Mgr Bernard Bartmann

PRÉCIS DE THÉOLOGIE DOGMATIQUE

Édition par JesusMarie.com – ce livre est placé en copyleft – Paris 10 février 2020

Merci de prier pour la personne qui a travaillé deux ans pour réaliser cette nouvelle édition

LIVRE 7 : L’eschatologie

INTRODUCTION                       

§ 209. Aperçu historique

CHAPITRE 1 : L’eschatologie de l’homme individuelle

§ 210. La mort de l’homme

§ 211. Le jugement particulier

§ 212. Le ciel

§ 213. L’enfer

§ 214. Le purgatoire

CHAPITRE 2 : L’eschatologie générale

§ 215. Le retour du Christ

§ 216. La résurrection générale

§ 217. Le jugement général

§ 218. La fin et le renouvellement du monde

 

A consulter : S. Thomas, Suppl., q. 66-69 ; C. Gent. 3, 1-63 ; 4, 79-97. Siuri, Theologia de novissimis (Valent., 1756). Billot, Quaestiones de novissimis (3è éd., 1908). Jungmann, Tract. de novissimis (1898). Kastschthaler, Eschatologia (1888). Pesch, 9. HeinrichGutberlet, 10 (1904). Palmieri, De novissimis (1908). Scaglia, I « novissimi » nei monumenti primitivi della chiesa (1910). Ildefonso de Vuippens, Le Paradis terrestre au 3è siècle (1925). Histoires du dogme de Schwane, Tixeront. Dict. Théol. v. Eschatologie.

Dans l’eschatologie, on examine la doctrine des fins dernières (Eccli., 7, 40). Elle se divise en deux parties, selon que l’on étudie les fins dernières de chaque homme individuel, ou bien celle de toute l’humanité ou du cosmos. Si l’on examine les fins dernières du point de vue de l’acte rédempteur, on les appelle aussi l’achèvement du monde.

INTRODUCTION

§ 209. Aperçu historique

L’idée d’un commencement et d’une fin du monde domine toutes les religions supérieures : elles connaissent une origine et une disparition du monde, comme elles connaissent la naissance et la mort de chaque individu. La naissance et la mort de l’individu sont objet de l’expérience quotidienne, mais la notion du commencement et de la fin du monde ne s’acquiert que par la réflexion. Et comme la pensée est développée d’une manière inégale chez les différents peuples, l’idée du commencement et de la fin du monde n’a pas la même clarté chez tous et prend des formes diverses. En plus, notamment pour ce qui est de la fin du monde, le sentiment moral exerce une forte influence et ce sens moral, chez l’individu comme dans les collectivités, se présente à des degrés différents. La conscience reflète, dans ses assertions, surtout quand il s’agit de la fin de l’homme, les couleurs et les formes, le caractère et les idées des peuples et de l’humanité. L’idée du jugement et de la sanction joue, dans les conceptions et les impressions des peuples, au sujet de la fin dernière, un rôle important et souvent décisif. Vouloir enlever l’eschatologie du christianisme, ou du moins l’atténuer comme le fait aujourd’hui le néoprotestantisme, c’est lui enlever toute racine vitale. C’est justement dans la foi eschatologique, que la foi en général subit son épreuve.

Quand le mort quitte ce monde sensible et visible pour entrer dans le monde invisible et suprasensible, il subit, d’après les antiques religions culturelles, un examen moral et une appréciation morale de la part des divinités du monde inférieur et reçoit, si cet examen a été favorable, une participation au bonheur et au rafraîchissement de l’audelà. En général, cet audelà apparaît comme une transposition améliorée de l’état d’icibas. Il faut supposer naturellement la croyance à la survie après la mort.

Il est vrai que, dans les détails, les conceptions sont très divergentes ; mais dans leurs formes essentielles, elles présentent une grande parenté. Même les religions dites « primitives » ne sont pas dépourvues de toute eschatologie. De même que chacune de ces religions a une notion de Dieu et de la moralité, toute rudimentaire et altérée qu’elle soit, chacune possède aussi ses idées sur la sanction et sa croyance à l’immortalité.

Parmi les peuples à religion culturelle, les Égyptiens, les Perses, les Babyloniens et les Assyriens ont une eschatologie très évoluée ; ils vont même jusqu’à admettre la résurrection corporelle, ou la réunion de l’âme avec le corps. Pour l’Égypte, nous possédons un précieux document, le « livre des morts ». D’après ce livre, le mort, qui a reçu une sentence favorable dans le « jugement des morts », est uni avec Osiris, le souverain du monde des morts ; par contre, celui qui est condamné est anéanti ou livré aux peines de l’enfer. On trouve aussi une eschatologie, plus parfaite et plus évoluée, dans le parsisme, que les Juifs connurent à Babylone pendant l’exil. L’audelà, le jugement, la sanction individuelle dans le royaume de Dieu (AhuraMazda) ou celui du diable (AngraMainyus), se trouvent, là aussi, au centre de la religion. Les Grecs subirent l’influence de l’eschatologie de Platon, qui, sans doute, n’enseigne pas la résurrection de la chair, mais l’immortalité de l’âme (dans le « Phédon », le « Phèdre », le « Banquet »). Les bons s’en vont, après la mort, dans l’ « île des heureux », les impies dans les tortures du « Tartare ». Mais il connaît dans l’audelà, comme la doctrine orphiquepythagoricienne, toute une série de phases d’épreuve et de sanction. Certaines âmes doivent revenir jusqu’à dix fois dans ce monde pour se purifier. Chez les Romains, on peut prendre comme témoin Cicéron, qui en appelle, pour prouver la survie après la mort, au soin sacré des tombeaux et au consentement des peuples : « De même que c’est par un instinct naturel que nous croyons dans l’existence des dieux, et par l’exercice de la raison que nous apprenons à connaître leur nature, ainsi c’est en nous reposant sur la croyance de toutes les races de l’humanité que nous pensons que les âmes ont une vie, et par cette raison nous devons apprendre leur lieu de résidence et leur nature » (Tusc., 1, 16). Les bons vont dans le ciel, alors que les méchants, en châtiment de leur crime, doivent errer sans repos sur la terre, comme fantômes. Cependant, il ne faut pas voir un témoignage en faveur de la valeur de l’audelà, pour la vie, dans ces paroles de Cicéron : « Le mieux qui puisse arriver à l’homme, c’est de ne point naître ; et le plus avantageux pour lui, quand il est né, c’est de mourir promptement » (Ibid., 1, 48). Sophocle s’exprime presque en termes identiques dans Œdipe (5, 1224-1227 ; cf. aussi Eccl., 4, 2 sq. et 3, 19-21). La croyance eschatologique des Hindous trouve son expression dans les chants du Rigweda, d’après lesquels Yama, le dieu de l’empire des morts, reçoit les bons dans son ciel de lumière et condamne les mauvais aux ténèbres et aux tortures du feu. La doctrine de la migration des âmes, chez les Hindous, a pour objet la purification dans l’audelà. Yama tient le compte des actions des hommes et décide, d’après cela, du sort de chaque âme. L’eschatologie de Bouddha a deux aspects : le célèbre nirwana semble signifier, dans la doctrine secrète, pour les gens cultivé, l’écoulement complet du moi personnel, mais dans les idées du peuple, c’est l’« immortel nirwana », le « royaume paré de joyaux », auquel parvient le bouddhiste, quand, par des réincarnations sans cesse renouvelées, il a atteint la pureté parfaite et fait mourir en lui tout mauvais désir.

On peut ainsi trouver, chez tous les peuples qui se tiennent en dehors de la sphère de la Révélation, les mêmes lignes essentielles de l’eschatologie, ainsi que les notions correspondantes de bien et de mal, de mérite et de châtiment. Cathrein dit à la fin de ses recherches sur ce sujet qui se poursuivent en trois volumes : « Il n’y a absolument aucun peuple qui n’ait pas admis de continuation de l’existence humaine. Au sujet de trois ou quatre tribus, on affirme qu’elles n’auraient eu aucune croyance à l’immortalité, mais ce sont des tribus depuis longtemps disparues, dont on ne connaît à peu près rien autre chose que le nom. Chez un petit nombre de peuples, il semble, il est vrai, que les grands malfaiteurs soient exclus de l’immortalité. Ils parlent d’une seconde mort ou d’un anéantissement, d’une disparition ou d’une volatilisation des âmes mauvaises. On ne comprend pas très clairement ce qu’ils veulent dire. Ils n’y réfléchissent d’ailleurs pas. De même que la pensée d’une création proprement dite, à partir du néant, est étrangère à l’intelligence du sauvage, de même la pensée d’un anéantissement proprement dit, au sens strict du mot ».

La doctrine des anciens Hindous, des Égyptiens, des néoplatoniciens, la théorie de la réincarnation ou de la migration des âmes, a trouvé des adhérents dans le passé, elle en a encore aujourd’hui : ce sont les théosophes et les anthroposophes, ainsi que certains néoprotestants. Au sujet de l’eschatologie protestante qui pendant la guerre, a donné des production singulières, Lemme raconte (Doctrine de foi, II, [1919], 320 et ss.) que les disciples de Schleiermacher, Hegel, Strauss, Biedermann, Ritschl, considèrent les questions eschatologiques comme oiseuses ou les rayent de la dogmatique. Il parle, avec raison, d’un « courant montaniste dans la théologie (protestante) » ; cela ne rend possible aucune eschatologie.

Comment fautil maintenant, dans le cadre de l’eschatologie générale des peuples, apprécier l’eschatologie des Juifs ? Il était à prévoir que l’histoire radicale des religions mettrait en parallèle le peuple juif, détenteur d’une religion révélée, avec les anciennes religions culturelles. Et cela était d’autant plus à prévoir qu’on pouvait compter que ces comparaisons seraient au désavantage d’Israël. L’eschatologie et la sanction individuelle ne constituent pas l’aspect le plus solide du mosaïsme. Des théologiens catholiques même estiment que les idées eschatologiques, dans le mosaïsme et jusque dans le prophétisme plus élevé, sont imparfaites. Le Jésuite Durand écrit dans le Dict. Apol. II, v. Inerrance biblique : « Un des plus saillants exemples est l’idée que les Hébreux se faisaient des destinées d’outretombe. Avec les lumières de l’Évangile sur nos fins dernières, nous avons de la peine à comprendre que les auteurs de l’Ancien Testament ne parlent pas plus souvent, ni avec la précision que nous y mettons, des récompenses et des châtiments de la vie future. » Il en est de même, au reste, du problème connexe de la Rédemption. Et le Dict. théol. écrit : « En effet, JésusChrist vient enfin et c’est le grand révélateur de l’audelà. Sur son existence, sur sa nature et sur ses relations avec le Dieu vivant et personnel, qui est notre Père, c’est lui qui a apporté aux hommes la certitude et la clarté définitives. «  (V, 43). C’est là un jugement pondéré. Le Schéol reçoit tout Israélite quand il quitte ce monde. C’est un lieu sombre, sans joie, même quand on y retrouve des pères et des connaissances. Surtout Jahvé n’a aucune relation claire avec les Schéol. Cf. cependant Ps. 138, 8 : « Si je me couche dans le Schéol, te voilà. » Cependant germe, chez quelques élus, une légère espérance : « Jahvé anéantira la mort pour toujours. » (Is., 25, 28 ; cf. G. Quell, L’idée de la mort en Israël [1925] ; Hœlscher, Les origines de l’eschatologie juive [1925]). L’existence de l’audelà, sa nature et surtout ses relations avec Dieu dans la participation à sa vie bienheureuse ou dans l’exclusion de ce bonheur, sont des points sur lesquels la Révélation a répandu peu à peu la lumière qui n’a été complète qu’avec Jésus. Israël vivait de préférence, sinon exclusivement, icibas. Pendant longtemps, l’audelà ne fut pas au centre de sa religion. Il n’y fut sans doute jamais ; ses espérances messianiques terrestres y mettaient obstacle ou, pour mieux dire, ces deux notions se confondaient. S. Paul appelle (Act. Ap., 17, 30) les temps qui ont précédé le Christ « les temps de l’ignorance ». On sait, par l’Évangile, combien le Seigneur a eu de peine à essayer de tourner les regards de son peuple vers l’audelà glorieux. C’est devant la conception terrestre, que ce peuple se faisait du royaume des cieux, que sa mission a échoué. Il n’arriva même que lentement à élever les pensées de ses disciples à une conception spirituelle de l’audelà. (Matth., 20, 20 et ss ; Luc, 24, 21 ; Act. Ap. 1, 6 et ss).

Pendant l’exil, et sans doute sous l’influence des épreuves subies, on songe moins, quand on pense aux sanctions, à la collectivité du peuple, qui est maintenant anéanti, qu’aux individus pieux et l’on trouve, pour la première fois, chez Ezéchiel (18, 1-32 ; cf. Jér., 31, 29 et ss.) l’affirmation précise et, pour ainsi dire, d’une clarté systématique, que les enfants n’ont pas répondre des parents, pas plus que l’individu n’a à répondre du peuple, mais que le bon comme le mauvais est récompensé ou puni individuellement. Or comme le sort de l’individu, ainsi que le remarque S. Thomas (S. th., 1, 2, 99, 6 ad 3), ne réalise pas, sur la terre, l’harmonie entre la moralité et le bonheur extérieur, mais que le bonheur et moralité sont souvent en désaccord, Israël avait été préparé et mûri par l’exil pour recevoir la révélation de la justice individuelle et de la sanction dans l’audelà. Il est donc tout à fait normal que nous rencontrions après l’exil un progrès sensible sur ce point, comme on le verra plus loin dans l’examen des questions particulières.

Il est intéressant de connaître les idées des théologiens juifs euxmêmes : « Nous trouvons déjà (!) les commencements de l’eschatologie dans les récits plus récents de la Bible. (Dan., 12, 2, 3) Elle trouva son évolution dans les écrits apocalyptiques et dans le Talmud. « Ce n’est pas dans cette vie que l’action pieuse est récompensée… La récompense et le châtiment dans la vie future sont, d’après la plupart des maximes du Talmud et d’après les idées concordantes de la philosophie religieuse juive, de nature spirituelle. » (Cf. Bernfeld, Les doctrines du judaïsme, [1920], 81). Il cite comme textes qui prouvent la sanction : Ex., 20, 5 et ss. ; 34, 6 et ss. Lév., 26, 3-9, 14-16. Deut., 5, 9 et ss. ; 7, 9, 12 ; 11, 13-17, 26-28. Is., 3, 10 et ss. ; 26, 21. Jér., 31, 29 et ss. Ez., 18, 1-32. Ps. 30, 24 ; 61, 13 ; 144, 20. Prov., 5, 22 ; 10, 29 ; 11, 31 ; 13, 21 ; 16, 11 ; 21, 7 ; 22, 8. Eccl., 12, 13 et ss. Un exposé du contenu de l’audelà ne se trouve dans aucun de ces passages. Dans les écrits talmudiques allégués, on n’en trouve qu’un seul qui exprime cette pensée assez pâle : que le bien et le mal accompagnent l’homme « dans le monde futur ». Deux passages de Maimonides parlent de la « vie éternelle », mais sans aucune précision. « Quand les Rabbis parlent de l’enfer et du paradis et décrivent, en couleurs vives, les châtiments de l’un et les délices de l’autre, ce ne sont là que des images pour exprimer les tourments du péché et les joies de la vertu », dit Kaufmann, Esquisse d’une théologie du judaïsme (1910), 231.

Estce que le contact d’Israël avec le parsisme, à Babylone, n’a pas éveillé, chez lui l’intérêt eschatologique ? Estce que, surtout, la littérature apocalyptique des apocryphes n’a pas décrit, dans ses tableaux fantastiques, l’audelà local, d’une manière si précise qu’on pourrait croire, par exemple, que Dante a trouvé la matière de sa « Divine Comédie » dans le livre d’Hénoch ? Nous ne voyons pas ce qu’il y aurait d’embarrassant à répondre affirmativement à cette question. Pourquoi le Seigneur n’auraitil pas pu utiliser des suggestions et des besoins eschatologiques venant d’ailleurs, pour donner ensuite à son peuple une nouvelle révélation, quand il serait mûr pour cela ? (Cf. Schanz, Rev. De Tub., 1893, 140).

Uniformité ou dualité. Parmi les protestants, il y a une controverse à ce sujet. On se demande si l’eschatologie juive, dans son ensemble, est uniforme, ou bien si elle ne se divise pas en deux tendances essentiellement différentes. La conception juive antique n’auraitelle pas été simplement nationale, n’attendant rien d’autre que le rétablissement du peuple juif dans une nouvelle liberté politique et son avènement à une puissance mondiale insoupçonnée, alors que la tendance postérieure (de 200 avant à 100 après J.-C.) se serait élevée à une sphère supraterrestre, transcendante, à des notions plus pures, spirituelles morales ? Messel soutient, contre Bertholet, Bousset, Volz et d’autres, la thèse de l’uniformité de la croyance eschatologique juive, et affirme le caractère purement terrestre et temporel des éléments eschatologiques suivants : 1° L’avènement merveilleux de la nouvelle ère venant du ciel ; 2° Les catastrophes naturelles et la destruction du monde par le feu ; 3° Le nouveau ciel et la nouvelle terre ; 4° Le nouvel « aevum » glorieux ; 5° Le paradis (le ciel), comme lieu du salut messianique ; 6° Le millénaire (chiliasmus) ; 7° La vie éternelle et l’anéantissement de la mort ; 8° L’égalité des ressuscités avec les anges ; 9° Satan et les démons, en tant qu’ennemis de Dieu ; 10° Le grand jugement final. - Toutes ces notions, empruntées à la littérature apocalyptique postérieure, doivent s’entendre d’un bonheur idéal icibas. Cependant cette thèse n’est pas soutenable. Sans doute, les Juifs n’ont pas encore la notion claire de la « visio beata » chrétienne et surtout du bonheur qui résulte de cette vision. Israël vit encore plus dans la vie présente que dans la vie future ; mais il est tout au moins sur la voie qui mène à la vie future et il ne pouvait guère considérer que ses espérances eschatologiques seraient réalisables dans un bonheur idéal icibas. Il est vrai que son paradis est encore plus loin d’être le ciel final parfait que celui des Pères, plus tard (S. Ambroise, etc.). Cf. aussi Schneider, L’autre vie (14è éd., 1919), 179 et ss.

CHAPITRE 1 : L’eschatologie de l’homme individuelle

§ 210. La mort de l’homme

A consulter : Ginella, De notione atque origine mortis (Vratisl., 1868), Arnauld d’Agnel, La mort et les morts d’après S. Augustin (1916)

Thèse. Dans l’ordre actuel du salut, la mort est une conséquence du péché, en tant que le don de l’immortalité corporelle a été perdu par la chute d’Adam.

De foi.

Explication. L’expression « mort » se rencontre dans l’Écriture avec une triple signification : la cessation de la vie naturelle, la perte de la grâce surnaturelle (Eph. 2, 1) et enfin la perte de la vie éternelle (Apoc., 20, 14).

La mort corporelle est, en soi, naturelle à l’homme ; mais cette destruction du corps humain avait été supprimée, dans l’état de justice primitive, par le don de l’immortalité. Ce don fut perdu par le péché, et la mortalité humaine recouvra ses droits et ses effets (Trid., S. 5, can. 1, 2). Ce n’est donc pas une contradiction, quand l’Écriture voit la raison de la mort, aussi bien dans la nature créée que dans le péché : les deux motifs sont exacts. Par ex. Gen., 2, 17 ; Rom., 5, 12 ; cf. Gen. 3, 19 ; Ps. 102 et 103, etc.

Preuve. Elle se trouve déjà dans ce qu’on a exposé précédemment sur le don et la perte de l’immortalité (Cf. t. 1er, § 73).

L’universalité de la mort est une doctrine claire de l’Écriture, c’est aussi une vérité d’expérience incontestable.

Innombrables sont les passages où l’Ancien Testament, s’appuyant sur la sentence de Dieu (Gen., 3, 19), aussi bien que sur l’expérience quotidienne, se lamente de voir que tous les hommes sont « poussière » et doivent retourner à la « poussière » (Gen., 18, 27 ; 2 Rois, 14, 14 ; Eccli. 14, 18 ; Job 10, 8, 9 ; Ps. 89, 3-5 ; 102, 14-16, etc.). Le Nouveau Testament fait entendre les mêmes plaintes. D’après le Christ, le diable est un « homicide depuis le commencement » (Jean, 8, 44) et S. Paul écrit que, « par le péché, la mort est venue, et qu’ainsi la mort est passée dans tous les hommes » (Rom., 5, 12). Hénoch (Gen., 5, 24 ; Hébr., 11, 5) et Elie (4 Rois, 2, 11) ne font pas exception. On dit, il est vrai, que S. Paul admet la possibilité que luimême et ses contemporains voient la fin du monde et soient emportés vivants avec le Christ dans les nuées (1 Thess., 5, 14-16) ; mais, dans 1 Cor., 15, 53, il déclare que ce qui est corruptible revêt d’abord l’incorruptibilité. Il ne dit pas comment cela doit se passer, avec ou sans intervention de la mort ; il faut donc compléter ce passage par Rom., 5, 12. S. Thomas pense que les survivants euxmêmes mourront et ressusciteront immédiatement (S. th. 1, 2, 81, 3 ; Suppl., q. 78, 2).

Avec la mort finit pour l’homme le temps du mérite et du démérite ; un changement substantiel de ses dispositions et une modification essentielle de son sort ne peuvent plus avoir lieu.

Cette thèse, sans doute, n’est pas définie ; mais elle exprime la foi générale de l’Église et est étroitement connexe avec les déclarations réitérées de l’Église, d’après lesquelles la sanction a lieu immédiatement après la mort et est une sanction éternelle (Denz., 464, 530, 693). Dans ces déclarations, il est question de trois états, dont deux sont décisifs : le ciel et l’enfer ; le troisième, le purgatoire, est décrit de telle sorte qu’il coïncide essentiellement avec la destination au ciel.

Preuve. L’Ancien Testament, à cause de ses conceptions eschatologiques imparfaites, n’est pas utilisable ici, pas même Eccl., 11, 3 et Eccli., 18, 22. Mais le Nouveau Testament est plus précis. On peut d’abord citer le Sermon sur la montagne, surtout dans la rédaction de S. Luc. Dans ce sermon, les « bienheureux » prononcés sur les bons et les « malheur » prononcés sur les mauvais s’opposent, dans une antithèse tranchante ; on pourrait même penser qu’il y aura, dans la mort, un simple changement de rôles ; celui qui rit ici (nunc) pleurera là-bas (tunc) et viceversa (Luc, 6, 20-26 ; Matth., 5, 3-12). Or ce changement de rôles introduit une situation définitive. Cela résulte aussi de la parabole du mauvais riche et du pauvre Lazare (Luc, 16, 19-31), ainsi que de celle des dix vierges (Matth., 25, 1-13). Dans les deux paraboles, on atteste, il est vrai, un certain changement de dispositions et une prière formelle pour obtenir un changement de situation ; mais le temps des décisions est déjà passé. Le Christ ne laisse aucune possibilité d’espérance après cette décision. De même qu’il dit de luimême : « Je dois accomplir les œuvres de celui qui l’a envoyé, tant qu’il fait jour, car voici venir la nuit (la mort) où personne ne peut travailler (« la nuit vient, pendant laquelle personne ne peut travailler », Jean, 9, 4) ; de même, il exhorte ses disciples à la vigilance, à l’activité et à la persévérance (Matth., 24, 42-52 ; 25, 13. Marc 13, 33. Luc 12, 35-40). Ces exhortations sont répétées aussi par ses Apôtres (Gal. 6, 9 et ss. ; 1 Cor. 9, 24 et ss. ; 2 Cor. 5, 1-10 ; 1 Thess., 5, 2 et ss. ; 1 Pier. 1, 3-8 ; 2 Pier. 3, 10 ; Jacq., 4, 13-15 ; Apoc., 2, 10 et ss. ; 3, 3 ; 16, 15). S. Paul est particulièrement clair dans 1 Cor., 15, 24-28, où il dit que l’économie du salut est close, pour toute l’humanité, par le jugement. Toutes ces exhortations, si souvent répétées et avec tant d’insistance, n’ont de sens que si la mort, qui viendra soudain comme un voleur, doit précisément amener la décision essentielle de tout.

Les Pères. Ils se rattachent complètement à la vérité, exprimée dans le Nouveau Testament, au sujet de l’importance décisive de la mort. D’après eux, il n’est plus possible, après la mort, d’amasser les mérites. Il suffit d’entendre quelques voix. Dans la lettre dite 2ème de Clément, composée vers 130-150 (à Rome ou à Corinthe), on lit : « Tant que nous sommes dans ce monde, faisons pénitence de tout cœur, pour le mal que nous avons commis dans notre chair, afin que nous soyons sauvés par le Seigneur, pendant que nous avons le temps de faire pénitence. Car, après notre sortie du monde, nous ne pourrons plus faire une confession, ni accomplir une pénitence » (8, 3). S. Cyprien : « Quando istine recessus fuerit, nullus jam pœnitentiae locus est » (Ad Dem, 25). S. Basile : « Celui qui arrive après le combat n’est pas couronné ; et celui qui apparaît après la guerre n’est pas célébré comme brave. Il est donc manifeste qu’après la vie on ne peut pas faire d’œuvres agréables à Dieu » (Hom., 7 in divites, n. 8 : M. 31, 301). S. Jean Chrysostome : « Ici c’est le temps de la pénitence, là-bas celui du jugement »(De pœnit. Hom., 9 : M. 49, 346). S. Ambroise : « Iidem eimus qui fuimus » (De excess. Fratr., 2, 48). « Venit dies mortis, et jam nullum conversionis remedium erit » (In Ps. 118, sermo 2, 14).

Seuls, Origène et les deux Grégoire grecs font exception, en ce sens qu’ils croient à une conversion et à une purification des méchants dans l’audelà et, conséquemment admettent une modification de leur sort. Or la doctrine de l’apocatastase est essentiellement étrangère, tant au judaïsme (Bousset, 481) qu’au christianisme ; elle provient du platonisme, d’après lequel - il rejetait la résurrection corporelle – l’âme, en soi impassible, se purifie de ses fautes dans des incorporations répétées jusqu’à la pureté complète (Kroll, Doctrine d’Hermès trism., 273 et ss.) Cette doctrine fut empruntée à Origène, non seulement par S. Grégoire de Nysse, mais encore par Didyme l’Aveugle. (Bardy, Didyme l’A., 164-167). S. Jérôme le leur reproche. Ce que, dans les temps modernes, un petit nombre de catholiques, comme Hirscher, Schell, Mivart, ont admis, n’était pas l’antique apocatastase, mais une possibilité de conversion après la mort (Zahn, 107 et ss.).

Nous lisons, dans S. Jean Chrysostome, de sévères reproches adressés aux chrétiens qui étaient inconsolables, dans leurs lamentations et leur deuil, au moment des funérailles : « Je rougis (comme votre évêque), devant les païens et les hérétiques, qui voient (chez vous) de telles choses et sont véritablement autorisés à en rire » (Siglemayr, St. d. Zt (Voix du temps), 1928, p. 96). Il critique aussi la superstition des chrétiens qui croient que l’âme d’un défunt peut errer et « se changer dans la nature d’un démon » (Siglemayr, ibid., p. 97).

La Scolastique continue la doctrine de l’Écriture et des Pères, dans une forme didactique, et distingue entre l’état de voie (status viae) et l’état de terme (status termini) (Cf. t. 1er, p. 325 et ss.). Si l’on demande pourquoi l’aptitude méritoire de l’homme prend fin avec cette vie, on n’en peut trouver la raison que dans une ordonnance positive de Dieu.

L’intérêt moderne pour l’apocatastase (on disait aussi autrefois métempsycose, ensomatose, palingénésie ; on emploie d’ordinaire aujourd’hui l’expression bouddhiste réincarnation), dans notre époque avide de nouveautés et pénétrée d’idées théosophiques, s’explique d’autant mieux qu’on y voit un moyen d’échapper à la doctrine sérieuse du christianisme, sur l’importance de la mort et du jugement, et même de la supprimer. S’il reste encore, plus tard, un nombre incalculable de possibilités, ou même seulement quelques possibilités de se sauver, la légèreté humaine peut risquer de perdre une vie et jouir de la vie actuelle dans la satisfaction sans frein des passions. C’est pour cela aussi que Schleiermacher a pu introduire, dans le protestantisme, l’idée assez répandue d’une possibilité de conversion après la mort. Le protestant E. Brunner écrit, au sujet de l’apocatastase, qu’elle n’a « aucun fondement dans la Bible », qu’elle avait toujours été considérée, dans l’Église, comme une « hérésie frivole » ; mais qu’elle passe « aujourd’hui pour le propre et la caractéristique du christianisme ».

L’Église russe, elle aussi, au moins dans les croyances populaires, penche vers l’apocatastase. Zankow écrit à ce sujet : « Bien que cette doctrine (« que tout est sauvé ») ait été, dans sa formule origéniste, condamnée par le 5ème Concile œcuménique, bien peu d’orthodoxes peuvent cependant admettre tranquillement et absolument cette idée que, pendant toute l’éternité, malgré l’amour et la grâce de Dieu, il y aura des hommes damnés pour toujours et un péché éternel » (P. 61). Il y a assurément une lacune dans l’eschatologie protestante, parce que le bon sens et le sentiment moral demandent une possibilité de purification après la mort, pour ce qui n’est pas entièrement parfait ; cette lacune est comblée par la doctrine catholique du purgatoire ; et c’est pourquoi le protestant Genrich, avec beaucoup d’autres, préfère cette doctrine au bouddhisme (P. Genrich, Propagande bouddhiste moderne, 1914).

§ 211. Le jugement particulier

THÈSE. Tout homme, immédiatement après sa mort, sera jugé par Dieu, dans un jugement particulier dont la sentence sera irrévocable.      De foi.

Explication. L’Église a exprimé maintes fois, indirectement, cette doctrine de foi, en définissant que l’âme entre, immédiatement après la mort, dans sa destinée éternelle et définitive. Or cette destinée doit être précédée d’une décision judiciaire. Il y eut des idées peu claires sur le sort des âmes séparées du corps ; un certain nombre de sectes admettaient, pour ces âmes, un sommeil des âmes (psychopannychie) jusqu’à la fin du monde (nestoriens, arméniens, arminiens, sociniens, néoprotestants, quelques Pères aussi, Rosmini) ; d’autres prétendaient que l’âme meurt avec le corps et ressuscitera à la fin du monde (photiniens, anabaptistes, etc.) ; d’autres admettent une migration des âmes (métempsychose) (manichéens, priscillianistes). La profession de foi grecque, prescrite à l’empereur Michel Paléologue, contient cette doctrine, que les âmes, qui ne sont pas entièrement pures, seront purifiées après la mort dans le purgatoire (post mortem purgari), que les âmes pures entreront tout de suite au ciel (mox in cœlum recipi) et que les âmes entièrement impures descendront en enfer (mox in infernum descendere ; Denz., 464). Cette doctrine est répétée, dans le décret pour les Grecs, qui avaient, sur ce point, des idées assez peu claires (Denz., 693) et de même, dans une décision solennelle de Benoît XII (Denz., 530 sq.).

Les « Églises d’Orient » n’admettent que le jugement dernier et en sont restées au point de vue de l’eschatologie encore imprécise des Pères : mort, état intermédiaire (mais état conscient, pas de sommeil des âmes), résurrection, jugement général, paradis et enfer (Cf. Gallinicos, Catéchisme, 47 sq.).

Preuve. Dans l’Écriture, le jugement général est au premier plan. Cependant un jugement particulier est souvent indiqué, insinué, ou supposé. C’est le cas dans la parabole du mauvais riche et du pauvre Lazare (Luc, 16, 19-31). De même que le pauvre Lazare est transporté immédiatement dans le sein d’Abraham, de même le Christ dit au bon larron, sur la Croix : « Aujourd’hui même tu seras avec moi en paradis » (Luc, 23, 43). Ainsi, les paraboles, dans lesquelles le maître de maison demande des comptes à chacun de ses serviteurs, supposent la pensée du jugement particulier (Math., 18, 23-25 ; 25, 14-30. Luc, 16, 1-8 ; 19, 11-27). Bien plus, l’homme prononce déjà son propre jugement icibas, selon son attitude envers le Christ (Jean, 3, 17-19 ; 5, 24 ; 12, 31). Les justes sont déjà « consommés » (Hébr., 12, 23). « Il a été décidé que les hommes meurent une fois, et après la mort vient le jugement » (Hébr., 9, 27). Mourir et être jugé sont deux actes homogènes et personnels.

Les Pères. Au début, ils manquent de clarté dans leur doctrine au sujet du sort des morts. (Kirsch, Communion des saints, 68 sq.). Ils jugent avec certitude du sort bienheureux des Prophètes, des Apôtres et des martyrs. S. Ambroise s’en tient à l’opinion des anciens (S. Justin, S. Irénée) et croit que tous les morts restent dans l’Hadès jusqu’au jugement dernier : « Pendant que la plénitude des temps est attendue, les âmes attendent aussi le salaire mérité ; les unes attendent le châtiment, les autres la gloire et l’honneur » (De bono mortis, 10, 47 ; cf. Tert., De resurr. carn., 17, 43 ; Apol., 47 ; ps. Cyprien, De laude mart., 13). L’idée du millénium influence l’eschatologie de plusieurs témoins patristiques (Papias, Barnabé, Justin, Irénée, Methode, Apollinaire, Tertullien, Commodien, Lactance, Victorin de Pettau). S. Augustin luimême a, au début des idées millénaristes (Civ., 20, 6, 1 sq. ; 7, 2 ; 9, 1). Les millénaristes s’appuyaient sur Apoc., 20, 1-3. Le millénarisme fut combattu par Origène, les Cappadociens et surtout par S. Augustin (Tixeront, 1, 217-220). C’est S. Augustin qui déracina dogmatiquement l’ancien millénarisme et l’ébranla, en appliquant les passages concernant le millénium à l’Église de la terre et à la souveraineté spirituelle du Christ dans le monde actuel. C’est là le trait fondamental de la « Cité de Dieu ».

Néanmoins le rejet du millénium ne créait pas encore la clarté complète, car on avait de la peine à se représenter une vie d’âmes séparées du corps ou « nues ». S. Augustin estime qu’on peut, d’après la parabole de Lazare, admettre un jugement immédiat (De anima et ejus orig., 2, 4, 8 : M. 44, 498). Mais il est, de nouveau, hésitant. Même aux martyrs, il ne reconnaît, au début, qu’une petite part de la béatitude finale (parva particula promissionis : Sermo 281, 5). Dans ses Rétractations, il dit, au sujet de 1 Cor., 13, 12 : « Quels sont ces bienheureux qui se trouvent déjà dans cette possession où conduit la vie (chrétienne), « c’est une grande question ». Que les anges soient déjà là, la question ne se pose pas ; mais on se demande à bon droit, si les hommes saints, qui sont morts, sont déjà en cette possession. Il est vrai qu’ils sont délivrés du corps périssable, qui alourdit l’âme, mais, euxmêmes, ils attendent la rédemption de leur corps, et leur chair repose dans l’espérance, elle ne brille pas encore dans la récompense future » (Rétract., 1, 14, 2). On lit dans l’Enchiridion : « Mais, pendant l’espace de temps qui s’écoule entre la mort de l’homme et la résurrection dernière, les âmes se trouvent dans un séjour caché différent, selon que chaque âme est digne de repos ou de châtiment, c.àd. différent selon ce qu’elle a mérité durant sa vie dans la chair » (Ench., 109).

Gutberlet dit, avec raison, au sujet de l’ère patristique : « Un consentement des Pères, tel qu’il est nécessaire pour établir un dogme, ne peut pas être constaté. Même chez les Pères postnicéens, nous pouvons observer une grande incertitude concernant la béatitude définitive des justes défunts » (10, 399). Pohle écrit de même, en tenant compte de l’état de fait historique, que « les idées sur le sort des trépassés étaient encore assez embrouillées et peu claires » (3, 657). Cf. aussi ce qui a été dit au paragraphe 189, au sujet du sacrifice de la messe et du culte des saints, ainsi que les auteurs cités à ce propos.

A l’époque de la Scolastique, grâce surtout à l’influence de S. Grégoire le G., qui se prononce pour un jugement particulier et une sanction immédiate, les idées doctrinales, sur ce point, sont déjà arrivées à une telle clarté que S. Thomas peut en appeler au saint pape (Dial., 4, 26, 28 ; cf. 25 et 39) pour déclarer hérétique la doctrine opposée (Suppl., q. 69, a. 2). S. Thomas compare l’âme séparée du corps à un corps qui s’en va, avec une force naturelle, vers son lieu, s’il n’en est pas empêché intentionnellement. Les âmes qui ne sont pas entièrement pures, seraient, il est vrai, retenues contre leur gré dans le purgatoire. C’est ainsi que juge aussi S. Bonaventure (4 dist., 19). Jean XXII aurait donc dû (dans son enseignement privé) prendre conseil des chefs de l’École, au lieu de consulter les voix antiques et peu sûres des Pères ; il aurait ainsi évité d’être censuré par la Sorbonne (Cf. Gutberlet, 10, 385-414). Cette erreur intéresse d’autant moins l’infaillibilité pontificale que, non seulement elle fut émise privément et d’une manière très réservée, mais que, de plus, le pape luimême la désavoua. Ses autorités étaient S. Augustin et S. Bernard. Cf. l’article très documenté dans le Dict. théol., 2, 657-696 et 2, 781 sq., v. Bernard.

Quand on considère cette évolution historique, on ne trouvera pas de difficulté dans certaines expressions liturgiques (Cf. l’offertoire de la messe des Morts). Le liturgiste dom Cabrol incline justement à voir, dans cet offertoire, un « vieux texte » (La liturgie de l’Église). Cf. cidessous p. 527 sq.

L’Église grecque en est restée, jusqu’à nos jours, en ce qui concerne le sort des défunts jusqu’au jugement dernier, à l’ancien point de vue peu clair des Pères. Elle ne connaît ni jugement particulier, ni « visio beata » avant le jugement général. L’éclaircissement dogmatique, qui se fit de Jean XXII à Benoît XII, lui a manqué. Le maître grec avait écrit : « Les deux (corps et âme) reçoivent simultanément la récompense ou la peine » (S. Jean Damascène, De fid. orth., 4, 27 : M. 94, 1220). S. Jean Damascène allègue, dans ses « Sacra Parallela », le témoignage d’Hippolyte de Rome, pour prouver qu’il y a, dans l’Hadès, deux lieux souterrains, « pour les justes et les pécheurs, dans lesquels les âmes attendent la résurrection des corps » (Cf. aussi Hippolyte, Antéchrist, c. 65, 66 ; Bardenhewer, Histoire de l’ancienne litt. chrét., 2 [2è éd., 1914], 572). Au sujet de l’Église russe, Jugie (Échos d’Orient [1914], 5-22) montre qu’elle ne possède aucune doctrine ferme sur l’existence et le mode du jugement particulier, sur le moment où commence la sanction, sur l’existence d’un état intermédiaire, sur la prière pour les morts, sur l’essence de la béatitude (visio beatifica), et que les opinions des théologiens sont très divergentes sur ces matières (Cf. aussi Hergenrœther, Photius, 3, 634).

§ 212. Le ciel

A consulter : S. Thomas, S. th., 1, q. 12 ; 1, 2, q. 1-5 ; Suppl., 92-96 ; C. Gent., 3, 1-63 ; 4, 92-95 ; Opusc. de beatitudine. Lessius, de summo bono et æterna beatitudine hominis (Antverp., 1616). Suarez, De ultimo fine hominis ac beatitudine, disp. 1-15. Krawutzky, De visione beatifica (1868). Monsabré, La vie future (1890). Franzelin, De Deo uno, thes. 14-19. T. 1er, § 21.

THÈSE. Il y a un ciel ou une vie éternelle, et, dans ce ciel, les justes participent sans fin à la béatitude de Dieu.    De foi.

Explication. Les noms bibliques, pour désigner ce que la langue théologique d’aujourd’hui appelle le ciel (οὐρανός, couverture ; « cœlum », ϰοὶλον, boule creuse), sont nombreux : royaume du ciel, royaume de Dieu, vie, vie éternelle, salut, royaume, paradis, joie du Seigneur, festin de noces, banquet, etc. Toutes ces expressions permettent de conclure qu’on ne doit pas envisager le ciel comme un lieu, mais comme un état de récompense éternelle pour les justes. C’est aussi dans ce sens qu’il faut entendre les « nombreuses demeures » dans le ciel (Jean, 14, 2 sq.) ; ce sont des degrés de béatitude. Le Symbole des Apôtres et les symboles suivants confessent : Je crois à la vie éternelle (vitam æternam). L’Église n’eut pas à repousser d’hérésies sur le ciel (cf. Florent., Denz., 693) ; elle eut seulement à régler une controverse au sujet du commencement de la vision béatifique. Benoît XII a déclaré que les âmes des saints sont au ciel et contemplent « la divine essence qui se montre à eux immédiatement, sans voile, clairement et ouvertement » (divina essentia immediate se nude, clare et aperte eis ostendente) et qu’ils sont par là véritablement heureux (Denz., 530).

Preuve. L’Ancien Testament se représente Dieu comme demeurant dans un lieu déterminé, en compagnie de ses anges et de ses phalanges d’Esprits. Il n’est pas encore question de béatitude au début. Cependant, d’après le livre de la Sagesse, qui constitue le point culminant de l’eschatologie de l’Ancien Testament, les justes sont auprès de Dieu, dans la vie éternelle et la paix ; ils brillent comme des étincelles ardentes, ils sont semblables à des rois et à des juges (3, 1-8) ; ils portent des couronnes (4, 2) ; le Seigneur est leur récompense, il leur donne honneur et beauté (5, 16 sq.). D’après Daniel, les bons se réveillent à la vie éternelle et les sages brillent dans la splendeur du firmament comme des étoiles, éternellement (Dan., 12, 2 sq.).

Jésus, lui aussi, parle du ciel et de son bonheur, ordinairement en images. On y demeure comme dans la maison paternelle ; on s’y rassasie à la table de Dieu, dans la lumière et les chants de joie. Le céleste Père de famille accorde aux siens des relations illimitées avec lui et les récompense de leurs mérites. C’est ainsi qu’apparaît le ciel, dans le Sermon sur la montagne et dans les paraboles du ciel. Jésus ne pouvait parler qu’au moyen de ces images terrestres, du monde invisible de l’audelà. Une fois ou deux cependant, son discours prend un accent plus spiritualiste. La vie éternelle consiste en ce qu’ils te connaissent toi le vrai Dieu » (Jean, 17, 3). Il n’y aura plus, au ciel, de mariage et de procréation : « Ils seront comme les anges dans le ciel », par conséquent comme de purs esprits (Math., 22 30). Il écartait ainsi le millénium judéoapocalyptique.

S. Paul parle sans doute de son élévation au troisième ciel ; mais ce qu’il entendit était mystérieux (arcana verba) et on ne peut pas le répéter (2 Cor., 12, 1-4) : « L’œil n’a point vu, l’oreille n’a point entendu et cela n’est point monté au cœur de l’homme, ce que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment » (1 Cor., 2, 9). Dieu habite pour nous encore dans une « lumière inaccessible » (1 Tim., 6, 15 sq.). Le ciel est la vie éternelle auprès de Dieu (Rom., 2, 7 ; 5, 21 ;  6, 22. Gal., 6, 8. 1 Tim., 4, 8. Tit., 3, 7) et la gloire divine (Rom., 8, 18 ; Col., 1, 27 ; 1 Tim., 1, 11 ; Hébr., 2, 10). D’après S. Jean, ce que nous serons n’est pas encore manifesté : « Mais nous savons que nous lui serons semblables, quand il sera apparu ; car nous le verrons comme il est » (1 Jean, 3, 1 sq., 14). Dieu sera alors pour nous « lumière », c.àd. connaissance claire (1 Jean. 1, 5, 7) comme le soleil terrestre (Apoc., 22, 4 sq.). Le ciel est la nouvelle Jérusalem, la ville de Dieu (Apoc., 21, 1-22, 5 ; cf. 19, 7 sq. ; 14, 3 sq. ; 7, 15, 17. 1 Pier., 3, 22. Jacq., 2, 5 ; Jud., 21).

Les Pères. Eux aussi enseignent que les anges et les bienheureux mènent, au ciel, une vie de joie et de félicité. Ainsi Hermas (Vis., 2, 2 ; 4, 3), S. Polycarpe (Ad Phil., 2, 3), S. Justin (Dial., 45), S. Théophile (Ad Autol., 7), S. Irénée (A. h., 4, 28, 2 ; 5, 36, 1, 2), Tertullien (Apol., 48), S. Cyprien (Ep. 55, 20). Ils se réfèrent, pour la vision divine des bienheureux, à Math., 5, 8 ; 1 Cor., 13, 12 ; 1 Jean, 3, 2. Quelques Pères (Origène, Théodoret, Théodore de Mopsueste, peut-être aussi S. Jean Chrysostome [In Joan. hom., 15, l, 2] ; cf. Tixeront, 2, 201) ont cru, sans doute, qu’un esprit créé ne pouvait pas voir l’Esprit incréé. Mais cela est exact, en tant que l’esprit créé a besoin d’une lumière de grâce surnaturelle (lumen gloriæ), que d’ailleurs il reçoit. S. Augustin est le seul à pénétrer plus profondément dans la question. D’après lui, la béatitude consiste dans la vision de Dieu ; peut-être même que les yeux du corps glorifié prendraient part à cette vision. Il esquisse à la fin de sa Cité de Dieu, une magnifique image de la vie de l’audelà. Quand luira ce dernier jour qui n’aura pas de soir : « C’est là que nous nous reposerons et que nous verrons, que nous verrons et que nous aimerons, que nous aimerons et que nous louerons. Voilà ce qui sera à la fin sans fin » (Civ., 22, 30, 5). « Nous nous lassons de la nourriture, de la boisson, des spectacles et de tant de choses icibas ; et pourtant nous ne nous lassons pas de la bonne santé ; de même, dans le même sens, il n’y aura là jamais de lassitude due à la charité, à l’immortalité, à l’éternité. » (Morin, 29).

La Scolastique traite la béatitude comme vision de Dieu. Comme cette vision est strictement surnaturelle, les bienheureux ont besoin d’une lumière spéciale de connaissance, la « lumière de gloire ». L’expression apparaît, pour la première fois, chez S. Thomas et S. Bonaventure, et elle a été sans doute formée d’après le Ps. 35, 10 (par ta lumière nous verrons la lumière) (Cf. § 21). Le caractère surnaturel de la vision de Dieu ne doit pas cependant être entendu comme une incompatibilité entre l’homme et Dieu : « La vision ou la science des bienheureux est d’une certaine manière supérieure à la nature de l’âme raisonnable, dans le sens qu’elle ne peut y parvenir par sa propre vertu ; mais d’une autre manière elle est selon sa nature, dans le sens qu’elle en est capable naturellement, c’est-à-dire selon qu’elle a été faite à l’image de Dieu » (S. th., 3, 9, 2 ad 3). Cette « capacité » doit s’entendre comme « la puissance d’obéissance » , en vertu de laquelle l’âme reçoit en soi tout effet que Dieu veut y produire (S. th., 3, 11, 1). D’après S. Thomas, Dieu est non seulement l’auteur, mais encore la fin des créatures, surtout de la créature raisonnable, l’homme, qui doit tendre vers cette fin et la posséder avec sa faculté spirituelle la plus excellente, l’intelligence (Aristote) (C. Gent., 3, 25).

Bien entendu, cette béatitude de la « vision béatifique, » qui a son fondement primaire dans l’intelligence, retentit immédiatement dans la volonté et y allume, en même temps, un amour sans fin pour le souverain bien qu’a connu l’intelligence, et un attachement indestructible à ce souverain bien. Ainsi, la controverse des scolastiques, sur la question de savoir si la béatitude consiste formellement dans l’activité de l’intelligence (thomistes) ou dans celle de la volonté (scotistes), n’est guère qu’une dispute de mots, sans objet. « La paix de la Cité céleste consiste dans une union trèsréglée et trèsparfaite pour jouir de Dieu, et du prochain en Dieu » (Civ., 19, 13 et 17). « Il ne en faut chercher la véritable jouissance qu’en la Trinité sainte, seul bien souverain et immuable » (De doctr. Christ., 1, 31 ; cf. Scholz, Foi et incroyance, p. 197-235, appendice : La « fruitio Dei » chez S. Augustin). Il est vrai que, dans « frui », il y a la notion de jouissance. Un certain nombre de passages mystiques de l’Ancien Testament offraient cette notion pour désigner la béatitude éternelle, en tant que jouissance du divin. « Mon âme a soif de Dieu » (Ps. 41, 3). « Goûtez et voyez comme est bon le Seigneur » (Ps. 33, 9). Dieu et sa vérité deviennent la nourriture de l’âme : « Ceux qui me mangent ont encore faim, ceux qui me boivent ont encore soif » (Eccli., 24, 29). Il faut ajouter les textes du Nouveau Testament que nous a fait connaître la doctrine de la grâce et qui parlent de l’« union avec Dieu ». S. Augustin se conforme à ces idées quand il dit que la grâce, chez l’homme terrestre, est déjà une jouissance anticipée, parce qu’elle donne le goût du bien (Cf. plus haut p. 29 et 116). La grâce et la gloire sont, en effet, intimement connexes. Plus tard, dans la mystique, le « frui Deo », « goûter Dieu », a été fortement accentué. Il y a même eu, ici et là, le danger de l’opposition entre le goût de Dieu et du divin, et la connaissance, si bien que l’« union avec Dieu » menaçait de se perdre dans la sphère de la sensibilité. On découvre un caractère panthéiste dans toute fausse mystique, même dans toute mystique païenne, et surtout dans la mystique platonicienne, qui reçut de Plotin et de Porphyre, au moyen d’éléments orphiques et pythagoriciens, son développement le plus élevé. D’après cette mystique, la rédemption et la béatitude consistent dans la gnose par laquelle l’âme est divinisée. Et cela se produit ainsi : dans l’extase, elle sort d’ellemême, brise les limites de la connaissance et obtient accès jusqu’à la divinité ellemême, et elle persiste dans la contemplation (intuitio) calme et silencieuse de cette divinité ; cette contemplation a lieu d’une manière intermittente sur la terre et pour toujours au ciel, c.àd. qu’alors elle se fond dans la divinité. La mystique de S. Augustin, qui était très versé dans le néoplatonisme, était préservée de cette confusion entre l’humain et le divin par le dogme de l’immortalité personnelle. Il identifie la « vision et la contemplation de la vérité » en Dieu, avec la « jouissance du bien supérieur et vrai » (De quant. animæ, § 76 ; cf. De vita beata, 34 ; Civ., 22, 29 ; S. Bernard. De Dilig. Dom. ; Hugues de Saint Victor, De arca morali ; S. Albert, De adhærendo Deo). Il n’est pas douteux que S. Paul a mis le plus fort accent sur la charité, en tant que bien béatifique, quand il écrit : « la charité est la plus excellente [des vertus] » ; mais il n’en est pas moins vrai qu’il nomme d’abord la connaissance : « ce jourlà, nous verrons face à face » (1 Cor., 13, 12 sq.). L’amour sans connaissance est un sentiment vide de contenu. S. Thomas a donc bien raison et fait une démonstration logique quand il fait dépendre l’attachement à Dieu de la connaissance de Dieu. Il finit par les réunir comme le sujet et l’objet, quand il dit avec S. Augustin : « le bonheur est la joie que produit la vérité ; c’est-à-dire que la joie est la consommation même du bonheur » (S. th., 1, 2, 3, 4). Et ailleurs il écrit : « l’amour de Dieu vaut mieux que sa connaissance » (S. th., 1, 82, 3).

L’impeccabilité (confirmatio in bono) est un bien béatifique qui résulte immédiatement de la vision béatifique. Origène la mettait en doute, à cause de la liberté et parce qu’il était influencé par Platon. Mais la béatitude et la liberté ne peuvent pas être des antinomies, car elles sont l’une et l’autre des dons de Dieu. S. Thomas en donne l’explication suivante : l’homme est « naturellement et nécessairement porté vers sa fin dernière », parce que « l’homme ne peut pas ne pas vouloir être heureux ». Or cette « béatitude finale et parfaite », il l’a atteinte dans la « vision béatifique » ; il faut donc qu’il lui soit éternellement attaché par la nécessité de sa volonté de bonheur. Et c’est précisément une propriété de cette volonté de bonheur d’être à la fois nécessaire et libre (S. th., 1, 2, 5, 4). L’Écriture signale l’éternité de la béatitude en plusieurs endroits (Math., 25, 46. Jean, 3, 16, 36. 1 Jean, 5, 20. 2 Cor., 4, 17 sq. ; 5, 1. 1 Pier., 1, 4 ; 5, 10, etc.). S. Paul écrit avec insistance : « L’amour ne passera jamais » (1 Cor., 13, 8). La délivrance du péché entraîne celle de la souffrance, dont parle si souvent l’Écriture, par ex. Rom., 8, 21 sq. ; 1 Cor., 15, 53 sq. ; 2 Cor., 2, 1-9 ; Apoc., 14, 13 ; 21, 2 sq.

Que la béatitude, tout en étant substantiellement la même, soit cependant différente accidentellement, c.àd. comporte des degrés d’après les mérites, c’est la doctrine claire de l’Écriture et de la Tradition. Il n’est cependant pas nécessaire d’examiner ce point ici, car il se confond avec la doctrine du mérite en général (Cf. plus haut § 134 sq.).

Une augmentation de la béatitude après la résurrection est certaine ; mais on se demande comment l’expliquer. S Thomas, dans son commentaire des Sentences, se prononce pour une augmentation non seulement extensive, mais encore intensive de la béatitude ; mais, dans sa Somme, il soutient exclusivement la première : « quand l’âme reprendra son corps, il y aura accroissement de bonheur, non en intensité, mais en extension (nous jouirons par un plus grand nombre de facultés) » (S. th., 1, 2, 4, 5). Une auréole, par laquelle on doit entendre une récompense spéciale de la vocation et de l’état, est accordée aux martyrs, d’après Apoc., 7, 14 sq., aux vierges, d’après Apoc., 14, 4 sq. et aux docteurs, d’après Dan., 12, 3. S. Thomas explique très bien comment ces saints ont soutenu un triple combat contre le monde, la chair et le diable (Suppl., 96, 1-11). - La situation hiérarchique, sur la terre, n’entraîne en soi aucune récompense particulière. S. François de Sales écrit : « Dieu ne récompense pas ses serviteurs d’après la dignité de la fonction qu’ils exercent » (Lettres, éd. A. Mager, 1927, 298). Dieu ne tient compte que du travail accompli avec une intention droite ou de la souffrance patiemment supportée.

Outre le bien essentiel de la béatitude, qui est la vision béatifique, il y a aussi les joies accidentelles du ciel : les rapports avec le Christ, avec sa glorieuse Mère, avec les anges et les saints, la conscience des dangers surmontés, des victoires remportées, la délivrance de la souffrance et de toute espèce de mal, et, ce qui n’est pas le moindre, la sécurité complète dans la possession du bonheur. C’est ce que l’Écriture et le langage de l’Église appellent la « paix éternelle » (Apoc., 14, 13). Cette paix ne consiste pas du tout dans une inaction passive, mais dans une vie éternellement la même, et aussi sans cesse progressante en Dieu qui est tout pour l’âme.

Le lieu du ciel. La critique libérale prétend que c’est une question pénible et embarrassante pour la dogmatique, de désigner le lieu du ciel. Nous sommes en effet incapables de répondre à cette question. Quand Zahn écrit : « C’est pourquoi la valeur des hypothèses sur le lieu du ciel est très modeste » (L’audelà, 242), sa remarque atteint toute détermination eschatologique locale. Il n’y a pas de « topographie de l’audelà ». En tout cas, nous sommes incapables, en nous appuyant sur la Révélation, d’en établir une. De même que le Christ ne nous a pas renseignés sur le « temps et l’heure », il ne nous a rien révélé non plus sur le lieu et la situation.

Mais, objecteton, Jésus a pourtant fait ses déclarations eschatologiques en partant du point de vue de l’« antique cosmos ». Or, comme cette conception est anéantie depuis Copernic, ses déclarations ont perdu tout appui solide. « A l’endroit où les anciens les plaçaient, il n’y a pas de ciel et pas d’enfer, ou du moins pas de ciel et pas d’enfer comme les anciens se les représentaient », écrit le protestant Girgensohn (La preuve d’Écriture, 1914, 19 sq.). Et le surintendant Lubenow conseille, pour cette raison, de ne plus employer le mot « ciel » dans l’enseignement (Ce à quoi on n’est pas tenu de croire [1911], 75 sq.). Ce sont là deux voix parmi plusieurs. Déjà David Strauss disait, en raillant, qu’il n’y a plus de place au ciel pour Dieu et les saints, car nous savons que le ciel est entièrement occupé par beaucoup d’autres choses, étoiles, etc. La polémique d’Hæckel et de ses partisans monistes, en notre temps, est du même ton. On admet donc que les « anciens » entendaient le ciel comme une réalité locale et visible et plaçaient de même l’enfer dans les profondeurs de la terre. Ces « anciens » bibliques, parmi lesquels on compte le Christ et les Apôtres, et plus tard les Pères et les scolastiques, auraient été imbus de l’antique rêve du « monde à trois étages » : le ciel « en haut », l’enfer « en bas » et la terre « au milieu ». Nous n’avons pas à nous inquiéter des antiques conceptions païennes. Au reste, ces conceptions ellesmêmes ne sont pas atteintes par le reproche, comme le montre Hoppe (Foi et science, 1915) ; nous n’avons à nous occuper ici que des organes de la Révélation et, par rapport à la Révélation, le fait est que : 1° Elle ne donne pas l’image du « monde à trois étages » dont on parle et que, d’ailleurs, 2° elle ne donne aucune « doctrine » sur un audelà local ; mais bien plutôt, malgré quelques allusions rapides aux lieux de l’audelà, elle fait ressortir uniquement le bonheur ou le malheur de la vie qu’on y mène.

Dans le récit biblique de la création, il n’est question que du « ciel et de la terre » et non d’un ouvrage à « triple étage ». Plus tard, s’ajoute le Schéol. En partant de la notion de la tombe, en union avec la foi à l’immortalité, l’idée du Schéol devint celle d’un monde souterrain. On savait bien que l’âme ne demeurait pas dans la tombe, que seul le corps corruptible s’y trouvait, et on pensait à un autre lieu indéterminé, le « monde inférieur » où étaient « rassemblés tous les pères ». La Révélation laissa subsister ces conceptions vagues et peu claires, mais elle amena peu à peu Israël à croire à une vie des âmes, dont le sort est différent d’après leur bonté morale. Les bons comme les mauvais sont dans l’audelà (Hadès), mais ils ne sont pas dans la même situation extérieure. Il y a là une sanction conforme à la vie terrestre. Par là même, l’audelà se distingue nettement en deux formes. On ne doit pas, dans l’Ancien Testament, s’attacher trop étroitement au mot « ciel », qui se présente, comme dans le Nouveau Testament, avec une triple signification : 1° Le ciel matériel étoilé ; 2° La demeure de Dieu ; 3° Le séjour de l’éternelle félicité des enfants de Dieu. Cette dernière notion se trouve presque toujours dans le Nouveau Testament ; l’Ancien Testament se sert longtemps de la notion de la « nouvelle terre » et du « nouveau ciel » (Isaïe), comme lieu de sanction heureuse dans l’avenir, quand la résurrection des morts se sera produite et que le juste habitera dans la nouvelle Sion, ou bien dans le royaume messianique intermédiaire. Cependant, comme on l’a montré, le livre de la Sagesse, écrit dans la Diaspora, sait que les bienheureux sont immédiatement « dans la main de Dieu » (3, 1), « dans la paix » (3, 3), (« remplis de l’espérance de l’immortalité » (3, 4), que « leur Seigneur sera roi dans l’éternité » (3, 8) et qu’« il les a mis en sûreté » (4, 7) ; il sait que les impies « seront parmi les morts, dans l’opprobre à jamais » (4, 19). Au jour du jugement, les bons et les mauvais seront debout les uns en face des autres ; alors les bons sont comptés parmi les enfants de Dieu et leur part est parmi les saints » (5, 5) : « Mais les justes vivent éternellement et leur récompense est auprès du Seigneur et le ToutPuissant a souci d’eux. C’est pourquoi ils recevront de la main du Seigneur le magnifique royaume et le splendide diadème » (5, 15 sq.). Dans toute cette description, tout indique un état de l’audelà plutôt qu’une localisation de l’audelà.

Les apocryphes juifs postérieurs se sont intéressés, d’une manière surprenante, à la détermination locale de l’audelà et ils apportent, dans leurs descriptions fantastiques, une telle sûreté qu’on les croirait témoins oculaires (Couard, Apocryphes, § 34).

Jésus, par contre, ne témoigne absolument aucun intérêt à toutes ces représentations courantes chez son peuple. Assurément, il mentionne le ciel et l’enfer, en se servant des tournures et des comparaisons les plus variées ; mais si on veut en conclure à une localisation, on est toujours déçu. Il insiste uniquement sur l’état moral qui doit nous rendre dignes du ciel et sur ce que nous appelons la béatitude céleste. Les descriptions de l’état de béatitude sont chez lui d’un contenu très riche ; les précisions sur le lieu, vides et pauvres. En tout cas, on ne trouve rien, chez lui, de l’image du « monde à triple étage ». C’est ce que reconnaissait déjà S. Augustin : « Il n’est pas dit dans l’Évangile : Je vous envoie l’EspritSaint pour vous enseigner le cours des astres ; c’était des chrétiens qu’il s’agissait de faire, non des cosmologistes » (De act. c. Fel. Man., 1, 10. M. 42, 525). Sans doute, le Christ dit, dans le quatrième évangile, qu’il est venu « d’enhaut », d’auprès du « Père », et que ses auditeurs sont « d’enbas », de la terre ; mais, de l’avis général, ces expressions, précisément dans le quatrième évangile, ont un sens non pas local et physique, mais religieux et moral. « Car nul n’est monté au ciel sinon celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme » (Jean, 3, 13) ; « Dieu est Esprit » (Jean, 4, 24). Le Christ n’a pas besoin de monter physiquement ; il voit le Père partout et toujours et fait toujours ce qu’il lui voit faire (Jean, 3, 11 ; 5, 19, etc.). Ce n’est pas sur les représentations locales qu’il insiste, mais sur les spirituelles : vie éternelle, royaume de Dieu, royaume du ciel, joie du Seigneur, vision de Dieu, connaissance de Dieu, etc. Quand, une fois ou deux, on rencontre chez lui une expression de couleur locale, comme paradis (Luc, 23, 43 ; cf. 2 Cor., 12, 14) et « sein d’Abraham » (Luc, 16, 22), on reconnaît tout de suite que c’est une manière de parler biblique.

Les Apôtres, sur ce point, ont suivi fidèlement les traces du Maître. S. Paul parle une fois, en s’accommodant à la conception populaire d’alors, du « troisième ciel » (2 Cor., 12, 2 sq.) ; mais il est visible qu’il n’y insiste pas. Dieu, d’après lui, habite dans une lumière inaccessible (1 Tim., 6, 16). Quant à la béatitude, il la décrit d’une manière négative : aucun sens humain n’a perçu ce que Dieu a préparé aux siens (1 Cor., 2, 9). La chair et le sang n’hériteront pas du royaume des cieux, comme le pensaient les apocryphes juifs. La corporalité ellemême doit d’abord être spiritualisée (1 Cor., 15, 50-53).

Le ciel et la terre sont donc considérés, dans la Bible et surtout dans le Nouveau Testament qui s’exprime clairement, du seul point de vue de leur importance religieuse, comme œuvre de Dieu, et non du point de vue physique ou astronomique. Dieu, pour parler comme Schanz, n’apparaît pas comme un Dieu « à qui on cherche une habitation » pour l’audelà ; car l’esprit et la matière ne sont pas identiques et l’espace et le temps ne sont pas des notions prédominantes (Rev. de Tub., 1877, 636 sq.).

Les Pères parlent avec un grand enthousiasme de la béatitude du ciel, mais avec une indifférence aussi grande au sujet du lieu. La phrase « est monté au ciel, est assis à la droite de Dieu » du Symbole des Apôtres n’a jamais été l’objet d’aucune recherche curieuse, mais purement et simplement l’objet de la foi. Le Christ était « monté au ciel », mais un nuage l’avait dérobé aux regards des disciples (Act. Ap., 1, 9) et l’on se contenta de cela. Et pourtant les « voyages au ciel », que présentaient les anciens apocryphes, pouvaient offrir aux Apôtres et aux Pères une vaste matière pour développer des rêveries fantastiques analogues. Ils ne l’ont pas fait, bien qu’on ait voulu voir quelque chose de semblable chez S. Paul (Phil., 2, 9 sq.).

D’où vient l’idée que les scolastiques se sont faite du « ciel de feu » (empyrée) des élus de Dieu ? De l’antique philosophie naturelle, d’où elle a passé plus tard dans quelques rares écrits patristiques. Mais ils savent très bien que ce n’est qu’une notion philosophique auxiliaire : « le ciel empyrée n’est admis que par Strabus, l’auteur de la glose, le vénérable Bède et saint Basile » (S. th., 1, 66, 3). Mais S. Thomas signale immédiatement l’imprécision et le désaccord de ces trois autorités et essaie de les concilier. Le ciel de feu est donc une théorie astronomique qui est appréciée comme telle par les scolastiques, mais qui n’a aucun caractère dogmatique. Cajetan la rejette déjà complètement : « On ne le trouve nulle part dans les Écritures » (Comm. in 2 Cor., c. 13). S. Thomas l’a encore admise : « c’est ce corps qu’on appelle empyrée, ou ciel de feu, non parce qu’il a la chaleur du feu, mais parce qu’il en a tout l’éclat » (S. th., 1, 66, 3). Ce ciel s’appelle aussi « intellectuel » parce que « il n’est pas soumis à nos regards, mais il est saisi seulement par l’intelligence » (2 Sent., 2, 1, 1 ad. 1).

On a cherché davantage à localiser l’enfer. S. Grégoire le G., dans ses célèbres dialogues écrits pour le peuple (4, 35), voit, dans les cratères des volcans, les bouches effroyables de l’enfer. Dieu voudrait par là donner aux incrédules une preuve visible de l’existence de l’enfer. Après lui, on parle souvent de ces portes de l’enfer et on présume que l’enfer se trouve à l’intérieur de la terre ; ce que S. Augustin avait déjà admis d’une certaine manière. Cependant S. Thomas le cite le premier parmi les autorités qui attestent que personne ne peut savoir le lieu de l’enfer, à moins d’une révélation spéciale ; c’est d’ailleurs ce que S. Grégoire le G. a avoué. S. Thomas indique encore d’autres opinions et se prononce finalement pour l’intérieur de la terre (Suppl., q. 97, a. 7). Ainsi donc, même à cette époque où l’on croyait facilement aux visions et aux révélations privées (S. Grég., Dial., 4, 36), on se montrait réservé dans ses affirmations. Aucun de ces grands docteurs ne déclare qu’il a reçu cette doctrine, ni S. Augustin, ni S. Grégoire, ni S. Thomas. On se contente de présomptions, parce qu’on se figure qu’il faut unir à la notion d’enfer une représentation locale. Même un eschatologue, comme S. Grégoire, écrit : Où est l’enfer, je n’ose pas me prononcer légèrement à ce sujet » (Dial., 4, 42).

Après cet aperçu, on est obligé de conclure que la prétendue « image du monde à trois étages » de la Bible, des Pères et de la Scolastique, sur laquelle reposerait toute l’eschatologie dogmatique, est une construction téméraire de la critique, qui poursuit le but de mettre en opposition la foi et la science, c.-ad. d’enlever tout crédit à la foi. Or, d’après la foi, le ciel est là où l’âme jouit de sa béatitude ; cette béatitude consiste dans la vision de Dieu ou dans la participation à l’Être et à la Vie de Dieu. L’exclusion de cette béatitude est la damnation éternelle. Ces deux notions sont des notions d’état, pour lesquelles, il est vrai, on emploie aussi les expressions locales courantes de ciel et d’enfer. Ce n’est jamais sur ces expressions locales qu’on a mis l’accent ; on na pas insisté sur la localisation du ciel, quand ce ne serait qu’en raison de l’omniprésence de Dieu ; on aurait plutôt parlé de la localisation de l’enfer, parce que l’enfer et ses habitants sont des créatures. Mais jamais les auteurs considérés et influents n’ont dépassé les présomptions. On ne doit pas rendre la dogmatique responsable des représentations légendaires. On n’a jamais pu refréner entièrement la curiosité des apocryphes, mais la foi sérieuse, comme l’enseignent déjà expressément les Pères, envisagera, à propos du ciel, non le lieu mais le chemin qui y mène ; à propos de l’enfer, non l’abîme local mais le danger d’y tomber. Le second point de vue est une donnée accessible à notre jugement ; le premier est quelque chose de caché et d’ailleurs sans importance.

§ 213. L’enfer

A consulter : Cordemoy, L’éternité des peines de l’enfer (Paris, 1697). Pelletier, Traité des récompenses et des peines éternelles (Paris, 1738). Patuzzi, De futuro impiorum statu (Veron., 1748). Carle, Du dogme catholique sur l’enfer (Paris, 1842). Passaglia, De æternitate pœnarum inferni deque igne inferno commentarius (1854). Schmid, Quæstiones selecte (1891), 145 sq. Tournelize, Opinions du jour sur les peines d’outretombe : Feu métaphorique, universalisme, conditionalisme, mitigation (1899). Lehaut, L’éternité des peines de l’enfer (1911) (d’après S. Augustin).

THÈSE. Il y a dans l’audelà un état de châtiment, dans lequel les méchants, détournés de Dieu, reçoivent leur sanction éternelle.   De foi.

Au mot enfer correspondent les noms bibliques : Hadès, Tartare, Schéol, Géhenne, perdition, mort. La Scolastique distingue, en se rattachant aux Pères, plusieurs enfers, qu’elle se représente localement comme lieux de séjours (receptacula) des âmes séparées du corps : l’enfer proprement dit (infernum), le pré-enfer ou limbes des enfants non baptisés (limbus puerorum), les limbes des anciens pères (l. Patrum) et le purgatoire (purgatorium). Il s’agit ici de l’état de châtiment ou séjour des damnés. Ce qui a été exprimé dogmatiquement, c’est l’existence et l’éternité de l’enfer. Le Symbole de S. Athanase s’achève ainsi : « Mais les mauvais iront au feu éternel (in ignem æternum : Denz., 40). Le 4ème Concile de Latran déclare que les mauvais « recevront le châtiment éternel (pœnam perpetuam) avec le diable » (Denz., 429). Le Concile de Trente suppose le « châtiment éternel » (pœna æterna) (S. 6, can. 25 : Denz., 835 ; cf. Denz., Index). Les adversaires de l’enfer sont aujourd’hui innombrables. Ils rejettent soit son existence ellemême, soit au moins son éternité. Plusieurs l’écartent en admettant l’apocatastase [restauration en Dieu de tout ce qu’il a créé dans son état de bonté originelle].

Preuve. Sans doute, l’Ancien Testament, au commencement, contient peu de précisions ou même pas de précisions du tout sur l’enfer, comme sur les questions eschatologiques en général ; mais le judaïsme d’après l’exil témoigne un vif intérêt pour les choses qui concernent la sanction personnelle. Seuls les Sadducéens se montrent sceptiques à cet égard (Act. Ap., 23, 6-8). On ne peut pas tirer grandchose ici de l’antique conception juive du Schéol, dans lequel on se représente, au début, tous les morts, sans exception, menant une triste vie d’ombres, en tant que « refaïm ». On ne peut pas s’appuyer non plus sur la plainte désolée des morts qui, dans le monde inférieur, n’aperçoivent que peu de points lumineux (Job, 10, 21 sq. ; Ps. 93, 17 ; 113, 17, etc.). Mais, plus tard, la Révélation est plus précise surtout dans le livre de la Sagesse. Les mauvais sont « dans la honte, chez les morts, éternellement... ils seront plongés dans la douleur et leur mémoire s’éteindra » (4, 18, 19 ; cf. 3, 1, 18 ; 4, 20 ; 6, 5-7). Les aumônes délivrent « de la mort », « des ténèbres » (Tob., 4, 11 ; 12, 9). Le Seigneur « livrera leur chair au feu et aux vers, afin qu’ils soient brûlés et éprouvent (ce supplice) éternellement » (Judt., 16, 20 s.). D’après Daniel, « beaucoup de ceux qui dorment dans la poussière se réveilleront, les uns pour une vie éternelle, les autres pour une infamie éternelle » (Dan., 12, 2).

Jésus répète cette doctrine, comme l’avait déjà fait son Précurseur (Math., 3, 12), et la confirme. Il appelle l’enfer « géhenne de feu » (Math., 5, 22 ; cf. Jér., 7, 31-34 ; Is., 66, 24 ; 4 Rois, 23, 10) ; « géhenne, le feu inextinguible, où leur ver ne meurt pas où le feu ne s’éteint pas » (Marc, 9, 42-47), une géhenne où Dieu peut jeter celui qu’il a le pouvoir de tuer (Luc, 12, 5), où « il peut précipiter le corps et l’âme » (Math., 10, 28), où demeurent les « enfants de l’enfer » (Math., 23, 15) sur lesquels a été prononcée une « sentence d’enfer » (Math., 23, 33). Au sujet de l’état de châtiment en enfer, le Christ dit qu’il y aura là « des lamentations et des grincements de dents » (Luc, 13, 28) et qu’il y règne la « perdition » (Math., 7, 13 ; Jean, 17, 12), « les ténèbres avec lamentations et grincements de dents » (Math., 22, 13 ; 25, 30), le « tourment dans les flammes » (Luc, 16, 24) ; par suite, c’est une « géhenne de feu » (Math., 5, 22). Cependant le tourment est inégal : celui qui aura péché consciemment « recevra un grand nombre de coups » (Luc, 12, 47). La rigueur sera moins grande en enfer pour Sodome que pour les Juifs incrédules (Math., 10, 15).

Cet état de châtiment est éternel. Il y a là un « feu éternel » (Math., 18, 8 ; 25, 41), un « supplice éternel » (Math., 25, 41, 46), un « feu inextinguible » (Math., 3, 12 ; Marc, 9, 42, 44 ; Luc, 3, 17). Mieux vaudrait l’anéantissement complet que ce châtiment (Marc, 14, 21). A ce châtiment éternel correspond un péché éternel irrémissible (Math., 12, 32).

Les Apôtres exposent la même doctrine. Chacun reçoit au jugement selon ses œuvres (2 Cor., 5, 10). Les querelleurs, les ennemis de la vérité et les injustes sont atteints par le « courroux et l’indignation de Dieu », « tribulation et angoisse sur tout homme qui fait le mal » (Rom., 2, 5-9). Le Seigneur viendra « au milieu d’une flamme de feu pour faire justice de ceux qui ne connaissent pas Dieu et de ceux qui n’obéissent pas à l’Évangile de NotreSeigneur JésusChrist. Ils subiront la peine d’une perdition éternelle méritée, loin de la face du Seigneur » (2 Thess., 1, 7-9). S. Paul décrit le sort des damnés d’une manière plutôt négative, comme privation de la vie (Rom., 6, 21-23 ; Phil., 3, 19 ; Gal., 6, 8). Le feu « dévorera » (Hébr., 10, 27 ; cf. 10, 31, 39). D’après S. Pierre, les mauvais anges et les mauvais hommes sont « réservés pour le jour du jugement » (2 Pier., 2, 4-8). « Que deviendra alors l’impie et le pécheur ? » (1 Pier., 4, 18). Il en sera d’eux comme de Sodome et de Gomorrhe (2 Pier., 2, 6). « Ils souffrent les peines du feu éternel » (Jud., 6-7). Leur perdition est, d’après S. Jean, une « seconde mort », (Apoc., 20, 6). Ils seront « tourmentés nuit et jour » avec les diables (Apoc., 20, 9 sq). ; « leur part est dans l’étang ardent de feu et de soufre ; c’est la seconde mort » (Apoc., 21, 8 ; cf. 22, 15).

Il est donc établi, d’après la doctrine du Christ et des Apôtres, qu’il y a un enfer, qu’il y a un état de châtiment pour les méchants et que les peines y sont sans fin, éternelles ; mais qu’elles sont inégales, conformément à la faute.

Les Pères. Après des textes d’Écriture si clairs, il n’est pas nécessaire d’entendre les Pères au sujet de l’existence de l’enfer ou d’un état de châtiment. Pas un seul Père n’est d’avis différent. Il y a des difficultés, chez certains Pères, au sujet de l’éternité de l’enfer. D’après les Alexandrins, toute peine venant de Dieu est médicinale et corrective. C’est pourquoi Origène admet la rédemption finale de tous les mauvais, même des diables. S. Grégoire de Nysse se rattache à eux et S. Grégoire de Naz. luimême penche vers cette doctrine. S. Jean Chrysostome, S. Cyrille de Jérusalem et même S. Augustin prétendent qu’en raison des bonnes œuvres des vivants les damnés peuvent recevoir une « certaine consolation ». D’après S. Ambroise et S. Jérôme, la plupart des chrétiens seront sauvés à la fin ; mais tous, d’après S. Ambroise, doivent passer à travers le feu du jugement (cf. 1 Cor., 3, 15), même le Christ, les Apôtres et tous les saints (Tixeront, 2, 343 sq. ; Schwane, 2, 585).

Au temps de S. Augustin, il y avait, dans l’Église, beaucoup de « miséricordieux », qui prétendaient que, sinon tous les hommes mauvais, du moins tous ceux qui croient au Christ seraient entièrement purifiés en enfer par des peines et des instructions. S. Augustin les combat énergiquement, comme nous le verrons plus loin. Il reste fermement attaché, comme la plupart des Pères, à l’éternité de l’enfer pour les méchants, même pour les chrétiens, quand leur foi est vide et stérile. Quant à un adoucissement des peines en raison des bonnes œuvres des vivants, il ne veut pas le contester (Ench., 112 ; Civ., 21, 24, 3). Il consacre à ces questions les deux derniers livres de sa Cité de Dieu, ainsi que les derniers chapitres de son Enchiridion. Sur certains points, il est encore hésitant, par ex. sur le châtiment complet des méchants avant la résurrection. Pour les paroles de S. Paul sur ceux qui seront sauvés par le feu, il ne les rapporte pas à l’enfer ni au feu du jugement, mais au purgatoire.

S. Grégoire le G. a traité les questions eschatologiques d’une manière si complète que la Scolastique lui a attribué une révélation spéciale à ce sujet. Il affirme nettement l’éternité de l’enfer. Celui que le péché a amené à l’éternelle peine, la miséricorde ne le ramène pas au pardon (Moral., 8, 17). Aucune mort ne tue les maudits et ne les délivre de leur tourment (Ibid., 15, 17). Avec S. Augustin, il objecte aux « miséricordieux » que, si l’enfer a une fin, il faut aussi que le ciel en ait une ; car, au sujet de l’un et de l’autre, le Seigneur emploie les mêmes expressions de durée (Dial., 4, 28). Si la menace n’est pas vraie, la promesse non plus ne l’est pas. Si la fausse menace n’a d’autre but que de détourner les méchants du mal, la fausse promesse n’en a d’autre que d’attirer les bons au bien ; or personne n’admettra cette seconde hypothèse ; il faut donc rejeter la première. Mais, objecteraton, un péché temporel et une peine éternelle, c’est une contradiction interne. Réponse : Les méchants pèchent jusqu’à la fin de leur vie et pécheraient éternellement dans le monde. Or celui qui veut pécher éternellement doit être éternellement puni. - Mais le châtiment est sans but quand il ne corrige pas ; estce que Dieu prend plaisir à un tourment vide et stérile ? Assurément non : le but se trouve dans la justice divine qui doit châtier le mal. - Estce que les saints ne prient pas pour les damnés, afin qu’ils se convertissent et soient sauvés ? Ce serait inutile, car les damnés ne peuvent plus se convertir ; en outre, les saints sont un avec Dieu ; ils ne veulent que ce qu’il veut et ont horreur de ce qui lui fait horreur (Moral., 34, 19 ; Dial., 4, 44).

Le feu de l’enfer est considéré par S. Grégoire comme un feu corporel et il cherche à expliquer comment il est possible qu’un esprit puisse être torturé par un feu matériel (Dial., 4, 29). Mais, en considération de l’Écriture, il doit avouer que c’est un feu d’un genre particulier ; il brûle, mais ne consume pas ; il éclaire et chauffe et pourtant il y a en enfer des lamentations et des grincements de dents, la nuit et les ténèbres (Moral., 9, 65). Il est vrai qu’il décrit aussi abondamment tous les aspects des tourments spirituels ; les damnés voient le bonheur des bienheureux, le châtiment des mauvais que, sur la terre, ils ont aimés au mépris de Dieu (Dial., 4, 33 ; Moral., 8, 14 ; 9, 66) ; ces deux spectacles augmentent leur malheur, ainsi que ce fait décisif qu’ils n’ont aucune espèce d’espérance, même pas l’espérance illusoire, fausse, qui donne, malgré tout, un peu de consolation (Ibid., 8, 14). Les diables et les hommes subissent le même châtiment, bien qu’ils soient d’une nature différente (Ibid., 9, 66). Cependant le degré de peine est différent, car il correspond toujours à la faute. Aux nombreuses demeures du ciel correspondent les nombreuses demeures de l’enfer ; et toujours conformément à la justice (Ibid., 9, 65 ; 15, 18, 26).

La Scolastique, dans ces questions, a moins suivi S. Augustin, qui est souvent encore indécis, que S. Grégoire, « auquel le SaintEsprit a révélé tant de choses ». Il est désormais le témoin principal et presque unique pour le « feu corporel » (S. Bonaventure, 4, dist. 44, p. 2, a. 2, q. 1). Alexandre, S. Bonaventure, S. Albert, considèrent S. Augustin comme un partisan du « feu spirituel », parce qu’il n’a pas encore reçu de révélation divine à ce sujet, tandis que S. Grégoire en a reçu une. S. Thomas, par contre, essaie de ranger S. Augustin parmi les partisans du feu corporel, mais son autorité principale ici est encore S. Grégoire, comme pour tous les scolastiques (Suppl., q. 97, a. 5).

Le double caractère des peines de l’enfer. De même qu’il y a dans le péché mortel un double élément, l’aversion de Dieu notre fin dernière et l’attachement à la créature, les scolastiques distinguent aussi une double peine de l’enfer : une peine négative et une peine positive ; ou bien la peine de la perte de la vision de Dieu et la peine des sens par la créature (S. th., 1, 2, 87, 4 ; 2, 2, 79, 4 ad 4 ; C. Gent., 3, 145 ; 4, 90). La peine du dam demeure, comme aussi chez les Pères, la peine principale. Par rapport à la peine du sens, il y a un problème à résoudre, celui de savoir comment un feu corporel peut « brûler », des esprits mauvais incorporels, comme les démons, pour lesquels il a d’abord été préparé (Math., 25, 41), et les âmes des hommes, surtout avant la résurrection. Un certain nombre de Pères entendent le feu métaphoriquement, au sens d’une douleur spirituelle. Ainsi pense Origène et il est suivi sur ce point par S. Grégoire de Nysse (De anim. et resurr. : M. 46, 67 sq.), S. Ambroise (In Luc, 7, 205 : M. 15, 1754), S. Jérôme (In Is., 18, 66, 24 : M. 24, 676 sq.), S. Jean Damascène (De fide orth., 4, 27 : M. 94, 1228, Cf. Petau, De Angelis, 3, 5). S. Augustin estime que personne ne peut rien savoir sur la nature du feu de l’enfer sans une révélation divine (Civ., 20, 16). S. Grégoire le G. a tenté en vain de résoudre le problème ; il en revient finalement à la parabole du mauvais riche qui s’écrie : je suis torturé dans cette flamme. Il avait aussi remarqué que le fait d’être entouré de ce feu que l’œil perçoit, « brûle » l’âme, c.àd. sans doute, la rend triste et tourmentée (Dial., 4, 29). Cela se ramènerait à une hallucination. S. Thomas (Suppl., q. 97, a. 5) attribue aussi cette opinion à S. Augustin et à Avicenne et n’est pas loin de l’admettre luimême. Il énumère d’abord une série d’opinions à ce sujet : 1° La simple vue du feu fait souffrir l’âme, c’est ce que pense S. Grégoire (Dial., 4, 29) ; 2° L’âme s’imagine qu’elle brûle, elle a par conséquent de la crainte et de la douleur, alors qu’il n’y a pas de raison réelle d’en avoir ; 3° Dieu peut toucher l’âme avec le feu comme avec un instrument, comme il la touche avec les sacrements. Mais, répond S. Thomas, cela n’est pas possible quand l’instrument n’a pas déjà par luimême une certaine aptitude à cela, et cette aptitude n’existe pas ici ; 4° C’est pourquoi le feu ne peut tourmenter l’âme que lorsque, d’une manière ou d’une autre, il l’appesantit (Sag., 9, 15). Dieu soumet l’âme au feu corporel, afin qu’il la maintienne, la lie à un lieu déterminé et l’empêche d’exercer sa propre volonté. Cette attache (ligatio) que l’âme supporte malgré elle, la désespère et la tourmente (Suppl., q. 70, a. 3). Comme S. Thomas déclare plus tard expressément que le feu ne modifie aucunement le corps de l’homme, mais n’agit que spirituellement en remplissant l’âme de tristesse, son explication revient finalement à dire que le feu matériel cause une douleur spirituelle. Ainsi il peut également enseigner que les damnés « passent de la plus violente chaleur au froid le plus violent », parce que le corps luimême n’est pas modifié (Suppl., q. 97, a. 1). Le « ver » est une expression métaphorique et non corporelle ; car les bêtes ne sont pas éternelles (Ibid., 8, 2). De même les larmes ne sont pas réelles mais signifient le trouble de la tête et des yeux (Ibid., a. 3). Les ténèbres règnent dans les enfers, mais il y a assez de lumière pour que les damnés voient leur honte et leur infamie (Ibid., a. 4). Le feu de l’enfer, en tant que tel, est donc, de sa nature, semblable au feu terrestre, mais il a cependant ses propriétés particulières : il n’a pas besoin d’être allumé et entretenu. Nous ne savons pas dans quelle matière il brûle (Ibid., a. 6). S. Thomas présume avec S. Grégoire le G., que le lieu de l’enfer se trouve à l’intérieur de la terre (Ibid., a. 7). Cf. plus haut p. 517.

La théologie postérieure a encore fait de nombreux efforts pour essayer d’expliquer d’une manière plus précise le tourment du feu. D’après quelquesuns, le feu rend l’âme laide et horrible, par opposition à la beauté céleste (Suarez, etc.). D’après Franz Schmid, la douleur est celle que fait éprouver une brûlure physique (Quæstiones selectæ). Gutberlet se rattache à lui et essaie de démontrer, par de savantes considérations de science naturelle, la possibilité de cette douleur (10, 534). Il est difficile d’affirmer que ces explications nouvelles soient préférables à celles des scolastiques. Peut-être vaut il encore mieux reconnaître, avec S. Augustin et S. Thomas, que nous ne savons rien de la nature de ce feu et que, par conséquent, nous ne pouvons pas dire comment cette « brûlure » peut tourmenter des esprits. Qu’on insiste donc davantage, avec S. Thomas, sur la peine du dam. Cette perte de Dieu doit être pour l’âme, une peine d’autant plus épouvantable que son unique tendance sera alors d’être unie à Dieu, qui est son unique fin et le restera éternellement. Cette fin, pendant toute l’éternité, elle ne pourra l’atteindre, et cela par sa propre faute. La parole d’Hugues de SaintVictor : « La source de toutes les douleurs réside dans la terreur » (De Sacram., 2, 16) est loin d’être aussi profonde que celle de S. Augustin : « il faut répondre à ceux qui demandent pourquoi les uns sont heureux : c’est qu’ils sont unis à Dieu, et à ceux qui veulent savoir pourquoi les autres sont malheureux : c’est qu’ils sont séparés de Dieu » (Civ., 12, 1, 2 ; cf. S. Thomas, Comp. théol., 174 ; Dict. théol., 4, 9 sq.).

La théodicée de l’enfer est fournie par l’Apologétique. On ne songera pas sérieusement à donner une preuve positive de raison. Mais les indications de l’Écriture suffisent. L’éternité des peines a certes quelque chose d’obscur. Mais il est un point auquel il faut tenir fermement dans l’explication : même par rapport à l’enfer, Dieu reste saint et juste. S’il veut l’enfer, c’est uniquement parce qu’il ne veut pas le péché. Le péché est le premier, l’enfer le second. Si le péché cessait, l’enfer cesserait. Or le péché demeure l’acte libre perpétuel, éternel de l’homme. Il en est de même de sa conséquence. Shell essaie de rendre l’enfer plausible comme « damnation par soimême » et Gutberlet dit, avec raison, que « cette pensée peut prétendre à un assentiment général » (Phil. Jahrb. [Ann. Phil.], 1919, 122). C’est là la chose la plus importante qu on puisse dire, icibas, sur le « mystère de l’iniquité » (2 Thess., 2, 7) ; mais nous pouvons avoir la ferme assurance que la lumière de l’audelà répandra sa clarté même sur l’enfer et son problème, et que, par rapport à lui, nous pourrons chanter la justice de Dieu, comme le fait le psalmiste (Ps. 50, 6) et comme le répète S. Paul (Rom., 3, 4).

S. Augustin a déjà, dans son temps, répondu aux objections qu’on élevait contre l’éternité de l’enfer et il l’a fait d’une manière si complète que ses successeurs n’ont rien pu dire d’important qu’il n’ait déjà dit avant eux. Il y avait alors, soit à l’intérieur de l’Église, soit du côté des philosophes, trois classes d’adversaires des peines de l’enfer : 1° Les origénistes ; 2° Ceux qu’on appelait les « miséricordieux » ; 3° Les philosophes incrédules. Les origénistes enseignaient l’apocatastase de tous ; nous avons déjà parlé d’eux. La source de leur erreur était Platon, d’après qui tout châtiment a pour but l’amélioration. Les âmes qui sont emprisonnées dans les corps, en punition de leurs fautes, doivent accomplir leur circuit pour retourner à Dieu, leur point de départ. Les « Miséricordieux » sont des auteurs ecclésiastiques anonymes, dont les théories semblent avoir trouvé une assez grande diffusion (S. Ambroise ? S. Jérôme ? Cf. Lehaut, 24-40). Ils nient l’éternité de l’enfer en s’appuyant sur certains passages de l’Écriture, dans lesquels on célèbre la miséricorde de Dieu comme infinie, éternelle, grande et universelle : ce qui serait incompatible avec l’enfer. Les philosophes (Celse, Porphyre, Julien, etc.) s’appuyaient sur des arguments physiques et moraux : un feu brûlant éternellement est une impossibilité physique ; une punition éternelle pour une faute transitoire est une injustice ; en outre, il faut que toute peine ait pour but l’amélioration, pour être raisonnable. On ne peut pas dire que les adversaires postérieurs aient ajouté quoi que ce soit d’essentiellement nouveau aux arguments de ces antiques adversaires. Que leur a répondu S. Augustin ?

Aux origénistes il oppose des passages clairs de la Bible, dans lesquels une seule et même phrase présente la récompense des bons et le châtiment des mauvais comme « éternels » (par ex. : Math., 25, 46). Estce que ces paroles seraient vraies par rapport aux bons et fausses par rapport aux mauvais ? « Les deux choses sont corrélatives : d’un côté, le supplice éternel, de l’autre, la vie éternelle ». Or dire : « la vie éternelle n’aura point de fin, et le supplice éternel en aura une, est absurde » (Civ., 21, 23 ; Sermon 22, 10). Au reste, l’origénisme est une hérésie : « Quel Chrétien Catholique, instruit ou peu instruit, ne serait pas saisi d’horreur par ce qu’Origène appelle la purification des démons ? » (De hær., 43 : M. 42, 34). « L’Église catholique n’a jamais accepté ce dogme »  (ibid). Nous n’enseignons pas cela par haine contre les diables, « mais nous ne devons pas avoir la présomption de rien ajouter à la sentence définitive du Juge suprême et trèsvéridique » (Lettre à Orose, 5 : M. 42, 672). Ce sont là des paroles pondérées. Quand le Juge suprême et véritable a prononcé son dernier jugement, il ne nous appartient pas d’y modifier quelque chose, de notre propre autorité, d’après nos sentiments subjectifs.

Les « miséricordieux » peuvent assurément se référer à maint texte de l’Écriture ; mais ces textes se rapportent à la vie présente et ne sont pas absolus, autrement ce serait la destruction du jugement et de ses effets. Dieu a dit clairement, par la bouche de S. Paul : « Ne vous y trompez pas : ni les débauchés, les idolâtres, les adultères,... aucun de ceuxlà ne recevra le royaume de Dieu en héritage » (1 Cor., 6, 9 ; cf. Eph., 5, 5). Or cela a été dit aux chrétiens euxmêmes et non seulement aux païens (De octo Dulc. quæst., 1, 14 : M. 40, 156). Les nombreux textes sur la miséricorde divine se rapportent sans exception à la vie présente, pas un seul ne se rapporte à l’enfer. S. Thomas explique : « Dieu aime faire éprouver à tous sa miséricorde » (Cf. Rom., 11, 32). « Mais l’exercice de cette miséricorde devant être réglé par l’ordre de sa sagesse, il doit la refuser à ceux qui s’en sont rendus indignes, tels que les démons et les damnés, à cause de leur obstination dans la malice » (Suppl., q. 99, a 2 ad 1).

Pour ce qui est des philosophes, S. Augustin répond à l’argument de la physique : Nous ne connaissons pas la nature du corps ressuscité, ni celle du feu de l’enfer : « L’argumentation de nos adversaires se réduit à prétendre que ce qu’ils n’ont point expérimenté est impossible » (Civ., 21, 3, 1). Il apporte ensuite l’exemple, d’ailleurs fabuleux, de la salamandre (ibid., 21, 4) et, pour prouver l’existence d’un feu qui brûle toujours, il rappelle les volcans d’Italie (ibid.) ; mais il invoque enfin la raison décisive : la toutepuissance de Dieu, qui peut opérer ce que nous ne comprenons pas. Dieu est l’auteur des choses naturelles : il est donc le maître de leur essence et de leur opération. « Quelle raison meilleure et plus concluante pouvonsnous indiquer qu’en déclarant que le ToutPuissant peut faire cela et qu’en disant qu’il fera ce dont nous lisons dans l’Écriture qu’il l’a annoncé auparavant ? » (Ibid., 21, 7). « Comment appeler contraires à la nature des effets qui se font par la volonté de Dieu, puisque la volonté du Créateur fait seule la nature de chaque chose ? » (Ibid., 21, 8, 2). De même que Dieu peut « créer les natures comme il lui plaît », il peut aussi « les changer comme il lui plaît » (Ibid., 21, 8, 5).

Que fautil penser de l’argument moral ? On dit qu’une faute temporelle et un châtiment éternel sont une contradiction. Or le juge terrestre luimême ne prend pas le temps de l’action mauvaise comme mesure du châtiment, mais la mauvaise volonté et l’action ellemême ; autrement le vol d’un arbre serait plus grave qu’un meurtre. On ne doit donc pas dire d’une manière mécanique : « La mesure du péché est la mesure du châtiment » ; mais il faut agir d’une manière psychologique ; dans l’appréciation de l’action humaine, bonne ou mauvaise, ce n’est pas la mesure extérieure qui est décisive mais la volonté : « la volonté qui vous aura servi à faire le bien servira à votre délivrance ; la volonté qui vous aura servi à faire le mal servira à votre châtiment » (cf. Math., 7, 2 ; Ep. 102, 25). Par conséquent, c’est « dans la volonté de pécher » que se trouve la mesure de la faute et de la peine et non « dans la durée du péché » (Ep. 102, 26). « L’homme pécheur aurait voulu jouir éternellement de son péché, il trouvera dans la peine une sévérité éternelle » (Ep. 102, 27). Ainsi se produit l’identité entre la peine et le péché. Il est vrai que la spéculation s’enfonce ici dans le mystère ; car il reste une question : Pourquoi la volonté s’éternisetelle dans sa méchanceté ? S. Augustin exprime une pensée de bon sens quand il fait dépendre le châtiment du péché, mais on ne pourrait pas renverser la proposition en faisant dépendre le péché de la punition, et dire que l’indignation causée au damné, par la punition qui l’atteint, le ferait pécher sans cesse. Sans parler de tout le reste, le « temps du démérite » a fini pour le damné avec la mort. S. Augustin nous ramène donc finalement au mystère de la grâce que Dieu refuse au damné, même si l’influence de cette grâce pouvait fléchir naturellement sa volonté et l’incliner à la pénitence.

S. Thomas essaie de prouver l’éternité de la coulpe du péché d’une manière plus spéculative en faisant de Dieu offensé la mesure de cette coulpe : « il y a dans le péché deux choses : l’une qui consiste en ce qu’il nous éloigne du bien immuable qui est infini, et sous ce rapport il est infini ; l’autre qui consiste en ce qu’il nous porte vers le bien qui est changeant, et à ce point de vue il est fini ; soit parce que le bien qui change est fini, soit parce que l’action par laquelle on se porte vers lui est finie ellemême, puisque les actes des créatures ne peuvent être infinis. — La peine du dam répond au péché considéré comme la cause qui nous éloigne de Dieu, et elle est infinie puisqu’elle est la perte du bien infini ou de Dieu luimême ; tandis que la peine du sens répond au mouvement déréglé qui nous porte vers les créatures ; c’est pourquoi elle est limitée » (S. th., 1, 2, 87, 4). Si l’on voulait objecter qu’une peine éternelle est sans utilité, parce qu’elle n’est pas médicinale, on peut répondre qu’elle est de la plus grande utilité pour la généralité des fidèles, car elle en détourne beaucoup du mal.

Les délivrances de l’enfer sont des légendes, comme il y en a beaucoup dans l’eschatologie non dogmatique. Néanmoins S. Thomas (et avec lui la théologie postérieure), en s’appuyant sur un récit de S. Grégoire le G., qui raconte que Trajan a été délivré de l’enfer, a admis qu’il est possible que Dieu, après un certain temps, place quelqu’un dans une nouvelle situation d’épreuve où il peut mériter ; c’est pourquoi Benoît XII dit dans sa Bulle eschatologique que « selon la disposition générale de Dieu » ceux qui meurent en péché mortel s’en vont vers les peines éternelles de l’enfer (Denz., 531). S. Thomas avait écrit : « ils étaient en enfer, d’une manière juste et méritée, mais non définitive » (Suppl., q. 71, a. 5 ad.5 ; cf. Dict. théol., 5, 91 et 99).

Qui est dans l’enfer ? La réponse abstraite est la suivante : Quiconque est mort en état de péché mortel sans contrition. Mais concrètement, à part le diable et ses anges, l’Écriture ne parle que de Judas comme d’un réprouvé (Jean, 17, 12 ; Math., 26, 24 ; Act. Ap., 1, 25). Au sujet du nombre des réprouvés ou du nombre des diables, on ne peut rien dire ni présumer, parce que la Révélation garde le silence à ce sujet ; or il n’y a pas d’autres sources de renseignement. La phrase « beaucoup d’appelés et peu d’élus » rend, il est vrai, un son absolu ; mais, d’après le contexte, elle est relative et se rapporte aux Juifs. Dans l’instruction populaire, un sage pasteur traitera avec la plus grande prudence les questions eschatologiques auxquelles on ne peut véritablement pas répondre, ou mieux, s’abstiendra d’en parler.

§ 214. Le purgatoire

A consulter : Bellarmin, De purgatorio (De controv.). Suarez, De purgatorio (In 3 part., d. 45 sq.). Collet, De purgatorio (Migne, Curs. compl., 18, 267 sq.). Allatius, De utriusque Ecclesiæ occidentalis et orientalis in dogmate de purgatorio perpetua consensione (Migne, Curs. Compl., 18 sq.). BinetJenneseaux, L’ami des âmes du purgatoire (3e éd., 1914). Bartmann, Le purgatoire, trad. italienne (Vita e Pensiero, 1934).

THÈSE. Il y a un purgatoire, ou un état de purification morale, dans lequel les âmes qui ne sont pas encore entièrement pures sont purifiées par les peines et rendues aptes au ciel.    De foi.

Explication. L’Église a défini le purgatoire dès le MoyenAge, car, indépendamment des attaques des Albigeois et des Vaudois, ce point de doctrine était imprécis et indécis dans l’Église grecque. Dans la profession de foi de l’empereur Michel Paléologue, qui fut admise au 2ème Concile de Lyon (1274), il est déclaré que « les âmes qui se sont séparées du corps dans le repentir et la charité sont purifiées après leur mort par des peines purificatrices (pœnis purgatoriis seu catharteriis ) (Denz., 464). Le Concile de Florence répéta cette déclaration (Denz., 693). Plus tard, Léon X rejeta la thèse de Luther qui prétendait que le purgatoire ne peut pas être prouvé par les Écritures canoniques (Denz., 777). Le Concile de Trente dut, en raison de la contradiction des protestants, affirmer encore une fois l’existence du purgatoire ; cela se fit dans un décret de la dernière session (S. 25 : Denz., 983). Cf. aussi le Symbole de Trente (Denz., 998).

Preuve. Les textes allégués aujourd’hui pour prouver le purgatoire n’ont pas toujours été utilisés pour cette fin. Il résulte d’abord de 2 Macch., 12, 43-46, qu’on citait jadis très rarement et que plus tard on cita d’autant plus souvent, que, dans le judaïsme postérieur, on croyait que les défunts qui « s’étaient endormis » dans la foi et la « piété », mais encore « avec des péchés », pouvaient « par des sacrifices et des intercessions » « être délivrés de leurs péchés » et ainsi participer à la « résurrection » heureuse. Cette pensée est approuvée par l’auteur inspiré : « C’est une sainte et salutaire pensée de prier pour les morts, afin qu’ils soient délivrés de leurs péchés ». Le Concile de Florence a utilisé ce passage contre les Grecs. Mais les Pères s’appuyaient de préférence sur 1 Cor., 3, 11-15. S. Paul fait remarquer à ses lecteurs, amis des coteries, qu’il n’y a qu’un fondement de la foi : JésusChrist. Que chacun considère comment il bâtit sur ce fondement, bien ou mal, avec de l’or, de l’argent, des pierres précieuses, ou du bois, du foin ou de la paille ; le dernier jour, qui se manifestera dans le feu, mettra tout en lumière et éprouvera tout. Si quelqu’un soutient l’épreuve, il recevra la récompense ; « mais si l’ouvrage de quelqu’un est consumé, il éprouvera du dommage, il sera cependant sauvé, mais comme par le feu ».

Les Pères. Si l’on compare notre doctrine actuelle du purgatoire, à la lumière de la pratique de l’Église, avec celle de l’Église primitive, on reconnaîtra que ce dogme, comme tous les autres dogmes, a connu un développement. L’Écriture n’avait pas parlé d’une manière formelle et précise. Cependant, tant sous l’influence de la doctrine générale de la foi et des mœurs que sous celle du judaïsme, peut-être aussi un peu sous l’influence de l’antique culte des morts, la doctrine de purification de l’ancienne Église et des Pères évolua d’une manière très conséquente.

Dans cette doctrine primitive, se manifeste presque toute la doctrine de la foi et des mœurs. Avec quel sérieux l’ancienne Église devait envisager la sainteté et la justice de Dieu, comme elle devait sentir tout le poids de ses commandements et de ses menaces, quelle haute idée elle devait se faire de la pureté des habitants du ciel, puisqu’elle admettait, pour presque tous les fidèles, à l’exception des martyrs, des Apôtres et des Prophètes, le besoin d’une purification après la mort !

Les Juifs avaient donné un bon exemple aux premiers chrétiens par rapport au soin des morts. Le second livre des Macchabées signale la coutume de « prier et d’offrir des sacrifices pour les morts ». Jésus, il est vrai, n’avait rien enseigné au sujet de prières ou de sacrifices pour les morts. S. Paul non plus. Mais le Christ semble faire allusion à une rémission des péchés dans l’autre monde et S. Paul a parlé d’une purification par le feu du jugement. En unissant ces données à la pensée générale de l’intercession chrétienne, on n’était pas loin des traits essentiels de la doctrine du purgatoire. On ne peut donc pas dire avec Luther : « le purgatoire ne peut être prouvé par aucune autorité scripturaire canonique » (Denz., 777).

Le paganisme connaissait un culte des morts très développé et, en outre, une doctrine eschatologique qui est parfois d’un sérieux surprenant et d’une grande élévation morale. S. Bellarmin le rappelle déjà (De purg., 1, 11). Mais le protestantisme exagéra manifestement, en affirmant que la doctrine du purgatoire avait été purement et simplement introduite par Origène, qui l’avait empruntée à Platon (Glawe, Hellénisation du christianisme). En admettant même que l’Église, par sa commémoration chrétienne des morts, ait voulu contrebalancer le culte païen des morts, dont la pratique était parfois superstitieuse et s’accompagnait souvent d’orgies, il n’en est pas moins vrai qu’elle fut guidée par l’idée, réalisée de très bonne heure, de la communion des saints et du devoir d’intercession générale qui s’étendait aux morts, comme on l’a montré plus haut (§ 189, la messe pour les morts) pendant le sacrifice de la messe. Il est vrai qu’on ne dit pas précisément, au commencement, pourquoi on fait mémoire des morts ; mais on dit que cette commémoration a lieu. Tertullien est le premier qui soit précis sur ce point. Il atteste la coutume d’offrir des oblations pour les fidèles défunts (De cor. mil., 3 sq.) : « La veuve prie pour l’âme (de son mari défunt), elle implore pour elle, pendant ce temps, le rafraîchissement (refrigerium) et la participation à la première résurrection et offre un sacrifice à l’anniversaire de son trépas » (De monog., 10). Tertullien exprime, en se rattachant à Math., 5, 26, sa croyance au fait que les âmes des défunts, dans le monde inférieur (apud inferos), doivent payer leur dette jusqu’au « dernier denier » (De anima, 58 ; De resurr., 42 ; cf. Adv. Marc, 3, 24). Il faut comparer avec ces déclarations les nombreuses inscriptions funéraires des trois premiers siècles, qui, par leurs souhaits que le mort repose « in Domino, in pace, in refrigerio » (expression qui est peut-être empruntée à l’antique épigraphie égyptienne), « inter sanctos, in Christo », etc., expriment, dans une formule concise, ce que Tertullien dit en termes d’une netteté presque dogmatique.

Estce qu’Origène enseigne quelque chose de nouveau ? Il admet, comme Platon, que les âmes, après la mort, ont à subir un jugement, dans lequel elles reçoivent le « baptême de feu » (Luc, 3, 16). Il affirme que tous doivent passer par là, même Pierre et Paul ; mais, lorsque les mauvais sombrent, dans ce jugement, comme les Égyptiens dans la Mer Rouge, les bons en sortent sans dommage. L’œuvre de tout homme sera alors éprouvée dans le feu (1 Cor., 3, 15). Les bons passent à travers et montent au troisième ciel ou paradis, où ils doivent attendre jusqu’à leur entrée dans l’éternelle béatitude (In Luc, hom. 24 : M. 13, 1864 sq. ; hom. 14 : M. 13, 1835 sq. In Ps. 36, hom., 3, 1 : M. 12, 1337. In Exod. Hom., 6, 3, 4 : M. 12, 334 sq. In Num. hom., 25, 6 : M. 12, 769 sq. Cf. Tixeront, 1, 306). On voit nettement qu’il s’appuie sur la Bible (1 Cor., 3, 15 ; Luc, 3, 16). On ne doit pas cependant affirmer que, dans sa doctrine du purgatoire, il n’a pas été influencé par le platonisme et les systèmes apparentés (Iran ?). S. Ephrem le Syrien partage les morts en trois classes : les parfaits (supra judicium), les imparfaits (sub judicio), les impies (extra judicium). La classe intermédiaire est, d’une manière ou d’une autre, soumise à la purification (Tixeront, 2, 220). S. Cyrille de Jérusalem suppose que la prière pour les morts est utile (Cat. myst., 5, 10). D’après S. Hilaire et Zénon, les bons vont dans le sein d’Abraham ou paradis, les mauvais dans l’enfer, les imparfaits dans le jugement ou baptême de feu, « selon les œuvres bonnes ou mauvaises que nous aurons accomplies », dit Zénon (Tixeront, 2, 337).

S. Ambroise est célèbre comme eschatologue. La monographie de Niederhueber, à son sujet, compte 274 pages. Malgré ses louables efforts pour établir une unité chez le saint docteur, il faut s’en tenir au jugement de Tixeront : « Il n’est pas possible d’harmoniser en une synthèse absolument sûre certains traits épars de cette eschatologie » (2, 343). D’après le 4ème livre d’Esdras (7, 32), qu’il considère comme canonique, S. Ambroise indique certains lieux de séjour (promptuaria), dans lesquels les âmes sont conservées pendant le « temps intermédiaire » jusqu’au jour de la résurrection. Toutes subissent, immédiatement après la mort, le jugement particulier, qui, comme un feu purificateur, éprouve les œuvres de leur vie. « Je serai éprouvé comme le plomb, et je brûlerai dans le feu, jusqu’à ce que tout le plomb soit évaporé. Et s’il ne trouve rien de bon en moi qui soit à l’épreuve du feu comme l’argent, hélas ! l’on m’enverra au fond de l’Enfer où je serai tout consumé comme la paille » (In Ps. 118, enarr. n. 13 : M. 15, 1487). Les bons passent sans douleur à travers ce feu et vont dans le « paradis » ou « troisième ciel » ; ceux qui sont tout à fait mauvais vont dans l’enfer ; les (chrétiens) imparfaits vont dans un lieu de purification où ils doivent attendre leur perfection. « Cependant il semble que seuls les non chrétiens (impii, infideles) et non les « peccatores » baptisés, condamnés par le jugement, restent soumis au sort éternel de punition dans l’enfer » dit Niederhueber, mais il appelle cela une « atténuation origéniste de la doctrine révélée » (P. 129). Cf. l’opinion qu’on voit encore apparaître chez S. Thomas, d’une condamnation définitive et d’une damnation provisoire à l’enfer (P. 524). Pendant cette purification durant le « temps intermédiaire », les âmes sont aidées par les intercessions et les sacrifices des vivants, afin qu’elles soient plus vite purifiées, pendant que les parfaits montent par le mouvement de l’air (motu aerio) et jouissent du « repos parfait ». A cette fin, on « recommande » à Dieu, dans la prière, les âmes des défunts (commendare animam) (De exces. frat., 2, 2). « Que les pauvres pleurent plutôt que de se réjouir à votre mort. Ce sont leurs larmes qui laveront les taches de vos péchés ; ce sont leurs gémissements qui adouciront les douleurs de votre trépas, et qui vous feront oublier les maux passés, par la joie éternelle qu’ils vous mériteront » (lbid., 5). S. Ambroise célèbre le sacrifice eucharistique pour ses amis Valentinien et Gratien (De obitu Valent., 77). A Milan, on célèbre ce sacrifice le jour de la sépulture, ainsi que le septième jour après la mort (De exces. frat., 2, 2). Ailleurs on fait autrement : « c’était tantôt le troisième jour et le trentième après le décès, tantôt le septième jour et le quarantième » (De obitu Theod., 3). Une troisième manière de secourir les défunts, ce sont les aumônes et les agapes mortuaires, dans lesquelles on nourrissait les pauvres, dont les larmes étaient considérées comme rédemptrices. Il faut ajouter encore l’invocation des Apôtres et des martyrs qui sont déjà dans le ciel (Niederhueber, Eschatologie, 43 sq. ; Royaume de Dieu, 273 sq.).

Le but des suffrages est : 1° La purification de la faute et de la peine (delicta, cf. plus bas) ; 2° La « résurrection prompte » (matura resurrectio, maturior resurrectio = matura absolutio sanctorum), ce qui doit s’entendre spirituellement d’une réception plus prompte dans le troisième ciel, parce que la purification aura été hâtée, et non, comme chez Tertullien (De monog., 10), de la « prima resurrectio », dans le millénaire intermédiaire ; 3° La protection contre Satan et les démons, qui, lorsque l’âme monte vers le paradis ou avantciel, veulent encore l’attaquer et la retenir (Niederhueber, Eschat., 45 sq. ; Royaume de Dieu, 280).

Cependant S. Ambroise, comme aussi S. Jérôme et l’Ambrosiastre, enseigne le salut final de tous les chrétiens ou fidèles. Tixeront dit, 2, 349 sq. : « Cette conviction, par conséquent, n’était pas, à la fin du 4ème siècle, dans l’Église latine, opinion hasardée et rare. C’est dans la foi chrétienne ellemême que l’on mettait la vertu qui devait opérer le salut de tous ceux qui la professaient ». On s’appuyait sur 1 Cor., 3, 15. Le texte de S. Paul, 1 Cor., 2, 15, est un des plus fréquemment invoqués. Tixeront signale, avec raison, que ce feu du jugement, dont parle S. Ambroise, n’est autre que le purgatoire de la théologie postérieure.

L’importance S. Augustin est, dans l’eschatologie comme ailleurs, très grande, bien que, sur ce point, il n’ait pas ouvert la voie ni conclu l’évolution. L’âme reçoit, après le Jugement particulier, une partie de sa récompense ou de sa peine ; l’achèvement, d’après lui aussi, n’a lieu qu’au jugement dernier : « Le temps qui est entre la mort et la dernière résurrection contient les âmes en des réceptacles cachés, selon que chacune est digne de repos ou de tourment » (Enchir., c. 109 ; cf. 112 et 110 ; Civ., 21, 24). Il enseigne, en s’appuyant sur Math., 12, 32, que certains péchés sont remis dans l’autre vie et que, d’après 1 Cor., 3, 11-15, ils sont expiés. Ce qui l’intéresse le plus, c’est le salut quasi « par le feu » dont parle S. Paul (1 Cor., 3, 15). De quels chrétiens estil question ici ? Que peut être ce feu ? Il l’appelle le feu des souffrances et des tentations de cette vie (Civ., 21, 26, 2 et passim), la mort (De fide et op., 27) ; mais, dans Enchir., 69, il pense au purgatoire, cf. Civ. 21, 26, 4. Ajoutons immédiatement la foi aux suffrages (Ench., 110). « En effet la tradition de nos pères est universellement observée par l’Église » (Sermon 172, 2). Quels péchés expieton dans. le purgatoire ? « Il est trèsdifficile de s’en assurer et trèsdangereux de vouloir le déterminer » ; « pour moi du moins, ditil, je n’ai rien pu découvrir jusqu’ici quand je m’en suis occupé » (Civ., 21, 27, 5 ; cf. Tixeront, 2, 433 sq.). A l’occasion, il en vient aussi à parler de la montée des âmes purifiées vers le paradis. Sa mère Monique « n’était pas sans faute » ; mais elle lui demanda, avec confiance, « de se souvenir d’elle à l’autel du Seigneur ». « Personne ne doit l’arracher à ta protection » (mon Dieu). « Ni par la violence, ni par la ruse, le lion et le dragon n’interviendront » (Conf., 9, 13). Tout le monde, ici comme chez S. Ambroise, pensera à l’Offertoire de la messe des Morts. Cet offertoire doit s’expliquer scientifiquement, avec Atzberger, Stiglmayr et d’autres, qui y voient une allusion à ce qu’on appelait le « passage des âmes » qui allaient vers le paradis, guettées par des démons et de redoutables dragons de l’air ; on ne doit pas chercher ailleurs une explication artificielle, alors même qu’il faudrait admettre ici, comme cela arrive si souvent dans l’eschatologie, des réminiscences de conceptions antiques ; cela n’a qu’une importance tout à fait secondaire.

S. Césaire d’Arles, disciple médiat de S. Augustin, est sans doute le premier qui enseigne formellement le jugement particulier : Quand le corps commence à se corrompre dans le tombeau, « l’âme est présentée à Dieu par les anges dans le ciel, et là, si elle a été bonne, elle est couronnée, ou, si elle a été mauvaise, elle est projetée dans les ténèbres » (Sermo 301, 5). Il y a une exception pour l’âme qui était encore un peu attachée aux créatures et qui était chargée de « menus péchés ». « Car ce feu qui passe (1 Cor., 3, 15) efface, non pas les péchés capitaux, mais les menus péchés  » (Sermo 104, 1). S. Césaire énumère deux fois ces péchés, qu’il caractérise comme « menus péchés », en se servant d’une expression augustinienne : « parjure, malédiction, médisance, paroles superflues ; haine, colère, envie, mauvaise conscience, gourmandise, somnolence, pensées sordides, concupiscence des yeux, délectation voluptueuse des oreilles, irritation des pauvres » ; à ces choses sérieuses s’ajoutent encore le manque de zèle dans le jeûne, la prière, la visite des prisonniers et des malades (Dict. théol., 2, 2180). L’auteur de l’article du Dict. théol. déclare que, pour surprenant que cela paraisse, les péchés énumérés étaient certainement considérés comme minuta. Cela est d’autant plus surprenant que S. Césaire est un rigoriste déclaré, qui va jusqu’à écrire : « Non seulement les grands péchés, mais aussi les petits péchés, s’ils sont trop nombreux, submergent l’homme » (Sermo 104, 1). D’après S. Césaire, les peines du feu purificateur sont plus dures que toutes les peines du monde (Autres textes dans Nirschl, Patrol., 3, 449).

S. Grégoire le G. trouva donc une doctrine très développée de la purification, quand il entreprit d’examiner ces questions d’une manière théologique et populaire, dans ses dialogues. Par conséquent, il est faux de prétendre que c’est lui qui « a enrichi la dogmatique de l’Église catholique de cette doctrine » (Lau, Grégoire, 1, 508). On ne trouve presque rien de nouveau chez lui à ce sujet. Il s’appuie sur ce principe que Dieu punit tout péché, même celui dont on a la contrition. Job dit en effet : «  Je redoute tous mes tourments, je sais que tu ne m’acquitteras pas (9, 28) ; Le Seigneur retranche nos offenses soit par nousmêmes (par la pénitence) soit en agissant luimême  (par le châtiment), même lorsqu’il nous affranchit de la punition » (Mor., 9, 34). « Il faut croire qu’il y a, avant le jugement, un feu purificateur pour certains péchés légers, et cela parce que l’éternelle Vérité dit : « Si quelqu’un a prononcé un blasphème contre le SaintEsprit », etc. (Math., 12, 32). Mais il se réfère ensuite, comme S. Augustin et les Pères précédents, à 1 Cor., 3, 15. Il signale aussi, en même temps, l’objet de la purification : ce ne sont que des péchés minimes, voire même tout à fait légers comme le bavardage fréquent et inutile, le rire immodéré ou un péché concernant l’administration des biens » (Dial., 4, 39). Dans cette purification, les suffrages et les aumônes des vivants, mais surtout le sacrifice de la messe, sont d’une grande utilité. Avec S. Grégoire commence l’habitude d’unir à la doctrine du purgatoire des histoires populaires édifiantes, dans lesquelles des apparitions d’âmes, des récits des défunts et des choses encore plus palpables doivent éclairer la doctrine obscure et donner des preuves saisissantes des peines qu’on y endure (Cf. S. Bède, Hist. Eccl., 5, 12 ; S. Boniface, Ep., 20).

Synthèse. 1. Le point central de la doctrine du purgatoire ne se trouve pas dans l’Écriture, mais dans la Tradition. Elle s’est développée, en partant de l’idée de jugement et de sanction qui est abondamment attestée dans l’Ancien et le Nouveau Testament, qui était même courante dans le paganisme, mais que le christianisme a particulièrement renforcée et accentuée. - 2. Comme toujours, cette idée trouve d’abord son expression pratique dans le culte ; on étendit, en effet, l’intercession chrétienne même aux morts et cela se fit surtout dans la célébration du sacrifice eucharistique, que l’on offrait autant que possible sur les tombeaux mêmes (Wieland, Mensa, 57-65 ; Autel et tombeau des martyrs). - 3. Tertullien, le premier, nous renseigne, d’une manière théorique, sur l’intention de ces suffrages (prima resurrectio et refrigerium) ; il fait aussi une distinction entre les martyrs tout à fait saints, qu’on honore par une cérémonie de commémoration et les fidèles ordinaires, pour lesquels on prie. - 4. Dans la preuve biblique de la doctrine du purgatoire, Math., 12, 32 et 1 Cor., 3, 15 jouent, dès le début, un grand rôle ; 2 Macch., 12, 43 sq. passe à l’arrière plan. Cependant S. Augustin le cite (De cura pro mort., 1) ; mais il se réfère, en outre, pour la « recommandation des âmes », à « l’autorité de toute l’Église qui est claire pour cette coutume ». - 5. La purification se fait dans un état de punition de quelque nature qu’on l’imagine (épreuves, injuria) et qui se passe dans l’Hadès entre la mort et la résurrection ; ou bien elle se fait dans le jugement particulier, dans lequel les œuvres de l’homme sont éprouvées. On ne peut guère se représenter le tourment du jugement comme matériel (S. Paul avait écrit d’une manière spirituelle : comme par le feu) ; mais seulement comme une torture de la conscience. C’est aussi ce que pense S. Grégoire de Nysse (Cf. Hilt., 270 sq.). Cependant il s’introduisit bientôt des représentations plus matérielles ; on fit surtout intervenir des démons et des dragons, auxquels on attribua une influence physique, qui tendait à paralyser, à retenir les âmes dans leur montée vers le paradis, et à les éprouver. Ces mauvais Esprits exerçaient déjà une influence malfaisante sur les hommes, dans cette vie. C’est à cela que se rattache la doctrine des Grecs schismatiques, d’après laquelle les âmes qui s’en vont vers le paradis arrivent, en route, aux « barrières de l’enfer » où les démons recommencent un jugement pénible et renouvellent sans cesse leurs accusations. Cf. aussi l’Offertoire de la messe des Morts. - 8. On considérait que l’utilité des suffrages, en usage dès le commencement, était de hâter la purification (prima resurrectio = præmatura absolutio). - 9. Au sujet de la durée du purgatoire, pour chaque individu, on ne dit rien ; cependant il semble, étant donné qu’on l’identifie avec le jugement, qu’on ne se la représentait pas comme bien longue. - 10. L’état de péché de ceux qui ont besoin de purification est sujet à caution. S. Augustin hésite à s’exprimer d’une manière précise et S. Césaire d’Arles pense à des « menus péchés », dont quelquesuns, d’après notre conception, ne peuvent guère être « menus ». - 11. Les auteurs patristiques sont : Tertullien, S. Cyprien, Clément d’Alex., Origène, S. Grégoire de Nys., S. Ambroise, S. Augustin, S. Césaire, S. Grégoire le G. Que quelqu’un de ces auteurs ait eu une influence causale sur le dogme du purgatoire, ou même que Platon et son École aient exercé une influence capitale, c’est ce qu’affirment les protestants ; mais personne ne peut le prouver, en dépit d’Anrich, (Clément et Origène, fondateurs de la doctrine du purgatoire [1902], 95-120). L’Église ne célèbre une « Fête des Morts », pour commémorer toutes les âmes qui sont dans le purgatoire, que depuis environ l’an 1000. Cette fête fut établie par Odilon, abbé de Cluny, dans tous les monastères de son Ordre, d’où elle passa ensuite dans d’autres Églises, pour être admise au 14ème siècle dans l’« Ordo Romanus » (K. H. Lex., 1, 145). La pensée des morts avait de si profondes racines dans l’âme populaire que Luther ne put pas la supprimer ; les protestants célèbrent encore aujourd’hui, d’une manière populaire et non liturgique, leur « fête des morts ».

La raison théologique exige le purgatoire comme une conséquence logique inéluctable, à laquelle même quelques protestants, comme le polémiste Hase, se soumettent. Tout d’abord il est absolument certain que rien d’impur ne peut entrer au ciel (Sag,. 7, 25 ; Is., 35, 8) et, d’un autre côté, il n’est pas conforme à la justice et à la sainteté de Dieu d’exiger les peines éternelles de l’enfer pour des fautes légères. Il faut donc, de toute nécessité, admettre un état intermédiaire, dans lequel s’accompliront la purification et la préparation à l’entrée au ciel. Étant donnée l’imperfection morale qui, par suite du péché originel, règne même dans les rangs des vrais fidèles, la doctrine du purgatoire est une des plus consolantes du christianisme.

Le purgatoire des Grecs. Pour comprendre leur doctrine du purgatoire, il faut remarquer qu’ils en sont toujours au point des anciens Pères concernant le jugement. Les morts attendent le jugement qui aura lieu à la fin du monde et sont, jusqu’à ce jour, dans l’état dit « transitoire ». Cet état est considéré comme un « avantgoût, comme une première étape de l’état définitif qui commencera à la résurrection et au jugement dernier ». Les bons ont déjà, pendant le repos de la tombe, « un avantgoût de la joie du paradis, parce qu’ils sont plus près de Dieu et éclairés par sa lumière ». Quant aux mauvais, « ils souffrent déjà dans la tombe et se tiennent, pour ainsi dire, aux portes de l’enfer ». Les Grecs rejettent donc un troisième lieu ou état. « Un lieu intermédiaire particulier, entre l’Hadès et le ciel, par conséquent le purgatoire de l’Église romaine, est étranger à la doctrine orthodoxe de la foi », écrit Maltzew, Exposés dogmatiques (1893), 18 sq. De même, Gallinicos dit, dans son Catéchisme, 47 : « Nulle part (dans la Bible) il n’est parlé d’un troisième (lieu), soit du purgatoire romaincatholique, dans lequel, prétendon, les âmes sont d’abord purifiées, comme dans un poêle ardent, de la souillure de certains péchés et ne sont envoyées qu’ensuite au paradis ». Cependant les Grecs se rapprochent de nous quand ils enseignent : « Pas de purgatoire et pas d’indulgences, mais un adoucissement de l’état pénible que le tourment de la conscience fait éprouver aux chrétiens morts pécheurs, par le moyen de l’intercession des survivants et de l’Église » (Zankow, 60). L’Église, d’après Zankow (109), s’occupe des défunts par des services mortuaires spéciaux (pannychides), des messes des morts et les actes de charité qui sont unis à ces pratiques. L’Église part de cette pensée fondamentale qu’aucun homme, en ce monde, ne peut paraître devant la face de Dieu, exempt de péché, parfait, saint et sans avoir besoin de miséricorde et de grâce ; nous tous vivants et morts nous sommes membres d’une seule Église « et c’est notre devoir », en tant qu’une seule Église, « non seulement de prier individuellement Dieu, mais d’être compatissants pour les âmes pécheresses de nos frères défunts ». Ce pardon, on ne l’espère pas immédiatement, mais au jugement dernier – un jugement particulier immédiatement après la mort n’est pas connu -  : « Le Juge n’est pas encore venu pour fixer à chacun son sort futur », dit Gallinicos (Catéchisme, 48). Au sujet des prières liturgiques des Grecs pour les morts, Kaufmann, dans son Manuel d’arch. chrét. (694), rapporte une prière de l’an 350 environ ; cf. aussi Bukowski, 156 sq. ; Rev. d’Innsb., 1892, 273 sq., et Tixeront, 3, 270.

Les peines du purgatoire sont considérées, depuis la Scolastique, par analogie avec celles de l’enfer, comme peine du dam (pœna damni) et peine du sens (pœna sensus). Naturellement la privation de Dieu n’est qu’un délai provisoire de la béatitude et non une damnation proprement dite. Mais ce délai doit être d’autant plus pénible que les âmes qui le ressentent sont plus nobles, qu’elles sont plus près du but, que leur désir de Dieu est plus pur et plus éclairé, qu’elles se rendent mieux compte de la folie du péché. Cependant cette peine du dam peut difficilement se comparer avec la damnation éternelle. Dans le purgatoire, brille sans cesse l’espérance de la délivrance prochaine ; l’âme brûle de l’amour parfait de Dieu ; la paix avec Dieu embellit l’existence de chacun et de tous ; au purgatoire, on a surtout la claire certitude de son sort personnel ; on sait que ce sera un sort heureux, éternel, que ne menacera plus aucun danger. Cette certitude, ces âmes l’ont puisée dans le jugement particulier qu’elles ont subi après leur mort. La sombre opinion de quelques théologiens, d’après laquelle les âmes du purgatoire ne sauraient pas ellesmêmes si leur état est éternel, infernal, ou simplement temporaire, est absurde. Estce que ces âmes n’ont pas trouvé, dans la sentence divine, dans leur propre conscience, dans les circonstances qui les entourent, le moyen de discerner si elles sont les enfants de Dieu ou les partisans de Satan ? Seraitil possible qu’une âme, dans laquelle habite la grâce sanctifiante, qui est le temple du SaintEsprit, pût éprouver les terreurs de l’enfer et le désespoir des damnés ?

Pour ce qui est de la peine du sens, la plupart des théologiens latins estiment que ce châtiment s’accomplit, comme pour l’enfer, par un moyen matériel et parlent d’ordinaire, ici aussi, d’un feu matériel, en s’appuyant sur S. Paul (1 Cor., 3, 15). On va même jusqu’à identifier ce feu avec celui de l’enfer, tout en proportionnant l’impression produite subjectivement à la gravité de la faute. Par une conséquence logique, on place aussi le purgatoire dans le monde inférieur et, plus précisément, dans le voisinage de l’enfer (préenfer). Étant donné que nous manquons d’éléments de preuve biblique, on ne peut dire, à ce sujet, absolument rien de certain. Quant aux révélations privées, ce ne sont pas des sources de la dogmatique. D’après le Concile de Trente, les questions subtiles ne doivent pas être examinées devant le peuple.

Objet de la purification. Le purgatoire ne purifietil que les peines ou purifietil aussi les fautes ? Les Pères, comme on l’a montré, pensaient, à propos de la purification, principalement aux fautes. Ils y étaient déjà portés par les textes bibliques, sur lesquels ils s’appuient pour démontrer l’existence du purgatoire, surtout par Math., 12, 32. S. Augustin parle aussi, expressément, de peines et précisément de peines temporelles (temporales pœnœ). S. Grégoire nomme les péchés véniels qui sont remis au purgatoire. S. Thomas appelle l’opinion, soutenue par quelques scolastiques de son temps, d’après laquelle le purgatoire n’est qu’un lieu de peine, une opinion frivole, qui contredit l’Écriture et les Pères, d’après lesquels il y a une rémission des péchés dans l’autre monde, qui contredit aussi la raison théologique.

On peut citer aussi les fortes expressions des « prières diverses pour les défunts ». On y demande : « Accordez la rémission de tous ses péchés à son âme ; remettez-lui ses péchés ; libérez son âme des pesanteurs de la vie mortelle et donnez-lui part à votre salut ; qu’étant délivrée des horribles liens de la mort, elle soit trouvé digne de la vie éternelle ; qu’elle mérite de passer des liens de la mort à la vie ». Ajoutons les expressions connues de l’Offertoire (Cf. Franz Schmid, La purification des âmes).

Les peines sont expiées au purgatoire purement et simplement par la souffrance (satispassio). Ces souffrances n’ont plus de caractère méritoire (satisfactio). On ne peut guère nier qu’il y ait aussi, dans le purgatoire, une amélioration morale des âmes. Tout d’abord, elles ne sont plus alourdies par les instincts coupables de la sensualité ; ces instincts sont morts avec le corps. Assurément les tendances psychiques mauvaises ne sont pas supprimées d’une manière aussi mécanique ; il faut qu’elles soient librement expulsées de l’âme. Cela ne peut se faire que par des actes moraux surnaturels, comme dans la vie présente. Enfin on ne peut guère contester que les âmes du purgatoire ont un culte conforme à leur état, qu’elles exercent par des actes spirituels d’adoration, d’action de grâces, de louange. Tout cela doit accroître la moralité de ces âmes, bien que ces actes n’aient plus le pouvoir de fonder le mérite et d’accroître la béatitude.

Combien de temps dure le purgatoire ? C’est ce que voudrait bien savoir la curiosité chrétienne. Naturellement à cette question, qui ne peut avoir de réponse, on a essayé d’en donner de toutes sortes. Et ces réponses ont été données même par de grands théologiens. Dominique Soto et Maldonat estiment que dix années suffisent pour une vie humaine pécheresse. S. Bellarmin, par contre, rappela les anniversaires fondés pour une longue époque et s’opposa à cette opinion, Alexandre VII proscrivit la proposition suivante : « Chaque âme n’y reste que pendant dix ans, et un legs annuel, laissé pour une âme du purgatoire, cesse après de laps de temps » (Denz., 1143). La meilleure réponse serait de dire que nous ne savons pas d’après quelle échelle Dieu mesure la coulpe du péché ou la peine du péché dans le purgatoire ; cela ne nous est révélé que pour l’enfer.

On parle des souffrances du purgatoire : qu’on parle donc aussi de ses joies. S. Bernardin de Sienne est captivant et digne de foi, parce qu’il fonde ses assertions sur la théologie et non sur la légende, quand il parle des joies du purgatoire et en énumère toute une série : 1° « Confirmation de la grâce » ; 2° « Certitude du salut » ; 3° « Amour de Dieu » ; 4° « Visite des anges » ; 5° « Visites des saints », etc., il conclut : « Bien que ceux qui sont dans le purgatoire souffrent de très graves tourments, cependant leur état est meilleur et plus heureux que celui de ceux qui sont dans le monde » (Dict. théol., 2, 790 ; cf. aussi Binet, 29-120).

Les âmes du purgatoire peuvent elles aussi prier pour nous ? D’après Durst, Alexandre de Halès aurait répondu négativement et en donnant de très mauvaises raisons. S. Thomas estime : « ceux qui sont dans le purgatoire, quoiqu’ils soient audessus de nous à cause de leur impeccabilité, sont cependant audessous relativement aux peines qu’ils endurent, et d’après cela ils ne sont pas en état de prier (nous avons fait observer que l’opinion contraire ne manque pas de probabilité), mais il faut plutôt que nous priions pour eux » (S. th., 2, 2, 83 ad 3). Par contre, Richard de Middletown polémique, avec raison, contre l’un et l’autre : Les âmes du purgatoire sont, dans la charité, les amis de Dieu et peuvent évidemment prier pour nous, c’est pourquoi nous pouvons aussi les invoquer. C’est aussi l’avis de S. Bellarmin et de Suarez (Cf. Ernst, Katholick, 1916). Il est vrai que l’invocation liturgique des âmes du purgatoire n’a jamais été en usage dans l’Église. Cependant les inscriptions funéraires du christianisme antique présentent souvent « priez pour nous » et d’autres invocations semblables. Les païens aussi connaissent de telles invocations des morts, par ex. : « Ta mère te demande que tu me reçoives auprès de toi » ; ou bien : « Protège tous les tiens » ; ou encore : « O Mânes protégez-nous » etc. (Cf. Dœrfler, Les débuts du culte des saints [1913], 4 sq., et surtout Dict. théol., 5, 300-358, v. Épigraphie chrétienne).

Les limbes des enfants. Le limbe des enfants est un séjour des enfants morts dans le péché originel, dont l’existence est une conclusion des théologiens. Mais on place aussi dans ces limbes les millions de faibles d’esprit qui n’ont jamais pu pécher gravement, ainsi que les milliards de ceux qui ont vécu dans un état de civilisation si bas qu’ils ont été complètement dépourvus de la notion d’une moralité plus élevée (Cf. Gutberlet, Dogm., 10, 434).

Le caractère consolant de la doctrine du purgatoire est très grand. Si la conscience nous dit qu’une longue vie humaine ne s’écoule pas sans de nombreux manquements, la foi nous dit qu’il y a dans l’audelà une possibilité de réparer ces manquements. L’appréciation humaine ne peut pas facilement attribuer à un mort le ciel ou l’enfer ; mais nous savons que nos défunts sont plutôt dans le purgatoire, parce que nous croyons que le mort n’est pas allé en bas, mais en haut ; qu’il ne s’est pas écarté de Dieu, mais qu’il s’est rapproché de lui ; qu’il n’est pas parti vers le séjour de ténèbres, mais vers le séjour de lumière. Même dans le purgatoire brille le soleil du bon Dieu, plus clair encore que sur la terre.

 

CHAPITRE 2 : L’eschatologie générale

 

A consulter : S. Thomas, Suppl., q. 87-90 ; C. Gent., 4, 96. Gengel, Tract. de judicio universali (Calissi, 1727). Klee, De chiliasmo primorum sæculorum (1825). Gry, Le millénarisme dans ses origines et son développement (1904).

§ 215. Le retour du Christ

THÈSE. Le Christ reviendra à la fin du monde pour achever le royaume de Dieu qu’il a commencé.  De foi.

Explication. « De là il reviendra juger les vivants et les morts », confesse l’Église dans le Symbole des Apôtres et dans les symboles suivants. Le jour du retour (ἡ παρουσία) s’appelle, dans l’Écriture, le « dernier jour » (Jean, 6, 39 ; 11, 24 ; 12, 48 ; cf. 1 Cor., 15, 52), le « jour du Seigneur » (1 Cor., 3, 13 ; 5, 5, etc.), le « jour de la venue de NotreSeigneur » (1 Cor., l, 8), le « jour du Christ » (Phil., 1, 10 ; 2, 16), le « jour de la visite » (1 Pier., 2, 12), le « jour du jugement » (1 Jean, 4, 17). Nous traiterons d’abord du fait du retour, nous parlerons plus tard de son but, lequel, il est vrai, est indiqué en même temps, dans les importants témoignages. La question du temps et des signes du retour est secondaire.

Preuve. L’Ancien Testament connaît déjà un « jour du Seigneur ». Il apparaît pour la première fois dans le prophétisme qui annonce aux peuples, comme à Israël luimême, la venue de Dieu, avec, comme but, la double sanction. L’intention dernière de la venue de Dieu est le rétablissement, la consolidation et l’achèvement de son royaume. Le moment de sa venue s’appelle « jour de Jahvé », « jour de jugement de Jahvé », « ce jour ». D’ordinaire, on pense alors au châtiment des méchants et, par conséquent, on représente ce moment comme un « jour de colère », de « tourment », de « ruine », de « jugement » ; en un mot comme le « grand et terrible jour de Jahvé » (Zschokke, Prophètes, 420-422, 600-609). Cette venue de Dieu, annoncée par les Prophètes et souvent représentée comme très proche, a trouvé son premier accomplissement provisoire dans la venue du Logos sur la terre. Mais, par sa première venue, il a seulement voulu commencer l’œuvre de séparation exigée par Dieu (Jean, 3, 18, 19 ; 12, 31 ; 16, 11). Il viendra une seconde fois, après son Ascension, pour donner le dernier achèvement à son œuvre commencée. De ce retour, le Christ et les Apôtres parlent maintes fois, avec l’accent des Prophètes ; ils le font avec des couleurs très vives, dans la menace comme dans la promesse.

La pensée de la parousie apparaît de bonne heure chez le Christ ; dans le Sermon sur la montagne, on en trouve une trace très nette (Math., 7, 22) et la prière du « Notre Père » : « Que ton royaume arrive » (Math. 6, 10), fut, pour la primitive Église, une prière pour demander la venue du Seigneur (Apoc., 22, 20 ; Didachè, 10, 6).

Le Christ a, à plusieurs reprises, parlé de sa seconde venue et, le plus souvent, en faisant allusion à Dan., 7, 13 : « Ils verront le Fils de l ’Homme venir sur les nuées du ciel avec une grande puissance et une grande majesté » (Math., 24, 30 ; 25, 31 ; 26, 64. Marc, 8, 38 ; 14, 62. Luc, 17, 24. Jean, 6, 39, 40). Dans l’évangile de S. Jean, où la décision (ϰρίσις) a déjà lieu dans la vie présente, le dernier jour a le caractère d’une consolation pour les fidèles que le Christ vient emmener dans les demeures célestes (Jean, 14, 2, 3 ; cf. 3, 15 ; 12, 26 ; 17, 24) ; par contre, les incrédules ne peuvent pas aller là où va le Christ (Jean, 7, 34 ; 8, 21 ; 13, 33).

Dans l’enseignement des Apôtres, la foi à la parousie du Christ prend une place prédominante. C’est pourquoi quelques remarques suffiront. Dès l’Ascension, les anges rappellent aux Apôtres que le Christ reviendra comme il est monté aux cieux (Act. Ap., 1, 11). D’où, dans le Symbole des Apôtres, la proximité des deux articles concernant l’Ascension et le retour. S. Pierre prêche, dans le temple, que le Christ reviendra pour « rétablir toutes choses » (Act. Ap., 3, 20, 21). S. Paul fait, du jour du retour du Christ, une promesse et une menace. Le premier cas est le plus fréquent (1 Cor., 1, 8, 9 ; 4, 5 ; 5, 5 ; 15, 22, 23 ; 2 Cor., 1, 14 ; Col., 3, 4 ; Phil., 1, 6 ; 1 Thess., 4, 15-17 ; 1 Tim., 6, 14-16). Dans les textes qu’on vient de citer, c’est un jour d’achèvement pour les bons, mais c’est aussi un jour de « vengeance » et de « flammes de feu » pour les impies et les incrédules (2 Thess., 1, 6-10) et d’épreuves pour les tièdes et les demichrétiens (1 Cor., 3, 12-15). Dans la seconde Épître de S. Pierre, la parousie est traitée d’une manière, pour ainsi dire, didactique. Contre ceux que le retard de la parousie met déjà en doute à son sujet, S. Pierre la défend avec un axiome qui doit forcer toutes les bouches au silence : Devant Dieu mille ans sont comme un jour (2 Pier., 3, 1-10 ; cf. 1 Pier., 4, 13 ; Jacq., 5, 7-8).

La Tradition, sur ce point, n’a pas besoin d’être poursuivie plus longtemps, car, étant donnée la doctrine claire de l’Écriture, elle va de soi. Il n’y a d’important qu’un autre point, plus secondaire, qui a besoin d’être examiné, car il présente certaines difficultés théoriques : la question du temps de la parousie et de ses signes avantcoureurs.

Les signes avantcoureurs de la parousie. Le Christ atil donné ces signes ou les atil refusés ? Il y a des passages qui portent à répondre affirmativement, d’autres à répondre négativement. Tout d’abord, le Christ a refusé de nous donner une science déterminée au sujet du « jour et de l’heure » (Marc, 13, 32 ; Math., 24, 36 ; Act. Ap., 1, 6, 7). En outre, il a affirmé positivement que le jour viendra soudain, comme un voleur invisible dans la nuit (Marc, 13, 33-37 ; Math., 24, 43 ; 25, 6), comme un éclair qui brille soudain (Math., 24, 27), comme le déluge qui surprit les contemporains de Noé (Math., 24, 37), comme la pluie de feu qui se déversa sur Sodome (Luc, 17, 29, 30) et comme un filet qui est jeté sur les oiseaux (Luc, 21, 35). C’est pourquoi, « veillez ». Le moment précis est connu du « Père seul » (Marc, 13, 32), c.àd. Dieu seul le désigne.

Cependant le Christ n’a pas oublié de donner des signes avantcoureurs tout à fait généraux et, pour ainsi dire, lointains et obscurs, dont l’accomplissement doit encore exciter  la vigilance chrétienne. Les Apôtres ont ces répété ces signes dans leur prédication sur la parousie. On peut énumérer six de signes.

1. L’annonce générale de l’Évangile. Cet Évangile du royaume sera annoncé dans tout le monde, à tous les peuples, en témoignage et alors vient la fin (Math., 24, 14). Le Christ ne pense pas à une acceptation générale de l’Évangile ; le contraire semble même devoir être le cas (Luc,18, 8). Les paroles de l’évangile de S. Jean (10, 16) sur un seul troupeau et un seul pasteur ne se rapportent pas à cette question.

2. La conversion des Juifs. S. Paul admet que les Juifs n’ont été aveuglés que partiellement et temporairement, jusqu’à ce que la plénitude des païens soit entrée dans l’Église (Rom., 11, 25, 26). Ensuite Israël sera sauvé.

3. Le retour d’Élie. Dans le prophète Malachie, on voit apparaître, pour la première fois, cette idée que le futur Messie aura un précurseur (3, 1 ; 4, 5). Cette attente est exprimée aussi par l’Ecclésiastique, lequel parle d’Élie (48, 10, 11). Au temps de Jésus, cette attente était générale (Marc, 9, 11 ; cf. 6, 15 ; 8, 28. Jean, 1, 21). Mais le Christ ne se prononce pas sur le retour d’Élie : il s’accommode à la foi populaire ; mais il dit qu’Élie est déjà venu dans la personne du Baptiste et qu’il a fait son œuvre (Marc, 9, 12 ; Math., 17, 10-13). Les Juifs croyaient aussi au retour de Moïse (Deut., 18, 15 ; cf. Jean, 1, 21 ; 6, 14 ; 7, 40. Act. Ap., 3, 22 ; 7, 37). Moïse et Élie apparaissent sous une forme supraterrestre au moment de la Transfiguration (Math., 17, 1-9 ; peut-être aussi Apoc., 11, 3-14). On croyait également, au temps du Christ, au retour de Jérémie (Math., 16, 14) et d’Hénoch (Gen. 5, 24 ; Hénoch, 90, 31 ; 4 Esd., 6, 26 ; 14, 9, 29). Le Christ ne tranche pas la question.

4. L’Antéchrist et la grande apostasie. La figure de l’Antéchrist appartient aussi à la croyance populaire du judaïsme postérieur. L’Antéchrist est, comme son nom l’indique, l’adversaire du Messie, du Christ, et l’adversaire sous figure humaine. Il est difficile de se faire une conception nette de l’Antéchrist, d’après les données du Nouveau Testament. D’après S. Paul, c’est l’homme de péché, celui qui retient, le fils de la perdition, l’inique (2 Thess., 2, 3-12). D’après S. Jean, c’est plutôt le type de l’incrédulité (1 Jean 2, 18, 22 ; 4, 3 ; 2 Jean 7). Chez les Pères également, il reste une figure énigmatique, toutes les fois qu’ils en parlent. Cependant on le considère comme un homme qui est comme le résumé de toute méchanceté et, pour ainsi dire, l’incarnation de Satan. L’Antéchrist, d’après l’opinion des Pères, paraîtra à la fin ou plutôt un peu avant, et produira une grande apostasie des fidèles du Christ (Luc, 18, 8) ; il établira sa domination dans Jérusalem, la ville sainte ; mais il sera anéanti par le Christ, au moment de sa parousie et précipité en enfer (2 Thess., 2, 8 ; cf. S. Thomas, Suppl., q. 73, a. 1 ; S. th., 3, 8, 8).

5. De grandes tribulations. Les Prophètes représentent déjà le jour de Jahvé comme devant s’annoncer par des événements naturels extraordinaires, qui se produiront dans les astres et sur la terre. C’est dans le cadre de ces prophéties que se meut le discours eschatologique de Jésus (Math., 24, 6-10 ; Marc, 13, 26, 27 ; Luc, 21, 25, 26 ; cf. S. Thomas, Suppl., q. 73, a. 1).

6. Le grand incendie du monde. S. Pierre l’a prédit. De même que le premier monde a sombré dans le déluge, le monde actuel sera anéanti par le feu (2 Pier., 3, 5-7). S. Paul enseigne aussi que le jour du Seigneur se manifestera dans le feu (1 Cor., 3, 13) ; néanmoins la destruction du monde par le feu ne se trouve que chez S. Pierre. De même, dans bien des conceptions religieuses païennes, le monde doit périr finalement dans le feu (les stoïciens, la Sibylle, le Muspilli dans l’Edda).

§ 216. La résurrection générale

A consulter : S. Thomas, Suppl., q. 75. ; C. Gent., 4, 79-81. Brinquant, La résurrection de la chair et les qualités des corps glorieux (1899). Chadouard, La philosophie du dogme de la résurrection de la chair au 2ème siècle (1905). Segara, De identitate corporis mortalis et corporis resurgentis (Madrid, 1925).

THÈSE. Il y a une résurrection des morts.     De foi.

Explication. Le Symbole des Apôtres exprime déjà cette doctrine de foi ; de même, le Symbole de NicéeConstantinople (Denz., 86) ; celui de S. Athanase (Denz., 40). Le 4ème Concile de Latran affirme, contre les Albigeois et les cathares, ainsi que contre tous les dualistes manichéens et gnostiques, la réalité de la résurrection et l’identité du corps ressuscité et du corps terrestre : « Ils ressusciteront tous avec leurs propres corps, dont ils sont maintenant revêtus » (Denz., 429). Il est à peine besoin de mentionner les adversaires modernes de la résurrection. La résurrection de la chair a été rejetée par les rationalistes de tous les temps. C’est ce qui explique que, dès le début, les Pères se sont appliqués à affirmer ce dogme et à le défendre, comme un point capital de la foi, contre le paganisme.

Preuve. Dans l’Ancien Testament, la pensée de la résurrection corporelle suit l’évolution eschatologique dont nous avons parlé et n’apparaît qu’assez tard. Dans le mosaïsme, le peuple tout entier est d’abord considéré comme un individu. Israël sera de nouveau sauvé de la mort et de l’anéantissement (l’exil) et sera conduit vers une nouvelle vie politique et religieuse. Il se relèvera. C’est la doctrine d’Isaïe (25, 8 ; 26, 19-21) ; c’est surtout le sens de la grandiose vision du champ des morts, dans Ezéchiel (Ez., 37, 1-14 ; cf. Os., 6, 1-3 ; 13, 14). Mais Daniel parle d’un « réveil » personnel de ceux qui dorment dans la poussière. Cependant il ne mentionne pas expressément la résurrection de la chair.

On trouve un témoignage précis sur la résurrection dans le second livre des Macchabées. La manière dont on conçoit cette résurrection est encore, au début, très réaliste ; on croit sans doute à une identité non modifiée (2 Macch., 7, 11) ; néanmoins le fait est attesté sans aucun doute (2 Macch., 7, 9, 11, 14, 23 ; 12, 43, 44). Mais il semble qu’on ne croit qu’à une résurrection des justes, car on la refuse à Antiochus (2 Macch., 7, 14). Le livre de la Sagesse mentionne, il est vrai, la double sanction, mais ne parle pas de la résurrection de la chair. Au temps de Jésus, la plus grande partie des Juifs, pharisiens et peuple, croyaient à ce dogme qui n’était rejeté que par les sadducéens (Luc, 20, 27).

Job, 199, 25-27, dans la rédaction latine, n’est pas conforme au texte hébreu ; en outre, le texte latin n’est pas en harmonie avec l’ensemble des déclarations pessimistes de Job sur le sort de l’homme, même de l’homme pieux. C’est l’avis d’Hudal, Bibl. Ztschr. (Rev. Bibl.), 1917, 214-235 ; de Schlœgl, Le livre de Job (1916). Noestscher porte ce jugement : « Pour l’antique Israël et en général pour le temps qui précède l’exil, disons, avec prudence et pour éviter le danger de trop affirmer, que la conception de la résurrection personnelle ne se trouve nulle part attestée clairement dans l’ Ancien Testament (La foi à la résurrection dans l’Orient et le N. T. [1926], p. 118). Mais il refuse d’admettre un emprunt au parsisme. Le parsisme, en effet, enseigne l’apocatastase de tous, ce qui est entièrement étranger à Israël qui ne reconnaît que la résurrection des justes (Is., 26, 14, 19 ; Dan., 12, 2 sq.) ; au temps de Jésus encore, les pharisiens limitaient la résurrection aux justes (Math., 22, 23 ; Marc, 12, 18 ; Luc, 20, 27 ; Act. Ap., 23, 8), et pensaient que les mauvais seraient éternellement punis (Is., 66, 24 ; Dan., 12, 3 ; Jdt., 16, 18, Marc, 9, 47). De même, le dieu chananéen de la végétation qui ressuscite n’exerça aucune influence sur Israël, car cette résurrection n’a pas de caractère moral. Il faut plutôt chercher l’idée de la résurrection dans la propre évolution religieuse d’Israël. L’individualisme, qui commence avec l’exil, et le problème de la sanction portaient puissamment à rechercher une communauté éternelle avec Dieu et cette communauté, pour être parfaite, exigeait la résurrection ; un premier rayon de cette espérance brille déjà dans le livre de Job (Noetscher, 241). Cf. l’immortalité de l’âme, t. 1er, § 73. N. Peters (Le livre de Job [1928], 203 sq.), dit : « Les interprétations principales du passage sont les suivantes : 1° Job attend que Dieu lui rende justice icibas, pendant sa vie ; 2° Il espère que Dieu lui rendra la santé et le bonheur sur la terre ; 3° Il compte voir Dieu spirituellement et être justifié par lui ; 4° Il espère ressusciter plus tard et recevoir la justification dans la chair ; 5° Certains entendent par le go’ el de 5, 25, le Messie. L’explication détaillée du passage nous montre que l’interprétation n° 1 est plus fortement motivée.

Jésus, ayant trouvé cette croyance dans son peuple, n’y a pas insisté d’une manière spéciale. Il s’est contenté de spiritualiser la conception grossière qui régnait autour de lui, en disant que les « fils de la Résurrection » seront semblables aux anges (Luc, 20, 36). A ce sujet, il prouve la résurrection par le passage de l’Écriture où il est dit que Dieu est le Dieu des Patriarches qui par conséquent devaient vivre encore, car il n’est pas le Dieu des morts. (Math., 22, 31-32. Math., 5, 29, 30 = 18, 18 ; cf. 10, 28 ; 22, 23-33. Marc, 9, 42-47 ; 12, 18-27. Luc, 14, 14). Dans l’évangile de S. Jean, on distingue une double résurrection : une résurrection spirituelle qui a lieu maintenant, pour ceux qui écoutent la prédication de Jésus, et une résurrection corporelle, à la fin du monde. La dernière est opérée par le Christ lui- même (Jean, 6, 39, 40, 44) et il la promet à ceux qui mangeront sa chair et boiront son sang (Jean, 6, 55). Mais les bons et les mauvais ressusciteront. Il y a une « résurrection de vie » et une « résurrection de jugement » (Jean, 5, 28, 29). Cela complète Luc, 14, 14 ; 20, 35, 36, car, d’après ces passages, on pourrait ne penser qu’à une résurrection des « justes ».

Les Apôtres affirment la résurrection pour un double motif : d’abord parce qu’elle s’est déjà réalisée dans le Christ et puis parce que la foi à la résurrection est ce qui distingue surtout le christianisme du paganisme (Act. Ap., 17, 32 ; 26, 8, 23). C’est pourquoi aussi on trouve la plupart des témoignages de ce dogme chez S. Paul. Il enseigne le fait de la résurrection (Act. Ap., 17, 18, 32 ; 23, 6 ; 26, 6, 8, 23. Rom., 4, 17 ; 8, 11. 1 Cor., 6, 14 ; 15, 12-27. 2 Cor., 4, 14. Col., 1, 18. 1 Thess., 4, 13-15. 2 Tim., 2, 18. Hébr., 6, 2). La quantité des textes nous montre déjà l’importance que l’Apôtre attache à la résurrection. Plus que tout autre auteur biblique, il décrit aussi le mode de la résurrection ou la nature du corps ressuscité. S. Jean parle, dans son Apocalypse, d’une « première résurrection » des justes seuls (Apoc., 20, 4, 5) ; mais il signale aussi la résurrection générale (Apoc., 20, 12-14). Les autres Apôtres ne parlent pas expressément de la résurrection, soit qu’ils la considèrent comme partiellement incluse dans leur notion de la vie, soit qu’ils puissent la supposer connue.

Les Pères. Ils avaient les mêmes raisons que S. Paul de parler de la résurrection, surtout en face des païens. De là l’insistance des Apologistes. Les Pères postérieurs, comme S. Méthode, S. Epiphane, S. Jérôme, avaient à défendre la réalité de la résurrection contre le spiritualisme d’Origène, qui niait le caractère matériel du corps ressuscité et admettait, pour les justes, un corps éthéré immédiatement après la mort (De princ., 2, 10 ; 3, 6, 4). S. Augustin, lui aussi, eut à parler de la résurrection dans l’eschatologie de sa Cité de Dieu (Civ. 20, 17, 19 ; 22, 21 ; cf. Enchir., 91, 92 ; Sermo, 261, 262, 263 sq.).

Tout le monde sait que la résurrection est particulièrement signalée dans la peinture chrétienne primitive. Noé sauvé du Déluge, Isaac sauvé par l’ange sur le mont Moria, les trois jeunes gens dans la fournaise, Daniel dans la fosse aux lions, Suzanne devant les faux témoins, Jonas dans le ventre du poisson, Lazare ressuscité par le Christ, sont les images qui devaient montrer aux chrétiens des catacombes la victoire remportée sur la mort par la puissance divine et raviver leur espérance de la résurrection, dans le séjour même de la mort. Ces motifs sans cesse répétés s’achevaient par la montée d’Élie au ciel (Cf. Achelis, L’évolution de l’art chrétien antique [1919], 12 sq.).

La Scolastique s’appuya sur les mêmes arguments que les Pères. Cependant elle s’intéressa plus au mode de la résurrection, à la nature du corps, aux prérogatives des corps des bienheureux, qu’à la réalité de la résurrection. S. Thomas fit appel surtout à des arguments de raison : le corps fait partie de l’unité de l’homme ; sans lui l’homme n’est pas un homme complet ; une séparation éternelle du corps et de l’âme serait contre nature ; c’est pourquoi l’âme, sans le corps, ne peut pas être vraiment heureuse et, par suite, la résurrection est d’une certaine manière naturelle. Elle est naturelle, en tant qu’exigence de la nature humaine ; elle est surnaturelle, en tant qu’elle est opérée par la toutepuissance de Dieu (Suppl., q. 75, 1-3 ; C. Gent., 4, 79).

S. Thomas dit, en s’appuyant sur le ps.-Denys (Hierarch. Cœl., 13) : « Dieu luimême éclaire d’abord les substances qui sont les plus près de lui, et par elles il éclaire celles qui en sont plus éloignées, comme le dit saint Denis (De cœlest. hier., chap. 13). C’est pourquoi le Verbe de Dieu accorde d’abord la vie immortelle au corps qui lui est naturellement uni, et par ce corps il opère la résurrection dans tous les autres » (S. th., 3, 56, 1).

Il y a encore deux points à examiner particulièrement : l’universalité de la résurrection et la nature du corps ressuscité.

THÈSE. Tous les morts ressusciteront, les bons et les mauvais. De foi.

Le Symbole de S. Athanase enseigne déjà : « Tous les hommes ressusciteront dans leur corps » (Denz., 40) ; le 4ème Concile de Latran déclare contre les Albigeois : « Tous les  hommes ressusciteront avec leurs propres corps » (Denz., 429). C’est ce que déclarent aussi le 2ème Concile de Lyon (Denz., 464) et Benoît XII (Denz., 531).

Jésus enseigne expressément l’universalité de la résurrection (Jean, 5, 28, 29). S. Paul affirme sa foi en disant « qu’il y aura une résurrection des justes et des pécheurs » (Act. Ap., 24, 15). S. Jean aussi dit, d’une manière générale, que les morts reviendront de la mort et de l’empire des morts, pour être jugés selon leurs œuvres (Apoc., 20, 12-14).

Les Pères, il est vrai, enseignent, au début, une double résurrection : d’abord celle des justes, puis celle des pécheurs aussi ; cette conception était en rapport avec le millénarisme ; mais, à mesure que cette théorie disparaît, on n’entend plus parler que d’une résurrection générale à la fin du monde. Il est vrai que l’Écriture, dans les passages cités plus haut, ne parle pas d’ordinaire de la résurrection des mauvais, mais seulement de celle des bons. La raison en est que la résurrection est un bien de salut que nous devons à la Rédemption du Christ, le premier des ressuscités. On ne peut pas attribuer ce bien de salut aux impies. Au contraire, ceuxci seront punis par la perdition et la ruine éternelles, par la mort éternelle. Cela ressort particulièrement chez S. Paul, auquel, pour cette raison, les protestants attribuent la foi à un anéantissement complet des mauvais (Rom., 8, 6 ; Gal,  6, 7, 8 ; Phil., 1, 28 etc.). Sur ce dernier point, ils ont tort. En effet, indépendamment de Act. Ap., 24, 15, l’Apôtre enseigne expressément que nous paraîtrons tous devant le tribunal de Dieu, pour recevoir notre sanction. On ne peut concevoir cette comparution que sous une forme corporelle et, par suite, on ne peut entendre les passages cités que de la mort et de la ruine spirituelles (Cf. Tillmann. 182-192). S. Augustin dit : « Un chrétien ne doit pas douter le moins du monde que la chair de tous les hommes, de ceux qui sont nés et de ceux qui naîtront, de tous ceux qui sont morts et de tous ceux qui mourront, ne ressuscite un jour » (Ench., 84).

L’identité du corps est exprimée par le 4ème Concile de Latran, avec un réalisme un peu fort ; il enseigne que « tous ressusciteront avec le corps qu’ils portent maintenant » (Denz., 429 ; cf. 287, 347, 427).

L’Écriture permet de conclure à cette identité, car, logiquement, il n’y aurait pas de résurrection, si ce n’était pas la résurrection du même individu, mais d’un individu étranger ; ce serait plutôt une création qu’une résurrection. Quand Origène et ses disciples, en s’appuyant sur 1 Cor., 15, 50, exposèrent la théorie d’un corps ressuscité complètement étranger et spirituel, les Pères, qu’on a déjà nommés, s’opposèrent à cette théorie, surtout S. Jérôme. Ce Père s appuyait sur Job, qui est celui qui, en dehors du Christ, a parlé le plus clairement de la résurrection ; « Je serai de nouveau entouré de ma peau » (Job, 19, 26). Or là où il y a la peau, il y a aussi de la chair et des os et des nerfs et du sang et des veines et un sexe (Adv. Joan. Hieros., 30 : M. 23, 382). Il renvoyait aussi à l’exemple du Christ qui fit toucher son corps et ses plaies (Ibid., 28 et 34). S. Augustin, lui aussi, affirme que pas un cheveu de la tête ne sera perdu ; mais il dit toutefois : « La chair spirituelle sera soumise à l’esprit, ce sera cependant une chair et non un esprit ». Ce qui manquera dans le corps des ressuscités, pour la grandeur parfaite, l’harmonie et la beauté, sera suppléé par le Créateur. Les deux sexes seront aussi représentés parmi les ressuscités (Civ., 22, 21).

S. Thomas également enseigne l’identité matérielle du corps glorifié et du corps terrestre (Suppl., q. 79, 1-3). Il est suivi par la plupart des scolastiques et des théologiens. Durand, là aussi, fait exception et est suivi par quelques théologiens. Il rapporte l’identité non pas à la matière tout entière, mais seulement au principe individuant, en vertu duquel l’âme individualise une matière quelconque pour en faire son corps d’autrefois, ou bien, de ce principe qui lui est demeuré, tire, comme d’une semence, un nouveau corps (Bonnet). Les décisions de l’Église laissent encore place à cette explication, tout en insistant de préférence sur l’identité matérielle. Quant à la quantité du cadavre qui sera utilisée un jour pour constituer le corps glorieux, les partisans de l’identité matérielle ne peuvent l’indiquer ou bien ne peuvent prouver leurs dires. S. Paul n’enseigne pas, comme les protestants le prétendent, que le corps ressuscité descendra « tout fait » du ciel et sera présenté aux fidèles au moment de la résurrection (Cf. Tillmann, Th. Gl., 1910, 536 sq.).

La nature du corps ressuscité : 1. Le corps ressuscité doit être un vrai corps humain ; cela est exigé par la notion de résurrection. S. Jérôme, S. Augustin, S. Grégoire le G., S. Thomas étendent même l’intégrité du corps jusqu’à la distinction sexuelle.

2. Les corps ressuscités des bienheureux seront, malgré l’identité essentielle avec le corps actuel, très différents de ce corps, car le corps actuel sera glorifié, transformé (1 Cor., 15, 12-58).

3. Comme propriétés du corps glorieux, on nomme, d’après 1 Cor., 15, 43 : a) L’impassibilité (incorruptio) ; b) L’agilité (agilitas) ; c) La spiritualité (subtilitas, spiritualitas) ; d) La clarté (claritas) (Cf. Math., 13, 43 ; 17, 2. Phil., 3, 21. 1 Cor., 15, 26. 2 Cor., 5, 1. Sag., 3, 7).

Ces quatre propriétés permettent, en même temps, au corps de participer, à sa manière, aux joies de l’éternelle béatitude qui, pour l’âme, sont concentrées dans la vision de Dieu. On peut compter comme joies du corps, les joies des cinq sens, de l’imagination, des sentiments, de la contemplation sensible des beautés de la création.

Les corps des damnés participeront, à leur manière, aux peines de la damnation ; mais, comme la Révélation garde entièrement le silence sur les propriétés de ces corps, il est impossible de dire quoi que ce soit de certain à ce sujet. Tout ce qu’on peut, c’est de conclure, par analogie logique, à leur identité avec les corps terrestres et à leur intégrité, et de leur attribuer aussi une incorruptibilité. Dans cette mesure, on peut leur appliquer aussi 1 Cor., 15, 52, qu’il faut rapprocher de 1 Cor., 15, 51. « Dans ces jours, les hommes chercheront la mort et ne la trouveront pas et ils désireront mourir et la mort fuira devant eux » (Apoc., 9, 6 ; cf. S. Thomas, C. Gent., 4, 89).

§ 217. Le jugement général

THÈSE. Après la résurrection des morts, aura lieu, à la fin du monde, le jugement général.         De foi.

Explication. Le Symbole des Apôtres contient déjà cette proposition de foi ; il désigne ce jugement comme le but de la venue du Seigneur : « Juger les vivants et les morts ». Les autres symboles expriment également cette foi : « Les vivants et les morts » équivaut à « tous les hommes ». L’expression provient de la foi chrétienne primitive, d’après laquelle, au moment de la parousie, quelquesuns seront déjà morts, d’autres vivront encore (1 Thess., 4, 12-16).

Preuve. Dans l’Ancien Testament, on voit, dès le début, la pensée du jugement ou de la sanction, au premier plan. Dans les temps primitifs, le jugement de Jahvé, conformément à l’idée que l’on avait alors de la toute puissance divine et de l’empire sans limite, qui semblaient résumer la notion de Dieu, apparaît presque exclusivement comme un jugement destructeur. Qu’on pense au déluge, à Babel, à Sodome et Gomorrhe, aux punitions infligées à l’Égypte, à Israël dans le désert, à Chanaan, etc. C’est toujours un jugement de peuple, qui est accompli, comme d’ailleurs c’est la justice ethnique qui, au début, est au premier plan. Chez les Prophètes, surtout chez Isaïe, Jérémie, Ezéchiel, s’éveille, de plus en plus, l’individualisme religieux (Ez., 33, 5-22, etc.), et l’antique jugement de destruction devient un jugement de discrimination, c.àd. qu’il y a un choix parmi les justiciables : ce sont les mauvais qui sont jugés. Le jugement est encore, en effet, un jugement de châtiment et, par conséquent, il atteint ceux qui ont mérité un châtiment.

Jusquelà, le jugement se faisait cas par cas ; il suivait d’ordinaire immédiatement l’acte mauvais et c’est justement le jugement qui permettait d’en connaître la gravité. Au temps des Prophètes, il en fut autrement. La vengeance divine contre les crimes humains se réserve jusqu’au jour de jugement déterminé (jôm). Dieu veut donc d’abord patienter un certain temps avant d’accomplir le jugement. De temps en temps cependant, sa justice se manifeste et il visite les peuples à cause de leurs péchés. Chez Ezéchiel, tout jugement est ensuite concentré en un seul jour eschatologique, qui s’appelle désormais simplement jôm, le jour du jugement. A ce jugement final seront soumis aussi les païens ; là encore, on se conforme à la notion prophétique de Dieu créateur universel (T. 1er, p. 125 sq.). Et même ce jôm eschatologique évolue vers une catastrophe mondiale universelle : famine, sang, épée, épidémie, cadavres, tempête, tremblement de terre, obscurcissement des astres, etc., sont des signes et des châtiments. Dans Soph., 1-3, on trouve le « jour de colère » de l’Ancien Testament ; cf. Zach., 2, 1 sq. ; 13, 1 sq. ; 14, 1 sq. ; - Mal., 3, 1 sq. ; - Joël., 3, 2 sq. ; - Is., 13, 3 sq. ; 26, 19 sq. ; 66, 15 sq. Ce jour est proche (Is., 13, 6 ; 14, 1). Ce qui est important, c’est que, pour la première fois, tout en annonçant aussi un jugement des peuples, Ezéchiel annonce essentiellement un jugement final individuel (14, 10-22 ; 18, 2-32 ; 33, 7-20). « Je jugerai chacun selon ses voies, parmi vous, maison d’Israël » (33, 20).

L’objet du jugement, c’est toujours le péché, d’abord les fautes cultuelles extérieures, plus tard les fautes morales intérieures, toujours conformément à l’approfondissement du sentiment de moralité chez les Prophètes. Chez Daniel, le jugement se fait dans une forme juridique individuelle, en vertu du livre des fautes (7, 10). Le juge est Jahvé luimême ; mais, dans Daniel, il transmet cette fonction au Fils de l’Homme, au Messie (7, 9 sq. ; cf. Ps. 71, 2). On comprend facilement que Jahvé, en tant que Dieu de l’alliance, exerce d’ordinaire son jugement sur les païens (L’Égypte, Chanaan, etc.) en vengeant sur eux Israël. En tant que Dieu créateur, son intérêt est plus moral que national et il juge précisément chaque faute individuelle. Dans ces pieuses conceptions des Prophètes et des psaumes, apparaît, à côté du jugement des mauvais, le jugement des bons. Le juste prie : « Jugemoi, Seigneur, d’après ma justice » (Ps., 7, 9 ; 25 ; 1 ; 34, 24 ; 42, 1). C’est pour la première fois le jugement de salut : un jugement qui sauve, dans lequel le bon, en face du méchant écrasé, obtient son droit, trouve sa justification.

C’est dans cette forme épurée du jugement individuel et moral des Prophètes, que Jean le Baptiste annonce : S’en remettre aux mérites des pères serait de la témérité, ces mérites ne vous servent plus. Dieu peut faire sortir, des pierres, des enfants d’Abraham ; il a mis la hache à la racine de l’arbre pour l’éprouver ; celui qui ne porte pas de fruit sera coupé et brûlé (Math., 3, 7-12 ; Luc, 3, 7 sq., 17).

Jésus n’eut pas besoin de transformer et de perfectionner essentiellement l’idée du jugement. Ici les Prophètes avaient nettement préparé les voies, bien qu’ils n’aient pas exposé à ce sujet une doctrine formant un tout lié. Le Christ unit l’idée du jugement final particulier avec celle du jugement général des peuples. De très bonne heure et même immédiatement, il fait pénétrer, dans sa prédication consolante du royaume du ciel, la pensée du jugement. Il annonce déjà le jugement dans le Sermon sur la montagne (Luc, 6, 21-26. Math., 7, 22-27 ; cf. 10, 15 ; 11, 21 sq., 24 ; 12, 36 sq., 41 sq. ; 16, 24-27. Luc, 11, 31 sq.). Il décrit abondamment ce jugement dans les paraboles du jugement : celle de l’ivraie dans le bon grain (Math., 13, 24-30) ; celle du filet (Math., 13, 47-50) ; celle des dix vierges (Math., 25, 1-13) ; celle du maître qui demande des comptes à ses serviteurs (Math., 18, 23-35) ; celle des ouvriers de la vigne (Math., 20, 1-16) ; celle des talents (Math., 25, 14-30 ; Luc, 19, 11-28) ; celle du banquet des noces (Math., 22, 1-14). Le Seigneur en traite d’une manière systématique dans ses discours eschatologiques (Math., 24 et 25 ; Marc, 13 ; Luc, 21).

Les Apôtres ont fait du jugement un des points principaux de leur prédication. Ainsi S. Paul à l’Aréopage (Act. Ap., 17, 31 ; cf. Rom., 2, 6-13 ; 14, 10. 1 Cor., 3, 13 ; 4, 4 sq.). Bien que les fidèles doivent prendre part au jugement comme juges (1 Cor., 6, 2 sq. ; cf. Math., 19, 28 ; Luc, 22, 29 sq.), ils seront, eux aussi, jugés, c.àd. appréciés (Rom., 14, 10 ; 2 Cor., 5, 10) ; ce sera même le cas des anges (1 Cor., 6, 3 ; cf. 2 Pier., 2, 4 : Jud., 6).

D’après S. Pierre, Dieu est prêt à « juger les vivants et les morts » (1 Pier., 4, 5). D’après S. Jacques, ce jugement est « sans pitié », c.àd. juste (Jacq., 2, 12 sq.). S. Jean le décrit comme Daniel et mentionne les livres des péchés (Apoc., 1, 7 ; 20, 11-13 ; cf. Luc, 10, 20 ; Hébr., 12, 23).

Les Pères. Nous n’avons pas besoin de les entendre. Il est évident que leur enseignement est d’accord avec l’Écriture. Parfois ils disent que les bons ne seront pas jugés, par ex. S. Irénée, Epideix., 69 ; cela doit s’entendre d’après Jean, 5, 24, et d’un jugement de condamnation. Comme lieu du jugement, les Pères indiquent parfois la vallée de Josaphat, près de Jérusalem (Cf. Joel, 3, 2, 12 ; S. Thomas, Suppl., q. 88, 4). D’autres entendent cela comme une désignation symbolique. La question ellemême est sans importance.

Circonstances du jugement. Le juge est Dieu ; mais il exerce le jugement par le Fils de l’Homme (Dan., 7, 9-12), c.àd. par le Christ. Le Christ peut donc attribuer le jugement tantôt au Père (Math., 6, 4-8 ; 10, 28 ; 18, 35), comme il le fait d’ordinaire dans les paraboles de la parousie - il est alors présent comme juge assistant et principal témoin qui connaît les siens et renie les apostats (Math., 10, 32, 33 ; Marc, 8, 38 ; Luc, 9, 26 ; 12, 8, 9) - tantôt à luimême, comme juge qui a reçu sa mission du Père (Math., 7, 21-23 ; 13, 41 ; 16, 27 ; 24, 30 ; 25, 31-46. Jean, 5, 22, 30). Ce n’est pas un jugement indépendant, mais un jugement accompli sous la surveillance du Père : « Comme j’entends, je juge et mon jugement est juste » (Jean, 5, 30). Tel est aussi l’enseignement des Apôtres. Le juge est Dieu (Rom., 2, 3, 5, 6 ; c. 3 ; 1 Cor., 5, 13 ; 2 Thess., 1, 5 ; 1 Pier., 1, 17 ; Jacq., 5, 4) ; mais d’ordinaire c’est le Christ (Rom., 14, 10. 1 Cor., 1, 8 ; 4, 4, 5 ; 5, 5. 2 Cor., 1, 14 ; 5, 10. Phil., 1, 6, 10 ; 2, 10. 1 Thess., 4, 6).

S. Paul unit la conception du juge de l’Ancien et du Nouveau Testament, en disant que Dieu jugera le monde par le Christ (Act Ap., 17, 31), ou bien que Dieu jugera le monde d’après l’Évangile, par le Christ (Rom., 2, 16). C’est cette pensée qu’avait déjà exprimée le Christ, en disant qu’il viendrait dans la gloire de son Père pour le jugement (Math., 16, 27 ; 25, 31).

Les motifs de convenance pour le jugement par le Christ se trouvent dans ce fait que le Christ est notre législateur, notre modèle terrestre et surtout notre Seigneur et Sauveur, le représentant de Dieu sur la terre. L’aptitude à juger, c.àd. l’omniscience et la souveraine justice, il la possède dans sa nature divinohumaine. Ainsi son premier avènement s’est fait surtout par la voie de la miséricorde et de la grâce, son second avènement se fera par la voie de la justice et de la sanction.

Comme juges adjoints et assesseurs, l’Écriture nomme les anges qui convoqueront les peuples et feront la grande séparation (Math., 13, 41 ; 24, 31), les Apôtres et les saints (Math., 19, 28 ; Luc, 22, 29, 30 ; 1 Cor., 6, 2, 3).

L’objet du jugement ce sont les bons et les mauvais, ainsi que les bonnes et les mauvaises œuvres de l’esprit et du corps (Eccli., 11, 14 ; Rom., 2, 6 ; Math., 12, 36) ; même les projets les plus secrets du cœur (Rom., 2, 15, 16 ; 1 Cor., 4, 5 ; Hébr., 4, 12), même les péchés d’omission (Jacq., 4, 17), tout est à nu et à découvert, devant les yeux de Dieu (Hébr., 4, 13). Les « livres » du juge contiennent tout (Apoc., 20, 12). La décision a lieu d’après les œuvres (Math., 25, 31-46) et, comme on l’a vu, c’est une décision éternelle. Ainsi donc la théologie catholique des œuvres ou la doctrine du mérite qu’on a tant attaquée, soutient encore finalement l’épreuve.

Signalons encore que l’image du juge du monde fait partie des images chrétiennes primitives. Le juge du monde se tient debout ou assis sur les nuées du ciel, il a parfois à la main le livre avec les sept sceaux ; il accomplit d’un geste la séparation des boucs et des brebis.

Le temps du jugement est inconnu. Le Christ attribue la connaissance de ce jour « au Père seul », par conséquent, au Dieu omniscient (Marc, 13, 32 ; Math., 24, 36 ; Act. Ap., 1, 6, 7) et, par suite, il recommande la plus grande vigilance (Math., 24, 37-44 ; Marc, 13, 33-37 ; Luc, 12, 39-41 ; 17, 26-36 ; 21, 31-36). Les Apôtres, eux aussi, nous enseignent que ce jour nous est inconnu (1 Thess., 5, 1, 2, 4 ; 2 Pier., 3, 10 ; Apoc., 3, 3 ; 16, 15). C’est ce qu’enseignent aussi les Pères et les scolastiques.

Néanmoins c’est un fait que, dans les premiers siècles, on a présumé que ce jour était prochain ; on espérait et on désirait vivre assez pour voir ce jour personnellement et, à Thessalonique (1 Thess., 4, 12), on était même inquiet à cause de ceux qui étaient déjà morts, comme si leur mort prématurée devait porter quelque préjudice à leur salut (Tillmann, 8-10 et 50-53). Les textes qui prouvent ce fait sont clairs et nombreux et on ne peut pas les méconnaître (Cf. 1 Thess., 4, 13-18, contre lequel on ne peut pas alléguer 1 Thess., 5, 1-11 où l’on rejette seulement la désignation précise du moment ; 1 Cor., 7, 25-31 ; 15, 51-53, où S. Paul se met en ligne de compte ( v. 52 = 1 Thess., 4, 15 sq.) ; Rom., 13, 11, 12). Dans ces textes, S. Paul espère voir personnellement la venue du Christ, de son vivant. Entre la première et la seconde aux Corinthiens, cette espérance a été fortement ébranlée par un danger de mort ( ?) et, dans 2 Cor., 5, 1-10, il considère comme possible que ce jour le trouve parmi les morts ; mais son désir est toujours d’assister personnellement à l’instant bienheureux où le Seigneur viendra dans sa gloire (Cf. Tillmann, 46-118). Cette espérance est partagée par les autres Apôtres (Hébr., 10, 25, 37 ; 1 Pier., 4, 7 ; 2 Pier., 3, 8, 9 ; Jacq., 5, 8-9 ; 1 Jean, 2, 18-22 ; Apoc., 22, 20). Les Pères aussi présument que la fin est proche (Cf. Hermas, Vis., 3, 8 ; S. Cypr., De mort., 2 ; S. Basile, Ep. 39 (al. 139) ; S. Cyrille de Jér., Cat., 15 ; 11, 9, 10 ; S. Jean Chrys., In Hebr. hom., 2, n. 3 ; S. Augustin, De symb., 4 8 ; S. Grégoire le G., Dial., 3, 37, 38 ; 4, 41).

Dans un article : Sur le décret de la Commission biblique au sujet de l’attente de la parousie (Rev. d’Innsb., 1916, 167-182), l’exégète Holzmeister expose qu’on doit distinguer entre « espérance » et « attente » certaine. Quand on ne déduit de ses Épîtres (de S. Paul) rien de plus que l’espérance d’un retour prochain, on ne peut pas y trouver d’erreur. Une telle espérance suppose ce jugement : « Ce n’est pas seulement possible, mais encore d’une certaine manière probable (possibile et probabile) que je voie ce jour de mon vivant ». Ce jugement, d’après l’auteur, est raisonnable, car il y avait « alors plus de signes objectifs d’une fin prochaine du monde qu’à aucune autre époque écoulée depuis ».

L’ardent désir d’un règne complet de Dieu porta l’Apôtre à songer à un rythme accéléré et cette manière de voir se communiqua à toute l’ère patristique. Il fallut une plus grande expérience et ensuite l’extension du christianisme pour que l’on comprît généralement la parole du Christ : « Ce n’est pas à vous de connaître le temps et le moment que le Père a fixés de sa propre puissance » (Act. Ap., 1, 7).

§ 218. La fin et le renouvellement du monde

Que la fin du monde ne doive pas être entendue comme l’anéantissement, mais comme le renouvellement du monde, cela n’a fait l’objet d’aucune déclaration ecclésiastique ; mais c’est la doctrine claire de l’Écriture et des Pères.

Jésus a prédit la ruine de ce monde, « du ciel et de la terre » (Math., 5, 18 ; 24, 35 ; 28, 20. Marc, 13, 31. Luc, 16, 17 ; 21, 33) ; mais il a aussi annoncé un nouveau monde, en parlant d’une renaissance ou d’une transformation (παλιγγενεσία) du monde, au jour de sa parousie (Math., 19, 28). D’après S. Paul, toute la création attend sa délivrance future et soupire, pour ainsi dire, avec l’humanité, après son achèvement (Rom., 8, 19-23). « La figure de ce monde passe » (1 Cor., 7, 31) dans le « feu » (2 Thess., 1, 8 ; 1 Cor., 3, 13). Les corps célestes seront dissous dans la chaleur, la terre, avec toutes les choses qui sont sur la terre, sera brûlée. « Mais nous attendons, d’après ses promesses, un nouveau ciel et une nouvelle terre, où habite la justice » (Cf. 2 Pier., 3, 7, 10-13). « Et je vis », dit le voyant de Patmos, « un nouveau ciel et une nouvelle terre... Et celui qui était assis sur le trône dit : Voici que je fais tout nouveau » (Apoc., 21, 1, 5 ; cf. Is., 65, 17 ; 66, 22).

Les Pères. Ils s’en tiennent aux données de l’Écriture. Ils enseignent une transformation, un renouvellement, un rajeunissement, un embellissement du monde, en se rattachant d’ordinaire à Isaïe, à S. Pierre, à S. Jean et à S. Paul. Ils se réfèrent aussi parfois à la croyance, répandue même parmi les païens (stoïciens), à un incendie mondial eschatologique (S. Justin, Tertullien, Clément d’Alex.). Il ne faut pas s’étonner que les Pères à tendances millénaristes, que nous avons déjà cités, se soient représenté le renouvellement du monde sous les couleurs des apocalypses du judaïsme postérieur et aient conçu la « Jérusalem céleste » qui descend sur la terre comme une habitation idéale, mais cependant comme une habitation humaine et terrestre des saints, qui devait faire place, il est vrai, à un état final transcendantal. Les Pères considèrent la fin du monde comme définitive. Seul Origène, appuyé sur des idées platoniciennes, rêve, comme la plupart des philosophes païens, à un retour éternel des choses. Le Portique entendait ce retour au sens le plus étroit et le plus littéral et l’appliquait aux créatures particulières, aux hommes et aux événements qui leur arrivent (Origène, C. Cels., 4, 67, 68). On ne peut établir par l’Écriture que la réalité de la ruine et du renouvellement du monde, mais non le mode.

La Scolastique essaya de se faire, par la spéculation, une représentation de l’image eschatologique du monde. Plusieurs théologiens modernes voient, dans cette image, une absence d’organisation. Gutberlet voudrait, par contre, admettre tout au moins une sanction pour les bêtes qui ont tant à souffrir icibas. Quand on a conscience des limites du savoir humain, on se gardera de faire ici des hypothèses qu’on ne peut pas prouver par la Révélation. La raison, par ellemême, ne peut faire un seul pas dans l’avenir obscur. On doit prendre garde d’introduire trop de matérialisme dans l’audelà.

Il y a une chose cependant qu’on peut affirmer concernant l’état eschatologique du monde. Il se caractérise par une propriété qui est la séparation. Séparation du bien et du mal, du bonheur et du malheur, de l’harmonie et du désaccord. Ce sera, pour les bienheureux, une véritable « île heureuse ». On ne verra plus habiter côte à côte, comme icibas, la vertu et le vice, la vérité et l’erreur, l’amour et la haine. L’harmonie complète caractérisera le nouveau monde et ses habitants. C’est ainsi que S. Paul caractérise l’acte final du drame mondial. Tous les éléments hostiles à Dieu auront disparu. Le Christ aura anéanti et écarté toute méchanceté et il offrira à son Père la possession éternelle du joyau de l’humanité nouvelle. Luimême, en tant que Chef de cette humanité, se soumettra humblement à son Père. « Lorsque tout lui aura été soumis, alors le Fils luimême se soumettra à celui qui lui aura soumis toutes choses, afin que Dieu soit tout en tous » (1 Cor., 15, 28). Dieu tout en tous au commencement, Dieu tout en tous à la fin. Et S. Augustin écrit : « Ainsi sera le royaume des cieux : aucun hérétique n’aboiera, aucun schismatique ne se séparera ; tous y seront, et en paix » (Sermon 229/M ; Morin, 57).

Détermination du temps de la fin du monde. Le Christ a eu beau refuser nettement de révéler le temps et l’heure de la fin du monde, il s’est toujours trouvé des originaux qui ont eu l’étonnante envie d’indiquer, à ce sujet, des données numériques. Déjà Lactance parle de cinq cents ans avant la fin du monde (Inst., 7, 25, 5), Tykon, de trois cents ans. Presque tout le monde, avant S. Augustin, pense à six cents ans, depuis le ps.-Barnabé (Ep. 15, 4). S. Augustin signale (Civ., 18, 54) ces calculs et les rejette purement et simplement ; il divise cependant l’histoire du monde en périodes, d’après l’œuvre des six jours et, d’après cette division, nous sommes dans la dernière période terrestre et c’est pourquoi il parle souvent du « monde vieillissant » (Cf. Scholz, Foi et incrédulité chez S. Augustin, 156 sq. ; Troeltsch, Augustin, 24 sq.). Il refuse cependant nettement, en se référant au Christ, toute numération (annos computare ac definire). (Civ., 18, 53 ; cf. S. Thomas, S. th., 3, 1, 6).

A la conception physique et mécanique de la fin du monde (Helmholtz, Clausius, Riem, Chwolson, etc)., d’après laquelle le monde doit périr de la « mort par la chaleur » ou bien de la « mort par le froid », d’autres physiciens répondent par l’hypothèse de l’écroulement des astres morts et de la constitution d’autres mondes dans le circuit éternel des choses. On fera bien, avec Tillmann et Pesch, de considérer que le problème n’est pas mûr.

La valeur morale du dogme de la mort, du jugement, du ciel et de l’enfer, est déjà indiquée par le livre de Sirach : « Dans toutes tes actions, souvienstoi de ta fin et tu ne pécheras jamais » (Eccli., 7, 40). On rapporte d’ordinaire ces paroles à la pensée de la mort, du jugement et de l’enfer (S. Augustin, S. Bernard) ; ces trois fins dernières sont, en effet, des moyens très puissants pour nous détourner du péché. Si le péché, comme le dit S. Thomas, est essentiellement l’attachement à la créature, la mort nous arrache son objet, le jugement nous met devant les yeux sa folie et son malheur, et l’enfer nous punit éternellement pour sa méchanceté et sa faute. Ces pensées, avec celle de l’omniprésence de Dieu, sont très propres, à l’heure où la tentation nous attire vers le péché, à nous ébranler salutairement et à nous tourner vers Dieu. Dans certains moments, c’est peut-être la pensée de l’enfer seule qui nous donne la force nécessaire pour surmonter les tentations. Cependant un christianisme qui ne serait caractérisé que par la crainte de l’enfer serait un retour à la religion de crainte de l’Ancien Testament.

Il en est autrement du purgatoire. Comme nous l’avons déjà indiqué, cette doctrine est très consolante ; elle est comme le contrepoids de la terreur de l’enfer qui pourrait nous porter au désespoir, car nous savons que personne n’est pur et sans péché devant Dieu. Dieu ne punit pas tout péché de l’enfer, mais seulement le péché mortel, dans lequel l’homme se détourne complètement de lui et divinise la créature. Quant au péché ordinaire ou véniel, il le punit dans le purgatoire et il purifie l’âme des dernières imperfections volontaires.

Si la pensée de la mort, du jugement et de l’enfer nous remplit de la crainte de Dieu et nous détourne du péché, la pensée du ciel et de la vision de Dieu allume dans nos âmes le pur amour de Dieu, nous attire vers les biens véritables et éternels de la vertu et des bonnes œuvres, nous apprend à apprécier la haute valeur de la grâce sanctifiante, par laquelle nous pouvons nous assurer le ciel et sa béatitude. Combien de fois S. Paul, les Apôtres, les martyrs et tous les saints ont trouvé, dans un regard vers le ciel, le courage et la force d’accomplir l’œuvre de leur vie.

Index Alphabétique : page 547 du livre en papier. Voir les scan-pdf du tome 2.

[Ici se termine le PRÉCIS DE THÉOLOGIE DOGMATIQUE de Mgr Bernard Bartmann]