VIVÈS, PARIS 1866
Source : http://www.abbaye-saint-benoit.ch/
OEUVRES COMPLÈTES DE SAINT BERNARD *
SERMON DIVERS DE SAINT BERNARD *
QUATRE-VINGT-HUITIÈME SERMON. Du bon usage des dons de Dieu. *
QUATRE-VINGT-NEUVIÈME SERMON. Du baiser que l'Épouse désire, ou du Saint-Esprit. *
QUATRE-VINGT-DIXIÈME SERMON. Les trois parfums de la componction, de la dévotion et de la piété. *
QUATRE-VINGT-ONZIÈME SERMON. Les trois plants. *
QUATRE-VINGT-DOUZIÈME SERMON. Triple introduction dans le jardin, dans le cellier et dans la chambre. *
QUATRE-VINGT-TREIZIÈME SERMON. " Vos dents sont comme un troupeau de brebis tondues, remontant du lavoir et *
portant un double fruit, sans qu'il y en ait de stériles parmi elles (Cant. IV, 2). " *
QUATRE-VINGT-QUATORZIÈME SERMON. Du progrès de la vie chrétienne ou spirituelle, d'après la figure d'Élie fuyant Jézabel. *
QUATRE-VINGT-QUINZIÈME SERMON. Les prédicateurs doivent adoucir l'amertume de la doctrine. *
QUATRE-VINGT-SEIZIÈME SERMON. Les quatre fontaines du Sauveur et l'eau qu'on doit y puiser. *
QUATRE-VINGT-DIX-SEPTIÈME SERMON. Douceur de la parole et du joug du Christ, qui est dur au dehors, mais très-doux au dedans. *
QUATRE-VINGT-DIX-HUITIÈME SERMON. Des Fils de la paix en qui Dieu habite. *
QUATRE-VINGT-DIX-NEUVIÈME SERMON (a). Il y a quatre sortes d'hommes qui vont au ciel. *
CENTIÈME SERMON. Différence entre le peuple et un prélat. *
CENT-UNIÈME SERMON. Il y a quatre manières d'aimer. *
CENT-DEUXIÈME SERMON. Manière de revenir à Dieu. *
CENT-TROISIÈME SERMON. Il y a quatre degrés qui marquent les progrès des élus. *
CENT-QUATRIÈME SERMON. Quatre obstacles à la confession. *
CENT-CINQUIEME SERMON. Conditions requises pour la justification et le salut. *
CENT-SIXIÈME SERMON. Trois choses nécessaires pour faire pénitence. *
CENT-SEPTIÈME SERMON. Sentiments qu'il faut avoir dans la prière. *
CENT-HUITIÈME SERMON. Des saignées spirituelles. *
CENT-NEUVIÈME SERMON. *
CENT-DIXIÈME SERMON. Paroles de l’homme à soi-même ou plutôt à son âme. *
CENT-ONZIÈME SERMON. Il faut prouver sa foi par sa vie et par ses moeurs, ou les six témoignages à rendre à Dieu. *
CENT-DOUZIÈME SERMON. O mon âme, rentre dans ton repos (Psal. CIV, 7). *
CENT-TREIZIÈME SERMON. *
CENT-QUATORZIÈME SERMON. *
CENT-QUINZIÈME SERMON. *
CENT-SEIZIÈME SERMON. *
CENT-DIX-SEPTIÈME SERMON. *
CENT-DIX-HUITIÈME SERMON. *
CENT-DIX-NEUVIÈME SERMON. *
CENT-VINGTIÈME SERMON. *
CENT-VINGT ET UNIÈME SERMON. *
CENT-VINGT-DEUXIÈME SERMON. *
CENT-VINGT-TROISIÈME SERMON. *
CENT-VINGT-QUATRIÈME SERMON. *
CENT-VINGT-CINQUIÈME SERMON. *
2. Or il faut savoir qu'il y a deux sortes de contemplations. Il y en a qui montent, qui sont ravis, et d'autres qui tombent et descendent. Les uns montent comme il est écrit : " Ayant connu Dieu, ils ne l'ont point glorifié comme Dieu, et ils ne lui ont point rendu grâces (Rom. I, 24). " Or, ils n'ont point rendu grâces parce qu'ils ont attribué à leurs forces et à leur génie ce que Dieu leur a révélé. Aussi son t-ils tombés " et ils se sont évanouis dans leurs vains raisonnements, et leur cœur insensé a été rempli de ténèbres,.ils sont devenus fous en s'attribuant le nom de sages. (Ibidem). " Au contraire, les élus sont ravis comme saint Paul et ceux qui lui ressemblent. Mais ils descendent aussi pour découvrir dans leurs discours aux petits ce qu'ils ont vu dans leur ravissement, et le leur découvrir de manière à se faire comprendre d'eux. Paul est ravi quand il dit: "Soit que nous soyons emportés comme hors de nous-mêmes, c'est pour Dieu que nous le sommes (II Cor. V, 13); " mais il descend quand il dit. " Soit que nous nous tempérions, c'est pour vous (Ibidem). " C'est par ce dernier genre de contemplation que l'âme parfaite désire être ravie dans les plus chastes embrassements de son époux quand elle s'écrie : " Qu'il me baise d'un baiser de sa bouche (Cant. I, 1). " C'est comme si elle disait, je ne saurais par mes propres forces, ni par mon industrie, ni par mes propres mérites, m'élever jusqu'à contempler la joie de mon Seigneur; mais pour lui, " qu'il me baise d'un baiser de sa bouche," c'est-à-dire qu'il me le fasse donner par sa grâce : qu'il ne me baise point par sa doctrine, ni par sa nature, mais " qu'il me donne, " par sa grâce, " un baiser de sa bouche. " Elle exprime admirablement bien la grâce de celui qui opère son opération et le mode dont il opère; car lorsqu'elle dit " qu'il me baise, " c'est la grâce de l'opérateur; et quand elle ajoute " d'un baiser, " c'est l'opération même, je veux dire la contemplation; et lorsqu'elle continue, en disant " de sa bouche, " elle exprime en termes évidents le mode dont il opère, c'est-à-dire la manière dont se fait la contemplation, car par la bouche on entend la parole.
3. La contemplation se fait par l'abaissement du Verbe de Dieu vers la nature humaine, avec le secours de la grâce et par l'élévation de la nature humaine vers le Verbe, avec l'aide de l'amour de Dieu. Il ne doit point sembler absurde que nous fassions ces distinctions dans la contemplation du Verbe de Dieu, puisque, selon l'Évangile, son incarnation s'est faite de la même manière. En effet, pour l'incarnation, la grâce précède, car, si l'Ange salue la Sainte Vierge, c'est en ces termes : " Je vous salue, pleine de grâce (Luc. I, 28). " Puis, il ajoute de qui est cette grâce et combien elle est grande, en disant : " Le Seigneur est avec vous. " Enfin, il en, indique l'opération par ces mots : " Le Fruit de votre ventre est béni. " Ce fruit, en effet, ô Marie, c'est l'incarnation du Verbe. Quant à là manière dont s'opère cette merveille, l'Ange vous l'apprend en disant: " L'Esprit-Saint surviendra en vous et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre (Ibid. 35). " C'est dans ces oeuvres du Verbe, tant celles que nous trouvons dans l'Évangile que celles que nous avons exposées dans le Cantique des cantiques, qu'il est manifeste que l'incarnation s'est faite par la seule abondance de la grâce de Dieu, et que la contemplation ne peut provenir que de la grâce de Dieu, jamais de la volonté de l'homme.
4. or, il faut remarquer que la contemplation, suivant les divers états des temps, est de trois sortes. D'abord, c'est une nourriture, puis une boisson, et enfin une ivresse. Aussi, dans les versets suivants, l'Époux invite-t-il ses amis en ces termes : " Mangez, mes amis, buvez et enivrez-vous, mes bien-aimés (Cant. V, 1). " Ils commencent par manger, c'est ce qu'ils font tant qu'ils vivent dans la chair; mais, lorsqu'ils ont dépouillé le vêtement de leur corps et qu'ils sont transportés dans le ciel, alors on dit qu'ils boivent ce qu'ils mangeaient d'abord, parce qu'ils contemplent en face et sans peine ce qu'ils avaient d'abord cru seulement par la foi, alors qu'ils étaient encore en exil loin du Seigneur, dans leurs corps, et qu'ils ne mangeaient leur pain qu'à la sueur de leur front. C'est ainsi que nous prenons plus facilement ce que nous buvons que ce que nous mangeons, car, s'il faut se donner quelque peine pour manger, il n'y en a qu'une bien légère à prendre pour boire. Quand les saints se trouvent dans cet état, ils peuvent boire, mais ils ne sauraient encore s'enivrer, car ils sont, en quelque sorte, retardés sur la voie de la parfaite contemplation de Dieu jusqu'à la fin du siècle présent, où ils espèrent la résurrection de leur corps. Mais, quand elle se sera faite, le corps adhérera si bien à Pâme et l'âme à Dieu, qu'il n'y aura plus rien alors qui puisse la tirer de l'enivrement intérieur de la contemplation de Dieu. Ceux qui mangent comme ils y sont invités parla première invitation, sont les amis, c'est-à-dire ceux qui sont chers; à la seconde invitation, ils boivent; alors ils sont plus chers ; ils s'enivrent à la troisième, alors ils sont très-chers.
5. " Car vos mamelles sont meilleures que le vin (Cant. I, 1). " L'Épouse a donc deux mamelles : l'une est la mémoire de la félicitation, et l'autre celle de la compassion. C'est ce qui faisait dire à l'Apôtre : quand il réchauffait les petits enfants sur ses deux mamelles : " Soyez dans la joie avec ceux qui se réjouissent, et pleurez avec ceux qui pleurent (Rom. XII, 15), " Le vin est pris ici pour les désirs du siècle dont il est écrit : " Leur vin est le fiel des dragons et le venin mortel des aspics (Deut. XXXII, 33). "
6. " Elles exhalent l'odeur des parfums les plus précieux
(Cant. I, 2). " Par ces mots l'Époux fait entendre que, s'il y a
des parfums qui sont bons, il y en a qui sont meilleurs, et il en est de
très-bons qui l'emportent sur tous les autres. On peut donc dire
qu'il y a trois sortes de parfums. Le premier est celui qui découle
du souvenir de nos péchés, quand nous en ressentons de la
componction et que nous en demandons le pardon. Ce parfum-là est
bon, car Dieu ne méprise point un coeur contrit et humilié
(Psal. L, 19). Or, ce parfum est celui qu'on répand sur les pieds
du Seigneur, où il reçoit sa récompense, je veux dire
la rémission des péchés, quand le Seigneur dit : "
Beaucoup de péchés lui ont été remis, parce
qu'elle a beaucoup aimé (Luc. VII, 47). " Le second découle
du souvenir des bienfaits de Dieu, et celui-là se répand
justement sur la tête, car les vertus ne peuvent se rapporter qu'à
Dieu de qui elles viennent. Ce parfum est déjà plus cher
que le premier, aussi est-il écrit de lui : " Pourquoi faire cette
perte de parfum ? On aurait pu le vendre plus de trois cents deniers et
en donner le prix aux pauvres (Matt. XXVI, 6) ? " Mais le Seigneur en approuve
la perte quand il dit: " Laissez-la. Pourquoi faites-vous de la peine à
cette femme? vous aurez toujours des pauvres avec vous, mais pour moi,
vous ne m'aurez pas toujours (Ibid. 10). " Non-seulement il approuve, mais
il récompense l'effusion de ce parfum en disant : " Je vous le dis,
en vérité : partout où sera prêché cet
évangile dans le monde entier, on racontera à la louange
de cette femme ce qu'elle vient de faire (Ibid. 13). " Le troisième
parfum est composé d'aromates précieuses, comme il est dit
à propos des saintes femmes, que " elles achetèrent des aromates
pour venir embaumer Jésus (Marc. XVI, 1). " Mais ce troisième
parfum ne se répand ni ne se perd, le Seigneur n'a pas voulu qu'on
le répandît sur son corps mort, mais qu'on le réservât
pour son corps vivant, je veux dire pour sa sainte Église, à
qui les saintes femmes, qui étaient venues à son tombeau
avec des parfums, sont envoyées annoncer sa résurrection,
Ainsi le premier parfum est celui de la componction, et se consume sur
le feu de la contrition; le second est celui de la dévotion et se
brûle sur le feu de l'amour, le troisième est le parfum de
la piété, on ne le brûle point, mais on le conserve
tout entier.
2. Or, dans ces oeuvres, il y a deux dangers à
éviter ; premièrement celui de donner au prochain les grâces
qui nous sont données pour nous, le second de réserver pour
nous les dons que nous avons reçus pour les autres; car si nous
retenons seulement pour nous ce que nous avons reçu pour le bien
des autres, nous n'avons point de charité, et c'est à nous
que s'adressent ces paroles : " Si la sagesse demeure cachée et
le trésor enfoui, à quoi serviront-ils l'un et l'autre (Eccli.
XX, 32) ? " De même encore, si nous voulons faire servir les dons
de Dieu à nous faire remarquer des hommes, au lieu de chercher à
plaire à Dieu dans le fond de notre coeur, nous perdons l'humilité,
et nous méritons d'entendre ces reproches : " Qu'avez-vous que vous
n'ayez reçu (I Cor. IV, 7)? " Voilà comment nous courons
le danger, d'un côté de perdre l'humilité, de l'autre
la charité. Or, qui peut se sauver sans humilité et sans
charité? Par conséquent le bon ordre de nos progrès
demande que nous commencions par nous bien remplir des premières
sortes de dons, je veux dire de la componction et des autres, puis, si
le Saint-Esprit nous a fait la grâce de nous combler des autres dons,
je veux parler de la sagesse et de la science, c'est afin que nous ayons
soin d'en faire part au prochain. Ainsi donc nous obtiendrons le don du
Saint-Esprit qu'on appelle le discernement des esprits, en ne réservant
pour nous que ceux qui ne nous sont donnés que pour nous, et si
nous faisons profiter le prochain en même temps que nous, de ceux
qui nous sont donnés dans l'intérêt des autres.
2. C'est donc ce baiser que l'Épouse. brûle
de recevoir quand elle dit: "Qu'il me baise d'un baiser de sa bouche: "
et c'est le baiser qu'elle reçut, en effet, s'il faut en croire
saint Paul qui dit : " Vous êtes des enfants, Dieu a envoyé
dans vos coeurs l'esprit de son Fils qui vous fait crier; mon Père,
mon Père (Gal. IV, 6). " C'est le baiser que promettait aussi le
Sauveur lui-même quand il exhortait ses disciples à persévérer
dans la prière, et leur disait: " Si donc vous autres, tout méchants
que vous êtes vous savez donner de bonnes choses à vos enfants,
à combien plus forte raison votre Père qui est dans les cieux
donnera-t-il de bonnes choses aussi, " c'est-à-dire, le bon Esprit,
à ceux qui les lui demandent (Matt. VII, 11)? " Par l'impression
de ce baiser, l'âme raisonnable reçoit de son époux
le Verbe de Dieu, la connaissance et l'amour de la vérité
qui sont comme les deux lèvres que la vertu et la sagesse de Dieu
impriment sur sa bouche, car la sagesse donne la connaissance, et la vertu
l'amour. L'âme a de même aussi deux lèvres avec lesquelles
elle baise son époux, ce sont la raison et la volonté. Le
propre de la raison est de percevoir la sagesse et celui de la volonté
est de percevoir la vertu. Si la seule raison perçoit la connaissance
de la sagesse sans que la volonté ait l'amour de la vertu, le baiser
n'est pas complet, de même si la volonté seule reçoit
l'amour sans que la raison reçoive la connaissance, ce n'est encore
qu'un demi " baiser " mais le baiser est plein et parfait, quand la sagesse
éclaire la raison et la vertu touche la volonté.
2. En effet, lorsqu'il s'est incarné, nous savons qu'il a pris les deux pieds dont je viens de parler, c'est-à-dire la miséricorde, pour que le pécheur, qui ne pouvait s'élever jusqu'à la tête, c'est-à-dire jusqu'à sa divinité, pût arriver du moins jusqu'à ses pieds, je veux dire jusqu'à son humanité. Si ce n'était point à l'homme qu'il s'est uni par l'incarnation que se rapportât le pied que j'ai appelé la miséricorde, Paul n'aurait pas dit, en parlant du Sauveur : " Il a éprouvé comme nous toutes sortes de tentations hormis le péché, pour devenir miséricordieux (Hebr. IV, 15). " Et si le jugement n'avait point aussi rapport à l'homme, l'Homme-Dieu n'aurait pas dit, en parlant de lui-même : " Et il lui a donné le pouvoir de juger parce qu'il est le Fils de l'homme (Joan. V, 27). " Aussi le pécheur s'approche-t-il, sans hésiter, des pieds de l'homme de douleur qui tonnait sa faiblesse, et s'écrie-t-il avec confiance : " Et maintenant nous nous approchons avec confiance du trône de la grâce, car nous n'avons point un pontife qui ne sache point compatir à nos faiblesses (Hebr. IV, 16 et 15). " C'est donc aux pieds du Seigneur que se jette la pécheresse, et c'est de sa tête que s'approche le juste pour les arroser de parfums. Mais le parfum de la tête est d'un prix d'autant plus grand en comparaison de celui qui est destiné aux pieds, que les matières dont il se compose sont plus précieuses elles-mêmes que celles qui entrent dans la composition du second. En effet, ces dernières se trouvent sans peine et sans fatigue dans notre propre pays, puisque nous sommes tous pécheurs; les premières, au contraire, sont beaucoup plus difficiles à se procurer et viennent de bien plus loin puisque nous les tirons du paradis de Dieu. " En effet, toute grâce excellente et tout don parfait vient d'en haut et descend du Père des lumières (Jac. I, 17). " Enfin où trouver un parfum plus exquis que celui que les apôtres ne purent voir répandre sans murmurer et sans dire : " Pourquoi cette perte ? On aurait pu le vendre et en donner le prix aux pauvres. (Matt. XXVI, 8) ? "
3. Et maintenant quand on voit par hasard quelques âmes vaquer à Dieu et demeurer sans cesse dans un saint repos, dans l'action de grâces et dans les délices de la divine dévotion, avec tant de grâce et de piété, qu'on peut croire qu'elles répandent des parfums sur la tête du Christ, il ne manque pas de gens pour dire : à quoi bon cette perte, et pour se plaindre avec raison, selon eux, que ceux qui pourraient rendre de si grands services aux autres, demeurent dans un repos qui ne profite qu'à eux. Ils ne parlent point ainsi par envie de leur sainteté, mais dans l'intérêt de la charité. Après tout, Dieu même qui est charité épargne bien souvent ces âmes qu'il voit adonnées avec délices aux goûts spirituels, surtout quand il voit que, par leur pusillanimité et leur faiblesse, ce sont encore des femmes sans force, et qu'elles ne sont point arrivées à l'état d'homme parfait. Or, celui qui lit dans le fond du cœur discerne beaucoup mieux cela que les hommes qui ne voient que la figure et ne jugent que sur les apparences, ne faisant point réflexion qu'il n'est pas également facile de se livrer au repos de la dévotion et de travailler utilement, de pratiquer l'humble soumission, et d'occuper utilement la première place ; de se laisser conduire sans se plaindre et de conduire les autres sans pécher, d'obéir de plein gré et de commander avec discernement; de savoir enfin être bon parmi les bons, et bon encore au milieu des méchants; bien plus, d'être pacifique avec les enfants de la paix, et de se montrer pacifique encore avec ceux qui ont la paix en horreur. Jésus connaissant donc qui sont ceux qui sont propres ou impropres à se mêler du soin des autres, répond avec amour pour ces âmes délicates qu'il sait incapables, à cause de leur extrême délicatesse, de se charger de la conduite des affaires à ceux qui pensent le contraire et qui, à cause de cela, leur reprochent leur repos comme stérile par un zèle qui n'est pas bon, ni selon la science : " Pourquoi faites-vous de la peine à cette femme? " Car s'il est vrai, comme je dois le reconnaître, que ce que vous voudriez la pousser à faire, est meilleur que ce qu'elle fait, néanmoins ce qu'elle fait à mon sujet est bien. Laissez-la donc, en attendant, faire le bien qu'elle peut. Je sais moi qu'elle n'est encore qu'une simple femme; mais quand, par un changement de la droite du Très-Haut, de femme elle sera devenue homme, ce qui ne pourra m'échapper quand ce sera, attendu que c'est par moi que ce sera, et parce que je la maintiendrai dans cet état qu'elle y demeurera, alors l'iniquité de l'homme sera préférable au bien d'une femme (Eccli. XLII, 44). Voilà le mieux que j'attends d'elle. Je ne regarde point comme une perte l'effusion de ce parfum qui prouve la dévotion de cette femme, et qui est une figure de ma sépulture. A cela s'ajoute que son parfum répand bien loin son odeur. Aussi partout où cet Évangile sera prêché, on racontera à sa gloire faction qu'elle a faite (Matt. XXVI, 13).
4. Venons-en maintenant au quatrième parfum. Certainement, si on compare les deux premiers entre eux, on ne peut douter que le second ne soit meilleur que le premier, et bien plus exquis. Mais, ce qui paraîtra bien extraordinaire, c'est qu'on puisse en trouver un troisième qui soit préférable aux deux premiers, tel que le délicieux parfum dont l'Épouse des cantiques se flatte que son sein exhale l'odeur. Or, le meilleur suppose quelque chose de plus que ce qui est simplement meilleur, de même que ce qui est meilleur suppose le bon, pour que l'expression soit juste. Mais l'excellence du second parfum qui parfume la tête s'est trouvée si grande, que c'est à peine s'il se trouve une somme d'argent, je ne dis pas préférable, mais seulement égale à la valeur de ce parfum. Et pourtant je ne puis croire que l'Épouse ait menti, car elle n'a pas moins que la Vérité même pour époux: dont elle reproduit les propres paroles et qui, non-seulement ne veut point tromper, mais encore ne saurait se tromper lui-même. S'il en était autrement, ce serait en vain qu'elle désirerait et soupirerait après le bonheur des embrassements de la Vérité, si elle-même mentait à la vérité. Quel rapport peut-il y avoir, en effet, entre le mensonge et la vérité ? Que dis-je. ? la vérité ne perd-elle point tous ceux qui profèrent des paroles de mensonge (Psal. V, 7)?
5 Peut-être bien, si nous cherchons dans l'Évangile,
trouverons-nous quelque figure de cette âme. Il est dit, en effet,
que " Marie Madeleine, Marie mère de Jacques et Salomé, achetèrent
des aromates pour venir embaumer le corps de Jésus (Marc. XVI, 1).
" Voyez-vous déjà, dès les premières lignes
du chapitre, de quel prix doit être ce parfum matériel, puisqu'il
ne suffit pas d'une ou deux femmes pour acheter les aromates qui le composent?
Il y eut une femme gui apporta le premier parfum, une seconde femme apporta
le second; mais, pour acheter le troisième, et pour le préparer,
il n'en faut pas moins de trois, afin d'acheter ensemble ce que chacune
d'elles n'aurait pu faire à part, et de venir ensuite embaumer le
corps de Jésus, " ou pour venir embaumer, " je ne dis point les
pieds ou la tête, mais "Jésus, " c'est-à-dire son corps
tout entier. Mais remarquez que le Sauveur ne voulut pas permettre qu'un
si précieux parfum fût perdu. Les saintes femmes n'ayant point
trouvé son corps, le remportèrent et reçurent l'ordre
de réserver pour son corps vivant, le parfum qu'elles avaient préparé
pour son corps mort. C'est ce qu'elles firent quand elles prirent soin
de verser leur baume dans les coeurs attristés des apôtres
qui sont certainement les membres, mais les membres vivants du Christ,
en leur annonçant la joyeuse nouvelle de sa résurrection.
Si le Sauveur n'avait pas aimé ces membres-là beaucoup plus
que le corps qui fut crucifié, il n'aurait point laissé attacher
celui-ci à la croix pour celui-là. D'où je conclus
que le dernier parfum l'emporte sur les deux premiers, puisque Jésus-Christ
a voulu le réserver pour son corps vivant, je veux dire pour son
Église à qui il est porté en effet, et pour le rachat
duquel il a voulu souffrir la mort.
2. Il est dit : " comme une vapeur do toutes sortes de poudres odoriférantes (Cant. III, 6). " Après le souvenir et la confession des péchés, après la mortification et l'oraison, il faut produire le fruit des aumônes. On a raison de les appeler-" une poudre " attendu qu'elles ne sont que de la terre : " odoriférante " parce qu'elles exhalent l'odeur la plus suave. Voilà d'où vient qu'il a été dit à Corneille qui faisait des bonnes oeuvres : " Vos prières et vos aumônes ont monté (Act. X, 4). " Peut-être sont-elles appelées " toute espèce de poudres odoriférantes, " parce que tous les péchés, non-seulement les grands, mais aussi les plus petits doivent être broyés par la confession et déliés par la componction. Mais restons-en là pour le premier plant.
3. Le second plant est la vie des continents dans le cloître ou dans le désert. Dans ce plant il n'est fait aucune mention de désert ni de vapeur, c'est-à-dire de pénitence ; mais de lumière, de splendeur et de vertu. Enfin, c'est à la louange de ce plant que la voix des anges fait entendre ces paroles : " Quelle est celle-ci qui s'avance comme l'aurore à son lever, belle comme la lune, élevée comme le soleil, terrible comme une armée rangée en bataille (Cant. VI, 9) ? " Dans ces mots il faut voir trois vertus du second plant, l'humilité, la chasteté et la charité. En effet, l'aurore est la fin de la nuit et le commencement du jour. La nuit c'est la vie du pécheur, et le jour, la vie du juste. Aussi l'aurore qui dissipe les ténèbres, annonce la lumière et se prend avec raison pour l'humilité, car de même que l'aurore sépare la nuit du jour, ainsi l'humilité sépare le juste du pécheur. C'est en effet, par elle, je veux dire par l'humilité, que le juste commence, et par elle qu'il grandit. Aussi l'Écriture parle-t-elle de "l'aurore à son lever, " afin que l'édifice des vertus commence par l'humilité et s'élève ensuite comme sur son propre fondement. C'est donc pour montrer son humilité qu'il est dit " Comme l'aurore à son lever. " Les paroles suivantes : " Belle comme la lune, " indiquent la chasteté. Or, on dit que la lune ne tient pas son éclat d'elle-même, mais le tire du soleil. Aussi, plus elle se trouve directement opposée au soleil, plus est grande la partie de son disque éclairé de sa lumière. Il en est de même d'une congrégation et de toute âme fidèle : si elle s'expose aux rayons du vrai Soleil, on ne peut douter qu'à son aspect, elle ne reçoive aussitôt un certain lustre de beauté et un éclat de chasteté. De là vient que, prenant un certain accroissement à sa lumière, et faisant quelque progrès, elle arrive à la perfection et mérite qu'on dise d'elle ce qui suit.
4. " Élevée comme le soleil. " Pourquoi comme le soleil? Est-ce parce que les justes brilleront comme le Soleil dans le. royaume de leur Père (Matt. XXII, 14)? Mais là, d'où leur viendra cet éclat du Soleil, sinon de leur robe nuptiale ? Car c'est d'elle que devaient se revêtir ceux qui étaient sur la terre et à qui il a été dit : " Quant à vous, demeurez dans la ville jusqu'à ce que vous soyez revêtus de la vertu d'en haut (Luc. XXIV, 49), " de cette vertu de charité dont la robe, nuptiale est le signe: quiconque en sera revêtu et l'aura convenablement ordonnée en soi, sera certainement terrible à ses ennemis, comme une armée rangée en bataille. En effet, les démons se mettent bien peu en peine des autres vertus, quelles qu'elles soient, quand elles sont sans la charité. Mais quand ils voient la charité, et qu'ils la voient réglée comme une armée rangée en bataille, ils s'enfuient avec précipitation. On peut aussi voir dans ces mots, " élevée comme le soleil, " la persévérance qui n'appartient qu'aux élus. Mais par ces paroles qui viennent après, " terrible comme une armée rangée en bataille, " on peut entendre la discrétion, qui est la mère des vertus, qui jette la terreur dans le camp des démons et les met en fuite, acquiert et conserve les vertus. On peut encore fort bien entendre et dire beaucoup d'autres choses dans ce second plant, mais qu'il suffise dans le nombre du peu que nous venons de dire.
5. Le troisième plant convient aux saints prédicateurs, dont la doctrine et la vie arrachent ce cri d'admiration : "Quelle est celle-ci qui monte du désert remplie de délices, appuyée sur son bien-aimé (Cant. VIII, 5) ? " Au premier plant il a été dit " qui est celle qui monte par le désert, " mais de celui-ci il est dit: " Quelle est celle-ci qui monte du désert? " A cause des épines qui déchirent les pénitents quand ils marchent à travers elles; ici, au contraire, les docteurs ont foulé aux pieds, avec une grande élévation d'âme, tout ce qu'ils ont pu soustraire au monde; aussi est-il dit, " qui monte du désert comblée de délices. " Mais il faut chercher quelles sont ces délices dont ils sont comblés, et quel est ce bien-aimé, et pourquoi il est dit qu'ils s'appuient sur lui. Il ne faut pas tenir pour médiocres les délices auxquelles les citoyens d'en haut donnent ce nom; car ces délices ne sont telles que pour le coeur, non pour le ventre; pour l'âme, non pour le corps; pour l'esprit, non pour la chair; pour la raison, non pour les sens; pour l'homme intérieur, non pour l'homme extérieur; ces délices, pour le dire en quelque sorte en un seul mot, c'est l'infusion abondante de la grâce spirituelle. Heureuse l'âme où une telle grâce se répand, qui se trouve prévenue des bénédictions et de la douceur d'en haut, pour devenir le temple de Dieu et l'oracle du Saint-Esprit. Une pareille âme ne saurait se trouver à court des richesses du salut, je veux dire de la sagesse et de la science, ni dépourvue du plus grand trésor du salut, la crainte du Seigneur. Quand elle se sentira remplie et comblée de ces délices, il ne lui restera plus qu'à exalter le Seigneur au plus haut des cieux, et à le louer dans la chaire des vieillards. Ce qu'elle aura entendu au fond de la chambre, elle le redira sur les toits, et c'est ainsi qu'elle sera comblée de délices; car être comblé, c'est être établi dans la prédication de la doctrine, luire par l'exemple de sa vie, et remplir avec constance les oeuvres spirituelles.
6. Mais en tout cela, il faut que tout pasteur recherche la gloire de son auteur, non la sienne; car c'est lui qui est son bien-aimé dont il est écrit: " Je suis à mon bien-aimé, et mon bien-aimé est à moi (Cant. II, 16), " et c'est de lui encore que le Père a dit : " Celui-ci est mon Fils bien-aimé, écoutez-le (Luc. IX, 35). " C'est sur lui j qu'il faut s'appuyer, afin de rapporter tout ce qu'on fait au secours de sa grâce, car c'est de lui que tout vient, c'est par lui que tout se fait, et c'est à lui que tout se rapporte. D'ailleurs le bien-aimé du Père, qui nous enseigne toute science, nous apprendra mieux que personne pourquoi on doit s'appuyer sur lui. Il dit, en effet, à ses disciples qu'il remplissait de cette sorte de délices : " C'est moi qui suis le cep de la vigne, vous, vous en êtes les branches. Aussi, de même que la branche de la vigne ne saurait porter de fruit d'elle-même, et qu'il faut qu'elle demeure unie au cep, ainsi vous ne pouvez porter aucun fruit si vous ne demeurez en moi (Joan. XV, 4 et 5). " Et ailleurs, " sans moi vous ne pouvez rien faire. " C'est comme s'il disait sans détour; si vous voulez être comblés de délités, appuyez-vous sur moi. Mais voyons maintenant comment ils en sont comblés et comment ils s'appuient sur lui. Plaçons au milieu de nous pour nous instruire, tous, un prédicateur achevé. Eh bien donc, bienheureux Paul, soyez rempli vous-mêmes des délices qui vous appartiennent. Certainement après avoir prêché l'Évangile depuis Jérusalem et ses environs jusqu'à l'Illyrie; après avoir jeté sans récompense les fondements de l'Évangile; après avoir fait part, comme un prudent et fidèle dispensateur, des célestes trésors, et du sacrement de la foi aux Grecs et aux barbares; après avoir porté partout dans votre corps mortel, la mortification de Jésus, au milieu des nombreuses et admirables merveilles que vous avez opérées, et que nous ne saurions rappeler ici en détail, vous avez pu vous écrier avec une pleine autorité et sans orgueil aucun, bien que vous fussiez le moindre des apôtres à vos propres yeux, " sa grâce n'a point été stérile en moi; mais j'ai travaillé plus que tous les autres (Cor. XV, 10). " Ce sont là de grandes, et, si je puis m'exprimer de la sorte, de délicieuses délices ! mais pour ne point les perdre appuyez-vous sur votre bien-aimé : " Non ce n'est pas moi qui l'ai fait, mais c'est la grâce de Dieu qui a travaillé avec moi (Ibid.). " Oui, oui, soyez comblé de délices; car, à vrai dire, de telles délices sont bien délicieuses. " Je puis tout, u dit-il; allons appuyez-vous sur le bien-aimé, " en celui qui fait ma force (Philip. IV, 13). " Le même apôtre dit encore ailleurs : " Que celui qui se glorifie, le fasse dans le Seigneur (II Cor. X, 17) . " C'est-à-dire, que celui qui est comblé de délices, s'appuie sur son bien-aimé.
7. Tout ce que je viens de dire sur les trois plants,
représentant trois genres d'hommes, que la sainte Église
contient dans son sein en cette vie, et que Ézéchiel a désignés
dans ses écrits par Noé, Daniel et Job, c'est avec l'aide
de Dieu que je l'ai fait.; mais on pourrait sans inconvénient voir
ces trois plants dans chaque saint en particulier. Ainsi, chez eux, le
premier plant sera la pénitence, le second la justice, et le troisième
la prédication. En effet, ils commencent leur conversion par le
repentir, ils pratiquent ensuite la vertu, en vivant bien, et enfin s'ils
font des progrès dans le bien, ils prêchent de bouche la justice
qu'ils pratiquent dans leur conduite. Mais comme le vice tend des embûches
à la vertu, et l'approche de si près que ceux qui s'éloignent
de l'une tombent dans les filets de l'autre, il faut que la pénitence
soit exempte de honte, et ne rougisse point de confesser les péchés
commis; que la justice se donne bien de garde de feindre, et que les prélatures
mettent de côté tout orgueil; car là où il y
a de grandes grâces, là aussi se trouve de grandes épreuves.
2. (a) La seconde introduction est l’introduction dans le cellier. Ce cellier contient la science morale et comprend trois caveaux distincts Dans le premier, se trouvent les aromates, :dans le second les fruits et dans le troisième le vin. Dans le premier se placent ceux qui sont en de bons termes avec leurs supérieurs; dans le second, ceux qui sont -bien avec leurs égaux, et dans le troisième ceux qui le sont avec leurs inférieurs. Le premier caveau est celui de la discipline, ale second celui de la nature, et le troisième celui de la grâce. En effet, quiconque s'efforce d'atteindre le terme de la vie parfaite, se fait d'abord disciple et il entre dans le caveau de la discipline, où, sous la direction d'un maître, il compose ses moeurs de diverses vertus, comme les parfumeurs composent des parfums de diverses espèces d'aromates. Aussi, ce caveau est-il appelé celui des aromates, parce que tous ceux qui embrassent d'eux-mêmes le travail de la discipline, répandent pour les autres, par leur exemple, la délicieuse odeur de l'imitation. De ce caveau, on passe directement dans le second, qui est le caveau de la nature, parce que ceux qui ont appris à rompre leur volonté sous un maître peuvent aisément vivre en bonne intelligence avec leurs condisciples. C'est dans ce caveau qu'on vit en
a Dans plusieurs éditions, ce second point commence un second sermon, mais c'est à tort.
commun avec les autres, aussi est-il bien appelé le caveau de la nature, attendu que si la nature a fait tous les hommes égaux, elle en a placé quelques-uns au dessus des autres, ou à la tête des autres, à cause de leurs vertus. On appelle aussi ce caveau le caveau des fruits, parce qu'il est très-utile que chacun communique aux autres la grâce qu'il a reçue ; voilà pourquoi il est écrit : " Le frère qui est aidé par son frère est comme une ville forte (Prov. XVIII, 16). " C'est aussi ce qui a fait dire au Prophète : " Comme il est doux et agréable à des frères de vivre unis ensemble! " Mais lorsqu'on est bien consommé dans ce caveau de la nature, alors on peut aller dans le caveau qui est celui de la grâce, en sorte qu'après avoir vécu saintement et sans discussion avec les autres, on se trouve placé à leur tête pour les façonner. Or, ce troisième caveau est le caveau au vin, parce que ceux qui sont placés à la tète des autres pour les diriger doivent bouillir de charité. On l'appelle aussi le caveau de i la grâce; ce nom peut déjà également convenir aux deux premiers caveaux, attendu que la discipline et la vie commune sont également un don de la grâce. Mais le troisième mérite plus particulièrement ce nom, parce qu'il est bien facile d'être soumis à ses supérieurs, ou de vivre en communauté, tandis qu'il est bien rare et très-difficile de passer de ces deux états, d'une manière utile, au gouvernement des autres.
3. C'est dans ces trois caveaux que sont contenues et formées les moeurs de tous les hommes. En effet, tous les hommes sont ou des prélats ou des égaux ou des inférieurs. Or, de même qu'on cueille au jardin ce qu'il y a de meilleur pour le déposer dans les celliers où il y a encore une place particulière pour chaque chose, ainsi, dans l'histoire, on recueille le sens moral pour le déposer, si je puis le dire, dans le cellier, d'où on tire ensuite tout ce qui peut servir à la vie de l'homme. En effet, les prélats y lisent quels ils doivent être envers leurs inférieurs, quand ils ont ces mots sous les yeux : " Ne dominant pas sur l'héritage du Seigneur, mais vous rendant les modèles du troupeau (Petr. V, 3), " et ceux-ci encore " ce n'est pas nous qui dominons sur votre foi, mais nous sommes les aides de votre joie (II Cor. I, 23), " puis celles du Seigneur dans l'Évangile : "Le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis (Joan. X, 11). " Les égaux trouvent également dans les saintes Écritures, la manière dont ils doivent se conduire les uns envers les autres, car ils y lisent ces paroles : " Portez les fardeaux les uns des autres, et vous accomplirez ainsi la loi de Jésus-Christ (Gal. VI, 2), " et ces autres, " prévenez-vous les uns les autres par des témoignages d'honneur (Rom. XII, 10), " et beaucoup d'autres recommandations semblables. Les inférieurs y trouvent aussi de quoi régler leurs moeurs, et la manière dont ils doivent se soumettre à leurs supérieurs, quand ils y lisent ces paroles : " Obéissez à ceux qui vous conduisent et soyez-leur soumis, car ils veillent sur vous comme devant rendre compte de vos âmes (Hebr. XIII, 17) (a). "
a Pour ce qui est de l'introduction de l'âme dans
la chambre à coucher, on peut voir le sermon vingt-troisième
sur le Cantique des cantiques n.11.
2. En effet, les dents sont blanches et fortes; elles
n'ont ni chair ni peau ; elles ne peuvent rien souffrir entre elles, et
il. n'est pas de douleur comparable à leur douleur; elles sont enfermées
par les lèvres, qui empêchent qu'on ne les voie, il n'est
pas bien de les faire voir si ce n'est quand on rit. Elles mâchent
la nourriture pour le corps tout entier, mais n'en retiennent point la
saveur; elles ne s'usent pas facilement ; elles sont rongées en
ordre, les unes en haut et les autres en bas, et tandis que celles d'en
bas sont mobiles, celles d'en haut ne le sont pas. Or, les dents ainsi
envisagées sont pour moi une image des hommes qui ont embrassé
la vie monastique, qui, choisissant la voie la plus courte, et la vie la
plus sûre, semblent surpasser en blancheur le corps entier de l'Église
qui est blanc. Qu'y a-t-il, en effet, de plus blanc que ces hommes qui,
évitant toute espèce de souillures et d'immondices, versent
des larmes sur leurs péchés de pensées comme sur des
péchés d'action. Quoi de plus fort qu'eux? Pour eux les tribulations
sont des consolations, les mépris un sujet de gloire, la pauvreté
une véritable abondance. Ils n'ont pas non plus de chair, car jusques
dans la chair ils oublient la chair et s'entendent dire par l'Apôtre
: " Pour vous, vous n'êtes point dans la chair, mais dans l'esprit
(Rom. VIII, 9). " Ils n'ont pas de peau non plus, car ils n'ont ni l'éclat
ni la tension des soucis de ce monde, ils dorment et reposent en paix (Psal.
IV, 9). Ils ne souffrent pas qu'il y ait quoi que ce soit entre eux car
ils regardent comme intolérable la moindre pierre d'achoppement
qui se trouve soit entre eux, soit dans leur propre conscience. De là
vient cette opportune importunité qui vous caractérise, et
dont vous nous fatiguez si souvent, quand vous dépensez tant de
fois de si longues parties du jour, même lorsque cela n'est pas nécessaire,
à écarter ces pierres d'achoppement. Il n'y a pas de douleur
semblable à celle des religieux, car il n'y a rien d'aussi redoutable
et d'aussi horrible que les murmures et les distensions dans une maison
religieuse. Les dents sont enfermées derrière les lèvres
qui empêchent qu'on ne les voie; ainsi sommes-nous entourés
de remparts matériels qui nous dérobent aux regards et à
l'approche des gens du monde. Il n'est pas bien qu'elles paraissent, si
ce n'est peut-être quand on rit; ainsi n'est-il rien de plus inconvenant
qu'un religieux qu'on voit paraître dans les villes et les châteaux,
à moins qu'il ne soit forcé de le faire parla charité
qui couvre une multitude de péchés; la charité c'est
le rire, car elle est gaie; mais sa gaieté n'est point de la dissipation.
Les dents mâchent la nourriture pour tout le corps; ainsi les religieux
sont établis pour prier pour le corps entier de l'Église,
je veux dire pour les vivants et pour les morts. Mais ils ne doivent en
retenir aucune saveur, c'est-à-dire ils ne doivent se glorifier
de rien, mais au contraire, dire avec le Psalmiste : " Non, Seigneur, non,
ne nous attribuez point la gloire, réservez-la pour votre nom. Elles
ne s'usent pas facilement, ainsi les religieux sont d'autant plus fervents
qu'ils sont plus âgés, et courent d'autant plus vite, qu'ils
approchent davantage du but. Les religieux sont aussi rangés en
ordre; en effet, où trouver de l'ordre si ce n'est là où
le boire et le manger, la veille et le sommeil, le travail et le repos,
la promenade et la sieste et le reste sont réglés, avec poids,
nombre et mesure? Il y en. a aussi de placés en haut et d'autres
placés en bas, puisque parmi nous se trouvent des supérieurs
et des inférieurs, mais si bien unis entre eux que les supérieurs
et les inférieurs se trouvent dans un parfait accord. Si les dents
d'en bas peuvent remuer tandis que celles d'en haut demeurent immobiles,
il en est de même des religieux, parmi lesquels, s'il arrive parfois
que les inférieurs soient troublés, le devoir des supérieurs
est de montrer constamment une âme inébranlable. " Comme un
troupeau de brebis tondues, " est-il dit. Comme les religieux sont bien
comparés à des brebis dépouillées de leur laine
! ne sont-ils pas véritablement tondus ces hommes qui n'ont rien
conservé en propre, ni leur coeur, ni leur corps, ni rien de ce
monde? " Remontant du lavoir (Cant. IV, 2). " Le lavoir c'est le Baptême
d'où remonte celui qui s'élève au haut de la vie parfaite,
au contraire c'est descendre que de se laisser aller à une vie de
honte. " Toutes portent un double fruit (Ibid.), " car ils enfantent également
par la parole et par l'exemple. " Et il ne s'en trouve point de stérile
parmi elles (Ibid.) ; " car il n'y en a pas un seul parmi les religieux
qui ne porte des fruits.
2. Au sujet de cette satiété, on lit dans
un psaume : " Il m'a élevé auprès d'une eau qui me
nourrit : (Psal. XXII, 2), " et dans un autre " Ils seront enivrés
de l'abondance qui est dans votre maison (Psal. XXXV, 9). " Cette ivresse-là
n'engendre point le dégoût; au contraire, elle excite de nouveaux
désirs et un appétit insatiable. Dans cet Océan des
saintes Écritures, l'agneau se promène et l'éléphant
est à la nage. Au banquet de la doctrine catholique, chacun, selon
la mesure de son intelligence, trouve une table chargée de mets
suffisants. C'est un paradis de délices, un jardin où poussent
toutes sortes de fruits. Ainsi, en arrivant à Bersabé, c'est-à-dire
dans la sainte Église, comme nous l'avons dit plus haut, il court
à la confession, qui est figurée par Juda, et il renvoie
son serviteur, je veux dire son sens puéril, ou encore la faiblesse
de ses premiers actes, et il se dirige vers le désert, c'est-à-dire.
vers le mépris du monde. Une fois qu'il y est arrivé, il
s'assied, ce qui signifie qu'il se repose de tout tumulte du monde, et
chante avec le Prophète : " C'est là pour toujours le lieu
de mon repos (Psal. CXXXI, 14). " Il se prosterne, c'est-à-dire
il se répute vil et renonce à ses désirs, suivant
ce mot de l'Évangile : " Que celui qui veut venir après moi
se renonce lui-même (Luc. IX, 23). " Il s'endort à l'ombre
d'un genévrier, car dans les parvis de la maison .de Dieu, il cesse
d'avoir les sens de son corps adonnés à toutes sortes d'iniquités,
et il dit avec le Prophète : " Je dormirai et me reposerai dans
la paix (Psal. IV, 9). " C'est alors qu'un ange lui apparaît , et
le touche, le réveille pour faire le bien, et le fait lever pour
de plus grandes choses. Il regarde à sa tète, c'est-à-dire
à Jérusalem, qui est la tête de l'Église, et
il trouve un pain cuit sous la cendre, c'est-à-dire le pain de la
doctrine d'un Dieu, rude en apparence, mais doux, fortifiant au dedans
d'une manière ineffable; puis un vase d'eau, c'est-à-dire
une fontaine de larmes avec la componction du coeur. Il mange et il boit,
je veux dire il fait ce qu'il entend, et, fortifié par ce qu'il
vient de prendre, il marche vers la montagne de béatitude.
2. Alors un sage dispensateur, s'il n'apporte lui-même,
du moins fait apporter de la farine; car s'il ne donne point, il exhorte
à avoir de la charité qui est le condiment rendant doux ce
qui auparavant semblait amer. En effet, si un prédicateur peut faire
retentir aux oreilles des assistants des paroles de salut, personne, si
ce n'est Dieu, ne peut donner le goût de la charité au palais
du coeur. C'est ce qui faisait dire à Saint Grégoire : "
Si ce n'est l'esprit qui vous instruise au dedans, c'est en vain qu'au
dehors les docteurs se fatiguent à vous parler (Greg. Rom. XXX,
in Evang.). " Or; il y a le goût du ciel et le goût de la terre
; le goût du ciel ne saurait nous plaire tant que nous recherchons
celui de notre cuisine. Dans le désert, Dieu donne des cailles et
la manne : " Ce que les enfants d'Israël ayant vu, ils se dirent les
uns aux autres : Manhu ? Qu'est-ce que cela? Car ils ne savaient point
ce que c'était. Moïse leur dit : C'est le pain que le Seigneur
vous donne pour vous nourrir (Exod. XVI, 15). " Saint Jean nous découvre
le sens de ce fait dans son Évangile, quand il nous rapporte ces
paroles du Seigneur: " Je vous le dis en vérité, si vous
ne mangez la chair du Fils de l'homme, etc. Aussi, plusieurs de ses disciples
l'ayant entendu, dirent : ce discours est bien dur, qui peut l'écouter
? Et., à partir de ce moment, beaucoup d'entre eux s'éloignèrent
de lui (Joan. VI, 61)." Voilà comment quelques âmes simples,
quand elles se convertissent, sont effrayées de la sévérité
de la loi. Si on leur parle du mépris du monde, de la lutte entre
les vertus et les vices ; de la préoccupation des veilles, de l'assiduité
de la prière, des privations et des jeûnes, elles gémissent
et se disent intérieurement. Qu'est-ce cela? qui peut suffire à
tant et de si grandes choses ? C'est parce qu'elles ignorent quelle force
on trouve dans l'ordre, une fois qu'on y est entré. Mais le Pasteur
doit leur faire entendre des paroles de consolation, et les presser d'apporter
de la farine.
2. Pour rendre plus clair encore ce que je viens de dire sur les fontaines et sur l'eau qui s'en écoule, il me semble à propos de recourir au témoignage des Écritures, et de relever par des fils d'argent les ressemblances d'or que je vous ai montrées. Et d'abord, il ne me semble douteux pour personne que ces quatre fontaines coulent du sein même de Jésus ; mais comment y puise-t-on les eaux dont j'ai parlé, voilà ce qu'il faut montrer. Que David vienne donc à mon aide, et qu'il nous apprenne que les jugements coulent de la fontaine de la. vérité. N'est-ce pas le sentiment qu'il exprimait quand il disait : " Que mon jugement sorte de votre visage (Psal. XVI, 2). " En effet, ce saint homme n'aurait certainement pas appelé sien un jugement qui ne sortirait point du visage de Dieu, c'est-à-dire de la vérité, car il savait bien que les élus de Dieu se règlent sur les jugements de la vérité, comme sur une règle de fer, et comme il se sentait sous leur direction, il disait dans ses chants les plus joyeux : " Les jugements de Dieu sont vrais, et se justifient eux-mêmes; ils sont plus désirables que l'or et les pierres précieuses, et plus doux que le miel même en ses rayons (Psal. XVIII, 10). " Si par hasard on a peur de s'en écarter, il faut prêter l'oreille à la voix du Père qui fait entendre ses menaces par la bouche du même Prophète : " S'ils ne marchent point dans mes préceptes, et s'ils ne gardent point mes commandements, je visiterai avec la verge leurs iniquités, et je punirai leurs péchés par des plaies (Psal. LXXXVIII, 32). " Ce sont ces mystères du jugement de Dieu, que rapportait le Porte-clef du royaume des cieux, quand il disait : " Il est temps que Dieu commence son jugement par sa propre maison. Et, s'il commence par nous, quelle sera la fin de ceux qui rejettent l'Évangile de Dieu (I Petr. IV, 47) ? " Or, ces paroles s'adressent aux élus. Il y a un autre jugement qui se rapporte aux réprouvés, et qui, de même que le premier, coule aussi de la Vérité même. Ainsi, elle dit par la bouche de Paul : " que Dieu condamne selon. la vérité ceux qui font ces actions (Rom. II, 2). " Enfin la Vérité même, parlant en même temps de ces deux jugements dit: "Je suis venue en ce monde pour exercer un jugement, c'est-à-dire pour que ceux qui ne voient point, voient, et que ceux qui voient deviennent aveugles (Joan. IX, 39). " Et il montre la différence qui leur est propre quand il dit : " ceux-ci iront au supplice éternel, tandis que ceux-là, les justes, iront à la vie éternelle (Matt. XXV, 6). "
3. Après avoir vu comment les jugements se puisent à la fontaine de la vérité, voyons comment les conseils coulent de la fontaine de la sagesse. Qui doute que l'apôtre Paul ait été sage, quand saint Pierre, son collègue en apostolat, rend témoignage de la sagesse qu'il a reçue (II Pet., III, 15), et que toutes les paroles Ide cet apôtre ne respirent que la sagesse. Qu'il ouvre donc la bouche pour nous donner des conseils, et que par là il nous apprenne ce qui convient à des voyageurs comme nous, à des hommes qui ont hâte d'arriver à la céleste patrie. " Quant aux vierges, dit-il, je n'ai pas reçu de commandements du Seigneur, mais voici le conseil que je leur donne, pour être un ministre fidèle. Je crois donc qu'il est avantageux à l'homme, à cause des nécessités pressantes de cette vie, de demeurer tel (I Corr. VII, 25 et 26), c'est-à-dire de ne se point marier. S'il avait reçu un commandement au sujet de la virginité, il n'y aurait de permis que ce qui serait prescrit ; mais comme il est également permis de se marier ou de ne le point faire, que pouvait-il faire de mieux que de dire : " il est avantageux de rester tel?" Surtout quand les besoins pressants de la vie ont souvent coutume de fondre sur nous, que la rapidité du temps nous conduit rapidement à la mort; et que la figure de ce monde passe vite. Ailleurs, en parlant d'une veuve, il dit : " Mais cependant elle sera plus heureuse, si elle demeure veuve, comme je le lui conseille (Ibid. 40). " Et, de peur qu'on ne croie que c'est de son propre coeur, non point de la fontaine du Sauveur qu'il tire ce conseil, il ajoute : " et je crois que j'ai aussi en cela l'esprit de Dieu. " Mais pourquoi m'arrêter à rapporter quelques exemples quand tout sexe, toute condition trouve des conseils de salut dans ses paroles, pour peu qu'il les y cherche avec soin ? Mais si on veut s'assurer dans un mouvement de curiosité, si, véritablement, comme on le dit, les conseils émanent de la sagesse, qu'on lise les livres qui sont attribués à la Sagesse où tout le contexte des discours semble fait pour donner des conseils. Mais si, dans une pensée de prudence et d'utilité, on veut y puiser la vie, nous entendrons la voix de la Sagesse même qui nous y invite en ces termes salutaires : " Si vous voulez la vie, arriver à la vie, observez les commandements (Matt. XIX, 17). " De qui, demandez-vous? Elle vous répond : " Craignez Dieu et observez ses commandements (Eccl. XII. " Entendez-la vous crier dans un sentiment tout maternel : " Donnez-moi votre cœur (Prov. XXIII, 26). " O combien je voudrais, moi aussi, suspendre mon cœur aux paroles de celui dont le cœur bienfaisant fait retentir de si doux conseils de vie! Puissé-je tremper la plume de ma langue dans sa fontaine, pour devenir capable de vous parler d'une manière utile,de ce qui me reste à vous dire des deux autres fontaines, c'est-à-dire de la vertu et de la charité.
4. Comme ces quatre fontaines mêlent si bien leurs goûts que quiconque boit de l'une est invité à boire de l'autre par une ineffable douceur de délectation, il est temps que je passe de la sagesse à la vertu, et que je montre comment on y puise l'eau de la force autant que la vertu même me donnera la force de le faire. Or, de même que plus haut je disais que la vérité a deux jugements, dont l'un nous dit ce qui est permis et l'autre ce qui ne l'est pas, et que la sagesse aussi en a deux; un qui nous apprend ce qui est expédient, et l'autre ce qui ne l'est point, ainsi devons-nous reconnaître ici qu'on peut puiser deux sortes d'eau de force à la fontaine de la vertu, une qui purifie les élus de leurs fautes, et l'autre qui les rafraîchisse dans leurs tourments. Donnons un exemple de l'une et de l'autre. L'évangéliste saint Luc rapporte (Luc. VIII, 43) qu'une femme qui souffrait d'un flux de sang, après avoir dépensé toute sa fortune en médecins, sans pouvoir obtenir sa guérison, s'approcha du Seigneur par derrière, toucha la frange de son vêtement, et aussitôt son flux de sang s'arrêta. Jésus, de son côté, dit : " Qui m'a touché? " Et comme ses disciples lui disaient . " Quand la foule vous presse de tous côtés et vous accable, vous dites : " Qui m'a touché? " Il leur répartit : Quelqu'un m'a touché, car je sens, moi, qu'une vertu est sortie de moi. " Voilà les eaux de force que puisa cette femme à la fontaine de la vertu; elles la purifièrent de son flux de sang dont aucun médecin n'avait pu la guérir. Si vous me faites remarquer que ce témoignage n'a aucun rapport avec le sujet qui nous occupe en ce moment, attendu qu'il ne semble pas que cette femme ait été purifiée de ses fautes, mais seulement d'une maladie corporelle, il faut savoir que c'est la coutume de la vertu de Dieu de guérir le coeur avant le corps. Aussi voyons-nous dans un autre endroit que lorsqu'on lui présenta un paralytique à guérir, ce beau et charitable médecin, voulant commencer par guérir le plus important, je veux dire l'âme avant le corps, lui dit: " Ayez confiance, mon fils, vos péchés vous sont remis (Matt. IX, 2). " Et ensuite, sa conscience étant guérie, il guérit le corps en disant : " Levez-vous, emportez votre lit et retournez dans votre maison (Ibidem). " De même il commença par purifier le coeur de cette femme en y mettant le don de la foi, selon ce qui est écrit . " Fortifiant leur coeur et leur foi (Act. XV, 9)," qui lui fit mériter la santé extérieure du corps. C'est ce que le Seigneur même nous fait entendre, quand il dit : " Ma fille, votre foi vous a sauvée; allez en paix (Luc. VIII, 43). " Mais on puise encore à la fontaine de la vertu l'eau de la force dans les tourments, comme le font voir les trois enfants dans la fournaise que la flamme rafraîchit au milieu d'un feu ardent comme celui d'un incendie; c'est ce que prouve encore parfaitement l'admirable martyr Vincent, qui, au milieu des plus cruels tourments, non-seulement les supporta avec constance, mais encore excitait, en ces termes, la fureur de son bourreau : " Lève-toi, et déchaîne contre moi toute la fureur de ta méchanceté, tu verras que, par la vertu de Dieu, je suis plus fort pour souffrir que tu ne saurais l'être pour multiplier mes souffrances. " On pourrait en dire bien davantage sur cette fontaine de vertu, mais je préfère me borner à ce peu de mots, parce que j'aime mieux boire à la fontaine de vertu, que d'écrire sur elle.
5. Le Rédempteur lui-même nous convie à cette fontaine en ces termes : " Si quelqu'un a soif, qu'il vienne et qu'il boive, et des eaux vives couleront de son ventre (Joan. VII, 37). " L'Évangéliste, poursuivant son récit, nous fait connaître la fontaine où il nous invite à venir. " Il parlait, dit-il, de l'Esprit qu'ils devaient recevoir en croyant en lui (Ibidem 39). " De quel esprit parlait-il, si ce n'est de l'esprit de charité que le monde ne peut recevoir, et que ne reçoivent que ceux qui croient en lui? Allons donc puiser à cette fontaine l'eau des désirs, et divisons-les en deux ruisseaux, afin que de même qu'il y a deux préceptes de la charité, il y ait aussi deux désirs par lesquels ces préceptes soient remplis. En effet, il y a le désir par lequel Dieu est aimé pour lui-même, et celui par lequel le prochain l'est pour l'amour de Dieu. Or, dans le premier précepte il n'y a point de mesure à garder; c'est de tout notre coeur, de toute notre âme et de toutes nos forces que Dieu est aimé ; mais il y en a une dans le second, puisqu'il est dit : "Vous aimerez votre prochain comme vous-même (Matt. XXII, 39). " C'est du premier amour que brûlait le Prophète quand il disait : " De même qu'un cerf soupire après les sources d'eau vive, ainsi mon âme soupire après vous, ô mon Dieu (Psal. XLI, 2). " Et encore : " Mon âme se consume et défaille de désir dans les portiques du Seigneur (Psal. LXXXIII, 3). " C'était le second amour que l'Apôtre témoignait aux Romains quand il leur écrivait en ces termes : " J'ai un grand désir de vous voir, pour vous faire part de quelque grâce spirituelle (Rom. I, 11), " et que le Seigneur montrait à ses disciples quand il leur dit dans l'Évangile : " J'ai désiré d'un ardent désir de manger cette Pâque avec vous avant que je souffre (Luc. XXII, 15). "
6. Or, il faut remarquer que le coeur de l'homme est excité
et porté à l'amour de Dieu particulièrement par trois
affections, ce qui explique comment il lui est ordonné d'aimer de
tout son coeur, de toute son âme et de toutes ses forces. La première
de ces affections est douce, la seconde prudente, et la troisième
forte. Pierre ressentait la première quand il détournait
le Seigneur de mourir; il est évident qu'il éprouvait le
doux amour du coeur quand il redoutait la passion pour lui. Aussi lorsqu'il
entendit ces paroles: "Arrière Satan, vous ne goûtez pas les
choses de Dieu, mais celles de l'homme (Marc. VIII, 33), " il se vit éclairé
par ce langage, et, comprenant tout ce que la mort du Christ avait de bon,
il se mit à aimer de toute son âme et d'un amour prudent,
celui. que d'abord il n'avait aimé que de tout son coeur et d'un
amour plein de douceur; mais il ne l'aimait pas encore de toutes ses forces,
autrement il ne l'aurait certainement pas renié par la crainte de
la mort. Mais après la résurrection et l'ascension, ayant
reçu le Saint-Esprit d'en haut, il aima enfin de toutes ses forces
celui pour qui il ne craignit point dans la suite de subir l'horrible supplice
de la croix. Quant à l'amour du prochain, nous le pratiquons aussi
de trois manières, soit en édifiant la charité, là
où elle n'existe pas, soit en l'empêchant de périr,
soit enfin en ne la laissant pas s'amoindrir là où elle est.
Or, quiconque exerce cette charité envers le prochain avec un coeur
pur, mérite très-certainement d'obtenir plus tard celle qui
n'est autre que Dieu même.
2. Ainsi voilà donc le travail dans la langue et le miel dessous. Qu'y a-t-il dessus? Des choses ineffables qu'il n'est pas donné à l'homme d'articuler (II Cor. XII, 4). Malheureux hommes qui, ne faisant attention qu'à ce qui sonne dans les langues, ne peuvent saisir ni ce qui est caché sous la langue, ni ce qui se trouve dessus. " Cette parole est dure (Joan. VI, 64), " disent-ils; oui, bien dure, et pourtant c'est une parole de vie. " Celui qui ne prend point sa croix et ne me suit pas, n'est pas digne de moi (Matt. X, 38). Si quelqu'un vient à moi et ne hait pas son Père et sa mère, et même encore son âme, il n'est pas digne de lui (Luc., XIV, 26). " Que se pouvait-il dire de plus dur? Ne vous y trompez pas ; il vous semble que c'est un caillou, c'est du pain ; cette parole est dure en apparence, elle est pleine de douceur au dedans. Le Seigneur votre Dieu vous éprouve : l'exercice de la foi et la preuve de l'amour est dans cette peine simulée Mais, après tout, supposons que ce soit une pierre, n'avez-vous pas au moins la foi des démons ? " Si vous êtes le Fils de Dieu, dites que ces pierres deviennent des pains (Matt. IV, 3). ", Nous savons tous qui parlait ainsi. Il ne doutait pas celui-là que d'un seul mot, (or, il n'est rien de plus facile que ce qu'on fait d'un mot), celui qu'il croyait être le Fils de Dieu, pouvait faire nie pain d'une pierre. Il est permis d'aller à l'école, même d'un ennemi. Disons aussi au Fils de Dieu : dites que ces pierres deviennent des pains; car celui qui était venu pour le salut non des démons, mais des hommes, réfuta ses ennemis de manière à instruire ses enfants. Il ne dit pas le mot que le tentateur voulait entendre de sa bouche, mais celui qu'il nous importait d'entendre, un mot qui fit de lui qui est notre pierre, notre pain, non point le pain du tentateur. " L'homme, repartit-il, ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu (Ibid. 4). "
3. Mais que murmures-tu en entendant ces paroles, ô
ennemi de la vérité ? Tu en conviens toi-même et tu
ne peux le nier, le Fils de Dieu, peut dire que ces pierres deviennent
des pains. Eh bien donc, quand il parle de la parole de Dieu et dit sans
restriction qu'on ne vit que de ses paroles et que toute la vie de mon
âme se trouve en de telles paroles, que viens-tu murmurer à
mon oreille à propos d'une de ses paroles : " Ce langage est bien
dur ? " Est-ce que toi qui n'es point le Fils de Dieu, tu prétendrais
que les paroles que le Fils de Dieu a dites, et qui sont devenues un aliment
de vie, ne sont que des pierres ? Ce n'est pas moi qui croirai, comme tu
as eu la téméraire audace de le croire toi-même, que
tu sois égal à Dieu et qu'un mot de toi fasse que du pain
redevienne une pierre. Puisque tu n'es pas le Fils de Dieu, c'est en vain
que tu diras que ces pains deviennent des pierres. Ce n'est pas moins en
vain que tu nous offres ta pierre pour du pain, un scorpion pour un neuf,
un serpent pour un poisson. Et malheur à ceux qui appellent une
pierre du pain et du pain une pierre, prenant ainsi la lumière pour
les ténèbres et les ténèbres pour la lumière
(Isa., V, 20) ; qui réputent le joug du Christ dur, et croient qu'il
y a des délices cachées sous les ronces. Je ne voudrais point
de ces délices, j'aime bien mieux goûter et voir combien le
seigneur est doux (Psal. XXXIII, 8). C'est ce qu'avait eu soin d'éprouver
par lui-même non en vain celui qui nous donne ce conseil. Il nous
dit enfin: " Que vos paroles me sont douces à la bouche (Psal. CXVIII,
103) ! " et ailleurs : " combien est grande, Seigneur, l'abondance de votre
douceur que vous avez cachée pour ceux qui vous craignent (Psal.
XXX, 23) ! " Mais où pensez-vous qu'il la cache ? sous sa langue,
sous la tête de celle qui dit : " Sa main gauche est sous ma tête
et sa main droite me tiendra embrassée (Cant. II, 6). " Car si la
douceur et une douceur abondante, oui grande, très-grande même
se trouve dans la promesse de la vie présente, la perfection de
cette douceur n'est que dans la promesse de la vie future. Le Psalmiste
a dit " vous l'avez rendue pleine et entière pour ceux qui espèrent
en vous, à la vue des enfants des hommes (Psal. XXX, 20). " Qu'a-t-il
ainsi rendu parfait ? Cette parole n'est point dans la langue, mais sur
la langue. Aussi si l'oreille n'entend point ce que Dieu a préparé
à ceux qui l'aiment, c'est parce que la bouche ne l'a point articulé.
Or cette perfection n'est pas dans le secret, c'est en présence
des enfants des hommes. C'est donc avec justesse que l'Apôtre ne
la montre pas encore comme atteinte, et ne la répute telle que pour
ceux qui ont l'espérance, comme il le dit en ces termes: " Nous
ne sommes encore sauvés que par l'espérance (Rom. VIII, 24).
"
a V. Les Fleurs de saint Bernard, livre IX, chapitre XVI.
2. Le Prophète Michée nous fait connaître
cette voie pour retourner à Dieu quand il nous dit : " ô homme,
je vous dirai ce qui vous est utile, et ce que le Seigneur demande de vous.
C'est que vous agissiez selon la justice, que vous aimiez la miséricorde,
et que vous marchiez en la présence du Seigneur avec une vigilance
pleine d'une crainte respectueuse (Mich. VI, 8). " C'est la voie que nous
enseigne aussi le Christ, s'il faut en croire saint Paul quand il nous
dit: "La grâce de Dieu notre Sauveur a paru à tous les hommes,
et elle nous a appris que, renonçant à l’impiété
et aux passions mondaines, nous devons vivre dans le siècle présent
avec tempérance, avec justice et avec piété (Tit.
II, 11). " Et d'abord " avec tempérance " cela se rapporte à
nous, " avec justice, " c'est pour le prochain, " et avec piété,
" voilà pour Dieu. Et même il nous parle du regard vers Dieu
quand il nous dit : " Étant toujours dans l'attente de la béatitude
que nous espérons et de l'avènement glorieux du grand Dieu
et Sauveur Jésus-Christ (Ibid. 13). " Dans plusieurs autres endroits
des saintes Écritures, on peut encore trouver, si on le cherche,
cette ordre de voie et cette institution de vie ; tel est celui-ci par
exemple : " Heureux l'homme qui demeure appliqué à la sagesse,
qui s'exerce à pratiquer la justice, et qui pense en lui-même
à l'oeil de Dieu qui voit toutes choses (Eccli. XIV, 22). " C'est
que, en effet, celui qui se juge lui-même maintenant pour échapper
au jugement éternel de Dieu, est fixé dans la sagesse et
véritablement sage. L'Apôtre dit, en effet: " Si nous nous
jugeons nous-mêmes nous ne serons pas jugés (I Cor. XI, 31).
" Il est sage non pas de la sagesse de ce monde, mais de la sagesse du
monde invisible et qui fait par une admirable opération de Dieu,
que les élus et ceux qui, en ce monde, sont broyés sous les
coups et comme écrasés, soient plus tard placés, sans
que le. marteau retentisse, dans le palais du vrai Salomon.
2. Après avoir reçu ce don, il ne doit pas s'en contenter, mais s'avancer vers des dons plus grands encore et faire des progrès en mieux. Il vit déjà par le Saint-Esprit. Or, " si nous vivons par l'Esprit, dit l'Apôtre, conduisons-nous aussi par le même Esprit (Gal., V, 25), " et ailleurs: "Pour nous, débarrassés des voiles qui nous couvrent le visage, et contemplant la gloire du Seigneur, nous sommes transformés en la même image, et nous avançons de clarté en clarté par l'illumination de l'Esprit du Seigneur (II Cor., III, 18). " C'est ce que semble avoir senti le Psalmiste au sujet des saints, quand il dit : " Le législateur donnera sa bénédiction aux saints, et ils s'avanceront de vertu en vertu, et enfin ils verront le Dieu des dieux dans la céleste Sion (Psal. LXXXIII, 7). " Qu'il avance donc aussi, celui dont nous parlons, qu'il marche et continue jusqu'à ce qu'il arrive au quatrième degré. Là, n'en doutons point, devenu sage, il verra le Dieu des dieux dans la céleste Sion. Or, de ce que j'ai dit, il suit que celui qui aime bien son âme doit aussi aimer la justice, car s'il aime l'iniquité, on ne peut pas dire qu'il aime son âme, il la hait (Psal., X, 6).
3. En aimant la justice, l'homme passe au second degré, et il entend ce précepte de la Sagesse : " Aimez la justice, vous qui jugez la terre (Sap. I, 1). " Or, s'il aime la justice parfaitement, il doit pour elle supporter patiemment toute sorte de peines et tous les mépris dont il peut être couvert. En effet, la justice lui donnera surtout deux choses: l'une de faire ce qu'il doit, l'autre de souffrir ce qu'il doit. En d'autres termes, de souffrir le mal qu'il a mérité, s'il n'a pas fait le bien qu'il devait. Voilà comment il arrive d'une manière qui surprend que, sans abandonner la justice nous sommes abandonnés par elle, puisque toute prévarication est punie par elle. Il n'y a personne qui puisse se dérober aux atteintes de la chaleur. Or, non-seulement un homme juste n'a point cette peine en horreur, mais même il la reçoit volontiers, parce qu'il croit avec la foi que c'est par elle que les fautes de sa vie passée sont purifiées. Delà vient en effet qu'il est écrit : " Le juste ne s'attristera point de quelque chose qui lui arrive (Prov., XII, 21). " Aussi, aux différentes voluptés qui l'ont fait tomber, il oppose les remèdes contraires qui le relèvent; par exemple, s'il est tombé par désobéissance, il revient à la vie par le travail et l'obéissance; s'il est tombé dans la débauche et la dissolution, il se remet de ses chutes par le goût de la continence et par la rigueur de la discipline. Il tire son châtiment des éléments mêmes du monde dont il n'avait fait usage que pour incliner à la volupté. Lorsque ces tourments ont duré longtemps, qu'il est éprouvé comme l'or dans la fournaise, tant que le trouvera bon celui qui nous nourrit du pain des larmes et nous donne à boire l'eau de nos pleurs avec abondance (Psal. LXXIX, 6), alors enfin il commence à se consoler, et il entend Isaïe lui dire : " Consolez-vous, consolez-vous, mon peuple, dit le Seigneur. Parlez au coeur de Jérusalem et assurez-lui que ses maux, c'est-à-dire son affliction, sont finis, que ses iniquités lui sont pardonnées, et qu'elle a reçu de la main du Seigneur une double grâce, pour l'expiation de tous ses péchés (Isaï. XL, 1 et 2). " Une fois qu'il a reçu de la consolation, il est inquiet et cherche comment il pourra plaire à celui à qui il s'est donné (II Tim. II, 4), et dans tout le bien qu'il fait il ne se propose qu'une seule chose : plaire à son Créateur.
4. Puis, il passe au troisième degré d'avancement,
c'est-à-dire il devient amide la sagesse qui lui parle avec une
affection toute maternelle, et lui dit : "Mon fils, donnez-moi votre coeur
(Prov., XXIII, 26). " Une fois arrivé à ce degré,
il ne lui reste pas autre chose à faire qu'à passer au quatrième
où on dit que se tient le sage. C'est ce qui a lieu quand il agit,
non plus seulement pour plaire à Dieu, ce qui est le propre du troisième
degré, mais parce que Dieu lui plaît, ou que ce qu'il fait
plaît à Dieu. Quiconque en est arrivé là, peut
chanter en toute confiance et sécurité ce cantique du sage
: " En tout j'ai cherché le repos, etc. (Eccl. XXIV,11). " En effet,
c'est avoir trouvé le repos en tout quand Dieu plait à celui
qui n'a point appris à plier la volonté de Dieu à
la sienne, mais la sienne à celle de Dieu. " Il s'arrêtera
dans l'héritage du Seigneur, " ainsi que la promesse qui en est
faite de la bouche même du Seigneur, quand il dit : " Je te donnerai
la terre où tu dors (Gen. XXVIII, 13), " c'est-à-dire ce
repos où tu es arrivé par ton travail et tes peines, je le
rendrai pour toi stable et perpétuel. S'il ajoute : " et à
ta race, " on peut le comprendre en ce sens que non-seulement cette tranquillité
est assurée en cette vie et en l'autre à ton esprit, ô
homme, mais encore la glorification de ta chair, à ta race, c'est-à-dire
à tes oeuvres.
2. Disons donc à celui que la honte arrête
: pourquoi rougissez-vous de confesser votre péché quand
vous n'avez pas rougi de le commettre ? Et d'où vient que vous avez
honte de confesser à Dieu votre faute, quand vous ne pouvez vous
soustraire à ses regards ? Si vous n'osez confesser votre faute
à un homme, à un pécheur, que ferez-vous au jour du
jugement où votre conscience sera mise à découvert
devant tous les hommes. Il faut donc opposer trois choses à la honte,
la considération de la raison, le respect de Dieu qui. nous voit,
et la comparaison d'une honte plus grande. De même il y a trois remèdes
à opposer à la crainte, il faut songer en effet, combien
longue est la peine de l’enfer; combien elle est grave, combien inutile,
tandis que, au contraire, la pénitence de la vie présente
est courte, légère et profitable. Contre l'espérance
il y a aussi trois remèdes, les biens du siècle futur, qui
sont plus grands, plus sûrs et plus durables que ceux de la vie présente,
car au prix d'eux tout ce qu'on peut souhaiter en ce monde, est peu de
chose, incertain et pour ainsi dire, momentané. De même au
désespoir de vaincre le péché, il y a trois remèdes
: le premier est l'énergie du bon propos qu'on puise dans la confession.
Le second est la grâce de Dieu qu'on mérite par son humilité,
et le troisième est le secours qu'on trouve dans la compassion de
celui à qui on se confesse.
2. Or, il faut noter que, de même que le Seigneur
se manifestera à ses élus dans le royaume de la félicité,
pour les glorifier, ainsi il se montre à eux dans le lieu de leur
passage pour les justifier, en sorte que ceux qui doivent un jour être
glorifiés en le voyant en face, commencent à être justifiés
par lui au moyen de la foi. Or, il y a trois choses dont doit s'abstenir
quiconque désire être justifié : c'est d'abord des
oeuvres mauvaises, en second lieu des désirs de la chair, et, en
troisième lieu, des soins du siècle. De même il y a
trois choses à quoi ils doivent s'appliquer, elles sont enfermées
dans le sermon du Seigneur sur la montagne (Matt. V, 1), ce sont l'aumône,
le jeûne et la prière. Ainsi la justification s'accomplit
donc de cette manière, en s'abstenant des vices qui sont défendus,
et en faisant fidèlement le bien qui est prescrit. Il faut donc
opposer aux œuvres mauvaises, les oeuvres de miséricorde, aux désirs
charnels, les jeûnes, et aux soucis du siècle présent,
l'amour de Dieu et la prière fréquente.
2. Le corps aussi nous est nécessaire pour faire
pénitence. C'est, en effet, dans le corps que nous pouvons souffrir
des maux et faire du bien: souffrir les uns pour les fautes que nous avons
commises, et faire du bien pour acquérir les récompenses
éternelles. Aussi comment une âme sortie de son corps sera-t-elle
en état de faire de dignes fruits de pénitence ? Mais il
faut noter que la pénitence que nous faisons dans le corps est courte
et légère: elle est courte, attendu que la mort du corps
y met fin, et légère parce que, unie au corps, l'âme
la supporte plus facilement. Au contraire elle serait lourde si l'âme
était seule pour la supporter; plus elle en laisse au corps, plus
le poids qu'elle en garde pour elle est allégé. Enfin le
lieu semble également utile et nécessaire pour faire pénitence,
or, ce lieu c'est l'Église du temps présent. Quiconque néglige
d'y faire pénitence comme il faut, pendant qu'il vit dans son corps,
ne peut obtenir aucun remède de salut dans l'autre monde.
2. Je vous ai parlé des différents genres
d'affections et de prières, il faut que je vous parle aussi de la
pureté de la prière. Et d'abord, il me semble qu'il y a trois
choses nécessaires pour donner à la prière une direction
ferme. En effet, celui qui prie doit considérer ce qu'il demande
dans la prière, quel est celui qu'il prie et quel il est, lui qui
prie. Or, dans l'objet de sa prière il a deux choses à observer,
en premier lieu, de ne demander rien qui ne soit selon Dieu, et en second
lieu, désirer avec la plus grande ardeur de sentiment ce qu'il demande.
Prenons un exemple: demander la mort d'un ennemi, le mal ou la ruine du
prochain, ce n'est point faire une prière qui soit selon Dieu, puisque
lui-même vous fait cette recommandation: "Aimez vos ennemis, faites
du bien à ceux qui vous haïssent, bénissez ceux qui
vous maudissent et priez pour ceux qui vous calomnient (Luc. VI, 27). "
Mais si nous demandons la rémission de nos péchés,
la grâce du Saint-Esprit, la vertu et la sagesse, la foi et la vérité,
la justice et l'humilité, la patience, la douceur et tous les autres
dons spirituels, si, dis-je, c'est là ce que nous avons en pensée
et l'objet de nos plus ardents désirs, notre prière est bien
selon Dieu, et mérite pardessus tout d'être exaucée.
Voilà certainement la prière dont Dieu parle quand il dit
par la bouche d'Isaïe : " Avant qu'ils crient je les exaucerai; et
lorsqu'ils parleront encore j'exaucerai leurs prières (Isa. LXV,
24). " Il y a d'autres choses encore qui, lorsqu'elles nous font défaut,
nous sont accordées de Dieu et peuvent être ou n'être
point selon Dieu, d'après la fin à laquelle nous les rapportons.
Telle est la santé du corps, l'argent, et l'abondance des autres
choses semblables. Toutes ces choses-là viennent bien de Dieu, néanmoins,
il n'en faut pas faire trop de cas ni les posséder avec trop d'attachement.
De même, il y a deux choses aussi à considérer dans
celui que nous prions, sa bonté et sa majesté : sa bonté
par laquelle il veut gratuitement, et sa majesté par laquelle il
peut sans peine donner ce qu'on lui demande. Quant à celui qui prie,
il a aussi deux choses à considérer par rapport à
lui, c'est qu'il ne mérite point d'être exaucé par
lui-même, et qu'il n'a d'espoir d'obtenir ce qu'il demande que de
la miséricorde de Dieu. C'est enfin avoir un coeur pur que d'avoir
présentes à l'esprit les trois choses dont je viens de parler
et de la manière que je l'ai dit. Mais celui qui prie avec cette
pureté et cette intention du coeur est sûr d'être exaucé,
car, selon ce que dit saint Pierre : " Dieu ne fait acception de personne,
mais en toute nation, celui qui le craint et dont les oeuvres sont justes,
lui est agréable (Act. X, 34). "
2. Mais ce dont je ne puis assez m'étonner, c'est que notre foi chancelle au sujet du présent quand elle semble si certaine sur l'avenir. C'est ainsi, ô insensés enfants d'Adam que, ne jugeant et ne discernant point ce qui est, lorsque vous avez les promesses de la vie présente et de la vie future (I Tim. IV, 8), vous vous montrez incrédules et infidèles dans la vie même qu'il vous est donné de vivre, en sorte qu'il semble évident que la foi des promesses à venir, ne nous a été laissée que pour mettre le comble à votre damnation. On peut en dire autant des menaces que des promesses. En effet, est-ce que le Dieu qui nous assure qu'il y a un royaume préparé pour les élus, et un feu pour les réprouvés, n'est pas le même qui nous atteste avec autant de vérité et de la même bouche, que ceux qui ne s'approchent point de lui sont dans le travail et la peine et sont chargés, tandis que ceux qui viennent à lui ne sauraient défaillir, comme pourrait le craindre la faiblesse humaine, mais seront fortifiés par lui? Celui qui nous promet un royaume à jamais délectable est le même qui nous assure que son joug est doux et son fardeau léger. Celui qui nous promet une béatitude éternelle dans la patrie, nous promet aussi dans la vie présente du repos et des forces. Enfin le Prophète nous dit: " L'oreille n'a point ouï, l'œi1 n'a point vu, et le coeur de l'homme n'a jamais conçu ce que Dieu a préparé pour ceux qui l'aiment (Isa. LXIV, 4 et I Cor. II, 9) : " Et nous le croyons bien volontiers tous. Quant au maître même des prophètes, voici comment il s'exprime : " Venez à moi vous tous qui travaillez et qui êtes chargés, et je vous soulagerai prenez mon joug sur vous, et vous trouverez le repos pour vos âmes, car mon joug est doux et mon fardeau léger (Matt. XI, 28). " Or, combien n'y en a-t-il pas qui détournent l'oreille de leur coeur? Car pour celle du corps peut-être n'oseraient-ils point le faire. Qu'est-ce que cette incrédulité-là? Ou plutôt quelle folie n'est-ce point? Comme si la Sagesse pouvait se tromper, ou la vérité induire en erreur? Comme si la charité ne voulait point donner ce qu'elle offre, ou la Toute-Puissance ne pouvait tenir à ses promesses.
3. Quel homme est assez adonné au plaisir de la table et des sens pour ne point embrasser la sobriété et la chasteté, s'il était certain qu'elles lui donneront de plus grandes jouissances? Qui est assez ambitieux pour ne point se montrer content de l'état le plus humble, et de la pauvreté la plus extrême, s'il savait que la charité qui ne cherche point ses propres avantages est plus aimable, comme elle l'est en effet, que toutes les dignités de ce monde? Où est l'avare qui ne ferait fi de tous les trésors, s'il était convaincu que la pauvreté est plus agréable ? C'est donc en vain maintenant que Jésus-Christ nous assure de toutes les façons que son fardeau est léger, puisque ceux-là même qui portent le nom de Chrétiens réputent le fardeau du diable, et le joug de la chair et du siècle beaucoup plus délicieux. Mais d'où vient, Seigneur mon Dieu, que vous êtes, en effet, aussi inconsidéré qu'ils le font croire? Pourquoi promettre si haut ce qu'il est si facile de prouver que vous n'accordez point? Vous assurez que votre esprit est plus doux que le miel en ses rayons, et voilà là des hommes qui trouvent plus douce la chair du gibier, que dis-je, ô honte, le corps d'une prostituée, la vanité du siècle. Malheur à eux! Les infortunés ne jugent les choses que d'un côté, et ils ont du dégoût pour votre manne cachée qu'ils n'ont point goûtée ! Ah, ceux qui en ont fait la double expérience, savent bien que Dieu est véridique (Rom. III, 4), tandis que tout homme est menteur; aussi devrait-on regarder leur témoignage comme extrêmement digne de foi, mais, ô mon Dieu, on se rit et on tient aussi peu compte de vos promesses que de l'expérience des vôtres, car les hommes charnels ne perçoivent point les choses qui sont de Dieu; elles leur paraissent de la folie (I Cor. II, 14). Il ne faut pas s'étonner que l'homme ne croie pas à l'expérience d'un autre homme quand il ne croit pas même à la promesse de son Dieu. Voilà donc comment nous sommes traités d'insensés, nous autres qui prêchons la douceur de la croix du Seigneur, parlons avec éloge des délices de la pauvreté, exaltons la gloire de l'humilité, et n'ayons à la bouche que les louanges des délices de la chasteté. Eh bien! qu'on traite d'insensé avec nous le Prophète qui nous assure qu'il a trouvé des délices dans la loi du Seigneur, comme ion en trouve dans tous les trésors du monde (Psal. CXVIII, 14).
4. Mais vous qui êtes sages à vos propres yeux, préférez à la loi de Dieu, je ne dis point tous les trésors du monde, mais les quelques richesses que vous pouvez mendier où vous voudrez, mais jamais votre foi n'aura un témoignage. C'est en vous qu'il se trouvera, dans le secret, dans un recoin (Matt. VI, 4), là où le Père céleste lui-même ne saurait vous voir, mais où il peut vous dire "je ne vous connais point (Matt. XXV, 12). " Vous croyez fermement que Dieu est juste, véridique, rémunérateur, tout-puissant, souverainement bon et éternel. Soyez donc des aspics sourds et se bouchant les oreilles pour ne point entendre ses reproches quand il vous dira : " Montrez-moi votre foi sans les oeuvres (Jacob. II, 18). " Que vous en coûte-t-il de croire ? Mais gardez-vous bien d'entrer dans la voie des commandements, car elle est ardue, roide et impraticable. Ah ! hommes malheureux, infortunés ! vous n'avez point trouvé la voie qui conduit à la cité où vous pussiez habiter (Psal. CVI, 4), aussi vous êtes-vous égarés dans des lieux où il n'y a ni chemin ni sentier. Les termes de la voie qui vous semble bonne, et que vous trouvez charmante, mais qui n'a, en effet, rien qui ressemble à de vrais charmes, c'est un précipice qui va jusqu'au fond de l'enfer; c'est là qu'il y aura des pleurs et des grincements de dents. Sortez de votre sommeil, ô vous qui êtes ivres, et pleurez si vous ne voulez point que ces larmes ne vous prennent à l'improviste. Car quand vous direz, paix et sécurité, alors la mort fondra tout à coup sur vous, comme les douleurs de l'enfantement saisissent la femme grosse, et vous ne pourrez y échapper ( I Thess. V, 3) : Ce sera avec justice assurément, puisque vous vous plaisez aujourd'hui à perdre le temps pendant lequel vous devriez voir, et vous vous détournez de la seule voie ouverte à la fuite.
5. Le Seigneur a dit : " Priez Dieu que votre fuite n'arrive ni en hiver, ni le jour du sabbat (Matt. XXIV, 40). " Fuyez pendant que le temps est favorable, et qu'une voie pleine de charmes se présente à vous. Fuyez pendant les six jours qu'il est permis de travailler. Fuyez dans les six témoignages dont nous avons parlé plus haut, je veux dire dans les témoignages de la justice, de la vérité, de la rémunération, de la toute-puissance, de la souveraine bonté et de l'éternité, si vous ne voulez point, je ne dis pas donner, mais souffrir le dernier, je veux dire le septième témoignage, celui du zèle. Race de vipères, qui vous a avertis de fuir la colère à venir (Luc. III, 7)? La voie où vous courez est une voie de mort, une voie de perdition, une voie dont le terme est un précipice au fond même de l'enfer. Pourtant il vous reste toujours une espérance, car vous n'êtes pas enture arrivé au terme de votre voie, je veux dire de votre vie. Hâtez-vous de le prévenir, ce terme, de peur que surpris vous-mêmes vous ne demeuriez là où vous seriez tombés. Venez, mes enfants, écoutez-moi, je vous enseignerai la voie du salut, la voie du témoignage de Dieu dans laquelle vous puissiez goûter des délices pareilles à celles qu'on trouve dans des trésors.
6. Que notre première étape nous conduise jusqu'à votre coeur, car c'est là, pécheurs, que la voix de Dieu nous appelle, là, que le témoignage de sa justice engendre la crainte et là componction. De là, passons à la confession des lèvres et n'hésitons point à rendre témoignage à la Vérité même contre nous, car elle rougira devant son Père de quiconque aura rougi d'elle devant les hommes (Luc. IX, 26). Faisons marcher ensuite le détachement de nos biens et la distribution de nos richesses selon ce qui est écrit : " Il a répandu des biens avec libéralité sur les pauvres, sa justice demeure dans tous les siècles (Psal. CXI, 6), " et ailleurs : " Si vous voulez être parfaits, allez, vendez ce que vous avez, donnez-le aux pauvres, et vous aurez un trésor dans le ciel (Matt. XIX, 21). " Dans ce libéral partage de vos biens se trouve le témoignage des largesses divines et de ses dons abondants, car celui qui donne ses dons de son plein gré, montre évidemment qu'il en attend de plus considérables de la main du Seigneur. Mais il y a un quatrième témoignage à rendre à Dieu, c'est celui de la toute puissance; il se trouve dans la mortification du corps. Sans doute il faut semer un corps animal, mais c'est pour qu'il ressuscite spirituel (I Cor. XV, 44). Celui donc qui épargne sa chair ne vous semble-t-il point douter de sa résurrection et de son changement? De même celui qui n'est pas contrit de coeur doute de la justice; celui qui ne confesse point de bouche ses péchés, doute de la vérité, et celui qui est avare .doute des récompenses futures, et ainsi de suite pour les autres attributs. Et si vous allez jusqu'au point de renoncer à votre propre volonté, vous rendez un témoignage indubitable à la bonté de Dieu, car, en en venant là, vous attestez hautement que vous ne voulez point faire votre volonté, mais celle de Dieu que vous placez avant la vôtre, vous criez sinon de la bouche et de la langue, du moins de fait, et en vérité, que personne n'est bon, si ce n'est Dieu (Luc. XVIII, 19).
7. Il vous reste après cela à persévérer,
car la persévérance est le reste de la route à faire,
c'est le témoignage de l'éternité. En effet, la persévérance
dans notre genre de vie est une image de l'éternité de Dieu,
puisque nous reproduisons dans cette vie ce qu'il est en lui-même
en imitent, dans la faible mesure de notre pouvoir, son incommutabilité.
Voilà ce qui faisait dire au sage : " L'insensé est changeant
comme la lune, et le sage stable comme le soleil (Eccl. XXVII, 12). " Telle
est la voie, mes très-chers frères, parcourez-la, car c'est
en montant de vertu en vertu que vous verrez le Dieu des dieux dans Sion
(Psal. LXXXIII, 8) Puisse à cette glorieuse vision nous conduire
le Seigneur. des vertus et le Roi- de gloire, Jésus-Christ Notre-Seigneur,
qui est la voie, la vérité et la vie.
2. " Des séraphins se tenaient au dessus, l'un
avait six ailes, et l'autre en avait également six (Isa. VI, 2).
" Les séraphins, les ardents, représentent ceux qui servent
Dieu dans la, ferveur, ceux que le Seigneur trouve vigilants, et qu'il
établira sur tous ses biens. "L'un avait six ailes et l'autre en
avait également six: "Parce que, non-seulement les prélats,
mais aussi les inférieurs ont des ailes et sont des séraphins,
s'ils sont fervents : "Avec deux de ces ailes ils se couvraient la tête,
et avec deux autres ils se couvraient les pieds, et avec les deux qui restaient
ils volaient (Ibid.). " Les âmes ferventes ont des ailes pour voler,
ce sont la crainte et l'espérance, car les êtres qui volent
tantôt montent et tantôt descendent. Or, par l'espérance
on s'élève, attendu qu'on habite dans les cieux. Aussi, quelques-uns
de ceux qui s'élèvent ainsi disent-ils: " Notre vie est dans
le ciel (Philipp. III, 20)." Par la crainte on descend, car c'est en condescendant
aux faibles qu'on les relève, en réfléchissant sur
soi-même, et en craignant d'être tenté aussi (Galat.
IV, 1.) " Avec deux de leurs ailes ils se couvraient les pieds. " Or, les
pieds ce sont les affections, car c'est par elles qu'on se joint au prochain.
Mais comme il est blessé de deux manières, d'abord par un
excès de sévérité qui abat les faibles, et
en second lieu par un excès de bonté qui consent à
leurs vices, les séraphins les voilaient de deux de leurs ailes;
c'est-à-dire de l'aile de la considération de notre propre
fragilité contre un excès de sévérité,
et de l'aile du zèle de la rectitude contre un excès de bonté.
" De deux de leurs ailes ils voilaient leur tête. " La tête,
c'est l'intention de la contemplation, ou l'intellect spirituel. Les séraphins
la voilent de deux ailes à cause des ennemis à cause de la
vaine gloire, et de l'orgueil caché; ils ont une aile contre la
vaine gloire, c'est l'amour de la vérité, et une autre contre
l'orgueil, c'est le goût de l'humilité.
a Ce passage se trouve reproduit dans le livre VII des Fleurs de Saint Bernard, chapitre XIII. On lit encore quelques autres du même sermon au chapitre onze du même livre.
attendu que de tous lesbiens qui se trouvent naturellement dans l'âme, tels que une bonne intelligence une vaste mémoire, une raison éveillée et tous les autres biens de l'âme, il n'y a que la volonté qui rende l'âme bonne ou mauvaise selon qu'elle est bonne ou mauvaise elle-même. Mais comme, selon la remarque de Job, "l'homme ne demeure jamais dans le même état (Job. XIV, 2), " car il avance ou il recule; il faut avancer dans cette bonne volonté, attendu qu'elle est la voie même dont le Prophète a dit : " Voilà la voie, marchez-y (Isa. XXX, 11), " et dont le Psalmiste parlait quand il disait : " Heureux l'homme qui attend de vous, ô mon Dieu, le secours dont il a besoin, et qui dans cette vallée de larmes médite dans son coeur des moyens de s'élever (Psal. LXXXIII, 6), " dans son coeur dit-il, c'est-à-dire dans sa volonté.
2. Le premier degré de cette voie, c'est la droiture
de la volonté; le second, c'est la force de volonté; le troisième
est la dévotion de la volonté, et le quatrième sa
plénitude. Au premier degré, l'âme, par la pensée,
est d'accord avec la loi de Dieu; mais comme la chair se révolte,
elle ne peut trouver la force de faire le bien qu'elle approuve; elle fait
même bien souvent par faiblesse le mal qui lui répugne (Rom.
VII, 16). Pourtant elle est droite, puisqu'elle est d'accord avec sou adversaire,
et déteste en elle-même ce qu'il réprouve. Au second
degré, l'âme, non-seulement ne fait plus le mal qui lui répugne,
mais encore elle opère volontiers et avec force, sinon sans peine,
le bien, qu'elle aime, et dit avec le Prophète : " C'est à
cause des paroles tombées de vos lèvres que je me suis appliquée
à suivre vos voies, bien que dures et pénibles (Psal. XVI,
4). " Au troisième degré, son coeur se dilate, elle court
dans la voie des commandements de Dieu, et y trouve des délices
pareilles à celles qu'on goûte dans d'immenses trésors.
La peau, ointe de l'huile de la grâce spirituelle, et sachant que
" Dieu aime celui qui donne d'un coeur joyeux ( II Cor. IX, 7), " se porte
avec joie à toute sorte de biens et s'écrie avec le Prophète
David : " Seigneur, j'ai couru dans la voie de vos commandements, quand
vous avez dilaté mon coeur (Psal. cxvni, 32). " Au quatrième
degré sont les anges qui font le bien, mais un bien complet, toujours
aussi facilement qu'ils veulent. L'âme peut bien aspirer à
ce degré, mais elle ne peut y atteindre tant qu'elle est dans son
corps, parce que ce corps l'appesantit. Celui qui n'a pas encore la volonté
droits, doit savoir que c'est une intention charnelle qui fait obstacle.
Celui qui l'a droite, mais sans force, peut être sûr que l'obstacle
vient d'une mauvaise habitude. Celui qui a la volonté dévouée,
mais non encore pleine, doit être persuadé que ce qui l'arrête,
c'est l'habitation terrestre de son âme. Quant à l'homme dont
la volonté est vicieuse, qu'il prie et qu'il dise : " Que votre
volonté soit faite sur la terre comme dans le ciel (Matt. VI, 10),
en se regardant comme étant lui-même la terre. Celui qui a
une volonté droite, a le ciel, car il y a autant de distance entre
une volonté droite et une volonté vicieuse, qu'entre le ciel
et la terre. Que celui qui a une volonté droite mais faible, fasse
cette prière-là, et s'applique le mot terre; quant à
celui qui l'a forte, c'est à lui que s'applique le mot ciel. Et
ainsi des autres, en sorte que l'âme tende toujours à monter
; car de même que celui qui demeure dans une mauvaise volonté
est condamné, ainsi celui qui, dans les autres volontés,
ne s'efforce point d'avancer est digne de réprimandes.
2. Mais à quoi bon confesser ses péchés sous le fouet, si on ne s'en éloigne par la sainte continence? Selon ce qui est écrit : " Soyez saint, selon que moi-même je suis saint (Levit XIX, 2) :" en sorte que, tel est le père, tel soit le fils; de cette manière, le nom du Père sera sanctifié dans la sainteté de ses enfants. C'est ce que nous demandons tous les jours dans la prière, afin que, en même temps que notre Père se plaint en ces termes de plusieurs de ses enfants qu'il trouve mauvais et déréglés, " tous les jours mon nom est blasphémé à cause de vous au milieu des nations (Isa. LII, 5 et Rom. II, 24), " il soit aussi sanctifié à cause des saints. Mais, n'allez pas penser que j'invente que la sainteté est la continence, écoutez, en effet, ce que l'Apôtre dit aux Thessaloniciens : " La volonté de Dieu est votre sanctification ( I Thess. IV, 3). " Mais de peur que, par ce mot, sanctification, vous entendiez autre chose que la continence, prêtez l'oreille à ce qu'il dit après " C'est-à-dire, que vous vous absteniez de la fornication et que chacun
a Ce passage et quelques autres encore de ce sermon se trouvent au livre VIII des Fleurs de saint Bernard, chapitre X, et dans le livre VI, chapitre XVII du même ouvrage.
de vous sache posséder le vase de son corps dans la sanctification. " Aussi, appelons-nous saints ceux que nous trouvons fermes dans le voeu de continence, renonçant, non-seulement aux actions illicites, mais encore s'abstenant de toutes paroles impudiques. Voilà pourquoi il est écrit: " Le sage demeure comme le soleil, et le sot change comme la lune (Eccl. XXVII, 12). "
3. Mais comme un fils sage est la gloire de son père,
il faut que, non-seulement il sanctifie sa mère, la sagesse par
la stabilité de la continence, mais encore qu'il la glorifie par
le fruit des bonnes oeuvres, selon ce mot de la Vérité même
dans l'Évangile : " Que votre lumière luise devant les hommes,
afin que, voyant vos bonnes oeuvres, ils glorifient votre père qui
est dans les cieux (Matt. V, 16)." Et le Psalmiste, voulant nous peindre
le fils de, la sagesse, nous dit : " Heureux l'homme qui est accessible
à la compassion et qui prête à ceux qui sont dans le
besoin (Psal. CXI, 5). " Voilà une définition du sage aussi
juste que courte. En effet, il est heureux au milieu des fouets en confessant
son péché, et se réjouit de le voir effacer par la
tribulation. Il a pitié de son âme en plaisant à Dieu
par la beauté de la continence; il prête au prochain le fruit
d'une bonne oeuvre. Voilà le juste, l'homme qui rend à chacun
ce qui lui appartient, à Dieu, la confession, à soi-même,
la miséricorde et au prochain, la justice. Voilà aussi comment
les fils de la sagesse la justifient par la confession des péchés,
la sanctifient par le bien de la continence et la glorifient par la fructification
des bonnes œuvres. Le premier coup que porte la crainte de Dieu s'adresse
à la négligence, attendu que la crainte porte à se
tenir sur ses gardes. Si la négligence l'emporte, elle engendre
la curiosité. Car, tandis que la terre de notre coeur, laissée
inculte par la négligence, ne produit que des ronces et des épines,
L'âme qui ne trouve plus de repos en elle est contrainte de se répandre
au dehors. Voilà comment la curiosité sort du coeur, elle
est combattue par la piété. La piété c'est
le culte de Dieu : or, c'est dans le coeur que nous honorons celui que
nous savons habiter dans notre coeur. Si la curiosité n'est réfrénée,
elle amène l'expérience du mal, car lorsque l'âme se
répand au dehors sur beaucoup d'objets, elle trouve facilement l'occasion
de goûter quelque plaisir dangereux. Contre l'expérience du
mal arrive la science qui nous apprend quelle chose il est sûr ou
dangereux d'expérimenter. Mais si l'expérience du mal l'emporte,
elle engendre la concupiscence, et la concupiscence passe en affection
du coeur.