www.JesusMarie.com

OEUVRES COMPLÈTES 
DE 
SAINT BERNARD

TRADUCTION PAR M. L'ABBÉ CHARPENTIER

VIVÈS, PARIS 1866





Source : http://www.abbaye-saint-benoit.ch/
 
 






SERMON DIVERS DE SAINT BERNARD











OEUVRES COMPLÈTES DE SAINT BERNARD *

SERMON DIVERS DE SAINT BERNARD *

QUATRE-VINGT-SEPTIÈME SERMON. Le baiser de l'Epoux ou la grâce de la contemplation. *

QUATRE-VINGT-HUITIÈME SERMON. Du bon usage des dons de Dieu. *

QUATRE-VINGT-NEUVIÈME SERMON. Du baiser que l'Épouse désire, ou du Saint-Esprit. *

QUATRE-VINGT-DIXIÈME SERMON. Les trois parfums de la componction, de la dévotion et de la piété. *

QUATRE-VINGT-ONZIÈME SERMON. Les trois plants. *

QUATRE-VINGT-DOUZIÈME SERMON. Triple introduction dans le jardin, dans le cellier et dans la chambre. *

QUATRE-VINGT-TREIZIÈME SERMON. " Vos dents sont comme un troupeau de brebis tondues, remontant du lavoir et *

portant un double fruit, sans qu'il y en ait de stériles parmi elles (Cant. IV, 2). " *

QUATRE-VINGT-QUATORZIÈME SERMON. Du progrès de la vie chrétienne ou spirituelle, d'après la figure d'Élie fuyant Jézabel. *

QUATRE-VINGT-QUINZIÈME SERMON. Les prédicateurs doivent adoucir l'amertume de la doctrine. *

QUATRE-VINGT-SEIZIÈME SERMON. Les quatre fontaines du Sauveur et l'eau qu'on doit y puiser. *

QUATRE-VINGT-DIX-SEPTIÈME SERMON. Douceur de la parole et du joug du Christ, qui est dur au dehors, mais très-doux au dedans. *

QUATRE-VINGT-DIX-HUITIÈME SERMON. Des Fils de la paix en qui Dieu habite. *

QUATRE-VINGT-DIX-NEUVIÈME SERMON (a). Il y a quatre sortes d'hommes qui vont au ciel. *

CENTIÈME SERMON. Différence entre le peuple et un prélat. *

CENT-UNIÈME SERMON. Il y a quatre manières d'aimer. *

CENT-DEUXIÈME SERMON. Manière de revenir à Dieu. *

CENT-TROISIÈME SERMON. Il y a quatre degrés qui marquent les progrès des élus. *

CENT-QUATRIÈME SERMON. Quatre obstacles à la confession. *

CENT-CINQUIEME SERMON. Conditions requises pour la justification et le salut. *

CENT-SIXIÈME SERMON. Trois choses nécessaires pour faire pénitence. *

CENT-SEPTIÈME SERMON. Sentiments qu'il faut avoir dans la prière. *

CENT-HUITIÈME SERMON. Des saignées spirituelles. *

CENT-NEUVIÈME SERMON. *

CENT-DIXIÈME SERMON. Paroles de l’homme à soi-même ou plutôt à son âme. *

CENT-ONZIÈME SERMON. Il faut prouver sa foi par sa vie et par ses moeurs, ou les six témoignages à rendre à Dieu. *

CENT-DOUZIÈME SERMON. O mon âme, rentre dans ton repos (Psal. CIV, 7). *

CENT-TREIZIÈME SERMON. *

CENT-QUATORZIÈME SERMON. *

CENT-QUINZIÈME SERMON. *

CENT-SEIZIÈME SERMON. *

CENT-DIX-SEPTIÈME SERMON. *

CENT-DIX-HUITIÈME SERMON. *

CENT-DIX-NEUVIÈME SERMON. *

CENT-VINGTIÈME SERMON. *

CENT-VINGT ET UNIÈME SERMON. *

CENT-VINGT-DEUXIÈME SERMON. *

CENT-VINGT-TROISIÈME SERMON. *

CENT-VINGT-QUATRIÈME SERMON. *

CENT-VINGT-CINQUIÈME SERMON. *


 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

QUATRE-VINGT-SEPTIÈME SERMON. Le baiser de l'Epoux ou la grâce de la contemplation.

1. " Qu'il me donne un baiser de sa bouche (Cant. I, 4). Il y a trois sortes de baisers : le baiser des pieds, le baiser des mains et le baiser de la bouche. Le Seigneur a deux pieds. ce sont la miséricorde et la vérité. Or Dieu imprime ses deux pieds dans le coeur de ceux qui se convertissent, et tout pécheur qui se convertit sincèrement embrasse ces deux pieds; car s'il ne recevait que la miséricorde sans la vérité, il tomberait dans la présomption; de même s'il recevait la vérité sans la miséricorde, il périrait inévitablement de désespoir. Mais pour être sauvé, il se jette humblement à ces deux pieds du Seigneur en même temps, afin de condamner ses péchés par la vérité, et d'espérer le pardon par la miséricorde, et voilà le premier baiser. Le second baiser a lieu dès que nous nous levons pour les bonnes oeuvres. Nous baisons en effet la main du Seigneur quand nous lui offrons de bonnes oeuvres ou quand nous recevons de lui des dons de vertus. Quant au troisième baiser, il a lieu quand, après avoir fini de verser les larmes de la pénitence et reçu la grâce des vertus, l'âme, animée de célestes désirs, aspire avec toute les impatiences de l'amour et se voit introduite dans les joies secrètes de sa chambre intérieure. Alors elle chante de la voix du coeur entrecoupée par de doux soupirs : " Seigneur, je rechercherai votre visage (Psal. LXII, 8). " Son désir est si ardent, qu'il lui rend son époux présent, tant elle l'aime, tant elle le désire, tant elle soupire après lui. Ainsi le premier baiser se donne dans la rémission des péchés et s'appelle le baiser de propitiation. Le second a lieu dans les dons des vertus et s'appelle le baiser des présents. Le troisième se donne dans la contemplation des choses célestes, et s'appelle le baiser de la contemplation.

2. Or il faut savoir qu'il y a deux sortes de contemplations. Il y en a qui montent, qui sont ravis, et d'autres qui tombent et descendent. Les uns montent comme il est écrit : " Ayant connu Dieu, ils ne l'ont point glorifié comme Dieu, et ils ne lui ont point rendu grâces (Rom. I, 24). " Or, ils n'ont point rendu grâces parce qu'ils ont attribué à leurs forces et à leur génie ce que Dieu leur a révélé. Aussi son t-ils tombés " et ils se sont évanouis dans leurs vains raisonnements, et leur cœur insensé a été rempli de ténèbres,.ils sont devenus fous en s'attribuant le nom de sages. (Ibidem). " Au contraire, les élus sont ravis comme saint Paul et ceux qui lui ressemblent. Mais ils descendent aussi pour découvrir dans leurs discours aux petits ce qu'ils ont vu dans leur ravissement, et le leur découvrir de manière à se faire comprendre d'eux. Paul est ravi quand il dit: "Soit que nous soyons emportés comme hors de nous-mêmes, c'est pour Dieu que nous le sommes (II Cor. V, 13); " mais il descend quand il dit. " Soit que nous nous tempérions, c'est pour vous (Ibidem). " C'est par ce dernier genre de contemplation que l'âme parfaite désire être ravie dans les plus chastes embrassements de son époux quand elle s'écrie : " Qu'il me baise d'un baiser de sa bouche (Cant. I, 1). " C'est comme si elle disait, je ne saurais par mes propres forces, ni par mon industrie, ni par mes propres mérites, m'élever jusqu'à contempler la joie de mon Seigneur; mais pour lui, " qu'il me baise d'un baiser de sa bouche," c'est-à-dire qu'il me le fasse donner par sa grâce : qu'il ne me baise point par sa doctrine, ni par sa nature, mais " qu'il me donne, " par sa grâce, " un baiser de sa bouche. " Elle exprime admirablement bien la grâce de celui qui opère son opération et le mode dont il opère; car lorsqu'elle dit " qu'il me baise, " c'est la grâce de l'opérateur; et quand elle ajoute " d'un baiser, " c'est l'opération même, je veux dire la contemplation; et lorsqu'elle continue, en disant " de sa bouche, " elle exprime en termes évidents le mode dont il opère, c'est-à-dire la manière dont se fait la contemplation, car par la bouche on entend la parole.

3. La contemplation se fait par l'abaissement du Verbe de Dieu vers la nature humaine, avec le secours de la grâce et par l'élévation de la nature humaine vers le Verbe, avec l'aide de l'amour de Dieu. Il ne doit point sembler absurde que nous fassions ces distinctions dans la contemplation du Verbe de Dieu, puisque, selon l'Évangile, son incarnation s'est faite de la même manière. En effet, pour l'incarnation, la grâce précède, car, si l'Ange salue la Sainte Vierge, c'est en ces termes : " Je vous salue, pleine de grâce (Luc. I, 28). " Puis, il ajoute de qui est cette grâce et combien elle est grande, en disant : " Le Seigneur est avec vous. " Enfin, il en, indique l'opération par ces mots : " Le Fruit de votre ventre est béni. " Ce fruit, en effet, ô Marie, c'est l'incarnation du Verbe. Quant à là manière dont s'opère cette merveille, l'Ange vous l'apprend en disant: " L'Esprit-Saint surviendra en vous et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre (Ibid. 35). " C'est dans ces oeuvres du Verbe, tant celles que nous trouvons dans l'Évangile que celles que nous avons exposées dans le Cantique des cantiques, qu'il est manifeste que l'incarnation s'est faite par la seule abondance de la grâce de Dieu, et que la contemplation ne peut provenir que de la grâce de Dieu, jamais de la volonté de l'homme.

4. or, il faut remarquer que la contemplation, suivant les divers états des temps, est de trois sortes. D'abord, c'est une nourriture, puis une boisson, et enfin une ivresse. Aussi, dans les versets suivants, l'Époux invite-t-il ses amis en ces termes : " Mangez, mes amis, buvez et enivrez-vous, mes bien-aimés (Cant. V, 1). " Ils commencent par manger, c'est ce qu'ils font tant qu'ils vivent dans la chair; mais, lorsqu'ils ont dépouillé le vêtement de leur corps et qu'ils sont transportés dans le ciel, alors on dit qu'ils boivent ce qu'ils mangeaient d'abord, parce qu'ils contemplent en face et sans peine ce qu'ils avaient d'abord cru seulement par la foi, alors qu'ils étaient encore en exil loin du Seigneur, dans leurs corps, et qu'ils ne mangeaient leur pain qu'à la sueur de leur front. C'est ainsi que nous prenons plus facilement ce que nous buvons que ce que nous mangeons, car, s'il faut se donner quelque peine pour manger, il n'y en a qu'une bien légère à prendre pour boire. Quand les saints se trouvent dans cet état, ils peuvent boire, mais ils ne sauraient encore s'enivrer, car ils sont, en quelque sorte, retardés sur la voie de la parfaite contemplation de Dieu jusqu'à la fin du siècle présent, où ils espèrent la résurrection de leur corps. Mais, quand elle se sera faite, le corps adhérera si bien à Pâme et l'âme à Dieu, qu'il n'y aura plus rien alors qui puisse la tirer de l'enivrement intérieur de la contemplation de Dieu. Ceux qui mangent comme ils y sont invités parla première invitation, sont les amis, c'est-à-dire ceux qui sont chers; à la seconde invitation, ils boivent; alors ils sont plus chers ; ils s'enivrent à la troisième, alors ils sont très-chers.

5. " Car vos mamelles sont meilleures que le vin (Cant. I, 1). " L'Épouse a donc deux mamelles : l'une est la mémoire de la félicitation, et l'autre celle de la compassion. C'est ce qui faisait dire à l'Apôtre : quand il réchauffait les petits enfants sur ses deux mamelles : " Soyez dans la joie avec ceux qui se réjouissent, et pleurez avec ceux qui pleurent (Rom. XII, 15), " Le vin est pris ici pour les désirs du siècle dont il est écrit : " Leur vin est le fiel des dragons et le venin mortel des aspics (Deut. XXXII, 33). "

6. " Elles exhalent l'odeur des parfums les plus précieux (Cant. I, 2). " Par ces mots l'Époux fait entendre que, s'il y a des parfums qui sont bons, il y en a qui sont meilleurs, et il en est de très-bons qui l'emportent sur tous les autres. On peut donc dire qu'il y a trois sortes de parfums. Le premier est celui qui découle du souvenir de nos péchés, quand nous en ressentons de la componction et que nous en demandons le pardon. Ce parfum-là est bon, car Dieu ne méprise point un coeur contrit et humilié (Psal. L, 19). Or, ce parfum est celui qu'on répand sur les pieds du Seigneur, où il reçoit sa récompense, je veux dire la rémission des péchés, quand le Seigneur dit : " Beaucoup de péchés lui ont été remis, parce qu'elle a beaucoup aimé (Luc. VII, 47). " Le second découle du souvenir des bienfaits de Dieu, et celui-là se répand justement sur la tête, car les vertus ne peuvent se rapporter qu'à Dieu de qui elles viennent. Ce parfum est déjà plus cher que le premier, aussi est-il écrit de lui : " Pourquoi faire cette perte de parfum ? On aurait pu le vendre plus de trois cents deniers et en donner le prix aux pauvres (Matt. XXVI, 6) ? " Mais le Seigneur en approuve la perte quand il dit: " Laissez-la. Pourquoi faites-vous de la peine à cette femme? vous aurez toujours des pauvres avec vous, mais pour moi, vous ne m'aurez pas toujours (Ibid. 10). " Non-seulement il approuve, mais il récompense l'effusion de ce parfum en disant : " Je vous le dis, en vérité : partout où sera prêché cet évangile dans le monde entier, on racontera à la louange de cette femme ce qu'elle vient de faire (Ibid. 13). " Le troisième parfum est composé d'aromates précieuses, comme il est dit à propos des saintes femmes, que " elles achetèrent des aromates pour venir embaumer Jésus (Marc. XVI, 1). " Mais ce troisième parfum ne se répand ni ne se perd, le Seigneur n'a pas voulu qu'on le répandît sur son corps mort, mais qu'on le réservât pour son corps vivant, je veux dire pour sa sainte Église, à qui les saintes femmes, qui étaient venues à son tombeau avec des parfums, sont envoyées annoncer sa résurrection, Ainsi le premier parfum est celui de la componction, et se consume sur le feu de la contrition; le second est celui de la dévotion et se brûle sur le feu de l'amour, le troisième est le parfum de la piété, on ne le brûle point, mais on le conserve tout entier.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

QUATRE-VINGT-HUITIÈME SERMON. Du bon usage des dons de Dieu.

1. Comme il y a en Jésus-Christ deux choses, l'une inconnue, c'est sa génération divine dont il est écrit : " Qui est-ce qui racontera sa génération (Isa. LIII. 8) ? " et l'autre connue, c'est sa génération ou son oeuvre humaine, de même, dans le Saint-Esprit, il y a une chose qui est cachée à nos esprits, c'est à savoir, comment il procède du Père et du Fils, puisqu'il est égal et co-éternel au Père et au Fils, et il y en a une autre qui est claire pour nous, parce qu'il nous en a instruits lui-même, c'est la manière dont il opère sa grâce en nous. En effet , il y a deux opérations du Saint-Esprit; car il opère en nous tantôt pour nous, tantôt pour notre prochain. Ainsi c'est pour nous, c'est-à-dire, pour notre bien, qu'il opère en nous d'abord la componction en consumant nos péchés, puis la dévotion en versant l'huile sur nos blessures et en les guérissant; troisièmement qu'il crée l'intelligence comme s'il nous affermissait et nous fortifiait, en nous donnant du pain; en quatrième lieu, il semble nous enivrer de son vin quand il multiplie et augmente tous les biens dont je viens de parler, en répandant l'amour par dessus. Les autres dons, je veux dire les conseils de la sagesse, et autres grâces semblables, nous sont données pour le bien des autres. Voilà pourquoi l'Apôtre, en parlant de la distribution des dons du Saint-Esprit, ne dit pas simplement : "Aux uns est donnée " la sagesse, aux autres la science, mais, " le langage de la science, le langage de la sagesse, " pour nous montrer que ces dons nous sont donnés pour les autres, c'est-à-dire pour l'édification des autres.

2. Or, dans ces oeuvres, il y a deux dangers à éviter ; premièrement celui de donner au prochain les grâces qui nous sont données pour nous, le second de réserver pour nous les dons que nous avons reçus pour les autres; car si nous retenons seulement pour nous ce que nous avons reçu pour le bien des autres, nous n'avons point de charité, et c'est à nous que s'adressent ces paroles : " Si la sagesse demeure cachée et le trésor enfoui, à quoi serviront-ils l'un et l'autre (Eccli. XX, 32) ? " De même encore, si nous voulons faire servir les dons de Dieu à nous faire remarquer des hommes, au lieu de chercher à plaire à Dieu dans le fond de notre coeur, nous perdons l'humilité, et nous méritons d'entendre ces reproches : " Qu'avez-vous que vous n'ayez reçu (I Cor. IV, 7)? " Voilà comment nous courons le danger, d'un côté de perdre l'humilité, de l'autre la charité. Or, qui peut se sauver sans humilité et sans charité? Par conséquent le bon ordre de nos progrès demande que nous commencions par nous bien remplir des premières sortes de dons, je veux dire de la componction et des autres, puis, si le Saint-Esprit nous a fait la grâce de nous combler des autres dons, je veux parler de la sagesse et de la science, c'est afin que nous ayons soin d'en faire part au prochain. Ainsi donc nous obtiendrons le don du Saint-Esprit qu'on appelle le discernement des esprits, en ne réservant pour nous que ceux qui ne nous sont donnés que pour nous, et si nous faisons profiter le prochain en même temps que nous, de ceux qui nous sont donnés dans l'intérêt des autres.
 
 

QUATRE-VINGT-NEUVIÈME SERMON. Du baiser que l'Épouse désire, ou du Saint-Esprit.

1. " Qu'il me baise d'un baiser de sa bouche Cant. I, 1). " Par la bouche du Père on entend le Fils : " Or, personne ne tonnait le Fils si ce n'est le Père, et personne ne tonnait le Père si ce n'est le Fils, et celui à qui le Fils a voulu le révéler (Matt. XI, 27). " Mais quel que soit celui à qui la double révélation du Père et du Fils soit faite, elle ne saurait l'être que par le Saint-Esprit. Voilà pourquoi lorsque Pierre eut dit au Seigneur : " Vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant, " il reçut de lui cette réponse : " Vous êtes bien heureux Simon Barjona, " c'est-à-dire fils de la colombe, selon les interprètes, " car ce n'est ni la chair ni le sang qui vous l'ont révélé, mais mon Père qui est dans les cieux (Matt. XVI,17). " De même l'Apôtre, après avoir dit : " L'oeil n'a point vu, l'oreille n'a point entendu (I Cor. II, 10), " et le reste, ajoute aussitôt : " Mais Dieu nous l'a révélé par son esprit. " Il semble donc que l'Épouse des Cantiques avait la grâce du Saint Esprit qui lui faisait connaître que le Fils est égal au Père. Elle ne dit point: " Qu'il me baise de sa bouche ; il n'y a que le Fils qui puisse parler ainsi, une créature quelle qu'elle soit ne pouvait le faire, attendu qu'il n'en est pas qui soit égale au Père; mais elle dit, a d'un baiser de sa bouche. " Or, le baiser est commun à celui qui le donne, et à celui qui le reçoit; si donc le Père et le Fils se donnent un baiser, quel peut être ce baiser sinon le Saint-Esprit même ?

2. C'est donc ce baiser que l'Épouse. brûle de recevoir quand elle dit: "Qu'il me baise d'un baiser de sa bouche: " et c'est le baiser qu'elle reçut, en effet, s'il faut en croire saint Paul qui dit : " Vous êtes des enfants, Dieu a envoyé dans vos coeurs l'esprit de son Fils qui vous fait crier; mon Père, mon Père (Gal. IV, 6). " C'est le baiser que promettait aussi le Sauveur lui-même quand il exhortait ses disciples à persévérer dans la prière, et leur disait: " Si donc vous autres, tout méchants que vous êtes vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, à combien plus forte raison votre Père qui est dans les cieux donnera-t-il de bonnes choses aussi, " c'est-à-dire, le bon Esprit, à ceux qui les lui demandent (Matt. VII, 11)? " Par l'impression de ce baiser, l'âme raisonnable reçoit de son époux le Verbe de Dieu, la connaissance et l'amour de la vérité qui sont comme les deux lèvres que la vertu et la sagesse de Dieu impriment sur sa bouche, car la sagesse donne la connaissance, et la vertu l'amour. L'âme a de même aussi deux lèvres avec lesquelles elle baise son époux, ce sont la raison et la volonté. Le propre de la raison est de percevoir la sagesse et celui de la volonté est de percevoir la vertu. Si la seule raison perçoit la connaissance de la sagesse sans que la volonté ait l'amour de la vertu, le baiser n'est pas complet, de même si la volonté seule reçoit l'amour sans que la raison reçoive la connaissance, ce n'est encore qu'un demi " baiser " mais le baiser est plein et parfait, quand la sagesse éclaire la raison et la vertu touche la volonté.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

QUATRE-VINGT-DIXIÈME SERMON. Les trois parfums de la componction, de la dévotion et de la piété.

1. Dieu a deux pieds qui sont la miséricorde et le jugement, c'est s avec ces deux pieds qu'il se promène continuellement dans les âmes spirituelles, en s'élançant comme un géant qui va parcourir sa voie; si toutefois il y en a dont il puisse dire avec raison: " J'habiterai en elles, je me promènerai en elles. " Or, l'âme pécheresse commence par arroser ces deux pieds de son premier parfum qui est le parfum de la componction. Ensuite Marie qui était pécheresse, répandit un parfum e sur les pieds de Jésus; or, n'allez pas croire que ce fut un parfum de peu de prix car il est dit que " toute la maison fut embaumée de son odeur. " Quoi d'étonnant à celà quand on voit que les cieux mêmes sent remplis de la bonne odeur de semblables parfums, au dire de la vérité même, qui nous apprend que " il y aura de la joie parmi les anges de Dieu pour un seul pécheur qui fait pénitence (Luc. XV, 10) ? " Mais quelque précieux que semble ce parfum, toutefois comparé à un autre qu'on appelle le parfum de la dévotion, et qui se compose du souvenir des bienfaits de Dieu, et qu'on répand sur la tête du Seigneur, on comprend qu'il est vil et de vil prix. Du premier il est écrit : " Seigneur, vous ne mépriserez point un coeur contrit et humilié (Psal. L, 19), " et du second : " Uri sacrifice de louange m'honorera, (Psal. XLIX, 23). " Avec celui-ci on parfume la tête, quand on rend grâce à Dieu de ses dons; car la tête du Christ c'est Dieu (Cor. XI, 31). C'est donc la divinité qui est touchée dans le Christ toutes les fois que nous rappelons ses bienfaits à sa gloire. Mais au contraire c'est moins à la divinité qu'à l'humanité qu'il faut penser, quand nous nous rappelons, non ses dons, mais nos propres péchés.

2. En effet, lorsqu'il s'est incarné, nous savons qu'il a pris les deux pieds dont je viens de parler, c'est-à-dire la miséricorde, pour que le pécheur, qui ne pouvait s'élever jusqu'à la tête, c'est-à-dire jusqu'à sa divinité, pût arriver du moins jusqu'à ses pieds, je veux dire jusqu'à son humanité. Si ce n'était point à l'homme qu'il s'est uni par l'incarnation que se rapportât le pied que j'ai appelé la miséricorde, Paul n'aurait pas dit, en parlant du Sauveur : " Il a éprouvé comme nous toutes sortes de tentations hormis le péché, pour devenir miséricordieux (Hebr. IV, 15). " Et si le jugement n'avait point aussi rapport à l'homme, l'Homme-Dieu n'aurait pas dit, en parlant de lui-même : " Et il lui a donné le pouvoir de juger parce qu'il est le Fils de l'homme (Joan. V, 27). " Aussi le pécheur s'approche-t-il, sans hésiter, des pieds de l'homme de douleur qui tonnait sa faiblesse, et s'écrie-t-il avec confiance : " Et maintenant nous nous approchons avec confiance du trône de la grâce, car nous n'avons point un pontife qui ne sache point compatir à nos faiblesses (Hebr. IV, 16 et 15). " C'est donc aux pieds du Seigneur que se jette la pécheresse, et c'est de sa tête que s'approche le juste pour les arroser de parfums. Mais le parfum de la tête est d'un prix d'autant plus grand en comparaison de celui qui est destiné aux pieds, que les matières dont il se compose sont plus précieuses elles-mêmes que celles qui entrent dans la composition du second. En effet, ces dernières se trouvent sans peine et sans fatigue dans notre propre pays, puisque nous sommes tous pécheurs; les premières, au contraire, sont beaucoup plus difficiles à se procurer et viennent de bien plus loin puisque nous les tirons du paradis de Dieu. " En effet, toute grâce excellente et tout don parfait vient d'en haut et descend du Père des lumières (Jac. I, 17). " Enfin où trouver un parfum plus exquis que celui que les apôtres ne purent voir répandre sans murmurer et sans dire : " Pourquoi cette perte ? On aurait pu le vendre et en donner le prix aux pauvres. (Matt. XXVI, 8) ? "

3. Et maintenant quand on voit par hasard quelques âmes vaquer à Dieu et demeurer sans cesse dans un saint repos, dans l'action de grâces et dans les délices de la divine dévotion, avec tant de grâce et de piété, qu'on peut croire qu'elles répandent des parfums sur la tête du Christ, il ne manque pas de gens pour dire : à quoi bon cette perte, et pour se plaindre avec raison, selon eux, que ceux qui pourraient rendre de si grands services aux autres, demeurent dans un repos qui ne profite qu'à eux. Ils ne parlent point ainsi par envie de leur sainteté, mais dans l'intérêt de la charité. Après tout, Dieu même qui est charité épargne bien souvent ces âmes qu'il voit adonnées avec délices aux goûts spirituels, surtout quand il voit que, par leur pusillanimité et leur faiblesse, ce sont encore des femmes sans force, et qu'elles ne sont point arrivées à l'état d'homme parfait. Or, celui qui lit dans le fond du cœur discerne beaucoup mieux cela que les hommes qui ne voient que la figure et ne jugent que sur les apparences, ne faisant point réflexion qu'il n'est pas également facile de se livrer au repos de la dévotion et de travailler utilement, de pratiquer l'humble soumission, et d'occuper utilement la première place ; de se laisser conduire sans se plaindre et de conduire les autres sans pécher, d'obéir de plein gré et de commander avec discernement; de savoir enfin être bon parmi les bons, et bon encore au milieu des méchants; bien plus, d'être pacifique avec les enfants de la paix, et de se montrer pacifique encore avec ceux qui ont la paix en horreur. Jésus connaissant donc qui sont ceux qui sont propres ou impropres à se mêler du soin des autres, répond avec amour pour ces âmes délicates qu'il sait incapables, à cause de leur extrême délicatesse, de se charger de la conduite des affaires à ceux qui pensent le contraire et qui, à cause de cela, leur reprochent leur repos comme stérile par un zèle qui n'est pas bon, ni selon la science : " Pourquoi faites-vous de la peine à cette femme? " Car s'il est vrai, comme je dois le reconnaître, que ce que vous voudriez la pousser à faire, est meilleur que ce qu'elle fait, néanmoins ce qu'elle fait à mon sujet est bien. Laissez-la donc, en attendant, faire le bien qu'elle peut. Je sais moi qu'elle n'est encore qu'une simple femme; mais quand, par un changement de la droite du Très-Haut, de femme elle sera devenue homme, ce qui ne pourra m'échapper quand ce sera, attendu que c'est par moi que ce sera, et parce que je la maintiendrai dans cet état qu'elle y demeurera, alors l'iniquité de l'homme sera préférable au bien d'une femme (Eccli. XLII, 44). Voilà le mieux que j'attends d'elle. Je ne regarde point comme une perte l'effusion de ce parfum qui prouve la dévotion de cette femme, et qui est une figure de ma sépulture. A cela s'ajoute que son parfum répand bien loin son odeur. Aussi partout où cet Évangile sera prêché, on racontera à sa gloire faction qu'elle a faite (Matt. XXVI, 13).

4. Venons-en maintenant au quatrième parfum. Certainement, si on compare les deux premiers entre eux, on ne peut douter que le second ne soit meilleur que le premier, et bien plus exquis. Mais, ce qui paraîtra bien extraordinaire, c'est qu'on puisse en trouver un troisième qui soit préférable aux deux premiers, tel que le délicieux parfum dont l'Épouse des cantiques se flatte que son sein exhale l'odeur. Or, le meilleur suppose quelque chose de plus que ce qui est simplement meilleur, de même que ce qui est meilleur suppose le bon, pour que l'expression soit juste. Mais l'excellence du second parfum qui parfume la tête s'est trouvée si grande, que c'est à peine s'il se trouve une somme d'argent, je ne dis pas préférable, mais seulement égale à la valeur de ce parfum. Et pourtant je ne puis croire que l'Épouse ait menti, car elle n'a pas moins que la Vérité même pour époux: dont elle reproduit les propres paroles et qui, non-seulement ne veut point tromper, mais encore ne saurait se tromper lui-même. S'il en était autrement, ce serait en vain qu'elle désirerait et soupirerait après le bonheur des embrassements de la Vérité, si elle-même mentait à la vérité. Quel rapport peut-il y avoir, en effet, entre le mensonge et la vérité ? Que dis-je. ? la vérité ne perd-elle point tous ceux qui profèrent des paroles de mensonge (Psal. V, 7)?

5 Peut-être bien, si nous cherchons dans l'Évangile, trouverons-nous quelque figure de cette âme. Il est dit, en effet, que " Marie Madeleine, Marie mère de Jacques et Salomé, achetèrent des aromates pour venir embaumer le corps de Jésus (Marc. XVI, 1). " Voyez-vous déjà, dès les premières lignes du chapitre, de quel prix doit être ce parfum matériel, puisqu'il ne suffit pas d'une ou deux femmes pour acheter les aromates qui le composent? Il y eut une femme gui apporta le premier parfum, une seconde femme apporta le second; mais, pour acheter le troisième, et pour le préparer, il n'en faut pas moins de trois, afin d'acheter ensemble ce que chacune d'elles n'aurait pu faire à part, et de venir ensuite embaumer le corps de Jésus, " ou pour venir embaumer, " je ne dis point les pieds ou la tête, mais "Jésus, " c'est-à-dire son corps tout entier. Mais remarquez que le Sauveur ne voulut pas permettre qu'un si précieux parfum fût perdu. Les saintes femmes n'ayant point trouvé son corps, le remportèrent et reçurent l'ordre de réserver pour son corps vivant, le parfum qu'elles avaient préparé pour son corps mort. C'est ce qu'elles firent quand elles prirent soin de verser leur baume dans les coeurs attristés des apôtres qui sont certainement les membres, mais les membres vivants du Christ, en leur annonçant la joyeuse nouvelle de sa résurrection. Si le Sauveur n'avait pas aimé ces membres-là beaucoup plus que le corps qui fut crucifié, il n'aurait point laissé attacher celui-ci à la croix pour celui-là. D'où je conclus que le dernier parfum l'emporte sur les deux premiers, puisque Jésus-Christ a voulu le réserver pour son corps vivant, je veux dire pour son Église à qui il est porté en effet, et pour le rachat duquel il a voulu souffrir la mort.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

QUATRE-VINGT-ONZIÈME SERMON. Les trois plants.

1. " Vos plants sont comme un jardin délicieux (Cant., IV, 13). " Ce sont les paroles de félicitations que la Jérusalem , céleste fait entendre à la Jérusalem de la terre. Or les plants dont elle parle sont au . nombre de trois. Le premier est celui des gens du monde qui vivent dans les liens du mariage et qui font pénitence; le second est celui des convers qui vivent dans la continence au fond d'un cloître, et le troisième est le plant des prélats qui prêchent et qui prient pour le peuple de Dieu. C'est du premier plant, je veux dire de la pénitence, que parlent les anges qui ressentent de la joie pour la conversion d'un seul pécheur qui fait pénitence, (Luc. XV, 10),quand ils disent: "Qui est celle-ci qui monte par le désert comme une petite vapeur d'aromates, etc. (Cant., III, 6) ? " Or on entend ici par ces mots : " Qui monte par le désert, " c'est-à-dire par cette terre non frayée et aride, le fait de l'âme qui se rappelle ses péchés, et elle monte " comme une petite vapeur, " quand elle les confesse humblement. Or on dit que cette confession se fait. droit " comme monte une petite vapeur d'aromate, " parce qu'elle se partage entre plusieurs espèces de péchés, comme la fumée de l'encens qui passe par les ouvertures de l'encensoir. Il faut encore remarquer que si la fumée n'a jamais d'éclat, elle a pourtant quelquefois de l'odeur. Or, on reconnaît que la fumée de la confession dont il est parlé ici, a une certaine odeur de piété, aux paroles qui suivent : " Une vapeur d'aromates, de myrrhe et d'encens et de toutes sortes de poudres odoriférantes. " La confession doit toujours être accompagnée de la myrrhe et de l'encens, c'est-à-dire de la mortification de la chair et de l'oraison du coeur, car l'une ne peut point ou ne peut guère servir sans l'autre. En effet, si quelqu'un mortifie sa chair sans se livrer à la prière, c'est un orgueilleux, et c'est à lui qu'il est dit : " Est-ce que je mange la chair des taureaux et m'abreuvé-je du sang des boucs (Psal. XLIX, 13) ? " De même, s'il prie et néglige de mortifier sa chair, Dieu lui dira : " Pourquoi m'invoquez-vous en me disant : Seigneur, Seigneur! si vous ne faites point ce que je dis (Luc., VI, 46). ? " Ou bien encore : " Quiconque détourne l'oreille pour ne point écouter la loi, sa prière même sera exécrable ((Prov. XXVIII, 9). " L'une et l'autre se donnent donc un mutuel appui, puisqu'il est certain que l'une ne saurait être agréée sans l'autre.

2. Il est dit : " comme une vapeur do toutes sortes de poudres odoriférantes (Cant. III, 6). " Après le souvenir et la confession des péchés, après la mortification et l'oraison, il faut produire le fruit des aumônes. On a raison de les appeler-" une poudre " attendu qu'elles ne sont que de la terre : " odoriférante " parce qu'elles exhalent l'odeur la plus suave. Voilà d'où vient qu'il a été dit à Corneille qui faisait des bonnes oeuvres : " Vos prières et vos aumônes ont monté (Act. X, 4). " Peut-être sont-elles appelées " toute espèce de poudres odoriférantes, " parce que tous les péchés, non-seulement les grands, mais aussi les plus petits doivent être broyés par la confession et déliés par la componction. Mais restons-en là pour le premier plant.

3. Le second plant est la vie des continents dans le cloître ou dans le désert. Dans ce plant il n'est fait aucune mention de désert ni de vapeur, c'est-à-dire de pénitence ; mais de lumière, de splendeur et de vertu. Enfin, c'est à la louange de ce plant que la voix des anges fait entendre ces paroles : " Quelle est celle-ci qui s'avance comme l'aurore à son lever, belle comme la lune, élevée comme le soleil, terrible comme une armée rangée en bataille (Cant. VI, 9) ? " Dans ces mots il faut voir trois vertus du second plant, l'humilité, la chasteté et la charité. En effet, l'aurore est la fin de la nuit et le commencement du jour. La nuit c'est la vie du pécheur, et le jour, la vie du juste. Aussi l'aurore qui dissipe les ténèbres, annonce la lumière et se prend avec raison pour l'humilité, car de même que l'aurore sépare la nuit du jour, ainsi l'humilité sépare le juste du pécheur. C'est en effet, par elle, je veux dire par l'humilité, que le juste commence, et par elle qu'il grandit. Aussi l'Écriture parle-t-elle de "l'aurore à son lever, " afin que l'édifice des vertus commence par l'humilité et s'élève ensuite comme sur son propre fondement. C'est donc pour montrer son humilité qu'il est dit " Comme l'aurore à son lever. " Les paroles suivantes : " Belle comme la lune, " indiquent la chasteté. Or, on dit que la lune ne tient pas son éclat d'elle-même, mais le tire du soleil. Aussi, plus elle se trouve directement opposée au soleil, plus est grande la partie de son disque éclairé de sa lumière. Il en est de même d'une congrégation et de toute âme fidèle : si elle s'expose aux rayons du vrai Soleil, on ne peut douter qu'à son aspect, elle ne reçoive aussitôt un certain lustre de beauté et un éclat de chasteté. De là vient que, prenant un certain accroissement à sa lumière, et faisant quelque progrès, elle arrive à la perfection et mérite qu'on dise d'elle ce qui suit.

4. " Élevée comme le soleil. " Pourquoi comme le soleil? Est-ce parce que les justes brilleront comme le Soleil dans le. royaume de leur Père (Matt. XXII, 14)? Mais là, d'où leur viendra cet éclat du Soleil, sinon de leur robe nuptiale ? Car c'est d'elle que devaient se revêtir ceux qui étaient sur la terre et à qui il a été dit : " Quant à vous, demeurez dans la ville jusqu'à ce que vous soyez revêtus de la vertu d'en haut (Luc. XXIV, 49), " de cette vertu de charité dont la robe, nuptiale est le signe: quiconque en sera revêtu et l'aura convenablement ordonnée en soi, sera certainement terrible à ses ennemis, comme une armée rangée en bataille. En effet, les démons se mettent bien peu en peine des autres vertus, quelles qu'elles soient, quand elles sont sans la charité. Mais quand ils voient la charité, et qu'ils la voient réglée comme une armée rangée en bataille, ils s'enfuient avec précipitation. On peut aussi voir dans ces mots, " élevée comme le soleil, " la persévérance qui n'appartient qu'aux élus. Mais par ces paroles qui viennent après, " terrible comme une armée rangée en bataille, " on peut entendre la discrétion, qui est la mère des vertus, qui jette la terreur dans le camp des démons et les met en fuite, acquiert et conserve les vertus. On peut encore fort bien entendre et dire beaucoup d'autres choses dans ce second plant, mais qu'il suffise dans le nombre du peu que nous venons de dire.

5. Le troisième plant convient aux saints prédicateurs, dont la doctrine et la vie arrachent ce cri d'admiration : "Quelle est celle-ci qui monte du désert remplie de délices, appuyée sur son bien-aimé (Cant. VIII, 5) ? " Au premier plant il a été dit " qui est celle qui monte par le désert, " mais de celui-ci il est dit: " Quelle est celle-ci qui monte du désert? " A cause des épines qui déchirent les pénitents quand ils marchent à travers elles; ici, au contraire, les docteurs ont foulé aux pieds, avec une grande élévation d'âme, tout ce qu'ils ont pu soustraire au monde; aussi est-il dit, " qui monte du désert comblée de délices. " Mais il faut chercher quelles sont ces délices dont ils sont comblés, et quel est ce bien-aimé, et pourquoi il est dit qu'ils s'appuient sur lui. Il ne faut pas tenir pour médiocres les délices auxquelles les citoyens d'en haut donnent ce nom; car ces délices ne sont telles que pour le coeur, non pour le ventre; pour l'âme, non pour le corps; pour l'esprit, non pour la chair; pour la raison, non pour les sens; pour l'homme intérieur, non pour l'homme extérieur; ces délices, pour le dire en quelque sorte en un seul mot, c'est l'infusion abondante de la grâce spirituelle. Heureuse l'âme où une telle grâce se répand, qui se trouve prévenue des bénédictions et de la douceur d'en haut, pour devenir le temple de Dieu et l'oracle du Saint-Esprit. Une pareille âme ne saurait se trouver à court des richesses du salut, je veux dire de la sagesse et de la science, ni dépourvue du plus grand trésor du salut, la crainte du Seigneur. Quand elle se sentira remplie et comblée de ces délices, il ne lui restera plus qu'à exalter le Seigneur au plus haut des cieux, et à le louer dans la chaire des vieillards. Ce qu'elle aura entendu au fond de la chambre, elle le redira sur les toits, et c'est ainsi qu'elle sera comblée de délices; car être comblé, c'est être établi dans la prédication de la doctrine, luire par l'exemple de sa vie, et remplir avec constance les oeuvres spirituelles.

6. Mais en tout cela, il faut que tout pasteur recherche la gloire de son auteur, non la sienne; car c'est lui qui est son bien-aimé dont il est écrit: " Je suis à mon bien-aimé, et mon bien-aimé est à moi (Cant. II, 16), " et c'est de lui encore que le Père a dit : " Celui-ci est mon Fils bien-aimé, écoutez-le (Luc. IX, 35). " C'est sur lui j qu'il faut s'appuyer, afin de rapporter tout ce qu'on fait au secours de sa grâce, car c'est de lui que tout vient, c'est par lui que tout se fait, et c'est à lui que tout se rapporte. D'ailleurs le bien-aimé du Père, qui nous enseigne toute science, nous apprendra mieux que personne pourquoi on doit s'appuyer sur lui. Il dit, en effet, à ses disciples qu'il remplissait de cette sorte de délices : " C'est moi qui suis le cep de la vigne, vous, vous en êtes les branches. Aussi, de même que la branche de la vigne ne saurait porter de fruit d'elle-même, et qu'il faut qu'elle demeure unie au cep, ainsi vous ne pouvez porter aucun fruit si vous ne demeurez en moi (Joan. XV, 4 et 5). " Et ailleurs, " sans moi vous ne pouvez rien faire. " C'est comme s'il disait sans détour; si vous voulez être comblés de délités, appuyez-vous sur moi. Mais voyons maintenant comment ils en sont comblés et comment ils s'appuient sur lui. Plaçons au milieu de nous pour nous instruire, tous, un prédicateur achevé. Eh bien donc, bienheureux Paul, soyez rempli vous-mêmes des délices qui vous appartiennent. Certainement après avoir prêché l'Évangile depuis Jérusalem et ses environs jusqu'à l'Illyrie; après avoir jeté sans récompense les fondements de l'Évangile; après avoir fait part, comme un prudent et fidèle dispensateur, des célestes trésors, et du sacrement de la foi aux Grecs et aux barbares; après avoir porté partout dans votre corps mortel, la mortification de Jésus, au milieu des nombreuses et admirables merveilles que vous avez opérées, et que nous ne saurions rappeler ici en détail, vous avez pu vous écrier avec une pleine autorité et sans orgueil aucun, bien que vous fussiez le moindre des apôtres à vos propres yeux, " sa grâce n'a point été stérile en moi; mais j'ai travaillé plus que tous les autres (Cor. XV, 10). " Ce sont là de grandes, et, si je puis m'exprimer de la sorte, de délicieuses délices ! mais pour ne point les perdre appuyez-vous sur votre bien-aimé : " Non ce n'est pas moi qui l'ai fait, mais c'est la grâce de Dieu qui a travaillé avec moi (Ibid.). " Oui, oui, soyez comblé de délices; car, à vrai dire, de telles délices sont bien délicieuses. " Je puis tout, u dit-il; allons appuyez-vous sur le bien-aimé, " en celui qui fait ma force (Philip. IV, 13). " Le même apôtre dit encore ailleurs : " Que celui qui se glorifie, le fasse dans le Seigneur (II Cor. X, 17) . " C'est-à-dire, que celui qui est comblé de délices, s'appuie sur son bien-aimé.

7. Tout ce que je viens de dire sur les trois plants, représentant trois genres d'hommes, que la sainte Église contient dans son sein en cette vie, et que Ézéchiel a désignés dans ses écrits par Noé, Daniel et Job, c'est avec l'aide de Dieu que je l'ai fait.; mais on pourrait sans inconvénient voir ces trois plants dans chaque saint en particulier. Ainsi, chez eux, le premier plant sera la pénitence, le second la justice, et le troisième la prédication. En effet, ils commencent leur conversion par le repentir, ils pratiquent ensuite la vertu, en vivant bien, et enfin s'ils font des progrès dans le bien, ils prêchent de bouche la justice qu'ils pratiquent dans leur conduite. Mais comme le vice tend des embûches à la vertu, et l'approche de si près que ceux qui s'éloignent de l'une tombent dans les filets de l'autre, il faut que la pénitence soit exempte de honte, et ne rougisse point de confesser les péchés commis; que la justice se donne bien de garde de feindre, et que les prélatures mettent de côté tout orgueil; car là où il y a de grandes grâces, là aussi se trouve de grandes épreuves.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

QUATRE-VINGT-DOUZIÈME SERMON. Triple introduction dans le jardin, dans le cellier et dans la chambre.

1. " Je suis venu dans mon jardin, ma soeur, mon épouse (Cant. V, 1. " Ailleurs il est dit : " Le roi m'a fait entrer dans son cellier (Cant. 1, 3), " et dans une autre endroit on lit : " Dans sa chambre à coucher (Cant. III, 4). " Cette triple introduction de l'âme raisonnable se fait par son Époux, le Verbe de Dieu, au triple sens de la sainte Écriture, je veux dire au sens historique, au sens moral et au sens mystique. Elle est introduite dans le jardin, c'est le sens historique; dans le cellier, c'est le sens moral; dans la chambre à coucher, c'est le sens mystique. Dans le jardin, c'est-à-dire dans l'histoire, se trouve contenue une triple opération de la Trinité; la création du ciel et de la terre, la rénovation du ciel et de la terre, la confirmation du ciel et de la terre. Le Père les a créés, le Fils les a réconciliés, le Saint-Esprit les a confirmés; mais autre ;est le temps de la création, autre celui de la réconciliation, autre enfin celui de la confirmation; de même que dans un jardin, autre est le temps de la plantation, autre celui de la récolte des fruits, autre celui de la manducation de ces fruits. La création et la réconciliation appartiennent au siècle présent, la confirmation appartient au siècle futur. Au commencement des temps, le Père a créé ; dans la plénitude des temps, le Fils a réconcilié, et, après tous les temps, le Saint-Esprit confirmera. Le Fils a dit, en parlant de son père : " Mon Père opère toujours (Joan. V, 17). " et il a ajouté, en parlant de lui-même : " et moi aussi j'opère toujours (Ibid). " De même le Saint-Esprit, à la fin des siècles, pourra dire avec vérité . Le Père et le Fils ont opéré jusqu'à présent, désormais moi aussi j'opère.; alors surtout qu'il aura fait nos corps spirituels, que notre corps se sera attaché à notre esprit, et notre esprit à Dieu, et que le Saint-Esprit confirmera ce même corps, en sorte que désormais on verra s'accomplir, sans aucun intervalle de temps, ce que dit l'Ecriture " Celui qui est uni à Dieu ne fait plus qu'un seul esprit avec lui (I Cor, VI, 97). " L'ancien Testament nous instruit de la création et nous promet la réconciliation; le Nouveau nous montre la réconciliation, et nous promet la confirmation.

2. (a) La seconde introduction est l’introduction dans le cellier. Ce cellier contient la science morale et comprend trois caveaux distincts Dans le premier, se trouvent les aromates, :dans le second les fruits et dans le troisième le vin. Dans le premier se placent ceux qui sont en de bons termes avec leurs supérieurs; dans le second, ceux qui sont -bien avec leurs égaux, et dans le troisième ceux qui le sont avec leurs inférieurs. Le premier caveau est celui de la discipline, ale second celui de la nature, et le troisième celui de la grâce. En effet, quiconque s'efforce d'atteindre le terme de la vie parfaite, se fait d'abord disciple et il entre dans le caveau de la discipline, où, sous la direction d'un maître, il compose ses moeurs de diverses vertus, comme les parfumeurs composent des parfums de diverses espèces d'aromates. Aussi, ce caveau est-il appelé celui des aromates, parce que tous ceux qui embrassent d'eux-mêmes le travail de la discipline, répandent pour les autres, par leur exemple, la délicieuse odeur de l'imitation. De ce caveau, on passe directement dans le second, qui est le caveau de la nature, parce que ceux qui ont appris à rompre leur volonté sous un maître peuvent aisément vivre en bonne intelligence avec leurs condisciples. C'est dans ce caveau qu'on vit en

a Dans plusieurs éditions, ce second point commence un second sermon, mais c'est à tort.

commun avec les autres, aussi est-il bien appelé le caveau de la nature, attendu que si la nature a fait tous les hommes égaux, elle en a placé quelques-uns au dessus des autres, ou à la tête des autres, à cause de leurs vertus. On appelle aussi ce caveau le caveau des fruits, parce qu'il est très-utile que chacun communique aux autres la grâce qu'il a reçue ; voilà pourquoi il est écrit : " Le frère qui est aidé par son frère est comme une ville forte (Prov. XVIII, 16). " C'est aussi ce qui a fait dire au Prophète : " Comme il est doux et agréable à des frères de vivre unis ensemble! " Mais lorsqu'on est bien consommé dans ce caveau de la nature, alors on peut aller dans le caveau qui est celui de la grâce, en sorte qu'après avoir vécu saintement et sans discussion avec les autres, on se trouve placé à leur tête pour les façonner. Or, ce troisième caveau est le caveau au vin, parce que ceux qui sont placés à la tète des autres pour les diriger doivent bouillir de charité. On l'appelle aussi le caveau de i la grâce; ce nom peut déjà également convenir aux deux premiers caveaux, attendu que la discipline et la vie commune sont également un don de la grâce. Mais le troisième mérite plus particulièrement ce nom, parce qu'il est bien facile d'être soumis à ses supérieurs, ou de vivre en communauté, tandis qu'il est bien rare et très-difficile de passer de ces deux états, d'une manière utile, au gouvernement des autres.

3. C'est dans ces trois caveaux que sont contenues et formées les moeurs de tous les hommes. En effet, tous les hommes sont ou des prélats ou des égaux ou des inférieurs. Or, de même qu'on cueille au jardin ce qu'il y a de meilleur pour le déposer dans les celliers où il y a encore une place particulière pour chaque chose, ainsi, dans l'histoire, on recueille le sens moral pour le déposer, si je puis le dire, dans le cellier, d'où on tire ensuite tout ce qui peut servir à la vie de l'homme. En effet, les prélats y lisent quels ils doivent être envers leurs inférieurs, quand ils ont ces mots sous les yeux : " Ne dominant pas sur l'héritage du Seigneur, mais vous rendant les modèles du troupeau (Petr. V, 3), " et ceux-ci encore " ce n'est pas nous qui dominons sur votre foi, mais nous sommes les aides de votre joie (II Cor. I, 23), " puis celles du Seigneur dans l'Évangile : "Le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis (Joan. X, 11). " Les égaux trouvent également dans les saintes Écritures, la manière dont ils doivent se conduire les uns envers les autres, car ils y lisent ces paroles : " Portez les fardeaux les uns des autres, et vous accomplirez ainsi la loi de Jésus-Christ (Gal. VI, 2), " et ces autres, " prévenez-vous les uns les autres par des témoignages d'honneur (Rom. XII, 10), " et beaucoup d'autres recommandations semblables. Les inférieurs y trouvent aussi de quoi régler leurs moeurs, et la manière dont ils doivent se soumettre à leurs supérieurs, quand ils y lisent ces paroles : " Obéissez à ceux qui vous conduisent et soyez-leur soumis, car ils veillent sur vous comme devant rendre compte de vos âmes (Hebr. XIII, 17) (a). "

a Pour ce qui est de l'introduction de l'âme dans la chambre à coucher, on peut voir le sermon vingt-troisième sur le Cantique des cantiques n.11.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

QUATRE-VINGT-TREIZIÈME SERMON. " Vos dents sont comme un troupeau de brebis tondues, remontant du lavoir et portant un double fruit, sans qu'il y en ait de stériles parmi elles (Cant. IV, 2). "

1. Ce ne sont pas, je pense, de petits mystères que le Saint-Esprit, la source intérieure d'où s'écoule le fleuve du Cantique des cantiques, nous recommande dans ces dents. Car ce n'est pas de ces dents-là qu'il est dit : " Dieu leur brisera les dents dans la bouche (Psal. LVII, 7), " ni de celles dont la voix de Dieu même parle en ces termes au saint homme Job : " La terreur habite autour de ses dents (Job. XLI, 5). " C'étaient des dents plus blanches que le lait, car c'étaient celles de l'Épouse, de celle dont le Très-Haut a aimé la beauté, et qui n'a ni tache ni ride. Car si elle était toute blanche, elle avait les dents bien plus blanches encore. Toutefois, c'est une comparaison aussi nouvelle qu'inouïe, que de dire, pour les louer : " Vos dents sont comme un troupeau de brebis tondues. " Qu'y a-t-il, en effet, de si juste dans cette comparaison, qui nous porte à croire qu'elle est descendue du mystérieux séjour du ciel ? Il y a quelque chose de vraiment grand, et qui doit être senti dans toute sa grandeur par toute grande âme. En effet, c'est le Saint-Esprit qui parle ainsi; or, quand il parle, il n'y a pas un seul iota dans ce qu'il dit, qui puisse passer sans avoir un sens. Évidemment il y a quelque chose de caché dans ces dents, qui ne peut, si on le découvre, que nous découvrir le mystère d'une intelligence des plus saintes.

2. En effet, les dents sont blanches et fortes; elles n'ont ni chair ni peau ; elles ne peuvent rien souffrir entre elles, et il. n'est pas de douleur comparable à leur douleur; elles sont enfermées par les lèvres, qui empêchent qu'on ne les voie, il n'est pas bien de les faire voir si ce n'est quand on rit. Elles mâchent la nourriture pour le corps tout entier, mais n'en retiennent point la saveur; elles ne s'usent pas facilement ; elles sont rongées en ordre, les unes en haut et les autres en bas, et tandis que celles d'en bas sont mobiles, celles d'en haut ne le sont pas. Or, les dents ainsi envisagées sont pour moi une image des hommes qui ont embrassé la vie monastique, qui, choisissant la voie la plus courte, et la vie la plus sûre, semblent surpasser en blancheur le corps entier de l'Église qui est blanc. Qu'y a-t-il, en effet, de plus blanc que ces hommes qui, évitant toute espèce de souillures et d'immondices, versent des larmes sur leurs péchés de pensées comme sur des péchés d'action. Quoi de plus fort qu'eux? Pour eux les tribulations sont des consolations, les mépris un sujet de gloire, la pauvreté une véritable abondance. Ils n'ont pas non plus de chair, car jusques dans la chair ils oublient la chair et s'entendent dire par l'Apôtre : " Pour vous, vous n'êtes point dans la chair, mais dans l'esprit (Rom. VIII, 9). " Ils n'ont pas de peau non plus, car ils n'ont ni l'éclat ni la tension des soucis de ce monde, ils dorment et reposent en paix (Psal. IV, 9). Ils ne souffrent pas qu'il y ait quoi que ce soit entre eux car ils regardent comme intolérable la moindre pierre d'achoppement qui se trouve soit entre eux, soit dans leur propre conscience. De là vient cette opportune importunité qui vous caractérise, et dont vous nous fatiguez si souvent, quand vous dépensez tant de fois de si longues parties du jour, même lorsque cela n'est pas nécessaire, à écarter ces pierres d'achoppement. Il n'y a pas de douleur semblable à celle des religieux, car il n'y a rien d'aussi redoutable et d'aussi horrible que les murmures et les distensions dans une maison religieuse. Les dents sont enfermées derrière les lèvres qui empêchent qu'on ne les voie; ainsi sommes-nous entourés de remparts matériels qui nous dérobent aux regards et à l'approche des gens du monde. Il n'est pas bien qu'elles paraissent, si ce n'est peut-être quand on rit; ainsi n'est-il rien de plus inconvenant qu'un religieux qu'on voit paraître dans les villes et les châteaux, à moins qu'il ne soit forcé de le faire parla charité qui couvre une multitude de péchés; la charité c'est le rire, car elle est gaie; mais sa gaieté n'est point de la dissipation. Les dents mâchent la nourriture pour tout le corps; ainsi les religieux sont établis pour prier pour le corps entier de l'Église, je veux dire pour les vivants et pour les morts. Mais ils ne doivent en retenir aucune saveur, c'est-à-dire ils ne doivent se glorifier de rien, mais au contraire, dire avec le Psalmiste : " Non, Seigneur, non, ne nous attribuez point la gloire, réservez-la pour votre nom. Elles ne s'usent pas facilement, ainsi les religieux sont d'autant plus fervents qu'ils sont plus âgés, et courent d'autant plus vite, qu'ils approchent davantage du but. Les religieux sont aussi rangés en ordre; en effet, où trouver de l'ordre si ce n'est là où le boire et le manger, la veille et le sommeil, le travail et le repos, la promenade et la sieste et le reste sont réglés, avec poids, nombre et mesure? Il y en. a aussi de placés en haut et d'autres placés en bas, puisque parmi nous se trouvent des supérieurs et des inférieurs, mais si bien unis entre eux que les supérieurs et les inférieurs se trouvent dans un parfait accord. Si les dents d'en bas peuvent remuer tandis que celles d'en haut demeurent immobiles, il en est de même des religieux, parmi lesquels, s'il arrive parfois que les inférieurs soient troublés, le devoir des supérieurs est de montrer constamment une âme inébranlable. " Comme un troupeau de brebis tondues, " est-il dit. Comme les religieux sont bien comparés à des brebis dépouillées de leur laine ! ne sont-ils pas véritablement tondus ces hommes qui n'ont rien conservé en propre, ni leur coeur, ni leur corps, ni rien de ce monde? " Remontant du lavoir (Cant. IV, 2). " Le lavoir c'est le Baptême d'où remonte celui qui s'élève au haut de la vie parfaite, au contraire c'est descendre que de se laisser aller à une vie de honte. " Toutes portent un double fruit (Ibid.), " car ils enfantent également par la parole et par l'exemple. " Et il ne s'en trouve point de stérile parmi elles (Ibid.) ; " car il n'y en a pas un seul parmi les religieux qui ne porte des fruits.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

QUATRE-VINGT-QUATORZIÈME SERMON. Du progrès de la vie chrétienne ou spirituelle, d'après la figure d'Élie fuyant Jézabel.

1. " Élie eut peur de Jézabel, et, s'étant enfui, il alla partout où sa volonté le portait; arrivé à Bersabé, en Juda, il renvoya son serviteur et continua sa marche dans le désert. Lorsqu'il fut arrivé sous un genévrier, il s'y assit à l'ombre, s'étendit et dormit. Alors un ange du Seigneur le toucha et lui dit : Lève-toi et mange. Il regarda et vit à sa tête un pain cuit sous la cendre et un vase plein d'eau. Il mangea donc et but, et il marcha pendant quarante jours et quarante nuits, fortifié par cette nourriture, et parvint à Horeb, appelé aussi la montagne de Dieu (III Reg. 3 à 8). " Or Élie, qui signifie le Seigneur, ou le Seigneur fort, est l'image de tout juste qui souffre persécution pour la justice. Aussi est-il dit : " Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice (Matt. V,10). " II craint Jézabel, c'est-à-dire la malice du siècle, la tyrannie du diable, se lève du milieu des tentations qui le poussent au péché, et s'en va partout où le pousse la volonté que lui inspire le Seigneur. Il arrive à Bersabé, en Juda, dans la sainte Église, qui est appelée Bersabé, c'est-à-dire le septième puits, à cause de l'abondance des grâces du Saint-Esprit aux sept dons qui se donne dans soit sein à tous les fidèles; Bersabé signifie encore le puits de la satiété, à cause de la profondeur des mystères de Dieu et de la réfection des saintes Écritures. Il est parlé en ces termes de cette profondeur dans les Psaumes : " Une eau profonde dans les nuées de l'air (Psal. CXVII, 21), " et ailleurs : " Vos jugements sont un profond abîme (Psal. XXXV, 7). " En considérant cette profondeur, l'Apôtre tremble, défaille d'épouvante, et s'écrie : " 0 profondeur des trésors de la sagesse et de la science de Dieu, etc. (Rom., XI, 33). "

2. Au sujet de cette satiété, on lit dans un psaume : " Il m'a élevé auprès d'une eau qui me nourrit : (Psal. XXII, 2), " et dans un autre " Ils seront enivrés de l'abondance qui est dans votre maison (Psal. XXXV, 9). " Cette ivresse-là n'engendre point le dégoût; au contraire, elle excite de nouveaux désirs et un appétit insatiable. Dans cet Océan des saintes Écritures, l'agneau se promène et l'éléphant est à la nage. Au banquet de la doctrine catholique, chacun, selon la mesure de son intelligence, trouve une table chargée de mets suffisants. C'est un paradis de délices, un jardin où poussent toutes sortes de fruits. Ainsi, en arrivant à Bersabé, c'est-à-dire dans la sainte Église, comme nous l'avons dit plus haut, il court à la confession, qui est figurée par Juda, et il renvoie son serviteur, je veux dire son sens puéril, ou encore la faiblesse de ses premiers actes, et il se dirige vers le désert, c'est-à-dire. vers le mépris du monde. Une fois qu'il y est arrivé, il s'assied, ce qui signifie qu'il se repose de tout tumulte du monde, et chante avec le Prophète : " C'est là pour toujours le lieu de mon repos (Psal. CXXXI, 14). " Il se prosterne, c'est-à-dire il se répute vil et renonce à ses désirs, suivant ce mot de l'Évangile : " Que celui qui veut venir après moi se renonce lui-même (Luc. IX, 23). " Il s'endort à l'ombre d'un genévrier, car dans les parvis de la maison .de Dieu, il cesse d'avoir les sens de son corps adonnés à toutes sortes d'iniquités, et il dit avec le Prophète : " Je dormirai et me reposerai dans la paix (Psal. IV, 9). " C'est alors qu'un ange lui apparaît , et le touche, le réveille pour faire le bien, et le fait lever pour de plus grandes choses. Il regarde à sa tète, c'est-à-dire à Jérusalem, qui est la tête de l'Église, et il trouve un pain cuit sous la cendre, c'est-à-dire le pain de la doctrine d'un Dieu, rude en apparence, mais doux, fortifiant au dedans d'une manière ineffable; puis un vase d'eau, c'est-à-dire une fontaine de larmes avec la componction du coeur. Il mange et il boit, je veux dire il fait ce qu'il entend, et, fortifié par ce qu'il vient de prendre, il marche vers la montagne de béatitude.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

QUATRE-VINGT-QUINZIÈME SERMON. Les prédicateurs doivent adoucir l'amertume de la doctrine.

1. " Or, la famine régnait en ce pays, et les enfants des prophètes demeuraient avec Élisée. Il leur fit servir un ragoût. A peine en eurent-ils goûté, qu'ils s'écrièrent: il y a dans ce pot un mets qui donne la mort, ô homme de Dieu, et ils n'en purent manger. Mais lui : apportez-moi de la farine dit-il, il la mit dans le pot et leur dit : Servez-en maintenant à tout le monde, et il en mangea lui-même, et il n'y eut plus ensuite aucune amertume dans le pot (IV. Reg. IV, 38 à 41). " La famine qui désolait le pays, c'est la disette de la parole de Dieu dans l'âme des hommes : Les fils des prophètes, ce sont les fils des prédicateurs. Le mot prophète signifie voyant. Ce n'est donc pas sans motif que les saints prédicateurs sont appelés des prophètes, car ils contemplent les secrets des mystères de Dieu, et, selon qu'ils voient en quel état sont les moeurs des hommes, ils leurs administrent des remèdes en rapport avec leurs dispositions. Élisée signifie le salut du Seigneur, c'est le nom qui convient à tout prélat, à tout docteur de l'Église, car c'est leur voix sainte et persuasive qui annonce aux peuples le salut du Seigneur, et le leur procure en le leur annonçant. Celui-ci, par exemple, pour s'acquitter de son devoir, sert à ses inférieurs un grand pot rempli d'herbes des champs je veux dire leur sert des avis pleins de gravité, remplis d'amertume, mais qui pourtant ont ressenti les chaudes influences du feu du Saint-Esprit. Mais les inférieurs, saisis de répugnance pour ces paroles austères, s'écrient: " Il y a dans ce pot un mets qui donne la mort; " et ne peuvent en manger.

2. Alors un sage dispensateur, s'il n'apporte lui-même, du moins fait apporter de la farine; car s'il ne donne point, il exhorte à avoir de la charité qui est le condiment rendant doux ce qui auparavant semblait amer. En effet, si un prédicateur peut faire retentir aux oreilles des assistants des paroles de salut, personne, si ce n'est Dieu, ne peut donner le goût de la charité au palais du coeur. C'est ce qui faisait dire à Saint Grégoire : " Si ce n'est l'esprit qui vous instruise au dedans, c'est en vain qu'au dehors les docteurs se fatiguent à vous parler (Greg. Rom. XXX, in Evang.). " Or; il y a le goût du ciel et le goût de la terre ; le goût du ciel ne saurait nous plaire tant que nous recherchons celui de notre cuisine. Dans le désert, Dieu donne des cailles et la manne : " Ce que les enfants d'Israël ayant vu, ils se dirent les uns aux autres : Manhu ? Qu'est-ce que cela? Car ils ne savaient point ce que c'était. Moïse leur dit : C'est le pain que le Seigneur vous donne pour vous nourrir (Exod. XVI, 15). " Saint Jean nous découvre le sens de ce fait dans son Évangile, quand il nous rapporte ces paroles du Seigneur: " Je vous le dis en vérité, si vous ne mangez la chair du Fils de l'homme, etc. Aussi, plusieurs de ses disciples l'ayant entendu, dirent : ce discours est bien dur, qui peut l'écouter ? Et., à partir de ce moment, beaucoup d'entre eux s'éloignèrent de lui (Joan. VI, 61)." Voilà comment quelques âmes simples, quand elles se convertissent, sont effrayées de la sévérité de la loi. Si on leur parle du mépris du monde, de la lutte entre les vertus et les vices ; de la préoccupation des veilles, de l'assiduité de la prière, des privations et des jeûnes, elles gémissent et se disent intérieurement. Qu'est-ce cela? qui peut suffire à tant et de si grandes choses ? C'est parce qu'elles ignorent quelle force on trouve dans l'ordre, une fois qu'on y est entré. Mais le Pasteur doit leur faire entendre des paroles de consolation, et les presser d'apporter de la farine.
 
 
 
 
 
 

QUATRE-VINGT-SEIZIÈME SERMON. Les quatre fontaines du Sauveur et l'eau qu'on doit y puiser.

1. "Vous puiserez de l'eau avec joie aux fontaines du Sauveur (Isa. XII, 3). " A la place du paradis que nous avons perdu, il nous a été donné le Sauveur Jésus-Christ. De même que d'une seule source, dans le paradis, sortaient quatre grands fleuves qui arrosaient le paradis terrestre, ainsi du fond de son coeur, coulent ;quatre fontaines où on puise quatre sortes d'eau qui arrosent l'Église dans le monde entier. Ces quatre fontaines ce sont la vérité, la sagesse, la vertu et la charité. On vient donc puiser de l'eau à ces quatre fontaines, mais on en puise une sorte différente à chacune d'elles. En effet, à la fontaine de la vérité on puise l'eau des jugements; à celle de la sagesse, l'eau des conseils; à celle de la vertu, l'eau de la force et à celle de la charité, l'eau des désirs. L'eau des jugements nous fait connaître ce qui est permis, et ce qui ne l'est pas. L'eau du conseil nous fait discerner ce qui est utile de ce qui ne, l'est point. Mais comme les tentations ne manquent point aux élus qui marchent droit dans ces sentiers, car ils sont éprouvés de deux manières, par la terreur qui cherche à les abattre, et par les séductions qui ne cessent de les entraîner, ils ont besoin de se savoir armés de la force de la vertu de Dieu, contre les terreurs, et de la charité d'en haut contre la séduction des désirs, car les bons désirs éteignent les mauvais, comme dit un saint personnage. Nous pouvons encore raisonner ainsi. A quoi bon savoir ce qui est utile, ce que nous enseignent les jugements et les conseils, si nous ne pouvons point le faire? Voilà pourquoi après les eaux des jugements, et des conseils on doit puiser l'eau de la force. De même, en raisonnant comme nous venons de le faire, à quoi bon pouvoir, si la charité n'est point la fin de tout ? Aussi, faut-il, après le jugement, après les conseils, après la force, puiser de l'eau à la fontaine des désirs, afin que la vie éternelle soit la fin de tout ce que nous goûtons, disons, faisons ou souffrons.

2. Pour rendre plus clair encore ce que je viens de dire sur les fontaines et sur l'eau qui s'en écoule, il me semble à propos de recourir au témoignage des Écritures, et de relever par des fils d'argent les ressemblances d'or que je vous ai montrées. Et d'abord, il ne me semble douteux pour personne que ces quatre fontaines coulent du sein même de Jésus ; mais comment y puise-t-on les eaux dont j'ai parlé, voilà ce qu'il faut montrer. Que David vienne donc à mon aide, et qu'il nous apprenne que les jugements coulent de la fontaine de la. vérité. N'est-ce pas le sentiment qu'il exprimait quand il disait : " Que mon jugement sorte de votre visage (Psal. XVI, 2). " En effet, ce saint homme n'aurait certainement pas appelé sien un jugement qui ne sortirait point du visage de Dieu, c'est-à-dire de la vérité, car il savait bien que les élus de Dieu se règlent sur les jugements de la vérité, comme sur une règle de fer, et comme il se sentait sous leur direction, il disait dans ses chants les plus joyeux : " Les jugements de Dieu sont vrais, et se justifient eux-mêmes; ils sont plus désirables que l'or et les pierres précieuses, et plus doux que le miel même en ses rayons (Psal. XVIII, 10). " Si par hasard on a peur de s'en écarter, il faut prêter l'oreille à la voix du Père qui fait entendre ses menaces par la bouche du même Prophète : " S'ils ne marchent point dans mes préceptes, et s'ils ne gardent point mes commandements, je visiterai avec la verge leurs iniquités, et je punirai leurs péchés par des plaies (Psal. LXXXVIII, 32). " Ce sont ces mystères du jugement de Dieu, que rapportait le Porte-clef du royaume des cieux, quand il disait : " Il est temps que Dieu commence son jugement par sa propre maison. Et, s'il commence par nous, quelle sera la fin de ceux qui rejettent l'Évangile de Dieu (I Petr. IV, 47) ? " Or, ces paroles s'adressent aux élus. Il y a un autre jugement qui se rapporte aux réprouvés, et qui, de même que le premier, coule aussi de la Vérité même. Ainsi, elle dit par la bouche de Paul : " que Dieu condamne selon. la vérité ceux qui font ces actions (Rom. II, 2). " Enfin la Vérité même, parlant en même temps de ces deux jugements dit: "Je suis venue en ce monde pour exercer un jugement, c'est-à-dire pour que ceux qui ne voient point, voient, et que ceux qui voient deviennent aveugles (Joan. IX, 39). " Et il montre la différence qui leur est propre quand il dit : " ceux-ci iront au supplice éternel, tandis que ceux-là, les justes, iront à la vie éternelle (Matt. XXV, 6). "

3. Après avoir vu comment les jugements se puisent à la fontaine de la vérité, voyons comment les conseils coulent de la fontaine de la sagesse. Qui doute que l'apôtre Paul ait été sage, quand saint Pierre, son collègue en apostolat, rend témoignage de la sagesse qu'il a reçue (II Pet., III, 15), et que toutes les paroles Ide cet apôtre ne respirent que la sagesse. Qu'il ouvre donc la bouche pour nous donner des conseils, et que par là il nous apprenne ce qui convient à des voyageurs comme nous, à des hommes qui ont hâte d'arriver à la céleste patrie. " Quant aux vierges, dit-il, je n'ai pas reçu de commandements du Seigneur, mais voici le conseil que je leur donne, pour être un ministre fidèle. Je crois donc qu'il est avantageux à l'homme, à cause des nécessités pressantes de cette vie, de demeurer tel (I Corr. VII, 25 et 26), c'est-à-dire de ne se point marier. S'il avait reçu un commandement au sujet de la virginité, il n'y aurait de permis que ce qui serait prescrit ; mais comme il est également permis de se marier ou de ne le point faire, que pouvait-il faire de mieux que de dire : " il est avantageux de rester tel?" Surtout quand les besoins pressants de la vie ont souvent coutume de fondre sur nous, que la rapidité du temps nous conduit rapidement à la mort; et que la figure de ce monde passe vite. Ailleurs, en parlant d'une veuve, il dit : " Mais cependant elle sera plus heureuse, si elle demeure veuve, comme je le lui conseille (Ibid. 40). " Et, de peur qu'on ne croie que c'est de son propre coeur, non point de la fontaine du Sauveur qu'il tire ce conseil, il ajoute : " et je crois que j'ai aussi en cela l'esprit de Dieu. " Mais pourquoi m'arrêter à rapporter quelques exemples quand tout sexe, toute condition trouve des conseils de salut dans ses paroles, pour peu qu'il les y cherche avec soin ? Mais si on veut s'assurer dans un mouvement de curiosité, si, véritablement, comme on le dit, les conseils émanent de la sagesse, qu'on lise les livres qui sont attribués à la Sagesse où tout le contexte des discours semble fait pour donner des conseils. Mais si, dans une pensée de prudence et d'utilité, on veut y puiser la vie, nous entendrons la voix de la Sagesse même qui nous y invite en ces termes salutaires : " Si vous voulez la vie, arriver à la vie, observez les commandements (Matt. XIX, 17). " De qui, demandez-vous? Elle vous répond : " Craignez Dieu et observez ses commandements (Eccl. XII. " Entendez-la vous crier dans un sentiment tout maternel : " Donnez-moi votre cœur (Prov. XXIII, 26). " O combien je voudrais, moi aussi, suspendre mon cœur aux paroles de celui dont le cœur bienfaisant fait retentir de si doux conseils de vie! Puissé-je tremper la plume de ma langue dans sa fontaine, pour devenir capable de vous parler d'une manière utile,de ce qui me reste à vous dire des deux autres fontaines, c'est-à-dire de la vertu et de la charité.

4. Comme ces quatre fontaines mêlent si bien leurs goûts que quiconque boit de l'une est invité à boire de l'autre par une ineffable douceur de délectation, il est temps que je passe de la sagesse à la vertu, et que je montre comment on y puise l'eau de la force autant que la vertu même me donnera la force de le faire. Or, de même que plus haut je disais que la vérité a deux jugements, dont l'un nous dit ce qui est permis et l'autre ce qui ne l'est pas, et que la sagesse aussi en a deux; un qui nous apprend ce qui est expédient, et l'autre ce qui ne l'est point, ainsi devons-nous reconnaître ici qu'on peut puiser deux sortes d'eau de force à la fontaine de la vertu, une qui purifie les élus de leurs fautes, et l'autre qui les rafraîchisse dans leurs tourments. Donnons un exemple de l'une et de l'autre. L'évangéliste saint Luc rapporte (Luc. VIII, 43) qu'une femme qui souffrait d'un flux de sang, après avoir dépensé toute sa fortune en médecins, sans pouvoir obtenir sa guérison, s'approcha du Seigneur par derrière, toucha la frange de son vêtement, et aussitôt son flux de sang s'arrêta. Jésus, de son côté, dit : " Qui m'a touché? " Et comme ses disciples lui disaient . " Quand la foule vous presse de tous côtés et vous accable, vous dites : " Qui m'a touché? " Il leur répartit : Quelqu'un m'a touché, car je sens, moi, qu'une vertu est sortie de moi. " Voilà les eaux de force que puisa cette femme à la fontaine de la vertu; elles la purifièrent de son flux de sang dont aucun médecin n'avait pu la guérir. Si vous me faites remarquer que ce témoignage n'a aucun rapport avec le sujet qui nous occupe en ce moment, attendu qu'il ne semble pas que cette femme ait été purifiée de ses fautes, mais seulement d'une maladie corporelle, il faut savoir que c'est la coutume de la vertu de Dieu de guérir le coeur avant le corps. Aussi voyons-nous dans un autre endroit que lorsqu'on lui présenta un paralytique à guérir, ce beau et charitable médecin, voulant commencer par guérir le plus important, je veux dire l'âme avant le corps, lui dit: " Ayez confiance, mon fils, vos péchés vous sont remis (Matt. IX, 2). " Et ensuite, sa conscience étant guérie, il guérit le corps en disant : " Levez-vous, emportez votre lit et retournez dans votre maison (Ibidem). " De même il commença par purifier le coeur de cette femme en y mettant le don de la foi, selon ce qui est écrit . " Fortifiant leur coeur et leur foi (Act. XV, 9)," qui lui fit mériter la santé extérieure du corps. C'est ce que le Seigneur même nous fait entendre, quand il dit : " Ma fille, votre foi vous a sauvée; allez en paix (Luc. VIII, 43). " Mais on puise encore à la fontaine de la vertu l'eau de la force dans les tourments, comme le font voir les trois enfants dans la fournaise que la flamme rafraîchit au milieu d'un feu ardent comme celui d'un incendie; c'est ce que prouve encore parfaitement l'admirable martyr Vincent, qui, au milieu des plus cruels tourments, non-seulement les supporta avec constance, mais encore excitait, en ces termes, la fureur de son bourreau : " Lève-toi, et déchaîne contre moi toute la fureur de ta méchanceté, tu verras que, par la vertu de Dieu, je suis plus fort pour souffrir que tu ne saurais l'être pour multiplier mes souffrances. " On pourrait en dire bien davantage sur cette fontaine de vertu, mais je préfère me borner à ce peu de mots, parce que j'aime mieux boire à la fontaine de vertu, que d'écrire sur elle.

5. Le Rédempteur lui-même nous convie à cette fontaine en ces termes : " Si quelqu'un a soif, qu'il vienne et qu'il boive, et des eaux vives couleront de son ventre (Joan. VII, 37). " L'Évangéliste, poursuivant son récit, nous fait connaître la fontaine où il nous invite à venir. " Il parlait, dit-il, de l'Esprit qu'ils devaient recevoir en croyant en lui (Ibidem 39). " De quel esprit parlait-il, si ce n'est de l'esprit de charité que le monde ne peut recevoir, et que ne reçoivent que ceux qui croient en lui? Allons donc puiser à cette fontaine l'eau des désirs, et divisons-les en deux ruisseaux, afin que de même qu'il y a deux préceptes de la charité, il y ait aussi deux désirs par lesquels ces préceptes soient remplis. En effet, il y a le désir par lequel Dieu est aimé pour lui-même, et celui par lequel le prochain l'est pour l'amour de Dieu. Or, dans le premier précepte il n'y a point de mesure à garder; c'est de tout notre coeur, de toute notre âme et de toutes nos forces que Dieu est aimé ; mais il y en a une dans le second, puisqu'il est dit : "Vous aimerez votre prochain comme vous-même (Matt. XXII, 39). " C'est du premier amour que brûlait le Prophète quand il disait : " De même qu'un cerf soupire après les sources d'eau vive, ainsi mon âme soupire après vous, ô mon Dieu (Psal. XLI, 2). " Et encore : " Mon âme se consume et défaille de désir dans les portiques du Seigneur (Psal. LXXXIII, 3). " C'était le second amour que l'Apôtre témoignait aux Romains quand il leur écrivait en ces termes : " J'ai un grand désir de vous voir, pour vous faire part de quelque grâce spirituelle (Rom. I, 11), " et que le Seigneur montrait à ses disciples quand il leur dit dans l'Évangile : " J'ai désiré d'un ardent désir de manger cette Pâque avec vous avant que je souffre (Luc. XXII, 15). "

6. Or, il faut remarquer que le coeur de l'homme est excité et porté à l'amour de Dieu particulièrement par trois affections, ce qui explique comment il lui est ordonné d'aimer de tout son coeur, de toute son âme et de toutes ses forces. La première de ces affections est douce, la seconde prudente, et la troisième forte. Pierre ressentait la première quand il détournait le Seigneur de mourir; il est évident qu'il éprouvait le doux amour du coeur quand il redoutait la passion pour lui. Aussi lorsqu'il entendit ces paroles: "Arrière Satan, vous ne goûtez pas les choses de Dieu, mais celles de l'homme (Marc. VIII, 33), " il se vit éclairé par ce langage, et, comprenant tout ce que la mort du Christ avait de bon, il se mit à aimer de toute son âme et d'un amour prudent, celui. que d'abord il n'avait aimé que de tout son coeur et d'un amour plein de douceur; mais il ne l'aimait pas encore de toutes ses forces, autrement il ne l'aurait certainement pas renié par la crainte de la mort. Mais après la résurrection et l'ascension, ayant reçu le Saint-Esprit d'en haut, il aima enfin de toutes ses forces celui pour qui il ne craignit point dans la suite de subir l'horrible supplice de la croix. Quant à l'amour du prochain, nous le pratiquons aussi de trois manières, soit en édifiant la charité, là où elle n'existe pas, soit en l'empêchant de périr, soit enfin en ne la laissant pas s'amoindrir là où elle est. Or, quiconque exerce cette charité envers le prochain avec un coeur pur, mérite très-certainement d'obtenir plus tard celle qui n'est autre que Dieu même.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

QUATRE-VINGT-DIX-SEPTIÈME SERMON. Douceur de la parole et du joug du Christ, qui est dur au dehors, mais très-doux au dedans.

1. " Le lait et le miel sont sous la langue (Cant. IV, 11). " Il faut qu’il en soit ainsi; car ce qui est dans sa langue sonne durement à nos oreilles. "Les paroles du sage sont comme des aiguillons et comme des clous enfoncés profondément (Eccle. XII, 11)." Il y en a un dont les paroles sont plus douces que l'huile (Psal. LXV, 22), mais jamais l'huile du pécheur ne coulera sur ma tête (Psal. CXL, 15). Mieux vaut que le juste me reprenne et me gourmande, car s'il le fait c'est dans un sentiment de miséricorde, plutôt que cette huile oigne .ma tête, car c'est une huile pleine de dol. C'est encore bien à propos que les paroles de celui qui nous flatte pour nous entraîner, ou qui ne nous conseille que l'iniquité, sont dites plus douces que le miel au lieu de molles, attendu qu'elles ont une douceur moins vraie et moins solide que fardée et déguisée, puisque ses paroles sont des traits aigus (Psal. LIV, 22). Et après cela qu'y a-t-il sous sa langue? Écoutez la parole du Prophète : "Letravail et la douleur (Psal. ix, 7), " vous dit-il. Or; selon le même Prophète, ce qu'il y a sous la langue de celui qui simule le travail et la peine, dans ses commandements (Psal. XCIII, 20), c'est du lait et du miel. Vous vous étonnez que la vérité connaisse la feinte? S'il est permis dé s'en étonner, il ne saurait l'être d'en douter, en voulez-vous une preuve? Lisez l'Évangile : " Il feignit d'aller plus loin (Luc. XXIV, 28). " Et pourquoi ne feindrait-il point aux yeux de celui qu'il a fait? Ne tonnait-il pas ce dont nous sommes formés? Il sait que notre limon ne peut supporter le travail, ne souffre point de retard et se brise au choc de l'un et de l'autre. C'est donc par un effet de sa bonté qu'il a pourvu à ce que la piété eût les promesses de la vie présente et de la vie future, et au lieu de nous imposer un travail, l'a simulé dans ses commandements. Mais écoutez comment il se trahit et montre qu'il simule la peine et le travail: "Prenez mon joug sur vous et vous trouverez le repos pour vos âmes; car mon joug est doux et mon fardeau léger (Matt. XI, 29). " N’est-ce point un travail simulé, qu'un travail qui n'est pas un travail, mais un repos ?

2. Ainsi voilà donc le travail dans la langue et le miel dessous. Qu'y a-t-il dessus? Des choses ineffables qu'il n'est pas donné à l'homme d'articuler (II Cor. XII, 4). Malheureux hommes qui, ne faisant attention qu'à ce qui sonne dans les langues, ne peuvent saisir ni ce qui est caché sous la langue, ni ce qui se trouve dessus. " Cette parole est dure (Joan. VI, 64), " disent-ils; oui, bien dure, et pourtant c'est une parole de vie. " Celui qui ne prend point sa croix et ne me suit pas, n'est pas digne de moi (Matt. X, 38). Si quelqu'un vient à moi et ne hait pas son Père et sa mère, et même encore son âme, il n'est pas digne de lui (Luc., XIV, 26). " Que se pouvait-il dire de plus dur? Ne vous y trompez pas ; il vous semble que c'est un caillou, c'est du pain ; cette parole est dure en apparence, elle est pleine de douceur au dedans. Le Seigneur votre Dieu vous éprouve : l'exercice de la foi et la preuve de l'amour est dans cette peine simulée Mais, après tout, supposons que ce soit une pierre, n'avez-vous pas au moins la foi des démons ? " Si vous êtes le Fils de Dieu, dites que ces pierres deviennent des pains (Matt. IV, 3). ", Nous savons tous qui parlait ainsi. Il ne doutait pas celui-là que d'un seul mot, (or, il n'est rien de plus facile que ce qu'on fait d'un mot), celui qu'il croyait être le Fils de Dieu, pouvait faire nie pain d'une pierre. Il est permis d'aller à l'école, même d'un ennemi. Disons aussi au Fils de Dieu : dites que ces pierres deviennent des pains; car celui qui était venu pour le salut non des démons, mais des hommes, réfuta ses ennemis de manière à instruire ses enfants. Il ne dit pas le mot que le tentateur voulait entendre de sa bouche, mais celui qu'il nous importait d'entendre, un mot qui fit de lui qui est notre pierre, notre pain, non point le pain du tentateur. " L'homme, repartit-il, ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu (Ibid. 4). "

3. Mais que murmures-tu en entendant ces paroles, ô ennemi de la vérité ? Tu en conviens toi-même et tu ne peux le nier, le Fils de Dieu, peut dire que ces pierres deviennent des pains. Eh bien donc, quand il parle de la parole de Dieu et dit sans restriction qu'on ne vit que de ses paroles et que toute la vie de mon âme se trouve en de telles paroles, que viens-tu murmurer à mon oreille à propos d'une de ses paroles : " Ce langage est bien dur ? " Est-ce que toi qui n'es point le Fils de Dieu, tu prétendrais que les paroles que le Fils de Dieu a dites, et qui sont devenues un aliment de vie, ne sont que des pierres ? Ce n'est pas moi qui croirai, comme tu as eu la téméraire audace de le croire toi-même, que tu sois égal à Dieu et qu'un mot de toi fasse que du pain redevienne une pierre. Puisque tu n'es pas le Fils de Dieu, c'est en vain que tu diras que ces pains deviennent des pierres. Ce n'est pas moins en vain que tu nous offres ta pierre pour du pain, un scorpion pour un neuf, un serpent pour un poisson. Et malheur à ceux qui appellent une pierre du pain et du pain une pierre, prenant ainsi la lumière pour les ténèbres et les ténèbres pour la lumière (Isa., V, 20) ; qui réputent le joug du Christ dur, et croient qu'il y a des délices cachées sous les ronces. Je ne voudrais point de ces délices, j'aime bien mieux goûter et voir combien le seigneur est doux (Psal. XXXIII, 8). C'est ce qu'avait eu soin d'éprouver par lui-même non en vain celui qui nous donne ce conseil. Il nous dit enfin: " Que vos paroles me sont douces à la bouche (Psal. CXVIII, 103) ! " et ailleurs : " combien est grande, Seigneur, l'abondance de votre douceur que vous avez cachée pour ceux qui vous craignent (Psal. XXX, 23) ! " Mais où pensez-vous qu'il la cache ? sous sa langue, sous la tête de celle qui dit : " Sa main gauche est sous ma tête et sa main droite me tiendra embrassée (Cant. II, 6). " Car si la douceur et une douceur abondante, oui grande, très-grande même se trouve dans la promesse de la vie présente, la perfection de cette douceur n'est que dans la promesse de la vie future. Le Psalmiste a dit " vous l'avez rendue pleine et entière pour ceux qui espèrent en vous, à la vue des enfants des hommes (Psal. XXX, 20). " Qu'a-t-il ainsi rendu parfait ? Cette parole n'est point dans la langue, mais sur la langue. Aussi si l'oreille n'entend point ce que Dieu a préparé à ceux qui l'aiment, c'est parce que la bouche ne l'a point articulé. Or cette perfection n'est pas dans le secret, c'est en présence des enfants des hommes. C'est donc avec justesse que l'Apôtre ne la montre pas encore comme atteinte, et ne la répute telle que pour ceux qui ont l'espérance, comme il le dit en ces termes: " Nous ne sommes encore sauvés que par l'espérance (Rom. VIII, 24). "
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

QUATRE-VINGT-DIX-HUITIÈME SERMON. Des Fils de la paix en qui Dieu habite.

" Il a choisi la paix pour sa place (Psal. XXXV, 3). " Il y a une paix feinte, telle est celle de Judas. Il y en a une qui est contre l'ordre, comme celle d'Adam et d'Ève. Ni l'une ni l'autre n'est le lieu où le Seigneur habite. Il n'y a que la paix chrétienne, celle que le Seigneur laisse et donne à ses disciples qui soit le lieu du Seigneur. Elle est offerte au monde entier par les saints prédicateurs, mais il y en a qui la repoussent comme il s'en trouve qui la reçoivent. Pour nous, secouant la poussière de nos pieds sur ceux qui n'aiment point la paix, nous nous réfugions auprès de celui qui l'aime. Or, les uns reçoivent la paix, les autres la retiennent et d'autres encore la font. On peut les désigner chacun par un nom différent, et appeler les uns, lés pacifiés, les autres les patients et les troisièmes les pacifiques, chacun recevant le nom qui convient à l'état de paix où il se trouve. Les pacifiés possèdent parla paix la terre de leurs corps, parce qu'ils sont doux (Matt. V, 4). Les patients possèdent leur âme, c'est à eux que s'adressent ces paroles : " Vous posséderez vos âmes dans votre patience (Luc. XXI, 19.) " Quant aux pacifiques, non-seulement ils possèdent leur âme, mais ils possèdent aussi celle des autres en qui ils font régner la paix. Aussi est-ce à juste titre qu'on les appelle enfants de Dieu. Ainsi on appelle pacifiés ceux qui reçoivent la paix, c'est d'eux qu'il est écrit : " S'il se trouve là un enfant de la paix, votre paix se reposera sur lui (Luc. X, 6). " Mais comme ils sont faibles et agités par les scandales, ils perdent vite la paix qu'ils ont reçue. Les patients sont ceux qui retiennent la paix qu'ils ont reçue et ne la perdent sous le coup d'aucune injustice. C'est à ceux-là comme étant plus justes qu'il est dit : " Aimez la paix et la sainteté sans laquelle on ne voit point Dieu (Hebr. XII,14). " Les pacifiques sont ceux qui font régner la paix non-seulement en eux, mais dans les autres et qui, de plus, aiment même ceux qui veulent les priver de la paix, selon ce qui est écrit : " J'étais pacifique avec ceux mêmes qui haïssent la paix (Psal. CXIX, 6). " Voilà ceux que Dieu aime comme ses enfants, ce sont comme les pierres vivantes dont la Sagesse construit un temple, et pour qu'ils ne puissent se détacher de cet édifice, quelque effort qui soit tenté pour cela, avec l'aide de Dieu qui en a fait son habitation, ils se sont taillés carrément à l'instar des pierres, de quatre manières différentes, par dessus, par dessous, à droite et à gauche. Pardessus en soumettant avec autant de sagesse que d'humilité leur volonté à celle de Dieu; par dessous en conduisant la chair selon les règles de la tempérance; à droite en embrassant avec justice les bons, et à gauche en souffrant les méchants avec force et courage.
 
 
 
 
 
 
 
 

QUATRE-VINGT-DIX-NEUVIÈME SERMON (a). Il y a quatre sortes d'hommes qui vont au ciel.

Il y a quatre sortes d'hommes qui vont au ciel. Les uns le prennent de force et les autres l'achètent, ceux-ci le volent et ceux-là y sont menés de force. Ceux qui le prennent ce sont ceux qui ont tout quitté et qui se sont mis à la suite de Jésus-Christ. C'est d'eux qu'il est dit : " Bienheureux les pauvres d'esprit, parce que le royaume des cieux est à eux (Matt. V, 3). " Ceux qui viennent au second rang, ce sont ceux qui moissonnent dans la chair, tandis qu'on a semé pour eux dans l'esprit, c'est à eux que le Seigneur s'adresse dans l'Evangile quand il dit : " Faites-vous des amis avec l'argent de l'iniquité, afin que lorsque vous viendrez à manquer, ils vous reçoivent dans les tabernacles éternels (Luc. XVI, 9). " On les appelle marchands, parce qu'ils donnent, dans les biens temporels qu'ils possèdent, afin d'en recevoir dans la vie future, des biens éternels qu'ils ne peuvent mériter que par eux. Il faut, en effet, que ceux qui doivent être examinés au jugement dernier soient des amis du juge ou qu'ils aient des amis qui intercèdent pour eux. Ainsi la première place dans la béatitude appartient à ceux qui intercèdent, et la seconde à ceux pour qui ils intercèdent. Il y en a qui font, sans qu'on les voie, des bonnes oeuvres qui leur méritent le ciel; toutefois, on dit qu'ils volent le ciel, parce que, fuyant la gloire qui vient des hommes, ils se contentent du témoignage de Dieu. Ils sont représentés dans l'Évangile par la femme qui était malade d'une perte de sang et qui pensait en elle-même et se disait : "Si je touche la frange de son vêtement, je serai sauvée (Luc. VIII, 43). " En parlant ainsi, elle s'approchait de Jésus sans qu'on la remarquât, le touchait et était guérie. Ceux qui sont menés de force au ciel, ce sont, par exemple, les pauvres qui sont pauvres malgré eux, ceux que Dieu purifie ici-bas, dans la grâce, par le jeu de la pauvreté pour n'avoir point à les punir un jour dans les flammes du jugement. C'est d'eux qu'il est écrit " Contraignez-les d'entrer, afin que ma maison soit remplie (Luc. XIV, 23). " Il y en a beaucoup qui sont forcés, et ils le sont de diverses manières et sous le coup de diverses afflictions. Par une admirable providence de Dieu en souffrant sinon de bon gré, du moins avec patience des peines temporelles, ils méritent la vie éternelle.

a V. Les Fleurs de saint Bernard, livre IX, chapitre XVI.
 
 
 
 
 
 

CENTIÈME SERMON. Différence entre le peuple et un prélat.

Il doit y avoir la même distance entre un évêque et son peuple, qu'entre un pasteur et son troupeau. L'un se tient haut et debout, l'autre courbe la tête et se penche vers la terre. C'est comme dit un poète : " Tandis que les autres êtres animés sont penchés et ne regardent que la terre, l'homme a reçu du ciel un front levé (Ovid. metamorph. I)." L'un régit et l'autre est régi; l'un paît et l'autre en fait paître; en sorte qu'on peut distinguer l'un de l'autre à la forme et à la manière d'être. L'un tient à la main une verge pour frapper, ou plutôt pour conduire et ramener la brebis. Mais, que signifie la verge que le pasteur tient à la main, sinon qu'il faut une discipline dans l'action, et qu'un supérieur doit instruire ses inférieurs moins de la voix que de l'exemple. Des disciples rougiraient, en effet, d'être orgueilleux si leurs maîtres leur donnaient l'exemple de l'humilité. Aussi est-il écrit du Seigneur : " Tout ce que Jésus a enseigné il a commencé par le faire (Act. I, 4)." Il tient aussi un bâton, mais c'est pour frapper le loup; ainsi, sa verge est pour la brebis et le bâton pour le loup. Ce qui veut dire qu'il faut reprendre avec plus de douceur les doux et les obéissants, et plus durement ceux qui ont le coeur dur et qui sont méchants, et même, s'il en est besoin, on doit les frapper d'anathème. Le pasteur tient un chien en laisse, c'est-à-dire, il retient son zèle dans les bornes de la discrétion, pour n'être point du nombre de ceux dont il est écrit: " Ils ont du zèle pour Dieu, mais c'est un zèle qui n'est pas selon la science (Rom. X, 2). "Enfin, tout bon pasteur a du pain dans sac besace, c'est-à-dire, il a la parole de Dieu dans la mémoire.
 
 
 
 
 
 

CENT-UNIÈME SERMON. Il y a quatre manières d'aimer.

Il y a deux amours, le charnel et le spirituel, d'où il suit qu'il y a quatre manières d'aimer. En effet; si on peut aimer la chair d'un amour charnel et l'esprit d'un pareil amour, on peut également aimer la chair et aimer l'esprit d'un amour spirituel. Or, il y a dans ces quatre sortes d'amour une succession, un progrès des choses inférieures aux supérieures. En effet, pour que les hommes qui ne savaient aimer que la chair, et ne l'aimer que d'un amour charnel, s'avançassent au point d'aimer Dieu même d'un amour spirituel, Dieu s'est fait chair, et soit en parlant, soit en vivant avec les hommes, il a commencé par se faire aimer d'eux d'un amour charnel. Mais lorsqu'il voulut donner sa vie pour ses amis, ils aimaient déjà son esprit, mais ce n'était encore que d'un amour charnel. Aussi, Pierre lui répondit-il, quand il leur parlait de sa passion : " Ah ! Seigneur, à Dieu ne plaise, cela ne vous arrivera point (Matt. XVI, 22). " Mais lorsque ses disciples surent que sa passion était le mystère de la rédemption, ils se mirent à aimer sa chair dans sa passion d'un amour spirituel. Quand il ressuscite et monte au ciel, ils aiment son esprit d'un amour spirituel, et, la joie dans l'âme, il s'écrient : " Si nous avons connu Jésus-Christ selon la chair, nous ne le connaissons pas maintenant de cette sorte (II Cor. V, 16)." Il en est de même de nous, nous aimons notre chair d'un amour charnel quand nous aimons et satisfaisons ses désirs. Nous aimons notre esprit charnellement aussi, quand nous le brisons dans la prière, avec larmes, soupirs et gémissements. Nous aimons notre chair d'un amour spirituel, quand après l'avoir soumise à l'esprit, nous l'exerçons spirituellement dans le bien et veillons avec discernement à sa conservation. Nous aimons notre esprit spirituellement, lorsque nous faisons passer par un mouvement de charité nos goûts spirituels même après l'intérêt du prochain.
 
 
 
 

CENT-DEUXIÈME SERMON. Manière de revenir à Dieu.

1. Pour revenir à Dieu, il y a une manière tout opposée à celle dont le premier homme est tombé. En effet, placé dans le paradis terrestre, Adam commença par perdre Dieu de vue. Saint Augustin nous atteste, en effet, que ce n'est pas le tentateur qui aurait pu chasser Adam du paradis, si d'abord son âme n'avait commencé par s'élever (August. l. XIV, de civit. Dei, c. 13); car il est écrit avec bien de la vérité : " L'esprit s'élève avant la chute (Prov. XVI, 18). " Ensuite il perdit la justice quand il obéit plutôt à la voix de son épouse qu'à celle de Dieu. En effet, la justice est une vertu qui rend à chacun ce qui lui appartient. En troisième lieu il perdit le jugement, quand, étant repris après sa faute, il semble la faire retomber indirectement sur son auteur en la rejetant sur sa femme; car il dit : " La femme que vous m'avez donnée pour compagne m'a présenté de ce fruit, et j'en ai mangé (Gen. III, 12). "Il faut donc que l'homme, maintenant en exil, revienne à Dieu par les mêmes degrés qui ont conduit le premier homme à la porte du paradis terrestre. En premier lieu donc, il faut faire le jugement; en second lieu, exercer la justice; et enfin pratiquer la circonspection. Or, le jugement pour nous, c'est de nous juger, et de nous accuser nous-mêmes; la' justice est pour le prochain, et la circonspection se rapporte à Dieu.

2. Le Prophète Michée nous fait connaître cette voie pour retourner à Dieu quand il nous dit : " ô homme, je vous dirai ce qui vous est utile, et ce que le Seigneur demande de vous. C'est que vous agissiez selon la justice, que vous aimiez la miséricorde, et que vous marchiez en la présence du Seigneur avec une vigilance pleine d'une crainte respectueuse (Mich. VI, 8). " C'est la voie que nous enseigne aussi le Christ, s'il faut en croire saint Paul quand il nous dit: "La grâce de Dieu notre Sauveur a paru à tous les hommes, et elle nous a appris que, renonçant à l’impiété et aux passions mondaines, nous devons vivre dans le siècle présent avec tempérance, avec justice et avec piété (Tit. II, 11). " Et d'abord " avec tempérance " cela se rapporte à nous, " avec justice, " c'est pour le prochain, " et avec piété, " voilà pour Dieu. Et même il nous parle du regard vers Dieu quand il nous dit : " Étant toujours dans l'attente de la béatitude que nous espérons et de l'avènement glorieux du grand Dieu et Sauveur Jésus-Christ (Ibid. 13). " Dans plusieurs autres endroits des saintes Écritures, on peut encore trouver, si on le cherche, cette ordre de voie et cette institution de vie ; tel est celui-ci par exemple : " Heureux l'homme qui demeure appliqué à la sagesse, qui s'exerce à pratiquer la justice, et qui pense en lui-même à l'oeil de Dieu qui voit toutes choses (Eccli. XIV, 22). " C'est que, en effet, celui qui se juge lui-même maintenant pour échapper au jugement éternel de Dieu, est fixé dans la sagesse et véritablement sage. L'Apôtre dit, en effet: " Si nous nous jugeons nous-mêmes nous ne serons pas jugés (I Cor. XI, 31). " Il est sage non pas de la sagesse de ce monde, mais de la sagesse du monde invisible et qui fait par une admirable opération de Dieu, que les élus et ceux qui, en ce monde, sont broyés sous les coups et comme écrasés, soient plus tard placés, sans que le. marteau retentisse, dans le palais du vrai Salomon.
 
 
 
 
 
 

CENT-TROISIÈME SERMON. Il y a quatre degrés qui marquent les progrès des élus.

1. Les progrès que font les élus comptent quatre degrés. Et d'abord chacun devient ami de sa propre âme; en second lieu, ami de la justice; en troisième lieu de la sagesse et enfin devient sage. Au premier degré de ses progrès, l'homme évite tout ce qui pourrait blesser son âme, et aime tout ce qui peut lui être doux. Il a donc horreur de l'enfer et soupire après le ciel; voilà comment il peut accomplir ce commandement de Dieu qu'il a reçu dans sa première conversion : " Tu aimeras le prochain comme toi-même (Matt. XXII, 36). " Car tant qu'il vit selon la chair, il ne peut l'accomplir; cela ne lui devient facile que quand il est conduit par l'esprit de Dieu. En effet, quel avantage l'homme a-t-il si son prochain brûle en enfer ? Et que perd-il s'il est avec lui dans le paradis? car l'héritage du ciel n'est pas tel qu'il puisse être diminué par le nombre de ceux qui le possèdent. Il aime donc son prochain qu'il ne veut point voir souffrir pas plus qu'il ne voudrait souffrir lui-même, et qu'il veut voir entrer dans la possession du ciel comme lui. Mais quand est-ce que l'homme pourrait en arriver là par son propre esprit, c'est-à-dire par l'esprit de l'homme, en venir à. redouter l'enfer et à soupirer après le ciel ? Mais il le peut par la vertu de l'esprit de celui à qui il a été dit : " Si je monte au ciel, vous y êtes, etc. (Psal. CXXXVIII, 7). " Car l'esprit de sagesse, présent partout, connaît ce qui se fait au ciel et ce qui se passe dans l'enfer. Aussi quand il remplit l'esprit de l'homme et y répand l'amour des choses du ciel, de même qu'il y fait naître la crainte des peines de l'enfer, il fait que l'homme s'aime lui-même, et il lui dit : " Ayez pitié de votre âme en vous rendant agréable à Dieu (Eccli. XXX, 24). " Il faut donc commencer par s'aimer soi-même, puis aimer le prochain ; car il n'a pas été dit : tu t'aimeras comme tu aimes ton prochain, mais "tu aimeras le prochain comme toi-même. " C'est de cette manière que l'homme devient ami de son âme par le Saint- Esprit qu'il a reçu avec la foi.

2. Après avoir reçu ce don, il ne doit pas s'en contenter, mais s'avancer vers des dons plus grands encore et faire des progrès en mieux. Il vit déjà par le Saint-Esprit. Or, " si nous vivons par l'Esprit, dit l'Apôtre, conduisons-nous aussi par le même Esprit (Gal., V, 25), " et ailleurs: "Pour nous, débarrassés des voiles qui nous couvrent le visage, et contemplant la gloire du Seigneur, nous sommes transformés en la même image, et nous avançons de clarté en clarté par l'illumination de l'Esprit du Seigneur (II Cor., III, 18). " C'est ce que semble avoir senti le Psalmiste au sujet des saints, quand il dit : " Le législateur donnera sa bénédiction aux saints, et ils s'avanceront de vertu en vertu, et enfin ils verront le Dieu des dieux dans la céleste Sion (Psal. LXXXIII, 7). " Qu'il avance donc aussi, celui dont nous parlons, qu'il marche et continue jusqu'à ce qu'il arrive au quatrième degré. Là, n'en doutons point, devenu sage, il verra le Dieu des dieux dans la céleste Sion. Or, de ce que j'ai dit, il suit que celui qui aime bien son âme doit aussi aimer la justice, car s'il aime l'iniquité, on ne peut pas dire qu'il aime son âme, il la hait (Psal., X, 6).

3. En aimant la justice, l'homme passe au second degré, et il entend ce précepte de la Sagesse : " Aimez la justice, vous qui jugez la terre (Sap. I, 1). " Or, s'il aime la justice parfaitement, il doit pour elle supporter patiemment toute sorte de peines et tous les mépris dont il peut être couvert. En effet, la justice lui donnera surtout deux choses: l'une de faire ce qu'il doit, l'autre de souffrir ce qu'il doit. En d'autres termes, de souffrir le mal qu'il a mérité, s'il n'a pas fait le bien qu'il devait. Voilà comment il arrive d'une manière qui surprend que, sans abandonner la justice nous sommes abandonnés par elle, puisque toute prévarication est punie par elle. Il n'y a personne qui puisse se dérober aux atteintes de la chaleur. Or, non-seulement un homme juste n'a point cette peine en horreur, mais même il la reçoit volontiers, parce qu'il croit avec la foi que c'est par elle que les fautes de sa vie passée sont purifiées. Delà vient en effet qu'il est écrit : " Le juste ne s'attristera point de quelque chose qui lui arrive (Prov., XII, 21). " Aussi, aux différentes voluptés qui l'ont fait tomber, il oppose les remèdes contraires qui le relèvent; par exemple, s'il est tombé par désobéissance, il revient à la vie par le travail et l'obéissance; s'il est tombé dans la débauche et la dissolution, il se remet de ses chutes par le goût de la continence et par la rigueur de la discipline. Il tire son châtiment des éléments mêmes du monde dont il n'avait fait usage que pour incliner à la volupté. Lorsque ces tourments ont duré longtemps, qu'il est éprouvé comme l'or dans la fournaise, tant que le trouvera bon celui qui nous nourrit du pain des larmes et nous donne à boire l'eau de nos pleurs avec abondance (Psal. LXXIX, 6), alors enfin il commence à se consoler, et il entend Isaïe lui dire : " Consolez-vous, consolez-vous, mon peuple, dit le Seigneur. Parlez au coeur de Jérusalem et assurez-lui que ses maux, c'est-à-dire son affliction, sont finis, que ses iniquités lui sont pardonnées, et qu'elle a reçu de la main du Seigneur une double grâce, pour l'expiation de tous ses péchés (Isaï. XL, 1 et 2). " Une fois qu'il a reçu de la consolation, il est inquiet et cherche comment il pourra plaire à celui à qui il s'est donné (II Tim. II, 4), et dans tout le bien qu'il fait il ne se propose qu'une seule chose : plaire à son Créateur.

4. Puis, il passe au troisième degré d'avancement, c'est-à-dire il devient amide la sagesse qui lui parle avec une affection toute maternelle, et lui dit : "Mon fils, donnez-moi votre coeur (Prov., XXIII, 26). " Une fois arrivé à ce degré, il ne lui reste pas autre chose à faire qu'à passer au quatrième où on dit que se tient le sage. C'est ce qui a lieu quand il agit, non plus seulement pour plaire à Dieu, ce qui est le propre du troisième degré, mais parce que Dieu lui plaît, ou que ce qu'il fait plaît à Dieu. Quiconque en est arrivé là, peut chanter en toute confiance et sécurité ce cantique du sage : " En tout j'ai cherché le repos, etc. (Eccl. XXIV,11). " En effet, c'est avoir trouvé le repos en tout quand Dieu plait à celui qui n'a point appris à plier la volonté de Dieu à la sienne, mais la sienne à celle de Dieu. " Il s'arrêtera dans l'héritage du Seigneur, " ainsi que la promesse qui en est faite de la bouche même du Seigneur, quand il dit : " Je te donnerai la terre où tu dors (Gen. XXVIII, 13), " c'est-à-dire ce repos où tu es arrivé par ton travail et tes peines, je le rendrai pour toi stable et perpétuel. S'il ajoute : " et à ta race, " on peut le comprendre en ce sens que non-seulement cette tranquillité est assurée en cette vie et en l'autre à ton esprit, ô homme, mais encore la glorification de ta chair, à ta race, c'est-à-dire à tes oeuvres.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

CENT-QUATRIÈME SERMON. Quatre obstacles à la confession.

1. Il y a quatre choses qui font obstacle à la confession, ce sont, la honte, la crainte, l'espérance et le désespoir. En effet, les uns sont retenus par la honte et ne sont empêchés de confesser les fautes qu'ils ont faites que par la confusion qu'ils en ressentent. C'est de cette honte que Salomon disait : " Il y a une honte qui amène le péché (Eccli. IV, 25). " Le même disait au contraire, en parlant de ceux qui confessent leurs péchés, " et il y a une honte qui amène la gloire (Ibidem), " deux choses que le Psalmiste nous recommande en ces termes : " Vous avez revêtu la confession et la gloire (Psal. CIII, 2), " et encore " la confession et la gloire sont son oeuvre (Psal. CX, 3). " D'autres sont arrêtés par la crainte : ils appréhendent, en effet, s'ils se confessent, qu'on ne leur impose une lourde pénitence; c'est à eux que s'adressent ces paroles de Job : " Ceux qui craignent la gelée sont accablés par la neige (Job VI, 16). " Il y en a beaucoup qui désirent encore quelque chose en ce monde et pensent qu'ils n'obtiendront point ce qu'ils désirent s'ils se montrent tels qu'ils sont aux hommes. Ce qui arrête la confession de ces derniers, c'est l'espérance, je veux dire l'ardent désir devoir leurs voeux accomplis. C'est eux que le Seigneur menace dans l'Évangile, en disant : " Malheur aux femmes qui seront grosses ou nourrices (Matt. XXIV, 19). " Enfin il y en a aussi qui ne craignent rien de tout cela, et qui n'ont d'autre crainte que de ne pouvoir s'abstenir de pécher après s'être confessés : ce qui les arrête c'est donc le désespoir. On peut leur appliquer avec raison ces paroles : "Une fois au fond de l'abîme, le pécheur n'a plus que du mépris (Prov. XVIII, 3). " II arrive même quelquefois que ces quatre obstacles à la fois, empêchent la confession ; mais l'homme qui succombe sous le faix de ces quatre maux, est bien dûment étendu au fond de son sépulcre; déjà même, comme le mort de quatre jours de l'Évangile, il répand une mauvaise odeur. Il est écrit en effet : "La confession n'est plus pour les morts, parce qu'ils sont comme s'ils n'étaient plus (Eccl. XVII, 26). " Mais si celui qui ne confesse plus ses péchés est mort, il s'en suit que celui qui les confesse revit. Que Jésus vienne donc, et qu'il s'écrie : " Sortez dehors (Joan. XI, 44), " et à sa voix le mort ressuscitera sans retard. Que notre mort entende donc cette exhortation, et qu'il ne diffère point de se confesser.

2. Disons donc à celui que la honte arrête : pourquoi rougissez-vous de confesser votre péché quand vous n'avez pas rougi de le commettre ? Et d'où vient que vous avez honte de confesser à Dieu votre faute, quand vous ne pouvez vous soustraire à ses regards ? Si vous n'osez confesser votre faute à un homme, à un pécheur, que ferez-vous au jour du jugement où votre conscience sera mise à découvert devant tous les hommes. Il faut donc opposer trois choses à la honte, la considération de la raison, le respect de Dieu qui. nous voit, et la comparaison d'une honte plus grande. De même il y a trois remèdes à opposer à la crainte, il faut songer en effet, combien longue est la peine de l’enfer; combien elle est grave, combien inutile, tandis que, au contraire, la pénitence de la vie présente est courte, légère et profitable. Contre l'espérance il y a aussi trois remèdes, les biens du siècle futur, qui sont plus grands, plus sûrs et plus durables que ceux de la vie présente, car au prix d'eux tout ce qu'on peut souhaiter en ce monde, est peu de chose, incertain et pour ainsi dire, momentané. De même au désespoir de vaincre le péché, il y a trois remèdes : le premier est l'énergie du bon propos qu'on puise dans la confession. Le second est la grâce de Dieu qu'on mérite par son humilité, et le troisième est le secours qu'on trouve dans la compassion de celui à qui on se confesse.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

CENT-CINQUIEME SERMON. Conditions requises pour la justification et le salut.

1. Il y a deux choses en quoi consiste notre salut, ce sont la justification et la glorification, l'une en est le commencement, et l'autre, la consommation. Dans l'une est le travail et dans l'autre le fruit du travail. Quant à la justification, elle est le fruit de la foi, la glorification le sera de la vue en face. Mais en attendant il est impossible à l'esprit humain de se faire une idée de la grandeur de la glorification des saints dans la vie future. C'est d'elle, en effet, qu'il est écrit : " ni l’oeil n'a vu, ni l'oreille n'a entendu, etc. (Isa. LXIV, 4). " Nous n'en parlerons donc point ici, puisqu'elle dépasse nos forces; quant à la justification qui est de cette vie, j'en dirai ce qui me semble nécessaire, pour l'édification de nos frères; car c'est la voie par laquelle on passe à la glorification, selon ce mot de l'Apôtre : " Ceux qu'il a prédestinés il les a aussi appelés, et ceux qu'il a appelés, il les a justifiés; et ceux qu'il a justifiés, il les a aussi glorifiés (Rom. VIII, 30). " Ou ne saurait donc arriver à la glorification si on ne commence par la justification, puisque l'une fait le mérite et l'autre la récompense. C'est ce que le Seigneur nous a enseigné dans son Évangile, lorsque en prêchant le royaume de Dieu à ses disciples, il commença parleur parler de la justice en ces termes: " Si votre justice n'est pas plus abondante que celle des scribes et des pharisiens, vous n'entrerez point dans le royaume des cieux (Matt. V, 20). "

2. Or, il faut noter que, de même que le Seigneur se manifestera à ses élus dans le royaume de la félicité, pour les glorifier, ainsi il se montre à eux dans le lieu de leur passage pour les justifier, en sorte que ceux qui doivent un jour être glorifiés en le voyant en face, commencent à être justifiés par lui au moyen de la foi. Or, il y a trois choses dont doit s'abstenir quiconque désire être justifié : c'est d'abord des oeuvres mauvaises, en second lieu des désirs de la chair, et, en troisième lieu, des soins du siècle. De même il y a trois choses à quoi ils doivent s'appliquer, elles sont enfermées dans le sermon du Seigneur sur la montagne (Matt. V, 1), ce sont l'aumône, le jeûne et la prière. Ainsi la justification s'accomplit donc de cette manière, en s'abstenant des vices qui sont défendus, et en faisant fidèlement le bien qui est prescrit. Il faut donc opposer aux œuvres mauvaises, les oeuvres de miséricorde, aux désirs charnels, les jeûnes, et aux soucis du siècle présent, l'amour de Dieu et la prière fréquente.
 
 
 
 

CENT-SIXIÈME SERMON. Trois choses nécessaires pour faire pénitence.

1. L'âme a trois états; elle est unie au corps, séparée du corps, ou réunie au corps. Dans le premier état elle doit faire pénitence, et dans les deux autres elle a en partage le repos ou le châtiment, suivant qu'elle a fait le bien ou le mal dans son corps (II Cor. V, 10). En effet, pour faire pénitence il faut trois choses, le temps, un corps, et le lieu. La nécessité du temps ressort de ces mots de l'Apôtre : " Voici maintenant le temps favorable, voici le jour du salut (II Cor. VI, 2). " Quant au corps, voici ce que le même Apôtre en dit : " Nous devons tous comparaître devant le tribunal de Jésus-Christ, afin que chacun de nous reçoive ce qui est dû aux bonnes ou aux mauvaises actions qu'il aura faites pendant qu'il était revêtu de son corps (II Cor. V, 10). Et voici ce que l'Écriture nous dit au sujet du lieu : " Si l'esprit de celui qui a la puissance s'élève sur vous, ne quittez point votre place (Eccl. X, 4). " Or, le temps se divise en trois parties, le passé, le présent et le futur. Quiconque fait pénitence comme il faut ne perd aucune de ces parties. En effet, il répare le passé qu'il avait perdu, quand il repasse ses années écoulées dans l'amertume de son âme; pour le présent, il s'en assure la possession par les bonnes oeuvres, et quant à l'avenir il le tient par la constance de son bon propos. Voici comment l'Apôtre parle du passé : " Rachetant le temps parce que les jours sont mauvais (Ephes. V, 16). " Quant aux oeuvres du présent il nous y engage en ces termes : "Pendant que nous en, avons le temps faisons du bien à tous, mais surtout aux domestiques de la foi (Galat. VI, 10). " C'est le Seigneur lui-même qui nous parle de l'avenir; voici comment il le fait " Quiconque persévérera jusqu'à la fin sera sauvé (Matt. X, 22). "

2. Le corps aussi nous est nécessaire pour faire pénitence. C'est, en effet, dans le corps que nous pouvons souffrir des maux et faire du bien: souffrir les uns pour les fautes que nous avons commises, et faire du bien pour acquérir les récompenses éternelles. Aussi comment une âme sortie de son corps sera-t-elle en état de faire de dignes fruits de pénitence ? Mais il faut noter que la pénitence que nous faisons dans le corps est courte et légère: elle est courte, attendu que la mort du corps y met fin, et légère parce que, unie au corps, l'âme la supporte plus facilement. Au contraire elle serait lourde si l'âme était seule pour la supporter; plus elle en laisse au corps, plus le poids qu'elle en garde pour elle est allégé. Enfin le lieu semble également utile et nécessaire pour faire pénitence, or, ce lieu c'est l'Église du temps présent. Quiconque néglige d'y faire pénitence comme il faut, pendant qu'il vit dans son corps, ne peut obtenir aucun remède de salut dans l'autre monde.
 
 
 
 
 
 

CENT-SEPTIÈME SERMON. Sentiments qu'il faut avoir dans la prière.

1. Il doit en être du pécheur par rapport à son Créateur, comme du malade par rapport à son médecin, et tout pécheur doit prier Dieu comme un malade prie son médecin. Mais la prière du pécheur rencontre deux obstacles, l'excès ou l'absence de lumière. Celui qui ne voit ni ne confesse point ses péchés est privé de toute lumière; au contraire celui qui les voit, mais si grands qu'il désespère du pardon, est offusqué par un excès de lumière : ni l'un ni l'autre ne prient. Que faire donc ? Il faut tempérer la lumière, afin que le pécheur voie ses péchés, les confesse, et prie pour eux afin d'en obtenir la rémission. Il faut donc d'abord qu'il prie avec un sentiment de confusion, c'est ce qui a lieu quand le pécheur n'ose point encore s'approcher lui-même de Dieu et cherche quelque homme saint, quelque saint pauvre d'esprit qui soit comme la frange du manteau du Seigneur, et par qui il puisse s'approcher de lui. Nous avons un exemple de cette sorte de prière, dans cette femme de l'Évangile qui souffrait d'un flux de sang: dans son désir d'être guérie, elle s'approche et se disait en elle-même : " Si je touche la frange de son vêtement, je serai sauvée (Matt. IX, 23). " La seconde sorte de prière est celle qui se fait avec une affection pure; c'est ce qui a lieu quand le pécheur s'approche lui-même enfin, et confesse ses péchés de sa propre bouche. La pécheresse qui lavait de ses larmes les pieds du Seigneur, et les essuyait des cheveux de sa tête, et dont le Sauveur a dit " beaucoup de péchés lui sont remis parce que elle a beaucoup aimé (Luc. VII, 47), " nous a laissé un exemple de cette prière. La troisième se fait avec une ample effusion de sentiments; c'est quand celui qui avait commencé par prier pour lui-même, prie enfin pour les autres. Voilà comment les apôtres ont prié pour la Chananéenne qui priait elle-même pour sa fille. " Seigneur, disaient-ils, accordez-lui ce qu'elle demande, afin qu'elle s'en aille, car elle crie après nous (Matt. XV, 23). " La quatrième sorte de prière est celle qui part d'un coeur pur sans hésitation, avec action de grâces, et dans un sentiment plein de dévotion. Telle fut la prière que fit le Seigneur quand il ressuscita Lazare depuis quatre jours au tombeau : il dit en effet : " Je vous rends grâce mon Père de ce que vous m'avez écouté (Joan. XI, 41). " Telles sont aussi les prières que l'Apôtre veut que nous fassions fréquemment quand il dit: "Priez sans cesse, et rendez grâce en toute chose (I Thess. V, 17). " C'est de ces quatre sortes de prières, je veux dire de la prière humble, et de la pure, de la prière ample et de la dévote qu'il nous parle quand il nous excite en ces termes à prier : " Je vous conjure, avant tout, de faire des supplications, des prières, des demandes et des actions de grâces (I Tim. II, 1). " En effet, les supplications se font dans un sentiment d'humilité, les prières dans un sentiment de pureté, les demandes se font dans un sentiment d'effusion, et les actions de grâces dans un sentiment de dévotion.

2. Je vous ai parlé des différents genres d'affections et de prières, il faut que je vous parle aussi de la pureté de la prière. Et d'abord, il me semble qu'il y a trois choses nécessaires pour donner à la prière une direction ferme. En effet, celui qui prie doit considérer ce qu'il demande dans la prière, quel est celui qu'il prie et quel il est, lui qui prie. Or, dans l'objet de sa prière il a deux choses à observer, en premier lieu, de ne demander rien qui ne soit selon Dieu, et en second lieu, désirer avec la plus grande ardeur de sentiment ce qu'il demande. Prenons un exemple: demander la mort d'un ennemi, le mal ou la ruine du prochain, ce n'est point faire une prière qui soit selon Dieu, puisque lui-même vous fait cette recommandation: "Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent, bénissez ceux qui vous maudissent et priez pour ceux qui vous calomnient (Luc. VI, 27). " Mais si nous demandons la rémission de nos péchés, la grâce du Saint-Esprit, la vertu et la sagesse, la foi et la vérité, la justice et l'humilité, la patience, la douceur et tous les autres dons spirituels, si, dis-je, c'est là ce que nous avons en pensée et l'objet de nos plus ardents désirs, notre prière est bien selon Dieu, et mérite pardessus tout d'être exaucée. Voilà certainement la prière dont Dieu parle quand il dit par la bouche d'Isaïe : " Avant qu'ils crient je les exaucerai; et lorsqu'ils parleront encore j'exaucerai leurs prières (Isa. LXV, 24). " Il y a d'autres choses encore qui, lorsqu'elles nous font défaut, nous sont accordées de Dieu et peuvent être ou n'être point selon Dieu, d'après la fin à laquelle nous les rapportons. Telle est la santé du corps, l'argent, et l'abondance des autres choses semblables. Toutes ces choses-là viennent bien de Dieu, néanmoins, il n'en faut pas faire trop de cas ni les posséder avec trop d'attachement. De même, il y a deux choses aussi à considérer dans celui que nous prions, sa bonté et sa majesté : sa bonté par laquelle il veut gratuitement, et sa majesté par laquelle il peut sans peine donner ce qu'on lui demande. Quant à celui qui prie, il a aussi deux choses à considérer par rapport à lui, c'est qu'il ne mérite point d'être exaucé par lui-même, et qu'il n'a d'espoir d'obtenir ce qu'il demande que de la miséricorde de Dieu. C'est enfin avoir un coeur pur que d'avoir présentes à l'esprit les trois choses dont je viens de parler et de la manière que je l'ai dit. Mais celui qui prie avec cette pureté et cette intention du coeur est sûr d'être exaucé, car, selon ce que dit saint Pierre : " Dieu ne fait acception de personne, mais en toute nation, celui qui le craint et dont les oeuvres sont justes, lui est agréable (Act. X, 34). "
 
 
 
 
 
 
 
 

CENT-HUITIÈME SERMON. Des saignées spirituelles.

Il y a deux causes pour tirer du sang à l'homme; ou bien il en a trop, ou bien il l'a mauvais. Une abondance excessive de sang n'est pas moins dangereuse que son altération. Or, le sang de notre âme c'est notre volonté, car, de toutes les humeurs du corps, le sang est par excellence le soutien de notre nature, la vie de notre âme est dans notre volonté. Il faut donc nous tirer aussi de la volonté quand elle est mauvaise, parce qu'elle est une cause de maladie spirituelle. Oui, qu'on la diminue du moins puisqu'on ne peut la tirer tout-à-fait et nous en saigner à blanc. Il faut en ouvrir, en couper la veine avec le fer de la componction, afin de livrer passage au consentement du péché, si on ne peut en laisser couler toute espèce de sentiment. Est-ce que vous pensez qu'il ne peut point y avoir dans l'âme une abondance inutile de sang même bon ? Écoutez comment un sage médecin nous apprend qu'il faut nous tirer du sang de la justice. " Ne soyez pas trop juste (Eccl. VII, 17), " nous dit-il. Ce qui se rapporte parfaitement à ces paroles de l'Apôtre: "Ne pas être plus sage qu'il ne faut, mais être sage avec sobriété (Rom. XII, 3). " Qui doit-on éviter de saigner, si la justice et la sagesse ont besoin d'être saignées elles-mêmes ? Est-il un sang plus utile ? Et pourtant, rappelez-vous bien que d'être juste à l'excès, ce n'est point être juste, et qu'on ne saurait appeler sagesse, une sagesse ivre de sagesse, si je puis parler ainsi. Ainsi évidemment en est-il du sang du corps, s'il devient trop abondant, ce n'est plus un aliment pour lui, mais un détriment. Si donc vous trouvez encore du charme à pécher, vous avez le sang gâté, il faut vous hâter d'opérer une saignée. Si vous voulez faire pénitence, il faut châtier votre corps, affliger vos membres et vous juger vous-même, pour ne point tomber entre les mains du Dieu vivant : cela est juste, j'en conviens; mais il ne faut pas aller trop loin, ou sinon, vous devez réprimer cette ardeur immodérée, de peur qu'elle ne nuise à l'union et ne serve l’indiscrétion.
 
 
 
 
 
 

CENT-NEUVIÈME SERMON.

Il faut éviter le vain éclat des vertus. Prenons garde, mes frères, que, trompés par le vain éclat des vases, nous n'ayons à nous plaindre, mais trop tard, que nos lampes s'éteignent. Pour moi, je pense que celles qui paraissent s'éteindre alors, n'ont jamais été allumées. En effet, il est dit : " Le royaume des cieux est semblable à dix vierges qui prennent leurs lampes (Matth. XXV, 1) : " qui prennent, dit le Seigneur, non point qui allument. D'ailleurs, comment les auraient-elles allumées, puisqu'elles n'avaient point pris d'huile avec elles? Et comment le feu aurait-il brûlé, là où manquait la matière qui lui sert d'aliment? Mais la chasteté même seule brille : il est vrai, aussi plus elle est une lampe brillante même sans feu, plus est belle la génération chaste avec la charité. C'est de la même manière, que même dans les vierges folles, on voit le renoncement à toutes les autres voluptés, la patience dans les adversités, l'honnêteté dans la conduite, et la circonspection dans les paroles, la charité que fait l'aumône et toutes les bonnes oeuvres semblables, plaire par une sorte de grâce naturelle et briller comme d'un éclat inné; mais parce que ces vertus brillaient plutôt de l'éclat du verre que de celui du feu, il s'ensuivit par là même, qu'elles pensèrent que leurs lampes étaient éteintes, parce qu'elles s'aperçurent que ce vain éclat était éclipsé par la lumière éternelle.
 
 
 
 
 
 

CENT-DIXIÈME SERMON. Paroles de l’homme à soi-même ou plutôt à son âme.

Quelle est notre misère et de combien de sortes est notre indigence! Nous avons besoin même de parler, mais si c'est doublement misérable, ce n'est pourtant point étonnant que nous ayons besoin de nous parler les uns aux autres, mais ce l'est bien plus que nous ayons besoin de nous parler à nous-mêmes. " Nul ne connaît ce qui est dans l'homme, si ce n'est l'esprit de l'homme qui est en lui (I Cor. II, 11). " Il s'est creusé un grand abîme entre nous, il faut que la parole intervienne comme un instrument pour qu'il y ait passage d'un coeur à l'autre, pour la communication de nos pensées. Voilà le besoin qui a fait inventer la parole. Qui l'ignore? Mais de plus, c'est à nous-mêmes que nous éprouvons le besoin de parler, en effet, le Prophète s'écrie : " O mon âme, est-ce que tu ne seras pas soumise à Dieu, car c'est de lui que vient mon salut (Psal. LXI, 1)? " Quel homme n'éprouve souvent le besoin de rappeler son âme, d'appeler sa raison, de rassembler ses sentiments? Quel homme n'éprouve fréquemment le besoin de s'adresser à lui-même la parole, de se presser de menaces, de se donner des avis, de s'accuser soi-même? Que dis-je, il doit même recourir à des raisonnements pour se persuader lui-même. Telle est, en effet, cette réflexion du Prophète : " car c'est de lui que vient mon salut; " quelquefois aussi il se console, comme lorsqu'il dit : " pour quoi es-tu triste, ô mon âme, et pourquoi me troubles-tu Psal. XLI, 6)? " D'autres fois il semble s'exciter et il se dit : " Loue Dieu, ô mon âme (Psal. CXLV, 1)." Enfin, il ne lui arrive pas une fois, mais plusieurs fois, de s'avertir lui-même des choses qu'il a à faire, comme lorsqu'il dit " O mon âme, bénis le Seigneur, et garde-toi bien d'oublier tout ce que tu tiens de lui (Psal. CII, 2). " C'est que, en effet, mon coeur m'a abandonné, et je me trouve dans la nécessité de me parler à moi-même, ou plutôt à un autre moi-même, et cela d'autant plus longuement, que je suis encore moins rentré dans mon coeur, moins retourné en moi même, enfin moins uni à moi. Car il n'y aura plus de nécessité de nous parler même les uns aux autres quand nous concourrons tous à ne plus faire qu'un seul homme parfait. Les langues cesseront bien à propos, on n'aura plus besoin d'interprète de l'un à l'autre, quand notre unique Médiateur aura si bien rempli toute charité entre ceux, que nous serons plus qu'un nous-mêmes, avec ceux qui sont vraiment et à jamais qu'un, je veux dire avec Dieu le Père, et Jésus-Christ même, Notre-Seigneur.
 
 
 
 
 
 

CENT-ONZIÈME SERMON. Il faut prouver sa foi par sa vie et par ses moeurs, ou les six témoignages à rendre à Dieu.

1. On ne doute point, pour peu qu'on ait seulement le nom de chrétien, que l'éternelle félicité de la céleste patrie, et les tourments de l'enfer réservés aux impies, surpassent non-seulement les sens du corps de l'homme, mais encore la portée même de l'intelligence du coeur. Plût au ciel que cette foi subsistât dans tous les hommes, et produisit des conséquences dignes d'une telle croyance, d'un côté, allumât nos désirs et de l'autre excitât nos craintes? En effet, qu'est-ce, qui nous empêche de braver les épées tirées contre nous, ou môme de passer parles flammes s'il le fallait, pour échapper à un tel malheur, et pour nous élancer vers une si grande gloire, si ce n'est que notre foi est insensible et morte? Ajoutez à cela, pour mettre le comble à notre malheur, aux obstacles de notre salut et aux occasions de nous perdre, que, dans l'estime que nous faisons de cette double fin qui nous attend, notre coeur n'est pas d'accord avec le jugement, et que même dans l'examen des deux voies qui se présentent à nous, nous ne tenons pas assez compte du jugement de la vérité même. Il ne faut pas nous étonner si nos désirs ne sont excités par aucun goût de vertus, la pensée de l'éternelle félicité elle-même, les laisse engourdis, ni qu'on ne craigne point l'amertume présente du péché, puisque même les supplices éternels préparés au diable et à ses anges, ne nous inspirent aucune appréhension. Cela ne s'explique que parce que, dans les choses qui nous touchent de près, bien qu'elles soient moindres que d'autres, nous désirons avec plus d'ardeur les agréables, et redoutons de même les fâcheuses.

2. Mais ce dont je ne puis assez m'étonner, c'est que notre foi chancelle au sujet du présent quand elle semble si certaine sur l'avenir. C'est ainsi, ô insensés enfants d'Adam que, ne jugeant et ne discernant point ce qui est, lorsque vous avez les promesses de la vie présente et de la vie future (I Tim. IV, 8), vous vous montrez incrédules et infidèles dans la vie même qu'il vous est donné de vivre, en sorte qu'il semble évident que la foi des promesses à venir, ne nous a été laissée que pour mettre le comble à votre damnation. On peut en dire autant des menaces que des promesses. En effet, est-ce que le Dieu qui nous assure qu'il y a un royaume préparé pour les élus, et un feu pour les réprouvés, n'est pas le même qui nous atteste avec autant de vérité et de la même bouche, que ceux qui ne s'approchent point de lui sont dans le travail et la peine et sont chargés, tandis que ceux qui viennent à lui ne sauraient défaillir, comme pourrait le craindre la faiblesse humaine, mais seront fortifiés par lui? Celui qui nous promet un royaume à jamais délectable est le même qui nous assure que son joug est doux et son fardeau léger. Celui qui nous promet une béatitude éternelle dans la patrie, nous promet aussi dans la vie présente du repos et des forces. Enfin le Prophète nous dit: " L'oreille n'a point ouï, l'œi1 n'a point vu, et le coeur de l'homme n'a jamais conçu ce que Dieu a préparé pour ceux qui l'aiment (Isa. LXIV, 4 et I Cor. II, 9) : " Et nous le croyons bien volontiers tous. Quant au maître même des prophètes, voici comment il s'exprime : " Venez à moi vous tous qui travaillez et qui êtes chargés, et je vous soulagerai prenez mon joug sur vous, et vous trouverez le repos pour vos âmes, car mon joug est doux et mon fardeau léger (Matt. XI, 28). " Or, combien n'y en a-t-il pas qui détournent l'oreille de leur coeur? Car pour celle du corps peut-être n'oseraient-ils point le faire. Qu'est-ce que cette incrédulité-là? Ou plutôt quelle folie n'est-ce point? Comme si la Sagesse pouvait se tromper, ou la vérité induire en erreur? Comme si la charité ne voulait point donner ce qu'elle offre, ou la Toute-Puissance ne pouvait tenir à ses promesses.

3. Quel homme est assez adonné au plaisir de la table et des sens pour ne point embrasser la sobriété et la chasteté, s'il était certain qu'elles lui donneront de plus grandes jouissances? Qui est assez ambitieux pour ne point se montrer content de l'état le plus humble, et de la pauvreté la plus extrême, s'il savait que la charité qui ne cherche point ses propres avantages est plus aimable, comme elle l'est en effet, que toutes les dignités de ce monde? Où est l'avare qui ne ferait fi de tous les trésors, s'il était convaincu que la pauvreté est plus agréable ? C'est donc en vain maintenant que Jésus-Christ nous assure de toutes les façons que son fardeau est léger, puisque ceux-là même qui portent le nom de Chrétiens réputent le fardeau du diable, et le joug de la chair et du siècle beaucoup plus délicieux. Mais d'où vient, Seigneur mon Dieu, que vous êtes, en effet, aussi inconsidéré qu'ils le font croire? Pourquoi promettre si haut ce qu'il est si facile de prouver que vous n'accordez point? Vous assurez que votre esprit est plus doux que le miel en ses rayons, et voilà là des hommes qui trouvent plus douce la chair du gibier, que dis-je, ô honte, le corps d'une prostituée, la vanité du siècle. Malheur à eux! Les infortunés ne jugent les choses que d'un côté, et ils ont du dégoût pour votre manne cachée qu'ils n'ont point goûtée ! Ah, ceux qui en ont fait la double expérience, savent bien que Dieu est véridique (Rom. III, 4), tandis que tout homme est menteur; aussi devrait-on regarder leur témoignage comme extrêmement digne de foi, mais, ô mon Dieu, on se rit et on tient aussi peu compte de vos promesses que de l'expérience des vôtres, car les hommes charnels ne perçoivent point les choses qui sont de Dieu; elles leur paraissent de la folie (I Cor. II, 14). Il ne faut pas s'étonner que l'homme ne croie pas à l'expérience d'un autre homme quand il ne croit pas même à la promesse de son Dieu. Voilà donc comment nous sommes traités d'insensés, nous autres qui prêchons la douceur de la croix du Seigneur, parlons avec éloge des délices de la pauvreté, exaltons la gloire de l'humilité, et n'ayons à la bouche que les louanges des délices de la chasteté. Eh bien! qu'on traite d'insensé avec nous le Prophète qui nous assure qu'il a trouvé des délices dans la loi du Seigneur, comme ion en trouve dans tous les trésors du monde (Psal. CXVIII, 14).

4. Mais vous qui êtes sages à vos propres yeux, préférez à la loi de Dieu, je ne dis point tous les trésors du monde, mais les quelques richesses que vous pouvez mendier où vous voudrez, mais jamais votre foi n'aura un témoignage. C'est en vous qu'il se trouvera, dans le secret, dans un recoin (Matt. VI, 4), là où le Père céleste lui-même ne saurait vous voir, mais où il peut vous dire "je ne vous connais point (Matt. XXV, 12). " Vous croyez fermement que Dieu est juste, véridique, rémunérateur, tout-puissant, souverainement bon et éternel. Soyez donc des aspics sourds et se bouchant les oreilles pour ne point entendre ses reproches quand il vous dira : " Montrez-moi votre foi sans les oeuvres (Jacob. II, 18). " Que vous en coûte-t-il de croire ? Mais gardez-vous bien d'entrer dans la voie des commandements, car elle est ardue, roide et impraticable. Ah ! hommes malheureux, infortunés ! vous n'avez point trouvé la voie qui conduit à la cité où vous pussiez habiter (Psal. CVI, 4), aussi vous êtes-vous égarés dans des lieux où il n'y a ni chemin ni sentier. Les termes de la voie qui vous semble bonne, et que vous trouvez charmante, mais qui n'a, en effet, rien qui ressemble à de vrais charmes, c'est un précipice qui va jusqu'au fond de l'enfer; c'est là qu'il y aura des pleurs et des grincements de dents. Sortez de votre sommeil, ô vous qui êtes ivres, et pleurez si vous ne voulez point que ces larmes ne vous prennent à l'improviste. Car quand vous direz, paix et sécurité, alors la mort fondra tout à coup sur vous, comme les douleurs de l'enfantement saisissent la femme grosse, et vous ne pourrez y échapper ( I Thess. V, 3) : Ce sera avec justice assurément, puisque vous vous plaisez aujourd'hui à perdre le temps pendant lequel vous devriez voir, et vous vous détournez de la seule voie ouverte à la fuite.

5. Le Seigneur a dit : " Priez Dieu que votre fuite n'arrive ni en hiver, ni le jour du sabbat (Matt. XXIV, 40). " Fuyez pendant que le temps est favorable, et qu'une voie pleine de charmes se présente à vous. Fuyez pendant les six jours qu'il est permis de travailler. Fuyez dans les six témoignages dont nous avons parlé plus haut, je veux dire dans les témoignages de la justice, de la vérité, de la rémunération, de la toute-puissance, de la souveraine bonté et de l'éternité, si vous ne voulez point, je ne dis pas donner, mais souffrir le dernier, je veux dire le septième témoignage, celui du zèle. Race de vipères, qui vous a avertis de fuir la colère à venir (Luc. III, 7)? La voie où vous courez est une voie de mort, une voie de perdition, une voie dont le terme est un précipice au fond même de l'enfer. Pourtant il vous reste toujours une espérance, car vous n'êtes pas enture arrivé au terme de votre voie, je veux dire de votre vie. Hâtez-vous de le prévenir, ce terme, de peur que surpris vous-mêmes vous ne demeuriez là où vous seriez tombés. Venez, mes enfants, écoutez-moi, je vous enseignerai la voie du salut, la voie du témoignage de Dieu dans laquelle vous puissiez goûter des délices pareilles à celles qu'on trouve dans des trésors.

6. Que notre première étape nous conduise jusqu'à votre coeur, car c'est là, pécheurs, que la voix de Dieu nous appelle, là, que le témoignage de sa justice engendre la crainte et là componction. De là, passons à la confession des lèvres et n'hésitons point à rendre témoignage à la Vérité même contre nous, car elle rougira devant son Père de quiconque aura rougi d'elle devant les hommes (Luc. IX, 26). Faisons marcher ensuite le détachement de nos biens et la distribution de nos richesses selon ce qui est écrit : " Il a répandu des biens avec libéralité sur les pauvres, sa justice demeure dans tous les siècles (Psal. CXI, 6), " et ailleurs : " Si vous voulez être parfaits, allez, vendez ce que vous avez, donnez-le aux pauvres, et vous aurez un trésor dans le ciel (Matt. XIX, 21). " Dans ce libéral partage de vos biens se trouve le témoignage des largesses divines et de ses dons abondants, car celui qui donne ses dons de son plein gré, montre évidemment qu'il en attend de plus considérables de la main du Seigneur. Mais il y a un quatrième témoignage à rendre à Dieu, c'est celui de la toute puissance; il se trouve dans la mortification du corps. Sans doute il faut semer un corps animal, mais c'est pour qu'il ressuscite spirituel (I Cor. XV, 44). Celui donc qui épargne sa chair ne vous semble-t-il point douter de sa résurrection et de son changement? De même celui qui n'est pas contrit de coeur doute de la justice; celui qui ne confesse point de bouche ses péchés, doute de la vérité, et celui qui est avare .doute des récompenses futures, et ainsi de suite pour les autres attributs. Et si vous allez jusqu'au point de renoncer à votre propre volonté, vous rendez un témoignage indubitable à la bonté de Dieu, car, en en venant là, vous attestez hautement que vous ne voulez point faire votre volonté, mais celle de Dieu que vous placez avant la vôtre, vous criez sinon de la bouche et de la langue, du moins de fait, et en vérité, que personne n'est bon, si ce n'est Dieu (Luc. XVIII, 19).

7. Il vous reste après cela à persévérer, car la persévérance est le reste de la route à faire, c'est le témoignage de l'éternité. En effet, la persévérance dans notre genre de vie est une image de l'éternité de Dieu, puisque nous reproduisons dans cette vie ce qu'il est en lui-même en imitent, dans la faible mesure de notre pouvoir, son incommutabilité. Voilà ce qui faisait dire au sage : " L'insensé est changeant comme la lune, et le sage stable comme le soleil (Eccl. XXVII, 12). " Telle est la voie, mes très-chers frères, parcourez-la, car c'est en montant de vertu en vertu que vous verrez le Dieu des dieux dans Sion (Psal. LXXXIII, 8) Puisse à cette glorieuse vision nous conduire le Seigneur. des vertus et le Roi- de gloire, Jésus-Christ Notre-Seigneur, qui est la voie, la vérité et la vie.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

CENT-DOUZIÈME SERMON. O mon âme, rentre dans ton repos (Psal. CIV, 7).

L'âme travaille et se repose dans sa conscience, car il y a une conscience bonne, mais qui n'est point tranquille ; il y en a une tranquille sans être bonne; il s'en trouve une troisième sorte qui n'est ni bonne ni tranquille et une quatrième qui est bonne et tranquille. La conscience tranquille sans être bonne est la conscience de ceux qui pèchent dans l'espérance et se disent intérieurement que Dieu ne se met pas en peine de nous; c'est la conscience des jeunes gens surtout. Celle qui est bonne sans être tranquille, c'est la conscience de ceux qui, étant enfin revenus à Dieu, repassent leurs années dans l'amertume de leur âme. La conscience ni bonne ni tranquille est celle des hommes qui désespèrent de leur salut en songeant à la multitude de leurs péchés. Enfin celle qui est bonne et tranquille est celle qui a assujetti la chair à l’esprit et qui se montre pacifique au milieu de ceux qui baissent la paix. Celle-là est le lit de l'âme. C'est là, en effet, qu'elle goûte le repos, mais un repos encore imparfait, car pour qu'il fût parfait, il faudrait que sa conscience fût non-seulement bonne et tranquille, mais encore en pleine sécurité. Aussi le Psalmiste continue-t-il en ces termes: " Car il a délivré mon âme de la mort, mes yeux des larmes et mes pieds de toute chute (Psal. CXIV, 8) : " De la mort, en nous donnant une bonne conscience; des larmes, en nous la donnant tranquille et bonne; de la chute, en nous la donnant pleine de sécurité.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

CENT-TREIZIÈME SERMON.

" Purifiez-moi, Seigneur de mes fautes cachées, et préservez votre serviteur des fautes des autres (Psal. XVIII, 13). " Il y a trois choses cachées: les actions illicites, les intentions mensongères, et les affections impudiques. Les actions mauvaises souillent la mémoire, les intentions mensongères souillent la raison ou l'esprit, et les affections impudiques souillent la volonté. La mémoire se purifie par la confession, l'esprit par la lecture et les affections ou la volonté par l'oraison. Vous serez pur des fautes d'autrui, si vous n'insultez point le pécheur, si vous ne vous éloignez point de lui, si vous ne consentez point à son péché, si vous ne fermez point les yeux sur sa faute. Il est de la justice de n'y point consentir, et même de vous y opposer avec énergie; la force demande que vous ne vous éloigniez point et que vous supportiez au contraire avec patience les fautes du prochain; la tempérance, que vous ne l'insultiez point, et même que vous compatissiez à son malheur pour le diriger; la prudence que vous ne fermiez pas les yeux sur ses fautes et que vous fassiez en sorte de faire cesser le mal.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

CENT-QUATORZIÈME SERMON.

La paix du corps résulte de l'ordre et de la mesure de toutes ses parties. La paix de l'âme irraisonnable vient du repos bien ordonné de ses appétits. La paix de l'âme raisonnable naît de l'accord de la pensée et de l'action. La paix du corps et de Pâme provient d'une vie bien ordonnée et du salut de l'être animant. La paix de l'homme et de Dieu est dans l'obéissance bien ordonnée par la foi, sous la loi éternelle. La paix des hommes est toute dans une concorde bien ordonnée. La paix d'une maison, dans la concorde bien ordonnée de ses habitants ; dans le commandement et dans l'obéissance, il en est de même de la paix de la cité. La paix de la cité céleste est l'accord bien ordonné et bien unanime de jouir de Dieu et de vivre en lui. La paix de toutes choses est la tranquillité de l'ordre, et l'ordre consiste dans la disposition qui donne aux choses semblables et aux dissemblables la place qui leur appartient.
 
 
 
 
 
 
 
 

CENT-QUINZIÈME SERMON.

" Que l'homme monte au haut de son coeur, et Dieu sera exalté (Psal. LXIII, 7). " Il y a un cœur élevé, un cœur humble et un coeur qui tient le milieu entre les deux premiers. Le Prophète dit : " Pécheurs, revenez à votre coeur (Isa. XLVI, 8). " Le premier pas que fait un pécheur, est celui de l'esclave, c'est de tendre à un coeur humble auquel il est traîné par le jugement. Le second: est celui d'un mercenaire, il le conduit au coeur qui tient le milieu, il y est appelé par le conseil. Le troisième est celui d'un fils, et c'est vers un cœur élevé qu'il tend, il est attiré par le désir. C'est alors que Dieu est exalté, c'est-à-dire est au dessus du coeur, attendu que, pouvant être saisi par la raison, il est désiré par l'affection et par l'amour. Or remarquez bien que ces pas en avant ou ces ascensions se font dans le coeur, ce qui fait dire au Prophète : " Il a disposé des ascensions dans son cœur dans cette vallée de larmes (Psal. LXXXIII, 6). " Mais il arrive quelque fois que l'homme intérieur excède la raison et se trouve ravi au dessus de lui-même, c'est ce qui s'appelle un ravissement d'esprit. Nous disons donc qu'il y a quatre degrés dans l'ascension. Le premier conduit au coeur, le second est dans le coeur, le troisième part du coeur, et le quatrième est au dessus du coeur. Au premier, on craint le Seigneur, au second, on en tend le conseiller, au troisième; on désire l'époux, et au quatrième, on voit Dieu.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

CENT-SEIZIÈME SERMON.

" Si donc vous êtes ressuscités avec Jésus-Christ, recherchez ce qui est dans le ciel (Coloss. III, 1). " Il y a deux morts et deux résurrections. La première mort est celle de l'âme et la seconde, celle du corps. La mort de l'âme est la séparation de Dieu, celle du corps est la séparation de l'âme. La première est l'oeuvre du péché, et la seconde en est la peine. De même, la première résurrection est l'oeuvre de l'avènement humble et caché du Christ, la seconde, celle du corps, le sera de son avènement glorieux et public. L'âme invisible a été créée à l'image de Dieu, c'est ce qui fait dire à l'Écriture : " Dieu a fait l'homme à son image et à sa ressemblance (Gen. I, 26). " Il l'a fait droit; aussi l'extérieur de l'homme, je veux dire son corps, se montre-t-il droit dans sa forme, ayant la vie et le sens, afin que par cet homme extérieur et visible, nous comprenions l'homme intérieur et invisible , celui qui a été créé droit dans sa volonté, vivant dans sa connaissance sensible, dans lion amour. Et, de même que le corps, c'est-à-dire, l'homme extérieur, recouvrera le sens et la. vie à la résurrection, ainsi dans la résurrection, Pâme, j'entends l'homme intérieur, recouvre la vie et le sens aussi, c'est-à-dire la connaissance et l'amour. Que la connaissance soit l'amour, la Vérité même nous l'atteste quand elle dit : " Telle est la vie éternelle, c'est de vous connaître , vous qui êtes le Dieu vivant, et de connaître celui que vous avez envoyé, Jésus-Christ (Joan. XVII, 3). " Et que l'amour soit le sens, voici d'où je le conclus. De même que l'homme intérieur ne se discerne pas dans sa vie, parce qu'il vit également dans tout ce qui est lui; dans le sens, ail contraire, il se manifeste en cinq endroits bien connus, dans la vue, dans le goût, dans Fouie, dans l’odorat et dans le toucher, car il sent d'une manière dans l'oeil, et d'une autre manière dans la bouche; et ainsi des autres sens. Ainsi en est-il de l'homme intérieur. S'il ne se discerne point dans la connaissance, il se discerne dans l'amour, et de même que l'homme extérieur se manifeste par cinq sens , ainsi l'homme intérieur est affecté par cinq attributs invisibles de Dieu, par sa vérité, sa justice, sa sagesse, sa charité et son éternité. En effet, il est affecté d'une manière par sa justice qu'il aime à cause de sa douceur, et d'une autre manière par sa vérité qu'il aime à cause de sa liberté ; il est affecté d'une façon par la charité qu'il aime à cause de sa vertu, et d'une autre façon par son éternité, qu'il aime à cause de sa sécurité.
 
 
 
 
 
 

CENT-DIX-SEPTIÈME SERMON.

L'âme fidèle a son paradis, mais son paradis spirituel non terrestre, un paradis par conséquent plus délicieux et plus secret que celui-ci. Dans ce paradis-là, l'âme trouve des délices comparables à celles qu'on goûte dans les trésors. Il en sort quatre sources qui sont la vérité, la charité, la vertu et la sagesse, c'est à ces sources que l'âme fatiguée, va puiser une eau salutaire. Or, l'âme de l'homme est sujette à quatre sortes de maladies, de vices, ce sont la crainte, la concupiscence, sa propre iniquité et l'ignorance. En effet, vaincue par la crainte, elle est portée au mal, attirée par la concupiscence, elle glisse vers le vice, et poussée par sa propre iniquité, elle se met volontairement à sa remorque, séduite enfin par l'ignorance, elle tombe dans le vice. C'est aux âmes que ces maux travaillent et qui en gémissent, que le Prophète adresse ces paroles consolantes : " Vous puiserez avec joie de l'eau aux fontaines du Sauveur (Isa. XII, 3). "La pusillanimité qui provient du vice de la crainte, est guérie par l'eau de secours qui s'écoule de la source de force; la concupiscence des voluptés temporelles a pour remède l'eau des désirs puisée à la source de la charité; contre la malice de notre propre iniquité, il y a l'eau des jugements qui coule de la fontaine de,la vérité; et contre les erreurs de l'ignorance, l'eau des conseils qui jaillit de la source de la sagesse. Mais de plus, c'est avec joie que se puise cette eau, en sorte que l'âme, qui, jusqu'alors, gémissait sous le poids de ses vices, se réjouit à présent de l'acquisition des vertus, car elle obtient dans l'eau des conseils, la prudence, dans celle du secours, la force, dans l'eau des désirs, la tempérance, et dans celle des jugements, la justice. Aussi dans l'adversité, la force chasse la pusillanimité ; dans la prospérité, la tempérance réfrène la luxure, dans l'action, la justice exclut l'iniquité, et dans le doute, la prudence, mais l'ignorance en garde. Rafraîchie par ces eaux, et ornée de ces vertus, l'âme peut s'étendre et comprendre, avec tous les saints, quelle est la longueur et la largeur, la hauteur et la profondeur (Ephes. III, 18). Ces quatre points de Dieu, peuvent être embrassés à deux bras, qui sont le véritable amour et la véritable crainte; celle-ci embrasse sa hauteur et sa profondeur, celui-là sa charité et sa vérité. En effet, on craint Dieu parce qu'il peut tout par sa puissance, et on le craint sincèrement, parce que rien n'échappe à sa sagesse. On l'aime parce qu'il est la charité même, et on l'aime véritablement parce qu'il est la vérité, je veux dire l'éternité.
 
 
 
 

CENT-DIX-HUITIÈME SERMON.

" Demeurez dans les voies du Seigneur et interrogez ses sentiers (Jerem. VI, 10). " C'est demeurer dans les voies du Seigneur, que de. garder toutes les observances corporelles du bon propos qu'on a formé. Mais comme les pratiques corporelles ne servent pas à grand'chose, selon ce que dit saint Paul, le Prophète ajoute : " et interrogez ses' sentiers éternels, " c'est-à-dire, désirez mener la vie des saints pères et vous trouverez la voie, marchez-y. C'est avoir trouvé la voie, que de. rentrer dans son coeur, et c'est y marcher que de disposer des degrés dans son coeur (Psal. LXXXIII, 6). Or le premier degré, en montant, c'est la contrition de cette voie, le second, la confession, le troisième, l'affection, le quatrième, l'abandon des biens de la terre, le cinquième, le renoncement à notre propre volonté, le sixième, l'humble sujétion de notre volonté, le septième, la persévérance.
 
 
 
 
 
 
 
 

CENT-DIX-NEUVIÈME SERMON.

Il y a trois choses à considérer dans le mystère de l'incarnation: la forme de l'humilité, .la preuve de l'amour, le mystère de la rédemption. La forme de l'humilité nous est donnée par les vagissements de l'enfant, par l'endroit où il se trouve, la crèche où il repose et les langes dont il est enveloppé. La preuve de l'amour se trouve dans sa mort charitable; car " personne ne peut avoir un amour plus grand, que celui qui donne sa vie pour ses amis (Joan. XV, 13), " Le mystère de la rédemption nous découvre la triple puissance de la divinité, qui a fait d'abord quelque chose de rien, qui a renouvelé ce quelque chose devenu vieux, et qui a rendu perpétuel ce qui n'était que temporaire.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

CENT-VINGTIÈME SERMON.

Les ministres de Jésus-Christ ont trois ministères; un ministère de servitude, un de charité et un autre de dignité. Le ministère de servitude, c'est la mortification de la chair; celui de charité, c'est la dévotion de l'esprit; celui de dignité, c'est la consécration du corps de Jésus-Christ. Le premier s'accomplit dans l'affliction, le second dans la joie, et le troisième dans l'humilité. Le premier est un sacrifice de crainte, le second, d'amour, et le troisième, de louange.
 
 
 
 
 
 

CENT-VINGT ET UNIÈME SERMON.

Nous sommes à l'école du Christ, où nous apprenons deux choses, l'une de lui notre seul et véritable maître, l'autre de ses ministres. Ses ministres nous enseignent la crainte, et lui, l'amour. Voilà pourquoi quand le vin manque, il ordonne à des serviteurs d'emplir d'eau les urnes (Joan. II,7), et tous les jours encore, la charité se refroidissant, les serviteurs du Christ remplissent les urnes, je veux dire les âmes des hommes, d'eau, c'est-à-dire de crainte. C'est avec raison, que la crainte est représentée par l'eau, car si l'eau éteint le feu, la crainte éteint la luxure, et de même que l'une purifie le corps de ses souillures, ainsi la crainte purifie l'âme des siennes. Remplissons donc, nous aussi, de cette eau, nos âmes, car quand on craint, on ne néglige rien. Or on peut dire que l'âme en qui ne se remarque aucune négligence est véritablement pleine. Mais comme l'eau est pesante, c'est-à-dire comme la crainte ne va point sans quelque peine, il faut nous approcher de celui qui change l'eau en vin, c'est-à-dire qui change la crainte et son tourment en amour, si nous voulons entendre la leçon qu'il fait lui-même sur l'amour. En effet, il dit : " Voici mon commandement, c'est que vous vous aimiez les uns les autres (Joan. XV, 12). " C'est comme s'il disait : Je vous ordonne bien des choses par la bouche de mes ministres, mais voilà ce que je vous ordonne en particulier et de ma propre bouche. Et ailleurs il dit encore : " Voici en quoi on connaîtra que vous êtes mes disciples, c'est si vous vous aimez les uns les autres (Joan. XIII, 34)." Ainsi, pour nous montrer disciples de la vérité, il faut que nous nous aimions les uns les autres soyons même trois fois attentifs sur nous dans cet amour, car c'est Lieu même qui est amour (I Joan. IV, 8), " et nous lui devons tous nos soins pour qu'il naisse, qu'il grandisse, et qu'il se conserve. Or, il naît quand vous, rompez votre pain pour votre ennemi, et que vous lui donnez à boire, car, en agissant ainsi " vous amassez des charbons ardents sur sa tête (Rom. XII, 20). " Les charbons ardents ce sont les oeuvres de la charité; et elles sont amassées sur le diable qui est la tête de tous les méchants, pour le faire disparaître et leur faire une autre tête qui est Dieu, la charité même. Il grandit quand vous venez au secours de ceux qui sont dans le besoin, quand vous prêtez à celui qui vous demande à emprunter, quand vous ouvrez enfin votre coeur à votre ami. Il se conserve quand, dans vos paroles et dans vos actions, vous donnez à vos amis ce qu'ils désirent, bien que ce ne soit pas des choses qui semblent nécessaires. Il se conserve encore et même il grandit par un bon visage, par une douce parole, par un gai concours, quand un acte charitable, accompagné de bonne humeur, confirme la charité que le visage seul et les bonnes paroles indiquaient; car la preuve de l'amour est dans les oeuvres (S. Gregor. in Homil. Pascha).
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

CENT-VINGT-DEUXIÈME SERMON.

" Pour vous, lorsque vous jeûnez, parfumez-vous la tête et lavez-vous le visage (Matt. VI, 17)." Le Seigneur s'exprime ainsi à cause de deux vices qui corrompent ordinairement le jeûne, je veux dire la vaine gloire et l'impatience. En nous ordonnant de nous laver le visage, il veut que nous. ayons une intention pure, car, de môme que la beauté du corps réside dans la figure, ainsi, la beauté de tout ce que fait l'âme consiste dans l'intention. Par l'action de parfumer la tête qui a pour résultat d'adoucir ce qui était rude, il nous ordonne de conserver dans le jeûne la douceur de l'esprit. Notre intention sera pure si dans toutes nos actions nous nous proposons soit l'honneur de Dieu, soit l'utilité du prochain, soit enfin le bien de notre conscience.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

CENT-VINGT-TROISIÈME SERMON.

1. " Conduisez-vous selon l'esprit et vous n'accomplirez point les désirs de la chair (Galat. V, 16)." Il y a des hommes qui se conduisent. selon la chair et qui n'ont qu'un souci, savoir comment ils pourront éviter les ennuis de la chair. Ce sont ceux qui, tout en approuvant la vertu, veulent toutefois éviter absolument tous les ennuis de la chair, ne savent point résister à ses concupiscences mauvaises. C'est à eux que l'Apôtre dit : " conduisez-vous selon l'esprit, c'est-à-dire, cessez de vous préoccuper des moyens d'échapper aux ennuis de la chair. Dans cette vie, l'esprit a deux degrés, le supérieur et l'inférieur. Au degré inférieur, l'homme se conduit. selon son esprit, mais au degré supérieur, c'est selon l'esprit de Dieu qu'il se dirige. Il est au degré inférieur quand, rentré dans son coeur, il est plein d'inquiétude au sujet de ses affections, et se reproche tout ce qu'il sait contraire â la vertu. A ce degré, il offre à Dieu, par la componction , le sacrifice d'un esprit troublé et d'un coeur humilié. Mais en montant de ce degré au degré supérieur, il commence à songer aux bienfaits de Dieu, puis, se tournant du côté des actions de grâces, il offre à Dieu, par la dévotion, un sacrifice de louange. A l'un et à l'autre degré, il voit Jésus-Christ, mais au premier degré, il le voit crucifié et, au second, couronné de gloire et d'honneur. C'était au premier que se trouvait Isaïe quand il disait : " Et nous l'avons vu, et il n'avait plus ni aspect, ni beauté (Isa. LIII, 2). " Mais il était au second quand il s'est écrié : " J'ai vu le Seigneur assis sur un trône élevé (Isa. VII, 1). " Remarquez de plus que dans le premier cas, il dit : nous avons vu, " tandis que dans le second, il dit : " j'ai vu; " c'est que l'un est commun à beaucoup en môme temps, c'est. le fait des pécheurs; l'autre n'est propre qu'à un petit nombre, ce n'est le fait que du Prophète; aussi l'Apôtre dit-il "Nous ne connaissons le Christ qu'en partie, et même nous ne le connaissons que crucifié; nous ne prophétisons aussi qu'en partie, car nous ne le voyons point encore tel qu'il est (I Cor. XIII, 9). Mais nous savons que lorsqu'il aura apparu, nous serons semblables à lui, attendu que nous le verrons tel qu'il est (I Joan. III, 2). " Le Prophète vit donc, mais non point d'un oeil prophétique, le Seigneur assis sur un trône élevé, c'est-à-dire sur la nature angélique, et haut, c'est-à-dire, sur la nature humaine : car, c'est lui qui relèvera le pauvre de sa poussière et l'indigent de son fumier; pour le faire asseoir avec les princes et lui faire occuper un trône de gloire. " Et toute la terre était remplie de sa majesté (Isa. VII, 3). " Toute la terre, dit-il, cela veut dire tous les corps des élus qui seront pleins de sa majesté quand il transformera notre corps, tout vil et abject qu'il est, et le rendra conforme à son corps glorieux (Philipp. III, 21). " Et ce qui était au dessus de lui, remplissait le temple (Isa. VI, 1). " Quand les hypocrites et ceux qui, étant invités, refusent de venir, seront jetés dans les ténèbres extérieures, les humbles et ceux qui sont soumis à Dieu rempliront le temple, car il sauvera le peuple des humbles, et il humiliera les yeux des superbes (Psal. XVII, 28).

2. " Des séraphins se tenaient au dessus, l'un avait six ailes, et l'autre en avait également six (Isa. VI, 2). " Les séraphins, les ardents, représentent ceux qui servent Dieu dans la, ferveur, ceux que le Seigneur trouve vigilants, et qu'il établira sur tous ses biens. "L'un avait six ailes et l'autre en avait également six: "Parce que, non-seulement les prélats, mais aussi les inférieurs ont des ailes et sont des séraphins, s'ils sont fervents : "Avec deux de ces ailes ils se couvraient la tête, et avec deux autres ils se couvraient les pieds, et avec les deux qui restaient ils volaient (Ibid.). " Les âmes ferventes ont des ailes pour voler, ce sont la crainte et l'espérance, car les êtres qui volent tantôt montent et tantôt descendent. Or, par l'espérance on s'élève, attendu qu'on habite dans les cieux. Aussi, quelques-uns de ceux qui s'élèvent ainsi disent-ils: " Notre vie est dans le ciel (Philipp. III, 20)." Par la crainte on descend, car c'est en condescendant aux faibles qu'on les relève, en réfléchissant sur soi-même, et en craignant d'être tenté aussi (Galat. IV, 1.) " Avec deux de leurs ailes ils se couvraient les pieds. " Or, les pieds ce sont les affections, car c'est par elles qu'on se joint au prochain. Mais comme il est blessé de deux manières, d'abord par un excès de sévérité qui abat les faibles, et en second lieu par un excès de bonté qui consent à leurs vices, les séraphins les voilaient de deux de leurs ailes; c'est-à-dire de l'aile de la considération de notre propre fragilité contre un excès de sévérité, et de l'aile du zèle de la rectitude contre un excès de bonté. " De deux de leurs ailes ils voilaient leur tête. " La tête, c'est l'intention de la contemplation, ou l'intellect spirituel. Les séraphins la voilent de deux ailes à cause des ennemis à cause de la vaine gloire, et de l'orgueil caché; ils ont une aile contre la vaine gloire, c'est l'amour de la vérité, et une autre contre l'orgueil, c'est le goût de l'humilité.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

CENT-VINGT-QUATRIÈME SERMON.

1. La parole de Dieu (a) doit opérer deux effets, guérir les âmes vicieuses et exciter les bonnes. Or, j'appelle vicieuses non pas toutes celles en qui est un vice, mais celles qui consentent volontairement au mal et ne résistent point autant qu'elles le pourraient. C'est à ces âmes que s'adresse la Vérité même dans le saint Évangile, quand elle dit: " Mettez-vous promptement d'accord avec l'adversaire, pendant que vous êtes avec lui dans le chemin, etc (Matt. V, 25). " Jale ne dit point avec le vice, mais avec l'adversaire : Or, cet adversaire n'est autre que la parole de Dieu, qui est sans cesse en opposition avec le mal. C'est se mettre d'accord avec elle, que de dire avec le Prophète : " Et mon péché est toujours contre moi (Psal. L, 4). " J'appelle bonnes non point les âmes parfaites, mais les âmes qui commencent à le devenir; bien qu'elles aient encore du vice, cependant elles ne sont point d'accord avec lui, elles luttent contre lui. Ces âmes peuvent souvent faire des chutes par faiblesse ou par ignorance, selon ce qui est écrit : " Le juste tombe sept fois (Prov. XXIV, 16), " mais parce qu'ilsont de la bonne volonté, ils se relèvent par elle ; car c'est par la volonté que l'âme est bonne,

a Ce passage se trouve reproduit dans le livre VII des Fleurs de Saint Bernard, chapitre XIII. On lit encore quelques autres du même sermon au chapitre onze du même livre.

attendu que de tous lesbiens qui se trouvent naturellement dans l'âme, tels que une bonne intelligence une vaste mémoire, une raison éveillée et tous les autres biens de l'âme, il n'y a que la volonté qui rende l'âme bonne ou mauvaise selon qu'elle est bonne ou mauvaise elle-même. Mais comme, selon la remarque de Job, "l'homme ne demeure jamais dans le même état (Job. XIV, 2), " car il avance ou il recule; il faut avancer dans cette bonne volonté, attendu qu'elle est la voie même dont le Prophète a dit : " Voilà la voie, marchez-y (Isa. XXX, 11), " et dont le Psalmiste parlait quand il disait : " Heureux l'homme qui attend de vous, ô mon Dieu, le secours dont il a besoin, et qui dans cette vallée de larmes médite dans son coeur des moyens de s'élever (Psal. LXXXIII, 6), " dans son coeur dit-il, c'est-à-dire dans sa volonté.

2. Le premier degré de cette voie, c'est la droiture de la volonté; le second, c'est la force de volonté; le troisième est la dévotion de la volonté, et le quatrième sa plénitude. Au premier degré, l'âme, par la pensée, est d'accord avec la loi de Dieu; mais comme la chair se révolte, elle ne peut trouver la force de faire le bien qu'elle approuve; elle fait même bien souvent par faiblesse le mal qui lui répugne (Rom. VII, 16). Pourtant elle est droite, puisqu'elle est d'accord avec sou adversaire, et déteste en elle-même ce qu'il réprouve. Au second degré, l'âme, non-seulement ne fait plus le mal qui lui répugne, mais encore elle opère volontiers et avec force, sinon sans peine, le bien, qu'elle aime, et dit avec le Prophète : " C'est à cause des paroles tombées de vos lèvres que je me suis appliquée à suivre vos voies, bien que dures et pénibles (Psal. XVI, 4). " Au troisième degré, son coeur se dilate, elle court dans la voie des commandements de Dieu, et y trouve des délices pareilles à celles qu'on goûte dans d'immenses trésors. La peau, ointe de l'huile de la grâce spirituelle, et sachant que " Dieu aime celui qui donne d'un coeur joyeux ( II Cor. IX, 7), " se porte avec joie à toute sorte de biens et s'écrie avec le Prophète David : " Seigneur, j'ai couru dans la voie de vos commandements, quand vous avez dilaté mon coeur (Psal. cxvni, 32). " Au quatrième degré sont les anges qui font le bien, mais un bien complet, toujours aussi facilement qu'ils veulent. L'âme peut bien aspirer à ce degré, mais elle ne peut y atteindre tant qu'elle est dans son corps, parce que ce corps l'appesantit. Celui qui n'a pas encore la volonté droits, doit savoir que c'est une intention charnelle qui fait obstacle. Celui qui l'a droite, mais sans force, peut être sûr que l'obstacle vient d'une mauvaise habitude. Celui qui a la volonté dévouée, mais non encore pleine, doit être persuadé que ce qui l'arrête, c'est l'habitation terrestre de son âme. Quant à l'homme dont la volonté est vicieuse, qu'il prie et qu'il dise : " Que votre volonté soit faite sur la terre comme dans le ciel (Matt. VI, 10), en se regardant comme étant lui-même la terre. Celui qui a une volonté droite, a le ciel, car il y a autant de distance entre une volonté droite et une volonté vicieuse, qu'entre le ciel et la terre. Que celui qui a une volonté droite mais faible, fasse cette prière-là, et s'applique le mot terre; quant à celui qui l'a forte, c'est à lui que s'applique le mot ciel. Et ainsi des autres, en sorte que l'âme tende toujours à monter ; car de même que celui qui demeure dans une mauvaise volonté est condamné, ainsi celui qui, dans les autres volontés, ne s'efforce point d'avancer est digne de réprimandes.
 
 
 
 
 
 

CENT-VINGT-CINQUIÈME SERMON.

1. " Glorifiez Dieu et portez-le dans voire corps ( I Cor. VI,). " Ailleurs, l'Écriture dit encore : " La sagesse a été justifiée par ses fils (Matt. XI, 19), " et dans l'oraison dominicale. nous disons : " Que votre nom soit sanctifié (Matt. VI, 9). " Le Christ, la vertu de Dieu a et la sagesse de Dieu, est justifié, est sanctifié et glorifié par ses fils. Disons d'abord comment la sagesse est justifiée par ses fils. " Dieu flagelle tout enfant qu'il aime (Hebr. XII, 6), " Mais aux premiers coups de fouet, alors qu'il est encore esclave sous la loi de Dieu et ne sait point comment il sera enfant de Dieu, il murmure, se déclare innocent et appelle Dieu cruel. C'est que, si c'est le Christ, la vertu de Dieu qui se montre à lui, ce n'est point sa sagesse, car le fouet ne lui fait sentir que la puissance de sa vertu, il ne sent pas encore la douceur de la sagesse qu'il goûte par son intelligence. Jésus-Christ "atteint fortement, " par le fouet celui qui se trouve dans cet état, mais, "il le dispose doucement (Sap. VIII, 1), " par l'intellect quand il lui suggère la pensée de l'Apôtre, " de se réjouir dans les tribulations (Rom. V, 3), " et lui fait connaître que " l'affliction produit la patience, la patience, l'épreuve, l'épreuve, l'espérance et que l'espérance ne trompe point. " Alors, il sait qu'il n'est plus puni comme un esclave, mais instruit par le fouet, comme un fils qui sait recevoir l'héritage. Il se confesse pécheur et dit que Dieu est juste et justifie ainsi en lui-même la mère sagesse.

2. Mais à quoi bon confesser ses péchés sous le fouet, si on ne s'en éloigne par la sainte continence? Selon ce qui est écrit : " Soyez saint, selon que moi-même je suis saint (Levit XIX, 2) :" en sorte que, tel est le père, tel soit le fils; de cette manière, le nom du Père sera sanctifié dans la sainteté de ses enfants. C'est ce que nous demandons tous les jours dans la prière, afin que, en même temps que notre Père se plaint en ces termes de plusieurs de ses enfants qu'il trouve mauvais et déréglés, " tous les jours mon nom est blasphémé à cause de vous au milieu des nations (Isa. LII, 5 et Rom. II, 24), " il soit aussi sanctifié à cause des saints. Mais, n'allez pas penser que j'invente que la sainteté est la continence, écoutez, en effet, ce que l'Apôtre dit aux Thessaloniciens : " La volonté de Dieu est votre sanctification ( I Thess. IV, 3). " Mais de peur que, par ce mot, sanctification, vous entendiez autre chose que la continence, prêtez l'oreille à ce qu'il dit après " C'est-à-dire, que vous vous absteniez de la fornication et que chacun

a Ce passage et quelques autres encore de ce sermon se trouvent au livre VIII des Fleurs de saint Bernard, chapitre X, et dans le livre VI, chapitre XVII du même ouvrage.

de vous sache posséder le vase de son corps dans la sanctification. " Aussi, appelons-nous saints ceux que nous trouvons fermes dans le voeu de continence, renonçant, non-seulement aux actions illicites, mais encore s'abstenant de toutes paroles impudiques. Voilà pourquoi il est écrit: " Le sage demeure comme le soleil, et le sot change comme la lune (Eccl. XXVII, 12). "

3. Mais comme un fils sage est la gloire de son père, il faut que, non-seulement il sanctifie sa mère, la sagesse par la stabilité de la continence, mais encore qu'il la glorifie par le fruit des bonnes oeuvres, selon ce mot de la Vérité même dans l'Évangile : " Que votre lumière luise devant les hommes, afin que, voyant vos bonnes oeuvres, ils glorifient votre père qui est dans les cieux (Matt. V, 16)." Et le Psalmiste, voulant nous peindre le fils de, la sagesse, nous dit : " Heureux l'homme qui est accessible à la compassion et qui prête à ceux qui sont dans le besoin (Psal. CXI, 5). " Voilà une définition du sage aussi juste que courte. En effet, il est heureux au milieu des fouets en confessant son péché, et se réjouit de le voir effacer par la tribulation. Il a pitié de son âme en plaisant à Dieu par la beauté de la continence; il prête au prochain le fruit d'une bonne oeuvre. Voilà le juste, l'homme qui rend à chacun ce qui lui appartient, à Dieu, la confession, à soi-même, la miséricorde et au prochain, la justice. Voilà aussi comment les fils de la sagesse la justifient par la confession des péchés, la sanctifient par le bien de la continence et la glorifient par la fructification des bonnes œuvres. Le premier coup que porte la crainte de Dieu s'adresse à la négligence, attendu que la crainte porte à se tenir sur ses gardes. Si la négligence l'emporte, elle engendre la curiosité. Car, tandis que la terre de notre coeur, laissée inculte par la négligence, ne produit que des ronces et des épines, L'âme qui ne trouve plus de repos en elle est contrainte de se répandre au dehors. Voilà comment la curiosité sort du coeur, elle est combattue par la piété. La piété c'est le culte de Dieu : or, c'est dans le coeur que nous honorons celui que nous savons habiter dans notre coeur. Si la curiosité n'est réfrénée, elle amène l'expérience du mal, car lorsque l'âme se répand au dehors sur beaucoup d'objets, elle trouve facilement l'occasion de goûter quelque plaisir dangereux. Contre l'expérience du mal arrive la science qui nous apprend quelle chose il est sûr ou dangereux d'expérimenter. Mais si l'expérience du mal l'emporte, elle engendre la concupiscence, et la concupiscence passe en affection du coeur.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

www.JesusMarie.com