Édition par JesusMarie.com – ce livre est placé en copyleft – Paris 10 février 2020
Merci de prier pour la personne qui a travaillé deux ans pour réaliser cette nouvelle édition
INTRODUCTION
§ 209. Aperçu
historique
CHAPITRE 1 :
L’eschatologie de l’homme individuelle
§ 210. La mort
de l’homme
§ 211. Le jugement
particulier
§ 212. Le ciel
§ 213. L’enfer
§ 214. Le
purgatoire
CHAPITRE 2 :
L’eschatologie générale
§ 215. Le
retour du Christ
§ 216. La
résurrection générale
§ 217. Le
jugement général
§ 218. La fin
et le renouvellement du monde
A
consulter : S. Thomas, Suppl.,
q. 66-69 ; C. Gent. 3, 1-63 ; 4, 79-97. Siuri, Theologia
de novissimis (Valent., 1756). Billot, Quaestiones de novissimis (3è éd., 1908). Jungmann, Tract. de novissimis
(1898). Kastschthaler, Eschatologia
(1888). Pesch, 9. Heinrich‑Gutberlet, 10 (1904).
Palmieri,
De novissimis (1908). Scaglia, I « novissimi » nei monumenti primitivi della chiesa (1910). Ildefonso de Vuippens,
Le Paradis terrestre au 3è siècle (1925). Histoires du dogme de Schwane, Tixeront. Dict.
Théol. v. Eschatologie.
Dans l’eschatologie, on examine la
doctrine des fins dernières (Eccli., 7, 40). Elle se
divise en deux parties, selon que l’on étudie les fins dernières de chaque homme individuel, ou bien celle de toute l’humanité ou du cosmos. Si l’on examine les fins
dernières du point de vue de l’acte
rédempteur, on les appelle aussi l’achèvement
du monde.
L’idée d’un commencement et d’une fin
du monde domine toutes les religions supérieures : elles connaissent une
origine et une disparition du monde, comme elles connaissent la naissance et la
mort de chaque individu. La naissance et la mort de l’individu sont objet de l’expérience
quotidienne, mais la notion du commencement et de la fin du monde ne s’acquiert
que par la réflexion. Et comme la pensée est développée d’une manière inégale
chez les différents peuples, l’idée du commencement et de la fin du monde n’a
pas la même clarté chez tous et prend des formes diverses. En plus, notamment
pour ce qui est de la fin du monde, le sentiment moral exerce une forte
influence et ce sens moral, chez l’individu comme dans les collectivités, se
présente à des degrés différents. La conscience
reflète, dans ses assertions, surtout quand il s’agit de la fin de l’homme, les
couleurs et les formes, le caractère et les idées des peuples et de l’humanité.
L’idée du jugement et de la sanction
joue, dans les conceptions et les impressions des peuples, au sujet de la fin
dernière, un rôle important et souvent décisif. Vouloir enlever l’eschatologie
du christianisme, ou du moins l’atténuer
comme le fait aujourd’hui le néo‑protestantisme,
c’est lui enlever toute racine vitale. C’est justement dans la foi
eschatologique, que la foi en général subit son épreuve.
Quand
le mort quitte ce monde sensible et visible pour entrer dans le monde invisible
et supra‑sensible, il subit, d’après
les antiques religions culturelles, un examen moral et une appréciation morale
de la part des divinités du monde inférieur et reçoit, si cet examen a été
favorable, une participation au bonheur et au rafraîchissement de l’au‑delà. En général, cet au‑delà apparaît comme une transposition
améliorée de l’état d’ici‑bas. Il faut
supposer naturellement la croyance à la survie après la mort.
Il
est vrai que, dans les détails, les conceptions sont très divergentes ;
mais dans leurs formes essentielles, elles présentent une grande parenté. Même
les religions dites « primitives » ne sont pas dépourvues de toute
eschatologie. De même que chacune de ces religions a
une notion de Dieu et de la moralité, toute rudimentaire et altérée qu’elle
soit, chacune possède aussi ses idées sur la sanction et sa croyance à l’immortalité.
Parmi
les peuples à religion culturelle, les Égyptiens,
les Perses, les Babyloniens et les Assyriens
ont une eschatologie très évoluée ; ils vont même jusqu’à admettre la
résurrection corporelle, ou la réunion de l’âme avec le corps. Pour l’Égypte, nous possédons un précieux
document, le « livre des morts ». D’après ce livre, le mort, qui a
reçu une sentence favorable dans le « jugement des morts », est uni
avec Osiris, le souverain du monde des morts ; par contre, celui qui est
condamné est anéanti ou livré aux peines de l’enfer. On trouve aussi une
eschatologie, plus parfaite et plus évoluée, dans le parsisme, que les Juifs connurent à Babylone pendant l’exil. L’au‑delà, le jugement, la sanction individuelle
dans le royaume de Dieu (Ahura‑Mazda) ou
celui du diable (Angra‑Mainyus), se
trouvent, là aussi, au centre de la religion. Les Grecs subirent l’influence de
l’eschatologie de Platon, qui, sans doute, n’enseigne pas la résurrection de la
chair, mais l’immortalité de l’âme (dans le « Phédon », le
« Phèdre », le « Banquet »). Les bons s’en vont, après la
mort, dans l’ « île des heureux », les
impies dans les tortures du « Tartare ». Mais il connaît dans l’au‑delà, comme la doctrine orphique‑pythagoricienne, toute une série de phases d’épreuve
et de sanction. Certaines âmes doivent revenir jusqu’à dix fois dans ce monde
pour se purifier. Chez les Romains, on peut prendre comme témoin Cicéron, qui
en appelle, pour prouver la survie après la mort, au soin sacré des tombeaux et
au consentement des peuples : « De même que c’est par un instinct
naturel que nous croyons dans l’existence des dieux, et par l’exercice de la
raison que nous apprenons à connaître leur nature, ainsi c’est en nous reposant
sur la croyance de toutes les races de l’humanité que nous pensons que les âmes
ont une vie, et par cette raison nous devons apprendre leur lieu de résidence
et leur nature » (Tusc., 1, 16). Les bons vont
dans le ciel, alors que les méchants, en châtiment de leur crime, doivent errer
sans repos sur la terre, comme fantômes. Cependant, il ne faut pas voir un
témoignage en faveur de la valeur de l’au‑delà, pour
la vie, dans ces paroles de Cicéron : « Le mieux qui puisse arriver à
l’homme, c’est de ne point naître ; et le plus avantageux pour lui, quand
il est né, c’est de mourir promptement » (Ibid., 1, 48). Sophocle s’exprime
presque en termes identiques dans Œdipe
(5, 1224-1227 ; cf. aussi Eccl., 4, 2 sq. et 3,
19-21). La croyance eschatologique des Hindous
trouve son expression dans les chants du Rigweda, d’après
lesquels Yama, le dieu de l’empire des morts, reçoit les bons dans son ciel de
lumière et condamne les mauvais aux ténèbres et aux tortures du feu. La
doctrine de la migration des âmes, chez les Hindous, a pour objet la
purification dans l’au‑delà. Yama
tient le compte des actions des hommes et décide, d’après cela, du sort de
chaque âme. L’eschatologie de Bouddha
a deux aspects : le célèbre nirwana semble
signifier, dans la doctrine secrète, pour les gens cultivé, l’écoulement
complet du moi personnel, mais dans les idées du peuple, c’est l’« immortel nirwana »,
le « royaume paré de joyaux », auquel parvient le bouddhiste, quand,
par des réincarnations sans cesse renouvelées, il a atteint la pureté parfaite
et fait mourir en lui tout mauvais désir.
On
peut ainsi trouver, chez tous les peuples
qui se tiennent en dehors de la sphère de la Révélation, les mêmes lignes
essentielles de l’eschatologie, ainsi que les notions correspondantes de bien
et de mal, de mérite et de châtiment. Cathrein dit à la fin de ses recherches sur ce sujet qui se
poursuivent en trois volumes : « Il n’y a absolument aucun peuple qui
n’ait pas admis de continuation de l’existence humaine. Au sujet de trois ou
quatre tribus, on affirme qu’elles n’auraient eu aucune croyance à l’immortalité,
mais ce sont des tribus depuis longtemps disparues, dont on ne connaît à peu
près rien autre chose que le nom. Chez un petit nombre de peuples, il semble,
il est vrai, que les grands malfaiteurs soient exclus de l’immortalité. Ils
parlent d’une seconde mort ou d’un anéantissement, d’une disparition ou d’une
volatilisation des âmes mauvaises. On ne comprend pas très clairement ce qu’ils
veulent dire. Ils n’y réfléchissent d’ailleurs pas. De même que la pensée d’une
création proprement dite, à partir du néant, est étrangère à l’intelligence du
sauvage, de même la pensée d’un anéantissement proprement dit, au sens strict
du mot ».
La
doctrine des anciens Hindous, des Égyptiens, des néo‑platoniciens, la théorie de la réincarnation
ou de la migration des âmes, a trouvé
des adhérents dans le passé, elle en a encore aujourd’hui : ce sont les théosophes et les anthroposophes, ainsi que certains néo‑protestants. Au sujet
de l’eschatologie protestante qui pendant la guerre, a donné des production
singulières, Lemme raconte (Doctrine de foi, II, [1919], 320 et ss.) que les disciples de Schleiermacher, Hegel, Strauss,
Biedermann, Ritschl, considèrent les questions
eschatologiques comme oiseuses ou les rayent de la dogmatique. Il parle, avec
raison, d’un « courant montaniste dans la théologie
(protestante) » ; cela ne rend possible aucune eschatologie.
Comment
faut‑il maintenant, dans le cadre de l’eschatologie
générale des peuples, apprécier l’eschatologie
des Juifs ? Il était à prévoir que l’histoire radicale des religions
mettrait en parallèle le peuple juif, détenteur d’une religion révélée, avec
les anciennes religions culturelles. Et cela était d’autant plus à prévoir qu’on
pouvait compter que ces comparaisons seraient au désavantage d’Israël. L’eschatologie
et la sanction individuelle ne constituent pas l’aspect le plus solide du
mosaïsme. Des théologiens catholiques même estiment
que les idées eschatologiques, dans le mosaïsme et jusque dans le prophétisme
plus élevé, sont imparfaites. Le Jésuite Durand écrit dans le Dict. Apol. II, v. Inerrance biblique : « Un des plus
saillants exemples est l’idée que les Hébreux se faisaient des destinées d’outre‑tombe. Avec les
lumières de l’Évangile sur nos fins dernières, nous avons de la peine à
comprendre que les auteurs de l’Ancien Testament ne parlent pas plus souvent,
ni avec la précision que nous y mettons, des récompenses et des châtiments
de la vie future. » Il en est de même, au reste, du problème connexe
de la Rédemption. Et le Dict. théol. écrit : « En
effet, Jésus‑Christ vient enfin et c’est le grand
révélateur de l’au‑delà. Sur
son existence, sur sa nature et sur ses relations avec le Dieu vivant et
personnel, qui est notre Père, c’est lui qui a apporté aux hommes la certitude
et la clarté définitives. « (V, 43). C’est là un
jugement pondéré. Le Schéol reçoit tout Israélite quand il quitte ce monde. C’est
un lieu sombre, sans joie, même quand on y retrouve des pères et des
connaissances. Surtout Jahvé n’a aucune relation claire avec les Schéol. Cf.
cependant Ps. 138, 8 : « Si je me couche dans le Schéol, te
voilà. » Cependant germe, chez quelques élus, une légère espérance :
« Jahvé anéantira la mort pour toujours. » (Is., 25, 28 ; cf. G. Quell, L’idée
de la mort en Israël [1925] ; Hœlscher, Les origines de l’eschatologie juive [1925]). L’existence
de l’au‑delà, sa nature et surtout ses
relations avec Dieu dans la participation à sa vie bienheureuse ou dans l’exclusion
de ce bonheur, sont des points sur lesquels la Révélation a répandu peu à peu
la lumière qui n’a été complète qu’avec Jésus. Israël vivait de préférence,
sinon exclusivement, ici‑bas. Pendant longtemps, l’au‑delà ne fut pas
au centre de sa religion. Il n’y fut sans doute jamais ; ses espérances
messianiques terrestres y mettaient obstacle ou, pour mieux dire, ces deux
notions se confondaient. S. Paul appelle (Act. Ap., 17, 30) les temps qui ont précédé le Christ « les
temps de l’ignorance ». On sait, par l’Évangile, combien le Seigneur a eu
de peine à essayer de tourner les regards de son peuple vers l’au‑delà glorieux. C’est devant la conception
terrestre, que ce peuple se faisait du royaume des cieux, que sa mission a
échoué. Il n’arriva même que lentement à élever les pensées de ses disciples à
une conception spirituelle de l’au‑delà. (Matth., 20, 20 et ss ; Luc,
24, 21 ; Act. Ap. 1, 6
et ss).
Pendant
l’exil, et sans doute sous l’influence
des épreuves subies, on songe moins, quand on pense aux sanctions, à la
collectivité du peuple, qui est maintenant anéanti, qu’aux individus pieux et l’on
trouve, pour la première fois, chez Ezéchiel (18, 1-32 ; cf. Jér., 31, 29 et ss.) l’affirmation
précise et, pour ainsi dire, d’une clarté systématique, que les enfants n’ont
pas répondre des parents, pas plus que l’individu n’a à répondre du peuple,
mais que le bon comme le mauvais est récompensé ou puni individuellement. Or
comme le sort de l’individu, ainsi que le remarque S. Thomas (S. th., 1, 2, 99,
6 ad 3), ne réalise pas, sur la terre, l’harmonie entre la moralité et le
bonheur extérieur, mais que le bonheur et moralité sont souvent en désaccord,
Israël avait été préparé et mûri par l’exil pour recevoir la révélation de la
justice individuelle et de la sanction dans l’au‑delà. Il est
donc tout à fait normal que nous rencontrions après l’exil un progrès sensible
sur ce point, comme on le verra plus loin dans l’examen des questions
particulières.
Il
est intéressant de connaître les idées des théologiens juifs eux‑mêmes : « Nous trouvons déjà (!)
les commencements de l’eschatologie dans les récits plus récents de la Bible.
(Dan., 12, 2, 3) Elle trouva son évolution dans les écrits apocalyptiques et
dans le Talmud. « Ce n’est pas
dans cette vie que l’action pieuse est récompensée… La récompense et le
châtiment dans la vie future sont, d’après la plupart des maximes du Talmud et
d’après les idées concordantes de la philosophie religieuse juive, de nature
spirituelle. » (Cf. Bernfeld, Les doctrines du
judaïsme, [1920], 81). Il cite comme textes qui prouvent la sanction : Ex., 20, 5 et ss. ; 34, 6 et ss. Lév., 26, 3-9, 14-16. Deut., 5, 9
et ss. ; 7, 9, 12 ; 11, 13-17, 26-28. Is.,
3, 10 et ss. ; 26, 21. Jér.,
31, 29 et ss. Ez., 18,
1-32. Ps. 30, 24 ; 61, 13 ; 144, 20. Prov., 5, 22 ; 10,
29 ; 11, 31 ; 13, 21 ; 16, 11 ; 21, 7 ; 22, 8. Eccl., 12, 13 et ss. Un exposé du
contenu de l’au‑delà ne se trouve dans aucun de ces
passages. Dans les écrits talmudiques allégués, on n’en trouve qu’un seul qui
exprime cette pensée assez pâle : que le bien et le mal accompagnent l’homme
« dans le monde futur ». Deux passages de Maimonides
parlent de la « vie éternelle », mais sans aucune précision.
« Quand les Rabbis parlent de l’enfer et du paradis et décrivent, en
couleurs vives, les châtiments de l’un et les délices de l’autre, ce ne sont là
que des images pour exprimer les tourments du péché et les joies de la
vertu », dit Kaufmann, Esquisse d’une théologie du judaïsme (1910), 231.
Est‑ce que le contact d’Israël avec le parsisme,
à Babylone, n’a pas éveillé, chez lui l’intérêt eschatologique ? Est‑ce que, surtout, la littérature apocalyptique
des apocryphes n’a pas décrit, dans ses tableaux fantastiques, l’au‑delà local, d’une manière si précise qu’on
pourrait croire, par exemple, que Dante a trouvé la matière de sa « Divine
Comédie » dans le livre d’Hénoch ? Nous ne voyons pas ce qu’il y
aurait d’embarrassant à répondre affirmativement à cette question. Pourquoi le
Seigneur n’aurait‑il pas pu
utiliser des suggestions et des besoins eschatologiques venant d’ailleurs, pour
donner ensuite à son peuple une
nouvelle révélation, quand il serait mûr
pour cela ? (Cf. Schanz,
Rev. De Tub., 1893, 140).
Uniformité ou dualité. Parmi les
protestants, il y a une controverse à ce sujet. On se demande si l’eschatologie
juive, dans son ensemble, est uniforme, ou bien si elle ne se divise pas en
deux tendances essentiellement différentes. La conception juive antique n’aurait‑elle pas été
simplement nationale, n’attendant rien d’autre que le rétablissement du peuple
juif dans une nouvelle liberté politique et son avènement à une puissance
mondiale insoupçonnée, alors que la tendance postérieure (de 200 avant à 100
après J.-C.) se serait élevée à une sphère supra‑terrestre,
transcendante, à des notions plus pures, spirituelles morales ? Messel soutient, contre Bertholet, Bousset,
Volz et d’autres, la thèse de l’uniformité de la
croyance eschatologique juive, et affirme le caractère purement terrestre et
temporel des éléments eschatologiques suivants : 1° L’avènement
merveilleux de la nouvelle ère venant du ciel ; 2° Les catastrophes
naturelles et la destruction du monde par le feu ; 3° Le nouveau ciel et
la nouvelle terre ; 4° Le nouvel « aevum »
glorieux ; 5° Le paradis (le ciel), comme lieu du salut messianique ;
6° Le millénaire (chiliasmus) ; 7° La vie
éternelle et l’anéantissement de la mort ; 8° L’égalité des ressuscités
avec les anges ; 9° Satan et les démons, en tant qu’ennemis de Dieu ;
10° Le grand jugement final. - Toutes ces notions, empruntées à la littérature
apocalyptique postérieure, doivent s’entendre d’un bonheur idéal ici‑bas. Cependant cette thèse n’est pas
soutenable. Sans doute, les Juifs n’ont pas encore la notion claire de la
« visio beata »
chrétienne et surtout du bonheur qui résulte de cette vision. Israël vit encore
plus dans la vie présente que dans la vie future ; mais il est tout au
moins sur la voie qui mène à la vie future et il ne pouvait guère considérer
que ses espérances eschatologiques seraient réalisables dans un bonheur idéal
ici‑bas. Il est vrai que son paradis est
encore plus loin d’être le ciel final parfait que celui des Pères, plus tard
(S. Ambroise, etc.). Cf. aussi Schneider, L’autre vie (14è éd.,
1919), 179 et ss.
A
consulter : Ginella,
De notione atque origine mortis (Vratisl., 1868), Arnauld d’Agnel, La mort et les morts d’après
S. Augustin (1916)
Thèse. Dans l’ordre actuel du salut,
la mort est une conséquence du péché, en tant que le don de l’immortalité
corporelle a été perdu par la chute d’Adam.
De foi.
Explication. L’expression
« mort » se rencontre dans l’Écriture avec une triple
signification : la cessation de la vie naturelle, la perte de la grâce
surnaturelle (Eph. 2, 1) et enfin la perte de la vie
éternelle (Apoc., 20, 14).
La
mort corporelle est, en soi, naturelle à l’homme ; mais cette destruction
du corps humain avait été supprimée, dans l’état de justice primitive, par le
don de l’immortalité. Ce don fut perdu par le péché, et la mortalité humaine
recouvra ses droits et ses effets (Trid., S. 5, can.
1, 2). Ce n’est donc pas une contradiction, quand l’Écriture voit la raison de
la mort, aussi bien dans la nature créée que dans le péché : les deux
motifs sont exacts. Par ex. Gen., 2, 17 ; Rom.,
5, 12 ; cf. Gen. 3, 19 ; Ps. 102 et 103,
etc.
Preuve. Elle se trouve déjà dans ce qu’on a exposé
précédemment sur le don et la perte de l’immortalité (Cf. t. 1er, §
73).
L’universalité de la mort est une
doctrine claire de l’Écriture, c’est aussi une vérité d’expérience
incontestable.
Innombrables
sont les passages où l’Ancien Testament, s’appuyant sur la sentence de Dieu (Gen., 3, 19), aussi bien que sur l’expérience quotidienne,
se lamente de voir que tous les hommes sont « poussière » et doivent
retourner à la « poussière » (Gen., 18,
27 ; 2 Rois, 14, 14 ; Eccli. 14, 18 ;
Job 10, 8, 9 ; Ps. 89, 3-5 ; 102, 14-16, etc.). Le Nouveau Testament
fait entendre les mêmes plaintes. D’après le Christ, le diable est un
« homicide depuis le commencement » (Jean, 8, 44) et S. Paul écrit
que, « par le péché, la mort est venue, et qu’ainsi la mort est passée
dans tous les hommes » (Rom., 5, 12). Hénoch (Gen.,
5, 24 ; Hébr., 11, 5) et Elie (4 Rois, 2, 11) ne
font pas exception. On dit, il est vrai, que S. Paul admet la possibilité que lui‑même et ses
contemporains voient la fin du monde et soient emportés vivants avec le Christ
dans les nuées (1 Thess., 5, 14-16) ; mais, dans
1 Cor., 15, 53, il déclare que ce qui est corruptible revêt d’abord l’incorruptibilité.
Il ne dit pas comment cela doit se passer, avec ou sans intervention de la
mort ; il faut donc compléter ce passage par Rom., 5, 12. S. Thomas pense
que les survivants eux‑mêmes
mourront et ressusciteront immédiatement (S. th. 1, 2, 81, 3 ; Suppl., q.
78, 2).
Avec
la mort finit pour l’homme le temps du mérite et du démérite ; un
changement substantiel de ses dispositions et une modification essentielle de
son sort ne peuvent plus avoir lieu.
Cette
thèse, sans doute, n’est pas définie ; mais elle exprime la foi générale
de l’Église et est étroitement connexe avec les déclarations réitérées de l’Église,
d’après lesquelles la sanction a lieu immédiatement après la mort et est une
sanction éternelle (Denz., 464, 530, 693). Dans ces
déclarations, il est question de trois
états, dont deux sont décisifs : le ciel et l’enfer ; le troisième,
le purgatoire, est décrit de telle sorte qu’il coïncide essentiellement avec la
destination au ciel.
Preuve. L’Ancien
Testament, à cause de ses conceptions eschatologiques imparfaites, n’est pas
utilisable ici, pas même Eccl., 11, 3 et Eccli., 18, 22. Mais le Nouveau Testament est plus précis.
On peut d’abord citer le Sermon sur la montagne, surtout dans la rédaction de
S. Luc. Dans ce sermon, les « bienheureux » prononcés sur les bons et
les « malheur » prononcés sur les mauvais s’opposent, dans une
antithèse tranchante ; on pourrait même penser qu’il y aura, dans la mort,
un simple changement de rôles ; celui qui rit ici (nunc) pleurera là-bas (tunc) et vice‑versa (Luc,
6, 20-26 ; Matth., 5, 3-12). Or ce changement de
rôles introduit une situation définitive. Cela résulte aussi de la parabole du
mauvais riche et du pauvre Lazare (Luc, 16, 19-31), ainsi que de celle des dix
vierges (Matth., 25, 1-13). Dans les deux paraboles,
on atteste, il est vrai, un certain changement de dispositions et une prière
formelle pour obtenir un changement de situation ; mais le temps des
décisions est déjà passé. Le Christ ne laisse aucune possibilité d’espérance
après cette décision. De même qu’il dit de lui‑même :
« Je dois accomplir les œuvres de celui qui l’a envoyé, tant qu’il fait
jour, car voici venir la nuit (la mort) où personne ne peut travailler
(« la nuit vient, pendant laquelle personne ne peut travailler »,
Jean, 9, 4) ; de même, il exhorte ses disciples à la vigilance, à l’activité
et à la persévérance (Matth., 24, 42-52 ; 25,
13. Marc 13, 33. Luc 12, 35-40). Ces exhortations sont répétées aussi par ses
Apôtres (Gal. 6, 9 et ss. ; 1 Cor. 9, 24 et ss. ; 2 Cor. 5, 1-10 ; 1 Thess.,
5, 2 et ss. ; 1 Pier. 1, 3-8 ; 2 Pier. 3,
10 ; Jacq., 4, 13-15 ; Apoc., 2, 10 et ss. ;
3, 3 ; 16, 15). S. Paul est particulièrement clair dans 1 Cor., 15, 24-28,
où il dit que l’économie du salut est close, pour toute l’humanité, par le
jugement. Toutes ces exhortations, si souvent répétées et avec tant d’insistance,
n’ont de sens que si la mort, qui viendra soudain comme un voleur, doit
précisément amener la décision essentielle de tout.
Les Pères. Ils se
rattachent complètement à la vérité, exprimée dans le Nouveau Testament, au
sujet de l’importance décisive de la mort. D’après eux, il n’est plus possible,
après la mort, d’amasser les mérites. Il suffit d’entendre quelques voix. Dans
la lettre dite 2ème de Clément,
composée vers 130-150 (à Rome ou à Corinthe), on lit : « Tant que
nous sommes dans ce monde, faisons pénitence de tout cœur, pour le mal que nous
avons commis dans notre chair, afin que nous soyons sauvés par le Seigneur,
pendant que nous avons le temps de faire pénitence. Car, après notre sortie du
monde, nous ne pourrons plus faire une confession, ni accomplir une
pénitence » (8, 3). S. Cyprien :
« Quando istine recessus fuerit, nullus jam pœnitentiae locus
est » (Ad Dem, 25). S. Basile : « Celui qui arrive après le combat n’est pas couronné ; et celui qui apparaît après la guerre n’est pas célébré comme
brave. Il est donc manifeste qu’après la vie on ne peut pas faire d’œuvres
agréables à Dieu » (Hom., 7 in divites, n.
8 : M. 31, 301). S. Jean Chrysostome :
« Ici c’est le temps de la pénitence, là-bas celui du jugement »(De pœnit. Hom., 9 :
M. 49, 346). S. Ambroise :
« Iidem eimus qui fuimus » (De excess. Fratr., 2, 48). « Venit dies
mortis, et jam nullum conversionis remedium erit » (In Ps. 118, sermo 2,
14).
Seuls,
Origène et les deux Grégoire grecs font exception, en ce sens qu’ils croient à une
conversion et à une purification des méchants dans l’au‑delà et, conséquemment admettent une
modification de leur sort. Or la doctrine de l’apocatastase est essentiellement étrangère, tant au judaïsme (Bousset, 481) qu’au christianisme ; elle provient du
platonisme, d’après lequel - il rejetait la résurrection corporelle – l’âme, en
soi impassible, se purifie de ses fautes dans des incorporations répétées jusqu’à
la pureté complète (Kroll, Doctrine d’Hermès
trism., 273 et ss.) Cette
doctrine fut empruntée à Origène, non seulement par S. Grégoire de Nysse, mais encore par Didyme l’Aveugle. (Bardy, Didyme l’A.,
164-167). S. Jérôme le leur reproche. Ce que, dans les temps modernes, un petit
nombre de catholiques, comme Hirscher, Schell, Mivart, ont admis, n’était pas l’antique apocatastase, mais
une possibilité de conversion après la mort (Zahn,
107 et ss.).
Nous
lisons, dans S. Jean Chrysostome, de
sévères reproches adressés aux chrétiens qui étaient inconsolables, dans leurs
lamentations et leur deuil, au moment des funérailles : « Je rougis
(comme votre évêque), devant les païens et les hérétiques, qui voient (chez
vous) de telles choses et sont véritablement autorisés à en rire » (Siglemayr, St. d.
Zt (Voix du temps), 1928, p. 96). Il critique aussi
la superstition des chrétiens qui croient que l’âme d’un défunt peut errer et
« se changer dans la nature d’un démon » (Siglemayr, ibid., p. 97).
La
Scolastique continue la doctrine de l’Écriture
et des Pères, dans une forme didactique, et distingue entre l’état de voie (status viae) et l’état de terme (status termini) (Cf. t. 1er,
p. 325 et ss.). Si l’on demande pourquoi l’aptitude
méritoire de l’homme prend fin avec cette vie, on n’en peut trouver la raison que dans une ordonnance positive
de Dieu.
L’intérêt moderne pour l’apocatastase (on
disait aussi autrefois métempsycose, ensomatose,
palingénésie ; on emploie d’ordinaire aujourd’hui l’expression bouddhiste réincarnation), dans notre époque avide
de nouveautés et pénétrée d’idées théosophiques, s’explique d’autant mieux qu’on
y voit un moyen d’échapper à la doctrine sérieuse du christianisme, sur l’importance
de la mort et du jugement, et même de la supprimer. S’il reste encore, plus
tard, un nombre incalculable de possibilités, ou même seulement quelques
possibilités de se sauver, la légèreté humaine peut risquer de perdre une vie
et jouir de la vie actuelle dans la satisfaction sans frein des passions. C’est
pour cela aussi que Schleiermacher a
pu introduire, dans le protestantisme, l’idée assez répandue d’une possibilité
de conversion après la mort. Le protestant E. Brunner écrit, au sujet de l’apocatastase,
qu’elle n’a « aucun fondement dans la Bible », qu’elle avait toujours
été considérée, dans l’Église, comme une « hérésie frivole » ;
mais qu’elle passe « aujourd’hui pour le propre et la caractéristique du
christianisme ».
L’Église russe, elle aussi, au moins dans
les croyances populaires, penche vers l’apocatastase. Zankow
écrit à ce sujet : « Bien que cette doctrine (« que tout est
sauvé ») ait été, dans sa formule origéniste, condamnée par le 5ème
Concile œcuménique, bien peu d’orthodoxes peuvent cependant admettre
tranquillement et absolument cette idée que, pendant toute l’éternité, malgré l’amour
et la grâce de Dieu, il y aura des hommes damnés pour toujours et un péché
éternel » (P. 61). Il y a assurément une lacune dans l’eschatologie
protestante, parce que le bon sens et le sentiment moral demandent une
possibilité de purification après la mort, pour ce qui n’est pas entièrement
parfait ; cette lacune est comblée par la doctrine catholique du
purgatoire ; et c’est pourquoi le protestant Genrich,
avec beaucoup d’autres, préfère cette doctrine au bouddhisme (P. Genrich,
Propagande bouddhiste moderne, 1914).
THÈSE. Tout homme, immédiatement après
sa mort, sera jugé par Dieu, dans un jugement particulier dont la sentence sera
irrévocable. De foi.
Explication. L’Église a exprimé maintes fois, indirectement, cette doctrine de foi, en
définissant que l’âme entre, immédiatement après la mort, dans sa destinée
éternelle et définitive. Or cette destinée doit être précédée d’une décision
judiciaire. Il y eut des idées peu
claires sur le sort des âmes séparées du corps ; un certain nombre de
sectes admettaient, pour ces âmes, un sommeil des âmes (psychopannychie)
jusqu’à la fin du monde (nestoriens, arméniens, arminiens, sociniens, néo‑protestants, quelques Pères aussi, Rosmini) ; d’autres prétendaient que l’âme meurt avec
le corps et ressuscitera à la fin du monde (photiniens, anabaptistes,
etc.) ; d’autres admettent une migration des âmes (métempsychose)
(manichéens, priscillianistes). La profession de foi grecque, prescrite à l’empereur
Michel Paléologue, contient cette doctrine, que les âmes, qui ne sont pas
entièrement pures, seront purifiées après la mort dans le purgatoire (post
mortem purgari), que les âmes pures entreront tout de
suite au ciel (mox in cœlum recipi)
et que les âmes entièrement impures descendront en enfer (mox in infernum descendere ; Denz., 464). Cette doctrine est répétée, dans le décret
pour les Grecs, qui avaient, sur ce point, des idées assez peu claires (Denz., 693) et de même, dans une décision solennelle de
Benoît XII (Denz., 530 sq.).
Les « Églises d’Orient » n’admettent
que le jugement dernier et en sont restées au point de vue de l’eschatologie
encore imprécise des Pères : mort, état intermédiaire (mais état
conscient, pas de sommeil des âmes), résurrection, jugement général, paradis et
enfer (Cf. Gallinicos, Catéchisme, 47 sq.).
Preuve. Dans l’Écriture, le jugement général est au premier
plan. Cependant un jugement particulier est souvent indiqué, insinué, ou
supposé. C’est le cas dans la parabole du mauvais riche et du pauvre Lazare
(Luc, 16, 19-31). De même que le pauvre Lazare est transporté immédiatement
dans le sein d’Abraham, de même le Christ dit au bon larron, sur la
Croix : « Aujourd’hui même tu seras avec moi en paradis » (Luc,
23, 43). Ainsi, les paraboles, dans lesquelles le maître de maison demande des
comptes à chacun de ses serviteurs, supposent la pensée du jugement particulier
(Math., 18, 23-25 ; 25, 14-30. Luc, 16, 1-8 ; 19, 11-27). Bien plus,
l’homme prononce déjà son propre jugement ici‑bas,
selon son attitude envers le Christ (Jean, 3, 17-19 ; 5, 24 ; 12,
31). Les justes sont déjà « consommés » (Hébr.,
12, 23). « Il a été décidé que les hommes meurent une fois, et après la
mort vient le jugement » (Hébr., 9, 27). Mourir
et être jugé sont deux actes homogènes et personnels.
Les Pères. Au début,
ils manquent de clarté dans leur doctrine au sujet du sort des morts. (Kirsch, Communion des saints, 68 sq.).
Ils jugent avec certitude du sort bienheureux des Prophètes, des Apôtres et des
martyrs. S. Ambroise s’en tient à l’opinion
des anciens (S. Justin, S. Irénée) et croit que tous les morts restent dans l’Hadès
jusqu’au jugement dernier : « Pendant que la plénitude des temps est
attendue, les âmes attendent aussi le salaire mérité ; les unes attendent
le châtiment, les autres la gloire et l’honneur » (De bono
mortis, 10, 47 ; cf. Tert.,
De resurr. carn.,
17, 43 ; Apol., 47 ; ps.
Cyprien, De laude mart.,
13). L’idée du millénium influence l’eschatologie de plusieurs témoins
patristiques (Papias, Barnabé, Justin, Irénée, Methode, Apollinaire, Tertullien, Commodien,
Lactance, Victorin de Pettau). S. Augustin lui‑même a, au
début des idées millénaristes (Civ., 20, 6, 1
sq. ; 7, 2 ; 9, 1). Les millénaristes s’appuyaient sur Apoc., 20,
1-3. Le millénarisme fut combattu par Origène, les Cappadociens et surtout par
S. Augustin (Tixeront, 1, 217-220). C’est S. Augustin
qui déracina dogmatiquement l’ancien millénarisme et l’ébranla, en appliquant
les passages concernant le millénium à l’Église de la terre et à la
souveraineté spirituelle du Christ dans le monde actuel. C’est là le trait
fondamental de la « Cité de Dieu ».
Néanmoins
le rejet du millénium ne créait pas encore la clarté complète, car on avait de
la peine à se représenter une vie d’âmes séparées du corps ou
« nues ». S. Augustin estime qu’on peut, d’après la parabole de
Lazare, admettre un jugement immédiat (De anima et ejus
orig., 2, 4, 8 : M. 44, 498). Mais il est, de
nouveau, hésitant. Même aux martyrs, il ne reconnaît, au début, qu’une petite
part de la béatitude finale (parva particula promissionis : Sermo 281, 5). Dans ses Rétractations,
il dit, au sujet de 1 Cor., 13, 12 : « Quels sont ces bienheureux qui
se trouvent déjà dans cette possession où conduit la vie (chrétienne), « c’est
une grande question ». Que les anges soient déjà là, la question ne se
pose pas ; mais on se demande à bon droit, si les hommes saints, qui sont
morts, sont déjà en cette possession. Il est vrai qu’ils sont délivrés du corps
périssable, qui alourdit l’âme, mais, eux‑mêmes, ils
attendent la rédemption de leur corps, et leur chair repose dans l’espérance,
elle ne brille pas encore dans la récompense future » (Rétract.,
1, 14, 2). On lit dans l’Enchiridion :
« Mais, pendant l’espace de temps qui s’écoule entre la mort de l’homme et
la résurrection dernière, les âmes se trouvent dans un séjour caché différent,
selon que chaque âme est digne de repos ou de châtiment, c.‑à‑d. différent
selon ce qu’elle a mérité durant sa vie dans la chair » (Ench., 109).
Gutberlet dit, avec
raison, au sujet de l’ère patristique : « Un consentement des Pères,
tel qu’il est nécessaire pour établir un dogme, ne peut pas être constaté. Même
chez les Pères postnicéens, nous pouvons observer une
grande incertitude concernant la béatitude définitive des justes défunts »
(10, 399). Pohle
écrit de même, en tenant compte de l’état de fait historique, que « les
idées sur le sort des trépassés étaient encore assez embrouillées et peu
claires » (3, 657). Cf. aussi ce qui a été dit au paragraphe 189, au sujet
du sacrifice de la messe et du culte des saints, ainsi que les auteurs cités à
ce propos.
A
l’époque de la Scolastique, grâce
surtout à l’influence de S. Grégoire le
G., qui se prononce pour un jugement particulier et une sanction immédiate,
les idées doctrinales, sur ce point, sont déjà arrivées à une telle clarté que
S. Thomas peut en appeler au saint pape (Dial., 4, 26, 28 ; cf. 25 et 39)
pour déclarer hérétique la doctrine
opposée (Suppl., q. 69, a. 2). S. Thomas compare l’âme séparée du corps à un
corps qui s’en va, avec une force naturelle, vers son lieu, s’il n’en est pas
empêché intentionnellement. Les âmes qui ne sont pas entièrement pures, seraient,
il est vrai, retenues contre leur gré dans le purgatoire. C’est ainsi que juge
aussi S. Bonaventure (4 dist., 19). Jean XXII aurait
donc dû (dans son enseignement privé) prendre conseil des chefs de l’École, au
lieu de consulter les voix antiques et peu sûres des Pères ; il aurait
ainsi évité d’être censuré par la Sorbonne (Cf. Gutberlet,
10, 385-414). Cette erreur intéresse d’autant moins l’infaillibilité
pontificale que, non seulement elle fut émise privément et d’une manière très
réservée, mais que, de plus, le pape lui‑même la
désavoua. Ses autorités étaient S. Augustin et S. Bernard. Cf. l’article très
documenté dans le Dict. théol., 2, 657-696 et 2, 781 sq., v. Bernard.
Quand
on considère cette évolution historique,
on ne trouvera pas de difficulté dans certaines expressions liturgiques (Cf. l’offertoire
de la messe des Morts). Le liturgiste dom Cabrol incline justement à voir, dans
cet offertoire, un « vieux texte » (La liturgie de l’Église). Cf. ci‑dessous p. 527 sq.
L’Église grecque en est restée, jusqu’à
nos jours, en ce qui concerne le sort des défunts jusqu’au jugement dernier, à
l’ancien point de vue peu clair des Pères. Elle ne connaît ni jugement
particulier, ni « visio beata »
avant le jugement général. L’éclaircissement dogmatique, qui se fit de Jean
XXII à Benoît XII, lui a manqué. Le maître grec avait écrit : « Les deux (corps et âme) reçoivent simultanément la récompense ou la
peine » (S. Jean Damascène, De fid. orth., 4, 27 : M. 94, 1220). S. Jean Damascène
allègue, dans ses « Sacra Parallela », le
témoignage d’Hippolyte de Rome, pour prouver qu’il y a, dans l’Hadès, deux lieux souterrains, « pour les justes et les pécheurs, dans lesquels les âmes attendent la résurrection des
corps » (Cf. aussi Hippolyte,
Antéchrist, c. 65, 66 ; Bardenhewer, Histoire de l’ancienne litt. chrét., 2 [2è éd., 1914], 572). Au sujet de l’Église
russe, Jugie
(Échos d’Orient [1914], 5-22) montre qu’elle ne possède aucune doctrine ferme
sur l’existence et le mode du jugement particulier, sur le moment où commence
la sanction, sur l’existence d’un état intermédiaire, sur la prière pour les
morts, sur l’essence de la béatitude (visio beatifica), et que les opinions des théologiens sont très
divergentes sur ces matières (Cf. aussi Hergenrœther,
Photius, 3, 634).
A
consulter : S. Thomas, S. th.,
1, q. 12 ; 1, 2, q. 1-5 ; Suppl., 92-96 ; C. Gent., 3,
1-63 ; 4, 92-95 ; Opusc. de
beatitudine. Lessius, de summo bono et æterna beatitudine hominis (Antverp.,
1616). Suarez, De ultimo fine hominis
ac beatitudine, disp. 1-15. Krawutzky, De visione beatifica (1868). Monsabré, La vie future (1890). Franzelin, De Deo uno, thes. 14-19. T. 1er,
§ 21.
THÈSE. Il y
a un ciel ou une vie éternelle, et, dans ce ciel, les justes participent sans
fin à la béatitude de Dieu. De
foi.
Explication. Les noms bibliques, pour désigner ce que la langue
théologique d’aujourd’hui appelle le ciel (οὐρανός,
couverture ; « cœlum », ϰοὶλον, boule creuse), sont
nombreux : royaume du ciel, royaume de Dieu, vie, vie éternelle, salut,
royaume, paradis, joie du Seigneur, festin de noces, banquet, etc. Toutes ces
expressions permettent de conclure qu’on ne doit pas envisager le ciel comme un
lieu, mais comme un état de récompense éternelle pour les
justes. C’est aussi dans ce sens qu’il faut entendre les « nombreuses
demeures » dans le ciel (Jean, 14, 2 sq.) ; ce sont des degrés de
béatitude. Le Symbole des Apôtres et les symboles suivants confessent : Je
crois à la vie éternelle (vitam æternam). L’Église n’eut pas à repousser d’hérésies
sur le ciel (cf. Florent., Denz., 693) ; elle
eut seulement à régler une controverse au sujet du commencement de la vision béatifique.
Benoît XII a déclaré que les âmes des saints sont au ciel et contemplent
« la divine essence qui se montre à eux immédiatement, sans voile,
clairement et ouvertement » (divina essentia immediate se nude, clare et aperte eis ostendente) et qu’ils sont par là véritablement heureux (Denz.,
530).
Preuve. L’Ancien Testament se représente Dieu comme
demeurant dans un lieu déterminé, en compagnie de ses anges et de ses phalanges
d’Esprits. Il n’est pas encore question de béatitude au début. Cependant, d’après
le livre de la Sagesse, qui constitue le point culminant de l’eschatologie de l’Ancien
Testament, les justes sont auprès de Dieu, dans la vie éternelle et la
paix ; ils brillent comme des étincelles ardentes, ils sont semblables à
des rois et à des juges (3, 1-8) ; ils portent des couronnes (4, 2) ;
le Seigneur est leur récompense, il leur donne honneur et beauté (5, 16 sq.). D’après
Daniel, les bons se réveillent à la
vie éternelle et les sages brillent dans la splendeur du firmament comme des
étoiles, éternellement (Dan., 12, 2 sq.).
Jésus, lui aussi, parle du ciel et de son bonheur,
ordinairement en images. On y demeure
comme dans la maison paternelle ; on s’y rassasie à la table de Dieu, dans
la lumière et les chants de joie. Le céleste Père de famille accorde aux siens
des relations illimitées avec lui et les récompense de leurs mérites. C’est
ainsi qu’apparaît le ciel, dans le Sermon sur la montagne et dans les paraboles
du ciel. Jésus ne pouvait parler qu’au moyen de ces images terrestres, du monde invisible de l’au‑delà. Une fois ou deux cependant, son discours prend
un accent plus spiritualiste. La vie éternelle consiste en ce qu’ils te connaissent toi le vrai Dieu »
(Jean, 17, 3). Il n’y aura plus, au ciel, de mariage et de procréation :
« Ils seront comme les anges dans le ciel », par conséquent comme de
purs esprits (Math., 22 30). Il écartait ainsi le millénium judéo‑apocalyptique.
S.
Paul parle sans doute de son élévation au
troisième ciel ; mais ce qu’il entendit était mystérieux (arcana verba) et on ne peut pas le répéter (2 Cor., 12,
1-4) : « L’œil n’a point vu, l’oreille n’a point entendu et cela n’est
point monté au cœur de l’homme, ce que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment »
(1 Cor., 2, 9). Dieu habite pour nous encore dans une « lumière
inaccessible » (1 Tim., 6, 15 sq.). Le ciel est la vie éternelle auprès de
Dieu (Rom., 2, 7 ; 5, 21 ; 6, 22. Gal., 6, 8. 1 Tim., 4, 8. Tit.,
3, 7) et la gloire divine (Rom., 8, 18 ; Col., 1, 27 ; 1 Tim., 1,
11 ; Hébr., 2, 10). D’après S. Jean, ce que nous serons n’est pas encore manifesté :
« Mais nous savons que nous lui serons semblables, quand il sera
apparu ; car nous le verrons comme il est » (1 Jean, 3, 1 sq., 14).
Dieu sera alors pour nous « lumière », c.‑à‑d.
connaissance claire (1 Jean. 1, 5, 7) comme le soleil terrestre (Apoc., 22, 4
sq.). Le ciel est la nouvelle Jérusalem, la ville de Dieu (Apoc., 21, 1-22,
5 ; cf. 19, 7 sq. ; 14, 3 sq. ; 7, 15, 17. 1 Pier., 3, 22.
Jacq., 2, 5 ; Jud., 21).
Les Pères. Eux aussi
enseignent que les anges et les bienheureux mènent, au ciel, une vie de joie et
de félicité. Ainsi Hermas (Vis., 2,
2 ; 4, 3), S. Polycarpe (Ad
Phil., 2, 3), S. Justin (Dial., 45), S. Théophile (Ad Autol.,
7), S. Irénée (A. h., 4, 28, 2 ;
5, 36, 1, 2), Tertullien (Apol., 48), S. Cyprien
(Ep. 55, 20). Ils se réfèrent, pour la vision divine des bienheureux, à Math.,
5, 8 ; 1 Cor., 13, 12 ; 1 Jean, 3, 2. Quelques Pères (Origène, Théodoret, Théodore de Mopsueste,
peut-être aussi S. Jean Chrysostome [In Joan. hom.,
15, l, 2] ; cf. Tixeront, 2, 201) ont cru, sans
doute, qu’un esprit créé ne pouvait pas voir l’Esprit incréé. Mais cela est
exact, en tant que l’esprit créé a besoin
d’une lumière de grâce surnaturelle (lumen gloriæ),
que d’ailleurs il reçoit. S. Augustin
est le seul à pénétrer plus profondément dans la question. D’après lui, la
béatitude consiste dans la vision de Dieu ; peut-être même que les yeux du
corps glorifié prendraient part à cette vision. Il esquisse à la fin de sa Cité de Dieu, une magnifique image de la
vie de l’au‑delà. Quand luira ce dernier jour qui
n’aura pas de soir : « C’est là que nous nous reposerons et que nous
verrons, que nous verrons et que nous aimerons, que nous aimerons et que nous
louerons. Voilà ce qui sera à la fin sans fin » (Civ.,
22, 30, 5). « Nous nous lassons de la nourriture, de la boisson, des
spectacles et de tant de choses ici‑bas ;
et pourtant nous ne nous lassons pas de la bonne
santé ; de même, dans le même sens, il n’y aura là jamais de lassitude due
à la charité, à l’immortalité, à l’éternité. » (Morin, 29).
La
Scolastique traite la béatitude comme
vision de Dieu. Comme cette vision est strictement surnaturelle, les
bienheureux ont besoin d’une lumière spéciale de connaissance, la
« lumière de gloire ». L’expression apparaît, pour la première fois,
chez S. Thomas et S. Bonaventure, et elle a été sans doute formée d’après le
Ps. 35, 10 (par ta lumière nous
verrons la lumière) (Cf. § 21). Le caractère surnaturel de la vision de Dieu ne
doit pas cependant être entendu comme une incompatibilité entre l’homme et
Dieu : « La vision ou la science des bienheureux est d’une certaine manière
supérieure à la nature de l’âme
raisonnable, dans le sens qu’elle ne peut y parvenir par sa propre vertu ;
mais d’une autre manière elle est selon
sa nature, dans le sens qu’elle en est capable naturellement, c’est-à-dire
selon qu’elle a été faite à l’image de Dieu » (S. th., 3, 9, 2 ad 3).
Cette « capacité » doit s’entendre comme « la puissance d’obéissance » , en vertu de laquelle l’âme reçoit en soi tout effet
que Dieu veut y produire (S. th., 3, 11, 1). D’après S. Thomas, Dieu est non
seulement l’auteur, mais encore la fin des créatures, surtout de la créature
raisonnable, l’homme, qui doit tendre vers cette fin et la posséder avec sa
faculté spirituelle la plus excellente, l’intelligence (Aristote) (C. Gent., 3,
25).
Bien
entendu, cette béatitude de la « vision béatifique, » qui a son
fondement primaire dans l’intelligence, retentit immédiatement dans la volonté et y allume, en même temps, un amour sans fin pour le souverain bien qu’a
connu l’intelligence, et un attachement indestructible à ce souverain bien.
Ainsi, la controverse des scolastiques, sur la question de savoir si la
béatitude consiste formellement dans l’activité de l’intelligence (thomistes)
ou dans celle de la volonté (scotistes), n’est guère qu’une dispute de mots,
sans objet. « La paix de la Cité céleste consiste dans une union très‑réglée et très‑parfaite
pour jouir de Dieu, et du prochain en Dieu » (Civ.,
19, 13 et 17). « Il ne en faut chercher la
véritable jouissance qu’en la Trinité sainte, seul bien souverain et
immuable » (De doctr. Christ., 1, 31 ; cf. Scholz, Foi et incroyance, p. 197-235,
appendice : La « fruitio Dei » chez S.
Augustin). Il est vrai que, dans « frui »,
il y a la notion de jouissance. Un certain nombre de passages mystiques de l’Ancien
Testament offraient cette notion pour désigner la béatitude éternelle, en tant
que jouissance du divin. « Mon âme a soif de Dieu » (Ps. 41, 3).
« Goûtez et voyez comme est bon le Seigneur » (Ps. 33, 9). Dieu et sa
vérité deviennent la nourriture de l’âme : « Ceux qui me mangent ont
encore faim, ceux qui me boivent ont encore soif » (Eccli.,
24, 29). Il faut ajouter les textes du Nouveau Testament que nous a fait
connaître la doctrine de la grâce et qui parlent de l’« union
avec Dieu ». S. Augustin se conforme à ces idées quand il dit que la
grâce, chez l’homme terrestre, est déjà une jouissance anticipée, parce qu’elle
donne le goût du bien (Cf. plus haut p. 29 et 116). La grâce et la gloire sont,
en effet, intimement connexes. Plus tard, dans la mystique, le « frui Deo », « goûter Dieu », a été fortement
accentué. Il y a même eu, ici et là, le danger de l’opposition entre le goût de
Dieu et du divin, et la connaissance, si bien que l’« union
avec Dieu » menaçait de se perdre dans la sphère de la sensibilité. On
découvre un caractère panthéiste dans toute fausse mystique, même dans toute
mystique païenne, et surtout dans la mystique platonicienne, qui reçut de
Plotin et de Porphyre, au moyen d’éléments orphiques et pythagoriciens, son
développement le plus élevé. D’après cette mystique, la rédemption et la
béatitude consistent dans la gnose par laquelle l’âme est divinisée. Et cela se
produit ainsi : dans l’extase, elle sort d’elle‑même, brise les limites de la connaissance et
obtient accès jusqu’à la divinité elle‑même, et
elle persiste dans la contemplation (intuitio) calme
et silencieuse de cette divinité ; cette contemplation a lieu d’une
manière intermittente sur la terre et pour toujours au ciel, c.‑à‑d. qu’alors
elle se fond dans la divinité. La mystique de S. Augustin, qui était très versé
dans le néoplatonisme, était préservée de cette confusion entre l’humain et le
divin par le dogme de l’immortalité personnelle. Il identifie la « vision
et la contemplation de la vérité » en Dieu, avec la « jouissance du
bien supérieur et vrai » (De quant. animæ, § 76 ; cf. De vita beata, 34 ; Civ., 22, 29 ; S. Bernard. De Dilig.
Dom. ; Hugues de Saint Victor, De arca morali ; S. Albert, De adhærendo
Deo). Il n’est pas douteux que S. Paul
a mis le plus fort accent sur la charité, en tant que bien béatifique, quand il
écrit : « la charité est la plus excellente [des
vertus] » ; mais il n’en est pas moins vrai qu’il nomme d’abord la
connaissance : « ce jour‑là, nous
verrons face à face » (1 Cor., 13, 12 sq.). L’amour sans connaissance est
un sentiment vide de contenu. S. Thomas a donc bien raison et fait une
démonstration logique quand il fait dépendre l’attachement à Dieu de la
connaissance de Dieu. Il finit par les réunir comme le sujet et l’objet, quand
il dit avec S. Augustin : « le bonheur est la joie que produit la
vérité ; c’est-à-dire que la joie est la consommation même du
bonheur » (S. th., 1, 2, 3, 4). Et ailleurs il écrit : « l’amour
de Dieu vaut mieux que sa connaissance » (S. th., 1, 82, 3).
L’impeccabilité (confirmatio
in bono) est un bien béatifique qui résulte
immédiatement de la vision béatifique. Origène la mettait en doute, à cause de
la liberté et parce qu’il était influencé par Platon. Mais la béatitude et la
liberté ne peuvent pas être des antinomies, car elles sont l’une et l’autre des
dons de Dieu. S. Thomas en donne l’explication
suivante : l’homme est « naturellement et nécessairement porté vers
sa fin dernière », parce que « l’homme ne peut pas ne pas vouloir
être heureux ». Or cette « béatitude finale et parfaite », il l’a
atteinte dans la « vision béatifique » ; il faut donc qu’il lui soit éternellement attaché par la nécessité de
sa volonté de bonheur. Et c’est précisément une propriété de cette volonté de
bonheur d’être à la fois nécessaire et libre (S. th., 1, 2, 5, 4). L’Écriture signale l’éternité de la béatitude en plusieurs endroits (Math., 25, 46.
Jean, 3, 16, 36. 1 Jean, 5, 20. 2 Cor., 4, 17 sq. ; 5, 1. 1 Pier., 1,
4 ; 5, 10, etc.). S. Paul écrit avec insistance : « L’amour ne
passera jamais » (1 Cor., 13, 8). La délivrance du péché entraîne celle de
la souffrance, dont parle si souvent l’Écriture, par ex. Rom., 8, 21 sq. ;
1 Cor., 15, 53 sq. ; 2 Cor., 2, 1-9 ; Apoc., 14, 13 ; 21, 2 sq.
Que
la béatitude, tout en étant substantiellement la même, soit cependant différente
accidentellement, c.‑à‑d. comporte des degrés d’après les mérites, c’est
la doctrine claire de l’Écriture et de la Tradition. Il n’est cependant pas
nécessaire d’examiner ce point ici, car il se confond avec la doctrine du
mérite en général (Cf. plus haut § 134 sq.).
Une
augmentation de la béatitude après la
résurrection est certaine ; mais on se demande comment l’expliquer. S Thomas, dans son commentaire des Sentences, se prononce pour une
augmentation non seulement extensive,
mais encore intensive de la
béatitude ; mais, dans sa Somme,
il soutient exclusivement la première : « quand l’âme reprendra son
corps, il y aura accroissement de bonheur, non en intensité, mais en extension
(nous jouirons par un plus grand nombre de facultés) » (S. th., 1, 2, 4,
5). Une auréole, par laquelle on doit
entendre une récompense spéciale de la vocation et de l’état, est accordée aux martyrs, d’après Apoc., 7, 14 sq., aux vierges, d’après Apoc., 14, 4 sq. et aux
docteurs, d’après Dan., 12, 3. S.
Thomas explique très bien comment ces saints ont soutenu un triple combat contre
le monde, la chair et le diable (Suppl., 96, 1-11). - La situation
hiérarchique, sur la terre, n’entraîne en soi aucune récompense particulière.
S. François de Sales écrit : « Dieu ne récompense pas ses serviteurs
d’après la dignité de la fonction qu’ils exercent » (Lettres, éd. A. Mager, 1927, 298). Dieu ne tient compte que du travail accompli avec une intention droite
ou de la souffrance patiemment
supportée.
Outre
le bien essentiel de la béatitude,
qui est la vision béatifique, il y a aussi les joies accidentelles du ciel : les rapports avec le Christ, avec sa
glorieuse Mère, avec les anges et les saints, la conscience des dangers
surmontés, des victoires remportées, la délivrance de la souffrance et de toute
espèce de mal, et, ce qui n’est pas le moindre, la sécurité complète dans la
possession du bonheur. C’est ce que l’Écriture et le langage de l’Église
appellent la « paix éternelle » (Apoc., 14, 13). Cette paix ne
consiste pas du tout dans une inaction
passive, mais dans une vie
éternellement la même, et aussi sans cesse progressante
en Dieu qui est tout pour l’âme.
Le lieu du ciel. La critique
libérale prétend que c’est une question pénible et embarrassante pour la
dogmatique, de désigner le lieu du ciel. Nous sommes en effet incapables de
répondre à cette question. Quand Zahn écrit : « C’est pourquoi la valeur des
hypothèses sur le lieu du ciel est très modeste » (L’au‑delà, 242), sa remarque atteint toute détermination eschatologique
locale. Il n’y a pas de « topographie de l’au‑delà ». En tout cas, nous sommes
incapables, en nous appuyant sur la Révélation, d’en établir une. De même que
le Christ ne nous a pas renseignés sur le « temps et l’heure », il ne
nous a rien révélé non plus sur le lieu et la situation.
Mais,
objecte‑t‑on, Jésus a pourtant fait ses déclarations
eschatologiques en partant du point de vue de l’« antique
cosmos ». Or, comme cette conception est anéantie depuis Copernic, ses
déclarations ont perdu tout appui solide. « A l’endroit où les anciens les
plaçaient, il n’y a pas de ciel et pas d’enfer, ou du moins pas de ciel et pas
d’enfer comme les anciens se les représentaient », écrit le protestant Girgensohn (La preuve d’Écriture, 1914, 19 sq.). Et le
surintendant Lubenow conseille, pour cette raison, de
ne plus employer le mot « ciel » dans l’enseignement (Ce à quoi on n’est
pas tenu de croire [1911], 75 sq.). Ce sont là deux voix parmi plusieurs. Déjà
David Strauss disait, en raillant, qu’il n’y a plus de place au ciel pour Dieu
et les saints, car nous savons que le ciel est entièrement occupé par beaucoup
d’autres choses, étoiles, etc. La polémique d’Hæckel
et de ses partisans monistes, en notre temps, est du même ton. On admet donc
que les « anciens » entendaient le ciel comme une réalité locale et
visible et plaçaient de même l’enfer dans les profondeurs de la terre. Ces
« anciens » bibliques, parmi lesquels on compte le Christ et les
Apôtres, et plus tard les Pères et les scolastiques, auraient été imbus de l’antique
rêve du « monde à trois étages » : le ciel « en
haut », l’enfer « en bas » et la terre « au milieu ».
Nous n’avons pas à nous inquiéter des antiques conceptions païennes. Au reste,
ces conceptions elles‑mêmes ne
sont pas atteintes par le reproche, comme le montre Hoppe
(Foi et science, 1915) ; nous n’avons à nous occuper ici que des organes
de la Révélation et, par rapport à la Révélation, le fait est que : 1°
Elle ne donne pas l’image du « monde à trois étages » dont on parle
et que, d’ailleurs, 2° elle ne donne aucune « doctrine » sur un au‑delà local ; mais bien plutôt, malgré
quelques allusions rapides aux lieux de l’au‑delà, elle
fait ressortir uniquement le bonheur
ou le malheur de la vie qu’on y mène.
Dans
le récit biblique de la création, il
n’est question que du « ciel et de la terre » et non d’un ouvrage à
« triple étage ». Plus tard, s’ajoute le Schéol. En partant de la notion de la tombe, en union avec la foi à
l’immortalité, l’idée du Schéol devint celle d’un monde souterrain. On savait
bien que l’âme ne demeurait pas dans la tombe, que seul le corps corruptible s’y
trouvait, et on pensait à un autre lieu indéterminé, le « monde
inférieur » où étaient « rassemblés tous les pères ». La
Révélation laissa subsister ces conceptions vagues et peu claires, mais elle
amena peu à peu Israël à croire à une vie des âmes, dont le sort est différent d’après leur bonté morale. Les
bons comme les mauvais sont dans l’au‑delà
(Hadès), mais ils ne sont pas dans la même situation extérieure. Il y a là une
sanction conforme à la vie terrestre. Par là même, l’au‑delà se distingue nettement en deux formes.
On ne doit pas, dans l’Ancien Testament, s’attacher trop étroitement au mot
« ciel », qui se présente, comme dans le Nouveau Testament, avec une
triple signification : 1° Le ciel matériel étoilé ; 2° La demeure de
Dieu ; 3° Le séjour de l’éternelle félicité des enfants de Dieu. Cette
dernière notion se trouve presque toujours dans le Nouveau Testament ; l’Ancien
Testament se sert longtemps de la notion de la « nouvelle terre » et
du « nouveau ciel » (Isaïe), comme lieu de sanction heureuse dans l’avenir,
quand la résurrection des morts se sera produite et que le juste habitera dans
la nouvelle Sion, ou bien dans le royaume messianique intermédiaire. Cependant,
comme on l’a montré, le livre de la Sagesse, écrit dans la Diaspora, sait que les bienheureux sont immédiatement « dans
la main de Dieu » (3, 1), « dans la paix » (3, 3),
(« remplis de l’espérance de l’immortalité » (3, 4), que « leur
Seigneur sera roi dans l’éternité » (3, 8) et qu’« il les a mis en
sûreté » (4, 7) ; il sait que les impies « seront parmi les
morts, dans l’opprobre à jamais » (4, 19). Au jour du jugement, les bons
et les mauvais seront debout les uns en face des autres ; alors les bons
sont comptés parmi les enfants de Dieu et leur part est parmi les saints »
(5, 5) : « Mais les justes vivent éternellement et leur récompense
est auprès du Seigneur et le Tout‑Puissant a
souci d’eux. C’est pourquoi ils recevront de la main du Seigneur le magnifique
royaume et le splendide diadème » (5, 15 sq.). Dans toute cette
description, tout indique un état de
l’au‑delà plutôt qu’une localisation de l’au‑delà.
Les
apocryphes juifs postérieurs se sont
intéressés, d’une manière surprenante, à la détermination locale de l’au‑delà et ils apportent, dans leurs
descriptions fantastiques, une telle sûreté qu’on les croirait témoins
oculaires (Couard, Apocryphes, § 34).
Jésus, par
contre, ne témoigne absolument aucun intérêt à toutes ces représentations
courantes chez son peuple. Assurément, il mentionne le ciel et l’enfer, en se
servant des tournures et des comparaisons les plus variées ; mais si on
veut en conclure à une localisation, on est toujours déçu. Il insiste uniquement
sur l’état moral qui doit nous rendre dignes du ciel et sur ce que nous
appelons la béatitude céleste. Les descriptions de l’état de béatitude sont
chez lui d’un contenu très riche ; les précisions sur le lieu, vides et
pauvres. En tout cas, on ne trouve rien, chez lui, de l’image du « monde à
triple étage ». C’est ce que reconnaissait déjà S. Augustin :
« Il n’est pas dit dans l’Évangile : Je vous envoie l’Esprit‑Saint pour vous enseigner le cours des
astres ; c’était des chrétiens qu’il s’agissait de faire, non des
cosmologistes » (De act. c. Fel.
Man., 1, 10. M. 42, 525). Sans doute, le Christ dit, dans le quatrième
évangile, qu’il est venu « d’en‑haut »,
d’auprès du « Père », et que ses auditeurs sont « d’en‑bas », de la terre ; mais, de l’avis
général, ces expressions, précisément dans le quatrième évangile, ont un sens
non pas local et physique, mais religieux et moral. « Car nul n’est monté
au ciel sinon celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme » (Jean,
3, 13) ; « Dieu est Esprit » (Jean, 4, 24). Le Christ n’a pas
besoin de monter physiquement ; il voit le Père partout et toujours et
fait toujours ce qu’il lui voit faire (Jean, 3, 11 ; 5, 19, etc.). Ce n’est
pas sur les représentations locales qu’il insiste, mais sur les
spirituelles : vie éternelle, royaume de Dieu, royaume du ciel, joie du
Seigneur, vision de Dieu, connaissance de Dieu, etc. Quand, une fois ou deux,
on rencontre chez lui une expression de couleur locale, comme paradis (Luc, 23,
43 ; cf. 2 Cor., 12, 14) et « sein d’Abraham » (Luc, 16, 22), on
reconnaît tout de suite que c’est une manière de parler biblique.
Les
Apôtres, sur ce point, ont suivi
fidèlement les traces du Maître. S. Paul parle une fois, en s’accommodant à la
conception populaire d’alors, du « troisième ciel » (2 Cor., 12, 2
sq.) ; mais il est visible qu’il n’y insiste pas. Dieu, d’après lui,
habite dans une lumière inaccessible (1 Tim., 6, 16). Quant à la béatitude, il
la décrit d’une manière négative :
aucun sens humain n’a perçu ce que Dieu a préparé aux siens (1 Cor., 2, 9). La
chair et le sang n’hériteront pas du royaume des cieux, comme le pensaient les
apocryphes juifs. La corporalité elle‑même doit d’abord
être spiritualisée (1 Cor., 15, 50-53).
Le
ciel et la terre sont donc considérés, dans la Bible et surtout dans le Nouveau
Testament qui s’exprime clairement, du seul point de vue de leur importance religieuse, comme œuvre de Dieu, et non
du point de vue physique ou astronomique. Dieu, pour parler comme Schanz, n’apparaît pas comme un Dieu « à qui on
cherche une habitation » pour l’au‑delà ;
car l’esprit et la matière ne sont pas identiques et l’espace et le temps ne
sont pas des notions prédominantes (Rev. de Tub., 1877, 636 sq.).
Les
Pères parlent avec un grand
enthousiasme de la béatitude du ciel, mais avec une indifférence aussi grande
au sujet du lieu. La phrase « est monté au ciel,
est assis à la droite de Dieu » du Symbole
des Apôtres n’a jamais été l’objet d’aucune recherche curieuse, mais purement
et simplement l’objet de la foi. Le Christ était « monté au ciel »,
mais un nuage l’avait dérobé aux regards des disciples (Act.
Ap., 1, 9) et l’on se contenta de cela. Et pourtant
les « voyages au ciel », que présentaient les anciens apocryphes, pouvaient
offrir aux Apôtres et aux Pères une vaste matière pour développer des rêveries
fantastiques analogues. Ils ne l’ont pas fait, bien qu’on ait voulu voir
quelque chose de semblable chez S. Paul (Phil., 2, 9 sq.).
D’où
vient l’idée que les scolastiques se
sont faite du « ciel de feu » (empyrée) des élus de Dieu ? De l’antique
philosophie naturelle, d’où elle a passé plus tard dans quelques rares écrits
patristiques. Mais ils savent très bien que ce n’est qu’une notion
philosophique auxiliaire : « le ciel empyrée n’est admis que par Strabus, l’auteur de la glose, le vénérable Bède et saint
Basile » (S. th., 1, 66, 3). Mais S. Thomas signale immédiatement l’imprécision
et le désaccord de ces trois autorités et essaie de les concilier. Le ciel de
feu est donc une théorie astronomique qui est appréciée comme telle par les
scolastiques, mais qui n’a aucun caractère dogmatique. Cajetan la rejette déjà
complètement : « On ne le trouve nulle part dans les Écritures »
(Comm. in 2 Cor., c. 13). S. Thomas l’a encore admise :
« c’est ce corps qu’on appelle empyrée, ou ciel de feu, non parce qu’il a
la chaleur du feu, mais parce qu’il en a tout l’éclat » (S. th., 1, 66,
3). Ce ciel s’appelle aussi « intellectuel » parce que « il n’est
pas soumis à nos regards, mais il est saisi seulement par l’intelligence »
(2 Sent., 2, 1, 1 ad. 1).
On
a cherché davantage à localiser l’enfer.
S. Grégoire le G., dans ses célèbres dialogues écrits pour le peuple (4, 35),
voit, dans les cratères des volcans, les bouches effroyables de l’enfer. Dieu
voudrait par là donner aux incrédules une preuve
visible de l’existence de l’enfer. Après lui, on parle souvent de ces portes de
l’enfer et on présume que l’enfer se trouve à l’intérieur de la terre ; ce
que S. Augustin avait déjà admis d’une certaine manière. Cependant S. Thomas le
cite le premier parmi les autorités qui attestent que personne ne peut savoir le lieu de l’enfer, à moins d’une
révélation spéciale ; c’est d’ailleurs ce que S. Grégoire le G. a avoué.
S. Thomas indique encore d’autres opinions et se prononce finalement pour l’intérieur
de la terre (Suppl., q. 97, a. 7). Ainsi donc, même à cette époque où l’on
croyait facilement aux visions et aux révélations privées (S. Grég., Dial., 4, 36), on se montrait réservé dans ses
affirmations. Aucun de ces grands docteurs ne déclare qu’il a reçu cette
doctrine, ni S. Augustin, ni S. Grégoire, ni S. Thomas. On se contente de
présomptions, parce qu’on se figure qu’il faut unir à la notion d’enfer une
représentation locale. Même un eschatologue, comme S. Grégoire, écrit : Où
est l’enfer, je n’ose pas me prononcer légèrement à ce sujet » (Dial., 4,
42).
Après
cet aperçu, on est obligé de conclure que la prétendue « image du monde à
trois étages » de la Bible, des Pères et de la Scolastique, sur laquelle
reposerait toute l’eschatologie dogmatique, est une construction téméraire de
la critique, qui poursuit le but de mettre en opposition la foi et la science, c.-a‑d. d’enlever tout crédit à la foi. Or, d’après
la foi, le ciel est là où l’âme jouit de sa béatitude ; cette béatitude
consiste dans la vision de Dieu ou dans la participation à l’Être et à la Vie
de Dieu. L’exclusion de cette béatitude est la damnation éternelle. Ces deux
notions sont des notions d’état, pour
lesquelles, il est vrai, on emploie aussi les expressions locales courantes de
ciel et d’enfer. Ce n’est jamais sur ces expressions locales qu’on a mis l’accent ;
on na pas insisté sur la localisation du ciel, quand
ce ne serait qu’en raison de l’omniprésence de Dieu ; on aurait plutôt
parlé de la localisation de l’enfer, parce que l’enfer et ses habitants sont
des créatures. Mais jamais les auteurs considérés et influents n’ont dépassé
les présomptions. On ne doit pas rendre la dogmatique responsable des
représentations légendaires. On n’a jamais pu refréner entièrement la curiosité
des apocryphes, mais la foi sérieuse, comme l’enseignent déjà expressément les
Pères, envisagera, à propos du ciel, non le lieu mais le chemin qui y
mène ; à propos de l’enfer, non l’abîme local mais le danger d’y tomber.
Le second point de vue est une donnée accessible à notre jugement ; le
premier est quelque chose de caché et d’ailleurs sans importance.
A
consulter : Cordemoy, L’éternité
des peines de l’enfer (Paris, 1697). Pelletier,
Traité des récompenses et des peines éternelles (Paris, 1738). Patuzzi, De futuro impiorum statu (Veron.,
1748). Carle, Du dogme catholique sur
l’enfer (Paris, 1842). Passaglia,
De æternitate pœnarum inferni deque igne
inferno commentarius
(1854). Schmid, Quæstiones
selecte (1891), 145 sq. Tournelize,
Opinions du jour sur les peines d’outre‑tombe :
Feu métaphorique, universalisme, conditionalisme,
mitigation (1899). Lehaut,
L’éternité des peines de l’enfer (1911) (d’après S. Augustin).
THÈSE. Il y a dans l’au‑delà un état de châtiment, dans lequel les
méchants, détournés de Dieu, reçoivent leur sanction éternelle. De foi.
Au mot enfer correspondent les noms
bibliques : Hadès, Tartare, Schéol, Géhenne, perdition, mort. La Scolastique distingue, en se rattachant
aux Pères, plusieurs enfers, qu’elle
se représente localement comme lieux de séjours (receptacula)
des âmes séparées du corps : l’enfer proprement dit (infernum),
le pré-enfer ou limbes des enfants non baptisés (limbus
puerorum), les limbes des anciens pères (l. Patrum) et le purgatoire (purgatorium).
Il s’agit ici de l’état de châtiment ou séjour des damnés. Ce qui a été exprimé
dogmatiquement, c’est l’existence et l’éternité de l’enfer. Le Symbole de S.
Athanase s’achève ainsi : « Mais les mauvais iront au feu éternel (in
ignem æternum : Denz., 40). Le 4ème Concile de Latran déclare que
les mauvais « recevront le châtiment éternel (pœnam
perpetuam) avec le diable » (Denz.,
429). Le Concile de Trente suppose le
« châtiment éternel » (pœna æterna) (S. 6, can. 25 : Denz.,
835 ; cf. Denz., Index). Les adversaires de l’enfer
sont aujourd’hui innombrables. Ils rejettent soit son existence elle‑même, soit au moins son éternité. Plusieurs l’écartent
en admettant l’apocatastase [restauration en Dieu de tout ce qu’il a créé dans
son état de bonté originelle].
Preuve. Sans doute, l’Ancien Testament, au commencement,
contient peu de précisions ou même pas de précisions du tout sur l’enfer, comme
sur les questions eschatologiques en général ; mais le judaïsme d’après l’exil
témoigne un vif intérêt pour les choses qui concernent la sanction personnelle.
Seuls les Sadducéens se montrent
sceptiques à cet égard (Act. Ap.,
23, 6-8). On ne peut pas tirer grand‑chose
ici de l’antique conception juive du Schéol,
dans lequel on se représente, au début, tous les morts, sans exception, menant
une triste vie d’ombres, en tant que « refaïm ».
On ne peut pas s’appuyer non plus sur la plainte désolée des morts qui, dans le
monde inférieur, n’aperçoivent que peu de points lumineux (Job, 10, 21
sq. ; Ps. 93, 17 ; 113, 17, etc.). Mais, plus tard, la Révélation est
plus précise surtout dans le livre de la Sagesse. Les mauvais sont « dans
la honte, chez les morts, éternellement... ils seront plongés dans la douleur
et leur mémoire s’éteindra » (4, 18, 19 ; cf. 3, 1, 18 ; 4,
20 ; 6, 5-7). Les aumônes délivrent « de la mort », « des
ténèbres » (Tob., 4, 11 ; 12, 9). Le Seigneur
« livrera leur chair au feu et aux vers, afin qu’ils soient brûlés et
éprouvent (ce supplice) éternellement » (Judt.,
16, 20 s.). D’après Daniel, « beaucoup
de ceux qui dorment dans la poussière se réveilleront, les uns pour une vie
éternelle, les autres pour une infamie éternelle » (Dan., 12, 2).
Jésus répète cette doctrine, comme l’avait déjà fait son
Précurseur (Math., 3, 12), et la confirme. Il appelle l’enfer « géhenne de
feu » (Math., 5, 22 ; cf. Jér., 7,
31-34 ; Is., 66, 24 ; 4 Rois, 23, 10) ; « géhenne, le feu
inextinguible, où leur ver ne meurt pas où le feu ne s’éteint pas » (Marc,
9, 42-47), une géhenne où Dieu peut jeter celui qu’il a le pouvoir de tuer
(Luc, 12, 5), où « il peut précipiter le corps et l’âme » (Math., 10,
28), où demeurent les « enfants de l’enfer » (Math., 23, 15) sur
lesquels a été prononcée une « sentence d’enfer » (Math., 23, 33). Au
sujet de l’état de châtiment en
enfer, le Christ dit qu’il y aura là « des lamentations et des grincements
de dents » (Luc, 13, 28) et qu’il y règne la « perdition »
(Math., 7, 13 ; Jean, 17, 12), « les ténèbres avec lamentations et
grincements de dents » (Math., 22, 13 ; 25, 30), le « tourment
dans les flammes » (Luc, 16, 24) ; par suite, c’est une
« géhenne de feu » (Math., 5, 22). Cependant le tourment est
inégal : celui qui aura péché consciemment « recevra un grand nombre
de coups » (Luc, 12, 47). La rigueur sera moins grande en enfer pour
Sodome que pour les Juifs incrédules (Math., 10, 15).
Cet état de châtiment est éternel. Il y a là un « feu
éternel » (Math., 18, 8 ; 25, 41), un « supplice éternel »
(Math., 25, 41, 46), un « feu inextinguible » (Math., 3, 12 ;
Marc, 9, 42, 44 ; Luc, 3, 17). Mieux vaudrait l’anéantissement complet que
ce châtiment (Marc, 14, 21). A ce châtiment éternel correspond un péché éternel
irrémissible (Math., 12, 32).
Les
Apôtres exposent la même doctrine. Chacun reçoit
au jugement selon ses œuvres (2 Cor., 5, 10). Les querelleurs, les ennemis de
la vérité et les injustes sont atteints par le « courroux et l’indignation
de Dieu », « tribulation et angoisse sur tout homme qui fait le
mal » (Rom., 2, 5-9). Le Seigneur viendra « au milieu d’une flamme de
feu pour faire justice de ceux qui ne connaissent pas Dieu et de ceux qui n’obéissent
pas à l’Évangile de Notre‑Seigneur
Jésus‑Christ. Ils subiront la peine d’une perdition
éternelle méritée, loin de la face du Seigneur » (2 Thess.,
1, 7-9). S. Paul décrit le sort des
damnés d’une manière plutôt négative, comme privation de la vie (Rom., 6,
21-23 ; Phil., 3, 19 ; Gal., 6, 8). Le feu « dévorera » (Hébr., 10, 27 ; cf. 10, 31, 39). D’après S. Pierre, les mauvais anges et les
mauvais hommes sont « réservés pour le jour du jugement » (2 Pier.,
2, 4-8). « Que deviendra alors l’impie et le pécheur ? » (1
Pier., 4, 18). Il en sera d’eux comme de Sodome et de Gomorrhe (2 Pier., 2, 6).
« Ils souffrent les peines du feu éternel » (Jud.,
6-7). Leur perdition est, d’après S. Jean,
une « seconde mort », (Apoc., 20, 6). Ils seront « tourmentés
nuit et jour » avec les diables (Apoc., 20, 9 sq). ;
« leur part est dans l’étang ardent de feu et de soufre ; c’est la
seconde mort » (Apoc., 21, 8 ; cf. 22, 15).
Il est donc établi, d’après la doctrine
du Christ et des Apôtres, qu’il y a un enfer, qu’il y a un état de châtiment
pour les méchants et que les peines y sont sans fin, éternelles ; mais qu’elles
sont inégales, conformément à la faute.
Les Pères. Après des
textes d’Écriture si clairs, il n’est pas nécessaire d’entendre les Pères au
sujet de l’existence de l’enfer ou d’un état de châtiment. Pas un seul Père n’est
d’avis différent. Il y a des difficultés,
chez certains Pères, au sujet de l’éternité de l’enfer. D’après les
Alexandrins, toute peine venant de Dieu est médicinale et corrective. C’est
pourquoi Origène admet la rédemption finale de tous les mauvais, même des
diables. S. Grégoire de Nysse se rattache à eux et S. Grégoire de Naz. lui‑même penche vers cette doctrine. S. Jean Chrysostome, S. Cyrille de Jérusalem
et même S. Augustin prétendent qu’en
raison des bonnes œuvres des vivants les damnés peuvent recevoir une
« certaine consolation ». D’après S.
Ambroise et S. Jérôme, la plupart
des chrétiens seront sauvés à la
fin ; mais tous, d’après S. Ambroise, doivent passer à travers le feu du
jugement (cf. 1 Cor., 3, 15), même le Christ, les Apôtres et tous les saints (Tixeront, 2, 343 sq. ; Schwane,
2, 585).
Au
temps de S. Augustin, il y avait,
dans l’Église, beaucoup de « miséricordieux », qui prétendaient que,
sinon tous les hommes mauvais, du moins tous ceux qui croient au Christ seraient
entièrement purifiés en enfer par des peines et des instructions. S. Augustin
les combat énergiquement, comme nous le verrons plus loin. Il reste fermement
attaché, comme la plupart des Pères, à l’éternité de l’enfer pour les méchants,
même pour les chrétiens, quand leur foi est vide et stérile. Quant à un
adoucissement des peines en raison des bonnes œuvres des vivants, il ne veut
pas le contester (Ench., 112 ; Civ., 21, 24, 3). Il consacre à ces questions les deux
derniers livres de sa Cité de Dieu, ainsi que les derniers chapitres de son Enchiridion. Sur certains points, il est
encore hésitant, par ex. sur le châtiment complet des méchants avant la
résurrection. Pour les paroles de S. Paul sur ceux qui seront sauvés par le
feu, il ne les rapporte pas à l’enfer ni au feu du jugement, mais au
purgatoire.
S. Grégoire le G. a traité
les questions eschatologiques d’une manière si complète que la Scolastique lui
a attribué une révélation spéciale à ce sujet. Il affirme nettement l’éternité
de l’enfer. Celui que le péché a amené à l’éternelle peine, la miséricorde ne
le ramène pas au pardon (Moral., 8, 17). Aucune mort ne tue les maudits et ne
les délivre de leur tourment (Ibid., 15, 17). Avec S. Augustin, il objecte aux
« miséricordieux » que, si l’enfer a une fin, il faut aussi que le
ciel en ait une ; car, au sujet de l’un et de l’autre, le Seigneur emploie
les mêmes expressions de durée (Dial., 4, 28). Si la menace n’est pas vraie, la
promesse non plus ne l’est pas. Si la fausse menace n’a d’autre but que de
détourner les méchants du mal, la fausse promesse n’en a d’autre que d’attirer
les bons au bien ; or personne n’admettra cette seconde hypothèse ;
il faut donc rejeter la première. Mais, objectera‑t‑on, un péché temporel et une peine éternelle,
c’est une contradiction interne. Réponse : Les méchants pèchent jusqu’à la
fin de leur vie et pécheraient éternellement dans le monde. Or celui qui veut
pécher éternellement doit être éternellement puni. - Mais le châtiment est sans
but quand il ne corrige pas ; est‑ce que Dieu
prend plaisir à un tourment vide et stérile ? Assurément non : le but
se trouve dans la justice divine qui doit châtier le mal. - Est‑ce que les saints ne prient pas pour les
damnés, afin qu’ils se convertissent et soient sauvés ? Ce serait inutile,
car les damnés ne peuvent plus se convertir ; en outre, les saints sont un
avec Dieu ; ils ne veulent que ce qu’il veut et ont horreur de ce qui lui
fait horreur (Moral., 34, 19 ; Dial., 4, 44).
Le feu de l’enfer est
considéré par S. Grégoire comme un feu corporel et il cherche à expliquer
comment il est possible qu’un esprit puisse être torturé par un feu matériel
(Dial., 4, 29). Mais, en considération de l’Écriture, il doit avouer que c’est
un feu d’un genre particulier ;
il brûle, mais ne consume pas ; il éclaire et chauffe et pourtant il y a
en enfer des lamentations et des grincements de dents, la nuit et les ténèbres
(Moral., 9, 65). Il est vrai qu’il décrit aussi abondamment tous les aspects
des tourments spirituels ; les
damnés voient le bonheur des bienheureux, le châtiment des mauvais que, sur la
terre, ils ont aimés au mépris de Dieu (Dial., 4, 33 ; Moral., 8,
14 ; 9, 66) ; ces deux spectacles augmentent leur malheur, ainsi que
ce fait décisif qu’ils n’ont aucune espèce d’espérance, même pas l’espérance
illusoire, fausse, qui donne, malgré tout, un peu de consolation (Ibid., 8,
14). Les diables et les hommes subissent le même châtiment, bien qu’ils soient
d’une nature différente (Ibid., 9, 66). Cependant le degré de peine est
différent, car il correspond toujours à la faute. Aux nombreuses demeures du
ciel correspondent les nombreuses demeures de l’enfer ; et toujours
conformément à la justice (Ibid., 9, 65 ; 15, 18, 26).
La
Scolastique, dans ces questions, a
moins suivi S. Augustin, qui est souvent encore indécis, que S. Grégoire,
« auquel le Saint‑Esprit a
révélé tant de choses ». Il est désormais le témoin principal et presque unique pour le « feu
corporel » (S. Bonaventure, 4, dist. 44, p. 2,
a. 2, q. 1). Alexandre, S. Bonaventure, S. Albert, considèrent S. Augustin
comme un partisan du « feu spirituel », parce qu’il n’a pas encore
reçu de révélation divine à ce sujet, tandis que S. Grégoire en a reçu une. S.
Thomas, par contre, essaie de ranger S. Augustin parmi les partisans du feu
corporel, mais son autorité principale ici est encore S. Grégoire, comme pour
tous les scolastiques (Suppl., q. 97, a. 5).
Le double caractère des peines de l’enfer. De même qu’il
y a dans le péché mortel un double élément, l’aversion de Dieu notre fin
dernière et l’attachement à la créature, les scolastiques distinguent aussi une
double peine de l’enfer : une peine négative et une peine positive ;
ou bien la peine de la perte de la
vision de Dieu et la peine des sens
par la créature (S. th., 1, 2, 87, 4 ; 2, 2, 79, 4 ad 4 ; C. Gent.,
3, 145 ; 4, 90). La peine du dam demeure, comme aussi chez les Pères, la
peine principale. Par rapport à la peine du sens, il y a un problème à
résoudre, celui de savoir comment un feu corporel peut « brûler »,
des esprits mauvais incorporels, comme les démons, pour lesquels il a d’abord
été préparé (Math., 25, 41), et les âmes des hommes, surtout avant la
résurrection. Un certain nombre de Pères entendent le feu métaphoriquement, au
sens d’une douleur spirituelle. Ainsi pense Origène et il est suivi sur ce
point par S. Grégoire de Nysse (De anim. et resurr. :
M. 46, 67 sq.), S. Ambroise (In Luc, 7, 205 : M. 15, 1754), S. Jérôme (In
Is., 18, 66, 24 : M. 24, 676 sq.), S. Jean Damascène (De fide orth., 4, 27 : M. 94,
1228, Cf. Petau, De Angelis,
3, 5). S. Augustin estime que personne ne peut rien savoir sur la nature du feu
de l’enfer sans une révélation divine (Civ., 20, 16).
S. Grégoire le G. a tenté en vain de résoudre le problème ; il en revient
finalement à la parabole du mauvais riche qui s’écrie : je suis torturé
dans cette flamme. Il avait aussi remarqué que le fait d’être entouré de ce feu
que l’œil perçoit, « brûle » l’âme, c.‑à‑d. sans doute, la rend triste et tourmentée
(Dial., 4, 29). Cela se ramènerait à une hallucination. S. Thomas (Suppl., q.
97, a. 5) attribue aussi cette opinion à S. Augustin et à Avicenne et n’est pas
loin de l’admettre lui‑même. Il
énumère d’abord une série d’opinions à ce sujet : 1° La simple vue du feu
fait souffrir l’âme, c’est ce que pense S. Grégoire (Dial., 4, 29) ; 2° L’âme
s’imagine qu’elle brûle, elle a par conséquent de la crainte et de la douleur,
alors qu’il n’y a pas de raison réelle d’en avoir ; 3° Dieu peut toucher l’âme
avec le feu comme avec un instrument, comme il la touche avec les sacrements.
Mais, répond S. Thomas, cela n’est pas possible quand l’instrument n’a pas déjà
par lui‑même une certaine aptitude à cela, et
cette aptitude n’existe pas ici ; 4° C’est pourquoi le feu ne peut
tourmenter l’âme que lorsque, d’une manière ou d’une autre, il l’appesantit (Sag.,
9, 15). Dieu soumet l’âme au feu corporel, afin qu’il la maintienne, la lie à
un lieu déterminé et l’empêche d’exercer sa propre volonté. Cette attache (ligatio) que l’âme supporte malgré elle, la désespère et la
tourmente (Suppl., q. 70, a. 3). Comme S. Thomas déclare plus tard expressément
que le feu ne modifie aucunement le corps de l’homme, mais n’agit que
spirituellement en remplissant l’âme de tristesse, son explication revient
finalement à dire que le feu matériel cause une douleur spirituelle. Ainsi il
peut également enseigner que les damnés « passent de la plus violente
chaleur au froid le plus violent », parce que le corps lui‑même n’est pas modifié (Suppl., q. 97, a. 1).
Le « ver » est une expression métaphorique et non corporelle ;
car les bêtes ne sont pas éternelles (Ibid., 8, 2). De même les larmes ne sont
pas réelles mais signifient le trouble de la tête et des yeux (Ibid., a. 3).
Les ténèbres règnent dans les enfers, mais il y a assez de lumière pour que les
damnés voient leur honte et leur infamie (Ibid., a. 4). Le feu de l’enfer, en
tant que tel, est donc, de sa nature, semblable au feu terrestre, mais il a cependant ses propriétés particulières :
il n’a pas besoin d’être allumé et entretenu. Nous ne savons pas dans quelle matière il brûle (Ibid., a. 6). S. Thomas
présume avec S. Grégoire le G., que le lieu de l’enfer se trouve à l’intérieur
de la terre (Ibid., a. 7). Cf. plus haut p. 517.
La
théologie postérieure a encore fait de nombreux efforts pour essayer d’expliquer
d’une manière plus précise le tourment du feu. D’après quelques‑uns, le feu rend l’âme laide et horrible, par
opposition à la beauté céleste (Suarez, etc.). D’après Franz Schmid, la douleur
est celle que fait éprouver une brûlure physique (Quæstiones
selectæ). Gutberlet se
rattache à lui et essaie de démontrer, par de savantes considérations de
science naturelle, la possibilité de cette douleur (10, 534). Il est difficile
d’affirmer que ces explications nouvelles soient préférables à celles des
scolastiques. Peut-être vaut il encore mieux
reconnaître, avec S. Augustin et S. Thomas, que nous ne savons rien de la
nature de ce feu et que, par conséquent, nous ne pouvons pas dire comment cette
« brûlure » peut tourmenter des esprits. Qu’on insiste donc
davantage, avec S. Thomas, sur la peine du dam. Cette perte de Dieu doit être
pour l’âme, une peine d’autant plus épouvantable que son unique tendance sera
alors d’être unie à Dieu, qui est son unique fin et le restera éternellement.
Cette fin, pendant toute l’éternité, elle ne pourra l’atteindre, et cela par sa
propre faute. La parole d’Hugues de Saint‑Victor :
« La source de toutes les douleurs réside dans la terreur » (De Sacram., 2, 16) est loin d’être aussi profonde que celle de
S. Augustin : « il faut répondre à ceux qui demandent pourquoi les
uns sont heureux : c’est qu’ils sont unis à Dieu, et à ceux qui veulent
savoir pourquoi les autres sont malheureux : c’est qu’ils sont séparés de
Dieu » (Civ., 12, 1, 2 ; cf. S. Thomas, Comp. théol., 174 ; Dict. théol., 4, 9 sq.).
La
théodicée de l’enfer est fournie par
l’Apologétique. On ne songera pas sérieusement
à donner une preuve positive de raison.
Mais les indications de l’Écriture suffisent. L’éternité des peines a certes
quelque chose d’obscur. Mais il est un point auquel il faut tenir fermement
dans l’explication : même par rapport à l’enfer, Dieu reste saint et
juste. S’il veut l’enfer, c’est uniquement parce qu’il ne veut pas le péché. Le
péché est le premier, l’enfer le second. Si le péché cessait, l’enfer
cesserait. Or le péché demeure l’acte libre perpétuel, éternel de l’homme. Il
en est de même de sa conséquence. Shell essaie de rendre l’enfer plausible
comme « damnation par soi‑même »
et Gutberlet dit, avec raison, que « cette
pensée peut prétendre à un assentiment général » (Phil. Jahrb. [Ann. Phil.], 1919, 122). C’est là la chose la plus
importante qu on puisse dire, ici‑bas, sur le « mystère de l’iniquité »
(2 Thess., 2, 7) ; mais nous pouvons avoir la
ferme assurance que la lumière de l’au‑delà
répandra sa clarté même sur l’enfer et son problème, et que, par rapport à lui,
nous pourrons chanter la justice de Dieu, comme le fait le psalmiste (Ps. 50,
6) et comme le répète S. Paul (Rom., 3, 4).
S. Augustin a déjà,
dans son temps, répondu aux objections
qu’on élevait contre l’éternité de l’enfer et il l’a fait d’une manière si
complète que ses successeurs n’ont rien pu dire d’important qu’il n’ait déjà
dit avant eux. Il y avait alors, soit à l’intérieur de l’Église, soit du côté
des philosophes, trois classes d’adversaires des peines de l’enfer : 1°
Les origénistes ; 2° Ceux qu’on appelait les
« miséricordieux » ; 3° Les philosophes incrédules. Les
origénistes enseignaient l’apocatastase de tous ; nous avons déjà parlé d’eux.
La source de leur erreur était Platon,
d’après qui tout châtiment a pour but l’amélioration. Les âmes qui sont
emprisonnées dans les corps, en punition de leurs fautes, doivent accomplir
leur circuit pour retourner à Dieu, leur point de départ. Les
« Miséricordieux » sont des auteurs ecclésiastiques anonymes, dont
les théories semblent avoir trouvé une assez grande diffusion (S.
Ambroise ? S. Jérôme ? Cf. Lehaut, 24-40).
Ils nient l’éternité de l’enfer en s’appuyant sur certains passages de l’Écriture, dans lesquels on célèbre la
miséricorde de Dieu comme infinie, éternelle, grande et universelle : ce
qui serait incompatible avec l’enfer. Les philosophes
(Celse, Porphyre, Julien, etc.) s’appuyaient sur des arguments physiques et
moraux : un feu brûlant éternellement est une impossibilité
physique ; une punition éternelle pour une faute transitoire est une
injustice ; en outre, il faut
que toute peine ait pour but l’amélioration, pour être raisonnable. On ne peut pas
dire que les adversaires postérieurs aient ajouté quoi que ce soit d’essentiellement
nouveau aux arguments de ces antiques adversaires. Que leur a répondu S.
Augustin ?
Aux
origénistes il oppose des passages
clairs de la Bible, dans lesquels une seule et même phrase présente la
récompense des bons et le châtiment des mauvais comme « éternels »
(par ex. : Math., 25, 46). Est‑ce que ces
paroles seraient vraies par rapport aux bons et fausses par rapport aux
mauvais ? « Les deux choses sont corrélatives : d’un côté, le
supplice éternel, de l’autre, la vie éternelle ». Or dire : « la vie éternelle n’aura point de fin, et
le supplice éternel en aura une, est
absurde » (Civ., 21, 23 ; Sermon 22, 10).
Au reste, l’origénisme est une hérésie :
« Quel Chrétien Catholique, instruit ou peu instruit, ne serait pas saisi
d’horreur par ce qu’Origène appelle la purification des démons ? » (De
hær., 43 : M. 42, 34). « L’Église
catholique n’a jamais accepté ce dogme » (ibid). Nous n’enseignons pas cela par haine contre les diables,
« mais nous ne devons pas avoir la présomption de rien ajouter à la
sentence définitive du Juge suprême et très‑véridique »
(Lettre à Orose, 5 : M. 42, 672). Ce sont là des paroles pondérées. Quand
le Juge suprême et véritable a prononcé son dernier jugement, il ne nous
appartient pas d’y modifier quelque chose, de notre propre autorité, d’après
nos sentiments subjectifs.
Les
« miséricordieux » peuvent
assurément se référer à maint texte de l’Écriture ; mais ces textes se
rapportent à la vie présente et ne sont pas absolus, autrement ce serait la
destruction du jugement et de ses effets. Dieu a dit clairement, par la bouche
de S. Paul : « Ne vous y trompez pas : ni les débauchés, les
idolâtres, les adultères,... aucun de ceux‑là ne recevra le royaume de Dieu en
héritage » (1 Cor., 6, 9 ; cf. Eph., 5, 5).
Or cela a été dit aux chrétiens eux‑mêmes et non
seulement aux païens (De octo Dulc.
quæst., 1, 14 : M. 40,
156). Les nombreux textes sur la miséricorde divine se rapportent sans
exception à la vie présente, pas un seul ne se rapporte à l’enfer. S. Thomas
explique : « Dieu aime faire éprouver à tous sa miséricorde »
(Cf. Rom., 11, 32). « Mais l’exercice de cette miséricorde devant être
réglé par l’ordre de sa sagesse, il doit la refuser à ceux qui s’en sont rendus
indignes, tels que les démons et les damnés, à cause de leur obstination dans
la malice » (Suppl., q. 99, a 2 ad 1).
Pour
ce qui est des philosophes, S.
Augustin répond à l’argument de la physique : Nous ne connaissons pas la
nature du corps ressuscité, ni celle du feu de l’enfer : « L’argumentation
de nos adversaires se réduit à prétendre que ce qu’ils n’ont point expérimenté
est impossible » (Civ., 21, 3, 1). Il apporte
ensuite l’exemple, d’ailleurs fabuleux, de la salamandre (ibid., 21, 4) et,
pour prouver l’existence d’un feu qui brûle toujours, il rappelle les volcans d’Italie
(ibid.) ; mais il invoque enfin la raison décisive : la toute‑puissance de
Dieu, qui peut opérer ce que nous ne comprenons pas. Dieu est l’auteur des
choses naturelles : il est donc le maître de leur essence et de leur
opération. « Quelle raison meilleure et plus concluante pouvons‑nous indiquer qu’en déclarant que le Tout‑Puissant peut faire cela et qu’en disant qu’il
fera ce dont nous lisons dans l’Écriture qu’il l’a annoncé
auparavant ? » (Ibid., 21, 7). « Comment appeler contraires à la
nature des effets qui se font par la volonté de Dieu, puisque la volonté du Créateur
fait seule la nature de chaque chose ? » (Ibid., 21, 8, 2). De même
que Dieu peut « créer les natures comme il lui plaît », il peut aussi
« les changer comme il lui
plaît » (Ibid., 21, 8, 5).
Que
faut‑il penser de l’argument moral ? On dit qu’une faute
temporelle et un châtiment éternel sont une contradiction. Or le juge terrestre
lui‑même ne prend pas le temps de l’action mauvaise comme mesure
du châtiment, mais la mauvaise volonté
et l’action elle‑même ; autrement le vol d’un
arbre serait plus grave qu’un meurtre. On ne doit donc pas dire d’une manière
mécanique : « La mesure du péché est la mesure du châtiment » ;
mais il faut agir d’une manière psychologique ; dans l’appréciation de l’action
humaine, bonne ou mauvaise, ce n’est pas la mesure extérieure qui est décisive
mais la volonté : « la volonté qui vous aura servi à faire le bien
servira à votre délivrance ; la volonté qui vous aura servi à faire le mal
servira à votre châtiment » (cf. Math., 7, 2 ; Ep. 102, 25). Par
conséquent, c’est « dans la volonté de pécher » que se trouve la
mesure de la faute et de la peine et non « dans la durée du péché »
(Ep. 102, 26). « L’homme pécheur aurait voulu jouir éternellement de son
péché, il trouvera dans la peine une sévérité éternelle » (Ep. 102, 27).
Ainsi se produit l’identité entre la peine et le péché. Il est vrai que la
spéculation s’enfonce ici dans le mystère ; car il reste une
question : Pourquoi la volonté s’éternise‑t‑elle dans sa
méchanceté ? S. Augustin exprime une pensée de bon sens quand il fait
dépendre le châtiment du péché, mais on ne pourrait pas renverser la
proposition en faisant dépendre le péché de la punition, et dire que l’indignation
causée au damné, par la punition qui l’atteint, le ferait pécher sans cesse.
Sans parler de tout le reste, le « temps du démérite » a fini pour le
damné avec la mort. S. Augustin nous ramène donc finalement au mystère de la
grâce que Dieu refuse au damné, même si l’influence de cette grâce pouvait fléchir naturellement sa volonté et l’incliner
à la pénitence.
S. Thomas essaie de
prouver l’éternité de la coulpe du péché d’une manière plus spéculative en
faisant de Dieu offensé la mesure de cette coulpe : « il y a dans le
péché deux choses : l’une qui consiste en ce qu’il nous éloigne du bien
immuable qui est infini, et sous ce
rapport il est infini ; l’autre qui consiste en ce qu’il nous porte
vers le bien qui est changeant, et à ce point de vue il est fini ; soit parce que le bien qui
change est fini, soit parce que l’action par laquelle on se porte vers lui est
finie elle‑même, puisque les actes des créatures
ne peuvent être infinis. — La peine du
dam répond au péché considéré comme la cause qui nous éloigne de Dieu, et
elle est infinie puisqu’elle est la
perte du bien infini ou de Dieu lui‑même ;
tandis que la peine du sens répond au
mouvement déréglé qui nous porte vers les créatures ; c’est pourquoi elle
est limitée » (S. th., 1, 2, 87, 4). Si l’on voulait objecter qu’une peine
éternelle est sans utilité, parce qu’elle n’est pas médicinale, on peut
répondre qu’elle est de la plus grande utilité pour la généralité des fidèles,
car elle en détourne beaucoup du mal.
Les délivrances de l’enfer sont des
légendes, comme il y en a beaucoup dans l’eschatologie non dogmatique.
Néanmoins S. Thomas (et avec lui la théologie postérieure), en s’appuyant sur
un récit de S. Grégoire le G., qui raconte que Trajan a été délivré de l’enfer,
a admis qu’il est possible que Dieu, après un certain temps, place quelqu’un
dans une nouvelle situation d’épreuve où il peut mériter ; c’est pourquoi
Benoît XII dit dans sa Bulle eschatologique que « selon la disposition
générale de Dieu » ceux qui meurent en péché mortel s’en vont vers les
peines éternelles de l’enfer (Denz., 531). S. Thomas
avait écrit : « ils étaient en enfer, d’une manière juste et méritée,
mais non définitive » (Suppl., q. 71, a. 5 ad.5 ; cf. Dict. théol.,
5, 91 et 99).
Qui est dans l’enfer ? La réponse
abstraite est la suivante : Quiconque est mort en état de péché mortel
sans contrition. Mais concrètement, à part le diable et ses anges, l’Écriture
ne parle que de Judas comme d’un
réprouvé (Jean, 17, 12 ; Math., 26, 24 ; Act.
Ap., 1, 25). Au sujet du nombre des réprouvés ou du nombre des diables, on ne peut rien dire
ni présumer, parce que la Révélation garde le silence à ce sujet ; or il n’y
a pas d’autres sources de
renseignement. La phrase « beaucoup d’appelés et peu d’élus » rend,
il est vrai, un son absolu ; mais, d’après le contexte, elle est relative
et se rapporte aux Juifs. Dans l’instruction
populaire, un sage pasteur traitera avec la plus grande prudence les questions
eschatologiques auxquelles on ne peut véritablement pas répondre, ou mieux, s’abstiendra
d’en parler.
A
consulter : Bellarmin, De purgatorio (De controv.). Suarez, De purgatorio
(In 3 part., d. 45 sq.). Collet, De purgatorio (Migne,
Curs. compl., 18, 267 sq.).
Allatius,
De utriusque Ecclesiæ
occidentalis et orientalis in dogmate de purgatorio perpetua consensione (Migne,
Curs. Compl., 18 sq.). Binet‑Jenneseaux, L’ami des
âmes du purgatoire (3e éd., 1914). Bartmann, Le purgatoire, trad.
italienne (Vita e Pensiero, 1934).
THÈSE. Il y a un purgatoire, ou un
état de purification morale, dans lequel les âmes qui ne sont pas encore
entièrement pures sont purifiées par les peines et rendues aptes au ciel. De foi.
Explication. L’Église a défini
le purgatoire dès le Moyen‑Age,
car, indépendamment des attaques des Albigeois et des Vaudois, ce point de
doctrine était imprécis et indécis dans l’Église grecque. Dans la profession de foi de l’empereur Michel Paléologue,
qui fut admise au 2ème Concile de Lyon (1274), il est déclaré que
« les âmes qui se sont séparées du corps dans le repentir et la charité
sont purifiées après leur mort par des peines purificatrices (pœnis purgatoriis seu catharteriis ) (Denz., 464). Le Concile de
Florence répéta cette déclaration (Denz., 693). Plus
tard, Léon X rejeta la thèse de Luther qui prétendait que le purgatoire ne peut
pas être prouvé par les Écritures canoniques (Denz., 777).
Le Concile de Trente dut, en raison de la contradiction des protestants,
affirmer encore une fois l’existence du purgatoire ; cela se fit dans un
décret de la dernière session (S. 25 : Denz.,
983). Cf. aussi le Symbole de Trente (Denz., 998).
Preuve.
Les textes allégués aujourd’hui pour
prouver le purgatoire n’ont pas toujours été utilisés pour cette fin. Il
résulte d’abord de 2 Macch., 12, 43-46, qu’on citait
jadis très rarement et que plus tard on cita d’autant plus souvent, que, dans
le judaïsme postérieur, on croyait que les défunts qui « s’étaient
endormis » dans la foi et la « piété », mais encore « avec
des péchés », pouvaient « par des sacrifices et des
intercessions » « être délivrés de leurs péchés » et ainsi
participer à la « résurrection » heureuse. Cette pensée est approuvée par l’auteur inspiré :
« C’est une sainte et salutaire pensée de prier pour les morts, afin qu’ils
soient délivrés de leurs péchés ». Le Concile de Florence a utilisé ce
passage contre les Grecs. Mais les Pères s’appuyaient de préférence sur 1 Cor.,
3, 11-15. S. Paul fait remarquer à ses lecteurs, amis des coteries, qu’il n’y a
qu’un fondement de la foi : Jésus‑Christ.
Que chacun considère comment il bâtit sur ce fondement, bien ou mal, avec de l’or,
de l’argent, des pierres précieuses, ou du bois, du foin ou de la paille ;
le dernier jour, qui se manifestera dans le feu, mettra tout en lumière et
éprouvera tout. Si quelqu’un soutient l’épreuve, il recevra la
récompense ; « mais si l’ouvrage de quelqu’un est consumé, il éprouvera
du dommage, il sera cependant sauvé, mais comme
par le feu ».
Les Pères. Si l’on
compare notre doctrine actuelle du purgatoire, à la lumière de la pratique de l’Église,
avec celle de l’Église primitive, on reconnaîtra que ce dogme, comme tous les autres
dogmes, a connu un développement. L’Écriture n’avait pas parlé d’une manière
formelle et précise. Cependant, tant sous l’influence de la doctrine générale
de la foi et des mœurs que sous celle du judaïsme, peut-être aussi un peu sous
l’influence de l’antique culte des morts, la doctrine de purification de l’ancienne
Église et des Pères évolua d’une manière très conséquente.
Dans
cette doctrine primitive, se manifeste presque toute la doctrine de la foi et
des mœurs. Avec quel sérieux l’ancienne Église devait envisager la sainteté et
la justice de Dieu, comme elle devait sentir tout le poids de ses commandements
et de ses menaces, quelle haute idée elle devait se faire de la pureté des
habitants du ciel, puisqu’elle admettait, pour presque tous les fidèles, à l’exception des martyrs, des Apôtres et
des Prophètes, le besoin d’une purification après la mort !
Les
Juifs avaient donné un bon exemple
aux premiers chrétiens par rapport au soin des morts. Le second livre des
Macchabées signale la coutume de « prier et d’offrir des sacrifices pour
les morts ». Jésus, il est vrai,
n’avait rien enseigné au sujet de prières ou de sacrifices pour les morts. S. Paul non plus. Mais le Christ semble
faire allusion à une rémission des péchés dans l’autre monde et S. Paul a parlé
d’une purification par le feu du jugement. En unissant ces données à la pensée
générale de l’intercession chrétienne, on n’était pas loin des traits
essentiels de la doctrine du purgatoire. On ne peut donc pas dire avec
Luther : « le purgatoire ne peut être prouvé par aucune autorité
scripturaire canonique » (Denz., 777).
Le
paganisme connaissait un culte des
morts très développé et, en outre, une doctrine eschatologique qui est parfois
d’un sérieux surprenant et d’une grande élévation morale. S. Bellarmin le
rappelle déjà (De purg., 1, 11). Mais le
protestantisme exagéra manifestement, en affirmant que la doctrine du
purgatoire avait été purement et simplement introduite par Origène, qui l’avait
empruntée à Platon (Glawe,
Hellénisation du christianisme). En admettant même que l’Église, par sa
commémoration chrétienne des morts, ait voulu contrebalancer le culte païen des
morts, dont la pratique était parfois superstitieuse et s’accompagnait souvent
d’orgies, il n’en est pas moins vrai qu’elle fut guidée par l’idée, réalisée de
très bonne heure, de la communion des saints et du devoir d’intercession
générale qui s’étendait aux morts, comme on l’a montré plus haut (§ 189, la
messe pour les morts) pendant le sacrifice de la messe. Il est vrai qu’on ne dit
pas précisément, au commencement, pourquoi
on fait mémoire des morts ; mais on dit que cette commémoration a lieu. Tertullien est le premier qui soit
précis sur ce point. Il atteste la coutume d’offrir des oblations pour les
fidèles défunts (De cor. mil., 3 sq.) : « La veuve prie pour l’âme
(de son mari défunt), elle implore pour elle, pendant ce temps, le rafraîchissement
(refrigerium) et la participation à la première
résurrection et offre un sacrifice à l’anniversaire de son trépas » (De monog., 10). Tertullien exprime, en se rattachant à Math.,
5, 26, sa croyance au fait que les âmes des défunts, dans le monde inférieur (apud inferos), doivent payer leur
dette jusqu’au « dernier denier » (De anima, 58 ; De resurr., 42 ; cf. Adv. Marc, 3, 24). Il faut comparer
avec ces déclarations les nombreuses inscriptions
funéraires des trois premiers siècles, qui, par leurs souhaits que le mort
repose « in Domino, in pace, in refrigerio »
(expression qui est peut-être empruntée à l’antique épigraphie égyptienne), « inter
sanctos, in Christo », etc., expriment, dans une
formule concise, ce que Tertullien dit en termes d’une netteté presque
dogmatique.
Est‑ce
qu’Origène enseigne quelque chose de nouveau ? Il admet,
comme Platon, que les âmes, après la mort, ont à subir un jugement, dans lequel
elles reçoivent le « baptême de feu » (Luc, 3, 16). Il affirme que
tous doivent passer par là, même Pierre et Paul ; mais, lorsque les
mauvais sombrent, dans ce jugement, comme les Égyptiens dans la Mer Rouge, les
bons en sortent sans dommage. L’œuvre de tout homme sera alors éprouvée dans le
feu (1 Cor., 3, 15). Les bons passent à travers et montent au troisième ciel ou
paradis, où ils doivent attendre jusqu’à leur entrée dans l’éternelle béatitude
(In Luc, hom. 24 : M. 13, 1864 sq. ; hom. 14 : M. 13, 1835 sq.
In Ps. 36, hom., 3, 1 : M. 12, 1337. In Exod.
Hom., 6, 3, 4 : M. 12, 334 sq. In Num. hom., 25,
6 : M. 12, 769 sq. Cf. Tixeront, 1, 306). On
voit nettement qu’il s’appuie sur la Bible (1 Cor., 3, 15 ; Luc, 3, 16).
On ne doit pas cependant affirmer que, dans sa doctrine du purgatoire, il n’a
pas été influencé par le platonisme et les systèmes apparentés (Iran ?).
S. Ephrem le Syrien partage les morts en trois classes : les parfaits
(supra judicium), les imparfaits (sub
judicio), les impies (extra judicium).
La classe intermédiaire est, d’une manière ou d’une autre, soumise à la
purification (Tixeront, 2, 220). S. Cyrille de
Jérusalem suppose que la prière pour les morts est utile (Cat. myst., 5, 10). D’après S. Hilaire
et Zénon, les bons vont dans le sein d’Abraham ou paradis, les mauvais dans l’enfer,
les imparfaits dans le jugement ou baptême de feu, « selon les œuvres
bonnes ou mauvaises que nous aurons accomplies », dit Zénon (Tixeront, 2, 337).
S. Ambroise est célèbre
comme eschatologue. La monographie de Niederhueber, à
son sujet, compte 274 pages. Malgré ses louables efforts pour établir une unité chez le saint docteur, il faut s’en
tenir au jugement de Tixeront : « Il n’est
pas possible d’harmoniser en une synthèse absolument sûre certains traits épars
de cette eschatologie » (2, 343). D’après le 4ème livre d’Esdras
(7, 32), qu’il considère comme canonique, S. Ambroise indique certains lieux de
séjour (promptuaria), dans lesquels les âmes sont conservées pendant le « temps
intermédiaire » jusqu’au jour de la résurrection. Toutes subissent,
immédiatement après la mort, le jugement particulier, qui, comme un feu
purificateur, éprouve les œuvres de leur vie. « Je serai éprouvé comme le
plomb, et je brûlerai dans le feu, jusqu’à ce que tout le plomb soit évaporé.
Et s’il ne trouve rien de bon en moi qui soit à l’épreuve du feu comme l’argent,
hélas ! l’on m’enverra au fond de l’Enfer où je serai tout consumé comme
la paille » (In Ps. 118, enarr. n. 13 : M.
15, 1487). Les bons passent sans douleur à travers ce feu et vont dans le
« paradis » ou « troisième ciel » ; ceux qui sont tout
à fait mauvais vont dans l’enfer ; les (chrétiens) imparfaits vont dans un
lieu de purification où ils doivent attendre leur perfection. « Cependant il
semble que seuls les non chrétiens (impii, infideles) et non les « peccatores »
baptisés, condamnés par le jugement, restent soumis au sort éternel de punition dans l’enfer »
dit Niederhueber, mais il appelle cela une
« atténuation origéniste de la doctrine révélée » (P. 129). Cf. l’opinion
qu’on voit encore apparaître chez S. Thomas, d’une condamnation définitive et d’une damnation provisoire à l’enfer (P. 524). Pendant
cette purification durant le « temps intermédiaire », les âmes sont aidées par les intercessions et les sacrifices
des vivants, afin qu’elles soient plus vite purifiées, pendant que les parfaits
montent par le mouvement de l’air (motu aerio) et
jouissent du « repos parfait ». A cette fin, on
« recommande » à Dieu, dans la prière, les âmes des défunts (commendare animam) (De exces. frat.,
2, 2). « Que les pauvres
pleurent plutôt que de se réjouir à votre mort. Ce sont leurs larmes qui laveront les taches de vos péchés ; ce sont leurs gémissements
qui adouciront les douleurs de votre trépas, et qui vous feront oublier les
maux passés, par la joie éternelle qu’ils vous mériteront » (lbid., 5). S. Ambroise célèbre le sacrifice eucharistique pour ses amis Valentinien et Gratien (De obitu Valent., 77). A Milan, on célèbre ce sacrifice le
jour de la sépulture, ainsi que le septième jour après la mort (De exces. frat.,
2, 2). Ailleurs on fait autrement : « c’était tantôt le troisième jour et le trentième après le décès, tantôt le septième jour et le quarantième » (De obitu Theod., 3). Une troisième manière de secourir les défunts,
ce sont les aumônes et les agapes mortuaires, dans lesquelles on nourrissait
les pauvres, dont les larmes étaient considérées comme rédemptrices. Il faut
ajouter encore l’invocation des Apôtres et des martyrs qui sont déjà dans le
ciel (Niederhueber,
Eschatologie, 43 sq. ; Royaume de Dieu, 273 sq.).
Le
but des suffrages est : 1° La
purification de la faute et de la peine (delicta, cf.
plus bas) ; 2° La « résurrection prompte » (matura resurrectio, maturior resurrectio = matura absolutio sanctorum), ce qui doit s’entendre spirituellement d’une
réception plus prompte dans le troisième ciel, parce que la purification aura
été hâtée, et non, comme chez Tertullien (De monog.,
10), de la « prima resurrectio », dans le
millénaire intermédiaire ; 3° La protection contre Satan et les démons,
qui, lorsque l’âme monte vers le paradis ou avant‑ciel,
veulent encore l’attaquer et la retenir (Niederhueber, Eschat.,
45 sq. ; Royaume de Dieu, 280).
Cependant
S. Ambroise, comme aussi S. Jérôme et l’Ambrosiastre,
enseigne le salut final de tous les chrétiens ou fidèles. Tixeront
dit, 2, 349 sq. : « Cette conviction, par conséquent, n’était pas, à
la fin du 4ème siècle, dans l’Église latine, opinion hasardée et
rare. C’est dans la foi chrétienne elle‑même que l’on
mettait la vertu qui devait opérer le salut de tous ceux qui la
professaient ». On s’appuyait sur 1 Cor., 3, 15. Le texte de S. Paul, 1
Cor., 2, 15, est un des plus fréquemment invoqués. Tixeront
signale, avec raison, que ce feu du jugement, dont parle S. Ambroise, n’est
autre que le purgatoire de la théologie postérieure.
L’importance
S. Augustin est, dans l’eschatologie
comme ailleurs, très grande, bien que, sur ce point, il n’ait pas ouvert la
voie ni conclu l’évolution. L’âme reçoit, après le Jugement particulier, une
partie de sa récompense ou de sa peine ; l’achèvement, d’après lui aussi, n’a
lieu qu’au jugement dernier : « Le temps qui est entre la mort et la dernière résurrection contient les âmes
en des réceptacles cachés, selon que
chacune est digne de repos ou de tourment » (Enchir.,
c. 109 ; cf. 112 et 110 ; Civ., 21, 24). Il
enseigne, en s’appuyant sur Math., 12, 32, que certains péchés sont remis dans
l’autre vie et que, d’après 1 Cor., 3, 11-15, ils sont expiés. Ce qui l’intéresse
le plus, c’est le salut quasi « par le feu » dont parle S. Paul (1
Cor., 3, 15). De quels chrétiens est‑il question
ici ? Que peut être ce feu ? Il l’appelle le feu des souffrances et
des tentations de cette vie (Civ., 21, 26, 2 et
passim), la mort (De fide et op., 27) ; mais,
dans Enchir., 69, il pense au purgatoire, cf. Civ. 21, 26, 4. Ajoutons immédiatement la foi aux suffrages
(Ench., 110). « En effet la tradition de nos
pères est universellement observée par l’Église » (Sermon 172, 2). Quels péchés expie‑t‑on
dans. le purgatoire ? « Il
est très‑difficile de s’en assurer et très‑dangereux de vouloir le déterminer » ;
« pour moi du moins, dit‑il, je n’ai
rien pu découvrir jusqu’ici quand je m’en suis occupé » (Civ., 21, 27, 5 ; cf. Tixeront,
2, 433 sq.). A l’occasion, il en vient aussi à parler de la montée des âmes
purifiées vers le paradis. Sa mère Monique « n’était pas sans
faute » ; mais elle lui demanda, avec confiance, « de se
souvenir d’elle à l’autel du Seigneur ». « Personne ne doit l’arracher
à ta protection » (mon Dieu). « Ni par la violence, ni par la ruse,
le lion et le dragon n’interviendront » (Conf., 9, 13). Tout le monde, ici
comme chez S. Ambroise, pensera à l’Offertoire
de la messe des Morts. Cet offertoire doit s’expliquer scientifiquement, avec Atzberger, Stiglmayr et d’autres,
qui y voient une allusion à ce qu’on appelait le « passage des âmes »
qui allaient vers le paradis, guettées par des démons et de redoutables dragons
de l’air ; on ne doit pas chercher ailleurs une explication artificielle,
alors même qu’il faudrait admettre ici, comme cela arrive si souvent dans l’eschatologie,
des réminiscences de conceptions antiques ; cela n’a qu’une importance
tout à fait secondaire.
S. Césaire d’Arles, disciple
médiat de S. Augustin, est sans doute le premier qui enseigne formellement le
jugement particulier : Quand le corps commence à se corrompre dans le
tombeau, « l’âme est présentée à Dieu par les anges dans le ciel, et là,
si elle a été bonne, elle est couronnée, ou, si elle a été mauvaise, elle est
projetée dans les ténèbres » (Sermo 301, 5). Il
y a une exception pour l’âme qui était encore un peu attachée aux créatures et
qui était chargée de « menus péchés ». « Car ce feu qui passe (1
Cor., 3, 15) efface, non pas les péchés capitaux, mais les menus péchés » (Sermo 104, 1). S.
Césaire énumère deux fois ces péchés, qu’il caractérise comme « menus
péchés », en se servant d’une expression augustinienne :
« parjure, malédiction, médisance, paroles superflues ; haine,
colère, envie, mauvaise conscience, gourmandise, somnolence, pensées sordides,
concupiscence des yeux, délectation voluptueuse des oreilles, irritation des
pauvres » ; à ces choses sérieuses s’ajoutent encore le manque de
zèle dans le jeûne, la prière, la visite des prisonniers et des malades (Dict.
théol., 2, 2180). L’auteur de l’article du Dict. théol. déclare que, pour
surprenant que cela paraisse, les péchés énumérés étaient certainement
considérés comme minuta. Cela est d’autant
plus surprenant que S. Césaire est un rigoriste déclaré, qui va jusqu’à
écrire : « Non seulement les grands péchés, mais aussi les petits
péchés, s’ils sont trop nombreux,
submergent l’homme » (Sermo 104, 1). D’après S.
Césaire, les peines du feu purificateur sont plus dures que toutes les peines
du monde (Autres textes dans Nirschl, Patrol., 3, 449).
S. Grégoire le G. trouva donc
une doctrine très développée de la purification, quand il entreprit d’examiner
ces questions d’une manière théologique et populaire, dans ses dialogues. Par
conséquent, il est faux de prétendre que c’est lui qui « a enrichi la
dogmatique de l’Église catholique de cette doctrine » (Lau, Grégoire, 1, 508). On ne trouve
presque rien de nouveau chez lui à ce sujet. Il s’appuie sur ce principe que
Dieu punit tout péché, même celui dont on a la
contrition. Job dit en effet : « Je redoute
tous mes tourments, je sais que tu ne m’acquitteras pas (9, 28) ; Le
Seigneur retranche nos offenses soit par nous‑mêmes (par
la pénitence) soit en agissant lui‑même (par le châtiment), même lorsqu’il nous
affranchit de la punition » (Mor., 9, 34). « Il faut croire qu’il y
a, avant le jugement, un feu purificateur pour certains péchés légers, et cela
parce que l’éternelle Vérité dit : « Si quelqu’un a prononcé un
blasphème contre le Saint‑Esprit »,
etc. (Math., 12, 32). Mais il se réfère ensuite, comme S. Augustin et les Pères
précédents, à 1 Cor., 3, 15. Il signale aussi, en même temps, l’objet de la
purification : ce ne sont que des péchés minimes, voire même tout à fait
légers comme le bavardage fréquent et inutile, le rire immodéré ou un péché
concernant l’administration des biens » (Dial., 4, 39). Dans cette
purification, les suffrages et les aumônes des vivants, mais surtout le
sacrifice de la messe, sont d’une grande utilité. Avec S. Grégoire commence l’habitude
d’unir à la doctrine du purgatoire des histoires populaires édifiantes, dans
lesquelles des apparitions d’âmes, des récits des défunts et des choses encore
plus palpables doivent éclairer la doctrine obscure et donner des preuves
saisissantes des peines qu’on y endure (Cf. S.
Bède, Hist. Eccl., 5, 12 ; S. Boniface, Ep., 20).
Synthèse. 1. Le point
central de la doctrine du purgatoire ne se trouve pas dans l’Écriture, mais
dans la Tradition. Elle s’est développée, en partant de l’idée de jugement et de sanction qui est abondamment attestée dans l’Ancien et le Nouveau
Testament, qui était même courante dans le paganisme, mais que le christianisme
a particulièrement renforcée et accentuée. - 2. Comme toujours, cette idée
trouve d’abord son expression pratique dans le culte ; on étendit, en
effet, l’intercession chrétienne même aux morts et cela se fit surtout dans la
célébration du sacrifice eucharistique, que l’on offrait autant que possible
sur les tombeaux mêmes (Wieland, Mensa, 57-65 ; Autel et tombeau des martyrs). - 3.
Tertullien, le premier, nous renseigne, d’une manière théorique, sur l’intention
de ces suffrages (prima resurrectio et refrigerium) ; il fait aussi une distinction entre les
martyrs tout à fait saints, qu’on honore
par une cérémonie de commémoration et les fidèles ordinaires, pour lesquels on prie. - 4. Dans la preuve biblique de la
doctrine du purgatoire, Math., 12, 32 et 1 Cor., 3, 15 jouent, dès le début, un
grand rôle ; 2 Macch., 12, 43 sq. passe à l’arrière plan. Cependant S. Augustin le cite
(De cura pro mort., 1) ; mais il se réfère, en outre, pour la
« recommandation des âmes », à « l’autorité de toute l’Église
qui est claire pour cette coutume ». - 5. La purification se fait dans un
état de punition de quelque nature qu’on l’imagine (épreuves, injuria) et qui
se passe dans l’Hadès entre la mort et la résurrection ; ou bien elle se
fait dans le jugement particulier, dans lequel les œuvres de l’homme sont
éprouvées. On ne peut guère se représenter le tourment du jugement comme
matériel (S. Paul avait écrit d’une manière spirituelle : comme par le
feu) ; mais seulement comme une torture de la conscience. C’est aussi ce
que pense S. Grégoire de Nysse (Cf. Hilt., 270 sq.). Cependant il s’introduisit bientôt des
représentations plus matérielles ; on fit surtout intervenir des démons et
des dragons, auxquels on attribua une influence physique, qui tendait à
paralyser, à retenir les âmes dans leur montée vers le paradis, et à les
éprouver. Ces mauvais Esprits exerçaient déjà une influence malfaisante sur les
hommes, dans cette vie. C’est à cela
que se rattache la doctrine des Grecs schismatiques, d’après laquelle les âmes
qui s’en vont vers le paradis arrivent, en route, aux « barrières de l’enfer »
où les démons recommencent un jugement pénible et renouvellent sans cesse leurs
accusations. Cf. aussi l’Offertoire de la messe des Morts. - 8. On considérait
que l’utilité des suffrages, en usage dès le commencement, était de hâter la purification
(prima resurrectio = præmatura
absolutio). - 9. Au sujet de la durée du purgatoire,
pour chaque individu, on ne dit rien ; cependant il semble, étant donné qu’on
l’identifie avec le jugement, qu’on ne se la représentait pas comme bien
longue. - 10. L’état de péché de ceux qui ont besoin de purification est sujet
à caution. S. Augustin hésite à s’exprimer d’une manière précise et S. Césaire
d’Arles pense à des « menus péchés », dont quelques‑uns, d’après notre conception, ne peuvent
guère être « menus ». - 11. Les auteurs patristiques sont :
Tertullien, S. Cyprien, Clément d’Alex., Origène, S. Grégoire de Nys., S.
Ambroise, S. Augustin, S. Césaire, S. Grégoire le G. Que quelqu’un de ces auteurs
ait eu une influence causale sur le dogme du purgatoire, ou même que Platon et
son École aient exercé une influence capitale, c’est ce qu’affirment les
protestants ; mais personne ne peut le prouver, en dépit d’Anrich, (Clément et Origène, fondateurs de la doctrine du
purgatoire [1902], 95-120). L’Église ne célèbre une « Fête des
Morts », pour commémorer toutes les âmes qui sont dans le purgatoire, que
depuis environ l’an 1000. Cette fête fut établie par Odilon, abbé de Cluny,
dans tous les monastères de son Ordre, d’où elle passa ensuite dans d’autres
Églises, pour être admise au 14ème siècle dans l’« Ordo
Romanus » (K. H. Lex., 1, 145). La pensée des
morts avait de si profondes racines dans l’âme populaire que Luther ne put pas
la supprimer ; les protestants célèbrent encore aujourd’hui, d’une manière
populaire et non liturgique, leur « fête des morts ».
La
raison théologique exige le
purgatoire comme une conséquence logique inéluctable, à laquelle même quelques
protestants, comme le polémiste Hase, se soumettent. Tout d’abord il est
absolument certain que rien d’impur ne peut entrer au ciel (Sag,. 7, 25 ; Is., 35,
8) et, d’un autre côté, il n’est pas conforme à la justice et à la sainteté de
Dieu d’exiger les peines éternelles de l’enfer pour des fautes légères. Il faut
donc, de toute nécessité, admettre un état intermédiaire, dans lequel s’accompliront
la purification et la préparation à l’entrée au ciel. Étant donnée l’imperfection
morale qui, par suite du péché originel, règne même dans les rangs des vrais
fidèles, la doctrine du purgatoire est une des plus consolantes du
christianisme.
Le purgatoire des Grecs. Pour
comprendre leur doctrine du purgatoire, il faut remarquer qu’ils en sont
toujours au point des anciens Pères concernant le jugement. Les morts attendent
le jugement qui aura lieu à la fin du monde et sont, jusqu’à ce jour, dans l’état
dit « transitoire ». Cet
état est considéré comme un « avant‑goût, comme
une première étape de l’état définitif
qui commencera à la résurrection et au jugement dernier ». Les bons ont
déjà, pendant le repos de la tombe, « un avant‑goût de la joie du paradis, parce qu’ils sont
plus près de Dieu et éclairés par sa lumière ». Quant aux mauvais,
« ils souffrent déjà dans la tombe et se tiennent, pour ainsi dire, aux
portes de l’enfer ». Les Grecs rejettent donc un troisième lieu ou état. « Un lieu intermédiaire particulier,
entre l’Hadès et le ciel, par conséquent le purgatoire de l’Église romaine, est
étranger à la doctrine orthodoxe de la foi », écrit Maltzew,
Exposés dogmatiques (1893), 18 sq. De
même, Gallinicos dit, dans son Catéchisme, 47 : « Nulle part (dans la Bible) il n’est
parlé d’un troisième (lieu), soit du purgatoire romain‑catholique, dans lequel, prétend‑on, les âmes sont d’abord purifiées, comme
dans un poêle ardent, de la souillure de certains péchés et ne sont envoyées qu’ensuite
au paradis ». Cependant les Grecs se rapprochent de nous quand ils enseignent :
« Pas de purgatoire et pas d’indulgences, mais un adoucissement de l’état
pénible que le tourment de la conscience fait éprouver aux chrétiens morts
pécheurs, par le moyen de l’intercession des survivants et de l’Église » (Zankow, 60). L’Église, d’après Zankow
(109), s’occupe des défunts par des services mortuaires spéciaux (pannychides), des messes des morts et les actes de charité
qui sont unis à ces pratiques. L’Église part de cette pensée fondamentale qu’aucun
homme, en ce monde, ne peut paraître devant la face de Dieu, exempt de péché,
parfait, saint et sans avoir besoin de miséricorde et de grâce ; nous tous
vivants et morts nous sommes membres d’une seule Église « et c’est notre
devoir », en tant qu’une seule
Église, « non seulement de prier individuellement Dieu, mais d’être
compatissants pour les âmes pécheresses de nos frères défunts ». Ce
pardon, on ne l’espère pas immédiatement, mais au jugement dernier – un
jugement particulier immédiatement après la mort n’est pas connu - : « Le Juge n’est pas encore venu pour fixer à
chacun son sort futur », dit Gallinicos
(Catéchisme, 48). Au sujet des prières liturgiques des Grecs pour les morts,
Kaufmann, dans son Manuel d’arch. chrét. (694), rapporte une prière de l’an 350
environ ; cf. aussi Bukowski, 156 sq. ; Rev.
d’Innsb., 1892, 273 sq., et Tixeront, 3, 270.
Les
peines du purgatoire sont
considérées, depuis la Scolastique, par analogie avec celles de l’enfer, comme
peine du dam (pœna damni)
et peine du sens (pœna sensus).
Naturellement la privation de Dieu n’est qu’un délai provisoire de la béatitude et non une damnation proprement dite.
Mais ce délai doit être d’autant plus pénible que les âmes qui le ressentent
sont plus nobles, qu’elles sont plus près du but, que leur désir de Dieu est
plus pur et plus éclairé, qu’elles se rendent mieux compte de la folie du
péché. Cependant cette peine du dam peut difficilement se comparer avec la
damnation éternelle. Dans le purgatoire, brille sans cesse l’espérance de la
délivrance prochaine ; l’âme brûle de l’amour parfait de Dieu ; la
paix avec Dieu embellit l’existence de chacun et de tous ; au purgatoire,
on a surtout la claire certitude de son sort personnel ; on sait que ce
sera un sort heureux, éternel, que ne menacera plus aucun danger. Cette
certitude, ces âmes l’ont puisée dans le jugement particulier qu’elles ont subi
après leur mort. La sombre opinion de quelques théologiens, d’après laquelle
les âmes du purgatoire ne sauraient pas elles‑mêmes si
leur état est éternel, infernal, ou simplement temporaire, est absurde. Est‑ce que ces âmes n’ont pas trouvé, dans la
sentence divine, dans leur propre conscience, dans les circonstances qui les
entourent, le moyen de discerner si elles sont les enfants de Dieu ou les
partisans de Satan ? Serait‑il possible
qu’une âme, dans laquelle habite la grâce sanctifiante, qui est le temple du
Saint‑Esprit, pût éprouver les terreurs de l’enfer
et le désespoir des damnés ?
Pour
ce qui est de la peine du sens, la
plupart des théologiens latins estiment que ce châtiment s’accomplit, comme
pour l’enfer, par un moyen matériel et parlent d’ordinaire, ici aussi, d’un feu
matériel, en s’appuyant sur S. Paul (1 Cor., 3, 15). On va même jusqu’à
identifier ce feu avec celui de l’enfer, tout en proportionnant l’impression
produite subjectivement à la gravité de la faute. Par une conséquence logique,
on place aussi le purgatoire dans le monde inférieur et, plus précisément, dans
le voisinage de l’enfer (pré‑enfer).
Étant donné que nous manquons d’éléments de preuve biblique, on ne peut dire, à
ce sujet, absolument rien de certain. Quant aux révélations privées, ce ne sont
pas des sources de la dogmatique. D’après le Concile de Trente, les questions
subtiles ne doivent pas être examinées devant le peuple.
Objet de la purification. Le
purgatoire ne purifie‑t‑il que les peines ou purifie‑t‑il aussi les
fautes ? Les Pères, comme on l’a
montré, pensaient, à propos de la purification, principalement aux fautes. Ils
y étaient déjà portés par les textes bibliques, sur lesquels ils s’appuient
pour démontrer l’existence du purgatoire, surtout par Math., 12, 32. S.
Augustin parle aussi, expressément, de peines et précisément de peines
temporelles (temporales pœnœ). S. Grégoire nomme les
péchés véniels qui sont remis au purgatoire. S. Thomas appelle l’opinion,
soutenue par quelques scolastiques de son temps, d’après laquelle le purgatoire
n’est qu’un lieu de peine, une
opinion frivole, qui contredit l’Écriture et les Pères, d’après lesquels il y a
une rémission des péchés dans l’autre monde, qui contredit aussi la raison
théologique.
On
peut citer aussi les fortes expressions des « prières diverses pour les
défunts ». On y demande : « Accordez la rémission de tous ses
péchés à son âme ; remettez-lui ses péchés ; libérez son âme des
pesanteurs de la vie mortelle et donnez-lui part à votre salut ; qu’étant
délivrée des horribles liens de la mort, elle soit trouvé
digne de la vie éternelle ; qu’elle mérite
de passer des liens de la mort à la vie ». Ajoutons les expressions
connues de l’Offertoire (Cf. Franz Schmid, La purification des âmes).
Les
peines sont expiées au purgatoire
purement et simplement par la souffrance (satispassio).
Ces souffrances n’ont plus de caractère méritoire (satisfactio).
On ne peut guère nier qu’il y ait aussi, dans le purgatoire, une amélioration morale des âmes. Tout d’abord,
elles ne sont plus alourdies par les instincts coupables de la
sensualité ; ces instincts sont morts avec le corps. Assurément les
tendances psychiques mauvaises ne sont pas supprimées d’une manière aussi
mécanique ; il faut qu’elles soient librement
expulsées de l’âme. Cela ne peut se faire que par des actes moraux surnaturels,
comme dans la vie présente. Enfin on ne peut guère contester que les âmes du
purgatoire ont un culte conforme à leur état, qu’elles
exercent par des actes spirituels d’adoration, d’action de grâces, de louange.
Tout cela doit accroître la moralité de ces âmes, bien que ces actes n’aient
plus le pouvoir de fonder le mérite et d’accroître la béatitude.
Combien de temps dure le
purgatoire ? C’est ce que voudrait bien savoir la curiosité
chrétienne. Naturellement à cette question, qui ne peut avoir de réponse, on a essayé
d’en donner de toutes sortes. Et ces réponses ont été données même par de
grands théologiens. Dominique Soto et Maldonat
estiment que dix années suffisent
pour une vie humaine pécheresse. S. Bellarmin, par contre, rappela les
anniversaires fondés pour une longue époque et s’opposa à cette opinion,
Alexandre VII proscrivit la proposition suivante : « Chaque âme n’y
reste que pendant dix ans, et un legs annuel, laissé pour une âme du
purgatoire, cesse après de laps de temps » (Denz.,
1143). La meilleure réponse serait de dire que nous ne savons pas d’après
quelle échelle Dieu mesure la coulpe du péché ou la peine du péché dans le
purgatoire ; cela ne nous est révélé que pour l’enfer.
On
parle des souffrances du purgatoire : qu’on parle donc aussi de ses joies. S. Bernardin de Sienne est
captivant et digne de foi, parce qu’il fonde ses assertions sur la théologie et
non sur la légende, quand il parle des joies du purgatoire et en énumère toute
une série : 1° « Confirmation de la grâce » ; 2°
« Certitude du salut » ; 3° « Amour de Dieu » ;
4° « Visite des anges » ; 5° « Visites des saints »,
etc., il conclut : « Bien que ceux qui sont dans le purgatoire
souffrent de très graves tourments, cependant leur état est meilleur et plus
heureux que celui de ceux qui sont dans le monde » (Dict. théol., 2,
790 ; cf. aussi Binet, 29-120).
Les âmes du purgatoire peuvent elles
aussi prier pour nous ? D’après Durst,
Alexandre de Halès aurait répondu négativement et en
donnant de très mauvaises raisons. S. Thomas estime : « ceux qui sont
dans le purgatoire, quoiqu’ils soient au‑dessus de
nous à cause de leur impeccabilité, sont cependant au‑dessous relativement aux peines qu’ils
endurent, et d’après cela ils ne sont pas en état de prier (nous avons fait observer que l’opinion contraire ne manque
pas de probabilité), mais il faut plutôt que nous priions pour eux » (S. th., 2, 2, 83 ad 3). Par contre, Richard de
Middletown polémique, avec raison, contre l’un et l’autre : Les âmes du
purgatoire sont, dans la charité, les amis de Dieu et peuvent évidemment prier
pour nous, c’est pourquoi nous pouvons aussi les invoquer. C’est aussi l’avis
de S. Bellarmin et de Suarez (Cf. Ernst,
Katholick, 1916). Il est vrai que l’invocation
liturgique des âmes du purgatoire n’a jamais été en usage dans l’Église.
Cependant les inscriptions funéraires du christianisme antique présentent
souvent « priez pour nous » et d’autres invocations semblables. Les
païens aussi connaissent de telles invocations des morts, par ex. :
« Ta mère te demande que tu me reçoives auprès de toi » ; ou
bien : « Protège tous les tiens » ; ou encore :
« O Mânes protégez-nous » etc. (Cf. Dœrfler, Les débuts du culte des
saints [1913], 4 sq., et surtout Dict. théol., 5, 300-358, v. Épigraphie
chrétienne).
Les limbes des enfants. Le limbe
des enfants est un séjour des enfants morts dans le péché originel, dont l’existence
est une conclusion des théologiens. Mais on place aussi dans ces limbes les
millions de faibles d’esprit qui n’ont jamais pu pécher gravement, ainsi que
les milliards de ceux qui ont vécu dans un état de civilisation si bas qu’ils
ont été complètement dépourvus de la notion d’une moralité plus élevée (Cf. Gutberlet, Dogm., 10, 434).
Le
caractère consolant de la doctrine du
purgatoire est très grand. Si la conscience nous dit qu’une longue vie humaine
ne s’écoule pas sans de nombreux manquements, la foi nous dit qu’il y a dans l’au‑delà une possibilité de réparer ces
manquements. L’appréciation humaine ne peut pas facilement attribuer à un mort
le ciel ou l’enfer ; mais nous savons que nos défunts sont plutôt dans le purgatoire,
parce que nous croyons que le mort n’est pas allé en bas, mais en haut ;
qu’il ne s’est pas écarté de Dieu, mais qu’il s’est rapproché de lui ; qu’il
n’est pas parti vers le séjour de ténèbres, mais vers le séjour de lumière. Même dans le purgatoire brille le soleil du
bon Dieu, plus clair encore que sur la terre.
A
consulter : S. Thomas, Suppl.,
q. 87-90 ; C. Gent., 4, 96. Gengel, Tract. de judicio universali (Calissi, 1727). Klee,
De chiliasmo primorum sæculorum (1825). Gry, Le millénarisme dans ses origines et son développement
(1904).
THÈSE. Le Christ reviendra à la fin du
monde pour achever le royaume de Dieu qu’il a commencé. De foi.
Explication. « De là il reviendra juger les vivants et les
morts », confesse l’Église dans le Symbole des Apôtres et dans les
symboles suivants. Le jour du retour (ἡ παρουσία)
s’appelle, dans l’Écriture, le « dernier jour » (Jean, 6, 39 ;
11, 24 ; 12, 48 ; cf. 1 Cor., 15, 52), le « jour du
Seigneur » (1 Cor., 3, 13 ; 5, 5, etc.), le « jour de la venue
de Notre‑Seigneur » (1 Cor., l, 8), le « jour du
Christ » (Phil., 1, 10 ; 2, 16), le « jour de la visite »
(1 Pier., 2, 12), le « jour du jugement » (1 Jean, 4, 17). Nous
traiterons d’abord du fait du retour,
nous parlerons plus tard de son but, lequel, il est vrai, est indiqué en même
temps, dans les importants témoignages. La question du temps et des signes du
retour est secondaire.
Preuve. L’Ancien Testament connaît déjà un « jour du
Seigneur ». Il apparaît pour la première fois dans le prophétisme qui
annonce aux peuples, comme à Israël lui‑même,
la venue de Dieu, avec, comme but, la double sanction. L’intention dernière de
la venue de Dieu est le rétablissement, la consolidation et l’achèvement de son
royaume. Le moment de sa venue s’appelle « jour de Jahvé »,
« jour de jugement de Jahvé », « ce jour ». D’ordinaire, on
pense alors au châtiment des méchants
et, par conséquent, on représente ce moment comme un « jour de
colère », de « tourment », de « ruine », de
« jugement » ; en un mot comme le « grand et terrible jour
de Jahvé » (Zschokke,
Prophètes, 420-422, 600-609). Cette venue de Dieu, annoncée par les Prophètes
et souvent représentée comme très proche, a trouvé son premier accomplissement
provisoire dans la venue du Logos sur la terre. Mais, par sa première venue, il
a seulement voulu commencer l’œuvre de séparation exigée par Dieu (Jean, 3, 18,
19 ; 12, 31 ; 16, 11). Il viendra une seconde fois, après son
Ascension, pour donner le dernier achèvement à son œuvre commencée. De ce
retour, le Christ et les Apôtres parlent maintes fois, avec l’accent des
Prophètes ; ils le font avec des couleurs très vives, dans la menace comme
dans la promesse.
La pensée de la parousie apparaît de bonne heure chez le Christ ; dans
le Sermon sur la montagne, on en trouve une trace très nette (Math., 7, 22) et
la prière du « Notre Père » : « Que ton royaume
arrive » (Math. 6, 10), fut, pour la primitive Église, une prière pour
demander la venue du Seigneur (Apoc., 22, 20 ; Didachè,
10, 6).
Le
Christ a, à plusieurs reprises, parlé de sa seconde venue et, le plus souvent, en
faisant allusion à Dan., 7, 13 : « Ils verront le Fils de l ’Homme
venir sur les nuées du ciel avec une grande puissance et une grande
majesté » (Math., 24, 30 ; 25, 31 ; 26, 64. Marc, 8, 38 ;
14, 62. Luc, 17, 24. Jean, 6, 39, 40). Dans l’évangile de S. Jean, où la
décision (ϰρίσις) a
déjà lieu dans la vie présente, le dernier jour a le caractère d’une
consolation pour les fidèles que le Christ vient emmener dans les demeures
célestes (Jean, 14, 2, 3 ; cf. 3, 15 ; 12, 26 ; 17, 24) ;
par contre, les incrédules ne peuvent pas aller là où va le Christ (Jean, 7,
34 ; 8, 21 ; 13, 33).
Dans l’enseignement des Apôtres, la foi à la parousie du Christ
prend une place prédominante. C’est pourquoi quelques remarques suffiront. Dès
l’Ascension, les anges rappellent aux Apôtres que le Christ reviendra comme il
est monté aux cieux (Act. Ap.,
1, 11). D’où, dans le Symbole des Apôtres, la proximité des deux articles
concernant l’Ascension et le retour. S.
Pierre prêche, dans le temple, que le Christ reviendra pour « rétablir
toutes choses » (Act. Ap.,
3, 20, 21). S. Paul fait, du jour du retour du Christ, une promesse et une
menace. Le premier cas est le plus fréquent (1 Cor., 1, 8, 9 ; 4, 5 ;
5, 5 ; 15, 22, 23 ; 2 Cor., 1, 14 ; Col., 3, 4 ; Phil., 1,
6 ; 1 Thess., 4, 15-17 ; 1 Tim., 6, 14-16).
Dans les textes qu’on vient de citer, c’est un jour d’achèvement pour les bons,
mais c’est aussi un jour de « vengeance » et de « flammes de
feu » pour les impies et les incrédules (2 Thess.,
1, 6-10) et d’épreuves pour les tièdes et les demi‑chrétiens (1 Cor., 3, 12-15). Dans la seconde Épître
de S. Pierre, la parousie est traitée d’une manière, pour ainsi dire,
didactique. Contre ceux que le retard de la parousie met déjà en doute à son
sujet, S. Pierre la défend avec un axiome qui doit forcer toutes les bouches au
silence : Devant Dieu mille ans sont comme un jour (2 Pier., 3,
1-10 ; cf. 1 Pier., 4, 13 ; Jacq., 5, 7-8).
La
Tradition, sur ce point, n’a pas
besoin d’être poursuivie plus longtemps, car, étant donnée la doctrine claire
de l’Écriture, elle va de soi. Il n’y a d’important qu’un autre point, plus
secondaire, qui a besoin d’être examiné, car il présente certaines difficultés
théoriques : la question du temps
de la parousie et de ses signes avant‑coureurs.
Les signes avant‑coureurs de la parousie. Le Christ a‑t‑il donné ces
signes ou les a‑t‑il
refusés ? Il y a des passages qui portent à répondre affirmativement, d’autres
à répondre négativement. Tout d’abord, le Christ a refusé de nous donner une
science déterminée au sujet du « jour et de l’heure » (Marc, 13,
32 ; Math., 24, 36 ; Act. Ap., 1, 6, 7). En outre, il a affirmé positivement que le
jour viendra soudain, comme un voleur invisible dans la nuit (Marc, 13,
33-37 ; Math., 24, 43 ; 25, 6), comme un éclair qui brille soudain
(Math., 24, 27), comme le déluge qui surprit les contemporains de Noé (Math.,
24, 37), comme la pluie de feu qui se déversa sur Sodome (Luc, 17, 29, 30) et
comme un filet qui est jeté sur les oiseaux (Luc, 21, 35). C’est pourquoi,
« veillez ». Le moment précis est connu du « Père seul »
(Marc, 13, 32), c.‑à‑d. Dieu seul le désigne.
Cependant
le Christ n’a pas oublié de donner des signes avant‑coureurs tout à fait généraux et, pour ainsi dire, lointains et obscurs, dont l’accomplissement
doit encore exciter la
vigilance chrétienne. Les Apôtres ont ces répété ces signes dans leur
prédication sur la parousie. On peut énumérer six de signes.
1.
L’annonce générale de l’Évangile. Cet
Évangile du royaume sera annoncé dans tout le monde, à tous les peuples, en
témoignage et alors vient la fin (Math., 24, 14). Le Christ ne pense pas à une
acceptation générale de l’Évangile ; le contraire semble même devoir être
le cas (Luc,18, 8). Les paroles de l’évangile de S. Jean (10, 16) sur un seul troupeau et un seul pasteur ne
se rapportent pas à cette question.
2.
La conversion des Juifs. S. Paul
admet que les Juifs n’ont été aveuglés que partiellement et temporairement,
jusqu’à ce que la plénitude des païens soit entrée dans l’Église (Rom., 11, 25,
26). Ensuite Israël sera sauvé.
3.
Le retour d’Élie. Dans le prophète
Malachie, on voit apparaître, pour la première fois, cette idée que le futur
Messie aura un précurseur (3, 1 ; 4, 5). Cette attente est exprimée aussi
par l’Ecclésiastique, lequel parle d’Élie
(48, 10, 11). Au temps de Jésus, cette attente était générale (Marc, 9,
11 ; cf. 6, 15 ; 8, 28. Jean, 1, 21). Mais le Christ ne se prononce
pas sur le retour d’Élie : il s’accommode à la foi populaire ; mais
il dit qu’Élie est déjà venu dans la personne du Baptiste et qu’il a fait son œuvre (Marc, 9, 12 ; Math., 17,
10-13). Les Juifs croyaient aussi au retour de Moïse (Deut.,
18, 15 ; cf. Jean, 1, 21 ; 6, 14 ; 7, 40. Act.
Ap., 3, 22 ; 7, 37). Moïse et Élie apparaissent
sous une forme supra‑terrestre au moment
de la Transfiguration (Math., 17, 1-9 ; peut-être aussi Apoc., 11, 3-14).
On croyait également, au temps du Christ, au retour de Jérémie (Math., 16, 14)
et d’Hénoch (Gen. 5, 24 ; Hénoch, 90, 31 ;
4 Esd., 6, 26 ; 14, 9, 29). Le Christ ne tranche
pas la question.
4.
L’Antéchrist et la grande apostasie.
La figure de l’Antéchrist appartient aussi à la croyance populaire du judaïsme
postérieur. L’Antéchrist est, comme son nom l’indique, l’adversaire du Messie,
du Christ, et l’adversaire sous figure humaine. Il est difficile de se faire
une conception nette de l’Antéchrist, d’après les données du Nouveau Testament.
D’après S. Paul, c’est l’homme de
péché, celui qui retient, le fils de la perdition, l’inique (2 Thess., 2, 3-12). D’après S. Jean, c’est plutôt le type de
l’incrédulité (1 Jean 2, 18, 22 ; 4, 3 ; 2 Jean 7). Chez les Pères
également, il reste une figure énigmatique, toutes les fois qu’ils en parlent.
Cependant on le considère comme un homme qui est comme le résumé de toute
méchanceté et, pour ainsi dire, l’incarnation de Satan. L’Antéchrist, d’après l’opinion
des Pères, paraîtra à la fin ou plutôt un peu avant, et produira une grande
apostasie des fidèles du Christ (Luc, 18, 8) ; il établira sa domination
dans Jérusalem, la ville sainte ; mais il sera anéanti par le Christ, au
moment de sa parousie et précipité en enfer (2 Thess.,
2, 8 ; cf. S. Thomas, Suppl., q.
73, a. 1 ; S. th., 3, 8, 8).
5.
De grandes tribulations. Les
Prophètes représentent déjà le jour de Jahvé comme devant s’annoncer par des
événements naturels extraordinaires, qui se produiront dans les astres et sur
la terre. C’est dans le cadre de ces prophéties que se meut le discours eschatologique
de Jésus (Math., 24, 6-10 ; Marc, 13, 26, 27 ; Luc, 21, 25, 26 ;
cf. S. Thomas, Suppl., q. 73, a. 1).
6.
Le grand incendie du monde. S. Pierre
l’a prédit. De même que le premier monde a sombré dans le déluge, le monde
actuel sera anéanti par le feu (2 Pier., 3, 5-7). S. Paul enseigne aussi que le
jour du Seigneur se manifestera dans le feu (1 Cor., 3, 13) ; néanmoins la
destruction du monde par le feu ne se trouve que chez S. Pierre. De même, dans
bien des conceptions religieuses païennes, le monde doit périr finalement dans
le feu (les stoïciens, la Sibylle, le Muspilli dans l’Edda).
A
consulter : S. Thomas, Suppl.,
q. 75. ; C. Gent., 4, 79-81. Brinquant, La résurrection de la chair et les qualités des
corps glorieux (1899). Chadouard,
La philosophie du dogme de la résurrection de la chair au 2ème siècle
(1905). Segara,
De identitate corporis mortalis
et corporis resurgentis (Madrid, 1925).
THÈSE. Il y a une résurrection des
morts. De foi.
Explication. Le Symbole des
Apôtres exprime déjà cette doctrine de foi ; de même, le Symbole de
Nicée‑Constantinople (Denz., 86) ;
celui de S. Athanase (Denz., 40). Le 4ème Concile de Latran
affirme, contre les Albigeois et les cathares, ainsi que contre tous les
dualistes manichéens et gnostiques, la réalité de la résurrection et l’identité
du corps ressuscité et du corps terrestre : « Ils ressusciteront tous
avec leurs propres corps, dont ils sont maintenant revêtus » (Denz., 429). Il est à peine besoin de mentionner les
adversaires modernes de la résurrection. La résurrection de la chair a été
rejetée par les rationalistes de tous les temps. C’est ce qui explique que, dès
le début, les Pères se sont appliqués à affirmer ce dogme et à le défendre,
comme un point capital de la foi, contre le paganisme.
Preuve. Dans l’Ancien Testament, la pensée de la résurrection
corporelle suit l’évolution eschatologique dont nous avons parlé et n’apparaît
qu’assez tard. Dans le mosaïsme, le peuple tout entier est d’abord considéré
comme un individu. Israël sera de nouveau sauvé de la mort et de l’anéantissement
(l’exil) et sera conduit vers une nouvelle vie politique et religieuse. Il se
relèvera. C’est la doctrine d’Isaïe (25, 8 ; 26, 19-21) ; c’est
surtout le sens de la grandiose vision du champ des morts, dans Ezéchiel (Ez., 37, 1-14 ; cf. Os., 6, 1-3 ; 13, 14). Mais
Daniel parle d’un « réveil » personnel de ceux qui dorment dans la
poussière. Cependant il ne mentionne pas expressément la résurrection de la
chair.
On trouve un témoignage précis sur la
résurrection dans le second livre des Macchabées. La manière dont on conçoit cette résurrection est encore, au début,
très réaliste ; on croit sans doute à une identité non modifiée (2 Macch., 7, 11) ; néanmoins le fait est attesté sans
aucun doute (2 Macch., 7, 9, 11, 14, 23 ; 12,
43, 44). Mais il semble qu’on ne croit qu’à une résurrection des justes, car on
la refuse à Antiochus (2 Macch., 7, 14). Le livre de
la Sagesse mentionne, il est vrai, la double sanction, mais ne parle pas de la
résurrection de la chair. Au temps de Jésus, la plus grande partie des Juifs,
pharisiens et peuple, croyaient à ce dogme qui n’était rejeté que par les
sadducéens (Luc, 20, 27).
Job,
199, 25-27, dans la rédaction latine, n’est pas conforme au texte hébreu ;
en outre, le texte latin n’est pas en harmonie avec l’ensemble des déclarations
pessimistes de Job sur le sort de l’homme, même de l’homme pieux. C’est l’avis
d’Hudal, Bibl. Ztschr. (Rev. Bibl.), 1917,
214-235 ; de Schlœgl, Le livre de Job (1916). Noestscher porte
ce jugement : « Pour l’antique Israël et en général pour le temps qui
précède l’exil, disons, avec prudence et pour éviter le danger de trop
affirmer, que la conception de la résurrection personnelle ne se trouve nulle
part attestée clairement dans l’ Ancien Testament (La
foi à la résurrection dans l’Orient et le N. T. [1926], p. 118). Mais il refuse
d’admettre un emprunt au parsisme. Le parsisme, en effet, enseigne l’apocatastase
de tous, ce qui est entièrement
étranger à Israël qui ne reconnaît que la résurrection des justes (Is., 26, 14,
19 ; Dan., 12, 2 sq.) ; au temps de Jésus encore, les pharisiens limitaient
la résurrection aux justes (Math.,
22, 23 ; Marc, 12, 18 ; Luc, 20, 27 ; Act.
Ap., 23, 8), et pensaient que les mauvais seraient
éternellement punis (Is., 66, 24 ; Dan., 12, 3 ; Jdt.,
16, 18, Marc, 9, 47). De même, le dieu chananéen de la végétation qui
ressuscite n’exerça aucune influence sur Israël, car cette résurrection n’a pas de caractère moral. Il faut
plutôt chercher l’idée de la résurrection dans la propre évolution religieuse d’Israël.
L’individualisme, qui commence avec l’exil, et le problème de la sanction
portaient puissamment à rechercher une communauté éternelle avec Dieu et cette
communauté, pour être parfaite, exigeait la résurrection ; un premier
rayon de cette espérance brille déjà dans le livre de Job (Noetscher,
241). Cf. l’immortalité de l’âme, t. 1er, § 73. N. Peters (Le livre
de Job [1928], 203 sq.), dit : « Les interprétations principales du passage sont les suivantes : 1°
Job attend que Dieu lui rende justice ici‑bas, pendant
sa vie ; 2° Il espère que Dieu lui rendra la santé et le bonheur sur la
terre ; 3° Il compte voir Dieu spirituellement et être justifié par
lui ; 4° Il espère ressusciter plus tard et recevoir la justification dans
la chair ; 5° Certains entendent par le go’ el de 5, 25, le Messie. L’explication
détaillée du passage nous montre que l’interprétation n° 1 est plus fortement
motivée.
Jésus, ayant trouvé cette croyance dans son peuple, n’y a
pas insisté d’une manière spéciale. Il s’est contenté de spiritualiser la
conception grossière qui régnait autour de lui, en disant que les « fils
de la Résurrection » seront semblables aux anges (Luc, 20, 36). A ce
sujet, il prouve la résurrection par le passage de l’Écriture où il est dit que
Dieu est le Dieu des Patriarches qui par conséquent devaient vivre encore, car
il n’est pas le Dieu des morts. (Math., 22, 31-32. Math., 5, 29, 30 = 18,
18 ; cf. 10, 28 ; 22, 23-33. Marc, 9, 42-47 ; 12, 18-27. Luc,
14, 14). Dans l’évangile de S. Jean, on distingue une double
résurrection : une résurrection spirituelle qui a lieu maintenant, pour
ceux qui écoutent la prédication de Jésus, et une résurrection corporelle, à la
fin du monde. La dernière est opérée par le Christ lui- même (Jean, 6, 39, 40,
44) et il la promet à ceux qui mangeront sa chair et boiront son sang (Jean, 6,
55). Mais les bons et les mauvais ressusciteront. Il y a une
« résurrection de vie » et une « résurrection de jugement »
(Jean, 5, 28, 29). Cela complète Luc, 14, 14 ; 20, 35, 36, car, d’après
ces passages, on pourrait ne penser qu’à une résurrection des « justes ».
Les Apôtres
affirment la résurrection pour un double motif : d’abord parce qu’elle s’est
déjà réalisée dans le Christ et puis parce que la foi à la résurrection est ce
qui distingue surtout le christianisme du paganisme (Act.
Ap., 17, 32 ; 26, 8, 23). C’est pourquoi aussi
on trouve la plupart des témoignages de ce dogme chez S. Paul. Il enseigne le fait
de la résurrection (Act. Ap.,
17, 18, 32 ; 23, 6 ; 26, 6, 8, 23. Rom., 4, 17 ; 8, 11. 1 Cor.,
6, 14 ; 15, 12-27. 2 Cor., 4, 14. Col., 1, 18. 1 Thess.,
4, 13-15. 2 Tim., 2, 18. Hébr., 6, 2). La quantité
des textes nous montre déjà l’importance que l’Apôtre attache à la
résurrection. Plus que tout autre auteur biblique, il décrit aussi le mode de
la résurrection ou la nature du corps ressuscité. S. Jean parle, dans son Apocalypse,
d’une « première résurrection » des justes seuls (Apoc., 20, 4,
5) ; mais il signale aussi la résurrection générale (Apoc., 20, 12-14).
Les autres Apôtres ne parlent pas expressément de la résurrection, soit qu’ils
la considèrent comme partiellement incluse dans leur notion de la vie, soit qu’ils
puissent la supposer connue.
Les Pères. Ils avaient
les mêmes raisons que S. Paul de parler de la résurrection, surtout en face des
païens. De là l’insistance des Apologistes. Les Pères postérieurs, comme S.
Méthode, S. Epiphane, S. Jérôme, avaient à défendre la réalité de la
résurrection contre le spiritualisme d’Origène, qui niait le caractère matériel
du corps ressuscité et admettait, pour les justes, un corps éthéré
immédiatement après la mort (De princ., 2, 10 ;
3, 6, 4). S. Augustin, lui aussi, eut à parler de la résurrection dans l’eschatologie
de sa Cité de Dieu (Civ. 20, 17, 19 ; 22,
21 ; cf. Enchir., 91, 92 ; Sermo, 261, 262, 263 sq.).
Tout
le monde sait que la résurrection est particulièrement signalée dans la peinture chrétienne primitive. Noé sauvé
du Déluge, Isaac sauvé par l’ange sur le mont Moria,
les trois jeunes gens dans la fournaise, Daniel dans la fosse aux lions,
Suzanne devant les faux témoins, Jonas dans le ventre du poisson, Lazare
ressuscité par le Christ, sont les images qui devaient montrer aux chrétiens
des catacombes la victoire remportée sur la mort par la puissance divine et
raviver leur espérance de la résurrection, dans le séjour même de la mort. Ces
motifs sans cesse répétés s’achevaient par la montée d’Élie au ciel (Cf. Achelis, L’évolution
de l’art chrétien antique [1919], 12 sq.).
La
Scolastique s’appuya sur les mêmes
arguments que les Pères. Cependant elle s’intéressa plus au mode de la
résurrection, à la nature du corps, aux prérogatives des corps des bienheureux,
qu’à la réalité de la résurrection. S. Thomas fit appel surtout à des arguments
de raison : le corps fait partie de l’unité de l’homme ; sans lui l’homme
n’est pas un homme complet ; une séparation éternelle du corps et de l’âme
serait contre nature ; c’est
pourquoi l’âme, sans le corps, ne peut pas être vraiment heureuse et, par
suite, la résurrection est d’une certaine manière naturelle. Elle est naturelle,
en tant qu’exigence de la nature humaine ; elle est surnaturelle, en tant
qu’elle est opérée par la toute‑puissance de
Dieu (Suppl., q. 75, 1-3 ; C. Gent., 4, 79).
S.
Thomas dit, en s’appuyant sur le ps.-Denys (Hierarch. Cœl., 13) : « Dieu lui‑même éclaire d’abord les substances qui sont
les plus près de lui, et par elles il éclaire celles qui en sont plus éloignées,
comme le dit saint Denis (De cœlest. hier., chap. 13). C’est pourquoi le Verbe de Dieu accorde d’abord
la vie immortelle au corps qui lui est naturellement uni, et par ce corps il
opère la résurrection dans tous les autres » (S. th., 3, 56, 1).
Il
y a encore deux points à examiner particulièrement : l’universalité de la
résurrection et la nature du corps ressuscité.
THÈSE. Tous les morts ressusciteront,
les bons et les mauvais. De foi.
Le Symbole de S. Athanase enseigne
déjà : « Tous les hommes ressusciteront dans leur corps » (Denz., 40) ; le 4ème Concile de Latran
déclare contre les Albigeois : « Tous les hommes ressusciteront avec leurs
propres corps » (Denz., 429). C’est ce que
déclarent aussi le 2ème Concile de Lyon (Denz.,
464) et Benoît XII (Denz., 531).
Jésus enseigne
expressément l’universalité de la résurrection (Jean, 5, 28, 29). S. Paul affirme sa foi en disant
« qu’il y aura une résurrection des justes et des pécheurs » (Act. Ap., 24, 15). S. Jean aussi dit, d’une manière
générale, que les morts reviendront de la mort et de l’empire des morts, pour
être jugés selon leurs œuvres (Apoc., 20, 12-14).
Les Pères, il est
vrai, enseignent, au début, une double
résurrection : d’abord celle des justes, puis celle des pécheurs
aussi ; cette conception était en rapport avec le millénarisme ;
mais, à mesure que cette théorie disparaît, on n’entend plus parler que d’une
résurrection générale à la fin du monde. Il est vrai que l’Écriture, dans les
passages cités plus haut, ne parle pas d’ordinaire de la résurrection des
mauvais, mais seulement de celle des bons. La raison en est que la résurrection
est un bien de salut que nous devons
à la Rédemption du Christ, le premier des ressuscités. On ne peut pas attribuer
ce bien de salut aux impies. Au contraire, ceux‑ci seront
punis par la perdition et la ruine éternelles, par la mort éternelle. Cela
ressort particulièrement chez S. Paul, auquel, pour cette raison, les
protestants attribuent la foi à un anéantissement
complet des mauvais (Rom., 8, 6 ; Gal, 6, 7, 8 ; Phil., 1, 28 etc.). Sur
ce dernier point, ils ont tort. En effet, indépendamment de Act.
Ap., 24, 15, l’Apôtre enseigne expressément que nous
paraîtrons tous devant le tribunal de Dieu, pour recevoir notre sanction. On ne
peut concevoir cette comparution que sous une forme corporelle et, par suite,
on ne peut entendre les passages cités que de la mort et de la ruine
spirituelles (Cf. Tillmann. 182-192). S. Augustin dit : « Un
chrétien ne doit pas douter le moins du monde que la chair de tous les hommes,
de ceux qui sont nés et de ceux qui naîtront, de tous ceux qui sont morts et de
tous ceux qui mourront, ne ressuscite un jour » (Ench.,
84).
L’identité
du corps est exprimée par le 4ème Concile de Latran, avec un
réalisme un peu fort ; il enseigne que « tous ressusciteront avec le
corps qu’ils portent maintenant »
(Denz., 429 ; cf. 287, 347, 427).
L’Écriture permet de conclure à cette
identité, car, logiquement, il n’y aurait pas de résurrection, si ce n’était
pas la résurrection du même individu,
mais d’un individu étranger ; ce serait plutôt une création qu’une
résurrection. Quand Origène et ses disciples, en s’appuyant sur 1 Cor., 15, 50,
exposèrent la théorie d’un corps ressuscité complètement étranger et spirituel,
les Pères, qu’on a déjà nommés, s’opposèrent à cette théorie, surtout S. Jérôme. Ce Père s
appuyait sur Job, qui est celui qui, en dehors du Christ, a parlé le
plus clairement de la résurrection ; « Je serai de nouveau entouré de
ma peau » (Job, 19, 26). Or là où il y a la peau, il y a aussi de la chair
et des os et des nerfs et du sang et des veines et un sexe (Adv. Joan. Hieros., 30 : M. 23, 382). Il renvoyait aussi à l’exemple
du Christ qui fit toucher son corps et ses plaies (Ibid., 28 et 34). S. Augustin, lui aussi, affirme que pas
un cheveu de la tête ne sera perdu ; mais il dit toutefois :
« La chair spirituelle sera soumise à l’esprit, ce sera cependant une
chair et non un esprit ». Ce qui manquera dans le corps des ressuscités,
pour la grandeur parfaite, l’harmonie et la beauté, sera suppléé par le
Créateur. Les deux sexes seront aussi représentés parmi les ressuscités (Civ., 22, 21).
S. Thomas également
enseigne l’identité matérielle du corps glorifié et du corps terrestre (Suppl.,
q. 79, 1-3). Il est suivi par la plupart des scolastiques et des théologiens.
Durand, là aussi, fait exception et est suivi par quelques théologiens. Il
rapporte l’identité non pas à la matière tout entière, mais seulement au principe individuant, en vertu duquel l’âme
individualise une matière quelconque pour en faire son corps d’autrefois, ou
bien, de ce principe qui lui est demeuré, tire, comme d’une semence, un nouveau corps (Bonnet). Les
décisions de l’Église laissent encore place à cette explication, tout en
insistant de préférence sur l’identité matérielle. Quant à la quantité du cadavre qui sera utilisée un
jour pour constituer le corps glorieux, les partisans de l’identité matérielle
ne peuvent l’indiquer ou bien ne peuvent prouver leurs dires. S. Paul n’enseigne
pas, comme les protestants le prétendent, que le corps ressuscité descendra
« tout fait » du ciel et sera présenté aux fidèles au moment de la résurrection
(Cf. Tillmann,
Th. Gl., 1910, 536 sq.).
La
nature du corps ressuscité : 1.
Le corps ressuscité doit être un vrai corps humain ; cela est exigé par la
notion de résurrection. S. Jérôme, S. Augustin, S. Grégoire le G., S. Thomas
étendent même l’intégrité du corps jusqu’à la distinction sexuelle.
2.
Les corps ressuscités des bienheureux seront, malgré l’identité essentielle
avec le corps actuel, très différents de ce corps, car le corps actuel sera
glorifié, transformé (1 Cor., 15, 12-58).
3.
Comme propriétés du corps glorieux,
on nomme, d’après 1 Cor., 15, 43 : a) L’impassibilité (incorruptio) ;
b) L’agilité (agilitas) ; c) La spiritualité (subtilitas, spiritualitas) ;
d) La clarté (claritas) (Cf. Math., 13, 43 ; 17,
2. Phil., 3, 21. 1 Cor., 15, 26. 2 Cor., 5, 1. Sag.,
3, 7).
Ces
quatre propriétés permettent, en même temps, au corps de participer, à sa
manière, aux joies de l’éternelle béatitude qui, pour l’âme, sont concentrées
dans la vision de Dieu. On peut compter comme joies du corps, les joies des
cinq sens, de l’imagination, des sentiments, de la contemplation sensible des
beautés de la création.
Les corps des damnés
participeront, à leur manière, aux peines de la damnation ; mais, comme la
Révélation garde entièrement le silence sur les propriétés de ces corps, il est
impossible de dire quoi que ce soit de certain à ce sujet. Tout ce qu’on peut,
c’est de conclure, par analogie logique, à leur identité avec les corps
terrestres et à leur intégrité, et de leur attribuer aussi une incorruptibilité.
Dans cette mesure, on peut leur appliquer aussi 1 Cor., 15, 52, qu’il faut
rapprocher de 1 Cor., 15, 51. « Dans ces jours, les hommes chercheront la
mort et ne la trouveront pas et ils désireront mourir et la mort fuira devant
eux » (Apoc., 9, 6 ; cf. S.
Thomas, C. Gent., 4, 89).
THÈSE. Après la résurrection des
morts, aura lieu, à la fin du monde, le jugement général. De foi.
Explication. Le Symbole des Apôtres contient déjà cette
proposition de foi ; il désigne ce jugement comme le but de la venue du
Seigneur : « Juger les vivants et les morts ». Les autres
symboles expriment également cette foi : « Les vivants et les morts »
équivaut à « tous les hommes ». L’expression provient de la foi
chrétienne primitive, d’après laquelle, au moment de la parousie, quelques‑uns seront déjà morts, d’autres vivront encore (1 Thess., 4, 12-16).
Preuve. Dans l’Ancien Testament, on voit, dès le début, la
pensée du jugement ou de la sanction, au premier plan. Dans les temps
primitifs, le jugement de Jahvé, conformément à l’idée que l’on avait alors de
la toute puissance divine et de l’empire sans limite,
qui semblaient résumer la notion de Dieu, apparaît presque exclusivement comme
un jugement destructeur. Qu’on pense
au déluge, à Babel, à Sodome et Gomorrhe, aux punitions infligées à l’Égypte, à
Israël dans le désert, à Chanaan, etc. C’est toujours un jugement de peuple, qui est accompli, comme d’ailleurs c’est la
justice ethnique qui, au début, est au premier plan. Chez les Prophètes,
surtout chez Isaïe, Jérémie, Ezéchiel, s’éveille, de plus en plus, l’individualisme
religieux (Ez., 33, 5-22, etc.), et l’antique
jugement de destruction devient un jugement de discrimination, c.‑à‑d. qu’il y a un choix parmi les justiciables :
ce sont les mauvais qui sont jugés. Le jugement est encore, en effet, un
jugement de châtiment et, par conséquent, il atteint ceux qui ont mérité un
châtiment.
Jusque‑là,
le jugement se faisait cas par cas ; il suivait d’ordinaire immédiatement l’acte mauvais et c’est
justement le jugement qui permettait d’en connaître la gravité. Au temps des
Prophètes, il en fut autrement. La vengeance divine contre les crimes humains
se réserve jusqu’au jour de jugement déterminé (jôm).
Dieu veut donc d’abord patienter un certain temps avant d’accomplir le
jugement. De temps en temps cependant, sa justice se manifeste et il visite les
peuples à cause de leurs péchés. Chez Ezéchiel, tout jugement est ensuite
concentré en un seul jour eschatologique, qui s’appelle désormais simplement jôm, le jour du
jugement. A ce jugement final seront soumis aussi les païens ; là encore,
on se conforme à la notion prophétique de Dieu créateur universel (T. 1er,
p. 125 sq.). Et même ce jôm eschatologique évolue
vers une catastrophe mondiale universelle : famine, sang, épée, épidémie,
cadavres, tempête, tremblement de terre, obscurcissement des astres, etc., sont
des signes et des châtiments. Dans Soph., 1-3, on
trouve le « jour de colère » de l’Ancien Testament ; cf. Zach.,
2, 1 sq. ; 13, 1 sq. ; 14, 1 sq. ; - Mal., 3, 1 sq. ; -
Joël., 3, 2 sq. ; - Is., 13, 3 sq. ; 26, 19 sq. ; 66, 15 sq. Ce
jour est proche (Is., 13, 6 ;
14, 1). Ce qui est important, c’est que, pour la première fois, tout en
annonçant aussi un jugement des peuples, Ezéchiel annonce essentiellement un
jugement final individuel (14, 10-22 ; 18, 2-32 ; 33, 7-20).
« Je jugerai chacun selon ses voies, parmi vous, maison d’Israël »
(33, 20).
L’objet
du jugement, c’est toujours le péché, d’abord les fautes cultuelles
extérieures, plus tard les fautes morales intérieures, toujours conformément à
l’approfondissement du sentiment de moralité chez les Prophètes. Chez Daniel,
le jugement se fait dans une forme juridique individuelle, en vertu du livre
des fautes (7, 10). Le juge est Jahvé lui‑même ;
mais, dans Daniel, il transmet cette fonction au Fils de l’Homme, au Messie (7,
9 sq. ; cf. Ps. 71, 2). On comprend facilement que Jahvé, en tant que Dieu
de l’alliance, exerce d’ordinaire son jugement sur les païens (L’Égypte,
Chanaan, etc.) en vengeant sur eux Israël. En tant que Dieu créateur, son intérêt
est plus moral que national et il juge précisément chaque faute individuelle.
Dans ces pieuses conceptions des Prophètes et des psaumes, apparaît, à côté du
jugement des mauvais, le jugement des bons. Le juste prie :
« Juge‑moi, Seigneur, d’après ma justice » (Ps., 7,
9 ; 25 ; 1 ; 34, 24 ; 42, 1). C’est pour la première fois
le jugement de salut : un
jugement qui sauve, dans lequel le bon, en face du méchant écrasé, obtient son
droit, trouve sa justification.
C’est dans cette forme épurée du jugement
individuel et moral des Prophètes, que Jean
le Baptiste annonce : S’en remettre aux mérites des pères serait de la
témérité, ces mérites ne vous servent plus. Dieu peut faire sortir, des
pierres, des enfants d’Abraham ; il a mis la hache à la racine de l’arbre
pour l’éprouver ; celui qui ne porte pas de fruit sera coupé et brûlé
(Math., 3, 7-12 ; Luc, 3, 7 sq., 17).
Jésus n’eut pas besoin de transformer et de perfectionner
essentiellement l’idée du jugement. Ici les Prophètes avaient nettement préparé
les voies, bien qu’ils n’aient pas exposé à ce sujet une doctrine formant un
tout lié. Le Christ unit l’idée du jugement final particulier avec celle du
jugement général des peuples. De très
bonne heure et même immédiatement, il fait pénétrer, dans sa prédication
consolante du royaume du ciel, la pensée du jugement. Il annonce déjà le
jugement dans le Sermon sur la montagne (Luc, 6, 21-26. Math., 7, 22-27 ;
cf. 10, 15 ; 11, 21 sq., 24 ; 12, 36 sq., 41 sq. ; 16, 24-27.
Luc, 11, 31 sq.). Il décrit abondamment ce jugement dans les paraboles du
jugement : celle de l’ivraie dans le bon grain (Math., 13, 24-30) ;
celle du filet (Math., 13, 47-50) ; celle des dix vierges (Math., 25,
1-13) ; celle du maître qui demande des comptes à ses serviteurs (Math.,
18, 23-35) ; celle des ouvriers de la vigne (Math., 20, 1-16) ; celle
des talents (Math., 25, 14-30 ; Luc, 19, 11-28) ; celle du banquet
des noces (Math., 22, 1-14). Le Seigneur en traite d’une manière systématique
dans ses discours eschatologiques (Math., 24 et 25 ; Marc, 13 ; Luc,
21).
Les Apôtres
ont fait du jugement un des points principaux de leur prédication. Ainsi S.
Paul à l’Aréopage (Act. Ap.,
17, 31 ; cf. Rom., 2, 6-13 ; 14, 10. 1 Cor., 3, 13 ; 4, 4 sq.).
Bien que les fidèles doivent prendre part au jugement comme juges (1 Cor., 6, 2
sq. ; cf. Math., 19, 28 ; Luc, 22, 29 sq.), ils seront, eux aussi,
jugés, c.‑à‑d.
appréciés (Rom., 14, 10 ; 2 Cor., 5, 10) ; ce sera même le cas des
anges (1 Cor., 6, 3 ; cf. 2 Pier., 2, 4 : Jud.,
6).
D’après S. Pierre, Dieu est prêt à « juger les vivants et les
morts » (1 Pier., 4, 5). D’après S.
Jacques, ce jugement est « sans pitié », c.‑à‑d.
juste (Jacq., 2, 12 sq.). S. Jean le
décrit comme Daniel et mentionne les livres des péchés (Apoc., 1, 7 ; 20,
11-13 ; cf. Luc, 10, 20 ; Hébr., 12, 23).
Les Pères. Nous n’avons
pas besoin de les entendre. Il est évident que leur enseignement est d’accord
avec l’Écriture. Parfois ils disent que les bons ne seront pas jugés, par ex. S. Irénée, Epideix.,
69 ; cela doit s’entendre d’après Jean, 5, 24, et d’un jugement de condamnation.
Comme lieu du jugement, les Pères
indiquent parfois la vallée de Josaphat, près de Jérusalem (Cf. Joel, 3, 2,
12 ; S. Thomas, Suppl., q. 88,
4). D’autres entendent cela comme une désignation symbolique. La question elle‑même est sans importance.
Circonstances du jugement. Le juge est
Dieu ; mais il exerce le
jugement par le Fils de l’Homme
(Dan., 7, 9-12), c.‑à‑d. par le Christ.
Le Christ peut donc attribuer le jugement tantôt au Père (Math., 6, 4-8 ;
10, 28 ; 18, 35), comme il le fait d’ordinaire dans les paraboles de la
parousie - il est alors présent comme juge assistant et principal témoin qui
connaît les siens et renie les apostats (Math., 10, 32, 33 ; Marc, 8,
38 ; Luc, 9, 26 ; 12, 8, 9) - tantôt à lui‑même, comme juge qui a reçu sa mission du
Père (Math., 7, 21-23 ; 13, 41 ; 16, 27 ; 24, 30 ; 25,
31-46. Jean, 5, 22, 30). Ce n’est pas un jugement indépendant, mais un jugement
accompli sous la surveillance du Père : « Comme j’entends, je juge et
mon jugement est juste » (Jean, 5, 30). Tel est aussi l’enseignement des Apôtres. Le juge est Dieu (Rom., 2, 3, 5, 6 ; c.
3 ; 1 Cor., 5, 13 ; 2 Thess., 1, 5 ; 1
Pier., 1, 17 ; Jacq., 5, 4) ; mais d’ordinaire c’est le Christ (Rom., 14, 10. 1 Cor., 1,
8 ; 4, 4, 5 ; 5, 5. 2 Cor., 1, 14 ; 5, 10. Phil., 1, 6, 10 ;
2, 10. 1 Thess., 4, 6).
S. Paul unit la
conception du juge de l’Ancien et du Nouveau Testament, en disant que Dieu
jugera le monde par le Christ (Act Ap., 17, 31), ou bien que Dieu jugera
le monde d’après l’Évangile, par le Christ (Rom., 2, 16). C’est cette pensée qu’avait
déjà exprimée le Christ, en disant qu’il viendrait dans la gloire de son Père
pour le jugement (Math., 16, 27 ; 25, 31).
Les
motifs de convenance pour le jugement par le Christ se trouvent dans ce fait
que le Christ est notre législateur, notre modèle terrestre et surtout notre
Seigneur et Sauveur, le représentant de Dieu sur la terre. L’aptitude à juger,
c.‑à‑d. l’omniscience
et la souveraine justice, il la possède dans sa nature divino‑humaine. Ainsi son premier avènement s’est
fait surtout par la voie de la miséricorde et de la grâce, son second avènement
se fera par la voie de la justice et de la sanction.
Comme
juges adjoints et assesseurs, l’Écriture
nomme les anges qui convoqueront les peuples et feront la grande séparation
(Math., 13, 41 ; 24, 31), les Apôtres et les saints (Math., 19, 28 ;
Luc, 22, 29, 30 ; 1 Cor., 6, 2, 3).
L’objet du jugement ce sont les bons et les
mauvais, ainsi que les bonnes et les mauvaises œuvres de l’esprit et du corps (Eccli., 11, 14 ; Rom., 2, 6 ; Math., 12,
36) ; même les projets les plus secrets du cœur (Rom., 2, 15, 16 ; 1
Cor., 4, 5 ; Hébr., 4, 12), même les péchés d’omission
(Jacq., 4, 17), tout est à nu et à découvert, devant les yeux de Dieu (Hébr., 4, 13). Les « livres » du juge contiennent
tout (Apoc., 20, 12). La décision a lieu d’après les œuvres (Math., 25, 31-46)
et, comme on l’a vu, c’est une décision éternelle. Ainsi donc la théologie
catholique des œuvres ou la doctrine du mérite qu’on a tant attaquée, soutient
encore finalement l’épreuve.
Signalons
encore que l’image du juge du monde
fait partie des images chrétiennes primitives. Le juge du monde se tient debout
ou assis sur les nuées du ciel, il a parfois à la main le livre avec les sept
sceaux ; il accomplit d’un geste la séparation des boucs et des brebis.
Le temps du jugement est inconnu. Le Christ
attribue la connaissance de ce jour « au Père seul », par conséquent,
au Dieu omniscient (Marc, 13, 32 ; Math., 24, 36 ; Act. Ap., 1, 6, 7) et, par suite,
il recommande la plus grande vigilance (Math., 24, 37-44 ; Marc, 13,
33-37 ; Luc, 12, 39-41 ; 17, 26-36 ; 21, 31-36). Les Apôtres, eux aussi, nous enseignent que
ce jour nous est inconnu (1 Thess., 5, 1, 2, 4 ; 2 Pier., 3, 10 ; Apoc., 3,
3 ; 16, 15). C’est ce qu’enseignent aussi les Pères et les scolastiques.
Néanmoins
c’est un fait que, dans les premiers siècles, on a présumé que ce jour était prochain ; on espérait et on
désirait vivre assez pour voir ce jour personnellement et, à Thessalonique (1 Thess., 4, 12), on était même inquiet à cause de ceux qui
étaient déjà morts, comme si leur mort prématurée devait porter quelque
préjudice à leur salut (Tillmann, 8-10 et 50-53). Les
textes qui prouvent ce fait sont clairs et nombreux et on ne peut pas les
méconnaître (Cf. 1 Thess., 4, 13-18, contre lequel on
ne peut pas alléguer 1 Thess., 5, 1-11 où l’on
rejette seulement la désignation précise
du moment ; 1 Cor., 7, 25-31 ; 15, 51-53, où S. Paul se met en ligne
de compte ( v. 52 = 1 Thess., 4, 15 sq.) ; Rom.,
13, 11, 12). Dans ces textes, S. Paul espère voir personnellement la venue du
Christ, de son vivant. Entre la première et la seconde aux Corinthiens, cette
espérance a été fortement ébranlée par un danger de mort ( ?)
et, dans 2 Cor., 5, 1-10, il considère comme possible que ce jour le trouve
parmi les morts ; mais son désir est toujours d’assister personnellement à
l’instant bienheureux où le Seigneur viendra dans sa gloire (Cf. Tillmann, 46-118). Cette espérance est partagée par les autres Apôtres (Hébr.,
10, 25, 37 ; 1 Pier., 4, 7 ; 2 Pier., 3, 8, 9 ; Jacq., 5,
8-9 ; 1 Jean, 2, 18-22 ; Apoc., 22, 20). Les Pères aussi présument
que la fin est proche (Cf. Hermas,
Vis., 3, 8 ; S. Cypr.,
De mort., 2 ; S. Basile, Ep. 39
(al. 139) ; S. Cyrille de Jér., Cat., 15 ; 11, 9, 10 ; S. Jean Chrys.,
In Hebr. hom., 2, n.
3 ; S. Augustin, De symb., 4 8 ; S.
Grégoire le G., Dial., 3, 37, 38 ; 4, 41).
Dans
un article : Sur le décret de la Commission biblique au sujet de l’attente
de la parousie (Rev. d’Innsb., 1916, 167-182), l’exégète Holzmeister
expose qu’on doit distinguer entre « espérance » et
« attente » certaine. Quand on ne déduit de ses Épîtres (de S. Paul)
rien de plus que l’espérance d’un retour prochain, on ne peut pas y trouver d’erreur.
Une telle espérance suppose ce jugement : « Ce n’est pas seulement
possible, mais encore d’une certaine manière probable (possibile
et probabile) que je voie ce jour de mon
vivant ». Ce jugement, d’après l’auteur, est raisonnable, car il y avait
« alors plus de signes objectifs d’une fin prochaine du monde qu’à aucune
autre époque écoulée depuis ».
L’ardent
désir d’un règne complet de Dieu porta l’Apôtre à songer à un rythme accéléré
et cette manière de voir se communiqua à toute
l’ère patristique. Il fallut une plus grande expérience et ensuite l’extension
du christianisme pour que l’on comprît généralement la parole du Christ :
« Ce n’est pas à vous de connaître le temps et le moment que le Père a
fixés de sa propre puissance » (Act. Ap., 1, 7).
Que la fin du monde ne doive pas être
entendue comme l’anéantissement, mais
comme le renouvellement du monde,
cela n’a fait l’objet d’aucune déclaration ecclésiastique ; mais c’est la
doctrine claire de l’Écriture et des Pères.
Jésus a prédit la ruine de ce monde, « du ciel et de la terre » (Math., 5, 18 ;
24, 35 ; 28, 20. Marc, 13, 31. Luc, 16, 17 ; 21, 33) ; mais il a
aussi annoncé un nouveau monde, en
parlant d’une renaissance ou d’une transformation (παλιγγενεσία)
du monde, au jour de sa parousie (Math., 19, 28). D’après S. Paul, toute la
création attend sa délivrance future et soupire, pour ainsi dire, avec l’humanité,
après son achèvement (Rom., 8, 19-23). « La figure de ce monde
passe » (1 Cor., 7, 31) dans le « feu » (2 Thess.,
1, 8 ; 1 Cor., 3, 13). Les corps célestes seront dissous dans la chaleur,
la terre, avec toutes les choses qui sont sur la terre, sera brûlée.
« Mais nous attendons, d’après ses promesses, un nouveau ciel et une
nouvelle terre, où habite la justice » (Cf. 2 Pier., 3, 7, 10-13).
« Et je vis », dit le voyant de Patmos, « un nouveau ciel et une
nouvelle terre... Et celui qui était assis sur le trône dit : Voici que je
fais tout nouveau » (Apoc., 21, 1, 5 ; cf. Is., 65, 17 ; 66, 22).
Les Pères. Ils s’en
tiennent aux données de l’Écriture. Ils enseignent une transformation, un
renouvellement, un rajeunissement, un embellissement du monde, en se rattachant
d’ordinaire à Isaïe, à S. Pierre, à S. Jean et à S. Paul. Ils se réfèrent aussi
parfois à la croyance, répandue même parmi les païens (stoïciens), à un
incendie mondial eschatologique (S. Justin, Tertullien, Clément d’Alex.). Il ne
faut pas s’étonner que les Pères à tendances millénaristes, que nous avons déjà cités, se soient représenté le
renouvellement du monde sous les couleurs des apocalypses du judaïsme
postérieur et aient conçu la « Jérusalem céleste » qui descend sur la
terre comme une habitation idéale, mais cependant comme une habitation humaine
et terrestre des saints, qui devait faire place, il est vrai, à un état final
transcendantal. Les Pères considèrent la fin du monde comme définitive. Seul Origène, appuyé sur des
idées platoniciennes, rêve, comme la plupart des philosophes païens, à un
retour éternel des choses. Le Portique entendait ce retour au sens le plus
étroit et le plus littéral et l’appliquait aux créatures particulières, aux
hommes et aux événements qui leur arrivent (Origène,
C. Cels., 4, 67, 68). On ne peut établir par l’Écriture
que la réalité de la ruine et du renouvellement du monde, mais non le mode.
La
Scolastique essaya de se faire, par
la spéculation, une représentation de l’image eschatologique du monde.
Plusieurs théologiens modernes voient, dans cette image, une absence d’organisation.
Gutberlet voudrait, par contre, admettre tout au
moins une sanction pour les bêtes qui
ont tant à souffrir ici‑bas. Quand
on a conscience des limites du savoir humain, on se gardera de faire ici des
hypothèses qu’on ne peut pas prouver par la Révélation. La raison, par elle‑même, ne peut faire un seul pas dans l’avenir obscur. On doit prendre garde d’introduire
trop de matérialisme dans l’au‑delà.
Il
y a une chose cependant qu’on peut affirmer concernant l’état eschatologique du
monde. Il se caractérise par une propriété qui est la séparation. Séparation du bien et du mal, du bonheur et du malheur,
de l’harmonie et du désaccord. Ce sera, pour les bienheureux, une véritable
« île heureuse ». On ne verra plus habiter côte à côte, comme ici‑bas, la vertu et le vice, la vérité et l’erreur,
l’amour et la haine. L’harmonie complète caractérisera le nouveau monde et ses
habitants. C’est ainsi que S. Paul caractérise l’acte final du drame mondial.
Tous les éléments hostiles à Dieu auront disparu. Le Christ aura anéanti et
écarté toute méchanceté et il offrira à son Père la possession éternelle du
joyau de l’humanité nouvelle. Lui‑même, en
tant que Chef de cette humanité, se soumettra humblement à son Père.
« Lorsque tout lui aura été soumis, alors le Fils lui‑même se soumettra à celui qui lui aura soumis
toutes choses, afin que Dieu soit tout en tous » (1 Cor., 15, 28). Dieu
tout en tous au commencement, Dieu tout en tous à la fin. Et S. Augustin
écrit : « Ainsi sera le royaume des cieux : aucun hérétique n’aboiera,
aucun schismatique ne se séparera ; tous y seront, et en paix »
(Sermon 229/M ; Morin, 57).
Détermination du temps de la fin du
monde.
Le Christ a eu beau refuser nettement de révéler le temps et l’heure de la fin
du monde, il s’est toujours trouvé des originaux qui ont eu l’étonnante envie d’indiquer,
à ce sujet, des données numériques. Déjà Lactance parle de cinq cents ans avant
la fin du monde (Inst., 7, 25, 5), Tykon, de trois cents ans. Presque tout le monde, avant S.
Augustin, pense à six cents ans, depuis le ps.-Barnabé (Ep. 15, 4). S.
Augustin signale (Civ., 18, 54) ces calculs et les
rejette purement et simplement ; il divise cependant l’histoire du monde
en périodes, d’après l’œuvre des six jours et, d’après cette division, nous
sommes dans la dernière période terrestre et c’est pourquoi il parle souvent du
« monde vieillissant » (Cf. Scholz,
Foi et incrédulité chez S. Augustin, 156 sq. ; Troeltsch, Augustin, 24 sq.). Il refuse cependant nettement, en se
référant au Christ, toute numération (annos computare ac definire).
(Civ., 18, 53 ; cf. S. Thomas, S. th., 3, 1, 6).
A la conception physique et mécanique
de la fin du monde (Helmholtz, Clausius, Riem, Chwolson, etc)., d’après laquelle
le monde doit périr de la « mort par la chaleur » ou bien de la
« mort par le froid », d’autres physiciens répondent par l’hypothèse
de l’écroulement des astres morts et de la constitution d’autres mondes dans le
circuit éternel des choses. On fera bien, avec Tillmann
et Pesch, de considérer que le problème n’est pas
mûr.
La
valeur morale du dogme de la mort, du
jugement, du ciel et de l’enfer, est déjà indiquée par le livre de Sirach :
« Dans toutes tes actions, souviens‑toi de ta
fin et tu ne pécheras jamais » (Eccli., 7, 40).
On rapporte d’ordinaire ces paroles à la pensée de la mort, du jugement et de l’enfer
(S. Augustin, S. Bernard) ; ces trois fins dernières sont, en effet, des moyens
très puissants pour nous détourner du péché. Si le péché, comme le dit S.
Thomas, est essentiellement l’attachement à la créature, la mort nous arrache
son objet, le jugement nous met devant les yeux sa folie et son malheur, et l’enfer
nous punit éternellement pour sa méchanceté et sa faute. Ces pensées, avec
celle de l’omniprésence de Dieu, sont très propres, à l’heure où la tentation
nous attire vers le péché, à nous ébranler salutairement et à nous tourner vers
Dieu. Dans certains moments, c’est peut-être la pensée de l’enfer seule qui
nous donne la force nécessaire pour surmonter les tentations. Cependant un
christianisme qui ne serait caractérisé que par la crainte de l’enfer serait un
retour à la religion de crainte de l’Ancien Testament.
Il
en est autrement du purgatoire. Comme
nous l’avons déjà indiqué, cette doctrine est très consolante ; elle est
comme le contre‑poids de la terreur de l’enfer qui
pourrait nous porter au désespoir, car nous savons que personne n’est pur et
sans péché devant Dieu. Dieu ne punit pas tout péché
de l’enfer, mais seulement le péché mortel, dans lequel l’homme se détourne
complètement de lui et divinise la créature. Quant au péché ordinaire ou
véniel, il le punit dans le purgatoire et il purifie l’âme des dernières imperfections
volontaires.
Si la pensée de la mort, du jugement et de l’enfer nous
remplit de la crainte de Dieu et nous détourne du péché, la pensée du ciel et de la vision de Dieu allume dans
nos âmes le pur amour de Dieu, nous attire vers les biens véritables et
éternels de la vertu et des bonnes œuvres, nous apprend à apprécier la haute
valeur de la grâce sanctifiante, par laquelle nous pouvons nous assurer le ciel
et sa béatitude. Combien de fois S. Paul, les Apôtres, les martyrs et tous les
saints ont trouvé, dans un regard vers le ciel, le courage et la force d’accomplir
l’œuvre de leur vie.
Index Alphabétique : page 547 du livre en papier.
Voir les scan-pdf du tome 2.
[Ici se termine le PRÉCIS
DE THÉOLOGIE DOGMATIQUE de Mgr Bernard Bartmann]