www.JesusMarie.com

OEUVRES COMPLÈTES 
DE 
SAINT BERNARD

TRADUCTION PAR M. L'ABBÉ CHARPENTIER

VIVÈS, PARIS 1866





Source : http://www.abbaye-saint-benoit.ch/
 
 






SERMON DIVERS DE SAINT BERNARD















OEUVRES COMPLÈTES DE SAINT BERNARD *

SERMON DIVERS DE SAINT BERNARD *

TRENTE-TROISIÈME SERMON. Sur ces paroles du Psaume : Qui est-ce qui montera sur la montagne du Seigneur (Psal. XXIII, 3)? " *

TRENTE-QUATRIÈME SERMON. Sur les paroles d'Origène. *

TRENTE-CINQUIÈME SERMON (a). Des trois ordres de l’Eglise, aux pères abbés réunis en chapitre. *

TRENTE-SIXIÈME SERMON (a). Sur l'élévation et sur la bassesse de coeur. *

TRENTE-SEPTIÈME SERMON. I. Sur le travail (a) de la moisson, à l'occasion de ces paroles du Psalmiste : " Telle est la race de ceux qui cherchent le Seigneur, de ceux qui cherchent à voir la lace du Dieu de Jacob (Psal. XXIII, 6). " *

TRENTE-HUITIÈME SERMON (a). II. Sur le travail de la moisson, à l'occasion de *

ces paroles de l'Apôtre " Tout contribue au bien de ceux qui aiment Dieu (Rom. VIII, 28). " *

TRENTE-NEUVIÈME SERMON. III. Sur le travail de la moisson : sur les deux tables, ou sur les deux ruisseaux, le supérieur et l'inférieur. *

QUARANTIÈME SERMON (a). Les sept degrés de la confession. *

QUARANTE ET UNIÈME SERMON. De la vertu d'obéissance et de ses sept degrés. *

QUARANTE-DEUXIÈME SERMON. Les cinq négoces et les cinq régions. *

QUARANTE-TROISIÈME SERMON. (a) La magnanimité, la longanimité, l’unanimité. *

QUARANTE-QUATRIÈME SERMON (a). De ceux en qui les mystères de Jésus-Christ ne semblent pas encore accomplis. *

QUARANTE-CINQUIÈME SERMON . (a) De la trinité de Dieu et dans l'homme. *

QUARANTE-SIXIÈME SERMON. De la connexion de la virginité et de l’humilité . *

NOTES DE HORSTIUS ET DE MABILLON SUR LE XLVI DES SERMONS DIVERS. *

QUARANTE-SEPTIÈME SERMON . Les quatre orgueils. *

QUARANTE-HUITIEME SERMON . La pauvreté volontaire. *

QUARANTE-NEUVIÈME SERMON . Des trois sortes de paroles ou de vertus. *

CINQUANTIÈME SERMON . Il faut bien régler les affections de l'âme. *

NOTES DE HORSTIUS ET DE MABILLON, POUR LE L ème DES SERMONS DIVERS. *

CINQUANTE ET UNIÈME SERMON . La purification de Marie et la circoncision du Christ. *

CINQUANTE-DEUXIÈME SERMON. De la maison de la sagesse divine, c'est-à-dire de la Vierge Marie. *

CINQUANTE-TROISIÈME SERMON . Les noms du Sauveur. *

CINQUANTE-QUATRIÈME SERMON . De l'apparition du Christ. *

CINQUANTE-CINQUIÈME SERMON . Les six urnes spirituelles. *

CINQUANTE-SIXIEME SERMON . Il faut emplir les six urnes d'un triple amour. *

CINQUANTE-SEPTIÈME SERMON . Les sept sceaux rompus par le Christ. *

CINQUANTE-HUITIÈME SERMON . Les trois saintes femmes qui vont embaumer le corps de Jésus mort, sont l’esprit, la main et la langue qui travaillent au salut du prochain. *

CINQUANTE-NEUVIÈME SERMON. Les trois pains de l'homme spirituel. *

SOIXANTIÈME SERMON. Jésus-Christ est descendu et il est remonté, ainsi descendons-nous et remontons-nous aussi. *

SOIXANTE ET UNIÈME SERMON . Il y a quatre montagnes à gravir. *

SOIXANTE-DEUXIÈME SERMON . Véritables et différentes manières de suivre le Christ. *

SOIXANTE-TROISIÈME SERMON. Des trois moyens de recouvrer la béatitude prescrits par Jésus-Christ dans ces termes : Que celui qui veut venir après moi, etc. *

SOIXANTE-QUATRIÈME SERMON . La vie et la mort des saints sont précieuses. *

SOIXANTE-CINQUIÈME SERMON. Rapport étroit entre ces trois paraboles, que nous lisons en saint Matthieu : "Le royaume du ciel est semblable à un trésor caché dans un champ, etc. *

SOIXANTE-SIXIÈME SERMON. Les huit béatitudes sont opposées à autant de péchés. *

SOIXANTE-SEPTIEME SERMON. La loi comprend deux sortes de préceptes, les préceptes moraux et les figuratifs. *

SOIXANTE-NEUVIÈME SERMON . Le triple renouvellement d'une triple vétusté. *

SOIXANTE-DIXIÈME SERMON. De la vigilance et de la sollicitude qu'il faut apporter au soin du salut. *

SOIXANTE ET ONZIÈME SERMON. *

SOIXANTE-DOUZIEME SERMON. *

SOIXANTE-TREIZIÈME SERMON *

SOIXANTE-QUATORZIÈME SERMON. *

SOIXANTE-QUINZIÈME SERMON . *

SOIXANTE-SEIZIÈME SERMON. *

SOIXANTE DIX-SEPTIÈME SERMON . *

SOIXANTE-DIX-HUITIÈME SERMON. *

SOIXANTE-DIX-NEUVIÈME SERMON. *

QUATRE-VINGTIÈME SERMON. *

QUATRE-VINGT-UNIÈME SERMON. *

QUATRE-VINGT-DEUXIÈME SERMON. De la garde diligente du coeur. *

QUATRE-VINGT-TROISIÈME SERMON. *

QUATRE-VINGT-QUATRIÈME SERMON. *

QUATRE-VINGT-CINQUIÈME SERMON. *

QUATRE-VINGT-SIXIÈME SERMON. *


 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

TRENTE-TROISIÈME SERMON. Sur ces paroles du Psaume : Qui est-ce qui montera sur la montagne du Seigneur (Psal. XXIII, 3)? "

1. C'est une parole d'exhortation, mes frères ; puisque tous nous nous efforçons de monter, tous nous tendons en haut, tous nous aspirons à nous élever, et tous nous faisons des efforts pour grandir, efforçons-nous du moins de monter là où nous puissions être bien, où nous nous trouvions en sûreté, d'où nous ne puissions tomber, là enfin, où nous puissions nous tenir fermes. Mais si le Prophète demande où est celui qui montera sur cette montagne, ce n'est pas seulement pour exciter eu nous le désir d'y monter, mais encore afin de nous apprendre le moyen de le faire si nous en avons le désir. Heureux celui qui a disposé dans son coeur des degrés pour s'élever sur cette montagne et qui soupire après la maison du Seigneur, et tombe presque en défaillance par la force de ce désir. Cette montagne est fertile, où se trouve le comble de tous les biens, c'est la montagne d'éternelle volupté, la montagne de Dieu. Et " bienheureux ceux qui demeurent dans votre maison, Seigneur, ils vous loueront dans les siècles des siècles (Psal. LXXXIII, 5). " Ci vous voulez être sûrs que c'est effective ment une maison, écoutez un témoin fidèle qui vous le dira : " O Israël que la maison de Dieu est grande, et combien étendu est le lieu, qu'il possède! Il est vaste et n'a point de bornes, il est élevé, il est immense (Baruc. III, 24). " Que dis-je, non-seulement c'est une montagne, mais c'est le mont des monts; on y voit beaucoup d'habitations, beaucoup d'autres montagnes, ses fondements mêmes se trouvent placés dans les montagnes saintes (Psalm. LXXXVI, 2).

2. Le saint prophète Isaïe ne s'en tait pas non plus : " La montagne, dit-il, qui est la demeure du Seigneur, sera fondée sur le haut des monts, et s'élèvera au dessus des collines. (Isa. II, 2). " Et pourquoi ne serait-ce pas le mont des monts (fondé sur les hauteurs mêmes) de la terre entière, où se trouve une abondance si variée de toutes sortes de délices, où seulement est la plénitude de toutes les abondances? En effet, ce sera le mont de la paix, le mont de la joie, le mont de la vie, le mont de la gloire. Or, tous ces monts ne forment qu'un mont, le mont de la félicité consommée N'est-ce point le mont de la paix, la paix même sur la paix, la paix qui passe tout sentiment? Oui, certainement c'est un mont bien élevé que la paix dans le coeur, la paix dans la chair, la paix du côté des hommes méchants, la paix avec tous nos proches, la paix de la part des démons mêmes, la paix avec Dieu. Or, cette paix sera sans fin. Il y aura aussi de la joie, mais une joie telle que le Seigneur la dépeint, " une joie pleine (Joan. XVI, 22). " Une joie sûre, une joie que personne ne nous ravira. Nous aurons aussi la vie, nous l'aurons même avec une grande abondance, car la venue d'un si grand pasteur, qui n'est venu vers ses brebis, comme il le dit lui-même, que " pour qu'elles aient la vie et qu'elles l'aient avec abondance (Joan. X, 10), " ne saurait demeurer sans effet. Est-ce qu'il ne vous semble pas aussi que cette montagne c'est ce poids éternel de gloire qui s'élève au delà de toute mesure ? Or, tout cela et tout ce qu'on peut encore se figurer d'aussi désirable, ce n'est point autre chose que la bonne mesure de la félicité, la mesuré foulée, agitée, et qui se répand par dessus les bords (Luc. VI, 38), c'est comme si on accumulait les uns sur les autres pour n'en plus faire qu'un seul, un mont d'or, un mont d'argent, un mont d'hyacinthe, un mont d'émeraudes et de toutes les plus belles pierres fines, un mont d'étoffes de pourpre, d'écarlate et de lin et de toutes choses aussi précieuses. En effet, tout nous sera rendu avec usure, ceux qui auront élevé sur le fondement un édifice d'or, d'argent, de pierres précieuses, verront avec surprise, leur humble construction se changer en d'immenses montagnes; ils n'auront répandu qu'une modique semence et ils moissonneront, je ne dis pas de grandes gerbes, mais de grands monceaux de gerbes.

3. " Qui donc montera sur la montagne du Seigneur, et qui se tiendra dans son lieu saint? Ce sera celui dont les mains sont innocentes, et dont le coeur est pur (Psal. XXIII, 4). " Heureux cet homme-là, si toutefois il en existe un tel. Qui peut se flatter d'avoir les mains innocentes et le coeur pur? " personne n'est sans souillure, pas même l'enfant qui ne compte encore qu'un seul jour d'existence sur la terre (Job. XV,14)." Toutefois, parmi tant de coupables, il s'en trouve un de pur, il y en a un de libre, au milieu de tous ces morts, nul autre que lui ne saurait compter; c'est celui dont on lit : " personne n'est monté aux cieux que celui qui en est descendu, le Fils de l'homme qui est dans les cieux (Joan. XIV,13)? " Il avait, en effet, les mains innocentes lui qui, non-seulement n'a point fait de péché, mais encore a fait beaucoup de bonnes oeuvres, et qui pouvait dire aux Juifs librement : " Qui de vous me convaincra de péché (Joan. VIII, 46). " Comment douter de la pureté parfaite d'un coeur qui était personnellement uni à la Sagesse par excellence, dans laquelle il ne se trouve rien de souillé et qui atteint partout à cause de sa pureté? Ce n'est pas en vain que celui qui a eu le pouvoir de déposer la vie et de la reprendre, quand il a voulu, a reçu son âme (Joan. x, 18). Non, ce n'est pas en vain qu'il l'a reçue en naissant, qu'il l'a déposée en mourant, et qu'il l'a reprise en ressuscitant.

4. Mais comment dit-on qu'il n'a pas fait un serment faux et trompeur à son prochain, qu'il n'a pas pris son âme en vain, en un mot qu'il n'a pas fait tout cela en vain, s'il n'y a que lui qui ait reçu la bénédiction du Seigneur? Fallait-il donc que le Christ souffrit, qu'il ressuscitât et qu'il entrât ainsi dans sa gloire (Luc. XXIV, 26) ? Mais cette gloire était à lui. Quel profit trouvons-nous dans son sang, puisque nous sommes tous destinés à la corruption des tombeaux? Où est la vérité de ses promesses, s'il est vrai d'un autre côté, comme je l'ai dit plus haut, que " personne ne monte au ciel que celui qui en descend (Joan. III, 13) ? " Eh bien, soit, que la bénédiction ne soit que pour lui, mais quel besoin a-t-il de la miséricorde? Si vous y faites attention, il ne recevra point seul cette bénédiction, ou du moins il ne la recevra point pour lui seul. Relisez les paroles du Prophète, et remarquez comment, sans qu'il y paraisse, il amène la multitude. Il ne parlait que d'un et il disait : " Il recevra ; " et aussitôt il passe à la race des hommes et dit : " Telle est la race de ceux qui le cherchent . " pour nous donner à entendre, dans l'unique dont il parle, non pas l'unité de personne, mais l'unité de l'esprit. En effet, quoique nous voyions un époux et une épouse, nous savons quel est celui qui a dit : ils ne feront plus l'un et l'autre qu'une même chair (Eph. V, 31). Voilà comment il monte et reçoit la bénédiction, et comment nous monterons avec lui, ou plutôt en lui, car c'est de lui que nous recevrons la bénédiction. Entendons là-dessus comment s'exprime le Prophète : " Celui qui a donné la loi donnera aussi sa bénédiction, et on s'avancera de vertu en vertu (Psal. LXXXIII, 8). " Voilà pourquoi il fallait que le Christ souffrît et ressuscitât d'entre les morts (Luc. XXIV, 46); pour qua la pénitence et la rémission des péchés fussent prêchées en son nom, la pénitence qui doit tenir lieu de l'innocence, et la rémission pour remplacer la pureté. En effet, il est dit : " Bienheureux, " non pas celui en qui le Seigneur n'a point trouvé, mais celui " à qui il n’impute pas le péché (Psal. XXXI, 2). J'ai trouvé, dit-il , un homme selon mon cœur (Act. XIII, 22). Est-ce que cet homme peut se flatter d'avoir le cœur pur ? non certes , car " les étoiles mêmes ne sont point pures à ses yeux (Job. XXV, 5). " Mais !Dieu ne méprise pas un cœur contrit et humilié (Psal. L, 19). Un coeur contrit est bien près d'être un cœur pur. Voilà ce qu'on entend par être selon le cœur de Dieu, puisqu'il est dit qu'il se tient tout près de ceux qui ont le coeur troublé. Il est le Samaritain qui se tient pour le prochain de l'homme tombé entre les mains des voleurs. Non, il en fera point un serment trompeur à son prochain (Psal. XXIII, 4), mais il fera ce qu'il a promis, quand il a dit : " En vérité, je vous le déclare, vous serez assis comme des juges (Matt. XIX, 28). "

5. Soyons donc nous aussi, mes frères, à notre petite manière, amis de l'innocence des mains et de la pureté du coeur. Avant tout, apportons tous nos soins, je ne dis point à nous garder entièrement, la fragilité humaine ne le permet pas; mais à nous éloigner du péché, autant que nous le pourrons, non-seulement en action, mais encore en pensée. Et, pour le reste, si nous ne voulons pas avoir reçu nos âmes raisonnables en vain, exerçons-nous nus bonnes couvres et suivons les conseils de la raison. Comment un homme quine songerait qu'aux voluptés corporelles et ne suivrait que les appétits de la chair, comme un être sans raison, n'aurait-il pas reçu son âme en vain? Le Prophète ajoute encore : " Et il n'a point trompé son prochain par de faux serments. " C'est que, en effet, de même que nous devons être purs dans le coeur, nous devons être innocents au dehors pour le prochain ; voilà comment il faut faire en nous, et envers le prochain, des oeuvres de vertu, des couvres de charité. Ne soyons donc point des êtres inutiles à nous-mêmes, si nous ne voulons point avoir reçu nos âmes en vain; et ne soyons pas inutiles au prochain, de peur d'être convaincus .par-là de l'avoir trompé par de faux serments. L'Esprit qui faisait parler le Prophète connaît le limon dont nous sommes formés, et il n'a pas voulu seulement nous rappeler les intérêts du prochain. Il nous remet nos sarments en mémoire, afin que nous reconnaissions notre dette, et que nous craignions de rendre vaine la foi jurée, car nous nous sommes tous engagés, par serment, envers le, prochain, avec qui nous ne faisons qu'un dans l'Église. Et cette profession de da foi chrétienne fait que celui qui vit ne vit plus seulement pour lui, mais pour celui qui est mort lui-même pour tous les hommes.

6. Et qu'on ne me dise pas : je vivrai pour lui, mais non pour vous; attendu que lui non-seulement a vécu, mais encore est mort pour nous tous (I Cor. V, 15). Comment, en effet, vivre pour lui, quand on ne tient aucun compte de ceux qu'il a aimés à ce point? Comment vivre pour lui, quand on n'observe point sa loi, quand on n'accomplit pas son commandement ? Vous me demandez de quelle loi, de quel commandement je veux parler? Il vous répond lui-même : " Voilà quel est mon commandement, c'est que vous vous aimiez les uns les autres comme je vous ai aimés moi-même (Joan. XIII, 34). " et l'Apôtre vous dit après lui "Portez les fardeaux les uns des autres, et de cette manière, vous accomplirez la loi du Christ (Gal. VI, 2). " N'allez donc pas croire que c'est un bien gratuit que vous donnez au prochain, et que vous pouvez le lui refuser, si vous voulez : vous lui devez sous la foi du serment, et vous y êtes tenus à raison de votre profession. " Celui-là donc recevra la bénédiction du Seigneur et la miséricorde du sauveur son Dieu. " Celui-là, dit le Prophète, c'est parce qu'il n'y en a qu'un qui reçoit la palme dans la lutte, mais ne le regardez point comme n'étant qu'un seul homme, " il comprend la race entière de ceux qui cherchent le Seigneur. " Il recevra la bénédiction, parce que le chef et les membres ne forment qu'un seul Christ (I Cor. XIX). Mais il est toute une génération, parce que nous parviendrons tous à la mesure de l'âge et de la plénitude de Jésus-Christ (Eph. IV, 13).

7. Peut-être faut-il voir le Seigneur lui-même dans cette montagne du Seigneur, dont le Prophète a dit : " Qui montera sur la montagne du Seigneur ou bien qui pourra se tenir ferme dans son lieu saint? " Évidemment, il est la pierre qui s'est détachée sans le secours d'aucune main, et qui est devenue une montagne immense (Dan. II, 45) : il est aussi " la montagne grasse , la montagne compacte (Psal. LXVII, 16) " qui, en s'élevant de terre, attire tout à elle. Et vous , ô Juifs, pourquoi ces soupçons à l'égard de cette montagne, au sol compacte de cette montagne, dis-je, dans laquelle Dieu se complaît à habiter? " C'est, disent-ils, parce que, s'il chasse les démons, ce n'est que par Béelzebub qu'il le fait (Matt. XII, 24). " O soupçon exécrable, ô blasphème digne de tout blâme! Le Christ est un prince, un grand prince, à la puissance duquel les démons mêmes ne peuvent se soustraire ; leur empire divisé contre lui-même sera désolé (Ibidem, 25), et le sien est uni et parfait, il n'aura même jamais de fin (Luc. I, 33). Il y a donc une grande différence entre ce prince et ces princes, et on ne saurait établir de comparaison entre cette montagne, au sol compacte et fertile, et ces autres montagnes qui ne sont que grasses. Votre Béelzebub, dont vous parlez, n'est qu'une montagne au sol compacte, mais non fertile; au contraire, elle est maudite et stérile à jamais. C'est une montagne parce qu'il s'est élevé, une montagne au sol compacte, parce que ses écailles sont imbriquées les unes sur les autres, et que son coeur est dur comme le lait pris en fromage.

8. Notre-Seigneur Jésus-Christ est une montagne, mais une montagne au sol compacte et fertile. C'est une montagne, car il est élevé, une montagne compacte, car elle se compose de beaucoup d'êtres, une montagne grasse, à cause de sa charité. Voyez maintenant comment il attire tout à lui, comment il s'unit tout dans une unité substantielle, personnelle, spirituelle, sacramentelle. Il a le Père en lui, et il ne fait avec lui qu'une seule et même substance; li a pris l'homme, et ne fait qu'une seule personne avec lui; il s'est attaché l'âme fidèle avec laquelle il ne fait plus qu'un seul et même esprit; il a pour épouse l'Église de tous les élus, avec laquelle il ne fait plus qu'une chair. Peut-être même cette union devrais-je l'appeler charnelle, mais je préfère l'appeller sacramentelle, je trouve ce mot plus digne, surtout après avoir entendu l'Apôtre dire : " Ce sacrement est grand, je veux dire en Jésus-Christ et dans l'Église (Ephes. V, 32). " Oh ! oui, c'est une montagne très-grasse et très-fertile , où Dieu se plaît à habiter, aussi l'a-t-il oint d'une huile de joie, d'une manière bien plus excellente que tous ceux qui ont part à sa gloire (Psal. XLIV, 8). Il est la montagne des célestes parfums, la montagne des grâces spirituelles, il n'a pas reçu l'esprit avec mesure, mais il a reçu toute la plénitude des grâces. Il est la grande montagne où sont cachés tous les trésors de science et de sagesse, où habitent toute la vérité de l'humanité et toute la plénitude de la divinité: c'est une montagne haute, immense, où se trouve réuni tout ce qui est dans les cieux et sur la terre, en sorte que Dieu soit tout en tous (Eph. I, 10).

9. Venez, moutons sur cette montagne, mes frères, si la route nous parait raide, laissons là notre fardeau; si elle nous semble étroite, ne craignons pas de nous rapetisser; si elle est longue, hâtons le pas d'autant plus, et si elle est difficile , écrions-nous : " Entrainez-nous après vous, et nous courrons dans l'odeur de vos parfums (Cant. I, 3). " Heureux celui qui courra de manière à saisir le but ou plutôt à en être saisi lui-même, et à mériter d'être admis dans cette grande et vaste montagne et dans la plénitude du corps de Jésus-Christ. Heureux celui qui montera sur cette montagne béatifique avec de si ardents désirs et une telle persévérance que méritant de recevoir une place, ou se tenir dans ce saint lieu, il apparaisse à, Dieu le Père dans son sanctuaire, et contemple en même temps sa vertu et sa gloire, qui n'est autre, après tout, que celui qui est le mont des monts, la montagne au sol compacte et fertile, Jésus-Christ même, Notre-Seigneur (Psal. LXII, 3). Car c'est en lui que, de toute éternité, nous avons apparu par la prédestination devant les yeux de celui qui nous a aimés et nous a gratifiés de son fils chéri, en qui il nous a élus avant la création du monde. Alors nous le connaîtrons comme nous sommes connus (I Cor. XIII, 14), quand cette montagne élevée , très-haute et très-fertile, attirera tout à elle avec plus de plénitude et de force, elle qui est le Dieu béni par dessus tout, dans tous les siècles. Ainsi soit-il.
 
 
 
 
 
 

TRENTE-QUATRIÈME SERMON. Sur les paroles d'Origène.

1. Je crains que le passage qu'on vous a lu hier, d'une homélie d'Origène, sur le chapitre de la Loi (Levit X, 3), qui défend à Aaron et à ses fils de boire du vin quand ils doivent monter à l'autel, n'ait produit une mauvaise impression sua plusieurs d'entre vous, s'ils l'entendent simplement et au pied de la lettre. Il disait : " Mon Sauveur pleure encore maintenant mes péchés, et sa douleur durera aussi longtemps que notre erreur. a Il continue ainsi dans un style plus abondant peut-être que prudent,, et -dans un langage plus disert que sobre. Que signifient ce grognement insolite et ce je ne sais quel murmure qui s'élève parmi vous ! Je sais bien que ceux qui sont instruits dans la loi de Dieu, se rient de ces paroles, mais je ne m'en reconnais pas moins le débiteur de ceux qui sont moins instruits. Il n'est pas question de la manière dont Origène entendait ses propres paroles; il a pu s'exprimer ainsi par hyperbole; c'est son affaire non point la nôtre. Toutefois, je ne puis passer sous silence que les saints Pères nous ont donné comme très-certain qu'il a écrit plusieurs choses contre la foi, et qu'ils nous avertissent de ne le lire, par conséquent, qu'avec circonspection. Quant au passage qui nous occupe, il n'est pas question pour moi de rechercher quelle fut sa pensée; je ne me propose seulement de vous prémunir, vous tous qui n'avez que des sentiments parfaitement conformes à la saine doctrine, contre l'impression que pourraient vous faire les paroles citées plus haut.

2. Il faut bien se garder de croire qu'il y ait place au ciel pour la tristesse non plus que pour le péché. On ne saurait y faillir ni y verser des larmes, de même que sur la terre il n'y aurait jamais eu de peine s'il n'y avait eu d'abord une faute. Or, dans le ciel, il n'y a que la justice, et par conséquent on n'y tonnait que la joie; dans l'enfer, il n'y a que le péché et la peine du péché. Entre l'un et l'autre, on trouve le mélange des deux extrêmes ;aussi ne sont-ils point consommés. Nous souffrons en bien des choses parce que "nous péchons tous en bien des points (Jacob. III, 1). " C'est parce qu'il n'y 'a point place dans le ciel pour la souffrance et la douleur, que le Fils unique de Dieu le Père, voulant racheter les hommes par sa passion, non-seulement prit un corps dans lequel il pût souffrir, attendu qu'il ne pouvait souffrir dans sa divinité, mais encore " il se montra sur la terre et vécut parmi les hommes (Baruc. III, 38), " afin de s'humilier lui-même dans le lieu de l'affliction. Il a donc bien voulu se troubler ici-bas, éprouver de la frayeur et de l'abattement, être tenté en toutes choses pour nous ressembler, sauf le péché. Oui, dis-je, sur la terre Jésus a versé des larmes, il s'est vraiment attristé, il a vraiment souffert, il est vraiment mort, et il a été véritablement enseveli; mais, par sa résurrection, toutes les choses anciennes ont passé. Ne cherchez plus maintenant davantage votre bien-aimé dans votre lit; il est ressuscité, il n'est plus là. C'est le mot de l'Epouse : " J'ai cherché dans mon lit celui qu'aime mon âme; je l'ai cherché et ne l'ai point trouvé (Cant. III, 1). " C'est Marie qui a cherché le Seigneur dans son lit;.elle l'a cherché dans le tombeau et ne l'a point trouvé : mais les gardes l'ont trouvée elle, et lui ont dit : " Pourquoi cherchez-vous un vivant parmi les morts (Matt. XXVIII, 5) ? " Il a été en effet, parmi les morts, mais il n'y est plus; oui, il fut couché parmi les morts, mais alors même il n'était pas moins libre; car c'est lui-même qui s'est troublé, c'est lui-même qui a déposé son âme, " s'il a été offert c'est parce qu'il l'a bien voulu (Isa. LIII , 7). " Toute faiblesse en lui fut le résultat de sa propre volonté, non pas de la nécessité ; voilà pourquoi ce qui parait en Dieu une faiblesse est plus fort que, les hommes (I Cor. I, 25) ; C'était alors un grand parmi des petits, un Dieu plein de santé au milieu d'infirmes, un être libre entre les morts.

3. Il semble, à la vérité, qu'au sein même de nos tribulations, nous jouissons aussi d'une certaine liberté, quand, par une charité aussi libre que libérale, nous faisons des oeuvres de pénitence pour les péchés du prochain, nous pleurons, nous jeûnons et nous nous mortifions pour lui, payant ainsi des dettes que nous n'avons point contractées. C'est même ce qui faisait dire à saint Paul : " Quand j'étais libre à l'égard de tous, je me suis rendu le serviteur de tous (I Cor. IX, 19). " Mais, d'ailleurs, il n'y a là aucun rapport avec la liberté de celui qui n'eut point de péché qui lui fût propre, qui e devait rien à la mort et qui ne mérita aucune tribulation. Pour nous, au contraire, si le prochain n'est pas en droit d'exiger de nous ces pénitences volontaires, Dieu, toutefois, les exige ; et s'il se trouve des hommes qui semblent rendre au prochain plus qu'ils ne lui doivent, jamais ils ne rendent à Dieu tout ce dont ils lui sont redevables. Aussi l'Apôtre dit-il : " Pour moi, je me mets fort peu en peine d'être jugé par vous ou par quelque homme que ce soit; je n'ose pas me juger moi-même (I Cor. IV, 3).. " Remarquez bien ce qu'il dit ailleurs : " Si nous nous jugions nous-mêmes, nous ne serions pas jugés (l Cor. XI, 31), " et ailleurs : " L'homme spirituel décide de tout (I Cor. II, 15). " Il ne dit pas simplement " il juge " mais, " il décide " de tout, parce que celui qui décide d'une chose l'approuve; il dit, en effet, ailleurs : " Bienheureux celui que sa conscience ne condamne point en ce qu'il approuve (Rom. XIV, 22). " Il se mettait donc fort peu en peine d'être jugé par ceux envers qui sa conscience ne lui reprochait d'avoir omis aucun devoir, d'avoir commis aucune faute, à qui plutôt il savait qu'il avait rendu tous les services possibles, au point qu'il pouvait dire ingénument et en pleine sûreté de conscience : " Lui est faible parmi vous, sans que je m'affaiblisse avec lui Qui est scandalisé sans que je brûle (II Cor. XI, 29) ? " En effet, pour les Juifs il s'est fait Juif afin de les gagner tous; et pour ceux qui n'avaient point la Loi, il a vécu comme s'il ne l'eût pont eue lui-même; enfin il s'est fait tout à tous pour les sauver tous (I Cor. IX, 22). Aussi a-t-il bien raison de se mettre peu en peine du jugement que pouvaient porter de lui ceux à qui il avait donné si peu d'occasion de scandale et au milieu de qui il avait si bien fait honneur à son ministère. Mais il ne se jugeait pas même dans les choses qu'il approuvait, bien qu'il s'acquittât parfaitement, même envers lui, de ce qu'il se devait, en châtiant son corps, en affligeant son âme et en gardant son propre coeur avec toute sorte de sollicitude, en sorte que sa conscience n'avait rien à lui reprocher en ce qui concernait les devoirs qu'il se devait à lui-même. "Mais je ne suis pas justifié pour cela, dit-il, c'est le Seigneur qui est mon juge (I Cor. IV, 4) : " Pour celui-là, je ne saurais échapper à son jugement, et quand même je serais juste je ne lèverai point la tête, car toute ma justice à ses yeux est semblable aux linges souillés d'une femme à son époque (Isa. LXIV,6). Non, personne, pas un seul homme ne saurait se dire juste à ses yeux.

4. Car il n'y a personne qui ne doive dire à Dieu : " J'ai péché contre vous (Psal. L, 6), " mais celui-là est bien grand qui peut dire " Je n'ai péché que contre vous. " De même il n'y a de vraiment libre parmi les morts, que celui qui n'a point fait de péché et dont la justice est semblable aux montagnes de Dieu. D'ailleurs, il n'est plus parmi les morts, il s'est élevé du milieu d'eux, changé de corps, changé de coeur, il est entré dans les puissances du Seigneur, exempt de toute faiblesse, après avoir quitté les vêtements souillés dont il apparut d'abord revêtu, dans le Prophète Zacharie, (Zach. III, 3), pour se revêtir d'habits splendides selon ces paroles du Psalmiste : " Vous avez déchiré mon sac et vous m'avez revêtu de joie (Psal. XXIX, 12). " Comme il avait pris véritablement la substance de la chair et de l'âme humaines, ainsi que leur vraie nature, il connut les souffrances du corps et celles de l'âme, mais il a trouvé dans les unes et dans les autres une source de gloire. C'est je crois de la glorification de l'une et de l'autre que le Prophète a voulu parler quand il a dit dans ce petit verset : " Le Seigneur a régné, et il a été revêtu de gloire, le Seigneur a été revêtu de force (Psal. XCII, 1). " Par la gloire de son corps il veut dire l'éclat dont il est revêtu, et par la force, l’état inaltérable de son âme. Enfin si le Seigneur a dit : "Mon âme est triste jusqu'à la mort ( Matt. XXVI, 83); " plus tard, en inclinant la tête, il s'est écrié : " Tout est consommé (Joan. XIX, 30); " afin que désormais on ne soupçonnât pas l'ombre de la faiblesse en lui.

5. Origène a dit encore : " Si son apôtre pleure sur quelques fidèles qui ont péché auparavant, et n'ont point fait pénitence de leurs fautes, que dirai-je de celui qui est appelé le Fils de la charité ? " Et ailleurs il continue : " Quoi donc, après avoir cherché nos intérêts, il ne nous chercherait plus à présent, et ne songerait plus à ce qui nous touche, il ne serait plus affligé de nos erreurs, et il ne pleurait point sur notre perte et sur notre ruine, lui qui a pleuré sur Jérusalem ? " Ailleurs il dit encore : " Et maintenant puisque le Seigneur est compatissant et miséricordieux, il verse plus de larmes encore que son apôtre avec ceux qui pleurent, et il pleure ceux qui ont péché auparavant; car on ne saurait croire que pendant que Paul gémit et pleure pour les pécheurs, le Seigneur ne verse aucune larme. " Si on entend les choses ainsi, pourquoi ne point chercher encore le bien aimé dans son petit lit? Un mort ne saurait chercher ailleurs que dans le sépulcre, ni un infirme ailleurs que dans son lit, ni un petit enfant ailleurs que dans son berceau, celui qu'aime leur âme. Mais pour lui, comme je l'ai dit plus haut, non moins glorifié de corps que de cœur, que dis-je, d'autant plus glorifié de coeur que l'âme est plus grande et plus capable de gloire que le corps, s'il ne peut négliger les siens, il ne saurait non plus pleurer pour eux. Mais quand sera-t-il donné à la fragilité humaine de comprendre comment il a pitié sans être affecté par la tristesse, comment il aime, et même beaucoup ceux qui souffrent, et sont en danger sans toutefois éprouver lui-même ni trouble ni douleur? Mais cela est bien au dessus de tout ce que nous éprouvons; toutefois il n'y a rien d'impossible à Dieu. Aussi peut-il donner, soit à lui-même, soit à tous les siens qu'il a revêtus de force après qu'ils eurent dépouillé les faiblesses de la chair, et qu'il a introduits dans ses puissances, une charité telle qu'elle puisse se réjouir avec ceux qui sont dans la joie, sans pleurer avec ceux qui pleurent, et réunir par les liens les plus sûrs et les plus affectueux celle qu'elle aime, sans cesser toutefois de demeurer imperturbable elle-même. On ne saurait même révoquer en. doute que cette charité ne soit bien plus grande que l'autre, de même qu'un médicament, s'il en existait qui guérît nos blessures et ne perdît absolument rien de sa vertu ni de sa substance, serait regardé comme plus précieux que ceux dont la vertu s'épuise et la substance s'altère. Ainsi quoique le Seigneur ait pleuré sur Jérusalem (Luc. XIX, 41), désormais il ne pleurera plus; de même, qu'étant mort et ressuscité, il ne doit plus mourir (Rom. VI, 9), et qu'après avoir reposé sur son lit tumulaire, il ne doit plus y être cherché maintenant qu'il est ressuscité.

6. Et pourtant les saints sont doués d'une sensibilité infiniment plus grande et plus efficace que ceux qui pleurent pour les pécheurs ou qui sacrifient leur vie pour leurs frères, bien que, pour le Seigneur, il ne puisse plus faire ni l'un ni l'autre maintenant que son oeuvre est accomplie. C'est le propre de notre faiblesse de pouvoir pleurer avec ceux qui pleurent, parce que nous sommes encore dans le filet qui nous tire dans la mer et qui renferme des poissons de toute sorte (Matt. III, 48) sans faire aucun discernement entre les uns et les autres. Pour ce qui est du Sauveur, au contraire, non-seulement de lui, mais aussi des apôtres et de tous les autres saints qui sont en lui, ils ont déjà touché au rivage et ils n'ont point placé pèle mêle toute sorte de poissons dans leurs vases; ils n'y ont placé que les poissons de choix, que les bons; quant aux mauvais ils les ont rejetés loin d'eux. Mais en attendant combien de mauvais poissons ne suis-je pas contraint de traîner dans mon filet; combien de poissons douteux, et quine me donnent que de la peine, n'ai-je pas rassemblés dans ce filet le jour où mon âme s'est attachée à vous! je me félicite avec ceux qui font des progrès, mes sentiments sont des sentiments de joie et de bonheur, parce que mon poisson est bon; mais je m'attriste avec ceux qui dépérissent, je pleure avec ceux qui pleurent, je partage les angoisses de ceux qui se trouvent en danger; je suis faible avec les faibles, et je brûle avec ceux qui sont scandalisés. Tous ces sentiments sont pénibles et poignants; mais aussi c'est que ces poissons sont de mauvais poissons; mauvais, entendons-nous, non pas à cause de leur péché, mais à cause de la peine qu'ils me donnent. Fasse le ciel que la multitude de ces mauvais poissons ne nous fasse point périr dans la pusillanimité de notre âtre sous les coups de la tempête, avant que nous soyons arrivés et débarqués au rivage où nous pourrons tirer et séparer les bons des mauvais, en sorte qu'il n'y aura plus ni pleurs, ni cri, ni affliction, ni aucun sentiment de crainte laps le pays de notre séjour (Apoc. XXI, 4), mais seulement des actions de grâce et des chants de joie et de bonheur.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

TRENTE-CINQUIÈME SERMON (a). Des trois ordres de l’Eglise, aux pères abbés réunis en chapitre.

1. Cette grande et vaste tuer, je veux dire le siècle présent si amer et si agité, est navigable pour chacune des trois sortes d'hommes d'une manière différente, s'ils veulent la traverser sains et saufs. Il y a, en effet, trois hommes, Noé, Daniel et Job, ( Ezech. XIV, 14) ; le premier lapasse sur l'arche, le second sur un pont, et le troisième à gué. Or, ces trois hommes sont les trois ordres de l'Église. En effet, Noé a dirigé la marche de l'arche pour qu'elle ne périt pas dans le déluge, et je reconnais en lui la figure de ceux qui sont chargés de conduire l'Église. Daniel, l'homme de désirs, l'homme de l'abstinence et de la chasteté, représente l'ordre des pénitents et des continents qui ne vaquent qu'au service de Dieu. Quant à Job, qui sait faire un bon usage des biens de ce monde dans l'état du mariage, il est la figure du peuple fidèle qui possède licitement les biens de la terre. Je veux vous parler du premier et du second des trois, puisque il y a ici présents, d'un côté, nos vénérables frères et co-abbés qui sont du nombre des prélats de l'Église, et de l'autre, de simples moines qui sont de l'ordre des pénitents, ce n'est pas à dire pour cela que nous autres abbés nous devions nous regarder comme étant étrangers à cet ordre, à moins que nous n'ayons oublié notre profession. Quant au troisième ordre qui comprend les gens mariés, je n'en dirai que quelques mots, attendu qu'il nous touche de moins près. On peut le considérer plus particulièrement comme celui qui trac erse à gué la grande mer, traversée aussi laborieuse et aussi dangereuse que longue, attendu que celui qui la fait n'y trouve aucun profit. Que ce soit une traversée dangereuse, cela n'est que trop évident par le nombre de ceux que nous avons la douleur d'y voir périr en regard du petit nombre de ceux qui l'accomplissent comme il faut. Il est en effet bien difficile, surtout de nos jours où la malice est si grande,

a Ce sermon, dans un manuscrit de la Colbertine d'une grande valeur, se trouve placé avant le sermon pour la nativité de la Vierge Marie ; dans un manuscrit de la bibliothèque royale, il est placé après, avec ce titre : Sermon aux abbés venus au chapitre de Cîteaux. Le manuscrit français des Feuillants le place parmi les sermons du carême. Autrefois le chapitre de Cîteaux se tenait aux Ides de septembre. Dans les Fleurs de saint Bernard ce sermon est cité au livre VIII, chapitre XI, et. au livre VIII, chapitre XXXVI, XXXVII et autres.

d'éviter les trous creusés par des pécheurs criminels, dans les eaux de ce siècle et dans les tourbillons des vices.

2. Quant à l'ordre des continents, ils passent la mer sur un pont, c'est comme on le sait, la voie la plus courte, la plus facile et la plus sûre. Mais sans la louer davantage, je veux vous en montrer les dangers, ce sera beaucoup meilleur et plus utile. Sans doute, mes très-chers, le sentier que vous suivez est droit et bien plus sûr que la vase où marchent les gens mariés, pourtant il n'est pas d'une sécurité complète. Il y a trois périls à craindre le long de ce chemin, ainsi, il est possible qu'on veuille y marcher de front avec un autre, regarder en arrière, s'arrêter ou s'asseoir au beau milieu du pont. Il est si étroit et la voie qui mène à la vie a si peu de largeur qu'ils ne permettent de faire ni l'une ni l'autre de ces trois choses. Contre le premier danger, disons tous de notre côté avec le Prophète, "que le pied de l'orgueil ne vienne point jusque à moi, car c'est là que sont tombés ceux qui commettent l'iniquité (Psal. XXXV, 42). " Quant à celui qui, après avoir mis la main à la charrue, regarde ensuite en arrière, il est certain qu'il tombe à l'instant même et que les flots de la mer l'engloutissent tout entier. Pour celui qui veut s'arrêter sur ce pont et qui, sans quitter l'Ordre, ne veut plus avancer, il ne peut que tomber aussi, parce qu'il est poussé et renversé par ceux qui viennent après lui, car le passage est étroit, et il empêche de passer ceux qui veulent aller plus loin et arriver au terme. Aussi arrive-t-il qu'ils le reprennent et le gourmandent, ils ne peuvent souffrir sa tiédeur et sa lenteur, ils le pressent en quelque sorte de l'aiguillon et le poussent de leurs mains. Or, de deux choses l'une, ou il avancera ou il tombera. Il ne saurait donc point s'arrêter, il ne peut non plus regarder en arrière, et, d'un autre côté, il ne lui est pas avantageux de vouloir marcher de front avec les autres ; il faut donc que nous courions, que nous nous hâtions en toute humilité, si nous ne voulons pas que celui qui est parti comme un géant pour parcourir sa carrière ne s'éloigne beaucoup de nous. Si nous sommes sages, nous ne le perdrons jamais de vue, et, attirés par l'odeur de ses parfums, nous courrons plus vite et plus sûrement.

3. Après tout le pont ne semblera pas trop étroit encore à ceux qui voudront y courir. En effet, il est composé de trois essences de bois, et ceux qui voudront s'appuyer sur ces bois ne verront point le pied leur manquer en route. Or, ces trois essences sont : la peine du corps, la pauvreté des biens du monde, et l'humilité de l'obéissance. En effet, " c'est par beaucoup de peines et d'afflictions que nous devons entrer dans le royaume des cieux (Act. XIV, 21), et ceux qui veulent devenir riches, tombent dans la tentation et dans les piéges du diable (I Tim. VII, 9) ; " enfin celui que la désobéissance a écarté de son Dieu, n'a qu'une voie sûre de revenir à lui, la voie droite de l'obéissance. Mais il faut que ces trois essences de bois soient bien liées ensemble ; en effet, la peine du corps ne dure guère au milieu des richesses, et d'ailleurs sans l'obéissance elle ne sera pas facilement discrète; quant à la pauvreté au sein des jouissances et de la volonté propre, elle n'a aucun mérite et n'a absolument aucune valeur aux yeux de Dieu : pour ce qui est de l'obéissance dans les richesses et les plaisirs, elle n'a rien de stable, rien de glorieux.

4. Tout cela étant bien disposé, voyez si vous n'avez pas échappé parfaitement aux trois périls de cette mer, je veux dire à la concupiscence de la chair, à celle des yeux, et à l'orgueil de la vie: tout cela étant, dis-je, bien disposé., c'est-à-dire, étant disposé de telle sorte que dans la peine vous échappiez aux nœuds de l'impatience, dans la pauvreté vous évitiez la pierre d'achoppement de la cupidité, et dans l'obéissance la tache de la volonté propre. En effet, si ceux qui se sont laissés aller aux murmures périrent sous les morsures des serpents, ( I Cor. X, 9) "ceux qui veulent devenir riches, " non pas ceux qui le sont, "tombent dans la tentation et dans les piéges du diable (I Tim. VI, 9). " Mais après tout qu'importe cela, si par hasard, ce qu'à Dieu ne plaise, vous désirez les choses de la pauvreté avec autant de force ou d'ardeur même que les hommes du monde soupirent après les richesses? Qu'importe la différence des objets qu'on désire, dès lors qu'on les désire d'une manière déréglée. Il semble même que s'il y avait une excuse dans l'un ou l'autre cas, ce serait plutôt pour le désir de ce qui est plus estimé. Mais quiconque fait ouvertement ou en secret tout ce qu'il peut pour que son père spirituel lui enseigne ce qui fait secrètement l'objet de sa volonté, se séduit lui-même, s'il se flatte d'avoir la vertu d'obéissance, car en cette occasion ce n'est pas lui qui obéit à son supérieur, mais c'est son supérieur qui lui obéit.

5. Toutefois, puisque, selon la parole du Sauveur, on doit se servir envers nous de la même mesure dont nous nous serons servis nous-mêmes (Marc. IV, 24), il est bon de donner beaucoup, afin d'être du nombre de ceux à qui on doit donner une bonne mesure, une mesure foulée, tassée, une mesure qui déborde de leur sein. Pour le salut, il suffit de souffrir patiemment les souffrances corporelles, mais le comble est de les embrasser de plein gré, et avec la ferveur de l'esprit. Il peut suffire de ne point rechercher le superflu, et de ne pas se laisser aller aux murmures, s'il vient à manquer; mais le comble c'est de se réjouir, de voir les autres pourvus du nécessaire, quand on est soi-même dans le plus complet dénuement, et de chercher les moyens qu'il en soit ainsi. C'est encore assez pour le salut de ne point contraindre la volonté de noire supérieur, ou par notre impatience, ou par nos feintes à se plier à nos désirs, mais le comble c'est de fuir les choses que nous sentons flatter notre volonté propre, autant toutefois que cela se peut faire, sans blesser la conscience.

6. Quant aux prélats, ils descendent sur la mer dans des vaisseaux, et ils travaillent au milieu des eaux (Psal. CVI, 33). Ils ne sont resserrés ni par l'étroit passage d'un pont, ni par le peu de largeur d'un gué, ils peuvent voguer dans tous les sens, où il leur plaît, et aller au devant de qui il est nécessaire pour diriger le passage du pont ou du gué, veiller à la marche de ceux qui s'avancent, découvrir les périls et les écarter, exciter les tièdes, et soutenir les faibles. Enfin, ils montent jusqu'aux cieux, et descendent jusqu'aux enfers, et tantôt s'occupent de choses spirituelles et sublimes, et tantôt jugent des choses horribles et infernales. Mais où trouver un navire capable de soutenir le choc de flots si terribles, et de voguer en sûreté au milieu de si grands périls? Je vous répondrai : " L'amour est fort comme la mort, et le zèle de l'amour est inflexible comme l'enfer : " aussi suivant ce qui est dit ailleurs : " Les grandes eaux n'ont pu éteindre la charité (Cant. VIII, 7). " Voilà le navire nécessaire, indispensable aux prélats; il doit avoir trois côtés, comme tous les navires, et se trouver conforme à la doctrine de saint Paul, quand il réclame la charité qui naît d'un coeur pur, d'une bonne conscience, et d'une foi sincère (I Tim. I, 5). " Or, la pureté d'intention, pour un prélat, consiste à ne se proposer que d'être utile non point de faire sentir qu'il est le supérieur. Il doit donc rechercher dans son office de prélat, non son avantage personnel, ni les hommages du monde ou tout autre chose pareille, mais seulement le bon plaisir de Dieu, et le salut des âmes. Mais à la pureté d'intention, il faut joindre encore une vie irréprochable, être le modèle du troupeau, commencer par pratiquer soi-même la règle, avant de l'enseigner aux autres, et, suivant la règle de notre Maître, (S. Bénéd. in Reg. cap 2.) ne pas apprendre à ses disciples, par sa conduite, à faire ce qu'il leur a dit être contraire à leurs intérêts, s'il ne veut pas que les religieux murmurent quand il les reprendra, et disent : " Médecin, guérissez-vous vous-même (Luc. IV, 23). " Là où il peut en être ainsi, c'est la condamnation complète du supérieur, et la perte de beaucoup de ses intérieurs. Si je parle ainsi, ce n'est pas que je réussisse à ne pas tomber dans ce malheur, mais c'est que la Vérité même me crie , comme elle. crie à tous les supérieurs : Il faut que celui qui est le supérieur des autres soit irrépréhensible (I Tim. III, 1) et qu'il puisse, avec le Seigneur, répondre, en toute sécurité de conscience, à ceux qui le blâment : " Quel est celui d'entre vous qui pourra me convaincre de péché (Joan. VIII, 46) ? " de ne veux pas dire qu'on puisse vivre en ce monde absolument sans péché, mais je dis qu'il faut qu'un supérieur évite tout particulièrement de tomber dans les fautes qu'il reproche à ses inférieurs.

7. Et, pour cela, il faut qu'il soit dans le secret même de sa vie, tel qu'il se montre dans sa conduite publique, de peur de n'être humble qu'au-dehors, tout en étant orgueilleux au fond du coeur, et plein d'une confiance présomptueuse dans sa sagesse, sa vertu et sa sainteté. On ne peut douter que la foi de celui qui ne met pas toute sa confiance dans la seule bonté de Dieu, comme l'humilité apparente de sa conduite le fait croire, ne soit une foi feinte. Or, voyez combien, à ces trois vertus, je veux dire à la pureté du coeur, à la bonne conscience, et à la foi vraie, non pas feinte, semblent se rapporter encore ces autres paroles l'Apôtre qui dit: " Pour moi, je me mets peu en peine d’être jugé par vous, ou par quelque homme que ce soit, etc., car je ne me juge pas moi-même, dit-il, parce que ma conscience ne me reproche rien ( I Cor. IV, 3), " c'est-à-dire ne me reproche point de rechercher mon intérêt, je ne cherche que celui de Jésus-Christ. Si je me mets peu en peine que vous me jugiez, c'est parce que ma conscience est bonne, et ma conduite irréprochable : " Celui qui me juge, continue-t-il, c'est le Seigneur. " Il veut, par là, nous apprendre que toutes ses espérances sont placées en Dieu, sous la main puissante de qui il se tient humilié. Mais je vous laisse à juger si la triple question, faite par le Seigneur à Pierre, peut se rapporter aussi à ce que je viens de dire, en sorte que ces mots : m'aimes-tu, m'aimes-tu, m'aimes-tu (Joan. XXI, 15), signifieraient : as-tu la charité qui vient d'art cœur pur, d'une bonne conscience, et d'une foi qui ne soit pas feinte. C'est d'ailleurs avec justice qu'il est demandé à celui qui doit être pêcheur d'hommes, si son navire a la charité.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

TRENTE-SIXIÈME SERMON (a). Sur l'élévation et sur la bassesse de coeur.

1. Je vous disais dernièrement qu'il y en a qui regardent en haut, et d'autres qui regardent en bas; il m'est encore venu, sur ce sujet, quelques réflexions dont je ne veux point priver votre charité, en les passant sous silence. Car si les deux pensées que j'ai développées alors devant vous, si je m'en souviens bien, ne sont pas également parfaites; elles sont toutefois également utiles. Or, il y en a qui ont le cœur placé les uns d'une manière, les autres d'une autre, ou qui l'ont élevé, selon ce que Dieu s'est proposé quand il a fait l'homme droit, et qui pourraient répondre sans crainte à la voix du prêtre qui les invite à tenir leur cœur élevé. " Nous l'avons élevé vers Dieu. " Il y en a d'autres qui, semblables aux animaux sans raison, sont penchés vers la terre, s'exposant ainsi aux dérisions des esprits immondes, qui leur crient en se moquant : " Baissez-vous, que nous passions (Isa. LI, 23). " Vous savez, en effet, que dans toute réunion nombreuse il est impossible que i tous aient larriême force, le même corps et les mêmes moeurs, aussi notre règle, avec son autorité, nous rappelle-t-elle de souffrir patiemment la faiblesse des uns et des autres (S. Bened. Reg. Cap. LXXII), et la charité nous fait un devoir d'y condescendre, dans une certaine mesure. En voyant cela, peut-être s'en trouve-t-il qui se sentent plus portés à en ressentir de l'envie que de la compassion ; aussi arrive-t-il souvent qu'on estime an fond du cœur quelqu'un bien heureux pour certaines choses qui le rendent malheureux, et qu'il supporte avec peine et parce

a Ce sermon ainsi que les trois suivants se trouvent placés dans tous les manuscrits parmi les Sermons du temps. à la suite de ceux du sixième dimanche après la pentecôte : mais dans le manuscrit de Cîteaux, il est dit que ces quatre sermons doivent être placés après le trente-neuvième des sermons divers; toutefois dans toutes les éditions ils se trouvent placés après le trente-cinquième.

qu'il ne peut pas faire autrement. Celui qui porte envie, même à la misère, montre assez qu'il est tout à fait. courbé vers la terre, et que, dans la bassesse de son coeur, il ne goûte que la chair; il n'a de coeur que pour les dispenses que son supérieur accorde, parce qu'il y est contraint par des pensées de charité, et pour le bien du prochain ; il recherche de semblables dispenses et murmure contre le supérieur qui se refuse d'accéder à ses déraisonnables demandes. De là, les soupçons, les détractions, et les scandales.

2. Si je parle ainsi, mes très-chers frères, ce n'est pas que j'aie beaucoup à me plaindre de vous sur ce point, mais j'ai cru bon de vous engager à vous mettre sur vos gardes, et de vous prémunir, parce qu'il y en a beaucoup parmi vous qui sont encore jeunes ou délicats, et qu'il est nécessaire quelquefois d'adoucir pour eux, à cause de leur jeunesse ou de leurs infirmités, les rigueurs de la règle commune (a). Grâces à celui de qui vient tout don, j'en vois ici beaucoup, dont l'esprit tout entier à Dieu, est tellement éloigné de semblables pensées qu'ils ignorent même qu'il se trouve à côté d'eux des frères plus faibles qu'eux, et qui gémissent de faire eux-mêmes beaucoup moins que tous les autres. C'est qu'ils ont toujours les yeux sur ceux qui sont plus avancés qu'eux, et que, avec l'Apôtre, oubliant tout ce qui est derrière eux, ils ne songent qu'à marcher en avant. Quelle n'est pas, je vous le demande, mon admiration pour eux, quel respect n'ai-je point pour ces âmes au fond de mon coeur ; quels sentiments de charité n'éprouvé-je point pour ces religieux qui paraissent ignorer ceux qu'ils voient tous les jours avec eux , ne font choix que d'un, de deux ou de plusieurs autres religieux qu'ils savent animés d'une plus grande ferveur, et, tout en étant plus parfaits qu'eux, ne laissent pas néanmoins de se mettre devant les yeux, et de se proposer pour exemples à suivre, leurs saintes études dans le Seigneur, leurs exercices corporels et même leurs exercices spirituels.

3. Je vous ai déjà raconté, si je m'en souviens bien, mais je ne ferai aucune difficulté de vous le redire encore, dans quelle sublime méditation un laïc passa un jour tout le temps des vigiles. M'ayant, le plus grand matin, attiré dans le parloir, il se jeta à mes pieds et me dit : " Je suis bien malheureux, car j'ai passé tout le temps des vigiles à considérer un religieux, en qui j'ai compté trente vertus, dont je ne possède pas même la première. " Or, peut-être ce religieux n'en avait-il aucune aussi grande que l'humilité dont ce laïc faisait preuve dans l'envie qu'il lui portait. La conséquence à tirer pour nous de ce récit, c'est que nous devons avoir les yeux constamment ouverts sur ce qu'il y a de plus élevé dans les autres, c'est en cela que se trouve le comble de l'humilité, s'il vous semble qu’en certain point vous avez reçu une plus grande grâce que votre frère, vous ne manquez pas, si vous êtes animé d'une sainte émulation d'en trouver beaucoup d'autres où

a On peut comparer avec ce passage le n. 4 de sermon sur le moine Humbert, qui se trouve plus haut.

vous lui êtes inférieur. Qu'importe, en effet, que vous puissiez travaillez ou jeûner plus que lui, s'il vous surpasse de son côté en patience, et s'il s'élève plus haut que vous par la charité? A quoi bon passer toute la journée à considérer sottement ce qu'il vous semble que vous avez de plus que lui ? Mettez-vous plutôt en peine de savoir ce qui vous manque encore, c'est beaucoup mieux. Plaise à Dieu, mes frères, que nous soyons aussi avides de la grâce spirituelle que les gens du monde le sont des richesses temporelles. Nous devons certainement, et c'est même pour nous une obligation de le faire, nous devons, dis-je, l'emporter en bien sur le mai, et désirer la grâce spirituelle, d'autant plus ardemment que l'objet de nos désirs est plus précieux; mais plaise à Dieu que nous la désirions du moins aussi vivement que les hommes du monde désirent les richesses. N'est-ce pas un grand sujet de confusion peur nous, de voir que les mondains désirent les choses pernicieuses beaucoup plus vivement que nous les choses utiles ? En effet, qui pourra nous faire comprendre à quel point l'avare est tourmenté par le désir de l'argent, l'ambitieux, consumé par celui de la gloire, et les voluptueux, attirés par l'objet de leur passion? Il faut voir pour combien peu de choses ils comptent ce qu'ils ont une fois acquis, et comme ils oublient la peine qu'ils ont prise et l'ardeur qu'ils ont déployée pour arriver enfin à grand'peine au but de leurs désirs. Tout ce qu'ils possèdent n'est plus rien à leurs yeux, en comparaison de choses moindres peut-être , mais qu'ils se prennent à envier encore aux autres.

4. Pour vous donc, mes frères, ne faites pas non plus. un bien grand cas de ce qu'il vous semble que vous possédez, excepté peut-être pour en rendre de temps en temps grâce à Dieu, et pour vous reconnaître débiteurs de tout ce qu'il vous a donné, ou encore pour vous consoler en cas de besoin et vous empêcher de tomber dans un excès de tristesse. Autrement, n'ayez des yeux que pour voir ce que les autres ont de plus que vous; cette pensée vous conservera dans l'humilité, et non-seulement vous tiendra éloignés de la pente de la tiédeur, mais encore allumera au dedans de vous le désir de faire des progrès. Au contraire, voyez quel mal peut résulter pour vous de la complaisance avec laquelle vous contempleriez ce que vous croyez avoir dans lame, en pensant qu'un autre ne l'a point. En effet, vous commencez à vous élever sur les ailes de l'orgueil, dès que vous vous croyez grands. Et vous commencez à baisser, dès l'instant où en vous comparant à un autre, il vous semble que vous êtes plus parfaits que lui; voilà comment on tombe dans la tiédeur, et on commence à se relâcher. Or, nous savons que "Dieu résiste aux superbes, et qu'il donne au contraire sa grâce aux humbles (Jacob. IV, 9), " nous savons aussi " que celui qui s'acquitte avec négligence de l’oeuvre de Dieu est maudit (Jer. XLVIII. 10). " Mais heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car si nous mortifions par l'esprit les oeuvres de la chair, nous vivrons, mais si nous vivons selon le chair, nous mourrons.
 
 
 
 
 
 
 
 

TRENTE-SEPTIÈME SERMON. I. Sur le travail (a) de la moisson, à l'occasion de ces paroles du Psalmiste : " Telle est la race de ceux qui cherchent le Seigneur, de ceux qui cherchent à voir la lace du Dieu de Jacob (Psal. XXIII, 6). "

1. Avec quelle ardeur je viens aujourd'hui me joindre à votre troupe pour reposer mon esprit fatigué de la vue des hommes qui recherchent des choses si diverses à des sources si diverses elles-mêmes! Grâces à Dieu, je ne suis point déçu dans mes désirs et ne suis point frustré dans mes espérances. J'ai voulu voir (b), j'ai vu et mon âme s'est fondue. Je suis rempli de consolations, je surabonde de joie, tout ce qui est en moi bénit le nom du Seigneur, tous mes os s'écrient: " Seigneur, qui est semblable à vous? " Oui, en regardant de loin, à mesure que j'approchais, il m'a semblé que je voyais des yeux du corps ceux que le Prophète ne vit d'avance qu'en esprit; et aussitôt il m'est venu à la pensée ces paroles qui étaient tombées de ses lèvres et que je répétais avec lui : " Voilà la race de ceux qui cherchent le Seigneur (Psal. XXXIII, 6). "

2. II y a plusieurs races d'hommes, et si je ne rue trompe, celle que je vois et qui fleurit en vous est la troisième. La première est celle qui ne cherche pas encore le Seigneur, et que le Seigneur n'a point non plus cherchée; c'est celle des hommes que leur mère a enfantés dans l'oubli de son âme, et dans la souillure de leur iniquité. La seconde, celle qui vient tout de suite après, comme il est juste, nous a montré le remède qui venait en toute hâte vers nous de l'eau et de l'esprit, mais si cette race n'est pas encore la race de ceux qui cherchent le Seigneur, du moins est-elle elle-même recherchée par lui, car il la recherche alors qu'elle ne savait, ni ne pouvait encore le chercher. Il nous a donc cherchés, et il nous a acquis dans la seconde race , pour faire de nous un peuple acquis par lui. S'il arrive que notre aînée murmure et sèche d'envie, on lui répondra : " Il fallait bien faire bonne chère et nous réjouir puisque ton frère que voici, qui était perdu, a été retrouvé ( Luc. XV, 32). "

3. D'ailleurs, si le Seigneur nous a cherchés aussitôt, c'était afin que nous le cherchassions en temps opportun, alors qu'il pouvait enfin être cherché et trouvé. Malheur à nous qui avons si longtemps différé et négligé de rechercher la vie, de rechercher cela seul qui est bon à ceux qui le cherchent, à l'âme qui espère en lui! Malheur à toi, race corrompue et irritante (Psal. LXXVII, 8), race mauvaise et adultère, qui, jusqu'à ce jour, recherches le mensonge, aimes la vanité et ne garde

a Consulter le livre I de la Vie de saint Bernard, n. 34, et le sermon de l'abbé Guerri, pour l'Assomption de la Vierge Marie, n. 1, où il est parlé du travail de la moisson.

b On voit que ce sermon a été prêché par saint Bernard, après un retour de quelque grand voyage, peut-être du voyage de Rome.

point la bonne foi ! A quelle vérité avais-tu donc été fiancée? N'est-il pas nécessaire qu'une pareille race reçoive une nouvelle naissance, soit engendrée de nouveau? Oh oui, très nécessaire même. Devenus une vraie race de vipères, tous ces hommes ont. d'autant plus besoin de rentrer dans le sein de leur mère, et de recevoir une seconde naissance, qu'on ne sait que trop que leur dernier étai est pire que le premier. Grâces à la grâce même, grâces à la miséricorde plus que gratuite, si je puis ainsi parler, qui accable de ses bienfaits, non-seulement ceux qui ne les ont point mérités, mais encore ceux qui les ont démérités et sur les ingrats. Grâces à celui qui vous a régénérés encore cette fois dans l'espérance de la vie, pour que vous reçussiez l'adoption des enfants; car, à vrai dire, c'est volontairement, de votre part, qu'il vous engendre actuellement pour ses enfants, par la parole de la vérité; car auparavant, en vous engendrant par le sacrement de la charité, s'il vous a, quant à lui, engendrés volontairement, ce n'est pas par un effet de votre volonté que vous avez été engendrés, puisque vous étiez incapables de volonté, et que vous ne pouviez faire usage de votre raison : aussi n'avez-vous eu ni conscience de cet engendrement, ni connaissance d'un tel engendreur. Mais à présent votre génération est une génération volontaire qui offre un sacrifice volontaire, selon ce mot du Psalmiste : " Je vous offrirai un sacrifice volontaire, et je louerai votre nom parce qu'il est bon (Psal. LIII, 6). "

4. Voici la race de ceux qui cherchent le Seigneur. " Est-ce de ceux qui cherchent ou de ceux qui ont déjà trouvé le Seigneur que je dois le dire? C'est de ceux qui l'ont déjà et qui le cherchent encore, car s'ils ne l'avaient pas, ils ne sauraient le chercher. Mais qu'ont-ils et que cherchent-ils? Ou plutôt comment l'ont-ils, et comment le cherchent-ils? Engendrés par le Verbe, ils ont le Verbe; or, est-ce que le Verbe n'est pas le Seigneur ? Ecoutez la réponse. de Jean : " Et le Verbe était Dieu (Joan. I, 1). " Qu'est-ce donc que la race de ceux qui cherchant le Seigneur, cherche de plus que ce qu'elle a ? Remarquez ce qui suit dans le psaume : " Voici la race de ceux qui cherchent le Seigneur, de ceux qui cherchent à voir la face du Dieu de Jacob: " ils ont donc celui qu'ils cherchent encore, puisque le Verbe du Père et la splendeur de la gloire du Père, ne font absolument qu'un. Bien plus, peut être est-il possible de l'avoir sans l'avoir cherché, tandis qu'il est de toute impossibilité de le chercher si on ne l'a déjà. D'ailleurs, n'est-ce pas la sagesse même qui dit, en parlant d'elle : " Celui qui me mange aura encore faim ( Eccl. XIV, 29) ? " Il peut assurément se donner à celui qui ne le cherche point, car, ainsi que je l'ai dit plus haut, il cherche lui-même dans le comble de sa grâce et dans les douceurs de sa bénédiction, et il prévient ceux qui ne peuvent point encore le chercher. Mais personne n'est en état de le chercher tant qu'il ne le possède point, attendu, dit-il, que " personne ne vient à moi si mon Père ne l'attire (Joan. VI, 44). " Celui qui attire est donc là présent, et en même temps, dans un certain sens, il n'est pas présent, puisqu'il n'attire point ailleurs qu'à lui-même. En effet, jamais et nulle part le Père n'est présent, par la foi, sans le Fils pour attirer à le voir. Comment donc à présent mon esprit ne tressaillerait-il point d'allégresse; comment ne se laisserait-il point aller sans mesure à la joie dans la race de ceux qui cherchent le Seigneur. C'est la preuve qu'on a goûté à la sagesse, quand on en ressent encore une faim si dévorante. Pour moi, une preuve sûre, un argument indubitable que vous avez celui que vous cherchez et qu'il habite en vous, c'est qu'il vous attire fortement à lui. Car ce n'est pas une course qu'il est donné à l'homme de faire; qui donne la force pour cela ; c'est la droite de celui à qui vous devez toujours crier : " Attirez-nous après vous, nous courrons dans l'odeur de vos parfums (Cant. I, 3). " Non, ce genre de vie ne vient pas de l'homme, et je ne veux pas d'autre preuve que le Christ habite en vous, que celle que vous m'en donnez, en cherchant ainsi le Christ.

5. Vous voyez, en effet, mes frères, quel esprit vous avez reçu ; c'est l'esprit qui vient de Dieu, afin que vous sachiez quels dons vous tenez de lui. Nous avons appris qu'il y a trois degrés : l'apostolique, le prophétique et l'angélique; je ne pense pas que nous puissions rien ambitionner de plus élevé. Or, il me semble reconnaître en vous quelque peu, beaucoup même de chacun de ces degrés. En effet, qui hésiterait à donner le nom de céleste, d'angélique, à votre célibat? Est-ce que vous n'êtes pas déjà, dès maintenant, comme les anges de Dieu, en ne vous mariant point, et tels que tous les élus doivent être après la résurrection. Aimez, mes frères, cette pierre extrêmement précieuse ; embrassez cette vie de pureté qui vous rend semblables aux saints, qui fait de vous les familiers de Dieu, selon ce mot de l'Écriture : " La pureté parfaite approche l'homme de Dieu (Sap. VI, 20). " Ainsi donc ce n'est pas par votre propre mérite, mais par la grâce de Dieu que vous êtes ce que vous êtes; pour ce qui concerne la chasteté et la pureté, vous êtes les anges de la terre ou plutôt les citoyens du ciel, mais encore voyageurs sur la terre, car tant que nous vivons dans ce corps, nous sommes en exil loin du Seigneur.

6. Que dirai-je des prophéties? c La loi et les prophètes ont duré jusqu'à Jean (Luc. XVI, 16), " a dit la Vérité même. Et pourtant celui qui disait après que Jean avait cessé de vivre : " ce que nous avons maintenant de science et de prophéties est très-imparfait ( I Cor. XIII, 9), " n'était pas un ennemi mais un disciple de la vérité. Ainsi les prophéties ont cessé, puisque nous avons maintenant la science, mais elles n'ont cessé qu'en partie, attendu que nous ne connaissons qu'en partie; " mais, lorsque nous serons dans l'état parfait, ce qui est imparfait cessera (Ibid. 10). " Eu effet, les prophètes qui ont précédé saint Jean, annonçaient dans leurs prophéties les deux avènements du Seigneur , et ni l'une ni l'autre partie du salut n'étant connue alors, elles étaient encore toutes deux l'objet des prophéties. Quant à votre genre de prophétie, il me semble bien grand; oui, dis-je, la prophétie que je vous vois faire a quelque chose de vraiment grand. Mais où sont vos prophéties ? N'est-ce pas prophétiser que de ne point considérer, ainsi que l'Apôtre nous y engage, les choses qui se voient, mais celles qui ne se voient point (II Cor. IV, 18) ? Marcher selon l'esprit, vivre de la foi, chercher les choses d'en haut, non point celles de la terre, oublier le passé pour ne plus tendre que vers les choses qui sont placées en avant, n'est-ce point prophétiser en grand ? En effet, comment, sinon par un esprit de prophétie, notre vie peut-elle se passer dans les cieux ? C'était certainement ainsi que jadis les prophètes cessant de vivre , si je puis parler ainsi, avec les hommes de leur temps, franchissaient les siècles par la vertu et une sorte d'élan de l'esprit, désiraient avec une grande ardeur de voir ce jour du Seigneur, le voyaient et étaient transportés d'allégresse.

7. Mais écoutez comment la vie religieuse est aussi une vie apostolique. " Voici que nous avons tout quitté, disent-ils, et vous avons suivi (Matt. XIX, 27). " S'il est permis de se glorifier, nous avons un motif de le faire; mais, si nous sommes sages, nous ferons en sorte de ne nous glorifier qu'en Dieu, car il n'y a de vraie manière de se glorifier que de le faire dans le Seigneur. En effet, ce n'est pas notre main, si élevée qu'elle soit, mais le Seigneur qui a fait toutes ces choses. Oui, celui qui est puissant a fait en nous de grandes choses pour que notre âme eût un juste sujet de glorifier le Seigneur. En effet, c'est par une grande grâce de lui que nous avons si bien suivi le grand parti dont les grands Apôtres se glorifiaient eux-mêmes. Peut-être même si je veux me glorifier en cela, ne serai-je pas un insensé, car je puis bien dire avec vérité qu'il y en a ici qui ont quitté plus qu'une barque a et des filets de pécheurs. Mais qu'est-ce après tout? S'ils ont tout quitté, ce fut pour suivre le Seigneur, présent à leurs yeux dans sa chair. Mais ce n'est pas à nous d'en faire la remarque, laissons la parole au Seigneur lui-même, ce sera plus sûr pour nous. Il dit donc : " Vous avez cru, Thomas, parce que vous avez vu : heureux ceux qui ont cru sans voir (Joan. XX, 29). " Peut-être ce mode de prophétiser semblera-t-il plus excellent, parce que, sans s'arrêter à certaines choses temporelles qui passeront un jour, il ne voit que les spirituelles qui sont éternelles. Bien plus, le trésor de la charité dans un vase de terre est bien plus remarquable et la vertu dans une chair fragile est, à un certain point de vue , bien plus digne de louanges.

8. Quel comble de grâce n'est-ce donc point de trouver dans votre corps la vie des anges, dans votre coeur la vie des prophètes, dans l'un et dans l’autre en même temps, la perfection des apôtres? Que rendrez-vous au Seigneur, pour tous les biens qu'il vous a donnés. Vous êtes

a Il est certain que des hommes qui occupaient les premiers rangs dans la société entraient, à cette époque, dans l'ordre de Cîteaux, et surtout dans le monastère de Clairvaux, ainsi que saint Bernard le reconnaît lui-même dans son premier sermon pour le jour de la Dédicace de l'Église, n. 2. On peut lire le prologue d'Ernald au livre II de la Vie de saint Bernard ainsi que la lettre de Pierre de Roya n. 9, Tome I de cette édition.

élevés bien haut, par conséquent votre chute serait bien plus dangereuse. N'est-ce point au troisième ciel que nous sommes montés? Aussi que celui qui s'y tient prenne bien garde d'en tomber. " Je voyais, dit le Seigneur, Satan tomber du ciel comme la foudre (Luc. X, 18). " C'est de haut qu'il est tombé; il s'est meurtri et brisé, et ses plaies sont incurables; il est devenu un esprit errant, qui ne revient plus à son point de départ. Et vous, voulez-vous aussi vous éloigner ? Satan est tombé, voulez-vous tomber avec lui? Mieux vaut pour vous, vous tenir fermes dans les voies du Seigneur, vous maintenir solidement dans la grâce où vous vous trouvez, car celui qui s'est engagé dans les voies des pécheurs, n'est pas heureux. Bien plus heureux au contraire, Seigneur, est celui qui trouve en vous son secours. Ceux qui en sont là, marcheront de vertu en vertu, pour voir le Dieu de dieux dans Sion, pour le voir dans la bonté de vos, élus, Seigneur, et vous louer avec votre héritage, car ce sont eux qui sont votre héritage, tous sont des dieux et des fils du Très-Haut.

9. Aussi, mes frères, puisqu'il est bien certain et bien vrai que vous êtes la race qui cherche le Seigneur, qui cherche à voir la face du Dieu de Jacob, que vous dirai-je, sinon ce que le même prophète disait jadis : "Que le coeur de ceux qui cherchent le Seigneur se réjouisse. Cherchez donc le Seigneur, et fortifiez-vous de plus en plus dans cette recherche, cherchez sa face sans cesse (Psal. CIV, 3) ? " et ce qu'un autre prophète disait aussi : " Si vous cherchez, cherchez. " Qu'est-ce à dire, " si vous cherchez, cherchez? cherchez-le dans la simplicité de votre coeur (Isa. XXI, 12). " Ne cherchez pas autre chose autant que lui, ni autre chose que lui, ni autre chose après lui. " Cherchez-le dans la simplicité de votre coeur. " Il est simple par sa nature, et il demande un coeur simple, d'ailleurs, c'est avec les simples qu'il converse. " Un homme double est inconstant dans toutes ses voies, (Jacob, I, 6). " Celui que vous cherchez ne peut être trouvé pas ceux qui ne croient que pour un, temps, et qui se retirent quand l’heure de la tentation arrive. Il est l'éternité même, on ne saurait donc la trouver, si on ne la recherche avec persévérance. Il est dit encore : " Malheur au pécheur qui parcourt la terre par deux routes à la fois (Eccli. II, 14); car on ne peut servir deux maîtres en même temps (Luc. XVI, 13). " Aussi ce tout, cette perfection, cette plénitude n'aime-t-elle point une telle duplicité. Il est indigne d'elle de se laisser trouver par ceux qui ne la recherchent point avec un coeur pur. Après tout, si on éprouve du dégoût " pour le chien qui retourne à ce qu'il a vomi, et pour le porc qui se vautre dans sa bauge de boue (II Petr. II, 12), et si Dieu se met aussi à rejeter de sa bouche celui qu'il trouve tiède (Apoc. III, 16), que sera-ce de l'hypocrite et du traître? Si celui qui fait l'oeuvre de Dieu avec négligence est maudit, que sera-ce de celui qui le fait avec fraude. Fuyons cette duplicité, mes très-chers frères, et tenons-nous en garde, par tous les moyens possibles, contre le levain des Pharisiens. Dieu est vérité, et il veut que ceux qui le cherchent le cherchent en esprit et en vérité. Si nous ne voulons point le chercher en vain, cherchons-le avec persévérance. Ne cherchons pas autre chose que lui, ni autre chose avec lui, et ne nous détournons point de lui pour nous porter vers autre chose que lui. Il est plus facile que le ciel et la terre passent que de voir ceux qui le cherchent ainsi, ne le peint trouver, ceux qui le demandent de cette manière, ne point le recevoir, ceux qu frappent de la sorte, ne point se voir ouvrir la porte.
 
 
 
 
 
 

TRENTE-HUITIÈME SERMON (a). II. Sur le travail de la moisson, à l'occasion de ces paroles de l'Apôtre " Tout contribue au bien de ceux qui aiment Dieu (Rom. VIII, 28). "

1. Nous semblons être pauvres, et nous le sommes en effet; mais si nous avons reçu l'esprit qui vient de Dieu qui nous fasse savoir quels dons nous tenons de Dieu, nous avons, reçu de lui une grande gloire, il nous a conféré une grande puissance. Il est dit : " il a donné à tous ceux qui l'ont reçu le pouvoir d'être enfants de Dieu (Joan. I, 12). " Est-ce que nous n'avons pas reçu cette puissance, quand l'univers entier est à notre service ? l'Apôtre savait bien qu'il en était ainsi quand il s'écriait : " Tout contribue au bien de ceux qui aiment Dieu (Rom. VIII, 28). " Mais peut-être quelqu'un d'entre vous rue dira-t-il : Que m'importe à moi? Peut-être se dira-t-il dans la faiblesse de son coeur Que ceux en qui vit un grand amour pour lui, et qui se trouvent de grands sentiments de charité , se flattent d'avoir reçu le pouvoir des enfants de Dieu ; que ceux qui l'aiment en vérité, présument que tout contribue pour eux au bien ; mais moi je suis pauvre et dans le dénuement, je ne ressens aucun des sentiments d'un fils, je suis privé de la dévotion qu'il faudrait avoir pour cela. Eh bien, remarquez la suite, celui qui a dit quelque part : " afin que nous conservions une espérance ferme par la patience et par la consolation que les Écritures nous donnent (Rom. XV, 4), " n'a pas voulu nous laisser, dans la sainte Écriture, un motif de désespoir. Ce sentiment que vous cherchez, c'est la paix, non point la patience, il ne se trouve que dans la patrie, non pas dans la voie qui y mène, et ceux qui y sont arrivés n'ont plus besoin que l'Écriture les console.

2. Que la patience et les consolations que nous puisons dans les Écritures nous donnent donc bonne espérance, quand bien même nous ne pourrions pas encore obtenir la paix. Voilà pourquoi, en effet, après avoir dit que tout contribue au bien de ceux qui aiment Dieu, l'Apôtre ajoute avec sagacité : " De ceux qu'il a appelés, selon son décret, pour être saints (Rom. VIII, 28). " Que le mot de saint ne vous effraie point, puisqu'il ne s'agit pas de saints qui soient saints par leurs mérites, mais de saints qui ne sont saints que selon son décret.

a Dans les Fleurs de saint Bernard, ce sermon est intitulé le premier des sermons de consolation aux frères; le sermon suivant est porté comme le second.

L'Apôtre ne les appelle pas saints à cause de leurs sentiments, mais à cause de leur intention, dans le même sens que le Psalmiste disait : " Gardez mon âme, parce que je suis saint (Psal. LXXXV, 2). " Quant à la sainteté dont vous voulez parler, Paul lui-même, tant qu'il se sentait chargé du poids de sa chair corruptible, ne pensait pas qu'il l'eût acquise. Il dit, en effet " : Tout ce que je fais maintenant, c'est que, oubliant ce qui est derrière moi, et m'avançant vers ce qui est devant moi, je cours incessamment vers le prix de ma vocation céleste (Phillip. III, 13). " Ainsi, vous le voyez, il n'avait pas encore obtenu la palme, mais il n'en avait pas moins déjà la sainteté du projet, et le projet de la sainteté. Et vous, par conséquent, si vous êtes dans la résolution de vous éloigner du mal et de faire le bien; de persévérer dans la voie où vous êtes entrés, et faire des progrès toujours en mieux, et dans le cas où il vous arriverait d'agir moins bien que vous ne vous l'étiez proposé, comme il n'arrive que trop souvent à la fragilité humaine, de ne point persévérer dans le mal, mais de vous repentir et de vous en corriger, autant que vous le pouvez, vous serez saints aussi, n'en doutez pas, mais en attendant vous devrez encore vous écrier aussi : "Gardez mon âme, Seigneur, parce que je suis saint. "

3. Voulez-vous savoir comment tout contribue au bien pour ces saints-là? Je ne veux point passer tout en revue, parce que l'heure ne me permet pas de vous faire un long sermon. Il nous faut partir, je viens d'entendre la cloche qui nous appelle, l'heure des vêpres est arrivée. Écoutez donc, en quelques mots seulement, comment tout contribue au bien pour nous, comment tout nous sert. Que nos ennemis en jugent, et s'ils sont eux-mêmes pour nous, qui sera contre nous ? Oui, si nos ennemis travaillent pour nous, comment tout le reste ne contribuerait-il pas à notre bien avec eux?

4. Or, nous avons, comme on le voit clairement, deux sortes d'ennemis qui s'élèvent contre nous, je veux parler du mal que nous faisons, et du mal que nous souffrons, ou, en termes plus clairs encore, ce sont nos fautes et les châtiments de nos fautes. Aussi, bien que les unes et les autres soient contre nous, ils seront pour nous si nous le voulons : c'est-à-dire ceux-ci nous délivreront de celles-là, et ne nous aideront pas peu contre elles. En effet, nous sommes touchés de componction dans nos coeurs, et dans le lit de nos consciences, à cause de nos fautes passées, la pénitence et le châtiment volontaire que nous souffrons, nous rend l'espoir du pardon, brise les dents de nos péchés qui nous rongent, et répand de l'huiles ur les plaies de notre conscience, non-seulement elle efface les péchés passés, mais elle les repousse même pour l'avenir. En effet, elle écarte les vices qui nous tentent, et même, elle en écarte si bien quelques-uns qu'il est bien rare qu'ils osent relever leur tête empoisonnée, si tant est qu'ils l'osent jamais. Vois comment la peine même du péché travaille pour nous contre le péché, et fait ou qu'il n'existe plus, ou du moins qu'il soit moindre. La faute, de son côté, agit aussi de manière à rendre la peine ou mille, ou plus petite; non pas de manière à la faire disparaître complètement, c'est-à-dire à en amoindrir la quantité, ce qui ne serait pas du tout expédient, mais elle fait en sorte ou qu'elle ne soit plus une peine, ou qu'elle soit moindre, je veux dire ou qu'elle ne soit plus, ou du moins qu'elle soit moins lourde. En effet, quiconque sent parfaitement le poids du péché, et la blessure qu'il fait à l'âme, sent peu les blessures du corps, ou même ne les sent plus du tout. Il ne regardera même plus comme une peine ce qu'il saura le purifier de ses péchés passés, et le prémunir contre le péché dans l'avenir. C'est ainsi que David, ce saint roi, ne comptait pour rien les injures dont un de ses serviteurs le couvrait, en songeant que son fils même le poursuivait (II Reg. XVI, 11).
 
 
 
 
 
 
 
 

TRENTE-NEUVIÈME SERMON. III. Sur le travail de la moisson : sur les deux tables, ou sur les deux ruisseaux, le supérieur et l'inférieur.

1. Mes frères, le travail que nous faisons nous rappelle notre exil, notre pauvreté et notre iniquité. Pourquoi sommes-nous, tant que dure le jour, aux prises avec la mort, dans des jeûnes réitérés, dans des veilles fréquentes, dans les fatigues, et dans toutes sortes de peines ? Est-ce pour cela que nous avons été créés? Non certes, car si l'homme est né pour le travail, ce n'est pas pour le travail qu'il a été créé. Sa naissance est dans le péché, voilà pourquoi elle est aussi dans le châtiment. Il nous faut tous gémir avec le Prophète, et dire : "J'ai été conçu dans l'iniquité, et c'est dans le péché que ma mère m'a conçu (Psal. L, 7). " Notre création était étrangère à l'une et à l'autre, car Dieu n'a pas plus fait la peine qu'il n'a fait. la faute, nous en avons d'ailleurs pour garant le témoignage même des Écritures, qui nous disent, en parlant de la mort, la plus grande de toutes les peines : " C'est par la jalousie du diable que la mort est entrée dans le monde (Sap. II, 24) ; " et ailleurs : " Ce n'est pas Dieu qui a fait la mort (Ibid. I, 13). " Aussi, de même que, pendant que les mains travaillent, 1'œil ne se ferme pas, et l'oreille ne cesse point d'entendre, ainsi, et même à plus forte raison, pendant que notre corps travaille, notre âme doit-elle être tout entière à son couvre, et ne point se laisser aller au repos. Qu'elle se représente la cause de son travail, pendant qu'elle l'accomplit, afin que la peine qu'elle endure lui rappelle la faute pour laquelle elle l'endure, et qu'en voyant les bandages de ses blessures, elle songe aux blessures mêmes qui se cachent dessous. C'est, en effet, par ces pensées que nous nous humilions sous la main puissante de Dieu, et que notre âme, pleine d'une douce piété, se montre misérable à ses yeux. Voilà pourquoi l'Écriture nous dit : "Ayez pitié de votre âme, et vous plairez à Dieu (Eccli. XXX, 24). " Or, il n'y a pas de doute que la misère qui réussit à plaire à Dieu, ne puisse facilement obtenir sa miséricorde. Et ne disons point: Pour quel motif aurions-nous pitié de nos âmes? car si nous ne fermons pas sottement les yeux, nous pourrons aisément trouver en elle bien des choses dignes de pitié.

2. Je ne vous dis qu'une chose, afin de paraître vous avoir donné l'occasion de penser et de remarquer le reste de la même manière. Ne vous semble-t-il pas que nous nous trouvons placés, spectateurs faméliques, entre deux tables, entourées de convives qui mangent quand nous sommes à jeun ? Oui, il en est ainsi, voilà dans quelle position nous sommes. Or, en cet état d'où viennent ces rires, cette légèreté, cet orgueil, et ces regards arrogants ? Est-ce que par hasard nous ne reconnaissons point ces tables, est-ce que nous ne voyons point ces repas et ces délices? De ce côté, il me semble voir ceux qui vivent au milieu des délices et des biens de ce monde sensible, et de l'autre apercevoir ceux à qui le Christ a disposé un royaume pour qu'ils boivent et mangent à sa table dans le royaume de son père. Des deux côtés je vois des hommes semblables à moi et qui sont mes frères; et, malheureux homme que je suis, il ne m'est pas permis d'étendre la main vers l'une ni vers l'autre table. Je me sens éloigné de ces deux tables, de l'une par le lien de ma profession, et de l'autre par celui de mon corps, je n'ose aller m'asseoir à la petite table, et ne puis aller à la grande. Que me reste-t-il à faire dans cette conjoncture, sinon à manger le pain de la douleur, à faire, jour et nuit, mon pain de mes larmes; peut-être un des convives célestes, touché de compassion, jettera-t-il quelques reliefs de ces délices à ce petit chien qui aboie sous la table. Car cette considération inférieure par laquelle nous compatissons à nos maux, est le propre d'une âme faible encore aux yeux de ceux que nous voyons vivre au sein des délices dans ce siècle, mais ce sentiment ne me plaît pas beaucoup dans une âme spirituelle. En effet, on est bien loin du jugement de la vérité, quand on estime heureux ceux qu'on devrait pleurer comme très-malheureux, qui pèchent et ne font point pénitence : on s'en éloigne encore lorsqu'on se croit soi-même malheureux, non pas par l'effet d'un jugement sain, mais d'un sentiment de l'âme, parce qu'on ne ressemble pas à ceux qui devraient bien plutôt désirer tous d'être semblables à nous.

3. Il y a pourtant quelque chose qui peut être loué dans cette pensée-là, c'est de supporter avec patience, soit par amour, soit par crainte de Dieu, ce qu'on regarde comme la misère même, et de dire avec un certain amour à Dieu : " J’ai eu soin de garder des voies dures à cause des paroles de vos lèvres (Psal. XVI, 4). " Or, cette pensée est la pensée des commençants, c'est comme le lait pour les petits enfants; mais quand l'âme a fait quelques progrès et commence à suivre avec amour le jugement de la raison, il est hors de doute qu'elle estimera tout le reste comme une peste et comme du fumier, et qu'elle pleurera avec le Prophète sur ceux qui ont embrassé des ordures. (Thren. IV, 5). Pour elle, au contraire, avec un saint et humble orgueil, elle méprisera tout cela, et, placée dans une grande élévation d'esprit, elle n'appellera plus bienheureux ceux qui possèdent tous ces biens, elle les appellera très-malheureux, et elle ne verra d'heureux que ceux dont le Seigneur est le Dieu. Mais en même temps, qu'en se comparant aux premiers, elle se sent touchée de pitié pour leur sort, elle en trouvera d'autres à qui elle ne pourra se comparer sans avoir à son tour pitié d'elle-même, en voyant leurs célestes richesses et leurs jouissances dans la main du Seigneur jusqu'à la fin des siècles. Voilà comment il se fait que ceux qui, après avoir versé d'abondantes larmes du canal intérieur, gémissaient en disant : " Nous mourons tous les jours à cause de vous (Rom. VIII, 36); " et en ont répandu de plus abondantes encore du canal supérieur en s'écriant: "Que je suis malheureux, mon exil se trouve prolongé! (Psal. CXIX, 5) ! "
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

QUARANTIÈME SERMON (a). Les sept degrés de la confession.

1. " Vous m'avez fait connaître les voies de la vie, vous me comblerez de joie par la vue de votre visage, et je goûterai éternellement les délices de votre droite (Psal. XV, 10). " Nous nous présentons volontiers à vous, Seigneur Jésus, vous êtes notre maître et nous sommes vos disciples ; vous êtes le médecin et nous sommes infirmes ; vous êtes le Seigneur et nous sommes vos serviteurs. Oui, vous êtes maître et Seigneur, et si votre école est sur la terre, votre chaire est dans les cieux. Vous êtes ce médecin célèbre qui d'un mot guérit toutes les maladies. Seigneur, montrez-nous vos voies et enseignez-nous vos sentiers (Psal. XXIV, 4) ; " car vos voies sont belles, et vos sentiers sont pacifiques (Prov. III, 17). " Heureux ceux qui marchent dans vos voies, Seigneur des vertus : plus heureux ceux qui courent dans les sentiers de vos commandements, dans l'odeur de vos parfums. Vous vous élancez, en effet, comme un géant, pour parcourir sa carrière, et non-seulement vous courez, mais vous bondissez dans les montagnes, vous franchissez les collines (Psal. XVIII, 6). Les géants qu'on nomme philosophes se sont élancés aussi, mais ce ne fut pas pour parcourir la carrière, ce fut pour chercher une vaine gloire; ils se perdaient, dans le vague de leurs pensées, dans une humilité et dans des vertus à eux, non à voles, car ils ne connaissaient point les voies de la sagesse, et n'avaient aucun souvenir de ses sentiers (Baruc. III, 14). Elle n'a point été entendue dans Chaman, ni vue dans Theman (Job. XXl, 14). Maudits ceux

a Ce sermon et le suivant se trouvent placés parmi les sermons apocryphes de saint Bernard dans l'édition de Lyon de 1514; ils ne rappellent pas en effet son style. Toutefois, il ne nous a pas paru d'une grande importance de le replacer parmi les apocryphes, d'abord parce que le manuscrit du Vatican portant le numéro 663, le place parmi les sermons divers de notre Saint, et puis, parce qu'ils se terminent l'un et l'autre par la formule familière de saint Bernard, et enfin parce que le second reproduit, numéro 12, la doctrine de notre Saint sur l'état des âmes justes après la mort. Cette remarque s'applique aussi au sermon qui vient après les deux dont nous venons de parler et qui est aussi attribué à saint Bernard dans le manuscrit du Vatican cité plus haut.

qui ont dit au Seigneur Jésus : Èloignez-vous de nous, nous ne voulons point connaître vos voies. Pour nous, Seigneur, c'est vous que nous cherchons tous les jours et nous voulons connaître vos voies.

2. Vos principales voies sont au nombre de deux, ce sont la confession et l'obéissance; dans la confession tout est lavé, dans l'obéissance les vertus se fortifient. C'est un bel ornement pour l'âme que la confession qui purifie le pécheur, et rend le juste plus pur qu'il n'était : S'il y a des péchés, ils se trouvent lavés dans la confession, s'il y a du bien c'est encore dans la confession qu'il grandit. Quand vous confessez vos péchés, vous offrez à Dieu le sacrifice d'un coeur contrit; et lorsque vous confessez les bienfaits de Dieu, vous lui offrez un sacrifice de louange. Supprimez la confession, le juste est trouvé ingrat, et le pécheur est réputé mort, par conséquent la confession est la vie du pécheur et la gloire du juste. Je vois David s'écrier : " J'ai péché, " et il s'entend dire aussitôt : " Le Seigneur vous a déchargé de votre péché, et vous ne mourrez point. (II Reg. XII, 13). " Je considère Marie confessant ses péchés, sinon de bouche du moins par ses rouvres, et j'entends le Seigneur répondre pour elle et dire : " Il lui a été beaucoup pardonné parce qu'elle a beaucoup aimé (Luc. VII, 47). " Je jette les yeux sur le prince des apôtres qui nie dans un moment de crainte, qui pleure ensuite . avec amertume, et je vois le Christ qui le reçoit en grâce (Luc. XXII, 62). J'aperçois le bon larron qui s'accuse, le Christ l'excuse, et le Seigneur lui fait cette promesse : " Aujourd'hui vous serez avec moi dans le paradis (Luc. XXIII, 43). " O combien est sublime cette confession par laquelle un larron, condamné à mort et déjà attaché au gibet, passe de sa croix dans un royaume, de la terre au ciel, du bois de son supplice dans le paradis ! Comme elle est glorieuse cette confession qui purifie de son triple et criminel reniement l'apôtre saint Pierre, et l'empêche de tomber du haut de son apostolat. Quelle belle institution que celle qui fit beaucoup pardonner à Marie, parce qu'elle a beaucoup aimé, et, à cause de son grand amour, l'a associée au collège des disciples du Christ ? Quelle belle miséricorde que celle qui a purifié des nombreuses souillures de ses crimes le Roi-Prophète et l'a replacé dans la gloire de son rang! Voilà bien la voie qui n'a jamais trompé son voyageur, et qui ne l'a jamais perdu que quand il l'a perdue elle-même.

3. La confession a plusieurs voies , ses sentiers sont nombreux à trouver, malaisés à suivre et difficiles à énumérer. Le premier pas, le premier degré dans cette voie, c'est la connaissance de soi. C'est du ciel que nous vient ce conseil : connais-toi toi-même, ô homme. N'avez-vous pas remarqué, en effet, que c'est le langage que l'Époux tient à l'Épouse dans le Cantique des cantiques, lorsqu'il lui dit : " Si vous ne vous connaissez pas, ô ma belle entre toutes les femmes, sortez et allez-vous en, etc. (Cant. I, 7). " Or, la connaissance de soi consiste en trois choses, d'abord à savoir ce qu'on a fait, puis ce qu'on a mérité, et enfin ce qu'on a perdu. Qu'y a-t-il de plus vil, ô noble créature, image de Dieu et ressemblance du créateur, que de déshonorer ta chair par les plaisirs charnels, et de perdre un torrent de voluptés pour un plaisir d'un moment? Quelle fureur comparable à celle qui laisse l'esprit céder à la colère, s'élever au souffle de l'orgueil, se tourmenter par l'envie, et se ronger par les soucis? ô toi qui as été nourrie dans la pourpre comment se fait-il que tu embrasses du fumier? Rappelle-toi aussi ce que tu as mérité, remets-toi en mémoire la chaudière des enfers, la fournaise de fer de la grande Babylone, la maison de la mort, le séjour des anxiétés, le globe des flammes, le piquant du froid, et les ténèbres éternelles. Considère l'ordre des tourments, la face de ceux qui les font endurer, le changement par lequel ils se succèdent et l'infinité des misères ; parcours, des yeux de l'esprit, toutes ces choses, et tu pourras t'écrier : mieux aurait valu que je ne fusse pas né. Ramène ensuite tes regards de ce côté, et vois tout ce que tu as perdu. Quelle glorieuse cité et quel céleste séjour; c'est le lieu même de la vie, le palais de la douceur, la splendeur de la gloire, la grandeur de la grâce, la clarté infinie. Remarque ensuite l'ordre des bonheurs que tu as perdus aussi, la vue de ces visages joyeux, ces successions de ré compenses, cette multitude de délices, et tu pourras t'écrier: Seigneur Dieu, celui qui vous a perdu a tout perdu. Si tu lies ton âme avec ce triple lien, tu comprendras et tu verras que le commencement du salut est de connaître nos péchés (Sens. Epis. XXVIII).

4. Le second degré de la confession est la pénitence, or, le premier et le second degré sont tellement liés l'un à l'autre qu'on ne saurait se connaître sans se repentir en même temps, et qu'on. ne peut se repentir si on ne se connaît. Que l'âme blessée du trait de la componction se repente donc d'un triple repentir, car elle a perdu son innocence; après l'avoir perdue, elle ne l'a point recherchée et enfin elle a négligé la patience de Dieu. Je sais bien, Seigneur Jésus, que vous nous avez rendu dans le Baptême notre première robe d'innocence : mais à peine revêtus de la robe blanche et replacés sur le trône de la justice, nous nous sommes écartés de la voie que vous nous avez montrée, et nous sommes allés avec l'enfant prodigue dans des contrées lointaines, dépenser la part d'héritage qui nous était échue. Les plus vils esprits sont venus à nous, c'étaient les rois des flammes éternelles : ces êtres immondes, damnés et courbés vers la terre vinrent trouver nos âmes pures alors, dans la voie du salut, et qui se tenaient droites, et leur ont dit: " courbez-vous que nous passions (Isa. LI, 23). " A leur voix nous nous sommes courbés, ils ont passé sur nous et nous avons perdu notre innocence. Mais si ce fut une faute de la perdre, quelle faute n'est-ce point de ne l'avoir point recherchée après l'avoir perdue ? A-t-on perdu quelque chose des biens d'ici-bas ; on va trouver les juges, on appelle ses amis, on fait toute une affaire, on ne néglige aucun moyen qu'on n'ait retrouvé ce qu'on a perdu, ou qu'on se soit fait rendre ce qui nous a été pria et qu'on ne le serre avec soin après l'avoir recouvré. Or, nous avons perdu astre héritage, un héritage incorruptible, inaltérable; tout pur et céleste, par les ruses de cet homicide insatiable, et nous ne le recherchons point! Il nous a courbés et nous ne nous redressons point! Levons-nous, retournons vers notre Père et disons-lui : " Mon Père, nous avons péché contre le ciel et contre vous (Luc. XV, 21). " Parcourons le texte des Évangiles et offrons au Père la pénitence de l'esprit et la contrition du coeur, et peut-être en nous apercevant encore dans le lointain, ce bon Père, touché de compassion pour nous, accourra-t-il au devant de nous, et, se jetant à notre cou, nous couvrira-t-il des baisers de sa bouche. Peut-être nous fera-t-il rendre notre première robe d'innocence, redonner les vêtements de la vertu, remettre au doigt l'anneau de ses secrets, peut-être fera-t-il chausser nos pieds pour la préparation de l'Évangile de la paix. Il se peut qu'il ordonne d'amener le veau gras, et de le tuer pour la joie de notre retour vers lui, de faire bonne chère, et de nous livrer à l'allégresse et de nous reconduire au son des instruments de musique dans les joies de la cité céleste, où les anges de Dieu se réjouissent de la conversion d'un pécheur (Ibidem. 10). Nous savons bien, Seigneur, que voles ne priverez pas de vos biens ceux qui marchent dans l'innocence (Psal. LXXXIII, 13), mais vous ne les refuserez pas non plus à ceux qui feront pénitence. En effet il n'y en a qu'un qui n'a pas commis le péché, mais heureux celui à qui le Seigneur n'a point imputé son péché (Psal. XXXI, 2), car tout péché que Dieu a résolu de ne point m'imputer est pour moi comme s'il n'existait pas. Rappelez vous encore avec quel orgueil vous avez usé, disons mieux, vous avez abusé de la patience de Dieu. Il vous voyait pécher et il dissimulait, et faisait comme s'il ne vous voyait pas : il vous appelait et vous ne l'écoutiez pas; il menaçait et vous ne le craigniez pas; il faisait des promesses et vous n'en teniez pas compte; vous demeuriez aussi insensible aux promesses qu'aux menaces. Ne savez-vous point que c'est la patience de Dieu qui vous a amenés à la pénitence Rom. II, 4) ? Ah craignez, craignez beaucoup, n'amassez point sur votre tête des trésors de colère pour le jour de la vengeance et des révélations du juste jugement de Dieu, rappelez-vous qu'il est horrible de tomber aux mains du Dieu vivant (Hebr. X, 31). Appliquez donc ce triple appareil de la pénitence sur les blessures de votre âme et dites . "Ayez pitié de moi, Seigneur, parce que je suis faible, guérissez-moi, etc. (Psal. VI, 3). "

5. Le troisième degré est la douleur qui, elle même, compte trois liens différents. En effet, c'est bien après la connaissance de ce que je suis, après la pénitence, que ma douleur s'est trouvée renouvelée, et c'est dans ces pensées qu'un feu dévorant s'est allumé en moi, en voyant que j'ai offensé mon créateur, que je n'ai pas craint le Seigneur, que j'ai méprisé mon bienfaiteur. " Est-ce que vous n'êtes pas dans ma main, dit le Seigneur, comme l'argile dans celle du potier (Jerem. XVIII, 6)? " S'il a fait de vous un vase d'honneur, comment avez-vous osé vous changer en vase d'ignominie ? " Est-ce que le vase, d'argile dit au potier, pourquoi m'avez-vous fait ce que je suis (Rom. IX, 20) ? " Et vous, simple créature, simple vase de terre, vous qui êtes l'œuvre, vous avez osé provoquer votre créateur, l'ouvrier qui vous a fait, la main qui vous a créé? Souviens-toi donc, vil tesson, que si tu viens à tomber sur cette pierre, tu te rompras, et que si elle tombe sur toi, elle te brisera d'une manière terrible, et ne laissera pas le moindre vestige de toi? Et toi tu as mêlé le sang au sang, tu as offensé le Créateur, tu n'as pas craint le Seigneur. Tu étais le serviteur d'un Maître, à la volonté duquel nul n'ose résister, et tu t'étais soumis à ses ordres. Or, tu n'as pas voulu t'instruire pour faire le bien, mais, te révoltant contre l'empire du Seigneur, tu as résolu de vivre à ta guise, dans les bornes de sa république. N'as-tu donc pas entendu parler de la sentence qui a frappé le mauvais serviteur (Luc. XII, 47)? Comme il connaît la volonté de son maître et ne la fait point, il doit être accablé de coups. Les anges se tiennent debout devant lui, pour recueillir les paroles de sa bouche (Psal. II, 20); les étoiles répondent à son appel, et s'écrient : Nous voici (Baruch. III, 35). Les vents et la mer lui obéissent (Matt. IX, 27), tout, en un mot, est fermement retenu par une loi antérieure, et toi seul tu demeures étranger à la loi, et ne tiens aucun compte de la majesté divine, qui commande. Sache donc qu'il peut te précipiter dans les ténèbres extérieures, où la vue d'un malheur sans fin, fait redoubler les larmes et les grincements do dents. Mais, si la pensée d'avoir offensé ton créateur et celle du respect que réclame sa puissance, ne te touchent point, sois du moins sensible à ton ingratitude quand tu méprises un tel bienfaiteur, au milieu de si grands bienfaits. Où. pourras-tu trouver un bienfaiteur comme celui-là, qui a fait pour toi le cours des astres, la température du ciel, la fécondité de la terre, et l'abondance de ses fruits ? Et, pour tout dire en un mot, qui a mis le comble à tous ses bienfaits " en n'épargnant pas même son propre Fils qu'il a livré pour toi (Rom. VIII, 32) ? " car il a livré son Fils unique pour ses enfants d'adoption, le Seigneur pour des serviteurs, le Juste par excellence pour des pécheurs. Qu'aurait-il pu faire de plus qu'il ne l'ait fait ? Ah ! si tu ressens de la douleur en faisant ces réflexions, tu pourras t'écrier avec le Prophète : "Le ventre me fait mal, le ventre me fait mal, et tout mon coeur est troublé (Jerem. IV, 19). "

6. Le quatrième degré est la confession de la bouche. Après la connaissance de soi-même, après la contrition du coeur, et le brisement de l'âme, vient la confession de la bouche. Dans tout cela, " on croit de coeur pour la justice, et on confesse de bouche pour le salut (Rom, X, 10). " Or, elle doit avoir trois qualités pour conduire au salut. Il faut qu'elle soit vraie, simple et propre. Ce que le Très-Haut recherche, c'est la vérité, aussi comment pourrait-il vouloir être trompé, quand il ne veut point tromper lui-même? Nous en connaissons plusieurs par notre propre expérience, qui, étant allés au confessionnal, en sont revenus la conscience plutôt chargée que délivrée de leurs péchés. En effet, si ce sont des clercs, ils confessent ce qui leur est arrivé dans les luttes littéraires, et si ce sont des gens de guerre, ils s'accusent de ce qui leur est arrivé dans les luttes militaires, de telle sorte qu'ils cachent l'orgueil sous le manteau de l'humilité, et se condamnent ainsi eux-mêmes en se plaçant sous l'étendard sous lequel devrait s'abriter toute l'économie du salut des hommes. Il y en a d'autres que la crainte porte seule à se confesser, et d'autres que l'hypocrisie seule engage à le faire, car ils ne vont à confesse que pour qu'on voie qu'ils le font. Pensez-vous que c'est là une vraie confession, quand elle n'est inspirée que par un esprit de crainte ou de feinte, quand le Saint-Esprit a horreur de l'une, et que le Tout-Puissant n'estime que la pénitence gratuite ? Il n'y a de vraie confession que celle qui procède d'un coeur contrit, que celle que ni la crainte, ni la feinte n'ont point inspirée, et qui ne parle que dans un sentiment de componction, où le coeur avoue ce qu'il sent. Il faut encore qu'elle soit simple et dépouillée de tout voile qui la déguise. A quoi bon, en effet, ne déclarer qu'une partie de nos péchés, et en céler le reste? Ne se purifier qu'en partie, pour demeurer en partie aussi dans son impureté ? Est-ce que le même vase peut verser en même temps le doux et l'amer, ce qui flatte le goût et ce qui n'a point de goût ? Tout est à nu et à découvert sous les yeux de Dieu (Hebr. IV, 13), et vous, vous allez cacher quelque chose aux yeux de celui qui tient la place de Dieu dans un si grand sacrement? Dévoilez donc, et mettez à nu tout ce qui ronge votre coeur ; découvrez votre blessure, si vous voulez sentir l'effet du remède. C'est dans la simplicité; non pas dans la duplicité de votre coeur que vous devez chercher le Seigneur (Sap. 1, 1) , car il est dit . malheur à ceux qui parlent avec un coeur et pensent avec un autre coeur, et qui s'engagent dans un pays par deux voies différentes (Eccli. XII, 14). La confession doit être propre. Il y en a qui comptent les fautes d'autrui avec une grande gravité, et déplorent de mille manières différentes les oublis de leurs compagnons; il en est qui ignorent leurs propres fautes, mais qui ne laissent personne ignorer celles de leur prochain; les infortunés, les malheureux! Il leur est donné de pleurer les fautes d'autrui, et de laisser les leurs dans l'oubli! N'avez-vous point vu que a le juste s'accuse lui-même le premier, dès qu'il ouvre la bouche pour parler (Prov. XVIII, 17) ? " Ainsi c'est lui, non point les autres qu'il accuse, dit la Sainte-Ecriture. Auriez-vous oublié ces paroles de l'apôtre Jacques : " Confessez vos péchés les uns aux autres (Jacob. V, 16) ? Les vôtres, " dit-il, non point ceux d'autrui. " Je connais mon iniquité, et mon péché est constamment sous mes yeux (Psal. 4, 5), mon iniquité, " non point celle du prochain.

7. Le cinquième degré est la macération de la chair or, elle se fait aussi de trois manières, c'est le nombre sacré. En effet, il faut qu'elle soit secrète, permise et discrète. Soumettez au brisement d'un long martyre vos membres jeunes encore et nourris dans les délices les plus délicates, et sachez vous abstenir des choses permises autant que vous vous vous rappelez avoir fait les choses défendues. Mais il faut le faire secrètement, et que votre main gauche ignore ce que fait votre droite; en effet, ce n'est pas à la langue des hommes qu'il faut confier la garde d'un si grand bien, mais il faut le cacher au fond de votre coeur, en sorte que vous n'ayez d'autre gloire que le témoignage de votre bonne conscience (II Cor. I, 16). Je ne vous dis point cela pour empêcher votre lumière de briller aux yeux des hommes, et de leur inspirer la pensée de glorifier votre Père qui est dans les cieux, mais pour que vous n'enfouissiez point vos bonnes intentions dans le charme si fugitif d'une vile gloire, car je ne sais rien de plus malheureux que de macérer ici-bas son corps par les jeûnes, et de l'affliger par les veilles, pour en recevoir en ce monde une gloire à laquelle succède l'enfer dans l'autre. Il faut que nos macérations soient permises; car tout ce qui se fait de l'assentiment du Pasteur (Régul. S. Bénid. c. XLVIII), est plus agréable à Dieu, le Très-Haut reçoit plus favorablement l'hostie qui lui est ouverte, non point par notre propre volonté, mais par obéissance à celui qui nous commande. Il est très-bon, pour repousser l'orgueil, de mettre notre volonté propre de côté. Or, celui qui aime la vanité du monde ne saurait l'extirper entièrement. Quant à la discrétion , elle consiste particulièrement en ceci: à ne point s'exposer a perdre le salut en voulant nous flageller au delà de ce qui convient,, et à tuer le citoyen du ciel, en voulant en mâter l'ennemi. Il faut considérer votre corps et ce qu'il peut; faire attention à votre complexion, et mettre des bornes à ce qui pourrait la détruire. Conservez votre corps en état d'obéir au Créateur. Nous en avons vu beaucoup qui, pour avoir dans le commencement durement traité leur corps, au point de dépasser les bornes de la raison, afin de se rendre insensibles aux charmes de la flatterie n'en goûtaient que plus ardemment, et plus longtemps ensuite les douceurs de la vie.

8. Le sixième degré est la correction des oeuvres, elle est aussi de trois sortes, d'abord ne point se faire de mal à soi-même, en second lieu, n'en point faire aux autres, et enfin ne pas consentir au mal qui se fait. Vous avez éprouvé combien fragile est l'édifice de la volupté, et vous y, courez encore? Vous avez remarqué que le plaisir passe, et que le péché demeure, retirez le pied des sentiers indignes et immondes dg la débauche : pliez votre cou an joug des commandements du très-Haut, pour que l'iniquité ne se, trouve point dans vos mains. Retranchez à la gourmandise ses grands festins, et à la langue ses vains entretiens. " Détournez vos yeux pour qu'ils ne voient pas la vanité (Psal. CXVIII, 39,}, bouchez-vous les oreilles pour ne point entendra des paroles de sang (Isa. XXXIII, 15); " et alors vous pourrez dire . " Le Seigneur m'a châtié pour me corriger (Psal. CXVII,18). " Mais à quoi bon maintenir la course de vos oeuvres dans le droit sentier, si vous songez à nuire aux autres. Il n'y a que celui qui n'a point fait de mal à son prochain, et n'a point écouté des calomnies contre ses frères, qui ira se reposer sur la sainte montagne de Dieu. (Psal. XIV, 4), et qui recevra du Seigneur bénédiction, et obtiendra miséricorde de Dieu son sauveur (Psal. XXIII, 5). Ne vous croyez point innocent, tant que vous n’aurez point repris de toutes vos forces les impies et ceux qui marchent contre la vertu, et que vous ne vous serez point opposé comme un mur pour la maison d'Israël, vous châtiant vous-même, ne faisant point de mal aux autres, et ne consentant point à celui qu'on lui fait. En effet, c'est une vérité incontestable que ceux qui négligent d'empêcher le mal , quand ils pourraient le faire , se rendent complices de ce mal (a). En effet, quand la cause de Dieu est en question, et que la fausseté est préférée à la vérité, quiconque ne résiste pas en proportion du rang qu'il occupe, sera condamné pour son silence.

9. Le septième degré est la persévérance que distingue aussi le nombre sacré de trois. Trois choses font la persévérance, l'imitation des saints, la brièveté du temps et la fragilité du corps. En effet, que ne serez-vous pas capable de souffrir, quand vous verrez que des jeunes gens, des enfants, même de jeunes filles, de vieilles femmes, des vieillards, des hommes décrépits, ont non-seulement accepté, mais recherché divers tourments pour Jésus-Christ? Considérez l'âge tendre de l'enfance, le feu de la jeunesse, la délicatesse des jeunes filles, la fragilité des vieilles femmes, la faiblesse des vieillards, et l'impuissance de la décrépitude, et de quelque côté que vous tourniez les regards, vous trouverez, à tous ces âges, une multitude d'exemples de personnes qui ont couru virilement pour cueillir la palme du martyre. Est-ce que vous êtes d'un autre limon qu'eux, et l'âme qui vous anime n'est-elle pas de même nature que la leur? Mais peut-être la persécution ne sévit-elle plus pour que vous souffriez le martyre; personne ne vous condamne parce que vous servez Jésus-Christ, bien loin de là, on vous loue de le faire, et tout le monde parle de vous avec éloge à cause de cela. Mais quand même vous seriez exposé à la persécution, elle serait bien peu à craindre à cause de sa brièveté, car la nature, dans notre intérêt, a pourvu à ce que nulle douleur ne soit longue et grande en même temps; si elle est grande, elle ne peut être longue, l'union du corps et de l'âme ne saurait résister longtemps à des suppliées raffinés; ébranlée d'abord par la grandeur de la stupeur, elle ne tarde point à se dissoudre ; c'est donc le propre des grandes âmes de mépriser les grands tourments qui opèrent si vite en nous de si grands changements, qu'elles ne tardent point à faire passer, des épreuves au repos, de la misère à la gloire, celui qui les endure. Car il ne faut pas perdre de vue la fragilité du corps qu'il n'est pas rare de voir se briser à la plus petite chute, ou aux assauts répétés d'une fièvre qui le brûle. Faites donc, s'il le faut, de nécessité vertu, et vous acquerrez, au prix d'un péril de courte durée, une récompense éternelle.

10. Vous voyez combien difficile à parcourir est la voie de la confession, et le nombre des sentiers qu'il faut suivre. Il est donc bien vrai ce mot d'un grand maître dans l'Église ; " J'ai trouvé plus facilement des hommes qui avaient conservé leur innocence que je n'en ai vu qui fissent une pénitence convenable (s. Ambros. l. II de Pont. cap. X). "

a Celui qui n'empêche point le mal quand il le peut, l'ordonne (Publ. Mim.)

Nous vous avons parlé selon la mesure de nos faibles forces sur la voie de la pénitence, réservant pour de plus sublimes sujets le poids de pensées plus sublimes aussi. Quant à la voie de l'obéissance, nous essaierons de vous l'ouvrir au commencement d'un autre sermon, afin d'éviter de vous faire éprouver du dégoût pour la parole de notre Seigneur et Sauveur, qui est béni dans les siècles.
 
 
 
 
 
 

QUARANTE ET UNIÈME SERMON. De la vertu d'obéissance et de ses sept degrés.

1. " Nous ne sommes pas capables de former de nous-mêmes aucune bonne pensée, mais c'est Dieu qui nous en rend capables (II Cor. III, 5). " En effet, de quelle pensée peut être capable, dans ce vase de terre et dans la faible constitution de l'homme, un. esprit enfermé dans une prison, corrompu par le péché, accablé par les choses de la terre ? " Car le corps qui se corrompt appesantit l'âme, et cette demeure terrestre abat l'esprit par la multiplicité des soins qui l'agitent (Sap. IX, 15). " Cependant l'esprit de sagesse et de bonté l'illumine dans sa prison, le guérit de sa corruption et le relève de son abaissement. Car c'est un esprit de charité qui délie ceux qui sont chargés d'entraves, qui illumine les aveugles, et relève ceux qui sont brisés, c'est aussi un esprit de vérité qui nous enseigne toute vérité, c'est peu de dire qu'il nous enseigne, il nous suggère toute vérité. En effet, il nous suggère la pensée de chercher la vérité, et il nous instruit à la comprendre. C'est lui que le Seigneur Jésus, après avoir poussé l'obéissance à son Père jusqu'à la mort de la croix, a envoyé à ses apôtres et à ses fidèles disciples. Est-ce qu'il ne vous semble pas que les apôtres qui, après avoir reçu la permission d'aller se renfermer dans la ville de Jérusalem entre les murailles d'une bien modeste maison, " persévéraient unanimement dans la prière (Act. I, 14), " se sont élevés jusqu'au faite de l'obéissance? Avez-vous compris que " les apôtres s'en allaient pleins de joie de la présence du conseil, parce qu'ils avaient été trouvés dignes de souffrir des affronts pour le nom de Jésus (Act. V, 41) ? " Quelles forces ne trouvent point dans l'obéissance ceux qui se réjouissent d'être traînés devant les juges pour Jésus-Christ, qui regardent comme un honneur d'être battus pour lui, et comme une gloire de mourir pour lui? ô heureuses âmes, ô âmes arrosées par les dons abondants de la majesté du Saint-Esprit, et qui, par un admirable changement des choses, s'estiment élevées quand on les abaisse, comblées de gloire quand elles ne le sont que d'ignominies, victorieuses quand elles souffrent! Elles sont remplies de confusion et devenues un objet d'opprobre aux riches et de mépris aux superbes (Psal. CXXII, 4). Voyez-vous avec quelle indépendance d'âme ils bravent le regard des pontifes, la figure menaçante des pharisiens et la rage du peuple quand ils s'écrient : " Mieux vaut obéir à Dieu qu'aux hommes (Act. V, 29). " Jetez les yeux sur ces deux grands astres Pierre et Paul, et parcourez du regard les rangs entiers du sénat apostolique, et vous verrez qu'ils ont tous persévéré en hommes de coeur dans l'obéissance la plus ferme, au milieu même d'une foule de tourments. Est-ce que le Fils même du Roi, le Roi de cette terre où brille une joie continuelle, " ne s'est pas fait obéissant à son Père, mais obéissant jusqu'à la mort et à la mort de la croix (Philip. II, 8) " et n'a point appris l'obéissance par les choses mêmes qu'il a souffertes ? Vous avez entendu quelle fut l'épreuve, écoutez quelle fut la gloire : Je vous ai montré le péril, voyez la récompense ; vous avez vu la faiblesse, considérez la puissance. " Voilà pourquoi, continue l'Apôtre, Dieu l'a élevé et lui a donné un nom qui est au dessus de tout nom (Phil. II, 9). "

2. Mais, pour le moment, ne nous arrêtons pas davantage sur son obéissance qui se trouve enfermée et scellée par une prérogative singulière. Évoquons devant nous ce grand Patriarche qui fut la lumière de la foi, la forme de l'obéissance, le principe de la justice. Le Tout-Puissant lui dit : " Quitte ton pays, sors de ta parenté, et de la maison de ton père, et vas dans le pays que je te montrerai: " et, au premier mot de cet ordre, il fiait sa patrie, il quitte ses parents, il abandonne l'héritage de ses pères, puis, voyageur inconnu, il va se fixer sur la terre étrangère. C'est là une grande chose qui se trouve consacrée dans le père de beaucoup de nations par le privilège d'une grandeur primitive! D'abord il est le premier homme qui renonce à ses biens, et s'engage avec une infatigable ardeur dans les sentiers de l'obéissance. Puis, lorsque, dans sa vieillesse, il fut devenu père d'un fils en qui le monde entier devait être béni, le Seigneur lui dit: "Prends ton Fils premier-né, Isaac, que tu aimes, et offre-le moi en holocauste (Gen. XXII, 2). " Quelles paroles amères, quel coup porté à l'amour d'un père, jusque dans le plus intime de son coeur ! Il lui est ordonné de tuer son Fils, les os de ses os, la chair de sa chair, le fils des grandes promesses, l'enfant de sa vieillesse déjà avancée, le seul qu'il eût de sa femme légitime. Un Fils miraculeusement promis, heureusement né et élevé dans l'innocence! Et pour que rien ne manque à l'incendie de douleur qui devait se répandre dans les entrailles de ce père, le Seigneur lui rappelle que son fils est " un fils unique. " Il avait, en effet, beaucoup d'autres fils, mais qui n'étaient pas uniques pour lui; quant à Isaac, il est tellement son fils, qu'il n'y a que lui qui mérite d'être appelé unique. Il est l'unique à son père, le premier né de sa mère, celui à qui est réservé l'héritage paternel. Ne pensez point à Ismaël, engendré dans la servitude et né d'une mère esclave, il ne peut prétendre à la liberté ni à. l'héritage de son père. Mais s'il a beaucoup de fils et des fils uniques, il n'en a pas beaucoup de bien aimés; pour augmenter le chagrin dans un coeur de père, et pour éprouver l'obéissance du coeur d'un juste, le Seigneur ajoute le fils " que tu aimes le plus. " Pour réveiller la tendresse paternelle au souvenir d'un nom chéri, et pour faire bouillonner son amour dans son coeur au son d'un nom bien aimé; il désigne " l'enfant " par le nom qu'il avait reçu de Dieu avant même qu'il fût conçu dans le sein dé sa mère. Vous voyez sous quels coups du marteau de la tribulation, l'amour paternel d'Abraham se trouve broyé quand il lui est ordonné de prendre son fils, de tuer son unique, celui qu'il aime par dessus tout, de frapper du glaive son Isaac. Il fut soumis à une bien grande tentation, singulièrement éprouvé et profondément atteint par le feu de l'épreuve: Les rapports de fils à père sont bien doux, de même que ceux de père à fils; Abraham oublie cette douceur et tous les sentiments les plus chers et les plus intimes, il hâte son âne, amasse le bois de l'holocauste, allume le feu, et tire son glaive. Il ne demande point au Seigneur pourquoi cet ordre de sa part; il ne murmure point, il ne fait entendre aucune plainte, il ne montre pas même sa douleur sur son visage ; mais, dans l'ignorance de tout ce qui lui est ordonné, il se hâte, avec une pieuse cruauté, vers la mort de son fils. Voilà ce qui nous montre dans Abraham une obéissance unique et suprême, une vertu digne des louanges les plus grandes et les plus singulières.

3. C'est une vertu bien forte que la vraie obéissance, aussi ne peut-elle descendre dans un cœur qui n'est point encore bien complètement lavé et purifié du contact de ce monde. Mais pour que ses voies brillent davantage aux yeux, faisons voir autant que nous le pourrons quelle est l'obéissance que nous devons spécialement à Dieu, quelle est celle que les hommes réclament spécialement aussi pour eux, et en troisième lieu quelle est l'obéissance que nous devons en même temps à Dieu et aux hommes. Il y a des biens et des maux qui sont suprêmes chacun en leur genre. Les biens suprêmes c'est d'aimer Dieu, d'aimer le prochain, de ne point offenser la vérité dans nos discours, de ne point dérober, de ne point rendre faux témoignage, de ne point commettre d'adultères, et le reste que les étroites limites d'an sermon ne me permettent point de rappeler ici en détail. Les maux suprêmes sont le contraire des biens suprêmes et de tout ce qui y ressemble. Dieu nous ordonne de faire le bien, et de nous abstenir du mal. Or, on ne peut, en aucune façon, mettre son autorité sainte et incommutable,'en question, attendu qu'elle est marquée au signe de celui qui a dit ; " C’est moi qui suis le Seigneur, et je ne change point (Mala. III, 6). " Si donc l'homme que Dieu même a placé au dessus de nous est d'un autre avis, et, prenant les ténèbres pour la lumière et la lumière pour les ténèbres, nous ordonne de laisser les biens dont j'ai parlé plus haut, ou de faire le mal dont il vient d'être question, il faut confondre sans crainte un pareil commandement et nous écrier avec indépendance : " Mieux vaut obéir à Dieu qu'aux hommes (Act. V, 29). " Voilà quelle est l'obéissance que nous devons spécialement à Dieu, elle ne saurait jamais être limitée par les hommes, elle doit être toujours la même pour un précepte qui lui-même est immuable. Vous pouvez donc regarder comme une règle certaine de conduite que vous ne devez abandonner les biens en question, ni faire le mal, dont nous avons. parlé pour obéir à des supérieurs. Mais, entre les biens et les maux absolus, il y aune sorte de milieu qui est bon ou mauvais, selon qu'il tend vers le bien ou vers, le mal et qui s'appelle alors bien ou mal. Or, dans ce milieu, je place. le fait de marcher ou de s'asseoir, de parler ou de se taire, de manger ou de jeûner, de veiller tau de dormir et toutes les autres choses semblables, qui sont dignes de récompenses lorsqu'on les fait par obéissance à la voix; des supérieurs. C'est dans ces choses qui tiennent le milieu entre le bien et le mal absolu, que nous devons être soumis à la parole; et obéissants à l'ordre de nos supérieurs (a), sans leur demander raison de rien, et par principe de conscience, car en cela Dieu n'a fait aucun devoir, il a laissé aux supérieurs a le soin de tout régler. Peu importe que votre maître soit inhabile et qu'il use sans discernement de son autorité. Rappelez-vous seulement que toute puissance vient de Dieu et que ceux qui résistent à une puissance résistent à l'ordre même de Dieu (Rom. XIII, 2). Voilà proprement en quoi consiste l'obéissance que tout homme doit à l'homme auquel il est soumis , puis que toute obéissance rendue à nos supérieurs s'adresse à celui qui a dit " Quiconque vous écoute m'écoute (Luc. X, 16). " Mais il faut marcher dans cette voie avec une grande prudence, attendu qu'il s'y rencontre bien des pas difficiles qu'on ne peut négliger de faire sans s'exposer à perdre toute récompense pour le reste.

4. Le premier pas à faire dans l'obéissance, c'est d'obéir volontiers, Tout homme, dès son enfance, est enclin au mal, et chacun suit l'impulsion de son coeur dépravé, car depuis le moment de la première prévarication, est né, dans l'homme, l'amour de sa volonté propre; or celle-ci, après avoir abandonné la volonté de son Créateur, se trouve esclave là même où elle a voulu régner. Il est donc bien difficile de renoncer à sa volonté propre, pour se soumettre à la volonté d'un autre. Mais, si difficile que ce soit, on ne saurait faire le premier pas de l’obéissance tant qu'on n'a pas fait. sienne la volonté de celui qui commande. C'est dans ses volontés que-le juste se glorifie de louer le Seigneur; en effet, il dit : " C'est volontairement que je vous offrirai un sacrifice (Psal. LIII,. 6). " Il n'y a donc que la volonté sage laquelle rien n'est bien quand même il semblerait l'être (b), qui fait toute la bonté de nos oeuvres. C'est donc volontiers que nous devons accueillir les ordres de nos supérieurs. Obéir volontiers, c'est donc accomplir volontairement la volonté des supérieurs.

5. Le second pas à faire dans l'obéissance, c'est d'obéir avec

a Aux supérieurs, c'est-à-dire à l'autorité de ceux qui ont établi les règles de la vie monastique, et même la dispensation des autres supérieurs là où une cause raisonnable où la nécessité semblent l'exiger. Autrement . la dispense d'un velu sans nécessité, c'est-à-dire la dispense de la règle qu'on a vouée, ne serait pas une dispense, mais une prévarication, " dit saint Bernard dans son traité du Précepte et de la Dispense, chapitre V.

b Saint Augustin a dit : " Nul ne fait bien malgré soi quand même ce qu'il fait est bien ( I confess ch. XII. "

simplicité. " Celui qui marche avec simplicité marche avec sécurité (Prov. X , 9). " C'est dans la simplicité de son coeur que Salomon offrait tout avec joie, et c'est dans la simplicité de notre coeur que la Sainte Écriture nous apprend à chercher le Seigneur (Sap. 1, 1). Nous voyons bien des gens qui s'épuisent en une foule de questions après que ' le supérieur a commandé quelque chose; pourquoi cela, dans quel but, comment cela? C'est un flot de questions et une succession de plaintes. Ils demandent pourquoi le supérieur ordonne-t-il cela, d'où cela vient-il, qui a trouvé ce conseil? De là les murmures et mille expressions qui sentent la plainte et l'indignation, mille mots pleins d'amertume. De là des excuses sans fin, des impossibilités simulées, des appels faits aux amis. Ce n'est pas là l'obéissance d'Abraham. Écoutez ce que Dieu dit d'un peuple au coeur simple : " Il m'a obéi aussitôt que ma voix a frappé ses oreilles (Psal. XVII, 45), " voulant nous faire comprendre par là que l'obéissance a été aussi prompte que la manifestation de sa volonté par un commandement. " Ne vous y trompez point, on ne se moque pas de Dieu (Galat. VI, 7). " Vous murmurez contre votre supérieur dans le tabernacle de votre corps? la droite de Dieu se lève aussitôt pour vous terrasser. Marchez donc avec simplicité dans les commandements de (obéissance, en ajoutant à la volonté la simplicité, et à l'intention la lumière, car la force du coeur simple, c'est la voie du Seigneur qui n'est autre que l'obéissance (Prov. X, 29). C'est donc se revêtir de force que d'être obéissant et de marcher avec simplicité.

6. Le troisième pas de l'obéissance, c'est d'obéir gaiement : " En effet Dieu aime celui qui donne avec joie, non point celui qui donne avec tristesse ou contraint par la nécessité, dit l'Apôtre. " (II Cor. IX, 7). " La sérénité sur le visage, la douceur dans les paroles, donnent de la couleur à l'obéissance de celui qui se soumet au supérieur. Aussi un poète païen a-t-il dit : " et par dessus tout ils donnaient d'un air de bonne humeur (Ovid. VIII, Metamor). " Où, en effet, est l'obéissance quand il n'y a que tristesse et chagrin ? L'extérieur est l'indice des dispositions intérieures de l'âme, et il est bien difficile que ceux qui changent de volonté conservent un même visage : une physionomie sombre, un front chargé des nuages ténébreux de la tristesse, sont un signe que la dévotion s'est éloignée d'une âme. Voyez David devant l'arche où il danse avec joie, avec quelle sagesse il réprime l'orgueilleuse indignation de sa femme. " Je danserai, dit-il, et je paraîtrai encore plus vil que je n'ai paru sous les yeux du Seigneur ( II Reg. XI, 22). " Vous voyez donc bien combien la gaieté est convenable et nécessaire dans l'obéissance. D'ailleurs où est celui qui commande volontiers à un homme qui ne respire que la tristesse ? Si donc vous voulez être parfait il faut que vous receviez gaiement et avec un visage plein de bonne humeur les ordres de celui qui vous commande, et que vous ajoutiez à la volonté du coeur, à la simplicité de l'action, la gaieté du visage.

7. Le quatrième pas est d'obéir promptement. La parole de Dieu court avec vitesse (Psal. CXLVIII, 4), et elle veut qu'on la suive avec une égale rapidité. Vous voyez avec quelle rapidité court celui qui dit : "J'ai couru dans la voie de vos commandements (Psal. CXVIII, 32). " Celui qui obéit fidèlement ne connaît point de retard, il a horreur du lendemain, il ne sait ce que c'est que temporiser, il devance le commandement, il a 1'œi1 tout prêt à voir, les oreilles à entendre, la langue à parler, les mains à agir, et les pieds à marcher. Il se possède tout entier pour posséder tout à fait la volonté de celui qui commande. Voulez-vous voir le Seigneur commander promptement et un serviteur obéir sans tarder, écoutez : " Zachée, descendez vite, car il faut que je m'arrête aujourd'hui chez vous, dans votre maison. Et lui, se hâtant, descendit et le reçut chez lui avec joie (Luc. XIX, 5). " Vous remarquez qu'il est descendu en toute hâte et le reçut avec joie. Vous avez entendu son obéissance, entendez aussi qu'elle fut la récompense. " Aujourd'hui, cette maison a reçu le salut (Ibidem. 9). " Remarquez aussi, à l'occasion de cette obéissance, le grand mystère de la conclusion, et la sentence de miséricorde scellée de son sceau; car, ajoute le Sauveur : " Le Fils de l'homme est venu pour chercher et pour sauver ce qui était perdu (Ibidem, 10). " N'avez-vous point lu qu'il était prescrit aux Juifs de manger l'agneau en toute hâte? C'est une image de l'agneau véritable qu'on doit aussi avoir hâte de manger, attendu que ces paroles qu'il a fait entendre par la loi, qu'il a redites par lui-même présent en personne. et qu'il a laissé aux pasteurs de l'Église le devoir de nous répéter, doivent être observées avec une prompte obéissance. Aussi quand vous aurez uni la volonté au coeur, la simplicité à l'oeuvre, et la gaieté au visage, complétez-les par la promptitude, vous serez ainsi, comme le veut l'Apôtre saint Jacques : " Prompts à entendre (Jabob. I, 19), " et plus prompts encore à exécuter.

8. Le cinquième pas de l'obéissance, c'est d'obéir virilement. " Agissez virilement et que votre coeur s'affermisse, vous tous qui mettez votre espérance dans le Seigneur (Psal. XXX, 51). " La force n'est pas d'aller à l'obéissance, mais de ne s'en point écarter. Si la tribulation est grande, si la persécution se dresse, si les pécheurs vous tendent des piéges, si les méchants vous barrent le passage, pour vous ne quittez point la voie de l'obéissance, et écriez-vous : " Je suis tout prêt, Seigneur, et je ne suis point troublé, je suis tout prêt à garder tous vos commandements (Psal. CXVIII, 60)." En effet, à quoi bon toutes les qualités dont j'ai parlé plus haut, si la force manque, la force, dis-je, qui place les vertus dans la citadelle de la constance et les entoure d'un tel retranchement, que le souffle des furieux ne puisse les atteindre ? Avez-vous mis la main aux choses fortes ? Il faut agir à l'instant et obéir avec constance, il ne faut pas au milieu des coups de langue ou des coups de fouet abandonner la voie royale de l'obéissance, au contraire, il faut la suivre avec plus de ténacité encore et plus de ferveur. En fin, pour dire en deux mots ce que nous avons à dire sur la qualité de la force, c'est une vertu qui conserve et protège les autres vertus. Ajoutez donc la force à la promptitude, la constance à l'instance, et alors vous pourrez chanter en toute sécurité : " La main du pécheur ne saurait m'ébranler (Psal. XXXV, 12). "

9. Le sixième pas de l'obéissance, c'est d'obéir avec humilité. Il s'est souvenu de nous dans notre humilité, est-il dit (Psal. CXXXV, 23). L'humilité est une grande vertu, sans laquelle la vertu de force non-seulement n'est pas une vertu, mais même se change en orgueil. Comme Saül courait avec force, quand il était encore petit à ses yeux ! Comme il taillait en pièces les bataillons des Philistins! avec quelle vigueur il brandissait l'épée ! Mais à partir du jour où l'orgueil s'empara de lui et domina dans son coeur, il devint faible et débile, et succomba sans peine sous les armes des incirconcis. Jetez les yeux sur ce roi en qui brillent également, par un heureux accord, une sublime humilité, et une humble sublimité, " Seigneur, dit-il, mon coeur ne s'est point enflé d'orgueil, et mes yeux ne se sont pas élevés (Psal. CXXX, 1). " Suivez-le pas à pas dans toutes ses voies, et partout où vous porterez la vue vous les trouverez émaillées des fleurs de l'humilité. Ecoutez aussi ce qu'il dit ailleurs : "C'est pour vous que je conserverai ma force (Psal. LVIII, 10)." Comme il dit vrai, ce juste praticien de la justice ! Il y en a beaucoup, en effet, qui gardent leur force, non point pour Dieu, mais. pour la vaine gloire, qui mettent leur confiance dans leur vertu, et qui se glorifient des vertus qu'ils ont reçues, comme s'il ne les avaient point reçues, et se montrent ainsi injustes envers le Créateur, de qui vient tout don parfait, tout don excellent (Jac. I, 17). Pour empêcher la force de se changer en orgueil, il faut (assaisonner du sel de l'humilité, car il ne servirait à rien d'obéir avec force, si on avait le malheur de se laisser aller à l'orgueil. Ceux-là donc gardent leur force pour Dieu, qui peuvent s'écrier après avoir fait ce qu'ils devaient faire : " Nous sommes des serviteurs inutiles, nous avons fait ce que nous avions à faire (Luc. XVII, 10). "

10. Le septième pas de l'obéissance est d'obéir avec persévérance. En effet, ce n'est pas celui qui commence, mais celui qui persévère qui sera sauvé (Matt. XXIV, 13). Commencer est commun, persévérer est rare. La persévérance est une fille, unique en son genre, du souverain Roi, c'est le fruit des vertus, c'en est aussi la consommation, c'est le reposoir de tous les biens, une vertu, enfin, sans laquelle nul ne pourra voir Dieu, ni être vu de lui; c'est la fin de la justice pour tous ceux qui croient, la vertu dans le sein de laquelle toutes les autres vertus se sont consacré un lit nuptial respectable. En effet, à quoi bon courir si on tombe en défaillance avant d'avoir atteint le but? " Courez donc de telle sorte que vous remportiez le prix (I Cor. IX, 24), " nous dit l'Apôtre. O de quel pied infatigable avait couru celui qui avait terminé sa course et qui s'écriait : " J'ai terminé ma course ( II Tim. IV, 7) ! " Et quelle longue course le bon larron eut le bonheur de mener à bonne fin (a) ! Il vécut peu, et il remplit la course d'une longue vie (Sap. IV, 13). Enfin, le Seigneur des Prophètes nous dit par la bouche d'un Prophète : " Si le juste se détourne de la justice pour commettre l'iniquité, j'oublierai toutes ses justices (Ezech. XVIII, 4). Vous voyez dans quel profond oubli sont ensevelies toutes les vertus que la persévérance n'a point marquées de son cachet. Il n'y a qu'elle qui fasse entrer dans la chambre du Roi l'âme qui aime l'obéissance, et lui fait contempler dans toute sa beauté celui que les anges désirent voir. Aussi, est-ce dans cette voie où nous marchons que les superbes ont caché des piéges devant nos pas. C'est une voie difficile à parcourir, elle est hérissée d'anfractuosités couvertes d'épines, et embarrassée d'une multitude de chaînes et de noeuds. Pensez-vous qu'il puisse cueillir le fruit de l'obéissance, l'inférieur qui s'entend commander quelque chose qu'il avait appelé de tous ses voeux, ou donner un ordre qui sent la grandeur, un ordre pour lui plein de joie et de bonheur, et qui semble s'appuyer sur l'image du pouvoir ? Mais, au contraire, si vous donnez quelque mérite, c'est à ce genre d'obéissance qui, s'avançant avec l'adversité, effraye l’imagination de ceux qui en entendent parler, est dure à entendre et plus dure à tenir jusqu'au bout? Non, non, il n'en est pas ainsi; il faut faire en sorte que nous nous détachions de coeur de la prospérité, et que nous embrassions du même coeur l'adversité, si nous voulons suivre Celui qui a refusé un royaume (Joan. VI,15) et s'est dirigé volontairement vers la passion ( Isa. LIII, 7).

11. Vous remarquez donc que ces voies sont les voies de la vie, les voies qui conduisent à la vie. " Bienheureux ceux qui sont doux (Matt. V, 4), " parce que le Seigneur leur enseignera ses voies, (Psal. XXIV, 9), et il leur arrivera de voir s'accomplir ce que le Prophète dit quand il s'écrie ailleurs : " Vous me comblerez de joie par la vue de votre visage (Psal XV, 10). " Car, tant que nous habitons dans ce corps, nous sommes éloignés du Seigneur (II Cor. V, 6), loin de la face de Dieu, de la vue de sa gloire, de la contemplation de sa majesté, si ce n'est que dans sa piété et sa miséricorde, le Seigneur répand sur nous la lumière de son visage (Psal. LXVI, 1). " C'est ce qui a lieu, lorsque, après avoir écarté ce nuage qui empêchait notre prière de passer, nous nous approchons de lui, nous nous éclairons à sa lumière, en contemplant sa gloire, à visage découvert (II Cor. III, 18). Ce n'est pas ainsi, et la face découverte, à proprement parler, que nous le contemplons, quand nous ne le voyons que comme dans un miroir et en énigme, et que nous sommes retenus dans la prison de notre corps. L'Apôtre se sert du mot " sans voile, " c'est eu égard aux ténèbres du corps qu'il parle ainsi. Aussi, notre âme, cet esprit créé, s'élève quelquefois vers le créateur du corps, et, en s'attachant à lui, il ne fait plus qu'un seul esprit avec lui. Cette contemplation est sans importance, car l’esprit, enfermé dans les barrières du corps, est souvent atteint

a Quelques éditions ajoutent à ces mots, les suivante : " Le bon larron que la persévérance trouve pénitent et qui ayant vécu, etc. "

par la contagion de la chair, et quoiqu'il soit placé au dessus des créatures corporelles, il ne s'en trouve pas moins abaissé au dessous des choses les plus viles. Mais l'esprit créateur dont toutes les oeuvres sont grandes et proportionnées à ses volontés (Psal. CX, 2), tantôt vient à nous à notre insu, et tantôt s'éloigne de nous sans que nous le sachions, car nous ne savons ni d'où il vient ni où il va (Joan. III, 8). Souvent même plus on le recherche avec ardeur, plus il s'éloigne avec rapidité, selon ce qu'il dit lui-même à l'Épouse. " Détournez vos yeux de moi, car ce sont eux qui m'ont forcé de fuir (Cant. VI, 4). " Mais il arrive aussi qu'il se présente sans avoir été cherché, qu'il s'enfuie quand on le cherche, comme nous le voyons dans le Cantique des cantiques, où l'Épouse dit souvent qu'elle l'a cherché sans le trouver. Mais quand on a vu sa face de cette manière-là, ce n'est pas encore avoir vu la face glorieuse du Seigneur, quand il est élevé au dessus des Chérubins, là où il se montre aux anges dans toute sa pureté et dans toute sa clarté, tandis que nous ne le voyons qu'à travers les images qui le reflètent et le cachent.

12. Comme nous ne saurions voir Dieu ici-bas tel qu'il est, nous ne jouissons point d'un bonheur complet, il ne le sera que lorsqu'il nous attirera à lui, quand la tête le réunira au corps, et que Dieu sera tout en tous. Alors le bonheur sera au comble, nous n'en avons maintenant qu'un avant-goût. En effet, maintenant nous goûtons et nous voyons combien le Seigneur est doux, mais si nous le goûtons, nous ne le buvons point encore, car si nous voyons combien il est doux, nous ne le pénétrons point encore. Il est doux au goût, mais il est admirable dans la consommation. Quant aux âmes des saints que la mort a dépouillés de leur enveloppe terrestre, et qui se sont déjà envolés vers les séjours éthérés, si elles le boivent, elles n'en sont pas encore remplies ni enivrées. Car, bien qu'elles jouissent d'une grande béatitude, pourtant elles attendent encore la résurrection de leurs corps qui sont morts, alors elles seront deux fois heureuses dans leur séjour, et goûteront une félicité éternelle. On ne leur a donné encore à chacune qu'une robe blanche, et il leur fut dit en même temps qu'elles attendissent en repos encore quelque temps, jusqu'à ce que les méchants fussent deux fois broyés, et qu'eux-mêmes reçussent la couronne d'une double béatitude (Apoc VI, 11). Mais à présent, comme elles n'ont point ce qu'elles désirent, elles ne peuvent pas encore s'enivrer, et la vision de Dieu dont elles jouissent, n'est pour elles que comme un breuvage, et de même qu'elles le boivent sans peine, ainsi elles se reposent sans travail jusque su jour où elles seront rassasiées, parce que la gloire du Seigneur leur sera apparue. Mais quand nous ressusciterons à l'état de l'homme parfait, à la mesure de l'âge et de la plénitude de Jésus-Christ (Eph. IV, 13), quand la cité sainte sera ornée de perles, et que tous ceux qui y habiteront seront dans l'allégresse (Psal. LXXXVI, 7), alors il nous comblera de joie par la vue de son visage(Psal. XX, 11) parce que nous le verrons tel qu'il est. Nous serons alors enivrés de l'abondance qui règne dans sa maison, et nous boirons au torrent de ses délices (Psal XXXV, 9), et il dira : " Buvez, mes cher amis, enivrez-vous (Cant. V, 1), " parce que leur âme sera illuminée à jamais de sa lumière , et leur corps à jamais glorifié.

13. Le Psalmiste continue : " Les délices qui se trouvent dans votre droite dureront éternellement (Psal. XV, 10). " La gauche de Dieu représente la vie présente. De même que nous tenons pour sinistre tout ce dont nous nous mettons peu en en peine, nous désignons par la main gauche la vie présente pendant laquelle le Seigneur permet aux impies de flageller ses saints, et souffre même quelquefois qu'ils aillent jusqu'à les mettre à mort. Ne vous semble-t-il pas, en effet qu'ils sont tombés dans l'oubli ceux qui disent : " Nous sommes tous les jours livrés à la mort, à cause de vous, ô mon Dieu, et nous sommes regardés comme des brebis destinées à la boucherie. Pourquoi détournez-vous votre visage, et pourquoi oubliez-vous notre pauvreté et notre misère (Psal. XLIII, 22) ? " Au contraire, par la main droite, on entend la vie bienheureuse qui ne tonnait que la joie, et dont nous ne pouvons dire autre chose, si ce n'est, " on a dit de vous des choses glorieuses, ô cité de Dieu (Psal. LXXXVI, 2). " Là se trouvent des délices que l'œil n'a point vues, que l'oreille n'a jamais entendues, dont la pensée ne s'est jamais élevée dans le coeur de l'homme, et que Dieu a préparées à ceux qui l'aiment. Dans la main gauche se trouvent les tribulations, et les délices dans la droite. Mais jusques à quand Seigneur en sera-t-il ainsi? "Jusques à la fin (I Cor, II, 9). " De quelle fin l'Apôtre parle-t-il ? De la fin pour la justice, du Christ même, pour quiconque a la foi (Rom. X, 4), de cette fin, en un mot, dont la sagesse parlait quand elle, disait : " Elle atteint depuis une extrémité du monde jusqu'à l'autre et dispose tout avec une égale douceur (Sap. VIII, 1). " Voir Dieu, c'est la fin par excellence; car notre fin, celle après laquelle nous n'aurons plus soif, c'est Jésus-Christ, l'Époux de l'Église, qui est béni dans les siècles. Ainsi soit-il.
 
 
 
 
 
 

QUARANTE-DEUXIÈME SERMON. Les cinq négoces et les cinq régions.

1. Le Verbe du Père, le Fils unique de Dieu, le Soleil de justice, le fabricant suprême a apporté des extrémités du ciel le prix de notre rédemption. C'est un négoce certain et digne d'être accueilli avec toute sorte de déférence dans lequel un roi, le Fils même du Roi suprême, s'est fait solde, ou l'or a payé le plomb, où le juste a été condamné pour le pécheur. Oh combien peu due était cette miséricorde, combien gratuite et éprouvée cette dilection, combien inopinée cette charité, combien étonnante cette douceur, combien invincible cette mansuétude, combien vil cet échange, où le Fils de Dieu se livre pour un esclave, le Créateur est tué par la créature, et le Seigneur est condamné pour l'esclave! Voilà vos oeuvres, Seigneur Jésus, vous qui êtes descendu de la lumière aux ténèbres de l'enfer, de la droite de la majesté suprême aux misères de l'humanité, de la gloire du Père, à la mort de la croix, pour éclairer l'enfer, racheter l'homme, vaincre la mort et l'auteur de la mort. Vous êtes unique, et vous n'avez point votre pareil, c'est votre bonté propre qui vous a invité à nous racheter, et votre miséricorde qui vous a fait descendre jusqu'ici; c'est la vérité au nom dé laquelle vous aviez pris l'engagement de venir, qui vous a contraint de le faire: la pureté d'un sein virginal vous a reçu, et votre puissance vous en a fait sortir sans dommage pour l'intégrité de la Vierge; l'obéissance vous a conduit partout, la patience vous a armé, et la charité vous a manifesté par ses paroles et par ses miracles. Loin de nous les trafiquants du pays de Theman ; arrivent les fils d'Agar qui font profession de prudence; loin de moi ces géants du siècle, pour les nommer par le nom qu'ils en ont reçu, et qui, dès la principe, étaient d'une grande taille, et savaient l'art de la guerre. Ce ne sont pas eux que le Seigneur a choisis, ils n'ont pas mérité d'entrer dans la voie de la discipline; voilà pourquoi ils ont péri, mais il l'a donnée à Jacob, son fils, et à Israël son bien-aimé. Il est certain, en effet, que vous avez caché toutes ces choses Seigneur, aux sages, aux prudents, aux géants et à ceux que le siècle a nommés, à ceux dis-je qui sont devenus grands à leurs propres yeux; mais vous les avez révélées à vos petits et à vos humbles (Matt. XI, 25). J'embrasse volontiers votre négoce, Seigneur, parce que j'en suis l'objet. Mon âme trouve une extrême douceur à méditer sur ce trafic : non-seulement elle le repasse dans sa pensée, mais elle en rappelle sans cesse le souvenir, car elle comprendra qui elle aime, et elle conserve la mémoire de ce qu'elle a choisi. Vous voulez que mon âme soit tout entière dans ce négoce et qu'elle ressemble au vaisseau du marchand qui lui apporte du pain des contrées lointaines (Prov. XXXI, 15). je trafiquerai donc jusqu'à ce que vous veniez, et, à votre arrivée, je courrai plein de joie au devant de vous; fasse le ciel que je vous entende me dire : " courage, bon serviteur (Matt. XXV, 23).! " Les cieux sont à vous, Seigneur, la terre vous appartient, je trafiquerai donc en toute sécurité dans ces contrées qui vous appartiennent, et je n'aurai que vous pour guide dans ma route, que vous pour protecteur dans mes dangers, que vous pour partager mes épreuves.

2. Vos contrées que vos négociants parcourent pour faire leur trafic, où vos bien-aimés vous cherchent, et où vos élus vous trouvent, sont au nombre de cinq. La première de ces contrées est celle de la dissemblance. La noble créature qui a été faite dans la région de la dissemblance, et qui a été faite à la ressemblance de Dieu, ne comprit point qu'elle était, en honneur, et s'est laissée tomber de la ressemblance à la dissemblance. Et quelle dissemblance encore ! Elle est tombée du paradis dans l'enfer; du rang de l'ange, au rang des bêtes de somme; de Dieu, avec le Diable! Quelle abominable conversion! De la gloire vers la misère, de la vie vers la mort, de la paix vers la lutte dans une perpétuelle captivité! Maudite chute de la richesse à la pauvreté, de la liberté à la servitude, et du repos au travail! O ! malheureux hommes que nous sommes, ô, malheur de votre naissance ! Car nous sommes nés dans la douleur, nous vivons dans les labeurs, et nous mourons dans la douleur. Pécheurs de pécheurs, débiteurs de débiteurs, corrompus de corrompus, esclaves d'esclaves, pères et enfants, voilà ce que nous sommes. Oui, nous sommes une nation pécheresse, un peuple accablé d'iniquités, une engeance très-mauvaise, des fils scélérats, qui accumulent prévarication sur prévarication. Nous sommes devant Dieu comme si nous n'étions pas; nous sommes réputés comme des riens, de purs néants, nous croyons être quelque chose quand nous ne sommes rien. Nous n'avons reçu que des blessures, soit en entrant dans ce monde, soit en en sortant, soit en y conversant. Depuis la plante des pieds jusqu'au sommet de la tête, il n'y a rien de sain en nous. Il le savait bien, ce sublime prophète qui déplorait, en ces termes, l'état misérable de l'homme ; "Un joug pesant accable les enfants d'Adam depuis le jour où ils sortent du ventre de leur mère, jusqu'au jour où ils rentrent dans la terre, qui est la mère commune de tous les hommes (Eccli. XL, 1). "

3. Mais, Seigneur Dieu, quel genre de négoce faisons-nous dans cette contrée de dissemblance? Je vois le genre humain passer depuis le lever du soleil jusqu'à son coucher dans les trafics de ce monde ; les uns recherchent les richesses, les autres soupirent après les honneurs, ou se laissent séduire par la douceur de la renommée. Mais pourquoi parlé-je des richesses? si on les acquiert, n'est-ce point au prix du travail; si on les conserve, n'est-ce point au milieu des craintes; et si on les perd, n'est-ce point avec douleur? Vous thésaurisez, mais vous ignorez pour qui vous amoncelez ces trésors (Psal. XXXVIII, 7). Que de mal on se donne pour amasser des richesses périssables. On passe les mers, on va explorer de nouveaux mondes, suivant le mot du Sage, en n'étant séparé que d'un doigt de la mort. On fuit la patrie, on quitte des parents, on s'arrache même des bras d'une femme, on délaisse ses enfants, on oublie toute amitié, et on se met en quête pour acquérir, on acquiert pour perdre, et on perd avec douleur. " O enfants des hommes, jusques à quand aurez-vous le cœur appesanti ? Pourquoi aimez-vous la vanité, et cherchez-vous le mensonge (Psal. IV, 3) ? " Quelle est cette folie, ô enfants d'Adam, de traverser les mers, de parcourir la terre, de sortir du monde au milieu de mille fatigues, de veilles sans nombre, de jeûnes répétés, et d'être constamment exposés à la mort? Voilà pour les richesses. Mais que dirai-je des honneurs ? Etes-vous élevé en position, vous a-t-on choisi pour chef ? Voyez si vous ne devez pas être jugé par tout le monde, exposé à tous les regards et déchiré par toutes les langues. Si vous êtes militaire, vous passez les nuits à la porte des princes pour obtenir un commandement en chef, et, sous un habit tout de fer, vous êtes plus près . des blessures que des honneurs,de la mort que de la vie, des dangers que des récompenses. Si le seigneur est devenu votre partage, est-ce que l'évêque ne craint pas le pontife de Rome; l'archidiacre et le diacre, l'évêque? Et puis, savez-vous tenir vos mains pures de tout présent, pour ne pas vous entendre dire comme à Simon : " Vous n'aurez point de part à cette grâce et vous ne pouvez rien prétendre à ce ministère, parce que vous avez voulu acquérir le don de Dieu à prix d'argent (Act. VIII, 21)? " Il ne vous appartient pas de juger ceux qui sont chargés de gouverner l'Église, c'est aux amis de l'époux à se mettre en état de lui répondre quand il leur demandera compte au sujet de son épouse, lui qui juge le monde selon l'équité. Est-ce qu'il est un homme qui peut se trouver dans les honneurs sans douleur, dans les prélatures sans tribulation et dans les postes élevés sans vanité ? Voilà ce qu'on peut dire des honneurs. Mais que penser de la gloire? De la gloire, dis-je, pour toi, poussière fétide, limon de la terre, vase de honte ? Non, non, ne songe point à la gloire pour toi; laisse-la tout entière au nom du Seigneur; laisse la gloire à celui qui est glorieux dans les saints. Loue celui que les anges louent eux-mêmes au plus haut des cieux. N'est-ce point, à proprement parler, une gloire vaine que celle qui n'est pas autre chose qu'un vain son qui flatte les oreilles et qu'on ne peut presque jamais recevoir sans devenir un objet d'envie ? Jette les yeux sur tous ceux qui ne viennent qu'après toi, et tu verras pour combien de gens tu es un sujet d'envie. Tous sont excités contre toi par tes regards fiers et dédaigneux, tous souffrent de ton bonheur, tous sont consumés de jalousie en voyant ta gloire. Ta gloire est pour toi une cause de jalousie, que ton élévation te soit une source d'humilité et que ta sécurité te soit un motif d'inquiétude. Car, remarquez bien que, si vous courez dans les sentiers de la gloire, vous courrez à l'envie ; si vous marchez dans les voies du bonheur, vous serez corrompu par votre propre félicité. Voyez donc combien vainement tout homme se trouble (Psal. XXXVIII, 12). Voilà quels sont les objets du trafic qu'on peut faire dans les régions de la dissemblance. Le trafiquant, que la prudence inspire, en voyant qu'il n'y a que blessures dans la richesse, que peine dans les hommes, que jalousie dans la gloire, fait emplette du mépris du monde et s'en va.

4. La seconde contrée est le paradis claustral. En effet, le paradis est un véritable cloître, une contrée protégée par le rempart de la discipline, et dans laquelle se trouve une grande abondance de marchandises précieuses. C'est une belle chose que de vivre parfaitement uni dans la même demeure (Psal. CXXXII), c'est une chose bonne et agréable que des frères ne fassent qu'un. L'un pleure ses péchés, l'autre chante les louanges du Seigneur, celui-ci prodigue ses services à ses frères, et celui-là les enseignements de la science; l'un prie, l'autre lit; l'un est tout ému de compassion pour le pécheur, et cet autre est tout occupé de punir le péché; celui-ci brûle des feux de la charité, celui-là se distingue par son humilité; l'un se montre humble dans la prospérité, et l'autre sublime dans l'adversité; l'un travaille dans la vie active, l'autre se repose dans la vie contemplative; et, à cette vue, on ne peut que s'écrier : " C'est le camp de Dieu que j'ai là sous les yeux. Combien cet endroit est terrible ! Non, il n'y a point autre chose ici que la maison de Dieu et la porte du ciel (Gen. XXXIII, 2). " Quelle emplette, âme fidèle, ferez-vous donc dans ce champ de foire? Parcourez les vertus des hommes qui habitent ensemble la maison du Seigneur des vertus, faites-vous un ballot de genre de vie. Vous habitiez auparavant dans la région de la mort, passez maintenant dans la région de la vie et de la vérité.

5. La troisième contrée est celle de l'expiation. Il y a trois endroits destinés aux âmes des morts, selon leurs différents mérites, l'enfer, le purgatoire et le ciel. L'enfer est pour les âmes impies, le purgatoire pour celles qui doivent se purifier, et le ciel pour celles qui sont parfaites. Ceux qui sont en enfer ne peuvent plus être rachetés, attendu que dans l'enfer il n'y a plus de rédemption. Ceux qui vont dans le purgatoire attendent leur rédemption, mais auparavant ils doivent souffrir les ardeurs du feu, ou les rigueurs du froid, ou l’aiguillon de quelque autre douleur. Ceux qui sont dans lé ciel goûtent une joie complète dans la vision de Dieu, ils sont les frères du Christ, selon la nature, ses cohéritiers dans la gloire, et lui ressemblent dans l'heureuse nécessité. Mais puisque, de même que les premiers ne méritent plus d'être rachetés, les derniers n'ont plus besoin de l'être, il ne nous reste que les seconds, chez qui nous devions nous rendre par un sentiment de compassion, car ils nous ont été unis par leur humanité. J'irai donc dans cette contrée, et je verrai ce grand spectacle, je verrai comment un Père plein de bonté abandonne les enfants qu'il doit glorifier ensuite, aux mains du tentateur, non pour que celui-ci les tue, mais pour qu'il les purifie; non pour encourir sa colère, mais pour obtenir sa miséricorde; non pour leur destruction, mais pour leur instruction; pour que, cessant d'être des vases de colère destinés à être rompus, ils deviennent des vases de miséricorde préparés pour le royaume. Je me lèverai donc pour leur venir en aide, je pousserai pour eux des gémissements, j'implorerai le Seigneur par mes soupirs, j'intercéderai par mes prières, je satisferai pour eux, par un sacrifice singulier; peut-être Dieu le verra-t-il, et jugera-t-il, peut-être changera-t-il toutes leurs peines en repos, leur misère en gloire, leurs coups en couronne. C'est par ces sortes de devoirs, et par d'autres semblables que nous pouvons couper court à leur pénitence, terminer leurs fatigues, et anéantir leurs peines. Ame fidèle, qui que vous soyez, parcourez donc la région de l'expiation, et voyez ce qui s'y fait, et, dans ces champs de foire, faites emplette d'un ballot de compassion.

6. La quatrième contrée est celle de l'enfer. Pays dur, contrée pénible, région redoutable, région qu'on ne saurait trop fuir. Terre d'oubli, terre d'affliction, terre de misères, lieu où ne règne que le désordre, où n'habite qu'une éternelle horreur. Lieu mortel, où on ne voit que feux ardents, que froids cuisants, et que vers immortels; d'où ne s'exhalent que des odeurs intolérables; et où il n'y a que marteaux meurtrissants, que ténèbres palpables, que confusion et péché, que chaînes et que noeuds, et où on ne voit que les horribles faces des démons ! Je tremble de tout mon corps, et je suis saisi d'horreur à la pensée de cette région, et tous mes os s'entre-choquent de terreur. Comment es-tu tombé, Lucifer, toi qui te levais le matin (Isa. XIV, 42) ? Ton vêtement était de pierres précieuses, et maintenant tu n'es plus revêtu que de vers rongeurs; tu étais dans les délices du paradis, et tu ressens maintenant la dent dévorante des vers de l'enfer ! Je sais que ces feux ont été préparés pour le diable, pour ses anges, et pour ceux qui leur ressemblent; là est une fin qui ne finit pas, une mort qui ne meurt point, et des tourments qui ne cessent point. Descendez donc vivant dans l'enfer, parcourez des yeux de l'esprit ces officines de tourments, jugez les crimes et les vices qui ont été la cause de la perte de ces hommes vicieux et criminels. Achetez la haine du péché, l'amour de la loi du Seigneur, et, dans ce redoutable champ de foire, faites emplette d'un ballot de haine du péché.

7. La cinquième région est le paradis supercéleste. O bienheureuse contrée des vertus célestes, séjour où la bienheureuse Trinité est vue en face, par les bienheureux, où les sublimes bataillons ne cessent d'applaudir de leurs ailes sublimes, et de s'écrier : a Saint, saint, saint est le Seigneur Dieu de Sabaoth (Isa. VI, 3). " C'est un lieu de délices, où les justes s'abreuvent à même le torrent des voluptés; c'est un lieu de splendeur, où les justes brillent de l'éclat du firmament; un lieu de joie où l'allégresse éternelle rayonne sur leurs têtes; un lieu de douceurs suaves où le Seigneur apparaît doux à tous les siens; un lieu de paix ou il s'est fixé dans le calme; un lieu de satiété où nous serons rassasiés quand sa gloire apparaîtra, un lieu de visions où on verra la grande vision. O contrée sublime et pleine de richesses! De cette vallée de larmes, nous soupirons après toi, séjour où brillent la sagesse dégagée de toute ignorance, la mémoire exempte de tout oubli, l'intelligence sans erreur, et la raison sans obscurité. Région que le Seigneur traversera en servant ses élus, c'est-à-dire eu se montrant à eux tel qu'il est. Là Dieu sera tout en tous, le tout, l'univers admirablement, ordonné rendra gloire au Créateur, et réjouira la créature. Parcours donc, ô âme spirituelle, des yeux des désirs cette région, et considère le Roi de gloire dans tout l'éclat de sa beauté, entouré de légions d'anges, orné par des bataillons de saints, abaissant les superbes, élevant les humbles, dominant les démons, rachetant les hommes, et écrie-toi : " Heureux ceux qui demeurent dans votre maison, Seigneur! ils vous loueront dans les siècles des siècles (Psal. XVII, 5). " Lorsque vous aurez bien compris, en esprit, toute, la richesse de ce champ de foire, et l'admirable négoce qu'on peut y faire; faites-vous un ballot d'amour de Dieu. Vous avez vu toutes ces contrées, vous avez remarqué les foires qui s'y tiennent, vous avez fait vos ballots d'emplettes, et vous êtes heureux. Livrez-vous donc au négoce, en attendant que le Seigneur votre Dieu vienne et que vous puissiez dire : " Seigneur, vous m'avez prêté cinq talents, en voici cinq auges que j'ai gagnés avec les vôtres (Matt. XXV, 20)." Et puissiez-vous mériter d'entendre cette réponse : "Entrez dans la joie de votre Seigneur, " de l'Époux de l'Église qui est béni dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

QUARANTE-TROISIÈME SERMON. (a) La magnanimité, la longanimité, l’unanimité.

1. Au temps de la primitive Église, saint Luc nous recommande trois vertus en quelques mots, en nous montrant comment les apôtres persévéraient dans la prière après l'Ascension du Seigneur, dans l'attente des consolations du ciel dont ils avaient reçu la promesse. Par une louable magnanimité, le petit troupeau du Seigneur, privé des consolations de son pasteur, mais ne doutant point qu'il ne fût l'objet de ses soins, convaincu au contraire qu'il avait pour lui une sollicitude toute paternelle, frappait à la porte du ciel par ses dévotes supplications, car il était assuré que les prières des justes pénètrent les cieux, que le, Seigneur ne méprise pas les voeux des pauvres, et ne les laisse. point retomber sur eux sans une abondante bénédiction. Mais ils ne faisaient pas moins preuve d'une grande longanimité, quand ils persévéraient selon ce mot du Prophète : " S'il tarde à venir, attends-le, car il viendra sûrement et ne peut tarder davantage (Abat. II, 3). " Quant à l'unanimité, elle n'est pas moins clairement exprimée dans le même passage, or elle est seule appelée du nom des meilleurs dons du Saint-Esprit ( I Cor. XII, 31). En effet, Dieu n’est pas un Dieu de dissensions, mais un Dieu de paix, qui fait habiter les hommes ensemble comme s'ils n'étaient qu'un (Psal. LXVII, 7).

2. C'est donc avec raison que l'oreille de Dieu a entendu la préparation de leur coeur, qu'il ne les a pas confondus dans leur espérance, et qu'il leur a fait la grâce d'être magnanimes, longanimes et unanimes. Ce sont les témoignages les plus certains de la foi, de l'espérance et de la charité. En effet, il est évident que si l’espérance enfante la longanimité, la charité produit l'unanimité. Est-ce que, la foi ne rend pas aussi magnanime ? Il n'y a qu'elle qui puisse le faire. En effet, là où la foi manque, on ne saurait trouver une vraie et solide grandeur, d'âme, il n'y a qu'enflure vaine, que boursouflure et que vent. Voulez-vous entendre un homme magnanime ? " Je puis tout, vous dit-il, dans celui qui me fortifie (Philipp. IV, 13). " imitons, mes frères, cette triple préparation, si nous désirons obtenir le Saint-Esprit dans. une mesure qui déborde. En effet, tous les hommes, Jésus-Christ seul accepté, reçoivent le Saint-Esprit, avec mesure ; mais il semble que le comble

a Dans les éditions précédentes ce sermon était le cinquième pour la fête de l'Ascension.

d'une mesure qui déborde, excède en quelque sorte la mesure. La magnanimité est évidente dans notre conversion, puissions-nous faire preuve d'une égale longanimité dans notre consommation, et d'une pareille unanimité dans notre genre de vie. Voilà par quelles âmes la Jérusalem céleste désire se voir reconnaître, il lui faut des âmes qui ne manquent, ni de grandeur dans la foi, pour recevoir le fardeau de Jésus-Christ, ni de longueur dans l'espérance pour persévérer, ni de liant dans la charité qui est le lien de la perfection.
 
 
 
 
 
 

QUARANTE-QUATRIÈME SERMON (a). De ceux en qui les mystères de Jésus-Christ ne semblent pas encore accomplis.

1. Tout ce que nous lisons de notre Seigneur doit servir à la guérison de nos âmes; prenons donc garde qu'on ne dise un jour de nous " Nous avons prodigué nos soins à Babylone, et elle ne s'est point guérie (Jer. LI, 9). " Que chacun de nous réfléchisse sur les effets que produisent en nous des remèdes si salutaires. Il y en a en qui Jésus-Christ n'est pas encore né, il y en a en qui il n'a pas encore souffert, et enfin il s'en trouve en qui il n'est point encore ressuscité. Pour d'autres il n'est pas encore monté aux cieux et il n'a point encore envoyé le Saint-Esprit. Or, comment opère l'humilité de celui " qui, ayant la forme et la nature de Dieu, n'a point cru que ce fût pour lui une usurpation d'être égal à Dieu; mais qui s'est anéanti lui-même en prenant la forme et la nature de serviteur (Philipp. II, 6)? " Comment, dis-je, l'humilité d'un Dieu opère-t-elle dans un homme superbe? Comment retrouver lés vestiges de cette humilité dans ceux qui soupirent encore de toute la force de leurs désirs après les richesses et les honneurs de la terre? Est-ce que votre âme , mes frères, ne s'épanouissait point tout à l'heure à la joie, quand vous pouviez dire : " Un petit enfant nous est né (Isa. IX, 6) ? " Il en est pour qui le Christ n'a pas encore souffert, qui fuient le travail, et craignent la mort jusqu'à présent, comme s'il n'avait pas lui-même vaincu la peine en supportant la peine et la mort, en mourant.

2. Il y en a pour qui il n'est pas ressuscité; ce sont ceux qui se meurent toute la journée dans l'anxiété et dans l'affliction de la pénitence, et n'ont point encore reçu de consolation. Si ces jours d'épreuves n'avaient pas été abrégés, qui est-ce qui aurait pu les passer? Pour d'autres, le Christ est ressuscité, mais n'est pas encore monté au ciel, ou plutôt il en est avec qui, par une douce charité, il demeure encore sur la terre. Ce sont ceux qui tout le jour dans la dévotion, pleurent dans leurs prières, soupirent dans leurs méditations; tout est joie et fête pour eux, et tant que durent ces jours, ils ne cessent de chanter l'Alleluia. Mais il faut que le lait leur soit refusé et qu'ils apprennent à

a Dans les manuscrits, ce sermon est le troisième des sermons de Pâques.

se nourrir d'un aliment plus fort. Il leur est avantageux que le Christ s'en aille, et que cette dévotion temporelle leur soit ravie. Mais quand pourront-ils le comprendre? Ils se plaignent d'être abandonnés du Seigneur, et privés de sa grâce. Mais qu'ils attendent un peu, qu'ils s'asseoient dans la cité, jusqu'à ce qu'ils soient revêtus d'en haut, d'une sorte de vertu plus solide, et qu'ils reçoivent les dons les plus précieux du Saint-Esprit, de même que les apôtres furent élevés à un degré plus haut, et s'engagèrent dans la voie suréminente de la charité, sans se mettre en peine dès lors du faible don des larmes, mais en ne songeant plus qu'à la manière de triompher comme par une grande victoire de l'ennemi commun et de fouler Satan sous leurs pieds.

FIN DU TROISIÈME VOLUME.
















QUARANTE-CINQUIÈME SERMON . (a) De la trinité de Dieu et dans l'homme.

La bienheureuse et sainte Trinité (b), Père, Fils et Saint-Esprit, Dieu unique, puissance, sagesse et bonté suprêmes, a créé une sorte de trinité à son image et à sa ressemblance, quand elle a fait l'âme raisonnable, où on trouve quelques vestiges de la suprême Trinité, en ce qu'elle est en même temps mémoire, raison et volonté. Or, Dieu l'a créée de telle sorte que, demeurant en lui, elle fût heureuse de soit union avec lui, et qu'elle ne pût se détourner de lui sans être malheureuse de quelque côté qu'elle aille. Mais cette trinité créée aima mieux, par un mouvement de sa propre volonté, tomber, que se tenir debout par un acte de son libre arbitre avec la grâce de son auteur. Elle est donc tombée par la suggestion, par la délectation et par le consentement, du rang aussi élevé que beau de sa trinité, je veux dire de la puissance, de la sagesse et de la pureté, dans une sorte de trinité contraire et souillée, c'est-à-dire dans la faiblesse, dans l'aveuglement et l'impureté. En effet, sa mémoire est devenue impuissante et infirme, sa raison imprudente et ténébreuse, et sa volonté impure. Or, si la mémoire qui, tant qu'elle était debout, rappelait la puissance de la divinité dans sa simplicité, en tombant de ses mains, vint se rompre sur les rochers, s'il est permis de parler ainsi, et se brisa en trois morceaux qui sont les pensées affectueuses, les onéreuses et les oiseuses. Par pensées affectueuses, j'entends celles où la mémoire se trouve affectée; telles sont les préoccupations des choses nécessaires à la vie, du boire et

a Les sermons suivants sont appelés les Petits sermons. Horstius les a comptés au nombre des Sermons divers, après en avoir reporté plusieurs an rang des Pensées. Peut-être sont-ce ces sermons que Jean de Salisbury demandait à Pierre de Celles de lui envoyer et qu'il appelait dans ses lettres XCVI, et XCVII, les Fleurs des paroles de saint Bernard.

b Ce sermon se trouve reproduit en grande partie dans le livre VIII des Pleurs de saint Bernard, chapitres I et XXV, où il est parlé de la charité dans les termes nu il en est parlé plus bas au n. 5.

du manger et le reste; par onéreuses, j'entends les soucis des choses extérieures, et des occupations pénibles; et par pensées oiseuses, je veux dire celles qui ne l'affectent ni ne la chargent, mais qui pourtant la détournent de la contemplation des choses éternelles; telle est, par exemple, la pensée d'un cheval gui court, d'un oiseau qui vole.

2. La raison a fait aussi une triple chute. En effet, elle était capable de discerner entre le bien et le mal, entre le vrai et le faux, entre ce qui est avantageux et ce qui ne l'est point. Or, quand il lui faut discerner entre ces choses maintenant, elle est si aveugle qu'il lui arrive bien souvent de juger tout le contraire de ce qui est, de prendre le mal pour le bien, le faux pour le vrai, le nuisible pour l'utile, et réciproquement. Or, elle ne se tromperait jamais ainsi dans ces matières si elle n'était point privée de la lumière avec laquelle elle a été créée. Mais, comme elle est déchue aussi, il est hors de doute qu'elle ne trouve plus autre chose maintenant que les ténèbres de son aveuglement. De là vient qu'elle a perdu l'instrument qui lui était nécessaire pour administrer ces choses, je veux parler dit trivium de la sagesse, c'est-à-dire de l'éthique, de là logique et de la physique, autrement dites, science de la morale, science de l'observation et science de la nature, car l'éthique nous apprend à choisir le bien et à repousser le mal; la logique, à discerner le vrai du faux, et la physique, à reconnaître ce qui est utile ou nuisible, c'est-à-dire ce qui, dans la pratique, doit être pris ou laissé.

3. Vient ensuite la volonté dont la ruine est également triple. En effet, au lieu de demeurer attachée à la bonté et à la pureté souveraines et de n'aimer qu'elles, par un effet de sa propre iniquité, elle est tombée de ces hauteurs dans les bas-fonds où la concupiscence de la chair, celle des yeux et l'ambition du siècle lui font aimer les choses de la terre. Peut-il se concevoir une chute plus malheureuse que celle-là où, par la perte de la mémoire, de la raison et de la volonté, toute la substance de l'âme est atteinte d'un coup mortel.

4. Mais cette chute, si grave, si ténébreuse, si souillée de notre nature, elle a été réparée par la bienheureuse Trinité qui s'est souvenue de sa miséricorde et qui a oublié nos fautes. Ainsi, le Fils de Dieu, envoyé par son Père, est venu, et il nous a donné la foi; après le Fils, le Saint-Esprit fut envoyé à son tour et nous a appris et donné la charité. Avec ces deux biens, je veux dire avec la foi et la charité, nous est venue l'espérance de retourner vers le Père. Or, c'est par cette sorte de trinité, par la Foi, l'Espérance et la Charité, que, comme par une sorte de trident, la bienheureuse et immuable Trinité a ramené du fond de l'abîme, où elle était tombée, notre trinité muable, déchue et malheureuse. Ainsi, la Foi a éclairé sa raison, l'Espérance a relevé sa mémoire, et la Charité a purifié sa volonté. Lors donc que le Fils de Dieu est venu et s'est fait homme, comme je l'ai dit, lui qui était. Dieu, il a fait, comme un bon médecin, des ordonnances dont l'exécution devait nous rendre le salut que nous avions perdu. Pour nous les faire accepter avec confiance, il fit des miracles, et, pour nous convaincre de leur utilité, il nous promit la béatitude.

5. On distingue donc la Foi aux préceptes, la foi aux miracles, et la foi aux promesses, en d'autres termes, la foi par laquelle nous croyons en Dieu, et celle par laquelle nous croyons Dieu. Croire en Dieu, c'est mettre en lui notre espérance et notre amour. C'est par la foi aux miracles que nous croyons Dieu, qui peut en opérer et qui peut tout. Par la foi aux promesses, nous croyons à Dieu qui accomplit exactement tout ce qu'il promet. De même on distingue aussi trois sortes d'espérance qui découlent des trois sortes de foi dont je viens de parler. En effet, la foi aux préceptes enfante l'espérance du pardon; la foi aux miracles fait naître l'espérance de la grâce; et la foi aux promesses, l'espérance de la gloire. On trouve aussi trois sortes de charité, car il y a celle qui vient " d'un coeur pur, celle qui naît d'une conscience bonne, et celle qu'enfante une foi non feinte (1 Tim. I, 5). " La pureté se rapporte au prochain, la conscience à nous et la foi à Dieu. Or, la pureté exige de nous que tout ce que nous faisons tende au bien du prochain et à la gloire de Dieu. Mais il est de la plus grande importance que nous prouvions cette pureté au prochain, car, si, pour ce qui est de Dieu, il n'y a point de secret en nous, il n'en est de même pour le prochain, qu'autant que nous lui ouvrons notre cœur. Deux choses font la bonne conscience : c'est la pénitence et la continence; par l'une, en effet, nous expions les péchés que nous avons commis, et par la continence nous cessons d'en commettre d'autres qu'il faille expier ensuite; voilà le devoir que nous avons à remplir envers nous. Après cela, vient la foi non teinte que nous devons avoir à coeur de prouver à Dieu, et qui ne saurait nous permettre ni de l'offenser à cause de l'amour que nous avons pour le prochain, ni de nous montrer moins soumis à ses commandements à danse de notre conscience que nous voulons maintenir dans l'humilité par la pénitence et par la continence; voilà en quoi consiste la foi non feinte. La foi non feinte est mise ici par opposition avec la foi morte et la foi feinte. La foi morte est la foi sans les oeuvres; la foi feinte est celle qui ne croit que pour un temps, et qui s'évanouit à l'approche de la tentation; voilà même d'où lui vient son nom de feinte ou fragile.

6. Nous pouvons résumer tout ce que nous venons de dire en quelques mots seulement, pour le graver plus facilement dans la mémoire. Je dis donc qu'il y a la Trinité créatrice, Père, Fils et Saint-Esprit, des mains de laquelle est tombée la trinité créée, mémoire, raison et volonté. Il y a encore la trinité par laquelle la seconde est tombée, c'est la trinité suggestion, délectation et consentement : puis la trinité dans laquelle elle est tombée, la trinité impuissance, aveuglement et souillure, et enfin la trinité qui est tombée, c'est la trinité mémoire, raison et volonté. Chacun des termes de cette trinité a fait une trinité de chutes. La mémoire est tombée dans trois espèces de pensées qui sont les pensées affectueuses, les pensées onéreuses et les oiseuses. La raison est tombée aussi dans une triple ignorance; l'ignorance du bien et du mal, du vrai et du faux, de l'utile et du nuisible. De même la volonté est tombée dans la concupiscence de la chair, dans celle des yeux, et dans l'ambition du siècle. Il y a encore la trinité par laquelle celle qui est tombée se relève, c'est la Foi, l'Espérance et la Charité, qui se subdivisent chacune en trois branches. En effet, il y a la foi aux préceptes, celle aux miracles et celle aux promesses. De même, il y a l'espérance du pardon, celle de la grâce et celle de la gloire; et enfin la charité se divise en charité d'un coeur pur, d'une conscience bonne et douce, d'une foi non feinte.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

QUARANTE-SIXIÈME SERMON. De la connexion de la virginité et de l’humilité .

Je vous salue, Marie, pleine de grâce (Luc. I, 28). " La plénitude de la grâce ne pouvait consister dans la seule virginité, attendu qu'il n'est pas donné à tout le monde de recevoir de cette plénitude-là. Heureux ceux qui n'ont point souillé leurs robes et qui se glorifient, avec notre Reine, du privilège de la virginité. Mais n'avez vous qu'une seule bénédiction, ô ma maîtresse? Je vous supplie de me bénir aussi. La vertu de pureté a péri en moi (a) et je n'ai plus même la force de soupirer après elle. J'ai pourri sur mon fumier, et je suis devenu semblable aux bêtes de somme, mais ne trouverai-je point quelque chose auprès de vous, et s'il ne m'est plus permis de vous suivre partout où vous allez, ne pourrai-je du moins demeurer quelque part avec vous? L'ange cherche une jeune fille que le Seigneur a préparée au fils du Seigneur. Il a bu à votre urne, car il était charmé d'une vertu parente de la sienne; mais ne donnerez-vous point ainsi à boire aux bêtes de somme (Gen. XXIV, 14) ? L'ange n'a bu que parce, que vous ne connaissiez point d'homme, que les bêtes de somme boivent aussi puisque vous vous glorifiez par dessus tout de votre humilité. Vous dites, en effet . " Le Seigneur a jeté les yeux sur l'humilité de sa servante (Luc. I, 48). " La virginité sans l'humilité est une gloire, sans doute, mais non aux yeux de Dieu. Le Très-Haut regarde toujours les choses basses et humbles, et ne voit qu'avec mépris les choses élevées (Psal. CXXXVII, 5). Il donne la grâce aux humbles et résiste aux superbes (Jacob. IV, 16.) Mais peut-être votre urne, ô Vierge, n'est-elle pas remplie seulement par deux mesures, elle est capable d'en recevoir une troisième; en sorte que, non-seulement l'ange et la bête de somme puissent s'abreuver à cette urne, mais que le maître-d'hôtel le puisse aussi. Voilà, en effet, le bon vin que nous avons conservé jusqu'à ce moment; l'ange est le serviteur qui en puise, mais il n'en puise que pour en porter au maître-d'hôtel, je veux dire au Père qui, étant le principe de la Trinité, peut, à bon droit, s'appeler maître-d'hôtel. Enfin, l'ange signale à notre attention la fécondité dé Marie qui est la troisième mesure quand il nous dit : " Le fruit saint qui naîtra de vous sera appelé le fils de Dieu (Luc. I, 32). " C'est comme s'il avait dit : Il n'y a qu'avec lui que cette génération vous soit commune.

a Bellarmin se fonde sur ces paroles pour révoquer en doute que ce sermon soit de saint Bernard dont la pureté ne souffrit jamais la moindre atteinte. Mais qui empêche de voir dans ces mots le langage d'une âme pleine de modestie qui ne s'exprime ainsi qu'en songeant aux chutes des hommes en général? Peut-être bien aussi l'orateur. se confond-il, eu cette circonstance, avec ses auditeurs. C'est la remarque de Horstius dans ses notes. En tout cas, ce sermon se trouve attribué à saint Bernard dans les plus anciennes éditions.

NOTES DE HORSTIUS ET DE MABILLON SUR LE XLVI DES SERMONS DIVERS.

284. Cette vertu a péri chez moi. Saint Bernard parle ici de la virginité. Ces paroles font douter à Bellarmin que ce sermon soit bien de saint Bernard, qui, tout le monde le sait, a conservé sa virginité intacte jusqu'à la fin de ses jours. Et, en effet, il semble qu'on ne petit se dispenser de dire. d'après cela, ou que ce sermon n'est point de saint Bernard, on bien, s'il est de lui, que saint Bernard n'est pas demeuré vierge. Toutefois, je crois que rien n'empêche , malgré les paroles citées plus haut, de dire que ce sermon est de saint Bernard, et que notre saint est demeuré vierge. En effet, il est assez ordinaire aux saints et aux prédicateurs de la parole de Dieu de parler au nom de leurs auditeurs, et de s'attribuer le péché qu'ils ont en vue de reprendre et de châtier. Ainsi, pour en revenir à saint Bernard, je pense qu'il parlait en s'exprimant ainsi, s'il l'a fait, au nom de ses auditeurs, comme s'il s'était demandé ce qui reste auprès de la Vierge, mère de Dieu, à ceux qui ne peuvent plus se glorifier avec elle d'être vierges encore. Or, dans un si grand nombre de religieux, comment peut-on douter qu'il s'en soit trouvé quelques-uns dont la vertu avait fait naufrage dans le monde, avant qu'ils vinssent au monastère saisir la planche du salut que leur offrait la pénitence ?

281. D'ailleurs saint Bernard s'exprime à peu près de la même manière cri parlant de lui dans son trentième sermon sur le Cantique des cantiques, II. 7, où il dit que, dans le siècle, sa foi était morte, puisqu'elle était dépourvue de bonnes oeuvres, et que si, depuis sa conversion, elle se trouve dans un état un peu moins mauvais, cependant il arrive. encore bien souvent que les boutons à fruits de ses bonnes oeuvres se trouvent étouffés par la colère, emportés par la jactance, souillés par la vaine gloire, qu'il n'est pas jusques aux péchés de gourmandise qui ne la compromettent quelque fois. Or, tout le monde sait que personne ne fut jamais plus doux, plus humble et plus sobre que saint Bernard.

On peut rapprocher de ce passage le langage que notre saint tient encore sur son propre compte, en ternies à peu prés pareils, dans son cinquante-quatrième sermon sur le Cantique des cantiques, n. 8. (Note de Horstius.)
 
 
 
 
 
 

QUARANTE-SEPTIÈME SERMON . Les quatre orgueils.

" Je vous salue, Marie, pleine de grâce, " oui vraiment pleine de grâce, car elle est pleine aux yeux de Dieu, des anges et des hommes; aux yeux de ces derniers par sa fécondité ; aux yeux des anges sa pureté, et aux yeux de Dieu par son humilité. C'est dans cette troisième vertu qu'elle se dit l'objet des regards de celui qui abaisse ses yeux sur les choses humbles et les détourne avec mépris de celles qui sont élevées. Car, de même que les regards de Satan se portent sur tout ce qui est sublime, ainsi ceux du Seigneur ne s'abaissent que sur les humbles (Psal. CXXXVII, 5). Aussi, dit-il, dans le Cantique des cantiques : "Revenez, revenez, ô Sunamite, revenez, revenez que je vous considère (Cant. VI, 12). " S'il répète quatre fois de suite, revenez, c'est à cause des quatre sortes d'orgueil qui l'avaient détournée de Dieu et soustraite à ses regards. En effet, il y a l'orgueil du coeur a, celui de la bouche, celui des oeuvres, et enfin l'orgueil de l'habit. L'orgueil du coeur est celui qui fait que l'homme est grand à ses yeux. C'est de cet orgueil que le Sage demande à être délivré quand il dit " Ne me donnez point des yeux altiers (Éccli. XXIII, 5), " et ailleurs : " Malheur à vous qui êtes Sages à vos yeux (Isa, V, 21). " L'orgueil de la bouche ou de la langue s'appelle encore jactance, c'est quand un homme, non content d'avoir de hauts sentiments de sa personne, parle de lui en termes qui l'élèvent. Aussi, le Psalmiste dit-il : " Que le Seigneur perde entièrement toutes les lèvres trompeuses, et la langue qui parle avec jactance (Psal. XI, 4). " Quant à l'orgueil des oeuvres, c'est quand un homme fait tout ce qu'il peut pour paraître grand. Le Psalmiste en parle aussi en ces termes : " Celui qui agit avec orgueil ne demeurera point dans ma maison (Psal. C, 9). " L'orgueil des habits est celui qui porte l'homme à se vêtir d'habits somptueux pour paraître glorieux. C'est cet orgueil qui inspire à saint Paul ce langage : " Ce n'est pas dans des habits précieux (I Tim. II, 9), " et au Seigneur ces paroles : " Ceux qui s'habillent d'une manière délicate se trouvent dans la maison des

a L'auteur des Fleurs de saint Bernard rapporte ce passage dans son livre IX. chap. XIX.

rois (Matt. XI, 9), " où l'orgueil abonde. Or; le Seigneur a donné à l'âme raisonnable, cinq remèdes contre cette peste mortelle, le lieu, le corps; la tentation du diable, la prédication de Jésus-Christ, et l'exemple de sa vie. Le lieu, car nous sommes en exil; le corps, car il est pesant; la tentation, car elle inquiète; la prédication de Jésus-Christ, parce qu'elle édifie, et l'exemple de sa vie, parce qu'il forme. Car, de même que l'âme est la vie du corps, ainsi Dieu est la vie de l'âme, et de même que le corps est mort quand il cesse de sentir, dans ses cinq sens, l'action de l'âme, ainsi l'âme est morte quand, par ces moyens, elle ne se sent plus humiliée par le Seigneur.
 
 
 
 
 
 

QUARANTE-HUITIEME SERMON . La pauvreté volontaire.

" Jésus entra dans une bourgade appelée Béthanie, et une femme nommée Marthe le reçut dans sa maison (Luc. X, 38). " La bourgade où Jésus-Christ est entré, est la pauvreté volontaire, elle met ses habitants à couvert de la double attaque dont ils sont l'objet de 'la part des amateurs de ce mondé; je veux dire de leur propre envie à eux, et de l'envie des autres. En effet, la pauvreté, étant réputée misère, est à l'abri de l'envie des autres, et lorsqu'elle est volontaire elle ne porte elle-même envie à personne. Les deux saurs de Béthanie sont l'image des deux sortes de vie que mènent les amants de la pauvreté. Les uns, avec Marthe, se tourmentent et préparent deux plats au Seigneur Jésus, je veux dire le plat de la correction de leurs oeuvres avec assaisonnement de contrition, celui des oeuvres de piété avec le condiment de la dévotion. Quant à ceux qui, avec Marie, vaquent uniquement à Dieu, ils considèrent ce qu'est Dieu dans le monde, dans les hommes, dans les anges, en lui-même et dans les réprouvés. Dans leur contemplation Dieu leur apparaît comme le directeur et le gouverneur du monde, le libérateur des hommes et leur aide, le sauveur et la gloire des anges; en lui-même, le principe et la fin, la terreur et l'horreur des réprouvés. Dans ses créatures, il est admirable, il est aimable dans les hommes, il est désirable dans les anges, incompréhensible en lui-même et intolérable dans les réprouvés.
 
 
 
 
 
 

QUARANTE-NEUVIÈME SERMON . Des trois sortes de paroles ou de vertus.

" Le jour exhale une parole, un verbe, au jour (Psal. XVIII. 2). Le jour qui s'adresse au jour, c'est l'ange qui parle à la Vierge. L'ange est appelé jour à cause de sa félicité, or, la Vierge reçoit le même nom, à raison de sa vertu de pureté" Et la nuit donne la science à la nuit. " La nuit c'est le serpent à cause de sa malice, c'est également la femme à cause de son ignorance. "Le jour profère un verbe au jour, " la divinité à la virginité, du sein de la majesté du Père, dans le sein de la virginité de la mère. Autrement encore : " Le jour profère un verbe, une parole au jour; " c'est Dieu le Père proférant son Verbe à l'âme raisonnable éclairée par la foi. " Et la nuit donne la science à la nuit; " la créature raisonnable à l'âme raisonnable que la foi n'éclaire point encore. Voilà ce qui fait dire à l'Apôtre,: " Ce qu'il y a d’invisible en Dieu, est devenu visible depuis la création du monde par la connaissance que ses créatures nous en donnent (Rom. I, 20). " Voilà pourquoi aussi nous parlons du Verbe indiqué, du Verbe inspiré et (a) du Verbe proféré. Le premier fait la connaissance, le second, la conversion et le troisième, la vivification. Le premier a nui, le second n'a point servi, et le troisième a vivifié. Le premier a nui, " parce que, ayant connu Dieu, les hommes ne l'ont point glorifié comme Dieu, et ils ne lui ont point rendu grâces, mais ils se sont égarés dans leurs vains raisonnements, et leur coeur insensé s'est rempli de ténèbres (Ibidem. 21). " Le second n'a point servi, parce qu'il n'a point donné une loi qui peut vivifier. Mais le troisième a vivifié parce qu'il nous a rachetés par la croix. Le premier est tout entier au dehors, le second est moitié au dehors et moitié au dedans, et le troisième est tout entier au dedans. Notez de plus que ce qui s'exhale ne s'échappe de notre bouche ait. emportant une certaine odeur de notre propre substance , et voilà pourquoi la sagesse incarnée est représentée comme ayant en soi toute plénitude, dans les miracles toute connaissance, dans la doctrine toute conversion, dans la passion toute vivification. Cet ce qui faisait dire au Prophète : " Venez et revenons, au Seigneur, parce que c'est lui-même qui nous a pris et qui nous guérira; lui qui nous frappera et prendra soin de nos blessures. Il nous rendra la vie dans deux jours (Osée. VI, 1), " c'est-à-dire après les deux jours de la connaissance et de la conversion; " le troisième jour il nous ressuscitera, " à la voix du Verbe incarné par sa première résurrection : " et nous vivrons en sa présence, " vivifiés par sa passion, et éclairés d’une sereine lumière par la connaissance des miracles. " Puis nous marcherons sur ses pas, pour connaître le Seigneur, " instruits par la conversion de sa doctrine.

a L'auteur des Fleurs de saint Bernard, reproduit ce passage, dans son livre VIII, chapitre II.
 
 
 
 
 
 

CINQUANTIÈME SERMON . Il faut bien régler les affections de l'âme.

1. " Sortez, filles de Sion, et voyez votre Roi Salomon (Cant. III, 11). " Si l'auteur sacré ne dit point, venez voir l'Écclésiaste ou Idida, car Salomon portait aussi ces deux noms, c'est qu'il veut parler de Jésus-Christ, notre vrai Salomon, qui est Salomon, c'est-à-dire, le pacifique dans l’exil; l'Ecclésiaste, c'est-à-dire l'orateur, dans le jugement; Idida, c'est-à-dire, le chéri du Seigneur, dans le royaume ; mais qui partout est Roi. Dans l'exil il est la règle des moeurs ; an jugement, il discerne les mérites, et dans le royaume, il les récompense (a). Dans l'exil il est doux, au jugement il est juste, et dans son royaume il est glorieux. Il est aimable dans l'exil, terrible sur son tribunal, et admirable dans son royaume. " Sous le diadème dont sa mère lui a ceint le front." Or, ce diadème est une couronne de miséricorde, et sous elle il est un objet d'imitation. Sa marâtre lui a ceint le front d'une couronne de misère, mais avec cette couronne-là il est méprisable : je veux parler de la Synagogue qui a été pour lui non une mère, mais une marâtre. Sa famille le couronnera d'une couronne de justice, et sous elle il sera terrible. Son Père le couronne aussi, mais d'une couronne de gloire, et avec elle il est digne d'envie. Que les pécheurs le contemplent donc avec sa couronne de misère, c'est-à-dire, avec sa couronne d'épines, et qu'ils en soient saisis de componction. Que les filles de Sion, les âmes affectueuses le regardent avec sa couronne de miséricorde et l'imitent. Les méchants le verront aussi portant la couronne de justice, et ils périront. Les saints le verront paré de la couronne de gloire, et ils en seront pour toujours dans la joie.

2. " Sortez, filles de Sion, " âmes délicates, allez du sens de la chair à l'intelligence de l'esprit, de la servitude de la concupiscence charnelle à la liberté de l'intelligence spirituelle; " et voyez le roi Salomon sous le diadème dont sa mère l'a couronné. " Ceux qui marchent sur ses traces sont aussi couronnés, mais c'est à dessein, et ils sont en cela aidés de la grâce. Il n'y a que lui qui soit couronné par sa mère, parce qu'il n'y a que lui qui soit sorti du sein maternel comme un époux de son lit nuptial, avec des affections bien réglées. Or, ces affections bien connues, sont au nombre de quatre, (b) ce sont l'amour et la joie, la crainte et la tristesse. Il n'y a point d'âme humaine sans ces quatre affections-là; mais chez les uns elles sont pour la honte, et chez les autres pour la gloire. En effet, sont-elles purifiées et bien ordonnées, elles sont la gloire de l'âme sous la couronne des vertus : sont-elles déréglées, elles sont sa confusion, son abaissement et son ignominie. Or, voici comment on les purifie ; c'est en aimant ce qu'on doit aimer, en aimant davantage ce qui doit être aimé davantage, et enfin en n'aimant pas ce qu'on ne doit point aimer. Voilà ce que c'est qu'un amour purifié. Et ainsi des autres affections. On les règle de cette manière ; on place la crainte la première, puis vient la joie, en troisième lieu la tristesse, et enfin l'amour. Et voici comment elles se composent. De la crainte et de la joie naît la prudence, la crainte est la cause, et la joie le fruit. La joie et la tristesse donnent

a Le commencement de ce sermon n'est guère que la reproduction du second sermon pour le jour de l'Epiphanie, n. 2.

b Au sujet de ces affections de l'âme, on peut relire les notes dont nous avons accompagné le II Sermon, pour le mercredi des cendres numéro 3. Ce passage se trouve rapporté dans les Fleura de saint Bernard, livre XI, chapitre VIII.

naissance à la tempérance, car celle-ci a pour cause la tristesse et pour fruit, la joie. De la tristesse et de l'amour naît la force, la tristesse est la cause, et l'amour, le fruit. Il manque quelque chose à la couronne pour être parfaite ; l'amour et la crainte vont produire la justice dont la cause est la crainte, et le fruit est l'amour.

3. Considérez donc comment ces affections de l'âme, bien réglées, sont des vertus, et comment déréglées elles ne sont que des perturbations. Si la tristesse vient après la crainte, elle engendre le désespoir; si la joie suit l'amour, c'est la dissolution; que la crainte soit donc suivie de la joie, car en même temps que la crainte met en garde pour l'avenir, la joie goûte le bonheur du présent et recueille le fruit d'une prudente précaution. Il faut donc que la joie éprouve la. crainte : la crainte ainsi éprouvée n'est autre chose que la prudence. La tristesse doit accompagner la joie, car celui qui n'a point perdu le souvenir des choses tristes, n'embrasse les joies qu'avec modération ; il faut donc que la tristesse tempère la joie. La joie tempérée n'est autre chose que la tempérance même. Que l'amour s'ajoute à la tristesse, car, quiconque sous l'empire de l'amour désire ce qu'il doit aimer, a plus de force pour supporter les choses tristes. Il est donc nécessaire que l'amour fortifie la tristesse. Or, la tristesse fortifiée par l'amour n'est autre chose que la force. Joignez l'amour à la crainte, et celui qui tient compte de ce qu’il doit craindre s'attache d'autant plus fortement aux choses qu'il est dans l'ordre qu'il aime. Il faut donc que l'amour règle la crainte. Or, la crainte réglée par l'amour n'est autre chose que la justice. Il y a deux affections de l'âme, la joie et la tristesse qui sont ad intra; en effet, c'est en nous que nous nous réjouissons, et en nous que nous sentons la tristesse. L'amour et la Crainte au contraire sont ad extra. En effet, la crainte est une affection naturelle de l'âme qui nous unit par la partie inférieure à la partie supérieure, elle tend à Dieu seul. Quant à l'amour, c'est une affection de l'âme qui nous unit en même temps à la partie supérieure, à la à la partie égale : il se rapporte à Dieu et au prochain. Or, c’est dans ces deux points que consiste la parfaite justice, c’est dans la crainte de Dieu à cause de sa puissance, dans l'amour à cause de sa bonté, dans l'amour du prochain à cause de l'identité de sa nature et de la nôtre.

NOTES DE HORSTIUS ET DE MABILLON, POUR LE L ème DES SERMONS DIVERS.

282. Il ne dit point l'Ecclesiaste ou Idida. Salomon a été appelé par le prophète inspiré de Dieu, Nathan l'Aimable au Seigneur, en hébreu Fedideja, dont on a fait Idida. Il avait donc deux noms, bien que l'Écriture ne lui donne que ce dernier (II Reg. XII, 25). On peut même dire qu'il en eu trois, si on compte celui d'Ecclésiaste. (Note de Horstius).
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

CINQUANTE ET UNIÈME SERMON . La purification de Marie et la circoncision du Christ.

1. Qu'est-ce à dire quand nous disons que la bienheureuse Marie s'est purifiée? Qu'est-ce à dire encore quand nous disons que Jésus lui-même a été circoncis? Car Marie n'avait pas plus besoin d'être purifiée que Jésus d'être circoncis. C'est donc pour nous que l'un reçoit la circoncision et que l'autre se purifie, c'est pour donner un exemple aux pénitents, pour nous apprendre à nous tenir éloignés, à notas circoncire d'abord du vice par la continence, et à nous purifier ensuite des fautes que nous avons commises, par la pénitence. Qu'est-ce à dire encore que Marie porte Jésus dans ses flancs, Joseph sur ses épaules, quand il fuit en Egypte, et quand il en revient, et Siméon dans ses bras? Ils nous représentent les trois ordres d'élus : Marie les prédicateurs, Joseph les pénitents et Siméon ceux qui font des bonnes œuvres. En effet, celui qui évangélise les autres porte en quelque sorte Jésus dans ses flancs pour l'enfanter aux hommes, ou plutôt pour enfanter les hommes à Jésus. Saint Paul, qui s'écriait: " Mes petits enfants pour qui je sens de nouveau les douleurs de l'enfantement, jusqu'à ce que Jésus-Christ soit formé en vous (Gal. IV, 19) " était de ce nombre. Quant à ceux qui se fatiguent pour Jésus-Christ, qui souffrent persécution, qui ne font de mal à personne, et endurent patiemment les injustices dont ils sont l’objet de la part des autres, on peut dire avec raison qu'ils portent le Christ sur leurs, épaules : c'est à eux que la Vérité même a dit : " Que celui qui veut venir après moi, se renonce lui-même, etc. (Luc. IX, 23). " Pour ce qui est de ceux qui donnent à manger à ceux qui ont faim, et à boire à ceux qui ont soif, et qui exercent envers ceux qui sont dans le besoin toutes les autres oeuvres de miséricorde, ne vous semble-t-il pas qu'ils le portent dans leurs bras? Or, c'est à eux que le Seigneur s'adressera au jour du jugement et dira : "Toutes les fois que vous avez fait cela au moindre des miens, c'est à moi que vous l'avez fait (Matt. XXV, 40). "
 
 
 
 
 
 

CINQUANTE-DEUXIÈME SERMON. De la maison de la sagesse divine, c'est-à-dire de la Vierge Marie.

1. " La Sagesse s'est bâtie une maison, etc. (Prov. IX, 1). " Comme le mot sagesse se prend en plusieurs sens, il faut rechercher qu'elle est la sagesse qui s'est bâtie une maison. En effet, il y a la, sagesse de la chair qui est ennemie de Dieu. (Rom. VIII, 7), et la sagesse de ce monde qui n'est que folie aux yeux de Dieu (I Cor. III, 19). L'une et l'autre, selon. l'apôtre saint Jacques, font la sagesse de la terre, la sagesse de la terre " la sagesse animale, diabolique (Jacob. III, 15). " C'est suivant cette sagesse que sont sages ceux qui ne le sont que pour faire le mal, et qui ne savent pas faire le bien; mais ils sont; accusés et condamnés dans leur sagesse, selon ce mot de l'Écriture : " Je saisirai les sages dans leurs ruses, je perdrai la sagesse des sages, et je rejetterai la science des savants (I Cor. I, 19). " Il me semble qu'on peut parfaitement et proprement appliquer à ces sages cette parole de Salomon : " Il est encore un mal que j'ai vu sous le soleil, c'est l'homme qui est sage à ses yeux. " Ni la sagesse de la chair, ni celle, du monde n'édifie, loin de là, elle détruit plutôt la maison, où elle habite. Il y a donc une autre sagesse qui vient d'en haut; elle est avant tout prodigue, puis elle est pacifique. Cette Sagesse c'est le Christ, la vertu de Dieu, la sagesse de Dieu, dont l'Apôtre a dit : " Il nous a été donné pour être notre sagesse, notre justice, notre sanctification et notre rédemption (I Cor. I, 30. "

2. Ainsi cette Sagesse qui était la sagesse de Dieu, et qui était Dieu, venant à nous du sein du Père, s'est édifié une demeure, je veux parler de la Vierge Marie sa mère, et dans cette demeure il a taillé sept colonnes. Qu'est-ce à dire, il a taillé dans cette maison sept colonnes, si ce n'est qu'il l'a préparée par la foi et par les oeuvres à être une demeure digne de lui? Le nombre trois est le nombre de la foi à cause de la sainte Trinité, et le nombre quatre est celui des moeurs à cause des quatre vertus principales. Je dis donc que la sainte Trinité s'est trouvée dans la bienheureuse Marie, et s'y est trouvée par la présence de sa majesté, bien qu'elle n'ait reçu que le Fils quand il s'est uni la nature, humaine : et j'en ai pour garant le témoignage même du messager céleste qui lui découvrit en ces termes le secret de ce mystère : " Je vous salue, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous : " et un peu après : " Le Saint-Esprit surviendra en vous, et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre (Luc. I, 28). " Ainsi vous avez le Seigneur, vous avez la vertu du Très-Haut et vous avez le Saint-Esprit : en d'autres termes, vous avez le Père, le Fils et le Saint. Esprit. D'ailleurs le Père ne va point sans le Fils, non plus que le Fils sans le Père, de même que le Saint-Esprit, qui procède des deux, ne va ni sans l'un ni sans l'autre, s'il faut en croire ces paroles du Fils : " Je suis dans le Père et le Père est en moi. " Et ailleurs : " Quant à mon Père qui demeure en moi, c'est lui qui fait tout (Joan. XIV, 10). " Il est clair que la foi de la sainte Trinité se trouvait dans le coeur de la Vierge.

3. Mais eut-elle aussi les quatre autres colonnes, je veux dire les quatre vertus principales? Le sujet mérite que nous nous en assurions. Voyons donc d'abord si elle eut la vertu de force. Comment cette vertu lui aurait-elle fait défaut quand, rejetant les pompes du siècle et méprisant les voluptés de la chair, elle conçut le projet de vivre pour Dieu seul dans sa virginité? Si je ne me trompe, la Vierge est la femme dont Salomon parle en ces termes : " Qui trouvera une femme forte? Elle est plus précieuse que ce qu'on va chercher au bout du monde (Prov. XXXI, 10). " Telle fut sa force, en effet, qu'elle écrasa la tête du serpent à qui le Seigneur avait dit : " Je mettrai des inimitiés entre la femme et toi, entre sa race et la tienne; elle t'écrasera la tête (Gen. III, 15). " Pour ce qui est de la tempérance, de la prudence et de la justice, on voit plus clair que le jour, au langage de l’Ange, et à sa réponse à elle, qu'elle possédait ces vertus. En effet, à ce salut si profond de l'Ange, " je vous salue, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous, " au lieu de s'élever dans sa pensée, en s'entendant bénir pour ce, privilège unique de la grâce, elle garde le silence, et se demande intérieurement ce que pouvait être ce salut extraordinaire. N'est-ce point la tempérance qui la fait agir en cette circonstance? Puis, lorsque l'Ange l'instruit des mystères du ciel, elle s'informe de lui, avec soin, de la manière dont elle pourrait concevoir et enfanter un fils, puisqu'elle ne connaissait point d'homme; évidemment, dans ces questions, éclate sa prudence. Quant à sa justice, elle la prouve lorsqu'elle se déclare la servante du Seigneur. En effet, on trouve la preuve que la confession est le propre des justes dans ces paroles du Psalmiste : " Ainsi les justes confesseront votre nom, et ceux qui ont le coeur droit demeureront en votre présence (Psal. CXXXIX, 14). " Ailleurs, on lit encore, à propos des justes : " Et vous direz, en confessant ses louanges, les pauvres souverainement bonnes du Seigneur (Eccli. XXXIX, 21). "

4. Ainsi la bienheureuse Vierge Marie s'est montrée forte dans ses desseins, tempérante dans son silence, prudente dans ses questions et juste dans sa confession. C'est sur ces quatre colonnes des moeurs et sur les trois de la foi dont j'ai parlé plus haut, que la sagesse céleste s'est élevée en elle une demeure; elle remplit si bien son coeur que, de la plénitude de son âme, sa chair fut fécondée et que toute Vierge qu'elle fût, elle enfanta, par une grâce singulière, cette même Sagesse qui s'était revêtue de notre chair, et qu'elle avait commencé par concevoir auparavant dans son âme pleine de pureté. Et nous aussi, si nous voulons devenir la demeure de cette même Sagesse, il faut que nous lui élevions également en nous une demeure qui repose sur les sept mêmes colonnes, c'est-à-dire que nous nous préparions à la recevoir par la foi et les moeurs. Or, dans les vertus morales je crois que la justice toute seule peut suffire, mais à condition qu'elle se trouve entourée et soutenue par les autres vertus. Aussi, pour ne point nous trouver induits en erreur par l'ignorance, il faut que la prudence marche devant ses pas, que la tempérance et la force marchent à ses côtés, la soutiennent et l'empêchent de tomber soit à droite, soit à gauche.
 
 
 
 
 
 

CINQUANTE-TROISIÈME SERMON . Les noms du Sauveur.

1. " Et son nom sera l'Admirable, le Conseiller, le Dieu, le Fort, le Père du siècle à venir et le Prince de la paix (Isa. IX, 6). Il est Admirable " dans sa prédication; " Dieu " dans ses oeuvres ; " Fort " dans sa passion ; " le Père du siècle futur " dans sa résurrection; " le Prince de la paix " dans sa perpétuelle félicité. On peut aussi lui donner tous ces noms dans l'oeuvre de notre salut. En effet, " il est Admirable " dans la conversion de notre volonté, car ce changement est l'oeuvre de la droite du Très-Haut. Ensuite " il est Conseiller " dans la révélation de sa volonté, quand il fait connaître à ceux qu'il a convertis la voie qu'ils doivent suivre. C'est ce qui faisait dire à Saint Paul après sa conversion : " Seigneur, que voulez-vous que je fasse (Act. IX, 7) ? " Une fois convertis, nous devons ressentir de la componction à la pensée de nos fautes passées dans la rémission desquelles il se montre " Dieu " puisqu'il n'y a que Dieu qui puisse remettre les péchés, selon la remarque des Juifs qui disaient à notre Sauveur quand, étant encore sur la terre, il remettait les péchés à quelqu'un, qu'il prononçait un blasphème, parce qu'il s'attribuait un pouvoir qui n'appartient qu'à Dieu. En quatrième lieu, il est " Fort, " puisque, selon la remarque de l'Apôtre, il faut que " tous ceux qui veulent vivre avec piété en Jésus-Christ souffrent la persécution (II Tim. III, 12)."

2. Qui pourrait en supporter les atteintes sans son aide ? Aussi David dit-il " si Dieu ne m'eût assisté, il ne s'en serait pas fallu de beaucoup que mon âme ne tombât dans l’enfer (Psal. XCIII,17). " Lorsqu'il nous protège dans la tribulation quand il écarte et éloigne de nous les puissances des airs, quel nom lui donner, si ce n'est celui de Fort? Aussi est-il dit, "le Seigneur fort et puissant, le Seigneur puissant dans les combats (Psal. XXIII, 8). " Mais comme notre conversion et notre vie doivent se passer en Jésus-Christ, non en vue des choses temporelles, mais dans l'espérance des biens futurs, on lui donne, en cinquième lieu, le nom de " Père du siècle à venir, " Père dans la régénération de nos corps. Et enfin puisque " si nous devons ressusciter tous, néanmoins nous ne serons point tous changés (I Cor. XV, 51), " pour discerner le changement des justes de la résurrection des pécheurs, il est appelé, en sixième lieu, " le prince Prince de la paix." Une fois qu'on a la paix, toute perfection est accomplie, et il ne reste plus rien à désirer. C'est dans la paix, en effet, que le Psalmiste se réjouit et s'écrie au milieu de ses chants : " Jérusalem loue le Seigneur, loue ton Dieu, ô Sion, parce qu'il a fortifié les serrures de tes portes, et qu'il a béni les enfants que tu renfermes dans ton enceinte. Il a établi la paix jusques aux confins de tes États (Psal. CXLVII, 1). " L'Ange, en s'adressant à Joseph, renferme avec autant d'élégance que de brièveté, tous ces noms dans un seul " vous l'appellerez Jésus (Matt. I, 21), " dit-il, et il donne le sens de ce dernier nom en ajoutant "car c'est lui qui sauvera son peuple de ses péchés (Ibidem). "
 
 
 
 
 
 

CINQUANTE-QUATRIÈME SERMON . De l'apparition du Christ.

Le Fils de Dieu nous est apparu pour nous aider et pour nous instruire; ce qu'il peut bien faire, car il est la vertu du Père et sa sagesse. En tant que vertu du Père il assiste; en tant que sagesse il instruit et forme. La faiblesse a besoin d'être assistée, et les aveugles ont besoin de science et de doctrine. Aussi, la sagesse du Père nous a-t-elle instruits quand elle nous a fait renoncer à l'impiété et aux passions mondaines, pour que nous vivions dans le siècle présent avec tempérance avec justice et avec piété (Tit. II, 12). Notre impiété c'était notre manque de foi, car nous ne croyions point Dieu, et nous ne l'honorions point. Car, s'il y a piété à honorer Dieu, il y a impiété à le renier. Quant aux désirs mondains, c'est la concupiscence de la chair, la concupiscence des yeux et l'orgueil de la vie, qui nous portent et nous inclinent à l'amour du siècle. Quand il y a renonce; l' homme vit avec tempérance, car il met un frein à la concupiscence de la chair, à celle des yeux et l'orgueil de la vie. Quand on commence à être sobre on oppose deux sortes de sobriétés à une double ivresse. L'ivresse extérieure consiste dans l'effusion des voluptés, et l'intérieure dans l'occupation des curiosités. Par contre, la sobriété extérieure consiste à refréner les voluptés, à l'extérieur, à repousser les curiosités. Voilà comment l'homme vit avec sobriété quant à ce qui le regarde, et avec justice par rapport au prochain à qui il rend ce qui est juste. La justice consiste en deux choses, dans l'innocence et dans la bienfaisance. L'innocence en est la base et la bienfaisance le couronnement. Avec piété envers Dieu, ai-je dit: or, la piété aussi consiste en deux choses, à ne pas présumer de nous, et à mettre toute notre confiance en Dieu, pour triompher, par son secours, de tous les obstacles du monde. Il ne faut point cesser de se confier en Dieu, il faut au' contraire agir en lui avec confiance et sécurité. Tel qu'un charitable et louable médecin, il a bu le premier la potion qu'il préparait à ses malades, je veux parler de la passion et de la mort qu'il a endurées. C'est par ce moyen qu'il a recouvré la santé de l'immortalité et de l'impassibilité, et appris aux siens à boire avec confiance la potion qui produit la santé et la vie. Enfin celui qui après sa passion est entré dans la vie éternelle nous donne lieu d'espérer en toute sécurité, que nous obtiendrons la même chose de lui.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

CINQUANTE-CINQUIÈME SERMON . Les six urnes spirituelles.

1. " Il y avait là six urnes de pierres pour servir aux purifications en usage chez les Juifs (Joan. II, 6). " Voyons dans les six urnes placées là six observances proposées par Dieu à ses serviteurs, lesquelles doivent leur servir à se purifier, comme les urnes aux Juifs. Ce sont le silence (a), la psalmodie, les veilles, le jeûne, le travail manuel et la pureté de la chair. Dans l'urne du silence, nous nous purifions des péchés que la loquacité nous fait commettre. Or, il y a huit sortes de loquacité. En effet, s'il y a des paroles sottes, vaines, mensongères, et oiseuses, il y en a aussi de fourbes, de médisantes, d'impudiques et d'excusatoires. Or, toute cette peste naît de la loquacité, et il n'y a que le silence pour la faire périr dans sa racine, ou du moins pour l’empêcher de faire trop de ravages. Nous trouvons dans la psalmodie

a On retrouve la même partie exprimée dans les mêmes termes dans le deuxième sermon pour l'octave de l'Epiphanie numéro 9. L'ordre seul en a été un peu changé.

une double confession : en effet, en psalmodiant, le pécheur sent naître la componction au souvenir de ses péchés, en même temps il chante les louanges de Dieu à cause de ses justes jugements. Aussi est-ce dans cette urne tout Juif, si sa confession est droite, se purifie de l'esprit immonde du blasphème auquel il était sujet avant sa conversion. Quand il se louait lui-même et qu'il accusait Dieu, qu'était-il autre chose qu'un blasphémateur? Ne sont-ce point des blasphémateurs que creux qui disent : " La voie du Seigneur n'est pas juste ( Ezech. XVIII, 25) ? " N'est-ce point un sot blasphémateur que celui qui- s'écriait : " Il n'y a point de Dieu (Psal. LII, 1) ? " Mais une fois Converti, une fois qu'il a confessé les louanges de Dieu, et qu'il a été instruit par les divins cantiques, il a corrigé sa vie et ses discours; il s'est accusé lui-même et il a accepté ses péchés, et, en même temps qu'il loue Dieu, il attribue, non à lui-même, mais au Seigneur le bien qu'il trouve en lui. Tout cela se fait dans la psalmodie; or, par psalmodie, il faut entendre tout ce qui se chante en l'honneur de Dieu avec mélodie de cœur, que ce soient des psaumes, des hymnes ou tout autre cantique.

2. La troisième urne, d'après ce que j'ai dit plus haut, est l'urne des veilles. Elles doivent toujours être accompagnées de la persévérance dans la prière. Ainsi, nous voyons dans l’Évangile que le Seigneur passait des nuits en prières, (Luc. VI, 12) et dans les exhortations qu'il fait entendre à ses disciples, il ne sépare point la prière de la vigilance : " Veillez et priez, dit-il, pour que vous n'entriez point en tentation (Marc. XIV, 38 et Luc. XXII, 46). " Ces veilles nous purifient de nos souillures que nous contractons dans le relâchement de la somnolence, alors que, dans une sorte d'oubli, nous nous ralentissons et nous nous engourdissons dans les voies du salut. La quatrième urne est le jeûne . il ne viendra, je crois, à la pensée de personne de douter que le jeûne aussi nous purifie. C'est une vérité reconnue, que les contraires se guérissent par les contraires. Si donc nous avons péché par excès de boire et de manger, qu'avons-nous de mieux à faire que de nous purifier par l'abstinence? D'ailleurs le jeûne ne nous purifie pas seulement de ce péché, il nous donne encore la force de chasser le démon, selon ce que dit le Seigneur même : " Cette sorte de démons ne peut-être chassée que par la prière et le jeûne (Marc. IX, 28). "

3. Vient ensuite la cinquième urne qui est le travail manuel. Il n'est pas difficile de trouver comment cette urne sert aux purifications; car, pour ne point parler de tout lé reste, qui pourra estimer à sa juste valeur le prix et la grâce du travail manuel qui nous permet de passer notre vie, avec le produit de nos mains et sans porter envie aux biens de qui que ce soit ? Si on était tenté de voir dans mes paroles, non le langage de la vérité, mais une pure déclamation, il faudrait prêter l'oreille aux discours de notre maître dans la foi et la vérité, de l'apôtre saint. Paul dans sa lettre aux Thessaloniciens, où il leur enseigne et prescrit le travail. " Nous vous supplions, dit-il, et nous vous conjurons en Notre Seigneur Jésus-Christ, de vous étudier à vivre en paix, et de vous appliquer chacun à ce que vous avez à faire, de travailler de vos propres mains comme nous vous l'avons ordonné, et de vous conduire honnêtement envers ceux qui sont hors de l’Eglise, et de ne rien désirer de ce qui est aux autres ( I Thess. IV, 1, 10 à 13). " Écoutez maintenant aussi comment il pratiquait lui-même ce qu'il enseignait aux autres : " Vous savez vous-mêmes ce qu'il faut faire pour nous imiter; or, il n'y a rien eu de turbulent dans la manière dont nous avons vécu chez vous ; nous n'avons point non plus mangé votre pain sans le payer, car nous avons travaillé jour et nuit avec peine et fatigue peur n'être à charge à aucun de vous (II Thess. III, 7). " Écoutez-le aussi enseigner ce qu'il faisait: "quand nous étions avec vous, nous vous déclarions que celui qui ne veut pas travailler, ne doit point manger (Ibidem. 10). " Vous voyez avec quelles instances le Docteur des nations recommande le travail manuel. Pourquoi l'eut-il tant à coeur, si ce n'est parce que ce bon et diligent pasteur vit que le travail manuel intéressait beaucoup le salut de ses brebis?

4. Reste la dernière urne qui est la pureté de la chair. Or, cette urne nous purifie de cinq souillures corporelles, qui nous viennent par la vue, par l'ouïe, par le goût, par l'odorat et par le toucher. On peut se purifier aux cinq autres urnes, je veux dire à l'urne du silence et à celle de la psalmodie, à l'urne des veilles, à celle du jeûne, et enfin à l'urne du travail manuel, sans se purifier à la sixième. Riais si nos flancs ne sont pas ceints, c'est-à-dire si la pureté de la chair nous fait défaut, à quoi nous servira-t-il d'avoir nos lampes allumées? Aussi, faut-il conclure de là qu'il est nécessaire de nous purifier dans cette sixième urne qui, ajoutée aux cinq autres, a le pouvoir d'assurer le salut. Il faut noter encore que, dans toutes ces observances, nous devons les quatre premières à nous, la cinquième au prochain et la sixième à Dieu. En effet, c'est pour nous, pour notre propre discipline, que nous devons observer le silence, pratiquer la psalmodie, les veilles et le jeûne, c'est pour le prochain que nous devons nous exercer au travail manuel, afin de n'être à charge à personne, et de nous procurer même de quoi subvenir aux besoins des pauvres, et c'est pour Dieu que nous cultivons la pureté du corps, c'est afin de lui plaire et de faire sa volonté. Aussi, est-il écrit : " La volonté de Dieu est que vous soyez saints, que vous vous absteniez de la fornication, que chacun de vous sache posséder le vase de son corps dans la sainteté et dans l'honnêteté (Thess. IV, 3). " Que si ces urnes sont de pierre, cela veut dire que ce qu'elles représentent ne peut se pratiquer sans quelque difficulté, et que la voie qui conduit à la vie est dure et pénible. Peut-être encore est-il dit qu'elles sont de pierre, pour signifier la force, car il n'est pas facile de les briser, ni de répandre la liqueur qu'elles contiennent, ce qui arriverait bien vite si elles étaient d'argile, de bois ou de toute autre matière fragile. Enfin, peut-être par cette pierre dont elles sont faites, veut-on dire qu'elles sont chrétiennes, c'est-à-dire faites avec la pierre qui est le Christ, pour qu'elles soient établies dans la foi du Christ.
 
 
 
 
 
 

CINQUANTE-SIXIEME SERMON . Il faut emplir les six urnes d'un triple amour.

1. " Ces urnes contenaient chacune deux ou trois mesures (Joan. II, 6). " Il faut savoir avant tout que ces urnes sont tantôt pleines et tantôt vides; tantôt pleines de venin, quelquefois pleines d'eau, et parfois aussi pleines de vin, elles sont vides et vaines quand on ne les a que pour servir de vain ornement, ou pour quelque usage temporel. Elles sont pleines de venin quand on les porte avec murmure et avec aigreur. On dit qu'elles sont pleines d'eau quand on les pratique avec la crainte de Dieu. Puisque par l'eau on entend la crainte de Dieu. Ainsi on lit dans Salomon : " La crainte du Seigneur est une source de vie (Prov. XIV, 27). " Elles sont pleines de vin quand la crainte se change en amour, car l'amour chasse la crainte, attendu que ce qu'on faisait sous l'empire de- la crainte du châtiment se fait alors avec plaisir et amour de la justice. Le Seigneur ne veut pas qu'elles soient vides ou vaines, il donne l'ordre de les faire remplir d'eau, mais c'est pour qu'elle se change en vin qu'il les fait remplir d'eau. Mais à qui le Seigneur ordonne-t-il de les remplir d'eau? C'est aux serviteurs, c'est-à-dire à ceux qu'il a établis sur toute sa maison pour distribuer, en son temps, à tout le, monde une mesure de froment ; mais auparavant Marie a préparé leur esprit en disant : " Faites ce qu'il vous dira (Joan. II, 5). " Ce trait nous apprend que nous ne devons point nous ingérer dans l'office de prédicateur, si nous n'y sommes préparés d'abord par Marie, c'est-à-dire par la grâce qui est la mère de la prédication, autrement nous entendrions dire de nous : " Ils ont régné par eux-mêmes, non point par moi; ils ont été princes, et je ne l'ai point su (Osee. VII, 4). " Ce sont donc les serviteurs qui emplissent d'eau les urnes; ils disent dans leurs prédications des choses merveilleuses de la douceur du royaume de Dieu, et font retentir des paroles terribles, eu parlant de l'horreur des supplices éternels; ceux qui les entendent parler conçoivent une double crainte, l'une d'être privés de la douceur du royaume de Dieu, l'autre d'être exposé aux supplices éternels. Voilà comment les urnes contiennent deux mesures ? Mais que faut-il entendre par ces mots, ou trois mesures? Le voici, ajoutez une troisième crainte aux deux premières, et vous aurez trois mesures. Les deux premières craintes ont rapport à l'avenir, elles sont très utiles; mais il y a une troisième qui a rapport au présent, elle est bien préférable, c'est celle qui nous fait craindre et appréhender constamment que la grâce intérieure nous abandonne. Ainsi quiconque est rempli de cette crainte, a évidemment ajouté une troisième mesure aux deux premières.

2. Or, il faut remarquer que ce n'est que lorsque les urnes furent remplies d'eau jusqu'au haut, que l'eau fut changée en vin; la raison demande, en effet, que si la crainte est le principe de la sagesse, la plénitude de la dilection suive la perfection de la crainte. Aussi le maître d'hôtel dit-il à l'époux : "Tout homme commence par servir le bon vin, et quand on a bien bu il sert en de moindre qualité; pour vous, vous avez réservé le bon vin jusqu'à cette heure (Joan. II, 10). " Les gens du monde, quand ils désirent s'élever aux honneurs, commencent par mettre les autres hommes dans leurs intérêts par l'amour. Mais à peine ont-il atteint leur but que, enflés par le pouvoir, ils font plier devant eux, par la crainte, ceux-là mêmes à qui ils témoignaient de l'amour quand ils n'étaient que de simples particuliers, bien loin de chercher à leur inspirer de la crainte. Ces gens-là commencent par servir le bon vin, je veux dire par témoigner de l'amour; et quand on est enivré de leur amour, alors ils servent quelque chose de moins bon, c'est-à-dire la crainte. Notre Époux fait tout le contraire. Il réserve toujours pour la fin, le bon vin, et il nous verse d'abord ce qui, au prix de son bon vin, est un vin de qualité inférieure, en nous disant : " Mon fils, quand vous vous présentez pour servir Dieu, tenez vous dans la crainte (Eccl. II, 1). " Si la crainte a fait de vous son serviteur, la charité lui fera de vous un ami, voilà comment l'eau se trouvera changée en vin. C'est pour cela que vous vous purifiez dans les six urnes de la crainte, et pour cela aussi que vous vous approchez de lui dans,la crainte, comme un serviteur de son maître, afin de passer de l'état de serviteur à la condition de fils.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

CINQUANTE-SEPTIÈME SERMON . Les sept sceaux rompus par le Christ.

1. " Voici le Lion de la tribu de Juda, le rejeton de David qui a obtenu par sa victoire le pouvoir d'ouvrir le livre, et d'en rompre les sept sceaux (Apoc. V, 5). " Ces sept sceaux ce sont sa naissance temporelle, sa circoncision légale, la purification de sa mère, sa fuite en Égypte, les besoins du corps, son baptême et sa passion. En effet, ce sont là autant de cachets de l'humanité dont la sagesse de Dieu incarnée a voulu être tenue et scellée. Elle est la seconde personne de la Trinité, et, bien que le Père, le Fils et le Saint-Esprit aient également contribué à l'incarnation, ce n'est toutefois ni le Père, ni le Saint-Esprit qui se sont incarnés, mais uniquement le Fils. Il est vrai que le Père et le Saint-Esprit, étant inséparables du Fils, remplissaient sa chair, mais ils ne l'emplissaient que par la présence de leur majesté, non point par la réception de leur personne. Voilà pourquoi, en même temps que le Fils fait éclater, dans sa chair, la puissance du Père par ses oeuvres, et la bonté du Saint-Esprit par la rémission des péchés, il cèle sous les sceaux dont j'ai parlé plus haut, ce qui le touche, ou plutôt ce qui est tout lui-même, je veux dire la Sagesse de Dieu. Il s'est produit ainsi une chose merveilleuse et surprenante, la force suprême s'est faite faible, et, s'il m'est permis de parler ainsi, ce que je ne ferai qu'avec le sentiment d'un profond respect, la sagesse s'est, en quelque sorte, faite insensée. Mais pourquoi hésiterai-je à répéter ce que le Docteur des nations ri a pas craint de nous enseigner. Or voici ce qu'il croyait, ce qu'il enseignait, ce qu'il écrivait même . " Pour nous, disait-il, nous prêchons Jésus crucifié, ce qui est un scandale pour les Jdlfs, et une folie Ax yeux des gentils. Mais c'est la force même et la sagesse de Dieu pour ceux qui sont appelés, soit Juifs, soit Gentils. Parce que ce qui paraît en Dieu une folie est plus sage que la sagesse de tous les hommes, et que ce qui semble en Dieu une faiblesse est plus fort que la force de tous les hommes (I Cor. I, 23 à 25). "

2. Toutefois cette force était cachée et devait se parfaire dans l'humilité, pour accomplir tous les oracles des prophètes. Ainsi un Dieu impassible a souffert sur la croix, et celui qui est le Fils immortel de Dieu est mort et a été enseveli dans notre chair mortelle. Mais le troisième jour il est ressuscité d'entre les morts, et l'Agneau de la passion est devenu le lion de la résurrection. " Le Lion de la tribu de Juda s'est levé et il a vaincu; " car il a foulé aux pieds, en ressuscitant par sa propre vertu, la mort qu'il avait soufferte par suite de notre propre faiblesse, et maintenant " qu'il est ressuscité d'entre les morts, la mort n'aura plus jamais d'empire sur lui (Rom. VI, 9). " Mais c'est en ressuscitant et en montant au ciel qu'il a ouvert le livre, attendu que c'est alors, selon la sainte Écriture, que sa divinité devint manifeste à tous les regards. Aussi est-il écrit : " Élevez-vous plus haut que les cieux, Seigneur Dieu, et votre gloire éclatera sur toute la terre (Psal. CVII, 4). " Il a aussi brisé les sept sceaux de ce livre, quand il a ouvert l'esprit des fidèles à l'intelligence des livres saints, et quand il a montré plus clair que le jour que tout ce que la Loi et les Prophètes avaient prédit de ses mystères sous le voile de l'allégorie, je veux dire tout ce qu'il a fait dans le temps par le ministère de l'homme, avait été prédit de lui et se trouvait accompli en lui.
 
 
 
 
 
 

CINQUANTE-HUITIÈME SERMON . Les trois saintes femmes qui vont embaumer le corps de Jésus mort, sont l’esprit, la main et la langue qui travaillent au salut du prochain.

1. Que nous représentent ces trois saintes femmes qui s'en vont acheter des parfums après la mort de Jésus, pour embaumer son corps, déposé dans le tombeau? Quel exemple nous donnent-elles à suivre dans leur action 2 Car, selon saint Grégoire (S. Gregor. in homil. Paschae), tout ce qui s'est fait est un signe de ce qu'il faut faire dans la sainte,Église. Pour nous donc, si nous voyons que le Christ, c'est-à-dire la foi du Christ, a cessé de vivre dans le coeur de quelqu'un de nos frères, il faut employer tous nos soins pour venir embaumer son corps et nous approcher de lui, après avoir fait emplette de parfums. Les trois saintes femmes de l'Évangile nous représentent trois puissances qui se procurent chacune les parfums qui leur conviennent. Quelles sont-elles? Ce sont l'esprit, la main et la langue. En effet, quiconque achète, donne quelque chose et reçoit une autre chose ; et ce qu'il donne, il le perd pour acquérir ce qu'il reçoit. L'esprit donne l'écu de sa volonté propre, et il fait emplette de sentiments de compassion, de zèle pour la justice, et de discernement dans le conseil. La main paie en monnaie d'obéissance, et reçoit, en échange, la patience dans les tribulations, la persévérance dans l'action, et la continence dans la Chair. Quant à la langue, elle donne le denier de la confession, et reçoit la mesure dans la correction, l'abondance dans l'exhortation, et l'efficacité dans la persuasion.

2. Après s'être approvisionnées de parfums, elles s'entretenaient entre elles le long du chemin et se disaient : " Qui nous ôtera la pierre qui ferme l'entrée du sépulcre (Ibidem) ? Or, cette pierre, c'est la tristesse excessive, ou la paresse, ou la dureté. Car, tant qu'elles ferment l'entrée du coeur, il est inutile que l'esprit, la main et la langue s'approchent du mort avec leurs parfums pour l'embaumer. Mais parce que il est écrit : " Votre oreille, Seigneur, a entendu la préparation même de son coeur (Psal. IX, 17), " elles voient la pierre écartée et elles entrent dans le sépulcre, mais alors elles apprennent que le mort dont elles venaient embaumer le corps est ressuscité. Qui le leur fait connaître ? Qui le leur annonce? C'est un ange qui avait été témoin de cette résurrection. Aussi voit-on le visage de celui en qui le Christ est ressuscité plus joyeux et son aspect plus beau; son langage est plus pur, sa démarche plus modeste et son esprit plus prompt à toute espèce de bonnes oeuvres. Or, qu'est-ce que tout cela, sinon autant de gais messagers de sa résurrection intérieure ? On pourrait de même donner un sens figuré à tous les autres détails de la résurrection de Jésus-Christ, dans le linceul trouvé sur la pierre du sépulcre, dans l'annonce faite par l'ange que le Seigneur se fera voir en Galilée, et dans tous les autres traits du récit évangélique, en sorte que tout ce qu'on raconte comme s'étant passé dans le chef, se trouve reproduit au sens moral dans son corps.
 
 
 
 
 
 

CINQUANTE-NEUVIÈME SERMON. Les trois pains de l'homme spirituel.

1. " Mon ami, prêtez-moi trois pains (Luc. XI, 5). " Mon ami, en arrivant de route, je veux dire notre prochain quel qu'il soit, quand il se convertit, a besoin de trois pains pour se restaurer. Le premier de ces pains est celui de la continence qui resserre le tissu du corps et l'empêche de se répandre dans les voluptés mortelles. Le second est celui de l'humilité qui fortifie l'âme et l'empêche de tirer vanité de sa continence. Le troisième pain est celui de la ferveur, de la charité qui allume le feu dans notre âme et qui conserve pour toujours le corps et l'âme en même temps dans la chasteté et dans l'humilité. Ces trois vertus, je veux dire la chasteté, l'humilité et la charité, sont comme les trois pains qui restaurent les forces de l'homme de Dieu et l'affermissent en sorte que selon le mot de l'Apôtre, il ait le corps, l'âme et le coeur en bon état au jour de l’avènement du Seigneur ( I Cor. I, 7). Or, par Pâme, j'entends la grâce qui, selon le même apôtre, vient en aide à notre faiblesse, et nous empêche de tomber en défaillance, en attendant le moment où nous pourrons moissonner le bien que nous avons semé. (Rom. VIII, 26). Le premier des trois pains est le pain de la chair ou du corps, le second est celui de la raison, et le troisième celui de l'esprit. Toutes les fois qu'on se trouve à court de ces pains, il faut en demander à Dieu. Ce n'est pas sans raison qu'on en demande trois, car il y a trois êtres à restaurer; l’âme qui est comme l'homme, la chair qui est comme la femme, et l'esprit qui est comme le serviteur de l'un et de l'autre. Notez encore qu'il ne dit pas : donnez-moi, mais " prêtez-moi trois pains, "pour indiquer par là qu'il se propose de les lui rendre; et, en effet, le prêtre doit obtenir de Dieu la grâce pour le pécheur qui se convertit, mais il ne saurait se rapporter le fruit de cette grâce, il doit l'attribuer à Dieu.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

SOIXANTIÈME SERMON. Jésus-Christ est descendu et il est remonté, ainsi descendons-nous et remontons-nous aussi.

1. " Personne n'est monté au ciel que celui qui est descendu du ciel, le Fils de l'homme qui est dans le ciel (Joan. III, 23). " Notre-Seigneur (a) et Sauveur Jésus-Christ voulant nous apprendre à monter au ciel, a fait ce qu'il nous a enseigné et est monté lui-même au ciel. Mais comme il n'aurait pu monter s'il n'avait commencé par descendre, la divinité, étant un être simple, ne lui permettait ni de monter ni de descendre, attendu qu'elle ne peut ni croître ni diminuer ou changer en quelque manière que ce soit, il unit donc à sa personne notre nature, je veux dire la nature humaine, afin de pouvoir et monter et descendre, et nous enseigner la voie par laquelle nous pouvions monter nous-mêmes. C'est ce que nous indiquent les paroles de l'Évangile que je vous ai citées. Ces paroles, en effet, " nul n'est monté au ciel que celui qui est descendu du ciel, " expriment qu'il s'est uni la nature humaine; et celles-ci qui viennent ensuite, " celui qui est dans le ciel, " rappellent l'immuabilité de sa nature divine. Ces paroles nous indiquent également qu'il est aussi la voie par laquelle nous devons

a. Ce passage se trouve reproduit au livre VII des Fleurs de saint Bernard, chapitre I, et les suivants au chapitre II.

monter, et la patrie où nous devons demeurer; la voie pour ceux qui ont encore dans le passage, et la patrie pour ceux qui y sont parvenus. Tout en demeurant ce qu'il était dans sa nature, il est descendu et il est remonté chez nous à cause de nous, en atteignant depuis une extrémité jusqu'à l'autre avec force, et en disposant tout avec douceur (Sap. VIII, 1). Il est en effet descendu si bas qu'il ne convenait pas qu'il descendit davantage, et il est monté si haut qu'il ne saurait monter plus qu'il l'a fait. Pour ce qui est de descendre, il est descendu avec force, parce qu’il était la force même, mais il a disposé son ascension avec douceur, parce qu'il était la Sagesse. " Il est descendu " lisons-nous, " il n'est pas tombé, celui qui tombe ne descend point par degré, au contraire, quand on descend on pose le pied d'un degré sur l'autre.

2. Il y a donc dés degrés pour descendre comme il y en a pour monter. A la descente, le premier degré est celui qui conduit du haut du ciel à la nature humaine.; le second, celui qui aboutit à la croix, et le troisième est celui qui va jusqu'à la mort. Voilà, en effet, jusqu'où il est descendu. Aurait-il pu descendre plus bas encore? Certainement, notre Roi pouvait dire et s'écrier dans le sentiment de son coeur, s'il m'est permis de le dire: " Y a-t-il quelque chose de plus que j'aie dû faire et que je n'ai point fait (Isa V, 4) ? Personne ne saurait avoir un amour plus grand que celui qui va jusqu'à donner sa vie pour ses amis (Joan. XV, 13). " Nous venons de voir comment il est descendu, voyons maintenant comment il est monté. Il l'a fait aussi par trois degrés, dont le premier est la gloire de sa résurrection; le second, la puissance du jugement, et lé troisième, la place qu'il occupe à la droite de son Père. Par sa mort, il a mérité de ressusciter; par sa croix, de siéger sur le tribunal du juge; car, s'il fut injustement jugé sur la croix, il devait en obtenir une juste réparation le jour où il s'écrierait après sa résurrection : " Toute puissance m'a été donnée dans le ciel et sur la terre (Matt. XXVIII, 18). " Quant à sa forme d'esclave, à sa chair, veux-je dire, dans laquelle il a souffert et il est mort, il l'a ressuscitée et élevée au plus haut des cieux, il l'a placée au dessus des choeurs des anges, à la droite de son Père. Quoi de plus doux que cette disposition dans laquelle la mont est absorbée dans sa victoire, et l'ignominie de la croix se change eu gloire ? Au point que les saints s'écrient : "Loin de moi la pensée de me glorifier en autre chose que la croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ (Galat. VI, 14). " Quoi de plus doux, dis-je, que cette disposition dans laquelle l'humilité même de la chair passe de ce monde vers le Père ? Non, il n'y a rien de plus sublime que cette ascension: on ne saurait ni dire ni concevoir rien de plus glorieux. Voilà comment le Seigneur est descendu et comment il est monté par le mystère de son incarnation, et nous a laissé un exemple pour que nous marchions sur ses pas.

3. Quant à nous, nous devons prendre exemple pour nos moeurs sur son mystère; " car quiconque dit qu'il demeure dans le Christ, doit marcher comme il a marché lui-même (Joan. II, 6). " Descendons donc par la voie de l'humilité, et que notre premier degré, je veux dire notre premier pas, soit de ne vouloir point dominer; le second, de vouloir être soumis, et le troisième de souffrir avec patience dans notre soumission, toute espèce de mépris et d'injures. Celui qui, dans les cieux, disait dans son coeur : " Je monterai au ciel, j'établirai mon trône au dessus des astres de Dieu; je m'assoirai sur la montagne de l'alliance, à côté de l'Aquilon; je me placerai au dessus des nuées les plus élevées, et je serai semblable au Très-Haut (Isa. XIV, 13), " ne connaissait point le premier degré; aussi, en s'exprimant ainsi, tomba-t-il du ciel d'une chute irréparable, et cela parce que c'est un orgueil intolérable que de vouloir dominer. Quant à nos premiers parents, dans le paradis, ils ont manqué du second degré, quand ils aimèrent mieux abuser de leur volonté que de se soumettre au Créateur; toutefois , ils ne poussèrent point la présomption jusqu'à vouloir dominer sur ceux de leur race. Aussi leur faute et leur châtiment furent-ils bien différents de l'orgueil et de la chute du diable, et méritèrent-ils de la clémence de Dieu d'être rachetés. Quant au troisième degré il fait défaut à ceux qui croient pour un temps, et qui se retirent au moment de la tentation.

4. Je vous dis toutes ces choses pour que nous sachions bien quels sont ceux que nous devons nous donner bien de garde d'imiter. En effet, le diable et l'homme voulurent également s'élever mal à propos l'un et l'autre, celui-ci à la science, et celui-là à lai puissance et tous les deux à l'orgueil. Ne veuillons point nous élever de la sorte, au lieu de cela, écoutons plutôt le Prophète se demandant comment il faut monter. " Qui est-ce qui montera sur la montagne du Seigneur? Ou qui est-ce qui s'arrêtera dans son lieu saint ? Ce sera celui dont les mains sont innocentes, et dont le coeur est pur, qui n'a pas reçu son âme en vain, ni fait à son prochain des serments faux et trompeurs (Psal. XXIII, 3). " Or, il faut noter ici que le Prophète compte aussi trois degrés pour accomplir notre ascension. Le premier est l'innocence des oeuvres, le second la pureté du coeur, et le troisième le fruit de l'édification. Or nous retrouvons ces trois degrés indiqués d'une façon admirable dans les degrés de l'ascension dont il a été parlé plus haut. En effet, nous avons vu alors que le troisième degré est le support des injures, c'est, en effet, à cela qu'on reconnaît le premier degré de cette ascension, je veux dire l'innocence des oeuvres. Le second degré était la patience de la sujétion qui est le fruit de la pureté du coeur; or, cette pureté est le second degré de l'ascension. C'est, en effet, pour cela que nous avons des docteurs placés à notre tête ; c'est pour que nous purifiions notre coeur, selon ce mot du Seigneur : " Vous êtes déjà purs à cause de la parole que je vous ai dite (Juan. XV). " Or, le premier degré de l'ascension était le mépris de la domination qui est lui-même le fruit de l'édification. Or, quiconque ne désire point dominer les autres se trouve très utilement chargé de les conduire et de les former.
 
 
 
 

SOIXANTE ET UNIÈME SERMON . Il y a quatre montagnes à gravir.

1. Qui est-ce qui montera sur la montagne du Seigneur (Psal. XXIII, 3) ? " Jésus-Christ s'est élevé une fois avec son corps au plus haut des cieux, et maintenant il monte spirituellement tous les jours dans le coeur de ses élus. Si donc nous voulons monter avec lui, il faut que de la vallée des vices nous nous élevions sur la montagne des vertus. Or, les vices sont de deux sortes (a) : les uns ne nuisent qu'à nous, et les autres nuisent au Prochain ; les uns sont des fautes, les autres des crimes ; mais les uns et les autres sont appelés la vallée des larmes, attendu que la vie des pécheurs doit être pleurée avec un fleuve de larmes. Or, de la vallée des fautes, on monte sur la montagne de la chasteté par la triple continence des membres, des sens et des pensées. La première de ces continences consiste dans la répression des actes, dans la seconde on évite les regards, et la troisième coupe les sentiments dans la racine. On monte de même de la vallée des crimes sur la montagne de l'innocence. Or, voici l'échelle qui y donne accès : " Ne faites point aux autres ce que vous ne voulez pas qu'on vous fasse à vous-même (Matt. VII, 12) : " elle compte trois échelons de crainte ; car il y a la crainte de celui qui souffre et qui peut nous rendre la pareille; celle du pouvoir du supérieur qui peut nous punir, et enfin celle du juge intérieur qui rend à chacun selon ses oeuvres. Quand on est parvenu au haut de cette montagne, on est juste, et on vit de la foi, mais il faut alors, suivant l'Apôtre, souffrir persécution (II Tim. III, 12).

2. Il faut donc passer du mont de l'innocence au mont de la patience où se dresse aussi une échelle à trois échelons dont le premier est la passion du Seigneur, le second la force des martyrs, et le troisième la grandeur de la récompense. On pourrait les nommer les degrés de la pudeur, de même que nous avons appelé ceux de l'innocence les degrés de la crainte. Notez bien que le mont de la patience est, suivant les degrés, ardu, épineux ou aride. 11 est ardu à cause de la difficulté d'imiter la passion de Notre-Seigneur, épineux à cause des aiguillons de la tentation qui sont nombreux; en effet, ce sont les pertes de biens, les paroles de mépris, les souffrances du corps qui éprouvent la constance des saints martyrs ; aride, à cause de la récompense des mérites qui ne s'accorde point en ce monde, mais en l'autre. Après ce mont, il y en a encore un à gravir, mais ce mont est le mont des monts et quand on en a atteint le sommet on trouve que le Seigneur y habite. Aussi est-il écrit : " Il a choisi le séjour de la paix pour sa demeure (Psal. LXXV, 2). " Or, sur ce mont se dresse également une échelle, celle de la charité, ce qui fait dire au Seigneur : " Faites aux hommes tout ce que vous voulez qu'ils vous fassent (Matt. VII, 4, et Tob. IV, 16). " Or, nous voulons qu'on nous rende le bien que nous faisons, qu'on nous pardonne nos fautes et qu'on nous donne sans pensée de retour.

a Tout ce passage se trouve reproduit dans le livre VII des Fleurs de saint Bernard, chapitre XXXI.
 
 
 
 

SOIXANTE-DEUXIÈME SERMON . Véritables et différentes manières de suivre le Christ.

" Que celui qui se met à mon service me suive. " Il y en a qui, au lieu de suivre le Christ le fuient; il y en a d'autres qui ne le suivent point, mais le devancent : plusieurs marchent à sa suite sans pouvoir l'atteindre, et enfin on en voit qui le suivent et l'atteignent. Ceux qui fuient Jésus-Christ au lieu de le suivre sont ceux qui ne cessent point de pécher, c'est d'eux qu'il est écrit : " Quiconque fait le mal hait la lumière (Joan. XII, 26), " et qu'un Prophète a dit : " Ceux qui s'éloignent de vous, Seigneur, périront (Psal. LXXII, 27). " Quant à ceux qui ne le suivent pas, mais le précèdent, ce sont ceux qui préfèrent leurs sentiments à ceux des maîtres. Tel était Pierre, quand il blâmait le Sauveur qui voulait souffrir pour notre salut, et lui disait : " Ah Seigneur, à Dieu ne plaise, cela ne vous arrivera pas (Matt. XVI, 23) " On suit le Seigneur sans l'atteindre quand on agit avec nonchalence et relâchement, ou quand, fatigué de le suivre, on retourne à moitié chemin. A ceux-là l'Apôtre dit : " Relevez donc vos mains languissantes, et fortifiez vos genoux affaiblis, conduisez vos pas dans des voies droites, afin que, s'il y en a parmi vous qui soient chancelants, ils ne s'écartent pas du chemin, mais plutôt qu'ils se redressent (Hebr. XII, 12.) " Enfin, on le suit et on l'atteint quand on s'engage de tout son coeur et avec persévérance dans la voie de (humilité, car c'est alors qu'on marche véritablement à la suite du Seigneur. " Que celui qui se met à mon service, me suive, " c'est-à-dire m'imite. Mais quel fruit en recueillera-t-il ? Le Seigneur répond : " Mon serviteur sera aussi là où je suis (Joan. XII, 26). " Le fruit de l'imitation de Jésus-Christ est donc la félicité éternelle.
 
 
 
 
 
 

SOIXANTE-TROISIÈME SERMON. Des trois moyens de recouvrer la béatitude prescrits par Jésus-Christ dans ces termes : Que celui qui veut venir après moi, etc.

Que celui qui le veut a vienne après moi, par moi et à moi; après moi parce que je suis la vérité, par moi parce que je suis la voie, à moi parce que je suis la vie. " Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il renonce à soi-même, qu'il porte sa croix et me suive (Luc.IX, 23). " Il y a trois choses que le Christ, la Vertu, la Sagesse de Dieu, l'Ange du grand Conseil, propose à l'âme raisonnable créée à l'image de la Sainte Trinité, ce sont la servitude, l'abaissement et l'aspérité. La servitude est désignée par le renoncement à soi, l'abaissement, par le portement de la croix, et l'aspérité, par l'imitation du Christ; c'est ainsi que l'homme qui, par sa désobéissance, était tombé de l'état de sa triple félicité, se trouvant humilié par l'affliction de sa triple misère, se relèvera par son obéissance. Il était déchu de lui-même de la société des anges et de la vision de Dieu, c'est-à-dire de la liberté, de la dignité et de la félicité. Qu'il écoute donc un conseil, et, en se renonçant lui-même, c'est-à-dire en renonçant à sa volonté propre, il récupèrera sa liberté; en prenant sa croix, c'est-à-dire en crucifiant sa chair avec Ses vices et ses concupiscences, il retrouvera, par le bien de la continence, la société des anges; en suivant le Christ, c'est-à-dire en imitant sa passion, il recouvrera la vision de sa splendeur, attendu que si nous souffrons avec lui nous régnerons aussi avec lui (Rom. VIII, 7).

a Les Fleurs, de saint Bernard, reproduisent tout ce passage au livre VIII, chapitre XXXI.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

SOIXANTE-QUATRIÈME SERMON . La vie et la mort des saints sont précieuses.

1. " C'est une chose précieuse aux yeux du Seigneur que la mort de ses saints (Psal. CXV, 5). " Ce qui rend la mort des saints précieuse aux yeux de Dieu, c'est tantôt leur vie, tantôt la cause même de cette mort, et tantôt enfin l'une et l'autre en même temps. Chez les confesseurs (a) qui meurent dans le Seigneur, ce qui rend leur mort précieuse, c'est leur vie. Dans les martyrs qui meurent pour le Seigneur, ce qui donne du prix à leur mort, c'est tantôt uniquement la cause de cette mort, et tantôt simultanément cette même cause et leur Vie. La vie des uns rend leur mort précieuse, la cause de la mort des autres la rend plus précieuse, et la réunion de la cause de la mort à ce mérite de leur vie rend la mort des troisièmes infiniment précieuse.

2. Or, il y a trois choses qui rendent sainte la vie d'un homme c'est la sobriété dans le genre de vie, la justice dans les actes, et la piété dans les sentiments. Or, la sobriété dans le genre de vie consiste à vivre avec continence, en bonne intelligence avec nos frères, avec obéissance, avec chasteté, avec charité et avec humilité. Or, par la continence, c'est la chasteté qu'on acquiert; par la bonne intelligence, c'est la charité, et par l'obéissance c'est l'humilité. Or, telle est la vertu qui rend l'âme parfaitement soumise à Dieu, et la fait vivre en sécurité à l'ombre de ses ailes. La justice dans les actes consiste à être droit, discret et fructueux. Droit par la bonté d'intention, discret en se maintenant dans la mesure de la possibilité, et fructueux en procurant le bien du prochain. Les sentiments seront pieux si notre foi tient Dieu pour souverainement puissant, souverainement sage et souverainement bon, si nous croyons que sa puissance soutient notre faiblesse, que sa sagesse corrige notre ignorance, que sa bonté efface notre iniquité. Il y a trois choses qui rendent la mort des saints précieuse : c'est le repos après le travail, la joie produite par la nouveauté et la sécurité naissant de l'éternité.

a Ce passage est reproduit dans les Fleurs de saint Bernard, livre VIII, chapitre LXXXIV ; on en trouve d'autres tirés du même sermon, n. 2, dans le même livre, chapitre LXXVII.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

SOIXANTE-CINQUIÈME SERMON. Rapport étroit entre ces trois paraboles, que nous lisons en saint Matthieu : "Le royaume du ciel est semblable à un trésor caché dans un champ, etc.

1. Les trois paraboles qu'on vient de nous lire nous montrent trois degrés. Le champ est notre corps, tant que les désirs passionnés y règnent en maîtres, c'est un champ inculte et frappé de malédictions qui ne produit que des ronces et des épines. En effet, qui est-ce qui le croirait capable, en cet état, de produire de dignes fruits de pénitence ? ô âme insensée, pourquoi exposes-tu ainsi ton corps ? ne sais-tu pas ce qu'il y a de caché en lui? Qu'est-ce, sinon le royaume des cieux? Tu penses trouver en lui des oeuvres de salut par lesquelles il te sera possible d'acquérir le royaume des cieux. Achète-le donc ce champ et mets toi-même ton corps à l'abri des atteintes de tes concupiscences, et paies-en l'acquisition au prix des aliments et des occasions de ces mêmes concupiscences.

2. Quand tu auras découvert le trésor caché dans ton champ, fais du négoce et cherche des perles précieuses, si tu en trouves une bien précieuse, alors vends ce que tu possèdes, et achète-la. Mais quelle est cette perle unique et si précieuse? Il ne faut point s'étonner si, pour un trésor, le négociant a vendu tout ce qu'il avait, c'est-à-dire s'il a vendu ses péchés pour acquérir des richesses de salut, et s'il a renoncé à tout ce qui fomente le péché. Car dans le principe, il n'avait pas autre chose que cela. Mais à présent qu'il a trouvé ce trésor , comment se fait-il qu'il cherche de bonnes perles et que pour une seule il vende tout ce qu'il possède? A mon sens, je crois que cette perle unique n'est autre chose que l'unité. Or, celui qui cherche de bonnes perles, c'est celui qui, dans les oeuvres de salut, ne se contente pas des biens inférieurs, mais recherche les biens les plus élevés et les plus excellents. Comme il ne trouve rien de plus précieux que l'unité, il n'épargnera point le reste de son avoir pour se la procurer, et il préfèrera, sans balancer, l'unité aux jeûnes, aux veilles et aux prières.

3. Or, je veux qu'on demeure si bien dans l'unité qu'on y soit non pas comme si tous ne faisaient qu'un, mais comme si un seul était avec tous. Qu'on ouvre son sein bien large, qu'on enferme dans ses entrailles toute sorte d'affections, qu'on se fasse tout à tous, également prêt à se réjouir ou à compatir avec tous, à partager la joie de ceux qui sont dans la joie, et les larmes de ceux qui pleurent. Car un jour viendra où, assis sur le rivage, le pécheur rejettera du filet de la charité tous les mauvais poissons, et mettra au rebut tout ce qui est mauvais.
 
 
 
 
 
 

SOIXANTE-SIXIÈME SERMON. Les huit béatitudes sont opposées à autant de péchés.

1. Le remède du péché a suivi dans le même ordre que le péché a précédé. Le premier péché 1 a été commis dans le ciel par l'orgueil de l'ange prévaricateur qui a dit en son coeur : " Je monterai au ciel, j'établirai mon trône au dessus des astres de Dieu; je m'assoirai sur la montagne de l'alliance, à côté de l'Aquilon, je me placerai au dessus des nuées les plus"élevées, et je serai semblable au Très-Haut (Isa. XIV, 3). " Il s'enfla au dedans de lui-même et, chassé du milieu des esprits bienheureux, il perdit le royaume des cieux. C'est contre ce péché qu'il a été dit : " Bienheureux les pauvres d'esprit, parce que le royaume des cieux est à eux (Matt. V, 3). " Le second péché a été commis dans le paradis terrestre par la désobéissance de la femme. A la suite de ce péché, la chair se révolta contre l'esprit, en sorte que de même que l'esprit s'était révolté contre le Créateur, la chair refusa de se soumettre à l'esprit. C'est contre ce péché qu'il a été dit : " Bienheureux ceux qui sont doux, parce qu'ils posséderont la terre (Ibid.) " Le Seigneur renferme le remède à ces deux péchés dans ces mots: " Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur (Matt. XI, 29). " Le troisième péché est celui que fit Ève quand elle entraîna Adam dans sa faute. Elle aurait dù pleurer sa faute au lieu d'en ajouter une seconde à la première, mais elle crut trouver une consolation si elle faisait participer son mari à son péché. C'est en effet un sentiment de la nature de vouloir trouver quelqu'un qui partage nos vices ou nos vertus. C'est contre ce péché qu'a été donné ce remède: " Bienheureux ceux qui pleurent, parce qu'ils seront consolés (Matt. V, 6). "

2. Adam, par son consentement, commit le quatrième péché, car Adam ne fut pas séduit, tandis que ce fut la séduction qui entraîna Ève dans sa faute. Ève pécha par ignorance et Adam par faiblesse. L'affection trop grande qu'il avait pour sa femme le conduisit au péché, non parce qu'il fit la volonté de sa femme, mais parce qu'il préféra cette volonté à celle de Dieu; c'est pour cela que le. Seigneur a dit : " Puisque tu as mieux aimé obéir à la voix de ta compagne qu'à la mienne, la terre te sera maudite (Gen., III, 17). " Il était juste, en effet qu'il obéit préférablement à celui à qui il devait le plus, et qui oserait douter qu'Adam ne dût plus à Dieu qu'à Ève? Si l'amour l'attachait à sa femme, à plus forte raison l'amour et la crainte devaient l'attacher à Dieu. Ces deux liens devaient avoir plus d'empire sur lui pour; lui faire observer le précepte de Dieu, que la seule affection qu'il avait pour sa compagne. Le remède contre ce quatrième péché est dans ces paroles de l'Apôtre : " Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés (Matth., V, 6). " Or Adam eut la justice, car Dieu le créa juste; mais son libre arbitre, qui l'empêcha de suivre la justice, l'en détourna facilement. C'est ce que dit le Psalmiste lorsque, en parlant du Christ, il s'écrie : " Vous avez aimé la justice et détesté l'iniquité (Psal., XLIV, 8). " Adam commit un cinquième péché, en rejetant sa faute sur Ève, lorsqu'il dit : " La femme que vous m'avez donnée pour compagne m'a présenté du fruit et j'en ai mangé (Gen. III, 12). " D'abord il se. montra cruel envers lui-même en excusant son péché, ensuite envers son épouse en l'accusant. Il pensa ainsi se venger en accusant celle dont l'amour l'avait porté au péché. C'est contre ce péché qu'il est dit : " Bienheureux les miséricordieux, par ce qu'il leur sera fait miséricorde (Matt., V, 6). "

3. Le sixième péché est celui que commit Ève lorsque Dieu, en lui reprochant sa faute, lui demanda pourquoi elle avait agi ainsi. Elle répondit en effet : " Le serpent m'a trompée, et j'ai mangé du fruit (Gen. III, 13). " Elle s'est laissée aller à des paroles de malice et à chercher des excuses à son péché (Psal. CXL, 4), en rejetant sa faute sur le serpent, comme si elle cessait d'être coupable pour avoir été tentée quand les suggestions du serpent ne lui auraient fait aucun mal si elle avait refusé le consentement de sa propre volonté; peut-être bien aussi s'était-il déjà élevé en elle quelque mouvement d'orgueil qui lui valut d'être séduite parle serpent. C'est contre ce péché qu'il a été dit : " Bienheureux ceux qui ont le coeur pur, car ils verront Dieu (Matt. V. 8). " Le septième péché se commit hors du paradis terrestre, lorsque Caïn s'éleva contre son frère Abel et le tua (Gen. IV, 8). C'est depuis ce moment qu'il est devenu habituel aux méchants de se lever contre les bons, et de les opprimer : Voici le remède de ce péché : " Bienheureux les pacifiques, parce qu'ils seront appelés les enfants de Dieu (Mati. V, 9). " Si les méchants ne cessent point leurs persécutions, il faut que les bons les souffrent avec patience, en attendant les paroles consolantes qui suivent et qui leur sont adressées : " Bienheureux ceux qui souffrent persécution à cause de la justice, parce que le royaume des cieux est à eux (Ibidem). " Voilà à quel point l'avènement du Christ fut nécessaire pour soumettre la chair à l'esprit, remettre l'homme en paix avec lui-même et le réconcilier avec Dieu.

a Les Fleurs de saint Bernard reproduisent une partie de ce Sermon, dans le livre X, chapitre I.
 
 
 
 

SOIXANTE-SEPTIEME SERMON. La loi comprend deux sortes de préceptes, les préceptes moraux et les figuratifs.

1. " La loi a été donnée par Moïse, c'est par Jésus-Christ que la grâce et la vérité nous ont été apportées. (Jean. I, 17 ). " Or, je trouve deux sorte de préceptes dans la loi ancienne. Il y en a de moraux, tels que ceux-ci : " Vous ne céderez point à la concupiscence; vous ne commettrez point d'adultère; honorez votre Père (Matt. XIX, 18, Rom. I, 9, Exod. XX, 13), " et autres semblables. Il y en a de figuratifs qui ne sont que des ombres ou des figures, telle est l'immolation des taureaux et le sang des boucs. Quoiqu'il en soit, un peuple charnel ne pouvait ni les accomplir ni trouver en eux son salut. Quand le Sauveur du monde reprochait aux Pharisiens, dans son Évangile, de rendre inutiles les préceptes et les commandements de Dieu par leurs traditions, il parlait évidemment des préceptes qui devaient régler leurs moeurs. Lorsqu'il parle des autres par son Prophète, il dit: " Je leur ai donné des préceptes qui ne sont pas bons (Ezech. XX, 25), " évidemment ces préceptes ne sont autres que ceux qui étaient la figure de choses futures. En effet, quel rapport y a-t-il entre le péché d'un homme et l'immolation d'un bélier en expiation de ce péché; cette victime du péché n'aurait-elle pas pu s'écrier avec le Prophète : "J'ai payé ce que je n'ai point pris (Psal. LXVIII, 7) ? " On ne peut disconvenir que si ces préceptes n'étaient pas bons , c'est parce que le peuple auquel ils étaient donnés n'était pas bon lui-même, s'il faut s'en rapporter à ce mot du Prophète : " Vous serez saint, Seigneur, avec celui qui est saint, et innocent avec l'homme qui est innocent (Psal. XVII, 26). " Il savait, en effet, que le coeur des Juifs était un coeur charnel, voilà pourquoi il leur donna des sacrements charnels incapables de rendre parfait dans sa conscience celui qui le servait dans la justice de la chair. Notre Seigneur Jésus-Christ vint donc plein de grâce et de vérité, afin que désormais les préceptes moraux fussent observés par la vertu de la grâce, et que les préceptes figuratifs et mystiques, une fois la vérité qu'ils recouvraient dévoilée, cessassent d'être suivis à la lettre et fussent compris dans un sens spirituel. Voilà pourquoi quand un homme pèche, ce n'est plus un taureau ou un bélier qu'il doit immoler, mais c'est l'hostie vivante de son propre corps, un vrai sacrifice raisonnable et acceptable qu'il doit offrir dans les jeûnes et les pénitences pour obtenir en même temps la grâce et son pardon.
 
 
 
 
 
 

SOIXANTE-NEUVIÈME SERMON . Le triple renouvellement d'une triple vétusté.

1. "Portons l'image de l'homme céleste comme nous avons porté celle de l'homme terrestre (I Cor. XV, 49). " Il y a deux b hommes le vieil et le nouveau. Le vieil homme est Adam, le nouveau, Jésus-Christ. Le premier est le terrestre, le second est le céleste; la vétusté est l'image, du premier, et la nouveauté, celle du second. Or, de même qu'il y a une triple vétusté, ainsi y a-t-il trois nouveautés. Il v a la vétusté du coeur, de la bouche et du corps, car nous avons péché par-là en trois manières différentes, c'est-à-dire par pensée, par parole et par action. Le coeur est le siège des désirs charnels et mondains, je veux dire de l'amour de la chair et de l'amour du siècle. De même il y a une double vétusté dans la bouche : l'ignorance et la détraction. Le corps aussi a ses deux vétustés : le crime et la turpitude. Telle est l'image du vieil homme qu'il faut renouveler en nous. Si le vieil homme n'était point dans le coeur, l'Apôtre ne nous dirait point " Renouvelez-vous au fond de votre coeur, et revêtez-vous de l'homme nouveau qui est créé selon Dieu dans une justice et une sainteté véritables (Eph. IV, 23). " De même, si le vieil homme n'existait pas dans notre bouche, l'Écriture ne nous dirait pas non plus : " Que ce qui est vieux s'éloigne de votre bouche (I Reg. II, 3). " Et l'Apôtre n'aurait pas ajouté : " Que nul mauvais discours ne sorte de votre bouche; qu'il n'en sorte que de bons et de propres à nourrir la foi et à inspirer la piété à ceux qui les entendent (Eph. IV, 29). " Quant au vieil homme qui habite dans notre corps, il en parle en ces termes " De même que vous avez fait servir vos membres à l'impureté et à l'injustice, " et, pour ce qui est de la rénovation, il continue ainsi " Faites-les servir maintenant à la justice pour vous sanctifier (Rom. VI, 19).

2. Que notre coeur se renouvelle donc en se purifiant de tous ses désirs charnels et mondains, et qu'à leur place s'établisse l'amour de Dieu et de la céleste patrie. Que l'arrogance et la détraction s'éloignent de notre bouche et qu'à leur place succèdent la confession de nos péchés et des paroles de bienveillance et d'estime à l'endroit du prochain. A la place des hontes et des turpitudes qui sont la vieillesse du corps, mettons la continence et l'innocence, chassons ainsi les vices par les vertus contraires. Cette rénovation est l'oeuvre du Christ, qui habite en nous par la foi, comme il le dit lui-même : " Voici que je fais tout nouveau (Apoc. XXi, 5). " Voilà ce qui fait dire à l'Épouse des Cantiques: " Placez-moi comme un cachet sur votre coeur, comme un sceau sur votre bras (Cant. VIII, 6). " Quand il habite dans notre coeur, c'est la sagesse, quand il habite dans notre bouche, c'est la vérité, et quand il habite dans notre corps c'est la justice.

b Ce sermon et le suivant se trouvent reproduits en partie dans les Fleurs de saint Bernard, livre VII, chapitre LVI et XXXIII.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

SOIXANTE-DIXIÈME SERMON. De la vigilance et de la sollicitude qu'il faut apporter au soin du salut.

"Nous sommes en spectacle au monde, aux anges et aux hommes (I Cor., IV, 9). " Oui, en spectacle aux bons et aux méchants, car les uns sont tenus en éveil par la passion de l'envie et les autres par la compassion et la miséricorde; ces sentiments les empêchent les uns et les autres de nous perdre jamais de vue, car, en même temps que les premiers ne souhaitent que notre ruine, les seconds ne soupirent qu'après notre avancement. Nous sommes dans un temps d'épreuve, placés entre, le paradis et l'enfer, établis en quelque sorte entre le cloître et le monde. De part et d'autre on a l'oeil ouvert sur toutes nos actions et on se dit : Oh! s'il pouvait passer dans notre camp! Il est vrai, que s'ils s'expriment ainsi, c'est dans des intentions bien différentes, si on ne peut dire que ce soit avec une volonté moins forte chez les uns que chez les autres. Mais si tous les yeux sont ainsi dirigés sur nous, où se portent les nôtres, et pourquoi sont-ils les seuls qui se détournent de nous? Objet d'une si grande attention à gauche et à droite, il n'y a que nous qui affectionnons de n'avoir point les yeux sur notre vie, que nous qui négligions de nous considérer. Et cependant nous n'avons pas l'ombre de crainte de ceux qui peuvent nous tromper, ni, aucun respect du moins pour les esprits angéliques qui exercent les fonctions de serviteurs de Dieu auprès de nous. " Les justes attendent que vous me rendiez justice (Psal. CXLI, 8), " dit le Prophète, et " les pécheurs m'ont attendu pour me perdre (Psal. CXVIII, 95), " continue-t-il ailleurs. D'un côté l'enfer et de l'autre la couronne me sont préparés, et, placé entre les deux, puis-je bien m'occuper de bagatelles et prendre plaisir à bâiller? Est-ce ainsi que je suis insensible aux attraits du désir et à la crainte du danger, sans crainte et sans désir là où il faudrait le plus en avoir, et où il est très pernicieux que je ne ressente ni l'un ni l'autre? Levons-nous donc enfin, mes frères, et n'ayons pas reçu notre âme en vain, notre âme, dis-je, pour laquelle d'autres que nous veillent avec tant d'ardeur les uns pour son bien et les autres pour son mal. Ce n'est pas peu de chose que ce que les ennemis attaquent avec une telle vigueur, et les concitoyens attendent avec tant d'ardeur.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

SOIXANTE ET ONZIÈME SERMON.

1. La morale entière, parfaite, consiste principalement en deux choses : à fuir le vice et à rechercher la vertu, attendu qu'il ne suffit pas d'éviter le mal si on ne fait pas le bien. C'est ce qui faisait dire au Psalmiste : " Eloignez-vous du mal et faites le bien (Psal., XXXVI, 27). " Fuyons donc le vice et embrassons la verni. Rappelons-nous, en quelques mots, quelques traits de l'histoire sainte. La famine contraint . Israël à aller en Egypte, et là, il trouve un nouveau maître, perd sa liberté et devient esclave (Gen. XIII, 2). Pour avoir fixé son séjour dans ce pays, il est soumis au pouvoir de Pharaon qui fait tuer tous ses enfants mâles et ne conserve la vie qu'aux filles. Israël est condamné à de durs travaux de mortier et de briques, Pharaon ne lui donne que de la paille pour son travail et la famine le contraint à servir (Exod. I, 14).

2. Ce n'est ni la disette de pain, ni la soif d'eau, mais le besoin d'entendre la parole de Dieu qui pousse bien des hommes à entrer en Egypte. La parole de Dieu est la vraie lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde (Joan, I, 9). Aussi le Psalmiste dit-il : " Le précepte du Seigneur est plein de lumière et il éclaire les yeux (Psal. XVIII, 9). " Quiconque marche à l'éclat de cette lumière ne marche pas dans les ténèbres, il a au contraire la lumière de la vie. De la lumière des préceptes, on passe à celle des récompenses. Ceux qui souffrent la disette de cette parole divine sont forcés d'entrer dans l'Egypte, je veux dire dans les ténèbres. Ils se trouvent, en effet, tout environnés des ténèbres de l'ignorance et soumis à la domination du Pharaon, je veux dire du diable, qui est le prince de l'Egypte, c'est-à-dire des ténèbres. Selon ce mot de l'Apôtre : " Nous n'avons point à combattre contre la chair et le sang, mais contre les principautés et les puissances, contre les princes du monde, c'est-à-dire de ce siècle ténébreux, contre les esprits de malice répandus dans les airs (Eph. VI,12). " Sous le joug du Pharaon, on fait des ouvrages de terre, je veux dire sans consistance et mal propres. Il donne de la paille, c'est-à-dire des pensées légères; or la paille fait un feu léger et se consumé en un moment; ainsi en est-il des mauvaises pensées que le démon nous envoie; elles s'allument promptement dans notre esprit au consentement de la mollesse de la chair. Mais si nous nous étudions à résister aux hommes, avec l'aide de Dieu, elles ne tarderont point à s'éteindre. C'était en brûlant de la paille que les Israélites cuisaient l'argile et durcissaient les briques. Or, les mauvaises pensées, qui sont de la boue, sont soumises au feu de la paille de la délectation, et, quand elles, se traduisent en actes, alors elles sont cuites, et quand elles passent en coutumes, elles sont durcies comme la brique.
 
 
 
 
 
 

SOIXANTE-DOUZIEME SERMON.

1. " Bienheureux l'homme qui ne s'est pas laissé aller au conseil des impies (Psal. I, 1). " Là piété est la vertu de ceux qui croient en Dieu et le servent; car la piété n'est autre que le culte de Dieu (Job. XX, juxta LXX.) Or, ce culte consiste en trois choses : dans la foi, l'espérance et la charité qui sont invisibles. Or, les impies, les hommes qui ne servent point Dieu, ceux qui sont dans la pensée de préférer les choses visibles aux invisibles, les terrestres aux célestes, manquent de ces vertus. A leur tête, est le diable, leur chef, le premier qui se soit éloigné de la piété et qui devint impie, et par ses ruses dépouilla de leur piété les hommes qui étaient dans le paradis terrestre, pour leur faire partager ses égarements et son iniquité. Il séduisit donc Ève, qui elle-même séduisit son mari. C'est encore ainsi que le démon suggère la révolte à la chair, la chair à l'esprit, et que se fait un conseil d'impie. Ils se disent en effet les uns aux autres : " N'ayons tous qu'une même bourse (Prov. I, 14). " Ils mettent alors chacun une obole dans la mémoire qui est comme leur bourse commune; l'obole du démon est la suggestion, celle de, la chair, la délectation, et celle de l'esprit, le consentement. Puis chacun y puise comme dans un trésor commun, de quoi se procurer l'aliment qui lui convient; la chair y puise de quoi se consumer, je veux parler d'un feu qui ne s'éteint plus; l'esprit y puise la mauvaise conscience, c'est le ver qui ne meurt pas; quant au démon, il y puise le sang de l'une et de l'autre.

2. Or, on se rend au conseil (a) des impies de quatre manières différentes. Les uns y vont traînés malgré eux; les autres y sont attirés par certains attraits; ceux-ci se laissent séduire par ignorance, et ceux-là s'y rendent spontanément. A ces quatre sortes d'hommes, il faut quatre vertus qui sont comme autant d'armes pour résister et ne pour se point laisser aller dans le conseil des impies. A ceux qui y sont entraînés malgré eux, ce qu'il faut, c'est la force pour pouvoir résister jusqu'à la fin aux menaces, aux tourments et aux pertes. Ceux qui se sentent attirés par de certains attraits, ils ont besoin de la vertu de tempérance qui réprime les désirs illicites et ne permet à l'âme ni de céder aux promesses ni de se laisser amollir par les flatteries. Quant à ceux qui se laissent séduire par ignorance, ils ont besoin de prudence pour discerner l'utile de l'inutile et pour apprendre ce qu'il faut retenir et ce qu'il faut rejeter. Ceux qui s'y rendent spontanément ont besoin de justice; la justice, en effet, est la rectitude de la volonté qui n'aime ni pécher ni consentir au péché. La justice et la force ont leur siège dans la volonté, attendu que c'est la volonté qui doit être juste et forte. Or, voici dans quel ordre agit la justice : elle commence par rejeter le mal, puis elle propose le bien. Elle semble avoir fait défaut à Adam qui consentit au mal et renonça ainsi à ce qui était bien. La prudence et la tempérance ont leur siège dans la raison, car c'est la raison qui doit être prudente et tempérée. En effet, la prudence n'est autre chose que la raison instruite par la grâce à éviter le contact de l'injustice à cause de la justice. Elle évite non-seulement l’injustice ouverte, mais encore tout ce qui est, en quelque manière que ce soit, contraire à la justice; elle ne tient pas tant compte de ce qui est permis que de ce qu'il est bon de

a Guillaume, l'auteur des Fleurs de saint Bernard reproduit ce passage dans son livre IX, chapitre XX; il reproduit un autre passage au chapitre XXI, II. 3.

faire. Elle fuit les richesses et les autres choses semblables, non pas parce qu'elles sont illicites, mais parce qu'elles sont ordinairement un obstacle à la justice. C'est à cause de ceux qui agissent ainsi par un sentiment d'hypocrisie qu'il est dit : " A cause de la justice. " La justice est la perfection de l'âme raisonnable. Les autres vertus, telles que la force, la tempérance, la prudence, qui conservent la justice et l'empêchent de se perdre ou de s'affaiblir, ont toutes rapport à l'acquisition ou à la conservation de cette vertu. Mais, quand la justice est parfaite et qu'elle est passée à l'état de sentiment de l'âme, elle se confond avec les trois autres vertus, attendu qu'elle est forte, prudente et tempérée.

3. " Heureux l'homme qui ne se laisse point aller : " se laisser aller est le propre de ceux qui sont inconstants, et peuvent céder au moindre souffle. Il en est qui n'évitent ce défaut qu'en devenant obstinés, ils ne cèdent à aucun conseil, et tiennent avec entêtement à leurs projets. Aussi le Psalmiste a-t-il ajouté ces mots : " et qui ne s'est point arrêté, " c'est-à-dire qui n'est ni léger ni entêté. La voie des pécheurs est le monde, où leur volonté propre, qui n'est autre que l'orgueil, est la source de tous les maux, de même que la volonté commune est celle de tous les biens : " Et qui ne s'est point assis dans la chaire de pestilence. " Or, c'est être assis que d'enseigner aux autres à pécher par son exemple. Or, cette chaire repose sur quatre pieds, dont le premier est la malice, le second le mépris de Dieu, le troisième l'irrévérence, et le quatrième la ruse. La malice consiste dans l'amour et le goût du mal, mais dans l'amour du mal pour le mal, comme le font le diable et quelques méchants. Or, comme il arrive parfois que ceux-ci craignent Dieu, sinon d'une crainte bonne, du moins d'une crainte qui leur fait appréhender de faire des pertes temporelles, ou de subir quelques peines corporelles, ils en viennent jusqu'au mépris de Dieu même, et deviennent plus mauvais encore : voilà comment le mépris de Dieu est le second pied de la chaire de pestilence. Il pourrait se faire qu'on aimât le mal, qu'on méprisât Dieu, mais qu'on fût encore retenu par la crainte des hommes avec qui on vit ! voilà d'où vient le troisième pied, je veux dire l'irrévérence qui aggrave le mal, et qui détruit la crainte de Dieu et des hommes. Pour la consommation de la malice, vient le quatrième pied de la chaire de pestilence, je veux dire la ruse, qui nous apprend à nous servir des trois autres, et mêle l'huile avec le venin, et le miel avec le vinaigre. Le haut de cette chaire, l'endroit où se place celui qui s'assoit dedans, est la puissance. En effet, si celui qui a tout ce que je viens de ire est puissant, ou s'il peut attirer le puissant à lui, le séduire par ses conseils, et le porter au mal, alors il fait beaucoup de mal. Après cela vient le coussin sur lequel il s'assoit doucement. Or, un coussin est fait de plumes légères d'oiseaux, ce qui rappelle la vaine gloire, et la faveur populaire, dont les hommes se repaissent avec délices, et se montrent fiers. Il se met ensuite un escabeau sous les pieds, pour qu'ils ne touchent point la terre. En effet, les hommes de cette sorte ne font pour la plupart aucune action terrestre, ils feignent d'en faire de spirituelles pour mieux tromper. Leur doctrine est semblable à la peste, elle couvre et désole beaucoup d'endroits.

4. " Mais sa volonté est dans la loi du Seigneur (Ibidem. 2). " Dans le précédent verset, le Psalmiste nous a dit ce qu'il faut rejeter, il nous apprend ce qu'il faut désirer dans celui-ci. Dans l'un il nous est dit quelque chose d'analogue à ceci : " Détournez-vous du mal. " Dans l'autre c'est comme s'il nous était recommandé " de faire le bien, " car marcher dans la loi n'a pas d'autre sens. Mais comme on ne parcourt point la voie des commandements de Dieu des pieds du corps, mais par les " sentiments de l'âme, voilà pourquoi le Psalmiste dit : " Sa volonté est dans la voie du Seigneur. " En effet, selon saint Grégoire, vouloir, pour l'esprit, c'est marcher. Or, la voie des commandements est parcourue par trois personnes qui semblent y lutter à la course, par l'esclave, par le mercenaire et par le Fils. Il y a deux coursiers qui traînent le char, ce sont la menace et la promesse. L'esclave est monté sur la menace, et le mercenaire sur la promesse. L'un et l'autre conduisent le char, l'un par la crainte et l'autre par la cupidité, et chacun a son aiguillon qui le pousse. Il n'y a que le Fils qui ne soit ni frappé par la crainte, ni excité par la cupidité, mais qui est poussé par l'esprit de dilection, et qui est porté sur le char sans fatigue et sans blessures : "Tous ceux qui sont conduits par l'esprit de Dieu sont fils de Dieu (Rom. VIII, 14). " Ce char a aussi quatre roues, je veux parler des quatre affections de l'âme bien connues, l'amour et la joie, la crainte et la tristesse. En effet, les méchants aiment les choses temporelles, et sont dans la joie quand ils ont mal agi; mais la crainte et une tristesse éternelle suivent cet amour et cette crainte. Quant aux élus à qui il est dit : "Le monde sera dans la joie et vous dans la tristesse, mais votre tristesse se changera en joie (Joan. XVI, 20), " ils prennent la crainte et la tristesse pour roues de devant, et l’amour et la tristesse pour roues de derrière, car pour eux la crainte se change en amour, et la tristesse en une joie éternelle.

5. Il faut remarquer que la route de la loi de Dieu se fait en six jours. Le premier jour est le gémissement du coeur, le second la confession de la bouche, le troisième l'aumône de notre propre bien, le quatrième est le travail corporel, le cinquième le renoncement à notre propre volonté, et le sixième le mépris de la mort. Le septième jour est le repos des six premiers dans l'espérance du huitième jour qui est celui de la résurrection. " Il médite jour et nuit cette loi sainte (Ibidem. 2). " En quelque état que l'homme se trouve, il ne doit jamais s'éloigner de la loi du Seigneur, mais il faut qu'aux jours mauvais il se rappelle les bons jours, et qu'aux bons jours il se rappelle constamment les mauvais. On peut aussi entendre par le jour et la nuit la vie contemplative et la vie active, qui sont toutes les deux contenues dans la loi du Seigneur.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

SOIXANTE-TREIZIÈME SERMON

" L'insensé a dit dans son coeur, il n'y a point de Dieu. " Dieu est un, il est vrai, un comme substance, et pourtant si ce n'est par suite de vérité en lui, du moins par l'effet de changement en nous, il semble avoir un goût différent selon ceux qui le goûtent. En effet, l'âme qui le craint ne lui trouve que le goût de la justice et de la puissance, et celle qui l'aime, que celui de la bonté et de la miséricorde. Voilà pourquoi le même Prophète dit ailleurs : " Le Seigneur a 'parlé une fois et j'ai entendu ces deux choses; la puissance appartient à Dieu, et la miséricorde est à vous, Seigneur (Psal. LXI. 2). " Entendre cela ou le goûter, c'est la même chose, attendu que l'un et l'autre se font par une seule et même âme parfaitement simple. Le Seigneur n'a donc point parlé qu'une fois, il a engendré le Verbe, et nous, par ce seul Verbe, nous avons entendu et goûté ces deux choses, " la puissance est à Dieu, et la miséricorde est à vous, Seigneur. " Mais il faut être tout à fait insensé pour ne trouver à Dieu le goût ni de la crainte ni de l'amour. Que celui qui en est là s'instruise tant qu'il lui plaira, pour moi je lui refuserai le nom de sage tant qu'il ne craindra ni n'aimera Dieu. Comment, en effet, pourrais-je dire consommé en sagesse celui qui n'a pas même encore le commencement de la sagesse? Car " le commencement de la sagesse est la crainte de Dieu Psal. CX, 9) : " et la consommation est l'amour: l'espérance en est le milieu (Eccli. I, 16 et Prov. I, 7). Celui à qui la crainte ne fait pas trouver à Dieu un goût de justice, ni l'amour un goût de miséricorde, dit certainement dans le fond de son coeur : il n'y a pas de Dieu, car pour lui ce n'est pas un Dieu, qu'un Dieu qu'il ne tient ni pour bon ni pour juste.
 
 
 
 
 
 

SOIXANTE-QUATORZIÈME SERMON.

"Ils se sont corrompus et sont devenus abominables dans toutes leurs affections; il n'y en a pas un qui fasse le bien, il n'y en. a pas un seul (Psal. XIII, 2 et LII,7). " L'âme a sa corruption (a) comme le corps a la sienne. Celle de l'âme est de trois sortes, et celle du corps est de quatre, car le corps se compose de quatre éléments, et l'âme de trois puissances. Celle-ci, en effet, a la puissance raisonnable, la concupiscible et l'irascible. La puissance raisonnable est en pleine santé quand l'âme connaît la vérité, elle se corrompt quand elle est atteinte par l'orgueil, mais sa corruption est de deux sortes dans la connaissance d'elle-même et dans celle de Dieu. La vaine gloire corrompt la concupiscence, et l'envie, la colère. La corruption du corps s'appelle aussi abomination, et se produit de quatre manières, selon les quatre éléments qui le composent. Il y a quatre choses qui corrompent le corps. la curiosité, la loquacité, la cruauté et la volupté. Or, on divise le corps en quatre parties, où chacun des éléments a particulièrement son siège. Ainsi, c'est dans les yeux que se trouve le feu; dans la langue qui forme la voix est l'air; la terre a sa place dans les mains dont le propre est le tact, et l'eau dans les organes de la génération. Or, ces quatre parties du corps sont corrompues par une quadruple peste; je veux dire par la curiosité qui corrompt les yeux, par la loquacité qui corrompt la langue, par la cruauté qui corrompt les mains, et par la volupté qui corrompt les organes de la génération. Voilà comment les hommes deviennent " corrompus et abominables, " corrompus dans leur âme, abominables dans leur corps; corrompus devant Dieu, abominables devant les hommes. " Il n'y en a pas qui fassent le bien, il n'y en a pas un seul. " Il y a quatre sortes de gens dont aucune, si ce n'est une, ne fait le bien. En effet, il y en a qui ne comprennent et ne cherchent point Dieu, ceux-là sont morts. Il y en a qui le comprennent, mais ne le cherchent point; ce sont les impies. Il en est d'autres qui le cherchent mais sans le comprendre, et ceux-là sont des insensés, Enfin, il s'en trouve qui comprennent Dieu et le cherchent, et ceux-là sont des saints, les seuls dont on puisse dire, ils font le bien.

a Tout ce passage se trouve reproduit dans les Fleurs de saint Bernard, livre VII, chapitre XXXVII.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

SOIXANTE-QUINZIÈME SERMON .

" Ils ont multiplié leurs infirmités et ensuite ils ont précipité leurs pas (Psal. XV, 3)." Pourquoi les hommes diffèrent-ils de faire pénitence . pendant la vie et fondent ils tant d'espérance sur leur dernière confession? Comment peuvent-ils penser que dans le court intervalle d'une heure il leur sera possible de rappeler à eux tous les membres de leur âme, dont les concupiscences et les désirs se sont répandus dans tout l'univers, et se trouvent attachés par une sorte de glu dans tous les lieux du monde ? Je ne dis pas, dit le Seigneur, que je ne sauve point quelques-uns de ces hommes, car je puis en un moment rappeler tout à moi; mais " je ne les réunirai point pour des sacrifices sanglants (Ibid. Z5), " c'est-à-dire je ne réunirai point ceux qui persévèrent dans le sang jusqu'au jour où le nombre de leurs infirmités force le péché à les quitter, plutôt qu'il ne les force à quitter eux-mêmes le péché. Je ne rassemblerai pas beaucoup de ces gens-là, dit le Seigneur. S'il m'en souvient bien, dans toutes les Ècritures, on ne trouve que le larron de l'Évangile qui ait été sauvé ainsi : ne vous laissez donc point aller à l'espérance périlleuse, d'une pareille grâce, car non-seulement l'esprit souffle où il veut, mais il ne souffle que quand il veut; il ne lui est pas difficile de donner, en un instant, une contrition parfaite, quand il y en a tant d'autres qui s'exercent à en avoir une pendant si longtemps. D'ailleurs, qui vous dit que celui que vous méprisez comme vous le faites, voudra vous venir ainsi en aide? Sans doute, l'esprit de sagesse est plein de bonté, mais il ne saurait délivrer celui qui s'est maudit de sa propre bouche (Sap. I, 6); or, écoutez celui qui .se trouve en ce cas : " Maudit celui qui pèche dans l'espérance du pardon. "
 
 
 
 
 
 

SOIXANTE-SEIZIÈME SERMON.

"Vous l'avez prévenu de bénédictions et de douceurs (Psal. XX, 3). " Il nous faut trois bénédictions, une bénédiction prévenante, une adjuvante et une consommante. La première est une bénédiction de miséricorde ; la seconde une bénédiction de gràce, et la troisième une bénédiction de gloire. La miséricorde prévient notre conversion, la grâce l'aide, et la gloire en fait la consommation. Si Dieu ne donne point cette bénédiction, notre terre ne peut donner un fruit de salut, car nous ne saurions ni commencer le bien tant que nous ne sommes point prévenus par la grâce, ni le faire, si nous ne sommes aidés de la grâce, ni être consommés dans le bien aussi longtemps que nous ne sommes pas remplis par la grâce. Mais, de ces trois grâces, ce n'est pas sans raison que nous trouvons plus douce celle qui nous prévient, non-seulement sans aucun mérite de notre part, mais malgré tant de démérites, et qui fait que tandis que nous sommes enfants de colère et artisans d'oeuvres de mort, Dieu a sur nous des pensées de paix, alors surtout quand au lieu de lui demander qu'il ait de ces pensées sur nous, nous l'en détournons par nos attaques; au lieu de l'invoquer, nous le provoquons; au lieu d'appeler, nous repoussons l'esprit bon, l'esprit de vie, l'esprit d'adoption. Quelle douceur peut trouver ailleurs une âme qui n'en trouve point dans une telle miséricorde? C'est donc avec raison que la bénédiction qui prévient est appelée une bénédiction de douceur, attendu que celle qui aide est une bénédiction de force, et celle qui consomme une bénédiction de plénitude.
 
 
 
 
 
 

SOIXANTE DIX-SEPTIÈME SERMON .

" Un peuple que je ne connaissais point a embrassé mon service(Psal. XVII, 48). " — Il n'y aurait rien de bien surprenant qu'un peuple connu de Dieu le servît; mais qu'un peuple qu'il ne connaissait point le serve et lui obéisse à la parole, voilà ce qui est vraiment glorieux. Or, les gens connus de lui, et ceux qu'il ne connaît point, les hommes qui le connaissent et ceux, qui ne le connaissent point sont de quatre sortes différentes; les uns, en effet, sont connus de Dieu et le connaissent eux-mêmes; les autres ne sont point connus de lui et ne le connaissent point; ceux-ci sont connus de Dieu, mais ne le connaissent point eux-mêmes; ceux-là ne sont point connus de lui et pourtant le connaissent. Le connaître de Dieu est de rendre heureux ceux qu'il connaît; et le connaître de l'homme est de rendre grâces. Aussi ceux qui sont connus de Dieu et le connaissent eux-mêmes, sont-ils les saints anges, créés heureux par lui, ils sont sans cesse occupés à chanter ses louanges, et à vaquer à son service. Quant à ceux qui ne sont point connus de lui et qui ne le connaissent pas non plus, ce sont des pauvres qui sont pauvre; malgré eux ; ni l'abondance des biens temporels ne les enrichit, ni le service

b L'auteur des Fleurs de saint Bernard reproduit ce sermon dans son livre VIII. Chapitre VIII.

de Dieu ne les rend heureux. Pour ceux qui sont connus de Dieu, mais ne le connaissent point, ce sont les riches du siècle; comblés de toute sorte de biens qu'ils possèdent en abondance, et pressés par les désirs charnels de ce siècle, ils n'attachent jamais leur coeur aux choses du ciel. Ceux qui ne sont point connus et qui ne connaissent point, ce sont les pauvres volontaires; ni la tribulation, ni la misère, ni aucun autre péril ne sauraient les séparer de la charité de Dieu. Ces derniers sont éprouvés de bien des manières différentes et fatigués par de bien pénibles tribulations, selon ce qui est écrit : " La fournaise éprouve les vases du potier, et la tentation éprouve les hommes justes (Eccl. XXVII, 6). " C'est d'eux encore que le Psalmiste parle en ces termes : " O mon Dieu, mon Dieu, jetez sur moi vos regards, pourquoi m'avez-vous abandonna (Psal. XXI, 1) ? " Ne vous semblent-ils pas inconnus de Dieu ceux qui le prient de jeter un regard sur eux ? Et pourtant quoiqu'ils paraissent abandonnés, cependant ils connaissent Dieu ; quant à ceux qui le connaissent, le même Psalmiste ajoute aussitôt dans le même psaume : " Mon Dieu, je crierai pendant le jour, et vous ne m'écouterez point, je crierai aussi pendant la nuit, et on ne me regardera point comme fou à cause de tout cela (Ibid. 2). " C'est donc d'eux que Dieu même a dit : " Un peuple que je ne connaissais point a embrassé mon service. " C'est comme s'il avait dit ouvertement à ses anges: Que faites-vous si vous ne me servez, vous que je rends heureux, quand ceux-là que j'abandonne dans leur pauvreté se consacrent à mon service ? Qu'est-ce encore que vous m'obéissiez, vous qui voyez ma face, quand ceux-là même qui entendent seulement ma parole, sans me voir, m'obéissent aussi ? Car si les anges voient Dieu, les hommes ne font qu'entendre sa parole; ils l'entendent, dis-je, et ils lui obéissent, afin de mériter de devenir, un jour, semblables aux anges et de contempler sa face. Ainsi, c'est en écoutant sa parole qu'on mérite de le voir, et c'est en le voyant qu'on est récompensé de l'avoir écouté. Mais il faut commencer par l'écouter, on ne le voit qu'ensuite, selon ce mot de l'Écriture : " Écoute, ma fille, et vois (Psal. XLIV, 11). " Par conséquent quiconque désire voir Dieu, dans l'avenir, doit commencer par l'écouter dans le présent, et par lui obéir à la parole.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

SOIXANTE-DIX-HUITIÈME SERMON.

Il y a trois choses : les tentes, les parvis et les maisons. Dans les tentes, se trouvent tous les justes qui vivent et travaillent encore dans leur chair, car c'est sous la tente que vivent les ouvriers et les soldats. Les tentes ont un toit, mais elles n'ont point de fondations et sont portatives ; de même les justes n'ont point de fondement dans le présent; ils sont à la recherche de la cité permanente qui a ses fondements dans les cieux. En effet, leur foi, qui est leur fondement,n'est pas dans les choses t de la terre, mais dans le. Seigneur. Ils ont aussi un toit, c'est-à-dire ils sont abrités et protégés par la grâce. Les parvis touchent à la maison et ils ont une certaine étendue; c'est là que se trouvent les âmes saintes une fois séparées de leur corps, qui ont de l'étendue et délivrées des entraves de la chair. Les parvis ont un fondement mais n'ont point de toits; c'est parce que les âmes qui sont dans l'amour de Dieu ne s'écroulent point, ce qui faisait dire au Psalmiste : " Nos pieds étaient fermes, (Psal. CXXI, 2), " mais elles n'ont point le toit, car elles attendent encore leur couronnement qui ne peut trouver place que dans la résurrection de leurs corps. Mais, après la résurrection, elles seront avec les anges dans la maison qui a un fondement et un toit. Son fondement, c'est la stabilité de l'éternelle béatitude, dont le toit est la consommation et la perfection.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

SOIXANTE-DIX-NEUVIÈME SERMON.

" Mon coeur est prêt, ô mon Dieu, mon coeur est prêt (Psal. LVI, 1)." Mes frères, la voie royale ne se détourne ni à droite ni à gauche. Or, s'il est facile de trouver un homme qui soit préparé une fois, il ne l'est pas autant d'en trouver un qui le soit deux fois. Si Dieu lui dit : "Chassez l'esclave et son fils (Genes. XXI,10), "je veux parler des oeuvres de la chair, il n'hésite pas; mais s'il lui dit : " Immole-moi ton fils que tu aimes, ton fils Isaac, " il ne peut entendre ces mots avec assez de patience pour paraître, par la grâce de l'utilité et de l'unité, supporter la perte de l'objet de ses affections. Pourquoi donc le serviteur de Jésus-Christ ne rejetterait-il point tout ce qui a rapport au plaisir de la chair? Mais se voir privé avec égalité d'âme de ses joies spirituelles quand l'obéissance l'exige, ou lorsque un motif de charité fraternelle le demande, voilà qui est offrir à Dieu un holocauste vraiment grand et d'agréable odeur. Toutefois n'oubliez pas que, dans ce sacrifice, c'est moins Isaac que le bélier de la révolte qu'on immole.
 
 
 
 
 
 

QUATRE-VINGTIÈME SERMON.

1. " Ah que c'est une chose bonne et agréable que les frères soient bien unis ensemble (Psal. CXXXII, 1) ! " Il y a une union naturelle, une union charnelle, une union virtuelle, une union morale, une union spirituelle, une union sociale, une union personnelle, une union principale. L'union naturelle est celle du corps et de l'âme; l'union charnelle est celle de l'homme et de la femme; c'est d'elle qu'il a été dit : " ils seront deux dans une même chair (Gen. II, 25). " L'union virtuelle est celle qui unit l'homme à lui-même, l'empêche de se répandre sur divers objets et lui fait demander une seule chose au Seigneur (Psal. XXVI, 4). L'union morale est celle qui nous unit au prochain; c'est d'elle que le Psalmiste parle en ces termes : " Il fait habiter les hommes de même sentiment ensemble (Psal. LXVII, 6). " L'union spirituelle est celle qui nous unit à Dieu; l'Apôtre en parle ainsi : " Celui qui demeure attaché à Dieu est un même esprit avec lui (I Cor. VI, 17). " L'union sociale se trouve parmi les anges qui ont tous le même vouloir et le même non-vouloir. L'union personnelle existe dans le Christ, quant à l'union principale et substantielle, elle n'existe que dans la Sainte Trinité.

2. " Comme il est bon et agréable. " Il y a des choses qui sont bonnes et agréables, et il y en a qui ne sont ni agréables ni bonnes, de même il y en a qui sont bonnes sans être agréables et d'autres. qui sont agréables sans être bonnes. Celles qui ne sont que bonnes sans être agréables, conduisent à celles qui sont bonnes et agréables tout à la fois; mais celles qui ne sont qu'agréables sans être bonnes, elles mènent aux choses qui ne sont ni agréables ni bonnes. Les choses qui sont bonnes sans être agréables ce sont : la continence, la patience, la discipline; celles qui sont agréables mais ne sont pas bonnes, c'est la volupté, la curiosité, la vanité. Quant à celles qui ne sont ni bonnes ni agréables, c'est l'envie, la tristesse, l'impatience. Les choses qui sont bonnes et agréables, c'est l'honnêteté, la charité, la pureté. Pour obtenir ce bien et cet agréable, il faut en même temps l'union morale et l'union vertueuse. Or, ce qui trouble la première, c'est la pusillanimité et la légèreté. La pusillanimité nous fait renoncer à nos bons propos, et la légèreté nous en fait changer. La seconde union se trouve troublée par l'obstination, les soupçons et la feinte. L'obstination ne veut pas recevoir le prochain, le soupçon ne croit pas au prochain, et la feinte ne s'unit point à lui. L'espérance des biens éternels chasse la pusillanimité, et une humble obéissance détruit la légèreté. Quant à l'obstination, elle disparaît devant l'humilité ; le soupçon et la feinte s'effacent devant la charité.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

QUATRE-VINGT-UNIÈME SERMON.

" La louange de Dieu n'est pas belle dans la bouche du pécheur (Eccle. XV, 9); " Non, même celle qui se trouve sur les lèvres du pécheur pénitent ne semble pas belle, parce qu'il éprouve de la confusion an souvenir et à la pensée de ses péchés, et en ressent bien souvent de la componction. Toutefois, la confession sur ses lèvres est utile et fructueuse, bien que les louanges de sa bouche ne soient ni belles ni agréables (Psal. CXLVI, 4). Mais, lorsque, partant des bienfaits de Dieu il s'adonne à célébrer ses louanges divines, qu’il y trouve ses délices habituelles et fait des progrès dans cet exercice au point que rien ne lui plait davantage, alors la louange de Dieu dans sa bouche est belle il en est de lui comme du cultivateur : quand il répand le fumier sur son champ, il est tout entier couvert de boue et d'immondices; si son travail n'est point beau, du moins il est fructueux ; mais, lorsqu'il ramasse les gerbes de la moisson, alors il est aussi beau que doux.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

QUATRE-VINGT-DEUXIÈME SERMON. De la garde diligente du coeur.

1 " Appliquez-vous avec tout le soin possible à la garde de votre coeur, parce qu'il est la source de la vie (Prov. IV, 23). " Or, le coeur est la source de la vie de deux manières (a) : en premier lieu, on croit de cœur pour obtenir la justice (Rom. X, 10); le juste vit de la foi (Rom. I, 18); et c'est par la foi que le cœur se purifie, ce n'est que des coeurs purs que Dieu est vu, c'est-à-dire connu. Or, la vie éternelle consiste précisément à vous connaître, vous qui êtes seul Dieu, et Jésus que vous avez envoyé (Matt. V, 4). En second lieu, le Christ qui habite maintenant dans nos coeurs est notre vie (Joan. XVII, 3). Or, un jour viendra où il se montrera; alors nous apparaîtrons avec lui dans la gloire (Ephes. III, 17), et celui qui se cache maintenant dans notre coeur, alors passera du cœur au corps, si je puis ainsi parler, lorsqu'il transformera notre corps, tout vil et abject qu'il est, afin de le rendre conforme à son corps glorieux (Philipp. III, 20). C'est ce qui a fait dire à un autre apôtre "Maintenant, nous sommes les enfants de Dieu, et il n'a pas encore apparu ce que nous serons ( I Joan. III, 2). "

2. Mais il faut remarquer comment le sage a dit : " appliquez-vous avec tout le soin possible à la garde de votre cœur (Prov. IV, 23). " C'est un dicton commun chez les gens du monde, que celui qui garde s,on corps, garde un bon château. Mais pour nous il n'en est pas ainsi, et celui qui garde son corps ne garde que du fumier, selon le mot même de l'Apôtre : " Quiconque sème dans sa chair recueillera de la chair la corruption et la mort, et celui qui sème dans l'esprit recueillera de l'esprit la vie éternelle (Galat. VI, 8). " C'est comme s'il avait dit, il vaut mieux garder et soigner le château de l'âme, attendu que c'est de lui que vient la vie éternelle. Mais ce château fort, situé dans un pays ennemi, est attaqué de tous côtés, voilà pourquoi il faut le fortifier avec le plus grand soin de toutes parts, en bas, et eu haut, devant et derrière, à droite et à gauche. Ce qui l'attaque par en bas c'est la concupiscence de la chair qui guerroie contre l'âme, car la chair est pleine de désirs contre l'esprit. Par en haut il est menacé par le jugement de Dieu, car il est horrible de tomber entre les mains du Dieu vivant (Hebr. X, 31). Celui qui disait "j'ai toujours craint Dieu comme les flots suspendus au dessus de moi (Job. XXXI, 23), avait gardé son cœur assez bien de ce côté. Par derrière, ce qui l'attaque c'est la délectation mortelle qui naît du souvenir des péchés passés; par devant, ce qui l'attaque c'est la tentation, à gauche l'arrogance et les murmures de nos frères à l'esprit inquiet, et à la droite la dévotion même de nos frères soumis et obéissants, car ces derniers peuvent aussi nous nuire en deux manières si nous n'y prenons garde, soit en nous inspirant de la jalousie pour le bien qu'ils font, soit en nous faisant soupirer après une grâce singulière.

3. Aussi, que la rigueur de la discipline veille contre la chair; le jugement de notre propre confession contre le jugement de Dieu; mais que ce jugement soit double, extérieur pour les fautes extérieures, et caché pour les fautes secrètes. C'est ce qui faisait dire à l'Apôtre : " Si nous nous jugeons nous-mêmes, nous ne serons point jugés de Dieu (I Cor. XI, 31). " Contre la délectation qui naît du souvenir des fautes passées, nous avons la fréquence de la lecture; contre les instances de la tentation, la prière, la supplication constante; contre l'inquiétude de nos frères, la patience et la compassion; contre la ferveur de nos frères soumis et obéissants, nous avons les félicitations et la discrétion, les félicitations éteignent la jalousie, et la discrétion l'envie excessive.

a Tout ce passage se retrouve dans les Fleurs de Saint Bernard, livre VII. chapitre XIV.
 
 
 
 
 
 

QUATRE-VINGT-TROISIÈME SERMON.

" Avez-vous trouvé du miel? N'en mangez pas trop, de peur qu'en ayant pris avec excès vous ne le rejetiez (Prov. XXV, 16). " Il ne semble pas que ce soit s'éloigner du sens que d'entendre en cet endrôit le mot miel dans le sens de la faveur des louanges humaines. Aussi est-ce avec raison qu'il nous est défendu non pas d'y goûter, mais d'en manger avec excès. Il y a des cas, en effet, où on reçoit avec avantage les louanges des hommes, c'est quand on le fait en vue de la charité fraternelle, pour le salut du prochain qui nous écoute d'autant plus volontiers qu'il nous entend louer. Si donc on s'en tient à cet usage modéré, il n'y a aucun inconvénient à manger de ce miel; mais si on dépasse cette mesure, c'est mal, et il ne peut faire que du mal. Or, c'est manger immodérament du miel qu'on a trouvé, que d'en manger au gré de son coeur, et de se laisser enfler par la faveur de la louange humaine, de s'en engraisser et d'en faire ses délices. Voilà ce dont le saint Prophète demande au Seigneur de le préserver, quand il appelle la faveur dont je viens de parler, non point du miel, mais de l'huile, et qu'il dit en termes équivalents : " Que l'huile du pécheur n'engraisse pas ma tête (Psal. CXL, 5). " Voulez-vous savoir quand on rejette le miel qu'on a pris avec excès, qu'on a mangé à satiété et au delà des bornes de la discrétion ? Certainement c'est quand on a bu les louanges dont on s'est rassasié sans chercher d'autre fruit que la satisfaction qu'on trouvait aux louanges des hommes. Oui, on rejette avec bien des souffrances le miel qu'on a mangé avec une pernicieuse satisfaction, quand on sèche de jalousie en entendant louer les autres. En effet, l'esprit adonné à la vanité, et gonflé d'orgueil, regarde comme autant de blâmes pour lui-même toutes les louanges qu'il entend décerner aux autres.
 
 
 
 
 
 

QUATRE-VINGT-QUATRIÈME SERMON.

1. Il y a deux places pour l'âme raisonnable, l'inférieure qu'elle gouverne, et la supérieure où elle repose. L'inférieure, celle qu'elle régit est le corps, et la supérieure celle où elle repose, c'est Dieu. On peut appliquer à l'une et à l'autre ces paroles de l'Écriture : " Si l'esprit de celui qui a la puissance s'élève sur vous, ne quittez point votre place (Eccle. X, 4), " ni l'inférieure que vous gouvernez ni la supérieure où vous vous reposez. Mais ce que je viens de dire convient à ceux qui ne font encore que commencer et qui sont imparfaits, et à qui l'Apôtre s'adresse quand il dit : " Je vous parle humainement à cause de la faiblesse de votre chair. De même donc que vous avez fait servir les membres de votre corps à l'impureté et à l'injustice, pour commettre l'iniquité, ainsi faites-les servir maintenant à la justice pour la sanctification (Rom. VI, 19). " L'âme a, en effet, trois devoirs à remplir envers son corps, elle doit lui donner la vie, puis la sensibilité et enfin la direction. Toutefois, si la vie vient à se perdre, ou si les sens se troublent, elle n'a aucune condamnation à encourir pour cela. Mais si elle se laisse vaincre par le tentateur et succombe sous ses efforts, cette défaite lui est imputée à péché. Il lui est donc dit que si l'esprit s'élève sur elle, elle ne doit point quitter sa place, c'est-à-dire qu'elle ne doit pas, au souffle de la tentation, faire servir ses membres au péché où en faire les armes de l'iniquité.

2. Il faut remarquer ces mots " si l'esprit de celui qui a la puissance s'élève sur vous. " Or, l'esprit malin ne peut jamais rien contre nous si ce n'est ce pourquoi il est envoyé ou ce qu'il a reçu la permission de nous faire. Aussi, quoique sa volonté soit toujours mauvaise, sa puissance n'est jamais que juste. Sa volonté est mauvaise parce qu'elle ne vient que de lui et demeure en lui; sa puissance au contraire ne vient que de Dieu. Toutefois Dieu ne cesse jamais de régler cette puissance, de peur que par ce qu'il y a de mauvais dans sa volonté, il ne fasse plus de mal que ne l'exigent les fautes de ceux qui sont punis. Mais en voilà assez pour ce qui regarde la place inférieure. Pour ce qui est de la place supérieure, il faut entendre les paroles rapportées plus haut en ce sens que l'âme ne doit pas, au souffle de la tentation, quitter le repos qu'elle goûte en Dieu, mais au contraire de quelque côté que vienne l'épreuve, demeurer constamment et tranquillement unie à Dieu. Ce dernier avis convient aux parfaits qui peuvent dire avec Élie : " Le Seigneur Dieu d'Israël en présence de qui je suis, est vivant (IV Reg. III, 14) ; " ou bien encore avec l'apôtre saint Jean, " nous sommes en ce monde tels que Jésus-Christ y a été (I Joan. IV, 47). " Oui, cet avis, je le répète convient aux parfaits, à ceux qui dans leur genre de vie imitent déjà en quelque sorte l'état de l'éternité.
 
 
 
 
 
 

QUATRE-VINGT-CINQUIÈME SERMON.

"Si l'arbre tombe au midi ou au Septentrion, en quelque lieu qu'il soit tombé il y restera (Eccle. XI, 4)." La douce et chaude température du Midi a coutume d'être prise en bonne part dans le style de l'Écriture. Le Septentrion au contraire est toujours pris dans le mauvais sens. Or, un Prophète a vu les hommes comme les arbres (Jerem. I, 14), mais l’arbre qu'on coupe meurt et il reste là où il sera tombé (Marc. VIII, 24), ainsi Dieu vous jugera là où il vous aura trouvé ! car, je le répète, l’arbre demeurera sans changement et sans retour là où il sera tombé. Qu'il voie donc bien de quel côté il veut tomber avant qu'il tombe, car une fois tombé, il ne pourra ni se relever ni même se retourner. Mais si vous voulez savoir de quel côté il tombera, regardez à ses branches : soyez sûr que le côté où elles sont plus nombreuses et plus lourdes. est aussi celui où il tombera si on le coupe alors. Or, nos branches ce sont nos désirs; elles s'étendent au Midi si nos désirs sont spirituels, et vers le Septentrion s'ils sont charnels. C'est le milieu du corps qui indique de quel côté elles l'emportent, car celles qui l'emportent font pencher le corps de leur côté. Notre corps se trouve placé entre l'esprit qu'il doit servir, et les désirs de la chair ou les puissances des ténèbres, qui guerroient contre l'âme comme le serait une vache entre le paysan et le voleur: si le voleur ne réussit point à l'entraîner avec lui malgré ses menaces et ses efforts, le paysan remporte la victoire; de même, quelque fureur que déploie l'esprit malin, quelque torture que nous fassent endurer les désirs mauvais, si notre âme conserve en son pouvoir le vase de son corps, il faut croire qu'elle a vaincu et empêché, selon le mot de l'Apôtre, a que le péché ne règne dans notre corps mortel (Rom. VI, 12). " Mais de même que nous avons fait servir nos membres à l'iniquité pour l'iniquité, ainsi devons-nous les faire servir à la justice pour la sanctification.
 
 
 
 
 
 

QUATRE-VINGT-SIXIÈME SERMON.

1. Vous avez fait toutes choses avec poids, nombre et mesure (Sap., XI, 21). " C'est en cela même que les choses créées diffèrent de l'essence divine. En effet, ce sont les créatures qui sont faites avec poids, nombre et mesure ; le Créateur n'a rien de semblable. Le poids se trouve dans la dignité de la chose; une chose est donc faite avec poids, attendu qu'on peut la comparer avec une autre chose du même genre, et la trouver ou plus grande, ou plus petite, ou égale. Le poids se trouve dans les choses dont la valeur peut être estimée. Quant à la mesure, elle se trouve dans le temps et l'espace. Si nous réservons l'espace aux corps, le temps, non l'espace, sera la mesure des êtres incorporels. En effet, l'âme n'occupe point un espace corporel, et notre corps que nous voyons n'est pas le lieu de l'âme. Car, comment serait-elle enfermée dans le corps quand elle en vivifie l'extérieur aussi bien que l'intérieur. Elle est tout aussi bien sur la peau du corps que dans le fond de nos entrailles.

2. Mais par suite de son affection charnelle et dé son habitude des corps, l'âme tombe dans une telle erreur„ qu'elle ne peut plus se voir elle-même en pensée autrement que corporelle, car là où est son trésor, là aussi est son coeur (Matt. VI, 22). Elle sent son amour. En effet, recouverte et comme enduite d'affections terrestres, elle ne peut plus contempler son propre visage. Elle est tombée au fond du bourbier et ne se voit plus telle qu'elle est; elle pense que cette image de boue qu'elle porte est sa propre forme, mais il en est tout autrement, et il faut mesurer l'âme d'une autre manière quant au lieu. En effet, le lieu de tout être est ce qui borne sa substance. Or la substance de l'âme est dans la raison, dans la mémoire, dans le conseil, dans le jugement et dans les autres facultés semblables, qui toutes sont enfermées dans leurs propres bornes. Tout esprit, sauf Dieu, est donc fait avec nombre, poids et mesure, attendu que la raison, la mémoire et les autres facultés de son esprit ont leur mesure. Tout a été fait avec nombre, soit quant à la composition de ses parties, tels sont les corps, soit quant à leur variété et. à leur mutabilité, tels sont les êtres incorporels. Il n'y a que Dieu en qui ne se trouve ni nombre, ni poids, ni mesure. Dieu est unique et ne saurait être comparé à aucun autre être de son espèce. Il est unique, dis-je, et seul au dessus de toute estimation possible: il est éternel aussi et immense, indivisible et invariable.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

www.JesusMarie.com