne l’opinion de ceux qui disent qu’on ne doit pas baptiser les
enfants au sortir du sein maternel (Denz., 102).
Les
Pères grecs ne sont pas aussi
décisifs que S. Augustin au sujet du baptême des enfants ; cela dépend de
leur conception du péché originel. Ainsi S. Grégoire de Naz. conseille
d’attendre la troisième année (Or 40, 28 ; cf. S. Grégoire de Nysse). (Tixeront, 2, 142. Au sujet de S. Jean Chrysostome, voir S. Augustin, C. Julian., 4, 21, 22). Ils
pensent plutôt au châtiment qu’au péché originel (Cf. t. 1er, p.
326).
La
Scolastique n’a plus qu’à expliquer l’usage
répandu universellement. Cela n’est pas difficile quand on a une vraie notion
du péché originel, lequel ne consiste pas dans une peine qui nous a été
transmise par Adam, mais dans un péché
avec lequel nous naissons. Il n’y a qu’au sujet des effets du baptême des enfants que les scolastiques ne sont pas
entièrement d’accord. Les Pères ne faisaient pas de distinction entre le
baptême des adultes et celui des enfants. S. Augustin enseigne que les enfants
eux‑mêmes ont déjà reçu le Saint‑Esprit (Ep. 187, 26). P. Lombard connaît cependant des scolastiques qui prétendent que le
baptême des enfants efface seulement le péché originel sans conférer la grâce.
Lui aussi est de cet avis. D’autres prétendent qu’il y a aussi un effet de
grâce, ainsi Alexandre, S. Bonaventure et S. Thomas. Scot qui, comme on l’a
montré plus haut (p. l23), sépare le pardon de la sanctification et estime le
pardon possible sans la sanctification, se rangea à l’avis de P. Lombard (Schwane, 3, 608 sq).
Le
Concile de Vienne déclare :
« Nous tenons l’opinion, d’après laquelle la grâce informante
et les vertus sont communiquées, dans le baptême, aux enfants aussi bien qu’aux
adultes, comme plus probable et plus conforme aux assertions des saints (Pères)
et à la théologie des nouveaux docteurs » (Denz.,
483). Le Concile de Trente envisage
sans doute le baptême des adultes, quand il le signale comme moyen objectif de
justification et lui attribue la rémission des péchés et la sanctification (S.
6. c. 7 : Denz., 799 sq.) ; mais il
considère cependant les enfants baptisés comme des chrétiens complets qui
appartiennent vraiment à l’Église et comptent au nombre des fidèles ; il
faut donc leur reconnaître aussi la génération complète de l’eau et du Saint‑Esprit (Jean, 3, 5 ; S. 7, de bapt., can. 13). Au sujet du baptême des enfants, cf. Bellarmin, De bapt.,
c. 8 sq. ; Risi, De baptismo parvulorum
in primitiva Ecclesia (Romæ, 1870).
Justification du baptême des enfants. Du point de
vue catholique, elle n’est pas difficile. Si sa validité ne peut pas se prouver
par la Bible d’une manière apodictique, il est cependant « si peu opposé à
la Bible qu’au contraire il correspond parfaitement à l’esprit de la
Bible », dit Pohle avec raison, en se référant à
Math., 19, 14 et Jean, 3, 5. Le Christ fait venir à lui les petits enfants et
déclare qu’ils sont mûrs pour le royaume des cieux. « C’était un usage
allemand particulier de lire, au moment du baptême des enfants, le passage de
Marc (10, 13-16) où Jésus bénit les enfants » (Hauck, Hist. de l’Église all., 5,
1 (1911), 358). On avait donc conscience que le baptême des enfants avait son
fondement dans la Bible et le dogme. Sans doute, chez les adultes, on faisait
précéder le baptême d’un examen précis et d’une instruction sérieuse, qui
étaient suivis d’une profession de foi personnelle. S. Augustin s’est déjà
prononcé, dans une lettre (Ep. 98), sur cette difficulté et les autres
difficultés qui résultaient du fait particulier que les baptisés n’avaient pas
l’âge de raison. Les parents et les parrains et enfin l’Église représentaient
ces enfants et garantissaient leur foi. « Ces enfants sont moins amenés à
la réception des dons de l’Esprit par les mains de ceux qui les portent sur leurs
bras (bien qu’ils le soient également par eux s’ils sont de bons fidèles) que
par l’ensemble de la communion des saints et des fidèles » (Ibid., n. 5).
Ainsi l’enfant devient un fidèle, non pas par la foi qui a son fondement dans
la volonté du croyant, mais par le sacrement de la foi lui‑même... Quand l’enfant arrive à l’usage de la
raison, il ne reçoit pas ce sacrement une seconde fois, mais il le comprend et
se soumet par la décision de sa volonté à ses exigences. » Mais même s’il
meurt avant d’avoir atteint l’âge de raison, le baptême le sauve et lui assure
la béatitude. « Celui qui ne croit pas cela et le considère comme
impossible, celui‑là est
manifestement infidèle. » (Ibid., n. 10).
La seconde raison principale de la
licéité, de la validité, de l’utilité, voire même de la nécessité du baptême
des enfants, réside dans la notion de la grâce nettement exposée par S.
Augustin. La grâce est une réalité divine objective que l’âme de l’enfant est
déjà apte à recevoir elle aussi. L’enfant reçoit réellement par le baptême la
justification : « Cela est produit par le seul Esprit, par lequel le
baptisé est régénéré... Quand donc l’eau communique extérieurement le sacrement
de la grâce et que le Saint‑Esprit
répand intérieurement la grâce, dénoue les liens du péché et rétablit la bonté
naturelle (originelle), l’homme issu d’un
seul Adam est régénéré dans un seul
Christ. L’Esprit de régénération est donc, dans les adultes qui portent l’enfant
au baptême et dans le petit baptisé régénéré, un seul et même Esprit... Il peut
se faire que, dans tel et tel être humain, l’unique Esprit se trouve, alors
même que tous les deux ignorent par qui ils ont reçu la même grâce »
(Ibid., n. 2).
On
objecte contre la foi représentée par
l’Église (parrains, parents) que c’est une foi étrangère et qu’elle ne peut pas
lier le baptisé, toute sa vie, sans son consentement. Harnack appelle cette foi
- à laquelle Luther lui‑même se rattachait pour défendre le baptême
des enfants contre les anabaptistes, tout en insistant simplement sur le commandement
de Dieu au sujet du baptême - « la pire forme de la fidei
implicita ». (H. D., 3, 882). Pour ce qui est de la foi, il faut répondre
que l’enfant, (et l’homme en général), ne reçoit pas la grâce sacramentelle en
vertu de ses dispositions, mais uniquement par le sacrement en tant que tel (ex
opere operato), pourvu qu’il
n’oppose pas d’« obex » : or l’enfant
ne peut pas en opposer. La foi des parrains garantit l’éducation religieuse de
l’enfant et le développement normal de sa foi personnelle, en vertu de la grâce
de foi qu’il a reçue (habitus fidei). Pour ce qui est
de l’autre point, à savoir que l’enfant sans raison qui a été baptisé est lié
par une volonté étrangère, il faut répondre qu’il serait sans doute injuste de
lier un autre, sans son consentement, à des devoirs d’état tout à fait particuliers du christianisme, comme à l’état
de prêtrise, à l’état de mariage ou à la virginité ; mais, par contre, on
peut très bien être engagé, avant l’âge de raison, par la volonté des parents
(des parrains, de l’Église), aux devoirs généraux
des chrétiens. Et la raison c’est que ces devoirs sont imposés à tous les
hommes par Dieu, la plus haute
autorité. Celui qui croit et est baptisé, sera sauvé ; celui qui ne croit
pas sera condamné (Marc, 16, 16).
Flügge a pu réunir
« les témoignages de cent théologiens » du néo‑protestantisme contre le baptême des enfants
(1921). On comprend que, dans ces conditions, le néo‑paganisme
se développe de lui‑même.
La
nécessité de dispositions pour le
baptême ressort de ce qui a été dit plus haut de la préparation à la
justification. Pour les enfants, on
ne demande qu’une profession de foi, pas d’actes de pénitence ; la
profession de foi est faite par les parrains. Il reste donc les adultes. L’Écriture exige d’eux, d’une
manière très nette, des dispositions : la foi (Math., 28, 19 ; Marc.
16, 16 ; Act. Ap., 8,
37) et la pénitence (Act. Ap., 2, 38 ; 3,
19 ; 19, 18). C’est pourquoi on faisait précéder le baptême de l’instruction
chrétienne (Act. Ap., 2,
22-38 ; 8, 12, 35 ; 10, 34-44 ; 16, 14 sq., 31 sq. ; 18, 8
sq.).
Parmi
les œuvres de pénitence, on comptait
surtout la prière et le jeûne. On a pour cela le témoignage de la Didachè (7, 4),
de S. Justin (Apol., 1, 61), de Tertullien (De bapt., 20). A cela s’ajoutait une confession des péchés
comme pour le baptême de Jean (Math., 3, 6) et cela se faisait déjà pour le
baptême chrétien au temps des Apôtres (Act. Ap., 2, 38 ; 19, 18) ; on a pour cela le
témoignage de Tertullien (De bapt., 20), de S.
Ambroise (In Luc, 6, 2 sq.), de S. Cyrille (Cat., 1, 5). Tertullien apprécie
beaucoup la pénitence avant le baptême (De pœn., 6).
S. Thomas considère une confession générale comme suffisante et veut qu’une
confession particulière soit laissée au gré du baptisé (S. th., 3, 68, 6). Le
Concile de Trente décrit la préparation de l’adulte à la justification de la
manière qu’on a exposée ci‑dessus (S.
6, c. 6).
Que
l’adulte doive manifester l’intention
de recevoir le baptême, cela a déjà été dit plus haut (§ 163). Cette intention
résulte déjà des actes de préparation. La conséquence, c’est que le baptême
doit être reçu librement et que personne ne doit être forcé à le recevoir (S.
th., 3, 68, 7 et 10). Les premiers Scolastiques n’avaient pas encore sur ce
sujet des notions bien claires. Ainsi Gratien juge qu’un juif baptisé malgré
lui est validement baptisé et Sicard de Crémone pense que, pour le baptême, ni
le ministre, ni le sujet ne sont tenus d’avoir une intention (Cf. § 162).
Le
« baptême de feu » (Math., 3, 11 ; Luc, 3, 16) fut entendu à la
lettre par les hérétiques gnostiques. Des Pères de l’Église (S. Hilaire, S.
Ambroise, S. Jérôme, Raban, etc.) l’entendent, avec Origène, des châtiments
purificateurs du jugement dernier (purgatoire), par lesquels les pécheurs
seraient encore sauvés. Origène
dit : « Le saint, il le baptise dans le Saint‑Esprit ; quand
à celui qui, après avoir accepté la foi et reçu le Saint‑Esprit, a péché de nouveau, il le baptise
dans le feu » (Dict. théol., 2, 355-360). Le feu, dans l’Écriture, est d’ordinaire
le symbole de la séparation, de l’examen, du jugement (Cf. l’Eschatologie, §
213 sq).
Le
baptême pour les morts, dont parle S.
Paul (1 Cor., 15, 29), a été interprété de diverses manières : 1° La
critique libérale affirme que l’Apôtre manifeste ici sa croyance à la magie sacramentaire
païenne, à l’« opus operatum »
mécanique ; 2° Quelques catholiques prétendent qu’il y avait réellement, à
Corinthe, un baptême pour les morts et que S. Paul, sans l’approuver ni le
désapprouver, en tire simplement un argument « ad hominem » ; 3°
D’autres catholiques comprennent les « morts » au sens spirituel et
appliquent l’état de mort à ceux qui se font baptiser ; on ne se fait
baptiser en effet que pour la résurrection. - Le baptême des morts a d’ailleurs
toute une histoire, chez les catholiques,
surtout en Afrique, même encore au temps de S. Augustin (Op. Imperf., 6, 38 : M. 45, 1597) et de S. Fulgence (Ep.
11, 4 et 12, 20 :M. 65, 379 et 383), et en
Allemagne, au temps de Burchard de Worms
(1000-1025 : De mortuis non baptizandis,
4, 37 : M. 140, 734), de même que chez les hérétiques ; chez les
premiers, il fut combattu comme un abus ; chez les seconds, il fut
entretenu comme un sacrement (Dict. théol., 2, 360-364).
Le
baptême « in utero matris » est considéré par S. Augustin et S.
Thomas comme impossible (S. th., 3, 68, 11). Suarez le considère comme possible
(Comm. in hunc locum). L’enfant ne doit être baptisé « in utero matris » que lorsqu’il n’y a pas moyen de faire
autrement ; si l’enfant a été baptisé sur la tête, on n’aura ensuite qu’à
compléter les cérémonies ; sinon on devra le rebaptiser sous condition,
parce qu’il n’a pu être baptisé sur une autre partie que conditionnellement.
Ceux qui sont « nés prématurément » doivent être baptisés sans
condition, « si certe vivant », et sous
condition, « si dubie ». Cela s’applique
également aux « monstra ». Les enfants
trouvés doivent être rebaptisés sous condition, si on ne peut pas acquérir la
certitude de leur baptême. Les déments
et les idiots doivent être baptisés s’ils
sont tels depuis leur naissance, sinon on ne peut les baptiser que si, dans
leurs « moments lucides », ils le désirent. En danger de mort, on
doit les baptiser s’ils l’ont désiré auparavant (Cf. C. J. C., can. 746 sq.).
L’habitude
de donner au baptisé un nouveau nom
ne s’introduisit que peu à peu. Au début, on continuait à porter les noms
païens souvent empruntés aux dieux, même là où on identifiait ces dieux avec
les démons. C’est que l’usage avait fait perdre plus ou moins à ces noms leur
sens primitif. Caracalla permit, en 212, aux citoyens romains de choisir de nouveaux
noms et les chrétiens, eux aussi, profitèrent de cette permission. Ils
choisirent souvent des noms qui indiquaient des particularités chrétiennes, tels qu’on en avait déjà portés parfois
auparavant d’une manière privée : Theophoros (Ignatius), Victor, Gaudentius,
Théodore, Théophane, Théodule, Irénée, Credula,
Renata, Bonifatia, Dorothea,
etc. Mais on rencontre aussi des noms de mauvais goût dans les signatures d’actes
chrétiens, même des noms de bêtes. Enfin le Rituel romain, qui se réfère au
Concile de Trente, prescrivit de donner au baptisé un nom de saint qu’il devra
imiter.
Le
droit de donner un nom appartient aux
parents et non au baptiseur. Quand les parents donnent un nom qui n’est pas
chrétien, le curé doit ajouter un nom chrétien et l’inscrire (C. J. C., can.
761).
Baptême
et Confirmation vers l’an 200 : Aperçu général.
On peut suivre la connexion historique et
liturgique entre le baptême et la Confirmation depuis les Actes des Apôtres. Il en est de même de la connexion
théologique : On enseigne que les deux sacrements ont comme effet la
communication du Saint‑Esprit.
Bien plus, ils portent souvent le même nom dans la doctrine de l’Écriture et
des Pères.
S. Justin décrit,
vers 150, l’administration du baptême (Apol., 1, 61
et 65). Il était déjà précédé d’un enseignement religieux, de jeûnes et de
prières, avec le concours de toute la communauté. Le catéchumène était conduit
« vers un endroit où il y avait de l’eau » ; il y était plongé
au nom de la Trinité, recevait la « régénération » conformément à
Jean, 3, 3, et était lavé de tous ses péchés. Ensuite commençait la messe de
baptême. Nous trouvons des renseignements plus détaillés dans l’O. E. d’Hippolyte de Rome (217), dont on doit
rapprocher Tertullien (De bapt.), S. Cyrille de Jérus. (Cat. myst.,
1-3) et quelques prières de Sérapion. Le simple bain d’eau du temps des Actes
et de S. Justin est devenu une riche cérémonie liturgique, rehaussée encore par
son union avec la fête de la Résurrection du Seigneur. Pâques est le grand jour de baptême de l’antiquité
chrétienne ; ce n’est que plus tard qu’on y adjoignit la Pentecôte et l’Épiphanie
(Noël). La grande affluence qui se produisit bientôt obligea l’Église à
examiner et à trier sérieusement les candidats (scrutin). L’« instruction »
signalée par S. Justin s’étendit et devint un enseignement de trois ans :
ainsi se forma l’institution du catéchuménat. Le catéchuménat, comme la
discipline pénitentielle, était entièrement soumis à la direction de l’évêque.
Il se divisait en deux parties : le catéchuménat
au sens large et le photisoménat (competentes).
Le premier, en règle générale, durait
trois ans et ne pouvait être abrégé qu’en raison d’un grand zèle et d’une
pénitence singulière ; le second
s’étendait, par delà le Carême, jusqu’à Pâques. Pour
entrer parmi les catéchumènes, il fallait se présenter à l’évêque, assisté de
témoins ; l’évêque, après avoir examiné les raisons de la demande,
inscrivait le candidat sur un registre. On excluait les tenanciers de maisons
publiques, les prostituées, les souteneurs, les eunuques, les pédérastes, les
fabricants d’idoles, les comédiens, les magiciens, les astrologues, les
interprètes des songes, les gladiateurs, les prêtres des idoles. Quand il s’agissait
d’adultes, on examinait leur situation matrimoniale. Les concubinaires devaient
se marier, ou bien ils étaient renvoyés. L’avortement était considéré comme un
meurtre. Il n’était pas permis, en entrant au catéchuménat, de donner de l’argent
au prêtre ; Hippolyte appelle cela de la simonie. Des prières spéciales étaient
faites pour les catéchumènes par les catéchètes et par les fidèles. Ils
assistaient à la messe jusqu’à l’offertoire (messe des catéchumènes). Dans le photisoménat, il
y avait chaque jour des exorcismes. Quelques jours avant le baptême (dimanche
des Rameaux), l’évêque transmettait aux « competentes »
du photisoménat la profession de foi. Il la
prononçait devant eux et ils devaient la graver dans leur mémoire (traditio symboli) ; il était
rigoureusement interdit de la transcrire. Au moment du baptême, ils devaient
réciter cette profession de foi (redditio symboli). Le Vendredi‑Saint était
célébré dans la tristesse et le jeûne ; le Samedi‑Saint, l’évêque priait avec les candidats au
baptême, les instruisait encore une fois sur les saints mystères auxquels
désormais ils participeraient et conjurait de nouveau les mauvais Esprits. A
cette conjuration était unie la renonciation solennelle au diable (abrenuntiatio satanæ). On
veillait ensuite toute la nuit avec les futurs baptisés jusqu’à l’aurore
baptismale du jour de Pâques, qui commençait « au premier chant du
coq ». Alors l’évêque bénissait les fonts baptismaux, afin de chasser les
démons de l’eau. « Il faut que l’eau soit purifiée et sanctifiée d’abord
par l’évêque, afin qu’elle puisse effacer à son contact les péchés » (S.
Cyprien, Ep. 70, 1). L’évêque procédait alors au baptême dans le baptistère,
aidé par des prêtres et des diacres (et des diaconesses, à cause des femmes qui
étaient baptisées). On baptisait d’abord les enfants, puis les hommes et enfin
les femmes. Une femme qui aurait eu ses règles devait être baptisée un autre
jour. La personne qui allait être baptisée descendait nue dans l’eau ; on
lui posait la triple interrogation sur la foi et après chaque réponse on la
plongeait dans l’eau (Tert.,
De corona, 3). Un prêtre oignait ensuite le nouveau baptisé qui pouvait alors
revêtir ses habits et entrer dans l’Église où il recevait le baiser de paix de
l’évêque (S. Cyprien, Ep. 64, 4) et était
admis dans la communauté.
Ensuite
suivait immédiatement l’administration de la Confirmation par l’imposition des mains, la prière et l’onction. L’évêque
faisait couler de l’huile bénite par lui dans sa main et la mettait sur la tête
du confirmand en disant : « Je t’oins d’huile sainte en Dieu le Père
tout‑puissant et dans le Christ Jésus et
dans l’Esprit Saint ». Cette onction devait être faite par l’évêque lui‑même. Il n’est pas dit dans l’O. E. qu’on
pouvait la confier à un prêtre. « Et en le signant sur le front (consignans in frontem) qu’il (l’évêque)
offre le baiser et dise : Le Seigneur soit avec toi. Et que celui qui est
signé (signatus) dise : Et avec ton
esprit. ». Quand tous les baptisés avaient été confirmés, ils priaient
pour la première fois, comme chrétiens complets, avec toute l’Église. Et alors
commençait la messe de baptême.
La messe de baptême. S. Justin la distingue déjà de la messe
du dimanche (Apol., 1, 65). Elle contenait des
prières spéciales pour les néophytes ; ils recevaient, pour la première
fois et de la main de l’évêque, l’Eucharistie. Après l’administration de l’Eucharistie,
les néophytes recevaient immédiatement un vase contenant du lait et du miel,
lequel, d’après l’O. E. (c. 23), signifiait que le nouveau chrétien était entré
dans le Chanaan spirituel où coulent le lait et le miel, « car c’est aussi
comme du lait et du miel que le Christ a donné sa chair par laquelle les
fidèles sont nourris comme des enfants à la mamelle, alors que, par la douceur
de sa parole, il adoucit les amertumes du cœur ». Clément d’Alexandrie
explique un peu différemment le lait et le miel. Mais ce lait et ce miel ne
furent jamais considérés comme des « éléments de la Cène » et
disparurent au 6ème siècle. A la fin de la cérémonie, l’évêque
révélait et expliquait complètement les mystères reçus sous l’effet d’une
impression religieuse puissante et, à ce sujet, Hippolyte se réfère
manifestement à Apoc., 2, 17. Les nouveaux chrétiens portaient les habits
blancs qu’ils avaient reçus au baptême jusqu’au « dimanche blanc » (Dominica in albis). Cf. D’Alès, Baptême et confirmation (1928).
A
consulter: S.
Thomas, S. th., 3, 72, 1-12. S.
Bellarmin, De sacram. confirmationis, c. 1-27 (De controv.
fidei, 3, Venet., 1721, 156
sq.). Orsi,
De chrismate confirmatorio
(Rome, 1733). Vitasse,
De sacram. confirm.
(Migne, Cursus complet., 201, 546
sq.). Gerbert, De sacramentis
præsertim de confirmatione
(S. Blasii, 1764). Bertieri, De sacram.
in gen. baptismo et confirm. (Vindob., 1774). Janssens,
La confirmation, exposé dogmatique, historique et liturgique (1888). Galtier, La consignation dans les
Églises d’Occident (Rev. d’hist. ecclés., 1912, 257-301). De Puniet,
Onction et confirmation (ibid., 450-466). Jugie, La réconfirmation
des apostats dans l’Église gréco‑russe (Écho d’Orient, 1906, 65 sq.). Coppens, L’imposition des mains et les
rites connexes dans le Nouveau Testament et dans l’Église ancienne (1925). Vacant, Confirmation (Dict. de la Bible, 2, 919 sq.). D’Alès, Baptême et Confirmation (1928).
C. J. C., can. 780-800.
Notion. La Confirmation est un sacrement dans lequel le
baptisé reçoit le Saint‑Esprit
pour être fortifié dans sa vie intérieure de foi, encouragé et enflammé pour la
profession extérieure de cette foi.
Il
n’y a pas de définition concordante des théologiens ; pour la pratique, il
faut s’en tenir au catéchisme diocésain. S.
Thomas appelle la Confirmation le « sacrement de la plénitude des
grâces », de l’« achèvement du salut »
(S. th., 3, 72, 1) et la définit « le sacrement par lequel une force
spirituelle est conférée au régénéré et qui, d’une certaine manière, l’arme en
vue des combats pour la foi du Christ » (C. Gent., 4, 60). Les théologiens
n’étant pas d’accord sur le signe sensible, ce signe n’est pas mentionné dans
la définition. Cf. Eugène IV dans son décret pour les Arméniens (Denz., 697). Le sens de la définition résulte des effets.
Les
désignations du sacrement varient dans l’Église. Le mot confirmation vient de
« firmare », « confirmare ».
D’après ses relations avec le baptême, dont elle est le complément, la
Confirmation s’appelle τό τέλειον, ἡ τελείωσις,
« perfectio, consummatio »
et aussi, comme le baptême
σφραγίς
« signaculum, sigillum »
[marque distinctive, sceau]. D’après le signe extérieur, elle est appelée
imposition des mains ἐπίθεσις
χειρῶν, χειροθεσια,
Act. Ap., 8, 17 ; Hébr., 6, 2) et onction (τό
μύρον, τὸ
μυστήριον
τοῦ μύρου,
sacramentum chrismatis, unctionis).
Cf. aussi 2 Cor., 1, 21 sq. : « Celui qui nous rend solides pour le
Christ dans nos relations avec vous, celui qui nous a consacrés, c’est
Dieu ; il nous a marqués de son sceau, et il a mis dans nos cœurs l’Esprit ».
D’après le rite, la Confirmation s’appelait au début « imposition des
mains » (Tertul., Cypr.).
Vers 220 (Hippolyte, O. E.) apparaît à Rome l’onction et le nom « consignatio » (de l’onction « in fronte »). Ce rite est prédominant à partir de 400.
Par contre, à l’époque de la renaissance carolingienne, se produit une réaction
et la « manus impositio »
prévaut. C’est alors que se répand le nom Confirmation qui se trouve déjà chez
S. Léon 1er. En Orient dominait l’onction, parfois, comme en Syrie, exclusivement, comme c’est encore le cas
aujourd’hui chez les Grecs schismatiques : « Leur sentiment reflète
celui de l’Église grecque avant le schisme » (D’Alès, 153). - Il n’existe pas de monographie sur la Confirmation
à l’époque patristique ; on l’étudie théoriquement et pratiquement avec le
baptême. Pendant longtemps on n’a pas songé à une preuve d’Écriture selon notre
manière. La Scolastique accepta purement et simplement le sacrement tel qu’il
était proposé par l’usage et la foi de l’Église et examina sa nature. Umberg dit à
propos de ce point : « Malheureusement il s’est passé beaucoup de
temps avant que la théologie catholique se rendît compte de cette tâche et
encore plus, avant qu’elle ne s’y consacrât. » (p.
13). S. Bellarmin fut le premier à l’entreprendre.
« Un regard sur le 17ème et le 18ème
siècles nous montre que les théologiens, pendant tout ce temps, n’ont
guère fait avancer la question de la nature sacramentelle de la
Confirmation » (P. 43).
THÈSE. La Confirmation est un véritable sacrement de la
Nouvelle Alliance, institué par le Christ. De foi.
Explication. Comme les Réformateurs
rejetaient la Confirmation - Calvin la traite avec une haine particulière (Bellarmin, De sacram.
Confirm., c. 1) - le Concile de Trente définit : « S. q. d. que la Confirmation, en ceux
qui sont baptisés, n’est qu’une cérémonie vaine et superflue ; au lieu que
c’est proprement, et en effet, un véritable Sacrement ; ou qu’autrefois ce
n’était autre chose qu’une espèce de Catéchisme, où ceux qui étaient prêts d’entrer dans l’adolescence, rendaient compte de leur
créance, en présence de l’Église : Qu’il soit anathème » (S. 7, de confirm., can. 1 : Denz.,
871) et : « S. q. d. que ceux qui attribuent quelque vertu au Saint
Chrême de la Confirmation font injure au Saint Esprit : Qu’il soit
anathème » (Can. 2). L’institution par le Christ est contenue dans la
définition concernant tous les sacrements (S. 7. can.
1 : Denz.. 844). Pie X a
condamné la proposition des modernistes affirmant qu’au temps apostolique la
confirmation n’était pas encore un sacrement indépendant, distinct du baptême (Denz., 2044).
Preuve. Le Christ a promis
à maintes reprises aux Apôtres l’envoi du Saint‑Esprit
(Jean, 14, 26 ; 16, 7, 13). Il leur a donné cet avis :
« Demeurez dans la ville jusqu’à ce que vous soyez revêtus de la force d’en
haut » ( Luc, 24, 49), et il leur a assuré :
« Vous serez baptisés dans l’Esprit‑Saint
sous peu de jours. » (Act. Ap.,
l, 5). Or cela ne devait pas s’entendre seulement de l’Esprit charismatique
pour l’activité missionnaire, mais de l’Esprit sanctifiant qu’il avait promis à
tous les fidèles comme principe de la vie nouvelle. « Celui qui croit en
moi, des fleuves d’eau vive couleront de son cœur, comme dit l’Écriture. Il dit
cela de l’Esprit que devaient recevoir ceux qui croyaient en lui ; car l’Esprit
n’avait pas encore été donné, parce que Jésus n’était pas encore
glorifié » (Jean, 7, 38 sq.). L’accomplissement
de cette promesse se fit au jour de la Pentecôte (Act.
Ap., 2, 1-4). Après cette communication merveilleuse
du Saint‑Esprit, nous apprenons bientôt que les Apôtres le
communiquaient à leur tour aux baptisés, d’une manière ordinaire, par l’imposition
des mains. Les Actes nous rapportent : « Les Apôtres, restés à
Jérusalem, apprirent que la Samarie avait accueilli la parole de Dieu. Alors
ils y envoyèrent Pierre et Jean. À leur arrivée, ceux‑ci prièrent pour ces Samaritains afin qu’ils
reçoivent l’Esprit Saint ; en effet, l’Esprit n’était encore descendu sur
aucun d’entre eux : ils étaient seulement baptisés au nom du Seigneur
Jésus. Alors Pierre et Jean leur imposèrent les mains, et ils reçurent l’Esprit‑Saint » (8, 14 sq.). Nous avons ici tous les
éléments de la notion du sacrement : le signe extérieur, l’imposition des
mains, la grâce intérieure du Saint‑Esprit
et le caractère habituel de l’administration (Cf. Act.
Ap., 8, 18 sq.).
Que faut‑il
penser de l’institution par le Christ ?
Pour cela, nous n’avons pas de témoignage formel. On peut ou bien rappeler les
lacunes de l’Évangile et voir dans Act. Ap., 1, 3, au moment des instructions sur le royaume de
Dieu, le moment de l’institution, ou bien soutenir que, par sa promesse, le
Christ a suffisamment préparé et précisé le sacrement et qu’il a laissé à ses
Apôtres le soin d’en ordonner le rite. Les deux conceptions sont admissibles.
Mais
il est certain que les Apôtres n’ont pas, de leur propre autorité et sans
mission du Christ, accompli un rite qui conférait le bien le plus élevé qui
distinguât le christianisme primitif du judaïsme et qui ne pouvait être administré
que par un Apôtre. L’ordre donné par Jésus est également démontré par l’assurance et le caractère habituel de l’administration. S. Luc en
parle encore une seconde fois. Des disciples de Jean, à Éphèse, se font
« baptiser au nom de Jésus ». Et quand Paul leur eut imposé les
mains, le Saint‑Esprit vint sur eux (Act. Ap., 19, 5 sq.). L’Apôtre
administre la Confirmation, qui se distingue nettement du baptême, bien qu’elle
soit en étroite relation avec lui. Elle est, visiblement, le complément du
baptême. C’est ce qu’indique, en tout cas, son ministre supérieur, apostolique.
La nature sacramentelle de la confirmation est donc établie par l’Écriture. S.
Luc peut écrire d’une manière générale « que par l’imposition des mains
des Apôtres le Saint‑Esprit était
conféré » (Act. Ap.,
8, 18). L’Épître aux Hébreux nomme l’« imposition
des mains » à côté du baptême, parmi les actes d’initiation du chrétien
(6, 1 sq.).
Les
protestants critiquent vivement les
textes où il est question de la Confirmation et cherchent à leur enlever leur
force. Luthardt
écrit à ce sujet : « Sans doute Act. Ap. (8, 14-17) passait, dans l’ancienne Église, depuis le 3ème
siècle, pour le texte biblique qui fonde le sacrement de confirmation ».
Sans doute ! Que prouverait alors ce passage ? Il prouve si nettement
la Confirmation que la théologie libérale le reconnaît ouvertement (Holtzmann : « Nous avons ici le point
de départ du « sacramentum confirmationis »
ultérieur » Manuel de la théologie du N. T., 1, 382). C’est pourquoi elle
en place l’origine au 2ème siècle, à l’époque où il y aurait eu,
pour la première fois, des degrés hiérarchiques, dont les « sources »
chrétiennes primitives, c.‑à‑d. les textes mutilés, ne sauraient rien.
Mais Harnack place les Actes vers l’an 60 (Nouvelles recherches
sur les Act. Ap. (1911), 63
sq.). D’autres, comme Feine, Clemen, Jüngst, considèrent le passage comme une
« interpolation », selon la méthode connue, qui consiste à déclarer
« interpolé » tout ce qui gêne. C’est la « science sans
préjugé », distincte de la science catholique qui est liée au dogme. Behm met en garde
contre ce procédé radical : « On s’embrouille dans un enchevêtrement
inextricable et tout terrain historique se dérobe sous les pieds »
(Imposition des mains, 26 sq.). « La considération du baptême et de l’Esprit
présente de réelles difficultés que reflète Act. Ap., 8, 14 sq. », dit encore Behm
(Ibid). « Il reste que le récit est très singulier
et étrange : l’entrée normale et unique dans le christianisme se divise
nettement en deux actes, distincts l’un de l’autre par le temps et le
changement des personnes qui agissent. » (Ibid).
Behm ne croit pas qu’il faille « renoncer »
complètement à l’explication et pense, « avec Feine,
Clemen et Harnack, remarquer nettement dans le v. 14 une suture », c.‑à‑d. que les
sources auraient été brouillées et il en résulterait cette difficulté
regrettable et insoluble. On ne pourrait pourtant pas admettre, ni chez
Philippe, ni chez les Samaritains, une déficience du baptême qui aurait eu
besoin d’être complété.
Quant
aux catholiques, ils admettent cette
« déficience » du baptême. Sans doute le baptême de Philippe était en soi parfait et produisait, comme c’est
dit partout dans les sources du Nouveau Testament, la rémission des péchés et
la communication du Saint‑Esprit. Mais
il y avait et il y a précisément des degrés dans la communication du Saint‑Esprit, et sa plénitude n’était conférée que
par l’imposition des mains des Apôtres ; c’était véritablement une
« fonction apostolique réservée ». La déficience n’était pas chez
ceux qui avaient reçu le baptême, comme si leur foi avait été faible, car il
est dit justement qu’ils avaient « accepté » la parole de Dieu. Avec
ce passage concorde Act. Ap.,
19, 5 sq. : Le baptême de Jean n’est pas le baptême chrétien. On ne nous
dit pas qui leur administra le baptême chrétien, mais on dit expressément
ensuite que Paul, l’Apôtre, leur imposa les mains et « l’Esprit Saint vint
sur eux et ils parlaient en langues et ils prophétisaient ». Mais ces
derniers dons n’étaient que des effets accidentels. L’essentiel pour l’Apôtre,
c’est qu’ils étaient devenus des chrétiens complets. On objecte que les Actes ne connaissent encore pas le saint
Pneuma comme principe interne de vie, mais seulement comme charisme merveilleux
et que ce sont les Épîtres pauliniennes qui ont enseigné, les premières, la
doctrine éthique du Pneuma. On peut
répondre à cette objection en alléguant les passages suivants des Actes des Apôtres : 2, 38 ; 5,
32 ; 9, 17 sq. ; 10, 44 sq. ; dans ces textes, les Actes enseignent que tous les chrétiens
normaux ont, en tant que tels, l’Esprit ; l’Esprit en fait des chrétiens
et non des thaumaturges.
De
même, le texte de l’Épître aux Hébreux (6, 1 sq.) compte l’imposition des mains
(έπίθεσις χειρῶν) avec le baptême (βάπτισμα) parmi les actes d’initiation
du christianisme en général et non parmi les moyens charismatiques. L’un et l’autre
posent le fondement (θεμέλιον)
de l’état chrétien. C’est ce que reconnaissent parfois les protestants eux‑mêmes (Behm, 40
sq.). D’après ce passage, l’enseignement préparatoire à la Confirmation
constitue, avec l’enseignement préparatoire au baptême, une des parties les plus
anciennes de la doctrine chrétienne.
Synthèse. D’après l’Écriture,
l’Ancien Testament (Joël, S. Jean‑Baptiste) a
déjà promis l’Esprit ; le Christ l’a directement promis à ses Apôtres et à
tous ses disciples comme bien de la Rédemption. L’Esprit descendit d’une
manière merveilleuse au jour de Pentecôte et parfois encore sur les
fidèles ; d’une manière ordinaire, il fut conféré par les Apôtres, à côté
du baptême qui le communiquait lui aussi comme don initial, et cette collation
se faisait par le rite séparé de l’imposition des mains, par laquelle on
recevait l’Esprit comme don complet et dans sa plénitude. Ils le conféraient
pour une fin éthique et non pas, même en premier lieu, pour une fin
charismatique. A l’imposition des mains était unie la prière. C’était donc un
rite sacramentel.
Les Pères. Ce rite,
largement et clairement exposé dans le Nouveau‑Testament,
de la communication du Saint‑Esprit par l’imposition
des mains, demeura naturellement dans l’usage universel de l’Église. Il est
vrai qu’il faut attendre environ 150 ans pour entendre de nouveau quelque chose
de précis à ce sujet. Ni la Didachè ni S. Justin, qui
s’étendent assez longuement sur le baptême et l’Eucharistie, ne parlent d’une
manière nette de l’imposition des mains. Cela tient à ce que, au début, alors
que l’évêque administrait tous les
sacrements, la Confirmation était administrée en même temps que le baptême.
Mais, dès que l’administration du baptême par les prêtres se généralisa (depuis
environ 200 à 250), nous entendons parler, d’une manière précise, de la
Confirmation administrée désormais séparément, comme un sacrement réservé à l’Évêque.
S. Irénée dit d’une manière
générale : « Ceux à qui ils (les Apôtres) imposaient les mains
recevaient le Saint‑Esprit qui
est le pain de vie » (A. h., 4, 38, 2). Mais Tertullien fait connaître que
l’imposition des mains sacramentelle était d’un usage général dans l’Église :
« Au sortir du bain baptismal, nous sommes oints de l’onction sacrée,
selon l’ancienne coutume… Ensuite vient l’imposition des mains, au moyen de
laquelle, par une parole de bénédiction, le Saint‑Esprit est
appelé et invoqué sur nous » (De bapt., 7
sq. ; cf. De resurr. carn. 8, voir plus haut p. 231, et De præscr., 36). S.
Cyprien écrit à propos du texte des Actes
(8, 17) : « Cela se fait encore chez nous ; on présente ceux qui
ont été baptisés aux chefs de l’Église, afin que, par notre prière et l’imposition
de nos mains, ils reçoivent le Saint‑Esprit et,
par le signe du Seigneur, ils obtiennent l’achèvement » (Ep. 73, 9). Quand
il nomme (Ep. 63, 5) le baptême et l’Eucharistie comme sacrements d’initiation,
il songe aussi à la Confirmation en parlant du baptême. Avec les Pères, bien
que ce ne soit pas d’une manière exclusive, il attribue au baptême l’ablution
et à la Confirmation la communication de l’Esprit. D’après Clément d’Alexandrie, on reçoit avec le baptême « le don
complet » de l’Esprit (Pæd., 1, 6). Origène juge de même (In Lev. Hom. 8, 11).
S. Cyrille de Jérus.
consacre à la confirmation une catéchèse :
« De la même manière (que le Christ dans le Jourdain) vous aussi, quand
vous êtes sortis de l’eau du bain sacré, vous avez reçu l’onction qui est l’image
de celle dont le Christ fut oint, à savoir le Saint‑Esprit (Cat. Myst.
3, 1). Cf. le pseudo‑Ambroise (De sacram.,
3, 2), S. Ambroise (De myst., 6), S.
Augustin (C. litt. Pet., 2, 104, 239), S.
Jean Chrysostome (In Act. Ap.,
18, 3) et la preuve complète de Tradition dans Doelger. S. Augustin n’aurait eu que peu d’estime pour la « manus impositio » (Behm, 81), pourtant il écrit nettement : « L’onction
spirituelle n’est autre que le Saint‑Esprit, et son sacrement consiste dans l’onction
extérieure » (In Joan., tr. 3, n. 5 ; cf. n. 12). Le Christ a été
oint du Saint‑Esprit « non certes avec de l’huile
visible, mais par le don de la grâce, symbolisé par le parfum dont l’Église
oint les baptisés » (De Trin., 15, 26, 46). « Ils priaient pour faire
descendre (l’Esprit‑Saint) sur
ceux à qui ils imposaient les mains, mais ils ne le donnaient pas. Et cet
usage, l’Église le maintient encore par ses
pontifes » (Ibid.).
La
Scolastique n’était pas unanime sur
la sacramentalité de la Confirmation. Dans la question de l’institution, que
les Pères n’avaient pas posée d’une manière précise, les opinions étaient
divergentes. Abélard et son École
prétendaient que la Confirmation avait été instituée par les Apôtres ; d’autres
attribuaient l’institution à l’Église. S.
Thomas signale ces opinions et les repousse pour se rattacher à une
troisième qui est aussi celle de son maître S.
Albert le Gr. D’après lui, la Confirmation a été instituée par le Christ
lui‑même. Il dit : Le Christ a
institué ce sacrement, non pas en le présentant effectivement, mais en le
promettant, d’après Jean XVI… Car dans ce sacrement est donnée la plénitude de
l’Esprit, plénitude qui ne devait pas être conférée avant la Résurrection et l’Ascension
du Christ, d’après Jean VII : L’Esprit n’avait pas encore été donné parce
que Jésus n’avait pas encore été glorifié » (S. th., 3, 72, 1).
Les
Réformateurs prétendirent, en
rejetant la Confirmation, revenir à la foi des Premiers siècles. Les
témoignages cités, et qui proviennent des deux Églises, de l’Église d’Orient
comme de l’Église d’Occident, et que nous aurions pu multiplier, nous montrent
ce qu’il faut penser de cette affirmation des adversaires. Luther comptait
encore en 1520 la Confirmation au nombre des sacrements (Baptême,Confirmation, Pénitence, Onction,
etc.) ; plus tard, il abandonna son institution divine. Mélanchton, Chemnitz et d’autres la considérèrent comme une
cérémonie catéchétique, et d’ailleurs les protestants actuels ont encore une
« confirmation » qui consiste dans le renouvellement des promesses du
baptême et dans une instruction sur la foi. La Confession d’Augsbourg dit : « La Confirmation et l’Extrême‑Onction sont des cérémonies qui nous viennent
des anciens Pères et que l’Église elle‑même n’a
jamais considérées comme nécessaires au salut. Car elles n’ont ni l’ordre ni le
commandement de Dieu » (Art. 13 ; Muller, 203).
Au
sujet de l’origine de la Confirmation,
les protestants modernes ne sont pas d’accord. Harnack pense que ce sacrement a acquis son indépendance par ce
fait qu’en Occident il était administré par l’évêque (H. D., 3, 471). On pourrait lui demander comment il a
acquis son indépendance en Orient où il est administré par le prêtre. D’autres disent que l’Église
primitive a fait du rite de la communication des charismes le rite sacramentel
de la communication du Saint‑Esprit. A
cette conception s’opposent toutes les Épîtres pauliniennes et même les Actes
des Apôtres ; cf. 2, 38 ; 5, 32 ; 9, ,
17 sq. ; 10, 44 sq. L’Église primitive ne connaissait pas de rite de
communication des charismes ; les charismes reposaient sur l’action
spontanée et absolument incontrôlable de l’Esprit. D’autres disent que ce
sacrement a été emprunté aux impositions des mains de l’Ancien Testament. Sans
doute, le rite en soi a pu être emprunté à l’Ancien Testament, mais l’effet qui
est la communication du Saint‑Esprit
procède uniquement de Dieu. Enfin on cherche, dans l’histoire des religions,
des parallèles et des emprunts. Clément d’Alex.
sait que les gnostiques usaient de l’imposition des
mains au moment du baptême (Excerpta ex Theod., 22, 5), mais c’était là une imitation de l’usage
chrétien vers 150. Les Mandéens, eux aussi, connaissaient une imposition des
mains après le baptême. Behm
fait, à ce sujet, cette remarque contradictoire : « Au sujet du sens, nous ne savons rien ; mais il
y avait sûrement là un parallèle avec
les cérémonies baptismales du christianisme primitif » (144). D’autres
notent une « consignatio » dans le culte de
Mithra. Mais si cette « consignatio » n’est
pas un emprunt chrétien, comme plusieurs le prétendent, ce n’est qu’un simple
parallèle extérieur, les deux cérémonies ayant un contenu essentiellement
différent. Tertullien dit que Mithra
lui aussi « plonge dans l’eau ses adorateurs, et leur fait croire qu’ils
trouveront dans ce bain l’expiation de leurs crimes ; il marque au front
les soldats de Mithra lorsqu’on les initie ; il célèbre l’oblation du
pain » (De præscript., c. 40), par conséquent
imite le Baptême, la Confirmation, l’Eucharistie. La « signatio »,
comme le suppose Cumont, se faisait avec un fer rouge, ce qui produisait une marque
distinctive divine et en même temps une marque de protection. On a signalé
aussi un certain nombre d’usages de consignation dans les tribus païennes au
moment de la puberté (rites de consécration de la puberté). Seulement la
Confirmation n’entendait pas être un « sacrement de la jeunesse »,
mais conduire les mineurs spirituels à la majorité complète. Tout ce qu’on a
signalé ne comporte que des similitudes lointaines.
Thèse. La matière de la Confirmation consiste dans une imposition des mains et
une onction par l’évêque.
Cette thèse a été formulée comme doctrine
générale de foi au Concile d’union de Lyon,
en 1274 (Denz., 465). Le Concile de Trente a condamné l’opinion qui prétend
que « ceux‑là font injure au Saint‑Esprit
qui attribuent une vertu quelconque au saint‑chrême
de la Confirmation » (S. 7, de confirm., can.
2 : Denz., 872). Il n’y a donc pas de décision
ferme sur la matière. C’est ce qui explique que les théologiens ont des
opinions différentes à ce sujet. D’une manière générale, on compte deux
opinions principales. D’après les uns, l’imposition des mains est la seule
matière suffisante (Aureolus, Petau,
etc). A cette opinion s’oppose celle qui prétend que
l’onction seule constitue cette matière (S. Thomas, Eugène IV, S. Bellarmin). A
ces deux opinions s’ajoute, comme presque toujours, une opinion moyenne qui les concilie : les deux
actions doivent être unies. Cette dernière opinion, quand ce ne serait qu’en
raison de la pratique de l’Église, est celle qu’on admet ordinairement.
D’Alès écrit que,
d’après de nombreuses décisions des Congrégations romaines, l’onction avec le
saint chrême « renferme tout l’essentiel du sacrement » et que, si la
première imposition générale des mains, pour une raison quelconque, fait défaut
à quelque confirmand, on n’a pas besoin de suppléer le sacrement (P. 156).
Le
savant chercheur juge aussi que l’Église du 3ème siècle était
manifestement en possession de la confirmation. Cela est attesté, pour l’Occident,
par Tertullien et S. Cyprien. Le rite en Afrique est l’imposition des
mains ; c’est la tradition apostolique. De même, en Asie Mineure (Firmilien), en Espagne (Elvire, 300) et en Gaule (Arles,
314). Par contre, l’onction est attestée, à Rome, par S. Hippolyte (217), S. Corneille
(250), S. Sylvestre (330) ; à
Alexandrie, par Origène et, en
Orient, par plusieurs témoins comme S.
Cyrille de Jér., S. Basile, etc. D’après S. Innocent Ier (416), c’est une
prérogative des évêques « pour qu’ils signent, ou donnent l’Esprit‑Saint » et pour cela il cite Act. Ap., 8, 14-17. Or l’évêque
signe le confirmand sur le front et en même temps l’oint avec de l’huile bénite
par lui (Denz., 98) Ainsi donc, même dans l’Occident,
l’onction était en usage ; elle régnait en Orient auparavant. On pense qu’en
Orient l’imposition des mains fut de temps en temps entièrement laissée de
côté. Cependant une certaine imposition des mains est toujours unie à l’onction.
L’onction a sans doute été établie par imitation des rites d’onction de l’Ancien
Testament. Tertullien lui‑même y fait
allusion (De bapt., 7).
La
bénédiction du chrême est en tout cas
très ancienne. Tertullien déjà l’atteste
(De bapt., 7), ainsi que S. Cyprien (Ep. 70) et S.
Cyrille de Jérus. compare
cette bénédiction à la consécration eucharistique (Cat. Myst.,
3, 3). S. Basile la considère comme
une tradition apostolique (De Sp. S., 27, 66). Le
ministre de cette bénédiction est l’évêque seul et il doit y procéder le Jeudi‑Saint. Une
magnifique prière de bénédiction, extraite de l’eucologe de Sérapion de Thmuis (+ vers 358), a été reproduite par Doelger (104). Les scolastiques
étaient d’ordinaire d’avis que cette bénédiction était nécessaire pour la
validité du sacrement (S. th., 3, 72, 3) ; seuls les scotistes le niaient
et des auteurs modernes les suivent. Il y eut également des controverses sur la
composition naturelle de l’huile. La pratique ecclésiastique exige de l’huile d’olive
et du baume ; l’usage du baume est attesté pour la première fois par S. Grégoire Ier. Les Grecs
emploient encore une quantité d’autres ingrédients (Cf. pseudo‑Denys, De eccl. hier., 4, 3).
L’onction (materia proxima) se fait, dans l’Église
latine, uniquement sur le front ;
dans l’Église grecque, on la fait également sur la poitrine, sur les pieds, sur
les oreilles, sur les yeux, sur le nez. D’autres cérémonies sont le soufflet qui indique qu’il faut
supporter les affronts dans les combats pour la foi et le bandeau de chrême qu’on portait autrefois pendant trois jours
autour de la tête et qu’ensuite on enlevait selon un rite (Héfélé,
6, 182). Les jours de confirmation coïncidaient, pour des raisons analogues,
avec les Jours de baptême. Quand le baptême et la confirmation étaient séparés,
la Pentecôte était le jour le plus opportun pour cette dernière. Le lieu de la Confirmation était, comme
pour le baptême, l’Église. De même qu’il y eut plus tard des baptistères spéciaux, il y eut aussi des
chapelles spéciales pour la confirmation, des « consignatoria » ou « charismaria ».
La forme de la Confirmation varia selon
les Églises et les époques. Dans l’Église romaine, la forme actuelle est celle‑ci : « Signo te signo crucis
et confirmo te chrismate salutis in Domine Patris, etc.» [Je te marque par le signe de la croix, et je te
confirme par le chrême du salut, au nom du Père, et du Fils, et du Saint‑Esprit] (Eugène IV. Decret.
pro Arm. : Denz., 697).
L’Écriture
nomme seulement d’une manière générale la prière
(προσηύξαντο
περί αὐτῶν,
Act. Ap., 8, 15 sq. ;
cf. 2 Cor., 1, 21 sq.). La formule grecque est dépourvue des trois noms divins,
la voici : « σφραγὶς
δωρεᾶς πνεύματος ἁγίου » (Héfélé,
2, 26). Dans l’Église latine, la formule trinitaire a sans doute été introduite
par analogie avec le baptême. On trouvera toute une série d’antiques formules
dans Martène,
De antiquis Ecclesiæ ritibus, 1. 1er, c. 2, a. 4. La formule latine
actuelle est en usage depuis environ 1250. Scherman décrit, en s’appuyant
sur les sources les plus anciennes, le rite de l’administration de la façon
suivante : « Après que tous sont sortis de l’eau et sont oints, ils
se lavent, se vêtent et vont dans l’église. Là l’évêque étend sa main sur eux et récite une prière dans laquelle il
mentionne la rémission des péchés dans le bain de la régénération du Saint‑Esprit et demande la grâce de la
persévérance. Ensuite il fait couler de l’huile bénite dans sa main, la place
sur la tête du confirmand en prononçant cette formule : « Je t’oins d’huile
sainte en Dieu le Père tout‑puissant et
dans le Christ Jésus et dans l’Esprit Saint », le signe avec cette huile
au front, lui donne le baiser de paix avec le salut : « Dominus tecum ».
Les
Pères parlent simplement d’une
prière. Ainsi Tertullien écrit :
« Après cela (après le baptême et l’onction) on nous impose les mains en invoquant et attirant sur nous le Saint‑Esprit par la prière qui accompagne cette
sainte cérémonie » (De bapt., 7, 8 ; cf. De
carn. Resurr., 8). De même,
d’après S. Cyprien, le Saint‑Esprit est conféré « par notre prière »
(Ep. 73, 9 ; cf. plus haut p. 304). L’ordonnance de l’Église d’Égypte (c.
19) contient la prière citée plus haut par Scherman.
La
difficulté de retrouver une forme
traditionnelle ferme dans la doctrine sacramentelle existe aussi pour la
Confirmation. Aussi la Scolastique
montre dans cette question une grande hésitation. Le canoniste Huguccio (+ 1210) pensait même que, pourvu que la matière
soit convenablement bénite, la Confirmation pourrait être administrée
validement sans aucune forme exprimée
en paroles (Gillmann,
dans « Katholik » [1910], 1, 477). L’opinion
de Huguccio est grecque ; c’est également celle
du pseudo‑Denys. Notre forme se trouve déjà chez
Sicard de Crémone (Gillmann, Guillaume d’Auxerre, 23).
Remarquons
encore qu’à cause des différences d’opinion sur le rite en général, les avis
diffèrent aussi sur la forme. On peut en effet distinguer une double imposition
des mains, celle qui a lieu au début de la cérémonie, qui est une extension des
mains générale (χειροτονία)
et la seconde pendant l’onction (χειροθεσία) ;
cette dernière est une imposition de la main proprement dite. D’ordinaire, on
considère cette imposition de la main comme essentielle et ensuite aussi la
forme citée plus haut. Les théologiens qui considèrent comme essentielle la première
extension des mains doivent logiquement considérer
aussi comme forme sacramentelle la prière qui l’accompagne. D’ordinaire
cependant, on voit, dans la première extension des mains, une partie
intégrante, mais non l’essence du sacrement.
Les
Églises orientales n’ont que l’onction
et la prière. Gallinicos
écrit (41) : « Avec le chrême bénit par l’évêque, l’Église (le
prêtre) oint les membres du baptisé avec ces paroles :
« Le sceau du don du Saint‑Esprit.
Amen » (σφραγὶς
δωρεᾶς πνεύματος ᾁγίου).
THÈSE. Le ministre ordinaire de la
Confirmation est l’évêque. De
foi.
Explication. Comme dans l’Église grecque schismatique le ministre
ordinaire est le prêtre, le Concile de Trente
a défini : « S. q. d. que l’évêque seul n’est pas le ministre
ordinaire de la Sainte Confirmation, mais que tout simple prêtre l’est
aussi : Qu’il soit anathème ) (S. 7, de confirm., can. 3 : Denz.,
873 ; cf. 960 et 697).
Preuve. L’Écriture atteste tout d’abord d’une manière
positive que les Apôtres Pierre et Jean administrèrent la Confirmation (Act. Ap., 8, 14-17). Elle indique
aussi que cela doit s’entendre d’une manière exclusive ; car pourquoi Pierre et Jean se seraient‑ils hâtés de se rendre en Samarie si Philippe lui
aussi avait pu confirmer ? De même pour les disciples de Jean à Éphèse, S.
Paul est nommé expressément comme le ministre de la Confirmation ; par
contre, il n’est pas le ministre du baptême (Act. Ap., 19, 5 sq.).
Les Pères. Au début, l’administration
des sacrements en général était aux mains de l’évêque. Quand plus tard il se
fit remplacer par les prêtres pour le baptême, il est attesté, précisément pour
la Confirmation, qu’il s’en réservait l’administration. C’est ce qu’on voit
dans les textes de S. Cyprien cités
plus haut (p. 304). Ensuite cela est attesté par le Concile d’Elvire, en
Espagne (vers 300). C’est également ce que rapporte S. Jérôme qui pense, au reste, que cela est plus conforme à l’« honneur » de l’évêque que réclamé par la loi de
la nécessité (Adv. Lucif., 8 et 9 : M. 23,
172 ; cf. Ep. 146 ad Evang. 1 : M. 22,
1194). S. Innocent 1er
revendique le droit de la « consignation » pour les évêques seuls, en
s’appuyant sur Act. Ap., 8,
14 (Denz., 98). On trouve également des témoignages
qui montrent que, dans l’Église grecque,
le ministre, au début, était l’évêque ; ainsi le témoignage de Firmilien dans S.
Cyprien (Ep. 75, 8), des Constitutions
apostoliques (2, 32) et de S. Jean
Chrysostome (In Act. Hom., 18, 3 : M. 60,
144).
La
Scolastique admet généralement le
principe que l’évêque est le ministre ordinaire.
S. Thomas se réfère pour cela aux Actes et au fait que la Confirmation est
le sacrement de l’achèvement. S. Bonaventure ajoute cette raison :
Par l’administration de ce sacrement l’évêque entre personnellement en contact
avec chaque membre de son troupeau et exerce à son égard un acte pastoral
(Sent., 4, dist. 7, a. 1, q. 3).
Le
ministre extraordinaire de la Confirmation est le prêtre.
Cela
est attesté nettement par la Tradition
tant de l’Église orientale que de l’Église occidentale. Dans l’Église grecque, le prêtre est même, depuis les
temps anciens, le ministre ordinaire. Photius reprochait même à l’Église
romaine de réitérer la Confirmation administrée par des prêtres grecs (Hergenroether,
Photius, 1, 644). Cependant le point important dans le sacrement, c’est le
« myron » bénit par l’évêque, sans lequel aucun prêtre ne peut
administrer la Confirmation (Ps. Denys,
De eccl. Hier., 5, 1, § 5). Mais, en Occident également, les prêtres
administrèrent parfois la Confirmation. Cela est attesté par le pseudo‑Ambroise pour l’Égypte,
« quand l’évêque était absent » (In Eph.,
4, 17 : M. 17, 388). S. Grégoire Ier
voulut forcer les prêtres de Sardaigne, où cette coutume régnait, à suivre la
pratique romaine, mais il les autorisa, quand les évêques feraient défaut, à
conserver l’antique usage de la confirmation par les prêtres (Epp., l. 4 : Ep. 26 : M. 17, 696). On a également
des témoignages pour l’Espagne et les Gaules. En vertu de la coutume, la Confirmation était encore
administrée, au Moyen‑Age, par des
prêtres, dans le diocèse de Wurzbourg, en France, à l’abbaye
d’Einsideln, à Constance, à Kempten, au Mont‑Cassin et à Saint‑Paul près de Rome (Schanz,
313 sq.).
Dans
la Scolastique, la question du
ministre extraordinaire de la Confirmation est très débattue et reçoit des
solutions différentes, Voici quelques opinions : Dans la primitive Église,
les évêques et les prêtres étaient égaux et, par suite, les prêtres
confirmaient eux aussi ; mais plus tard cela fut défendu. S. Grégoire le
G. le permit de nouveau à des prêtres grecs, c.‑à‑d., il les autorisa à faire ce qu’ils
pouvaient faire en vertu de leur Ordre. Le Pape pourrait permettre à tout laïc confirmé,
tout au moins à tout clerc confirmé,
d’administrer la Confirmation. En vertu des pouvoirs accordés par le Pape,
chacun pourrait donner ce qu’il a. D’autres jugent plus sévèrement. Ainsi Fr. Mayron
estime que le Pape ne pourrait pas accorder à un prêtre le pouvoir de
confirmer. Au sujet de ces différences d’opinions très tranchées, cf. Gillmann,
Ministre de la Confirmation.
D’après
le C. J. C., est ministre extraordinaire
de la Confirmation tout prêtre qui y est autorisé en vertu du droit général ou d’un
induit apostolique spécial. Sont autorisés par le droit général les cardinaux
qui ne sont pas évêques, les abbés et prélats nullius, les vicaires et préfets
apostoliques, mais seulement pour la durée de leur fonction et pour leur
territoire. Les prêtres latins qui
sont autorisés à confirmer ne peuvent administrer validement la confirmation qu’aux
fidèles de leur rit, à moins que l’induit
ne porte une clause différente. Par contre, il est interdit aux prêtres grecs, qui possèdent le pouvoir ou le privilège
d’administrer la Confirmation en même temps que le baptême aux enfants de leur rit, de confirmer des enfants
latins. Dans ce dernier cas, la Confirmation est donc valide bien qu’illicite. Cette distinction s’explique par l’histoire.
- Le chrême doit toujours être bénit par l’évêque.
Un prêtre qui confirme sans en avoir reçu le pouvoir doit être suspendu. S’il
dépasse ses pouvoirs, il les perd.
L’explication
théologique de la Confirmation administrée par les prêtres peut partir du
pouvoir d’Ordre ou du pouvoir de juridiction. Il est clair que pour administrer
un sacrement il faut le pouvoir d’Ordre. Comme ce pouvoir ne peut être conféré
par un acte de juridiction, le prêtre le possède déjà dans son Ordre. Mais son
exercice est encore lié. Son pouvoir d’Ordre est délié par la délégation
pontificale.
D’autres disent que le pouvoir d’Ordre n’est
tout d’abord qu’une « potestas inchoata » et
qu’elle devient une « potestas completa »
par la délégation juridictionnelle (Bellarmin,
c. 12 ; Tournely,
q. 3, a. 2). On a déjà remarqué plus haut que l’Église romaine reconnaît la
validité des sacrements de l’Église grecque (Cf. Benoit XIV, De syn. diœces. 7, q. 3 et Vitasse dans Migne,
Cursus compl., 21, 988 sq.).
Le
sujet de la Confirmation est tout baptisé ; ne sont pas exceptés les
enfants au‑dessous
de l’âge de raison.
L’Écriture
atteste (Act. Ap., 8,
14-17 ; 19, 1-7) que le baptême précédait toujours la Confirmation. L’exemple
de Cornélius (Act. Ap., 10,
44, 48) n’infirme pas ces témoignages, car la communication du Saint‑Esprit dont il est question est une
communication merveilleuse.
Nulle
part, dans la Tradition, on n’exige
un âge déterminé. Comme on administrait toujours aux adultes les trois premiers
sacrements en même temps, quand l’usage du baptême des enfants s’introduisit, l’usage
analogue de la Confirmation des enfants dut s’introduire aussi. Cet usage est d’ailleurs
attesté pour l’Orient comme pour l’Occident. Aujourd’hui encore, l’Église
grecque administre la Confirmation aussitôt après le baptême. Pour la pratique
latine, on fixa plus tard différents âges ; on fixait volontiers la
septième année (Cat. rom., p. 2, c, 3, q. 18). De même aussi le C. J. C. D’après
lui, l’évêque doit mettre les enfants à même d’être confirmés tous les cinq
ans.
La nature des dispositions du sujet résulte de la situation de la Confirmation
par rapport au baptême, en tant que sacrement des vivants, il exige l’état de
grâce.
Dans
le cas où, comme cela arrive d’ordinaire aujourd’hui, le baptême et la
Confirmation sont séparés l’un de l’autre par un temps assez long, l’état de
grâce, s’il a été perdu, doit être rétabli par le sacrement de Pénitence ou
tout au moins par la contrition parfaite. La préparation éloignée à la Confirmation comporte une instruction sur la
Confirmation. Cet enseignement faisait partie autrefois de l’enseignement donné
aux catéchumènes. Le Catéchisme romain recommande vivement de donner cette
instruction avec zèle (P. 2, c. 3, q. 1). Il est également conseillé d’être à
jeun pour recevoir ce sacrement. Au début, alors que le baptême, la
Confirmation et l’Eucharistie se donnaient simultanément, le jeûne allait de
soi. S. Thomas se montre déjà plus
large et juge qu’il est plus convenable
que ce sacrement « soit administré
et reçu à jeun » (S. th., 3, 72,
12 ad 2). Les parrains de Confirmation
sont déjà signalés dans des Conciles du haut Moyen‑Age, par ex. le Concile de Compiègne, en 757,
etc. (Cf. Gillmann,
Ministre de la Confirmation). Aujourd’hui on est obligé « sub gravi » d’en avoir. Comme pour le baptême, ils
contractent une « parenté spirituelle » avec leurs filleuls, mais non
avec leurs parents. Le parrain de Confirmation met la main sur l’épaule droite
du confirmand pendant l’administration du sacrement ; il est choisi par l’évêque,
par le confirmand ou par ses parents et doit être lui‑même confirmé. Dans les pays de missions, on
peut se passer de parrains jusqu’à ce qu’il y ait quelques personnes de
confirmées qui pourront servir de parrains aux autres. Il est également prescrit
qu’il n’y ait qu’un parrain, du même
sexe que le confirmand et distinct du parrain du baptême et qu’il n’ait qu’un
ou deux filleuls « à moins qu’il en semble autrement au ministre, pour un
juste motif » (C. J. C., can. 794).
Par la Confirmation, le baptisé reçoit le
Saint‑Esprit et ses sept dons, pour l’affermir dans la foi et
dans les combats pour le bien. La Confirmation confère l’Esprit de sainteté et de force.
Il n’y a pas de définition de l’Église
sur les effets de la Confirmation. Mais on peut dire que l’effet qu’on vient de
signaler correspond à la foi générale de l’Église. « Or l’effet de ce
sacrement est qu’en lui le Saint‑Esprit
est donné pour fortifier, comme il
fut donné aux Apôtres au jour de la Pentecôte, à savoir, afin que le chrétien
confesse courageusement le nom du Christ. » (Decret.
pro Arm. : Denz., 697).
Le Concile de Trente prend une
attitude purement négative en repoussant les objections des Réformateurs qui
prétendent que la Confirmation n’est qu’une « cérémonie oisive » (S.
7, de conf., can. 1 sq.). Le Catéchisme
romain déclare : « Outre ce que ce sacrement a de commun avec les
autres, on attribue comme propriété à la Confirmation de compléter la grâce du baptême. Ceux, en effet, qui sont devenus
chrétiens par le baptême, ont encore, comme des enfants nouveau‑nés, une certaine délicatesse et faiblesse ;
mais ensuite, par le sacrement du saint chrême, ils sont fortifiés contre toutes les attaques de la chair, du monde et du
démon et leur esprit est entièrement affermi
dans la foi pour confesser et glorifier le nom de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ.
C’est de là, sans aucun doute, que vient le nom lui‑même (Confirmation). » (P. 2, c. 3, q. 20).
L’Écriture et la Tradition attestent cette doctrine de l’Église abondamment et
nettement. C’est un Esprit de force et de courage que les Apôtres reçurent le
jour de la Pentecôte et cet Esprit fit de ces hommes, auparavant si hésitants,
des défenseurs décidés du Christ et de sa doctrine. C’est le même Esprit que S. Pierre promet, dans
sa première prédication, à tous les fidèles. Cet Esprit était d’autant plus
nécessaire à la jeune Église que les fidèles, en acceptant le baptême, s’exposaient
aux plus grandes difficultés intérieures et extérieures. C’est pourquoi l’imposition
des mains avait lieu, autant que possible, immédiatement après le baptême. Le
Christ avait promis : « Celui qui croit en moi, de son sein, comme
dit l’Écriture, couleront des fleuves d’eau vive. Or il disait cela de l’Esprit
que recevraient ceux qui croiraient en lui ; car l’Esprit n’avait pas
encore été donné, parce que Jésus n’avait pas encore été glorifié. »
(Jean, 7, 38, 39). Dans ce texte, l’Esprit est promis en abondance, en
torrents, et cela expressément pour le temps de la Pentecôte, quand le Christ
sera dans la gloire de son Père et pourra envoyer d’en‑haut son Esprit, comme un don entièrement
nouveau pour ceux qu’il aura rachetés. Or cette abondance de l’Esprit est
toujours, d’après l’Écriture et la Tradition, communiquée par l’imposition
sacramentelle des mains.
Les
Pères désignent comme effet du sacrement de Confirmation le Saint‑Esprit (πνεῦμα
ἅγιον) et caractérisent en
même temps cet effet comme le complément
du baptême. Depuis S. Ambroise, ils
se sont souvent rattachés, dans leurs explications détaillées, à Is., 11, 1-3.
« Souviens‑toi », dit le saint docteur en s’adressant
aux baptisés et aux confirmés, « que tu as reçu le sceau spirituel, l’Esprit
de conseil et de force, l’Esprit de science et de piété, ainsi que l’Esprit de
la sainte crainte » (De myst., 7, 42 ; De sacram., 3, 2, 8). « Par l’onction visible, le corps
est oint ; mais par l’Esprit vivant et vivifiant, l’âme est
sanctifiée » dit S. Cyrille de Jérus. Ensuite il décrit les effets en
particulier : « Et d’abord vous avez été oints au front, afin que
vous soyez délivrés de l’opprobre (du péché) que le premier homme, en tant que
violateur du précepte, a porté partout avec lui, et afin qu’avec un visage
dévoilé, vous contempliez la gloire du Seigneur, pour ainsi dire, comme dans un
miroir. Ensuite vous avez été oints aux oreilles, afin que vous receviez l’ouïe
pour les mystères divins, comme dit Isaïe : Et le Seigneur m’a donné des
oreilles pour entendre, et comme dit le Seigneur Jésus dans l’Évangile :
Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende. Ensuite vous avez été
oints sur le nez, afin qu’après avoir reçu l’onction vous disiez : Nous
sommes une bonne odeur du Christ devant Dieu parmi ceux qui sont sauvés.
Ensuite vous avez été oints sur la poitrine, afin que, munis de la cuirasse de
la justice, vous demeuriez fermes contre les attaques du démon. Car, de même
que le Christ, après son baptême et la descente du Saint- Esprit, s’en alla et
vainquit l’adversaire, vous aussi, après le saint baptême et l’onction
mystique, revêtus de l’armure du Saint‑Esprit, vous
vous opposez à la puissance ennemie et en êtes vainqueurs en disant : je
peux tout en celui qui me fortifie. » (Cat. Myst.,
3, 3, 4). D’après S. Augustin, nous
autres chrétiens nous sommes oints comme le Christ, parce que nous sommes des
combattants. « Le nom de Christ vient de chrisma,
mais le mot grec chrisma veut dire en latin onction.
Il nous a oints parce qu’il nous a faits des combattants contre le démon » (In Joan., 33, 3). Le pseudo‑Ambroise
écrit : « Car après la fontaine (après le baptême),
il reste encore à rendre parfait, quand à l’invocation du prêtre l’Esprit‑Saint est répandu, l’Esprit de sagesse et d’intelligence,
l’Esprit de conseil et de force, l’Esprit de connaissance et de piété, l’Esprit
de la sainte crainte, qui sont comme les sept vertus de l’Esprit. » (De sacram., 3, 2, 8). S.
Cyrille d’Alex. célèbre la Confirmation comme le
sacrement de l’achèvement : Nous avons reçu, comme dans une pluie, l’eau
vivante du saint baptême, comme dans du froment, le pain de vie et comme dans
du vin, le sang. A cela s’est ajouté encore l’emploi de l’huile, par laquelle,
déjà justifiés dans le Christ par le saint baptême, nous avons été conduits à l’achèvement
(In Joel., 32 : M. 72, 452). A ce sujet, il attribue, selon la doctrine de
S. Paul et comme les autres Pères, au baptême seul, la purification des péchés,
la communication du Saint‑Esprit et la
participation à la divine nature (In Luc, 3, 21 : M. 72, 524). Cf. les
preuves de l’existence du sacrement.
Rauschen écrit, au
sujet de l’ouvrage « De rebaptismate » (c.
6), que, d’après ce livre, « la Confirmation est plus élevée que le
baptême » et continue ainsi : « Que le Saint‑Esprit soit conféré par la Confirmation et
non par le baptême, c’était l’opinion générale au 3ème
siècle ». Il se réfère à Tertullien (De bapt.,
6), au Pape S. Corneille (Eusèbe, H.
E., 6, 43, 14,15) et à S. Cyprien (Ep. 74, 7). Rev. D’Innsb., 1917, 98 sq. Sans doute on a
toujours fait ressortir, à propos du baptême, l’effet négatif, purificateur et,
à propos de la Confirmation, l’effet positif, sanctificateur ; mais jamais
d’une manière exclusive, comme le prétendent
Rauschen et d’autres. Presque tous les Pères
signalent, comme effet du baptême, la régénération et la vie nouvelle. S. Irénée (A. h., 3, 17, 2 et Epideix., 42) et S.
Justin (Dial. 29) indiquent expressément comme fruit du baptême le
« Saint‑Esprit ». Tertullien, il est vrai, écrit : « Non pas que nous
recevions dans l’eau le Saint‑Esprit mais
dans l’eau nous sommes purifiés parmi les anges et préparés pour le Saint‑Esprit » (De bapt.,
6) ; mais il juge aussi (ibid., 10), que, si le baptême de Jean avait été
du ciel (comme celui de Jésus), il aurait donné « et l’Esprit‑Saint et la rémission des péchés ». On
rencontre la même manière de voir chez Hippolyte
(can. 19), d’après lequel le Saint‑Esprit, au
moyen de l’ablution par l’eau baptismale bénite, se communique au baptisé (Cf. Tertull., De bapt.,
4). S. Cyprien écrit brièvement et
nettement : « c’est par le baptême que l’on reçoit le saint
Esprit » (Ep. 63, 8), « le baptême ne peut être sans l’Esprit »
(Ep. 74, 5). Il faut donc en rester à l’ancienne conception des théologiens et
dire que, pour le baptême, on insista davantage sur un effet et que pour la
Confirmation on insista davantage sur un autre.
Ceci
permet de résoudre l’objection que
fait encore Harnack à S. Augustin : « Il y a dans le
système d’Augustin une grave déficience que les pélagiens ne manquèrent pas de
signaler, c’est que, pour lui, le baptême efface seulement la faute du péché
originel ; car chez lui l’effacement du péché est au fond quelque chose de
peu important ;en tout cas, ce n’est pas la chose
principale » (H. D., 3, 206) ; il entend, par la chose principale, la
renaissance à la vie nouvelle. Or S. Augustin reproche précisément aux pélagiens,
de n’attribuer au baptême que la rémission des péchés et non la vie nouvelle de
l’esprit. « Vous enseignez que la grâce de Dieu par Jésus‑Christ Notre‑Seigneur est
tellement renfermée dans la seule rémission des péchés, qu’elle ne nous est d’aucun
secours pour éviter le péché et pour triompher de nos désirs charnels, quoiqu’elle
répande dans nos cœurs la charité par le Saint‑Esprit qui
nous a été donné » (C. Jul. Pel.,
6, 72). « Nous disons donc que le Saint‑Esprit
habite dans les enfants baptisés, quoiqu’ils ne le sachent pas » (Ep. 187,
26). Que, malgré cet effet positif attribué au baptême par S. Augustin, il
reste encore place pour la confirmation, c’est ce que nous enseignent les
passages cités p. 304 et 309.
S. Thomas expose, au
sujet des effets de la Confirmation, que, dans ce sacrement, « le Saint‑Esprit est donné pour conférer la force
spirituelle. Mais cette mission ou cette collation du Saint‑Esprit ne peut se faire sans la grâce
sanctifiante ; par conséquent, il est manifeste que, dans la Confirmation
aussi, la grâce sanctifiante est accordée... Le premier effet de la grâce
sanctifiante est la rémission des péchés. Mais elle est aussi donnée pour
rendre ferme et fort et pour faire grandir dans la justice. Et c’est ainsi qu’elle
découle de la Confirmation. Mais, comme le sacrement n’est conféré qu’à des
chrétiens déjà justifiés, elle ne peut effacer les péchés que dans le cas où l’adulte
qui s’en approche sans fiction, ne connaît pas les péchés qui sont dans sa
conscience ou bien n’en a pas une contrition suffisante ». C’est
précisément par la grâce sacramentelle,
qui est surtout adaptée et mesurée pour le combat contre des ennemis extérieurs, que la Confirmation se
distingue du baptême. Le baptême confère sans doute, lui aussi, la grâce
sanctifiante, mais c’est pour constituer l’être saint ; dans la
Confirmation, c’est en vue du saint combat ; dans l’Eucharistie, c’est
pour réaliser l’union sainte avec Dieu. Ainsi se distinguent, se complètent et
s’achèvent les trois premiers sacrements (S. th., 3, 72, 7 ; cf. 72,
1 ; 65, 1).
C’est
un dogme défini que la Confirmation imprime un caractère ineffaçable. (Trid., s. 7, de sacram. in gen.,
can. 9 ; cf, plus haut, § 159)
Le
caractère de la Confirmation disparaît un peu, à l’âge patristique et
scolastique, derrière le caractère du baptême et celui de l’Ordre. Mais, à
partir d’Alexandre et surtout de S. Thomas, il ressort avec la même netteté et
est examiné théologiquement. S. Thomas l’explique, selon sa théorie cultuelle
et liturgique du caractère, comme une investiture et une charge en vue de la
profession publique et de la défense de la foi (S. th., 3, 72, 5 et 6).
La
Confirmation, en tant que sacrement de l’achèvement de la vie spirituelle, n’est
pas absolument nécessaire au salut, mais cette vie peut, même sans elle,
subsister en raison du baptême.
Dès
que, dans l’ancienne Église, la Confirmation fut séparée du baptême, il dut se
trouver des cas où des baptisés moururent avant d’avoir reçu la Confirmation.
Nous lisons que de tels cas se produisirent assez souvent ; on les
regrettait, mais on n’en concluait pas que les fidèles qui mouraient sans la
Confirmation étaient, à cause de cela,
privés du salut éternel (De rebapt., 4 : M. 3,
1188). Le Concile d’Elvire (306 ?) dit que ceux qui meurent sans la bénédiction
de l’évêque, immédiatement après avoir reçu le baptême des mains d’un diacre,
peuvent être sauvés en vertu de la foi
professée dans le baptême (Can. 77). Mais il y a aussi un certain nombre d’autres
conciles qui insistent d’une manière pressante pour que la Confirmation soit
reçue. Le Concile de Trente ordonne
au sujet des clercs : « On ne doit pas admettre à la première tonsure
ceux qui n’ont pas encore reçu le sacrement de Confirmation. » (S. 23, De ref., c. 4).
Mais
personne n’admettra une nécessité de salut absolue (necessitas
medii) ;
ce serait porter atteinte à la valeur du baptême, lequel nous purifie
véritablement et nous rend enfants de Dieu. Il n’en résulte assurément pas que
le sacrement de Confirmation n’ait absolument aucune nécessité ; car alors
Dieu aurait établi dans son Église quelque chose de complètement superflu, ce
qui ne correspondrait sûrement pas à sa sagesse. S. Thomas écrit : « De quelque manière, tous les
sacrements sont nécessaires au salut. Mais il y a des sacrements sans lesquels
le salut ne peut pas exister et d’autres qui coopèrent à l’achèvement du salut.
C’est donc ainsi que le sacrement de Confirmation est nécessaire au salut, bien
qu’on puisse obtenir le salut sans ce sacrement ; mais on ne sera pas
sauvé si on omet, par mépris, de recevoir la Confirmation » (S. th., 3,
72, 1 ad 3). Cf. C. J. C., can. 787.
S. Thomas déclare
aussi que la Confirmation n’est pas nécessaire en vertu d’un précepte (necessitas
prœcepti) et déclare qu’on ne peut établir, à ce
sujet, ni un précepte divin ni un précepte ecclésiastique. Il est suivi par la
majorité des théologiens ; une minorité, par contre, voudrait faire
dériver un précepte divin du fait de l’institution. Le nouveau droit canon a mitigé l’ancienne conception, d’après
laquelle il y avait obligation grave de recevoir la Confirmation. En tout cas,
la négligence à recevoir ce sacrement atteste une indifférence inquiétante pour
le salut. S. Thomas recommande même
aux malades de recevoir la Confirmation, sinon en vue des combats extérieurs
pour la foi, du moins pour augmenter la grâce et, par conséquent, la gloire
dans l’autre monde (S. th., 3, 72, 8 ad 4 ; cf. Cat. rom., p. 2, c. 3; q. 16).
Il
est vrai qu’il y a déjà une sorte de supplément de la Confirmation dans le
baptême, surtout quand ensuite s’y ajoute le désir de la Confirmation.
« La force divine n’est pas liée uniquement aux sacrements. C’est pourquoi
l’homme peut obtenir la force spirituelle pour confesser publiquement la foi du
Christ sans sacrement, de même qu’il peut obtenir la rémission des péchés sans
recevoir le baptême. Cependant, de même que personne ne peut recevoir la grâce
du baptême sans le désir du baptême, personne ne peut recevoir l’effet de la
Confirmation sans la désirer ; mais on peut avoir ce désir même avant de
recevoir le baptême (S. th., 3, 72, 6). Il faudrait inviter les baptisés
souvent, surtout au temps de la Pentecôte, à désirer la descente du Saint‑Esprit, s’ils ne sont pas encore confirmés
et, s’ils sont confirmés, à unir fermement ce désir à la rénovation de leurs
promesses du baptême. Quand on songe à la grande importance que le Christ,
particulièrement dans les discours d’adieu rapportés par S. Jean, attribue au
« Paraclet » qui doit venir après lui, on est convaincu qu’on ne
saurait trop favoriser l’invocation et le culte du Saint‑Esprit, que ce soit à propos du baptême ou à
propos de la Confirmation ; c’est le même Esprit.
A
consulter : S. Thomas, S. th.,
3, 73-83. S. Bellarmin, De sacram. Eucharistiæ. De Lugo, De sacram.
Eucharistiæ (Migne,
Cur. compl., 23, 9 sq.). Tournely, De aug. Eucharistiæ sacramento. Rosset,
De Eucharistiæ mysterio
(1876). Franzelin,
De ss. Eucharistiæ sacramento et sacrificio (4ème
éd., 1887). Jourdain, La sainte
Eucharistie, 2 vol. (1897). Lahousse, De ss. Eucharistiæ mysterio (1899). Gasparri, Tractatus canonicus
de ss. Eucharistia (1897). Batiffol, L’Eucharistie,
la présence réelle et la transsubstantiation (5ème edit., 1913). M. Lepin, L’idée du sacrifice de la messe d’après les
théologiens, depuis l’origine jusqu’à nos jours (1926). D’ Alès, La doctrine euchar. de S. Irénée (Recherches
de science rel., 1923, n. 1). Cagin, L’Eucharistie. Canon primitif de la messe (1912). Dict. théol., v. Eucharistie, 5,
989-1452 (hist. et spécul.). Hugon, La sainte Eucharistie. Werner
Goosens, Les origines de l’Eucharistie, sacrement
et sacrifice (1931). Rongy,
L’abus des Corinthiens dans la célébration de l’Eucharistie (Revue eccl., 1929, 272-293, 421-434).
Notion. L’Eucharistie est le sacrement du vrai corps et du vrai sang de Jésus‑Christ
sous les apparences du pain et du vin pour la nourriture des fidèles et comme sacrifice de l’Église.
Le sens de cette définition ne se
précisera que par la suite. Mais on voit déjà apparaître la différence entre l’Eucharistie
et les autres sacrements. Cette différence consiste surtout en ce que, dans l’Eucharistie,
n’est pas seulement contenue la grâce
divine, mais encore l’auteur de la
grâce lui‑même. Ensuite l’Eucharistie n’est pas seulement un sacrement de nourriture spirituelle pour
les fidèles, mais encore un sacrifice
de l’Église pour Dieu. Par l’acte cultuel du sacrifice, le sacrement est préparé et ensuite administré aux fidèles. La confection et l’administration ne
coïncident pas comme dans les autres sacrements mais sont séparés, et le
sacrement préparé subsiste objectivement en soi, bien que, pour atteindre son
but, il doive être reçu.
Désignation. En raison de son importance dogmatique et
culturelle, comme de l’abondance des grâces mystiques et morales qu’il
contient, ce sacrement a une quantité de noms devenus usuels.
Le
nom le plus courant est Eucharistie (εὐχαριστία,
εὐχαριστεῖν,
remercier, bénir). L’Écriture emploie encore εὐλογεῖν,
louer (Cf. Luc, 22, 17, 19 ; 1 Cor., 11, 24 ; Math., 26, 26
sq. ; Marc, 14, 22 sq.). Plus tard, cette dernière expression reçut un
sens particulier : on désigna sous le nom d’eulogie (εὐλογία)
le pain simplement bénit qu’on donnait en place de l’Eucharistie (ἀντἱδώρον) à
ceux qui ne se jugeaient pas dignes de communier. L’eulogie est encore en usage
aujourd’hui dans l’Église grecque et dans des parties de l’Église romaine. A l’âge
patristique, les Églises épiscopales s’envoyaient des eulogies en signe de
communion des Églises. Le mot fraction du
pain (ϰλάσις τοῦ ἄρτου,
fractio panis, etc.) apparaît surtout à l’âge apostolique
pour désigner l’Eucharistie. (Act. Ap., 2, 42, 46 ; 20, 7 ; 27, 35. Cf. 1 Cor., 10,
16 ; Didachè, 9, 34, à côté d’εὐχαριστία,
9, 15). La Cène du Seigneur (κυριακὸν
δεῖπνον, cœna dominica), tel est le nom
que S. Paul (1 Cor., 11, 20) donne au sacrement.
D’après
la matière, on nomme l’Eucharistie le
sacrement du pain ou du pain et du vin, en ajoutant des attributs particuliers
pour marquer le caractère surnaturel de ce pain (d’ἄρτος,
panis (Jean, 6, 52), et de panis de cœlo, ἄρτος ἐϰ
τοῦ οὐρανοῦ
(Jean, 6, 31, 32) on tira « p. cœlestis, p. mysticus, p. dominicus, p. supersubstantialis » (cf. Math., 6, 11), « p. angelorum, p. Christi »).
D’après
son contenu très saint, le sacrement
est nommé : corps du Seigneur, mystère du corps et du sang du Christ (corpus
Christi, corpus Domini, sacrementum
corporis et sanguinis Christi, mysterium sanctum, augustissimum, tremendum, etc). D’après son effet, on l’appelle de préférence
communion (ϰοινωνία,
communio, pax, caritas,
sacramentum gratiæ, viaticum,
ἐφόδιον). D’après
le lieu et le temps, l’institution et
la célébration, on l’appelle la table
du Seigneur (τρἁπεζα
ϰυρίου, 1 Cor., 10,
21), le sacrement de l’autel, la Cène, la Cène de la nuit (1 Cor., 11,
23 : ἐν τῇ
νυκτὶ ἔλαβεν
ἄρτον).
Le
caractère sacrifical
de l’Eucharistie est désigné par les mots : messe, sacrifice de la messe
(missa, sacrificium missæ,
collecta, σύναξις,
προσφορἁ, θυσία). La piété chrétienne a trouvé en outre, au cours des siècles, une foule
de désignations pieuses pour désigner le plus grand des sacrements (Saint
Sacrement, Très Saint Sacrement, summum sacrum, sacrum convivium, venerabile sacramentum, etc.). Il faut sans cesse expliquer
toutes ces expressions, les maintenir vivantes dans l’enseignement du peuple
chrétien.
Importance. Le Christ fait déjà, de la foi à l’Eucharistie,
le critérium qui permet de reconnaître ses vrais disciples (Jean, 6, 52-69). C’est
par la célébration de l’Eucharistie que la jeune Église se distingue tout de
suite, même extérieurement, du judaïsme, avec lequel sans doute on prie encore
en commun (Act. Ap., 3, 1),
mais avec lequel on se sacrifie pas. Au contraire, les
chrétiens accomplissent seuls, dans l’Eucharistie, le culte proprement dit de
la Nouvelle Alliance (Act. Ap.,
2, 46).
Les
Pères s’occupent de l’Eucharistie
dans de nombreux exposés théoriques et pratiques. La Didachè donne déjà une direction
pour sa célébration : Elle doit avoir lieu le dimanche, ne doivent y
prendre part que des chrétiens qui ont été purifiés par le baptême ou qui, s’ils
se sont souillés plus tard par de nouveaux péchés, ont recouvré par la
pénitence leur pureté première. Le Seigneur a dit : Ne donnez pas les
choses saintes aux chiens. De même que dans la Didachè, on voit dans les écrits
de S. Ignace, de S. Justin, de S. Irénée, de Clément, d’Origène, d’Hippolyte,
de Tertullien, de S. Cyprien, etc., que l’Eucharistie a toujours été le centre
de la foi et de la vie chrétiennes. Elle devait surpasser par son éclat le baptême
pourtant si estimé, quand ce ne serait que pour cette raison que le baptême n’était
reçu qu’une fois dans la vie alors qu’elle
était renouvelée continuellement et était vraiment le pain quotidien des chrétiens. En outre, le baptême n’était, par rapport
à l’Eucharistie, que comme la préparation par rapport à l’achèvement ; car
la fin et le point suprême de la fête d’initiation pour les jeunes chrétiens
était la réception du corps du Seigneur, la participation aux « mystères
redoutables ». De là l’importance particulière qu’on donnait à l’Eucharistie
dans l’enseignement des catéchumènes.
Elle était le dernier mystère révélé. On ne trouve, sans doute, que plus tard
quelques monographies consacrées à ce
mystère (Paschase Radbert ; cependant cf. S. Cyprien, Ep. 63) ; mais les
Pères traitent ce sujet avec enthousiasme dans les catéchèses (S. Cyrille de Jérus., S. Ambroise, S. Augustin), ou bien en parlent
occasionnellement dans leurs commentaires sur l’évangile de S. Jean (Origène,
S. Jean Chrysostome, S. Cyrille d’Alex., S. Augustin) ou à propos d’autres
circonstances. Ils le font seulement pour des raisons pratiques et didactiques
et non pour des raisons apologétiques,
car il n’y eut pas d’hérésie proprement dite sur l’Eucharistie avant le Moyen‑Age (Béranger). S. Jean Chrysostome est appelé le docteur de l’Eucharistie (doctor Eucharistiæ), comme
Augustin est celui de la grâce, parce qu’il en parle fréquemment dans ses
nombreuses homélies et ses autres écrits (De sacerdotio),
dans lesquels il fait ressortir avec force la présence réelle et les grands
effets de ce sacrement. Il passe aussi pour l’auteur d’une liturgie qui porte
son nom.
Les
anciennes liturgies chrétiennes
doivent nous dédommager du défaut de monographies patristiques sur l’Eucharistie.
Ce sont les formulaires ecclésiastiques pour la célébration de l’Eucharistie ;
ils se composent essentiellement d’une lecture de l’Écriture avec prédication,
d’une intercession générale de la préface eucharistique avec l’action de grâces
pour les dons de la création et de la Rédemption et d’une nouvelle prière d’intercession
générale. Bien que ces formulaires liturgiques, dans la forme que nous
possédons, ne datent que d’une réforme qui s’accomplit du 4ème au 7ème
siècle, ils remontent cependant, dans leurs parties fondamentales, jusqu’aux
temps apostoliques ; tout au moins on peut établir déjà cette forme
fondamentale chez S. Justin (Apol., 1, 65, 67) et la Didachè montre qu’on était
habitué à célébrer l’Eucharistie d’après des règles et des textes fixes. La
« Bibliothèque des Pères grecs » contient les liturgies de S. Jacques,
de S. Marc, de S. Basile et de S. Jean Chrysostome. (Cf. aussi Rauschen, Florilegium patristicum, 7 :
Monumenta eucharistica et liturgica
vetustissima, 1909). On trouvera les détails dans les
ouvrages de liturgie.
Le
culte du Saint Sacrement peut déjà se
constater à l’époque patristique. Tertullien, S. Cyrille et S. Augustin parlent
du respect qu’on doit avoir dans le maniement des saintes Espèces. Mais ce
respect s’est beaucoup augmenté au cours
des siècles. L’occasion du progrès fut la polémique
de Béranger et, plus tard, la Réforme, mais aussi la foi intérieure de l’Église.
En France, après la controverse de Béranger, on introduisit l’élévation et l’adoration
du Saint Sacrement et cet usage devint bientôt général. Batiffol ne le fait pas dériver
de Béranger, mais d’une « lis domestica »
qui eut lieu en France vers la fin du 12ème siècle (Revue du clergé, 1908, 523). Urbain V établit, sur l’initiative de Ste
Julienne de Liège, la fête du Saint Sacrement. A cette fête s’ajouta bientôt l’usage
de l’exposition de la sainte Hostie et celui des processions théophoriques. A l’époque contemporaine, on a vu naître
toute une série de formes nouvelles de culte, comme la coutume de l’adoration
perpétuelle des Quarante‑Heures, des
Ordres religieux d’adoration, des confréries du Saint Sacrement, le
« mouvement eucharistique » des « Congrès eucharistiques
internationaux » avec leurs manifestations grandioses, à la fois pratiques
et scientifiques. Il ne faut pas oublier les efforts de Pie X pour promouvoir
la réception fréquente de ce sacrement (Cf. Décrets du 20 décembre 1905 et du 8
août 1910 : Denz., 1981 sq. et 2137 sq.).
Division
de la matière. Toute la matière de
la doctrine eucharistique peut se ramener à trois points : on examine d’abord
la présence réelle du Seigneur, puis
l’Eucharistie comme sacrement et
enfin comme sacrifice.
A
consulter : Heurtevent, Durand
de Troarn et l’hérésie bérangarienne (1912). Dict. Théol., 2, 722-742. Béranger de
Tours.
Ce qui arrive si souvent dans la doctrine
de foi se produit aussi dans le dogme eucharistique : il est passé par trois phases d’évolution. La première
phase est caractérisée par la possession
tranquille et incontestée ; la seconde, par
une polémique ou une négation plus ou moins
violente ; la troisième par la paix
péniblement acquise, après l’élimination de l’erreur, par la définition
dogmatique.
L’époque
patristique ne laisse apparaître
nulle part une attaque directe de l’Eucharistie. Et pourtant les docètes, les gnostiques et les manichéens
auraient dû, en vertu de leurs principes, en venir à repousser ce sacrement. S. Irénée montre aux gnostiques que c’est
une contradiction de leur part de considérer la matière comme pernicieuse et cependant
de célébrer l’Eucharistie : « Ou bien ils doivent changer leur
doctrine ou bien ils doivent renoncer à l’offrande des choses nommées ».
Par contre, « l’Eucharistie confirme notre doctrine » (catholique)
(A. h., 4, 18, 5). Nestorius lui‑même admettait la réalité de l’Eucharistie.
Mais, avec les Antiochiens, il niait la transsubstantiation et enseignait l’impanation ou la simple coexistence du pain, en conformité
parfaite avec sa christologie, selon laquelle la divinité et l’humanité
existent côte à côte (Cf. Jugie, Nestorius et la controverse nestorienne [1912],
252-270).
Il
y eut une controverse concernant la
doctrine traditionnelle de l’Eucharistie, à l’intérieur de l’Église, pendant l’époque
carolingienne. Elle fut déchaînée par un ouvrage de Paschase Radbert (de Corbie, en France) dédié à Charles le Chauve. L’ouvrage
traitait du corps du Seigneur (De corpore et sanguine
Domini). Il composa cet ouvrage parce que Warinus Placidus, le premier abbé de Neu‑Corvey,
abbaye fondée en 822 sur la Weser, lui avait demandé une base pour instruire
les Saxons. Le livre représentait, pour cette époque, une œuvre
remarquable ; mais il fit scandale, parce qu’il insistait sur l’identité
parfaite du corps né de Marie et du corps sacramentel. Les deux corps sont identiques,
mais il est manifeste qu’ils ne le sont que selon la substance et non selon les
accidents. La distinction entre accidents et substance n’était pas encore très
courante ; cette distinction ne s’accusa qu’à la suite de la controverse bérangarienne et ne fut formellement établie que par l’archevêque
Guimond d’Aversa, vers 1073, dans son
ouvrage dirigé contre Béranger : « De corporis et sanguinis Christi veritate in Eucharistia ». Paschase trouva des adversaires dans Raban Maur, archevêque de Mayence ; dans Haymo, évêque de
Halberstadt ; dans le théologien de cour de Charles le Chauve, Scot Erigène, à Paris, et dans le moine Ratramne, de Neu‑Corvey.
Il est à remarquer que, dans ce conflit, Paschase
pouvait se réclamer pour son langage réaliste de S. Ambroise (De myst., 9, 53) et que ses
adversaires pouvaient appuyer leur langage plus spiritualiste de l’autorité de S. Augustin.
Cette polémique entra dans un stade
dangereux par le fait de Béranger de
Tours (+ 1088). Comme chef de l’école de Tours, il était l’adversaire de
Lanfranc du Bec. Or ce dernier, dans la doctrine eucharistique, était un
partisan de Paschase. Béranger combattit cette
tendance et, dans la polémique, alla jusqu’à une conception symbolique du corps du Seigneur. Il dut
répondre de ses erreurs devant les conciles de Rome (1050), de Paris et de
Tours ; il dut ensuite, à Rome, sous Nicolas
II (1059), admettre par serment une formule rigoureusement réaliste rédigée
par le cardinal Humbert ; plus tard, sous Grégoire VII, (1079) il dut
faire une nouvelle profession de foi, d’une rédaction plus mitigée : Le
pain et le vin sont changés en chair et sang du Seigneur (substantialiter
converti) (Denz., 355).
Durant
ces controverses eucharistiques, il fut écrit une quantité de livres sur le
corps et le sang du Seigneur, dans lesquels on traita des relations entre le
corps historique, le corps céleste et le corps sacramentel du Christ et où,
pour la première fois, on examina théoriquement la doctrine de la transsubstantiation.
Certains auteurs croyaient pouvoir admettre que les apparences ou espèces (species) faisaient partie de la corporalité si bien que le
Seigneur serait saisissable et qu’il pouvait être reçu et touché par les sens
des fidèles. Cependant cette conception capharnaïte n’eut
pas de partisans qui puissent compter. La doctrine catholique ne tarda pas à
trouver, au 4ème Concile de Latran, sa formule brève et officielle
dans le mot « transsubstantiation » créé par Hildebert
de Lavardin (Denz., 430). Qu’il y ait eu aussi, au
Moyen‑Age, des sectes spirituelles opposées
à la messe et au sacerdoce, comme aux sacrements en général, on l’a déjà
signalé.
Les Réformateurs
conservèrent sans doute la Cène, mais ils en vinrent à des conceptions
entièrement différentes sur la présence réelle. Zwingle et ses partisans, parmi
lesquels il faut compter aussi Carlostadt, Butzer et Œcolampade,
admettaient le symbolisme pur :
le pain et le vin « signifient » le corps et le sang du Seigneur, ne
sont que des « signes » de son corps et de son sang. D’après Carlostadt, le Seigneur se montrait lui‑même quand il dit : Ceci est mon corps. La Cène
est une pure commémoration de la mort du Seigneur. Luther se plaçait au point de vue opposé ; il admettait la
présence réelle tout en rejetant la transsubstantiation et en admettant une
impanation, dont il avait déjà été question au temps de Béranger, d’après
laquelle le corps du Seigneur serait présent dans et avec le pain. Calvin soutenait une opinion
moyenne ; d’après lui, au moment où le fidèle communie, il reçoit du
Christ céleste et glorifié, une vertu
fortifiante qui lui communique d’en haut le Saint‑Esprit.
Il admet donc une présence dynamique.
Mélanchton,
lui aussi, penchait vers cette conception. Il y avait donc, au sujet de la
présence réelle, un abîme entre la conception des luthériens et celle des
réformés ; plus tard, Frédéric‑Guillaume
III essaya de le combler en fondant l’« union
prussienne ». Aujourd’hui, c’est à peine si on trouve encore trace des
anciennes différences si accentuées jadis. - La réaction catholique contre l’hérésie
protestante eut lieu au Concile de Trente.
La
Confession d’Augsbourg est encore
assez proche de la doctrine catholique sur l’Eucharistie : « Au sujet
de la Cène du Seigneur, on enseigne que le vrai corps et le vrai sang du Christ
sont vraiment présents sous les espèces du pain et du vin à la Cène (texte
latin : « Quod corpus et sanguis Christi vere adsint » - il manque
ici la formule primitive : « Sub specie panis et vini » et y
est distribué et reçu. C’est pourquoi aussi la doctrine contraire est
réprouvée » (Art. 10). C’est ce que répète l’Apologie (Mélanchton), qui se réfère pour
cela à l’Église romaine et à l’Église grecque, notamment à S. Cyrille d’Alex.,
tout en déclarant qu’elle n’apporte ces témoignages que pour montrer que la
doctrine protestante de la Cène est conforme
à celle de toute l’Église (nos defendre receptam in tota Ecclesia sententiam ; Muller,
164). Les articles de Smalkade ajoutent que le corps
et le sang du Christ « ne sont pas seulement présentés et reçus par des
chrétiens pieux, mais encore par des mauvais chrétiens » (Art. 6 ; Muller, 320). Mais alors que l’Apologie mentionne encore avec sympathie
la transsubstantiation dans le texte latin, Luther, dans le grand catéchisme,
expose la doctrine de l’impanation. « Le sacrement de l’autel est le vrai
corps et le vrai sang du seigneur Christ, dans
et sous le pain et le vin (texte
latin : « In et sub pane et vino ») et nous autres chrétiens nous avons reçu l’ordre
par la parole du Christ de manger et de boire ce corps et ce sang ».
Pour
appuyer sa théorie de l’impanation, Luther imagina la doctrine absolument
insoutenable de l’omniprésence
(ubiquité) de l’humanité du Christ et spécialement de son corps.
Le
rejet de la transsubstantiation et l’affirmation de l’impanation, la limitation
de la présence réelle à l’usage (usus, actio) et l’ubiquité du corps du Christ,
telles étaient donc les trois erreurs principales de la doctrine protestante
orthodoxe concernant l’Eucharistie ; Calvin et Zwingle
enseignèrent, après Luther, une doctrine hétérodoxe en s’en tenant à de purs symboles.
D’après
les conceptions libérales modernes
des protestants, il faut abandonner totalement le caractère historique de la
Cène dans le sens de la Tradition. Le Christ aurait sans doute célébré la Cène,
mais n’aurait pas ordonné son renouvellement, lequel n’aurait été ordonné que par
S. Paul (1 Cor., 11, 25) pour en faire une commémoration de la mort du Seigneur ;
ou bien le Christ n’aurait pas fait de la Cène un repas pascal, mais le symbole
d’un repas qui devait se célébrer dans le royaume de Dieu dont la venue était
imminente (Math., 26, 29) ; de ce symbole, Paul aurait fait le symbole de
la mort sur la Croix ; ou bien le corps du Seigneur serait l’Église (1
Cor., 10, 17) et l’Eucharistie le symbole de la communauté
ecclésiastique ; ou bien l’Eucharistie serait simplement un repas
fraternel des chrétiens primitifs, analogue aux agapes ; ou bien, d’après
une conception plus radicale encore, ce serait un emprunt postérieur au culte
de Mithra, par lequel on aurait voulu obvier à la pauvreté primitive du culte.
On le voit, ce sont toujours les mêmes protestants qui, comme s’en plaignait
déjà Luther, « comprennent de dix façons les paroles du Seigneur et pas un
seul n’a la même interprétation que l’autre » ( Ed.
Clemen III, 356). Le modernisme, lui aussi, a des conceptions
très embrouillées au sujet de l’Eucharistie : « On ne doit pas
prendre au sens historique tout ce que Paul raconte (1 Cor., 11, 23-25) de l’institution
de l’Eucharistie » (Syll. de
Pie X, prop. 45 ; Denz.,
2045).
A
consulter : Werner Goossens, Les
origines de l’Eucharistie, sacrement et sacrifice (1931). Dict. théol. v. Eucharistie, 5, 1121 sq. D’Alès, Eucharistie : Biblioth. cath., 1931.
THÈSE. Le Christ est vraiment,
réellement et substantiellement présent dans l’Eucharistie avec sa chair et son
sang, avec son corps et son âme, avec son humanité et sa divinité. De foi.
Explication. Le premier canon du Concile de Trente au sujet de l’Eucharistie s’exprime ainsi : « Si
quelqu’un nie que le Corps et le Sang de Notre‑Seigneur
Jésus‑Christ, avec son âme, et la Divinité, et par
conséquent Jésus‑Christ tout entier, soit contenu véritablement,
réellement, et substantiellement au Sacrement de la Très Sainte
Eucharistie ; mais dit qu’il y est seulement comme dans un signe, ou bien
en figure, ou en vertu : Qu’il soit anathème » (S. 13, can, 1 : Denz., 883).
Deux
points sont ici définis : 1° La présence
réelle ; 2° L’intégrité de cette présence (corps, âme, divinité). On n’entendait
pas par les mots « signe », « figure »,
« vertu », désigner chaque fois
une hérésie, mais par ces trois expressions, on voulait condamner l’ensemble de
l’hérésie. De même, les trois termes « véritablement »,
« réellement », « substantiellement », se complètent et se
renforcent et ne condamnent pas chacun une hérésie, bien qu’ils fassent pendant
aux trois termes « signe », « figure », « vertu »
(Dict. théol., 5, 1344). Plusieurs Pères désiraient, au reste, qu’on ajoutât
encore « sacramentaliter ». Mais ce mot se
trouve dans le premier chapitre de la session ; le Concile y enseigne (docet) deux choses : 1° Le mode de présence (il nous
est présent en sa substance sacramentellement :
mais ce n’est pas selon la manière naturelle
d’exister) ; 2° La preuve d’Écriture.
Preuve. Comme dans tous les grands mystères, on doit
distinguer dans l’Eucharistie une promesse
préparatoire et l’institution
effective. La promesse se trouve dans
Jean, 6, 52 sq. Elle a comme introduction et comme conclusion un récit
historique. Le premier récit raconte la multiplication miraculeuse des pains,
par laquelle Jésus nourrit cinq mille hommes. Le dernier récit rapporte comment
plusieurs disciples se scandalisèrent d’un discours doctrinal de Jésus. Ce
discours doctrinal se divise en deux sections nettement distinctes. La première
section traite de la foi (6, 27-52 a). Le Christ demande, comme l’a fait si
souvent Jean, qu’on se détourne des biens terrestres et périssables (pain
terrestre) pour se tourner vers les biens éternels (pain céleste) qu’il doit apporter
au monde : vérité et grâce. Il est lui‑même
la somme de ces biens. « Je suis le pain de vie ». On doit le manger,
c.‑à‑d.
croire en lui. Il passe ensuite, à
partir de 6, 52 b, d’une manière très nette à un mystère de foi tout à fait
spécial, à un pain qu’il ne donnera que dans l’avenir. « Et le pain que je vous donnerai (ὃν
ἐγὼ δώσω)
est ma chair pour la vie du monde ».
L’interprétation
catholique universelle entend ces paroles comme la promesse de l’Eucharistie.
Elle peut s’appuyer sur les raisons
exégétiques suivantes : 1° Le Christ, en face de l’incrédulité des Juifs, répète, sous la forme négative et sous
la forme positive, qu’il faut manger sa chair ; 2° Il renforce encore la notion de chair par la notion parallèle de
sang ; 3° Il insiste sur la
réalité et la vérité de la nourriture et du breuvage ; 4° Il attribue au
fait de manger et de boire un effet réel
tout à fait particulier ; 4° Le scandale des Juifs résulte de la
conception littérale de ses
paroles ; il lui aurait été facile, s’il avait voulu être entendu au sens figuré, de supprimer ce scandale. Or il
ne le fit pas, malgré son habitude d’expliquer les malentendus comme avec
Nicodème (Jean, 3, 4-6), avec la Samaritaine (Jean, 4, 11-16), avec les Juifs
(Jean, 8, 56-58), avec ses disciples (Jean, 11, 11-14) ; 6° Le Christ
aurait eu le devoir de supprimer un scandale inutile ; étant donné qu’il ne l’a pas fait, c’est qu’il
était, de son côté, innocent de ce scandale ; 7° Le pain de vérité et de doctrine, dont il vient de parler aux Juifs, leur était présenté auparavant par le « Père » dans
le Fils ; le pain promis pour l’avenir
sera donné par le Christ aux siens ; c’est « ma chair »,
« mon sang » ; 8° Manger la chair et boire le sang d’un homme
signifiait d’une manière imagée dans la langue juive, poursuivre quelqu’un
jusqu’à la mort (Ps. 26, 2 ; 13, 4. Job., 19, 22 ; cf. Is., 49,
26 ; Apoc., 16, 6) ; cette manière de parler n’aurait donc pas du
tout convenu pour figurer la foi au Christ.
On
ne peut pas objecter contre ces
raisons la parole du Seigneur : « C’est l’Esprit qui vivifie, la chair
ne sert à rien » (6, 64), car par là il ne donne pas un sens symbolique à
ses paroles, mais écarte seulement la conception grossière du manger charnel.
Il remontera là où il était auparavant et recevra un mode d’être spirituel dans
lequel il pourra être mangé. La chair pour la chair, entendue et mangée au sens
matériel, ne sert de rien ; elle doit être entendue dans la foi, comme un
moyen spirituel de grâce, comme la chair du Seigneur élevé et glorifié, cf. Bartmann, Indications pour la lecture de S. Jean, Th. Gel,
1907, 89-97.
Cette
interprétation de la péricope johannique n’est sans doute pas dogmatisée ;
elle n’est pas non plus admise par tous les Pères, bien qu’elle le soit par la plupart ; mais on ne peut guère la repousser et le
Concile de Trente en tient compte (S. 21, c. 1, 2 et 13). L’exégèse de la
théologie libérale se rencontre encore ici avec celle des catholiques. Holtzmann donne
un bon aperçu de l’état de l’exégèse quand il écrit : « Bien que l’application
directe du passage (Jean, 6, 51-58) à
la Cène du Seigneur ait été, jusqu’ici, surtout le fait des catholiques ou bien
encore des néo‑luthériens d’une part, et de l’école
critique d’autre part, un rapport plus large
avec cette Cène est de plus en plus admis et l’on reconnaît presque généralement
qu’on ne peut pas éviter de penser au legs de Jésus » (Théol. du N. T., 2,
499 sq.).
Au sujet de l’institution, il y a dans l’Écriture quatre récits qui peuvent se
ramener à deux groupes. On parle d’un récit paulinien
et d’un récit pétrinien. S. Paul (1
Cor., 11, 23-25) et S. Luc (22, 19-20) racontent la Cène sous une forme un peu
différente, mais qui est substantiellement concordante ; il en est de même
du récit de S. Mathieu (26, 26-28) et de celui de S. Marc, le disciple de S.
Pierre (14, 22-24).
Math., 26, 26 sq. : « 26Or,
pendant qu’ils dînaient, Jésus prit du pain, le bénit, le rompit, et le donna
à ses disciples, en disant : Prenez et mangez ; ceci est mon corps.
27Et, prenant le calice, il rendit grâces, et le leur donna, en
disant : Buvez-en tous ; 28car ceci est mon sang, le
sang de la nouvelle alliance, qui sera répandu pour beaucoup, pour la
rémission des péchés. » |
Luc,
22, 19 sq. : « 19Puis, ayant pris du pain, il rendit
grâces, le rompit, et le leur donna, en disant : Ceci est mon corps, qui
est donné pour vous ; faites ceci en mémoire de moi. 20Il
prit de même le calice, après qu’il
eut soupé, en disant :Ce calice est la nouvelle
alliance en mon sang, qui sera répandu pour vous. » |
Marc,
14, 22 sq. : « 22Pendant qu’ils mangeaient, Jésus prit
du pain, et l’ayant béni, il le rompit et le leur donna, en disant :
Prenez, ceci est mon corps. 23Et ayant pris le calice et rendu
grâces, il le leur donna, et ils en burent tous. 24Et il leur
dit : Ceci est mon sang, le sang de la nouvelle alliance, qui sera
répandu pour un grand nombre. » |
1
Cor., 11, 23 sq. : « La nuit où il était livré, le Seigneur Jésus
prit du pain, puis, ayant rendu grâce, il le rompit, et dit :
« Ceci est mon corps, qui est pour vous. Faites cela en mémoire de
moi. » Après le repas, il fit
de même avec la coupe, en disant : « Cette coupe est la nouvelle
Alliance en mon sang. Chaque fois que vous en boirez, faites cela en mémoire
de moi. » |
Ajoutons l’essentiel des paroles de l’institution
en grec :
Math., 26, 26 :
τοῦτό ἐστιν
τὸ σῶμά
μου.
26, 28 :
τοῦτο γάρ
ἐστιν τὸ
αἷμά μου, τῆς
καινῆς διαθήκης, τὸ περὶ
πολλῶν ἐκχυνόμενον εἰς
ἄφεσιν ἁμαρτιῶν
Luc, 22, 19 : Τοῦτό
ἐστιν τὸ
σῶμά μου,
τὸ ὑπὲρ
ὑμῶν διδόμενον
22, 20 :
Τοῦτο τὸ
ποτήριον ἡ
καινὴ διαθήκη
ἐν τῷ
αἵματί μου, τὸ
ὑπὲρ ὑμῶν
ἐκχυνόμενον.
Marc, 14, 22 : τοῦτό
ἐστιν τὸ
σῶμά μου
14, 24 :
Τοῦτό ἐστιν
τὸ αἷμά
μου, τῆς
καινῆς διαθήκης, τὸ ἐκχυννόμενον
ὑπὲρ πολλῶν
1 Cor., 11, 24 : Τοῦτό μού
ἐστιν τὸ
σῶμα τὸ
ὑπὲρ ὑμῶν
11, 25 :
Τοῦτο τὸ
ποτήριον ἡ
καινὴ διαθήκη
ἐστὶν ἐν
τῷ ἐμῷ
αἵματι
Explication. Pendant
que Jésus célébrait avec les siens le repas
pascal, il prit du pain (τὸν ἀρτον) et prononça sur ce pain
une prière d’action de grâces ou une bénédiction
et le rompit (ευλογἠσας
ἔϰλασεν), en
faisant peut-être de cette rupture le symbole de sa mort qu’il mentionne expressément d’après le récit paulinien. Il présenta ce pain aux Apôtres, en leur ordonnant de le manger et en leur disant : Ceci est mon corps. On s’est
demandé, depuis la Scolastique primitive, ce que signifie Τοῦτό.
Si on répond : le corps du Christ, il y a une tautologie. Si on
répond : le pain, ce n’est plus la vérité, car le pain n’est pas le corps
du Christ, mais du pain. Le Christ d’ailleurs aurait dû dire : Ce pain est
mon corps, c.‑à‑d. son
symbole. Certains rapportent Τοῦτό
à σῶμα
= ce corps est mon corps, ou bien l’entendent dans le sens de
« ecce », ιδού, voici.
Les deux interprétations sont dans le sens de la présence réelle. Une dernière
interprétation est encore plus générale : Τοῦτό
= Ce que j’ai ici dans les mains, ce que vous voyez, ce que je vous présente est mon corps.
On
s’est demandé aussi quel est le sens de ἐστὶν.
C’est, sans aucun doute, la copule du sujet et du prédicat. « Toute autre
explication doit d’abord prouver sa légitimité » (Schanz, 331). Certes il s’est
livré et il se livre encore des « batailles théologiques » autour de
ce petit mot. D’après les « symbolistes », le sens de ce mot
serait : signifie. Mais, dans les textes qu’ils allèguent pour justifier
leur interprétation, ce sont deux substantifs
qui sont unis : le Christ est la porte, le rocher, la vigne. Zwingle se réfère à Gen., 41, 26
sq. ; Ex., 12, 11 ; Dan., 7, 17, 24 ; Math., 13, 38 ; 1
Cor., 10, 4 ; Gal., 4, 24 ; Apoc., 1, 20. Dans ces textes, le sens
figuré du discours résulte du discours lui‑même et non
de ἐστὶν. Dans notre phrase, par contre, c’est
Τοῦτό qui est encore
indéterminé qui reçoit son contenu de σῶμά
μου. D’ordinaire, on ajoute
immédiatement le sens figuré, comme dans le cas que fait tant valoir Zwingle ; Ex., 12, 11 : C’est la Pâque de
Jahvé ; ici on décrit d’abord, d’une manière précise, le rite dont il est
dit que c’est la Pâque de Jahvé et on ajoute immédiatement : le sang de l’agneau
sera « un signe » pour l’avantage et l’utilité d’Israël. Les
« symbolistes » disent encore que, dans l’araméen, la langue
maternelle de Jésus, il n’existe pas de mot pour rendre le sens de
« signifier », « désigner ». Or Wisemaft
a découvert 65 termes de ce genre dont le Seigneur aurait pu se servir pour
exprimer le sens purement symbolique. Au reste, comme le
remarque avec raison Schanz, les Apôtres sont
les meilleurs interprètes des paroles du Seigneur. Or ils écrivent
« est » et non « signifie ». Œcolampade, qui est partisan
de Zwingle, cherche le symbolisme dans le dernier mot
σῶμα. Mais le pain n’est, ni
naturellement ni d’après les conceptions juives, le symbole du corps humain.
Les
paroles d’institution concernant le calice
sont rapportées par S. Mathieu et S. Marc d’une manière assez semblable. Jésus
prit le calice, c.‑à‑d. le calice rempli de vin (continens pro contento ; cf.
aussi Math., 26, 29), rendit de nouveau grâces et dit aux disciples, d’après
Mathieu : « Buvez-en tous » ; on
a, en place de ces mots, dans Marc : « Tous en burent ». Et il
dit : « Ceci est mon sang » (τοῦτό
ἐστιν τὸ
σῶμά μου).
Ici encore on trouve l’identité absolue du contenu du calice avec le sang. Dans
les deux cas, le sens littéral est celui qui s’impose et toutes les
interprétations symbolistes sont artificielles.
Les
mots ajoutés à « calice »
ou à « sang » sont les mêmes d’après Mathieu et Marc : le sang τῆς διαθήκης
(Cf. Ex., 24, 8 ; Hébr., 9, 18, 22). C’est un
sang d’alliance, bien entendu d’une « nouvelle » alliance ; καινῆς est secondaire et fait défaut
dans les manuscrits les plus importants ; il a peut-être été introduit d’après
S. Paul. Ensuite ce sang est désigné comme « versé » (ἐκχυνόμενον).
La critique estime que cette expression va contre la présence réelle, car à ce
moment le sang du Christ coulait dans ses veines et que, par suite, la parole
est prise au sens figuré. Seulement le Seigneur unit par là - dans S. Paul il
le dit formellement - l’Eucharistie avec sa mort sacrificale
qu’il subira le lendemain. Les deux constituent une unité morale dans une
coïncidence objective sinon strictement temporelle. On peut encore, avec la
Vulgate, entendre ἐκχυνόμενον
au sens futur (effundetur).
Il y a des théologiens qui pensent à une effusion quelconque, présente au sens
strict, afin de pouvoir faire ressortir l’indépendance du sacrifice
eucharistique. Les théologiens libéraux sont parfois d’avis que le Christ
aurait réellement versé la coupe, ce qui, sans parler des autres raisons,
aurait absolument empêché les Apôtres de boire. Une dernière addition
est : περὶ πολλῶν … εἰς
ἄφεσιν ἁμαρτιῶν ;
Marc : ὑπὲρ πολλῶν. Ces paroles indiquent,
bien que l’expression formelle manque, que le sang versé est un sacrifice dont le but est la rémission
des péchés. Le Christ avait dit, auparavant, qu’il était venu « pour
donner sa vie comme la rançon d’un grand nombre » (Marc, 10, 45).
« Beaucoup » s’oppose à « un »,
celui qui se sacrifie et non pas dans le sens prédestinatien à tous les hommes ; le Christ est
mort pour tous. Cf. t. 1er, § 120.
Examinons
maintenant les deux autres textes. Pour ce qui est du texte paulinien, nous
possédons beaucoup d’autres paroles de l’Apôtre qui peuvent servir à l’explication
du texte de l’institution.
Luc rattache plus fortement que Mathieu
et Marc l’Eucharistie à la mort du Christ, en mentionnant le grand désir de
Jésus : « J’ai désiré d’un grand désir de manger cette Pâque avec vous,
avant de souffrir » et son impression eschatologique (Luc, 22, 15
sq.) ; de même, par les additions à « corps » (σῶμά μου,
τὸ ὑπὲρ
ὑμῶν διδόμενον)
et à sang (αἵματί μου, τὸ
ὑπὲρ ὑμῶν
ἐκχυνόμενον)
qui caractérisent, sans aucun doute, le repas comme un repas sacrifical. L’essentiel
des formules concorde avec Mathieu et Marc et doit s’entendre comme on l’a dit
précédemment. Il y a une difficulté
particulière dans Luc, à propos des deux
coupes. On peut la résoudre en admettant, avec Batiffol,
que Luc a mêlé deux relations de l’institution, une plus courte (22, 15-18) et
une plus longue qui est en harmonie avec Marc (22, 19 sq.), d’où il serait
résulté une certaine confusion, malgré la clarté de la forme centrale.
« Ne disons donc pas que 15-18, d’une part, et 19, 20, d’autre part, sont
deux Cènes distinctes : ce sont deux récits
distincts mais concentriques de la même
Cène. » (L’Eucharistie, 129). On peut encore, avec Schanz
et Berning, admettre deux cènes
différentes : 15-18, la cène juive ; 19, 20, l’Eucharistie. S. Luc
concorde presque entièrement avec S. Paul, si bien qu’on peut admettre qu’ils
ont utilisé une source commune. S’il
est certain que S. Luc ne connaissait pas les Épîtres de S. Paul quand il
composa les Actes, il est certain,
également, qu’il ne les connaissait pas quand il écrivit son Évangile (Τὸν μὲν
πρῶτον λόγον, Act.
Ap., 1, 1). S. Paul se réfère à une donnée
« reçue du Seigneur » (1 Cor., 11, 23), ce qui doit sans doute s’entendre
d’une révélation indirecte (par l’Église
primitive) ; l’Eucharistie, en effet, était connue et célébrée depuis le
commencement. Dans S. Paul, la remarque μετὰ
τὸ δειπνῆσαι
est moins fondée que chez S. Luc qui raconte auparavant la Passah
= δεῖπνον. L’un
et l’autre contiennent l’ordre de faire de même en mémoire du Christ, c.‑à‑d. de sa
mort. Sans doute, ces paroles manquent dans S. Mathieu et S. Marc, mais d’abord,
même ailleurs, S. Luc est plus complet dans son évangile, et ensuite, S.
Mathieu et S. Marc ont tout au moins indiqué objectivement le renouvellement de
la Cène en racontant plus tard aux fidèles comment Jésus a conclu sa Nouvelle
Alliance, c.‑à‑d. une
institution permanente, en disant à ses Apôtres : « Prenez, mangez,
buvez ». Ce qui valait pour les premiers fidèles de l’Alliance doit avoir,
pour ceux qui viendront après, le même caractère obligatoire et la même
importance. Il est donc inadmissible de prétendre que c’est S. Paul qui a
introduit, de son chef, la liaison entre l’Eucharistie et la mort de Jésus dans
la doctrine eucharistique primitive, en se référant pour cela à une révélation
divine (παρέλαβον) ;
il aurait, par conséquent, opposé sa révélation
à la révélation primitive ; il aurait été le premier
« réformateur » dans la doctrine eucharistique.
Luther lui‑même se laissa guider, dans l’explication des
paroles de l’institution, par son sens exégétique ; il écrit :
« Je vois des paroles tranchantes, claires et puissantes de Dieu, qui me
forcent de confesser que le Christ est avec son corps et son sang dans le
sacrement. » (Seeberg,
Doctrine de Luther [1917], 328 sq.).
L’Histoire des religions se réfère au terme
(παρέλαβον)
cité plus haut pour prouver que Paul a emprunté sa doctrine au culte des
mystères où cette expression se rencontre (Norden, Agnostos Theos, 288 sq.). Ou bien
elle signale les mystères d’Eleusis (Déméter) qui se célébraient non loin de
Corinthe, qui était le siège de la communauté paulinienne. Heitmüller
rappelle même les usages des Aztèques au Mexique. A quels subterfuges faut‑il recourir pour échapper à la
vérité !
Il
est certain que S. Paul a fait des emprunts, mais seulement au judaïsme, pour
expliquer d’une manière typique l’Ancien Testament : il n’en a jamais fait
au paganisme. C’est dans le judaïsme qu’il avait été élevé, qu’il avait vécu
jusqu’à sa conversion, d’une manière religieuse, c’est dans le judaïsme qu’il
trouva les éléments qui lui permirent d’édifier son christianisme personnel
fondé sur la tradition. C’est pourquoi nous le voyons souvent faire allusion
aux rites juifs, quand il a à parler des rites chrétiens. Sacrifice,
circoncision, agneau pascal, alliance, rites d’expiation, ce sont là pour lui
autant d’images et d’exemples dont il sait faire un usage abondant. Quant au
paganisme, il ne le signale que comme un exemple horrible et repoussant.
« Voilà ce qu’étaient certains d’entre vous » (1 Cor., 6, 11).
« Quelle communauté y a‑t‑il entre la lumière et les ténèbres ? Qu’a
à faire le Christ avec Bélial ? » (2 Cor., 6, 14 sq.).
Les
confirmations bibliques de la
doctrine eucharistique catholique abondent. Nous ne pouvons ici que les
résumer, nous aurons à en reparler en particulier. Dans les Actes des Apôtres, cf. 2, 42-47 ;
cette péricope s’applique de la façon la plus exacte à l’Eucharistie et ne doit
pas s’entendre des agapes. Ensuite on trouve des allusions à l’Eucharistie dans
la littérature johannique. Sans doute, Jean, 13, 1 sq., n’atteste pas l’institution,
comme Belser le pense, mais ce que l’évangéliste
raconte, « Et après le dîner... » (13, 2), le lavement des pieds, l’avertissement
à Judas, à Pierre, tout cela est parfaitement conforme aux impressions de la
Cène eucharistique, telle que la racontent les synoptiques. Que Judas ait communié, on ne peut pas le
prouver et, par conséquent, on ne peut pas non plus l’affirmer. Il y a toute
une littérature à ce sujet. La faute du malheureux est déjà assez grande sans
ajouter celle‑là. Et que Jésus, qui, d’après S.
Jean, sait tout, lui ait sciemment
présenté les saintes espèces, c’est là une pensée peu supportable. On trouve d’autres
échos eucharistiques dans l’Apocalypse ;
cf. 2, 7, 17 ; 3, 20. Dans les Épîtres de S. Paul, 1 Cor., 10, 15-22, sera examiné à propos du sacrifice de
la messe ; mais cf. aussi 1 Cor., 10, 1-4 ; 11, 17-34. Gal., 2,
11-14. Act. Ap., 20, 7 sq.
(S. Paul en Troade) ; 27, 35 (Paul rompt le pain sur le bateau) : ces
trois derniers textes sont entendus, par un certain nombre, de l’Eucharistie. Hébr., 13, 7-13 sera examiné à propos du sacrifice de la
messe.
Synthèse. Il y a des
attestations de l’Eucharistie dans le Nouveau Testament, que ce soit des
paroles prononcées ad hoc ou que ce
soit des paroles occasionnelles. Il résulte particulièrement des paroles de l’institution,
rapportées par quatre récits essentiellement concordants, que Jésus a voulu
donner à ses disciples sa vraie chair et son vrai sang. Que les Apôtres aient
reçu comme tel le don de Jésus et continué de s’en nourrir dans des repas
religieux, cela ressort d’autres textes, surtout de 1 Cor., 10, 20 sq. et 11,
26-30. La réception du corps et du sang du Christ a des conséquences morales réelles ; le bon obtient la
« participation au corps du Seigneur » (1 Cor., 10, 16), le mauvais
se rend « coupable envers le corps et le sang du Seigneur », il
encourt « le jugement », « la faiblesse, la maladie et la
mort » (1 Cor., 11, 27-30). De purs
symboles, des images et des paraboles, n’ont pas ces effets‑là. Le Christ, sans doute, avait souvent
parlé en paraboles, mais, vers la fin de sa vie, il parle
« ouvertement » et ne dit « plus de paraboles » (Jean, 16,
29). On ne rédige pas un testament en
style figuré, mais en termes clairs ; un traité d’alliance ne doit pas
être équivoque. On doute que les Apôtres aient compris Jésus. Pourquoi ne l’auraient‑ils pas compris ? Ils étaient préparés
au don de Jésus par Jean, 6, 52 sq.. Au reste, une
compréhension complète est aussi impossible ici que pour les mystères de l’Incarnation
et de la Trinité. Et cependant ils ont cru et annoncé ces mystères. Au reste, les
additions à « corps » et à « sang » ne laissaient pas d’autre
possibilité que d’admettre que le Christ voulait être compris au sens littéral.
A
consulter : La perpétuité de la foi de l’Église catholique touchant l’Eucharistie,
5 vol., les trois premiers des jansénistes Arnauld
et Nicole (Paris, 1669-1674), les
deux derniers de Renaudot (Paris,
1711-1713). Hurter, Nomenclat. 4, 437 sq. 975. Franzelin, De Eucharistia
thes., 8 sq. Ermoni, L’Eucharistie dans l’Église primitive (3ème
éd., 1905), L’agape dans l’Église primitive (2ème éd., 1904). Béguinot, La très
sainte Eucharistie. Exposition de la foi des douze premiers siècles, 2 vol.
(Paris, 1903). Chollet, La doctrine
de l’Eucharistie chez les Scolastiques (1905). Dict. apol. et Dict.
théol., v. Eucharistie. Marucchi, Le dogme
de l’Eucharistie dans les monuments des premiers siècles (1910). Rauschen, Florilegium patristicum, 7 :
Monumenta eucharistica et liturgica
vetustissima (1909). Tixeront, Schwane, Héfélé.
Le Concile de Trente est parfaitement
autorisé à invoquer le témoignage unanime des Pères ; car tous ceux qui
parlent de l’Eucharistie - et ce sont de beaucoup les plus nombreux - expriment
à ce sujet la foi à la présence réelle. Leurs témoignages ont été maintes fois
réunis par les théologiens catholiques et d’une manière si complète et si
scientifique qu’il suffira ici d’entendre les principaux représentants de
toutes les Églises anciennes.
La
Didachè
atteste la célébration régulière de l’Eucharistie le dimanche. Elle désigne l’Eucharistie
comme un « aliment spirituel », un « breuvage spirituel »
(10, 3). Cependant le texte obscur n’est pas probant pour la présence réelle.
S. Ignace emploie, il est vrai, les mots chair et sang du Seigneur au figuré
pour désigner la vérité, la charité et la foi. Mais, dans un endroit, il est un
témoin absolument clair de notre dogme. Il écrit au sujet des docètes :
« Ils s’abstiennent de l’Eucharistie et de la prière, parce qu’ils ne
confessent pas que l’Eucharistie est la chair
de notre Rédempteur Jésus‑Christ,
laquelle a souffert pour nos péchés et que le Père, dans sa bienveillance, a
ressuscitée »
(Smyrn., 7, 1). Ici la double
relative ajoutée à « chair » ne permet aucun doute.
S. Justin se propose
de réfuter les soupçons païens contre les chrétiens et notamment contre leur
culte tenu secret ; c’est pourquoi il lève délibérément le voile de la
discipline de l’arcane et décrit toutes les cérémonies. Il fait voir, à ce
sujet, tout le grand respect qu’on a pour l’Eucharistie. Pour justifier ce
respect il écrit : « Car ce n’est pas comme un aliment ordinaire et
comme un breuvage ordinaire que nous recevons ceci, mais, de même que Jésus‑Christ notre Sauveur, lorsque par la parole
de Dieu (διὰ λόγου
θεοῦ) il s’est fait chair, a pris,
pour notre salut, la chair et le sang, ainsi nous avons été instruits que la nourriture bénite par
une parole de prière venant de lui, en rendant grâces, avec laquelle notre
chair est nourrie, au moyen d’une transformation (ϰατἀ μεταβολήν)
est la chair et le sang de ce Jésus fait
chair. » (Apol., 1, 66). Il faut remarquer
les points suivants : S. Justin manifeste l’enseignement général de l’Église :
« C’est ainsi que nous avons été instruits » (dans la catéchèse). Il
identifie la chair et le sang du Christ historique avec la chair et le sang du
Christ eucharistique. La production, la préparation du corps eucharistique, se
fait par une parole de bénédiction reçue du Seigneur. L’effet de ce corps dans
l’homme, c’est une union spirituelle et une transformation de l’humain en
divin.
S. Irénée parle, à
maintes reprises, de l’Eucharistie. Signalons les points suivants. Les
gnostiques, comme les docètes, ont horreur de la matière. Or S. Irénée
écrit : « Comment peuvent‑ils croire
que le pain sur lequel est prononcé l’action de grâces est le corps du Seigneur et que le
calice contient son sang, s’ils ne le reconnaissent pas comme le Fils du
Créateur du monde ? » (A. h., 4, 18, 4). Il estime que le Seigneur ne
pourrait pas faire du pain, qui est une partie de la création, son corps, si ce
pain ne lui appartenait pas comme sa propriété. Mais, ce qui est important pour
nous, c’est la foi commune aux
chrétiens et aux gnostiques, dans la présence réelle du Seigneur. Il atteste
cette présence réelle dans un autre passage polémique : « Il a
déclaré que le calice, qui est pris des choses créées, est son propre sang (αῖμα ἴδιον)
avec lequel il pénètre notre sang, et que le pain, qui appartient à la
création, est son propre corps (ἴδιον
σῶμα) avec lequel il élève nos
corps (αὔξει). Le pain et
le vin « deviennent, par la parole de Dieu, l’Eucharistie qui est le corps
et le sang du Christ » (A. h., 5, 2, 2-3). D’après les trois Pères qu’on
vient de nommer, S. Justin, S. Ignace et S. Irénée, toute l’Église, celle d’Orient
comme celle d’Occident, croit, dès cette époque primitive, à la présence
réelle.
Tertullien ajoute à ces
témoignages celui de l’Afrique du Nord. Il est vrai qu’il a été le premier à
désigner l’Eucharistie par l’expression « figure » (figura corporis
Christi) et les adversaires en font volontiers un « symboliste ».
Seulement il atteste notre dogme avec une précision indiscutable. Ainsi il
écrit : « Nous prenons bien garde pour qu’il ne tombe rien de notre
calice et de notre pain par terre » (De cor. mil., 3). Il dit aux artisans
chrétiens qui fabriquent des idoles pour les païens : « C’est un
crime déplorable quand un chrétien vient des idoles à l’église, quand il touche
le corps du Seigneur (on le mettait dans les mains des communiants) avec les
mêmes mains qui construisent des corps aux démons... Quel crime ! Les
Juifs n’ont porté qu’une fois la main sur le Christ ; ceux‑là saisissent tous les jours son corps. Ces
mains‑là devraient être coupées » (De idol., 7). Ces fortes expressions ne sont compréhensibles
que si Tertullien admet la présence réelle. Les expressions suivantes rendent
un son aussi réaliste : « La chair (du chrétien) est nourrie de la
chair et du sang du Seigneur, afin que l’âme aussi soit nourrie de Dieu »
(De resurr. carn.,
c. 8 ; cf. plus haut p. 304). C’est d’après ces passages clairs que
doivent s’expliquer les passages douteux qui le font soupçonner d’être
symboliste. Hippolyte de Rome donne
ces avis dans son ordonnance ecclésiastique (cap. 59, Schermann, 1, 91 sq.) :
« Que chacun fasse bien attention qu’aucun infidèle ne mange de l’Eucharistie
ou bien qu’une souris, une autre créature, ou quoi que ce soit n’y tombe. C’est
en effet le corps du Christ dont les fidèles (seulement) doivent manger et il
ne doit pas être méprisé. »
S. Cyprien est le seul
Père qui consacre à l’Eucharistie un assez long exposé (Ep. 63). Rauschen
considère la doctrine exposée par S. Cyprien comme « difficile à
déterminer » (p. 14). La difficulté consiste en ce qu’il dit, à plusieurs
reprises, que le vin est présenté comme le sang du Christ (ostenditur,
potest videri ; c.
13) ; et on voudrait déduire de ces paroles son symbolisme. Mais il a
également prononcé des paroles réalistes sur l’Eucharistie. Ainsi il dit, au
sujet de ceux qui communient indignement : « Il font violence à son
corps et à son sang et ils sont coupables maintenant envers le Seigneur avec
leur main et leur bouche d’une manière plus grave que lorsqu’ils l’ont
renié » (De laps., 16). Il exige la plus extrême pureté et dignité pour la
réception de l’Eucharistie (ibid., 15, 16, 26 ; De dom. Orat., 18 ; Test., 3, 94 ; Ep. 15, 1 ; 16,
2sq. ; 17, 2) et parle comme S. Paul de châtiments inopinés quand on ne
reçoit pas dignement l’Eucharistie (De laps., 25, 26). De tout cela il ressort
que S. Cyprien n’est pas plus un symboliste étroit que son maître Tertullien.
Les
Alexandrins s’expriment volontiers d’une
manière symbolique sur les apparences
externes et cherchent à utiliser l’Eucharistie pour des fins didactiques. Dans
l’Eucharistie est reçu le divin Logos
de la vérité éternelle. Mais Clément
trouve cependant des expressions réalistes au sujet de ce mystère :
« Le mélange du breuvage et du
Logos est appelé « Eucharistie », un don de grâce précieux et
magnifique ; ceux qui y participent avec foi sont sanctifiés selon le
corps et selon l’âme, alors que la volonté du Père unit l’homme, ce divin
mélange (de corps et d’âme), avec l’Esprit et le Logos, d’une manière
merveilleuse ; car l’Esprit est vraiment uni très intimement avec l’âme
qui est portée par lui, et la chair, à cause de laquelle le Logos s’est fait
chair, l’est avec le Logos » (Pæd., 2, 2). Origène atteste la simple foi de l’Église
quand il dit : « Quant à nous, nous rendons grâces au Créateur de l’univers
et c’est pourquoi aussi nous mangeons les pains qui nous sont offerts au milieu
de l’action de grâces et de la prière pour les dons reçus ; ces pains sont
devenus auparavant un certain corps, lequel, à cause de la prière (prononcée
sur les pains), est saint et sanctifie ceux qui en mangent avec une conscience
saine (pure) » (C. Cels., 8, 33). « Nostis qui divinis mysteriis interesse consuestis, quomodo, cum suscipitis corpus Domini, cum omni cautela
et veneratione servatis,
ne ex eo parvum quid decidat, ne consecrati muneris aliquid dilabatur » (Hom., 13, in Ex. : M. 12, 391 A).
Les
Pères grecs postnicéens
sont sans doute influencés, dans leur théologie, par Origène ; mais ce
sont justement eux qui sont les plus énergiques défenseurs de la présence
réelle. Naturellement, c’est dans leurs écrits catéchétiques que leur foi s’exprime
de la manière la plus nette. S. Athanase
écrit : « Nous sommes divinisés, non pas en participant au corps d’un
homme, mais en recevant le corps du Logos lui‑même. » (Ad Maxim. Philos., 2 :
M. 26, 1087). S. Grégoire de Nys. dit
dans sa catéchèse (Orat. Cat., 37) : « Nous
croyons donc à bon droit que, maintenant encore, le pain sanctifié par la
parole de Dieu est changé au corps du Logos de Dieu ». S. Cyrille de Jérus.
renvoie, pour prouver la présence réelle, à la parole
du Christ : « Puisqu’il a dit lui‑même du pain
« ceci est mon corps », qui oserait hésiter ? Et puisque lui même a assuré « ceci est mon sang », qui
voudrait douter que ce ne soit son sang ? » Ensuite il en appelle à
la toute‑puissance de Dieu qui a transformé les
éléments terrestres dans la substance plus élevée du corps du Christ (Cat. myst., 4, 1 sq.). S. Jean Chrysostome, le « doctor eucharistiæ », en
vient souvent, dans ses écrits, à parler de la présence réelle et il le fait
parfois d’une manière très réaliste : « Nous devons boire le sang
salutaire, comme si, avec les lèvres, nous le sucions du côté divin et immaculé »
(De pœn. hom., 9, 1).
« O combien disent maintenant : Je voudrais voir son aspect, sa
figure, ses vêtements, ses chaussures ! C’est lui‑même que tu vois, lui‑même que tu touches, lui‑même que tu manges » (In Math. Hom., 82,
4 : M. 58, 743). « C’est son corps transpercé par les clous qu’il
nous a donné, afin que nous puissions le tenir dans nos mains et le manger, en
preuve de son amour ; car ceux‑que nous
aimons, nous avons souvent coutume de les mordre » (In Ep. 1 ad Cor. Hom.,
24, 4). Les autres Grecs également, non seulement les prosaïques Antiochiens,
comme Théodore de Mopsueste, Macaire de Magnésie, qui repoussaient énergiquement les expressions
« symbole » et « image », mais encore les Alexandrins plus mystiques (Sérapion de Thmuis, S. Athanase, Macaire d’Égypte), qui aimaient certes
revêtir leur foi de ces expressions (ὁμοίωμα,
αντίτυπόν,
σὐμβολον =
aspects, formes d’apparence) expriment la même vérité. De S. Cyrille d’Alexandrie, il suffit de citer sa réfutation de
Nestorius qui, sans doute, admettait la présence réelle, mais séparait la
divinité de l’humanité et prétendait que l’humanité seule était reçue dans le
sacrement : « Nous ne mangeons pas, comme si nous dévorions la
divinité - loin de nous une telle impiété - mais nous mangeons la propre chair
du Logos qui est devenue une chair vivifiante, parce qu’elle appartient à celui
qui vit pour le Père » (Adv. Nest., 4, 5).
Les
Pères latins des 4ème et 5ème siècles sont d’une grande clarté et d’une
grande précision : seule la conception de S. Augustin présente quelques difficultés. S. Hilaire se réfère à la parole du Christ (Jean, 6, 56 sq.) et
dit : « Il ne reste pas de place pour le doute concernant la vérité
de la chair et du sang » (De Trin., 8, 14). S. Ambroise traite à fond l’Eucharistie dans son ouvrage
catéchétique (De mysteriis), il exprime d’une manière
très nette la doctrine de la transsubstantiation ; il l’explique et la prouve
par les miracles bibliques. Nous aurons, plus loin, l’occasion de l’entendre
encore. Il faut citer également ici l’ouvrage du pseudo‑Ambroise (De sacramentis, 4, 14-16). S. Ambroise a été, à cause de sa
phrase célèbre sur l’identité du Christ historique et du Christ eucharistique
(« ce que nous produisons, c’est le corps né de la Vierge. Pourquoi
chercher ici l’ordre de la nature dans le corps du Christ, alors que le
Seigneur Jésus lui‑même a été
enfanté par une Vierge en dehors du cours de la nature ? C’est la vraie
chair du Christ qui a été crucifiée, qui a été ensevelie. C’est donc vraiment
le sacrement de sa chair » De myst., 9, 53), le
docteur eucharistique préféré de l’Occident (Paschasius
Radbertus).
S. Augustin semble ne
pas avoir connu le livre de son maître sur les mystères. Tout au moins on ne
trouve pas trace d’une influence de ce livre sur lui. Les protestants le
rangent presque unanimement parmi les « symbolistes ». Les
catholiques, sans méconnaître son langage spiritualiste, le reconnaissent
pourtant pour l’un des leurs. Schanz écrit à son
sujet : « S. Augustin n’est donc pas un spiritualiste et un
symboliste, mais il enseigne la présence réelle du Christ dans l’Eucharistie. »
Rauschen dit à propos de cette citation :
« Je dirais plutôt : S. Augustin penche vers l’explication symboliste
de l’Eucharistie, mais il n’a pas voulu par là
exclure la présence réelle » (P. 24). Pour comprendre S. Augustin, il faut
se rappeler sa notion du sacrement : Autre chose est ce qu’on voit dans le sacrement et autre chose ce
qu’on connaît spirituellement :
« Ce que vous voyez est du pain et une coupe, comme vos yeux vous l’annoncent ;
mais la foi vous dit : Le pain est le corps du Christ et la coupe le sang
du Christ. » (Sermon 272 : M. 38, 1246 ; cf. serm.
217 et 132). « Ce qu’on voit sur la table du Seigneur est du pain et du
vin ; mais ce pain et ce vin sont, par la parole qui est survenue, le
corps et le sang du Logos » (Sermon 6 : M. 46, 834). « Et il (le
Christ) se portait lui‑même dans
ses mains quand il nous dit : ceci est mon corps. » (Enarr. in Ps. 33, 10 : M. 36,
306). En tant que néo‑platonicien,
il distingue, il est vrai, l’être et le paraître et de là viennent ses
nombreuses expressions spiritualistes au sujet de l’Eucharistie que nous aurons
à examiner plus loin en connexion avec les autres Pères. On peut, avec S. Léon 1er, clore la série
des Pères. Il exhorte ainsi les fidèles : « Puisque le Seigneur
dit : Si vous ne mangez pas, etc. (Jean, 6, 54), vous devez participer à
la sainte table sans avoir le moindre doute sur la vérité du corps et du sang
du Christ » (Sermon 91, 3 : M. 54, 452).
Pour
bien comprendre la doctrine des Pères sur l’Eucharistie, il faut la comparer à
leur doctrine sur la messe. Il est
clair que les deux doctrines se conditionnent mutuellement. Or comme nous le
préciserons plus tard, la conception de l’Eucharistie comme sacrifice de la
Nouvelle Alliance est très ancienne et exprimée d’une manière très réaliste,
précisément chez les Pères qu’on accuse d’être symbolistes, comme Origène,
Tertullien, S. Cyprien, S. Augustin. Mais s’ils croient que le sacrifice de la
messe est l’offrande réelle du Christ à Dieu, leur foi eucharistique ne peut pas
s’en tenir à un pur symbole.
A
côté des témoignages patristiques, il faut ranger les prières liturgiques. Sont particulièrement
précieuses les paroles de l’épiclèse,
ou prière pour demander la transformation des substances terrestres. Ainsi on
lit dans la formule la plus ancienne qui nous soit connue, celle du canon de
Sérapion de Thmuis : « Dieu de vérité que
ton saint Logos descende sur ce pain, afin que le pain devienne le corps du
Logos, et sur cette coupe, afin que cette coupe devienne le sang de la
vérité ». On trouvera tout le canon dans Rauschen,
100-102. Les autres épiclèses qui nous ont été conservées s’expriment de même.
A ces formules correspondent tout à fait les exhortations des liturgies qui
recommandent de participer avec pureté à l’Eucharistie, et la profession de foi
à la présence réelle immédiatement après la Consécration. Signalons enfin l’accord
de l’Orient et de l’Occident. Maltzew écrit : « Le Seigneur est présent dans le
sacrement de l’Eucharistie non seulement avec son corps et son sang, mais
encore avec tout son être c.‑à‑d. non seulement avec son âme qui est
inséparablement unie à son corps, mais encore avec sa divinité qui est
hypostatiquement et inséparablement unie à son humanité. » (§ 89 et 90).
Ainsi donc toute l’ancienne Église croit à la présence réelle : en Asie
Mineure, en Égypte, en Afrique, en Italie, en Gaule.
L’Eucharistie
est encore illustrée par les trois séries d’images des catacombes (Résurrection, pénitence, Cène). Le jour de la
mort d’un chrétien et au jour anniversaire, les fidèles célébraient la Cène
auprès des tombeaux, souvent en union avec un repas donné aux pauvres. D’où les
images eucharistiques : la multiplication des pains, les noces de Cana, l’eau
jaillissant du rocher et la manne. Ces repas donnés par Dieu caractérisent bien
le sens du repas eucharistique. L’image des présents des mages devait exciter
le zèle des fidèles pour les œuvres de miséricorde de la charité fraternelle
(agapes).
Difficultés patristiques. On ne peut
pas contester que toute une série de Pères, peut-être la plupart, dans leurs
exposés sur l’Eucharistie, emploient, à l’occasion, des expressions symboliques (τύπος,
σύμβολον, ὁμοίωμα, ἀντίτυπος, signum, similitudo, figura). Pour
bien les comprendre, il faut remarquer ce qui suit. Ces expressions se trouvent
précisément chez des Pères dont le réalisme strict ne peut être mis en doute,
comme chez S. Athanase, S. Cyrille de Jérusalem, S. Grégoire de Nazianze, S. Jean Chrysostome, S. Ambroise. Par conséquent,
on ne doit pas entendre ces expressions dans un sens absolument symboliste. On
comprendra facilement d’ordinaire le sens et l’importance de ces termes en se
rappelant que l’Eucharistie, dans son ensemble, peut être envisagée de bien des
points de vue. On peut : 1° Envisager les espèces sensibles, la manière dont elles apparaissent et dire qu’elles
sont une image, un signe, un type du corps du Seigneur. On peut : 2°
Considérer le corps sacramentel du
Seigneur par opposition à son corps céleste et l’appeler une image, une
manifestation de ce corps céleste. On peut aussi : 3° Voir dans l’Eucharistie,
avec S. Paul (1 Cor., 10, 17), un symbole de l’Église, comme le fait déjà la Didachè (9, 4) et comme le feront
plus tard le canon de Sérapion et S. Augustin (Sermon 272 etc.). On peut
enfin : 4° Parler d’une manducation
multiple du corps du Christ. La foi éclairée sait que, sous les apparences
sensibles mais non pas précisément dans ces apparences en tant que telles, on
reçoit le corps sacramentel du Christ. On doit rappeler à la foi non éclairée
qu’il ne s’agit pas de « remuer les dents et l’estomac », comme dit
S. Augustin, mais d’une manducation spirituelle. On exhorte les négligents à ne
pas manger et boire la chair et le sang du Christ « seulement dans le
sacrement, ce que font aussi beaucoup de méchants, mais à manger et à boire
pour participer à l’Esprit, afin que nous demeurions dans le corps du Seigneur,
afin que nous soyons nourris de son Esprit » (In Joan., 27, 11).
« Avant la bénédiction, si on les mange, on remplit son ventre ; mais
après, si on les mange, on nourrit son esprit. » (Morin, p. 25). S.
Augustin, comme les autres « spiritualistes », insiste plus sur le
caractère de grâce que sur la présence réelle, plus sur le sacrement pour nous
que sur le sacrement en soi, car le but
dernier, même dans l’Eucharistie, est manifestement sacramentel : elle
doit produire la grâce spirituelle. Quand on admet cela, il est facile de
comprendre même les « spiritualistes ».
On
sait que les Pères, en raison de leur tendance à l’interprétation allégorique
de l’Écriture, aimaient trouver plusieurs
sens dans une même chose. Mais on ne trouvera pas dans toute l’Église ancienne
un seul « spiritualiste » dans le sens de Zwingle
(signum tantum), même pas chez Origène et ses partisans. Théodore de Mopsueste
a formellement réprouvé ce langage figuré en déclarant que le Christ a
dit : ceci est mon corps, mon sang, et non : ceci est la figure de
mon corps, de mon sang (M. 66, 713) ; cf. S. Jean Damasc., De fide
orth., 4, 13.
Il
est vrai qu’on peut constater très nettement un progrès chez les Pères dans la doctrine sacramentaire. Mais ce
progrès ne concerne pas la foi au mystère, il a trait à sa théologie. Ce progrès se réalisa par ce fait qu’on mit l’Eucharistie
en parallèle avec d’autres grands mystères apparentés avec elle, ce qui permit
de l’éclairer davantage. On peut établir facilement les parallèles
suivants : on compare la Consécration avec la création ; ce sont deux
actes de la puissance divine qui peut
tout, même ce qui est incompréhensible aux hommes, et de la bonté divine qui comble de bénédiction
tout ce qui vit. Une comparaison qui se présentait d’elle‑même à l’esprit était la comparaison entre la
Consécration et l’Incarnation ; ce parallèle apparaît
souvent dans l’épiclèse ; ce sont deux œuvres du Saint‑Esprit (Luc, 1,
35). Mais ce n’est pas de cette comparaison, comme on le prétend, qu’est sortie
la foi à la présence réelle ; cette foi est antérieure à toute comparaison
et c’est d’elle qu’est sorti le parallèle qui, sans cette foi, serait
inconcevable. Le parallèle entre l’Eucharistie
et la mort sur la Croix était déjà
suggéré par les paroles de l’institution, ainsi que par l’ordre de Jésus de
célébrer la Cène en mémoire de sa mort. A ce sujet, on fait ressortir à la fois
l’idée de l’identité du corps du Seigneur (S. Ignace, S. Justin) et celle du
but de l’Eucharistie en tant que représentation de la mort du Seigneur. De là
la citation continuelle de Mal., 1, 11. Une autre explication du mystère
résultait de ses relations avec la Rédemption
considérée comme la divinisation de la nature humaine. L’Eucharistie était
précisément « le remède de l’immortalité », l’aliment de la vie éternelle
(S. Ignace, S. Grégoire de Nys., les Grecs postérieurs).
Ce
qui contribua beaucoup au dévéloppement de la doctrine eucharistique, ce furent les
controverses entre Radbert et Ratramne (9ème siècle), ainsi qu’entre
Béranger et ses adversaires (10ème siècle). On parvint spécialement
à une distinction nette de l’être et du paraître, de la substance et des
accidents. D’une manière générale, on constitua une langue doctrinale
eucharistique ferme. La formule rédigée par le cardinal Humbert et prescrite la
première fois à Béranger, dans laquelle il était dit que : « après la
consécration, le pain et le vin qui se trouvent sur l’autel ne sont pas
seulement sacrement, mais aussi le corps et le sang véritables de Notre
Seigneur Jésus‑Christ, et de manière sensible et non pas seulement en tant que sacrement sont brisés par les mains des prêtres et écrasés par les dents des fidèles »
fut répétée par plusieurs d’une manière étroite, bien que la dernière formule
(1079) ait été considérablement atténuée. Dans cette dernière formule, le mode de présence était pour la première
fois précisé officiellement. On y disait que, par la Consécration, le pain et
le vin « sont changés
substantiellement en la chair véritable, propre et vivifiante, et au sang
de notre‑Seigneur Jésus‑Christ ». Le terme transsubstantiation n’existait
pas encore, mais la chose était exprimée sans équivoque et d’une manière claire.
Cependant, après la mort de Béranger (1088), sa doctrine continua d’être
soutenue par ses partisans et combattue par ses adversaires. Presque tous les
défenseurs de la doctrine de l’Église étaient bénédictins. Bientôt Hildebert de
Lavardin, un ancien élève de Béranger, trouva la formule technique
transsubstantiation (d’après Loofs elle aurait été
créée par un scolastique anonyme plus ancien) ; cette expression devint
courante. Il y avait alors, il est vrai, dans l’Église, deux tendances dont l’une inclinait de préférence vers S. Ambroise
et l’autre vers S. Augustin. Toutes les deux tenaient à la présence réelle, mais
différaient dans leurs explications (Dict. théol., 5, 1222). On trouve encore
un peu cette dualité dans la Scolastique primitive. Cependant c’est la doctrine
de la transsubstantiation qui exprime le mieux les tendances de la Scolastique.
Une question d’école, discutée dans la Scolastique, était celle de savoir si le
Christ avait présenté à ses disciples son corps terrestre ou son corps glorifié.
Hugues de Saint‑Victor prétendait qu’il leur avait
donné son corps glorifié ; P.
Lombard, Richard de Med., Alexandre de Halès, S.
Albert, S. Thomas, prétendaient qu’il leur avait donné son corps terrestre (S.
th., 3, 81, 3).
A
consulter : S. Thomas, S. Th. 3,
75. I. Franzelin,
thes. 14 sq. Pesch, 6, 307 sq. Paquet,
De sacram., 1, 248 sq. Ghellinck, A propos du premier
emploi du mot « Transsubstantiatio »
(Recherches de science rel., 1911, 466 sq., 570 sq.). Dict. théol., v. Eucharistie. D’Alès,
Eucharistie : Biblioth. Cath., 1930.
THÈSE. Le Christ est présent dans l’Eucharistie
par la conversion de la substance du pain et du vin en son corps et en son
sang. De foi.
Explication. Le Concile de Trente
a défini non seulement la présence réelle, mais encore la manière dont cette
présence se produit. Il déclare : « Si quelqu’un dit que, dans le
très saint sacrement de l’eucharistie, la substance du pain et du vin demeure avec le Corps et le Sang de
notre Seigneur Jésus Christ, et s’il nie ce changement admirable et unique de toute la substance du pain en son Corps
et de toute la substance du vin en son Sang, alors que demeurent les espèces du pain et du vin, changement que l’Église
catholique appelle d’une manière très appropriée transsubstantiation : qu’il soit anathème » (S. 13, can.
2 ; Denz., 884 ; cf. can. 4).
Il y a quatre choses à signaler : 1° La substance du pain et du vin
ne demeure pas quand l’Eucharistie est produite. Il n’y a donc pas dans l’Eucharistie
coexistence de deux substances, la
substance naturelle et la substance surnaturelle. Cela est la condamnation de
la doctrine de l’impanation et de la
consubstantiation de Luther ; 2° Il est dit des substances naturelles qu’elles
sont converties. Cela exprime le cœur
même du mystère : par cette conversion au corps et au sang du Christ, le
Christ est présent dans l’Eucharistie ;
3° Il est dit, au sujet de l’extension de la conversion, qu’elle s’étend à toute la substance. C’est le fait tout
spécial et merveilleux. Des conversions dans des formes substantielles, nous en voyons tous les jours. Nous constatons
aussi souvent des changements accidentels. Mais nous ne voyons jamais de
processus naturel dans lequel s’accomplisse non seulement une conversion des
formes, mais encore de la matière qui est à leur base. Il y a, dans l’Eucharistie,
une conversion substantielle toute particulière qui s’étend à la matière et à
la forme ; 4° Il est enseigné que les espèces ou accidents demeurent. Comment ils demeurent, on ne
l’explique pas ; cependant, en disant que la conversion est tout à fait
spéciale et merveilleuse, on indique que le maintien de ces accidents, aussi
bien que la conversion de la substance qui les soutenait auparavant, doit être
attribué à la toute‑puissance
de Dieu. Par conséquent, pour la perception sensible, la conversion n’a pas
lieu, ici la foi seule juge. S.
Thomas : « La vue, le goût, le toucher, en toi font ici défaut, mais
t’écouter seulement fonde la certitude de foi. ».
Preuve. Nous ne pouvons pas apporter une preuve formelle de la transsubstantiation, par
l’Écriture. Le Christ a donné à ses Apôtres son corps et son sang sous les
apparences du pain et du vin, mais il ne ne leur a
pas expliqué expressément comment il était présent. La conversion n’est
exprimée que virtuellement et implicitement dans les paroles de l’institution.
Car si le Christ prit les substances naturelles du pain et du vin, les bénit et
les donna à ses Apôtres, en leur assurant que c’était son corps et son sang, il
fallait précisément que ces substances aient été converties en son corps et en son sang. Autrement le Seigneur
aurait dit : Prenez et mangez, sous
ce pain, avec lui est ma chair. Or,
comme le Christ n’a pas employé cette formule, on ne peut le comprendre que dans
le sens de la conversion. C’est pourquoi aussi le Concile de Trente dit : « Étant donné que
le Christ, notre Rédempteur, a dit que ce qu’il présentait sous l’espèce du
pain était vraiment son corps, ce fut toujours la conviction de l’Église de
Dieu et maintenant cette sainte assemblée déclare de nouveau que, par la
consécration du pain et du vin, il se fait une conversion complète de toute la
substance du pain dans la substance du corps du Christ et de toute la substance
du vin dans la substance de son sang » (C. 4).
Les Pères. Ils
confessent la présence réelle du Seigneur opérée par la Consécration et par
là-même ils admettent aussi le fait d’un changement des éléments ; mais
les Pères manquaient, en général d’une terminologie eucharistique ferme et, en particulier,
d’une notion métaphysique bien nette de la conversion. Pour exprimer la
conversion, les Latins employaient
les expressions « panem sanctificare »,
« transfigurari », « conficere corpus Christi », « mutare
species » ou « elementum »
(toutes ces expressions se trouvent chez S. Ambroise) ; les Grecs employaient les verbes μεταποιεῖσθαι,
ἀγιαζεσθαι,
μεταβάλλεσθαι,
μετασϰευἁζεσθαι
et les substantifs μεταβολή,
μεταποίησις,
μεταρρίθμισις,
μετασϰευή,
etc.
Les
premiers témoins clairs de la doctrine patristique de la conversion se trouvent
à partir du 4ème siècle. Ce sont, chez les Grecs, S. Cyrille de Jér., S. Grégoire de
Nys., S. Jean Chrysostome, S. Cyrille d’Alex. ; il faut y ajouter encore
les Antiochiens, comme Théodore de Mopsueste, Macaire
de Magnésie. Parmi les Latins, il
faut citer avant tout S. Ambroise. Il est parmi les Pères le docteur de la
transsubstantiation en Occident.
On
rencontre une déviation de la
doctrine générale chez l’antiochien Théodoret de Cyrus et chez Nestorius au 5ème siècle. La raison, c’est leur
christologie. De la distinction tranchée de la nature divine et de la nature
humaine dans le Christ, on en vint à séparer complètement les deux natures en
deux personnes et, par suite, logiquement, à admettre de même une essence
double de l’Eucharistie : elle aurait été composée du pain et du Seigneur
céleste qui se serait uni avec le pain dans la Consécration, pour former un
« corps du Seigneur ». Chaque nature conserverait son essence, même
après la Consécration. C’est là le dyophysisme
eucharistique que Théodoret expose dans son Eraniste (Cf. 1, 2 et 3 : M. 83,
56, 165-169, 269-292). Il eut des partisans, mais qui sont moins connus. Il a
déjà été question de Nestorius (ci‑dessus §
176). La vive réaction contre le monophysisme dans la christologie, ainsi que l’accentuation
trop accusée de l’antique parallèle entre la Consécration et l’Incarnation,
amenèrent ces hommes, qui avaient la foi orthodoxe à la présence réelle, à s’égarer
dans l’explication du comment. Nous verrons apparaître, dans la Scolastique même,
ici et là, des tentatives d’explication analogue qui rappellent de dyophysisme. Dans l’Église grecque, on vit triompher, vers
550, la doctrine de la conversion qui avait reçu son orientation de S. Cyrille
d’Alex. et de ses prédécesseurs, et à laquelle S. Jean
Damascène (De fide orth.,
4, 13) donna une expression technique.
Comme
cause efficiente de la conversion, on
voit apparaître, chez les Pères, trois éléments. Elle est attribuée : 1°
Au Saint‑Esprit ; 2°
Au Christ, au Seigneur ; 3° Aux paroles de bénédiction du prêtre. Cela,
naturellement, doit s’entendre au sens collectif et non au sens exclusif.
« L’offrande ne peut être sanctifiée, où l’Esprit Saint n’est pas »
est une pensée à laquelle on revient souvent depuis S. Cyprien (Ep. 64, 4),
même et surtout dans l’Église grecque (épiclèse). Si on nommait en même temps
le Christ, c’est justement parce que l’on pensait que c’était précisément le
Christ qui devait descendre dans les éléments naturels. Et si on mentionnait
les paroles de bénédiction, c’est que l’on précisait par là le moment de cette
descente et particulièrement sa production par l’intermédiaire du prêtre.
« Le sacrement est produit par la parole du Christ », dit S. Ambroise
(De myst., 9, 50-54). Mais nous traiterons ceci plus
en détail à propos de la forme du
sacrement (§ 183). Écoutons maintenant les Pères en particulier.
S. Cyrille de Jérus., pour
expliquer le processus de la conversion, rappelle à ses catéchumènes le miracle
de Cana et dit : « Il a autrefois, à Cana en Galilée, changé (μεταβέβληϰεν)
l’eau en vin par sa simple volonté et il ne serait pas digne de foi, quand il
change le vin en son sang ? » (Cat. myst., 4, 2). Au sujet de la Consécration elle‑même, il écrit : « Après nous être
sanctifiés par les chants spirituels de louange, nous invoquons le Dieu ami des
hommes, afin qu’il envoie le Saint‑Esprit sur
les dons présents pour faire du pain le corps du Christ... car tout ce que
touche le Saint‑Esprit est sanctifié et
transformé » (μεταβέβληται,
Cat. myst., 5, 7). S. Grégoire de Nys. dit :
« Nous croyons à bon droit que maintenant encore le pain sanctifié par la
parole de Dieu est changé au corps du Logos » (μεταποιεῖσθαι,
Orat. Cat., 37). S.
Jean Chrysostome rappelle la puissance créatrice de Dieu : « Ce n’est
pas un homme qui fait que les dons présents deviennent le corps et le sang du
Christ, mais c’est le Christ qui a été crucifié pour nous et dont le prêtre
tient la place quand il prononce ces paroles ; par contre, la force et la
grâce viennent de Dieu. Ceci est mon corps, dit‑il. Cette
parole change les dons présents » (μεταρρυθμίζει,
De prod. Judæ hom., J, 6 : M. 49, 380). S. Jean Damascène pénètre, d’une
certaine manière, dans le mystère lui‑même :
« Le corps est vraiment uni à la divinité et c’est le corps qui est né de
la Sainte Vierge, mais ce n’est pas comme si le corps qu’il prend redescendait
du ciel ; c’est le pain et le vin eux‑mêmes qui
sont transformés (μεταποιοῦνται)
dans le corps et le sang de Dieu » (De fide orth., 4, 13). L’évêque Théodore
Abou‑Sourra (+ vers 820)
rattache la transsubstantiation à la tradition apostolique, bien qu’on ne
puisse pas la prouver par une parole de l’Écriture. Cette tradition contient
beaucoup de choses que nous croyons : « La première est cette parole
que nous prononçons sur nos offrandes (qurbân) et par
laquelle elles deviennent la chair et le sang du Christ » (Graf,
288 ; cf. 313).
Parmi
les Latins, il faut nommer d’abord S.
Ambroise. Il rassemble, dans son ouvrage catéchétique sur les mystères,
plusieurs exemples pour expliquer le processus de la conversion. Il rappelle,
comme les Pères le font si souvent, l’acte divin de la création, l’Incarnation,
le changement de la verge de Moïse en serpent, le changement de l’eau en sang,
le flottement de la hache d’Élisée, le passage de la Mer Rouge, l’arrêt des
flots du Jourdain. Tout cela lui prouve la possibilité de la conversion.
« Si la parole d’Élie eut assez de puissance pour faire descendre le feu
du ciel, la parole du Christ n’est‑elle pas
assez puissante pour transformer (mutet) la nature (species = naturam) des éléments ?.. La parole du Christ, qui a pu produire de rien ce
qui n’était pas, ne serait‑elle pas
capable aussi de transformer ce qui est en ce qu’il n’était pas auparavant. Il
est en effet aussi difficile de donner aux choses leur essence par la création
que de changer cette essence » (De myst., 9,
52).
De
même, le pseudo‑Ambroise écrit : « Ce pain est pain avant les paroles du sacrement (ante
verba sacramentorum) ; mais, dès que la
Consécration a eu lieu, ce pain est devenu
la chair du Christ » (de pane fit caro
Christi ; De sacram., 4, 4). Ici il applique le
mot de S. Augustin au sujet de la parole qui s’ajoute à l’élément. Dans un
autre passage, il se réfère à la parole toute‑puissante du
Christ, qui est capable de changer la nature des choses (« Tout d’abord,
tout ce que j’ai dit provient de la parole du Christ qui agit pour pouvoir
changer et modifier ce qui est né et a été formé dans la nature », 6, 3). S. Augustin : « Accedit sanctificatio (ad panem et vinum) et panis ille erit corpus
Christi et vinum illud erit sanguis Christi. Hoc fecit nomen Christi, hoc fecit gratia Christi » (Morin, p. 25).
Ainsi
donc, depuis le 4ème siècle, la transsubstantiation est attestée
dans l’Église orientale et dans l’Église occidentale. Elle est également
attestée par les liturgies, lesquelles, il est vrai, dans la forme que nous
possédons, appartiennent pour la plupart au 5ème siècle, mais qui,
dans leurs éléments essentiels, sont encore plus vieilles. Dans leur épiclèse, on prie toujours le Saint‑Esprit de descendre sur les dons présents et
d’en faire le corps et le sang du Seigneur.
Paschase Radbert emploie, pour décrire le processus de
la conversion, des mots comme « convertere »,
« vertere », « transfundere »,
« transferre », « facere »,
etc. Il distingue la substance des
apparences extérieures et écrit : « Les substances du pain et du vin se transforment
véritablement en corps et sang du Christ » (De corp., 8, 2). Il dit plus
loin : « Ce pain et ce vin sont véritablement créés chair et sang » (Ernst, 45). On voit que l’expression n’est
pas encore fixe.
Ces
tâtonnements à la recherche du terme exact persistent encore immédiatement
après la controverse avec Béranger (+1088), jusqu’à ce que Hildebert
de Lavardin (+ vers 1133) ait trouvé l’expression technique
« transsubstantiation » qui est peut-être d’un auteur inconnu et plus
ancien. A partir de là, le mot se trouve fréquemment chez les théologiens comme
chez les canonistes. Innocent III
tient compte de ce terme dans sa célèbre explication de la messe et l’admet
dans son symbole dirigé contre les Albigeois
(Denz., 430). Le mot se retrouve encore dans les
négociations avec les Grecs (Denz., 465), bien que ce ne soit pas d’une manière
polémique, car les Grecs étaient d’accord avec les Latins sur ce dogme. Ils ont
purement et simplement traduit le terme latin et, depuis cette époque (1267),
ils emploient formellement μετουσίωσις.
Comme les Arméniens avaient une
doctrine purement spiritualiste (Denz., 544), Eugène
IV leur prescrivit d’admettre la doctrine de la transsubstantiation
(converti ; Denz., 698). Le Concile de Trente termina l’évolution complète de
la doctrine. Il y avait encore, même indépendamment des hérétiques comme les
Albigeois, Wiclef, Huss, des représentants des
conceptions les plus diverses ; c’est pourquoi le Concile insista
intentionnellement sur la conversion de « toute la substance ». L’impanation
(impanatio, sans doute aussi companatio)
est une expression qui imite littéralement celle d’Incarnation ; on la
trouve dans la Scolastique primitive, qui parle parfois de « Christus impanatus et invinatus » et
elle est signalée, pour la première fois, chez Guimond d’Aversa (+ vers 1095).
Devenue plus tard « consubstantiatio »,
elle trouva encore ici et là, bien que rarement, des partisans parmi les
théologiens et dut être combattue par Alexandre, S. Albert et S. Thomas. Là,
comme toujours, S. Thomas fut le
premier dont les explications apportèrent la clarté, autant que la chose est
possible en face de ce mystère, et il reçut une confirmation officielle de sa
doctrine par la mission qui lui fut donnée de composer l’office de la Fête du Saint Sacrement (corp. Christi).
Au reste, au sujet des questions principales, les grands scolastiques sont d’accord
entre eux : 1° Sur l’interprétation de la transsubstantiation ; 2°
Sur le mode de l’existence sacramentelle du Christ ; 3° Sur la permanence
des accidents sans sujet naturel. Pour cela, presque tous ont recours, avec
plus ou moins d’habileté, aux catégories d’Aristote. Sur l’histoire de la transsubstantiation,
cf. Ghellinck
dans Recherches de science relig., 1911 et 1912.
Au
sujet des orthodoxes (Russes, Grecs),
Stéph. Zankow
rapporte (Christianisme orient. [1928], 107) : « On met hors de
doute, dans l’Église orthodoxe, ce dogme que le Christ est encore présent dans
les dons bénits et que, dans ces dons, au moment de la Consécration, il se
produit une « conversion » ou, pour mieux dire, comme l’enseignaient
les antiques docteurs de l’Église orientale, que les dons consacrés sont le
vrai corps et le vrai sang du Christ. Mais on n’affirme que cela. Il n’y a pas
de proposition généralement posée et imposée sur la « manière » dont
cela se fait. Tout ce qu’on dit à ce sujet n’est pas un dogme, mais une
opinion. » Il cite toute une série d’auteurs pour ou contre.
La
raison de cette manière de voir a déjà été indiquée plus haut. Les Grecs n’ont
pas eu de controverse analogue à celle de Béranger concernant la
conversion ; ensuite ils n’ont pas eu de théologie scolastique ;
enfin, depuis S. Jean Damascène, ils n’ont plus la force spirituelle qui
permettrait le progrès de la tradition et du dogme. Mais si, au sens
strictement officiel, ils sont dépourvus du terme « le plus
approprié » dont parle le Concile de Trente (cette conversion est appelée
par l’Église Catholique du nom très approprié de Transsubstantiation), ils ont
cependant l’antique terme traditionnel μεταποίησις
auquel s’ajouta plus tard μετουσίωσις.
L’époque patristique elle‑même n’avait
pas de meilleur terme ; elle exprimait cependant, avec ceux qu’elle avait,
sa foi à la conversion. « Ad fidem explicitam hujus veritatis (la trans‑substantiation)
sufficit notio confusa conversionis, quam omnes habent », dit Franzelin. (De Euch., thes. 12). Où irions‑nous si nous voulions demander aux fidèles l’analyse
métaphysique de la dogmatique !
C’est
pourquoi aussi le Concile de Trente pouvait dire que le dogme de la
transsubstantiation avait toujours
existé dans l’Église (persuasum semper in Ecclesia
fuit, s. 13, c. 4). Cela ne doit pas s’entendre de la terminologie formelle du
4ème Concile de Latran, mais du langage signalé plus haut et qui est
objectivement identique à cette terminologie. Dans les premiers siècles, la
croyance à la conversion était incluse dans la croyance à la présence réelle. C’est
ainsi également que juge Suarez, au sujet du progrès dogmatique que nous
trouvons ici (De Euchar., disp.
1, sect. 1 ; éd. Vivès, 21, 142). Mais la terminologie, avant 1215, était
souvent plus ou moins obscure, dit Franzelin (loc. cit), et Batiffol dit qu’elle
était « plus ou moins diphysite » (Loc. cit., 494). Il n’y eut à enseigner consciemment et
formellement le diphysisme eucharistique que Nestorius, Eutherius
et Théodoret. Au sujet de Nestorius, cf. Jugie (loc. cit).
Ce
qui est vrai, en outre, c’est que, chez les Grecs, la conversion, comme au
reste tous les mystères, fut toujours
traitée avec une certaine réserve. Ils ont sans doute admis, dans leur
théologie, la traduction pure et simple de transsubstantiatio
(μετουσίωσις)
extraite de la « professio fidei
Michælis Paleologi » (Batiffol, 497, Denz. 465) - les Russes eux‑mêmes ont un
terme analogue : presuschtschetolonie - mais la
réserve respectueuse est demeurée. S. Jean Damascène écrit, à la suite des
paroles que nous avons citées plus haut, au sujet de la conversion :
« Si tu demandes comment cela se
passe (πῶς γίγνεται),
qu’il te suffise d’apprendre que cela se fait par le Saint‑Esprit, de même que du sein de la sainte Mère
de Dieu, par la vertu du Saint‑Esprit, le Seigneur,
par lui‑même et en lui‑même, donna existence à la chair ; et
nous ne savons rien de plus, si ce n’est que la parole de Dieu est vraie et efficace
et toute‑puissante, mais le mode est
impénétrable » (De fide orth.,
4, 13). Au reste, dans la Scolastique elle‑même, des
théologiens avaient pour devise : « Il faut croire en ce mystère et
le vénérer, plus que l’analyser de façon contradictoire ».
« Au
sein de l’Église anglicane, on peut
ramener à trois les conceptions différentes de la Cène : Un groupe évangélique
a les idées de Calvin ; un
second a les idées de Luther (le
Christ n’est pas seulement dans les fidèles qui le reçoivent, mais aussi dans
les éléments) ; un troisième groupe, très « haute Église », dont
les membres se nomment « Anglo‑Catholics »,
enseigne la présence réelle objective jusqu’à la transsubstantiation et l’adoration » (Voliarath, 264 sq.).
L’explication théologique de la transsubstantiation
distingue, avec la Scolastique, dans les choses, la substance et les
accidents ; ensuite, dans la substance, la matière et la forme, et admet
alors, conformément au dogme ecclésiastique, que, dans la conversion, la
substance, toute la substance, matière et forme, perd son être propre et passe
dans l’être du Christ, alors que les accidents (species)
demeurent dans leur état d’être originaire.
Pour donner une intelligence plus
précise, on distingue ensuite entre la conversion passive des éléments et l’opération active de transformation, de Dieu ; on montre ce qui se passe
dans les éléments et ce que Dieu fait pour les convertir.
La conversion
passive se fait de telle sorte que toute la substance des éléments passe dans
la substance du corps du Christ. Si l’on comprend cela d’après l’analogie des
processus naturels de conversion, on distingue un point de départ de la
conversion (terminus a quo), un point
final ou d’arrivée (t. ad quem) et un
terme commun permanent (t. manens, commune tertium) par lequel la relation interne et la
continuité qu’exigent la notion de conversion sont garanties. Dans la
conversion eucharistique, l’élément terrestre est le point de départ, le corps
du Seigneur le point d’arrivée, et les espèces sont le terme intermédiaire et
commun (commune tertium).
La
transsubstantiation appartient donc aux changements (mutationes,
conversiones). On exclut la conversion accidentelle, parce que, dans les
accidents, il ne se produit aucune espèce de changement (accidentia
remanent). Mais on ne pense pas non plus à la
conversion substantielle, dans
laquelle la forme seule est changée et qu’on appelle transformation. On
affirme, par contre, la conversion substantielle dans laquelle la matière aussi entre dans le processus de
la conversion, si bien qu’il y a un changement complet (secundum totam substantiam) et qui, pour cela, « est appelée du nom très approprié de
transsubstantiation ». (Trid., can. 2). « Un tout est converti en un tout, car le
pain devient le corps du Christ, et les parties aussi sont converties, car la
matière du pain devient la matière du corps du Christ ; de même, la forme
substantielle devient cette forme qu’est le corps du Christ » (S. Thomas,
Sent. 4 : d. 11, q. 1, a. 3, s. 1).
Les
deux termes, aussi bien le terme « a quo » que le terme « ad
quem », doivent s’entendre positivement et on ne peut pas en concevoir un
d’une manière purement négative. Si on faisait commencer le processus de la
conversion dans le néant (t. a quo), il y aurait alors une création (ex nihilo
sui et subjecti) (Cf. t. 1er § 62). Si l’on
faisait terminer le mouvement au néant (t. ad quem), il y aurait un
anéantissement (annihilatio). Si l’on abandonnait,
dans l’explication, le terme intermédiaire (tertium manens), les deux termes extrêmes seraient sans relation
entre eux, ils seraient séparés ; ils ne seraient que juxtaposés
extérieurement, nous n’aurions plus rien dans le « t. ad quem » du
« t. a quo » et nous ne pourrions plus parler des éléments à propos
du « terminus ad quem », au sujet de sa présence, de sa manducation,
de son adoration. La présence sacramentelle du Christ consiste, en effet, dans
une union formelle du Christ avec les accidents (Salmant., De Euchar.,
disp. 4. dub. 2, n. 12).
Le caractère unique du processus. La notion
de la conversion sacramentelle ne peut pas se comparer d’une manière adéquate
avec des processus naturels. C’est pourquoi aussi le Concile de Trente appelle
la conversion eucharistique une « conversion admirable et
singulière » (Can. 2). Il est à peine besoin de faire une remarque sur la
première expression (admirable). C’est un processus absolument surnaturel, dans
lequel la toute‑puissance de Dieu, pour parler comme
S. Augustin, est la seule « ratio facti ». Par là, nous touchons déjà au caractère unique (singulier) du
fait. S. Thomas fait remarquer que la
conversion eucharistique se distingue de tous les changements naturels pour les
trois raisons suivantes : - 1° Elle touche non seulement la forme, mais
pénètre, jusqu’à la matière, le sujet qui porte les formes successives qu’elle
peut recevoir et qui, dans les conversions naturelles, sert, pour ainsi dire,
de pont permanent entre le
« terminus a quo » (par ex. le vin) et le « t. ad quem »
(vinaigre) ; c’est la même matière qui d’abord, sous la forme de vin,
ensuite sous la forme de vinaigre, possède son être substantiel. « Cette
conversion n’a pas de sujet, comme les autres en ont » ; - 2° Dans
les conversions naturelles, la forme se corrompt et disparaît : elle n’entre
pas dans la nouvelle forme qui naît ; mais ici l’ancienne forme se
convertit dans la nouvelle. « La
forme non plus n’est pas convertie, car l’une disparaît et une autre est
introduite. Mais ici, un tout est
converti en un tout, car le pain
devient le corps du Christ, et les parties
aussi sont converties, car la matière
du pain devient la matière du corps du Christ ; de même, la forme substantielle devient cette forme
qu’est le corps du Christ. »
Dans les conversions naturelles sans doute, le « totum »
est converti, dans la forme ; mais non toutes les « partes »,
pas la matière ; - 3° Enfin, dans les conversions naturelles, ce n’est pas
seulement le « t. a quo », mais aussi le « t. ad quem » qui
est changé, soit par un nouveau devenir (omnis corruptio est generatio et vice‑versa), soit par l’augmentation (augmentum), soit par le complément des parties
corrompues ; au contraire ici a lieu, dans le « t. a quo », le
plus profond changement, mais il n’y en a absolument aucun dans le « t. ad
quem », parce que le corps du Christ préexiste
déjà avant la conversion, est impassible, inconvertible et permanent.
« Aussi ce en quoi la conversion trouve son terme n’est‑il aucunement transformé, à savoir, le corps
du Christ, mais seulement le pain qui est converti. » (Sent. 4, d. 11, q.
1, a. 3, s. 1).
La
théologie postérieure apporte encore des distinctions dans les termes
particuliers eux‑mêmes. On peut, dit‑elle, considérer le point de départ comme un tout ou bien dans sa détermination formelle et, de même, le point d’arrivée ;
par suite, il faut distinguer entre le « terminus a quo totalis »,
qui est constitué par le pain et le vin, avec
les accidents et le « terminus a quo formalis », qui ne comprend
que la substance du pain et du vin. N’est
converti que le terme formel, c’est-à-dire
la substance des éléments ; leurs accidents sont exclus du processus de la
conversion. Ils demeurent. Pour ce qui est du point d’arrivée, on peut
distinguer également le « t. ad quem totalis », qui comprend le
corps du Seigneur avec les accidents du pain et du vin, et le « t. ad quem
formalis »,
qui comprend seulement le corps sacramentel du Seigneur.
La transsubstantiation active est l’acte
de toute‑puissance divine, par lequel le processus qu’on vient
de décrire est produit sur des éléments terrestres, d’une manière surnaturelle.
Ce
que nous pouvons dire avec certitude, au sujet de l’acte mystérieux de Dieu, c’est,
tout d’abord, que par cet acte le pain et le vin (t. a quo formalis)
ne sont pas anéantis. La conversion n’est
pas un anéantissement (annihilatio). Autrement, en
effet, il faudrait que le corps du Seigneur soit créé de nouveau (ex nihilo) et
les deux termes (t. a quo et t. ad quem) seraient intérieurement étrangers,
juxtaposés par hasard et sans relation entre eux. Il faut, au contraire, que la
causalité divine agisse sur la substance des éléments, pour que cette substance
devienne le corps du Seigneur (comme
t. ad quem formalis). Ce n’est que de cette manière
que peut se réaliser la notion de conversion. Nous aurons à examiner plus loin
les explications particulières des Écoles. Remarquons seulement encore ici que
l’action de Dieu porte aussi sur les accidents,
en tant que, pour des raisons que nous exposerons plus loin, elle les empêche
de participer à la conversion et les maintient positivement dans leur être
primitif (« ne restant seulement que les espèces du pain et du vin »,
can. 2).
La
Scolastique se divisa dans l’explication
détaillée du terme final (t. ad quem formalis). S.
Thomas admet un « devenir » (fieri) du
corps « ex pane », si bien que ce corps est produit, pour ainsi dire,
par mode de création « ex pane ». Il remarque cependant que ce n’est
pas une création proprement dite, car les espèces demeurent ; « mais
la Consécration a ceci de commun avec la création qu’il n’existe pas de sujet
commun qui porte les deux termes extrêmes, comme cela existe dans les
conversions naturelles » (S. th., 3, 75, 8).
Les
thomistes postérieurs évitent l’expression « création » et emploient
le terme plus adapté de « production », ou bien, comme le corps du Christ
existe déjà d’une manière complète, celui de « reproduction » (reproductio, replicatio). - Scot prétend, au contraire, que le corps
du Christ est amené extérieurement du ciel sur l’autel, sous les espèces ;
il conçoit le terme final comme une « adduction » (adductio). Les deux explications ont leurs difficultés. S.
Thomas insiste trop sur le « devenir » du corps du Christ, lequel
cependant ne peut « devenir » substantiellement, puisqu’il existe
déjà. Scot abandonne, à proprement parler, le terme final et, par suite, met en
danger la notion de conversion. On ne peut pas éclairer complètement ce
processus mystérieux ; mais il semble qu’on doive expliquer le terme final
comme une nouvelle présence du corps du Christ. La Consécration opère un
nouveau mode d’existence du Christ, l’existence sacramentelle.
THÈSE. En vertu des paroles de la
Consécration, il n’y a de présent sous l’espèce du pain que le corps, et, sous
l’espèce du vin, que le sang du Christ ; mais, en raison de l’union
naturelle et surnaturelle de toutes les parties essentielles, le Christ tout
entier est présent sous chaque espèce. De foi
Explication. Le Concile de Trente
déclare déjà, dans le canon sur la présence réelle, « que le corps et le
sang de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ,
avec son âme et sa divinité, par conséquent le Christ tout entier, est
présent ». Ensuite il définit, avec plus de précision encore, cette
présence sous chaque espèce.
« Si quelqu’un nie que dans le vénérable Sacrement de l’Eucharistie, Jésus‑Christ tout
entier soit contenu sous chaque espèce ; et sous chacune des parties de chaque espèce, après la
séparation : qu’il soit anathème » (S. 13, can. 3 : Denz., 885). Dans le troisième chapitre, auquel se rattache
ce canon, le Concile le commente et dit que « le corps est présent sous l’espèce
du pain et le sang sous celle du vin en vertu des paroles (ex vi verborum) ; mais le corps
lui‑même est présent sous l’espèce du vin, et le sang
sous l’espèce du pain, et l’âme sous les deux espèces en vertu de la connexion
et jonction naturelle (vi naturalis connexionis et concomiantiæ), par
suite de laquelle les parties composantes du Christ Notre‑Seigneur, qui est désormais ressuscité des morts et
ne meurt plus, sont unies entre elles ; en outre, la divinité est présente
à cause de son union merveilleuse avec le corps et l’âme (propter
unionem hypostaticam). C’est
pourquoi chacune des espèces contient autant que les deux » (Denz., 876). Cette déclaration est dirigée contre les
« utraquistes » ou « calixtins », dont nous aurons encore à
parler. Ces hérétiques
prétendaient qu’il était nécessaire de recevoir la communion sous les deux
espèces.
Preuve. L’Écriture
ne se prononce pas (Jean, 6, 52, 57 ; 1 Cor., 11, 27) formellement sur ce
point. Mais le dogme résulte purement et simplement de la présence réelle et de
l’indivisibilité du Christ glorifié. Ces deux vérités sont de nature
strictement dogmatique ; est donc également dogmatique la conclusion. Pour
ce qui est de la seconde vérité, il est clair que le Christ ne peut plus mourir
(Rom., 6, 9). Par conséquent, là où il est présent il est toujours présent tout entier. Là où le corps est présent,
le sang y circule et réciproquement. Puisque le Christ ne peut pas mourir, l’âme
est toujours unie au corps. Parce que, enfin, l’union hypostatique est
indissoluble (t. 1er, p, 380), la divinité, en vertu de cette union,
est partout et toujours unie à l’humanité.
Les Pères. Sans doute
à l’époque patristique et même plus tard, la règle était encore de communier
sous les deux espèces ;
cependant il y avait aussi des cas où on ne donnait la communion que sous une
seule espèce. Ainsi il est établi que les malades, les prisonniers, les ermites
au désert communiaient sous l’espèce du pain. C’est sous l’espèce du vin seule
qu’on communiait de bonne heure les petits enfants. Cela est attesté par S.
Cyprien (De laps., 25) ; cf. S. Augustin (Ep. 186, 30). Aujourd’hui
encore, dans l’Église grecque, les enfants reçoivent la communion sous l’espèce
du vin immédiatement après le baptême.
Du
11ème au 12ème siècle, la communion sous une seule espèce
devint peu à peu l’usage liturgique. La foi à la totalité du Seigneur sous
chaque espèce était la foi générale de l’Église. La Scolastique n’avait qu’à
expliquer l’usage. Déjà Guimond et Alger avaient soutenu la totalité sous
chaque espèce contre Béranger (Dict. théol., 5, 1238). S. Anselme est, autant
qu’on sache, le premier qui ait traité doctrinalement la pratique de l’Église
quand il écrit : « Nous recevons Jésus‑Christ tout entier, vrai Dieu
et vrai homme, soit en ne recevant que son Sang, soit en ne recevant que son
Corps. » (Epistol., 4 ; Ep. 107) ; cf.
S. Thomas, S. th., 3, 76, 1. Les
Hussites eux‑mêmes, quand on leur eut accordé le
calice, confessèrent l’antique foi à la totalité (Funk, Histoire de l’Église, § 143).
Sur
les très longues négociations au sujet du calice et des grandes différences d’avis
au Concile de Trente, cf. Ehses, Concilium Trid., 8 (1919),
529-909.
THÈSE. Même sous chaque partie de
chaque espèce, après la division, le Christ tout entier est présent. De foi.
Explication. Dans le canon que nous avons cité plus haut, la
définition de l’Église va plus loin et dit « que le Christ tout entier est
contenu sous chaque partie de la même espèce, après la division ». Le
canon parle de parties réelles (separatione facta) et non de parties possibles. C’est pourquoi seul le
cas des parties réelles est dogmatisé.
Preuve. Cette thèse est encore la conclusion pure et simple du premier dogme. Si la substance
précédente cesse et que la nouvelle substance se trouve à sa place, il faut que
cette nouvelle substance soit partout où l’on constate les apparences de la
substance précédente. Le partage des espèces ne touche pas le corps du
Seigneur. C’est la propriété de la substance d’être tout entière partout où
elle est. Les Apôtres reçurent le Seigneur tout entier et pourtant ils
mangèrent d’un seul pain et burent d’une seule coupe ; par conséquent, ils
ne reçurent que des parties des éléments consacrés avant. Autrement, le Seigneur
aurait dû faire une consécration spéciale pour chaque Apôtre.
C’est
pourquoi on lit chez les Pères la recommandation de ne rien laisser tomber à terre ; Tertullien (De coron. mil.,
3) ; S. Cyrille de Jérus. (Cat. myst., 5, 21). Cela ne s’explique que
par la foi à la présence du Christ sous chaque parcelle tombée. S. Cyrille motive
expressément ses avis par la valeur incomparable des « parcelles »
tombées. Au sujet de la Scolastique, cf. S. Thomas, S. th., 3, 76, 3 et 5.
Le
Christ est‑il également présent tout entier dans chaque parcelle même avant la division ? S. Albert le G.
le nie. La plupart des théologiens l’affirment et sans doute à bon droit ;
car cela est la conséquence logique du dogme. La division matérielle ne
pourrait pas opérer cette totalité si elle n’existait pas déjà auparavant.
La
Scolastique primitive s’occupa
passionnément de la question de savoir si le corps du Christ était également
rompu avec l’espèce du pain. La réponse, conformément à la formule de foi
prescrite à Béranger : « écrasés
par les dents des fidèles », semblait devoir être affirmative. Roland (Gietl, 233 sq.) oppose cette
argumentation : « Le Corps du Christ est impassible, donc il ne peut pas souffrir, mais il peut être
rompu », et conclut ainsi : « Il est rompu en tant que
sacrement, pas en tant qu’essence ». C’était une meilleure réponse que de
dire, comme d’autres, que la fraction se rapportait à la « forma
panis », laquelle appartient à l’être substantiel du pain qui n’existe
plus (Dict. théol., 5, 1276). La Scolastique aimait employer un exemple qui n’est
pas très approprié : on rappelait les images toujours identiques que
donne, dans toutes ses parties, un miroir brisé
en plusieurs morceaux. On aurait dû songer qu’il y a ici une cassure répétée du
miroir, tandis que, dans l’Eucharistie, la consécration n’a lieu qu’une fois. C’est
en connexion avec cette question qu’on traita aussi les questions triviales du
stercoranisme.
THÈSE. Le Christ est présent dans l’Eucharistie
immédiatement après la Consécration et il y reste présent aussi longtemps que
les espèces demeurent inchangées. De foi.
Explication. La durée ou permanence
de l’Eucharistie était un des points principaux que le Concile de Trente devait
dogmatiser contre les Réformateurs. Luther
admettait la présence réelle ; mais plus tard, suivant une proposition de
Butzer et de Mélanchton, il abandonna la permanence
et la limita au moment de l’usage (usus). C’est pourquoi le Concile de Trente définit : « Si quelqu’un
dit qu’après la Consécration le corps et le sang de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ
ne sont pas présents dans l’admirable sacrement de l’Eucharistie, mais
seulement dans l’usage, au moment où ils sont reçus, ni avant ni après, et que,
dans les hosties ou parcelles consacrées, qui sont conservées ou restent après
la communion, ne demeure pas le vrai corps du Seigneur, qu’il soit
anathème. » (S. 13, can. 4 : Denz., 886).
Le Concile prend la défense de la coutume de conserver le corps du Seigneur et
de le porter respectueusement aux malades, qui est une très ancienne tradition
(Can. 6 et c. 6 ; cf. c. 3).
Preuve. Le Christ présente aux Apôtres le pain et dit :
Ceci est mon corps et non ceci sera
mon corps. Pour le calice, la doctrine catholique ressort plus clairement
encore. Le Christ le présenté en motivant son ordre de boire : Buvez-en
tous, car ceci est mon sang. C’était donc déjà son sang, cela ne
pouvait donc plus le devenir. Cela demeurait également son sang ; cela
ne cessait pas d’être son sang après la première absorption pour le redevenir à
la seconde, comme si la foi des disciples ou la consécration répétée du Christ
avaient opéré une présence intermittente.
Les Pères. Nous n’entendons
point parler d’une réserve liturgique
dans les premiers temps. Par contre, une certaine réserve privée se rencontre assez souvent. Elle était liée à la coutume qu’avaient
de se communier eux‑mêmes les
anachorètes, les ermites, les voyageurs, les prisonniers. On emportait les
saintes espèces chez soi et on s’en communiait aussi souvent qu’on voulait.
Cela est déjà attesté par Tertullien (Ad uxor., 2, 5) ; S. Basile appelle
cela une « antique coutume ». Il l’atteste même pour les temps
ordinaires et calmes. « Tous ceux qui vivent dans des solitudes où il n’y
a pas de prêtre ont la communion chez eux et la reçoivent de leur propre main.
À Alexandrie et dans toute l’Égypte, la plupart du temps, chaque laïc a la
communion chez lui et la prend aussi souvent qu’il veut (Ep. 93 : M. 32,
483). On trouve des témoignages semblables chez S. Ambroise et S. Jérôme - il y
avait aussi une réserve dans le cas des messes célébrées avec une hostie consacrée auparavant (messe des
présanctifiés). Cette messe existe encore aujourd’hui dans l’Église latine le
jour du Vendredi‑Saint ; dans l’Église grecque,
depuis le Concile in Trullo (692), elle a lieu tous les jours du carême, sauf
le samedi, le dimanche et les jours de fête.
Le
dogme de la permanence a présenté à la théologie quelques questions difficiles,
qui, depuis la Scolastique primitive, l’ont fortement préoccupée. On se
demandait surtout ce que recevait le communiant indigne. Comme S. Augustin et les Pères en général avaient insisté,
avec une particulière énergie, sur la foi au sacrement, certains répondaient
que les incroyants et les impénitents ne recevaient rien, mais que le Christ,
au moment où on leur présentait l’hostie, remontait au ciel : « Le
Corps du Christ est porté au ciel par les mains des anges, et les démons
mettent un charbon ardent dans leur bouche » dit Honorius d’Autun (Elucidarium, 1, 30 : M. 172, 1131 ; cf.
Guimond : M. 149, 1491). D’autres, avec raison, distinguaient une
manducation multiple, une « manducation du corps » et une « manducation spirituelle ». Roland dit : « Corporalis
est ipsa assumptio, spiritualis est unio corporis
Christi. Boni utroque modo assumunt,
corporaliter videlicet et spiritualiter et quandoque spiritualiter et non corporaliter.
C’est pourquoi Augustin écrit : « Pourquoi tenir prêts tes dents et
ton estomac ? Crois, et tu auras pris cette nourriture » [Traité 25
sur S. Jean]. Mali vero non spiritualiter sed tantum corporaliter
(matériellement) assumunt » (Gietl,
229 sq.). Il distingue donc déjà, comme aujourd’hui, une triple manière de
communier : une manière normale et sacramentelle, une manière purement
spirituelle et une manière purement matérielle. De même aussi S. Thomas (S.
th., 3, 80, 1). S. Bonaventure pense qu’en cas de danger de profanation le
Christ disparaît soudain, bien que les espèces demeurent (Kattum,
96). A ce propos, la Scolastique traite aussi de la question de la communion de
Judas et répond affirmativement ou négativement (S. th., 3, 81, 2). Une autre
question, celle qui concerne le cas où des animaux auraient mangé l’hostie
consacrée, causa à la Scolastique des difficultés qui n’étaient pas moindres.
« Quæritur, quod a mure invenitur
ac roditur (tel est l’exemple
scolaire constant) utrum sit
corpus Christi ? » Roland répondait qu’il n’y avait qu’une
manducation matérielle (Gietl, 233.) D’autres
restaient indécis : « Nescio » ou bien « Deus novit ». S. Thomas est net : « On ne doit
cependant pas dire qu’un animal brute reçoive
sacramentellement le corps du Christ, parce qu’il n’est pas fait pour le
recevoir, comme sacrement : par conséquent, il ne mange pas le corps du
Christ sacramentellement, mais par accident ; comme le mangerait celui qui
prendrait une hostie consacrée, sans savoir qu’elle l’est » (S. th., 3,
80, 3 ad 3). Cf. aussi Dict. théol., 5, 1280. Comme pour les protestants la foi
du communiant est décisive, d’après eux, celui qui ne croit pas ne reçoit que
du pain.
THESE. Le Christ, dans l’Eucharistie,
doit être honoré d’un culte divin.
De foi.
Explication. La foi à la permanence de l’Eucharistie entraîne
aussi le culte. Le Concile de Trente
l’a défini : « Si quelqu’un dit que, dans le Saint Sacrement de l’Eucharistie,
le Christ, le Fils unique de Dieu, ne doit pas être adoré même extérieurement d’un
culte de latrie et que, par conséquent, il ne doit pas être honoré par des
fêtes particulières ni porté en procession selon les louables et universels
rites et coutumes de la sainte Église, ou bien qu’on ne doit pas l’exposer
publiquement à l’adoration du peuple et que ses adorateurs sont des idolâtres,
qu’il soit anathème. » (S. 13. can. 6 : Denz., 888).
Preuve. Dans l’Écriture,
il n’y a pas d’indication, même par allusion, à un culte eucharistique. Mais ce
culte ressort des paroles de l’institution dans lesquelles il est virtuellement
contenu. Le Concile de Trente, dans
le chapitre doctrinal (5) auquel se rattache le canon cité, se réfère à
quelques textes où l’adoration du Christ en général est exigée (Hébr., 1, 6 = Ps. 96, 7 ; Math., 2, 11). Il en a
parfaitement le droit, car c’est le seul et même Christ que nous devons adorer
dans l’Eucharistie, son mode d’existence seul est différent.
Les Pères. Les
premiers Pères eux non plus ne connaissent pas de culte eucharistique spécial ; mais ils connaissaient
cependant une certaine vénération. D’après S.
Cyrille de Jér., le prêtre s’écrie en face de l’Eucharistie,
avant la Communion : « La chose sainte aux saints ! » Alors
le peuple répond : « Un seul est saint, un seul est Seigneur, Jésus‑Christ » (Cat. myst., 5, 19). On doit communier, enseigne S.
Cyrille, « en s’agenouillant, à la manière de ceux qui adorent et
honorent, et en prononçant ainsi l’amen » (Ibid., 22). S. Augustin est
plus explicite. Il lit au ps. 98, 5 : « Adorez
l’escabeau de ses pieds » et,
dans Deut., 4, 13, « Tu adoreras le Seigneur,
ton Dieu ». Comment cela peut‑il se concilier ? Il résout la
difficulté en l’entendant de la chair du Verbe : « Parce qu’il a
habité parmi nous dans cette chair et qu’il nous a donné cette chair en
nourriture et que personne ne mange cette chair avant de l’avoir d’abord adorée
(nisi prius adoraverit), il en résulte que non seulement nous ne
péchons pas en l’adorant, mais encore que nous péchons en ne
l’adorant pas » (Enarr. in Ps. 98, 9). On trouve
des prescriptions semblables dans les liturgies
(Cf. Bibl. des Pères grecs, Les liturgies grecques). Cf. Thurston, « The early cultus of the reserved Eucharistie », The journal of theol. Studies, 1909, 279.
Les
Grecs n’ont pas d’évolution dogmatique dépassant les dix premiers siècles. Ils
en sont donc restés à l’adoration pendant
la messe comme autrefois. Par contre, l’Occident
possède un riche développement du culte (Cf. plus haut p. 316).
A
consulter : S. Thomas, S. th.,
3, 75 sq. ; ses commentateurs comme Suarez,
Billuart, les théologiens de Salamanque. Lessius, De perfect.
moribusque div, 12, 16. De Lugo, De Euchar.,
disp. 5-10. Salier, Historica scholastica de speciebus eucharisticis (Lugd., 1687). Wildt. Explanatio mirabilium quæ divina potentia in aug. Eucharistiæ sacram. operatur
(1868). Gihr, v 58. Holder, La présence du Christ dans l’Eucharistie (Revue
augustinienne, 1909, 212 sq.). Dict.
théol., v. Eucharistie. D’Alès,
Eucharistie.
L’Eucharistie
est un mystère. Avec la Trinité et
l’Incarnation, l’Eucharistie compte parmi les plus grands mystères du christianisme.
C’est pourquoi il faut l’entendre et la concevoir surtout et d’abord dans la
foi. On ne peut pas arriver à la pénétrer d’une façon assez complète et assez
profonde pour démontrer d’une manière positive la possibilité de la
transsubstantiation ; cependant, on peut réfuter les objections que la raison élève contre ce dogme. Or il y a surtout trois points sur lesquels la raison,
éclairée par la foi, ne peut pas arriver à faire la lumière complète : 1°
Le mode d’existence particulier du corps sacramentel du Christ ; 2° La
permanence des espèces ; 3° La présence multiple du Seigneur sur les
autels.
Ad 1. Le
mode d’existence particulier, sacramentel. D’après l’enseignement général
des théologiens, le corps du Christ n’est pas présent dans l’Eucharistie à la
manière des corps étendus, mais selon un mode
d’existence spirituel (per modum spiritus). Comme ce mode d’existence sacramentel ne
comprend que la substance de son corps, il est présent par mode de substance au
sens non pas chimique, mais métaphysique, scolastique (per modum
substantiæ), comme sujet en soi invisible qui supporte les accidents (S. th., 3, 76, 7).
Pour
s’opposer à la conception capharnaïte et, plus tard,
stercoraniste, les Pères et les scolastiques furent obligés d’insister sur la spiritualité du corps dans le sens de
Jean, 6, 64. S. Ambroise écrit déjà : « Ce n’est donc pas une
nourriture corporelle, mais spirituelle... Car le corps de Dieu est un corps
spirituel, le corps du Christ est le corps de l’Esprit divin, parce que le
Christ est Esprit, comme nous le lisons : « Le Christ Seigneur est
Esprit en face de nous » Thren., 4, 20 »
(De myst., 3, 58). C’est ce que répétèrent les
scolastiques primitifs, qui enseignèrent que le Christ a, dans l’Eucharistie,
« spiritualem quemdam existentiæ modum » (Cf. par
ex. Hildebert : M. 171, 1151). Ils font dériver
cette spiritualité de l’union hypostatique et de la qualité de corps glorieux.
Ajoutons tout de suite ici qu’ils expliquent par cette raison et en se référant
à la toute‑puissance de Dieu la multilocation.
« Omnipotentiæ, quæ
Christo etiam pro carnis
parte collata est (1) attribuendam
est, qua. .. in cælo et in terra præsens etiam corporaliter potest esse, ubicumque et quomodocumque sibi placuerit » dit Alger (De sacram.
corp. et sang. Christi, 1,
15 : M. 180, 785 : cf. Guillaume de Saint‑Thierry : M. 180, 347 et 358 ; Hugues, De sacr.,
2, 8, 11). Mais on entend cela de telle sorte que « caro
Christi non de loco ad locum transeundo
sed ibi ubi
est remanendo et alibi ubicumque
voluerit existendo, tota et integra et substantialiter sit et in cœlo et in terra » (Alger, 1, 14 : M. 180, 782).
On ne donne pas par là, bien entendu, une explication
plus profonde. Les scolastiques postérieurs, a partir d’Alexandre de Halès,
complétèrent la formule et dirent : Le Christ, bien qu’il soit vraiment
corporel, est cependant présent « per modum substantiæ ». La substance, en effet, de sa nature,
est indépendante de l’étendue, si bien que, par ex., on a dans une goutte d’eau
toute la substance de l’eau comme dans la mer.
Il
faut cependant maintenir, dans l’explication théologique, que le corps du
Christ est véritablement un « corps » et non un « esprit ».
Une certaine corporalité lui est propre par définition. Ce serait d’ailleurs
une contradiction d’admettre la conversion du pain en un esprit. Mais S. Paul
lui‑même a déjà distingué entre corps et
corps (1 Cor., 15, 35-40). Le Corps glorieux du Christ est lui aussi un vrai
corps et pourtant combien notre pensée a de peine à le concevoir ! Or du
dogme de la totalité, on doit déduire, avec la Scolastique, que le corps du
Seigneur, dans l’Eucharistie, est dépourvu d’étendue locale et, par conséquent,
est présent « à la façon d’un esprit ». Quelle est la limite de la division au delà de laquelle le Seigneur ne serait plus
présent ? Nous ne pouvons guère l’indiquer. Par contre, on ne peut pas
écarter entièrement l’étendue, parce qu’elle fait nécessairement partie de
notre notion de corps. Pour résoudre cette difficulté, les théologiens
distinguent entre étendue et étendue. Ils disent que la possibilité d’extension
suffit et qu’une extension réelle, actuelle, n’est pas nécessaire (quantitas dimensiva interna non externa). La possibilité interne
d’extension est la cause de l’étendue externe. Les deux étendues peuvent être
séparées et l’étendue interne peut exister par elle‑même sans l’étendue externe. Au corps du
Christ dans l’hostie convient seulement la quantité interne et non la quantité
externe. D’après Aristote (Mét., 1, 6, c. 13), le quantum est, en effet, une réalité
divisible en ses parties, de telle sorte que ces parties peuvent exister
physiquement en soi, une fois séparées. D’après cette définition la quantité
est une réalité absolue, interne, subjective, du quantum, sans relation
formelle avec l’espace. C’est là la conception interne du corps, conformément à
laquelle et en vertu de laquelle le corps contient en lui des parties réelles
qui, en outre, spécialement dans un corps organisé,
sont non seulement distinctes les unes des autres, mais encore dépendantes les
unes des autres. Cette conception interne, absolue et subjective d’un corps s’appelle
la quantité interne. Or, d’après les
données de l’expérience, le corps a aussi, conformément à cette étendue
interne, une relation avec l’espace extérieur dans lequel une partie du corps
est placée en dehors de l’autre. C’est ce qu’on appelle la quantité externe. Ainsi donc cette quantité
externe ne fait pas partie de la notion métaphysique du corps, c’est plutôt un
complément de l’étendue interne, fondé sur les lois de la nature. Elle n’est
donc pas constitutive d’essence, mais
nécessaire à l’essence, c.‑à‑d. qu’elle
résulte naturellement de l’essence ; par là même, elle n’est pas
absolument indispensable à l’essence métaphysique du corps. Cette définition
aristotélicienne de la quantité, qui n’a donc pas été créé en vue de la
théologie, est appliquée, dans la dogmatique, avec un droit scientifique
complet, à l’Eucharistie. Le Christ est présent sur l’autel comme on corps
véritable, mais « à la façon des esprits », « par mode de
substance » et, par conséquent, sans étendue externe. Par
là, d’après les explications qu’on vient de donner, il ne perd pas du
tout l’essence propre de l’étendue, puisqu’il possède absolument la quantité
interne. La possibilité d’étendue externe qui est entièrement fondée dans la
quantité interne, existe, mais cependant ne se réalise pas, parce qu’elle en
est empêchée miraculeusement par la toute‑puissance de
Dieu, en considération de la présence sacramentelle, c’est-à-dire, en dernière
analyse, pour des raisons sotériologiques. Ainsi demeure aussi observée la loi
générale de la grâce : « gratia non destruit sed perficit
naturam » ; car le corps du Seigneur
conserve, avec la quantité interne, l’ordre interne et les relations
réciproques des parties entre elles. Il ne suffit donc pas de dire simplement :
le corps du Christ est présent à la manière d’une substance, il faut considérer
aussi l’organisation de cette substance. C’est pourquoi il faut rejeter l’opinion
qui admet une compénétration des membres du corps, car cela comporterait une
désorganisation des différentes parties du corps, ce qui serait la suppression
de la notion de corps, sans parler de l’indécence de l’image qu’évoque cette
opinion. Il faut, au contraire, admettre une ordonnance réciproque interne des différentes parties du corps et,
conformément à cette ordonnance, une fonction de chacun de ces membres par le
moyen de l’âme et de son corps sacramentel.
Ad 2. La
permanence des accidents. Dans l’Eucharistie, les accidents (species) du pain et du vin demeurent sans sujet d’inhésion propre. Le Concile de Trente fait ressortir spécialement cette vérité dans un canon (Can.
2 : ne restant seulement que les espèces du pain, et du vin).
Historiquement, il faut d’abord
signaler, comme pour les relations entre la substance et les accidents, trois étapes dans l’évolution de la
doctrine. 1° A l’époque patristique,
on n’avait pas encore conscience du problème comme tel ; on envisageait
plutôt le sacrement, par analogie avec les autres sacrements, comme un
tout ; on ne faisait pas de distinction métaphysique, mais on distinguait
simplement entre ce que les sens constatent et ce que la foi reconnaissait
comme caché sous les apparences. « Autre est ce que l’on voit, dit S.
Augustin, autre est ce que l’on comprend. » Une théorie sur le mode de la conversion et sur les relations entre l’apparence
et la réalité ne se trouve chez aucun Père, pas même chez S. Jean Chrysostome (Rauschen,
34) ; 2° Dans la Scolastique
primitive, le problème se présenta de lui‑même comme
une conséquence logique de la définition de la transsubstantiation et demanda
une solution. Or il fallut attendre longtemps avant de parvenir à la clarté
complète et à l’unanimité. Des paroles des Pères, comme « caro corpore et sanguine vescitur » (Tertull.),
« dentibus atteri »
(Chrysost.), pouvaient sans doute conduire à une
union trop étroite des accidents avec le corps du Christ et faire penser qu’on
saisissait directement et immédiatement, dans les espèces sacramentelles, le
corps du Christ. C’est aussi l’opinion que l’on entend formuler maintes fois.
Abélard, Omnebene, etc., considéraient l’air comme le
sujet des accidents à la manière des apparitions des anges, dans lesquels le
corps qu’ils prennent serait porté par l’air environnant. D’autres, par
opposition à ces « dialectici », voulaient,
conformément à Job, 35, 5 (Considère les cieux, et vois ; regarde les
nuées : elles sont plus hautes que toi), s’abstenir de toute explication.
Alger établit le premier la théorie des accidents sans substance (sine substantiæ fundamento facit Deus qualitates existere). Hugues a une doctrine précise et distincte. Les
accidents, dit‑il, ne peuvent pas être inhérents au pain, puisque le pain n’existe
plus ; ils ne peuvent pas non plus être inhérents au corps du Christ, lequel ne possède pas d’accidents de ce
genre ; mais la toute‑puissance
fait en sorte qu’ils existent en eux‑mêmes, « præter substantiam » (Sent.,
5, 4). Ces idées tracèrent la voie a S. Thomas dont, par conséquent, Alger et Hugues furent les
précurseurs sur ce point. La solution avait été rendue difficile, dans la
Scolastique primitive, par deux axiomes : « accidens
non migrat
de subjecto in subjectum »
et : « accidens omne
denominat suum subjectum » ; 3° La haute Scolastique acheva, dans un certain sens, l’évolution. S.
Thomas part encore de Dieu ; Dieu est la « prima causa » dans la
création et le maintien de tout être,
par conséquent aussi de l’être des accidents ; il maintient lui‑même ces accidents d’une manière miraculeuse
sans substance. D’une manière directe et immédiate, il ne maintient que l’accident
fondamental de l’étendue comme support immédiat de tous les autres et, par cet
accident, il maintient tous les autres. Les accidents conservent non seulement
leur propre « être », mais encore leur « agir » propre (S.
th., 3, 77, 1-8). C’est cette explication, qui sauvegarde le mystère tout en
disant à la raison le dernier mot et le plus profond, que la théologie
postérieure a admise dans ce qu’elle a d’essentiel,
malgré Descartes (Cf. Dict. théol., 5, 1368-1452).
Sous
le nom d’espèces (species), il faut donc entendre
tout ce que la Scolastique et la théologie postérieure appellent accidents dans le sens de la philosophie
aristotélicienne. Mais la réalité des accidents fut attaquée, quand Descartes et
des théologiens, comme Drouin, Vitasse, déclarèrent
que les accidents étaient de pures apparences que Dieu produirait miraculeusement
dans nos sens. Or les accidents des substances précédentes demeurent. Leur apparence n’est pas produite par Dieu.
Cette opinion est déjà opposée à la doctrine de l’Église parce qu’il ne
resterait pas de « tertium manens » et que, par conséquent,
on n’aurait pas la transsubstantiation définie, mais une annihilation et une
création.
On
se demande comment on doit expliquer spéculativement la permanence des
accidents. Tout d’abord il est établi dogmatiquement qu’ils n’existent pas dans
un sujet d’inhésion. La proposition de Wiclef : « Les accidents du pain ne demeurent pas
sans sujet » fut condamnée (Denz., 582).
« Ils ne sont inhérents à aucune substance », dit le Catéchisme
romain (P. II, c. 4, q. 45 ; cf. q. 26). Par là on exclut le sujet d’inhésion « naturel » et non pas tout sujet même
miraculeux. C’est pourquoi aussi quelques théologiens reprirent plus tard les
idées d’Abélard et pensèrent à l’air
ou à l’éther ; d’autres
pensèrent au corps du Christ, auquel la toute‑puissance
enchaînerait miraculeusement les accidents. Cette dernière opinion serait sans
doute la plus acceptable, s’il n’était pas d’une impossibilité interne de
recevoir en soi, en plus de ses accidents naturels, d’autres accidents
contradictoires et étrangers et de se les unir. Comme on ne peut pas échapper
au miracle, il est plus simple d’admettre, avec la plupart des théologiens
scolastiques, que Dieu soutient
directement et miraculeusement les accidents. Cependant, pour ne pas multiplier
les miracles sans nécessité, on distingue entre les accidents absolus et les accidents
purement modaux (S. th., 3, 77, 3). Parmi les premiers, il faut compter l’étendue et les qualités qui ont en elle leur racine. Or cet accident fondamental
de l’étendue est soutenu directement par Dieu sans support substantiel ;
tous les autres sont supportés par l’étendue.
On
ne peut pas élever une objection
philosophique fondée contre cette explication. La séparabilité des accidents
absolus, telle que l’exige le dogme, n’est pas en soi contradictoire, bien que
la raison ne puisse pas la prouver positivement.
L’être accidentel des accidents absolus est distinct de l’être substantiel des
choses ; par conséquent, Dieu peut aussi maintenir cet être dans sa
réalité physique propre. Sans doute, la notion d’accident comporte l’inhérence
dans une substance. Mais, en vertu de cette notion, l’aptitude à l’inhérence
suffit, l’inhérence actuelle n’est
pas nécessaire. Tout au moins on ne doit pas considérer comme impossible à Dieu
de maintenir ces accidents en eux‑mêmes sans
inhérence actuelle.
Or
l’être est suivi de l’opération. Si les accidents sont
maintenus dans leur être précédent, ils le sont aussi dans leur action
précédente. Il en résulte donc la nécessité de leur effet naturel. Ainsi ils n’ont pas perdu leur caractère nutritif et
leur corruptibilité.
Au
sujet du retour du sacrement de son
être surnaturel à son être naturel, nous ne pouvons rien dire, si ce n’est que
Dieu retire aux accidents la présence du Christ, quand ceux‑ci, par corruption, ont perdu leur nature
propre et ne sont plus les signes voulus par Dieu de la chair et du sang.
But et importance des accidents.
1.
Les accidents demeurent après la conversion parce qu’ils sont les signes
extérieurs visibles de la chair et du sang du Christ. Ils assurent à l’Eucharistie
le caractère d’un sacrement, dont la
notion exige nécessairement un signe
sensible. Dans leur fonction de signes sensibles, ils ont comme but
important de montrer extérieurement
aux fidèles le corps du Christ, de le rendre, pour ainsi dire, visible et, en même temps, de le voiler et ainsi de le présenter d’une
manière apte à la manducation.
2.
L’union des accidents avec le corps du Christ est expliquée par les théologiens
de diverses façons. Les scotistes considèrent cette union comme une union morale, les thomistes comme une union physique, d’autres l’appellent
simplement merveilleuse (Schwane, 4, 378
sq.). Aujourd’hui cependant tous les théologiens sont d’accord pour dire que ce
qui arrive aux espèces n’atteint pas le corps du Seigneur dans sa manière d’être
spirituelle, comme cela atteindrait un corps matériel ; il n’est pas
rompu, dissous, assimilé à la substance humaine avec les espèces. Dans la Scolastique primitive, la formule
imposée à Béranger « écrasé par les dents » produisit longtemps son
effet, ainsi que les histoires massives de miracles de Paschase
Radbert, si bien que l’on pensa à une rupture
réelle du corps du Seigneur. Ce fut le cas de Pierre Damien, de Guil. de Malesbury, de Gerboch de Reichensberg, de Guil.
de Troarn, de
Guimond d’Aversa, de Gautier de Saint‑Victor, etc.
(Cf. Dict. théol., 5, 1217 sq.).
3.
Le Christ est présent sous les accidents dans une corporalité véritable et
réelle, mais d’une manière complètement invisible. En raison de son mode d’existence
spirituel, il ne peut pas être perçu dans l’hostie. Si l’on pouvait contempler
réellement une figure sensible du Seigneur, ce ne pourrait être qu’une figure
produite miraculeusement et non sa corporalité sacramentelle (Cf. sur les
différentes opinions théologiques à ce sujet, Pesch, 6, 332).
4.
Dans la manière de parler, il se
produit un certain échange des prédicats quand on attribue au corps du Seigneur
les prédicats locatifs qui
conviennent d’abord aux espèces. Mais ce serait une erreur d’attribuer au corps
du Christ les prédicats des accidents des substances précédentes. On ne peut
non plus attribuer à ce corps les accidents du Christ glorifié ou historique.
Il existe précisément sous les accidents « sacramentels » de la
présence cachée.
5
Pour ce qui est de la réception, il
faut remarquer que le Christ est véritablement reçu. Ce qui est absorbé, ce
sont d’abord les espèces ; avec elles, le Seigneur est reçu véritablement,
mais sacramentellement : il n’est pas broyé avec les dents. Ce n’est pas
une réception capharnaïte, ce n’est pas davantage une
réception purement spirituelle : c’est une réception
« sacramentelle », dans laquelle, sous le signe, on a la véritable
substance. Celui qui communie indignement
reçoit les espèces sacramentelles et avec elles le vrai corps du Seigneur, mais
il ne reçoit pas la grâce opérée.
Ad 3. La
multilocation au corps du Christ. Du dogme de la
présence réelle, uni aux faits naturels des célébrations innombrables, chaque
jour, de l’Eucharistie, il résulte que le corps du Christ, sans contradiction
interne, est présent en même temps en plusieurs lieux.
Le
Concile de Trente dit : « Il n’est pas contradictoire que notre
Sauveur lui‑même soit toujours assis à la droite
du Père au ciel, selon son mode d’existence naturel, et que néanmoins il soit
présent sacramentellement parmi nous avec sa substance, au moyen d’un mode d’existence
que nous pouvons à peine exprimer par des paroles, mais que la pensée éclairée
par la foi peut concevoir comme possible à Dieu et que nous devons croire d’une
foi inébranlable » (S. 13, c. 1 : Denz.,
874). La multilocation du corps sacramentel est donc
une conclusion théologique certaine. Mais, dans sa pénétration spéculative, se
trouve une grande difficulté de pensée, peut-être la plus grande de toutes. Le
corps glorieux du Christ est présent
au ciel à la manière des corps glorifiés, mais d’une manière circonscriptive. Ce corps est un corps numériquement unique. Ce même corps, ainsi l’exige la foi, est
cependant, au moment où il est présent d’une manière circonscriptive
au ciel, « sacramentellement » présent sur la terre, sur autant d’autels
qu’il y a de messes célébrées. Or, comme il est évident que le corps du
Seigneur ne peut pas se multiplier, il résulte, avec la même évidence, de tout
ce qu’on a dit, que seule sa présence sacramentelle peut se multiplier. Nous
parlons seulement d’une multilocation,
d’autres disent aussi multiprésence,
mais nous ne parlons pas d’une multiplication
du corps du Seigneur.
Mais
comment l’intelligence peut‑elle s’expliquer
cette multilocation ? Le Concile de Trente dit
qu’on peut à peine l’exprimer par des paroles. S. Thomas écarte, ou plutôt
tourne toute la difficulté, en déclarant simplement que le corps sacramentel n’est
aucunement spatial et, par conséquent, ne peut pas, à proprement parler, être
multiplié. Les scotistes parlent d’une
présence définitive, telle que celle de l’âme dans le corps. D’autres ont même
pensé à une présence corporelle circonscriptive
réelle (Schanz,
361). Mais si l’on veut, avec S. Thomas, placer le corps sacramentel en dehors,
ou plutôt au‑dessus de l’espace, et parler non pas
d’une multilocation mais d’une multiprésence,
on est cependant forcé par la foi de placer la présence dans l’espace de l’hostie consacrée, et non pas
à droite ou à gauche, en dehors de
cette hostie, car le corps du Christ n’est pas divin et omniprésent. Ainsi donc
la réflexion nous force de rentrer dans l’espace, et dans un espace entièrement
concret, dans lequel les espèces sont présentes d’une manière circonscriptive et garantissent la présence du corps. La
spéculation nous contraint donc d’arriver à une présence définitive, telle que l’admettait Scot, et nous force, par suite, d’admettre
une multilocation.
Personne ne peut donner une explication positive de cette multilocation,
parce qu’il nous manque l’expérience correspondante et que notre pensée ne peut
se débarrasser de la représentation des trois dimensions. Cependant on peut
indiquer que l’accident de lieu (ubi) d’un corps n’est
pas, par définition, une chose physiquement saisissable par elle‑même, mais une pure relation extérieure d’une
substance avec l’espace. Le dogme
affirme seulement la relation d’un corps (du corps du Christ) avec différents
espaces et l’on ne peut pas démontrer positivement que cela est impossible.
Si
les tentatives d’explication positive ne peuvent pas être entièrement
satisfaisantes, l’apologétique peut cependant, avec le Concile de Trente, faire
appel à la toute‑puissance de Dieu à laquelle tout est
possible (Math., 19, 26) et, avec cette référence, repousser l’objection de ceux qui prétendent qu’une multilocation du Corps du Christ est contradictoire. Avant
de risquer une pareille affirmation, il faudrait d’abord connaître parfaitement
la sagesse et la toute‑puissance de
Dieu et avoir pénétré l’être merveilleux tant du corps glorifié que du corps
sacramentel du Seigneur. C’est pourquoi nous disons : Dieu donne au corps
sacramentel du Christ une telle perfection surnaturelle que, dans l’identité
numérique avec lui‑même, il est
présent à la fois d’une manière circonscriptive au ciel et d’une manière définitive (per modum
substantiæ, per modum spiritus) sur plusieurs autels. Nous ne pouvons pas appeler
cela une omniprésence
(ubiquité) ; la théodicée nous l’interdit. Mais c’est une sorte de moyen
terme entre la présence limitée à un lieu et l’omniprésence, bien que les mots
manquent pour exprimer cela. En définitive, toute spéculation doit encore ici
aboutir au mystère « qu’il faut croire et vénérer, plus que l’analyser de
façon contradictoire ».
A
consulter : S. Thomas, S. th.,
3, 73, 1 ; q. 74 sq. Orsi, Dissert. de invocatione S. Spiritus in liturgiis græcis et orientalibus (1731). Dict.
apol., v. Epiclèse. Dict. théol., 5, 194-300. Cagin, L’Eucharistie (1912). - Au sujet des effets : S
Thomas, S. th., 3, 79, et les autres ouvrages cités plus haut. - Au sujet du
ministre, outre les ouvrages de théologie pastorale : Gasparri, Tract. canon. de
ss. Eucharistia (1897). C.
J. C., can. 801-869. G. Constant,
Concession à l’Allemagne de la communion sous deux espèces (Paris, 1923), 2
vol.
On a discuté autrefois sur le signe
sensible du sacrement de l’Eucharistie ; mais aujourd’hui on est
généralement d’accord pour dire que ce signe ne consiste ni dans les espèces
seules ni dans le corps du Seigneur seul, mais précisément dans les espèces en
tant qu’elles contiennent caché le corps du Seigneur.
C’est pourquoi on définit l’Eucharistie : un sacrement dans lequel, sous
les espèces consacrées du pain et du vin, le corps et le sang du Christ sont
vraiment, réellement et substantiellement présents pour la nourriture de notre
âme.
Il faut noter que, malgré les deux espèces, il n’y a qu’un sacrement. S. Thomas : « ce sacrement renferme à la vérité plusieurs
choses matériellement, mais il est un formellement et perfectivement »
(S. th., 3, 73, 2 ; cf. 3, 78, 6 ad 2). C’est ce que dit également S. Bonaventure (Katlum, 50 sq.). C’est pourquoi
le prêtre ne communie qu’une fois à la messe et non pas deux fois.
D’après le schéma exposé plus haut (p.
235) concernent les trois parties métaphysiques du sacrement, les espèces sont
« sacramentum tantum », le corps du Christ
« sacramentum et res », la grâce, « res sacramenti ». Les deux
espèces nous montrent un seul corps
du Seigneur et, par suite, comme on l’a déjà dit, un seul sacrement.
THÈSE.
La matière valide de l’Eucharistie est le pain de froment et le vin naturel. De foi.
Explication. Au sujet du pain,
il y eut une controverse avec les Grecs qui emploient du pain fermenté alors que les Latins emploient
du pain non fermenté. La controverse
fut dirimée en ce sens que chaque Église put conserver son usage, qui devint
pour elle obligatoire. Au 2ème Concile de Lyon (1274), les Grecs
reconnurent la légitimité de l’usage latin (Denz.,
465). Le Concile de Florence déclare : « Nous définissons que le
corps du Christ est vraiment consacré dans le pain de froment azyme ou (sive)
fermenté et que les prêtres doivent consacrer le corps du Seigneur dans l’un de
ces pains chacun selon la coutume de son Église. » (Denz.,
692). Dans le décret pour les Arméniens, Eugène IV dit : « Le
troisième sacrement est l’Eucharistie, dont la matière est le pain de froment
et le vin naturel. » (Panis triticeus et vinum de vite : Denz.,
698 ; cf. Professio fidei
Michaelis Palæol. : Denz.,
465 ; cf. 1084).
Preuve. Même si le Christ a célébré la Cène un jour avant
(Jean, 13, 1) et non « le premier jour des azymes » (Math., 26,
17 ; Marc, 14, 12 ; Luc, 22, 7), il l’a certainement célébrée d’après
le rite juif. Or ce rite ne connaissait que du pain sans levain (Ex., 34, 18).
Dès le jour précédent, on avait déjà fait disparaître tout le pain fermenté.
Les récits de l’institution nomment simplement le pain (ἄρτος),
de même que pour la coupe (le vin), ils ne contiennent pas d’autres précisions.
Pour ce qui est du vin, l’Église suppose que, selon les usages du pays, le Christ
l’a mélangé d’un peu d’eau et c’est
pourquoi elle prescrit de faire de même.
Les Pères. Dans l’ensemble, nous retrouvons chez les Pères
cette conception tirée de l’Écriture. D’après S. Irénée, Clément, Origène, S.
Ephrem, on doit s’en tenir au pain de froment (Schanz, 376 sq.) Au sujet du
pain, Thalhofer
écrit : « Au reste, il est vraisemblable que ni le Christ ni ses
Apôtres n’ont donné de prescriptions générales et obligatoires concernant la
célébration de l’Eucharistie avec du pain sans levain. Autrement, étant donné
le caractère strictement conservateur de la chrétienté primitive, on ne
pourrait pas expliquer comment il a pu se faire que, de très bonne heure, l’Église
d’Orient se soit servie, pour le sacrifice de la messe, de pain fermenté, alors
que l’Église d’Occident, par contre, se servait de préférence du pain sans
levain. » (Liturgie, 2, 109). La pratique fut souvent mêlée ;
cependant les Latins se servaient de préférence de pain azyme et les Grecs, à
partir du 5ème siècle, du pain fermenté. Au sujet du vin, ce fut toujours l’unanimité.
Harnack a voulu prouver, d’après S. Justin, l’usage de l’eau, mais Scheiwiller lui a démontré son
erreur. S. Justin, S. Irénée, Clément parlent sans doute d’un mélange de vin et
d’eau, mais non de l’eau comme matière de l’Eucharistie. L’usage de l’eau se
trouve, il est vrai, mais dans les sectes, par ex. chez les hydroparastes,
les aquariens. L’obligation de mélanger l’eau au vin est exprimée par le
Concile de Trente (S. 22, can. 9). La quantité
d’eau ne doit pas altérer la nature du vin (aqua modicissima ;
Denz., 698). Les Grecs
eux‑mêmes observaient cette coutume. Seuls
les Arméniens schismatiques
(monophysites) la repoussent. C’est qu’en effet l’eau est considérée comme un
symbole de l’humanité et, par suite, le mélange ne s’accorde pas avec leur
christologie. Les protestants
abandonnèrent cet usage, parce qu’il symbolisait aussi l’union du Seigneur avec
son Église (Cf. Thalhofer, 2, 116).
Depuis
la Scolastique, on discute sur la
conversion de l’eau. Les uns la nient
et d’autres affirment que l’eau est convertie avec le vin. De même on s’est
demandé si le prêtre pourrait consacrer n’importe quelle quantité de pain et de vin. S. Bonaventure répond que le
consécrateur est lié à l’intention du Christ, laquelle est toute sagesse et
toute dignité. Dieu ne donne pas sa puissance sans but.
THÈSE. Il faut considérer comme forme
de l’Eucharistie les paroles du Christ avec lesquelles il a présenté le
sacrement aux Apôtres. Fidei proxima.
Explication. Nous avons quelques déclarations officielles de l’Église
bien qu’il n’y ait pas de définition formelle.
Eugène IV déclare : « La
forme du sacrement, ce sont « les paroles du Rédempteur » par
lesquelles il opère ce sacrement ; le prêtre, en effet, opère ce sacrement
en tant qu’il parle dans la personne du Christ. » (Denz.,
698). Le concile de Trente dit, par
rapport aux Grecs, que le Canon de la messe « est exempt de toute
erreur » (S. 22, c. 4 et Can. 6 : Denz.,
942, 953). Les mots « mysterium fidei » sont sans doute une interjection pieuse
introduite (au temps de S. Augustin), analogue au « prodigium
admirabile » de la liturgie éthiopienne ; μυστήριον τῆς πίστεως
[le mystère de la foi] est une expression paulinienne (1 Tim., 3, 9) et
caractérise tout mystère de foi et parfois tout le christianisme. La foi à l’Eucharistie
est, selon Jean, 6, 67 sq., le mystère central de la foi. Le mot « æterni » est une simple explication de « novi testamenti ». Les
Grecs, il est vrai, entendent les paroles du Christ comme une simple citation
et prétendent consacrer par l’épiclèse,
c.‑à‑d.
l’invocation au Saint‑Esprit,
par laquelle on le prie de convertir les éléments. La
tradition et la pratique latine sont différentes : d’après cette
tradition, c’est par les paroles du Christ que l’on consacre. Le Concile de Trente dit : « L’Église de
Dieu a toujours tenu pour vrai qu’après la consécration, le véritable Corps de
Notre‑Seigneur, et son véritable Sang, conjointement avec
son âme, et la Divinité, sont sous les espèces du pain, et du vin ; c’est
à dire, son Corps sous l’espèce du pain, et son Sang sous l’espèce du vin, par la force des paroles mêmes »)
(S. 13, c. 3 : Denz., 876). En parlant ainsi, le
Concile pensait certainement à la consécration en usage dans l’Église latine à
cette époque.
Preuve. Bien que les récits des évangélistes diffèrent dans
les détails, ils concordent cependant dans l’essentiel : Ceci est mon corps ;
ceci est mon sang. C’est avec ces paroles que le Seigneur présenta le sacrement
aux Apôtres. Et si elles rendent d’abord le son d’une citation, il faut cependant admettre qu’elles ont en même temps une
signification opérative, consécratoire.
Les Pères. Sans doute
les plus anciens documents de l’Église ne nous offrent pas de témoignages
entièrement certains et leurs données n’ont trait qu’à une prière qu’on
prononce sur les éléments, si bien que Rauschen croit
pouvoir conclure qu’au début on consacrait par toute la prière eucharistique l’action de grâces (P. 120).
Cependant ces allusions générales (Didachè, 9, 1-5 ;
Justin, Apol., 1, 66 : εοχή ;
S. Irénée, A. h., 5, 2-3 : λόγος
τοῦ θεοῦ ;
ibid., 4, 18, 5 : ἡ ὲπίϰλησις
τοῦ θεοῦ ;
S. Cyprien, Ep. 75, 10 : invocatio) sont bientôt
suivies de notations plus claires. Tertullien (Adv. Marc, 4, 40), Clément d’Al.
(Pæd., 2, 2), les Constitutions apostoliques (c.
26 : Funk, Doctrina duod. Apost.,
1887, 71) disent que le Seigneur a bénit les éléments en disant : Prenez, etc. La tradition est tout à fait nette à
partir de S. Ambroise. D’après lui,
la consécration se fait par la parole du Christ. « Le Seigneur Jésus lui‑même dit : Ceci est mon corps. Avant les
paroles de bénédiction célestes, une autre substance est nommée, après la
Consécration, on l’appelle « le corps ». » (De myst., 9, 54). Le pseudo‑Ambroise est aussi clair : « Par
quelles paroles, par le discours de qui se fait la Consécration ? Par les
paroles du Seigneur Jésus... Quand arrive le moment où l’adorable sacrement est
préparé, le prêtre ne parle plus avec ses propres paroles, mais il emploie les
paroles du Christ. C’est donc la parole du Christ qui prépare le
sacrement. » (De sacram., 4, 4). S. Optat de Méla et S. Gélase
1er insistent sur l’invocation du Saint‑Esprit. S.
Augustin est, ici encore, symbolique et obscur. S. Grégoire le G. signale le « Pater Noster » dans le
Canon ; cependant il n’est pas probable qu’il y voie la prière de
consécration comme le pense Rauschen (p. 112). Brinktrine (Th. Gl., 1917, 152
sq.) entend « consecrare » dans le texte de
S. Grégoire au sens large de « sanctifier »;
il faut donc penser ici à une prière pour demander la bénédiction ou l’acceptation
de l’offrande déjà convertie au corps et au sang du Christ. Parmi les Grecs, S. Jean Chrysostome est un témoin clair.
Il écrit : « Ceci est mon corps, dit‑il. Cette
parole change les dons présents. » (De prod. Jud.
hom., 1, 6). S.
Jean Damascène unit les paroles de l’institution avec l’épiclèse (De fide orth., 4, 13). Pohle fait ressortir, dans ce texte, les paroles de l’institution
et Rauschen (p. 125 sq.), l’invocation du Saint‑Esprit.
Nous
sommes donc, encore une fois, ici, en présence de la difficulté de prouver, d’une
manière strictement historique, la permanence, l’identité et l’universalité de
la formule de consécration. Néanmoins, surtout pour l’époque postérieure, nous
pouvons établir l’unité essentielle. Cagin a pu réunir dans un tableau synoptique environ 80
formules de consécration de l’Orient et de l’Occident (P. 224-244). Il
distingue trois périodes d’évolution. Il est vrai que les modifications
concernent moins les prières de la consécration
elles‑mêmes que les prières du Canon en général.
Revenons
à la question de l’épiclèse. Elle se
trouve pour la première fois, d’une manière formelle, chez S. Cyrille de Jér. dont
les catéchèses supposent la liturgie de S. Jacques. Au sens large, « ut fideles impleantur omni benedictione cælesti et gratia », en rapport par conséquent avec la communion,
elle est très ancienne, peut-être même remonte‑t‑elle à l’origine. (Cf. Brinktrine, Th. u. Gl. (théol. et foi), 1928).
Dans
l’Occident, l’évolution doctrinale se rattacha ici à S. Ambroise et à l’Ambrosiastre, d’après lesquels la consécration a lieu par
les paroles de l’institution. Dans l’Église d’Orient, au contraire, l’évolution
se produisit de telle sorte qu’on en arriva peu à peu à placer le moment de la
consécration dans l’épiclèse seule ;
mais cette opinion ne peut pas se démontrer par les Pères, pas même par S. Jean
Damascène. Étant donnée la tension qui se produisit après Photius entre l’Orient
et l’Occident, on ne put plus songer à régler ce différend. Toutes les
solutions qu’on a essayé d’apporter jusqu’ici
à la question de l’épiclèse sont peu satisfaisantes.
Salaville donne, dans
le Dict. théol. (V. 220 sq., v.
Épiclèse), toute la preuve de tradition et pense que, d’une manière générale,
les deux Églises, pendant les sept premiers siècles, consacrèrent avec les
paroles de l’institution, mais qu’à partir de ce moment l’influence de S. Jean
Damascène (+ 749) fit placer, dans l’Église grecque,
l’épiclèse au premier rang ; cette épiclèse n’aurait eu aucune influence
en Occident jusqu’au 16ème siècle où Ambrosius
Catharinus et Christophorus
a capite Fontium se
rapprochèrent des Grecs.
Concernant
la cause de la Consécration, les avis
des scolastiques sont partagés. Les uns, avec S. Thomas, admettent « que
dans les paroles formelles de ce sacrement, il y a une vertu créée pour
produire la conversion qui s’y opère » (S. th., 3, 78, 4) ; par
contre, la majorité, avec S. Bonaventure, S. Albert, Alexandre de Halès, considèrent que la cause est Dieu, le Christ, le Saint‑Esprit.
Gillmann a complété ses études au sujet des
paroles de la Consécration (Cf. « Katolik »,
1914, livraison 4, 303 sq.). Il montre que, d’après des commentaires manuscrits
de la Scolastique primitive sur les Sentences,
Jésus aurait consacré par des paroles qui nous sont inconnues ou plutôt en
vertu d’une « bénédiction » inconnue, par un simple « acte de
volonté » ou par le « toucher » du pain. Par suite, le pain
aurait déjà été consacré quand il dit : « Ceci est », etc...
Richard de Middletown (+ vers 1308) raconte que certains auteurs essayaient de
résoudre la difficulté contenue dans « Ceci » en disant que le
Christ, dont le prêtre cite simplement les paroles, aurait indiqué son corps sacramentel ; lequel, au
moment de ces paroles ou même avant,
était déjà présent sous l’espèce du pain, car avant l’énonciation des paroles
en question le pain serait déjà changé au corps du Seigneur.
Quelques
scolastiques pensaient que le Christ
avait consacré par un simple acte de volonté, mais qu’il avait ordonné à ses
Apôtres et à l’Église de consacrer au moyen des paroles de l’institution. C’est
l’avis d’Innocent III avant son pontificat, d’Huguccio,
de Prœpositinus, d’Eudes de Cambrai, d’Étienne d’Autun.
(Cf. Gillman, « Katolick »,1910,
2, 231 sq. ; 1911, l, 233 sq. ; 1912, 2, 150 sq. ; 1915, 1, 388
sq.).
Au
sujet de la consécration par « mélange », cf. M. Andrieu, « Immixtio et consecratio ».
La consécration par contact, dans les documents liturgiques du Moyen‑Age, 1924. Amalarius : « Sanctificatur enim vinum non consecratum per sanctificatum panem et postea communicant omnes. »
D’après Andrieu, depuis l’époque carolingienne jusqu’à 1200 et plus, on a cru à
l’effet de la « commixtio ». Il croit que
cette « commixtio » vient de l’Orient,
parce qu’elle était en usage en Syrie et en Chaldée.
Pendant
la grande guerre, des théologiens ont
discuté la question de savoir si on pouvait validement
et licitement consacrer sous une
seule espèce (celle du pain) pour administrer le viatique à des mourants. Le Codex dit : « Il est néfaste,
même devant l’urgence d’une extrême nécessité, de consacrer l’une des matières
(eucharistiques) sans l’autre ou même toutes les deux, en dehors de la
célébration de la messe. » (Can. 817).
THESE. Le pouvoir de consacrer l’Eucharistie
appartient aux prêtres seuls. De
foi.
Explication. Étant donné que l’Église voit précisément, dans la
consécration de l’Eucharistie, la fonction essentielle du prêtre et que les
Réformateurs, par contre, opposaient au sacerdoce spécial de l’Église le sacerdoce général, le Concile de Trente
répéta la doctrine de foi déjà affirmée par le 4ème Concile de
Latran (Denz., 430) contre les sectes spiritualistes,
à savoir que le prêtre est le seul ministre de l’Eucharistie : « S.
q. d. que par ces paroles, « Faites ceci en mémoire de moi » (1 Cor.
11, 24 Luc 22, 19), Jésus‑Christ
n’a pas établi les Apôtres Prêtres ; ou n’a pas ordonné qu’eux, et les
autres Prêtres offrent son Corps et son Sang : Qu’il soit anathème »
(S. 22, Can. 2 : Denz., 949).
Preuve. C’est aux Apôtres seuls que le Christ a dit :
Faites ceci en mémoire de moi. L’Église en est tellement persuadée qu’elle voit
justement dans ces paroles l’institution du sacerdoce spécial. S. Paul nomme
les Apôtres : « ministres du Christ et dispensateurs des mystères de
Dieu » (1 Cor., 4, 1). D’après l’Épître aux Hébreux, tout le monde n’est
pas prêtre, mais seulement celui qui a été établi par Dieu pour cela (Hébr., 5, 1-3 ; 8, 1-3). C’est pourquoi tout s’oppose
à ce que l’on interprète 1 Cor., 10, 16 dans ce sens que toute la communauté
avait l’administration des saints mystères, bien que, dans les Épîtres aux
Corinthiens, les prêtres n’apparaissent pas et qu’ils ne soient pas nommés non
plus dans les prescriptions concernant l’Eucharistie.
Les Pères. La Didachè donne cet
avis immédiatement après avoir parlé de la célébration de l’Eucharistie :
« Choisissez-vous donc (οὖν) des
évêques et des diacres qui soient dignes du Seigneur. » (15, 1). Dans l’Épître de S. Clément, les évêques et les
diacres sont comparés aux prêtres et aux lévites de l’Ancien Testament. On leur
reconnaît des fonctions officielles propres (λειτουργίαι)
et cette ordonnance doit être observée (1 Cor., 41, 42 ; cf. 37). La chose
est très claire chez S. Ignace :
« Qu’on considère comme tout à fait légitime l’Eucharistie qui est soumise
à l’évêque ou à celui qui a reçu mission de lui... Il n’est pas permis de
baptiser ou de célébrer l’agape sans l’évêque » (Smyrn.,
8, 1 sq.). Celui qui a reçu mission de l’évêque ne peut être que le prêtre, car
le diacre, d’après Trall., 2, 3, n’est que le
distributeur (Cf. Philad., 4). D’après S. Justin, le
« chef des frères » consacre et les « diacres » distribuent
l’aliment sacré (Apol., 1, 65). Ce n’est donc pas S. Cyprien qui a vu le premier, dans l’accomplissement
de l’Eucharistie ou du sacrifice, la fonction principale du prêtre (Harnack),
bien qu’il ait insisté sur cette pensée avec une force particulière :
« Car si le Christ est lui‑même le
Prêtre suprême du Père, s’est offert lui‑même au Père
et a ordonné que cela se fasse en mémoire de lui, il est certain que chaque
prêtre tient véritablement la place du Christ, puisqu’il reproduit ce que le
Christ a fait. » (Ep. 63, 14). Les diacres doivent faire circuler le
calice (De laps., 25). Les témoignages de l’époque postérieure sont si précis
qu’il est inutile de les alléguer. Orig., Hom. 4 in Num. 3 : M. 12, 600 ; Hieron,
Adv. Lucif., 21 : M. 23, 175 ; Chrysost., De sacerdot., 3,
4 : 642.
Le diacre ministre. D’après les
textes des Pères que nous avons cités (S. Ignace, S. Justin, S. Cyprien), le
diacre était, dans les temps anciens, le distributeur de l’Eucharistie. Dès le
3ème siècle, il ne présentait plus d’ordinaire que le calice et non
l’espèce du pain. Les conciles postérieurs réglèrent ses fonctions d’une
manière plus précise encore. Les Constitutions
apostoliques (8, 28) ordonnent : « Le diacre n’offre pas le
sacrifice, mais quand l’évêque ou le prêtre l’ont offert, il le répartit au
peuple, non pas comme prêtre, mais comme quelqu’un qui sert le prêtre. »
Dans l’ensemble, on conserva cette coutume jusqu’au Moyen‑Age. Quand peu à peu l’usage de présenter le
calice au peuple eut disparu, il fallut naturellement que cette coutume aussi
cessât. Cf. aussi S. th. 3, 82, 3.
L’usage
de se communier soi‑même qui était courant autrefois, quand on
communiait à la maison, fut plus tard sévèrement interdit. Le prêtre même qui
ne célèbre pas ne doit pas se communier de sa main. Déjà, à l’époque
patristique, les diacres recevaient la communion du célébrant. Le Concile de Nicée insiste particulièrement sur cette
de prescription (Can. 18). Cependant, en cas de nécessité, S. Alphonse de Lig. permet se
communier soi‑même et d’autres théologiens également
jugent ce sujet avec une bienveillance conforme à l’esprit chrétien primitif.
La communion aux malades était administrée autrefois même par des laïcs ;
on dut même interdire ce ministère aux femmes (Dict. théol., 3, 491 sq.).
Le
mode d’administration a varié. A l’époque
patristique, on mettait l’espèce du pain dans la main des fidèles ; les
femmes recouvraient leur main d’un petit voile blanc. Mais on pouvait ainsi s’abstenir
de communier et même abuser de la sainte hostie. C’est pourquoi on lit dans les
décisions des conciles qu’on doit recevoir l’Eucharistie dans la bouche et qu’il
est interdit de la retirer de la bouche. La formule d’administration avait,
dans l’ensemble, le même contenu : l’affirmation de la présence réelle (le
corps du Christ) et du but de la communion (pour la vie éternelle, pour la
rémission des péchés, pour la résurrection). Au début, le fidèle disait :
« Amen ». Plus tard cet « amen » fut joint à la formule d’administration.
Dans
la Scolastique primitive, il y avait
encore, malgré la doctrine claire de S. Augustin, des hésitations au sujet du mauvais ministre. Gratien (c. 90 ;
C. 1, q. 1) réfute cette proposition : « Verba imprecantis sacerdotis
non faciunt Eucharistiam, sed vita » ;
cf. aussi la question de la réordination (dans le traité de l’Ordre). Tout le
monde ne résolvait pas la question avec la même clarté qu’Omnebene :
« Credimus quod faceret sed
graviter delinqueret ».
Cela s’applique aux hérétiques et aux simoniaques (Roland, Gietl,
217 ; cf. 235 sq.). Roland juge de même ; il fait cependant une
réserve : « Dum modo non sint exauctorati. Quod si fuerint exauctorati, eis consecrandi potestas perpetuo inhibetur. » (Ibid.,
218). Gerhoch de Reichenberg
enseigne lui aussi que les sacrements sont invalides pour les excommuniés (Bach, 1, 436). Là encore S. Thomas est clair et précis :
Dieu convertit, le prêtre avec l’intention voulue prononce les paroles et les
prononce « ex persona ipsius Christi loquentis », à la différence des autres sacrements où
les « formæ proferuntur
ex persona ministri », que ce soit une forme
active (Ego te baptizo) ou impérative (accipe potestatem) ou déprécative
(Per istam sanctam unctionem, etc.). Seul le prêtre a le pouvoir d’agir en la
personne du Seigneur ; il l’a reçu dans l’ordination (S. th., 3, 78, 1 et
82, 1). Même le mauvais prêtre peut
agir « in persona Christi », car précisément le Christ a de bons et
de mauvais serviteurs : « Et ceci appartient à l’excellence du Christ
qui est servi, comme le vrai Dieu, non seulement par les bonnes choses, mais
encore par les mauvaises qu’au moyen de sa providence il tourne à sa
gloire » (Ibid., 82, 5). Il en est de même du consécrateur hérétique, schismatique
et excommunié, qui a été ordonné validement. Néanmoins, même s’ils consacrent
validement, on doit dire d’eux : « Ils pèchent
en le faisant ». » (Ibid., a. 7).
Qu’en est‑il des laïcs ? Le juste
baptisé est lui aussi uni au Christ : il ne l’est pas cependant par le
pouvoir sacramentel, mais « par la foi et la charité... C’est pourquoi il
a le sacerdoce spirituel pour offrir les victimes spirituelles » (ps. 50 ; Rom., 12, 1 ; 1 Pier., 2, 5 ; S.
th., 3, 82, 1 ad 2). S. Thomas écartait par là une obscurité de la Scolastique
primitive, qui consistait en ce que, parfois, avec Bernard de Chartres, on
attribuait aux paroles de la consécration une importance si grande qu’on les
croyait toujours efficaces, même prononcées par un laïc, sans exclure les
femmes « quelque soit leur ordre et leur
condition » (Dict. théol., 5, 1285). Innocent prescrivit aux Vaudois une
profession de foi dans laquelle on lit : « Credimus
et profitemur, quod quantumcumque
quilibet honestus, religiosus, sanctus et prudens sit, non potest nec debet Eucharistiam consecrare nec altaris sacrificium conficere, nisi sit presbyter a visibili et tangibili episcopo regulariter ordinatus (on exclut donc la prétendue ordination par un
ange ou d’une manière miraculeuse). Ad quod officium
(scil. missæ)
tria sunt,
ut credimus, necessaria : certa persona, id
est presbyter... et illa solemnia verba
(du Canon) et fidelis intentio proferentis »
(Denz., 424), c.‑à‑d. le consécrateur doit prononcer fidèlement
les paroles de la Consécration dans l’intention de l’Église. Le rôle de l’intention
du ministre est déjà connu par la doctrine générale des sacrements ; mais
on l’exige encore spécialement ici. Depuis la Scolastique, on considère comme
strictement nécessaire que cette intention porte sur une matière nettement
déterminée. Négliger cette détermination rend la consécration non seulement
illicite, mais encore invalide. Cf. la Théologie
pastorale et morale. Au sujet des diverses interprétations d’« intentio fidelis », cf. Gillmann, Intention, 70 ; il énumère « intention
honnête » « intentio faciendi,
etc. », « intention, sincère précise » « intention
orthodoxe » et se décide pour intention « conforme à la foi »,
parce que « fides et fidelis »
reviennent à mainte reprise dans la profession de foi avec le sens de foi et de
croyant. Gillmann, il est vrai, peut citer un certain
nombre de scolastiques qui, outre l’intention, exigent encore la foi du
ministre, mais cela n’est pas conciliable avec la doctrine générale des sacrements,
parce que, d’après cette doctrine, ni la foi ni la piété ne sont exigées pour
la validité ; cf. plus haut p. 252 sq.
Une
célébration laïque et domestique de l’Eucharistie,
voilà ce que les protestants cherchent volontiers dans le christianisme primitif.
Cela leur permettrait de prouver leur « sacerdoce général ». Mais il
n’y a pas de véritable preuve ; on s’en tient aux affirmations. Il s’agit
seulement, dans les exemples qu’on allègue, de prières de table récitées par
des femmes dans les repas d’agapes. Rade
recommandait, d’après sa « ferme conception biblique », une
célébration de la Cène par tout chrétien digne, que ce soit un homme ou une
femme, un ordonné ou un non ordonné. Il a le même droit de le faire que de lire
la Bible (Cité par la Rev. d’Innsb.,
1918, 685).
THÈSE.
Tous les fidèles en état de grâce peuvent recevoir le sacrement de l’Eucharistie
d’une manière salutaire. De
foi.
Explication. L’Église a toujours exigé l’état de grâce pour l’Eucharistie.
Le Concile de Florence indique comme effet l’augmentation de la grâce (Denz., 698). Le Concile de Trente distingue, avec la Scolastique primitive et la haute
Scolastique, une triple réception : 1° purement sacramentelle (par les
hommes en péché mortel) ; 2° purement spirituelle (dans la communion
spirituelle), ou 3° sacramentelle et spirituelle. Au sujet de cette dernière,
il définit : « Si quelqu’un dit que la foi seule est une préparation
suffisante pour la réception du sacrement de la Très Sainte Eucharistie, qu’il
soit anathème ». Il ajoute ensuite l’exigence, en cas de péché mortel, de
la confession et interdit de se contenter de la contrition parfaite, sauf en
cas de nécessité (Can. 11 : Denz., 893 ;
cf. c. 7).
La
communion spirituelle (spiritualis manducatio) est
décrite par la Scolastique, qui d’ordinaire ne distingue que la manducation
spirituelle et la manducation sacramentelle, comme une « spiritualis incorporatio corpori mystico per fidem et caritatem », ou plutôt comme une élévation et un
accroissement de cette incorporation et de ses raisons internes, la foi et la
charité (S. th., 3, 80, 1 ; cf. Lechner,
Richard de Med., 211 sq.).
Preuve. Jésus présenta le sacrement aux Apôtres après avoir
expressément établi leur pureté à tous, sauf pour Judas qui sans doute ne
communia pas, et après avoir, par la cérémonie saisissante du lavement des
pieds, exigé d’une manière symbolique et générale cette pureté pour la
réception (Jean, 12, 2-20). S. Paul rappelle cette pureté en termes très
graves : « Que l’homme s’éprouve lui‑même
et qu’ainsi (après s’être éprouvé) il mange de ce pain et boive du
calice ». Celui en effet qui mange et boit indignement, mange et boit le jugement, car il ne distingue pas le
corps du Seigneur (d’une nourriture ordinaire). Ensuite il indique des maladies
et même des cas de mort comme punition de la réception indigne (1 Cor., 11, 27
sq.).
Les Pères. Les
témoignages des Pères sont aussi précis. Seul celui qui était baptisé avait le
droit de recevoir l’Eucharistie. On présumait en général que le baptisé avait
conservé la grâce du baptême. Cependant on exigeait encore auparavant une
certaine pénitence pour les péchés quotidiens, bien qu’on la laissât au gré de
chacun. La Didachè
donne cet avis (9, 5) : « Que personne ne mange et ne boive de votre
Eucharistie, sauf ceux qui ont été baptisés au nom du Seigneur ; car à ce
propos le Seigneur dit : Ne donnez pas la chose sainte aux chiens. »
(Math., 7, 6). Ensuite elle donne aussi cet avis aux baptisés : « Au
jour du Seigneur, rassemblez-vous, rompez le pain et rendez grâces après avoir
auparavant confessé vos péchés, afin que votre sacrifice (subjectif) soit pur
(14, 1). D’après S. Justin, on exige
du communiant qu’il croie à la doctrine chrétienne et qu’après le baptême il
vive comme le Christ l’a ordonné (Apol., 1, 66).
S. Cyprien cite des
cas où des indignes, une femme et même un enfant, furent, après la communion,
atteints de maladie et moururent (De laps., 25 et 26). Les antiques liturgies
contiennent une confession générale des péchés comme exhortation perpétuelle à
être purs. Le diacre s’écriait avant de donner la communion : « Les
choses saintes aux saints » et sommait les pénitents de s’éloigner. Quant aux infidèles et aux non baptisés,
ils étaient écartés de la célébration par des portiers spéciaux (ostiarii).
S. Augustin connaît une
opinion rigide qui ne permet pas l’approche de l’Eucharistie tous les jours,
mais seulement les jours où « l’on vit d’une manière plus pure et plus
continente », et une autre qui ne l’interdit qu’à ceux qui sont en péché
mortel. Il ne les rejette ni l’une ni l’autre ; « car aucune ne
déshonore le corps et le sang du Seigneur. Toutes les deux honorent le
Seigneur, bien que ce soit d’une manière différente et pour ainsi dire
opposée... L’une par respect n’ose pas recevoir (le sacrement chaque jour) et l’autre
par respect n’ose pas s’en abstenir un seul jour. Il n’y a que le mépris que
cette nourriture ne supporte pas, comme la manne ne supportait pas le
dégoût » (Ep. 54, 4 ; cf. In Joan., 27, 11). Parfois aussi on exige,
pour la réception de l’Eucharistie, l’abstention des relations conjugales.
Ainsi Origène, S. Grégoire le G., plus tard, S. Isidore, quelques scolastiques
et le Catéchisme romain (Cf. 1 Cor., 7, 5). On peut, « pietatis
causa », communier selon n’importe quel rite (can. 866) et l’on peut faire
la communion pascale dans n’importe quelle église. Cf. cependant can. 859, § 3.
Comme
dispositions corporelles, l’Église
exige le jeûne naturel (jejunium naturale)
(Cf. Denz., 626). Cet usage est signalé déjà par
Tertullien (Ad uxor., 2, 5) et S. Augustin le recommande (Ep. 54, 6, 8 ;
cf. le Concile d’Hippone, 393, can. 28). Le respect du sacrement, la séparation
des agapes, qui dégénérèrent peu à peu, d’avec l’Eucharistie dont on fixa la
célébration aux premières heures du matin, furent les causes qui amenèrent l’introduction
de cet usage.
Les
malades, qui gardent le lit depuis un
mois, sans espoir de guérison prochaine, et ne peuvent rester à jeun, peuvent
communier une ou deux fois par semaine après avoir pris une médecine (même des
pilules) ou bien quelque chose de « liquide » (Can. 858).
La
communion des enfants est aussi
ancienne que le baptême des enfants qui contribua sans doute à la faire
établir. Comme on administrait la communion aux adultes immédiatement après le
baptême, on procéda logiquement de même avec les enfants. Cette coutume se
continua jusqu’assez loin dans le Moyen‑Age, environ
jusqu’au 12ème siècle. L’évolution se fit ainsi : au début, les
enfants communiaient immédiatement (200-1200) ; puis on retarda la communion
jusqu’à l’âge de discrétion qu’on plaçait entre dix et douze ans (S.
Bonaventure demande quatorze ans : sacramentum adultorum). (Kattum,
130) (1200-1910). En 1910, Pie X fixa l’âge de discrétion à sept ans. De même
que dans la primitive Église les enfants recevaient la communion, on peut
aujourd’hui encore la donner aux semi‑déments
(semi fatui) quand on n’a pas à craindre qu’ils ne
profanent le sacrement et quand, dans leur vie antérieure, ils ont eu une
disposition positive pour sa réception. Cf. cardinal Gennari,
Sur l’âge des premiers communiants : Commentaire du Décret « Quam singulari ». Andrieux, La première communion (1911).
Le C. J. C. laisse le soin de décider si l’enfant a l’âge
de discrétion aux parents ou à leurs représentants et aux confesseurs et oblige
le curé à se rendre compte s’ils sont suffisamment préparés (Can. 854).
La
communion des malades. Il ne
faut pas la chercher, dans la primitive Église, telle qu’on la pratique aujourd’hui.
Aux pénitents gravement malades on donnait l’Eucharistie qui leur avait été
refusée dans leur état de pénitence, afin qu’ils puissent mourir en paix avec l’Église
(Hergenroether,
Hist. de l’Église, 1, 253 sq., 345 sq.). Le Concile de Nicée ordonna
expressément cette pratique qu’il appelle une « lex
antiqua regularisque » (Héfélé,
1, 401 ; cf. 3, 169). Dans ce cas, la communion était une nécessité et
pouvait même être administrée par un petit garçon (Eusèbe, Hist. eccl., 6, 44 : M. 20, 629 sq.). Mais il n’en était pas
de même dans les circonstances normales où mouraient la plupart des chrétiens.
Dans ce cas, il n’était pas besoin d’une réconciliation officielle avec Dieu et
l’Église. Pour ces « peccata quotidiana »,
on considérait la pénitence privée et la confession faite à Dieu comme
suffisantes. Ainsi S. Augustin mourant
fixait, pendant les dernières semaines de sa maladie, les psaumes de la
pénitence qu’il avait fait inscrire sur les murs de sa chambre et les récitait
continuellement, car il croyait que même un chrétien saint, même un prêtre, ne
doit pas quitter la vie sans faire pénitence (Possidius, Vita S. Augustini, c. 31). Au sujet de S. Ambroise, on raconte qu’avant sa mort il reçut l’Eucharistie (Paulinus, Vita S.
Ambrosii : M. 14, 43). On raconte la même chose
de S. Basile (M. 29, 315), ainsi que
de S. Benoît de Nursie (Gregorius M., Dial., 2, 37). Le Dict. théol., 3, 557, passe immédiatement de ces quelques exemples
au 10ème siècle et dit que ce sont presque les seuls documents. Dans
l’Historia Lausiaca,
composée par Palladius d’Hélénopolis
(+ avant 431), on raconte la vie d’environ 70 saints personnages, hommes et
femmes, mais, pour ce qui concerne la question que nous traitons, on ne peut
pas en tirer grand‑chose.
Les témoignages sont plus abondants à partir de l’an 1000. Quant au rite de la communion des malades, on
parle tantôt d’une seule espèce, tantôt des deux espèces (Dict. théol., 3,
558). Cf. aussi ce qui est exposé au paragraphe 195 sur la pénitence pour les
péchés d’une gravité moyenne.
On peut distinguer les effets de l’Eucharistie
en effets pour l’âme et en effets pour
le corps.
Effets
pour l’âme. En tant que sacrement des vivants, l’Eucharistie
reçue dignement opère l’augmentation de
la grâce et une union
particulièrement intime avec le Christ
notre chef et, par lui, avec les membres de l’Église. L’augmentation de la grâce résulte du caractère de l’Eucharistie
qui est un sacrement des vivants. Comme les Réformateurs voyaient dans la
« Cène » un moyen de remettre les péchés, le Concile de Trente définit : « Si quelqu’un
dit, ou bien que le fruit principal de la Très Sainte Eucharistie consiste dans
la rémission des péchés ou bien qu’elle ne produit
aucun autre effet, qu’il soit anathème » (S. 13, Can. 5 : Denz. 887).
Concile
de Florence : « L’effet de ce sacrement, qu’il opère dans l’âme
de celui qui le reçoit dignement, est l’union
de l’homme au Christ. Et parce que par la grâce l’homme est incorporé au
Christ et uni à ses membres, il en résulte que par ce sacrement la grâce est accrue chez ceux qui le
reçoivent dignement, et tout l’effet que la nourriture et la boisson matérielle produisent en ce qui concerne
la vie corporelle, en la soutenant, l’accroissant, la réparant et la délectant,
ce sacrement l’opère en ce qui concerne la vie spirituelle » (Decret. pro Armen. :
Denz., 698). Concile de Trente : « Or il (le Christ) a voulu que ce sacrement
soit reçu comme la nourriture spirituelle des âmes, afin que par là les vivants soient nourris et fortifiés par la vie
de celui qui a dit : Celui qui me mange vivra à cause de moi ». Tel
est aussi le sens des prières de l’Église au moment d’administration de l’Eucharistie :
« Que le corps de Notre‑Seigneur
Jésus‑Christ préserve ton âme pour la vie
éternelle. »
L’Écriture insiste fortement sur cet effet
de la conservation de la vie surnaturelle. Le Christ dit : « Ma chair
est vraiment une nourriture et mon sang est vraiment un breuvage. Celui qui mange
ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui » (Jean, 6, 56
sq.). Dans les paroles de l’institution, la rémission des péchés est mentionnée
mais comme fruit du corps sacrifié et non du corps mangé. S. Paul exige que l’homme s’éprouve lui‑même avant de participer à l’Eucharistie :
« Celui qui mange et boit indignement mange et boit le jugement » (1
Cor., 11, 29).
L’union avec le Christ peut s’entendre dans
un double sens, sacramentel et mystique. On reçoit d’abord le sacrement
et on le mange. C’est là une union extérieure et corporelle. Mais elle doit se
transformer immédiatement en union intérieure et mystique ; cette union se
produit avec la grâce attachée au sacrement : « De ore in cor »,
dit Hugues de Saint‑Victor.
Alors que la première union cesse au bout de peu de temps, car les espèces
extérieures qui en sont la condition disparaissent elles‑mêmes, l’union intime, l’union mystique
persiste et est le fondement réel de la vie que le juste puise dans les forces
de Dieu.
Le
Christ insiste beaucoup sur cette union et la compare à sa propre union avec
son Père : « Comme le Père qui est vivant m’a envoyé et que je vis à
cause de mon Père (c.‑à‑d. par le Père), ainsi celui qui me mange
vivra à cause de moi » (Jean, 6, 57, 58). On doit donc voir, dans cette
union du communiant avec le Christ et Dieu, comme l’effet primaire et
proprement sacramentel (gratia sacramentalis).
Les Pères aiment à rattacher
précisément à la communion leur doctrine connue de la divinisation : Dieu
dans l’Incarnation s’est fait homme et dans la communion il entre dans l’homme
afin que l’homme devienne Dieu. A cette élévation et à cet achèvement de la vie
surnaturelle est joint un accroissement de toutes les forces surnaturelles de
grâce et de toutes les vertus. Aussi le mot de l’Apôtre s’applique ici dans un
sens spécial : Dieu en nous donnant son Fils « nous a tout
donné » (Rom., 8, 32).
Mais
l’union avec le Christ‑Dieu est en
même temps l’incorporation à son corps mystique, l’Église, et, par conséquent, le développement de la fraternité entre
ses membres. L’Eucharistie est le sacrement de la charité. Il est frappant de voir comment l’Écriture, les Pères et
les scolastiques insistent précisément sur cet effet de l’union des membres de
l’Église entre eux. S. Paul :
« Nous sommes tous un seul corps, nous qui participons à un même
pain » (1 Cor., 10, 17). S. Augustin
résume toute la tradition eucharistique quand il s’écrie : « O signe
d’unité ! O lien de charité ! » (In Joan., 36, 13). Et S. Thomas dit en commentant 1 Cor., 10,
17, et S. Augustin : « De même que le pain unique se compose d’un
grand nombre de grains, et un corps unique de plusieurs membres, ainsi l’Église
de Jésus‑Christ est formée d’un grand nombre de
fidèles, unis par la charité ». L’accroissement de la grâce passe au
second plan en face de cet effet de charité, dans les
périodes biblique, patristique et scolastique. Il serait salutaire, en
un temps où l’on constate à la fois la communion fréquente et le défaut
terrible de charité fraternelle, d’insister plus qu’on ne l’a fait jusqu’ici
sur cet effet social d’une digne réception de la communion : « Je
vis, mais ce n’est plus moi, c’est le Christ qui vit en moi. » (Gal., 2,
20).
A cet effet positif de charité et de
grâce est uni en même temps un effet négatif. Le Concile de Trente dit que l’Eucharistie est reçue
« comme un antidote, par lequel nous sommes délivrés de nos fautes
journalières, et préservés des péchés mortels » (S. 13, c. 2 : Denz., 875 ; cf. Florentinum :
Denz., 698).
A
mesure que l’Eucharistie fortifie en nous la vie surnaturelle et accroît la charité,
elle doit briser la force du péché en nous. On ne peut pas servir deux maîtres
à la fois (Math., 6, 24). A côté de l’amour de Dieu ne peut pas persister l’esclavage
de Satan.
L’Eucharistie
efface aussi les péchés « quotidiens »,
c.‑à‑d., selon la
manière actuelle de parler, les péchés « véniels ». Ce fait apparaît clairement tant dans la doctrine
des Pères que dans les prières liturgiques de la messe.
Les
Pères comme S. Hippolyte, S.
Ambroise, S. Augustin, S. Maxime de Turin, S. Cyrille d’Alex. attribuent à l’Eucharistie la rémission des péchés
journaliers. Les liturgies contiennent de fortes expressions sur la rémission
des péchés par l’Eucharistie ; parfois cette pensée est exprimée dans la
formule même d’administration (prosit tibi in remissionem peccatorum). Il est
vrai que l’Église primitive, comme on l’a démontré plus haut (p. 354),
caractérise le péché grave comme un obstacle à la réception de la communion. Il
faut remarquer cependant que, d’après la « sententia
communis », la communion opère « per accidens la gratia prima »,
quand quelqu’un, de bonne foi et à son insu, communie en état de péché mortel
(Cf. plus haut § 159).
Les
théologiens enseignent en outre que la communion a la vertu de remettre la
peine. Quelques‑uns même prétendent que cet effet est
direct (ex opere operato).
Mais S. Thomas fait dépendre la mesure de cette rémission de la dévotion
subjective (S. th., 3, 79, 5).
Effets
pour le corps. Ainsi que le
sacrement de l’Extrême‑Onction
le sacrement de l’Eucharistie a lui aussi des effets corporels. Or on peut
distinguer un double effet corporel : l’Eucharistie calme et atténue la concupiscence et elle est la cause de la
résurrection de la chair.
Que
l’Eucharistie calme les passions chez celui qui la reçoit dignement, c’est l’enseignement
fréquent des Pères, c’est une vérité souvent exprimée aussi dans les prières
liturgiques et constatée par l’expérience des fidèles. Le Christ dit qu’il est
venu pour apporter « la vie en abondance » (Jean, 10, 10). Mais l’effet
sur le corps ne peut être qu’un effet indirect, résultant de l’accroissement de
la charité dans l’âme (S. th., 3, 79, 1 ad 3). Des corps purement matériels ne
peuvent pas être récepteurs de la grâce. « On ne broie pas sa grâce sous
les dents », dit S. Augustin (In Joan., 27, 3 ; cf. plus haut p. 27).
La
résurrection glorieuse est indiquée par le Seigneur comme une conséquence de l’Eucharistie
(Jean, 6, 55). On ne doit pas entendre ces paroles, comme l’ont fait parfois
les Pères, d’une manière trop étroite et établir entre l’Eucharistie et la
résurrection une connexion causale physique. L’Eucharistie nous rend moralement
capables de mener la vie des enfants de résurrection d’une manière semblable
aux anges (Luc, 20, 36).
On
ne peut recevoir les effets sacramentels que pour soi, car on ne peut pas
recevoir de sacrement pour d’autres (S. th., Suppl., 13, 2 ad 2). « Les laïcs (non les célébrants) qui
consomment l’Eucharistie pour le salut de ceux qui sont dans le purgatoire sont dans l’erreur »
(Comment. in Joan., 6, lect.
6, n. 7). Cependant les théologiens posttridentins
ont légitimé l’« offrande » de la communion,
qui est entrée en usage chez les personnes pieuses, dans la mesure où il s’agit
de l’« opus operantis ».
THÈSE. Bien que les adultes soient
strictement obligés par la loi divine et le précepte ecclésiastique de recevoir
l’Eucharistie, elle n’est cependant pas absolument nécessaire au salut. De foi.
Explication. Le Concile de Trente
oblige les adultes, en rappelant avec insistance le précepte divin, à la
communion annuelle (S. 13, Can. 9 : Denz., 891).
C’est pourquoi ils ne peuvent pas, sans s’exposer à la perte de leur salut, s’éloigner
de la communion. Cependant le Concile n’a présenté comme moyen nécessaire de
salut que le baptême (S. 5, Can.
4 ; S. 7, de bapt., Can. 5) et la Pénitence pour ceux qui ont péché
gravement après le baptême (S. 14, de pœn., Can. 6).
Mais ensuite, pour ce qui est de l’Eucharistie, non seulement il n’établit pas
cette nécessité de salut, mais encore il la nie pour toute une classe de
chrétiens, ceux qui n’ont pas l’âge de raison ; il définit en effet :
« Si quelqu’un dit que la réception de l’Eucharistie est nécessaire aux
enfants avant qu’ils aient atteint l’âge de discrétion, qu’il soit
anathème » (S. 21, Can. 4 : Denz., 937). Il
faut conclure de là que l’Eucharistie est nécessaire seulement d’une nécessité
de précepte (necessitas præcepti)
et non d’une nécessité de moyen (n. medii), car cette
dernière ne souffre pas d’exception.
Preuve. D’après la doctrine du baptême, ce sacrement est le
seul qui soit indispensable pour tous et d’après la doctrine de la Pénitence,
ce sacrement est également nécessaire (necessitate medii) pour tous ceux qui ont péché gravement après le
baptême (Trid., s. 7, de bapt.,
can. 5 et s. 14, de pœn., Can. 6). Ces deux
sacrements doivent être reçus réellement (in re) ou tout au moins en désir (in voto). Tous les deux présupposent la foi, c’est pourquoi le
Christ attribue aussi à la foi la même nécessité indispensable. « Celui
qui ne croit pas sera condamné » (Marc, 16, 16).
Or
nous nous trouvons, au sujet de l’Eucharistie,
en face d’une parole du Seigneur qui a la même importance. Aux murmures des
Juifs le Christ répond : « En vérité, en vérité, je vous le dis, si
vous ne mangez la chair du Fils de l’homme et si vous ne buvez son sang, vous n’aurez
pas la vie en vous » (Jean, 6, 54). On pourrait, de la sévérité du ton,
conclure à la nécessité absolue de l’Eucharistie. Mais l’interprétation
traditionnelle et la doctrine de l’Église sont opposées à cette conception.
Sans doute, dans la controverse contre les pélagiens, qui prétendaient qu’on
pouvait obtenir la vie éternelle sans baptême et sans sacrements, on a donné à
ce texte une interprétation stricte et accentuée. Innocent 1er se
réfère à ce texte dans une lettre aux évêques du Concile de Méla
(M. 20, 592). S. Augustin en appelle
à l’Écriture et aux Pères et formule ainsi sa pensée : « Si donc tant
et de si importants témoignages concordent, personne ne peut sans le baptême et
le sang du Seigneur espérer le salut et la vie éternelle ; c’est en vain,
sans ces sacrements, que la vie éternelle a été promise aux enfants » (De peccat. mer. et
remiss., 1, 24, 34 ; cf. 20, 27 ; c. duas ep. Pel.,
2, 4 ; C. Jul., 1, 4, 13). Le Pape S. Gélase donne aussi la même
interprétation ; d’après lui, le texte de l’évangile (Jean, 6, 54) n’excepte
personne et personne ne peut affirmer qu’un enfant peut être sauvé sans ce
sacrement salutaire (Ep. 6, 5, 6 : M. 59, 37). Par suite, ces trois
auteurs ont attribué à l’Eucharistie la même nécessité qu’au baptême. Ils en
sont venus à cette conception d’abord à cause de l’usage général de donner la
communion aux enfants immédiatement après le baptême et ensuite aussi à cause
de la polémique anti‑pélagienne, laquelle,
comme on sait, se contente parfois de textes plus ou moins probants (Schanz., 421 sq.). Adam porte ce jugement : « Il
lui semble (à S. Augustin) que la « necessitas medii » de l’Eucharistie n’est pas absolue comme celle
du baptême mais relative et qu’en cas de nécessité, mais dans ce cas seulement,
elle disparaît » (Doctrine eucharistique de S. Augustin, 160).
Pour
bien comprendre Jean, 6, 54, il faut remarquer que le Christ opposait ces
paroles à l’incrédulité des Juifs, lesquels avec l’Eucharistie rejetaient tout
le christianisme. Ensuite, il s’adresse à des adultes qui sont en état de faire un acte de foi comme aussi de le
refuser. Pour ces adultes, il y a donc, dans les paroles du Seigneur, un
précepte strict auquel ils ne peuvent pas se dérober sans commettre un péché
grave. À ce précepte divin s’ajoute, depuis le 4ème Concile de
Latran (1215), un précepte ecclésiastique. Ce Concile ordonne que tous les
fidèles des deux sexes, parvenus à l’âge de discrétion, confessent fidèlement
leurs péchés et reçoivent pieusement, au moins à Pâques, le sacrement de l’Eucharistie
(Denz., 437). Le Concile de Trente réitère ce
précepte (S. 13, Can. 9 : Denz., 891). Ce
précepte ne peut être accompli que par une communion digne ; l’opinion opposée a été condamnée par Innocent XI (Denz., 1205). Cf. C. J. C., Can. 859, 861.
Mais
si l’Eucharistie n’est pas absolument
nécessaire au salut, on doit cependant, d’après l’enseignement unanime des
théologiens, lui reconnaître une nécessité morale de salut. On trouvera à peine
un fidèle qui puisse mener longtemps, sans la recevoir, la vie chrétienne et
morale qui est nécessaire, d’après la doctrine du Seigneur, pour arriver au
salut. Au sujet de l’obligation morale de recevoir aussi la communion au moment
de la mort, cf. la Théologie morale.
La
Scolastique porte, au sujet de la
nécessité de l’Eucharistie, le même jugement que porta plus tard le Concile de
Trente. D’après S. Bonaventure, elle n’est pas nécessaire au salut, c’est
seulement un précepte extérieur de l’Église qui oblige à la recevoir. Il explique
même S. Augustin et Innocent 1er dans son sens (Kattum,
128 sq.). Richard de Med. estime, pour des raisons internes, la « manducatio spiritualis »
(non sacramentalis) nécessaire. Pierre de
Tarant. : « Pour mieux obtenir son salut » (Lechner, Richard,
215 ; cf. encore Klodnicki, De necessitate Eucharistiæ :
Div. Thom., 1920, 57-70). S. Thomas
enseigne que la parole du Christ s’adresse aux adultes et non aux enfants, mais
qu’à ces derniers, quand ils ont assez de raison pour honorer le sacrement, on peut leur donner la communion (S. th.,
3, 80, 9).
Pour
ce qui est des adultes, on exige de
tous, d’abord le désir du sacrement et, s’ils en ont la possibilité, la
réception réelle (S. th., 3, 80, 11 ; cf. 73, 3). Le Concile de Trente
adopte le point de vue de S. Thomas tout en remarquant expressément qu’il ne
veut pas blâmer l’époque antérieure des Pères, qui connaissait une autre
pratique (S. 21, c. 4 : Denz., 933). Comme S. Thomas
exige des adultes le désir de l’Eucharistie, on pourrait se demander si tout au
moins ce désir n’est pas absolument nécessaire au salut. Pesch répond que personne ne peut
être tenu de désirer comme nécessaire ce qui en soi n’est pas nécessaire ;
il remarque cependant que, pour tous les fidèles, est déjà inclus dans le
baptême, qui contient la résolution de réaliser l’état chrétien, un certain
« vœu » de l’Eucharistie et que c’est dans ce sens qu’on doit
expliquer la déclaration de S. Thomas (6, 367).
D’après
Nicolussi :
« L’Eucharistie n’est pas seulement nécessaire pour la conservation de la
grâce (de l’état chrétien), mais encore, « du moins en désir », pour
obtenir la grâce du baptême » (Loc cit., 173). Lutz
le combat dans la Rev. d’Innsb., 1919, 235-268 (Cf. Koch dans la Rev. de Tubingue,
1919, t. 4). Il pense que « les Pères de l’Église ont jugé avec beaucoup
plus d’accord et ordinairement beaucoup plus de sévérité que les théologiens du
Moyen‑Age, les théologiens tridentins et les
théologiens posttridentins jusqu’à nos jours »
(P. 474). Pour ce qui est de Jean, 6, 52 sq., la question, nous semble‑t‑il, se pose
ainsi : Dans tout l’Évangile on exige en général la foi à la divinité du
Christ. Il est le Logos‑Dieu et par
conséquent la Vérité ; il a des paroles de vie éternelle. Par suite, le
disciple doit faire entrer dans sa foi tout ce qu’il dit, même « les dures
paroles » de l’Eucharistie. Or « beaucoup de disciples refusèrent de
la faire : ils ne voulaient pas manger la nourriture eucharistique et manifestèrent
par là leur incrédulité. C’est pourquoi ils furent perdus. Il est question de
la nécessité absolue de la foi pour
le salut. Cette foi est au premier plan dans toute la controverse, de même que,
dans tout l’Évangile, la foi christologique et l’incrédulité s’opposent. Ainsi
s’explique harmonieusement la conclusion de la controverse. Les vrais disciples
ne disent pas qu’ils veulent « manger », mais tout d’abord qu’ils
« croient ». « Seigneur, à qui irions‑nous, vous avez les paroles de la vie éternelle.
Et nous croyons et nous savons que vous êtes le Christ, le Fils de Dieu ».
Or que Jésus, dans cette prestation ou ce refus libre de la foi, n’ait envisagé que les adultes qui en sont
capables, cela ne peut pas être mis en doute un seul instant, surtout d’après l’évangile
de S. Jean (Cf. t. 1er, § 84).
Le
précepte divin concernant la réception de l’Eucharistie est accompli même quand
on ne communie que sous une seule espèce.
Le Concile de Trente fut obligé de légitimer l’usage, qui s ’était introduit peu
à peu depuis le 12ème siècle, de ne communier que sous une seule
espèce, parce que les Réformateurs, comme auparavant les hussites, et surtout
les utraquistes et les calixtins, considéraient la communion dans ces
conditions comme insuffisante et illicite. Le Concile définit : « Si
quelqu’un dit que tous les fidèles et chacun en particulier sont obligés, en
vertu d’un précepte divin ou par suite d’une nécessité de recevoir les deux
espèces du sacrement de l’Eucharistie, qu’il soit anathème. » (S. 21, Can.
1 : Denz., 934 : cf. Can. 2 et 3). Les
exigences des hussites avaient déjà été repoussées par le Concile de Constance
qui invoqua des motifs pratiques (ad vitandum aliqua pericula et scandala) et des motifs dogmatiques (L’ensemble du corps et du sang du Christ
est véritablement contenu aussi bien sous l’apparence du pain, que sous l’apparence
du vin). Il ajoutait que seul le prêtre célébrant doit recevoir le sacrement
sous les deux espèces et non les laïcs (Denz., 626).
Le Concile de Trente (can. 2) assimile, sur ce point, les prêtres non
célébrants aux laïcs.
La preuve
se trouve dans la totalité du Christ
sous chaque espèce, que nous avons déjà prouvée (Cf. plus haut, § 181). Il en
résulte qu’il est permis et qu’il suffit de recevoir l’Eucharistie sous une
seule espèce.
On
pourrait se référer ici à Jean, 6, 52-60, où il est expressément question de
manger la chair de la même manière qu’il est question de boire le sang.
Seulement les adversaires ne veulent absolument pas rapporter cette péricope à
l’Eucharistie. Même quand on y voit, avec les catholiques, la promesse de l’Eucharistie,
on doit avouer que le Christ, en disant qu’il faut boire son sang, veut
seulement indiquer la vérité de la
réception et non donner plus d’extension à son assertion (Cf. 6, 52, 58, 59).
Les
adversaires insistent sur la parole : « Buvez-en tous » et
ensuite : « Faites ceci en mémoire de moi. » Ces dernières
paroles ordonnent la réitération de la Cène, mais n’indiquent pas la manière
dont doit s’administrer la communion. Le droit de boire au calice appartient
tout d’abord aux Apôtres que le Christ en ce moment institue les prêtres de la
Nouvelle Alliance et à qui il confie son sacrifice.
Le rite d’administration. Jusque vers
1250 on communiait pendant la messe et généralement sous les deux espèces. A
côté existait pour certains cas (cf. plus haut p. 338), au moins depuis 400, la
coutume de communier, soit sous l’espèce du pain, soit sous l’espèce du vin (Héfélé, 3, 1061). Les enfants recevaient un mélange des
deux espèces. Cet usage de l’« intinctio panis » [tremper le pain] dans le précieux
sang prit naissance au 7ème siècle, même pour les adultes, et dura
jusqu’au 11ème siècle ; mais il fut combattu par des auteurs
ecclésiastiques, parce que c’était la communion dite « de Judas » (Jean, 13, 26 sq.). Les
Grecs, d’après les reproches d’Humbert (+ 1061), venaient d’adopter cette
coutume ; ils trempent le pain dans le vin après la consécration et
reçoivent l’un et l’autre avec une cuiller. Rome a permis aux Arméniens de
conserver l’antique usage qui consiste à tremper la grande hostie dans le
calice avant la fraction, après quoi elle est fractionnée et mise dans la
bouche par la main du prêtre. A partir du 9ème siècle, s’établit la
coutume de verser dans un calice contenant du vin ordinaire quelques gouttes de
vin consacré et de le distribuer au peuple. S.
Bernard lui‑même (+ 1153) connaît cet usage (Ep.
69, 2).
Synthèse. La
communion sous les deux espèces fut en usage jusque vers 1250 ; cependant
ce ne fut jamais d’une manière absolue et
exclusive. Cf. à ce sujet l’article très complet : « Communion euchar. » dans le Dict.
théol., 3, 480-574.
Les
utraquistes disparurent peu à peu. Plus tard la communion avec le calice ne
subsista plus que comme un privilège pour le diacre et le sous‑diacre à la messe du Pape et pour des princes
temporels, par ex. les rois de France. Au sujet des négociations
extraordinairement longues et sérieuses du Concile de Trente concernant la
concession du calice, cf. Ehses, Concilium Tridentinum, 8 (1919), 529-909.
Fréquence. La
fréquence, elle aussi, a beaucoup varié, comme on s’en rendra compte par l’aperçu
suivant :
1.
Pendant les deux premiers siècles, il n’y a pas de document certain en faveur d’une
communion quotidienne. Des textes
comme 1 Cor., 11, 20 sq. ; Act. Ap., 2, 42, sont trop généraux ; d’autres parlent d’une
célébration dominicale (1 Cor., 16, 2 ; Act. Ap., 20, 7 ; Didachè, 14,
1). Avec ces textes concorde la lettre connue de Pline qui parle d’une réunion
des chrétiens, un jour fixe (stato die). Il en est de
même de S. Justin (Apol., 1, 67), d’après lequel les
chrétiens viennent le dimanche de la ville et de la campagne et se réunissent
en un lieu pour célébrer l’Eucharistie.
2.
Au 3ème siècle, il y a des témoignages en faveur d’une célébration
même les jours de semaine ; d’après Tertullien, on célèbre l’Eucharistie
les jours de jeûne, « jours de station » (mercredi et vendredi ;
De orat., 19 ; cf. de cor. mil., 3) et même tous
les jours (De idol.,7). S. Cyprien écrit : « nous demandons que ce
pain nous soit donné chaque jour ; car notre vie est dans le Christ, et l’Eucharistie
est notre nourriture quotidienne » (De orat. dom., 18). Pour L’Égypte, nous avons le témoignage de
Clément d’Alex. (Quis dives, 23) et d’Origène (In Gen. Hom., 10 : M. 12, 218) ; pour l’Asie
Mineure, celui de S. Basile (quatre fois la semaine : Ep. 93 : M. 32,
484 sq). ; pour l’Espagne et Rome, celui de S.
Jérôme Ep. 71, 6) et encore une fois pour Rome (Ep. 48, 15) ; pour l’Italie
supérieure, celui de S. Ambroise (De bened. Patr., 9, 38) ; pour la Gaule, celui de Cassien (Inst., 6, 8). Ici on partait souvent de la notion du
« pain quotidien » dans le « Notre Père », ainsi que de
Jean, 6, 34 : « Seigneur, donnez toujours de ce pain. »
Cependant même là il y avait des différences. En Orient, on ne célébrait les
saints mystères, en dehors du dimanche, que quelques jours dans la semaine. S.
Jean Chrysostome semble attester une célébration quotidienne, mais il dit aussi
que plusieurs ne communiaient qu’une fois l’an, d’autres seulement deux fois,
mais d’autres, il est vrai, plus souvent (In Hebr. hom., 17, 4). Il apprécie beaucoup ceux qui viennent avec
une « conscience pure » et dit : « Ceux qui sont ainsi
disposés doivent toujours venir ; ceux qui ne le sont pas ne doivent même
pas venir une fois. C’est aussi le point de vue de S. Augustin. Lui aussi
connaît une grande variété (quotidie, certis diebus. Sabbato et dominico, dominico tantum) (Ep. 54,
2 ; cf. In Joan., 26, 15) ; sa recommandation est celle‑ci : tous les jours, mais avec une
conscience pure (Sermo 227 ; cf. Sermo 57, 7 ; 58, 5, etc.). Les monastères
connaissaient l’usage de la communion quotidienne, bien que là encore elle fût
assez souvent peu recommandée et qu’on y apportât peu de zèle ; chez les
ermites, l’éloignement des églises était un empêchement (Schiewitz, Le monachisme
occidental, 1 (1904), 316-330). Gennadius (vers 500)
écrit : « Je ne blâme ni ne
loue la communion quotidienne, mais je conseille et j’exhorte de communier
tous les dimanches, pourvu que l’âme soit sans affection au péché » (De eccl. Dogm., 23 : M. 42,
1217). Il recommande la communion hebdomadaire au moins aux fervents. De même
Cassien. S. Leon 1er suppose la communion pascale générale. Des
conciles gaulois des 5ème et 6ème
siècles l’exigent aux trois principales fêtes. En raison de la sévérité
de la pénitence publique, on ajournait souvent cette pénitence même avec l’autorisation
de l’Église jusqu’à la mort ou la vieillesse ; en attendant, on pratiquait
la pénitence privée, personnelle et non sacramentelle, et l’on communiait selon
le jugement de sa propre conscience. Il se produisait alors, au témoignage de
S. Augustin, de S. Césaire d’Arles, etc., beaucoup de communions indignes,
surtout à cause des péchés d’impureté qu’on continuait de commettre sans se
corriger (Cf. Poschmann, La pénitence eccl. en Occident, 242 et 312). Brown écrit dans la Rev. de Tubingue,
1921 (La communion dans l’Église gauloise au temps des Mérovingiens et des
Carolingiens) « que la communion soit nécessaire pour la conduite de la
vie morale, cela est à peine affirmé ». On ne lit jamais « que les
solitaires et les reclus qui se faisaient murer aient reçu la communion ou qu’ils
en aient eu le désir » (46). Au sujet de la communion des enfants, on n’a
à peu près aucun renseignement du 5ème au 9ème siècle
(150). On prie beaucoup et longtemps, mais devant les images des saints et les
reliques. Hugues de Saint‑Victor juge
comme son temps au sujet de la nécessité de l’Eucharistie (De sacr., 2, 8, 5). Mais « contemptor est damnabilis », dit‑il avec S.
Augustin. S. Thomas répète aussi cette phrase (S. th., 3, 80, 10).
La
Scolastique contribua puissamment à
promouvoir la spéculation eucharistique, mais recula pratiquement devant la
réception en s’appuyant sur le principe que la réception de l’Eucharistie
« doit se régler d’après la dignité de chacun et la perfection qu’il a
déjà atteinte » (Hoffmann, 170). C’était manifestement une conception trop
rigoureuse. « On obtient plus de fruit, à mon avis », dit S.
Bonaventure, par une seule messe ou
une seule communion avec une bonne préparation que par plusieurs quand on ne s’y
est pas disposé soigneusement » (Kattum, 135).
La
réception de l’Eucharistie fut intensifiée
après le Concile de Trente. Mais auparavant déjà, les mystiques (Tauler, Suso),
ainsi que S. Vincent Ferrier, Savonarole, etc., avaient beaucoup contribué à
ranimer le zèle eucharistique. Cependant la part principale dans cette
renaissance, pour la théorie comme pour la pratique, revient à l’Ordre des
Jésuites. On pourrait nommer encore ici S. Philippe Néri et quelques autres
(Dict. théol., 3, 527 sq.).
La
raison dogmatique de la fréquence de
la communion réside dans le but particulier de l’Eucharistie qui est un aliment
de l’âme, une nourriture spirituelle dont les fidèles ont toujours de nouveau
besoin. Cf. Concile de Florence, plus haut p. 356.
Les
Jansénistes troublèrent ce
développement avec leur dur rigorisme et combattirent longtemps et violemment
la pratique des Jésuites. Innocent XI, dans un décret du 12 février 1679 qui se
réclamait du Concile de Trente, lequel désirait que les fidèles communient
toutes les fois qu’ils entendent la messe (Denz.,
944), déclara cette pratique légitime. (Denz., 1147).
Il est vrai qu’il condamne aussi le laxisme concernant la préparation (Denz., 1206). La théologie morale examine la suite de l’évolution
jusqu’au décret de Pie X du 20 décembre 1905 ; ce décret recommande avec
insistance la communion fréquente avec des exigences raisonnables pour les
dispositions à apporter : « en sorte que nul, s’il est en état de
grâce et s’il s’approche de la sainte Table avec une intention droite, ne
puisse en être écarté » (Denz., 1985). C. J. C.,
863.
La
conservation de la sainte Eucharistie
se fit à partir du 4ème siècle – au sujet de l’époque précédente on
ne peut rien dire - dans des locaux adjacents à l’église (pastophorium,
sacrarium, secretarium, sacristie). Vers l’an 1000, c’était
déjà la coutume de la conserver dans l’église même, dans de petites armoires (armariola) adossées au mur, qui devinrent plus tard les
tabernacles, et dans des pyxides en forme de colombe, suspendues au‑dessus de l’autel.
Mais comme des gens mal intentionnés pouvaient facilement ouvrir et dérober ces
pyxides, elles furent interdites par des conciles et l’usage de nos tabernacles
actuels, fermés à clef, s’implanta surtout à partir du 16ème siècle.
On reconnaît comme but de la
conservation l’administration du viatique en cas de nécessité et la messe des
présanctifiés.
Au
sujet de l’Eucharistie dans l’art
chrétien antique, l’ouvrage monumental de Wilpert
que nous avons cité dans le premier volume (p. 461) parle (1, 356 sq.) du
sacrifice de Melchisédech comme symbole courant du sacrifice de la messe et
établit (2, 535) que, depuis l’an 1000 environ, on représentait en image une
messe (celle du Pape S. Clément 1er). A l’époque des catacombes, on
unissait souvent le baptême et l’Eucharistie comme sacrements d’initiation
(loc. cit. 1, 6 ; cf. aussi 2, c. 2, § 3). On
considérait comme symboles de l’Eucharistie le miracle de la manne, celui de
Cana et celui de la multiplication des pains.
Transition. Nous
passons maintenant au sacrifice de la messe ; nous diviserons la matière
de la façon suivante : le sacrifice en général, le sacrifice de la messe
dont nous étudierons la réalité, l’essence et les effets.
A
consulter, outre les ouvrages cités plus haut : S. Thomas, S. th., 3, 83. Grégoire
de Valence, De sacrosancto missæ
sacrificio (Ingolst.,
1580). Bellarmin, Disput.
de contr. : De sacrificio missæ. Suarez, disp.
73 sq. De Lugo, disp.
19 sq. Tanner, De ss
missæ sacrificio (Ingolst., 1620). Pasqualigo, De sacrificio N. L. (Lugd., 1662). Tournely, p. 8. Benoit
XlV, De ss. missæ sacrificio
(Migne, Curs.
compl., 23). Bécan,
De triplici sacrificio naturæ, legis, gratiæ (Lugd., 1631). Knabenbauer, Comm. in proph. minor., 2 (1886) 430 sq. Gihr, Le sacrifice de la messe
(16e éd., 1919). Stentrub, De sacrificio missæ (1899). Cabrol,
Origines liturgiques (1906), Le livre de la prière antique (4e éd.,
1900). Duchesne, Origines du culte
chrétien (4e éd., 1910). Many, Prælectiones de Missa (1903).
Grimal, Le
sacerdoce et le sacrifice de N.-S. Jésus‑Christ
(1908). Semeria,
La messa nella sua storia e nei suoi
simboli (3e éd., 1906). Bamstark, Liturgia romana e liturgia de l’Esarcato. Gavin, The sacrifice of the Mass (1903).
Blein, Le
sacrifice de l’Eucharistie d’après S. Augustin (1906). Hoonacker, Le lieu du culte dans
la législation rituelle des Hébreux (1894). Ehses, Concil. Trid., 7 (1919), 722-970.
Batiffol,
Leçons sur la messe (5e éd., 1919). Simons, Le sacrifice de la Loi nouvelle (1918). M. de la Taille, Mysterium fidei (1922). Esquisse du mystère de la foi (1924). M Lepin, L’idée
du sacrifice de la messe d’après les théologiens depuis l’origine jusqu’à nos
jours (1926). Semaine d’Ethnologie
religieuse. Compte rendu de la 3e session tenue à Tilburg., 6-14
septembre 1922. - Protestants et hérétiques : Harold M. Wiener, The altars of the old Testament (Leipzig, 1927). Loisy, Essai historique sur le sacrifice (1920).
Sacrifice
et sacrement. L’Eucharistie est,
d’après la doctrine du Concile de Trente, non seulement le plus sublime sacrement, mais encore en même temps le sacrifice perpétuel et véritable de la
Nouvelle Alliance.
« Ce
sacrement, dit S. Thomas, est en même
temps sacrifice et sacrement : sacrifice en tant qu’il est offert,
sacrement en tant qu’il est consommé » (S. th., 3, 79, 5). Quand le
Seigneur institua l’Eucharistie comme sacrement, il la destina aussi par lui‑même à être un sacrifice. Il est, par
conséquent, impossible de produire l’Eucharistie sans la produire dans son
double caractère.
Or
le sacrement et le sacrifice diffèrent dans leur but. Le sacrifice est destiné à honorer
Dieu, le sacrement, par contre, est destiné à sanctifier l’homme. Le sacrifice est offert, le sacrement est reçu.
Le sacrifice sert à exprimer en commun les sentiments religieux et cultuels de
plusieurs, le sacrement est un don de grâce appliqué à chacun en particulier.
Une
autre différence se trouve dans le mode d’être.
L’Eucharistie, en tant que sacrifice, en tant qu’acte du culte, est de sa
nature transitoire (transiens) ; en tant que
sacrement elle est une réalité durable (res permanens). Ce n’est que pendant sa production que l’Eucharistie
est un sacrifice, elle ne l’est pas en dehors de cet acte et ne l’est pas
après ; mais en dehors de cet acte, elle est encore un sacrement. La
présence réelle dans l’ostensoir est sacramentelle et non sacrificale.
P. Wernle
(La foi évangélique d’après les Réformateurs (1919), 110 sq.) dit au sujet de
la position de Calvin en face du sacrifice de la messe : « Calvin
doit avouer que le nouveau Testament connaît la langue sacrificielle non
seulement en général, mais encore d’une manière spéciale en union avec l’Eucharistie.
Il touche ainsi, sans s’en rendre compte, aux racines de la pensée du sacrifice
de la messe. » Il appelle la polémique de Calvin « délicate et
distinguée ». Pourtant, plusieurs lignes auparavant, il raconte que pour
lui la messe est une « erreur pestilentielle » et le « comble de
l’abomination ». Wernle répète après lui :
« Sacrement et sacrifice sont en somme des antinomies. Comment l’un peut‑il signifier
en même temps l’autre ? » Wernle semble
ignorer même dans la
vie ordinaire, on parle et on peut parler de deux aspects d’une même
chose ».
Origine
du sacrifice. Le sacrifice (sacrificium, sacra facere) est, d’après
la conception générale de l’humanité religieuse, un acte cultuel, par lequel la divinité à laquelle il est dédié
reçoit un honneur. Ce n’est qu’à Dieu
qu’on offre un sacrifice. Cet acte cultuel est aussi ancien que la religion dont il est l’expression
réelle.
On
peut l’observer non seulement dans son développement riche et multiple chez les
Juifs, mais encore chez tous les
peuples païens. Partout le sacrifice
a une grande importance religieuse, quels qu’en soient les rites et les modes
extérieurs. Son union étroite avec la religion nous autorise à admettre qu’il
est né avec elle. Or, d’après la
conception catholique, la religion est née sous l’influence surnaturelle de la
révélation divine. Le sacrifice doit donc, d’une manière ou d’une autre, être
ramené à une ordonnance divine. « Natura duce aut
etiam ipso Deo auctore »),
dit de la Taille, p. 6.
On
rencontre déjà les traces du sacrifice dans le paradis terrestre. Se rattachant à S. Augustin, S. Thomas dit que
« le sacrifice extérieur est un signe du sacrifice invisible par lequel on
se soumet avec obéissance à Dieu avec tout ce qu’on a » (In Ep. ad Rom., c. 12, lect., 1). Dieu
établit un tel signe de soumission intérieure dans la défense de toucher aux
fruits de l’arbre de la science (Gen., 2, 17). C’était
un autel sacrifical élevé par Dieu lui‑même et sur lequel nos premiers parents
devaient offrir le sacrifice intérieur de leur volonté. Dans l’autre arbre du
paradis terrestre, l’arbre de vie, les Pères ont déjà vu une image de l’Eucharistie
et on est en droit de le désigner comme un repas sacrifical,
comme il y en eut plus tard dans toutes les religions, chez les Juifs comme
chez les païens. Ce sacrifice exprime symboliquement le but dernier du sacrifice : la participation à l’essence et à
la vie de Dieu même.
Nous
aurions donc déjà, établi ainsi au paradis terrestre, deux éléments très
importants du sacrifice : 1° La reconnaissance exprimée extérieurement et
symboliquement de la souveraine majesté de Dieu ; 2° La participation à la
vie de la divinité par un repas symbolique. Un autre élément s’ajoute après la
chute : 3° La pensée de l’expiation.
Les
sacrifices mosaïques. Ils ont
un rituel sacrifical très riche. Dans tous les
sacrifices juifs, il faut distinguer le don
offert, l’offrande, le but et le prêtre.
Le
don offert était un objet extérieur
et matériel pris dans les biens de celui qui offrait le sacrifice. D’après le
don offert, les sacrifices se divisaient en sacrifices sanglants et non sanglants.
L’offrande avait pour but de
présenter à Dieu le don offert, d’une manière rituelle. L’offrande variait selon le caractère particulier
du sacrifice et la nature particulière du don offert. Les sacrifices sanglants
consistaient dans l’immolation d’animaux (bœufs, agneaux, oiseaux). Les
sacrifices non sanglants (minchâ, θυσία,
oblatio, munus) consistaient
dans l’offrande d’aliments, de céréales, de farine, de vin (Iibamen,
libamentum). Ils étaient tantôt indépendants, tantôt
une contribution à l’holocauste ou aux sacrifices pacifiques. D’après le but du sacrifice, ou l’intention du
sacrificateur, on distinguait l’holocauste, le sacrifice pour les péchés, le
sacrifice d’expiation et le sacrifice pacifique. Le sacrifice pacifique était
une oblation et avait pour but, avec l’holocauste, l’adoration de Dieu et la
communication avec lui ; les deux autres étaient des sacrifices expiatoires.
Le sacrificateur était le
« prêtre », lequel cependant avait comme aides les lévites. Depuis
Moïse, s’applique ce principe : « Personne ne prend de lui‑même l’honneur (du sacerdoce), mais seulement
celui qui est appelé par Dieu pour cela comme Aaron » (Hébr.,
5, 4). Une entreprise sur les droits du prêtre, même de la part d’un roi (Osias), était considéré comme un crime effroyable (2 Par.,
26, 18-21). Le lieu du sacrifice
était, dans le mosaïsme, l’autel.
Le
sacrifice dans le Nouveau Testament.
A la place des nombreux sacrifices
imparfaits de l’Ancienne Alliance, la Nouvelle Alliance connaît un sacrifice unique et parfait, qui remplit toutes les intentions et tous les buts des
anciens sacrifices, dans une seule action : le sacrifice de la Croix accompli
par le Grand‑Prêtre éternel, le Christ, par l’offrande de sa vie à
Dieu, afin de reconnaître parfaitement sa volonté et d’expier parfaitement le
péché des hommes (§ 101).
L’idée
du sacrifice chez les Pères et Théologiens.
S. Augustin donne cette
brève définition : « Le sacrifice est donc un sacrement, c’est-à-dire
un signe sacré et visible de l’invisible sacrifice » (Civ.,
10, 5). Il distingue deux éléments dans le sacrifice, un élément extérieur, le
signe, et un élément intérieur invisible, l’abandon obéissant à Dieu. La chose
et l’intention constituent le sacrifice. C’est sur le dernier élément qu’il
insiste : « Le vrai sacrifice est la miséricorde » ou l’amour du
prochain. Mais la miséricorde elle‑même n’a pas
en soi cette qualité, mais seulement en tant qu’elle est rapportée à Dieu notre
fin dernière. « Est un vrai sacrifice toute œuvre accomplie pour nous unir
à Dieu dans une société sainte (ut sancta societate inhæreamus Deo) ;
car cette œuvre est en relation avec cette fin par laquelle nous pouvons être
vraiment heureux » (Civ., 10, 6).
« Examinons, en effet, comment il (le prophète) dit, dans une seule
phrase, que Dieu ne veut pas de sacrifice et qu’il veut un sacrifice. Il ne
veut donc pas le sacrifice d’une bête immolée, mais il veut le sacrifice d’un cœur
contrit » (Civ., 10, 5). Le sacrifice de S
Augustin est le sacrifice personnel : Ne cherche pas de victime, « tu
as en toi de quoi immoler à Dieu » (Enarr. in Ps. 50, 21). « Personne n’est assez insensé pour
croire que Dieu a besoin des sacrifices... il n’a pas même besoin de la justice
de l’homme ; le véritable culte rendu à Dieu procure de l’avantage à l’homme,
mais pas à Dieu » (Civ., 10, 6).
S. Thomas (S. th., 2,
2, 85, 3) se rattache à S. Augustin. Il cherche, en considérant tous les sacrifices,
les sacrifices sanglants comme les sacrifices non sanglants, à se faire une
notion du sacrifice en général et dit : « On appelle sacrifice toute
action par laquelle quelque chose se fait au sujet des choses offertes à Dieu (quando circa res Deo oblatas aliquid fit), ainsi quand
on tuait et brûlait les bêtes, ou bien quand on rompt, bénit et mange le pain.
C’est déjà ce qu’indique le nom : « C’est d’ailleurs ce que le mot
indique ; car on dit sacrifice, parce que l’on fait quelque chose de
sacré. » Comme but du sacrifice
S. Thomas indique : « On dit, à proprement parler, qu’il y a
sacrifice quand quelque chose se fait pour l’honneur de Dieu... afin de l’apaiser. »
(S. th., 3, 48, 3). En un autre endroit, il indique trois buts :
« Rémission des péchés », « conservation dans la grâce »
et, comme S. Augustin, l’« union parfaite avec
Dieu » (S. th., 3, 22, 2). Du sacrifice, S. Thomas distingue l’oblation
dans laquelle rien de rituel ne se fait, comme l’offrande de « deniers ou
des pains sur l’autel, sans leur faire éprouver aucune altération » (S.
th., 2, 2, 85, 3 ad 3).
Les
théologiens posttridentins
se trouvèrent forcés par la polémique protestante d’étudier à fond la notion de
sacrifice. On donne généralement comme définition
d’école la définition qui s’inspire de S. Robert Bellarmin, le vaillant
défenseur du sacrifice de la messe, et qui fut établie par Franzelin :
Le sacrifice est une offrande visible, présentée à Dieu seul, par un ministre
légitime, au moyen d’une destruction ou d’un changement, pour le reconnaître et
l’honorer comme le souverain Seigneur, pour l’apaiser et entrer avec lui en
communion de vie. « Oblatio soli Deo facta per realem vel moraliter æquivalentem
destructionem, legitime instituta ad protestationem supremæ majestatis ac dominii Dei in vitam et mortem
atque ad manifestandam agnitionem absolutæ dependentiæ omnium a Deo simulque
reatus hominis lapsi. » (Franzelin, thes.
2 in fine).
Au
Dieu absolu on ne peut, à proprement parler, rien offrir, rien donner et rien
faire passer en sa possession : toute la création lui appartient (1 Cor.,
10, 26). Mais, dans la mesure ou sa bonté nous fait participer à sa création (Gen., 1, 29 sq.), nous sommes par là même en état de prendre, pour ainsi dire, dans ce qui nous
appartient pour le lui offrir. Que cela doive toujours se faire par une
destruction on ne peut pas l’établir d’une manière plausible. L’Omniscient
connaît nos intentions les plus intimes dans nos offrandes, il n’a pas besoin
de le deviner par la manière dont nous les présentons. Il serait impossible
également de dire que Dieu prend plaisir à cette destruction de la vie et de la
nature. Cela est contraire à la notion chrétienne de Dieu ; l’Écriture et
les Pères, surtout les Apologistes,
le nient énergiquement en face des sacrifices païens et juifs. Que le sens
religieux des hommes exige absolument une destruction du don offert, et voie
dans cette destruction l’acte essentiel de son abandon à Dieu, cela non plus ne
peut pas se prouver. Sans doute il est conforme à la manifestation sensible et
spirituelle de leur religion, d’offrir leur don à Dieu dans une cérémonie
rituelle, mais cette cérémonie n’a pas besoin d’inclure une destruction. Les
libations sacrificales, les pains de propitiation,
les repas sacrés, l’encensement liturgique ne comprenaient pas l’élément de
destruction, pas plus que son « équivalent ». Et dans les sacrifices
sanglants, l’action de tuer les bêtes était la préparation éloignée du
sacrifice, ce n’était pas le sacrifice lui‑même. Le
Dieu des vivants ne prend pas plaisir à la mort (Sag.,
l, 13 sq.). Les Prophètes n’avaient pas beaucoup d’estime pour les immolations
sanglantes : « Je suis rassasié des holocaustes de béliers et de la
graisse des animaux engraissés, je ne prends pas plaisir au sang des taureaux,
des brebis et des boucs » (Is., 1, 11 ; cf. Os., 6, 6 ; Jér., 6, 20 ; 7, 22. Ps. 39, 7 sq. ; 49, 9 sq.).
S’il fallait voir dans l’égorgement sanglant l’essence du sacrifice et, si l’on veut, l’idée d’expiation de l’Ancien
Testament, les Prophètes, qui voulaient précisément réconcilier le peuple avec
Dieu, n’auraient pas eu le droit d’user de ce langage. Et pourtant ils
repoussent ces sacrifices et insistent sur ce qui est essentiel pour tous les
temps : le sentiment d’obéissance. On s’est trop appuyé, pour construire
des « théories de sacrifice », sur les sacrifices de l’Ancien
Testament, au lieu de les prendre pour ce qu’ils sont, c.‑à‑d. des
sacrifices imparfaits. On ne trouvera pas de doctrine du sacrifice, de
« notion du sacrifice » précise, dans le mosaïsme, malgré la richesse
de son rituel. Ce qu’on veut dans le sacrifice, en général, c’est honorer Dieu
et s’assurer sa faveur et la communauté de vie avec lui.
Jésus juge comme
les Prophètes. « Je veux la miséricorde (la charité) et non le
sacrifice » (Math., 9, 13 ; 12, 7 ; cf. Os., 6, 6). « Aimer
son prochain comme soi‑même, c’est
plus que tous les holocaustes et tous les sacrifices » (Marc, 12, 33). Les
Pères mettent souvent en parallèle
les sacrifices juifs et les sacrifices païens. En fait, ils s’en distinguaient
à peine extérieurement. D’après S. Thomas,
Dieu exigea les sacrifices des Juifs pour les préserver par
là de l’idolâtrie, c.‑à‑d. afin qu’ils n’en offrent pas aux idoles
(S. th., 1, 2, 101, 3). Le Christ est l’achèvement de l’Ancienne Alliance à tout égard. Or le Christ offre son
sacrifice à son Père comme un acte d’obéissance et d’amour envers lui (Jean,
10, 17 ; 15, 13) et non comme l’anéantissement de sa vie. « Personne
ne m’arrache ma vie, mais je la donne de moi‑même »
(Jean, 10, 18). Il s’est offert à Dieu par l’Esprit éternel (Héb., 9, 14). Et S. Paul lui‑même
présente l’acte rédempteur du Christ comme une obéissance jusqu’à la mort, mais
non comme une simple destruction de vie (Rom., 5, 15-21, et Phil., 2, 5-11).
D’après
l’Écriture, on ne peut pas trouver l’essentiel
du sacrifice précisément dans la destruction de la victime ; quand elle a
lieu, c’est l’introduction (la préparation) du sacrifice et l’un des nombreux modes d’oblation,
lesquels varient selon la nature des dons offerts. Le don matériel lui‑même n’est pas l’essentiel ; c’est
plutôt un moyen d’exprimer symboliquement l’intention interne qu’on a en
sacrifiant, et ce n’est que de cette manière
qu’il appartient au sacrifice, mais il est logiquement sans importance, bien
plus, il déplaît à Dieu, quand sa forme, l’intention, fait défaut. L’intention sacrificale elle‑même est l’intention
d’adorer Dieu et de s’abandonner à lui, d’une part ; de se réconcilier
avec Dieu et d’expier ses fautes, d’autre part. Peil a eu le mérite particulier,
dans son ouvrage sur la notion de sacrifice, de faire passer l’intention sacrificale avant le don et surtout la
« destruction » du don, bien que sans don extérieur on ne puisse pas
parler de sacrifice. Cf. Peil : Jesu Opferhandlung und die Eucharistie (Le sacrifice de Jésus et l’Eucharistie)
(3e éd., 1913). Avec plus d’énergie encore et de bonheur, ten Hompel a fait
ressortir dernièrement cette pensée, en concevant le sacrifice comme un abandon
personnel de la volonté libre à Dieu. Il est vrai qu’il n’a pas pu débarrasser
entièrement sa théorie de l’idée de destruction. Kramp a mieux réussi. Dans son
ouvrage (Messe liturgie u. Gottesreich, Liturgie de
la messe et royaume de Dieu, 1921) il revient, en passant par les conceptions sacrificales de la liturgie romaine de la messe, à l’Écriture,
aux Pères et à la Scolastique. Quant aux « innombrables théories de
destruction des posttridentins », qui
apparaissent pour la première fois chez Melchior Cano (+ 1560) et Vasquez (+
1604), il les déclare inacceptables et les rejette purement et simplement.
THÈSE. A la messe, on offre à Dieu un
sacrifice véritable et proprement dit, institué par le Christ. De foi.
Explication. Le Concile de Trente consacra à la doctrine du
sacrifice de la messe, que les protestants combattaient avec une particulière
violence, une session spéciale (S. 22), avec neuf chapitres doctrinaux et
autant de canons. Ses deux premiers Canons sont formulés ainsi : « Si
quelqu’un dit qu’à la messe on n’offre pas à Dieu un sacrifice véritable et proprement dit ; ou qu’offrir n’est
autre chose que de nous donner Jésus‑Christ
à manger : qu’il soit anathème ». Et plus loin : « Si
quelqu’un dit que par ces paroles : Faites ceci en mémoire de moi, le
Christ n’a pas institué ses Apôtres prêtres ou bien n’a pas ordonné qu’eux‑mêmes et d’autres prêtres offrent son corps et son
sang, qu’il soit anathème ». Dans le troisième Canon est défini le caractère
propitiatoire du sacrifice de la messe (Denz.,
948-950). Il est donc défini que la messe est un sacrifice, ensuite que c’est
le corps et le sang du Christ qui sont l’offrande objective, et que ce ne sont
donc pas les actes subjectifs de ceux qui offrent (Cf. aussi c. 1 : Denz., 938).
L’Église
avait déjà condamné auparavant l’opinion de Wiclef, d’après lequel le
sacrifice de la messe n’est pas fondé sur la Bible (Denz.,
585). S. Thomas explique théologiquement le mot « messe » :
« D’où est venu le nom de messe ; parce que le prêtre envoie (mittit) par les anges ses prières à Dieu, comme le peuple
les envoie par le prêtre ; ou bien encore parce que le Christ est l’hostie
qui nous a été envoyée (missa) par Dieu » (S. th., 3, 83, 4 ad 9). Aujourd’hui
on explique généralement ce mot historiquement par le rite final antique du
renvoi (missio, missa) des fidèles après la
célébration eucharistique (Ite missa est).
Preuve. Le Concile allègue d’abord les figures et les prophéties.
« Melchisédech, roi de Salem, offrait le pain et le vin ; il était,
en effet, prêtre du Dieu Très‑Haut. »
(Gen., 14, 18 sq.). La proposition explicative prouve
qu’il offrait un sacrifice et ne se contentait pas de préparer un repas. Le
psaume 109 présente Melchisédech comme la figure du Messie ; mais, comme
le fait d’ailleurs l’Écriture dans des cas semblables (cf. Hébr.,
5, 6 ; 6, 20), il ne parle pas de l’offrande et ne signale que la personne
sacerdotale.
S. Cyprien est le
premier qui compare le Christ et Melchisédech, même par rapport à l’offrande du
pain et du vin (Ep. 63, 4). Il est suivi par d’autres Pères, comme S. Léon 1er,
S. Jean Damascène. S. Cyprien avait à défendre contre les « aquariens »
de son temps la véritable matière de
l’Eucharistie. D’après le pseudo‑Ambroise (De
sacr., 4, 6, 27), la comparaison:
« ... comme il vous a plu d’agréer les dons du juste Abel votre serviteur,
le sacrifice d’Abraham notre patriarche, et celui que vous a offert votre grand‑prêtre Melchisédech » avec le sacrifice
de la messe, est fermement établie dans le Canon. On trouvera la bibliographie
à propos de Melchisédech dans Wutke, Melchisédech, roi de Salem (1927).
Le Concile se réfère ensuite à Mal., 1,
10 sq. « Je ne prends aucun plaisir en vous (Juifs), dit Jahvé des armées,
et je n’agrée plus aucun sacrifice de votre main. Car du levant au couchant mon
nom est grand parmi les nations et en tout lieu on offre à mon nom de l’encens
et un sacrifice, une oblation (minchâ) pure ;
car grand est mon nom parmi les peuples, dit Jahvé des armées ».
Exégèse. Le Prophète
doit, sur l’ordre de Dieu, rejeter les anciens sacrifices ; par contre, il
promet un nouveau sacrifice des peuples. Ce sacrifice, malgré l’expression au
temps présent, doit avoir lieu dans l’avenir messianique. C’est en vain que les
protestants le rapportent aux prosélytes ou aux Juifs de la diaspora. Les uns
et les autres constituent un cercle trop restreint, des limites trop étroites
pour le vaste horizon spirituel et religieux qu’évoque Malachie (Mal., 1, 11).
On peut encore moins penser aux sacrifices des païens, car ils sont impurs
(Mal., 1, 2 sq. ; 2, 11 sq. 1 Cor., 10, 20. La phrase ne peut s’appliquer,
dans son contenu, qu’à l’avenir messianique (Cf. Is., 11, 9-12 ; 42, 1-7. Jér., 31, 31. Amos, 9, 12. Mich., 4, 1 sq. Soph., 3, 9. Act. Ap., 2, 7. Zach., 8, 20 sq. ; 9, 10. Ps. 21, 28). Cet
avenir est vu par Malachie dans la « perspective prophétique » et,
par suite, d’une manière prochaine (Cf.
Is., 7, 14). Il n’y a pas de description détaillée de la pure Minchâ. Cependant c’est un sacrifice objectif, parce que liturgique,
et non pas, comme le pensent les protestants, un sacrifice spirituel, car les
expressions sacrificales ne s’adaptent pas à un
sacrifice spirituel. C’est une nouvelle Minchâ, une Minchâ liturgique, qui est opposée à l’ancienne.
Or
l’accomplissement de l’ère
messianique ne connaît que deux sacrifices, le sacrifice de la Croix et le
sacrifice de la messe. Mais le sacrifice de la Croix n’eut lieu qu’à Jérusalem
et peut à peine être appelé une Minchâ. Il ne reste
donc que le sacrifice non sanglant de la messe. Si la prophétie de Malachie
(Mal., 1, 11) ne s’est pas accomplie dans ce sacrifice, elle ne s’est pas du
tout accomplie. En fait, la messe est littéralement
le sacrifice des peuples, célébré en tout lieu, du levant au couchant. Binktrine examine de près ce passage de Malachie (Notion du
sacrifice de la messe, 47-59) et conclut : « De l’ensemble des
recherches il résulte que, par le grand sacrifice des peuples dans Malachie, il
faut entendre un sacrifice extérieur, objectif, de l’ère messianique et que,
par suite, l’exégèse nous autorise et même nous force à voir dans ce passage
une prophétie du sacrifice du Nouveau Testament, de la sainte
messe » (P. 59).
Un
certain nombre de théologiens allèguent encore les figures de l’Ancien Testament, dans lesquelles se trouvaient des
repas sacrificaux (Ps. 21, 27-30), ainsi que les
prophéties qui annoncent que Dieu choisira ses prêtres dans tous les peuples. Il faut, en effet, qu’à ce sacerdoce
corresponde un sacrifice connu de
tous les peuples (Is., 66, 18 sq. ; cf. 19, 19).
La
preuve tirée des paroles de l’Institution.
Jésus prit du pain, le bénit, rendit grâces, le rompit et le donna à manger à
ses disciples en disant : Prenez et mangez, car ceci est mon corps qui a
été livré pour vous (S. Paul :τοῦτό
μού ἐστιν
τὸ σῶμα
τὸ ὑπὲρ ;
Luc : τὸ ὑπὲρ ὑμῶν
διδόμενον).
Par ces paroles, le Seigneur désigne son corps comme un corps de victime pour les siens, qui représentent
l’ensemble des fidèles ou même l’humanité entière. De même, il leur présente la
coupe en déclarant que c’est son sang qui a été versé pour la rémission des
péchés, par conséquent son sang de
victime (Marc : αἶμα...
τὸ ἐϰχυννόμενον
ὑπὲρ πολλῶν ;
Matthieu : τὸ περὶ πολλῶν
ἐϰχυννόμενον
εἰς ἄφεσις
ἁμαρτιῶν ;
Luc : τὸ ὑπὲρ ὑμῶν
ἐϰχυννόμενον).
Dans les quatre récits, le sang offert par le Seigneur est encore désigné comme
le sang de l’Alliance (αἶμά μου τῆς
ϰαινης διαθήϰης ;
Paul et luc : ἡ παινὴ διαθήϰη) ;
or le sang dans l’Ancienne Alliance était le sang du sacrifice.
Par là, le Christ a institué l’Eucharistie comme un
sacrifice. Cela résulte des raisons
suivantes : - 1° Parce qu’il a ajouté aux mots corps et sang des
subordonnées explicatives qui ne peuvent s’entendre que du sacrifice de ce
corps et de ce sang ; - 2° Parce qu’il a expressément désigné le sang
comme sang de l’Alliance. Or l’Ancienne Alliance, elle aussi, avait été
conclue par un sacrifice, tant avec le patriarche Abraham (Gen.,
15, 9-18) qu’avec Israël par l’intermédiaire de Moïse (Ex., 24, 5-8). C’est
pourquoi l’Épître aux Hébreux expose comme une loi religieuse que l’alliance
avec Dieu n’est pas conclue sans sang (Hébr., 9, 18).
Le Christ offre donc son sang aux disciples comme « sang de l’Alliance »,
c.‑à‑d., dans la
lumière de l’histoire juive, comme, « sang du sacrifice » ; - 3°
Cette preuve est encore renforcée par l’ordre que donne le Seigneur de renouveler ce qu’il vient de faire, et
cela en mémoire de lui (τοῦτο
ποιεῖτε ϰ. τ.
λ.). Certains même pensent que ce renouvellement
d’une action religieuse comme celle‑là ne peut s’entendre,
au sens de l’antique conception religieuse, que comme une action sacrificale et traduisent
simplement : « Faites ceci en mémoire de moi = faites ce
sacrifice » (ποιεῖν
= θύειν). S. Paul a, de
fait, compris ce renouvellement comme une commémoration réelle de la mort du
Seigneur, car il joint immédiatement à ce souvenir cette exhortation :
« Car toutes les fois que vous
mangerez ce pain et boirez le calice, vous annoncerez la mort du Seigneur jusqu’à
ce qu’il vienne » (1 Cor., 11, 26) ; - 4° Un autre fait renforce
encore la thèse : Le Christ institue l’Eucharistie sous les espèces séparées du pain et du vin et par là il
symbolise, d’une manière non équivoque, la séparation de son corps et de son
sang dans sa mort sur la Croix ; - 5° Un certain nombre d’auteurs trouvent
aussi, dans le fait de la fraction du
pain (ἔϰλασε)
signalée par les quatre récits, une explication symbolique, par laquelle le
Seigneur montre que le corps présenté à ses disciples est précisément celui qui
sur la Croix serait, sinon littéralement, du moins effectivement et
objectivement brisé, broyé, tué, et qu’ils auraient à le recevoir comme un
corps de Victime. C’est ce qu’indique déjà la très ancienne interpolation de 1
Cor., 11, 24 (ϰλώμενον) ;
- 6° Enfin il faut signaler aussi une circonstance importante : Le Christ
institue l’Eucharistie en connexion immédiate avec la fête de la Pâque. « Pendant la Cène » de l’Ancienne
Alliance, le Seigneur conclut une Nouvelle Alliance. Or cette « Passah » était un repas sacrifical.
Cela, il est vrai, est contesté par certains protestants, mais la plupart admettent
ce fait (Cf. Ex., 12, 6-27 ; 34, 25. Nomb., 9,
7, 13. 1 Cor., 5, 7). On peut, de cette union étroite temporelle et objective
entre le repas sacrifical de la Pâque et l’institution
du Christ, conclure que cette institution elle aussi fut un sacrifice. En
effet, cette institution était destinée à supprimer l’antique ordonnance et à
la remplacer par une nouvelle (S. Thomas : « Et qu’au précepte d’autrefois
succède un rite nouveau »).
Les
deux affirmations du Concile de
Trente peuvent donc se prouver nettement et distinctement par les paroles de l’institution.
On prouve non seulement le fait que l’Eucharistie
a été instituée comme sacrifice, mais on démontre aussi la nature de ce sacrifice : il consiste dans le corps et le sang
du Seigneur : c’est donc un sacrifice objectif.
Le
sacrifice eucharistique dans S. Paul.
On a déjà dit, dans le traité de la Rédemption, que S. Paul, dans son
enseignement, met tout l’accent sur le sacrifice
de la Croix. Cependant il est aussi question chez lui du sacrifice eucharistique,
tout au moins d’une manière indirecte et implicite (1 Cor., 10, 16-21).
S.
Paul réunit trois termes de
comparaison dans sa preuve pour les Corinthiens : 1° Les Juifs sacrifient sur leurs autels,
consomment la victime et entrent en communauté avec la divinité ; 2° Les païens sacrifient aux démons (ϰλώμενονἃ θύουσιν, δαιμονίοις... θύουσιν) et entrent en
société avec eux ; 3° Les chrétiens
ont un repas qui les unit réellement avec le Christ : c’est le calice de
bénédiction et le pain qui est rompu par eux. Or si, dans les deux premiers
cas, il y a un sacrifice ou un repas sacrifical, il
faut que S. Paul considère aussi le calice de bénédiction et le pain rompu
comme un sacrifice. Et cette conclusion est d’autant plus légitime que, d’après
la conception antique, on entrait en communication avec la divinité non pas par
un repas pur et simple, mais seulement par un aliment sacrifié, par un repas sacrifical. Cette conclusion est encore renforcée par ce
fait que S. Paul oppose la table du
banquet sacrifical des païens (τράπεζα
δαιμονίῶν)
à la table du banquet eucharistique (τράπεζα ϰυρίου). Dans le premier
cas, il y a sûrement un banquet sacrifical, par
conséquent dans le second cas aussi. En employant cette expression, S. Paul
fait sans doute allusion à 1a « table de Jahvé » ; or cette
table, dans l’Ancien Testament, ne désigne rien autre que l’« autel »
de Jahvé (Cf. Ez., 39, 20 ; 44, 16. Mal., 1, 7,
12). Ainsi donc, d’après S. Paul, l’Eucharistie est un sacrifice, sa réception
un repas sacrifical, sa table un autel. Jusqu’à quel point est‑elle un sacrifice ? Cela n’est pas précisé,
mais il est certain qu’elle l’est dans sa réalité objective et non par des
actes subjectifs. Ce qui le prouve, c’est son effet objectif de participation
au corps mystique du Christ.
Le
passage de l’Épître aux Hébreux (13, 10) allégué par certains auteurs ne paraît
pas à d’autres suffisamment probant. Toute l’Épître parle du sacrifice de la
Croix et la mention du sacrifice eucharistique romprait l’idée principale. Là
où il est question de Melchisédech, il est comparé avec le Christ quant à la personne et non quant à l’oblation. Le
contexte s’opposerait aussi à cette interprétation.
En
réalité, en face du culte brillant des sacrifices juifs, avec son temple et son
sacerdoce historique, S. Paul place le sacrifice unique de notre Grand‑Prêtre, le Christ au ciel, comme un sacrifice
plus élevé et éternel. Mais l’idée de l’Épître n’est pas que les chrétiens ici‑bas n’ont absolument aucun culte. Le
contraire est clairement dit : il est nettement enseigné (10, 19-31) que,
parallèlement au sacrifice céleste du Christ, les fidèles célèbrent un culte
terrestre correspondant, auquel on doit assister avec un cœur pur, et abandonner notre assemblée (cultuelle),
comme quelques‑uns en ont l’habitude, nous attire le
plus rigoureux jugement de Dieu. A ce passage correspond parfaitement 13, 9
sq. :« Ne vous laissez pas entraîner par des doctrines diverses et
étrangères, car il vaut mieux fortifier son cœur par la grâce que par des
aliments qui n’ont servi à rien à ceux qui s’y attachent (les Juifs). Nous
avons un autel (θυσιαστήριον)
dont ceux‑là n’ont pas le droit de manger qui restent au service du
Tabernacle ». Nous aimons mieux, dans la solitude méprisée du nombre
encore minime des fidèles, porter dans notre culte l’« opprobre »
du Rédempteur qui fut chassé hors de la ville et sacrifié. Mais à ce banquet sacrifical
eucharistique (θυσιαστήριον
ἐξ οὖ
φαγεῖν ἔχουσιν scil. πιστεύοντες)
doit s’unir aussi le sacrifice spirituel
objectif. « Par lui (διʹ ἀυτοῦ c.‑à‑d. le
Christ) offrons sans cesse à Dieu le sacrifice de louanges qui est le fruit des
lèvres qui confessent son nom. N’oubliez pas d’être bienfaisants et de
communiquer (ce que vous avez), car c’est à de tels sacrifices (de louange et d’amour
du prochain) que Dieu se complaît » (13, 15). On peut donc établir que Hébr., 13, 10, doit s’entendre réellement du sacrifice
objectif de l’Eucharistie. L’unité de l’idée de sacrifice n’est pas rompue.
Les
Pères. Il n’y a guère de doctrine de foi qui,
depuis l’époque des Apôtres, ait été connue et crue d’une manière aussi concordante
et permanente, aussi générale et expresse que la doctrine qui affirme que l’Eucharistie
est un sacrifice. De là vient, sur ce
point, l’aversion particulière de Luther contre les Pères (Bellarmin, De missa, 1, 5 et 24-26). La doctrine des Pères peut se
ramener à trois points : 1° Le Christ a offert un sacrifice sur la Croix
pour notre salut ; 2° Dans la célébration de l’Eucharistie, ce sacrifice
est renouvelé et rendu présent ; 3° Il s’accomplit par l’action liturgique
du prêtre.
La
Didachè
précise ce qui suit : « Or, au jour du Seigneur, rompez le pain dans
votre assemblée et rendez grâces, après avoir auparavant confessé vos péchés
afin que votre sacrifice (ὴ θυσία
ὑμῶν) soit pur. Mais quiconque
est en désaccord avec son prochain ne doit pas se réunir avec vous avant de s’être
réconcilié, afin que votre sacrifice ne soit pas profané. C’est en effet le
sacrifice qui a été désigné par le Seigneur (suit la citation de Malachie, 1,
11, 14). Établissez donc des évêques
et des diacres qui soient dignes du
Seigneur » (14, 1-15, 1). D’après la Didachè, l’Eucharistie n’est donc
pas un sacrifice purement spirituel, mais un sacrifice extérieur, cultuel, pour
lequel on donne des prescriptions liturgiques.
Il est célébré en commun (« votre sacrifice ») et accompli avec action
de grâces et fraction du pain : la fraction du pain est sûrement un acte
extérieur. Le sacrifice, par conséquent, est objectif.
S. Clément de Rome reproche
aux Corinthiens d’avoir déposé des évêques dignes : « Ce n’est pas
pour vous un péché minime d’avoir chassé de l’épiscopat ces hommes qui ont
offert les dons (προσενεγϰόντας
τὰ δῶρα)
d’une manière irréprochable et sainte » (44, 4). Ces dons ne peuvent être
que ceux qui sont offerts dans la célébration eucharistique. Car, pour cette
célébration, ce sont précisément les évêques qui sont principalement
établis : « Nous devons faire dans l’ordre tout ce que le Seigneur nous a commandé de faire en des temps
fixes ; pour ce qui est du sacrifice et des actions du culte, il nous a
ordonné de les faire non pas à notre gré et en désordre, mais à des temps et à
des heures fixes. Où et par qui il veut que ces choses se fassent,
il l’a ordonné d’après son très haut conseil, afin que tout se fasse avec piété
et crainte, selon son bon plaisir, et soit ainsi agréable à sa volonté. Ceux
donc qui offrent leur sacrifice au
temps fixé lui sont agréables et sont sauvés ». Puis vient la comparaison
avec le grand‑prêtre, les prêtres et les lévites.
« Que chacun d’entre nous, frères, plaise à Dieu dans la part qui lui a
été confiée, qu’il conserve une bonne conscience, qu’il ne dépasse pas la
mesure de son service (mais qu’il agisse) avec révérence et crainte. Ce n’est
pas partout, frères, que sont offerts les sacrifices du soir et les sacrifices
votifs et les sacrifices pour les péchés et les sacrifices d’expiation, mais
seulement à Jérusalem. Et même là ils ne sont pas offerts en tout lieu, mais
(seulement) devant le sanctuaire, sur l’autel des sacrifices, par le grand‑prêtre et ses aides cités plus haut, après
que la victime a été préalablement examinée avec soin. Or, ceux qui font
quelque chose contre cette ordonnance, au gré de leur volonté, reçoivent la
mort comme le sort qui leur convient. Voyez donc, mes frères : plus la
science dont nous avons été jugés dignes est grande, plus grand aussi est le
danger auquel nous nous exposons » (Chap. 40-41).
Il
faut donc, d’après cela, que, dans le culte
- et c’est du culte seulement qu’il s’agit ici - tout se passe selon l’ordonnance
du temps, du lieu et des personnes. C’est
sur ces dernières qu’on insiste. Or quelle est la tâche de ces personnes
liturgiques ? Elles doivent, comme le montre l’Ancien Testament, qui, d’après
S. Clément, concorde ici avec le Nouveau, accomplir les sacrifices et les actes
du culte divin (τὰς προσφορὰς ϰαὶ
λειτουργίας,
50, 2). Cela doit certainement s’entendre du sacrifice, au sens strict de la
liturgie publique qui n’était autre, dans le christianisme primitif, que la
célébration de l’Eucharistie ; ce n’est que pour la célébration de l’Eucharistie
qu’il y avait, comme la Didachè
l’enseigne déjà, des prescriptions si précises. Ces personnes sacerdotales
offrent le sacrifice ordonné par Dieu dans la Nouvelle Alliance, c’est pourquoi
elles sont, d’autant plus que ce sont des hommes dignes, particulièrement agréables
à Dieu, et les déposer n’est pas un péché minime. De tout l’ensemble il résulte
que le culte eucharistique est un culte sacrifical. L’Eucharistie est une oblation liturgique,
un sacrifice (θυσίας προσφέρειν).
S. Ignace traite
souvent de l’Eucharistie, mais jamais il ne l’appelle expressément un
« sacrifice » (θυσία).
Cependant, d’après ses Épîtres, on peut démontrer indirectement sa conception
du caractère sacrifical de l’Eucharistie. Il écrit :
« Empressez-vous donc de vous servir de l’unique Eucharistie ; car
une est la chair de Notre‑Seigneur,
une la coupe pour l’union avec son sang, un l’autel (θυσίαστήριον)
comme est un l’évêque avec le presbyterium et les diacres » (Philad., 4, 1). Dans ce texte, se trouve énuméré tout ce
qui entre en question dans l’Eucharistie dont il recommande la célébration
convenable : son contenu sacré qui est la chair et le sang du Christ, l’autel
sur lequel elle est célébrée et les liturges qui accomplissent la célébration
(Cf. aussi Eph., 5, 1 ;
Rom., 7, 3 ; Smyrn., 7, 1 ; Eph., 13, 1).
S. Justin voit dans l’Eucharistie,
avec toute l’ancienne Église, l’accomplissement de Mal., 1, 11 et il répond à Tryphon : « Que les prières et les actions de grâces
accomplies par des hommes dignes soient les seuls sacrifices parfaits et
agréables à Dieu, je le dis moi aussi ; car c’est
aussi cela seulement que les chrétiens ont reçu l’ordre de faire (ποιεῖν), même dans la cérémonie
commémorative de leur nourriture solide et liquide, dans laquelle ils pensent
aussi à la Passion que le Fils de Dieu a soufferte » (Dial., 117). Il
trouve des figures du sacrifice
eucharistique dans les sacrifices de l’Ancienne Alliance. « Et le
sacrifice de la farine de froment, ô
hommes, je vous le dis, qui avait été ordonné pour ceux qui étaient purifiés de
la lèpre, était une figure du pain de l’Eucharistie que Notre‑Seigneur Jésus‑Christ nous
a ordonné de produire en mémoire de sa Passion qu’il a soufferte pour tous les
hommes dont l’âme doit être purifiée de toute méchanceté ». Il cite alors
Mal., 1, 11 et dit : Or, au sujet du sacrifice qui lui est offert par nous, les Gentils, en tout lieu, c.‑à‑d. le pain
de l’Eucharistie, et, de la même manière, le calice de l’Eucharistie, il y eut
alors une prophétie dans laquelle Dieu dit que nous honorons son nom et que
vous le blasphémez » (Dial., 41). Il appelle le pain de l’Eucharistie et
le calice de l’Eucharistie, le sacrifice des chrétiens que Malachie a prédit. C’est
ce sacrifice et non le sacrifice de la prière, qui a sa figure dans le
sacrifice de farine de l’Ancien Testament. Il faut encore ajouter que S. Justin
ne voit pas le sacrifice dans les espèces du pain et du vin, mais très
certainement dans leur mystérieux contenu, car il a en vue le pain qui a été béni (ἄρτος
τῆς ευχαριστίας
) et le calice qui a été béni
(ποτἡριον τῆς ευχαριστίας) ;
il exprime aussi, au sujet du pain de la Cène, une action, une préparation (ποιεῖν) qu’il a subie. S. Justin
aurait certainement repoussé un sacrifice de pain non consacré, comme une offrande matérielle faite à Dieu, de même
qu’il rejette, avec tous les Apologistes, les sacrifices matériels des païens
et des Juifs, parce que Dieu n’en a pas besoin (Apol.,
1, 13). « Dieu ne reçoit de personne un sacrifice que par ses
prêtres » (Dial., 116).
S. Irénée prouve,
contre les gnostiques, l’unité et l’harmonie de la Révélation de l’Ancien et du
Nouveau Testament. L’une et l’autre viennent d’un seul Dieu (A. h., 4, 1-12) ; seulement le Nouveau Testament
est le complément de l’Ancien (4, 13-19). C’est ce qu’il montre même pour le sacrifice (4, 17-18). Il part de nouveau
de cette pensée que Dieu n’a pas besoin des sacrifices, mais qu’il les a
ordonnés à cause des Israélites (4, 17, 1-4). Même dans l’Ancienne Alliance,
Dieu n’aurait pas demandé les sacrifices sanglants et les holocaustes, mais
fait annoncer la vraie notion du
sacrifice, qui trouve son accomplissement dans la foi, l’obéissance et la
justice » (4, 17, 4). Immédiatement après, il décrit comment Jésus a recommandé aux Apôtres d’offrir
un sacrifice. « Il prit le pain qui provient de la création et rendit
grâces en disant : « Ceci est mon corps ». Et de même il déclara
que le calice, qui est de la même création que nous, était son sang. Il
enseigna ainsi le nouveau sacrifice de la Nouvelle Alliance (et novi testamenti novam docuit oblationem).
L’Église l’a reçu des Apôtres et elle l’offre dans le monde entier à Dieu qui
nous fournit les aliments, comme les prémices de ses dons dans la Nouvelle
Alliance que, parmi les douze Prophètes, Malachie a annoncée (1, 10 sq.) en
montrant par là, de la manière la plus claire, que le
premier peuple cesserait de sacrifier à Dieu, mais qu’en tout lieu on offrirait
à Dieu un sacrifice et un sacrifice pur et que son nom serait glorifié parmi
les Gentils » (4, 17, 5). Il résulte de ces paroles que l’Eucharistie est
le sacrifice du Nouveau Testament, prophétisé par Malachie, institué par le
Christ et transmis à ses disciples. S. Irénée dit encore que l’offrande n’est
pas une offrande naturelle de pain et de vin, telle qu’il en connaît chez les
Juifs, offrandes que Dieu a repoussées, comme il l’a exposé, par la bouche de
Malachie ; mais c’est la chair et le sang du Seigneur, cachés sous les
dons créés. Il remarque, en effet, au sujet du calice, que le Christ a déclaré
que c’était son sang (et calicem... suum sanguinem confessus est) et il faut en dire autant, par analogie, du
pain et il affirme ensuite que désormais c’est le nouveau sacrifice du Nouveau
Testament. Par là même les oblations naturelles ont été supprimées comme
sacrifice et elles sont remplacées par le sacrifice du corps et du sang du
Christ offert par l’Église dans le monde entier. Il est donc impossible de
penser que, d’après S. Irénée, le pain et le vin en soi constituent l’oblation du sacrifice. Il aurait mieux aimé
remplacer, par les sacrifices purement spirituels de la justice et de la
miséricorde dont il a parlé précédemment, les sacrifices naturels. Mais ces
sacrifices spirituels sont communs à tous les chrétiens ; à côté d’eux ou
plutôt bien au‑dessus d’eux, se place le sacrifice
objectif, spécial, de l’Eucharistie. A ce sacrifice doivent s’unir les
sacrifices subjectifs. C’est d’ailleurs ce qu’il recommande immédiatement (4,
18, 1). Quand S. Irénée remarque que, par ce sacrifice, nous offrons à Dieu le
sacrifice des prémices ordonné dans l’Ancien Testament, cela ne doit pas s’entendre
d’une oblation naturelle du pain et du vin, mais il faut tenir compte de l’intention
de l’auteur qui veut montrer comment le Nouveau Testament est l’accomplissement
de l’Ancien ; c’est pourquoi il embrasse, sous l’expression
« sacrifice », non seulement le corps du Seigneur caché sous les
apparences, mais aussi, en même temps,
les apparences extérieures, par conséquent toute l’Eucharistie. En effet, pour
S. Irénée, il faut, en raison de l’harmonie entre l’Ancien et le Nouveau
Testament, que le Nouveau ait lui aussi son « sacrifice des
prémices » que l’Église offre au Seigneur en le prenant dans sa création
(4, 17, 5 et 18, l, 4, 5) ; ce sacrifice est le pain et le vin qui sont le
substratum du corps et du sang du
Christ. Ce sacrifice, seule l’Église l’offre d’une manière convenable, avec une
intention pure, dans la foi, l’espérance et la charité, ce qui n’est pas le cas
des Juifs et des hérétiques (4, 18, 4 ; cf. 1-3). Les Juifs ont des mains
impures, sanglantes, parce qu’ils n’ont pas reçu le Logos par lequel on
sacrifie à Dieu (ou lequel est sacrifié à Dieu, selon que l’on lit « verbum, per quod » ou « verbum,
quod »). Si on préfère la première lecture, il en résulte que c’est par l’intermédiaire
du Logos que nous offrons notre sacrifice ; d’après la seconde lecture, c’est
le Logos lui‑même sacrifié par nous qui est offert
à Dieu.
Les
hérétiques (gnostiques), eux non
plus, ne peuvent pas sacrifier, car ils s’embarrassent dans des contradictions.
Ils ne croient pas que c’est par le Fils de Dieu que le monde a été créé, ils
veulent cependant lui offrir un sacrifice de ses dons. De même, ils nient la
résurrection de la chair et croient que la chair du Christ, dans l’Eucharistie,
a une valeur salutaire. « Comment peuvent‑ils dire que
la chair se corrompt et n’a pas part à la vie, alors que la vie est nourrie du corps du Seigneur et de son sang ? Ou bien ils doivent changer
leur doctrine ou bien il leur faut cesser d’offrir ce qu’on a nommé (le corps
et le sang du Christ) (τὸ προσφἐρειν τὰ εὶρημένα).
Chez nous, au contraire, notre doctrine s’accorde avec l’Eucharistie et l’Eucharistie
confirme notre doctrine. Nous lui
offrons ce qui est à lui en annonçant, comme il convient, la communauté et l’unité,
et nous confessons la résurrection de la chair et l’esprit. Car de même que le pain de la terre,
quand il reçoit l’invocation de Dieu, n’est plus le pain ordinaire, mais l’Eucharistie,
composée de deux choses, une chose terrestre
et une chose céleste, de même nos
corps, quand ils participent à l’Eucharistie, ne sont plus corruptibles, car
ils ont l’espérance de la résurrection éternelle » (4, 18, 5).
Dans
ce passage, il est dit de nouveau, comme dans 4, 17, 5, que les chrétiens et
même les hérétiques, en contradiction avec eux‑mêmes,
prennent le pain et le vin dans la création de Dieu, prononcent dessus l’« invocation
de Dieu », si bien qu’ensuite ces dons sont composés de deux choses : d’une chose
« terrestre », les espèces et d’une chose « céleste », le
« corps et le sang du Seigneur », et qu’ensuite , on offre à Dieu
« ce qu’on a nommé », c.‑à‑d. le corps et le sang du Seigneur.
Tertullien combat l’erreur
d’après laquelle la réception de l’Eucharistie rompt le jeûne ; il
conseille de prendre part à l’office religieux, de se faire remettre (dans la
main) l’hostie et de la consommer le soir à la maison après l’achèvement du
jeûne de station : « Ton jeûne de station ne sera‑t‑il pas plus
solennel si tu te tiens à l’autel de
Dieu ? Quand tu reçois le corps du Seigneur et que tu le conserves encore,
tu as obtenu les deux choses, aussi
bien la participation au sacrifice (participatio sacrificii) que l’accomplissement de ton obligation »
(De orat., 19). Tertullien rapporte également que les
chrétiens offrent le sacrifice de la messe pour les vivants et les morts (Ad Serap., 2 ; De cor. mil., 3 ; De exhort. cast.,
11 ; De mon., 10 ; cf. De cult. fem., 2, 11). Il appelle toute la célébration de l’Eucharistie
« prières des sacrifices » (Orationes sacrificiorum
; De orat., 19), les célébrations
eucharistiques au jour anniversaire des morts s’appellent
« oblations » et « sacrifices » (oblationes
annuæ et sacrificia ; Exhort.
à la chasteté, 11 : Offriras‑tu le saint
sacrifice pour deux femmes ? Et cela par les mains d’un prêtre qui doit
son ordination à sa monogamie, ou même qui a été sanctifié par sa virginité, et
qu’entourent des vierges, ou des femmes qui n’ont été mariées qu’une fois ?
Ton sacrifice montera‑t‑il vers Dieu librement ?). Le diable, d’après
Tertullien, contrefait, dans les mystères païens, le sacrifice chrétien (celebrat et panis oblationem ; De præscript.,
40). Comme tous les Pères, Tertullien insiste, lui aussi, sur le sacerdoce général dont les offrandes sont les
actes personnels de prière et de mortification. Mais, à côté, il connaît aussi
le sacerdoce officiel avec son « sacerdotale
officium » dont une des fonctions principales
est le sacrifice, l’« oblatio »,
l’« offerre ».
S. Cyprien a, comme le
dit Schanz, « entièrement achevé » l’évolution
doctrinale antérieure, mais il n’a pas du tout, comme l’affirment les
adversaires, établi « une notion nouvelle du sacrifice ». D’après S.
Cyprien, le prêtre offre, à l’imitation du Christ, un sacrifice véritable et
complet. « Car si le Christ Jésus notre Seigneur et notre Dieu est Lui‑même le grand prêtre de son divin Père, et s’est offert lui‑même le premier à ce Père en sacrifice, à coup
sûr, le prêtre remplit le rôle du Christ qui fait ce que le Christ a fait, et
il n’offre à Dieu le Père, dans l’Église, la
vérité et la plénitude du sacrifice, qu’autant qu’il l’offre comme il voit
que le Christ Lui‑même l’a
offert » (Ep. 63, 14 : M. 4, 385). Contre les « aquariens »
de son temps, il fait cette remarque : « Par suite, il est clair que
le sang du Christ n’est pas sacrifié quand le vin manque dans le calice, et que
le sacrifice du Seigneur (sacrificium dominicum) n’est pas célébré de la manière légitime, quand
notre offrande et notre sacrifice (oblatio et sacrificium) ne correspondent pas à la Passion » (Ep.
63, 9). Il appelle une fois, comme l’ont fait aussi des Pères antérieurs, la
prière d’action de grâces ou de consécration elle‑même un
sacrifice (De unit. Eccl., 17). On trouvera des
détails sur S. Cyprien dans Poschman, 121-135.
Synthèse. Nous avons
ainsi jusqu’à S. Cyprien une chaîne
ininterrompue d’arguments qui nous prouvent, premièrement que l’Eucharistie a
été appelée sacrifice et considérée comme telle, et secondement qu’on a
considéré et cru que le contenu de ce sacrifice est la chair et le sang du
Seigneur. Ce second point, il est vrai, est en étroite connexion avec la
vérité prouvée précédemment, que les Pères entendent l’Eucharistie comme la
chair et le sang du Seigneur. Bien que S. Irénée fasse rentrer les éléments
terrestres dans la notion de sacrifice, nous avons montré comment il le
comprend. C’est une vaine tentative de vouloir trouver, chez les Pères les plus
anciens, le sacrifice dans les actes subjectifs de l’action de grâces ou bien encore
dans le rite de la célébration, comme il est vain de prétendre que, chez S.
Irénée, le sacrifice de la Nouvelle Alliance se réduit à la simple oblation du
pain et du vin.
Schermann attaque, du
point de vue philologique, ceux qui
prétendent que les Pères les plus anciens n’auraient connu qu’un sacrifice de
prière. Il montre comment il est erroné de traduire ευχαριστία
(ευχαριστεῖν)
simplement par « action de grâces ». Il faut plutôt voir dans ce mot
une expression que nous rencontrons chez Philon
à propos des sacrifices de l’Ancien Testament ; cette expression ne
signifie pas seulement action de grâces, mais encore le sacrifice offert pour
rendre grâces, y compris les éléments et les formes du sacrifice (ευχαριστίαι),
voire même le repas sacrifical qui suit (Cf. Philologus, 1910, 375, 410).
Les
Apologistes avaient pour tâche de
démontrer le caractère spirituel de
la religion chrétienne en face de l’idolâtrie des païens et du culte cérémonial
des Juifs. Cela leur fit écrire des phrases qui semblent parfois nier le culte
extérieur et le sacrifice objectif. Athénagore
démontre que nous ne sommes pas des idolâtres « parce que nous ne
sacrifions pas ». Le Créateur et Père de l’univers n’a pas besoin de sang
ni de graisse. Le sacrifice le plus cher pour lui, c’est quand nous
reconnaissons qui a déployé le ciel, qui a fait la terre, le point central du
monde, et façonné les hommes. A quoi bon les holocaustes dont Dieu n’a pas
besoin ? Cependant c’est un devoir d’offrir un sacrifice non sanglant
« et de témoigner l’adoration spirituelle » (Legat.,
13). De même, S. Aristide (Apol., l, 4 sq.) et Minucius Felix (Octav., 32). Même les Pères qui attestent nettement le
caractère sacrifical de l’Eucharistie exposent des
pensées semblables, comme S. Irénée (A. h., 4, 18, 6) et Tertullien (Apol., 30). Ainsi donc, pour bien comprendre les Pères, il
faut tenir compte de leur point de vue polémique. Au sens des païens et des Juifs, les chrétiens n’ont ni
temple, ni autel, ni sacrifice. Mais il n’en résulte pas
qu’ils ne connaissaient pas de sacrifice objectif au sens mystérieux du mot ou
bien qu’ils se contentaient d’un culte religieux
purement subjectif. Pour réfuter leurs adversaires, les Apologistes devaient se
servir de leurs propres notions ; ils n’avaient pas à se servir des
conceptions propres à l’Église dont ceux‑ci n’avaient
aucune idée. Si tous les Pères insistent, à l’occasion, dans le sacrifice
eucharistique, sur les dispositions subjectives, ils y étaient déterminés par
la parole connue du Christ (Math., 5, 23 sq.), par les avertissements
semblables des Apôtres (Rom., 12, 1. Phil., 2, 17 ; 4, 18. Hébr., 13, 15 sq. Jacq., l, 27 ; Apoc., 5, 8), ainsi
que par toute la notion chrétienne de Dieu que supposent leurs déclarations.
Une
polémique, apparentée à celle des Apologistes et qui emploie souvent même des
expressions analogues, se rencontre aussi chez les philosophes religieux païens. Le Dieu très pur ne peut pas être
honoré par des dons sanglants, mais seulement par une λογιϰὴ
θυσία, par le sacrifice
« raisonnable », « spirituel » de la louange (εὐλογία) et de l’action
de grâces (ευχαριστία)
(Cf. J. Kroll, La doctrine d’Hermès,
328 sq.).
Pour
l’époque qui suit S. Cyprien, les
autres témoignages des Pères, tant de l’Orient
que de l’Occident, sont absolument
clairs. Il en résulte déjà que ce n’est pas S. Cyprien qui a introduit la
doctrine du caractère sacrifical de l’Eucharistie
dans la théologie. A ce sujet Doellinger écrit : « Cette prétention chimérique,
que ce serait S. Cyprien qui, le premier dans l’Église, aurait imaginé le
sacrifice du corps du Seigneur, est d’autant plus singulière que nous
rencontrons la même doctrine chez les Pères grecs peu de temps après S.
Cyprien. Ceux‑ci ne l’ont pourtant pas puisée dans
les écrits latins de l’évêque de Carthage. Nous trouvons chez eux cette
doctrine comme une chose depuis longtemps connue, admise et exposée »
(Hippolyte et Calliste [1853], 345 sq).
S. Cyrille de Jérus. explique aux catéchumènes la célébration de l’Eucharistie :
« Après que le sacrifice spirituel (πνευματιϰὴ
θυσία), que le culte sacrifical non sanglant (αναίμαϰτος λατρεία) est accompli, nous prions
Dieu, sur ce sacrifice expiatoire (ἐπὶ τῆς
θυσίας ἐϰείνης τοῦ ἰλασμοῦ)
pour la paix générale de l’Église... et nous prions tous pour tous ceux qui ont
besoin d’aide et nous offrons ce sacrifice » (Cat. myst., 5, 8). « Nous offrons le Christ immolé
pour nos péchés (χριστὸν
ἐσφαγισμἐνον
ὐπὲρ τῶν
ἡμετὲρων ἁμαρτηματων
προσφέρομεν)
afin d’apaiser, pour ceux qui sont déjà morts et pour nous, le Dieu de
miséricorde » (Ibid., 10). S. Jean
Chrysostome écrit : « Quand tu vois comment le Seigneur est
couché comme victime immolée (τὸν ϰύριον τεθυμένον
ϰαὶ ϰείμενον),
comment le prêtre se tient debout devant le sacrifice (θῦμα)
et comment nous paraissons tous rougis de ce sang précieux crois‑tu donc être encore parmi les hommes et
demeurer sur la terre, n’es‑tu pas
plutôt élevé immédiatement au ciel ? » (De sacerd.,
3, 4). « Nous sacrifions toujours le
même, c.‑à‑d. nous ne
sacrifions pas aujourd’hui un agneau et demain un autre, mais toujours le même
agneau. Si l’on sacrifie en plusieurs lieux, y a‑t‑il donc plusieurs Christs ? Non, mais
partout un seul Christ... De même, en
effet, que celui qui est immolé est un
seul corps et non plusieurs corps, il n’y a aussi qu’un sacrifice » (In Hæb. hom., 17, 3). Le sacrifice de la Croix et le sacrifice de la
messe sont objectivement identiques : « Celui‑ci n’est pas plus vénérable que celui‑là et celui‑là n’est pas
plus précieux que celui‑ci ;
bien plutôt les deux ne sont qu’un seul et même sacrifice, également
redoutables et salutaires tous les deux » (Adv. Jud.,
3 : M. 48. 867 : ἀλλά μία ϰαὶ ἡ αὐτή). S.
Cyrille d’Alex. enseigne, comme le Concile de Trente,
que le Christ est le prêtre et la victime, que c’est lui qui sacrifie et qui
est sacrifié » (Hom., 10, in cœn. Myst. : M. 77, 1029). Nous n’offrons plus des
sacrifices comme les Juifs, mais nous sacrifions « le Christ, le
Rédempteur de tous, dans les Églises, d’une manière spirituelle » (Comm. in Zach. : M. 72, 272).
Parmi les Latins,
citons encore deux témoins. L’Ambrosiastre donne une partie importante de l’ancien canon
latin de la messe (4, 21, 22, 26, 27). « Et sacerdos
dicit... offerimus tibi hanc immaculatam
hostiam, rationabilem hostiam, incruentam hostiam, hunc panem
sanctum et calicem vitæ æternæ ; et petimus et precamur, ut hanc oblationem suscipias in sublimi altari tuo, etc. » [nous t’offrons cette hostie immaculée,
cette hostie rationnelle, cette hostie non sanglante, ce pain saint et ce
calice de la vie éternelle, et nous te prions et supplions afin que tu acceptes
cette oblation sur ton autel sublime...] (4, 27).
S. Augustin est
beaucoup plus précis dans sa doctrine du sacrifice que dans sa doctrine
sacramentaire de l’Eucharistie. C’est chez lui qu’on trouve pour la première
fois une théorie du sacrifice (Civ., 10, 4-24 ; De Trin., 4, 14, 19). Le Christ a
offert sur la Croix, en tant que notre médiateur, un sacrifice à Dieu, bien que
lui‑même, comme Dieu, reçoive le sacrifice
avec le Père. S. Augustin établit quatre conditions pour le sacrifice, quatre
conditions que le Christ a toutes remplies dans sa nature humano‑divine, en tant que représentant, dans une
seule et même personne, « celui à qui on l’offre, celui par qui il est
offert, ce que l’on offre, et pour qui on l’offre » (De Trin., 4, 14, 19).
« Le sacrifice suprême et vrai du Christ » est le sacrifice de la
Croix (Civ., 10, 20). Mais le sacrifice eucharistique
en est le mémorial et lui est
essentiellement identique. « Le Christ n’a été immolé qu’une fois ; il s’immole
pourtant dans le sacrement, non‑seulement à
toutes les solennités pascales, mais encore tous
les jours » (Ep. 98, 9). « Il est donc à la fois le prêtre et la
victime, et voilà le sens du sacrifice que l’Église lui offre chaque jour »
(Civ., 10, 20 ; cf. 17, 20, 2 ; Enarr. in Ps, 149, 6). « La chair et le sang, matière de ce sacrifice,
étaient figurés prophétiquement par des victimes, avant l’arrivée du Christ ; dans sa Passion ils furent réellement immolés ; depuis l’Ascension du Sauveur, on célèbre le sacrifice en mémoire
de lui » (C. Faust. 20, 21 ; cf. 6, 5).
Le
caractère sacrifical de la messe est démontré aussi
par les liturgies. Dans la
« prière de sacrifice » (εὐχὴ
προσφόρου)
de Sérapion de Thmuis (+ 362), on lit que nous « offrons
(à Dieu) ce sacrifice, cette oblation non sanglante » (11). Le pain et le
vin sont considérés comme les symboles de la mort sacrificale
du Christ et on prononce cette prière : « Par ce sacrifice,
réconcilie‑toi avec nous et sois‑nous miséricordieux, Dieu de vérité »
(13). Dans l’offrande du pain et du vin on rappelait, à chaque fois, les
paroles de l’institution. Cf. Rauschen, Florilège, 7,
16 sq. (texte grec). On trouve des prières semblables dans les autres
liturgies ; cf. Rauschen (loc. cit.), 7, 117 sq.
Dans les controverses sur la Cène, ce qui
était en question c’était surtout la présence réelle et l’identité du corps du
Christ. Mais Paschasius Radbertus,
dont le livre « De corpore et sanguine
Christi » en vingt‑deux
chapitres, fit autorité dans l’avenir pour ce qui est de l’Eucharistie, signale
aussi, expressément, le caractère sacrifical de l’Eucharistie
(Cf. Schnitzer, 141 sq.). A l’époque carolingienne,
commence la littérature de l’explication de la messe (Expositio
missæ ; De divinis officiis), d’abord pour les prêtres, puis pour le peuple
lui‑même. On trouve un aperçu détaillé de
cette littérature dans Thalhofer‑Eisenhoter.
(Manuel de la liturgie cath., 1, 103-194). Signalons
une explication célèbre d’Innocent III (+ 1216) « De sacro altaris mysterio » (M. 217,
773, 916).
La
Scolastique trouva non seulement la
pratique du sacrifice de la messe, mais une théologie considérable à ce sujet.
Sans doute la Scolastique n’a guère approfondi sur ce point les pensées de S.
Augustin. D’une façon générale, ses exposés sur le caractère sacrifical de l’Eucharistie, en comparaison des vastes
considérations qu’elle a consacrés au sacrement, sont assez maigres. La preuve
elle‑même était faible, souvent purement
rationnelle (Franz, La messe dans le Moyen‑Age
allemand, 458 sq.). D’après S. Thomas,
la célébration de l’Eucharistie est un sacrifice, parce qu’elle est une image,
une représentation de la Passion du Christ, qui est un vrai sacrifice (imago quædam repræsentativa passionis Christi, quæ est vera ejus immolatio).
C’est un souvenir de sa mort (recordatio mortis ejus). Il s’ajoute un
second élément : « Nous sommes par ce sacrement participants de la
Passion du Seigneur » (S. th., 3, 83, 1).
L’office
religieux chrétien vers 200 : Aperçu sommaire.
Nous connaissons surtout le christianisme
post‑apostolique par l’ordonnance
ecclésiastique qui fut composée par Hippolyte de Rome vers 217-220. « C’est
là que coule la source la plus riche que nous possédions concernant la vie
ecclésiastique dans les temps les plus anciens, et cette vie de l’Église de
Rome était, dans bien des points, celle de l’Église en général »
(Harnack). C’est sur cette O. E. que s’appuie l’esquisse suivante.
Le
lieu de la célébration est la « maison de Dieu », qu’on appelle aussi
sans doute ἐϰϰλησία.
Les maisons de Dieu étaient encore, au début du 3ème siècle,
primitives. Mais les fidèles et les catéchumènes, les hommes et les femmes,
avaient leur place spéciale. L’autel
était encore une simple table, peut-être munie d’une plaque de marbre. Il est
certain que nous devons admettre l’existence d’un bassin baptismal, mais qui se trouvait en dehors de l’église
proprement dite (c. 21 b). On conservait des vases sacrés, des calices et des
vases à huile. Il y avait un office stable le dimanche (et le samedi) : c’est
le dimanche qu’était ressuscité le Seigneur. Cet office religieux devait
toujours être célébré par l’évêque lui‑même. Ce n’est
qu’en cas de
nécessité qu’un presbytre pouvait le remplacer ; le diacre en était
incapable. Dans les temps les plus anciens, il y avait office religieux deux
fois par jour : l’office de la parole de Dieu (prières, lecture,
instruction), au lever du jour, et la célébration de l’Eucharistie le soir.
Vers 200, les deux offices, pour des raisons pratiques et éthiques, furent
réunis le matin (Cf. Tert., De corona, 3, et S. Cypr., Ep. 63, 15 et 16). Les fidèles et les catéchumènes y
prenaient part, mais les catéchumènes quittaient l’église au moment de la
partie eucharistique de l’office. L’office de la parole de Dieu était célébré
par l’évêque ; un lecteur lisait des textes bibliques et l’évêque les
expliquait. En cas de nécessité, un laïc même avait droit et pouvoir de faire
la lecture et même d’instruire les catéchumènes (S. Cyprien, Ep. 29 ; C.
E., 35 et 39). Les prières étaient faites pour la communauté, comme pour l’Église
entière, pour tous les besoins, pour tous les hérétiques, pour l’empereur et
ses fonctionnaires, pour les vivants et les défunts.
Après
l’office de la parole de Dieu, les catéchumènes étaient congédiés, on fermait
les portes et on commençait la partie eucharistique de l’office. Tout d’abord
on récitait une prière commune. Puis avait lieu le baiser de paix, qui était
échangé d’abord entre tout le monde indistinctement, mais qui ne s’échangeait
plus maintenant qu’entre personnes du même sexe. Ensuite c’était l’offrande des
dons pour le saint sacrifice. Outre le pain et le vin, on offrait de l’huile,
du petit lait, et les prémices des fruits. Dans la messe des néophytes, on
ajoutait du lait et du miel, parce qu’ils étaient entrés dans la terre promise
de Dieu, dont la richesse en lait et en miel était proverbiale. Le président ou
évêque prononçait alors sur le pain, le vin et l’eau mélangés dans un vase, les
paroles de consécration qui étaient entendues comme αῖνος
ϰαὶ δόξα, comme
prière de louange à la Trinité et qui, sous le nom d’ευχαριστία,
comprenaient la récitation des paroles de l’institution en même temps que l’épiclèse,
pour s’achever par les invocations (εὐχαί)
qui suivaient, prières que le peuple confirmait en répondant : ἀμήν. « Le point central de ces
prières était constitué par les paroles
de l’institution », comme le reconnaît même le protestant Jungklaus. Tous les assistants recevaient ensuite l’Eucharistie
des mains de l’évêque qu’un prêtre pouvait remplacer. Quant aux absents (les
malades), on leur portait l’Eucharistie à la maison. On recevait (sans doute à
genoux) l’Eucharistie à l’autel, pendant que l’évêque, d’après la O. E.,
disait : « Le pain céleste dans le Christ Jésus », à quoi les communiants
répondaient : « Amen ». A cet exposé correspond aussi la
description de la messe des néophytes et de la célébration du dimanche chez S.
Justin (Apol., 1, 65-67) vers 150. Son récit est le
plus ancien que nous connaissions (Cf. Lietzmann, Messe et Cène). On admet pour toutes les liturgies
deux formes primitives, la forme romaine d’Hippolyte et la forme égyptienne. La
première se rapproche de S. Paul et la seconde de la Didachè.
Le
plus ancien canon eucharistique connu
(200). A cette « pièce centrale de toute liturgie eucharistique » correspondent,
dans notre messe actuelle, « la préface et le canon jusqu’à la conclusion
doxologique : Par lui, avec lui, etc. » (Baumstark).
L’ancien canon d’où est sorti notre messe actuelle est ainsi formulé :
« Nous
te rendons grâces, ô Dieu, par ton Enfant bien‑aimé, Jésus
Christ, que tu nous as envoyé aux derniers temps comme Sauveur, Rédempteur et
Messager de ta volonté ; Il est ton Verbe inséparable par qui tu as tout
créé et en qui tu as mis tes complaisances ; Tu l’as envoyé du ciel dans
le sein d’une Vierge. Il a été conçu et s’est incarné, il s’est manifesté comme ton Fils, né de l’Esprit et de la Vierge. Il a accompli ta volonté et, pour t’acquérir
un peuple saint, il a étendu ses mains tandis qu’il souffrait pour délivrer de
la souffrance ceux qui croient en toi.
Tandis
qu’il se livrait à la souffrance volontaire pour détruire la mort, briser les
chaînes du diable, fouler l’enfer à ses pieds, répandre sa lumière sur les
justes, établir et manifester sa Résurrection, Il prit le pain, Il te rendit grâce et dit : « Prenez,
mangez, ceci est mon corps qui est rompu pour vous. » De même pour le
calice il dit : « Ceci est mon sang qui est répandu pour vous. Quand
vous faites ceci, faites‑le en
mémoire de moi ».
Nous
souvenant donc de ta mort et de ta Résurrection nous t’offrons le pain et le
vin, nous te rendons grâces de nous avoir jugés dignes de nous tenir devant toi
et de te servir. Et nous te demandons d’envoyer
ton Esprit Saint sur l’ offrande de ton Église sainte,
de rassembler dans l’unité tous ceux qui la reçoivent. Qu’ils soient remplis de
l’Esprit Saint qui affermit leur foi dans la vérité. Que nous puissions te
louer et te glorifier par ton Enfant, Jésus‑Christ.
Par
lui, gloire à toi, et honneur au Père et au Fils, avec l’Esprit Saint, dans ton
Église sainte, maintenant et dans les siècles des siècles ! Amen ».
Le
point central de ce canon, ce sont les paroles de l’institution ; elles
sont encadrées par une christologie archaïque ; il y a enfin un embryon d’épiclèse
avec une prière pour que l’Eucharistie soit efficace (qu’elle remplisse les
fidèles du Saint‑Esprit). Cf. surtout Cagin, L’Eucharistie :
canon primitif de la messe ou formulaire essentiel et premier de toutes les
liturgies (1912), 148 sq. et passim. Dans ce canon se trouvent d’antiques
formules de prière (Didachè, 9 sq. ; 1 Clem.,
34, 5-7 ; S. Justin, Apol., 1, 65 ;
Tertullien, De ord., 3) ; inversement, on trouve
des emprunts à ce canon dans les canons postérieurs, dans le canon du papyrus
de Dêr‑Balyzeh et le livre
de prières (ευχολὁγιον)
de Sérapion de Thmuis, l’ami de S. Athanase, ainsi
que dans S. Cyrille de Jérus (Cat. Myst., 1-3).
Participation
du peuple à la liturgie. Le
canon eucharistique était prononcé par le liturge (évêque, prêtre) seul ;
par contre, tout le peuple prenait une part active au reste de la messe (avant‑messe, offertoire, procession de l’entrée du clergé,
etc.) par des chants et des prières qui se faisaient en langue vulgaire.
« Une célébration de la messe dans l’ancienne Église était un drame, un
spectacle sacré, dans lequel toute la communauté coopérait avec le
clergé ». « C’était vraiment une union de prières et de chant, une
audition, un don, une participation au sacrifice et à la communion de la part
du peuple ». Il faut en dire autant de la célébration des vigiles et de la
prière des Heures. Il n ’y avait pas de dévotions privées ou de dévotions
populaires indépendamment de la vie de prière de l’Église. Toutes les fêtes de
l’Église étaient des drames sacrés dans lesquels le peuple jouait son rôle. Une
nuit pascale, par exemple, était une grande action dramatique à laquelle le
clergé, le peuple, et les catéchumènes participaient activement. Depuis dix
siècles, cette participation active a peu à peu disparu pour faire place à la
forme actuelle.
Raisons. 1° L’introduction et le développement des écoles de
chant (schola). Au début, le peuple chantait encore avec la schola, mais
ensuite les chants devinrent des productions artistiques avec des morceaux en
solo ; le peuple ne chanta bientôt plus que les « répons » et
laissa le reste à la schola. Le chœur d’artistes remplaça le chœur populaire.
La liturgie cessa d’être une « œuvre populaire » ; 2° Les tribus
germaniques ne comprenaient rien à la langue d’Église ; la participation à
la célébration de la messe devint, par suite, extrêmement réduite et fut comme
paralysée. La communion quotidienne cessa elle aussi peu à peu ; 3° La
messe privée entra en usage et supplanta la messe chantée commune en usage jusque là ; 4° La piété des fidèles prit un caractère
individuel ; 5° Le cœur fut de plus en plus écarté du voisinage de l’autel,
lequel fut avancé vers le mur de l’Est (abside), si bien que le liturge dut
tourner le dos au peuple. La conséquence, c’est que le peuple ne se tint plus debout
comme « co‑sacrificateur »,
mais assista régulièrement à genoux au Saint‑Sacrifice.
A
consulter, outre les ouvrages signalés plus haut : Charre, Le sacrifice de l’Homme‑Dieu (1899).
Mortimer, The eucharistical
Sacrifice (1901). Vacant, Histoire de
la conception du sacrifice de la messe dans l’Église latine (1894). Lamiroy, De essentia ss. Missae
sacrificii (1919).
Le Concile de Trente fait ressortir
nettement deux points au sujet du sacrifice de la messe : d’abord son identité essentielle avec le sacrifice
de la Croix, puis sa distinction
accidentelle d’avec ce sacrifice. De ces deux points il résulte que le
sacrifice de la messe est un sacrifice relatif et non un sacrifice absolu,
indépendant, bien qu’il soit un sacrifice vrai et proprement dit, comme le
Concile le définit expressément.
Le
Concile de Trente enseigne : « c’est
la même et unique Hostie, et c’est le même qui s’offrit autrefois sur la
Croix, qui s’offre encore à présent
par le ministère des Prêtres, il n’y a de
différence qu’en la manière d’offrir » (S. 22 c.2 : Denz, 940). Par cette affirmation de l’identité du
sacrifice de la messe et du sacrifice de la Croix, le Concile réduit à néant l’objection
protestante qui prétendait qu’au lieu de nous en tenir à l’unique sacrifice
dont parle l’Épître aux Hébreux, nous en étions revenus à la multitude des
sacrifices de l’Ancien Testament et que la messe nous faisait oublier le
sacrifice de la Croix. C’est justement le contraire qui est la vérité ;
dans le sacrifice de la messe brille la lumière du sacrifice de la Croix et c’est
par la messe qu’est conservé vivant le souvenir du sacrifice de la Croix.
« C’est par le moyen de cette oblation non‑sanglante,
que l’on reçoit avec abondance de fruit de celle qui s’est faite avec effusion
de sang » (Trid. loc. Cit.).
L’identité du sacrifice de la messe et du
sacrifice de la Croix réside, d’après le Concile, dans l’identité de la victime
(eadem hostia) et du prêtre
sacrificateur (idem offerens). Et pour comprendre
cela, il faut se rappeler que, dans l’un et l’autre cas, sur la Croix comme sur
l’autel, le Christ a été aussi bien sacrificateur que victime. Sur la Croix, le
Christ se sacrifie lui‑même par l’acceptation
et l’endurance volontaire de la mort douloureuse, conformément à l’ordre de son
Père. C’est lui‑même qui met toute sa nature humaine,
avec son être et son opération, au service de Dieu, jusqu’à l’anéantissement
personnel passif. Ce ne sont pas les Juifs
qui le sacrifient ; au contraire, ils commettent un horrible péché, mais
ils lui donnent l’occasion réelle de se sacrifier. Ainsi le Christ était
sacrificateur et sacrifié. Il faut que la même chose se reproduise
essentiellement à la messe. Là aussi, il faut se représenter le Christ comme
victime et comme prêtre sacrificateur. Le fondement réel de cette identité
réside dans la présence réelle. Il est vrai que les circonstances extérieures
sont différentes, mais, dans les deux cas, le Seigneur accomplit
essentiellement la même chose : il se sacrifie lui‑même à son Père. C’est ce qu’enseigne le
Concile de Trente (idem nunc offerens). L’Église n’enseigne
donc pas une pluralité de sacrifices,
mais un seul sacrifice identique à lui‑même.
Le
Concile expose, en outre, que la messe est un « sacrifice par lequel
serait représenté le sacrifice sanglant qui devait s’accomplir une fois pour
toutes sur la croix, le souvenir en demeurerait jusqu’à la fin du monde, et sa
vertu salutaire serait appliquée à la rémission de ces péchés que nous
commentons chaque jour » (S. 22, c. 1 : Denz.,
938). C’est là la doctrine que nous avons déjà rencontrée chez S. Thomas et
dans la Scolastique.
Le
sacrifice de la messe est donc la représentation réelle du sacrifice de la Croix,
c.‑à‑d. le
sacrifice de la Croix qui n’a été accompli historiquement
qu’une fois est rendu mystérieusement actuel d’une manière sacramentelle. Cette représentation se fait, il est vrai, sous les
signes symboliques de la mort sacrificale du Christ
et non par une mise à mort extérieure et physique du Christ ; mais elle se
fait cependant d’une manière réelle
en ce que le Christ est véritablement présent sous ces signes, et présent en sa
qualité de victime et de prêtre sacrificateur. « Il institua la Pâque nouvelle
où lui‑même doit être immolé par l’Église par
le ministère des prêtres, sous des signes visibles en mémoire de son passage de
ce monde à son Père, lorsque, par l’effusion de son sang il nous racheta »
(S. 22, c. 1 : Denz., 938). La Croix est
véritablement et avec sa signification essentielle, plantée sur nos autels. S.
Thomas : « L’autel est la représentation de la croix sur laquelle le
Christ a été immolé dans son espèce propre » (S. th., 3, 83, 1). Le
Catéchisme romain appelle la messe un « renouvellement » du sacrifice de la Croix, mais il joint
immédiatement à cette expression celle de « mémorial ». « Notre‑Seigneur ne
pouvait pas donner une marque plus éclatante de son infinie bonté envers nous,
que de nous laisser ce sacrifice visible, pour renouveler le sacrifice sanglant
qu’il était près d’offrir sur la croix, pour en conserver la mémoire jusqu’à la
fin des siècles, et pour en répandre les fruits infinis dans tout l’univers,
par le moyen de son Église » (P. 2 c. 4, q. 70). Les théologiens parlent
eux aussi d’un renouvellement du
sacrifice de la Croix, sans vouloir mettre en doute l’identité du sacrifice de
la messe et du sacrifice de la Croix.
On
voit maintenant nettement dans quel sens il faut entendre le mémorial (memoria). Tout en employant cette expression qu’il emprunte
à l’ordre du Seigneur : « Faites ceci en mémoire de moi » (Luc.
22, 19), le Concile repousse cependant l’abus qu’en faisaient les protestants,
en frappant d’anathème ceux qui n’admettent qu’un « simple mémorial ».
« S. q. d. que le sacrifice de la messe n’est qu’un sacrifice de louange
et d’action de grâces, ou simple commémoration du sacrifice accompli sur la
croix… qu’il soit anathème » (S. 22, can. 3). La différence entre la
conception catholique et la conception protestante du « mémorial » se
comprend facilement. D’après les Réformateurs, la commémoration se passe uniquement dans l’esprit du fidèle. D’après
la doctrine catholique, le fidèle est déterminé à cette commémoration par la
présence réelle et effective, sur l’autel, du Rédempteur sacrifié. Le
protestant se souvient d’un événement passé depuis longtemps ; pour le
catholique, cet événement, dans son essence, est placé devant le regard de sa
foi. L’histoire lointaine devient un présent vivant.
La preuve de cette thèse de l’identité du
sacrifice de la messe et du sacrifice de la Croix, posée par le Concile de
Trente, n’a pas besoin d’être exposée en détails. Elle résulte : 1° de la
présence réelle du Christ dans l’Eucharistie, et 2° du fait que le Seigneur a
institué l’Eucharistie comme un sacrifice. Si l’Eucharistie est d’abord le
corps sacramentel du Seigneur et ensuite également un sacrifice, ce corps est
précisément le corps du Christ en tant qu’il a été sacrifié pour nous. Or cela
ne s’est fait qu’une fois : sur
la Croix.
Jésus lui‑même a d’ailleurs exprimé cette identité
entre son corps de victime eucharistique et son corps de victime sanglante, en
disant que son corps est celui qui a été livré pour nous, son sang celui qui a
été versé pour nous. Même si on ne tient pas compte de la forme future de la Vulgate (Math., 26, 28 et
passages parallèles), la réalité historique exige que le Christ, en employant
cette expression, ait songé à l’effusion de son sang qui devait avoir lieu le
lendemain sur la Croix. L’Écriture ne connaît pas d’autre effusion du sang du
Christ que celle‑là. Le Christ n’est réellement mort qu’une fois, il n’a réellement versé son sang qu’une
fois ; l’une et l’autre chose se produisirent dans un unique moment
historique qui, sous cette forme, ne
se reproduira pas. Par suite, le Christ a lui‑même exprimé
l’identité entre son corps, victime eucharistique et son corps, victime
sanglante.
Qu’il
ait également enseigné la seconde relation entre le sacrifice de la messe et le
sacrifice de la Croix établie par le Concile de Trente, cela a déjà été dit. Le
sacrifice eucharistique doit être un mémorial (ἀνἁμνησις)
perpétuel de sa mort. S. Paul transmet cet ordre du Seigneur :
« Chaque fois que vous mangerez ce pain et que vous boirez ce calice, vous
annoncerez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il revienne » (1 Cor., 11,
26). Tout au moins depuis l’époque de S. Justin, nous avons le témoignage
formel que la communauté chrétienne, dans la célébration eucharistique,
« remerciait (Dieu) de la Passion que le Fils de Dieu a soufferte pour
elle » (Dial., 117).
Différence
entre le sacrifice de la messe et le sacrifice de la Croix. Elle ne peut être, d’après ce que nous avons dit, qu’accidentelle
et non essentielle. C’est ce qu’enseigne le Concile de Trente, quand il dit qu’il
n’y a de différence que dans la « manière d’offrir » et explique avec
plus de précision : « Le Christ s’offre par le ministère des
prêtres » (sacerdotale ministerium), tandis qu’« il s’est offert alors par lui‑même ». En outre, la première oblation est
appelée « oblation sanglante » (oblatio cruenta) ; la seconde, c’est une « oblation non
sanglante » (obl. incruenta : S. 22, c 2 et 1).
Une
oblation a donc lieu dans les deux
cas ; si elle faisait défaut à la messe, la messe ne serait pas un
sacrifice, mais un simple mémorial symbolique. Il lui manquerait l’identité
essentielle avec le sacrifice de la Croix. Il nous faudra donc démontrer plus
loin que, dans la messe, il y a, de quelque manière, un acte sacrifical du Christ. Mais le mode d’oblation est différent. Cette
différence consiste d’abord en ce que le Christ sur la Croix s’offrit seul,
sans l’intermédiaire d’un prêtre tenant sa place. Les bourreaux ne
remplissaient, dans cette circonstance, qu’une fonction matérielle analogue à celle du couteau sacrifical
dans les sacrifices de l’Ancien Testament. Dans le sacrifice de la Croix, le
Christ n’avait pas du tout besoin du ministère d’un prêtre, Il était encore lui‑même dans l’état de voie et capable d’offrir,
comme Grand‑Prêtre, le sacrifice rédempteur.
« J’ai été seul à fouler au pressoir et parmi les peuples personne n’a été
avec moi », dit le Messie dans Isaïe (63, 3).
Il
en est autrement dans le sacrifice de la messe. Il a besoin ici, à cause de son
existence sacramentelle, du ministère sacerdotal : seul il ne peut pas du
tout se mettre dans l’état de victime. Et alors même que cela serait possible à
sa divinité en vertu d’un miracle perpétuel, il veut cependant le ministère d’un
prêtre parce que le sacrifice de la messe doit être le sacrifice visible de son
épouse l’Église, comme le dit le Concile de Trente. Le Christ s’offre donc à la
messe, mais non pas strictement seul
comme sur la Croix. Les prêtres de l’Église doivent sacrifier avec lui au nom
de toute l’Église. Le sacrifice du Christ est donc aussi le sacrifice de l’Église :
« Faites ceci en mémoire de moi ».
Mais
comme l’activité sacrificale de l’Église est
perpétuellement dépendante de la
volonté de son divin fondateur, le ministère du prêtre ne peut être que secondaire. Le sacrificateur principal
demeure le Christ ; le Christ s’offre par le ministère du prêtre. Sans
doute, le prêtre offre vraiment le sacrifice de l’Église, mais la condition
préalable de son acte sacrifical est l’acte sacrifical du Sauveur eucharistique. Il faut que celui‑ci donne au prêtre et à l’Église la victime, l’acte sacrifical et le pouvoir de sacrifier. Ce dernier pouvoir
il l’a donné une fois pour toutes à son Église par l’institution historique du
sacerdoce. Pour ce qui est de la victime et surtout de l’acte sacrifical ou de l’intention sacrificale,
il doit constamment les produire lui‑même
immédiatement et dans l’union la plus étroite
avec chaque sacrifice de la messe. L’activité sacerdotale et sacrificale du souverain Prêtre est partout le fondement de
la même activité chez le prêtre qui le représente.
Le
Concile de Trente trouve une seconde différence
dans ce fait que l’oblation a été la première fois sanglante et qu’à la messe elle est non sanglante. L’oblation sanglante est claire en soi. Il n’en est
pas de même de l’oblation non sanglante. On l’appelle non sanglante parce qu’elle
ne comporte pas de destruction de vie, pas de douleur. Et cependant c’est une
oblation sacrificale. Or, une mise à mort du Seigneur
n’est plus possible (Rom., 6, 9). Et même si elle était possible, sa
réalisation serait un acte criminel imité des Juifs, bien loin d’être un acte
de culte agréable à Dieu. Cependant le Christ a permis à son Église de posséder
un vrai sacrifice sans qu’elle ait à commettre un crime envers lui. Il lui a
ordonné une oblation non sanglante. L’oblation
sanglante n’appartient donc pas à l’essence
du sacrifice du Christ : autrement l’oblation ne pourrait pas être
différente, comme le dit le Concile de Trente. Rien ne doit être changé à l’essence,
si la chose doit rester la même en soi. Nous aurons à revenir sur ce point.
A
ces deux différences accidentelles
que signale le Concile on peut en ajouter quelques autres qu’il mentionne occasionnellement.
Le sacrifice de la Croix est seul notre sacrifice
de Rédemption. Il a été tellement suffisant et efficace qu’il n’a pas
besoin d’être complété par un second sacrifice (Cf. t. 1er, p. 436
sq.). Le sacrifice de la messe n’a pas pour but de compléter le sacrifice de la
Croix, mais seulement d’en appliquer les
fruits aux fidèles. C’est pourquoi le sacrifice de la Croix ne fut offert
qu’une fois (Hébr., 7, 27 ; 9, 12, 28 ; 10,
10, 12). « Par une unique oblation (μιᾷ
γὰρ προσφορᾷ)
il a procuré pour toujours la perfection à ceux qui sont sanctifiés » (Hébr., 10, 14). Par contre, la messe a été instituée par le
Seigneur comme un sacrifice qui doit se perpétuer jusqu’à son retour. En outre,
le sacrifice de la Croix est uniquement le sacrifice du Christ ; par contre, le sacrifice de la messe est en même
temps le sacrifice de l’Église.
Enfin, si on admet qu’un repas fait aussi partie de la notion de sacrifice, on
peut dire que, pour le sacrifice de la Croix, le Christ a anticipé le repas la
veille au soir ; par contre, il a joint pour toujours ce repas d’une
manière immédiate au sacrifice eucharistique. Ainsi on aura indiqué les
différences entre le sacrifice de la messe et le sacrifice de la Croix et
prouvé en même temps que ce ne sont que des différences accidentelles qui ne
peuvent détruire l’identité du sacrifice.
Néanmoins
il résulte du fait de cette distinction qu’on peut, d’une certaine manière,
parler de deux sacrifices et les comparer ensemble. Si l’on agit ainsi et
que l’on donne à la messe, malgré son identité avec le sacrifice de la Croix,
une certaine indépendance, il est tout de suite clair que la messe occupe, par
rapport au sacrifice de la Croix, une situation secondaire, car elle en est
dépendante. Les théologiens disent que le sacrifice de la Croix est un
sacrifice absolu et le sacrifice de
la messe un sacrifice relatif. Le
sacrifice de la Croix a, à tous égards, son fondement en lui‑même ; d’aucun point de vue il ne dépend
d’un autre sacrifice, ni dans son être,
ni dans son opération ; ce qu’il
est et ce qu’il doit opérer, il l’est et l’opère de la manière la plus parfaite
par lui‑même. Par contre, le sacrifice de la
messe a son fondement, à tous égards également, dans le sacrifice de la Croix,
en tant qu’il reçoit de ce sacrifice la victime et le prêtre sacrificateur, en
tant qu’il représente ce sacrifice et en est le mémorial et en tant qu’il en
reçoit et en communique les effets.
Faut‑il étendre plus loin encore cette
relativité ? C’est là l’objet d’une controverse
sur laquelle nous aurons à revenir. Remarquons seulement ici que c’est
précisément à cause de sa relativité que le sacrifice de la messe peut être réitéré et que, par contre, le
sacrifice de la Croix, à cause de son caractère absolu, ne peut pas être
réitéré. A cause de l’identité du sacrifice de la messe et du sacrifice de la
Croix, on parle au singulier du
sacrifice de la messe et on ne dit pas : les sacrifices de la messe. Il n’y
a qu’un sacrifice de la messe. Mais
comme les oblations sont distinctes selon les prêtres particuliers, on parle
aussi au pluriel des sacrifices de la
messe ou mieux des messes (Cf. aussi Catéch. rom., p. 2, c. 4, q. 74 et 78).
Essence
du sacrifice de la messe. Après
avoir, en suivant le Concile de Trente, établi que la messe est un sacrifice
véritable et proprement dit, essentiellement identique au sacrifice de la
Croix, il nous reste encore à rechercher où se trouve le caractère sacrifical de la messe. A cette fin, les théologiens
examinent d’abord les parties physiques
de la messe, puis son essence métaphysique.
Les parties physiques sont l’offertoire,
la Consécration, la communion.
Pour
l’offertoire on n’exige que du pain
et du vin, les dons d’offrande d’autrefois, qui chaque fois étaient fournis ad hoc par les fidèles. L’offertoire n’est
pas une partie essentielle de la messe, il n’est que son introduction ou sa
préparation.
La
communion pourrait davantage être
considérée comme appartenant à l’élément central du sacrifice de la messe. Mais
ce n’est pas dans le sens de Bellarmin qui voit en elle la destruction (destructio) du corps du Seigneur ; ce n’est pas
davantage dans ce sens que la communion constituerait l’essence du sacrifice de
la messe, si bien que sacrifier équivaudrait à consommer le corps du
Seigneur ; cette opinion dut être rejetée par le Concile de Trente (S. 22,
can. 1). La Confession d’Augsbourg
enseigne en effet que « la messe n’est pas un sacrifice pour d’autres »,
mais qu’elle « doit être une communion » (Art. 24 : Muller, 53).
Mais il reste encore deux raisons importantes qui prouvent l’union très étroite
entre le sacrifice et la communion. D’abord le Seigneur lui‑même introduit extérieurement la communion
dans la célébration eucharistique. Et ensuite il a donné au tout le caractère d’un
repas. Il sacrifie son sang de l’Alliance
et il le donne à boire. C’est en mangeant ce corps et en buvant ce sang qu’on doit
confirmer l’Alliance et entrer en union et en communauté de vie avec Dieu. C’est
de cette façon que s’exprime S. Paul
sur l’Eucharistie. Il utilise l’idée courante, dans le monde des Juifs et des
païens, de la communauté avec la divinité obtenue par le sacrifice (1 Cor. 10,
14, 21).
Il
est vrai qu’on ne doit pas, avec des théologiens modernes aventureux, chercher
l’essence du sacrifice uniquement ou même principalement dans la communion. Car
alors l’élément d’adoration et surtout celui d’expiation seraient éclipsés. De
même, le sacrifice de la Croix ne serait plus un sacrifice qu’en considération
de la Cène anticipée la veille au
soir : il faudrait en placer l’élément principal dans la Cène. Inversement
le sacrifice de la messe ne serait un sacrifice que dans la mesure où il
reproduit la Cène et non dans la mesure où il renouvelle le sacrifice de la
Croix, comme l’enseigne pourtant le Concile de Trente (Cf. au sujet de cette
« théorie banquet » Ed. Hugon,
Le mystère de la Rédemption [1910], 111 sq.).
Cependant
la communion est une partie principale de la messe. Si le sang du sacrifice,
dans l’Ancien Testament, était déjà un sang d’alliance, par conséquent un sang
d’union, à plus forte raison, le sang de la Nouvelle Alliance, qui doit être versé,
mais doit aussi être bu. Les théologiens appellent la communion une partie intégrante du sacrifice de la messe.
Sans doute elle ne constitue pas l’essence du sacrifice, quand ce ne serait que
pour cette raison qu’elle n’est pas accomplie précisément « in persona
Christi sacrificantis » (ce qui serait cependant
nécessaire si elle était la reproduction de l’acte sacrificateur du Seigneur),
mais elle est accomplie comme acte personnel. Dans la communion se trouve
plutôt le point central de l’Eucharistie en tant que sacrement ; par
contre, dans la Consécration, se trouve son point central en tant que
sacrifice.
Si l’on ne peut trouver l’essence
formelle du sacrifice ni dans l’offertoire ni dans la communion, il ne reste
plus que la Consécration et c’est là qu’il faut chercher cette essence
formelle. Aujourd’hui, les théologiens sont à peu près d’accord sur ce point.
Mais pourquoi l’essence de la messe
réside‑t‑elle
précisément dans la transsubstantiation, pourquoi est‑ce précisément en elle que se réalise la notion de
sacrifice ? On doit d’abord répondre : Parce que c’est par elle que
le Christ devient présent sur l’autel et le Christ est le prêtre sacrificateur
proprement dit et la victime proprement dite du sacrifice. Mais il se pose
immédiatement une question : En quoi consiste l’oblation (actio sacrificans), l’acte sacrifical,
dans lequel on doit chercher l’essence
métaphysique du sacrifice ? Y a‑t‑il, au reste, une oblation proprement dite ? N’y
en a‑t‑il
pas deux : une du Christ et une du prêtre ?
Il doit
y avoir une oblation, car sans elle il n’y a pas de sacrifice. Il y a deux
oblations, mais celle du prêtre, dans son contenu et formellement, dépend
complètement de celle du Christ. C’est pourquoi il importe tout d’abord de
mettre en lumière l’oblation personnelle du Christ. Elle a lieu dans la
Consécration, tout au moins elle commence dans la Consécration. Comment faut‑il l’expliquer ?
La Consécration n’est pas une oblation du
Christ parce qu’elle opérerait une destruction. Ni les éléments ni le corps du
Christ ne sont détruits. Les éléments sont convertis. Si l’on voulait appeler
cela dans un certain sens une destruction, il n’est pas moins clair que, dans
ce que subissent ces éléments, il n’y a pas d’acte sacrifical
du Christ ; ce qui se passe en eux n’est pas un sacrifice. Il est
également clair, d’après le Concile de Trente, que c’est le Christ qui est la victime, or aucun mal
ne peut lui être fait et aucun mal ne
doit lui être fait. Son apparition
sur l’autel est pour lui une joie souveraine, pour le prêtre un acte sacré de
religion. La messe n’est donc ni une souffrance de Dieu, ni un meurtre de Dieu,
mais l’acte suprême du culte.
Mais en quoi consiste donc positivement l’oblation
personnelle du Christ ? Elle consiste en ce que, par la Consécration, il
est rendu présent sur l’autel d’une
manière non sanglante, mais sous les symboles de la mort sanglante, et, par là, accepte librement un changement accidentel (immutatio) de son état d’être, dans le mode d’être
sacramentel, dans l’intention de devenir, précisément sous cette forme, le
sacrifice visible de son Église.
Le
sacrifice de la messe est un sacrifice véritable et proprement dit, parce que
le Christ, en tant que victime visible sous les espèces sensibles, se rend
présent par les mains du prêtre qui le représente, et à sa parole de
consécration, sous les symboles non sanglants de sa mort sanglante, dans l’intention de rappeler (memoria) aux fidèles, par cette présence même, qui pour lui
est liée à une mutation accidentelle de son état d’être, le sacrifice qu’il a
offert sur la Croix, mais encore surtout de se faire leur représentant (repræsentare) dans leurs relations avec Dieu, comme leur médiateur,
leur chef et leur victime, afin qu’ils aient, en lui, un sacrifice objectif qu’ils
puissent offrir à Dieu. Si ce sacrifice, qui est nôtre, est un sacrifice
véritable et, non un sacrifice vide, il faut que le Christ, au moment même où
nous l’offrons comme victime, exerce lui‑même un acte sacrifical, autrement
l’action sainte comporterait une dissonance interne. Il faut ensuite que cet
acte sacrifical, la chose principale, soit identique à celui de la Croix ; d’un
autre côté, il doit avoir les propriétés qui conviennent à l’état actuel glorifié du Christ ;
autrement il ne serait pas vrai.
Le
premier point, à savoir que le Christ exerce sur l’autel cet acte sacrifical nécessaire, est facile à démontrer. Le Christ a promis une fois pour toutes, au
moment de l’institution de l’Eucharistie, qu’il serait présent comme victime.
Cela nous donne la certitude qu’il est toujours présent avec les dispositions sacrificales nécessaires. Comment pourrait‑il d’ailleurs, lui qui, dans une seule
oblation, a tout accompli (Hébr. 10, 14), se départir
jamais de ces dispositions parfaites de sacrifice et d’abandon à son Père, avec
lesquelles il est alors entré au ciel ?
Il
est vrai que le Christ n’est pas partout
une oblation visible pour nous par le seul fait qu’il a toujours ces
dispositions d’obéissance. Il ne l’est que sous les espèces visibles du
sacrement. Il nous a positivement liés à ces espèces sacramentelles. L’épître
aux Hébreux dit qu’il prie perpétuellement pour nous (7, 25), mais cela ne veut
pas dire qu’il est perpétuellement notre
sacrifice. Il ne veut l’être que dans la célébration de l’Eucharistie. Et
même là, à prendre les choses strictement, seulement dans l’action et le mode d’être
qui nous permettent de l’offrir à Dieu ; par conséquent par la
Consécration et le mode d’être sacramentel qu’elle opère. Cette oblation est
complète quand elle trouve son achèvement dans la communion. La question de
savoir pourquoi le Christ, dans l’ostensoir ou dans le tabernacle où il est
renfermé, n’offre pas un sacrifice, ne rentre pas dans notre sujet, parce que l’usage
de la réserve est un usage accidentel, qui est le résultat d’une évolution
historique. C’est ce qui permet de résoudre facilement l’objection. L’Église ne
possède pas de pouvoir sur l’essence
du sacrement et du sacrifice ; elle ne peut pas non plus sacrifier quand
et comme elle veut, mais seulement quand elle parle et agit comme le
Christ le lui a ordonné quand il a dit : « Faites ceci en mémoire de
moi ».
Il
n’est donc ni nécessaire ni même possible de faire dépendre le sacrifice de la
messe de ce qu’on appelle le « sacrifice céleste du Christ » comme le
font plusieurs théologiens modernes (Thalhofer, Simar, etc.). Il faut plutôt juger le sacrifice d’après l’analogie
des sacrements (terrestres). Pourquoi
la grâce sanctifiante est‑elle
attachée à l’eau du baptême ? C’est uniquement parce que le baptême est
administré dans l’intention et selon l’ordonnance du Christ. De même, l’Eucharistie
n’est un sacrifice que parce qu’elle est l’accomplissement de l’ordre du
Christ : « Faites ceci en mémoire de moi » et que ce qu’il avait
fait avant était, comme on l’a démontré, un sacrifice. Pourquoi donc aller
chercher dans le « sacrifice céleste », qui n’est pas certain
dogmatiquement, l’intention sacrificale du Seigneur,
alors qu’elle est si nettement incluse dans son action de la Cène.
Quant
au second point, à savoir comment est
constituée l’intention sacrificale du Christ, il est
facile de résoudre cette question si l’on réfléchit que, tout d’abord, cette
intention doit comprendre la mort comme
victime sur la Croix ; cela est exigé par l’identité du sacrifice de
la messe et du sacrifice de la Croix ; mais ensuite il faut observer que
cette intention ne peut pas avoir comme objet une réitération de la mort sur la
Croix : cette réitération serait impossible et inconcevable, elle ne peut
donc pas non plus être voulue par le Christ. Bien plutôt, ici encore se
manifeste la relativité du sacrifice de la messe, en ce que l’intention sacrificale du Christ renferme substantiellement la même
obéissance d’amour que dans le sacrifice de la Croix, mais de telle sorte que
maintenant il présente à son Père, dans une soumission perpétuelle, les fruits
de sa Passion pour ses frères. C’est pourquoi aussi le Concile de Trente dit
que, dans le sacrifice de la messe, les effets salutaires du sacrifice de la Croix
nous sont appliqués. C’est donc vers
ce but que doit tendre l’intention sacrificale du
Christ à la messe. Elle n’a pas comme objet une nouvelle Passion et une
nouvelle mort ; mais elle saisit et embrasse la Passion et la mort
souffertes une seule fois et cherche, dans une prière toujours renouvelée, dans
un abandon perpétuel à la volonté du Père, dans un souci ininterrompu pour
notre salut, à les rendre fructueuses
pour les membres de son corps mystique.
C’est
dans cet acte sacrifical et dans la présence
sacramentelle, unie à cet acte sous les symboles de sa Passion, que consiste le
sacrifice eucharistique du Christ. Et c’est en cela aussi que consiste le
sacrifice de son Église, car elle ne
peut sacrifier que dans la mesure où son chef
sacrifie. Elle aussi offre au Père céleste, à la messe, son Fils qui se
sacrifie ; elle l’offre, il est vrai, dans son état impassible, mais avec
la valeur infinie de sa Passion. Elle aussi prie avec son Chef
pour obtenir réconciliation et miséricorde, grâce et rédemption. Elle aussi
sacrifie, comme son Chef, dans un sentiment de joie, ainsi que le faisaient
déjà les premiers chrétiens (Act. Ap.,
2, 46 : cum exultatione) ; en effet, l’Agneau
de son sacrifice ne souffre plus et ne meurt plus et cependant peut être offert
en sacrifice.
Théories du sacrifice de la messe. Il y en a
dans la théologie posttridentine toute une quantité.
Le plus souvent elles sont artificielles. Presque toutes sont dépendantes de la
notion de destruction introduite pour la première fois par Melchior Cano et
Vasquez vers 1600. Sans destruction, pensaient‑ils, il ne
peut y avoir de sacrifice. Or, en réalité, on ne peut montrer nulle part cette
destruction. On ne peut pas la trouver dans les éléments, car ces éléments ne
sont pas la victime. On ne la trouve pas non plus dans le corps du Seigneur,
car ce corps n’est pas susceptible de destruction. Mais comme on ne veut pas
renoncer à la destruction, on parle d’une destruction « symbolique »,
d’une destruction « mystique » ou d’une destruction « sacramentelle ».
Pour
être complet, nommons brièvement ici
ces théories. 1° On trouve la « destruction » cherchée, dans l’anéantissement
du pain et du vin, causée par la consécration (Suarez) ; ou bien, 2° dans
la fraction du pain ; ou bien, 3° quand on ne place pas la destruction
comme précédemment dans les éléments ou accidents, on veut la voir dans l’abaissement
particulier du Seigneur causé par la Consécration et dans la limitation de ses
fonctions vitales sensibles et corporelles « in statu cibi »
(Lugo) ; ou bien, 5° dans la suspension accomplie volontairement (et non
par conséquent en vertu de la Consécration) de la vie eucharistique sensitive,
suspension qui commence avec la conversion du calice et finit avec la fraction
de l’hostie et le mélange d’une partie de cette hostie avec le précieux sang
dans le calice (Cienfugos) ; ou bien, 6° dans la
séparation réelle du corps et du sang du Seigneur accomplie « vi verborum » ; ou bien, 7° dans la séparation
mystique du corps et du sang ; ou bien, 8° dans la séparation mystique du
corps et du sang dans la double Consécration (forme extérieure du sacrifice)
unie au maintien ou à la reproduction de l’obéissance interne de la Passion,
qui fut jadis l’intention sacrificale sur la Croix et
que le Christ manifeste dans son prétendu sacrifice céleste (Thalhofer) ; ou bien, 9° dans l’acte purement interne
de cet amour et de cette obéissance de la Passion, acte qui constitue l’essence
de tout sacrifice, même de celui de la Croix, auquel l’effusion du sang ne s’ajoute
plus que comme un accident extérieur. Cet acte d’obéissance commença à l’Incarnation
et dure éternellement (Pell).
Si
l’on unit les éléments des deux
dernières conceptions et qu’on laisse tomber l’appel au sacrifice céleste, qui
non seulement est incertain, mais encore, en raison de l’ordre du Christ à la
Cène (Faites ceci, etc.), est entièrement inutile, on trouvera que notre exposé
ci‑dessus coïncide substantiellement avec
ces conceptions. Cf. au sujet de ces différentes théories De la Taille, Mysterium, chap. 5.
A
consulter : Gihr,
Le Saint Sacrifice de la messe. Sanchez,
Spiritualis thesaurus Missæ (Ingolst., 1620). De la Taille, Mysterium, chap. 5.
Le sacrifice et le sacrement se
distinguent principalement par leur but ;
le sacrifice est un acte de culte envers
Dieu, le sacrement est un moyen de
salut. L’un s’adresse à Dieu, l’autre
est destiné aux hommes.
Comme tout sacrifice, le sacrifice de la
messe tout spécialement, en tant que représentation du sacrifice de la Croix,
est l’acte suprême d’adoration (sacrificium latreuticum) et d’action de grâces envers Dieu (sacrificium eucharisticum).
Le
Concile de Trente exprime cette
vérité comme la foi générale de l’Église ; il n’y insiste pas, il est
vrai, parce que cette vérité n’était pas formellement contestée. Les
protestants eux‑mêmes, bien que d’un autre point de
vue, voyaient dans leur liturgie une louange et une action de grâces adressées
à Dieu. Ainsi l’apologie de la Confession d’Augsbourg déclare :
« Quand le cœur et la conscience se rendent compte de quelle grande
détresse, de quelle angoisse et de quel effroi on a été délivré, alors on rend
grâces du fond du cœur pour un trésor si grand et si ineffable. Le cœur a
besoin aussi des cérémonies ( ?) ou des signes
extérieurs pour la louange de Dieu et montre ainsi qu’il accepte avec
reconnaissance une si grande grâce de Dieu et qu’il l’estime hautement. Ainsi
donc la messe est un sacrifice d’action de grâces ou un sacrifice de louange...
Mais la messe n’est pas une action de grâces qu’on doive accomplir « ex opere operato » pour d’autres,
afin de leur obtenir la rémission des péchés. Car cela irait directement contre
la foi, comme si la messe ou les cérémonies extérieures sans la foi pouvaient
rendre pieux et sauver » (Art. 24 ; Müller, 265). C’est pourquoi le
Concile de Trente frappa d’anathème
ceux qui disent que le sacrifice de la messe est seulement pour la louange et
l’action de grâces (S. 22, can. 3). Mais il reconnaît et enseigne expressément,
avec les Pères, que la messe est le sacrifice pur, agréable à Dieu, par lequel
le nom du Très‑Haut doit être magnifié et glorifié
parmi tous les peuples (C. 1).
La
preuve en faveur du sacrifice de
louange et d’action de grâces se trouve dans les paroles de l’institution. Jésus rend grâces à son Père quand il l’institue (Math., 26, 27 ; 1 Cor., 11, 24). Au sujet de
la célébration eucharistique du temps apostolique, on dit que les fidèles
« prenaient la nourriture avec joie et simplicité de cœur » (Act. Ap., 2, 46). D’après les
exhortations de S. Paul, la célébration doit être une annonce de la mort du
Seigneur (1 Cor., 11, 26). Or cette mort est en soi et dans ses effets l’hommage
d’adoration et d’action de grâces le plus élevé qui puisse être rendu à Dieu,
car c’est la reconnaissance la plus absolue de sa souveraine majesté. Depuis l’époque
de la Didachè,
on rendait grâces à Dieu, dans la célébration de l’Eucharistie, pour les dons
de la Création et de la Rédemption. C’est aussi le témoignage des liturgies. C’est l’action de grâces (εὑχαριστεῖν)
qui a donné son nom à l’Eucharistie.
La
messe a l’efficacité d’un sacrifice de louange et d’action
de grâces par elle‑même, parce qu’elle est le don le plus
saint et le plus agréable qui puisse être offert à Dieu. En tant que sacrifice
de l’Église, il faut y ajouter les
louanges et les actions de grâces des fidèles qui l’offrent, comme l’exprime la
Préface : « Vraiment, il
est juste et bon de te rendre gloire, de t’offrir notre action de grâce,
toujours et en tout lieu... par le Christ, notre Seigneur ».
La
valeur propitiatoire du sacrifice de
la messe dut être définie expressément par le Concile de Trente. La Confession d’Augsbourg déclare :
« Ainsi le Saint Sacrement a été institué non pas pour établir un
sacrifice pour nos péchés (car le sacrifice a eu lieu auparavant), mais afin
que notre foi soit excitée et que notre conscience soit consolée, car le
sacrement leur rappelle que la grâce et la rémission des péchés leur a été
accordée par le Christ (Art. 25 ; Müller, 53).
Contre
ces erreurs le Concile de Trente déclare : « Comme dans ce divin
sacrifice, qui est accompli à la messe, est contenu et immolé d’une manière non
sanglante le même Christ qui fut sacrifié une seule fois d’une manière
sanglante sur l’autel de la Croix, le saint Concile enseigne que ce sacrifice
est un véritable sacrifice propitiatoire,
et que l’effet de ce sacrifice, quand, avec un cœur sincère et une foi droite,
avec respect et dévotion, contrits et pénitents, nous approchons de Dieu, c’est
que nous obtenons miséricorde et trouvons la grâce selon nos besoins. Apaisé en
effet par ce sacrifice, le Seigneur nous confère la grâce et le don de la
pénitence et nous remet nos crimes et nos péchés, même les grands. Car c’est une même victime ; celui
qui s’offre maintenant par le ministère du prêtre est le même qui s’est offert
lui‑même jadis sur la Croix ; la
manière d’offrir seule étant différente. Si, comme on l’a dit, les fruits de ce sacrifice sanglant sont
perçus abondamment par ce sacrifice non sanglant, celui‑ci est bien loin de faire tort à celui‑là. C’est pourquoi il est offert non
seulement pour les péchés, les peines, les satisfactions et les autres nécessités
des fidèles vivants, mais encore pour
ceux qui sont morts dans le Christ et
ne sont pas encore entièrement purifiés, selon la tradition des Apôtres »
(S. 22, c. 2 : Denz., 940). C’est d’après cette
doctrine que nous formulons la thèse suivante.
THÈSE. Le sacrifice de la messe n’est
pas seulement un sacrifice de louange et d’action de grâces, mais encore un
sacrifice propitiatoire. De foi.
Explication. Le Concile de Trente
établit, à ce sujet, deux canons : « Si quelqu’un dit que le
sacrifice de la messe n’est qu’un sacrifice de louange et d’action de grâces,
ou simple commémoration du sacrifice accompli sur la croix, mais n’est pas un
sacrifice propitiatoire ; ou qu’il
n’est profitable qu’à celui‑là
seul qui reçoit le Christ et qu’il ne doit pas être offert pour les vivants et les morts, ni pour les péchés, les peines, les satisfactions et les
autres nécessités : qu’il soit anathème » (S. 22, can. 3 : Denz..,
950). « Si quelqu’un dit que, par le sacrifice de la messe, on commet un
blasphème contre le très saint sacrifice du Christ accompli sur la croix ou qu’il
en constitue un amoindrissement : qu’il soit anathème » (Ibid., can.
4). Cf. le chapitre doctrinal, plus haut.
Preuve. Les sacrifices typiques de l’Ancien Testament
avaient déjà, jusqu’à un certain degré, une valeur propitiatoire. Mais le
Christ a expressément attribué cette valeur à son sacrifice de la Cène, d’une
manière particulièrement précise, en présentant son sang comme un sang qui doit
être versé « pour la rémission des péchés ». Dans l’Épître aux
Hébreux (5, 1) il est dit, d’une manière générale,
du sacrifice et du sacrificateur : « Tout pontife est pris parmi les
hommes et constitué pour les hommes, en ce qui regarde leur culte de Dieu, pour
offrir des oblations et des sacrifices pour les péchés ».
Ici
l’offrande du sacrifice d’expiation apparaît comme la seule, ou tout au moins
comme la principale fonction du sacrificateur en général. Le sacerdoce se
confond objectivement avec l’accomplissement de l’expiation par le sacrifice.
Les Pères. Ils ont,
tout au moins à partir du 2ème siècle, mis en lumière cet effet du
sacrifice. Ainsi S. Justin, quand il
le compare avec le sacrifice juif de farine pour les lépreux (Dial., 41) ;
Tertullien, quand il l’explique par
le banquet dans la parabole de l’Enfant Prodigue et dit que le pécheur
repentant reçoit de nouveau le vêtement de la grâce et que « le Christ est
de nouveau immolé pour lui » (De pud. 9) ; Clément d’Alex., quand, faisant allusion
à la même parabole par rapport aux chrétiens, il dit que le Père leur donne le
veau « qui est immolé et mangé » (Fragm. :
M. 9, 760 sq.) ; S. Cyprien,
quand il dit : « Le sacrifice que nous offrons est la Passion du
Seigneur » (Ep. 63, 14) ; S.
Cyrille, quand il appelle expressément ce sacrifice un « sacrifice de
propitiation » (θυσία τοῦ ἰλασμοῦ :
Cat. Myst., 5, 8) ; S. Jean Chrysostome, quand il parle de l’immolation renouvelée du
Christ (De sacerdot., 3, 4) ; S. Ambroise, quand il désigne la messe
comme un sacrifice pour le peuple (ut offeramus pro populo sacrificium :
In Ps. 38, 25) ; S. Augustin,
quand, malgré son insistance sur le sacrifice de la Croix, il dit que le
Seigneur « est sacrifié chaque jour pour le peuple » (omni die pro populis immolatur : Ep. 98,
9). La valeur propitiatoire de la messe trouve une expression puissante dans
les liturgies dont les prières sont composées de telle sorte qu’elles semblent
récitées sur le Golgotha, au pied de la Croix (Cf. Rauschen,
Florilège, 7, 27 sq., 64, 117, 145 sq.).
La
Scolastique ne fit que répéter la
doctrine précise des Pères. S. Thomas
dit : « Par ce sacrement nous participons aux fruits de la Passion du
Seigneur. » (S. th., 3, 83, 1). Le même effet, qui procéda de la Passion
du Seigneur pour le monde entier, est communiqué (aux particuliers) par ce
sacrement (Ibid., 3, 79, 1). D’après S.
Bonaventure, le sacrifice de la messe expie la dette de nos péchés
quotidiens ; c’est la rançon de la mort que nous méritons par le péché (Kattum, 161).
Les
effets et les fruits du sacrifice de la messe ne sont traités à fond que par la
théologie posttridentine
qui y fut déterminée par la polémique protestante. Parmi les scolastiques c’est
Scot qui, sur ce point, donna une
nouvelle impulsion à la spéculation (Gœtzmann, 95).
Il
faut compter aussi, parmi les effets propitiatoires
de rémission des péchés du sacrifice de la messe, les effets satisfactoires, de remise de peines. Le
Concile de Trente dit, en effet, que
le sacrifice est offert non seulement pour les péchés, mais encore pour leurs peines et leurs satisfactions. De quelle manière la messe obtient‑elle cette valeur satisfactoire et surtout
dans quelle mesure ce fruit, est‑il
communiqué aux fidèles présents ? Nous l’examinerons plus loin.
Le
sacrifice impétratoire. Jésus ayant ordonné aux siens de changer désormais,
c.‑à‑d.
après son Ascension, leur manière de prier et de tout demander au Père
« en son nom » (Jean, 16, 23 sq.), on ne pouvait pas manquer d’unir,
dès le commencement, précisément à la célébration de l’Eucharistie, les prières
de demande quotidiennes (Cf. 1, Tim., 2, 1 sq.).
La
grande prière d’intercession de l’ancienne
liturgie, avant et après la Consécration, constituait une des parties
principales et importantes de toute la cérémonie. On y priait (commemoratio vivorum) d’une
manière vraiment catholique pour tous les états de l’humanité, pour les
rois et les supérieurs, pour les soldats et les voyageurs, pour les évêques,
les prêtres et les fidèles de l’Église, pour les bien portants et les malades,
pour la paix dans l’Église et le bon ordre dans l’État, en un mot, pour tous
les besoins de tous. Par suite, c’est devenu un usage ecclésiastique d’offrir
la messe pour toutes sortes de besoins, y compris bien entendu les besoins temporels.
La
messe pour les morts. Le
Concile de Trente dut en prendre
expressément la défense contre les protestants. Le Concile signale une classe
déterminée de morts pour lesquels on peut offrir le Saint‑Sacrifice : « Pour ceux qui, morts dans le
Christ, ne sont pas encore entièrement purifiés. » (S. 22, c. 2 ; cf.
can. 3).
Ainsi
donc le Concile de Trente pense aux
âmes du Purgatoire. Dans la doctrine à ce sujet il remarque « qu’il y a un
lieu de purification et que les âmes qui y sont retenues sont aidées par les
suffrages des vivants et surtout par le sacrifice de l’autel auquel Dieu se
complaît » (S. 25 : Denz., 983). Le Concile se réfère, pour légitimer l’usage
d’offrir le sacrifice de la messe pour les défunts, à la tradition apostolique.
C’est en effet un usage ancien. Si
les Juifs offraient déjà un sacrifice
pour les péchés de leurs morts (2 Macch., 12, 43-46),
si les païens eux‑mêmes honoraient la mémoire de leurs morts et
célébraient leur anniversaire par des banquets sacrés sur leurs tombeaux, à plus
forte raison les chrétiens devaient considérer comme une conséquence du dogme de l’efficacité du sacrifice de la messe,
ainsi que de celui de la pureté pour entrer au ciel, l’usage de songer aux
morts pendant le sacrifice de la messe. On pensait à tous, on priait pour tous
et on recommandait a Dieu
leur état, en le priant de leur apporter soulagement, rafraîchissement et
délivrance.
Il
y a eu cependant une évolution. Au
début, à l’occasion la célébration eucharistique, on priait pour tous, vivants et morts ; plus tard on offrit de
plus en plus le sacrifice
eucharistique lui‑même pour
les morts ; cela apparaît de la
manière la plus formelle chez S. Grégoire
le G. (Dial., 4, 55 : « grâce à l’hostie salutaire, le frère
défunt avait échappé au supplice » cf. l’usage des trente messes
grégoriennes). Tertullien écrit déjà
que la veuve survivante « prie pour l’âme (de son époux défunt) et lui
obtient le rafraîchissement... et offre le sacrifice pour lui aux jours
anniversaires de son décès » (De monog.,
10 ; cf. De coron. Mil., 3 ; De exhort. ad cast.,
11). S. Cyprien ordonne, au sujet d’un
fidèle qui avait violé les lois ecclésiastiques concernant l’acceptation de la
tutelle par les prêtres, « qu’il n’y ait aucune offrande de sacrifice pour
le repos de son âme et aucun suffrage dans l’Église » (Ep. 1, 2). S. Cyrille de Jérus.
explique aux catéchumènes : « Alors nous
pensons aux pères et aux évêques qui se sont endormis, en même temps qu’à tous
ceux qui parmi nous se sont déjà endormis, parce que nous croyons que ces
suffrages offerts en présence du saint et vénérable sacrifice sont d’une grande
utilité pour ces âmes » (Catech. myst., 5, 9). Ste Monique, en
mourant, ne demande à son fils ni des funérailles somptueuses, ni un tombeau
honorable, mais seulement de se souvenir d’elle au saint sacrifice de la messe
(Conf., 9, 13). Au jour des funérailles, on pria pour elle « en offrant
pour elle le sacrifice de notre rachat » (Ibid., 12). S. Augustin se réfère, pour cet usage, à l’Écriture (2 Macch., 12, 43 sq.). Mais, alors même qu’il n’y aurait rien
à ce sujet dans l’Écriture, la pratique
de l’Église serait déjà une preuve suffisante (De cura pro mort. gerend., 1, 3). Il insiste d’une
manière plus précise encore sur l’effet de la messe pour les défunts :
« On ne doit pas nier que les âmes des défunts trouvent du soulagement par
la piété de leurs proches survivants, quand on offre pour elles le sacrifice du
médiateur ou qu’on fait des aumônes dans l’Église. Cela cependant ne sert qu’à ceux qui, pendant leur vie, ont mérité ce
soulagement pour plus tard. Car il y a une vie qui n’est pas assez bonne
pour pouvoir se passer de ce secours et qui cependant n’est pas assez mauvaise
pour ne pas pouvoir en bénéficier après la mort. Mais il y a aussi une vie dans
le bien qui est telle qu’elle rend ce secours non nécessaire ; de même, il y a une vie dans le mal qui est
telle qu’après le trépas ce secours ne peut l’aider ». L’utilité du
sacrifice de la messe dans l’au‑delà doit
donc avoir un fondement moral. « Celui à qui ce sacrifice est
utile », conclut S. Augustin, « en reçoit de l’avantage de telle sorte
que le pardon est complet ou bien même que la damnation devient plus
tolérable » (Enchir., 110 ; cf. 112). Il
est vrai qu’il n’exprime cette dernière pensée que comme une opinion privée (Civ., 21, 24, 3).
Au
sujet de l’art sépulcral des catacombes,
le protestant Achelis
(Evolution de l’art chrétien primitif, p. 38) avoue : « Cet art
parle, dans les tombeaux, du sort des défunts, de leur vie et de leur foi, de
leur espoir de résurrection, de la rémission des péchés, du jugement universel
et de l’assistance des saints ; il nous décrit également les fêtes
mortuaires des survivants, leurs banquets eucharistiques « messes des
morts » et leurs œuvres de bienfaisance envers les pauvres (« aumônes »).
Au
Moyen‑Age, l’usage
des messes des morts s’intensifia encore. Quand, en s’appuyant, au sujet de l’efficacité
de ces messes, sur S. Grégoire le G. (Dial., 4, 55), on attribua à un nombre déterminé de messes la certitude de la délivrance de certaines
âmes, des flammes du Purgatoire, on alla trop loin (Cf. Franz, La Messe, 218 sq.). Cette certitude ne peut exister, quand
ce ne serait que pour cette raison que les messes des morts opèrent par mode de
suffrage (per modum suffragii).
La confiance dans les « messes grégoriennes » était si grande qu’on
vit, ici et là, s’introduire la pratique « de les faire célébrer de son
vivant ( !) pour soi, afin de se garantir du
Purgatoire. « Que la superstition s’en soit mêlée, on peut le
penser », écrit Thalhofer,
Liturgie, 2, 329. Plus tard, l’Église approuva formellement les messes grégoriennes.
La Congrégation des Rites déclara, sous Pie VI (1791), que le célébrant doit
dire ces messes pendant trente jours consécutifs, sans cependant se servir d’un
formulaire de messe spécial, comme on le faisait souvent. La Congrégation des
Indulgences autorisa l’usage, sans cependant l’enrichir d’indulgences (Cf. Beringer, Les Indulgences, 1, 548).
Sacrifice
de la messe et culte des saints.
Le Concile de Trente dut aussi
prendre la défense de l’usage ecclésiastique d’offrir le sacrifice de la messe
en l’honneur des saints. Il déclare : « Si quelqu’un dit que c’est
une imposture de célébrer la messe en l’honneur des saints afin d’obtenir leur
intercession auprès de Dieu, selon l’intention de l’Église, qu’il soit
anathème » (S. 22, can. 5 : Denz., 952).
Dans
le chapitre correspondant (3), le Concile enseigne que « ce n’est pas aux
saints, mais à Dieu seul, qui les a couronnés, qu’on offre le sacrifice... Le
prêtre remercie Dieu de leur victoire et implore leur intercession, afin que
ces saints, dont nous célébrons la mémoire sur la terre, daignent nous accorder
leur intercession au ciel ».
La
coutume de faire mémoire des saints à la messe est très ancienne (Cf. Mart. Polyc., 18, 3 ; Orig., De orat., 31, 5 ; S. Cypr., Ep.
12, 2 ; 39, 3). S. Cyrille de Jérus. décrit aux catéchumènes
l’office divin et explique comment, pendant cet office, on fait mémoire des
morts : « D’abord des Patriarches, des Prophètes, des Apôtres, des
martyrs, afin que Dieu, par leur suffrage et leur intercession, accepte notre
prière » (Cat. myst.,
5, 9). Bien plus, le tombeau des martyrs lui‑même devint
l’autel sur lequel on offrit le sacrifice. Cette pensée n’est autre que le
développement de la foi à la communion des saints. Walz (Suffrage des saints, 83
sq.) cite la liturgie de S. Clément et celle de S. Jean Chrysostome, dans
lesquelles on trouve une tournure indiquant que le sacrifice est offert pour (ὕπερ)
les saints et pour tous les saints ensemble.
Sans remonter si loin, on trouve dans le Missel romain actuel des prières
semblables, et cela dans la secrète du Commun d’un Confesseur Pontife
(formulaire 2), comme dans la secrète des messes de S. Léon 1er (11
avril), de S. Athanase (2 mai), de S. Basile (14 juin) : à chaque fois il
est dit « afin que par cet office de pieuse expiation, il obtienne la félicité éternelle, et
que nous soient accordés les dons de ta grâce ». Dans ces expressions se
reflète l’eschatologie antique non
développée qui met l’accent sur le jugement dernier (Cf. § 214). C’est
ainsi également qu’il faut expliquer, avec Franz,
l’offertoire de la messe des morts (La Messe, 222). C’est aussi l’avis de Casel : au
début, on priait pour tous les défunts, y compris les martyrs, et on demandait
à Dieu « de les conduire à la gloire ».
Mode
d’efficacité du sacrifice de la messe.
Le sacrifice de la messe produit ses effets, en tant que sacrifice de louange et d’action de grâces, purement et simplement,
par lui‑même, par son offrande objective (ex opere
operato).
C’est,
en première ligne, le sacrifice personnel
du Christ, dont le Concile de Trente dit qu’il ne peut être souillé par
aucune indignité humaine de ceux qui l’offrent (S. 22, c. 1). L’acte sacrifical du Christ doit toujours et partout obtenir la
plus haute complaisance du Père, parce que partout il est destiné à louer, à
remercier et à honorer Dieu.
Quant à ses effets en tant que sacrifice
propitiatoire et impétratoire, le sacrifice de la
messe ne les produit pas « ex opere operato », mais par mode d’impétration (per modum impetrationis seu intercessionis) ; par
conséquent, il ne les produit pas immédiatement,
mais médiatement.
Le
sacrifice est tout d’abord un hommage rendu à Dieu. En tant que sacrifice propitiatoire,
il est une demande de rémission des
péchés. Cette demande, Dieu veut l’accorder à cause du sacrifice de son Fils, mais non par ce sacrifice. Bien plutôt le sacrifice de la messe opère, dans
ce cas, d’une manière médiate, en implorant la miséricorde divine. « En
effet, apaisé par ce sacrifice, le
Seigneur accorde la grâce et le don de la pénitence et remet les crimes et les
péchés si grands qu’ils soient » (S. 22, c. 2).
Étant donné que le sacrifice de la messe,
en tant que sacrifice propitiatoire, n’agit pas à la manière d’un sacrement,
mais comme une demande, son effet n’est
pas infaillible. Les dispositions
subjectives de ceux qui offrent et surtout de ceux pour qui le sacrifice est
offert ont aussi une influence efficace.
Dans
le cas seulement où le sacrifice de la messe est offert pour l’expiation des
peines temporelles dues aux péchés déjà pardonnés, les théologiens admettent
une efficacité « ex opere operato » ;
mais, là encore, ils font cette réserve que Dieu ne remet pas toujours toutes les peines, bien qu’il en remette
toujours quelques‑unes, et que la mesure de cette rémission dépende aussi, secondairement, de la
piété de ceux qui offrent le sacrifice.
Le sacrifice de la messe étant non
seulement le sacrifice personnel, objectif du Christ, mais encore un co‑sacrifice
subjectif du prêtre et des fidèles, il opère aussi comme « opus operantis ».
Le
sacrifice du Christ est aussi, en même temps, le sacrifice de l’Église. Or le
sacrifice du Christ est objectif et toujours efficace. Mais il ne peut l’être d’une
manière vraiment fructueuse que si
les fidèles s’unissent aux dispositions et à l’activité sacrificales
de leur Chef et Grand‑Prêtre. Et
cela doit se faire sous les quatre aspects du sacrifice : par la louange,
l’action de grâces, l’expiation et la prière. C’est aussi ce qu’indiquent les
prières liturgiques (S. Th., 3, 82, 6). La pensée de s’offrir soi‑même avec la
divine victime est une pensée sur laquelle on a insisté dès le commencement,
surtout depuis S. Augustin. Sur la Croix
le Christ s’est offert seul, mais, à la messe, tout le corps mystique du Christ
doit s’offrir à Dieu avec lui. Nulle part nous n’avons une occasion
meilleure d’offrir notre sacrifice personnel qu’à la messe et nulle part nous n’y
sommes invités d’une manière plus pressante.
La
valeur du sacrifice de la messe (valor sacrificii), en tant qu’il
est considéré en soi (in actu primo),
est caractérisé par les théologiens comme une valeur infinie. Mais, considéré dans ses effets (in actu secundo), le sacrifice de la messe a sûrement une
valeur finie, en tant que ces effets,
comme effets satisfactoires et impétratoires, se
rapportent aux hommes.
La
valeur infinie du sacrifice de la messe en soi, résulte de son identité avec le
sacrifice de la Croix ; par conséquent de la dignité de la Victime et du
prêtre sacrificateur principal. En tant que son efficacité comme sacrifice latreutique et eucharistique se rapporte à Dieu, on doit dire que le sacrifice de
la messe a une valeur infinie.
On
doit caractériser différemment l’efficacité de la messe en tant que cette
efficacité se rapporte aux fidèles. Là aussi, sans doute, on doit affirmer, en
général, la valeur infinie de la satisfaction objective (quoad
sufficientiam), en ce sens qu’elle ne peut pas être
épuisée par le nombre si grand soit‑il des
fidèles ; mais elle est finie dans son efficacité effective (quoad efficaciam), et cela tout d’abord
si l’on considère son efficacité intensive.
En effet, d’après la pratique de l’Église, on offre le sacrifice de la messe à la même intention non seulement une
fois, mais aussi souvent qu’on veut. Si l’on considère l’aspect extensif de cette efficacité, elle est
également finie ; car, d’après la pratique de l’Église, on applique à des
personnes particulières tout au moins le fruit ministériel du sacrifice (application de la messe). De même, il est
interdit au prêtre célébrant de recevoir plusieurs honoraires pour la même
messe. Il faut en conclure que l’Église estime que ce fruit de la messe est
limité et non infini. Par contre, le nombre des fidèles qui participent subjectivement au sacrifice ne diminue
pas la valeur du sacrifice de la messe (fructus specialis) ;
cette valeur est, en soi, infinie (quoad sufficientiam). On peut également appeler le sacrifice de
la messe infini quand on tient compte de son efficacité (quoad
impetrationem). Il suffit, en soi, pour obtenir de
Dieu toutes les grâces que nous lui
demandons. Cependant la cause méritoire de ces grâces réside dans le sacrifice
de la Croix et non dans le sacrifice de la messe.
Sujet
des fruits objectifs du sacrifice de la messe. Depuis Scot,
qui le premier examina à fond la question de la valeur et des fruits de la
messe, on a coutume d’appeler « fruits de la messe » (fructus missæ) les effets que le sacrifice de la messe produit
objectivement (ex opere operato)
pour les hommes, en tant que sacrifice propitiatoire et impétratoire.
Les théologiens distinguent un quadruple
fruit du sacrifice, parce qu’il y a quatre classes d’offrants ou tout au moins
de participants au sacrifice.
1.
Le prêtre célébrant. Le fruit du
sacrifice qu’il reçoit est tout à fait
spécial (fructus specialissimus).
Il sert, en effet, au Pontife divin d’organe qui le remplace, en vertu de la
destination et des pouvoirs qu’il a reçus dans son ordination. Par suite, en
raison de son ministère, indépendamment de ses dispositions supposées normales,
il a droit à un fruit tout spécial du sacrifice de la messe.
2.
Les fidèles qui assistent à la messe.
Le fruit qu’ils reçoivent du sacrifice est un fruit spécial (fr. specialis),
et cela par opposition aux fruits que reçoivent tous les fidèles. Leur fruit
spécial correspond à leur participation spéciale, interne au sacrifice.
3.
L’ensemble des fidèles. Le fruit qu’ils
reçoivent est un fruit général (fr. generalis, fr. universalis). A ce fruit de
la messe participent, en vertu de la communion des saints, tous les fidèles de
l’Église. Tout sacrifice de la messe est un sacrifice de toute l’Église, parce
que c’est le sacrifice du Christ qui a été constitué par Dieu Médiateur de l’humanité.
C’est pourquoi ce fruit peut être étendu au
monde entier ou tout au moins on peut espérer qu’il lui soit étendu. De la
vient aussi l’usage très antique de l’Église de prier pour tous les hommes
(Rom., 10, 1 ; 1 Tim., 2, 1-4).
4.
Ceux pour qui la messe est appliquée.
Ils reçoivent le fruit principal (fr. ministerialis). C’est le
fruit dont le prêtre, en tant que « ministre du Christ » (minister Christi), peut disposer librement, si bien qu’il
peut l’appliquer à celui‑ci ou à
celui‑là, à la personne qu’il nomme devant
Dieu dans son « intention de messe » (Cf. Prop. damn. Pistor., 30, Denz. 1530).
Pour
qui le prêtre peut‑il
appliquer ? Pour tous ceux qui
appartiennent à l’Église, qu’ils soient encore vivants ou déjà morts. Il s’agit
des fruits du sacrifice de la Croix et pour cela la foi à ce sacrifice est une
condition préalable nécessaire.
Si
l’on envisage le sacrifice de la messe comme un sacrifice impétratoire
et qu’on pense à la conversion des
pécheurs, il ne peut pas être illicite de l’offrir même pour des incrédules,
des hérétiques, des schismatiques, voire même pour des juifs et des païens, c.‑à‑d. de prier
pour eux comme l’Église le fait elle‑même le
Vendredi Saint. On doit cependant, selon l’intention de l’Église, éviter tout
scandale en agissant ainsi. Cf. au sujet de l’application de la messe : Gihr, Le
sacrifice de la messe, 147 sq. ; Noldin, De sacram., 200-210 ;
Heurtevent‑Durand, Honoraires
de messe, 55 sq. ; C. J. C., can. 809 et 2262, § 2 ; M. de la Taille, Esquisse du mystère de
la foi (1924), de même dans Mysterium fidei, V. Index « stipendium ».
Le
binage est un reste du mode de célébration
usité au Moyen‑Age. Au début, il n’y avait dans
chaque église qu’un seul autel et on y célébrait chaque jour, ou bien à
certains jours de la semaine, une seule messe (épiscopale). Tel est encore l’usage
aujourd’hui chez les Grecs (Hergenrœther, Photius, 3, 211 sq.). Plus tard, les autels et
les messes se multiplièrent. Le Pape Léon III (+ 816) célébrait parfois en un
seul jour de sept à neuf fois, Ulrich d’ Augsbourg
trois ou quatre fois. D’autres célébraient « bis »,
« ter », « vel quoties
libet ». Un Concile de Tolède (681) défendit de
célébrer plusieurs fois dans un même jour tout en ne communiant qu’à la
dernière messe. Nous trouvons ici pour la première fois une indication sur la
séparation du sacrifice et de la communion et cela s’applique sans doute aussi
aux fidèles. A partir de l’an 1000, s’introduit, dans l’Église d’Occident, la
coutume de placer dans une même église plusieurs autels et d’y faire célébrer
la messe « privatim » par des prêtres (sans
communion des fidèles). Mais aussi à partir de cette époque, se multiplient les
ordonnances des conciles interdisant de célébrer plus de deux ou trois fois par
jour, car alors on ne le faisait plus « ex pietate »
mais « ex avaritia ». On insistait sur ce
fait que le Christ n’était mort qu’une fois le Vendredi‑Saint. Alexandre II (+ 1073) interdit
seulement les messes privées multipliées par avarice. Innocent III (+ 1227)
décida, en réponse à une question, qu’il ne fallait célébrer qu’une fois par
jour, à l’exception des cas de nécessité et de la fête de Noël (Dict. théol.,
2, 893 sq.). Benoit XV a permis la célébration de trois messes le jour des
morts.
A
consulter : S. Thomas, S. th.,
3, 84-90 ; Suppl., 1-20. Salmant., t. 19 et 20. Bellarmin,
De pœnitentia (De controv.).
Suarez, De pœnit.,
disp. 1 sq. Lugo,
De virt. et sacram. pœnit.
(Lugd., 1651). Rossignoli, De sacram. pœnitentiæ
et extremæ unct. (Mediol., 1706). Petavius, De pœnit. (Paris, 1867),
8, 197 sq. Collet, Tract. de pœnit. (Migne, Curs. compl.,
22). Morin, Comment. hist. de
disciplina in administr. sacram. pœnit.
(Paris, 1651). Tournely,
De sacram. pœnit.
q. 1 sq. Palmieri,
Tract. de pœnit. (1879). De San, Tract. de
pœnit. (1900). Becamel, Tract. de virt. et
sacram. pœnit.
(1887). C. Rhallis
(grec schismatique), Περὶ τῶν μυστηρίων
τῆς μετανοίας
ϰαὶ τοῦ εὐχελαίου (Έν Άθήναις
1905). - Sur la preuve de tradition et l’historique de la Pénitence, outre Morin ; Sirmond, Historia pœnitentiæ publicæ (Paris, 1651).
Orsi, De capitalibus criminibus (Mediol., 1720). Francolini, De disciplina pœnitentiæ
(Rome, 1708). Martène,
De antiquis Ecclesiæ ritibus (Rotomagi, 1700-1702). Batiffol, Études
d’histoire et de théologie positive (3e éd., 1904), 45 sq. Vacandard, La pénitence publique
(1903). Pignataro,
De disciplina pœnitentiali (1904). Boudinhon, Sur l’histoire
de la pénitence (Revue d’hist. et de litt. relig.,
1897, 306 sq., 406 sq.). H.-B. Swete, Penitential discipline
in the first three centuries (The journal of theol. studies,
1905, 321 sq.). P. Galtier, De pœnitentia. Tract. dogm.
hist. (1923). Dict. théol., v.
Pénitence. C. J. C., can. 870-910.
Notion. La Pénitence est un sacrement dans lequel le prêtre remet, au nom de Dieu, les péchés
au pécheur qui a une vraie contrition
et qui a fait une confession sincère.
Le Concile de Trente enseigne que ce n’est que dans le christianisme que la
pénitence est un sacrement, mais qu’en tant que vertu elle est nécessaire à
tous les hommes et il suppose par là que cette vertu
est aussi possible à tous les hommes (S. 14, c. 1 : Denz.,
894).
Désignation. Le nom le
plus courant de ce sacrement est celui qu’il emprunte à la vertu de pénitence.
La pénitence (pœnitentia
(ou mieux pænitentia) de pænitet
me, j’ai regret de, je me repens) signifie d’abord la peine morale causée par
un délit moral, puis l’effet de satisfaction que produit cette peine ;
dans le sens religieux, c’est l’expiation de l’offense commise envers Dieu. C’est
par ce mot, « pænitentia », que la Vulgate
traduit l’expression biblique μετάνοια
(changement de sentiments) ; μετάνοεῖν
= « pænitentiam agere ».
D’après l’aveu des péchés, ce sacrement s’appelle aussi confession (confessio = ἐξομολόγησις).
L’exhomologèse, dans la doctrine des Pères, désigne
trois choses : une confession préparatoire, la pénitence publique qui suit
et la confession spéciale avant la réconciliation. (Vacandard, Études de critique, 52
sq.). Il y a d’autres noms, comme par ex. « reconciliatio » , « communio »,
« manum in pænitentiam
imponere » (S. Cyprien, S. Etienne 1er),
« baptismus laboriosus »
(Tertullien), « secunda post naufragium
tabula » (S. Jérôme). Les théologiens discutent la question de savoir si
la pénitence est une vertu indépendante ou bien si c’est une partie de la
justice ou de la charité (Palmieri, thes. 2 ; De San, 19 sq.).
Des analogies païennes à la
pénitence judéo‑chrétienne se trouvent partout. Étant
données les dispositions naturelles de la conscience (Rom., 2, 14 sq.), ce
serait surprenant si on ne trouvait pas ces analogies. Rappelons les psaumes de pénitence babyloniens, la
confession dans les religions à mystères (Cumont,
Religions à mystères, 50 sq.), la confession bouddhiste (Hardy, « Katholik » [1886], 1).
Cathrein écrit, en conclusion de son livre :
« L’unité de la conscience morale de l’humanité » (3, 576) :
« Chez tous les peuples nous trouvons un besoin d’expiation. On a une
conscience obscure de la faute qui pousse à sacrifier..., à prier, à jeûner, à
s’abstenir de nourriture et de relations sexuelles, etc., afin d’apaiser par là les dieux ou les Esprits et de se les rendre de
nouveau favorables... Ce qui est remarquable, c’est que, chez tous les peuples,
existe un aveu des péchés, une
confession proprement dite.
Bien
entendu, il ne faut pas perdre de vue les différences. Le péché, dans le
paganisme, est la transgression de préceptes
cultuels et par la pénitence on veut se rendre de nouveau apte au culte et
agréable aux dieux ; ce qu’on recherche, c’est la faveur des dieux et non
l’amélioration et la formation morale de sa nature pécheresse. Norden signale
encore que le mot « pénitence » est loin d’avoir, dans l’ancienne
littérature, le sens qu’il a dans le christianisme (Agnostos,
136 sq.). Et Edelkoort
dit, au sujet de la conscience du péché dans les psaumes de pénitence de
Babylone, qu’il est différent de la conscience chrétienne. Le péché est tout
« écart » de la volonté divine, que ce soit au sens moral, juridique,
rituel ou de quelque autre manière. Comme l’homme ne connaît que très peu la
« volonté » divine, le « péché inconnu » joue ici un grand
rôle. Le péché cause la colère de
Dieu, l’éloignement des bons Esprits et l’entrée des mauvais (maladie). La
pénitence a un cours ascendant : 1° L’accusation rituelle ; 2° L’exaucement ;
3° L’expulsion des mauvais Esprits et le retour des bons, la santé, les succès
politiques, la victoire (Theol. Litztg
(Revue théologique), 1919, 170 sq.).
1. Un aperçu de l’évolution de la notion de rémission des péchés (ἄφεσις τῶν
ἁμαρτιῶν, remissio peccatorum) nous
montrera que le nerf et l’idée centrale de la religion est le pardon. Une religion qui renonce à cette
notion et cherche à réaliser seulement
le progrès des saints creuse sa propre tombe ou ne peut plus subsister qu’artificiellement
en contradiction avec son principe fondamental. La raison, c’est le péril
permanent de péché de la nature humaine.
Le
paradis terrestre connaît déjà une
rémission des péchés comme il connaît une chute. Le péché, son aveu exigé de nos premiers parents, la sanction divine,
le protévangile ou l’absolution, constituent les éléments principaux du pardon
accordé dans l’histoire biblique primitive. Cf. Bartmann,
La vie de grâce du chrétien, conf. 1 à 7.
Le
mosaïsme a réglé le pardon d’une manière
légale. Les sacrifices expiatoires et les sacrifices pour les péchés, les
prières expiatoires, et les purifications, enfin le grand jour de l’expiation
sont les moyens par lesquels le mosaïsme garantit la rémission des
péchés ; S. Paul dit : par le sang des taureaux et des boucs (Hébr., 9, 13).
Les
Prophètes, au lieu de mettre, comme
précédemment, l’accent sur l’élément cultuel et cérémonial, sur l’élément légal
et statutaire, le placent sur l’élément moral et intérieur, sur le repentir et
la conversion. « Déchirez vos cœurs et non vos vêtements ». « L’obéissance
et non le sacrifice » tels sont les canons de la rémission des péchés. Car
« Contre toi, et toi seul, j’ai péché, ce qui est mal à tes yeux, je l’ai
fait », s’écrie, avec un sens psychologique profond, David dans le
« Miserere » (Ps. 50, 6). C’est pourquoi la confession des péchés devant Dieu a été de tout temps une condition
préalable de leur rémission.
Jésus annonce le
joyeux message de la rémission des péchés. Il est précisément venu pour guérir
non pas les bien portants, mais les malades ; pour appeler non pas les
justes, mais les pécheurs à la pénitence (Math., 9, 12 ; Marc, 2,
17 ; Luc. 5, 31 sq.). « Le Fils de l’Homme est venu pour chercher et
sauver ce qui était perdu » (Luc, 19, 10). Il se fait effectivement
« le compagnon des publicains et des pécheurs », comme les Juifs le
lui reprochent (Math., 11, 19 ; Luc. 7, 34 ; cf. Luc, 5, 30 ; 7,
37-39, 19, 1-10). Il apporte à tous les pécheurs la « paix » de la
conscience (Marc, 5, 34 ; Luc, 7, 50 ; 19, 42. Math., 11, 28
sq.) ; il pardonne personnellement les péchés comme « Fils de l’Homme »
(Marc, 2, 5, 10 ; Luc. 7, 48). Les Apôtres
répètent le message de Jésus concernant la volonté de pardonner du Père et
appellent à la pénitence. S. Paul à ce sujet se réfère avec insistance à la
mort expiatrice du Christ (Rom., 3, 24 sq.). S. Jean fait appel à la vertu
propitiatoire de l’« Agneau de Dieu » (Jean,
29, 36 ; Apoc., 5, 9 ; 7, 14).
Précisons
ici les points principaux de l’enseignement de Jésus : 1° Il prêche la
rémission des péchés ; 2° Il l’exerce et la revendique ; 3° C’est
précisément pour cette rémission qu’il verse son sang ; 4° Il compte sur
le pardon pour tous les temps à l’intérieur de son Église, car il place la
demande de pardon des offenses dans le « Notre Père » ; de même
que nous demandons le « pain quotidien » nous devons demander la
rémission quotidienne de nos péchés ; 5° Il établit un ministère extérieur
de rémission des péchés dont nous aurons à parler tout à l’heure.
2. La condition du pardon est la pénitence,
mais dans le sens de la conversion spirituelle complète et du renouvellement (μετάνοια) entier de
nos dispositions, et non dans celui d’une « œuvre » ascétique. Le
Concile de Trente enseigne : « La pénitence a été de tout temps nécessaire à tous les
hommes qui se sont souillés de quelque péché mortel que ce soit, pour obtenir
la grâce et la justice ». « Cependant la pénitence n’était pas un
sacrement avant la venue du Christ, elle ne l’est pas non plus depuis sa venue,
pour qui que ce soit, avant le baptême » (S. 14, c. 1 : Denz., 894). De là résulte le rôle important de la vertu de
pénitence dans le sacrement et la nécessité pour la théologie de l’examiner d’abord
séparément. Un aperçu de son
évolution historique montrera qu’il n’y a jamais eu de rémission de péché sans
pénitence ; cela fera ressortir en même temps sa nature et sa nécessité.
Le
premier péché constitue le tragique
début de l’histoire humaine. Il constituerait un désordre insupportable dans la
conception de la création s’il n’avait été immédiatement supprimé par la
pénitence. Le péché procéda de l’homme ; l’exigence de la pénitence fut
posée par Dieu offensé. Et l’homme tombé l’a accomplie (Sag.,
1 sq.) ainsi que la confession du péché, Dieu, dans une intention pédagogique,
ayant appris au premier pécheur à la
faire. Par là la pénitence a été promulguée pour tous
les temps comme la grande loi de la rémission des péchés. Pas de rémission des
péchés sans pénitence, ou bien, comme S. Augustin le dira plus tard si souvent :
« Il ne peut y avoir de péché impuni » (In Ps. 44, 18 : M. 36,
505).
Le
mosaïsme régla minutieusement les
actions pénitentielles pour chaque délit, notamment pour les délits cultuels.
Les principaux exercices de pénitence sont les sacrifices, les jeûnes, les
prières et les purifications. Le jour de réconciliation est surtout un jour de
pénitence. La pénitence constitue ensuite l’objet de la prédication puissante
de tous les Prophètes. Mais ils
recommandent la pénitence du cœur et non celle des œuvres. D’après eux, la
pénitence est une conversion et non un exercice. Le livre de la Sagesse (11, 23
sq. ; 12, 2 sq., 10, 19 sq. ; 15, 1-3) insiste tout particulièrement
sur la pénitence. La pénitence demeure aussi le grand thème des apocalypses. Jean prêche le baptême de pénitence pour
la rémission des péchés ; mais « faites de dignes fruits de
pénitence » (Math., 3, 8 sq.). Il demande donc la pénitence du cœur et non
les antiques œuvres de pénitence. Jésus
unit la pénitence et le royaume des cieux : « Faites pénitence, car
le royaume des cieux est proche » (Math., 4, 17) exactement comme Jean
(Math., 3, 2). L’expression technique qu’ils emploient pour cela est μετάνοεῖν
réfléchir, changer de sentiments, Le programme de Jésus se formule ainsi :
« Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs, afin qu’ils
fassent pénitence » (Luc, 5, 32). Les disciples doivent demander chaque
jour au « Père » : « Pardonne‑nous nos
offenses » (Math., 6, 12). D’après lui, on ne peut rien
« faire » de bon quand on « est » mauvais (Math., 12, 34).
Dans les Actes des Apôtres, la
pénitence est unie au baptême (2, 38). La pénitence est l’exigence qu’impose le
christianisme aux Juifs (5, 31) comme aux païens (11, 18 ; 17, 30 ;
26, 20).
3. La
notion que Jésus a du péché. Il n’était pas dans sa manière de parler du
péché en en donnant une définition, mais toute l’œuvre de sa vie a pour but de
le combattre et d’en triompher. On ne comprend guère comment la théologie
libérale a pu affirmer que Jésus « s’est peu préoccupé du péché et que c’est
Paul qui s’en est préoccupé le premier ». Jésus ne parle pas d’une manière
abstraite du péché, il n’en parle que d’une manière pratique, ou plus
précisément il parle des pécheurs, mais il en parle si souvent et d’une manière
si claire qu’on peut tirer de ses paroles une notion du péché. Le péché a, d’après
Jésus, un double aspect : un aspect extérieur visible (transgression du
commandement) et un aspect intérieur et invisible (l’acte de la volonté qui se
détache de Dieu).
Le
péché est pour lui, comme déjà dans l’Ancien Testament, la transgression du commandement de Dieu (Math., 5, 21 sq. ; 7,
23 : ᾀνομία).
Mais il envisage peu le péché particulier ; au sujet du péché, comme au sujet
de la vertu, son regard pénètre dans les profondeurs de l’âme. Il n’est pas un casuiste comme les Rabbis ; il juge
le péché par rapport à la situation intérieure du cœur à l’égard de Dieu. Il
voit dans le péché particulier le mauvais fruit du mauvais arbre (Math., 12,
33-35 ; 7, 16-20). Le péché est pour lui une puissance vivante ennemie de
Dieu ; il en est de même chez S. Paul (Rom., 8, 7 ; Math., 12,
34 ; cf. Luc 6, 43-46). « C’est du cœur que viennent les mauvaises
pensées. » (Math., 15, 19). C’est dans le cœur que l’on commet l’adultère,
le meurtre, les manquements à la charité (Math., 15, 19 ; 5, 20 sq.). Le
péché n’est pas seulement quelque chose de contraire à la loi, mais encore
quelque chose d’opposé à Dieu et même de satanique (Jean, 8, 44 sq.). Par le
péché le cœur se ferme à Dieu ; quand le cœur est entièrement mauvais, le
péché devient une opposition complète à Dieu, un péché contre le Saint‑Esprit, un crime irrémissible envers la grâce
de Dieu (Jean, 5, 38 ; 16, 9. Math., 12, 31 sq.). Dieu est le Père qu’on doit aimer de tout son cœur
(Math., 22, 37). Par le péché l’homme lui tourne le dos, comme l’Enfant
prodigue qui quitte la maison paternelle (Luc, 15, 11 sq.).
La
faute commise contre le prochain est,
elle aussi, un péché contre l’unique
amour dont nous devons aimer Dieu et
le prochain. D’où la colère du maître de maison contre le serviteur qui s’est
montré dur envers ses compagnons (Math., 18, 21-35). Dieu s’identifie, en
quelque sorte, avec l’homme. Au jugement on entendra ces paroles :
« En vérité, je vous le dis, ce que vous n’avez pas fait à l’un de ces
plus petits, c’est à moi aussi que vous ne l’avez pas fait » (Math., 25,
45 ; cf. 25, 40).
A
la lumière de cette notion de Dieu et du péché, telle que nous la présente
Jésus, on comprend bien ce qu’il entend par pénitence.
Ce n’est pas une œuvre extérieure, ce n’est d’ailleurs pas une œuvre
particulière, c’est tout l’être de l’homme. Ce n’est pas une œuvre particulière,
non pas parce que la pénitence ne peut pas et ne doit pas se manifester par des
œuvres - cette interprétation protestante est inexacte - mais parce qu’elle est
plus qu’une œuvre, elle est l’homme lui‑même, la
transformation intérieure complète de l’homme. C’est pourquoi l’Évangile
emploie, pour la désigner, l’expression « changement de sentiments »
(μετάνοια, μετάνοεῖν).
La pénitence est aussi une « œuvre », elle est aussi un
« fruit », mais, avant tout
cela, il est dit : « Rendez l’arbre bon » (Matth., 12, 33). Ce n’est
pas la pureté lévitique qui suffit ou est utile, mais la pureté du cœur (Math.,
5, 8).
Toute admission à la pénitence est une
grâce.
Le péché étant dirigé contre Dieu, il inclut une telle dette que l’homme ne
peut pas la payer, alors même qu’il vendrait tout son avoir pour s’acquitter
(Math., 5, 26. Luc, 12, 59 ; 7, 41 sq. ; 13, 4 sq. Math., 18, 25-35).
Dans tous les cas cités, ce qui est caractéristique, c’est que le débiteur ne
peut acquitter sa dette (ὀφειλή,
ὀφειλἐτης,
ὀφειλειν).
Les
Apôtres reprennent l’appel de Jésus à
la pénitence et en font, comme lui, la porte du salut (Act.
Ap., 2, 37 sq.). Dans S. Paul, sans doute, la foi
à Jésus le Rédempteur ressort davantage comme la voie qui mène à la vie, mais
la pénitence est incluse dans cette foi et, dans l’insistance sur la mort de
Jésus, l’Apôtre indique seulement la raison
pour laquelle Dieu est disposé à nous pardonner. « Ne sais‑tu pas que la bonté de Dieu te conduit à la
pénitence ? » (Rom., 2, 4 ; cf. 2 Cor., 12, 21 ; 2 Tim., 2,
25 ; Hébr., 6, 6: 2
Pier., 3, 9 ; Apoc., 2, 5, 16 ; 3, 3 ; 16, 9). Il est frappant
de voir, avec quelle énergie et quelle insistance, le dernier livre du Nouveau
Testament, l’Apocalypse, qui, sans
aucun doute, traite de l’état des baptisés et des fidèles, exige, dans les
passages cités, la pénitence et la conversion : « Souviens‑toi d’où tu es tombé ; fais pénitence et
accomplis tes œuvres d’autrefois » (Apoc., 2, 5).
En
traitant la question préalable de la
doctrine biblique du pardon, du péché et de la pénitence, nous avons frayé la
voie à la thèse qui suit, à savoir que la rémission des péchés, dans l’Église,
après la mort de Jésus doit être une institution sacramentelle. Le Christ ne pouvait pas manquer de régler dans sa
religion ce qui est le point central de toute religion.
THÈSE. De même que Jésus lui‑même a pardonné les péchés durant sa vie, il
a transmis à ses Apôtres le pouvoir de pardonner et cela non seulement pour les
péchés commis avant le baptême, mais encore pour les péchés des baptisés. De foi
Explication. Le Concile de Trente
formula contre les protestants, qui ne voulaient reconnaître essentiellement
comme sacrement de rémission des péchés que le baptême et prétendaient que tous
les péchés ultérieurs étaient effacés par un « regressus
ad baptismum » fidèle et privé, par un
renouvellement pénitent du baptême, les canons suivants : « Si quelqu’un
dit que la Pénitence dans l’Église Catholique n’est pas véritablement et
proprement un Sacrement, institué par Jésus‑Christ
Notre‑Seigneur, pour réconcilier à Dieu les fidèles, toutes
les fois qu’ils tombent en péché depuis le baptême : Qu’il soit
anathème » (S. 14, Can. 1). « Si quelqu’un, confondant les
sacrements, dit que le baptême lui‑même
est le sacrement de la pénitence, comme si ces deux sacrements n’étaient pas
distincts, et qu’il n’est donc pas juste d’appeler la pénitence la
« seconde planche du salut » : qu’il soit anathème » (S.
14, Can. 2). « Si quelqu’un dit que ces paroles du Seigneur et
Sauveur : « Recevez le Saint‑Esprit :
à ceux à qui vous remettrez les péchés, ceux‑ci
sont remis ; et à ceux à qui vous les retiendrez, ils seront
retenus » (Jn 20, 22-23), ne doivent pas être
comprises du pouvoir de remettre et de retenir les péchés dans le sacrement de
la pénitence, comme l’Église catholique l’a toujours compris dès le début, et,
s’opposant à l’institution de ce sacrement, en détourne le sens pour qu’elles
signifient le pouvoir de prêcher l’Évangile : qu’il soit anathème »
(S. 14, Can. 3 : Denz., 911 sq. ; cf. c. 1
etc. 2 : Denz., 430). Les modernistes de notre temps ayant voulu saper les fondements de cette
vérité, Pie X condamna leur affirmation : « Les paroles du
Seigneur : Recevez l’Esprit‑Saint ;
les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez, et ils seront retenus
à ceux à qui vous les retiendrez (Jean 20, 22 et 23), ne se rapportent pas du
tout au sacrement de Pénitence, quoi qu’il ait plu aux Pères de Trente d’affirmer »
(Lamentabili ; Denz.,
2047). Des adversaires plus anciens sont les montanistes (Tertullien) et les novatiens.
Malgré les erreurs diverses de l’antiquité concernant la Pénitence, les protestants sont cependant les premiers
qui aient nié radicalement le pouvoir ecclésiastique de rémission des péchés.
Preuve. Les Pères du Concile se référèrent à bon droit à
Jean, 20, 22 sq., et par là donnèrent une explication officielle de ce passage
et en fixèrent le sens. Or, dans ce passage, il est rapporté que le Christ
transmit à ses Apôtres le pouvoir général de remettre les péchés. En soufflant symboliquement sur eux et en leur
conférant le Saint‑Esprit
en vue du pouvoir qu’il leur conférait immédiatement, il leur dit (20,
21-23) : « Comme mon Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie. 22Ayant
dit ces mots, il souffla sur eux, et leur dit : Recevez l’Esprit‑Saint. 23Les péchés seront remis à ceux
auxquels vous les remettrez, et ils seront retenus à ceux auxquels vous les
retiendrez ». Cette transmission avait été préparée par la promesse du
pouvoir des clefs (potestas clavium) dans les
synoptiques. Jésus dit à Pierre après sa profession : « Et je te
donnerai les clefs du royaume des cieux ; et tout ce que tu lieras sur la
terre sera lié aussi dans les cieux, et tout ce que tu délieras sur la terre
sera délié aussi dans les cieux » (Math., 16, 18 sq.). De même, il dit à
tous les Apôtres en connexion avec son instruction sur les fautes des
« frères » dans l’Église : « En vérité, je vous le dis,
tout ce que vous lierez sur la terre sera lié aussi dans le ciel, et tout ce
que vous délierez sur la terre sera délié aussi dans le ciel » (Matt., 18,
18).
Exégèse. Les deux
passages de S. Mathieu ont déjà été expliqués (§ 144, sur la primauté). Que ces
paroles comprennent aussi la rémission des péchés, cela ressort déjà clairement
de ce que le droit remis à Pierre, d’introduire dans l’Église et d’en exclure,
se rapporte en général et en dernière
analyse au péché, parce que, dans le royaume de Dieu, c’est le criterium
principal. Mais, d’après les recherches de Brander (« Katholick »,1914, 2, et 1916, 1), il en est également
ainsi formellement. Il montre que
lier et délier, dans la bouche de Jésus, ne signifie pas seulement, comme on l’admettait
généralement jusqu’ici, en tant qu’« expression
technique rabbinique », le droit de fixer autoritativement...
une loi ou de délivrer de l’obligation d’une loi, c.-a‑d.
le pouvoir d’enseignement et le pouvoir législatif (λύειν
= déclarer permis ; δεῖν =
déclarer défendu). C’est d’après cette interprétation que les protestants, en
dépit de Jean, 20, 22 sq., refusent souvent absolument de voir dans ces
passages le pouvoir de remettre les péchés et en éloignent aussi loin que
possible le sacrement de Pénitence. Or le sens premier de ces passages est
précisément celui que les protestants écartent, le sens de la rémission des
péchés. Brander a démontré que, chez les Juifs déjà,
il n’était pas toujours nécessaire de ne penser qu’à la signification
rabbinique étroite. A cela s’ajoute l’interprétation et la conception qu’ont
les écrivains syriaques antiques, de
Math., 16, 17 sq. et 18, 18. On la trouve dans les Didascalia,
les Constitutions apostoliques, dans Aphraat, S.
Ephrem. Ils connaissaient bien le sens rabbinique de ce passage comme pouvoir
doctrinal et législatif et pourtant ils y voient « d’abord l’excommunication
et la rétention des péchés d’une part et l’absolution d’autre part ».
(« Katholik », 1916, 1, 302). Et cela est d’autant
plus important qu’en raison de la proximité locale
et de la parenté linguistique avec l’araméen, la langue maternelle de Jésus, on
a le droit et même il est tout indiqué de conclure à une conception semblable
du Christ et de ses disciples. S. Augustin : « Qui ligatur... separatur »
(Morin, 62).
Dans
Jean, 20, 21 sq., le Seigneur transmet
aux Apôtres le pouvoir de rémission des péchés qu’il leur avait promis dans Math., 16, 17 sq. et 18, 18.
Le Christ mentionne d’abord sa propre mission reçue de son Père et transmet
ensuite cette mission à ses Apôtres. Or sa mission comprenait plus que la
rémission, elle comprenait aussi le pouvoir doctrinal et de juridiction (Math.,
28, 19 sq.). Seulement ici il ne parle que du pouvoir de rémission des péchés.
Il emploie les expressions ἀφιέναι
et ϰρατεὶν, non
pas λύειν et δεῖν. « Il en résulte », dit
Schanz qui
s’appuie sur S. Thomas, « que le pouvoir ici est limité à la rémission des péchés ». Aucun autre sens n’est
envisagé ; ἀφιέναι
est employé en effet également pour l’acte que le Christ exerça auparavant dans la rémission des péchés. Or il se
produit aussi une rémission par le baptême.
Seulement c’est à tort que les adversaires ne pensent ici qu’à ce sacrement. Le
mot « baptiser » (βαπτίξειν,
βἁπτισμα)
est aussi connu de S. Jean, mais ici il ne l’emploie précisément pas. Le
baptême, d’après lui, est conféré par l’eau et la parole de Dieu. Ici ni l’eau,
ni la parole de Dieu ne sont nommées. Ce qui est capital, c’est que, si le
baptême remet les péchés, il ne peut les retenir. Le baptême ne peut être
administré que dans l’intention de
remettre les péchés, mais jamais pour les retenir.
Il n’y aurait pour cela ni possibilité ni prise. On ne peut pas dire que la rétention
des péchés, dans le baptême, est opérée par celui qui le reçoit indignement.
Cela n’est pas faux, mais ce n’est pas un acte sacramentel des Apôtres et de
leurs successeurs ; or c’est d’eux
et d’eux seuls qu’il est dit qu’ils
peuvent retenir les péchés. Étant donné que l’application de ce passage au
baptême ne donne aucun sens raisonnable, l’interprétation catholique, démontrée
depuis Origène (De orat., 28), est légitime.
Il
faut supposer à la base de l’explication de l’Église un double fait : 1°
Que Jésus comptait qu’il y aurait dans son Église des péchés après le baptême,
et 2° Que ces péchés auraient besoin du règlement objectif de l’Église et ne
pourraient pas être effacés simplement par un acte privé et interne de
repentir.
Jésus exhorte les
siens, dans le Sermon sur la montagne
(Math., 6, 12), à demander et à accorder le pardon dans la cinquième demande du
« Notre Père » qu’on doit réciter « chaque jour » ; il
ordonne de se réconcilier, avant le sacrifice, avec son frère, contre qui on a
de l’inimitié (Math., 5, 21-26). Il trouve, au Jour du Jugement, des
« ouvriers d’iniquité » parmi ceux qui ont cru en son nom et lui ont
dit « Seigneur, Seigneur » (Math., 7, 22, 23). Ce sont les
« mauvais poissons » que « l’on jette » (Math., 13, 47
sq.) ; l’« ivraie » qu’« on brûle
dans le feu » (Math., 13, 40). Il arrive qu’un « frère pèche» (ἀμαρτάνειν)
contre un autre et doive être corrigé, ce qui parfois demandera des efforts
répétés (Math., 18, 15-17). Mais on pèche non seulement contre son
« frère », mais encore contre le « Fils de l’Homme ». Or
tout cela peut être pardonné. Le
Christ exprime, pour ainsi dire, cette thèse : « Tout péché, tout
blasphème, sera pardonné aux hommes » (Math., 12, 31 sq.). Il n’y a qu’une exception à cette règle :
« le blasphème contre l’Esprit ne sera pas pardonné » ou bien sous
une autre forme : « Si quelqu’un a parlé contre le Saint‑Esprit, il ne lui sera pardonné ni dans ce
monde, ni dans le monde à venir » (Math., 12, 32).
S.
Paul exige en plusieurs passages, comme aussi les autres Apôtres, que les chrétiens
vivent sans péché, mais ils comptent, comme le Christ, que cet idéal ne sera pas atteint complètement
et ne le sera pas par tous. S. Paul admet de nouveau l’inceste de Corinthe,
après l’accomplissement de sa pénitence, et appelle cela une grâce (χαρίζεσθαι) qui lui a
été accordée « dans la personne du Christ » (2 Cor., 2, 10). Il
avertit quiconque « n’écoute pas sa doctrine », « d’éviter d être confondu » ; il ajoute, il est vrai :
« Ne le traitez pas comme un ennemi, mais avertissez-le comme un frère »
(2 Thess., 3, 6, 14 sq.). Il donne cette règle
pastorale : « Quand un frère a été surpris par quelque faute (ἔν τινι
παραπτὠματι),
vous qui êtes spirituels, redressez-le dans un esprit de douceur, (mais en le
faisant) prends garde à toi‑même pour ne
pas tomber aussi en tentation » (Gal., 6, 1). Il y a, chez S. Paul, un
triple jugement du péché pour le chrétien : 1° Le jugement personnel avant la réception de l’Eucharistie :
« Que chacun donc s’éprouve soi‑même »
(1 Cor., 11, 28). « Que chacun examine sa propre action » (Gal., 6, 4
sq.) ; - 2° Le jugement par l’Église,
qui est attesté précisément par les textes cités (2 Cor., 2, 2-11 ; 2 Thess., 3, 14 sq. ; Gal., 6, 1). Il y a des chrétiens
qui « ont renoncé à une bonne conscience et ont fait naufrage dans la foi.
De ce nombre sont Hyménée et Alexandre que j’ai livrés à Satan afin de leur
apprendre à ne pas blasphémer » (1 Tim., 1, 19 sq.). S. Paul prononce sur
ces deux grands pécheurs l’excommunication
comme il l’a fait pour l’incestueux de Corinthe (1 Cor., 5, 5), avec l’intention
de les corriger. On lit, dans 1 Tim. 5, 20 : « Pour ceux qui pèchent
(ἁμαρτἁνοντας),
reprends‑les devant tous (ἐὠνπτιον
πἁντων), afin que les
autres aussi aient peur. « Même dans le cercle des prêtres le péché
pénétrait : « N’impose à personne les mains avec précipitation, afin
de ne pas te rendre (par là) complice des péchés d’autrui »
(1 Tim., 5, 22) ; - 3° Le jugement de Dieu ;
il peut se manifester dans cette vie par des peines temporelles et alors son
intention est de rendre meilleur : « Si nous nous jugions nous‑mêmes, nous ne serions pas jugés ; mais
quand nous sommes jugés (il semble que ce soit par l’Église), nous sommes (justement par cette peine et ses
conséquences) corrigés par le Seigneur, afin que nous ne soyons pas condamnés
avec ce monde » (1 Cor., 11, 31 sq.). A ce jugement temporel de Dieu s’ajoute
le jugement dernier qui met tout en
ordre.
S. Pierre juge très
sévèrement les péchés des baptisés (2 Pier., 2, 10-22), et sa comparaison réaliste du chien qui
retourne à son vomissement et du porc qui se vautre dans la boue a été souvent
reprise par les Pères. Mais le Seigneur retarde son jugement : « Il
use de patience envers vous, ne voulant pas qu’aucun périsse, mais que tous
viennent à la pénitence » (2 Pier., 3, 9). A côté de cela, Pierre réclame l’idéal comme tous les autres
Apôtres : qu’on n’oublie pas le baptême et les bonnes œuvres, « ainsi
vous ne pécherez pas » (2 Pier., 1, 9 sq.).
S. Jean atteste que
le Christ, en tant qu’Agneau de Dieu, enlève tous les péchés du monde (Jean, 1,
29 ; 1 Jean, 2, 2 ; 4, 14). Mais les rachetés demeurent encore
extérieurement dans le monde. « Eux, ils sont dans le monde », dit
Jésus des Apôtres (Jean, 17, 11). Et alors S. Jean donne cet
avertissement : « N’aimez pas le monde, ni ce qui est dans le monde.
Si quelqu’un aime le monde, l’amour du Père n’est pas en lui » (1 Jean, 2,
15). Il est vrai que les péchés précédents ont été remis dans le baptême :
« Je vous l’écris, petits enfants : Vos péchés vous sont remis à
cause du nom de Jésus » (1 Jean, 2, 12). Il ne se produirait d’ailleurs
plus de péché grave si l’on restait fidèle à l’idéal réalisé. S. Jean en est
tellement persuadé qu’il affirme que ceux qui ont fait défection n’ont jamais
« été des nôtres » (1 Jean, 2, 19). « Quiconque est né de Dieu
(dans le baptême) ne commet pas de péché ; car une semence demeure en lui
et il ne peut pas pécher » (1 Jean, 3, 9 ; cf. 3, 6 ; 5, 18).
Mais il faut envisager aussi la réalité : « Celui qui affirme qu’il demeure en Dieu doit se
conduire lui‑aussi comme il (Jésus) s’est conduit
lui‑même » (1 Jean, 2, 6 ; cf.
2, 9 sq., 29 ; 3, 9). « Mes petits enfants,
je vous écris ceci afin que vous ne péchiez pas. Mais si cependant quelqu’un
pèche, nous avons un avocat auprès du Père, Jésus‑Christ... Il
est lui‑même propitiation pour nos péchés, et
non seulement pour les nôtres, mais aussi pour ceux du monde entier » (1
Jean, 2, 1 sq.). S. Jean, lui aussi, compte donc avec la possibilité du péché
et de son pardon après le baptême.
Quelles
règles propose‑t‑il ?
Les mêmes que S. Paul et Jésus. 1° Il exhorte les fidèles afin qu’ils ne pèchent
pas : Si cependant ils le font, il renvoie ceux qui sont tombés à Dieu et
à notre Médiateur (1 Jean, 2, 1 sq.). Au reste, il n’y a pas de vie sans
péché : « Si nous disons que
nous n’avons pas de péché, nous nous trompons nous‑mêmes et la vérité n’est pas en nous. (Mais)
si nous confessons nos péchés, il
(Dieu) est fidèle et juste pour nous pardonner nos péchés (il nous l’a en effet
promis) et nous purifier de toute injustice. Si nous disons que nous sommes
sans péché, nous le faisons menteur et sa parole n’est
pas en nous » (1 Jean, 1, 8-10). Il n’est pas rare que les chrétiens
entendent « les reproches de leur cœur » (de leur conscience) ;
mais « nous rassurerons nos cœurs devant Dieu, car si notre cœur nous
condamne, Dieu est plus grand que notre cœur et il connaît toutes choses »
(1 Jean, 3, 19 sq.) ; il connaît donc aussi nos péchés et nos faiblesses.
Le pire c’est de dire que « nous n’avons pas de péché » (1 Jean, 1,
8) : cela est de l’impénitence ; - 2° Quand nos péchés sont plus que
des « peccata quotidiana » nous méritons la
correction fraternelle, que S. Jean,
ainsi que S. Paul, recommande, comme l’avait fait le Seigneur avant eux. C’est
ainsi que S. Jean veut agir avec un chef de l’Église, Diotréphès ;
mais celui‑ci ne veut même pas accepter un
avertissement écrit. « C’est pourquoi, quand je viendrai, je lui mettrai devant les yeux les actes qu’il
fait et les méchants propos qu’il tient contre nous. Et, non content de tout
cela, il refuse lui‑même d’accueillir
les frères et empêche ceux qui voudraient les accueillir et les chasse de l’Église »
(3 Jean, 9 sq.). Le cas est particulièrement mauvais quand le pécheur répand
une fausse doctrine : « Si
quelqu’un vient à vous et n’apporte pas cette doctrine, ne le recevez pas dans
votre maison et ne lui dites même pas : salut ; car celui qui lui
dit : salut, participe à ses œuvres mauvaises » (2 Jean, 10 sq.).
S. Jacques, dans son
Épître morale, doit surtout combattre l’opinion d’après laquelle la foi sauve
sans les œuvres. Il dirige son regard vers la racine du péché et montre comment
il se développe en partant de l’état embryonnaire de la pensée et du désir,
arrive à l’acte complet, et « enfante la mort » (1, 13-15). Peut‑on guérir ce mal causé par le péché ?
Sans aucun doute. S. Jacques signale le cas où le péché oppresse un fidèle
malade. Pour ce malade, les prêtres de l’Église doivent prier en l’oignant d’huile.
« Et la prière de la foi, jointe à cette onction sainte, sauvera le
malade : le Seigneur le soulagera ; et s’il a des péchés, ils lui
seront remis ». Ensuite il exhorte à confesser ses péchés l’un à l’autre :
« Confessez donc vos fautes l’un à l’autre ; et priez l’un pour l’autre,
afin que vous soyez sauvés : car la prière assidue et fervente du juste
peut beaucoup. ». De là la règle générale : « Mes frères, si
quelqu’un d’entre vous s’égare du chemin de la vérité, et que quelqu’un l’y
fasse rentrer ; qu’il sache que celui qui convertira un pécheur, et le
retirera de son égarement, sauvera son
âme de la mort, et couvrira la multitude de ses péchés » (5, 14-20).
On ne peut guère s’exprimer avec plus de force sur la possibilité du pardon des péchés après le baptême. Comme intermédiaires on voit apparaître
nettement les « prêtres de l’Église », ainsi que les fidèles, par
leur intercession. Il n’est pas étonnant qu’au début de l’ère patristique ce
soit justement sur ces paroles qu’on se soit appuyé pour fonder la rémission
des péchés.
S. Jude a sans
doute eu à combattre le plus déplorable état d’esprit parmi ses lecteurs. Il y avait
parmi eux des gens qui disaient qu’on pouvait hardiment pécher avec la
confiance dans la grâce (Jud., 4 ; cf. Rom., 6,
15). « Ce sont des gens qui se sont séparés,
gens charnels et sans esprit » (19). Comment doit‑on se comporter à leur égard ?
« Reprenez les uns comme des gens déjà jugés, mais, quant aux autres, sauvez-les en les arrachant au
feu ; pour les autres, ayez-en pitié avec crainte et haïssez jusqu’à la
tunique souillée par la chair » (22 sq.). Ici, en tout cas, l’Apôtre songe
aussi bien au péché commis après le baptême qu’à sa rémission ; il songe
également à une médiation objective, bien qu’à ce sujet il s’adresse en général
aux fidèles.
L’Apocalypse est le dernier livre dont nous
avons à exposer brièvement la doctrine de rémission. Parmi les sept lettres
adressées aux Églises d’Éphèse, de Pergame, de Thyatire,
de Sardes, de Philadelphie, de Laodicée, cinq doivent sûrement être considérées
comme des lettres de pénitence, dans
lesquelles on fait énergiquement appel à la pénitence. Ce ne sont pas des
vétilles qui sont reprochées aux lecteurs. Tertullien signale brièvement ces
choses dans son livre sur la la pénitence (De pœnitentia), pour illustrer, par là,
la légitimité et le
chemin de la pénitence. Ces péchés sont : Le refroidissement
de la « première charité » (2, 4), l’hérésie et la luxure (2, 14
sq.), le sacrifice aux idoles et la luxure (2, 20), peu « d’œuvres entièrement
valables (bonnes) devant Dieu » (3, 2), la tiédeur, le fait de n’être ni
froid ni chaud (3, 15). Au sujet de tous ces péchés il est dit :
« Faites pénitence, et revenez à vos premières œuvres » (2, 5).
Résumé. 1° En dépit
de l’idéal affirmé d’abord par Jésus,
puis par S. Paul, S. Jean, S. Jacques, S. Jude, on compte avec la réalité effective du péché ; 2°
Pour le péché il y a certainement pénitence
et pardon ; 3° La pénitence
consiste dans un acte privé de
repentir par lequel on s’accuse devant Dieu,
ou bien dans une amélioration produite par la correction fraternelle, ou bien dans un acte juridictionnel de l’Église par lequel l’excommunication est
portée et n’est pas enlevée avant qu’une amélioration ne soit manifestement
intervenue. Dans cette expiation, le pénitent est aidé par les prières et les
suffrages de l’Église ; 4° L’effet
de tout ce processus pénitentiel, subjectif aussi bien qu’objectif, est le
retour de la mort à la vie ; 5° Une théorie
ou une doctrine concernant la pénitence des baptisés ne se trouve pas dans l’Écriture,
mais on y découvre une conception
générale de foi sur Dieu, le péché, le pardon, d’après laquelle on agit
partout ; 6° C’est intentionnellement que, dans cet aperçu, on a écarté le
rigorisme par rapport au péché
irrémissible. Remarquons cependant ici que, dans sa lettre aux Églises
(évêques) de Pergame et de Thyatire, S. Jean juge, au
sujet des péchés d’idolâtrie et de luxure qu’on appela plus tard les péchés
capitaux, que ce sont des péchés rémissibles (Apoc., 2, 12-24 ; cf. à ce
sujet d’Alès Calliste, 49 sq.) ;
7° A côté de ces péchés qui sont rémissibles (venialia),
bien que parmi eux se trouvent sans aucun doute des péchés graves, il est
également indubitable qu’il y a « des péchés qui passent pour si graves
que l’Église apostolique leur refuse le pardon. Jésus déjà avait enseigné, à propos du péché contre le Saint‑Esprit, qu’il ne serait remis ni dans cette
vie, ni dans l’autre (Math., 12, 31 sq.). L’essence de ce péché est précisément
l’impénitence. D’après S. Jean, il y a un péché qui va a la mort ; ce n’est point pour ce péché que je
vous dis de prier (1 Jean, 5, 16). D’après S. Jacques, cependant, les prêtres
aussi bien que les particuliers, doivent prier pour le pécheur et les uns pour
les autres. Chez S. Jean, la prière est refusée aux pécheurs « à
mort ». Leur péché est l’incrédulité (1 Jean, 2, 12). S. Paul enseigne (Hébr., 6, 4-6) que les
apostats ne peuvent se renouveler par la pénitence : « Car il est
impossible pour ceux qui ont été éclairés (dans le baptême), qui ont goûté le
don céleste et participé au Saint‑Esprit, qui
ont goûté la douceur de la parole de Dieu et les merveilles du monde à venir,
et qui pourtant sont tombés, de les renouveler en les amenant à la pénitence,
eux qui, pour leur part, crucifient de nouveau le Fils de Dieu et le livrent à
l’ignominie ».
Conclusion. L’Église
apostolique connaît donc trois sortes
de péchés : les péchés légers qui sont effacés par la correction mutuelle,
la prière et l’aumône ; les péchés graves qui méritent et reçoivent une
dure pénitence, mais au sujet desquels on espère le pardon de Dieu parce que le
pénitent demeure dans le fondement de la foi, dans l’Église ; et des
péchés « mortels » ; ceux qui les ont commis ont abandonné ce
fondement, ils se sont excommuniés eux‑mêmes et l’on
n’a pour eux, étant donnée la rapidité de l’approche du dernier jour, aucune
espérance. S. Jean voit dans les apostats de vrais « antéchrists »
qui sont précisément le signe que « le dernier péché est là » :l’antéchrist doit venir à la fin, dit‑il (1 Jean, 2, 18 sq.). En se référant, avec
les Apôtres (Hébr., 10, 25, 27 et 29 ; 2 Pier.,
3, 8 sq. ; Jacq., 5, 8 sq. ; 1 Jean, 2, 18-22), à la proximité du
jugement, Hermas cherche lui aussi à pousser à la pénitence ceux qui, à
proprement parler, ne méritent plus de pénitence.
Avec
ces constatations, nous sommes arrivés, dans l’évolution de la pénitence, jusqu’à
l’âge des Pères. Nous allons continuer en citant d’abord les assertions des
Pères qui, tout en ne nous transmettant pas une notion bien claire, nous font
cependant reconnaître une certaine ligne d’évolution.
Les Pères. Ils nous
transmettent tout d’abord la notion pénitentielle du Nouveau Testament, mais
avec, çà et là, quelques particularités. La Didachè demande une confession
générale des péchés de la part de toute la communauté avant l’Eucharistie.
« Le jour du Seigneur, rassemblez-vous, rompez le pain et dites l’action
de grâces après avoir confessé vos péchés, afin que votre sacrifice soit
pur » (14, 1). « Dans l’Église, confesse tes péchés et ne vas pas à
ta prière (l’Eucharistie ?) avec une mauvaise conscience » (4, 14).
« Si quelqu’un est saint, qu’il s’approche (de l’Eucharistie) ; s’il
ne l’est pas, qu’il fasse pénitence. Le Seigneur vient » (10, 6).
« Reprenez-vous les uns les autres ; cependant que ce ne soit pas
dans la colère, mais dans la paix, comme vous le voyez dans l’Évangile ;
et si quelqu’un a péché contre un autre, que personne ne lui parle et qu’il n’entende
rien de vous jusqu’à ce qu’il ait fait pénitence » (15, 3). Le pseudo‑Barnabé répète la
doctrine des « deux voies » et l’exhortation de la Didachè : « Confesse tes péchés, ne viens pas à
ta prière avec un mauvaise conscience » (19, 12). S. Clément de Rome adresse une lettre toute pénétrée d’exhortations
à la pénitence aux Corinthiens qui, dans leur présomption, s’étaient élevés
contre la hiérarchie. « Par conséquent, si, égarés par quelque tentation
de l’ennemi, nous avons fait quelque péché que ce soit, demandons pardon. Et
ceux‑là même qui ont été les chefs de la
révolte et de la division doivent envisager la commune espérance » (51, 1
sq. ; cf. 2, 3 ; 8, 1-5 ; 9, 1 ; 48, 1 ; 50, 5 ;
56, 1). À la fin se trouve la prière de pénitence au « Bon et
Miséricordieux » : « Pardonne‑nous nos
méfaits, nos injustices et nos crimes. Veuille ne pas penser à chaque péché de
tes serviteurs et de tes servantes mais purifie‑nous dans ta
vérité et conduis nos pas, afin que nous marchions dans la piété et la justice
et la simplicité du cœur » (60, 1 sq.). La pénitence est exigée de tous les âges (7, 4 sq.). La lettre dite
seconde lettre de Clément, veut sans
doute que l’on « conserve pur le sceau »
(du baptême) (7, 6 , 8, 6) ; mais elle prêche
néanmoins avec énergie la pénitence : « Aussi longtemps que nous
sommes sur la terre, faisons pénitence... repentons‑nous, de tout cœur, du mal que nous avons
fait dans la chair, aussi longtemps que nous avons du temps pour la pénitence.
Car après notre départ de ce monde, nous ne pourrons plus, là-bas, confesser
nos péchés ou nous convertir » (8, 1 sq.). S. Ignace s’en prend aux divisions gnostiques : « Partout
où il y a division et passion, là ne demeure pas Dieu. Cependant Dieu pardonne
à tous ceux qui se repentent quand ils reviennent à l’unité avec Dieu et à la
communion avec l’évêque » (Philad., 8, 1 ;
cf. 3, 1 sq.). S. Polycarpe donne cet
avertissement : « Les prêtres doivent être indulgents et
compatissants envers tous, ils doivent ramener ceux qui se sont égarés..., sans
être sévères dans la condamnation, en se rappelant que tous nous sommes coupables
du péché. Si donc nous prions le Seigneur de nous pardonner, nous devons
pardonner nous aussi » (Philip., 6, 1 sq.). Même pour un cas très grave de
péché sacerdotal, il admet la pénitence (11, 1 sq.).
Hermas est d’une
grande importance pour la doctrine pénitentielle. Son intérêt se porte sur la seconde pénitence après le baptême, que
« quelques docteurs », vers 150, à Rome, voulaient nier. Lui aussi
maintient l’idéal d’après lequel le
péché commis après le baptême est une « rupture du sceau ». A proprement
parler, il n’y a pas de pénitence pour ce péché. C’est ce que lui confirme l’ange
de la pénitence : Tu as bien entendu ; car il en est ainsi. Celui, en
effet, qui a reçu le pardon de ses péchés (dans le baptême) ne devrait plus
pécher ». Cependant l’ange de la pénitence déclare à Hermas que Dieu,
maintenant, accorde, pour une fois, un délai de miséricorde et permet une
seconde pénitence : « Celui qui, après cette grande et sainte
vocation (du baptême), a été tenté par le démon et a péché, a une pénitence ; mais s’il pêche
encore ensuite et fait pénitence, cela ne sert de rien à cet homme, il aura de
la peine à vivre » (Mand., 4, 3 ; cf. Vis.,
3, 5 et 7). « La pénitence a une fin pour les justes (les chrétiens), mais
pour les païens (dans le désir du baptême) la pénitence est accordée jusqu’au
dernier jour » (Vis., 2, 2, 5). Or cette seconde pénitence des chrétiens
est très pénible (Sim., 6, 7). Il semble que c’est la croyance à la fin
prochaine du monde qui a amené Hermas à admettre le délai de miséricorde (Vis.,
3, 8). Déjà, dans l’Ancien Testament, la pénitence a un caractère
eschatologique très prononcé (Windisch,
Baptême et péché (1908), 35-50). On ne nous parle pas d’une réconciliation ecclésiastique du
pécheur. Cependant d’Alès a peut-être
raison quand il écrit : « La doctrine du Pasteur est entièrement
pénétrée par l’idée d’Église ». La « tour », dont la
construction doit être achevée avant la fin du monde, est l’Église (ἐγώ εἰμι
ἡ ἐϰϰλησια,
Vis., 3, 3, 3 : d’Alès, 57 sq.).
Elle est, d’une manière générale, la mesure d’après laquelle on doit juger l’homme.
Ce qui importe, c’est de savoir si on lui appartient, si on en est un membre
malade, si l’on est catéchumène ou si l’on se trouve en dehors d’elle. Dieu accorde le pardon, mais seulement à
ceux qui appartiennent à l’Église. D’après l’ordre du ciel, Hermas doit écrire
la révélation qu’il a reçue sur la pénitence et la remettre à Clément, lequel,
à son tour, doit la répandre dans les villes, « car c’est à lui que cela
revient ». « Quant à toi, tu la liras dans cette ville avec les
prêtres » (Vis., 2, 4). Seeberg estime qu’Hermas caractérise la pénitence comme un
second « sceau » (Sim., 8, 6, 3), qui, après la violation du sceau du
baptême, le restitue, si elle est suivie « du contrôle de l’office
ecclésiastique », et il écrit : « Nous nous trouvons ici en
présence des linéaments d’un sacrement de pénitence ecclésiastique : des
péchés, qui, en soi, sont irrémissibles, peuvent être pardonnés par une
déclaration divine ou plutôt ecclésiastique » (1, 126 sq. ; cf. d’Alès, 106 sq.). Au sujet du mode de
pénitence, Hermas dit : « Le pécheur reconnaît, en effet, qu’il a
fait le mal devant Dieu, il ressent vivement ce qu’il a fait auparavant, et,
dans ses sentiments pénitents, il ne fait plus le mal, mais opère le bien de
toute manière, il réduit sa convoitise et la châtie durement parce qu’elle a
péché » (Mand., 4, 2, 2 ; cf. 12, 6).
Hermas permet la pénitence à tous les pécheurs, même aux adultères. « Tous
recevront le pardon » (Mand., 4, 3 sq. ; cf.
Sim., 8, 6, 6 ; d’Alès, 97-104).
D’après Hermas, les pécheurs ressemblent à une branche d’osier qui a été
arrachée, mais qui, plantée en terre, pousse de nouveau et développe son
activité vitale antérieure.
S. Justin permet à tous les pécheurs, même aux apostats, la
pénitence et l’espoir du pardon divin (Dial, 47 et 141 ; cf. d’Alès, 126). S. Irénée nous parle de femmes qui avaient été séduites par le
gnostique Marcus et dont « certaines font publiquement pénitence et d’autres,
par honte et dans le désespoir secret d’obtenir la vie qui vient de Dieu, ou
bien font complètement défection, ou bien sont indécises et, comme dit le
proverbe, ne sont ni dehors ni dedans » (A. h., 1, 13, 7). Par suite, il y
avait déjà alors une pénitence publique (Cf. A. h., 1, 13, 5). En principe, la
pénitence est recommandée à tous - les femmes dont on vient de parler étaient
des femmes adultères - : « A ceux qui se tournent vers lui
(Dieu), il accorde la paix, l’amitié et l’union avec lui » (A. h., 4, 40,
1). Parfois on voit apparaître, chez S. Irénée, un trait de rigorisme (par ex.
A. h., 4, 27, 2). Mais c’est le cas de tous
les écrivains du christianisme primitif, car il faut bien penser aussi que tous
les pécheurs n’étaient pas disposés à la pénitence.
S. Denys de Corinthe recommande
la pénitence aux hérétiques et même aux apostats (Eusèbe, Hist. eccl., 4, 23). Clément d’Alexandrie répète la doctrine
d’Hermas qu’il cite : « À proprement parler, il ne devrait pas y
avoir de seconde pénitence ; mais, par miséricorde, Dieu l’a concédée aux
pécheurs repentants » (Strom., 2, 13 ; cf.
6, 13 ; 7, 1). Les péchés sont pardonnés même quand ils sont graves ;
ce qui le prouve, c’est l’histoire du « jeune homme sauvé » qui avait
un homicide sur la conscience (Quis dives, 42).
L’attitude
de Tertullien est célèbre et a été
souvent étudiée. Dans son livre : De pœnitentia,
qu’il a écrit quand il était encore catholique, il enseigne nettement la
rémissibilité de tous les péchés : « Or donc pour tous les péchés, qu’ils
soient commis par la chair ou par l’esprit, en acte ou en désir, Celui qui a
décidé que le châtiment viendrait par le jugement, a promis aussi que le pardon
viendrait par la pénitence » (De pœn., 4). Il le
prouve très bien en se référant à Ez., 18, 21,
23 ; 33, 11. Jér., 8, 4. Os., 6, 6 ; aux
lettres pénitentielles de l’Apocalypse
(2 et 3) ; aux paraboles de la drachme perdue et de l’Enfant prodigue.
Devenu
montaniste, Tertullien, dans son livre : De pudicitia,
s’écarte consciemment de sa doctrine précédente et soutient la thèse que l’Église
est une communauté pneumatique et non une Église épiscopale hiérarchique. Cette
Église ne peut pas remettre les péchés graves, surtout les trois péchés
capitaux ; mais plutôt, ces péchés, en tant que dirigés contre Dieu, ne
peuvent être remis que par Dieu lui‑même, et, au
cas où cette rémission aurait lieu dans des cas particuliers, Dieu l’annoncerait
par son Esprit dans des pneumatiques déterminés, qu’il suscite dans son Église.
D’après la polémique de Tertullien, on alléguait déjà, dans l’Église, Math.,
16, 19. Cela est très important, bien que Tertullien en nie la force probante.
Il
ne faut pas croire cependant que Tertullien soit seul à attester les péchés
capitaux et le jugement rigoureux qu’on porte à leur sujet. On les rencontre à peu
près dans toute l’Église à cette époque. Lorsque le Pape Calliste fit
introduire une certaine mitigation en faveur des adultères, Tertullien lui
reprocha son inconséquence, parce qu’il ne pardonnait pas aux idolâtres :
« Quoi! après avoir condamné du même coup l’idolâtre
et l’homicide, tu arraches à cette loi commune l’adultère » (De pud., 5). On était particulièrement rigoureux en Espagne
(Cf. Poschmann, 4, 143 sq.)
S. Cyprien, en raison
des nombreuses apostasies (lapsi) pendant la persécution, insiste, il est vrai,
sur une pénitence sérieuse et il hésite à accorder la réconciliation ;
mais il l’accorde sans exception à tous les pécheurs vraiment repentants. Il
veut même que les péchés de pensée soient présentés au prêtre, pour qu’on en
reçoive le pardon. « Nous reconnaissons donc que personne ne doit être écarté de la pénitence et qu’à ceux qui
implorent la miséricorde du Seigneur la paix peut être accordée par son prêtre, conformément à sa miséricorde et
à sa bonté » (Ep. 55, 29). « Je vous en prie, mes frères, que chacun
confesse ses péchés, pendant que celui qui a péché est encore dans ce monde,
pendant que sa confession peut être admise et que sa satisfaction, ainsi que le
pardon accordé par les prêtres, sont
agréables devant le Seigneur » (De laps., 29 ; cf. 26, 27 ; Ep.
16, 2 ; 17, 2 ; 59, 13, 16).
Origène connaît
toute une série de moyens d’obtenir le pardon (« remissiones »).
Il y en a d’ordinaire sept ; mais d’autres en citent jusqu’à douze. Origène
établit le schéma suivant : baptême, martyre, aumônes (Luc, 11, 41),
rémission des péchés (Math., 6, 14), conversion des frères (Jacq., 5, 20),
charité (Luc, 7, 47 ; 1 Pier., 4, 8), pénitence (Ps. 31, 5). Mais il y a
toujours « la rémission dure et pénible par la pénitence (dura et laboriosa per pœnitentiam remissio), quand le pécheur ne craint pas de confesser ses
péchés au prêtre du Seigneur et de chercher la guérison auprès de lui ».
Il cite également comme preuve Jacq., 5, 14 (M. 12, 418). « Les chrétiens
pleurent ceux qui sont tombés dans l’impureté ou dans un autre péché, comme des
morts qui sont perdus et morts pour Dieu ; mais, quand ils ont donné des
preuves suffisantes d’un vrai « changement de sentiment », ils sont
de nouveau accueillis comme des gens ressuscités des morts ; cependant,
pour cette nouvelle admission dans la communauté ecclésiastique, on procède
plus lentement que pour la première ». « Au reste, pour l’avenir, ils
sont exclus de toute fonction ecclésiastique » (C. Cels.,
3, 50 ; cf. De orat. Domin.,
28).
Pour
les siècles suivants, à partir de 300, nous trouvons partout des témoignages en
faveur du pouvoir de l’Église de remettre les péchés. Citons. par ex., S. Athanase
(Fragm. contra Novat. : M. 25, 1315), S. Basile (Ep. can. 2, can. 34), S. Jean Chrysostome (De sacerd., 3, 5 sq.), S.
Pacien de Barcelone, dans ses trois lettres contre le novatien Sympronien, dont la dernière est particulièrement
importante, parce qu’il y déclare que c’est une chose inouïe de prétendre que l’Église
ne peut pas remettre les péchés mortels (Ep. 3, 1), S. Ambroise qui, au dire de son biographe Paulin de Milan,
arrachait des larmes à ses pénitents en pleurant lui‑même sur leurs péchés (Vita S. Ambrosii, 39), S.
Augustin, qui distingue une triple pénitence, la pénitence avant le
baptême, la pénitence privée et la pénitence publique à la face de l’Église (De
symb., 1, 7 et passim). Au sujet de la pratique dans
l’Église d’Orient, cf. entre
autres : Vanbeck,
La pénitence dans Origène : Revue d’histoire
et de litt. rel., 1912, 544 sq. ; Hergenrœther, 1, 252 sq.
Pour
comprendre la pratique pénitentielle un peu embrouillée de l’ancienne Église,
il faut toujours avoir devant les yeux la différence des péchés et de leur
expiation.
THÈSE. Le pouvoir qu’a l’Église de
remettre les péchés s’étend à tous les péchés sans exception. De foi.
Explication. Le Concile de Trente
déclare, dans le premier canon cité plus haut (p. 400), que les fidèles,
« toutes les fois qu’ils tombent dans le péché, peuvent être de nouveau
réconciliés avec Dieu » ; aucun péché, si grave soit‑il, n’est excepté. Au sujet des novatiens, le Concile dit que l’Église « les a exclus et
condamnés à juste titre comme hérétiques (tamquam hæreticos), parce qu’ils niaient le pouvoir de remettre les
péchés » (S. 14, c. 1). De même, dans la doctrine de la justification, le
Concile affirme la possibilité de renouvellement pour tous les pécheurs (S. 6,
can. 29 et c. 14).
L’ancienne Église a condamné la
limitation du pouvoir de remettre les péchés en condamnant les montanistes (150), qui réservaient les
péchés graves à la seule autorité des pneumatiques ; les novatiens (250), qui contestaient la
rémission des péchés graves, et, plus tard, les donatistes (400), qui n’admettaient qu’une Église formée
exclusivement de purs. Novatien fut
excommunié avec sa secte par le pape S. Corneille, dans un synode romain (251)
où avaient été réunis soixante évêques et plusieurs clercs. Les Pères de l’Église,
comme Eusèbe, S. Epiphane, S. Augustin désignent Novatien comme un hérétique et
non comme un schismatique.
Preuve. Quand, avec la doctrine catholique, on reconnaît,
dans les textes cités plus haut (p. 400), le pouvoir de l’Église de remettre
les péchés, il est impossible de limiter ce pouvoir ; car aucun texte n’en
offre moindre possibilité. Tous s’expriment d’une manière générale. Tout ce qui
est lié ou délié (ὅ ἐὰν δήσῃς - ὅ ἐὰν δήσης
λύσῃς, Math., 16, 19 ;
18, 18) a la ratification divine. « Tous
ceux à qui (ἀν τινων)
vous aurez remis les péchés, ils leur seront
remis ; tous ceux à qui vous les
aurez retenus, ils leur seront
retenus ». Le Christ dit en outre « les péchés » (τάς ἁμαρτίας)
et non « des péchés » ; ce sont les péchés, absolument, sans limitation ou exception.
Les disciples reçurent un pouvoir que le
Seigneur lui‑même avait exercé à mainte reprise pendant sa vie. Or
cet exercice se rapportait à des péchés graves, tant dans le cas de la femme
adultère et de la Madeleine qu’à l’égard du paralytique, du publicain, du bon
larron. « Cet homme accueille les pécheurs et mange avec eux » (Luc.
15, 2 ; cf. 5, 30). Les disciples ne pouvaient pas penser que le pouvoir
de rémission qui leur était conféré fût plus étroit que celui que le Christ
avait exercé. C’est pourquoi S. Paul ne craint pas d’accueillir de nouveau,
après une pénitence convenable, un pécheur coupable d’une grave faute (2 Cor.,
2, 10 ; cf. 2 Thess., 3, 14 sq.).
Les Pères. La réserve
de l’Église par rapport aux péchés capitaux pendant les premiers siècles a déjà
été examinée. La question qui se pose ici est de savoir, d’une part, si l’Église
ne pardonnait pas ces péchés capitaux, ou bien si elle ne le faisait qu’en hésitant
et seulement au lit de mort et parfois même pas du tout et si, d’autre part,
elle agissait ainsi parce qu’elle croyait ne pas avoir de pouvoir sur eux ou
bien pour des raisons de discipline ecclésiastique. La première hypothèse est
affirmée par les théologiens protestants, comme Harnack, et les modernistes, d’après
lesquels « l’Église ne se serait habituée que lentement à cette
notion » (de la pénitence).
Il
est vrai que des Pères, s’appuyant sur l’Écriture (1 Rois, 2, 25 ; Math.,
12, 31 sq. ; Hébr., 6, 4-9 ; 1 Jean, 5, 16
sq.), excluent du pardon certains péchés, les « péchés contre Dieu ».
La pratique chrétienne primitive était différente. Dans l’Église officielle de Rome, on ne peut pas démontrer une
fausse doctrine pénitentielle, peut-être même pas la pratique rigoriste. Au
contraire, il semble bien qu’Hermas,
dans les passages cités plus haut, exprime les vues de l’Église romaine, en
disant qu’en dépit de « quelques docteurs », qui sont d’un autre
avis, il y a une pénitence après le baptême. Ou bien faut‑il admettre qu’il avait assez de prestige
pour introduire à Rome une nouvelle doctrine pénitentielle ? Vers l’an
220, nous voyons le Pape S. Calliste (217-222) déclarer que, parmi les péchés
capitaux, l’adultère est rémissible ; mais la protestation de Tertullien,
qui lui reproche d’agir avec inconséquence en ne pardonnant pas aussi les deux
autres, montre qu’à Rome ces deux péchés précisément étaient pratiquement
considérés comme irrémissibles. Plus tard, les deux autres péchés capitaux
furent déclarés rémissibles, eux aussi, après une sévère pénitence : l’apostasie
(idolâtrie), par le Pape S. Corneille (250-253) et enfin le meurtre (très
rare), par le Concile d’Ancyre, can. 22 (319). C’est pourquoi S. Augustin
écrit : « Mais les péchés les plus graves peuvent eux aussi être pardonnés
dans la sainte Église ; ils n’autorisent donc pas à désespérer de la
miséricorde divine, tout au moins pour ceux qui font une pénitence
proportionnée à la grandeur du péché » (Enchir.,
65).
En
raison de la différence de pratique et de l’indépendance relative des Églises,
l’ancienne rigueur continua en maint endroit. Le Concile de Nicée établit cette ordonnance :
« On doit, par rapport aux mourants, continuer d’observer l’antique règle
de l’Église (ό παλαιὸς
ϰαὶ ϰανονιϰὸς
νόμος) en sorte que, si l’un
(des pénitents) est proche de la mort, il ne soit pas privé du dernier et du
plus nécessaire viatique (ἐφόδιον).
Mais, en général et par rapport à tous ceux qui, proches de la mort, veulent
recevoir l’Eucharistie, l’évêque ne doit la leur accorder qu’après un examen
convenable » (Can. 13 : Denz., 57 ; Héfélé, 1, 401).
Aux
récidivistes on n’accordait pas de
seconde pénitence ; mais on leur laissait le soin de se réconcilier avec
Dieu par la pénitence que leur dicterait leur propre conscience. Celui qui interrompait
sa pénitence de sa propre autorité était considéré comme récidiviste.
Les
clercs qui étaient tombés dans les
péchés capitaux ou autres graves péchés semblables étaient, conformément au
can. 25 des Canones Apost.,
déposés et souvent envoyés dans des monastères ; cependant, d’après le
principe juridique « ne bis in idem » [nul ne peut être puni une
seconde fois en raison des mêmes faits], ils n’étaient pas admis à la pénitence
ecclésiastique, mais ils étaient réduits à la communion laïque.
Les
dogmatistes jugent le rigorisme de l’Église
primitive comme une mesure disciplinaire sévère (d’Alès, Dieckamp,
Esser, Poschmann, Stufler,
etc.). Les historiens (Funk et son
école, Batiffol, Vacandard,
Tixeront, Kœniger) semblent
admettre, au début, une certaine indécision de l’Église à l’époque terrible des
persécutions et des nombreuses apostasies qui en résultèrent ; ce ne
serait que peu à peu que la théorie se serait éclaircie et qu’on en serait
arrivé à une pratique ferme du pardon. Toutefois le dogmatiste Bessmer écrit lui
aussi : « Étant donnée la haute idée que les premiers temps chrétiens
avaient de la grandeur de la grâce du baptême, on ne doit pas s’étonner qu’assez
longtemps ait régné une grande sévérité et qu’en certains diocèses et dans
certaines provinces ecclésiastiques se soit établi même un rigorisme exagéré.
Ce fut effectivement le cas. Aux pécheurs, coupables des péchés dits
« capitaux », on refusa tantôt l’admission à la pénitence qui, pour
les trois péchés capitaux, l’adultère, le meurtre, le reniement de la foi,
était une pénitence publique, tantôt l’absolution elle‑même jusqu’à l’heure de la mort »
(Modernisme, 399 sq.). Hœrman démontre qu’en Orient
on était aussi d’une « dureté impitoyable » et il fait ressortir un
point que l’on néglige dans toute cette question : « Alors même qu’on
devrait repousser, presque sur toute la ligne, l’affirmation du rigorisme
absolu de l’ancienne Église à l’égard des péchés capitaux, ce rigorisme se
maintient cependant sur une position de recul : les grands pécheurs
récidivistes furent, jusqu’au Pape Siricius (+ 398),
exclus de la réintégration dans l’Église. Le grand bienfait de la grande
pénitence n’était accordé qu’une fois ». Qu’on transporte cette pratique à
notre époque et on se rendra compte immédiatement de la difficulté du problème.
Cf. Galtier, De pœnitentia,
tractatus dogmatico‑historicus
(1923) et la discussion de Umberg dans « Scholastik »
(1927).
THÈSE. Le pouvoir de rémission des
péchés est exercé par un acte judiciaire. De foi.
Explication. Le Concile de Trente
prit occasion de la théorie déclarative protestante pour prononcer que l’essence
et l’usage du pouvoir de rémission des péchés consistent dans un acte judiciaire (actus judicialis,
ad instar actus judicialis) : « Si quelqu’un
dit que l’absolution sacramentelle n’est pas un acte judiciaire, mais un simple
ministère d’annonce et de déclaration que les péchés sont remis au pénitent
pourvu qu’il croie qu’il est absous... qu’il soit anathème » (S. 14, can.
9 : Denz:, 919 ; cf. c. 5 et 6).
Dans le baptême aussi, l’Église exerce le pouvoir de remettre les péchés,
mais d’une tout autre manière ; elle le fait, en effet, dans la forme d’un
simple don (condonatio), mais non dans celle d’une
sentence juridique. Cette explication montre facilement que, dans la thèse que
nous venons de formuler, s’exprime l’essence proprement dite du sacrement de
Pénitence.
Preuve. Le pouvoir de rémission des péchés conféré par le
Christ aux Apôtres exige, pour son application, un acte judiciaire. En effet,
ce pouvoir est à double effet, il est
positif et négatif. Bien entendu, qu’il soit positif ou négatif, il ne peut pas
être appliqué d’une manière arbitraire, mais demande le discernement
consciencieux de la dignité et de l’indignité. Quand ces conditions préalables
sont remplies devant le for judiciaire interne, les prêtres doivent prononcer
la sentence judiciaire, sans doute dans la forme prescrite par Dieu, mais
cependant d’une manière officielle, libre et autoritaire. Quand ils pardonnent
les péchés, les péchés sont pardonnés ; quand ils retiennent les péchés,
les péchés sont retenus. La rétention elle‑même
est une sentence judiciaire positive (Trid. retentionis sententia).
Dans ce dernier cas, le pécheur reste lié au péché jusqu’à ce qu’il puisse être
délié par le juge ecclésiastique. Il est impossible d’échapper à ce juge. L’exercice du pouvoir de rémission des péchés
reçoit encore un caractère judiciaire par ce fait que le prêtre impose une
pénitence.
Les Pères. Ce mode d’exercice
du pouvoir de remettre les péchés se trouve dans la discipline pénitentielle de
l’Église primitive. Tertullien
raconte qu’il y a dans l’Église : « l’avertissement, le châtiment et
le jugement divin... C’est au plus haut degré le jugement préparatoire du
jugement futur » (Apol., 39). Dans les Constitutions apostoliques, on
lit : « Juge, évêque, appuyé sur ton pouvoir, comme Dieu » (2,
12 : M. 1, 614). D’après S. Hilaire, il y a « un jugement immuable de
la sévérité apostolique, si bien que ceux qu’ils lient ou délient sont, selon
la sentence apostolique, liés ou déliés dans le ciel » (In Math., 18,
18 : M. 9, 1021). D’après S. Augustin, les chefs de l’Église exercent déjà
ce jugement dont il est question dans Apoc., 20, 4-6 ; car il leur a été
dit : « Ce que vous aurez lié sur la terre », etc. (Civ., 20, 9, 2). S. Jean Chrysostome écrit que le prêtre
exerce, sur la terre, un jugement céleste, car le Christ lui‑même a dit : « Ce que vous lierez
sur la terre », etc. « Le juge siège sur la terre, le Seigneur suit le
ministre et tout ce que ce ministre jugera, il l’approuvera dans les
hauteurs » (Hom. 5 de verb. Is., 1 : M. 56,
130 sq.).
Les
théologiens n’oublient pas ici de
signaler les différences essentielles entre le jugement séculier et le jugement
sacramentel. La différence principale est que le jugement de la Pénitence est
un jugement de grâce et de miséricorde, alors que le jugement séculier est un
jugement de justice et de sanction. Le but, dans les deux cas, est
essentiellement différent. Le jugement d’État veut punir le coupable selon la
loi et protéger contre lui la communauté. Le jugement divin de la Pénitence
veut absoudre le pécheur et le justifier. En outre, le prêtre ne prononce
jamais un jugement de condamnation proprement dit. Enfin le jugement de la
Pénitence, parce qu’il est essentiellement un jugement de miséricorde, est un
jugement librement accepté ; par contre, le jugement séculier, parce qu’il
est essentiellement un jugement punitif, est un jugement forcé. Le Codex exhorte le confesseur à unir la
miséricorde à la justice : « pour veiller à l’honneur de Dieu et au
salut des âmes » (Can. 888). Il faut tenir compte aussi de la disposition
suivante : « Si le confesseur n’a pas de raisons de douter des
dispositions du pénitent et si celui‑ci demande l’absolution,
elle ne peut être refusée ni différée » (can. 886).
1. Il n ’y a pas de matière proprement dite dans le sacrement de Pénitence. D’une
manière à peu près générale, les théologiens, suivant en cela le thomisme,
désignent comme quasi‑matière
(quasi materiam) du sacrement de Pénitence les actes
du pénitent, la contrition, la confession et la satisfaction. Le Concile de Trente s’est servi lui‑même de cette expression (S. 14, c. 3 et can. 4). Le
Concile appelle aussi les trois actes du pénitent, des « parties de la
Pénitence » (partes pœnitentiæ).
Étant
donné qu’il n’y a pas de matière proprement dite, on ne peut pas non plus, dans
ce sens, parler d’une matière éloignée (materia remota ex qua) ; les théologiens appellent cependant
les péchés la matière à laquelle se rapporte l’absolution (m. circa quam), et parlent, sous ce rapport, de matière grave et de
matière légère (m. gravis et m. levis), de matière nécessaire et de matière
libre (m. necessaria et m. libera), de matière
certaine et de matière douteuse (m. certa et m. dubia), de matière suffisante et de matière insuffisante
(m. sufficiens et m. non sufficiens).
Le
thomisme se réfère d’abord au Maître de l’École. Or S. Thomas enseigne :
« La matière prochaine de ce
sacrement, ce sont les actes du pénitent » (S. th., 3, 84, 2 ; cf. a.
1). Eugène IV adopte cette théorie dans son Instruction pour les Arméniens et
déclare : « Le quatrième sacrement est la Pénitence dont la quasi‑matière est constituée par les actes du
pénitent qui se divisent en trois parties (Denz.,
699).
Le
Concile de Trente a évité de définir
cette doctrine, parce que le scotisme plaçait tout le sacrement dans l’absolution, et qu’il ne voulait pas
trancher les controverses d’Écoles. Néanmoins le Concile enseigne, dans le sens
du thomisme : « Or la quasi‑matière de
ce sacrement est constituée par les actes du pénitent lui‑même, à, savoir, la contrition, la confession
et la satisfaction. En tant que ces actes sont nécessaires, chez le pénitent,
pour l’intégrité du sacrement et pour la rémission complète et entière des
péchés selon l’institution divine, ces actes sont appelés parties de la Pénitence (partes pœnitentiæ)
(S. 14, c. 3.). Il répète les mêmes expressions (quasi materia
et partes pœnitentiæ) dans le canon correspondant
(Can. 4 : Denz., 896, 914 ; cf. aussi Catéch. rom., p. 2, c. 5, q. 13).
Ce
qui renforce particulièrement cette théorie, c’est que, dans l’Écriture et la doctrine des Pères qui n’ont pas idée de la
distinction de la matière et de la forme dans la doctrine sacramentaire, on
insiste beaucoup, au sujet de la rémission des péchés, sur les actes du
pénitent. Aussi on ne peut guère se dispenser de faire rentrer cet élément
subjectif dans la causalité de l’« opus operatum » objectif. Le capucin Klug essaie de défendre Scot
(Pastor bonus [1911-1912], 199-211). Il fait remarquer que Scot enseigne avec
raison que la contrition et la confession précèdent
le sacrement comme disposition et que la satisfaction le suit, qu’il est nécessaire, par suite, que l’absolution seule
constitue le sacrement. La contrition, ajoute‑t‑il, n’est pas une « res
sensibilis » et, d’après la conception des
adversaires, il y aurait deux ministres. Les thomistes voudraient, en s’appuyant
sur le Catéchisme romain (p. 2, c. 5, q. 13), faire de la quasi‑matière une matière proprement dite. Or le
Concile de Trente parle de « partes pœnitentiœ »
et non de « partes sacramenti ». Klug propose de considérer, avec Scot, les péchés comme la
matière du sacrement de Pénitence, en tant que, par une accusation contrite,
ils sont soumis au pouvoir des clefs de l’Église. Cela donnerait satisfaction
au thomisme. Au reste, on trouve déjà, chez Tertullien (De pœn.),
les trois parties : « Vera pœnitentia, confessio, satisfactio ».
« Les
actes du pénitent contribuent, à leur manière, à la communication de la
grâce ; ils sont fécondés d’une certaine manière, pour communiquer la
grâce, par la forme, dans laquelle, d’après le Concile de Trente, se trouve principalement (præcipue)
la force du sacrement » dit Specht (2, 320). Il résulte de la nature
particulière du sacrement de Pénitence que le pénitent, dans la réception de ce
sacrement, coopère d’une manière essentielle.
2. La forme du sacrement de Pénitence est l’absolution du prêtre. Cette absolution
est consécratoire et opère le pardon ; elle n’est
pas déclarative, en ce sens qu’elle prononcerait simplement que Dieu a pardonné
le péché.
Il
n’y a pas eu de définition à ce sujet. Cependant le Concile de Trente fait, au chap. 3, cet
exposé : « Le saint Concile enseigne ensuite que la forme du
sacrement de Pénitence, dans laquelle réside principalement (præcipue) son effet, consiste dans ces paroles du
ministre : Je t’absous », etc. (Denz.,
896).
L’Écriture ne peut être alléguée ici. Les
témoignages des Pères parlent d’une prière que le prêtre adresse à Dieu et dans laquelle il lui demande de
pardonner au pécheur.
Y avait‑il
une formule d’absolution ? Schermann répond à cette question, pour les temps primitifs,
en tenant compte des sources : « Il semble bien qu’Hermas nous a
transmis une sorte de prière pour la rémission des péchés. Dans la description
de la confession (Vis., 3, 1, 8 sq. ; 2, 2 sq.), il a introduit des
exhortations du chef de l’Église (2, 2, 6), dans lesquelles on peut reconnaître
une prière de demande (Rauschen, 176 sq). Ce qui nous autorise à voir dans les phrases d’Hermas
une prière pour la Pénitence, c’est la prière générale dans la première Épître
de S. Clément : on prie même pour les pécheurs à l’intérieur de la
communauté. Si l’on ajoute que, d’après la Didachè (14, 2), l’exhomologèse (confession) de tous les assistants avait lieu
à l’office du dimanche, avant le sacrifice, on peut voir dans 1 Clém., 59, 2 ; 60, 1, 2, la prière de demande de
pardon pour tous, qui conclut cette exhomologèse. Que
l’on compare avec cette prière les deux prières de l’Eucologe de Sérapion, l’εὐχὴ ὑπὲρ
λαοῦ (Orat.,
27) et l’εὐχὴ γονυϰλισίος
(Orat., 26), on verra comment les prières primitives
de pénitence furent employées comme prières d’intercession à la messe des
fidèles. De même, dans les Constitutions
apostoliques (8, 9, 2-6), les prières dont on se servait pour congédier les
pénitents sont imitées des prières que récitaient l’évêque et le prêtre après
la confession et sont employées comme acte liturgique d’intercession à la
messe. A la prière récitée sur le pécheur, on ajoutait sans doute une imposition des mains. C’est du moins
dans ce sens que l’ancienne Église (Tertullien et la pratique romaine)
interprétait le passage de l’Épître à Timothée (1 Tim., 5, 22) : « N’impose
précipitamment les mains à personne ». Cette imposition des mains pouvait
être le signe extérieur de la rémission des péchés et de la communication du
Saint‑Esprit ; on trouve des exemples
analogues dans les impositions des mains au moment du baptême (pour l’exorcisme
et la bénédiction). On ne doit pas conclure des cas où l’on ne signale aucune
réconciliation proprement dite au moyen d’un signe extérieur, de l’imposition
des mains ou de la récitation d’une formule particulière (par ex. Tertull., De pœnit., 7), qu’il n’y
avait pas de réconciliation du tout ; cette réconciliation pouvait aussi
se faire purement et simplement par l’admission du pécheur dans la communauté
des fidèles et sa rentrée dans l’Église, par son admission à l’Eucharistie ou
par l’offrande du sacrifice pour lui. Cependant, à l’époque postérieure, la
prière d’absolution du prêtre apparaît partout
clairement.
Pour
ce qui est de l’absolution dans l’Église primitive, il faut remarquer que la
question qui occupa pendant des siècles la théologie postérieure, à savoir si
la rémission des péchés s’opérait par l’absolution ou bien par les efforts personnels
de pénitence du pécheur, ne se posait pas du tout dans l’antiquité chrétienne.
On se contentait d’insister sur la nécessité de l’un et de l’autre facteur,
sans spéculer davantage sur leurs relations réciproques. D’une manière
générale, on tendait à donner la prépondérance aux actes pénitentiels ; la
conséquence, c’est qu’on ne faisait pas sa part au facteur ecclésiastique, ou
bien, si l’on voulait lui donner l’importance qu’il mérite, on tombait dans une
certaine contradiction (Poschmann, 4, 36 sq.). La
difficulté que l’on vient de signaler se résout si l’on se souvient que les
sacrements ont été pratiqués et crus tranquillement pendant environ mille ans,
jusqu’au moment où la Scolastique essaya de les ramener à une synthèse
métaphysique. Dans la Pénitence, Dieu avec sa grâce, l’homme avec sa volonté et
l’Église avec son pouvoir des clefs, coopèrent pour réaliser une seule action. Au reste, aujourd’hui
encore, il est impossible de répartir le rôle qui revient à chaque facteur et
cette impossibilité demeurera, malgré
tous les efforts de la théologie (Jean, 3, 8). Néanmoins, c’est un fait
historique que S. Grégoire 1er, suivant l’interprétation
traditionnelle de tous les Pères, entend « ligare »
dans le sens de lier à la pénitence ecclésiastique et « solvere » dans le sens de délier de cette
pénitence ; quant à la délivrance du « reatus
culpæ », il l’attribuait à Dieu. La résurrection
de Lazare était l’image de la rémission des péchés.
S. Augustin pour qui,
comme on l’a montré haut (p. 255), Christ est le vrai ministre des sacrements,
fait ressortir, contre les donatistes qui faisaient dépendre exclusivement l’efficacité
sacramentelle de la dignité du prêtre, que le prêtre ne dit pas : « Je remets les péchés (Ego peccata dimitto, ego justifico, ego sanctifico, ego sano), mais
demande que le Saint‑Esprit opère
cette rémission (Sermo 99 in Luc, 7, 85). D’après S. Léon 1er, « le prêtre
est là comme intercesseur pour les péchés des pénitents » (Ep. 168,
2 ; cf. 108, 2). À l’époque de la Scolastique
(vers 1250), la formule déprécative se transforma peu à peu en formule
indicative. Cette évolution marcha de pair avec celle de la doctrine
sacramentaire. Objectivement, les deux formules sont identiques. On ne doit pas
entendre la formule indicative d’une manière trop étroite. Le prêtre remet les
péchés comme il purifie l’enfant qu’il baptise (ego te absolvo ;
ego te baptizo) ; dans les deux cas, il agit à
la place de Dieu dont il est l’instrument, mais il n’agit pas d’une manière
indépendante. C’est cette conception d’une action indépendante que combat S.
Augustin. S. Thomas écrit un chapitre spécial pour démontrer « quod solus
Deus potest peccata dimittere »
puisque c’est contre lui qu’ils ont été commis (Comp.,
146). On ne comprend pas, parce que cela va contre l’histoire, que Billuart ait pu déclarer invalide la formule déprécative
(De pœn., dist. 1, a. 3, §
3). Il est vrai qu’aujourd’hui la formule indicative est strictement prescrite.
Mais on ne peut établir pour les onze premiers siècles qu’une formule déprécative,
et cette formule, comme on peut le voir dans Martène
(De antiquis ritibus, l.
1er, c. 6, q. 7), n’est même pas uniforme, pas plus chez les Pères et dans les
livres pénitentiaux que chez les scolastiques primitifs (Cf. aussi
« Absolution », dans le Dict. théol., 1, 138-255). Les Grecs ont encore aujourd’hui l’antique
formule.
L’absolution,
d’après la doctrine des théologiens scolastiques, a une signification consécratoire et non déclarative. Pierre Lombard (In
4 ; dist. 18, c. 6) et d’autres scolastiques,
comme Alexandre de Halès et S. Bonaventure, se
prononcèrent pour une signification déclarative de l’absolution. Ce n’était cependant
pas au sens des Réformateurs qui vidaient tout le sacrement de son
contenu ; mais ils exigeaient la contrition parfaite qui a déjà entraîné
le pardon avant le sacrement. C’est qu’on avait encore des conceptions
hésitantes et incomplètes sur la conjonction de l’élément subjectif
(contrition) et de l’élément objectif (absolution) dans le sacrement de
Pénitence. D’ailleurs S. Augustin,
avec son interprétation de l’exemple de
Lazare, qu’on trouve déjà chez Origène, exerça une forte influence sur la
Scolastique primitive : Jésus ressuscite le mort, les disciples n’ont plus
ensuite qu’à le débarrasser de ses bandelettes. « Dieu commence par
absoudre les pécheurs, et le Prêtre achève », dit Guillaume d’Auxerre (Strake, 176 ; Adam,
Doctrine pénitentiaire de S. Augustin, 43 sq., 70 sq., 107 sq.). Au reste, d’après
Morinus
(Comment. hist., 8, 2), il y avait, dans la Scolastique, jusqu’à neuf opinions différentes sur l’efficacité
de l’absolution.
En
cas de nécessité la formule brève (absolvo
te a peccatis) suffit. Cependant on doit toujours
nommer le sujet absous de même que les péchés.
3. L’absolution prononce d’abord la
remise des péchés ; cependant,
comme cela apparaîtra clairement dans l’étude des effets du sacrement de
Pénitence, la peine est également remise,
tout au moins la peine éternelle. De
plus, la rémission des péchés, comme on l’a vu dans le Traité de la grâce (§ 126), a toujours lieu par l’infusion de la
grâce sanctifiante. Par conséquent, l’absolution produit aussi la grâce, bien
que la formule n’en dise rien expressément.
On
entend parler pour la première fois d’une absolution sous condition au 15ème siècle. Cette absolution suppose
un doute justifié sur l’aptitude
physique (si vivis), ou morale (si dispositus es) du pénitent. L’absolution étant une sentence
judiciaire, on ne doit la prononcer conditionnellement que pour des motifs
importants, quand il faudra laisser le jugement à Dieu.
Peut‑on
être absous plusieurs fois du même péché ? Il est
certain qu’on peut en renouveler l’accusation contrite. Et alors on a tout ce
qui constitue les parties de la pénitence, l’absolution peut donc être donnée.
Sans doute elle n’efface pas les péchés, puisqu’ils sont déjà pardonnés, mais
elle opère une augmentation de la grâce (gratia secunda) et
par là même elle a une efficacité sacramentelle. Cf. ce qu’on appelle, de nos
jours, la « confession de dévotion ».
4. L’absolution ne peut être donnée par
le prêtre qu’oralement et non par écrit ; elle ne peut être
donnée qu’à des pénitents présents et
non à des absents.
L’absolution
par écrit a été réprouvée par Clément VIII (+ 1605). Il appelle l’opinion qui
la préconise fausse, téméraire, scandaleuse (Denz.,
1088). Un sacrement ne peut être administré qu’à des présents. On trouve les
premières traces d’une absolution accordée à des absents au temps de la
Scolastique primitive, N. Paulus voit dans ces absolutions une forme d’indulgences
(Rev. d’Innsb.,
1908, 433 sq., 621 sq). S. Thomas écrit quelque
part : « Dans le cas d’extrême nécessité mieux vaut se confesser à un
laïc présent qu’à un prêtre absent » (In IV, dist.
17, q. 3, a. 4). Plus tard, l’absolution (la confession) par écrit fut soutenue
par Paludanus, Petrus Soto, Jean Medina, Suarez (Cf. Pesch, 7, 193).
À
consulter : S. Thomas, Suppl.,
q. 1-5. Trident., sess.
6 et 14. Chr. Lupus, De contritione et attritione
(Lovan., 1666). Morinus,
De contritione et attritione
(Paris, 1703). Le Drou,
De contritione et attritione
(Paris, 1707). Benaglio,
Dell’ attrizione (Milan, 1846). Perinelle, L’attrition d’après le
Concile de Trente et d’après S. Thomas (1927). Dict. théol., v. Attrition et contrition.
1. Notion.
Le Concile de Trente décrit la
contrition comme « une douleur
de l’âme et une détestation au sujet
du péché commis avec la résolution de
ne plus pécher à l’avenir » (S. 14, c. 4). De cette description résulte le
but de la contrition : l’expulsion
du péché hors du cœur et de la volonté, ainsi que sa nécessité : sans elle, le pardon du péché par Dieu est
impossible.
Le
mot contrition (de conterere, écraser) indique un
brisement, un écrasement. On trouve aussi componction (compungere),
qui indique le transpercement de l’homme intérieur. Ce mot se trouve déjà chez
Tertullien. Le Catéchisme romain
explique l’expression contrition par l’analogie du broiement d’objets
durs ; ainsi les cœurs endurcis sont broyés par le repentir. Il explique
de même l’image du transpercement : le cœur doit, pour ainsi dire, être
transpercé par le repentir, afin que le poison du péché puisse en sortir.
Il
y a, d’après le Concile de Trente, trois éléments
dans la notion de contrition : la douleur,
la détestation et le bon propos. La douleur est une douleur
spirituelle. Elle naît et a son cours non pas dans le
domaine physique, mais dans le domaine moral. Elle prend sa source dans l’intelligence
et la volonté : dans l’intelligence, qui connaît et apprécie le péché
comme une opposition à l’ordonnance morale de Dieu ; dans la volonté, qui
poursuit de sa réprobation et de sa détestation le péché reconnu et par là le
rejette. La fonction de l’intelligence se ramène au regret, à l’impression d’horreur,
à la condamnation du péché qui est la cause de la damnation éternelle ; la
fonction de la volonté se ramène à un sentiment de détestation et d’éloignement
du péché qui est une monstruosité et un malheur. Ces deux fonctions sont
étroitement connexes et ne doivent pas être séparées. La douleur de la contrition
a surtout sa cause dans l’impression pénible produite par le mal causé.
La
détestation et la réprobation constituent la nature propre de la contrition.
Vient ensuite logiquement la douleur spirituelle volontaire (dolor in voluntate). Détestation, réprobation et douleur se
rapportent au passé. Pour ce qui est
de l’avenir, la contrition se
transforme d’elle‑même en bon propos. En effet, le même jugement et la
même décision, au sujet du péché passé, atteignent aussi le péché futur qui
nous menace.
D’après
ce qu’on vient de dire, la contrition occupe tout l’homme intérieur qu’elle
veut transformer dans ses puissances essentielles. Elle commence dans l’intelligence,
mais n’a pas son cours dans l’intelligence seule comme un acte de pure réflexion personnelle (resipiscentia), comme quand on remarque son erreur et qu’on
la corrige - c’était la conception qu’avaient les stoïciens de la μετάνοια qui veut
dire littéralement changement d’opinion - mais elle est la reconnaissance d’une
faute morale, que la volonté doit réparer en en supprimant la cause. Par
conséquent, le point important et l’aboutissement de la contrition se trouvent
dans la volonté. C’est pourquoi S. Thomas appelle la douleur de la contrition
une douleur volontaire (dolor in voluntate :
Suppl. 1, q, 2 ad 1).
La
« douleur » de l’âme est nécessairement liée, chez le pécheur, à la
« détestation », car, dans le péché, il reconnaît son œuvre.
Cependant la détestation et la douleur ne sont pas toujours unies. Dieu et les
saints détestent le péché, mais ils n’en ont pas de douleur et, par suite, ils
n’ont pas de contrition. Le bon propos
est toujours inclus dans la véritable contrition. Pour que la contrition soit
salutaire, il est nécessaire qu’elle soit unie à l’espérance du pardon. Enfin
il faut, dans le Nouveau Testament, que la contrition contienne la volonté de
la confession et de la satisfaction, car c’est par ces moyens sacramentels que
Dieu veut accorder le pardon.
Cette
définition posttridentine est identique,
objectivement sinon formellement, à la conception de la contrition et de la
confession qui a existé dans l’Église dès le commencement, comme le montrera l’aperçu suivant.
Les
Pères, comme on l’a exposé plus haut,
tenaient beaucoup à une vraie contrition.
Ils l’appelaient « pænitentia », « exhomologesis », « satisfactio »,
« pudor », « lacrimæ »,
« fletus », « deprecatio »,
μετάνοια,
etc. Il n’y avait pas de terminologie fixe pour la désigner (on rencontre
« contritio » chez S. Augustin, S. Grégoire,
S. Isidore) et encore moins de distinction. On opposait la contrition véritable
à la contrition apparente, hypocrite et feinte (fictio).
Mais la crainte (timor)
jouait toujours un grand rôle dans la contrition, quand ce n’aurait été qu’à
cause de l’insistance de l’Ancien Testament sur cette disposition ; c’est
justement dans l’Ancien Testament qu’il y a beaucoup a prendre pour la doctrine de la pénitence. Aussi on
prêche volontiers la pénitence en se référant au jugement. C’est ce que faisait déjà la Bible, et les Pères font de
même à partir d’Hermas. En effet,
dans l’Ancien Testament, Dieu avait toujours puni le péché. D’où la proposition de S. Augustin : Tout péché
mérite un châtiment. S. Cyprien
entend déjà le péché comme « offenser Dieu » (De hab. Virg., 2 ; De orat., 31),
comme « offense à Dieu » (De laps., 36 ; 17, 22). Il décrit le
véritable esprit de pénitence de la façon suivante : « Si quelqu’un s’adonne
à la prière de tout son cœur, s’il gémit avec de véritables lamentations et de
vraies larmes de repentir (si veris pœnitentiæ lamentationibus et lacrimis ingemiscat), s’il
cherche, par des œuvres justes, constantes, à déterminer le Seigneur à lui
pardonner sa faute, Dieu peut certainement avoir pitié de lui, lui qui a
annoncé sa miséricorde en disant : « Si tu te convertis et soupires,
tu seras aussitôt sauvé » (De laps., 36 ; cf. Tertull., De pœnit.).
On pourrait multiplier de telles assertions tirées des écrits des Pères.
S. Augustin insiste,
comme ses devanciers, sur la pénitence au moyen des bonnes œuvres, surtout
celles qui sont recommandées dans l’Écriture ; la prière, le jeûne, l’aumône ;
cette dernière ayant, cette fois, la plus grande importance (Luc, 11, 41 ;
cf. 12, 33 sq. Math., 6, 19. 1 Pier., 4, 8 : la charité couvre une multitude de péchés). Mais toutes ces œuvres
extérieures de pénitence ne servent de rien sans des sentiments sincères de
pénitence : « A quoi vous sert‑il
de vous humilier, si vous ne changez pas de vie ? » (Sermo 392, 6). Même pour les péchés véniels (peccata
minuta), il faut faire les œuvres à cause
(propter = motif) du péché. Étant donné que, comme
tous les autres Pères, il fait un grand usage de la cinquième demande du
« Pater » pour la rémission des fautes « quotidiennes », il
exige, comme condition principale, que nous pardonnions nous aussi à ceux qui nous ont offensés. Il est vrai que la
prépondérance de l’intérieur sur l’extérieur, dans la pénitence, se trouvait
déjà chez Tertullien : « Dieu entend, non pas vos voix, mais vos cœurs »
(De orat., 17). « Il faut purifier par la
pénitence non seulement les fautes d’acte, mais aussi les fautes de
volonté » (De pœnit., 3). On trouve de même chez
S. Cyprien : « Il ne peut mériter la miséricorde divine, celui qui n’est
pas lui‑même miséricordieux » (De opere et elem., 5) ; c’est
pourquoi on doit confesser même les péchés de pensée (De laps., 28). La
distinction très accusée, que les Prophètes, S. Jean‑Baptiste et Jésus mettent entre l’œuvre et
les sentiments, explique que les Pères, toutes les fois qu’ils parlent de la
pénitence, insistent sur cette distinction. Aussi on ne comprend pas comment
Harnack peut dire que S. Augustin, sur ce point, se sépare des autres Pères et
est le précurseur de Luther et de son christianisme intérieur. S. Augustin,
malgré ces affirmations, est très loin de Luther qui rejette toutes les œuvres
extérieures de pénitence comme opposées à la grâce et favorables à la justice
propre. En effet, le saint docteur est d’avis que le péché qui, d’après lui,
est non seulement une « aversion à l’égard de Dieu », mais encore une
« offense à Dieu » doit être puni,
expié et réparé dans une satisfaction pénale. Sa proposition:
« Le péché doit être puni », qui se trouve, au reste, déjà chez
Origène, S. Isidore de Péluse, S. Ambroise, etc., valait d’abord naturellement
pour le péché grave.
S. Grégoire le G. emploie
volontiers, pour désigner la contrition, le mot « compunctio » ;
il emploie aussi le mot « contritio » (par
ex. Mor., 23, 21). On peut d’ailleurs distinguer chez lui, comme chez son
maître S. Augustin, la contrition d’amour et la contrition de crainte. Il parle
des espèces de contrition et dit : Quand, par une longue tristesse et une longue angoisse, la crainte a été bannie, il se produit quelque sécurité par la
certitude du pardon et l’âme est enflammée pour les joies célestes par l’amour. Alors qu’auparavant elle pleurait
pour ne pas arriver à la peine (châtiment), elle commence plus tard à pleurer
amèrement parce qu’elle est éloignée du royaume des cieux... Et il arrive ainsi
que le repentir parfait par crainte amène l’âme au repentir d’amour »
(Dial., 3, 34 ; cf. Mor., 24, 6, 10 ; Ez.,
2 : hom., 10, 20 sq.). - S. Isidore
de Séville (+ 636), le « philologue », parmi les derniers Pères
de l’Église, fait dériver « pœnitentia » de
« punire » ; il faudrait dire :
« Punitentia, eo quod ipse homo in se punit pœnitendo,
quod male admisit » (Etym., 6, 19, 71). « Compunctio cordis est humilitas mentis cum lacrimis exoriens de recordatione peccati et timore judicii. » (Cf. Sent., 2, 12, 1-4).
La
Scolastique primitive se tient encore
au point de vue des Pères. On n’examine pas encore formellement le problème des
relations entre la pénitence subjective et le sacrement objectif. On suit en
général la pensée des Pères et on met l’accent principal sur la
contrition ; c’est pourquoi on l’exige dans sa forme parfaite. Mausbach établit que ce n’est qu’à la fin du Moyen‑Age qu’on voit apparaître la doctrine de la
suffisance de la contrition imparfaite, en contradiction consciente avec les
exigences scolastiques de du passé. Pendant tout le Moyen‑Age, on a repoussé l’attrition en la face de
la contrition. Depuis qu’Alain de Lille
(+ 1203) employa, pour la première fois en 1200, les termes « attritio, contritio », les
relations de l’attrition et de la contrition entre elles et avec le sacrement
constituèrent le point central de la question de la contrition. Ce qui détermina
la controverse, ce fut la conception encore peu claire de l’attrition. On
unissait à l’idée d’attrition diverses
représentations : 1° La « pœnitentia informis »
(sine caritate) ; 2° L’effort vers la contrition parfaite ; 3° Le repentir de quelques péchés, non de tous ; 4°
Le repentir sans bon propos (velleitas) ; 5° Le repentir avec une intensité moindre du « dolor animæ » ; 6° Le repentir
pour des motifs de crainte ; 7°
Ce ne fut que sur ce dernier point que la haute Scolastique fonda sa
distinction plus précise, basée sur les motifs, de la contrition parfaite et de
la contrition imparfaite. Ainsi donc, quand les scolastiques combattent une contrition imparfaite, ils entendent
par là un demi repentir, un repentir hésitant et particulier ; et quand
les théologiens postérieurs soutiennent une contrition imparfaite, ils
entendent une contrition, un repentir véritable véritable
et général, qui procède néanmoins du motif de la crainte servile (timor servilis). Quand parfois
les scolastiques primitifs ont peu d’estime pour le « timor
servilis »,
par opposition au « timor filialis »
(S. Augustin dit « timor castus »),
ils pensent à ce qu’on appela plus tard le « timor
serviliter servilis ».
On établit déjà, à partir de P. Lombard, un moyen terme entre la pure contrition
de crainte et la contrition d’amour et on l’appelle « timor
initialis »,
semblable au « timor servilis »
des théologiens postérieurs ; c’est de cette notion que se dégagea l’attrition
des posttridentins.
La
difficile question de la conception scolastique des relations entre l’élément
subjectif « fides, caritas,
contritio », sur lequel, depuis l’époque des
Pères, on mettait l’accent principal, et l’absolution du prêtre est traitée par
Landgraf
dans la Rev. d’Innsb.,
1927, 2e fasc. On distingua, de « fides »
et « contritio », « caritas », et on arriva à la notion de « fides informis » et d’attrition.
On déclara l’une et l’autre insuffisantes pour la rémission des péchés, mais
suffisantes pour la préparation à la rémission ou absolution. L’absolution opère
la « caritas » et par là la « fides informis » devient
« f. formata » et l’« attritio » « contritio ».
Ainsi les trois éléments coopèrent avec l’absolution. - Au reste, toute l’évolution
de la doctrine scolastique de la justification repose sur la « fides justificans »
paulinienne. - La conception patristique et scolastique primitive, d’après
laquelle la contrition parfaite (charité) est nécessaire pour la rémission, n’a
pas été formellement réprouvée par le Concile de Trente, mais elle est en
contradiction avec plusieurs décisions du Concile et elle a disparu d’elle‑même complètement de la doctrine catholique.
(Cf. J. Périnelle, L’attrition, etc).
L’opinion représentée au 14ème siècle par certains nominalistes, d’après
laquelle il suffit, pour la réception de la Pénitence, de la contrition par
crainte de l’enfer, n’avait aucun appui dans la Tradition ; un certain
nombre de théologiens continuèrent cependant de l’admettre et le Concile de
Trente la laissa passer, bien que les Pères l’aient désapprouvée. Aussi on peut
maintenant, d’après Périnelle, faire appel à cette opinion.
S. Thomas distingue
nettement les deux espèces de contrition : « L’attrition signifie donc, dans les choses spirituelles, un certain
déplaisir des péchés commis, qui est encore
imparfait, tandis qu’il est parfait
dans la contrition » (S. th., Suppl., q. 1, a. 2 ad 2). Il distingue,
d’une manière plus précise, dans la contrition : l’essence, l’objet, la
grandeur, la durée et l’effet. L’essence
de la contrition consiste dans un « broiement » de l’esprit, uni à
une douleur (dolor voluntatis,
non sensibilis) des péchés commis, et dans la
résolution de se confesser et de satisfaire. L’attrition en diffère
essentiellement, en ce qu’elle n’est pas encore pénétrée par la grâce et la
charité : « Le principe de l’attrition est la crainte servile, celui
de la contrition, la crainte filiale » (Suppl., q. 1, a. 3). L’objet de la contrition est le péché, mais
la coulpe seulement et non la peine : « les maux de peine peuvent
être sujet de douleur, mais non de
contrition » (Suppl., q. 2, a. 1). On ne peut pas non plus avoir de
contrition du péché originel, car ce n’est pas un
péché personnel ; pas davantage des péchés futurs qui sont plutôt l’objet
du bon propos ; enfin on ne peut pas se repentir des péchés d’autrui, on
ne peut se repentir que de ses propres péchés, mais de ceux‑là il est nécessaire de se repentir. Pour ce
qui est de la grandeur de la
contrition, il faut distinguer la douleur de la volonté de la douleur sensible
(Suppl., q. 3, a. 1 sq.) ; la douleur de volonté doit être plus grande que
celle qui est causée par quelque mal temporel que ce soit, parce que le péché
nous sépare de notre fin éternelle ; cependant plus le péché est grave,
plus la contrition doit être grande. La durée
de la contrition doit s’étendre sur toute la vie ; telle était déjà la
doctrine de S. Augustin et de S. Grégoire. Il faut tout au moins que notre
volonté soit dominée par une contrition habituelle constante, qu’il faut
souvent exciter par des actes. Il y a cependant une distinction à faire. La
contrition est une vertu et, en tant que telle, une disposition pour recevoir le sacrement ; elle est en même
temps une partie du sacrement. Sous
le premier aspect, elle prépare l’âme au pardon ; sous le second, elle
aide à produire le pardon et son action, comme celle de tout sacrement, est l’action
d’une cause instrumentale. En effet, la cause principale de la rémission des
péchés est Dieu seul. Les actes du pénitent, en tête desquels se place la
contrition, ont donc un double
effet : en tant que disposition, ils rendent possible la réception digne ; en tant que « materia sacramenti » - la
forme est l’absolution - ils rendent possible la réception valide et opèrent, « instrumentaliter
secundario », la rémission des péchés. « La
rémission de la faute est l’effet de la pénitence, mais elle est produite plus principalement par la vertu des
clefs que possèdent les ministres... elle provient secondairement de la puissance des actes du pénitent, qui
appartiennent à la vertu de pénitence, toutefois selon que ces actes se
rapportent de quelque manière aux clefs de l’Église » (S. Th., 3, 86, 6).
C’est sur la haute Scolastique que s’appuie le Concile de Trente dans sa
définition citée plus haut : « La contrition, qui tient la première
place parmi les actes du pénitent dont il a été parlé, est une douleur de l’âme
et une détestation du péché commis, avec le propos de ne pas pécher à l’avenir »
(S. 14, c. 4.).
Les
Réformateurs combattirent précisément
la doctrine catholique de la contrition, dans laquelle ils flairaient partout
des « œuvres ». Eux‑mêmes
ravalent la contrition à un pur effet de terreur dans l’âme et la vident de
tout caractère éthique : « Nous disons que la contrition ou vrai
repentir est ceci : c’est quand la conscience est effrayée et commence à
sentir son péché » (Apol. Confess.,
art. 12). On rejette la doctrine d’après laquelle « nous méritons la grâce
par l’attrition ou repentir » (Ibid).
« Nous croyons, enseignons et confessons que le repentir antécédent et les bonnes œuvres conséquentes ne font pas
partie de l’article de la justification
devant Dieu » (Formul. Concord., p. l, c. 3 :
Müller, 529). On voit avec quelle précaution les Réformateurs écartent la
moralité du repentir, comme ils le font pour la foi (cf. plus haut § 128).
Luther écrit, à propos de la contrition : « Tu ne dois jamais te
figurer que tu es absous à cause de ta contrition ; tu l’es à cause de la
parole du Christ qui a dit à Pierre : tout ce que tu lieras sera
lié ». On doit mettre sa confiance uniquement dans la promesse de Dieu
exprimée dans l’absolution, « qu’il en soit de ta contrition ce qu’il
pourra ». Ensuite cette affirmation est « prouvée » par l’Épître
aux Romains, contre la Bulle du Pape (Ed. Clemen, 2, 93).
D’après
les Réformateurs, la Pénitence n’a donc que deux
parties : Dieu pousse l’homme par son Évangile à l’effroi de la mort et l’homme, comme un naufragé, saisit la planche
de salut par la justification dans la foi
fiduciale personnelle. Le mouvement volontaire et
moral de l’homme pécheur vers Dieu, la préparation au pardon accomplie à l’aide
de la grâce, l’effort personnel pour se détacher du péché actuel, le rejet du
péché hors de la volonté et la détestation de ce péché, comme d’un acte
coupable personnel qu’on voudrait n’avoir pas commis, mais dont, tout au moins,
on supprime les conséquences et qu’on se propose de tout cœur d’éviter à l’avenir,
ce sont autant d’éléments qu’on écarte comme « œuvres ». Cette
conception de la pénitence serait une invention nouvelle. « De cette
conception, ni pape, ni théologiens, ni juristes, ni personne, ne savent
rien » (Act. Smalc).
Mais aussi l’Évangile, les écrits apostoliques ne savent rien de ce quiétisme
religieux, qui se comporte d’une manière purement passive et attend le bon
plaisir de Dieu. Cela n’empêche pas les protestants de décrier l’attrition ou la
contrition imparfaite des catholiques comme une « contrition
patibulaire », et de représenter la contrition protestante comme la fleur
de toute moralité.
2. Les propriétés de la contrition résultent de sa notion. Elle doit être intérieure, universelle et souveraine.
Elle
doit être intérieure, parce qu’elle
est un acte de l’intelligence et de la volonté. Elle déchire le cœur et non les
vêtements (Joël, 2, 13). La contrition doit être et agir là où le péché est et
agit, par conséquent dans la volonté. Elle doit être surnaturelle, tirer ses motifs de la foi et sa force de la grâce,
car cela est exigé par sa nature d’acte salutaire (cf. plus haut § 135). La
proposition suivante a été condamnée : « Probabile
est, sufficere attritionem naturalem, modo honestam » (Denz., 1207).
Cependant certains théologiens, avec Suarez, soutiennent que la crainte d’une
peine temporelle infligée par Dieu est un motif suffisant de contrition, parce
que le Concile de Trente se réfère à la pénitence des Ninivites. Elle doit être universelle,
comprendre tous les péchés ; car il est impossible de se repentir vraiment
d’un péché mortel tout en restant vraiment attaché aux autres. C’est l’enseignement
de tous les théologiens depuis P. Lombard. Elle doit, dans son appréciation,
être souveraine ; car elle veut
réparer le plus grand mal, la perte de Dieu qui est le souverain bien. Mais c’est
seulement dans l’appréciation (appretiative) et non
dans la douleur ressentie (intensive) qu’elle doit être souveraine. En tant qu’acte, la contrition peut être très rapide
et ne demande pas une durée plus longue ; en tant qu’état, comprenant le rejet permanent des péchés futurs, elle doit
naturellement s’étendre sur toute la vie. Cf. S. Thomas, S. th., 3, 84, 8. La preuve de la contrition ainsi décrite et
de ses propriétés se trouve dans ce qu’on a dit précédemment (§ 190) sur la
vertu de pénitence.
3. Espèces.
On distingue la contrition en contrition parfaite et contrition imparfaite. La
première s’appelle contrition
proprement dite ; la seconde, attrition.
Les théologiens désignent, par contrition parfaite, celle qui procède du motif
de l’amour parfait ; et par
contrition imparfaite, celle qui procède de l’amour imparfait. La première déteste le péché comme une offense de Dieu
qu’on aime pour lui‑même et par dessus tout ; la seconde déteste le péché comme un
mal pour nous. Le péché est un mal pour nous sous un double rapport : en
tant qu’il charge l’âme d’une faute
et, par là même, la rend haïssable à Dieu (malum culpæ) et en tant qu’il comporte pour le pécheur un châtiment de la part de Dieu (m. pænæ). C’est pourquoi le Concile de Trente décrit l’attrition
comme procédant ordinairement « soit de la considération de la malice du
péché, soit de la crainte de l’enfer et des châtiments » (S. 14, c. 4).
Cette
division a son histoire qui comprend
trois étapes. On considère la contrition : 1° Dans ses rapports avec la grâce sanctifiante ;
2° Selon son degré d’intensité ;
3° Enfin selon ses motifs. Dans la Scolastique, on distinguait la
contrition d’après ses rapports avec la grâce sanctifiante, et non pas en soi
et d’après ses motifs. Le repentir (pœnitentia) qui
est informé par la grâce est parfait ; celui qui n’est pas informé par la
grâce est imparfait. D’autres théologiens, comme le cardinal Cajetan, tiennent
compte de la valeur appréciative des sentiments de repentir et distinguent la
contrition selon les degrés, soit qu’on
déteste le péché par dessus tout et qu’on aime Dieu par dessus tout, soit qu’on reste au‑dessous de ce degré suprême. Ce n’est que
dans la théologie posttridentine qu’on distingue la
contrition en soi et d’après les motifs.
Cf. à ce sujet Dict. théol., v.
Attrition, Contrition. Il y a eu, parmi les théologiens posttridentins,
une controverse sur la question de savoir quelle contrition est nécessaire pour
la réception du sacrement de Pénitence. A ce sujet on rencontre les opinions
suivantes :
1°
Quelques scolastiques, comme P. Lombard, Alexandre de Halès,
S. Bonaventure, Gabriel Biel, enseignent que la contrition parfaite (ex caritate) était nécessaire pour la réception du sacrement
de Pénitence et que même la bonne foi, l’erreur non coupable du pénitent, n’en
dispensait pas, si bien que, lorsqu’elle fait défaut, l’absolution serait
invalide. Ils donnent comme preuve que l’Écriture exige la contrition de
charité et que l’institution de la Pénitence ne supprime ni ne diminue cette
exigence ; 2° D’autres théologiens, avec le cardinal Cajetan, affirment
que le pénitent qui n’a qu’une contrition imparfaite peut s’approcher du
sacrement, mais que le sacrement élève l’attrition et la transforme en contrition ;
3° Une autre catégorie de théologiens, avec le dominicain François de Victoria,
ne veut accorder de valeur à la contrition imparfaite que dans un cas, quand le
pénitent se trompe et se considère de
bonne foi comme bien disposé ; 4° Une dernière catégorie de théologiens
estime, avec Suarez, que la contrition imparfaite suffit pour la réception du
sacrement. On peut aussi rattacher à cette opinion et à celle de Cajetan, S.
Thomas et Scot, si on les entend dans
ce sens que l’ « attritus »
devient « contritus » par le sacrement (attritus actu fit virtute
sacramenti habitu contritus) ; 5° L’opinion d’après laquelle la
contrition purement naturelle suffit a été condamnée par Innocent XI (Denz., 1207).
Le
décret d’Alexandre VII, dit de l’attrition,
fut occasionné par la controverse entre les Jésuites et les Dominicains. Le
Pape leur interdit de se traiter mutuellement d’hérétiques et dit, au sujet de
la question : « L’attrition conçue par la crainte de l’enfer, et qui
exclut la volonté de pécher avec l’espérance du pardon, demande de plus quelque mouvement d’amour de Dieu »,
que les deux opinions pouvaient être enseignées, et, à ce propos, il glisse
cette remarque que l’opinion contraire est désignée comme celle « qui est
aujourd’hui communément adoptée par les scolastiques » (Denz., 1146).
Si
les contritionistes exigeaient trop en demandant la
contrition parfaite pour le sacrement et par là ne
laissaient presque rien à faire au sacrement, les attritionistes
se contentaient, ici et là, d’un repentir qui était manifestement insuffisant.
Ainsi on dut condamner des propositions comme celles‑ci : « Probabile
est sufficere attritionem naturalem, modo honestam » (Denz., 1207.)
« An peccet mortaliter,
qui actum dilectionis Dei semel tantum
in vita eliceret, condemnare non audemus » (Denz., 1155). « Probabile
est, ne singulis quidem rigorose quinquenniis per se obligare præceptum caritatis erga Deum » (Denz.,
1156).
Le
jansénisme, conformément à son
principe fondamental, d’après lequel tout ce que fait l’homme, procède de la
« caritas » ou de la « cupiditas » (§ 118), devait être un ennemi juré de l’attrition.
C’est pourquoi Rome condamna les propositions suivantes de Quesnel :
« Toute obéissance au précepte de Dieu, qui ne procède pas de la charité,
est une hypocrisie » (Denz., 1397). « Tout
accomplissement de la loi morale par crainte est du judaïsme » (Denz., 1413 sq.). « Si solus supplicii
timor animat pœnitentem, quo hic est magis violentus, eo magis
ducit ad desperationem » (Denz.,
1410). « La crainte retient seulement la main, de l’action mauvaise, alors
que le sentiment intérieur reste attaché au péché » (Denz.,
1411 ; cf. les prop. 47, 60, 6 l, 63, 64 et en
outre 44 sq.). « Deus non coronat nisi caritatem ; qui currit ex alio impulsu et ex alio motivo, in vanum currit » (Prop. 55). Ces propositions sont
inconciliables avec les exposés du Concile de Trente au sujet de la contrition
imparfaite.
Le
piétisme protestant essaya, par tous
les moyens de l’excitation sensible, d’imposer un combat et même un combat
désespéré de pénitence afin d’« ouvrir la
voie » à la grâce de Dieu.
4. Au sujet de la nécessité de la contrition, il faut établir les thèses
suivantes :
THÈSE. La contrition parfaite, unie au
désir du sacrement, justifie le pécheur coupable d’un péché mortel, avant la
réception du sacrement. Sent. fidei
proxima.
Explication. Cette thèse n’est pas formellement définie ;
mais elle est exprimée incidemment par le Concile de Trente, enseignée universellement par les théologiens et certainement attestée par l’Écriture.
Le
Concile déclare que « si cette contrition peut parfois être parfaite par
la charité et réconcilier l’homme avec Dieu avant qu’il ait reçu effectivement
ce sacrement, cependant cette réconciliation ne doit pas être attribuée à la
contrition elle‑même sans le désir du sacrement qui est inclus en elle » (S. 14, c.
4 : Denz., 898). Or le désir du sacrement est
seulement, comme on l’a exposé plus haut, la condition préalable et non la
disposition pour la justification. La pensée de l’Église résulte aussi de la
condamnation de la proposition de Baïus qui enseigne
le contraire, à savoir que le repentir qui procède de la charité n’est pas
toujours uni à la rémission des péchés, mais qu’au contraire la dette de l’éternelle
damnation peut subsister en même temps et que c’est tout au plus en cas de nécessité ou bien en union avec le martyre que cette contrition peut avoir
une vertu justifiante (Denz., 1031-1033, 1070-1071).
Preuve. Dans l’Ancien Testament, les Prophètes et les psaumes
promettent partout le pardon divin au repentir sincère. Ezéchiel prononce cette
parole célèbre : « L’impiété ne nuira pas au méchant au jour où il se
convertira de son impiété » (Ez., 33, 12).
« Si le méchant se détourne de tous les péchés qu’il a commis, s’il
observe tous mes préceptes et agit selon le droit et la justice, il vivra et ne
mourra pas » (Ez., 18, 21). Ce qu’a pu la Loi de
crainte est sûrement possible à la Loi de miséricorde et de grâce.
Le Christ pardonne à la pécheresse
« beaucoup » de péchés parce qu’elle a beaucoup aimé (Luc, 7, 47). Il
dit : « Celui qui m’aime sera aimé de mon Père et moi aussi je l’aimerai »
(Jean, 14, 21). Il donne ce commandement général : « Tu aimeras le
Seigneur ton Dieu de tout ton cœur et de toute ton âme et de toutes tes forces
et de tout ton esprit... fais cela et tu vivras » (Luc, 10, 27 sq.). S. Jean écrit : « Quiconque
aime Dieu est né de Dieu » (1 Jean, 4, 7). « Dieu est amour et celui
qui demeure dans l’amour demeure en Dieu et Dieu en lui » (1 Jean, 4,
16 ; cf. 3, 9). S. Pierre écrit
de son côté : « L’amour couvre une multitude de péchés » (1
Pier., 4, 8). Cf. t. 1er, § 42 in
fine.
Les Pères. Après des
textes si clairs de l’Écriture, il est d’autant moins nécessaire de les
entendre qu’ils insistent fortement sur la vertu de la pénitence, autrement dit
sur le facteur subjectif dans la justification, comme on l’a déjà signalé dans
la doctrine générale des sacrements. Cf. S. Augustin (In Joan., 5, 10, et
surtout son livre : De moribus Ecclesiæ cath.) ; S. Jean
Chrysostome (Hom., 7 in 2 Tim., 3 : M. 62,
640) ; S. Grégoire le G. (Hom., 33 in Evang.,
4 : M. 76, 124) ; S. Bernard (Ep. 107, 8 : M. 182, 246 :
« Celui qui aime Dieu ne doit pas douter d’être aimé de Dieu ».
La
confession subséquente des péchés déjà effacés par la contrition parfaite est
nécessaire, parce que le désir du sacrement, compris dans la contrition, doit
être réalisé, ensuite, parce que les péchés doivent, autant que possible, être
soumis au pouvoir des clefs, parce que l’Église peut encore exercer son
pouvoir, en ce cas, par rapport à l’obligation de la satisfaction (S. Thom.,
Suppl., q. 10, a. 5 ad 1) ; en outre, le pénitent, de cette manière, est
protégé contre le subjectivisme et l’illusion, et obtient une plus grande tranquillité
de conscience. Si la contrition a vraiment effacé le péché, le sacrement opère
alors (per accidens) la grâce seconde (augmentum gratiæ). Il n’est pas
nécessaire que le désir du sacrement soit un « votum
explicitum » il suffit d’un « votum implicitum ».
Pour
la réception digne du sacrement de Pénitence, la contrition parfaite n’est pas
exigée ; la contrition imparfaite suffit quand elle renferme un certain
degré ou un commencement de l’amour de bienveillance ou désintéressé, ou tout
au moins de l’amour de concupiscence.
Cette
thèse n’est pas une doctrine formelle de l’Église, mais elle s’appuie sur le
Concile de Trente et est professée par la majorité des théologiens posttridentins.
L’affirmation
que la contrition parfaite n’est pas exigée, comme disposition pour le
sacrement de Pénitence, contredit l’opinion de la plupart des scolastiques,
comme P. Lombard, Alexandre, S. Bonaventure, qui exigeaient la contrition
parfaite. On les appelle, ainsi que les théologiens qui partagèrent plus tard
leur opinion, contritionistes.
Mais ces scolastiques partaient, sur ce point, de principes qui n’étaient pas
encore clairs. Pour eux, l’absolution était déclarative
et l’attrition, dans la réception du sacrement, devenait, par la confession et
surtout par la grâce concédée alors, une contrition parfaite (attritus virtute clavium fit contritus). Mais, d’après
le Concile de Trente, il est certain qu’on doit entendre l’absolution comme consécratoire (S. 14, c. 1 et can. 3) et, de même, comme un
acte judiciaire, par lequel la rémission des péchés est vraiment opérée (Can. 9). C’est pourquoi aussi S.
Pie V (1567) a condamné l’opinion de Baïus, d’après
laquelle « le pécheur pénitent n’est pas vivifié par le prêtre qui l’absout,
mais par Dieu seul » (Prop. 58 ; Denz.,
1058). Or, si le pénitent a déjà été vivifié par la contrition parfaite et a
reçu la grâce sanctifiante, comme on l’a prouvé plus haut, il ne peut plus être
vivifié par l’absolution du prêtre. La Pénitence perdrait son caractère de
sacrement des morts et deviendrait un sacrement des vivants. Il n’y a d’ailleurs pas beaucoup de théologiens, à l’époque
posttridentine, à soutenir le « contritionisme ». La plupart des théologiens
reconnaissent la valeur de l’attrition et sont par conséquent attritionistes.
Cependant ils ne sont pas d’accord dans leurs conceptions de l’essence de l’attrition.
Les uns déclarent que le motif de crainte
suffit pour l’attrition, d’autres demandent, en outre, un commencement d’amour
de Dieu, tout au moins de l’amour intéressé bien ordonné (amor
concupiscentiæ), ou bien ils affirment que cet amour
est déjà inclus dans le repentir de crainte.
Le
Concile de Trente est invoqué par les
deux tendances. Il décrit l’attrition comme procédant de la considération de la
laideur du péché ou bien de la crainte
des châtiments. La première forme d’attrition
s’appuie sur un motif plus noble, le jugement sur cette laideur résultant de l’opposition
entre le péché et Dieu, ou même entre le péché et la vertu. A cette
considération est toujours joint un certain amour, quand ce ne serait que l’amour
d’espérance. Mais il reste à tenir compte du motif de la crainte. C’est sur ce
sujet qu’il y a eu controverse. Le Concile de Trente a réprouvé l’opinion de
Luther, à laquelle se rattachèrent plus tard les jansénistes. D’après cette
opinion, la crainte rend l’homme hypocrite et augmente son péché (S. 6, can.
8). Le Concile enseigne que la crainte est plutôt un don de Dieu (par
conséquent une grâce) et une impulsion de l’Esprit‑Saint, qui, sans doute, ne demeure pas encore
dans l’âme, mais qui la meut seulement ; avec l’aide du Saint‑Esprit, le pécheur prépare la voie qui le
mènera à la justification. Bien que l’attrition, en soi, sans le sacrement de
Pénitence, ne puisse pas conduire le pécheur à la justification, cependant,
elle le dispose à obtenir la grâce
dans le sacrement de Pénitence (Disponit, on avait
mis d’abord sufficit, s. 14, c. 4 : Denz., 898; cf. can. 5).
A
la vérité, ces déclarations ne tranchent
pas la question théologique controversée, à savoir : si la contrition
imparfaite est une disposition suffisante. Le Concile présente encore moins le
repentir par crainte comme disposition suffisante.
Les
théologiens, qui soutiennent que la contrition par crainte est suffisante,
apportent une distinction plus précise de la crainte. Ils distinguent entre la
crainte filiale et la crainte servile (timor filialis, initialis et t. servilis). La première procède de la charité, la seconde de
la peur du châtiment. Cette dernière peut, à son tour, être distinguée en deux
sortes : la pure crainte du châtiment, la crainte proprement servile (t. serviliter servilis), dans laquelle on ne pense qu’au châtiment, et la
crainte simplement servile (t. simpliciter servilis), qui, en plus du châtiment, craint aussi la perte
de Dieu et, dans cette mesure, craint le péché. La crainte proprement servile,
qui fait abstraction de Dieu, est immorale
et, pour cette raison, le Concile ne l’a pas en vue, parce qu’elle n’exclut pas
la volonté de pécher. Par contre, la crainte simplement servile est un acte
moral, c’est la crainte de Dieu, que l’Écriture, tant dans l’Ancien Testament
que dans le Nouveau, recommande vivement (Prov., 1, 7 ; 9, 10. Is., 11, 3.
Math., 10, 28. Luc, 12, 5. Phil., 2, 12).
Il
ne peut donc s’agir que de cette crainte et la question qui se pose est de
savoir si cette crainte est un motif suffisant pour la contrition
sacramentelle. Nous nous rattachons à l’opinion d’après laquelle il faut pour
cela un commencement d’amour de Dieu.
Le
Concile de Trente exige, dans le passage cité plus haut (S. 14, c. 4), non
seulement que l’attrition exclue la volonté de pécher, mais encore qu’elle soit
unie à l’espérance du pardon et, par conséquent, aussi, du bien de l’éternelle béatitude. Une espérance de la vie éternelle, dont
la foi nous dit qu’elle est essentiellement la possession de Dieu, est
impossible sans quelque amour de cette vie et ne serait pas, sans cet amour,
une espérance chrétienne. Ensuite, si le Concile ne signale pas, à cet endroit,
d’une manière expresse, l’amour de Dieu, il le signale dans la description de
la préparation à la justification en général. Cette préparation doit, sans
aucun doute, être exigée pour la Pénitence,
bien que le Concile ne parle, dans ce passage, que du baptême (« Les hommes… commencent à aimer [Dieu] comme source
de toute justice, et, pour cette raison, se dressent contre les
péchés » ; S. 6, c. 6 : Denz., 798). Oswald porte ce jugement :
« Il faut dire de la Pénitence aussi ce qu’on dit du baptême ». Nous
pourrions même aller plus loin et dire : « Si l’on doit dire cela du
baptême, il faut le dire à plus forte
raison de la Pénitence ». En effet, le Concile établit (S. 6, c. 14)
que la pénitence du chrétien tombé est bien plus difficile que celle du non
chrétien, avant le baptême. Le Christ établit, d’une manière générale, pour
tous les chrétiens, le commandement d’aimer Dieu de tout leur cœur, c.‑à‑d. d’une
manière sincère, et il ajoute : « Fais cela et tu vivras » (Luc, 10, 28). Cela résulte
aussi de sa notion de Dieu‑Père, à
laquelle doit correspondre l’amour filial du chrétien. Ensuite le Christ
propose, dans la parabole de l’Enfant prodigue (Luc, 15, 11-32), l’exemple
typique du pénitent. Sans doute, c’est la faim, le châtiment, qui l’amène d’abord à résipiscence ; mais ce qu’il dit,
aussi bien tout seul (15, 19) qu’en présence de son père (15, 21), n’est pas
une plainte au sujet du châtiment - il accepte volontiers de devenir un
journalier dans la maison paternelle - mais l’aveu qu’il a péché contre le ciel
(Dieu) et contre son père et s’est rendu indigne par là
d’être appelé fils. Il regrette sa faute parce qu’elle l’a séparé de son père.
D’après S. Paul, les œuvres les plus grandes et les plus héroïques ne servent
de rien sans la charité (1 Cor., 13, 2). Il va même jusqu’à maudire
« celui qui n’aime pas Notre‑Seigneur
Jésus‑Christ » (1 Cor., 16, 22). S. Jean affirme : « Celui qui
n’aime pas demeure dans la mort » (1 Jean, 3, 14) ; par conséquent, d’après
lui, il faut aimer pour sortir de la « mort », du péché grave. Celui
qui n’aime pas Dieu ne le craindra
certainement pas. Mais celui qui n’aime pas Dieu ne l’a pas encore connu » (1 Jean, 4, 8).
S. Thomas est‑il contritionistes
ou attritioniste ? A ce sujet
Réginald Schultes
écrit : « Étant donné que, d’après S. Thomas, dans la réception
valide et effective du sacrement, l’attrition est toujours élevée à la
contrition, le docteur angélique ne peut considérer la contrition imparfaite
que comme un stade initial et transitoire (Suppl., q. 1, a. 2). Sans doute,
elle suffit pour la première constitution effective du sacrement ; mais
elle est elle‑même complétée par le sacrement, de
même qu’elle est exigée, ainsi complétée, pour la pleine production de l’effet
sacramentel. S. Thomas ne compte donc pas au nombre des « contritionistes ». La contrition parfaite n’est pas
exigée pour la réalité et l’efficacité du sacrement ; mais elle peut, au
contraire, se produire comme effet du sacrement. Cette distinction est négligée
par les adversaires de la doctrine de l’attrition. Il est pourtant clair qu’il y a d’autres exigences pour
la constitution d’un sacrement que pour la coopération subjective dans la
justification finale. Pour le premier cas, l’attrition suffit ; pour le
second, il faut, d’après S. Thomas, la contrition comme effet du
sacrement » (P. 24 sq.). Il reste cependant une difficulté logique, parce
qu’on ne distingue pas nettement ici entre la cause et l’effet. Si la charité
est déjà nécessaire pour la réception du sacrement, elle ne peut plus être
entendue comme un effet du sacrement. Elle existe déjà formellement, comme
disposition et sans sacrement. En tant qu’effet, on ne pourrait la concevoir
que comme une augmentation de grâce.
A
consulter : S. Bellarmin, De pœnit., 3, 1-21. Collet,
De pœnit., 2, 5. Migne,
Cursus compl., 22, 380 sq. Denys de Sainte‑Marthe, Traité de
la confession auriculaire (Paris, 1685). Cambier,
De divina instit. confessionis sacramentalis
(1884). Galtier, S. Jean Chrysostome
et la confession (Recherche de science
religieuse, 1910, 209-240, 313-350 ; 1912, 17-25). Dict. théol., v. Confession (3,
828-974). D’Alès, Calliste ;
Index, v. Confession. Lea,
A history of auricular
confession and indulgences in the Latin Church (Philadelphie, 1899). Vacandard, Études
de critique, 1910, 50-125.
Notion. Sous le nom de confession (confessio,
de confiteri, avouer), on entend, en théologie, l’aveu
de ses péchés fait à un prêtre pour obtenir de lui l’absolution.
L’esprit
de pénitence de l’Église s’est créé, au cours des temps, ses formes
particulières ; c’est ce qu’il a fait aussi pour ses formes particulières
de confession. Il faut surtout distinguer la confession publique et la
confession secrète ou auriculaire. Il y a, ensuite, par rapport au contenu, une
confession générale (conf. generalis,
le Confiteor), qui s’oppose à la confession particulière des péchés individuels
(c. specialis). Enfin on distingue encore la
confession faite à un prêtre de la
confession faite à un laïc.
THÈSE. Il est nécessaire, d’après l’ordonnance
divine, que tout péché grave commis après le baptême, soit soumis, dans la
confession secrète, au pouvoir des clefs de l’Église, pour en obtenir le
pardon. De foi.
Explication. Il ne s’agit pas simplement de l’utilité
psychologique de la confession ; il ne s’agit pas non plus uniquement de
sa réalité historique. Les deux choses sont volontiers admises par les
adversaires. Ce dont il est question ici, c’est de l’ordonnance divine et de l’obligation.
Wiclef et Huss considéraient la confession comme
« superflue » et « inutile » (Denz.,
587, 670). Calvin et Luther la rejetèrent en principe et ne voulurent voir en
elle qu’une institution humaine. C’est pourquoi le Concile de Trente a défini : « Si quelqu’un
dit que la confession sacramentelle n’est pas une institution de droit divin,
ou qu’elle n’est pas nécessaire de droit divin au salut, ou bien s’il dit que
le mode de confession secrète au prêtre seul, que l’Église catholique a toujours
observé depuis le commencement et observe encore, est contraire à l’institution
et à l’ordre du Christ et n’est qu’une invention humaine, qu’il soit
anathème » (S. 14, can. 6 : Denz.,
916 ; cf. can. 7 et 8 et Prop. dam. 8 et 9 Lutheri : Denz., 748 sq.).
Au sujet de l’opinion des modernistes, cf. Décret « Lamentabili »,
prop. 46 sq. (Denz., 2046
sq.).
Calvin déclara, au
début, que la confession n’était pas biblique ; il la rejeta et expliqua
les passages bibliques dans le sens de la discipline ecclésiastique. Plus tard,
il se ravisa et admit trois sortes de
confession : 1° La confession publique de communauté, telle qu’elle est en
usage aujourd’hui encore ; 2° la confession de pénitence des individus qui
ont scandalisé la communauté ; 3° La confession privée et l’absolution
privée dans le cas d’une conscience angoissée. « Ce dernier point est l’élément
luthérien dans les idées de Calvin » (Wernle,
386). D’après Luther, le chrétien
doit avoir continuellement la foi et la contrition et alors il reçoit
continuellement l’absolution (Seeberg, H. D. 4, 1,
139). On sait que, pour tranquilliser sa conscience, il s’adressait de temps en
temps à son confesseur. On sait également que, dans la haute Église anglaise,
comme dans la haute Église allemande, la confession est facultative.
Preuve. On ne trouve pas, dans l’Écriture, d’attestation
formelle pour l’ordre divin de la confession. La confession n’est révélée dans
l’Écriture que d’une manière virtuelle
et implicite ; elle résulte,
comme conséquence, du fait que le Seigneur a établi la rémission des péchés
comme un acte judiciaire.
Sans doute on peut, sans difficulté,
citer un grand nombre de textes où il est question d’une confession des péchés,
où même on conseille cette confession ; mais on n’en trouve pas où l’on
exige que le pécheur confesse ses péchés graves à un prêtre pour en obtenir le
pardon. Cf. les passages cités plus haut, § 190.
L’Ancien Testament connaît déjà la confession
publique des péchés au moment de l’offrande de certains sacrifices expiatoires
(Lév., 5, 1-19 ; Nomb.,
5, 6 sq. ; Eccli., 4, 31), la confession secrète
dans la prière devant Dieu (Ps. 31, 5 sq. ; 50, 6). Au sujet de la
confession dans le judaïsme, le
rabbin Elbogen écrit (Le culte juif dans son
évolution historique [1913], 149 sq.) : « La prière caractéristique
pour le jour d’expiation est la confession des péchés. Cette confession, dans
sa forme et dans son contenu, a subi une évolution considérable. On la trouve
mentionnée dans la Bible au sujet de l’acte d’expiation du grand prêtre (Lév., 16, 21). Les Tannaïtes (c.‑à‑d. les
docteurs de la Mischna, au temps du christianisme primitif) examinent la forme
qu’a pu revêtir cette confession des péchés et exposent leur conception en s’appuyant
sur le langage biblique... Une autre confession est celle qui appartient à la téfila (c.‑à‑d. la prière quotidienne du matin, du midi et
du soir), que le chef de prière récite durant la téfila
et que les particuliers répètent comme membres assistant à la téfila. La confession des péchés qui appartient à la téfila est déjà connue des Tannaïtes.
Ils exigent même, en partie, une énumération des péchés particuliers... La
prière pour le pardon n’avait un sens que lorsqu’elle avait été précédée d’une
confession. Cette confession fait partie de toute la liturgie du jeûne ;
elle indique, d’une part, la culpabilité et la faiblesse humaine et, de l’autre,
la perfection et la grâce de Dieu. On en trouve un modèle dans la liturgie du
jeûne. On se rattachait aux prières bibliques et, en premier lieu, à celles qui
sont unies à une confession des péchés, dans Daniel et dans Esdras. On
réunissait des paroles bibliques et on récitait des psaumes de pénitence, par
lesquels on devait implorer le pardon » (P. 222). Le baptême de Jean était
accompagné, lui aussi, de la confession des péchés (Math., 3, 6 ; Marc, 1,
5). On ne doit donc pas s’étonner quand, dans le Nouveau Testament, on signale, maintes fois, une confession des
péchés. Pierre confesse devant le Seigneur qu’il est un pécheur (Luc, 5,
8) ; la pécheresse confesse, avec des larmes, ses mauvaises actions (Luc,
7, 37 sq.) ; le larron fait une confession sommaire (Luc. 23, 41) ;
le pharisien de la parabole (Luc. 18, 13) et l’Enfant prodigue (Luc, 15, 21)
font une confession devant Dieu ; Zachée se confesse publiquement devant
le Seigneur et devant Dieu (Luc, 19, 8) ; les fidèles d’Éphèse firent une
confession publique devant S. Paul et brûlèrent, à cette occasion, leurs livres
de sorcellerie (Act. Ap.,
19, 18 sq.). S. Jean exhorte à faire une confession (devant Dieu) (1 Jean. 1,
7-9). S. Jacques exhorte les fidèles à se confesser mutuellement leurs fautes
(Jacq., 5, 16). Dans tous ces textes, il est sans doute question d’une confession
des péchés, mais, dans aucun, on ne peut établir d’une manière certaine, le
caractère sacramentel de cette confession, car il n’est pas question d’absolution
de la part de l’Église.
A
la lumière de ces faits historiques, on comprend aussi la coutume chrétienne,
attestée dès l’origine, de la confession
publique et liturgique des péchés pendant l’office religieux. On la comprend
d’autant mieux, quand on se rappelle qu’au début les chrétiens durent,
précisément dans leur liturgie, se rattacher au judaïsme et s’y rattachèrent de
fait (Scheerman,
Liturgie chrétienne primitive, § 58).
Nous
voyons donc comment la confession fut préparée, en tant que confession privée.
Le Christ lui‑même reconnut ce qu’il y a d’humiliant
et de déshonorant dans la manifestation de ses péchés devant les hommes ;
c’est pourquoi il ordonne de faire la correction fraternelle seul à seul. Si la
correction ainsi faite n’a pas de succès, qu’on prenne un autre homme comme
arbitre. Ce n’est qu’ensuite qu’on doit passer à la condamnation publique
(Math., 18, 15 sq.). On a déjà signalé précédemment comment le christianisme
primitif observa partout cette règle pédagogique.
Il
y eut donc, dès le début, dans la pratique pénitentielle de l’Église, une
réserve, une discrétion et un secret, dans la manière de traiter le péché, qui
remontaient à l’ordonnance de Jésus.
Cette manière d’agir fut usitée partout où le caractère caché du péché et les
sentiments de pénitence du pécheur le permettaient.
Le Concile de Trente prouve la confession en déclarant que le Christ a remis au
prêtre le pouvoir des clefs et en concluant
ainsi : « Il est clair, en effet (constat enim),
que les prêtres n’auraient pas pu exercer ce jugement sans connaissance de la
cause et qu’ils n’auraient pas pu exercer l’équité dans l’imposition de la
pénitence, si ceux‑ci (les
pécheurs) n’avaient confessé leurs péchés que d’une manière générale et non pas
plutôt d’une manière particulière et détaillée. Il en résulte que le pénitent
doit énumérer en confession tous les
péchés mortels dont il a conscience après un examen précis ». La preuve
biblique s’appuie donc uniquement sur les textes que nous avons cités pour
établir le pouvoir de lier et de délier. Parmi ces textes, le Concile a
dogmatisé Jean, 20, 22 sq. et il en tire la preuve par un argument convaincant
et d’une clarté parfaite (S. 14, c. 5, Denz., 899).
Les Pères. Après l’aperçu
d’ensemble que nous avons donné, nous n’avons pas besoin d’un long exposé
concernant la confession. Elle était généralement secrète pour les péchés « capitaux »
et le demeura quand le pénitent n’avait pas commis ces péchés publiquement.
Parfois, il est vrai, le pécheur, par esprit de pénitence, consentait à confesser publiquement ses péchés secrets. S. Léon 1er
appelle cette manière de faire « laudabilis plenitudo fidei » ;
mais il interdit de l’exiger, car ce
serait alors une « præsumptio » dirigée
« contra apostolicam regulam »,
une « illicita usurpatio »
des évêques de l’Italie du Sud. « Il suffit en effet de la confession, qui
est d’abord offerte à Dieu, puis aussi au prêtre,
qui intercède envers Dieu pour les péchés des pénitents ». Ce n’est que de
cette façon qu’on n’écartera pas les pécheurs de la pénitence (Denz., 145). Qu’on pense seulement aux cas d’adultère.
La
définition du Concile de Trente sur
la confession est pleinement d’accord avec S. Léon et l’ancienne Église. Il
déclare que le Christ n’a pas défendu la confession publique « delicta sua publice confiteri » pour faire pénitence et s’humilier soi‑même, ainsi que pour l’édification du prochain
et de l’Eglise Denz., 901) ; mais il dit, dans le can. 6 correspondant à ce chapitre : « Si quelqu’un
nie... que la manière de se confesser
secrètement au prêtre seul, que l’Église Catholique observe et a toujours
observée dès le commencement, n’est pas conforme à l’institution et au précepte
de Jésus‑Christ, mais que c’est une invention
humaine : Qu’il soit anathème » (Denz.,
916). Les péchés « capitaux », en effet, ont été confessés
« depuis le commencement », et ils l’ont été, comme on l’a souvent signalé,
secrètement.
Le
devoir de la confession n’était pas
encore réglé par le droit ecclésiastique ; mais on le considérait comme un
devoir de conscience dont chacun devait juger personnellement. Pour les péchés
capitaux publics, il allait de soi ; pour les péchés secrets c’était un
grave devoir de conscience ; mais, comme s’en plaint déjà S. Augustin on s’y
soustrayait souvent. Pour les péchés moyens, il y eut plus tard, dans les
Églises particulières, un devoir de confession pascale. Chrodegang de Metz
(742-746) prescrit, en outre, à son clergé, une confession entre le 15 août et
le 1er novembre, et, pour les laïcs, trois confessions par an. Les
moines se confessaient tous les samedis. Le Concile de Latran, en 1215,
prescrivit pour l’Église entière la confession pascale. Ce fut la première loi
ecclésiastique concernant la confession.
Après
ces observations préliminaires, nous présenterons les témoignages dans leur
ordre historique. Quand, dans ces textes, il est question de confession, il ne
faut pas entendre partout une confession qui doit se faire devant un prêtre ; souvent il s’agit d’une
confession faite devant Dieu.
Remarquons ceci : Toute confession faite devant un prêtre est en même
temps une confession faite devant Dieu, « qui seul peut remettre les
péchés » (S. Thomas, Compend., 146) ; mais
on ne peut pas renverser les termes.
La
Didachè :
« Dans la communauté, confesse tes péchés et ne va pas à ta prière avec une mauvaise
conscience » (4, 14). « Au jour du Seigneur, réunissez-vous, rompez
le pain et rendez grâces, après avoir auparavant confessé vos péchés, afin que
votre sacrifice soit pur » (14, 1). Ce qui est recommandé ici, c’est la
confession publique et générale de toute la communauté : ce qu’on appelle
la coulpe publique. S. Clément de Rome
exhorte ainsi les Corinthiens : « Vous donc, qui avez été des
instigateurs du soulèvement, soumettez-vous aux prêtres et laissez-vous
instruire dans la pénitence en fléchissant les genoux de votre cœur » (57,
1). S. Clément pense, sans doute, ici à un retour à l’obéissance et à l’ordre
ecclésiastique. On ne peut rien tirer de plus précis de ses paroles. Il exhorte
à demander le pardon pour tous les péchés qu’on a commis : « Car il
vaut mieux pour l’homme confesser ses péchés que d’endurcir son cœur »
(51, 1 sq.). Il n’est pas dit devant qui
doit se faire la confession. S. Irénée
parle de la confession des femmes séduites par le gnostique Marcus, dans le
texte que nous avons cité plus haut (§ 190) (A. h., 1,13, 7). Un certain nombre
de théologiens trouvent ici, avec Pohle (3, 489), une
trace de la confession auriculaire. Pesch (7, 112)
constate ici une différence entre la pénitence publique et la pénitence privée.
Rauschen (2l6) est plus réservé ; Clément d’Alexandrie et Origène signalent, en suivant toujours
Platon, l’aspect médicinal et pédagogique de la pénitence. D’après Clément, la honte de la pénitence, que
comporte la confession, a un effet salutaire (Strom.,
2, 13 ; 7, 26). Origène est le
premier témoin de la confession « auriculaire ». Il cite, dans le
texte que nous avons allégué plus haut (§ 190), toute une série de moyens de
pardon. « Mais il y a encore un septième moyen de pardon, bien qu’il soit
dur et pénible : c’est par la pénitence, quand le pécheur arrose son lit
de larmes et que les pleurs sont son pain, jour et nuit ; quand il ne
craint pas de confesser ses péchés au
prêtre du Seigneur et de chercher un remède » (Hom., 2 in Lev.,
4 : M. 12, 418). Il compare le péché à un aliment indigeste et à une mauvaise
tumeur de l’estomac : il faut que le mal sorte, autrement il produit la
mort. De même il faut rejeter le péché. « Quand il (le pécheur) s’accuse
et se confesse lui‑même, il
crache le péché et se purifie de toute cause de maladie. Maintenant examine bien
à qui (il s’agit du prêtre, d’après
le passage précédent) tu dois confesser tes péchés. Examine d’abord le médecin à qui tu dois exposer la cause
de ta faiblesse, un médecin qui sache être malade avec les malades, pleurer
avec ceux qui pleurent, qui connaisse l’exercice de la compassion et de la
pitié, afin que, te fiant aux paroles de celui qui s’est manifesté auparavant
comme un médecin expérimenté, tu suives son conseil. S’il voit et décide que ta maladie est de telle sorte qu’elle doive
être confessée et guérie à la face de toute l’Église, ce qui sera peut-être
une édification pour les autres et un moyen de guérison pour toi, il faut,
après mûre réflexion, agir selon le sage conseil de ce médecin » (Hom. 2.
in Ps. 37, n. 6 : M.12, 1386). Origène insiste sur le caractère
pneumatique, c.‑à‑d. spirituellement
sain, du confesseur : mais il ressort de De orat.,
28, qu’il pense, en même temps, à ce sujet, au prêtre officiel (Cf. aussi Hom.,
3, n. 4, in Lev. M. 12, 429). L’image de la maladie a été utilisée par les
Prophètes (Ez., 34, 4), Philon (Windisch, Baptême et
péché, 54) et par le Christ (Luc, 5, 31) : à partir de Tertullien elle est
devenue constante. S. Cyprien tient
le milieu, dans la question pénitentielle, entre les rigoristes et les
laxistes. Il juge que tous les pécheurs, sans exception, peuvent être admis à
la pénitence, pourvu qu’ils veuillent se convertir sincèrement et avec repentir
(Ep. 55, 29 ; cf. plus haut § 190). « Je vous en prie mes frères, que
chacun confesse ses fautes, aussi longtemps que celui qui a péché est encore en
vie, aussi longtemps que sa confession peut encore être acceptée, aussi
longtemps que sa pénitence et l’absolution du prêtre sont agréables au
Seigneur » (De laps., 28 sq.). Il cite des cas où des chrétiens ont reçu l’Eucharistie
avec des péchés cachés et en ont été punis : « Combien y en a‑t‑il, tous les
jours, qui, pour ne pas faire pénitence et ne pas confesser les crimes qu’ils
ont sur la conscience, sont possédés par les mauvais Esprits » (Ibid.,
26). Il s’agit sans doute d’une confession secrète comme les péchés eux‑mêmes. La même chose est attestée par S. Pacien de Barcelone (+ 391), l’adversaire
des novatiens en Espagne. Il dit : « Beaucoup sont aussi tombés dans
ces péchés par pensées. Beaucoup sont coupables d’homicide ; beaucoup sont
attachés aux idoles ; beaucoup sont adultères. J’ajoute encore : Ce n’est
pas seulement celui qui lève la main pour faire un meurtre qui est
coupable de ce péché, mais encore celui qui, par son conseil, précipite une âme
dans la mort. Ce n’est pas seulement celui qui offre de l’encens aux idoles sur
l’autel qui est digne de la mort éternelle, mais encore tout désir illicite qui
transgresse le droit du mariage mérite cette mort » (Cf. S. Justin, Apol., 1, 15). Ensuite il exhorte à confesser ces
fautes : « Je vous en prie, mes frères, par ce Seigneur qu’on ne peut
pas tromper sur les choses cachées, cessez de couvrir votre conscience blessée.
Les malades sensés ne redoutent pas les médecins et se laissent opérer et
brûler sur les parties cachées de leur corps » (Parænes.
ad pœnit., 5, 8).
S.
Cyprien et S. Pacien exhortent à confesser les « mauvaises pensées »,
quand ils en viennent à parler des trois péchés
capitaux. Et cela était tout à fait dans le sens du Sermon sur la montagne.
La pensée d’une mauvaise action est déjà mauvaise (Math., 5, 21 sq.).
S. Ambroise écrivit un
livre sur la Pénitence, contre les novatiens, dans lequel il est souvent
question de la confession des péchés. Dans son Commentaire des psaumes, il écrit : « La fièvre, quand
elle a son siège à l’intérieur, ne peut pas guérir ; mais dès qu’elle sort
à l’extérieur, il y a espoir de guérison ; de même, la maladie de péchés,
tant qu’elle demeure cachée, cause une fièvre chaude. Mais, si elle sort par la
confession, elle disparaît ». Il est d’abord question de l’évêque ; c’est devant lui que
« non seulement on confesse ses péchés, mais encore on les énumère et les
accuse » (In Ps. 37 : M. 14, 1057). Il exerce lui‑même, personnellement, le ministère d’un
« confesseur », d’une manière idéale. Son biographe Paulin rapporte à
son sujet : « Il se réjouissait avec ceux qui étaient joyeux, et
pleurait avec ceux qui pleuraient. Chaque fois que
l’un d’eux venait confesser ses fautes
pour recevoir la pénitence, Ambroise versait
tant de larmes,
qu’il forçait ainsi
le pénitent à pleurer,
de sorte qu’on eût pris l’évêque pour le
coupable. Il ne parlait qu’à Dieu seul des crimes qu’on lui avait
déclarés, afin d’intercéder pour ceux qui s’en étaient confessés ;
laissant ce grand exemple pour ceux qui seraient employés à ce ministère, d’être
plutôt les intercesseurs des pénitents auprès de Dieu, que des accusateurs
auprès des hommes » (Vita S. Ambros., 39 ; cf. de pœn.,
2, 8). Il résulte de ce récit que S. Ambroise entendait lui‑même les confessions, que ces confessions
consistaient en cas particuliers et concrets, qu’elles avaient lieu en secret
et demeuraient secrètes. S. Ambroise formule cette exigence générale :
« Il ne faut pas seulement confesser
ses péchés, mais aussi les énumérer
et s’en accuser. Car on ne doit pas
cacher ses péchés » (In Ps. 37 : M. 14, 1037).
S.
Augustin exige que les crimes publics soient aussi censurés publiquement devant
tous ; quant aux fautes secrètes, elles doivent aussi être censurées
secrètement (Sermo 82, 7, 10 ; cf. ps. Augustin, Sermo 351, 4, 9).
Il connaît une triple
pénitence : la pénitence avant le baptême, la pénitence publique des
« pécheurs proprement dits » et la pénitence privée devant Dieu pour
tous les péchés qui ne sont pas soumis à la pénitence publique. Or, d’après S.
Augustin, il y a beaucoup de péchés
de ce genre et même, parmi eux, un certain nombre de fautes qui, d’après l’Écriture,
excluent du royaume de Dieu. Nous sommes de l’avis de Rauschen, qui déclare, en s’appuyant
à son tour sur Rottmanner,
que S. Augustin « ne connaît pas d’obligation de confession pour ces
péchés (quotidiens) » (P. 226). L’étude des textes rend la chose très
claire et très nette. Cf. de Symb., 8, 16 ; ép.
265, 7 sq. Cf. cependant la controverse entre B. Poschmann et K. Adam. Ce dernier voit, dans la « correptio
secreta » augustinienne, le germe ou la forme de
la pénitence privée ecclésiastique ; Poschmann,
au contraire, ne veut pas encore admettre cette
pénitence privée sacramentelle à cette époque. Cf. B. Capelle, Rech. de théol. anc. et méd.,
1929, 11.
S. Innocent 1er
déclare : « Les péchés secrets ne sont pas soumis à la pénitence
publique » (M. 20, 499) et promulgue de nouveau la règle édictée déjà par
le Concile de Nicée, de donner le viatique aux mourants « afin que nous ne
semblions pas imiter la dureté impitoyable de Novatien qui refusait le
pardon » (Denz., 95). Nous avons déjà parlé des
efforts de S. Léon 1er en
faveur de la pénitence et de la pratique pénitentielle.
S. Grégoire le G. pense sans
doute à Hébr., 5, 1-4, quand il établit cette
proposition : « Pourquoi un évêque est‑il élu, si
ce n’est pour intercéder près du Seigneur pour les péchés du peuple ? »
(Ep. 1, 24). Il connaît les « péchés graves », les « péchés
légers », et les « petits péchés ». Plusieurs péchés légers
mettent en danger d’en commettre de plus graves. Les petits péchés conduisent
en purgatoire, les grands en enfer. On se confesse et on fait pénitence pour
tous, d’autant plus qu’il est facile de se tromper sur leur gravité. On prend
des petits péchés pour des grands et des grands pour des petits. Il crée le
schéma des sept péchés capitaux.
Au
sujet de la confession, Greller
écrit : « Comme tous les Pères, Grégoire pense d’abord à une
confession devant Dieu ». « En second lieu, nous devons confesser nos
péchés mutuellement et surtout pardonner au prochain qui avoue sa faute à notre
égard ». La prédication épiscopale doit exhorter à la pénitence qui doit s’étendre
sur toute la vie. Les pécheurs impénitents doivent être amenés à l’aveu par une
réprimande publique (increpatio), mais prudemment.
Les péchés publics sont aussi corrigés publiquement, les péchés secrets le sont
secrètement (S. Augustin, S. Léon). A cette époque, on soumet aussi au prêtre
les péchés moyens et on lui demande plutôt un conseil pour la pénitence que le pardon. Néanmoins S. Grégoire
nomme aussi plusieurs péchés graves et dit, au sujet du prêtre :
« Que lui‑même, par ses prières, efface leurs
fautes » (Gœller, 13 sq. ; cf. aussi Poschmann, 4, 248-277).
Chez les Grecs, le témoignage
de S. Basile est une date aussi
importante que celui de Tertullien chez les Latins. En Orient, l’évolution fut
semblable à celle qui se produisit en Occident. Là aussi on insista sur la
pénitence comme action personnelle, comme conversion et éloignement du péché,
et on considérait cette pénitence comme un long processus, dans lequel le
pénitent se faisait guider par un homme spirituel expérimenté, qu’il fût prêtre
et moine ou un simple moine laïc. Ce sont ces derniers qu’on aimait surtout
comme « confesseurs ». Cf. la confession aux laïcs. Cependant S.
Basile avait posé cette règle : « On doit se confesser à ceux à qui a
été confiée l’administration des mystères de Dieu » (Reg. brev., 288 : M. 31,
1284 ; cf. 229 : M. 31, 1236, et Ep., can. 2, ad Amph., can.
34 : M. 32, 727). S. Basile introduisit la confession fréquente dans les monastères fondés par lui, comme un moyen de
discipline domestique. Sa « Règle monastique » (M. 31, 1233 sq.)
servit de modèle pour l’Occident. Holl dit de lui qu’il est le fondateur de l’institution
(de la confession) ; mais il
écrit lui‑même que la confession était déjà
connue d’Origène qui la conseille. Il est certain que l’exhortation que fait
Origène, de se confier à un « médecin » expérimenté, a fortement
contribué à développer l’usage de se confesser à un moine, car le moine passait
spécialement pour un Père inspiré par l’Esprit, à cause de son habit (le saint
schéma) et à cause de sa vie ascétique.
La confession des péchés véniels était en
usage dans les monastères. L’influence des moines la fit pénétrer aussi chez le
peuple, surtout dans les îles
Britanniques où la confession canonique était inconnue. A ce sujet, les anciens
livres pénitentiaux des 6ème
et 7ème siècles donnent des renseignements
précieux. Le moine breton S. Colomban répandit cette pratique de la confession
sur le continent ( 7ème siècle). D’après sa
Règle, les moniales se confessaient
ordinairement trois fois par jour ; le matin, avant la messe, avait lieu
la confession sacramentelle faite au prêtre ; puis, le midi et le soir,
les moniales se confessaient de nouveau, sans doute à l’abbesse ; ces
dernières confessions étaient des confessions disciplinaires. D’un autre côté,
Brown écrit, dans la Revue de Tubingue, qu’au temps des Mérovingiens et des
Carolingiens on confessait, sans doute (publiquement), les péchés capitaux,
« que, pour les autres péchés graves, qui ne tombaient pas sous la
pénitence publique, on ait exigé la confession, cela ne peut pas être décidé d’après
les sources, mais ce n’est pas probable. Du 5ème au 6ème
siècle, c’est à peine s’il en est fait mention ; au 8ème, on ne
signale que des cas isolés ». Il n’en est pas non plus question dans les
« vies des saints » de ce temps. « Les péchés que nous appelons
véniels n’étaient certainement pas confessés ; on n’y trouve nulle part
même la plus légère allusion » (139).
S. Augustin a sans
doute exercé sa forte influence sur l’Occident. Or il juge d’une manière très
large, dans son Enchiridion :
« Pour les manquements quotidiens minimes et légers, dont notre vie ne
peut pas être exempte, la prière quotidienne des fidèles y satisfait. Ils
peuvent dire, en effet : Notre Père, etc. (Math., 6, 9). Cette prière
efface complètement les petits manquements quotidiens. Mais quand les fidèles
améliorent leur vie, même si elle est chargée de lourdes fautes, par la pénitence,
et se détournent du péché, la prière efface aussi ces péchés. Il est vrai que
la condition préalable, c’est que la demande - il nomme la cinquième demande du
« Pater » - soit prononcée avec une sincérité interne » (Enchir., 71).
Ce
n’est pas sans résistance que la
coutume de la confession, propagée par les moines et les évêques, put s’implanter.
Les défenseurs de la confession furent S.
Isidore de Séville (Etym., 6, 19), S.
Grégoire 1er (Gœller, 16), Raban Maur (De cler.
Instit., 2, 14 : M. 107, 331) et surtout Alcuin (Ep. 14, 40, 112 : M. 100, 162, 200, 337). Ce dernier
écrit que, dans la province de Gothie, « aucun
laïc ne veut faire sa confession aux prêtres, qui pourtant ont reçu le pouvoir
de lier et de délier » (Ep. 112). Ce qui, pratiquement, développa la
confession privée, ce fut l’usage de la concession d’indulgences qui commençait
à s’introduire et pour lesquelles on exigeait, comme condition préalable, l’absolution.
Il faut encore signaler un écrit sur la pénitence : « De vera et falsa pœnitentia »,
qu’on attribuait faussement à S. Augustin et qui ne parut qu’à cette époque
(vers 1100). Ce livre (M. 40, 1113 sq.), recommande fortement la confession. D’après
ce livre, il faut nécessairement faire pénitence de tout ce qui charge la
conscience et le confesser, afin de prévenir le jugement de Dieu : « Prœveniat (peccator) judicium Dei per confessionem »
(Ibid., 10). Celui qui n’accomplit pas les œuvres de satisfaction imposées,
sera obligé d’expier ses fautes en purgatoire (Ibid., 18). « Par la confession
peuvent être remis tous les péchés mortels qui ont été commis... A ceux à qui
le prêtre pardonne, Dieu pardonne. Si grande est la vertu de la confession qu’à
défaut d’un prêtre on se confesse à un laïc » (Ibid., 10).
Les
scolastiques trouvèrent l’usage de la
confession et une doctrine assez développée à ce sujet. Ils développèrent
encore cette doctrine, en lui donnant un fondement plus solide et en la
rattachant plus étroitement au sacrement. Tous les scolastiques importants
défendirent la confession contre des adversaires
qu’ils ne nomment pas. A côté de ces adversaires, il faut signaler les sectes
souvent citées des Albigeois et des Vaudois.
Pour
prouver la confession, les
scolastiques se réfèrent à des passages de l’Écriture, comme Jacq., 5,
16 ; Rom., 10, 10 ; à des passages de l’Ancien Testament, à la
pratique de l’Église. Hugues est le
premier à citer aussi les Pères, comme S. Ambroise, S. Bède. Gratien fait de même ; seulement il
ne veut pas attribuer de caractère décisif à leurs raisons et entend laisser la
confession facultative ; mais il est seul de son opinion (Cf. Schmoll, La
doctrine pénitentiaire de la Scolastique primitive [1909], 39 sq.). Il est à
remarquer que Guillaume d’Auxerre
signale déjà, parmi les six utilités de la confession, l’augmentation de la
grâce existante au cas où il n’y a que des péchés véniels (Gillmann, G. d’Auxerre, 28).
Il
semble que, pour tous les auteurs, aussi bien avant qu’après le 4ème Concile de Latran
(1215), qui décida, dans son célèbre chap. 21 (Denz.,
437) : « Tout fidèle de l’un et l’autre sexe, une fois arrivé à l’âge
de discrétion, doit, au moins une fois l’an, confesser seul (solus) et
fidèlement tous ses péchés à son propre prêtre (proprio sacerdoti) »,
le précepte de la confession était un précepte ecclésiastique, parce qu’il ne
reposait pas sur l’ordre du Seigneur, mais sur un ordre des Apôtres. Cela
tenait à la préférence singulière qu’on accordait à Jacq., 5, 16 sur Jean, 20,
23. S. Thomas, par contre, s’appuie surtout sur Jean, 20, 21-23 (Comm. du Livre des sentences, L. 4, d. 17, q. 3, a. 3, s. 1
ad 1 ; d’une manière un peu différente dans Suppl., q. 6, a. 6) et
distingue un double devoir de confession. Le premier s’étend à tous les péchés
mortels commis après le baptême : il repose sur le précepte divin. A côté,
il y a encore un devoir de confession annuelle, reposant sur le précepte
ecclésiastique ; à ce précepte tous sont soumis sans exception. Les raisons de cette obligation sont les
suivantes : tous doivent se reconnaître pécheurs (Rom., 3, 13) ; le
respect pour l’Eucharistie exige cette confession et l’Église doit reconnaître
ses enfants, afin qu’il ne se glisse pas de loup parmi les brebis. Pour celui
qui n’a que des péchés véniels, il satisfait au devoir de la confession
« en se présentant au prêtre et en lui déclarant que sa conscience ne lui
reproche pas de péchés mortels » (Suppl., q. 6, a. 3). Le Concile de Trente a déclaré, contre les
Réformateurs, que la nécessité de la confession reposait sur un ordre divin (mandato Christi) (S. 14, can. 6) et la prescrivit pour les
péchés mortels ; quant à la confession des péchés véniels, elle la déclara
« licite » (Can. 7). En outre, on renouvela le précepte de confession
du 4ème Concile de Latran (Can. 8). Comme temps de la confession, le Concile recommande le Carême comme
traditionnel. Il explique et motive cette recommandation, d’une manière
détaillée, au chap. 5 (Denz., 899 sq.).
Objet
de la confession. Ce sont, d’après le
Concile de Trente, tous les péchés
mortels dont on se souvient après un examen de conscience sérieux, sans en
excepter les péchés les plus secrets
et les péchés purement internes,
commis contre les deux derniers commandements.
Que les péchés internes graves doivent
être confessés eux aussi, cela est tout à fait conforme à la doctrine de Jésus,
qui, d’une manière générale, considère le péché dans sa racine la plus intime
et dans sa source, comme cela ressort surtout du Sermon sur la montagne. En
outre, le Concile exige encore l’indication des circonstances qui changent la
nature du péché (Denz., 899, 917). Cf. la Théologie morale et pastorale.
La
licéité de la confession des péchés
véniels a été définie. Le Concile de Trente frappe d’anathème celui qui affirme
qu’« il n’est pas permis de confesser les péchés
véniels » (Can. 7). Cependant il n’est pas nécessaire de les confesser.
« Car les péchés véniels, qui ne nous séparent pas de la grâce de Dieu et
dans lesquels nous tombons plus souvent, peuvent, sans doute, à bon droit,
utilement et sans aucun désavantage, être indiqués en confession ;
néanmoins ils peuvent être tus sans faute et être expiés par beaucoup d’autres
moyens » (C. 5). Les péchés véniels sont une matière suffisante pour la
confession. Le sacrement devient alors, « per accidens »,
un sacrement des vivants. En soi, d’après S. Thomas (S. th., 3, 87, 2), il n’a pas été institué de sacrement pour le
péché véniel. Le péché véniel est compatible avec la grâce. Mais il doit, en
tant que péché, être expié et, par suite, il peut l’être aussi par le sacrement. Il est vrai que le pouvoir des
clefs ne peut s’appliquer à lui que pour remettre et non pour retenir. Au
reste, dans beaucoup de cas, nous sommes incapables d’apprécier la gravité du
péché ; en le confessant, nous nous mettons en garde contre le
subjectivisme.
L’unité de la pénitence sacramentelle est
soutenue, à bon droit, par d’Alès :
« Il n’y a pas dualité de
pénitence, mais en quelque sorte unité.
En d’autres termes, l’unique institution pénitentielle renferme, outre la
pénitence publique dont les traits se détachent en haut relief, certains
éléments d’un caractère privé... Et de fait, on pouvait composer de toutes
pièces la pénitence secrète ou privée, en ne prenant que des éléments détachés
de la pénitence publique » (Calliste, 425). Notre sacrement actuel de
pénitence, qui a subi dans ses formes une si forte évolution, se trouve, dans
ses éléments constitutifs essentiels, dans la pénitence publique :
« confession, satisfaction, absolution », ou bien, comme le dit le ps. Grégoire 1er : Toute véritable
pénitence comprend trois choses, « à savoir la conversion de l’âme, la
confession de la bouche et la punition du péché ». Les trois points sont
importants ; mais ce qui est décisif, c’est la « conversion de l’âme ».
C’est ce qu’enseigne toute l’évolution pénitentiaire, à chaque étape.
La
confession générale apparut peu à peu
dans la Scolastique. Dans la Scolastique primitive, on exigeait çà et là la
réitération de la confession précédente, après la rechute, afin de rendre le
pardon entièrement sûr. Les hauts scolastiques, Alexandre, S. Bonaventure, S.
Thomas, repoussèrent cette exigence, parce que le péché, dont on a eu une
contrition réelle et qu’on a confessé, est pardonné, et il n’y a pas de
« retour des péchés ». Ils recommandèrent cependant la réitération de
la confession parce que cela produit une plus grande purification et surtout
une plus grande remise de peine. La confession, en effet, était considérée
comme une œuvre de satisfaction. Cette
réitération n’est pas une « atteinte au sacrement », car il ne s’agit
pas de la consécration d’une matière ou de l’impression d’un caractère (Cajetan, Tract. de
conf., 9, 2). La confession faite, en cas de nécessité, à un laïc est, d’après
S. Thomas, d’une efficacité incertaine et doit être réitérée.
L’examen de conscience se faisait, selon
une instruction d’Alcuin, d’après les huit (plus tard les sept) péchés
capitaux. Plus tard, vers 1400, on s’aida du décalogue. Peu de temps après, les
prêtres composèrent des livrets de
confession appelés plus tard « miroirs de confession ». L’imprimerie
multiplia ces livrets et les rendit facilement accessibles au peuple. Mais ils
induisaient en erreur, en plusieurs endroits, par une mauvaise distinction des
péchés selon leur gravité (Falk,
Trois livrets de confession des premiers temps de l’imprimerie, 1907). Il faut
attribuer de l’influence aussi aux pénitentiels provenant de la basse époque
patristique ; ensuite parurent, au temps de la Scolastique, les diverses
« Summæ confessorum »,
dont le but était la casuistique savante. Il faudrait nommer ici également les
nombreuses œuvres morales des Pères, depuis la Didachè et le ps.
Barnabé (« Deux voies »). Cf. Dict.
théol., 2, 1870-1877. Mais, quand on a lu ces écrits, on se rend compte qu’on
a fait des progrès même sur le point de l’examen de conscience et que nous
distinguons les péchés d’une manière plus précise qu’autrefois.
Au
sujet de l’interrogation en confession, le C. J. C. fait aux confesseurs les
recommandations suivantes : « Il évitera
absolument de demander le nom du complice ou de presser quelqu’un de questions curieuses et inutiles, surtout
concernant le sixième commandement ; il n’interrogera pas imprudemment les
jeunes au sujet de choses qu’ils
ignorent » (Can. 888). C’est là une prescription basée sur une sage
expérience. Tout confesseur doit l’observer particulièrement de nos jours, afin
de ne pas rendre odieuse la confession, qui, sans cela, est déjà pénible.
Le
lieu de la confession était, avant le
Concile de Trente, une chaise, devant laquelle, ou à côté de laquelle, le
pénitent se tenait debout ou s’agenouillait. S. Charles Borromée fut le premier
à exiger une grille pour séparer le pénitent du confesseur (Atz-Beissel, Art ecclésiastique,
v. Confessional). Les Grecs ont gardé l’ancienne
coutume de se confesser devant l’autel.
A
consulter : S. Thomas, Suppl.,
q. 12 sq. Suarez, disp.
37-38. Bellarmin, l. 4, c. 1 sq. Morinus, l. 4 sq.
Salmant., disp. 10-11. Hurter,
n. 612 sq. Noldin,
349-363 et les ouvrages de théologie morale et pastorale.
Notion. Quiconque a offensé Dieu doit lui offrir satisfaction s’il veut obtenir le
pardon. Sous le nom de satisfaction au sens large, rentre donc tout ce que le
pécheur a à faire pour obtenir le pardon divin : contrition, bon propos,
confession, pénitence. Au sens strict
et selon le langage habituel, on entend par satisfaction les œuvres de
pénitence imposées au pénitent au moment de l’absolution, pour expier les
peines temporelles du péché qui restent encore à expier. En union avec ces œuvres
de pénitence ordonnées par le prêtre, le Concile de Trente signale encore les œuvres de pénitence « entreprises
par nous pour expier le péché », ainsi que les « châtiments temporels
infligés par Dieu et supportés patiemment par nous » (S. 14, c. 9).
Les
théologiens exigent, de la
satisfaction, que ce soit une œuvre à la fois méritoire et pénale ;
elle doit être méritoire pour posséder une valeur interne, et pénale, afin que,
par la peine, elle puisse vraiment expier et compenser l’offense. En outre, la
satisfaction doit être salutaire, médicinale,
et, de ce point de vue, correspondre au péché. Les théologiens enseignent que
des actes de pénitence purement internes peuvent aussi être imposés. Le Concile
de Trente recommande d’imposer des
actes de pénitence « salutaires et convenables ». Il recommande
ensuite aux prêtres de « considérer que la satisfaction qu’ils imposent ne
doit pas seulement être une protection pour la vie nouvelle et un remède à la
faiblesse, mais encore une punition et un châtiment des péchés passés »
(S. 14, c. 8).
On
distingue la satisfaction publique et
la satisfaction privée. L’histoire de la pénitence nous fait comprendre cette
distinction. On distingue ensuite la satisfaction sacramentelle et la
satisfaction extra‑sacramentelle.
Le texte du Concile de Trente, que nous venons de citer (c. 9), fait comprendre
cette distinction. On ne doit considérer comme partie du sacrement que la
pénitence imposée par le prêtre. Il faut distinguer enfin la satisfaction
parfaite (satisf. de condigno) et la satisfaction imparfaite (de congruo).
Il
n’est guère de doctrine qui ait été attaquée plus violemment par les
protestants que celle de la satisfaction. L’apologie d’Augsbourg l’appelle une
« doctrine diabolique » (Art. 6 : Müller, 193). « Elle est
contre l’Évangile, contre les décrets des Pères et des conciles ». On
soutenait que le pardon est purement un acte de la grâce de Dieu et on avait,
par suite, de l’aversion pour les satisfactions, en tant que
« service » par les œuvres. C’est contre ces erreurs qu’il faut
maintenant prouver le dogme de la satisfaction.
THÈSE. Dieu ne remet pas toujours, en
même temps que le péché et sa peine éternelle, toute la peine temporelle ;
c’est pourquoi le prêtre peut et doit imposer au pénitent, en vertu du pouvoir
des clefs, des œuvres de pénitence. De foi.
Explication. Les théologiens distinguent, avec les Pères (S.
Augustin, S. Grégoire le G.), une peine éternelle
et une peine temporelle due au péché.
La peine éternelle est toujours remise avec la coulpe du péché. Il n’en est pas
toujours de même de la peine temporelle. Cette peine doit être expiée, soit ici‑bas, soit dans le purgatoire. Or le Concile de Trente
définit d’abord la réalité de cette peine et ensuite la possibilité de l’expier
par la satisfaction, ainsi que le droit du prêtre d’imposer cette satisfaction.
La première vérité est la condition préalable de la dernière. Le Concile
déclare : « Si quelqu’un dit que toute la peine est toujours remise
par Dieu en même temps que la faute et que la satisfaction des pécheurs n’est
autre que la foi par laquelle ils admettent que le Christ a satisfait pour eux,
qu’il soit anathème » (S. 14, can. 12). « Si quelqu’un dit qu’on ne satisfait pas du tout (minime) à Dieu
pour les péchés au moyen des mérites du Christ, pour ce qui est de la peine
temporelle, par les peines que Dieu nous inflige et que nous supportons patiemment
ou par celles que le prêtre impose, pas plus que par celles que nous nous
imposons librement, comme le jeûne, la prière, l’aumône, ou bien les autres œuvres
de piété, et que, par suite, la meilleure pénitence est seulement une nouvelle
vie, qu’il soit anathème » (Can. 13). « Si quelqu’un dit que les
satisfactions, au moyen desquelles les pécheurs expient leurs péchés par Jésus‑Christ, ne sont pas un culte rendu à Dieu, mais des
traditions humaines qui obscurcissent la doctrine de la grâce et le vrai culte
de Dieu et le bienfait même de la mort du Christ, qu’il soit anathème »
(Can. 14 : Denz., 922-924).
Preuve. Le Concile rappelle, par
rapport à la preuve d’Écriture, des « exemples précis et illustres »
de satisfactions.
Les
théologiens rassemblent ces exemples qui se trouvent dans l’Ancien Testament. Ainsi, nos premiers parents, malgré le pardon qu’ils
avaient reçu, furent soumis à de graves châtiments temporels (Gen., 3, 15-20) ; Moïse
et Aaron, à cause de leur doute,
furent exclus de la Terre promise (Nomb., 20,
12 ; Deut., 32, 51) ; les Israélites
infidèles dans le désert (Nomb., 14, 19-23), en
raison de leur péché, n’entrèrent pas dans la Terre sainte ; David eut son
péché pardonné, mais il en fut puni par la mort de son fils (2 Rois, 12, 13
sq.) et la peste qui ravagea son peuple (2 Rois, 24, 10). Cf. S. Thomas, S. th., 3, 86, 4.
Dans le Nouveau Testament, il y a d’abord des allusions générales aux œuvres
de pénitence chrétienne. Le Christ exige, d’une manière générale, de ses disciples,
qu’ils portent la croix après lui (Math., 16, 24 sq. ; 10, 38). Si lui‑même est entré dans sa gloire par la souffrance (Luc,
24, 26), à plus forte raison ses disciples doivent y entrer ainsi. C’est
pourquoi S. Paul dit : « J’achève, dans ma chair, ce qui manque à la
Passion du Christ, pour son corps qui est l’Église » (Col., 1, 24). Et
ceci encore : « Je châtie mon corps et je le réduis en servitude,
afin que, après avoir prêché les autres, je ne sois pas moi‑même réprouvé » (1 Cor., 9, 27). Quant au corps,
il le considère comme un foyer et un repaire de péché (Rom., 7, 7-25). Il livre
l’inceste de Corinthe à Satan, selon la chair, pour la punition, afin que l’esprit
soit sauvé au jour de Notre‑Seigneur
Jésus‑Christ (1 Cor., 5, 5). « La tristesse selon Dieu
produit un changement de sentiment permanent pour le salut ; mais la tristesse
selon le monde produit la mort » (2 Cor., 7, 10). Cf. en outre Apoc., 2,
5 ; Math., 3, 2 ; 4, 17 ; 11, 21. C’est à ce dernier passage et
à Rom., 8, 17, que se réfère aussi le Concile de Trente.
Les Pères. Les
protestants prétendent que la doctrine de la satisfaction a été introduite dans
la théologie par l’esprit juridique et formaliste de Tertullien et qu’elle a été développée par son disciple S. Cyprien (Harnack, H. D. 1, 463 sq.).
Il y a cependant des protestants qui trouvent que la satisfaction est conforme
à la Bible. Ainsi P. Wernle écrit : « Il
(Calvin) rencontre cependant fatalement la Bible en travers de son chemin, dans
son combat contre les satisfactions humaines ; le judaïsme d’après l’exil,
surtout, tient compte des satisfactions ; il n’en tient même que trop
compte ; bien plus, le Dieu de la Bible lui‑même ne
pardonne pas simplement, mais il impose aussi des châtiments de
pénitence » (Calvin, 121). Que depuis le commencement, les œuvres
extérieures de pénitence aient été considérées comme une partie essentielle et
même comme la partie la plus importante de la pénitence en général, qu’on ait
vu, en elles, non seulement l’expression des sentiments de repentir, mais
encore un moyen d’apaiser Dieu et de le disposer favorablement, cela ressort
nettement de tout ce que nous avons dit jusqu’ici sur la pénitence. Ce qui est
vrai, c’est que Tertullien a inventé la terminologie qui désigne cette
conception (satisfactio, satisfacere,
Deum promereri). En plus des larmes, de la tristesse,
des mortifications, de l’attitude humble, des veilles, on considérait comme œuvre
de pénitence, les trois bonnes œuvres qui sont souvent recommandées dans l’Écriture :
l’aumône (Prov., 10, 2 (hébr.) ; 16, 6. Tob., 4, 10,
11 ; 12, 9. Dan., 4, 24. Math., 6, 4. Luc, 16, 9), la prière (Tob., 12, 8. Math., 6,
5-15 ; 17, 20) et le jeûne (Jon.,
3, 5. 1 Rois, 7, 6 ; 31, 13. 2 Rois, 3, 35 ; 12, 16. Jdt., 4, 8, 12 ; 6, 20. Zach., 7, 5 ; 8, 19.
Math., 6, 16. Act. Ap., 27,
9).
La
Didachè
recommande l’aumône « en expiation pour tes péchés » (4, 6), ainsi
que l’exercice « du jeûne sans hypocrisie », par conséquent dans un
véritable esprit de pénitence et de prière (8, 1, 2). La 2ème Épître de Clément juge ainsi : « L’aumône
est donc bonne comme pénitence pour les péchés ; le jeûne est meilleur que
la prière, l’aumône est meilleure que l’un et l’autre ; la charité couvre
la multitude des péchés ; mais la prière qui vient d’une bonne conscience
délivre de la mort » (2 Cor., 6, 4). Hermas
exige l’observation des commandements pour obtenir le pardon (Mand., 4, 4, 4). Ainsi donc, Tertullien s’est trouvé devant une pratique existante ; il n’a
fait qu’apporter une conception doctrinale ferme, quand il écrit, à la fin d’une
description saisissante de l’ancien mode de pénitence : « Dans la
mesure où tu ne t’épargneras pas toi‑même, Dieu t’épargnera »
(De pœn., 9). « Tu te montreras reconnaissant
envers le Seigneur, si tu ne dédaignes pas ce qu’il t’offre (la pénitence). Tu
l’as offensé, mais tu peux encore te réconcilier avec lui. Tu as quelqu’un à
qui tu peux satisfaire et quelqu’un qui est bien disposé pour toi »
(Ibid., 7). S. Cyprien écrit :
« C’est quelque chose de bien différent, d’attendre le pardon ou bien de parvenir
à la gloire ; c’est quelque chose de bien différent d’être jeté dans un
cachot et de pouvoir en sortir avant d’avoir payé le dernier denier, ou bien de
recevoir immédiatement la récompense de la foi et de la vertu ; c’est
quelque chose de bien différent, d’être tourmenté dans une longue torture à
cause de ses péchés et d’être purifié dans un feu continuel, ou bien d’avoir
effacé tous ses péchés par la souffrance » (Ep. 55, 20 ; cf. Ep.
11 ; De laps. ; De opere et eleemos). Origène
a été cité plus haut (§ 190). S. Ambroise
écrit un livre spécial contre les novatiens. La doctrine de S. Augustin est connue par ce que nous
avons dit plus haut. Il écrit : « On doit se garder d’avoir cette
opinion erronée, qu’on pourrait commettre tous les jours ces horribles crimes
qui entraînent la perte du royaume des cieux et les expier de même tous les
jours par l’aumône. Il faut, tout d’abord, que la vie soit changée en mieux et
qu’en même temps on satisfasse à Dieu par l’aumône pour les péchés
commis » (Enchir., 70). D’après S. Grégoire le G., la pénitence doit
durer toute la vie ; tel est l’avertissement qu’il donne à une dame
distinguée (Ad Gregoriam, Ep. 25). Elle consiste en
contrition, confession et satisfaction (contritio cordis, confessio oris, satisfactio operis). De même qu’il n’y a pas d’espérance de pardon pour
celui qui pleure ses péchés, mais ne les abandonne pas, il n’y en a pas non
plus pour celui qui les abandonne, mais ne les pleure pas. On n’a pas payé ses
dettes par le fait qu’on n’en fait pas de nouvelles. « Alors même que nous
ne nous serions souillés dans cette vie d’aucun péché mortel, notre innocence
ne pourrait cependant aucunement nous suffire, tant que nous vivons sur la
terre, pour être en sécurité, parce que bien des choses illicites ébranlent l’âme »
(Regula past., 3, 30).
« Même dans ses élus, Dieu cherche, par les peines temporelles (temporali afflictione), à laver
la souillure de l’injustice, car il ne veut pas en voir en eux dans l’éternité »
(Moral., 9, 34). Et si ces peines temporelles ne sont pas expiées sur la terre,
elles le seront certainement dans le purgatoire, comme cela résulte de 1 Cor.,
3, 12-15 (Dial., 4, 39). Seuls, ceux qui sont entièrement purs, vont
immédiatement au ciel. (Ibid., 9, 25).
La
Scolastique n’avait plus qu’à
intégrer la satisfaction dans le sacrement et à l’étudier de plus près. D’après
S. Thomas, c’est une partie du
sacrement, une vertu de la justice commutative,
en tant que, d’une certaine manière, elle compense l’offense faite à Dieu
(Suppl. q. 12-16). Le C. J. C. décide : « Le confesseur imposera,
selon la qualité et le nombre des péchés, ainsi que la condition du pénitent, des satisfactions
salutaires et convenables ; le pénitent devra les recevoir volontiers et les accomplir par lui‑même » (Can. 887).
Questions théologiques.
Les
œuvres de satisfaction, en tant que partie du sacrement de Pénitence, sont‑elles aussi cause de la grâce ? Il faut
sans doute répondre affirmativement, avec Suarez, contre Lugo. De même pour la
question suivante :
La
satisfaction se fait‑elle « ex opere operato » ou seulement
« ex opere operantis » ?
Elle est une partie du sacrement et doit, par suite, agir sacramentellement.
Oswald le nie. D’autres se tiennent à une opinion moyenne et enseignent qu’au
sujet de l’extension de la satisfaction, il n’y a rien de fermement établi (Cf.
S. th., 3, 86, 4 ad 3).
La
satisfaction doit‑elle se
faire en état de grâce ? S. Thomas
répond nettement oui. (Suppl. q. 14, a. 2) ; de même le Cat. Rom. P. 2, c.
5, q. 69. Des théologiens postérieurs estiment que, si l’œuvre extérieure a été
accomplie en état de péché, on n’a pas à la réitérer plus tard (remoto obice).
La
satisfaction doit‑elle avoir
lieu après ou avant l’absolution ? Les jansénistes et le conciliabule de Pistoïe affirmaient qu’elle doit avoir lieu avant et ils
furent condamnés (Denz., 1306 sq., 1535). Auparavant
déjà, on avait dû rejeter la doctrine semblable de Pierre d’Osma
(Denz., 728). A l’époque des Pères, la pénitence
avait lieu d’ordinaire avant l’absolution ;
cependant il y a controverse à ce sujet (cf. Pesch,
7, 134 sq. ; pour l’opinion opposée, Rauschen, 217 sq.). Il est
certain que l’Église est libre sur ce point et peut absoudre avant l’accomplissement
de la satisfaction.
Peut‑on aussi satisfaire pour d’autres ? Le
caractère de la pénitence et des indulgences nous montre que, depuis le Moyen‑Age, cela s’est fait. Bien entendu, dans les
actes de pénitence qui doivent être strictement personnels : détestation
du péché, ferme propos, il n’y a pas de suppléance possible. Pas même par le
Christ. Mais, dans les actes de pénitence réels, un juste peut satisfaire pour
un juste, d’après l’enseignement des théologiens. Cette substitution n’est
jamais qu’une intercession, ce n’est pas une satisfaction sacramentelle et, au
sujet de son acceptation par Dieu dans les cas particuliers, on ne sait rien de
sûr. Au reste, cette substitution entre vivants a rencontré peu de sympathie
dans l’Église, à l’époque postérieure (Denz., 1115).
Par contre, elle est recommandée pour les morts.
A
consulter : Laurain,
L’intervention des laïcs, des diacres et des abbesses dans l’administration de
la Pénitence (1897). Amédée Teetaert, La confession aux laïcs dans l’Église latine
(1926).
THÈSE. Le ministre du Sacrement de
Pénitence est le prêtre seul. De
foi.
Explication. Le Concile de Trente
déclare contre les Réformateurs : « Si quelqu’un dit... que ce ne
sont pas les prêtres seuls (solos sacerdotes) qui sont les ministres de l’absolution…,
qu’il soit anathème » (S. 14, can. 10 : Denz.,
920). En même temps, il repousse l’interprétation des paroles du Christ dans
Jean, 20, 23 et Math., 18, 18, qui prétend qu’elles sont adressées à tous les
chrétiens, il consacre encore un chapitre spécial au ministre (c. 6 : Denz., 902) et remarque expressément que le prêtre, même
par des péchés graves, ne perd pas son pouvoir d’absoudre. Auparavant déjà, Wiclef avait soutenu que les pieux laïcs ont le pouvoir d’absoudre
(Denz., 670). Le C. J. C. exige, pour la validité de
l’administration, l’Ordre et la juridiction sur le pénitent (Can. 872).
Preuve. Il suffit de renvoyer aux paroles d’institution. Ces
paroles ne sont adressées qu’aux Apôtres et à leurs successeurs. C’est à eux
seuls que le Christ a transmis le ministère d’enseignement et de rémission des
péchés.
Les Pères. A l’époque
patristique, on trouve, comme chefs de la discipline pénitentiaire, l’évêque et le prêtre pénitencier qui le représente. Tertullien,
il est vrai devenu montaniste, conteste le pouvoir des clefs des prêtres, mais
il atteste justement par là la doctrine catholique
(De pudic., 1, 2, 21, 22). S. Cyprien atteste la même foi (De laps., 29, etc.). Origène nomme les « prêtres »
(In Lev. Hom., 2, 4) et l’« évêque » (In Num. hom., 10, 1). Pour l’Espagne on a le témoignage
semblable de S. Pacien (Ep. ad Sempr., 1, 6). Pour l’Asie
Mineure, nous entendons déjà S. Ignace
dire que les pénitents trouvent le pardon, quand ils se tournent vers l’unité
avec Dieu et vers le sanhédrin de l’évêque (Philad.,
8, 1). Vers le milieu du 3ème siècle, nous trouvons la même
conception dans les Didascalia
apostoliques (7), et, vers la fin du 4ème siècle, elle est attestée,
pour la Syrie, par les Constitutions
apostoliques (2, 16 sq.). Pour l’Italie, nous avons, dans S. Ambroise, un témoin pratique et
théorique (De pœnit., 1, 2, 7) ; nous avons
aussi S. Innocent 1er (Ep. ad Decent., 7, 10) et S. Léon 1er (Ep. 10, 8 : M. 54, 635). Quand il s’agissait
de l’absolution solennelle (réconciliation), le ministre était presque
exclusivement l’évêque. Cet acte est même positivement interdit aux prêtres.
Cette interdiction est portée à un concile d’Hippone en 393 (can. 30), à un
concile d’Agde en 506 (can. 44), à un concile de Séville en 618 (can. 7), à un
concile de Pavie en 850 (can. 7) ; cf. Héfélé, Hist. de l’Égl., 2 et 4. Par contre, l’absolution privée pouvait être
donnée aussi par les prêtres. En Orient, on avait établi, même pour les
pénitents publics, un prêtre pénitencier qui agissait au nom de l’évêque. Cela
est attesté par Socrate (Hist. eccl., 5, 19) et par Sozomène (Hist. eccl., 7, 16). On ne peut pas cependant établir avec
certitude la diffusion de cet usage. En tout cas, l’évêque était et demeura l’administrateur
suprême de la discipline pénitentiaire. S.
Nectaire de Constantinople supprima cette institution de la pénitence
publique à cause d’un scandale (391) ; cf. Rauschen, 192 sq. ; Vacandard, Études
de critique, 62 sq. D’après les Canons apostoliques (44), c’est l’évêque ou le prêtre qui admet le pénitent à la pénitence.
D’après S. Jérôme, les évêques ou les
prêtres délient les pécheurs (In Math., 16, 19 : M. 26, 118). On comprend
facilement qu’à mesure que s’introduisit la coutume d’accuser, dans une
confession privée, les péchés quotidiens, on eut besoin d’un plus grand nombre
de confesseurs et que l’évêque ne put suffire tout seul. Un catéchisme de
mission de l’ époque carolingienne, édité par Heer, s’exprime
comme nos catéchismes d’aujourd’hui. Il exhorte à : « Confiteri Deo peccata sua in ecclesia
sancta coram sacerdotibus,
qui testes adstant inter nos et Deum... Melius est enim hic in præsenti erubescere in conspectu unius hominis (il s’agit
donc de la confession privée) quam in futuro judicio coram cunctis gentibus » (p. 67,
cf. 61).
La
Scolastique ne juge pas autrement que
les Pères. S. Thomas dit qu’on « ne doit faire sa confession sacramentelle
qu’aux prêtres » (Suppl., q. 8, a. 1). Et il faut que ce soit le prêtre
« institué », auquel l’évêque a donné pour cela pouvoir ou
juridiction. La nécessité de la juridiction repose non seulement sur une loi
ecclésiastique positive, mais encore sur le caractère judiciaire du sacrement
de pénitence, que nous avons prouvé. Le prêtre est le représentant de l’évêque
et reste dépendant de lui. Le 4ème Concile de Latran exige que la
confession soit faite au curé (confiteatur proprio sacerdoti ; Denz., 437). S.
Thomas justifie ensuite la tradition dogmatiquement, en signalant, à bon droit,
le caractère juridique de la Pénitence (Suppl., q. 8, a. 4 et 5). Eugène IV dit : « Le ministre
de ce sacrement est le prêtre ; il a le pouvoir d’absoudre, soit comme
pouvoir ordinaire, soit par commission du supérieur » (Denz.,
699). Le Concile de Trente s’approprie
les raisons sur lesquelles S. Thomas fonde la juridiction et déclare que toute
absolution donnée sans juridiction est nulle (nullius momenti ;
c. 7).
La
Scolastique permet, au cas où le confesseur désigné est ignorant, de le récuser
et d’en choisir un qui soit instruit ; au cas où il serait « complice
du péché », S. Thomas exige purement et simplement qu’on en cherche un
autre. L’absolution du complice fut interdite pour la première fois par Benoît
XIV (1741). On se demanda, dans la Scolastique, si on pouvait diviser sa confession (par ex. à cause
de la honte), mais on répondit négativement ;
on exceptait le cas où il y aurait un péché réservé, qu’on devrait confesser au
supérieur, sans réitérer l’ensemble de la confession.
La
réserve de certains péchés graves ou
scandaleux est une survivance de l’ancienne ordonnance, d’après laquelle les
péchés, qui devaient être confessés publiquement, ressortissaient
au for de l’évêque. Le premier cas de réserve papale
se trouve chez Innocent III (+ 1216) (Gœller, Pénitencerie, 1, 1 sect., 80). Le Concile de Trente
reconnaît aux papes, pour toute l’Église, aux évêques, pour leur diocèse, le
droit de réserve ; en cas de danger de mort, tout prêtre peut absoudre de
tous les péchés (S. 14, c. 7 et can. 11 : Denz.,
903 et 921). Une proposition du Synode de Pistoïe
dirigée contre la juridiction fut rejetée (Denz.,
1537). Au sujet des connaissances nécessaires au confesseur, cf. Trid., S. 23, c, 15, de reform. A
ce sujet, comme au sujet de la réserve, il faut consulter le droit canon C. J.
C., can. 877, 893-900.
Le
diacre comme ministre.
A l’époque patristique, nous lisons
parfois que les diacres eux‑mêmes
étaient chargés de la réconciliation (absolution) dans la pénitence publique.
Héfélé écrit : « Jusqu’au Moyen‑Age, les diacres avaient le droit, en cas de
nécessité, d’administrer le sacrement de Pénitence » (5, 1009, A. 1). D’après
Anselme de Lucques (Collectio canon., éd. Thaner [1915], 514), le prêtre ne peut accorder la
réconciliation que sur « ordre de l’évêque » ; mais, en cas de
nécessité, il le peut absolument et, sur l’ordre de l’évêque, le diacre le peut
aussi. Lanfranc (+ 1089) estime que la confession secrète peut se faire
« à tout homme ecclésiatique » quant à la
confession publique, elle ne peut se faire qu’aux prêtres (sacerdotibus)
(M. 150, 629). D’après Etienne d’Autun (+ 1130), le diacre peut remplacer le
prêtre « pour le baptême, la communion, et pour recueillir avec
miséricorde l’aveu des péchés » (M. 170, 1279). De même, un certain nombre
de conciles du 12ème et du 13ème siècles reconnaissent,
en cas de nécessité, les diacres comme confesseurs (Dict. théol., 3, 876 sq.,
898 sq.).
S. Cyprien s’exprime
avec netteté sur ce cas de nécessité. Quand la maladie ou le danger de mort
menacent, on ne doit pas attendre l’arrivée de l’évêque, mais « faire l’aveu
de ses fautes devant le prêtre présent, ou bien, s’il ne se trouve pas de
prêtre et que la fin soit imminente, même devant un diacre, afin qu’après avoir
reçu l’imposition des mains on s’en aille en paix vers le Seigneur » (Ep.
18, 1). Les conciles s’expriment de même ; ainsi le Concile d’Elvire vers
300 (Héfélé,
1, 139).
En
raison de la proposition sur laquelle on insistait sans cesse :
« Hors de l’Église point de salut », on se préoccupait surtout de
permettre au pénitent de mourir dans la communion de l’Église ; on le
confiait ensuite à la miséricorde de Dieu et au jugement final. Peut-être peut‑on aussi expliquer cette réconciliation à la
manière d’une absolution écrite, comme cela se fit à l’époque postérieure. On insistait, à l’époque patristique, comme
Poschmann a pu l’établir dans ses recherches sur la
doctrine pénitenciaire de S. Cyprien et d’Origène,
sur ce que le pénitent faisait pour obtenir la réconciliation et non sur l’absolution
sacerdotale. Un chercheur français exprime la relation entre autrefois et
aujourd’hui, de la façon suivante : Nous,
nous cherchons aujourd’hui, par l’intermédiaire du prêtre, le pardon auprès de
Dieu ; autrefois, le pécheur cherchait le pardon auprès de Dieu, au moyen
de la pénitence réglée et fixée par l’Église ; alors l’absolution, dans
les conceptions de cette époque, avait un caractère plutôt déclaratoire qu’opératoire.
Poschmann renvoie, avec raison, à la fin de son étude
sur S. Cyprien, chez qui il est question pour la première fois d’une
réconciliation par le ministère du diacre, aux différentes doctrines de la Scolastique sur l’absolution. On trouve
une solution un peu différente dans le Dict.
théol., 3, 846 : « Il ne faut pas oublier que, de son temps (de
S. Cyprien), la théorie de la confession et de la pénitence n’était pas encore nettement déterminée.
Nous verrons, du reste, que, même plus tard, les diacres furent autorisés en
certains endroits à entendre les confessions ».
Les
« prêtres laïcs ». Le
prestige de la confession et l’estime qu’on avait pour elle s’étaient tellement
accrus qu’à partir de l’an 1000 environ, on se confessait, dans les cas de
nécessité, même à un laïc. Cette coutume ne disparut peu à peu qu’au moment de
la Réforme, parce qu’elle pouvait être mal
interprétée, dans le sens du sacerdoce laïc protestant.
La
première justification théologique de cette confession à un laïc se trouve dans
un écrit pseudo‑augustinien (vers 1100), « De vera et falsa pœnitentia ».
On y lit : « Si grande est la vertu de la confession qu’à défaut d’un
prêtre, on peut se confesser à un laïc » (proximo).
La pratique de la confession à des
laïcs s’étendit d’une manière générale, atteignit son apogée au 12ème
et au 13ème siècles et se perpétua jusqu’au début de l’ère moderne,
sans s’atténuer beaucoup. La théorie
a de plus en plus de partisans jusqu’à S. Albert et S. Thomas, et elle est
progressivement abandonnée, surtout à partir de Scot. Comme ministre de l’absolution
en cas de nécessité, on reconnaissait tout chrétien, homme ou femme ;
certains même allaient jusqu’à admettre les païens,
les Juifs et les hérétiques (Gromer, Confession aux laïcs). Cependant on repoussait d’ordinaire
les hérétiques. On considérait comme cas de nécessité, tous les dangers de
mort, tels qu’ils se produisaient dans les voyages sur mer, dans les guerres, à
la chasse, dans les tournois. C’est pourquoi la confession faite aux laïcs n’avait
pas seulement la faveur des gens du peuple, mais encore celle des chevaliers.
Ce qui est le plus important, c’est la discussion théologique sur l’efficacité
de la confession laïque. Sur ce point, les auteurs diffèrent, cependant ils
sont tous favorables jusqu’à Scot. Mais la confession faite à un laïc n’a
jamais été assimilée à la confession faite à un prêtre ; ce n’était jamais
un sacrement complet, cependant on la
considérait comme sacramentelle. S.
Albert compte cinq sortes d’absolutions : l’absolution par Dieu, l’absolution
par le Rédempteur, l’absolution par les saints dans l’Église (ex merito), l’absolution par les prêtres (ex officio) et l’absolution par les laïcs (ex unitate fidei et caritatis ; In Sent. 4, dist.
17, q. 2, a. 58). Il porte ce jugement : « Il faut dire que la
confession laïque a le sacrement de la confession ». Il met d’ailleurs l’accent,
comme tous les scolastiques en général, sur les dispositions subjectives. S. Thomas recommande de même cette
confession : « Bien que le laïc ne puisse pas achever le sacrement en
opérant ce qu’opère le prêtre, à savoir l’absolution, cependant le Grand‑Prêtre (le Christ) suppléera au manque de
prêtre ». Néanmoins il dit de cette confession qu’elle est « d’une
certaine manière sacramentelle », parce qu’elle n’a pas tout le sacrement
(sacram. perfectum) (In
Sent. 4, dist. 17, q. 3, a. 3 sq.). D’après lui, il
faut renouveler cette confession, si possible, devant un prêtre. Alexandre et S. Bonaventure sont plus réservés. D’après Scot, le sacrement de Pénitence consiste dans l’absolution du
prêtre ; c’est pourquoi il n’attribue à la confession laïque que peu de
valeur, il la considère même parfois comme funeste. Elle persista cependant
jusqu’au 16ème siècle et eut pratiquement, en dépit de Scot, un
grand prestige. Au temps de la Réforme, elle disparut et les théologiens posttridentins la combattirent, parce qu’elle aurait pu
être entendue dans le sens protestant.
La confession laïque au temps des Pères. Les
chercheurs protestants prétendent que les martyrs
avaient un pouvoir de remettre les péchés, distinct de celui des évêques. Mais
les martyrs, dans leurs lettres de paix (libelli pacis), suppliaient l’évêque seul d’accorder lui‑même la réconciliation ; ils n’accordaient
pas la réconciliation d’une manière indépendante et en personne (Cf. S. Cyprien, Ep. 17, 3 ; 22,
2 ; 27, 2 ; 33, 1). Sur l’ensemble, cf. Rauschen, 200 sq. ; Vacandard, 65 sq.
Les
charismatiques (πνευματιϰοί)
exerçaient, en tant que laïcs, un certain pouvoir de rémission des
péchés ; mais ce n’était pas dans le sens de Tertullien (De pudic., 21), par opposition au sacerdoce ; ils n’exerçaient
ce pouvoir que pour les péchés légers et quotidiens. Cf. Origène (De orat., 28 et passim) ; Clément (Quis
dives, 41 sq. ; Strom., 6, 13 ; 8, 1). Dans
l’Église grecque, les moines même laïcs ont, pendant des siècles, jusque vers
1250, exercé presque seuls tout le
pouvoir de rémission des péchés. C’est ce qu’affirme le protestant Holl, dans
son livre Enthousiasme et pouvoir pénitentiaire dans le monachisme grec ».
Du côté catholique, Rauschen, Vacandard,
Teetaert et d’autres ont examiné ses conclusions et
les ont trouvées exactes. Rauschen indique, comme
raison, la décadence morale du clergé grec (P. 244). Depuis 800, les moines ont
possédé presque « exclusivement » le pouvoir de rémission même pour
les péchés capitaux. Plus tard, on voulut justifier aussi théoriquement cette
pratique. Cf. au sujet de Holl, Ann. hist.
(Hist. Jahrbuch), 1900, 41 sq. Du point de vue
catholique, Hœrmann arrive aux mêmes conclusions que
Holl. Kœniger, dans la Revue de la fondation Savigny (1914, 575 sq.), donne un excellent
aperçu, au sujet de l’appréciation dépourvue de sens historique, et par
conséquent fausse, d’un certain nombre d’auteurs catholiques, concernant la
confession laïque. Il dit ensuite, dans une recension du livre d’Hœrmann, que les Grecs ne connaissaient pas, comme les
Latins, une confession laïque proprement dite, dans laquelle on insistait
surtout sur la valeur pénitentiaire de la confession, mais une confession
monacale qui reposait sur l’idée de la collation nouvelle du Pneuma perdu, par
un pneumatique. Il écrit : « La communication nouvelle du Saint‑Esprit à un pécheur qui l’a perdu, par le
moyen d’un homme qui le possède manifestement, tel est le fond antique de la
confession monacale grecque... Ici (en Orient), depuis les temps anciens, on
considérait les moines comme les héritiers des charismes du christianisme
primitif, comme des martyrs non sanglants, comme les meilleurs intercesseurs et
les meilleurs connaisseurs du cœur humain ; aussi on leur confessait les
péchés. Ce n’était pas des confessions de nécessité,
mais des confessions régulières. C’est le contraire en Occident ; la confession
de nécessité faite aux laïcs, qui supposait le retrait des pénitences et des
tarifs pénitentiaires, menaça ici et là de devenir une confession régulière.
Mais la loi ecclésiastique au sujet du « prêtre approuvé » et l’insistance
qu’on mit de plus en plus sur le sacrement rendit cela absolument
impossible ». On peut, d’une certaine manière, appeler cette confession
monacale une « confession laïque », car les moines n’étaient pas
ordonnés et n’avaient, par conséquent, pas de caractère sacerdotal. - Le
« père spirituel » (πνευματιϰὸς
πατήρ) 1° Imposait la
pénitence convenable conformément à sa « diacrisis » ;
2° Il prenait souvent sur lui une partie de la pénitence ; 3° Il priait
efficacement pour obtenir le pardon (parrhesia) ;
4° Il recevait assez souvent une illumination d’en‑haut sur le pardon accordé par Dieu. De 1200
à 1500, le pouvoir de remettre les péchés passa peu à peu aux prêtres (Hœrmann, 289).
La confession dans l’Église d’Orient. D’après la
« Confessio orthodoxa »,
publiée par Pierre Mogilas en 1682, chaque Russe doit
aujourd’hui se confesser quatre fois l’an. Les péchés sont divisés en péchés
graves et en péchés véniels. Le péché mortel est défini comme chez nous. Il y a
trois classes de péchés mortels : 1° Les sept péchés capitaux ; 2° Les
péchés contre le Saint‑Esprit ;
3° Les péchés qui sont déjà punis sur la terre (dits péchés qui crient
vengeance au ciel) (E. Beck, Église
russe [1921], 44 sq.). Au sujet de la fréquence
de la confession, Zankow
écrit que, jusqu’à ces derniers temps, il n’y avait, comme confesseurs, qu’un
petit nombre de « vieux prêtres » et c’est pourquoi la confession
était lamentablement négligée dans tout l’Orient chrétien. Mais, depuis quelque
temps, « presque tous les prêtres sont, en vertu de leur fonction, chargés
de confesser ». Quand, dans une église, il y a plusieurs prêtres, le plus
âgé est le confesseur. Il y a aussi des confesseurs spéciaux pour les prêtres
et les séminaristes. Les enfants doivent se confesser à partir de sept ans. Le
lieu de confession est l’église. Le secret de la confession est strictement
gardé. Cf. la Constitution de l’Église
orthodoxe bulgare (1920), 67. Au sujet de la confession elle‑même, Gallinicos
dit (Catéchisme, 42) : « Lorsque, dans la tristesse, la contrition et
l’humilité, nous accusons nos péchés au confesseur, la divine grâce descend sur
nous et nous accorde, par la bouche du confesseur, la rémission des
péchés ». « Parfois ( !) est jointe à
la pénitence la remontrance que fait le confesseur à celui qui a péché
gravement, non pas pour satisfaire la justice divine qui l’a été une fois pour
toutes par le sacrifice propitiatoire de la Croix, mais pour aider celui qui
est tombé, au moyen d’une diète médicale, à se relever plus vite ». Ce n’est
donc pas pour une raison de satisfaction, mais en vue d’une médication. Sur l’importance
des « staretz » russes pour la pénitence,
cf. Tschetwerikoff,
livraison spéciale de « Una Sancta », l’Église d’Orient (1927),
63-75.
La confession des religieuses à leur
supérieure
est signalée au Moyen‑Age. L’abbé
étant considéré comme le « père spirituel », on considéra aussi l’abbesse
comme la « mère spirituelle ». On rencontre ce titre dans les écrits
de l’époque. On y trouve aussi l’exhortation pressante aux religieuses d’ouvrir
entièrement leur cœur. Innocent III apprit la chose et s’y opposa
énergiquement, dans une lettre adressée aux évêques et aux abbés d’Espagne (ipsarum confessiones criminalium audiunt, de quibus miramur non modicum ; il appelle cette pratique choquante et absurde ; Regesta 13, Ep. 187 : M. 216, 530 ; cf. Dict. théol., 1, 19 sq., v. Abbesses).
Au reste, une « confessio disciplinaris »
(la coulpe), qui a toujours été en usage dans les monastères, n’a rien à voir
avec la confession sacramentelle, qui est la même pour tous et dont le but
premier est la rémission des péchés et non la conduite et l’avancement dans la
vie spirituelle.
Appréciation. Dans tous
les cas où il est question de diacres
ou de laïcs comme ministres de l’absolution,
il ne peut s’agir que d’un secours dans l’exercice subjectif de la pénitence, d’un
accroissement de l’« opus operantis » ;
mais il ne s’agit jamais de l’administration du sacrement (opus operatum).
Le sceau sacramentel. Il ne faut
pas le chercher dans l’antiquité, avec sa forme actuelle et l’obligation de
conscience qu’il impose aujourd’hui. S. Augustin avait posé cette règle :
« Qu’on reprenne donc devant tout le monde les fautes commises devant tout
le monde, et plus secrètement, les fautes plus secrètes » (Sermon 82, 7,
10). Cette théorie fut introduite dans la pratique par S. Léon 1er.
Il est « le premier qui, pour les péchés secrets, ait exigé la seule
confession secrète, ainsi que le secret strict de la part du confesseur »
(Kurtscheid,
Sceau de la confession). Un siècle plus tard, on trouve une mesure semblable
dans l’Église d’Orient. Dans l’Église d’Occident, ce n’est qu’assez tard, après
S. Léon 1er, au 9ème siècle, qu’on mentionne le sceau
sacramentel (Ibid., 32). Il est clair qu’avec le précepte de la confession
annuelle (1215), on dut insister davantage sur l’observation du secret de
confession. Au cas où la confession se fait à l’aide d’un interprète, celui‑ci est également tenu au secret, comme, au
reste tous ceux qui apprennent quelque chose de la confession (Can. 889, § 2).
THÈSE. Pour quiconque a péché
gravement après le baptême, la réception du sacrement de Pénitence est
prescrite. De foi.
Explication. La question
du sujet de la Pénitence est identique à celle de la nécessité de ce sacrement.
Le Concile de Trente insiste sur le
devoir de la réception de la Pénitence pour tous les péchés graves et la
déclare nécessaire au salut : « Si quelqu’un dit que la confession
sacramentelle n’a pas été instituée d’après le droit divin ou bien qu’elle n’est pas nécessaire de droit divin... qu’il soit
anathème » (S. 14, can.6 : Denz., 916). Le
Concile écarte l’objection d’après laquelle ce serait le 4ème
Concile de Latran qui aurait institué la confession et dit : « L’Église
n’a pas décidé par le Concile de Latran que les fidèles se
confesseraient ; car elle reconnaissait que cela était déjà nécessaire et
avait été institué de droit divin » (Ibid., c. 5 : Denz., 901 ; cf. Denz., 587,
725).
Preuve. Que tout pécheur coupable de péché grave doive recevoir le sacrement de
Pénitence, soit effectivement (in re) soit en désir (in voto),
cela ressort de tout ce que nous avons dit jusqu’ici sur le sacrement et son
institution. Il faut se reporter aussi à ce qui a été dit auparavant sur la
distinction entre les sacrements des morts et les sacrements des vivants.
L’histoire du péché mortel est difficile. D’une
manière générale, à l’époque des Pères, le jugement était moins sévère qu’aujourd’hui.
Cependant on ne considérait pas comme graves
seulement les trois péchés capitaux. Tertullien déjà compte, en outre, la
fraude, le reniement de la foi et le blasphème (De pudic.,
19), ainsi que le faux témoignage (Adv. Marc., 4, 9), comme péchés mortels. En
Orient, on nomme encore la divination et la sorcellerie (S. Basile, S. Grégoire
de Nysse). On était moins sévère pour l’hérésie et le
schisme (Rauschen,
186). S. Augustin s’opposa au laxisme de son temps et étendit la notion de
péché mortel en s’appuyant sur le catalogue de vices que donne S. Paul, ainsi
que sur le décalogue (Adam, Rémission
des péchés, § 4). Il avoue cependant : « La distinction entre un
péché léger et un péché grave ne se mesure pas d’après le jugement humain, mais
d’après le jugement de Dieu » (Enchir., 78). Le
pseudo‑Augustin compte une fois comme péchés
graves tous les péchés contre le décalogue (Sermo
351, 4, 7). Cassien connaît, en dehors des trois péchés mortels connus, l’ivresse,
le vol, le pillage (Collat., 23, 15). Le Concile espagnol d’Elvire (vers 300)
compte jusqu’à dix‑huit péchés
mortels (Can. 1-7 : Héfélé,
1, 288). Plus tard, le nombre des huit ou des sept péchés dits capitaux devint
habituel. Cf. Rauschen,
186 sq. ; Vacandard,
90 sq. ; Adam, La notion d’Église
chez Tertullien (1907), 86 sq. ; Hœrmann, 136.
La confession des malades. Son origine
se trouve dans l’ordonnance de l’Église ancienne prescrivant de réconcilier les
pénitents mourants, même avant l’achèvement de leur pénitence. S. Cyprien
atteste déjà cette pénitence privée des mourants pour Carthage et Rome (Ep. 18,
1 ; 19, 2 ; 8, 2). Le treizième canon du Concile de Nicée
ordonne : « Par rapport aux mourants, il faut observer maintenant
encore l’antique règle de l’Église, d’après laquelle, lorsque quelqu’un est
près de la mort, il ne doit pas être privé du dernier et plus nécessaire
viatique » (Héfélé,
1, 400). Les anciens conciles veulent qu’on donne l’absolution aux malades sans
connaissance, quand la maladie les a surpris pendant la pénitence. C’est
également le jugement de S. Innocent 1er (Denz.,
95), de S. Célestin 1er (Denz., 111), de
S. Léon 1er (Denz., 147). Cependant il
fallait toujours que les sentiments de pénitence soient manifestés par des
signes ou attestés par des témoins. Quant aux mourants qui n’avaient que des
« péchés quotidiens », il est difficile de déterminer jusqu’à quel
point ils désiraient l’absolution ecclésiastique. S. Augustin exprime, à mainte reprise, cette pensée générale que
« même des chrétiens et des prêtres éprouvés, après la réception du
baptême, ne doivent pas sortir de cette vie sans une pénitence convenable et
suffisante ». Il récitait pendant sa dernière maladie, « en versant beaucoup
de larmes », les psaumes de la pénitence, mais on ne rapporte pas qu’il
ait demandé l’absolution ecclésiastique ; au reste, il n’est jamais dit,
dans sa vie, qu’il l’ait réclamée. Cf. la communion des malades, plus haut, §
184.
L’esquisse
que nous avons donnée de la confession laïque nous montre l’importance qu’on
attribuait, au Moyen‑Age, aux
sacrements des mourants. La théologie moderne soutient l’obligation de la
confession pour les péchés mortels, en cas de danger de mort.
La confession des enfants. Son
histoire n’est pas encore éclaircie. On ne peut pas la mettre en relation avec la
communion des enfants, laquelle apparaît dans une lumière très nette. Le 4ème
Concile de Latran oblige tous les fidèles parvenus à l’âge de discrétion à la confession
annuelle. Avec l’âge de discrétion commence pour eux le danger et la
possibilité du péché même mortel. Mais même avant
le 4ème Concile de Latran, la confession des jeunes n’était pas
inconnue. Les anciens et même les plus anciens pénitentiels (vers 600)
contiennent quelques rares exemples de pénitence d’enfants (Vacandard, 126 sq.). D’ordinaire,
il s’agit, dans les pénitences publiques, de jeunes gens ou de jeunes filles
impudiques, auxquels on imposait une pénitence de quarante jours et, dans les
plus mauvais cas, d’un an ou de deux ans. Cf. Hœrmann, Étude sur les
pénitentiels, dans la Revue de la
fondation Savigny (part. cath)., 1914, 385 sq. On
cite deux confesseurs célèbres l’un, au début, et l’autre, à la fin du Moyen‑Age qui s’occupèrent, tout au moins, de la
confession proprement dite des jeunes étudiants : Alcuin (+ 804, cf. son exhortation à la confession : M 101,
648 sq.), et Gerson (+ 1429) le
célèbre chancelier de l’Université de Paris (cf. son livre « De parvulis trahendis ad Christum »). Comment se comportait‑on, en pratique, pour la confession du reste
de la jeunesse, il est difficile de le dire. Des recherches scientifiques à ce
sujet donneraient sans doute peu de résultats satisfaisants. « Il ne
semble pas que la confession des enfants, avant la réception de la première
communion, ait été en usage à Mayence au 16ème siècle ; ou
bien, si elle l’avait été, elle était tombée en désuétude », écrit Veit
(Église et réforme ecclésiastique dans l’archidiocèse de Mayence [1920], 78).
Il semble bien qu’elle n’était pas encore en usage. Il ne faut pas conclure de
la communion des enfants à la confession des enfants. Sur ce point aussi nous
avons fait de grands et même de très grands progrès.
THÈSE. Par le sacrement de Pénitence,
le pécheur repentant reçoit la rémission de tous ses péchés graves commis après
le baptême et toujours la remise des peines éternelles. De foi.
Explication. Le Concile de Trente
a défini que le sacrement de Pénitence « réconcilie les fidèles avec Dieu,
toutes les fois qu’ils sont tombés dans le péché après le baptême » (S.
14, can. 1 : Denz., 911). Il désigne, comme
« essence et effet de ce sacrement, la réconciliation avec Dieu ». En
réponse à l’objection de ceux qui disent que le sacrement produit des angoisses
de l’esprit et des tourments de la conscience, le Concile signale la paix et la
tranquillité du cœur qui sont souvent unies à la réception pieuse (Cap. 3).
Preuve. Il est à peine besoin de présenter une argumentation
spéciale, car tout ce que nous avons dit jusqu’ici avait pour but de démontrer
que le sacrement de Pénitence est un véritable sacrement de rémission des péchés.
Si le Christ a transmis à ses Apôtres le pouvoir de remettre les péchés, et
cela avec des paroles qu’il emploie lui‑même
quand il exerce son propre pouvoir de
remettre les péchés, il faut que l’action des Apôtres soit suivie de la même
efficacité que la sienne. Or quand lui‑même
remettait les péchés, ils étaient vraiment remis, le pécheur en recevait la
certitude expresse, il s’en allait accompagné de la paix de la conscience
(Math., 9, 1-8 ; Marc, 3, 28 ; Luc, 7, 50).
Les Pères. Ils mettent
en parallèle la Pénitence et le Baptême
et attribuent, par suite, à la Pénitence un véritable effacement des péchés et
une véritable réconciliation avec Dieu. Il est vrai que les auteurs protestants
objectent à cela que les Pères ne reconnaissaient la valeur de la pénitence ou
de l’absolution qu’au for ecclésiastique externe.
Seulement la distinction entre le for ecclésiastique et le for divin était
inconnue des anciens. Comment aurait‑on pu admettre
les réconciliés à l’Eucharistie, si on ne les avait pas considérés comme
dignes, au même titre que ceux qui n’étaient pas tombés ? Il est vrai que
les Pères n’ont pas développé de théorie claire sur ce point. L’exemple de
Lazare servait à illustrer la remise, par l’Église, des peines
canoniques ; mais ces peines n’étaient considérées comme remises que parce
que l’on croyait que la faute (culpa) avait été pardonnée par Dieu (Cf. Poschmann, 4,
309 : Absolution).
La
Scolastique commença, la première,
des recherches plus précises sur l’efficacité du sacrement de Pénitence, sans
arriver d’abord à un jugement concordant. Si l’on mettait l’accent sur la
contrition subjective, on ne pouvait pas attribuer au sacrement objectif des
effets puissants. Il y eut, à ce sujet, toute une série d’opinions. D’après
Abélard, son élève Roland, Pierre Lombard etc., c’est la contrition qui opère
la rémission des péchés ; le sacrement opère seulement la réconciliation
ecclésiastique et la remise des peines canoniques temporelles. D’après d’autres,
comme Guillaume d’Auxerre, Alexandre de Halès, S. Bonaventure,
le sacrement opère la rémission des peines temporelles ; d’après Hugues et
Richard de Saint‑Victor, il opère la rémission des
peines éternelles. D’après Robert Pulleyn, le
sacrement opère, en outre (ex opere operato), la grâce seconde (augmentum
gratiæ). Cela représentait un important progrès, car
pendant longtemps, on n’avait pas su se faire à l’idée d’attribuer à un moyen créé la production de la grâce divine. S. Albert le G. attribue encore, avec d’autres, au sacrement lui‑même, la suppression des peines temporelles
et à la contrition, la suppression de la faute ; mais seulement à condition
que le désir du sacrement soit inclus
en elle. S. Thomas ne nie pas que la
contrition opère, avant la réception effective du sacrement, la réconciliation
complète, la communication de la grâce (gratia prima)
et l’effacement de la faute, quand
elle est unie au désir du sacrement. L’absolution est, d’après lui, la
forme ; la contrition et la confession sont la matière ; à l’absolution
appartient l’effet principal et la contrition coopère, pourvu qu’elle soit mise
en relation avec le pouvoir des clefs. Or la grâce est la forme par laquelle le
péché est effacé et l’âme justifiée et sanctifiée devant Dieu. Bucheberger, 25
sq.
La
grâce sacramentelle produite par le sacrement
de Pénitence, conformément à ce que nous avons exposé dans la doctrine générale
des sacrements, peut être caractérisée comme étant précisément la grâce
sanctifiante qui donne une nouvelle vie et guérit. Cette grâce est unie au
complexus des grâces actuelles, par lesquelles l’âme qui a été morte et blessée
est protégée contre ses faiblesses et préservée de la rechute. Une profonde paix se répandra, tout au moins en règle
générale, dans l’âme, comme un don de Dieu (Trid., 2.
s. 14, c. 3).
Dieu
pardonne les péchés d’une manière absolue
et non conditionnelle. Par suite, ils demeurent pardonnés, même si la grâce
sanctifiante recouvrée se perd par de nouveaux péchés graves. Quelques
scolastiques primitifs pensaient à un « reditus peccatorum » (S. th., 3, 88, 1-4 ; cf. Gillmann,
Guillaume d’Auxerre).
C’est
également la doctrine générale des théologiens que tous les mérites, acquis
précédemment et qui étaient morts par le péché, revivent (opera mortificata
reviviscunt). Cf. plus haut § 136 et S. th., 3, 89. S. Bonaventure considère comme une
opinion « moderne » des docteurs, l’affirmation qu’il n’y a pas de
reviviscence « quoad culpam ».
Au
sujet de la confession de dévotion,
qui dut sûrement son origine à l’influence des monastères et qui consistait
souvent à se confesser toutes les semaines et même tous les jours, cf. Lechner, Richard de M., 304 sq. Dict.
théol., v. Confession.
THÈSE. Le sacrement de Pénitence est
absolument nécessaire au salut pour tous ceux qui ont péché gravement après le
baptême.
De foi.
Explication. Le Concile de Trente
enseigne : « Or ce sacrement de Pénitence est nécessaire au salut
pour ceux qui sont tombés après le baptême, comme le baptême lui‑même est nécessaire à ceux qui ne sont pas encore
régénérés » (S. 14, c. 2 : Denz., 895).
Comme le sacrement est reçu en faisant la confession, sa nécessité résulte
aussi du canon suivant : « Si quelqu’un dit que la confession n’est
pas, de droit divin... nécessaire au
salut... qu’il soit anathème » (Can. 6 : Denz.,
916). En cas d’impossibilité de le recevoir, le désir (votum)
du sacrement suffit.
Preuve. Cette nécessité résulte simplement des paroles par
lesquelles le Christ l’a institué ; ou, plus précisément, en vertu du
pouvoir qu’il a donné aux Apôtres, de retenir également les péchés au pénitent,
en vertu du pouvoir des clefs. Ce pouvoir n’aurait aucun sens si l’on pouvait
se passer du sacrement. Une autre
considération nous amène à la même conclusion : si le Christ a institué
les Apôtres comme ses représentants pour juger les affaires du péché, il en
résulte nécessairement que les pécheurs ont le devoir de se soumettre au
jugement qu’il a établi.
Les Pères. Tertullien
appelle le sacrement de Pénitence un baptême pénible. S. Jérôme l’appelle la
deuxième planche de salut après le naufrage. Il en résulte que, dès le début,
on avait l’habitude de mettre la Pénitence et le Baptême en parallèle, tout à
fait dans le sens du Concile de Trente. S. Augustin connaît et recommande
vivement la pénitence privée pour les « péchés quotidiens ». Pour ce
qui est des péchés graves, il exhorte instamment à faire usage du
sacrement : « Faites la pénitence qui est en usage dans l’Église,
afin que l’Église prie pour vous. Que personne ne dise : Je la fais
secrètement, je la fais devant Dieu ; Dieu que je prie de me pardonner
sait que je la fais dans mon cœur. C’est donc en vain qu’il a été dit : Ce que vous délierez sur la terre,
sera délié dans le ciel ? C’est donc en vain que les clefs ont été
conférées à l’Église de Dieu ? Est‑ce que vous
voulez enlever sa force à l’Évangile ? Est‑ce que vous
voulez anéantir les paroles du Christ ? » (Sermo
342, 3).
Se
passer volontairement du sacrement est donc impossible ; quand on est empêché,
malgré soi, de recevoir le sacrement, on peut y suppléer par la contrition
parfaite et le désir de le recevoir. Mais, comme cette réception spirituelle n’existe
que dans le cas de nécessité réelle, l’Église ne permet pas qu’un pécheur,
coupable de péché mortel, se dispose en s’excitant à la contrition parfaite (quantumvis sibi contritus videatur) à la
réception de l’Eucharistie. La raison, c’est que, tout d’abord, l’Eucharistie n’est
pas un sacrement nécessaire au salut, et ensuite, que sa dignité exige la plus
grande pureté possible. Mais quand une nécessité morale oblige un prêtre
coupable de péché mortel à célébrer la messe, il peut « n’ayant pas la
possibilité de se confesser » se contenter de la contrition
parfaite ; mais il doit « se confesser le plus tôt possible »
(S. 13, c. 7 ; C. J. C., can. 807). Ce court délai est fixé par les
moralistes à « trois jours au plus ».
Aperçu
l’Église sommaire de l’évolution de la discipline pénitentiaire dans primitive.
1.
Pour les manquements quotidiens, on doit, d’après la doctrine de Jésus, réciter
chaque jour le « Notre Père » : « Pardonne‑nous nos offenses ». En cas de faute
grave et d’impénitence, on doit considérer le pécheur comme un « païen et
un publicain ».
2.
Pendant près de deux cents ans, l’Église se contenta de cette règle. Sa situation
changea pendant les persécutions sanglantes où plusieurs apostasièrent, et,
plus encore, à l’époque de la paix, où des foules, dont tous les éléments n’étaient
pas désirables, affluèrent à l’Église.
3.
Trois péchés particulièrement : l’apostasie, l’adultère et l’homicide
heurtèrent la conscience de l’Église ; on les considérait comme païens et
on les nomma péchés capitaux, à la distinction des « péchés
quotidiens ». Le nom apparaît dans l’histoire entre le traité de Tertullien :
« De pœnitentia », et son traité :
« De pudicitia ».
4.
L’Église excommunia ceux qui étaient coupables de ces péchés ; elle leur
interdit l’Eucharistie, parce qu’ils avaient brisé le sceau du baptême et
étaient devenus pratiquement païens.
5.
Si le pécheur coupable des péchés capitaux était repentant, l’Église lui
permettait, à sa demande, un nouveau moyen de salut, la pénitence. La pénitence
était grave, comme le péché lui‑même. Elle
était dirigée par l’évêque. D’abord l’évêque était instruit du délit, soit par
une accusation personnelle, soit par une dénonciation, soit par l’exercice de
son ministère. Alors (d’ordinaire pendant l’office du dimanche) il donnait la
réprimande pénitentiaire secrète (correptio secreta), puis il
prononçait publiquement l’excommunication
sur le pénitent ; il déterminait, à son gré ou selon les canons synodaux,
la pénitence et sa durée (dare pœnitentiam).
Le pécheur l’acceptait en recevant l’imposition des mains et la bénédiction de
l’évêque (accipere pœnitentiam).
Il appartenait désormais à l’état des pénitents (ordo pœnitentium).
Les pénitents, la tête rasée et portant des vêtements de poil de chèvre, se
tenaient à la place qui leur était réservée dans l’église ; ils
assistaient à tout l’office, mais ne participaient ni à l’offrande ni à la
communion. La pénitence comprenait, en outre, la prière, le jeûne, les aumônes,
la continence dans le mariage, l’éloignement de toutes les affaires publiques et
notamment du service militaire. La durée de la pénitence était variable. Pour l’apostasie,
un péché de luxure qualifiée (violation d’un vœu de religion) et d’autres
péchés graves, elle durait toute la vie ; elle n’était pas si longue pour
les délits habituels. Au temps de S. Innocent 1er (417), la coutume
romaine était que ces pénitents reçussent, comme les autres fidèles, la
communion, le dimanche des Rameaux. Peut-être leur pénitence coïncidait‑elle avec la pénitence habituelle pendant le
Carême. En cas de maladie grave, tout pécheur était réconcilié immédiatement, conformément au can. 13
du Concile de Nicée. Cependant un concile espagnol d’Elvire (300) nomme dix‑sept péchés avec cette clausule :
« Ne recevra pas la communion à sa dernière heure » (Poschmann, 4,
148, 152). En cas de guérison, il fallait reprendre la pénitence.
6.
Cette pénitence n’était accordée qu’une
fois (un seul baptême, une seule pénitence). Les récidivistes étaient
considérés comme des apostats qu’on abandonnait au jugement de Dieu.
7.
Les péchés capitaux, qui étaient d’abord au nombre de trois, devinrent bientôt plus nombreux. Sur quels principes s’appuya‑t‑on pour en
augmenter le nombre ? Il est difficile de le dire. Leur notion ne coïncide
pas avec ce qu’on appelle aujourd’hui « péché mortel ».
8.
A cause du déshonneur qu’entraînait la pénitence et à cause de sa sévérité, on
la redoutait et on l’évitait, ce dont
se plaint particulièrement S. Augustin. K.
Adam croit pouvoir justifier par ces circonstances l’établissement d’une
pénitence privée dirigée par l’Église et trouve que S. Augustin lui a
« préparé les voies ». B. Poschmann s’est élevé immédiatement contre cette
opinion et il en est resté, dans ses études récentes, dans lesquelles il
continue ses recherches jusqu’à S. Grégoire 1er, à son ancienne
thèse, à savoir que « l’Église est demeurée attachée par principe à l’antique
discipline pénitenciaire chrétienne ». Il
ajoute : « Nous cherchons encore (600) en vain une pénitence
ecclésiastique privée avec absolution secrète ». Cependant comme la
pénitence publique paraissait très dure, elle disparut peu à peu. Néanmoins l’Église
s’efforça, par des exhortations pastorales, d’amener les pécheurs à se
convertir et à accepter une pénitence
privée « de dévotion ». Cette pénitence prenait la forme d’une
« conversion (monastique), sanctionnée par la bénédiction
ecclésiastique ». Cette pénitence passa bientôt pour l’équivalent de la
pénitence publique. Elle ne comportait pas de déshonneur extérieur ; elle
en vint même à obtenir une certaine considération générale. Elle ne supposait
pas toujours les graves crimes capitaux, mais on l’acceptait même pour des
fautes ordinaires. La confession qui se faisait à cette occasion « était
moins une confessio sacramentalis
qu’une directio spiritualis ».
« Il lui manquait l’absolution (ecclésiastique) ». Mais « il n’y
avait qu’une petite partie des chrétiens » à accepter cette forme de
pénitence. « En dernière analyse, l’accès à la communion était laissé au
jugement de la conscience individuelle ». Une absolution (reconciliation) n’était unie qu’à la pénitence publique. Et
comme cette réconciliation, avec la recommandation de l’Église, ne se faisait
que vers la fin de vie, les fidèles qui étaient en pleine vie « ne
disposaient d’aucun moyen sacramentel de pénitence ». La pénitence n’avait
« pratiquement aucun rôle pour la vie », elle était devenue « un
moyen de préparation à la mort ». Lorsque S. Colomban parut en Gaule, vers
600, il trouva encore la foi, mais pas de « pœnitentiæ
medicamenta ». (M. 87, 1017). Les missionnaires
nordiques n’ont pas seulement renouvelé, dans leurs territoires de mission, l’esprit
de pénitence dont ils étaient remplis, « mais encore ils ont donné la
pratique pénitentiaire, ecclésiastique et sacramentelle, une nouvelle forme,
alors que cette pratique, dans son évolution précédente, était arrivée à un
point mort ». C’est par eux qu’on arriva, pour la première fois, à la
pénitence privée sacramentelle dans le sens actuel. Les recherches de Browe sur la communion à cette époque (cf. plus haut § 185
in fine) s’accordent avec cette conclusion. Outre ces deux conceptions, il y en
a encore une troisième : la pénitence privée ecclésiastique a toujours existé à côté de la pénitence
publique et même avant (Brewer, Rev. d’Innsb., 1921, 1 sq.). Chacune de
ces opinions a des partisans. Les partisans de la dernière recourent volontiers
au syllogisme suivant : l’Église n’aurait pas été infaillible si elle
avait à quelque moment laissé les fidèles manquer des moyens sacramentels
nécessaires. A ce syllogisme le jésuite français Galtier répond : La question est de savoir « utrum Ecclesia, ab initio jam ita explicite professa est dogma
quod contra hæreticos postea
definivit ».
La
confession était la condition
préalable nécessaire de la pratique pénitentiaire, que ce fût une accusation
personnelle ou bien un aveu. Pour les péchés secrets - quoi qu’en disent des chercheurs catholiques qui veulent
que jusque vers 400 on ait exigé la confession publique pour les péchés secrets - la confession était toujours secrète. En était‑il de même dans la pénitence publique ? C’est discutable. Il
semble cependant que, d’après S. Léon et S. Augustin (malgré le Serm. 82, 7, 10), il faille répondre affirmativement. Tixeront juge : « La confession sacramentelle
publique est un de ces mythes qui doivent disparaître de l’histoire ». C’est
aussi l’avis d’Adam, de Poschmann, de Galtier. Il est
établi cependant que, pour les péchés capitaux secrets, on exigeait la pénitence publique (pas la confession
publique), ce qui, assurément, donnait une certaine
publicité au péché. Les péchés secrets
ne pouvaient être connus du prêtre que par l’accusation que lui en faisait le
coupable ; confesser ces péchés au prêtre était un devoir de conscience.
L’absolution est un point important dans l’histoire
de la pénitence ; c’est en elle que se manifeste le pouvoir sacramentel
des clefs, que possède l’Église. Or
il est certain que l’Église s’est attribué non seulement le droit de porter l’excommunication
et d’exclure de l’Eucharistie, mais encore celui de recevoir de nouveau dans la
communauté des communiants. Or, pour la communion, elle exige l’exemption de
péché. La question qui se pose est de savoir si l’Église faisait dériver le
pardon complet, de l’absolution - c’est là le point de vue de la Scolastique -
ou bien le faisait dériver aussi de
la pénitence accomplie par le pécheur. Cette dernière hypothèse est celle qu’admet
l’histoire récente de la pénitence. Elle affirme même souvent que, dès le
début, l’Église a mis le plus fort accent sur les actes de pénitence. L’Église,
en effet, s’appuyait sur la pénitence pour conclure que Dieu avait pardonné le
péché et ce n’est qu’ensuite qu’elle exerçait, de son côté, son ministère de
rémission des péchés. Tel était le point de vue de S. Augustin et surtout de S.
Grégoire 1er. Quand Dieu a accompli le pardon de la faute, l’Église peut délier les chaînes
de la peine (S. Grégoire : « L’absolution
du confesseur est valable quand elle est conforme à la volonté et à l’action
miséricordieuse du juge invisible (Dieu) » (In Ev.
2 hom. 26, 6). A ce sujet, Poschmann (4, 257)
remarque : « Il est manifeste que Grégoire, avec sa conception, ne traite
pas comme il faut, dans son sens plein, le pouvoir d’absolution de l’Église,
tel qu’il fut dogmatisé plus tard (au Concile de Trente) ». Il vaudrait
mieux dire que la théologie des Pères (S. Aug., S. Grég.,
etc.) n’a pas encore atteint la clarté de la théologie scolastique qui reçut
plus tard la sanction ecclésiastique. Ce qui reste certain, c’est que l’Église,
conformément à Math., 18, 18, s’attribua le pouvoir de remettre les péchés et
voulut l’exercer. Remarquons encore qu’il y avait deux sortes d’excommunication :
une excommunication temporaire pour les fidèles pénitents et une
excommunication perpétuelle pour les opiniâtres (contumaces). On n’était relevé
que de la première (après la pénitence). - Les difficultés historiques sont les suivantes : 1° L incertitude dans l’énumération des péchés capitaux ;
2° Le défaut de distinction entre le for interne et le for externe, ou entre le
sacrement et le droit canonique ; 3° Le principe de non réitération de la
pénitence ou la « pœnitentia una » ;
4° L’exclusion des clercs, de la pénitence.
A
consulter : S. Thomas, Suppl.,
q. 25-27. Bellarmin, De indulgentiis (Colon., 1600). Suarez, dist. 48-57. Passerini, De indulgentiis
(Rome, 1672). Chr. Lupus, De peccat. et satisf.
indulgentiis (Lovan., 1726).
Amort. De origine,
progressu, valore ac fructu indulgent. (August. Vind., 1735). De indulgentiis in genere et in specie (1751). Collet, De indulgentiis,
De jubilæis (Migne,
Curs. compl., 18, 513 sq.,
627 sq.). Benoît 14, de synodo diœcesana, l. 13, c. 18. Melata, Manuale de indulgentiis (1898). Palmieri, 443 sq.
Beringer, Les indulgences, 2 vol. (15e
éd., 1920). Lépicier,
Les indulgences, leur origine, leur nature, leur développement, 2 vol. (1904),
C. J. C., can. 911-936.
Notion
et espèces. L’indulgence est la remise extra‑sacramentelle des peines temporelles dues au péché,
dont on reste encore passible après la rémission du péché. Cette remise se fait
en vertu du pouvoir des clefs que possède l’Église et en raison du trésor de l’Église,
comme aussi des actions morales personnelles.
L’explication
correcte du dogme est ici, comme toujours, la meilleure apologie. L’indulgence
est la remise des peines dues au péché, des peines temporelles et non des peines éternelles ;
c’est la remise des peines, et non de
la faute, laquelle doit déjà être
remise par le sacrement. Les protestants objectent ici qu’au Moyen‑Age, à partir du 13ème siècle, il
était devenu habituel d’accorder des indulgences, non seulement pour les
peines, mais aussi pour la faute, parce qu’il y a, dans plusieurs bulles et
rescrits d’indulgence, « plenaria indulgentia a pœna et a culpa ». L’historien protestant des
indulgences, Brieger, affirme que, par là, au mépris de toute dogmatique, la nature des
indulgences a été changée (REPT., 9, 84). Seulement la chose s’explique d’une
manière très simple et dogmatiquement correcte. Des historiens des indulgences,
comme N. Paulus, Jansen et E. Gœller, ont établi dans
leurs recherches historiques que, par cette expression qui prête, il est vrai,
aux malentendus, on n’entendait pas l’indulgence dans notre sens. Il s’agissait
d’un « confessionale » (lettre de
confession) ; ce confessionale autorisait, en
danger de mort (in articulo mortis)
et même plus tard dans la vie, à choisir un confesseur
à son gré. Ce confesseur avait le pouvoir d’absoudre, en confession, de tous
les péchés, même des péchés réservés au pape et ensuite d’accorder aussi l’indulgence de toutes les peines dues au
péché. Ainsi donc seul le dernier acte était une indulgence plénière dans le
sens où nous entendons aujourd’hui le mot (Gœller, La pénitencerie papale,
1, 1, [1907], 227sq.). « L’indulgence plénière, en vertu du confessionale », n’est autre chose que l’extension et
l’application particulière de l’indulgence plénière déjà existante, notamment
de l’indulgence de la croisade » (Ibid., 242). Ce « confessionale » n’était pas un « titre spirituel »,
pas davantage un « chèque sur les péchés futurs », car son emploi
restait conditionné moralement. Autrement, il faudrait dire que le sacrement de
Pénitence est lui aussi un « chèque ». N. Paulus remarque, au sujet
de cette expression issue probablement de la piété populaire et en tout cas peu
heureuse, qu’on peut aussi donner une explication dogmatiquement correcte des
bulles plus anciennes : « C’était, en toute vérité, une absolution de
la faute et de la peine. Il se passe encore aujourd’hui, dans certains cas,
quelque chose de semblable ; c’est quand un prêtre, après une confession
contrite, absout le pénitent de ses péchés et lui accorde, immédiatement après
l’absolution sacramentelle, en vertu des pouvoirs concédés par le Pape, une
indulgence plénière » (Th. Gl., 1913, 729). Mais
il remarque ensuite, et le prouve au moyen de témoignages du Moyen‑Age, que l’expression en question, tout au
moins dans les bulles postérieures, désignait, d’après la conception dogmatique
d’alors, l’indulgence plénière telle que nous l’entendons aujourd’hui (Cf. Th. Gl., 1913, 12 sq., 470 sq.). Harnack ne témoigne donc pas d’une
connaissance bien profonde du Moyen‑Age, quand
il dit (3, 710) que l’Église, avec l’indulgence, a « créé un second
sacrement de Pénitence ». L’indulgence est essentiellement distincte du
sacrement ; elle n’est pas un sacrement et, par conséquent, son action n’est
pas sacramentelle, pas plus que sa collation n’est un acte sacramentel. C’est
plutôt un acte de juridiction. L’indulgence est accordée en dehors du sacrement
de Pénitence (in foro externo,
non interno). Et parce que la juridiction fait partie
du pouvoir général de délier que possède l’Église, l’indulgence est accordée en
vertu de ce pouvoir ecclésiastique et
elle ne peut être concédée que par ceux qui l’exercent hiérarchiquement.
Le
trésor de grâces de l’Église
(thesaurus Ecclesiæ) est la source matérielle des
indulgences. En effet, l’Église puise dans les « mérites inépuisables du
Christ et des saints » et offre à Dieu une compensation pour les œuvres de
pénitence qui sont précisément remises à ceux qui gagnent des indulgences.
Espèces. D’après
leur valeur ou d’après la mesure de la remise de peine accordée, on divise les
indulgences en indulgence plénière (indulgentia totalis, plenaria) et en
indulgence partielle (ind. partialis).
Par l’indulgence plénière sont remises toutes les peines temporelles dues au
péché ; par l’indulgence partielle n’est remise qu’une partie plus ou moins grande de ces
peines. Toutes les autres divisions (universelle, locale, éternelle,
temporaire, réelle, personnelle, solennelle et non solennelle), n’ont pas d’importance
essentielle pour la dogmatique.
Le
dogme de l’indulgence. Deux
points sont considérés comme doctrine de foi : « le pouvoir de concéder des indulgences a
été accordé à l’Église par le Christ » et « l’usage des indulgences doit être considéré comme très salutaire pour
le peuple chrétien ». C’est pourquoi le Concile de Trente frappe d’anathème
tous ceux « qui déclarent les indulgences inutiles, ou bien nient l’existence, dans l’Église, du pouvoir d’accorder
des indulgences » (Denz., 989, 998).
Auparavant
déjà, l’Église avait eu à défendre les indulgences contre Wicleff
et Jean Huss au Concile de Constance. Elles furent défendues également par
Martin V (Denz., 622, 676-678) ; cf. la
condamnation des thèses de Luther par Léon X (Denz.,
757-762) et du Synode de Pistoïe par Pie VI (Denz., 1540-1543). Pierre d’Osma
(+ 1480) ne rejetait pas les indulgences, mais il doutait qu’un vivant pût
recevoir une indulgence dont l’efficacité s’étendît jusqu’au purgatoire
(futur). (Cf. Rev. d’Innsb., 1909, 599-608 et Denz.,
729, A. 1).
Fondement
des indulgences. Les indulgences
reposent sur le dogme du pouvoir des
clefs que possède l’Église, sur celui de la satisfaction du Christ et sur celui de la communion des saints. Ces dogmes ont déjà été exposés en leur lieu.
Il suffit donc d’en faire ici l’application aux indulgences.
Le
pouvoir des clefs a été accordé par
le Seigneur à son Église dans Math., 16, 18 et 18, 18. Ce pouvoir étant
général, il comprend non seulement le domaine du péché, mais aussi celui de la
peine. Et il s’agit ici des peines temporelles
que l’homme lui‑même peut supprimer par des bonnes œuvres.
L’indulgence ne dépasse donc pas la compétence de l’Église. Qui peut le plus
(la rémission des péchés) peut aussi le moins (la remise des peines temporelles
du péché). L’exercice du droit de conférer des indulgences est un acte de juridiction, mais il dépend des dispositions morales de celui qui les
reçoit. L’histoire de cet usage
montre, sans doute, divers aspects selon les temps ; toutes les formes
cependant reposent sur une idée semblable, bien qu’elle n’ait pas toujours été
entièrement la même.
1.
On peut reconnaître une certaine forme biblique
de l’indulgence dans la manière connue dont S. Paul traita l’inceste de
Corinthe. En raison de sa pénitence convenable, l’Apôtre abrégea le châtiment
qu’il avait fixé d’abord (1 Cor., 5, 3-5 ; 2 Cor., 2, 10 sq.).
2.
En raison des lettres des martyrs, il
y eut, dans les premiers siècles, un adoucissement de la pénitence canonique.
Les « lettres des martyrs » appelées alors lettres de paix « libelli pacis », étaient des
lettres de recommandation que les martyrs accordaient aux « lapsi »
qui les leur demandaient, pour leur obtenir d’être admis de nouveau dans l’Église
et de participer de nouveau aux saints mystères, avant l’achèvement de leur
pénitence. L’évêque n’était pas lié par ces lettres, mais il accordait d’ordinaire
la faveur demandée. Aux époques de tiédeur, il put y avoir des abus dans l’usage
de ces lettres et S. Cyprien blâme déjà ces abus (Cf. S. Cyprien, De laps., 18 ; Tertul., Ad mart.,
1).
3.
Un grand zèle dans la pénitence était, à l’époque patristique,
une raison d’adoucir la pénitence canonique. Cet adoucissement était décidé par
l’évêque et, naturellement, cela se faisait suivant les cas et les
circonstances individuelles et non pas d’une manière générale.
4.
Avant l’époque carolingienne apparurent, en Angleterre, les rédemptions de
pénitence qui se répandirent peu à peu sur le continent. Elles consistaient en
ce que le pénitent pouvait changer ses pénitences personnelles (jeûne, vie austère) en pénitences réelles (prières, aumônes). Ces
commutations (commutationes, redemptiones)
se firent bientôt d’après des tarifs déterminés. Étant donné que ces œuvres de
remplacement, notamment l’aumône, sont très recommandées par l’Écriture et que,
d’autre part, on croyait fermement à la « satisfactio
vicaria » du Christ, il est inutile de chercher l’origine de
ces rédemptions dans l’ancien usage germanique du « wergeld ». Il est
clair cependant que ces rédemptions affaiblissaient et altéraient l’esprit de
pénitence personnelle. A partir du 11ème siècle, les rédemptions
devinrent de plus en plus rares et les peines déterminées canoniquement furent
remplacées par des pénitences que le pénitencier imposait à son gré (Goeller, Pénitencerie, 1, 78).
Ces commutations étaient des « indulgences spéciales », car elles
étaient accordées cas pour cas, et ne constituaient pas une condonation,
mais une substitution. L’aumône provenant des commutations était employée à des
œuvres pies. A partir de l’an 1000, l’usage s’introduisit de commuer aussi la
pénitence en pèlerinages, par ex. à Jérusalem, Rome, Saint‑Jacques de Compostelle.
5.
A partir du 11ème siècle, on concède des indulgences générales, c.‑à‑d. des proclamations générales, par
lesquelles on promettait à tous les fidèles, moyennant certaines bonnes œuvres
(aumônes), une remise partielle de leur pénitence et, plus tard, une remise
totale (indulgence de la croisade). Le droit d’indulgence est exercé d’ordinaire
par le Pape, alors que précédemment
il l’était surtout par l’évêque.
Des
abus dans l’usage des indulgences se
produisirent à cette époque plus qu’en tout autre temps. Sans parler des buts
et des intérêts purement humains pour lesquels les indulgences étaient souvent
promulguées, elles devinrent de plus en plus, dans les mains de l’Église et de
ses organes, une source de revenus et d’impôts. Depuis les papes, les évêques,
les princes, les commissaires d’indulgences, jusqu’aux prédicateurs d’indulgences
et aux confesseurs, tous y cherchèrent un profit et ce « gain
honteux », comme dit le Concile de Trente, devait porter sans cesse à la
promulgation d’indulgences nouvelles, si bien que les indulgences se
multiplièrent et s’accrurent sans mesure. Même si on ne tient pas compte des
indulgences apocryphes de milliers, voire de millions d’années (Goeller), d’autant d’années qu’il tombe de gouttes de pluie
dans un jour (N. Paulus), il reste encore assez de scandale. Gottlob et Koeniger voient dans le gain matériel le véritable motif de
la multiplication des indulgences ; mais N. Paulus rappelle qu’il faut
tenir compte aussi du besoin religieux des fidèles : « L’un n’exclut
pas l’autre ». Cependant cet historien des indulgences reconnaît que
parfois les besoins pécuniaires de l’Église passèrent avant les besoins
religieux des fidèles.
6.
La période posttridentine
se caractérise par la disparition des indulgences d’aumône (S. Pie V, + 1572,
supprima les indulgences d’argent) et par l’apparition des indulgences de
prière (indulgence des chapelets, des confréries, des scapulaires, etc.). Il y
a, en outre, une espèce particulière d’indulgence plénière (indulgence in articulo mortis, de l’autel
privilégié, de la bénédiction papale, de l’absolution générale, etc.). Il est
vrai que, dans cette période, les indulgences de prière sont devenues très
nombreuses ; mais on ne peut pas nier que, conformément aux recommandations
du Concile de Trente, on s’est efforcé de s’en tenir à une sage mesure.
Le trésor
de grâces de l’Église (thesaurus Ecclesiæ) est
constitué par les œuvres satisfactoires surabondantes du Christ et de ses
saints. Ces œuvres ne perdent pas leur valeur, même quand, en tant que telles,
elles ne servent pas à leur auteur, mais elles tombent dans le trésor de l’Église
et peuvent ainsi bénéficier à la communauté des saints, en vertu d’une
application faite par le chef de l’Église, au moyen de l’indulgence.
Comme
l’indulgence elle‑même, la
doctrine du trésor de l’Église a subi une évolution. Ce n’est pas dès le
commencement que les papes recoururent à ce trésor pour accorder des
indulgences. Nous pouvons, ici encore, nous appuyer sur les excellentes études
de N. Paulus concernant les indulgences (Th. Gl.,
1914, 284 sq., 476 sq.). Il rappelle, tout d’abord, les lettres des martyrs,
dans lesquelles il trouve, à bon droit, une affinité avec le trésor de grâces
de l’Église ; car il ne s’agissait pas là d’intercession, mais d’une
surabondance d’œuvres satisfactoires qui était appliquée au pénitent. La
conception chrétienne primitive apparaît nettement dans la protestation de
Tertullien devenu montaniste, qui prétend que les martyrs ont assez de leurs
propres péchés à expier (De pudic., 22). Sozomène signale la coutume romaine de l’intercession de la
communauté pour les pénitents après la messe ; mais cette intercession ne
diminuait pas le temps de pénitence (Hist. Eccl., 7,
16 : M. 67, 1459).
Il
y avait une substitution, ensuite,
dans les rédemptions. N. Paulus soutient, contre d’autres catholiques, qu’elles
n’étaient pas immorales, car elles avaient lieu surtout dans les cas de
nécessité, de maladie ou de mort soudaine pendant la pénitence. Il sait bien
que « parfois des personnes en bonne santé » faisaient usage des
rédemptions et qu’un riche, en payant des aides (des moines), pouvait, en
quelques jours, s’acquitter d’une pénitence de plusieurs années ; mais il
remarque que ce pénitent, pendant ces quelques jours, faisait tout de même une
pénitence qui, par rapport à la pratique de nos jours, peut passer pour très
sévère et très pénible. Les théologiens justifient parfois cette pratique pour
le cas de nécessité (Guillaume d’Auxerre, Hugues de Saint‑Cher) ;
cependant S. Thomas refuse même de la
limiter au cas de nécessité (In Sent. 4, dist. 20, q.
1, a. 2, quæstiunc. 3 ; cf. Suppl., q. 13, a.
2). Que Dieu accepte une substitution - bien entendu pour les seules peines
temporelles - on le concluait de l’œuvre rédemptrice du Christ. « Cette
doctrine de la satisfaction par substitution est la base du trésor de l’Église »
(P. 290).
Pour
justifier et fonder les indulgences, les théologiens de la Scolastique
primitive trouvaient un obstacle dans la thèse de leur maître S. Augustin, qui disait que tout péché
doit être puni ou par l’homme dans la pénitence ou par Dieu, «
le péché ne peut rester impuni, ce serait une injustice ;
indubitablement donc il sera puni. Il le sera par toi ou par moi, dit le
Seigneur ton Dieu » (In Ps. 44, 18 : Mo, 36, 505 ; cf. Sermo 19, 2). Ces théologiens cherchèrent donc une
compensation pénale pour la remise de peine qui se trouvait dans l’indulgence
et la trouvèrent dans les suffrages de l’Église pour le pénitent ; on
enseigna également que l’évêque était obligé de satisfaire, personnellement ou
par d’autres, pour les peines remises ; on cherchait encore une
compensation dans les messes, les prières, les aumônes.
On
fut très embarrassé par les indulgences plénières des nombreuses croisades. Est‑ce que la prestation de l’Église suffisait
pour cela ? Guillaume d’Auxerre
semble en douter, mais il ne trouve encore aucune solution de la difficulté.
Cette solution fut donnée plus tard par d’autres théologiens : « Ils
recoururent aux mérites infinis du Christ et aux satisfactions surabondantes
des saints du ciel, ainsi que des justes de la terre » et établirent ainsi
la théorie du trésor de l’Église (P. 476). C’est ce qu’avaient fait déjà, avant
Alexandre de Halès, le dominicain Hugues de Saint‑Cher, vers 1230, et Henri de Segusia (Hostiensis). On pense d’abord
au Christ et aux martyrs. S. Albert ajoute tous les saints vivants et défunts
(In Sent. 4, dist. 20, a. 16). S. Bonaventure invoque
lui aussi le trésor de l’Église, sans donner de raisons précises. S. Thomas, comme toujours, résume l’évolution :
« Les indulgences ont de la valeur devant Dieu pour la remise de la peine
encourue qui subsiste encore après la contrition, la confession et l’absolution.
La raison de leur valeur réside dans
le « corpus Christi mysticum » ou dans l’unité
du corps mystique de l’Église. Car plusieurs membres de l’Église ont plus
satisfait que ne l’exigeait la mesure de leur péché et beaucoup ont souffert,
avec patience, tout en étant complètement innocents et, par conséquent, en
souffrant injustement. Les mérites ainsi acquis surpassent toute la masse des
péchés, surtout en raison des mérites du Christ,
mérites qui, sans doute, agissent déjà dans les sacrements, mais surpassent
infiniment toute l’efficacité des sacrements ». Mais comme les Saints n’ont
pas déjà disposé de leurs mérites, le chef de l’Église, le Pape, peut le faire
et ainsi la satisfaction de l’un profite à l’autre (Suppl. q. 25, a. 1). Au
sujet de la satisfaction par substitution, cf. aussi C. Gent., 3, 158. S.
Thomas n’a pas, comme le prétendent Harnack (3, 608) et d’autres protestants,
emprunté cette théorie au judaïsme d’alors (Maimonides),
mais à la doctrine de la Rédemption ou, si l’on veut, à S. Paul. Les objections
des scolastiques postérieurs, comme celles du dominicain Durand, ou même l’opposition
du franciscain Mayron, n’ont pas arrêté l’évolution
de la doctrine. Aux objections de Durand, qui prétendait que les saints ont
déjà été entièrement récompensés de leurs souffrances, un membre du même Ordre,
Pierre de la Palu, répondit au moyen d’une distinction qui devint désormais
courante : il y a deux aspects
dans une bonne œuvre : l’aspect méritoire et l’aspect satisfactoire. L’aspect
méritoire a déjà reçu sa récompense, mais l’aspect satisfactoire reste encore
utilisable pour d’autres, car plusieurs saints ont plus satisfait qu’ils n’ont péché. Clément
VI, dans une bulle d’indulgence, en 1343, se réfère, pour la première fois
officiellement, à la théorie du trésor de l’Église, mais sans intention de le
définir. « Ce trésor ne doit pas rester inutile, enveloppé dans un
mouchoir, caché dans un champ, mais être confié à S. Pierre, le détenteur des
clefs du ciel, et à ses successeurs et représentants sur là
terre, afin qu’ils puissent l’employer miséricordieusement, avec des motifs
particuliers et raisonnables, tant pour la remise complète que pour la remise
partielle des peines temporelles dont on est redevable pour les péchés, tant en
général qu’en particulier (specialiter) à ceux qui
sont vraiment pénitents et qui se sont confessés (vere
pœnitentibus et confessis). »
(Denz., 550 sq.). Sont tout à fait conformes à ces
déclarations positives, les condamnations négatives des attaques contre le
trésor de l’Église de la part de Luther (Denz., 757),
de Baïus (Denz., 1060) et
du Synode de Pistoïe (Denz.,
1541).
L’essence proprement dite de l’indulgence
résulte de la déclaration précédente d’une manière très nette. Elle n’a pas le
caractère d’une donation ; c’est
un acquittement en raison d’un paiement
(solutio) fait par d’autres. On ne pourrait songer à
un épuisement du trésor de l’Église que s’il n’était rempli que des mérites
humains ; mais il est inépuisable, car il comprend les mérites infinis de
l’Homme‑Dieu.
Détenteurs
du pouvoir d’accorder des indulgences.
La concession des indulgences est un acte de juridiction et non un acte
sacramentel. C’est pourquoi les détenteurs du pouvoir d’accorder des
indulgences sont ceux qui possèdent le pouvoir de juridiction et non ceux qui
possèdent le pouvoir d’Ordre. En conformité parfaite avec ce principe, le Pape a un pouvoir absolu sur les
indulgences, parce qu’il a la suprême juridiction ; par contre, l’évêque n’a
qu’un pouvoir limité, parce que, précisément, il ne possède qu’une juridiction
limitée.
L’usage
traditionnel règle le pouvoir d’indulgences
des évêques dans les détails. Depuis longtemps, les évêques concèdent à l’occasion
de la consécration d’une église en vertu d’un usage qui remonte aux premiers
débuts de la pratique des indulgences, au Moyen‑Age, une
indulgence d’un an ; dans les circonstances moins solennelles, ils
concèdent quarante jours. D’après le nouveau C. J. C., les évêques peuvent
accorder des indulgences de cinquante jours dans le territoire de leur
juridiction (can. 349), les métropolitains peuvent en accorder de cent jours
(can. 239) et les cardinaux de deux cents jours (can. 239). Tout évêque peut
donner la bénédiction papale avec indulgence plénière deux fois par an, le jour
de Pâques et un autre jour à son choix (Can. 914). - Le jour des Morts et
pendant les jours des Quarante Heures, tous les autels sont privilégiés (Can.
917).
Les conditions
des indulgences, sans l’accomplissement desquelles les indulgences restent sans
effet, sont de deux sortes ; objectives de la part de celui qui les accorde
et subjectives de la part de celui qui les reçoit. Les conditions objectives
sont : 1° La puissance légitime de concéder des indulgences (legitima potestas) ; 2° Une cause juste. Les
conditions subjectives sont : 1° L ’état de grâce ; 2° L’accomplissement
des œuvres prescrites pour gagner l’indulgence ; 3° L’intention (tout au
moins générale) de gagner l’indulgence (Can. 925).
Il
a déjà été question de la puissance légitime. On considère comme juste cause,
tout ce qui sert vraiment à l’utilité religieuse de l’Église et des fidèles.
Une indulgence en raison d’un gain temporel est, d’après S. Thomas, de la
simonie (Suppl., Q. 25, a. 3). Les théologiens font, d’ordinaire, dépendre de
la juste cause, la validité des indulgences. On se demande si l’indulgence prêchée
par Tetzel était invalide, à cause de la simonie, étant donné que la banque
Fugger avait des intérêts dans les collectes. Cette question est traitée par Schroers, dans la Rev. d’Innsb., 190 : Léon X, l’élection
de l’archevêque de Mayence et l’indulgence allemande pour S. Pierre en 1514.
Cf. Schulte,
Les Fugger à Rome (1904) ; Grisar, Luther, 1. 283 sq. ; Pastor, Histoire des Papes, 7, 260 sq.
L’état
de grâce de celui qui reçoit une indulgence est nécessaire, car sans rémission
de la faute, il ne peut pas y avoir remise de la peine. Par conséquent, une
indulgence plénière ne peut être gagnée que par ceux à qui tous les péchés, y compris tous les péchés véniels, ont été remis
auparavant. Le simple état de grâce
ne suffit donc pas. Les deux autres conditions, l’intention et l’accomplissement
des œuvres prescrites, vont de soi. Une indulgence plénière, à moins de
décision contraire, ne peut être gagnée qu’une fois par jour ; une
indulgence partielle peut être gagnée plusieurs fois par jour (Can. 928).
La valeur
de l’indulgence dépend de la volonté de l’Église et des dispositions
subjectives de celui qui la reçoit. Les dispositions étant supposées normales,
on donne, en général, la règle suivante : Les indulgences ont la valeur qu’elles
indiquent (tantum valent, quantum sonant).
La
valeur des indulgences aux yeux de Dieu
et non seulement aux yeux de l’Église est la doctrine générale des théologiens.
On objecte que cette opinion ne s’est fait jour que
depuis le 13ème siècle. « L’indulgence sans doute avait, en premier lieu, de la valeur comme une
remise des pénitences (canoniques) imposées par l’Église. Mais, de tout temps,
on a attribué à la pénitence ecclésiastique une efficacité supra‑terrestre
et la remise ou l’adoucissement de cette pénitence a toujours été considérée
comme ayant de la valeur, non seulement aux yeux de l’Église, mais encore aux
yeux de Dieu. Ainsi dès le 11ème et le 12ème
siècles, on attribuait, tant aux indulgences accordées pour les aumônes
et la visite des églises qu’à celles qui étaient accordées pour les croisades,
une efficacité devant Dieu (N. Paulus dans la Rev. d’Innsb., 1909, 38 ; cf. Denz., 1540).
Les
indulgences pour les morts. Elles
ont une histoire particulière, mais aussi des difficultés particulières. Le
problème des indulgences pour les morts réside dans ces deux faits : 1°
Historiquement, l’indulgence, en général, apparut d’abord comme la remise de
pénitences canoniques qui devaient être accomplies en présence de l’Église, et,
par conséquent, on ne pouvait pas penser à une réconciliation des morts ;
2° L’Église ne doit exercer son pouvoir de lier et de délier que sur la terre.
Il résulte particulièrement de cette dernière circonstance que le droit d’indulgence,
par rapport aux morts, n’est pas un droit proprement dit.
Historiquement, on ne voit
apparaître des indulgences papales pour les morts que vers le milieu du 15ème
siècle, en 1457, dans la bulle de croisade de Callixte
III, adressée au roi Henri de Castille. Mais cela fut alors en Espagne un
événement inouï (cosa nuova).
Une seconde indulgence de ce genre fut accordée par Sixte IV au roi Louis XI en
faveur d’une église de S. Pierre, à Saintes, pour toute la France pendant dix
ans. Cette indulgence fut promulguée par le cardinal légat Peraudi ;
mais elle produisit aussi une grande sensation en France où on délaissa la
prière pour les morts. C’est pourquoi Sixte IV donna des explications et
indiqua que l’indulgence était une prière pour la délivrance et non une
délivrance absolue. Il semble qu’à ce sujet Peraudi
ait eu son opinion théologique propre ; il déclarait, en effet, dans ses
sermons, qu’il n’était pas besoin de contrition et de pénitence, puisque l’indulgence
était pour autrui ; que, par conséquent, on pouvait la gagner même en état
de péché mortel, pourvu qu’on ait payé l’aumône correspondante ; dans ce
cas, l’indulgence était sûrement appliquée à des âmes nettement déterminées.
Gabriel Hiel, Wendelin Steinbach, Jean Hane, Jean Paltz et d’autres
théologiens partageaient cette opinion. On rachetait en une fois, selon ses
moyens, 200, 100, 50 âmes déterminées.
On se demandait même si le Pape n’aurait pas pu, d’un seul coup, libérer tout
le purgatoire. Tous les théologiens ne répondaient pas négativement, comme le
fit S. Thomas, qui déclarait qu’il manquerait une condition requise pour la
validité de l’indulgence, la « raison
légitime de l’indulgence » (S. th., Suppl., 71, 10). Au sujet de Tetzel, Grisar
écrit : « Il mêla, dans ses exposés sur l’application de l’indulgence
aux défunts, des opinions privées de théologiens, inexactes et exagérées, à la
doctrine de l’Église qu’il présentait d’ailleurs d’une manière correcte. C’était,
il est vrai, des opinions privées qui avaient pénétré dans les instructions
officielles sur les indulgences » (Luther, 1, 267). N. Paulus a prouvé que la phrase de Tetzel : « Dès que l’argent
sonne dans la caisse, l’âme sort du purgatoire », qui correspond
certainement au contenu de ses prédications, concordait avec la théorie et la
pratique des indulgences à cette époque. Tetzel enseignait, lui aussi, qu’on
peut gagner des indulgences pour les morts en état de péché mortel. Cela aussi était conforme à la doctrine de son
temps : « Toutes les instructions sur les indulgences, d’après
lesquelles il devait régler ses prédications, enseignent expressément que, pour
gagner des indulgences pour les âmes du purgatoire, la contrition et la
confession ne sont pas
nécessaires ; il est dit expressément que l’offrande en argent est la
seule condition requise » (P. 149). De même, il exposait, toujours en
accord avec son temps (Eck, Paltz, Prierias, plus tard Suarez, De pœnit.,
disp. 53, sect. 3, n. 3 ; cf. sect. 4, n. 6),
cette thèse, que l’indulgence plénière peut être appliquée avec certitude à une
âme déterminée du purgatoire (P. 163). Cajetan
soutenait déjà alors la conception opposée. Et avec raison ; en effet, celui qui ne peut rien mériter
pour lui‑même, car il
est « in statu disgratiœ », ne peut non
plus fonder aucun mérite pour autrui. Cf. N. Paulus, Tetzel, 159 sq., et récemment Gœller, Ausbruch
(Eruption), 149 sq. et surtout 158 sq., où il montre que les expressions de
Tetzel proviennent de la doctrine d’Augustin Trionfe,
le vaillant défenseur de la grandeur papale. Il affirme que l’indulgence agit
sans doute « per modum suffragii »,
mais aussi « per modum auctoritatis »
et, par conséquent, même « in statu disgratiœ ». Cette dernière opinion fut
soutenue également avec énergie par S.
Albert. Il en était autrement de S.
Thomas et de Richard de Med. (Cf.
Lerchner, 338).
Alexandre de Halès avait le
premier enseigné avec netteté que l’indulgence pour les morts n’agit que comme
une pieuse intercession (per modum suffragii sive impetrationis). S.
Bonaventure se rattacha à lui (In 4, dist. 20, p.
2, a. 1, q. 5). S. Thomas se réfère à
la coutume de l’Église (Suppl., q. 71, a. 10). S. Albert blâme l’application des indulgences aux défunts, faite
par chacun de sa propre autorité. D’autres, comme le canoniste Henri de Suasa (+ 1261) et le scotiste François Mayron
(+ 1327), rejettent complètement cette indulgence.
De
ce qui précède il résulte : 1° Que l’indulgence ne peut pas être appliquée
directement aux défunts à la manière
d’un rachat direct (directe et per modum solutionis), mais, seulement indirectement, parce que cela
se fait par mode de prière (per modum impetrationis) ; 2° Que justement, pour cette raison,
elle ne peut pas être d’une
efficacité certaine ; 3° Qu’elle ne peut
pas être concédée directement aux
défunts, mais, en premier lieu, aux vivants, qui doivent d’abord la gagner par
l’accomplissement des œuvres prescrites et peuvent ensuite l’offrir à Dieu pour
les défunts. Il est établi qu’elles ne sont utiles aux défunts que « per modum suffragii » et non
« per modum auctoritatis ».
Mais les scolastiques extrêmes ont attribué au Pape une juridiction proprement
dite.
Schanz écrit : « N’appartient strictement à la foi que ce que le
Concile de Trente a défini, à savoir que l’Église a le pouvoir d’accorder des
indulgences et que ces indulgences sont utiles au peuple chrétien ». Est proche
de la foi la doctrine d’après laquelle, par les indulgences, les peines pour
les péchés pardonnés sont remises par Dieu ; les indulgences peuvent être
appliquées aux âmes du purgatoire et les indulgences sont puisées par le Pape
et les évêques dans le trésor de l’Église (Doctrine des sacrements, 635).
Les
Grecs ne connaissent pas les indulgences.
A
consulter : S. Thomas, Suppl.,
q. 29-33. Bellarmin, De sacram. extremæ
unctionis (De controv.). Suarez, disp.
39-44. Serarius,
De sacram. extr.
unct. (Mogunt.,
1611). Victorelli,
De extrem. unctione
(Petav., 1609). Launoi, De sacram.
unct. infirmorum (Paris, 1673). De Sainte‑Beuve, De confirmatione et extrema unctione
(1686 : Migne, Curs. Complet., 24, 1 sq.). Drapier, Tradition de l’Église touchant l’Extrême‑Onction (Lyon, 1699). Rossignol, Tract. de sacram.
pœnit. et
extrem. unctionis
(Mediol., 1706). De
Gaëtanis, De suprema unctione (Luce, 1747). Schmitz,
De effectibus sacram. extrem. unct. (1893).
Notion. L’Extrême‑Onction
est le sacrement dans lequel le malade, au moyen d’une onction avec de l’huile
consacrée et d’une prière, reçoit la grâce correspondante à son état
particulier, pour le soulagement et le réconfort de son âme, pour la rémission
complète de tous ses péchés et même parfois, selon les desseins particuliers de
Dieu, pour la santé de son corps.
Le
Concile de Trente dit :
« La sainte assemblée a jugé bon d’ajouter à la doctrine de la Pénitence
qui vient d’être exposée, ce qui suit, au sujet de l’Extrême‑Onction ; les Pères ont estimé que c’était
la conclusion non seulement de la Pénitence, mais encore de toute la vie
chrétienne qui doit être une pénitence continuelle » (S. 14, de sacram., extr. unct. : Denz.,
907). Par là, le Concile indique que l’Extrême‑Onction doit être comprise comme l’achèvement
et le complément du sacrement de Pénitence. Maltzew
donne l’explication suivante, pour ce qui est de l’Église grecque : « L’Onction est un sacrement par lequel, au
moyen de l’onction du corps, est appelée sur le malade la grâce divine qui
guérit les maladies de l’âme comme celles du corps » (P. 323). L’Église
grecque connaît donc, elle aussi, ce sacrement et le déclara formellement au
Concile de Lyon (1274), comme au Concile de Florence (1439) ; mais elle en
reste au titre moins significatif d’« onction de
prière » et rejette le nom latin « extrême‑onction », parce qu’elle n’administre
pas le sacrement « in extremis », mais même a des gens bien
portants ; nous aurons à en reparler plus loin.
Désignation. Ce
sacrement s’appelle « Extrême‑Onction »
depuis P. Lombard (Gillmann, Septénaire, 5-17 ;
Guillaume d’Auxerre, 34 sq.) parce qu’il est institué pour le temps où l’âme
quitte le monde, quand le malade est à l’extrémité. D’autres expliquent cette
dénomination en disant que, parmi les onctions sacramentelles (Baptême, Confirmation,
Ordre), celle‑ci est naturellement la dernière. Un
certain nombre de théologiens recommandent le nom « onction des
infirmes » (unctio infirmorum)
comme le plus convenable. D’autres noms plus anciens sont : unctio infirmorum, sacram. exeuntium,
sanctum oleum, sacram. unctionis.
Le nom grec usité actuellement est « huile de prière » ; on dit
aussi huile sainte ou divine, ou chrême.
On
peut considérer comme symbole de l’Extrême‑Onction l’onction du Seigneur par Marie.
« En répandant ce baume sur mon corps », dit le Seigneur, « elle
l’a fait pour ma sépulture » (Matth., 26, 12).
Il
y a des analogies avec l’onction
sacramentelle des malades chez les Juifs et chez les païens. Le monde antique
voyait dans l’huile un médicament corporel et l’employait volontiers (Luc, 10,
34 ; Marc, 6, 13). Cf. Dœlger, L’exorcisme dans l’ancien rituel baptismal chrétien,
146 sq. et surtout Franz,
Bénédictions, 1, 63-361 et passim. Il faut rapprocher aussi de ces usages l’onction
laïque des chrétiens que nous examinerons plus loin.
THÈSE. L’Extrême‑Onction est un sacrement véritable et
proprement dit, institué par le Christ.
De foi.
Explication. Comme les protestants considéraient l’Onction comme
une « invention humaine », qui n’avait pour elle ni l’ordre de Dieu
ni la promesse de grâce, ou bien l’identifiaient avec le charisme de la
guérison des malades, le Concile de Trente définit : « Si quelqu’un
dit que l’Extrême‑Onction
n’est pas véritablement et proprement un Sacrement institué par notre Seigneur
Jésus‑Christ, et déclaré par l’Apôtre Saint Jacques ;
mais que c’est seulement un usage qu’on a reçu des Pères, ou bien une invention
humaine : Qu’il soit anathème » (S. 14, can. 1, de sacram. extr.
unct. : Denz., 926 ; cf. 910).
Preuve. Les Apôtres, pendant leur mission d’épreuve, ont
employé l’huile pour la guérison des malades (Marc, 6, 12 sq. ; cf. Math.,10 , 8 ; Luc, 9, 2). Ils le firent assurément sur l’ordre
du Seigneur. Le Concile de Trente juge, au sujet de Marc, 6, 12 sq., que cette
onction non sacramentelle des malades « insinuait » l’onction
sacramentelle de la Nouvelle Alliance, c.‑à‑d. l’indiquait et la préfigurait.
Ce qui jette une pleine lumière sur l’onction
des malades, habituelle dans le christianisme primitif, c’est le texte de S.
Jacques : « L’un de vous est malade ? Qu’il appelle les Anciens
en fonction dans l’Église : ils prieront sur lui après lui avoir fait une
onction d’huile au nom du Seigneur » (5, 14 sq.).
Exégèse. L’ Apôtre donne à ses lecteurs, pour la situation difficile
des malades, une instruction chrétienne. Ils doivent appeler auprès du malade
les prêtres de l’Église. Il faut entendre par là les prêtres au sens de la
dogmatique. En effet, ils doivent accomplir sur le malade un rite religieux
auquel est attaché la grâce qe la rémission des péchés
et de la guérison. Il s’agit de personnes tout à fait déterminées : ce ne
sont ni des anciens au sens physique, ni des charismatiques. Le charisme était
accidentel et n’était pas du tout lié à un âge. Il n’est pas possible de
prétendre que S. Jacques parle de guérison miraculeuse et accidentelle. Ce n’est
même pas la guérison corporelle qu’il met au premier plan, mais le réconfort
spirituel et la rémission des péchés ; la maladie et le péché sont, d’après
l’Évangile, dans la relation de cause à effet (Jean, 5, 14 ; Luc, 13, 16).
Du texte de S. Jacques ressort donc clairement le caractère sacramentel de l’Onction :
le signe sensible, la grâce intérieure et l’usage permanent. L’institution n’est
pas douteuse. Jésus a attaché à l’onction
des malades, depuis longtemps en usage, la grâce de la Nouvelle Alliance. Quand l’a‑t‑il fait ? Il est impossible de l’établir.
Mais qu’il l’ait fait, on a le droit
de le conclure de Jacq., 5, 14 sq., car une fonction rituelle « au nom du
Seigneur » suppose l’ordre du Seigneur, son institution et son ordonnance.
Il en est ici comme pour le baptême qui s’administre également « au nom du
Seigneur », selon son ordonnance et sur son ordre. L’effet de l’Onction n’est
donc pas causé par celui qui l’administre (parce qu’il serait, par exemple, un
charismatique), ni par les actes religieux de celui qui la reçoit pieusement,
mais uniquement par « l’opus operatum » que
le Christ a ordonné et qui s’accomplit en son nom. Ici aussi on peut appliquer
la formule « c’est le Christ qui baptise, c’est le Christ qui donne l’onction ».
C’est au Christ aussi que se rapporte la « prière de la foi », qui n’est
pas entendue ici au sens subjectif, mais au sens objectif où elle est synonyme
de profession de foi ; cf. Act. Ap., 6, 7 et la prière dans l’administration de la
Confirmation Act. Ap., 8,
15, 17 et de l’Ordre 2 Tim., 1, 6.
Le
Concile de Trente trouve, dans Marc, 6, 12 sq., une insinuation et non une
institution. Assurément le Christ a institué l’Onction, tout au moins pendant
les quarante jours avant l’Ascension. Seule son institution pouvait garantir
que, par le rite de l’onction, serait accordée la rémission des péchés. Il est
vrai que des scolastiques considérables, comme Alexandre de Halès,
S. Bonaventure, Pierre Lombard, etc., ont été d’avis que c’était les Apôtres
qui avaient institué l’Extrême‑Onction,
sans vouloir cependant nier son caractère sacramentel, comme le firent les
protestants. Les théologiens d’aujourd’hui, tout en admettant qu’il était
possible que les Apôtres, en vertu d’une
mission du Seigneur, instituassent des sacrements, enseignent, avec le Concile
de Trente, que le Seigneur a, de fait,
institué tous les sacrements.
Peut-être que ces scolastiques pensaient, comme le font aujourd’hui un assez
grand nombre de théologiens, à une institution médiate pour les sacrements dont
l’Écriture ne mentionne pas l’institution.
Ce
qui précède démontre la fausseté de l’affirmation des modernistes :
Jacques n’a pas eu l’intention, dans son Épître (5, 14, 15), d’annoncer un
sacrement du Christ, mais seulement de recommander un pieux usage ; et s’il
voit peut-être, dans cet usage, un moyen de grâce, il ne l’entend pas dans le
sens strict des théologiens qui ont établi la notion et le nombre des
sacrements (Denz., 2048). Calvin interprète Jacq., 5,
14, ainsi que Marc 6, 13, en l’appliquant à la « gratia
curationis », au charisme de la guérison des
maladies, et s’indigne contre l’Église qui commet une « injure au Saint
Esprit, quand elle dit qu’une huile puante et de nulle efficacité est sa
vertu » (Institution de la religion chrétienne, l. 4, c. 19, n. 20). C’est
contre cette interprétation qu’est dirigé le can. 2 : « S. q. d. que
l’Onction sacrée qui est donnée aux malades, ne confère pas la grâce, ne remet
pas les péchés, ni ne soulage pas les malades ; et que maintenant elle ne
doit plus être en usage ; comme si ce n’avait été autrefois que ce qu’on
appelait la grâce de guérir les maladies : Qu’il soit anathème ». Il
faut donc, d’après les can. 1 et 2, entendre Jacq., 5,
14, de l’Extrême‑Onction. Qu’il ne s’agisse pas du
« don de de guérison », cela résulte de la rémission des péchés (s’il
est en état de péché, qu’ils lui soient remis) et de ce que ce don était propre
seulement aux charismatiques et pas à tous les charismatiques. S. Paul
demande : « Est‑ce que tous
ont la vertu de faire des miracles, de guérir ? » (1 Cor., 12, 30).
Or S. Jacques ordonne à tous indistinctement d’appeler les « prêtres de l’Église ».
Les Pères. Avant le
Concile de Nicée, on trouve des traces de l’Extrême‑Onction, mais elles sont très obscures. On
trouve dans Sérapion de Thmuis une prière de bénédiction de l’huile des malades,
qui remonte sans doute au 2ème siècle (Cf. Liturgies grecques,
traduites par Storf‑Schermann dans la
Bibliothèque (allemande) des Pères de l’Église, 1912, 156 sq.). Kern se réfère
à un évangile apocryphe de Nicodème. Tertullien
blâme des femmes hérétiques qui ont l’audace de « promettre des
guérisons » (De praescript., 41). Origène cite Jacq., 5, 14, dans ses
exposés sur la pénitence, dans laquelle était peut-être incluse l’onction (In
Lev. hom., 2, 4). A la vérité, il est probable qu’il
entend l’« infirmitas »
moralement, du péché, et non pas physiquement de la maladie. Par suite, le
passage se rapporterait au pardon et à la réconciliation, c.-à-dit au sacrement
de Pénitence seul. Il est difficile de porter un jugement certain sur les
témoignages. Schanz considère S. Innocent Ier (+ 417) comme le premier témoin clair.
S. Innocent écrit à l’évêque Decentius de
Gubbio : « Sans aucun doute, ceci (Jacq., 5, 14) doit s’entendre des
fidèles malades qui peuvent être oints avec l’huile sainte du chrême, préparée
par l’évêque et dont peuvent se servir non seulement les prêtres, mais encore
tous les chrétiens pour faire des onctions, dans leurs besoins et dans les
besoins des leurs. Au reste, nous trouvons superflu ce qu’on a ajouté, à savoir
qu’on conteste à l’évêque ce qui est permis sans difficulté aux prêtres. Cela a
été accordé aux prêtres parce que les évêques, qui sont retenus par d’autres
occupations, ne peuvent pas aller trouver tous les malades. Si, par ailleurs, un
évêque est en état ou trouve convenable d’aller voir un malade, de le bénir et
de le toucher avec le chrême, il peut le faire sans difficulté, puisque c’est à
lui qu’appartient la préparation du chrême. Cela en effet (le saint chrême) ne
peut pas être versé sur les pénitents parce qu’il appartient aux sacrements.
Car à ceux à qui les sacrements sont refusés pouvons‑nous en accorder une espèce (de
sacrement) ? » (Denz., 99). Ces exposés
sont clairs. Il n’y a qu’une difficulté,
c’est que, d’après le saint pape, cette onction est permise « à tous les
chrétiens pour leurs besoins et ceux des leurs ». Cela, naturellement, ne
peut pas être une onction sacramentelle ; cela ne veut pas dire non plus
qu’ils ont le droit de se faire administrer l’onction par l’Église. La solution exacte est plutôt
celle de Franz, quand on se rappelle que, par ailleurs l’usage des onctions
privées est suffisamment attesté ; il faut entendre ici que l’huile
consacrée par l’évêque pouvait être employée même par des laïcs pour des onctions,
en cas de maladies. Il y avait une onction laïque et une onction sacerdotale. C’est
cette dernière que désigne S. Innocent dans les dernières phrases, comme
« genre de sacrement » qui doit être refusé aux pénitents (Franz,
Bénédictions, 1, 341). Ces onctions laïques et personnelles sont encore
attestées aux époques suivantes, jusqu’au 11ème siècle ; mais
elles disparurent peu à peu, par suite de nombreuses prescriptions énergiques
concernant l’onction sacramentelle, et cédèrent la place à cette dernière (Franz, 1, 357). Plus tard, l’onction
sacramentelle est attestée dans le sacramentaire de S. Grégoire Ier ;
la consécration de l’huile est prescrite ainsi que le mode d’administration (M.
78, 233). Depuis, l’Extrême‑Onction est
d’un usage général.
On
sait que l’Église grecque possède,
elle aussi, le sacrement de l’Onction. Maltzew
écrit : « L’institution divine du sacrement est attestée par la
tradition infaillible de la sainte Église » (P. 323). S. Jean Chrysostome donne, à mainte reprise, des indications au
sujet de son existence (De sacerdot., 3, 6 : M.
48, 644 ; In Matth. Hom. 32, 6 : M. 57,
384). Depuis le début du Moyen‑Age, de
nombreux conciles se sont occupés de l’Extrême‑Onction, et
plusieurs capitulaires de l’époque carolingienne recommandent vivement sa
réception. Au Moyen‑Age, on la
considéra comme un « sacrement des riches », un sacrement bien payé
et, en beaucoup d’endroits, elle tomba en désuétude. En Allemagne, au temps de
la Réforme, elle était, en pratique, presque entièrement inconnue. « Dans
ce sacrement », dit avec raison Specht « comme en beaucoup d’autres
choses, un progrès est indéniable » (2, 390).
La
Scolastique est unanime dans son
jugement sur le caractère sacramentel de l’Extrême‑Onction, bien que, par rapport à l’institution
par le Christ ou par les Apôtres, elle ne soit pas parvenue à la même unité (Schwane, 3, 675 sq.).
Toute
l’Église, l’Église latine comme l’Église grecque, est donc d’accord dans l’usage
de l’Onction. Or S. Augustin pose cet axiome : « on doit regarder
comme un fait de tradition apostolique ce qui s’observe dans toute l’Église, et
ce qui s’est toujours pratiqué, lors même qu’on n’aurait
à produire aucune décision formelle d’un concile général » (De bapt., 4, 24).
THÈSE. La matière de l’Extrême‑Onction est l’huile avec laquelle est faite l’onction. De foi.
Explication. Bien qu’il n’y ait pas de définition expresse au
sujet de la matière de l’Extrême‑Onction,
notre thèse contient cependant la doctrine de foi de l’Église. Eugène IV
dit : « La matière est l’huile d’olive qui est consacrée par l’évêque »
(Denz., 700). Le Concile de Trente parle, dans tous
ses canons au sujet de l’Extrême‑Onction
d’une « onction » et dit expressément : « L’Église
reconnaît que la matière est l’huile qui est consacrée par l’évêque » » (Denz., 908).
Preuve. S: Jacques dit simplement
« huile » ; on ne trouve pas, dans l’Écriture, de description
plus précise de cette huile (materia remota) ; mais on peut peut-être penser qu’il est
question, dans S. Jacques, de l’huile d’olive usitée en Orient. De même, l’Apôtre
ne dit rien sur la manière dont doit se faire l’onction (m. proxima).
On peut présumer qu’elle se faisait sur les parties réellement malades du
corps.
Les
Pères et les anciennes prières de consécration nomment la matière
purement et simplement huile, ce qui nous autorise à penser qu’il s’agit d’huile
d’olive. Tous les rituels anciens, latins et orientaux, prescrivent l’huile d’olive ;
les scolastiques, eux aussi, ne connaissent que celle‑là. S.
Thomas écrit : « Comme toutes les autres espèces d’huile ne sont
appelées ainsi qu’à cause d’une certaine analogie avec l’huile d’olive et que,
par suite, celle‑ci est l’huile proprement dite, on n’emploie
que l’huile d’olive pour ce sacrement. » (Suppl., q. 29, a. 4). Au sujet
de la convenance de la matière, cf. Cat. rom., p. 2, c. 6, q. 5.
L’onction doit, d’après Eugène IV, se faire
sur les yeux, les oreilles, le nez, la bouche, les mains, les pieds et les
reins (Denz., 700). L’onction des reins se rapporte
au siège de la sensualité ; d’après les prescriptions actuelles, on doit l’omettre
et, pour des motifs raisonnables, on peut omettre celle des pieds. L’onction,
chez les Grecs, se fait sur des parties plus nombreuses. En cas de nécessité,
on peut se contenter d’une seule onction sur le front avec la formule :
« Quidquid deliquisti »
[tous les péchés que vous avez commis] Cf. C. J. C., can. 947.
La
consécration de l’huile est très
ancienne. Elle doit être faite par l’évêque (Denz.,
1628). Le Pape peut aussi déléguer pour cela un simple prêtre. Dans l’Église
grecque, les prêtres consacrent l’huile des malades de même que l’huile du
baptême (oleum catechumenorum) ;
cet usage a été approuvé par Benoît XIV. La Scolastique considérait la
consécration comme essentielle (Suppl., q. 29, a. 5 sq.). En pratique, l’usage
de l’huile consacrée est strictement prescrit.
Si
des théologiens scolastiques primitifs considéraient l’huile consacrée comme un
sacrement achevé (sacramentum in esse) à la manière de l’Eucharistie, on s’explique
le fait historique, maintes fois attesté, qu’on s’efforçait de se procurer
cette huile ; on s’explique aussi que les hauts scolastiques, comme S.
Thomas et S. Bonaventure, aient rejeté cette opinion fausse.
La
forme de l’Extrême‑Onction
varie selon les Églises et les temps ; elle consiste, en général, dans les
prières qui accompagnent l’onction.
Eugène IV dit à ce sujet :
« Par cette onction sainte, et dans sa miséricorde pleine de tendresse,
que Dieu te pardonne tous les péchés que tu as commis
par la vue, etc. » (Denz., 700). C’est ce que répète le Concile de Trente (Denz., 908). D’après une décision du Saint Office,
confirmée par Pie X (1906), la forme, en cas de nécessité, est celle‑ci : « Par cette onction sainte, que Dieu te
pardonne tous les péchés que tu as commis. Amen. » (Denz.,
1996).
D’après
l’Épître de S. Jacques, l’onction doit être accompagnée d’une « prière de
la foi ». Au sujet du contenu de cette prière, il ne dit rien. On peut
présumer cependant qu’après et pendant l’invocation « au nom de
Jésus » on adressait la prière chrétienne à Dieu en lui demandant de
réconforter le malade, de le sauver et de lui pardonner ses péchés. C’est du
moins ce que l’Apôtre indique comme effet de tout le rite.
De
même, d’après les Pères, cette prière
était une demande de santé corporelle et spirituelle. La forme était donc
déprécatoire. D’après S. Thomas, cette forme correspond à l’usage romain, au
triste état du sujet et au sacrement, qui ne produit pas toujours et par
conséquent ne produit pas, « ex opere operato », la santé corporelle (Suppl., q. 29, a. 8).
Dans les Églises grecque, copte, jacobite, syriaque, c’est aussi la forme
déprécatoire qu’on emploie. - De la différence du contenu de la forme, Specht
et d’autres concluent avec raison que le Christ ne l’a établie qu’« in genere » (2, 361).
Le C. J. C. prescrit : « Le sacrement de l’extrême‑onction doit être conféré par les onctions
saintes, avec de l’huile d’olives dûment bénite
et avec les paroles prescrites dans les livres rituels approuvés par l’Église »
(Can. 937).
THÈSE. Le ministre de l’Extrême‑Onction est le prêtre. De foi.
Explication. Le Concile de Trente
avait une raison de dogmatiser cette vérité, que le ministre de l’Extrême‑Onction est le prêtre, car les protestants entendaient
« presbytres » dans le sens d’« anciens »
et voyaient, dans ces « anciens », des laïcs. C’est pourquoi le
Concile définit : « Si quelqu’un dit que les presbytres de l’Église,
que saint Jacques recommande de faire venir pour oindre un malade, ne sont pas des
prêtres ordonnés par l’évêque, mais les plus âgés dans toute communauté et que,
pour cette raison, le ministre propre de l’extrême‑onction n’est pas le prêtre seul, qu’il soit
anathème » (S. 14, can. 4 : Denz.,
929 ; cf. c. 3 : Denz., 910).
Preuve. S. Jacques écrit qu’on doit appeler « les
prêtres de l’Église ». On peut entendre cela d’une manière générale, d’un
de ces prêtres (cf. Luc, 17, 14) comme aussi de plusieurs. Dans l’ancienne
Église, dans l’Église latine comme dans l’Église grecque, l’onction des malades
était faite par plusieurs prêtres ; mais partout et toujours on a
considéré qu’un seul suffisait. Les Grecs surtout préféraient plusieurs
ministres. On était porté, en raison du caractère déprécatoire du sacrement par
rapport à ses effets sur le corps, à désirer et à rechercher non seulement un
plus grand nombre de ministres, mais encore des ministres pieux dont la prière
serait plus efficace. Cependant, même chez les Grecs, un seul ministre suffit
en cas de nécessité ; mais les prières et les cérémonies supposent sept
ministres.
S. Thomas indique les
raisons de convenance pour un plus grand nombre de ministres : « Il
convient que plusieurs prêtres soient présents et que la prière de toute l’Église
coopère à l’effet de ce sacrement, parce qu’il doit opérer la guérison complète
et qu’en lui est exigée une abondance de grâce » (C. Gent., 4, 73).
Cependant même un seul prêtre suffit. Le ministre ordinaire est le curé ; en cas de nécessité le
ministre est tout prêtre. Le ministre ordinaire est tenu « en
justice » d’administrer ce sacrement ; le ministre extraordinaire y
est tenu « par charité » (C. J. C., can. 938 sq.).
Le
sacrement ne peut pas être administré par un diacre ; encore moins par un laïc. L’onction par les laïcs
était, il est vrai, très en usage au Moyen‑Age et S.
Innocent Ier la mentionne déjà ; mais il ne peut s’agir là que
d’un sacramental. Cette onction laïque eut même comme conséquence de faire
négliger l’onction sacramentelle. D’où les recommandations des capitulaires de
l’époque carolingienne, sur la considération qu’on doit avoir pour la sainte
onction. Néanmoins, « l’huile consacrée était, d’après les témoignages des
livres liturgiques, à la disposition des fidèles ; il était seulement
interdit de remettre le chrême aux laïcs » (Franz, 1, 258). Plus tard, l’huile sainte fut payée très cher.
« Au 13ème siècle notamment, les ecclésiastiques se faisaient
payer très cher l’huile sainte, si bien qu’il était presque impossible à un
pauvre d’en avoir. Surtout la présence de beaucoup de prêtres, qui voulaient
être payés (droit d’étole), fit naître l’idée que l’Extrême‑Onction était un sacrement qui n’était
destiné qu’aux riches » (Schanz, 660). Kern, lui aussi, parle d’une « avarice
coupable de plusieurs prêtres », qui rendait difficile la réception de l’Extrême‑Onction (Rev. d’Innsb., 1906, 599 sq.).
L’onction laïque mentionnée par S. Innocent
Ier (+ 417) est considérée par les théologiens comme un
« sacramental ». Et quand d’anciens rituels parlent de laïcs qui
participaient aux prières et aux onctions, il faut voir là un signe de la
prière instante et commune de toute l’Église pour le mourant.
Le
sujet de l’Extrême‑Onction
est seulement le fidèle malade et non le bien portant. En cas de rechute dans
la maladie, la réception du sacrement peut aussi être renouvelée.
Le
Concile de Trente dit :
« Il est aussi déclaré que cette onction doit être employée pour les
malades, particulièrement pour ceux dont la maladie est si dangereuse qu’ils
semblent être à la fin de leur vie ; c’est pourquoi aussi ce sacrement est
appelé le sacrement des mourants. Quand des malades, après la réception de ce
sacrement, guérissent, ils peuvent de nouveau, au cas où ils retombent dans un
autre danger de mort semblable, être réconfortés par le secours de ce
sacrement » (Denz., 910).
Il
faut encore remarquer que, chez les Grecs,
il y a une cérémonie solennelle de la consécration de l’huile, faite par l’évêque.
A ce sujet Maltzew raconte : « Bien qu’il
soit prescrit, dans les lettres d’ordination des prêtres, que le prêtre ne doit
en aucun cas administrer ce sacrement à des personnes en bonne santé,
cependant, depuis les temps les plus anciens, chez les Grecs aussi bien que
dans l’Église russe, à Moscou et à Nowgorod, l’onction
par l’huile est conférée une fois par an, le jeudi saint, par l’évêque, à des
personnes bien portantes. S. Dimitri,
métropolite de Rostow, explique, pour justifier ce rite, l’Épître de S. Jacques
(5, 14) dans un sens large, en entendant, sous le nom de malades, non seulement
ceux qui sont malades corporellement, mais encore ceux qui le sont dans leur
âme, par conséquent tous ceux qui sont dans le chagrin et la douleur, etc.,
sans excepter les pécheurs ; il tient compte aussi de ce fait que l’homme
bien portant ne sait, par avance, ni le temps ni l’heure de son trépas »
(P. 549, 550).
Dans
l’Église grecque au reste, on tient peu compte du degré de maladie, même dans l’onction,
administrée par les prêtres. Normalement en effet, dans tout l’Orient, l’Onction
est administrée dans l’église ; on suppose donc un état de maladie assez
supportable. Sans doute Maltzew remarque que ce n’est
que dans une maladie grave qu’on recourt à l’Onction (p. 325) ; mais les
prescriptions et les prières liturgiques prévoient d’abord la réception dans l’église.
En
Occident aussi, à l’époque carolingienne, on recevait, autant que possible, l’Extrême‑Onction dans l’église ; cela suppose
également qu’on se montrait assez large dans l’appréciation de la gravité de la
maladie. Par contre, dans la Scolastique, on se montra plus sévère, en exigeant
le danger probable de mort (S. Albert, S. Thomas, Richard de M.). Scot veut des
signes certains de mort ; il ne faudrait pas que le malade puisse
connaître encore le danger de pécher. Certains même soutenaient,
parce qu’ils attribuaient à l’Extrême‑Onction une
sorte de caractère (signaculum
quoddam per unctionem), qu’on
ne pouvait pas la réitérer. On se mit d’accord plus tard sur l’impossibilité de
la réitérer durant la même maladie. Richard de M. est net : L’onction ne
confère pas de caractère : on peut donc la réitérer dans une maladie
différente, ainsi que dans différents états critiques de la même maladie. S.
Thomas pense de même. S. Bonaventure n’envisage que les maladies différentes.
Cf. Lechner. Aujourd’hui, l’Extrême‑Onction est
administrée à tous les malades en danger de mort. Le degré de la maladie ne peut affecter la valeur du sacrement ;
au reste, dans bien des cas, les spécialistes eux‑mêmes ne
peuvent pas le déterminer. La faiblesse sénile était déjà considérée, au temps
de la Scolastique, comme une maladie. Par contre, d’autres états qui mettent la
vie en danger, comme des batailles, des opérations, des enfantements, des
naufrages, etc., ne peuvent pas, en soi, être considérés comme des maladies, bien
que des maladies puissent en résulter
et, bien entendu, autoriser alors la réception de l’Extrême‑Onction. L’Extrême‑Onction étant un complément de la Pénitence, elle ne peut être administrée
qu’à des malades qui sont moralement responsables et capables de commettre des
péchés. C’est pourquoi on la refuse aux enfants qui n’ont pas encore l’usage de
la raison, ainsi qu’aux déments perpétuels. Mais quiconque peut recevoir la
Pénitence peut aussi recevoir l’Extrême‑Onction. La
réitération de l’Extrême‑Onction est
possible, d’après le Concile de Trente, quand le danger de mort se renouvelle
dans la même maladie (S. 14, c. 3). La raison en est dans le but du sacrement,
qui est de donner bénédiction et force pour le cas de mort (Cf. S. Thomas,
Suppl., q. 33 ; C. Gent., 4, 73). L’opinion professée au 11ème
siècle, surtout en France, d’après laquelle on ne pouvait recevoir l’Extrême‑Onction qu’une fois dans la vie, avait son
motif non pas dans la considération de son but final, mais dans l’analogie avec
le baptême et la pénitence (pœnitentia una). Mais, dans
la haute Scolastique, on élimina cette faiblesse théologique. Cf. cependant ci‑dessus, l’opinion de Scot.
Aux
personnes sans connaissance, dont la
vie antérieure laisse présumer qu’elles auraient demandé ce sacrement, on doit
l’administrer sans condition ; aux autres on doit l’administrer sous condition. « On doit
administrer ce sacrement sous condition quand on doute si le malade est parvenu
à l’usage de la raison ou bien s’il se trouve en danger de mort ou est déjà
mort ». Dans ce cas, la condition se formule ainsi : « Si tu es
capable » (C. J. C., can. 940 sq.).
Jadis,
pour augmenter l’effet, on répétait plusieurs
fois l’onction. D’après le sacramentaire de S. Grégoire Ier, les
prêtres doivent, quand cela paraît nécessaire, la répéter pendant sept jours
consécutifs (M. 78, 235). Cette prescription fut édictée par un certain nombre
de rituels et de conciles. Il faut sûrement voir ici,
avec Kern, une réitération du
sacrement et non pas, comme le font Gutberlet et F.
Schmid, pour des motifs apologétiques, un sacramental. En tout cas, l’antique
pratique de l’Église nous montre qu’on ne doit pas être trop scrupuleux et
étroit, ni par rapport au degré maximum de maladie ni par rapport à la
production d’un nouveau danger.
Comme
disposition pour la réception de l’Extrême‑Onction, il faut l’état de grâce : ce
sacrement compte parmi les sacrements des vivants. C’est pourquoi il est
précédé, au moins depuis le 16ème siècle, du sacrement de Pénitence.
En cas de nécessité, quand le malade
ne peut plus se confesser, l’Extrême‑Onction peut
lui être administrée quand on a les garanties nécessaires sur sa contrition. Le
C. J. C. défend d’administrer l’Extrême‑Onction à
ceux « qui persévèrent sans pénitence et sciemment dans un péché mortel
manifeste ; si cela est douteux, le sacrement sera conféré sous
condition » (Can.
942). « Quand ces sacrements (la confession et l’Eucharistie) ne peuvent
plus être administrés, écrit Schanz, il suffit pour l’Extrême‑Onction, d’un signe de repentir, ou bien, si
le malade est sans connaissance, d’un désir antérieur de sa part, exprès ou
interprétatif, de recevoir les sacrements » (P. 662). Schell exige encore moins : il prétend que, pour les malades
qui ne peuvent plus recevoir le sacrement de Pénitence, l’Extrême‑Onction est un sacrement des morts, destiné à
effacer tous les péchés, pourvu qu’il n’y ait pas d’obstacle (obex). « La
présence d’anciens péchés mortels ne peut pas être un obstacle à l’efficacité
sacramentelle, le seul obstacle c’est la résistance permanente de la volonté (à
la conversion). Quand cette résistance n’existe pas, l’Extrême‑Onction efface tous les péchés qu’elle
rencontre » (Dogmatique, 4, 633). Cette opinion est combattue par Kern, 171 sq., cf. 321 ; Specht, 2, 365 ; Sasse, 2, 268 et d’autres. Ils ont sans
doute raison. L’Écriture ignore cette efficacité naturelle qui n’est ni
préparée ni conditionnée moralement. La théologie grecque est ici d’accord avec
la théologie latine (Maltzew,
325).
Les
effets de l’Extrême‑Onction. Le Concile de Trente
définit que les effets de l’Extrême‑Onction
sont de « conférer la grâce », « remettre les péchés »,
« soulager les malades » (Denz., 927). Dans
le chapitre doctrinal correspondant, il explique cela : « Quant à l’effet
réel de ce Sacrement, il est déclaré par ces paroles : Et la prière de la
foi sauvera le malade ; et s’il est en état de péché, ses péchés lui
seront remis (Jacques, 5, 15). Car, de vrai, cet effet réel est la grâce du
Saint Esprit, dont l’Onction purifie les restes
du péché, et les péchés mêmes, s’il
y en a encore quelques‑uns
à expier ; soulage et affermit l’âme
du malade, excitant en lui une grande confiance en la miséricorde de Dieu,
par le moyen de laquelle étant soutenu, il supporte plus facilement les incommodités
et les travaux de la maladie, il résiste plus aisément aux tentations du Démon,
qui lui dresse des embûches en cette extrémité, et il obtient même quelquefois la santé du corps,
lorsque cela est expédient au salut de l’âme » (Denz.,
909 ; cf. 700). Le Concile indiquant ici divers effets, il sera bon de les
résumer en trois propositions. L’Extrême‑Onction
opère :
1. L’accroissement et, selon les cas, la
collation de la grâce sanctifiante (confert gratiam), pour le soulagement et le réconfort de l’âme (ægroti animam alleviat
et confirmat).
2. La remise des péchés (si quæ sint expianda)
et de leurs restes (abstergit peccati
reliquias).
3. La santé du corps de temps en temps (interdum) : c’est-à-dire quand cela est utile pour le
salut de l’âme (ubi saluti animre expediat).
Parmi ces trois effets, la première proposition indique le
principal. C’est la grâce sacramentelle proprement dite, à laquelle tout
sacrement est ordonné premièrement d’après sa fin particulière. A ce sujet, il
faut noter que l’effet de grâce sanctifiante se produit immédiatement, au moment de la réception, que ce soit une
augmentation ou une collation de grâce, selon les dispositions spirituelles du
sujet. Par contre, la grâce particulière actuelle, à laquelle le sacrement
donne un droit spécial, ne se produit que plus tard, au moment où elle est
nécessaire. L’Extrême‑Onction,
en effet, est d’après le Concile de Trente, le « sacramentum exeuntium », un moyen de secours et de salut pour la
situation particulière, morale et physique, de ceux qui sont gravement malades
et en danger de mort. Dans cet état d’abattement et d’impuissance, cette grâce
doit, d’après le Concile, conférer au malade un triple réconfort : a) pour exciter sa confiance dans la miséricorde
de Dieu (magnam in eo divinæ misericordiæ fiduciam excitando) ; b)
pour supporter patiemment les douleurs et l’horreur de la mort (infirmus sublevatur et morbi
incommoda ac labores levius fert), et c) pour résister
efficacement et victorieusement aux attaques du diable (et tentationibus
dæmonis calcaneo insidiantis facilius resistit).
Il
n’est pas difficile de retrouver, dans la doctrine du Concile de Trente, l’influence
de S. Thomas. Le docteur angélique
fait l’exposé suivant : « Chacun des sacrements a été institué
principalement en vue d’un seul
effet, bien qu’il puisse encore en produire d’autres par voie de conséquence. Et comme un sacrement produit cela même qu’il
signifie, c’est à partir de sa signification qu’il convient d’en déterminer l’effet
principal. Or ce sacrement est administré par mode de médicament, comme le baptême par mode d’ablution. Ainsi, un remède
étant fait pour chasser la maladie, est‑ce
principalement pour guérir la maladie du péché que l’extrême‑onction a été instituée : en sorte que,
comme le baptême est une sorte de régénération spirituelle, et la pénitence une
sorte de résurrection du même ordre, ce sacrement pour sa part peut être
considéré comme une sorte de guérison ou de cure spirituelle. Mais les soins
donnés au corps présupposent évidemment la vie corporelle chez ceux à qui ils
sont donnés ; de même également une médication spirituelle suppose la vie
spirituelle. L’extrême‑onction n’est donc pas donnée contre les défauts
qui détruisent cette vie, c’est-à-dire contre le péché originel et le péché
mortel, mais contre ceux qui affaiblissent
spirituellement l’homme, en sorte qu’il n’a plus toute la vigueur nécessaire
pour accomplir les actes de la vie de la grâce ou de la gloire. Or ces défauts
ne sont pas autre chose qu’une certaine faiblesse
ou débilité que laisse
en nous après lui le péché
tant actuel qu’originel : c’est contre cette faiblesse que l’homme se
trouve affermi par l’extrême‑onction »
(Suppl., q. 30, a. 1).
Pour
l’explication de la seconde proposition,
faisons les remarques suivantes. L’Extrême‑Onction
opère par elle‑même, mais indirectement (ex se sed ex consequenti) non seulement
l’effacement des péchés véniels, mais encore des péchés mortels, s’il en reste
encore, pourvu qu’il n’y ait pas d’obex à la grâce. De même elle supprime les
peines temporelles dues au péché. Ces remarques ne sont pas de la même valeur
théologique. La remise des péchés est définie par le Concile de Trente, qui
frappe d’anathème ceux qui nient que l’Extrême‑Onction
remette les péchés (remittere peccata) (Can. 2). Et,
dans le chap. 2, il nomme expressément les péchés mortels « s’il y en a
encore quelques‑uns à expier ». Sans aucun doute,
il donne ici une interprétation de Jacq., 5, 14 sq., cité immédiatement auparavant :
« s’il est en état de péché, ses péchés lui seront remis ». Dans ces
paroles de l’Écriture, se trouve exprimé, en même temps, l’effet secondaire ; cet effet ne se
produit qu’à condition qu’il y ait des péchés graves, mais cet état de péché n’est
pas exigé, et, même d’ordinaire il ne se présente pas, car il a été supprimé
par le sacrement de Pénitence reçu auparavant. L’Extrême‑Onction supprime le péché grave « per
se » et non « per accidens », comme,
par exemple, l’Eucharistie, car, d’après S. Jacques, elle a été instituée aussi
dans ce but, pour ainsi dire comme complément de la Pénitence.
S. Thomas s’exprime,
à ce sujet, de la façon suivante, dans la S. c. Gent., 4, 73 : « Il
arrive aussi que l’homme n’ait plus connaissance ou mémoire de tous les péchés
qu’il a commis et qu’il ne puisse plus les soumettre tous à la pénitence pour
en être purifié. Il y a encore ces péchés quotidiens qu’on ne peut éviter en
cette vie. De tous ces péchés, ce sacrement va purifier l’homme, lors de sa
sortie d’ici‑bas, si bien qu’il ne se trouve rien en
lui qui puisse faire obstacle à l’entrée dans la gloire. Saint Jacques ajoute
donc : S’il est dans le péché, son
péché lui sera remis. Il est donc manifeste que ce sacrement est le dernier et d’une certaine manière la consommation de toute la cure spirituelle
qui prépare l’homme à entrer dans la gloire ».
Les
théologiens discutent sur la question de savoir si l’Extrême‑Onction efface les péchés graves directement ou indirectement. Quelques théologiens considèrent l’effet direct
comme probable, mais la majorité soutient que le but primaire de ce sacrement n’est
pas d’effacer les péchés, ni les péchés mortels ni les péchés véniels. Si l’Extrême‑Onction effaçait directement les péchés
mortels, ce serait un sacrement des morts ; or, d’après la doctrine générale
et constante de l’Église, il n’y a que deux sacrements des morts, le baptême et
la Pénitence. Le Catéchisme romain
dit : « L’extrême‑Onction n’a
pas été instituée directement pour remettre ces sortes de fautes ; c’est l’objet
de la fin du baptême et de la pénitence » (P. 2, de extrem.
unct., n. 14).
Pour
ce qui est des péchés véniels, l’Extrême‑Onction peut d’autant moins avoir été
instituée pour les effacer que ce n’est pas même le but primaire et direct de
la Pénitence. « A l’égard des péchés véniels, ils sont son objet propre,
dans le sens qu’ils ont été produits par notre volonté ; cependant ce n’est
pas pour effacer ces fautes que ce sacrement a été institué
principalement » (S. th., 3, 84,2).
S.
Thomas dit, de même, au sujet de l’Onction : « ni l’extrême‑onction, ni aucun sacrement de la loi
nouvelle n’a été institué à titre principal contre les péchés véniels, encore
qu’ils remettent ces péchés véniels ; mais l’extrême onction a été
instituée pour enlever les traces du péché » (De malo,
7, 11, ad 14). On peut, d’après S. Thomas, effacer les péchés véniels par d’autres
moyens, comme la prière, la contrition, l’aumône, l’assistance à la messe, etc.
Ce
qu’on dit des péchés véniels s’applique aussi aux peines temporelles dues au péché. Qu’elles soient supprimées par l’Extrême‑Onction, c’est ce qu’indiquent les
expressions dont se servent S. Jacques et le Concile de Trente concernant les
« restes de péché », ainsi que la forme de l’administration,
« tous les péchés commis ». Qu’elles ne soient remises que secondairement
par l’Extrême‑Onction, on le conclut si on réfléchit
que, pour cette remise, la communication de la grâce, et par conséquent la
réception d’un sacrement n’est pas nécessaire. Si l’Extrême‑Onction était établie, directement et en
premier lieu, pour la remise de ces peines, les personnes bien portantes
devraient aussi la recevoir, car, en général, elles ont aussi grand besoin de
cette remise de peine que les malades.
Un
certain nombre de théologiens soutiennent que l’Extrême‑Onction remet toutes les peines temporelles. Ils invoquent l’autorité de S.
Albert, de S. Bonaventure, de Scot, de Durand, de Suarez et d’autres ; cf.
Kern, 88 sq. On s’appuie aussi sur S.
Thomas. Kern dit qu’il enseigne très certainement (certissime),
dans son Commentaire des Sentences,
dans sa Somme théologique, comme dans
sa Somme philosophique, cette
doctrine que l’Onction « ... dispose de façon immédiate l’homme à l’état
de gloire » (Suppl., q. 29, a, 1) ; il dit aussi dans sa Somme C.
Gentes (4, 73) que « cette guérison s’accomplisse par le moyen d’un
sacrement et qu’ainsi l’on soit libéré du châtiment de la peine temporelle, au
point qu’il ne reste rien qui puisse empêcher l’âme, lors de sa sortie du
corps, d’atteindre la gloire », et il se réfère à S. Jacques. Or l’interprète
classique de S. Thomas, Ferrarensis, atténue
singulièrement ces textes, en objectant qu’ils ne s’accordent pas avec l’usage
de l’Église d’appliquer ses suffrages et ses prières même aux défunts qui ont
reçu l’Extrême‑Onction. Il fait remarquer ensuite que
S. Thomas, en un autre endroit, parle seulement d’une diminution des peines temporelles : « De même l’extrême‑onction diminue
l’obligation à la peine temporelle, mais par voie de conséquence, en remédiant
à l’état de faiblesse : celui qui
est fort porte en effet la même peine avec plus d’aisance que celui qui est
faible. Il ne faut donc pas que pour cette raison soit diminuée la pénitence
prescrite » (Suppl., q. 30, a. 1). En citant ce texte, Ferrarensis
exprime l’avis que l’opinion de S. Thomas est sans doute « quod non remittitur semper totaliter reatus pœnæ temporalis...
sed tunc tantum quando adest
interior dispositio ad remotionem talis reatus simul cum hoc sacramento sufficiens. Est enim hoc sacramentum ad remotionem
omnis reatus remanentis post culpam ordinatum, quando in suscipiente est conveniens dispositio ». Et cette disposition ou cet « opus operantis » exigé, à côté de l’« opus
operatum », inclut, chez le sujet, la bonne
volonté d’expier ses peines temporelles en supportant patiemment ses
souffrances morales et physiques, d’autant plus, comme le dit S. Thomas, que la
grâce reçue l’a rendu « plus fort ». C"est
pourquoi aussi le malade est tenu, quand il le peut, d’accomplir la pénitence
qui lui a été imposée dans la confession faite auparavant et que l’Église exige
toujours.
Le
troisième effet de l’Extrême‑Onction, la guérison du corps, n’est pas
absolu et ne se produit pas toujours, parce que, d’après la doctrine de l’Église,
il dépend du salut de l’âme et ne se produit que de temps en temps (interdum) : c’est un effet conditionnel (Trid., can. 2).
S.
Thomas dit à ce sujet : « L’extrême‑onction ne
procure pas la guérison corporelle par le fait des propriétés naturelles de la
matière employée, mais par la vertu divine, qui opère toujours de façon
raisonnable. Et comme la raison, lorsqu’elle agit, ne produit jamais un effet
secondaire qu’autant que cet effet peut concourir à l’effet principal, il suit
ici que la guérison corporelle n’est pas toujours produite par le sacrement,
mais seulement lorsqu’elle est utile à la guérison de l’âme. En ce cas elle a toujours lieu, du moins
s’il n’y a pas d’empêchement de la part de celui qui reçoit le sacrement »
(Suppl., q. 30, a. 2). Le Cat. rom.
considère comme un empêchement de ce genre la faiblesse de la foi actuelle par
rapport au temps passé. Mais quand se produit la guérison corporelle, il ne
faut pas considérer cette guérison comme un miracle ;
en effet, elle se produit d’après l’ordonnance fixe de l’économie divine du
salut ; elle ne se produit pas soudain, mais d’ordinaire peu à peu et,
comme le remarque Pesch, « pour que les forces
et les remèdes naturels permettent de recouvrer la santé ». Aussi il faut
exhorter les malades à ne pas retarder l’Extrême‑Onction
jusqu’au moment ou la guérison ne pourrait se
produire que par un miracle manifeste. L’Extrême‑Onction n’exige
pas l’« article de la mort » mais le
« danger de mort » (Comp., 4, 229). Si la
guérison ne se produit pas, l’Extrême‑Onction
reçue servira un jour à la résurrection
glorieuse du corps.
Les
trois effets de l’Extrême‑Onction ne
sont pas tous produits directement et en premier lieu ; mais même quand
ils sont produits secondairement et indirectement, ils le sont « ex opere operato ». Sent. communissima.
Le
Concile de Trente a aussi mis l’Extrême‑Onction en relation avec le baptême et la Pénitence. Il dit, en effet, qu’« elle
a été considérée par les Pères comme la conclusion
non seulement de la Pénitence, mais encore de toute la vie chrétienne, qui doit
être une pénitence perpétuelle ». Sans doute, par le baptême, est effacé
tout ce « qu’il y a proprement et véritablement de péché » ;
mais il reste cependant, même dans les baptisés, « la concupiscence ou l’inclination
au péché » (S. 5, can. 5). Par là, le Concile
nous enseigne que la vie chrétienne est essentiellement une vie de combat,
jusqu’à sa fin bienheureuse. Le baptême et la Confirmation nous impriment le
caractère de soldats du Christ. Nous savons tous, par expérience, la gravité, l’ardeur
et le danger de ce combat vital ; mais nous pouvons, tout au moins,
pressentir qu’il atteindra son point le plus critique à la fin de notre vie,
quand la mort s’imposera à notre conscience intime et nous demandera le grand
sacrifice, qui consistera non seulement à souffrir patiemment et passivement ses
douleurs, mais encore à abandonner positivement, courageusement, avec
résignation et librement notre vie, en harmonie complète avec la volonté
divine. En ce moment difficile, la grâce de l’Onction sera un secours très
opportun pour nous aider à achever heureusement et victorieusement le combat de
la vie, que nous avons commencé au baptême. S. Paul nous dit que, par le
baptême qui nous unit à Jésus‑Christ notre
Chef mystique, nous avons été symboliquement
« baptisés en sa mort et ensevelis avec lui » (Rom., 6, 4 ; cf.
Col., 2, 12). Le moment est venu où nous devons mourir réellement et
physiquement avec le Christ, et, comme le Christ reçut l’onction de la sainte
femme pour se préparer à la mort (Math., 26, 12), le chrétien reçoit aussi l’onction
qui consacre sa mort. Le baptême, autrefois, l’introduisit dans le royaume de
Dieu sur la terre ; sa mort, transfigurée par l’Extrême‑Onction, doit le faire entrer dans le royaume
final, dans la communion des saints au ciel. Le baptême est la porte de l’Église
militante, la mort sanctifiée par l’Extrême‑Onction est
la porte de l’Église triomphante.
La
relation de l’Extrême‑Onction avec
la Pénitence, dont elle est le complément, se comprend encore plus facilement.
L’union entre les deux est aussi étroite que celle de la Confirmation avec le
Baptême. L’une achève ce que l’autre a commencé. Autrefois, on se référait
volontiers à S. Jacques pour prouver la Pénitence. De tout ce que nous ayons
expliqué précédemment sur les effets de l’Extrême‑Onction, il
résulte qu’elle complète la Pénitence. Elle efface les dernières traces du
péché, qui n’avaient pas été entièrement supprimées par la Pénitence. « La
vie chrétienne doit être une pénitence permanente », dit le Concile de
Trente. Elle doit être, en quelque sorte, une satisfaction pour les péchés. Or
c’est surtout au moment de la mort que notre vie devient cet acte de
pénitence ; c’est alors que nous pouvons offrir la pénitence la plus
grande, la plus difficile, la plus précieuse et la plus méritoire, en faisant
le sacrifice volontaire, bien qu’inévitable, de notre vie ; en acceptant
la sentence générale que Dieu a prononcée, au paradis terrestre, après le
premier péché, contre l’humanité coupable. S. Bonaventure étudie quelque part
les sept sacrements du point de vue des moyens de combat pour la « militia christiana » (Brevil., 6, 3).
L’Extrême‑Onction
n’est pas strictement nécessaire au salut.
On ne peut faire valoir ni une nécessité interne ni un précepte extérieur.
Néanmoins c’est un péché de la mépriser.
Le
Concile de Trente n’entend le texte
de S. Jacques ni comme un précepte divin ni comme un précepte ecclésiastique.
Il dit au chap. 1er que S. Jacques « recommande aux fidèles
cette sainte onction des malades », et, au can. 4, que S. Jacques « exhorte »
(hortatur) à appeler les prêtres pour l’onction. On
ne peut parler de nécessité de moyen,
car ce sacrement suppose la grâce existante. Mais, indépendamment du fait que
certains théologiens voient déjà dans l’institution un précepte divin, l’intérêt
de son salut, ainsi que la gravité de sa situation, doivent déterminer le
malade à désirer le sacrement et porter ses proches à lui en faciliter la
réception.
A
consulter : S. Thomas, Suppl.,
q. 34.40. Bellarmin, De sacram. ordinis
(De controv). P.
de Soto, De institutione sacerdotum
(Dilling., 1558). Hallier,
De sacris electionibus et ordinationibus
ex antiquo et novo jure (1636 : Migne, Curs. compl., 24). Morinus, Comment.
hist. et dogm. de sacris ecclesiæ ordinationibus (Anvers, 1695 ;
Paris, 1655). Marchini,
De sacram. ordinis
et sacrif. missæ
(Lugd., 1638). Oberndorfer, De sacram. ordinis
(1759). Gasparri, Tract. canonicus de s. ordinatione (1893). De
Ghellinck, Le traité de Pierre Lombard sur les
sept ordres ecclésiastiques, ses sources, ses copistes : Rev. d’hist. eccles., 10, 2, 290
sq. Gobet, L’origine divine de l’épiscopat
(1898). Michiels, L’origine de l’épiscopat
(1900). Ermoni,
Les origines de l’épiscopat (1903). Saltet, Les réordinations : Études sur le sacrement de
l’Ordre (1907). Johannes Fischer, Sacri sacerdotii defensio contra Lutherum
(« Corp. Cath. »). C. J. C. can. 948-1011.
Notion. L’Ordre est un sacrement, par lequel est conféré à
celui qui le reçoit un pouvoir spirituel établi par le Christ dans l’Église,
ainsi que la grâce nécessaire pour l’exercice de ce pouvoir.
L’Ordre
et le mariage sont des sacrements qui créent un état. Ils peuvent donc être
considérés dans leur production (in fieri) et dans
leur permanence (in esse). Dans le sacrement de l’Ordre, on appelle l’administration,
l’ordination, et l’état, l’Ordre.
L’expression
ordination désigne, d’une manière
générale : 1° L’admission dans l’état clérical ; 2° La transmission d’un
certain pouvoir d’Ordre ; 3° Au sens strict, la collation du sacerdoce.
Par conséquent, on entend ensuite, sous le nom d’ordo, les degrés dans les
pouvoirs sacrés qui ont été conférés (les Ordres). Des ordinations dites
« absolues », ne comportant aucune situation ecclésiastique et aucun
office clérical, n’existaient pas dans l’Église ancienne. Le Concile de
Chalcédoine (451) les avait strictement défendues. Ce ne fut que dans l’Église
du Moyen‑Age qu’on connut ces ordinations
absolues, mais on vit paraître en même temps la plaie des clerici vagabundi. On essaya de remédier à cet
état de choses par des mesures semblables à celles du Concile de Chalcédoine.
L’ordination
place donc, d’une manière permanente, dans l’état officiel de la cléricature
(ordo clericalis, sacerdotalis,
ecclesiasticus ; cf. déjà Tertullien, De idol., 7). Cette vérité
présuppose le dogme de la distinction des prêtres et des laïcs, ou de la
hiérarchie ordonnée par Dieu (cf. plus haut § 137 sq.).
Désignation. Les
dénominations latines sont : « manuum impositio, sacramentum ordinis ;
s. antistitis consecratio » ;
les dénominations grecques sont : «χειροτονια,
χειροθεσία,
ἱερωσύνη » .
La première expression (grecque) fut bientôt réservée à la Confirmation seule (Act. Ap., 8, 17, 19 ; 19,
6) ; la seconde, à l’ordination sacerdotale (1 Tim., 5, 22 ; 2 Tim.,
1, 6 ; Act. Ap., 6,
6 ; 13, 3). Ces expressions s’emploient aussi pour la bénédiction en
général (Math., 9, 18 ; Marc, 16, 18 ; Luc, 13, 13). Le nom « sacerdos » (ἱερεύς)
mérite une observation particulière. Son emploi par les païens le rendait
suspect, car il désignait, chez eux, le prêtre sacrificateur d’une divinité
particulière. Il est vrai que les Juifs eux‑mêmes le
connaissaient (Cf. S. Clément, 1 Cor., 40, 5). Les chrétiens l’employaient peu
au début. Tertullien est le premier
qui ait donné au mot « sacerdos », emprunté
au rite sacrifical des Juifs et des païens, toute sa valeur
expressive. Adam (Notion d’Église, 96) établit que, dans l’emploi de ce nom
officiel, non seulement pour l’évêque auquel on aima le réserver jusqu’à S.
Léon 1er, mais encore pour les prêtres, Tertullien se montre plus
généreux que S. Cyprien. Au reste, S.
Cyprien applique aussi aux prêtres ce nom de « sacerdos »,
qui est désormais un titre d’honneur ; mais il le donne de préférence à l’évêque
(Poschmann,
169) : « Cum episcopo presbyteri
sacerdotali honore conjuncti
sunt ». (Ep. 61, 3). S. Innocent 1er tolère tout au moins que les prêtres et
les évêques portent le même titre d’honneur (Ep. ad Decent., 3 : M. 20, 554 : nam
presbyteri licet secundi sint
sacerdotes, etc. » ; cf. c. 7). S.
Léon 1er parle de « sacerdotes secundi
ordinis », S.
Optat de Méla, de
« sacerdotes in secundo ordine constituti » ;
S. Césaire d’Arles, de
« sacerdotes secundi gradus » ; Grégoire de Tours, de « sacerdotes majoris » et de « sacerdotes minoris
ordinis » ; de même S. Grégoire le G. S. Augustin
sait que « il ne faut pas entendre cela [être prêtres de Dieu et de Jésus‑Christ] des seuls évêques ou des seuls
prêtres » ; les simples fidèles sont « sacerdotes » dans un
certain sens, en tant que membres du Christ (Civ.,
20, 10). On sait combien S. Jérôme
rapproche les prêtres et les évêques (In Jérem., 13,
12 : M. 24, 765 et passim). Sur les pierres tombales antiques, on trouve
aussi « pastor, minister,
minister christianus »,
(Kaufmann, Archéologie chrétienne [2e
éd., 1913], 107). Dans l’Église grecque,
l’évolution est semblable ; jusque vers 400, l’évêque en tant que seul
célébrant, est le ἱερεύς ;
à partir de cette époque, les prêtres, qui commencent alors à célébrer, souvent
séparément de l’évêque, reçoivent le nom de ἱερεύς ;
quant à l’évêque, il est ἀρχιερεύς
ou ἱεράρχης
(Const. Apost., 8,
11 ; pseudo‑Denys, Eccl.
hierarch., 3, 2, 3).
Degrés de l’Ordre. L’Église latine compte actuellement sept Ordres
(huit en comptant l’épiscopat) ; quatre Ordres mineurs (ordines
minores) : portiers, lecteurs, exorcistes, acolythes
et trois (quatre) Ordres majeurs : sous‑diacres,
diacres, prêtres (et évêques). Si l’on compte, avec les théologiens modernes, à
l’opposé des scolastiques, l’épiscopat comme un Ordre proprement dit, on arrive
au nombre de huit. La tonsure n’est
pas un Ordre.
L’étude
historique de l’origine des sept Ordres est du ressort du droit canon. La plus
ancienne mention des sept Ordres se trouve chez le Pape S. Corneille (+ 253) (Eusèbe, Hist. Eccl.,
6, 43, 11).
L’Église
grecque ne connaît, comme Ordres mineurs, que l’hypodiaconat
et le lectorat (lecteurs, chantres, cantorat). Maltzew nomme comme Ordres, l’épiscopat, la prêtrise, le
diaconat et lectorat, le cantorat (psalmiste) et hypodiaconat ; dans l’hypodiaconat,
le sacrement n’est pas accompli, mais seulement la cheirothésie
par opposition à la cheirotonie (§ 171). L’onction,
chez les Grecs, fait défaut dans tous les Ordres ; ils ne connaissent que
l’imposition des mains. Ils ignorent de même le « caractère
ineffaçable » défini par le Concile de Trente. L’Église peut
« reprendre sa dignité » à celui qui a été ordonné. Cf. cependant Maltzew, 333. Dans le Catéchisme
orthodoxe de Gallinicos, on lit p. 44 :
« Les clercs ne sont pas tous égaux. Les uns sont diacres, les autres sont
prêtres et d’autres encore sont évêques. L’activité des diacres est très
limitée. Ils n’ont pas de situation dirigeante et ne peuvent administrer aucun
sacrement. Ils peuvent seulement assister au sacrement comme aides ; ils
peuvent aussi, avec la permission de l’évêque, annoncer la parole de Dieu. Les
prêtres, qui sont placés au‑dessus des
diacres, n’ont pas, eux non plus, de situation dirigeante ; cependant ils
peuvent accomplir tous les sacrements (sauf l’ordination sacerdotale et la
consécration de l’huile d’onction) ; ils annoncent aussi la parole de
Dieu. Les évêques, à qui est confié l’office de l’ordination sacerdotale,
annoncent la parole de Dieu, accomplissent tous les sacrements sans exception
et exercent la vigilance suprême sur les âmes ».
Les
protestants donnèrent, au début, comme
mot d’ordre : « Tous les laïcs sont prêtres », afin de renverser
la hiérarchie et d’élever le laïcat. Mais, plus tard, « toutes les Églises évangéliques ont de
nouveau fondé, en s’appuyant sur la Bible, leur ministère spécial de
prédication et s’efforcent d’éteindre le souvenir de l’enthousiasme laïc du
christianisme primitif » dit Wernle, Calvin
(1919), 123.
Sommaire. Comme on a
déjà établi précédemment que le Christ a fondé, dans son Église, un pouvoir
spirituel et l’a confié à certaines personnes hiérarchiques, et comme on vient
de voir qu’on compte plusieurs degrés dans ce pouvoir, il s’agit d’abord de
démontrer que la transmission de ce pouvoir par l’ordination est un sacrement
institué par le Christ et que l’Ordre est un état sacramentel. Ensuite il
faudra déterminer quels sont ceux de ces Ordres qui ont un caractère
sacramentel.
THÈSE. L’ordination est un sacrement
véritable et proprement dit, institué par le Christ. De foi.
Explication. Les protestants ne voyaient dans l’ordination que l’autorisation
d’enseigner, conférée par le peuple, et l’investiture rituelle dans l’office de
la prédication (cf. Apol. Conf., art. 7) ; mais
ils n’y voyaient pas la collation sacramentelle d’un pouvoir sacré. D’après
Calvin, le théologien de la Réforme, tous ceux qui, à côté du Christ, osent se
nommer prêtres lui font injure, puisque Dieu, d’après Hébr.,
5, 6 ; 7, 3, l’a institué prêtre pour toujours (Inst.,
4, c. 19, n. 28). C’est pourquoi le Concile de Trente a défini : « Si quelqu’un dit que l’ordre ou la
sainte ordination n’est pas vraiment et proprement un sacrement institué par le
Christ Seigneur ; ou que c’est une invention humaine, imaginée par des
hommes qui n’entendent rien aux choses de l’Église ; ou que c’est
seulement un rite par lequel on choisit les ministres de la Parole de Dieu et
des sacrements : qu’il soit anathème » (S. 23. can.3 :
Denz., 963 ; cf. c. 1 et 3). On enseigne encore,
dans le can. 1, qu’il y a, dans le Nouveau Testament, « un sacerdoce visible et extérieur »
avec « un pouvoir de consacrer et d’offrir le vrai Corps et le vrai Sang
du Seigneur et de remettre ou de retenir les péchés », et enfin, dans le
can. 2 qu’il y a « d’autres ordres
majeurs et mineurs, par lesquels, comme par degrés, on s’avance jusqu’au
sacerdoce ». Si nous ajoutons la définition du caractère indélébile, nous
avons ici tout ce qui a été défini sur l’Ordre ou l’ordination ; au sujet
des Ordres particuliers, rien n’a été défini ; nous aurons plus loin à
déterminer théologiquement leur caractère sacramentel.
Preuve. Il y a ici deux vérités à distinguer : 1° Le Christ
a transmis aux Apôtres le pouvoir sacerdotal, et 2° cette transmission, dans l’Église,
est un acte sacramentel. La première vérité résulte déjà de ce que nous avons
dit, au sujet de l’ordonnance de la hiérarchie accomplie par lui et au sujet de
l’administration des sacrements. Le Christ a transmis au Apôtres le pouvoir d’offrir
le sacrifice et de remettre les péchés. Les Apôtres ont exercé ce pouvoir dès
le commencement. Que le Christ lui‑même,
pour transmettre ces pouvoirs, se soit servi d’un rite extérieur, cela ne peut
pas se démontrer. Cela n’était d’ailleurs pas nécessaire, car le Christ n’ était pas lié à ses sacrements ; il pouvait produire
leur effet par un simple acte de volonté. Mais il a prescrit à ses disciples un
rite pour cette transmission ; ce qui le prouve, c’est qu’ils ont immédiatement employé un tel rite, dont l’effet
était la communication de la grâce, dans la prière et l’imposition des mains.
Il est dit des sept diacres : « On les présenta aux Apôtres et ceux‑ci, après avoir prié, leur imposèrent les
mains » (Act. Ap., 6,
6). L ’ordination de Paul et de Barnabé se fit, après qu’on eut jeûné, par la
prière et l’imposition des mains (Act. Ap., 13, 3 ; cf. 14, 22). S. Paul écrit à Timothée qui
était sûrement évêque : « Je t’exhorte à ranimer en toi la grâce de
Dieu qui est en toi par l’imposition de mes mains » (2 Tim., 1, 6 ;
cf. 1 Tim., 4, 14 ; 5, 22). Timothée peut, en vertu de son ordination,
conférer l’ordination à d’autres (1 Tim., 5, 22).
Exégèse. Quelques‑uns des passages cités sont absolument
clairs, si bien que les protestants libéraux eux‑mêmes
parlent de leur signification « ordinatoire ».
Ce qui est très net, c’est d’abord Act. Ap., 6, 6. Peu nous importe la relation des sept hommes
avec les diacres ; qu’ils soient identiques, comme la tradition l’admet,
ou différents, comme un certain nombre le pensent aujourd’hui, il s’agit sans
aucun doute d’une fonction ecclésiastique, qui est déjà, en soi, en tant que
service des aumônes, assez difficile et qui, unie au ministère de la
prédication et du baptême (Étienne, Philippe), gagne encore beaucoup en
importance et en dignité. Or l’institution de ces hommes se fait ainsi :
la communauté les élit par son bon
témoignage ; les Apôtres les agréent et leur confient le ministère par la
prière et l’imposition des mains. C’est le premier rite sacramentel d’ordination
dont nous parle la Bible.
Dans
Act. Ap., 13, 1 sq., il s’agit
de Paul et de Barnabé, qui, en tant que porteurs de l’Esprit dans l’Église,
sont établis missionnaires. Cinq
« prophètes et docteurs » célèbrent en commun l’office religieux (λειτουργεῑν
= célébration de l’Eucharistie) dans la communauté d’Antioche. Alors le Saint‑Esprit les pousse à « séparer »
Paul et Barnabé pour le service des missions. Ils le font ainsi : trois d’entre
eux, après avoir jeûné et prié, imposent les mains aux deux autres. Le but du
rite est de communiquer les pouvoirs et les dons pour la difficile vocation des
missions. Les ministres sont ceux qui accomplissent le λειτουργεῑν.
Felten rappelle la Didachè
(15, 1), d’après laquelle les évêques et les diacres remplissent aussi le
ministère de prophètes et de docteurs, les deux fonctions étant ainsi
identiques. Aussi nous pouvons tout au moins présumer que, dans le passage qui
nous occupe, les ministres sont des évêques.
On
trouve dans les textes de S. Paul la
même clarté que dans le premier cas. Il avertit son disciple Timothée, qui est
un peu découragé, de se souvenir de son ordination. Comment se fit cette
ordination ? Il est dit, une fois, « par l’imposition de mes
mains » (2 Tim., 1, 6) ; une autre fois, « par une prophétie
avec l’imposition des mains du presbyterium » (1 Tim., 4, 14). Or qui a ordonné Timothée ? S. Paul et
le presbyterium lui ont imposé les mains en commun. Dans 1 Tim., S. Paul écrit
à son disciple : « N’impose précipitamment les mains à personne et ne
te rends pas coupable des péchés d’autrui ». En raison du contexte, on
peut penser à la réconciliation des pénitents,
qui se fit plus tard par l’imposition des mains. Nous aurions ainsi déjà dans
les Actes des Apôtres, les trois impositions des mains : dans la
Confirmation, dans la Pénitence et dans l’ordination. Mais un certain nombre de
théologiens veulent voir, là aussi, l’ordination et n’admettent pas qu’on place
si tôt le rite de la réconciliation qui est postérieur (vers 200). Cf.
cependant le sacrement de Pénitence. Nous pencherions aussi à entendre ce
passage de l’ordination, d’autant plus que, dans le contexte (5, 17-22), il est
question des prêtres. Ce qui ressort nettement, c’est d’abord le rite fixe,
ensuite l’intention de conférer l’aptitude à une fonction spirituelle. Ce qui
reste encore dans l’ombre, c’est la nature de ce pouvoir ; cependant on l’appelle
χάρισμα τοῦ θεοῦ
et Timothée, en vertu de ce pouvoir, peut conférer l’ordination à d’autres (1
Tim., 5, 22). Pour le reste, nous voyons clair. On n’indique pas non plus le
point d’origine, c.‑à‑d. l’ordre donné par le Christ. Il est vrai
que nous lisons souvent que le Seigneur a imposé les mains pour guérir (Marc,
6, 5 ; 7, 32 ; 8, 23, 25), mais non pour conférer des pouvoirs. L’imposition
des mains, dans Hébr., 6, 2, est sans doute
sacramentelle, car elle est fondamentale, mais on ne peut pas le déterminer d’une
manière précise.
Ces
passages nous montrent donc clairement que la puissance sacerdotale est
transmise et que la grâce intérieure est conférée par l’emploi d’un rite
extérieur. Nous en concluons, comme pour la Confirmation, qu’il faut que le Christ ait uni à à
ce rite l’efficacité interne, car les Apôtres n’étaient pas capables de le
faire. Nous avons alors tous les éléments exigés par la notion de
sacrement : le signe extérieur, l’institution par le Christ, l’usage
permanent et général. Le protestant Behm écrit, au sujet de ces textes : « Les
premières traces sérieuses d’une imposition des mains ordinatoire se trouvent aux
premières pages de l’histoire de l’Église chrétienne » (Imposition des
mains, 59). Harnack lui‑même avoue la preuve biblique : « L’imposition
des mains était certainement « sacramentelle » ; mais il atténue
son aveu en ajoutant : « Mais quel rite conservé ou nouvellement créé
n’était pas sacramentel dans une communauté qui possédait, au milieu d’elle, le
Saint‑Esprit qui se manifestait
sensiblement ? » (Origine et évolution de la Const.
de l’Egl., 20). Bien entendu
il est incapable de démontrer que la primitive Église créait elle‑même des sacrements. Au sujet de l’origine de
l’ordination, il remarque : « Quelle est l’antiquité de cette conception de la transmission des pouvoirs, de l’évêque
(ordinator) à l’ordinand... nous ne le savons
pas » (p. 20). Nous pensons que les textes cités permettent de remédier à
cette ignorance.
Les Pères. Leurs
témoignages se confondent avec ceux que nous avons apportés précédemment, dans
le traité de l’Église, pour prouver la hiérarchie. La Didachè, S. Clément, S. Ignace,
S. Polycarpe, Hermas, Tertullien, S. Cyprien, Origène attestent tous l’ordre
clérical comme un état établi spécialement et essentiellement différent de l’état
laïc.
Le sacerdoce général. Il ressort
très fortement, dans l’Écriture et la Tradition. Nous n’avons pas à le
dissimuler pour des motifs apologétiques. L’Écriture signale le sacerdoce
général dans le passage connu de S. Pierre (1 Pier., 2, 5 sq.). Les chrétiens sont
bâtis sur le Christ, le fondement, comme « la demeure spirituelle, pour
devenir le sacerdoce saint et
présenter des sacrifices spirituels, agréables à Dieu, par Jésus Christ… une
descendance choisie, un sacerdoce
royal, une nation sainte ». Il ne faut pas s’étonner que les Pères aient souvent répété ces belles
pensées et les aient interprétées du baptême. Cf. S. Justin (Dialog., 116), S. Irénée (A. h., 4, 8, 3 et passim),
Tertullien (Exhort. Cast., 7 ; De bapt., 17 ; De monog., 7),
Origène (De orat., 28, 9 ; In Lev. Hom., 9,
9 ; C. Cels., 8, 73), S. Augustin (Civ., 20, 10), S. Léon Ier (Sermo
4, 1). S. Léon peut nous servir de témoin parfait, car il possédait la dignité
de pontife suprême, comme S. Augustin la dignité épiscopale. Il dit, à propos
de 1 Pier., 2, 5, 9 : « De tous les régénérés dans le Christ, en
effet, le signe de la croix fait des rois, l’onction du Saint‑Esprit les consacre comme prêtres, afin que,
mis à part le service particulier de notre ministère, tous les chrétiens
spirituels et usant de leur raison se reconnaissent membres de cette race
royale et participants de la fonction sacerdotale ». A ce sacerdoce
spirituel correspondent, d’après la doctrine des Pères, les sacrifices spirituels : prières,
pureté de conscience, triomphe sur soi‑même. Mais
tous les témoignages cités indiquent aussi, de la manière la plus nette, le
sacerdoce proprement dit ou spécial. A l’intérieur du catholicisme, des auteurs
masculins et féminins modernes ont essayé de supprimer les frontières entre le
sacerdoce général et le sacerdoce spécial. Ils oublient, non seulement la
définition du Concile de Trente, mais encore les témoignages bibliques et
patristiques qui attestent une distinction claire entre les deux formes de
sacerdoce.
Concernant
le caractère sacramentel des Ordres
particuliers, un concile de Bénévent (1091) enseigne : « On ne pourra
élire les Évêques que du nombre de ceux qui auront donné des marques de leur
constante piété dans les exercices des Ordres sacrés, c’est à dire du Diaconat
et de la Prêtrise ; parce que l’Église primitive n’avait pas d’autres
Ordres sacrés. Pour eux seuls nous
avons l’autorité apostolique » (Can. 1 : Denz.,
356). Le Concile de Florence parle, au sujet de l’Ordre, de « prêtres, diacres, sous‑diacres et autres ordres » (Denz., 701). Le Concile de Trente compte (S. 23, c. 2) sept
Ordres et dit : « Les Saintes Lettres ne font pas seulement mention
des Prêtres, mais elles parlent aussi très clairement des Diacres (1 Tim. 3,
8 ; Act. 6, 5) et enseignent en termes formels
et très remarquables les choses à quoi on doit particulièrement prendre garde
dans leur ordination ». Il ajoute encore les Ordres inférieurs, sous‑diacres, acolytes, exorcistes, lecteurs,
portiers, et remarque, à propos du premier : « Le sous‑diaconat est mis au rang des ordres majeurs par les Pères et par les
saints Conciles » (Denz., 958). Dans les thèses
suivantes, l’appréciation théologique est hésitante ; elle adopte
cependant aujourd’hui la ligne moyenne.
1.
Les quatre Ordres mineurs, ainsi que le sous‑diaconat,
ne sont pas des Ordres sacramentels.
Tel
est le jugement de la plupart des théologiens, à l’opposé des scolastiques, qui
considéraient ces Ordres comme sacramentels. Parmi les théologiens modernes, il
n’y a qu’un petit nombre comme Glossner, de Augustinis, Silbernagl, Laemmer, à admettre le point de vue scolastique.
Raisons. Ces Ordres
ne sont pas institués par Dieu. Ils sont nés avec le développement de la
liturgie. Si l’on ne voulait pas dépasser le nombre septénaire des diacres (Act. Ap., 6, 1 sq.), on était
obligé, dans les grandes communautés, de leur donner des aides : les sous‑diacres. C’est chez le Pape S. Corneille (+
253) qu’on rencontre, pour la première fois, tous les Ordres mineurs. Dans l’administration
de ces Ordres, il n’y a pas d’imposition des mains ni d’invocation du Saint
Esprit dans une prière sacramentelle.
La
Scolastique soutenait le caractère
sacramentel de tous ces Ordres ; mais elle les considérait comme un seul sacrement, en raison de leur ordonnance
et de leur relation à l’Eucharistie. Pulleyn (+ vers
1150) compte déjà le sous‑diaconat au
nombre des « ordres sacrés » (Gillmann, Guillaume d’Auxerre, 37 sq.). Les hauts
scolastiques le considèrent comme sacramentel ; ils voient le plus souvent
en lui un sacramental. Il en est ainsi chez les Grecs (Maltzew,
233 et 301 sq.). Il passe cependant pour un Ordre majeur, parce qu’il comporte
l’obligation du célibat.
2.
Le diaconat, le presbytérat et l’épiscopat sont des Ordres sacramentels.
Le
diaconat est considéré généralement
par les théologiens comme un sacrement. Cela est attesté par Act. Ap., 6, 11-7, où les témoins
de la tradition reconnaissaient l’institution divine, bien que le nom διἀϰονο ne s’y trouve
pas. Un autre argument, ce sont les hautes exigences morales imposées aux
diacres (Act. Ap., 6,
3 ; 1 Tim., 3, 8-13). Ces exigences correspondent à celles qu’on impose
aux évêques, à la suite desquels les diacres sont d’ordinaire nommés (Phil., 1,
1 ; Didachè, S. Ignace, S. Clément, etc.). Cela
est attesté également par les antiques prières d’ordination (Cf. Const. apost.,
8, 17). On y invoque le Saint‑Esprit et sa
grâce. Or, c’est dans ces prières que le Concile de Trente voit la forme de la
collation de l’Ordre (S. 23, can. 4). Cf. Steph. Bihel,
De septem diaconis (Act. Ap., 6, 1-2) ; Antonianum (1928), 129-150.
Dans
l’office religieux, le diacre remplissait un rôle peu important ; il avait
plus d’influence dans la vie extérieure de la communauté (aumône, soin des
malades, etc.).
Le
presbytérat. Son caractère sacramentel est sûrement
de foi. Le Concile de Trente a défini : « Il y a dans la Nouvelle
Alliance un sacerdoce visible et extérieur, avec le pouvoir de consacrer et d’offrir
le vrai corps et le vrai sang du Seigneur, ainsi que de remettre et de retenir
les péchés » (S. 23, can. 1 : Denz., 961).
Si l’ordination sacerdotale n’était pas sacramentelle, il n’y aurait pas du
tout d’Ordre sacramentel (Cf. can. 2 et 3).
L’épiscopat. Il est considéré aujourd’hui par la majorité des
théologiens comme un sacrement. La Scolastique le considérait presque
unanimement comme un sacramental. Scot signale l’opinion contre et pour le
sacrement, mais il penche vers la dernière et Durand la soutient nettement.
De
nos jours aussi, les théologiens ne sont pas
d’accord. Schanz juge que le caractère sacramentel de
l’épiscopat « est aujourd’hui encore sujet de controverse » (P. 678).
Pohle, par contre, remarque : « Le
caractère sacramental n’est plus guère discuté aujourd’hui par les théologiens
et est considéré comme une conclusion théologique. Les arguments sont
catégoriques » (3, 621). Gutberlet examine la
question d’une manière plus critique et dit avec raison : « Qu’il
faille considérer l’ordination conférée à Timothée et que mentionne S. Paul
comme une ordination spécifiquement
épiscopale et qu’il faille la distinguer d’une ordination sacerdotale précédente, voilà ce qui n’est pas facile à
prouver ; or, si cela était évident comme on l’affirme, comment des
théologiens catholiques si nombreux, dont quelques‑uns, comme S. Thomas d’Aquin, font autorité,
auraient‑ils pu nier le caractère sacramentel
de l’épiscopat ou bien le mettre en doute aujourd’hui encore ? » (10,
265). Si on se prononce pour l’affirmative, il faut prouver théologiquement que
le sacerdoce est divisible et qu’une partie sacramentelle est réservée à l’évêque,
qui la reçoit « ex opere operato »
par l’ordination épiscopale spéciale. Sasse écrit d’une manière générale, bien
que ce soit d’un autre point de vue : « In potestate
ordinis (car c’est celle‑là seulement qui est conférée par le
sacrement) non solum intelligitur
potestas consecrandi Eucharistiam,
sed disponendi et idoneum reddendi hominem ad Eucharistiam, immo omnia gerendi quæ
ordinantur aliquo modo ad Eucharistiam, ut st consecrandi presbyteros et alios ordines conferendi
et universim omnia sacramenta administrandi »
(De sacram., 2, 83). C’est là le point de vue des
scolastiques, d’après lesquels la consécration de l’Eucharistie sert de mesure
aux autres pouvoirs sacramentaux. Gutberlet qui, comme
on l’a remarqué, se rend compte du problème et qui, en raison de l’autorité
extérieure de ceux qui soutiennent cette thèse, se prononce pour le caractère
sacramentel de l’épiscopat, remarque, au sujet de la preuve spéculative :
« Pour la prêtrise elle‑même (c.‑à‑d. sans
parler de la Confirmation), on ne peut pas démontrer purement à priori la nécessité de l’administration par l’évêque »
(10, 411). Cf. Gillmann, 204 (il examine la doctrine
de la Scolastique sur le ministre de l’Ordre) ; Schwane,
3, 677 sq. ; 4, 403 sq.
La
matière du sacrement de l’Ordre est l’imposition des mains de l’évêque ; c’est
l’opinion la plus fondée.
Preuve.
L’Écriture ne connaît, comme matière de l’ordination,
que l’imposition des mains. S. Paul fait dépendre de cette imposition le charisme du sacerdoce, le caractère sacerdotal
(1 Tim., 4, 14 ; 2 Tim, 1, 6). L’imposition des mains est donc un signe efficace de grâce. Nous ne rencontrons
nulle part, dans l’Écriture, un autre rite que l’imposition des mains.
Au
sujet du signe sensible de l’ordination,
il n’y a aucune décision ecclésiastique. Eugène IV n’a pas eu l’intention d’en
donner une dans son « Décret pour les Arméniens ». Bien qu’il faille
naturellement attribuer à ce décret une grande autorité, Straub exprime l’opinion
générale des théologiens, quand il écrit : « Non tamen
peremptorium agnoscitur vel a quo recedere in re speciali ob causam
sufficientem nefas sit » (De Eccl., 2, 73). C’est
aussi l’opinion du cardinal van Rossum (De essentia sacr. Ordinis, 155-195). Il s’agit, dans ce décret, d’une
instruction pastorale ou plus précisément du rite d’administration dans l’Église
latine, en tant que prescription disciplinaire et non comme dogme défini. En
effet, dit Straub, comment tant de théologiens auraient‑ils ensuite enseigné le contraire sans
protestation de la part de Rome ? (Loc. cit.,
457). Straub place le décret au même rang que le Catéchisme romain. Le cardinal
van Rossum justifie son opinion, qui s’écarte de ce
décret et combat celle des théologiens qui le considèrent comme une définition
et s’en servent pour prouver leur manière de voir par rapport au signe
sensible. On devrait pourtant remarquer, qu’indépendamment de toute autre
considération, les définitions font reconnaître le dogme, mais ne servent pas à
le motiver scientifiquement. Au reste, dans le cas, il n’y a pas de définition.
Le cardinal van Rossum compte en tout six opinions différentes sur le signe
sensible ; il les a recueillies dans un très grand nombre d’ouvrages et indique ses sources d’une manière très détaillée. Voici ces
six opinions. Le rite essentiel consiste : 1° Dans la « porrectio instrumentorum »
avec les paroles explicatives qui l’accompagnent ; 2° Il consiste dans un
double rite, la « traditio instrumentorum »
(spécialement du calice préparé, avec la patène), pour conférer le pouvoir sur
le « corpus Christi verum » et dans l’imposition des mains, pour
conférer le pouvoir sur le « corpus Christi mysticum » ;
3° Ce double rite consiste dans la première imposition des mains avec la prière
et dans la « traditio instrumentorum »
avec les paroles correspondantes ; 4° La première imposition des mains est
requise, ainsi que la seconde, en même temps que la « traditio
instrumentorum » ; 5° Le rite essentiel
consiste dans l’imposition des mains avec la prière ou dans la « traditio instrumentorum »,
si bien que l’on peut validement ordonner avec l’un ou l’autre rite ; 6° L’essentiel
de l’ordination consiste dans la première imposition des mains avec la prière
que l’évêque récite à ce moment. Toutes les autres choses sont des
cérémonies : la « traditio instrumentorum », la formule : « Accipe potestatem » etc., la
dernière imposition des mains avec les paroles : « Accipe Spiritum Sanctum », etc. Elles n’ont d’autre objet que de
relever la solennité. Le cardinal montre, en prouvant son assertion par une
centaine de sources, que : 1° jusque vers l’an 1000, dans l’Écriture, la
doctrine des Pères, les rituels, les décisions synodales, il n’est question que
de l’imposition des mains et de la prière ; que 2° la « traditio instrumentorum » s’est
répandue très lentement, à partir des 9ème et 10ème
siècles, sans acte officiel de l’Église,
« arbitrio Ecclesiae pastorum » et s’est transmise d’Église à Église, puis
aux 13ème et 14ème siècles est devenue d’un usage
général ; que 3° le but du
nouveau rite était d’expliquer, d’une manière plus précise, le pouvoir et la
nature de l’Ordre ; que 4° la dernière imposition des mains, avec les
paroles : « Accipe Spiritum
Sanctum, quorum remiseris »,
etc., s’est également introduite, peu à peu et d’une manière privée, dans l’usage,
à partir du 13ème siècle ; que 5° la tradition du livre des
Évangiles au diacre est un usage venu d’Angleterre sur le continent depuis les
8ème et 9ème siècles, alors que la formule : « Accipe Spiritum Sanctum ad robur » etc.,
entra en usage entre le 12ème et le 14ème siècle ;
qu’enfin 6° la formule de la consécration épiscopale : « Accipe Spiritum Sanctum », dans laquelle un grand nombre d’auteurs
voient l’essentiel de l’ordination épiscopale, ne se trouve dans aucun rituel
avant le 14ème siècle.
Herwegen rappelle,
pour expliquer la « traditio instrumentorum »,
le symbolisme juridique du Moyen‑Age.
« Les Germains transmettaient leur autorité juridique, dans le droit
public comme dans le droit privé, par la tradition des instruments nécessaires
à l’exercice du droit ou de la fonction (la reprise des instruments équivalait
à une dégradation) ». L’ancienne Église romaine ne connaît pas d’investiture ;
les offices inférieurs étaient conférés par une simple prière de
bénédiction ; les Ordres supérieurs sacramentels, par l’imposition des
mains. Il est vrai qu’à Rome aussi l’ordinand reçut de bonne heure, avant le 5ème
siècle, un certain « instrumentum », mais cette remise n’était pas
officielle (Symbolisme juridique germanique dans la liturgie romaine [1913]).
Cet exposé constitue un complément liturgique à l’exposé dogmatique de van Rossum.
La
forme des Ordres sacramentels consiste dans les paroles de prière qui
accompagnent l’imposition des mains.
Pour l’ordination des prêtres, il y a
actuellement trois impositions des mains à la messe d’ordination : au
commencement, pendant la messe et à la fin. La première se fait sans paroles de
prière par l’évêque et ses assistants ; elle est très ancienne. La
dernière est plus récente, mais elle est accompagnée de la prière qui demande
la communication du Saint‑Esprit (Accipe Spiritum Sanctum) pour le pouvoir de remettre les péchés. Mais,
auparavant, les ordinands (prêtres) ont déjà consacré avec l’évêque et, par
conséquent, exercé leur Ordre. C’est pourquoi on réunit les trois impositions
des mains, ainsi que les paroles qui les accompagnent, « per modum unius » et on les
explique comme une seule action, que plus tard, pour rendre la solennité plus
grande, on a répartie dans toute la messe.
Au
sujet du contenu de la prière, l’Écriture
ne précise rien ; elle se contente de l’appeler d’une manière générale une
prière (Act. Ap., 6,
6 ; 13, 3 ; 14, 22 ; cf. 1 Tim., 4, 14). Les anciens formulaires
d’ordination contiennent de longues et magnifiques invocations à Dieu, appelant
sur les ordinands le Saint‑Esprit et ses
dons de grâce. Les scolastiques étaient conséquents avec eux‑mêmes, quand ils considéraient comme forme
les paroles qui accompagnent la tradition des instruments. Cette forme était
alors impérative, elle n’était plus déprécative.
Les ordinations vers 200. Aperçu
sommaire.
L’évêque était le point central dans
toute communauté chrétienne primitive. Il l’était, depuis le commencement, dans
la personne des Apôtres ou de leurs représentants (Tite, Timothée, Epaphrodite [Phil., 2, 19], Epaphras
[Col., 1, 7 ; 4, 12 sq.], Archippus [Col., 4,
17 ; Philém., 2]). L’adresse de l’Épître de S.
Paul aux Philippiens est formulée ainsi : A tous les saints de Philippes,
ainsi qu’aux évêques et aux diacres (σὺν
ἐπισϰόποις
ϰαὶ διαϰόνοις).
S. Paul parle des « présidents » de la communauté (προῑσταμἑνους
ἐν ϰυρίῳ),
des « conducteurs » (ἡγουμένων
ὑμῶν), qui doivent ordonner et
surveiller tout (1 Thess., 5, 13-21). La communauté
doit leur obéir : « Faites
confiance à ceux qui vous dirigent et soyez-leur soumis » (Hébr., 13, 17). Cette exhortation se continue chez S.
Clément de Rome, S. Ignace, et ne cesse plus de se faire entendre. L’adhésion à
l’évêque assure en effet la participation à l’Église et au Christ. A cause des
hérétiques et des séparatistes, cette exhortation était nécessaire. Mais le
président doit bien présider (ϰαλῶς
ἐν ϰυριῳ)
comme un père dans sa famille. Sa tâche est de diriger la communauté, dans la
doctrine et dans la vie, dans la célébration de l’office religieux. On désigne
cette tâche par cette expression λειτουργεῖν
τῷ ϰυρίῳ
[célébrer le culte du Seigneur] (Act. Ap., 13, 2 ; cf. Past. Herm.
Sim., 9, 27, 3 ; Clém., 1 Cor., 9, 2 ; 20,
10 ; 40, 2, 5 ; 41, 1 ; 44, 2, 3, 6). S. Paul lui‑même, se nomme un λειτουργός
Ίησοῦ χριστοῦ
[ministre du Christ Jésus] (Rom., 15, 16). C’est pour cette tâche que l’évêque
a été consacré, comme S. Paul lui‑même (Act. Ap., 13, 1). Dans toute communauté, il y avait un évêque
(il y en avait sans doute plusieurs au commencement). Tant que les Apôtres
vécurent, ils formaient un collège, dont la direction restait entre les mains d’un
Apôtre (S. Paul). Mais lorsque les Apôtres furent morts, il fut nécessaire d’établir
une autorité monarchique à la tête de chaque Église ; cette monarchie d’ailleurs
s’était déjà établie en bien des endroits, de leur vivant. S. Clément expose
immédiatement, à ce sujet, une doctrine qui est demeurée jusqu’à nos
jours : Le Christ a ordonné aux Apôtres qu’après leur mort « des
hommes éprouvés prendraient leur ministère » (1 Cor., 40). Ces hommes
« sont établis avec le consentement de toute la communauté » et,
quand ils ont exercé leur fonction sans reproche, « ce n’est pas un petit
péché de les chasser de leur office épiscopal ». S. Ignace place l’épiscopat monarchique dans une claire lumière.
Sans l’évêque on ne doit absolument rien faire dans la communauté (μηδἐν πρἀσσετε).
L’ordination du « président »
ecclésiastique ou de l’« évêque », qu’on
appelait aussi « presbytre », se faisait par la prière et l’imposition
des mains. Ce sont ces deux rites liturgiques que nous voyons apparaître tout d’abord.
Nous
sommes renseignés d’une manière plus précise par S. Hippolyte. L’évêque était d’abord élu avec la participation de tout le peuple. Puis toute la
communauté se réunissait « le jour du Seigneur », en même temps que le
« presbyterium », pour son ordination.
Les évêques du voisinage venaient pour procéder à l’acte sacramentel d’ordination
proprement dit (Cf. aussi S. Cyprien, Ep. 55, 8 ; 67, 4 sq.). D’après les
O. E., chap. 2, seuls les évêques sont autorisés à procéder à cet acte.
Auparavant, on demandait à la communauté d’exprimer encore une fois son
consentement ; elle répondait par acclamation. Ensuite les évêques
imposaient les mains sur la tête de l’élu, pendant que le
« presbyterium », qui assistait purement et simplement, priait en
silence pour lui et implorait la descente du Saint‑Esprit. Ensuite l’évêque consécrateur
proprement dit prononçait, en imposant les mains, la prière d’ordination (c.
3) :
« Dieu,
Père de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ, Père de miséricorde et Dieu de toute
consolation, toi qui habites les hauteurs et regardes les profondeurs, toi qui
connais toutes les choses avant leur naissance, toi qui as donné les limites à
l’Église par la parole de ta grâce en prédestinant la race (depuis) Abraham,
toi qui as institué des princes et des prêtres et ne laisses pas ton sanctuaire
sans service, il t’a plu, depuis le commencement du monde, d’être loué par ceux
que tu as élus : Répands maintenant la puissance qui vient de toi, l’Esprit
souverain que tu as donné à ton Fils bien‑aimé Jésus‑Christ, et qu’il a donné aux saint Apôtres
qui bâtirent l’Église à la place de votre sanctuaire, pour la gloire et la
louange incessante de votre nom.
Accorde,
Père qui connais les cœurs, à ton serviteur que
tu as élu à l’épiscopat qu’il paisse ton saint troupeau et qu’il exerce
sans reproche ton souverain sacerdoce, en te servant nuit et jour ; qu’il
rende ton visage propice et qu’il t’offre les dons de ton Église sainte ;
qu’il ait le pouvoir de remettre les péchés en vertu de l’Esprit du souverain
sacerdoce, selon ton commandement ; qu’il distribue les charges suivant
ton ordre, et qu’il délie tout lien en vertu du pouvoir que tu as donné aux
Apôtres ; qu’il te soit agréable par sa douceur et son cœur pur en t’offrant
(le sacrifice) de douce odeur par ton Fils Jésus Christ, par lequel tu reçois
gloire et puissance et honneur, avec le Saint Esprit, maintenant et pour les
siècles des siècles. Amen. » Ensuite tous doivent lui donner le baiser de
paix et l’évêque monte (d’après Clément, Recogn., 3,
66 ; Hom., 3, 63 ; Didasc., c. 4) sur la
cathèdre placée derrière l’autel (intronisation). Il commence la messe
épiscopale. L’évêque étend la main, avec tous les prêtres, sur les offrandes
présentées par les diacres et récite une longue prière d’action de grâces
(préface) adressée au Père et surtout au Fils : « que tu as envoyé du
ciel dans le sein de la Vierge, qui dans ses entrailles s’est incarné et, Fils,
t’a été présenté, né de l’Esprit‑Saint et de
la Vierge ; qui, accomplissant ta volonté et t’acquérant un peuple saint,
étendit ses mains dans sa passion pour libérer de la souffrance ceux qui ont
cru en toi ; qui, lorsqu’il fut livré, de sa propre volonté, à la passion,
pour détruire la mort, briser les chaînes du diable, fouler aux pieds l’enfer,
illuminer les justes, fixer le terme, et manifester la résurrection, prenant du
pain, te rendant grâce, dit : Prenez, mangez : ceci est mon corps,
qui sera rompu pour vous. De même pour le calice, dit : Ceci est mon sang,
qui sera répandu pour vous ; quand vous faites ceci, vous faites ma
commémoration.
Nous
souvenant donc de sa mort et de sa résurrection, nous t’offrons le pain et le
calice en te rendant grâces, parce que tu nous as faits dignes de nous tenir
devant toi et d’être tes ministres. Et nous te demandons d’envoyer ton Esprit‑Saint sur l’oblation de ta sainte Église (epiclèse) : rassemblant dans l’unité, donne à tous les
saints qui communient d’être remplis du Saint‑Esprit, pour
la confirmation de la foi dans la vérité, afin que nous te louions et
glorifiions par ton Fils Jésus‑Christ, par
qui à toi gloire et honneur, au Père et au Fils avec le Saint‑Esprit, dans ta sainte Église, maintenant et
pour les siècles des siècles. Amen ».
La
prière d’ordination pour le prêtre
était la même que la prière d’ordination pour l’évêque. Cependant il y en avait
une autre, au choix (Schermann, 1, 47). Les canons
arabiques d’Hippolyte déclarent : « Si l’on ordonne un prêtre, que
cela se fasse absolument comme pour l’ordination d’un évêque, à l’exception du
mot « évêque ». Le prêtre est, à tout égard, égal à l’évêque, sauf le
trône et l’ordination parce que le pouvoir d’ordonner n’a pas été conféré au
prêtre. L’évêque impose, avec les prêtres, les mains sur la tête du nouveau
prêtre et prononce la prière d’ordination : « Dieu et Père de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ,
jette les yeux sur ton serviteur qui est ici. Accorde‑lui l’Esprit de grâce et de conseil, afin qu’il
puisse aider les autres presbytes et gouverner ton peuple avec un cœur pur. C’est
ainsi que tu as jeté les yeux sur le peuple que tu avais choisi, et que tu as
ordonné à Moïse de choisir des prêtres : tu les as remplis de ton Esprit
que tu as donné à ton serviteur. Et maintenant, Seigneur, accorde
nous toujours de préserver en nous l’Esprit de ta grâce. Rends‑nous dignes de te servir avec foi et
simplicité de cœur. Nous te prions par ton enfant, le Christ Jésus. Par lui,
gloire à toi et puissance, Père et Fils, avec le Saint Esprit, dans la sainte
Église, maintenant et pour les siècles des siècles. Amen ».
Dans
l’ordination du diacre, l’évêque seul
imposait la main « parce qu’il n’est pas ordonné à la prêtrise, mais pour
servir l’évêque et accomplir les ordres de l’évêque ». La prière d’ordination
se formule ainsi : « Dieu, qui as tout créé et tout disposé par ta
parole, Père de Notre Seigneur Jésus Christ, que tu as envoyé accomplir ta
volonté et nous faire connaître tes désirs, donne l’esprit saint de grâce, de
zèle et de diligence à ton serviteur. Tu l’as choisi pour le service de ton
Église et pour porter dans ton sanctuaire les offrandes présentées par les
prêtres que tu as établis pour la gloire de ton nom. Qu’il te serve sans
reproche et avec pureté. Qu’il soit trouvé digne d’accéder à des
responsabilités plus élevées, pour l’honneur de ton nom. Qu’il te glorifie par
ton Fils Jésus Christ. Par lui, gloire, puissance et honneur à toi, avec le
Saint Esprit, maintenant et dans les siècles des siècles. Amen. » (Schermann, 1, 47-50).
L’invalidité
des ordinations anglicanes est basée,
par Léon XIII, sur ce fait que, depuis 1549 (Édouard VI), le pouvoir d’offrir
le sacrifice et de remettre les péchés, qui avait disparu de la doctrine, n’était
pas non plus mentionné dans le rite d’ordination. Cela comporte aussi un défaut
d’intention (Denz., 1963-1966). Il s’ajoute à cela
une autre circonstance. On ne peut pas prouver historiquement que l’« évêque » Parker (Cantorbéry) était validement
ordonné, parce que l’ordination de Burloy, son évêque
consécrateur, est douteuse. En effet, en 1559, tous les évêques furent déposés,
sauf un seul, Kitschin. Parker ne trouva pas un seul
évêque pour le consacrer, parce que Kitschin lui‑même refusait ; il fut
« consacré » secrètement, par un ancien moine, dont la propre
consécration ne peut être démontrée, dans la chapelle de Lambeth, le 17
décembre 1559. Cette consécration fut d’abord gardée secrète, mais plus tard
elle devint publique. Jusqu’ici les recherches, dans les riches archives de ce
temps, n’ont pas permis d’établir quand, où et par qui Burloy,
nommé évêque, fut consacré. En outre, alors même que la succession serait
établie pour Burloy, l’ordination de Parker n’en
serait pas moins invalide, car alors l’« ordination
d’Édouard » était déjà en vigueur et quand, plus tard, on la modifia et la
compléta, la succession était interrompue depuis déjà cent ans. Cf. relation de
Jaworka, dans Orient.
christiana, n° 38,
septembre 1927.
THÈSE. Le ministre ordinaire du
sacrement de l’Ordre est l’évêque. De foi.
Explication. D’après le 4ème Concile de Latrant, ne peuvent célébrer l’Eucharistie que les prêtres
« qui ont été légitimement ordonnés
conformément au pouvoir des clefs que Jésus‑Christ
lui‑même a transmis aux Apôtres et à leurs
successeurs » (Denz., 430). Eugène IV dit :
« Le ministre ordinaire (ordinarius minister) de ce sacrement est l’évêque » (Denz., 701). Le Concile de Trente a défini : « Si
quelqu’un dit que les évêques ne sont pas plus élevés que les prêtres, ou bien
qu’ils n’ont pas le pouvoir de confirmer et d’ordonner, ou bien que le pouvoir
qu’ils ont leur est commun avec les prêtres,… qu’il
soit anathème » (Denz., 967).
Preuve. S. Paul
écrit : « Je t’exhorte à ranimer la grâce qui est en toi par l’imposition
de mes mains » (2 Tim., 1, 6). C’est d’après ce texte qu’il faut expliquer
1 Tim., 4, 14, où il est dit que, dans cette ordination de Timothée, les
presbytres aussi ont fait une imposition des mains ; ce n’était là qu’une
cérémonie accessoire, par laquelle les presbytres marquaient leur adhésion au
choix, et non un acte sacramentel. Il semble aussi que S. Paul a consacré,
seul, Tite (Tit., 1, 5). Timothée est le consécrateur des presbytres de son
entourage (1 Tim., 5, 22). Aux évêques Timothée et Tite, S. Paul donne des avis
et des instructions conformes à leurs fonctions d’ordination (1 Tim., 3,
1-13 ; Tit., 1, 5-9).
Les Pères. D’après S. Cyprien, on demande au peuple son
témoignage pour les ordinands (Ep. 67, 5) ; mais l’évêque seul ordonne (Const. apost.,
8, 28 et 46). Aucun évêque cependant ne doit ordonner quelqu’un d’un diocèse
étranger, dit le Concile de Nicée
(Can. 16 ; Héfélé, 1, 405). S. Epiphane (+ 403) réfuta Aérius qui
enseignait l’égalité entre les prêtres et les évêques, en attribuant à l’évêque
seul le droit d’« engendrer des pères » (c.‑à‑d. d’ordonner),
alors que le prêtre « produit seulement des fils dans l’Église, dans le
bain de la régénération » ; le prêtre « n’a pas droit à l’imposition
des mains » (M. 42, 508). S. Jérôme
rapproche beaucoup le prêtre de l’évêque, mais il ne reconnaît cependant qu’à l’évêque
le droit d’ordonner (Ep. 146, 1, ad Evang., M. 22,
1192). Tel est aussi le jugement de S.
Jean Chrysostome (M. 62, 553) et de Théodoret de Cyrus
(M. 82, 815). Au sujet de la participation du peuple, cf. Bellarmin‑Servières, 76 et 77.
Lorsque
la Scolastique précisa la théologie
sacramentaire, il se produisit aussi de fortes divergences dans la théorie et
la pratique (Cf. à ce sujet Gillmann, Doctrine de la Scolastique sur le ministre de la
Confirmation et de l’Ordre). D’après Huguccio (+ 1210), le célèbre décrétiste, et d’autres
scolastiques, tout clerc ordonné, à
partir du prêtre, peut administrer son
Ordre si le Pape le permet. Cependant
l’évêque est le ministre ordinaire des Ordres. On rencontre souvent aussi cette
opinion qu’à l’origine l’évêque et le prêtre étaient entièrement égaux et que,
par conséquent, l’un et l’autre avaient été ministres de tous les sacrements : « Tout prêtre pouvait administrer
tout sacrement donné par Pierre ». Ainsi parlait Sicard de Crémone (+ 1215) ; d’autres aussi soutenaient la
même opinion à la suite de Laurentius Hispanus. Cependant cette parité aurait changé plus
tard. Vincentius
Hispanus croirait volontiers que le Pape pourrait
permettre même à un simple prêtre de consacrer un évêque. D’après Guillaume d’Auxerre (+ 1231), au cas où
il n’y aurait que trois prêtres dans le monde, l’un d’entre eux pourrait
consacrer un évêque. Trois éléments jouent un rôle capital dans ces discussions
qui traversent toute la Scolastique : 1° L’opinion de S. Jérôme sur l’égalité
originaire de tous les prêtres ; 2° L’axiome que chacun peut donner ce qu’il
possède lui‑même ; 3° L’insistance sur la
plénitude de la puissance papale. On peut encore remarquer que Boniface IX
accorda, en l’an 1400, à un abbé augustin anglais et à ses successeurs le droit
perpétuel de conférer à leurs profès les Ordres mineurs, ainsi que le sous‑diaconat, le diaconat et la prêtrise. Mais le
privilège fut révoqué en 1403 (Cf. Gillmann, Ministre du sacrement de l’Ordre, 137).
Les
Ordres mineurs et le sous‑diaconat ont été et
sont encore conférés, en vertu d’une délégation papale, par des ministres qui
ne sont pas évêques ; cependant cette délégation a été rarement donnée
pour le sous‑diaconat. La
consécration épiscopale a toujours
été conférée par un certain nombre d’évêques ; d’ordinaire, ils étaient
trois ; cependant il n’est pas possible de démontrer historiquement que ce
nombre était toujours exigé. Il y a eu des cas où le Pape a dispensé de la
prescription positive du nombre de trois évêques ; cf. Pesch,
7, 326.
Les
réordinations sont illicites.
Cependant, au Moyen‑Age, du 7ème
au 12ème siècle, on y recourut pour combattre les évêques hérétiques
ou simoniaques. Il est établi historiquement que Serge III (904-911) fit
réordonner les clercs ordonnés par son prédécesseur Formose ; que Léon IX
(1049-1054) réordonna, de sa propre main, les clercs ordonnés par des évêques
simoniaques ; que le Concile de Gerundum, tenu
sous la présidence des légats du Pape (1078), prescrivit, dans son can. 11, la
réordination des clercs ordonnés par des simoniaques. Urbain II (1088-1099)
agit de même. Les théologiens de cette époque justifiaient également ces
réordinations. D’après Saltet (297 sq.), c’était
particulièrement la faculté de droit de Bologne, fondée par Gratien, qui
soutenait cette opinion que les ordinations hérétiques étaient invalides ;
ce fut Gandulphus (1150) qui introduisit, le premier,
la vraie doctrine et Præpositinus la soutint
énergiquement à Paris. D’après cette doctrine, les évêques hérétiques peuvent
ordonner de facto, mais non de jure. On peut expliquer la pratique
des réordinations, comme on veut - elle nous semble une arme politique d’un
usage condamnable - ; dans aucun cas, elle n’atteint l’infaillibilité de l’Église ;
en effet, ou bien il s’agit de mesures ordonnées par des conciles particuliers,
ou bien de mesures de rigueur employées par des papes dans des cas spéciaux,
mais non de décision « ex cathedra » pour toute l’Église. C’est ainsi
que pensent Pesch, de Smet et d’autres. Au sujet des
plaintes énergiques et courageuses, que fait déjà entendre S. Grégoire le G.
contre les évêques d’alors, qui « confèrent les Ordres pour de l’argent et
vendent la grâce spirituelle », cf. E.
Gœller, La confession des péchés chez Grégoire le
G., Feuille pastorale du Haut‑Rhin, 1928,
liv. 4 et 5.
Le
sujet de l’ordination est tout baptisé, de sexe masculin, qui est libre et peut
manifester sérieusement l’intention de recevoir le sacrement.
Il n’y a pas, à ce sujet, de décision
ecclésiastique. Mais l’Écriture, la Tradition, la pratique de l’Église, ainsi
que l’enseignement unanime des théologiens, attestent nettement cette
proposition. Le C. J. C. dit : « Seul l’homme baptisé reçoit validement
la sainte ordination ; la reçoit licitement celui qui, du jugement de son
Ordinaire propre, possède les qualités requises par les saints canons et n’est
entravé par aucune irrégularité ou autre empêchement » (Can. 968).
Le
caractère baptismal est une condition
préalable évidente. Le caractère de la Confirmation est exigé en vertu de
prescriptions positives, mais non en vertu de raisons internes. Ensuite, pour
la réception des Ordres supérieurs, on exige la réception antérieure des Ordres
inférieurs. Personne ne doit être ordonné en franchissant des Ordres (per saltum). Cela est important pour l’épiscopat ;
personne ne peut être validement
consacré évêque, sans avoir auparavant reçu la prêtrise. Au sujet des cas
historiques d’ordinations « per saltum »,
cf. le Droit canon.
La
liberté de la réception est une
condition nécessaire pour la validité. Perathoner
dit : « Si l’on pouvait prouver que les Ordres majeurs ont été reçus
sous l’influence d’une crainte grave et que les obligations n’ont pas été
acceptées tacitement par l’exercice du pouvoir d’Ordre, on pourrait prononcer,
par sentence judiciaire, la réduction à l’état laïc et cela sans obligation du
bréviaire ni du célibat » (Introduction au nouveau droit ecclésiastique; cf. C. J. C., can. 211-214). Dans l’antiquité,
on n’exigeait d’âge déterminé pour
aucun Ordre, pas même pour l’épiscopat. On lit, dans les O. E. et ailleurs, que
le martyr possède, sans ordination, les pouvoirs du prêtre,
mais non ceux de l’évêque ; ces déclarations sont comprises par certains
dans le sens de l’honneur et non de l’Ordre sacramentel. D’autres s’en tiennent
au sens textuel : « Confessio (dans le
sang) est ordinatio ejus »,
car cette « confessio » prouve la
possession de l’Esprit que doit conférer l’imposition des mains. Cf. Funk, Le Testament de Notre‑Seigneur, 48 sq. ; Junklaus, La communauté d’Hippolyte,
45. Le chapitre de l’ordination des enfants est aussi peu édifiant que celui du
mariage des enfants. S. Albert, S. Bonaventure, S. Thomas en parlent sans
embarras ; ils songent aux prêtres moines.
Le
sexe féminin ne peut recevoir aucun Ordre sacramentel. La raison ne réside sans
doute pas dans sa nature (cf. Gal., 3, 27), mais dans une ordonnance positive
(1 Cor., 14, 34 ; 1 Tim., 2, 11 sq.). Les diaconesses de l’ancienne Église
s’occupaient de l’instruction des catéchumènes féminins, rendaient service dans
le baptême par immersion, quand on baptisait des femmes, surveillaient la porte
des femmes pendant l’office religieux, et se consacraient aux œuvres de charité
(Const. apost.,
8, 28). S. Epiphane remarque : « Bien qu’il y ait un ordre des
diaconesses dans l’Église, il n’est cependant pas institué pour les fonctions
sacerdotales ou pour un service semblable, mais afin de veiller sur les bonnes
mœurs du sexe féminin » (Hær., 79, 3).
« Depuis que le monde existe, pense‑t‑il, jamais une femme n’a servi le Seigneur
comme prêtre » (Ibid.. 70, 2 ; cf. Tertullien, De vel.
virg., 9). De même que le
titre de diaconesse, dans les anciens écrits, n’autorise pas à penser à un
ordre sacerdotal, les noms de prêtresse (presbytera, presbyterissa, πρεσϐῦτις)
et d’épiscopesse (episcopa)
n’y autorisent pas davantage. On désignait par là les
femmes ou les mères des prêtres et des évêques, surtout lorsque, par leur
renonciation volontaire au mariage, elles permettaient à leur mari l’entrée
dans l’état sacerdotal. De même, plus tard, les abbesses (abbatissa)
n’étaient pas, comme les abbés, revêtues d’une fonction cléricale, bien qu’elles
reçussent une bénédiction très solennelle, avec la tradition des insignes
correspondants, et qu’elles exerçassent sur les habitants du monastère une
certaine juridiction. Au sujet d’une controverse récente sur ce point, cf.
K.-H. Schæfer, qui, dans la Rœm. Q. Schr. (Revue rom. Trim., 24e
année, 49-80), en s’appuyant sur d’antiques prières d’ordination (cf. Const. apost.,
8, 19) et des formules d’ordination du Moyen‑Age,
employées pour les femmes (chanoinesses, abbesses), soutient que l’ordination
des diaconesses constituait un « ordre clérical ». Mais jamais une diaconesse n’a été promue
dans l’Ordre des prêtres, bien qu’on ait dû, à maintes reprises, interdire aux
« femmes » de distribuer l’Eucharistie. Au sujet de la diaconie
féminine aux temps apostoliques, cf. Rom., 16, 1, 2, 6, 12 ; 1 Tim. 5, 9
sq.
Les
protestants entendent parfois aujourd’hui
1 Cor., 14, 34 comme une interpolation antimontaniste
et affirment qu’il y aurait eu aussi des femmes à la tête des Églises. Ainsi Achelis écrit : « Le principe « que les
femmes gardent le silence dans les assemblées » ne fut appliqué presque
nulle part dans l’Église. Les femmes exerçaient tous les droits qui étaient
réservés à ceux qui avaient les dons de l’Esprit : elles enseignaient,
baptisaient, offraient l’Eucharistie, remettaient les péchés. Il y a sûrement
eu beaucoup de communautés qui étaient régies par une femme ou par des femmes (Didascalia syriennes, Texte et trad., 278). Or il ne peut
pas donner de véritables preuves de ses assertions, que d’ailleurs il atténue
en ajoutant : « Les plus hauts degrés étaient occupés par des
hommes ». Tertullien écrit, au sujet de la pratique : « Il n’est pas permis à la femme de parler
à l’Église, ni d’enseigner, ni de baptiser, ni de sacrifier, ni de prendre part
à un quelconque service réservé aux hommes, et encore moins de prétendre à
assurer une responsabilité de prêtre » (De virg.
vel., 9). Les prescriptions
théoriques ultérieures des conciles concordent avec ces remarques pratiques. On
excluait aussi de l’état sacerdotal les pénitents, les impurs, les hérétiques,
les schismatiques, les apostats, les néophytes, les malades (clinici), les bigames (second mariage), les esclaves, les
soldats en service de guerre (Richert,
Les origines des irrégularités [1901]).
Les
qualités morales pour la réception de
l’Ordre consistent d’abord dans l’état de grâce ; car c’est un sacrement
des vivants. Mais on exige encore, de l’ordinand, toute une série de qualités
morales et même naturelles, au sujet desquelles nous renvoyons au droit canon.
L’Écriture exige déjà l’intégrité morale, la conduite exemplaire, le don de l’enseignement
(Cf. 2 Cor., 3, 6. 1 Tim., 1, 7 ; 4, 6, 16 ; 5, 17. 2 Tim., 2,
2 ; 3, 10 ; 4, 2, 5. Tit., 1, 9 ; 2, 1, 10). Ensuite une
vocation particulière est nécessaire (Marc. 2, 14 ; 3, 13 sq. ; 6, 7
sq.). En effet, l’imitation du Christ, dans le ministère sacerdotal, est tout à
fait spéciale : ce n’est pas celle qui est prescrite, en général, à tous
les chrétiens. Les Pères et les ordonnances de l’Église répètent l’exigence
biblique des qualités requises, à partir de S. Clément.
Alors
que l’appréciation morale du candidat à l’épiscopat
était faite par toute la communauté au moyen de l’élection, celle du prêtre et du diacre appartenait à l’évêque, qui les nommait purement et
simplement l’un et l’autre, le prêtre pour le suppléer, le diacre pour remplir
les modestes fonctions d’aide ou de serviteur (Cf. C. J. C., can. 973-991).
Au
sujet des réformes de Pie X par
rapport à la formation et à l’éducation des clercs, cf. Hilling,
Les réformes du Pape Pie X (3, 16
sq.). Le Pape défend les thèses du professeur français Lahitton
contre le rigorisme janséniste. Ces thèses sont les suivantes : 1° L’évêque
est libre dans son choix et dans l’ordination ; 2° La vocation sacerdotale
ne consiste pas dans une certaine inspiration ou invitation du Saint‑Esprit, qui porte à entrer dans le sacerdoce ;
3° Il suffit que l’ordinand ait l’intention droite et qu’il possède l’aptitude
au sacerdoce, reposant sur la grâce et les dons naturels et éprouvée par une
vie honnête et les connaissances suffisantes. Au sujet du triste chapitre de la
formation défectueuse des clercs et des moines du Moyen‑Age, malgré l’état florissant des écoles
théologiques qui n’exerçaient guère d’influence sur eux, cf. Héfélé, 4, 187, 820 ; Kober, dans la Revue de Tubingue,
1875. Les exigences scientifiques étaient très minimes. Au sujet du traitement
indigne que l’on infligeait aux clercs que l’on voulait punir, cf. Kober, La correction corporelle du clergé (S.
Augustin la connaît déjà : Ep. 133 ; ibid., 1875. 1 sq.). Au sujet de
leur condition sociale inférieure,
nous sommes renseignés par Héfélé, La situation du clergé au Moyen‑Age, ibid., 1869. Ce sont là des aspects
peu réjouissants de l’état du clergé au Moyen‑Age. Le
Concile de Trente commença à y porter remède et sous son impulsion, l’époque
moderne apporta de l’amélioration. Cf. Schrœrs, Pensées sur l’éducation et la formation des
prêtres au cours des temps (2e éd., 1910). Cf. aussi Hœrle, Formation des
clercs dans le haut Moyen‑Age (1914) (d’abord
régna le principe d’éducation de S. Augustin et de Cassiodore (artes liberales), puis le
principe romain‑grégorien (Bible, Pères, canons), ce
dernier principe resta prépondérant en Occident jusqu’à la Renaissance).
THÈSE. Par l’ordination, le Saint‑Esprit est communiqué à celui qui la reçoit
et le caractère sacerdotal lui est imprimé.
De foi.
Explication. En réponse aux sarcasmes des protestants, le Concile
de Trente a défini : « Si
quelqu’un dit que, par la sainte ordination, le Saint‑Esprit n’est pas communiqué et que, par suite, l’évêque
dit vainement : « Reçois le Saint‑Esprit »,
ou bien que par elle n’est pas imprimé un caractère, ou bien que celui qui a
été une fois prêtre pourrait redevenir laïc, qu’il soit anathème » (S. 23,
can. 4 : Denz., 964). En outre, le Concile
enseigne que, par l’ordination, « la grâce est conférée » (c. 3) et
que, dans le sacerdoce, spécialement, « le pouvoir de consacrer, d’immoler
et de distribuer son corps et son sang, ainsi que le pouvoir de remettre aussi
bien que de retenir les péchés », a été transmis par le Christ (c. 1).
Preuve. Le Concile se réfère, à bon droit, à S. Paul, qui
parle d’un charisme qui a été conféré à Timothée par l’imposition de ses mains
(1 Tim., 4, 14 ; cf. 2 Tim., 1, 6). Ici « charisma »
n’a pas seulement le sens strict ; il comprend tout le don de l’ordination
c.‑à‑d.
les pouvoirs ; mais il comprend aussi la sanctification sacerdotale, car
cette sanctification est l’objet des combats, des efforts moraux personnels et,
par conséquent, elle constitue, par excellence, la sainteté et la dignité. C’est
pourquoi cette sanctification ne peut être conçue que comme un accroissement de la grâce sanctifiante déjà reçue au baptême.
Les Pères. Les
antiques prières d’ordination contiennent surtout l’invocation pour obtenir aux
ordinands le Saint‑Esprit et ses dons de grâce (cf. plus haut p. 476). Les Pères comparent l’effet
sacramentel de l’ordination à celui du Baptême et de l’Eucharistie. Ainsi S. Grégoire de Nysse
dit : « La même force de la parole (c.‑à‑d. la même que dans ces sacrements) rend
aussi le prêtre saint et digne ; la nouvelle bénédiction le sépare de la
société commune du peuple... Extérieurement il reste le même qu’avant, mais la
force invisible de la grâce change l’âme invisible » (Orat.
in bapt. Christi : M.
46, 582). « Le sacerdoce, il est vrai, est exercé sur la terre »,
écrit S. Jean Chrysostome,
« mais il a le rang des institutions célestes » ; pour le
montrer, il rappelle le pouvoir particulier de l’offrande sacerdotale du saint
sacrifice (De sacerdot., 3, 4 : M. 50,
423 ; cf. In 1 Tim. hom.,
1 et 2). S. Augustin compare, comme
on l’a dit plus haut, le Baptême et l’Ordre, et les appelle, tous les deux, des
sacrements. « Le Baptême et l’Ordre sont l’un et l’autre un sacrement, et
tous deux produisent une certaine consécration, soit dans la personne baptisée,
soit dans la personne ordonnée ; et c’est à cause de cette même
consécration que l’Église catholique prohibe la réitération de ces deux
sacrements » (Contra Ep. Parm., 2, 13, 28 :
M. 43, 70 ; cf. S. Grégoire le G.,
In 1 Reg., 4, 5, 23 : M. 79, 299).
La
Scolastique parle donc très logiquement
d’une augmentation de grâce accordée dans l’ordination. « De même que la
grâce sanctifiante est nécessaire pour que quelqu’un reçoive comme il faut les
sacrements, dit S. Thomas, elle est aussi nécessaire pour que quelqu’un
administre convenablement les sacrements » (Suppl., q. 35, a. 1). Mais il
exige, pour les ordinands, une bonté morale particulière (excellens
bonitas), afin que, de même qu’ils sont au‑dessus des laïcs par leur état, ils les
surpassent aussi par la grâce et la sainteté. C’est pour cela aussi que l’évêque
et ses assistants imposent les mains à celui qui va être ordonné prêtre (Ibid.,
q. 38, a. 1). De cette manière, il devient un ministre convenable du Christ (idoneus minister).
Le
caractère sacerdotal, que confère l’ordination,
donne à l’ordinand les pouvoirs spirituels correspondants et le lie d’une
manière permanente à l’état clérical, si bien qu’il ne peut plus redevenir
laïc. S. Clément de Rome déclare déjà que le prêtre ne peut pas être déposé
(Ch. 44 et 45). S. Grégoire de Nysse enseigne que l’ordination
transforme l’âme de celui qui la reçoit et S. Augustin comme on vient de le
dire le considère comme consacré pour toujours. Déjà d’anciens conciles
interdisent sévèrement la réordination. Ce n’est que « par mesure de
punition, en vertu d’un rescrit papal, d’un procès canonique (can. 214) et
enfin en vertu d’une dégradation (can. 2305), qu’une réduction à l’état laïc
peut avoir lieu » (Perathoner, Corpus jur., can. 1 et 2, 62). Dans ce cas, l’obligation du
célibat demeure d’ordinaire, mais tous les offices, bénéfices et droits sont
perdus.
La
Scolastique attribua plus tard un
caractère à tous les Ordres (S.
Thomas, Suppl., q. 35, a. 2 ; S. Bonaventure, In IV, dist.
24, p. 2, q. 1-4). L’épiscopat, d’après S. Thomas, ne confère pas de caractère
(Suppl., q. 40, a. 5). Les théologiens posttridentins
n’attribuent un caractère qu’aux
Ordres qu’ils considèrent comme sacramentels. Au sujet des relations des trois
caractères entre eux, cf. plus haut § 159.
Il
faut surtout considérer comme grâce
sacramentelle le caractère sacerdotal et la communication des pouvoirs
surnaturels et d’Ordre qui lui sont attachés. C’est précisément dans le
caractère sacerdotal que se manifeste nettement la participation au sacerdoce
du Christ qu’enseigne S. Thomas et l’habilitation au culte divin. On a déjà dit
qu’un caractère suppose l’autre. Cependant, d’après S. Thomas, un laïc baptisé
pourrait être ordonné prêtre immédiatement (Suppl., q. 35, a. 5). Appartient
ensuite à la grâce sacramentelle la grâce d’exercer, selon Dieu, les pouvoirs
reçus pour sa propre sanctification.
Le
devoir du célibat est imposé par une
loi ecclésiastique au clergé latin, à
partir du sous‑diaconat (Trid.,
S. 24, can. 9, de sacram. Matrim. :
Denz., 979). Le célibat ne consiste pas dans la
simple abstention négative du mariage, mais dans la chasteté positive, comme l’exige
l’appartenance « sans partage » au Seigneur et à son service (1, Cor.,
7, 33). Cette loi ne dégrade pas le mariage, en tant que sacrement, mais elle
veut caractériser, ennoblir le service sacerdotal et surtout la célébration du
saint sacrifice et l’administration des sacrements. De même, le zèle nécessaire
des âmes et le soin des laïcs confiés au prêtre, ainsi que l’idéalisme
particulier à sa vocation, recommandent le célibat dans l’état sacerdotal (Cf.
2 Tim., 2, 3 sq.). Il faut ajouter encore l’exemple du Christ et de ses Apôtres
(Cf. Math., 19, 12 ; cf. C. J. C., can. 132).
L’histoire du célibat est du ressort de l’histoire
de l’Église. On n’a pas à se demander si le célibat est une loi apostolique ou
bien s’il fut institué plus tard. Si c’était une loi apostolique, il est
certain que l’Église n’en dispenserait pas les Grecs ; de même, le combat
mené par l’évêque non marié Paphnuce au Concile de
Nicée, en faveur du mariage des prêtres, n’aurait pas été possible.
L’origine du célibat et son développement
progressif, jusqu’au moment où il devint une loi, s’explique facilement par les
raisons indiquées plus haut. Les Grecs eux‑mêmes savent
apprécier le célibat. On le voit par Maltzew qui
écrit : « Pour la dignité épiscopale,
on ne peut choisir que des prêtres qui n’ont pas de femme (Conc. Trul., can. 12) ; ils doivent, avant de recevoir la
consécration épiscopale, entrer dans l’état monastique. Pour la prêtrise et le
diaconat, on peut aussi ordonner des hommes (déjà) mariés (Can. 26, Apost. ; Conc. de Néocésarée, can. 1 ; Conc.
œcum., 1, can. 3 ;
Conc. œcum., 6, can. 3, 6,
18). Dans l’Église orthodoxe et dans toutes les Églises orientales, il est
interdit à un prêtre ou à un diacre de se marier (après l’ordination) ; ce
n’est que chez les nestoriens qu’il est permis, même à un prêtre (après son
ordination), de se marier (Sacrements, 234). Cf. encore Martinez, L’ascétisme chrétien pendant les trois
premiers siècles de l’Église (1913) ; Dict. théol., 1, 2037-2077, v.
Ascétisme.
A
consulter : S. Thomas, Suppl.,
q. 41-68. Bellarmin, De sacram. Matrimonii (De controv.). Sanchez,
De s. matrimon. sacramento
(Genuæ, 1602). De
Ledesma, De magno matrim. sacramento
(Salmant., 1592). Pontius, De sacram.
matrim. (Salmant.,
1624). Perez, De s. Matrim. sacram.
(Lugd., 1646). Schardt, De matrimonio
(Pragæ, 1734). Bosio,
De effectibus contractus matrimonii (Venet., 1643). Carrière, De matrimonio, 2 vol. (1837). Roskowany, Matrimonium, etc., 4 vol. (1870 sq.). Perrone, De matrimonio
christ., 3 vol. (1861). Rosset, de sacram. matrimonii
tract. dogm. moral. canon. liturg.
et judic., 6 vol. (1896). Palmieri, De matrim.
christ., 1897. Gasparri,
Tract. canon. de matrimonio (1891). Léon
XIII, Encyclique « Arcanum divinæ sapientiæ », du 10
février 1880. A ce sujet, Van Weddingen, L’Encyclique de S.S. Léon XIII sur le
mariage (1891). Sur l’indissolubilité du mariage : S. Thomas, Suppl., q. 65-67. Theologia nanciensis, De monogamia
(Migne, Curs.
Compl., 25, 757 sq.). Frenzel., De indissolubilitate matrimonii (1863). Didon,
L’indissolubilité du mariage (1893). Bækenhoff, De individuitate matrimonii (1901). Catoire, Le divorce d’après l’Église catholique et l’Église orthod. : Echos d’Orient, 1911, 167. B.-A. Peira,
La doctrine du mariage selon S. Augustin (1930). Pie XI, Encyclique
« Casti connubii », du 21 décembre 1930. -
Au sujet du ministre : Pleyer, De ministro sacram. matrim.
(1759) et la plupart des auteurs précédents. C. J. C., can. 1012-1143.
Notion. Le mariage est un sacrement, dans lequel l’homme et
la femme s’unissent dans une communauté de vie, afin de propager l’espèce
humaine, et reçoivent de Dieu la grâce de bien accomplir leurs devoirs
particuliers.
On
peut envisager le mariage au moment où il se fait (in fieri)
et quand il est réalisé (in esse). Sous le premier aspect (actif), il consiste
dans un consentement mutuel (mutuus consensus) qu’échangent les époux ;
sous le second aspect (passif) c’est l’état de mariage qui lie les époux à la
même communauté de vie (vinculum conjugale). Les droits et les devoirs, ainsi
que les fins de ce contrat, sont acceptés librement, mais ils ont été établis
par l’auteur de la nature et ne peuvent pas être changés (contractus
naturalis).
Les
théologiens posttridentins, les premiers, ont signalé
aussi la grâce dans la notion du mariage. L’ancienne théologie se rattache au
droit romain et voit l’essence du mariage dans la communauté de vie conjugale
et dans les droits et devoirs réciproques correspondants. « Le mariage est
l’union conjugale de l’homme et de la femme qui se contracte entre des
personnes qui en sont capables selon les lois, et qui les oblige de vivre dans
une parfaite union l’un avec l’autre. ». Cet aspect naturel et juridique
du mariage est le droit ecclésiastique du mariage. La dogmatique n’a à s’occuper
que du caractère sacramentel du mariage. Bien entendu, ici, comme toujours, la
grâce suppose la nature.
En
tant qu’institution naturelle (officium naturæ), le mariage a
ses racines dans la création. Dieu créa nos premiers parents « homme et
femme » (Gen., 1, 27), avec la faculté de
croître et de se multiplier (Gen., 1, 28). Nos
premiers parents comprirent cette destination et l’accomplirent. Par là, le mariage était fondé, en tant que source
naturelle de l’espèce humaine, et son accomplissement est présenté comme permis
et voulu par Dieu (Math., 19, 4). D’après Alph.
Schulz, Th. Gl., 1926, 709, la parole de la Genèse
(2, 24) « une seule chair » ne se rapporte pas à l’accomplissement du
mariage, mais à la communauté matrimoniale permanente ; le mariage doit
remplacer la communauté de vie précédente avec « le père et la
mère ».
Les
théologiens assignent au mariage une
triple fin : la génération et l’éducation des enfants (bonum
prolis, finis primarius) ;
l’amour conjugal et la fidélité conjugale (bonum fidei, fidelitatis) ; la
modération de l’instinct sexuel (remedium concupiscentiæ) (Cf. 1 Cor., 7, 9). Ces trois fins du
mariage sont déjà mentionnées dans l’Écriture (Gen.,
1, 28 ; 2, 18 ; 1 Cor., 7, 2 sq.). S. Augustin est ensuite le premier
à les avoir formellement signalées. Et c’est à lui que se rattache la
Scolastique (S. Thomas, Suppl., q. 49, a. 2). Ces trois biens donnent au
mariage son caractère moral et ennoblissent son accomplissement et sa nature.
Il y a en plus, dans la Nouvelle Alliance, la communication de grâce pour l’usage
convenable du mariage et de ses biens.
Mais
il n’est pas nécessaire que le mariage soit conclu expressément à cause de la
fin principale (proles) ; une fin secondaire
honorable suffit. C’est pourquoi des personnes stériles peuvent conclure
mariage, pourvu qu’elles soient, par ailleurs, aptes à le consommer. L’usage
des droits matrimoniaux, qu’ont échangé les époux, n’est pas non plus
nécessaire à l’essence du mariage ; au contraire, la renonciation à cet
usage, quand il est libre de part et d’autre, est moralement licite (mariage de S. Joseph ; matrimonium ratum et non consummatum ; cf. Catéch.
rom., p. 2, c. 8, q. 2).
Désignation. Le mot
mariage (matrimonium, de mater) indique tout d’abord
la maternité. D’autres noms, comme « connubium », « nuptiæ », s’expliquent d’eux‑mêmes (S. Thomas, Suppl., q. 44, a. 2).
Le
mariage dans le paganisme, parmi les
anciens peuples civilisés, est étudié par Prisker. Il
montre que souvent, sans doute, il offre la déplorable image de l’immoralité,
mais qu’assez souvent aussi, surtout chez les philosophes, il nous apparaît,
théoriquement et pratiquement, comme la pure et véritable monogamie. D’une
manière générale aussi, on admettait le principe que les relations sexuelles
rendent impropre au culte et il résultait de ce principe une grande estime de
la virginité. « Les choses chastes plaisent aux esprits supérieurs »
(Tibulle). Cf. la déesse Vesta et ses servantes les vestales. Il est certain
cependant que l’idéal dans les deux sens, dans le mariage et la virginité, a
été apporté pour la première fois par le christianisme, qui a lutté péniblement
et énergiquement pour cet idéal. Malheureusement l’Église n’a réussi, ni au
temps des Pères, ni au Moyen‑Age et
encore moins dans les temps modernes, à faire pénétrer complètement ses
principes.
Le mariage est d’institution divine, car
le Créateur, dans la création même, en dotant le corps humain d’organes sexuels
différents, l’a voulu et prévu, et ensuite, par une révélation spéciale au
premier couple humain auquel il donna l’ordre de se multiplier (Gen., 1, 28), il en a fait positivement et en général une loi. Le mariage a donc un double
fondement. Il faut ajouter encore une troisième circonstance : c’est que
le Christ a élevé le mariage, dans la Nouvelle Alliance, à la dignité d’un
sacrement.
THÈSE. Le mariage chrétien est un
sacrement de la Nouvelle Alliance, institué par Jésus‑Christ.
De foi.
Explication. Le Concile de Trente
a défini : « Si quelqu’un dit que le mariage n’est pas vraiment et
proprement l’un des sept sacrements de la Loi évangélique que le Christ notre
Seigneur a institués, mais qu’il a été inventé dans l’Église par les hommes et
qu’il ne confère pas la grâce : qu’il soit anathème » (S. 24, can.
1 : Denz., 971 ; cf. 970). Cette définition
était dirigée contre les Réformateurs. D’après Luther, personne ne peut nier
« que le mariage soit une chose extérieure et mondaine » (Affaires de
mariage, 1530). D’après la Confession d’Augsbourg,
le mariage est un état « comme les autorités et la magistrature »,
mais ce n’est pas un sacrement (Art. 14). D’après Calvin, il est ordonné par
Dieu « comme la culture des champs ou n’importe quel métier » (Wernle, 125). Aux conciles d’union avec les Grecs, on ne
fit qu’une brève mention du mariage, parce que les Grecs l’ont toujours
considéré comme un sacrement (Denz., 465, 702). Pour
combattre la sécularisation menaçante du mariage, Léon XIII publia son
encyclique du 10 février 1880 (Denz., 1583 sq). Pie XI a dû combattre les mêmes tendances et dénoncer
les profanations du sacrement dans son encyclique « Casti connubii », du 21 décembre 1930. D’après les
modernistes, le mariage n’est devenu un sacrement que plus tard, au temps de la
Scolastique (Denz., 2051).
Preuve. Jésus trouva le mariage, en tant qu’institution
naturelle et ordonnance divine. Il rappelle cette institution quand on lui pose
la question concernant le divorce. Le mariage a été altéré dans son essence par
le péché. « Mais, au commencement, il n’en était pas ainsi » (Math.,
19, 8). Son effort tend donc à réaliser l’idéal primitif. Par suite, il défend
dans le Sermon sur la Montagne tout regard infidèle des époux ; un tel
regard serait déjà un adultère intérieur (Math., 5, 27 sq.). Il y a aussi une
reconnaissance du mariage dans le fait qu’il assiste aux noces de Cana et y
opère son premier miracle (Jean, 2, 1-11). Quant aux enfants qui sont les
fruits du mariage, il les prend dans ses bras, il les bénit et les considère
comme aptes à entrer dans le royaume de Dieu (Math., 19, 13-16 ; cf. 18,
1-4). Nous voyons donc que, parmi les biens du mariage, il y en a
particulièrement deux que le Christ signale et reconnaît (proles,
fidelitas). Il n’est pas question expressément de la grâce, mais la grâce résulte de la
notion qu’a Jésus du mariage, qui doit être une communauté de vie voulue par
Dieu, saine et sans péché.
S.
Paul veut que le mariage soit conclu
« dans le Seigneur » (1 Cor., 7, 39), et il enseigne qu’il est
indissoluble jusqu’à la mort (Rom., 7, 2 sq. ; 1 Cor., 7, 10 sq.). Dans
cet enseignement, il se réfère au « Seigneur » (1 Cor., 7, 10). D’après
lui, l’époux infidèle (qui n’a pas la foi) est sanctifié par l’époux fidèle (1
Cor., 7, 12 sq.). Il va même jusqu’à voir, dans le mariage, une image de l’union
du Christ avec son Église (Eph., 5, 21-33). Il répète
la parole d’Adam « deux dans une seule chair » et il ajoute :
« Ce mystère est grand, je veux dire par rapport au Christ et à l’Église »
(Eph., 5, 31 sq.) : c.‑à‑d.
ce n’est pas en lui‑même que
le mariage est un mystère, mais il l’est en raison de sa ressemblance avec l’union
du Christ et de son Église. Cette dernière union est une union de grâce ;
on peut donc conclure que le mariage lui aussi repose sur la grâce divine. Si
le mariage n’était pas une institution divine sainte et comportant la grâce, on
ne pourrait pas s’en servir pour une comparaison comme celle‑là. Il est une image de la grâce présente dans l’Église
et non, comme jadis, une image de la grâce future.
On
peut donner du « mysterium » (magnum
sacramentum) une double
explication : 1° On peut trouver le mystère dans le passage de la Genèse où Adam, dans une sorte de
prophétie, prévoit et exprime déjà l’union du Christ avec son Église ; 2°
On peut le voir aussi dans le mariage lui‑même, en
tant qu’il est une image de celle
union. Dans le premier cas, le mystère se trouve dans les paroles mystérieuses
d’Adam ; dans le second cas, dans l’union mystérieuse du mariage lui‑même. La seconde interprétation est préférable.
A cette conception qu’a S. Paul de la signification sainte du mariage,
correspond l’exhortation profondément morale qu’il adresse au mari
chrétien : « Que chacun de vous sache (s’efforce de) posséder son
vase (sa femme), dans la sainteté et l’honneur et non dans la passion de la
volupté comme les païens qui ne connaissent pas Dieu » (1 Thess., 4, 4 sq.). On a reproché à l’Apôtre de présenter la
femme d’une manière trop réaliste, comme un être sexuel pour l’usage sexuel de
l’homme. Mais le contexte montre de quelle dignité sainte il entoure les
relations conjugales. S. Paul ne voit pas dans la femme, d’abord la
« femme », comme on dit aujourd’hui, mais la personne humaine, qui a
besoin de la Rédemption. Dans le Christ Jésus, « il n’y a ni homme ni femme
car vous êtes tous un dans le Christ Jésus » (Gal., 3, 28). Il serait
facile de tirer des Épîtres de S. Paul toute une morale conjugale. Cf. Bartmann, S. Paul
pasteur des âmes (2e éd., 1921).
Les Pères. Pour eux
aussi le mariage est une affaire sainte. « Il convient, dit S. Ignace, que
le fiancé et la fiancée concluent leur union avec l’assentiment de l’évêque,
afin que le mariage se fasse selon la pensée de Dieu et non d’après les désirs
sensuels » (Ad. Polyc., 5, 2). Tertullien atteste la célébration du
mariage « à la face de l’Église », quand il écrit :
« Comment pourrai‑je décrire
le bonheur d’un mariage que fonde l’Église, que confirme le sacrifice, que
scelle la bénédiction, qu’annoncent les anges et que ratifie le
Père ? » (Ad uxor., 2, 9). Contre les gnostiques et les manichéens
qui le rejetaient, le mariage fut défendu par Clément d’Alex. (Strom., 3, 15 : M.
8, 1196 ; le Pædagogos contient aussi plusieurs
passages consacrés au mariage) ainsi que S.
Epiphane, qui se référa aux noces de Cana (Hœr.,
67, 6 : M. 42, 181). S. Grégoire de Naz. et S.
Cyrille d’Alex., S. Ambroise et S. Augustin allèguent aussi les noces de Cana
pour prouver l’origine divine du mariage. Au reste, Origène avait, d’une certaine manière, signalé le caractère de
grâce du mariage en disant : « Parce que Dieu est l’auteur de l’union
dans le mariage la grâce est dans ceux qui ont été unis par Dieu » (In Matth., 14, 16 : M. 13, 1229). S. Ambroise, de son
côté, écrit : « Nous savons que Dieu est le gardien et le protecteur
du mariage ; il ne laisse pas souiller la couche d’autrui et, quand
cependant quelqu’un veut le faire, il pèche contre Dieu, dont il viole la loi,
dont il anéantit la grâce. Et parce qu’il pèche contre Dieu, il perd la
communauté du sacrement céleste » (De Abrah., 1,
7 : M. 14, 442). S. Innocent 1er
écrit que, « conformément à la manière de voir de la foi catholique, l’union,
qui a été tout d’abord fondée sur la grâce divine, est un mariage » (Ep.
36, ad Prob. : M. 20, 602).
S. Augustin défend
trois fois le mariage : contre les manichéens qui le rejetaient comme une
source de mal (De morib. Manich.,
n. 19-67 signaculum sinus) ; contre les pélagiens
qui lui reprochaient d’en faire la source du péché originel (De nuptiis et concupiscentia) ;
contre Jovinien qui reprochait aux catholiques de mépriser le mariage en faveur
de la virginité (De bono conjugii).
Dans ce troisième ouvrage, il cite comme fins du mariage : proles (les enfants), fides (la
fidélité), sacramentum (l’indissolubilité). La génération cependant n’est pas
tellement la fin du mariage, que les époux, que l’âge ou d’autres causes ont
rendus impropres à la génération, cessent pour cela d’être époux. L’essence du mariage, au jugement de S.
Augustin, d’accord avec le droit romain, réside non pas dans la
« copula », mais dans la volonté de mariage ou consentement. On peut renoncer à la « copula ». C’est
pourquoi il justifie le mariage de S. Joseph. Marie s’était, auparavant,
engagée par « vœu » à la virginité. Quant à la difficile question de
savoir comment Marie a pu contracter un mariage valide, puisqu’elle avait fait
un tel vœu, S. Augustin ne la résout nulle part, d’une manière exacte, dans ses
œuvres. Les théologiens pensent que S. Joseph a connu ce vœu et lui a donné son
assentiment. La fin principale du mariage, d’après S. Augustin, est la « propagatio filiorum ». L’indissolubilité
a son fondement dans le sacrement. Il est vrai que S. Augustin, en empruntant
« sacramentum » à Eph., 5, 32, ne pense pas
encore à notre notion stricte, mais l’entend dans le sens large de symbole, d’image
de l’union du Christ avec son Église. Quand il compare le mariage avec le
baptême et l’Ordre, c’est pour signaler son indissolubilité (De nuptiis, 10, 11 ; De bono conj., 24, 32). S. Augustin précisa ses idées dans la
controverse avec Jovinien.
On
ne doit pas dissimuler cependant que les Pères, dans leur insistance très forte
sur la concupiscence, ont fait parfois dériver le mariage, de l’humanité
tombée, de la chute originelle, et décrivent sa consommation en des termes vifs
et réprobateurs ; ils le font surtout quand ils recommandent et défendent
la virginité. C’est le cas particulièrement de S. Jérôme (Cont.
Jovin. et Ep. 22, 20), qui
se laisse même parfois entraîner à des expressions outrées. S. Augustin, comme
on le sait, ramène la concupiscence à la chute originelle et pense que le
mariage a été institué ensuite « pour calmer la concupiscence ». Il
croit qu’au paradis terrestre la génération se serait faite d’une autre manière
(Tixeront, 2, 425 sq. ; S. Aug., Civ., 14, 22 sq. et surtout 26). Mais il considère que le
mariage, en soi, a été institué dès le paradis terrestre par la création et le
« croissez et multipliez ». Par contre, S. Grégoire de Nysse dit que le mariage n’a été institué qu’après le
péché, pour consoler les hommes de la mort et pour y remédier (Hilt, 94 sq. ; Krampf, État originel d’après S. Grég.
de Nys., 16-18). A ce sujet, S. Thomas écrit avec raison : « Mais ce sentiment n’est
pas raisonnable. Car qui est naturel à l’homme n’est ni ôté ni ajouté à l’homme
par le péché » (S. th., 1, 98, 2). La nature morale du mariage a été maintenue
et affirmée par tous les Pères.
La
Scolastique était sans doute d’accord
pour reconnaître que le mariage est un sacrement, mais, dans l’explication
précise de ce caractère sacramentel, les avis étaient assez divergents. Hugues,
P. Lombard et d’autres scolastiques primitifs trouvaient ce caractère
sacramentel dans l’indissolubilité. C’est l’indissolubilité, en effet, qui est
l’image de l’union indissoluble du Christ avec son Église. D’après ces idées,
le mariage est un symbole de l’union
du Christ avec l’Église et, par suite, un sacrement au sens large du mot, mais
non un moyen de grâce. S. Albert connaît une seconde opinion, d’après laquelle
le mariage n’opère que négativement, en réglant et en calmant la concupiscence.
Enfin S. Thomas met fin à l’incertitude et enseigne, en se référant à Eph., 5, 32 (ce mystère est grand), que le mariage est un
sacrement et produit positivement la grâce, comme tout sacrement. Il dit, en s’appuyant
sur le texte de S. Paul : « Étant donné que les sacrements opèrent ce
qu’ils signifient, il est à croire que les époux reçoivent, par ce sacrement,
la grâce par laquelle ils appartiennent à l’union du Christ et de l’Église »
(Cf. Suppl., q. 42, a. 1). Il mentionne aussi les trois biens connus du mariage
chrétien (C. Gent., 4, 78). La doctrine de S. Thomas, qui coïncide dans son
contenu avec celle de S. Bonaventure et de Scot, bien que les arguments soient
différents, a rallié presque tous les théologiens postérieurs.
Le mariage fondant un état sacramentel,
les actes du mariage sont bons et même méritoires, dans la mesure où ils correspondent aux intentions du
sacrement.
S. Paul
écrit : « La femme sera sauvée en devenant mère, à condition de
rester avec modestie dans la foi, la charité et la recherche de la
sainteté » (1 Tim., 2, 15). Bien que ces actes soient des actes naturels
sensuels, ils sont cependant élevés par les « biens du mariage » dans
la sphère de ce qui est honnête et agréable à Dieu, si bien qu’ils sont
intrinsèquement bons. Ces trois biens sont précisément : « proles, fides,
sacramentum ». Si l’acte conserve ces trois biens il est, d’après S.
Thomas, méritoire ; s’il les
blesse en se limitant à la volupté sensuelle, c’est un péché véniel (c’est là une opinion empruntée
par la Scolastique à S. Augustin et qui est aujourd’hui abandonnée). L’acte,
avec une personne étrangère, est un péché mortel
(Suppl., q. 41, a. 4).
Les
protestants rabaissent d’ordinaire beaucoup le mariage au Moyen‑Age, afin de pouvoir exalter, là encore,
Luther comme « Réformateur ». Contre leurs exagérations, cf. Falk, Le mariage à la fin du Moyen‑Age (1908) ; Grisar,
Luther, 2, 481 sq. ; N. Paulus,
« Katholik » (1902), 1, 327 sq. Ce qui est
vrai, c’est que Luther parle souvent avec enthousiasme du mariage ; c’est
« une chose magnifiquement belle et délicieuse devant Dieu »,
« une œuvre de Dieu », « un commandement de Dieu » :
il essaie de réparer par là les expressions
naturalistes et grossières que lui a dictées sa concupiscence (Baranowski, 197). Luther, au dire des protestants, aurait
relevé la femme. Or ses expressions témoignent de peu de respect envers les
femmes en général et la sienne en particulier. Baranowski
en donne des échantillons remarquables. En voici quelques‑uns : La femme est un « demi‑enfant ». On doit l’éduquer, comme il
éduquait sa Kathe « à coup de gifles ».
« La femme est un singulier animal... elle ne peut se contenir et se
gouverner ». Cependant « matrix et partus
réparent tous les défauts féminins ». « Fais‑les seulement porter (enfanter), elles sont
là pour cela » (P. 197). Le jugement du « moyen-âgeux »
S. Thomas sur le mariage est tout de même essentiellement plus élevé.
Le Christ ayant élevé le mariage à la
dignité de sacrement, il en résulte que tout contrat matrimonial, conclu entre des chrétiens, a un caractère
sacramentel, est un sacrement.
Contrat matrimonial et sacrement de mariage sont, il est vrai, deux notions
différentes, mais ils sont en fait identiques. Si quelqu’un voulait ne conclure
que le contrat matrimonial, sans recevoir le sacrement que le Christ y a uni, l’union
matrimoniale serait invalide. C’est ce que les Papes Pie IX et Léon XIII ont
déclaré officiellement contre des tentatives modernes de séparer le sacrement
et le contrat. Cf. C. J. C., can. 1012 et « Casti connubii »
de Pie XI.
Étant
donné que le Christ a fait du mariage un sacrement, il est impossible pour les
chrétiens, en raison de cette ordonnance positive,
de conclure un autre mariage qu’un mariage sacramentel ; ils sont liés à
la volonté du Seigneur. Celui‑ci a uni, d’une
manière inséparable, le contrat et le sacrement. Telle était aussi la manière
de voir des scolastiques.
Aussi l’opinion de Melchior Cano est insoutenable. Il ne voyait dans le
contrat que la matière du sacrement, à la manière des actes du pénitent dans la
Pénitence ; à cette matière devrait s’ajouter la bénédiction du prêtre
comme forme sacramentelle. Au contraire, le contrat est déjà, en soi, tout le
sacrement. Adhérèrent à l’opinion de Melchior Cano, Sylvius, Estius, Tournely, etc. - Des
théologiens et canonistes modernes, gallicans et joséphistes, comme Marc‑Antoine de Dominis,
évêque de Spalatro, qui fut plus tard protestant,
Launoy, Nuytz, séparaient encore davantage le contrat
et le sacrement. D’après eux, contrat et sacrement n’avaient que des relations
purement extérieures, le sacrement ou la bénédiction du prêtre s’ajoutant extérieurement
au contrat. Cette théorie favorisait le mariage civil moderne. - La théorie de
Vasquez et des théologiens de Wurzbourg est également
insoutenable ; d’après cette théorie, les deux éléments sans doute sont
liés, mais le contrat conserve sa force naturelle,
si les fiancés n’ont l’intention que de conclure un contrat, comme s’il était
au pouvoir des fiancés de séparer à volonté le contrat et le sacrement. Pie IX
protesta, à maintes reprises, comme l’avait déjà fait Pie VI, contre cette
tentative de séparer ce que le Christ a uni (« le sacrement ne peut se
séparer du lien conjugal » ; Denz.,
1640 ; cf. 1766 et Trid. : Denz., 969). Cela a été répété par Léon XIII dans l’Encyclique
« Arcanum divinæ »
(Denz., 1854).
Le
mariage entre une personne chrétienne
et une personne non baptisée est, d’après
quelques théologiens, sacramentel pour la partie chrétienne ; d’autres le
nient. La première opinion paraît plus probable.
Si
des époux non chrétiens se
convertissent au christianisme, leur mariage devient par la réception du
baptême un sacrement ; un renouvellement du consentement n’est pas
nécessaire, il n’a jamais été exigé par l’Église.
Le
mariage étant un contrat sacramentel, l’Église, comme « autorité
publique », a aussi le droit d’établir des conditions pour sa réception, afin de protéger sa nature et sa
sainteté. C’est pourquoi le Concile de Trente assigne expressément à l’Église
le pouvoir d’établir des empêchements de
mariage (S. 24, can. 3 et 4). L’examen de ces empêchements est du ressort
du droit ecclésiastique. La législation civile entraîne certaines conséquences
civiles du mariage.
Le
jugement de Luther sur le mariage est douteux. Ce qui est certain, c’est que c’est
pour lui une « chose mondaine » et non un sacrement. A part ce point,
il reconnaît cependant son aspect religieux et il trouve, au sujet du mariage
et des enfants qui en sont le fruit, des paroles belles et édifiantes. Il
indique comme fin, suivant en cela la Scolastique : « proles, medicina (remedium concupiscentiæ) et adjutorium » (Baranowski,
169-177). - Quant aux mariages secrets,
conclus sans l’autorité paternelle, il les condamne et les envoie au diable.
Cependant il les recommande par ailleurs, surtout comme mariages de
prêtres ; lui‑même s’était
marié secrètement avec une religieuse, Catherine de Bora. En soi, le mariage,
« bien qu’il soit l’état le plus commun, est le plus noble : c’est
par lui que tous les autres existent » (p. 45) ; il est cent fois
plus élevé que l’état monastique. « Il a aussi la parole de Dieu pour
lui » (p. 45). Quant au célibat, il l’appelle une « peste ».
Cependant il n’a pas combattu la virginité en soi (Cf. plus loin p. 496). Son
appréciation de la concupiscence dans l’humanité, surtout dans l’homme, est
très réaliste et très sombre. La concupiscence est irrésistible (p. 49-74).
« On doit combattre les tentations avec des jeunes filles et des
femmes » (P. 46). Le mariage est une loi naturelle, comme manger, boire et
dormir (P. 57). « Tout le monde doit, à cause de cette nécessité, entrer
dans le mariage, si on veut vivre avec une bonne conscience et marcher avec
Dieu » (P. 60). Trois éléments
entrent dans la doctrine de Luther sur le mariage : 1° La prédominance de
l’instinct sexuel ; 2° La supériorité du mariage sur le célibat d’état
(mais non sans doute sur la virginité considérée comme charisme) ; 3° Le
mariage est une institution divine (dans la création), le célibat est une
institution ecclésiastique (P. 83 sq.). Cf. encore R. Seeberg,
Les idées de Luther sur la vie sexuelle
dans le mariage (1925) (Annuaire de la société Luther).
Les
théoriciens de l’évolution darwiniste
font naturellement dériver le mariage de l’instinct sexuel et le font évoluer
continuellement vers des formes plus élevées. Ils citent comme étapes : 1°
Le mariage de promiscuité (« promiscuité » animale, « communauté
des femmes » , « hétaïrisme »).
« Les hommes sont comparables à une harde de cerfs qui se groupent entre
eux par couples ». Le « matriarcat » se rattacherait à cette
étape, parce qu’on ne pouvait établir la descendance que par la mère ; 2°
La monogamie ; elle conduisit au mariage par rapt, plus tard au mariage
par achat ; 3° Le mariage civilisé ou par consentement. Le mariage par
rapt aurait été la première forme de l’exogamie, à la différence de l’endogamie
primitive, quand on s’en tenait à la promiscuité à l’intérieur de son propre
clan. Le mariage de promiscuité est une hypothèse indémontrable.
Dans
l’Ancien Testament, comme dans l’antiquité en général, on ne rencontre, à côté
du mariage par achat qui a peut-être eu lieu (Gen.,
29, 18-29 ; cf. 31, 15), que le mariage par consentement, comme mariage
normal (Eberharter, Le droit matrimonial et familial
des Hébreux). L’antique coutume du mariage par achat est énergiquement
contestée par Neubauer pour Israël. Il donne, dans son savant ouvrage, l’aperçu
suivant sur le droit matrimonial juif : « Les précisions légales sur
les formalités antérieures à la conclusion d’un mariage font entièrement
défaut, comme on le sait, dans les sources bibliques » (P. 1). Par contre,
d’après la Mischna Kidouschin du Talmud, « la
femme est acquise en mariage de trois manières : au moyen de l’argent (ce n’était cependant pas un
achat, mais une dot), par document (contrat) et par concubitus ».
La femme devient libre par le billet
de répudiation ou la mort du mari. « La femme tenue au devoir de lévirat
est acquise par concubitus et elle est libre quand le
lévir ôte son soulier (cf. Ruth, 4, 7) ou bien
meurt » (p. 6).
Les
ministres du sacrement de mariage sont les deux époux qui concluent
mutuellement le contrat matrimonial. La bénédiction du prêtre n’est qu’un
sacramental.
Il
n’y a pas de décision ecclésiastique ; mais les scolastiques, aussi bien
que les théologiens postérieurs, enseignent en général cette doctrine et Benoît
XIV lui attribue la plus grande probabilité. C. J. C. : « C’est le
consentement des parties, personnes capables en droit, légitimement manifesté
qui fait le mariage ; il ne peut y être suppléé par aucune puissance humaine »
(Can. 1081).
L’Écriture
ne donne pas d’indications sur la conclusion du mariage. Le Christ n’a rien
ordonné de nouveau à ce sujet ; il juge le mariage tel qu’il se faisait en
son temps, par le contrat de mariage habituel. Let Apôtres, eux non plus, n’ont
pas changé cette forme traditionnelle du mariage.
Les
Pères signalent sans doute et exigent
la bénédiction ecclésiastique ou la participation de l’Église, mais rien ne
fait supposer qu’ils aient vu, dans cette bénédiction,
la forme nécessaire de la conclusion du mariage. Il semble qu’on voulait par là maintenir la discipline chrétienne et contrôler avec
précision l’état de la communauté chrétienne. Nulle part, les Pères ne refusent
la validité aux mariages clandestins.
La
Scolastique se place au même point de
vue. S. Thomas considère la bénédiction du prêtre comme un sacramental. Le
mariage est conclu par le consentement mutuel (Suppl., q. 45, a. 5). S.
Bonaventure juge de même (Brevil. P. 6, c. 13). Cette
conception est d’autant plus remarquable chez les scolastiques que ce sont
précisément eux qui donnent une grande valeur à l’action du prêtre dans les
sacrements. Eugène IV répète cette doctrine dans son instruction pastorale pour
les Arméniens. « La cause efficiente du mariage est régulièrement le consentement
mutuel exprimé de vive voix par des paroles » (Denz.,
702). Le Concile de Trente suppose
cette doctrine, quand il ne conteste pas la validité des mariages clandestins,
bien qu’il ordonne de conclure le mariage devant le curé et deux témoins. « Certes
on ne doit pas douter que les mariages clandestins, qui se sont faits avec
libre consentement des contractants, sont des mariages valides et véritables,
tant que l’Église ne les a pas rendus invalides » (De reform.
matrim., c. 1). Pie X lui‑même, par son décret sur le mariage
(Constitution « Provida » du 18 janvier
1906), exige la forme tridentine (Denz., 1991) ;
mais, en l’absence prolongée d’un prêtre, le mariage peut être conclu
validement et licitement devant deux laïcs comme témoins (Denz.,
2069). D’après la pratique de l’Église, un mariage conclu invalidement peut
être parfois revalidé par un simple renouvellement privé du consentement et non
par une bénédiction ecclésiastique. L’assistance du curé n’est donc que l’assistance
d’un témoin et non une fonction ministérielle. Elle opère la publicité
nécessaire du mariage, mais non le sacrement.
L’opinion
divergente de Melchior Cano et des
théologiens de cour, gallicans ou joséphistes, qui considérait le prêtre comme
le ministre du mariage, a déjà été examinée. Elle eut autrefois beaucoup de
partisans et même Benoît XIV avant qu’il ne fût pape. C’est à peine si elle a
aujourd’hui des partisans. Les Grecs considèrent, eux aussi, le prêtre comme le
ministre du mariage.
Le
sacrement de mariage est reçu par tous ceux qui sont baptisés et n’ont pas d’empêchement
dirimant.
L’exigence
du caractère baptismal va de soi : sans le baptême, on ne peut recevoir
aucun sacrement. L’absence d’empêchements dirimants va également de soi, car
ces empêchements ne permettent pas au mariage d’exister. Alors que les
empêchements prohibants (impedimenta impedientia) rendent le mariage illicite, les empêchements
dirimants (imped. dirimentia) le rendent invalide.
Les
Pères connaissent déjà ces empêchements, particulièrement celui de la
différence de religion (Tertull., Ad uxor., 2, 3
sq. ; S. Ambr., Ep. 19, 7 ; S. Jérôme, Adv. Jovin.,
1, 10 ; S. Augustin, De fide et oper., 19, 38). Dans ces mariages, les Pères ne trouvent
pas l’image de l’union du Christ avec son Église, mais plutôt une prostitution
des membres du Christ aux païens et une profanation du temple de Dieu. A la
différence de religion s’ajoutèrent plus tard d’autres empêchements, surtout
ceux qui proviennent de la parenté spirituelle, de la parenté de sang et de l’affinité.
Les Grecs, eux aussi, ont ces empêchements et les étendent même jusqu’au
septième et au huitième degré (Lubeck, Les Églises chrétiennes d’Orient [1911],
171). S. Thomas et S. Bonaventure connaissent déjà presque tous les
empêchements en vigueur aujourd’hui. Le Concile de Trente en ajouta deux
nouveaux (raptus, clandestinitas). Le nouveau C. J.
C. apporta quelques modifications (can. 1067 sq.). Cf. le droit matrimonial.
En
plus du baptême et de l’absence d’empêchements, il faut encore, pour la réception
valide, l’intention. Elle est d’autant
plus nécessaire que le mariage est conclu sous la forme d’un contrat, lequel,
de sa nature, doit être libre et conscient. On a déjà dit que l’intention
matrimoniale doit porter aussi bien sur le sacrement que sur le contrat, car
les deux sont inséparables.
Pour
la réception digne et salutaire du mariage, il faut l’état de grâce.
Il
faut que cet état de grâce, au cas où il n’existerait pas, soit recouvré, soit
par la contrition parfaite, soit par la réception du sacrement de Pénitence. Bien
que la réception de la Pénitence ne soit prescrite
par l’Église que pour l’Eucharistie, le nouveau C. J. C. a cependant ordonné
(can. 1033) : « Que le curé... les exhorte (les fiancés) à confesser
soigneusement leurs péchés et à recevoir pieusement la sainte communion avant
la célébration du mariage ». Cf. aussi le Concile de Trente, S. 24, de reform. matrim.,
c. 1.
Pour
la réception licite du sacrement de mariage, il faut aussi l’exemption d’empêchements
prohibants. Si le mariage a été conclu malgré ces
empêchements, il est valide, mais l’effet sacramental de grâce n’a pu se
produire à cause de l’obex causé par le péché grave commis au moment de la
conclusion.
Le signe
sensible, ou la matière et la forme
du sacrement de mariage, est
constitué par le don réciproque du consentement matrimonial. Or on
interprète les paroles qui expriment ce consentement, en tant qu’elles
contiennent l’offre du don à l’autre
partie, comme la matière et, en tant qu’elles contiennent l’acceptation de cette offre, comme la forme.
Une
matière proprement dite n’existe pas plus dans le mariage que dans la
Pénitence. Les corps des contractants (jus in corpus alterius)
ne constituent pas intérieurement le contrat lui‑même :
ils en sont plutôt l’objet (materia circa quam). Le contrat est plutôt formellement conclu par ce
fait que les deux parties expriment extérieurement leur consentement. C’est là
que se trouve, dans le sacrement de mariage, la totalité du signe sensible. On
y distingue ensuite, artificiellement et analogiquement, un double
élément : un déterminable et un déterminant, ou bien une offre et une
acceptation du droit sur le corps de l’un à l’autre.
Les
théologiens cités plus haut, qui considèrent le prêtre comme le ministre du
sacrement de mariage, entendent le contrat comme la matière et les paroles de
bénédiction comme la forme qui scelle et confirme le contrat. On a déjà dit que
cette conception est insoutenable. Ces théologiens donnent comme argument les
paroles" « Ego vos conjungo » ; mais remarquons qu’elles ne
se trouvent pas dans les anciens rituels et que le Concile de Trente laisse
leur usage facultatif et permet d’autres formules semblables telles qu’elles
sont usitées dans les diocèses particuliers (S. 24, de ref.
matrimon., c. 1). L’Église n’aurait
jamais fait cela si elle avait considéré ces paroles comme la forme
sacramentelle.
Les
effets du sacrement de mariage
consistent dans la formation du lien matrimonial, dans l’augmentation de la
grâce sanctifiante (gratia secunda)
et dans le droit à toutes les grâces actuelles qui sont nécessaires pour mener
une vie conjugale chrétienne (Cf. C. J. C. can. 1110).
Le
Concile de Trente frappe d’anathème
quiconque affirme « que le mariage ne communique pas de grâce » (S.
24, can. 1). D’après la doctrine sacramentaire générale du Concile, il faut
entendre par cette expression la grâce sanctifiante. Le mariage est un
sacrement des vivants, parce qu’il est un symbole de l’union du Christ avec son
Église. Quand le sacrement est reçu consciemment (mala
fide) dans l’état de péché mortel, il est reçu
validement si toutes les autres conditions existent ; mais il l’est
illicitement. La grâce revit lorsque, plus tard, l’obex est enlevé (Cf. ci‑dessus p. 261). Si le mariage est reçu
inconsciemment (bona fide)
en état de péché mortel, il opère « per accidens »,
avec l’attrition, la justification première. Remarquons encore qu’un des
conjoints peut recevoir le sacrement dignement alors que l’autre le reçoit
indignement ; mais il est impossible qu’un conjoint le reçoive validement
alors que l’autre le recevrait invalidement. C’est que, dans le premier cas, il
s’agit de la grâce personnelle et,
dans le second, du lien réciproque du
mariage.
La
grâce sacramentelle du mariage consiste
dans le droit, concédé par Dieu, à toutes les grâces actuelles qui sont
nécessaires aux deux époux, personnellement et conjointement, tant pour mener
en commun une vie chrétienne que pour remplir les devoirs spéciaux de l’homme
et de la femme, du père et de la mère. S. Paul rappelle l’effet négatif de la
modération de la concupiscence : « Pour éviter l’impudicité, que
chacun ait sa femme et que chaque femme ait son mari » (1 Cor., 7,
2 ; cf. 1 Thess., 4, 4-5).
Le
Concile de Trente mentionne encore, comme
opérés par le sacrement, le perfectionnement de l’amour naturel et le
renforcement de l’unité indissoluble, par lesquels les époux sont sanctifiés,
de même que le lien qui unit le Christ et son Église est un lien de charité et
de sainteté. Il signale aussi la parole de S. Paul concernant le « grand
sacrement » et appelle le mariage « venerabile
sacramentum ». Il surpasse toutes les antiques unions conjugales à cause
de la grâce qu’il opère et doit être, à bon droit, compté parmi les sacrements
de la Loi nouvelle. Le Concile n’entre pas dans les détails (S. 24, de reform. matrim.,
c. 1).
Le
Catéchisme romain expose, lui aussi,
ces déclarations du Concile et en conclut que l’effet de la grâce de ce
sacrement, c’est que les époux se contentent de leur possession réciproque,
repoussent les désirs illicites portant sur d’autres personnes et mènent une
vie conjugale honnête et sans tache (P. 2, q. 8, c. 17).
La virginité. Bien que le
mariage soit un sacrement et que la virginité n’en soit pas un, le Concile a cependant
défini la supériorité de la virginité sur le mariage : « Si quelqu’un
dit que l’état de mariage est préférable à l’état de virginité ou de célibat et
qu’il n’est pas meilleur et plus avantageux de demeurer dans la virginité ou le
célibat que d’être dans les liens du mariage, qu’il soit anathème » (S.
24, can. 10).
La
doctrine du Concile s’appuie sur des paroles non douteuses et claires du Christ
et des Apôtres. Le Christ parle de ceux qui, pour le royaume des cieux, s’abstiennent
du mariage et place ainsi la virginité au‑dessus du
mariage. Si le mariage, dans son essence, est fondé sur la nature humaine
générale, la virginité est fondée sur un don particulier de Dieu ; c’est
pourquoi il faut s’éprouver sérieusement avant de choisir la virginité : « Que
celui qui peut comprendre comprenne » (Math., 19, 10-12). Mais la
récompense de la virginité sera une récompense au centuple (Math., 19, 29).
Que
S. Paul place la virginité au‑dessus du mariage, la chose ne peut pas être
contestée, tellement le témoignage est clair. Les protestants objectifs le
concèdent d’ailleurs (REPT., 13, 215 sq. et 5, 190 sq. ; Weiss, Christianisme primitif). S. Paul
écrit avec netteté : « Ainsi celui qui marie sa fille fait bien et
celui qui ne la marie pas fait mieux... Elle est plus heureuse néanmoins si
elle demeure comme elle est, d’après mon conseil ; je pense que j’ai moi
aussi l’Esprit de Dieu » (1 Cor., 7, 38 et 40 ; cf. 7, 26 ; 7,
36 : si elle se marie, elle ne pèche pas). On ne peut pas nier non plus
que S. Paul lui‑même (malgré 1 Cor., 9, 5) était
vierge (1 Cor., 7, 7).
Il
y avait déjà, au temps des Apôtres, un état
particulier de virginité (Apoc., 14, 4 ; Act. Ap., 21, 9) ; de même qu’il y avait une classe
spéciale de veuves, c.‑à‑d. de femmes « qui sont vraiment veuves »
(1 Cor., 7, 8 ; 1 Tim., 5, 1-16) ; on avait même recommandé l’abstinence
conjugale (1 Cor., 7, 4-6). Pastor Herm. Vis., 2, 3, 1 ; S. Augustin, De bono conj., 12 ; De nupt. et conc., 12 ; S.
Jérôme, Ep. 58, 6 ad Paul ; Ep. 71, 7 ad Luc, etc., contiennent des
recommandations semblables. Au 13ème siècle, on trouve attesté un
mariage spécial, le « mariage virginal » (K. H. Lex. [Lex. eccl.], 2, 242). Les vierges
demeuraient, au début, dans la maison paternelle ; elles demeurèrent plus
tard dans une maison affectée aux vierges (Athan.
Vita Antonii, 3), où elles suivaient des règles
spéciales (H. Koch, Virgines Christi, dans TU. 31, 2, 1907).
Cependant,
le motif de la continence ascétique n’est
nulle part, ni dans la Bible ni chez les Pères, un motif manichéen. Le mariage
n’est pas quelque chose de mal, mais quelque chose de bon (1 Cor., 7, 38 ;
1 Tim., 5, 14). S. Paul met en garde contre ceux « qui défendent de se
marier » (1 Tim., 4, 3). Seulement la virginité possède un charisme que n’a
pas le mariage. L’Église s’est toujours opposée aux contempteurs du mariage,
comme aussi aux contempteurs de la virginité (Jovinien, Helvidius,
Bonose, les protestants). Sur la virginité reposent
non seulement l’état religieux et l’état sacerdotal, mais une grande part de la
vie ecclésiastique en général.
L’opinion
de Luther sur la virginité ne doit
pas être confondue avec son aversion pour l’état de célibat, contre lequel il a
fulminé jusqu’à sa mort. Il est vrai qu’alors les scandales ne manquaient pas
dans cet état ; la vie de Luther lui‑même en est
une preuve, ainsi que son succès parmi la « moinerie » en rupture de
ban. Au début, il plaçait la virginité au‑dessus du mariage, il les mit ensuite sur le même pied et finalement il plaça le
mariage au‑dessus de la virginité. Néanmoins,
dans un certain sens, « il a eu des sentiments de moine jusqu’à la
fin », car « en 1540, il louait encore la virginité, en tant qu’elle
vient du ciel comme un joyau d’or, comme une parure précieuse » (Baranowski, 35 sq.).
THÈSE. D’après l’ordonnance divine, le mariage
chrétien ne peut exister qu’entre un seul homme et une seule femme. De foi.
Explication. L’unité du
mariage s’oppose à la polygamie, qui consiste à avoir plusieurs femmes et à la
polyandrie, qui consiste à avoir plusieurs maris. La polygamie peut être simultanée ou successive. La polygamie simultanée a été réprouvée par le Concile
de Trente : « Si quelqu’un dit qu’il est permis aux chrétiens d’avoir
plusieurs femmes et que cela n’est défendu par aucune loi divine, qu’il soit
anathème » (S. 24, can. 2 : Denz., 972).
Par contre, la polygamie successive, c.‑à‑d. des mariages répétés après la mort d’un conjoint,
n’est pas interdite par l’Église. Seuls quelques rigoristes, surtout dans l’Église
grecque, ont voulu, après les montanistes et lés novatiens, prohiber la polygamie
successive. Le Concile de Trente a voulu atteindre l’affirmation de Luther qui
prétendait que la polygamie simultanée n’avait pas été interdite par une loi divine.
Preuve. Le mariage primitif, fondé par Dieu lui‑même, était un mariage monogamique. Les deux époux
doivent tellement constituer une unité qu’ils sont formés d’une seule chair et
doivent désormais être dans une seule chair et devenir la source unique de la
vie pour le genre humain (Gen., 2, 24 ; 1, 28). Jésus se reporte a
cette forme primitive du mariage et ordonne l’unité du mariage futur, parce que
Dieu a uni le premier homme et la première femme dans le mariage
monogamique : « C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère
et s’attachera à sa femme et ils deviendront tous les deux une seule
chair ; ainsi ils ne sont plus deux, mais une seule chair » (Math.,
19, 5 sq.).
S.
Paul suppose toujours le mariage unique quand
il parle du mariage. D’après lui, il y a entre les deux époux une
« loi » (νόμος) ou
un contrat, qui les lie, aussi longtemps que les deux parties sont en
vie ; si l’un des deux conjoints meurt, l’autre est libre de cette loi et
peut, s’il le veut, se marier avec un autre (Rom., 7, 2, 3). « Pour éviter
l’impudicité, que chaque homme ait sa femme et que chaque femme ait son mari (1
Cor., 7, 2 ; cf. 7, 10). La célèbre comparaison entre le mariage et l’union
du Christ avec son Église est basée sur l’unité du mariage (Eph.,
5, 21-33).
La
polyandrie est encore plus opposée à
la forme primitive du mariage et, d’une manière générale, à son essence, que la
polygamie. En effet, si la polygamie est inconciliable avec l’idée de la
famille et avec la réalisation de l’idéal complet du mariage, elle peut
cependant assurer la fin principale du mariage, qui est la propagation du genre
humain, et c’est pourquoi elle fut tolérée dans l’Ancien Testament et même
usitée dans la vie des Patriarches. Par contre, la polyandrie est antinaturelle
et s’oppose à la fin principale du mariage, la postérité.
La
polygamie a régné dans tout l’Ancien
Testament à partir de Lamech (Gen., 4, 19). Les Patriarches
étaient polygames : Abraham (Gen., 16, 3), Isaac
(Gen., 24, 3, 7, 51, 67 ; 28, 9), Jacob (Gen., 29, 23, 28 ; 30, 4, 9) ; Moïse tient compte
de la polygamie (Deut., 21, 15 sq. ; cf.
cependant Lév., 21, 13 sq.) ; Gédéon (Jug., 8, 30 ; les Juges avaient parfois 30, 40, 70
fils et filles), Elcana (1 Rois, 1, 2), Saül (1 Rois,
14, 50 ; 2 Rois, 3, 7 ; 21, 8), David (1 Rois, 18, 27 ; 25, 39
sq., 43 ; 2 Rois, 3, 2-5 ; 5, 13 ; 1 Chron.,
3, 9), Joas (2 Chron., 24, 3) ; Salomon avait un
harem (1 Rois, 9, 16 ; 11, 1-3), Roboam (2 Chron.,
11, 21), Abias (2 Chron.,
13, 21). Jérémie suppose la polygamie comme licite (Jér.,
29, 6). Dœller dit brièvement : « Chez les
Hébreux, la polygamie passait pour une coutume légitimement établie » (La
femme dans l’A. T., 20). Il se fait une certaine évolution vers la monogamie après
l’exil. Mais c’est le Christ qui, le premier, rétablit l’idéal exprimé dans Gen., 2, 24. Cette polygamie a assez souvent embarrassé les
Pères. S. Augustin adopte une solution un peu facile ; il estime qu’en ce
temps la polygamie était la coutume et, par conséquent, n’était pas un péché,
mais que maintenant ce n’est plus la coutume et, par suite, c’est un péché (C.
Faust., 22, 47). Mais la question est justement de savoir comment elle a pu être une coutume et une coutume licite.
On ne peut répondre à cette question qu’en se rapportant à l’état inférieur de
moralité dans l’Ancien Testament. Cette morale est justement encore hypochrétienne, elle n’est pas encore chrétienne. Dieu
« tolérait » la polygamie, comme bien d’autres choses (Rom., 3, 25).
C’est pourquoi Luther n’avait pas le droit d’en appeler à l’Ancien Testament et
à l’exemple des Patriarches pour autoriser le double mariage de Philippe de
Hesse.
Quand
la pédagogie libérale propose de supprimer, dans la Bible des écoles, certaines parties de la Bible et notamment l’histoire
des Patriarches, elle oublie tout ce que ces récits contiennent de précieux
dans d’autres endroits ; elle devrait bien songer aussi que l’Église
catholique a bien raison de ne pas mettre la Bible entière entre les mains des enfants. Au reste, on devrait signaler
en passant, à l’école, que le Christ lui‑même s’est
délibérément élevé au‑dessus du
point de vue de la morale de l’Ancien Testament : Il a été dit aux anciens
- moi je vous dis. Nous n’avons dans l’Ancien Testament qu’une morale
commençante, et non une morale achevée ; une vie de foi en germe, non une
vie de foi dans sa maturité. « Je suis le chemin, la vérité, la vie »
(Jean, 14, 6). Voilà ce que peut et doit déjà savoir même la jeunesse pour être
armée contre les objections futures de la libre pensée et du libéralisme.
La
polygamie successive, par contre, est permise ; elle n’est interdite ni
par une loi divine ni par une loi ecclésiastique (Cf. 1 Cor., 7, 8, 9, 39,
40 ; Rom., 7, 2, 3 ; 1 Tim., 5, 14 sq.). Cependant l’ancienne Église
ne voyait pas d’un bon œil les secondes noces. Elle n’admettait pas les bigames
successifs aux Ordres (Tit., 1, 6) ; elle les frappait souvent de peines
canoniques, leur enlevait les subsides des pauvres, leur refusait comme cela se
fait encore aujourd’hui la Bénédiction ecclésiastique. Athénagore
écrit, vers 177, que les chrétiens doivent ou bien ne pas se marier du tout ou
ne se marier qu’une fois, « car le second mariage est un adultère honorable ».
Il s’appuie sur Matth., 19, 9. G. Zhisman,
Le droit matrimonial en Orient
(1874). En Occident, on se montre plus clément qu’en Orient, où l’on recourait
même parfois à l’excommunication (S. Jérôme, Ep. 123, 17 sq. : M. 22,
499 ; S. Basile, Ad Amph., 4 : M. 32, 674). On n’alla cependant pas
jusqu’à déclarer invalide le second mariage. S. Augustin, qui permet pourtant
tout remariage, ne veut pas ordonner des bigames successifs (De bono conj., 21). Anselme de
Lucques (+ 1073) écrit : « Que personne ne prenne plus de deux
femmes, parce qu’une troisième est superflue » (Thaner, Collect.
can., 1915, 2, 484). Aujourd’hui encore, dans l’Église
grecque, celui qui conclut un second mariage est privé de la communion pendant
deux ans ; s’il contracte un troisième mariage, il en est privé pendant
cinq ans (Maltzew, 288 sq.).
THÈSE. Le mariage des chrétiens est, à cause de son
caractère sacramentel, indissoluble dans son lien ; l’adultère même d’un
des époux ne dissout pas le mariage. 1re prop. :
De foi ; 2e : Fidei proxima.
Explication. Le Concile de Trente a défini : « Si
quelqu’un dit que, pour cause d’hérésie, de cohabitation pénible, d’éloignement
intentionnel d’un conjoint, le lien du mariage peut être dissous, qu’il soit
anathème » (S. 24, can. 5 : Denz., 975). Ce
canon était dirigé contre les protestants qui admettaient la possibilité de
dissoudre le lien du mariage pour diverses raisons. Un autre canon atteignit
les Grecs, qui considéraient que le mariage pouvait être dissous en cas d’adultère.
Mais, comme leur opinion s’appuyait sur une tradition estimable, comme, d’autre
part, la République de Venise, en considération de ses sujets grecs, demandait
une rédaction mitigée de la définition, le Concile se contenta de déclarer que
la conception latine n’est pas erronée. Il déclare anathème celui qui dit que l’Église
se trompe quand elle a enseigné et
enseigne que, d’après la doctrine de l’Évangile et des Apôtres, le lien du
mariage ne peut pas être dissous à cause de l’adultère d’un des époux, quand
elle enseigne qu’aucun des deux, pas même celui qui est innocent, qui n’a pas
donné occasion à l’adultère, ne peut contracter mariage du vivant de l’autre
époux, et que lui‑même
celui qui après avoir renvoyé l’adultère, se marie avec un autre est
adultère » (S. 24, can. 7 : Denz., 977).
Preuve. L’indissolubilité
du mariage se confond objectivement avec son unité. C’est pourquoi les
témoignages apportés en faveur de l’unité prouvent aussi l’indissolubilité.
Dans le Sermon sur la montagne, le Christ enseigne l’unité et l’indissolubilité,
en défendant strictement même de penser à l’époux d ’autrui (Math., 5, 27 sq.).
Quand on lui soumet la question du divorce, il répond que Moïse a accordé la
lettre de répudiation « à cause de la dureté de vos cœurs ». Il
rappelle ensuite la création et la parole d’Adam sur l’attachement de l’homme à
sa femme et il conclut d’une manière tout à fait générale : « Ainsi
donc ce que Dieu a uni, l’homme ne doit pas le séparer » (Marc, 10, 2-12).
A
une question postérieure des disciples il répond : « Quiconque
répudie sa femme et en épouse une autre, commet un adultère par rapport à la
première, et si une femme répudie son mari et en épouse un autre, elle se rend
adultère » (Marc, 10, 11, 12). Les deux sexes sont donc jugés de la même
manière, il n’y a pas de privilège pour l’homme.
Dans
S. Luc, il est dit brièvement : « Quiconque renvoie sa femme et en
épouse une autre commet un adultère et quiconque épouse la femme renvoyée par
son mari commet un adultère » (16, 18). Il résulte de la seconde phrase
que le premier lien matrimonial persiste, autrement celui qui épouse la femme
renvoyée ne pourrait pas commettre d’adultère. Au sujet de S. Mathieu, voir ci‑dessous.
S.
Paul se réfère au « Seigneur » et
non à lui‑même, quand il dit : « Que la femme ne se
sépare pas de l’homme : mais si elle s’en sépare qu’elle reste sans se
remarier, ou qu’elle se réconcilie avec son mari : pareillement, que le
mari ne se sépare pas de sa femme ». Après la mort du mari, la femme peut
se remarier, si elle le veut (1 Cor., 7, 10 sq., 39 ;cf.
Rom., 7, 2 sq.).
L’adultère, exception chez S. Mathieu. D’après S.
Marc et S. Luc, comme d’après S. Paul, toute tentative de dissolution du
mariage est impossible ; cette tentative est coupable, que ce soit de la
part de l’homme ou de la part de la femme. Il y a une difficulté chez S. Mathieu,
qui, par deux fois, semble rapporter un cas d’exception. D’après lui, le Christ
dit : « Quiconque renvoie sa femme, hors le
cas d’impudicité, la rend adultère, et quiconque épouse la femme renvoyée,
commet l’adultère » (Math., 5, 31 sq.). « Quiconque renvoie sa femme,
si ce n’est pour impudicité, et en épouse une autre, commet un adultère et
celui qui épouse une femme renvoyée commet un adultère » (Math., 19, 9).
Les
Grecs, en général, et quelques
Latins, voient, dans l’adultère, une raison de divorce et permettent le nouveau
mariage. C’est ce que pensent Tertullien et Lactance. S. Basile considère
personnellement le nouveau mariage comme illicite ; il le tolère
cependant, d’après l’usage d’alors, pour l’homme innocent. S. Cyrille d’Alexandrie
estime que, par l’adultère, le mariage est complètement rompu. S. Jean
Chrysostome réserve son opinion, il penche cependant vers l’opinion
grecque ; c’est le cas aussi de Théodoret de
Cyrus, de Victor d’Antioche et, plus tard, des Grecs du 11ème siècle
(Théophylacte) et du 12ème siècle (Euthymius Zigabenus).
Par
contre, le nouveau mariage est interdit et, semble‑t‑il, l’indissolubilité
absolue est enseignée déjà par Hermas, les Apologistes, S. Cyprien et
Novatien ; la chose est certaine pour Clément d’Alex. et
Origène, Epiphane, S. Grégoire de Naz., les Conciles d’Elvire (306) et d’Arles (314), S. Hilaire de Poitiers, S.
Ambroise, l’Ambrosiastre, S. Innocent 1er,
S. Jérôme, S. Augustin. Par contre, des conciles postérieurs se montrèrent plus
larges. De même, depuis l’époque de S. Bède jusqu’à la Scolastique, on hésita
sur cette question. Mais P. Lombard, S. Albert, S. Thomas, S. Bonaventure, ne
se contentent pas de défendre l’antique tradition latine, mais encore ils la
justifient par l’exégèse. Ils rapportent la proposition restrictive à la
première partie du verset seulement (à renvoyer) et non à la seconde (et en
épouser une autre) ; par conséquent, il est permis, pour cause d’adultère,
de renvoyer sa femme, mais non d’en épouser une autre. Il est vrai qu’à cette
interprétation s’oppose le fait que les Juifs auraient dû entendre les paroles
du Christ au sens d’un divorce réel, car une simple séparation externe leur était
inconnue ; en outre, d’après cette interprétation, l’adultère serait l’unique
motif de la séparation des époux, ce qui est contraire au Concile de Trente,
lequel admet « plusieurs » motifs de séparation. (Can. 8).
Aussi
on a cherché, au 19ème siècle, d’autres explications. On entend πορνεἰα d’une impudicité
antérieure au mariage : ce qui, d’après la loi juive, empêchait
radicalement la conclusion du mariage ; ou bien on admet la séparation complète, mais on rapporte ce texte aux Juifs seuls et on soutient que le
Seigneur ne parle pas du tout du mariage chrétien ; ou bien on affirme que
le Christ aurait pris une attitude purement négative
et interdit tout renvoi de la femme, n’exceptant que le cas d’adultère, mais il
n’aurait rien dit positivement sur ce qui doit se faire dans ce cas (S.
Augustin) ; ou bien on pense au privilège paulin
et on prend πορνεἰα
au sens de paganisme ; on affirme alors que le mariage chrétien, sans doute est indissoluble,
mais que ce n’est pas le cas du mariage non
chrétien ; ou bien on entend par πορνεἰα,
un concubinage illégitime, qui, en tant qu’union impudique, doit toujours être rompu, alors qu’un
véritable mariage ne doit jamais être
dissous ; ou bien on voit dans le cas
de la πορνεἰα,
non pas une proposition exclusive, mais une incise qui renforce le sens (εἰ μή - pas
même dans le cas de l’adultère ; c’est déjà l’interprétation d’Innocent
III, de Salmeron) ; ou bien on voit dans l’exception
une interpolation postérieure et on dit que Jésus a purement et simplement,
comme dans Marc et Luc, interdit toute
séparation (néo‑protestants). A cette interprétation, Ott en a récemment ajouté une dernière
qui aboutit à une conclusion semblable. Jésus, dit‑il, parlait aux Juifs ; or ceux‑ci devaient voir, dans les paroles du
Christ, une explication de Deut., 24, 1, d’après
lequel l’homme peut renvoyer sa femme s’il a trouvé en elle quelque chose de
déshonorant (Ervath dabar).
Au temps du Christ, la plupart des Rabbis entendaient Ervath
dabar au sens de toute
espèce de déshonneur, comme le faisait Hillel (ils mettaient l’accent sur dabar, à la différence de Schammaï
et de ses partisans, qui l’entendaient uniquement de l’impudicité et mettaient
l’accent sur ervath). Les uns et les autres
admettaient le divorce dans le cas d’ervath dabar entendu dans leur sens, mais dans ce cas seulement. Or Jésus a voulu, dans une
antithèse formelle avec la loi juive, établir une loi morale plus élevée et interdire tout divorce, même en raison de l’ervath dabar qu’il fallait bien
mentionner spécialement. « Il vous a été dit : Quiconque renvoie sa
femme (à cause de l’ervath dabar),
qu’il lui donne une lettre de répudiation. Mais
moi je vous dis : Quiconque, sans qu’il soit aucunement question d’ervath dabar
(ou en admettant même qu’il y ait ervath dabar) renvoie sa femme commet un adultère et celui qui
épouse une femme renvoyée commet un adultère ».
Les Pères. Il semble
que, dans les trois premiers siècles, le divorce fut rare chez les chrétiens.
Mais, avec les conversions en masse, ce fléau pénétra aussi dans l’Église. S.
Augustin admet, au commencement, une excuse pour l’époux innocent, mais, plus tard,
il interdit aux deux époux, même à l’époux innocent, le nouveau mariage (De adult. conj., 1 sq.) et s’appuie
sur l’enseignement de Jésus.
L’opinion
de Luther sur le divorce était large.
Dès 1520 environ, il considère l’adultère comme un motif de divorce. D’autres
motifs s’ajoutèrent peu à peu, l’abandon malveillant, la colère, l’incompatibilité,
le danger pour la vie, l’incontinence, l’impuissance, le refus du debitum, la maladie grave, l’accord mutuel (Baranowski, 115-131).
Mais,
même dans l’Église du Moyen‑Age, la situation n’était pas très belle
par rapport au divorce. Finke appelle les divorces par lesquels les princes
rompaient d’eux‑mêmes leur mariage, « l’un des
plus vilains chapitres de la politique du Moyen‑Age ».
Il rappelle les cas de Charlemagne, de Frédéric Barberousse, etc., et
conclut : « Des princes de l’Église (évêques), ainsi que des laïcs, dépourvus
d’énergie, ont donné leur adhésion aux désirs des rois » (p. 59). A Rome,
vivait toute une foule de ces femmes renvoyées. La cause de ces divorces était
souvent la coutume déplorable des « mariages d’enfants » (p. 64)
conclus souvent et dissous sans dispense.
Le privilège
paulin permet, quand, dans un mariage d’infidèles,
l’un des époux se convertit au christianisme et que l’autre ne veut pas
continuer à vivre pacifiquement dans le mariage, à l’époux chrétien de se
séparer de l’époux infidèle (1 Cor., 7, 10-15) et de contracter un nouveau
mariage sacramentel.
Cependant
la dissolution du lien ne se fait pas par la réception du baptême, car le baptême
ne dissout jamais les mariages, mais
remet les péchés, dit Innocent III (Denz., 407). Or
si l’époux païen veut continuer à vivre pacifiquement dans le mariage, S. Paul
conseille ou ordonne (?) que l’autre époux reste avec lui. Alors même qu’il s’agirait
d’un ordre, la plupart des théologiens jugent cependant que, dans le cas où la
partie chrétienne se sépare, elle peut contracter un nouveau mariage. Ce
privilège paulin est de droit divin. D’après Lœhr (Études sur
le droit missionnaire), les missionnaires ont la « faculté
matrimoniale » de permettre aux païens convertis et baptisés, au cas où
ils ont plusieurs femmes, de garder,
à leur choix, une d’entre elles qui soit convertie, sans les obliger, par
conséquent, à garder la première. Il est vrai que c’est à condition que la
première ne veuille pas se convertir (Cf. C. J. C., can. 1120-1127 ; Jone, Précis de
morale, 762 sq.). La question de savoir si le privilège paulin
s’appuie réellement sur S. Paul est objet de controverse.
Dans le mariage sacramentel lui‑même,
le lien conjugal peut être dissous, quand le mariage n’a pas été
consommé ; il peut l’être, 1° par la profession
solennelle dans un Ordre approuvé par l’Église (professio
religiosa ; Trid.,
can. 6) et, 2° par une dispense papale pour des motifs graves (Cf. C. J. C.,
can. 1119).
Une
simple dissolution extérieure de la
communauté matrimoniale (quoad torum
et mensam) peut avoir lieu, quand la vie commune est
devenue très pénible ou dangereuse pour le corps ou pour l’âme. Les détails
sont examinés dans le droit matrimonial ecclésiastique.
La
profanation du mariage par la suppression
des enfants était un grand danger qui menaçait de s’étendre, du paganisme où il
sévissait, dans l’Église elle‑même ;
il fut combattu, dès le commencement, par plusieurs Pères.
[La suite est le livre 6 : l’Eschatologie. Mgr
Bernard Bartmann
PRÉCIS DE THÉOLOGIE DOGMATIQUE]